HISTOIRE
DES CELTES,
■ ET PARTICULIEREMENT
DES GAULOIS ET DES GERMAINS,
Depuis les Tems fabuleux, jufqua la Prife de Rome par
les Gaulois,
Par Simon Pelloutier , Pajleur de VEgUfe Françoife de Berlin ;
Membre & Bibliothécaire de l'Académie Royale des Sciences &
Belles -Lettres de PruJJe.
NOUVELLE ÉDITION,
• Revue y corrigée, & augmentée d'un quatrième Livre pofihume de t Auteur',
D È D I É E
A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.
Par M. DE CHINIAC, Avocat au Parlement, de V Académie
Royale des Belles- Lettres de Montauban.
Antlquam exquirite Matrem. Firgil. Mneid. 11. ^g.
T ,0 M E SECOND.
A PARIS,
Pe rimprimerie de Quillau, me du Fouarre,
M. Dec. LXXI.
^Avec approbation & Privilège du Roî,
nit
g, ■ ' =3?
AVERTISSEMENT
DE L A U T E U R.
Sur le Ilh. Livre de l'Hi S T 0 i RE des Ce ltes.
JL 'acceuil que le Public a fait aux deux premiers Livres de cet Ouvra-
ge , m'encourage à en donner" la fuite. On trouvera dans ce troifième
Livre, lin Abrégé , affez étendu , de tout ce qu'il y avoit de Dogmatique
dans la Religion des Celtes. Si je n'en ai pas dit davantage , c'eft que
je n'ai pas cru devoir deviner, ni me livrera des conjeftures deftituées
de fondemens. Je me flatte , cependant , d'en avoir dit affez pour faire
connoître les Dogmes les plus effentiels de la Religion des Celtes , &
rétroite liaifon qu'ils avoient les uns avec les autres. La feule grâce
que j'ai à demander au Lefteur , c'eft de lire ce Livre tout entier , avant
que d'en porter un jugement décifif.
Comme , pour éviter les répétitions , je n'établis que dans im feul
endroit ce que je fuppofe dans les autres , j'aurois à craindre qu'on ne
m'accufât d'avancer plufieurs chofes fans preuves , fi on ne fe donnoit la
peine de lire tout le Volume. Par exemple , je ne prouve que dans le
dernier Chapitre ce que j'ai fouvent dit & répété dans les précédens ;
que , félon la Doftrine des Celtes , ceux-là feuls entroient dans le Pa-
radis , qui mouroient d'une mort violente.
Au refte , j'ai corrigé dans le corps de ce Volume , quelques fautes qui
me font échappées dans le précédent. Ainfi il fuffira de joindre ici une
Note (*) des principales fautes d'impreffion que j'y ai remarquées.
— — ■' ,.
(*) On a coiiige d«ns cette nouvelle Edition ks fautes irtdiquc'es pai l'ErrtUê,
^3^
ajt.
IV
J
J F I s
DE L' ÉDITEUR
Sur le IV^. Livre de l'Hijioire des Celtes.
_ E reçus dans le courant du mois de Janvier dernier, une
Lettre datée de Berlin i Décembre lyyo^ conçue en ces ter-
mes : «Monsieur, la nouvelle édition de XHiJioire des Celtes
y> que vous venez de donner au Public , m'a fait croiic que
» vous apprendriez avec plaifir qu'il y en a un quatrième Livre ^
» en maïuifcrit , tout prêt pour l'impreflion , au jugement de
5) M. Formey , qui a bien voulu l'examiner. C'tll par la
» néçlic^ence de Ton Libraire d'Hollande que l'Auteur a été
» empêché de le publier de fon vivant. Ce Manufcrit contient
5^408 pagts injolio. Il renferme l'extérieur de la Religion des
» Celtes , leurs fuperititions & une Hiitoite abrégée des plus
» célèbres Philofophes Scythes 6i Celtes. — En fuppofant ,
» Monfieur , que vous eurtîez le delîem d'acquérir ce Manuf-
» crit , il ne s'agiroit que de marquer les conditions , & d'en
«charger quelque perfonne d'ici. Je crois devoir vous avertir,
» Monfieur , qu'outre les quatre Livres en manufcrit, dont trois
» ont été imprim.;s , il y a encore trois Volumes in-folio
» manufcrits de Notes G ographiques ■& Critiques , dont vous
3) pourriez faire l'acquifition en même-tems. J ai l'honneur d'être,
&c. Pélisson , Doclturen Médecine.
Aùffi-tôt que j'eus connoiflance des Manufcrits de M. Pel-
loutier , je me hâtai de me les procurer. J'écrivis à M. Pélifîon
pour le remercier de i'avis qu'il m'avoit donné j je le priai de les
remettre aux perfonncs que je lui indiquai, & de me marquer
comment il étoit pofîefleur de ces Manufcrits J'écrivis en mê-
me-tetns à M. Formey pour qu'il voulut bien m'npprendre ce qu'il
fçavoit relativement aux Manufcrits de M. f-*eiloutier.|
Vers la fin d'Avril dernier, M. Pélifion m'écrivit en date du
5 du même mois : « Pour ne pas vous cauler du retardement , je
» réponds a votre dernière Lettre , reçue fous ie couvert de
AVIS DE L' EDITEUR. v
» M. Formey. Je remets aujourd'hui à MM. Girard & Michelec
» les Manufcrics de ÏHiJloire des Celtes , dont celui du quatriè-
» me Livre elt double , avec les Manufcrics de Notes Géogra-
yy phiques & Critiques. .. , Quant aux Manufcrits de feu mon
«oncle Pelloucier, ils étoient entre les mains de deux de fcs
» filles , qui font feules refiées de fa famille. Lorfque votre
» Ouvrage fut annoncé dans les Journaux , j'en parlai à mes
>) coufines , q à me donnèrent plei i pouvoir d'agir comme
» bon me fembleroitj &; c'eft fir cela , Monlieur , que j'fntrai
» en négociation avec vous , après avoir confulté M, formey.
» J'ai l'honneur d'être, b.c. Pi u. son».
Je reçus en même-tems une Lettre de M. Formey, qui me
marquoit: «.... M. le Dodtcur PclifTon vous enverra, confor-
» mément à vos demandes & inftrudions, tout ce que vous
» fouhaitez. Je joints ici la déclaration relative aux Manufcrits
» de feu M. Pelloutier , dont vous pouvez faire l'ufage qui vous
» conviendra Je fouhaite , Monfaur, que vous terminiez
» votre louable entreprife avec le plus grand fuccès. J'ai i'iionneur
» d'être , &:c. Formey ».
Déclaration de M. Formey,
«Feu M. Pelloutier, avec qui j'ai eu des liaifons intimes;
5) ayant été reb té par les mauvais procédés du Libraire qui avoic
» imprimé Se très -mal exécuté 'es deux Volumes de {on Hijîoire
» des Celtes , fe trouvant avec cela dans un état d'abattement qui
» a précédé fa dernière malade, a laiiïé en Manufcrit le qua-
» trieme Livre de fon Ouvrage. J'ai examiné ce Manufcrit : je
» l'ai trouvé mis au net d'un bout .à 1 autre de la m:in de l'Au-
» teur , ôc parfaitement en état d'être mis fous la prefTe : fur quoi
» j'ai engagé les héritiers de M. Pelloutier à le céder à M. de
» Chiniac , pour entrer dans l'édition qu'il donne actuellement
» de VHiJloire des Celtes & de tous les Ecrits ( i ) de M. Pel-
» loutier qu'il a pu recouvrer. C'eft ce que je certifie. A Berlin
» le 4 Avril ifT^. Si^né , Formey, Secrétaire perpétuel de l'A"
» cadémie Royale de Prujfe » •'■''
Les Manufcrits de M. Pelloutier vinrent à l'adrelTe de M. le
( I ) Je n'ai fait impiimei ^uc les Ecrits lelatifis à ï'H'Jitirt iu CcIim,
yj AVIS DE L' E n I T E U R.
JVlarquis de Paulmy vers le milieu de Mai dcriiier. Il eût la bonté
de me les faire palTer. Je trouvai dans le pac)uet , i°. quatre
Volumes in-folio M. S. contenant les quatre Livres d&VHiJloire
des Celtes : i°. un fécond exemplaire maoufcrit du quatrième
Livre de cette Hiftoire : 3°. un Volume in-folio M. S. fur
l'ancienne Géographie : 4^-. deux autres Volumes infolio M. S. de
Notes hifloTiques & critiques fur les Celtes.
Le Manufcrit des Notes Géographiques eft tout-à-fiit impor-
tant. C'ell un dépouillement de tous les Auteurs qui ont parlé
de; anciens Peuples, mais il paroît que M. Pelloutier n'a pas eu
le t: ms d'employer les matériaux qu'il avoit ramafTés. Je ne pri-
verai point le Public de cet Ouvrage , qui ne pourra qu'aider
beaucoup ceux qui voudront lire ou étudier {'Hiftoire des Celtes.
J'employerai tous mes foins à remplir les vues de M. Pelloutier.
Quant aux Noies hifloriques éc critiques fur les Celtes , elles
prouvent les recherches immenfes de l'Auteur j mais elles ne
peuvent être d'aucune utilité, l! paroît qu'elles ont fervi à M.
Pelloutier de répertoire pour la compofition de fon Hi/loire des
Celtes. A mefure que ce Sçavant parcouroit un Auteur, il met-
toit par écrit tout ce qui àvoit trait à fon fujet.
Je ne dirai rien des trois premiers Livres de VHi/Ioire des
Celtes, Ils font en pofleffion de l'eftime publique. Jobferverai
feulement que j'ai collationné l'Imprimé fur le Manufcrit. J'y
ai trouvé quelques petites différences que j'ai inférées dans les
/additions &c CorreElions.
Le quatrième Livre que je fais imprimer aujourd'hui, pour'"
Ja première fois, eft certainement la Partie la plus curieufe & la
plus amufanre de \ Hifloire des Celtes. On y voit l'origine de
plufieurs folies qui font encore en vogue parmi le Peuple , & le
fondement de fuperftitions ou ufages ridicules , que des gens
qui fe prétendent éclairés , ne laiflent pas d'adopter , ou qu'ils
pratiquent à caufe de l'empire que l'habitude exerce trop fou-
vent fur la raifon. D'ailleurs , on eft obligé de recourir fouvent
aux conjectures pour approfondir les Dogmes de la Religion des
Celtes , parce que les Druit'des , qui étoient les feuls Sçavans dç
leur tems , n'ont laiflTé aucun écrit qui puifTe nous inftruire , &
que rnême ilsne fouffroient pas qu'on communiquât leur Doc-
trine à des étrangers j cette politique retenoit dans leurs fers la
populace fuperftitieufe 6c ignorance. Mais , par rapport aux pra-
A V I s D E L' E D I T E U R. vij
tîqnes extérieures de la Religion , les Prêtres des Celtes ne pou-
voient empêcher que ceux qui venoienc chez eux , ne viflenc
leurs fanduaires, leurs facrifîces & la plupart de leurs cérémonies.
Il (uffifoit d'avoir des yeux pour juger de tout ce qui pouvoit s'ap-
Îiercevoir : les Etrangers n'ont guères pu fe méprendre que fur
es motifs fecrets de certaines cérémonies. Ainfi ce que M. Pel-
loLitier a dit des facrifices , des cérémonies & des fuperftitions des
Peuples Celtes , elt ce que nous pouvons mieux conuoître dans
la Religion de ces Peuples.
A la fin de ce quatrième Livre , M. Pelloutier a donné
l'Hifloire abrt gée des Philofophes Scythes & Celtes. Ce morceau
eft d autant plus curieux &L intéreiïant , qu'il ell prefque neuf,
& q e la Doctrine d'Orphée , celle d'Anacharfis , de Zamoixis,
de Diceneus , ne font guères connues de ceux mêmes qui fe
vantent d'avoir fait une étude particulière de l'antiquité.
L
PREFACE (O.
'accueil que le Public a fait aux trois premiers Livres
de mon Hilloire des Celtes , m'encourage à en donner la fuite.
Je commencerai par prier le Lecteur de corriger les fautes d'im-
preflion qui fe trov.vent dans le premier Volume , & en même-
tems quelques inexadlitudes qui me font échappées, & dont je
donne la noce à la fuite de cette Préface. Je le prierai auffi, par
rapport aux deux Livres qui paroifient aujourd'hui , de les lire
tout entiers , avant que A'cn porter un Jugement d/cifif Je fuis
obligé quelquefois de fuppofer dans un Chapitre , ce que je n'ai
occafi n de prouver que dans les fuivans. Il y a , d'ai leurs, plu-
fieurs points de la Doctrine des Celtes, qui ne font bien connus
que par le culte , & par les cérémonies , dont ils éroient le fonde-
ment. H eftà propos, par cette raifon , de lire le quatrième Livre
de cet Ouv âge, pour être en état déjuger fi j'ali bien repréfenté
dans le troifi me les divers Dogmes de la Religion des Celtes.
J'ai bien de l'obligation à Melfieurs les Journaliilts qui ont
Il I" Il — ^.^—w
(I) Cftte ^ri/«f que M. Pelloutier a mife | /i»ie« iirpriraé au commcn .i.tiit du llle.
î la ccce d.i IVe. Livre de t^a Htftiire in Celiei , j Livre. Malgré cela , je n'ai pas cm devoil
(enferme ce qu'il avoit dc;a dit dansl'.4v«r(»j- j fuppi met l'Avtrujftment,
vlij PRÉFACE.
donné pour la plupart des Extraits fort détaillés de mon Ou-
vrage. Je fuis d'autant plus fenfible à la manière avantageufe
dont ils en ont parlé, que je me connois trop bien moi - même,
pour ne pas fentir que je ne dois qu'à leur politefle des éloges qui
Ibnt fort au-defîlis du mérite de l'Auteur, & du prix de mes re-
cherches. On a critiqué auffi quelques endroits de mon Ou-
vrage , 6c dans les Journaux & dans d'autres Livres. Je profite-
rai avec docilité & avec reconnoiflance des remarques qui me
paroiflent fondées. C'eft , comme je le crois , tout ce que le Public
exige de moi. Il y a d'autres reiparques auxquelles je ne fçau-
rois acquiefcer , &: j'aurai foin, quand l'occafion s'en préfentera,
d'expofer les raifons qui me déterminent à perfifter dans mes
fentimens , que je n'ai pas aflurément adoptés à la légère , ni
fans un mûr examen. Dans le fond , ks matières que j'ai trai-
tées , ne font pas dtis articles de foi. Je crois , à la vérité , n'avoir
rien avancé que fur de bonnes preuves. Mais, par cela même
que j'ai été obligé de m'écarter fort fouvent des opinions com-
munes , je ne dois pas trouver mauvais que les miennes ne
foient pas toujours goûtées, & je verrai avec un très-grand plaifir
que ceux qui font plus que moi, au fait de ces matières ,puiflènt
en dire quelque chofe de plus fur, ou feulement de plus probable.
Je dois ajouter encore ici un mot d eclairciflement fur une
difficulté qu'on m'a faite avec beaucoup de raifon. Le titre de
mon Ouvrage promet une Hiftoire des Celtes , depuis les tems
fabuleux julqua la prife de Rome par les Gaulois. Cependant
je ne touche point l'ancienne Hiftoire de ces Peuples, & je ne
parle prefque que de chofes fort poftérieures au tems où j'avois
promis de me renfermer. L'objedion eft alTurément très fondée.
J'efpère , cependant, qu'on ne mettra pas la chofe fur mon compte.
Mon Ouvrage eft proprement un Traité des Mœurs 6' Coutumes
des Peuples Celtes , & c'eft auffi le titre que je m'étois propofé de
lui donner. Le Libraire ayant cru que le titre de Mœurs &
Coutumes n'inviteroit pas afîez l'Acheteur , m'a fait propofer celui
qui fe trouve à la tête du Livre. J'y ai confenti , & au refte la
Préface du premier Volume avertit , aflez clairement , que je ne
fraiterai des migrations des Peuples Celtes qu'à la fin de l'Ouvrage.
HISTOIRE
HISTOIRE
DES CELTES.
LIVRE TROISIEME.
Des principaux Dogmes de la Religion des Celtes.
^^s-
CHAPITRE PREMIER.
§. I. L A Religion des Celtes eft , fans contredit, un des morceaux ta Religion
les plus intérefl'ans de l'ancienne Hiftoire de ces Peuples. Comme ceitcs cn un
c'eft une chofe digne de notre curiofité de rechercher ce que nos tste&rtr'"
Ancêtres ont penfé fur une matière fi importante , on ne peut aufîl que
reffentir une véritable fatisfaftion , en voyant qu'ils ont eu des idées
plus juftes & plus faines de la Divinité , que les autres Payens , fans en
excepter même les Grecs , qui fe regardoient comme les plus éclairés 2c
les plus fages de tous les hommes.
Il efl vrai , qu'au milieu de la fatisfaftion que l'on doit trouver
naturellement dans cette étude , on a quelquefois le défagrément de
remarquer que des Peuples , qui s'étoient fait une idée fi noble de la
Pivinité , ne laiffoient pas de donner dans une infinité de fuperflitions,
7>/n« //, A
<1e ia bien
coanoîcrc
1 HISTOIRE DES CELTE S,
qu'ils ont même tranfmifes à leur poftérité , quoique fous d'autres noms.
Mais un homme , qui aime la vérité , & qui s'intéreffe finccrement à la
gloire de l'Evangile, verra toujours , avec plaifir, qu'on lui montre ,
dans l'ancienne barbarie, l'origine de la plupart des abus qui ont défiguré
auirefois, ou qui défigurent encore aujourd'hui la plus belle & la plus
pure de toutes les Religions.
11 eft difficile On n'ignore pas que le fujet qu'on fe propofe de traiter dans ce Livre ,
a de grandes difficultés , & qu'il paroît prefque impoffible de fatisfaire
la curiofité d'un Lefteur , qui fouhaite de connoître à fond la Religion
des Celtes. On repréfentera cette Religion telle qu'elle étoit avant
qu'on connut dans la Celtique les Divinités, & Jes Cérémonies des
Grecs & des Romains.
riloignc- L'éloignement des tems a fait périr un grand nombre d'Auteurs , qui
"ui'tiurre- auroient pu nous faire connoître cette Religion. D'ailleurs, les Druides
ftacc" d« '° (i), comme les Prêtres des Egyptiens , étoient dans l'opinion que leur
Druides fur £)o£lrine devoit être tenue fort fecrète. Ils regardoient comme un fa-
IcLir Doanne _ , . . .
en fout les crilége de la coucher par écrit ; ils ne la confioient à leurs Difciples ,
principales , > , • / / , , r ■ i, >
•aufes. qu après les avoir éprouves pendant une longue luite d années , après
en avoir tiré la promeffe folemnelle , qu'ils ne la rendroient jamais
publique , & qu'ils éviteroient fur -tout de la communiquer à des
Etrangers.
cepcnJant la Cette difficulté feroit infurmontable , fi les Druides avoient fait un
loi du fecrec ^y^^^g ^g toute leur Dodrinc : mais il eft confiant que la loi du
jie regardoit , J ' ^ T
à proprenieiic fgcret ne regardoit , à proprement parler , que ce que les Anciens ap-
parier, que la •- ** ,' -Vl •
phyfioiogie pelloient la Phyfiologie & la Magie. La première de ces Sciences enlei-
& la Magie. ^ .f , '. ,^ „ , 'j- u • •
gnoit la manière d interpréter les prelages oc de prédire 1 avenir par
les caufes & par les é vénemens naturels , tels que l'eau , le feu , le vent ,.
le vol d'un oifeau , le henniffement d'un cheval. La féconde , faifoit con-
noître les^eharmes & les maléfices , dont il falloit fè fervir pour opérer
tputes les chofes extraordinaires qu'un Peuple crédule & fuperftitieux
attribue , encore aujourd'hui , aux Sorciers.
tes Drui ifs Au reftc , les Druides avoient auffi une Doctrine publique. Ils s'ou-
Koûrkiepu- vroient à tout le monde fur les points les plus effentiels de leur Re-
fciique. ligion , comme , par exemple , fur l'objet du culte religieux , fur la na-
j. ■ .. ■■ .-..■■ ^ ,.■■1111 — ■
■■ ( I ) Cifar VI. 14. Pompon. Mêla lib. III. cap. z, p. 73. Vnjiif, ci-iiffiu Liv. I. chaf. 1}^
e. 2^.Liv. II. chi 9- p. 182. 183. & ch. II. ]f. i>«.
L I V RE iri. CHAPITRE, I. ,3
titre du culte qu'il felloit rendre à la Divinité , & des (1) recompenfes
que les gens de bien dévoient en attendre. On découvroit , d'ailleurs ,
les idées qu'ils avoient de la Divinité, dans leurs Sacrifices, dans leurs
Cérémonies, èc dans toutes Içs a.utres . parties du culte extérieur qu'ils
rendoient à leurs Dieux. ' . •
Il n'eft donc pas impoffible de connoître , au moins , les dogmes l'iafîeurs au-
capitaux de la Religion des Celtes, pourvu que Ion laclie faire uJa^ n:s onc écrit
•de ce que des Auteurs , bien inftruits , en ont écrit en divers tems, & gioadcscd-
en divers lieux , dans des ouvrages qui ont échappé aux injures du tems. * ^"
§. II. On auroit pu fe difpenfer du pénible travail de raffembler , &i de
digérer ce que les Anciens ont écrit fur le fujet qu'on va traiter , li les
Modernes , qui ont eu le même defTein , avoient exécuté ce que pro-
mettoient au public le titre de leurs Ouvrages.
Etienne Forcadd (3), Profefleur en Droit dans l'Univerfité de Tou- Oivrage<f£-
loufe , publia , vers le milieu du fixième , fiècle un aflez gros Volume 111^ ""'''
iur VEmpire & la Pkilofophie des Gaulois. On ne fauroit difconvenir
que cet Auteur n'eut une vafte leûure , & une grande érudition ; mais
c'efl aufli le feul éloge qu'un Leâeur équitable ne peut lui refiifer
légitimement ; il ne paroît pas , au refte , qu'il ait eu , ni affez de droi-
ture pour chercher la vérité , ni affez de difcernement pour la trouver. Au-
tant qu'on en peut Juger , il écrivoit dans la vue de faire fa cour à quel-
que« Malfons , & à quelques Villes célèbres , en leur attribuant une an-
cienneté qu'elles n'avoient certainement point. Comme ce qu'il avance
de l'Empire des Gaulois eft faux & infoutenable , ce qu'il dit de leur
Philofophie n'eft rien moins qu'exaft.
Diodore de Sicile, parlant des Druides, les z^t^^Wq Sarvides on Sw
ronid^s , & c'eft peut-être une faute de copifte. De là le faux Bérôfe a
pris occafion de forger un Roi des Gaules , nommé Saron , qu'il fait
vivre du tems du Patriarche Ifaac. On trouvera dans Forcadel toute
l'hiftoire de ce Prince , qui n'eft autre chofe qu'un Roman , auffi fabu-
leux que les Rolands & les Amadis, On fera bien plus furpris encore d'y
voir qu'Homère a parlé de la Ville de Touloufe , parce qu'on trouve
(2; Pomp. Mêla lib. III. cap. i. p. 73,
( 5 ) Stephini Forcurili de GnHornm imperio &
Philofcphii, L:bii VIL On s"eft fervi de la féconde
ïdition, irapti;née à Çencye en isss.Moreri
dit que la première parut en 1 579. Mais il pa-
roît,par l'Ouvrage mcme, que l'Auteur écrivoit
en is«z.
A X
4 HISTOIRE DES CELTES,
dans ce Poëte le mot flowVa , curnus , dont il eft facile de faire celui de To-
lofa , en y ajoutant une feule lettre.
Ces deux échantillons fuffifent pour montrer ce que l'on doit penfer
du (4) jugement de l'Auteur, & du prix de fon Ouvrage. S'il falloit
en ôter , premièrement ,une infinité d'épifodes mal placées, qui font per-
dre de vue à tout moment ce qui devoit faire le but principal de l'Au-
teur; en fécond lieu , les fables qu'il débite fur la foi de Bérofe , de Ma-
nethon , & des autres Hiftoriens fuppofés par Annius de Viterbe ; &C
enfin celles qu'il fuppofe lui-même , ou pour relever la gloire de fa na-
tion , ou dans quelque vue d'intérêt , on retrancheroit au moins les trois
quarts du Livre ; &c ce qui rellerolt ferviroit plutôt à indiquer les four-
ces , où il faut puifer , pour connoître la Philofo-phie &C la Religion des-
Celtes , qu'à en donner une juile idée.
Traité de §• UL Philippe Cluvier a auffi parlé de la Religion des Celtes dans le
^jiipftUu- jj-gj^ji q^»j[ publia ^^ j^^ j ^ fous le Titre à^Andtnne Germanie (5) ; cet
Auteur avoit beaucoup plus^ de jugement que Forcadel. Son Ouvrage
eft en lui-même très-bon , & plein de recherches curieufesi II feroit à
fouhaiter , pour l'honneur de ce célèbre Géographe , qu'il n'eût fait
aucune mention de la Religion des Germains , ou qu'au moins , il fe fut
contenté de rapporter ce que les Anciens en avoient dit , fans y mêler
fes propres conjeâures : elles^ tendent , pour la plupart , à montrer que
les anciens Germains ont connu non-feulement le vrai Dieu, & la créa-
tion du monde , mais encore les plus auguftes Myftéres- de l'Evangile.
ïl foutient , que ces Peuples ont eu connoiffance du Dogme de la Trinité
long-tems avant qu'il eût été révélé. Mais , comment prouvera t-il cet
étrange paradoxe ? Voici fa démonftration , dont le Leûeur jugera.
» Jules-Céfar a remarqué ( 6 ) , que les Germains ne connoiffoieat
H point d'autres Dieux que ceux qu'ils voyoient, & dont ils éprou-
» voient manifeftement le fecours , le Soleil , la Lune , & Vulcain-
» c'eft-à-dire le Feu. Voilà ( 7 ) manifeftement le feul vrai Dieu , & les
«trois Perfonnes de la Trinité. Le Soleil, c'eft le Père ; laLune^c'efl
» le Fils; & le Feu, le Saint-Efprit «.
(4) Pâpyre Mafloii dit qu'Etienne Forcadel
ito'a un fat & un ignorant, homine ivfulfo & ad
d(>cend:im minus idcitec , que l'on préféra cepen-
dant à Cujas, qui difputa avec lui la chaire de
Jtofcffcui en Dioit à Touloufc F»fyr. Majf» ,^ (7J Cluver. Geim. A«î^. p. îoï,
Vil» Cujucii.
( S ) Philippi Cluverii Geimanix antiquae 1, 111%
Lugd. Baciv. t((3 !•
(6) Csfar VI. 21.
LIVRÉ III. CHAPITRE I. y
Cluvier s'applaudit fi fort de cette découverte , qu'il finit en difant (8) :
t> Je craindrois d'ennuyer mon Leâeur , fi je produifois de nouvelles
« preuves pour établir une vérité fi claire & fi lumineufe «. Que peut-
on attendre d'un Auteur capable de prendre le change d'une manière fi
pitoyable ?
Il faut avouer , cependant , que cet Auteur n'efl pas le feul que l'en*
vie de trouver par-tout les idées des Juifs & des Chrétiens, ait jette dans
de femblables écarts. On aura fouvent occafion de montrer qu'il a été
fuivi , & quelquefois copié , par la plupart des Auteurs , qui ont
écrit depuis (9) , & qu'il n'y a pas jufqu'au chêne de Mambré , que
l'on n'ait tranfplanté dans les Gaules , pour en faire une Divinité cel-
tique.
§• IV. On piiblia , vers le milieu du xvii". fiécle fiécle , le fçavant Traité d'f/;*
Traité à'Elie Schédius , qui a pour titre : De Diis Germanis , Jive de ve-
teri Germanorum , Gallonim , Britannorum , Vandalorum Religione fyn-
tagmata quatuor (lo). Si cet Auteur n'a pas mieux réufli que Cluvier ,
il mérite, au moins, plus d'indulgence. Schédius étoit un jeune homme
fort fludieux , qui ayant lu un grand nombre d'anciens Auteurs , tant
Grecs que Latins , en avoit recueilli , avec grand foin , tout ce qui
pouvoit avoir quelque rapport , prochain ou éloigné , à la Religion dc«
Celtes. Son Ouvrage eft , par conféquent , un bon répertoire , oà
l'on trouvera une érudition peu commune. Mais il ne faut pas y
chercher de la juftefle , & de la précifion , parce que ce Sçavant fut fur-
pris par la mort à l'âge de 27 ans , avant qu'il eût eu le tems de faire ufage
du grand nombre de matériaux qu'il avoit recueillis , & parmi lefquels
il y en a plufieurs qui font hors d'oeuvre. La chofe étoit inévitable dans
un Ouvrage pofthume que l'Auteur n'a pas eu le tems de revoir,
§. V. Le Père Lefcalopier a auffi fait imprimer un Traité de la Relt- Traire Sa
gion des anciens Gaulois , à la fin de fon Commentaire fur les Livres de 1"', *^
Cicéron , de Naturd Deorum (i i). Ce Traité n'efi; , à proprement parler,
qu'une courte Differtation , ôc il n'y a pas de mal qu'elle ne foit pas
(g) Cluvït. ubi fupri. 1 Gaulois, Se j>tiifiems autres.
(9) De ce nombre font Elie Schédius, dont i ^loy On s'eft fervi de l'Edition imprimée ^
il ell parle' dans l'article fuivant , !c père Lel- Amftcrdaiu en 1648.
calopier , M. Huer, Evêqued'Avranches, M. Ju- ; (it) Pétri Lefcàloperii Humanitas Theolo-
lieu, dans fon Hiftoire des Cultes & des Do- j gici, five Commentarius in Ciceronem de Nl-
gmcs , l'Auteur anon^mo de Jia Religion des 1 tHiâ Deoium. Jacifiij apud S. Ctamoiii !«<•>
6 HISTOIRE DES CELTES,
plus longue ; on n'y trouve rien de nouveau, ni de curieux. Il femble
même que l'Auteur ne l'ait compofée , que pour y placer la découverte
fuivante , qui luffira pour mettre le Leûeur en état de juger de tout
l'Ouvrage.
Le Père Lefcalopier affure qu'on rendoit dans le territoire de Char-
tres des honneurs Divins (li) à la Fierté qui devait enfanter , & que
le fimulacr« de cette Divinité fut pofé cent ans avant Jefus-Chrift. Si
cela efl: , il faudra avouer que les Gaulois ne le çédoient point aux
Germains , par rapport à la connoiffance des Myftéres de l'Evangile.
On a vu que les Germains connoiffoient déjà le Myftére de la Trinité,
du , tems de Jules Céfar , qui écrivoit environ cinquante ans avant
la venue du Sauveur. Mais il y avoit près de cinquante ans que l'on
fçavoit dans le Pays Chartraln , non-feulement que le Verbe devoit
être incarné , mais encore que la fainte Vierge devoit être l'objet
d'un culte religieux. Ce culte ne s'introduifit , cependant , que plus de
mille ans après.
Ouvrage de §. VI. Il ne fera pas néceffaire de s'étendre ici fur l'Ouvrage d'un
!!yme'"f "°i Autcut anouyme , ( le Père Dom Jacques Martin , Religieux Bénédiûin , )
o'^ufois ''" V^^ parut à Paris en 172.7, fous ce titre magnifique : La Religion des
Gaulois , tirée des plus pures fources de C antiquité : On en a parlé au
long dans la ( i^ ') Bibliothèque Germanique. Cet Auteur n'a pas connu la
Religion des Gaulois, & fon Ouvrage ne peut fervir qu'à en donner de
fauffes idées; il traveftit perpétuellement les Dieux des Grecs 6c des
Romains en autant de Divinités Gauloifes.
Aucun de cef §• VII. La Religion des Peuples Celtes eft donc , jufqu'à préfent , un
œnmUa"R^c- ^^]^^ ^ P^" P'^^^ inconnu. Si on fe contente de lire ce que les Modernes
ligion des ç„ Qnt écrit, on ne fçaura abfolument à quoi s'en tenir. La différence,
.(ni plutôt l'oppofition continuelle que l'on trouvera entre leiu-s opinion*,
ne pourra même fervir qu'à jetter le Lefteur dans le Pyrrhonifme hifto-
rique. Mais fi l'on veut fe donner la peine de confulter les Anciens , on
fe convaincra bientôt que les Modernes , au lieu de puifer , comme
ils le dévoient , ôc comme ils le prétendent , dans les plus pures fources
de l'Antiquité , fe font livrés , les uns à leur propre imagination , les
.(xî) Ctnutum Dca, Vir^o Ftrirura Cap. X. 53^.270.
Çl|) iiibl. Germ. Tom. XXXVII. p. 140. ,
LIVRE III. CHAPITRE II. 7
autres à des préjugés , qui leur ont fait trouver dans la Religion des
Celtes tout ce qu'ils ont voulu ; tantôt les cérémonies des Juifs & des
Phéniciens; tantôt la Religion des Grecs, des Romains & des Egyptiens;
& tantôt la Philofophie de Pythagore , de Platon , ou des Stoïciens. On
fe flate de montrer dans ce Livre, que les Peuples Celtes avoient une
Religion toute différente de l'idée qu'on s'en étoit faite fur la foi des
Auteurs dont on vient de parler ; on la repréfentera , autant qu'il fera
poffible , telle qu'elle étoit avant qu'on eut introduit dans la Celtique
des Cérémonies , & des Superftitions inconnues aux anciens Habitans
de l'Europe.
§. VIII. Voici le plan de ce Livre & du fuivant. 1°. On examinera les
principaux Dogmes de la Religion des Celtes , ce qu'ils penfoient de
Dieu , de fes perfeftions , de l'origine du monde , des devoirs de
l'homme , &C de fon état après cette vie. 2^. On repréfentera enfuite l'ex-
térieur de la Religion des Celtes , & on parlera, à cette occafion , des
DruideSjdes Tems &C des Lieux facrés , des Sacrifices , des Cérémonies ,
& de tout ce qui peut avoir quelque rapport à ces matières. 3 ^. De-là
on paflera aux fuperftitions les plus remarquables des Celtes , aux
charmes & aux maléfices qu'ils pratiquoient , & aux différentes manières
de découvrir la vérité , ou de prédire l'avenir, par le duel , par le fort,
par les aufpices , par l'infpeftion des viûimes , par la foudre , &c par
les épreuves du feu & de l'eau. 4^. On donnera, après cela , une Hiftoire
abrégée des plus célèbres Philofophes Scythes & Celtes , tels qu'Orphée ,
Zamolxis , Abaris, Toxaris , Anacharjis , & Dicenœus. 5''. On finira par
quelques remarques fur la manière dont les Peuples Celtes ont reçu le
Chriflianifme.
CHAPITRE II.
§. I.L E s Anciens donnent un bel éloge aux Scythes , aux Celtes , & tes Peupk»
aux autres Peuples , qu'il plaifoit aux Grecs d'appeller Barbares ; c'eft f°lrreconim
qu'ils reconnoiffoient tous une Divinité , & que l'on ne voyoit parmi j-'^uifcie".
eux, ni des Athées déclarés, ni même des gens qui euffent jufqu'au
moindre doute fur les impportantes vérités , qui font le fondement de
toute Religion , l'exiftence de Dieu , & la Providence. C'eft la réflexion
On a accufc ,
fans tonde-
menc, quel-
ques ieu[^lcs
Ce'tcs, fi, en
p^ilicu!i:t ,
les habicaiîs
8 HISTOIRE DES CELTES,
de Maxime de Tyr ( i ) : ■> Tous les Barbares admettent im Dieu «,
C'eft celle d'Ellen (z) : "Qui ne loueroitla fagefle des Barbares? Aucun
•> d'eux n'eft jamais tombé dans l'Athéifme ; aucun d'eux n'a jamais
>= douté s'il y avoit des Dieux , ou s'il n'y en avoit point , s'ils pre-
»> noient foin du genre humain, ou non. Ni les Indiens, ni les Celtes ,
>■> ni les Egyptiens , n'ont jamais donné entrée dans leur efprit aux
» penfées qu'Evemére le Meffénien, Diogéne le Phrygien, Hippon ,
» Diagoras , Solîas , & Epicure ont eues fur ce fujet «,
§. II. Cependant cela n'a pas empêché que l'on n'ait accufé quelques
Peuples Celtes d'être Athées , & , par conféquent , fans aucune Reli-
gion. On voit , par exemple, dans Strabon (3), que , » félon quelques
» Auteurs , les Habitans de la Galice ne reconnoiiïoient aucune Di-
de la Gniicc , yj„it^ «. Mais ce Géographc ne garantit pas l'accufation : au con-
d'cire Athées. .... ri
traire il la détruit indirectement , en remarquant ailleurs (4) , que .1 tous
« les Peuples de la Lufitanie , clont la Galice faifoit partie,étoient fort
« attachés aux devinations «. Sjlius affure aufîi ( 5 ) que « les Habi-
». tans de la Galice étoient fort expérimentés dans les préfages que l'on
« tiroit des entrailles des vidimes , du vol des oifeaux , Se du feu «.
Enfin Juftin parle ((S) »> d'une Montagne de la Galice , qu'il n'étoit point
« permis de labourer , parce qu'elle étoit confacrée aux Dieux c C'en
eft affez pour décharger ces Peuples de l'Efpggne de l'odieufe imputation
d'avoir donné dans l'Athéifme.
eicÉron a §, III. Ce n'eft pas avec plus de fondement que Cicéron reproche
nwù'propos à toiis les Gaulois , en général, d'être des gens fans aucune Religion.
id'Acwïfmc. Donnons-nous la peine d'examiner les preuves dont il fe fert , pour
appuyer une accufation fi grave. On les trouvera dans l'Oraifon qu'il
prononça en faveur de Fontejus , Gouverneur de la Gaule Narbonnoife,
que l'on accufoit d'avoir vexé les habitans de cette Province (. 7 ).
» Croyez-vous , dit-il , que les Gaulojs puiflfent refpeôer la religion
» du ferment , ni que la crainte des Dieux immortels foient capables
tt de les toucher , lorfqu'ils font appelles à faire une dépofition ? Ke-,
»> marquez , je vous prie , combien leur naturel , & leurs mœurs font
(i) Maxim. Tyr. Diflert. XXXVIU. p. 455.
(2I JElian. Var. Hift. lib, II. cap. )i,
()) Strabo III. p. 1(4.
(4) Stiabo III.p. J54.
(s) Silius Italicus lib. III. v. 344.
(«) Juftin XLIV. cap, 3.
(7) Ciceio Qrat, pro M, Fonçejo p, î i4>'
oppofées
LIVRE III. CHAPITREtl, 9
»oppofées à celles des autres Nations ! Les autres Peuples prennent
» les armes pour la défenfe de leur Religion , les Gaulois , au contraire ,
» déclarent la guerre à toutes les Religions. Les autres Peuples implorent
» la faveur & l'affifiance des Dieux dans les combats , au lieu que
«les Gaulois font la guerre aux Dieux mêmes.
» Ce font ces Nations qui partirent autrefois des extrémités de la
» terre , pour aller attaquer le Temple de Delphes, & l'Oracle d'A-
» poUon Pythien , qui eft confulté. Se. révéré par tous les Peuples de
» l'univers. Ces mêmes Peuples , dont on nous dit qu'ils refpeftent
w la religion du ferment , comme la chofe du monde la plus facrée ,
» ont affiégé le Capitole , & ce Jupiter , par le nom duquel nos An-
» cêtres ont voulu que toutes les dépofitions fuffent confirmées. En-
» fin , peut-il y avoir quelque chofe de facré , pour des gens qui ,
» lors même que la crainte de quelque fléau leur fait chercher le
«moyen d'appaifer les Dieux, fouillent les Temples & les Autels par
» des vidimes humaines , & ne peuvent faire un ade de religion , qui
» ne foit en même tems un crime , & un outrage fait à la Religion "?
» En effet, y a-t-il quelqu'un qui ne fçache que les Gaulois confervent ,
» jufqu'à ce jour, la cruelle & barbare coutume d'immoler des hommes?
» Quelle idée peut-on donc avoir de la foi &c de la piété d'un Peuple,
» qui efl dans l'opinion que les Dieux peuvent être facilement appaifés
» par des crimes , & par l'effufion du fang humain ?
.i(. §. IV. Cicéron , qui plaidoit en faveur de Fontejus , vouloit empê- T:ri,n,en H-yn
cher que les Juges ne fiflent attention à la dépofition d'une folile de V'-'^t^^ ^\
témoins , que l'on avoit fait venir des Gaules , pour juûifier les faits * ]
dont il étoit accufé. Au lieu de fournir des reproches légitimes contre
ces témoins , l'Orateur Romain fe jçtte dans la déclamation , & pro-
fère de grands mots , qui ne font qu'une fuite de paralogifmes.
I®. Il me fembie qu'il y a de la contradiftion à foutenir que les Gaulois
étoient inaccefTibles à toute crainte des Dieux , & d'avouer ^ en même
tems , qu'ils offroient aux Dieux des viftimes humaines. Il n'y a qu'une
crainte excefTive qui puifTe porter fi loin la fuperftition.
1*. Cicéron foutient , que les Gaulois attaquoient la. Religion de
tous les autres Peuples. Pafl"ons - lui cette thèfe , qui , cependant, auroit
befoin de quelque refiriaion. Mais s'enfuit- il de-là , que les Gaulois
n'euffent eux-mêmes point de Religion? Point du tout ; ils -croyoient
Tome II. g
,0 HISTOIRE DES CELTES,
avoir la feule véritable. Ils déclaroient la guerre aux Dieux des Grecs
& des Romains , parce qu'ils les regardoient comme de faufl'es Divinités,
qui n'exiftoient que dans l'imagination déréglée de leurs Adorateurs.
Ils détruifoient les Temples & les Idoles , parce qu'ils regardoient comme
une impiété de renfermer la Divinité dans des murailles , & de la repré-
fenter fous la forme de l'homme.
Les Gaulois étoient donc, à peu. près, dans la pofition des Icono-
claftes, que l'on a accufé d'impiété & d'Athéïfme , avec auffi peu de
fondement que les Gaulois. Le zèle des uns & des autres pouvoit être
aveugle & outré : au lieu de brifer les Images & les Statues , qui font
l'objet du culte religieux d'un Idolâtre , il vaudroit mieux arracher de
fon efprit la faufl'e idée qu'il s'eft faite de la Divinité , & la dévotion
fuperftitieufe qu'il témoigne pour les Images. Mais il n'y a que des
Déclamateurs , qui puiilent confondre un Iconoclafte avec un Athée
& un Impie.
3*'. On avoue , enfin , que les Gaulois offroient à Dieu des viflimes
humaines ; mais , fi la conféquence que Cicéron prétend tirer de-là
etoit jufte , il faudroit en conclure , qu'il n'y avoit ni foi , ni rt ligion dans
le monde , parce que cette horrible fuperftition , au lieu d'être parti-
culière aux Celtes , étoit commune à tous les autres Peuples de la terre.
Nous verrons même , en fon lieu, qu'avant , & après le tems de Cicéron ,
les Romains ont commis en plufieurs occafions le même facrilége
tes Celtes §. V. Non-feulement les Peuples Celtes reconnoiffoient tous une Di-
atuchés au vinlté , on leur rend (7) encore le témoignage qu'ils étoient fort atta-
»ièux!'' ''"" ^^^^ ^" ^^^^^ '^^ ^^"""^ Dieux. Le refpeft qu'ils avoient pour leurs cé-
rémonies , étoit fi grand (8) , que , dans une longue fuite de fiècles , ils
n'avoient pu fe réfoudre à y changer la moindre chofe. Il faut , d'ail-
leurs , que leur culte parût édifiant aux étrangers , puifque les cérémo-
nies les plus vénérables de la Grèce, & , en particulier ^ celles que l'on
célébroit, avec tant de pompe ,à Eleufis (9) , Ville de l'Attique , y avoient
été apportées de Thrace. On prétend même , que toute la Religion , &
toutes les fuperAitions des Grecs , venoient originairement du même
(7) Plin. Hift. Nat. lib. IV. cap. 1 1. p. 47 1. ] (9) Plutatch. de Exul. Tom. II. p. 607. Lu-
Solin. c. 35. p.isZ' Czfai VI. 1$. Livilu V. 4<. cian. Demona^. p. 552. Herodot. IV. 33. Vcyn,
{t) Dionyf. Htliç, YII. 474. ] aufll ci-delTus Liv. I. cbap. 9. Se la sote fuiv.
LIVRE III. CHAPITRE III. n
Pays. C'eft ce qu'infinue , félon Plutarque ( lo), & Suidas , le mot
de ôpwa-xetîs/r, qui défigne en Grec, tantôt le lervice religieux , que l'on
rend à la Divinité , & tantôt une dévotion exceffive & fuperftitieufe.
§. VI. S'il efl confiant & indubitable que les Peuples Celtes avoient
une Religion , il faut avouer qu'elle étoit toute différente de celle des
autres Peuples. La différence , ou plutôt l'oppofition étoit fi grande ,
que Lucain ne fait pas difficulté de dire aux Gaulois (n) : » Si vous
i> connoiffez les Dieux , û vous en avez unejufte idée, il faudra con-
» venir que le refte des hommes ne les connoît point du tout «<. i
Solis nofce Dcos , Se Cceli numina vobis ,
Aut folis nefciic dacum.
C'eft pour cette raifon que les Scythes & les Celtes détaiifoient
les autres Religions , par-tout où ils étoient les maîtres , & qu'ils pu-
niflbient des derniers fupplices ceux qui introduifoient , parmi eux , des
fuperftitions étrangères. Il en coûta la vie à un Roi des Scythes , nom-
mé Scyles (il), pour avoir participé au culte deBacchus, dans une
Colonie Grecque. Le célèbre Anacharfis fut traité avec la même févérité
(*>)» po"i^ avoir voulu introduire, parmi les Scythes, les cérémonies
que les Grecs célébroient à l'honneur de la Mère des Dieux.
Tâchons donc de fixer , avant toutes chofes , l'idée que les Scythes
& les Celtes avoient de la Divinité , & de l'objet du culte religieux.
C'eft le véritable , & le feul moyen de connoître à fond leur Religion,
&C de juger en quoi elle différoit de celle des autres Peuples.
CHAPITRE III.
§.1. L»ES Peuples Celtes avoient une jufte idée de Dieu , & de {es
perfeûions. Peut-être donnoient-ils dans le Polythéïfme , comme la j'Iite""dé""de
plupart des autres Nations. C'eft une queftion qu'on examinera dans p^A'^iLm.''^*
la fuite. Mais ils adoroient , néanmoins , des Intelligences pures, éter- dêjol'ixf'u
nelles , Se immuables; des Efprits fpirituels , dégagés de toute ma- ''t"<;is'&i'"t
' , .A ' o a ïttribiioient
tière , qui ne pouvoient être apperçus des yeux du corps. Ils leur at- " '= f"cnce
infinie»
L-sCeltfs
(lo\ OfnsKiVul , comme qui diroit imiter Iti
Thnces. C'eft pourquoi l'on a applique' le mot
tj>e»xn/aï à tout culte excelTîf enrcrs les Dieux
|( aux pratiques fupetAitienres. Pluitreh, Altx. (ti) UcroUot. IV. t«
6i
f, 66$, Suid, in fifvsXfvn'K Tom. Il, fr. 205.
(il) Lucan lib. I. v. 45 z.
(12) Herodot. IV. 79. 80.
li HISTOIREDES CELTES,
tribiioient une fcience infinie , une puiflance fans bornes , une juftlce
incorruptible.
i**. C'étoit un principe reçu clans toute la Celtique, que les Dieux
connoiflent parfaitement tout ce qui échappe aux lumières & à la
pénétration de l'efprit humain ; & qu'ainfi le véritable moyen d'ac-
quérir une connoifiance {iire & claire du paffé , du préfent , de l'avenir,-
&,en général, de tout ce qu'il importoit à l'homme de fçavoir , c'é-'
toit de confulter la Divinité, qui réfidoit dans toutes les créatures , & qui
répondoit en mille manières différentes à ceux qui entendoient ce que
l'on appelloit la fcience des préfages, & des divinations.
Ils leurattii- 2*. L'idée qu'ils avoient de la puiflance de Dieu n'étoit pas moins
u'iepiiùrarcè grande. Ils difoient que toiit ce qui iurpaffe les forces de l'homme', n'eft
&ns bornes pffy^is au- deffus de la puifTance divine. Ils concluoient dé là que ^ pour
opérer des chofes grandes & mèrveilleufes , il falloit que l'homme
cherchât le fecret de faire ufage , & de difpofer à fon gré du pouvoir de
l'Etre tout-puiflant , qui agit avec efficace dans toutes les créatures.
C'étoit le fondement des charmes & des maléfices , dont ils fe fer-voient-
pour fe rendre invulnérables , pour arrêter l'aftivité naturelle du féU ,
pour exciter des tempêtes , pour gagner un procès, pour rendre un
homme furieux , &c.
iisaccor- 3'-'. Ils étoient fi perfuadés que la Divinité eft incapable de fe pré-
Dk'iix une venir , de pervertir le droit , de favorifer une mauvaife caufe , qu'ils
Mpîibiè""' S" concluoient que le feul moyen de ne faire aucune Injuftice , c'était
de remettre à l'Etre fouverainement jufte , la décifion des procès, & des
conteftations , qui s'élevoient parmi les hommes. C'eil Torigine de
l'épreuve du feu, de l'eau, & d'une infinité d'autres pratiques fuperfti-
tieufes , auxquelles on donnoit le nom de Jugement de Dieu. Si les con-
féquences que l'on tiroit des principes , qui viennent d'être indiqués ,
étoient quelquefois fauffes , & infoutenables , il faut convenir , au moins,
que ces principes étoient vrais, & certains, & que les Celtes avoient
une julte idée des perfedfions les plus eïïentielles de la Divinité.
Ces principes §• IL Ces principes ne diflinguoient pas la Religion des Celtes.
'^"u'srtoutcs Ils ont été communs à toutes les Religions , & à tous les Peuples de
les Religions. l'Univcts. Les Nations mêmes , qui fervoient des Dieux vifibles & cor-
"porels, qui leur attribuoient les foiblefTes , les vices, & les misères de
la nature humaine , ne laiffoient pas de les adorer , de les prier , d'im-
^
LIVRE m. CHAPITRE III. 13
plorer leur fecours , & de jurer par leur nom. Par cela même, ils leur
attribuoient cIl'S qualités diredement oppofées aux premières, la'toute-
puiflance , la toute-préfence , & les autres perfeftions qu'il faut fuppofer
dans la Divinité , pour lui rendre un culte religieux.
Le culte religieux des Celtes étoit fondé , non fur l'idée que les
Poètes leur donnoient des Dieux , mais fur l'idée que la faine raifon
fe forme de l'Etre infini , qui a produit ce vafte univers , & gravé , dans
tous les ouvrages , les caraûères les plus fenfibles de fa fageffe , de fa
puiflance , de fa bonté & de fes autres perfeftions.
Ce que les Celtes avoient donc de particulier , c'eft qu'ils raifon-
noient conféquemment à leurs principes , & qu'ils en faifoitînt ufage
pour la pratique.
i". Ils adoroient des Dieux fpirituels , ils ne vouloicnt pas qu'on
repréfentàt la Divinité fous une forme corporelle. Ils fe moquoient des
Peuples,qui faifoient des Idoles pour adorer l'ouvrage de leurs propres
mains. » Les Germains , dit Tacite ( 1 ) , eftiment qu'il ne convient
» point à la grandeur des Dieux céleftes de les renfermer dans des
» murailles , ou de les repréfenter fous aucune forme humaine ( 2 ).
» Ils confacrent des bois & des forêts, & appellent du nom des Dieux,
"les lieux fecrets, où ils ne voyent la Divinité que dans le refpeft
» qu'ils lui témoignent «.
On aura occafion de prouver , lorfqu'il fera queftion du culte exté-
rieur que les Peuples Celtes rendoient à leurs Dieux, qu'ils avoient
tous anciennement la même averfion pour les Images & pour les Sta-
tues. On montrera auffi , dans le Chapitre fuivant , pourquoi ils fe
faifoient un fcrupule d'ériger des Temples à la Divinité. Remarquons
feulement ici , que les Tradufteurs de Tacite nont pas rendu le fens
de ces paroles : Lucos ac ntmora. confier ant , Deorunique nominibus ap-m
pdlant fecretum illiid , quod folâ reverendâ vident. La verfion d'Ablan-
court porte : .= Ils fe contentent de leur confacrer des bois , dont le
» plus caché eft ce qu'ils adorent , & qu'ils ne voient que du penfer»'.
Confcquen-
ces t].e :^s
C.'ltcstiioitnt
de CCS pciiici>.
pcs.
Il ne faut pat
rcprir.nvct
les Dicus
fous une for-
me corporel-
le.
(i) Tacit. Gernaan. cap 9.
( î ) C'eft , encore aujourd'hui , l'ide'e d-es
CaéremilTes , Peuple Scytlie établi le long du
Volga , dans le Koyaume de Cafaji. l's difent
qae le Dieu /«ma/* ^ eft (;ternel& tout puiflra(it,
£c que , par cette r.iifon , il n'cft p.is permis de
le repréfenter Se de l'adorer dans des images.
Stritlinhn^ /> . 4 1 9 ,
14 HISTOIRE DES CELTES,
Mezerai paraphrafe les mêmes paroles de cette manière (3 ): •» Dans
M ces noirs Se obfcurs enfoncemens, touchés d'une religieufe horreur,
»' ils s'imaginoient quelque chofe de terrible , &C appelloient Dieu ce
» qu'ils ne voyoient point «. Ce n'eft point cela. Tacite veut dire ,
»> qu'il y avoit dans les Forêts facrées , un lieu fecret & très-faint,
» oii perfonne n'entroit que les feuls Sacrificateurs , & où, d'ailleurs, il
»> n'y avoit point d'ob)et fenfible de la dévotion. Ce lieu fecret portait
n le nom (4) du Dieu qui y étoit adoré, &C le Peuple ne l'y voyoit
»> que par la profonde vénération , avec laquelle il regardoit de loia
,1 un Sanftuaire , où il croyoit la Divinité préfente «.
ilnefjutpas i**. Une autrc conféquence que les Celtes tiroient de l'idée qu'ils
Dieul màict avoient d'un Dieu fpirituel Se éternel , c'eft qu'il falloit être aufli ex-
""* "' travagant qu'impie , pour adorer des Dieux mâles & femelles ( 5 ) ,
pour célébrer la fête de leur naiffance Se de leurs mariages , pour
leur rendre un culte religieux auprès de leurs tombeaux , & dans
des Temples bâtis fur leurs cadavres. « Ce n'eft pas la coutume des Per-
» fes , difoit Hérodote (6) , d'ériger des Statues , des Temples , Se des
>, Autels ; ils accufent même de folie ceux qui le font. La raifon en eft ,
n à mon fentiment , qu'ils ne croient pas , comme les Grecs , que les
>» Dieux foient iffus des hommes ««. Clytarque avoit auffi remarqué (7) ,
que ,. les Mages rejettoient , avec mépris, l'opinion de ceux qui diftin-
nEuoient des Dieux mâles Sc femelles ".
quenccs qu'- §. III. A CCS conlcquenccs , on peut en ajouter quelques autres, qui
Ici p't'iBdpes réfultent naturellement de la Théologie des Celtes.
**"f n'ont *"• ^" ^ affuré , fans aucun fondement , qu'ils adoroierit Jupiter,
Di'uV"^V" Apollon , Se les autres Dieux des Grecs Se des Romains. » Hérodote
Grecs & des „ dit , par exemple (8) , que les Scythes fervent Vefta , enfuite Jupiter ,
H & la terfp, quils regardent comme la remme de Jupiter; après ceux-'
»lkf Apollon, Venus-Uranie, c'eft -à- dire la Célefte, Mars & Hercule.
(3) Hift. de France avant Clovis , p. 39.
(41 On verra , dans la fuite, que les Peuples
Celtes donnoient à leurs Sanftuaires le nom de
la Divinitç qui y etoit adorée, S* que les Prêtres
portoicnt aufll le nom du Dieu, dont ilsctoient
Miniftrcs.
(s) Les Scythes ne laiflbient pas de dire eux-
ipimes ^ue U Tetie etoit la femme de Jupiter;
mais ils le difoient dans un fens figuré. Voyez
le §. fuivant , Si ci-defl'ouj cliap. VI. $. 1 6.
(6) Herodot. I. cap. 131.
(7) Clitarch. ap. Diog. Laert. p. 5. & feq.
(8 I Herodot. IV. 59 On verra, par la fuite,
que le Simulacre de Mars étoit , parmi les Sey*
tHes, une épe'e, ou une halebaide»
y
LIVRE III. C H A P I T R E m. 15
wTous les Scythes reconnoiffent ces Dieux, mais les Scythes, appelles
» Bafilii , c'eft-à-clire Royaux, offrent auffi des facrifices à Neptune «.
Si le faitétoit vrai, il faudroit en conckire que la Religion des Scy-
thes, qu'Hérodote connoiffoit, avoit déjà été corrompue par le com-
merce des Grecs , qui avoient établi des Colonies fur les côtes du
Pont-Euxin. Mais , on ofe affurer que les Scythes , les plus voifins de
la Grèce , ne connoiffoient abfolument , dutems d'Hérodote, ni Vefta ,
fœur , ou fille de Saturne , ni Jupiter , père d'Apollon , de Mars ,
d'Hercule & de Vénus. Ils donnoient à leurs Dieux d'autres noms,
& ils en avoient une idée qui différoit entièrement de celle des Grecs.
Hérodote reconnoît la première de ces vérités (9). «<Ils appellent,
Vf dans leur Langue, Vefta Tahiti , Jupiter Papous , la Terre Apia ,
» Apollon Oetofyrus , Vénus -Uranie Artimpafa , Neptune Thamima-
M fades.» La féconde n'eft pas moins certaine. On ne dira pas que,
félon Hérodote (10), Vefta étoit la principale Divinité des Scythes. On
n'alléguera pas que les mêmes Scythes n erigeoient des Autels qu'à
(n) Mars. On verra, dans la fuite , que leur Vefta étoit l'élément mê-
me du feu, Apollon le foleil, leur Neptune l'eau. Ils vénéroient toutes
ces parties du monde vifible , non qu'ils les regardafl"ent comme des
Divinités , mais , parce que , félon leur opinion , elles étoient le fiège
d'un Efprit, d'une Divinité fubalterne, qui y réfuloit. Ce n'étoit pas là
certainement la Religion des Grecs.
Hérodote cherche donc , parmi les Scythes, les Dieux que l'on ado-
roit dans fon Pays , à peu près comme les Modernes , dont on a parlé
plus haut , ont trouvé parmi les Celtes , les Dogmes & les Cérémo-
nies des Juifs & des Chrétiens. Le même Hiftorien remarque (11) que
» les Perfes offroient des facrifices à Jupiter & à Vénus-Uranie. » Comme
il reconnoît que le Culte de cette Vénus venoit originairement des
Aflyriens (13) & des Arabes, qui l'avoient communiqué aux Perfes,
il ne fera pas néceftaire de s'y arrêter. On peut remarquer feulement
qu'Hérodote fe trompe , en affurant qu'on l'appelloit en Perfe ( 14 )
Methra, Sans examiner ici fi ce Methra , ou Mithras , étoit le foleil ,
(9; Herodpt. IV. 59.
(10) Hetodot. IV. 59.
^11) Hciodot. IV. 59.
(11) Herodot. I. 131.
{13) Herodot I. 131.
(14] Heiodoi. I. lîi.
i6 HISTOIRE DES CELTES,
comme (15) Strabon le croit, ou le Dieu fuprême, comme Hefychius
(16} l'afîure, ou un Dieu quitenoit le milieu entre le bon &c le mauvais
principe, ce qui eft le fentiment de Plutarque (17) , il eft , au moins, cer-
tain que le Dieu Muhras avoit été fervi de toute ancienneté parmi les
Perfes , & que, par conféquent , Hérodote s'eft mépris en le confon-
dant avec la Vénus-Uranie , dont il avoit emprunté le Cuite des AfTy-
riens. Pour ce qui eft du Jupiter- des Perfes, on ne le regardera affuré-
fnent pas comme une Divinité Grecque , fi on veut faire attention à ce
qu'Hérodote ajoute dans le même endroit (18), que « les Perfes don-
>> noient Iç nom de Jupiter à toute la voûte des Cieux. »
Jules-Céfar aflurc aufli (19) que les Gaulois adoroient, fur-tout,
» Mercure, & » après lui, Apollon, Mars, Jupiter & Minerve. Ils ont ,
» dit-il, à peu près, le même fentiment, fur le fujet de ces Divinités,
» que Içs autres Peuples. » S'il étoit vrai que les Gaulois euffent connu
& adoré tous ces Dieux, du tems de Jules-Céfar, comment Cicéron
auroit-ii pu dire, quelques années auparavant (io), que les »Gau-
» lois déclaroicnt la guerre aux Dieux , & à la Religion de tous les
» autre? Peuples?» Comment Lucain auroit-il pu écrire, plus d'un
demi-fiécle après (21), que les Gaulois penfoient fur le fujet des Dieux
d'une manière toute différente des autres Peuples ? La vérité eft que
Jules-Céfar s'eft trompé fur cet article , comme fur beaucoup d'autres
(il), & qu'on ne peut l'excufer que par (on à peu près , qui lui avoit
été fuggéré , félon les apparences , par quelques Gaulois , qui vinrent
lui faire leur cour, en rapprochant, autant qu'il étoit poffible, la Reli-
gion des vaincus de celle du vainqueur.
Il fuffit , au refte , de lire , avec quelque attention , cet endroit de
Jules-Céfar, pour connoître qu'il fe réfute lui-même. Il afîiire, à la vé-
rité , que les Gaulois penfoient fur le fujet de Mercure , d'Apollon, de
Mars, de Jupiter, de Minerve, à peu après àe la même manière que
les autres Peuples ; mais il avoue , en même-tems , que , félon les Gau-
lois , Mercure étoit l'Auteur du genre humain ; que Jupiter n'avoit l'era-
(iS; Strabo XV. p. 73 z.
(is] Hefychius , Lexic.
(17) Plutarch. de Ifid. 8c Oiliid. p. 3 «S.
(18) Hexodot. 1. 1$ I.
(lî)Caefar. VI. 17.
(zo) Ci-deflTus, Chap. II. §. 3.
(îi) Ci-Heflus, Chap. II §. 6.
(22) Koj)«i ce qui a c'té lemirqué ci-dcflas
Liv. I. Chap. 1 3 .
pirç
LIVRE III. CHAPITRE IV. 17
pire que des chofes céleftes. On verra , à mefure qu'on aura occafion
d'expliquer tout cela, combien la Théologie des Gaulois difFéroit de
celle des étrangers.
§. IV. Puifque les Celtes adoroient des Dieux fpirituels & invi- on» mal i
fibles, on peut en conclure qu'on les a accufés mal-à-propos de déifier fes'ceices"de
les élémens , &, en conféquence , de leur rendre un culte religieux. ^^^5"'"'^**
Nous verrons , dans le Chapitre fuiv^, ce qui fervoit de fondement à
cette imputation. Ils croyoient que l'Etre éternel avoit uni à chaque
portion de la matière un efprit capable de donner des inftruftions ,
& d'accorder des grâces à ceux qui le fervoient avec la dévotion qui lui
étoit due. Mais ils fe récrioient contre ceux qui leur imputoient d'adorer
l'objet qui tombe fous les fens. Et d'ailleurs , puifqu'ils accufoient d'ex-
travagance & d'impiété ceux qui adoroient des Dieux vlfibles & cor-
porels, ils établiffoient, par cela même, qu'aucune des chofes, que l'on
découvre des yeux du corps , ne peut être une Divinité.
§. V. Enfin, puifque les Celtes ne vouloient pas que l'on repréfentât Lesimagei,
la Divinité fous une forme corporelle , il en réfulte néceffairement , s" t,i°s"'ap-
«jue les images, les ftatues, & les idoles n'appartiennent point à l'an- ^oînt^yf",,
cienne Religion de ces Peuples. Partout où l'on en trouve , la Religion '!'-■'""= ">*'*•
étoit déjà altérée & corrompue par le mélange d'un culte étranger; aufli
Verra-t-on, que, dans les tems les plus reculés, le fervice des images
& des idoles n'étoit connu , ni en Efpagne , ni dans la Grande-Breta-
gne , ni dans aucune autre partie de l'Europe.
CHAPITRE IV.
§. I. V^UOIQUE les Celtes adoraffent des Dieux fpirituels & invi-
fibles, ils avoient une profonde vénération pour les Elémens, &c pour
LtsCsIits v4'
ncroie t Icj
toutes les différentes parties du monde vifible. On en donnera une infi- '«""'"d'f-
' tccentjs pai-
nité de preuves, & d'exemples, en parlant de leurs fuperftitions , &c du cksHu monde
culte religieux qu'ils rendoient au Feu, à l'Eau, aux Vents, à la Terre,
aux Arbres, aux Rochers, &c. Cependant, pour mettre le Ledeur au
fait de ce point principal de la Religion des Celtes, il faut en alléguer
ici quelques preuves générales.
On a rapporté, dans le Chapitre précédent , un paffage d'Hérodote, ce culte étok
Tome II, C
i8
HISTOIRE DES CELTES,
é abli parni
les Scyibes>
le niêine
cuUe cioïc
établi parmi
les l'ciics.
les Turcs
avoient aurtî
le même cul
tt.
qui dit () ) , que « les Scythes fervent fur-tout Vefta , enfuiîe Jupiter , la
«Terre, Apollon, Vénus-Uranie, Mars, Hercule, & Neptune ; ap-
» pellant dans leur langue , Vefta Tahiti , Jupiter Papceus , la Terre
» Apia , Apollon O'étojirus , Vénus - Uranie Ardmpafa , & Neptune
» Thamimafades. Vefla étoit VElcnunt du Feu ^ Thamimafades, cdui de
» VEau , Appia, la Terre , Oëtofirus U Soleil , Artiaipafa étoit , peut-
» être (ï) , la Lune». L'Hiftoriei|||joute (3) que « les Scylh^font dans
» l'opinion , qu'il ne faut confacrer des fimulacres , des temples & des
«autels qu'à Mars» Nous verrons, en fon lieu, que le fimulacre de
Mars étoit uneépée, ou une halebarde, l'autel un tas de faifceaux, &
le temple une campagne , un lieu découvert. Il fuffit de remarquer ici ,
que les Scythes joignoient au culte de Mars, qui étoit leur grande Di-
vinité , celui du Feu , de l'Eau , de la Terre , du Soleil , & de la Lune.
Les Perfes ne différolent point , à cet égard , des Scythes , dont ils
étoicnt apparemment defcendus. « Ilsont coutume, dit encore Hérodote
» (4), de monter fur les plus hautes montagnes , & d'y immoler des
» vidlimes à Jupiter, appellant de ce nom toute la voûte des Cieux* 11$
» offrent encore des facrifices au Soleil , à la Lune, à la Terre, au
w Feu, à l'Eau, & aux Vents. Ce font-là les feuls Dieux qu'ils fer-
» vent de toute ancienneté ». Strabon rapporte la même chofe ( 5 ) ; U
ajoute, i.® que «les Perfes appelloient le Soleil Mithra , 2.® qu'ils
» offroient , fur-tout , des facrifices à l'Eau & au Feu ».
Joignons aux Scythes , & aux Perfes , les Turcs , qui étoient un autre
Peuple de l'Orient , établi autour du mont Caucafe. Théophilafte Simo-
catta. Ecrivain du VIII.*^ fiecle, dit (6) « qu'ils avoient un grand ref-
» peu pour le Feu , & qu'ils vénéroient encore l'Air & l'Eau , &
» qu'ils célébroient la Terre dans leurs hymnes. Cependant , ajoute
» cet Auteur , ils n'adoroient , & n'appelloient Dieu , que -celui qui
» a fait le Ciel & la Terre. C'eft à ce Dieu ( unique ) qu'ils immo-
» loient des chevaux, des bœufs, des brebis, fe fervant, pour cela,
» du miniftère de leurs Sacrificateurs , auxquels ils attribuoient le don de
» prédire l'avenir ».
(1) Herodot. IV. s»-
{i\ C'eft le fentiment de Voflîus ie Orig. &
Tmir. Uol. lib. II. cap. zi, p. loj. Vir/tx, ci-deC-
fous Chap. 13.
(jj Herodot. IV. 59.
(41 Herodot. I. 131.
(s)StraboXV. p. 732.
(«)The»phyl, Sira.Hb. VU, cap. j, p. Ij*.
LIVRE III. CHAPITRE IV. 19
§. II. Le culte des Elémens & de toutes les différentes parties du monde cecuUeétoit
étoit auffi reçu dans tout l'Occident. Les Gaulois regardoient (7) cheî'iesGau-
Mercure comme le plus grand des Dieux ; mais ils adoroient avec lui ^^^^•^^l^)'-^
Apollon & Jupiter, c'eft-à-dire , le Soleil, & un Dieu qui préfidoit à ^^^ulf ''"'
l'air. Canut , Roi d'Angleterre , défendant par un Edit l'idolâtrie payen-
ne , qui n'étoit pas entièrement détruite dans fes Etats , la définit de
cette manière ( 8 ) : « Ce que nous entendons par l'Idolâtrie payenne ,
Mc'eft lorfqu'on fert les Idoles, (c'eft-à-dire, les Dieux des Gentils, )
» comme font le Soleil, la Lune, le Feu, une Eau courante, des Fon-
» taines , des Pierres , avec toute forte d'Arbres & de Forêts ». On voit
là, que le culte , ou l'idolâtrie des anciens Bretons, avôit ptécifément
le même objet que celle des Scythes , des Perfes, & des Turcs. Jules-Céfar
affure aulli (9), que « les Germains ne reconnoiffoient point d'antres
» Dieux que ceux qu'ils voyoient , & dont ils éprouvoient manifefte-
n ment le fecours, le Soleil, la Lune , Vulcain. Ils ne connoiffoient point
» les autres , non pas même par la renommée ».
Quoique Jules Céfar ne connût guères , ni les Germains , ni leur Re-
ligion , il eft vrai cependant qu'ils rendoient un culte religieux au So-
leil , à la Lune , & au Feu. Agathias , qui écrivoit dans le VI fiecle fur de
très bons mémoires, remarque (10) que «les Allemands, fournis aux
» Francs, fervoient encore des Arbres, des Eaux courantes, des Cô-
»> teaux , des Vallées ; qu'ils leur ofFroient des chevaux , & d'autres
» viâimes , auxquelles ils coupoient la tête ». Les Germains étoient fi
prévenus en faveur de ce culte , qu'il fallut des ficelés entiers pour
le détruire parmi eux. «Cette génération, difoit Grégoire de Tours
»>(ii),en parlant des Francs, a toujours été attachée à des cultes
» fanatiques , & n'a point connu Dieu. Ils fe font imaginés des Fo-
» rets, des Eaux, des Oifeaux, des Animaux, ou des formes (11) d'au-
» très Elémens , & fe font accoutumés à les fervir , & à leur offrir
» des facrifices , comme s'ils étoient Dieu ». Delà tant de Capitulaires
w I ' 1111 I
(7) Cafar VI. 1.7. i (12) Sil/i finxêre farmits. Ces mots lignifient
(t) L. L. Politic. Cinuti Régis cap. $. ap. que les Francs repa'rentoient , dans des images,
Lindcnbiog. in Gloffar. p. 1473. des foitts , des eaux, & qu'ils rendoient 3 ces
(9) Cafar VI. 21. images un culte Religieux. Mais ce n'étoit
(i«) Agathias lib. I. p. 18. point là la pratique des Francs, non plus que
(il)Gregot. Turon. lib. II. 17». { selle des autres Peuples Germains.
Cl
20
HISTOIRE DES CELTES,
( 13 ) des Empereurs, & de Canons des ( 14 ) Conciles , qui défendent
« de s'affembler autour des arbres , des rochers , des fontaines , des
» carrefours , d'y allumer des bougies & des flambeaux , ou d'y
»> pratiquer quelqu'autre fuperftition ». Les Saxons , qui demeuroient
au-delà de l'Elbe , n'étoient pas encore revenus de ces abus dans le XHLg
fiecle. C'eft la remarque d'Helmoldus ( 1 5 ) : « Ils donnoient dans beau-
» coup d'égaremens & de fuperftitions , par rapport au culte des Forêts
» & des Fontaines ».
Ltsanc'ens Qq ^ulte des Elémens étoit commun aux anciens Grecs, avec les
Crées COI fer _ ...
»ôie:it le mê- autres Habitans de l'Europe. «Autant que je puis en juger (i6)»
» difoit Platon^ les premiers Habitans de la Grèce fervoient les mêmes
» Dieux que plufieurs Barbares reconnoiflent encore aujourd'hui , le
» Soleil , la Terre , les Aftres , le Ciel ». Epicharmus , qui paffe pour avoir
été Difciple de Pythagore, fuivoit, félon les apparences, les anciennes
idées, quand il difoit (17), que « les Vents, le Soleil, la Terre, l'Eau,
» le Feu , & les Aftres étoient des Dieux ».
Enfin les Sarniates , peuple différent des Celtes , étoient parfaitement
tac culie.
" '"l'rditté- d'accord avec eux fur cet article. « Ils ne reconnolfToient, au rapport de
Les Sarmates
ré.icroi
aulli le:
iumoude'." ** Procope (18), qu'un feul Dieu, qui lance la foudre , & qui eft le maître
» de l'Univers; ils lui immoloient des bœufs , &c d'autres viûimes; mais
» ils vénéroient auffi les Fleuves , les Nymphes , & d'autres Divinités
» fubalterrfes, auxquelles ils offroient des facrifices; le but de ces facrifîces
» étoit les divinations » , c'eft-à-dire , qu'ils cherchoient à connoître
l'avenir par le battement du pouls, & par les entrailles des viftimcs.
§. III. Il paroît, par tout ce détail , que les Celtes rendoient un culte re-
ligieux, i." à ce que les Philofophes ont appelle les Elémens, c'eft-à-dire,
au Feu , à l'Eau , à l'Air & à la Terre. 2.** à'toutes les différentes parties du
inonde vifible, au Soleil, à la Lune , aux Aftres , à la voûte des Cieux,
aux Arbres, aux Forêts, aux Fleuves, aux Fontaines, aux Pierres, aux
Rochers. 3." à ce qui réfulte de la combinaifon , ou du combat des
Elémens, comme font les Vents , la Foudre, les Tempêtes. 4.^ Enfin il
^131 Cipit Kar. M. lib. I. Tit. «4. p. 23s.
lib. VII. Tit. 336. p. 1093.
( 1 4' Buichaid. Colleft. Canon, lib. X, cap. 3 2.
lib. XIX. p. 170. ap. Lingenbrog. in Gloflar.
pag- Ï3S7 '3S0-
(15) Helmold. Ckion. SUt. cap. ^8. p, xoC.
{ 16 ) JPlato in Cratylo, & ex illo Eufeb.
Fizp. Evang. lib III. cap. 1 1.
( 17 ) Menandei ap. Stobceum Seim. 2îJ,
pagTSS-
(i 8) Ftocop. Goth. lib. m. cap. 14. p.4»>.
ne
LIVRE Iir. C H A P I T R E IV. îi
n'y avoit pas jufqu'au vol & au chant d'un Oifeau , & au henniflement
d'un Cheval , qui ne fut, pour eux , un objet d'un refpeft & d'une frayeur »
religieufe. Grégoire de Tours l'infinue dans un ( 1 9 ) pafîage , déjà cité ,
& l'on aura occafion de le prouver amplement dans la fuite.
§. IV. Ce n'eft pas, cependant , qu'ils regardaflent les êtres vifibles & r.-i celte*
matériels comme des Divinités. On vient de montrer qu'ils en étoient pis ie, eiL
acciifés; & on ne peut pas difconvenir, qu'ils ne donnaffent lieu à l'im- ""°' ^ '"
putation , puifque leur culte avoit toujours un objet vifible. do moDie
rr n »'i ■ r cou. ■.•des
Quelques Auteurs aluirent même qu ils avouoient, fans aucun détour, Divinité^
que les Elémens étoient de véritables Divinités. Ainfi Caffiodore di-
foit (10) que «les Perfes appellent Mages ceux qui déifient les Elé-
» mens ». On trouve auffi , dans Diogène Laërce , un paflage de Clitar-
que, qui porte (11), que« les Mages raifonnoient beaucoup, tant fur
» l'eflence , que fur l'origine des Dieux, &c qu'ils étoient dans l'idée que
» le Feu , la Terre & l'Eau étoient des Dieux , ou que les Dieux
» étoient compofés de feu , de terre & d'eau ».
Mais il eft confiant que ces Auteurs , 6c tous ceux qui ont affuré la
même chofe , fe font trompés. D'un côté , la contradiûion eft {enfible.
Comment des Peuples , qui adoroient des Dieux fpirituels , invili-
bles , qui ne vouloient pas qu'on repréfentât les Dieux fous la forme
humaine , auroient-ils pu foutenir , en même tems , que les objets vifi-
bles étoient de véritables Divinités ? D'un autre côté , les Celtes , aulieu
de convenir que les Elémens , & les chofes corporelles fuffent des Dieux,
fe récrioient contre ceux qui les accufoient de l'enfeigner. Rien de plus
formel que la déclaration des Turcs, rapportée ci - deflus §. I. note 6 ;
» ils n'adoroient , & n'appelloient Dieu , que celui qui a fait le Ciel
» &c la Terre ». Les PerfeS*s'exprimoient d'une manière qui n'étoit
pas moins pofitive, comm» M. de Beaufobre l'a prouvé dans fon ffif-
toire du Manichéifmc (22), qui, malgré les contradiûions qu'elle a ren-
contrées , fera toujours recherchée & eftimée par tous ceux qui fouhai-
tent , non-feulement de connoître l'héréfie de Manès , mais encore de
voir clair dans l'Hiftoire de l'ancienne EgHfe.
On montrera auiTi , dans le Chapitre fuivant , que tous les Peuples
(19) Grcgor. Taron. Hb. H p. 27». | (îi) Hift- du Manich. I.iy.II. Ch. I. p. i<».
(20) Hift. Tripart. lib. X. cap. 30. p. 363. & fuiv, Liv. IX. Ch. I. p, «oo.So?.
(ziJDiog Lacrt. Piocin. p. 5. 8c feq. j
z^ HISTOIREDES CELTES,
Celtes , en général , reconnoifToient uri feul Dieu , un Être fuprême & éter-
nel, quoiqu'ils admiffcnt, en même tems, une théogonie , c'efl: - à-dire ,
une produftion des Divinités fubalternes , qu'ils plaçoient dans les dif-
férentes parties du monde vifible.
içs Celtes ne §. V. Si Ics Celtcs ne regardoient pas les Elémens comme des Dieux,
y.u u.cme Us ils ne les conuderoient pas , non plus , comme de fimples images de
mcX'iîmpicI la Divinité. Quelques Anciens l'ont cru. Ils ont prétendu que les Celtes,
li"vi'nitéf' '* & les Barbares , en général , adoroient , les uns des Arbres , parce
qu'ils font les emblèmes d'une Divinité bienfaifante , qui protège , &c
qui nourrit les hommes, & les autres, l'Eau, & le Feu, parce que
la rapidité & la force de leur adion , font le fymbole de la manière effi-
cace dont l'Être fuprême opère dans le monde.
C'eft la remarque de Maxime de Tyr (13) : «Les premiers hommes
» ont confacré pour fimulacres à Jupiter , le fommet des plus hautes
» Montagnes , comme de l'Olympe, & du Mont Ida. Dans d'autres en-
» droits , on honore les Fleuves. C'eft ainfi que les Egyptiens véné-
» rent le Nil , à caufe de fon utilité ; les Theflaliens , le Pénée , à caufe
»de fa beauté; & les Scythes, le Danube, à caufe de fa grandeur.
» Les Barbares admettent tous une Divinité , mais chaque Peuple a
» des fimulacres différens. Parmi les Perfes , c'eft le Feu , cet élément
» vorace &c infatiable , qui ne dure qu'un jour. Ils lui rendent un culte
» religieux, &, en jettant dans le Feu des matières combuftibles, ils lui
» difent , Dévores , ô Seigneur ! Les Celtes adorent auffi Dieu ; mais
» le fimulacre de Jupiter eft , parmi eux , un grand Chêne. Les Pœo-
♦> niens fervent le Soleil , dont le fimulacre eft , au milieu de ce Peuple ,
>) un petit difque , attaché à une longue perche. Les Phrygiens , qui
w demeurent dans le voifinage de la Vill^de Celene , fervent les deux
»> Fleuves, appelles Marfyas & Méandre, que j'ai eu occafion devoir.
» Us jettent dans l'eau les cuifTes de la viôime, en célébrant le nom
» du Fleuve , auquel ils ont offert le facrifîce. Les Cappadoces donnent
» à une Montagne le nom de Dieu ; ils jurent par cette Montagne , &
» & la regardent comme le fimulacre du Dieu qu'ils adorent. Les Peu-
wples, qui demeurent autour des Palùs-méotides , ont la même vé-
wnération pour ce Lac, & les Maffagetes , pour le Tanaïs ». Clément
»'. '■'■ I I. . , — I . -
(ï;) Maxim. Tyt. DiO'. } 8. p. 45 i-4<e.
LIVRE III. C H A P I T R E IV. 13
d'Alexandrie cite aiiffi le pafTage d'un ancien Hiftorien , nommé Dinon,
qui porte (14) que «les Perfes , les Médes &c les Mages regardent
» le Feu , & l'Eau , comme les feuls fimulacres des Dieux ».
§. VI. Il faut avouer que nous avons été long-tems dans une opi-
nion peu différente des Auteurs cités. Comme il eft certain, i." Que
les Peuples Scythes & Celtes tenoient leurs Affemblées civiles &
religieufes en plein air, fur de hautes Montagnes , dans des Forêts, près
des Fleuves, & des Fontaines, autour d'un monceau de pierres., &(c.
2.^ Qu'ils donnaient à leurs Sanctuaires le nom du Dieu qui y étoit
adoré , nous avons cru qu'on les avoit accufés , par ces raifons , d'a-
dorer des Montagnes, des Arbres, des Fleuves, des Fontaines, des pier-
res. Nous avons foupçonné encore qu'on les accufoit d'adorer le Feu ,
parce que , tenant la plupart de leurs Affemblées de nuit, ils avoient cou-
tume d'y porter chacun fa chandelle, ou fon flambeau, & de s'y chauf-
fer, pendant le fervice , autour d'un grand Feu. Mais nous nous femmes
apperçus que nous nous étions trompés , & que ces conjedures n'étoient
pas plus fondées , que celles qu'on a rapportées dans le paragraphe pré-
cédent. Ces Peuples (25 ) jettoient dans les Fleuves, & dans les Fon-
taines, une partie des vidimes qu'ils avoient immolées , ils faifoient af-
perfion (1.6) de leur fang fur les Arbres confacrés , ils fourniffoient
des alimens au Feu , en lui difant (27)» Dévores , ô Seigneur! De
femblables fuperftitions prouvent , qu'ils ne croyoient pas même que le
Feu , l'Eau, & les Arbres fuffent de fimples images de la Divinité.
§. VII Le véritable fondement du culte que les Peuples Celtes ren- tes celtes
doient aux différentes parties du monde vifible , c'eft l'opinion où ils "u7 chaque
étoient, que chaque Elément, chaque être corporel , étoit le fiége , ou monde vl'iîbie
le Temple d'une Divinité fubalterne, quiy réfidoit , qui en dirigeoitles f'L 'remp^e
opérations , & qui en falfoit , pour ainfi dire, l'inflrument de fa libéra- «J'""' '"""''
lité envers les hommes. C'étoit proprement à cette Intelligence , & non q
à l'objet vifible, qu'ils rendoient un culte religieux.
On a déjà produit quelques preuves de cette vérité. Il fera bon de
rapporter aufTi ce que les Habitans de l'Ifle de Thulé penfoient fur cet
jellc ilsrcn-
oiciituncuU
te religieux.
(14) Clem. Alex. Cohort ad gent p. î«.
(tS Msrim. Tjrr. Diff. 3». p. +s l-4«o. Voytz.
ci-deflous Ch. IX.
(26) On auia occalïon de pailei de cette cou-
tume , m lepreTcntant les cc're'monics de la Re-
ligion des Celtes.
(17) Maxim. Tyr. Difl", 38. p.4sI-4<o.
14 HISTOIRE DES CELTES,
article, du téms de Procope , qui écrivoit fon Hiftoire au commence-
ment du lixieme fiecle (28). Ctéfias (19), Pythéas de Marseille, & plu-
fieurs autres Hiftoriens , & Géographes, avoient dit beaucoup de chofes
incertaines & fabuleuies de cette Ifle. Elle commença d'être mieux connue
fous l'Empire de Juftinicn (30), parce que les Hérules, qu'Anafthafe, l'un
de fes Prédcceffeurs , avoit reçus & établis dans une contrée de l'Illyrie,
ayant tué leur Roi Ochon dans une émeute , envoyèrent des Ara-
baffadeurs dans cette Ifle, où une partie de leur Nation étoit établie,
pour y chercher des Princes qui fuffent de la race royale. Ce que des
perfonnes , qui avoient été de l'ambaffade , racontèrent à Procope de
la fituation de Tlfle, convient aflez à l'Iilande (3 1) : « Elle étoit au-delà
» du Dannemarck , & au Nord de la Grande-Bretagne. Le Soleil ne s'y
»> couchoit pas pendant quarante jours de l'Eté , & ne s'y montroit
» point pendant quarante jours de l'Hiver». Cependant (32) Grotiiis
prétend que l'IUe de Thulé n'eft pas l'Iflande, mais la Scandinavie ,
parce que c'eft-là que l'on trouve les Schrltifirmcs , & les Gantes , que Pro-
cope place dans l'Ifle dont il fait la defcripîion, C'eft une quelHon qu'il
n'importe pas de décider.
Quelque parti que l'on prenne, 11 fera toujours confiant que les Iflan-
dois , ou les Suédois , du Vl.e fiecle , étoient des Peuples , qui n'avoient
aucun commerce avec les Nations policées , & que , par conféquent ,
leur Théologie n'étoit pas encore altérée par des idées étrangères. Voici
ce qu'elle portoit fur le fujet que nous examinons. « Ils fervent, dit
w Procope (33), plufieurs Dieux & plufieurs Génies, qu'ils placent
«dans le Ciel, fur la Terre, dans l'Air, & dans la Mer. Ils ont en-
M encore d'autres Divinités moins confidérables , qui réfident, comme
w ils le croyent, dans les Eaux courantes, & dans les Fontaines. Soi-
w gneux à leur immoler des viâimes de toute efpèce , ils regardent l'homme
» comme la plus excellente de toutes les viâimes. Auffi le premier pri-
» fonnier , qu'ils font à la guerre, eft-il immolé k Mars, qui palîe chez
Y> eux pour le plus grand des Dieux ».
§. VIII, La Théologie des Scythes, & des Celtes, ne différoit donc point,
(zf) S^ivius ad Géorgie. I. v. jo. p. 64. BOf
fhatt. Canaan lib. I. cap. 40. p. 72C.
(fs) Strabo lib. I. p. «3. lib. IV. p. loi.
(jo) Ptocpp. Gotth. Ub. K.çap. ij.p.41}.
(31) Frocop. ubi fuprà.
( 2 1) Grot. in Prafat. ad Procop.
{i}) Piocop. Gotk. lib. II. cap, ij, p. 424.
au
LIVRE III. C H A P I T R E IV. ij
au moins , à cet égard , de celle des Chinois, qui, reconnoifiant un Dieu
liiprême , alignent encore à chaque être corporel une Intelligence parti-
culière , qu'ils appellent l'Efprit de la Montagne , l'Efprit du Fleuve ^
&c. On n'oferoit pas afTurer, comme quelques-uns l'ont fait , que Pytha-
gore eût pris des Celtes la plus grande partie de fa Philofophie , & ,
en particuUer , la Doûrine des Elémens , ou des Efprits. Il eft vrai que
ce Philofophe avoit fait un voyage en Thrace. L'Hiftorien Hermippus
avoit même remarqué , au rapport de Jofephe (34) , que « Pythagore
M avoit fuivi , en plufieurs chofes , le fentiment des Thraces ». On
fait d'ailleurs , que ce Philofophe pafla les dernières années de fa vie
dans la Grande-Grèce , c'eft-à-dire , dans le Royaume de Naples. Il n'eft
pas impoffible , par conféquent , qu'il ait connu la Théologie des Samnites ,
& des Peuples Celtes, qui demeuroient dans le voifinage de Crotone
& de Métaponte. C'eft ce qu'infmue le paffage d'un Pythagoricien, que
l'on trouve dans Clément d'Alexandrie. Il porte (35) que fon Maître
avoit entendu Us Gaulois. Mais Pythagore avoit aufîi parcouru l'Egypte,
la Phénicie & l'Affyrie : on voit même affez clairement , dans ce que
les Anciens rapportent de fes Dogmes , qu'il en avoit emprunté une
bonne partie des Chaldéens, des Mages, & des Prêtres Egyptiens.
Il faut avouer, cependant, que la Théologie de Pythagore appro-
choit , par rapport à plufieurs articles , de celle des Celtes. On le prou-
vera dans la fuite. Il fuffira de remarquer ici , que ce Philofophe regar-
doit la Divinité comme l'ame do monde (36). «Il appelloit Dieu
«l'efprit qui eft répandu dans les différentes parties de l'Univers, &
»» qui donne la vie à tous les animaux ». C'étoit aufli le fentiment des
Celtes , avec cette différence que Pythagore femble n'avoir reconnu
qu'un feul Efprit répandu par tout l'Univers , au lieu que les Celtes
admettoient un grand nombre d'Intelligences , qui avoient chacune leur
département particulier, fous la direûion de l'Etre fuprême. Au relie,
on convenoit de part & d'autre, que Dieu remplit, pénétre , anime ,
& dirige tous les êtres corporels, & en particulier , les animaux, qui
ne vivent & ne refpirent qu'autant qu'ils participent à la vie de la Divi-:
Félix 'cap. 19. p. 17S. Salvian. de Frovid lib, I.
p. 4. LaAtnt, Infiitut. lib. I. cap. s- de Iià c. a.
{34) Jofeph. Cont. App. lib. I 22. p. 1345.
(3$) Clem. AlcX'Strom. lib. I. cap. 15. p. 3S>'
(3«)CiccrodeNat. Deoi.Ub. I.cap. }7.Mi«,
Tome II» / JQ(
î6 HISTOIRE DES CELTES,
nitc. C'eft fur ce principe, qui étoit également reconnu par les Pythago»
rlciens 6i par les Druides , que les uns &c les autres fondoient une infinité
de divinations, qui leur étoient communes; il en fera queftion en fon
lieu. Indiquons préfentement quelques-unes des principales conféquences-
que l'on tiroit du Dogme dont on vient de parler, & qui étoit reçu
univerfellement dans toute la Celtique.
conftqueii. §. IX. Adorant des Dieux fpirituels , qu'ils croyoient unis d'une
cdtmiioinit manière étroite &C intimera toutes les différentes parties du monde , les
uté''df î'i"r.' Celtes concluoient de-là , premièrement , qu'il ne faut pas leur bâtir des
irne^aut'"' TempIcs, ni leur confacrer des Images & des Statues. «Ce n'eft pas,
point bàïii » difoient-iis , dans des Temples, ni dans des Idoles, faites de main
à u Divinité. ». d'hommes , que la Divinité réfide. Ce n'efl: pas - là qu'elle opère ,
» & qu'elle prononce des Oracles. Unie naturellement à fes propres
» ouvrages , n'ayant point d'autre Temple que l'Univers même, elle
» ne peut s'unir aux ouvrages de l'homme , qui font trop imparfaits
» pour la recevoir , &c trop petits pour la contenir. Il faut donc fer-
» vir Dieu , & le prier dans les lieux où il réfide , où il répond à
» ceux qui le confultent , & non pas dans les Temples , où il ne fe trouve
«point. On ne fait même qu'arrêter &c fufpendre l'aftion de la Di-
» vinité , en féparant les parties du monde vifible. Il faut lui laiffer le
M paffage ouvert & libre , û l'on veut qu'elle pénétre la matière , &
» qu'elle y déployé fon efficace ».
C'étoit-là la Do(^rlne des Germains (37). «Ils ne croyoient pas
» qu'il convînt à la grandeur des Dieux céleftes , de les renfermer
» dans l'enceinte des murailles , ni de les repréfenter fous aucune forme
» humaine ». C'étoit la Théologie des (38) Perfes. « Ils ne voulolent
M pas, dit un ancien Commentateur (39) de Cicéron , que l'on bâtit
» des Temples aux Dieux ; & cela d'autant plus que le monde entier
wfuffit à peine au feul Soleil», c'eft-à-dire, que ce feul Dieu remplit
le monde entier de fa lumière, & de fa chaleur, & qu'il feroit peut-
être capable d'en remplir encore d'autres. Cicéron lui-même remar-
que (40) , que « Xerxès , par le confell de fes Mages , fit mettre le feu
(37) Vojcz. ci-dcITus Ch. III. §. ». jiot. 1. I (40) Cicero de Legib. lib. H, p. jjj^. Vtyn.
(js) C'-deffus Chap. III. §. 1. n.t. i. j ci-deflbtts Chay. IX. §. j.
(39} Afconius Pedianus in Vet. II. |
LIVRE III. C H A P I T R E IV. 17
» à tous les Temples des Grecs , parce que ces Peuples renfemioient
» dans des murailles les Dieux , auxquels tout doit demeurer ouvert
w & libre , & dont le monde entier eft le Temple & la maifon »>. Tous
les Peuples Celtes, en général, au -lieu de bâtir des Temples, démolif-
foient ceux que d'autres avoient conftruits , & tenoient toutes leurs
affemblées en rafe campagne , fur une Montagne , près d'un Arbre , d'un
Fleuve , ou d'une Fontaine. Ils pouffoient le fcrupule û loin , fur cet
article, qu'ils ne vouloient pas remuer (41) la terre de leurs Sanduaires,
de peur de troubler l'aftion de la Divinité qui y réfidolt.
§. X. Les Celtes av^oient jjour principe , qu'il y a dans les élémens , & 1*. L'Homme
dans tous les objets vifibles, une Divinité, dont les lumières & les rn,it a^ fa
forces font infiniment plus étendues que celles de l'homme ; ils en ipeû'c opérer
titoient deux autres conféquences , qu'on a déjà (41) touchées, & qu'il ccj„'ai'f"r«'
fuffira d'indiquer ici. D'un côté, ils dilbient que rhomme peut confulter |îfi!,*,'"XT.
la Divinité , recevoir fes réponfes , s'inftruire de la deftinée , par te f« i"' '='""'*
' '^ ' '^ aa:is les Etres
moyen du feu , de l'eau , des aftres , &C de tous les êtres corporels où elle cofpoteis.
fait fa demeure , pourvu feulement qu'il entende la fcience des divina-
tions. D'un autre côté , ils prétendoient que l'homme peut opérer aum
une infinité de chofes extraordinaires , fuppofé qu'il foit initié dans les
fecrets de la magie , qui fait fervir à fes defleins les puiffances fpirituelles,
qui réfident , & qui opèrent dans les différentes parties de l'Univers.
§. XL Une dernière conféquence que les Celtes tiroient du même 4». Tout ce
_ . ir 1 ir n- t n • r f • oui fe fait l'ït
prmcipe, & qui en relulte eftectivement , celtque tout ce qui le fait icsLoixdeU
par les Loix de la Nature , eft l'ouvrage même de la Divinité, $c non fj'Jvtagemê-
pas le fimple effet du méchanifme des corps. Ils difoient « que ce n'efl "' ^^ ^^'
» pas aux êtres matériels qu'il faut attribuer la vertu de fe mouvoir ,
»♦ & de le faire avec ordre. C'eft l'intelligence que Dieu a unie aux
»» corps , qui les pénétre , qui les meut , & qui en régie tous les
M mouvemens. Ils ajoutoient que l'homme agit fouvent fans vue &
»> fans deffein ; qu'il n'a jamais que des vues courtes & bornées ; que
H tout ce qu'il fait fe reffent ordinairement de la foibleffe de ià. con-
M dition. Mais il ne faudroit pas connoître la Divinité , pour croire
»» qu'elle put faire la moindre chofe fans raifon ; toutes its vues font
(41) KiîTtt ci-deflus Ch. H. §. x. & ci-deflbus Ch. VI. J. U.
(41J Vtjn. ci-dcffiu Chap. III. $. x.
D>
Tinite.
28 HISTOIRE DES CELTES,
» grandes , nobles , profondes , dignes de la bonté , de la fageffe Sc
M de la puifîance d'un Être infiniment élevé au-deffus de l'homme».
Les Celtes concluoient de - là , i °. que le tremblement des feuilles
d'un arbre, le pétillement & la couleur des flammes , la chute du ton-
nerre dans un lieu , plutôt que dans l'autre , étant l'ouvrage d'un Etre in-
telligent, fe faifoit auffi dans des vues que l'homme devoit tâcher de
découvrir.» Ce font, difoient-ils , des inftruftions que Dieu donne au
*> genre humain. Un homme fage doit y faire attention , & en tirer
» fon profit.
z°. Ils rapportoient à la même caufe, & non pas au méchanifrae ,
niàl'inftinft, les aftions des brutes; ils prétendoient que l'homme peut
tirer une infinité de préfages & de leçons, (42) du vol & du chant d'un
oifeau , de l'aboyement d'un chien, du henniffement d'un cheval , du
fifflement d'un ferpent , de la conrfe d'un lièvre. Zeftinfi , Prince Ger-
main , expérimenté dans la fcience des aufpices , (44) ayant entendu
un oifeau qui croafToit fur un arbre, déclara qu'il mourroit lui-même au
bout de quarante jours. Ainfi la femme d'un (45) Efclave Thrace , qui
étoit prifonniére avec lui parmi les Romains, ayant vu un ferpent qui
s'entortilloit à la tête de fon mari, pendant qu'il dormoit, prédit, par
Je même art , qu'il parviendroit à une PuLffance redoutable.
3". On étendoit , dans ua certain fens, la même réflexion jufqu'à
l'homme. On difoit que tout ce que l'homme fait naturellement , machi-
nalement , par un mouvement involontaire , & fans que la réflexion
y intervienne , ne pouvant lui être attribué à lui-même , doit être re-
gardé comme l'ouvrage d'une Divinité, qui avertit l'homme de fadefti-
née. Ainfi on trouvoit des préfages dans le tremblement involontaire
de l'œil , ou de quelqu'autre membre , dans l'émotion du pouls , dans
un éternument, dans le bruit que font des vents renfermés dans les
entrailles, & dans quelque chofe de moins que tout cela. Par exem-
ple , Tacite remarque , (46) que les Germains étoient dans l'opinion
qu'il y avoit dans les femmes quelque chofe de plus divin que dans les
hommes , & qu'elles étoient plus propres pour recevoir le don de
<43) £lian. V. H. lib. II. cap. 31. Vtyn, ci- | (44) Ptocop. Gotth. lib. IV. cap. 20. p. $1 1',
ieffas Ch. II. §. 2. ce qui eft dit des anciens 1 (45) Plutatch. Craflb Tom. I. p. $47,
kabjtans de la Galice. ( (48] Tacit. Geim. cap. I,
LIVRE III. C H A P I T R E IV. 19
pTopTiétîe. La raifon en étoit que la Nature agit plus dans les femmes
que la réflexion. On voit aufli dans Procope , (47) qu'une terreur pani-
que ayant faifi deux Armées , qui étoient fur le point d'en venir aux
mains , les deux Partis en conclurent , que cette frayeur falutalre étoit
l'ouvrage d'une Divinité , qui ne vouloit pas que les Gépides & les
Lombards fe ruinaflent réciproquement.
§. XII. Il paroît , par ce qui vient d'être dit , que ce Dogme , qu'une
Divinité réfide dans tous les Etres corporels , étoit, parmi les Celtes ,
le fondement d'une infinité de fuperftitions extravagantes. Comme elles
faifoient l'effentiel de la Religion de ces Peuples , elles étoient aufli le
grand objet des recherches de leurs Druides. Il ne faut pas ctre furpris ,
par coHféquent, que la Noblefl'e des Gaules , dont on confioit ordinaire-
ment l'éducation au Clergé , employât jufqu'à vingt années entières
( 48 ) à ces belles études. On pourroit s'y appliquer pendant un grand
nombre de fiécles , fans en être plus avancé. Les anciens habitans de
la Tofcane étoient fort adonnés aux divinations. On a prouvé , dans
im des Livres précédens , qu'ils étoient un Peuple Celte; les Perfes
faifoient aufli un grand cas de la magie. Defcendant des Scythes , il^
en conferverent long-tems les fuperftitions. Pline ne fauroit compren-
dre (49) que les Peuples de la Grande-Bretagne , étant fi éloignés des
Perfes, ne iaiflaflent pas de lui reflTembler parfaitement à cet égard. On
en voit bien la raifon. Sans fe connoître , fans avoir enfemble aucun
commerce , ils tenoient ces abus de la même fource.
§. XIIT. Il ne fera pas inutile de rappeller ici une réflexion , déjà in^
diquée , mais qui eft éclaircie & confirmée par ce qui vient d'être re-
■ marqué. Puifque les Peuples Celtes rendoient tous im culte religieux
aux Élémens , il eft facile de comprendre ce qui a donné le change à
ceux des Anciens , qui afllirent que ces Peuples adorolent Apollon ,'
Neptune , Vulcaln , Diane , & les Nymphes. Ils vénéroient effeftive-
mentle Feu, l'Eau, les Forêts, &c. Cette vénération étoit fondée fur la
perfuafion qu'une Divinité réfide dans les élémens. Mais ils n'avoient
pas , fur le fujet de ces Divinités , les mêmes Idées que les Grecs & les
Romains. Neptune , par exemple , n'étoit pas un homme qui eut été
(47) Procop. Gotth. lib. III. cap. 18. p. «15,
(4t) Czfar. VI. 14.
{4>j Plin, Hiû. K«. Ijb. XXX. cap. 1 ■ p. 7a».
30 HISTOIRE DES CELTES,
mis au rang des Dieux après fa mort, ni qu'on crut être chargé de l'em-
pire de la Mer ; mais on le confidéroit comme une intelligence émanée
/du premier principe , <jui n'avoit jamais eu d'autre corps que l'élément
même de l'eau.
Celtes ont
tous reconii!
un Dieu Su
prèrae.
CHAPITRE V.
§. I.V— 'Ontlnuons d'examiner les principaux points de la Théologie
des Celtes , & voyons préfentement quelles étoient leurs idées , par rap-
port à l'unité de Dieu, en tant que ce Dogme eft oppofé , foit au poly-
théïfme des Gentils, fojt à l'opinion des deux principes.
tes Peuples II cft Certain que les Peuples Celtes reconnoiffoient tous un Dieu fu-
it prême , ôc nous verrons , dans la fuite , qu'ils le regardoient comme
le Créateur , tant des corps, que des efprits qui leur font unis. Selon Ju-
les-Céfar, (i) les Gaulois fervoient principalement Mercure. Tacite dit
la même chofe des (z) Germains. D'autres ont prétendu , à la vérité ,
que c'étoit Mars , qui pafToit , parmi les Germains , pour le plus grand
"des Dieux. Procope (3) l'affure , en parlant des Peuples qui demeuroient
dans l'ifle de Thulé ; & Tacite lui-même, rapportant le difcours qu'un
Ambafiadeur des Tenchteres adreffa aux habitans de la VjUe de Cologne,
le fait parler de cette manière 1(4) « Nous rendons grâces à nos Dieux
» communs , & à Mars , le plus grand des Dieux , que vous foyez
n réunis au corps des Peuples Germains , & que vous en ayez repris
*»Ie nom ».
Mais la difficulté n'eft pas confidérable , parce que le nom de Mars ,
& de Mercure , inconnus dans la Celtique , n'étoient employés que
par des Etrangers , & défignoient conftamment le même Dieu. L'oc-
cafion de le prouver fe préfentera dans les Chapitres fuivans. Il fuffira
de remarquer ici, qu'entre les Dieux que les Germains fervoient, il y
en avoit un qu'ils appelloient (5) »»le Maître de l'Univers, auquel tout
'W eft fournis ôc obéiflant». Hérodote, en parlant des Thraces , dit (6)
' <^e , « quand il faifoit du tonnerre & des éclairs , ces Peuples tiroient
«des flèches contre le ciel, comme pour menacer la Divinité, parce
(i)Cïfat VI. 17. j (4) Tacit Hift. IV. «4.
(») Tuit. Gerroan. 9. I (j) Tacit. Gerinan, jj,
[f) Ftocop. Cotch. II. l(. p. 424. * (() Hciodoc. IV. 94.
LIVRE III. CHAPITRE V. jr
w qu'ils étoient dans l'opinion qu'il n'y avoit point d'autre Dieu que
»le leur». Ailleurs, il s'exprime de cette manière (7): «Mars, Bac-
» chus , & Diane font les feuls Dieux auxquels les Thraces rendent
» un culte religieux. Outre ces Divinités , les Rois fervent encore
» Mercure ; il eft celui de tous les Dieux , pour lequel ils ont la
» plus grande vénération. Ils ne jurent que par fon nom , &c prétendent
» même en être iffus. »
Il eft vrai qu'Hérodote fait raifonner les Thraces d'une manière
tout-à-fait étrange : ils reconnoiffoient un Dieu, ils foutenoient qu'il r
n'y en avoit point d'autre ; à caufe de cela , ils étoient affez extrava-
gans , ou affez impies, pour le menacer quand il lançoit la foudre!
Il eft vrai encore, qu'il y a de la contradiction entre les deux paffages
qui viennent d'être cités. Si les Thraces ne croyoient pas qu'il y eut
d'autre Dieu que leur Mercure ( car c'eft de lui qu'il s'agit dans cet
endroit ) , comment pouvoit - on leur attribuer encore le culte de
Mars , de Bacchus , & de Diane ? Mais on voit , au moins , dans ces
paffages , que les Thraces fervoient une certaine Divinité préférable-
ment à toutes les autres , Se qu'ils ne juroient que par fon nom. C'é-
toit aufli l'idée des Scythes ; ils croyoient ( 8 ) qu'il ne faut confacrer
des Simulacres, des Autels & des Temples qu'au Dieu Mars.
§. II. Non-feulement les Peuples Scythes & Celtes admettoient un iisi'aprei-
premier principe , un Dieu fuptême ; ils l'appelloient encore,dans un ^[l^
certain fens , le vrai ôc le feul Dieu. Ainfi les Turcs (9) , quoiqu'ils vé-
néraffent le Feu, l'Air , l'Eau , & la Terre , ne laiffoient pas de foutenir ,
en même-tems , qu'ils n'adoroient , & n'appelloient Dieu , que celui
qui a fait le ciel & la terre. Les Thraces difoient aufli (10) qu'il n'y
avoit point d'autre Dieu que le leur. Nous avons montré, par un
paflage de Procope , que les Sarmates tenoient le même langage (i i). ^
Ils faifoient profeflion de ne connoître qu'un feul Dieu , qui lance le
tonnerre , & qui eft le maître de l'Univers ; mais ils ne laiffoient pas de
rendre un culte religieux aux Fleuves & aux Nymphes. Les Sarmates
s'expliquoient de la même manière , du tems d'Helmoldus , c'eft-à-dire
dans l'onzième fiécle (ii):« Ayant des Dieux de différens ordres, ils
(7) Heiodot. V. 7. I (i») Fojietle Ç. prccedfnt.
(s) royti. ci-d. Ch. III. §. 3. & Ch, IV. §. I. j (11) Ci-defTus Chap. IV. §. t. not. It.
(>) KojKitei-d.Chap.IV. J. I. ' (12) Helmold. lib. I. 84.P. lï».
3* HISTOIRE DES CELTES,
» ne difconvenoierît pas qu'il n'y eut dans le ciel un Dieu unique ,
H duquel tous les autres dépendoient. »
Ne reconnoître qu'un feul Dieu , & avoir, en même-tems, plufieurs
objets du culte religieux , il femble qu'il y ait là de la contradiâion. II
ne faut pas douter que les Celtes ne le tiraffent d'affaire par quelque
diftinQion femblablë à ce que l'on appelle aujourd'hui le culte de La-
trie & de Dulic. Si les tems & les termes ont changé , les idées font à
peu près les mêmes. Quoiqu'il en foit. Saint Auguftin (13) met ex-
preflement les Philofophes Perfes , Scythes , Gaulais &c Efpagnols , au
nombre des Sages qui ont reconnu un Dieu fuprême.
§. m. Les Celtes n'adoroient donc pas plufieurs Dieux égaux en puif-
fance & en dignité , mais un feul Dieu fouverain , avec un grand
nombre de Divinités fubalternes. La Juflice veut qu'on les décharge
encore du Polythéifme à deux autres égards.
1^, On a multiplié, fans raifon, le nombre de leurs Dieux , en fai-
fant autant de Divinités particulières de ce qu'on appelle les Dieux
Topiques ou Locaux. Pour comprendre ceci , il faut fe fouvenir de
ce qui a déjà été dit , (14) que ces Peuples donnoient à leurs Sanûuai-
res le nom de la Divinité qui y étoit adorée. Un homme, par exemple ,
qui alloit faire fes prières dans une forêt confacrce au Dieu Teut , oa
çonfulter les Sacrificateurs qui préfidoient à fon culte , difoit qu'il al-
loit trouver Teut. Mais pour diftinguer les Sanftuaires , on leur don-
noit quelque dénomination particulière , prife de la fituation du lieu ,
ou de quelqu'autre cirçonftance. Ainfi le Dieu Penius n'étoit pas une
Divinité particulière , mais le Dieu qui avoit un Sanctuaire fur le fom-
jnet des Alpes. Le mot de ( 15 ) Pinne, ou de Penne, défigne, encore
aujourd'hui, la ppinte , ou la cime d'une chofe , tant en Allemand qu'en
bas-Breton. Tout de même l'Apollon Grynœus des Mœfiens , établis en
Afie , n'étoit pas un Dieu particulier. C'étoit le nom d'un Sanftuaire ,
que les Mœfiens appelloient le Soleil Verd, (16) parce qu'on y offroit
des facrifices au Soleil dans un bocage où les arbres ne perdoient point
leur verdure , & où la terre étoit toujours couverte de fleurs,
(13 Auguft. de Civic. Pci lib. VIII. cap. 9.
{14) Ci-dcffus ch. m. $. 1. ?c ch. IV. J. j.
(1$) Ci-dcflus Liv. I. ch. 15. p. lo.^.
(i<) Viigilius Eclog. VI. v. 71. Scrvias ad
kunc loc, p. js.GrHn, eBTud«f(iue, figniiîc
Vtri,
i°.Si
LIVRE III. CHAPITRE V. 3}
2^. Si l'on examine avec attention la Théologie des Celtes , on
reconnoîtra auffi , qu'à proprement parler , ils ne regardoient pas les
Élémens, ni les différentes parties de l'Univers, comme des Dieux, Ils
difoient que l'Etre vifible eft le Temple où la Divinité réfide ; le
corps qu'elle anime , l'écorce où elle s'enveloppe , l'inftrument qu'elle
met en œuvre. Ils plaçoient leurs Dieux dans les élémens , de la même
manière que les autres Payens les croyoient préfens dans les Temples,
& dans les Idoles qu'ils leur confacroient ; mais ils diftinguoient tou-
jours le Temple , de la Divinité qui y fait fa demeure , les intelligences
fpirituelles , des corps céleftes ou terreftres qu'elles animoient.
§. IV. Ce n'eft, cependant, qu'à ces différens égards , qu'on prétend tesCeitej
juftifier les Celtes du Polythéïfme. Il faut avouer qu'ils adoroient, avec le mêm.- uml.
Dieu fuprême , un grand nombre d'intelligences , qui avoient été pro- n"mbrc"de
duites , comme ils le croyoient , par l'Etre infini , & unies aux différentes ba\7«'iKs. ^"'
parties de là matière , pour les animer , & pour les conduire aux fins
que fa fageffe s'étoit propofée.
La queftion fe réduit donc à favoir , quelle idée les Peuples Celtes
avoient de ces Intelligences , qui étoient chargées chacune de quel-
que diftriû, ou de quelque fonâion particulière. Les regardoient-ils ,
fimplement , comme des Anges , c'eft-à-dire , comme des Efprits , qui ,
n'agiffant que par les ordres, & fous la direftion du Dieu fuprême,
en vertu de la puifTance qu'il leur communique, ne méritent aucun culte *««;.
religieux , pour des grâces & des délivrances , dont ils ne font que les
minifires & les inftrumens ; ou comme des Divinités fubalternes , qui ,
participant à la puifTance & à l'empire du Dieu fouverain , méritent , par
cela même, d'être alFociées à fa gloire, &C au culte religieux qu'il reçoit
des hommes ?
Quelques Savans femblent avoir préféré la première de ces opinions.'
Ils difent, par exemple, que les Perfes alîignoient à chaque Royaume
un Ange Protefteur ; que chaque mois , chaque jour de l'année , étoit
fous la direftion d'un Ange. On ne balancera pas d'embraffer la féconde,
fi on veut fe rappeller ce qui a fait la matière du Chapitre précédente-
Les Perfes , comme les Scythes & les Celtes , donnoient le nom de
pieux aux Intelligences qu'ils plaçoient dans les élémens ; ils les.,
invoqiioient , leur demandoient des grâces , les confultoient fur l'avenir ,
& leur offroient des facrifices. Tout cela prouve qu'ils les regardoient
Tome II. E
34 HISTOIRE DES CELTES,
comme des Divinités, inférieures , à la vérité , à l'Etre éternel , mais qui
ne laifToient pas d'être fouveraines dans leur diftrid , & d'avoir une fu-
périorité affez grande fur l'homme , pour mériter fon culte &C fes hom-
Les Celtes
n'ont pi int
^. V. A récard de l'eninion des deux principes, on ne voit pas que
n ont p. int '' ^ ^ , < i i ■ /- /• J
r-comiudcux ceux qui l'attriDuent aux Celtes , ayent appuyé leur thele lur des
mîs&'îm eiii pteuvcs folides , ni feulement fur des conjeâures qui approchent de la
f on'& l'amrs vraifemblance. i". Hérodote, dans un pafl"age,citéci-deffus, §.I.Note6,
mauvais. j-^ ^^^^ ^ ^ quand il faifoil du tonnen-e & des éclairs , les Thraces
»tiroient des flèches contre le ciel, comme pour menacer la Divinité,
» parce qu'ils étoient dans l'opinion qu'il n'y avoit point d'autre Dieu
» que le leur ». Il femble que Ton entrevoit dans ces paroles , que les
Thraces regardoient le tonnerre & la foudre comme l'ouvrage d'une
Divinité mal-faifante , qu'ils menaçoient , & qu'ils déficient à coups
de flèches , comme étant eux-mêmes fous la proteâion du feul Dieu tout
puifTant. Mais cette conjecture eft démentie par les paroles mêmes de
l'Hiflorien , qui afTure que les Thraces foutenoient qu'il n'y avoit point
d'autpe Dieu que le leur. Nous verrons ailleurs ce qu'étoient les pré-
tendues menaces qu'ils faifoient à leurs Dieux , en tirant contre le ciel,
a*'. Hagenberg a cru que les Germains admettoient un bon & un
mauvais principe (ly). U en donne pour preuve ce pafTage de Tacite
(i8) : «On montre dans les Pays des Naharvales un bocage, où règne
» une ancienne fuperftition. ... La Divinité , qui y eft fervie , s'appelle
»» j4lcis. Ils prétendent que c'eft le même Dieu que les Romains vé-
» nérent fous le nom de Caftor & de Pollux. On n'y voit ni firaula-
» cre , ni veftige d'une fuperftition venue d'un Pays étranger. Tout
» ce que cette fuperftition a de commun avec celle des Romains , c'eft
«que l'on vénère deux jeunes hommes que l'on eftime frères (i 9). «
Mais ce n'efl-Ià qu'une conjedture hafardée , & deftituée de tout fon-
dement, qui ne mérite pas que l'on s'arrête à la réfuter.
3**. S. Auguftin (lo) parle auffi de quelques Démons , que les Gaulw
(17) Hagcab, Geim. Med. SilT. S. f. iSo.
(il) Tacit. Geim. 43. Vcyiz. ci - dcflous ,
A. XVI. §. î.
(19} On a fuivi la vetlîon d'Ablancoutt^qui,
^ant an peu iibie , ne laiilè pas de bien cxpii-
raei le fens de rotigrnat.
(ae' DeCi»itat. Dei lib. XV. cap. zj.p. IJJ,
Hefychius dit que les Ulyiiens a; gelloicnt 1«S.
Satyies Aivaf/au
LIVRE III. CHAPITRE V. 35
appelloient Dujii , & il affure , d'après plufieurs témoins dignes de foi , que
ces malins Efprits aimoient les femmes , n'épargnoient rien pour les
corrompre , & en venoient à bout. On fçait que plufieurs Pères de l'E-
glife ont foutenu cette fable , fans admettre pour cela l'opinion des
deux principes. D'ailleurs, Ifidore de Seville (*) remarque que les Gau-
lois appelloient ces Dujli , les Velus ( Pilofos ) ; par-là il montre claire-
ment que c'étoient les Satyres des Grecs.
§. VI. On ne peut pas difconvçnir , à la vérité , que , dans le VIII.
fiécle du Chriftianifme , les Saxons & les Sarmates , qui leur étoient
voifins , ne ferviffent un Dieu mauvais. Mais il eft confiant que ce
culte ne s'introduifit parmi eux, que lorfqu'on eût commencé à leur
annoncer la Religion Chrétienne ? Comme les Prédicateurs leur par-
loient continuellement de la puifTance redoutable du Démon , & de
l'étendue de fon empire , ces Peuples, mal inftruiis , le regardèrent comme
une véritable Divinité , & fe crurent obligés de le fervir, afin qu'il
ne leur fit point de mal. Aufli les Saxons le nommoient-ils ( n ) le
Dieu Noir y ou TybiUnus^ ce qui eft manifeftement une corruption du
mot de Diable ; les Allemands appellent, encore aujourd'hui , le Démon ,
Dibd, Deubdy ou Teufcl.
Il faut étendre la même réflexion aux Sarmates , qui portoient le nom
de Slaves , & qui n'étoient (éparés des Saxons que par le fleuve de
l'Elbe. Le mauvais Principe portoit, parmi eux, le nom de Diabol(xi) ,
ou de Zeernebock , qui défigne le Dieu Noir. Ce fut par une méprife ,
à peu près femblable , que S. Gui , ou Saint Vite , devint , parmi les mê-
mes Sarmates, une grande Divinité (13). Des Mifllonnaires , fortis du
célèbre Monaftère de Corbie (14) , leur ayant vanté les miracles de ce
Saint , qui étoit le Patron de leur Abbaye , les Slaves , après être re-
tombés dans le Paganifme , en firent une Divinité , qu'ils appellerent
Suantevith , & qu'ils fervirent comme un Dieu du premier ordre.
§. VII. On attribue , affez généralement , aux Perfes d'avoir reconnu
deux Principes éternels , l'un bon , & l'autre mauvais. Le Leûeur per-
(*) Ifidor. Orig. lib. VIII. cap- nit.
(11) Fabtic. Orig. Saxon, lib. I. ap. Voffium
de orig. & progr. Idol. lib. I. cap. I. p. 31. &
Voflîus Ibid. lib. I. cap. «.p. I41. Vofljusre
connoit , dans le même endtoit, que le nom de
TybiltnHi » ité pris de celui de Diahelm,
(zi) Helmold Chcon. Slav. lib. I. cap. jj.
pag. 116.
(li) Helmold. lib. I.cap. (, p. ij.Sccap. il.-
pag. ii«.
(24; Il s'agit ici de U nouvelle Corbie 1 C»r-.
«'9 1 en WeA^ialie.
Ex
36 HISTOIRE DES CELTES,
mettra qu'on le renvoyé , fur cet article , à ce que M. de Beaufobre
en a dit dans fon Hijioire du Manichéifme. On ajoutera feulement que
l'on ne voit aucune trace de ce Dogme dans ce que les plus anciens
Auteurs , comme Hérodote & Ctéfias , ont dit de la Religion des Perfes.
Plutarque paroît être le premier qui en ait fait mention. Il aflïire po-
fitivement ( 25 ) , que « Zoroaftre appella le Dieu bien-faifant Oro-
» maih , & le mal-faifant Arimanius. Entre les deux principes, il en
w plaçoit un autre , qui s'appelloit Mithra. C'eft pourquoi les Perfes
» donnent encore à Mithra le nom de Médiateur. » Selon les apparences ,
cette opinion avoit été portée en Perfe, non pas de la Scythie, comme
M. de Leibnits l'a foupçonné : elle y étoit parfaitement inconnue ; mais
elle venoit des Indes , où elle étoit généralement reque.
Hérodote remarque , à la vérité , (a6) que la Reine Ameflris , femme
de Xerxés , fe voyant parvenue à un âge fort avancé , fit enterrer,
vivans, quatorze jeunes Seigneurs, comme un facrifice d'aûion de grâces
au Dieu que l'on place fous terre : mais il eft affez probable que
cette manière d'enterrer des hommes vivans , fit foupçonner à l'Hiflo-
rien Grec , que le facrifice avoit été offert à Pluton , quoique ce Dieu
fut inconnu aux Perfes. Il paroît aufïï que Plutarque ( xj ) affure , en
conféquence du même préjugé , que ces jeunes gens furent offerts à Pluton.
§. VIII. On parlera préfentement du Dieu fuprême que les Celtes
adoroient, des noms par lequel ils le défignoient, & des prérogatives
qu'ils lui attribuoient. On paffera enfuite aux principales Divinités que
ces Peuples plaçoient dans les élémens ; & enfin on examinera , s'ils
rendoient quelque culte aux âmes des Héros, & s'il efl vrai qu'ils vé-
néraffent même Hercule , Bacchus , & d'autres Héros étrangers , que
l'on avoit mis , après leur mort , au rang des Dieux.
(îs) Vejn. ci-deffiisch. III. $. j. not, 17.
(16) Herodot. lib. VII. cap. 1 14.
(17) Plutarch. de Supeift. Tom, II. p. 171.
LIVRE III. CHAPITRE VI.
37
CHAPITRE VI.
§. I. 1 L eft furprenant que, depuis qu'on a commencé à écrire fur la
Religion des Celtes , perfonne ne fe foit apperçu que ces Peuples ado-
roient tous un Dieu fuprême , qui portoit le même nom dans toute la
Celtique , & auquel on attribuoit par-tout les mêines prérogatives fur
les autres Divinités. On le prouvera dans ce Chapitre ; & l'on efpere
que le Lefteur ne fçaura pas mauvais gré , fi l'on entre dans quelque
détail , pour établir cette vérité. D'un côté , elle eft nouvelle , & à
peu près inconnue ; de l'autre côté , elle confirme merveilleufement ce
qu'on a dit en plufieurs endroits de cet Ouvrage , que l'Europe étoit au-
trefois habitée par un feul & même Peuple.
§. II. Le nom que tous les Peuples de l'Europe donnolent anciennement
au premier Principe , c'efl: celui de Tcut , ou de Tis , d'où a été formé
celui de Dieu. Les Efpagnols , & les Gaulois l'appelloient Teut , ou d'un
nom compofé (i) Teutac , Dieu le Père. Les Germains le nommoient
Tis , ou Teuc , 6c fouvent d'un nom appellatif God , Fod , Vodan , Odin ,
c'eft-à-dire, le Bon. Les Thraces l'appelloient Tis , ou Gotis , le bon Tis.
Les Grecs Ajç , SfJç , ou 0«eV. Les Italiens Dis ; Tus , Deus , avec une
diphtongue , &C quelquefois Mantus , le bon Tus, Il faut fournir des
preuves de ce qu'on vient d'avancer. Commençons par les Efpagnols.
§. III. Tite-Live , rapportant le fiége de la Ville de Carthagène, en Efpagne,
par Scipion l'Afriquain , dit (i) , que « ce Général , ayant pafle fur une
M Colline , que les Habitans du Pays appelloient Mercure Teutates ( 3 ) ,
» s'apperçut que les murailles de la Ville étoient dégarnies de Troupes
» en plufieurs endroits ». On voit ici que les Habitans de Carthagène fer-
voient le Dieu Teut , qu'ils lui ofTroient un culte religieux , dans un
Tes PcuplrJ
Celccs appel-
loient le Dieu
Suprême
Tiut.
Les Efpagnols
fervoient le
Dieu unique
Teut,
(l' Tai , Tad , Père. Voyez. Pezron , Antiq. de
la Nation 8c de la Langue des Celtes p. 4.6. &
B.oftrenen Diclionn. Celtique, p. 7 i z.
(a Livius lib. XXVI cap. 44.
(3) Les anciennes Editions de Tite-Live por-
tent Mtrc.trium Tcmaiem. Celle de J F. Grono-
vius , dont on s'eft fervi, n'a pas le root Ténia-
tes. Jacques Gronovius, fils du premier, re-
piend même foit aigiement Ouzcl (not. ad
Min. Felic. cap. 6 p. 54.'' d'avoir confcrve' ce
mot en citant le paffar.e de T:tc-Live. Mais
quand le mot de Teuiaiei feroit une glofc , ce
qui n'eft pas vrait'emblable , n'y ayant qu'un
feul Manafcrit, où il ne fe tiouvc point, la glofe
ne laifleroit pas d'être juftc , parce qu'il eft
confiant que les Grecs ôc les Romains don-
noieiit ordinairement le nom de Mermrc aux
TtHt»iei dM Celtes.
3? HISTOIRE DES CELTES,
lieu ouvert, fur une Colline voifine de leur Ville; qu'ils donnoient à
cette Colline le nom du Dieu qui y étoit adoré; & enfin que les Romains
étoient dans l'idée que ce Teutates étoit le même Dieu que Mercure.
Nous Dirons tout-à-l'heure la raifon de cette méprife. Paffons à une
féconde preuve.
2.* Strabon , parlant des Celtibères, & des Peuples qui leur étoient
voifins , du côté du Septentrion , dit (4) « qu'ils étoient accontumés à
» s'affembler de nuit , dans le tems de la pleine Lune , à l'honneur
» à^un Dieu fans nom ; & qu'ils pafToient toute la nuit à danfer , & à
w fe réjouir avec leurs familles hors des portes ». Pour entendre ce
M paflage , il faut remarquer que les Grecs & les Romains donnoient à
leurs Dieux un nom commun , & vm nom propre. On trouve , par
exemple, dans les Infcriptions , Deo Mercurio,Deo Neptuno, Deo
VuLCANO, Dieu eu le nom commun ; ceux de Mercure, de Neptune , & de
Vulcain , font les noms propres de chaque Divinité. Le Dieu des Celti-
bères n'avoit point de nom particulier. Quand on leur demandoit le
nom du Dieu qu'ils adoroient , ils difoient qu'il s'appelloit Deus , ou
Teut, C'eftce que Strabon appelle un Dieu fans nom. Au refte, on trouve,
dans ce paflage, pluGeurs autres coutumes, qui étoient communes aux
Celtibères , avec les autres Peuples Celtes. Ils tenoient leurs affembléeS
les plus folemnelles de nuit , & hors des portes. Us célébroient particuliè-
rement le jour , ou plutôt la nuit de la pleine Lune ; c'étoit une de leurs
Fêtes. Les danfes & les feftins faifoient partie du culte religieux qu'ils
rendoient à leurs Dieux.
3.'' On fçait que les Phéniciens , s'étant emparés de l'Ifle de Gades, y
bâtirent un célèbre Temple , à l'honneur d'Hercule , & donnèrent à l'Ifle
le nom de Gadéira. Denis le Periégéte remarque (5), qu'avant ce tems..
là , les Habitans naturels du Pays appelloient cette Ifle Cotinufa ; ce
qui fignifie , comme on l'a obfervé aillleurs (6) , la maifon , l'habita-
tion du Dieu Tis, Il eft vrai que le Scholiafte du Géographe prétend ,
que rifle reçut le nom de Cotinufa , parce qu'on y trouvoit beaucoup
d'oliviers fauvages, que les Grecs appelloient koti'vous. Mais, puif-
<jue les Phéniciens étoient dans l'Ifle, long-tems avant qu'elle fut connue
•— — Il I .1 -i.>.i»f
{4) Stiibo lib. lU. p. 1Ç4.
(5) Dionyf. Fer. v. 450. Euftath. adh. loc pac. 74,
(«) Çi-df ffus î,iy. J. ph. } j. p. 10 j.
LIVRE III. C H AP IT RE VI. 39
des Grecs, &c qu'elle portoit déjà le nom de Cotinufa , lorfque les pre-
miers y envoyèrent une Colonie , il eft certainement ridicule de donner
à ce nom une étymologie grecque.
4." Ajoutons enfin , que l'on trouve en Efpagne, comme dans toute la
Celtique, des noms propres d'hommes & de Villes, dans la compofition
defquels le nom de Ttut , ou de Tis , entre manifeftement. Le Chef,
par exemple , qui commanda les Efpagnols , après la mort de Viriatus ,
s'appelloit (7) Teutamus. Le nom des Villes de (8) Cottaobriga, Deobri'
ga , Deobrigula , défigne auffi le paflage d'une Rivière , auprès duquel il y
avoit un Sanftuaire confacré au Dieu Teut.
§. IV. Les Gaulois avoient auffi leur Teutates , auquel ils ofFroient lo cauioîi
des viftimes humaines, comme (9) Lucain,& (10) Laftance l'ont re- Dieu suprê-
marqué. C'eft le même que Jules . Céfar appelle Mercure ( 1 1 ). « Mer- '^4™°"'
» cure eft celui de tous les Dieux auquel les Gaulois font le plus
» attachés , & dont ils ont le plus de fimulacres. Ils le regardent comme
» l'Inventeur de tous les Arts , comme le proteéteur & le guide des
» voyageurs ; ils croyent que fon pouvoir eft très-grand pour ceux
» qui veulent gagner de l'argent , ou qui s'appliquent au commerce.
» Après lui , ils fervent Apollon , Mars , Jupiter & Minerve ». Tout
cela fera expliqué , en examinant pourquoi le plupart des Grecs & des
Romains ont donné le nom de Mercure au Teutates des Gaulois. Il fuffit
de remarquer ici , que les Gaulois fervoient leur Mercure préférable-
ment à tous les autres Dieux. Ils le regardoient comme le Dieu fuprême.
TertuUien & Minutius Félix fuivent les idées de Jules-Céfar. Le premier
dit (12), que « les Gaulois immolent des Vieillards (13) à Mercure ». Le
fécond (14), que «les Gaulois fervent Mercure y & lui offrent des
>» viâimes humaines , qu'il faudroit plutôt appeller inhumaines ».
Au refte , ce n'eft pas fans raifon qu'on a remarqué ailleurs (i <Ç) , que
Jules-Céfar n'étoit guères au fiiit de la Religion des Gaulois. On en trouve
ici une preuve démonftrative. Il aiTure , que les Gaulois fervent princi-
palement Mercure. Cela eft vrai dans im fens. Le grand Dieu des Gaulois,
(?) Dio* Sic. XXXII. p. 7»5.
{«) Ptolem. lib. 11. cap 5. p. 41. e. t. g. 45.
(9) Lucanos lib. I. v. 444.
(10) Laâanc. Inftit. lib. I. p. 91.
(li)Ca:far VI. 17.
(1 ») Tcitnllta». Af ologet, caf> 9.
(ij) Mijor dim , par oppoGtion aux Phéni-
ciens , qui immoloicnc des eiifans.
(14) Minut. Fclix cap. VI, p. 5 j. cap, XXX>'
p»g. 31 +
^1}) Ci-deflus Lit. I. cli. ij, f. jt.
40 HISTOIRE DES CELTES,''
étoit Teutaus , que -la plupart des Grecs , & des Romains ont pris pour
Mercure. Mais voici la bévue. Au commencement du chapitre fuivant,
il ajoute (i6): «Tous les Gaulois prétendent être ifTus du Père Dis,
» & ils difent l'avoir appris de leurs Druides. C'eft pour cela qu'ils me-
» furent les tems par le nombre des nuits , & non par celui des jours.
» Ils comptent les jours de leur naiflance , les mois, les années , de telle
» manière, que le jour fuit toujours la nuit».
On voit dans ces paroles, i.° que Jules -Céfar , trompé par la feule
conformité de nom, a confondu le Tis^ ou le Teut des Gaulois, avec le
Dis des Grecs & des Romains , qui étoit Pluton. i.'' Il n'a pasfçu que
ce Père Dis des Gaulois étoit le même que celui qu'il venoit d'appeller
Mercure. C'eft du Dieu Teut, que les Celtes, en général , & les Gau-
lois, en particulier, prétendolent être deicendus. C'eft pour cela qu'ils
l'appelloient (17) Teutat , c'eft-à dire, le Père Teut. C'eft pour la même
raifon , qu'ils prenoient anciennement le nom d'enfans de Teut , ou de
~(i8) T^utofdgcs , qu'un Peuple de la Gaule Narbonnoife portoit encore
du tems (19) d'Aufone. Les noms de (lo) Teutomat , de (21) Teutomal ,
& de (zz) Cotis , que des Princes Gaulois ont porté , ont la même origine.
On ne fe trompera donc certainement pas en afllirant, avec le Père
Pezron , que les Gaulois étoient originairement le même Peuple que les
(.3,3 ) Thraces Se les Pélafges, qui font les Titans des Anciens; & de
l'autre , ils fe glorifioient eux-mêmes d'être defcendus du Dieu Teut. Il
feroit à fouhaiter feulement que le Père Pezron eût mieux choifi fes
preuves. Pour montrer (2,4) que les Gaulois étoient de la race des
Titafis, il allègue un paflage de (25) Callimaque, où le Poëté, parlant
des Gaulois qui avqient pillé , quelques années auparavant, le Temple
de Delphes , les appelle 'ai.iyçvci Tnii'vH , c'eft-à-dire , les nouveaux Ti-
tans , les Titans modernes, ou, û l'on veut, la poftérité des Titans.
Le Scholiafte Grec, auquel le Père Pezron renvoyé en marge , loin
d'appuyer la conjeâure de ce Père , la détruit formellement. II dit que
(16) Cïfar VI. is.
(17) Fojtz, ci-deffus note(i),
(18) Ci-defTus Liv. 1, ch. 8. p. îj.ch. 14.
P9g.'9 3. ,
(19) Aufon. Utb. XII. p. 75.
(20) c^Car VII, 31.
(»lj Epitom. Livii tXl-
(21) Amm. Marc. XV. 19. p. loi. Aurel. Vift.
CxC. cap. s. Sueton. in Nerone cap. it.Vtyex.
ci-deiTus. Liv. I. ch. 14. p. 87.
(23) Ci-dcflus Liv. I. ch. 9. p. 43. 44.
(24) Pezron Antiq. de la Nar. & de la Lan-
gue des Celres p. 1 12. 1S7.
(jj) Caltimach. Hymn. in Délum V. 174,
Callimaque
^ LIVRE III. CHAPITRE VI. 41
Callimaque appelle les Gaulois Titans , (16), à caufe de leur entreprlfe ,
c'eft à-clire, parce qu'à l'exemple des Géants, ils avoient déclaré la guerre
aux Dieux.
§. V. Tacite dit des Germains ce que Jules- Céfar avoit dit des Gaulois
(27). «Entre les Dieux, ils fervent principalement Mercure. Ils cro-
» yent même, qu'il eft permis de lui immoler, dans de certains jours,
» des viôimes humaines ». Le nom qu'ils lui donnoient , dans leur Lan-
gue , étoit auffi celui de Teut , ou de Tids. « Ils célèbrent (28) , dit le mê-
» me Auteur, par d'anciens vers, qui font leurs feules Annales, le Dieu
» Tuijion, iffu de la Terre, & fon fils Mannus , auxquels ils rapportent
» l'origine & l'établiflement de leur Nation ». Tuijlon (29) eft le pre-
mier homme , dont les Germains faifoient un héros , qu'ils célébroient
par leurs cantiques ; comme ils étoient dans l'opinion que le premier
homme avoit été tiré de la terre , par la puiflance du Dieu Tuis , ils
l'appelloient, par cette raifon, Tuijlon, c'eft- à-dire, fils de Tuis; &c ils
fe nommoient eux-mêmes Teutones , (30) Teutonarii, Teutofages ; déno-
minations qui étoient communes autrefois à tous les Peuples de la
Çermanie , ainfi qu'on l'a prouvé dans le premier Livre de cet Ouvrage.
Le nom de Taurifci (31), que les Noriciens portoient anciennement ,
& qui fignifie le Royaume de Teut, marque aufli que ces Peuples pré-
tendoient être fous fa protedion. C'eft conformément à ces idés , que
le Scholiafte de Pindare, expliquant un paflage du Poëte,où il eft dit
qu'Hercule avoit apporté l'olivier des fources du Danube , remarque
(3 2) « qu'elles étoient dans le Pays des Hyperboréens , qui defcendoient
» des Titans, comme Phcrénicus l'avoit écrit».
Dans la fuite , les Peuples de la Germanie s'accoutumèrent infenfî-.
(k) Schol. Callimachi.
(l^) Tacit. Germ. cap. 9.
(zJ) Tacit. Getm. 1.
(29) On a dit plus haut que Ttciic npfMeTuif-
un , le Ditu ijue Jutis-Céftr afpcHe Dis Liv. I.
ch. *. p. 9 3 . que Tk;7?o/i iioit le Dieu Atijuil les
Celtei rApffonûient l*ori^ine du genre humnin. Liv, I,
ch, 10. p. 180. que, yê/o« Ict Germains , Mnnnus ^
tefl-à-àire y l*homme étoit ijfu d-i D'eu Tis ou Tuif^
ton. Liv. I. chap. Ij. pag îZ3. c^ae les Celtes fe
trorftient ijfut du Dieu quiU uppelloient Dis , Tuif-
nn pTuifcon , Teut, Teuiaies, Liv. I, ch. 14. p. 2*3.
Tome II,
C'eft une inexaclitude qu^on prie le Lefleur de
reftifier. Dis, Tuis, Teut, eft le Dieu fuprérae
des Celtes, auqi^el les Grecs & les Romains
donnoient le nom de Mercure. Tutfion fignifie
le Fils de Dieu, le premier homme. Les Alle-
mands diroient aujourd'hui Tiiijtoshi). Sohn figni-
fie, en leur Langue , un fils.
(3o> Ci-delTus Liv. I. <A. 14. p. 92, 93. 94.
(31) Tau-Kich , Royaume de Teut Voyez, (î-
deff. Liv. L ch. 14. p. 94 note («2).
(32) Schol. ad Findat. Olymp. III. p. 38. 39.
4î HISTOIRE DES CELTES, #
blement à défigner le Dieu Teut par le nom de Vodan, Guodan, ou Goa,
qui fignifie le bon. On le voit dans un pafTage de Paul Diacre , qui mé-
rite d'être rapporté tout entier (33). Vodan ^ que quelques-uns appel-
« lent , en y ajoutant une lettre, Guodan , eft le même Dieu que les
» Romains nomment Mercure. Il eft adoré par toutes les Nations de la
»> Germanie. Ce n'eft même pas d'aujourd'hui que fon culte efl établi ;
» on prétend qu'il étoit fervi autrefois jufques dans la Grèce ».
On peut conclure plulieurs chofes de ce pafiage. i.'^ Depuis le tems de
Tacite , les Germains avoient fuT^ftitué le nom de Vodan , ou de Guodan ,
à la place de celui de Tuis. Il eft facile de comprendre comment ce chan-
gement avoit pu fe faire. Comme quelques Peuples Celtes appelloient
le Dieu fuprême Tis , ou Cods , ( Godtis^ le bon Tis , d'autres le
nommèrent fimplement God, lehonj&c cet ufage prévalut tellement en
Germanie, qu'à la fin , le nom de Tis fe perdit infenfiblement, les Al-
lemands ne fe fervant, depuis long- tems, que du nom de Go(f (34) , pour
défigner la Divinité.
2.* Ce Vodan étoit le grand Dieu des Germains. C'eft à quoi s'accorde
VEdda , c'eft-à-dire , l'ancienne Mythologie des Iflandois. Elle porte
(35) « qu'Odin eft le plus ancien des Dieux, le Dieu fuprême».
3." Ce Vodan paftbit pour être le même Dieu que le Mercure des
Romains. Godefroi de Viterbe (3 6) , & l'Auteur de la Vie de Saint Co-
lumban (37) l'affarent , après Paul Diacre ; & il falloit que les Peuples
Germains , en général , fuffent dans la même opinion , puifqu'en rece-
vant le Calendrier Romain , ils appellerent le Mercredi , c'eft-à-dire ,
le jour confasré à Mercure , Vonjiag, ou, comme prononçoient les Peuples
diiNord(38), O^e/2/?^^.
4° Enfin Paul Diacre, & les Auteurs qu'il fuit, ont entrevu que le
Mercure des Germains avoit , autrefois , été fervi , même par les Habitans
de la Grèce. C'eft une remarque dont on fera ufage dans l'un des paragra-
phes fuivans.
(33) Paul. Diac. Ren Longob. lib. 1. cap. 8.
pag- 3 5 7-
(34J Gothofredus V#erb. part. 17. pag. 446.
Ftedegar. ap. du Chefne Totti. I. p. 73 5.
(3s)Edda Ifland. Mythol 18.
(3«j Ubi ftipià, note (3 s).
(37} Vita S. Columbani ap. du Chefne T. II.
pag. s j«. M. Mafcau s 'eft fervi d'une Edition de
la vie de S. Colomban, qui porte D'o fua Voduno,
quem Mercurium vtctni. Mafcau Toin II. p. iSj,
ex Surio.
{38) Odcm-Ta^ , Mercredi. La Peyrere , Rela-
tion de ri (lande , dans le Recueil des Voyages
au Noid, Tom. I,p. 41,
es
Tluaccs.
LIVRE III. CHAPITRE VI. 43
§. VI.Il faut paffer aux Nations qui demeuroient des rieux côtés du Le cuite <lu
Danube, depuis la Bavière jufqu'à fon embouchure. Elles adoroient ^e'ril^émit
auffi le Dieu r«M^ ; mais , comme ces Contrées étoient habitées par une Tifr'a«T'
infinité de Nations différentes, qui s'étoient avancées fucceffivement du
Nord , & de l'Occident , il ne faut pas être furpris que , félon la diffé-
renc-e des dialeûes , chaque Peuple donnât au nom de Teut , quelqu'in-
flexion particulière.
i.^ On a allégué un paffage d'Hérodote, qui porte (39) que « Mercure
» étoit celui de tous les Dieux , pour lequel les Rois de Thrace avoient
» le plus de vénération. Ils ne juroient que par fon nom , & pré-
»tendoient même en tirer leur origine». Ce Mercure, dont les Rois
de Thrace fe difoient iffus, portoit, chez eux, comme par-tout ailleurs ,
le nom de Tis , ou de Cocis , qui fignifie, comme on l'a déjà remarqué ,
le bon Tis. Ceû la raifon pour laquelle ces Provinces affeclionnoient
fi fort le nom de (40) Cods , ou de ( 41 ) Cotifon, qui marquoit qu'ils
étoient de la race de ce Dieu.
i.? C'eft de la même Divinité qu'il faut entendre ce paffage de Strabon
( 4Z ) : « La Fête que les Thraces célèbrent à l'honneur de Coiis & de
» Bendis , reffemble aux Fêtes de Bachus». Cous eff le Dieu, dont il
s'agit ici, l'Efprit univerfel, l'Ame du monde, ou , comme les anciens
Philofophes - l'appelloient , le Principe aftif. Bendis , dont on parlera
en fon lieu, étoit la Terre, le Principe paffif, que le Dieu Tis animoit,
& dont il s'étoit fervi pour la formation de l'homme. La Fête de Cotis
&c de Bendis reffembloit aux Bacchanales des Grecs par trois endroits.
Premièrement , on la célébroit de nuit. En fécond lieu , la ( 43 )
danfe, qui faifoit partie du culte de Cotis, imitoit celle des Bacchantes.
Enfin toutes les folemnités des Thraces , & des autres Peuples Celtes
étoient des tems de réjouiffance , & de bonne-chère. On y commettoit
fur-tout de grands excès, par rapport à la boiffon, & ces excès étoient
non-feulement permis, mais en quelque manière autorifés par la Fête.
(39) Ci-deffus ch. V §. i . i Caff. LIV. p. 53 ;. & 545. Suida? in Ko'ri/t,
(40^ Scobœus Serni. 142. p. 488. Serm. 149.
p. 519. Livius XLII. 19. SI- Valef. in Exccrpt.
ex Polyb. XXVII. pag. i 27. ex Diod. Sic, XXVI.
pag. 307. Ccnui Rex. Cifat BeU. Civ. lib. III.
cap. i6, 9$. Cttji Rtx. Tacit, Ann. II. $4. Dio.
'41) Florus IV. I t. Horat. lib. III. Od. S.
Cotifon fignifie fils de Ctiit.
(42)StraboX p. 473. 471.
(4.3 C'eft celle que Suidas appelle imaarm
Kan/tf. Kojitï. ci-après Bote 95'.
Fi
44 HISTOIRE DES CELTES,
3.® On a eu occafion de montrer, dans le premier Livre de cet Ou-
vrage (44) , que les prétendus Géants , que les Grecs accufoient d'avoir
déclaré la guerre à Jupiter , & aux autres Dieux , étoient les anciens Habi-
tans de la Thrace , qui prenoient le nom de Titans , parce qu'ils croyoient
defcendre du Dieu Tis , dont ils défendirent le culte à main armée.
Ainfi ce n'étoit pas un privilège particulier aux Rois de Thrace , d'être
de la race de Tis. Le Peuple fe glorifioit d'avoir la même extraftion^
auffibien que les Princes qui le commandoient.
tes autres ' §. VU. Ce qu'on vient de dire des Tbraces , doit s'entendre aufli des
dciKurôiln'c autres Peuples , qui demeuroient au Midi du Danube , tels qu'étoient les
rîlnu'be'.alio Dardauieus , les Méfiens , les Triballes , les lUyriens , les Gétes , les
Dieu's'piê.'' Pannoniens , &c. Paul Diacre affure ( 45 ) que le Dieu Teut , qu'il
mcTeut. appelle f^oJan , étoit adoré par toutes les Nations de la Germanie,
jufques dans la Grèce. EfFeâivement on trouve par-tout jdes traces du
nom de Teut. On pourroit en alléguer une infinité d'exemples, fi l'on
ne craignoit de fatiguer le Leûeur par tout ce détail. Les lUyriens ,
'• par exemple , appelloient le Pays quieft autour de Durazzo (46), Tau-
tant, c'eft à-dire, Pays de Teut. Les Pannoniens avoient aufli une forte-
refle qui portoit le nom de Teutoburgium (47) , & une autre qu'ils appel-
loient (48) Taurunum.
On croit, au refte, que quelques Peuples Gétes & Daces appelloient
Seuth, le même Dieu que les autres défîgnoient par le nom AtTis, ou de
Teut. Ce qui fait naître cette penfée, c'eft le nom de Seutlhalc , ou àe Si-
talces, que plufieurs de leurs Princes portoient avec un nom propre. Jor-
nandes, par exemple, dit (49) que Diceneus vint enGothicj fous le
» règne de SitaUus Boroï/ha», c'eft-à-dire, vers le tems de Jules-Céfar,
dont ce Roi des Gétes étoit contemporain. (50) Thaïe , ou Sckalc, figni-
fîoit, dans la Langue celtique, ferv'ueur. Il paroît vraifemblable que
Sitalcus Boroïjla eft autant que Boroifla ferv'ueur de Dieu , ou , comme
l'on diroit aujovu'd'hui , Boroïjla, par la grâce de Dieu: ce qui confirme
cette penfée , qu'on ne donne cependant que pour une fimple conjec-
(44 Voyez. c'i'àcSas Liv. I. ch. j. pag. 41.4S. , (4» Ftolem II. cap. i«. p. Sj.
4P. SI. 5*. (49) Jornand. cap. i : . pag. 6i«, Thocydnit
(4s) Paul. Diac. Rcr. l.ongob. I. c. S. p. 357. ' parle auûî d'un Roi des Odryfes , nomme' Si-
(46 Thuc/d. I, cap. 14. p. 14. j mites. Thucyd. II. cap. i>. p. 100.
(47) îtolera.II. cap. ic. p. 63. Antonio. It. (jo; Ci-dciTus Liv. l. ch. 15. p. loj.
pag. I S. i
LIVRE III. C H A P I T R E V. 45
ture , c'eft que , dans la fuite , plufieurs Princes de la même Nation
prirent le nom, ou le titre de (^ i) Rhoemetalces ^ ou de (5 x) Rymetalces ^
c'eft- à-dire , dejirviteurs des Romains. Ils vouloient , fans doute , faire leur
cour aux Empereurs.
§. VIII. N'oublions pas ici les Peuples qui étoient fortis des Con- lecieusu-
trées, dont on vient de parler, & qui avoient paffé dans l'Afie mineure. Ç-^^f/"'""
De ce nombre étoient les Lydiens , les Phrygiens , les Bithyniens , les "^""''" p" i«s
•' , . ■' , l'?upl« Celte»
Mariandins , les Cariens , les Paphlagoniens , ôc plufieurs autres , dont v' avoient
on donnera ailleurs le catalogue. Ils vénéroient tous la Terre, avec le ÎAfleMineu-
Dieu (53) Jus. Atis , ou (54) As-tis , eft le Seigneur Tis , que l'on appel-
loit auffi (55 ) P appas, le Seigneur & Père , parce qu'on le regardoit
comme le Père de l'homme, qu'il avoit tiré de la terre. Ces Peuples
avoient , d'ailleurs , fur l'origine de l'homme , une tradition affez fem-
blable aux anciens Habitans de l'Allemagne (56) :« Les Germains célé-
» broient par d'anciens vers le Dieu Tuijlon , iffu de la Terre , & fon
»fîls Mannus, auxquels ils rapportoient l'origine & l'établiffement de
» leur Nation ». "
La Mythologie des Phrygiens , & des Lydiens portoit (57) que , du
Dieu fuprême, & de la Terre , étoient defcendus les (58) Ajii, c'eft-
à-dire , les Seigneurs , les Divinités fubalternes ; les Atis , & les Cous ,
c'eft-à-dire , les Princes; les Manni , ou, ce qui eft la même chofe, les
Mœones & les Lydi ^ c'eft-àdire, les hommes & les peuples. C'eft ce
qu'on peut voir dans les difïérens partages cités en note. Mais il faut
remarquer que les Grecs, qui nous ont confervé la tradition de ces Peu-
ples , l'ont défigurée en bien des manières , & qu'ils ont fur tout com-
mis deux fautes confidérables. Premièrement, ils ont confondu le Dieu
j4ns , ou Cotis , avec une infinité de Princes , &c de Pontifes , qui por-
toient le même nom ; les uns , parce qu'ils préfidoient à fon culte ; les
^tres, parce qu'ils prétendoient en tirer leur origine : l'autre faute, qui
(si) Tacit. Ann. II. «7. III. 38. IV. s. & 47. | (s s) Diod. Sic. lib. III. p. JJ4.
(si) rlutarch. Apopht. Toin. II. p. 107. Uio (5S Tacit. Gcrra. cap. 2.
Caflius LIV. p. Sis- S'^S• s*»- (57) Dionyf. Halic. I. p. 21. Herodot. I. 94,
(53, Seivius ad iEneid. VII. v. 761. ApoUo- j IV. 45. VU. 74. Steph.de Urb. pag. 194.41;,
Rii Argonaut. lib. I. v.i i 25. 1 1 2«. Schol. Apol- I Euftatb. ad iMonyf. Terieg p. 59. Diod. Sic. Ilf,
Ion. adh. loc. pag. 11». Harpocration in voce 134. Plut. Ifid. & Oflr. pag. 3«o. Atlien. liU. IV,
At1i«p. 54. j cap. 22.
($4j Ci-delTils note (jj). l {$*) Ci-deflus note ($>>
Il y a lieu dt
croire que l.i
Pctfcs aiio-
l^ienr le Dieu
Suprême
Teut,
Lis Scyltits,
qui dcmcu-
luiciic au
46 HISTOIRE DES CELTES,
a été relevée ailleurs ( 59 )? c'eft qu'ils ont rapporté les noms des
Peuples Celtes, comme, par exemple, ceux de Lydi, & de Manni , k
quelques anciens R.ois, qui avoient porté ces noms; ils leur font ordinai-
rement époufer des Nymphes, ou des DéelTes. Ces ttymologies iont
auffi ridicules, que fi l'on difoit que les noms d'homme & dépeuple
viennent de deux Princes Latins qui s'appelloient Humus &c Vopulus.
Quoi qu'il en foit, ( car il n'eft pas poffible de démêler parfaitement la
vérité des fables où elle a été enveloppée) , on trouvera parmi les Celtes
de l'Afie mineure , comme partout ailleurs , des noms propres dérivés
de celui de Tis , ou de TiUi (60). Les Gallogrecs, qui paflerent en Afie
plufieurs fiecles après les Phrygiens, & les Lydiens, avoient deux Tri-
bus, dont l'une portoit le nom de (61) Tcciofages , &c l'autre celui de
(.6z) Teutobodiaci. Onaaffez indiqué l'origine de ces dénominations, pour
fe difpenfer d'y revenir dans la fuite.
§. IX. On a prouvé ailleurs que les Celtes , dans leur Langue , appel-
loient Dieu (63) God , de la même manière que les Allemands. Mais,
comme ce terme God eft un nom appellatif, qui fignifie le (64) bon,
la queftion feroit de fçavoir fi le nom propre de Tis , ou de Teut , étoit
employé par les Perfes , comme par tous les autres Peuples Celtes , pour
défigner le Dieu fuprême. Il faut avouer qu'on n'a encore rien trouvé
qui l'établiffe d'une manière pohtive (65). L'on foupçonne feulement
que , lorfqu'Hérodote dit (^66) , que la Reine Ameflris fit enterrer tout
» vivans quatorze jeunes Seigneurs , comme un facrifice d'aûion de
» grâces au Dieu que l'on place fous terre » , cet Hiftorien a confondu
V^tès des Phrygiens , & peut-être des Perfes , avec VAdh , ou le Pluton des
Grecs. Au moins verrons-nous tout-à-l'heure , que les Romains ont fait
une bévue parfaitement femblable.
§. X. Il faut repaffer préfentement en Europe. Les Peuples, qui demeu-
roient au Nord du Danube , & que l'on défignoit fous le nom général
(59) Ci-delTus Liv. I. chap. 8. pag. 39. 40.
chap. u.p. 77. 78.
(60) Diod. Sic. lib. II. p. 80. Cotn. Nep. in
Datame cap. 1. Athen. IV. c. 10. Pomp. Mêlai,
cap. 6. pag. 2«. rlin. Hift. Nat. lib. V. cap. 30.
Plutarch. de Flum. Tom. II. pag. i iSr.StobïUs
Serm. 242. pag. 193. Fojfi. ci-deiTus note (57).
yï/iBK/k j maifon de Tii,
{6i) Ci-deffus Liv. I. ch. 8. pag. 33. ch. 14.
pag. 93-
(62; Plin. V. cap. 32. p. *2S. Voyci. ci-de0Us
note «I. Teuiohodin , Pays de Tint.
(<}') Ci-deflTus Liv. I. ch. i J. p. 1I3.
{64 Ci-dcflus §. 2. & j.
(fis) ci-après $. 15.
(a) Heiodoc. V^. cap, 114.
LIVRE III. CHAPITRE VI.
47
de Scythes , ont été peu connus des Anciens. On entrevoit , cependant , Nora du m
que les Scythes donnoient au Dieu fuprême le nom de Tay , ou de Tau
i.** Il paroît, par un paffage de Théophilaûe Simocatta (67), que
(«7) Teophyl. Simoc. lib.VII. cap. s, p. ij6.
(68) Thcophyl. Sun. TH. cap. 9. p. 176.
(69) Herodot. IV. 59.
(70) Ci-deffus , ch. IV. $. i. note 1.
(71) Herodot. I. cap. 131.-
(7 2) CherfetttfusTnuris». C'cft l'origine du nom
de TnHTi , que les Grecs donnoient aux Scythes
de cette Contrée.,
(73) Arrian. Pciipl. Pont. Euxin. p. 130.
(74) Herodot. IV. 5^. Voyit. ci-deflus Ul. l.
ch. 13. p. 83.
ivjbe , doii-
noijnt ail
Di.' ! Suprè-
nu Ij nom
de
«.les Turcs vénéroient le Feu , l'Air, & l'Eau ; qu'ils célébroient la ^'
» Terre dans leurs hymnes ; mais qu'ils n'adoroient & n'appelloicnt
» Dieu , que celui qui a fairt le Ciel & la Terre ». Dans le Chapitre
fuivant , le même Hiflorien obferve (68) que « le Souverain de la
» Ville de Taugas s'appelloit Tay fan, ce qui fignifioit , en Gxf,fils de.
» D'uu ». San , on fort , fignifioit , en Scythe, un fils. Ainli Tay étoit le nom
du Dieu qui a fait le Ciel & la Terre. Les Princes Turcs prenoient , fans
doute , le nom de Tayfan , pour marquer qu'ils tiroient leur origine de
ce Dieu, &, félon les apparences , la vénération que les Turcs avoient
pour la Terre, venoit de ce qu'ils la regafdoient comme la mère des
vivans.
Ces idées s'accordent affez avec ce qu'Hérodote dit du Jupiter des
Scythes & des Perfes (69). Les Scythes croy oient que La Terre efi la
femme, de Jupiter. Ils donnoient à Jupiter le même titre que les Phry-
giens , defcendus des Scythes , donnoient à leur Atïs. Ils l'appelloient
PappcEus (70). Les Perfes nommoient Jupiter (71) toute la voûte des cieux
c'eft-à-dire , l'Ame univerfelle , qui environne, oc qui pénétre toutes les
différentes parties du monde : mais il y a, aureite, dans le récit d'Héro-
dote plufieurs difficultés. On en a déjà indiqué quelques-unes , & l'on
touchera les autres dans le Chapitre fuivant.
2.^ La Cherfonnèfe Cimmérienne, qu'on nomme aujourd'hui la Tarta-
rie Crimée , étoit appellée par les anciens Habitans du Pays Taurich
(ji), c'eft-à-dire , le Royaume de Tau, &c ces Peuples avoient, comme
les autres Peuples Celtes, des Princes du nom de (j-^^Botys.
1.^ On a beaucoup de penchant à croire que le Roi Targitaiis (74)
auquel les Scythes rapportoient, félon Hérodote , l'origine de leur Na-
tion, étoit le Dieu même dont on vient de parler, le bon Taus, Tar-
48 H I S T O I R E D E S C E L T E S ,
Githt-Taus , OU , comme les Allemands dirolent aujourd'hui , der-
guthe-Tr.us. Au refle, ce n'eft qu'une conjechire.
Lcs^ncia-.s §. XL II Hc rcfte plus qu'à parler des anciens Habitans de l'Italie & de
ritaiieaao- la Grcce. Avant que des Colonies étrangères enflent pafl^e en Italie, les
SupiimcDif. y^borigines , a^\.\\ reçurent enfuite le nom de Romains, adoroient (75 ) le
Père Dis , auquel ils ofFroient , fuivant l'ufage des Celtes , des viâimes
humaines. Ces Peuples avoient furtout une grande Fête , qu'ils célé-
broienfau commencement du Printems, & pendant laquelle on avoit
coutume de précipiter dans le Tibre trente hommes fexagénaires. Les Au-
teurs Latins affurent qu'Hercule abolit ce barbare ufage; mais que, pour
ne pas effaroucher les efprits , qui demeuroient attachés aux anciennes
fuperftitions , on jugea à propos de conferver une image de ce facrifîce
(76), & de jetter tous les ans, dans le Tibre, trente hommes de paille.
Servius, dans fon Commentaire fur Virgile , remarque (77) que les
Etrufces appelloient le Dieu des Romains Mantus. Man , dans l'an-
cienne Langue de l'Italie, fignifioit, comme en Allemand (78), bon^
vaillant. Ainfi Mantus efl encore le bon Tus. Il n'eft pas fans apparence
que c'eft-là la véritable origine du nom de Tufces (79), que les Habi-
tans du Pays de Florence portoient dans les tems les plus reculés.
Au refte, il ne faut pas confondre , comme plufieurs l'ont fait, le Dis
des Aborigines, ouïe 7"k5 des Etrufces , zvecVAdh des Grecs modernes,
qui eft le même que Pluton. Pluton étoit le Dieu de la mort & de l'Enfer,
Dis étoit le Dieu fuprême , celui qui avoit formé l'homme. C'eft pour
cela qu'on l'appelloit le Dis Pater, ou Ditis Pater, le Père Dis, parce
qu'on le regardoit comme le Créateur & le Père du genre humain.
Pluton , qui pafl'oit pour avoir été frère de Jupiter & de Neptune ,
n'étoit afTurément point connu par les premiers Habitans de l'Italie. Les
Hercules , c'eft-à-dire , les Princes Grecs , qui avoient conduit des
Colonies dans ce Pays, aulieu d'abolir fon culte, tâchèrent, au con-
traire , de l'établir ; mais ils combattirent , & ils détruifirent , autant
qu'il fut en leur pouvoir, la Religion des Titans, c'eft-à-dire , des adora-
(7 1] Servius ad Virgil. Georg. I. v. 43- p- ««.
Pomp. Feft. p. 1 43 . Varto de Linguà Lat. lib. VI.
pag. 7 5. & in Fragment. Satyr. Menyp. p. 27s.
Pionyf. Hal. I. cap. 4. p. 27. 30.
^ (if) Voyti, la note prcce'dentc 8c ci-d. Liv. I.
chap. 10 vers la fin.
(77 Servius ad Sneid X. v. i 99- p. to6.
(78^ Poinp. Feftus Pauli Diac. p. 312. Vwto
de L. Lat. lib. V. p. 4.
(7?) Ci-deflus Liv. I. ch. 10. p. 53.
teur»
LIVRE III. CHAPITRE VI. 4^
teurs du Dieu Tis. Il (emble que Cicéron lui-mcme ait fenti que le
Dis des anciens Romains ne pouvoir être le Dieu du Tartare. Il croit (80)
que «le Père Dis eft la vertu de la terre, d'oii tout fort, & oii tout
» rentre ». Les Celtes en avoient à-peu-près la même idée ; ils regar-
doient Dis comme l'Ame de la terr.e & du monde entier.
Cependant , il ne faut pas être furpris que plufieurs Auteurs célèbres
de l'antiquité , fans faire attention à des différences fi notables , ayent
confondu le Dis des anciens Celtes, avec VAdh des Grecs modernes.
Deux chofes ont pu facilement leur en impofer. Premièrement, la ref-
femblance du nom à'Jdh avec celui de Dis ; en fécond lieu , la confor-
mité du culte que l'on rendoit à ces deux Divinités. Les Celtes oilroient
des viâimes humaines à leurs Dieux. Ils croyoient les appaifer , & fe ra-
cheter eux mêmes de la mort , en enterrant des hommes tout vivans ,
ou en les noyant. Leurs Affemblées religieufes , les plus folemnel'es , fe
tenoient de nuit. Les Grecs offroient aufîi à Pluton des viftimes hu-
maines. Ils précipitoient, ils noyoicnt des hommes, pour appaifer le Dieu
de la mort & de l'enfer. Les facrifices deftinés aux Divinités infernales
s'offroient ordinairement de nuit. Il n'en falloit pas davantage pour faire
croire que le Dis des Ahorigines étoit le Pluton des Grecs modernes.
Ce fut fur de femblables apparences que Jules-Céfar jugea (81), que le
Teutates des Gaulois étoit aufli le même que Pluton ; & c'eft fur un
fondement bien plus léger encore , que Plutarque , l'un des hommes
les plus fçavans , 6d les plus judicieux de fon fiécle , a foupçonné (82) que
les Juifs adoroient le Dieu Bacchus , parce que les réjouiflances qu'ils
faifoient pendant la Fête des Tabernacles reffembloient aux Bacchanales
des Grec,
Puifque les anciens Habitans de l'Italie adoroient le Dieu Tis ^ ou
Teut , il n'eft pas furprenant qu'il y eût dans ce Pays , comme dans tout
le refte de l'Europe (83) , des Teutons ^ Se que l'on ait même placé (84},
dans le voifinai;e du Mont Véfuve , le champ de bataille où les Titans fi-
rent défaits par les Dieux. Les Grecs , qui avoient paffé dans le Royaume
de Naples , vinrent à bout d'y établir leur Religion , mais ce ne fut qu'après
»
(so) Ciccro de Kat. Deor. lib. II. cap. 6i.
(II) Ci-deflus §. 4.
(«i) Plutarch. Symyof. lib. IV. Qua:ft. s-
(»3) Servias ad JEntid, X. v. ijf- p- ^«4.
(«4' Serv. ii Mb. III. v. 57». p 311. Ariff,
de Mir. Aufcult, p. 707. Fy<ï, ci-deflus Liv. I.
chap. ». p. 17,
Les anciens
hjbiuiisdc la
Grèce ado
roif iir le Oic'.i
Suprême
Teut,
50 HISTOIRE DES CELTES,
avoir foutenu, de la part des Habitans naturels , de longues & de violenteS
oppofitions, qui furent quelquefois portées jufqu'à une guerre ouverte.
§. Xll. Pour finir par les Grecs , on trouve dans Hérodote quelques
pafîages remarquables fur laReligion de ces Peuples. Il dit , par exemple
(85), que «les noms de la plupart des Dieux (il s'agit de ceux dont
» le culte étoit établi de fon tems ) étoient paffés de l'Egypte en Grèce »>.
Il ajoute, un peu plus bas (86), que «les Pclafges , qui étoient les
» plus anciens Habitans de la Grèce , ne donnoient ni nom , ni furnom
i} aux Dieux , & qu'ils n'en avoient pas même entendu parler. Ils les ont
«appelles Dieux, parce qu'ils avoient difpofé, & qu'ils conduifoient
» toutes chofes avec ordre ». Cela ne fignifie pas que les Pélafges étoient
des athées. L'Hiftorien avoit remarqué , quelques lignes auparavant (§7)»
qu'ils « immoloient des viûimes , & qu'ils faifoient confifter l'effence
»» du facrifice dans les prières dont il étoit accompagné ». Il veut dire que
les Pélafges ne fe fervoient que du nom de -àloç , Dieu , aulieu que les noms
de Jupiter, de Junon, de Neptune, de Bacchus, & les différens furnoms
que l'on donnoit à ces Divinités , leur étoient parfaitement inconnas.
Hérodote reconnoît donc que le mot de 0;oç vient des Pélafges ; mais il
lui donne une étymologie tirée du Grec , que l'on parloit de (on tems.
Cette Langue ne s'étoit formée que depuis (88) l'expulûon des Pélafges.
D'autres ont dérivé le mot de 0fcç du verbe flea, je cours, Siao,ua!,/e
aonumph. On a dit encore que le nom de ZeJç ou de Xijc,y Jupiter, d'où
l'on a fait le génitif Aie;, vient de Aet/a, j'arrofc.
On doit peu fe mettre en peine de Ces étymologies , qui, félon les ap..
parences , font toutes fauffes. Mais les divers noms dez.«Jf,' Aew'ç, 0ee«,
font une corruption de celui de Teut , ou de Tis , & , par conféquent , l'on
ne doit point douter de la folidité de la remarque de Paul Diacre , qui dit
(89) que « le Mercure des Germains étoit autrefois adoré jufques dans
» la Grèce ». Delà vient que l'on trouve dans ce Pays , comme dans
tout le refte de l'Europe , des ( 90 ) Titans , & des Princes dont le nom
efl dérivé de celui de (91) Teut. On trouve encore que la coutume des
(85' Herodot. II. 50.
(««) Herodot. II. 52. Kojtt, çi-cj^flïu I,iv. I.
ch. 9- p- 47- 4«-
(S7) Hcrodoî. II. SI.
(« « j Ci-d. Us, I. tl». » ■ (■ 48 • 4» •
(«9 Gi-defTus §. ç. .
(yojSuid. Tom m, f. 479. Ifid.Orig lib.IX,
cap i. p. 1045. Perron , Aiiciq. de la Nat. &de
la Lang. des Cclt. p. 133. 1 40.
(9 1 ) Vi^jti. ci-dcA'us X.1Y. I. ch. i\- tcis U fi».
LIVRE lîl. CHAPITRE VI. yi
Thraces , qui donnoient à leurs Princes le nom du Dieu dont ils fe
croyoient iffus , s'étendoit anciennement jufqu'aux Grecs ( 91 ). On
prétend même que ce fut une des caufes de la groffière idolâtrie , où ces
Peuples tombèrent dans la fuite. Donnant à des hommes le nom de Dieu,
ils s'accoutumèrent infenfiblement à leur rendre les honneurs divins.
Il ne fera pas inutile de faire ici une remarque, qui appartient natu-
rellement à notre fujet, & qui fervira d'ailleurs à montrer jufqu'à quel
point les Grecs étoient capables de prendre le change, lorfqu'il s'agif-
foit des Divinités étrangères. La Religion des Pélafges avoit été bannie
de la Grèce (93) par la défaite des Titans. Plufieurs fiécles après , vers
le tems des Poètes (94) Efchyle & Ariflophane , quelques Grecs, qui-
avoient été dans le Pays des Thraces , appelles Edoniens , en rappor-
tèrent le culte du Dieu Cotjs , qui trouva quelques partifans à Corin-
the & à Athènes. Mais, comme les aflemblées fe tenoient de nuit, &c
que l'on y commettoit des excès de boiflbn , qui conduifoient quelque-
fois à d'autres débauches, comme la danfe de Cotjs(^^'j ), dont on a.
parlé plus haut , imitolt d'ailleurs celle des Bacchantes, on fit non-feu-
lement de Cotys une Déeffe , mais encore une (96) Vénus , qui préfi-
doit à l'impureté , & à la proftitution. C'efl pour cela que le Poëtt
Ariftophane vouloit (97) que fon culte fût banni de toutes les Villes
bien policées.
§. XIII. On croit avoir prouvé que tous les Peuples de l'Europe
adoroient anciennement le Dieu fuprême fous le nom de Teuc. Avant
que de paffer plus loin , il faut examiner pourquoi la plupart des An-
ciens ont pris le Tcut des Celtes pour les Mercure des Grecs & de»
Romains. Il y en a deux raifons fenfibles.
i<*. Les Celtes , qui avoient une demeure fixe , & qui étoient établis Pourquoi u
dans un Pays découvert, oii il n'y avoit point de forêts , tenoient leurs a Jens-nt-
affemblées civiles , & religieufes , non dans le lieu même de leur habi- ïivfdcTce'i!
tation , mais hors du Village , près du grand chemin , ou fur quelque ^ c"^' det
«olline , s'il y en avoit dans le voifmage. On le prouvera , lorfqu'il fera ^ '' ^ f"
(»2:) TxetE. adLycophr. p. 13. 121.
{f}) Vojex. ci-deflus Liv. I. ch. j. vers la fia.
(94) Sttabo X. p. 470.
(j j Suidas Tom. II. p. 197. & in voce Ko'tv»
Com. II. p. %i%. Vùj, ci-dclTus $. YI. note 4).
Le mot de (Diarum ou de ®:àati , fîgnifie lui*
Danfe facre'e , une Danfe Bacchique.
(96) Juvenal. Satyt. II. y ji. Horat. Epo4<
XVIII. V. 4.
(»7) CiCCIQ et Legib. lib. II. cap. 17,
G»
51 HISTOIREDESCELTES,
qaeftion de parler des Temples , ou plutôt des Sanfluaires , que les Peu-
ples Celtes confacroient à la Divinité. Il fuffira de remarquer ici ,
qu'Hérodote, rapportant la marche de l'armée de Xerxès , dit (98) que
» les Celtes étant arrivés dans le Pays des (99) Edoniens, & ayant
» appris que le lieu où ils étoient campés , s'appelloit lef Naïf- Chc~
M minSf y enterrèrent vivans neuf jeunes garçons , & autant de jeunes
» filles. » Cet endroit, qu'on appelîoit /es Neuf- Chemins, étoit, félon
les apparences, un célèbre Sancluaire où les habitans de neuf cantons
différens , venoient célébrer la fête de Cotys. Ce qu'Hérodote ajoute ,
l'infinue clairement (100): « Jufqu'i ce jour, les Thraces ne labourent,
» ni ne fement le chefnin , où Xerxès paffa avec fon Armée , mais
» ils l'ont en grande vénération. »
On voit ici le fcrupule , ou la manie des Peuples Celtes , qu'on a
déja(ioi) remarquée. Ils ne vouloient pas que l'on labourât la terre
des lieux confacrés , de peur de troubler l'aftion de la Divinité qui
y réfidoit. C'eft pour cette raifon qu'ils portoient dans les lieux, où
ils avoient coutume de tenir leurs aflemblées religieufes , un grand
nombre de groffes pierres. Ils prcnoient cette pr 'caution , non -feule-
ment pour avertir les pafljns qu'il y avoit-là un Mallus , un San£li>.aire,
mais encore pour empêcher que la charue n'y pafiât , & qu'une ma n
facrilége ne remuât une terre qui devoit demeurer inculte, afin que la
Divinité pût y rendre fes oracles. On trouve , encore aujourd'hui , en
divers endroits de l'Allemagne , & de l'Angleterre , de ces amas de
pierres , dont on peut voir la defcription dans la fçavante differta-
tion que M. (102) Keyfler a publiée fur cette matière : il y a lieu de
croire qu'on en trouve auffi en France. Voici ce qu'en dit le Père
de Roftrenen, dans fon Didionnaire François- Celtique , au mot Féei
(103) «Lieu de Fées ou de facrifices. C'eft ainfi que le vulgaire appelle
» certaines pierres élevées , couvertes d'autres pierres plates , fort
» communes en Bretagne , & où ils difent que les Payens ofTroient
» autrefois des facrifices. » Strabon affure , fur le rapport d'Artemidore ,
(9S) Herodot. Vil. cap. 114.
{99) Les Edoniens etoient voifîns de la Mï-
cédoine : la ce'Ie'bre Ville d'Amphipoles étoit
ians leur territoire. Harpocratioa p. ï«, {«4.
(toe) Hetodot. VU. cap. 11^^
( loi J Strabo III. pag. 154.. Herodot. VII.
cap 1 14. 1 1 s^
(loz) Keyfler , Antiq, Seleft». Sept, p H».
(lOJj Pig. 401,
LIVRE m. C H A P I T R E VI. 53
qui avoit été fur les lieux (104) , que l'on voyoit auffi de ces amas
de pierres en Efpagne ; & , s'il faut en croire Quinte-Curce (105 , Ale-
xandre le Grand en trouva jufques dans la S:ythie.
Les Grecs pratiquoient quelque chofe de femblable : ils fiiifoient fur
les ( 106) collines , & le long des grands (107) chemins , des amas de
pierres qui étoient confacrées à 'Mercure , le Dieu tutélaire des
Voyageurs ; on lui attribue l'infpeûion des grands chemins. Ils avoient
encore la coutume de pofer dans les chemins des pierres quarrées (108) ,
qui étoient fous la proteûion du même Mercure ; elles fervoient à mar-
quer, tant la diftance des lieux, que le nom des Villes oii le chemin
conduifoit. On voyoit encore de ces pierres quarrées , que les Grecs
appelloient (109) Hcrmas , à l'entrée des Temples , & même des maifons
particulières.
Peut-être , que la plupart de ces coutumes venoient originairement
des Pélafges , qui étoient un Peuple Scythe , ou Celte , comme on l'a
prouvé dans le premier Livre de cet Ouvrage. On convient (i 10) , en
effet, que ces anciens habita ns de la Grèce offroient leurs facrificcs fur
des montagnes , & (i 1 1) qu'au lieu d'avoir des Idoles ou des Sti^tues ,
ils confacroient à la Divinité des pierres brutes. Le nom même de
Hermès , que les Grecs donnoient à Mercure , defcend , peut-être , de
la Langue des Celtes , dans laquelle Heer , défignoit une Armée , Harf-
traat , ue grand chemin , Har-Mann , un homme de guerre , Harbcrg^ une
auberge , Hcerbariy une convocation de l'Armée. Selon cette étymologie ,
le mot de Hcrmïs feroit compofé de celui de Har ^ Armée , & de Mejfen
mefurer , & ne défigneroit que les pierres qui fervoient à mefurer les
grands chemins, &, par conféquent, la marche des Armées.
Quoi qu'il en foit , de cette conjefture , le détail où l'on vient d'entrer
montre , au moins , comment il a pu arriver que tant d'Auteurs célèbres
ayent affuré que le Teut des Celtes , étoit le même Dieu que Mercure.
Les Romains & les Grecs , qui avoient vu dans leur Pays une infinité
(104) Strabo III. p 13 ».
(105 Curtius VII. cap. •.
(i o«) Homcr. Odyff. XVI. T. 47 1 .Ifidot. Glofl".
fag. II.
(107I Hcf;chiuf. rhurnutus dcNat. D. p. 57-
(io«; Suidas. Voffius de Oiig. & Prog. Idol.
lib. U. cap. jx, pag. za, ii'AcutU DiiiSyiU
Synt. II. cap. 15. La Mariinieie, Dicl. Ge»gr.
au mot Mercure.
(10»', Corn. Ncp. Alcib. cap. 3. Plmarck.
Alcib. cap 20,
(1 10, Maxim. Tyr, Difl". 3. », p. 45i.-4i*,
(m; fanfan. VU p. 57s.
54 HISTOIRE DES CELTES,
d'amas de pierres confacrces à Mercure , & qui en trouvèrent de fem-*
blables dans toute la Celtique, en conclurent , fans hcfiter , que Mercure
étoit fervi par tous les Peuples Celtes. Il ne faut pas douter que les Gau-
lois n'avouaflent encore eux - mêmes (i 1 1) , que leur Teut ctoit le guide
& le patron des Voyageurs, Leurs Sanûuaires , qui avoient le droit d'azile ,
étoient hors des Villes Sc des Villages , le long des grands chemins. II
y avoit une pleine fureté dans les chemins , non-feulement pour les Gens
du Pays , qui alloient à un Sanctuaire , ou qui en revenoient , mais
encore pour les Voyageurs étrangers Ci 13), que l'on avoit foin de
conduire , & d'efcorter d'un canton & d'un territoire à l'autre , afin
qu'ils ne fuffent point infultés fur la route. C'ell-là , autant qu'il eft
poffible d'en juger, la première &c la principale raifon pour laquelle
on a confondu fi généralement le Teut des Celtes avec le Mercure des
Grecs & des Romains.
A ces raifons, il faut en ajouter une autre, qu'il fuffira d'indiquer*
ici. Entre les différens Mercures , dont la Mythologie Payenne fait
mention" il y en avoit un , qu'on appelloit le Célejle, & qu'on regar-
doit comme l'ame du monde. Nous verrons tout-à-l'heure (114)» 4"^
c'étoit-là précifément l'idée que les Celtes avoient de leur Teut.
Cus'quîs-uni §. XIV. Il s'eft trouvé , cependant , quelques Anciens qui ont cru
ont cru que le que Ic Tcut àçs Celtes n'étoit pas Mercure , mais Saturne. Denis d'Ha-
t« étoic Sa- licarnafle, par exemple , rapporte (115) « que les Pélafges ayant été
**'^''** » chaffés de leur Pays, c'eft-à-dire de la Grèce , & ne fçachant où aller ,
» confulterent l'Oracle de Dodone , & reçurent , pour réponle, qu'ils
» dévoient pafler en Italie , s'établir dans le Pays des Aborigines , en-
«voyer à Apollon les dîxmcs de leurs fruits, & offrir, en même-tems,
») les têtes des hommes à Pluton , & le refte du corps à fon père. »
On voit bien quel étoit le but de cet Oracle. Il ordonne aux Grecs ,
qui pafleront en Italie , d'un côté , de ne pas négliger le culte d'Apol-
lon , & de l'autre , de fe conformer aufll à la Religion des Aborigines ,
•n offrant des victimes humaines aux Dieux du Pays , qu'il fuppofe être
Pluton (116), & Saturne fon père, Mais on voit encore mieux, dans cet
Oracle, l'ignorance de l'Impofteur , qui l'avoit forgé. C'efl un Grec qui ,
(H2) CzfarVI. 17. I (115) Dionyf. Halic. lib. I. p. i«. MaCtob,
(lis) Ci-de/Tus Lit. II. ch. 17. p. 175. 1 Saturn. I. cap. 7. p. i s 3.
jiH) Amm. Maicell. lib. XVkp. uj. ( (n«J Oionyf. H.Ï. p. 1<,
LIVRE m. CHAPITRE Vt. 55
ayant oui dire que les Aborigines ofFroient des victimes humaines au
père Dis (Diù Patri , ) s'imagina que c'étoient deux Divinités différentes.
Il crut que Dis étoit ÏAdh des Grecs, & Pater , Saturne fon père.
Pour revenir à Denis d'HalicarnafTe , il eft dans l'opinion que Sa-
turne étoit adoré par les anciens habitans de l'Italie, & même pai*
tous les Peuples Celtes ( i • 7 )• " Avant , dit - il , qu'Hercule eût
I» palTé en Italie , la colline fur laquelle on a bâti le Capitole , étoit
y> copliicrce à Saturne , & portoit fon nom, Auffi , toute la contrée
» qu'on appelle aujourd'hui Italie, étoit confacrée au même Dieu. Les
»gens du Pays la nommoient Saturnie. C'efl; ce que l'on peut voir dans
» quelques Poèmes des Sibilles, & dans d'autres Oracles où fe trouve
» ce nom. Il y a plufieurs lieux qui portent , encore aujourd'hui , le nom
» de Saturne , & fur-tout les rochers , &. les hautes collines. On prétend
» auffi , que les anciens habitans de l'Italie , avoient coutume d'offrir des
M viâimes humaines à Saturne, comme la chofe fe pratiquoit à Carthage ,
» tant que cette Ville a fubfiflé, & comme elle fe pratique, encore au-
» jourd'hui , dans les Gaules, & parmi quelques autres Peuples de l'Oc-
» cident. Hercule , voulant abolir ces facrifîces , bâtit un autel fur la
w colline de Saturne , & apprit aux gens du Pays ^ y offrir, par le feu ,
» des viûimes perniifes. Cependant , pour arracher de leur efprit tout
wfcrupule, & pour empêcher qu'ils ne fe reprochaffent de négliger
» les cérémonies religieufes , il jugea à propos de conferver une image
» de cette fuperftition , en ordonnant que , pour appaifer le couroux
» de Saturne , on jetteroit à l'avenir dans le Tibre irente hommes de
» paille , au lieu de trente vieillards , qu'on y avoit préciphés jufqu'a-
»> lors, pieds & poings liés. Les Romains confervent, encore aujourd'hui,
» cette cérémonie, & la célèbrent peu après l'équinoxe du printems,
» aux Ides de Mai, où la Lune, parvenue, comme ils le difent, à la
»> moitié de fa grandeur , partage le mois en deux parties à peu près
i> égales. Ce jour-là , les Pontifes , les Vtflales , les Préteurs , & les
w autres Citoyens , qui ont le droit d'affifter à la cérémonie , après
» avoir offert des facrifîces, félon la coutume ,fc rendent fur un pont
w facré , d'où l'on précipite dans le Tibre trente hommes de paille ,
» que l'on appelle (i jB) A geos,»
' — ■ ' — — «
(i 17) Dlonyf. H. I. cap. 4. p. î7 50.
(lis) Aulfi U fcte poicsit le nom ^Ari'i, Livius 1< iuAri, en 7'udefque , iignific m»Kx<éis ,
5<î HISTOIRE DES CELTES,
Il n'eft pas néceffaire d'avertir que ce Saturne eft le père Dis {Ditls
Pater) des Aborigines. On a montré, dans l'un des (i 19) paragraphes pré-
cédens, que c'eft à ce Dis que les anciens habitans du territoire de
Rome offroicnt tous les ans trente vieillards. C'eft au même Dis que
les collines & les rochers étoient confacrés , parce que les Abori-
gines , comme les autres Peuples Scythes & Celtes , choififfoient or-
dinairement des lieux élevés , pour tenir leurs affemblées religieufes :
ainfi Serviûs obferve(i2o) que l'on offrôit anciennement des facri-
fices au père Dis fur le mont Sorafte , qui fut depuis confacré à
Apollon, il ajoute que le père Dis étoit furnommé Soranus. Xc pt; fignifie ,
en Grec , un tas , un amas. La raifon de ce furnom eft claire. Les Grecs
le donnèrent à Dis , parce qu'ils ne virent qu'un amas de pierres dans
le lieu où il étoit adoré. Les Grecs, qui avoient forgé les Poèmes des
Sibilles , &: les autres Oracles dont Denis d'HaliearnafTe fait mention ,
donnèrent , comme il a déjà été remarqué , au père Dis des Aborigines ,
le nom de Saturne, parce qu'ils le prirent pour le père de leur Adh ^
c'eft - à - dire , de Pluton.
Il ne faut pas croire, cependant, que tous les Romains fufTent, fur cet
article , du fentiment de Denis d'Halicarnaffe. Outre ceux qui ont pris le
Dis des Aborigines pour Pluton même , on trouve encore dans un
ancien Calendrier Romain, publié par Heinfuis (m^, qu'aux Ides de
Mai, on jeltoit dans le Tibre trente hommes de paille, & que la fête
ctolt confacrée à Mercure.
Denis d'Halicarnaffe croit encore, que c'étoit au même Mercure, que
les Gaulois, & quelques autres Peuples de l'Occident , offroient des
viftimes humaines; il pouvoit fe fonder, en cela , fur l'autorité de
Cicéron, qui afllire (m) «que Saturne étoit fervi dans tout l'Occis
» dent ; & fur celle de Varron , qui avoit dit, au rapport de S. Au-
» guftin (113), que les Carthaginois offroient à Saturne de jeunes gar-
» çdns , & les Gaulois des vieillards. » On voit aufîi dans Suidas ,
(124) que «les habitans de Tlfle de Sardaigne immoloient à Saturne
inutili. On les appeiloir encore Cafnarcs. Varro in
Fragm. Satyr. • enip. pag. zyj. Ca» , parmi les
anciens Italiens, fignifioit -uicu-c , & N»r , en
Allemand, eft un Rndcttur , un Fan, YitlO de
Jïing. Lat. lib. VI. p. 7».
(jij) Ci-deffijt $. II.
(iio; Serviiis ad. .£neid. XI. 78 j.
(121} Kalend. £.om. ad calcem Ovid. edit;
Henfii.
(122] Cicer.de Nat. D. III. cap. 44.
(123 , Auguft. deCivit. Dei VII. c. 19. p. 407.
(1^4) Suidas in Strdoxiuiri^usT. III. p. i>7.
» l'élite
LIVRE III. C H A P I T R E VI. 57
• l'élite de leurs captifs , &: les vieillards qui avoient pafle foixante dix
•= ans. •> Enfin on lit dans Diogene Laërce ( 125 ) , que c< Pythagore eut
« un efclave , nommé Zamolxis , auquel les Gétes offroient des
«> viûimes humaines, eftimant , comme Hérodote l'a remarqué (126),
»> que c'eft le même que Saturne.» II y a dans ces paroles bien des
bévues. On ne les cite ici , que pour montrer , félon l'opinion des
Grecs , que les Gétes immoloient des hommes à Saturne.
Voilà donc bien de la différence entre les Auteurs qui font mention
de la Religion des Gaulois , & des autres Peuples de l'Europe. Les uns
difent que Mercure (12.7) étoit le Dieu fuprême des Gaulois, & que
c'étoit à lui qu'ils offroient des vieillards décrépits. Les autres prétendent
que c'étoit à Tcutates (12^) que l'on préfentoit ces barbares facrifices.
Ici l'on alTure que c'étoit à Saturne que l'on rendoit un culte û
inhumain dans les Gaules. Diogene Laërce croit (129^ que les Gétes fa-
crifioient des hommes au même Saturne. Jornandès, au contraire, pré»
tend (130) qu'ils les immoloient à Mars.
Tout cela , cependant , peut facilement être expliqué & concilié. II
eft confiant que Teut étoit le Dieu fuprême des Gaulois , & de tous les
autres Peuples de l'Europe ; ils s'accordoient tous à lui offrir ce qu'ils
appelloient la plus excellente de toutes les viûimes. On a vu que-
ls plupart des Etrangers ont pris ce Teut pour Mercure , & l'on en a dit
la raifon. D'autres ont cru que Teut étoit le Mars des Grecs. Nous ver-
rons , dans le Chapitre fuivaiu , fur quoi fe fondoient ceux qui ont pré-
féré cette opinion. D'autres encore ont jugé que ce Teut étoit le même
Dieu que Saturne : efîedivement , Saturne reffembloit aux Dieux des
Celtes par bien des endroits. On offroit à l'un & à l'autre des viûi-
mes humaines , avec cette feule différence , que les Phéniciens choifif-
foient pour ce facrificc de jeunes garçons , au lieu que les Celtes pré-
féroient d'immoler des vieillards. Saturne étoit le père des autres
Dieux , le mari de Rhea , ou û'Ops, c'eff-à-dire , de la Terre. Les Scythes
& les Celtes en difoient autant de leur Teut. Enfin , ce qui mérite
I (lîs) Biog. Laërt. lib. VII. ï. p. 483.
(iis) Hérodote ne dit pas ce que Diogene
taerce lui attribue, ^ynt, Herodo't. IV. 94. c'e'-
(oit Mnafe'as qui difoit que lei Gtici iiitroiem Sa-
fuine/aus le nom d< ZimolniS, Suidas in Z»i«»l^-
Tomtn, R
(127) Ci-defTis §. IV. notes 11. 11. 8c 1^,
(lî8) Ci-defTus §. IV. notes 9. & 10.
(lis) Ci-deflus note (108 I.
(i|o) Jotnuid. cap, IV. p. *if.
^g HISTOIRE DES CELTES ;
d'être bien remarqué, les Romains difoient (13 i) que leur Saturne étoit
l'ame du monde , Fefprit qui embraffe toute la Nature. C'eft précisément
l'idée que les Celtes avoient de leur Dieu fuprême.
§. XV. Enfin il y a eu encore des Auteurs qui ont donné au Teut des
Scythes & des Celtes , le nom de Jupiter. Dans le fond , ce font ceux
qui ont le plus approché de la vérité , fuppofé qu'ils ayent entendu
par Jupiter , non le fils de Saturne , mais le premier Etre , le père des
hommes & des Dieux. Ainfi, quand Hérodote dit (131) que «les Scy-
.= thes fervent Jupiter &: la Terre ; qu'ils regardent la Terre. comme
»la femme de Jupiter; qu'ils appellent Jupiter, Pappœus,» on voit
bien que ce Jupiter eft le Dieu (133) Tai , ou lent, que les Scythes
appelloient le père de l'homme. Peut - être qu'il faut dire la même
chofe du Jupiter des Perfes (134): ils appelloient Jupiter toute la
» voûte des cieux, » c'eft-à-dire, l'ame du monde , qui pénétre , anime,
& dirige toutes les parties de la matière.
Mais il y a , au refte , une grande difficulté dans ce qu'Hérodote dit du
Jupiter des Scythes. Non-feulement il le diftingue de leur Mars , il pré-,
t^nd encore que ce Jupiter étoit une Divinité inférieure à Mars (135) :
»> Ce n'étoit qu'à Mars ^u'il étoit permis de confacrer des Simulacres,
« des Autels , & des Temples. » Hérodote fe trompe , & diflingue ,
mal-à-propos , le Jupiter des Scythes , de leur Mars. On verra , dans le
Chapitre fuivant , les raifons fur lefquelles ce fentiment efl appuyé. Hé-,
rodote, lui- même , fait parler Indathyrfus, Roi des Scythes, dans des
termes qui marquent que ce Prince regardoit Jupiter comme le Dieu
fuprême. Darius avoit écrit à ce Prince , & l'avoit exhorté à fe rendre
VafTal des Rois de Perfe. Indathyrfus l\ii répond (136) : « Je ne reconnois
» pour mes Seigneurs, que Jupiter, duquel je defcends, & le Thrône
» Royal des Scythes. » Dans un des Paragraphes précédens , on a cité un
pafTage de Denis d'HalicarnafTe , quiporte (i 37) que , félon la Mythologie
des Lydiens, Mafnhs^ leur premier Roi, étoit fils de Jupiter & de la
Terre. 11 efl clair encore que les Grecs ont mis ici le nom de Jupiter à la
(131) Dionyf. H»l. I. p. 30. Amm. Marcel). §. i. notes 4 & s
iib. XVI. p. tis-
(1311 Herodot. IV. 55».
(i3î' Ci-deffus §. 10.
(134) Ci-delTus ch. lU. $. i.note^Sifh, IV.
(135' Ci deffus ch. ÏII. §. 3. note ».
(13SJ Herodor. IV. 127.
(137] Ci-defftts§. ï. note 57,
LIVRE III. CHAPITRE VI, ^9
place de celui de Tis , ou à'Atis. Mafnh , ou Mannus , eft le premier
homme, qui > félon les Lydiens , étoit fils de la lierre & du Dieu Atis,
Tout de même, quand Maxime de Tyr dit (138) que, parmi les Gaulois,
le fymbole de Jupiter eft un grand chêne, il faut entendre par ce Jupiter,
le Tcutaûs j le Dieu fuprême des Gaulois.
Il faut avouer, cependant, que l'on a aufli donné le nom de Jupiter
à lin Dieu fubalterne , qui, félon la Théologie des Celtes, avoit l'em-
pire du Ciel , ou de la moyenne Région de l'air. C'eft de lui qu'il
faut entendre le paffage de Jules-Céfar, qui dit (139) que « les Gau-
»lois adoroient fur-tout Mercure, &, après lui, Apollon, Mars, Ju-
wpiter, & Minerve. Jupiter (140) avoit la conduite du Ciel, » c'eft-
à-dire, qu'il étoit chargé de la conduite de l'Atmofphère , & qu'en
cette qualité , il préfidoit aux Vents & aux tempêtes ; c'eft peut-être le
même que le (141) Tarants de Lucain , le Dieu du tonnerre. Nous
verrons ,à la fin de ce Chapitre, que les Celtes femblent n'avoir pas
été d'accord , s'il falloit attribuer le pouvoir de lancer la foudre au Dieu
iliprême , ou à un Dieu inférieur.
Quoiqu'il en foit , les Scythes & les Celtes rendoient un culte reli-
gieux aux Vents & à l'Air (14^). Il eft , par conféquent , très - facile de
comprendre , comment on a pu donner à deux Divinités différentes ,
le nom de Jupiter, qui étoit inconnu dans toute la Cehique. Des Etran-
gers ayant remarqué que les Celtes adoroient un Dieu fuprême , lui
donnèrent le nom de Jupiter. Cela étoit naturel. D'autres aufTi ayant
obfervé que ces mêmes Peuples vénéroient l'Air, c'eft- à -dire, une
Intelligence qui préfidoit aux Vents , aux Tempêtes , & à tous les change-
mens qui arrivent dans l'air, lui donnèrent aufîi le nom de Jupiter.
Il étoit prefque inévitable que les Romains , qui , au lieu d'être au fait
de la Théologie des Celtes, n'avoient l'efprit rempli que de leur pro-
pre Mythologie , prifTent facilement le change fur cet article ; & par
cela même qu'ils fe font mépris , en défignant fous le nom de Jupiter,
& le Dieu Tmt ^ & le Dieu fubalterne qui réfidoit dans l'air, il n'efl
pas pofTible de déterminer précifément quel étoit le Jupiter des Perfes.
(i3!)Ci-denusch. IV. §. i. note :3. I (141') Ci-defliis §. 4. note 9.
(139; Ci-deffus ch. III. §. j. note i>. 1 (14^^ Ci'deflTus ek.IV. f, lotes 4, j fie «.
(140) Casfat VI. 17.
H>
6o HISTOIRE DES CELTES;
«Ils appelloient de ce nom, dit Hérodote (143), toute la voûte de5
»cieux. » Il eft naturel d'entendre par-là l'Etre fuprcme qui environne,
& qui enceint tout l'Univers. Un paffage d'Hefychius le dénote fuffi-
famment (144): "Les Perfes appellent la grande , ou la glorieufe
« Dias, le Ciel , & l'Ifle qui porte aujourd'hui le nom de Naxos , »
c'eft-à-dire , tant le Dieu grand & glorieux , que l'Ifle qui lui étoit
confacrée. Cependant , fi l'on juge plus à propos d'en faire une Intelli-
gence d'un ordre inférieur , qui prélidoit à l'Atmofphére , nous ne nous
y oppoferons point. Mais il paroît inconteftable que le Jupiter des
Scythes, qu'ils appelloient le mari de la Terre, & le père de l'homme,
étoit le Dieu Teut.
On trouve, au relie, que les My fi ens , établis en Afie , adoroient un
Jupiter qu'ils appelloient (15) Ahbrettenus , &c les Thraces, un autre,
nommé (146) Urius, ou Surins. Le premier avoit reçu fon nom de la
contrée où il étoit fervi. Mais on n'a rien découvert jufqu'à préfent, par
rapport au furnom du fécond. On le fervoit dans un Temple ; d'où il ré-
fulte que c'étoit un Dieu étranger, dont le culte pouvoit avoir été ap-
porté de Phénicie. Le if N fignifîe , en Hébreu , la lumière , & Sur ^J]f
étoit le nom Phénicien de la Ville de Tyr.
§. XVI. Il ne refte plus , pour finir ce long Chapitre , qu'à parler
des prérogatives que les Celtes attrlbuoient au Dieu Tint. On les a déjà
touchées , au moins pour la plupart. Il fuffira de les rappeller ici en
deux mots.
1 °. On le regardoit comme le Dieu fuprême. On l'appelloit , dans
im certain fens (147) , le vrai, le feul Dieu, &, par cette' raifon, il
étoit fervi & adoré préférablement à tous les autres. C'eft à lui que l'on
confacroit (148) la plupart des Sanûuaires , & que (149) l'on offroit le
plus grand nombre de facrifices. Les Rois de Thrace (150) ne juroient
que par fon nom.
te rthienv 1*, On lui attribuoit la création de l'Univers. Non-feulement lesScy-;
*'^'" thés , quoiqu'ils fe cruffent plus anciens que Us Egyptiens (151),
ïrérogativcs
duUicuXcuc.
C'étoit le
Dieu Sup[ê-
•ae.
(14}) Ci-delTus ch. lU, §. 3. note is. ch. IV.
j. ; . notes 4 & I 5.
(144) Hefychius.
(lAS) Strabo XII.
(i4<!) cUcio Out. in Laci {ifon. f> i<4x.
(147) Ci-deflus ch. V. §. 2.
(ii8) Ci dcflus ch. III. §. 3. note ».
(149J Ci-deffus ch. IV. §. i. note t.
(150, Ci-deffiis ch. IV. §. I. note 7.
LIVRE Iir. C H A P I T R E VI. et
convenolent avec eux , d'un commencement de toutes chofes , les
Turcs affiiroient même formellement (151) que le Dieu fuprême avoit
fait le Ciel & la Terre. Quoique l'on prouve plus haut, que les Celtes
n'admettoient pas deux principes éternels & intelligens , l'un bon , &c
l'autre mauvais, on ne laiffe pas de foupçonner que leurs Philofophes
croyoient réternité de la matière. La Doftrine des Druides portoit ,
comme Strabon l'a remarqué (i53)> qve «le monde étoit incorrupti-
» ble , mais que l'Eau & le Feu prendroient un jour le deffus. » On
entrevoit là dedans, qu'ils croyoient le monde éternel, par rapport à
la matière , dont il étoit compofé , mais non pas par rapi)ort à la forme.
3°. Une troifiéme prérogative du Dieu Teut, c'eil qu'on le regardoit
comme le créateur & le père des autres Dieux. Tous les Peuples Celtes
admettoient une Théogome, une génération des Dieux; & (154) elle
faifoit la matière de leurs Cantiques facrés ; mais ces Divinités fubalter-
nes n'étoient pas des hommes , qui eufTent été mis, après leur mort, au
rang des (155) Dieux. C'étoient des Intelligences que le premier Etre
avoit produites , &c unies à chaque portion de la matière , pour l'ani-
mer & pour la conduire. Il n'y a guères lieu de douter que la Théo-
gonie que l'on trouve dansHéfiode, ne fut un refte de l'ancienne Mytho-
logie des Pclafges. Elle porte («56) que les Dieux & les hommes font
iiïus du mariage du Ciel & de la Terre. Le Ciel , que les anciens Grecs ap-
pelloient (157) ^ilès , eu., félon les apparences , le Teui des Celtes, le
Jupiter , ou l^u4c£s des Phrygiens. La Terre , la femme du Ciel , c'eft la
maîière d'où les hommes & les Dieux ont été pris. Il femble ,
effeftivement , que , félon l'opinion des Ççltes , non-feulement les hom-
mes , mais encore les Dieux, c'eft-à-dire, les Dieux inférieurs , avoient
été tirés de la matière. Ainfi les anciens habitans de l'Iflande ( 158 )
te Cthtfat
te U Vmciei
auctw'S Dieux.
que ces Scythes e'toient, félon les apparences ,
les Phrygiens. Vtyez. ci-delT. Liv. I. ch. 9. p. 51,
(i jî) Ci-deffus ch. IV. §. i.note «.
(153) Strabo IV. p. 197.
(154) HeroJot. 1. cap. 132.
{155' Ci-deflus ch. III §. i. notes j.<. & 7.
(i j6) Hefiod. Theog p. 44. Findar. NemelV.
înitio. Schol. adh. loc. p. 3 7 S. Fhére'cidc , qui
mit le premier par écrit les anciens Cantiques
des Grecs , avoit comnjence' fqn Ouvrage par
CCS mots Jtt^iter & Saturnut & Tellui femper fue-
THni, Apud Sock. G. S. fait. 1. Ub. IV, c. i .p. 2 j «.
Au refte , quoique laThe'ogonie cl'Héfiode s'ac-
corde avec celle des Celtes dans ce point efll-n-
tiel, qu'elle fait delcendre les Dieux & les
hommes du mariage^u Ciel & de la Terre, il
faut avouer qu'elle s'en e'carte fur d'autres ar-
ticles. Le Poëte, par exemple, ne fait pas du
Ciel le premier Etre. Il dit que ce fut la Terre
qui produifit le Ciel pour la couvrir. Cela n'eft
point conforme à la Doflr:ne des Scythes, qui
e'toit de'ià altérée en Grèce du tems (FHéliode.
(1 57) Hefychius.
I (isS)Ci-deirus ch.IV. §■ 7.notc3}.
62 HISTOIRE DES CELTES,
admettoient plufieurs Dieux, & pkifieurs Génies, Céleftes, Aériens,
Terrellres , 6c Marins , ce qui peut s'entendre , ou de la matière dont
ils étoient formés , ou de l'élément dans lequel ils réfidoient (i59). Les
Mages aufli , parlant de la fubftance & de l'origine des Dieux , difoient
qu'ils étoient formés de Feu , de Terre, & d'Eau. Par-là, on voit,
pour le dire en partant , que Mafnes , qui ctoit Perfan d'origine ^
avoit adouci, en quelque manière , la Doûrine des Philofophes de fa Na-
tion. Cet Héréfiarque ne faifoit fortir de la matière que les Démons , les
Intelligences mal-faifances , au lieu que les Mages foutenoient que toutes
les Divinités fubalternes avoient été tirées de la matière. *
Au refle , la Théologie des Sarmates s'accordoit affez , fur cet arti-
cle, avec celle des Celtes (i6o) : « ils ne difconviennent pas , dit Hel-
M moldus , qu'il n'y ait dans le Ciel un Dieu duquel tous les autres dé-
» pendent. Ce Dieu tout-puiflant ne prend foin que des chofes céleftes.
M Les autres , qui font , chacun , chargés de quelque fonftion particu-
.5 liere, lur font foumis. Ils font tous iffus de fon fang , & chaque Dieu
»» eft plus ou moins excellent , félon qu'il eft plus ou moins éloigné de
« l'Etre fuprême. » C'eft la Doftrine des émanations, qui étoit commune
à la plupart des Peuples Payens.
4*^. Outre la produftion des Divinités qui réfidoient dans les élé-
mens , on attribuoit encore au Dieu Teut la création de l'homme. On l'a
montré fort au long. Les Gaulois fe difoient iffus de ce Dieu , & l'appel-
loient , par cette raifon (i6i) , Teutat , le Père Teut. Les Germains ap-
pelloient le premier homme, dont ils faifoient un Héros (i6z), TuiJ^
ton , le fils de Tuis. Les Rois des Thraces prétendoient defcendre de
leur Mercure; c'étoit le Dieu (163) Tis. Les Scythes appelloient leur
Jupiter, Pappœiis (164) , le père des hommes. Les Italiens , comme les
Gaulois , joignoient toujours le nom de Père à celui de leur Dis, Ils
l'appelloient Dis Pater, ou (lé'j) Ditis Pater.
Tiut avoir L'opinion commune étoit que le Dieu Teut avoit tiré l'homme de la
fi'rii Tertè"' terre. On en a produit plufieurs preuves dans ce Chapitre. Les Ger-
Ic Crcatcut
te !c l'jri de
J'jioir.me.
(159) Ci-deff. ch. IV. §. 4. note i o. On parle,
ailleurs, de la contradiftion apparente , qu'il y
avoit ici dans la Théologie des Celtes. Vojitj
Si-deffous ch. 17. $ z.
(160] Helmold. Chron. Slav. c. (4. p, i3i.
(i*ij Ci-deflfus §. 4. note ij,
(1S2) Ci-dcfTus §. s .note i8.
(i6j) Ci-deflus ch. V. §. i. note 7. Se ch. VI4
$ «.
(i«4l Ci-deflus ch. III. §, 3, notç I,
(ifi^sj Ci-deflus J. }.
LIVRE III. CHAPITRE VI. 63
maîns difoient que (166) Tuijlon étoit iffu de la Terre, llsavoienten
grande vénération une Forêl du Pays des Semnons , parce qu'ils
croy oient (167) que c'étoit-là que la Nation avolt pris fon origine , & que
réfidoit le Maître de l'Univers. Les Phrygiens faifoient defcendre l'hom-
me , Mafnh (i68) , de Jupiter , ou d^Aiis , & de la Terre. Les Scythes
auffi , qui appelloient Jupiter le père des hommes , difoient que la
Terre, qu'ils nommoient (169) Apia, étoit fa femme.
On a averti ailleurs que ces noms de Père (170), de Mari, de Femme,
que les Celtes employoient dans cette occafion , dévoient être pris
daixs un fens figuré. Car ces Peuples fe moquoient , au refte , de ce que les
Grecs difoient du mariage de leurs Dieux. Tau , c'efl l'ame du monde ,
le Principe aâif , qui pénétre la matière, & la rend féconde ; la Terre
c'eft la matière dont il s'eft fervi pour la formation de l'homme &'des au-
tres créatures. On ne doute pas que les Etrufces n'euffent une Doûrine
à peu près femblable fur l'origine de l'homme. On l'entrevoit dans ce qu'ils
difoient de leur Tagh , qui a voit enfeigné à fa Nation l'art de prédire
l'avenir (171). Un Païfan qui labouroit , ayant enfoncé bien avant le foc
de fa charrue , vit fortir Tagès de delTous une motte de terre. La Mytho-
logie des Grecs portoit aufli (171) que, du mariage du Ciel & de la Terre,
étoient nés trois fils, d'une grandeur énorme, & d'une force extraodi-
raire , Conus , Briareus , & Gigh , & enfuite les Géants & les Titans.
La différence que les Peuples Celtes mettoient entre le Dieu Teut,
qu'ils appelloient le Père des hommes , & la Terre , qu'ils regardoient
comme la Mère du genre humain , détruit le fentiment de ceux qui ont
cru que Tiut étoit la Terre même. Ils fe font fondés principalement fur T"" »"«
cette preuve étymologique , « que les Celtes donnoient à la Terre un
j' nom qui approchoit beaucoup de celui de Teut. Les habitans du Pays
» de Gales , qui ont confervé , à ce qu'on prétend , l'ancienne Lan-
» gue Celtique , appellent encore aujourd'hui la Terre , Tud (173),
»Ceux de l'Armorique, c'eft-à-dire, les Bretons, la nomment ( 174) ,
Quelques- ins
o.ic cru m-i!-
à-ptopOS r|U3
le Teut des
Celtes c io ! îa
I
(166 Ci-Jeffu"! §. s. note. 29-
(i«7 Tacit Getm cap 79.
(168 Ci-deflus § ».r.otcs7.
{169) Ci defT^is ch. in §. }. note t.
(170 Ci-dcffus ch. UI. ^. 1. note j.
(17 ly Ciceiode Divinat, II. cap. 10.
(172 i Hefiod. Thcog. pag. î+7. ApoUodor.
lib. I. p. I. 14 DioJor. Sic. III. p 132. Vtye:^
ci deflus note 1 j s , & Liv. I. ch. 13. p 83.
;t73j Ti<r, Terra. Cainbden in CoUeû. Leib«
nitz, Tom. 11. p. 143. j.
(174J Diâionnaite de KofiieÂen p. 9 1 «.
<?4 HISTOIRE DES CELTES,
it Douar, ou Tit. Selon Tacite, la Déeffe (175) Hcrthus , pour la-
» quelle la plupart des Peuples de la Germanie avoient une grande vé-
„ nération , étoit la Terre : ce mot de Hatus , fignifie , en Allemand ,
» le Seigneur Tus. »
II faudroit fçavolr parfaitement la Langue du Pays de Gales , pour
pouvoir déterminer fi le mot Tud , eft ancien , ou moderne , dans cette
Langue ; mais il eft, du moins , confiant que dans le Pays de Gales , comme
dans toute la Celtique, on appelloit anciennement la Terre, ^r, Er,
Erd^ & avec l'article, Day-Jr, Dou-Ar , Die-Erd. Ceux qui vou-
dront s'en convaincre pourront jetter les yeux fur la difcuflion etymo-:
Ipgique qu'on renvoyé au bas de cette page (176).
A l'égard du Bas-Breton , 11 ne paroît pas que le mot de Tu ait ja-
mais fignlfié la Terre dans cette Langue. Le Père de Roftrenen avoue
qu'il ne fubfifte plus dans l'Armorique, mais il juge qu'il a été autre-
fpis en ufage , & il le prouve par le mot Titans , qui fignifie hommes , ou
nés de la terre. Il y a là dedans une équivoque que ce Père n'a point
éclalrcie, ni peut être apperçue. Les Titans fe dlfoient fils de la Terre.
Mais s'enfiiit-11 de-là que le nom même de Titan exprimât cette ori-
gine ? On ne le croit pas. Ils le tenoient , non de la Terre , mais du
Dieu Teut , qu'ils appelloient fian mari.
Pour ce qui eft du nom de Henhus , qu'on lit dans Tacite, les Alle-
mands appellent , encore aujourd'hui, la Terre, £r</e. Il paroît, parles
anciens Gloffaires, que ce mot fe prononçoit autrefois, avec une af-
plration (177) j Herde. Les Romains, pour lui donner une terminaifon
Latine , le changèrent en Henhus ; mais , au refte , il eft certain que
Ips Germains diftlnguoient le Dieu (178) Vodan., de Frea, c'eft-à-dire ,
de la Terre fa femme ; de la même manière que les Scythes mettolent
(17s) Tacit. Germ. csp 40.
(176) L'anciei) nom de la Terre , que les
Teuples Celtespronpnçoient différemment .c'toit
Ar , Er , ou Erd. En y ajoutant l'article , on en
Z fait les noms de Dny-ar , Dou-xr , Dit-ird ,
Th-er , Terr» , &c. Ainfi , dans le troifième ar-
ticle de l'Oraifon Dominicale, les Belges difent
Cervan be CaU, Currtan Ere, comme au Ciel ,
ainfi fur la Terre. Mullerus in Alphabet, ac no-
tls diverf. Linguar. p. 37. Les Galois meps jn
y net, fellj Ar, comme au Ciel , ainfi fur la Terre;
j^a XïiDhih.^. hefj4, fur la Teiic cgiamc au Ciel.
Bihlia Cambiic. edit. Lond KÎ77. Les anciens
Bretons arridaytr , ainfi fur la Terre. MuU. Ib.
p. 43. Les Bas-Bretons en doimr evtl en euff, eiy
la Terre, comme au Ciel. Mull. Ibid. Le P. de
Roftrençn remarque , dans fon Diftionnaire ,
que les B?s-Bretpns appelloient autrefois U
Terre Ar ou Ter. p. 516.
(177) Bo.fhom. ad Tacit. Germ.fàp. 4»'
{178) Paul. Diac. Hift. Longob. lib. I. pâg;
3 S 6. 3 5 7' tr'»> Fr»» ( en Tiidef^uç , eft une
Femme.
4«
LIVRE III. C H A P I T R E VI. 6^
de la différence entre Jupiter , & C 179) ^pia , les Phrygiens entre
(iSo) Tiuas & Rkea , les Italien^ , entre (181) Dis, ou Sacurne , &
Ojfs, les Thraces entre (182) Coeis & Bendis , & les Samothraces entre
(183) le Ciel & la Terre. Les Celtes ne féparoient pas le culte de ces
deux Divinités , fans doute parce qu'ils croyoient que l'une âuroit été
ftérile fans l'autre , au lieu que c'étoit leur union & leur mariage qui
avoit produit l'Univers , en général , Se le genre humain en particulier.
On volt par-là , pour le remarquer en paffant , pourquoi les an-
ciennes Loix des Athéniens ordonnoient aux Fiancés de ne point con-
fommer leur mariage, qu'ils n'euflent offert un facrifice (184) au Ciel
& à la Terre. C'étoit un refte de l'ancien ufage des Pélafges , qui
offroient ce facrifice au Père & à la Mère du genre humain , pour en
obtenir la fécondité.
5** Une cinquième prérogative du Dieu T^u^, c'eft qu'on le regardolt LsDitiir««(
comme l'ame de la Terre , & du monde entier. Ayant tout créé , il ejln.i^flme
ttoit préfent , par cela même , à tous fes ouvrages. Au lieu que les Dieux "^^ '"cnic.
fubalternes n'étolent chargés que de la conduite du corps , ou de l'élé-
ment auquel ils étoient unis, le Dieu fuprême avoit fous fa direc-
tion tout l'Univers , avec les efprits & les corps qui le compofent. Ainfi
les Romains difoient que leur Saturne (185) eft l'efprit qui embraffe
toute la Nature. Les Perfes difoient de même (186) , que leur Jupiter
étoit toute la voûte des deux. On lit aufli dans Ammien Marcellin (187)
q4fc " l'Empereur Julien , pendant le féjour qu'il fit dans les Gaules ,
» fe levoit toujours à minuit pour invoquer fécretement ce Mercure ,
» que les Théologiens regardent comme une Intelligence , qui , par-
*> courant le monde avec rapidité, excite l'efprit humain, & le met en
«mouvement.» Ce Mercure étoit le Teut des Gaulois, que les Druides
repréfenterent à Julien comme le Dieu des efprits , qu'il devoit invo-
quer , pour être rendu propre aux grandes entreprifes. Julien le prioit
de nuit. La pratique des Gaulois le vouloit ainfi ; &c cette pratique favo-
(l7j') Ci-dcffiis ch. III. §. 3. note 8. i ('8_45 Produs Comment, in Timœum Plato-
fi80; Ci deffus §. ». notes s 3 54. 8c 5 5. ris, ap. Voffium de Otig. Idol. lib. II. cap. 5I.
( 1 « t) Varro de Ling. Lat iv. p. i j. Aufon.
Idyll. II. p. 1 14. Servius ad .Sneid. VI. v. 32J.
(182) Ci-de(rus § 6. notes 42, SC43,
{18}) Ci-dcflus note i»o, | (187) Amm. Matcell. XVI. p. us
Tome II. .1
(rSs Cl-deflas §. 14. note 130.
(186) Ci-deiïus ch. IV. §. i. notes 4. & j.
C6 HISTOIRE DES CELTES,
rifoit la dlfTimulation de ce Prince , qui n'apoftafia ouvertement qu'après
la mort de l'Empereur Confiance.
Les Gaulois diloient encore , comme Jules-Céfar l'a remarqué (i88) ,
que leur Mercure étoit l'Inventeur de tous les Arts ; que fon pouvoir
étoit très-grand pour ceux qui vouloient gagner de l'argent , & qui
s'applîquoient au commerce. La raifon en eft claire. C'eft de lui qu'on
obtenoit cet efprit vif & pénétrant , fans lequel ni le Marchand , ni
l'homme de Lettres , ne fçauroient exceller dans leur profeffion. On
a remarqué ailleurs (189) , que Pythagore défîniffoit la Divinité :
« l'Efprit qui eft répandu dans toutes les différentes parties de l'Univers ^
» & duquel nos propres Efprits tirent leur origine. » On prétend que
c'étoit de lui (190), que Numa - Pompilius avoit emprunté les idées
qu'il avoit de la Divinité. C'eft un Anachronifme. Numa étoit mort (191)
dans la xxvii. Olimpiade , & Pythagore ne fleurit que dans la (191)
LXil , c'eft-à-dire, environ cent quarante ans après. Mais on peut eu
conclure affez naturellement, qu'il y avoit, fur cet article, de la con-
formité entre la Doftrine du Philofophe , .& celle de Numa-Pompilius ,»
qui fuivit conftamment les idées des Celtes dans tout ce qui regardoit
la Religion.
ouriqiiM UM 6*. On n'oferoit afTurer que tous les Peuples Celtes fufTent dans la
onc regardé ^ ,, tr^ •/ ?•!• *t-v
Tfut conit»e même opmion que les Sarmates , qui (193) nattnbuoient qu au Dieu
lancé T» ?oi. fuprcDie le pouvoir de former l'éclair 6c le tonnerre. On trouve bien
"■ que les Thraces étoient dans ce fentiment. On le voit dans un paflàge
d'Hérodote, déjà cité (194) : «Quand il faifoit du tonnerre & des éclairs ,
» ils tiroient des flèches contre le Ciel , comme pour menacer la
» Divinité , parce qu'ils étoient dans l'idée , qu'il n'y avoit point d'autre
» Dieu que le leur. » Ce qu'Hérodote ajoute ici du fien , c'eft que
les Thraces prétendoient menacer la Divinité , en tirant contre le Ciel.
Ce n'étoit affurément pas leur intention. Au contraire , ils prétendoient
rendre hommage par-là au Maître de l'Univers , le féliciter de ces
glorieufes marques qu'il donnoit de fa puiffance , lui déclarer qu'il avoit
€n eux des enfans qui ne dégénéroient point, qui fçavoient tirer, aufli
(i«») Ci-deflus §. 4. note 1 1.
(1I9) Ci-deflus ch. IV. §. t. note jï.
(190) Clem. Alex. Strom. I. cap. ij. p, 35I.
{ifi) Dion^f. Italie, lib, m. initio,
(1J12) Eufeb. Fizp. Ev. X. cap. z. p. i j»,
(IS>3~ Cideflus ch. IV. §. 2. note IS.
( 1 j>4} Ci-deffus ch. V. J, i . note f,
LIVRE III. CHAPITRE VI. 67
bien que lui. On n'en doutera pas fi l'on veut fe reflbuvenir que tous les
Celtes étoient perfuadés que le Dieu fuprême , qui préfidoit , félon eux ,
à la guerre , avoit une grande prédileftion , non - feulement pour les
Guerriers , o\i pour les bons tireurs, mais aufli pour tous ceux qui
périflbient dans un combat , ou de quelqu'autre genre de mort violente.
Hérodote lui-même paroît l'infinuer, en remarquant (195) que les Thra-
ces envoyoient tous les cinq ans à Zamolxis un Meflager , qu'ils char-
geoient de leurs commiflions pour l'autre monde. Après que le Mefla-
ger avoit été choifi par le fort , on le jettoit en l'air , & , en même-tems ,
trois hommes , nommés pour cela , tiroient fur lui. S'ils le frappoient ,
c'étoit une preuve que le facrificc étoit agréable à Dieu ; s'ils le man-
quoient , on choififlbit un autre Meflager , & le premier étoit re-
gardé comme un fcélérat. Dieu lui-même le déclaroit indigne de c»
haut degré de gloire & de félicité , auquel on n'arrivoit que par une
mort violente.
On trouve encore que , lorfque Marc-Aurele eut remporté fur les
Quades & les Marcomans , cette célèbre viûoire , dont on a tant
parlé, & à laquelle une groflTe pluie, qui vint rafraîchir l'Armée Romai-
ne, contribua beaucoup (196), « il fe répandit un bruit qu'un Ma-
» gicien , venu d'Egypte, qui étoit la fuite de l'Empereur, avoit con-
» juré , par les fecrets de fon Art , le Mercure Aérien , & qu'il en
» avoit obtenu de la pluie.» Perfonne n'ignore que les Chrétiens attri-
buoient cette pluïe favorable , & la viâoire dont elle fut fuivie , aux
prières de la Légion fulminante. Les Romains crurent, fans doute, qu'ils
dévoient les mêmes avantages à la proteftion de leurs Dieux , & à la
valeur du Soldat. Il y a lieu de foupçonner que ce furent les Germains ,
qui , pour fe confoler de leur défaite , & pour en diminuer la honte ,
publièrent qu'un Magicien étranger avoit trouvé le moyen , par its
conjurations , de mettre leurs propres Dieux , & même Mercure , leur
Dieu fuprême, dans les intérêts des Romains.
Il faut avouer , cependant , que d'autres Peuples Celtes ont diftingué D'.iutr« ont
formellement le Dieu fuprême , de celui qui lance le tonnere. Par j" ronnctr*
exemple , Lucain dit ( 197 ) que les Gaulois fervolent Tentâtes , Refus f^t^iJ^iX"
(i9i Herodot. IV. 94.
(js.fi, Xiphil. ex DioniT. lib. LXXI. p. «pj.
(197) Ci-deflus §. 4. note s.
Il
68 HISTOIRE DES CELTES,
& Tara/lis. Teutates eft le Dieu auquel les étrangers donnoient le nom
de Mercure. On prétend qu'^ç/K.5 étoit Mars , & Taranis le Dieu du
tonnerre , que les Allemands appellent, encore aujourd'hui, Donner^ &
les habitans du Pays de Gales (198) Taran,
Il eft vrai que la preuve , que l'on tire de ce paflage , n'eft pas fans ré-
plique. Nous verrons, dans le Chapitre fuivant, que Tentâtes &C Hifus
étoient le même Dieu. Il fe pourroit bien, par conféquent, que le
nom de Taranis fût , parmi les Gaulois , une épithète du Dieu fuprême ,
de la même manière que les Romains appelloient leur Jupiter, Fui-
minator. Mais il y a une autre preuve qui paroît bien décifive : les
Irlandois , les Suédois, & les Germains ( 199 ) diflinguoient le Dieu
Odïn , Vodan , du Dieu Thor. Le premier étoit le Dieu fuprême , & le
fécond le Dieu du tonnerre. De-là vient que ces Peuples appellerent
le jour que les Romains confacroient à Mercure ( zoo ) Vonjîag , ou
Odenjlag ^ & donnèrent au jeudi (^dies jov'ts) le nom de (zoi) Thorf-
dag , ou de Donnerjlag , ce qui fignifie le jour de la Divinité qui pré-
fide au tonnerre. On ne croit donc pas fe tromper, en affurant que ce
Thor eft le même que Jules- Céfar appelle (201) Jupiter, & Lucain
Taranis. Au refte , comme les Bretons appellent le tonnerre Curum , il
paroît vrai-femblable que le Dieu Cernunus (103) , dont l'Idole a été
trouvée à Paris , & que M. de Leibnitz prend pour Bacchus , étoit le
Dieu du tonnerre.
Hiftoiredeia 7". Si l'on pouvoit faire quelque fond fur le fragment d'un Auteur
Ct atioi. , li- _ ' c-J r ' ni
i.ed'uiiLivfc ttrulque , que Mndas nous a conlerve , ce Peuple auroit eu une
«HribiTà 'un Hiftoire de la création , peu différente de celle que l'on trouve dans
ïcru?q°e''^ nos Livres facrés. Elle portoit (104) que le Dieu créateur de toutes
» chofes avoit deftiné douze mille ans à tous fes ouvrages , & qu'il
« avoit partagé ce grand efpace de tems en douze maifons. Dans le
« premier millénaire , il fit le ciel & la terre : dans le fécond , il fit
»)le firmament, qui fe préfente à nos yeux, & l'appella ciel: dans
- (i»l) Hagenberg, Diff. «. p. i88. Bochart.
Canaan, lib. I. cap. 42. initio. Koftrcnen Dift.
pag. Ȕi.
{199) Adam Brenienf. Hift. Ecclef. cap. 233.
Ericus Olaus lib. I. initJo. Frfç^n.ou Frea, au-
jourti'hui Frau , fignifie uni Femme. C'eÛ la
S'erre , la Femme d'Odin.
{200) Ci-dcflus §. 5. note 3".
(201) Thorfda^ , jeudi. La Feyrere , Relation
de l'Iflande , p. 4 i . En Allemand , Donnerflai,
(202; Ci-defTus §. i $. note 1 40,
(Ï03) Leibnitz, Colleft. Tom. II. p. to.
(104) Suidas in Tvppuyia X^'^f-
LIVRE Iir. CHAPITRE VII, 69
t: le troificme , il fit la mer , & toutes les eaux qui font fur la terre :
«dans le quatrième, il produifit les grandes lumières, le foleil , la
w lune & les aftres : dans le cinquième, il créa tous les animaux,
» tant les oifeaux , que les reptiles , & les bêtes à quatre pieds, qui
«font dans l'air, fur la terre, & dans les eaux : dans le fixiéme , il
'' fit l'homme. Les fix premiers millénaires fe font donc écoulés avant la
»' formation de l'homme. Le genre humain fubfiftera pendant les autres
« fix raille ans ; de forte que tout le tems de la durée de l'Univers eft
♦> de douze mille ans. »
Mais il eft vifible que cette prétendue Hiftoire Etrufque avoit été
fuppofée, par un Chrétien , ou par un Juif. Les fix premiers millénaires
font les fix jours de la création. L'Auteur Etrufque, qui avoit em-
prunté la plus grande partie de fon Hiftoire du Livre de la Genefe , en
employé quelquefois les propres termes. Les fix derniers millénaires
font les fix mille ans pendant lefquels le monde doit fubfifter, félon
l'opinion des Rabbins. On auroit beaucoup de penchant à croire que
cette fraude pieufe étoit l'ouvrage d'un Juif, file mot de o-uvTfAe'/a, qui
ne fe trouve guères que dans le Nouveau Teflament, au moins dans
le fens qu'on lui donne ici , n'indiquoit un homme qui avoit lu TE»
vangile (205).
CHAPITRE VII.
Vj E ne feroit pas ici le lieu de parler du Dieu Mars , c'eft-à-dire ,
d'un Héros , qui , félon la Doftrine des Grecs & des Romains , fut mis
au nombre des Dieux après fa mort , fi l'on n'étoit perfuadé que ce pré-
tendu Mars eft encore le même Jeut dont il a été parlé dans le Chapitre
précédent. On va expofer les raifons qu'on a de l'afl^'urer ; mais il faut
rapporter premièrement , en peu de mots , ce que les Grecs & les Latins
ont dit du culte que les Peuples Celtes rendoient^à Mars.
§. I. Les Celtes étoient des Peuples Belliqueux , qui n'avoient point tous le? Aa
d'autre profefiion que celle des armes. Il ne feut donc pas être fur- d"' à^ai"/
pris qu'on ait dit que Mars , le Dieu qui préfide à la guerre , étoit leur ^Iç'; 'ceil^"
(205] Mais, un Juifpouvoit avoir la l'Evangile, comme des Chrétiens lifent l'Alcoran. Oa
eu donc toujours dans l'incertitude, & l'inipolleur etojt Juif ou Chrétien. ^. i^e J'£i<.
Dk'Li Mar:.
70 HISTOIRE DES CELTE S>
ft;t7)ientie grande Divinité. On lit, par exemple , dans Strabon (i) , que les Lit*
fitains , qui font lei Portugais d'aujourd'hui , immoloient à Mars dc$
chèvres , des chevaux , & les prifonniers qu'ils faifoient à la guerre.
Macrobe remarque auffi (2) qu'un autre Peuple de l'Efpagne avait un
fimulacre de Mars , dont la tête étoit environnée de rayons. Jules-
Céfar dit ( 3 ) , que « les Gaulois fervent le Dieu Mars. Ils font dans
»> l'opinion qu'il préfide à la guerre. Ainfi , quand ils ont réfolu de don-
» ner bataille , ils font vœu , le plus fouvent , de lui offrir tout ce
» qu'ils prendront à la guerre. Ils lui immolent l'élite des animaux qu'ils
» ont pris fur l'ennemi. A l'égard des autres chofes , ils les affemblent
»> dans un même lieu. Il y a plufieurs (4) Villes où l'on voit , dans
»des lieux confacrés, de ces monceaux de dépouilles. Il arrive rarement
»> qu'il y ait des gens , qui , au mépris de ce vœu , ofent retenir fecrette-
» ment les chofes qui ont été ainfi vouées, ou qui les enlèvent du lieu ,
» oii elles ont été mifes en trophée , parce que ce facrilége eft puni
» d'un fupplice très-cruel. •> Florus , parlant d'une bataille que les Romains
gagnèrent fur les Gaulois , dit auffi ( 5 ) que ceux-ci avoient fait vœu ,
fuppofé qu'ils remportafTent la vidoire , d'employer le butin qu'ils
ièroient fur l'ennemi , à un collier pour leur Dieu Mars. On ne fait
pas mention de quelques temples que ce même Dieu avoit dans les
Gaules (6) , félon les Itinéraires , parce qu'il y a toute apparence que
ces Temples , qui étoient dans la Province Narbonnoife , avoient éié
bâtis par les Romains.
Les Germains fervoient le Dieu Mars , à peu près , de la même ma-
nière que les Gaulois. « Ils appaifent , dit Tacite (7) , Hercule &c Mars
« par des facrifices d'animaux permis ; » ou plutôt , comme les Germains
étoient beaucoup plus belliqueux, &C plus féroces, du tems de Tacite,
que les Gaulois , ils rendoient auffi à Mars un facrifice plus Cruel & plus
barbare. Cet Hiftorien le reconnoit lui-même dans fes Annales. Parlant
d'une bataille qui fe donna entre deux puiflans Peuples de la Germanie,
l'an 58 de J. C , il dit (8 ) que « cette guerre fût heureufe pour les
(l) Strabo III. p. I j s.
(x) Macrob. SMurn. Itb. I. cap. i>. p. 203.
{}j Caefar VI. 17.
(^ Civiiatthus. Ce mot fignifie, dans Jules-
«CèTuj uu Peuple 4 une République , un £cac.
(sj tlorus II. 4.
(«1 Antonin. Itiner. p. zt. x^.Itiaet. Butdi*
gal-p.+o.
(7; Tacit. Gctm. cap. y.
(S) Tacit. Ann. xm. j?^
LIVRE m. CHAPITRE VII. 71
» Hermundures , mais pernicieufe aux Cattes , parce que le Vainqueur
» avoit confacré l'Armée ennemie à Mars , & à Mercure , &c qu'en
y» conféquence de ce vœu, on maffacroit les hommes, les chevaux,
w avec tout ce qui avoit vie. »
' Il paroît effeftivement, par un paffage de Procope , rapporté ai'-
leurs (9), que dans le fixiéme fiécle , des habitans de l'Iflande of-
froient encore des viftimes humaines à Mars. Jornandès remarque
auffi ( io) que les Goths appaifoient le Dieu Mars par un culte extrême-
ment cruel, & qu'ils lui offroient pour viâimes les prilbnniers qu'ils
faifoient à la guerre. Vitikind, dans fa Cronique de Saxe , dit (1 1) que
les anciens Saxons érigeoient des colomnes à l'honneur de Mars ,
qu'ils appelloient en leur Langue, Hennin, ou Hermès. Effeûivement ,
l'Idole des Saxons , que Charlemagne fît abattre , s'appelloit Irminful,
ce qui défignoit , félon Vitikind , la colomne de Mars ; Irmin , ou Her-
mann, flgnifîant , en Tudefque, un homme de guerre , & Sul , une co-
lomne. Cette étymologie efl afTurcment plus naturelle que celle d'>/-
xiam de Bremen ,qm croît que (^ii) Hermanful , ou /rminful , marque. t
la colomne univerfelle, le fimulacre de celui qui foutient l'Univers (13).
Tous les Peuples Scythes , en général , fervoient le Dieu Mars. C'étoit
leur grande, & en quelque manière, leur unique Divinité , puifqu'ils
ne croyoient pas, s'il faut s'en rapporter à Hérodote (14), qu'il fût
permis de confacrer des Simulacres , des Temples & des Autels à d'autres
Dieux qu'à celui là.
Us s'accordoient (15) tous à lui offrir des viftimes humaines , & le
/imulacre, auquel ils attachoient fon culte , étoit une épée. Les anciens
habitans de l'Italie fervoient , à ce qu'on prétend , le même Dieu fous
le nom de (16) M amers , &c le fimulacre qu'ils lui confacroient , ne dif-
féroit guères de celui des Scythes ; (17) ç'étoit une halebarde. Au reflc,
efltre tous les Peuples Scythes & Celtes , il n'y en avoit aucun qi i
pafîat pour être plus attaché au culte de Mars, que les (i8) Thraces.
(9) ci deffusch. IV, ^. 7. noie jj.
(10) Jornand. cap. IV. p. 617.
(il Vitikin. Corbei. An. lib, I. p. t}t.
(jf.) Adam. Brem. cap. «S.
(1 3) Selon cette étymologie , Imunfttl feroit
;iutant que Jederm»»i-Siil.
(l+J Ci-delTiis ch. IIJ. §.3. note I,
(151 Herodot. IV. 6z. Pompon. Meta II. c. I.
pag. 41 Solin cap. 25 p. 231.
/I6) Vairo de Ling. Lat. IV. it.
'i ) Clem. Alex. Cohoit. ad gent. pag. 41.
Arnob. Cent Gent. lib. VI. Vtjtt. ci-d. Liv. |.
chap 10. p. 66
(i>j Heiodet. V. y. Aufon. Idyll. iz. Miouc,
7i HISTOIRE DES CELTES,
S'il faut en croire les Poètes, ce Dieu (19) étoit né en Thrace. Il y
faifoit (zo) fon féjour ordinaire. On y voyoit même fon (11) tombeau.
Comme il avoit clioifx fa Patrie (ii) , pour être le théâtre le plus ordinaire
de fes exploits , il y avoit auffi un grand nombre de Sanctuaires (13),
far les montagnes, près des fleuves, ou dans des forêts.
if Mars .Me §. II. Lcs Auteurs oti l'on a puifé ce qu'on vient de remarquer , s'ac-
i:cic'"é?otnc cordent à dire que les Peuples Celtes adoroient le Dieu Mars. La plû-
Yi.iul"'*' ^'' part de ces Ecrivains font même dans l'idée , que le Mars des Celtes étoit
une Divinité différente de leur Mercure. Il y a, cependant, lieu de
croire qu'ils fe font trompés, & qu'ils ont attribué mal-à-propos à
ces Peuples d'adorer, avec Mercure, qui étoit leur Dieu fuprême,
un Dieu inférieur qui préfidoit à la guerre. Voici les raifons fur lef-
quelles on fe fonde.
1°, Il eft confiant que le nom de Mars n'étoit point connu parmi les
Peuples Scythes & Celtes. Ceux qui ont dit que ces Nations offroient
des facrifîees à Mars , ou à (24) Bellone , ont fuivi en cela , les idées &
les façons de parler des Grecs &C des Romains , qui mettoient les
Guerriers fous la proteûion de ces Divinités. Plufieurs Auteurs l'ont
reconnu. Vegetce , par exemple, dit (15) que Mars paffoit pour être
le Dieu des Thraces & des Scythes, parce que ces Peuples étoient extrê-
mement belliqueux , diflingués par leur force & par leur valeur , &C
que c'étoit la raifon pour laquelle on difoit auffi que ce Dieu étoit
né en Thrace. Clément (26) d'Alexandrie , & (17) Phurnutus ont
fait la même remarque. Que peut-on donc conclure desdifférens paffages
qu'on vient de citer , Se qui font mention du culte que les Celtes ren-
doient au Dieu Mars ? Rien , fi ce n'eft que ces Peuples avoient effeftive-
ment une Divinité qui , félon leur Doftrine , préfidoit à la guerre : les.
Armées rendoient à cette Divinité guerrière un culte religieux , autour
d'une épée , ou d'une halebarde , qu'on plantoit au milieu du camp.
f elix cap. 25.5 2 ! 8. Prudent. Cont. Symmaclv.
Kb. It. V. 49+. Sidon. ApoU Carm. IX. v. 174.
Claudian. de raptu Trofcrp. lit. I. v. 147. Vir-
gil. Sneld. II. v. 3 s.
( , 9) Arnob. lib. iv. p. lyif;
(20) Homer. Odj'fT. viii. v, 550. Silius Ital.
îib. I. V, 433. xvn. V. ^5>2- Virgtl. JEncid. XII.
». »ît.
(îi) Cfem. Rom. Rccognit. lib. X. cap. 24.
(•21] Statiti^ Thcbaid. ilr. v. 220.
(23) Herodot. vu 76. Statias Theb. vu. 4.0.
Val. Flac; Argon. V. 121.
(24) Amm. Marcel, xvii. cap. 4. p. 4*2.
(25) Vfgct. de Re Alilit. lib. I. cap. ulc.
(26) Clem. Alex. Coh. ad g. p. $t
[17) rhuinutus p. 5.7.
1®. Nfeis
LIVRE Iir. CHAPITRE VII. 73
l''. Mais û l'on examine , après cela, qui étoit proprement ce Mars,
ceDleti des Giverriers, félon laThéologie des Celtes, on trouvera que
c'étoit, Fodan , ou Odin^ c'eft-à-dire , le Dieu fuprcme , que la plu-
part des Etrangers ont appelle Mercure. C'eft à lui que l'on confacroit
le butin fait fur l'ennemi , que l'on immoloit des viâimes (iS) humai-
nes , & en particulier , les prifonniers que l'on faifoit à la guerre. C'eft
auprès de lui que les Guerriers qui mouroient fur le champ de bataille,
alloient jouir de la fouveraine félicité. Ainfi Rcgmrus-Lodbrok , Roi de
Dannemarck , pour encourager fes Troupes au combat, leur dlfoit(i9) :
« Bientôt nous pafferons dans le Palais du grand Odin , pour y boire
»>de la Cervoife (30) dans le crâne de nos ennemis. » VEdda des Irlan-
dois , où l'on trouve plufieurs morceaux de la Dodrine des Peuples du
Nord , porte auffi (31) q>^e « tous les hommes qui ont été tués à
w la guerre , depuis le commencement 4u monde , vont trouver Odin
•• dans le Valhalla. »
11 eft vrai qu'il réfulte de-là , qu'il y avoit une contradiâion fort
fenfible dans la Théologie des Celtes. Ils regardoieqt Odin comme un
Etre bien-faifant ; ils l'appelloient le Bon, le Père des hommes. Com-»
ment pouvoit-il donc prendre plaifir à voir fes enfans fe détruire les
uns les autres ? Mais , dans le fond , la même difficulté preffe le Juif &
k Chrétien , puifque nos Livres facrés appellent le Créateur du
monde , & de l'homme, le Dieu des Armées, ou des Batailles. Nous le»
yons la difficulté , en difant que Dieu approuve les guerres juftes ,
^ qu'il les dirige toutes d'une manière pleine de fageffe & d'équité ,
f(ï fervant même de la méchanceté de l'homme , & de fes fureurs , pour
exercer fes juftes Jugemens , & pour accomplir les fages defleins dç
ffi providence. Les Celtes croyoie.at la lever, en difant {^x) que Dieu
avoit placé les hommes fur la terre , comme dans un champ de bataille ,
pour y exercer leur force & leur bravoure ; qu'il donnoit tout ici
bas aux hommes forts, & quil réfervoit d'ailleurs, dans l'autre vie ,
une félicité particulière aux braves , qui périfloient dans la noble pro-
feffion des armes.
(z<) Ci-delTus chap. VI. $. 4. notes 12., Se tj.
<, f. note 27.
[i9 Ci-deiTus Liv. II. ch. j. p. i]i.note 81.
0 ' ) ^$[*"f' '^ I> même chofc ^uc BUri,
On s'en fert pour de'fîgnci cettùnt bieuva^
des Anciens.
(}.) Eddiiflând. Myth. jj.
Ci z) Ci-deflus , Liv. Il.ch. }.
T"* ri, ^
74 HISTOIRE DES CELTES,
3*. Une autre preuve , qui mérite d'être bien pefée , c'efl que leS
Anciens , peu d'accord entr'eux , & fouvent en contradiftion avec eux-
mêmes , font quelquefois de Mars le Dieu fuprême des Peuples Scythes
& Celtes. Par exemple, Jules -Céfar dit (33) que Mercure étoit le
'grand Dieu des Gaulois. Une Loi (34) Romaine infinue que c'étoit
Mars. Elle défend d'inftituer les Dieux pour héritiers ; mais elle en
.excepte , Jupiter , pour les Romains , & Mars , par rapport aux
Gaulois , fans doute parce qu'elle regardoit ce dernier comme le Dieii
fuprême des Gaulois , qui lui confacroient , depuis un tems immémo-
rial , une partie des biens qu'ils avoient acquis à la guerre. Tacite
affure aufli (35) que les Germains fervoient principalement Mercure.
Ailleurs , il fait dire à ces Peuples (36) que.Mars eft le premier de tous
les Dieux. Dans un endroit , il dit que (3 7) les Germains n'offroient
des viftimés humaines qu'à Mercure ; dans l'autre , il parie (38)
d'un vœu , par lequel le Vainqueur avoit confacré l'Armée enriemie à
Mars , & à Mercure. Comment accorder tout cela ? La chofe eft très-
facile. Les noms étrangers de Mars & de Mercure, défignoient le même
Dieu, c'eft-àdire Teuty ou Odin , que les Celtes regardoient comme
le Dieu fuprême, &, en même-tems, comme le Proteûeur des Guerriers.
4*. Si l'on veut, en effet, fe donner la peine de comparer divers
paffages , qui ont été cités , on pourra en tirer une preuve dé-
monftrative, que le prétendu Mars des Peuples Celtes , étoit leur Dieu
iiiprême , le même Dieu qu'ils appelloient Teut , God , Vodan , Odin.
Jornandès dit (39) que les Goths immoloient leurs captifs à Mars,
qu'ils lui offroient les prémices de leur butin, & que, pour l'honorer,
ils pendoient à des arbres confacrés les dépouilles de leurs ennemis.
Paul Diacre , qui donne à ce Dieu le nom qu'il portoit parmi les Peu-
ples de la Germanie, dit que c'étoit (40) Vodan. Procope dit (41) qu'ils
immoloient leurs prifonniers à Mars , qu'ils regardoient comme le plus
grand des Dieux. La Mythologie des Iflandois nous avertit que (4;^
(3î) Ci-deflus,ch. III, §. 3. note is>. , (37"; CidefTus, ch. V. §. %. note 27.
.(3+) Corpufcul. Jiwis Tit. ,^1 hurciti injlimi | (}» Ci-deflTiis, §. i. note ».
fojfint. ap. Forcatul, lib V. p. 701. & ia Cujac
Opp. Toin. I. p. 2S7.
(îs) Gi-dcflus, cb. VJr §. 5. note «S.
C»6] Ci-dcffus,^V V. J. 1. note 4.
(39 Ci-de(fus , ^. I. note 10.
(40J Ci-deffu3, ch. vi. Ç. 5. note 35.
(41J Ci-deflos , cil. iv.§ 7. note 33.
L r V R E nr. e ft a p i t r e vu. 7^-
c'eft Olin , qui eft le plus ancien & le plus grand de tous les Dieux.
Hérodote affure ( 43 ) que les Scythes ne confacrent des fimulacres ,
des Temples & des Autels qu à Mars. C'étoit donc leur Dieu fuprême.
Les Turcs , qui faifoient partie de ces Scythes , & qui font , comme on
le prétend , les ( 44 ) Jyrcx d'Hérodote , nous difent que leur Dieu
fuprême s'appelloit ( 45 ) Tay. On a prouvé que c'eft le Dieu Tis ,
auquel la plupart des étrangers ont donné le nom de Mercure. Hérodote
l'appelle ici Mars. Mais auffi il ne met point Mercure au nombre des
Divinités qui étoient adorées par les Scythes.
§. III. Il eft prouvé , ce femble, que l'on a diftingué mal-à-propos Pourquoi a-
le Mars des Celtes de leur Mercure. Ces deux noms défignent conftam- M°rs & du"
ment la même Divinité. Il ne refle plus qu'à ré oud.-e cette queftion : Corn- ^ji^'s"'^^'!"
ment a-t-il donc pu arriver que les Anciens fe foient prefque tous générale- t^ivinicés dif»
ment accordés à foutenir que , félon la DoSrine des Peuples Celtes , Mars 6*
Mercure étoient deux Divinités différentes ? Voyons donc ce qui a pu
leur faire prendre le change. Deux chofes y ont fur-tout contribué.
1°. Les divers noms que les Peuples Celtes donnoient auDieu fuprême.
Ils l'appelloient non - feulement Teut , ce qui étoit fon nom propre ,
mais encore God^ Guod , Guodan , Vodan , Odin , le Bon, ou Hes , &
avec une terminaifon latine Hefus , c'eft-à-dire , le Seigneur. Lucain &
Laftance difent (46) que les Gaulois offroient des viûimes humaines
à Hefus Se à Teutatès. Le commun des Auteurs prétend que Teutatis
eft Mercure^ & Hefus , Mars. Peut-être que Lucain, & Laûance, qui l'a
fuivi , ont regardé le Hefus , & le Teutatès , comme deux Divinités
différentes. Ils peuvent être tombés dans cette erreur, parce qu'ils ne
fçavoient pas que le mot de Hefus eft un nom purement appellatif , qui
défignoit autrefois, dans toute l'Eijrope, un Prince, un grand Seigneur.
On le donnoit indifféremment aux Héros & aux Dieux.
La Mythologie des Iflandois , portoit , par exemple (47) qu'il y avoît
idouze Dieux ( Afa ) , & douze Déeffes ( Afyniœ ) , qui méritoient
les honneurs divins ; mais qu'0<//'« étoit le plus grand & le plus ancien
(4)^ Ci-deflus, ch. ITI- §. ]. note t.
(44) Hetodot. IV. 11. Effcftivement le nom
Hljtct , en y ajoutant l'article Scythe, Th , fait
1< mot Thiyrct , TKret. Auffi Pomponius Mcla
lib. I.cap. 19. itt fine af pelle-t-il foimclleilient
ce Peuple Turea,
(4j; Ci-delTus, ch. IV. §. i. note «. «h^ VI.
§, 10. note s.
(4£J Ci-deflTus, ch. VI. §. 4. notes 9.81 l»!
(47) &àài lHand. Hythol. i ».
yô HISTOIREDES celtes;
des Dieux ( Afarum ). Arngrim Jonas , après avoir remarqué ( 48 )
que les Chefs d'une célèbre Migration des Suédois furent appelles Afer^
ajoute que le fingulier de ce nom eft As , ou Aas , & qu'on le don-
noit , par excellence , à OJin , avec l'épithéte de Tout-PuiJJant (49). On
voit aufli dans Olaiis-Rudbeck (50), que Fan- ^s fignifioit autrefois ,
parmi les Suédois , Seigneur Dieu , & Fan-jEJîr , les Seigneurs Dieux.
La Langue des Etrufces ne différoit point , à cet égard , de celle des
Peuples du Nord ; ils appelloient un grand Seigneur ('51) Bannas , &
les Dieux (51) AE/î , ou (53) jEfar. Les Peuples qui avoient paffé de
Thrace en Afie , comme les Lydiens , & les Phrygiens , appelloient
le Dieu fuprême (54) As-Tis , le Seigneur Tis , ou ( 55 ) Titias , Tis^
le Seigneur. Selon les apparences , As-Land, Adand , Ajia (^6) , figni-
fioit, dans leur Langue, la terre des Héros, le Pays oii les grands Sei-
gneurs paffoient pour y moiffonner des lauriers , & Atlas ^ ou Addas ^
im noble Seigneur. Peut-être auffi que ce nom à! As eft caché dans
ceux de (57) Lailas ^ de Bifyras , de Titax , que des Héros Thraces &
Lydiens ont porté. LesGoths, au lieu de dire As, prononçoient (58)
'^nsy&c ce mot défignoit, parmi eux, un Héros , un grand Seigneur. Les
Latins, les Grecs , les Germains , & les Perfes, changeoient encore plus
la prononciation de ce mot. Les Latins àifoient , I/erus , le Seigneur ;
Hera , la Dame. Les Grecs (59) Héros , un Seigneur , un demi Dieu ;
Hera, ou Era la Dame, c'eft-à-dire , la Terre. Les Germains Hcer , un
Maître , un grand Seigneur; & les Perfes (60) Art, un homme illuftre,
dlftingué , un Héros. Le nom Gaulois Refus étoit donc un titre , une
épithéte de la Divinité. On comprend facilement , après cela , que des
Etrangers ayant oui dire aux gens du Pays , qu'ils adoroient Hefus
Tentâtes , purent croire que ces deux noms défignoient deux Divinités
différentes , de la même manière que les Grecs firent du Ditis Pater
(61 ) des Aborigines deux Dieux diiî^érens.
(4t) Arngrim Jonas ap. Loccen. Hift. Suec.
V. 3*9.
(45) Dra Almtijie Au , fîgnifie le Seigneur
Tout Puifl'ant.
(5c) Olaus Rudb. Atlantid. Toiti. I, p. i «4.
' (il; Hefychius.
(51^ He'ychius.
(js) ^uei. Augaft. cap. 97.
(i4) Ci-dciT. ch. VI. f t. noce $ j. «ce.
(ssilbid.
(56) Herodot. IV. 4J.
(57) Hefychius.
(si Jornand. Goth. cap. zitl. p. <Z9.
(59; Hefychius. Martian. Capell. Satyr, lib.IL
(60 Hefychius.
(»ljCi-dcffu5,ch. YI. J. 14.
LIVRE III. CHAPITRE VII. 77
1°. L'autre fource de l'erreur , où font tombés ceux qui diflinguent
le Mars des Celtes de leur Mercure, c'eft la diverfité du culte que ces
Peuples offroient à leur Dieu fuprême. Les Nations qui avoient une
demeure fixe, tenoient leurs affemblées religieufes, ou dans des Fo-
rêts, autour d'un Arbre confacré , ou fur des Collines, autour d'un
amas de pierres. Les Nomades , au contraire , c'eft-à-dire les Peuples qui
menoient une vie errante & vagabonde, formoient, avec de la terre
& des fafcines ( 62 ) , une efpece de colline artificielle , au haut de
laquelle ils plantoient une épée , & c'étoit-là leur Sanftuaire , ou ,
comme Hérodote l'appelle, leur Temple, auiîi long-tems qu'ils de-
meuroient dans la contrée. Tous les Peuples Celtes , en général , quand
ils entroient en campagne , & qu'ils étoient à la vue de l'ennemi , plan-
toient , fans autre façon , au milieu du camp , une épée , ou halebarde ,
qui étoit le fimulacre du Dieu qu'i's adoroient. Il ne faut pas être furpris
que les Grecs & les Romains , prévenus de leurs idées , ayent cru que
le Dieu que les Celtes fervoient autour d'un amas de pierres étoit
Mercure , &C qu'ils ayent pris pour Mars , celui dont le fimulacre étoit
une épée.
§. IV. Concluons , par toutes les raifons qui ont été difcutées ,"
que les Peuples Celtes n'adoroient tous qu'un feul Dieu fuprême, qu'ils
appelloient Teut , ou Tis , & que les Etrangers ont appelle tantôt
Mercure , tantôt Alars , Jupiter , Saturne , ou Pluton. S'il étoit vrai ,
comme plufieurs l'ont cru , que le Mars des Celtes eût été une Di-
vinité particulière & fubalterne , il faut avouer qu'on ne fçauroit
qu'en faire , ni dans quelle clalTe le ranger. Ces Peuples ne connoif-
foient point le culte des morts. Ils ne rendoient point de fervices reli-
gieux aux âmes de leurs Héros ; & , à la réferve du Dieu fuprême , ils
n'en reconnoiffoient aucun qui ne fut attaché à quelque Elément , au
Feu , à l'Air , à l'Eau , à la Terre. C'eft ce qui conduit à parler des
Divinités fubalternes que ces Peuples plaçoient dans les Elémens, &
dans les différentes parties de la matière.
■ '
(«») Hcwdot. IV. «ï.
7& HISTOIREDES CELTES,
^ — ^
CHAPITRE VIII.
Dts Divinités §. I. \_J ANS les Chapitres précédens , on a montré fort au long que
pics cAics les Peuples Celtes rendoient un culte religieux aux Elcmens , & à
fiaTiTEié- toutes les difFérentes parties du monde vilîble. Ce culte étoit fondé
'"""'■ fur la perfuafion qu'il réfidoit dans l'Air, dans le Feu , dans l'Eau , &C
dans tous les corps , que nous regardons comme inanimés , des Intelli-
gences qui avoient une affez grande fupériorlté fur l'homme , tant par
les lumières, que par la puiflance dont elles étoient douées, pour mé-
riter un fervice religieux de fa part. Dans le fond , cette idée , au lieu de
kur être particulière, étoit commune à la plupart des Payens. Ils ne
comprenoient pas qu'une matière morte & infenfible pût avoir en
elle-même le principe du mouvement , ni la vertu de fe mouvoir,
avec une fageffe infinie & un ordre admirable; ils ne croyoient pas que
ce fût une chofe digne de l'Etre fuprême de defcendre dans tous les
détails que demande la confervation & la conduite de l'Univers ; c'eft
pourquoi ils lui affocioient des Intelligences fubalternes qui avoient
chacune fon diftricl & fon département particulier. Il ne faut pas
douter que ce ne foit ici l'origine de la plus ancienne idolâtrie. Le So-
leil , la Lune , l'Armée des Cieux en furent les premiers objets , parce
qu'on jugea que des Aftres fi beaux , fi utiles à l'Univers , en général , &
3u genre humain , en particulier , étoient conduits par des Intelligences
bien-faifantes , & amies de l'homme. On ne fe propofe pas de parler ici
(de toutes les Divinités fubalternes que les Peuples Celtes plaçoient dans
les Elémens. Un femblable détail meneroit à l'infini. Il faudra fe con-
tenter de parler des principales Divinités qu'ils fubordonnoient à l'Etre
fuprême. Il ne fera même néceflaire de toucher cette matière qu'autant
qu'elle pourra contribuer à faire connoître la parfaite conformité qu'il y
avoit , à cet égard , entre tous les Peuples Scythes & Celtes.
ApiJsieDicu §• ^^- Après le Dieu fuprême, le grand objet de la vénération de ces
B^rn^H^oViet'' P^uplcs étoit la Terre. C'eft ce qui a déjà été prouvé en partie. On
t 'X'"pcuv ^ ^" ' ^^^ exemple (i), que les Scythes rendoient un culte religieux ,
(?) Çi-dcff. cji. ni. §. 3. note I,
LIVRE m. CHAPITRE VIII. 79
à la Terre (1); que les Turcs la célébroient dans leurs Hymnes (3); pies ceitM
que les Perfes lui offroient des facrifices (4) ; que les anciens habitans
de la Grèce la regardoient comme une Divinité. En parlant du Dieu X
Tcut , & de l'idée que les Peuples Celtes s'en formoient , il a encore
été prouvé (5) qu'on le regardoit comme le mari de la Terre, à la-
iquelle il s'étoit uni pour produire l'homme, & toutes les autres Créa-
tures. C'étoit la raifon pour laquelle on ne iéparoit guères le culte de ces
deux Divinités. Le Dieu fuprême n'étoit devenu le Père des hommes
que par fon mariage avec la Terre ; & la Terre auffi n'étoit un objet
<l'adoration qu'autant que l'Etre infini s'en étoit fervi pour la pro-
dudion de l'homme. Ainfi les Scythes ( 6 ) adoroient Jupiter & Apia^
c'eft-à-dire , la Terre , qu'ils regardoient comme la femme de Jupiter.
Les Thraces fervoient Cous (7) & Bendls , les Phrygiens (8) , Atis &c
Rhea , les Italiens (9) , i'^z^w/'/ze & O/75, les Germains (loj , Vodan ôi
la femme Fna^ c'ell - à - dire , la Terre.
Il n'eft pas néceflaire , après cela , d'entrer dans un plus grand détail,
ni pour prouver que la Terre étoit ime des plus grandes Divinités des
Peuples Celtes, ni pour rechercher les fondemens du culte qu'ils lui
rendoient. L'un & l'autre de ces articles paroiffoient affez cclaircis.
Contentons-nous de repréfenter ici le culte même que ces Peuples ren-
doient à la Terre , & les fêtes qu'ils lui confacroient. Elles fe célébroient
par-tout avec les mêmes cérémonies , qui ont paffé infenfiblement de
la Scythie dans Les Provinces méridionales de l'Europe, & jufques dans
l'Afie mineure.
§. III. Ta(.ite , parlant de divers Peuples qui demeuroient dans le
Nord de la Germanie, n'y trouve rien qui mérite d'être remarqué, fi
ce n'cll (il « qu'ils adorent tous la Déefle Herthus , c'eft-à dire , la
» Terre , s'imaginant qu'elle intervient dans les affaires des hommes ,
» 6c qu'elle va vifiter les Peuples. Il y a dans une des (12) Ifles de
Fête de II
Terre parmi
(2; Ci-deflT. ch IV. §. t- note «.
(î Ci-dtfl". chap. IV. §. i. noteS4. & 5. §. 4.
note 1 1 .
(4) Ci-deflf. ch. IV §. 2. notes K. & 17.
(s) ei.d. ch VI. §. 16. note i»o.
(6) Ci-defT ch. UI. §. 3 note &,
(7) Ci-deir ch VI. § « note 42.
(«) Ci-dcfl" ch VI. §. 8. notes Ç3. 54. & 57.
(yjCi-deir, cb. VI. §■ 1$. noce ito,
(loi Ci-deff. ch. VI.§. l£. notes 177.& 19»,
( I i,i Tacit. Gcrm. cap. 40.
fii* Ciuviet German. Ant. p. 134. juge que
cette île e& celle de Kiigen, dans la Mer B^Ui»
que. Cependant Tacite la place don-, la Mel
Oceane. D'ailleurs l'Hiftotien nomme peu après
les B.uges , & ne les connptc point entre le»
Peuples dévoués au culte de la Dceffe Herthus.
On doit donc, ce femble , cheichei le boi^ ixvi
8o HISTOIRE DES CELTES, •
w l'Océan une chafte Forêt , dans laquelle on conferve un Chariot qui
»> lui eft confacré. Il eft couvert d'un habit , & perfonne n'a la per-
» miffion de le toucher que le Sacrificateur de la Déefle. Celui-là obferve
» le rems où elle fe trouve dans le lieu qui lui eft confacré , & fuit
M avec beaucoup de refpeû la voiture traînée par deux vaches. On fait
»> de grandes réjouiffances , on célèbre des fêtes dans tous les lieux oh.
» elle paffe , & auffi long-tems qu'elle y féjourne. Pendant cette fo-
» lemnité , ils ne font point la guerre , & ne portent point fes armes ,
}> qui font toutes enfermées. Ce n'eft qie pendant cette fête que la
» paix &c le repos font connus & aimés. Après que la Déeffe s'eft rafla-
M fiée d'être dans la compagnie des mortels , le même Sacrificateur la ra-
» mené dans fon Temple. Enfuite le Chariot & les habits , & , fi on
» veut les en croire , la Divinité elle - même eft lavée dans un lac
M fecret & inconnu. On employé à cela des Efclaves qui font d'abord
» noyés dans le même lac. Il naît de-là une frayeur religieufe , qui réprime
» toute curiofité profane , fur un myftere que l'on ne peut connoître
» fans qu'il en coûte la vie à l'inftant. »
Le culte de la Terre n'étoit pas particulier aux Peuples que Tacite
nomme en cet endroit. Il remarque un peu plus bas (13 ),que «les
wEftions, qui font les Pruffiens d'aujourd'hui, vénèrent la mère des
« Dieux , &c qu'ils portent des figures de fangliers , comme une enfeigne
» de cette dévotion. Cette figure leur tient heu d'armes & de défenfes,
» & met les Adorateurs de la Divinité en fureté , même au milieu de
» leurs ennemis. »
§. IV. Les paflages qui viennent d'être cités , méritent quelques ré-
flexions. 1^. La Déefle que les Germains appelloient Herthus , étoit
la Terre. Tacite fuit le ftile des Romains en l'appellant la Terre-Mere ,
la Mère des Dieux. Mais il ne faut pas douter que les Germains ne lui
donnaflent les mêmes titres , puifqu'ils la regardoient comme la femme
4u Dieu fuprême , & comme la mère des hommes &; des Dieux. Le
Sçavant M. Keyller fe trompe donc afliirément, lorfqu'il prétend (14)
de la Déefle, non dans le îays des Ruges, mais
chez quelqu'un des autres Peuples qui faifoient
profeflîon de l'honorer. Il y a plus d'apparence
que c'eft l'île à' Hciligclundfiiaée'i l'embouchure
de l'Elbe. Les Anglois {Angti ) demeuroient de
«e côc^-lii & Ainkiei a demontié, dans fcs Aor 1
tiquités Cimbtiques, que les anciens Germains
avoient cette ilc en grande vénération. Lq iqot
à.' Htiligdtnd lîgnifîe Ttrrt fuime.
( U ) Tacit. Germ. Cap. 4 s .
(14) iÇe/flci Anciq. Scptcnt. p. ijt.
LIVRE III. C H A P I T R E VIII. 8i
que la mère des Dieux , vénérée par les Eftions , étoit le Soleil , au-
quel les Anciens oftroient des fangliers. Cette conjefture ne peut s'ac-
corder , ni avec la Mythologie des Peuples Scythes & Celtes , ni avec
les paroles de Tacite qui la détruifent formellement.
z". Cette grande folemnité , que plufieurs Peuples de la Germanie
célcbroient à l'honneur de la Terre, étoit la fête de la naiflance du
monde , & du premier homme. On y regardoit la Terre comme une
femme qui relevé de couche. On lui faifoit prendre l'air, on la pro-
menoit , on la baignoit. Elle rendoit fes vifites. Chacua la félicitoit,
& fe réjouiflbit avec elle de fon rétabliffement , & de l'augmentation
de fa famille. Comme cette folemnité avertiffoit les Ppuples Germains
qu'ils avoient tous une origine commune (15) , qu'ils étoient tous enfans
de la Terre, on ne voyoit par-tout que feflins , que réjouiffances , avec
mille démonftrations d'une amitié réciproque. Toutes les armes demeu-
roient enfermées pendant tout le tems de la folemnité , afin que per-
fonne n'outrageât la mère commune du genre humain par l'efFiifion du
fang de fes enfans. Tous ceux qui portoient fes livrées étoient en fureté ,
même au milieu de leurs ennemis , qui les regardoient & les traitoient
comme des frères. Cette idée étoit auffi belle que jufte. Il auroit été
à fouhaiter feulement qu'elle fe fût profondément gravée dans l'efprit
des Germains , & qu'ils ne fe fuffent jamais départis des leçons qui en
réfultoient naturellement. Mais d'abord que la fête étoit finie , les hofti-
lltés recommençoient au milieu de ces Peuples féroces. Alors , comme
aujourd'hui , les hommes avoient de beaux principes ; mais ces principes
n'étoient que de pures fpéculations, qu'ils démentoient enfuite par toute
leur conduite.
§. V. Ceux qui ont quelque connoiflance du culte que les Lydiens , cuire que Us
les Phrygiens, & les autres Peuples Scythes de l'Afie mineure, ren- '|;"sd"rAfiê
doient à Rhea , c'eft-à-dire , à la Terre, fe font fans doute déjà an- "'"""=''"■
perçus , qu u ne differoit pomt de celui que les Germains rendoient à T"rc.
la même Divinité. «Les Phrygiens, dit Firmicus-Maternus (16), affi-
» gnent à la Terre la primauté des autres Elémens , & veulent qu'elle
» foit la mère de tous. « Ils l'appelloient la Grande Mère , la Mère des
(15) Ci-deff. ch. VI. §. s. note 28.
(l«) Fitmic. Matern. de error. Ptof. Relig. pag. 40J.
Tome II.
5x HISTOIRE DES CELTES,
Dieux. Elle étoit le grand , & en quelque manière , l'unique objet de
leur (17) culte. La plupart de (ts Sanftuaires étoient fur des mon-
tagnes couvertes d'épaifles forêts. De-là les divers noms de (18) Bere-
cynthia , Ptjjinuntia , Idœa , Dindymene , Cybde , Agdejiis , qu'on lui don-
noit, & qui étoient tous pris des différentes montagnes de la Phrygie , oîi
cette Déeffe étoit fervie.
Les Phrygiens , comme les Germains , ne confacroicnt point à la
Terre de fimulacres qui repréfentoient la Divinité fous la forme de
l'homme , ou de quelque animal. On voit , dans l'Hiftoire Romaine , que
le Sénat ayant fait confulter les Livres de la Sybille, y trouva que le
véritable moyen de fe délivrer de la guerre qu'Annibal avoit portée eii
Italie, c'étoit d'aller chercher à Peffinunte , la mère des Dieux, & de
l'amener à Rome. Les Ambafladeurs , qui avoient été chargés de cette
importante commiffion, apportèrent (19) à Rome , en grande pompe ,
ime pierre , que les habitans leur avoient dit être la mère des Dieux,
Feftus & Servms remarquent ( 10 ) que les Romains , en recevant la
mère des Dieux , adoptèrent le culte qu'on lui rendoit en Phrygie , fans
y rien changer. C'étoit donc des Phrygiens que les Romains avoient
appris (1 1) à promener tous les ans cette pierre fur un chariot ou dans
une litière , & à la laver enfuite folemnellement dans une petite rivière
que le Tibre reçoit au-deflbus de Rome. Nous avons vu que les Ger-
mains pratiquoient précifément les mêmes cérémonies pendant la fête
qu'ils célébroient à l'honneur de la Terre. Peut-être même que ce ne
feroit pas une conjedure tout-à-fàit hafardée , de croire que cette Divi-
nité , qu'ils promenoient dans une voiture , & qu'ils lavoient dans un
Lac fecret & inconnu , étoit aufli une pierre. Saint Auguftin a remarqué
(il) que, lorfque les Romains promendient la mère des Dieux, ceux
qivi affi{k)ient à la proceflion chantoient des chanfons remplies de fottifes
& d'infamies. Les couches de la Terre , fon mariage avec ^tys , l'aftion
ê^Atys qui , après la naiffance du premier homme , fe mit hors d'état
(17; Schol. ad Apollon. Argon. lib. I. p. loj. (19) Livius XXIX. 2.
Ht. Maciob. Sacuin. I. cap. zi. p. iio. Mis.
1t\\% p. sa. Steph. de Urb. p. s+o.
(i«} Stiabo X. pag. 4«». xii. 5*7. Servius ad
^zej Forap. Fell. j>. 4s.£etviusadi£Beid.XII.
Y. «}«.
[il] Prudent. Pctti Steph. Hymno X. v. 15 j.
X.M\A. VI. Y. 78». Hefychius. Herodot. V. loi. ' Ovid. Faft. IV. v. 537. Lucan. I. v. 600.
Suidas Toin. II. p. )**' Faufan, Attic. IV.p. 14. I (si) Auguft. de Civit. Dei lib. I/. cap. 4.
Dionyf. Halic. Jib. I. p. 50. i-Vtjex. auffi la note de Vives fui cet aiticle.
(
LIVRE III. CHAPITRE VIII. §u
d'avoir d'autres enfans avec fa femme , en fourniffoient fans doute le
fujet. Enfin, les Corybantes t 13 ) , les Telchines , les Daûiles-Idéens
nous font repréfentés comme les Miniftres, & les Affefleurs de laDéeffe.
Il a été prouvé ailleurs , que ce font (24) les anciens Scythes , qui
offroient leurs facrifices d/i^c des chants , des danfes , 6c un tumulta
qui les fàifoit prendre pour des poffédés. La feule différence qu'il y a
ici entre les Germains &c les Phrygiens , c'eft qu'en Fhrygie , la mère
des Dieux avoit pour Sacrificateurs des Eunuques , ce qui n'étoit point
d'ufage en Germanie , à ce qu'il paroît. On prétend que ces Sacrifica-
teurs, que l'on appelloit (15) Galli^ tiroient leur nom de la petite rivière
de (i6) Gallus , qui fe jette dans le Sangarius , & qui avoit autrefois la
vertu de rendre furieux ceux qui buvoient de ces eaux. Il fe pourroit
fort bien qu'ils portaffent le nom de ce fleuve , parce qu'on y lavoit
la mère des Dieux ; & , comme ils faifoient les pofftdes après la céré-
monie , on s'imagina , fans doute , que c'étoit l'eau même du fleuve ,
qui leur donnoit cette fureur. Peut-être aufll qu'ils portoient le nom de
Gain, pour marquer qu'ils étoient étrajigers (17) & voyageurs fur la
terre , qu'ils fe promenoient par-tout, avec leur D^efle , fans avoir
jamais de demeure fixe. Ce qui paroît confirmer cette conjedure ,
c'eft que les Dévins des premiers habitans de la Sicile s'appelloient
aufli (18) Gakoi,
Il n'eft pas facile de deviner oit Saint Jérôme avoit pris que les
Prêtres Phrygiens , dont nous parlons ( 29 ) , w étoient de véritables
» Gaulois , que les Romains choififToient pour fervir la mère des
«Dieux, & qu'ils privoient de ce qu'Origene perdit volontairement,
«pour punir, par cet affront, une Nation qui avoit pris autrefois la
» Ville de Rome ». C'efl une fable. Les Prêtres de la mère des Dieu»
n'étoient pas des Gaulois , mais des Phrygiens , comme tous les Anciens
l'ont reconnu. Peut-être que les Phrygiens avoient appris des Orien--
taux à faire fervir leur DéefTe par des Eunuques. Peut-être aufïï qu'ils
trouvoient dans leur Mythologie la raifon de cet ufage. Us difoient (30)
{^i) FoUux lib. II. cap. 4. n. 3 i . pag io«.
Schol. Apotlonii lib. I. liC. Faufan. Eliac. I.
(14) Ci-deiT. Liv. II. chap. 10. p. ijz.
(is) Lucan. I. v. s<7.
(i«) Ovid. Faft.IV. v. 3«i. Fliti.V. jt.Steph.
de Urb. p. i6i.
(■-7) e'eft ce que lignifie le mot 4e Gdlut,
Viyci. ci-deff. Liv. I, ch. 14. p. 91.
(t«) Ci-de<r. Liv. I ch. II. p. 72.
(lï) Hieronymut in Ofe IV. 14.
(jo) Ci-4cir. ch. Vi. J. t. notes s,'-i7.
Lz
la Terre,
94 HISTOIRE DES CELTES,
qu'Jtis étoit le mari de la Terre. Ils le fervoient avec elle. Ils le
regardoient (31) comme l'auteur des profpërirés de leur Nation. Parce
qu'il n'y a fur la Terre qu'une efpèce de créatures raifonnables , qui eft
l'homme; parce que le Créateur ne forme plus de nouveaux êtres, ils
difoient , félon les apparences , que depuis Iff. formation du monde , &
de l'homme, Aeis avoit perdu la faculté d'engendrer, qu'il s'éioit fait
eunuque , ôc qu'il dcvoit être imité en cela par fes Sacrificateurs. C'efl
xine conjcûure qu'on abandonne volontiers au jugement du Ledeur ;
mais qui efl: , au moins , plus naturelle que l'aflertion de S. Jérôme.
La Diane, §• VI. Il ne faut pas quitter les Peuples Celtes de l'Afie mineure,
a°oien"éta- ^^ns dire un mot de la Diane à laquelle ils avoient confacré un Sanc-
bii le cuircà tuairc à Ephefe, dans le même lieu où l'on bâtit depuis ce célèbre Tem-
Iphcrc , etoit • ' '
pie qui paffoit pour l'une des fept merveilles de l'Univers. Cette Diane
étoit originairement une Divinité Scythe : la chofe n'eft pas conteftée.
Quelques - uns ont cru feulement (32) que e'étoit la Lune. La méprife
n'eft pas confidérable. Nous verrons , en fon lieu , que les Scythes
vénéroient auffi la Lune. Mais^ au refte, la Diane d'Ephefe étoit conf-
tamment la Terre. On le voit dans un paflage de Callimaque, qui mérite
d'être rapporté. Ce Poëte , dans fon Hymne à Diane, dit à la Déefle(3 3) :
«Les belliqueufes Amazones, vous confacrerent une ftatue à Ephefe,
» fur le bord de la mer , & la poferent fous un hêtre. La Prêtreffe
» Hippo en fit la cérémonie , & , après le facrifice , les Amazones danfe-
» rent folemnellement autour de votre ftatue , ô Reine Oupis. D'abord
» elles danferent avec leurs boucliers , ce qu'on appelle une danfe
» armée, enfuite elles firent un grand cercle, & danferent un branle au
M fon des flûtes. On bâtit , dans la fuite , autour de cette ftatue , un
» vafte Temple, le plus magnifique que l'on trouve dans tout l'Orient.
» L'impie & furieux Lygdamis menaça de détruire ce Temple. Il vint
«même l'attaquer avec une armée de Cimmériens, qui fe nouriftent de
» lait de cavale, & qui demeurent près du détroit (34) que la fille
» d'Inachus , transformée en géniffe , pafla à la nage. Leur nombre égaloit
» celui du fable de la mer. Cependant cet infortuné Prince fe trouva bien
M trompé dans fes efpérances. Il ne fçavoit pas que , ni lui , ni aucun de
>» ceux qui avoient campé , avec leurs chariots , dans les prairies que
(31) Ibid. note 53.
(31) fij"». ci-deflbus, ch. 13. §.3.
(33) Callimacb. H;rmn. in Dian. v. zjs-isS.
(34 C'cft le Bofphore de Thrace , près dt
Conftantinoplc.
LIVRE III. CHAPITRE VIII. 8y
»le Caïftre arrofe, ne retoiirneroit dans fa patrie. C'eftainfi , ô Diane,
» que vos flèches ont toujours couvert la Ville d'Ephefe comme un
»> rempart ».
§. VII. Donnons -nous la peine d'examiner & d'expliquer ce paf-
fage , qui renferme plufieurs particularités remarquables au fujet des
Celtes, & fur leur Religion,
i.° Le Poëte dit que les Amazones avoient établi à Ephefe le culte
de Diane. Il eft fuivi , en cela , par une foule d'Auteurs (35), qui
attribuent unanimement à ces femmes belliqueufes la fondation de la
Ville & du Temple d'Ephefe. Mais perfonne ne dit qui étoient ces Ama-
zones , ni d'où elles étoient venues. Cependant il ne fera pas difficile de
le déterminer. Les Amazones font les femmes des Scythes , tant Sarmatcs ,
que Celtes. Les unes & les autres fuivoient l^rs maris à la guerre,
avec cette différence, que les femmes des Sarmates fe battoient avec l'en-
nemi , aulieu que les femmes des Celtes fe contentoient ordinairement
de fervir leurs maris, & d'offrir des prières & des facrifices pour le bon
fuccès de l'expédition. Elles demeuroient chargées , pendant la campa-
gne, de tout ce qui regardoit l'extérieur de la Religion. Les Amazones,
dont il s'agit ici , étoient Celtes. C'étoient les femmes de plufieurs
Peuples de Thrace , qui ayant palîe dans l'Afie mineure , en avoient oc-
cupé la plus grande partie : de ce nombre étoient les Lydiens , les
Phrygiens , les Myfiens, les Thyniens, les Bithyniens, les Mirandins,
les Cariens , les Paphlagons , les Moffyniens , & plufieurs autres qui
donnèrent chacun leur nom aux différentes Contrées où ils s'étoient
établis. Ceux qui s'étoient emparés du territoire , où l'on bâtit depuis
la Ville d'Ephefe , étoient les Lydiens (36) & les Cariens. Ils en fli-
rent dépoffédés dans la fuite , par des Grecs (ny) Ioniens , qui donnèrent
à la Contrée le nom d'Ionie. Pendant que les Lydiens étoient encore maî-
tres du territoire d'Ephefe , ils y avoient confacré un Sanâuaire à
leur Diane. Les Prêtreffes font donc ici les femmes des Lydiens, & parti-
culièrement les Prêtreffes qui préfidoient au culte de la Divinité. Effec-
tivement, on voit dans Ariftophane (38), que la Diane d'Ephefe étoit
encore fervie , de fon tems , par des Vierges Lydiennes. Le Scholiafte du
(35) Dionyf. Pericget. v. !>27. Euftath. ad h.
loc. pag. 123. Strabo i(IV. initio. Juftin IJ, .
Plin. V. 19- Pompon, Mêla lib. I. cap. 17, p. 21.
Steph. de Urb. p. 3*5. *7 7, Solin, cap, 5 3,
(3«, La Ville d'Ephefe avoit au Nord la Ly-
die, & au Midi le» Cariens. Herodot. I. 41.
(37^ StraboXIV. p. 6}9.
(ii) Aiifloph. Nttb. p. 70. Schol. ad h. 1.
^
U HISTOIRE DES CELTES,
Poète ajoute que la Ville d'Ephefe avoit appartenu anciennement aux
Lydiens. La fable qui porte (39) qu'Ephefe fut bâtie par une femme du
ipjjme nom (*) , qui étoit fille de LydJ, & de laquelle les Amazones étoient
dcfcendues , cette fable infinue affez clairement que les Amazones , dont
il eft queliion, étoient des vierges, ou des femmes Lydiennes.
zy Le nom de la Déeffe, à laquelle les Amazones avoient confacré le
Sanûuaire dont nous parlons, étoit Oupis. «Elles danferent, dit Calli-
w maque , autour de votr^-ftatue , ô Reine Oupis ». Pour bien exprimer
le fens du Poëte, il faudroit traduire elles danferent autour de votre jiatue
l'Oupianassa (40), c'eft-à-dite, qu'en danfant , elles chantèrent
l'Hymne qui commence par ces paroles Oupianassa , ou , comme
d'autres prononçoient , Iphianassa. Un autre Poëte Grec avoit auffi
obfervé ( 41 ) que fis Ephefiens donnoient à leur Diane le nom
A^Opi-s. Cette Opis eft manifeftement la Terre, que les Scythes appelloient
(41) Apia, les Italiens (43) Ops , & les Phrygiens (44) Opis , eu (45)
Rhea. Les Ephefiens n'en difconvenoient pas, puilqu'ils repréfcntoient
leur Diane (46) avec un grand nombre de mammelles pleines de lait ;
caradère qui convient parfaitement à la Terre , qui nourrit avec abon-
dance l'homme & les animaux ; mais qu'on ne pouvoit appliquer à la
Diane des Grecs , c'eft-à-dire , à une Vierge. M. Tournefort fait mention,
dans fes Voyages (47), de quelques anciennes médailles de la Ville d'E-
phefe , qui marquent qu'elle fut bâtie à l'occafion d'un fanglier. Effeftive-
ment , Iphi-fou fignifioit , en Scythe , le fanglier d'Opis. Comme le fanglier
étoit (48) confacré , parmi les Scythes , à la Terre , il fe peut fort bien que
les Lydiens , ayant trouvé dans la forêt une laye avec des marcaflins ,
y établirent un Sanduaire , auquel ils donnèrent le nom d'Ipkifou , &
peut-être eft - ce delà que , dans la fuite , la Ville qui fut bâtie dans le
voifinage, prit fon nom.
(3») Etymol. Magn. p. 40S. 6cci-d. not. 35.
( * ) Une aute FabJe portoit que le Cmjfre ,
Fleuve de Lydie , reçut ce nom de C/w/riKj , fils
de l'Amazone Penihefile'e, qui e'poufaDe««odans
îâ ville d'Afcalon, & eut d'elle SefluV4m» qui
bâtit Babylone. Etym. M. p. 444.
(40) Ovsit a^tt^oa. «h ut oi'ta.aaa. on i(Çta.1aoffet
Veft à-dire, ô Reine Oupis. Sur le mot d'^-
ntjfi , voyez ci-dcflous , §. 9. not. 79.
(41) Servius ad i&neid. XI. V. sJo.p. m.ejz.
Macrob. Saturn. lib. V. cap. ti. p. 364.
(42) Ci-dcff. ch. III. §. 3 . not. 8 .
(43)Ci-de(r. ch. VI. §. 16 not. iSo.
. 44) Tibull. lib. I. Elcg. ».
(4s) Ci-d. §. 5. notes 17-18. RhtaeAle nom
que les Grecs de l'Afie Mineure lui donnoient.
Servius ad JEneid. XI. V. 532.
{46^ Min. Feliï cap. ; 1 . p. 207.
(47) Tow. II. p. s t9. Edit. de Paris 1717.
(48) Ci-delT. §. 3 . not. i|.
LIVRE in. CHAPITRE VIII. 87
3.*' Le célèbre Temple d'Ephefe , qui paffoit pour une des fept mer-
yeilles du monde, n'étoit point l'ouvrage des Scythes. Ils ne fervoient
point la Divinité dans des Temples faits de main d'homme. Calliniaque
dit que « les Amazones poferent la ftatue de Diane , fous un hêtre , au
»bord de la mer; & que, dans la fuite, on bâtit autour de cette Statue
» un magnifique Temple «. Denys le voyageur dit auffi (49) que , du
tems des Amazones , le Sanftuaire de la Déeffe étoit le tronc d'un Orme.
On n'oferoit, cependant, affurer que les Grecs , qui chafferent les Cariens
& les Lydiens du territoire d'Ephefe, euffent commencé les premiers à
bâtir le célèbre Temple , qu'on voyoit près "de cette Ville. La Reli-
gion des Phrygiens & des Lydiens s'altéra bientôt , lorfqu'ils fe furent
«tablis en Afie. Voifins des Cappadoces , & de divers autres Peuples
Syriens , ou Phéniciens , ils adoptèrent infenfiblement plulieurs de leurs
ulages , & particulièrement celui de bâtir des Temples.
4.* A l'égard de la Statue mêfce que les Amazones confacrerent à
Oupis , on ne voit pas trop ce que c'étoit. Callimaque employé le mot
de /îpsTaç (50), qui fignifie un fimulacre, mais il ne dit pas quelle étoit
la forme du fimulacre. S'il faut juger des Lydiens par les Phrygiens, leurs
voifins & leurs compatriotes, c'étoit une pierre. On lit dans Claudien,
que la DécfTe R/iea(^^ï^ avoit fur le Mont Ida un Sanduaire, oh l'on
voyoit un caillou facré , au pied d'un grand arbre. Strabon ajoute ici
une particularité digne d'être remarquée. Après avoir dit que le Temple
de la Diane d'Ephefe étoit fitué fur le bord de la mer, il ajoute (51)
qu'un peu au-deffus, l'on voit une belle Forêt, au travers de laquelle
coule un Fleuve , dans lequel , félon la tradition , Latone s'étoit lavée
après fes couches. Cela paroît fignifier qu'aufli long-tems que le Temple
fut poffédé par les Lydiens , on lavoit la Déeffe Oupis dans ce fleuve.
5." Callimaque ajoute que la Déejj'e étoit fervie par une Prêtrejfe ,
qui offrit le facrifice pour la dédicace du Sanctuaire. Nous verrons bientôt,
qu'il en étoit de même de la Diane Taurique , & de celle des Thraces.
Elles étoient fervies l'une & l'autre par des femmes ; on trouve même
quelque part , qu'il falloit que les Prêtreffes de la Diane d'Ephefe fuf-
(49I Gi-deir. not. 35.
(50) Pollux lib. 1. cap. I. Seft. 3. p. 3. Tem-
ble infinuetquc ce mot n'étoit pas Grec./Sptrcn
fignificroit , en Scythe, la planche de Dieu.
£r«, planche. Ai, Dieu.
(s ij Claudian. de Raptu Proferp. I. v. m.
(si) SttaboXlV. p. 63».
88 HISTOIRE DES CELTES,
fent vierges, S^qu'afin que leur pudeur fût dans une pleine fureté, les
Prêtres qui fervoient avec elles dans le Temple, dévoient tous être Eu-
nuques. Mais cet ufage, s'il eft confiant, ne venoit point des Scythes,
ni des Celtes. L'on verra ailleurs, que les Druides étoient mariés, que
leurs femmes demeuroient avec eux dans les Sanâuaires , &i qu'elles im-
moloient , auflibien que leurs maris , les prifonniers & les autres viftimes.
Selon le Poëte , la Prctrefle dont il s'agit ici , s'appelloit Hippo. Comme
les Prêtres & les Prêtreflcs des Scythes portoient ordinairement le nom
du Dieu dont ils étoient les Miniftres , ce nom ôH Hippo pourroit bien
être le nom de la Déefle , que les Scythes prononçoient Jplii. Peut-être
auffi que le nom ^ Hippo eil pris de l'Hymne que l'on chantoit dans
les Fêtes de Diane. On l'appelloit Hyppingus (^•^■^^ , c'eft-à-dire , le fau-
teur, parce que la danfe en étoit fort animée.
6." Apres kfacrifice, les Ama:;ones danfercnt folemnelUmint autour de la
Statue rOvPlANASSA , &c. Les Peii^les Scythes S>C Celtes chantoient
leurs hymnes au fon des inftrumens , & ( 54) le chant étoit toujours ac-
compagné de la danfe. Chaque Cantique avoit fon Air & fa Danfe afFec-
tée. Il ne fera pas néçeflaire de revenir à ces ufages , qu'il fuffit d'avoir
indiqué une fois,
7.^ Apris qu'on eût bâti un Temple dans le lieu où les Amazones avaient
pofé leur Statue , des Cimmériens , qui avoient pajfé le détroit de Conjlantino'
pie , fous la conduite de Lygdamis , menacèrent de détruire ce Temple. On
en voit bien la caufe. Les Cimmériens , qui confervoient encore l'an-
cienne Religion des Scythes , regardoient comme une impiété , que l'on
bâtît des Temples à la Divinité ; & , par cette raifon , ils détruifoient tous
les Temples qu'ils trouvoient fur leur chemin. Le Poëte dit que la
Déefle défendit & préferva , non-feulement fon Temple , mais qu'elle
fît périr encore tous les facriléges qui oferent l'attaquer. Sans doute
que la Chronique d'Ephefe le portoit ainfi , comme celle de Delphes ra*
contoit qu'Apollon avoit foudroyé les Gaulois qui afliégeoient fon
Temple. Ces fraudes pieufes ont été trop bien & trop fouvent imitées
par les Chrétiens , pour qu'on puiffe les reprocher légitimement aux au-,
très Religions. Au refte, il efl confiant que le Temple d'Ephefe fut
*'"' ■■■■'■ ' -- ■ - , ., ., .„.. , _ ,■■■.. I ■ ■- I ,
(sî) PoUux lib. I. cap. z. art. j3 pag. il. Hi/ife», en AUenjand, fiçnifie /«ffr,
(5+) Ko;«fcCi-!l. Liy. II. cji. lo.p. 18». ôcf«iv.
LIVRE III. CHAPITRE VIII. ^
brûlé par Lygdamis (5 5) qui, après avoir fournis (56) la Lydie & l'Ionie,
alla périr en Cilicie.
§. VIII. Puifque les Lydiens , les Phrygiens , & les autres Peuples ta Thrace.
Celtes de l'Afie mineure y avoient paffé de Thrace, il eft naturel de a h Duas
préfumer que c'étoit de-là qu'ils avoient apporté le culte de la Reine âdîrc'.'u*
Opis , c'eft-à-dire de la Terre. Effeâivement , il y étoit établi , comme ^"''*
dans tout le refte de la Celtique. On le voit dans un paflage d'Hérodote ,
où cet Hiftorien rapporte ce qu'il avoit appris dans l'Ifle de Délos, fur
le fujet des Hyperboréens, qui font ici les Peuples Thraces, ou Gétes,
établis le long du Danube , au-deffus de la Grèce. Le paflage eft trop long,
pour être traduit , ou cité tout entier. Il fuffîra d'en rapporter la fubftance.
Hérodote dit donc (57) que, «félon la tradition reçue dans l'Ifle de
» Délos , les Hyperboréens promenoient autrefois les objets de leur
» culte dans des gerbes de froment. Ils envoyoient la voiture aux Scy-
» thés , ( c'eft-à-dire , aux Peuples de la petite Scy thie , ) & delà on la ^
» conduifoit de canton en canton , du côté de l'Occident. Elle s'avan-
» çoit enfuite vers le midi. Les Grecs larecevoient à Dodone, & la con-
* duifoient fucceflîvement jufques dans l'Ifle de Délos ». ( Voilà ma-
nifeftement la DéeflTe que les Germains promenoient d'un Peuple à l'autre.)
«« Les Habitans de l'Ifle de Délos difoient que , lorfque les Hyperboréens
H leur envoyèrent , pour la première fois, ces gerbes, elles étoient
» conduites par deux Vierges , qui avoient une efcorte de cinq hommes.
» Ces Vierges s'appelloient Hyperoché & Laodicé. Dans une autte vifite , la
» Déefl"e arriva accompagnée de deux autres Vierges , dont l'une s'appel-
loit Hecaërge & l'autre Opis». (Opis eft ici le nom d'une Vierge qui, félon
l'ufage des Scythes, portoitle nom de la Terre, dont elle étoit la Prê-
treflfe. Delà vient que les Grecs entendent par (58) l'Opis des Thraces,
tantôt Diane elle-même , tantôt une de fes Suivantes. ) « Comme ni les
»> Vierges , ni les hommes qui les efcortoient , ne revinrent pas exafte-
»ment dans le Pays d'où ils étoient partis, les Hyperboréens en furent
» fort indignés , & pour empêcher que la chofe n'arrivât à l'avenir,
($s) Hefychius.
(5«) Stiabo I. p. <i.
(57) Herodot. IV. jj-Js. Selon Servius ad
JEneid. IV. v. i+S. ces Hyperbore'ens étoient
k« Agathyifes. Vo;)tt. fiu lei Agatbytfcs ci-defiT.
Liv. II. ch. 6. p. 14$. noc. ;.
($8) ApoUodor. lib. I p. t LFauTan. Eliac.I.
cap. 7. p. jsi2, Scholiaft. CjilUmacbi in Uymn.
Dianz v- 204. Servius ad iLii. XI. v. $}}.(}(.
& Ijl. pag. tfyz, j
^ Tome II, M
90 HISTOIRE DES CELTES,
ft ils firent avertir leurs voifins , en leur remettant fur les frontières les
» gerbes & les chofes faintes , qui y étoient cachées , de prendre bien
M garde à qui ils les envoyeroient ». On voit là que les Grecs , qui avoient
commencé d'adopter des fuperftitions & un culte venus d'Orient, mé-
priferent, & abolirent enfin tout-à-fait une Fête qui les lioit à l'ancienne
Religion , Se à ceux qui en faifoient profeffion.
Après tout ce détail, Hérodote ajoute ( 59) qvie «les femmes de»
» Thraces & des Péoniens pratiquoient , encore de fou tems , quel-
» que chofe de femblable , & que toutes les fois qu'elles offroient des
» facrifices à la Diane Royale , elles fe fervoient de la paille de froment ».
Il ne faut pas en être furpris. Cette Diane Royale des Thraces, & des
Péoniens , étoit la même Divinité que celle des Hyperboréens , c'eft-à-
dire, la Reine Opis , dont il a été parlé dans le paragraphe précédent. Selon
les apparences , cette Fête que les Scythes confacroient à la Terre , fe
célébroit à la fin de l'Eté. On lui ofFfoit des gerbes , ou de la paille de
froment, pour la remercier des riches moiffons qu'elle accordoit à fes
enfans. On la promenoit d'une campagne & d'un Pays à l'autre , pour
avertir que c'étoit par fes foins que la fertilité, l'abondance, & la joiç
régnoient par-tout.
Opis étoit donc le nom propre de la Terre parmi les Thraces. Mais les
Thraces, aulïï bien que l?s Phrygiens, donnoient encore à la Terre
plufieurs autres noms , qui étoient pris des lieux , oti elle avoit quelque
célèbre Sanûuaire. Ils l'appelloient, par exemple, (60) Cimmeris , (61)
Lemnos , (62) Bousbatos. Cependant, comme le Sanâuaire le plus renom-
mé qu'elle eut dans toute la Thrace , étoit celui de (63 ) Behdis , où il y
avoit un Oracle fort accrédité , les Habitans de ce Pays la défignoient
ordinairement fous ce nom. Hefychius remarque (64) que « cette Ben»
v> dis eft la même que Cybéle , ou la Grande Déefle , comme Ariftophane
» l'avoit appellée ». II a raifon, Bendis étoit la Terre , la femme de (65)
Cotisy la Mère du genre humain. Les Grecs & les Latins ont appelle
cette Bendis des Thraces , tantôt Trivia , tantôt Hécate , & le plus fou-
Tent Diane. Ils l'ont nommée (66) Trivia , la Déefle des carrefours, parce
(59) Herodot. IV, 33.
(6c) HefychiBS.
■{■4 1 ) Stepban. de Uib. p. s i_z.
'^2) Hefychius
(*)) Lucian. Icaio Mcnip. pa^. 737. Liriws j
XXXVIII. 41. Appian. Syr. p. iSs- it*.
1*4) Hefychius.
(«5) Ci-d. ch. VII. Ç. t. note 42.
(£6) Atnm. Maic. XXII. cap. t. p. iK.
LIVRE III. CHAPITRE VIII. 91
qu'elle étoit fervie hors des Villes , dans les lieux où plufieurs chemins
aboutiffoient. Ainfi Ovide dit (67) qu'il avoit vu les Peuples voifîns
du Mont Hcmus , offrir des chiens à Trivia. Ils l'ont confondue avec Hé-
cate , parce que leur Hécate (68) , qui étoit la Lune , étoit aufli fervie
furies grands chemins. Ordinairement ils l'appellent (69) Diane, parce
quelle avoit la plupart de fes Sanftuaires dans les forêts , de la même
manière que la Diane des Grecs & des Romains. Hérodote dit , par
exemple , (70) que les Thraces fervent Bacckus , Mars & Diane. Cette
Diane des Thraces eft Bendis , comme Hefychius (71) l'a remarqué. Mais ,
aurefte , les Grecs fe font trompés (71) , lorfqu'ils ont affuré que la Diane
des Thraces étoit la Lune. C'étoit conftamment la Terre.
§. IX. Les Scythes qui demeuroient audefTus des Thraces , le long du Pont i-» oi»"»
Euxin, & bien avant dans le Nord, avoientauffi leur Diane. C'efl celle étoitUTetrc.
que les Anciens appellent la Diane des Scythes (73) , ou la Diane Tauri-
que, parce qu'elle avoit un Sanftuaire fort célèbre dans la Cherfonefe
Taurique , qui porte aujourd'hui le nom de Tartarie Crimée ( 74 ). Le
Scholiafte de Pindare dit que (75) cette Diane étoit la même qui étoit
fervie par les Amazones ; cela paroît certain.
Hérodote eft , cependant , d'un autre fentiment. S'il faut l'en croire
(76), «les Habitans mêmes de la Taurique affuroient que la Diane,
» à laquelle ils offroient des viftimes humaines , étoit Iphigénie , fîUe
»> d'Agamemnon ». Qu'une Princeffe Grecque ait été fervie comme une
Divinité , par des Scythes , qui fe moquoient de la Religion des Grecs ,
& de ces Dieux iflus des hommes que les Grecs adoroient , c'eft ce
que l'autorité d'Hérodote ne perfuadera jamais à qui que ce foit. Mais il
ne fera peut-être pas difficile d'indiquer ce qui a donné lieu à cette mé-
prife. On a eu occafion de montrer (77) que les Scythes appelloient la
Terre, Apia^ Ops y Oupis , Iphi. On a vu auffi , dans le Chapitre précé-
dent, que les noms (78) A' As ôç à^Afa fignifioient autrefois , dans
(«7) Ovid. Faftot. I. 3»».
(es) Hefychius. Suidât in Hcctte. Schol.
Atiftoph. Flut. p. 63.
(<9) Valer. lib. VI. p. 4x9.
(7e) Heiodot. V. 7.
(71) Hefyckius.
(li) Ci-deflus, §. S. note 31.
(73)Sidon. ApoU. Caim. IX.T. 174. Liican.I.
V. 446. Minât. Félix, cap. S. 25. pag. si. m,
Ovid. Ttift. IV. Eleg. 4. v. «3.
(74) Ci-d. ch. VI. §. 10, note 72.
(7 5 ) Schol. ad Pind. Otymp. III. p. 40.
(.7*) Herodot IV. 103.
(77) Ci-deflus, $. 7. notes 40. & 41,
(7») Ci-d. ch. VII. 5. 3. not. 47- 8c fuiv.
91 HISTOIRE DES CELTES,
toute la Celtique, un Seigneur, une Dame, & qu'on le donnoit indiffé-
remment aux Dieux Se aux Princes. Enfin il paroît , par un paffage de
Jornandès , cité au même endroit (79), que les Goths, qui occupoient
anciennement la Cherfonefe Taurique , aulieu de dire ^i , prononçoient
^rzs , dont le féminin devoit être ^nfe , ou Anfa. Ainfi Iphianfa, ou Iphi-
anajfa , fignifioit chez les Goths , comme parmi les Amazones , la
Dame, ou la Reine Opis. Agamemnon avoit eu une fille que les Poètes
ont appellée , les uns Iphigénie , & les autres Iphianajfe ( 80 ). Voilà ,
autant, qu'il eft polTible d'en juger , ce qui a fait prendre le change aux
Grecs. Les Habitans de la Tau ride ont pu leur dire qu'ils adoroient
Iphigénie, ou Iphianajfe. Mais que cette /yPy^/a/za^ fut la fille du Roi de
Mycene , c'eft afîurtmcnt ce que quelque Grec y avoit ajouté de
fon chef
Il y a toute apparence , que cette conformité de nom eft l'origine d'une
autre fable que les Grecs ont débitée fur le fujet de leur Iphigénie , qu'ils
font pafler dans la Tauride , pour y être Prêtreffe de Diane. Il en fera fait
mention dans le paragraphe fuivant. Il fuffit de remarquer ici, i.** que
la Diane Taurique a /oit fon Temple fur un rocher. 2.^ Ovide rapporte,
fur le témoignage d'un homme qui avoit été fur les lieux (82), qu'on
n'y voyoit point de fimulacre de la Déeffe. Il ajoute , à la vérité , qu'il
y en avoit eu un autrefois , qui avoit été enlevé par Orefte ; & il en donne
pour preuve , qu'on montroit encore la pierre qui avoit fervi de bafe
à U Statue ; mais c'eft un conte. La perte d'une Statue auroit été facile à
réparer, fuppofé que les Scythes en euffent confacré à leurs Dieux.
Il eft bien plus naturel de préfumer que c'étoit la pierre même qui étoit
l'image, ou le fymboie de la Déeffe. 3.'' Le Temple étoit fervi (83} par des
filles de la première qualité. 4.° On immoloit à la Déeffe tous les étran-
gers que la tempête jettoit fur les côtes. Ammien Marcellin rapporte cette
particularité d'après des Auteurs plus anciens , & ajoute (84) que les
gens du Pays appelloient leur Diane Oréilorche , ou Orjilorche. Mais ce
nom eft manifeftement pris des Grecs, qui le donnoient à la Déeffe
(T9] Ci-<3. ch. VII §. 3- note 57,
(«c) Lucret. lib. I. ». »s.
(«i)Herodot. IV. 103.
(*z) Ovid. Efift. ex fonto, lib, jill, cp, t.
y. jo.
(s 3 Ovid. Ep tx Ponto , lib. III ep. a. v. 5 j.
(84) Amm. Marc XXII- cap t. p JM- ''W'*
auflî Ovid. ubi fupià v. 571 fc Tiiftiun Ub. IV.
Sleg. 4. V. 63,
LIVRE III. CHAPITRE VIII. 93
des Chaffeurs, parceqii'elle paffoit pour faire fa demeure fur les (85)
Montagnes & dans les Forêts.
^. X. C'étoit une tradition confiante parmi les Romains , que le La Diane des
. . ; Scyihj avoit
culte, & même le fimulacre de la Diane des Scythes, avoientété por- m icnpie
tés de la Tauride dans une Forêt voifme de Rome, que l'on appelloit je voifimge
^ritia. Voici comme on rapporte la chofe (86). « Lorfque les femmes de ' °'^'
M rifle de Lemnos eurent pris laiurieufe réfolution de maflacrer leurs
» maris , HypApile fauva fon père Thoas , & lui fournit les moyens
» de s'enfuir dans la Tauride , oii il fut établi Roi de la Cherfonnefe ,
w & , en même tems , Sacrificateur de la Diane , qui y avoit un Temple.
» On place cet événement peu avant l'expédition des Argonautes , qui
» précéda d'une génération le fiége de Troyes. Plufieurs années après ,
» Jphi^énie , fur le point d'être immolée (87) par les Grecs réunis
»pour ce fiége, fut enlevée par Diane, transportée dans la Tauride»
>f remife à Thoas , qui l'établit Prêtreffe du Temple dont il étoit lui-
»même Sacrificateur. Après la prife de Troye (8b), Ménélaus & Hé-
» lene , ayant auffi paffé dans la Tauride , pour y chercher Orefte ,
» fiirent immolés à Diane par Iphigénie. Orefte entreprit enfuite le
«même voyage (89), parce qu'il avoit été averti par un oracle, que
» le leul moyen de fe délivrer des furies qui le pourfuivolent, c'étoit
»» d'aller dans la Tauride , & d'en enlever la Statue de Diane , pour
M l'apporter en Grèce. Ce Prince ayant eu le malheur de faire nau-
» frage fur les côtes, fut faifi & garotté par les gens du Pays, qui le
» menèrent au Temple de Diane , pour y être immolé. Ipkigénie'fe
»préparoit déjà à offrir ce barbare facrifice, lorfqu'elle reconnut ino-
» pinément fon frère. Après un entretien fecret, le frère & la fœur
» s'enfuirent enfemble (90) , emportèrent avec eux la Déeffe , c'eft-à-
» dire , la Statue , qu'ils avoient cachée dans des faifceaux , & vinrent
» la dépofer dans la forêt à^Aritia. Ils s'étoient auparavant défaits de
(l<) '0^.« Aox» i" momibus Cubans, ab ôj=»s
Mons, & \/itfiai Cubo.
(«« Valer. T'stcc. Arg. lib. II v. joo.
(»7,) Oïid. Trift. lib. IV Eleg. 4 v «7.Epift.
ax Fontol.III.Ep 2.T. tf 1 .Sciviusad £neid. II.
V, I ;«. pag. lit. Euripid. Iphig. in Taur. v. s-
Afeq.
(« t j £xccpta ex Ptolesa. Hcrhaeft. Ub. lY, ap .
Fhotium not ifo.
(«j Lucian. Toxaii p. 5i-. Ovid. Trift. IV.
Eteg. 4. V. 67. Serrius ad £neid. II. v. ne.
pag. 236.
(»oJ Ovid. ex Porto lib. III. Epift. a. v. 91.
Seivius ad jEneid..H. ». ll«. pag. i}«. Solia
cap, I. p. 151.
ë,4 HISTOIRE DES CELTES,
» Thoas (91) , & , félon d'autres, ils le menèrent (91) avec eux en Ita-
» lie». Telle efl la tradition la plus reçue. Il y en avoit une autre qui
portoit (93) « qu'Hyppolite , fils de Théfée , ayant péri par la trahifon
» de fa belle-mere, Diane, qui avoit de l'affedion pour lui, chargea
» Efculape de le reflufciter par la vertu de fon art , & le tranfporta
» elle-même en Italie , oii il époufa une Princeffe nommée Âritia. On
» confacra enfuite la Forêt où il avoit été enterré (94) ; & , comme
» il s'étoit tué en tombant de fon chariot, que les chevaux effarou-
» chés avoient entraîné dans des précipices , il fut ordonné qu'en mé-
» moire de cet événement , on ne laifferoit plus entrer de chevaux
» dans la Forêt ».
Il n'eft pas néceffaire d'avertir que ce font là des fables véritable-
ment grecques. C'efl; l'expreffion dont les Egyptiens fe fervoient ,
quand on leur racontoit des chofes incroyables & pleines de contradic-
^ns. Il eft très-vraifemblable que ce font les noms de Thoas &c d'ipki-
génie , qui ont donné lieu à ces fiftions. Les Scythes appelloient le
Créateur du monde & de l'homme (95) Tai, ou Tau. Ainfi Tau-as Çi^nx-
fioit , parmi eux , le Seigneur Tau. Selon l'ufage de ces Peuples, le nom
de Thoas , qui défignoit proprement le Dieu fuprême , étoit porté encore
par les Rois , qui prétendoient en tirer leur origine , & parles Pontifes,
qui préfidoient à fon culte. Thoas eft donc ici (96) un Roi , ou un facrW
ficateur des Scythes ; Iphigénic, ou Iphianajje, eft auffi un nom que les
Scythes donnoient , tant à la Terre , qu'à fes Prêtreffes. Thoas 8c Iphigénie
fe trouvent enfemble dans la Tauride , parce qu'on ne féparoit point
le culte du Dieu Tau, de celui à^Opis fa femme. Les Grecs avoient eu un
Roi du nom de Thoas , & une Princeffe qui portoit celui d'Iphigénie ♦
les Poètes jugèrent donc à propos de leur faire entreprendre le voyage
chimérique de la Tauride , & de les tranfporter delà d'un plein faut en
Italie.
Pour revenir à la Diane qui avoit fon Temple dans le voifmage de Ro-
me , on l'appelloit la Diane Scythe, non que fon culte , ou fon fimulacre ,
(»i) Seivius ad ;Eneid. VI. v. 138. p. +1Z.
(92) Ci-dcflus note »«.
(»}) Virgil. ^neid. VII. v. 7*1.
(94) Virgil. ^neid. VII. v. 77». OTid. Faft,
Ubtlll.v. 265.
(>j, Ci-<l.çb VI. §. 19.
(96) Ovide & Euripide patient de Thtm ,
comme d'un B.oi Scythe , fans faire mention
qu'il fât venu de Grèce, ni qu'il eût jamais
quitté la Tauride. Ovid. Tiift. lib. IV. Eleg. 4.
V. 6 s. Epift. ex Ponto lib. III. ep. 2. y. s». Si»
;ipid. Jphig. in Taur.
LIVRE III. CHAPITRE VIII. 95
cuffent été apportés de la Scythie , mais parce que c'étoit originaire-
ment la même Divinité. Elle étoit fervie par tous les Peuples Scythes
& Celtes , & elle l'étoit par-tout de la même manière. On n'en doutera
pas , fi l'on veut faire les réflexions fuivantes.
i.*> Les Latins l'appelloient la Diane Royale. Son Sacrificateur (97)
portoit le titre de Roi. La Forêt où elle étoit fervie , & les terres qui
en dépendoient , fe nommoient le Royaume dt la Déejfe ; ces dénomi-
nations venoient des Scythes. Leurs grandes Divinités étoient Teut &
Opis. Par cette raifon , elles portoient , dans un fens particulier, le titre
dHJs , & d'jifa , ou d'Anfa , c'eft-à-dire , de Roi & de Reine. On appel-
loit le Père du genre humain, Titi-as , Tau-as , As-tis, c'eft-à-dire, le Roi
Teut^ & la Terre, Opianafa, c'eft-à-dlre, la Reine Opis. Les Sacrifica-
teurs & les Temples portoient aufli le nom du Dieu auquel ils étoient
confacrés.
2.'' Le Temple de Diane étoit dans une Forêt (98) , près de la Ville
^Aritia. C'eft dans de femblables lieux que les anciens Habitans de
l'Italie, comme tous les autres Peuples Celtes, alloient faire leurs dé-
votions.
3." Il y avoit dans la Forêt un arbre confacré (99), & il n'étoit
pas permis d'en couper une feule branche. Nous verrons , en fon lieu ,
que la même fuperftition étoit commune à tous les Peuples Celtes.
4.^ Lorfqu'un fugitif trouvoit le moyen de couper une branche de l'ar-
bre confacré , il la préfentoit au Sacrifi cateur de la DéeiTe , qui étoit obligé
Ue fe battre en duel avec lui. Si le Prêtre étoit tué dans le combat ('oo) ,
le vainqueur prenoit la place fans autre formalité. Cela s'accorde encore
avec la pratique des Celtes, qui difputoient par les armes, jufquâ^aux
dignités éccléfiaftiques.
5." 11 y avoit près de la Forêt fjoi"; un étang, que l'onappelloit le(i02)
Lac , ou le ( 1 03 ) Miroir de Diane , fans doute parce qu'on y baignoit
anciennement la Déeffe.
6.® Les femmes Romaines (104), quand elles alloient faire leurs priè-
(97 Voyez, ci-d. Liv. II ch. \i, p. ijj.
Xucan. ni. y. 86. Ovid. Faft. III. v. zy i. 8t Me-
tamorph XIV v 331.
(9> Ci d. Liv. II. ch. IX. p. 2zs< note 7S.
Lucan. VI. v. 74.
(>9j Ci-dcflui , IbU.
(ioo_ Ci d Liv, II. ch. 12. p. 12 s note 78.
;ioi Siiaho V. 139. Ovid. Faft II!. v. 264.
(io2)S)lius IV. V. 3 6 «.Ovid Fait. III. v. 261.
(103) Caroli Steph. Diftionn. in Aritia.
(104 StaiiusSylv. III. 1. v. s s.Ovid.faft.HI.
V. a 6s. piope^t. li. Eieg. 32,
96 H I S T O I R E D E S C E L T E S,
res dans la forêt, y portoient chacune un flambeau allumé. C'étoit
encore un refte de l'ancien ufage des Peuples Celtes , qui faifoient de
nuit leurs affemblées religieufes.
7,^ Le Sanâuaire étoit ù refpecté , qu'il n'étoit pas permis d'y faire en-
trer des chevaux. Nous éclaircirons , en fonlieu , cette particularité. Les
Celtes avoient une û grande vénération pour leurs forêts facrées, qu'ils
en défendoient l'entrée aux animaux , qui auroient pu caffer bu ronger
quelque branche des arbres , & particulièrement de celui qui étoit le
fymbole de la Divinité.
8." On immoloit dans cette forêt (105) des viftimes humaines, & le
Sacrificateur même de laDéefTe (106) périffoit ordinairement fous le glaive.
C'étoit un ufage (107) véritablement barbare & Scythe , comme Strabon
l'appelle.
9.° N'oublions pas ici que c'eft dans cette forêt que Nama Pompl-
lius (108) avoit des entretiens fecrets avec la Nymphe Egér'u, c'eft-à-
dire, avec la PrêtrefTe de Diane. Il a été remarqué ailleurs (109) , que ce
Prince demeura toujours attaché à l'ancienne Religion des Peuples de
l'Italie. Tite-Live en dit la raifon (i 10) : « Il avoit étéinftruit, dès fa
» tendre jeunelTe, dans la Religion des Sabins», qui étoient un Peu-
ple (m) Ombrien, ou Celte. Il y a toute apparence qu'il ne témoigna
tant de prédileûion pour la (orèt à' Ar'nU y que parce qu'elle étoit l'un
des plus anciens & des plus célèbres Sanâuaires que la Déeffe Ops, qui
fut enfuite appellée Diane ^ eût en Italie,
ta Diane §. XI. Le culte de la Diane Taurique étoit auflx établi de toute ancien»
ttoulcivicà neté à Lacédémone (m). «On y offroit, dans le commencement, des
LacéisiBone. ^^ yiftimes humaines à la Diane appellée Onhojîa, Mais cette coutume
» paroiffant trop barbare à Lycurgue , il y fubflitua celle de faire fouetter
«des jeunes -gens jufqu'au fang devant l'autel de laDéefTe». Paufanias
dit la même chofe que Suidas, dont les paroles viennent d'être rapportées j
• mais il ajoute (113) que l'Idole, qui fe plaifoit à l'efFufion du fang, avoit
apporté cette inclination de la Tauride , oii on lui immoloit des viftimes
(185) Setvius ad ^Eneid. II. v. i:«. p. jj«,
(106) Ovid. Faft. III. zyi.
(107) Ci-d, Liv. II. ch. 12. p, izs. note 7I.
(108) Fo;. les notes 8 5. 8c 102. Ovid. Faft.III.
V. î< i . ï7 J . Tit. Liv. I. î I .
'^ (iPS) Ci-d. ti». I. çh. I». p. <-f.
(i 10) Liviut I. 18,
(m) Zenodot.Tioezenius ap.Dion.Hal.il.
pag. ut.
(112) Suidas in Lycutgo.
(iij)Faufan. Laç9n. XVI. 249- 25o<
humaines,
LIVRE III. CHAPITRE VIIL 97
humaines. Cet Auteur fuppofe donc que la Statue de Diane fut portée
de la Tauride à Lacédémone , & non pas dans le voifinage de Rome ,
camme le prétendent des Auteurs Latins.
Servius croit lever fort heureufement la contradiûion où les Hifto-
riens font tombés, fur cet article , en difant (114) que ces barbares facri-
fices , déplaifant aux Romains , quoiqu'on n'immolât que des efclaves , la
Diane qu'Orefte avoit emportée en Italie, fut transférée, après la mort
de ce Prince, à Lacédémone, où l'on confervoit encore une image des an-
ciens facrifices, en faifant fouetter de jeunes garçons au pied de l'autel delà
Déeffe. On n'examinera pas fi cette conciliation peut être reçue. Com-
ment le culte de Diane a-t-il pu être banni de l'Italie par les Romains,
tranfporté à Lacédémone , & aboli enfin par Lycurgue , qui vivoit
avant la fondation de la Ville de Rome ? Comment peut-on dire que
les Romains ont aboli de û bonne heure le barbare ufage d'immoler
des viftimes humaines, pendant qu'il efl confiant que cette coutume
fubfifta à Rome plusieurs fiécles après la fondation de la Ville ?
Solin leveroit bien mieux la difficulté. Il prétend ( 1 1 î ) qu'Orefte
retourna à Argos, après fon voyage d'Italie ; mais, aulieu de lui faire em-
porter fa Diane, il affure expreffément que ce Prince la laiffa kJritie,
pour obéir à un oracle qui l'avoit ainfi ordonné. Sans s'embarafler de
ces fables , il fuffit de remarquer ici que , jufqu'au tems de Lycurgue ,
les Lacédémoniens ont immolé des viâimes humaines à la Diane des
Scythes , c'eft-àdire , à la Terre.
§. XII. Après le détail, où l'on vient d'entrer, il feroit peut-être Traces du
jufte de fuppofer que la Diane dont on attribue le culte aux autres Peu- rJu parmi
pies Celtes, comme, par exemple, aux Efpagnols (116) , aux Gaulois '■^s^»"''"»-
(117) , aux Germains (118), aux Perfes, étoit conflamment la Terre.
Par furabondance de droit, donnons-nous , cependant , la peine de recher-
cher, fi l'on ne trouveroit pas, parmi les anciens Gaulois , quelques
traces du culte que les autres Peuples Celtes rendoient à la Terre (119).
(ii4y Servius ad ^neid. II, v. ii«, p. 13 t.
(i is) Ci-deflus §. 10. note 90.
(ii«; Plin. XVI. 40.
(117) Arrian. de Venat. pag. îzi. Plut, de
Virt. mul. Tom. II. p. 257.
(118) Vita S. Remaculi ap. Duckefne Tom. I,
pag. «44. La vie de S. X.ilUn parle d'une Diane
qui étoit fervie dans le Diocèfe de Vurtzbourg.
Eccard. Comm. de Reb. Francix Orient. Tom. I.
pag. 170. Mafcau. Tom. II. p. 263.
(119 Hefychius. Plutatch. AitaxeiX. cap. 14.
Faufan, Lacon, p. H9-
Tome II, N
çS HISTOIRE DES CELTES,
Denis le voyageur (iio), Strabon (lii), & i^'^'^) Pomponius Mêla
font mention d'un Oracle célèbre que l'on trouvoit dans une Ifle voi-
fine des Gaules. Ils ne font pas parfaitement d'accord , ni fur la fituatioa
de rifle , ni par rapport à plufieurs autres circonftances qui ne font pas.
fort importantes. Mais on voit bien cependant qu'ils parlent tous trois
de la même Ifle. Voici à peu près ce qu'on peut tirer de ces Auteurs,
dont les pafTages font cités en note.
« i.^ Il y avoit, vers les embouchures de la Loire, une petite Ifle
^(123), où l'on voyoit un Sanâuaire, qui étoit fervi par des fem-
>»mes, ou par des Vierges, au nombre de neuf». Nous 'avons vu que
la Diane des Scythes étoit aufll fervie par des Prêtreflis , & que les Ger-
mains avoient de même une Ifle confacrée à Hertkus , à^où. la Déefl'e for'
toit quelquefois, pour aller vifiter les Peuples voifms.
if 1.° Dans une certaine faifon de l'année, les femmes du voifinage
>> fe tranfportoient dans l'Ifle , pour y célébrer ime Fête folemnelle à
» l'honneur du Dieu auquel le Temple étoit dédié ». Pomponius l'ap-
pelle ime Divinité Gauloife. Les deux autres Auteurs difent que c'étoit
Bacchus. Nous verrons bientôt que les Celtes n'ont jamais connu , ni
fervi Bacchus. Les étrangers l'ont cru , parce que les Fêtes & les folem-
nités des Celtes étoient des tems de joie & de bonne-chère , & que leurs
danfes facrées reflembloient beaucoup à celles des Bacchantes.
Ainfi Grégoire de Tours , parlant d'un fimulacre de Diane , que l'on
voyoit autrefois dans le Pays de Trêves, dit (1x4) qu'on y chan-
toit des Hymnes à l'honneur de la Déeflfe, au. milieu des verres, & de
la débauche. Artémidore avoit remarqué , au rapport de Strabon (125) j
« que la Fête qu'on célébroit dans Tlfle , étoit confacrée à Cérhs , & à
» Proferpinc , & qu'on y obfervoit les mêmes cérémonies qui fe pratl-
» quoient dans l'Ifle de Samothrace ». Cela approche de la vérité. Cérès
eft ici la Terre , la grande Divinité des Celtes , après le Dieu Teut. Les
myftères de Samothrace fe célébroient à l'honneur du (126) Ciel & de
la Terre, qui étoient les grands Dieux de l'Ifle, & que l'on appelloit
(110) Dionyf. Pcricg. V. 570. &f.
(121) Strabo. IV. 198.
(112) Pomp. Melâ III. 6. p. ia,
(123) Bochart.], Geogr. Sacr. p. 740. dit que
xiêii rile.de Sa/ne, aux exccémite's de la Bie<
tagne.
(124) Gregor. Tur. VIII. cap. i j. p. 3jj,
(i2Sj Strabo IV. 19%.
(i26)ci-d. ch..VI- $• I fi. note Mo,
LIVRE m. CHAPITKE IX. 99
Cods Se Bcndis, ou Opis , comme on a eu occafion de le montrer fort au
long. Les femmes Gauloifes célébrolent la Fcte dont nous parlons (127),
pendant la nuit; Artémidore en a conclu que Proferpine pouvoity avoir
part. Il fuivoit en cela, les idées des Grecs qui facrifîoient de jour aux
Dieux céleftes , & de nuit aux Dieux de l'enfer.
« 3.*^ On ne lailToit entrer aucun homme dans l'IUe; mais les femmes
» qui y demeuroient, paflbient quelquefois la mer, pour avoir la com-
» pagnie de leurs maris , après quoi elles s'en retournoient dans leur ha-
» bitation ». On établira , en parlant des Druides , que les Prêtres Gaulois
demeuroient dans les Sanûuaires avec les Prêtreffes , qui étoient leurs
femmes. Elles n'étoient donc pas obligées de paffer la mer, pour aller
trouver leurs maris. Mais on apperçoit la raifon qu'elles avoient de fe
tranfporter en terre ferme. Elles venoient y promener la Mère des
Dieux (j 28) , & après que la Déeffe s'étoit raflafiée d'être dans la compa-
gnie des mortels, elle s'en retournoit dans fon Temple avec fa fuite.
CHAPITRE IX.
§. I. JL/ES Celtes rapportoient l'origine de toutes chofes ati Dieu Teut,
tes Peuples
& à la Terre; tous les autres Dieux, auxquels ces Peuples rendoient un do|'"r","ûi.
culte, delcendoient donc des deux premiers, que l'on appelloit , par ^eKeiigKux
cette raifon fi"), les grands Dieux, quoiqu'aurelle, l'on mît une grande ncs,auxLa:«,
^ y ' ° _ _ ' ' _ o jm Fleuves «
différence entre les deux Principes, l'un aftif, & l'autre pafîîf Le nom- &àUM«.
bre des Divinités fubalternes , que ces Peuples reconnoiffoient , alloit
à l'infini. Attachées toutes enfemble à quelque Elément , ou à quelque
partie du monde vifible , il n'y avoit point (i) d'Arbre , point de Fontaine,
ni de Ruifleau, qui n'eût fon Efprit, fon Génie particulier. Ceux qui te-
noient le premier rang , après le Dieu Teut &c la Terre , fa femme,
étoient les Intelligences que Ton plaçoit dans l'Eau & dans le Feu.
Aufll le culte de ces deux élémens étoit-il établi parmi tous les Peuples
Celtes, & même parmi (3 ) les Sarmates. Il ne fera pas diflicile d'en
fournir des preuves. On en a déjà produit un bon nombre, qu'il faut
(i2 7).Ki>_)iez, ci-deffus note i;o. . (2) Ci-d ch. IV. $. 7. not. 3 3.
(lUi Ci-defl"as§. }. j (3) Ci-d. ch. IV. §. i. not. iS.
(t) Ci-d. ck. VI. §. i«. sot. lio. I
Ni
100 HISTOIRE DES CELTES,
récapituler en deux mots. Commençons par le culte religieux qu'on
rendoit aux Fontaines , aux Lacs , aux Fleuves , & à la Mer.
§. II. Les Scythes (4), que l'on appelloit Royaux , ofFroient des fa-
crifices à Neptune , qu'ils appelloient dans leur Langue Thamimafades.
Ceux qui dcmeuroient autour des ( 5 ) Palus-Méotides regardoient ce
Lac comme une Divinité , & les Maflagétes avoient la même idée du
Tanaïs qui traverfoit leur Pays. Les Turcs aufli ( 6 ) vénéroient l'Eau.
Hérodote remarque (7) que l'Eau étoit l'une des Divinités que les
Perfes avoient fervie de toute ancienneté. Strabon , qui affure la même
chofe, ajoute (8) qu'ils ofFroient fur-tout des facrifices au Feu &à
l'Eau , c'eft-à-dire , qu'ils fervoient ces deux Divinités préférablement
aux autres , dont le Géographe venoit de faire mention. Clément
d'Alexandrie (9) , "Çc Arnobe femblent infinuer que ce culte étoit
aboli de leur tems. On voit , cependant , dans Sidonius Apollinaris , qui
étoit poftérieur à Arnobe d'environ cent cinquante-trois ans , que Pro-
çope (10), père de cet Anthemius qui fut dans la fuite Empereur
d'Occident , ayant été envoyé au Roi de Perfe , fit avec lui un Traité
dans lequel les Mages jurèrent par l'Eau & par le Feu. Les Germains
(i i) rendoient un culte religieux au Danube , les (12) Allemands, & les
(13) Francs aux Eaux courantes; & puifqu'il nous refte encore des Loix
& des Capitulaires dans lefquels les Princes Chrétiens défendent aux
Peuples de la Germanie & de la (i 5) Grande-Bretagne, de fervir les Fon-
taines & les Rivières , c'eft une preuve que cet abus étoit aufîi enra»
ciné , & difficile à détruire , qu'il étoit ancien & général parmi ces
Peuples. Du tems de S. Boniface (16), il y avoit encore des Germains
qui facrifioient aux Forêts ôç aux Fontaines , les uns en fecret , les
autres ouvertement & en public.
rondement §. III. Daus l'un des (17) Chapitres précédens, on a rapporté &Z
réfuté l'opinion de ceux qui ont cru que les Celtes ne rendoient des
(+) Ci-d. ch. III. §. 3. «ot. «. eh. IV. ^. i.
(s) Ci-d. ch. IV. §; s- not. ïj.
(«j Ci-d. ch IV. §. I, not. 6.
(7) Ci-d. ch. IV. §. I. not. 4.
(8) Ci-d. ch. IV. §. I not. %.
(9) Clem. Alç». C»b. ad gtnt. p. 40. Atnob.
lib VI. p. 197,
(10) sjdon. AfoUin. Faneg. Anthcm. y. <}..
(11' Ci-d. ch- IV. $. 5. not, zj.
( 2) Ci-d. ch. IV. 5. 2. not. 10.
(i 3) Ci-d. ch IV. §. 2. not. 1 1.
(14} Ci-d. ch. IV. §. 2.110t. 12. Se tl.
(r 5 Ci-d. ch IV. §. 1. not. «.
(\&, WiUibild. Vit. S. Bonjfac. c»p. I.
(i7)Ci-d,ch,IY.J. j.
LIVRE III. CHAPITRE IX. ioî
honneurs divins au Feu &c à l'Eau , que parce qu'ils les regardoient
comme des fymboles &C des images de la Divinité , & même comme
(i8) les feuls fuinilacres qui la repréfentent parfaitemen\ Procope a
bien mieux rencontré. Parlant des Habitans de Flflande , il dit (19) qu'ils
fervent plu/ieurs Dieux, & plufieurs Génies, qui réfident dans le Ciel,
dans l'Air , fur la Terre , & dans la Mer ; qu'ils ont encore d'autres
Divinités, moins confidérables , qui font attachées, comme ils croyent,
aux Eaux courantes, & aux Fontaines. Effeâivement , les Celtes attri-
buoient à ces Génies, ï°. la cènnoiffance du pafle. C'eft fur cette ima-
gination qu'ils fondoient l'épreuve de l'Eau. Quand un homme étoit ac-
cufé de quelque crime , dont il ne pouvoit être convaincu par les voyes
ordinaires, on le jettoit dans une rivière , & l'on étoit perfuadé que les
Intelligences qui y réfidoient, ne manqueroient pas de le tirer à fond ,
ou de l'élever fur la fuperfîcie des eaux , félon qu'il étoit innocent ou
coupable : i*. on prétendoit que ces Intelligences étoient douées d'une
parfaite connoifTance de l'avenir. Ainfi les femmes qui étoient dans
l'Armée d'Ariovifte (zo) , lui défendoient de livrer bataille à Jules-Céfar,
avant la nouvelle Lune : elles avoient lu dans le mouvement & dans le
murmure des eaux, que les Germains feroient battus , s'ils hafardoient
le combat dans cet intervalle: 3''. enfin, on croyoit que ces Génies
avoient le pouvoir d'empoifonner les eaux , d'exciter des tempêtes ,
& qu'ils étoient, en un mot , toîit-puiflans dans leur Elément.
§. IV. A l'égard de la nature du cuhe que l'on rendoit à l'Eau , il Nature de c«
étoit à peu près le même dans toute l'Europe , & dans les contrées de Saiitl'"' ^*'
l'Afie , où il y avoit des Peuples Celtes. On trouve dans Grégoire
de Tours , un paffage très-remarquable , où cet Hiftorien fait mention
des honneurs religieux que les Peuples du Gévaudan rendoient autrefois
à un Lac que l'on voyoit fur une des montagnes de leur Pays. C'étoit ,
félon les apparences , le mont Lofere , que l'on appelloit alors (21 )
ffelanus. «Une grande (iz) multitude de Païfans s'aflembloient tous
» les ans auprès du Lac. Ils lui offroient une efpece de libation , jettant
(U) Ci-d. ch. IV. § s. not 14.
(i») Ci-d. ch. IV. J 7. not. 33.
(10) Cifar I. cap, jo. Pliitatch. in Carfar.
Tom. I. p-?!;. DioCafl". XXXVIII. p 90 Po-
lysn. lib. vin. cap. 13. n. 4. Clem Alex. Strom.
l^b. I, cap. I s . p. 3 60. Anciennement laFiéttelTe
dt Dodone devinoit aiiflî par le murmure des
eaux. Servius ad ^Sneid. III. v. 4(S5.
11) Le Mont iff/4»aj avoit , peut-être, pris
fon nom du Lac qu'on y voyoit, Lenn , en Bas»
Breton , fignifie un Ei»>'g, & Htaul , le Soleil.
(22) Gteg. Tur. de Gloi. ConfelT. cap. t|
Toi HISTOIRE D-G S C E L T E 5,
itdans l'Eau, les uns des pic-ces de toile , ou de drap, les autres des
>> toifons. Le plus grand nombre y jettoit , outré cela, des formes de
a fromage , ou de cire, ou des pains tout entiers , & différentes autres
» chofes , chacun félon fes facultés. Ils y venoient avec leurs chariots j
» fur lefquels ils apportoient de la boiffon &c des vivres ; & , après
>> avoir immolé des animaux , ils faifoient bonne chère pendant trois
» jours. Le quatrième jour , lorfqu'ils étoient fur le point de s'en
» retourner , il furvenoit un orage , accompagné de tonnerre S>c d'é-
>> clairs; il toiiiboit, en mcme-tems , une pluye fi abondante, & une
»> û grande quantité de pierres , que tous ceux qui étoient venus à la
» fête craignoient d'y périr. Cela arrlvoit régulièrement tous les ans.
» Longtems après , un Prêtre de la Ville , s'étant tranfporté fur les lieux
» avec i'Evêque , bâtit , à quelque diftance du Lac , une Eglife à
)> l'honneur de Dieu , fous l'invocation de Saint Hilaire de Poitiers»
» Alors les Habitans de la contrée , touchéç de componftion , fe con-
nvertirent, &, depuis tems-là , l'orage fut détourné de l'endroit. »
"Le Ledeur croira ce qu'il voudra du double miracle rapporté dans ces
paroles. Le premier paroît fuppofé , & , par cela même , le fécond de-
' vient inutile. Comment étoit-il poffible que les Habitans de toute une
contrée vinffent faire , d'année en année , leurs dévotions auprès d'un
Lac , qu'ils lui offriffent des préfens de toute efpèce , 6c qu'ils célébraf-
fent une fête û folemnelle , à l'honneuf de la Divinité qui y réfidoit ,
s'ils euffent été convaincus , par une longue expérience , qu'ils n'em-
porteroient avec eux , pour toute bcnédiftion , que des tonnerres ,
des éclairs , & fur-tout une grêle de pierres , dont ils rifquerbient d'être
aflbmmés? Tout ce qu'il efl: important de remarquer ici, c'eft i*^. que
les Gaulois , établis dans le Gévaudan , rendoient un culte religieux à
l'Eau , Si qu'ils fe irendoient tous les ans , avec leurs familles , à une
fête folemnelle que l'on célébroit, pendant trois jours, à l'honneur
d'un Lac: a°. qu'ils immoloient des vidimes pendant la fête: 3°. que
chacun jettoit dans le Lac , à proportion de fes facultés, de la toilei^
*idudrap, de la laine, du firomage , de la cire, du pain, & d'autres
fchéfes femblables , afin que la Divinité bénît la maffe entière des
biens dont on lui offroit les prémices : 4'''. que cet abus fubfifta dans
les Gaules , non - feulement après que le Chriftianifme y eût été établi j
imais encore depuis qu'un grand nombre d'Eglifes eurent choifi S. Hilairç
tie Poitiers pour leur Patron,
L I VRE III. CHAPITRE. IX. 103 ,
Les Francs ont auffi pratiqué un femblable culte après avoir reçu la ic-; Francs
Religion Chrétienne. On voit dans Procope , que les trancs , qui .nifi uncuite
étoient paffés en Italie fous la conduite du Roi Theudibert , s'étant *'^'"'
rendus maîtres d'un pont fur lequel on paffoit le Pô à Pavie (13) ,
« immolèrent les femmes & les enfans des Gpths, qu'ils y trouvèrent , &c
MJetterent leurs corps dans le fleuve auquel ils les offroient , comme les
» prémices de la guerre. Ces barbares , ajoute Procope , quoiqu'ils ayent
}> embralTé le Chriftianifme , ne laiflent pas d'obferver plufieurs cérémonies
» de leur ancienne religion ; ils immolent des viftimes humaines , avec
» d'autres abominations , & fe montrent d'ailleurs fort attachés aux
M divinations ». On peut naturellement conclure de - là , que le culte
de l'Eau étoit l'une des parties les plus eflentielles de la religion des
Celtes. Les fuperftiiions les plus chéries font ordinairement celles qui
fe maintiennent le plus longtems.
Effedivement , ce culte étoit établi de toute ancienneté en Occident.
Les Habitans de Tlflande (14) otfroient des facrifices de toute efpcce
avix Génies qui réfidoient dans les Fontaines , &c dans les Eaux couv-
rantes. Les Illyriens avoient (25) une fête annuelle dans laquelle ils
noyoient un cheval avec certaines cérémonies. Les ThefTaliens ( z6 ) .
vénéroient le Pénée, &c quand ils contraûoient des alliances, la céré-
monie s'en faifoit fur un pont (17) fut lequel on immoloit les viftimes
dont on faifoit découler le fang dans le fleuve. On voit dans Horace (28) ,
que les Romains offroient auffi des facrifices & des préfens aux Fon-
taines ; & il n'efl pas fans apparence que cet ufage venoit de l'ancienne
Religion des Peuples de l'Italie.
Si de rOccident nous pafTons en Orient , nous trouverons que le
culte que l'on vient de repréfenter , était auffi établi parmi les
Troyens , qui étoient un Peuple Scythe venu de Thrace. Ainfi
Homère introduit Achille, diîant à fes ennemis ( 19 ) : « Ce beau Sca-
M mandre , auquel vous immolez , depuis long-tems , un grand nombre
(13) Fiocop. Cotih. II. cap. 15- p. 44». i va fe décharger dans le Golfe de Salonichi. On
(24) Ci-d. cb. IV. § 7 not. 33
(2 s) Scrvias ad Georg. I. v. Jj. p. <i
(21'.) Ci-d. eh. IV. § s. not. 23.
(♦) Le P/We eft une Rivière de la Grèce , ' XXIII v. 144.
dont la' fourcc eft dans les Montagnes d- Mtz- j (29 Honiei. Iliad. XXJ. V. 13°
zo»o. Il coule dans cette dernière Province, &
l'appelle autrement Sa'ampria.
(27, Polyin. Stratag. lib. III. cap. 9. not. 40,
(28) Horat. Carm. lib. III. Od. 1 3. & Ilia<l>.
104 HISTOIRE DES CELTES,
» de taureaux, & dans lequel vous précipitez des chevaux tout vîvatrs «
» ne vous fauvera pas de mes mains ». Les Phrygiens , voiiîns des
Troyens , & leurs compatriotes , confervoient encore la même coutume
du tems de Maxime de Tyr (30). Ils jettoient dans l'Eau les cuifles de la
viclime , &c célébroient le nom du Fleuve auquel ils avoient offert le
facrifice. Valerius Flaccus dit auffi (i) que « Iç&j^maiones , quand elles
» revenoient d*une expédition , jettoient dans le Thermodoon , des che-
» vaux , &c des armes , qu'elles lui avoient voués dans le combat ».
Les Perfes enfin (3 1) avoient une û grande vénération pour la Mer , &
pour les Fleuves , qu'ils n'ofoient y faire de l'eau , s'y laver les mains ,
& encore moins s'y baigner. C'étoit , parmi eux , une abomination d'y
faire fes néceffités , d'y jetter quelque chofe d'immonde , ou une bête
morte de maladie. Ainfi Tyridate , Roi d'Arménie , qui fuivoit la Reli-
gion des Mages (33), ayant été mandé à Rome par l'Empereur Néron,
riful'a de s'y rendre par mer, parce que les Mages auroient cru commet-
tre un facrilége , en crachant dans la mer, ou en s'y déchargeant des-autres
nfceffités de la nature.
Outre le profond refpeâ: que les Perfes avoient pour l'étément de
l'Eau , elle étoit encore pour eux l'objet d'un culte religieux. On lui
offroit des prières , des facrifices , des préfens , comme à une grande
Divinité, Par exemple , Hérodote , rapportant de quelle manière Xerxès
paffa le détroit des Dardanelles avec fon armée, dit (34) « qu'auffi-
» tôt que le Soleil fut l^vé, ce Prince monta fur le pont qui joignoit le
» continent de l'Afie à celui de l'Europe , & que l'on avoit couvert
» de myrthe & de toute forte de fleurs. Xerxès , tenant' une phiole
»> d'or, fit des hbations à la Mer, & olirir, en même tems , des prières
» au Soleil, en lui demandant d'être favorable à fon expédition. Après
» cette prière, il jetta dans la mer la phiole , une coupe d'or , & une
» épée ». L'Hiftorien ajoute « qu'il ne fçauroit dire avec certitude , li
» ce fut à l'honneur du Soleil, que Xerxès jetta cette épée dans l'Hel-
» lefpont , ou s'il prétendit réparer, par ce préfent , l'outrage qu'il
» avoit fait à la Mer, en la condamnant à recevoir trois cens coups de
» fouet». Mais Hérodote lui-même pourra fervir à réfoudre le doute
( 3 o) Ci-d. ch. IV. §. s • not. 2 3 .
(ji) Valer. Flacc. lib. V. Iîi.
(j»;' Heiodot. I.cap. 13». StralioXV. p. 73j.
(33; rlin. XXX. cap. 2.
(J4; Ijeiodot. VU. cap. 5'^>
qu^
LIVRE III. ~C H A P I T R E IX. 105
qu'il propofe ici, puifqu'il remarque plus bas (35), «que l'armée de
» Xerxès étant arrivée fur les bords du Strymon , les Mages immolèrent
wdes chevaux blancs, avec plufieurs autres chofes, qu'ils jetterent dans
w le Fleuve ». Voila donc une parfaite conformité entre la Religion
des Perfes , &c celle des Gaulois.
II eft vrai que Strabon repréfente d'une manière un peu différente , le
culte que les Perfes rendoient à l'Eau. «Voici, dit-il (93), de quelle
w manière les Perfes facrifient à l'Eau, Dès qu'ils font arrivés à un Lac,
» à un Fleuve , ou à une Fontaine , ils creufent une foffe , ils égorgent
» la viftime ; mais ils prennent bien garde qu'il ne coule point de fang
» dans l'eau , parce que l'eau & le facrifice en feroient fouillés. En-
» fuite ils étendent la chair de la viûime fur du myrte & du laurier,
» & la font brûler. On fait le feu avec de petites branches , & , après
M quelques prières , ils détrempent enfemble de l'huile , du lait , & du
» miel , dont ils font des afperfions , non fur le feu , ou fur l'eau , mais
» fur la terre. Ils font là de longues prières , tenant entre leurs mains
» des faifceaux compofés de petites branches de myrte ». Strabon eu fort
exaâ: dans fes narrations , & devoit connoître parfaitement les Perfes »
voilins de fa patrie. Il n'y a donc pas d'autre moyen de le concilier avec
Hérodote , que de dire que les chofes avoient changé depuis le tems de
l'Hiftorien, qui étoit antérieur à Strabon de quatre cent cinquante ans ,
plus ou moins. Quoi qu'il en foit de cette petite différence , elle ne mérite
pas de nous arrêter plus longtems.
§. V. FinifTons ce Chapitre par quelques réflexions qui regardent
naturellement notre fujet.
I.** Ce n'étoit pas fans fondement que les Mages (37) accufoient Hé-
rodote d'ignorance & de mauvaife foi, pour avoir dit (38) qu'après
une tempête , dans laquelle le pont de bateaux que Xerxès avoit fait
jetter fur la mer fouifrît beaucoup , ce Prince fit donner à l'Hellefpont
trois cent coups de fouet , & que , non content de l'enchaîner comme
un criminel, il lui fit imprimer, ce que nous appellerions \zfieurde lys ,
ou la marque du bourreau. Il eft difficile de comprendre qu'un Prin-
ce , qui n'avoit pas perdu le fens commun , pût pouffer auffi loin l'ex-
1 < ■ — • — — ""^
(as) Herojjot. VII. Ii|. 114. i (37) Diog. Laërt. Proem. p. 7.
(j<) StraboXV. p. 73». 733. | (38) Herodot. VII. 3 5'
T»me IL Q
io6 HISTOIRE DES CELTES,
travagance ; mais Hérodote reconnoît d'ailleurs , que les Perfes avoient
une dévotion toute particulière pour l'Eau (39), Flumen inter omnia reli-
eiofiniml colunt. Il repréfente même Xerxès comme un Prince fort attaché
à fa Religion. Il dit que ce Prince offrit des préfens à l'Hellefpont , 6c
des viâimes au Strymon. Y penfoit-il , en attribuant à ce même Prince
des adions - qui auroient paffé , parmi les Perfes , pour la plus détefta-
ble de toutes les impiétés ? Ils aimoient mieux fouffrir la mort & le
fupplice, que de (40) faire le moindre outrage aux Elémens, c'eft-à-
dire , aux Divinités qui les rempliffoient. Aflurémcnt , les Hifloriens
nous en impofent, lorlqu'ils parlent d'une Religion différente de celle
qu'ils profeffent, ou pour laquelle ils ont du penchant. Hérodote rai-
fonne a peu près , comme ceux qui reprochent à Calvin d'avoir été le
plus ardent promoteur du fupplice de Servet , parce que celui-ci atta-
quoit le myftère de la Trinité , & qui ne laiffent pas d'accufer Calvin
d'avoir été Antitrinitaire , ou Socinien. Il faut avoir un front qui ne
rougit de rien , pour imputer à un homme de femblables contradi£Hons.
2.^ Le culte que les Gaulois rendoient à TEau , & la coutume qu'ils
avoient d'y jetter du drap , de la toile , de l'or , de l'argent , en un
mot , une partie de tout ce qu'ils avoient de plus précieux, eft, autant
qu'on peut le conjedurer, ce qui a donné lieu à la fable qui porte (41)
que les Gaulois qui avoient pillé le Temple de Delphes, de retour
dans leur patrie , & voyant qu'il y avoit une malediûion attachée au
tréfor qu'ils avoient enlevé , prirent le parti de le jetter dans un Etang
facré de la Ville de Touloufe , d'où le Conful Cépion le retira environ
cent foixante-dix ans après. C'eft un conte fait à plaifir. Il ne faut pas
s'arrêter à la contradiction que l'on remarque dans le récit des Auteurs
qui rapportent cette fable. On a montré ailleurs (41) qu'elle efl manifefte.
Ils affurent que les Gaulois ne purent prendre le Temple de Delphes ,
& qu'ils périrent tous dans cette expédition. Mais ficela eft, comment
peut-on les faire retourner dans leur patrie? D'où veut-on qu'ils euffent-
pris un tréfor qui montoit , félon Pofîdonius ( 43 ) , à quinze raille
(39ICI i. §.4.- nota 31-
(40) Ci-deflbus , eh. .o. §. i.not. i<.
(41) Juftin. XXXII. 3. Excerpt. m Dion. ap.
Talef. p. «jo.
(■4i)Ci-<l. Liv:. I. dl. t.p. 31. atC
(43) Vojez.c\ deflbus la note 47. Quinze mille
Talens, à fîx cens écus le Talent, font neuf
millions d'écus.
LIVRE III. C H A P I T R E IX. 107
talens, c'eft-à-dlre , à neuf millions d'écus , & félon (44) Juftin, à une
fomme que le grand Budé (45) n'ofoit prefque pas exprimer, tant
la chofe lui paroiffoit incroyable ? Il eft très-vraifemblable que le Temple
de Delphes fut pris & pillé par les Gaulois. Mais d'un côté , ils n'y trou-
vèrent point le tréfor qu'ils cherchoient : les Phocéens s'en étoient
emparés long-tems auparavant. D'un autre côté , ces Gaulois ne fortoient
point du Languedoc , & n'y retournèrent jamais. Ce qui a fait prendre
le change , c'eft que les Romains , ayant trouvé un fi riche tréfor à Tou.
loufe, & ne pouvant comprendre, ni comment il y avoit été apporté,
ni pourquoi on le laiffoit là, faas y toucher, crurent bonnement que c'é-
toit un or & un argent maudit , qu'on n'avoit jette dans l'eau , que parce
qu'il avoit été acquis par des facriléges. Si les Romains s 'étoient fou-
venus qu'il y avoit de riches mines dans le voifinage de Touloufe , s'ils
avoient confidéré que les Gaulois eonfacroient à leurs Dieux tout ce
qu'ils avoient de précieux, &c (46) qu'ils puniflbient du dernier fuppli-
«e , ceux qui étoient affez impies , pour enlever quelque chofe des tré-
fors dépofés dans les Sanftuaires , & dans les Etangs facrés , ils feroient
aflurément revenus de leur furprife, & ils n'auroient pas eu recours à
une fable aufii abfurde , pour expliquer comment on avoit pu trouver
une fi grande quantité d'or & d'argent dans un Temple de la Ville de
Touloufe.'
Auffi Strabon , après avoir rapporté la tradition qui couroit parmi les
Romains , fe range-t-il à l'opinion de Pofidonius , qui eft celle qu'on a
fuivie. Voici les paroles du Géographe (47) : « On prétend qu'il y avoit
M des Teûofages dans l'armée qui affiégea le Temple de Delphes, &
» que le tréfor que Cépion , Général Romain , trouva dans une de
w leurs Villes , nommée Touloufe , faifoit partie de l'argent qu'ils
» avoient emporté de Delphes. On dit aufli que les Teftofages ajou-
V terent de leur propre bien au tréfor , & qu'ils confacrerent le tout à
»> Apollon pour appaifer fon courroux Il y a , cependant , plus
H de vraifemblance dans le récit de Pofidonius. Cet Auteur dit qu'on
«trouva à Touloufe environ quinze mille talens, qui étoient dépofés >
» en partie dans des Chapelles , & en partie dans des Etangs confa-
(4+) Veyet. la note 41. 1 (4*) Ci-i. ch. VII. §. i. not. j.
(4j)BudausdeAfrclib. ir. p. 151. | (47)Sttabo IV. i»S.
Ot
io§ HISTOIRE DES CELTES,
»> crés. L'or & l'argent n'étoient point monnoyés , ni travaillés. II
» n'y avoit plus dans ce tems-Ià , ni or , ni argent dans le Temple de
» Delphes, que les Phocéens avoient dépouillé , pendant la guerre que
» l'on appelle facrée. S'il en reftoit quelque peu , il fut partagé entre un
» grand nombre de perfonnes. Il n'y a , d'ailleur?, point d'apparence que
» les Teûolages ayent pu revenir fains & faufs dans kur patrie , par
»ce que s'étant attiré mille calamités par leurs diflenfions, ils furent
» difperlés de tous côtés. Je m'en tiens donc à ce que Pofidonius &C
» pliifieurs autres rapportent. C'eft que ce Pays produifant beaucoup
«d'or, étant d'ailleurs poffédé par des gens fuperftitieux, & de peu
» de dépenfe, il étoit arrivé de-là, qu'on voyoit en plufieurs endroits
» des Gaules , des tréfors confacrés. Ils étoient fur-tout en fureté dans
«les étangs, oii le Peuple jettoit des maffes d'or & d'argent. Les Ro-
» mains s'étanf donc rendus maîtres du Pays , firent vendre publique-
» ment ces étangs. Plufieurs des acheteurs y trouvèrent des meules d'ar-
» gent maffif. Il y avoit, au refte, à Touloufe un Temple qui paffott
» pour très-faint. Tous les Peuples voifins avoient beaucoup de véné-
» ration pour ce lieu : c'eft pour cela qu'il y avoit des richeffes immen-
» fes, parce qu'on y portoit tous les jours despréfens, & que perfonne
w n'ofoit y toucher». Pofidonius a frappé au but, & il n'y a rien à ajou-
ter à fes remarques. On trouva en 1410 (48), dans les bafîins de Bade,
en SuifTe, des médailles d'or, d'argent, &c de cuivre. Elles y avoient
été jettées, dans un tems où les Helvétiens, comme les autres Gaulois,
rendoient un ailte religieux aux Fontaines, & leur ofFroient des préfens.
3.° Le petit peuple de la plupart des Villes de l'Allemagne a une idée,
qui paroît un refte de la fuperftition repréfentée dans ce Chapitre. II
place dans les Lacs, & dans les Fleuves, un Génie qu'il appelle der Nix ,
le Nix , & il eft fermement perfuadé que les hommes lui doivent un tribut
annuel. Ainfi, quand quelqu'un a le malheur de fe noyer, les plus crédu-
les ne manquent jamais d'afl^urer, que c'eft le Nix qui l'a tiré par les
pieds, & qui l'a étouffé dans les eaux.
'^— — ■ ii.i.ii.. -^ I . i.i .. -I. — . I .1 II— ■■■M.MM^II II II II I— Il ■ - ■■- I"— 11— —
"(4S) Dcliccs de la SuiiTe > Totn. IXI> p* 4.40. De la Martinierc, Di^* Geogi. au mot Baden^
LIVRE III. CHAPITRE X.
109
CHAPITRE X.
>ELON la mythologie des Peuples Celtes, l'Eau & le Feu tenoient le du cuI
r
premier rang entre les Divinités qui étoient émanées du Dieu Tmt ,
& de la Terre fa femme (i). Auffi les Perfes (2) facrifioient-ils princi-
palement à ces deux Elémens, & ne croyoient-ils pas pouvoir engager
plus folemnellement leur parole (3), qu'en prêtant ferment par l'Eau ,
& par le Feu. Il fembleroit qu'ils avoient pris ce culte des AfTyriens
& des Chaldéens , leurs voifms. Mais d'un côté , Hérodote obferve
que (4) les Perfes avoient facrifié à la Terre, à l'Eau, au Feu, aux Vents,
de toute ancienneté , c'efl-à-dire , avant qu'ils euffent adopté des fuperf-
titions étrangères ; & d'un autre côté , ce même culte du Feu étoit éta-
bli parmi tous les Peuples Scythes & Celtes de l'Europe. Les (5) Macédo-
niens & tous les Grecs, en général, fervoient Vejla , (*V'a) : c'eft ainli
qu'ils apnelloient le feu, avant qu'ils euffent pris des Barbares le mot de
{6) Pjr (TriJ'p). Les Romains fervoient la même (7) Vejla^ & entretenoient
à fon honneur un feu perpétuel. Le Temple qu'elle avoit à Rome avoit
été fondé par (8) Numa Pompilius , qui demeura toujours attaché à l'an-
cienne Religion (9); auffi n'y voyoit-on point de fimulacre. «Los Ger-
» mains , félon Jules-Céfar (10), ne reconnoiffoient point d'autres
» Dieux, que ceux qu'ils voyoient, & dont ils éprouvoient évidem-
wment le fecours, le Soleil, la Lune, Vulcain », Vulcain eft ici mani-
feftement le Feu. C'eft à ce Vulcain (11) que des Gaulois, conduits par
Viridomarus avoient voué les armes des Romains, fuppofé qu'ils euffent
le bonheur de les vaincre. Les anciens habitans de l'Angleterre (12)
rendoient un culte religieux au Feu, Les Turcs (13) l'avoient auffi en
grande vénération; & les Scythes (14), en général, lui offroient des
facrifices, l'appellant en leur Langue Tahiti.
'es Peuples
Ceitcs icn-
'ioi.nt au
Feu.
quç
(I Ci-d. ch. IX. §. i.î. 3.
{2) Ci-d. ch. IV. %. I. not 4. & 5.
(3 Ci-d. ch. IX. %. I. not. 7.
(4, Ci-d. ch. IV. §. I. not. 4.
(s)Ci-d. ch IV. §.2. not. I7.&§. s. not. 24.
(«j Ci-d. Liï- I. ch. 10. p. «o. & «i.
^7) Ovid. F»ft. VI. T. »Si. Diod. Sic. II.
pag. 115. 12$.
(S) Ovid. Faft. VI. v. 259. Livius I. 20.
\9 Ovid. Fatt. VI. v. 29$.
(10) Ci-d. ch. I. §. 3. not. 6.
(1 1) Florus II. 4.
(12) Ci-d. ch. IV. §. 1, not. 8.
(13) Ci-d. ch. IV. §. i.not. «.
( 1 4) Ci-d. ch. m. §. 3 . not. < .
îio HISTOIRE DES CELTES,
Nature du §. II. On ne trouve prefque rien dans les Anciens fur la nature à\i
ch.-z'iw'cd-" culte que les Peuples Celtes rendoient au Feu , & des cérémonies
'"' qu'ils y obfervoient. Voici à peu près ce qu'ils en difent. Les anciens
Habitans de l'Italie entretenoient dans le Temple de Vefta (15) un
feu immortel , devant lequel ils alloient faire leurs prières. Les Perfes
fe faifoient un fcrupule de jetter dans le feu aucune des chofes qui paffoient
pour immondes ; ils étoient même (16) capables de fouffrir le plus cruel
fupplice , plutôt que de commettre un femblable facrilége. Strabon dit
«que ( 17) ) quand ils vouloient facrifier au Feu , ils arrangeoient
»> du bois fec , dont ils avoient auparavant ôté l'ccorce. Après avoir
» jette de la grailTe fur le bois, &c y avoir verfc de l'huile, ils allu-
» moient le feu (18), non pas en le foufflant de la bouche, mais en
» l'agitant. On puniffoit du dernier fupplice ceux qui fouffloient le
w feu, auffibien que ceux qui y jettoient de la boue, ou quelque bête
» morte. Ils avoient aufil des Temples confacrés au Feu : c'étoient de
M grands enclos , dans lefquels on voyoit un Autel , oh les Mages
» confervoient un feu immortel , au milieu de beaucoup de cendres.
M Les Mages entroient tous les jours dans ces enclos , & y adreffoient
» leurs prières au Feu , pendant une heure entière , tenant en leur
M main de la verveine, & ayant fur la tête une thiare , qui leur pendoit
» des deux côtés, &c dont les bouts leur couvroient les joues, & les
» lèvres». Maxime de Tyr ajoute (19) qu'en fourniffant au feu des
matières combuûibles , ils lui difoient : Dévores , 6 Seigneur ! Ces
exemples font juger , que les Peuples Celtes faifoient confifter le
culte du Feu , à entretenir dans leurs Sanâuaires un Feu facré , devant
lequel ils faifoient leurs prières (zo).
F. ndemrs §. III. Le fcrvicc religieux que les Celtes rendoient au Feu, avoit le
Feu. ' " même fondement que celui qu'ils ofFroient à l'Eau. On regardoit le
Feu comme une Divinité. On y plaçoit des Intelligences fupérieures à
l'homme. On les confultoit , tantôt pour découvrir le paffé , comme
(l s) Ovid. Fift. VI. V. î 00. & feq. 1 (20) Les Czére'mifles pratiquent , encore au-
(i 6) Suidas in àvhyiih Tom. I. p. J 7s. j jourd'hui , quelque chofe de femblable. \h /et-
(17; Stiabo XV. 7iz. 7}}
(18) La taifon de ce fcrupule e'toit que le
fouffle de l'homme auroit fouille' les intelli-
gences toutes pures qui léddoicnt dans le feu.
(i») Ci-d. ch. XV. $. %. not. n.
tent dans le Feu du pain & de la viande , foa»
haitant que le parfum foit agre'able î Dieu, 8s
en même-tcms ils crient Jumala Sargala t
Gr»nd Dieu, »jei. fini dt nous', Scialcnbeig, p>4i9.
LIVRE III. C H 4 P I T R E X. m
dans l'épreuve du fer rouge & des charbons brulans , tantôt pour être
inflruit de l'avenir. Il eft remarqué , par exemple ( 1 1 ) , que les anciens
Habitans de la Galice étoient fort expérimentés dans les préfages , qui
ie tiroient du feu, c'eft-à-dire, qu'ils fe vantoient de prévoir, & de pré-
dire l'avenir , foit par la couleur , & par le pétillement du Feu fîicré , foit
par le feu du Ciel. Hérodote va bien plus loin : il dit (zi) que « les Scy-
»> thés fervoient préférablement à tous les autres Dieux , Vefta , &
H enfuite Jupiter & la Terre ». Ces expreffions femblent marquer que
les Scythes regardoient le feu comme le premier être. EfFeftivement Juftin ,
dans un Difcours qu'il attribue aux Scythes, leur fait dire (13) que c'ejl
U Ftu qui a engendré l'Univers. L'opinion des Scythes auroit donc été
celle des Stoïciens, qui failoient confifter l'efTence de leur Jupiter dans
im feu fubtil qui pénétroit , & qui animoit toutes les différentes parties
de la matière ; mais cette opinion n'a pas le moindre fondement.
En effet , on ne peut pas faire beaucoup de fonds fur ce qu'Hérodote
dit des Scythes , qu'il n'a connus que très-imparfaitement. Cet Hifîo-
rien affure , dans l'endroit cité ci-defl"us , que les Scythes ne confa-
croient des fimulacres , des Temples, des Autels qu'à Mars. C'étoit
donc là leur Dieu. D'ailleurs, le Mars des Scythes étoit le même
que leur Jupiter (14). C'efl à ce Jupiter, & non au Feu, qu'ils rappor-
toient l'origine de toutes chofes. Hérodote lui-même l'infinue, en re-
marquant qu'ils appelloient leur Jupiter Pappœus , & qu'ils regardoient
la Terre comme fa femme; auflî les Turcs, qui avoient un très- grand
refpeft pour le feu (2.5) , ne laifToient-ils pas de le diflinguer for-
mellement du Dieu qui a fait le Ciel & la Terre. A l'égard du Difcours
que Juflin attribue aux Scythes , il a bien l'air d'être , en tout , ou en
partie , de la façon de l'Hiflorien , qui a profité de l'occafion , qui fe
préfentoit naturellement , pour y giifTer l'opinion des Stoïciens. Au-
refle, il n'efl pas douteux que les Scythes (i6) , comme les Perfes, ne
préféraffent le Feu à tous les autres Elémens. Ils croyoient que les Intel-
ligences qui y réfidoient , étoient les plus pures , les plus pénétrantes ,
les plusaûives, & qu'elles méritoient , par conféquent, un culte &
des hommages particuliers de la part de l'homme.
(zi)Ci-dch. 2 §. î.not. s. | /24 Ci-d. ch. VI. §. 1 5. ch. VII. §. a.
(211 Ci-d. ch. 3. § 3.110t. t. I ;ï5) Ci-d. ch. IV. §. 1 not. «.
(»3) Juûin. U. 2. \ (ï«J f irmic. Watern. p. 4 ) j.
m
HISTOIRE DES CELTES;
§. IV. Aurefte , les Perfes , au rapport de Strabon (17) , dans tous les
facrifîces qu'ils offr oient aux Dieux , adreffoient premièrement leur prière
au Feu. La raifon en eft claire. Les facrifîces & le parfum ne pouvoient
s'offrir qu'avec le feu facré que l'on confervoit dans les enclos, dont on
vient de faire mention. On croyoit (28) que ce feu étoit tombé du Ciel.
Comme il étoit,en quelque manière, le miniflre & le meffager , qui por-
tait aux autres Dieux le parfum Se les facrifîces que les hommes leur
offroient , les Perfes prioient, avant toutes chofes , le feu facré de ne
point intercepter l'oblation, mais de la préfenter fidèlement au Dieu,
auquel on la deflinoit.
Les anciens Grecs allumoient des feux devant leurs maifons, quand ils
chantoient VOupianaffa , à l'honneur de la Terre. Le paflage d'Héfychius ,
rapporté en note (i9) , femble l'infmuer. On peut excufer par là, ceux
qui ont prétendu (jo) que Vefla étoit la même Divinité que la Terre.
Il efl confiant, aurefle, que les Scythes diflinguoient (31) Tahiti , c'eA-
à-dire, le Feu, à^Apia, qui étoit la Terre. Les Romains difoient auffi
(31), que Vefla étoit la filles à^Ops & de Saturne. Ils fuivoient, en cela,
lei Théologie des Celtes , qui prétendoient que toutes les Divinités fu-
balternes étoient émanées du Dieu Teut , & de la Terre fa femme.
Les Peuples Celtes, non-feulement devinoient par le feu , mais ils l'em-
ployoient encore à des ufages que nous appellerions magiques. On le
prouvera , lorfqu'il fera quçflion de parler de leurs fuperflitions. Ils puri-
fîoient, par le feu, les hommes, les animaux, les plantes; & l'idée qu'ils
avoient des grandes vertus du feu , fervolent de fondement au culte
qu'ils lui rendoient. Il paroît affez vraifemblable que les feux qu'on
allume en plufieurs lieux de la France (33), la veille de la S, Jean, font
un refle de l'ancienne fuperftition , & de la vénération toute particuç
lière , que les Celtes avoient pour le Feu.
(27) Sttabo XV. p. 733.
(z8) Amm. Marccll. XXni, pag. 375. Cur-
tius III. cap. 3. p. SI. Firmic. Matern.p. 413.
(z.9) ÙTi àvaa-a-iz •^iiùhc( Trpjflopciç, txjb
Trpo rm flufwi'. Hefych.
(jo) DionyC, {isl. II, f , nS. Ovid. Faft. VI.
V. 2S7. 4*0. Hefychius.
(3O Ci-d. ch. III. §. 3. not. 2,
(}l) Ovid. Faft. VI. V. 285.
(33) C'eft même l'ufage commun de la Fran.
ce. On allume un feu tous les ans à Paris dans
la Place de Gic'yc , U veille de la S. Jeai?.
^
CHAPITRE XI,
LIVRE m. CHAPITRE XL
ïï3
CHAPITRE XL
§. I. On a eu raifon de dire , au moins dans un certain fens, que les
Peuples Celtes vénéroient les Elcmens. Ils adoroient des Dieux fpiri-
tuels & invifibles; mais ils les attachoient tous à quelque Elément,
& il n'y avoit point de partie de la matière & du monde vifible, qui ne
fut Ibus la diredion de quelque Divinité particulière. Les anciens Philo-
fôphes établiflbient quatre élémens, la Terre, l'Eau, le Feu &c l'Air. On
a déjà parlé du culte qui étoit rendu aux trois premiers. Il faut montrer
en deux mots, que le quatrième, c'eft-à-dire, l'Air recevoit les mêmes
honneurs. Les violentes agitations de l'Air , la force & la rapidité de
fon adion, les terribles ravages que la pluie, la foudre, les orages, &
les tempêtes font capables de caufer ; tout cela perfuadoit aux Celtes ( i )
que l'Air étoit rempli d'une prodigieufe quantité d'Efprits , qui étant
maîtres , à plufieurs égards , de la deftinée de l'homme , méritoient ,
par cette raifon, de recevoir de fa part un culte religieux. Ainfi les
Turcs (2) vénéroient l'Air. Les Perfes (3) ofFroient, de toute ancienne-
té, des facrifices aux Vents. Les Germains avoient leur T/ior (4) « qui
>> préfidoit à l'Air , & qui avoit fous fa direâion le tonnerre , la
«foudre, les vents, & les fruits de la terre». Ce TAor étoit le Tarants
des Gaulois (5), le même que Jules-Céfar a cru devoir appeller (6) /«-
j>iter , parce qu'on lui attribuoit l'empire de l'Air. Les Lacédémoniens
(7) ofFroient anciennement un facrifice annuel aux Vents, fur une mon-
tagne de leur Pays; &, s'il faut en croire un ancien Hiftorien, cité par
Clément d'Alexandrie ( 8 ) , « les Prêtres des Macédoniens offroient
» des prières à BeJy , c eft-à^^dire , à l'Air (9), lui demandant qu'il leur
»fîit propice, & à leurs enfans».
§. II. Les Peuplés Celtes devinoient par l'Air , comme par les autres
Elémens. On le prouvera, en parlant de leurs fuperftitions. Ils faifoient
Du cu!a; q>ie
les i'çti['l;s
Ccltej içii-
d'jieiît à l'Air
Se aux.YcBCk
FondïmfiTt
de ce culte.
(l) Ci-d. ch. IV. §. 7. not. 33.
{2) Ci-d. ch. IV. 5. I. not. S.
(3) Ci-d. ch. IV. $. i.not. 4 & $;
(4) Ci-d. ch. VI. §. i«. not. 19».
(s) Ci-dcffus , ch. VI. $. 4. not. 9, «{ §■ Ifi.
■ot. 197. & 201.
(«) Ci-d. ch, VI. §. I s. not. 140,
Tome II,
(7) Pomp. Feft. Paul. Diac. pag. 34s,Etyia
Mag. p. 10}.
(«) Clem. Alex. Strom. lib. V. p. «73.
( p ) Parmi les Phrygiens Beij fignifioît de
l'Eau. Clem. Alex. Stioin. V. «73. V0;jct, ci-ii
Liv. I.ch. ;. p. 5I>
K
114 HISTOIRE DES CELTES,
principalement attention aux préfages que l'on tiroit de la foudre. Les
Scythes ( lo) juroient par le Vent , non-feulement parce que la vie de
l'homme dépend de l'air qu'il refpire , ce qui eft le fentiment de Lucien ,
mais auffi parce qu'ils attribuoient aux Intelligences de l'Air des con-
noiffances infiniment fupérieures à celles de l'homme.
Cependant le grand but du culte que l'on rendoit aux Divinités qui
préfidoient à l'Air, c'étoit d'en obtenir des faifons favorables, & des
influences falutaires. Ainfi les- Mages nous font repréfentés (' i) fe faifant
des incifions, & recourant aux enchantemens , pour appaifer une tem-
pête , qui avoit fait périr une partie des vaiffeaux de Xerxès. Ce fut , fé-
lon les apparences, pour condefcendre , fur cet article, à la fuperfti-
tion des Gaulois (12), que l'Empereur Augufte , fe trouvant dans la
Province Narbonnoife , y confacra un Temple à un certain Vent , que
l'on appelloit Circius , & qui étant des plus furieux, ne laifToit pas d'être
fouhaité par les gens du Pays , parce qu'il purifioit l'air des mauvaifes
exhalaifons , dont il étoit chargé. On voit , au refte , dans les Capitu-
laires de Charlemagne (13), qu'il y avoit encore, du tems de cet Empe-
reur , des gens qui fe vantoient d'exciter des tempêtes , ôc d'autres
qui prétendoient avoir le don de les appaifer , par leurs enchantemenS'
On appelloit les premiers Tempeflarii , & les féconds Ohligatores, Les
Canons défendent, avec raifon, cette fuperflition , qui étoit aufïi vaine y
que criminelle.
CHAPITRE XII.
Dii culte que §• !• J--/ E S Pcuplcs qui vénéroient les Elémens , avec toutes les difFé-
cei.eiTen- ''fiitss parties du monde vifible , dévoient avoir naturellement un
deiennuso- gf^fjji refpcû pour le Firmament, & y placer les Intelligences les plus'
pures , & les plus parfaites. La beauté , l'utilité du Soleil , qui communi-
que à l'Univers une lumière fi agréable , & en même tems , «ne chaleur
fi nécefTaire , pour la confervation de l'homme , des plantes , & des
(lo)Lucian. Toxarip. «40. | riine, Hift. Nat. lib. II. c»p. 47, lib. xvil. 2.
(i i) Herodot. VII. cap. isl. | ^ue le Circius étoit un Vent d'Occident.
(iz) Seneca Quasft. Nat. lib. V. cap. 17. On i ( ij) Capital. Kai. Mag. lib. 1. Tit. «4.
pre'tcnd que c'eft le même Vent que Strabon ap- j pag. '. 5>. Voyex. auffi Du Cange aux mots C<i«-
pelle MeUmhrtu, Stiabg lY. !»<>. Il paioît, pai [ oihtcrii, IncMtttoui, Tcm^cji4rif ^ i>l>l>{*itrti.
LIVRE III. CHAPITRE XII. nj
animaux, dévoient auffi le faire regarder comme une grande Divinité
parmi des Peuples qui aflbcioient à tous les corps célefles &c terreftres
des Intelligences plus ou moins parfaites, à proportion de la fubti-
lité & de l'aûivité de la matière qu'elles animoient. On ne fera pas
furpris, par conféquent, de voir queles Scythes & les Celtes adoraffent
le Soleil. Cette Idolâtrie étoit très-ancienne ; elle étoit généralement
répandue dans tout le monde.
§. II. Il ne fera pas inutile de faire ici une courte digreflion fur le nom Réflexîomfur
que les anciens Habitans de l'Europe donnoient au Soleil. Les Allemands i;s andcm"*
l'appellent Sonn, ou Sonne; les Latins, 5o/; les Mokovltes Solnie ; Se i'£uroTdot*.
les Efclavons , établis le long de la Mer Adriatique, S unie , ou Sunac^e. "olsntauso.
S'il faut en croire Jacques Gronovius , les anciens Habitans de l'Ef-
pagne l'appelloient aufîi Son , ou Ton. Macrobe dit (i) que « les Acci-
» tains , qui étoient un Peuple de l'Efpagne , fervoient , avec beau--
» coup de dévotion , un fimulacre de Mars. Il avoit la tête environnée
»de rayons , & les gens du Pays l'appellent Neton y ou, comme por-
wtent d'autres exemplaires , A'iearo/z ». Gronovius, dans fa note fur ce paf-
fage , prétend ( z ) que le fimulacre repréfentoit , non le Dieu Mars ,
mais le So/eil. Effeftivement , les rayons qu'il avoit autour de la tête,
appuyent ce fentiment; & le mot de Neu-fon, ou de Neu-ton , fignifie,
en Allemand , le nouveau Soleil , ou le Soleil levant.
Quoiqu'il en foit de cette conjefture , la conformité de nom que
les Latins , les Allemands , & les Sarmates donnent au Soleil , fait ju-
ger que le mot de Sol, ou de Son, efl le nom que cet aftre portoit par-
mi les anciens Habitans de l'Europe. Le Bas-breton , qui paffe pour être
l'ancienne Langue des Celtes, l'appelle cependant Heaul, &, félonie
père de Roftrenen ( 3 ) , ce même nom eft aufïi en ufage dans le Pays
de Gales. Un Etymologifte , qui feroit auffi prévenu en faveur du ~
Tudefque , que le Père Pezron étoit entêté de fon Bas-Breton , dériveroit,
peut-être, le mot Heaul, de l'Allemand hell , clair, ferain , ou de
heylen , guérir , keyl, guérifon , falut. La dernière de ces étymologies pour-j
(:) Mactob. Satutn. lib. I, cap. 19. pàg. ïoj,
Ct-deiTus, ch. VII, §. I. not. z.
(i) Not. ad Maciobium. p. iiz.
(j) Soleil i£('«»<, M aîml (Vannes & haute
Cotnoiiaille) Hyaul^G'iïei), H»ut, Houl aU Sul,
qu'on ptononçoit Soûl. Delà Vi-Sul , jour du
Soleil .Dimanche. Roflrenen, Diftionn. Cclti^,
f»S- »7».
y
;,j6 H I S T O I R E D E S C E L T E S,
roit même erre confirmée par un paffage de Jules- Céfar, qui dit (4)
que les Gaulois fervoient Apollon , auquel ils attribuoient la guérifon
des maladies. Mais il paroît bien plus vraifcmblable que le mot hiaul a
été emprunté des Grecs, qui avoient une célèbre Colonie à Marfciile.
Les Grecs appellent le Soleil, n-hiin fjldios , &c ils ont pris eux-mêmes
ce mot des Piiéniciens. Le nom propre du Soleil , en Phénicien , étoit
Schanejch. Mais les idolâtres lui donnoient, après cela, un grand nombre
de titres , qui marquoient qu'on le regardoit comme une des plus grandes
Divinités. On l'appelloit , par exemple , (5) Hd , le Dieu fort, A/o-
loch , OU Bal ( 6 ) , le Roi , Bal-Schamaïm , le Roi du Ciel , Jbd , le
Seigneur & père. C'eft delà manifeftement que les Grecs ont emprunté
les noips ïiUcç, , Héllos , à^iucç, (7) abdios , aVexXov , Apollon, qu'ils
donnent au Soleil , auffibien que celui de Ba>,x»V (8) , Ballen , qui , en
Phrygie, & dans la Grande Grèce, fignifioit un Roi. Par la fuite du
tems,, ces mots paflerent des Grecs, & particulièrement de ceux qui
étoient établis à Marfeille , aux Gaulois leurs voifms , qui defignerent
àuffi le Soleil fous le nom de heaul (9), à'abdllo , & de (10) Bdenus.
•u% Anciens S. IH. Pour revenir, au fuiet , il eft confiant que tous les Peuples
parlent fort t^ , , . , ,. . . , ,
au long du celtes rendoiettt un culte religieux au Soleil. Les Anciens qui ont parle
Hypaboié-" des Hyperboréens , font mention, de leur Apollon, & , au travers des
aù'so"ei°.'"" tables puériles qu'ils racontent , on entrevoit que ces Peuples avoient
une grande vénération pour le Soleil. Voici , par exemple , ce que
Diodore de Sicile dit des Hyperboréens , qu'il place , d'après Hécatée ,
dans une Ifle de l'Océan , à l'oppofite de la Celtique(i i) : « Les arbres de
» rifle portent du fruit deux fois par an. La fable raconte'que Latone
» eft née dans ce Pays. Delà vient que les Habitans fervent principa-
«lement Apollon. Ils font comme autant de Sacrificateurs de ce Dieu,
«dont ils chantent journellement les louanges. Il y a dans l'Ifle une
w belle forêt, confacrée à Apollon, un Temple de figure fphérique ,
k» rempli de dons , & une Ville dédiée au même Dieu. La plupart de
(4)Ca:far VI. '7.
(si Servius ad Sneid. I. v. fi+s.
(•«] Servius ad iEneid. I. v. 7 3 3. Bach. p. 717.
^7) Hefychius
(!) Hefychius, Schol. .«fchyli ad Perf. p. i ?«.
^. Voff.p. 500. Sext. Enipi. MÛT. ap, MaulTac.
Diflert. Crit. ad Harpocration. p. 3 s «•
{9] Ap. Gruterum pag. 37 n. 4. j. «. Scalig,
Aafonian. LeA. lib. I. cap.' $. pag. 50, Boch.
pag- 7 3 7-
(lo)Ci-defifous, $. 4. not. 17.
(11) Oiod. Sic.iib, U. f. sst
LIVRE III. CHAPITRE XII. ny
•» fes Habitans font muficiens. Ils jouent de la guittare dans le Temple
» d'Apollon , & chantent des hymnes à fa louange ».
Ce <}u'Hécatée diioit (ii) de la fituation de cette Me, convient à la
Grande-Bretagne. Mais il y a tout lieu de juger qu'il n'en connoiiToit
pas mieux les Dieux & les Habitans, que les arbres &c le climat; &,
par cette railon , on ne doit pas regretter la perte d'un Traité particulier
qu'il avoit compofé (13) fur l'Apollon des Hyperboréens. Ce n'étoit,
félon les apparences , qu'un tifTu de fables. On trouve dans les Argonau-
tiques d'Apollonius un autre conte encore plus ridicule. Il porte (14)
que, lorfque Jupiter eût foudroyé Efculape , Apollon , extrêmement
affligé de fa mort, fe retira dans le Pays des Hyperboréens, & que
l'ambre qu'on y trouvoit, s'étoit formé des larmes que la perte de fon
Elève , avoit fait verfer à ce Dieu. Ces Hyperboréens font les Celtes
qui demeuroient le long du Pô. C'ctoit là que les Pannoniens venoient
vendre l'ambre ( 15 ), qu'ils achetoient eux-mêmes des Eftions i les
Grecs ont cru qu'il croiffoit dans le Pays même d'où ils le tirpient.
La plupart des Anciens ont , cependant , placé les Hyperboréens
(16) autour du Danube , & ils aflurent affez généralement (17),
4< qu'Apollon alloit vifiter tous les ans ces peuples, pour ailifter à une
» Fête folemnelle qu'ils célébroient à fon honneur, &c dans laquelle (18)
wils lui immolplent des Anes. Ce Dieu fe (19) divertiffoit beaucoup
» à entendre braire ces animaux , & il prenoit , en même tems , un
» plaifir fingulier aux acclamations , aux feftins , &c aux autres démon-
» ftrations de joie, que les Hyperboréens donnoient pendant une Fête,
» dont il étoit l'unique objet. Aufli long-tems que cette folemnité du-
» roit (zo) , l'Oracle de Delphes étoit muet , à caufe de l'abfence
» du Dieu ».
Cela fignifie, comme on l'entrevoit dans les pafTages cités en note,
qiie lesGermams, qui font les Hyperboréens dont il s'agit ici, avoient cécns loiit ie»
une Fête folemnelle , dans laquelle ils fe réjouiflbient du retour du les Scythes ,
^____ " qui fccvoieut
(lî) Diod. sic II. p. 91.
{\%) iElian. Hift. anim. XI. cap, I. pag, 6%i,
cap. 10. .p. »4^.
(14, ApoUon. Argon, lib. IV. p. 440. & f.,
(15) Flin. XXXVII. 3. p. ?«?. SoUn. cap. 33.
pag. 14I.
(i«j rindar. Olymp. |, Vejtt. ci-d. Va> I»
ek. I.p. 2. & f,,
(17) Findar. Olymp. 4, Scholiaft. rind. a(!li.°
loc. ApoUon. Argon, lib, II. pag. m. Schol.
Apoll. ad h. loc.
^18; Clem. Alex. Coh, adg«nt.Tom, I. p. 2{.
(19) ïindar. P^tU. Od. 10,
(2bj claudian de YI. Conful. Honom v, si.
le Soleil.
te culte du
Soleil étoic
au (fi reçu
chez les Gau-
loii.
ii8 HISTOIRE DES CELTES,
«(Teaivemcnt Soleil , lul offrant , entr'autres viûimes , un grand nombre de chevaux.
EfFeôivement , (ii) les Peuples Germains , auffibien que ceux de la (22)
Grande-Bretagne , fervoient le Soleil , & l'on montrera , dans le Livre
fuivant, que la Fête du retour du Soleil étoit l'une des plus grandes,
& des plus folemnelles qu'ils célébraffent. Ils avolent cela de commun
avec tous les autres Peuples que l'on a défignés fous le nom de Scythes.
La grande vénération qu'ils avoient pour cet Aftre , a fait croire à quel'
ques Anciens ( 2.3 ) , qu'ils ne reconnoifToient point d'autre Dieu que
le Soleil.
S, IV. Orofe prétend que le célèbre Temple de Touloufe, dont il a
été parlé plus haut (24), & où les Romains trouvèrent de fi grandes
richeffes , étoit confacré (*) au Soleil. Le fait n'eft: pas certain. Il y a même
toute apparence que la feule chofe qui a donné lieu à cette conjefture,
c'eft la fable réfutée dans le même endroit (25). Comme on croyoit
que l'or & l'argent que le Proconful Cépion tira d'un Etang facré de
Touloufe , faifoient partie du tréfor que les Teftofages avoient emporté
de Delphes , on jugea auffi que ces facriléges avoient reftitué à un Tem-
ple du Soleil ce qu'ils avoient pillé dans l'autre. Il n'eft pas plus vraî-
îemblable (26) que le célèbre Temple d'Apollon , que l'on voyoit à
Autun , eut été fondé par les Gaulois. Au moins ne l'avoit-il pas été
dans le tems que ces Peuples regardoient encore comrae une abomina-
tion de fervir la Divinité dans des Temples. Au refte , il eft confiant
que le Soleil étoit fervi fous le nom de Belis , ou de Beknus , non-feule-
ment par les Noriciens (27) , établis autour d'Aquilée , mais encore par
les Gaulois qui demeuroient dans le Diocèfe de (28) Bayéux, & par
ceux de (29) l'Armorique, qui efl la Bretagne d'aujourd'hui. On a déjà
dit d'où le nom de Beknus tire fon origine : ainfi il ne fera pas néceffaire
<de s'y arrêter. Les Noriciens pouvoient l'avoir pris des Grecs , qui
(îi) Ci-d. chap. I. §. 3. not. 6. ch. IV. §. %.
bel. 9.
(zi) Ci-d. ch. IV. f i.not. ».
(x3)Herodot. I. zi6.
• (»4) Ci-d. ch. IX. §. s. not. 41.
{*)Orof. libiv. cap. 15. p. 278.
{•>^i) Ci-d. eh. IX. §. 5- not- 4i'
\^Âl Eaniien. ïane^t. Conftantini Câp. »i.
pag. ït«.
( 17 ) Tettullian. Apologet. cap. «4. & ad
Cent. cap. 8. Hciodian. lib. VIII. p. «os. Ca-
pitolin. in Maximin.p. 47. Infciipt.ap. Qmtes
tim p. 3<.
(18) Aufonii Piofefl*. 4,
(19) Ibid. not. 10^
III
fur le culte
que les Tcu-
es Celtes
oient a»
LIVRE III. CHAPITRE XII.
avoient plufieurs établiffemens dans les îles de la mer Adriatique , &
les Gaulois l'avoient tiré de la célèbre Colonie de Marfeille.
§. V. Voici quelques particularités qui regardent le culte que les pjuicu'aritéf
Peuples Scythes & Celtes rendoient au Soleil.
i.*' Hérodote dit (30) que les Scythes l'appelloient Ohafyrus. Le f^\l^^
Diftionnaire d'Hefychius porte (3 i ) Goaofyrus. Ce dernier nom pour- ^oieii
roit bien être le véritable : le mot de Goëtofyrus (goei-Jyr) , qui
fignifie le bon Aftre , étoit probablement , parmi les Scythes , non pas
le nom propre , mais un épithete du Soleil.
1.° Les mêmes Scythes , dans les Fêtes qu'ils confacroient au Soleil,
lui immoloient des chevaux. Ils donnoient pour ralfon de cet ufage , qui
étoit commun à tous les Peuples de l'Europe (31), qu'il étoit naturel
d'ofFrir le plus léger des animaux à quatre pieds,au Dieu dont le mouve-
ment eft le plus rapide. Comme ces chevaux étoiçnt extrêmement petits,
(33) fort laids, & d'un poil roux , plufieurs Anciens, fur-tout les Poètes,
ont dit , foit par raillerie , foit qu'ils le cruffent ainfi , que (3 4) les Scythes
immoloient des ânes à Apollon. Mais les Naturaliftes &i les Hiftoriens »
qui avoient examiné la chofe de plus près, ont remarqué (35) qu'on
ne voyoit point autrefois de ces animaux , ni dans le Pont , ni en Scythie,
ni dans les Gaules. Ils ne pouvoient réfifter au froid exceflif du Pays,
3.^ Les Sanduaires confacrés au Soleil, étoient ordinairement des Fo^
rets , & l'on choififfoit préférablement aux autres , celles dont les arbres
ne perdoient point leurs feuilles pendant l'hyver. C'eft l'origine du nom
que les Moéfiens donnoient à une de leurs Forêts facrées , qui étoit dans
le voifmage de Clazomene, Ils l'appelloient (36) Jpollo Grynttus , c'eft-
à-dire , le Soleil verd. Peut - être qu'il faut dire la même chofe de
l'Apollon Grannus, dont il eft fait mention dans plufieurs (37) Infcrip-
tions, que l'on a trouvées en Allemagne, & en Ecoffe, En attendant
qu'on puiffe nous apprendre quelque chofe de plus fatisfaifant, ilfem-
ble que cet Apollon Grannus eft l'Apollon des Celtes , le Soleil qui étoit
{le) Herodpt. IV. 5s. ci-deff. ch. JII. §. 3.
not. s-
(3 j) Hcfychius.
(32 ' Heiodot I, zi<.
(33) Ci-d. Liv. U. ch XIII. p. ^i^.
(34J Ci-d §. 3. not. 17. 18. ij),
(^j) Atiftot. de Animal, lib, vu. c»p. ïj.
p. s «3. cap 18. p. s «4. Herodot. IV. 2». 129,
Bochart. Geogr. Sicr lib. III. cap. 1 1. p. 200,
(3«} Ci d ch. V. $, 3. not. i«.
(37)Grutet Infciipt p. 37- 3<. Jof. Scaiig,
Epirt. lib. I. ep. 66. j, ij«, p.^chii}s, not. »d
Tacit. p. «,
1
lio H I S T O I R E D E S CELTES,
fervi dans des bocages (38) toujours verds , & non dans des TempleJ.
4 " Maxime de Tyr a remarqué que les Pœoniens , Peuple Celte^
voifm de la Macédoine , avolent un fmiulacre du Soleil ('?9). « C'étoit ,
»> dit il , un petit difque attaché à une longue perche », Ancienne-
ment (40) l'image d'Apollon n'étoit auffi à Delphes qu'une fimple co-
lomne. On voit bien la raifon de cette conformité. L'Oracle de Del-
phes avoit été fondé par des (41) Hyperboréens , qui ne vouloient
pas qu'on repréfentât la Divinité fous la forme de l'homme.
5.** Il y avoit, ordinairement un Oracle dans tous les Sanâuaire»
que les Peuples celtes confacroient au Soleil. Sans parler de celui de
Delphes , on confultoit encore Apollon , & on recevoit fes réponfes dans
la Forêt (42) d'Apollon Grynœus ^ & à (43) Aquilée, dans le Temple de
Bdcnus. Il y avoit auffi un Oracle d'Apollon chez les (44) Agathy rfes ,
Peuple Scythe, établi au Midi du (45) Danube. EfFeûivement , tous
les Druides fe mêloient de prédire l'avenir , &, félon leur mythologie ,
le don de prophétie devoit appartenir , d'une façon particulière , aux
Minières d'un Dieu qui éclaire , qui pénétre , & qui anime toute la nature.
Culte que les fi. VI. Difons cncorc un mot du culte que les Perfes rendoient au
Ferles rcu- K .. \' rr ^ •
aoienc au £0- Soleil , & profitons de cette occafion , pour éclaircir une difficulté
que l'on rencontre dans ce que les Anciens en ont rapporté. Juftin dit
(46) que les Perfes ne reconnoiflbient point d'autre Dieu que le So-
leil. C'efl: une erreur. Nous avons vu qu'ils (47) plaçoient dans les Elé-
mens un grand nombre de Divinités fubalternes ; mais ils reconnoiflbient
auffi (48} un Dieu fuprême , qu'ils regardoient comme le Père du Soleil &
de tous les Elémens. Ils prétendoient encore (49) que les Intelligences les
plus pures & les plus parfaites étoient celles qui réfidoient dans l'Elément
du Feu ; & , comme le feu du Soleil eft le plus ardent & le plus falutaire ,
ils plaçoient dans c«t Aftre , la première & la plus parfaite de toutes les
émanations divines, à laquelle ils donnoient le nom de Mithras.
(3«) Grii»««, Prairie, Bocage verd , Qrun-
hus , Maifon verte.
(39) Ci-d, ch. IV. §. s. not. 23.
(40) Clem. Alex. Strom. I. p. 415.
(41) Paufan. Phoc. V. p. 805.
(42) Virgil. .Œneid. IV. v. 34J.
(43) Ci-d. §.IV. not. 27.
i^44) Seivias ad iEneid. IV. 14S.
(4s) Ci d. Liv. II. ch. VI. p. 145. note s.
(46] Juftin. I. 10.
(47) Ci-d. ch. IV, §. I. not. 4. J.
(48) Beaufobre Hift. du Manich. Liv. IX.
ch. I. §. 12. p. 600. & fniv. 8c ci-deflus,ch. VI.
$.15. not. 134.
(49) Ci-d. eh. X. J. 3. not, i«. *
LIVRE III. CHAPITRE XIL m
De cette manière , on concilie facilement les Anciens qui paroiffent
peu d'accord , qui même femble fe contredire dans ce qu'ils difent du Mi-
thras des Perfes. On convient (50) que Mithras étoit le Soleil, &
qu'Hérodote s'eft trompé ( 5 1 ) , en le confondant avec la Vénus-Uranu
des Aflyriens, Mais ce Mithras étoit, félon quelques-uns (51) , le Dieu
fuprême. Cela eft vrai, pourvu qu'on l'entende avec la reflriftion que
Firmicus-Maternus fournit (53). C'étoit la première des Intelligences
que l'on fervoit dans les Elémens , & particulièrement dans le Feu. Se-
lon d'autres, c'étoit un Dieu (54) mitoyen, un médiateur, comme la
force même du (55) terme le marque. EfFedivement M'uhras étant la plus
parfaite des émanations dirines , tenoit aufll le milieu , entre le Dieu
fuprême & les Divinités du bas ordre.
Il y avoit , au refte , une parfaite conformité entre les Celtes & les conformité
Perles , par rapport au culte que les uns & les autres rendoient au Soleil, le" celles b^"
i.** Les Perfes vénéroient cet Aftre (56) comme une grande Divi- '/^ nioVe" a»
nité , & ne vouloient pas qu'on lui érigeât des Temples , « parce que , ^°'"^'
« difoient-ils (57) , le monde entier eft à peine un Temple affez grand
» pour le Soleil ». Ils appelloient le Temple d'un Dieu , l'Elément ou
la portion de matière à laquelle il étoit uni , le lieu où il réfidoit , oh.
il déployoit fon efficace , & où il rendoit des oracles. Delà ils con-
cluoient que le Soleil, rempliffant tout l'Univers de fa lumière, & de
fa chaleur , il n'y avoit ni maifon , ni Temple qui fut digne de
lui, que le monde, & que c'étoit une extravagance, foit de lui confa-
crer des édifices, qui ne pouvoient ni le recevoir, ni le contenir, (*)
foit de le fervir , ou de le confulter dans des lieux dont il étoit abfent.
a.' Les Perfes , auffibien que les Scythes , immoloient des chevaux
au Soleil (58) , & les regardoient comme la viâime la plus agréable
que l'on pût préfenter à ce Dieu.
3.^ Enfin leur grande Fête étoit celle qu'ils célébroient à l'honneur
du Soleil, Le Roi même y dépouilloit toute fa gravité. Il lui étoit per-
(50) Strabo XV. pag. 732. Hefychius & ci-d.
«h. ni. §. 3. noc. S, ch. IV. §. i. not. 5.
(s i) Ci d ch. III. §. î. not. II.
(51) Hefychius.
. (53) F'fmic. Matern.p. 41 3.
(<+) f'ojiti, les paflages de Plutat<|ue cLdelT.
ch. III. %. 3. noc. 17.
(js) Plut. Ibid. As, Dieu, Seigneur, Mitt ,
Miiten , Mitiel , milieu.
(s«)Ci-d. ch. IV. §. i.not. 4. & 5.
(57) Ci-d. ch. IV. $. s>. not. 39- +°-
not. S,
(s S) OTid. f a&. X. V. 3S;.Ju(Un. I. 10.
Tome II, Q
%
ni HISTOIRE DES CELTES,
niis :(59) de s'enyvrer pour la mieux folemniftr , & ce n'ctoit que dans
ccjfe^^l joijr dç l'année qu'on le voyoit danfer publiquement.
- yj ♦■•-' - - •' , ■- ,
CHAPITRE XIII.
Du culte que S, I. 1_,ES Idolâtres, qui ont adoré le Soleil, n'ont guères féparé fon
les Peuples i • i i t ti » • i i * « i j i il-
Ce!t:s rcii
doicnt
Lune.
à la
culte de celui de la Lune. Ils plaçoient dans les Aftres deux grandes Intelli-
gences, dont l'une avoit l'empire du jour, & l'autre celui de la nuit. Les
Celtes , en particulier , attribuoient une grande vertu aux influences de
la Lune, Ils çpipptoient leurs mois , leurs années, leurs fiécles par le
cours de cet Aftre. Sa lumière, ne potivoit être que très-agréable à des
Peuples qui tqnoient lelirs aflemblées religieufes de nuit. Par toutes
ces raifons, ils'lui offroient un culte particulier, comme à une grande
Divinité. Les Germains, félon Jules-Céfar (i), fervoient le Soleil, la
Lune, ScVulcain. Les anciens Habitans de l'Angleterre offroient un
facrifice religieux à la Lune, au Feu, aux Eaux courantes, comme on le
voit dans (i) une Loi du Roi Canut, citée ailleurs. Les Perfes adoroient
auffi(3) la Lune. Les Phrygiens (4) lui rendoient les mêmes honneurs,
& les plus magnifiques Temples que l'on voyoit , non - feulement dans
leur Pays , mais aufTi dans les Provinces voifines ( 5 ) du Pont & de
(6) l'Albanie, étoient tous confacrés à cette Divinité. Voffius prétend
que (7) la Fénus-Uranie des Scythes, qu'ils appelloient dans leur Langue
Anlmpafa , étoit la Lune. Cette conje£lure n'efl pas deftituçe de fonde-
ment , d'autant plus qu'Hérodote place cette Vénus-Uranie des Scythes
d'abord après leur Apollon. Cependant Hefychius afiure que les Scythes
appelloient la Lune (8) MefpU. Mais les Scythes , dont parle Hefychius ,
étoient peut être un Peuple différent de ceux qu'Hérodote avoit connus.
Nature du §. H. Les Anciens n'entrent dans aucun détail fur la nature même du
;ticM^Kn- culte que les Celtes rendoient à la Lune. Il n'eft donc pas poffible
(59) Athen. lib. X. cap. lo.
(i) Caifat VI. 21. ci-d ch. I. §. j. not. S.
(2; Ci-deiTas , ch. iv. §. 2. not. %
(3) Vtytz. les paflages d'Hérodote & de Stra-
bon ei-d. chap. IV. $. i. not. 4. & $. Suidas in
f^vir. Tom. I.j. 675,
(4) Lucian. in Jove Ttagzdo.
(s) Strabo XII. 557. s S 8.
(<)Sttabo XI. 503. XII. S57- 5 5«-
(7, Cid. chap. III. §. 3. «01- 8- ch. IV. §.
not. 7,,
(8) Hcfychiiw.
LIVRE III. CHAPITRE XIII. 115
d'en rien dire. On trouve feulement , que (9) les Albaniens , Peuple Scythe Joiçm i u
de l'Afie , offroient à la Lune des viftimes humaines , & que le grand
but de cefacrifîce étoitde pénétrer les fecretsde l'avenir. Effeûivement,
les divinations faifoient prefque l'effence de la religion des Celtes. Le
Lefteur doit s'en être déjà apperçu , & il en trouvera de nouvelles preu-
ves dans ce qui fera dit de leurs facrifices , & d'une infinité de fupçr-
flitions, qui tendoient toutes à découvrir, par des moyens extraor-
dinaires , des événemens que la prudence humaine ne pouvoit ni pré-
voir, ni prédire.
<S. III. On a réfuté , dans l'un des Chapitres précédens (10), l'opinion L'Hicau Ad
y V 1 TA- J c ù o Samothraces
de quelques Anciens, qui ont cm que (11) la Diane des Scythes oC n'étoit pas 1»
des Thraces , qu'ils appelloient , dans leur Langue , Opis , ou Bendis , étoît TcrtV."
la Lune. On croit avoir prouvé clairement , que c'étoit la Terre , que
ces Peuples fervoient fous le nom ôHOpis & de Bendis. Il fufîira d'ajou-
ter ici que cette méprife a fait croire aux mêmes Anciens , que la Lune
étoit l'objet de certaines Fêtes, qui étoient certainement confacrées à la
Terre. Ainfi, quand Suidas dit (12) que l'on célébroit dans l'Ifle de Sa-
mothrace les myftères à' Hécate , il faut fe fouvcnir que cette Hécate des
Samothraces n'efl pas la Lune , mais la Terre , parce qu'il eft confiant
(13) que les grands Dieux de l'Ifle étoient le Ciel &c la Terre, Cotis &c
Bendis.
§. IV. Ce font là, vraifemblablement , les différentes Divinités qui Récapitula-
étoient l'objet du culte religieux des Peuples Celtes. Ils adoroient pré- """é dit" an»
mièrement un Être fuprême, qu'ils regardoient comme le Père des iVéc^deX"*
Dieux Se des hommes. En fécond lieu, la Terre, qu'ils appelloient fa
femme , parce qu'elle étoit le fujet, dont ils'étoit fèrvi pour la produc-
tion de toutes chofes. C'étoit, félon les apparences , la matière. Enfin ils
adoroient une infinité de Divinités. fubalternes, iffues dé ces deuxPrinw
cipes , & attachées chacune à quelque Elément, mais dont les princi-
pales réfidoient dans l'Eau & dans le Feu; Il faut avouer que leur fyf-
tême avoit une grande affinité avec celui dé Spinofà , ou plutôt arec cè^
lui des Chinois. Non-feulement> ils pla^ie*t^UBê-Int^igehte"danisi:ltlai
(9, Strabo XI. 503.
(10) Ci-d.cli. Y III. §. S. not. 3 1. J. S.not.yi.
(lij Tzetz. ad Lycoph. pag. 27. Helychius.
Yoffius de Orig. 8c Progi. Idol. lib. U. cap, j;.
pag. 3 13. - - _- .
(12) Sui4. in lïM'ï» Tif Tom I. p< tof., \
' (13) Ci-dciTiû, ch. VI. §.- «. not.^». &'l<it
not. isi. Il j.
114 HISTOIRE DES CELTES,
que portion de la matière, mais ils femblent avoir cru (14) <îwe les
Divinités fubalternes avoient été tirées de l'Elément même qu'elles
dirigeoient, ce qui infinue qu'ils regardoient la penfée comme un at-
tribut de la matière. Mais leur fyftême approchoit encore plus de ce-
lui de la cabale, ou des émanations, parce qu'ils diftinguoient formelle-
ment le Dieu fuprôme des Dieux inférieurs (15) qvii , étant iffus de
fon fang , lui étoient tous fournis.
Quoi qu'il en foit , pourvu que l'on fe fouvienne de ce qui a été
rapporté jufqu'ici de la Théologie des Celtes, il fera facile d'éclaircir
& de concilier tout ce que les Anciens en ont dit. On affure , par
exemple , que les Germains &C les Perfes adoroient des Dieux invifi-
bles , qui n'étoient point iffus des hommes , comme ceux des Grecs ,
& dont on aviliffoit la majeflé, en les repréfentant fous la forme hu-
maine. C'étoit, efFeftivement, leur Doûrine. Mais on a dit aufH que ces
mêmes Peuples déifioient les Elémens , & qu'ils ne reconnoifToient
point d'autres Dieux que ceux qu'ils voyoient. Quoiqu'ils fe récriaffent
contre cette imputation , elle ne laifToit pas d'avoir quelque fondement.
Ils atttachoient des Divinités à tous les Elémens, & n'en reconnoifToient
aucune qui ne fût revêtue d'un corps vifible , ou élémentaire ; ils
adoroient, finon l'Elément &c le corps qui tomboient fous les yeux,
au moins l'Efprit qui y réfidoit, & qui en étoit inféparable. Un Lefteur
attentif fera encore en état de juger, par ce qui a été dit jufqu'à préfent,
en quoi les Grecs & les Romains avoient retenu la Mythologie des
anciens Peuples de l'Europe , & à quels égards ils s'en étoient écartés.
Les Latins rapportoient l'origine de toutes choies à Saturne , & à Ops fa
femme. Les Grecs au Ciel & à la Terre ; c'étoit l'ancienne Dodrine.
Les uns & les autres ont retenu le culte des Elémens ; mais ils en attri-
buoient la direâion à des Héros, Neptune , par exemple , avoit l'em-
pire de la Mer; Vulcain, celui du Feu. En cela, ils s'écartoient de la
Doârine des Celtes , qui croyoient que les Intelligences auxquelles ils
rendoient un culte religieux , n'avoient jamais eu d'autre corps que
l'Elément où elles réfidolent. Il faut voir préfentement , fi les Peuples
Celtes & Scythes rendoient un culte religieux aux Ames de leurs Héros,
(x4)Ci-d. ch.VI. §.i<not.i5«.iJj,«cçi.(lçfl;cJi.aVH.§.aH
j(< j) ci-d. «h- YI. $, i#. aot, x«o,
LIVRE I!I. CHAPITRE XIV. iz^
& s'il eft vrai qu'ils vénéraffent même un Hercule , un Bacchus , &
d'autres Héros étrangers, qui avoient été mis , après leur mort , au nom-
bre des Dieux.
au]£
des Hé-
CHAPITRE XIV.
§. 1. Le jugement que les Peuples Celtes portoient de la Théologîç onaprécn-
des Grecs , fuffiroit prefque , fans autre preuve , pour montrer que p''upi«cch=s
l'apothéofe des morts étoit un Dogme inconnu à ces Peuples. Ils fe c'a^l^'^di-""
moquoient des Religions , où l'on repréfentoit la Divinité fous la forme ^j^';'^-^
de l'homme , oîi l'on adoroit des Dieux mâles ôc femelles , des Dieux ^°^-
iflus des hommes , dont on célébrolt la naiffance , dont on montroit le
tombeau. Peut -on fe perfuader , après cela, qu'ils donnaient eux-
mêmes dans toutes ces extravagances , qui étoient auffi oppofées à
leur Doftrine , qu'elles le font au fens commun ? Cela n'a pas empêchç
qu'on ait attribué, prefque généralement, aux Peuples Celtes d'adorer,
non leurs propres Héros, il y auroit là quelque ombre de vraifem-
blance , mais des Héros étrangers, tels qu'étoient Hercule, Bacchus,
Caftor, PoUux & plufieurs autres. Il faut examiner le fait, &c décou-
vrir , s'il eft poffible, ce qui a donné lieu à cette imputation.
Nous parlerons dans ce Chapitre, du culte que les Celtes rendoient à ou a affûté
Hercule , félon les Auteurs Grecs & Latins. On prétend qu'il étoit fervi '^^
& connu dans toute la Celtique, comme un Dieu. Ayant parcouru oici!i"'da"s
toutes ces vaftes contrées , il n'y en avoit aucune où il n'eût mérité , par ^""''- '* ""'•'■
... tique.
quelqu'exploit, les honneurs divms , que les gens du Pays lui rendirent,
les uns pendant fa vie, & les autres après (a mort. On va donner , en
deux mots, l'hiftoire d'Hercule, autant qu'elle regarde les Celtes. Si
l'on rapporte des fables, ce fera pour les relever , 6c pour montrer que les
Grecs, afin de donner du luftre au plus célèbre de leurs Héros, ont
débité effrontément les menfonges les plus greffiers & les plus ridicules ,
qu'ils ont prêté leurs propres idées à des Peuples qui en avoient de dir
reûement oppofées.
§. II. On a donc dit (i) «que l'un des douze travaux qu'Eurifthée on am.r«
qu'Hcicuic
(0 Diod. Sic. lib. IV. f . I {<. 6c fc^. DioDjrf, Halic, I. caj . j. pag. j i. Juflin. XUV. -j. Heiiod.
ii6
HISTOIRE DES CELTES,
avoît piffé en » impofa à Hercule , fut qu'il lui amenât les vaches" de Géryoni
olriTylv^ic » Pour obéir à cet ordre , le Héros le rendit dans l'Ifle de Crète , oii
(cuaiis^ tome „ Jl j'embarqua pour l'Efpagne , qui étoit gouvernée par un Roi, nom-
» mé Chryfaor. Il portoit ce nom à caufe de fes richeffes , &C avoit
» trois fils extrênîement braves. Hercule ayant pafTé (z) en Egypte , &
» en (3) Afrique » arriva à l'endroit oîi la mer Méditéranée étoit fermée
« & ieparée de l'Océan par deux grandes Montagnes, appellées Calpé
» &c Abyla. Pour ouvrir une libre communication aux vaiffeaux >
» entre les deux Mers (4) , il fépara les rochers, Ôc les pofa fur les deux
» rivages oppofés (5) , comme un monument de fes.courfes, qu'il n'aVoit
» pu pouffer plus loin , parce qu'il n'avoit trouvé au-delà que le cahos
» & d'épaifles ténèbres. C'eft en mémoire de cet événement (6) que le»
» deux Montagnes ont reçu le nom de Colomnes d'Hercule. Etant
» enfuite paffé en (7) Efpagne , il tua en duel Géryon & fes deux
» frères. D'autres difent qu'Hercule vint avec fa flotte, dans l'IUe ^8)
» d'Erythie , (que quelques-uns placent fur les côtes dePortugal ; mais
» qui eft conftamment l'Ifle deGades , comme Samuel Brochart l'a dé-
» montré avec beaucoup d'érudition. ) Ce fut , comme ils le préten-
» dent , dans cette Ifle , qu'Hercule combattit Géryon (10), qui efl
, » repréfenté comme ayant trois têtes & trois corps , foit parce ( 1 1 )
w qu'il étoit Roi de trois Ifles , foit parce que ( 12 ) fes deux
» frères 8c lui étoient trois têtes dans un bonnet , comme on le dit en
» commun proverbe. Après s^être emparé des richefl^es de Chry-
« faor, & des troupeaux de Géryon , Hercule pouffa plus loin fes con-
♦> quêtes , bâtie les Villes de (13) Cartéja, & de (14) Sagunte, éta-
» blit une Colonie de (15) Doriens fur le bord de l'Océan, ôc.s'avança
(2; Diod. Sic. IV. p. 15S &feq. t
(;) Diod. Sic, ibid. Saluft, Jugurth. cap. Sjj.
Tomp. Mel. I. cap. 5. p. 10. Euftatli. ad Dionyf.
ïerieg. v. i 74. p. 33. Soliii. p. m. 260. & 26a.
(;».) Pomp. Met. I. cap. 5. pag. 10. Fliii. Hift.
Kït. ab. UI.inFiocm.Fhi'ofttateliJj. III. c. 14.
(s ISchoI. ad rindar. Olymp. 3. Dion. Perieg.
V. 64. Euftatli. ad Dion. Per. p. 19.
(6). Pampan. Mêla Ub. 1. cap. 5. p. 10.
(7) Diod. Sic IV. p. 156. & f. Strabo I. p. 2. |
(J) Poinp. Mçl. lIL.cap 6. p. 80. Solin.c. 30, j
Çag. »57. Eiujpid. H«c. Fur. v. 413. Etyiiiol. |
Magn. p. 131.
( 9 ) Gcogr. Sacr. Part. IL lib. I. cap. 34.
pag. 677.
( 10} Hefiod. Theog. v. 2S8 Silius I. v. 277.
III. V. 422. XIII. V. 2or. Euiip. Heic. Fur.
V. 423. Apollcdor. lib. II. cap. j.
(ai,' Servius ad ^Eneid. VII. v. Cà\.
(il) Juftiii XLIV.,4.,
(13) Strabo II;!. 14p.. Cafaubon , daasfaiiote
furStiabon, prouve tju'il faut lire Caruja, as
lieu ce Calpe , qui e'toit une Montagne,
(14) Silius lih. J. V. 27 5. 36s..
(i i} Amm. Marc. XV. cap. ji/.;. »7>
LIVRE IH. <^. H A P I T RE XIV. ki7
•>» iufqu'anx Monts Pyrénées, t)^ nous le retrouverons bientôt »;! £ti
confidération de ces exploits , les Hàbitans du Pays confacrereTit''è
Hercule le célèbre Temple que l'on voyoit dans TWe de Gades, cù étoh
un Oracle fort renomme; mais ils réiolurent en même tems, & firent
paffer en loi (17), qu'à l'avenir aucun Efpagnol ne pofiederoit plus
ni or, ni argent, parce que ce Conquérant n'avoit porté autrefois la
guerre dans un Pays fi éloigné de fa patrie , que pour s'emparer de leuïs
tréfors.
§, III. Les Auteurs Grecs & Latins qui s'accordent prefque tous à racon- cea une
ter des fables, ont bien fenti (18) que leur Hercule étoit beaucoup plus H.tcui-: éioit
moderne que celui qui avoit un Temple dans l'Ifle de Gades. Celui-ci qui avou 6^"'
étoit d'ailleurs un Dieu Phénicien, dont le culte avoit été apporté de d'.'cijjj""'*
(19) Tyr , & non pas de Grèce ; ou , ce qui paroît être encore plus
vraifemblable , c'étoit un Général Phénicien (20), qui , après avoit
établi une Colonie de fa Nation dans l'Ifle de Gades (*) , périt enfuite .
dans la guerre contre les Efpagnols. Par ces raifons, les Tyriens & les
Carthaginois qui demeuroient en Efpagne , en firent un de leurs Dieux
tutélaires, & lui rendirent un culte religieux dans le Temple où il étoît
enterré. '
Philoflrate prétend, à la rérité (zi),que l'on fervoit dans le Tem-
ple de Gades les deux Hercules , fçavoir , l'Egyptien ( c'eft le même
que leTyrien), & le Grec. Mais, i.'^ Philoftrate ne mérite aucune foi fu'r
cet article , non-feulement parce que c'eft un Auteur fabuleux , & qui rte
rapporte les chofes que fur un ouï-dire, mais encore parce qu'il avoue
lui-même, dans un autre endroit, que l'Hercule Egyptien (iz) étoit
le feul qui fut venu à Gades. z.° Les Auteurs plus anciens ne font men-
tion que d'un feul (13) Hercule , qui fût connu & fervi à Gades ; c'étoit
le Phénicien. 3." Hécatée, quoiqu'il aimât beaucoup le merveilleux, n'a-
(i«) Cet Oracle c'toit encore en réputation
du tems de l'Empereur CuracalU , qui fit mourir
Ciuil'as JEmiliiutui,ço\xi l'avoir confulté. Excerpt.
ex Dione ap. Valef. p. 7 s <• On a cité ci-deflus ,
ch. VII. J. I. not. 34. une Loi Romaine, qui
permet de faire^ies Legs pieux à l'Hercule de
Godes.
(17) Ariftot.de Mirab, Aufcult. p. 707.
(1$) Herodot. II. 44.
il») Juftin. XLIV. j, Maciobe infinue que
c'étoit le Soleil. Satutn. lib. I. cap. zo. p. ,-,07.
(10) Pomp. Mêla lib. III. cap. 6, pag, 80.
Saluft. Jugurth. cap. 18.
(■*; Etymol. Magn. p. 2I9.
( zi j Philoft. Vit. Apollon, lib. V. cap, l.
pag. an.
(iz) Philoftrat lib. II. cap. 14. p. s>7-
(23] Arriah. Exped. Alex. lib. II. pag. lH,
Appian. Ibei. initio.
Oi A ilir,
fn^ antiin
Ibad.m.'UC,
ïi8 HISTOIRE D ^ 5 CELTES,
voit pas laifle de remarquer (24) t/^^ le Roi Géryon avok été trati^
planté fort mal- à-propos en Efpagne : il avoit régné dans une petite con-
trée de FEpire , où Hercule alla l'attaquer & lui enlever fes troupeaux.
Après un témoignage û formel , il ne faut pas s'arrêter à celui d'Ariftote;
il prétend (25) , que l'Hercule Grec avoit fournis l'Efpagne, & en donne
pour preuve , que , depuis ce tems-là , les Efpagnols avoient renoncé à
l'ufage de l'argent. Le Philofophe commet , dans cette occafion , le fo-
phifme que l'on appelle non caufœ pro caufd. Les Efpagnols , non plus
<jue les autres Peuples Celtes (26) , ne pofledoient ni or , ni argent , du
tems d'Ariftote ; ce n'eft pas qu'ils en euffent interdit l'ufage , après en
avoir reconnu l'abus & le danger ; mais c'étoit des barbares qui ne con-
noifToient point encore le prix de ces métaux , ni l'utilité qu'une fociété
bien réglée peut en tirer. 5.** Mais que cet Hercule, qui avoit un Tem-
ple à Gades , & qui paffoit pour avoir foumis une partie de l'Efpagne,
fut Grec , ou Tyrien , il en réfultera toujours que c'étoit un Héros étran-
ger. Il pouvoit être fervi par les Grecs , & par les Phéniciens , qui
avoient plufieurs établiffemens fur les côtes de ce Royaume ; mais il ne
l'étoit aflâirément pas par les Habitans naturels du Pays. Les Peuples
ont mis au l'ang des Dieux , des Conquérans qui les ont élevés , ou tirés
de la fervitude ; jamais ils n'ont fait le même honneur à des brigands qui
les avoient opprimés ou dépouillés. 6," On ne fait, aurefte, fi ce fiit
pouf s'accommoder aux idées , & aux coutumes des Efpagnols , que
les Ty riens (27) ne placèrent point d'Idole dans le Temple qu'ils avoient
confacré à leur Hercule dans l'Ifie de Gades. Cependant cette conjecture
affez naturelle, fi l'on confidére , d'un côté, que les Celtes condam-
noient l'ufage des fimulacres , & de l'autre, qiie l'Ifle s'appçlloit ancien-
nement (28) Cotinufa, c'eft-à-dire, la maifon, le Sanftuaire du Dieu Tis ,
qui eft le nom que les anciens Habitans de l'Europe donnoient à l'Être
fuprême.
§, IV. Revenons préfentement à notre Héros. On afliire (29) que de
l'Efpagne il pafTa dans les Gaules. Quelques-iuis , à la vérité , lui font
(j4^ Arrian. Expe \. Alex. II p. iiS.Euftath.
in Dionyf. Periçg. v. 561. p. 92.
(2 J Ci-d. §. 2. aot. 77.
(»«J Ci-d. Liv/ll. ch.j.p. 179.
(27) Ci-d. not. il. Silius l'b. III. v. 3»,
(2.8) Ci-d. ch. VI. §. 3. not. 41.
(29; Diod. Sic. IV. p. I ;S.& f.I^ucian. Hercul.
Gallic. pag. Sjl,
prendre
LIVRE m. CHAPITRE XIV. 119
prendre une route toute oppofée , & prétendent (30) qu'il traverfa qu'usrcuieU
l'Europe d'Orient en Occident, Mais ils conviennent, au refte, que ^iitdans7«
ce Conquérant entra dans les Gaules avec fon armée , & les fournit à fa '^•"''"*
domination. D'abord il vint à la cour du Roi des (3 i) Bébryces qui
demeuroient autour de Narbonne. Là il corrompit la PrincefTe Pyrène ,
fille du Roi , de laquelle les Monts Pyrénées ont reçu leur nom. S'étant
enfuite avancé jufqu'cn Bourgogne (32), il y conilruifit la célèbre (33)
Ville d'Alifé {^AUfia') que les Gaulois regardoient comme la Métro-
pole de leur Pays, & qui paffa pour imprenable jufqu'au tems de Jules-
Céfar, Pendant le féjour qu'il fit dans les Gaules ( 34) , il eut commerce
avec différentes Dames du Pays , dont il eut plufieurs enfkns , & en-
tr'autres (35) trois fils, Cdtus , GaUtes y & Iber. Un de fes Capitaines
bâtit auffi une yiUe dans le Languedoc , à laquelle il donna fon nom de
(36) Nemaufus (^NiJ'mes. )
Pline a, fans doute, raifon de regarder tout ce qu'on difoit d'Hercule
(37) & de Pyrène , comme de pures fictions. H y a , cependant, quelque
fondement dans ce que les Hiftoriens rapportent (38) « qu'Hercule paffa M'"^^''
w dans la Celtique, qu'il y abolit les injuftices, & la barbare coutume
» d'immoler les étrangers (39) i qu'il tua dans les Gaules Taurifcus
» (40) ; qu'il défit les géants Albion & Bergion , dans la plaine que l'on
» appelloit autrefois (41) Campi lapida y &c que les flèches lui ayant
.»» manqué pendant la bataille , il invoqua Jupiter qui le fecourut ,
M en faifant defcendre fur fes ennemis une grêle de pierres ». Voici ce
qui a , probablement , donné lieu à ces fables. L'Hercule dont il s'agit
ici, eft un chef des Marfeillois, qui avoit gagné une bataille confidéra-
ble fur les (41) Liguriens établis autour de la Ville. Les noms à^Al'
Cet Hercu!»
écolt un Gé.
□ irai des
oit.
(30) StraboIV. p. i S 3 . Ammian. Marc. XV.
cap. 9. p. 96. cap. To. p. loi.
(3 i) Silius lib. III V. 420-441.
(32) Diod. Sic. IV. ls6- V. 210.
(33) Diodore de Sicile lib. ut. pag. 15». dit
» qu'il l'appe'.la Aiefta, parce que fon armée
» s'étoit égarée dans cet endroit. »
(34) Animian. Marc. XV. cap. 9. p. 96.
(3 s) Diod. Sic V. zio. Euftath. ad Dionyf.
Ferieg. v. 281. p, 47.
(36) Stephan. de Urb. p. jjtf.
(37) Plin. Hift. Nat. III. I.
Tome IL
( 3 « ) Diod. Sic. IV. p. I s «. & f.
(39) Ci-deflus note 34.
(40 j Fomp.Mela II. cap. j.p. s7.Flin. IU.4«
Strabo IV. p. 1S3. Dionyf. Halle. I. p. 34. Bo-
chart. Geogr. Sacr. Part. 2. lib. I. c. 91 p. 730.
{41) On l'appelle aujourd'hui li Crau. Bo-
chart prétend <jue ce nom a été corrompu de
celui de Cr«ij , qui iîgnifioit ,en Gaulois, une
pierre.
(42) Efchyle avoit remarqué que ce fut con«
tre des Liguriens qu'Hercule g^gna la bataille
de la Cr«K. On peut voir le palTage de ce Potrte
R
tes Gauîti:
tcnis di Lu-
€ii-;i , l'iler-
tuîe Ogmius.
130 HISTOIRE DES CELTES,
iion. Si de (43) Bergion , qui défignent tous deux des montagnards,
infinuent que ces Liguriens étoient de ceux qui demeuroient dans les
Alpes voifines, & qui paflbient pour le Peuple le plus belliqueux de toute
la Contrée. Ils avoient encore la même réputation du tems de Jules-
Céfar , qui les appelle (44) Albici. Le nom de Taurifcus marque que
ces Liguriens étoient des Celtes, qui fe croyant iffus du Dieu Teut , por-
toient le nom de Teclofages , c'eft-à-dire, d'enfans de Teut, & appelloient
leur Pays Tau-rich, Royaume de Teut. Il fe peut bien que les flèches
ayant manqué fur la fin du combat , le Chef des Marfeillois eût ordonné à
fes gens de fe fervir contre l'ennemi des pierres qu'ils trouvoient fous
leurs pieds. Le Général Grec ayant foumis les Liguriens après cette vic-
toire, abolit dans le Pays conquis les barbares coutumes d'immoler
des étrangers , & de vuider tous les différens à la pointe <^e l'épée. C'eft-
là, félon les apparences, ce qui a fourni le canevas (45) qu'Efchyle
& les autres Poètes ont brodé à leur manière. Ammien-Marcellin pou voit
aufli avoir lii quelque chofe de femblable dans une Infcription (46) qu'il
dit avoir vue. Ou y donnoit au Chef des Marfeillois le glorieux titre
d'Hercule, que cet Hiftorien a pris mal à propos pour le fils d'Aniphi^
trion.
§. V. Le Héros dont on vient de parler, ayant été l'ennemi déclaré des
Gaulois , on fent bien qu'il ne pouvoit être l'objet de leur culte reli-
gieux. Il faut avouer , cependant , que dans le fécond fiécle du Chrifti?,
nifme , les Gaulois adoroient un Hercule , qu'ils appelloient Ogmius,
Mais ce n'étoit affurément pas un Héros , encore moins le grand Héros
des Grecs, C'étoit un Dieu Celte ; il fera facile de le reconnoître ,
pour peu qu'on life avec attention ce qui en a été dit par Lucien , qui
eft le premier & le feul Auteur qui en ait fait mention. Ce Philofophe
avoit été dans les Gaules. Il y avoit vu le Dieu Ogmius , repréfenté fous
une forme & dans une attitude toute extraordinaire. C'efl le fujet
d'un Dialogue intitulé, V Hercule Gaulois, dans lequel on trouve les
particularités fuivantes (47). ^ Les Celtes nomment Hercule , dans leup
» Langue , Ogmius, Ils repréfentent ce Dieu fous une fonne toute ex-
dans Strabon IV. p. 183. & lians Denys d'Hali-
cainaÛe lib. I. pag. 3 +. Voyez, auflî Euilatb. ad
Dionyi". Ptrieg. v. 76. p. 2i.
(f 3^ Ci-d. Liv. I. cb, i j. p. 104.
(44)Ca:fard2 Bcllo CivUi lib. I. cap. 34. & J7,
(4s) Ci-Jeffus noi 42.
(4S) Ci-deffus not. 3 +.
(47; Lucian. in Hecctile Oallico p. 8 s S.
LIVRE III. CHAPITRE XIV. 131
» traordinaire. C'eft un vieillard décrépit , qui a le derrière de la tête
» chauve. Le peu de cheveux qu'il conferve fur le devant , font par-
» faitement blancs. Il a la pewi ridée & d'un noir de fuie , comme les
» vieux matelots. Vous diriei/ plutôt que c'eft ou Caron , ou Japet , ou
» quelqii'autre homme revenu de l'enfer; en un mot, à en juger par
«l'imap^e, vous le prendriez pour tout autre que pour Hercule. Cette
» figure d'homme ne laiffe pas de porter l'équipage d'Hercule. Cou-
» vert d'une peau de lion , il tient la maffue dans fa main droite , le
» carquois lui pend fur les épaules , & dans la main gauche , il tient
» un arc bandé. Enfin il a tout l'aitirail d'Hercule. Je crus d'abord que
» les Celtes avoient inventé cette figure grotefque , pour fe moquer
» des Dieux des Grecs , & pour fe venger d'Hercule , qui avoit autre-
» fois ravagé leur Pays , & la plus grande partie de l'Occident , en
» allant chercher les troupeaux de Géryon, Mais je n'ai point encore
» rapporté ce qu'il y avoit de plus extraordinaire dans le tableau. Ce
«vieux Hercule .traîne après foi une grande multitude d'hommes, qu'il
«tient tous attachés par les oreilles avec des chaînes d'or émaillé, fort
» délicates , &c fort précieufes , qui reffemblent à celles qu'on porte
« autour du cou. Attachés par des liens fi fragiles , ils ne penfent pas
« à s'enfuir, quoiqu'ils pufl"ent le faire facilement. Ils ne réfiftent point,
» & ne fe roidiffent pas contre celui qui les tire. Au contraire , ils le-
» fuivent volontairement, & avec joie , en louant celui qui les conduit.
» Ils fe hâtent même , & on voit par les chaînons , qui font lâches ,
» qu'ils tâchent de devancer leur condufteur , & qu'ils feroient bien
» fâchés qu'on les déliât. Quand je devrois ennuyer mon Lefteur , il
>> faut que je rapporte encore ce que je ttouvai de pkis abfurde dans
«le tableau. Hercule a la main droite embaraffée de fa maffue, & la
» gauche d'un arc. Le Peintre ne fâchant donc où il devoit attacher un
«bout des chaînons, s'eft avifé de percer l'extrémité de la langue du
» Dieu , ÔC d'y attacher de petites chaînes qui vont toutes fe rendre
M dans fa bouche , enforte qu'il tire toute la foule avec fa langue. Le
M Dieu a le vifage & les yeux tournés fur la multitude , qu'il regar-
» de d'un air gracieux Se riant ». Un Philofophe Celte , auquel Lucien '
demanda l'explication de ce tableau , hii répondit qu'Hercule préfidoit
à l'éloquence parmi les Gaulois.
Pour faire préfentement nos réflexions fur ce paffage, remarquons VHaeaîi
Rî
,31 HISTOIRE DES CELTES,
O^mu,, hoi: d'abord, que ce tableau n'appartient point, à proprement parier, à la Re-
i'/mc." ^''' ligion des Celtes, qu'i ne vouloient pas qu'on repréfentât la Divinité
ibus la forme de l'homme. On fera voir, en fon lieu , que ce fcrupule
étoit commun aux Gaulois avec tous les autres Peuples Scythes & Celtes.
Ce tableau avoit été fait depuis le tems de Jules-Céfar, après que les
Gaulois eurent adopté des fuperftitions étrangères, ôc particulièrement
la coutume d'avoir des Temples & des Idoles. On voit clairement, que
le Peintre , qui étoit initié dans la Mythologie des Grecs & des Ro-
mains voulant repréfenter im Dieu des Gaulois , & exprimer parfaite-
ment l'idée qu'ils en avoient , lui attribue les caraâères de trois Divi-
nitc S étrangères , l'ancienneté de Saturne , la valeur d'Hercule , & l'élo-
quence de Mercure. Ce Dieu Gaulois eft manifeftement le Teut , VOdin ,
dont il a été parlé au long dans le Chapitre fixième de ce Livre. Ce
Teut étoit regardé comme le Père des Hommes Ik. des Dieux. C'étoit
le premier Être, le plus ancien des (48) Dieux, ainfique le porte l'Edda
des Iflandois, Par cette raifon, il eft repréfenté fous la forme d'un vieil-
lard. Le même Teut étoit le Dieu des Guerriers. C'e(t auprès da lui (49)
que tous ceux qui perdoient la vie dans le noble métier des armes, al-
loient jouir d'une gloire & d'une félicité tranfcendantes. C'ell: ce que
marque la mafllie , l'arc , en un mot , tout l'équipage d'Hercule, dans le-
quel il eft repréfenté. Enfin le Dieu Teut étoit regardé dans les Gaules ,
comme (50) l'inventeur des Sciences & des Arts. C'eft la raifon pour la-
quelle le Peintre lui attribue ce que les Grecs appelloient les laqs de
Mercure, c'eft à-dire, le don de perfuader. Lucien appelle ce Dieu Gau-
lois Hercule. Il aiiroit pu l'appeller, avec autant & plus de r^l{on, Mercure,
D'un côté , c'eft fous ce nom que les étrangers défignoient ordinairement
le Teut des Gaulois. D'un autre côté, c'eft là précifément ce que marque
le nom d'Ogmius. Edmond Dickinfon a cru (5 1) que cet Ogmius éio'ix Jofùè,
qui reçut ce nom , après qu'il eût défait Og , Roi de Bafan. C'eft une
vifion. M. Keyfler a prouvé (51) qu'O^^ , Ogum , & Ogma , eft un
vieux mot Celtique , qui lignifie proprement des lettres fecreties , écrites
en chiffre , & indireftement une Science occulte. Ainfi le Dieu Ogmius
eft le Dieu du fçavoir & de l'éloquence.
(48) Ci-dcflusch. VI. §. s. not. jtf. 1 (s i) Dickinfon Delphi Phinicifantes cap, 4,
(49^ Edda Ifland. Mitholog. 3 j. 1 pag. 41.
(so) Ci-deiTus ch. VI. $.>^ not. 11. i (jt; Kejùet Anti^. Septcmc. p. }l.
LIVRE III. CHAPITRE XIV. 133
§. VI. Il faut fuivre préfentemcnt Hercule àms fes courfes. « Après on pr tend
«avoir fournis l'Efpagne Se les Gaules (53) , il fe mit en marche pour av.ù.n'i.'Utf*
»> l'Italie, & paffii le premier (54) les Alpes, à la tête d'une armée.
«Ce fut en mémoire de fon paffage, que les montagnes qu'il avoit tra-
» verfées avec fes Grecs , reçurent le nom d'Alpes Grecques. On pré-
» tend même que les Lépontiens , qui demeuroient près des fources
»du (55) Rhin, defcendoient d'une troupe de foldats (5 6) qu'Hercule
Mftit obligé de laiffer en arrière, parce qu'ils avoient eu les mains Sc
» les pieds gelés dans les neiges. Arrivé dans le Pays Latin (57), le
» Héros tua le brigand Cacus , qui infefloit depuis long-tems la Con-
» trée, & qui lui avoit volé à lui-n>ême les plus belles vaches de fon
» troupeau. Il établit enfuite , fur le bord du Tibre , dans le lieu où l'on
» bâtit depuis la Ville de Rome, une Colonie Grecque, qu'il forma
»(58)de Péloponnéfiens tirés de fon armée, &c de quelques prifonniers
» qu'il avoit emmenés de Troye. Non content d'avoir fondé la Co-
wlonie, il voulut encore contribuer à l'augmenter. Il époufa pour cet
w effet deux Princeffes , l'une Grecque (59), ôc l'autre Latine , ou
M Hyperboréenne, &c il eut des enfans de l'une 6c de l'autre. Pendant
» le léjour qu'il fît dans cette Contrée , il adoucit, à plufieurs égards,
» les mœurs féroces de fes Habitans naturels , &C il abolit , en particu'
» lier , la barbare coutume qu'ils avoient de précipiter , to\is les
»ans, trente hommes dans le Tibre (60), comme un iacrifice au Dieu
» Dis. Cependant j pour ne pas effaroucher les efprits attachés aux
«anciennes iuperflitions, il jugea à propos de conferver une image du
«facrifice, 6c de faire jetter dans le Fleuve trente hommes de paille,
w que les Latins appellerent (61) Jrgù ; ( félon les apparences ,
» parce qu'avant le changement introduit par Hercule , on noyoit
(j3)Ammien Marccllin prétend qu'Hercule
pafTi d'Italie dans les Gaules Sc en Efpagnc.
Amm- Mate XV cap. to p. loi,
(54) Coinel. Ncp. Hannibal. cap. j.Flui. Hift.
Nat. lib m. cap. 17. Juftin, XXIV. 4. Silius
lib. ui V. 496. Conon. ap. Photium n. i8«.
Virgll .ineid VU. y. ««0. VIII. V. J9i. & feq.
Diod. Sic. lib. iv. p 158. Dionyf. Halic. lib. I.
fag. 26 f I. I.b. 11. p. 77.
(s s) CxCii IV. .0.
($7) Virgil. iïneid. viIl. 105. Dionyf. Hal.I.
pag. ) I . Livius lib. I 7.
(58 Dionyf. Halic. I. p. 27.49- II. 77.
($», Dionyf Ha!. 1 pag 15. }^. î S- Juftin.
xilil. 1 . Pomp. Feilus Paul. D.ac p 3 s S- Virgil.
jEneid. vu. «s«. Dion. Hal. 1. p. j 5. Solin I. i.
Etymol. Magn. p. 502.
(60 Macrob. Saiurn. I. cap. 7. p I5 3-Eufeb.
Pti . Evang lib iv. cap. I 6. p. i«o. Fyetci»
deffus ch. VI. §. i 1. not. 75.
(5<) rlin. lib. III. «p. lo.p, 37«. 1 (61) Ci-d. ch. vi. $• 14. not. iil.
134 HISTOIRE DES CELTES',
» des vieillards , des hommes inutiles h. la fociétc ». ) Varron a cru qu'ils
reçurent le nom à'Jrgd (6i) des grands Seigneurs Argiens qu'HercuIs
avoit auprès de lui. C'eft une étymologie ridicule , parce qu'il eft
•vifible que ces images ne repréfentoient pas des Grecs , mais des Abo-
rigines, que l'on offroit au Père J^is.
■ Cette conjeûure de Varron eft cependant plus vraifemblable , que
celle d'un certain Epicadus, qui eft rapportée par Macrobe (63 ). Attri-
bant à Hercule l'invention de ces hommes de paille, il difoit » que ce
» Héros , après avoir vaincu Gcryon en Efpagne , fit des ftatues de les
» compagnons qui avoient été tués , & qu'il les jetta dans le Tibre , afin
» qu'elles defcendifl"ent dans la mer, & qu'elles allaffent flotter fur le ri-
» vage de leur Patrie. Il prétendoit confoler par là les parens des déflmts ,
» en leur rendant au moins les images de ceux que la mort leur avoit en-
wlevé. »I1 faut qu'un Hiftorien foit fimple & crédule au dernier point,
ou qu'il ait bien mauvaife opinion de fes Lefteurs , pour mettre fur le
papier de femblables impertinences. Quoi qu'il en foit , Hercule pafla du
Pays Latin dans le Royaume deNaples, où il défit les Titans, pre-
Hiièrement, près du Mont (64) Véfuve, & enfuite plus bas , dans la
(65) Japygie. C'eft de là, félon les apparences, qu'il alla foumcttre la
(66) Sicile & la (67) Sardaigne , & ce fut eiï confidération de tous ces-
exploits, que les Habitans de l'Italie lui coniacrerent dans' les Villes, &
le long des (6S) grands chemins, des Autels, oit on lui oiFroit des fàcri-
fices annuels. Ils inférèrent auffi fon nom dans l'Hymne (69) que les
Saliens chantoient à l'honneur du Dieu de la guerre.
§, VII. Tite-Live regarde comme une fable , la tradition qui portoit
(70) qu'Hercule avoit pafle les Alpes avec fes Grecs. Ilaraifon. Il n'eft
pas douteux que les Gaulois appelloient le grand S. Bernard & les
Montagnes voifines , the graiice Albcn, les Alpes grifes, parce qu'on
y. voyoit toujours de la neige , de la même manière que les Scythes ap-
(«2) Varro de Ling. Lat. lib. iv. p, 12.
(63) Macrob, Saturn. I. cap. 1 2. p. 168. On
prétend que cet Eficadus eft le même dont il eft
fait mention dans les illuftres Grammairiens de
Siiatone ch. 12. Il e'toit affranchi du lîiftateut
Sj!l,t , dont il publia les Mémoires,
(64) ci-d. ch. Yi. §, 1 1. not. 24. Liv. I. cb. 9.
{6s) Arift. de Mirab. Aufcult. p. 707.
(««) Diod. Sic. IV. p. 1 s«. 8c f-
(67) Bochait. Geogr. Sacr. Part. II. lib. I.
cap. 3 I. p. 63 t.
(68) Dioiîyf. Halic I. pag. 31. îî.Virgil.
iEii;;id. vni. 185-268.
(tfj) Ci-d. Liv. II. ch. 10, p. l>4' not. 71*
(70) LiviwV. 34.
I
LIVRE m. CHAPITRE XIV. 135
peîIoientleCaucafe, Graucafusiji) , c'eft-à-dire , coinnie Pline l'a remar-
qué, la Montagne 'toujoiirs couverte de neige. La conformité du mot
Celte .gra'ùe (72), ou ^rifc, avec le mot Latin ^wy'^, a fait .croire que les
Montagnes dont il s'agit , portoient le nom d'Alpes Grecques. Pour ren-
dre raifon de cette dénomination , on a fuppofé enfuite qu'Hercule
avoit pafle dans ces Montagnes avec fon armée. Par une femblable mé-
prife, on a dit que les Alpes Penines étoient ainfi appellées, parce que
les troupes Puniques y avoient paiTé fous la conduite d'Aanibal, quoique
ces troupes euflent pris une route toute différente , & que le nom de
penn, ou Aq pinne, fût un mot Celtique qui défignoit (73) la cime, le
fommet des Alpes. Mais quoiqu'Hercule n'eût jamais vu les Alpes , ce
que la fable débitoit fur ce fujet, ne laiffoit pas d'avoir quelque fonde-
ment. Il y avoit eu un Hercule dans les Alpes, & un autre dans le Pays
Latin. Le premier étoit encore l'un des Chefs de la Colonie de Marfeille.
Cette Ville fe trouvant extrêmement incommodée par les courfes conti-
nuelles que les Montagnards faifoient fur fon territoire, envoya coc-
tr'eux un de fes Capitaines , qui ayant pouffé l'ennemi , & pénétré
avec fon armée , non pas jufqu'au grand S. Bernard , mais jufqu'aux
Alpes maritimes , qui féparent la Provence de l'Italie , y conilruifit
<leux forts , pour tenir en bride les Montagnards. Il appella l'un de ces
forts (74_) Niccea (n/k*»»), en mémoire de la victoire qu'il avoit
remportée fur les Barbares. L'autre fort qu'il bâtit fur un promontoire
fut confacré par la même raifon à Hercule ; & c'eft de ce Promontoire
que le port qu'il forme, reçut le nom de (75) Portus Hcradïs Monxci,
C'cil-là , à ce qu'il paroît , la feule armée de Grecs que l'on eût jamais
vue dans les Alpes.
Il eft connu que les Grecs^ avoient aufli plufieurs établiffemens dans le
Royaume de Na[jles. Ces Colonies, comme celles de Marfeille , avoient
eu leurs Hercules, leurs Héros, qui.avoient fournis les Habitans naturels
du Pays, adouci ce qu'il y avoit de féroce dans leur manière de vivre,
défait les Titans, c'efl-à-dire , les partifans de l'ancienne Religion ,
exterminé les brigands. La fable ne pêche ici qu'en ce qu'elle attribue
tout celaà un feul honmie. Par la fuite du tems, les Grecs en vinrent
(71) Ci-d Liv. I. ch. 15. p. 3^4-
(72) Giiijcn BasrUreton ,GraM,en Allemand.
(jjj Ci-d. tiv. I. ch. I s. p. 104. not.72.
(74)PHn. III. 5.
(75) Flin. JU. 5.Lucan. I. v. 405..
136 HISTOIRE DES CELTES,
fans doute, jufqu'à rendre des honneurs divins aux grands hommes à
qui ils étoient redevables de leur établiffement en Italie ; mais il n'eft
pas facile de croire que les Aborigines , les Aufons, les Opiciens , en
un mot , les Peuples à qui ces Conquérans avoient arraché leur Reli-
gion & leur liberté, ayent pu fe réfoudre à leur rendre un culte reli-
gieux. Cet Hercule , qui étoit fervi dans le Pays Latin , étoit affurément
un Héros Grec. L'Hiftorien Romain Cecilius le croyoit ainfi. Il conjec-
turoit C76 ) que la Ville de Rome avoit été bâtie par les Grecs , parce
qu'on y ofFroit anciennement des facrifices à Hercule , avec les mêmes
cérémonies que l'on obfervoit en Grèce. Varron fe trompoit donc,
loriqu'il afluroit (77) qu'Hercule étoit le même Dieu que les Sabins
appelloient Sanclusy ou Sancus. Portius Caton avoit remarqué (7 8) que
Sancus étoit un Dieu indigéte des Sabins , auquel ils rapportoient l'o-
rigine de leur Nation. Si ce Sancus étoit fervi le long des grands che-
mins, ce n'étoit pas , comme (79) Feftus l'a cru, en mémoire d'Hercule
qui y avoit paffé , mais parce que les anciens Habitans de l'Italie , com-
me les autres Celtes, avoient leurs Sanûuaires hors des Villes, & le
long des grands chemins.
Oa (Ut §. VIII. Il faut dire un mot des autres Pays de la Celtique qu'Her-
av.-it paiVé cule doit avoir traverfé. les Poètes afllirent qu'il entra dans le Pays des
nmîiis*'^" Hyperboréens , & qu'ayant pénétré jufqu'aux fources du Danube (80),
il en rapporta l'olivier dont les branches fervoient à couronner le vain-
queur dans les jeux Olympiques. C'eft une fuppofition. Peut-être
l'Hercule Grec s'avança-t-il jufqu'au Danube ; mais il ne remonta affuré-
ment pas jufqu'aux fources du Fleuve , & ce n'eft pas de-là que l'olivier
avoit été apporté en Grèce. Tacite parle auili d'une tradition félon la-
quelle Hercule devoit être parvenu jufqu'au Sund .(^Si y «On publie,
» dit-il , qu'il y a dans l'Océan Germanique des colomnes d'Hercule ,
H foit qu'Hercule ait pénétré jufques là , foit que l'on ait coutume d'at-
» tribuer à un homme fi renommé les grands & magnifiques ouvrages
» que l'on trouve quelque part que ce foit ». Tacite , en rapportant
(76) Strabo lib. V. p. 230. j (79) Pomp. Feftus in voce Pr./,«r.
(77) Varro de Ling. Lat. lib. IV. +. P. reftiis | (80) Paufan. EUac. I. cap. j.p. 352. ci-deflus
in voce Prcj^tcr. i ch. XII. §. 3 • not. j 6.
(78) Dionyf. Halie. lib. II. pag. 113. Silius j (81) Tacit. Germ. cap. 34.
Ital. Ub. viii. V. 4.21. 1
cette
LIVRE III. CHAPITRE XIV. 137
cette tradition, infinue affcz qu'il n'y ajoute point de foi. «Depuis Drufus
» Germanicus perfonne n'a fait de recherches , pour découvrir ces
» eolomnes d'Hercule , & l'on a cru que c'étoit une chofe plus digne de
» la piété & du refpeû que l'on doit aux Dieux, de croire ce qu'on dit
» de leurs exploits, que d'en avoft une entière certitude ».
Ce n'eft, cependant, que cette particularité qui eft révoquée en doute Tacite a(T.tre
par l'Hiftorien. Il étoit perfuadé, au refte, qu'Hercule avoit pafle dans la ?,ains"ren""
Germanie , & qu'il s'y étoit fignalé par fes exploits. <* Les Germains , dit-il c°|°'un cuîie
«ailleurs (82), rapportent qu'Hercule a paffé dans leur Pays , & c'efrunemè^,
» quand ils vont au combat , ils le célèbrent comme le premier de ?"*=•
» tous les vaillans hommes». Cet Auteur affure même que les Peuples
de la Germanie rendoient un culte religieux à Hercule (83) : « Ils appai-
»> fent Hercule & Mars par des facrifices d'animaux permis ». Mais
Tacite s'eft affurément trompé fur cet article. Les Germains avoient
leurs Mars auquel ils offroient des facrifices. On a vu dans le Chapitre
VII de ce Livre , que c'étoit Odin. Mais ils n'ont jamais connu l'Hercule
Grec, & ce n'étoit point fes louanges qu'ils chantoient en allant au
combat. Nous verrons dans le moment ce qui a fait prendre le change
à cet Hiftorien. Il étoit bien difficile que des étrangers ne s'y méprîffent.
Contentons-nous de remarquer ici, i.^ que c'eft en conféquence du pré-
jugé où il étoit , que Tacite parlant d'une Foret du Pays des Chérufques,
dit ( 84) qu'elle étoit confacrée à Hercule. Hercule eft ici Vodan , le
Dieu de la guerre, que les Germains fervoient dans leurs Forêts confa-
crées. 2.* On voit le même préjugé dans une Infcription qui a été trou-
vée dans le Pays de Cléves. On y lit ces paroles (85) Herculï faxano.
Cette Infcription eft de quelque Romain , qui voulant donner un
nom latin au Dieu Vodan , que les Germains fervoient autour d'un amas
de pierres , & qu'ils regardoient comme k Dieu des Guerriers, l'ap-
pella Hercules fax anus ; Hercules , parce qu'il préfidoit à la guerre;
faxanus , parce qu'on lui ofFroit un culte religieux au milieu d'un grand
nombre de groffes pierres. 3.® On ne s'arrêtera point aux médailles de
Pofthumius , fur lefquelles font gravés les noms de Hercules Deufontnjïs,
Hercules Magufarzus , parce qu'elles ont été conftammerrt frappées par
I •■ -u ' 'I
(5 2)Tacit. Germ. 1. 1 (14) Tacit. Ann. II. iz,
(Sî) Tacit. Getm. s. j (»s} Kejrflet p. Ijil^
Tçme II. S
, 138 HISTOIRE DES CELTES,
les Romains. La flaterie, pour honorer ce Poflhumuis, que les Gaulois
proclamèrent Empereur , du tems de ^86) Galien, lui donne ici le nom
* d'Hercule. Les mots de Deufonenfîs , & de Magufanus font , félon les
apparences , les noms des lieux où Pofthumius avoit battu les Gtr-
mains (87). •
te» Grec» if- §. IX. La Thracc étoit voifine de la Grèce , & remplie de Peuples éx-
He^uicVnir tfêmement belliqueux. Il ne faut pas être furpris que les Poètes Grecs en
cxlélwioZ" ayent fait le théâtre , où leur Héros avoit donné les plus grandes preuves
en Thrace. j^ ^qj^ courage & de fa valeur. On prétend qu'Hercule eut pour maîtres
dans fa jeunefle, im Scythe , nommé Teutams (88) , i[\n lui apprit à tirer
de l'arc, & un Thrace nommé Linus ( 89) , qui lui enfeigna à jouer de la
guittare. L'EcoUer ayant peu de difpofitions , & encore moins de pen-
chant pour la mufique , Linus ofa le frapper un jour de fa guittare , ce qui
irrita tellement le Difciple, qu'il tua fon maître fur la place (90). Arrivé
à l'âge viril , Hercule fit plufieurs expéditions en Thrace. Dans l'une ,
il tua Diomede, Roi des Thraces Biftoniens (91% qui, après avoir im-
molé à Jupiter les étrangers qui tomboient entre fes mains, les faifoit en-
fuite dévorer à fes chevaux. Dans l'autre (92) , il défit les Géants , ou
les Titans.
Ce <]"i pejt Tout cela peut être vrai , ou avoir quelque fondement , pourvu qu'on
foadtmem'.'' en retranche les fables des Poètes , qui ont enrichi le fujet à leur ma-
nière , & aux dépens de la vérité. Ce fut du tems d'Hercule, une géné-
ration avant le Siège de Troye , que les Phéniciens & les Egyptiens,
qui avoient autrefois pafle en Grèce fous la conduite de Cadipus (93) &
de (94) Danaùs , s'étant accrus & affermis, foumirent entièrement les
Pèlalges, qui étoient les anciens Habitans du Pays (95). Les Pélafges
ne purent fe réfoudre à plier fous le joug du vainqueur, & à embrafler
la nouvelle Religion qu'il avoit apportée en Grèce; ils fe retirèrent
dans la Theffalie , & delà dans la Thrace. Us y furent pourfuivis par
(1$) Zofîmus lib. I. p. «z. | Ovid, Ibif. v. 3 Si. 401, Sil. Ital lib. m. v. J8.
(«7) On peut voir fur ces Me'dàilles Mafcau
Lib. V c. 40. p. 177. Keyfler p. 30. zoo.Relig.
des Gaul. Liv. III p. zS.
(8S) Lycophr. V. s<. p. 10.& Schol. '^
(ss) Apollodor. lib. II. p. Sj.
(90) id. Ibid.
(91) Apoilodor. II. 95. Diod. Sic. IV. Zi6.
Euripid. Alceft v. 485. Hercul. Furens v. 3Ï0,
Solin. p. m. 215.
(9 2' Apollod. I. 14. ci-dcflus Liv. I. chap.j.
pag. 5f 52. 53.
(93) Ci-d. Liv. I. ch. 9. p. 40. 41. 4^1
(94^ Hcrodot. II. 91.
(9$) Ci-d. Liv. I, cil. 9. p, 4i-tî.
LIVRE III. CHAPITRE XIV. 139
les Grecs , & les chofes en vinrent à une bataille décifive , dans la plaine
de Phlégra , où les Titans , c'eft-à-dire , les adorateurs du Dieu Tis ,
furent entièrement défaits par la valeur d'Hercule qui commandoit
l'armée Grecque. *
§. X. Il ne faut pas nier non plus , que le même Hercule , ou quel-
qu'autre Héros Grec n'eût paffé dans l'Afie mineure , & qu'il n'eût battu,
en plufieurs rencontres, les Scythes qui y étoient établis. Les Anciens
afliirent affez généralement, qu'Hercule avoit vaincu (96) les Amazones
près du Thermodon, & (97) pris la Ville de Troye, dont il avoit ôté le
gouvernement à Laomédon , pour le donner à Priam. Quelques-uns
ajoutent que , dans l'une des expéditions dont on vient de parler , il bâtit
la Ville ( 98 ) d'Héraclée. Mais il y a toute apparence que cette tradition
n'étoit fondée que fur le non mèm^ à^ HéracUe , que cette Ville reçut,
non parce qu'Hercule l'avoit bâtie , mais parce qu'elle lui avoit été con-
facrée dans le tems même de fa fondation , comme on peut le voir dans
Juftin (99).
Au refle , il y a ici deux chofes qui font confiantes. La première , c'eft
que l'Afie mineure étoit remplie, du tems d'Hercule , d'un grand nombre
de Peuples Scythes, qui y étoient paffés de l'Europe; la féconde, qu'ils
furent dépofTédés de l'Eolie, del'lonie, & de plufieurs autres Contrées,
par les Grecs. 11 eft vrai que la chofe n'arriva ( 100) que long-tems après
les expéditions d'Hercule ; mais il ne faut pas douter que les Grecs , avant
que de s'établir dans l'Afie mineure, n'y euffent paffé plufieurs fois
avec leurs flottes. Par ces raifons , il ne paroît pas impoffible qu'Her-
cule n'eût fait quelque tentative fur les Villes maritimes de l'Afie
mineure. Mais il y a beaucoup lieu de douter qu'il fe fût éloigné des
côtes, & encore plus qu'il fût parvenu jufqu'en Albanie (ici), & au
Mont (102) Caucafe. Il faut avouer aufîi qu'il n'efl pas facile d'expliquer
parfaitement la (103) fable qui porte qu'il délia Promethée , que Jupiter
Ce qu'on dit
d-'î fvp'di-
lOtii d'Het-
cuL- en Afie
poLic aiifli
svoir(]uelque
fo.idcmcu:.
(9*) Juftin. II. 4. Euripide Hercul. Fur.
T. 40S. dit que ce fut près des Talus-Méotides
qu'Hercule vainquit les Amar.ones.
(97) Dionyf. Halic. lib. I p. 27. ApoUoder.
lib. I p. %. II. 91.
(9S)Pomp. Mêlai, cap. 9. p. 3}.
(99) Juftin XVI. 3.
(100) Hercule vivoit une généiation avant
le fiége de Troye. Les Ioniens pafferent en Afie
I 3°' ou 14a. ans après la ptife de cette Ville.
On prétend que les Eoliens y avoient paiTé
30 ans plutôt. Vùytz, Petav. Rat. Temp. lib. I,
p. S3. Kickii Canon. Chtonol. p. 405. 3cf«q.
(10 1) Juftin. xiir. 3.
(loz) Strabo iv. r 83.
(103) ApoUodor. I. p 19.
Sx
I40 H I S T O I R E D E S C E L T E S,
avoit fait attacher au Mont Caucafe par Vulcain , parce qu'il avoit formé
le premier homme de terre & d'eau, & parce qu'il avoit volé le feu dvi
Ciel pour l'animer. Tout ce que l'on voit dans un conte û ridicule , c'eft
I.® que le nom de Promttheus fignificut, parmi les Scythes, (104) le ^on
Theus ; c'efl: le nom que ces Peuples donnoient au Dieu fuprême ÔC à fes
Miniftres. 1°. Les Scythes qui attribuoient la produftion de l'homme
3u Dieu fuprême , difoient auffi que le bon Teut avoit formé le corps de
l'homme de terre & d'eau , & qu'il l'avoit animé, en le rempliffant d'un
feu célefte. Tout cela s'accorde parfaitement avec leur Dodrine. 3.° Ces
Peuples offrant à leurs Dieux des viûimes humaines , & le but des
facrifices étant de découvrir l'^ivenir par l'infpeftion des entrailles de ces
malheureufes viûimes, on entrevoit que les Grecs qui déteftoient ce bar-
bare ufage , ont pu dire à leurs enfans , que les Sacrificateurs Scythes
avoient été condamnés par Jupiter à voir dévorer leur propre foye par
des vautours. 4.'' Mais ce qu'on ne fçauroit comprendre abfolument ,
c'eft qu'Hercule qui étoit l'ennemi déclaré de l'ancienne Religion , èç.
qui contribua de tout fon pouvoir à introduire la nouvelle, n'ait pas laifTé
d'être le libérateur de Promethée. LaifTons à ceux qui voudront s'en doa-
/ ner la peine, le foin de chercher quelque folution pour lever cette diffi-
culté qui paroît infurmontabje.
srion Héro- §. XI. Pour finir cette énumération par les Scythes, Hérodote affiire
;dote, riercu- . . i.v,
le étoit adoré (ïoj) quc ceux qui demeuroient au-delà du Danube, adoroient, en-
jhc.." ^'^^' tr'autres Dieux , Mars & Hercule. Le Mars des Scythes , ou des Ger-r
mains étoit le Dieu fuprême (106), qu'ils appelloient Tay , Teut , o\i
Odin. On verra tout - à ^ l'heure ce qu'étoit cet Hercule ,' dont on
prétend qu'ils joignaient le culte à celui de Mars. Le même Hiftorien
rapporte ailleurs (107) qu'Hercule, revenant d'Efpagne , paffa dans Iji
Scythie , qui étoit encore inhabitée : il y troiiva , cependant , une efpèce
de Syrène , qui étoit d'une forme tout-à-fait monftrueufe ; elle fçut
l'engager à paffer une nuit avec elle , & lui annonça le lendemain qu elle
lui donneroit trois fils. La prédiftion ayant été accomplie , elle nomma le
premier Jgathyrfus , le fécond Gelonus , Si le troifième Scytha. Héro,
dote (108) avoue de bonne foi que cette fable étoit inconnue aux Scythes,
• — ^ — - — — , -^
(io^)Tr(»n-Thtus,leboaTheu!. 1 (107) Heiodot. iv. S. 8c feg.
(los)Ci-d. ch. III. $. a.not. S, I (ip8}H«odot. IV. ».
(lotf) çi-d. ck. vil. '
Les Celtei nt
point deculte
LIVRE ni. CHAPITRE XIV. 141
ï,lle venoit des Grecs , qui vouloient abfolument , que tous les Peu-
ples de l'Univers defcendiffent de leur Nation. On peut attribuer aux
2nêni£S Grecs un autre conte qui vaut bien le premier. Il porte que
l'on (105) voyoit fur un rocher, près du fleuve Tyras , l'empreinte du
pied d'Hercule , qui avoit deux coudées de long,
§. XII. 11 faut voir préfentement, comment il a pu arriver que les An-
ciens ayent affuré fi généralement , que les Celtes rendoient un culte
religieux aftx Héros , & fur-tout à Hercule. Ce n'étoit point la coutume '^^f^^^'' *"*
de ces Peuples de mettre les grands hommes au rang des Dieux , ni pen-
dant leur vie , ni après leur mort. Trois raifons le prouvent clairement.
La première , qui a déjà été alléguée au commencement de ce Chapitre ,
c'eft qu'ils fe moquoient des Grecs , qui admettoient des Dieux iffus des
hommes. En fécond lieu, cette apothéofe étoit incompatible avec leur
Théologie. Ils foutenoient (no) que le monde étoit incorruptible;
ils croyoient que le Créateur avoit uni , dès le commencement , à cha-
que Elément, une intelligence qui le dirigéoit, & qui ne devoit jamais
en être féparée. Quel empire aur£>ient-ils donc pu attribuer, &c quel
culte auroient-ils pu rendre à de nouveaux Dieux , qui étoient une pièce
hors d'œuvre dans leur fyftême ? La troifième preuve, qui eft décifive,
c'eft la Doûrine même des Celtes fur le fort de l'homme après cette vie
(i I i). Ils ne croyoient pas que l'ame des grands hommes fïit élevée après
la mort au-delTus de la condition humaine. Ils difoient que les braves
sllojent trouver OMn , le Dieu des combats, & qu'ils jouiffoient auprès
de lui de tous les plaifirs qui peuvent flatter les Guerriers. C'eft ce qu'on '
^ura occafion d'expliquer plus au long dans l'un des Chapitres fuivans. pourquoi».
^. XIII. Voici ce qui, vraifemblablement, a fait croire que les Peuples '■°" V" 1"'
.Scythes & Celtes veneroient les Héros.
(109^ Herodot iv. 8i.
1 10 Ci-d. ch. VI. §. 16. not. 153.
(iii] L'Auieur de la Keligion des Gaulois
liv. I. p. 8 8. dit : « Les Gafcons croyoient icn-
i> die un bon office aux hommes qu'ils immo-
)y loienti cai ils pre'tendoiçnt que leurs âmes
» e'toient déifiées par la voye de l'immolation ,
» & qu'elles avoient rang parmi les Dieux. » Il
le prouve par un «ndroit de l'Hymne de pru-
dence , compofe'e à l'honneur des Martyrs Hemi-
leriui liChihHsniki. Prudent, teii Steph. Hymn.
^, V, $^. jtli>i$ ; félon les apj iiences , l'AutcHr
de ta Religion dei Gaii/dii n'avoit point lu..Ie paf-
fage de Prudence. Ce Poëte, rapportant les mi-
racles que Dieu ope'roit fur le tombeau des Mar-
tyrs Uemiteriiis & Chtlidinius , dit à ceux des
Gafcons qui demeuroient encore dans l'Idolatiiç :
» Croyez-vous préfentement et que vous m pon-
» vitz, eroire du tems que vous e'tiez plônge's
» dans les ténèbres du Paganifme ? A la vue de
» ces Miracles, ne reconnoîtrcz-vous pas qud
» l'ame des Martyrs, que vous avez fait mourir
» fi cruellement, a e'.té poitc'e entre les bm de
Î4Z HISTOIRE DES CELTES,
aoi-ntun !•" ^cs Peuples étoient dans la ferme perfuafion, qu'un homme qui
cii'terciigieuï n^ourolt à la guerre, ou de quelqu'autre forte de mort violente, paffoit
Héros î fùrement & infailliblement à une vie menheureufe (m)- En conle-
quence de ce préjugé , les Scythes ( 113 ) difoient au Meffagers qu'ils
envoyoient à Zamolxis (à 14), qu'ils alloient leur donner l'immortalité.
De ce que , parmi les Grecs , donner ^immortalité à un homme , fignifioit
le mettre au nombre des Dieux , on a conclu que les Scythes avoient, fur
cet article, la même Doârine & la même pratique que les Grecs. C'eft
ime chimère. Donner Vitnmortalité , parmi les Scythes , étoit ce que nous
appellerions envoyer quelqu'un à la vie éternelle.
2." Les Scythes & les Celtes avoient un profond refpeft pouf
leurs Druides , & fur-tout pour leur Pape. Il eft affez naturel de fe fervir
de ce terme, puifqu'ils en avoient un , ainfi que les Chrétiens. Ils
crOyoient que les Eccléfiaftiques , remplis de l'efprit de Dieu , con-
noiffoient le pafle, le préfent, l'avenir, avec tout ce qu'il y a de plus
caché dans la nature , & leur attribuoient le pouvoir d'opérer les chofes
du monde les plus extraordinaires. Aufli vénéroient-ils dans leurs Pro-
phètes , & dans leurs Prophéteffes , le Dieu dont ils étoient les Miniftres
& les Interprètes , & recevoient-ils leurs décifions comme les oracles
mêmes de la Divinité. Tacite remarque (i i5)« que,du tems de l'Empe-
« reur Vefpafien , la plupart des Germains regardèrent long - tems
» Veleda comme une Divinité , & qu'ils avoient autrefois vénéré Au-
» rinia , èc plufieurs autres femmes , non par flaterie , ni comme s'il
' » leur appartenoit de faire des Déefles ».
Cette vénération étoit portée fi loin par les Peuples Celtes , qu'ils
ne faifoient pas difficulté de donner à leurs Pontifes le nom même du
"^ Dieu au culte duquel ils préfidoient. » Zamolxis , difoit Strabon (116),
» fut d'abord créé Sacrificateur du Dieu que les Celtes fervent préfé-
» rablement à tous les autres. Enfuite il reçut aufîi le nom de Dieu ».
Tacite fait la même remarque , en parlant de cette Feleda dont on vient
de faire mention (117). « C'étoit , dit- il , une Vierge, Bru£tere de
» nation, qui avoitune domination fort étendue. Les Germains étoient
1' ■
(lîî)Ci-d. ch VI. §. i<S. not. i»s- eh. VII. (iis) Tacit. Germ cap. 8.
>. t. not 3 I.
(1I3) Herodot. lV.94.Lucian.Scyth.p. 340.
^ (ti4} Vojti^ci-ôi. ch. VI. §. 16. p. lyj.
(lis) Strabo IV. 198.
(117) Tacit. Hiflor. IV. 61.
LIVRE III. C H A P I T R R XIV. 145
a accoutumés de toute ancienneté , à tenir la plupart des femmes pour
M des Prophéteffes , & même pour des Déeffes , quand la fuperftition
» vint à s'en mêler ».
On a prétendu conclure delà que les Peuples Celtes faifoîent des
Dieux félon leur bon plaifir. «Les Scythes & les Gétes, difoit Lucien
«(118), donnent l'immortalhe k qui 'A leur plaît, & mettent au nombre
w des Dieux qui ils veulent , de la même manière que Zamolxis , qui
Mn'étoit qu'un efclave , fut placé parmi les Dieux». C'eft encore
une illufion. Les Celtes donnoient à des hommes le nom de Dieu pendant
leur vie , & non pas après leur mort. Le Succeffeur du Prophète ou du
Pontife , héritoit auiE de fon titre, Strabon & Tacite l'afTurent expreffé-
jnent. Le premier dit (119) «que, depuis le tems de Zamolxis, il s'é-
»toit toujours trouvé quelque Pontife, qui fe difant rempli de l'efprlt
»de Dieu, & fervant de confeil au Roi, étoit honoré par les Gétes
» du titre de Dieu ». Le fécond dit (ixo) que« les Germains ont vénéré
» autrefois Aurinia , c'eft -à- dire , pendant fa vie, & que, fous le
» règne de Vefpafien , ils ont regardé pendant long-tems Vd:da comme
wune Déeffe». C'eft -à -dire, qu'ils en eurent cette idée, jufqu'à ce
qu'elle eût été faite prifonnière par les (m) Romains. Alors l'opinion
que l'on avoit de fa Divinité , ou, comme nous le dirions, de fa magie,
s'afFoiblit infenfiblement, & bientôt fe perdit tout-à fait.
3.^ Après les Gens d'Eglife, le grand objet de la vénération des
Peuples Celtes étoit les bons Guerriers. On en a vu la raifon dans le
Livre précédent (m). Ces Peuples, ne connoiflbient point d'autre pro-
fefîion que celle des armes, ni d'autre gloire que celle de fe diftinguer
dans ce noble métier; les honneurs, les louanges , les diftinûions , la
confiance du Public , tout cela étoit , pour ainfi dire, confacré aux Héros,
Vénérés pendant leur vie , ils l'étoient aufll après leur mort. Premiè-
rement, on leur donnoit le titre de Herr ^ ou de (123) Hans , qni étoit
réfervé aux Dieux, & aux Prince?, Ainft Jornandés dit (114) que les
Goths , après une viftoire fignalée , qu'ils avoient remportée fur les Ro-
mains, donnèrent à leurs Généraux le nom ^ Anfts y qui défigne quelque
(t it) Lucian. neor Concil. p. 109I,
(llsi' Strabo IV. 29».
(i»o Tâeit. Germ. cap S.
(izi; Statius S^Ivat. I. Caria. 4. v. t;. lY.
ilarm. 10 r. 24.
(1 71 Ci-d Liv. II. ch. 12. p. lii. & fuir.
(113 Ci-d. ch. VII $. s.not. $8.
(124) Jotnand. Goth. xiii, p. £79,
tu HISTOIRE DESCELTÉ5,
chofe de plus qu'un fimple homme , & qui marque une efpèce de demi--
Dieu. De même la Mythologie desiflandois (125)5 quand elle parle des
Héros^ qui font avec Odin , dans le Valhalla , les appelle toujours (116)
Einherren , mot que l'Interprète Latin a rendu par celui de Mono-heroës.
En fécond lieu , on célébroit, près le tombeau des braves ( 12.7) , des
feftins ,& des combats funèbres, & dans ces fol^mnités , on dépêehoit
fouvent au mort im , ou plufieurs meifagers , pour l'informer des hon-
neurs qu'il recevoit parmi les vivans. Enfin , ce qu'il faut bien remarquer y
on compofoit à l'honneur des Héros ^ quelqu'un de ces Cantiquejqui ont
été repréfentés au long dans le Livre précédent (128). Ces Hymnes com-
mençoient par les louanges de Dieu. Ils finifToient par l'él-oge des grands
hommes, qui s'étoient difîingués au milieu de chaque nation dans le-
métier des armes , & particulièrement de ceux qui avoient perdu la
vie pour la défenfe, ou pour la gloire de la Patrie (12-9). On y rap-
pelloit le fouvenir de leur bravoure , & de leurs exploits : on y célébroit
le bonheur dont ils jouiflbient auprès du grand Odin. La jeuneffe appre-
nôit ces Cantiques , pour fe remplir de bonne-heure d'une noble émula-
tion. Le Soldat les entonnoit en allant lui-même à la charge , & s'animoil
ainfi lui-même à fuivre de fi beaux modèles. On les chantoit encore dans
toutes les folemnités, & même dans les Affemblées religieufes, pour for-
cer, Si. pour entretenir dans le cœur de tous ceux qui y affiftoient , les
fentimens de valeur & de bravoure , que ces Hymnes repréfentoient ,
comme le véritable & le feul chemin de l'immortalité»
Voila affuréraent ce qui a fait croire que les Peuples Scythes &
Celtes rendoient un culte religieux aux Héros. Les Hymnes que ces.
Peuples chantoieni;, pendant le fervice , faifoient mention des Héros ;
ofi en a conclu que ces grands hommes étoient l'objet même du culte..
Mais on l'a fuppofé fans raifon, pour avoir jugé de la chofe par les appa-
reftces j plutôt que par le fond même de la Religion des Celtes , dont le
fyflême étoit incompatible avec un femblable culte.Ainfî Lucien fait dire
à un Scythe ( 130) : «Nous offrons des facrifîces aux gens de bien.
(125) Edda IfhiKi. Mythol. 3?.
(tîS) C'cfl, un mot compofe de celiti de
irrè , un , & Hirr, Seigneur.
(117) On aura occalion de le prouver , en
parlait de ce <}ue lés Celtes pratiquoient par
laippott aux cntexrgmeas Se aux obfc'qires.
(lî8) Ci-d. Liv. îl. ch, lo'. p. i?«. ii fuir.
(129) On voit dans Horace que , de fon feras,
les Romains chantoient encore des femblable»
Hymnes dans leurs folemnite's. Horat. Caub
lib. IV. Od. I j.
(lioj Lucian. Toxuiç. 611.
» c*efl-à-dlrej^
'^.
LIVRE III. CHAPITRE XIV. 145
» c'eft-à-dire , aux braves , & nous célébrons à leur honneur des Fêtes
w folemnelles ». Lucien l'a cru ainfi , p^rce que les Scythes faifoient men-
tion des Héros dans leurs facrlfices & dans leurs Fêtes. Ainfi Hérodote dit
fur le même fondement (131), que Xerxès étant arrivé à Pergame , y
» offrit à la Minerve Trojenne mille bœufs , dont les Mages employe-
» rent la chair à faire des obféques aux Héros ». Cette Minerve des
Troyens étoit la Terre , la grande Divinité des Amazones , des Phry-
giens, des Lydiens , & des autres Peuples Celtes de l'Afie mineure.
Les Mages offrirent à la Terre mille bœufs , c'eft-à-dire , qu'après avoir
égorgé les vidimes , ils en firent bouillir la chair , retendirent fur
l'herbe verte, & chantèrent la Théogonie, la génération des Dieux &
des hommes, la produftion de toutes chofes parles deux Principes, fçavoir
le Dieu fuprême & la Terre fa femme. C'eft dans le chant de cette forte
d'Hymnes (132) que lés Mages faifoient confifter le facrifice, ou la
confécration de la viâime. Comme la chair des vidimes étoit ordinai-
rement mangée dans des feftins , où l'on continuoit de chanter ces Hym-
nes qui commençoient par les louanges de la Divinité, & qui finiffoient
par l'éloge des Guerriers , Hérodote a dit que ces vidimes , immolées à
Minerve , fervirent auffi à faire des obféques aux Héros. Le même Hé-
rodote remarque ailleurs (133) que les Scythes fervent Mars 6c Hercule,
Tacite en dit autant des (1:3^) Germains. Man eft ici Teut y ou Odïn ,
le Dieu de la guerre : Hercule défigne les braves-, qui jouiffoient auprès
de ce Dieu de la fouveraine félicité. Ces Hiftoriens ont cru devoir faire
une Divinité de cet Hercule. On en voit la raifon dans ce qui vient d'être
expofé. Il étoit célébré dans des Cantiques , qui faifoient une partie ef-
fentielle du culte de la Divinité.
§.XIV. On fent bien,. au refte, que les braves dont les Celtes fai- r.esHcrcuit#
foient l'éloge dans leurs Cantiques , n'étoient pas des Héros étrangers. n,",=|j«5^i"'»
De grands hommes de l'antiquité , (135) Varron, par exemple, Cicé- <!■»'"''"«
ron & Servius ont reconnu qu'il y a eu plufieurs Hercules, & qu'on a =<oieiiticn'»
attribué mal-à-propos à un feul homme des exploits , des conquêtes , en toTr"
un mot, une gloire que plufieurs ont partagée. Cette remarque eft
très-folide ; mais fi l'on veut y prendre garde , on fe convaincra facile-
(i3t) Herodot. VII. +3.
(U2) Herodot. I. I32.
(ij3) Ci-d.ch. II}. $. i.not. t.
i Tomt II, ^
(134) Ci-d. $. ». not. «3.
(13 s) Servius ad iEneid. viil. V. j«|.p. J4»;
XI. ^6i. Ciceio de Nat. Deor. lib. m. cap. 41»
y.
Ï4Ô HISTOIRE DES CELTES,
ment que tous les Hercules dont les Grecs & les Latins vantent les ex-
ploits , avoient été les ennemis déclarés des Peuples Scythes &c Celtes
& les deftrufteurs de leur Religion. Ils avoient exterminé (136) les Ti-
tans en Efpagne , en Italie , & en "thrace. Ils avoient défait les Géants
Albion & Bergion , tué le brigand Cacus , aboli les duels , & la coutume
barbare d'offrir aux Dieux des viûimes humaines. Ils avoient bâti des
Villes , pour tenir en bride les Peuples qu'ils avoient fournis , & pour
enchaîner leur liberté. Comment veut-on que les Peuples Celtes celé-
braffent par leurs Cantiques des Héros de cet ordre ? Etoit-ce le moyen
d'allumer le courage du Soldat, que de lui faire chanter des Hymnes qui
lui auroient rappelle la défaite de fa Nation ? La vérité eft qu'ils chan-
toient leurs propres Héros. Diodore de Sicile l'avoue fort ingénuement ,
quoiqu'il ait débité bien des fables fur le fujet de l'Hercule Grec (137).
« Un Gaulois , dit-il , à qui l'on a fait un appel , va au combat , en
» célébrant par fes Hymnes la bravoure de fes Ancêtres. Les Celtes f
» dit encore Elien (138), choififfent pour fujet de leurs Hymnes, les
» braves qui ont perdu la vie , en combattant vaillamment contre
«l'ennemi». Lucain dit la même chofe (139). Il en étoit des Germains
comme des Gaulois. Ammien Marcellin , parlant d'une bataille qui fe
donna entre les Goths & les Romains , du tems des Empereurs Va-
lens & Gratien (140) , dit que « les Barbares commencèrent le combat
» en chantant d'une voix difcordante les louanges de leurs Ancêtres ».
Un paflage de Jornandés éclaircit & confirme celui qui vient d'être cité
( 141 ). « Les Goths chantoient au fon de la guitare les exploits de
w leurs Ancêtres, tels qu'avoient été Ethefpamara , Hamala Çi4i),Fri'
^i digerne (143), Vidicula , &c plufieurs autres dont ce Peuple avôit
» une opinion fort avantageufe , qui furpafToit , en quelque manière ,
»> l'idée qu'une antiquité fabuleufe nous donne des Héros ». Tacite ,
qui écrivoit fous l'empire de Trajan (144) , rapporte auffi que les Ger-
mains avoient depuis long-tems un Cantique compofé à la louange de
cet Arminius , qui avoit défendu fi vaillamment leur liberté contre les
■ (lî«) Ci-d. Liv. I. ch. 9. p. 43-53.
(137) Diod Sic. V. iii.
(138; itlian. Var. Hift. lib. xii. cap. 23,
(i3s) Lucan I. v. 447.
(140) Anun. Maic. ^XXI. p. £32.
(141) Jornand. cap. iv. p. «17.
(142) Chef de la famille des Am»U:
(143; Joinand. cap. xxxiu. p. «60.
(144; Tacit. Ann. II. 38.
(144J Tacit, Ann. II. ii<
LIVRE HT. CHAPITRE XV. 147
Empereurs Augufte & Tibère. Voila quels étoient les Hercules des Peu-
ples Celtes. C'étoient leurs propres Héros. Ils les appelloient (iie-Herren,
les Seigneurs , die-Carkn (145) , les Braves : il ne feroit donc pas furpre-
nant qu'ils euffent répondu affirmativement aux étrangers qui leur de-
mandoient, s'ils ne connoiffoient pas Hercule, & s'ils ne le célébroient
pas dans leurs Cantiques.
CHAPITREXV.
1_ E Chapitre de Bacchus ne fera pas aufll long que celui A^ Hercule. On
prétend « que Bacchus étoit fervi par divers Peuples Celtes ; & en
» particulier, par les (i) Efpagnols , les (2) Gaulois, & les (?) Thraces,
t> Les derniers étoient , cependant , celui de tous les Peuples Celtes »
» qui avoient le plus de dévotion pour le Dieu de la vendange. On
» voyoit dans leur Pays un grand nombre de Sanûuaires (4) confa-
V crés à ce Dieu, & fervis par des (5) Prêtres & par des (6) Prê-
w trèfles , qui étoient tous en pofTefîion du don de deviner. Comme
w les Thraces appelloient Bacchus dans leur Langue ( 7 ) Sabus , ou
ySataiius , les Sanftuaires qui lui étoient dédiés, les Prêtres qui pré-
M fidoient à fon culte , les Peuples au milieu defquels il étoit établi ,
» les Fêtes enfin , que l'on célébroit à l'honneur du Dieu, portoient tou-
» tes le même nom, ou au moins , un nom dérivé de celui-là. 11 en étoit
» de même dans toutes les Contrées de la (8) Phrygie, oîi les Thraces
» avoient envoyé des Colonies.
§. II. Comme la vigne avoit été portée en Efpagne & en Thrace par'
des Orientaux , il ne faudroit pas être furpris qu'ils eufTent introduit
le culte du Héros ( 9 ) Syrien , ou Phénicien , qui paffoit pour avoir
enfeigné aux hommes (10) la manière de faire le vin, & les liqueurs
On attribua
aux Celtes le
culte de Bac-
ciiui.
(i 4S) Ci-d. Liv. 1. cà. u. p. 81.
(l) Ci-deflbus §. ï. note 17.
(1) Ci-d. ch. vni. §. i z. not. iio-iiz.
(3* Hetodot. V. 7. Lucian.Dial. Deoi. p. 83.
Dio CaOîus Ub. LI. p. 46 i.
(4 Heiodot. VII. i, Fomp. Mêla lib. II. cl ï.
pag 4î-
(s) Dio Caff. lib. UV.-p. 545,
(«J Hefychius. Plutaich. Cxaff. Tom, I. p. 547.
(7) Herychius. Arnob. lib. V. p. i8 8,SchoI,
ad Ariftoph. Aves p. 124. Haipociatioa p. iSj.
Etymol. Magn. p. 707.
(s) Schol. ad Ariftoph. Ares p. 288. Steph.
de Urbib. pag. 6s«. Euftath. in Dionyf. Petieg.
V. 1069. p. i47,Strabo X.-P.470. Vojci, la note
précédente.
' (9) Bochart. Geogr. Sacr.Part. »,lib. I.c. i>^
(10) Eufeb. Prsp. Ev. Il- cap. 2. g, j j.
44« HISTOIRE DES CELTES,
' que l'on brafle avec de l'orge. II femble d'ailleurs que des Peuples ,"
qui avoient tous (ii) beaucoup de penchant à l'ivrognerie, ont du
adopter avec plaifir un culte qui excufoit, & qui juftifioit même, en
quelque manière , tous les excès auxquels ils s'abandonnoient. Mais ,
' malgré tout cela , ni les Celtes , en général , ni les Thraces , en particu-
lier , n'ont jamais fervi , ou feulement connu le Dieu Bacclius. Le
Leâeur en conviendra , s'il veut faire les réflexions fuivantes.
Ci.ciqi-c! uns • Les Anciens qui parlent des Fêtes que les Thraces célébroient à l'hon.
PR'tsndcnc pgm- j[e lei,]. Bachus , ne font plus d'accord , quand il s'agit de déter-
que le Bac _ ^ ' ^ v
chus des miucr dans quelle clafTe il faut le ranger.
leur Jupiter, i," Les uns cu font le Jupiter (ii), c'eft-à-dire , le Dieu fuprême des
Jeni Dieu Su- Thraces. A ce compte , Saba^ius feroit le Tis , ou le (13) Cotis des Cel-
rtcuis. j^^ ^ ^^jg jg^ étrangers ont appelle , tantôt Jupiter , tantôt Bacchus , tan-
tôt Suturne , tantôt Platon , & le plus fouvent Mercure. Cette première
opinion eft la plus raifonnable , & l'on fe flatte de le prouver d'une
manière qui ne laiflera aucun doute fur cet article.
c'auires l'ont ^'^ D'autres prétendent (14) que Sahaiius étoit le Soleil, & ils fe
piis pour le fondent principalement fur cette raifon , que ce Dieu rendoit des ora-
cles , de la même manière que l'Apollon des Grecs.
■D'autres en 3*° Cependant, félon le fentiment le plus reçu , le Saba^ius des Thraces
font un Hé- ^j j^ jg Bucchus que les Poètes Grecs & Latins ont chanté , c'eft-à-dire»
10-,, & dilem T- • ' _
que c-eii le im Héros CiO qui défit les Titans dans l'Ifle de Crété , & qui fournit
Bacchus des \ // T -rx- j j
par les armes (16) l'Italie, (17) l'Efpagne, & la Thrace. Diodore de
Sicile afl^^Lire que ce Héros (18), voulant paflTer en Europe , « fit al-
»> liance avec Lycurgue , Roi des Thraces , qui demeuroit' le long de
» l'Hellefpont. Les femmes Bacchantes étant pafl^^ées les premières ,
» Lycurgue leur fit courir fus , contre la foi des traités. Bacchus en
«ayant été informé par un homme du Pays nommé Tharops , pafTala
Crées.
(i i) Ci-d. Liv. II. ch. 3. p. 128. 125. ch. 13.
pag. 245. ch. 19- p. 292.
(12) Giuter. Infcript. pag. 21. n. $. Fiimic.
Mater, n. p. 446.
(13^ Ci-d. ch. VI. §. «.
(i4)Mactob. Saturn.i. c. iS. p. i^^-zoï.
(i s) Diod. Sic, lib. 111. p. 144. 145.
■ (16) Bochaf t. G<og. Sact, Paxt. ». lik. I. c, 33.
pag. «4J.
(17) Silius lib. iiT.v. TOT.riutaich. delliMT,
in Nilo Tom. II. p. 1159. Plin. III. r.
(18) Diod. Sic. III. pag. I39. IV. 14». Ccu»
qui feront curieux d« lire les Fables que l'on
a débite'es fur le fujet de Bacchus & de Lycur-
gue , pourront confulter Apollodor. lib. iii,
Hygùi. Fab. çap. lu. flntaich. de Aud. foeiis,.
LIVRE III. C H A P I T R E X V. 149
»> mer, battit les Thraces, prit Lycurgue qu'il fit crucifier, Se donna
» enfuite fon royaume à Tharops >».<
Mais tout ce qu'on a dit des exploits & des conquêtes de Bacchus u cacchn*
en Europe , n'eft affurément qu'une pure fable. Homère met Bacchus au a™it a" dé.
iîombre des Dieux , & cependant il reconnoît (19) qu'il avoit été battu îcrriuac^*'
par Lycurgue , Roi de Thrace , & qu'il s'étoit jette dans la mer, pour
échapper à fon ennemi. Le Poëte , dont les Ouvrages couroient autre-
fois fous le nom d'Orphée , difoit de même (zo) que Bacchus avoit été
déchiré par les Géants ; la chofe étoit encore confirmée par les Poètes
Callimaque (21) & Euphorion, qui ajoutoient que les Titans, après
avoir coupé le corps de Bacchus par morceaux, le firent bouillir dans une
chaudière.*Tous ces Poètes ont fuivi, félon les apparences, la tradition
des Thraces , qui fe glorifioient d'avoir battu & tué ce Bacchus dont
ks Grecs leur vantoient les exploits. De-là on peut conclure aflez natu»
Tellement, que les Thraces ne rendoient aucun fervice religieux à ce
Héros. On trouve même dans Hérodote (iz) que les Scythes établis le
long du Borifthène , firent mourir un de leurs Rois , nommé Scyles ,
pour avoir participé à la Fête que les Grecs célébroient à l'honneur de
Bacchus , dans la Colonie qu'ils avoient à l'embouchure de ce Fleuve,
L'Hiftorien rapporte , d'ailleurs , une cireonftance qui mérite qu'on y
faffe attention. Scyles , fe voyant découvert , & fentant bien que ce
crime étoit capital, prit la fuite, & fut chercher un refuge auprès de Sital-
cus , Roi de Thrace , fon oncle. Celui-ci le rendit aux Scythes, à con-
dition qu'ils lui remettroient un de fes frères, qui s'étoit réfugié chez eux.
Les droits de l'hofpitalité étoient fi facrés , parmi tous les Peuples Cel»
tes , qu'on ne fçaurolt fe perfuader qu'un Roi de Thrace eut pu confen»
tir à livrer aux Scythes fon propre neveu , s'il ne l'avoit regardé comme
im impie , &; fi le culte de Bacchus, que les Scythes détefloient , avoit
été reçu & autorifé parmi les Thraces.
§. III Mais qu'étoit donc le Sal^a^ius des Thraces , qui a été pris ^" Safaiias
pour Bacchus par la plupart des Anciens? C'étoit conftamment le Dieu & <!« 'hr»'-
fupreme, dont le nom propre etoit Tis, ou (23) Cotis ^ mais que Ion Dicusuf:ê-
appelloit aufli Sabaiius par des raifons qu'il faut expofer. mci'"^ °n
a pris pour
(19) Homet. Iliad. VI. v. lis & f. Euftath.
ni Iliad. V. p. j if. VI. pag. «zj. Tîetz. ad Ly-
^oph. p. j«.
^9) Seiyios ad Virg. Geoig. I,t. i<7'p. 77- *
Tzetz. ad Lycoph. p 4} HefychilH.
(il Tzetz ad Lvcoph. p, 2;,
(li) Hcrodot. IV. 80.
(23) Ci-d.ch. n.f.f,
1*. Parce
Qu'ils avoitnc
»5o HISTOIRE DES CELTES,
r.^ Les Thraces avoient un ou plufieurs Sanftuaires , oh il falloit
u.-s"ia''iauai- que le Prêtre fïit yvre , pour avoir le don de prédire l'avenir. Macrobe
loit fi'tie le ' l'affure pofitivement , d'après un Auteur plus ancien (14). « Les Ly-
l'ràic fut
yïte pour
jjronoaccr
dïs Ora.Ics.
C'eft ce que
ïnArcj^JC Sd'
» guriens , dit-il , qui (ont un Peuplede Thrate , ont un Sanûiiaire con-
» facré à Bacchus , oii il y a un oracle. Ceux qui doivent prophétiler
» ne prononcent des oracles , qu'après s'ctre chargés d'une grande
» quantité de boiffon ». On voit la même chofe dans un paflage de Plu-
tarque, que Maiiffac (25) a fort bien rétiibli, aulîeu qu'il ne forme aucun
fens dans les éditions communes. Le paflage porte (16) que « les Thraces
» établis autour de l'Hébre , vêtus de peaux , & tenant en leurs mains
» des Thyrfes , chantent des Hymnes & fe montrent fages , lors même
» qu'ils font infenfés » , c'eft-à-dire , qu'ils prédifent l'avenir, «près avoir
bu jufqu'à perdre la raifon. Sauf en , que les Thraces prononçoientyà^e/i ,
fignifie, en Tudefque , boire , s'enyvrer. Ainfi on appelloit l'oracle (17)
Sab-as , le Dieu de la boiffon. Les Prêtres qui fe rempliffoient de vin ,
pour être remplis du don de prophétie , étoient appelles Sabi , les Bu-
veurs. Le Peuple qui affifloit à la Fête, pendant laquelle on venoit
confulter l'oracle de toutes parts , recevoit le même nom , parce qu'à
l'exemple de fes Prêtres , il paffoit toute la folemnité dans l'yvreffe.
Faut-il être furpris que les Grecs ayent cru fermement, qu'une Fête,
pendant laquelle tous les Thraces s'enyvroient , étoit confacrée au
Dieu des yvrognes ? Mai* il y avoit, outre cela , plufieurs autres traits
de conformité entre le culte que les Grecs offroient à leur Bacchus, Sc
celui que le Dieu Cotis recevoit parmi les Thraces.
2.^ On a fouvent averti que les Celtes avoient tous leurs Sanftuaires
icivoienticur hors du lieu de leur demeure, dans des Forêts , ou fur de hautes Mon-
«"oriag'cs, tagnes. C'eft là auffi (i8) que les Bacchantes alloient célébrer la Fête
de leur Dieu , & lui offrir des facrifices.
3.* Les Fêtes de Bacchus fe célébroient de nuit (29). On s'y rendoit
avec des torches & des flambeaux. C'eft la raifon pour laquelle ce Dieu
portoit , entr'autres noms , ceux de Phanaces (30) & de Fhaujlerius. Les
l». rarccquc
les Thraces
t>u d.ins lies
Foïêfj.
Il', l'ârce que
l«s Fèces qui
étoient con-
fit rets à Co-
Ùi fc celé.
(24.) Ci-d. §. 2. not. 14.
(25) Notis ad Haipocrat. ad voeem ïijepi1^»i
pag. 214.
(i«) Plutarch. de Flnv. in Hcbro Tom. II.
pàg. 115 1 . rojtt aufli Eutipid. B«cch»nt. v.jïio.
(t?) Gi-d. §. I. not. 7. ».
(28) Harpocration p. 2 1 8. Etym. Mag. p.fiiy.
(29) Virg, Georg. IV. v. sti. jEneid. IV.
V. 303.
(30) Aufon. Epigr^ îp. Tzeti, ad Lycoph.
p. 2 1 2. Voflîus de Orig. & Piogteff. Idol. lib. II,
cap. 14. p. lyi.
LIVRE III. CHAPITRE XV. iji
Celtes tenoient auffi pendant la nuit, leur^ affemblées les plus folcm-
nelles , &:il paroîr , par un paffagê de Cicéron , déjà cité , que cela s'oh-
fervoit en particulier dans la Fête de Sabaiius (31).
4*. Les Grecs appelloient Bacchus (32.) Enorchos , le Sauteur,
parce que la danfe faifoit une partie de fon culte. On a parlé plus haut
(33) de la danfe de Cotis^ qui imitoit celle des Bacchantes.
5". Enfin, les Thraces dans leurs folemnités ( 34 ) > couronnoient
leurs lances , leurs cafques & leurs boucliers de lierre , ou de quel-
qu'autre verdure, de la même manière que les Bacchantes.
De tout cela, les Grecs ont conclu que le Dieu Sabai(ius^ auquel
les Thraces facrifioient dans des Forêts , ou fur des Montagnes , à la
lueur des flambeaux , & dont la fête étoit un tems de plaifir & de débau-
che , devoit être infailliblement le même Dieu eue Bacchus. EfFeûive-
ment la reflemblance étoit fl parfaite, qu'il n'efl pas étonnant qu'on
s'y foit trompé. Au refl:e , il eft confiant que le Saba:^ius , ou fi l'on
veut , le Bacchus des Thraces étoit leur Cotis , leur Dieu fuprêrnè. La
fête de Sabaiius étoit aufîi la même que les Thraces appelloient Cotittia ,
& Bendidia , & dans laquelle ils célcbroient le mariage de Cotis &
de Btndis , du Père & de la Mère des Dieux & des hommes. Strabon
l'afTure formellement dans un pafTage cité ci - deffus (35): « Les
»> fêtes que les Thraces célèbrent à l'honneur de Cous & de Bendis ,
MrefTembient afTez à nos fêtes de Bacchus 11. AInfi i*orfqu'Horace dit
(36) qu'il veut célébrer la fête de Bacchus à la manière des Edoniens,
c'cfl - à - dire , s'y enyvrer jufqu'à perdre la raifon , il efl vifible qu'il
fait allufion aux Bacchanales que les (57) Edoniens célébroient, non
pas à l'honneur de Bacchus, mais de Cotis ^ qui avoit un Saftuaire fort
renommé fur une montagne de leur Pays.
§. IV. On en a dit afTez pour montrer que les Peuples Celtes n'ont
jamais rendu des honneurs religieux à leurs Héros , encore moins à des
Héros étrangers. Ce feroit perdre fon tems , & amufer inutilement
4"- Parccqae
h Da.ifc ù.
crv^e \^ Cous
rcilc'inbloic à
celle des Daç-
chanics.
5°. Parce qw#
les Thraces
ctoient cou-
ronnes de ver-
dure pendanE
U t'êce de !>«'■
ba{ius>
On a priten»
di; qu'Ul) lie
avoit parcou-
ru U Celti-
que.
(3t)Ci-d.ch. VI. §. lî. not. S7.
(îî) Ci-d. note }o.
(33) Ci-deffus, ch. VI. §. 6. not. 44. §. il.
ftot. 9 s .
{34) rlin. XYI. cap. 35. pag.ïys.i;*. Vojtx,
ci-defius, note i6.
(3j, Ci-d. cb VI, §. S. not. 41.
'36 Horat. Carm. lib. II. Od. 7.
(37; Ci-d. ch. VI. §. lî. noi. S4- & fw»'
Iji HISTOIRE DES CELTES,
le Leûeur , que de s'arrêter à examiner , & à réfuter pied à pied' ce
que les Poètes ont dit des Voyages d'Ulyffe*
On prétend qu'après la prife de Troye , il pafla , non - feiffèment
(3 8) en Sicile , ôc en (3 9) Sardaigne , mais qu'il parvint encore , avec
fe flotte , jufqu'à l'embouchure du Tage,oii il bâtit la Ville (40) de Lif-
bonne. .^trabon , l'un des Auteurs les plus judicieux de l'antiquité ,
mais trop prévenu en faveur de fon Homère, femble avoir été perfuadé
de la vérité de cette tradition. Il a du penchant à croire que les
champs Elyfiens , dont Circé enfeigna le chemin au Héros , étoient
l'Efpagne , où l'on voyoit une (41) infinité de monumens, qui prou-
voient qu'Uliffe avoit parcouru ce Pays. Quand tout cela feroit
vrai & certain , il faudroit avouer que les Auteurs, qui l'affurent ,
ne difent rien qui prouve , ou qui infinue feiriement ^ qu'Uliffe ait
jamais été fervi comme un Héros , ni en Efpagne , ni en Sicile , ni en
Sardaigne. Il y a plus de difficulté dans un paffage de Tacite, qui fait
mention d'un Autel confacré à Uliffe , fur le bord du Rhin. « Au
nreûç, dit-il, (42), quelques-uns efliment qu'Ulifîe , dans fon long
» & fabuleux Voyage , fut auffi porté dans la Mer Océane , & qu'il
» entra dans la Germanie , où il bâtit , & donna fon nom à ^fci-
>) bur^ium , lieu fitué fur le bord du Rhin. lis ajoutent qu'on a autre-
» fois trouvé , dans le même lieu , un Autel confacré à Uliffe , avec
^ le nom de fon père Laërte ; qu'outre cela , il y a encore dans les
» confins de la Rhélie & de la Germanie des monumens & des fé-
» pultures , avec des infcriptions en lettres Grecques. Mon deffein n'eil
» pas , ajoute Tacite , de produire des preuves , ni pour confirmer
« la chofe , ni pour la réfuter. Je laiffe à chacun la liberté de la
«croire, ou d'en douter, comme il le jugera à propos». Onvoitbiea
que Tacite n'ajoutoit aucune foi à ces fables. Quand on les regarde-
roit comme autant de vérités , il feroit toujours certain que cela
ne touchoit en aucune manière , ni les Germains , ni leur Religion.,
n eff connu que les Germains ne bâtiffoient point de Villes , qu'ils
fi'avcsient d'Autels , qu'ils ne mettoient point d'infcriptions fur leurs
fépulchres , & qu'ils ne fçavoient même pas écrire , non-feulement du
(3«) Plin. III. J. j (4,) strabo III. p.ig. 148. Euftath. Pisf. U.
(îUJFlin. III. 7. J odyff. p. 1379.
U») Solin. cap. 3 5. p. 2 jf . [ (.^j) Tacit. Germ. cap. 3,
LIVRE III. CHAPITRE XVI. 155
tems d'Uliffe , mais encore dans le fiécle de Tacite. Il faudroit attribuer,
par conféquent , la conftriiûion de la Ville, de l'Autel , & des autres
mohumens , dont Tacite fait mention , à des Grecs. Mais il feroit
bien difficile de comprendre , comment ils ont pu pénétrer , ni par
terre , ni par mer , dans le cœur de l'Allemagne , & y faire des éta-
bliffemens. •
CHAPITRE XVI.
§. I. 1 L refte à dire un mot de quelques autres Divinités des Peu- ne queiquei
pies Scythes & Celtes , dont les Anciens font mention. On peut les tuTi^ngè-'
partager en deux claffes. Les Dieux étrangers & les Dieux indigétes. '"ès° 'donf'
Les Dieux étrangers , dont on a attribué le culte aux Scythes & aux °" » attribué
'-' ^, ■'le culte aux
Celtes , font , outre ceux dont on a déjà eu occafion de parler , en pre- p^upi^s cei-
lïiier lieu , Priape , le Dieu des Jardins, fervi par les My fiens , par les Phry- „ .^ ^ ^^^.^
giens , &c par les autres Peuples Scythes ou Pélafges de l'Afie mi- »" '^" Dieux
neure ; fon culte étoit fur-tout établi dans les Villes de ( i ) Lampfa- l'cupiescd-
que , & de ( x ) Priape , fituées l'une & l'autre fur le bord de la
mer , à l'entrée de la Propontide. Ce qu'il y a ici de particulier , c'efl
que les Myfiens n'avoient point reçu des Grecs le culte de ce Dieu :
au contraire, il avoit paffé de la Myfie en Grèce (3), où il étoit fort
nouveau.
n n^eft pas facile de deviner ce que ç'étoit que le Priape des Pé-
lafges. Mais pour peu qu'on réfléchifTe fur un paflage d'Hérodote,
l'on voit qu'ils donnoient ce nom à leur Mercure : « Les Grecs ( 4 ) ,
« dit cet Hiftorien , ont emprunté des Egyptiens les cérémonies dont
w je viens de parler , & plufieurs autres dont je ferai mention dans
♦>la fuite. Ce n'efl: pas, cependant, des Egyptiens, mais des Pélafges,
» qu'ils ont appris à repréfenter Mercure avec le Phallus. Les Athé-
» niens font les premiers des Grecs , à qui les Pélafges ayent communi-
» que cet ufage , & c'efl de-là qu'il a paffé aux autres Peuples de la
■ ■ ' ■ ■ ■ .. ■ , ■ 11 r- I I I 1 I . . - - rr
(l) Ovid. Ttift. lib, I. Eleg. 9. y, 2«. Vilgil. 1 (3" Strabo, Ibid.
J6eotg. IV V. 3. & not. Seivii, 1 (4) Hctodot. U. jl.
[tj Str»b. XIII. s «7. t ,
^54 HISTOIRE DES CELTES,
» Grèce. .... Les Pélafges ont là-deffus une tradition fecrette , qvtç
» l'on explique dans les myftères de Samothrace ».
le Priapedfs §. II. H paroît par Hérodotc que les Pélafges, dont il s'agit ici, font
le mlw que les Peuples Thraces , tant ceux qui demeuroient en Europe , au-dellu$
«uiMerçute. j^ j^ Grécc , que ceux qui étoient paffés dans l'A fie Mineure, où ils
portoient le nom de M;^fiens , de Phrygiens , de Troyens , de Bithy-
niens, ôic. Nous avons vu auffi que (5) le Mercure de ces Peuples,
qui avoit un Sanûuaire fort célèbre dans l'ifle de Samothrace, étoit
le Dieu Tis , ou Cotis , auquel ils rapportoient l'origine de toutes
chofes , & qu'ils appelloient , par cette raifon , le Père des hommes &
des Dieux. Ces Pélafges, demeurant à l'entrée de la Propontide, où
font aujourd'hui les Dardanelles , avoient fouvent occafion de voir
des Egyptiens ; ceux-ci faifant un commerce confidérable dans la Col-
chide , où ils avoient plufieurs établiffemens , étoient obligés de paffer
devant les Dardanelles , en allant & en revenant. Il arriva de-là que les
Pélafges , lorfqu'ils commencèrent à adopter des fuperftitions étrangères ,
& à repréfenter leurs Dieux fous la forme de l'homme, trouvant que
le Phallus (*) des Egyptiens étoit un fiymbole très-propre pour défigner
leur Tis , qui étant le Père de toute la Nature , devoit naturellement
être repréfenté avec des organes proportionnés à la grandeur & au
nombre de fes produûions. Voilà ce qu'étoit le Priape des Pélafges.
C'ètoit leur Mercure. Un refte de l'ancienne fuperftition , qui ne vou-
loit pas qu'on renfermât les Dieux dans des Temples, & fur-tout un
Dieu qui rempliffoit tout l'univers , fit que l'on plaça ces Statues
■^ en plein air, dans les enclo? que chacun avoit autour de' fa maifon ,
& c'eft de cette manière que le Mercure des Pélafges devint infenfi-
blement le Dieu des Jardins. Tout cela étoit expliqué aux perfonnes
que l'on jnitioit aux myftères de l'Ifle de Samothrace , & , félon les
apparences , on enfeignoit quelque chofe de femblable dans les myftères
d'Eleufis (6) , qui avoient aufli été apportés de Thrace.
On a attribué HL On a dit encore que les Gaulois adoroient Caflor & Pollux, qui
«uitt^eof! étoient paffés dans les Gaules avec les Argonautes. Effeâivement, en-
«»r& Pollux- jj.g jgj fables que l'on racontoit fur le fujet des Argonautes, il y en
^— ^-^
(s) Ci-d. cil. VI. §. fi. 8c 8.&§. 16. not. i»i.
C) PhallKS tru vereirum fculntnm , lifnium virile,
(fi) Ci-d. ch. II. §. $, note;.
LIVRE III. CHAPITRE XVI. ïjy^
avoit une qui portoit (7) « que ces » Guerriers , après avoir remonté le
«Tanaïs , tranfportèrent leur vaiffeau jufqu'à un autre fleuve qui
» les conduifit à la Mer Océane, & que,-navigeant enlliite du Septen-
» trion à l'Occident , ils touchèrent à Cadix , d'où ils revinrent dans
» leur Pays ».
Diodore de Sicile obferve (8) que Timée , & les autres Hiftoriens
qui faifoient prendre un û grand tour aux Argonautes , appuyoient
leur fentiment fur ce que les Celtes établis le long de la Mer Océane ,
fervoient principalement les Diofcures. Mais les Celtes , voifins de
l'Océan , étoient fi peu connus du tems de Timée , c'eft - à - dire (9) ,
a8o ans avant Jefus - Chrift , qu'il étoit bien difficile que cet Hiftorien
pût dire quelque chofe de certain de leur Religion , & dé l'objet de leur
culte. D'ailleurs , la manière dont il racontoit le voyage des Argonautes,
ne donne pas une grande idée de fon jugement, &C confirme, ait
contraire , le reproche qu'on lui a fait d'avoir rempli fon Hiftoire d'un
grand nombre de puérilités. L'opinion commune étoit (10) que les
Argonautes , pourfuivis par la Flotte du Roi de Colchos , remon-
tèrent le Danube , & pafferent la Mer Adriatique , ou par une bran-
che du Danube qui fe jettoit dans cette Mer, ou en portant leur vaif-
feau par terre , depuis le Danube jufqu'au Golfe de Venife. Timée ,
pour augmenter le Merveilleux, tranfporte les Argonautes, avec leur
vaiffeau , dans la Mer Océane , & c'eft , félon les apparences , pour
appuyer cette chimère , qu'il attribue le culte des Diofcures aux Celtes
qui demeuroient le long de l'Océan.
Il faut avouer, cependant, que Tacite, fans parler auflî pofitive-
ment que Timée , ne laiffe pas de faire mention du culte qu'un Peuple
établi dans le cœur de la Germanie , rendoit à Caflor & à Pollux.
Voici le paffage de cet Hiflorien (ti) ; « On montre , dans le Pays des
» Naharvales , un Bocage oh. règne un ancienne fuperftition. Le Prêtre
» qui préfide au culte de la Divinité qui y eft fervie , eft habillé en fem-
» me. La Divinité même s'appelle Alcis. Les Romains prétendent , par
(7) DioJ. Sic. lib. IV. cap. s*.
(8) Ibid.
(s»; Timée vivoit en Sicile du tems d'Agatho-
cle, qui mourut à la fin de Ucxxih"^. Olym-
piade.
Cio' ■«soMoti. Areon. lib. IV. v. ij. 8j. 150.
254. & Schol. Ariftot. Hiftot. Animal. lib. viii.
cap. ij.Mitabil. Aufc. p. 1 190. Juftin. XXXII.
3. Plin. III. II. Strabo I. 39- Pifandei ap. Zo-
fim.V. I». 34- Clflîodoi. Hift. Trip. 1. 1. c. 7.
p.aoj.Ifiior.Orig. IX. 2.Dionyf.Pcnes•v■4*#•
(II)Tacit. Cclffi. 43.
y»
jjô HISTOIRE DES CELTES,
«conieâure, que c'eft le même Dieu qu'ils vénèrent fous le nom de
M Caftor & PoUux (§). On n'y voit ni fimulacre, ni veftige d'un culte
» étranger aux Germains. Tout ce que cette fuperftition a de commiui
» avec celle des Romains , ç'eft qu'on y adore deux jeunes Hommes ,,
» que l'on eftime frères ».
Tacite avoue qu'on ne voyoit , dans le bocage confacré à Âlcis , ni
fimulacre , ni vertige d'une fuperftition étrangère. C'eft une bonne
preuve que les Naharvales ne connoiffolent point les deux Héros qui
avoient aflîfté à l'expédition des Argonautes. Mais l'Hiftorlen dit, en.
même tems , deux chofes qui méritent quelque réflexioru
i**. On vénéroit dans cette Forêt deux jeunes Divinités qui paffoient
pour frères , ut fratres , ut Juvenes. , . , 2°. Les gens du pays affuroient
cvi Alcis étoit la même Divinité , que les Romains vénéroient fous le:
nom de Cajlor & Pollux (^). Ce que nous avons dit jufqu'ici de la Reli-
gion des Germains & des autres Peuples Celtes , ne nous permet pas de
croire qu'ils ayent jamais rendu im fervice religieux à des hommes ,,
morts, on vivans, jeunes , ou vieux; mais il eft certain qu'ils plaçoient
des Divinités dans le Soleil , dans la Lune , dans l'Air , & dans le Feu.
Nous avons vu aufli que , félon leur doârine , tous les Dieux fubal-
' ternes étoient frères , enfans du Dieu Tua , & de la Terre fa femme. Peut-
être qu'ils appelloient ces deux principes les Dieux anciens , & les Ef_
prits qui réfidoient dans les Elémens, les Dieux nouveaux. Si donc
les Romains entendoient par Cafior & Pollux , ou le Soleil ou la Lune y
ou deux Etoiles , dont ordinairement une feule étoit vifible , ou un.
certain Météore qui fe formoit dans l'air , ou deux Génies , dont l'un
préfidoit au Jour & l'autre à la Nuit, les Naharvales ont pu leur dire qu'ils.
avoient dans leur pays une dévotion femblable.
On prétend g. \Sf , ' Au commencement de ce Livre , l'on a fait ufage d'un paffage
adoroKHc de Jules Céfar, qui porte (iz) que les Gaulois adoroient furtout Mer-
» cure , ôc , après lui , Apollon , Mars , Jupiter , Minerve , & qu'ils
» avoient, à-peu-près, le même fentiraent fur le fujet de ces Divini-»
» tés , que les autres peuples. » On a fait voir ce que c'étoit que le Mer*
( § ) J'ai reformé la tTaduftion fur le tente. \ vinité adorée fous le nom d' Alcis, par les Na.-
yWst ci-après note (*). Noie de [''Editeur. haivales : Deos , interfretutione Romuni , Cajicrem
(*) Le texte porte que les Rorsains , par con- Vollucemque memorimt. Note de l'Editeur,
jeûiue , jftennent poui Ctflor & Fellux, la DU 1 (12) Ci-d. ch. m, §. i, noc 1 s.
MiDMve.
LIVRE III. CHAPITRE XVI. 157
cure, l'Apollon, le Mars, le Jupiter des Gaulois. A l'égard de leur Mi-
nerve , il eft affez vraifemblable que c'étoit celle des Grecs & des Ro-.
mains. Jules Céfar dit (13) que Minerve préfidoit, dans les Gaules,
aux Métiers & aux Arts méchaniques. Il femble que ces idées ve-
noient des Etrangers ; car , félon la Théologie des Gaulois , c'étoit Mer-
cure, ou Ttutat (14), que l'on regardoit comme l'Inventeur de tous
les Arts. Il paroit d'ailleurs, parPolybe (15), que le culte de Minerve
étoit déjà établi, vers l'an 531 de Rome , parmi les Infubres qui
etoient un Peuple Gaulois de l'Italie. Les Infubres avoient , peut-être,
reçu fon culte des Latins , & il pouvoit être paffé de Marfeille dans les
Gaules , qui font au-delà des Alpes. Cependant Solin , parlant de la Mi.,
nerve des habitans de la Grande Bretagne , dit qu'elle préfidoit (i 6), fé-
lon l'opinion de ces Peuples, aux Fontaines , & aux Eaux minérales. En
ce cas , la Minerve des Celtes auroit été l'un de ces Génies , qu'ils
placoient dans l'Elément de l'Eau, & dont il a été parlé au Chapitre IX
de ce Livre (17).
§. V. Tacite affure ( 18 ) » qu'une parties des Suèves faifoient des Sa- i«ctitfi
M crifices à Ifis. Je n'ai , dit-il , pu rien découvrir fur la caufe & l'o- îuUe dVii
» rigine de ce culte étranger , fi ce n'eft , que l'Image même , qui ref-
« femble à un vaiffeau Liburnien , montre que ce culte leur eft venu
>> d'au-delà des mers. «
Il faut avouer que Tacite paroit être ici en oppofition avec lui-mê-
me : il affure (19) que les Germains ne repréfentoient pas les Dieux fous
la forme de l'Homme , qu'ils n'avoient ni fimulacre , ni objet fenfible
de leur culte. Mais s'il en étoit ainfi , comment Tacite pouvoit-il
donc parler, quelques lignes auparavant, du culte que les Suèves ren-
doient à un Simulacre d'Ifis ? Indépendamment de cette contradiûion ,
il femble que Tacite a jugé de la Religion des Germains par celle des
Egyptiens, au milieu defquels le Vaiffeau étoit un fymbole confacré
à Ifis. On voyoit une Barque dans un Sanctuaire du Pays des Suèves.
(u) Czfar VI. 17.
(14) Ci-d. ch. VI. §. 4. not. 1 j.
(i si Folyb. lib. II p 119,
(16) Solin. cap. 3 s.
(17) Bochart prétend que la Minerve des
Gaulois étoit la Lune , parce qu'on a trpuvéd^ns
U pays 4e Ç'xpram une Infciif tien ^ui poitc
MiniTvd Eclifam/t , & que Ëclifama , en Phe'nU
cien, fignifie la Reine des Cieax Geogr. S*CC»
Paît. X. lib I. çap 41. p. 737,
{18 Tacit Geim. cap. 9.
|p(is>) Taci(. Geim. cap. 9. ci-4. çh. m §. ««
n«t. I.
ïjS HISTOIRE DES CELTES,
Donc ils fervoient Ifis ! La preuve n'eft pas aflltrément concluante. Les
Gei-mains avoient coutume de dépofer dans les Forêts confacrées les
Enfeignes militaires , & les dépouilles de leurs ennemis. Cette Barque
étoit vraifemblablement luie prife que les Suèves avoient faite fur quel-
que Peuple- voifin (20 ) , & qu'ils avoient portée dans Tun de leurs
Sanéluaires , pour y être un monument perpétuel de leur Viftoire. C'eft
fur ce feul fondement, qu'on a attribué aux Suèves le culte d'une Di-
vinité , qui leur étoit parfaitement inconnue,
t-j cuUc de §. VU. Selon Hérodote (21), les Perfes offroient , à la vérité , un Sd>
tv'ujTVhei crifice à Vmus-Urank ; mais cette Venus-Uranu étoit , parmi eux , ime
kiCL-iics. Divinité étrangère, dont ils avoient reçu le culte des AlTyriens , qui l'ap-
pelloient , en leur langue , Mylitta , & des Arabes , qui l'appelloient
ALitta. On peut voir dans les Auteurs qui ont parlé de la Réligiori
des Affyriens & des Arabes , ce que c'étoit que leur (22) Venus-Urank,.
H n'eft pas néceffaire d'entrer ici dans cette difcuiîion ; elle n'appar-
tient point au fujet. Hérodote dit (23) que les Perfes appelloient Mi-
tra, la Venus -Uranie, que les Aflyriens nommoient Mylitta , & les
,' Arabes AL'uta. C'eft une erreur. Le Mura des Perfes (24) étoit le Soleil,
&, de l'aveu même d'Hérodote (25), le culte du Soleil étoit établi parmi
les Perfes , avant qu'ils euffent aucun commerce avec les Affyriens &
les Arabes* D'autres ont crû que la Vmus-Uranie des Perfes étoit Is
Lune j mais ceux-là fe font aufTi trompés. D'un côté, les Perfes dif-
tinguoient leur Venus-Uranie de la Lune (2.6). « Ils fervent , dit Strar
n bon , le Soleil , qu'ils appellent Mithra , la Lune Venus , le Feu , la
M Terre , les Vents , l'Eau »■ ; & de l'autre , la Lune étoit aufli du nom-
bre des Divinités auxquelles les Perfes (27) avoient offert des facrifîces
de toute ancienneté. Enfin Agathias affure (28) que les Perfes fervoient
effeûivement Venus , qu'ils appelloient en leur Langue Anaïtis.. Son
fentiment petit être confirmé par un paffage de Clément d'Alexandrie ,
qui porte ( 19 ) que le Roi Artaxerxès fut le premier qui érigea des
(ïo) Voyii. ci-d, Liv. I. ch. ij- ?• 82.
(z8} ci-d'. ch. ti'i. $. 3. noc. iz.
(21) fiochart croit, après Scaliger, que c'é-
toit laLune. Geogr. Sacr. part. I. lib. II. cap. 19.
p. 124. lib. IV. cap. 19. p. 177. Voy. auflî Juii^lBI (17) Ci-d. note 25.
Hift. des Cuit. p. 674-S92. | (i8] Agath. Ub, XI, £. «t,
" " Heiodot. I. 13 1, Koji«*ci-d. ch. m. §, |, 1
net. iz.
(24) Ci-d. ch. xn. §. e.
(25) Herodot. I. 131.
(26] Ci-d. ch. IV. §. I. note 5.
ï. I V R E ni. CHAPITRE XVI. 159
Statues à la Venus , nommée Anditïs , &: qui fit rendre à cette Déeffe ua
culte religieux clans Babylone , dans Sitfe , dan* Ecbatan^, &ç. Cepen-
dant cette conjeâure ne paroît pas plus fondée , que celle de Plu-
tarqup. Cet Auteur a dit que (3c) VAnaïds des Perfes étoit la Diane
des Grecs. Nous verrons tout-à-l'heure x^vCAnaïtis n'étoit , ni le Soleil ,
ni la Lufle, ni Venus, ni Diane; mais un de ces Génies que les Perfes
plaçoient dans le Feiu
Au refte , Hérodote attribue le culte <ie Fe/zaii7ra«ie, non-feulement
aux Perfes, mais auffi (31) aux Scythes. Lorfque les Germains reçurent
le Calendrier Romain , ils appelèrent le Vendredi , jour que les
i.atins confacroient à Venus , Freytag, le jour de Frea, de la femme,
c'efl-à-dire , de la Terre , qui , félon leur Mythologie , pafToit pour être
îa femme d^Odin. Il fembleroit donc que la Fenus - Uranie des Scythes
(étoit la Terre. Mais cette conjeûure ne s'accorde pas avec ce que dit
Hérodote (31), que les Scythes diftinguoient à^Apia , qui étoit la
Terre , leur Venus - Uranie , qu'ils appelloient Artimpafa. Il faut donc
fe ranger à l'opinion de Voflius , qui croit (33} que \ Artimpafa des Scy-
thes étoit la Lune. Deux chofes appuyent beaucoup fon fentiment,
D'im côté , Hérodote la place immédiatement après Apollon , qui eft
le Soleil ; de l'autre , il ne fait pas mention du culte que les Scythes
rendoient à la Lune, quoiqu'elle fût conflamment une de leurs plus
grandes Divinités.
§. VIII. Outre les Dieux étrangers, dont on vient de parler, les dcsd
Anciens attribuent aux Peuples Celtes le cuhe de quelques Dieux indi- p^^^^", cet
jgétes. On appelloit ainfi les Dieux qui n'étoient fervis que par un cer- *'*•
taiiï Peuple, & dans une certaine contrée. Ainfi (34) Sangus étoit le
Dieu indigéte des Sabins , & ( 3 5 ) Pleiflorus , celui des Thraces que
l'on appelloit Apfinthiens. Il n'eft pas pofFible de donner beaucoup de
lumière au fujct de ces Dieux indigétes. Les Hiftoriens , qui en
font mention , ne nous en ont guères confervé que le nom. Il faudra donc
fe contenter de donner ici quelques régies générales , qui pourront fer-
cc;i.
(î9) Clem. Alex. Cohott. ad Gent. pag. 57.
Bochart. a remarqué qu'il faut lire àiaû-Titts ,
au lieu de raialfiu. Ceogr. Sacr.Pait. ).lib.)V.
*»p. 19. p. 177-
ifo) Çi^d. (cb. y III. f. lï.not. ii».
(î i) Ci-d. ch. m. §. j.not. ».
(32) Ci-d. ch. m. $. }. not. 8.
(as) Ci-d. ch. IV. §. I . note 2.
(14) Ci-d. ch. XIV, §. 7. not. 77, 7»>
(3;) Heiodot. IX. ii%,ti-d,HDte tu
tî<i HISTOIRE DES CELTES,
vir à les faire reconnoître , ou qui empêcheront , au moins , qu'on ne
s'en faffe de fauffes idées.
i»^ Les Perfes plaçoient des Divinités fubalternes dans tous les
clémens ; il ne faut donc pas douter qu'ils ne diftinguaffent par des noms
propres les diffèrens Génies qui réfidoient , félon leur Doârine , dans
l'Air , dans l'Eau , &c dans le Feu. Ils appelloient , par exemple , Tor, ou
Taranis (36) , le Dieu qui préfidoit à l'Air , au Tonnerre , aux Eclairs,
aux Vents , & aux' Pluies. Les noms des Divinités, qui avoient la di-
reftion.du Feu., de l'Elau , des Fleuves, des Montagnes, des Forêts,
nous font inconnus, au moins pour la plupart. On pourra-, cependant ,
en deviner quelques - mis , en lifant les Anciens avec attention.
Strabon , par exemple , après avoir parlé de ces grands enclos , où les
Mages rendoient un -culte religieux au. Feu (37 ), ajoute (38) que la
ehofe fe pratiquolt ainfi dans les Temples à!Anditis & ^Omanus. Anaids
^ Omaniis étaient donc des Génies que les Perfes plaçoient dans l'E-
lément du Feu,
z.® Les Celtes donnoient fouvent à leurs Dieux les noms desSanftual-
res, où ils étoient fervis. On en a nommé plufieurs. Le nom propre
de la Terre , parmi les Thraces & les Phrygiens , étolt Opis ou Jpia.
Ceux de Bendis, de Cybele, de Dyndimznt^ de Bcrecynthia ^ font des
noms empruntés des montagnes & des forêts , qui lui étoient confa-
crées. Ainfi Ardoina étoit la Divinité qui étoit fervie dans la Forêt
des Ardçnnes. Jupiter- Peninus (39) étoit le Dieu fuptême, qui avoit un
Sanftuaire au fommet, à la cime des Alpes , que les Celtes appelloient
Penn , ou Pinne. Sangus , Dieu indigéte des Sabins , auquel ils rappor-
toient (40) l'origine de leur Nation, étoit, félon les apparences, le Dieu
fuprême qu'ils appelloient Sangus^ du nom de quelque Forêt qui lui
étoit confacrée. Pkijlorus (41) , Dieu indigéte des Thraces Apfm-
thiens , qui lui offroient des viâimes humaines , étoit encore le Dieu fu-
prême , qui pouvoit avoir reçu ce nom des Sanôuaires , ou demeu-
raient les PUfies (41) , c'eft-à-dire des Druides , dont la manière de
{3<s) Cid. ch. VK J. is. note i ip. & ch. xi.
{37) Voyei.c'iA. ch. X. §.4. note 17.
(38) Strabo XV. 73 3.
1(}9) Livius XXI. cap. 3«.
(40) Ct^. ch. XIV. §. 7. not.77. 7.S.
^41,) H-crodot. IX. I i-l.
(41) Jofeph, Antiq. .lib. xviii. cap i. §. 5,
p. 754. Il femble que ce foient les mêmes que
Strabon appelle «riVai. Strabo VII. 29«. Vcj.
Hudfon fur le paffage d« Jofeph q,u'on nefix de
citci.
TÎvrç
LIVRE III. CHAPITRE XVI. i6i
vivre approchoit beaucoup de celle des Effeniens. Il faut porter le même
jugement d'une Déeffe des Habitans de la Grande-Bretagne , dont Dion
fait mention , & qu'il appelle Andau , ou Andrajle. Cet Hiftorien ,
parlant d'une Forêt facrée , où les gens du Pays allolent offrir des fa-
crifices, & célébrer des feftins facrés, dit qu'on l'appelloit Andate^
(43) du nom de la Viûoire qui étoit fervie dans cette Forêt. Il introduit
même la Reine Bundovica , priant la Vifloire en ces termes : « Je vous
» offre , ô Andau , mes aftions de grâces ; & je vous invoque , parce
» que vous êtes de mon fexe ». Tout cela ne s'accorde guères avec la
Théologie des Celtes. Selon leur Doûrine , Odln étoit le Dieu de la
guerre. C'eft à lui que l'on offroit des facrifices après la viûoire , &
que l'on confacroit les dépouilles de l'ennemi , qui étoient pendues à
des arbres , ou mifes en monceau dans les Forêts oti il étoit fervi. Il
y a , par conféquent , toute apparance qa'Andate , ou Andrajle , n'étoit
pas le nom d'une Divinté , mais d'une Forêt çonfacrée au Dieu de I3
Viaoire , c'eft-à-dire , à Odin.
3.'' Les Dieux mâles & femelles, les Dieux que l'on fervoit dans
les Temples , que l'on repréfentoit fous une forme corporelle , & par
conféquent , les Idoles & les Statues , n'appartiennent pas proprement
à la Religion des Celtes. Partout où l'on en trouve , l'ancienne Religion
étoit déjà altérée par des idées & des fupeftitions étrangères, qui fe
provignerent infenfiblement des Provinces méridionales de l'Europe,
jufques dans le fond du Nord. L'Edda des Iflandois , qui efl du XIII.
fiécle, porte (44) «qu'il y a douze Dieux (^Afœ), qui méritent des
» honneurs divins , & autant de Déeffes ( AJyriœ ) , dont la puiffance
» & la fainteté font égales à celles des Dieux ». On ne voit rien de
femblable dans Procope , (45) qui avoit repréfenté, plufieurs fiécles
auparavant , la Religion des mêmes Iflandois. Krantzius , fait aufli
mention ( 46 ) d'un grand nombre d'Idoles qui étoient adorées par les
anciens Saxons. Cependant , Adam, de Brème remarque ( 47 ) que , du
tems de Charles-Magne , le fimulacre de Mars n'étoit , parmi les Saxons,
qu'une colomne , ou plutôt un tronc d'arbre. Il en étoit de même des
( +s ) Xiphilin. Exçerpt. Dion, in Neione j (45) Ci-d. ch. iv. §. 7, not^ 33.
pag. 171.173. j /46)Hift. Saxon, init. ' ' " ",
(4+) Ci-d. ch. VII. §. 3. not, 47, \ (^^J ci-d. ch. vii. 5. r. note ^iV^f
JmcII, X
i6z HISTOIRE DES CELTES,
Gaulois , du tems de Lucaln. Les finnilacres de leurs Dieux étolent de
vieux troncs de chêne ( 48 ) :
Simulacraque mœfta Deorum
Ane carent, cxflfque excanc infoiinia truncii.
§. IX. On pourra examiner , félon ces régies , les Dieux indigétes des
Celtes, dont les Anciens font mention. Ceux qui appartiennent à l'an-
cienne Religion , font ce que l'on appelloit Genius Loci , le Génie du
Lac , des Forêts, des Montagnes, où les Habitans d'une Ville , ou d'un
canton, faifoient leurs affemblées religieufes. D'autres fois ce font des
Dieux Topiques, qui portoient , comme on vient de le montrer, le
nom du Sanduaire dans lequel ils étoient fervis , ou qui recevoient
quelques dénominations particulières par des raifons que nous ignorons.
Les Anglo-Saxons , par exemple, av oient une DéefTe , qu'ils appelloient
Eojlre , ou Eojlar , & ils célébroient , à fon honneur , dans le mois d'A-
vril , une Fête folemnelle : c'efl , comme Bede l'a remarqué ( 49 ) , la
raifon pour laquelle les Germains ont appelle la Fête de Pâques, OJlar ^
ôc le mois d'Avril Ojtar-Monath. Cette Eoftre étoit la Terre : on n'en
peut guères douter, s'il eft vrai (50) qu'on la regardât comme la Déeffe
de la fertilité , & qu'on lui offrit des facrifices dans le mois d'Avril , pour
en obtenir des moiffons abondantes. Mais pourquoi l'appelle-t-on Eojlar ^
ou OJlar} C'eft ce qu'il n'eft pas facile de déterminer; il faut laiffer
aux Etymologiftes à rechercher ii l'ancien nom Celtique de la Terre ,
qui étoit Ar , Er ^ ou Erdy ne feroit pas caché dans celui ^Ofiar.
CHAPITRE XVII.
N a VU quelles étoient les idées des PeiipleS Géltes,par rapport
Reifgion de/ à l'objet du culte religieux. Ils reconnoiïïbient un Dieu fuprême , &
*"*"''• îliié infinité de Divinités fubalternes ,^^ qu'ils plaçoient dans les Elémens;
mais on a cru mal à-propos, qu'ils vénéroient les âmes des Héros, &
iqu'ils leur offroient des facrifices. Difons quelque chofe dans ee Chapi-
(4») Lucan. lib.ïll. V. 412. | (50) Getike addit. adSchotell. p. <?• Hagci-
{49) Beda de Temp. Ratioue Tom. II. p. S i, 1 berg. Germ, Med. DiiT. YIII. $. le. p. il*.
Eginhaid. cap. z$. *
LIVRE III. CHAPITRE XVII. 163
tre des autres Dogmes de la Religion des Celtes , qui font parvenus *
jufqu'à nous.
§. II. Les Celtes admettoient une forte de création : ils reconnoiffoient lU admet-
^ . , , . o '1 ■ tnienc une
que (i) le monde avoit eu un commencement , & us en rapportoient forte de «c»-
l'origine au Dieu Teut , & à la Terre fa femme. L'un étoit le Principe ac- "°°"
tif , l'autre la matière , ou le Principe pafllf. L'union de ces deux Principes
avoit produit, non - feulement les hommes, mais encore les Dieux,
que l'on faifoit fortir de la matière , auffi bien que tous les Etres vifibles
& corporels. Il femble qu'il y avoit ici une contradiûion affez fenfible
dans la Théologie des Celtes. Adorant des Dieyx fpirituels, invifibfeSj
comment pouvoient-ils foutenir , en même-tens , que ces Dieux avoiei^t
été tirés de la matière ? Ces deux Dogmes paroiffent incompatibles ,
& il n'eft pas facile de concevoir comment ils les concilioiept. Peut-
être croyoient-ils que les Efprits , les Génies , qui réfidoient dans la
matière, cmanoient du premier Principe , & que la Terre n'avoit fourni
que le corps auquel ils étoient unis , ou l'Elément dans lequel ils réfi-
doient. Peut-être qu'ils reconnoiffoient, avec les Stoïciens, une ma-
tière vivante , a<Etive , invincible , qui faifoit l'effentiel de la Divinité ,
& une matière vifible , deftituée par elle-même de vie & de mouvement,
qui faifoit la fubftance des corps. Il n'eft pas polîible de rien déterminer
là-deffus; & nous n'avons d'ailleurs aucun intérêt à juftifîer, fur cet arti-
cle, la Doârine des Celtes-, peut-être même qu'ils n'ont pas apperçu
la contradiûion qu'il y avoit entre divers points de leur Doârine : dans
le fonds , ils ne font pas les feuls qui ayent cr^i & enfeigné des chofes
inconciliables.
§. III. Quoique les Celtes reconnuffent un commencement de tcmtes u, crojroient
chofes , ils ne laiffoient pas de foutenir (z) que le monde devoit fub- |.o™up"fbu?'
-fifler éternellement. Ce Dogme avoit une liaifon naturelle & néceffaire
avec un autre point de leur Doûrine , qui fait le fujet du Chapitre
fuivant. Ils croyoient que les hommes dévoient revivre pour être im-
- mortels. Par'cela même , ils affuroient que le féjour , où les hommes
dévoient jouir d'une vie immortelle , ne feroit jamais détruit. .« Les
«Druides croyent , dit Stabon , (}) que le monde eft incorruptible;
(i) Voytt, ci-d. ch. vi. J. i«. '
(i) StraboIV. p. 197.
(1) Vyit, U note pcéccdeate.
Xi
i64 HISTOIRE DES CELTES,
« mais ils avouent en même tems , que le Feu Ôt l'Eau y prendront un
" jour le defllis »'.
Miis ils di- Il femble que l'on entrevoie là-dedans cette ancienne tradition, mi
r£a'i'i&?"Lii annonçoit deux grandes cataftrophes , dont l'une devoir arriver par
eami'jour!' l'Eau, & l'autre par le Feu. Les Celtes croyoient , vrai- femblable-
ment, que le monde feroit purifié & renouvelle par un em' rafemenf
imiverfel , comme il l'avoit été autrefois par le déluge ; & c'eft , félon
les apparences , ce qui faifoit le fujet d'une ancienne danfe , ou d'un an-
cien Cantique , dont Menippe , Philo fophe Cynique , a voit fait men-
tion. On l'appelloit ( 4 ) Koo-yus iktv^uo-iç , l'embrafement de l'Univers.
Cette manière d'exprimer les Dogmes de la Religion dans des Canti-
ques & dans des danfes,venoit affurément des anciens Habitans de
l'Europe.
Ils admet. §, IV. La Providence efl: un Dogme commun à toutes les Reli-
Pr'ovideùcé. gious. Pour rendre à Dieu le culte qui lui eft dû , & fur tout pour fe
foumettre à fon autorité , il faut fuppofer , avant toutes chofes , qu'il
eft l'auteur & le confervateur de notre vie , le maître des événe-
mens, le témoin & le juge de notre conduite. Ces vérités n'étoient
point (5) conteftées parmi les Celtes. Au contraire, entre les Reli-
gions Payennes , il n'y en avoit peut-être aucune , qui donnât plus
d'étendue au règne de la Providence , que la leur (6). Le tremble-
ment, la chute d'une feuille, le vol d'im oifeau, la manière dont les
branches , que l'on employoit aux divinations , tomboient à terre ,
après avoir été jettées en l'air; en un mot, tout ce que nous attri-
buons aux loix de la pefanteur , au méchanifme des corps , à l'inftinft
des animaux , ou même au pur hafard ; tout cela étoit , félon les Cel-
tes , l'ouvrage de la Divinité , qui animoit & qui dirigeoit les êtres
matériels d'une manière pleine de vues profondes , tant pour le pré-
fent que pour l'avenir. Il en réfultoit naturellement que la Divinité
étoit le feul agent , que tout étoit dirigé & déterminé d'une manière
infaillible par la Providence , & que toute la fageffe de l'homme confîf-
toit à connoître les defleins de Dieu , & à y acquiefcer. Cependant
les Celtes employoient, non - feulement les prières & les facrifices,
■' ■■■'■"■^^— ^^■"-'^■■^^^-^•■-^— — ■■-■■^.— ^^•.»'"»— ..^«^ w
(4) Athen. XIV. cap. 7.
(5) Ci d. ch. II. §. i.notei.
(6) Fiy«x. «i-4. ïjl. IV. J. I J.not. 4J.
LIVRE III. CHAPITRE XVII, 165
mais encore des charmes &c des maléfices, pour détourner le cours
naturel des événemens. Selon les apparences , ils ne croyoient pas
que ces chofes fuflent incompatibles. Cela n'efl; pas furprenant. Il y
a des Théologiens qui admettent un décret infaillible , & qui ne laiflent
pas de le concilier avec la liberté de l'homme. Ces queftions , qui ap-
partiennent plutôt à la Théologie qu'à la Religion , ont été agitées par
tous les Peuples ; & comme ceux qui élèvent le plus le franc arbitre
de l'homme, n'ont pas prétendu nier la Providence; l'équité veut aufîi
qu'on n'accLife pas ceux qui admettent un décret infaillible , une déter-
mination phyfique de la Providence , d'arracher à l'homme fa liberté ,
d'autant plus que leur pratique eft toute différente de leurs principes (7).
§. V. A l'égard des devoirs de l'homme, les Celtes les rapportoient
tous à ces trois ch»fs généraux (8) : // faut fervir /es Dieux ; ne point
faire de mal; s'étudier à être vaillant & brave. C'étoit-là une efpèce d'a-
brégé de leur morale. Examinons , en peu de mots , le fens & l'étendue 6«néraux.
qu'ils donnoient à ces trois maximes.
Ils difoient i °. qu'i/ faut fervir les Dieux. Quoique ces Peuples fif- 11 faut fervu
fent beaucoup de cas des facrifices , ^9) & qu'ils attribuaffent une grande
efficace à leurs cérémonies , il faut avouer qu'ils ne faifoient pas con-
lifler tout le fervice des Dieux dans ce culte extérieur. Les Druides s'ap-
pliquoient à l'étude de la morale : ils la prêchoient aux Peuples (10),
pour adoucir la férocité de leur naturel (11) : ils la propofoient com-
me la volonté de Dieu (12). Le Peuple regardoit aufîi la juftice , la
bonne foi , l'hofpitalité , comme des vertus qui rendent l'homme agréa-
ble à Dieu. Tout cela ne permet pas de douter que cette maxime , il faut
ftr.'ir les Dieux ^ n'exprimât, en même-tems, le culte & l'obéifTance
que les hommes doivent à la Divinité.
Le fécond point de la morale des Celtes , étoit qu'zV ne faut point
Jaire de mal. Cette maxime recommandoit , non - feulement la juflice, po'nt faire de
qui ne fait aucun tort au prochain , & que Juflin appelle une vertu (13)
tiaturelle aux Scythes, mais encore la tempérance, la chafleté, avec
lît rappor-
toient les de-
voirs de
r/iomme i
trois cliefs
les Dii
x'. Il ne faiTt
(7) C'eft une queftion de l'Ecole qu'il n'cft
pas rK^cclTaite d'examiner dans cet Ouvrage.
tJtie de i'EdîiiHr.
(1) . iogen. Lacrt. Fi3em> f • }.
(»J £Uan. II. M.
(lo)Strabo IV. 197.
(i I) Jornand. cap. 2.
(12; Pomp. MetaUb. III. cap. i. p. jj.
(lî) Juftin II. i. rejfrt, Ci-d. LJT. II. ch. It.
pag. »7», »7s.
i65 HISTOIRE DES CELTES,
toutes les vertus prefcrites par la loi naturelle. Si les Celtes avoient des
vices , ce n'étoit pas qu'ils ne connufTent fort diftinftement le bien &
le mal ; mais la plupart des hommes, au lieu de fuivre leurs principes , fe
livrent aveuglément à leurs propres penchans. Il eft certain , cependant ,
que les Celtes avoient une idée très-imparfaite (14) de -la juftlce qui
nous défend de faire aucun mal à qui que ce foit (*). D'un côté , ils
n'étendolent cette obligation qu'aux hommes qui vivent enfemble dans
une même fociété. Ce n'étoit pas une injuftice de piller & de tuer
dans un Etat voifin. De l'autre , ils permettoient de fe rendre juftice à
eux-mêmes, de vuider leurs querelles & leurs procès parla voie des
armes. Ils donnoient toujours gain de caufe au plus fort; ce qui n'étoit
autre chofe qu'un renverfement total de toutes les loix de la juftice.
$•. t! fïu Enfin , le dernier chef de la morale des Ceîfcs , étç>it qu'il faut
êctev/iiunt s'étudier à être vaillant & brave, La bravoure peut compatir , jufqu'à un
k biavc. certain point , avec l'amour & la juftice , en tant qu'elle fert à foute-
nir & à défendre une bonne caufe. C'eft , à la vérité , l'opprobre de la
nature humaine , que des hommes , qui ont la raifon en partage , fe trou-
vent quelquefois réduits à décide» leurs différends par la force , 6c à
entreprendre des guerres dans lefquelles celui qui voudroit fe relever
du tort & de l'injuftice qu'il a foufferte , s'expofe au danger de fuccomber
une féconde fois. Mais enfin , dans l'état où font les chofes , la guerre ,
comme les procès , les prifons & les fupplices , eft un mal inévitable ; ou
plutôt, elle eft une barrière que l'on a été obligé d'oppofer à la méchan-
ceté de l'homme , & que l'on ne fçauroit ôter fans ouvrir la porte à
la violence & à l'opprefllon. Les hommes étant injuftes & raviffeurs ,
il faut , de toute néceffité , que les gens de bien s'arment de force &
de courage , pour défendre ceux que l'on opprime injuftement , & pour
réfifter eux-mêmes à ceux qui leur ôtent ou leur retiennent , contre
tout droit & toute raifon , ce qui leur appartient légitimement. Mais
comme ces réflexions n'excufent que les guerres juftes , elles montrent
auffi que la valeur n'eft une vertu que lorfqu'elle prend les armes pour
foutenir des droits légitimes.
Il ne paroît pas que les Celtes fiflent une diftinaîon fi néceffaire.
(14) Ci-deflus Liv. II. ch;»i i. & 1 1.
(*) Voy. ci-deff. Liv. II. chap. 12. not. 71. ti. ch. ij.not. 41. ch. U. not. 14. cj». i«. Wt. tyi
it*. tiH 4». 4J. j 7. 6i> ch. ly. «or. t. w.
LIVRE III. CHAPITRE XVII. 167
Ils eftimoient la bravoure en elle-même , fans fe mettre en peine , û
elle défendoit une bonne caufe , ou fi elle venoit à l'appui de l'injuftice
ou de la violence. Ils croyoient , comme on le verra dans le Chapitre
fuivant , que tous ceux qui périflbient à la guerre étoient fauves , &
élevés à un degré de gloire & de félicité auquel des hommes juftes ,
bienfaifans , ne pouvoient arriver , fuppofé qu'ils fortifient de la vie
par une mort naturelle. Il faut donc paffer condamnation fur cet article :
la valeur que les Druides recommandoient aux Celtes , étoit une
vertu de Brigands , & le Paradis qu'ils leur promettoient , au lieu
d'être la récompenfe de la vertu , étoit véritablement le triomphe de
l'injuftice , de la violence , & de la fureur.
§. VI. Les Celtes, comme tous les autres Peuples Payens, avoient tesceii«
l'idée d'un Dieu ofFenfé par le péché ; mais en même-tems d'un Dieu d'^n oicul^
placable , qui devoit être appaifé par des facrifices. Il eft vrai que le ^^''jj^^pjf ';=
grand but de leurs facrifices , étoit de découvrir l'avenir , &c de s'inf- 'î';''' t'"" f->-
. . • cile dappai-
truire de leur deftinée , qu'ils croyoient lire clairement dans les entrailles f«-
des vidimes.
Nous parlerons dans le Livre fuivant des principes de cette belle Hs penfoicm
fcience. Mais on ne peut pas douter qu'ils n'euffent aufli des facrifices Z'flJc^Ti
expiatoires , deftinés à délivrer le pécheur de la peine qu'il avoit mé- oi' u pit'dcs
ritée , par la fubftitution d'une viâime qui étoit immolée en fa place. f^c'.'''"\'i*
T 1 /-'/• viflimes hu-
lules - Céfar l'affure formellement : ( 1 5 ) « Toute la Nation des Gau- mainvi.
» lois eft fort adonnée à la fuperftition. Sont- ils attaqués de quelque
» maladie dangereufe , fe trouvent-ils dans une bataille , ou dans un
» grand danger , ils immolent des viôimes humaines , ou font vœu
» d'en offrir , & fe fervent , pour ces facrifices , du miniftère des
» Druides : ils s'imaginent que les Dieux immortels ne peuvent être
» appaifés , à moins qu'on ne racheté la vie d'un homme par celle
» d'un autre homme «.
Il faut avouer que ce font-là d'étranges idées. La vraie Religion
n'ordonna jamais d'offrir à Dieu des viûimes humaines : au contraire ,
elle le défend exprefiément. Elle enfeigne , à la vérité , que les pé-
chés ont été expiés par le facrifice du Fils unique de Dieu ; mais comme
ce ne font pas les Juifs qui ont offert ce facrifice , il en réfulte néceffai-
(15) C«fat VI. I*.
i68 HISTOIRE DES CELTES,
rement qu'il ne coniîfte pas , k proprement parler , dans la mort de
Jefus-Chrift, ni dans l'efFufion de Ion fang. A cet égard, le fupplice du
Sauveur eft un attentat , que Dieu a puni par la deftrudHon totale de
l'Eglife , & de la République Judaïque. Le facrifice de Jéfus-Chrift con-
fifte dans l'obéiffance qu'il a rendue à fon père , aimant mieux foufFrir
le fupplice le plus honteux & le plus cruel , que de fe détourner un
feul moment de la foi , ou de la piété. Il tire tout fon prix des grandes
& glorieufes vertus que Jéfus-Chrift a pratiquées avant fa mort, &C
de l'intention qu'il a eue de nous en appliquer les fruits. Ainfi, quoique
le Dogme de la rédemption du Fils de Dieu , foit propofé dans l'E»
vangile comme un myftère, il faut convenir que la raifon eft obligée
de foufcrire à une Doûrine qui enfeigne que l'obéiffance la plus parfaite,
l'humilité la plus profonde , la vertu la plus confommée que l'on puifle
imaginer , eft un facrifice véritablement expiatoire , en confidération
duquel , Dieu a bien voulu pardonner au genre humain les outrages
qui avoient été faits à fa Majefté.
Les Cehes avoient des idées toutes différentes. On voit dans le
paffage de Jules -Céfar, qu'ils regardolent la Divinité comme un Etre
altéré de fang , qui ne faifoit grâce de la vie à un homme , que fous la
condition qu'on lui en offrirait un autre. D'oii avoit-on pris ces idées
qui étoient communes à la plupart des Peuples Payens ? Plutarque a
dit (i6) qu'on offroit ces viûimes à des Génies malfaifans. On leur lâ-
choit , comme à des bêtes féroces , une efpèce de proye , afin qu'ils
épargnaffent le refte de la fociété. Si telle étoit la véritable opinion des
autres Payens , les Celtes qui offroient ces facrifices au Dieu fuprême ,
avoient une autre idée ; ils appelloient Dieu T&utat , le Père Ttut ,
Cuod, Vodan^ l'Etre infiniment bon : ils croyoient en même tertis, qu'il
prenoit plaifir à l'effufion du fang , & qu'il réfervoit une félicité parti-
culière aux hommes qui fortoient du monde par une mort violente.
§. Vil. Outre les Dogmes dont on vient de faire mention, les Druides
agitoient im grandnombre de queftions (17 fubtiles & abftrufes : «II
» y a , dit Jules-Céfar (18) , plufieurs autres chofes qu'ils enfeignent è
H la jeuneffe , & dont ils difputent dans leurs Ecolet , par exemple ,
-— ■ — ■ '' ' — ^ st. ■ r-
(t«) Plut, de Otac. Defeft. Tom. II, p. 417.
(17) Amm. Marc. XV. cap. j. p. »s.
{i»;Cicf«r YI. ^\'
LIVRE III. CHAPITRE XVIII. 1^9
» des Ailres & de leur mouvement , de la grandeur du Monde &
» de la Terre, de l'Univers , de la'puifTance & de l'empire des Dieux.
»Ils fe vantent, dit encore Pomponius-Mela, (19) de connoître la
» grandeur & la forme de la Terre & du Monde, les divers mouvemens
» du Ciel & des Aftres , & la volonté des Dieux. Ils enfeignent beau-
» coup de chofes fur ces matières à la noblefle la plus diftinguée , & cela
» d'une manière fort fécrette , & pendant long-tems , y employant
H quelquefois jufqu'à vingt ans. Ils donnent leurs leçons dans des caver-
» nés , ou dans des Forêts reculées ».
Il n'eu pas néceflaire de rechercher ici ce que les Druides croyoient
fur ces matières. D'un côté , la plupart de ces queftions appartiennent
à la Philofophie , plutôt qu'à la Théologie. De l'autre , celles qui
pouvoient avoir quelque influence fur la Religion , faifoient partie de
Il Doûrine occulte , que les Druides ne confioient qu'aux plus affidés
de leurs Difciples, parce qu'elle fervoit de fondement aux divinations
& à la magie , dont on faifoit un fecret au Peuple. Par exemple , la
Doftrine occulte des Thracès , enfeignoit un Cantique ( io ) , par la
vertu duquel un tifon s'enfonçoit dans l'œil d'un homme , fans être
poufle par qui que ce fut. Il falloit bien que l'on difputâf fur la puif-
fance des Dieux , pour montrer comment la chofe étoit poffible. Il
ne refte donc plus qu'à examiner ce que les Celtes croyoient fur le
fort de l'homme après cette vie. Il faudra le faire avec quelque éten-
due , foit pour établir leur véritable fentiment fur cet important article ,
foit pour réfuter l'opinion de ceux qui prétendent que ces Peuples
croyoient à la Métempfycofe de la même manière que Pythagore.
CHAPITRE XVII r.
§. I. JL'iMMORTALiTÉ de l'ame eft un Dogme fans lequel la Re- LeDogmt,je
ligion ne peut guères fubfifter. Un homme qui n'attendroit ni peines , dÉTÀme'"»
ni récompenfe , après cette vie , ne pourroit s'attacher à la vertu , que ="« 1"=' ^
dans la vue d'un intérêt préfent & temporel. Par cela même, il aban- &"'»•
(jj) Fomp. Mel.Iil. cap. i. p. ^j.
(loj 3(10 incaniaiioncm Orphti valiie hotiam , ut
fpome fxâ icrrii in cranium v»d*l, C'eft ce qu'un
Satyre difoit à Ulyffe qui le prioit de l'aider à
poufler un tifon brûlast dans l'oeil du Cyclope.
£uiipid. C^'clop, V. 642.
Terne IL T
lyo HISTOIRE DES CELTES,
donneroit la vertu toutes les fois qu'elle ne feroit propre qu'à le ren-
dre malheureux. Il feroit difficile , par exemple , qu il ne fe laflât pas
d'obferver les loix de la juflice &c de l'équité , vivant avec des fcélérats
qui les vloleroient toutes à fon égard, s'il n'étoit fermement perfuadé
que' la préférence qu'il donne à la vertu, fur tous les intérêts temporels ,
trouvera, dans une autre vie, une récompenie aufîi fiire qu'excellente.
r« Dogme Quelque important que foit ce Dogme , il ne laiûoit pas d'être fort
"imncs " moderne patmi ce nouveau Peuple qui chafTa les Pélafges, 6c qui intrc-
''""■ duifit en Grèce le culte des Dieux Egyptiens &C Phéniciens. On pré-
tend ( 1 ) que « Thaïes enfeigna le premier , que l'ame étoit immor-
» telle ". D'autres dilent ( i ) que ce fut Phérécyde de Scyros qui
» avança le premier , que l'ame de l'homme étoit éternelle ». Ce' qu'il
y a de certain , c'eft (3) que Pythigore &: Platon (4) contribuèrent le
plus à introduire ce Dogme parmi les Grecs. Il n'eft pas poffible de déte -
miner d'où Pythagore avoit tiré la Dodrine de l'immortalité de l'ame.
Il étoit (5) Difciple de Phérécyde, qui l'avoit enféignee. Il avoit fait (6)
im voyage à Chaldée , où elle étoit gén^aleraent reçue.U avoit été
en (7) Thrace , &c y avoit eu pour Maître (8) Abaris l'Hyperboréen. Il
pafl'a les dernières années de fa vie en Italie , où il fut à portée de con-
noître les opinions des Celtes ; & , c'efl-là , félon les apparences , qu'il
eut occafion d'entendre des Philofophes Gaulois (9). Voilà bien des
fources où Pythagore avoit pu puifer fes idées fur l'immortalité de
l'ame , fuppofé que fa propre méditation ne les lui eût point fournies.
A l'égard de Platon, il avoit (10) étudié en Italie , fous des Philofo-
phes Pythagoriciens. Il y avoit acheté , pour une grofle fomme , les
Ouvrages de Philolaiis Crotoniate , où les fentimens de Pythagore
étoient expofés d'une manière fort étendue. C'efI de là fans doute qu'il
avoit tiré ce que l'on trouve dans fes écrits fur la nature de l'ame,
& fur fon immortalité. Il paroît , cependant, par un de les Dialogueb,
^ (i Chœiilus l'oeta ap Diog. tacrt. in Tha- PhcrecidcToin. Ili. 592. & in Fythag. Tom.IIi»
lete Suidas in Tlialeic. pag. ijt.
(i) Ciceto Tufc. Quacft. I. cap. 38 Thaïes j (6 f'ojyez, la note 8. ei-deffbus. '
naquit dars le cours de la XXXVc. Olympiade , 1 (7) Ci-d. cli IV. §. 8 note 34.
& Pherécide dans la XLVe. Suidas in Thaleteâc
Phetccyde.
(3j Diod Sic. xvin. p. «17.
(4) Paufanias MelTiniac. XXXII. p. 3 s».
(;) Cic. Tafc, Quaeft. I> cap. 3 1. Suidas in
(8 Suidas in Pythag Toin. III p. 131,
(9) Ftjei. ci-d ch. IV. S 8. not. 35.
(loj Diog. Laeit. in îUtonc Seg. j. A. Gell.
lib, lu, cap. 17.
LIVRE III, CHAPITRE XVII. iji
qu'il n'a pas ignoré que les Thraces croyoient auffi que l'ame étoit im-
mortelle. Parlant d'un certain Cantique auquel on attribuoiî la vertu
de guérir les maladies , il dit ( 1 1 ) qu'il l'avoit appris d'un de ces
«Prêtres qui exercent la médecine , & qui enfeignent que l'ame eft
» immortelle ».
Au refte l'immortalité de l'ame étoit , parmi les Grecs , un Dogme
purement fpéculatif. Les Poètes la propofoient dans leurs écrits ; les
Philofophes l'enfeignoient à leurs Difciples; on en difputoit dans les
Ecoles : mais il ne paroît pas qu'on la regardât comme une vérité qui
appartînt à la Religion, & peut-être les Philofophes, qui difoient
qu'il faut aimer la vertu pour elle-même , oublioient-ils , dans cet en-
endroit , ce qu'ils avançoient ailleurs des récompenfes qui l'attendent
dans une autre vie.
Quoi qu'il en foit , la Doftrine d'une vie avenir étoit , parmi les wpoat \m
Celtes , un Dogme fur lequel toute la Religion étoit appuyée. Les u\ui de I'a.
Druides avoient une Doôrine fécrette, qui n'étoit que pour les initiés d""to°'t"aa"*
(il). Mais pour celle-ci, ils ne ceffoient de la propofer ( 13 ), & de l'ôs'cTtesr'
l'inculquer au Peuple , comme fervant de bafe & de fondement à l'obli-
gation où font les hommes de fervir les Dieux, d'obferver les loix
de la juftice , & de s'étudier à être vaillans & braves. Le Peuple faifoit
aufli de cette vérité la matière de fes Cantiques facr.és. Il y célébroit
l'excellence du bonheur avenir, & des vertus qui conduifent à cet heu-
reux état. En un mot , l'immortalité de l'ame étoit reconnue par tous les
Peuples Celtes , & cette Doftrine étoit , parmi eux , d'une antiquité
è laquelle l'Hifloire ne remonte point. Par exemple , elle étoit re-
çue chez les Perfes ( 14 ) , du tems de Cyrus , à qui Xenophon fait
tenir un beau difcours fur l'état de l'ame féparée du corps. On voit
bien , à la vérité , que la plupart des preuves & des réflexions font
du Philofophe Grec ; mais il n'en eft pas moins conftant , que le Dogme
même étoit reconnu par les Anciens Perfes , qui croyoient non-feule-
ment l'immortalité de l'ame, mais encore la réfureûion (ij) du corps.
(Il) Plito Charmide pag. 4S4. Clcm. Alex.
S«om. I. cap. I s p s s c. On verra ,en fon lieu,
^uc TOUS les Druidcse'toientMédecins,& qu'i^
(e vantoient de guérir les maladies par des pa-
«ples & pai det Cauti9[ues magiques.
(12) On en parlera ailleurs.
(13 Pomp. Mel. III- cap. 2. p. 73. Sitrabo IT.
197. Am. Marcell.XV. cap. s- p. 99.
^14) Xenophon Cyrop. lib. viii. p. loi.
(i i] On le prouvera dans le paiagraf he VIK^
Yx
lyi HISTOIRE DES CELTES,
Cicéron a encore remarqué (i6)que «les Habltans de l'Italie étoient
M perfiiadés que l'homme qe périflbit pas totalement , & qu'il ne
» perdoit pas tout fentiment par la mort».
II y a , à la vérité , dans Pomponius-Mela , un paffage qui porte
expreflement , que les Gétes n'étoiçnt pas d'accord entr'eux fur le fort
de l'homme après cette vie (17). » Les Gétes, dit-il, meurent fans
» aucun regret. Ils ont différentes opinions qui fervent à les détacher
» de la vie. Il y en a qui croyent que les âmes des morts revien-
» dront au monde. D'autres difent qu'elles n'y reviendront point ;
» mais ils foutiennent , en même - tems , qu'au lieu d'être anéanties par
«la mort, elles paffent à un état plus heureux. D'autres enfin avouent
» que les âmes font anéanties par la mort, mais ils difent que cet état
» eft préférable à la vie.» Il fe peut fort bien que chacune de ces trois
^ opinions eut {es partifans parmi les Gétes ; mais la première étoit cer-
tainement la plus reçue; c'étoit d'ailleurs la feule que la Religion auto-
rifât, & c'efl uniquement de quoi il s'agit ici. Il y a eu, dans le fein
même de la Religion Chrétienne , un Synefius qui nioit la réfurreûion
du corps , parce qu'il étoit dans l'idée qu'elle oppoferoit des obftacles
invincibles à la perfection & au bonheur de l'ame. On trouve, dans
toutes les Communions Chrétiennes , des libertins qui fe dégradent
eux-mêmes de l'immortalité , pour n'être pas obligés de vivre d'une
manière qui réponde à l'excellence de leur condition. 11 y en avoit même
déjà du tems de Saint Paul , qui difoient que l'ame de l'homme , comme
celle de la bête , retourne dans la terre. Tout cela n'empêche pas que
l'immortalité de l'ame, la réfurredion du corps, l'éternité des peines
& des recompenfes , ne foient des Dogmes efientiels & fondamentaux
du Chriftianilme. Or il eft queftion ici de repréfenter la Religion des
Celtes , les vérités qu'elle enfeignoit , & non prs l'opinion de quelques
particuliers , dont les erreurs furprennent beaucoup moins dans des
Barbares , que dans des Chrétiens. L'on peut donc pofer en fait que
le Dogme de l'immortalité de l'ame étoit reconnu généralement par tous
les Peuples Celtes.
On prétend §. II. Mais on Icur H attribué , après cela , un autre Dogme qui au-
(16) Cicero TuTc. Qazft. lib. I. f. 3437.
■(ï7)Pomp.MelaII. cap. i.p. 43. Solin dit à peu ptès la mçme chofc , cap. XV. p. zi^.
LIVRE III. CHAPITRE XVII. 173
roit détruit, à peu près, toute l'utilité que la Religion peut tirer du eut à la m4-
premier. On prétend que , félon leur Doctrine , l'ame au lieu d'entrer «^^f^y""'
par la mort dans un état de peines ou de récompenfes , ne faifoit que
circuler perpétuellement d'un corps à l'autre. C'eft ce que Jules-Céfar
afiure formellement (18;: » Les Druides tâchent, fur-tout, de perfuader
» au Peuple que les âmes ne périffent point , mais qu'après la mort
» elles paffent d'un corps dans un autre (19). Ils prétendent que cette
>> perfuafion contribue , d'une façon toute particulière , à rendre l'homme
M brave , parce qu'elle l'empêche de craindre la mort. » Diodore de
Sicile dit auffi (20) que « les Gaulois fuivent, à cet égard, le fentiment
» de Pythagore. Ils croyent que l'ame de l'homme eft immortelle, qu'elle
«doit retourner à la vie, & rentrer dans un autre corps, après un
» certain nombre d'années. De - là vient que , dans les obféques ,
» quelques-uns jettent dans le feu des lettres qu'ils écrivent à leurs
» pères, à leurs mères, ou aux autres parens qu'ils ont perdus, s'ima-
» ginant que les morts lifent ces lettres,. » Julien l'Apoftat attribue des
idées à peu près femblabks aux Gétes (21) : « ils font extrêmement
» belliqueux, non- feulement parce qu'ils ont un corps robulle & vi-
» goureux , mais encore parce que Zamolxis , auquel ils rendent im
» culte religieux , leur a perfuadé que les hommes ne meurent point,
» mais qu' i/s pajjhit dans un autre fijour ( 11 )• Attendant fermement
» ces migrations, ils font toujours préparés à toute forte de dangers.»
Porphyre dit auffi, (23) que la Métcmpfycofe étoit un des prmcipaux
Dogmes des Mages , & il en donne pour preuve , que dans la célébra-
tion de leurs myftères, chacun d'eux prenoit le nom de quelqu'animal.
Il y a des Auteurs qui vont encore plus loin , & qui foutiennent on prérend
que c'eft de Pythagore même, ou de quelqu'un de fes Difciples, que T'-^^^^^-a^'
les Celtes avoie'nt reçu le Dogme de là Métempfycofe. C'eft le fenti- & '- '^^ 'y'
(18) Cœfar VI. 14
(t> Vtyci. ce que j'ai dit fur ce pafTage Ke
Céfat dans mon Difcaxn fur l» Nature & les Do-
fmfi de l» Religion des Gauloii , p. «JI-7 I. N(>ie-4e
l'EUtenr.
(20 Diod. Sic. V. x\i.
(il Julian. Catfar in Ttajan. p. ai7.
(lï) Alii migr»re . . . Cette cxprtlfion «le Ju-
lien confirme ce que j'ai di: dans mon D.fe^..r,
fur U Religion An Gunlois , que , dans ce texte de
Jules-Cefar, ah tliii foft menem tmnjîfe ad nlios , il
faut fuppleer licos Sx. non pas hommes. Se on la
Doflrine des Celtes, les Ames fortoicnt de ce
monde pour habiter un monde nouveau. R<^it
Htm ffiriiui nrius ORBE iLIo , dit Lucain. Aternit
ejfe animai, vitAm^ue ALrtB.^M ad mânes , dit
fompoiiius Mêla. Kojrï, ci dcflous note 4I,
Niitc de i*Edif!*r.
{i}j Forfbyi, de Abftin. Ub. IV. f. }fgt
174 HISTOIRE DES CELTES,
ment de l'Auteur des Phllofophumcnes , que l'on attribue communé-
ment à Origene. Il dit (z4) que «Zamoixis, premièrement efclave ,
» & enfuite difciple de Pythagore , avoit enfeigné aux Druides les
» principes de la Philolophie Pythagoricienne. » Hérodote avoit aufli
appris des Grecs , établis le long de l'Hellefpont , & du Pont-Euxin
(25), que Zamolxis étant de retour dans fa Patrie, enfeigna aux Thraces
que l'ame étoit immortelle. Tout cela eft avancé fans fondement : les
Celtes n'ont jamais cru cette tranfniigration des âmes d'un corps à l'au-
tre. Avant que de le prouver, il eft à propos de faire ici quelques
réflexions générales,
tl ft'eft pas §• lïl- Il femble que ceux qui ont aiTuré fi pofitivement que les Celtes
ry^îià'orTjit avoient reçu de Pythagore le Dogme de la Métempfycofe , auroient
wmV'r'^" ^^^^^^" établir, avant toutes chofes, ce que ce Philofophe a cru & en-
feigné fur le fort de l'homme après cette vie. On lui attribue d'avoir
cru (î6) «que les âmes animent fucceffivement divers corps, paffant
» quelquefois du corps d'un homme dans celui d'un autre homme , &
» d'autrefois dans le corps d'une bête. On ajoute (27) qu'il fe don-
» nolt lui-même pour preuve , èl pour exemple de cette vérité , af-
» furant que , du tems du fiége de Troye , fon ame avoit animé le
»» corps d'un certain Euphorbe , dont 11 efï fait mention aux Livres XVI
»» & XVII. de riUiade d'Homère. » L'opinion commune eft , que c'eft
en cela que confiftoit le Dogme de la Métempfycofe (28) , que Pytha-
gore, ou Phérécyde^ fon maître, enfelgnerent les premiers parmi les
Grecs.
Mais eft-on bien fur que Pythagore reconnut effeftivement cette
circulation perpétuelle des âmes d'un corps à l'autre? La chofe ne paroît
pas tout-à-fait démontrée , & il y a , au contraire , de fortes raifons d'ea
doxiter.
Il eft conftant , i ®. que Pythagore n'a rien écrit , ou qu'au moins ,
il ne nous refte aucun de fes Ouvrages. Comme la Doftrine de Tim-
mortalué de l'ame étoit nouvelle parmi les Grecs , du tems de ce Phi-
lofophe , il fe peut fort bien que ceux de fes Difciples , qui ont rédigé
(14) Origcn. Fliilofophum. ap. Grouov. in
Thefauro Antiq. Giœc. Tom. X. p. 264.
(i. s) Heiodoc. IV. 95. Suidas iu Zamolxi»
(i«) Dioj, I<««it. in Pythag.Scf. 14,
(27) Suidas in Pythag. Tom. III. p. zj i.
(28) Schol. ad Findar. Olymp. II. p. fi, $•!«
iu in f hciec^dc Tom. Ul 2' Sf*'
LIVRE III. CHAPITRE XVIII. 175
par écrit fes fentiniens , fur cet article , ne les ayent pas bien com-
pris, i**. On trouve effeûivement dans Clément d'Alexandrie , qu'il
admettoit les peines & les récompenfes d'une autre vie. Ce Père dit
que (19) « les Philofophes Barbares , & les Pythagoriciens , reconnoifient
» également un avenir heureux pour les gens de bien , & malheureux
pour les méchans. » 3 ^. Si Pythagore établiffoit , avec cela , un retour
des âmes ( 30) , il ne les faifoit revenir qu'après un certain tetns , après
un nombre défini d'années, pendant lefquelles chacun recevoit , auprès
des Mânes, la peine ou la récompenle qu'il a voit méritée. Ce Philofophe
ne croyoit donc pas que les âmes circulaflent perpétuellement d'un
corps à l'autre. 4*. Il appelloit ce retour non pas une Métempjycofe ^
mais une (,31) Palingénéjîe , une nouvelle naiffance ; ce qui infïnue
que c'étoit le même homme (31) qui renaifîbit dans un état plus par-
fait. Mais Pythagore a-t il cru , au refle , que le même homme revien-
droit plufieurs fois à la vie, ou qu'il n'y reviendroit qu'une feule fois?
C'eft une queftion qui paroît aflez problématique , ôc qu'il n'importe
point de décider.
§. IV. En fuppofant même que Pythagore ait eu fur le fujet de la i«ce't«
Métempiycofe , toutes les opinions qu'on lui attribue communément, p,u"ùé aucun
il faudroit examiner , après cela , s'il eft polfible , ou s'il eft , au moins , '*' ''="" 'i°;
vraifemblable, que les Celtes ayent adopté fur ce fujet les fentimens du '«'"pii"
Philofophe. Les Peuples Scythes & Celtes détcftoient les fuperftitions
étrangères , & faifoient mourir ceux qui entreprenoient dé les introduire
parmi eux. v^uand on accordcroit donc qu'un Ditciple de Pythagore
avoit enfeigné aux Thraces les Dogmes de fon Maître fur l'immortalité
de l'ame , & fur fes dilFérentes migrations , comment veut- on qu'au
bout de quelques années, cette Doûrine ait paffé , non-ieulement juf-
ques dans le tond du JNord , mais qu'elle ait été reçue par tous les
Peuples Celtes comme un article eflenticl de la Religion ? La chofe ,
ne paroît afliirément guères probable ; d'ailleurs ce que les Aiiciens
ont fi iouvent dit & répété , après Hérodote , que « lé Zamolxis des
» Thraces avoit été Eiclave , & enluite Difciple de Pythagore ; qu'a-
(29 Clem Alex Suom lib IV p, 619,
(î--) Ci-d $ ,i. not 10. & la notr fuivaote
lilj Setvius ad ^nei 1. lU v «7. pag 174
Schol. «d. rindai, 01/mp. XI. p. 3 1 . Demeuius^
t- Dès «^ue c'ctcit le ititmc homme, il
avoit Ton piemiei cotps. lUm dt l'EUunt,
176 HISTOIRE DES CELTES,
» près la mort de fon Maître , il s'en étoit- retourné dans fa Patrie , Sc
»y avoit répandu les opinions du Philofophe : » tout cela n'efl, de
l'aveu d'Hérodote, qu'une pure fable. Il ne veut pas garantir ce que
les Grecs , établis le long du Pont-Euxin , & de l'Hellefpont , lui ont
raconté au fujet de Zamolxis.
Effeâivement, la raifon qu'il avoit d'en douter eft démonflrative , &
fans réplique (33). Zamolxis étoit beaucoup plus ancien que Pytha-
gore , & , affurément , ce n'étoit pas des Grecs , ni de leurs Philofo-
phes, que les Barbares avpient emprunté leur Doftrine : au contraire ,
toutes les Sciences avoient paffé des Barbares chez les Grecs. Ariftote le
reconnut , & l'avoua , après avoir recherché , avec beaucoup de foin ,
l'origine de la Philofophie. Voici ce qu'en dit Diogene Laërce au com-
mencement de fon Ouvrage (34): «Quelques-uns affurent que les
w Barbares font les premiers qui fe foient appliqués à l'étude de la
M Philofophie , & qu'elle doit fon origine aux Mages parmi les Per-
» fes , aux Chaldéens parmi \es Aflyriens & les Babyloniens , aux
» Gymnofophiftes parmi les Indiens , aux Druides & aux Semnothées
»» parmi les Celtes & les Galates. C'eft le fentiment d'Ariftote & de
» Sotion. » Nous verrons , en fon lieu , que Pythagore avoit em-
prunté des Celtes différentes fuperflitions , & entr'autres, la manière
de deviner avec de petites branches d'arbre , qui étoit particulière à ces
Peuples. A l'égard de la Métempfycofe , s'il l'a effeâivement crue ,
ïl ne la tenoit pas des Celtes , à qui ce Dogme étoit inconnu. Il
avoit voyagé en Egypte , Se en Orient , dans la vue de connoître
les fentimens des Philofophes étrangers. D'ailleurs , Paufanias afTure
formellement (35), que la Doftrine de l'immortalité de l'ame avoit
pafTé de l'Orient en Grèce. Il efl donc afTez naturel de préfumer, que
c'efl de-là que Pythagore avoit apporté l'opinion de la tranfmigration
des âmes (36). Au moins, on prétend qu'elle étoit généralement reçue
tant en Egypte , que dans les Indes.
iM Celtes §. V. Enfin il femble que , pour ne pas prendre le change dans cette
i uMc'emp" occafion , il auroit été à propos de bien éclaircir cette queflion capi-
^'■°^' taie; fçavoir, Jî les Peuples Celtes ont cru à la Métempfycofe , & s'il y a
(33) Heiodot. IV. j«.
(34) Diog. Liërt. Pijtjn.pag. i. Clem. Alex.
éuoo). lib. I. p. 359.
(3 s) Ci-d. §. I. note 4.
(s*) Brucher Hift. de la Philofophie Tom II,
fag. 174. 177. 1044.
LIVRE III. CHAPITRE XVIII. 177
€U fur cet article une véritable & parfaite conformité entre leur Doctrine
& celle de Pythagorc. On l'affure communément, fur !a foi de Jules-
Céfar, qui dit (37) que, «félon la Doârine des Druides, les âmes
» ne périffent point, mais qu'elles paflent d'un homme à l'autre (38) >».
Cependant, ceux qui ont examiné la chofe avec attention , y ont trouvé
^e la différence. Jean Brantius, par exemple, dans fon Commentaire fur
Jules-Céfar, a remarqué que (39) les Celtes ne croyoient pas qu'une
ame raifonnable pût être dégradée & avilie , jufqu'à pafîer du corps
d'un homme dans celui d'une brute. Le Père (40) l'Efcalopier, & le
Sçavant (41) Brucker foufcrivent à cette remarque, qui eft effeûive-
lîient très-fondée. Mais , fi l'on avoit comparé de plus près le fyftême du
Philofophe avec celui des Druides, on auroit pu fe convaincre, qu'ils
différoient fur des articles bien plus importans. C'eft ce qui va paroître
par l'expofition fidèle de la Doftrine des Peuples Scythes & Celtes,
fur le fort de l'homme après cette vie.
§. VI. Reconnoiffant tous l'immortalité de l'ame , ils croyoient
encore que les hommes entrent , après cette vie , dans un état de
peines ou de récompenfes , félon qui s avoient négligé ou pratiqué
les trois grandes vertus , la piété , la juftice , & , fur-tout , la bra-
voure , auxquelles l'on a vu ou'ils rapportoient tous les devoirs de
l'homme (41). C'étoit la Doûrine des Gaulois. Ils difoient (43) que
» les âmes font immortelles , & qu'il y a une autre vie auprès des
» Mânes.» C'étoit celle des Gétes. Ils croyoient , félon Hérodote (44),
que «l'homme ne meurt point, mais qu'en quittant cette vie , il va
»♦ trouver Zamolxis , que quelques-uns d'entr'eux eftiment être le
» même que Gebeléifis. » Zamolxis eft ici , le Tis , VOdin , le Dieu Su-
prême des Celtes, que l'on appelloit Zamolxis (45) , par des raifons
qu'on expofera ailleurs ; & Gebeléijis (46) , celui qui donne le repos , parce
(37) Ci-d. $. ». note l«. '
(3*j Ci-d. §. 2. noces 19. ?1,
(39) Notis ad Cifar VI. 14. p. 454.
(40J L'Efcalopier eap. 17. p. 725.
(41) Bruckei Hiftoiie de la f hilof. Tom. I-
fag. T9«. I 9I.
(42) Ci-d. ch. xvil. §. 5.
(43) Vaytz. le palTage de Fomponiu» Mêla ci-
delTus §. I. noce 13.
(44) Herodot. IV. 94,
^45 \ En parlant du Z»milxis dc$ C«CeS 8c des
Tfme II,
Fxpofitîon de
la Doctrine
des Celtes. Ht
a.1nie-toii;nc
des peines tt
des récom-
penfes apici
«cite vie.
Thraces , on montrci 3 qu'ils donnoient ce nom,
tant au Dieu Suprême , qu'à un Pontife qui s'e-
coic rendu fort célèbre au milieu > e fa Nation.
(46) Loccenius Antiq. Sueo-Goth. p 7 . dérive
ce nom de deux mots de l'ancieii Tud fque
Gif-v» donnft, L'-'f' repos. Les Allemands di-
foient Cihcn donner , Lajfen la'fîer HetiU: , par-
mi les anciens Germains , ngnifioit le congé
que l'on donnoit aux gens de guerre qui avoient
feivi dans uuc aimcc. Hier atme'e , lo/. congé.
Différente»
CvitLiiTCsdes
Cd'es 1 qui
étoienc fon-
dées Air la
P-'rfiia!îim
d'une vie
nouvelle.
17g HISTOIRE DES CELTE Ç,
qu'on le regardoit comme l'Auteur du repos &C de la félicité , dont les-
âmes jouiffent après la mort. D'autrefois Zamolxis défigne, félon l'ufage
des Peuples Celtes, non le Dieu Suprême, mais le Pontife qui préfi-
doit à fon culte, & , fur-tout, un célèbre Druide qui avoit peifedionné
confidérablement la Théologie, & la Morale des Gétes & des ThracfSi
C'eft de ce Philoi'ophe qu'il faut entendre un autre paffage d'Hérodote ^
qui porte (47) »que Zamolxis enfeignoit à ces convives, que ni lui , ni
»> eux , ni les hommes qui nalifoient tous les jours, ne périroient point,,
M mais qu'ils pafferoient dans ua lieu ( 48 ) , où ils jouiroient d'une
» affluence de toute forte de biens. »
Cette Doftrine , qui étoit commune S totis les Peuples Celtes »
fervoit de fondement à un grand nombre de Coutumes , les unes fu-
perftitieufes , les autres barbares , qu'il n'efl pas poffible de Juftifier ;.
mais qui montreront , au moins , combien la perfuafion d'une autre
vie étoit enracinée dans l'efprit de ces Peuples.
Les Gaulois , par exemple ( 49 ) , prêtoient de l'argent pour leur être
rendu dans l'autre vie. Quand on brùloit un cadavre (50), ils profi-
toieat de l'occafion,, pour écrire aux parens, qu'ils avoient dans l'autre
monde , & pour leur envoyer un. compte exaâ , tant de l'état de
leurs affaires , que des dettes qui étoient rentrées depuis leur mort;
On croyoit fermement que ces comptes & ces lettres, qui étoient jettét
dans le feu , parvenoient jufqu'au Royaume des Ombres , & qu'ils
y étoient lus par les morts. Dans tout cela il n'y avoit que de la fu-
perftition ; mais voici la barbarie. » Les^ obféques des Gaulois , dit Ju-
»>les-Céfar (51), font magnifiques & fomptueufes à leur manière. On
>» jette dans le feu tout ce qui faifoit plaifir au défunt , & même les
H animaux. Il n'y a pas fort long - tems y que l'on brûloit , avec la
» corps du Maître , les Efclaves & les Cliens qu'il avoit affeftion-
nmés.» Les Cliens, dont il s'agit ici, font les Solduriï (52),, qui fai-
(47) Herodot. IV. 95-
(48) Ntqut . . . intertre , fei in eum locumire, . ,.
Ce palTage eft véritablement conforme à celui de
Çcfar : Ah »liit ffi mtrtem trtnjîre ad Mioi. Lei
«mes , après cette vie , ne paiToient pas dans
d'auttes corps, (oit d'hommes, foit de bêtes ,
nais elles alloicnt animer le même corps dans
un monde nouveau. Fv'*> ^^■-ii note n, Hm
J* l'Edùiur.
(49) Yaler. Max. lib. II. cap. «. Jii 10. p. yj,
(50) Voyei. les paflages de Diodeie de Sicil»
fti-d. $. a, n»te lo. & de f oonpoaiu» MeJa i. x.
note. 13.-
(51) CafarVI. 19..
{il) Cxiàl lY. u.
LIVRE IIL CHAPITRE XVIII. 179
fbîent vœu de vivre & de mourir avec leur Patron , ^ qui obfer-
voient leur vœu fi religieufement , que , de mémoire d'homme , il ne
s'en étoit trouvé aucun qui eût refvifé de mourir avec fon Maître.
Jules-Céfar ne fait mention que des Cliens & des Efclaves ; mais un
paffage de Pomponius Mêla infinue que les femmes Gauloifes fe fai-
foient auffi un point d'honneur de ne pas furvivre à leurs maris, « Il fe
M trouvoit autrefois , dit ce Géographe (53), des perfonnes qui fe
» précipitoient volontairement dans le feu , oti l'on brùloit le cadavre
» d'un homme qui leur avoit appartenu , & cela pour vivre toujours
» enfemble. » Il paroît , par tous ces différens paflages , que les Gaulois
étoient fermement perfuadés, que tout ce que l'on brùloit, ou que
l'on enterroit avec un homme, fa femme, fes Cliens, fes chevaux, fes
chiens, fes armes, fes habits, tout cela le fuivoit dans l'autre vie, Sc
lui rendoit les mêmes fervices qu'il en avoit tirés ici bas. Sçavoir , après
cela , comment ils expliquoient la chofe , pour lui donner quelque
ombre de vraifemblance , c'eft ce qu'il n'importe pas de deviner.
Quelque Auteur moderne dit qu'ils croyoient que les images de toutes
ces chofes s'envoloient du bûcher avec l'ame du mort, pour ne la
plus quitter ; mais cette particularité ne fe trouve dans aucun des
Anciens que nous avons eu occafion de confulter. Quoi qu'il en foit ,
tous les autres Peuples Celtes, ayant les mêmes idées que les Gaulois,
par rapport à la vie avenir , avoient auffi des ufages parfeitement con-,
formes à ceux qui viennent d'être repréfentés.
Les Germains (54) brûlolent, avec le corps du guerrier, fes ar-
mes & fon cheval. Quand il mouroit un homme parmi les Herules (55) ,;
qui étoient un Peuple de l'ancienne Germanie, il falloit que fa femme,
fuppofé qu'elle fit profeffion d'être forte, chafte & vertueufe, & qu'elle
voulût acquérir de la gloire , s'étranglât près du tombeau de fon mari.
Si elle ne prenoit pas ce parti , la famille du défunt fe regardoit comme
déshonorée , & la femme elle-même étoit généralement méprifée pen-
dant tout le refte de fa vie. Ce que les Anciens ont dit fur cet article ,'
des Thraces & des Gétes , mérite bien d'être rapporté avec quelque
étendue.
(55) Ci-d. Ç. I. note 13.
(54) Tacit. Germ. cap. 27.
(s {} Fiocof , Gotb. lib. U. cap. 14. p. 4ij>,
iSo HISTOIRE DES CELTES,
I ". Ils pleuroient (56) à la naiflance de leurs enfans. Quand on
préfentoit au père (57) l'enfant que la femme venoit de lui donner, il
le prenoit entre fes bras en répandant des larmes. Les parens (58)
venoient enfuite s'afleoir autour du berceau , & dans cette afTemblée
domeftique , chacun repréfentoit aufll pathétiquement qu'il lui étoit
poflible , les miieres de la vie humaine , & compâtiffoit aux maux que
le nouveau né auroit à fouiFrir dans le cours d'une vie qui n'étoit
qu'un tiffu de calamités.
2*^. Au lieu de cela ^ quand on enterroît, ou qu'on brûloît un corps
mort, la chofe fe faifoit avec mille démonftrations de joye (59). Tous-
ceux qui affiftoient à la cérémonie, ne s'entretenoient que du glorieux
échange , par lequel le défunt avoit quitté une vie fujette à tant de mi-
fères , pour entrer dans l'état d'une parfaite félicité. En un mot , on
jouoit , on chantoit , on fe régaloit pendant les obféques , qui du-
roient ordinairement trois jours, de la même manière qu'on le faifoit
dans les Fêtes folemnelles, & dans les réjouiflances publiques.-
3 ®. Les loix de l'honneur & de la bienféance vouloient (60) qu'une
femme qui perdoit fon mari renonçât à la vie , & qu'elle fe fît enter-
rer avec lui : ainfi , lorfque la Polygamie eut été introduite parmi
les Gétes & les Thraces ( 61 ), on vit naître une noble contention en-
tre les femmes qu'un homme laiffoit après lui. Elles prétendoient
toutes à la gloire de mêler leurs cendres avec celles de leur mari,
& de repofer, avec lui , dans un même tombeau. Non contentes de
folliciter elles-mêmes les Juges établis pour décider le différent, elles
employ oient encore tout le crédit de leurs parens , &c de leurs amis ,
pour fe faire préférer à leurs rivales. Les Juges prononçoient ordi-
nairement en faveur de celle des femmes que le défunt avoit le plus
aimée, &c qui paflbit pour la plus vertueufe ; & pendant que les au-
tres femmes fe défelpéroient d'avoir perdu leur caufe , celle qui avoit
été préférée , revêtue de tous fes atours , fe tendoit en triomphe an
tombeau , où fon^ plus proche parent lui reodgit le fervice de l'égor-
ger , & de l'enterrer auprès de fon mari.
{$%} Herodot. V. 4.
(js) Vojs:i, les trois notes pre'cedentei.
(it) Porap. MeU II. 2. p. +3, Val. Ma», II. f.
(j7) Solin. cap. XV. p. 214.
(«o) Steph. de Urb, p. 271.
(61) Herodot. V. $.. Poinp. Mclâ II. 1-. p. 4».
LIVRE III. CHAPITRE XVïII. i8i
4°, Lès Gétes envoyoient toits les cinq ans à Zamolxis un Meffa-
ger qu'ils ehargeoient de leurs commiflions pour l'autre monde (62).
Clément d'Alexandrie , qui rapporte la chofe d'une manière un peu
différente , ajoute ( 63 ) « qu'il y avoit , en cette occafion , de la
» contention entre les Gétes qui afpiroient tous à une commifïïoa
» fi honorable. On immoloit celui qui étoit reconnu pour le plus
» honnête homme. Ceux qui s'étoient préfentés, & que l'on renvoyoit,
» s'affligeoient d'être exclus d'un miniftère fi glorieux ».
Nous apprenons de Servius (64) que les anciens habitansde l'Italie^
quand ils enterroient un homme diftingué , &, fur- tout, un guer-
rier , le faifoient accompagner dans l'autre monde par des Prifonniers^
que l'on égorgeoit fur fon tombeau.
Enfin tous les Peuples inconnus qui demeuroient au Nord de l'Eu-
rope , & que l'on défignoit fous le nom général de Scythes , avoient
auffi les mêmes ufages (65). Ils enterroient tout vivans ^ ou ils égor-
geoient , près du tombeau , les perfonnes ^ue le mort avoit le plus
affedionnées. On peut voir dans Hérodote (66) , ce que les Scythes ,
établis le long du Borylîene , pratiquoient dans les obfé-ques de leurs
Souverains» Après^ avoir promené le corps du Roi mort par tous fes
Etats , on le porfoif enfin dans le lieu ,. où la Maifon Royale avoit
fon tombeau. Là on enterroit avec le Roi , quelqu'une de fes Concu-
bines , fon- Echanfon , fon Cuifinier, le Maître de fes dépêches , des phio-
les d'or, avec une partie de fes chevaux, & de fes autres biens. L'an-
née fuivante , on étrangloit encore dans- le même endroit , cinquante
Domeftiques du Roi , & cinquante de fes plus beaux chevaux. Ces Bar-
bares ufages ont fubfillé long-tems parmi les Peuples Scythes. Ainfi,-
du tems de l'Empereur Juflinien ( 67 ) , im Prince Turc , nommé
Turkathi, qui venoit de perdre fon père Dilzibul, fe fit amener quatre
Prifonniers Huns , & les dépêcha avec les chevaux de fon père , pour'
lui porter de fes nouvelles.
L'uniformité de ces Coutumes , qui s'étendoient aufli loin que les
(«i) Herodot. IV. 94. ci-defT. ch. VI. J. J4. jronym.adv.Jovin.lib.II.Tom.il p. jj.Valef.-
note ix$. & §. 16. note 195
^3) Clem. Aies. Strora. IV. 598'.
(«4.} Setvius ad i£neid. III. v. 6y. pag. 172.
te X. y. 5^19. p. «21.
(^j) E«feb. Si*S' Ev^ng. lib. Ii p> 11, Hie-
ex Nicol. Damafc. & Stoba:o p. 516.
{66) Herodot. IV. 71. Dio. Chryfoft. XIII.
pag 219.
(67] Mcnandcr in Excerpjt. Lcgat, p.. i<4>
i«t HISTOIRE DES CELTES,
bornes de l'Europe , & même au-delà , prouve que les Peuples Scythes
& Celtes avoient tous l'idée d'une autre vie , à laquelle les hommes
paffoient par la mort. Ce n'eft pas , cependant , ce premier article qui
diftinguoit leur Doûrine. Nous avons vCi (68) que les Pythagori-
ciens reconnoiffoient tous un avenir heureux pour les gens de bien , &
un malheureux pour les méchans. Il faut donc paffer aux autres points
de leur créance par rapport au fujet que nous examinons,
îiscroyoient $• VII. Lcs Celtes croyoient , en fécond lieu, un retour de l'homme
«wendrorcm à la vie. Il y E dans Suidas un paflage qui prouve que c'étoit le fen-
^1» vie. timent des Thraces ( 69 ). « Les Terifes , & les Crobifes difent que les
»> morts vont trouver Zamolxis , mais qu'ils reviendront au monde : ils
» répètent la même chofe toutes les fois qu'il meurt quelqu'un , & ils
w croyent dire toujours la vérité. De-là vient que , dans les obfé-
w ques, ils égorgent des viûimes, & font bonne chère, dans l'efpérance
» que le mort reviendra. » La même opinion étoit généralement reçue
parmi les Germains. « Ils méprifent la mort , difoit Appien (70) , parce
w qu'ils efpérent de revivre.» Les Gaulois croyoient aufli, (71) que
«les âmes retournent à la vie, & rentrent dans un autre corps, après
M un certain nombre d'années. » Ce fécond Dogme encore étoit com-
mun aux Celtes ( 72 ) , non-feulement avec la Sefte de Pythagore ,
mais encore avec les (73 ) Platoniciens, qui enfeignoient que les âmes,
après avoir pafTé par les peines , ou par les récompenfes de l'autre vie ,
reviendroient au monde, & rentreroient dans d'autres corps. Platon
dit lui-même ( 74 ) , ou fait dire à l'un de fes Interlocuteurs , qu'au bout
de neuf ans , les âmes rentrent dans un autre corps.
• I I — 1 .
(sï) Ci-d. §. 3. note i». j Pères , que la fe'paration d'une longue vie,
{s») Suidas in Zamolxi. | parce que les hommes ne pcrdoient la vie que
(70] Appian. Celt. p. 1 192. j pour un inftant. Ce fyftême eft admirablement
(71) yoyrz. le paflage (k Diodore de Sicile ,
cUd. $• z- note zo.
(71) Ce Dogme n'appattenoit point aux Cel-
te». Ils difoient bien que les morts recevoient
une vie nouvelle, & c'ett à caufe de cela,
4it Lucain , qu'ils blàmoient ceux qui ctai-
{noient la mort : & igntvum REpiTUR.t ftrcert
mil*. Mais les morts ne dévoient pas revivre dans
ce monde. C'étoit dans un monde nouve.iu que
les hommes dévoient continuer de vivre, de
forte ^ue la moïc n'ctoit , félon nos anciens ^
développé dans ces paroles de Lucain:
Hegit idem fpiritus artus
Orte tUio : Itn^t , canitis { fi cognita ) , vits
Mort wuiU efl , &C. Huit de t'Eiltturi
(tî) Virgil. £neid. VI, y. 73s.&feq. De»
tnetc. Triclin. Sckol. ad Findai. Olywf, II,
pag. 146.
174) Flato Meon. pag. 41 {. Stobvus Sttm-
CXU.p.«««.
LIVRE III, CHAPITRE XVIIÏ. 1S3
§. VIII. Mais voici l'article capital & diflinûif de la Religion des Mais ils dti-
Celîes. lîs croy oient que les atties ne retourneront à la vie qu'une feule ne wun''
fols, Lucain l'afTure formellement (75), & fon témoignage eft d'autant ^"^IJiX";
pins grand , qu'étant né au milieu des Celtes , il n'a rien avancé fur
leur fuj^ct , qui ne prouve- qu'il en étoit parfaitement inftruit. Voici ce
qu'il dit, au Livre premier de fon Poëme , en s'adreflant aux Druides
(76) : « S'il faut vous en croire , les âmes ne defcendent pas dans le fé-
«jour des ténèbres & du filence , ni dans l'empire fouterrain de Plutoru
»Vous dites, (je ne fai fi vous en avez quelqtié certitude), que U
»meme efprit anime le corps DANS t7N AUTRE MONDE (77), & que I*
» mort eft le milieu d'une longue vie.»
On voit deux chofes dans ces paroles. La première , que , félon la
Doârine des Gaulois , l'ame animoit un nouveau corps , ou plutôt le
même corps dans un autre monde,- dont je parlerai tout-à-l'heure. La
féconde , qu'ils regardoient la mort comme le milieu, qui féparoit la vie ''"'^*""''
courte & mlférable , que les hommes mènent ici bas , de la vie longue
& heureufe qui les attendoit dans un autre monde. C'eft ce qu'ex*
prime le paSage de Pomponius JMéla , déjà cité (78) : « Les Druides di-
♦» foient que les âmes font éternelles, & qu'il y a une autre vie auprès
» des Mânes. » Les Perfes , comme les Gaulois , n'admettoient qu'un
feul retour de l'homme à la vie ; & ils ne pouvoient même en croire plu-
fieurs, parce qu'ils étoient dans l'idée que les hommes qui revien-
dront au raonde, ne feront plus fujets à la mort. Les Mages enfei-
gnoient, comme Théopompus l'avoit remarqué (79) , que « les hommes
» retourneront à la vie pour être immortels, & qu'alors toutes chofes
«demeureront toujours- dans le même état.» Le Philofophe Démocrite
( 80 ) , qui avoit fait un voyage en Perfe , .pour y entendre les Mages,
dans le fyf-
tême des Cel-
tes , les hom-
mes rcvivoi-
ent pour être
(7 5) Lucain ne dit pas cela. Vojix, ci-deflUs ,
ftOte 7I' Hait de l'ZdiitHr,
(7«) Vobis auAoïibus , umbraS
Kon tacitas Erebi fedes, Ditifque profundl
TaDida régna petunt; rc^it idem fpiriius ariut
Orbe Aiio : longt , canitis(fî cognita), *i/<
Mots médit efi. Cclte populi, quosdefpicit aiûos
lelices errore fuo , quos ille Timoruin
Maximus haud utget lethi raetus. Inde ruendi
In ferium mens ptona viris, animsque capaees
Mottis, ^i]j)««VI(WREDiruR* pareire vit*.
(77) Coffiment M. Pelloutier a-t-il pu, en*
traduifant de la forte , conclure du texte de Lu-
cain que ce Poète a/fure formellement que,,
félon les Celtes, les âmes revivroient dans ce
monde, & y animeroient un nouveau corps?'
Mais il pâtoît , par ce qui fuit , que notre Aa^
teut abandonne l'opinion qu'il avoit voulu ét«*
blir dans les paragraphes pte'ce'denj. Neiidc /'£«-
iitiur,
(78) Ci-d^ 5. I. iJOte 13.
(7») Diog. Laërt. Prasm. p. 5. 7.
\ui) Biog. Latitt in Dcmouito Uitiâ^
i84 HISTOIREDESCELTES,
en avoit auffi rapporté (8i) la même Doârine.
tesCeUcs La Métempfy cofc des Peuples Celtes n'étoit donc autre chofe , que la
féiuireaion. réfurrcdion des morts. Le mot de revivre , aV->j2(«ra/ , dont les Anciens
fe fervent, pour exprimer l'opinioade ces Peuples, l'infinue affez claire-
ment. Mais il y a une autre preuve , qui eft encore plus forte ; les Celtes ,
en parlant des plaifirs de l'autre vie , y affocient toujours le corps.
Il paroît par tout ce qui a été dit, qu'il y avoit effeûivement de la
conformité entre les fentimens de Pythagore 6c ceux des Celtes, furie
fort' de l'homme après cette vie. Mais iî s'en faut de beaucoup que la con-
formité fut parfaite; on croyoit de part &c d'autre , premièrement, un
lieu de peines ôc de récompenfes , où les hommes entrent par la mort ,
& en fécond lieu , un retour de l'homme à la vie. Mais les Celtes difoient
que les hommes ne reviennent à la vie qu'une feule fois , au lieu que
Pythagore, ou, au moins, fes Difciples , fuppofé qu'on ait bien com-
pris fes fentimens , établiffoient une circulation perpétuelle des âmes ,
qui paflbient fuçceffivement d'un corps à l'autre. Le Philolophe pré-
tendoit que les peines & les récompenfes de l'autre vie , ne regar-
doient que l*ame, & qu'elles ne duroient qu'un certain temps ; au lieu,
que , félon l'opinion des Celtes , elles dévoient être éternelles , & s'éten-
dre également à l'ame & au corps.
Ceft VeCpé- Au refte , cette efpérance d'une réfurreâlon difpofoit les Celtes à
rance de la , ,_ r i •
léfurrcaion mcpriler le danger , & à braver la mort. Quelles grandes coniolations
iioîitrtvet. les Pythagoriciens trouvoient-ils dans le Dogme de la Métempfycofe?
On dit qu'ils perdoient la vie fans aucun regret, parce qu'ils la quittoient
aVec la perfuafion d'y revenir. Mais, fuivant leur Doûrine , ils pouvoient
y revenir pour y être plus mal , & pour fe voir réduits à la condi-
tion des brutes : il n'eft donc pas facile de comprendre que l'efpérance
d'un femblable retour dût avoir une grande efficace , pour les détacher
du monde & de la vie. On fent encore moins la force du raifonne-»
jnent , par lequel ils vouloient perfuader à l'homme qu'il ne devoit
point craindre la mort, parce qu'il étoit appelle à la foufFrir plufieur$
fois. Quoi qu'il en foit , û la Doûrine de la tranfmigration cjes âmes avoit
quelque vertu , pour afFoiblir dans l'homme la crainte de la mort , on
conviendra, au moins, que les Celtes, qui attendoient une vie immor*;
iti)tlia,vil. sfr
telle,.
LIVRE III. CHAPITRE XVIïL iS^
telle , Se qui étoient perfuadés encore , qu'on ne pouvoit y arriver
<jue par une mort violente, dévoient trouver dans cette perruafion des
lujets Se des encouragemens tout particuliers pour méprifer cette vie
temporelle , Se pour fe précipiter dans les plus grands dangers. C'ell
encore fur l'efpérance de la réfurreftion , qu'étoit fondée la Coutume
qu'avoient les Scythes "Si les Celtes (82) , d'enterrer, avec un homme
mort , non feulement les perfonnes qu'il avoit aimées , mais encore
de l'or, de l'argent, avec tout ce qu'il avoit poffédé de plus précieux.
On croyoit , fans doute , que les perfonnes que l'on enterroit enfemble ,
refTufciteroient en même tems, Se que les richeffes , que l'on dépofoit
dans les tombeaux , pourroient leur être utiles après la réfurreôion.
§. IX. Voyons préfentement 011 les Celtes plaçoient le lieu des peines lss lieu de»
Se des récompenfes. Lucain dit (83) que /es âmes animent le corps dans un r compciucs'
■autre monde, c'eft- à-dire , dans un Pays féparé de notre continent. C'eft f^ 'j^s^b-JJi
ce que les anciens Habitans de l'Europe appelloient Tlfle , ou les Ifles ',1="/™-' - q^''
T j 1 i ' eiav. u Gran-
des Bienheureux. On trouve dans Démoilhene ( 84 ) , que l'opinion d^-Bieugne.
reçue de fon tems , parmi les Grecs , étoit que les gens de bien defcendent
en mourant aux Enfers , Se vont trouver les Dieux Mânes. Mais que ,
félon l'ancienne Doûrine , elles étoient tranfportées dans l'Ifle des Bien-
heureux. C'eft dans ces Ifles que Lucien ( 85 ) place , entr'autres héros ,
les deux Cyrus , Zamolxis Se Anacharfis. Tzetzés , dans fon Com-
mentaire fur Lycophron , dit {^d^ «qu'Héfiode, Homère, Euripide,
wPlutarque, Dion, Procope , Philoftrate , Se plufieurs autres, s'accor-
»dent à placer ces Ifles dans la Mer Océane , & que c'eft-là effeftive-
»menT que l'on trouve l'Ifle de la Grande-Bretagne, à l'Orient de la
»> Province de Bretagne, Se à l'Occident de l'Ifle de Thulé. »
Cependant , le témoignage de tous ces Auteurs ne feroit pas d'un l'ilc a.-!
grand poids , s'il ne paroiffoit par des palTages formels de Plutarque Se é'oi'trfcio'ii
de Procope , que les Celtes même plaçoient le Paradis dans la Grande- Grfnlc-Brei*
Bretagne , ou au moins , dans quelqu'une des Ifles voifines. Voici le "S"'*
paflTage de Plutarque (87) : « Démétrius dit qu'entre les Ifles voiflnes
(Sz) Ci-d. f. 5. note 6«. Strabo XI piig. 503.
Keyflcr.p. 172. On trouveordinaircment de l'ar-
gent dans les urnes que l'on déterre . même dans
le Nord de l'Allemagne , ou les Romains n'ont
pûuit pénétre. Hagcnbeig. Geim. Me4. DiiT. XI.
jag. 30.
(«3) Ci-d. $. VIII. note 75.
(«4) Demofthen. Orat. Funeb. p. 157.
(8s) Lucian. V. Hift. lib. II. p. 3Si«.
(S S) Tzetz. ad Lycoplir. pag. 123. 1*4. Eut
tath. id Dion. Perieg. t. S4i- p- »!•
(87) rlutatch. de Oracul. Defeft. Tom. Il,
Tomt lU Â a
ig(S HISTOIRE DES CELTES,
»de la Grande-Bretagne, il y en a quelques unes dçfertes , que l'on
» appelle les Ifles des Génies &C des Héros. Il (uivit un jour , par
» curiofiîç, un Roi qui s'embarquoit pour la plus voifine de ces Ifles dé-
wfertes; ils n'y trouvèrent qu'un petit nombre d'Habitans , qui vi'-
» voient dans une pleine fureté » parce que les Bretons les tenoient
«pour facrés. Auffi-tôt qu'ils eurent débarqué ^ns l'île, il s'éleva une
» violente tenîpête , accompagnée de différcns prodiges, de coups de
»vent, &z de tourbillons de feu. Après que la tempête fut appaifée,
» les Habitans de l'Ifle leur dirent qu'il venoit de mourir quelque
» grand perfonnage. Car, difoient ils, comme une chandelle allumée
» n'incommode perfonne aufli long-tems qu'elle éclaire, au lieii qu'ellç
» répand une odeur défagréable , quand elle vient à s'éteindre, de
wmême aufîi les grandes âmes brillent d'une clarté agréable & bien-»
»faifante. Mais quand elles viennent à s'éteindre & à périr, elles exci-
»tènt fouvent , comme cela vient d'arriver, des vents & de la grêle;
» d'autres fois elles infeâent l'air de vapeurs peftilentielles. On leur ra-
» conta encore qu'il y avoit dans ces contrées une île , où le Géant
»Briareus gardoit Saturne, qu'il tenoit enchaîné & endormi. Ce fom-
w meil étoit un nouveau charme , que l'on avoit inventé pour le lier,
i> & il avoit au tour de lui plufieurs Génies pour le fervir. » Le paf-
fage de Procope eft encore plus précis (88): « On prétend que les
>»ames des morts font portées dans la Grande-Bretagne, Je vais rap-
»> porter la chofe de la manière que les gens du Pays me l'ont racontée
» fort fouvent, & fort férieufement , quoique j'aie beaucoup de penchant
M à croire que la chofe ne fe paffe qu'en rçve. Le long de la côte op-
wpofée à cette île, il y a plufieurs Villages occupés par des Pêcheurs,
♦> par des Laboureurs , par des Marchands , qui vont trafiquer dans
»la Grande-Bretagne. Sujets aux Francs , ils ne leur payent aucun
» tribut, & an ne leur en a jamais impofé. Ils prétendent en avoir été
» déchargés , parce qu'ils font obligés de conduirç tour -à- tour les
«âmes. Ceux qui doivent faire l'office de la nuit fuivante fe retirent
«dans leur maifon, d'abord qu'il faitobfcur, & fe couchent tranquille-
» ment , en attendant les ordres de celui qui a la direûion du trajet.
p. 419. & ex illoEufeb, Prïpir.-Ev»ng. lib. V. 1 i'««, Procop. Goth, lib. IV. cap. lo. p. $2^,
f,ip, 17. p. 207. I k ex illo Ticti. ad Lycoph. p. 12). «14>
LIVRE III. CHAPITRE XVIII. 1S7
»>X'ers le mimiit, ils entendent quelqu'un qui frappe à leur porte, &
»qui les appelle tout bas ; fur le champ, ils fe jettent à bas de leur lit ,
» & courent à la Côte , fans favolr qu'elle eft la caufe fecrette qui les
»y entraîne. Là, ils trouvent des barques vuides , & cependant û
» charoées , qu'elles s'élèvent à peine au deffus de l'eau d'un travers de
wdoiot. En moins d'une heure , ils conduifent ces barques dans la
«Grande-Bretagne, au lieu que le trajet eft ordinairement de vingt-
» quatre heures pour un vaifleau qui avance à force de rames. Arrivés
» à File, ils fe retirent auffi-tôt que les âmes font defcendues du vaif-
» feau , qui devient alors fi léger , qu'il effleure à peine l'eau. Ils ne
wvoyent perfonne , ni pendant le trajet, ni dans le débarquement.
«Mais ils entendent, à ce qu'ils difent, une voix qui articule à ceux
» qui reçoivent les âmes , le nom des perfonnes qui étoient fur le vaif-
»feau, avec le nom de leur père, &C des charges dont ces perfonnes
» étoient revêtues. S'il y avoit des femmes dans la barque , la voix
» déclaroit le nom des Maris qu'elles avoient eu, »
Les Celtes, ou au moins les Gaulois, piaçoient donc le Paradis dans
la Grande-Bretagne , ou dans quelqu'une des îles voifines. Il ne faut
pas être furpris, après cela (89), que les Druides publiaffent que leur
Doârine avoit été apportée de ce Pays-là ; c'étoit lui alTurer une ori-
gine célefte & divine. Nous avons lu quelque part que la célèbre ca-
verne que les Irlandois appellent le trou , ou le purgatoire de Saint-Pa-
trice , paffoit autrefois pour être l'entrée de l'Enfer , & c'étoit peut-être
là l'endroit où l'on prétendoii que Saturne étoit gardé par le Géant
Briareus.
§. X. Les Anciens qu'on a confultés , n'entrent point dans un plus p.-rionne
grand détail , & ne déterminent pas ce que les Celtes penfoicnt fur la na- "é' p";âàfs7'
ture même des peines & des récompenfes , qui attendoient l'homme ''"^„'-"' '^'"
dans un autre vie. L'Edda des Iflandois fuppléera à ce défaut. Cet Ou- <!'';": "'"«
vrage qui a été compofé dans le treizième fiécle , eft un recueil de
l'ancienne Mythologie des Peuples du Nord. Quoiqu'il foit rempli d'une
infinité de fables puériles , on ne laiffe pas d'y trouver divers mor-
ceaux , auffi anciens que curieux , fur la Religion de ces Peuples. Le
Leûeur ne fera pas fâché qu'on en rapporte ici quelques-uns, qui ont
(»*; Cïfai VI. S}.
Aa 1
JÎS HISTOIRE DES CELTES»
paru d'autant plus intéreffans , qu'ils s'accordent parfaiicment avec ïm
Doctrine des Celtes, qui a fait le fujet de ce Chapitre.
Le lieu où les morts jouiffoientde la Ibuveraine félicité étoit le ya/-
kiilià. (*) , le palais du grand Odïn ; on ne pouvoit y enirer que par une
mort violente. L'Edda y eft formelle (90) : « Tous les hommes qui ont
.*> été tués à la guerre , depuis le commencement du mande, vont trouver
»Odin dans le Valhalla. vt Cette idée fubfifte encore aujourd'hui par-
mi les Oiliaques, qui font un Peuple Scythe, établi le long de TObj.
Stralenberg , ayant demandé à un homme de cette Nation (91), ce quê-
teur amc devenait- après la morù L'Ofîiaque répondit que «ceux d'en-
tr'eux, qui mouroient d'une mort violente, ou à la guerre des Ours,
>» entroient d'abord dans le Ciel. Mais que ceux qui mouroient dans
» leur lit , ou d'une autre forte de mort naturelle , étoient obligés de
wfervir long-tems fous la terre, auprès du Dieu rigoureux , avant qu'ils.
» puffent être reçus dans le Ciel. >♦
Ceux (]ui L'Enfer que les Irlandois appelloient Nifîheim, le féjour des Vau-
d>;vijiciie&r riens , ou de la canaille, étoit partagé en neuf mondes. Le Génie qui
ae t):i\ iiii-. ... . ,
étoiciit puci. en avoit la direction , étoit chargé de partager dans ces neuf mondes ,
i'£;4r.^'" toutes les perfonnes mortes de maladie, ou de VitillelTe (91). »Héia,
»ou Hécate, fut envoyée en Nifjlheim , & reçut l'Empire de neuf
» mondes , pour y affigner des demeures à tous ceux qui hu font en-
» voyés. Là font ceux qui meurent de maladie ou de vieillefTe. >♦- Ces.
idées étoient communes à tous les Peuples Scythes & Celtes (93). «Les.
» Ambres & les Celtiberes fautoient & danfoient en allant à la bataille,,
«comme devant fortir de la vie d'une manière également glorieule &
wfalutaire. Mais ils fe lamentoient, quand ils étoient malades, comme
» s'ils avoient dû périr de la manière du monde la plus ignominieule &
>tla plus miférable. » La raifon eft fenfible. Ceux qui perdoient la vie
dans un combat, mouroient tvec la ferme efpérance de paffer à un état
de gloire & de bonheur. Ceux , au contraire , qu'une maladie dan-
gereufe menaçoit d'une mort prochaine , étoient environnés des
frayeurs de l'Enfer , qu'ils regardoient comme inévitable pour eux.
Les Irlandoifes , quand elles étoient accouchées d'un fils (94) , prioient
(*} Keyfler.p. 117. [ (92; Edda IQand. Mytiiol. 2».
(90; Ci-deffbus, §. 11. note 102. ! (93) Valer Alax. II. cap. £. n. it.
(9i)Stulenbetg. p. 7S.note i. | (a4) Ci-d. LiY. II. ch. 12. p. 301. note %z-
LEVRE irr. CHAPITRE XVIU. 189-
Dieu qu'il fît la grâce à cet enfont de mourir à la guerre , c'eft-à-dire,,
qu'elles faifoient des vœux pour fon falut. Les Thraees s'accordoiert
tous (95) à quitter la vie par une mort volontaire. LesEfpagnols (96)
prévenoient la vieilleffe & la mort naturelle , en fe précipitant d'un ro-
cher, ou en fe jettant fur leur épée. La plupart des (97 ) Germains s'é-
tranoloient eux-mêmes. Ils croyoient tous qu'une mort violente étoit la
feule porte par laquelle l'homme pût entrer dans le féjour de la gloire,
& de la félicité. Par la même raifon , ces Peuples ('98 ) croyoient rendre
fervice aux malades &C aux vieillards , en leur ôtant la vie d'une ma-
nière qui les délivrât des fupplices de l'Enfer, 6c qui leur affurât une
place honorable dans le Valhalla.
§. XL L'idée que les Celtes fe faifoient des plaifirs & des délices Tdîec,u<fi;!
de l'autre vie, s'accordoit parfaitement avec l'inclination de ces Peu- fu'!" <iej*''
pies. Ils ne connoiflbient point d'autre plaifir que celui de manger , ?•'''" ^'
de boire, de dormir, & de fe. battre i aufli en faifoient- ils l'unique
occupation des bienheureux. Tout le tems que les habitans du Paradis
ne paflbient pas au lit , ou à table , ils l'employoient à s'excrimer Se à
fe battre. Il faut écouter encore l'Edda des Iflandois (99). « Le Val-
»halla a cinq cens quarante portes, fi larges que huit cens Héros peu-
vt vent facilement entrer & fortir de front par chacune d'elles. Voici
» quelle eft la récréation journalière des Héros , quand ils ne paffent
» pas leur tems à boire. D'abord qu'ils font habillés , il> prennent tous
y> leurs armes , & fe rendent à la place , où ils ont coutume de s'exercer..
» Là ils fe terraffent les uns les autres à grands coups d'épée ; ce qui idonlesctlt
» eft un jeu, & un divertifTement pour eux. Quand l'heure du dînfr c' bitto'^en 1 1*
» approche , ils remontent à cheval , & fe rendent tous fains & faufs à la \^ " '' ''*'V
11^' _ di< , mais lis
» Cour, Se s'y mettent à table pour boire. Odin eft donc un grand > l"':fa'!"•^"^
_^. •/-»•! 1 \ 1 • 1 MI /- • point de mal..
w Dieu , puilqu u commande a ime multitude d hommes fi mnombra-
» ble. » La même Mythologie dit que les Héros étoient fervis à table
par des vierges qui leur préfentoient à boire dans des cornes. (ioo\ .. IL
» y a encore dans le VathaLla d'autres vierges qui Urvent les Héros.
V, Elles portent la boiflbn dans la falle à manger. Elles ont foin diei'
(9 s Solin. cap. i s. p ïi+.
(Sf6) Ci-d Liv. n. ch. 12. p. 333. note S8.
(97) Eufeb. Frsp. Ev. e» Bardefane VI. lo.
pag 177. . -
(98" Ci d. Liv. II. ch. 12 p- 333.
(ysi) fcJJa lllarid. Mytic. 35.
(loo) Eddalfland. Mythol, îi.
éc la bjcu-.
190 «HISTOIRE DES CELTES,
»>la vaiflelle , & de tout ce qui regarde le fervice de la table. Elleg
» tirent auffi les cornes du buffet pour les préfenter aux Héros. »
o:'yhûvoit Labôiffon des Héros n'étoit pas l'ambroifie , mais de la bière. Ort
le voit dans l'Hymne de Régnier Lodbrock , Roi de Dannemarck,
qui a été citée ailleurs. Menant fes Troupes au combat , il leur dit ,
pour allumer leur courage (ici ) : IJientôt nous boirons de la bière
» qui nous fera préfentée dans des crânes, au palais du grand Odin:»
Bibemus cerevifiim brevi
Ex concavis craniorum poculij
In prïflautis Otiini domicilio.
6:1 y mail- A l'égard des mets que l'on fervoit fur la table des Héros, le plus
dl"n TiDgiier délicieux étoit le lard de fanglier (101). «Puifque tous les hommes
frx touj
«itur.
rm "iouimi'i ♦» «ï»i ont été tués à la guerre , depuis le commencement du monde ,
» Tont trouver Odln dans le Valhalla , le nombre ne peut en être que
» très -grand, & peu de gens fça vent d'(>ii les Héros tirent leur nour-
» riture. Mais il n'y a jamais danS le, Valhalla une fi grande multitude
» d'hommes, que le feul lard de fanglier, que l'on appdle fcrim/ier,
» ne leur fuffife abondamment. Tous les jours on le cuit, mais le foir
» on le retrouve tout entier. « Il paroît, par ce dé.'ail, que les Celtes
affocioiefit le corps à la félicité avenir. On y mangeoit, on y buvoit,
on s'y bartoit; mais c'étoit un corps impénétrable qui demeuroit tou-
jours dans une immortelle vigueur.
§. XII. Voilà ce que les Peuples Celtes penfoient des plaiCrs d'une
autre vie, &c des moyens d'y parvenir. Leur Doûrine, fur cet article ,
étoit barbare autant que leur naturel; mais elle influoit fur toute leur
conduite. Elle leur apprenoit à méprifer le danger (103 ) , & à mourir
avec une véritable joye. Au lieu d'attendre la mort, ils la prévenoient.
Les Chrétiens , qui ont d'autres preuves , &c une autre certitude d'une
vie avenir , en font-ils plus inacceflibles aux frayeurs de la mort ?
Attendant un état qui fera le fiége , &c la récompenfe éternelle de la
vertu , aiment-ils la vertu , s'y attachent-ils autant que les Celtes s'ap-
pliquoient à acquérir cette bravoure qu'ils regardoient comme le feul
chemin de l'immortalité ? AfTurément ce parallèle , û on vouloit le
(10 i) Bartholin. de caufis contempti à Da-
nis mortis lib. II. cap. II. p. 5 57. ap. Mafc9«
Tom, II. j. 174.
(loî' £dda Mythol. 33.
(tojj Ci-d. Liv. II. ch. i«. p. 448. & fui».
LIVRE lîl. C H A P I T R E. XVIII. 191
pouffer ('.04), au lieu d'ctre avantageux au Chrétien, tourneroit tout
à ia confufion.
§. X'îl. On a indique , on a mSme établi les principaux Dogmes
de la Théologie de Celtes : c'efl ce qu'il y avoit de plus important
& de plus difficile dans le fujet qu'on s'étoit propofé de traiter. Il
fera facile, après cela, d'éclaircir tout ce qui regardoit l'extérieur de
la Religion de nos Pères, leurs cérémonies, leurs fuperflitions , parce
que tout cela étoit fondé fur les principes qui viennent d'être expo-
fés;'mais il eiï tems de finir ce Livre, qui s'efl groffi infenfiblement
fous la main , & de donner auffi quelque relâche au Letteur. Si nos
recherches font agréables au Public, ce fera un encouragement, pour
nous obliger à continuer un travail , qui affurément n'eft pas petit , mais
qui ne rebutera point , û les autres éprouvent , en lifant nos recherches ,
le même plaifir que nous goûtons à les faire.
(to+( » On pourroit poulTcr ee parallèle plus loin , Si , peut-étiç , trop , » dit M. Des Vignîiej
dans fes obfMvations fui le Mauufcrit de l'jVutewr.
Fin du Troijiïmt Livre,
H
I R E
DES CELTES.
miÎBIT:
:»3atlL_rT?'3 »««a>ea; s.ta^^tsmrxitdz.am. i
L I V R E Q U A T R I E M E.
3De l'extérieur de la Religion des Celtes ; des Sacrifices y
des Cérémonies & des Superjlitions qui étoienr par-
ticulières a ces Peuples ; Hijloire abrégée des Phi-
lofophes Scythes & Celtes.
CHAPITRE PREMIER.
'§. I. l_/N a expofé dans le Livre précédent , les principaux Dogmes
de la Religion des Celtes. Il faut paiîer dans celui-ci , à l'extérieur de
cette même Religion , repréfenter les facrifices , les cérémonies , les
fuperflitions , qui étoient particulières aux Peuples Celtes , & faire
fentir , en même tems , l'étroite liaifon & la parfaite correfpondance
tju'il y avoit entre leur Doûrine & le Culte qu'ils rendoient à la Divi-
saité. U ne fera pas difEcile de fatisfaire la curiofité du Leâeur, par
rapport
LIVRE IV. CHAPITRE I. 195
rapport à tout ce qui regarde l'extérieur de la Religion y qu'on a entre-
pr-<; rie faire connoître. Les Anciens entrent, à cet égard, dans un grand
détail, & donnent beaucoup plus de lumières que fur le fujet dii Dogme.
On en voit bien la raifon.
D'un côté , les Etrangers qui voyagèrent dans la Celtique , furent frappés
des barbares facrifices qu'on y ofFroit aux Dieux, & de la différence
fenfible qu'il y avoit entre les cérémonies des Celtes , & celles des
autres Peuples. Mais, félon les apparences , ils en demeuroient-Ià, fasis
fe foucier de pénétrer dans l'intérieur de la Religion des Celtes , ni
de connoître les idées & les fentimens dont ce Culte extérieur étoit
le témoignage & la profeffion. De femblables recherches ne font guères
que pour les Savans. Encore leur arrive-t-il bien fouvent de s'y mé-,
prendre. Plutarque , l'un des plus grands hommes de l'antiquité , a cru
que ( I ) les Juifs adoroient le Dieu Bacchus , parce qu'on célébroit ,
dans la Paleftine , une fête qui reflembloit aux Bacchanales des Grecs ;
c'étoit celle des Tabernacles.
D'un autre côté , les Druides, qui vouloient que leur Doûrine fût fe-
nue fecrettç, & qu'on évitât, furtout,de la communiquer à des Etran- -
gers , ne pouvoient pas empêcher qu'on ne vît leurs fanâuaires , leurs
facrifices , & la plupart de leurs cérémonies. Au lieu donc , qu'il a fallu
recourir fouvent à des conjeûures, pour découvrir divers Dogmes de
la Religion des Celtes, on ne trouvera ici que des faits, qui font due-
ment atteflés , & qui contribueront beaucoup à éclaircir & à confirmer
la Doûrine qui a été expofée dans le Livre précédent.
§. II. Selon le (2) plan qu'on s'eft propofé , il faut parler premièrement pjan de»
des lieux où les Celtes tenoient leurs Affemblées Religieufes, des tems où '■""''
ils avoient coutume de s'afTembler , des Miniftres qui préfidoient au culte
de la Divinité , & des différentes parties de ce culte , qui confifloit
dans des prières , des facrifices , des danfes , des feftins , & dans d'autres
cérémonies. 2°. Delà on paffera aux fuperftitions des Peuples Celtes,
dont les plus remarquables étoient la Magie & les Divinations. 3^''.
Viendra enfuite l'Hiftoire abrégée des plus célèbres Philofophes Scy-
thes, & Cehes, tels qu'ont été Orphée , Zamolxis, Anacharfis, Dice-
(i) Ci-d. Livre III. ch. Vl. §. ii, not. Si.
(z) Ci-d. Livre m. ch. I. J. I.
T»me II, B l^
Î94 HISTOIRE DES CELTES,
neus; 4^. enfin, l'on finira ce Livre par quelques remarques llir la ma-
nière dont les Peuples Celtes, ont reçu le Chriflianifme.
les Ccltts
n'avoient
point de
Temples.
CHAPITRE ir.
§. I. 1 L a été remarqué ailleurs (i) , que dans les tems les plus reculés ^.
Je* Peuples Celtes étoient tous Nomades , c'éft-à-dire , qu'ils couroient:
continuellenient d'un Pays à l'autre, fans avoir de demeure fixe. Il n'ew-
pas néceffaire d'avertir , qu'auffi long-tems que les Gaulois , les Ger-
jnanis , & les Scythes en général , conferverent la coutume de pafler
leur vie fi.ir des chariots ( i ) , ils n« pcnferent point à bâtir des Temples.
La chofe parle d'elle-même. Mais il eft conilant encore, que ces Peuples,
long-tems après qu'ils fe furent établis & fixés dans un Pays , ne crurent
pas qu'il fut permis de bâtir des Temples, de dreiTer des Autels, & de
tenir leurs Affemblées Religieufes dans des lieux fecrets, à la manière
des autres Nations. Par exemple , «félon les Germ.ains (3), c'étoit dé--
»grader la majefté des Dieux céleftes, que de les emprifonner dans dei.
» Temples, & de les repréfenter fous une figure humaine. »
Les Perfes auffi ne vouloient pas (4) que l'on bâtît aux Dieux des
Temples, qui ne pouvoient les contenir. On a vu dans le Livre précé-
dent (5), quelle étoit la raifon & le fondement de ce ferupule. Tous les
Dieux que les Celtes adoroient, étoient, félon eux, unis d'une 'ma-
nière intime à quelque élément , ou à quelque partie du monde vifible.
C'eft-là que les Dieux réfidolent , qu'ils déployoient leur puiffance ,
qu'ils donnoient des réponfes. Attachés naturellement aux différentes
parties de l'Univers, inféparables des Elémens , ils ne pouvoient s'u-
nir aux ouvrages de l'homme , ni établir leur demeure dans des Tem-
ples, & dans des Images & des Statues, faites de la main de l'homme.
De là , on conclHoit qu'il falloit adorer , invoquer , confuher la Di-r
vinité , non pas dans les lieux oii elle ne pouvoit déployer fon effi--
(l) Ci-d. Liv. II. ch. 6. p. 144-148.
(z^ De Alanis Am. MatceU. lib.XXXI. cap, 3,
f»l. 611. Aiiian. Indic. p. $ii,
{)] Tactt. Geim. cap. ».
(4) Herodot. I. 131. Vtjet. c'ideff. Livie UI»
chap. IV. $. 9,
(i) Ci-d. Liv. m. ch. IV. $.5.
Ils teftoieiit
lems Air^'m-
bU'iS leiigieu-
L I V Pi. E IV. CHAPITRE I. 195
Càce , mais dans le monda , qu'elle remplit , qu'elle anime , & qui eft
fon véritable Temple (6).
En conféquence de ce préjugé , les Celtes, au lieu de bâtir des Tem-
ples , démoliffoient , quand ils en étoient les Maîtres , ceux que d'au-
tres (7) avoient bâtis, faifoient eux-mêmes leurs dévotions publiques & ai!/" '^'*'"
particulières , fub Dio , c'eft-à-dire , fous le Ciel , en plein air. Ainfi , un
ancien Poëte Athénien , nommé Cratinus (8), remarquoit que les
Hyperboréens avoient coutume d'adorer la Divinité , non dans des
Temples , mais fous le-Ciel. Dinon difoit {9) la même chofe des Perfes»
des Médes & des Mages , & nous verrons bientôt qu'il en étoit de
même de tous les autres Peuples Scythes & Celtes.
§. II. Une autre remarque qu'il faut faire ici , c'eft que les Celtes qui tes cdtes
avoient une demeure fixe , ne tenoient point leurs Affemblées Reli- Snè dme'ure
^ieufes dans le lieu même de leur demeure , mais hors des Villes & des biolent ho"'
"Villages, le long des grands chemins, dans quelque forêt , ou fur j'^^j/d^^/u';.,
quelque montagne, voifme de l'endroit où ils étoient établis. On en a ^,"^"^13^°^
produit plufieurs exemples dans le Livre précédent, & ils fe prélente- nité&iuiof-
ront en foule dans celui-ci. Le Sanûuaire que les Efpagnols appelloient fi:es.
Teutaiès ( lo) , du nom du Dieu qui y recevoit un culte Religieux ,
•étoit fur une colline , voifinë de la Ville de Carthagene. Celui que
les Amazones (11) avoient confacré à la Terre , dans le voifinage d'E-
phèfe , étoit éloigné de la Ville (ii) d'une diftance de fept ftades. L'Ora-
cle d'Apollon, que les Méfiens appelloient Grynaus , étoit dans une
forêt voiiine (13) de la Ville de Clazomene (14). Tous les Sanduaires
que le Dicis Pater des Aborigines avoit en Italie (15), étoient fur dej
^montagnes , ou le long des chemins.
On a expliqué (16) ailleurs la raifon de cet ufage. Les Celtes étoient
{«) On fe rappelle, \ ce piopos, ce diftiqiie
de Buchanan, Poète Ecoflbis [tdvtrf. Pcrt^ri-
num] qui espiimc très -bien la Docliine des
Celtes :
Quetn mare, quem tellus, qucm non cap it igr.eus
ïtlier
Clauditur in tuiUo Spiritus ille loto ....
Aut qUE divcs liabct paffim circurafpice mundiit ,
Ha:c vcta ell aides , hoc pcnecrale Oei.
,(7) Ciceto de Leg lib. ;. p. jt$4.
' («) Suidas. Hefych.
(») Clcm. Alex. Coh.p. i«. 8c ci-d. I,W. III.
chap.(v.$. S'
(lo) Ci.d. Liv. m. ch. «. $. J. net. ï.
(il) Ci-d. Liv. III. chap. >. $. 7.
(il) Herodot. I. i«.
(ij) Setvius ad£neid IV. v. 345. Ky«s. ci-
delTus , Liv. m. ch. 5. §. 3. not. is.
(14) C'e'toit une Ville ancienne d'Ionie ,
dans l'Alie Mineure , entre Smyrne & Chios.
Elle s'appella enfuite Gryn» : ce n'eft plus au»
jourd'hui qu'un petit Village.
(15) Ci-d. Liv. m. chap. <■ §. t4.not. itf*
Se I zo.
(x«) Ci-d. Liv. III. ch. 4- f. P.
Bb z
'io^6 HISTOIRE DES CELTES,
dans l'idée qu'un Saniluaire devoit être placé, i^ dans un lieu foîltaire,
féparé du commerce des homipes ; & , i'''. dans un lieu inculte, où l'on
ne vit rien qui ne itit rouvrat?e de la Nature , & où la main de l'hom-
me n'eût poi'rft doràHgé ni feparé les parties d'une matière qui étoit, pour
ainfi diréj'fé c:o?p's'&: 'le; véhicule Hé là Divinité. C'eft ce qu'ils appef-
loient (i7)'«/2 //£«/r//r.'Cetté d'ouble 'précaution étoit nécefibire, afin que
rien ne pût troubler, ni interrompre , non-feulément l'attention du dévot,
mais encore l'aftion de la Divinité qu'il alloit confulter, C'eft dans'cette
vue qu'ils établiffoient tèurà Sariftuaires aune diftance affez confidé-
rable du lieu de leurs habitations, fur des montagnes -oh la Divinité qui
rempiit l'Univers ,(i^)r avoit le paflage ouvert & libre ; dans des fo-
rêts vierges (19), dont les arbres h'étoient point taillés; dans des bru-
yères (20) , dont le fonds n'eût pas été remué. Par la même raifon , ils
regardoient comm'î un facrilége de labourer (11) la terre des lieux con«
facrés ; & pour prévenir , 'autant qu'il étoit poffible , cette profana-
tion , ils portoient dans les lieux où ils venoient célébrer leurs Myftères,
im grand nombre (ti) de groffes pierres, qui empêchoient que ni la
charrue , ni la faulx ne puffent y paffer.
irssanfluai- «. in. Les Gaulois & les Germains avoient leurs Sanftuaires les
rts les plus t mm
cciébKfs «les plus célèbres dans des Forêts. Tacitç l'alTure des Germains. Ils eftimoient
Ccltescroient ,., . .
dam les Fo- qu il ne convenoit point à la grandeur des Dieux celeftes, de les ren-
fermer dans des murailles ( ^3 ) ; c'eft pourquoi » ils confacroient des
«Bois & des Forêts, & appelloient du nom des Dieux ces lieux fe-
» crets , où ils ne voioient la Divinité que dans le refpeft qu'ils lui
wtémoignoient «.
Le même Hiftorien fait mention de plufieurs Forêts facrées , où des
Cantons ( 14 ) & des peuples entiers s'affembloient pour l'exercice
de leur Religion & pour célébrer leurs Fêtes folemnelles , qui com-
mençoient ordinairement par le Sacrifice d'un homme , que ces Barbares
regardoient comme la plus excellente de toutes les Viûimes que l'on
têts.
(17) Strabo XV. 731. Herodot. I. cap. 131.
(is] Ci-d. §. I. note 7.
(19; C'eft ce que Tacite appelle ea/iumnemus.
Tacit. Geim. cap, 40.
(20^ Stephan. ex Polyb. XIII. p. 163, Çc Va-
leiius in £\perp^, Polyb. p. zoi.
(21) JuftinXLIV. 3. Hetodot. VII. lis-
(22J Ci-d. Liv. III, chap. 6. §. 13. & ch. 14;
§. t. note 8 s.
(î3) Tacit. Genn. cap. 9. ci d. Liv. III. ch. }.
§. 2. note I.
(14; Tacit. Germ. 43. Hift. IV. 14.
L I V R E IV. C H A P I T R E ir. 197
put offrir aux Dieux. On le voit dans le Chapitre trente-neuvième de
_\s^'Germame, où e(l-il dit (25) que »tous les Peuples Semnons s'affem-
»b!ent à certains jours par députés dans une Foret confacrée par icuns
» ayeux , &: que les mortels ont toujours révérée avec une frayeur
»Rtligieufe. Us y célèbrent les aitreufes cérémonies de leur culte
» barbare, dont la première eîl d'immoler un homme en public. « De-là
vient qite ces Forêts étoient un objet d'horreur pour les Etrangers ,
qui frémifibient en voyant des arbres arrofés du fang humain , & des
têtes, des bras, des jambes & des fquélétes entiers pendus ou cloués
à ces arbres.
Il paroît , par Claudien , que cette coutume de s'affembler dans des Fo-
rêts , fubfîftoit encore de fon tems en Allemagne. Ce Poëte , dans le
premier Livre du Panégyrique de Stilicon , dit à fon Héros , qu'il a
donné tant de terreur aux Peuples de la Germanie, étendu fi loin les
bornes de l'Empire Romain ( 26 ) , » que l'on peut chaffer fûrement
» dans la Forêt Hércynie , 6c abbattre impunément ces bocages fi ter-
♦> ribles par les cruelles cérémonies qu'on y pratiquoit de toute an-
wcienneté, &: ces grands Chênes , qui étoient, en quelque manière,
»les Dieux des Barbares. « Bien plus : du tems même de Saint Boni-
face ( 27 ) , »il y avoit encore des Germains qui offroient des Sacri-
wfices aux Bois & aux Fontaines, les uns en cachette, les autres tout
» ouvertement».
Ce n'eft donc pas fans raifon que les Anciens Canons ( i8 ) , cités ail-
leurs , condamnent cette Coutume de s'aflembler dans des Forêts. Il eft
vrai que fous l'Evangile , toute lorte de lieux font propres pour le
fervice de Dieu. Ce n'eft pas le lieu où l'on prie , mais les idées & les
fentimens qu'on y apporte, qui rendent notre offrande agréable. Mais
les Germains rendoient dans leurs Forêts facrées à de fauffes Divinités,
un culte qui étoit , non-feulem.nt fuperftitieux , mais encore cruel &
barbare, & qui, par cela même, ne de voit point être toléré dans une
fociété réglée. Savoir , après cela , fi les Chrétiens faifoient bien
d'immoler, à leur tour, les Germains qui ne vouloient renoncer , ni à
leurs Forêts , ni aux Sacrifices qu'ils y avoient offerts de toute ancien-
(25] Tacit. Geim. cap. 39.
{i.6' Claudian, de Laud. ScUic. lib. I. v. 2:8.
(?7j Yilibald. vit, S. Bonif. caf, 8, Othlo.
Lib. I. cap. 27.
(28j Ci-d. Liv, lU, cJi. IV. $. 1. not. l}, 14.
198 HISTOIRE DES CELTES,
neté , c'efl: une queftion toute difFcrente. Il eft fort douteux que ni
Saint-Bonlface , ni les autres Miffionnaires qui travaillèrent à la conver-
fion des Peuples de la Grande Germanie, fuffent en état de faire bien
fentir à leurs Catéchumènes la différence qu'il y avoit entre des Payens,
qui offroicnt des Viftimes humaines à leurs Dieux , 6c des Chrétiens qui
failoient mourir les hommes qui ne vouloient pas reconnoître le leur.
§. IV. Ce qui vient d'être dit des Germains regarde aufli les Gaulois.
(29) »Ils confacroient des Forêts aux Dieux , principalement des
» Forêts de Chênes , Se dans tous leurs facrifices , ils tenoient à la
» main des branches de cet arbre ». Selon les apparences , ce célèbre
Sanûuaire du Pays de Chartres , où les Druides des Gaules (30) s'af-
fembloient dans une certaine faifon de l'année , étoit une Forêt. On
verra dans la fuite , fur quoi cette conjefture ell fondée.
Tout ce qu'il eft à propos que l'on remarque ici , c'eft que , du
tems de Jules-Céfar , il y avoit encore dans la Province Narbonnoife,
& jufqu'aux portes de Marfeille, de ces Forêts confacrées, où les gène
du Pays alloient faire leurs dévotions. Lucains, parlant du Siège que
cette ville foutint contre une Armée de Jules-Céfar , obferve » que les
» Afliégeans employèrent aux travaux (31) le bois d'une Forêt voifine
» dont les arbres n'avoient jamais été taillés. Les cérémonies qui fe
■» pratiquoient dans cette Forêt , étoient cruelles & barbares. On y
» voyoit des Autels fur lefquels les gens du Pays immoloient des Vidi-
» mes humaines, & il n'y avoit pas un feul arbre qui ne fut arrofé du
»fang de ces malheureux».
On rapporte ces circonftances , parce qu'elles font fentir la confor-
mité du culte que les Gaulois & les Germains rendoient à leurs Dieux.
Tout cela étoit obfervé de la même manière par les Peuples de la Gran-
de Bretagne. C'étoit dans ces Forêts qu'ils alloient célébrer leurs feftins
facrés ( 32.) , & offrir des Sacrifices qui ne dlfféroient, point de ceux des
■Gaulois &c des Germains. Tacite l'a remarqué, en parlant de la prife
de rifie de Man (*) par les Romains. » On abbatit, dit-il:, (33) les Fo»
»rêts où les gens du Pays avoient pratiqué jufqu'alors de cruelles
(29) Plin. H. N. lib. XVI. cap. 44- P' 3 l >•
(30) Czfar VI. 13,
(.3 1) Lucan. III. V. 39».
,(32) Dio. CafT. lîb. LXII. p. 704. Xiphil. in
,Kerone. p. 172. 173. ci-defl"iisLiy. lil. ch.-ifi.
§. 8. note 1 I.
(* ) C'eft uns ile d'Angltterre ,dans la Met
d'Irlande , entre les Côies d'Ecofîe ôc celles de
la Fiincipauté de Galles.
(3 3) Tacit. Ann.XIV.-30.
LIVRE IV. CHAPITRE II. 199
wAiperftitlons , faifant fumer le fang des Captifs fur les Autels qui y
»étoient dreflés ,. & confultant la Divinité par les entrailles de ces
»Viclimes«k
On a vu ailleurs que lés anciens Habitans de l'Italie ( 34 ) avoient
auffi une célèbre Foret confacrée à la Terre. Les Méfiens établis en Afie ,,
fervoient le Soleil dans une Forêt de laquelle ce Dieu avoit reçu le
nom (35) à' Apollon Grynceus. Parmi les Thraces , tous les Temples
de Mars (36) étoient des. Forêts. C'eft l'une des raifons qui ont fait
croire que ces Peuples fervoient le Dieu Bacchus^ dont on célébroit
auffi les Fêtes (37) dans des Forêts & fur des hauteurs.
§. V. Si la Coutume de tenir les Aflemblées Religieufes dans des Fo-
rêts étoit la plus générale parmi les Celtes, il y a de fortes raifons de
croire que celle de faire fes dévotions fur des Montagnes étoit la
plus ancienne. Il eu vrai que les Forêts avoient une grande commodité.
Indépendamment de la remarque de Sénéque qui prétend ( 38 ) que la E""'
{blltude & l'obfcurité d'une haute & varte Forêt infpiroient à l'homme
une efpéce de frayeur Religieufe , & fembloient lui annoncer la pré-
fence de la Divinité; il efl certain , d'ailleurs, que le Peuple y étoit à
couvert du vent, de la pluie , &. des ardeurs du Soleil (*). Mais les Mon-
tagnes avoient auffi un grand avantage , félon la Doftrjne des Celtes.
La Divinité qui animoit la matière y avoit le paflage ouvert & libre.
Son aôion n'y étoit point troublée par le tumulte de ce bas monde. Les
efprits les plus purs , les plus attentifs , les plus pénétrans , étoient
auffi les plus éloignés de notre atmofphère.
Par ces raifons, les Celtes croyoient s'approcher de Dieu ens'approchant
du Ciel, Ils confacroient à la Divinité des Collines, & montoient juf-
qu'au fommet des plus hautes Montagnes , pour y offrir leurs Sacrifices.
Qn l'a dit des Pelafges , c'eft-à-dire des anciens Habitans de la Grèce
& de l'Afie mineure. (39) »Ils confacroient pour fimulacres à Jupi-
»ter le fommet des hautes Montagnes, comme de l'Olympe & de
I.et Ccîrei
lenoienc plu»
a:icicnuc-
incnc leurs
Afftmliiérs
rclij,iciirtsfuC'
d^i MoQt»-
(34) Ci-d Liv. III. ch. I. $. lo. note 97.
(3S| Ci-deft, %. z. note i j. & Lit. III. ch. 5.
S). 3 . note 1 6.
(3 «) Stitius Thebaïd. VII. v. 40. ci-de£ §. 2.
note 20.
(37) Ci-d. Lit. III. e'h. »j. §, 3.not. î»,
(3>, Scncca£piû. 41.
'*)roUToit on y itrt à ouvert du ardeurs dt
Siltil , puifque les affcmble'es fe tenoient (le
nuit & à U lueur des flambeaux? PV>'z.ci. après,
ch. 3. §. I. 3. Scie de l'Editeur.
(39) Maxim. Tyr. Diflert. 3«. Homer. Uiad.
YIII. V. 4I. ci-d. Liv, IIX. ch. 4- $. $■ note ai.
aoo HISTOIRE DES CELTES,
» l'Ida. (40) Ils érigeoient des Autels à Jupiter fur la haute cîme deS
M Montagnes, comme on le voioit fur les Monts Hymettus & Parne-
» thus ». De-là le furnom (41) à'Epacrius , que l'on donnolt à ce Jupiter ,
qui avoit fes Sanftuaires & fes Autels au fommet des Montagnes. Les
Perfes auffi (42.) montoient fur les plus hautes Montagnes ,& y immo-
loient des Vidimes à Jupiter , appellant de ce nom toute la voûte
des Cieux.
Le même ufage étoit établie dans tout l'Occident. Ainfi le? Efpagnols
avoient (43) une Colline confacrée à leur Teuiaiès , &c une Mon-
tagne Sainte ( 44 ) dont il n'étoit pas permis de remuer la terre. Les Gau-
lois avoient un Sanûuaire confacré à leur Jupiter fur la plus haute cîme
des Alpes, & c'eft de-Ià qu'il avoit reçu le nom de (45) Peninus du
mot Penn , ou de Pinn, qui fignifîoient la pointe, le fommet d'une
Montagne. Les Allemands (46) rendoient un culte Religieux aux Col-
lines. Les Aborigines fervoient leur Dis (47) fur le Mont Soratle ,
Se en général , fur tous les hauts lieux du ( 48 ) Pays. Les Gétes
avoient une Montagne où réfidoit leur fouverain Sacrificateur, & qui
par cette raïfon , étoit le Sanduaire le plus célèbre qu'il y eût dans
toute la Nation. Aufïï l'appelloit-on (49 ) /^z Montagne Sainte.
Les Thraces , voifins des Gétes , avoient de même une Sainte Mon'
tagne, qui fut prife (50) par Philippe, Roi de Macédoine. C'eft,
peut-être, celle qui étoit confacrée à Cotis (5j),|dans le Pays des
Edoniens. Cette Coutume de s'afTembler fur des Montagnes étoit
établie fi généralement parmi les Thraces , que Strabon a cru pou-
voir en conclure ( 52 ) que le Mont Hélicon & plufieurs autres
Montagnes de le Grèce, avoient été confacrées par les Thraces, dans
le tems qu'ils étoient Maîtres du Pays. Enfin, les Phrygiens avoient
la plupart de leurs Sanûuaires fur des Montagnes, telles que l'étoient
(40) Etymol. magn. in «'ja'xpuj Zei/'f p. 351.
(41^ 'E-rdxfiDs Zît/f. Hefych.
(41) Herodot. I. 1 5 i • Strabo XV. 731.
(+j) Ci-d. Liv. III. ch. 6. §. 3. not. z.
(44' Cid. §. z. note 21.
(45) Liviiis XXI. 3 8. Serv. ad. ^neid. X. lî .
fag. 593. Infcriptio apud Guich. Hiftoire de
Savoie , Tom. I. lib. I. cap. 4.
(46) Ci-d. Liv. III. cap. 4. §. 2. nete 10.
(47) Servius ad iga. XI. 785, Ci-d. Liv. III.
chap. 6. §. 14. not. iio.
,48) Dionyf. Halic. lib. I. cap. 4. p. 27. ci-
deflus, Liv. III ch. 6. §. 14. not. 1 17.
(4s; Strabo VII. 298. Statius Sylv. lib. J. i»
T. 80. Idem Syl. lib. III. 3. v. 169.
(50) .aifchines de Falf. Leg. p. 258.
(51) Strabo X. 470. ci-deflus, Liv. ni.ch..<'.
§. 12. not. 94. & fuiv.
(52) Strabo IX. 410, X. 471.
LIVRE r V. CHAPITRE II. zoi
les Monts de Berecynthus (53) , Dindymus , CybUc^ ^gJefiis. De-Ià vient
que leur Jupiter eft ordinairement repréfenté dans ( 54) les Médailles,.
par une Montagne placée au milieu d'un Temple.
§. VI. Il ne faut pas oublier ici que les Celtes établiffoient ordinai- Lcscdtesiti-
rement leurs Sanftuaires fur des Montagnes ou dans des Forêts , oii ainaktmcat"
il V eût une Fontaine , un Lac ou quelque Eau courante. Par exem- '"1^ ^^"'r
J ' 1 ^ ;j^ , tuaircs près
pie, les Habitans du Gévaudan C55 ) alloient célébrer une Fête folem- d s roni»i-
11 'S des Liïcs
nelle autour d'un Lac que l'on voyoit fur le Mont Hélanus. Les oudcqusique
Germains avoient une Forêt (56) confacrée à la Terre , Si il y avoit , '''"^°'' ■
au milieu de cette Forêt , un Lac où on lavoit la Déeffe , après l'avoir
promenée dans toute la contrée : dans la Forêt (57) d'Aricia fe
trouvoit aufli un Lac confacré , que l'on appelloit le miroir de Diane.
On voit bien la raifon de cette Coutume , dont il feroit facile de
produire plufieurs autres exemples. Les Celtes avoient befoin d'eau
pour les Ablutions, pour les Sacrifices, & pour cuire la Chair des
Viûimes que l'on mangeoit ordinairement dans le lieu même où elles
avoient été immolées; d'ailleurs ils plaçoient ( 58) dans les Lacs , dans
les Fontaines , & dans les Eaux courantes , certains Génies qui inftrui-
foient l'homme de fa deftinée , pourvu qu'ils en reçuflent un Ciilte
convenable. Ainfi , afin qu'un Sanduaire fîit bien accrédité, il falloit
qu'on put y confulter la Divinité , &c recevoir la réponfe en plufieurs
manières, par le moyen des différentes divinations qu'on tiroit de l'Air,
des Arbres , des Viftimes & furtoulide l'Eau & du Feu.
De-là vient que les Hifloriens qui parlent des fuperftitions des Peu-
ples Celtes, s'accordent à dire (59) qu'ils rendoient un Culte religieux
aux Arbres, aux Forêts, aux Montagnes, aux Rochers, & aux Eaux
courantes. Par la même raifon , les anciens Canons qui condamnent
ces fuperftitions ( 60 ) , interdifent toujours le Culte des Fontaines ,
avec celui des Montagnes & des Forêts. C'étoit dans de femblables
endroits , que les Celtes faifoient leurs AfTemblées Religieufes , & qu'ils
(s si Ci-d.Liv. m. ch. ». §. %. note i8.
(54) Science des Médailles p. i 84.
tS 5) Ci-d. Liv. m. ch. 9. §• 4. not. ïi.
(s<) Ci-d. Liv. III. ch. 8. §. 3. not. 1 1.
(57), Ci-deffus, Liv. III. chap. S. §, 10, no-
tes Jl. 99. 100. lot, loî, io|.
(58) Ci-d. Liv. III. ch.9. ch.4. J. /.not. 33.
(59) Ci-d. Liv. III. ch. 4. §. 2. not. 3. 13. 14,
Leg. Longobard. a Lindenbr. lib. II. Tit. 38,
pag. «3 5.
(60) Ci-d. §. 3. not. z7. & Liv. IH. ehap, 4.^
J. z. not, 10. II, ij.
Ttmt II, Ç Ç
aoi m S T O I Pv. E DES CELTES,
pratlquoient des divinations qui ctolent, en quelque manière , riinlque
but de leur Culte,
jis avoicnt ig. VII. Enfin les Peuples Celtes avolent plufieurs de leurs Sanânal-
6^Vir"d3ii^ res le long des grands chemins, & fur-tout dans des (6i ) Carrefours,
i(!ùrs?""' c'eft-à-dire dans des lieux où plufieurs chemins fe réuniflbient. Quand
il n'y avoit ni Forêt, ni Montagne, ni Colline dans le voifmage d'un
Canton ou d'un Village , le Peuple établiffoit le Sanftuaire en rafe cam-
pagne ; & comme il y avoit de ces lieux confacrés , où les Habitans de
jilufieurs Cantons , & les Peuples entiers célébrolent des Fêtes folem-
nelles , il falloit néceflairement que plufieurs chemins vinflent y abou-
tir. Ainfi il y avoit dans le Pays des Edoniens , près de la ville d'Amphi-
polis, &c du fleuve Strymon (61), un célèbre Sanâuaire que l'on ap-
pelloit les neuf Cktmins. On lui avoit fans doute donné ce nom , parce
que les Habitans de neuf Cantons diffèrens s'y affembloicnt dans une
certaine faifon de l'année, pour célébrer la Fête de Cotis & de Bendis,
LesTenip'cs g. VIII. De tout ce qul vient d'être dit, il faut conclure que les Tem-
Il'jppiltit:!!- 1 /• ■ 1 • m , ■ » 11
lit;)! po'nt ■: pies , faits de main d homme , n appartiennent pas proprement a 1 an-
.ij/ccltés." cienne Religion des Peuples Scythes & Celtes, Tant que ces Peuples
confervèrent leurs propres idées , & qu'ils n'adoptèrent pas des fuperf-
titions étrangères , ils regardèrent comme une impiété ( 63 ) & comme
une folie , d'ériger des Temples à la Divinité. Hérodote , Strabon &
Tacite le remarquent exprefTément , en parlant des Scythes , des Ro-
mains & des Perfes. Si ces mêmes Hiftoriens ne laifTent pas de leur attri-
buer ailleurs des Temples , il eft vifible qu'en fe fervant d'un terme
iifité dans leur Langue , ils ne l'ont emploie que dans un fens impropre,
& qu'il ne défigne, dans ces endroits , qu'un lieu confacré.
Par exemple, Hérodote dit (64) que les Scythes ne confao^ent des
Temples qu'au Dieu Mars. Mais il remarque , en même tems , que le
Temple (65) étoit une efpéce de Colline que l'on faifoit avec des fafcines
& de la terre. Tacite parlant de plufieurs Peuples établis dans le cœur
de la Çrande-Germanie , dit (^66') qu'ils fervent en commun la DéefTe
Herthus , qu'ils la promènent dans toutes les Contrées voifines , &
(61) Ci-d. Liv. III. ch. 8. §. g.not. ««.«7.6t.
•hip. 14 §. 6. not. 6». & §. 7. not. jS,
(<2)Ci-d. Liv. III. ch. «. §, j.not. st-py.loo.
{«j) Ci-d. §. i.not. 3.4.
(<4)Herodot. IV. 59.
(«S( Ci-deffous , §. il. not. «3,^
{66) Ci-d. Liy. III, ch. < . §■ ) < note 1 1 .
LIVRE IV. CHAPITRE II. zoj.
qu'après qu'elle s'eft raffafiée d'être clans la compagnie des mortels , ils
la ramènent dans fon Temple. Mais il avoit dit un peu plus haut, que
ce Temple étoit une chafle Forêt, où l'on confervoit un charriot confa-
cré à la Déeffe Henhus. Strabon auffi fait mention ( 67 ) des Tem-
ples diJnauis , & à'Omanus , où les Mages rendoient un culte religieux
au Feu. Mais on voit, dans le même endroit, que les Temples (68)
étoient de grands enclos , où l'on confervoit le feu facré au milieu de
beaucoup de cendres.
A l'égard des Temples , proprement ainfi nommés , que l'on voioit
dans la Celtique , les uns avoient été bâtis par des étrangers, les au-
tres ayoient été élevés par les gens du Pays , dans un tems où ils avoient
déjà abandonné leur ancienne Religion , pour embrafîer celle des Grecs
ou des Romains qui les avoient fournis , ou qui s'étoient établis dans
leur voifinage. Par exemple , les Cariens , les Leléges , & d'autres
Peuples Scythes avoient envahi autrefois une partie de l'Afie mineure.
Auffi longtems qu'ils furent les maîtres du Pays , leurs Sanctuaires
étoient ( 69 ) des Montagnes & des Forêts. Ce ne fut, dit Vitruve (70) ,
qu'après que les Cariens & les Leléges , eurent été dépoffédés par les
Grecs , que ceux-ci commencèrent à bâtir les magnifiques. Temples que
l'on voit aujourd'hui dans l'Ionie.
Juflin allure (71 ) que les Grecs établis à Marfeille enfeignèrent aux
Gaulois à cultiver leurs terres , à bâtir des villes & à les enfermer de
murailles. C'eft de-là aufli , que les Divinités , les cérémonies des Grecs,
& en particulier, la coutume d'ériger des Temples aux Dieux, palîè-
rent infenfiblement dans les Gaules. Tîte-Live (72 ) & Polybe (73)
femblent infinuer que les Gaulois d'Italie avoient des Temples , lors-
qu'ils furent fournis parles Romains , peu de tems avant la féconde guerre
Punique. La chofe n'eft pas certaine , parce que le mot de Temple eft peut-
être employé par ces Hiftoriens , dans un fens impropre. Mais en fup-
pofant la vérité du fait , il eft affez naturel de préfumer que la coutume
de confacrer des Temples aux Dieux , avoit pafle des Romains , & des
Etrufces , aux Gaulois leurs voifins.
(«7) Ci-d. Liv. III. cil. 10. §, 2. not. 17.
(«S) Ci-d. Liv. in. cil. 10. §. 2. not. 17.
(«9) Voyez en les ptcuYei ci-dcff. Liv. lU.
•tup. 8.$. i.i.
(70) Vittuvius lib. IV. cap. i . p. âo.
(71) Juftin XLIII. 3.
(72) Livias , lib. XXIIL cap. 14,
204 HISTOIRE DES CELTES,
Enfin Tacite , parlant de l'expédition que Germaaicus entreprit con-
tre les Marfes, l'an 767 de Rome, dit (74) que ce Prince fit rafer jus-
qu'aux fondemens, tous les édifices tant facrés que profanes, &c en par-
ticulier, ce célèbre Temple que les gens du pays appelloient Tanfana (*).
Mais ces Marfes étoient voifins du Rhin , le long duquel les Romains
avoient établi des Colonies, bâti des Temples , introduit leur Religion;
jufques-là qu'il y avoit près de Cologne un Temple qui avoit été con-
facré à Augufte (75), de fon vivant, &c dans lequel un Prince Germain
(76) exerçoit le Pontificat, -
les celtes §' ^^- ^"^ Pcuples Ccltcs n'avoicnt ni images, ni ftatues qui repréfen-
n'avoi-mrii taffent la Divinité fous la forme de l'homme ou de quelqu'animal. Ce
tu.s qui re- n'eft pas que la Peinture & la Sculpture leur fuflent entièrement in-
i.a uivinitc , connues ; ils avoient des enieignes mihtaires (77) , qui etoient des figu-
<i°'rho!i°n)';', res de dragons , de fangliers, &: d'autres animaux , & en tems de paix,
animaîr''^"'^ CCS cnfeignes étoient remifes aux Druides , qui les confervoient dans
les forêts facrées. Peut-être que ces figures n'étoient pas mieux faites
que les anciennes idoles des Grecs (78), que l'homme le pluS férieiix
ne pouvoit regarder fans éclater de rire. Mais au refte , les Celtes trou-
voient dans leur Théologie , des raifons qui leur déféndoient de re-
préfenter la Divinité dans des images , ou dans des flatues , & de rendre
un culte religieux à ces repréfentations.
i.^^Ils adoroient des Dieux fpirituels, invifibles; ils difoient en con-
féquence qu'on abbaifibit la Divinité , en lui attribuant une forme
dont elle n'étoit pas fufceptible , fût-ce même la forme du plus excel-
lent de tous les êtres matériels. « Les Germains eftimoient (79) , comme
» l'a remarqué Tacite , qu'il ne convenoit point à la grandeur des
» Dieux célefles de les renfermer dans l'enceinte des murailles , ni
» de les repréfenter fous la forme de l'homme». Hérodote dit à-peu-près
la même chofe des Perfes (80) » : Ce n'eft pas leur coutume d'ériger des
M Statues , des Temples , &c des Autels. Ils accufent même de folie
» ceux qui le font. La raifon en eft , à mon avis, qu'ils ne croient point,
» comme les Grecs , que les Dieux foient iffus des hommes ».
■ (74"! Tacit. Ann. I. si-
( * ) Voyez les Ktmurquts fur U Gtrmtnie de
Tacite par M l'Abbe' de la Bleterie , p. 144.
( 7 ^ ) On l'appelloit uirit Libiintm, Tacit.
iinn. I. 39-
^76) Tacit. Ann. I. 57-
(77) Arrian. Taftic. p. 80. Val. Flac. lib. ¥i*
T. 89. Tacit. Gerin. cap. 7. & cap. 4$,
(78) Athen. XIV. init. p. 614.
(79) Ci-d. §. I. not. 3.
(Soi ci-deff. $. I. not. 4. 8c Liv. IH. ch. j.
$. 2. not, «.
LIVRE IV. C H A P I T R E II. zoj
2.^ Les autres Payens étoicnt dans l'idée que les Dieux auxquels ils
confacroient des Temples & des Idoles, venoient y établir leur de-
meure, &C que c'étoit-là, par conféquent, qu'il falloir les confuiter ,
leur demander des grâces. De-là la cérémonie de l'évocation, par la-
quelle on conjuroit les Dieux de fe retirer d'un lieu oii on les crcyoit
préfens d'une façon particulière. Les Celtes , au contraire , étoient dans
l'opinion , que la Divinité étant unie aux Elémens & aux différentes par-
ties de la matière, &c cela d'une manière à ne pouvoir en être féparée ,
ne devoir point être fervie dans des Temples , & dans des Idoles. Ils fe
croioient même autorifés, par ces raifons, à détruire les Temples, qui
étoient le domicile des morts, au lieu d'être celui de la Divinité, & à bri-
fer des Idoles, qui ne pouvant donner aux hommes aucune idée de
Dieu, n'étant même propres qu'à leur en donner de fauffes , étoienf
d'ailleurs l'objet d'un culte fuperflitieux , & impie, par cela même que
la Divinité ne pouvoit s'unir aux ouvrages de l'homme.
§. X. Cela n'empêchoit pas , cependant, que les Celtes n'euflent leurs \u avoient
fimulacres ; mais ils dlfféroient entièrement de ceux des autres Peuples. îc^rTsi "uia-
Pour en parler avec plus de précilion, il paroît à propos de diffinguer f:roieiu"én- '
les fimulacres des Peuples Nomades de ceux des Peuples qui avoient une '■^''^'"«"^ •^^
r r T j:ux des ais-
demeure fixe. Les premiers femblent n'avoir été que des fymboles aux- "«s Peupiet.
quels on attachoit l'idée &C le culte de la Divinité , afin que la dévotion
eût un objet préfent & fenfible. Les féconds recevoient un culte reli-
gieux , parce qu'on y plaçoit un Efprit, une Divinité qui prononçoit
des oracles , & qui diftribuoit des grâces.
§. XI. Le fimulacre des Peuples Nomades étoit une épée ou une l« simulacre
halebarde. Hérodote rapportant dans le quatrième livre de fon Hiftoire, Nouu'ies"
l'expédition que Darius Hyfiafpe entreprit contre les Scythes qui de- ^"^J ""'
meuroient au Nord du Danube, en prend occafion de décrire fort au
long la manière de vivre de ces Scythes, qui reçurent dans la fuite le
nom de Gétes ou de Goths. Il remarque qu'ils étoient Nomades ( 8 1 ).
« On ne peut , dit-il , les furprendre , ni même les trouver , s'ils ne le
«veulent pas, parce qu'ils n'ont ni Villes, ni Fortereffes, & que cha-
w cun porte fa maifon avec foi. Ils font habiles h tirer des flèches à
» cheval. Aulieu de vivre de pain , ils tirent toute leur fubfiflance de
(li}Hciodot. lV-4«'
loS HISTOIRE DES CELTES,
w leurs troupeaux, & n'ont point d'autres maifons que leurs chariots»*
Hérodote parle enfuite de la Religion de ces Peuples, & dit (81) que
les Scythes rendent , à la vérité , un culte extérieur à Vefta , à Jupiter , à
la Terre, à Apollon, à Vénus Uranie, à Hercule & à Neptune; mais
qu'ils font dans l'opinion qu'il ne faut confacrer des fimulacres , des
autels & des temples qu'à Mars (83). » Voici, ajoute-t-il , de quelle rr.a-
» nière les Scythes ont coutume , de toute ancienneté , d'élever des
» Temples à Mars. On marque, un terrein de trois ftades en long &
» en large , dans lequel on affemble un monceau de fafcines , qui n'a
» pas tout-à'fait la même hauteur. Audeffus du monceau, onforme
» une plaine quarrée , qui eft efcarpée par trois de fes côtés. On monte
» au quatrième par une pente douce. Ils portent tous les ans , fur cette
» plaine , cent cinquante chariots de fafcines fraîches , les vieilles fe
» pourriffent à l'air. Chaque Peuple a une vieille épée de fer, que l'on
» place fur ce monceau, &C c'eft-là le fimulacre de Mars, auquel on
» offre annuellement des chevaux Sf. d'autres viftimes , & cela en beau-
»> coup plus grand nombre qu'aux autres Dieux. Ils immolent aufli
M le centième des prifonniers qu'ils font à la guerre , offrant ces vifti-
» mes d'une manière toute différente des autres. Après avoir répandu
« du vin fur la tête des prifonniers , on les égorge dans un vaiffeau de{-
» tiné à cela , &: enfuite on va répandre leur fang fur l'épée ».
§. XII. On a prouvé ailleurs (84) , que le Mars des Peuples Scythes &
des Gétes, eft celui qu'ils appelloient dans le.ur langue Tay ou Kodan , &
qui étoit regardé par ces Peuples comme le Dieu fuprême , & en
même tems , comme le proteûeur des guerriers. Il refte donc ici deux
chofes à remarquer.
i,^ Quoique les Scythes , dont il s'agit ici, n'euffent point de demeure
fixe , &C qu'ils fuffeni obligés de fe tranfporter d'un pâturage à l'autre ,
pour faire fubfifter leurs troupeaux, ils bornoient leurs courfes aux Con-
trées qui font entre le Danube & le Niefter, & fe retrouvoient tous,
dans une certaine faifon de l'année , au même lieu , pour y tenir le
champ de Mars , c'eft-à-dire , l'affemblée générale de la Nation , qui com-
mençoit par des facrifices de différentes efpèces , oâerts au Dieu qui
■ • Il Il -
(si) Vojtz. le paflage ci-deff'. Liv«III. ch. 3. §. 3, not. 8.
(«3)H«ro<ioi. IV. 6î.
it^j Ci-deiT. Lir. UI. ch. 6, §. 10. & ch. 7. §. Zi 3.4. n«t. jf-d^
LIVRE IV. CHAPITRE IL 107
préfidoit à la guerre. Le lieu où l'on ofFroit ces facrifîces , cto'it une efrcce
de colline artificielle que l'on formoit avec de la ft:rre & des fafcincs.
Cet ufage étoit un refte de l'ancienne fuperftition , qui vouloit que les
Sanftuaires fuflent dans des lieux élevés. Là où il n'y avoit pas de
montagnes, on fuppléoit à ce défaut par des amas de terre que l'on entrc-
tenoit toujours d'une égale hauteur, en y portant, tous les ans, de nou-
velles fafcines.
i.*' La fête que les Scythes célébroient en l'honneur de leurs Mars ,
commençoit par la cérémonie de planter , au milieu du Sanûuaire ,
une vieille épée de fer, que Ton confervoit précieufement au milieu de
chaque Peuple; c'étoit-là le fimulacre de Mars, auffi long-tems que la
folemnité duroit. Quelques Anciens ont cru (85) que les Scythes regar-
doient cette épée comme une véritable Divinité. Ils ont affuré qu'elle
étoit l'objet propre & direft de leur adoration. Mais ils fe font trompés.
Elle n'étoit, comme Hérodote (S6) , & d'autres l'ont reconnu, qu'un
fimulacre, un fymbole , auquel les Scythes attachoient l'idée & le culte
de leur Mars. S'ils répandoient fur ce glaive le fang des viûimes, & en
particulier , celui des prifonniers , c'étoit pour rendre au Dieu de la
guerre une efpèce d'hommage des avantages qu'ils avoient remporté
fur leiirs ennemis, & pour en obtenir de nouvelles vidoires pendant
l'expédition qu'on alloit propofer & réfoudre dans l'Aflemblée générale
de la Nation, De-Ià vient que cette épée ne recevoit un culte relioieux
qu'auffi long-tems qu'elle demeuroit plantée au milieu du Sanâuaire ,
c'eft-à-dire , pendant tout le tems que l'AlTemblée fubfiftoit. Quand la fo-
lemnué étoit finie, on remettoit l'épée au Roi, ou au Sacrificateur, qui
étoit chargé du foin de la garder , & de la repréfenter l'année fuivante.
§. Xni. Cette coutume de célébrer les Myftères de la Religion au-
tour d'une épée, fubfiftoit encore du tems de l'Empereur Valens , parmi
les Alains , qui étoient une Nation Gothique (87). Mais ils le faifoient
avec moins de cérémonies que les Gétes, ou les Goths, qui vivoient du
tems d'Hérodote. «Les Alains, dit Ammien-MarceUin (88), n'ont ni
» Temples , ni Chapelles , ni même une feule cabane couverte de chau-
(«s) Lucîan. Jov. Trag pag. 699. Epiphin.
lib. I. pag. 8. Aram. Marc. lib. xvii. cap. ii..
pag. 179.
(»«; Pomp.MeUlib, II. cap. 1, p. 4i,Solin.
cap. XXV. pag. 132. Clem. Alex. Coh. ad Gcnt.
pag- S«.
(87) Procop. Vand. lib. I. cap. 3. p. igi.
{iij Amm. Maic. lib, xxxi, cap. 2. p. 6211
1
2o8 HISTOIRE DES CELTES,
Mme. Ils plantent en terre, avec des cérémonies barbares, une épée
»nue, qu'ils adorent avec beaucciip de refpeft, comme étant le Dieu
>> Mars , Protedeur des Provinces qu'ils parcourent. » Il ne faut pas
être furpris, après cela, que les Peuples Scythes & Celtes témoignaflent
tant de refpeft pour les armes , &c particuliéi-ement pour l'épée. Quand
ils étolent appelles à prêter ferment ( 89 ) , ils juroient par leur épée.
Dans les Traités de paix (90) , ou d'alliance , ils donnoient une épée
pour gage de leur foi. La raifon de ces ufages eft fenfible. L'épée étoit ,
parmi ces Peuples, le fymbole , le fimulacre de leur Mars; les fermens
qu'ils prêtoient fur leurs armes , étoient donc des engagemens dont
on prenoit pour témoin & pour garant , le Dieu qui préfidoit à la
guerre , &C que l'on rcgardoit , en même tems , comme le maître fou-
verain des Dieux &C des hommes.
§. XIV, Clément d'Alexandrie & Saint Epiphane affurent, d'après des
Auteurs plus anciens (91 ) , que la coutume de rendre des hommages
Religieux à une épée , s'étendoit auffi à cette autre forte de Scythes ,
que l'on défignoit fous le nom de Sarniates. Nous ne doutons pas de la
vérité du fait , au moins la chofe paroit-elle claire , par rapport aux Huns
Se aux Avares. On trouve qu'Attila (91) , Roi des Huns, ayant recou-
. vré , par hafard , une de ces vieilles épées , que les anciens Rois de Scy-
thie avolent ordinairement fous leur garde , s'en félicita beaucoup ; il fe
perfuada même que cette épée lui promettoit l'Empire de l'Univers ,
& la viûoire dans toutes les guerres qu'il entreprendroit. A l'égard des
Avares, on voit un de leurs Chans , qui vivoit du tems de l'Empereur
Juftinien, prêter aux Romains de la manière fuivante, le ferment ufité
au milieu de fa Nation (93): «Ayant tiré fon épée , &c l'ayant élevée, il
» fouhaita que l'épée l'exterminât avec toute la Nation des Avares ,
» s'il jettoit un pont fur la Save dans quelque mauvaife intention contre
«les Romains. »
Q;i iquti §• ^^' 1^ y avoit des Pcuples oii le ûmulacre de Mars n'étoit pas une
r upie^ccitc? épée , mais une lance, Ainfi Juftin , après avoir dit que , du tems de Ro-
(Ss) Voytz. ci delT. §. 1 z. not. 8 j. & Liv. II. I Prifcus Rhetor, in Excerpt. Légat, p. «s. Cette
cUap. 7. p. 170. not. 87. c'pe'e parvint en Allemagne. Scbaffnabu^g, ad
(901 Adam Bremenf. cap. jo.Keyflcr, p. i «.
(yl) Ci-d. §. 11. not. 85.-86.
t»ii Jojnand. Gotth. cap. 3 j. p. SSx-iSSz, 8c
An. 107 i.pag. 483.
{» 1 ] Menander in Excerpt. Légat, p. 1 1 8 .
mulus ï
1 I V R E IV. C H A P I T R E II. lo?
.<«\'tlws, fa lance étoit la marque delà dignité R.oyale, ajoute (94) : =<Le5 rmuiacic»*,
w Anciens ont même rendu les honneurs divins à des lances, en la ^^""'
» place des Dieux immortels , & c'eft en mémoire de ce culte qu'on
^reoréfente, encore aujourd'hui, les Dieux avec des lances.» Si l'on
prend à la lettre les expreflions de cet Auteur , 11 femble que les anciens
Habitans de l'Italie ne connufient & ne ferviffent point d'autres Divi-
nités que leurs lances. Mais affurément , Ce n*étoit pas-là la pcnfée de
JulHn , ni celle de Trogue Pompée , dont il eu l'Abréviateur. Ceil aflez
le défaut des Abrégés d'être obfcurs, à proportion qu'ils font concis. Au
refte, il eft certain, comme Varron nous l'apprend (95) , que les Ro-
mains adoroient anciennement des lances, parce qu'elles étoicnt, par-
mi eux , le fmiulacre du Dieu Mars.
$. XVI. Il y avoit auffi dans l'Afie Mineure des Peuples Scythes , qui
recdoient à la lance les mêmes honneurs que les autres Scythes ren-
voient à l'épée. Ils l'adoroient , &c la donnoient pour gage de leur foî.
Par exemple , dans la retraite des dix mille (96) , Xénophon, étant arrivé
avec fes Grecs au Pays des Macrons , CBtra en traité avec eux , 6c après
qu'on fiit convenu des articles , il reçut une lance , & en donna une
autre pour la confirmation du traité ; les Barbares lui dirent que c'étoit-là ,
de toute ancienneté, le gage leplusaffuré qu'ils puffent donner de leur foi.
Dans les Aûes Apofloliques , attribués à Abdias , l'Apôtre eft in-
troduit , difant aux Scythes , à qui il précholt l'Evangile (97) : «Abattez
» ce Mars , & le brifez ; dreffez en fa place la croix de Notre - Sei-
♦♦ gneur Jefus-Chrift , & l'adorez. » Ce Mars étoit une lance qui repré-
fentoit , parmi les Scythes , le Dieu de la Guerre. On fait bien que l'Hif-
tolre Apoftolique d' Abdias eft un ouvrage du cinquième ou fixiéme
fiécle , & que , par cette raifon , tlle ne peut guères fervlr à nous
faire connoître les ufages des anciens Scythes. Mais M. de Beaufobrg
qui étoit un juge très-compétent en ces matières , a obfervé (98) que
l'Auteur de cette pièce n'a fait que copier des Mémoires anciens , dref-
(S4> Juftin XLIII. 3.
(»s) Clcm. Alçx.Coh. adGent. p. 4i.Arnob.
lit. VI. p. 197. Diod. Sic. XIV. p. 411.
(j«) Xenoph. Anablf. lib. V. p. 14!. Diod.
Jic. XV. p. 41t.
(j7) Fïbiic. Codic. Apocryph. N, T. Tom.I.
Tome II, D d
pag. 739. La Légende des Saints porte , à-peu-
ples , la même ehofc. Hift. Longob. Hve Legend.
Sanétpr. de SanAo Fhilippo Apoftolo p. m. i 54.
{9%} Hiftoire du Manicheifine Liv. II. cb. <.
pag. 409. ii fuiv.
MO HISTOIRE DES CELTES,
fés par des Auteurs Grecs Se Syriens, à qui les Peuples Scythes de l'Afie
Mineure ne dévoient pas être inconnus.
§. XVll. Il y a quelqu'apparence que la lance étoit auffi le fimulacre
de la Divinité parmi les Pélafges , qui écoient les anciens Habitans de
la Grèce. On croit l'entrevoir dans ce que l'Hiftoire , ou la Mythologie
des Grecs rapporte d'un Theflalien , nommé Cenée , qui doit avoir vécu
une génération , environ , avant la guerre de Troye , puifqu'il étoit con-
temporain de Théfée (99), & de Neflor. On dit (100) «que ce Cenée
» étoit un homme brave & invulnérable. Maison l'accufe, en même-
» tems, d'avoir été un impie qui, au lieu d'offrir fes prières & fes facri-
» fices aux Dieux immortels , n'adoroit uniquement que fa propre
» lance. Non content de lui rendre un fervice religieux , il alloit quel-
»quefois la planter dans une place publique, & là, il obligeoit tous
» les paffans à rendre des honneurs divins à fa lance , à moins qu'ils
»n'aimaffent mieux fe battre avec lui. Jupiter punit l'orgueil & l'im-
» piété de Cenée , en fufcitant contre lui les Centaures , qui le firent périr ,
» ou plutôt qui l'enfoncèrent vivant dans la terre , en renverfant fur lui
' des fapins & des chênes. »
Comme le tems & les autres circonftances de Texpulfîon (loi) des
Pélafges s'accordent avec le tems &; les lieux où l'on fait vivre Cenée ,
cet homme que les Grecs font paffer pour un impie & un athée , devoit
être quelque Pélafge violent &c emporté , qui , demeurant attaché à
l'ancienne Religion , ne vouloit pas que perfonne s'en départît , & for»
■çoit tous ceux qu'il rencontroit à fléchir le genou devant le fimulacre
"de fon Dieu. Il y a dans toutes les Religions de ces efprits furieux ,
qui emploient la forcé & la contrainte , finon pour convaincre les
Incrédules, au moins pour les opprimer, ou pour leur arracher un
Vulte qui efl indigne d'un homme raifonnable, par cela même que l'ef-
prit &c le cœur le déteftent en fecret.
ctcVdèrpcu- S* XVIII. Voilà quels ctoient les fimulacrcs des Peuples NomaJes,
îloi'm''un<: ^^^ ^P^^^ » ^^^ lances , étoient regardées comme le fymbole du Dieu
demeure fixe, j^^^ qu OMn, qui avoit fioi) placé les hommes dans ce monde, comme
fouvcnc un danj Un champ de bataille, pour s'y diflinguer par leur valeur, & qui
{99) Homcr. Iliad. I. v. 2S4. t de Or. & Prog. Idol. lit. ix. cap. 5. p. 114.
(100} Apollon. Aragonaut. lib. I. p. 7. v. jS, [ (loi) Ci-d. Liv. I. ch. j.
Je Schol. Euftathius ad Iliad. I. p. loi. VoffiM j (loi) Ci-d. Liv.in. ch 7^8c i«.
LIVRE IV. CHAPITRE IL i\i
"réfervoit une félicité particulière à ceux qui périffoient dans /le noblq
métier des armes. Les Peuples qui avoient-^tne demeure fixe, & qui
faifoient leurs AfTemblées religiéufes dans des forêts , choififfoient ordi-
nairement quelque grand & bel arbre , pour être le fymbole du Dieu
«[u'ils adoroient , & l'objet fenfible de leur culte. Maxime de Tyr le dit
<les Gaulois ( 103 ) : »Les Celtes reconnoiffent un Dieu, mais le funu-
>»lacre de Jupiter efl , parmi eux, un grand chêne.» Il en étoit de même
•des Peuples de la Germanie. « Les Allemands, diiolt Agathias (104),
«rendent un culte religieux à certains arbres &c aux eaux courantes.*
-Grégoire de Tours ('05) reproche la même idolâtrie à fes Francs. Hel-
niodus obferve auffi (106) que les Saxons, qui demeuroient au-delà de
l'Elbe , fervoient encore , de fon tems , les forêts &c les fontaines.
Les Miffionnaires Chrétiens trouvèrent ce culte établi dans toutes les
■contrées de la Germanie , où ils portèrent l'Evangile. Par exemple. Saint
Aniand , partant dans un Canton fitué le long de l'Efcaut, appelle Ga/t'
ilavum (^ loy ) , trouva que les Peuples y adoroient toute forte d'arbres
& de bois. On peut voir aufïï dans la vie de Saint Boniface , écrite par
Othon, de quelle manière cet Apôtre des Germains, appuyé de l'au-
torité de Charles-Martel, & ayant avec lui une bonne efcorte (108),
abattit dans un lieu du Pays de Hefle, nommé Géifmqr, un grand arbre ,
que les gens du Pays appelloient Varhre de Jupiter. Depuis même que
la Religion Chrétienne eut été reçue dans les Gaules ôi dans la Germanie ,
une partie du Peuple ne laiflbit pas de fe rendre dans les forêts, & d'y
faire l'exercice de fa Religion , autour des arbres confacrés. C'eft ce
qui eft confiant par une lettre que Grégoire-le-Grand écrivit à la Reine
Brunehaud (109). «Nous vous exhortons», dit-il à cotte Princeffe,
« d'interpofer votre autorité, pour empêcher que vos Sujets n'otfreat
(loj)Ci-d. Liy. III. ch- 4. §• S- no'- JJ.
(104) Agathi. lib. I. p. U. Ci-deffus, Liv. III.
chap. 4. § 1 noc. 10.
(lOi) Gregor. Tu», lib. II. p. 178. Ci-dcflus
X.iv. III. ch. 4 §. l. not. 1 1 .
(i()$, Helmsld, Chron. SUv. cap. 48. p. lofi.
Ci-d. Liv. III. ch. 4. §. z. not. 14.
(107) Vita Sanfti Amandi, apud D« Chefne,
Tom. I. p. 64s.
(lo») Othlo Vit. Sanfti Bonifacii, lib. I.
;)f ifd Canif, t^, h, T914.IV. p. 4Z j . Epiit. Gicg.
Papa; ad S. Bonifac. in vità B. waltgeri Aurore
Wigandp Fresbyt. BiUfcld. p ;8S. Sulp. Severc
rapporte quelque chofe de femblable de Saint
Martin. Vita S. Mirt. cap 13. p. 320.
1109 Gregor. Magn. Epift. âd Brunechild.
lib. vu. Ep s- Duftefne a raflemble, dans fpn
Gloflaire, un grand nombre de paffiges qui
prouvent que cette idolâtrie fubfifta long tems
dans les Gaules, Vcjtt. l'aitide Arlortt SiK'-iti
Tom. I. p. 327.
P4»
iii
HISTOIRE DES CELTES
»des viâimes aux Idoles j». qu'ils ne rendent un fervice religieux au»
» arbres , &C qu ils ne faÛeUt "un facrifice facrilége de la tête des animaux. »»
La Religion Chrétienne s'établit jnfenfiblement dans les Pays de
Hefîe & de Turinge (i lo) , après que ces Provinces eurent paffé fous
la domination des Francs , par la défaite d' ffermenfroi , Roi de Turinge ,
arrivée au commencement du fixiéme fiécle, ( l'an 530). Lorfque Saint
Boniface vint prêcher l'Evangile dans ces Contrées , environ deux
cens ans après , il trouva , comme on l'a déjà remarqué ( 1 1 ï ) , que
les gens du Pays alloient offrir des facrifices aux bois & aux forêts , le»
tins en cachette , & les autres hautement & en public. On voit bien
que ceux qui s*y rendoient ouvertement , étoient les partifans de l'an-
cienne Religion. Ceux, au contraire, qui faifoient profeffion du Chrif-
tianifme , n'y alloient qu'en fecret , de peur d'être recherchés & punis ,
s'ils avoient participé publiquement à l'Idolâtrie Payenne. Cette fuperf-
tition de faire des facrifices au pied d'un arbre confacré , étoit û enra-
cinée dans l'efprit des Peuples Celtes , qu'il fallut des fiécles entiers
pour les en détourner. De-là , les Canons des Conciles & les Capitu-
laires des Rois de France qu'on a eu occafion de citer ailleurs (ïizr), &
qui défendent fous de rigoureufes peines de véncrer les arbres & les
fontaines, de s'affembler dans les forêts, & d'y pratiquer quelqu'autre
fuperftition Payenne.
Nitute du §. XIX. Paffons à la nature même du culte que les Peuples Celtes rert-
rendoiraux" doient aux arbres confacrés. On trouve i**. Qu'ils alloient faire leurs
Arbiesconfa p^j^res devant ces arbres (113)5 & qu'il* y allumoient des flambeaux.
On verra, dans le Chapitre fuivant , la raifon de ce dernier ufage.
i*:". Ils arrofoient l'arbre confacré, (114) & même les arbres voifins ,
Au fang des hommes & des animaux qu'ils avoient immolés.
3''. Ils attachoientà ces arbres la tête ( 115 ) & la main droite des
hommes dont ils avoient fait un facrifice à leurs Dieux. On y clouoit
aufTi la tête des autres Viftimes (116) comme une preuve de la dévotion
(lio) Vcytx, Sn^iii/ini jimiquiiiutiCtntihfmità'
CbriJUtnifmi Turirtpci , lib. II. cap. 3 . 8{ 4.
^11 ij Ci-d. §. 3. not. ij.
(111) Ci-d.Liv. III. ch.4.§.2.not. 8. 13. I4.
Xeyfl. pag. 14. I s- '«• 74- Du Freine in Arbsres
Sttrivi Tora. I. p. 3 17.
I^it}) Ci-d. Liv. UI. ch. 4. {. 2. not, 12^ i).
(l 14] Ci-d. §. 4. not. jr.
(ii5)Tadt. Ann. I. 61. Strabo IIl. 154. Le»
Peuples qui avoient des Temples attachoient
ces têtes i U porte du Temple. Aiiim. Marcel,
lib. XXII. e. 8. p. 315. Cyrill. adverl. Jul. lib. 4.
pag. iz8.
(r j«) Ob oe fjftit ok jiczciai avoit pris ce
LIVRE IV. CHAPITRE II. 113
des Peuples , & de la multitude des facrlfices qu'ils ofFroient. C'eil ce
que Grégoire-le-Grand appelle faire un fatrifict facrilége de la tête des am-
i/taux. La tête étoit pour ainfi dire la portion de la Divinité. » Les AU
»»lemands», dit Agathias, ( n?) » fervent des arbres, des eaux cou-
n rantes , des coteaux , des vallées , & leur offrent des chevaux , &
M d'autres animaux auxquels ils coupent la tête », Le corps de la Vic-
time appartenoit à celui qui faifoit l'offrande , & fi la chair en étoit
bonne à manger, il en régaloit fa famille &c fes, amis, dans le feftia
dont le facrlfice étoit ordinairement fulvi. __
4**. Chacun faifoit des préfens , félon fon pouvoir , aux arbres confa-
crés, & les Guerriers , en particulier, avolent coutume de leur offrir une
partie du butin qu'ils fàlfoient fur l'ennemi. Ainfi Jornandès , après
avoir dit ( 1 1 8 ) » que les Goths appalfolent leur Mars par un culte
» extrêmement barbare , & qu'ils lui ofFroient pour viftime les prifon-
»niers qu'ils fàlfoient à la guerre », ajoute (119) que «les mêmes Goths
wvouoient au Dieu de la guerre les prémices de leur butin , & que
«pour l'honorer, Ils pendoient à des arbres les dépouilles, c'efl- à-dire ,
«les armes de leurs ennemis » ; c'eft ce que fignlfîe proprement le
mot latin de Spolia ou de Exuvia, Il n'y avoit pas jufqu'aux ornemens
militaires , dont les Celtes ne chargeafTent les arbres qui étoient l'ob-
jet de leur culte Religieux. Ainfi les Gaulois, conduits par Ariovlfle,
avolent felt vœu (12.0) d'employer le butin qu'ils ferolent fur les Ro-
mains, à un coller pour leur Dieu Mars. Marj efl le Dieu fuprême des
Gaulois , le même que Maxime de Tyr appelle ( m ) Jupiter , & dont
le fimulacre étoit un grand chêne. Cette coutume de -donner des coliers
aux arbres, s'étendolt jufqu'aux Perfes. Hérodote rapporte (ni)
que »Xerxès traverfani la Phrygle, y vit un Plane ou Platane (*) qui
qu'il dit du but de cet ufage : «Quand ils
» lui avoicnt immolé des viftimes , ils les pen-
» doicnt aux arbres d'alentour .auxquels, feloa
» leur croyance, le fang 8c l'attouchement de
» ces animaux facrés communiquoient une fain-
» teté ôc une vie prefque Divine.» Hiftoice de
f tance , avant Clovis p 40.
(117) Ci-d. Liv. UI. cb. 4. $. 2. net. i o.
(11?) Jom. cap. V.p. «17.
(119) Ibidem.
(lao; Floius II. 4. Cela airiva l'an de Ko-
(lit) Ci-d. §. Il not. lo).
li22JHerodot. VII. 31. .Slian. V. H. II. 1+;
(*) Le ?Unt eft un grand aibie dont les ra-
meaux s'étendent au large comme ceux du
noyer. Ses feuilles font grandes , 8c donnent
beaucoup d'ombrage. Le P/iiiedes Indes Otien'
taies ôc Occidentales, appelle auttcuient Muf»
• u le Bananier, eft une p'ante dont les feuilles
font longues d'environ 4, 5, ou 8. pieds, 8c
larges de 15 ou 1 8. pouces: elles peuvent fei-
vit de napes îc de fervjcttcs.
ai4 HISTOIRE D E S C E L T E S ,
»lui parut fi beau, qu'il y pendit un colier d'or, & qu'il laiffa encore
»unde fes gardes auprès de l'arbre, pour empêcher qu'on ne lui fît
«aucun dommage »; c'eft-à-dire , que cet arbre reçut 1 s mêmes hon-
neurs , que l'on rendoit aux arbres eonfacrés. Hagemberg s'efl donc
alTurément trompé ( 113 ), lorfqu'il a prétendu que la coutume d'atta-
cher des rubans , des bandes , & d'autres ornemens aux arbres auprès
defquels on imraoloit les Viâimcs , vient originairement d'Italie, ôc
qu'elle a paffé de-là , non-feulement en Germanie , mais encore dans les
Gaules & en Angleterre. Cet ufage étoit anciennement établi parmi tous
les Peuples de l'Europe, ôc ce n'étoit pas de l'Italie qu'il avoit été
porté en Perfe,
5'. Enfin les arbres eonfacrés étoient encore une efpéce d'oracles
oii l'on confultoit la Divinité & où l'on recevoit fes réponfes. Les Cel-
tes croyolent ( 124 ), comme on l'a remarqué ailleurs , que le mouve-
ment des branches &C des feuilles d'un arbre, le bruit qu'elles font,
quand elles font agitées du vent , étoient des fignes &c des preftiges
fort intelligibles , pour un homme verfé dans la fcience des Divina-
tions. En conféquencç de ce préjugé , les dévots , quand ils étoient
en prière devant un arbre confacré , faifoient une grande attention à ces
fignes que la Divinité leur donnoit pour les Inflruire de leur deftinée.
Delà vient que les anciens Canons défendent , non-feulement (iij)
d'adorer la Divinité devant des arbres , mais encore d'y faire des en-
chantemens 6c des obfervations. Ces abus marchoient ordinairement l'un
à la fuite de l'autre. On adoroit la Divinité que l'on croyoit préfente
dans l'arbre. Enfuite on lui demandoit quelque Oracle , ou quelque
inerveille , on faifolt des obfervations & des enchantemens ; des ob-
fervations pour être inftruit de l'avenir ; des enchantemens pour con-
jurer la Divinité , & pour en obtenir quelque çhofe d'extraordinaire ;
en un mot, on exerçoit fous l'arbre les deux arts qui faifoient l'efTentiel
de la Religion des Celtes , c'efl-à-dire , la Divination & la Magie. C'efl
•ce qui fait juger que Içs arbres confaçrés n'étoient pas feulement, p^r-
(113) Hagemberg. Germin. Med. piff. VIII.
S. 29. pag. 102.
(124, Ci-d. Liv. III. eh. 4. §. 10. & 1 1.
(lis) Leg. Longob. ap. Lifidcnbr. lib, II.
Tic. 38, Le^. I. pà^. £3|. Çoncil, Anùofiod.
Can. 3. Du Frefn. Gloff". in arbores Sucrivi,
Tora.l. 327. Voyez, aatti le Gloflairedc Linden-
brog p. 1557. Keyflcrp. 71-72. & çi-d. l-iV' nj,
ehap. ^. §. 2. not. ij^
LIVRE IV. CHAPITRE II. 115
mi ces Peuples , des fymboles & des fimulacres auxquels ils attachaflent
l'idée & le culte de la Divinité. Ils ont dû croire néceffairement qu'il
réfidoit dans les arbres confacrés , quelqu'Efprit capable de donner
aux hommes les grâces qu'ils venoient lui demander, & de les i^-.
tniire de ce qui Its attendoit dans l'avenir.
Savoir , après cela , fi l'intelligence que l'on plaçoit dans les ar-
bres , étoit le DieuT^w, l'Efprit univerfel, ou quelque Divinité fu-
balterne , c'eft ce qu'on n'oferoit déterminer formellement. Comme les
Gaulois choififfoient de grands arbres , pour être des fimulacres de leur
Jupiter, c'eft-à-dire , du Dieu fuprême, comme ils oiFroient à ces ar-
bres des viûimes humaines, & d'autres facrifices , il y a lieu de préfu-
mer qu'ils étoient dans l'opinion que l'ame du monde, unie naturellement
à tous fes ouvrages, fe manifeftoit & fe communiquoit, cependant, d'une
façon particulière aux hommes , dans les produûions dont le Genre-
humain tiroit le plus d'utilité , comme l'étoient les arbres & les fontai-
nes, & que c'étoit là , par conféquent, qu'elle de voit être principalement
fervie.
§. XX. Il ne fera pas inutile de remarquer encore ici, que tout ce qui a
été dit du culte que les Gaulois & les Germains rendoient à des arbres ,
avoit été obfervé de Ja même manière , & de toute ancienneté en
Grèce & en Italie. Les Grecs avoient dans la forêt de Dodone (i 16) , un
Oracle fort célèbre, qui pafToit pour avoir été établi parlesPélafgesfiiy),
& quj étoit conftamment ( Î2.8) le plus ancien de toute la Grèce. La Di-
vinité que l'on fervoit dans cette forêt étoit, félon les uns, Jupiter (129).
Seloh les autres, la forêt étoit confacrée à (130) Jupiter &c à Vénus. Ce
n'efl pas de quoi il s'agit ici ; & d'ailleurs , cette différence peut fe con-
cilier facilement par la remarque que l'on a faite ailleurs , que les anciens
Habitans de l'Europe ne féparoient point le culte du Dieu fuprême , de
(i26)^Elle e'toit dans la Thefprotie qui, fé-
lon Clavier , s'appelle aujourd'hui Vnjelmi , vis-
à-vis de rile deCorfou. Clavier, introd.p. 39*.
EUripid. Phœnifl". v. 989. Voyez ci-d. not. 132.
félon d'autres, elle etoitdans le Pays des Mo-
loffes, ou des Perhœbiens. Homer. Iliad. II.
V. 749. Euftath. ad h. loc. p. 3 3 5- Solin. cap. 7.
pag. i«. cap. 12. pag. 201. Les Thefprotiens ,
. les Moloffes 5c les Pethœbiens e'toient des Peu-
ples de l'Epiic qui occupeient fucccûivemcat
le territoire de Bodone. Voyez Palmeiii, Gr«c.
Antiq. lib. 2. cap. 8. p. 321.
(127) Mattian. Heiacleot.v. 441. & f. Strab.
L. VU. p. 327- IX. p. 402. Voyez auffi ci-deff.
Liv. I. ch 9. p. 125. & f.
(1 2») Herodot. II. 52.
(129) Homer. Iliad. XVI. t. ïj), Voye» U
not. Î17.
. (i3o)Voyezci-d. lanot. 133.
%i6 HISTOIRE DES CELTES,
celui de la Terre , qu'ils appelloient fa femme , &c qui eft , félon toutes,
les apparences , la Fénus dont il s'agit ici. L'Oracle même de Dodone
étoit un (131) chêne. Quand quelqu'un venoit confulter cet Oracle ,
iffL lui fàifoit voir de loin l'arbre (131), qi i fe remuoit avec un cer-
tain bruit, après quoi, la PrêtrefTe prenoit la parole, & répondoit au
«cm de Jupiter. Il y avoit au pied de l'arbre (!33) une fontaine , par
le murmure de laquelle les Dieux déclaroient aulïï leur volonté. Voilà
une conformité bien marquée entre les Celtes & les premiers Habitans
de la Grèce. Le plus ancien Sanûuaire des Grecs étoit une forêt. Il y
avoit au nj^liçu de la forêt un arbre confacré , qui étoit le fimulacrç de
Jupiter, & qui, par cela même, rendoit des Oracles.
On trouve dans le Scholiafte d'Ariftophane une autre particularité ,
qui mérite d'être rapportée. «Les Laboureurs, dit-il, (134) ont cou*-
♦> tume , e» Grèce , de clouer aux arbres la tête Se les membres de quel»
w que animal-, ils croient prévenir, par-là, les maléfices dont on pour-
> roit fe fervir pour faire mourir les arbres. Les Chaffeurs , qui ont fait
«quelque capture, ont aulîi coutume , en l'honneur de Diane , d'at-
w tacher à quelqu'arbre de la forêt, où ils ont chaffé, la tête ou un
» pied de l'animal qu'ils ont tué. » On voyoit la même chofe dans toute
•^a Celtique , & il paroît fort vraifemble que ces dilFérens ufages ti-
Toient leur origine du culte que les anciens Habitans de l'Europe rea
doient aux arbres.
Temples & On a promis de dire auffi un mot concernant la Religion de ritalie.
d'ei anciens Lcs Aborigines , qui étoient les maîtres du Pays Latin, avant que le$
Peuples de n.pgj.^gj y euffent envoyé des Colonies , faifoient leurs Affemblées Re-
-ligieufes fous des arbres qu'ils confacroient à leurs (135) Dieux, &ils
^pendoient à ces arbres les dépouilles de leurs ennemis. « C'étoient-là au-
^Mtrefbis, dit Pline (136) , les Temples des Dieux , & les gens de la cam-
» pagne, qui ont confervé plus long-tems l'ancienne fimplicité, confa*
M crent , encore aujourd'hui , à la Divinité de grands 6f beaux ar^»
( U I ) Hormei. Odyff. XIV. v. 3 2 7. XIX, v. » 9 « ■
Virgil. Georg. II. v. i«. Seivius ad h. 1. f. 100.
idem ad Geotg. ). v. S. p. 61. Stephan. de Uib.
pag. 510.
( 1 3 z) Suidas in Otioni. Euft, ad, Iliad. II. ï$ o.
(134) Schol. Ariftoph.flat. p, 34. Col. s.
(13 s) Liyius, lib. I. cap. 10. Virgil £neid.X.
V. 423. Sciviusad h. I. p. 617. Lusan. lib. I.
V. I3<.
(13<) Plin. lib. XII, cap. i. Virgile dit à-pe<)-
pag. 33 J. pt" la même ehoCc, Georg. lib. jir, v. jja.
(i ^ 3; Seirilu ad igneid. lll. y. 4«<. [ {cIyi^s ad h. 1.
»»i>res.i»
LIVRE IV. CHAPITRE H. 117
»> bres. » Feflus remarque auffi (157) que le nom de Fagutal , que portoit
une Chapelle de Jupiter , tlroit Ibn origine de ce qu'il y avoit eu ancien-
nement, à la même place-, wn hêtre confacré à ce Dieu. Il y a bien de
l'apparence que l'arbre de la forêt d'Aricie , dont on a parlé ailleurs
(i j8), & auquel il étoit défendu de toucher, étoit aufli le fimulacre de
la DéeflTe. Le culte extérieur des Peuples Sarmates ne dilféroit point,
fur cet article , de celui des Celtes. Au moins, Helmoldus (139) témoi-
gne avoir vu dans le Pays des Sclaves, de vieux chênes qui étoient
confacrés au Dieu Provcn. On trouve même, encore aujourd'hui, dans
les vafles Contrées de la Mofcovie , divers Peuples Scythes qui confer-
vent le même culte. «Les Czérémiffes du Royaume de Cafan (140),
» dit Stralemberg , tiennent leurs Affcmblées Religieufes fous un arbre ,
» & pendent à c?t arbre la peau & la carcaffe des vidinies qu'ils ont of-
«fertes. Les Jakutes , qui font un Peuple ds la Sibérie ( 141 ), font
» auiïi leurs dévotions autour d'un grand arbre , & y pendent la tête
»des chevaux & des bœufs qu'ils ont immolés, avec toute forte de
» bagatelles de fer & de cuivre.' »
§. XXI. Quand un arbre confacré mouroit, ou de vieillelTe, ou de quel-
qu'accident , il ne perdoit pas pour cela le privilège d'être le fy mbole de
la Divinité. On en ôtoit l'écorce , on le tailloir en pyramide ou en co-
lonne , afin qu'il durât plus long-tems , & on lui rendoit , fous cette [;,'i,''nts''"o^r
nouvelle forme, les mêmes honneurs Qu'auparavant. Ainfi le Moine = ,= }' ,^5""'
Vitikind rapporte «que ('141) les Saxons rendoient un culte reli- viuité.
M gieux à des colonnes , qui étoient l'effigie de leur Mars. >» Ils fer-
» voient, dit Adam de Brème (143), un tronc d'arbre, extrêmement
«haut, qu'ils appelloient en leur Langue Irmmjul , & qui figftifîe ,
»> en Latin , la colonne univerfelle. » Selon Valérius Plaçais , les Co"
ralies. Peuple Scythe , ou Thrace , (144) avoient pour funulacres de
Jupiter de grandes colonnes. La même chofe fe pratiquolt aufli en Grè-
ce, oit les plus anciennes ftatues (145) d'Appollon, de (146) Junon,
Quard lis
Aibrfs cor.fa
çtcs niouio!-
e.it , les Cel-
tes en fai-
(137) Pomp. Feftus Pauli Diac. p. i8«.
(i3 8)Ci-d.LiT. III. ch. 8. §. lo. not.«j.&
Lit. II- ch. il. p. ztj.not. 78.
(139) Hclmold. cap. 84. p. i8z.
(140) Stralemberg , p. 341Î-4.IS.
(l4l)Ibid. p. 37«' ,, ,
(142; Ci-d. Liv. III. ch. 7. §. I. not.'lt. ' .^
(143) Ci-d. Liv. III. ch, 7. §. I. not. II.
Ttmc II,
(144) Valerius FUccus, lib. vi. v. 89.
(14s) Cleni. Alex. Strom. lib.I. p.419. On
a remarque ailleurs que cet Oracle avoit été
fonde' par les Hjfpcrbotce^s. Paufan. Phocic. V.
pag. 809.
(146 Clem. Alex. Strom. lib. I. p, 41», Voj,
Scaligcr not. ad Eufcb. Chron. p. 24.
Ee
iiS HISTOIRE DES CELTES;
de (147) Cérès & de (148) Pallas , étoient des colonnes. Il y a lieu de
croire que les dévots emportoient dans leurs maifons , les branches qui
tomboient des arbres confacrés, & qu'ils en faifoient l'objet de leur
culte religieux , quand une maladie, ou quelqu'autre obftacle les empê-
choient d'aller faire leurs prières au pied de l'arbre même. On ne peut
guères expliquer autrement ce qui eft rapporté (149) > que les Cariens
fervoient en la place de Diane une pièce de bois, qui n'étoit pas môme
polie, & (150) q"e les Romains vénéroient, comme une Divinité,
un gros t)âton dont on avoit ôté l'écorce. Les branches du bois facré
, . étoient des efpèces de Reliques auxquelles on attribuoit la même vertu
qu'au corps & au tronc de l'arbre dont elles avoient été détachées ; de
la même manière que les Catholiques Romains vénèrent, non -feule-
ment divers membres du corps d'un Saint , mais encore fes cheveux, fes
habits , &c. en un mot , tout ce qu'ils croient lui avoir appartenu , & tout
ce qui a touché à fon corps. ....
les ceifcs §. XXII. Il paroît, partout ce qui vient d'être dit, que les Peuples
qiie'Tois'uL Celtes , qui avoient une demeure fixe , choififToient ordinairement
symbo^rde'*" ^uelquc bel arbre , pour être le fimulacre du Dieu qu'ils âdoroient ,
u Divinité, g^ pour en faire, conféquemment , l'objet fenfible de leur culte. On
trouve, cependant, que quelques-uns de ces Peuples plaçoient, au mi-
lieu de leurs Sanftuaires, un caillou, ou quelque groffe pierre , qui n'eût
point été travaillée , autour de laquelle ils alloient faire l'exercice de
leur Religion. On a vu ailleurs (151) que les Celtes, pour empêcher qu'on
ne remuât la terre des lieux confacrés , y portoient un grand nombre
de groffes pierres. Mais ceux dont il s'agit ici , avoient, outre cela , une
pierre qui portoit le nom de la Divinité dont elle étoit le fymbole , ôc
dont elle recevoit les honneurs. En Phrygie (iji), le fimulacre de la
Mère des Dieux étoit une pierre qui , dans une certaine faifon de l'année ,
étoit promenée en pompe par tout le Pays. Sur le Mont Ida, où la-même
Déeffe avoit un Sanûuaire fort célèbre , l'objet du culte étoit un cail-
lou confacré , que l'on voyoit au pied d'un grand chêne :
{147) TerfuUian. Apologet. p. 17.
( 1 48) Voyti. là note précédente.
(149) Atnobias, lib. vi. p. 157.
(150) Sext. Pomp. P. Diac. p. 27». Servîus
•d ffineid. IV. s 5. On peut , peut-être , rappor-
tei ici la rapeiftiiion que le Code Theodoiien
condamne fous le nom de Dendropheri , Leg. 20.
dePaganis. V. Du Frefne , GloflT. Tom. II. p. «i.
(i 51) Ci-d. §. 2, notes 20. a t. & Livré HI.
ch. t. §. 13. ch. 14. §. 8. not. «s.
(i$2) Ci-d. Liv, III. cb. <. $. ;• not. 1$. te
fuir.
LIVRE IV. CHAPITRE II. 119
Religiofa Silex, deiifïs quam Pinus ol uinbrat
FronJibus (i s 3J.
Appollonius rapporte dans fes Argonautiqiies (154), qu'il y avoit
dans une île voifine du Pays de Chofyniens un Temple , & dans le Tem-
ple une pierre noire , auprès de laquelle les Amazones alloient faire
leurs prières, & offrir leurs facrifices. On ne peut pas douter que ce
ne foit là auffi le (155) Jupiter Lapis des Peuples Scythes de l'Afle-mi-
neure , que l'on voit fur plufieurs anciennes Médailles.
Au refle , ce culte n'étoit pas particulier aux Scythes qui avoient
pafle en Afie. Il avoit été établi dans toute la Grèce (i 56), « où l'on ren-
» doit anciennement les honneurs divins , non pas à des Idoles , mais
» à des pierres brutes. » Les Canons qu'on a eu occafion de citer ailleurs ,
ôt qui défendent (157) d'adorer des pierres, prouvent même que cette
forte d'idolâtrie étoit reçue dans une grande partie de l'Occident.
On ne fait fi les fymboles auxquels les anciens Habitans de l'Europe pabiefuru
attachoient l'idée & le culte de la Dinité , ne feroit pas l'origine de la Fa- ^;,'^^°° "^^
ble qui porte (158) que le Genre humain a été formé (ex /pvav x.a.\ itr^oùv)
de chênes & de pierres. Les nouveaux Grecs débitoient des fables ridicules
fur la formation de l'homme. Les Pélafgés , qui fe moquoient de ces
fables , difoient que le Créateur de l'homme étoit le Dieu des chênes &
des pierres^ c'eft-à-dire , le Dieu Teut , l'Être fuprême qui étoit adoré
dans ces fimulacres. Peut-être que les partifans de la nouvelle Religion,
pour donner à leur tour du ridicule aux Pélafgés , les accufoient d'en-
feigner que l'homme étoit né d'une pierre ou d'un chêne. C'eft une-
conjeûure qu'on ne voudroit , cependant , pas garantir : on l'abandonne
de bon cœur aux Lefteurs , pour la recevoir, bu poiir la rejetter,
comme ils le jugeront à propos.
§. XXIII. L'on croit pouvoir conclure préfentement que les fimulacres ^es Romain»
qui repréfentent la Divinité fous la forme de l'homme , ou de quelque "j°"/i',^£,'i*'
anijnal, n'appartiennent pas proprement à la Religion des Peuples Cel- ""«> ^°^^ '»
(153) Claudian. de Rapt. Prof. lib. I. v. 114.
(1 54) Apollon. Argon, lib. II. ïs«.
(i$s) Science des Médailles , p. x»4.
(15«) Paufan. VII. 579.
<lî7) Ci d. Liv. III. ch. 4. Ç. i. not. t. 13.
& 14. Can. 20. Concil. Nannet. apud Labbeum
Tom. IX. p. 474. & f. Vojiz. d'autres Csuions.dans
KeyAct , Antiq. Sept. p. 13-1 f.
^tjs) EuAath. ad Iliad. I, ]p. 24. Etymolo*
gicon magnum in voce TsAsK^aroir pag. (S47.
Virgil. Eneïd. VIII. v. 315. Juvenal. Satyr. S.
Euftathc ad Iliad. XVII. V. ii6. p. ii«2. don-
ne, cependant , une autre raifon de cette Fable.
Il dit «que, comm« les Anciens expofoient les
» nouveaux nés dans des chênes Se dans des piei-
»res cave'cs , ceux qui trouvèrent des cnfansainfî
» expoféî, publièrent que les hommes e'tpicnt
«produits pai les chênes, & par les pierres.»
£e X
iio HISTOIRE DES CELTES,
l'homme, tcs. Par-tout oii l'on eji trouve , l'ancienne Religion étoit déjà alté-
mi^deNu- rée & corrompue par des fuperftitions étrangères. Quelques exemples •
uL ""^' rendront la chofe plus fenfible. Numa Pompilius , qui étoit (159) Sa-
bin d'origine , & qui demeura toujours attaché à la Religion de fes
Pères , avoit défendu aux Romains (160) de faire des images de la Divi-
nité, & de lui attribuer la forme de l'homme, ou des aninnux. «Il
» croyoit , dit Plutarque (161), que des chofes baffes & viles ne font pas
» propres pour en repréfenter d'autres plus excellentes , & que la Di-
«vinité ne peut même être conçue autrement que de la penfée.» Cette
Loi demeura dans toute fa force, jufqu'à l'an 1 70 de Rome (: 6x) , & on
ne voyoit ni image , ni ftatue dans les Temples & dans les. Chapelles
qui avoient été bâties avant ce (163) tems-là.
Ce ne fut qu'après l'année dont on vient de parler , que Tarquin
l'ancien (164), qui étoit Grec d'origine , Si qui avoit été élevé en Hé-
trurie (165), inonda la ville d'Idoles & de fuperftitions étrangères. On
croit même entrevoir que ce'changement avoit fouffert de grandes &
longues oppofuions , puifque Tarquin ne vint à bout d'introduire à
Rome le culte des Grecs, que l'an 170, qui étoit la trente-deuxième
de Ion régne, dont le commencement tombe (166) fur l'an 138.
les Pcrfcs Les Perfes n'avoient anciennement ni Images (167), ni Statues,
"mages, ni ni Autels; ils en condamnoient même l'ufage , par les raifons que l'on
Au'tcU jur-' ^ expofées (i6S) ailleurs. Artaxercès Mnemon qui commença à régner
d-AruxS ^^^^ ^^ ^" ^^ ^^ XCIII Olympiade , fut le premier qui introduifit, parmi
Macmon. les Perfes, des fimulacres qui avoient la forme de l'homme ( 169 ) : il fit
placer , en divers endroits de fes Etats , des Statues de la Fénus-Anaïtis,
Jules-Céfar dit (170) que les Gaulois fervoient principalement Mercure ^
(159) Voyei. ci-d."Liv- I. ch. lo. p. «4. &
fuiv. J,iv. III. ch. 8. §. 10. not. 108.
(160) Clem. Alex. Strom. lib. I. ^ap. 15.
fag- 3 5«- ' '
(i«i) Platârch. in Num. Tom. I. p. «j.
(iSî) Vejexa la note précédente. Auguft. de
Civic, Dei lib. iv. cap. 3 1. p. %S9-
(i«3) Voy. la not. 161. Ovid. Faft. VI. v. Z9<.
Numa Pompilius avoit fondé le Temple de
Vefta. Ci-d. Liv. III. ch. 10 §. i. not. 8.
(164) Strabo V. 219. VIII. 378.
{i«S) Tertull. Apol. p. 27. zS. Vcyet. fut ce
yaflage de TeiulUcn VolT. de Idol, Gentil, l (170J Csfai YI. 17.
■ «
lib. IX. cap. s. p. 213.
{166) Dionyf. Halic. lib, xii. p. 184. C'eit
l'an de Rome 138. Solin. cap. 2. p. 153. Petav.
Rat. Temp. lib. II. pag. S4.Eiifebe met le com-
mencement du règne de Turquin l'ancien à
l'an de Rome 134. Can. p. 159.
(167) Herodot. I. 13 i- StraboXV. 731. Diog,
Laert- p. s • Se fui».
(l«8) Ci-d. Liv. III. ch. 4. §. 9.
(iSs) Clem. Alex. Coh. ad gent. p. 57. Il y
a dans le Grec tv Aapsi'ii» 7? mnw , qu'il faut
I traduire Dirii Ochi filio.
L I V R E IV. C H A P I T R E II. m
que c'étoit celui de tous les Dieux dont on voyoit le plus de fimulacres
dans les Gaules. L'on a montré que cq Mercure (^ij \) eft le Teutat,\&
Dieu fuprême des Gaulois. Maxime de Tyr qui l'appelle Jupiter, nous
avertit (lyi) que fes fimulacres étoient de grands chênes. L'un de ces
paflages explique l'autre , & fait voir que Jules-Céfar a pris ici le mot
de Simulacre dans un fens général & impropre. On n'ignore pas que
Lucain (173) , parlant de ce bocage facré que les Gaulois avoientdans
le voifinage de Marfeille, fait mention de quelques fimulacres qu'on
y trouva , & qui n'étoient pas les arbres mêmes. «On voyoit , dit-il,'
» fur des troncs d'arbres , les trifles fimulacres des Dieux. » Il ne feroit
pas furprenant que les Gaulois étant aux portes de Marfeille, euflent
adopté qiielques-unes des fuperftitlons des Grecs, & particulièrement
celle de repréfenter & de fervir les Dieux fous la forme de l'homme.
Mais Lucain remarque expreffément « que les fimulacres étoient faits fans
»art, qu'ils n'avoient aucune forme, & que la terreur qu'ils donnèrent
» au Soldat Romain , fut d'autant plus grande qu'il n'avoit jamais vu
«des Dieux d'une femblable figure (174) : » ^'^^''^ •
. . . . SimuUctaque moefta Deoium ,
Arte carent , cifis exftant informia truncis.
Ipfc (îtus, putrique facit jam robore pallor,
Attonitos : non vulgatis Sacrata figuris,
Namina fie metuunt ; tantum terroribus addit,
Quos timeant non iiolTc Deos
Ce n'eft donc (175) que depuis le tems de Lucain, que les Images & les u% cauioU
Statues commencèrent à s'introduire dans les Gaules. Elles furent adop- ?' ''""l **"
r Images 8c
tées beaucoup plus tard dans l'Allemagne, puifque, du tems de Tacite ■'^rig"=-T:
(176) , c'étoit, félon les Germains, dégrader la majefté des Dieux ce- qie depuis u
»leftes, que de les emprifonner dans des Temples, & de les repréfenter cain-, lescet-
»fous une figure humaine. Ils n'avoient point d'autres Temples que pLurTici».
»les bois & les forêts , qu'ils confacroient à leurs Divinités qu'ils
wadoroient en efprit, fans ofer porter les yeux fur les retraites pro-
(171) Ci-/. Liv. ni. ch. «. j dole de Cern-tnus , ci-dcff. Liï. III. ch. 5. §. itf.
net. zoz. IC3. à l'Image d'Hercule O^mim , ci-
(«7lOCi-d. §. i«. not. 103, 8c Liv. III. c'i. +.
§. 5. not. 13.
(173' Ci-d. §. 4. not. 31.
(174) Lucanus lib. m. r. 41 z. & feq,
^17 s) XI faut appliquer cette leflexion aux
Images & aux Statues dont il eft fait mention
iiai l'Hiftoiie ia Gaules, pat exemple, à l'I.
deflus , Liv. III. ciiap. 14. J. s. & en gene'ral à
toutes les Statues <jue l'ou a déterrées & que
l'on de'terte encore tous les jours en France.
(17Ô) Tacit. Geim. cap. 9. ci-deflT. Liv. III,
ch. i. 5. 2. not. t.
Réponfe à
jeéUons,
iiz HISTOIRE DES CELTES,
» fondes où elles habitoient particulièrement.» Si le même Hiftorien
ne laifle pas de faire mention, quelques lignes auparavant, d'un fimu-
lacre diljîs , que l'on voy oit dans le Pays des Sucves , il avertit , en même
tems , «que cefimulacre, ( dont on a dit ailleurs ( 177) ce qu'on en
»penfoit'), avoit la forme d'un vaiff.^au Liburnien (*)• »
:, §. XXIV. Il faut avouer, cependant , que l'on trouve dans les An-
ciens quelques partages , qui femblent détruire le fentiment que l'on
vient d'établir, & qui attribuent aux Celtes des Idoles parfaitement fem-
blables à celles des Grecs & des Romains. Il eft jufte de rapporter ôc d'é-
«laircir en deux mots ces paffages.
Clément d'Alexandrie remarque , après un Auteur plus ancien (178),
« que les Idoles des Thraces avoient les yeux bleus & les cheveux
»» blonds, au lieu que celles des Maures étoient noires & camues.» Voi-
là , dit-on , les Dieux des Thraces repréfentés fous la figure de l'hom-
me ! On ne difconvient pas du fait. Les Thraces , peu éloignés de la
Grèce & de l'Afie , reçurent d'affez bonne heure de leurs voifms , les
Idoles , auffi-bien que la Polygamie. Mais ils s'étoient écartés fur ces deux
articles de la pratique des autres Celtes, & pendant un tems, des Peu-
ples Thraces ( 179) avoient eu pour fimulacres de Jupiter , de grandes co-
lonnes , & pour fimulacres du Soleil (180), un petit difque attaché à
une longue perche.
Macrobe rapporte que les Accitains , qui étoient un Peuple de l'Ef-
pagne (181) , avoient un fimulaçre de Mars , pîi ce Dieu çtoit repré-
(177) Ci-d. Liy. III. ch. I6. §. 5.
(*) M. l'Abbé de U Bletterle cpnjeflute ,
fur cçt endroit de Tacite, que «les Suèves re-
» gardoienc apparemment comme une Dcefle la
w Divinité' qu'ils honotoient fous la forme d'un
»> vaifTeau. Ifis paflbit pour être l'inventrice de
,>).la, navigation : c'atoit la Patrone des Niviga-
n'teurs. En falloit-il davantage , conclut M.
•pT-AbUe' de laBletterie, pour faire dire aux
» Romains que les Suèves adoroient Ifisî» Je
.fuis perfuade' avec M. Pelloutier ( Liv. III.
th. XVI. §. s. ) que les Suèves n'adoroient point
de Divinité fous U forme d'un vaifTeau. Celui
que Tacite prit pour le Simulacre d'Ifis étoit
quelque prife faite fur les ennemis des Suèves:
oK l'avoir apporté dans un Sanftuaire du Dieu
de la Viftoire.pour y être un monument perpér
mcl de la défaite des ennemis de la Natioii
Suévique. Tacite fugea donc de la Religion
des Germains par celle des Egyptiens , au mi-
lieu defquels le valffeau étoit le Symbole d'Ifis.
Auffi l'Hiftorien Romain avoue-t-il qu'iJ n'trien
fm découvrir , chei les Suèves , fur la cnufi éf
^ùrigint de ci culte étranger. Il ajoute immédiate-
ment après , que les Germains n'avoietii ni Simu-
lacre , ni objet fenfhie fie leur Religion , qu'ils don~
tfoient le nom des Divinités mêmes aux Forets cenftL^
cre'ef à leur honneur , & qu'ils les adoroient en efprù ,
fans tfer porter les yeux fur Iturt retraites frofondci.
Note de l'Editeur.
(178) Clem. AJejc. Sttom. lib. vu, cap. 4.
pag. 84I.
(179) Çi-d. §, 2j. not. I44.
(lîo) ci-d, Liv. III. ch 4. §. J. not. ï3.
(j8i) Çi-d.Liv. in. c(i. 7. §. I. not. î^
LIVRE IV. CHAPITRE II. 213
^enté , ayant la tête environnée de rayons. Mais , comme les Accitains
étoient établis clans l'une des Provinces Maritimes de l'Efpagne , &
peu éloignés de Carthagêne , on ne doit pas douter qu'ils n'euffent reçu
des Carthaginois un fimulacre qui , félon les apparences , repréfentoit le
Soleil (182), le grand Dieu des Phéniciens, plutôt que Mars.
On trouve dans Hérodote (183), que, lorfqu'un Chef de famille mou-
roit parmi les Scythes , appelles Iffedons , les enfans qu'il laiffoit après
lui, décharnoient le crâne de leur père, le faifoient enchafler dans de
l'or, après quoi ce crâne devenoit un fimulacre domeftique, auquel la
famille du défunt offroit des facrifices annuels, & qu'elle vénéroit encore
par d'autres cérémonies. L'on a indiqué ailleurs ce qui peut avoir
donné lieu à cette méprife de l'Hiftorien Grec. Les Peuples Scythes &
Celtes confervoient précieufement les crânes , les uns de leurs parens ,
les autres de leurs ennemis. Ils expofoient ces crânes dans les lieux
confacrés, ils y buvoient dans les grandes folemnités, & fur-tout pen-
dant l'Affembîée générale, qui fe tenoit tous les ans , au milieu de cha-
que Peuple. Voilà l'origine d'un conte qu'il n'eft pas poffible d'accor-
der, ni avec la Religion des Scythes, qui ne connoiflbient point le culte "
des morts , ni avec ce qu'Hérodote lui-même dit ailleurs des Scythes en
général (185), qu'ils ne confacrolent des Simulacres, des Temples & de«
Autels qu'à Mars , & que le fimulacre de ce Dieu étoit , parmi eux ,
une épée. Peut-être auffi qu'Hérodote n'a pas mieux connu les Iffedons
(186), que les Arimafpes &C les Griffons , qu'il leur donne pour voifins.
L'Auteur de /a Religion des Gaulois dit (187) « que les anciens Gau- Ertoiir de
. »lois faifoient un Dieu d'un Taureau d'Airain fur lequel ils juroient, ^'itengien^'da
» & que c'eft-là le veau d'or tout pur des Ifraëlites. » Si le fait étoit '''"''»"•
certain , il faudroit en conclure que les Gaulois repréfentoient la Divi-
nité , non-feulement fous la forme de l'homme , mais encore fous la
figure des animaux. Mais , affurément , cet Auteur s'eff trompé , ou
plutôt il a fuivi trop légèrement une penfée qui étoit venue à M. Eccard,
& qu'il a communiquée au Public dans la Préface (188) qu'il a mife à
la tête des CoUectanea de M. Leibnitz. Pour ne pas renvoyer le Leâeur
m ■ ' ■
(i8i' Ci-d. Liv. m. ch. 12. §. z. j (i 8S) Herodot. IV. 17.
(183) Heiodot. IV. l$.Ci-d. Liv. II. chap. 3. I (i>7) Kelig. des Gaulois , Liv. I. pag. 55.
|iag. 54. not. (3. 1 Liv. III. p. 7'.
(iSj) Ci d. §. ii.note l|. I (t<8}Fisfac. ad ColleAan. Leibnitz, p. 24,
214 H I s T O I R E D E s CELTES,
à la Bibliothèque Gertnanïqiu (i§9), où la conjefture de ces deux Savans eft
djfcutée, on va expofer les raifons qui doivent empêcher d'y acquiefcer.
Tout ce qu'on a dit de ce Taureau d'airain eft fondé fur un paffage
de Plutarque, qui dit, dans la vie de Marius ( 190) , « que les Cimbres
» ayant attaqué & emporté un Fort , qui étoit fur le bord de l'Adige , ad-
» mirèrent la bravoure avec laquelle les Soldats Romains l'avoient dé-
» fendu , & qu'ils renvoyèrent ces Soldats fur leur parole , après leur
«avoir fait prêter ferment fur le Taureau d'airain, qui ayant été pris
» enfuite fur les Cimbres , fut porté dans la maifon de Catulus. »
u Taureau On a conclu delà que non-feulement les Cimbres , mais encore les
anciiis G.iu Gaulois , & tous Ics Pcuples Celtes en général , faifoient un Dieu d'ua
point unUicf. Tauteau d'airain, qu'ils le portoient à la guerre , qu'ils le prenoient pour
vàm"Mu"on- ^^^'■"oi" & pour garant de leurs promeffes. Cela n'eft point du tout
«"^ifïï" croyable. Tacite, qui étoit poftérieur à Marius de plus deux cens ans,
des viitimcs avertit « que ce n'étoit point la coutume des Germains de repréfenter
fur lequel ils » les Dieux céleues fous la forme de l'homme : » à plus forte raifon ne
les Traités de Ks reprcientoient-ils pomt lous la ngure des animaux.
fiance. ^ " Voici donc ce que c'eft que le Taureau d'airain , dont le P. Dom
Expiicition Martin a fait un Dieu. Nous avons vu (191) que les Celtes, quand ils
dc"i"iuur'.iuc^ immoloient des viûimes humaines , en recevoient le fang dans un vaif-
rAijt';"il't"diia ^^^^^ confacré à cet ufage, ôc qu'enfuite ils alloient le répandre fur l'é-
^«//Viofl des rtée de Mars. Strabon dit quelque chofe de femblable des Cimbres
fondé fi con- C igi ) : « Comme les femmes des Cimbres les fuivoient à la guerre,
» ils avoient auffi dans leur armée des Prophéteffes qui étoient toutes
» grifes , habillées de blanc , couvertes d'un fàye de toile , attaché par
» le haut avec des boucles. Elles avoient autour des reins une cein-
»tùrede cuivre, & marchoient les pieds nuds. Ces femmes couroient ,
» l'épéé à la main ^ au-devant des prifonniers que l'on amenoit au camp,
» & après s'en être rendues maîtrefles , elles le menoient à la cuve
» d'airain , qui pouvoit contenir environ vingt féaux , a/j,(f o^ixv. Il y
» avoit fur la cuve un banc , oii la Prophéteffe montoit , & tiroit à
«foi les Prifonniers l'un après l'autre; elle leur coupoit la gorge, &
«fondoit (es divinations fur la manière dont le fang couloit dans le
» vaifleau. D'autres difféquoient les cadavres des Prifonniers qu'on ve»
(l»9)Biblioth. German.Tom. XXXVII. p.62. I (is>i)ci-d. J ii. not.Sj.
(iSo) Plutatch. Mai. Tom. I. p. ^il. | (iji) Strabo VII. 154.
»noit
L r V R E IV, C H A P I T R E ri. 215
w rioit d'égorger, & examinoient leurs entrailles; elles en tiroient des
»> divinations qui promettoient la viûoire à leur armée. » Comme ks
Germains appelloient leurs gobelets (191) Scalas , parce qu'on les
faifoit d'un crâne humain , il ne faut pas douter qu'ils n'appellaflent leurs
cuves, Oxkof, tête de bœuf, parce qu'elles étoient d'une plus grande
capacité ; au moins le mot d'OxhoJf fubfiile , encore aujourd'hui , dans
la Langue Allemande , où il fignifie une barrique , un grand vaiffeau.
C'eft-là, autant qu'on en peut juger, le Taureau d'airain (*) dont il
s'agit ici. D'un côté , les Cimbres juroient par leur cuve qui pafToit ,
parmi eux , pour la chofe du monde la plus facrée ; un femblable fer-
n-ent marquoit qu'ils vouloient être égorgés comme des Prifonniers ,
s'ils manquoient jamais à leur parole. Delà vient que , dans un traité de
paix qu'ils conclurent avec l'Empereur Augufte ( 94)> ils lui envoyè-
rent une de ces cuves , comme un gage de leur foi. D'un autre côté ,
on voit bien quel étoit le but du ferment que les Cimbres firent prêter
aux Prifonniers Romains fur le Taureau d'airain. Ils les avertiffoient ,
par-là, que s'ils portoicnt encore les armes contre les Cimbres , & qu'ils
vinflent à tomber entre leurs mains, ils auroient infailliblement le fort
des autres captifs dont ils voyoient ruiffeler le fang dans la cuve (*).
§. XXV. On a parlé jufqu'à préfent des Sanâuaires des Peuples Celtes tss sanami-
& de leurs fimulacres. Avant que de finir ce Chapitre, on doit ajouter p.i[mTits' ci!
quelques remarques qui appartenant naturellement au fujet qu'on foVt ùipettéi!
examine , fervlront encore à éclaircir des matières dont on doit traiter
dans les Chapitres fuivans , Se y prépareront infenfiblement le Lec-
teur. Les Sanftuaires étoient des lieux fort refpeftés ( 195 ) par les
Celtes. Ces Peuples /eur donnoient le nom des Divinités mêmes quils y ado-
rpicnt en efprit , parce qu'ils étoient perfuadés que les Dieux faifoient
(193 Ci-tl. Liv II. ch. 3. p. 130. note «4..
( * : Les Grecs avoicnt aulli leur manière de
faire ferment lui le Taureau, & ne lemcttoient
pas non plus au nombre des Dieux ; c'eft ce
qui eft clairement exprimé dans Echyle, & que
Boileau, dans fon Longin, a traduit de cette
manière :
Sur un bouclier noir fept Chefs impitoyables
Epouvantent les Dieux de fermens effroyables :
Près d'un Taureau mourant, qu'ils viennent
d'égorger ,
Tous la main dans le fang , jiuent de fe vanget,
Tomt IL
Us en jurent la Peur, le Dieu Mars ScBellone»
Hott de i' Editeur,
(i»V Strabo VII. 392.
{ • j On ne pouvoir, en effet, engager plut
fortement les Soldats Romains à tenir leur pa-
role Ce (ignc fenlible devoir faire plus d'ini-
prelTioii fut eux, que le refpeft qu'ils témoi-
gnoicnt pour les Dieux. N«« de l'Editeur.
( I 9 s) ytjet. en des preuves & des exemples
ci-dcflus , §. }. not. i. Livre III. chap. .6. §. i.
not 2. ji.cJi. !$• $■ I. not. 7.
Ff
ii6 HISTOIRE DES CELTES,
connoître , par des fignes fenfibles , qu'ils ctoient préfens dans ces lîeitx
confacrés : ils n'y entroient qu'avec une profonde vénération , & ils ea
défendolent l'entrée aux (196) lâches & aux fcélérats , que leurs Druides
avoient excommuniés. Il y avoit de ces Sandluaires (197) où «perfonne
Mn'entroit qu'il ne fîit lié, pour rendre hommage, par cette attitude
«humiliante , à la Majellé du Dieu qui l'habitoit. Si l'on venoit à tomber,
»iln'étoit pas permis de fe relever même furies genoux. 11 fàlloit for-
»tir en fe roulant. »> Il y en avoit d'autres qui jouilToient du droit d'afyle
(198). Quand un Prifonnier trouvoit le moyen de s'y glijTer, il falloit
qu'on lui ôtât fes chaînes & fes fers, qui étoient enfuite pendus à un
arbre , & confacrés au Dieu qui lui procuroit la liberté. On a montré
ailleurs (199) qu'il étoit défendu de remuer la terre des lieux confacrés»
pour ne pas troubler l'aâion de la Divinité qui y réfidoit. Par la même
raifon, c' étoit un facrilége d'abattre les arbres d'un Sanûuaire , & fur-
tout de toucher à l'arbre qui étoit le fymbole de la Divinité. Lucain ,
parlant de la forêt facrée que les Gaulois avoient encore dans le voifi-»
nage de Marfeille, du tems de Jules-Céfar, dit (200) «quelle n'avoitja-
«niais été taillée.» Il ajoute que Jules-Céfar ayant fait abattre des ar-
bres du bocage , pour s'en fervir au fiége de la Ville (ici) , « les Gaulois
»en gémirent, & le Soldat même (ici), effrayé par la majefté du
»lieu , ne prit la hache qu'en tremblant. » On voit la même chofe
dans iHi paffage de Claudienque l'on a déjà cité. Il porte (103) «que les
♦) Romains ayant étendu leurs conquêtes jufqu'à la forêt Hercynie ,
♦> peuvent abattre impunément ces bocages , fi terribles par les cruelles
» cérémonies qu'on y pratiquoit de toute ancienneté, & ces grands chê-
» nés qui étoient , en quelque manière , les Dieux des Barbares. » C'eft-
à-dire , que fi les Barbares en enflent été les Maîtres, ils n'auroient pas
fouifert qu'on touchât à leurs bocages.
•Les Forêts facrées des Peuples Celtes étoient donc , comme (104)
Tacite les appelle, de chartes forêts ^caflum nemus , ou , comme difent les
(i9«) Ci-deffous, §, 31. not. Z44. 145.
(197) Tacit. Germ. 39.
(19») Serv. ad Viigil. Eleg. VI. v. 72.
(199) Ci-d. §. 2. Liv. III. ch. 1. §. 2. not. 6.
rii. 4. § 9. not. 41. ch. «. §. 13. not. 10 1.
(ïoo) Lucan, III. v. 399. ci-d. $. 4. not. 39.
(»oi) Lacsui. UI. T. 44$. Ccue fupeifliciOA
a fubCfté long-tems dans les Gaules. ConciU
Nannet. cap 20. apud Keyfl. p. 7 I. ôc ap. Lab^
bœum Tom. VII. p. 1133.
(202) Lucan. III. v. .4.29.
(203) Ci-d. §. 3. not i<,
(204) Tacit. Ceiio. 4e.
LIVRE IV. CHAPITRE II. nf
Allemands, des forêts vierges, Jiingfir-bejJe. Il femble qu'on peut con-
clure de- là, que les Sanftuaires dévoient avoir quelque marque, ou
quelque haie, qui fervît à diftinguer les terres Se les forêts communes, de
celles qui étoient tonfacrées. Il paroît aufll fort vraifemblable que
cette partie du Sanduaire où étoit le fimulacre de la Divinité , avoit
un enclos particulier où le Sacrificateur entroit. On rapporte à cet ufage,
ce que dit Tacite (205), que «les Germains confacrent aux Dieux
» céleftes des bois & des forêts , & qu'ils donnent le nom des Divinités
» mêmes à ces retraites profondes qu'on adore en efprit , fans qu'on
» ofe porter les yeux fur les lieux où la Divinité réfide ». On croit
entrevoir la même chofe dans ce qui a été rapporté (206) , que, « lorfque
» quelqu'un venoit confulter l'oracle de Dodone , on lui faifoit voir
» de loin l'arbre qui fe remuoitw. Il fe préfentera, dans la fuite, plufieurs
autres exemples quiferviront à confirmer cette conjeâure, & aurefte,
la chofe n'eft pas affez importante pour mériter qu'on s'y arrête plus
long-tems.
§. XXVI. On confefvoît ordinairement de grandes richeffes dans les oa crnrcc-
Sanftuaires des Peuples Celtes , & il n'eft pas difficile de comprendre Ji^J^i^'"
comment elles y étoient amaflees. i.'* Les Peuples qui vivoient de ''.= K™^'ic«
guerre &C de pillage , confacroient à leurs Dievix les dépouilles , c'eft-à-
dire, les armes (207) de leurs ennemis, avec une partie du butin qu'ils
avoient fait ; tout cela étoit mis en un monceau , auquel on ne pouvoit
toucher , fans commettre un facrilége , &c fans s'expofer au plus cruel
de tous les fupplices , fi l'on venoit à être découvert. « Quand les Gau-
» lois ont réfolu de donner battaille , ils font vœu d'immoler à Mars
» tout ce qu'ils prendront à la guerre. En conféquence de ce vœu , ils
» immolent l'élite des animaux qu'ils ont pris fur l'ennemi. A l'égard des
» autres chofes , ils les affemblent dans un même lieu. II y a plufieurs
» provinces où l'on voit , dans des lieux confacrés , de ces monceaux
» de dépouilles. Il fe trouve rarement des gens qui , au préjudice
>» de ce vœu , ofent retenir fecrettement les chofes qui ont ainfi été
«vouées, ou les enlever du lieu où elles 6nt été dépofées, parce que
» ce facrilége eft puni d'un fupplice très-cruel. »
■ — I ■
(ros) Tacit. Germ. 9. ci-d. Liv, III. chap. }. 1 (107) Ci-dcfTus , §. 19. not. 1 19. & Seq. Li.
(, z. not, I. I viut V. )s-
(ïatf) Ci-d. $. zo.not. 13». l (»o»)f<i7es,ci-d. tiv. Iir. ch. 7. §. I. not. K'
F£x
:s
tes
zi8 HISTOIRE DES CELTES,
Ces Sanctuaires étoient donc des efpèces d'arfenaitx où l'on voyoît
des (109) drapeaux, des (iio) armes, avec une infinité de chofes
précieuses que l'on avoit prifes fur l'ennemi, & que l'on avoit confa-
crées au Dieu de la guerre (an). Ainfi Jules-Céfar ayant perdu fon
poignard dans un combat contre les Arméniens , ceux-ci le pendirent
dans un de leurs Temples. Céfar l'ayant vu quelque tems après dans
cet endroit, fourit, & les gens de fa fuite ayant voulu l'emporter, il les
en empêcha , en difant que c'étoit une arme confacrée. i " Indépendem-
ment des dépouilles & du butin que l'on confacroit aux Dieux, les Cel-
tes n'entroient guères dans leurs Sanftuaires qu'ils n'y portaffent quel-
que préfent. Nous avons vu, par exemple (m), que les habitans du
Gévaudan alloient faire tous les ans leurs dévotions autour d'un Lac ,
auquel ils offroient des préfens de toute efpèce, chacun félon fes fa-
cultés. La même chofe fe pratiquoit auffi chez tous les autres Peuples
des Gaules. Diodore de Sicile l'a remarqué ( 113 ). « On voit , dit-il ,
» quelque chofe de particulier &c d'extraordinaire dant la Celtique
» fupérieure , par rapport aux Temples & aux Forêts confacrées aux
» Dieux. On y jette une grande quantité d'or que l'on confacre
» aux Dieux, & qu'aucun des habitans n'ofe toucher par fuperftition,
» quoique d'ailleurs les Celtes aiment fort l'argent ».
Il ne faut pas être furpris, après cela, que les Romains euflent trouvé (214)
des richeffes immenfes dans les Chapelles & dans les lieux facrés de la
Ville de Touioufe. Il y avoit , dans cet endroit , un Sanftuaire fort cél .'-
bre,oùtous les Peuples du voifinage venoicnt faire leurs dévotions. Le
nom de (215 ) Toiofa, qui fignifioit ia vieille maifon , infmue qu'il étpit
fort ancien (216). Comme on y portoit tous les jours, & depuis plu-
fieurs fiécles, des préfens auxquels perfonne n'ofoit toucher, il ne pou-
voir , à la fin , qu'engloutir toutes les richefies du Pays.
(20») Tacit. Ann. I 59. ihid. II. 25.£uftath
adlliad. VII. 83- p. <<«.
(ïio) Valer. FUc. v. 121.
(211) Plutarch C«f. Tom. 1, p. 72c:
U I 2) Ci-d, Liv. III, chap. 9. §-4.
(213) Diodor. Sic. V. 21 1. a 12.
(2I4') Ci-d. Liv. III ch. 9. § s. not. 47.
(21 5 )T!)'-o/-<)«jrj, vieille maifon ; Th' eft l'ar-
ticle 01, Al , -Alt, enTadeÇque ,vic^x. Le Bas-
Bietpn dit Omi. H»hs, huyi, ou hji , (îgnific
Maifon en Tuiefque , & avoit la mcme ilgniti.
cation parmi les Gaulois. Vernemri-hjs. F rtun,
ïiftavicnf. lib. I Carm. 9. & ci-d. Liv I. ch. 5.
p. 3ot, Drjintmttui. Suabo XII $6r. Drjnsmti-
hjs , la maifon des irais noms , c'ell-à-dire, le Sanc-
tuaire ou les trois Peuples de la Galatie te-
noitnt leur alTemblée générale. Marc - h»ucx.i ,
écurie, maifon à chevaux. Diûion. de B-oftreo.
pag. J2 2.
(1.1 £) Ci-d. Liv. XII. cb. s. $. {.not. 47*
LIVRE IV, CHAPITRE II. 219
Les Thraces confervoient auffi des tréfors dans leurs SanQuaires, de la
même manière que les Gaulois. Ainii le Roi Cotys s'étant emparé de lâ
fainte Montagne (ny), dont on a parle ailleurs, fe vit en pofleiTion
par cela même (218), du tréfor qui y étoit dépofé. Euilathe rapporte
auffi, après un Auteur plus ancien (219), que des pirates de Cilicie
ayant attaqué un Temple de l'We de Samothrace, en emportèrent plus de
mille talens. On ne doit pas douter que l'or confacré des Scythes, dont
Hérodote fait mention, ne fût dépofé dans quelqu'un de leurs Sanûuaires.
On peut le conclure , en quelque manière , de la remarque de l'Hifto^
rien qui dit (110) « que les Scythes s'affemblent tous les ans autour de
» cet or , Se lui off eut des facriEces folemnels ». Le facrifice s'offroit
au Dieu Mars dont le umulacre étoit une épce, & qui avoit pour Sa^ic-
tuaires les collines artificielles dont on vient de parler (m). Commç on
voyoit , dans le même endroit , des charrues, des haches & des gobelets
de pur or (211), les Grecs s'imaginèrent, mais mal-à-propos, que cet
or confacré étoit l'objet du culte religieux des Scythes. Au refte , ce que
Jules-Céfar dit « que l'on punidoit d'un fupplice très-cruel les facri-
» léges qui enlevoient quelque chofe du tréfor confacré w , eu. expliqué
par une ancienne loi des Frifons , où l'on voit la nature même du
fuplice que Ton faifoit fouffrir à ceux qui étoient convaincus de ce crime
(123). «Si quelqu'un enfonce un Temple, & dérobe quelque partie
» des chofes confacrées , on le conduit au bord de la mer; & là, après
>♦ lui avoir fendu les oreilles , & lui avoir arraché les parties hoateu-
» fcs, on l'immole au Dieu dont il a violé les Temples >>.
§. XXVII. Outre les richeffes que l'on dépofoit dans les lieux confa-
crés, &: qui étoient des biens morts, les Sanctuaires tiroient encore un
revenu fixe des terres &c des efclaves qui en dépendoient. La Loi Romaine
qu'on a citée ailleurs (224) , & qui permet d'ïnû'itiier Mars pour héritier
dans les Gaules, infinue que c'étoit une chofe commune, "parmi les Gau-
lois , de laifler en mourant , fes biens au Dieu Tcue , c'eft- à-dire , aux Sanc-
tuaires qui étoient confacrés à l'Etre fuprême. On ne fait s'ils avoient
par-tout des revenus auffi confidérables que dans la Galatle Se dans
(117' Ci-d^. s. not. 4S. j (2n)ci-d §. ii.not. «j.
(i 18) Demofthen. adv. Ariftocrat p. 443. | (zî-i HeroJot. IV. 5.
(il») Eullath ad Dionj'f. ferieg. v. J74. j ; 2i i) Lcg. Friflor. p. 508.
f3g-'3o- l (iZ4} Ci-a. tiv.UI..cl>. 7.§. 2.not, 14.
(iïoj Herodot. IV. 7. I
230 If I s T O I RE D F. S C E L T E S,
les Provinces voifines qui étoient occupées par des- Peuples Celtes
(i2 5(). On y voyoit des Temples: qui avoient jufqu'à fix mille efclaves,
& dont les terres rapportoient au Sacrificateur quinze talens par an ,
c'eft-à-dire neuf à dix mille écus de notre monnoie. Le revenu de ce*
terres appartenoit aux Druides, &c (126), quand elles annonçoient
une belle moiffon, le peuple fe promettolt bonnement à lui-même une
abondante récolte. Cela ne pouvoit pas manquer. On ne peut douter
que le Clergé ne poffédât fes terres à titre d'office , c'eft-à-dire , pour
faire le fervice dans les lieux confacrés , pour nourrir les oifeaux &
(117) les chevaux qui fervoient aux aufpices & aux divinations, ÔC
pour fournir aux autres dépenfes , que demandoit l'entretien des Sanc-
tuaires.
A l'égard des efclaves, ils étoient ce qu'on appelle gkhx adfcripil. On
les employoit à cultiver les terres du Clergé, & à d'autres (22.8) ouvrages
qui, félon le préjugé des Peuples Celtes, ne convenoient point à des
pcrfonnes libres , encore moins à la Notleffe , parmi laquelle le Cierge
tenbit le premier rang. Le revenu que l'on tiroit de ces efclaves , étoit
d'autant plus grand, qu'ils, n'éioient point à charge à leurs maîtres. Il»
fe nourriflbient avec leurs familhs d'un morceau de terre qu'on leur
affignoit (229), & pour lequel ils payoient encore un certain droit.
De forte qu'un efclave devoit à fon Seigneur, non-feulement la corvée
pour fa perfonne , mais encore une cenfe pour la terre qu'il poffédoit.
Les Princes Chrétiens ne firent donc que tranfporter aux Minlftres
de l'Evangile, des biens, des revenus, dont le Clergé payen étoit en pofTef-
fion. Ils ont pu le faire légitimement, & convertira des ufages facrés ce
« li étoit employé auparavant à des ufages fuperftitieux & profanes.
Quand un Etat entier change volontairement de Religion , les biens de
l'ancienne Eglife doivent naturellement pafler à la nouvelle ; & dans
fe fond , on ne voit pas qu'il y ait du mal que l'Eglife Chrétienne foit
riche, pourvu que fes richefles foient bien adminiftrées, &: que fous le
beau prétexte de la Religion, elles ne fervent pas à nourrir la pareffe,,
Fambition , & la molleffe du Clergé.
(î2s) Strabo XI. 503. XII. sîj. 55;. $57.
(226J Strabo IV. 197.
(1H7) Taeit. Gçrra. la.
^228) Tacit. Geim. 40U
(lis) Tacic.'Getm. ij.
LIVRE IV, CHAPITRE H. 131
§. XXVIII. Les Druides demeuroient dans les Saiîâuaires avec 'eu.-'s '
femmes &c leurs enfrns. Il le falloit ainfi , afin qu'ils fuffent toujours à r
portée de répondre à ceux qui venoient confulter la Divinité , &
fl'iiiîmoler les viûimes qui lui étoient offertes. Comme ils tiroient leur
fubfiftance des terres qui étoient fituées autour des lieux conlacrcs ,
ils étoient chargés aufli du foin défaire cultiver ces terres, & ^d'en re-
ceuillir les fruits. Eloignés de la fcciété des autres hommes , ils en
devenoient, d'ailleurs, plus refpeftables ; on les regardoit comme des
gens qui étoient toujours en commerce avec la Divinité. Enfin , lé
Clergé étoit chargé de la garde des Sanûuaires , & en même teins , ées
«nfeignes militaires , des vaiffeaux (scrés , & des tréfors qui y étoient
dépofés. Toutes ces raifons demandoient que les Minières de la Reli-
gion demeuraient dans les lieux confacrés, & qu'ils y fiiTent bonne
garde.
Savoir, après cela, û le Clergé avoit le même fcrlipitle que le peu-
ple, qui auroit cru fe rendre coupable de facrilége, s'il àvoit emporte'
& converti à fon ufage quelque partie des biens confacrés , c'eft ce'
qu'on n'oferoit affurer. Dans le fond, il ne faudroit pas en faire un crime
aux Druides, s'ils s'étoient mis au-deffus de ce fcrupule. Il étoit bon
que l'on confervât des richefl'es dans les Sanftuaires , pour être une ref-
fource dans les calamités publiques , mais il pouvoit auffi fe préfenter
mille cas , où il auroit été beaucoup plus naturel de fe fervir de ces ri-
chefl'es , que de les laifler périr inutilement , ou de les garder pour* de-
venir la proie d'un ennemi , comme cela arriva à l'égard des fommes im-
anenfes qui étoient dépofées dans les Chapelles & dans les Etangs facrés
de la Ville de Touloufe.
Quoi qu'il en foit , il efl: certain que les Prêtres des Celtes avoient
leur domicile dans les Sanftuaires. Lucain le dit exprefTément , en par-
lant aux Druides (i3o): «Vous demeurez dans des bocages élevés, Se
i) dans des forêts reculées » :
,e Clcigirai.
; ians l;s
Ncmora alta , reraotis
Incolitis lucis.
Pomponius Mêla le dit aufîi (23 1) : « Les Druides enfeignent beaucoup
»> de chofes à la NoblefTe la plus diftinguée des Gaules , qu'ils infiruifent
(î3») Lucan. I. v.45 3-
(23 1) roiDf on. Mêla lib, m. cap. i. f .
73.
131 HISTOIRE DES CELTES,
» fécfcttemcnt dans des cavernes, &c dans des forêts écartées, y ém-
» ployant quelquefois jufqu'à vingt années». La Noblefle des Gaules
confioit aux Druides l'inllruftion & l'éducation de fes enfans, qui de-
meuroient avec leurs maîtres dans des Sanûuaires •, &c quand les Druides
vouloient enfeigner à leurs difçiples ce que l'on appelloit la fcience
occulte, ils alloient leur donner des leçons fecrettes dans des cavernes
ou dans quelqu'endroit reculé des forêts coniacrées. Aufîi Aufone dit
d'un Profefleur de l'Académie de Bordeaux (232) «qu'il eft de la race
» des Druides , & qu'il tire foft origine du Temple que le Dieu Bele-
» nus avoit dans le Pays des Bajocaffes ». On croit qu'il faut expli-
quer de la même manière ce que Strabon rapporte ( 233 ) « q^le Za-
» molxis ayant été établi Sacrificateur du Dieu que les Gétcs fer-
» voient préférablement à tous les autres , fe retira dans un endroit
» reculé & plein de cavernes, oii il ne recevoit perfonne, à la ré-
«ferve -du Roi , Se des gens de fa cour ». Cela fignifie , autant qu'on
en peut juger , que Zamolxis conftruifit une efpèce d'hermitage dans
quelqu'endroit écarté de la fainu Mo/z^^o-TZé (234) dont il étoit le prin-
cipal Sacrificateur.
Tfiarem- ■§. XXIX. Toutcs les aflemblécs, tant civiles <|ue religleufes des Peu-
l^i^ieJférft pies Celtes , fe tenoient dans les Sanctuaires. La choie mérite d'être
i-"s'^a''u' ^^^" remarquée, -parce qu'elle fert à expliquer diverfes autres coutumes
rtes. de ces Peuples, & qu'elle donne du jour à plufieurs paflages des Anciens
que l'on aura occafion de citer. Le Comte, c'eft-à-dire, le Juge d'un can-
ton tenoit les féances.dans le même -lieu où les Habitans du Pays alloient
fslre leurs dévotions. Olaiis Vormiusle dit des Peuples du Nord (23 5).
Ils adminiftroient la juftice en rafe campagne , près des Autels des
Dieujf. On le voit dans une Comédie qui porte le nom de Quero/us , ou
k d'Auluiaria, Si que (23 6) Paréus a fait .imprimer avec fon Plaute. Paréus la
croit de Gildas , Auteur du fixième fiécle ; en quoi il fe trompe & fe
itcontredit, puifqu'il avoue lui-même (237) qu'elle eft citée par Servius,
("232) Aufon. Prof. IV. p. 50, (î3fi) Plautus ex editionc Joh. Phil. Parsti.
(i33j Strabo VII. i»7. Kiy'i auflS Hero- ; Neap. Kcmet. 1S19.
det.jIV.^yï. (137) Ces paroles qui fe trouvent i la p, 4>
(i34 Ci-d. §. s-not. .^9
(î35) O'aus Vorm. Monum. Danic. lib.I.
càp. lo. p.iîg. KojevaufliKejflci. Antiq. Sept.
de la Comédie , Cun£ii aUs tjuatmnt\ diris tuip
fltngorihHi , font cite'es^ar SetYius ad .£neid. III.
pag. Z7S.
Commentateur
Livre iv. chapitre ii. 25?
Comineiitateur de Virgile, qui vivoit fur la fin du quatrième lîécle*
La picce a certainement été écrite dans un tems où la Religion n cto!t
point encore établie dans les Gaules (158). « Querolus demande à fon
M Dieu un degré de puiffance qui le nîît en état de dépouiller ceux
» (jLÙ ne lui dévoient rien , de battre les étrangers, de piller & de tuer
« fes voifins. Le Dieu domeflique lui répond qu'il ne voit pas d'autre
» moyen de lui procurer cette puiffance , que de l'envoyer dans les
» Gaules, vers la Loire. Là, dit-il, les fentences de mon font prononcéiS
» par un chêne, & s'écrivent avec des os. Là , les pay fans haranguent , & Us
» perfonnes privées jugent. " Là , tout vous fera permis ; & Ji vous êtes
» riche , on vous donnera encore le nom de Patus ».
Il y a dans ces paroles une allufion continuelle à la procédure que les
Gaulois obfervoient dans leurs Tribunaux. Les Payfans qui haran-
guoient étoient les parens de l'accufé. Ils étoient chargés de le défendre,
& de plaider fa caufe. Les perfonnes privées qui jugeoient , étoient des
particuliers que l'on choififfoit pour inftruire le procès , & pour affifter
le Juge de leurs confeils. Il falloit qu'ils fuffent pares , pairs , c'eft-
à-dire , de même condition que l'accufé , & d'abord que la fen-
tence étoit prononcée , ils fe retiroient. C'étoit donc véritablement
des perfonnes privées qui jugeoient, puifque ces Affeffeurs n'étoient don-
fiés au Juge, que pour la feule féance où l'accufé étoit abfous ou condam-
né. On obferve encore aujourd'hui , quelque chofe de femblable en An-
gleterre. La Sentence fe prononçoit dans une forêt confacrée , fous un
chêne , & fouvent on devinoit par le chêne, fi l'accufé étoit innocent ou
coupable. 11 eft facile de comprendre que lorfqu'un criminel étoit riche , &
en état de corrompre les Juges & le Druide qui étoit chargé de confulter
l'Oracle , le chêne prononçoit toujours en fa faveur. Ainfi tout étoif
permis ou pardonné à un homme qui avoit de l'argent. Le titre de
Patus ou Fates , étoit propre , comme nous le verrons en fon lieu , au
Chef des Druides qui demeuroit dans le Sanftuaire. Peut-être que la
flatterie le donnoît aufîi aux riches & aux perfonnes de confidération.
A l'égard de la Sentence qui s'écrivoit aVec des os , ou fur des os , il
faut avouer fon ignorance fur cet; objet; mais oh voit bien qu'il y a
— • -'"'■■'
(ijs; Qiifrol. p. 41. 4a,
Tome II, G g
234 HISTOIRE DES CELTES,
dans ces paroles , une allufion aux crânes & aux os qui étoient pendus
ou cloués à l'arbre confacrc.
iftafftm- §, XXX, Lorfqu'il s'agifibit de délibérer de la paix on de la guerre
bsdefuosict & des autres affaires qui intéreffbient le bien commun de la Nation , tous
^^smciMi vt l'^s cantons d'un même Peuple fc réuniflbient par leurs Députés, dans
fe iLnoi...t 1 s mduaire le plus renommé du Pays. Ces affemblées générales com^
dais le -'>anc *>- ■ i ■' _ " _
tÉ.i-rciaiéiî inençoient par un facrifice que l'on ofFroit pour la profpérité de l'Etat,
V lain l'onti Qn 3 cu occafion de prouver que la chofe fe pratiquoit ainfi dans la
ùoa. "* ^ grande Germanie (139). Tous les Peuples Sennons s'affembloient par
leurs députés , à un jour marqué , dans une forêt confacrée , & là ils
commençoient leurs dévotions barbares par le facrifice d'un homme
que l'on immoloit publiquement. Les Galates tenoient auffi leur affem-
blée générale dans un endroit qu'on appelloit (240) Dry/nsmetus , la mai-
fon ou le Temple des trois noms, c'eft-à-dire, des trois Peuples Celtes
qui avoient paffé dans l'Afie mineure , fçavoir , les Tectofàges , les
Trocmes, & les Tolifloboïens. L'affemblée générale des Gaules, ou au
moins (2.41) d^s Druides, fe tenoit dans un lieu confacré du Pays des
Carnutes (du Pays Chartrain). Comme les (242) Carnutes deraeuroient
le long de la Loire, ce lieu confacré dont parle Jules- Céfar , pourroit
bien être le même dont il eft fait mention dans la Comédie (^Q^uerolus)
qu'on vient de citer, & où les Sentences de mort étoient prononcées par
un chêne (*). On a fait voir ailleurs (243), que Milan étoit autrefois la
métropole des Infubres , & Vienne celle des Allobroges. C'étoit ordi-
nairement dans le Sanûuaire delà Métropole, que réfidoit le Chef des
Druides , ou le Souverain Pontife de chaque Nation.
L'excommu- §• XXXI. Après tout cc qui vient d'être dit , on comprend pourquoi
Druïd""em- l'excommunication du Clergé emportoit avec foi l'exclufion de toutes
poitoi av.c .|ç5 affemblées, tant civiles, que religieufes. Parmi les Germains , un
foi 1 eïtlu ' ^ ' o '
fiou le i"u.ts homme qui perdoit fon bouclier dans une bataille , étoit déclaré infâme ,
les aflem- o i « / n .,
biées.tamci- & par ccla même (244), «il ne pouvoit affifter au culte divin, ni
îigicu'fe.? "' » entrer dans l'affemblée du Peuple». Dans les Gaules (245) , « les particu-
_^(23»; Ci-d- §• 3. not. ïs.
l[l4o) Sirabo XII. s* 7. Dryn^imeiui , eft UB
nom com^'ofé de trois mots Celtiques, Dry,.
trois, Him ou No», nom ; Hms oui/jn, màifoii,
(141) Ci-d. § 4' not. 30.
(^42) C»f. Yli. II. Sirabo lY. i 91,191,
{*) C'cft-àdire , par U Divinité' dont le
Chêne e'toit le Symbole.
(243 Ci-d. Liv. U. ch. 6. vers la an,
(244) Tacit. Cerm. t,
(i+jjCîcf. VI. JJ.
LIVRE IV. CHAPITRE H. i^p
» îiers ou les Peuples qui refufoient de fe foumettrè aux décifions des
«Druides étoient excommuniés. C'étoit-là , parmi les Gaulois, la
»> plus forte de toutes les peines , parce qu'on regardoit ceux qui
» étoient excommuniés , comme des impies & des fcélérats ; tout le
«monde les évitoit ; on craignoit de les approcher, & de s'entretenir
M avec eux , comme fi l'on avoit appréhendé d'en être infedé. Il n'étoit
» pas permis de leur rendre juftice , lorfqu'ils le demandoient, & on
» ne les élevoit à. aucune dignité ». Si le Clergé Chrétien ne s'eft pas
modelé quelquefois fur les aâions des anciens Druides, au moins faut il *
avouer qu'il en a bien fou vent imité la conduite. Mais ce n'eft pas de quoi
il s'agit ici.
Il eft important de remarquer que les malheurs qu'entraînoit après foi caufcsdesef-
l'excommunication, étoient chez nos pères, une fuite inévitable de leur ^"^"/unciies
fyflôme religieux. Les Druides étoient maîtres , Seigneurs temporels "'"nication
& fpirituels des lieux confacrés. C'étoit dans ces lieux qu'on tenoit "«•
les affemblées civiles & religieufes , qu'oïl adminiftroit la juftice , qu'on
diftribuoit les charges & les dignités de l'Etat. Ainfi un homme que le
Clergé avoit frappé d'anathême , étoit privé de tous les avantages de
la vie civile , parce que l'entrée des Sahûuaires lui étoit abfolument dé-
fendue. Tacite dit (246) que, dans les affemblées générales des Ger-
mains, le Sacrificateur ordonnoit au Peuple de faire filence, 5c avoit
même le droit de châtier ceux qui n'obéiffoient pas. Il eft facile de
comprendre fur quoi étoit fondé ce droit du Sacrificateur. L'affemblée
fe tenoit fur fes terres , dans un lieu confacré au Dieu dont il étoit le
Miniftre. On voit encore ici pourquoi les enfeignes militaires étoient
ordinairement gardées dans des lieux confacrés (147). C'étoit-là qu'on te-
noit , au commencement de chaque Printems , l'affemblée générale de
la Nation. Les particuliers y venoient prendre féance tout armés, &
auffitôt que la guerre étoit réfolue , les Chefs tiroient les enfeignes du
lieu oîi elles étoient dépofées , & chacun alloit fe ranger fous fon dra-
peau , pour entrer en campagne fans aucun délai.
§. XXXII. Enfin comme toutes les affemblées civiles &. relîgîeiifes on tifoic
des Peuples Celtes fe tenoient dans des lieux confacrés , on v faifoit àuffi *" '' ''*"' '"
' ' / Sa utuair
lires.
les feftins par lefquelsces folemnités finiffoient ordinaireiîïent. Ainfi Dion '« '-""n»p«
* ^^ Icf^tids le»
T ' '«
(x4< Tacit.Germ.cap.il.
(»47J Tacit. Hift. IV. i», Polyb. II, liy.
Gg»
affnhlUs ci
viies Si rcli-
pituf,.s lies
Celtes fiuif-
foienc orJi.
naircnieac.
136 HISTOIRE DES CELTES,
dit ( 148) «que les Peuples de la Grande-Bretagne offroient leurs
» facrifices , & faifoient leurs feftins dans des forêts confacrées ». Ta-
cite dit la même chofe des Bataves (149). « Civilis voulant foulever
» cette Nation contre les Romains , aiïembla la Noblefle & les plus dé-
M terminés du Peuple dans une forêt facrée fous prétexte d'un feftin ».
On voit auffi dans Athénée (150) , qu'un Roi de Thrace , nommé Cotys ,
alloit fouvent offrir des facrifices , &c faire bonne-chère avec fes amis dans
ime forêt. Cette forêt étoit un Sanduaire , comme on l'entrevoit par
ce qui eft ajouté , que Cotys fe vantoit qu'après le repas , Minerve
venoit ordinairement le trouver , & pafToit quelquefois la nuit avec lui.
On fera obligé de faire mention de ces feftins, en parlant du culte même
dont ils étoientune partie effentielle. Ainfi il n'eft pas nécefTaire de s'y
arrêter ici.
iouu-
C H A P I T R E I II.
letPcupirs ^_ i_ (Jn doit parler dans ce Chapitre, du tems oii les Peuples Celtes
Celtes teiioi. •'^ rri' •• irjL- ••
em le.irs I- tenoient leurs anembiees religieufes. Il faudra bien diftinguer ici ce qui
gicufis de eft certain &c indubitable , de ce que l'on ne pourra avancer que fur des
comp.Xiît- conjeftures , qui, cependant, ne feront pas deftituées de vraifemblance.
]«mL't's"&' Ce qu'il y a de conftant, c'eft premièrement, que toutes les afîem-
non pat les jjjées religieufes des Celtes fe fdifoient xle nuit. Jules -Céfar, parlant
des Gaulois, dit(i) « qu'ils fe vantoient tous d'être iffus du père Dis ^
» & qu'ils dlfoient l'avoir appris ainfi de leurs Druides. C'eft pour
»> cela qu'ils mefuroient le tems par le nombre des nuits , & non par
M celui des jours, comptant les jours de leur naiffance, les mois & les
» années d'une telle manière que les jours fuivoient toujours la nuit
» (*)». Sans répéter tout ce qu'on a dit ailleurs du Bis des Gaulois, il
fuffit de remarquer, que ces Peuples confacroient la nuit au Père Bis ,
qu'ils regardoient comme le créateur de l'homme , & que , par cette rai-
fon, ils mefuroient le tems par le nombre des nuits , & non par celui
des jours. Tacite dit la même chofe des Germains (i) : « C'eft le tems de
(248) Ci-d. Liv. III. eh. 1 6. |. 8, not. 43.
(249) Tacit Hift IV. I4.
(250) Athen. XII. 8.
(f)C«farYI. il.
(*) Voyez, ci-deff. p. 141. not, *. p. 258,253.
not.
(2) Tacit, Geim. cap, 11.
LIVRE IV. CHAPITRE III. 237
Ȕa nouvelle ou de la pleine lune qu'ils eftiment le plus heureux.
M pour entamer les affaires. 4u lieu que nous comptons par les jours ,
w ils comptent par les nuits (*). Tel eft le flyle dont ils fe fervent dans
» leurs Ordonnances & dans leurs convocations : ils croient la nuit
» plus ancienne que le jour».
Comme la nuit ctoit confacrce au culte des Dieux, on lui donnoit la
préférence fur le jour. Et parce que les ciffcmblées civiles étoient ordi-
nairement précédées d'un facrifice, on les indiquoit toutes pour la nuit»
Ainfi la Loi Salique porte (3) que le maître d'un efclave acaifé de quel-
que crime , doit le préfenter dans le terme de fept nuits. Les Francs con-
fervoient encore cette coutume dans le neuvième fîécle. On le voir dans
les Capitulaires de Charlemagne , & de Lours-le-débonnaire , où il eft
ordonné (4) que les ajournemens perfonnels fe donneront pour com-
paroître fept, quatorze, ou vingt & une nuits après l'affignation.
Cette manière de compter tiroit fon origine , comme on vient de le
dire , de ce que les aflemblées civiles des Celtes commençoient par uri
facrifice , ou par quelqu'autre a£te de dévotion qui , félon l'ufage de
ces Peuples , devoit s'offrir pendant la nuit. Il paroît effeftivement , par
Tacite (5), que les Peuples de la Germanie choififlbient toujours la
nuit , pour célébrer leurs Fêtes folemnelles , &c leurs feftins facrés >
pour chanter leurs Hymnes , pour offrir leurs prières & leurs facrifîces,,
& pour s'acquitter , en un mot , de tous les devoirs qui appartiennent à
ce qu'on appelle le culte extérieur & public de la Divinité»
Loccénius a prouvé dans fes Antiquités Suédoifes (6), que cette pra-
tique s'étendoit à tous les Peuples du Nord, & on ne peutguères dou-
ter qu'elle ne fiit répandue anciennement par toute l'Europe. En voicî
quelques preuves qu'on a eu occafion d'indiquer dans le Livre précé-
dent (7). M Les Celtibères & les Peuples qui leur étoient voifins du côté
( * j Dans les Langues Germaniques , on dt l'Eitiieur,
trouve encore des veftiges de cette manière de
compter. En Anglois, Sni^th, abréviation de
Seven-nigtht , (cft nuits, hgnifie huit jours, for»-
nei^i, pour F<,uri:rn uigiki , quatorze nuits, veut
dire quinze jours. En AUemand , Sibcn /lachte,
fivttt nuchte , fept nuits, vc.it dire huit jours, U
huitaine. En plufieuts endroits nos Payfans ,
pour dire 4njoiird'hui , fe fervent du vieux mot crp. 4. p. t^.
tinii OU ««") coHompu di» Latin hit noUt, Km { {j) Ci-<?» Liv. III. ch. 6. §, 3, not. i»
(}) Apud Liiïdenbrog. p. jji Tit. XLII.
{4: Capit. Karol Mag. Si. Ludov. Pii lib III.
Tit. 4S. p. *8o. & in Leg Long. lib. II. T 41»
pag. 64 1.
(s Tacir. Ann. I.«ç. Hift. IV. 14. Voyez. ci-dV
cha;}. II. $. 32. not. 249.
(«' Joh. LjcceniîAntiquitates Sueo-Gothic<B:
XI4 HISTOiRE DES CELTES,
» du Septentrion, choififfoient la nuit de la pleine Lune, pour vénérer
» lin Dieu fans nom , &c ils pallbient cette nuit à danler, & à fe réjouir
» avec leurs familles hors des portes ». Les Thraces célébroient aufîl de
nuit la Fête de leur (8) Cotys , ou de leur Sabazius. C'efl par cette rai-
fon (9) que les Athéniens bannirent de leur Ville le culte de ce Dieu. Des
aifemblées nofturnes leur étoient fufpedes à plufieurs égards ; mais
pour agir conféquemuient , ils auroient di^i abolir encore les Myflcres
d'Eleufis , qui ayant été apportés (10) de Thrace , fe célébroient aufli
de nuit, à la lueur des flambeaux. C'eft encore par la même raifon,
que quelques-uns ont confondu le Sabailus des Thraces avec le Bacchus
des Grecs , que l'on appelloit (11) Phanaces , Phaujîerius , le Dieu des
flambeaux , ou Nicldius , le Dieu nodurne , parce que fes myilères fe
célébroient de nuit.
Il y avoit à Rome un ancien ufage fulvant lequel les Dames de la Ville
alloient faire leurs dévotions , une fois par an ( 1 2) , vers le commence-
ment du Printems , dans la Forêt d'Aricie. La coutume vouloit qu'elles
s'y rendiflent de nuit, & que chaque mère de famille portât à Diane
une torche allumée. Macrobe remarque aufli (13) que, lorfque les
Aborigines offroient des facrifices à leur Dis , ils pofoient fur les autels
des chandelles allumées. En effet, quoique les Celtes tinflent ordinaire-
ment leurs afi'emblées religieufes au clair de la lune , ils ne laifl'oient
pas d'y porter chacun fa chandelle , ou fa torche allumée , qu'ils
alloient pofer devant l'Arbre , devant la Fontaine ou la Pierre qui étoit
l'objet de leur culte.
Il faut même que cet abus ait fubfiflé dans les Gaules & dans la Ger-
manie, après l'étabhfî'eiTient du Chriflianifme , puifqu'il nous refte un
grand nombre de Canons &c de Capitulaires qui le condamnent. Voici
ce que porte un Capitulaire de Charlemagne (14). « A l'égard des arbres,
n dés pierres & des fontaines , où quelques infenfés vont allumer
(s) Ci-d. Liv m. ch. «.§.«■ not. 42. §. i j.
fiot. 94 97. 8c ch. I j. §. 3- Peuc-étte que c'ell
delà que les Macédoniens avoient reçu le même
ufage. Q. Cutt. III. 8. p. m. 88.
^) Ci-d. Liv. III. ch. *. ^. i 2. not. 97.
(10} Ci-d. Liv. III. ch. i. §. j. not. 9.
, (il) Ci-deff. Liv. III. cTv. Is- § 3. not. 30.
ySvxjÎMts N)litiiiu , Btcchui , ciii neile Smr»
fiant. £tpitoi> MagH. p. <o».
";i2) Ci-d Liv. III. ch. 8. §. 10. noi. 95 Ell<»
s'y rendoient le jour que l'on appelloit Rigifu-
gium. L'ancien Calendrier Romain que Heinfîui
a fait imprimer avec fon Ovido, met la fuite
de Tarquin le Superbe & le commencement du
Printeir.s au 22 Février. VIH. Ktl. Mari,
(i3; Macrob. Saturn. lib. I. cap. 7.
{14) Capit. Hatt. JNlag. lib.I. Tit. «4- p. lîSf.
LIVRE IV. CHAPITRE III. 239
H des chandelles, & pratiquer d'autres fuperfiitions , nous ordonnons
» que cet abus , il criminel 8c û exécrable aux yeux de Dieu , folt
«aboli & détruit partout où il fe trouvera établi». En voici un au-
tre qui efl de_ la même teneur (15) : « S'il fe trouve dans une Paroiffe des
» infidèles , qui allument des flambeaux , & qui rendent un fervice
» religieux aux Arbres , aux Fontaines & aux Pierres , le Curé qui
»> néoli^era de corriger ces abus, doit Hivolr qu'il fe rend coupable dun
» véritable facrilcge >>. Il eu dit auffi dans un Canon de la'Collection de
Burchard, Evêque de Wormes (i6}: Vous vous êtes rendu à une Fon-
wtaine, à un Carrefour, fous un Arbre, ou devant une pierre, &c
y> là , par vénération pour ce lieu , vous avez allumé une chandelle ou
» un flambeau ».
L'Eglife Chrétienne ayoit raifon de condamner cette fuperftition ,
parce qu'elle faifoit partie de l'Idolâtrie Payenne. C'étolt un hom.mage
religieux que l'Idolâtrie rendoit aux Arbres , aux Fontaines, aux Pierres,
qu'on rcgardoit comme le fymbole ou le fiége de la Divinité. Mais
au refle, il étolt très-naturel que des gens qui alloient faire leurs prières
de nuit dans des campagnes , & dans des forêts , ne s'y rendiflent pas fans
lumière. Ce qu'il y a ici de particulier, c'efl que l'Eglife Chrétienne,
qui célébroit {es afTemblées en plein jour, ne laifTa pas de permettre , &
même d'ordonner (17) aux nouveaux convertis, d'offrir au Seigneur
les cierges qu'ils avoient coutume de préfenter à leurs Idoles.
On ne s'écartera pas beaucoup du fujet, en remarquant que la coutume c'eftrotiqin»
qu'avoient les Peuples Celtes de s'aflembler de nuit, pour le fervice al'torckrt
de la Divinité, efl: l'orieine d'une fable auffi ancienne qu'enracinée i"! ,™"' ■*"
dans l'efprit du vulgaire; c'eft celle du fabbat, ou de l'aflemblée noc-
turne des Sorciers. Lorfque la Religion Chrétienne eût été établie dans
les Gaules & en Allemagne, par autorité publique, les perfonnes qui
demeuroient attachées à l'ancienne Religion , fe déroboient fecrettement
pendant la nuit , pour fe rendre aux afTemblées qui fe tenoient dans des
campagnes & dans des forêts. Nous verrons en fon lieu, que le culte
(15) C»pit. Karol. Mag. lib. 7. Tit. 136.
pag. 1093 Voyez. iuK Kcydcr, p. 14.
( 1 «) Burchard. CoUeft. Can. lib. X. cap. 3 1.
lib. XIX. pag. 270. Voyez, aullj Hagemberg Diff.
VllI. J. l?. p. »o». Keyllcr. p. 13. m, i«. «>,
& feq. Lindenbr. Gloflar. p. 1357. 1 390.
{17) Concil. Ninnet. ap. Labbium Tom.IX.
pag 474. & apud Keyfler. p. 1 $. Baluz. Capit.
Tora. I. p. s 5 4. Se ap. Keyûet. p. 14. i j.
X40 H I S 7 O î R E D E S C: E /. TES,
même que l'on offroit à la Divinité , clans ces aiTemblées , confiftoit d?ns
des facrifices , des danfes , des divinations &c des cércmonies magiques.
Les Druides qui préfidoient à ces fuperftitions , fe vantoient , d'ailleurs ,
d'être des devins qui connolfloient lepréfent, le paffé, l'avenir, avec
tout ce qu'il y a de plus caché dans la nature ; &c des magiciens qui
avoient le fecret d'évoquer les âmes , de changer les hommes en bétes , &c
âe boulverfer toute la nature par leurs enchantemens. Tout cela don-
na lieu à des Chrétiens peu éclairés , d'accufer les Payens qui reftoient
encore dans le Pays, d'être des Sorciers qui traverfbient l'air, montés
fur des balais, qui célébrolent des afferablces noûurnes avec les Dé-
mons, & qui danfoient en cérémonie autour du Diable, qui leur appa-
roiffoit, & recevoit leurs hommages fous la forme d'un bouc.
Ce qu'il y, a ici de plusfurprenant, c'eft qu'il n'y eut pas jufqu'au Clergé
Chrétien qui n'ajoutât foi à ces fables. On le voit dans plufieurs an-
ciens Canons que M. Keyflcr a ramafles , & qui défendent trés-férieu-
fement aux Fidèles (i8) de fe rendre au fabbat, & de participer aux divi-
nations, aux enchantemens , &C aux cérémonies magiques que les Sor-
ciers y pratiquoient , dans Ja vue d'obtenir du Démon des connoif-
.fances , ou des richeiTes que le Providence leur avoit refufées.
On ignore §. II. Pour revenir à notre fujet , il eft bien difficile de pénétrer les
x;ekcTfa'ifoi- raifous que les Celtes pouvoient avoir de faire le fervice pendant la
l'urs''a(T"m'- ' t^^ï^- ^^^ affemblées noôurnes ont :quelque chofe d'étrange & de dan-
^''iîi's' """ gcrcux, & ne conviennent. guères qu'à des Eglifes qui n'ont pas le libre
«lèiigieufes, excrcice de leur Religion. Mais cette coutume de s'aflembler de nuit , de-
voit fur-tout paroître fâcheufe à des Peuples qui , célébrant leurs myftè-
tcs en plein air, & dans des lieux éloignés de leur habitation, étoient
obligés de faire de longues traites pendant la nuit , & de la paffer à la
Jjelle étoile. Il faut avouer qu'on a de la peine. à comprendre comment
une coutume fi extraordinaire avojt |)u s*introduire , &C fe maintenir parmi
les Celtes, pendant une longue fuite de fiécles, d'autant plus qu'on ne
trouve rien dans, leur Religion qui pût fervir de fondement à cet ufage.
sErteurdeJu- Jules-Céfaf dit , à la vérité , daus le paflage déjà cité (*)> « que les
'^confondu Je »< Gaulois fe croioient iffus du Dieu Dis , & que , par cette raifon , ils
M
( iS ) Gulathings Làgen Kriftendomsbalk 1 frcfne in Gloflar. Tom. II. p. 52, Keyùeif.fa.
cap. I. apud Keyfler pag. 89. Butchard. Hb. I. Bruck. p. 333.
,cap. S4. ^.44., foU is. Edit, Patif, 1549. Du 1 {*) Ci-d. $. i.initb
«mefurolent
LIVRE IV. CHAPITRE III. ^41
»» mefuroient le tems par le nombre des nuits , & non par celui des
» jours ». Mais il eft vifible que Jules Céfar a confondu , dans cette occa-
fion , le Dis des Grecs & des Latins, avec celui des Gaulois. Les Romains
facrifioient de nuit à Pluton & aux autres Divinités qui avoient la direc-
tion du Royaume des ténèbres. Au lieu de cela, le Dis des Gaulois étoit
l'Etre fuprême , l'Efprit univerfel , le créateur du monde & de l'homme.
On le plaçolt dans le Falhalla, c'çfl-à-dire, dans le féjour de la gloire &
de la félicité.
Pourquoi les Celtes confàcroient-ils à Dis la nuit préférablement au
jour ? Il faut convenir qu'on ne le fçait pas , ou qu'au moins , on n'en
peut rien dire de certain ; & , quand on confidere qu'un ufage fi extraor-
dinaire , étoit commun , autrefois , à tous les Peuples de l'Europe , cette
uniformité conduit naturellement à croire qu'ils la tenoient tous du
même lieu, & qu'ils étoient originairement la même Nation.
S'il eft permis , après cela , d'expofer fes conjeûures , il y a lieu de
foupçonner, 1° que cette pratique tiroit fon origine de l'ancienne ma-
nière de vivre des Peuples Celtes. C'étoient des Bergers qui ne pou-
voient guères quitter leurs trotipeaux , ni s'affembler que pendant la:
nuit, i.** Ce qui contribuoit encore beaucoup à l'établir , & à la faire
paffer en coutume , c'eft que les affemblées noûurnes étoient favo-
rables au divinations , & aux cérémonies magiques (*) , qui faifoient
( •) Les aflcrablées nofturnes étoient encore
plus favorables i la friponnerie des Prêtres,
qui faifoient illufion au Peuple & lui perfua-
doient ce qui n'ctoit pas. Mais , comme les
Celtes s'alTcmbloient de nuit avant le charla-
tiiiifcne de leurs Prêtres , je ne crois pas que les
divinations 8c les ccremonies magiques cuflcnt
contribué à faire recevoir la coutume de s'af-
fembler de nuit. Cet ufage venoit incontefta-
blement de l'ancienne manière de viyre des
Peuples, & remontoir jufqu'aux premiers tems
où les hommes furent fur la terre. Je le prou-
verai ailleurs. Mais les divinations & les céré-
monies magiques que la friponnerie des Prê-
tres avoir mis en vogue , étoient bien pofté.
lieures à ces premiers tems. Ce qui contribua
à établir d'une manière fixe l'ufage de s'affem-
bler de nuit pour l'exercice de la Religion,
c'eft , i mon avis, i*. que les Celtes étoient
dans lanccelTité, pour fe procurer les chofes
(leccflaires à la vie , de meoei f aîtçc leius ttou-
Tomt II,
Dis des Cel-
tes avec le
Dn , Adcs
ou Pluton tics
Grcts tic des
Latias.
Conjeflurc»
fui l'i ri^me
des affjin-
blé;.s uoâur-
n:s parmi \tH.-
Celtes.
peaux pendant tout le jour , d'aller à la chaiTe
des bêtes fauvages dont la peau pouvoit les
couvrir &c. ce qui ne leur lailfoit pas le terni
de s'affembler de jour pour leurs affaires & pour
faireen commun l'exercice de leur Religion ï°.
Lefilence&l'obfcurité de la nuitfcmblent ren-
dre les affemblées plus auguftcs & infpirer i
ceux qui fe font affemblés pour prier la Divi-
nité, une frayeur religieufe qui les rend moins
diftraits dans leurs prières. Telle eft , à ce que
je crois , l'origine des alTemblées nofturnes.
Mais je ne penlé pas que cela ait donné lieu à
cet autre ufage , de compter par les nuits 8e
non point pat les jours. L'origine de ce fécond
ufage doit venir de ce qu'avant la création du
monde, avant la création du Soleil & des au-
tres Alites , les ténèbres couvroient la face de
l'abîme. C'eft pourquoi Moyfe place toujours
la nuit la première', c'eft à-dire avant le jour,
& du foir & du tMiin /c fit te premier jtur , &<r,
Gcncf. I, 5. t. ij, ip. li- 31. Note it l'Editeur^
»4x HISTOIRE DES CELTES,
reïïentlel de la Religion des Celtes. Ces Peuples auroient été louables,
s'ils euffent cherché la retraite & le filence , pour adorer la Divi-
nité, fans aucune diftraâion , &: dans un parfait recueillement. Mais,
comme ils tenoient leurs affemblées religiçufes , loin des Villes, & des
Villages, dans des lieux folitaires & incultes, afin que la Divinité, qui,
félon leurs idées, ne rempliflbit que fes propres ouvrages , eût le paflage
ouvert & libre, Sc que fon aftion ne fût point troublée p^r quelque
caufe étrangère , ils avoient auffi la fuperftition de choifir la nuit pour
lé culte des Dieux , parçç qu'ils s'imaginoient que le tems où la nature
eft dans une efpèce de filence , étoit le plus propre pour entendre la voix
de la Divinité , & pour obferver les fignes & les avertiffemens qu'elle
donnoit au genre humain. Les Magiciens auffi ne pratiquoient guèr>;s
leurs cérémonies que pendant la nuit , où une imagination bleflée croit
voir des fpeftres & des fantômes qui difparoiffent auffitôt que le jour
commence à fe montrer.
^ Ms tenoiciit §. III. Il ne paroît pas que les Celtes partageaient les mois & les an-
Wcctau c'ait- nées en femaines , ni qu'ils confacraflent un jour de chaque femaine
âtunc g^j culte de leurs Dieux. Mais une chofe qui eft certaine, c'efl qu'ils
choififlbient ordinairement le clair de la Lune pour les Afl'emblées pu-
bliques & folemnelles (19). Ainfi les Celtib^res & les Peuples qui leur
étoient voifins du côté du Septentrion , s'aflembloient de nuit dans le
tems de la pleine Lune , pour vénérer un Dieu fans nom , & paffoient
toute la nuit à danfer & à fe réjouir avec leurs familles hors des portes.
Le même ufage étoit établi parmi les Germains (io). «Hors les cas im«
M prévus , dit Tacite , on ne tient l'Affemblée générale qu'à des jours
» fixes. C'eft le tems de la nouvelle ou de la pleine Lune qu'ils eftiment
»..le plus heureux pour entamer les affaires, » Confacrant aux Dieux le
jour de la nouvelle & de la pleine Lune , ils croyoient que ces jours
étoient les plus propres pour traiter les affaires importantes , parce que la
Divinité , favorable au culte & aux prières de fes adorateurs , préfidoit
alors d'une façon particulière à leurs délibérations.
Les Gaulois aufïï faifoient leurs Affemblées au clair de la Lune. C'eft
à çaufe de cela qu'ils comptoient leurs mois ^ leurs années, non pas
•— ~— ^ I I I II . 1 , I. M*> I "
(i») Ci-d. §. I, not. 7.&Liv. III. ch. S.^.f, net. j,
LIVRE IV. CHAPITRE III. 145
tîepuîs ce que nous appelions la nouvelle Lurie , mais depuis le jour ci
elle répandoit une lumière fuffifante pour les éclairer pendant qu'ils al-
loient à leurs Sanftuaires , ou qu'ils en revenoient (n). « Les Druides ,
» dit Pline, cueillent le Gui de chêne le fixiéme jour de la Lune, & c'eft
»à ce jolir qu'ils placent le commencement des mois, des années &C
» des fiécles , qui font , parmi eux, de trente ans. Ils fondent cet ufage fur
»ce qu'alors la Lune a déjà aflez de force, bien qu'elle ne foit pas en-
» core parvenue à la moitié de fa grandeur. »
Cette manière de calculer ne tiroit pas fon origine de l'ancienne Aftro-
nomie , qui comptoit la nouvelle Lune , non pas de fa cohjonftioii
avec le Soleil, ou de fon émerfion des rayons de cet Aftre, mais depuis
le jour où elle commence à paroître. La Lune paroît avant le fixiéme jour.
On peut encore moins approuver la conjedure de ceux qui ont cru que Pau tTe ccn-
les Gaulois trouvoient quelque myftère dans le nombre de fix (12), « le lAmcurde/a
«regardant comme le plus facré de tous, & pouffant la fuperftition ol'aZW'oa.
wjufqu'à renverfer pour lui faire honneur, l'ordre des mois, des '^''•""«tufa'
«années, des fiecles. »
Les paroles de Pline infihueroient plutôt , que les Gaulois dônnoienf Explication
dans une fuperftitioti affez commune aux Aftrologues & aux Magiciens , pjnet "^^ *
qui s'imaginoient que le Gui de chêne & les autres plantes a voient
plus de vertu , étant cueillies fous certaines conftellations , & dans
certaines phafes de la Lune. Mais ces paroles ont un fens beaucoup
plus fimple & plus naturel. Les Gaulois, tenant leurs Affemblées au clair
de la Lune , les commençoient au jour, où elle avait déjà a^e:^ de force ^
c'eft-à-dire , où elle donnoit affez de lumière pour les éclairer. Selon
les apparences , ces Affemblées continuoient enfuite pendant toute la "
pleine lune,& peut-être jul'qu'au dernierquartier; de manière, cependant,
que celles du jour de la nouvelle & de la pleine Lune étolent les plus
nombreufes ôi les plus folemnelles. Le fixiéme jour de la Lune étoit
donc le commencement des mois & des années , parce que c'étoit le jour
où commençoient les folemnités publiques & religieufes.
Il paroît fort vraifemblable que cette manière de compter le com-
mencement du mois depuis le fixiéme jour de la Lune, étoit commune
(21) Flih. XVI. cap. 44. pag. 4 1 î. Les Indiens comptoient, ï-pcu-près , de la même maaièlié^
■ri " '-
'■ .M ■ ■
Hhi
Curtiutlib. vin. cap. j.p 386. ■. ; T 1 'i" ;:'' •-■''
iiîjRelig. des Gaulois,, lib.I. p. 14. • • .• A • ■ . .\>-\- -. .»
les Cc!t;s
jvoient aullî
des l'êiÇ5 io-
Icmr.cl'.es q'.ii
reveiioiontrc-
tous les aiis>
144: HISTOIRE DES CELTES,
aux Germains 6c aux Gaulois; vz par cela même , que ces Peuples con-
f'acroient à leurs Dieux certains jours de la Lune , ils regarJoicnt
a^iffi ces jours, comme le tems le plus favorable , non-reiilemeni pour les
délibérations importantes , mais encore pour toute forte d'entreprifes.
Par exemple, les Druides vouloient que l'on cueillît le Gui de chêne (13)
dans certains jours de la Lune , & qu'on prît la même précaution po.ir
ramafier les œufs de Serpens, auxquels ils attribuoient une grande
vertu. On voit auffi les Prophétefles , qu'Ariovifte avoit dans fon armée
(14), lui déclarer que les Germains feront infailliblement battus , s'ils
n'attendent la nouvelle Lune pour livrer bataille aux Romains.
§. IV. Outre ces Aflemblées ordinaires que les Celtes tenoient dans
certains jours de la Lune, ils avoient encore des fêtes folemnelles, qui re-
venoient tous les ans dans la même faifon. On a eu occauon d'en nom-
mer plufieurs dans les Livres précédens (15). La fête, accompagnée de
proceffions & de réjouiflances, que les Germains &c la plupart des autres
Peuples de l'Europe , célébroient à l'honneur de la terre. La fête que les
Thraces appelloient (16) Contiu Se BendiJia^àw nom des Dieux aux-
quels elle étoit confacrée. Elle reflembloit aux Bacchanales des Grecs ,
& ne différolt point de celle que d'autres Thraces célébroient fous le
nom de ( 27 ) Sabaiia. La fête annuelle que les Habitans du Gévau-
dan (28) alloient célébrer pendant trois jours fur le Mont Hélanus.
Celle, encore , que les (29) Anglo-Saxons faifoient, au mois d'Avril ,
en l'honneur de la Déeffe Eoftre.
îj principale La plus folemnelle de toutes ces fêtes , étoit celle que l'on célébroit
tés ccUiqKs au commencement de chaque Printems , & dans laquelle les Nations
au''oa"appci- entières fe réuniffoient par leurs Députés , pour délibérer fur les befoins
'/'^M^s'ou ^^ l'Etat. Elle étoit généralement obfervée par tous les Peuples Scythes
i^iMay. & Celtes. Les Etrangers l'ont appeliée avec raifon (3o),/e champ de
Mars, foit parce qu'elle étoit confacrée au T>\t\xTeuto\\Odin, qui pré-
fidoit à la guerre , fuivant la Doftrine de ces Peuples , foit parce que
(i3)Plin.XXIX. 3. p. «81.
(24) Ccfar I. 50. Elutarch. Czfar I, 717.
Dio. Cair. lib. xxxviii. pag. 90. C!em. Alex.
SttORi. lib. I- cap. 15. pag. jSo. Les Lace'démo-
niens avoient la même fupetfticion. Faufan At<
tic. pag tf«.
(15) Ci-d. Liv. m. ch. t. $. 3. & fuir.
(ï6) Ci-d. Liv, III. ch. 6. §. 6. not.+î.
(17) Ci-d. Liv. ni. ch. 15- §■ 3.
(îS) Ci-d. Liv. III. ch. s. §. 4.
(ij) Ci-d. Liv. 111. ch. \6. §. s>.
(30) Vita Sanfti Remigii ap. Do Chefnc
Tom. I. p. sii.Voyet, aufli Keyflcr, & Ici Mi
tcuis ^u,!il cite f. I7.
LIVRE IV, CHAPITRE III. • 245
le fujet le plus ordinaire de l'AfTemblée étoit de déterminer de quel côté
on porteroit la guerre pendant le cours de l'année. D'autres l'ont np-
pe'.'ée (3 i), k champ de Mai, parce qu'elle fe tenoit régulièrement dans
ce mois.
Trois chofes diftinçfuoient fur tout cette folemnitc. Premièrement , c'é-
toit la tcte des Nations entières, & non pas celle des Cantons qui, vrai-
femblablement , s'afl'embloient quelque tems auparavant, pour donner
leurs infiruftions aux Députes qu'ils envoyoient à l'affemblée générale.
En fécond lieu, on y immoloit des'victimes humaines pour la profpé-
rite & le bon fuccès de la campagne cii.ie l'on alloit commencer. « Entre
»les Dieux, diibit Tacite (31), If 5 Germains fervent principalement
» Mercure , ils croyent même qu'il eft permis de lui immoler, dans
» certains jours , des viûimes humaines. » Le tems où il étoit permis ,
& même ordonné d'offrir ces cruels facrifices, étoit celui de l'Afiemblée
générale. On le voit dans un paffage du même Tacite , qu'on a déjà
cité (33). «Tous les Peuples Semnoms s'affemblent à certains jours
»par leur Députés, au milieu d'une forêt facrée , pour célébrer les af-
« frcufes cérémonies de leur culte barbare, dont la premiers; eft d'im-
»> moler un homme (34) en public.»
Peut-être faut-il rapporter au même ufage ce que Jules-Céfar dlfoit des
Gaulois (35) : Piibliceqiu ejufdcm generis habent injlituta facrifida. Ces fa-
crifices , autorifés par les Loix, s'offroient publiquement dans l'Afiem-
blée du Peuple; & c'eft, pour le dire en paffant, la raifon pourquoi leurs
Magiftrats étoient annuels (36). On les renouvelloit au commencement
de chaque année dans l'Afiemblée générale. Nous avons vit auflî que
dans une fête annuelle , que les Scythes célébroient à l'honneur de leur
Mars, ils immoloient , cntr'autres viftimes , le (37) centième" des
Prifonniers qu'ils avoient faits à la guerre. Il n'y a point à douter que
cette fête ne fîit celle de l'Afll'mblée générale.
Enfin , le champ de Mars étoit , préférablement à toutes les autres
fêtes des Cehes, un tems de réjouiffance 6c de bonne chère. Comme les
(3i)VitaSan(aiKeniigii ibid. Sigebert ad An.
6iz. F»jet,aulli Ejiiuliarii vit. Caroli M. cap. i.
pag. p.Paul. Diac Rer Longob. Iib, Hl.cap. i8.
pag. jvz. & Ho:oman Fiauco-Gall.p. \i%,
(i a) Tacit. Gocm. 9.
(3 ;^ Cid. ch. II. § J.iiot. 2{.
{i^) Tacit. Gcrtti. 35.
(5 5 Cafar VI. 16.
(}6 Cïtfarl. ifi. VII. 32.
(3 7)Ci d. cU. II. $ ii.not. Ȕ;
a4<5 HISTOIRE DES CELTES,
dignités & les commandemens fe dillribuoient dans l'Affemblée, & qua
toutes les affaires s'y décidoient à la pluralité des voix , les grands Sei"
gneurs n'épargnoient ni carrefles, ni dépenfes, pour gagner des AifFrages
& pour augmenter le nombre de leurs clients ; &c parce que le grand
moyen de gagner un Celte , étoit de le régaler & de le faire boire , la No-
blefle & les Chefs de parti tenoient table ouverte, aufll long-tems que
la folemnité duroit*
On ne fe trompera affurément pas , en rapportant à cette fête ce que dit
Hérodote (38) , que chaque Chef de Province donnoittous les ans un fef»
tin , auquel affiftoient tous les braves qui avoient tué un, ou pliifieurs en-
nemis à la guerre. Les braves étoient , fur-tout , careflés & flattés , parce
qu'au milieu de Ces Peuples belliqueux, le fiiffrage d'un guerrier em-
portoit ordinairement après foi , celui de toute l'Aflemblée.
Les Romains célébroient, au commencement de chaque Printems ,
une ancienne fcte , qui pourroit être la même que celle dont on vient de
parler; i''. elle étoit confacrée au Père (39) Dis , qui étoit le Teut ou
Je Mars des Celtes, a^. On y offroit à ce Dis des vidimes humaines , &C
après que ces barbares facrifices eurent été abolis, on en conferva une
image, en jettant dans le Tibre des hommes de paille. 3". Cette fête
tomboit., à peu près , fur le jour de la Lune , oii les Celtes tenoient leurs
Aflemblées. Denis d'Halicarnaffe l'a remarqué (40): « Ort précipite ces
» figures d'hommes dans le Tibre peu après l'équinoxe du Printems ,
» au jour que les Romains appellent les Ides de May , &c où ils difent que
» la Lune , parvenue à la moitié de fa grandeur , partage le mois en
w-deux parties égales. »
§. V, Il n'eft pas nécefiàire d'avertir , qu*outre lés fctéS qui étoient ob-
fervées dans toute la Celtique, il y en avoit d'autres , qui ne l'étoient
qiicsavoicfes îjuc dans ccrtaihes Contrées. Il en étoit ^ à cet égard, des Celtes,
comme de toutes les autres Nations, oîi chaque Province , chaque Ville
trouve dans des événemens & dans des délivrances , ^ui lui font pro-
pres^ le motif de quelque folemnité particulière. Ainfi les Habitans de
nie de Thulé célébroient tous les ans, au mois de Janvier C41), une
grande fête dans laquelle ils fe réjouiffoient du retour du Soleil, qui
'Char|iic Cah.
't.>n des Na-
tions CeUi-
(3«) Herodot. IV. «5.
(39) Ci d. Liv. III. ch. 6. §. ii.
(ifoj Dioa^rf. Halic. -I. 30. Bafeb. Pracj. Ev. ■
tib. IV. cap. I S. p. 160.
(41} ftocop. Goth. lib. II. ca^. is.p.^i}*
LIVRE IV, CHAPITRE III. 14?
dcvoit reparoître fur leur horizon au bout de quelques jours.
On trouve encore qu'il y avoit des fêtes qui ne revenoient qu'après
la révolution de quelques années. Par exemple, celle où les Gétes dé.
péchoient des Meffagers à leurs Zamolxis ( 4O » ^^ célébroient tous les
cinq ans. Les Peuples du Nord avoient auffi leur grand Juul (43)»
c'eft-à dire, leur grande fête, quife çélébroit de neuf en neuf ans , U
pendant laquelle on immoloit aux Dieux (44) quatre-vingt-dix-neuf
hommes , avec un pareil nombre de chevaux , de chiens & de coqs. On
n'en dira pas davantage fur les fêtes des Peuples Celtes, Un plus grand
détail , dont les recherches couteroient beaucoup de peine , ne pour-
roit devenir qu'ennuyeux pour le Lefteur , parce que ces fêtes fe cé-
lébroient toutes de la même manière , avec cette feule différence qu'il
y en avoit où il n'étoit pas d'ufage d'immoler des viftjmes humaines. H
ne refte plus qu'à ajouter, en deux mots, deux ou trois remarques qui
font peu importantes en elles-mêmes, & ne regardent, d'aillçurs, qu'in»
direftement le fujet que l'on traite.
§. VI. 1°. Varron avoit remarqué (45) que , parmi les Ombriens, qui
étoient un Peuple Gaulois , le jour civil commençoit à midi , ôi duroit
jufqu'à l'autre inidi. Ils s'étoiçnt écartés , en cela , de la pratique des
avitres Celtes , qui çomptoient Içurs jours depuis le coucher du Soleil ,
de la même manière que les (46) Athéniens. On ne voudroit, cepen-,
dant , pas conclure delà , que les Athéniens eufîent tiré cet ufage des
Peuples Celtes. Il étoit aufll établi chez les Juifs, qui ont toujours placé
le commencement de Içur Sabbat , & Içs autres jours de la femaine 311
coucher du Soleil ( * ).
1''. Jofeph Scaliger a conclu des paroles de Pline , que l'on a citées ,
il n'y a qu'un moment (47) , que les années des Gaulois étoient lunaires.
Effeûivement, le paffage eil des plus formels (48}. « Les Gaulois placent le
(41' Ci-d. Liv. III. ch I8. §. 6. not. 6t.
(43) Us appelloient'Jaa/ une fête, & don-
naient lenom àe graxi ] nui à la folemnit^ qu'ils
célfbroient vers le Soiftice d'hyver. Vùyei. la
note fuivantç & Keyfler p. i $>. En Bas-Breton,
Goiir/ e,^ auîlî une fête. Didion. de B.oft:cnen
pag. 43«.
(44) Ditmarus de Danis Edit. Leibniti. T. I.
pag. 327 Kevfler p. 32*.
('45) Macrob, S^wm. Ht. I. Mj. 3. p. 13«.
fUn. II. 77»
Obfcrvatlon
de Jofeph
Scaliger fur
les mois & Ici
annc:s 4-<
Gauloi».
(4«)Plin. ibid.
(*) On ne connoît aucune Nation qui , dans
les premiers tems , n'ait compté par des mois
abfolument lunaires ; de forte que le loiir corn,
mcnçoit au couclier du Soleil , & au moment
que la Lune éclaire l'horifon. Cette oblerva.,
tion confirme Ce que j'ai conicduté ci-deflus ,
pâg. 145. not. *. Note de l'Eiae.ir.
(47) Scalig. de Emend. Temp. p. 172. Bdif,
Genev. 1629,
(48) Ci-d. j. 3. n«H. ijt
24? HISTOIRE DES CELTES,
» commencement des mois, des années & des fiécles au fixiéme jour de
» la Lune. »
ctitique in- Cette remarque , quelque jufîe qu'elle foit , n'a pas laiffé d'être re-
L'a'fu'J'rrb- levée par le Père Pétau, qui étolt affurément un grand homme, mais
s"a"<l'r" *** ^'^'^ l'auroit été encore plus , s'il n'avoit pris à tâche de chicanner , en
mille occafions , un Savant , du travail duquel , il avoit , peut-être ,
plus profité que perfonne. « Quoique les années &c les fiécles des
» Gaulois fuffent lunaires, dit lé Père Pétau (49) , cela n'empêche pas
♦> qu'ils ne puffent avoir une année civile qui fût folaire. » C'eft ce que
Scaliger n'auroit point du tout contefté. Mais il ne s'agiffoit point de
fiire voir la poffibilité de la chofe. Il falloit prouver que , de fait , les
Gaulois avoient une année civile réglée fur le cours du Soleil, ou fouf-
crire de bonne foi à la remarque de Scaliger. 3 ^. Tacite dit dans fa Def-
cription de la Germanie (50) «que les Germains ne fe fervent de la terre
»que pour y femer du bled, ôc que, par cette raifon , ils ne partagent
» pas l'année en autant de faifons que nous. Ils connoiffent l'Hy ver , le
» Printems , l'Été, ils ont des noms pour les défigner. Mais, quant à
>j l'Automne , & fon nom, &: fes préfens leur font également incon-
/ »: nus (*)•» Diodore de Sicile (5 1) avoit dit la môme chofe des Egyp-
tiens, parce que leur Pays ne produifoit point de vin, non plus que
l'ancienne Germanie.
Il y a, cependant, lieu de craindre que Tacite ne fe foit trompé dans
Cotte occafion. Il paroît, au moins , par d'anciennes Loix, que les An-
glo-Saxons avoient un nom pour défigner l'Automne, qu'ils appelloient
(51) Hoerfejle. On trouve même (53) que les Bajouriens comptoient
les- années par le nombre des Automnes, & les Anglo-Saxons , avec
tous les autres Peuples du Nord , par celui des Hivers. Pour marquer
qu'un homme étoit âgé de trente ans , ils difoient qu'il avoit trente
Automnes, ou trente Hivers.
(43) Petav. Doiftr. temp. lib. II. c. 70. p. 2jï.
Edit. Tarif. 16 lj.
(50) Tacit. Gerra. i5.
l'i L'Automne n'a point de nom dans la
Langue Anglo-S^ixonne. Les Anglois ont em-
prunté le mot Awiumn. Le fond de leur Lan-
gue ne leur fournit qu'une paraphrafe , ihe fall
ef thc Utf , la chute des feuilles. Dans les Dia-
Icûes Allemandes on fe f«t du mot lierhtfl.
herhz.fl , hirveft , qui fignifie la moiflbn ou la
récolte du bled. Remurq, fur U Germtnic ii Tu-
tire , par M. l'Abbé de la Blettcrie , p. 174.
(51) Diod Sic. lib. I. p. 7.
(52) Hotrfcjle Aummnm. L. L. Alfredi Reg.
Anglo-Sax. cap. jj. ap. Lindenbi. in Gloflar.
pag. i3«i.
(53) Lindenbi. GloC ibid.
CHAPITRE IV,
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 149
CHAPITRE IV.
§. I. vy N doit parler dans ce Chapitre , des Miniftres de la Religion des ncs Minidrcî
Celtes, des fondions dont iL étoient chargés , de la confidération où ils dcsceit«^d"
étoient, des privilèges dont ils jouifToient. Le fujet qui eft des plus inté- t'"ns,ae"cûts
refians , a été traité par un grand nombre d'Auteurs modernes ; mais la ^"î'j'clnfiî;
plupart de ceux qu'on a eu occafion de voir, ont négligé bien des chofes ""?" "1"'°'*
efTentielles : il femble , d'ailleurs , qu'ils s'an'êtent trop à des minuties , eux-
par exemple , à l'origine du mot de Druide , à la forme & à la couleur
de leurs habits , & à d'autres queftions moins importantes. On dira un
mot de tout cela à la fin de ce Chapitre ; mais on croit qu'il eft à pro-
pos de commencer par ce qu'il y a de plus eflentiel dans le fujet qu'on
doit examiner. C'eft de repréfenter , avec une jufte étendue , les fondions
& la conftitution du Clergé parmi les Peuples Celtes, & en môme tems,
la grande autorité dont il étoit revêtu.
§. II. Jules-Céfar , parlant de la différence qu'il y avoit de fontems , tous les Pîii-
•entre la manière de vivre des Gaulois ôc des Germains , dit ( i ) « que ^;"ic^:'"urs
» ceux-ci n'avoient point de Druides qui préfidaffent au culte de la £\%'|;"de j'a-
» Divinité , & qu'ils ne faifoient aucun cas des facrifices. » C'eft une '«s-cérar.
preuve que Jules-Céfar n'a point connu les Germains. Par cela même
qu'ils avoient une Religion , ils avoient auffi une forme de culte ex-
térieur, des Sacrifices, des Cérémonies & des Sacrificateurs, qui étant
les Miniftres du Culte Religieux , étoient aufll les Maîtres de la Doc-
trine fur laquelle ce culte étoit fondé. Tacite & Strabon , beaucoup
mieux informés , reconnoiffent ( 1 ) que les Germains avoient des Sacri-
ficateurs & des Devins , auffi-bien que les Gaulois. On verra auftî ,'
dans la fuite de ce Chapitre , que la conftitution du Clergé étoit, à peu-
près , la même , non-feulement dans les Gaules & dans la Germanie ,
mais encore parmi toutes les Nations Scythes &; Celtes, avec cette
différence, cependant, que les Gaulois étant plus policés, leurs Druides
l'emportoient aufli , à toute forte d'égards , fur le Clergé des Peuples
qm étoient encore plongés dans la plus ftupide barbarie.
(i) CzfaiVI. II.
(i) Tacit. Getm. çap. 7. 10. 40. 41. St»b« IV. zoi, VU. t>l.
J'orne IL I î
i5o H I S T O I R E D E S C E L T E S,
Ma.ivaiie ia- Quclques Interprètes ont cru juftifîer Jules-Céfar , en donant â fe»
li7t'«^c'd" paroles une explication qui paroît tout - à - fait forcée. Ils prétendent
Jules céLir. qu'elles ne fi^nifient autre chofe , fi ce n'eft que le nom des Druides étoit
inconnu aux Germains. C'eft, affurément, mettre ce qu'un Auteur de-
voit dire , à la place de ce qu'il a dit. Il fuffit de lire le paffage pour fe con-
vaincre qu'il a un tout autre fens. Jules-'Céfar qui n'a parlé des Ger-
mains , que fur de trùs-mauvais Mémoires , a cru qu'ils n'avoient ni Sa-
crificateurs , ni Sacrifices , & que tout leur culte fe réduifoit à quelques
prières qu'ils adreflbient , foit au feu qui brûloit fur leurs foyers , foit
au Soleil & à la Lune , quand ces Aftres fe montroient fur l'horifon.
Fonaions du S. III. Lcs fonâions du Clergé des Peuples Celtes peuvent être réduites
les ccUfs. à cmq ou fix Chefs généraux.
j". Lc<Druî. i*'. Les Druides étoient en premier lieu, les Minières des prières,
'm^itiii i* des facrifices, des cérémonies , & en général , de tout le culte que le Peu-
^"'"' pie rendoit à la Divinité. C'eft ce que Jules-Céfar difoit des Prêtres
Gaulois (3) : «< Ils vaquent aux chofes divines , ils ont foin des facrifices
» publics & particuliers , & ils expliquent au Peuple les différents
» points de la Religion. » Ils vaquaient aux chofes divines , c'eft-à-dire ,
qu'ils préfuloient aux Affemblées Religieufes & au culte public de la
Divinité. Ils avaient foin des facrifices publics & particuliers , c'eft à-dire ,
qu'ils étoient chargés d'immoler toutes les viâimes qui étoient offertes
au nom d'un Peuple , d'un Canton , d'une Communauté , ou préfentées
par des perfonnes privées. Us expliquaient au Peuple Us diferens points
de la Religion^ c'eft- à-dlre , qu'ils répondoient de la part de la Divi-
nité , aux dévots qui venoient la confulter , leur expliquant ce que figni-
fioit un fonge , le vol d'un oifeau dirigé vers un certain côté du Ciel ,
les entrailles d'une vlftime difpofées d'une certaine manière. Jules-
Céfar ajoute un peu plus bas ( 4 ) , que « les Gaulois fe fervoient du
miniftère des Druides pour immoler des viftimes humaines. » Lucain
j^^j Ç3^i„is remarque aufll (5), que ce furent les Druides qui renouvellerent,
troyoicntque pendant les euerres civiles des Romains , ces barbares facrifices qu'ils
les facrifices » . , , . ' ^
étoient iiiéy- avoient ete obfcges dmterrompre, après la conquête des Gaules.
pr'iéKs inef. Les Gaulois pouffoient le fcrupule , fur cet article, jufqu'à fe per-
Scaces . s'ils ____^__-— — — — _— ___________^_^________^_^______^__^
limes & les
prières inef-
ficaces . s'ils
^'étoient oi
«
(l)C«far VI. IJ.
(+)Csfa( VI. 16.
(j) Lttcan. I. V, ISO»
L I V R E IV. C H A P I T R E IV. 251
fuader que les facrifices étoient illégitimes, & les prières inefficaces, fi ûrts iJii- le
tout cela n'étoit offert par le miniftère du Clergé. « C'eft une coutume Dtuïd« -, iU
» reçue parmi eux , difoit ( 6 ) Diodore de Sicile , de n'offrir aucun do'icn""auï^
>»lacrifîce fans le miniftere d'un (7) Philofophe. Ils donnent pourrai- voient ^nœ,'.-
» fon de cet ufage , que , quand on veut offrir des préfens aux Dieux , '^'J^fi^'"' '
«ou leur demander des "races, il elî à propos de recourir à la média- "^entà ceux
» tion des hommes qui connoiffent la Divinité , & qui font fes eonfi- qL-itté.- pour
I » n !• ï 1 tf rr I r • -1 'C aller jouir Jî
» cens» , c clr-a-dire , qu admettant 1 mterceluon des Saints, ils prêtèrent u (éiiciti
la recommandation des vivansàcelle des morts. Paffe pour cela. C'eft une [t'vlihaiu*
petite erreur, que l'on peut bien pardonner à des Barbares.
Mais ce qui frappe le plus ici, c'eft l'habileté des Druides , qui ne cher- c.tte opinion
chant qu'à fe rendre néceffaires , donnoient adroitement le change au cuiquét^puT
Peuple, & trouvoient le moyen de lui perfuader que fes prières & fes l:"uj^'er'i:t"i.
facrifices feroient inutiles fans l'interceflion du Clergé. Tout cela étoit ""^ » ,'■= \^"r
o Je nccclui-
à peu-près établi fur le même pied parmi les autres Peuples Celtes ( 8 ). ■■"• L'ai::if;ce
* ' . leur avoïc
» Les Sacrificateurs des Germains fe glorifioient d'être les Minières des très-bisn
» Dieux. » Ceux des Gétes (9) étoient les Miniftres de tous les facrifices.
Les Druides de la Grande-Bretagne fuivoient les armées , & quand on
étoit fur le point d'en venir aux mains (10), ils faifoient la prière à
la tête des bataillons, parce que l'ennemi ne pou voit être dévoué qua
par les prières du Clergé. Enfin , la pratique & les principes des Perfes
s'accordoient parfaitement, fur cet article , avec ceux des Gaulois (11).
Aucun facrifice ne paffoit pour légitime , s'il n'étoit offeh par les Mages ,
qui étoient en poffeffion du ( 11) Sacerdoce, parmi les Perfes, comme
la famille d'Aaron , parmi les Juifs. Il falloit qu'un Mage chantât (13) la
Théogo;iie fur les chairs de la vidime , & c'étoit en cela qu'on faifoit
confifter la confécration. La ralfon de cet ufage étoit que les prières &
les facrifices du Peuple n'étoient agréables aux Dieux , qu'autant qu'ils
étoient offerts par le miniflère d'un Mage. Clitarque l'avoit remarqué
(14). «Les Mages fe confacrent au culte des Dieux, ils ne s'occupent
(«)Diod. Sic. V. 2U.
(7) Le mot ie PhiUftphe de'figne ici un 'Drnï-
de. Diod. Sic. V. 21 j. Strabon IV. is».
(l) Tacit. Geim. 10.
\ (») Joinand. cap. II.
(lo)Tacit. Ann. XIV. î».
(il) Herodot. I. iji. Strabo XV. 731.
(lî) Hcfycli. Amm. Marc. XXIII. 6. p, fji,
Dio. Cliryft. in Boryftli. S. XXXVI. p. 44p. Por-
^hyr. de aHftineutiâ lib. iv. pag. 39». Apulej,
Apol. I. p. 44«.
(i|) Herodot. 1. 132.
iji HISTOIRE DES CELTES,
» qu'à offrir des (acrifices , comme s'ils étoient les feuls dont les Dieiix
» diiffent accepter le culte &{ exaucer les prières. »
Les prêtics §. IV. Les Prêtres des Celtes étoient , en fécond lieu , les maîtres.
c"iepr'"s de la Doûrine , qui fervolt de fondement à la Religion & au culte dont
uodrine.' '^ ï^s étoicnt les Minières. Il n'y avoit rien là que de naturel. Mais la doci-
i-euis déci- ijj^ j Peuples , &c la confiance qu'ils avoient en leurs Doôeurs , étoit en
jjrifjs pour même tems fi grandes, que les inftruûions du Clergé étoient reçues com-
me autant d'Oracles infaillibles. Les Gaulois , par exemple (15) , fe van-
toient d'être iffus du Père Dis. Quand on leur demandoit fur quoi cette
opinion étoit fondée , ils donnoient pour réponfe , qu'ils l'avoient ap-
pris ainfi de leurs Druides. L'Eglife avoit prononcé; fes décifions étoient
des articles de foi.
lis enfci- Comme on a expofé dans le Livre précédent , les principaux Dogmes
Théologie* & de la Religion que les Druides enfeignoient au Peuple , il ne fera pas
la Morale, ^^^j-effaire de s'y arrêter dans celui-ci. Leur Doûrine fe réduifoit à ces
deux chefs capitaux. L'exiftence d'un Dieu , Créateur du monde & de
l'homme , & la certitude des peines & des récompenfes d'une autre vie.
Leur Morale étoit renfermée en abrégé dans ces trois maximes, c^il faut
Jervir les Dieux , ne faire du mal à perfonne , s'' étudier à être vaillant &•
brave. C'étoit-là la Doûrine publique que le Clergé enfeignoitau Peu-
ple dans toutes les occafions qui fe préfentoient , n'épargnant rien ( 1 6)
pour l'en bien convaincre. Le Peuple , de fon côté , apprenoit par
cœur les hymnes (17) où elle étoit contenue , & les chantoit dans les
feflins facrés , en allant au combat , & dans toutes les autres occafions
où il vouloit s'animer, lui-même, foit à fervir les Dieux avec ferveur ,
foit à attaquer un ennemi avec intrépidité.
Us inftrui- Outre les Inftruâions publiques , dont ont vient de parler , les Druides
neffe!*^^" en donnoient encore de particulières ( 18 ) à la jeune Noblefle, qui
étudioit fous eux. Une partie de ces difciples alloient trouver les Dniï-
/ des , de leur propre mouvement , les autres étoient envoyés par leurs
pères & mères , ou par ceux des parens qui tenoient leur place. Toute
cette jeuneffe demeuroit avec fes Maîtres dans les Sanftuaires , qui
étoient des efpèces à' Académies où les enfans de qualité , qui étoient en
«■' '' ■ . Il ' II, , , , ,1
(14) Diog. Laett. Procm. p. s. 7, 1$. 2. not. i8.
(15) Ci-d. ch. m. §. 1. not. I. j (17) Ci-d. lib. H. ch. 10. not. îî.
(i«)Ci-d,tW.Ui.chi^. I». ^. i.noMJ.k I (lï^Cîefai VI. lîij^
tes Prêtre»
avoi-
L I V R E IV. C H A P I T R E IV. 253
ëtat de payer une penfion , apprenoient , non -feulement la Théologie
& la Morale , mais encore la Philofophie , l'Art Oratoire , la Jurifpru-
dence , l'Hiftoire & la Poëfie.
Les Anciens s'accordent affez généralement à donner aux Druides le ils apprenoi-
nom de (19) Philofophes. On ne voit pas qu'on puiffe le leur contefter lé- Difcipiès'u
gitimement, puifque leurs études & les leçons qu'ils donnoient à la jeu- '' '°°^ "'
neffe , rouloient fur des matières qui ont toujours appartenu à la Philo-
fophie. Selon Jules-Céfar (20) , « on difputoit dans leurs Ecoles , des
» Aftres & de leur mouvement , de la grandeur du inonde & de la
H terre , de la conflitution de l'Univers , de la puiffance & de l'empire
» des Dieux immortels. Ils faifoient profeflion , dit Pomponius Mêla (2 1),
M de connoître tant la grandeur que la forme du monde & de la terre ,
» les divers mouvemens du Ciel & des Aftres , & la volonté des Dieux. »
Il y a bien plus. Quoique les Grecs fe vantaffent d'avoir perfec-
tionné la Philofophie , ilsétoient, cependant, obligés d'avouer qu'elle entVté"
tiroit fon (22) origine des Chaldéens , des Celtes, des Galates, des Pbiio"o(o-'
Perfes & de plusieurs autres Peuples qu'il plaifoit aux Grecs d'appeller ** " ''""*
Barbares (23 j. «Cette fcience, dlfoit Clément d'Alexandrie , avoit fleuri
» de toute ancienneté , parmi les Peuples barbares , & c'eft de-là ,
w qu'elle pafla enfuite chez les Grecs. Elle étoit cultivée, en Egypte, par
» les Prophètes ; en Aflyrie , par les Chaldéens ; dans les Gaules , par
» les Druides ; dans la Badriane, par les Semanééns ; dans la Celtique ,
» par ceux qui en faifoient profeflion ; en Perfe , par les Mages ; dans les
» Indes , par les Gymnofophifles , & par d'autres Philofophes Barbares. >»
Effeûivement, Pythagore &C Platon n'enfeignerent la Philofophie,
qu'après avoir voyagé en Egypte , en Chaldée , en Thrace , en Italie ,
& avoir profité des lumières des Savans qu'ils trouvèrent dans ces diffé-
rens Pays. Démocrite ( 24 ) aufTi avoit étudié fous les Mages de Perfe.
Enfin , Thaïes qui pafToit , parmi les Grecs , pour le père de la Philo-
fophie , avoit voyagé , non-feulement en Egypte , mais aufTi en Ly-
die où il fut appelle par le Roi Créfus. Comme les Lydiens étoient un
(19) Diodor. Sic. V. 213. Steph. de Urb.
p. 3 1 1- Api/ZcCxi jiafà TaAaTait t'i (piAi'fif ii xoi
n/iliiiti. Suidas.
(■-zo) Ca;far VI. 14. '
(ïi) Pomp. Met. lib. m, cap. î. p. 73.
(»2) Diogcn. Lacit. Ftoem. g. i, U hq.
(23) Clem. AUx. Strom. lib. I. p. 359. Les
Celtes font ici les Peuples qu'on de'ffgnoit fom
ce nom, du tems de Cle'ment d'Alexandrie,
c'eft-à-dire , les Germains, yejcz. ci-defl". Liir. I.
chap. fi. p. ai. &ruir.
(x^) Ci-d, Liv. III. cb. it. $. t. not. lo. ti.
2^4 HISTOIRE DES CELTES,
Peuple , qui avoit pafle de la Thrace dans l'Afie-Mineure , il n'eft pas Im-
pofllble que Thaïes n'eût emprunté , de ce Peuple , deux Dogmes de fa
Philofophie , qui s accordoient parfaitement avec celle des Druides. U
donnoit à la nuit la préférence fur le jour , &c enfeignoit publiquement
l'immortalité de l'ame ( 2.5 ) , qui, jufqu'alors, avoit été inconnue parmi
les Grecs,
les Druïdcj . On trouve dans Pomponius Mêla (i6) , que les Gaulois , quoiqu'ils
icTrrÈicvcs fiiffent extrêmement féroces, ne laiffoient pas d'avoir des Maîtres, favoir
de^RWiod" les Druides, qui leur enfeignoient la Rhétorique & la Philofophie.
•î"'' Caton le Cenfeur avoit aufli remarqué ( 17 ) que les Gaulois s'appli-
quoient , avec beaucoup de foin , aux exercices militaires , &c à l'Art
oratoire. Il n'eft pas difficile de comprendre pourquoi la NoblefTe Gau.
loife failbit tant de cas de l'éloquence. Les Peuples Celtes , fort jaloux
de leur liberté &c de leur fouveraineté , décidoient dans leurs AfTem-
blées générales , non-feulement de la paix , de la guerre , & des autres
affaires qui regardoient le bien de la Nation , mais encore de la vie &c de
la mort des Particuliers qui étoient accufés de crimes d'Etat. La fortune
des Grands étoit aufli toute entre les mains de l'Aflemblée qui les élevoit
aux dignités & les en dépouilloit, comme elle le trouvoitbon. On fent
bien , après cela , que l'éloquence devoit être d'une grande utilité à
ceux qui vouloient parvenir auy charges , & fe rendre maîtres des dé-
libératioas. Un Orateur habile & véhément emportoit ordinairement
tous les fuffrages.
«sieur en. Par la même raifon , le Clergé étoit encore chargé d'enfeigner à fes
jufifprude»- Ecolîers la Jurifprudence & l'Hiftoire. La Jurifprudence que les Druï-
prenoiTn/'' deS eufelgnoient , renfermoit, non feulement (i8) la Philofophie Morale,
l'Hiftoite. c»eft-à-dire , les Maximes du Droit naturel , mais encore les Loix & les
Conftitutions particulières de chaque Etat. L'Hiftoire retraçoit les dif-
férentes migrations d'un Peuple , les guerres qu'il avoit foutenues , les
yidoires qu'il avoit remportées , les grandes aûions des Braves , qui s'é-
toient diftingués par leur valeur. Ces études étoient aufli très-utiles , & en
quelque manière , néceflfaires à la Noblefl^e qui , étant appellée à faire
pendant toute fa vie le métier des armes, participoit encore, d'une fa»
*^***^^™^'^^^™'^^ ' ^——1 ■ ■ Il ■ ■ ■■ ■ » — ■— ■ _ ■ ■ I ■ »■— — iwpa
{ïs)Ci-d.Liv. ni.ch. I8.§, l.not.l. I (zj) Ci-d. Uw. II. di. XI. aot. r*<
(»«J Ci-d. note »i. | (»8) StiaboIV. ij/.
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 155
çon particulière , au Gouvernement de l'Etat , & à radminiftration de
la Juftice, comme on aura occafion de le montrer, plus au long, dan«
l'un des Livres fui vans.
On ne peut pas douter que les Druides n'enfeignaffent encore la iisiesinftrui.
Poëfie. 11 ne paroît pas , à la vérité , que les Bardes (19) , qui étoient pro- 4"°"' ^^f j^
prement les Poètes des Celtes, fuffent membres du Clergé , ni qu'ils furent '»^°^''«'
chargés de quelque miniftère facré. Au lieu de vivre en communauté
(30) avec les Druides dans les Sanftuaires, ils paffoient ordinairement
leur vie à la fuite des Grands. Mais, comme (31) l'Hiftoire des Peuples
Celtes, leur Jurifprudence, & en général, tout ce que les Druides en-
feignoient , étoit contenu dans des vers qu'ils faifoient apprendre par
cœur à la jeuneffe , il efl fort vraifemblable que le Clergé cultivoit lés
génies , en qui il trouvoit du talent pour la Poëfie. Peut-être même que,
dans le grand nombre des Prêtres qui demeuroient dans un Sanftuaire ,
il y en avoit qui s'appliquoient à compofer , non-feulement des hymnes
facrés , mais encore les cantiques qui contenoient les principes des dif-
férentes Sciences que le Clergé enfeignoit. On verra, à la fin de ce
Chapitre, ce qui fert de fondement à cette conjefture.
Enfin, les Druides avoient encore une Doûrine occulte, qu'ils ne con-
fioient qu'aux plus afiidés de leurs difciples. C'eft à cette Doârine qu'il
faut rapporter ce que dit Pomponius Mêla (31), «que les Druides inflrui- qu-usTcnicV-
» foient fécreftement , dans des cavernes & dans des forêts reculées , s""'""^ ,'i"'^
' _ , ' ceux de kuii
» la Nobleffe la plus diftineuée des Gaules , y imployant , quelquefois » "■'"''pi" qui
»]ulqua vingt ans. » Jules- Celar remarque au/li (33), « que la Doctrine "et dans le
ndes Druides étoit tenue fort fecrette & qu'il n'étoit pas permis de la ré- ^""''°"'
« pandre dans le Public. » Il s'agitlà d'une Doârine que l'on cachoit ,
non-feulement aux étrangers , mais encore au Peuple. Il faut expliquer
de la même manière le paffage d'Ammien Marcellin (34) , qui porte « que
» les Druides qui étoient de grands génies , & qui vivoient enfemble
» en communauté , à la manière des Pythagoriciens , appliquoient leur
»efprit à des matières occultes & fublimes. »
Cette Doârine fecrette contenoit, autant qn'on en peut juger , la Divi-
nation & la Magie , deux Sciences qui faifoient l'étude favorite du Cler-
L« Prétret
Celtesavoieuc
tous une Uoc-
ta Doârine
occulte det
Pièlics Cclces
(19) Ci-d. Liv. U. ch. 10. p. it+. âcfuiv.
(io) Ibid. p. 18 j.
(«i)Ibib.p. (S{. &raiT. d-d. a»t. iS.
(j2} Ci-d. not. ïi. &ch. II. § 28.not. zn,
(3 3)Ci-d. $ 4. not. I».
()4} Amm. Maic. lib. XV. cap. 9, p. yy.
z)6
HISTOIRE DES CELTES
donnoic les gé , taiît parcc qu'elles rempliffoient fes coffres , que parce qu'elles étoient
u'divinltion le grand fondement de l'empire abfolu qu'il exerçoit fur les efprits. Ce
& de la mi- j^»g^ pgj -^j jg jjgj^j jg s'étendre fur ces Sciences, dont on aura occafion
de parler ailleurs. Il ne faut pas être furpris , au refte , que les Druides
, en fiffent un fecret , &C qu'ils ne s'en ouvriffent qvi'à ceux de leurs Difci-
pies dont ils avoient éprouvé la difcrétion. Si cette Doftrine occulte
eut été divulguée, peut-être que le Peuple en auroit reconnu la vani-
té, au moins auroit-il pu , peut être , fe paffer de fes Druides, deux incon-
véniens qui ne pouvolent être que très-facheux , pour un Clergé qui vi-
voit de la crédulité des Peuples , & qui devoit à la fuperftition l'empire
abfolu qu'il exerçoit.
Il paroît , par ce détail , que les Druides cultivoient à leur manière
;toutes les Sciences & tous les Arts Libéraux (3^) , qui étoient connus
de leur tems. Déchargés de la profeflion des armes , qui étoit le feul
niétier des Celtes, ne payant aucune taxe , ayant , d'ailleurs , un revenu
fur &c fixe, qui les difpenfoit du foin de pourvoir à leur fubfiftance , ils
nienoient ce que les Anciens appellent une vie contemplative, c'eft-
à-dire , qu'ils la paflbient toute dans l'étude des Sciences dont on vient de
faire mention. Comme ils étoient les feuls Savans , ils étoient auffi en pof-
feffion d'être les feuls Doûeurs. Ainfi , quand les Gaulois commen-
cèrent à fortir de la Barbarie , & à prendre du goût pour les Sciences ,
la Noblefle obligea les Druides à ouvrir des écoles , & à fe charger de
l'inftruâion &ç de l'éducaticrj des jeunes gens que L'on inettoit fous leur
conduite.
§. V. A l'égard de la manière dont le Clergé des Gaules inftruifoit fes
Difciples , Jules -Céfar remarque (36) «que la Dodrine des Druides
» étoit renfermée dans des vers qu'ils faifoient apprendre par cœur à la
» Jeuneffe », On a vu, ailleurs (37) , qu'on en ufa ainfi dans toute l'Eu-
rope , aufli long^tems que les lettres & l'écriture y furent inconnues. Les
Loix, la Religion, l'Hlfloire des Peuples, &, enunmot, tout ce qu'il
importoit de tranfmettre à la poftérité, ne fe confervoit que par le
moyen de la tradition orale. .On confioit tout cela à la mémoire , que
Manicred'eii'
fcignct des
Prêtres des
CcUcs.
(3 s) Amtn- M«c. lib. XV. ç4p. j. p. yy, Dio.
Cliryf-Setm.XLIX. p. S3S.
(3«^ CM. §.4.not. li.
1
(37) Cird. Li7. II. ch, lo. p. 184. 8cf|ùf.
(3t)Ci-d. $. 4. not. Il,
m
J. IVRE IV. CHAPITRE IV. 2^7
Ibn cherchoit à foulager par des vers, qu'el.e iaifit, & qu'elle retient
beaucoup plus facilement que la profe.
2. '^ Depuis même (38) que les Druides eurent permis au Peuple de
fe fervir de l'écriture , pour drefler des comptes , des contrats , des let-
tres, ils ne vouloient pas confentir que la Doftrine qu'ils enfeignoient ,
fnt couchée par écrit. Ils avoient, fjlon Jules-Céfar , deux raifons d'en
ufer ainfi. D'un côté , ils craignoient que les jeunes-gens ne négligeaient
d'exercer leur mémoire , d'abord qu'ils commenceroient à fe fier fur
le papier. De l'autre , ils ne vouloient pas que leur Doftrine fut ré-
pandue dans le public. C'étoit-là la raifon du cœur. Le Clergé avoit ,
comme on l'a dit , uh grand intérêt à cacher au Peuple cette Doftrine
occuhe qui traitoit de la magie & des divinations. S'il eût permis qu'elle
fut couchée par écrit , il n'auroit pas été poffible d'empêcher que les
Livres, oti les Sciences occultes auroient été expliquées , ne tomba'-
fcnt infenfiblement entre les mains du Peuple , & même qu'ils ne vinf-
fent à la connoiflance des étrangers. D'ailleurs, les Druides ne vouloient
pas de ces Dofteurs muets, avec le fecours defquels un bon efprit peut
s'inflruire, & devenir fçavant par lui-même. II falloit que tous ceux
qui vouloient étudier entraflent dans leur Ecole.^ C'eft la raifon pour la-
quelle le Clergé s'oppola de tout fon pouvoir (3 9) à l'introduftion &
à l'ufage de l'écriture , au moins en matière de fcience.
3.^ Jules-Céfar remarque encore (40) qu'entre les Difciples des
Druides, il y en avoit qui n'achevoient leurs études qu'au bout de
vingt ans. Pomponius Mêla (41) confirme cette particularité. Comme
toute la Nobleffe des Gaules (42) portoit les armes, & cela dès l'âge
de Tadolefcence , il y a beaucoup d'apparence que ce long apprentif-
fage ne regardoit qu'un très-petit nombre de difciples , à qui l'on en-
feignoit la, Doûrine occulte, c'eil-à-dire ; les Divinations & la Magie,
deux fciences auffi étendues que vaines.
4.° Enfin les Druides des Gaules (43) avoient ceci de commun avec
les Gymnofophiftes des Indes, qu'ils propofoient la Doârine d'une ma-
nière concife , énigmatique, &C par conséquent, très-obfcure. Cette obf-
(j.8) Ci-d. £. 4. not. iS. 1 (41I Ibid. not. 21.
(39, Ci-d. Liv. II. ch. p. pag. i»i, chap. II". I (41) Cafar VI. 1 5. i8.
çag- i9<. 1 143) Diog. Laert. Fioen». p> ^.Va/ix. auffi cir.
(40 Ci-d. §. 4. not. lï. 1 dcflTui.Uv. I.ch. 15. .,
ToTTii II. K k
15* . HISTOIRE DES CELTES,
curité venoit fouvent des matières mûmes qu'ils traitoient , & de !a
confufion de leurs idées. Mais il faut l'attribuer fur-tout au mauvais goût
des Anciens , qui croyoient rendre la vérité plus vénérable , en la cou-
vrant d'un voile impénétrable à la plus grande partie du genre hunici^jn.
Peut être qu'elle étoit auffi un artifice pour cacher la vanité des fciences
qu'ils enfeignoient. Peut-être enfin que le ftyle des Druides étoit obfcur
& concis, parce qu'ils -étoient obligés de propofer toute leur Doftrine
dans des vers. Indépendamment des hyperboles , & des autres figures
qui entrent dans le ftyle poétique, la mefure & la rime font bien fou-
vent recueil de la clarté & de la juftcffe.
F.ïamcn rî'un §• ^^- Po"'" "^ rien Omettre de ce qui appartient au fujet que l'on
f.'"^-far^"' t-'3ife, il eft à propos d'examiner un paffage de Jules-Céfar, fur lequel on
a fondé une conjeûure qui ne paroît pas probable. Cet Auteur parlant,
foit des Ecoles que les Druides avoient établies pour l'inftitution &
pour l'éducation de la jeune Nobleffe , foit de la Doûrine même
qu'ils enfeignoient à leurs Ecoliers, fe fert toujours du mot de difcipline.
Il dit, par exemple, (44) «qu'il s'afiemble autour des Druides un
' » grand nombre de jeunes -gens dlfcipUna caufd , c'eft-à-dire , pour
» étudier , & pour y être inftruits dans les Sciences ». Et plus bas
(45 j> « q»s plufieurs de ces jeunes-gens vont fe ranger, de leur pro-
» pre mouvement , fous la difcipline des Druides , & que d'autres y
«font envoyés par leurs parens ». Jules-Céfar dit encore (4<5) «que
M les Druides ne fouffrent pas que leur difcipline , » c'eft-à-dire la
Doftrine qu'ils enfeignent à leurs Difciples , « foit répandue dans le
» Public (47) qu'ils ont des Ecoliers, qui demeurent fous leur difcipline , -
») c'eft-à-dire , qui étudient fous eux jufqu'à vingt années ». Ces divers
paffages en expliquent un autre, qu'il faut auffi rapporter (48). « On pré-
» tend que cette difcipline a été découverte dans la Grande-Bretagne ,
» & qu'elle a été apportée de-là dans les Gaules, deforte qu'encore
» aujourd'hui , ceux qui veulent connoître la chofe à fond , ont cou-
» tume d'aller étudier dans ce Pays ».
Il femble qu'il ne s'agit là que des Ecoles que les Druides avoient éta-
blies pour l'inftruaion de la jeuneffe , & des Sciences occuhes qu'ils enfei;
■■ ■ ■■■■■ II- I M" M— ^ — . .^ . ^ ^ ii-^ir-M— I — n— ~"
(44:CirarVI. 13. i (47) Ibid.
(4j)C«fatVI. 14. I (+»\c«farvi. ij.
i4«) Xbid, I V* / _
L I V P^ E IV. CHAPITRE IV. 159
gnolent à leurs Dlfciples. Cet établiflement venoit de la Grande-Bre-
tagne, où l'on étoit fort entêté des Divinations 6c de la Magie. Ces
Sciences y faifoient la grande étude, non -feulement du Clergé, mais en-
core du peuple (49). « Les Silures , dit Solin , font fort attachés au
» culte des Dieux , les hommes & les femmes de cette Nation fe van-
» tent également de connoître l'avenir ». Pline remarque auiîi (50) '
que «la Magie avoit pafTé jufques dans la Grande-Bretagne, &: qu'on
» y exerçoit cet art avec tant d'admiration , &c des cérémonies fi
» étranges , que les Perfes mêmes pourroient encore profiter à l'école
» des Bretons ».
Il ne faut donc pas s'étonner , après cela, que les Gaulois, &, en
particulier , les Druides qui vouloient connoître à fond ces Sciences,
allaffent étudier dans la Grande-Bretagne, oh. elles étoient plus cultivées
qu'ailleurs. C'efl-là , autant qu'on en peut juger, tout ce que lignifient
les paroles'de Jules-Céfar. Les Auteurs qui ont cru y trouver (51)
que la Religion des Gaulois & la feue des Druides tiroient leur ori-
gine de la Grande-Bretagne, paroiflent en avoir trop étendu le fens.
Peut-on fe perfuader que les Gaulois qui, félon les Hifloriens les plus
dignes de foi, avoient peuplé la Grande-Bretagne, euflent vécu fans
Druides, &c fans Religion, jufqu'à ce que les Bretons leur euflent en-
voyé des Miffionnaires ? Jules-Céfar ne le dit pas; &, quand il le diroit,
il ne mériteroit aucune foi fur cet article, d'autant plus qu'il avance lui-
même , qu'il n'eft pas bien informé de la chofe (51), exijlunatur , on le
croit ainfi.
§. VIL En voila aflez fur la Doûrine que les Druides des Gaulois
enfeignoient , & fur la manière dont ils avoient coutume de la propofer.
Les Hifloriens n'entrent pas dans le même détail par rapport aux autres
Peuples Celtes. On entrevoit , cependant , que, dans toute la Celtique ,
le Clergé enfeignoit, non-feulement la Religion , mais encore les autres
fciences dont ces Peuples barbares faifoient quelque cas. Par exemple,
Jornandés dit (53) «que Dicenéus (qui étoit fou V€rain Sacrificateur
» des Gétes , du tems que Sylla exerçoit la Diâature à Rome ) , ayant
«gagné la confiance de fa Nation, & voyant que les Gétes avoient n^-;
(49) Solin cap. XXV. p. 152.
{so) JUn. Hift. NAt.iXXX. J.
(5 ij Relig. des Gaulois Tom. I. p. 12, Fiic-
kius p. 9- 19.21.
(si).Ci-<i< 00t. 4.8.
(mÎ Joinandes.cap. it-
Kk'i
x6o HISTOIRE DES CELTES,
» turellement beaucoup de génie , leur expliqua la plus grande partie
» de la Philofophie dans laquelle il ctoit fort verfé. Il les indruifit des,
» devoirs de la Morale, pour adoucir la férocité de leurs mœurs. lî
» leur enfeigna encore la Phyfique , &C leur apprit à fe gouverner pa?
» leurs propres loix , qui font les mêmes qu'ils ont couché depuis
» par écrit, &c qu'ils confervent encore aujourd'hui, fous le nom de
» Bellagines (*). Les leçons de Logique qu'il leur donna , les mirent
» en état de mieux raifonner que ne faifoit aucun autre Peuple de l'U-
» nivers. En un mot, il leur enfeigna la Pratique , pour l'appliquer à des.
» chofes louables , &C la Théorie , pour contempler le cours des af^
» très Toutes ces différentes inftruûions, qu'il donna au Gétes^
» lui acquirent une fi haute réputation , que les petits & les grands,.
» fans en excepter même les Rois , refpeûoient également fes com-
» mandemens »,
Il ne faut pas prendre tout cela au pied de la lettre. On voit bien,
que Jornandés, rempli du préjugé de l'antiquité, & prévenu en faveur-
de fa propre Nation, en fait un Peuple de Savans,qui avoient été inf-
truits par un homme univerfel. Auffi tout ce que Von prétend conclure
de ce long paflage, c'eft qu'auffitôt que les Gétes commencèrent à fortir
de la barbarie, &c à prendre du goût pour les Sciences, le Clergé fut
chargé du foin de les enfeigner. Il efl; connu encore , que ks Mages,
qui étoient, parmi les Perfes, les Miniftres de la Religioa (54) étoient,^
de tems immémorial , en pofïeiîion d'enfeigner la Philofophie , qui corn-,
prenoit alors la plupart des autres Sciences. On leur confioit aufii l'ii/-.
truftlon & l'éducation de la jeune Nobleffe , jufques-là que ('ïs) per*.
fonne ne pouvait être déclaré Roi de Perfe , s'il n'avok étudié chez ks.
Mages,
te clergé §• VIII. Les Divinations étoient un© troifième partie des fondions
pTrkaîLnr ^" Clergé , parmi les Celtes. On a montré , ailleurs , que ces Peuples,
avoient une grande idée de la Divinité. Ils difoient (56) que tout ce qui
échappe aux lumières & à la pénétration des hommes, eft parfaitement
■ T- ' ' '• 1 r—
(^*) Bellaiinrs OU BiUglneseA nn nom Saxon , ; (55) Cicero de Divinitat. lib. I. cap. 91.,
' qui eft compofe' de fi; , habitation, bourg , 8c : Philo de Leg. Spécial, pag. S:i. Cleric. Hift.
f«5«i , Loi. BelUiines veut dire, par confe'quent, , Philof. p. 2 5^.Brucher Hill. Ciit. Fhilof lib. II,
K» ctrfs dt Loix muniiifales. Note de l'Editeur.' 1 cap. %. p. i«s,
(j4) Ma').» j«f à »t'f ««« ji ip(A««q)j( Xai Çt- j (jSJCi-d. ï.iY. lU. ch. 3> $; !• e]i. 4. f. IQ^
,A^(»i- Suidas. i
LIVRE IV, CHAPITRE: IV; iCv
connu à l'Etre fuprcir.e; mais ils tiroient de cette belle vérité la pai.s.
fiiiiffe de toutes les eonfcquences. Ils croyoient être en droit d'en coa-.
dure que- tout ce qu'il importoit à l'homme de favoir , & qu'il ne pou-
voit découviir par les propres recherches , il devoit l'apprendre de
la Divinité-, qui répondoit en mille manières différentes, à ceux qui eur
tendoient la fcience-des Divinations. Il arrivoit de-là, que toutes les fois,
qu'il s'agifioit de délibérer fur des aiiaires importantes, de décjdfr d^s.
queltions éplneules , de découvrir la vérité d'un fait qui n'étoit pas fufîi-
famment attefté , on prenoit le parti d'interroger la Divinité , &. de re-
mettre la chofe à fa décifion. De même que les Peuples ne fe décidoient à:
faire la guerre ou la paix que par foij avis, il y avoit auffi des pas-..
t'culiers (57) qui le feroient fait un fcrupuie de prendre une réfolution,,
ou de faire- la moindre démarche, avant que de s'être affu ré ,..paï le
moyen de quelque Divination , que le fuccès en.feroit favorable.
Ce n'eft pas ici le lieu de reprcfenter la nature mc-me de ces Divi--
nations. On fera obligé d'en parler, lorfqu'on traitera des fuperflitions
des Peuples Celtes. On doit feulement remarquer, à pr-éfent, que la
fcience des Divinations étoit entre les. mains, du Clergé. Il eft vrai que
les particuliers afpiroient (58), pour la plupart , au don de deviner , &c
qu'ils s'étudioient beaucoup ;\ entendre la voix & le langage des Efprits
qui, félon la Dodrine des Celtes , rélidoient dans les différentes parties
du monde vifible. Mais le Peuple ne connoilToit les principes ôc les règles
de cette belle fcience, qu'autant que le Clergé vouloit bien. lui en enfei-
gner une petite partie. Comme les gens d'Eglife palToient pour être ks
tîivoris & ( 59 ) les confîdens des Dieux , leurs Divinations étoient
les feules qui fuffent accréditées &c reçues comme autaot d'oracles in-
faillibles. Ainfi les Gaulois avoient leurs Druides , & , parmi ces Druides
( 60 ) , des Devins en titre d'ofEce , auxquels ils ajoutoient beaucoup
de foi.
La grande étude des Devins , &, engendrai (61), de tout Iç Clergé
Gaulois, étoit ce que les Grecs appelloient la (62) Phyfiologie. Con-i
templant continuellement la nature , & , en même tems, la difpolition 8ç
(57) Cicero de Divjoat. lib. 1. cap. 2«, fSo) Diodor. Sic, V. n j,
(58) Voyet. cJTdeCu §, 6. not. 42. Ciccr. de , («i) Dio. Chryf, Serm. XLIX. p. s3it
Çjïinat. I. eap 90- («ij Sur le-ieiu de ce mot voja, 1» no». 5*»,
CELTES,
en tiroient des conjcflu-
igi H I S T O I R E D E S
î'enchiiînement de fes diiîerentes parties ,
tes, des prcfages, des prophéties , en un mot, des Divinations, qui leur
'découvroient les faits les plus cachés , auffi bien que les événemens
les plus éloignés & les plus incertains. On le voit dans un pafiage de
•Strabon (63) : « Il y a trois ordres de perfonnes qui font en grande
» vénération parmi les Gaulois, les Bardes, les Devins Se les Druides.
'» Les Dardes compofent des Hymnes èc des Poèmes. Les Devins of-
•» frent les facrifices, & s'appliquent. à la Phyfiologie. Les Druides, ou-
» tre la Phyfiologie , cultivent encore la Phllofophie morale ».
La même chofe eft confirmée par Ammien Marcellin (64) : « Les De*
■ wvins s'appliquoient à dévoiler l'enchaînement Se les fecrets de la
,» Nature»; &C par Diodore .de Sicile (65): «Les Devins prédifent
«l'avenir par les aid'pices^ 6c par les vidimes, & le Peuple leur eft
» entièrement. foumis».
On a remarqué, il n'y a qu'un moment, que c'efl des Divinations
qu'il faut entendre ce que dit Jules-Céfar {66) , que les Druides exp/i~
quent liS principaux points de la Religion. Le Peuple aveugle ôc fuperfli-
tieux , attribuant tous les événemens naturels à l'opération de quel-
qu'Efprit , regardant tout ce qu'il voyoit , &: ce qu'il enîendoit , com-
me autant de préfages & d'inftruftions que la Divinité donnoit au
genre-humain , allolt demander avec dévotion aux Devins, ce que figni-
fioit telle ou telle chofe dont il avoit été frappé. Les Druides répon-
doient à ces demandes, félon les règles de la Phyfiologie, ôc toujours
de la part du Dieu dont ils fe vantoient d'être les Miniftres & les fa-
voris. C'eft ce que Jules-Céfar appelle interpréter les Religions.
Tous les autres Peuples Celtes faifoient le même cas des Divina-
tions, & c'étoit toujours le Clergé qui y préfidoit (67). Les Lufitains ,
qui font les Portugais d'aujourd'hui, avoient leurs Devins qui prédifôient
l'avenir, par l'infpeâion des viftimes. Les Germains (68) déféroient
beaucoup aux aufpices , & aux forts : & c'étoit ordinairement le Sacrifi-
cateur qui interprêtoit les uns & les autres. Les Noriciens avoient des
Arufpices (69) , qui prononçoient des oracles au nom du Dieu Belenus,
1
(6j) Strabo IV. 197.
(64) Amra Marcell. lib. XV. cap. 9, p. jp.
(6.;) Diodor. Sicul. V. 21Î.
(65; Ci-d. §. î.not. j.
(67) Strabo HI. I54.
(68)Tac>t. Germ. 10. TmncidivinniiiniliHiclt'
diii. Procop. Gotth. lib. II. cap. 2$. p. 44^.
(«sj Capitolin, in Maxirain. p. il.
LIVRE IV. CHAPITRE IV. i6j
Ceux des Rhétiens 6c des Vindéliciens le vantoicnt de deviner les
chofes les plus cachées ; par exemple , (70) ils connoifioieRt û une femme
grofle de voit accoucher d'un fils ou d'une fille. Cette paffion. pour les
Divinations fubfiftoit encore en Germanie dans le fixième fiécle , ou
l'on voit des Devins (71) Allemands déclarer à Butilin , qui fe pré-
paroit à combattre l'Armée Romaine commandée par Narsès , qu'il
périra avec tous fes Francs , s'il hafarde la bataille ce jour-là. Les Gctcs
avoient leurs Pontifes (71) qui» félon l'inftruûion de Zamolxis , in-
terprêtoient les préfages , & déclaroient la volonté des Dieux. La
même chofe étoit établie parmi les Turcs (73), qui attribuoient à leurs
Sacrificateurs le Don de prophétie. Les Scythes qu'Hérodote a connus,
favoirceux qui demeuroient au-delà du Danube (74), avoient auffi beau-
coup de Devins , & ils ne différoient point en cela des autres (7 5) Scythes
qui étoient établis en Afie. En Perfe auffi, la fcience des Divinations (76)
faifoit la grande étude des Mages. En voilà affez pour montrer que le
defir de connoître l'avenir , avec mille chofes qui font au-defiiis des
recherhes de l'homme , étoit une folie commune à tous les Peuples
Celtes. Le Clergé s'étoit rendu maître de cette Science, parce qu'elle lui
foumettoit tous les efprits, & cela d'autant plus alfément, qu'il avoit
trouvé le moyen de perfuader aux Peuples , que fes Divinations n'é-
toient pas de fimples conjeûures (77) , mais les réponfes mêmes de la
Divinité, &c par conféquent, autant d'Oracles infaillibles.
§. IX. Les Eccléfiafliques des Peuples Celtes faifoient encore profef- ^" ^'^'-'t
fion de Magie, &C fe vantoient d'opérer, par le moyen de leur art, l'.e-upn.fcu
les chofes du monde les plus extraordinaires. Il y a , à la vérité , une très- gi". ' "'*"
grande différence entre la Magie dont on accufe aujoiird'hui les Sor-
ciers, & celle des Druides, qui prétendoient faire des miracles, non
par le miniftère du Diable , mais avec le fecours des Efprits qui réfi-
doient , félon leur Doftrine , dans les différentes parties de (78) l'Uni-
vers. Mais cela n'empêchoit pas que la Magie des Celtes ne fût une
(70) Ci-d. Liv. II. ch. is. p. î»o, not, 7.
(71) Agath. lib. II. p. 41. 42.
(71) Strabo VII. 197.
(73) Theophyl. Simocat. lib. VII. chap. S.
P»g. i7«.
(74} Herodol. IV, «7.
(7$) CUci. Divin. lib. I. ctp. 91. Stiabo XI.
pag. 5 = 3.
(7«} Lucînnus Macrob. itlianus V. H. II 17;
Ciccro Divin, lib. I. cap. 90.
(77) SiraboVII. J04. Pomp. Mêla lib. III,
cap. 1. p. 73.
(78)Ci-d.Liv. m. Ch. 4.5. 10.
:i^)}.. HISTOIRE D E S . C E L T E S,
Icience aiilii vaine que criminelle. Elh koit vainc , parce que Ces pré-
tendus Enchanteurs promettoient mille chofes qu'ils n'étoient pi s en
«kat d'exécuter. Par exemple , ils fe glorlfîoient (79) d'avoir des charmes
qui rendoient L'homme invulnérable , & qui le préfervoient de tout
danger «tant fur mer que fur terre. Us enfeignoient les moytns de chafler
Its infeâés d'un Pays, de prendre, comme Protée , la forme de toute
forte d'animaux. Elle était ciiminelk, ■çd.xct qu'elle enfeignoit aiiffi diff.*
rentes fortes de maléfices. Avec le lecours de leur grimoire (^o), les
Druides ruinoient les moifîôns, excitoient des vents & des t-empêtes
qui renverfoierit tout, rendoient les hommes furieux, leur nouoient
l'alguiliêtte ('), oii leur ôtoient tout moyen de fe défendre contre im en-
nemi. On aura occafion de .rapporter quelques - unes de ces opérations,
magiques , quand on fera parvenu aux fuperftitions des Peuples Celtes.
Elles conHriiieront te que l'oft vient de dire de la futilité de la Magie ,
dont ces Peuples faifoient un fi grand cas.
On s'eft cent fois étonné qu'une Science aufli vaine pût être e^cercée
avec tant de fuccès par les Pi-êtres des Celtes , & leur donner un fi
grand crédit dans l'efprit du Peuple. Mais , outre que l'ignorance, la' fu-
perflition i la crédulité font le caradère dominant du Peuple, outre
que les Druides étoient des impofleurs , qui favoient fe revêtir d'un
ikix merveilleux, il faut avouer , d'ailleurs , que la Théologie même
des Celtes les conduii'oit , en quelque manière , à regarder la Magie , com-
me une fcience aufTi folide qu'excellente & fublime. Croyant que toutes
les difFérentes parties de l'Univers étoient remplies d'une infinité d'Ef-
prits , auxquels ils attribuoie-nt tics connoifTances & des forces fupé-
rieures à celles des hommes , ils en concluoient, naturellement, qu'un
homme, qui avoit le fecret de mettre ces Efpritsdans fes intérêts, étoit en
état d'opérer les chofes les plus extraordinaires. Comme les Minières
de la Religion Celtique fe vantoient d'être toujoiirs en commerce avec
laDivinhé, & avec les Efprits qui en étoient émanés, il ne faut pas
(79) Suidas in aW'.ii T/jTom. I. pag. lot.
romp. Mcl. !ib. ill. cap. 6. pa,g. 89.Coluracl.
lib X, p. i S6. Edit. P. Manut. 1553. Fojcz, auflî
/Etiaii. Hift. Anim Hb. xvii. cap. 10.
(80) yojcz. la note pre'ccdente. Dio ap. Valef.
fpag. 750. ScUbl. ad Apoll. Atgon. lib. I. p. f 16.
( * ) On n'ôteioitpas de l'efprit de bi«n des
petfoîïnes qu'il y a , encore aujourd'hui , des
gens qui noueflt l'-ai^HilUiie , c'eft-à-dire, qui
font des maléfices qui empêchent la conlotn-
mation du mariage. C'eft ainfi que nous avons
hérite des prtjugés de nos Feies. Hue de l'Ldu.
être
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 265
être furpris qu'on les regardât comme des gens, qui avoient , pour ainfi
dire , toute la Nature à leur commandement.
Pline avance , comme un fait certain & reconnu , que la Magie dont <
on vient de parler, & qui donnoit une fi grande réputation aux Drui-
des (Sî), tiroit fon origine dePerfe. La chofeparoît, cependant, fort pro-
blématique , auffi bien que tout ce que les Perfes publioient de leur Zo~
roajire , auquel ils rapportoient la première invention de cette Science.
Quoi qu'il en foit, Pline reconnoît, dans le même endroit (82) , que la
Magie s'étoit répandue par toute l'Europe , qu'on en trouvoit des
traces jufques dans les XII. Tables, que les Gaulois en étoient vé-
ritablement forcenés , & qu'elle avoit même paffé dans la Grande-
Bretagne , où elle s'exerçoit avec des cérémonies û étranges , que les Per-
fes mêmes auroient pu profiter dans cette Ecole.
§. X. Les Minières de la Religion exerçoient encore la Médecine par- tes rrècret
mi les Celtes, & ils avoient deux manières différentes de traiter les ecerçoient u
malades. La première, c'étoit la Divination, par laquelle ils prête n-t pécVndôlên^
doient découvrir la véritable caufe de la maladie. On trouve là-deffus LT!"^ '"*?*"
'al. s par I^
im paffage remarquable dans Hérodote. Parlant des Scythes (83), qui ^'^'nauoa.
demeuroient depuis le Danube jufqu'au Tanaïs , il dit ( 84 ) qu'ils
avoient beaucoup de Devins , qui devinoient les uns avec des verges
de fautes , & les autres avec des branches de tilleul. Après quoi , il
ajoute (85): ■■< Toutes les fois qu'un Roi des Scythes eft malade, il fait
» appeller trois Devins , de ceux qui ont le plus de réputation. Les
» Devins répondent prefque toujours que tel ou tel Scythe a fait
» un feux ferment par la maifon du Roi , ce qui eft , parmi les Scythes ,
» la formule du ferment la plus connue & la plus folemnelle. On
«amené, fur le champ, celui qui eft accufé de ce parjure , pour le
«convaincre par la fcience de la Divination, d'avoir fait un faux fer-
» ment par la maifon du Roi , & d'avoir caufé de cette manière , la ma-
wladie dont il eft atteint. Si l'Accufé nie le fait, & fe récrie à l'injuftice,
»le Roi fait appeller d'autres Devins , au nombre de fix. Ceux-ci
vfont un nouvel examen, félon les règles de la Divination, & fi l'Ac-
» cufé eft convaincu une féconde fois , par le fort , on lui coupe la
(84) Heiodot. IV. 67.
(«5) Her9d0t.lv. «».<>.
(,8i)Plin. H. N. XXX. I.
{tz] Ibid.
(83) Herodot. IV. 47.
Tfime //. l^l
x66 HISTOIRE DES CELTES,
M tête, fans aucun délai, & fes biens font partages entre les trois pre-
^' miers Devins. Quand l'Accufé eft, au contraire, abfous par les fix De-
» vins , on en appelle d'autres pour une féconde & une troificme revi»
»fîon, Se s'il eft déchargé par la pluralité des fufFrages , les trois De-
»vins qu'on avoit appelles dans le commencement , font condamnés
>> à mort. Voici de quelle manière on les fait mourir. On remplit un
» chariot couvert de fagots , & on y attéle des bœufs ; enfuite on
» étend les criminels fur les fagots, pieds & poings liés, & un bâillon
wdans la bouche; après y avoir mis le feu , on pouffe les bœufs , qui
» fouvent font bridés avec les Devins. Il arrive d'autres fois que le
» timon du chariot étant promptement confumé , les bœufs échap-
.» pent à demi grillés. C'eft de cette manière que les Scythes brident
«leurs Devins, non-feulement pour ce crime, mais auffi pour d'autres ,
n appellant ceux qu'ils font mourir , de faux Devins. »
Voilà , affurément , une étrange manière de traiter les malades. On
peut imaginer qu'elle avoit été introduite par quelque fçélérat qui
penfolt moins à guérir le Roi , qu'à faire périr des innocens. Le
Clergé Scythe ne laiffa pas de foutenir cette injufte procédure , & de la
faire paffer en coutume, parce qu'elle lui procuroit la confifcation des
■ biens des perfonnes qu'il accufoit de parjure ; au refte , les Devins ne
couroient pas un grand danger dans des révifions pour lefquellcs on choi-
fiffoit toujours des Juges, qui étoient de leur ordre & de leur parti. Sa-
voir, après cela, comment les Devins trouvoient le moyen de perfua-
' der au Roi , que le faux ferment d'un fujet étoit capable de lui attirer une
maladie, & qu'elle feroit infailliblement guérie par la mort du parjure ,
c'eft ce qu'il importe peu de deviner. Ce n'étoit pas dans cette feule occa-
lion, que le Clergé fe jouoit de la crédulité publique : l'on s'imagine
bien que , quand le Roi ne laiffoit pas d'être emporté par la mala-
die , les Devins avoient une excufe toute prête ; ils fe récrioient fur ce
qu'on n'avoit pas fait mourir tous les parjures.
ïis nucrifloi. Outre ccttc manière de traiter les maladies , il y en avoit une autre ,
tnt aufli par . , . , o i • ■, , • t 1. 1 • • r •
aes enchante- qui ctoit pliis commune & plus ancienne; c etoit la Magie, quienlti-
'"*'^' gnoit le moyen de guérir un malade ou un bleffé , en prononçant certai-
nes paroles, en pratiquant certaines cérémonies, & fur-tout en chantant
auprès de fon lit , certains cantiques auxquels on atfribuoit la vertu d'é-
tancher le fang , de confoUder les plaies , & d'appaifer les douleurs i
L I V R E ÎV. C H A P I T R E IV. i<7
cVft ce que fignifie proprement le mot Grec 'trra.iij'ii , auquel on don-
na dans la fuite un fens plus étendu , & que l'on rendroit fort bien dans
notre Langue par celui à'encha/uemens.
Il faut que cette forte d'enchantemens fîit déjà connue parmi lesGrecs ,
du tems d'Homère. Il dit ( 86 ) qu'Uliffe ayant été dangereufement
bleffe, dans fa jeuneffe , par un fanglier , on arrêta par des enchante-
mens le fang qui couloit de fa plaie. On ne peut guères douter que cette
fuperftition n'eût paffé de Thrace en Grèce. D'un côté , les Auteurs
Grecs rapportent, prefque généralement, à Orphée, qui étolt un Philo-
fophe Thrace , l'invention de leurs inyftcres , c'eft-à-dire , des cérémo-
nies fécrettes qu'ils pratiquoient , pour expier les crimes , pour guérir
les maladies, & pour appaifer la colère des Dieux (87). De l'autre ,
on appelloit cette partie de la Magie, qui traitoit de la guérifon des mala-
dies (88) , Jrtcs Dardanias , parce que les Dardaniens , qui étoient un
Peuple Thrace , en faifoient beaucoup de cas, ou parce que (89) Dar-^
danus ^ qui quitta la Thrace pour aller s'établir dans l'Afie-Mineure »
avoit écrit plufieurs Livres qui traitoient de cette Science. Il eft certain ,
d'ailleurs (90), que les Phrygiens , qui étoient un Peuple Scythe venu
de Thrace , vantoient beaucoup cette manière de traiter les maladies.
Il y a bien plus. On voit dans un paffage de Platon , que les Prêtres
des Thraces avoient entrepris d'appuyer leur méthode fur des prin-
cipes , & de la juftifier par des raifons prifes de la liaifon de l'ame avec
le corps. Voici le paffage de Platon (91). «Telle eft, ô Charmide !
» l'efficace de ce cantique. Je l'appris étant à l'armée en Thrace ,
» d'un des Médecins de ce Pays , qui fe difent difciples de Zamolxis , &
» qui fe vantent encore de rendre les hommes immortels. Ce Thrace
» difoit donc , que nos Médecins Grecs convenoient , avec raifon ,
»de tout ce que je viens de dire. Mais, ajoutoit-il, Zamolxis, notre
M Roi , qui eft Dieu , a dit que , comme il ne faut point panfer , ni gué-
»rir les maladies de l'œil, fi on ne prend foin , en même tems, de
>» toute la tête , ni à guérir la tête , fans traiter , en même-tems , tout
(!6) Etymolog. Magnum p. 353. Le partage
d'Homcre , que l'Auteur de l'Etymologicon a
cite' de me'molre porte, 'tiaoïJ'îi' (Tt aii^ct Xi\».ivil
Wi9oï. Odyff. XIX. p. 45 7.
(S7) Paufan. Bœot. XXX. p. 7«l.
(»») Columell» lib. X. p. iS. Edit, P. Mânut,
IS33-rlin. XXX. I.
(89) Plin. Ibid.
(»o) Euftath. ad Iliad. XVI. p. i "'«.
(91) Plato Charmid. p. +«4. Se ap. Stobœum
Secm, 243. p. toi.
LU
^69 HISTOIRE DES CELTES,
M le corps, il faut aufîî qu'un Médecin traite, en même tems* le corps
*> &c l'ame. C'eft la raifon pourquoi plufieurs maladies écliapent à la
» pénétration des Médecins Grecs , parce qu'ils ne connoifTent pas
» le tout , dont il faudroit principalement prendre foin , 6c que le
» tout étant indifpofé , il n'eft pas pcffible qu'aucune des parties fe
» porte bien. C'eft de l'ame , difoit-il , que tous les biens &; tous les
»maux paffent dans le corps, comme ils defcendent de la" tête fur les
*» yeux. Il faut donc qu'un Médecin accorde fes premiers & fes plus
» grands foins à l'ame , s'il veut que la têt^ & tout le refte du corps
wjouiffent d'une bonne fanté. Il ajoutoit que l'on guériffoit l'ame par
«certains cantiques, qui étoient des paroles faines &c propres à pro-
» duirc dans l'ame la fagefle. AufTi-tot, dit-il, qu'on a procuré la fageffe
» à l'ame, il eft facile de rendre la fanté à la tcte & h tout le corps.»
Abandonnons tout ce grand raifonnement à Platon qui l'a développé
& orné du mieux qu'il lui a été pofljble. Quand mcme les cantiques
des Prêtres Thraces auroient pu rendre à l'ame la fageffe & la vertu ,
autant que le fermon du Prédicateur le plus pathétique , c'étoit peine per-
due de chanter ces cantiques à des malades qui, le plus fouvent, n'c-
toient pas en état de les entendre , ou , au moins , d'y faire attention. II
eft bien vrai que la fageffe eft très-utile pour préferver l'homme d'un
grand nombre de fâcheufes incommodités , que des paffions aveugles
& emportées traînent après foi ; mais le retour à la fageffe guérit rarement
les maladies qui font le fruit d'une njauvaife conduite. Il faut avouer ,
d'ailleurs , qu'il y a une infinité de maux & d'accidens , qui frappent '
les hommes fages & vertueux , autant que les vicieux. Mais il falloit
bien dire quelque raifon, bonne ou mauvaife , pour Juftiiîer cette étran-
ge fuperftition , qui prétendoit guérir les maladies par le chant d'un
cantique. Au refte, ni Platon, ni le Médecin Thrace , qu'il introduit,
n'ont pas frappé au but. La véritable raiibn pour laquelle les Thraces
ufoient d'enchantemens , pour guérir leurs malades, c'eft parce qu'ils
regardoient la plupart des maladies , comme l'ouvrgge de quelqu'Efprit
irrité que l'on cherchoit à charmer par l'harmonie de la voix & des inf-
trumens dont on l'accompagnoit , ou plutôt , par des prières qui fe ré-
citoient en chantant. Mais on ne fauroit deviner pourquoi ces cantiques
avoient la vertu d'arrêter , fur le champ , le fang d'une plaie. Peut-
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 269
être que Zamolxis lui - même , auroit été bien embarraffé de répondre
à cette queftion.
Quoi qu'il en ioit , les Druides des Gaules ne difFéroient point fur
cet article des Prêtres Thraces. Ils traitoient aufli leurs malades par la
Magie. On le voit dans un paflage de Piine qui , après avoir parlé fort
au long de la Magie des Anciens, ajoute (91) : « Les Gaulois ont été
»entêtés de cette Science jufqu'à notre fiécle. Ils en font revenus au-
wjourd'hui , parce que l'Empereur Tibère a fait exterminer leurs
»> Druides, &c en général , toute cette forte de Devins & de Médecins. »
On ne difconvient pas que les Druides ne s'appliquaient auffi à la
botanique. Par exemple , ils cueilloient , avec pompe , une herbe,
que Pline appelle Sdago ( 93 ) > & qui reflembloit à la Sahïm : ils
prétendoient que fon fuc étoit un remède fpécifique dans toutes fortes
de maladies , & fur-tout pour guérir toutes les maladies des yeux. Ils
attribuoient encore une tiès-grande vertu au Gui de chêne , qu'ils regar-
doient comme une (94) Panacée univerfelle. Mais afin que cet excellent
remède pût produire fon effet, il falloit qu'il fïit cueilli dans un cer-
tain jour , par un Druide vêtu de blanc , & avec certaines cérémo- ^
nies , qu'on aura occafion de repréfenter ailleurs , &c fans lefquelles
il perdoit toute fon efficace. Les fimples dont on fe fervoit dans la
Médecine , fe cueilloient aulîi avec de fémblables cérémonies. Si elles
ne donnoient pas une plus grande vertu aux remèdes, elles marquoient
très-certainement le favoir faire du Clergé , qui ne vouloit pas que cet
Art fi utile paflat en d'autres mains : il lui donnoit un grand crédit fur l'ef-
prit des Peuples , &c il étoit la fource de fes richefTes immenfes.
§. XL Outre ces différentes fondions , dont le Clergé Celte étoit le c^r^^
chargé , il s'attribuolt. encore , en plufieurs accafions , & à différens îf lo^è'enpiu-
égards , l'autorité du Magiflrat civil. Ce n'eft pas qu'il fût établi pour ad- "-^"^^ "•j"'©.
miniflrer la 'uflice. Il y avoit dans chaque Canton, un Comte, qui étoit l'i^J'iw-'iiif'
chargé de maintenir l'ordre dans fon dillrid, de prendre connoifTance des
différens qui s'élevoient entre les Particuliers, & de châtier les cou-
pables, félon la teneur des Loix i il y avoit aufli un Sacrificateur dans
chaque Canton, mais fon miniflcre devoit fe borner à ce qui regarde la
(61) Ci-d. §.9^ bot. Sî.
(93) Plin. Hift Nit. lib. XXiV. cap. ii.pag. 341.
(V4) Plin. lib. XVI. cap, 44. pag. 3 1 1, j
I/o HISTOIRE DES CELTES,
cônfcience, &C le culte extérieur cle la Religion, S'il pratiquoît aufii h
Médecine , il le faifoit en qualité de Miniftre de la Divinité , qui lui dé-
eouvroit la véritable caufe des maladies , & lui donnolt des moyens
tout extraordinaires pour y apporter du remède. Mais, quoique le Comte
&C le Sacrificateur exerçaffent des emplois tout diîïérens , & qu'ils
euflent chacun leurs fonôions particulières , cela n'empcchoit pas que
le Clergé n'empiétât, tous les jours, fur les droits du Magiilrat , & qu'il
ne tirât à foi, fous divers prétextes, la connoiffance de plufieurs caufes
qui ctoient purement civiles,
I ^* La dlfcipline que les Eccléfiaftiques exerçoîent au nom de la Divi-
nité , dont ils fe diloient les Miniftres , leur donnoit déjà une jurifdic-
îion très-réelle & très-étendue , à laquelle aucun Membre de l'Etat ne
pouvoit fe fouftraire. Leur miniftère les appelloit à prêcher (95) qu'^V
Jaut Jervir les Dieux , ne faire aucun tort à perfonne , être vaillant & brave.
Par cela même , ils fe crOyoient en droit de citer à leur Tribunal , &:
d'excommunier ceux qui prêchoient contre ces trois articles capitaux de
la Morale. Les Impies , qui négligeoient le culte des Dieux , ou qui in-
troduifoient des fuperftitions étrangères : les injuftes, qui tranfportoient
les bornes d'une poffeffion , qui s'emparoient de l'héritage & qui
tifurpoient, de quelque manière que ce fût, le bien d'autrui. Les Lâches
(96), qui avoient fui devant l'ennemi , ou qui avoient perdu leur bou-
clier dans une bataille ; les Meurtriers, qui tuoient un homme en tra-
hifon , Se contre les loix de Thonneur.
Quand une famille vouloit pourfuivre la vengeance d'un meurtre,
îl falloit qu'elle intentât fon aftion (97) devant le Trib^mal du Clergé ,
qui étoit en poffeffion de juger de femblabies caufes. Il cft vrai que l'ex-
communication, dont le Clergé frappoit les coupables , étoit une peine
Eccléfiaflique qui fembloit fc réduire à exclure un homme des Affemblées
Religicufes. Mais nous avons vu (98} qu'elle avoit de terribles fuites, par
rapport à la vie civile, parce qu'un excommunié, devenu l'objet de la
déteftation publique, étoit retranché de la fociété , dans laquelle il ne pou-
voit occuper aucune charge, ni trouver aucune juflice. D'ailleurs, Jules-
Céfar remarque expreffément que les Druides établiffoient des peines
& des récompenfes , ce qui ne permet pas de douter qu'ils ne s'attri-
(ps) Ci-d. Liv. III. ch. 17. §. 5. | (97) Ci-dcfTous , not. loo.
(>«) Tacit. Getm, tf. | (s8) Ci-d. ch. II. §. zj-jl.
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 271
buaffent le droit d'infliger des peines, & même de punir du dernier fiip-
plice , félon la nature du crime.
z^. Outre la difcipline que le Clergé exerçoit , & qui lui fournifToit
un prétexte fpécieux , pour s'attribuer la connoiffance d'une infinité
de caufes purement civiles , il préfidoit, d'ailleurs, à ce qu'on appelloit
les jugement de Dieu, dans lefquels on recherchoit par le fort, par des
divinations , en feifant fubir l'épreuve- du fer rouge, de l'eau froide
ou bouillante , fi un homme étoit coupable ou innocent. Il efl vrai que
ces épreuves étoient ordonnées par le Magiftrat, quand il ne voyoit
point d'autre moyen pour découvrir la vérité. Mais, comme elles ,fe fai-
foient rarement de bonne foi , & qu'il s'y mcloit prefque toujours de la
fraude, dont le Clergé étoit néceflairement complice, on fent bien
que les Prêtres pouvoient, à leur gré, faire décharger ou fuçcomber
îes accufés.
3^. Il convient de rappeller ici une autre remarque que l'on a déjà faite
dans l'un ( 99 ) des Chapitres précédens. Le Clergé faifoit fa demeure
dans les Sanâuaires : c'étoit-là auffi que les Comtes , c'eft-à-dire , les
Juges des Cantons alloient tenir leurs féances. Il ne faut pas douter
que les Eccléfiaftiques , à portée de voir tous les jours des Plaideurs mé-
contensde leurs Juges, dégoûtés des longueurs & des embarras d'un pro-
cès , ne profitaffent de l'occafion , pour porter les Parties à un accom»
modement, dans lequel ils faifoient l'office d'amiables Compofiteurs. Ou
même parce que le peuple avoit une grande opinion des lumières & de
réquité de fon Clergé , les Particuliers qui avoient des conteflations ,
choififToient d'ordinaire , de leur propre mouvement, les Eccléfiaftiques
pour terminer leurs difFérens , par la voie de la médiation & de l'arbi-
trage. Le Peuple auffi & les Cantons (qui étoient des (loo) Etats
fouverains & indépendans, en tems de paix) ne reconnoifToient point
de Supérieurs, & n'ayant point de Magiftrat, ni de Tribunal commun,
oti ils puffent porter leurs différens , préféroient fouvent l'arbitrage du
Clergé , à la voie des armes. On voyoit même quelquefois des ar-
mées qui en étoient déjà venues aux mains , pofer les armes , à la folli-
.citation des Eccléfiaftiques , & confentir qu'ils fuffenî les arbitres du
frjij) Ci-d. ch. II. §. aj-31.
Î72 H I s T O I p. E D E s CELTES,
diitcrent. »Les Druides, dit Straban (loi), palTent pour être d'une in-
wtégrité à toute épreuve; delà vient qu'on leur remet la décifion des
» diiiérens que les Particuliers & les Peuples ont les uns avec les autres.
» Quelquefois les Druides des deux partis , difcutent entre eux ce qui
» fait le fujet d'une guerre , & trouvent le moyen de pacifier des ar-
» mées qui étoient furie point de fe battre. Ils font chargés, principale-
»ment, de juger les caufes où il s'agit de meurtre & d'efFufion de
» fang. » Diodore de Sicile fait la même remarque ; il dit ( ici) «que
«les Druides & les Bardes vont fe jetter au milieu des bataillons, &
» qu'ils appaifent le Soldat irrité , comme on apprivoiferoit des bêtes
» féroces, w
Tous les foins que le Clergé fe donnoit pour prévenir les guerres
& les procès, lui auroient fait, afTurément, beaucoup d'honneur, s'il
n'eût eu pour but que de procurer le bien public, & d'empêcher refFufion
du fang. Mais 11 paroît affez que l'ambition &c le defir de dominer avoient
le plus de part à ces démarches. Ce fut , au moins , par ces différens de-
grés , que les Druides vinrent à bout d'établir , dans les Gaules , un Tri-
bunal , qui ancantiffoit , prefqu'entiérement , l'autorité du Magiflrat
civil. On le voit dans un pafTage de Jules-Cèfar , qui mérite d'être rap-
porté (103) : «Les Druides font fort confidérés parmi les Gaulois. Ils
» décident prefque de tous les différens, tant publics que particuliers;
»ils jugent des crimes, des meurtres, auffi-bien que des procès, tou-
♦> chant les fucceffions & les bornes des terres; ils déterminent les pei-
» nés Se les récompenfes. Lorfqu'une perfonne privée, ou même un Peu-
» pie à refufé de fe foumettre à leurs décifions , ils l'excluent des facri-
»fices , ce qui eu , parmi les Gaulois , la plus griève de toutes les
» peines. Ceux qui font ainfi excommuniés , font regardés comme des
» impies & des fcélérats. Tout le monde fe fépare d'eux , on évite
»leur rencontre & leur entretien, comme fi on craignoit d'en être
» infefté. On ne leur rend point juftice , lorfqu'ils le demandent , &
» on ne les élevé à aucune dignité, . . Ces Druides s'afTemblent dans une
» certaine faifon de l'année dans le Pays des Carnutes ( le Pays de
M Chartres) , que l'on tient pour le milieu des Gaules ; ils s'affeyent-là
(loi) Sttabo IV. :9 7.
(102) Diod) Sic. V. z 1 j.
(loj) Csfai VI. ij.
, . wdans
LIVRE IV.-CHAPITRE IV. 173
«dans un lieu confacré ; tous ceux qui ont des différens y accourent
»de toutes parts, & obéiffent à leurs décifions. »
Les autres Peuples Celtes ne différoient des Gaulois, fur cet article,
que du plus au moins. Tantôt on confultoit les Eccléfii ftiques comme
des experts, qui connoifToient parfaitement les Loix, & qui en étoient,
en quelque manière , les dépofitaires , parce qu'ils favoient par cœur
les cantiques oh elles étoient contenues. Tantôt ils étoient des Mé-
diateurs , qui s'employoient , de leur propre mouvement , à procureir
un accommodement entre les parties. Tantôt les Particuliers conve-
noient de remettre leurs différens à l'arbitrage du Clergé. Tantôt les
Eccléfiaftiques s'établiffoient , eux-mêmes , pour Juges de certaines caufes
qu'ils prétendoient être de leur reflbrt. Par exemple, nous lifons dans
Jornandès (104) que Comoficus , qui fuccéda à Dicéneus dans la charge
de Souverain Pontife des Goths , s'acquit une fi grande réputation par
fon habileté , qu'on lui obéit , non-feulement comme à un Sacritîcateur,
mais encore, comme à un Roi, enforte qu'il jugea le Peuple félon la
juftice.
Parmi les Ibères , qui étoient un Peuple Scythe de l'Afie ( 105 ), c'é-
toient les Sacrificateurs qui conduifoient les négociations , & qui vui-
doient les différens que la Nation avoit avec fes voifins. En Perfe aufïï,
les Mages (io6)avoient féancedans le Confeil du Roi, toutes les fois qu'il
adminiftroit la juftice. Ce fut, peut-être, pour conlerver les chofes fur
l'ancien pied , que Charles-magne fit renouveller , dans toute l'éten-
due de fon Empire, la Loi de Conftantin le Grand, ou de Théodofe I,
qui défendoit aux Juges civils de prendre connoiffance ( 107 ) des
caufes , qui auroient été portées devant le Tribunal des Evêques. Com»
me les Evêques avoient fuccédé aux biens & aux droits des Sacrificateurs
Payens, ils demandèrent, fans doute, d'être maintenus dans le droit qu'a-
voit le Clergé , de connoître de certains crimes , 6c de juger même toutes
les caufes que l'on portoit devant fon Tribunal.
Ce que l'on vient de dire , de la part que Clergé prenoit à l'adminîf-
tration de la Juftice , conduit naturellement à expliquer un pafFage de
(104 Jornandès cap. il. I (107) Clpit. Kar. Mag. lib. VI. Leg. atl,
(105) Strsbo XI. SOI. Ipag. I0»4,
(l«6) Ci-deflous.J. lï.ttOt. 13». IIJ. l
Tome U, M m
174 HISTOIRE DES. CELTES,
Jules-Céfar, & un autre de Tacite , qui regardent , tous deux, le fujet
qu'on examine.
Le premier porte (loS) «que Jules-Ccfar, ayant pris connoiffance
«des troubles qui s'étoient élevés dans la République des Eduens ,
«contraignit Cotus à réfigner la Magiftrature ( c'eft-à-dire , la dignité
«de Vergobret), dont il s'étoit emparé contre les Loix, & qu'il con-
« firma dans cette Charge convi£tolitanes qui , félon la coutume des
«Ediiens, avoit été créé par les Sacrificateurs, dans un tems où il n'y
«avoit pas de Magiftrat. « Pour entendre ce paflage, il faut remarquer
que les Ediiens , comme les autres Peuples Celtes , nommoient tous les
ans leurs Magiftrats , dans l'Affemblée générale , qui fe tenoit , au com-
mencement de chaque Printems , dans le Sanâuaire où réfidoit le Sou-
verain Pontife de la Nation. Les anciens Magiftrats y abdiquoient leur
Charge , & il falloir que les nouveaux fuffent élus , avant que l'Af-
femblée, qui ne pou voit durer qu'un certain nombre de jours , fe féparât.
Quand les DépiTtés des Cantons, auxquels appartenoit le droit d'élire le
Maciftrat commun de la Nation, ne pouvoient s'accorder fur le choix du
Vergobret & des autres Sénateurs , & qu'ils fe féparoient fans avoir
rempli les places vacantes , les Sacrificateurs du Sanâuaire étoient char-
gés de nommer d'office un Vergobret, qui demeuroit revêtu de cette
dignité , jufqu'à ce qu'on en nommât un autre dans une AfTembiée gêné»
raie. On avoit pris cette précaution pour empêcher que l'Etat ne tom-»
bât dans l'Anarchie. En conféquence de ces Loix, Cotus étoit un ufurpa-
teur, qui s'étoit fait déclarer Vergobret ( 109) par un petit nombre de
Députés, convoqués feulement hors du tems & du lieu de l'Aifembiée
générale, où ce Magiftrat devoit être nommé. Cotus étoit, d'ailleurs,
exclus de cette dignité , & même du Sénat , par une Loi qui défendoit
d'y recevoir deux frères. Védéliacus (uo), frère de Cotus, étoit dans
le Sénat , & avoit été nommé Vergobret l'année précédente. Convic-
tolitanes, au contraire, rempliflbit légitimement cette Charge, comme
ayant été nommé parles Sacrificateurs pendant l'interrègne, intermijjis
Magijlradbus. Jules-Céfar prononça donc félon les Loix , &fitunaâe
de juftice , en dépofant Cotus , pour confirmer Conviâolitanes.
■'
. (10») estar Vlli 33.
(loj Caefar VU. a.
(llo; ibid. cap. il. • '
LIVRE ÎV. CHAPITRE IV. 275
Le paflage de Tacite ne doit arrêter qu'un moment, parce qu'il s'ap-
plique de lui-même au fujet que l'on vient de traiter. « Parmi les Ger-
» mains , dit l'Hiftorien ( 1 1 1 ) , les Prêtres ont droit de mettre aux
» fers , d'infliger des peines , d'exécuter les criminels ( 1 1 2 ) ; & ce
«n'efl point la juflice des hommes qu'ils prétendent exercer , ni
» l'ordre du Général qu'ils prétendent accomplir, mais l'arrêt mêma
»du Dieu tutélaire de leurs armées, auquel ils obéifTent (113). >♦
On voit dans ces paroles, ce qu'on vient de remarquer (114), que la
punition du Soldat étoit une partie de la dlfcipline que les Sacrificateurs
exerçoient , non pas en qualité de Magiflrats civils , mais comme Mi-
niflres du Dieu qui préfidoit aux combats , & qui avoit fait de la bra-
voure l'un des devoirs les plus importans de la Religion. Ils étendoient
cette difcipline fur les mutins, fur les déferteurs & les lâches, en un mot,
fur tous ceux qui péchoient contre les Loix de la guerre, prétendant en-
core qu'elle leur donnoit le droit, non -feulement d'excommunier les
coupables ( 1 1 5 ) > mais aufîi de les condamner , félon la nature du crime ,
au fouet , à la prifon , &C même à la mort. Au refle , ce n'étoit pas une
chofe particulière aux Sacrificateurs des Germains , d'exécuter eux-mê-
mes, toutes les fentences qu'ils avoient prononcées. Nous verrons , en
fon lieu , que la chofe fe pratiquoit ainfi dans toute la Celtique. Celui
qui rendoit un jugement (1 16) en étoit aufîi l'exécuteur.
§. XII. Il efl facile , préfentement, de fe faire une idée de la grande au-
torité dont le Clergé jouiflbit parmi tous les Peuples Celtes. Ils regar-
doient leurs Sacrificateurs comme les Miniflres de la Divinité. Ils étoient *^'''"
perfuadés que le miniflère du Clergé , defliné à rendre l'homme dé-
vot, jufle & brave, fe rapportoit uniquement à leur propre utilité. II
ne faut pas être furpris (117) qu'ils euflent pour les Druides un refpeft
proportionné à la fainteté du caraftère dont ils étoient revêtus , & à
Aurnrité da
Clergé p.irmi
les Peuf les
(i II) Tacit. Germ. 7.
(112) Quelqu'un pouiroit conjefturcr que, (î
la fonftion d'exécuter les criminels n'eft pas
jaffi odieufc Se audi infime parmi les Alle-
mands qu'elle l'eft parmi nous, on doit en cela
reconnoîtic une impreflion de l'ancienne Cou-
tume nationale , dont l'effet fubfifte en partie,
quoique la caufe ne fubfifte plus.
(il)) Les Germains croyoient apparemment
q[ue la vie de l'homme étoit fi ^ cécieufc , que
celle du plus coupable, ne devoit être faciifî^e
qu'a la Divinité'. D'autres Nations croient dan».
le même fentiment , fans en outrer les confe'-
quenccs comme faifoient les Germains.
(114) Ci-d. $.11. not. 9 5. Liv. III. ch. 17,
§•5.
(lis) Ci-d. not. 9«.
f 1 1«) Fojrjt, en attendant Key fier, p. iSs. iStt.
Hagenb. p. 7.
(117) Catfa» VI. 13- Diod.Sicttl.V. p. tu.
Mm %
276 HISTOIRE DES CELTES,
l'excellence du miniftère qu'ils exerçoient. Mais le Peuple avoit , d'ail-
leurs, une déférence û parfaite, & une foumiflion û aveugle pour les
Eccléfiaftiques , qu'il n'entreprenoit rien fans leur avis. Un homme vou-
loit-il fe marier , entreprendre un voyage , établir fes enfans , il com-
mençoit par confulter le Devin, qui étoit ce que nous appellerions au-
iourd'hui le Curé de la Paroiffe , ou l'Evêque du Diocèfe. Il fuffiloit que
le Devin défapprouvât un projet , pour le faire rejetter fans autre exa-
men. On étoit perfuadé que le Clergé , rempli de l'efprit de Dieu , ne
prononçoit que des oracles, & que l'impiété d'un homme qui méprifoit
les avis de la Divinité & de fes Miniftres, ne pouvoit que le précipiter
dans un abîme de malheurs.
A cet égardjles Druides exerçoient un empire d'autant plus fur & d'au-
tant plus glorieux, qu'il étoit volontaire de la part du Peuple. Mais ils
avoient d'ailleurs, des moyens pour fe rendre redoutables à ceux-là mê-
mes qui auroient refufé de reconnoître leur autorité, &c de fe foumettre
à leurs jugemens. La difcipline qu'ils exerçoient au nom de la Divinité ,
les rendoient maîtres fouverains &C abfolus ( 1 18) de la fortune des Par-
ticuliers , parce que l'excommunication excluoit ceux qui en étoient
frappés , du commerce des hommes & de tous les bénéfices de la Société.
Par conféquent , il ne pouvoit être qu'extrêmement dangereux de fe
brouiller avec les Druides. C'ëtoit courir à fa propre ruine , & fe perdre
fans reflburce , que d'irriter un Clergé qui favoit foutenir fa propre
domination , fous le beau prétexte d'affermir l'empire de la Divinité.
L'autorité des Druides s'étendoit, non-feulement fur les Particuliers de
quelque rang qu'ils pufTent être , mais encore fur les Affemblées gé-
nérales , qui étoient le Confcil fouverain des Nations Celtiques. On
n'en doutera pas , fi l'on veut faire ici deux réflexions. La première ,
qu'il étoit au pouvoir du Clergé de faire renvoyer à un autre tems, tou-
tes les propofitions qui ne lui étoient point agréables. Avant que de déli-
bérer fur les affaires qui avoient fait convoquer l'AfTemblée , le Sacrifica-
teur (i 19) commençoit par confulter le fort (lao) & les aufpices, il dé-
{tlt]Vi>yti.ci-d.$ tl.& ch. II. $. 31.
(i 19 Tacit. Germ. 10.
(izo) Pour confulter le fort, on fe fervoit
d'une baguette d'arbre fruitier. Tacit. Gem. 10.
La Loi des Frifons nous apprend que ce Peu -
fie, quoique GODTCiti , a'avoit ^as lenonc^ 4
la divination , dont parle Tacite Seulement ils
avoient prétendu la fan^lifiet par des formules
Chre'tiennes & par la ci:oix dont ils marquoient
les baguettcsnomméeTeni. C'ell là , fans doute,
l'origine de \3 Bn^ueite divintroire, ou baguette de
coudiiei fouichue, pai le mo^en de laijucUc
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 277
claroit fi la Divinité avoit pour agréable qu'on traitât de telle affaire.
Quand la réponfe n'étoit point favorable , de tout le jour on n'interrogeoit
plus le fort , ni les augures , touchant la même affaire. Il eft facile de
comprendre que. le Clergé, fous ombre d'interroger la Divinité , trou voit
moyen de faire furfeoir, autant qu'il le vouloit, toutes les délibérations
qui n'étoient point de fon goût. Comment les Romains eux-mêmes , qui
vantoient tant la fageffe de leur Gouvernement, ne fe font-ils jamais
apperçus que la néceffité de confulter les Aufpices , toutes les fois qu'on
affembloit le Peuple poiu" quelque affaire importante , mettoit toute la
République dans la dépendance d'un Augure , ou d'un Sacrificateur?
L'efprit de fuperftition & de fanatifme aveuglent tous les hommes, qui
croyent être éclairés, lors même qu'ils ignorent les chofes les plus im-
portantes & les plus effentielles , celles mêmes fur lefquelles l'mtérêt per-
fonnel devroit les rendre attentifs.
L'autre réflexion , c'eft qu'après même que l'Affemblée avoit pris
quelque réfolution , il demeuroit toujours au pouvoir des Prêtres d'en
fufpendre l'exécution , autant qu'ils le jugeoient à propos. Par exemple,
il ne falloit pas (lii) qu'une Armée entrât en campagne , qu'elle chan-
geât de camp, ou qu'elle attaquât l'ennemi, que les Devins n'euffent
examiné fi le tems étoit propre pour décamper , ou pour livrer bataille ;
il n'étoit guères à craindre qu'un Général hafardât de prendre un parti
contre l'avis des Devins. D'un côté, il auroit été mal obéi par le Sol-
dat, qui croyoit devoir déférer beaucoup plus à la volonté des Dieux
qu'aux ordres de fes Chefs, & qui auroit cru s'attirer l'indignation de la
Divinité , s'il n'avoit point obéi à la voix de fes Miniflres; de l'autre, le
Général fe feroit rendu feul refponfable du mauvais fuccès de la bataille,
& les Prêtres ne l'auroient point épargné.
Cette grande autorité d'un Clergé, qui exerçoit un empire prefqu'abfo-
]u fur l'efprit des Peuples , obligeoit les grands Seigneurs , & même les
Rois, à le ménager extrêmement. On a remarqué ailleurs (121) que
les Celtes choififfoient eux-mêmes leurs Juges 6c leurs Princes; ceux-
ci , loin de jouir d un pouvoir illimité , étoient refponfables de leur
adminiftration au Peuple, qui fe réfervoit toujours le droit de les dafti-
on prétend découvrir les mines , les rre'lors
caches & les fourres d'dux qui font placées
fout la fupeificic de l> teiie. Nett 4t l'£diiiKr,
(lii) Voyez, en des exemples ci-deflus, J, I.
BOt 7 1- & ch. III. §. 3. not 24.
(m) Ci-d, Liv. II. ch. 1}.
ayS HISTOIRE DES CELTES,
tuer, lorfqu'ils abufoient de leur autorité. Il arrivoit de^là que la No-
blefle étoit obligée de careffer le Peuple , pour parvenir aux dignités, 6c
pour s'y maintenir. Or le véritable moyen de gagner l'afFedion du Peu-
ple, c'étoit de s'affurer de celle des Druides. Jamais un Prince n'étoit
mieux obéi, que lorfqu'il avoit pour règle, de ne rien entreprendre, fans
avoir confulté la Divinité, par l'entremife de fes M'niftres. Toutes les
fois, au contraire , qu'un Prince fe brouilloit avec le Clergé, il s'expo-
foit au danger prefqu'inévitable d'être abandonné, & même dépofé par
le Peuple. Par ces raifons , on admeuoit les Druides dans le Conleil des
Rois. C'étoit la meilleure précaution qu'on pût prendre pour retenir les
Peuples dans le devoir. Le Souverain Sacrificateur d'une Nation, étoit
la première perfonne de l'Etat après le Roi. Il avoit une autorité égale ,
•&C quelquefois fupérieure à celle du Souverain , parce qu'on déféroit
beaucoup plus à fes avis qu'aux ordres du Maître. Pour faire voir qu'on
ne l'avance pas fans preuve , il n'efl pas inutile de rapporter quelques
paffages , qui montreront que le Clergé étoit revêtu de la même autorité
dans toute l'étendue de la Celtique.
Jules-Céfar nous apprend ( 123 ) que les Druides avoient une Jurif-
diftion fort étendue dans les Gaules. Ils jugeoient de la plupart des cri-
mes , prenoient connoiflance des différens qui s'élevoient non-feule-
ment entre les Particuliers, mais auffi entre les Peuples , établiffoient des
peines & des récompenfes. L'AfTemblée générale des Druides , qui fe
tenoit tous les ans dans le Pays de Chartres , étoit une efpèce de Cour
Souveraine , oii ceux qui avoient des procès accouroient de toutes
parts , & recevoient des Sentences définitives.
Dion Chryfoftônie dit quelque chofe de plus, II affure que le Gou-
vernement même de l'Etat étoit entre les mains des Druides ( 124),
-4* On donne , parmi les Celtes , le nom de Druides à ceux qui s'ap-
» pliquent aux divinations & aux autres fciences. Il n'eft pas permis
» aux Rois de mettre une chofe en délibération , encore moins de rien
» exécuter fans l'aveu de ces Prêtres. Ce font proprement eux qui gou-
» vernent. Affis fur des trônes d'or , &i logés dans des Palais magnifi'^
♦> ques , où ils ont des tables fomptueufes , les Rois ne font que les
l'iîj) Ci-d. §. 1 1. not. 103.
^ii»j Pjo Clujrfoft, Setm. XLIX. p. Sï*.
LIVRE IV. CHAPITRE ÎV. 179
w exécuteurs de la volonté des Minières de la Religion. »Ce paflage
exprime en deux mots , tout ce que l'on a dit de l'autorité du Clergé
parmi les Gaulois.
Il ne faut pas douter que les chofes t)e fuffent établies fur le même
pied parmi les Germains. Leurs Sacrificateurs étoient chargés deconfulter
la Divinité toutes les fois qu'il s'agiffoit de prendre quelque délibéra-
tion importante, ou de l'exécviter (115). Pour peu qu'ils eiiffent d'am-
bition ôc d'habileté, il n'en falloit pas davantage pour les rendre maî-
tres de toutes les affaires. Le Souvevain Pontife d'un Peuple Germain
avoit une grande prérogative audeffus du Roi. Le Prince pouvoit
être dépofé , &c cela arrivoit fouvent ; le Souverain Prêtre ne cour-
roit pas le même danger. L'efprit de Dieu , dont on le croyoit rempli , le
faifoit regarder non-feulement comme infaillible dans la Doftrine, mais
encore le faifoit paiïer pour impeccable dans la conduite : c'eft pour-
quoi il ne perdoit fa dignité qu'avec la vie. Ammien-Marcellin le dit bien
formellement (115) : «Tous les Rois des Bourguignons portent le nom
M de Hindinos. C'efl une ancienne coutume parmi ces Peuples de dé-
» pofer leur Roi , toutes les fois qu'ils font malheureux à la guerre ,
»ou que la terre leur refufe des moiffons abondantes. A l'exemple des
» Egyptiens , ils imputent tous ces malheurs aux Princes qui les gou-
» vernent. Il n'en eft pas de même de leur Sacrificateur, qu'ils appellent
» Sinijtus : il eft le premier homme de l'Etat , omnium maxlmiis , &
M demeure revêtu de fon emploi pendant toute fa vie. >»
Ajoutons ce que les Anciens rapportent du Souverain Sacrificateur
des Gétes. Voici ce qu'en dit Strabon (117): «On publie qu'un cer-
wtaln Géte, nommé Zamolxis, ayant été efclave de Pythagore , reçut
» de ce Philofophe quelques leçons d'Aftrologie. Les courfes de ce va-
wgabon l'ayant conduit en Egypte, il s'y perfeftionna dans cette fçisnce.
wDe retour dans fa Patrie , il fe rendit agréable aux Princes & au
» Peuple , en interprêtant les préfages , & il perfuada enfin au Roi de
«l'affocier au Gouvernement, comme un fidèle interprête de la volonté
» des Dieux. En conféquence Zamolxis fut d'abord déclaré Sacrifica-
»teur du Dieu que les Gétes fervoient préférablement aux autres.
fi2s , Ci-d. not. 119- 1 1 1-
(126' Amm. Matcell. XXVIII. Câp. 5. p. 51^.
^127] Siiabo Vn. 2?7.
a8o HISTOIRE DES CELTES,
» Enfuite il reçut auffi le le nom de Dieu, & allà^fe cacher dans un Heu
» plein de cavernes , dont l'accès étoit défendu au Peuple. Il paffa là
» fa vie , fe faifant voir rarement à des étrangers , à l'exception du Roi
» & de fes Miniftres. Le Roi, de fon côté , affermiffoit les Gétes dans
» l'idée qu'ils avoient de Zamolxis , parce qu'il voyoit que le Peuple lui
» étoit beaucoup plus fournis qu'auparavant , & le refpe£loit comme
»un Prince qui n'ordonnoit rien que delà part des Dieux. Auffi cette
» coutume a-t-elle fubfiflé jufqu'à notre fiécle, s'étant toujours trouvé
»» quelqu'homme du caraûère de Zamolxis, qui étoit le confeil du Roi ,
»& auquel les Gétes donnoient le nom de Dieu.» Un peu plus bas ,
Sfrabon ajoute (iî8) : < Boerebiftas, Roi des Gétes, fe fervit fort utile-
» ment du miniftère d'un Magicien nommé Dicenéus , qui ayant par-
» couru l'Egypte , y avoit appris certaines manières de deviner, dont
» il fe prévalut pour perfuader au Peuple que les Dieux rendoient des
«oracles par fa bouche. Peu s'en fallut qu'on ne le regardât comme
» un Dieu , de la même manière que Zamolxis dont je viens de faire
«mention. Une preuve de l'afcendant que Dicenéus avoit fur l'efprit
«des Gétes, c'efl que leur ayant confeillé d'arracher leurs vignes, ôi
» de fe paffer de vin , ils lui obéirent. »
Ce que Strabon dit du Souverain Pontife des Gétes, eft confirmé par
Jornandès ( i 29 ) ; « Dicenéus vint en Gothie , pendant que Sitalcus Bo-
» roïfta régnoit dans ce Pays , & que Sylla exerçoit la Diftature à Rome.
» Boroïfta le reçut , & lui donna un pouvoir qui approchoit de l'auto-
f> rite Royale. Ce fut par fon confeil , que les Goths ravagèrent les terres
» des Germains , qui font occupées aujourd'hui par les Thraces. Tout
» ce qu'il confeilloit aux Goths étoit reçu &c exécuté comme utile , agréa»
» ble , falutaire , & digne de tous leurs foins . . . Toutes les différentes
» inftruâions qu'il donna aux Goths , lui acquirent une fi grande répu-
»tation que les Petits & les Grands, fans en excepter même les Rois ,
« refpeftoient également fes çommandemens. Après la mort de Dice-»
>) néus , ils eurent prefque la même vénération pour Comoficus , qui
» n'avoit effe£livement pas moins d'adrefTe que fon Prédéceffeur. Son
f> habiletç le fit regarder , non-feijlepient comme un Sacrificateur ,
(tî8) Strabo VII. 304.
(i>?9} jQinand. ca^. II.
wmals
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 281'
>nnais encore comme un Roi, enforte qu'il jugea les Peuples félon
» fa juflice. »
On ne peut s'empêcher d'ajouter encore une particularité , rapportée
par Polyœnus , parce qu'elle montre jufqu'à quel point l'ignorance 6c la
crédulité du Peuple fiivorifoient l'ambition du Clergé parmi les Thraces.
Parlant de deux Peuples de la Thrace , les Cerréniens & les Scaboès ,
cet Auteur dit (130): « C'eft une coutume établie parmi eux, qiie-
H celui qui eft Sacrificateur de Junon les commande auffi toutes les fois
» qu'ils vont à la guerre. Un jour qu'i s refufoient d'obéir à Colin-
»> gas , qui étoit , en même tems , leur Général & leur Pontife , il fit dreA
» fer plufieurs grandes échelles , & les fit attacher l'une au - deffus de
« l'autre. On publia qu'il voulbit monter au Ciel , & fe plaindre à
» Junon de la défobéiffance des Thraces. Ceux-ci furent affez fimples &
«aflez flupides , pour ajouter foi au bruit; dans l'appréhenfion où ils
«étoient, que leur Général ne montât au Ciel , ils vinrent fe profterner
» à fes pieds , lui demandèrent pardon , & lui promirent , avec ferment ,
». d'exécuter , fans aucun délai , tout ce qu'il commanderoif. »
. Si l'on ne craignoit de s'étendre trop , il feroit facile de montrer que'
les Mages étoient revêtus en Perfe de la même autorité que les Druides'
exerçoient dans les Gaules. <« Ils dirigeoient les atîaires d'Etat, ils éta-
^bliflbient des peines & des récompenfes ( 13 1 ). La éonnoifîance
«qu'ils avoient,tant delà Phyfiologie, que de la manière dont il fal-
>» loit fervir les Dieux, leur donnoit entrée dans le confeil du Roi, dont
» ils étoient les Affeffeurs , quand il adminiflroit la juftice (131). La
» Divination & la Magie affujettifioient à leur pouvoir les Rois mê-
» mes (133); ils ne pouvoicnt rien entreprendre fans leur avis. » C'en ell
aflez pour montrer que le Clergé étoit revêtu de la même autorité
dans toute l'étendue de la Celtique.
§. XIII. Il faut parler, pféfentement , de la conftitution même du Connimtio»
Clergé. Ceux qui ont dit (134) que les Druides étoient une Nation Gau- c'.|t«r^° '^*'
loife , fe font exprimés d'une manière qui n'eft pas tout-à-fait jufte.
Les Druides ne formoient pas un Peuple féparé des autres Peuples des
Çaules. On voit bien , cependant , ce qui a donné lieu à cette façon de'
(ijoi Polyœnus Ub. VII. cap. 12. t (ijj rlin XXX. i.
- (131) Agarhias II. « j. ' " T — (,",■;] jjc'ph. de Ulb, p. 3 1 1
(iji) Oio Chryfoft. or. XUX, p. jj».
28i HISTOIRE DES CELTES,
parler. Les Sacrificateurs des Peuples Scythes & Celtes fe tiroient or-
dinairement de certaines familles qui étoient chargées du miniftère facré ,
de la même manière que les Lévites & la famille d'Aaron l'étoient par-
mi les Juifs. C'ctoit une coutume établie au milieu de ces Peuples ,
que les enfans fuiviflent tous la profeffion de leurs Pères.
On aura occafion de le prouver au long dans l'un des Livres fuivans,
^ l'on examinera , en même-tems , ce qui pouvoit avoir contribué à
introduire une coutume qui s'étendoit, félon Strabon, jufqu'aux Scy-
thes établis en Afie. Ce Géographe dit (135) que « l'on trouve dans TI-
>».bérie Afiatique quatre difterens ordres de perfonnes. Premièrement ,
»ila famille dans laquelle on choifit les Rois. Ce choix tombe toujours
wfur le plus âgé des parens du Roi défunt. Celui qui le fuit immé-
» diatement, par rapport à l'âge , adminiftre la juftice , & commande les
M armées. La féconde claffe eu celle des Sacrificateurs , du minifière def-
>> quels on fe fert auflî pour traiter avec les Peuples voifins. A la troi-
»fiéme, appartiennent les gens de guerre & les Laboureurs. La qua-
» triénje , enfin , contient la populace. Ceux-ci font les efclaves du Roi ,
» &c on les charge de tout le travail qui regarde l'entretien de la vie.
>> Les Ibères partagent leurs terre^ par familles , & chaque famille poflede
>j.en commun telles qui lui appartiennent. Le plus âgé d'une famille la
» coi7;imande , &c en adminiftre les revenus. >» En conféquence de cet
ufage , tous les enfans d'un Sacrificateur étoient membres du Clergé ,
demeurçiqnt d:4ns les lieux confacrés , &c y étoient entretenus des re-
venus fixes ou cafaels de l'Eglife ; de forte que les Druides étoient
çfFedivement une efpcce de Peuple féparé , qui avoit fa demeure & fes
revenus particuliers, & qui s'aliioit rarement avec les autres familles
de l'Etat.
On a prouvé ailleurs , que les Druides demeuroîent avec leurs
f^ipraes & leurs enfans dans les Sanduaires:ainfi il ne fera pas nécefî^aire
d'y revenir ici. Il faut avertir feulement que les maifons des Celtes
étoient dans les forêts , & dans les terres dépendantes du lieu confacré ,
éi non dans les Sanâuaires mêmes où il n'étoit pas permis de bâtir. S'il
d'^meuroit quelques Druïdeç dans l'intérieur des Sanûuaires , il falloit
qu'ils fe logeaffent dans les cavernes que la nature même y avoit ménagées.
{i3i)StraboXI. p. joi.
t-cl-f-é 'et
Coules éroit
[wnîagé fa
.LIV. R, E IV. CHAPITRE IV. ïSj
Qiîoi qu'il eh folt , il réllilte de ce qui vient d'être remarqué , que l'on
devoit diilinguer les Druides par la famille dont ils étoient iffus. Si par
le Sanctuaire où ils avoient pris naiffance. Ainfi Aufone dit à Attiu(
Paura (136), qu'il eft de la race des Druides qui demeurent dans le Pays
des Bajocaffes , & qu'il tire fon origine du Temple que le Dieu 5«/e-
nus avoit dans ce Pays. Le même Poëte , parlant de Phizbidus (137) »
dit qu'il avoit été Sacrillain ou Marguiller du Dieu Belenus, &i. qu'il
étoit de la famille des Druides qui demeuroient dans l'Armorique.
§. XIV. Strabon femble infinuer que le Clergé des Gaules étoit par-
tagé en trois claffes différentes , les Bardes , les Devins & les Druides.
«Tous les Gaulois , dit ce Géographe ( 1^8), ont une vénération '"^'^ !"■"""•
» particulière pour trois Ordres de perfonnes , les Bardes, les Devins
» & les Druides. Les Fardes compofent des hymnes & des poëmes.
M Les Devins offrent des facrifices , & s'appliquent à la Phyfiologie
>»(i39). Les Druides, outre la Phyfiologie, cultivent la Philofophie
y> Morale. Ils paffent pour être d'une intégrité à toute épreuve. De-là
» vient qu'on leur remet la dccifion des dlfférens que les Particuliers ,
»& même les Peuples entiers ont les uns avec les autres. Quelquefois
•♦les Druides des deux partis difcutent entr'cux ce qui fait le fujet
» d'une guerre , & trouvent le moyen de pacifier des armées qui
» étoient fur le point de fe battre. Ils font charfii:cs principalement de
«juger les caufes oii ii s'agit de meurtre & d'effufion de fang. »
Ammien-Marcellin a fuivi Strabon (140) : «Les efprits s'étant in-
wfénfiblement cultivés dans les Gaules, les Sciences commencèrent à y
«fleurir. Ceux qui les enfeignerent les premiers, furent les Bardes, les
» Devins & les Druides. Les Bardes chantoient dans des vers héroï-
» ques, & au doux accord de leur lyre, les exploits dus grands hom-
» mes. Les Devins étudioient l'enchaînement & les fecrets de la Na-
» ture , & s'appliquoient à les dévoiler. Les Druides qui avoient un'
» efprit plus élevé que les autres , "vivoient enfemble en communauté
» à la manière des Pythagoriciens , s'appliquant à des queftions occultei^
» & fublimes , & s'élevant audeffus de la condition humaine , ils proJ
nonçoient que les âmes font immortelles. >»
(l»«) Au('i)n. Prof. IV. p. 50.
(i t7 I Aufon. PrbF. X. p. 54. j j.
(lj() Sil,ibo IV. l9^.
(13»^ Sur le fens de ce mot, v^^tx, ci-d, {. 1.
noc s*- <it
L (140^ Amar, Mafcdl.TikXV. eaf.i,p^jjr»
iS% HISTOIRE DES CELTES,
On entrevoit encore les trois Ordres d'Eccléfiaftiques dans un paffag*
deDiodore de Sicile (141): «Les Gaulois ont un grand refpeft pour
«les Druides, qui font les Philolbphes & les Théologiens de la Na-
« tion. Ils ont auffi leurs Devins auxquels, ils ajoutent beaucoup de foi.
»Les Devins prédifent l'avenir , tant par le vol des oifeaux , que
vpar l'inipeûion des vidimes, & le Peuple leur efl entièrement fournis.
»ils pratiquent, fur-tout, quelque chofe d'extraordinaire &C d'incro-
« yable , quand il s'agit de délibérer fur des affaires extrêmement im-
» portantes. On immole alors un homme que le Devin frappe d'une
»épée au-deffus du diaphragme, pour juger de l'avenir, tant par la
« manière dont la viftime tombe par terre , que par la palpitation de fes
« membres. Il obferve- encore de quelle manière le fang coule. Les
»= Gaulois ajoutent beaucoup de foi à cette forte de divination , qui eft
m fort ancienne parmi eux, C'efl: une coutume reçue au milieu de ce
» Peuple , de n'offrir aucun facrifice fans le miniftère d'un Philofophe.
^ Ils donnent pour raifon de cet uftge , que , quand on veut offrir des
« préfens aux Dieux , il efl à propos de recourir à la médiation des per-
» fonnes qui connoifîent la Divmitc , &; qui font fes confîdens. On
" obéit aux Druides & aux Poëtes qui compofent des hymnes , non-
» feulement dans les chofes qui concernent la paix , mais encore dans
« celles qui regardent la guerre. Les amis & les ennemis ont la même
»foumiffion pour eux. On a vu fouvent que , lorfque les Armées
«étoientdéja en préfence, & que le Soldat, après avoir jette fa lance
« contre l'ennemi, étoit fur le point de forcer les rangs l'épée à la main ,
"les Druides fe préfentoient entre les deux Armées, & appaifoient le
M Soldat irrité , comme on apprivoiferoit des bêtes fauvages , tant il
» efl vrai que jufques parmi les Nations les plus barbares & les plus
«féroces, la fureur cède à la fagefTe, & qu'il n'y en a aucune où Mars
» n'ait de la confidération pour les Mufes. >»
§. XV. En comparant exa£lement ces trois pafTages , on reconnoîtra
iteicnt pro- ^yg \ç^ Devins étoicut proprement les Miniftres de la Religion parmi ■
vontifesHcs igg Gaulois. Ils offroicut les facrifices , interprêtoient les préfages , prê-
tai pré'ûdoi- difoient l'avenir , tant par les. aufpices , que par les entrailles des vic-
j" ""^ ' times ; en un mot , ils répondoient de la part de la Divinité à tous ceux
m— ' ■ ' " ' ' ' "^i^iiwwii^^wpw-v*— ^^— - ■■ ■ ■ ■■ -y-» -n ■■■■■■■ ■ ipw I I 1 ■ ■ m
( 1 4 1 )Diod(». Sjc. JJ^j Vit p, 1 j Jv
i. u 'i
Les DcTist
L I V R E I V. C H A P I T R E IV. 185
qui venoient la confulter. C'eft ce que Strabon exprime, en difant qu'ils
étoient Sacrificateurs & Phyfiologues. La Phyfiologie confiftoit, com-
me on l'a déjà dit (141) , à étudier la nature & l'enchaînement de fes
parties, dans la vue d'en tirer des conjeâures fur l'avenir. Il y avoit
dans chaque Sanduaire un de ces Devins (143), qui étoit , comme
JUS le dirions aujourd'hui, le Curé de la Paroiffe ou l'Evêque du Dio-
cèfe , c'eft celui que Tacite, parlant des Germains, appelle (144) le Prê-
tre de la Cité , Sacerdos Clvitatis : il étoit le Sacrificateur d'un Peuple ou "
d'un Canton. Chargé de toutes les fondions Sacerdotales , il étoit en-
core le Chef des Eccléfiafliques qui demeuroient dans un lieu con-
facré , il adminiftroit les biens de l'Eglife , & pourvoyoit à l'entretien
du Clergé qui lui étoit fournis.
Les Druides étoient tous les autres membres du Clergé. Ils vivoient lm om-Mcs
en communauté dans les Sanduaires , fous la diredion du Sacrificateur ciaiaftiT^ci
qui les employoit au miniftère pour lequel ils étoient propres. Ce Sa-
crificateur fe tiroit ordinairement de leur Corps , dans lequel il étoit
choifi à la pluralité des voix (145). Comme les Gaulois étoient dans
l'idée qu'une vidime n'étoit agréable aux Dieux que lorfqu'elle étoit im-
molée par un des Miniftres de la Religion , il ne faut pas douter que le
Sacrificateur n'envoyât fes Druides dans les maifons particulières, pour
y offrir les facrifices domelliques auxquels il ne pouvoit affifler lui-
même.
Au refte , ces Druides étant en grand nombre , & par conféquent
peu occupés , regardant d'ailleurs tout travail manuel comme une chofe
indigne de leur caradère , employoient leur loifir , foit à entendre les
caufes que l'on foumettoit à l'arbitrage du Clergé, foit à étudier ou
à enfeigner la Philofophie, la Théologie & les autres fçiences, dont on
a fait mention. Outre les études que chacun faifoit en fon particulier ,
ils avoient encore , à la façon des Pythagoriciens , des conférences , oh
ils fe communiquoient réciproquement leurs doutes & leurs découvertes
fur les matières qui faifoient l'objet de leurs recherches.
A l'égard des Bardes, qui étoient les Poètes des Gaulois, il eft certain , l« Bardes,
comme on l'a montré ailleurs (146) , qu'ils n'étoient chargés d'aucun '^*j"\u"i''ui
^— ^— — — I. 11^
(l+i) Ci-d. §. ï. net. 58. 62. j (144) Tacit. Germ. 10.
(i4j) Kojfj, en des exemples ci-deflus,ch. II. i (14s) Ci-deflbus §. i«. not. ij8.
J. 27.not._iis. I (i4«jcid, Liv. II, ch. 10. p. U4. ij5.
1Î6 HISTOIRE DES CELTES,
tête Sacré , miniftèrc fecré , & qu'ils paffoient ordinairement leur vie à la fuite des
n,c au corps grands Seigncuts. Aulli les Auteurs qu on vient de citer, ne diient pas
p"ce qu'ils' que les Bardes fuffent membres du Clergé. Diodore de Sicile dit fe^-
mnksâlt- ^^nt qu'ils partageoient avec les Druides l'eftime & la confiance du Peu-
docsle. pjç_ j[ faut avouer, cependant, qu'en comparant Jules-Céfar avec Strabon,
il femble qu'on peut en conclure que , fi les Bardes n'étoient pas propre-
ment membres du Clergé , ils étoient au moins de famille Sacerdotale.
Jules-Céfàr dit (147) «que , dans toutes les Gaules , il n'y a que deux
» Ordres de perfonnes qui foient confidérées , & qui faffent nombre : le
» Peuple n'efl compté pour rien, & fa condition ne diffère prefque pas
»de celle des Efdaves. Ces deux Ordres font les Druides & les Chcva-
»» liers. » Strabon entre dans un plus grand détail , & partage les Druides
dont Jules-Céfar fait mention , en trois clafles différentes , les Devins ,
les Druides (proprement ainii nommés), & les Bardes. De-là,onpeut
inférer affez naturellement , que les Bardes ap.partenoient au Corps des
Druides , qui choififibient , parmi leurs enfans , ceux en qui ils trou-
voient du talent pour la Poëfie , pour en faire des Poëîes & des Muficiens ,
& les mettre , en cette qualité , à la fuite des grands Seigneurs.
Si l'on veut , au refte , que les Bardes , -les Druides & les Devins ,
ou les Sacrificateurs, quoiaue appartenant tous au corps du Clergé, fuf-
fent des familles différentes , de la même manière que les Sacrificateurs
& les Lévites étoient diftingués parmi les Juifs , rien n'empêche de l'ac-
corder : Strabon , parlant de ces trois Ordres de perfonnes , fe fert du mot
Grec (pvxa , qui peut également défigner des familles &C des claffes dif-
férentes.
On a eu occafion de remarquer que la Nobleffe des Gaules confioit
aux Druides l'inftruâion & l'éducation de fes enfans, qui étoient re-
çus Ô4 entretenus dans les lieux confacrés en qualité de Pcnfionnaires.
Jules-Céfar s'exprime d'une manière qui femble infinuer qu'entre ces dif-
ciples, il yen avoitqui embraffoient l'état Eccléfiaffiqae,c'eff-à-d!re, qui
entroient dans le corps des Prêtres ('4^)- «Les Druides n'ont pas cou-
Mtume d'aller à la guerre , & ne payent point les taxes auxquelles
«les autres font impofés; avec l'exemption de la milice.,, ils jouiffent
(147) CsTar VI. ij.
(148^ CaBfai VI. 14.
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 287
»» d'une entière immunité. Ces prérogatives excitent un grand nombre
de Sujets à fe mettre volontairement fous la difcipliiie de ces Prêtres;
» d'autres font envoyés datis les Sanftuaires par leurs pères & mères ,
» ou par leurs plus proches parens. Là , à ce que l'on rapporte , on fait
«apprendre à la jeuneffe un grand nombre de vers: il y en a même
» qui étudient fous les Druides pendant vingt ans. » Mais il ne faut pas
trop prefTer les paroles d^ Jules -Céfar. Cet Hiftorien ne veut dire
autre chofe , fi non que la grande réputation des Druides leur procu-
roit beaucoup de Difciples , entre lefquels il y en avoit qui confen-
toient d'étudier pendant vingt ans dans leur école (149), & qui étoient
difpenfés, pendant tout ce tems-là, d'aller à la guerre.
Au refte, deux chofes font ici confiantes. La première (150), que
les Chevaliers Gaulois fuivoient tous la profeffion des armes. La fé-
conde, que les grands Seigneurs qui avoient étudié chez les Druides, fe
faifoient un honneur de porter eux-mêmes le nom de Druides (1 5 1) , foit
parce qu'ils avoient reçu ce que l'on appelleroit aujourd'hui les petits Or-
dres , foit parce qu'ils confervoient toujours le droit d'affifler aux confé-
rences des Druides , où l'on difcutoit les matières qu'ils avoient étu-
diées. Par exemple , Divitiacus ( 1 5 i) étoit un grand S .igneur Eduen , 8c
remplifToit dans fa Patrie la première dignité de l'Etat, qui étoit celle de
(149) Mais, pourquoi certains fujets confen-
toicnt-ils à étudier fous le^ UruiJcs, pendant
Tingt ans? Ce n'eft , ce ine fembie, que parce
qu'ils fe deftinoient au Sacerdoce. Si les Celtes
euffente'tc auOi jaloux que nous, de paroître
favans , fi les Sciences euffcnt e'te' en honneur
parmi eux, ;c concevrois qu'ils auroient pu
pafTtr leur jeunelfe is'inftruire; mais des Peu-
ples qui ne té.vioigaoienc que du mépris pour
les Sciences, qui tenoient à deshonneur de f«.
voir lire Se écrire, parce que les armes e'roient,
félon eux, la feule carrièje où l'on pùi acquérir
de la gloire , oix l'on pût mériter d'occuper un
jour les premières places dans le féiour des
Bienheureux, des Peuples qui e'toient dans ces
ide'es , auroient-ils pu fc réfoudre à étudier pen-
dant tout le tems le plu; précieux de leur vie ,
fi les Sciences ne leur euflent été d'aucune uti-
lité ; Les exemptions dont on jouiffoit pendant
le tems des «tudcs , n'écoient point un motif
fuffifant pour déterminer les Celtes à préfère»
l'ennui & le dégoût qu'ils auroient trouvé dans
la méditation fur des Sciences aV>Araites aux
chatmes que k guerre aroit pour eux. D'aiU
leurs , ceux qui auroient voulu prendre ce par-
ti, ne fe feroient-ils pas déshonorés dans l'ef-
prit de leurs Concitoyens ? Voyez, ci-d Liv. II.
ch. 1 2. & I 3. Il n'y avoit que le fcul Sacerdoce
qui exemptât honorablement de la Milice ceux
qui avotent atteint l'âge oii l'on portoit larol^e
virile. Tacit. Gcrm. 13. M. Pelloutier avou«
lui-même, ci-d. §. 5. que les Druides étoient
déchargés de la frofeSion des ttmes. Neicde l'£dm
(l 50 Ci-d §. 5 not. < z. -
(>$■] C'ell là l'origine des affiliations, par
lefquelles des Laïques deviennent Membres d'un
Ordre Religieux; moyen mis en pratique par
des Moines ambitieux, pour fe mcier de tout
dans les Etats.
(ijz) Csfu I. ). IC.
lilieu Je
c!-aq'-ie Pea-
H'e I m Pape
i'iiiiiati ou
S u/.raia
l'en if;.
283 HISTOIRE DES CELTES,
Fergobru (153). Il ne lalfToit pas de prendre auffi le titre de Druide (i 54),
Au moins, Cicéron introduit fon frère Quintus qui avoit été, dans les
Gaules , parlant de cette manière (155) : » Les Barbares mêmes n'ont
»pas négligé cette forte de divinations. Elle fait dans les Gaules l'é-
» tilde des Druides, entre lefquels j'ai connu Divitiacus , Eduen, votrç
» ami & votre admirateur , qui fe vantoit de connoître cet ordre de
»>Ia Nature, que les Grecs appellent Phyfiologie , & qui prédifoit l'a-
» venir , en partie par les aufpices , en partie par les conjeftures.»
ïiy avoit, au g. XVI, Le Sacrifica>eur dii Sanftuaire où fe tenoit l'Affemblée géné-
rale d'un Peuple, étoit le fouverain Pontife du Pays, &, en cette qua-
lité , il avoit infpeûion fur tout le Clergé des diflcrens Cantons. On a
vu que Zamolxis (156), Dicenéus & Comoficus remplirent, en di-
vers tçms , cette dignité parmi les Gétes. On a remarqué auffi que les
Bourguignons avoieqt leur grand Sacrificateur , qu'ils appelloient i"/-
/z///k5^ (157). Sans favoir quel nom lui donnoient les Gaulois , on peut
afiiirer qu'ils en avoi.^nt un. Jules-Céfar le dit formellement ( 158):
«Tous les Druïdps obéiflent à un Chef qui a fur eux une autorité fu-
wprême. Vient -il à mourir , ôc , parmi les Druides, fe trouve-t-il
«quelqu'un d'un mérite fupérieur , il lui fuccéde : s'il s'en trouve pkn
>j fleurs d'un mérite égal, il eft élu par le futfrage des Druides; quel-
»' quefois la place eft difputée par les armes. »
Selon les apparences , depuis que les divers Peuples des Gaules fe fu-
rent réunis pour mieux réfifter à un ennemi commun, le fouverain Pon-
tife du Peuple, auquel ils avoient déféré le commandement & le droit
d'aflembler les autres, ou le Sacrificateur du Sanâuaire dans lequel fe
tenoit l'Affemblée générale, l'un ou l'autre s'étoit érigé en Pape ou Pri-
mat des Gaules , & avoit été reconnu pour tel par tout le Clergé de ce
vafte Pays ; Preœjl uniis , tjui fummam hiter eos liabet autoriiatem.
Ce Primat s'éiifoit ordinairement par les fiïffrages des autres Druides,
(iSî) Virg OU F'rgtn , clieï les Allemands ,
lignifie rendre ItjuJUce , & OOrci OU Obreft , veilt
dire premier ou ffiuvevain. Le Vcr^obret ç'toit donc
le fufréme 14''g'flrai des Edteni Note de l'Edit
{154) Il me femble <]ue Divitiacus etoit le
Irétre des Eduetis. Cice'ron lui fait exercer
toutes les fondions qui e;oienî refctve'es cx-
yteffement aux Devins. Les Prêtres Gjulois
mitoient-ils fouffeit qu'un ^.sjqiie fç fut »inû
arroge' les fondions du miniftcrc facre? J'aî
peine à le croire. Les Sacrificateurs ' ruïdcs
n'ctoient pas moins jaloux de leurs fondions
que notre Clergé. Noie de l'Editeur.
(i 5 s) Ci-d. §. ». not. 58.
(is*) Ci-d. §. 1 1. not. 104 §. II. not. 117,
ItS. 1Î9.
(i 57) Ci-d. 5. Jî, ii.'^: izS,
(l58)CcfirVI, u.
qui
L ï V R E IV, CHAPITRE IV. i?9
qui le clioififfoient toujours dans leurs propres Corps : Suffragio Drui-
■dûm adUgitur. Il étoit arrivé quelquefois qu'un Druide, d'un mérite
fupérieur , avolt été élevé à la dignité de fouverain Pontife, fans être
affujetti à la formalité de l'éledioh : Si quis ex rdiqtiis excdlit digrzitate^
fuccedit. Mais, comme cette fopériorité n'étoit pas toujours reconnue .
par les autres afpirans , il étoit inévitable qu'il en réfultât un grand in-
convénient : Quelquefois La place fe difpute auffi par les armes. Des Druides
ambitieux , entêtés de la fiipériorité de leurs talens , prenoient les
armes , pour emporter par la force utie charge qu'ils croyoient mériter
préférablement à tons les autres concurrens. Mais cette guerre étoit bien-
tôt terminée ; elle fe décidoit par le duel. C'efl le fens naturel de ces pa-
roles de Jules-Céfar : De principatu armis contendunt. Le duel étoit, com-
me on l'a montré ailleurs ( 159), la manière de procéder des Celtes, qui
croyoient que tout appartenoit au plus fort, & que la décifion qu'on^
obtenoit par le fort des armes , étoit l'ouvrage -de la Providence, le juge-
ment de Dieu même.
Cette manière de parvenir à la dignité de Souverain Pontife ne
^oit point nous furprendre ; elle étoit fondée fur les principes d'une
Nation guerrière , barbare & fuperftitieufe. Mais , quel ne doit pas être
i'étonnement de ceux des Nations infidèles , qui lifent l'Hiftuire des
Nations Européennes , de voir les Pontifes d'un JDieu de paix , les
Miniftres d'une Religion qui ne refpire que fainteté & charité , armer
toute la Chrétienté, & folliciter les Fidèles à s'égorger , les uns les au-jte
très , de les voir fe mettre eux-mêmes à la tête des armées ? Et fe
trouveroit-il , de nos jours , même parmi les Catholiques - Romains ,
<juelqu'ame aflez féroce pour ne pas frémir en entendant raconter
tous les maux qu'occafionna le grand fchifme d'Occident ? Jettons un voi-
le fur les aborhinations qui furent commifes par les conlendans à la
Papauté Romaine. Les Druides qui prétendoient au rang fuprême , n'é-
toient ni aufîi cruels , ni aufli impies que les Alexandre VI &; les
Urbains VI. Us n'avoient recours ni au poifon , ni à la trahifon ; ils
ne détruifoient point les Sanftuaires de leurs Compétiteurs , ils ne ven-
doienî point les chofes facrées & ne faifoient point de leurs querelles
particulières des guerres civiles qui portoient le fer & le feu dans tou-
* " ' ' I I » Il I . » ■ I m
(159) Ci-d. Liv. II. ch. II. p. ilj,
Tomi 11, O o
aço HISTOIRE DES CELTES,
tes les parties de la Nation. Leurs prétentions étoient bientôt déci-
dées : un combat en champ clos faifoit connoître celui qui étoit le plus
digne d'être revêtu du Souverain Pontificat : Dt Principatu armis con-
tendunt.
Soumis à un feul Chef , le Clergé des Gaules fe réuniffoit d'une
manière encore plus étroite par des Aflemblées générales , dont Jules-
Céfar fait mention (169) : » Les Druides s'aflemblent dans une cer-
« taine faifon de l'année , dans le Pays des Carnutes , que l'on tient
» pour le milieu des Gaules. Ils s'affeyent là dans un lieu confacré.
» Tous ceux qui ont des différens y accourent de toutes parts, & obéif-
» fent à leurs décilions .•. Ces paroles femblent infinuer que l'on avoit
choiii pour le lieu de rAflemblce un Sanûuaire du Pays de Chartres , non
parce qu'il étoit le fiége du Primat , mais à caufe de fa commodité, puif-
qu'il étoit fitué dans le milieu des Gaules. Quoique cette Affemblée fut
proprement une Cour de Juflice (161), il ne faut pas douter que les
Druides ne profitaffent de l'occafion pour délibérer de leurs propres
affaires, & pour cimenter une union qui contribuoit beaucoup à affermir
leur puifTance & leur autorité.
Il paroît , par ce détail, & par ce qu'on a dit ailleurs (161) , des ri-
cheffes & de revenus des lieux confacrés , que les Druides formoient
dans les Gaules , un Corps diftinfl: & féparé , qui étoit compofé d'un
certain nombre de familles , avoit des biens & des poffefîions inalié-
guiables , étoit gouverné par fes propres Chefs , & avoit , en même
tems , fa Jurifdiâion & fes AfTemblées particulières. Il ne faut pas
être furpris que , lorfque le Chriflianifme s'établit dans les Gaules,
les chofes ayent été laifTées , à certains égards , fur le même pied. Le
Clergé Chrétien y trouvoit fon compte , & le Peuple qui avoit re-
gardé comme un facrilége de toucher aux biens de l'Eglife Payenne, dût
confentir fans aucune peine, qu'ils fuffent dévolus au Clergé Chrétien.
Prîviiégos §. XVII. Il faut dire encore un mot des Privilèges , dont le Clergé
le" cie°rgé dé! jouifToit parmi les Peuples Celtes. Quoique les Eccléfiafliques formaf-
PeupiesceU ^^^^ ^^^ l'Etat UH Corps entièrement féparé de celui des Laïques ,
cela n'empêchoit point qu'ils ne fuffent eux-mêmes Membres de l'Etat,
(ko) C«f»lVI. IJ.
(t«l)Ci-d. $. II.
(Kl) Ci-d. ch. a. s. a (• S( fuir. ,
LIVRE IV. CHAPITRE IV. ±91
& qu'ils ne tinffent un rang confidérable dans la Société civile. Par
exemple , on a vu (163) qu'ils entroient dans le Confeil des Prin-
ces, & qu'ils en dirigeoient toutes les opérations ; que l'Affemblée gé-
nérale (164) ne pouvoit ni délibérer fur un projet, ni l'exécuter fans
leur avis; qu'ils étoient chargés (165) de maintenir l'ordre dans cette
Affemblée ; qu'ils jugeoient ( 1 66 ) de la plupart des différens qui s'éle-
voient , non - feulement entre les particuliers , mais encore entre les
Peuples entiers; que la difcipline (167) qu'ils exerçoient , leur don-
noit le pouvoir d'exclure un homme de tous les bénéfices de la So-
ciété civile. Il n'eft pas difficile de comprendre , après cela , qu'ils dé-
voient occuper un rang proportionné à l'autorité dont ils étoient
revêtus , & aux richeffes qu'ils poffédoient.
EfFeftivement , la Dignité de Sacrificateur étoit très-illuftre parmi Le eorps en-
les Celtes. Le Souverain Pontife (168) avoit le front ceint d'un Dia- "voitieplf
dême; ordinairement il étoit, après le Roi , la première perfonne de i;^!^ '» î^'^'''"='-
l'Etat , & le corps entier du Clergé avoit le pas fur celui de la Noblefle.
Cela eft clair par rapport aux Gétes. Nous apprenons de Jornandés (169),
que » Dicenéus choifit pour le Sacerdoce , la Noblefle la plus diftin-
H guée de la Nation , & qu'il donna aux Sacrificateurs le nom de
«Mitres, Pilead , parce qu'ils portoient des efpéces de Mitres pendant
♦» le tems des Sacrifices , opertis capitihus , tiaris , Ikabant. A l'égard du
w refte de la Nation , il ordonna qu'on appellât les Laïques chevelus ,
»» capillatqs. Les Goths ont tenu ce nom à fi grand honneur qu'ils en
M font mention , même aujourd'hui , dans leurs cantiques «.
Les Gétes & les Goths , qui étoient leurs defcendans , fe fai-
foient un honneur de porter le nom de CapiUati , parce que c'étoit un
titre de NobleflTe , comme on l'a montré ailleurs (170). Mais le nom
de Mitres , Pileati , qui étoit propre aux Sacrificateurs , marquoit une
condition fupérieure à celle de la Noblefle. On le voit dans ce que
difent les Hiftoriens , que Decebalus , Roi des Gétes , pour obtenir
la paix de l'Empereur Trajan , lui envoya ( 171 ) d'abord de fimples
(i«}) Ci-d. $. II. not. 11+. iz«. izy.
(1*4) Ci-d. %. 1 1. not. 119.
(165) Ci-d. ch. II. $. 31. not. 245.
(i$<] Ci-d. $.11. not. 103.
{l<S7) Ci-d. $. ii.St ch. II. $. }i.
(i<«)Sttab»XI. p. soj.XII. pag. }3J. JS7'
Viyti, aulfi ci-d. $ il. not. I2fi.
( i<9) Jornand. cap. 1 1.
(170 Ci d. Li». II. ch ». p. T7«. not. i*.
(171) Theodof. Exceipt. ex Dion. Cafl". lib.
LXVIII. p. 77]. Fetius patiitiui in excerpcLe:
gat. pag. 24.
la fumillc
Sacctdiit.ili.-
rcoi' ex n-p-
ic de loiucs
fones de
292 HISTOIRE DES CELTES,
Gentilshommes , Comatos , & enfuite des Sacrificateurs , Piteatos ;
qui étolent les perfonnes les plus diflinguées de la Nation.
Le Clergé , avoit , fans doute , dans lès Gaules , le même rang
qu'il occupoit parmi les autres Nations Celtiques, Jules-Céfar , par-
lant des deux Clafles de gens notables que l'on voyoit de fon tems
dans les Gaules, nomme (171) les Druides avant les Chevaliers, &
tout ce qu'il dit , dans le même endroit , de l'autorité dont ils étoienî
revêtus , & de la confidération que l'on avoit pour eux , infinue claire-
ment qu'ils, avoient la préséance fur tous ks autres Membres de l'Etat.
Outres les honneurs du rang , 1-es Druides des Gaules étoient encore
en pofTeffion de deux autres Privilèges, bien plus réels ôc bien plus
confidérables. Premièrement (173), ils ne payoicnt aucune des taxes
auxquelles les Laïques étoient impofés , &: joiiiffoient d'une entière .
immunité. Cette immunité des Druides confiftoit en ce qu'on ne pou-
voit mettre aucune taxe , ni fur leurs perfonnes , ni fur les terres
qui leur appartenoient , ni fur les différentes chofes dont ils pou-
voient avoir befoin pour leur entretien. Le Privilège étoit affurément
très-confidérable dans les Gaules , oii la Nobleffe, qui s'étoit emparée
du Gouvernement (174), ^ccabloit le Peuple par des impôts exceffifs.
Mais on i'auroit compté pour rien dans les autres Pays de la Cel-
tique (175) r o\i tous les autres Membres de l'Etat, depuis le plus
grand, jufqu'au plus petit, jouiffoient d'une parfaite immunité, fans
qu'il fût permis, ni à la Nobleffe , ni même aux Rois , d'imposer aucun,
tribut à des perfonnes libres.
El!,; étoit dif- L'autre Privilège dont les Druides jouiffoient (176), c'efl qu'ils ri a-
ri'â'guf"='i ^'"^'^^ P"-^ coutume d'aller à la guerre. Au lieu que les Chevaliers (177) y
'^m-J^lThon alloient tous , & n'avoient point d'autre profeffion que celle des ar-
nouvc'L dans jjjçj ^ [çg Eccléfiaftiqucs étoient difpenfés de les porter. Mais, il paroît
très - vraifemblable que cette exemption étoit une chofe. nouvelle y
ou , au moins,' peu ancienne dans les Gaules (178), lorfque Jules-
Céfar écrivit fes Commentaires. Il y avoit déjà du tems que les Gau--
(l72)Ci-d. §. I 5. not. 147.
(-lysici-d. §. 1 5. not. 148.
(174 Cifar VI 13.
(17 s) Ci-d. Liv. II. ch, i s. p. îj j.&fiiÎT,
(17*; Ci d. §. is-not. M8.
(177) Cïfar Vf. 15.
{17 s) Jcpenfe , au contraire. (}ue, de tout
tems, les Prêtres des Celtes avoient ete' exempts
de la Milice. J'aurai occafion de le pioUTcr.
Vtjiz. ci-U- not. 14^. îîiittde l'SdiifHT,
LIVRE ÎV. CHAPITRE IV. 293
lois commençoient à fortir infenfiblement de la barbarie par le com-
merce qu'ils y avoient , tant avec les Grecs établis à Marfeille , qu'a-
vec les Romains qui étoient maîtres de la Province Narbonnoife.
Adoptant peu à peu des coutumes étrangères , ils fe conformèrent à
luCage des Peuples policés, qui 'difpenfoient leurs Sacrificateurs d'al-
ler à la guerre & de fe battre contre l'ennemi. Selon les apparences ,
les Druides acceptèrent avec plaifir cette immunité , parce qu'elle les
mettoit en état de s'établir pour Juges &C pour Médiateurs des ditférens
que les Peuples avoient les uns avec les autres.
Au refte , ce qui fait juger que cette Loi, qui exceptoitjes Druides
de prendre les armes pour la défenfe de l'Etat , étoit nouvelle dans
les Gaules, c'eft 1°. qu'il n'y avoit rien dans la Religion des Celtes qui
dût difpenfer les Eccléfiaftiques d'aller à la guerre (179). Miniftres d'une
Religion qui faifoit regarder la bravoure comme le feul chemin de la
gloire fie du falut , il étoit jufle que les Druides qui recommandoient
continuellement cette vertu, en donnaient eux-mêmes l'exemple. Les
exempter de la Milice, c'eût été leur fermer, en quelque manière, l'entrée
du Falhalla , du Paradis , où perfonne n'entroit que par une mort
violente , %i. où les places les plus diftinguées étoient pour ceux qui
périfToient dans un champ de bataille
z". Jules- Céfar s'exprime d'une manière qui femble infinuer que ce
n'étoit pas une chofe fans exemple , de voir des Druides faire le métier
de foldats ; il femble dire que tous ne fe prévaloient pas du Privilège
qui les exemptoit du fervice de la guerre. » Les Druides , obferve-t-il ,
« ont coutume de ne point aller à la guerre, parce qu'ils font exemts
» de la Milice » A bdlo ahejfe confueverunt . . , , Militice vacationcm im~
munitattm habcnt (180).
3*'. Le même Hiftorien dit (181) que » les Druides difputent quel-
» quefois par les armes la' Dignité de Souverain Pontife « : Nonnun-
(179) Occupes fans cefle du foin de décou-
viit la volonté de l'Etre fuprême par toute
forte de divinations , de pe'netrer les Myftères
de la Religion , de s'inftruire des Dogmes
de la Morale 8c de la Phyfiologie , d'ap-
prendre toutes ces Sciences aux jeunes gens qui
étoient dellinés au Sacerdoce , C^ de juger les
ilififcrens qui étoient portes à leurs Tribunaux,
Ibit pour Us caufes de Religion, foit pouc les
querelles domeftiques des Laïques, comment
les Druides auroient-ils pà faire profeflion des
armes ? Il eft bien plus croyable que les Prê-
tres ne fe rendoient au camp que pour y faire'
les facribccs accoutiime's, 8c pour animer U»
Guerriers au combat. Note de l'Editinr,
(i8o)ci-d.§ i5.not. t^S.
(iSiJ Ci-d. §■ iS, not. ij8>
»94 HISTOIRE DES CELTES,
quam etîam de Principatu armis conttndunt.. C'eft une preuve qu'ils ma-
nioient les armes. Or , il n'eft giières vraifemblable que des gens qui
confentoient de fe battre avec des concurrens , fe fiffent un fcrupule
d'en venir aux mains avec des ennemis (i8z).
4*^. Enfin ma grande raifon , c'eft que parmi tous les autres Peuples
Celtes , les Sacrificateurs alloient à la guerre , & s'en faifoient un hon-
neur. Par exemple , on a vu qu'il y avoit des Peuples Thraces (183) *
au milieu defquels c'étoit une chofe établie , que l'armée fût toujours
commandée par le Sacrificateur de Junon (184), c'eft -à -dire, de la
Terre. On vient de montrer (185) que les Goths donnoient à leurs Sa-
crificateurs le nom de Mitres , parce qu'ils portoient fur la tête une
efpèce de Mitn ou de Tiare. Ceux que Decebalus envoya à Trajan
pour lui demander une entrevue (186), » ayant été introduits auprès
» de l'Empereur , jettèrent leurs armes à fes pieds , & fe profternerent
«en fa préfence«. Ils portoient la mitre àcVepée^ parce qu'ils étoient,
en même tems , Sacrificateurs & gens de guerre.
Cet ufage étoit fi ancien & fi généralement reçu dans toute la Cel-
tique , que le Clergé chrétien fut obligé de s'y conformer pendant
plufieurs fiécles. Du tems de Charles-Magne (187), les Eccléfiaftiques
alloient à la guerre , tant dans le Gaules , qu'en Efpagne & en Italie.
Cela fe pratiquoit ainfi en conféquence d'une coutume qui avoit été
apportée dans les Gaules par les Francs , en Efpagne par les Vandales ,
(1*2) J'avouerai volontiers que ce n'e'teit
point par fcrupule que les Prêtres des Celte»
n'alloient point à la guerre 5 j'accorderai aufli
que les Druides qui fuivoient les arme'es pour
faire les facrifices d'ufage avant que l'aftion
commençât , faifoient leur devoir aufli-bien
que le» Guerriers 8c n'etoicnt point fpedateurt
oiûfs ; mais je foutiens , en même-tems , qut
les Druides n'alloient à l'armée que comme
facrificateurs , & qu'il n'y en alloit que le
nombre ne'ceflaite pour faire Us facrifices &
les autres fondions du miniftère EccleTuftique.
Voj. ci-d.not. 149. 17». 179. Kme it l'Edittur.
(ilî) Folyœn. lib. VII, cap. it.
(184) Folyen rapporte que le facrificateur
lie Junon étoit en même-tems le Chef, le Sou-
verain de» Cerr<éniens & des Sycaboës, Peuples
TllfïÇf S. £r(u lii Dhk & Suçtri» CcfiHfM, Mais ,
quand ce premier Prêtre n'auroit pas ^t^ m
même tems le Souverain , on ne pourroit pas
conclure que les Prêtres des Celtes faifoient ,
comme les autres , profelfion des arme» , & fc
trouvaient , comme eux, à l'armée pour combat-
tre les ennemis. On a vu fort fouvent des Prê-
tres i la tête des Armées Chrétiennes. Ncte it
l'Editeur.
(i»s) Ci-d. not. iSs.
fias) Theodof. excerpt. ex Dion. Caff". lib.
LXVIII. pag. 773. Petrus Patritius in esceipt.
Légat, pag. 14.
(i«7) Capit. Carol. M. Se Ludovic! Piî
Tit. 103. pag. io(S4. On voit dans les Loix def
Vifigoths, que du tems du Roi Vamba, c'eft-i-
dire, vers la fin du VIP. fîécle , tous les Ecclé»
fiaUiques étoient obligés d'alleC à la guciIC»
lib.U. Tit. S. p. J8(.
L I V R E IV. C H A P I T R E IV. 295
les Suèves & les Vifigoths , èi. en Italie par les Oftrogoths & les
Lombards.
Il efl vrai que dès l'an 741 , le Clergé ( 1S8) avoit été difpenfé de
porter les armes par un Décret donné à l'inftance du Pape Zacharie.
Mais ce Décret fut long-tems à être mis à exécution , aufîibien que les
autres (189), qu'on donna depuis fur le même fujet. Toutes ces con-
tradiâions qu'éprouva la Loi qui difpenfoit le Clergé du Service mili-
taire, proviennent (") de ce que bien des gens fe perfuadoient que l'on
dérogeoit à l'honneur des Eccléfiaftiques , en les difpenfant d'aller à la
guerre. C'eft ce qui efl remarqué expreffément (190) par les Capitulaires
de Charles-Magne & de Louis le-Débonnaire.
Avant que de quitter cette matière , il faut remarquer en deux
mots , que la conftitution du Clergé étoit la même parmi les Perfes ,
que parmi les Celtes. Le Sacerdoce étoit entre les mains des Mages
(191). C'eft le nom que l'on donnoit à certaines familles confacrées,
qui ne fe mêloient point avec le rafle de la Nation , & qui avoient leurs
biens , leurs terres , leurs habitations , & leur manière de vivre par-
ticulière. Ces Mages avoient leurs AfTemblées (191) , leurs Confé-
rences comme les Druides , & un Chef, Pape ou Souverain Pontife ,
que Sozomene appelle le Grand Archimage ( 193 ). Ceux qui voudront
en fçavoir davantage, fe donneront la peine de confulter Meflieurs le
Clerc (194) & Brucker (195), qui ont ramafTé avec beaucoup de foin,
tout ce qu'on trouve dans les Anciens fur le fujet des Mages.
§. XVIII. Les femmes des Sacrificateurs partageoient avec leurs maris te» femmei
la plupart des fondions du Sacerdoce. En premier lieu , elles avoient teuis pitt»-"
le droit d'offrir des facrifîces , & même les viûimes humaines. On l'a fux'ic" f*'"
vu dans ce que nous avons dit (196) des Prêtreffes Cimbres, qui égor- c^doce^EUei
ofFroicnu dc<
*" Eiciificcs.
(its) Capit. Carol. M. ibid. p. 921.
(itsi) Capit. Caiol. M.ScLudov. Piiiib.TII.
Tît.$i. p. loii. Tit. 103. p, io<4.
( * ) Les Piélats 8c les Abb^s qui avoient de
Taftes polTcinons ctoient , fans doute , obliges
d'allei i la guérie , pour y commander leurs
Taflauz i mais il ne patoît point que tous les
Itiniftres de l'Eglife indifféremment, fuflcnt
obliges de porter les armes. Hott de l'£dii.
( lyo) Capit. Car. M. 2c Lad. Fii, Tit. $4.
( i>i ) AnuB. Maiccll. lib. XXIII. cap. «,
pag. 373. 374- 37S- Clem. Alex. Strom. lib. VI.
pag. 6}i, Solin. cap. $;.
(1S12) Ci-d. §. 8. not. r«.
(193) Af«j»Kj Arihima^ui, Soxom. lib. II.
cap. u.
(194) Cletici Hiilofophia Tom.II. p. iS6.
(195) ïruckeri Hift. Philofophica Tom. I.
pag. 1 19-1 Z4, de l'Edition Allemande ,Si T. I.
pag. 16 2-1 £4. de l'Edition Latine.
(196) Ci-d. ch. II. $, 24. not. if^
ipô H I s T O I R E D E s C E L T E s,
geoient des prifonniers Romains , & qui fondoient leurs divinations
par rapport aux fuccès de la guerre , fur la manière dont elles voyoient
couler le fang de ces malheureux. Plutarque remarque auffi que , dans
la guerre que les Romains eurent à foutenir contre les Gladiateurs
(197, qui étoient prefque tous des prifonniers Gaulois , Germains &
Thraces, un corps de troupes (198:) que Crafliis faifoit marcher fecrette-
nient, fut découvert par des femmes qui facrifioient à -la tête du camp
ennemi.
Tacite , rapportant une bataille que Suetonlus Paulinus gagna dans
la Grande-Bretagne , l'an 61 de J. C. contre les Habitans naturels du
Pays, dit encore (199) «qu'on voyoit courir au milieu des rangs
>♦ ennemis , des femmes qui reffembloient à des furies. Elles étoient
» vêtues de noir, avoient les cheveux épars, & portoient des torches
» ardentes. Des Druides qui tenoient les mains élevées vers le ciel, &
» prononcoient des imprécations contre les Romains, étoient autour
» d'elles ».
M. Key {1er juge avec beaucoup de vraifemblance , que (aoo) ces
femmes étoient les Prêtreffes qui accompagnoient les Druides, pour
dévouer l'armée ennemie par des imprécations & des cérémonies ma-
giques, dans lefquelles on employoit toujours des torches ardentes.
A la vérité , les femmes des Sacrificateurs étoient chargées principa-
lement en tems de guerre d'offrir des facrifices ;,m3is c'étoit , félon les ap-
parences, parce que leurs maris , obligés de porter les armes contre
l'ennemi , étoient occupés ailleurs. Les paffages qu'on vient de citer
l'infinuent affez clairement. Mais on célébroit aufli en temps de paix , des
fêtes auxquelles les Prêtreffes feules pouvoient préfider , fans doute parée
que la folemnité n'étoit que pour les femmes. On en trouve un exem-
ple dans ce qu'Hérodote (201) rapporte du facrifice que les femmes des
Thraces & des Péoniens offroient à la Diane Royale, c'eft-à-dire , à la
Terre.
D'ailleurs, il y avoit des Sanûuaires oti les Prêtreffes feules avoient
le droit d'offrir des facrifices & de répondre de la part de la Divinité à
^"
(197) Plutarch. Craffb Tom. I. p. 547-548.
yaul. Diac. Hift. Mifcellan. lib. VI. g. 72. Orof.
jtH). V. cap, ^4. p. 31,1.
(j9*) flutatch. Ciaflb Tom.-I, p. 549.
(199) Tacit. Annal. XIV. 30.
(200) Keyfler p. 459.
(i*ij Ci-d. Lir. UI. cit. >.$.>. not. 59.
ceux
L I V R E IV. C H A P I T R E IV. 197
ceux ^ui venoient confulter l'Oracle. Par cette raifon , c'étoit un Prêtreffe
qui avoit l'intendance du lieu confacré & du Clergé qui y demeuroiti
On voyoit de ces Sanftuaires en Thrace (zoz). On en voyoit dans
les Gaules (203), &c il ne faut pas douter qu'il n'y en eût auffi dans la
Germanie. Tacite dit (104) « que les Naharvales montroient un bois
>» facré , révéré de toute ancienneté par leurs ayeux. Le Prêtre qui le
w deffervoit portoit un habit de femme ». Vraifemblablemènt il étoit
obligé de porter un habit de femme , parce qu'il tenoit la place d'une
Prêtreffe que l'on avoit dépoffédée (105) pour y fubftituer un Sacrifi-
cateur.
Les Peuples Celtes trouvoient , fans doute , dans leur Religion , des
raifons qui les déterminoient à employer tantôt des hommes & tantôt
des femmes au miniflère facré. Les deux grandes Divinités de ces Peu-
ples , auxquelles ils rapportoient l'origine de toutes chofes , étoient
Tew, l'Efprit univerfel, & la Terre, qu'ils appelloient fa femme. Ilfemble
qtie Teut avoit des Sacrificateurs , & la Terre, des Prêtrejjes. On trouvera
dans le Chapitre VIII du Livre précédent , plufieurs chofes qui fervent
à confirmer cette conjefture. Par exemple, il y avoit dans le Temple
de la Diane Taurique (206), un Sacrificateur & une Prêtreffe. Le
Sacrificateiu" portoit le Nom du Dieu Teut : la Prêtreffe portoit celui de
(202) Herodot. VIT. 3- Le Sanftuaire etoit
confacré au Dieu fuprême que les Thraccs ap-
pclloienc Cotii ou S»hai.tus. Ci-d. Liv. III. ch, i $
$. 3. 8c fuiv. Les Grecs s'ctant imagines que ce
Siih<i7.im étoit leur Biechiis , o-nt appcllé'Ies Pré-
trefles de Sah*2.tus des Bucchtmes. Ainfî flutar-
quc dit de la femme du gladiateur Sparcacus
qu'elle étoit une Fraphc'effi & inffirce fur Bdc-
thiis. Plutarch. Craffo Tom. I. p. s 47.
{1°}) Ci-d. Liv. III. ch. z. $. 1 z. not. izo.
le fuiv.
(404) Tacit. Germ.43,
(Z05) Cette raifontoe paroît pas trop admif-
fible. Par quel motif les Druides, en dépblfé-
dant une Prêtreffe , auroient-ils cru devoir s'ha-
biller en femme pour occuper fa place ! Au-
roient-ils penfé qu'ils tromperoient la Divinité;
On ne pouvoir non plus tromper le Peuple. Un
liomme ed très-facile à diftinguer fous l'habit
4'une femme. D'ailleurs , le lecitde Tacite ne
Tome II,
me femble pas vraifcmblable. Un Druide Ger-
main auroit-il voulu porter l'habit d'une fem-
me? N'auroit-ce pas été, félon cette Nation
guerrière , dtihonorer fon fexe ? Tacit. Germ.
cap. 1 1. Au furpliis, un Peuple qui alloit jufqu'i
croire qu'il y avoit quelque chofe de divin dan»
les femmes, & qui prenoit leurs réponfes pour
des otaclcs (Tacit. Germ. 8.), aiiro:t-il fouf-
fert qu'on eût dépotrédé une Piîtrefle pour lui
fublUtuer un facrificateur ? Enfin .Tacite avoit, -
fans doute, oublié que, félon qu'il venoit de
le rapporter o l'habit des femmes Germaines
» éioit le même que celui des hommes » : N««
nliui fiminii ijuàm vtris hthitui. Tacit. Germ. ty.
Cela pofé , comment l'Hiftorien Romain pou-
voit-il dire que le Prêtre d'A'cis ftrtjit un habit
i de femme > Certainement Tacite étoit mal 1^
; formé. Noie de l'Editeur.
(zo6j Ci-d. Liv. III, ch. ». §. 10.
PP
tes femme»
des Sacrifica-
teurs s'attii-
biioient le
don dt deri-
ner.
198 HISTOIRE DES CELTES,
la Terre , que les Scythes Orientaux appelloient Opis , Apia. , Ipki &
Iphianajfa.
Cependant, quelque plaufib'ie que paroifTe cette conjedure, elle n'eft pas
fans difficulté, parce qu'on ne voit point, fur cet article, d'uniformité
entre les Celtes. Le chariot fur lequel ces Peuples promenoient tous
les ans le fuiiulacre de la Terre , étoit conduit en Germanie par un Sacrifi-
cateur, en Thrace par des Vierges , ôc en Phrygie par des Prêtres que
l'on appelloit Galti. Il faut donc s'en tenir à cette remarque générale ,
qu'il y avoit dans tous les lieux confacrés, des Prêtres & des Prê-
treffes qui fe partageoient les fondions du Sacerdoce ; des Sanûuaires
dans lefquels le Clergé étoit fournis à des femmes : il y a toute apparence
qu'elles doivent cette prérogative à quelque Prêtreffe , qui s'étant rendue
célèbre par fes prophéties , avoit acquis à fon fexe le droit de préé-
minence.
EfFeûivement , les femmes des Sacrificateurs Celtes étoient fi fort
expérimentées dans les Divinations , que le Peuple les confultoit fouvent
de préférence à leurs maris. Tacite dit à ce fujet, quelque chofe de par-
ticulier des Germains ( 107 ) : « Ils vont jufqu'à croire que ce fexe a
» quelque chofe de divin (2.Q.9) , & des lumières fur l'avenir. Dociles
» à fes confeils , ils les regardent comme des Oracles ». On a vu
ailleurs (209) , ce qui fervoit de fondement à ce préjugé , à la faveur
duquel on voyoit des femmes de tout état faire les infpirées & fe
vanter d'avoir des infpirations du Ciel. Il femble qu'on puiffe l'inférer
du pafTage de Tacite qui continue de cette manière (iio) : «Nous
» avons vu fous Vefpafien une Velléda ( z 1 1 ) , qui , depuis long-tems ,
(207) Tacit. Germ. !.
(208) «On croit, avec raifon, que ces de-
» vinereiTes Gauloifes & Germaines, nommées
» par les Latins fatidicœ , fiux & faix , font l'o-
» riginal de nos Fe'es; & leurs prétendus pro-
ndiges, le canevas de toutes les merveilles de
» la Féerie. Comme ces femmes paffbient pou'
» Itre doue'es de lumières furnaturelles , des
» Peuples groflîers en vinrent aife'ment à croire
» qu'elles pouvoient bien influer fur les e'vène-
» nemens qu'elles pre'difoient ; & de proche
» en proche, ils abandonnèrent toute la nature
» à leur difpoiîtion. Qui fait même fi les e'gards
» & le refpeft que notre Nation s'eft toujours
» piquée d'avoir pour Us femmes , n'eft pas en
» partie la fuite de cette efpèce de culte reli-
» gieux , que leur rendirent nos ancêtres les
» Germains Se les Gaulois; 8c C la pofleflioa
» où leurfexe s'eft maintemi, de donner le ton
» parmi nous , n'eft point un débris de fa pre-
» mière autorité î Quelquefois les ufages d'une
» Nation peuvent avoir une liaifon impercepti-
» ble avec des idées anciennes Se totalement
» oubliées! ce qu'on faifoit originairement par
» principes , on continue de le faire par habi«
» tude & par réflexion. » Kemarquts fur t» Germ.
de Txciie par M. l'Ahhé de la Bttitrie , f. Iî4.
(209) ci-d. Liv. m. ch. 4. §. 11. not. 4«.
(iio) Tacit. Germ. 8.
(ïii) C'étoit une fillt Bxuftèic de Nition,
L I V R E IV. C H A P I T R E IV. 199
»♦ paflbit dans l'efprit du plus grand nombre , pour une Divinité (212).'
» Avant elle , Aurinia &c d'autres encore s'attirèrent la même véné-
» ration des Peuples. Ce n'étoit ni politique, ni flatterie. Ils ne les re-
» gardoient point comme des Déeffes de leur façon ( 213 ) ». Le même
Hiftorien dit dans un autre endroit (214) : » Cette Velléda étoit une
» Vierge Bruûère , qui avoit une domination fort étendue. Les Ger-
w mains ont coutume de tenir la plupart des femmes pour des Pro-
» phéteffes; ils les regardèrent même comme des Déefles (115), lorfque
» la fuperllition s'en mêla. L'autorité de Velléda s'accrut alors , parce
» qu'elle avoit prédit aux Germains de bons fuccès &c la défaite des
» Légions ».
On pourroit regarder cette Velléda comme une perfonne qui , fans
être de race facerdotale, s'étoit érigée en Prophéteffe. On peut faire
venir à l'appui de cette conjeôure, un paflage de Suétone (i 16),, qui
dit que Vitellius écoutoit comme un Oracle , une Devinereffe du Pays
des Celtes. Elle lui prédit que s'il furvivoit à fa mère, fon règne feroit
long & heureux : ce qui le fit foupçonner ou d'avoir empoifonné fa
mère , ou du moins de lui avoir refufé les alimens néceflaires pen-
dant qu'elle étoit malade. Cependant il paroît vraifemblable que Velléda
étoit fille de Sacrificateur, D'un côté (217 ), on lui ofFroit de ces
préfens que les Celtes avoient coutume de dépofer dans les Sanftuaires.
De l'autre, après que Velléda eût été faite prifonnière , & conduite à
Rome, fa place (218) fut remplie par une Vierge nommée Ganna, qui
r
qui, du haut d'une tour élevée, ou elle vivoit
en reclufe , exerçoit , au loin , une puiffance
égale ou fupérieurc à celle des Souverains :
Ute imferiiihiti. On ne la confultoit que par l'en-
tremife d'un de fes païens , qui feul avoit le
privilège de lui parler. Elle eut beaucoup de
part au projet que forma Civilis , cet illuflre
Chef des Baraves , de chaffcr les Romains de la
Gaule. Les plus illuftres Guerriers n'ofoicnt
rien entreprendre fans l'attache de Velléda , 8c
lui confacioient une partie du butin. ( Voj. Ta-
cit. Hift. IV. 8c V. ) Stacc fSylv. I. 4.) nous ap-
prend qu'elle fut faite prifonnière par Ruffius
Gallicus & réduite à s'humilier devant la Ma-
jefté Romaine. Il paroit qu'on la conduifit à
Kome; 8c c'eft pour cela que Tacite dit : Ntui
fâvttu VHt, Remarq. fnr t» Germ. fur M, t'Ahht
il U Bleittrie ,f. I z ;.
(ziij Ci.d. Liv. III. ch. i+. §. 13. not, 1 17.
& fuiv.
(zij) C'eft un trait de fatite contre les apo-
théofcs des Empereurs. Les Romains avoient
peu de refpeft pour ces Divinités de nouvelle
«réition, qui n'étoient bonnes qu'à faire dou-
ter des anciennes.
(ii4)Tacit. Hift. IV. «r.
(X I s) Sur le fens de ces paroles , vtjex. ci-d,
lÂv, III. ch. 14. §.13. not. 1 17. 8c fuiï.
(116) Sueton. Vitell. cap. 14.
(117) Voyez, les notes 114. 8c 145.
(itR) Statius Sylv. lib. I. 4. v. 89. Theodof.
excerpt. ex Dion. lib. LXVIII, pag. 7*0, 7*1.
Suidas in 8Eia^«v7oi,
Pp»
300 HISTOIRE DES CELTES,
fut, dit-on (219), trouver Domitien & en fut reçue honorablement. Ceta
ne femble-t-il pas infinuer que les Bruftères avoient un Sanûuaire ,
dans lequel une Vierge exerçoit le Sacerdoce , & répondoit au nom de
la Divinité à ceux qui venoient confulter l'Oracle ?
Quoi qu'il en foit , il eft certain que les Germains avoient des Pré-
trefles auxquelles ils attribuoient le don de deviner. On l'a vu dans ce
que nous avons dit des Prophéteffes qui fuivoient l'armée des Cimbres ,
& dans ce que nous avons obfervé des cruelles Divinations qu'elles
pratiquoient. Jules-Céfar en fournit un autre exemple (,2.io) : «Il de-
» manda à des Prifonniers Germains pourquoi Ariovifte différoit de
»> livrer bataille ? C'eft , lui dirent-ils , qu'il eft d'ufage , parmi nous ,
» que les mères de famille s'affurent par la voix du fort & par les divi-
» nations , s'il eft avantageux ou non d'en venir aux mains. Elles
» ont déclaré que les Germains perdroient infailliblement la bataille,
» s'ils la hazardoient avant la nouvelle Lune». Plutarque & Clément
» d'Alexandrie (121), qui rapportent ce même fait, remarquent que
ces femmes étoient des Prètre{'[çs , facrœ muiieres , hiai ywcû'x.i;.
Il faut que les Gaulois enflent, fur cet article, les mêmes idées que Ta-
cite attribue aux Germains. Toutes les femmes Gauloifes fe mêloient de
deviner. Zolime rapporte (221) que »Magnence fe repentit de n'avoir
» pas fuivi les avis de fa mère qui lui avoit défendu de pafl'er en II-
w lyrie. Il étoit d'autant plus blâmable qu'en plufieurs occafions , il
» avoit reconnu qu'elle étoit une véritable Prophétefî'e ». La mère
de Magnence étoit Barbare (xi^) , comme dit Aurélius Viftor , c'eft-à-
dire , qu'elle étoit Gauloife , ou qu'elle defcendoit des Germains qui
s'étoient établis dans les Gaules. Ammien - Marcellin rapporte aufli
c[ue, lorfque Julien (l'Apoftat) fît fon entrée (224) à Vienne en Dau-
phiné , une bonne vieille , qui étoit aveugle , prophétifa qu'il releveroit
les Temples des Dieux.
Les Gaulois ajoutoient furtout beaucoup de foi aux prédirions de
leurs Prêtrefles; deforte qu'il y avoit des Sanftuaires où les divinations
étoient entre les mains des femmes. Pomponius Mêla afî'ure (225) qu'il
(il?) Theodof. excerpt. ex Dion & Suidij ,
ubi fuprk.
(lîo) Cifar I. 50.
(ïii) Plutarch. CzfareTom. I. p. 7i7,01em.
Alex. Strom. lib. I. cap. 1 5, p. 3 $o.
(aza) Zoilm. Itb, if., cip. ^6. p. 214.
(ï23) Aurel. Viiflor. Epit. cap. 55. Ca:far
eap. 41.
(124) Amrn. Marcell. Ub. XV. cap. ». p. jj.
(225} Ci-d. Liv. m. chap. I. §. la, Liv. IV.
chap. 4. §. j^not. 79,
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 301
y avolt dans une Ifle voifine des Gaiiles, un Oracle dont les PrêtrefTes
connoiffoient l'avenir & le prédlfolent à ceux qui paffoient dans Tlfle
uniquement pour les confulter,
La réputation des Prophétefles Gauloifes s'étoit fi bien établie , que
les grands Seigneurs & même les Empereurs paffoient rarement dans
les Gaules , fans y confulter une Dryade, pour être inftruits de ce qui
les attendoit dans l'avenir, & les Hiftoriens ont grand foin d'avertir
que les prédirions de ce? femmes s'accompliffoient exa£l:ement. Ainû
Lampride rapporte (216) que, lorfque l'Empereur Alexandre-Sévere
paffa dans les Gaules,pour repouflcr les Germains qui ravageoient ce
Pays , une Dryade lui cria en Langue Gauloife : « Allez ; mais ne vous
» flattez pas de remporter la viftoire, & ne comptez point fur vos Sol-
» dats». Vopifque (127) ditauffiavoir ouï raconter ;\ fon grand père , à qui
Dioclctien lui-même l'avoit avoué , que ce Prince fervant encore dans
les Ordres inférieurs de la Milice, conçut les premières efpérances de
fa fortune fur les difcours que lui tint une Dryade du Pays de Tongres
(du Pays de Liège). Elle lui annonça qu'il feroit Empereur, lorfqu'il
auroit tué Aprum. Comme Aptr veut dire en latin unfanglUr, Dioclétien
qui defiroit fort de parvenir à l'empire , fe mit à chaffer au fanglier;
mais fort inutilement. La prédiction ne s'accomplit que lorfque Dioclé-
tien tua à la tête de l'armée Romaine, le Préfet du Prétoire Arrius Aper,
qui venoit de poignarder fon propre gendre l'Empereur Numérien ,
pour fe faire proclamer à fa place. Vopifque rapporte encore (228),
fur la foi de Dioclétien , que l'Empereur Aurélien confulta les
» Dryades Gauloifes, pour favoir fi la dignité impériale refteroit long-
» tems dans fa famille. Elles lui répondirent qu'entre toutes les fa-
» milles Romaines, il n'y en auroit aucune qui fut plus illuftre dans
>» la poftérité , que celle de Claude ». Sur quoi l'Hiftorien fait cette ré-
flexion : «L'Empereur Conftance , qui règne aujourd'hui (*), def-
» cend effeélivement de Claude , & je crois que fa poftérité arrive in-
M fenfiblement à la gloire qui lui a été promife par les Dryades ».
Il eft vifible que Vopifque, qui étoit Payen, aiïefte de rapporter ces
oracles, pour faire voir que le Paganifme avoit eu fes Prophètes, auffi
Le! rrîrrcfÎJ»
Gauloilss ,
fur - rdiic ,
éc lien: ,ctlé-
brci.
(216) Lamprid. Alex. Sever- p. 102p.
(227) Vopifc. Numeiiano cap. 14. 15. pag.
7*3- 7i'4-
(22!) Vopifc. Aurelianocap. 44. p. 533. 554.
(*) Vers le commencement du IVe. ficelé.
30Î HISTOIRE DES CELTES,
bien que la Religion Judaïque &c la Chrétienne. Selon les apparences i'
c'étoit dans la même vue qu'il fe propolbit d'écrire la vie d'Apollonius
de Tyane , c'eft-à-dire , pour oppofer ies miracles à ceux du Fils de
Dieu. Mais cela ne fait rien au fujet que nous traitons.
Pour revenir à notre matière, les Prêtreffes avoient reçu le nom de
Dryades , parce qu'elles étoient de race facerdotale , & filles ou femmes
des Druides. Ainfi une infcription, trouvée aux environs de Metz (119),
porte :
£2).
C'eft-à-dire , « o^^Anu , Dryade & Prêtrefle , avertie par un fonge , a
>• confacré l'endroit où cette pierre étoit pofée , au Dieu des forêts &
» aux Nymphes du lieu ». On voit dans cette infcrition , c^viAreu étoit
non-feulement de la race des Druides , mais encore qu'elle étoit revêtue
du Miniftère facré. Elle étoit Antifiita , c'eft-à-dlre la Prêtrefle du
Sanûuaire (230), & en cette qualité, elle fe vantoit d'avoir des ré-
vélations.
ie< fernrei Enfin les Dryades fe mêloient de Magie, aufll bien que les Druides.
fe"n.cbicnt Pomponius Mêla , parlant des Prêtreffes de l'Ifle de Sayne , dont on a
çMjgie. déjà fait mention (131), dit (131) qu'on leur attribuoit le pouvoir
« d'exciter les vents & les tempêtes par leurs enchantemens , de pren-
(229) Ap. Gruter. p. %%. n. 9.
(230) Il me femble que ces mots Druis
AnTistixa fignifient quelque chofe de plus;
ce titie emporte une idée de fupe'riorité, & d^-
figçe une Frîtrejfe qui e'tpit à la tête de plulîeurs
Femmes Druides, celle qui e'toit la fupérieure
des Prctrefles du Sanftuaire. Naie de l'Edinur,
(il i) Ci-d. nqt. 23 $.
(232) Ci-d. §. «. not. 221. & Liv. IlI.cJl. ».
§. 12. &fijiv, \
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 303
n dre, à leur gré, la forme de toute forte d'animaux, de guérir les ma-
» ladies les plus incurables ». On a eu fouvent occafion de remarquer
dans ce Livre, & dans le précédent, que les Peuples Celtes croyoïent
de bonne-foi qu'il y avoit des Sorciers & des Sorcières : les Dogmes
les plus eflentiels de leur Religion (133) contribuoient naturellement
à les entretenir dans cette illufion. Il ne faut donc pas être furpris que
l'on trouve dans l'Hiftoire de ces Peuples , mille chofes qui montrent
jufqii'à quel point ils étoient entêtés du grand pouvoir de leurs Ma-
gicennes.
Par exemple, on difoit (134) «qu'il y avoit, dans la Scythie, des
» femmes dont le feul regard enforceloit & faifoit mourir un homme.
» Elles avoient deux prunelles dans chaque œil. On les appelloit les
n Byth'us (135). Dans le Pont, on trouvoit des. hommes qui avoient
» deux prunelles dans un œil & l'effigie d'un cheval dans l'autre.
«Ces Magiciens n'alloient point à fonds, lors même qu'on les jettoit
w dans l'eau tout habillés». Jornandès, qui étoit Chrétien, & même
Eccléfiaftique , raconte fort gravement (236) que « Filimer, Roi des
>» Goths , ayant paffé en Scythie avec fa Nation , trouva, dans fon armée ,
» de ces Magiciennes que les Goths appelloient Aliorumnas. Elles lui
» furent fufpeftes ; c'eft pourquoi il les chafla du camp. Ces femmes fe
» retirèrent dans un defert , & y eurent commerce avec ces Efprits im-
» mondes (237) qui errent dans les lieux inhabités de la terre. De ce
» commerce abominable naquirent des bêtes féroces qui ont formé la
(13 s) Les Dogmes /« flm ejfemiels de la Reli-
gion des Celtes étoient les Dogmes fondamen-
taux de toute Religion, l'exiftence de Dieu,
l'immortalité de l'ame , une vie avenir , un lieu
de récompenfes pour les bons 8c un autre pour
les méchans.... De pareils Dogmes conirihulnt-ili
tiMuriIUmeitt à faire croire aux Sorciers , à tnirt-
lenir l'Ulufion ? Ce ne furent point les Dogmes
lu fini ejfeniiih de la Religion des Celtes, mais
les fuperftitions que la fourberie y introduifit ,
qui firent croire à la Magie & au pouvoir
des Charlatans qui trompoient le Peuple. La
tncme fraude perpétua rillufioi». Non de l'Edit.
(z3+)Plin Hifl. Nat. lib. VII. 2. Solincap.y.
pag. 171. A. Gell. IX. cap. 4. p. 247,
(ij s) Voili nos Sorcières.
{tî6) Jotnand, cap. 24. p. «43,
(137 rlufieursTeres de l'Eglife ont expliqué
des Anges & même des Démons , le palTage de
la Genefe VI. 1. «Les enfans de Dieu voyant
» que les filles des hommes étoient belles , pri-
n rent pour leurs femmes celles d'cntr'elles qui
» qui leur avoient plu. » Koji»!, Eftius fur ce
texte. îioie de M. Pellautier. On lit tout de fuite
dans le même Chapitre de la Genefe ( verfet 4.)
que « depuis que les enfans de Dieu eurent
» époufé les filles des hommes , il en fortit de»
» enfans qui furent des hommes puiflans 5: fa-
rt meux dans le fic'cle.» Ne feroit-ce pas fur
l'abus qu'on fit de cette tradition , que fe forma
l'idée du prétendu pouvoir des Sorciers , & la
Fable qui les a fait naître du commerce de cer-
taines femmes avec les Démons ? H'it de CEdit.
304 HISTOIRE DES CELTES,
» barbare Nation des Huns ». Ce conte qai femble avoir été forgé
dans untems où les Goths avoient reçu le Chriftianifme (238), montre
combien ce Peuple redoutoit en môme tems &c les Sorciers & les Huns.
A la vérité, nous voyons par la Loi des Lombards (139), que la Re-
ligion Chrétienne a fait revenir les hommes des préjugés où ils étoient
fur ce fujet, & en particulier de l'opinion que des Sorcières dévoroient
un homme tout entier. Cela peut être vrai par rapport aux Lombards ;
mais il faut que les Francs, les Allemands, & divers autres Peuples
Celtes, qui obéiffbient à Charlemagne, foient revenus beaucoup plus
tard de cette illufion , puifque les çapitulaires de ce Prince (240) défen-
dent aux Chrétiens les fortiléges , les divinations, les enchantemens-,
6f d'autres chofes femblables. On voit mêmcv dans un de ces çapitu-
laires (241), que le^ Saxons pratiquoient un étrange moyen pour fe
préferver des enchantemens. Ils brùloient (24?.) la Sorcière , ôc en man^
geoient la chair grillée.
Les Prêtreffes des Celtes partageoient donc avec les Sacrificateurs,
I3 plupart des fondions du Miniftère Sacré. Elles offroient les facrifices ,
préfidoient aux divinations & exerçoient la magie. Par la même raifon ,
elles participoient à tous les honneurs du Sacerdoce. Nous lifons dans
Tacite ( 243 ) que Velléda exerçoit un empire abfolu fur l'efprit des Ger-
mains. Il faut même que fes avis décidaffent de la paix &c de la guerre ,
puifque (244) Céréalis ne trouva point de moyen plus propre pour
(23 8) Une partie des Goths embrafla la Re-
ligion Chrétienne du tems de l'Empereur Va-
lens. Socrat. VU. i. Ce fut dans le même tems
qi^'ils commencèrent à être pouffes parles Huns.
(239) Leg. Longob. lib. I. Tir. II. Leg. 9.
p»g. S3«- Les Francs croyoient auffi que les
Sorcières e'toient capables de dévorer un homme
vivant. Il n'en faut point d'autre preuve que la
Loi qwi ordonne que « fi une Sirix ou Strict eft
» convaincue d'avoir mange' un homme , elle
» foit condamnée à une amende de huit deniers
» qui font deux cent fols. » Leg. Salie, tit. 6j.
Lfg. 3. pag. 343. Les Saxons avoient le même
pre'jugé. Capit. Karol. M. de Partit. Saxon.
c?p. j. Labb. Tom. VII. p, iljz.Baluz. Tom. I.
pag. 25?. Keyfler p. 491.
(240) Capit. Karol. M. lib, I. tit. 6^. p. 233.
lib. li. ;«• II. paç- m- Leg. Vifigoth. lib. VI.
tit. 1 1. §. 3. Capit. Ludov. Pii Addit. II. tit. I8,
pag. 1 14s. Keyfler pag. 493. 494.
(241) Capit. Karol. M. de partib. Saxon, cap. j,
Labb. Tom. VII. p. J132. Ealuz. Tom.I. p. 2$I,
Keyfler p. 492.
(242) Ce pre'jugé s'eft perpe'tue' jufqu'à nos
jours. J'ai vu beaucoup de gens du peuple qui
pre'tendoient que pour guérir ceux qu'on dit
étreenforcele's.il falloir prendre un paquet d'une
certaine herbe qui fe trouve dans les près. On
l'attache dans la chemine'e au-delfus d'un grand
feu. Le Sorcier éprouve la même chaleur que
l'herbe ; & pour ne pas fe laifler brûler, eft
obligé de venir demander gtace , à conditioij
de défenforcelet le malade. Note de l'Editeur,
(243) Ci-d. not. 214.
(244} Tacit. Hift. V. ï4.
obliger
LIVRE IV. CHAPITRE IV. jof
obliger les Germains à demander la paix , que de gagner, fecrettement ,
Velléda. Le même Hiftorien remarque encore ( 145 ) que les Ubiens
remirent un différent qu'ils avoient avec les Tenôères à la décifion de
Velléda, qui, à l'exemple des Souverains, reçut la demande des Dé-
putés qu'on lui avoit envoyés, &C leur donna fes réponfes par l'entre-
mife d'un de fes parens , qui étoit , pour ainfi dire , le Miniftre & l'In-
ternonce de cette Divinité , ou plutôt de cette Prophéteffe. On trouve
même qu'on lui offroit des préfens, que l'ufage religieux avoit deftinés
pour les Dieux , & que l'on dépofoit dans les Sanftuaires. Tantôt on
lui envoyoit ( 246) une partie du butin &c des prifonniers qui avoient
été faits à la guerre, & même le Chef d'une Légion Romaine; tantôt (147)
le vaifleau du Capitaine , pris fur les Romains. Ces particularités prou-
vent , non-feulement que l'autorité du Clergé étoit la même dans les
Gaules & en Germanie, mais encore que les PrêtrefTes la partageoient par-
tout avec les Sacrificateurs.
§. XIX. Il faut dire préfentement un mot des noms que les Celtes don- Ut Gaulois
noient ;\ leurs Eceléfiafliques , de la manière dont ceux-ci étoient vê- dés 'peup^er
tus , ÔC enfin de l'abolition de l'Ordre , ou de la Sede des Druides, que J:^|^" /™;,,
quelques-uns attribuent aux Romains , quoiqu'il paroiffe plus vrai- '"""•^*^^'*;
femblable qu'elle tomba d'elle-même avec le Paganifme , lorfque la niiuc. infè-
. . / . . . r ' 1 tieur» , le
Religion Chrétienne fut triomphante dans toute la Celtique , fous les aomdeDr«i.
Empereurs devenus Chrétiens.
Perfonne n'ignore que les Gaulois donnoient à leurs Eccléfiaftiques le
nom de Druides. " C'eft ainfi , dit Pline (148) , qu'ils appellent leurs
» Mages , » c'efl-à-dire , leurs Savans , leurs Philofophes & leurs Sa-
crificateurs. Cluvier cite un ancien Gloffaire (149) , dans lequel on voit
que les Saxons qui avoient paffé en Angleterre, appelloient, en leur Lan-
gue, un Mage Dry. M. Keyfler a montré aufli par plufieurs paffages de
la verfion Irlandoife de la Bible , que (150) le mot Draoi , dont le pluriel
eft Draiothe , fignifioit dans cette Langue , un Magicien , un Enchan-
teur. Enfin , M. Rhotius , dans une Lettre écrite à M. de la Croze (z 5 1) ,
prouve , tant par la chronique de Norvège de Snorron Sturlœus , que
ies.
(145) Tack. Hift. IV. « $ .
(l4«) Ci-d. not. U4.
(»47) Tacit. Hift. V. 2 2.
^»4t) Ci delTous, note t(o.
Tomt IL
y*£'
(2*9) Cluver. G. A. p. 1*7.
(150 Keyfler Antiq. Septent. p. 17.
(251) Thefaur. Epift. la Crofianiui Tom. \
330.
5o(5 H I S T O I R E D E S C EL T. ES,
par d'autres autorités , que les Peuples du Nord appelloient leurs Sacri-
ficateurs Druter ou Drotter. Il femble que l'on peut conclure de-là que le
nom de Druides étoit alTcûé au Clergé , non-feulement dans les Gaules ,
mais encore dans la plupart des autres Pays de la Celtique. On peut ,
d'ailleurs , confirmer cette conjefture par un paffage de Diogéne-.
Laërce, qui dit 152.) «que les Druides ont enfeigné la Philofophie aux
» Celtes & aux Calâtes. »> Les Celtes , diftingués des Calâtes , font in-
conteftablement les Germains (z')3}. C'efl ainfi que , quand l'Auteur des
Philofophumenes dit (i54) que «Zamolxis enfeigna aux Druides les
» principes de la Philofophie Pythagoricienne , » il eft vifible que ces
Druides ne font pas ceux des Gaules, mais les Sacrificateurs des Cétes, qui
faifoient profcffion d'être les Difciples de Zamolxis (255).
oripinedu Savoir , après cela, quelle étoit proprement l'origne de ce nom de
des. lin dé- Druïdis , c'eft ce qu'il n'eft pas facile de deviner. Dans le fonds, lat
Grec. chofe paroît être de très-petite importance. Il n'eft pas naturel de la dé-
<i^o mj river du mot Grec (156) ^[Vi, Drys, qui fignifie un chêne. Il femble que
■■ '"Diodore de Sicile ait approuvé cette étymologie Grecque. S'il ne s'eft
pas gliiTé quelque faute de Copifle dans cet Hiflorien , il appelle les
Druides Sarvides (257) ou Saronides ( 1 j8 ) , & le mot de Xapanç com-
(251) Ci-d. §. 4. not. 255.
(1 S î) Ci-d. Liv. I. ch. «. Init.
(254) Ci-d Liv. m ch. 1 1. §. 2. not. 24.
,(255) Ci-d. §. 10. not. 91.
' (256) Ce n'eft pas fans laifon que Diogene-
Laërce s'eft moqué de ceux qui dc'tivoient le»
mots Celtes du Grec. Comment les Gaulois ,
au me'pris de leur Langue , auioient-ils été'
puifer chez les Grecs, fans favoii le Grec, les
gner. I! faut donc examiner , s'il y a , dans la
Langue des Celtes, quelque racine dont on puifle
avoir fait le mot de Druides, S'il n'y en a point,
il faut conclure que le nom de DruUei étoit
nouveau dans la Langue des Celtes , Se cher-
cher quel étoit le nom que ces Peuples don-
noient piimitivement à leurs facrificateut>..îfojF.
ci-dclTous , not. m. Non de l'Editiur. ■ Il •
2i7> Diod- Sic. V. 2' î. M. Bochan Geogl. S.
noms qu'ils dévoient donner aux chofes? Pline I qui fcmbleauflî s'être fervi de l'Edition d'Henrj
dit qu'il peut patoître que le nom de Druides eft j Etienne, i lu Zaprov/Vai C'eft ainfî que porte
Viçnu du Grec : «4 apfelUiiinterpreiaiint Gmci ' l'Edition de Rhodoitjan lib. V. pag. 308. Vojex,
HOSsrNT DrHii* videri. La conjerture que Pline
n'adoptoit même pas comme conjefture (ci-d.
not. iSo. iSi. ) ,. fut reçue comme une chofe
confta^ite par des Ecrivains qui le fuivirent
Uos critiques qui vont tout chercher dans le
Grec , ont auffi donné cette origine comme
te,rtaine. Mais une fimple réflexion la détruit.
Avant que d'avoir eu aucun commerce avec les
Nations étrangères , avant que d'avoir connu
W Grecs, les CeKes avoient , fans doute, des
Miniftres de leur Religion. Ils avoient donc
daas leur Langue, quelçjue nom pour les défi-
Frick p. .12. D'autres Ulent Zaftuiif as on caftv-
ytfas.
(ïSf) Diodpre de Sicile eJ: le premier qui
ait donné 3ux Druides le nom de Stritiidts, S'il
n'y a pas faute dans le texte , il l'aura fait, fan»
doute, d'après des Ecrivains Grecs qui croyoient
le nom de Druides dérivé du Grec. En fait d'c-
tymologies, chacun abonde dans fo« fens. C'eft
le ugement de St. Aug^iftin. Vi jomnierum in-
irrfretttio , il» verhirum ori^o frtiu-jufqfn infini*
frddieAiur. Note df y£diceac.
, ^:î V R E IV. iGÎHA^P I T ïl e: IV. 307
me ceïuî de Ap'^<, lignifie un chêne. Le favant Bcchart fouicrit à cette
étymologie. «Je fuis, dit-il (159), du fentinient de Pline , qui dérive
»le nom de Druide du mot Grec Dryos , ^?tcV. » Mais, d'un côté ,
Pline ne dit pas ce qu'on lui attribue» Le paffageque l'on peut voiren note,
porte fimplement (160) qvie « les Druides ayant Wfie gtandè vénéra-
wtion pour le chêne, on pourroit, fi l'on vouIoit( 161 ), donner au
» nom de Druide une étymologie Grecque , parce que Drys défigne
» un chêne dans cette Langue. » De l'autre, on a peine à comprendre
que les Gaulois aient pu donner à leurs Sacrificateurs un nom dérivé
d'une Langue étrangère, & encore plus que ce hôm ait pii parveniVà
des Peuples qui , affurément , n'ont jamais connu les Grecs. -i>ii >«
Au refte, ce n'eft que l'étymologie Grecque du nom de Drufdeqi^
l'on croit devoir rejetter ici. S'il eft vrai que le mot de Dcru , ou Drw ,
Derou (i6i), fignifiât (263) un chêne dans la Langue Celtique , & que ce
(259; Bochart. G. S. Part. II. lib. I. cap. 41
pag. 740.
(260) Non omittcnda in ea re Se Galliarum
admiratio. Nihilhabent Druidi vifco 6c arbore,
in qui gignatur, fi modo fit robur, facratius.
Jam pcr fc roborum eligunt lucos : iiec ulla fa-
cra fine ea fronde conficiunt, ut inde appellati
quoque interpretatione Gtxci. pojfim Druidac vi-
^eri. P/(». H>/?. N«. hb. XVI. caf. 44. /««j. 3 tt.
Il y en a quilifent voctri au lieu de viicri ; ce
qui fait un fens difFéient. Par la leçon que j'ai
«doptee, Pline dit que la véne'ration «que les
» Druides avoient pour le chêne peut faire
» croire que ce nom leur venoit par alluCon du
» mot Grec Ayst/ot, Drjiw.qui fignifi'e «n cfc/-
n «.» Pat l'autre leçon, l'Hiftorien croit que
1 on peut donner une interprétxnon Grecque au mol df
Druide. Mais la première leçon me paroît être
la ve'ritable, & il faut lire videri. Sam cela le
nottffelUii , qui pre'ce'de, ne fignifieroit rien &
devroit être retranche'. Je crois donc que ceux
qui , les premiers, ont lu vccuri , l'ont fait par
efptit de fyftême , fans faire attention que la
phrafe ne permcttoit pas de fubftituetei mot
à videri. Uote de t Éditeur.
(251} Pline ne dit pas que Von pourroit ,ft Von
vtutoit, faire de'tiver le nom de Druide du mot
Giec Drjrj , mais que lei Dr:iidtt ayant une trei-
irtnde vénération four le chêne , il peut fariîiri à
ceux qui ignorent l'origine du no.nj de Druide
aM'il dérive du Gril i de la même mi.<iièie que
rlutr.rque qui étoit ignorant dans la Langue
Hébraïque a cru que le SMathum des Juifs ve.
noit de ce que ce jour e'toit confacre' à Jupiter Sat-
iatiui , &c que Sttabon a écrit que les Germaini
avoient reçu ce nom parce qu'ils e'toient frerei
des Gaulois. Cette remarque pleine de fens, eft
d'Egide Bûcher. Pliniui , dit cet Auteut , nom
exferte a^rmat Druidas appetlatione Graca ftc diâoi ,
fed iià ijuercum amajfe , ut indc interpretatione
Grzcâ appellati videri poDînt; in fcilicct, qui
Dniidarum criginem aliunde i^norarent. Iià Vlutar-
ihus Hehraici Lin^ua prorfus i^rarut , judatcam vo-'
eem Sabbathum à Jot-e Sabbatliio dérivât. Iri
StraOo Germanos à Gcrmanâ Gallorum fratemitait
diSlos fcrihii. Kiàieule Timidiui hic Plinius ^ eotjue
tautiui ,loqniiur. S.%ii. Buch. Belg. Rom. lib. V,
cap 3J $ ». cdît. Leodii lia.itiM. Noti i*
l'Editeur.
(16:) Dcrven , Dcrvenmu , Derilinned , Deru ,
Derxi', uq chêne Diclionn. de Roftren. pag. i «o.
Bochart. G. S. p 741. Edm. Dickinfon Delph.
Phïniciff. p. iS8. Frick. de Druid. p. 9 Toland
ap. Bruckcr. Hift.Ctit. Philof.Tom. H. p. 107J.
Keyller, Antiq. Sept. p. 3 i J.
(263) Il eft, fans douie , bien plus raifon-
nable de dériver le nom deDrK;iitdu mot Celte
Deru ou Derou , que de le faire venir du Grec.
Car il eft bien plus probable que le mot Gtec
Apvi , Dryi , qui fignifie un chêne , vient de
Dru, qui ,en Celte , veut d:re la même chofe ,
(^Ue de c'ioiie que les Celtes ont e'té puifcidan»
3o8 HISTOIRE DES CELTES,
mot fe foit confervé jufqu'à préfent dans le Bas-Breton & dans le Gal-
lois , il fera fort inutile de chercher dans une Langue (164) étrangère, l'o-
rigine d'un nom , qui fe tire naturellement de la Langue que les Gaulois
parloient. Les Peuples Celtes tenoient leurs Affemblées Religieufes dans
le Grec , qu'ils ignoroient , le nom pat lequel
ils ont de'figne' leurs Prêtres , tandis qu'ils
avoient , dans leur Langue , un mot qui leur en
fourni flbit Vidée. Frick,'C<"nmeni. deDruidiiclf i.
§. 2. p. 27. edit Ulmz i 744. Cependant, je ne
crois pai que l'ordre entier des Prêtres Celtes
tirât fon nom de celui des arbres fur Icfquels ils
"cueilloient le Cki. Cette circonftance du culte
Religieux ne me'ritoit pas beaucoup d'atten-
,tion , 9c avoit e'te' introduite par le Charlata-
nifme des Dmides. Les Celtes & leurs Prêrres
n'c'toient pas les feuls qui euflent une ve'ncra-
tion particulière pour les chênes, 8c qui ai.
inaflcnt i habiter les forêts. On voit que cet
ufage fut adopté par toutes les Nations qui ,
«lès le commencement du monde, fe rc'pandi-
rent dans l'Univers. Nous Hfons , non-feule-
ment dans Virgile 8c dans les autres Poètes ,
mais encore dans les Livres Sacre's , que pref-
que tous les Peuples deraeuroient dans des fo-
lèts, qu'ils facrifioient dans ces lieux folitaires,
& qu'ils y faifoicnt les autres chofes ^i appai-
tenoient au culte Religieux. Ce n'eft pas fans
laifon, que les premiers hommes avoient de l.i
yénération pour le chêne. Cet arbre ptoduifoit
la nourriture dont ils fe nourrifToient ; il les
garantiflbit des injures de l'air par fon c'pais
fueillage , 8c par fes branches qui s'étendent au
loin. La majefte' de cet arbre infpira donc aux
àommes une forte de vénération , qui les porta
'naturellement à faire leurs demeures dans les
forêts de chênes , Se , par conféquent, à y ren-
dre le culte dû à la Divinité, tant qu'ils nefe fu-
ient point faits d'autres habitations, 8c qu'ils
ne connurent d'autre nourriture que le gland.
Lots même que les hommes fe furent bâtis des
cabanes , ils ne quittèrent pas pour cela les fo-
rêts qui pouvoient feules protéger des logemen»
mil conftruits contre la force des tempêtes. Ce
ne fut qu'à mcfure que les Arts s'introduintent
(c fe perfeftionncrent que les hommes quittè-
rent leurs retraites pour fe conftcuire des cha-
lîots où ils habitoicnt avec leurs familles. Mais
alors même , 8c lorfqu'ils eurent découvert la
{jopriét^ du bled, ils confctvetent toute Icui
vénération pour un arbre qui leur avoit été S
utile , 8c continuèrent à faire leurs affemblée»
civiles Se religieufes dans les forêts de chênes.
Cet ufage étoit donc généralement adopté pat
toutes les Nations dans les premiers tems, tou-
tes avoient le même refpert pour le chêne. Le»
Oracles des Druides n'étoient pas plus célébies
que celui de la forêt de Dodone. Ce dernier
eft également célébré par les Poètes. Claudiea
de Uudihm Jlilicotiis lib. I. dit des uns :
.... Hctcyniam lîlvam , lucofqiie vetufta
RcUigiane truces , Se robora nuraiais inflar.
Virgile dit de l'autre :
Sicuti niagna jovis antiquo roboce qu:rcus
Ingentei tendât tamos. Georg. III.
.... Qiules cum veriice Celfo
Acriz quctcus , aul coniferz cyparillî
Conftitu«rani , filva alta jovis, lucusre Dianz.
JEneid. m.
Enfin le Seigneur fait ces menaces aux Ifra&.
lites, par l'organe du Prophète ZzechieUhap. VI.
I 3. « Vous faurez que je fuis le Seigneur , lorf-
» que vos corps, morts 8c tout fanglans, feront
» étendus au milieu de vos Idoles, autour de
» vos Autels, autour de vos Collines élevée» fit
» fur vos hautes Montagnes, fous tous vos ar-
» bres chargés de feuillages , feus nui vos thcnes
» ttufus , 8c dans tous les lieux où l'on fentoit
» auparavant l'odeur de l'encens que vous brû-
» liez en l'honneur de vos Idoles.» Les Druides
n'ont donc pas été les feuls qui ayent eu de la
vénération pout le chêne. Si pouquoi leur nom
fero'ir-il plutôt venu du culte qu'ils rendoient
à cet arbre , que celui des Prêtres des autres
Nations ? Ncie di l'Editeur.
(164; L'origine du nom de DruïJes a viri^
félon le goût des Ecrivains. On a refuté l'opi-
nion de ceux qui le font venir du Grec. Jean
Picard , dans fa Celto-fe'die Liv. II. prétend que
les Drutdei ont retenu ce nom d'un Prince
Druide ou Dryus , inconnu à toute l'antiquité,
ôc qu'il fait le quattièrae ou le cinquième R.oi
des Gaulois. D'auttes,aufli peu raifonnables,dé-
livent k aom de Druide de l'Hébreu Verujfim ,
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 309
des forêts, & fur-tout dans des forêts de chêne. Ils choififfoient or-
dinairement un grand chêne pour être le fimulacre de Jupiter, c'eft-à-
dire, du Dieu Suprême. Dans les facrifices & dans les autres cémonies
de la Religion (165) , le Sacrificateur avoit toujours quelque branche de
chêne dans la main, ou, félon d'autres, fur la tête, en forme de cou-
î. Si l'on ajoute à cela que le Clergé faifoit fa demeure dans les fo-
ronne.
DruJJHm, OU DriJJim, qui fignifie emtmfUitur.
Mais quelle relation y avoit-il entre les Hé-
breux & les Celtes f Arnold Montan fait venir
le nom de Druide du mot Dry , parce que les
Saxons c'tablis dans la Grande-Bretagne , le
Siège du Druidifmt , appelloient leurs Prêtres
Dry. Mais les Saxons ne conquirent la Grande-
Bretagne que vers le milieu du Ve. fîe'cle : d'où
venoit donc le nom de Drji Ne feroit-il pas lui-
même le nom de Driude pat corruption î Quel-
ques-uns font defccndre ce nom de Drus , qui ,
«nvieux Langage Britannique, veut dire Démon,
Musicien. Mais les anciens Celtes n'adoroient
point le Dtmon, & on les auroit, certainement,
ofTenfés, fi l'on eut appelle leurs DruUii, les Mi-
nières du Ditblt. La Magie n'avoir point cher
eux, la même fignification qu'on lui adonné
depuis. Tout ce que les Druides faifoient , ils
Je pratiquoient au nom de Dieu & en vertu
de la puiflance Se des connoiffances qu'ils pré-
tendoiem avoir reçues de lui. Palthenius penfa
que le nom de Druide eft formé du fubftantif
Germanique Druihin , qui veut dire (? St/j^nr ,
D<(«; de forte qu'on appella les Druides Dr«-
/t« , & en faifant fonnet davantage le mot,
Druthd ou Druidoi, ap. Schiller. Tom. J. Antiq.
Teuton, p. ii2. Maison n'allègue aucune rai-
fon fuffifante pour que nos Pères ayent dcTigné
Dieu & tous leurs Picttes par un feul & même
nom. Un grand nombre de Savans donnent pour
etyraologie du nom de Drmde le mot Hibernois
Z>riii, par corruption Droi & Dr»ui, qui défi-
gne une petfonne facrée. Théodore Hafée , de
True , qui veut aire foi , fidélité'. Grotius a adopté
la même étymologie. Voici comment il s'ex-
plique, u DreiluifDruchr-ulf. Fidclis auxiliator.
wDruch, & Trud, Trouve, fides, Truchten ,
»i Dominus. Sxpc occurrit in Novo Teftamento
» vctere Germano. Truchtin in gloflario , &
» nunc quoque Suedis Reginà Drog-niag ; pu-
j» to , quad fides ei data fit : ut qui fidem de-
t> dejunt Druda, Drudi, Druid<ii, o Hijict. Gith.
Vtni. & Lanioliard. p. I >t. Sebaftien Rovillard ,
dans fon Hijloire de Chartrei , foutient que le
mot Dru eft un mot Celtique qui <îgnifioit/rr-
jmeniem, erehrum , denfum. Comme les Prêtres
des Celtes demeuroient tous dans le même
Collège Se formoient une efpcce de fociété, ils
furent appelles, en Gaulois, les Drus; ce qui
les fit nommer par les Latins & par les Grecs
Druides ou Drufides. Rovillard apporte en preuve
de fon fiftême que la Ville des Druides , qui •
depuis été nommées Dreux , s'appelloit, autre-
fois, l* Ville des Drus. Il faut avouer que cer-
tains Auteurs comptoicnt fingulièrcment fur la
fimplicité de leurs Lecteurs, pour leur débiter,
avec un ton d'aflurance, les chofcs les plus dé-
nuées de fondement. Le nom des Druides doit
avoir , ce me femble , une origine qui ait un
rapport eflentiel à la ptincipale fon^ion de c*s
Prêtres qui étaient regardés comme les feuls
interprètes de Dieu , comme les feuls dont le
Souverain Etre écoutât la voix , & i qui il
déclarât fes volontés. Ainfi Diodore de Sicile
les défigne par le nom de ThéoUiiens , & dans
les Poefies du Ve. & du Vie. Cécle, c'eft-à-dirc,
dans un tems ou la Religion des Druides n'é-
toit pas encore tout-â-fait détruite, il eft parle
de ces Prêtres fous le nom de Derouyden au plu.
riel & Derouyd «u fingulier. Ce nom eft formé
f«K deux racines Celtiques Di ou Di Dieu,
& RoMjd ou Raydd, participe du yerhe Rajddeism
ou RoKj)i<(i»m , parler , dire , haranguer, foutenir.
Par cette étymologie, Derouyd ou Dirouyd t la
' même lignification que le &i»\iy^s des Grecs ,
Thîohiien. Au reftc , comme l'ont fort bien ob-
fervé les favans Bc'nédiclins qui ont publia
l'Hiftoire Littéraire de la France : « Qu'importe
» de rechercher fi fcrupuleufement l'étymolo-
» gie du nom de ces Savans |les Druïdes),pout
» vu que nous fâchions qu'ils étoient ? C'eft U
» le principal , 8c ce qui doit nous fiiffiic. »
Non de l'Editeur.
(2<5) Ci-d. note ifo.
Bu nom de
V'jtcs,
^33ro H I S T O I RE DESCELTES,
-rets cohfacrces, il fera facile de comprendre pourquoi on donnoit aux
.gens d'Eglife une dénomination prife du chêne. Le paflage de Pline, au
lieu de combattre cette étymologie, femble au contraire l'appuyer. Cet
-Auteur qui s'exprime, ordinairement, d'une manière fort concife, a
voulu dire (166) que les Gaulois ayant une grande vénération pour
le chêne, &c en employant les branches dans toutes leurs cérémonies
facrées, donnoient, par cette raifon, à leurs iMages un nom emprunté de
■cet arbre; & que les Grecs auffi donnant au chêne un nom parfaitement
femblable à celui qu'il portoit dans les Gaules , on peut donner égale-
ment une interprétation Grecque ou Gauloife , au nom de Druide. Dans
l'une & dans l'autre Langue , il fera toujours dérivé du chêne.
Diodore de Sicile, parlant des Sacrificateurs Gaulois , les appelle (167)
Ma'vTs/ç, c'eft-à-dire , Devins , parce que les divinations étoient eifec-
tivement la partie la plus eflentielle & la plus lucrative de leur mi-
niflère. Strabon qui écrivoit aufli en Grec , n'a pas laifle de défigner ces
mêmes Sacrificateurs fous le nom de Vaus , 'ovÛtuç , qui fignifie auffi des
Devins. Peut-être que le nom de Plates , comme plufieurs autres mots
Latins , avoit pafle dans la Langue Grecque du tems de ce Géographe.
Peut-être auffi qu'il a eu quelque raifon particulière de conferver le
nom de VauSy tel qu'on l'avoit trouvé dans les Mémoires fur lefquels
il écrivoit. Ce qu'il y a de confiant, c'eft que le mot eft Latin. Comme
Ammien-Marcellin a fuivi Strabon dans ce qu'il dit du Clergé Gaulois ,
on peut remettre fûrement le mot de Vates dans cet Hiftorien , au lieu de
celui (z68) ^^uhages ou à!Eubagcs , qu'on lit dans les éditions commu-
nes , & qui eft certainement xme faute du Copifte. Cette correâion ,
qui eft de Cluvier (269) , eft beaucoup plus naturelle que celle de du
Valois (270) qui , corrigeant Strabon par Ammien-Marcellin , veut qu'on
life dans le premier 'ouàyen , au lieu de 'ou*t//ç (271).
Au refte , l'on prétend que les mots de Fates , Fadus, Fada (272) ,
défignoient un Devin , une Femme infpirée, non-feulement dans la Lan-
gue des Aborigines qui étoient les anciens habitans de l'Italie, mais aufli
(î««j Ci-d. notes 2sS-z<o. & x«i.
(ÏS7I Ci-d S- i4- not. I41.
(25s) Ci-d. §. 14. not. t|t.
(t*9) Cluv. Geim. Ant. p. isj.
(»7oj Not. ad Amm. Mate, lib. XY. câp. >.
(171) Jean Saubert ie Siurificiis tuf, VU. f.
m. i6t. lit £u0a>Ei( au lieu de 'Ovalrai.
(171) Eccard. Przfat. ad Leibnitz. ColleA.
pag. S. Keyfleip. 3 3-3 5.
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 311
parmi les Celtes. La chofe eft certaine par rapport aux premiers ,
comme on peut le voir dans un paifage de Juilin (173). On n'oCeroit pas
en dire autant des Celtes. Aufone remarque, à la vérité, que les Gau- ^
lois attribuoient aux Prêtres d'Apollon le nom de Paiera ( 274 ) ; mais il
fembleque l'on entrevoit plutôt dans le partage que les Celtes donnoient
à leurs Prctres le nom de Pens , comme ils donnoient aux Prêtreffes celui
de Mères (275). Cependant M. Keyfler a prouvé que les mots de Faidh
(276) & de Thada , fignifient , en Irlandois , un Prophète & une Prophê-
tefle. Il faudroit entendre affez cette Langue , pour être en état de juger
fi elle eft dcrivce de la Celtique. Il faudroit favoir fi ces mots qui fe
trouvent dans la verfion Irlandoife de la Bible, font anciens ou modernes
dans cette Langue. Abandonnons donc la queflion à ceux qui entendent la
matière , & qui font curieux de ces fortes de recherches étymologiques.
Diogcnc-Laërce , dans un partage déjà cité ( 1 77) , dit que « la Philofo- De celui Je
» phie doit fon origine aux Druides & aux Semnothées parmi les Celtes
» & les Calâtes. » On a cru pouvoir conclure delà que les Gaulois
avoient un Ordre d'Eccléfiaftiques qu'ils appelloient Semnothées. Au
moins Ménage rapporte (278) la remarque d'un Commentateur, nom-
mé Johannes GaLeJius, qui lifoit dans cet endroit lauv'nu^, au lieu de
iffA-vlliicç , & qui prétendoit que ces Samnitce étoient les Prophétertfes
de l'île de Sayne, que Strabon appelle Samnidcas (279), & Denis le
voyageur , Amnltas (280). La conjefture de ce Commentateur paroît
très-vaine , & fa corredion tout à fait inutile. 2e/xrt6fcç eft un mot
Grec qui fignifie Devin , un homme qui interprête les chofes divines.
Diogéne-Laërce a donc voulu dire que les Druides , & en particulier ,
les Sacrificateurs qui préfidoient aux divinations , enfeignoient la Philo-
fophie parmi les Celtes & les Gaulois. Le meilleur Commentaire de ce
paflTage eft celui de Suidas qui dit (281 ) que « les Gaulois donnent le
»nom de Druides à leurs Philofophes & à leurs Semnothées (281),
»c'eft-à-dire, a leurs Devins. »
(173) Juftin XLIII. i. Comme les Devins
le'pondoienc orainairoment en vers, à ceux qui
vcnoieHt confulter l'Oracle. Les Latins doiinc-
lent auûi aux Poètes le «om de Vniti. Varro de
Linguà Latinâ lib. VI. p. 73. Servius ad Aneid.
VIL V. y . Le mot de F« tire , félon les appa-
rences , fon origine de celui de I*i» ou de
tttH».
î, J»7+) Aufon. Profcff". IV. p. 50.
(27s) Keyfler Ant. Sept. p. 571. & feq.
(176) Ibid. p. 3<5.
{z77J Cl-d §. 4. not. zz.
(Z78) Not. ad Diog. Laert. Tom. I. p. j. 4.
(179) C4-d. Liv. III. ch. 8. §. iz.not. Xtû '■
(180] Ibid. not. izo. ■ '' ■'
(i8 1) Suidas in voce Dryidn.
(zSz; Selon ceitains Auteurs, Sttmtihes , frère
l ou fils de Gomer, & neveu de Japhet, fut e't»-
te Clerpc des
Celte» etoit
habité 'ie
3 II HISTOIRE DES CELTES,
§. XX. A regard de la manière dont le Clergé s'habilloit, il eft cer-
tain (iSj) que les Druides prenoient des habits blancs pour cueillir le Gui-
de chêne, & cette autre plante appellée Selago (184), à laquelle i's at-
tribuoient de très-grandes vertus ; de forte qu'il y a toute apparence
que c'étoit-là leur habit de cérémonie. (185), l'habit qu'ils avoient cou-
tume de porter pendant le fervice.
L'Auteur de la Religion des Gaulois dit quelque chofe de plus (286) :
«Dans toutes les cérémonies de la Religion , les Druides portoient
»' toujours de longues robes blanches , rayées de pourpre , en telle
« forte que ces rayes alloient fucceffivement en diminuant de part 6c
» d'autre , in modum orga/ù utrimquc decrefcentibus virguUs purpunis. >*
Mais ces particularités ne paroiflent point fondées. Les Gaulois ne por-
tèrent point de robes longues ÇTogas) , avant que d'avoir été fournis par les
Romains (187), &c, félon les apparences, les Druides qui demeuroient
dans des forêts , & qui étoient attachés à leurs anciennes coutumes ,
les prirent plus tard que les autres ( 188 ), Effeftivement , Pline qui ,
ftul , a parlé de l'habillement des Druides , leur donne des tuniques
(289), des fayes, comme les autres Gaulois en portoient, & non des
robes longues. Le même Auteur dit Amplement ( 190) que « le Druide
» qui coupoit le Gui de chêne avoit un habit blanc , & qu'il recevoit
» ce préfent des Dieux dans un faye de la même couleur, » Au lieu que
bli Roi des Gaules pat Gomei environ 140 ans
aptes le de'luge. Ce Monatque fut le premiei
inftituteut des Letttes , de la Philorophie & de
ÏAihologie ; il enfeigna auffi le ptemiet l'im-
moitalite de l'ame. Pout perpc'tuet cette Doç-
tiine , il e'rablit un ordre de Préties qui reçu-
rent le nom de Sumothca. Sarron fut le ttoifième
Koi des Gaules, Il c'toit neveu de Stmoihei &
fils de M.»gus ou Ma^of, duquel les Muget & 1^
M^iii ont pris leur nom. Surron inftitua un Col-
lège de Philofophes& de The'ologjons, qui furent
appelles S*Trmiiti, Sardui régnoit dans les Gaules
vers l'an zii6. du monde , 1885. ans av. J. C-
Il établit la Société des Bardes , & des Chantres
Gaulois. De-là vient le nom de Momhard que
porte un bourg de Bourgogne, comme quidiroit
laA^ontagneoccupe'e par les£drfi».Czfar. Egaf.
SuUoei Hift. vetetum Acad. Galliz Diuidic. cap.
I . Ces fottifes fe réfutent d'elles-mêmes. On ne
Ici tappoite que pour faire voir que Ict hgmmes
[ font eapablesd'adopter, de cre'er même les idc'es
les plus abfurdes. Non de l'£diteur,
(213) Plin. Hift. Nat. lib. XVI. cap. 4+.
pag. 3 11.
(2S4) PHn. Hift. Nat. lib. XXIV. cap. u,
pag. 341.
(lîj) Cet habit e'toit de lin 8c e'toit delHn^
aux mêmes ufages que les futplis ou les aube*
dans l'Eglife B.omaine.
(2S«j Kelig. des Gaukpis , Liv. ^. p. 91.
(187) KojiM. ce qui a e'tc dit de la manière
dont les Peuples Celtes e'toient habillés ci-d,
Liv. II. ch. 7. init.
(aSt) De même le Cierge Chrétien ne crut
point devoir quitter la robe longue , lorfque
les Laïques reprirent les habits courts. Ntit i$
l'Ziùeur.
(2S9] Ci-d. not. z83. zt4.
(asic) Ci-d. not. a<3.
0
L I V R E IV. C H A P I TR E IV. 515
te n'eft pas des Druides , mais des Gaulois en général , & fur-tout des
grands & des riches, que Diodore de Sicile & Strabon difent (i9i>
qu'ils étoient magnifiques dans leurs habits , qu'ils faifoient broder fur
leurs fayes & fur leurs tuniques des bordures , des rayes , des car-
reaux , chargés d'une infinité de fleurs & d'ornemens de toute forte de
couleurs , mais principalement de pourpre.
Pour ne rien avancer fans preuve, il faut donc s'en tenir à ce que dit
Pline , que dans les folemnités , les Druides étoient habillés de blanc. Le
Clergé des autres Peuples Cehes avoit cela de commun avec celui
des Gaulois. Strabon , parlant des PrêtrefTes Cimbres,dit (^92.) qu'elles
étoient habillées de blanc, & qu'elles portoient des fayes de toile que l'on
attacholt fur l'épaule. On ne peut guères douter que les Prêtres ne fuf-
fent habillés de la même manière. Tacite (193) remarque expreffément
que «l'habit des femmes Germaines eft parfaitement femblable à celui
»> des hommes , ncc alius fxminis quàm viris habitas , excepté qu'elles font
» communément vêtues de toile de lin , brodée de pourpre, qu'elles
w n'ont point de manches , & laiffent voir outre leur bras , ime partie de
»leur fein (X94). » On lit aufli dans Jornandcs (195) , que Philippe, Roi
de Macédoine , afiiégeant la Ville d'Udifitane en Méfie , les Prêtres
Goths vinrent au-devant des Macédoniens avec des guittares & des ha*
bits blancs, & obtinrent que le fiége i\iX levé. Enfin, Diogéne-Laërce
remarque, après des Auteurs plus anciens, que (296) les Mages des
Perfes ne s'habilloient que de blanc.
Il importe peu de fàvoir pourquoi le Clergé Celte préfcroit cette cou-
leur à toutes les autres. Mais, quand on voit les Prêtreiïcs des Bretons
(297) prendre des habits noirs pour dévouer l'armée ennemie, il femble
que l'on entrevoye là -dedans que ces. Peuples étoient dans' la même
idée que les autres Payens , qui croyoient que le noir étoit propre pour
les maléfices (298), & le blanc pour la magie naturelle & innocente.
(291) Ci-d. Liv, II. ch. 7. not. 77. & y».
(29i)Ci-d. ch. II. $. 4. not. I94.
(293) Tacit. Gcrm. 17.
(4,94; Cet ufage s'eft confervé en Saxt , en
Frufle & en Livonie. Les femmes y portent des
cbemifes fans «nancht , & UiiTcnt leur gorge
à découvert.
(a9s) Joriiand. cap. X. p. <Z4.
(lyS) Diog. Laert. Ftoeta.
(297) Ci-d $. 1 8. not. 199.
(29!^ Les Prêtres Celtes ne connoifloicnl
point ce qu'on appelle la Migie noire ; ils n'in-
voquoicnt point les Dcmons , du inoins avant
que leur Religion eût e'té jlte'ite par le com-
merce avec les nduvc.iu.ï Grtcs-; leur pourvoit
venoit de Dicu.c'eft lui fcul qu'ils invcquoient;
c'eft en fon notu qu'ils prctcndoient^ /aire tant
de chofts furptenautes : c'eft à iui qu'ifs facri-
Tomi II, R r
Be l'aboli»
liondesDruï-
àet dans les
Caulci.
^ï'4 HISTOIRE DES CELTES,
On a vu dans l'un des paragraphes précédens (299) , que les Sacrmca^
teurs des Gétcs étoient appelles Pikati , parce qu'ils portoient pendant
le fervice , une efpèce de tiare, de mître ou de chapeau. Denys d'Hali-
carnafle aobfervë (300) que les Romains, par la même railon, donnoient
à leurs Sacrificateurs le nom de Flamims, Les Prêtres des Scythes & des
PerfeS portoient aufli des tiares , avec cette différence que ( 301 ) les Scy-
thes qiiittoient leurs tiares pour offrir les vi^imes, au lieu que (301)
les Perfes les gardoient.
' On peut ajouter encore ici la remarque de Pline , qui dit que les
Druides n'offroient aucun facrifice fans avoir des branches de chêntf
(303) : Nullafacrajïne eâ fronde confitiunt. Comme le chêne étoit confacré
au Dieu fuprême , il y a apparence que c'étoit à Ton honneur , & pour
marquer qu'il étoit l'objet de leur culte , que les Druides prenoient des
branches de chêne dans toutes les cérémonies religieufes. Cependant, on
n'oferoit pas décider que ces Prêtres portaffent , pendant le fervice , des
couronnes de feuilles de chêne; Pline lui-même ne le dit pas: d'ailleurs, il
paroît plus vraifemblable que les Druides portoient des tiares , de la
même manière que les Sacrificateurs des autres Peuples Celtes. On voit
dans Strabon (304) , que les Perfes couronnoient leurs viftimes , qu'ils
en étendolent les chairs fur des branches de myrthe & de laurier, que
les Mages offroient leurs prières au Feu & à l'Eau , tenant en leurs mains
des branches de myrte & de verveine. Peut-être que les Druides
employoient à de femblables ufages les branches & les feuilles de chêne.
Ne nous étendons pas davantage fur les habits & fur les autres ornemens
du Clergé des Peuples Celtes , parce que la chofe n'en vaut pas la peine ;
il faut paffer à un article plus important , fur lequel les Savans ne font
pas d'accord , c'eft l'abolition de l'Ordre , ou de la Sefte des Druides,
§. XXI. Pline l'Ancien affure formellement (305), que l'Empereur
Tibère extermirva les Druides des Gaulois , & en général toute cette
forte de Devins & de Médecins. Suétone (306) & Aurélius-Viftor (3,07)
£oient le» ennemis qu'ils d^vouoient. Ils pre-
noient des habits noirs dans toates tes ce'rémo-
jiies lugubres, de la même manière que les
Chrétiens > leurs idées fur ce point n'étoient
jfas différentes des nôtres. Htit àe l'MdiiiHr,
{299) Ci-d. §. 17.
j}oo) Diooyf. Hillicai. lib. 1 1. p. 114.
(301] Herodot. IV. «o.
{301) Ci-d. Lir. III. ch. 10. $, a. not. 17.^
(303) Ci-d. §. 19. not. 260.
(304) Strabo XV. p. 7J0-733,.
(joj) Ci-d. §. 24. not. 3 3».
(3°<) Ci-defloBs $. 24. not. 33l>
(307) Ci-defroiu §. 14. not. ^i.«<^
L I V R E IV. C H A P I T R E ÏV. 315
éifent quelque chofe de femblable ; mais ils différent de Pline fur deui
articles. D'un côté , ils attribuent à l'Empereur Claude les Edits qui
furent publiés contre les Druides. De l'autre , ils prétendent que cet
Empereur fe contenta d'abolir la Religion ou les fameufes fuperftitions
des Druides. On ne conteftera pas les faits que ces Hiftoriens aflurent
fi pofitivement ; il paroît même très-facile de les concilier par rapport
aux articles fur lefquels ils ne font pas d'accord. Mais les régies d'une
bonne critique demandent affurément que l'on donne aux paffages de
ces trois Auteurs un fens qui ne choque ni la vraifemblance , ni la
vérité. Les Druides ont fubfifté, & paroiffent dans l'Hifloire long-tem#
après le régne des Empereurs Tibère &c Claude. C'eft , d'ailleurs , une
chofe fans exemple que les Romains, en fubjuguant une Nation , ayent
penfé à lui ôter fa Religion & fes Sacrificateurs. Il paroît donc à propos
de feire ici une réflexion qui fervira à déterminer le véritable fens des
paffages que l'on examine.
Quoique les Romains ayent fouvent immolé à leurs Dieux (308) lm Romain*
des viâimes humaines , non-feulement fous les Confuls , mais encore p'^,p°c,""nt
fous les Empereurs, il faut avouer qu'ils ne le faifoient que dans des cas J'>n«'"G»u-
r ' 1 i les , que kf
extraordinaires où le Sénat étoit oblieé , malgré lui, de condefcendre î>a ihces des
aux inffances des Pontifes & d'une foule de fuperftitieux qui ne cef- mimes scic
foient de crier que le feul moyen de fauver la République du danger
éminent dont elle parolffoit menacée , étoit de confulter les Livres de
la Sybille , & d'offrir les Sacrfices qui étoient ordonnés dans ces Li-
vres. Ces cas extraordinaires n'empêchoient pas que le Sénat ne dé-
fapprouvât la cruelle fuperffition d'immoler des hommes , & qu'il ne
fît de fages réglemens pour l'abolir , non-feulement à Rome , mais aufll
dans toutes les Provinces qui dépendoient de la République. On en
voit une preuve dans ce qui a été dit ailleurs (309) de la fête que les
Romains célébroient tous les ans à l'honneur du Père Dis , & pendant
laquelle ils jettoient dans le Tibre, trente hommes de paille , en la pla-
ce de trente vieillards qu'on y précipitoit autrefois tout vivans, Pline
fait aufli mention d'unDécret d\i Sénat (3 10) , par lequel il étoit dé-
(jot) Kojrcj. en des exemples. Flutarch. Mar-
celin Tom. I, p. 299. Tit. LiY. lib. ai. cap. s 7.
Oiof. lib. IV. cap. t ]. p. 20 s. Fragment. Disn.
>f, Valef. p. 774. Tzetz. ad Lycophion. p. «9.
{t»9) Ci-i, Liv. III. ch. S. §, ii.noc. 7$,
fie §. 14 not. 1 17.
(|io) DCLVII. demùm anno Urbis conditae
Cn. Cornelio Lentulo , îubl. Licinio Cr.iflb ,
Coiifulibus , Senatus-confultum faftum eft , ne
hotao inuQolaietui ; palamque in illud teropu«
Rri
I
îrreur &
«nachDiiif-
ncd'j P. Har
316 HISTOIRE DES CELTES,
^ndu d'immoler des hommes à la Divinité. Cet Edit fiit donné dans
un tems où la poffeffion de la Gaule Narbonnoife venoit d'être afliirée à
la République, par les vidoires de Marius, & par la défaite des Barba-
res qui avoient ravagé cette Province pendant plufieurs années. Il y-
a donc toute apparence que ce Décret regardoit fur- tout les Gaulois,
<jui offroient publiquement à leurs Dieux de femblables Sacrifices.
Quoi qu'il en foit, il paroît par un paflage de Plutai-que ,que le Sénat
avoit grand foin de rechercher & de punir ceux qui contrevenoient à
l'Edit dont on vient de parler. » Les Romains , dit le Philofophe Grec
» (3 1 1) , ayant appris que les Blctonncfiens avoient immolé un homme
Maux Dieux , firent venir à Rome les Magiftrats de ce Peuple barbare,
» pour les punir. Ceux-ci prouvèrent qu'ils avoient fuivi en cela ua
>> ancienne coutume ; ils furent renvoyés abfous , avec défenfe de pra-
» tiquer la même chofe dans la fuite «
§. XXII. On peut , fans s'éloigner beaucoup du fujet , faire ici une
courte digreffion fur les BUtonnéJiens , dont parle Plutarque. Ce mot
femble indiquer les Habifans d'une île nommée Blâon. Mais , comme
on ne trouve dans les anciens Géographes , aucune île de ce nom,.
on feroit tenté de fublHtuer ici le mot de Breianmjïi , qui défigneroit
les Infulaires ou les Habltans de la grande Bretagne. EfFedivement , il
eft confiant que les Bretons ayant été fournis par JulesCéfar , conti-
nuèrent toujours d'offrir à leurs Dieux des viftimes humaines , comme
ils avoient fait par le pafTé. Mais il eft , en même tems , très-probable,
qu'après que l'Empereur Claude eût fubjugué l'Angleterre , & mis de
bonnes garnifons dans le Pays, le Sénat jugea à propos de foumettre
cette nouvelle Province au Senatus - Confulte dont on a iait mention.
Cependant, quelque vraifemblable que foit cette conjecture, il y faut
renoncer pour ne pas tomber ^ avec le P. Hardouin, dans un anachro-
nifme de près de deux fiécles.
facra prodigiofa celebrata. Gallias utiqae pof-
fedit [magica difciplina ) , & quidem ad nof-
«am memoriam; namqaeTiberii Ca:fatisprin-
cipatus fuftulit Biuidas eorum , & hoc genus
vatum medicorumque. Sed quid ego ha:c com-
memorcm in arte Oceanum quoque tranfgrefla,
U. ad natutz inancproviAa. Biitannia hodicque
caro attonite celcbut,tantis ceittnQniis ut dc-
difle Perfis videri poflît. .Adeo ifta toto mund»-
confenfere , quamquira difcordi & fibi ignoto»
Non fatis iftimari poteft, quantum Romanis
debeatur, qui fuftulere raonftra in quibus ho-
minem occidere religiofiffimum erat , mandi.
verà etiam falubetriinum. P/i'n. JfXX. I./». 72I,
(311) Plutatch. <^u«ft. Centiw. Ton». U;
pag. 2S),
, 1 1 V R E IV. C H A P I T R E IV. "jt^
Plutarque , après avoir parlé' de la défenfe faite aux Bîétonnéfiens ,
ajoute (311):» Peu d'années auparavant , les Romains avoient eux-
» mêmes , enterré vivans , dans le marché aux Bœufs , deux Grecs
>>& deux Gaulois, fçavoir un homme & une femme de chaque Na^
» tion , & cela après avoir confulté les Livres de la Sybille à l'occafion
>> de la mort d'une Veftale , nommée Hdvia , qui avoit été tuée par
»Ia foudre, & de l'incefte commis par trois autres Veftales , Emylia^
» Licinia & Marna , qui avoient été corrompues par un Chevalier
^> étranger, nommé Buurius c. Le Père Hardouin (313) prétend que tout
cela s'étoit paffé fous l'empire de Néron, Mais les raifons fur lefquelles
il appuie fon fentiment, ne font d'aucun poids, ou plutôt, elles font
■renverfées par une preuve démonftrative.
I *^. Il fait dire à Plutarque que ces chofes s'étoient paflees peu d'an-
flées (314) avant le tems où il écrlvoit ; au lieu que le Philofophe
.Grec dit clairement & formellement, que les Romains qui défendirent aux
bîétonnéfiens d'immoler des viftimes humaines , n'avoient pas laifl'é de
pratiquer le môme genre de Sacrifices peu d'années auparavant (3 15).
, ; .***. CePere fe fonde fur un paflag£ de Pline, qui porte (5 16) qu'il n'y
I» avoit pas long-tems que l'on avoit enterré un Grec & une Grecque
»► dans le Marché -aux- Bœufs , & que ces Sacrifices étoient, en quel-
w que manière, autorifés par les bons fuccès que les Romains avoient
>»,eus diu^ant 830 ans «. Il eft vrai que l'an 830 de Rome, qui eft l'an-
née où Pline écrivoit, tombe fur la fin du régne de Vefpafien. Mais Pline
ne parle proprement ici que du Sacrifice d'un Grec & d'une Grecque.
Il ne dit pas que ce Sacrifice eût été offert à l'occafion d'un incefle com-
mis par des Veilales , & Suétone (3 17,) remarque même expreflement
"(312; Ubi fuprà.
'■ {iXi) Ci-d. not. 3 1*.
j ;(3l4)Ci:d. noi, 3i«.
(jïS) Ci-d. not. îiz.
t3"-l Boario vfrô in foro Grsctrm.Gncahi-
que dcfolTos , aut ali.irum gcntium ciim quibus
tunc res effet, etlam noiera itas vidit ; cujus
Cicri pricaiioncm , quafolet praiire <juindecim
liiûm Collcgii magifttt, fi quis Icgat , profeftb
tim caritiinum fjteatur , ea oirmia approbanli-
hiis Qftingentoiutt» triginta annorum eventibus,
f\m- 'Hift. Hit. '/<>. XXyill. cap. z.j,. j 57'. Le
S. Hatdouin fut le pjffagc de Pline ,' èc , en
particulier, fiu ces paroles eiUmntflr» tmivU'Mf
a fait cette remarque : Plutarchus qui non Gxx-
cum Grarcamque modo, fed & galluiiv fimut
gallamque defoffos rcfcrt, idquoque haiid mul-
tis' ahte fe annis , contigiffe ait , (.'u iiMais
îVtJiV Xfinpti.ii in QuKil. Ronj. p. 183. & ad
Vafpaniani tempora référendum iJ videtur, vel
ce^te Neronis j fed & UluJ priiis accidiffc nar-
rât Livius XXII. p.ig. 125. Dans l'endroit cité
Tite-Live XXII. cap. 57. parle de la condam-
nation des Ve/la!cs OpimU & Flortni», mais
Bou pas de celles dont il s'agit ici,
(317) Sueton. Domitian, cap. 1,
31? HISTOIRE DES CELTES,
que Vefpafien & Tite négligèrent de punir l'impudicité de ces Vierges;
3 *■'. Enfin , ce qui eft décifif , Tite-Live dans un de ces Livres qui eft
perdu , & dont nous n'avons que les Sommaires , rapportoit (3 1 8) la
condamnation des Veftales Emylia , Licinia &c Mania au Confulat de
C. Porcius - Caton , qui tombe fur l'an 640 de Rome. Les Blétonné-
fiens ne fçauroient donc être les habitans de la Grande-Bretagne, dans
laquelle les Romains ne pafferent qu'environ 60 ans après , fçavoir
l'an de Rome 699. Le P. Hardouin s'étQit aufll trompé , en plaçant fous
le régne de Vefpafien , des événemçns antérieurs de près de 100 ans.
Les trois Veftales qu'on vient de nommer , ayant été convaincues &
condamnées l'an de Rome 640 , les Romains , pour expier ce facrilége ,
firent enterrer vivans dans les Marchés-aux-Bœufs , un Gaulois & une
Gauloife, & en même tçms un Grec & une Grecque. Ce fut quelques
années après, que l'on manda à Rome les Magiftrats des Blétonnéfiens ,
qui avoient immolé un homme à leurs Dieux , & qu'on leur défen-
dit d'offrir à l'avenir de femblables Sacrifices. Comme l'Edit du Sénat ,
qui interdifoit ces barbares Sacrifices, fut publié l'an 6^7 de Rome ,
iî fut trèS'Vraifemblablement donné à l'occafion de ces Blétonnéfiens ,
qui étoient , félon les apparences , un Peuple de la Gaule Narbonnoifô
(319), ou , fi l'on veut , les Habitans d'une île voifine de cette Province.
§. XXIII. Revenons à notre fujet. On ne conteftera pas fans doute
que les Roniains abolirent peu à peu les Sacrifices humains dans toute l'é-
tendue de leur domination, Lorfque Julas-Céfar commandoit en Efpa-
gne , où il avoit été envoyé en qualité de Prêteur, il abolit (310)
cette barbare fuperftition à Gadej , où elle avoit été apportée par les
Phéniciens , & où elle s'étoit confervée jufqu'à fon tems. Il ne faut
pas douter qu'il n'ait donné dans la fuite de femblables ordres dans les
Gaules qu'il avoit conquifes , ôf dont il garda le gouvernement pen-
dant près de diîç ans. Lucain l'infiaue affez clairement, puifqu'il dit aux
(3 I S) Spitome Livii lib. LXIII. Voytx. aulS
Orof. lib. V. cap. 1 5.
(319) Plutarque les appelle BAtTivtn'o). Si le
mot Ntfici ou N«/îoJ defigiioic ici une île ou
des infulaires , comme le prétend M. Biuzen
de la Martiniere , f lutarque auioit dû éciire
voifine de Marfeille, qui portoit le oem do
Slufio. Sviabo IV. p. 181,
[iio) Cicero Orat. pro Balbo cap. 43. Da
Valois a juge , avec taifon , que par ces mot*
inveteramm tjufindtim lnjb0riAm, Ciccron déâgnoic
les Sacrifices humains. Valef. in nof. fd &l^
J|A(Ter"<"'t<* Au teftc, Suabon ^ailc d'une tU ^ <<'((• ex Dione p. ii£,
LIVRE IV. C H A P I T R E IV. jif
Druides (jii ) qu'ils avoient renouvelle pendant les guerres civiles des
Romains , les barbares cérémonies qu'ils avoient été obligés d'inter-
rompre après la conquête des Gaules.
Il eft vrai qu'Augufte (312. ) n'avoit d'abord défendu qu'aux feuls
Citoyens Romains de prendre part aux cruelles cérémonies que les
Gaulois pratiquoient. Mais il paroît très - vraifemblable , qu'il rendit
enflure cette défenfe générale , & qu'il abolit les Sacrifices humains
dans toute l'étendue de l'Empire. Sans cela , il feroit difficile de com-
prendre que des Hiftoriens qui ont écrit peu après la mort d'Augufte ,
eufi'ent pu parler de ces Sacrifices comme d'une fiiperftition qui étoit
abolie dans les Gaules, ou qui ne s'y pratiquoit, au moins, que fort fecret-
tement. Par exemple , Strabon qui publia fa Géographie vers le com-
mencement du régne de Tibère , après avoir parlé de la coutume
qu'avoient les Gaulois de clouer aux portes des Villes , les têtes des
ennemis qu'ils avoient tués à la guerre, ajoute (3x3) : » Les Ro-
» mains ont , cependant , fait quitter aux Gaulois cette barbarie , &
»> les ont défabufés des Sacrifices & des divinations , qui ne s'accor-
y> doient pas avec nos coutumes «.
Pomponius-Mela , qui vivoit fous Tibère , ou, pour le plus tard, fous
Néron , dit aufli (324) » que les Gaulois font des Peuples fiers,
»fuperftitieux , qui, autrefois, ont porté la férocité jufqu'à fe perfua-
» der que l'homme eft la plus excellente viûime que l'on puiffe offrir
«aux Dieux. Quoique cette barbare fuperftition folt abolie, il en refte
» pourtant quelques traces. A la vérité, ils ne font pas mourir les hom-
tt mes qu'ils ont dévoués aux Dieux ; mais ils les font , au moins , appro*
» cher de l'Autel , &C leur répandent du vin fur la tête «.
Pline , qui écrivoit fous l'empire de Vefpafien , reconnoît également
que l'on n'offroit plus de vlftimes dans les Gaules (32«[): »» Il n'y a
M pas long-tems que les Peuples , qui font au-delà des Alpes, avoient
M encore la coutume d'immoler des hommes. Les Romains , dit-il ail-
»» leurs (316), ont rendu au genre humain un fer vice ineftimable j
1» en aboliffant cette horrible fuperftition , qui faifoit regarder le Sa-
(lai) Lucan. t. v. 4S0.
(}121 Ci-deflbus, ^. i4.not. m,
iji}) Strabo IV. 19S.
(1x4) Fompon, McU lib. III. cap. }. p. 7*.
(315) rlin. Hift. Nat. lib. VI. cap. 1. p.'«. *
(3 2«) Ci-d. §. II. not. 310.
(ja/jsalmaiius in Excicit. !lin. Fiolcgant);,
310 H ÎS T O I R E D E S C E LiT-E Sj;
j» crlfice d'un homme comme la chofe du monde la plus facrée »;
Enfin, fi Solin , qui a écrit après Je régne d'Alexandre Mammée (317),
reconnoît (32.8) qu'on accufoit les Gaulois d'offrir à leurs Dieux des
vidimes humaines, il, aKpjrtit,,en,fmêaie..tems.j;,qu'i}^ii'9feroit pas ga-
rantir la vérité du faijt. ,,;-3 y;,^ *.£.; ^. ,,., ; ,,, ;. '
J §. XXIV. Pe tout ce qu'on jsirdij ei-deffus , il faut conclure que les
Romains n':euiient jamais là pônfée d'ôter aux Gaulois , ni leur Reli-
gion , ni leurs Druides. S'il en étoit autrement , les Druides (319) &C les
Dryades (330) ne paroîtroient pas dans l'Hiftoire jufqu'au tems de
Dioclétien & de Conft^ntin - le - Grand. . Mais le Sénat, &c enfuite le
Empereurs , défendirent , fovis des peines féveres (331), les Divina-
tions &C les Sacrifices humains, parce que les Loix d'une bonne poli-
tique l'exlgeoient , & que des abus femblables ne doivent point être to-
lérés dans une Société bien réglée. Les Divinations étoient une im-
pofture dont les Prêtres abufoient fouvent pour troubler le repos de
l'Etat, & eiles.ne'fervoient ordinairement qu'à remplir les particuliers
qui y ajoutôient; foi, de fauffes craintes , ou de vaines efpérances. Les
Sacrifices humains étoient une barbare fuperftition , & cette fuperftition
faifoit perdre inutilement à l'Etat une partie de fes Sujets. Par ce»
raifons, le Sénat avolt aboli (331) dans la Gaule Narbonnoife , dès
l'an. 657 de Rome , les Sacrifices dont eft queftjon. Ils furent aufli
abolis d'-une manière infenfible , dans la Gaule que l'on appelloit bar-
bare , &i. qui avoitété conquife par Jules- Çéfar. Mais, comme les
Gao-ilois étoient fort .attachés à leurs fuperftitions , & comme ils con-
tinuèrent long-tems d'immoler en fecret des viûimes qu'il ne leur étoit
plus permis d'offrir publiquement , on fut obligé de renouveller fouvent
le^ Edits , qui avoient é;té donnés fur ce fujet. Augvjfte n'avoit ( 333 ?
^'abord défendu qu'aux feuls Citoyens Romains , de participer aux bar-
h^f^s cérémonies des Gaulois. On a expofé les raifons qui font juger
que fur la fin de fon régne, il abolit les Sacrifices humains dans toute
l'étendue de l'Empire. , .
Quoi qu'il en foit , Tibère , fucceffeur d'Augufte , n'épargna riea
f*g. II I. 271. »?9.
' (3f«) Sôlin. pïD. 54. pag. 100. Edit. Salm.
pap. 21. p. jo,,' .' 1 .1
^if) Çi-deflous , not. 340. j'^t. $49,
^jjo) Ci-d. §. 18. . . .
(331) Cij<J..§. 1». jiot. 323.
(332) Ci-d. $. il. nol. 3 10, & §. îi.
(33^]$ueton. Claudio caf. 2;.
pouï
LIVRE IV. CHAPITRE IV. 311
pour bannir cette fuperftition (334)* tant des Gaules que de cette partie
de l'Afrique (335), qui étoit foumife à fa domination. L'Empereur
Claude prit auffi fort à cœur l'abolition des Sacrifices humains. Il extir-
pa , félon la remarque d'Aurélius Viûor (336), les fameufes fuperfli-
lions des Druides, ou, comme le dit Suétone (337)» leur cruelle
Religion , c'ell-à-dire la coutume d'offrir des Viûimes humaines. » Mal-
»gré tous ces foins, dit Eufebe (338) , l'on ne ceffa d'immoler des
» hommes que fous l'Empereur Adrien , lorfque la Dodrine de Jefus-
» Chrifl commençoit à éclairer les efprits dans toutes les parties du
» monde «.
Tous les Auteurs que l'on vient de citer, s'accordent à confirmer le
fentiment qu'on s'eft propofé d'établir. Ils parlent de l'abolition des
Sacrifices humains , mais ils ne font aucune mention de l'extirpation de
la feâe des Druides. La feule difficulté qui refte , eft celle qui fe tire
du célèbre paffage de Pline.» Les Gaulois , dit cet Hiftorien (339)
» ont été entêtés de la fuperftition d'immoler des hommes , jufqu'à
» un tems dont nos Vieillards peuvent encore fe fouvenir. Car on
»> fçait , au refte , que l'Empereur Tibçre a exterminé , SuJluUt.^
y> leurs Druides , & en général , toute cette forte de Devins ôc de
» Médecins «. Cependant le même Auteur , rapportant la manière dont
on cueilloit le Gui de chêne , parle des Druides (340) comme d'un Or-
dre de Prêtres aûuellement fubfiftant , & qui préfidoit au culte Di-
vin parmi les Gaulois. Un paflage de Dion Chryfoftôme ,, cité plus
haut (341), prouve qu'ils confervoient encore leur autorité du tems
de l'Empereur Trajan. Enfin Aufone (341), qui a écrit depuis l'éta-
(134) Ci-deffbus, not. 139.
(33s; TettuUian. Apolog. cap. 4.
(l 3«) Aurcl. Vi(aor. Ca:far.#ap. *. pag. 1 14.
Att rcftc , il ne faut pas s'arrêter i ce que' dit
Scncquc que Cikude intioduiût à Komc la B.c/
ligion des Druides , foit parce qu'il le dit dans
une Satire fort envenime'e , où l'on ne doit pas
chetckct la veritc, foit parce qu'on entrevoit
que cette accufation avoit pour fondement, que
les Druides , confultes par Claude , avoient dé-
clare qu'il pouvoit e'poufcr fa nièce , au lieu
que ces mariages ^toient condainne's parmi les
Romains. Senec. Apocolocynth. p. «04.
(337) Ci-d. not. 3 3 5-
(U S) Eufeb. Przpatat.Evang. Ub.IY. cap. i 5>
Tome II.
pag. 154. I s«. Kojfîjauffi c^, 17, p. 164, Lae-
tint, Div. Inftit. lib'.-l. cap. li. p. 7I.
■^3 39; Vojet. le texte de Pline ci-dertas $. tjl.
not. 3 10. M. Echard n'a pas entendu ce paffa-
ge. « Tibère , dit-il , avoit ab'oli , félon Tline',
» les Druides, les Poiites ôc les Devins des Qau-
» lois, appelle's Bardes.». Hlft. Rom. Liv. IV.
chap. 3- pag. 150. Cela n'eft point exacl. Les
Bardes .étoient proprement les Foëtcs des Gaii-
,i2JSi.c,cux que Pline appelle Vnn^ e'oicnt les
Divins , qui offtoiept les Sacrifices, éi qui pt^-
difoient l'avenir par l'inTpcAiou des viâimes.
Vtjez. ci7d. J. is, i ,,.
I (340) Ci-d.'S. 19, n«t. arfs.
[ (941) AufoQC avoit été tiéceftent ,ieCti~
Sf
w
i>y
311 HISTOIRE DES CELTES,
bliffement du Chriftianifme dans les Gaules , parlant des Profeffeurs qui
enfeignoient dans l'Ecole de Bourdeaux , dit (343) qu'Jttius Paiera
étoit de la race des Druides , qu'il tiroit fon origine du Temple
de Belenus , & qu'il portoit le nom de Paiera , parce qu'il avoit été
Miniflre de ce Dieu. Il dit encore que Phebitius (344) avoit été Mar-
guillier de BeUnus , & qu'il étoit de la famille des Druides ; ce qui
prouve que les Druides avoient confervé , jufqu'alors , l'intendance
des Sanûuaires.
Il faut donc expliquer néceffairement le paffage de Pline , dont il s'a-
git, d'une manière qui puiffe concilier cet Auteur avec lui-même,
&, qui, d'ailleurs, s'accorde avec la vérité de l'Hiftoire. Voffius a cru
réfoudre la difficulté, en difant (345) qu'il ne s'agit dans ce paffa-
ge , que de la Ville de Rome , d'où Tibère fit chaffer les Druides , les
Devins & les Médecins. Mais cette explication eft combattue par les
paroles même de Pline , qui dit que » les Gaulois ont été entêtés des
» Divinations , de la Magie & des Sacrifices humains, jufqu'au fiécîe
» où il vivoit ; mais qu'ils en font revenus depuis que l'Empereur
» Tibère a exterminé leurs Druides , & en général , cette forte de De-
w vins & de Médecins «. Un paffage de Tertullien lève toute la difficulté.
» Tibère , dit-il , (346), faifoit crucifier les Prêtres qui immoloient des
» Viûimes humaines «. Voilà le fait que Pline rapporte. Tibère n'abolit
point l'ordre des Druides ; mais il punit du dernier fupplice les Drui-
des , & , en général , les Sacrificateurs & les Devins , qui , contre la
teneur des Edits , offroient des Victimes humaines , fe mêloient de Di-
vinations & de Magie , & fe vantoient de prédire l'avenir , ou de
guérir les malades par le moyen de ces Sciences.
Les Druides fubfifterent donc dans les Gaules auffi long-tems que
le Paganifme. Mais les chofes changèrent de fate , lorfque la Religion
chrétienne commença à s'y établir ( 347 ). Le Peuple , inflruit par de
meilleurs Maîtres , abandonna fes Druides , & ne leur apporta plus
les préfens & les offrandes , d'où ils tiroient une partie confidérable de
leur fubfiftance. Bientôt l'Eglife , foutenue du bas Séailier , alla mi-
tien. Cet Empereui iVleva au ConfuUa» l'a»
«le Rome 379. Il mourut fous l'Empitc d'Ho-
aeiius. fabticii Biblioth. Lat, p, i jy, ij(,
/a 43) Ci-d. §. ïi.nm. ij«,.
(344)Ibi4. net. )37.
(345] Vofllus de Oiig. Scprogi. Idol. lib. I>
cap. 3S.p- 13 S-
(34<) Teitutlian. Apologet. cap. jr.
(147) Cl-d. not. 3 il.
LIVRE IV. CHAPITRE V. 31^
tier les Forêts confacrées , & les autres Sanôuaires des Gaulois. On fit
paffer les Druides pour des Sorciers (348) , qui faifoient des Affemblées
noâurnes à l'honneur du Diable. De cette manière , on fournit au
feux zèle un prétexte pour les perfécuter à toute outrance ; la ruine
du Paganifme dans les Gaules , entraîna néceffairement après foi l'ex-
tinâion des Druïdes.
CHAPITRE V.
5» !• yJ N a parlé , jufqu'à préfent , des San£hiaires où les Peuples Celtes o.-s pet f<»«-
tenoient leurs Affemblées religieufes , des terres qu'ils confacroient au "" nT'aûx'^
Service public de leurs Dieux , enfin des Druïdes qui étoient les Mi. *^'"''u^.
niftres de leur Religion, La forme de leurs Affemblées & la nature du
culte qu'on y offroit à la Divinité , font les objets qui doivent être
difcutés dans ce Chapitre.
Parmi les Gaulois & les Germains , les perfonnes excommuniées étoient Le«excom-
exclues des Sanâuaires (i), & par conféquent des Affemblées, des Sa- "toicm ei"
crifices & des Feftins facrés. Il n'étoit guères à craindre qu'un hom- *'*"'
me , à qui l'on avoit interdit l'entrée des Sanâuaires , s'y rendit mal-
gré les défenfes. D'un côté , les Druïdes faifoient bonne garde dans
les lieux confacrés; de l'autre, le Peuple (1), qui fe croyoit fouillé
par la feule vue d'un Excommunié , n'auroit pas manqué de donner
main forte au Clergé.
Il eff auffi trcs-probable que les étrangers , c'eft-à-dire, ceux qui tcsEtrangefi
n'étoient pas initiés dans la Religion du Pays , n'étoient point admis dans ^''nt'aJmii.
ces Affemblées. La loi du fécret , dont on a déjà parlé , fembloit le de-
mander ; & l'on ne peut guères expliquer autrement ce paffage de Stra-
bon (}) : » Artemidore , qui dit avoir été fur les lieux, affure qu'on ne
» voyoit autour du Promontoire facré ( 4 ) , aucun Temple dédié k
» Hercule ; il prétend que tout ce qu'Ephore en a écrit , n'eft qu'une
» pure fiûion. Selon lui , il n'y a dans cette contrée aucun Autel
» qui foit confacré à Hercule , ou à quelqu'autre Divinité , mais oa
(341) Ci-deflus , ch. III. $ i. noc. tt. $. tt.
jiot. 117. 1}». 242. $• zo. not. 190.
( I ) Cid. chap. U. $. JS. A0(. »44. f.^(.
{!■) Ali. noi. >4s>
(3) Stiabo lib. III. p. i}t,
( 4 ) Cap de $. Vincent , dans le ft.07aiuif
dei AtgairM,
fi4 H t S T O I R E DES CELTES,
«,voit en plufîeurs endroits , trois ou quatre groffes pierres , pofée*
» l'une auprès de l'autre. En conféquence d'un ancien ufage , les
» gens qui vont vifiter le lieu , tournent ces pierres &c font croire aux
" autres qu'elles ont changé de place d'elles-mêmes. Il n'eft pas permis
» d'offrir des Sacrifices dans cet endroit , ni même de s'y rendre de nuit :
» les gens du Pays difent que les Dieux l'occupent pendant la nuit.
w Ceux qui font curieux de voir le Promontoire , vont paffer la nuit
wdans un village voilin, & s'y rendent de jour. «
Ce Promontoire facré , dans lequel on voyoit , en plufieurs en-
droits , de groffes pierres raffemblées , étoit manifeftement un Sanc-
tuaire 011 les gens du Pays alloient faire leurs prières. Pendant le jour ,
on y menoit les Etrangers ; mais , comme on ne vouloit pas qu'ils y
offriffent des Sacrifices , ni qu'ils entraffent dans les Affemblées noftur-
nes des gens du Pays , on leur difoit qu'il étoit défendu d'immoler
des Viftimes fur le Promontoire facré , & même de s'y rendre pendant
^ la nuit. Il femble que l'on entrevoie quelque chofe de femblable dans un
^rr-t!«;' paffage de Liïcain ( 5 ). Enfin cette ccnjeûure eft confirmée cardes cir-
conftances qui doivent être de poids auprès des perfonnes fenfées. Les
Auteurs citent , à la vérité , des témoins , qui difent avoir vu des Fo-
rêts , oii les Peuples Celtes faifoient leurs Affemblées religieufes , des ar-
bres rougis du fang dont on les arrofoit , des têtes clouées à ces ar-
bres , mais ils n'en produifent aucun qui eût affifté aux Sacrifices & aux
Affemblées noftumes des Celtes.
les ceiK» fe §• H. On a VU ailleurs (6) que les Celtes fe rendoient à leurs Affem-
îevts°Aaem- ^^^^^ ^^ec l'épéc , le bouclier , & la lance ; qu'ils ne quittoient ces ar-
mts\mais"s' '"^^ ' "^ pendant le Sacrifice , ni pendant la danfe , qui étoit une par-
avcc°uie'tél *^^ ^^ ^^"^" "'^^^' ^^^ Sanfluaircs n'en étoient pas moins refpeôés (7) ;
fond"°"^'*' ^^^ Celtes n'y entroient qu'avec une vénération profonde. Il y en avoit
même où l'on obfervoit quelque chofe d'extraordinaire. Tacite , par-
lant d'une Forêt facrée du pays des Semnons (8) j dit : » On obferve
» une autre cérémonie dans cette Forêt. Perfonne n'y entre qu'il ne foit
»>lié, pour exprimer par là le fentiment qu'il a de la grandeur de
»Dieu, & de fa propre petiteffe. Si un homme fe laiffe tomber, dan»
(s)Lucan. lib. m. V. 4ZI. •''■' •■■^ '■ *C-S* ■'' ■'''"■ ' '■
'"(«JCi-deffiis.Liv. II. ch, 7. p. i«9 & fuiv. I (7) Ci-deffils chap. II. J. zj. ~-
eh. 10. p. 188, isi. & fuiv. & Liv. lU, çh. f . J (I] Ci-dcffus chap. U. $. 15. not. 195. Ii9.
LIVRE IV; CHAPITRE V. 315
M cet équipage , il ne lui eft pas permis de fe remettre fur fes pieds ,
w ni à d'autres de le relever ; il faut qu'il fe roule par terre jufqu'à ce
»> qu'il foit hors de la Forêt. Le but de cette fuperftition eft de mon-
» trer que c'eft là où la Nation a pris fon origine, & que réfide le Maî-
» tre de l'Univers , auquel tout doit être fournis «.
Pour entendre ce paffage , il faut remarquer que les Germains (9) &
les Sarmates (10) , quand ils ne pouvoient plus réfiiler à un ennemi, &
qu'ils fe préfentoient devant le vainqueur pour lui demander la paix,
avoient coutume de jetter leurs armes & de fe profterner à terre , te-i-
nant les mains jointes derrière le dos , de la même manière qu'on les
lioit aux prifonniers. Cet ade de foumiffion marquoit qu'ils fe remet-
îoient entièrement à la difcrétion du vainqueur. La même cérémonie,
pratiquée dans un Sanûuaire , indiquoit que l'homme eft toujours nud,
défarmé , & lié en la préfence de l'Etre fuprême ; que toute la force
de fes armes , n'étant qu'une foible relTource contre la Puiffance Divi-
ne , il ne lui refte d'autre moyen de falut , que de fe déclarer humble-*
ment le prifonnier &c l'efclave du Maître de l'Univers.
§. III. A l'égard du culte même que les Peuples Celtes rendoient à te enite qii«
leurs Dieux , on peut le réduire commodément à ces cinq chefs d'i^n^Tu'
principaux: la Prière, les Sacrifices, léchant des Hymnes, la Danfe, dont fiûort'l'»?"'
ce chant étoit accompagné , les Feftins facrés. Tous les Peuples qui ont *'"' '* ^ "**
reconnu une Divinité , ont fait auffi de la Pri«re l'une des parties les
plus effentielles de la Religion. Cela eft naturel. La Religion a pour but
d'affurer à l'homme la proteâion & les grâces de Dieu : pour les obte-
nir, il faut que l'homme fente la dépendance où il eft à l'égard de
l'Etre fuprême; qu'il reconnoiife en Dieu l'auteur & la fource des
biens qu'il délire , & qu'il exprime ces fentimens par la prière.
Les Scythes & les Celtes penfoient , fur cet article , de la même
manière que les autres Peuples, ou plutôt ils avoient , à certains égards,
des idées plus faines de l'excellence de la prière , que les Nations qui
paffoient pour les plus policées. Quoi de plus beau que la réponfe
que fit Anacharfis à un Grec qui lui demandoit fi les Scythes re-
(») Ci-delTus chap. IV- § 17. Jiot, 171.
Theodofii Excerpt. ex Dionis libro LXVIII.
p. 774. Xiphilin. Excerpt. ex Dion. lib. LXVIII.
(10) Amfflian.Matccllin, lib. XVII. cap. if,
p. iii.
T.CS Celtes ré-
citoicr.t leurs
piicrcs CI»
5i« HISTOIRE DES CELTES,
connoiflbient quelques Divinités. » Oui , dit-il (i i) , nous reconnoif-
>» fons des Dieux , & nous croyons même qu'ils entendent le langage
>» de l'homme. Nos idées , fur cet article , font toutes différentes des
» vôtres. Vous prétendez nous furpaffer du côté de l'éloquence , & ,
w malgré cela , vous vous imaginez que les Dieux entendent avec
«moins de plaifir, la voix de l'homme, que le fon des inftrumens feits
M d'os ou de bois «. Anacharfis avoit raifon. Les idées & les fentimen*
que la prière exprime , font un fervice raifonnable , offert par l'efprit
&i. par le cœur , auquel Dieu prend infiniment plus de plaifir qu'à la
mufique que les Grecs regardoient comme la plus belle partie de leur
culte.
La prière étoit donc l'une des principales parties du culte public
de la Divinité , parmi les Peuples Scythes & Celtes. Les Sacrifices &
les autres Cérémonies qu'ils pratiquoient dans leurs AfTemblées »
étoient toujours accompagnées d'une prière. Par exemple , Hérodote
dit (il) que *> les Sacrificateurs des Scythes , quand ils frappoient la
» viûime , adreffoient en même tems , une prière au Dieu auquel elle
» étoit affeûée. Ailleurs II dit la même chofe des Perfes (13). Quand un
H Perfe a réfolu d'offrir un Sacrifice à quelqu'un des Dieux dont je
» viens de parler , il conduit la Viûime dans un lieu pur , & adreffe
» une prière au Dieu auquel la Viâime eft deftinée. Celui qui facrifie
» ne prie pas uniquement pour lui-même , mais pour tous les Perfès ,
« 8c' fur-tout pour le Roi, faifant, ainfi dépendre fa propre félicité dç
V celle du corps dont il eft membre «. Tout de même , quand les
Gaulois falfoient la cérémonie de cueillir le Gui de chêne (14),» un
Druide immoloit deux taureaux blancs , & prioit Dieu qu'il rendît ce
don falutaire à tous ceux qui le recevroient«.
Ce que les Celtes av oient ici de particulier, c'eft 1^. Que leurs
prières étoient des Hymnes qui fe récitoient en chantant. On l'a prouvé
fort au long dans l'un des Livres précédens (15). La prière que le
foldat faifoit en allant à la charge , étoit un cantique auffi bien que l'ac?»
tion de grâces qu'il offrojt après la ridoire. Les Cantabres chantoieitf
(i i] Fluuich.CoDviv. Sept, sapient. Tom, U.
(11) Herodot. IV. «•.
(i) ) Hetodot. I. 13a, Yo^es 1%^ Stra-
(14; Pliii. Hift. Nat lib. XYI. cap. 44,
p. }i»,
( is ) Çi-dcflui ]Lir, II, ck. |e> r- '*^s
«* fuiy.
LIVRE IV. CHAPITRE V. 517
Jes Hy»nes Jufques fur la croix & an miHeu des tourmens ( 16). On
voit bien que ces Hymnes étoient des prières convenables à leur état *
par lefquelles ils fe recommandoient à Dieu , & lui demandoient qu'S
reçût leur ame dans le féjour de la félicité;
Peut-être qu'on ne fe tromperoit pas en portant le même jugement
des Cantiques (17) auxquels les Prêtres ou les Médecins Thraces at-
tribuoient la vertu de guérir les maladies. C'étoit des prières deftinées
à fléchir les efprits irrités qui avoient la vie & la fanté de l'homme entre
leurs mains. Cette coutume de chanter les prières s'étendoit jusqu'aux
Perfes. De - là vient que Scrabon , parlant des prières que les Mages
adreflbient au feu & à l'eau , les appelle ( 1 8) i-Tud^àç , des cantiques ,
ou des enchantemens. Hérodote dit (19) auffi que les Mages chantoient
la Théogonie fur les chairs de la viftime que l'on avoit immolée ,
& que c'étoit en cela que les Perfes faifoient confifter la confécra-
tion. La Théogonie étoit un Hymne qui, rapportant l'origine de tou-
tes les chofes à Dieu , avertiflbit , par cela même , les hommes de ren-
dre hommage au Créateur de tous les biens qu'ils tenoient de fa libé-
ralité, & de lui offrir le facriiîce d'un cœur plein de reconnoiflance
pour fes bienfaits.
Pour revenir aux Celtes, & à la forme de leur culte, il eft aflfez vrai-
femblable que le Druide , en recevant les Viôimes & les autres Obla-
tions de la main de l'Offrant , entonnoit une prière que l'Aflemblée
chantoit avec lui ; & il paroît naturel d'expliquer , de cette manière ,
le palTage de Diodore de Sicile , qui dit ( i lo ) » que les Gaulois n'of-
» froient aucun Sacrifice fans le miniftère des Druides , parce qu'ils
M étoient perfuadés qu'un homme qui veut offrir des préfens aux
> Dieux , ou leur demander des grâces , doit recourir à la médiation
w de ceux qui connoiffent la Divinité , & qui font fes confidens «.
a°. Une autre coutume particulière aux Celtes, c'efl que, récitant LMCelteifjï-
leurs prières debout, tenant le bouclier de la main gauche, & la lance i'^auchrA»
de la droite , ils avoient coutume de tourner le corps tout entier du ''"".i""*
(i<)lbi4. p. ii{.
(iT)Ci-d. Liv. III. ch. It. §. t. not. 1 1.
Lit. IV. ch. i.. $. le.
(itjstnbo. lib. XY. p. 7]t. 713. ci-itfTm
Liv. III. ch. 9. {. 4. not. it. ck. 10, (.
aot. 17.
( yg ) Herodot. 1* iji.
(loj Ci-dtOHi ch. lY. $. ). aoj. <(,,
•
3i8 HISTOIRE DES CELTE iS,
côté gauche (21 )• Pline a cru que cela méritoit d'être remarqué, par-
ce que les Romains avoient un ufage tout oppoie. » Quand nous ado-
» rons , dit-il (2 1) , la Divinité , nous baifons notre main droite , &
« nous faifons faire un tour de ce côté-là à tout not»e corps , an
»Iieu que. les Gaulois croyent qu'il y a plus de dévotion de fe tour-
» ner du côté gauche «. Les Anciens ne difent point quel étoit le fens &
le but de cette cérémonie , & pourquoi la pratique des Romains difFé-
roit fur cet article de celle de Gaulois ; mais il importe peu (23) de
s'en occuper.
conicûiirct Peut-être la coutume de tourner tout le corps , & dç regarder ainfi
ur cec u jg». f'^j.j.ëfHvement vers les quatre parties du monde , marquoit-elîe que
la prière s'adrefloit au Dieu Teut , à l'efprit univerfel , & non pas aux
Divinités fubalternes qui étoient attachées à certains élémens , & à un
lieu déterminé. Peut-être que les Gaulois regardoient comme une
chofe plus refpeûueufe , de fe tourner en priant du côté gauche , parce
qu'un homme , armé à la manière des Celtes , fe découvroit en tour-
nant à gauche , au lieu qu'il fe couvroit & fe mettoit en défenfe en
tournant à droite. Peut-être enfin cet ufage n'étoit-il qu'arbitraire , de
même que plufieurs autres cérémonies , tant anciennes , que modernes,
le ctiite dct §. IV. Les Sacrifices étoient la féconde partie du culte religieux des
fe^'^i^drî Peuples Celtes. Ce n'eft pas ici le lieu d'examiner qu'elle pouvoit être
iu Sacrifices, l'origine d'un ufage , en vertu duquel l'homme prétendoit offrir à la
Divinité des chofes dont elle n'a pas befoin , 6c qu'elle a manifeflement
( 21 ) Lucan. lih. I. v. jo.
Kt vos batbaricos ritus raoremque finiftrum
Jacromm , Druidj: , pofitis repctiltis ab armis.
Dom Jacques Maitin , dans le Livre I. de U
tieliiion dei Gtulois ,a prétendu , pag. 229 , que
CCS mots moremque ftnifirurn fucrorujn , defigncnt
la coutume lingulière de fe tourner à gauche
dans l'exercice de la Religion. Pour tout
homme qui entend le Latin , Lucain parle
cridemment du barbare & liniftre ufage d'im-
moler des viûimes humaines. Les Romains
l'avoient interdit avec beaucoup de raifon ;
mais, félon les apparences , ils ne s'embarraf-
foiéiit guères que les Gaulois fe tournaifent à
âroite ou à gauche en faifant leurs prières.
tlote dt l'Editeur.
(îï) ?Uti. Hift. Nat. lib. XXVIII. cap. z.
pag. 564. Ce que Pline dit ici eft confirme' pat
Plauts & par Plutatque. Plaut. Curculion. Aft.i.
Scen. I. V. 70. Plutarch. Caraill. Tom. r. p. i j t«
Cafaubon , ad Athen. p. zys- a donc jugé avec
raifon qu'il y a faute dans le pafHge d'Athe-
aée , qui dit que lei Celtes tdorent les Dttux
tn Je tourn»nt vers la droite. Athen. lib. IV.
cap. 12. p. I$ï. Le Père Hardouin, dans fe»
Notes fut le paflage de Pline , prétend que le»
Gaulois fe tournoient, en priant ,dc In gauche
à la droite , & les Romains de la droite à U
gauche. Pline , Plaute & FlutJrque difent
expreffémenr le contraire.
(23) On peut voit Barn. Briflbni» Form.
Ub I. p.. 35, Fctti fithoci adv. lib. I. cap. 3,
& 7.
deflinées
r
huauiucs.
L I V R E' IV, C H A P I T R E V. 319
deftlnées à rutiUté du genre humain. Quand il feroit vrai que la
Religion naturelle approuve & prefcrit les Sacrifices , proprement ainfi
nommés , il faudrolt toujours convenir que les Celtes oiî'roient leurs
Vidimcs dans des vues , non-feulement fuperftitieufes , mais encore
illégitimes. C'eft ce qu'on aura occafion de prouver, en examinant les
raifons par lefquelles ils prétendoient juftifier la néceffité & l'utilité
des Sacrifices. Il fuffira de remarquer ici que ces Peuples ofFroient à
leurs Dieux des viôimes de toute efpèce , comme les autres Payens ,
quoiqu'ils le fiflent avec des cérémonies différentes. Jules-Céfar s'eft
affurément trompé , lorfqu'il affure (14) que les Germains n'ont point
de Sacrifices ; & , fuppofé qu'il n'eût voulu dire autre chofe , fmon
que ces Peuples ne faifoient pas beaucoup de cas des Sacrifices , il
n'auroit pas laiffé d'être mal informé , parce qu'il eft confiant que les
Germains offroient des Sacrifices dans toutes leurs AfTemblées, & qu'ils
déféroient beaucoup aux préfages qui fe tiroient des entrailles des
viâimes.
Les Sacrifices barbares des viûimes humaines fe préfentent natu- D«sTiciiiiic«
Tellement les premiers. Plutarque , l'un des plus grands hommes de
l'antiquité , a cru pouvoir propc^r , à l'occafion de ces ufages inhu-
mains , cet étrange problêm«»^dî r Athcifmt nejl pas préférable , par
\\ plujîeurs endroits , à la fuperjliùon? N'auroit-il pas mieux valu, dit il
H (15) , que les Gaulois n'eufTent jamais eu aucune idée de la Divinité ,
» qu'ils n'en euffent rien appris, ni par leur propre méditation , ni par
» la voie de l'inflruftion, que de fe figurer des Dieux, qui prennent
wplaifirà l'tffufion du fang humain, que de regarder comme le culte
» &c le facrifice les plus parfaits qu'on puiffe leur offrir , ceux où l'on
» égorge des hommes à l'honneur de la Divinité «.
Pkitarque , & ceux qui , de nos jours , ont pris plaifir à faire valoir
ces argumens , auroient pu exercer leur génie plus utilement qu'à exa-
miner de femblables queflions. Il efl très-naturel que des foldats qui
fe trouvent dans la nécefîité de choifir entre deux maux dont l'un &
l'autre efl inévitable , examinent & décident ce problême : Si une mort
honorable n^ejl pas préférable , à plufîeurs égards , à une dure & honteufc
(24lCi-d.ch. IV. $. X. not. i,
(ïj, Plutarch. de fupeiftit. Tom. II. p. 17J.
Tome //, T t
I
330 HISTOIRE DES CELTES,
captivité. Mais il cil: abroliiment Inutile de demander s'il m vaudro't
pas mliux être fcélcrat que fuperjiit'uiix ; fi lu fupcrjlinon nejl pas un
plus grand iiiiil qui l'ii/ipi-té , parce qu'un homme fage ne fera jamais
réduit à choilir entre l'Athéifme , qui arrache la Divinité de fon trô-
ne , & la fuperftition qui ne l'y place que pour l'outrager par un
culte barbare , indigne de fa grandeur & de fa bonté , &; direâe-
ment oppofé à l'efprit de la Religion , qui n'cxifte que pour la con-
folation & pour le bonheur de l'homme , qui eft faite pour le faire
jouir dès cette vie , des biens ineffables qui l'attendent dans l'autre.
Il faut, cependant, rendre juftice à Plutarque. Cet Ecrivain- Philo fophe
ne paroît avoir eu aucune mauvaife intention , en propofant cette
odieufe queftion. Il feroit à fouhaiter qu'on pût en dire autant de ceux
qui , de nos jours , font profeffion de Phiiofophie & examinent la même
thèfe. S'ils fe font acharnés à prouver que la Religion a toujours fait
plus de mal que de bien , n'eft - ce pas pour en conclure que toutes les
Religions ne font que des fyftêmes politiques que l'ambition & la cor-
ruption des Miniftres des différens cultes , ont rendus fi odieux & fi
dangereux , qu'il faut fe pafler de Religion ? S'ils n'ont point ofé
avancer ouvertement cette conféquence , au moins fuit-elle néceflai-
rement de leurs principes. On avouera de très-bon cœur , que la fuper-
flition faifoit de terribles ravages parmi les Celtes , & qu'elle les por-
toit à des excès de cruautés dont la feule idée fait frémir. C'efl ce que
difoit Diodore de Sicile (16) : » La férocité des Gaulois fe remarque
» fur-tout dans leur Religion. Il n'y a rien de plus impie que les vidi-
» mes qu'ils préfentent à la Divinité , ni rien de plus barbare que la
» manière de les offrir «. On avouera aufll que dans chaque Religion il
a régné des fuperftitions , & qu'il en régne encore aujourd'hui , qu'il
s'cft toujours trouvé des Prêtres ambitieux, fanatiques, ignorans ou
corrompus , qui ont boulverfé les Sociétés ; mais loin de nous qu'à
caufe des abus , il faille fe paffer de la Religion. Ceux qui prêchent cette
Doftrine font encore plus dangereux que les Prêtres contre lefquels
ils déclament. Tout Miniftère fage détruira les fuperftitions , fermera la
bouche aux mauvais Prêtres, & protégera la Religioa (*).
(26) Ci-d. Liv. II. chap. 19. p. 290-291.
( * ) Voyez les Dijfenamm fur l'union <U U Religion de U Mirait & de foUtitjnt 5 tir^CS d'ua 0«-
«rage de M. ViKBURïOH, pat M. SiiioutriE, ALindru 1742. z vol. jimî.
•li
LIVRE IV. CHAPITRE V. 331
§. V. Revenons aux Sacrifices de vidimes humaines. II eft confiant
que tous les Peuples Scythes & Celtes (zy) offroient à leurs Dieux des
viâimes humaines : ce fait n'étant nié par aucun Auteur , quelques re-
marques générales concernant les fuperftitions que l'on doit repré-
fenter , fuffiront , quant à préfent.Les preuves fe préfenteront en fou-
le dans le refte de l'Ouvrage.
Jl faut avouer d'abord que tous les anciens Habitans de l'Europe
participoient , à cet égard , à la barbarie des Nations Celtiques. Ils im-
moloient tous des viâimes humaines. On n'eft pas furpris de voir que
cet ufage fîit établi parmi les Sarmates. Comme , entre tous les Peu-
ples Scythes , ils étoient les plus cruels , il ne faut pas s'étonner que
leur Religion fe foit long-tems reffentie de l'extrême férocité de leur
naturel. On voyoit , jufques dans le douzième fiécle du Chriftianifme ,
des Peuples Sarmates , ou efclavons , ( car c'eft la même chofe ) , offi-ir à
leurs Dieux ( 2.8 ) tous les Chrétiens qui tomboient entre leurs
mains. Il falloit même que le Sacrificateur bût du fang de ces viûinies,
pour devenir capable de prononcer des oracles. Mais ces Sacrifices
avoient anciennement été établis dans la Tofcane (29), en Sicile (30),
à Lacédémone (31), & , ce qui eft très-remarquable , les Athéniens (3 2) ,
&C tous les Grecs (33) en général , long-tems après qu'ils furent fortis
de la Barbarie , ne laifTerent pas de retenir & de renouveller fort fou-
vent ces cruels Sacrifices , qui étoient en ufage , parmi eux , depuis
un tems immémorial. Toutes les fois que (34) le Pays étoit affligé de
la pefte, de la famine, ou de quelqu'autre fléau, il falloit appaifer les
X)ieux irrités , en leur offrant pour viftime proi)itiatoire , un homme
Tous les Peu-
ples Scfchcf
& Celtes of-
froient des
viclimes hu-
mainesàleurs
Dieux.
Tous le! an-
ciens Habi-
tans de l'Ea-
roiie f.icti-
fioient l'es
viilim-^ 1)U-
n a'mcs.
(ït) Ci-d. I.iï. I. ch. to. p. sj. not. ïi.
Liv. m. chap. i. $. 3. not. 7. eh. 4. $. 7.
not. 13. chap. ;. $. 7. not. i£ Z7. ch s- i- 4.
■ot. 9. 10. II. 14. §• S' not- Z7- i- >3- not. $S.
§. 14. not. Ity. 114. cil. 7 J. i.not. i. 10. !(.
§. 1. not. 34. chap. t. $. }. not. 11. $. 9.
not. 73. J. 10. not. 105. io«. $. II. not. 1 14.
ch. 14. (j. 13. not. 113. Liv. IV. ch. a. $. j.
BOt. 25. §. 4. not. 3 <• 33 §. II. not. 83. § ;».
«ot. 1 14. 1 1 s. II. chap. }. $.4. not. 31. J. 5.
«ot. 44. ch. 4. J. 3. not. s- §• 14' not. 141.
$.21. not. ] 10. 3ii.$.ï3.noi. 31». 3ïS.$. »4'
BOt. 33». 3J7' Î43- ch. s- § 4 not. 25.
( i» ) Helmold. Chronic. Slaror. lib. I.
cap. 5 3. p. iiC' lib» II. cap. 12. p. 240.
(29). Schol. aj Findar. Fyth. II. p. izo,
(30) Virgil. ^neid. IX. v. 58$. Serviu»
ad h. 1.
(il) Ci-deffus , Lit. IIl. ch. t. $. il.
■ot. I I z
(il] Scholiall. ad Ariftoph. Equic. p. iSI.
col. a.
(33) Tzetr. ad Lycoph. p. jS. SetTÏui Da-
niel, p. 273.
34) Voyez - en des exemples Eufcb. de
Laudib. Conftantini p. $33- 534- Wier. de
Frzftig dxm. lib. I- cap. 7. p 37- 3'- Voflîu»
de Or:g. & ProgrcflT. Idol. lib. II. cap. 4.
p. i$S' cap. Il, p. 18$. .Turieu de* CultM
p. J7J. U fuiy. p. 7>3. Se fuiT.
Tu
lï
53^ HISTOIRE DES CELTES,
que l'on faifoit périr avec mille exécrations , par lefquelles on prétendoit
le charger de tous les crimes & de tous les maux de la Cité.
On ne prétend pas en conclure que cet ufage venoit des anciens
Habitans de la Grèce , c'efl-à-dire , des Pélafges. Il eft vrai que ces Peu-
ples l'avoient porté en (35) Italie, s'il faut en croire Denis d'H.dicar-
nafle. Il fe pourroit, néanmoins, que le nouveau Peuple qui lucccda
aux Pélafges , tint cette fuperftition des Egyptiens &C des Phéniciens ,
qui avoient envoyé plufîeurs Colonies en Grèce , & particuliértmcnt
à Thébes & à Athènes.
Au refte , puifque » les Sacrifices des viôimes humaines étoient en
» ufage, comme le dit Eufébe (36), dans la plus grande partie de la
» terre , chez les Rhoditns , à Salamine , en Egypte , dans les Ifles
»de Ténédos, & de Chius, chez les Phéniciens , dans l'Ifle de Crète ,
M à Laodicée , à Carthage , chez les Thraces , & parmi les Scythes « ,
il en rèfulte très-naturellement , qu'à cet égard , tous ces divers Peuples
n'avoient rien à fe reprocher. Les Grecs ne pouvoient pas condamner
légitimement dans les Celtes , des fuperflitions dont ils n'étoient pas
exempts. Les Romains , eux-mêmes , après avoir défendu , fous des
peines très-rigoureufes, aux Gaulois qui leur étoient foumis , d'immolef
des hommes, ne laifToient pas d'en offrir en différentes occafions (j?)*
N'étoit-ce pas autorlfer indire£lement cette cruelle fuperltition ? 11 ne
faut donc pas être furpris que l'on ait eu tant de peine à arracher aux
Peuples Celtes des Sacrifices qui étoient aufli anciens qu'univerfelle-
ment reçus parmi eux ; mais ces Peuples ne fe fondoient pas uni-
quement fur l'ancienneté de l'ufage : ils croyoient pouvoir le jullifier par
de bonnes raifons.
(3 j) Ci-d. Liv. III. th. «. §. 14. not. 115.
(3 S) Eufeb. Préparât. Evanj. lib. IV, cap. i 6.
pag. 154. Voyez, aufli Porphyr. de Abftinent.
îib. IV. p. 221. Edit. Lugdiin 1620.
(37) Cl voit que, du tems de Ce'far le
Biftateur , deux hommes furent immoles au
Cha.np de Mars par les Pontifes & par le CheF
«l«s Prêtres Saliens. Pline d t que , de Ton :ems,
•u avoit enterré v:v.ns un Grec & une Grec-
que Plutarque attefte qae , peu d'années avant
q-i'il compofât fes QUfftions Romaines , on
avoit aufli «xeicé la même batbaiie Aie un
Gaulois. V rs l'an de J. C. 270 , l'Empereui
Aurélien demandant au Se'nat qu'il fit conful-
ter les L vres Sibyllins , offre de fournir pour
les facrificfs , des Prifonniers de elle Natio"
qu'on fouhaiteror. Voyez. Plin. lib. XXVIII-
Dio. lib.XLVlII. Vopifc. de Aurel an. PluMrch-
Graec. & Rom. ( omp. T. II p. 310. Clen»-
Alex. Coh ad G. p. 37. Fi;fcb. P aep, Evang-
lib. IV. cap. 16. p. 157. Dio CafT. lib. XLIII-
pag. 225. Aufon! Idyll. 16. Min Félix p. 314.
Lamprid Hcliogab. pag 8oy. Echatd Hift.
Rom. Lir. V, eh. t. p. i«i.
L I V R E IV. C H A P I T R E V. 333
Ç. VI. Ils difoient i^. Que (38) la vie & le fang d un homme étoient Pomqooi.ï*
le culte le plus parfait , le Sacrifice le plus agréable que l'on pût offrir v«« Us i'.>.-
^ii-//-i /r 11 P''^ Celtes
à la Divinité. Cette confecuence lembloit relulter , allez naturelle- otHoicnt a
ment , d'un principe reconnu par tous les Payens. Admettant la né- de'via'nL
ceffité & l'utilité des Sacrifices , regardant la deftruftion d'un ani- ''"m»*»"-
mal comme un hommage, par lequel l'homme reconnoît , non -feu-
lement la dépendance continuelle où il eft à l'égard de l'Etre fuprê-
me , mais encore les droits que la Juftice de Dieu lui donne fur le
pécheur, il auroit été bien difficile qu'ils n"en concluffent pas que la
plus parfaite de toutes les créatures eft aufîi la plus, excellente de toutes
les viflimes. En immolant un homme, ceux qui offroient le Sacrifice ,
reconnoiffoient par-là qu'ils avoient reçu la vie de Dieu , qu'ils avoient
mérité de la perdre , & qu'ils ne la confervoient que par un effet de la
bonté & de la miférlcorde de cet Etre fuprême. Tel étoit l'un des rai-
fonnemens des Celtes.
Ces Peuples difoient encore (39) que l'homme efl infiniment plus
parfait , & plus excellent que les animaux. Ils en concluoioient (40)
que le Sacrifice le plus excellent que l'on pût préfenter aux Dieux , étoit
celui d'un homme, & qu'entre (41) tous les aftes de la Religion , il n'y
en avoit point de plus facré.
La conféquence étoit certainement fauffe , parce que la Religion
toute faite pour l'homme & pour le conduire à la perfeftion & au
bonheur dont il eu capable, ne lui demande que le facrifice de (es vi-
ces &C de fes paffions j mais elle fembloit réfulter naturellement &
néceffairement des principes, ou plutôt des préjugés que les Payens
avoient adoptés.
1°. Les Celtes prétendoient que (42) /es Dieux immortels ne pouvoient
être appa'ifis , à moins qiCon ne rachetât la vie d'un homme par celle d'un
autre homme ; c'tft- à-dire, qu'ayant des Sacrifices d'expiation , deflinés
à délivrer le pécheur de la peine qu'il avoit méritée par la fubflitu-
tion d'une viéVime que l'on immoloit en fa place, ils croyoient, en
même tenis , que cette expiation dépendoit , non de la deftrudion
(3I Ci-delTus , $ 4. not. 15.
(39 Auguftin. deCivit. Dei lib. VII. cap. 19.
(40) CJ-d. ch. IV. $. a, not. 324. Uvre III.
thap. 4. §. 7. note 33.
{41) Ci-d. cil. IV. §, 2 1. not. 3 10.
(42 Kyrî. le paflage de Jules-Cefai ci-detT.
Liv. III. ck. 1 7. $. 6, noc. i j.
334 HISTOIRE DES CELTES,
d'un animal ( la viûime n'auroit pas été équivalente , ni la fatisfaftion
proportionnée ) , mais uniquement de la mort d'un autre homme. En
conféquence de cette idée (43)} "les Gaulois fe fentoient-ils atta-
» qués d'une maladie dangereufe , fe trouvoient-ils dans une bataille
» ou dans quelqu'autre danger , ils immoloient des viûimes humai-
» nés , où ils faifbient vœu d'en OiTrir «. Par la même raifon, ils fai-
foient périr ces viftimes par les tourmens les plus cruels , afin que l'ex-
piation en devînt plus parfaite , afin quelle eût plus de proportion avec
la grandeur des crimes qu'elle devoit effacer, ou des maux qu'elle
devoir racheter.
Si la vraie Religion admet ces principes , dans un fens raifonnable
. & avec de jufles reftriclions (44), il faut , cependant (45 ), avouer
qu'ils étoient faux , & infoutenables, dans le fens que les Celtes leur
donnoient. Adorant un Dieu qui prenoit plaifir à voir répandre du
fang , qui n'avoit placé l'homme fur la terre que pour y faire \m appren-
tifiage de valeur & pour s'y dillinguer par la deftruâion de fes fem-
blables , ils en concluoient que le moyen de fléchir la Divinité étoit
(4.3) Ibib.
(44^ J'ai vu des perfonnes favantes chercher
iins la véritable Religion , le fondement des
Ti^ïmes humaines, u La foi nous apprend , di-
»foient-ils , qu'il lui a fallu une viftimc
» Tlicuad'i^ue , c'eft-à dire. Divine & Humaine
» tout enfemble. rcur-ctrc que ceux qui abor-
» derent les premiers dans les Gaules, avoient
» appris des Defcendans de Nol' , qu'il vien-
» droit quelqu'un qui , par fa mort , réparetoit
» tout le mal des hommes 8c de la nature, De-
» là à des viiHiimes humaines le chemin eft
» court.» Cette objeftion eft, fans doute , la
plus ipécieufe que l'on puiffe propofer • mais
elle n'a aucune folidité. Il y a une di£Fe'rence
eflentiellc entre le facrifice de Jesos-Christ
& tous ceux que les hommes ont offerts à telles
Divitiités que ce puifie être. En effet , quelle eft
l'idée que nous prcfentcnt ces facrifices? Elle
réunit trois chofes : les hommes étoient les
facrificateurs, li viftime étoit l'offrande , 8c 1»
Divinité étoit l'objet auquel on offroit cette
viftime : Or dans le Sacrince de Jesus-Ciirist,
les hommes ne font nullement le rôle de Sa-
crificateurs. Les Juifs n'ont fait mourir notre
Divin Sauveur que par l'effet de l'aveuglement ,
& de la haine la plus envenimée; 4c ils ne l'ont
prcfenté aux ruiffances de la terre que comme
un criminel , un blafphémateur , un fcélérat Se
«n perturbateur du repo^ public. Il eft biea
vrai que U mort dt jEsus - Chkisï étoit un
véritable Sacrifice offert à Dieu , mais la vifti-
me étoit volontiire. j£4US-CHB.i^r étoit, ea
mcmetems , 8c le Pontife Se l'Holne- Il s'im-
moloit lui-même à fou Pcre pour tous les hom-
mes qui, en qualité de pécheurs, avoient tous
mérité la mort 8c la mort éternelle. Ce n'étoit
point de la part des hommes que Dieu avoit
exigé un pareil facrifice , puifque, bien loi»
d'avoir été de leur côté un afte de Religion ,
ce Déicide a été le plus grand de leurs crimes.
On n'en peut donc nullement inférer que Dieu
ait Jamais dcnian le aux hsmmcs des victimes
humaines. Il eft bien naturel de penfcr que
cette elpèce de facrifice dans leurs mains , ne
pouvoir être que le fruit de la fupertlition la
plus barbate , fuggérée par le Démon même
qui eft l'ennemi de tout le Genre-humain, 8c
qui ne cherche que fa pette 8c fa deftruftioH.
Note de rEditenr.
(4S) To;;:. ci-defius iir. III. eh. 17. $. <•
L I V R £ I V. C H A P I T R E V. 335
cle lui promettre du fang , & que l'on avançolt en faveur auprès de
luii, à proportion des viftimes humaines qu'on lui ofFroit. Ainfi les
Germains (46) , aulTi bien que les Gaulois (47), quand ils étoient fur
le point d'en venir à une bataille décifive , faifoient vœu d'exter-
miner tous les hommes &C tous les animaux qui tomberoient entre leurs
mains. Selon ces principes , la Divinité favorifoit toujours le parti qui
lui promettoit le plus de viftimes.
3°. Les Celtes, en immolant des viûimes humaines , cherchoient à
découvrir quelque événement qu'il leur importoit de prévoir , ou de
s'mftruire de leur propre deftinée par le fang & par les entrailles des
viûimes.
On a déjà vu que cette fuperftition étoit commune aux Gaulois (48) ,
aux Germains (49) , & aux Efpagnols (50). Tacite remarque que les
Habitans de la Grande-Bretagne (5 i) en étoient aufli fort entêtés. Tous
ces Peuples ajoutoient foi à différentes obfervations que les Devins ièi-
foient en égorgeant un homme ; ils regardoient ces obfervations comme
des préfages certains &c infaillibles de tout ce qui devoit leur arriver ; ils
en concluoient qu'il devoit être très-permis de faci-ifîer ,non - feulement
un prifonnier , mais encore un citoyen , lorfque fa mort étoit un
moyen pour prévoir & pour prévenir le danger dont un Etat entier
étoit menacé. Ici la conféquence pouvoit être jufte ; mais le principe
ne valoit rien. Il falloit avoir perdu toute raifon pour s'imaginer que
la deflinée des Etats étoit écrite dans les entrailles d'un homme. Mais,
fi cette manière de préfager l'avenir étoit abfurde & ridicule , les Grecs
& les Latins , lorfqu'ils eurent aboli les Sacrifices de viftimes humaines,
n 'étoient pas plus raifonnables de chercher à connoître les chofes fu-
tures en fouillant dans les entrailles des brutes.
4**. Les Celtes avoient encore quelques autres raifons qui fervoient
de fondement , ou, au moins, de prétexte, à ces facrifices barbares.
Tantôt les malheureux que la fuperflition imnioloit, étoient des Mefla-
gers ( 3 X ) que l'on envoyoit a Zamolxis , & que chacun chargeoit de
fes commilïïons pour les parens & pour les amis qu'il avoit dans l'autre
(4«) Tacit, Ann. XIII. cap. 57.
(47) Czfar VI. 17. , •
(4«]Ci-deff ch. IV. $. J4, not. 140. 141.
(49) Ci-d. ch. ï. §, 24. not, 191. 194. ^ not. <i. f).
(50) Ci delTiis , ch. IV. §. t. not. 71.
(s«) Tacit. Ann. XIV. 30.
(sî) Ci-deirus, l:v. III. «h. il. J. t.
336 HISTOIRE DES CELTES,
monde. Tantôt on les clépôchoit pour former la fuite des grands Sei-
gneurs que la mort enlevoit , Se la chofe fe pratiquoit ainfi , non-feule-
ment chez les Scythes Septentrionaux (53), mais encore parmi les
Gaulois, au milieu defquels (^4) la Femme, les Efclaves & les Cliens
d'un homme de qualité, étoient immolés , ou fe donnoient eux-mêmes
la mort auprès de fon biicher.
Les hommes qui étoient facrifiés de cette manière , mouroient ordi-
nairement fans aucun regret , & avec la ferme efpérance de paffer fûre-
ment & infailliblement à une vie bienheureufe. Cette perfuafion étoit
en eux, l'effet du dogme capital (55) de la Religion des Celtes , de cette
idée qu'une mort violente étoit le feul chemin par lequel l'homme pût
parvenir au féjour de la gloire & de la ftlicité.
tes peup'cî §• VIL II faut volr préfcntement quels étoient les fujets que les Cel-
Wcn^poùr' t^s avoient coutume de choilir pour les Sacrifices dont nous parlons. L'u-
ptUownt's ^''S* ^^ P^"^ ancien &: le plus commun étoit d'immoler ceux que l'on
ic^m'.re. faifoit prifonniers à lagaerre. Comme ces Peuples belliqueux promet-
toient à leurs Dieux de femblables vidimes à l'entrée de la campagne ,
fie à la veille de l'aftion , fur-tout , lorfqu'il y avoit apparence que le
combat feroit meurtrier, ils ne manquoient jamais, après le gain des ba-
tailles, de s'acquitterde leur vœu, & d'offrir ce qu'ils appelloient le plus
excellent de tous les facrifîcos , aux Dieux , par le fecours defquels ils
croyoient avoir remporté la viclï)ire. On le pratiquoit ainfi en Ef-
pagne (56) , dans les Gaules (57), dans la Grande-Bretagne (58), &
dans toute la Germanie (59).
. Cependant il étoit rare que l'on immolât tous ceux que l'on avoit
faits prifonniers fur l'ennemi, & encore plus , que l'on exterminât, à la
façon de l'interdit , les femmes , les enfans , les animaux , avec tout ce
■11-, ■ -'jp ■-'■ ■■■'■ ■ ■- ■ ■ •
vie par une nort violence.
(jj) ibid. noc. «5.'««."
(54; Ci-dcfTus, Liv. m. ch. i!. § i.
not. «».§■«- not. 51. ,tj.
iSS) Ci-deiTus, Liv. III. ch. VI. §. i6.
not. 195. ch; 7. §. i; mJt.' j. ch. 14. §."ij.
noc H 3. 1 14- ch. 1 8. §. 10. VI. Keyiler dan»^
fes Antiq. Se;pt. , p. 127. prouve que le mot
yalhalla , par lequel les Peuples Septentrio-
naux • defignoi^ut Je .Puraii» , firrpifre ^k/it sext. Ruf. p. il-i». '
Cajirum , le falais de ceux qui ont- pendu Uil'
(5<)) Str.bo III. p. Ij j.
(s7)Athen.IV. iiji Euftath. »d Iltad XXIIf.
p< 1194. ci-deïïbiiis^ r$. ». iioi. 84.
(j 8) Ci-d^flus , §. S. not. s t.
(59" Ci d. Liv. III. ch. 4. §. 7. not. }}.
Liv, IV. ch. 2. §••■ iV.' not. i«. 19. §. 24.
not 194. Ovid. Trift. lib. •I\'. Ëleg. 2.1. 3j.
qu»
LIVRE IV. CHAPITRE V. 357
qui avoit appartenu au vaincu. Les Germains (60) & les Gallogrecs (61)
font prefque les feuls de tous les Peuples Celtes , parmi lefquels on
trouve des exemples d'une femblable fureur. Ordinairement on réfer-
voit pour le facrifice, les Chefs (62) de l'armée ennemie , ou une partie
des Prifonniers , après quoi les autres étoient vendus , réduits en efcla-
vage , ou même tués , félon que l'intérêt du vainqueur le demandoit. Par
exemple, les Gaulois (63)mettoient à part l'élite des Prifonniers pour
les offrir à leurs Dieux. Les Saxons (64) jettoient le fort fur leurs captifs
pour immoler le dixième, au lieu que les Scythes (65) qu'Hérodote a
connus , n'offroient que le centième.
Plufieurs Peuples de la Celtique immoloient à leurs Dieux, non-feu- Quei^u*
lement les Prifonniers qu'ils feifoient à la guerre, mais encore les Etran- tes ii^moioi
gers qui tomboient -entre leurs mains. On ne peut guères douter que cette ^„i qu'un
barbare coutume ne iïit établie dans la Cherfonèfe Taurique , qui étoit ^y^iqu"
l'ancienne demeure des Goths. Les Hiftoriens aflurent u«animement *^
(66) que l'on offroit à la Diane Taurique les Grecs, & en général, tous "
les Eirangers que les tempêtes , fréquentes fur la mer noire , jettoient
fur cette côte. On accufoit de la même cruauté tous les autres Peuples
Scythes ( 67 ) établis au tour du Pont Euxin , qui , par cette raifon , portoit
anciennement chez les Grecs le nom d'à^troç ( 68 ) inhofpitalis. Un an-
cien Commentateur d'Horace prétend aufli que ces paroles du Poète
( 69 ) Vifam Britannos liofpitaUbus fcros , font allufion à la coutume
qu'avoient les Bretons d'immoler les Etrangers à leurs Dieux.
Les Peuples Celtes recevoient (70), avec beaucoup d'humanité,"
les Etrangers & les Voyageurs qui paffoient dans leur Pays , mais cela
ne doit s'entendre que de ceux qui venoient les trouver volontaire-
ment. Ils ne faifoient pas, fans doute, le même traitement à ceux qu'une
e
ou
autre
(<o) Ci-delTus , ^. t. not. 4«-47. Orof.
Kb. V. cap. i«. p. 27». iJo. Dio. Ca/T. lib.
IIV. p. S3<- Strabo IV. ïo<.
(< t) Tit. Liv. lib. XXXVIII. cap. 47.
(61) FIoiUJ IV. II. Herodot. I. cap. tS.
(«l) Excepta ex Diod. Sic. lib. XXVI. Ap.
▼alef. p. 1 T 7.
(64) SidoB. ApoUin. lib. Vllf. Epift. (.
{65) Herodot. IV. «z.
(««) Herodot. IV. 103. Paufan. Attic.
cap. 4}. pag- '03. Scymmus Chius pag. ij6.
fomp. Mêla lib. II. cap. i. p. 40. Solin cap. ij,
Tomt II,
pag. Z34. Lucian. Dialog, Jun. & Lat. p. Si.
& 94. Clem. Alex. Coh. ad Gent. p jS-CyriU.
ad Julian. lib. IV. p. iî8. Amm. Marc, lib XXV,
cap, l.p. II 5. Ovid. £piû. ex Porno lib. III.
Ef. i. V. 5 5.
(«7) Strabo Vil. ïst. Min. Félix p. 3 It.
(«») Euâdth. ad Dionyf. Pericg. ». 14*.
pag. jo.
(«5») Horat. Carm. lib. III. Od lY. v. Ji,
Actonius ad h. I.
{70J Cicdcffiis, LW. ILcb. ij.
y V
338 HISTOIRE DES CELTES,
tempête , un naufrage , ou quelqu'autre accident conduifoient , mal-
gré eux, dans la Celtique. Exclus des droits lacrés de Thorpitalité , ils
étoient traités (7 1) en ennemis.
D'antres (?, VIII. S'il eft Vrai , comme les Jurifconfuttes l'affurent, que le vain-
IV'.iplf s Celtes «^ , 1 -, -, -1 '
im.iK.ioient q ucur foit maître abfolu des biens oc de la vie du vamcu (yx) , il en re-
iftiirmcf. & fultera que les Celtes péchoient , à la vérité , contre les loix de l'huma-
dcctepus. nité,en tuant des Prifonniers qui étoient fans défenfe, & hors d'état
de leur nuire; ils pouvoient même fe rendre coupables d'impiété, en
offrant à la Divinité des facrifices quelle dételle ; mais , au moins , ne
commettoient-lls point d'injuftice , en faifant mourir des ennemis que le.
fort des armes avoit livré entre leurs mains.
Cependant, les Peuples Celtes n'étoient pas, pour cela, plus excu-î
fables , puifqu'ils immoloient encore leurs propres Concit6yer»s , &C fou-
vent même les perfonnes à qui ils dévoient la vie. Il eft certain que les
vieillards infirmes & décrépits ne pouvoient qu'être fort à charge à
des Peuples Nomades , qui changeoient fouvent de demeure , & qui
fulvoient tous la profeffion des armes. Les vieillards , entretenus pen-
dant leur vie, dans l'idée que l'homme eft né pour la guerre , fouffroient
(71) Herodot. IX. cap. 1 1 ». Nicol. Damafc.
ap. Stobsura Serm. V. pag. 40. Serm. CXXXVI.
pag. 400. On voit , par ce que rapporte Nicolas
de Oamas.que IcsTliyniens, Peuple Scythe venu
d'Europe , avoient dépouille', au moins en par-
tie , U fe'rocité de leurs Pères. Ils regardoient
les Etrangers qui voyageoient dans leur Pays ,
comme des Perfonnes facre'es , 8c leur procu-
loieiït tous les agrémens qui de'pendoient d'eux.
Quant à ceux qu'une force majeure conduifoit
dans la Thynie , ils recevoient avec beaucoup
d'humanité, 8c s'attachoient par les liens de
l'amitié ceux qu'une tempête avoit jette's fur
leurs côtes ; ils punilfoienr ceux-là feuls qui ,
par tout autre motif, par toute autre rencon-
tre, étoient forcés d'aborder leur Pays.
(72) Cette opinioa de quelques Jurifcon-
Tultes eft vraiment digne d'un liécle barbare.
N'y ayant de guerre que d'Etat à Etat , il ert
évident que le vainqueur n'a aucun droit fur
les Membres de l'Etat oppofé, dès que ceux-ci
ont mis bas les armes. La fin de la guerre n'é-
tant que la deftruftion de l'Etat ennemi , on
a'a que Is dioit d'en mer les défeofcnis , tant
qu'ils ont les armes à la main 5 mais fitôt qu'il»
les pofcnt & fe rendent, ccffant d'être enne-
mis, ou plutôt inrtrumens de l'ennemi, ils
redeviennent fimplement hommes, & le vain-
queur n'a plus aucun droit fur leur vie. Il ej^
faux , dit très-judicieufcment Montefquieu ,
Efp. des Loix Liv. XV. ch 2. ju'il foii ferma de-
ruer dam U guerre y autrement que dans te eat de
néctjfité. Les biens des particuliers ne doivent
pas moins être refpetlés par le vainqueur. La
juftice lui permet bien de s'emparer, en Pays
ennemi, de tout ce qui appartient au Public}
mais elle veut que la perfonne & les biens des
Membres de l'Etat vaincu forent en fureté. Et,
d'ailleurs, comment violeroit -on les Loix de
l'humanité fans être injufte ? Il faut croire que
M. Pelloutiet a été effrayé pat l'autorité de*
Jurifconfultes qu'il cite. S'il avoit examiné la
queftion , fon cœur n'auioit pas manqué de
combattre des maximes fi étranges, & qui font
aulti barbares , auill funeftes à la Société que
la coutume d'immoler des viAimet humaiocs )
la Divinité. I^tn it l'Editeur,
LIVRE IV. C H A P I T R E- V. 339
avifll avec la dernière impatience des infirmités qui les mettoieht hors
d'état de fervir.
Enfin, le dogme capital de la Religion des Celtes, qui croyoient ne
pouvoir entrer dans le Paradis que par une mort violente , faifoit regar-
der comme des lâches (73) , & même comme des impies , tous ceux qui
confentoient à mourir d'une mort naturelle. Il réfultoit de ces maximes,
(74) que la plupart des vieillards fe tuoient eux-mêmes, tantôt parce
qu'ils étoient dégoûtés de la vie , tantôt par un point d'honneur, tan-
tôt par un principe de Religion, & tantôt pour fuivre une coutume
établie. Les enfans croyoient aufli rendre fervlceA leurs pères, & s'ac-
quitter d'un devoir de la piété filiale, en les délivrant de la vie d'une ma-
nière qui leur affurât la gloire & la félicité du Paradis , d'autant plus que
les vieillards demandoient avec inftance qu'on leur rendît ce bon office.
Ainfi , quand les Hyperboréens (75) avoient atteint l'âge de foixante ans,"
on les conduifoit hors des portes pour leur ôter la vie. Les Aborigines
précipitoient dans le Tibre (76) les hommes fexagénaires , & ils les of-
froient de cette manière au Père Dis.
Les Scythes Maffagétes pratiquoient quelque chofe de femblable
au rapport d'Hérodote (77). Quand un homme étoit vieux & infirme , fa
famille s'aflembloit pour l'immoler, avec d'autres animaux , & manger
toutes ces viandes mêlées en(émble. C'étoit, félon eux, la plus glorieufé
& la plus heureufe de toutes les morts. Au lieu de manger ceux qui
mouroient de maladie, on les enterroit comme des impies , qui , tout au
plus, méritoient d'être la pâture des animaux voraces. Aufîiles Maffagétes
s'eflimoient ils malheureux , quand ils ne parvenoient point à être immolés.
Les anciens Habitans de la Sardaigne avoient encore la même coutume.
Ils immoloient (78) à Saturne l'élite de leurs Prifonniers, & les vieil-
lards qui avoient paffé l'âge de foixante-dix ans.
Quoique l'on fit périr ces vieillards d'une manière cruelle, ils al-
loient cependant à la mort avec des démonftrations de joie ; ils regar-
doient comme une chofe ignominieufe qu'un homme placé dans de
"{■Ti^ Àinm. Marccil. de Alanis lib. XXXI. shap. 6. $. ii. note 75.
cap. 3. p. <îo, — 1 (77) Liv. II. chap. 4. not 4.
(74] ei-d. Liv- 11. ch. 12. not. 87. »»•. {7») Suidasin Satdonio rifu. Tom. III p. 2«7.
(7 j) Ci-d. Lit. I. chip, i.not. 23. 14. j Tfeti. ad Lycophr. p. 87. Hcf/ch in Saidpn.
(7*; Ci-i.Li*.i.chap. 10. not. m. LW. III, | tifu. Euftath. ad OdyûT. XX. v. 30:. p. i»jj.
Vy J.
340 HISTOIRE DES CELTES,
femblables circonftances , fe répandît en pleurs & en lamentations. II y
a plus. Les vieillards eux-mêmes fe préfentoient volontairement à la
mort. Le moment de leur facrifice étoit pour eux , le couronnement de
leurs plaifirs & leur plus grand triomphe. Ils fe réo;aloient avec leurs pa-
rens & leurs amis , chantoient & danfoient , fe couvroient de l'au-
riers, & avec cet appareil, ils mont oient gaiement fur un rocher, d'où
ils fe précipitoient , & ils fe perfuadoient bonnement que cette dernière
aûion de leur vie, leur méritoit d'aller revivre dans le féjour des bien-
heureux.
Il paroît d'après un paffage de Procope , que Tufage barbare d'immoler
les vieillards qui n'étoient plus en état de fervir la Patrie , avoit été
établi parmi les Hérules , Peuple Germain , que l'Empereur Anaftafe
reçut fur les terres de l'Empirp (79). « Ayant des coutumes oppolées à
«celles des autres Nations , ils ne laiffoient vivre ni les vieillards, ni
«les malades. Quand un homme étoit accablé par les infirmités de
»la vieillefl'e , o\i attaqué de quelque maladie incurable , il étoit
» obligé de prier fes parens qu'ils le délivraient promptement de la vie»
» Pour cet effet , on dreflbit un grand bûcher , fur lequel on mettoit le
«vieillard. Enfuite la famille chargeoit un Hérule, qui ne devoit être
«ni parent, ni allié du vieillard, de l'égorger. Dès que la coramiffion
» étoit remplie , les parens mettoient le feu au bûcher , & ramaffoient
n enfuite les cendres du défunt pour les enterrer.»
TertuUien & Saint Auguftin (80) remarquent après Varron , que les
Gaulois ofTroient auffi à leurs Dieux des vieillards. Il en réfuhe que cette
étrange coutume étoit anciennement établie dans toute la Celtique , &S
même dans toute l'Europe.
Il y avoit donc entre les Phéniciens , qui étoient des Peuples poli-
cés , & nos Celtes , cette différence que chez les premiers , les pères im-
moloient leurs enfans, au lieu que chez les autres, les enfans rendoient
ce fervice à leurs pères. De quel côté y avoit-il plus de barbarie ? Si
les Phéniciens difoient qu'un père eâ maître de fes enfans , les Celtes pou-
voient s'excufer, en difant qu'ils n'ôtoient la vie qu'à des gens à qui ell«
étoit à charge, & qui demandoient la mort comme une grâce , & com-
(7») Iiocop. Gotth. )ib. II.. cap. 14. p. 419.
(lo) Tcitttllian. Apologet. cap. g, Aupftin. de ciyit. Dci, Ub. Vil. cap. ij. p. 4,07.
LIVRE IV. C H A P I T R E V. 541
me l'unique moyen qui leur refiât pour parvenir à la félicité de l'avitre
vie ( 8 1 ).
§. IX. Ce que l'on vient de dire doit s'entendre des tems les plus re-
culés. Dans la fuite , plufieurs Peuples Celtes s'écartèrent de la cou-
tume générale, & fubftituerent d'autres vidimes en la place des vieil-
lards qu'ils ofFroient anciennement. Par exemple, du tems de Jules-Cé-
far (82) , «les Gaulois regardoient »les voleurs , les brigands, & en
» général, tous ceux qui avoient été furpris dans quelque crime, com-
» me les viûimes Jes plus agréables qu'ils pufTent préfenter aux Dieux
y immortels. Cependant , quand ils ne trouvoient pas aflez de viûimes
» dans cette efpèce d'hommes , ils ne faifoient aucune difficulté d'im-
»»moler des innocens(83). » Diodore de Sicile , qui écrivit quelques an-
PlufitursPei*
pics Ccitct
fabrtituerenç
211 factiticc
des Viciliaid»
cclm des :i>«l-
t'aiicuit.
(81) Le problème patoit cire facile a re'fou-
ëre. A ne confulcer que la Politique , les Phe'ni-
cicns étotent , fans contredit , plus barbares.
Ils affoiblilToient l'Etat.en faifantpérir ceuxqai
en ctoicnt la véritable leflource. Les Celtes
ft'ofiroient aux Dieux que des boimocs prefque
inutiles à la Société. Si l'on confidére les droits
de l'huitianitéj l'ufage des Phéniciens croit en-
core plus atroce que celai des Celtes. Ceux-ci
«toient animes par une pi^té mal entendue j
mais il n'eft pas moins vrai qu'ils croyoienc ren-
dre feiviee i des hommes pour qui la vie n'étoit
qa'uo fardeau. Les Phénictens n'all^gnoient
«ju'une volonté barbare Euffent-ils été ks mai-
ttesde H vie de leurs enfans , leur cruauté n'en
feroit pas moins inexcufable ; mais ce droit ,
qu'ils s'attribuoient , u'étoit pas en loi-même
plus raifonnable que le principe de celui des
Celtes. Noie dt l'Editeur.
(»i) Cxfar. VI. i«.
fis] Le moins déraifonnable des principes
Jes Celtes , étoit , fans doute , celui du facri-
fice des hommes coupables , & furtout des meur-
triers. Mais par quelle affreufe application, fai-
fbient-ils périt des innoccns ? & comment, poui
tt pareils facrifices , choififfbient - ils les uns
plutôt que tes autres i Ce fait eft fi atroce, qu'on
ferait tenté de nier que des hommes ayent ja-
mais pu commettre de femblables horreurs. Ce-
pendaait , la difficulté ne peut tomber que fur
U manière , 8c non fut la fubftance même du
fait. Les fcicnces ont chacune tcui façon de
procéder à la recherche des vérités qu: font de
leur icflbtt , Si ruiftoiic, coaiDC 1*« au;tes, a
fes démonftrations. Les témoignages unanime»
d'Auteurs graves, contemporains, définterefles,
en un mot , dont on ne peut contefter ni les lu-
mières , ni la bonne foi , conllituent la ceiti-
rude hiftoriquc , Scce feroit une injurtice d'exi-
ger d'elle des preuves d'une efpèce diftérente.
En matière de faits, les raifonncmensne pcu-
ventrien contre les autorités. La coutume d'im-
moler des victirats humaines , 3c d'employer .
pour ces facrifices , même des innoccns , efl un
de ces ufjjes barbares fit révoltans, dont la cer-
titude eft trop bien établie pour qu'on en puifle
douter i Siceqoiparoît plus étrange , c'eftqu'oir
trouve , chez les Na:ions les plus policées , de*
exemples de ces cruels facrifices : qu'on ouvre
Manethon , Sancboniaton , Hérodote, Paufa.
nias, Jolephe, Philon , Diodore de Sicile,
Denis d'HalicarnalTe , Sttabon , Cicéton , Julet-
Céfar , Macrobe , Pline , Tite-Live , Lucain ,.
la plupart des Poètes Grecs 8c Latins ; qu'on
paicourc les livres de l'ancien Tcftamcnt; qu'on
fouille dans une partie des Pères de l'Eglife ji
de toutes ces dépofitions jointes enfemble , H
réfulte que les Phéniciens , les Egyptiens , le»
Arabes, les Cananéens , les babitans de Tyr H
de Carthage j ceux d'Athènes 8< de Lacédc-
monc ; tous les Grecs du continent des îles ; le»
Komains , les Scythes, les Albanoio , les AllC'
mandt, les Anglois,le9 £fpagnols& Jes Gaul»i<i^
étoicnt également plongés daiu- eetxe ccucMi
fuperQiiion , dortt on }wut dite ce qu« PKiir
difoit autrefois de la Magie ; qu'elle avoit pw-
cooiu routf la ttiie , Se que fes habiians, tout
inconnus qu'ils étoicnt les uim aux auucs , S( â
On inuvo oi
dciEfclavci.
Quelques
Peuple. Cc!ti
choililltiicnt
les Viciiiii.s
pac le lur[.
541 H I S T O I RrE DES CELTES,
nées après Jules- Céfar , dit ( §4 ) que les Gaulois avoient ooutums
» de tenir les malfaiteurs en prilon pendant cinq ans , tems après le-
» quel ils étoient mis en croix; qu'on les confacroitainfi aux Dieux avec
» beaucoup d'autres oblations que l'on briiloit fur de grands bûchers ,
»drefl'és exprès.» Il dit auffi ( 85 ) que «. les Prilonniers étoient des vic-
»times dont ils faifoient un (iiciifiçe à leurs Dieux ; oc qu'il y avoit
«même dans les Gaules, quelques .Peuples au milieu defquels s'étoit
» établi l'ufage d'égorger ou de brûler , ou de faire périr par quelqu'autre,
»efpèce de fupplice , non-feulement les Prifonniers , mais encore tous
» les animaux qu'ils avoient pris fur l'ennemi. »
A l'égard des Germains , il ne paroît pas que , du tems de Tacî'te , au-
cun de ces Peuples (8.6) q.ue cet Hiftorien a connus , confervaffent en-
core la coutume d'immoler des vieillards. D'un côté, ils offroient à leur
Odin les Prifonniers qu'ils faifoient à la guerre. De l'autre , ils immo-
loient leurs propres Efclaves (87). Ce dernier ufage a même exifté juf-
ques dans le huitième fiécle. C'eft alors qu'on voyoit (88) des Chré-
tiens vendre leurs Efclaves auoç Barbares , quoiqu'ils n'ignoraffent pas
que ceux-ci les achetoient pour les facrifier à leurs Dieiix.
■ -Les Gétes avoient une coutume qui leur étoit particulière. Les Mef-
fagers qu'ils (89) dépêchoient à Zamolxis étoient choifis par le fort , &
ilfemble qu'on eût pris ce parti pour empêcher qu'il n'y eût de la jaloufie
éi. de la contention entre les Citoyens qui afpiroient tous à ce miniftère.
diffétens d'ailleurs d'idées & de fentimens ,
s'ptoicntunis dans cette pratique malheureufe :
I/iaiata murtio anfetifêre ijuaiijuam difcordi & fihi
i^noto. L'Hiftoire nous offre uneinhnitéde faits
ou d'ufages il contraires à 'a nature , que pour
l'honneur des hoinines , l'on voudroit les con-
•efter.s'Us n'etoient prouves par des autotite's in-
conteftaMes. La raifon s'en étonne , l'humanité
tn frémit ; mais, comme après un mut examen,
U critique n'oppofe lien aux faits qui les attef-'
tent, on eft réduit à convenir, en gérailTant ,
qu'il n'y a poi nt d'aftion que l'homme ne puifle
commettre , comme il n'y a point d'opinion
qu'il ne foit capable d'embraflet. Après cela ,
que l'homme vante fa laifon , ôc qu'il cootefte
encore la néceffité de la révélation. Nott dil'E-
J»+) Diod. Sic. V. »l+. Les Fiifpns immor
• •,'n'"t/.t-" ViV ■ "
loienr auflî , à leurs Dieux , les Malfaiteurs , ?c ,
î en particulier, les Sacrilèges. Ci-d.ch. II. §. 2*,
not. r23.
(Ss) Diod. Sic V. ZI4.
(84 j Les Hérules, dont n»us avons fait men-
tion dans le Paragtaphe précédent , n'ctoient
point connus du tems de Tacite. Ils ne paroif-
fcnt , dans l'Hiftoire , que dans les lîécles fui-
vans. Procope les fait fortir de l'île de Thulé ,
Je Jornandès , du Danemarck. Procop. Gotth.
lib. II. cap. 4. p. 4Z:. Jornand. Qet. cap. 3.
pag. «II.
(87J Tacit.Germ. cap. 49. ci-d.Liv. III. ch. ».
§. 10. not. 105. los. $. 1 1. not. 114.
(8 8) Gregorii IlI.Papae. Epift. ad Bonif. iiî.
(89) Ci-d. Lîv. III. chap. 14. §, 13. not. il}«
1 14. chap. 1 8, ^. 6. not. $3. £4.
LIVRE IV. CHAP-ITRE IV. 343
On pratiqiioit quelque chofe de fembiable en Suède , oii tous les
Membres de l'Etat , fans en excepter le Souverain , fubiffoient la loi du
fort dans les fblemnités oii l'on ofFroit aux Dieux des facrifices humains.
Les Suédois regardoicnt (90) même comme le plus favorable de tous les
aufpices, quand le fort tomboit fur le Roi, qui éloit immolé au milieu
.des applaudifl'emens & des cris.de joie de toute la Nation.
Il eu très-probable que les Perfes (91) & les lUyriens (92) avoient ap-
pris des Phéniciens à immoler des enfans. Au relie, les Albanois , éta-
blis entre le Pont Euxin & la Mer Cafpienne, étoient les feuls de tous
les.Scythes, qui, dans certaijis jours, offriffent à leurs Dieux Jufqu'âux
Minières de la R.eîijgion. Lorfque (93) quelqu'un d'entre eux, laili d'une
frayeur violente , que l'on attribuoit à l'efprit de Dieu , fe raettoit à cou-
jrir leûlles campagnes & les forêts, on le lioit d'une chaîne facrée, com-
me une vidime que la Divinité s'étoit choifie elle-même , & , après
l'avoir nourri fomptueuiement pendant une année , on l'immoloit en
pompe à la Déefle , qui , à ce qu'on prétend , étoit la Lune.
• §. X. Il refte encore à examiner à quelle. Divinité les Peuples Celtes Aqu-UsDi.
ofFroient des victimes humaines, &C , outre cela , dans quel tems , & de o'"des°viau
quelle manière on les offroit. La première de ces queftions n'arrêtera '"" *"""""
pas long-tems. Quelques-uns des Anciens affurent que les Gaulois &
les Germains immoloient des hommes vivans à Mercure ( 94 ) &: à
Mars (95) , qui recevoit encore les mêmes honneurs parmi tous les Peu-
ples Scythes. D'autres prétendent que ces barbares facrifices s'offroient
à Saturne (96 ) ou à Pluton ( 97). Dans le fond, tout cela revient à la
même chofe. Les Etrangers ontdéfigné (98), fous ces divers noms, le
Teut , ou le Dieu fuprême des Celtes. Le regardant comme le Créateur du
monde & de l'homme , ils croyoient lui rendre hommage de la vie par
de femblables facrifices. L'appellant d'ailleurs, le Dieu de la Guerre, s'i-
maginant qu'il prenoit plaifirà l'efFufion du fang, &c que l'on n'entroit
(90) Loccen. Antiquit. Sueo-Gotth. p. 15.
• {91) Hcrodot, VI. cap. i 14.
(»l) Artian. Expedit. Alex, p. is,
(53) Strabo XI. p. ^03.
(s,4) Ci-d; Ltv. III. chap. 6. $. 4. iî. 14.
■trV. IV< ch.'3.-§. 4. Bot. 31. S. «. not. 46. §."».
not. 79. . « w i ; ■ ;
(95) Ci-d tivJ III. 'ch; 4. §.'7; not. î|. ch. 7.
{. I; not. I o. 1 4. §, 2. not, 24.'Liv. IV. ch. 2. $.
nts î
1 1. not. 97. §• lî. not. 119. Ç. 19. not. 253.
ch. s- $ * not. 47, i. 7. not. $5.
(»«} Ci-dffl". Liv. m. ch. «. §. 14. not. I17.
112. IZ3 124. Liv. IV. ch. s. §. 5. not. 39.
$. S. not. 79.
'(>7 Ci-d. Liv. III. ch. 5. §. 7. not. 2«. X7v
«h. «. §. 14. not. U5. Lit. IV. chap. 5. J, ^
not. loi. ! L' i
(91} Ci-d. Liv. m. ch. 6. §. <. 8c 7.
Î44 HISTOIRE DES CELTES,
dans le Palais oii 11 réfidoit, que par une mort violente, ils trouvèrent
dans ces idées des prétextes pour lui offrir un culte qui convenoit à la
férocité de leur naturel.
On ne peut guères douter que la Terre ne participât ici aux préroga-
tives du Dieu Teut , & qu'on ne lui offrît , comme à la mère du genre-
humain , les mêmes facrifices que l'on préfentoit à fon mari. Outre qua
les Germains (99) noyoient les Efclaves dont ils s'étoient fervis pour
laverie charriotde la Déeffe (100), on a vu dans le Livre précédent (loi),
que la Diane Taurique , à laquelle les Scythes facrifioient tous les Grecs
qui tomboient entre leurs mains , étoit indubitablement la terre , la
grande Déeffe de ces Peuples (loz) , à laquelle les Thraces immoloient
aufli des Vierges.
Peut-être les Celtes offroient-ils encore du fang humain aux Dieux
fubalternes , qui , félon la doûrine de ces Peuples , réfidoient dans les
élémens. Il femble qu'on peut l'inférer d'un paffage de Lucain oii il eft
dit (103) que l'autel de Tarants n'eft pas moins redoutable que celui de la
Diane des Scythes. Le Taranis des Gaulois étoit , ielon les apparences,
le même que le Tkor des Peuples Septentrionaux , c'eft-à-dire , un Dieu
d'un ordre inférieur , qui étoit chargé de la direftion de l'Athmofphère ,
& préfidoit , en cette qualité , aux vents & aux orages. Procope re-
marque aufli que les Francs qui fuivirent le Roi Theudibert en Italie
(104), «s 'étant rendus maîtres de la Ville de Pavie, immolèrent les
» femmes & les enfans des Goths qu'ils y trouvèrent , &c jetterent
M leurs corps dans le Pô , auquel ils les offroient comme les prémices
» de la guerre. >» On voit dans ces paroles , que les Germains , qui offroient
communément (105) des chevaux &c d'autres animaux aux Génies qui ré-
fidoient dans les Fontaines &C dans les Fleuves , leur immoloient quel-
quefois des vidimes humaines. Néanmoins, il paroît , autant qu'il eff poP
(99) Cird. Liv, III. chap. 8. §. 3. noc. il.
4,iv. IV. ch. s. $. ». not. 98.
Cioo) Il ne pouvoir y avoir un inoyen plus
aflure, pourenfevelir, dansl'ombre du myftere,
tout ce qui fe psffoit dans cette cérémonie. Pour
cacher leurs fourberies , il falloir que les Frétre$
^flent cruels. « Auflî-tôr , dit Tacite , I« Lac
» englautitles Efclaves employe's à laver le char
>) de la De'efle , les étoffes qui les couyroie.nt ,
«> ^ U Dtfefle cUf-mtmei ce,<jui f^oecie les
» efprits d'une frayeur religieufe , & réprime
» toute profane curiofité fui un myftere que
» l'on ne peur connoitre , fans qu'il en Coûte U
» vie à rinftant. » Tacit. Germ. 40.
(101) Ci-d. Liv. III. ch. 8. §. 9. .
(102) Stephan. de Urb. pag. siî.
(103) Ci-d. Liv. ni. ch S. §. i s- not. 14J,
^, 16. nor. 19t. 199. ch. is. § i. not. 36.
(104) Liv. III. ch. 9- §■ 4. not. 13.
(ifl J> Ci-d. iiv. UI. cJ». 4- §• *• ttot. 10.
fible
L I V R E IV. C H A P I T R E V. 345
fible d'en juger , qu'on ne le faifoit que dans des cas extraordinaires ; le
plus excellent de tous les lacrifices ne s'ofFroit ordinairement qu'aux
grandes Divinités , c'eft-à-dire , à Tentâtes & à la Terre , qui avoit
concouru avec lui à la production de Ttiomme.
^. XI. A l'égard du tems oue les Peuples Celtes choififlbient pour of- onofF.n!tlc*
fnr les viftimes humaines , on a vu dans le troilieme Chapitre de ce Li- vidimcs ha-
vre , que l'ouverture du champ de Mars, ou de l'Affemblée générale de tout, /ans lê
chaque Peuple, fe faifoit, ordinairement, par de femblables facrifices. felnbic'géné-
Le fait eft certain par rapport aux Scythes (106), aux Germains ^107), '*''"
& aux ^borigines (ïo8) , & il n'eft pas fans vraifemblance que les Gau-
lois (109) aient eu le môme ufage. En comparant le paffage de Diodore
«le Sicile, oii il efl dit (i 10) que nies Gaulois tenoient les malfaiteurs en
» prifon pendant cinq ans avant que de les offrir aux Dieux, »> avec ce-
lui d'Hérodote , qui porte (i i r) que •> les Gétes dépêchoient tous les cinq
» ans un Meffager à Zamolxis , » il femble que l'on peut en conclure que
ces Peuples avoient quelque grande cérémonie tous les cinq ans, comme
les Danois ( 1 11 ) en avoient une qu'ils célébroient au boiu de neuf ans.
Outre ces jours fixés par les Loix ou par la Coutume , pour offrir aux
Dieux du fang humain, les Celtes en offroient encore , extraordinairement,
en mille circonftances différentes. On en trouvera plufieurs exemples
dans les paffages déjà cités. Les malades (113) offroient de femblables
facrifices pour obtenir du Ciel leur guérifon. Les fuperftitieux ( 114) &
les poltrons, qui étoient obligés d'expofer leur vie aux périls d'un com-
bat, ou à quelqu'autre danger, croyoienî la fauver , en chargeant les
Druides d'immoler pour eux quelque malheureux. Les Armées (nj)
confacroient aux Dieux les prémices des Prifonniers qu'elles faifoient à la
guerre : d'autres fois on les faifoit mourir (116) pour juger du fuccès
de la guerre ou d'une bataille, par certaines oblervati ms que failoient
les Druides en égorgeant un homme. En un mot , le Clergé ne manquoit
jamais de prétexte pour demander de femblables vidimes, ni le parti-
culier pour en offrir.
(loii) Ci-d. ch II $. ii.noc. I3.
(107 Ci d. fhap. m. $. 4 not.ji.J3,
(icS i-d. ch )' $.4 not. J9 4^.
(if») Ci d ch. 3. $ 4. not. 17.
(i o) Ci-d. § 9. not «4.
(i 1 1 ) Ci-ri. Ltv. m, cb. 14. 5. 13, not. 113.
Tomt II»
(tu) Ci-d. ch. 3. J. s. not 44.
(i 1 3) C-d. Liv. !II. ch. 17. $. «. not. 15,
(1 14, Ubi fu là.
(i S ; Ci-d. J. 1 o. not. 1 04.
\i\t^ Ci-d. ch. 2, $. 14. n' t. 194.
Xx
34<S HISTOIRE DES CELTES,
^Diff'Knres §. XII. Il paroît afftz par les difFérens paffages , déjà cités, que les Cel-
S'm.'.B<"tie5, tes immoloient les viftimes humaines en différentes manières. On croi-
m'imei" ''" roit même volontiers que ces Peuples avoitnt conçu cette idée barbare
& ridicule , que la Divinité prenoit plaifir i\ voir inventer quelque nou-
veau fupplice pour faire périr les hommes que l'on facrifioit à fon hon-
neur. On les noyoit (117), onlespendoit (118), on les mettoit en
croix (119), on les perçoit de flèches ( 120) , on les jettoit en l'air ( m )
pour les recevoir fur des lances , on les pouflbit (122) dans d'affreux pré-
cipices , on les affommoit (1^3) à coups de maffue , on les failoit mou-
rir (124) fous le bâton, on les enterroit (125), ou on les brùloit (ii6)
tout vivans. Les Gaulois pratiquoient à cet égard, quelque chofe d'extrê-
mement cruel. Ils formoient (liy) avec de l'ofier de grands colofles
qu'ils empliffoient de bois & de foin : on y enfermoit enfuite des hommes
& des animaux de toute efpèce pour en faire un feu de joie. En un mot ,
comme le difoit Procope , en parlant des Habitans de l'île de Thulé ( 1 28) :
«Quand ces Peuples facrifioient un Prifonnier, ils ne fe contentoient
»pas de lui ôter la vie, il falioit qu'il fût pendu , froiffé fur des épines,
» ou qu'on le fît périr cruellement par quelque autre efpèce de fupplice. »
Cependant l'ufage le plus ordinaire, étoit (129) de faire mourir
fous le glaive les hommes que l'on offroit aux Dieux. Il failoit que l'exé-
cution fe fit de cette manière, lorfque le facrifice étoit divinatoire ,
parce que les Devins jugeoient de l'avenir par le fang & par les entrailles
des victimes. Les cérémonies que l'on obfervoit en les immolant de
cette manière , étoient à peu-près les mêmes dans toute l'Europe.
Nous avons vu (130), par exemple, «que les Scythes égorgeoient
»les Prifonniers fur un vaiffeau deftiné à fervir de théâtre pour cette
» opération. Ils répandoient enfuite le fang qu'ils avoient reçu dans ce
(117) Ci-d. Liv. I. ch. 10. pag. 67. Liv. III. 1 (izs) C -d. not. i i 8. 8c §. 9. not. 9i.Liv. III.
eh. s. 5. II. not. 7 j. §. 14. not. 1 17. ch. 8. §. 3.
not. II. ch. 9. §. 4- not. 23.
(il 8' Ci-d §. 7. not. 79-ci-de(rous i;ot. lal.
Tacit. Ann. 161.
(i i9)Cï-d. §. 9. not, 84. ci-deffbus. not. 132.
(i2ojCi-d. $.7.not. 63. ci-de flous, not. 132.
(121. Ci-d. Liv. III. ch. S. §. 1 5. not. 19 j.
(i22)Ci d. §. 8. not. 7 8.ci-deifous. not. xz».
(123) Herodot. IV. 103.
(124) Ci-d.§. %. not. 78.
ch. «.§.13. not. 98. ch. s. 5. 7. not. 2«. 17.
(12S, Ci d. §. 7, not. «2. CsOir. I. 53-
(127] Ci-J. $. 9- not. 84.ci-de<rous not. ut.
Csfar VI. i«.
(i 28 Procop. Cotth. lib. II. cap. 1 5. p. 424,
(129) Tacit. Ann. I. «i. ci-d. $. 4. not. 2j.
§. 6. not. j I. §. 7. not. «2. §.8. not. 79. §. 9.
not. 91. & ch. 2, §. 19. not. 1 1 3, ch, 4. §. Z3-
noc. 3 18.
(i)o]Ci d. ch. a. $. II. tioi. 8).
L I V R E I V. C H A P I T R E V, 547
» vaifleau, fur l'épée qui étoit le fimulacre de leur Mars. » Hérodote qui
rapporte ces particularités , ajoute «qu'enfnite les Scythes coupoient
»Ie bras droit des hommes qu'ils avoient égorgés, & qu'ils le jet-
Mtoicnt en l'air. » Cette cérémonie étoit, félon toute apparence , un hom-
mage qu'ils rendoient au Dieu Mars, de ce qu'il avoit abattu la force de
leurs ennemis.
Chez les v.imbres (131), «les Prêtreffes égorgoient les Prifonniers
>»fur une grande cuve, &c obfervoient , avec beaucoup de foin, la
» manière dont le fang couloit. Enfuite elles difféquoient le cadavre ,
>» 6i en examinoient les entrailles félon les règles de la divination.»
Dais les Gaules (132), «le Devin frappoit la victime au défaut des côtes,
M & tiroit de la palpitation de fes membres divers préfages fur l'avenir. »
Cela fe pratiquoit de la même manière & dans les mêmes vues par les
Lufitams ( 133 ) qui font les anciens Habitans du Portugal, & par les AI-
banois (134), avec cette différence , néanmoins, qu'après avoir immolé
un Prilonnier, les Lufitains lui coupoient la main droite pour la confa-
crer aux Dieux , c'eft-à-dire, pour la clouer à un arbre conlacré; les
Albanois, au contraire, portoient le cadavre tout entier dans un certain
lieu , où tous ceux qui avoient aflifté à la cérémonie , alloient le fouler aux
pieds. En voilà affez pour montrer que ce qu'il plaiioit aux Celtes d'ap-
peller le plus excellent de tous les cultes & de tous les facrifices, n'é-
tolt dans le fonds , qu'une cruelle & déteftable fuperftition. Pourquoi
parleroit-on plus longtems de ces horreurs dont la leule idée fait fré-
mir , dont le fouvenlr deshonore l'humanité , & rabaiffe fi foj t la raifoa
qui re id les hommes fi orgueilleux?
§. XIII. Outre les viâimes humaines, les Peuples Celtes ofFroient en- t„ceit«
core à leurs Dieux des animaux de toute efpèce, des bœufs (135), des e^'^Tu^n
brebis (136), des pourceaux (137), des chèvres (138'). Il y avoit, cepen- ^ ""^f
, j \ r • fn- ■ '■-'/ J 'r ma IX Je.
dant, deux choies qui diltmguoient leurs facrifices de ceux des autres " «'p^"-
Payens.
sani-
(tîl^ Cid. ch. ï $. i4 not. I9t.
(ui)Ci-d cli.4.<(. 14. not. ,41. Str. IV. ijl.
(1 3], S labo III. p. I S4.
(134 Ci-d %. 9 n.)t : 04.
(i i s) Ci-d. Liv. III ch. 4. §. i. n-jt. «. ch. 9. j
1er deux tauieaux blancs. Pliij. Hift. Nat. 1, XVI.
cap 44. p. 3 I 2.
(ij6 Cl-d $. s. not. >». & Liv. III. ch. 4.
J. X. not. «.
( 37 Les Sue'dois en offroient , félon OlaiM
$. 4. not. 19. Pline, parlant de» cérémonies • B.udbeck Atlant cap. s §. «.p. loji,
que -s Druides obfervoiept en cueillant le gui ^,33^ Ci-deflbus, not. 140.
de chêne , dii qu'ils coiumeofoicnt (M iu.mo- 4
Xxi
vauj(.
34? HISTOIRE DES CELTES;
iij imwoioi- En premier lieu, ils immoloient fréquemment , non -feulement des-
cm des chc- gheyaux, niais encore des chiens, ce qui n'étoit pas en ufage, ou ne fe
vaille. ' * J. fc^
pratiquoit , au moins , que très-rarement parmi les autres Payens. Le
cheval eft celui de tous les animaux dont les Guerriers ont toujours fait
le plus de cas , &C dont ils tirent effeûivement le plus de fervice. Par
cela même , les Scythes Se les Celtes regardoient le cheval comme la
vidime la plus excellente 6c la plus agréable que l'on pût préfenter aux
Dieux, après les viâimes humaines. Ce n'eft pas dans cette feule occafion,
que les Inclinations guerrières de ces Peuples influoient fur leur Religion,
Âinfi ( 139), «les Scythes, dans toutes leurs folemnités, immoloient
» principalement des chevaux; » & cet ufage, au lieu de leur être parti-
culier , s'étendoit (140) anciennement à tous les Peuples de l'Europe,
&même (141) aux Perfes, aux Amazones (141), Se aux Troyens (143).
Il s'étoit auffi confervé parmi les Romains (144) qui le tenoient des Abo«
rjgines , comme les Lacédémoniens ( 145 ) l'avoient reçu des Pélafges ôc
des Doriens dont ils étoient defcendus.
A l'égard des chiens, on voit que les Thraces (146) & lesCariens(i47)
en ofFroient communément à Diane ou à Hécate , c'eft-à-dire , à la Terre.'
Cet ufage paroiffbit tout-à-fait étrange en Orient , où le chien éroit détefté
comme un animal impur , fans doute parce que dans ce Pays , fon corps
exhale une odeur infupportable ; mais il ne devoit furprendre ni les
Grecs, ni les Romains (14^) j qui avoient eux-mêmes de femblables
facrifices. On fait, d'ailleurs, que la fuperftition vouloit qu'on offrît aux
DiejLix du Paganifme tout ce que l'homme avoit de plus précieux ; de
forte qu'il ne faut pas s'étonner que des Peuples qui, dans le commen-
cement , ne s'appliquoient pas à l'agriculture , & dont toutes les richef-
fes confifîoient dans le bétail qu'ils conduifolent d'un pâturage à l'autre,
aient regard»; un animal, qui leur étoit utile, &c même néceflaire pour
Ils facri-
fioL.-iu des
tbi-ait
(np) Herodot. IV. <S. «i-d. Liv. HI. ch. 12.
J. s. DOt. 33.
,'140) Florus IV. I 2. Olafs Saga ap. Rudbeok
Allant, cap 5. §. is.p. iio. Paiifan. Attic. cap.
ai.p. S"- f^iytci d. Liv. III.cli. 4. § ( noi. *.
J. I. not. 10. Liv IV. ch. 3 §. s. npr. 45,
(i4i)Ovid.raa. Ub. I. v. s8 5. Herodpt. VÎI.
113-
(141) Valer Flacc. Argonaut. II. is«- V. ai.
(143J Ci-d.Liv. III. ch. 9 $. 4. not. 23.
(i44lro!iip. Feftus p. ï8 î9. Feftus Fauli
Diacpni p. 34$. Julian. Ora . V. p. 17S.
(i4<) Fojfz, la note prcccdentc.
(145 Ovid. faft I. V. 189. TietE ad h. I.,
p. I z. Stephsn. de Urb. p. f $. Suid. in Samo-
thrace III, i So. & in d>A' 'n ris Tom. I. p. 1 oB,
Hefychius. ci-d. diap. 3. §. j not. 4.
(147) Suidas Tom. II. 244. Cîcm. Alex.
Cohojt. ad Gent. Tom. I. p. ij.
(148] Flutacch. Qyxiù., H.om. ;z. 6t,
LIVRE IV. CHAPITRE V. 349
fa garde de leurs troupeaux &c de leurs charriots, comme une viûime
excellente & très-agréable à la Divinité. Le Guerrier ofFroit fes chevaux,
&c le Berger fes chiens. N'étoit-ce pas le plus grand facrifîce qu'ils
puffent faire ?
En fécond lieu , les Peuples Celtes difFéroient des autres Payens dans la
manière d'immoler les animaux , & d'offrir les facrifîces. Au lieu d'égor-
ger les viftimes, il leur étoit plus ordinaire de les aflbmmer (149), ou
de les étrangler. D'ailleurs , ils ne briiloient aucune partie des animaux
qu'ils avoient facrifiés , & à proprement parler , ils n'en offroient aux
Dieux que la vie , ou , tout au plus , la tête (150) que l'on clouoit à un
arbre confacré. Après quelques prières que le Sacrificateur prononçoit
fur la vidime, foit en l'offrant , foit en la difféquant, il la rendoit à celui
qui l'avoit préfentée pour la manger avec fes parens & fes amis , dans le
Sanftuaire même où elle avoit été immolée , de forte que le feftin fai-
foit toujours la clôture des facrifices , & des Affemblées Religieufes.
§. XIV. Il ne fera pas néceffaire d'entrer dans le même détail, par lesiutr»
rapport aux autres parties du culte que les Peuples Celtes rendoient à cjtcdescd-
leurs Dieux, parce qu'on a déjà eu occafion d'en parler fort au long cvint^ks' '°
dans Jes Livres précédens. Par exemple , on a vu que ces (151) Peuples "j,™"s"f^.'"
chantoient dans leurs Affemblées, des hymnes (acres defîinés à les former, ecées.
non-feulement à la piété, mais auffi à la bravoure, qui étoit la vertu
dont Ces Peuples frifoient le plus de cas. On a vu (151) encore que ces
hymne* fe chantoient au fon des inflrumens , & avec divers mouve»
mens du corps, de manière que chaque cantique avoit non-feulement
fon air, mais même fa danfe particulière. D'après cela, comment fe-
roit-on furpfis que la danfe , inféparable du chant des hymnes , fiit une
partie (i<i}) du culte des Diiix parmi les Celtes. C'eft aufli ce qui fe
pratiquoit parmi les autres Peuples Payens, & même au mileu des Juifs.
La coutume de célébrer des ft-ffins facrés dans les Temples & dans les l^s fedins fa-
Sanduaires (154) n'étoit pas plus particulière aux Cehes. Le Paven , re- "" ""O'^t
gardant la Divmite comme appaifee par le facrifice qu'il venoit de lui of- wiiiasavicut-
'^ '^ 2 ce des Celtes.
(149; Herodot. IV. «o. 6 1. Stiabo XV. 732.1 (.jj) ci-d Liv. II, ch. 10. p. 192. 191.
?"• j Liv. III. ch. «. $ }, not. 4 ch. I. §. 7.not 5t.
(i^o) Ci-d. ch. 2. §. it. not. 109. Agathias ch. 17. §' 3. not. 4.
ïi^^'P"- j (154 Ci-d. LiT. II. ch u.p. n7 I-iv IV.'
ils ) Ci-d. Liv. II. ch 10. p. i««. &fui». Uh.z. §.3 2.eh. 1.5. I. not. s. 4. 4. not. i».
(uOiti-lp. lit. acfuiv. i ' •
350 HISTOIRE DES CELTES,
frir, exprimoit fa fatisfaûion & fa reconnoiflance en mangeant avec {es
parens & fes amis , dans, quelque endroit du Temple, cette partie des
viâimes qui leur étoit rendue par les Sacrificateurs ; &C l'on ne peut dif-
convenlr que ces repas , pourvu qu'on n'y lortît pas des bornes de la
fobriété &c de la modellie, ne puffent fervir à cimenter l'union qui doit
naturellement régner entre les membres d'une même Société & d'une
même Religion. On voit dans Hérodote (155), que Zamolxis,aui étoit
le Souverain Pontife des Gétes, régaloit fouvent dans fa retraite les
Seigneurs de fa Nation, & qu'il profitoit de cette occafion pour leur en-
feigner l'immortalité de l'ame. Il n'y avoit en cela rien que de très-loua-
ble; mais il faut avouer qu'il fe commetîoit ordinairement d'étranges ex-
cès dans les feftins que les Celtes faifoieni à l'honneur de leurs Dielix.
L'on obfervera d'abord que ces feflins fe réitéroient trop fouvent.
Par exemple, les Celtiberes ( 156 ) paffoient toutes les nuits où la Lune
» étoit pleine , à danfer & à fe réjouir avec leurs familles hors des
» portes. » Toutes les fois que les Gaulois faifoient la cérémonie de
cueillir le Gui de chêne , il falloit (157) <• que l'on commençât par pré*
» parer un facrifice & un feftin au pied de l'arbre. »
i". Ces feftins duroient ordinairement (158) plufieurs jours, &
quelquefois (159) des femaines entières. Que ne devoit-on pas craindre
de ces excès ?
D'ailleurs , les Celtes paffoient toutes leurs fêtes à fe gogcr de vian-
des, &C à s'enivrer. Ce n'étoit pas affez d'y manger la chair des vi£timc$
que l'on avoit immolées , il falloit y apporter encore (160) des provi-
fions de toute efpèce , & fur-tout de grands tonneaux de bierre, que l'on
ne manquoit jamais de vuider pendant la folemnité. Ainfi Saint Co-
lomban , paffant dans le territoire de Bregentz fur le Lac de Confiance , y
trouva les gens du Pays qui fe préparoient à offrir un facrifice à leur
Vodan , & (i6i) au milieu de TAffemblée , un grand tonneau de bierre
qui pouvoit tenir vingt bariques , plus ou moins.
3°. C'étoit encore pendant ces feffins que l'on buvoit dans les cornes ,'
(i s 5) Hcrodor. IV. 95. Kiijfi, ce qui a été dit
de Zamolxis ci-d. Ch. II. §. 28.not. ijj ch IV.
5. 1 1- not I î7.
(iS«) Ci-d. Liv. III. ch. tf. §. 3. not. 4.
(I S 7; flin. Hift. Kat. 1. XYI. cap. 44.jp.jia.
(i sS Ci-d. Liv. m ch 9 §■ 4- not. îï.
(1J9) Ci-d. Liv. m. ch. S. §. 3 not 11,
(iiSo ci-d. Liv. III ch. 9. § 4. not. tz.
(i4 1 Visa S. Columbani ap. Duchcûie. T. lï.
LIVRE IV. CHAPITRE V. jjt
& fur-tout dans les crânes que l'on confervoit pour cet ufage (162) dans
les Sanftuaires. Chacun des affiftans étoit obligé de vuider une coupe
entière, premièrement en l'honneur (163) du Dieu Fodan , on OJin y
enfuite en l'honneur de la Terre & des autres Dieux. Après avoir bu en
l'honneur des Dieux, on buvoit en l'honneur des Héros dont il étoit fait
mention dans Jes cantiques que l'on chantoit pendant la folemnité. Des
Héros on paffoit aux amis défunts & vivans : en un mot, on ne ceffoit de
porter de nouvelles fantés jufqu'à ce que la bolffon manquât.
4**. De-Ià il arrivoit que les fêtes des Celtes étoient un tems de cra-
pule & de débauche, pendant lequel perfonne ne fortoit de l'y-vreffé.
Quand un ennemi pouvoit les furprendre dans un de ces feftins, il les
(164) trouvoit endormis, & couchés fous les tables : le' plus fouvent'
on les affommoit avant qu'ils fuffent éveillés. Les Capitulaires de Char-
lemagne (165) défendent aux Saxons qui avoient embrafle le Chriftianif--
me , de fe rendre aux feftins que les Payens célébroient à l'honneur de
leurs Dieux. Cette Loi étoit conforme à i'efprit de l'Evangile. Tous ceux
qui affiftoient à ces feftins , rendolent un hommage religieux aux fauffes Di-
vinités des Payens, & vuidoient une ou plufieurs coupes à leur honneur.
C'étoit précifément ce que St. Paul appelloit (166) l>oire le calice des Dé-
mons y & participer à leur table.
Grégoire-le-Grand (167) «avolt permis aux nouveaux convertis de
M célébrer auprès des Eglifes & à la louange du vrai Dieu , les feftins
w folemnels que les Payens faifoient à l'honneur de leurs Divinités. »»
Cette condefcendance étoit louable , parce qu'il s'agiffoit d'une chofe qui,
en elle-même , n'étoit ni bonne , ni mauvaife ; les Apôtres avoient de
(t«i) Ci-d Liy. II. ch. }. not. 78. 8j.
(163, Keyflcr p. 3 5 '• & h<\-
(164) Vnjci. en un exemple ians Tacite
Annal. I. s°.
(i«s) Capit. Karol. M. de Faccibus Saxon,
ap. Baluz. Capit. Tom. I. p. 254. Ke/fler
P 7^- J3I.
(iiS«) « Confiderez les Ifraelites félon la
» chair : ceux d'entr'eux qui mangent de la vic-
» time immolée , ne prennent-ils pas ainûpart
»i l'autel? Eft - ce donc que je veuille dire
» que ce qui a été immolé aux Idoles , ait quel-
que vertu , ou que l'Idole foit quelque
« chofe \ Non : mais je dis ^ue ce que les
» Payens immolent, ils l'immolent aux De-
» mons , 6c non pas à Dieu. Or, ;e deiite que
» vous n'ayez aucune fociété avec les Démons.
» Vous ne pouvez pas boire le calice du Sei-
» gtieur 2c le calice des De'mons. Vous ne pou-
» vez pas participer a la table du Seigneur, ea
» mangeant le pain Euchatillique , & avoir part
» à la table des Démons , en vous nouriflant
i> de ce qui a été offert aux Idoles.» I. Cor. X.
19, 20. 21.
(i(57) Gregorii M. Ep. ad Millitura Abbt-
tem itiFtancii lib. IX. £p. 71. ap. Ou fiefne
Tom. II. pap. i <.
351 HISTOIRE DES 'CELTES,
même permis aux Juifs Chrétiens d'obferver les cérémonies de la Loi;
La permifllon du Pontife Romain dégénéra bientôt en abus. Le lieu faint
étoit profané par les abominations que l'on y commettoit , & qui font
la fuite naturelle de l'ivrognerie. Les feftins que les Chrétiens faifoient
près des Eglifes, ou même dans les Eglifes , étoient de véritables Bac-
chanales Charlemagne fe vit obligé (i68) de les défendre. On ne fait fi
la Loi de cet Empereur remédia à l'abus , & fi les feftins dont il s'agit
furent abolis dans les terres de fon obéiffance , mais il eft conftant que
les Peuples du Nord ont confervé ces repas facrés , long-tems après
avoir reçu le Chriftianifme ( 169) , & qu'ils y pratiquoient des cérémo-
nies Payennes. Par exemple , on y vuidoit des coupes à l'honneur du
Père (170) , du Fils, du Saint-Efprit, de la Sainte Vierge , de St. Etienne,
de St. Nicolas, de St. Martin, &c de tous les Dofteurs de l'Eglife ; en
buvant à l'honneur de la Divinité (171) & des Saints , on leur failoit
des préfens èc des donations pieufes qui tournoient au profit des Prêtres.
CHAPITRE VI.
De> fuFtifti-§- 1. Suivant le plan qu'on s'eft propofé de fulvre, on doit parler
pks cthc.r* <^<ï"s ce Chapitre , des fuperftitions des Peuples Celtes. Cet objet feul
pourroit fournir la matière d'un gros Livre. Mais d'autres ont déjà écrit
fur ce fujet. Il eft: d'ailleurs fâcheux de s'arrêter long-tems à des égare»
mens fi marqués , Se qui «toient l'opprobre de la raifon , autant que de U
Religion. On va donc traiter cette matière avec le plus de précifioa
qu'il fera poflible.
Les fuperftitions communes à tous les Peuples Celtes, peuvent être ré-
duites à deux chefs généraux , les Divinations & la Magie.
ïiies confif- §• ^^' ^ l'égard des Divinations , c'eft une queftion célèbre dans le»
d«'i«1cs uivi- ^'■^^^^ ' ^* ^^ qu'on appelle le futur contingent, peut être prévu par
nations. ♦
(i«»; Capit. Kar. M. lib. II. Tit. 1 1. p. szj.
(ifij) Vojtz, la Diilertation de M. Kcyflet,
qui a pour titre : Dt/quifiionei de initrdiilo larnu
tautiidufu )& comjyotxttJnihuifAcrii majorum nojlro-
rum. in Antiquit. Sepentr. p. jiz. Se feq. &
Du Frefne Gioflar. au mot Bihere in »mtre finc-
Urutn, Tom. I. fag, 107, & à celui C»r»u ,
pag 1340.
(70 Ritus Nuptial Idardorum ap. Keyfle»
pag Jso. Chtiftian de fcala in vita Sanfti Veiw
ceflei p. s 6. ap Du Frefne p. 607.
(17 ij Olaus Worinius ad faâos Danicos ap>
Du Fiefne p. 1340.
quelque
LIVRE IV. CHAPITRE VT. 353
quelque intelligence que ce foit. Bien des Philofophes ont prétendu
que , comme il n'y a aucune puiflance qui puiffe s'étendre à des ciiofes im-
poffibles & contradiûoires , il n'efl pas poffibleaulîî d'acquérir une con-
noiflance certaine des chofes qui font encore incertaines & contingentes.
On peut voir dans Cicéron (i), de quelle manière ceux qui étoient
d'un autre fentiment , fe tiroient de cette difficulté. Au refte , la queftion
eft décidée pour tous ceux qui reconnoiffent la Diviàité des faintes
Ecritures. On trouve dans les Livres de l'Ancien & du Nouveau Tefta-
ment, un grand nombre d'Oracles qui ne permettent pas de douter
que Dieu ne prévoie jufqu'aux événemens qui dépendent de la déter-
mination libre de l'homme , & du concours de certaines circonftances
qui pouvoient varier jufqu'à l'infini. Mais , fans rien ôter à la fcience de
Oieu , il faut convenir , après cela , qu'entre les chofes que l'homme
fouhaiteroit de favoir, & qu'il ne fauroit découvrir par fes propres lu-
mières , il y en a une infinité que la fagefle de Dieu ne doit pas lui dé-
couvrir. Les caufes fécondes agiffent , par exemple , fous la diredion de la
caufe première ; elles font fouvent des moyens & des inftrumens dont
Dieu fe fert pour exécuter fes propres defleins. Il n'efl donc pas à propos
que l'homme foit inftruit des vues & des deffeins de Dieu , d'une ma-
nière qui le mette en état de troubler l'ordre des événemens , & de
déranger le plan de la Providence-
Dans toutes les chofes qui dépendent de notre liberté , l'homme eft
réduit à fe fervir de fes lumières , pour choifir entre le bon & le mauvais
parti. Il n'eft pas naturel que Dieu établiffe un Oracle pour lui annon-
cer lequel des deux partis il prendra. Un homme veut-il favoir s'il fera heu-
reux dans l'état de mariage ? c'eft une queftion qu'il doit décider par fa
propre fageffe, parce que la folution du problême dépend de la bonté du
choix qu'il fera , & des difpofitions qu'il apportera lui-même à cet état.
Enfin , il faut avouer que la Providence a pourvu à la tranquillité de
l'homme , en dérobant à fes regards des événemens abfens & éloignés.
Il voudroit avoir une connoiftance claire de tout ce qui l'attend dans l'a-
yenir , & le plus fouvent il y trouveroit fon fupplice. La vue certaine
d'un mauvais fuccès , ou d'un m^I inévitable , ne feroit propre qu'à le
décourager & à le tourmenter inutilement.
(i) Ciccro de Divinat. Ub. II. cap. 17, 1 1.
Tome II. y V
JJ4 HISTOIRE DES CELTES,
Les Peuples Celtes avoient , fur ce point , des idées toutes difFérentesi
Reconnoiffant que rien n'échappe à la fcience divine, ils en concluoient
que l'amour que Dieu a pour la vérité & pour lajuftice, l'oblige a dé-
clarer aux hommes toutes les chofes qu'il leur importe de favoir , &
qu'ils ne font pas en état de découvrir par eux-mêmes. Ainfi toutes les
fois qu'il s'agiffoit d'un cas douteux, ou d'une délibération importante ,
par rapport à laquelle il auroit été dangereux de fe tromper, au lieu de
décider la queftion par leurs propres lumières, ils préféroient de con-
fulter la Divinité , dont les réponfes étoient toujours infaillibles. Ils en
concluoient encore que la Divinité réûdant dans toutes les parties de la
Nature, dans l'air, dans l'eau , dans le feu , dans les animaux, & même
dans l'homme , en qui elle produit des raouvemens naturels &c in-
délibérés , on pouvoit aulîi l'interroger & recevoir fes réponfes par
tous ces différens véhicules. La voix de la Nature étoit la voix même de
la Divinité. Ces conféquences qui étoient fauffes & infoutenables ,
comme on l'a montré ailleurs , fervoient de fondement à la Phyfiolo-
gie , c'eft-à-dire , à la fcience des divinations , parmi lefquelles il y en
avoit qui étoient auffi dangereufes &c auffi cruelles , qu'elles étoient
vaines & fiiperftitieufes.
ilyavoitp'u. §. III, L'une des divinations les plus accréditées parmi les Celtes,
de uivina- c'ctoit Ic ducl , dout OU a eu occafion de parler fort au long dans un
àcaé.nlèe'' "* ^^^ Llvres (i) précédens. On ne doit le confulérer ici qu'autant qu'il étoit
étouicduci- yne divination, un jugement de Dieu, dans lequel la Providence dé-
claroit à l'homme , d'une manière extraordinaire ôc furnaturelle , des
chofes qu'il n'auroit pu découvrir par d'autres voies. On recouroit à ce
jugement dans deux cas principaux.
i**. Quand les Peuples étoient convoqués pour délibérer fur quel-
que fiijet important , & que l'Aflemblée avoit de la peine à fe détermi-
ner , foit parce que l'affaire étoit embarraffante &c pleine de difficul-
tés , foit parce que les avis étoient partagés , & dans une efpèce d'équi-
libre , on prenoit le parti d'ordonner le duel , & de remettre à la décifion de
la Providence une queftion que les hommes ne pouvoient pas , ou ne
youloient pas décider. On voit, par exemple, dans Hérodote (3) « que
«les Scythes, nouvellement venus d'Afie , ayant attaqué les Cimmé-
(î) Ci-d. Lit. II. chap. 14, p. lii-iz^,
(3)Hcioilot. IV. II,
LIVRE IV. CHAPITRE VI. 3^5
M riens dans leur Pays , les Chefs des derniers furent d'avis de réfifter à
«l'ennemi, au lieu que le Peuple croyoit qu'il valoit mieux fe reti-
»rer. Les deux partis n'ayant pu s'accorder, il fut convenu que la quef-
wtion feroit décidée par le combat d'un nombre égal de perfonnes ,
» choifies de part & d'autre. » Selon les apparences , les Champions da
Peuple remportèrent la viûoire , puifque les Cimmérieiis abandonnèrent
leur Pays , & pafferent dans l'Afie-Mineure.
Cette même divination fe pratiquoit aufïi chez les Peuples de la
Germanie (4). « Dans une guerre importante , dit Tacite , les Ger-
» mains ont encore une autre façon de deviner quel fera l'événement.
M A quelque prix que ce foit , ils font un Prifonnier , qu'ils forcent de fe
» battre avec un de leurs plus braves Guerriers. Les deux Champions
»» font armés chacun à la manière de fon Pays , & la fortune du vain-
»queur femble pronoftiquer celle de fa Nation.» L'hiftoire de Paul
Diacre fournit un exemple d'un femblable duel (5). Les Lombards ayant
demandé aux Aflipites la permiflion de paffer dans leur Pays, & ceux-ci,
après une mûre délibération , trouvant de la difficulté à accorder la de-
mande , on demeura d'accord que chaque Nation fourniroit un Efclave,
pour décider le différent par le duel. Le Champion des Lombards ayant
remporté la viftoire , leur démande ne fonffrit point d'oppofition.
a". On avoit encore recours au duel dans lescaùfes criminelles, pour
connoître de cette manière , la vérité de certains faits qu'il n'étoit pas pof-
fible de découvrir par d'autres voies. Quand un homme étoit accufé de
meurtre, d'adultère, d'empoifonnenient , ou de qùelqu'autre crime ca-
pital , (i l'accufateur ne fondoit fon aûion que fur des foupçons , des in-
dices , ou fur d'autres demi-preuves, il étoit permis à l'accuïé de de-
mander à être reçu à fe purger par le duel; & fouvent le Magiftrat lui-
même ordonnoit le duel , comme le feul moyen de découvrir la vérité.
Cette Loi étoit bonne dans un certains fens. Elle empêchoit qu'un fçé-
lérat n'intentât témérairement une aftion qu'il étoit obligé de foutenir
an péril de fa vie , fuppofé qu'elle fe trouvât dcftituce de preuves fuffi-
fantes (* ). Mais, à d'autres égards , cette même loi étoit Injufte & per-
— - : - ^.V--.->-^ ■■ ;■_
(4! Tac'it. Gerra. cap. lo. 1 henCblc;. Le Scete'rat n'a'ura-t'il pas autant de
(s) Paul. Diac, Hifti Long;, lib. I. cap, 9. bravoure pour foiitenir fes crimes , qne l'hon-'
pzg. 3$7. js*- Ijnéte homme pour «^feiMlre fon inr.ocencd ?
(•J Cette afleition cft etitie'iement incompré- [ L'audtce «cite le piemier : le fécond fe le-
Yyz
35.6 HISTOIRE DES CELTES,
lîicieufe, parce qu'elle donnoit toujours gain de caufe au plus fort. Un
homme brutal &; méchant pouvoit hardiment acculer des innocens, &
nier avec la même effronterie les crimes qu'il avoit commmis, pourvu
qu'ils ne fuffent pas avérés. Il étoit lûr de gagner fa caufe par le duel ,
parce qu'il favoit mieux manier une épée.
(Quoiqu'il en foit , on procédoit de cette manière devant les Tribu-
naux des Celtes. Les anciennes Loix y font formelles. Voici ce que porte
fur cet article , celle des Allemands (6). «Si un homme qui en accufe ua
»> autre de quelque crime capital, ne peut prouver fon accufàtion ,
»> il fera permis à l'accufé de fe juftifier par la voie des armes. » La Loi
des anciens Bavarois dit (7) : «Si un homme acculé par un feul témoia
«d'avoir confpiré contre la vie du Duc, nie le fait, le témoin & l'ac,-
»cufé feront remis au jugement de Dieu. Qu'ils fe trouvent en champ
»»clos, & que l'on ajoute foi à celui auquel Dieu donnera la viâoire. »
Cette divination étoit fi accréditée parmi les Peuples Celtes , qu'on
l'employoit fouvent dans des cas qui pouvoient demeurer indécis, fans le
moindre danger, ou qui pouvoient, au moins, fe décider d'une manière
plus naturelle & moins dangereufe. Par exemple (e) , Grégoire de Tours
rapporte que le Roi Gontrand, chafTant furie mont Vofge, trouva dans
fon chemin la carcaffe d'un bœuf fauvage , & des marques qu'il avoit été
tué par des ChalTeurs. Le Garde-forêt ayant été mis là-delTus en prifon , dé-
déclara que la bête avoit été tuée par un Chambellan du Roi, nommé
Chundon. Comme celui-ci nia le fait, le Roi ordonna qu'on auroit re-
cours au duel pour découvrir la vérité ou la fauffeté de l'accularion. Le
Chambellan (que fon âge difpenfoit , félon les apparences , de fe battre
lui-même , ) choifit un de {es Neveux pour lui fervir de Champion : les
combattans ayant péri tous deux dans le combat , Chundon voulut fe fau-
pofe fouvent fur le tcmoignage de fa propre
confeicnce : celui-ci fe lie fur la bonté' de fa
caufe : celui-là n'ad'exiftence qu'avec le ciime.
Hôte de l'Editeur,
(«1 Leg. Alaman. Tir. XLIV. p. 37 j.
. (7) Leg. Bajuar. Tit. II. Leg. 2. p. 404. Leg.
Alam". Tit. 84 p. 385, Tit. 8?. p. 3 «7. Tit 94-
p. 38». Leg. Bajuar Tit. 8. Leg. 3. p. 417. Tit.
IX. Leg. 4 P- 4^1- Tit. XL Leg. 6. p. 424
Tit. II. Leg. 8. p. 425. & Leg. 9. p. 426.
;rit. i<. Leg. !• z. p. .t}a<>k3 3< LCS' RifUU.
Tit 57 Leg. 2. p. 4«o. Leg. Saxon. Leg. 15,
pag. 478. Leg Anglior. & Vérin. Tit I. Leg. 2.
pag. 482. Tit. 7. Leg. 4. pag. 484. Tit »,
Ibid. Leg Frifiot. Tit. XI Leg. 3. pag. 49J.
Tit. t4. Leg. 4. p. 497. Leg. Lorgob. lib. I.
Tit. I Leg. 7. p. j 15. Tit. III. Lrj,. 6. p. s ».
Vojiz. auOi Du Frefiie Gloflar. in T)utUi.m T. II.
p. 208. Schotteliui de Aiuiq. Gcrm. Jui. caf.
28. p. 530.
[ij CiegQ{, TuiOOi lrb< Zt cap. i«. p. 442.
LIVRE IV. CHAPITRE VI. 3^7
ver dans une Eglife ; il fut faifi , attaché à un poteau , & aflbmmé k
coups de pierres. Voilîl, afiurément , une grande cruauté, exercée par un
Roi à qui on a prodigué les glorieux titres de èon & de faint. Grégoire re-
marque que Contran témoigna enfuite beaucoup de regret de s'être
tant précipité. C'eft la meilleure manière de Vexcu{QT. Il avoua fa faute
& pajfa condamnation , dit l'Auteur. On a vou;u auffi difculper ce Prince,
en difant qu'il n'avoit fait que fuivre, dans cette occafion , une cou-
tume établie parmi les Francs. Mais cette réflexion n'excufe en aucune
manière l'emportement de Contran. Outre qu'il faifoit profefïïon du
Chriftianifme , les Loix mêmes des Celtes n'ordonnoient le duel que
dans les cas où il s'agiflbit de crimes capitaux , au lieu qu'il n'étoit ici
queftion que d'une bagatelle. Il falloit être inhumain & barbare au plus
haut degré , pour expofer & pour facrifier la vie de trois perfonnes ,
dans la feule vue de favoir fi un homme avoit chaflé dans \^s plaifirs
du Roi.
Vitikind le Saxon (9) fait mention dans fon hiftoire , d'un duel qui fut
ordonné pour décider une queftion de droit. Il s'étoit élevé, du tems de
l'Empereur Othon I, un différent entre des Oncles & des Neveux , fur
une fucceffion. Les Oncles invoquolent le droit Saxon , félon lequel
des frères qui furvivent à un autre frère , héritent de fes biens , au pré-
judice des Neveux. Les Neveux, au contraire, s'appuyoient fur le d/oit
Romain , fuivant lequel les enfans du frère jouiffent du droit de repré-
fentation. L'Empereur ne fe fentant pas en état de juger le différent par
fes propres lumières, fît convoquer les Etats de l'Empire pour l'exami-
ner; mais, parce que la NoblefTe & les Députés des Villes ne purent
s'accorder fur la queflion , ils convinrent, fuivant l'ufage de ce tems-
là , de la décider par le duel. Enfin , Mariana rapporte ( 10 ) que les Ef-
pagnols s'étant partagés fur la fin de l'onsiéme fiécle , entre l'office Ro-
main & le Muzarabique dont les Goths s'étoient fervis jufqu'alors ,
on les éprouva premièrement par le duel , & enfuite par le feu.
On voit bien que cette étrange manière de procéder , étoit fondée
fur la perfuafion que la Providence donnoit toujours gain de caufe à ce-
lui qui avoit le droit & la juflice de fon côté. C'efl ce que faint Agobard
(9) Wtikinduj Saxo lib. II. ad an. y^a.
(10^ C-dcfloiM. 5> U.no. lai.
J58 HISTOIRE DES CELTES,
obfervoit à l'égard des Bourguignons dans fon Traité contre la Loi Gom-
bette (il). « Ils croient que Dieu favorife celui qui remporte la vie-
Mtoire fur fon frère.» Il paroît par une ancienne conftitution qui fe
trouve dans le Recueil de Goldafte , que les Allemands raifonnoient de la
même manière ( ii). « Quand un homme qui en a tué un autre fans
» témoin , déclare l'avoir fait en défendant fon propre corps , on eft
» obligé de l'en croire fur fa parole , foit qu'il mente , foit qu'il dife la
» vérité , parce qu'on ne peut lui contefler la vérité du fait ; mais on
» remet la décifion au jugement de Dieu : les parens du défunt fe pre-
«fentent pour convaincre l'affaffin d'impofture. C'eft pour de fem-
wblables cas que le duel eft ordonné. Ce que les hommes n'ont pomt
»vu , eft parfaitement connu du Tout-Puiffant ; de forte que nous
» devons avoir cette confiance en Dieu , qu'il décidera du duel , félon
»le droit & la juftice.»
Il femble que la feule expérience auroit dû défabufer les Celtes de
cptte illufion , & les convaincre que dans un champ clos , non plus que
dans un champ de bataille , la Providence ne fait point de miracle pour
faire triompher du plus fort le plus foible qui a la raifon & la Juftice de fon
côté , &C pour faire fuccomber celui qui eft véritablement coupable. Tous
les jours ils voy oient périr enfemble dans les duels, l'accufateur &c l'accu-
fé, l'innocent & le coupable. D'ailleurs, il n'étoit pas poffible qu'ils ne
s'apperçuftent fouvent de ce que St. Avite , Evêque de Vienne, difoità
Gombault , Roi des Bourguignons (13) : « Nous voyons la force, ou
» l'adrefte d'un combattant , l'emporter fouvent fur la légitime pof-
«feflîon , ou fur la jufte demande de fon adverfaire. » Malgré cela , les
Celtes ont confervé cette cruelle manière de deviner, pendant une
longue fuite de fiécles. C'eft une bonne preuve de leur férocité & du
penchant qu'ils avoient à décider tous leurs différens par la force , au
préjudice de toutes les Loix de la juftice & de l'équité.
§. IV. L'on doit, cependant, remarquer, i". qu'il n'étoit pas permis
aux Particuliers de recourir à cette divination , de leur propre autorité.
Le Magiftrat avoit feul le droit de l'ordonner , & il ne le faifoit qu«
dans les cas dont on a fait mention , c'eft-à/-dire , lorfqu'un homme étoit
(Ji) Agobaid. adv. Leg. GunJobaldi cap. 7.
Opp. Tit. I. p. 113.
{il) GoldaftiKcichs-Salzungt cap. i6S.o.Sy,
6%.
(iiy-AVitiR Viennenf. apud Agobaid. lib.
•dv. Leg. Gundob. cap. tj. p. iio.
LIVRE IV. CHAPITRE VI. 359
acaifé de quelque crime capital fur des foupçons & des indices qui ne
formolent pas , à la vérité , une preuve complette , mais qui ne per-
mettoient qu'on le déchargeât entièrement. Dans ces cas , les Juges s'em-
ployoient, avant toutes chofes, à procurer un accommodement à l'amia-
ble entre les Parties. Quand ils ne pouvoient pas y réuflîr, ils avoient
coutume d'ordonner que l'accufé fe purgeât par ferment, & il falloit
qu'un certain nombre d'hommes de fa connoiflance, reconnus pour des
gens dignes de foi , prêtaflent en fa faveur, ce qu'on appelle \ç ferment
de crédulité. Ils juroient qu'ils avoient toujours connu le dépofant pour un
homme de probité , & que par cette raifon , ils croyoient fa dépofition
véritable. On les appelloit Sacramentales ou Compurgatores. D'autre-
fois , c'étoit à l'accufateur que les Juges ordonnoient de confirmer fon
accufation par le ferment. Mais , dans l'un & dans l'autre de ces cas (14), il
étoit toujours permis à la Partie contraire , de s'oppofer à la preftation
du ferment , & de déclarer q'u'affurée de la bonté de fa caufe , elle vou-
loit convaincre fon ennemi par la voie des armes , à quoi le Maglftrat
étoit obligé de confentir. De-là vient que les anciennes Loix propofent
ordinairement l'alternative du duel & du ferment purgatoire , pour la
décifion des cas dont il s'agit ici. « La Loi des anglais ou Anglo-Saxons ,
»» (15) dit: Si quelqu'un eft accufé d'avoir tué un homme noble, ou une
»perfonne libre, & qu'il nie le fait, il faudra qu'il fe purge par ferment,
» & que douze hommes jurent avec lui , ou qu'il-fe batte avec fon ac-
>> cufateur. »
3°. Le duel n'étoit permis qu'entre des perfonnes d'une naiflance &
d'une condition égale. C'eft ce que l'ancienne Loi des Saxons porte ex-
prefTément (16). » Perfonne n'eft obligé de répondre au défi d'un
» autre , fi celui qui fait le défi eft d'une naiflance inférieure , » c'efl:-à-dire ,
s'il n'eft pas Gentilhomme. Le privilège du duel étoit tellement affefté
à la Nobiefle , parmi les Saxons , qu'il falloit faire preuve de fes quatre
quartiers (17) pour y être admis.
4°. Les femmes , les mineurs , les vieillards , les infirmes avoient la per-
miflion de mettre en leur place (18) un Champion , pour foutenir leurs
(14) Leg. Burgund. Tit. f . Leg. ï. p. jyj-
Tit. 45- p- i«S
(151 Leg. Anglior. Tit. i. pag. 48^.
Tit. ». p. 4«4. Fojei, plufieurs lois de la même
«eneui SchotcU. p. j}o. sji.
( 16) Land Rech. lib. III. Tit. «J. ap.
Schocicl. p. 3 s 2.
(^17) LandRccht. Lib, I Artic. 5 7.ap. Scfaot.
pag- îso.
(I») Leg. FriCor. p. 497. Longob. p, $15.
36o HISTOIRE DES CELTES,
droits. Mais on accordoit rarement la même permiffion aux hommes quî
étoient en âge Se en état de fe battre (19) , fur-tout lorfqu'il s'agiffoit de
quelque affaire grave & importante. Les Champions étoient quelquefois
des gens de qualité , que l'on choififfoit parmi les parens ou les amis
de l'accufé , ou qui fe préfentoient eux-mêmes pour défendre fa caufe
( * ), Ainfi la Reine Gundeberge , ayant été accufée par un Gentilhom-
me nommé Adalulfe , d'avoir voulu empoifonner Chrodoaide, Roi des
Lombards , fon mari , les Ambaffadeurs du Roi Clotaire , frère de la
Reine , obtinrent qu'Adalulfe feroit obligé de juftifier fon accufation par
le duel ( 2.0 ) , « afin qu'on connût par le jugement de Dieu , fi Gun-
wdeberge étoit innocente ou coupable. » Les parens de la Reine four-
nirent pour Champion un Gentilhomme nommé Pitton , qui tua
Adalulfe. La bravoure du Champion rétablit entièrement l'honneuc
de la Reine : elle fortit en triomphe de prifon , & fut reçue par Chro-
doalte comme une femme injuftement accufée. Mais le plus fouvent
les Champions étoient des gens de baffe extraftion , &c même des efcla-
ves que l'on payoit pour défendre une caufe. Quoiqu'on ne leur don-
nât pour armes qu'un gros bâton ( 1 1 ) ou une maffue avec un bou-
clier de bois pour fe couvrir , ils ne laiffolent pas de fe faire beaucoup de
mal, & il y en avoit fouvent d'affommés. Au refte, un Champion qui
avoit été vaincu étoit regardé comme infâme (^i). Il ne pouvoit plus
fe battre, à moins que ce ne fîit pour défendre fa propre caufe ; encore
falloit-il qu'il fut appelle : car il ne lui étoit pas permis de faire un défi.
5*^. Quand on ne trouvoit pas une parfaite conformité entre les dif-
férentes dépofitions des témoins que le Demandeur & le Défendeur pro-
duifoient pour établir un fait , les Juges avoient coutume d'ordonner
que les témoins juAifieroient leur dépofition par le duel. Il falloit que
de part & d'autre , ils choififfent dans leur nombre , un Champion
pour foutenir leur caufe , & dans ce cas , le Champion qui fuccomboit
5 3 « & < 3 4 .Alaman. Tit. LVI. p. 3 77. Du Frefne.
iayocc campio. Tit. I. p. 795- &/<?•
(19) Lcg. Bajuar. Tit, XI. cap. s. p. 424.
(*) Comment n'eft-il pas étrange de voir des
hpmmes prêts àfacrifier leur vie juridiquement
6 de fang froid, pour les folies d'autrui ? Il n'y
a guctes d'exemples d'une femblable barbarie.
Cette fureur éteignoit jufqu'.iu fentiraent de
i la confervation de fon être. Nare dt l'Editeur,
(10) Fredegar. cap- 5 1. apud DucHefnc. T. I.
pag. 7 s s. Voyez, en un autre exemple dans Paul
Diacr. Rer. Longob. lib. IV. cap. i«.
(il) Leg. Longob. lib. II. Tir. j i. Leg. 10.
pag. 648. & Tit. 5 5. Leg. 19. p. 6Sï. Leg.
Salie, p. 3 5S.conftitut. Sicul. lib. II. Tit. 3 7-
Leg. I. p. 781.
'ir
la ptemlete loi natacelle , qui porte l'homme 1 {zi) Conftit. Sicul. Ibid.
étoit
LIVRE IV CHAPITRE VI. 301
ctoit puni comme parjure (23 ) ; on lui coiipoit la main droite ; mais les
autres témoins ( 24) étoient reçus à racheter leurs mains, moyennant une
grofie amende.
§. V. Il paroît affez, par ce qui vient d'être remarqué , que la Religion
Chrétienne ne remédia pas à ce qu'il y avoit de cruel &c de barbare , dans
cette première forte de divinations que les Celtes pratiquoient. Au con-
traire , le Clergé fanâifia en quelque manière le duel , foit en donnant
des Confeffeurs à ceux qui alloient fe battre , foit en ordonnant que le com-
bat en champ clos fut accompagné de certaines cérémonits &C de cer-
taines prières , qui en faifoient une afte de Religion parmi les Chré-
tiens , comme il l'avoit été parmi les Payens. On prioit Dieu « qu'il
» voulût affifter l'innocent, &C décider le combat félon la vérité & la
njuftice. ♦» Les Empereurs aufli, au lieu de remédiera l'abus , accordè-
rent à quelques Villes d'Allemagne , comme, par exemple, à celles
de Nuremberg ( 25 ) , & de Halle (26) en Suabe , des privilèges en ver-
tu defquels elles avoient le droit de donner une pleine fCireté aux
Gentilshommes qui venoient s'y battre , de marquer le jour &c le lieu du
combat , & de mettre au ban de l'Empire ceux qui refufoient de fe rendre
à l'affignation.
Il y eut, à la vérité , des Evêques Si des Princes, qui reconnurent l'abus
d'une procédure qui , au lieu d'être xm jugement de Dieu , n'ctoit, dans
le fond , qu'une cruelle & barbare oppreflion. On trouve , par exemple,
parmi les œuvres d'Agobard , Evêque de Lyon , un Traité qu'il avoit
compofé ( 17 ) « contre la Loi Gombette , & les déteftables combat*
»»qu'elk autorifoit, » & un autre Traité (28) «contre la damnable
M opinion de ceux qui croyoient que Dieu manifeftoit la vérité par les
» épreuves du feu & de l'eau , ou par le duel. » Rotharis , Roi des
Lombards , reftraignit eonfidérablement les cas ( 29 ) oh il étoit permis
aux Magiftrats d'ordonner le duel; il n'ofa pas l'abolir entièrement, par-
ce qu'un long ufage Tavoit fait pafTer en Loi , au milieu de fa Nation ,
mais dans le fond , il reconnoiïïbit ( 30 ) que cette Loi étoit injufte &
(ij) Vojiz. la not. XI. Capit. Kiroli 8c Lud.
Jmpp. lib. IV. 1. 2). p. S95.
(î4)Leg. Burgund. TU. +5. p. l«s.Tit. »o.
(25; Limnzi jus public, in addit., «d lib. V.
cap. 7- ¥■ 7S°- 7}«>
{%tj GoldaftReichs Satzung.cap.170. Schot..
Tomt IL
p. 250. Joh. Pet. Ludwig de Hcbus Halenfîbu»
pag. 24. 25.
(17) Agobardi. Opp. torti. I. p. 107.
(xS Ibid.p. joi.
'' (I9) Leg. Longob. p. «5C.
(30, Lcg. Longob. lib. I. Tit. 9. cap. s}.'
pag. S30. lib. II. Tit. a. h. i. z. 3. p. a*.
302 HISTOIRE D E S C E L T E S,
impie- Parmi les cbnftitution de l'Empereur Frédéric fécond, il y en aune
( ^ I ) « qui abolit le duel dans les caufes criminelles , auffi-bien que
» dans les affaires civiles , tant par rapport à la Nobleffe & aux Barons ^
» qui s'offroient réciproquement le combat en champ-clos , que relati-
» vement aux témoins que l'on produifoit de part & d'autre. »
Cependant la conftitution permet encore le duel, dans un petit nom-
bre de cas; par exemple, lorfqu'un homme étoit accufé d'homicide,
d'empoifonnement ou du crime de Lèze-Majeilé. Dans ces cas mêmes la
Loi veut qu'on commence par les preuves ordinaires , & qu'on n'or-
donne le duel que lorfqu'elles n'auront pas éclairci le fait dont il efl
queftion. Malgré ces reftriâions (3 1) , il ne laiffoit pas d'y avoir bien de la
barbarie dans la forme des duels que l'Empereur jugea à propos de con-
ferver. On trouve encore qu'en 1291. l'Empereur Rodolphe accorda
à la Ville de Friedberg un privilège (33), en vertu duquel aucun Habi-
tant de la Ville ne pouvoit être cité devant un Tribunal étranger , ni
obligé à défendre fon droit par les armes , à moins que le Magiftrat du
lieu n'eut dénié là juflice au plaignant. Le privilège eft remarquable,
parce qu'il prouve que les Villes qui jouiffoient du Kampfrecht , c'efl-à-
dire , du droit d'ordonner le duel , étendoient leur jurifdidion fur tous
les Membres de l'Empire. '
Les bons réglemens dont on vient de faire mention , ne remédièrent
point à la fureur des Duels , ni à la fuperftition qui croyoit diftin-
guer l'innocent du coupable par une femblable procédure. L'abus fubfif-
toit encore dans le quinzième fiécle , dans lequel on voit la Chambre
Impériale de Rotweil (34) ordonner le Duel pour la décifion d'une
Caufe qui étoit pendante devant fon Tribunal,
Nous avons encore les anciennes Loix de quelques Peuples d'Alle-
magne, danslefquelles la forme des Duels eft réglée fort au long. On y
voit de quelle manière les combats en champ clos , fe* faifoient (• 5) en
Çaxe, en ( j&) Sùahe, & en (37) Franconie. Voici quelques-unes des
f
(ài)Conftit.Skul. lib. IJ. Tit. 31. p. 77». (jj ^pecul. Saxon, lib. I. art. 63 & sj.
Tit.Ji.p. 77»- jWeichbildt. art. 3 5.
('}») Vdjn. le Titre 37 du même Livre. ) 1^36 i Schvt-aben Spieget cap. 70-73. Munfter
(3j) LimniÀ jus ïui>U lib. VU. cip, 17. ; Comog.lib. III. cap'. 301. 305. Goldaft
*""*• *' ; Reichs Satzung. part. II. ad an J410.
(34) Anno I4î^ Caldift Reichs. Satz. T- 1. j ■ (37) OrW»«»j ic, Kamp, d, Burgr»v,humh\»
'*''■*"*-« •'l''' . .3(îj .yo I Waruter^ , e'eft-à-dirc » roiddnnanee «jui te'jl»
.^j^j.q.j.-. 1 .dil .ojj .J4JJ [.. _
LIVRE IV. C HA PITRE VI. 3<5j
principales formalités qu'on y obfervoit. t^)uancl un Gentilhomme ve-
noit fe plaindre d'un autre Gentilhomme , de la part duquel il pré-
tendoit avoir reçu quelqu'outrage , ou loufFert quelque injuftice , le
Magiftrat établi pour recevoir la plainte , faifoit citer l'accufé à trois
différentes reprifes. S'il ne comparoifToit pas après la troifième cita-
tion , il étoit mis au Ban de l'Empire (3 ^) , & en vertu de cette prof-
criptlon , il étoit permis au premier qui le rencontroit , de le tuer. Quand
les Parties comparoiffolent , le Magiflrat leur ordonnoit de plaider
leur Caufe , & après avoir entendu l'Accufateur & l'Accu é , il n'épar-
gnoit rien pour les obliger à finir leur querelle fans effufion de fang.
Après avoir tenté inutilement un accommodement , les Juges indi- '
quoient enfin le jour & le lieu du combat , ils faifoient prêter ferment
aux Parties d'obferver religieufement les Loix du Duel , comme ,
par exemple , qu'ils fe rendroient à l'aflignation , qu'ils n'entreroient en
Ville qu'avec une certaine fuite ^ que l'acculé auroit le choix des ar-
mes , qu'il frapperoit le premier coup , &c.
Au tems marqué , le Magiftrat faifoit enfermer & couvrir de fable ce
qu'on appelloit le Champ-clos , auquel on donnoit ordinairement cent
vingt pas de long fur quatre-vingt de large. Aux deux extrémités du champ ,
on dreffoit pour chaque combattant une tente oii il entroit avec fort
Confijfiur & fes Chevaliers , que nous appellerions aujourd'hui les
féconds. A l'entrée de chaque tente , on voyoit un cercueil, des cierges,
des draps mortuaires , pour marquer , dit - on , que l'intention des
combattans étoit de fe battre à toute outrance , & qu'il falloit que l'un
des deux y laiflat la vie. Avant que le combat commençât , on faifoit
l'échange des féconds , qui alloient vlfiter foigneufement la tente , les
armes , & la perfonne même des tenans , qu'ils faifoient deshabiller ,
pour empêcher qu'il ne fe commît de part ôc d'autre quelque fraude ou
quelque maléfice (39).
Lorfque tout étoit prêt pour le combat , un Juge , nommé pour
cela , donnoit trois fignaux. Quand il crioit , pour la première fois , les
la formr des Doels dans le Burgtaviat de Nu-
leinScrg. apuJ Linnsum add t. ad juris Publici
Jib. V. cap. 7. p. 7 so. 7 s I.
(l«) GoIJafl R.eiClit Satz. T. I. p. i K.
(l>;Cei «alcfices font aaflt dcfendus 4ani
une lot de Rotliaris , A.oi des Lombards. Leg.
Longobard. lib. H. tit. 5|.Leg. II. p. 6 $8. Vojiz,
«ncoie Decict. Taffilonis Ducis , in Leg. Bajuai. .
P»g-44>-
Zzi
364 HISTOIRE DES CELTES,
combattans fe levoient de leur fiége ; quand il crioit , pour la féconde
fois , ils fe tenoient debout , chacun devant fa tente. Aiiffitôt qu'il
avoit crié , pour la troifiimt, fois , le combat commençoit de la manière
& dans l'ordre prefcrit par les Loix Un Combattant qui , après avoir
été blefTc , fe feroit rendu à fon ennemi , devenoit infâme pour toute
fa vie ; il ne lui étoit plus permis, ni de fe faire rafer , ni de monter à
cheval , ni de porter les armes , encore moins d'exercer aucun emploi.
Mais on entouroit honorablement ceux qui perdoient la vie , pendant
que le Vainqueur juftifîé par le Jugement de Dieu , s'en retournoit
couvert de lauriers , & jouiflbit , fans contradidion , de ce qui avoit
fait le fujet du Duel (40).
. En voilà aflez fur un abus qui a û.ibfifté pendant une longue fuite de
ficelés , à la honte de la raifon & du Chriftanifme. Les Lefteurs per-
mettront qu'on leur laiffe le foin d'examiner , fi depuis que le Ma-
giftrat n'ordonne plus les Duels, ils en font devenus moins fréquens ,
& plus raifonnables. On crie tous les jours contre l'ancienne barbarie,
& on ne s'apperçoit pas que nous enchériffons, à plufieurs égards , fur
la férocité hi. fur la barbarie des anciens.
§. VI. Les Aufpices étoient une féconde forte de Divinations dont
les Peuples Celtes étoient fort entêtés. Croyant que l'homme pouvoit
être inftruit de fa deftinée , par le vol & par le chant des oifeaux ,
ils avolent grand foin de confulter un Oracle , dans toutes les affaires
qui étoient pour eux de quelque importance. On a eu occafion d'indi-
quer , en plufieurs endroits de cet Ouvrage , fur quoi cette fuperfti-
tion étoit fondée. On le voit dans un mot d'Anarcharfis que Plutarque
nous a confervé. Il difoit (41 ) que les animaux fuivoient les im-
» pulfions de la Divinité , de la même manière que l'arc & la flèche obéif-
» fent à un habile tireur , & la flûte à un bon Muficien «. Les oifeaux
étant les organes de la Divinité qui réfide dans la matière , & qui en di-
rige le mouvement , leur chant aufli-bien que leur vol , étoient des inf-
truftions qui avertiffoient l'homme (42) de tout ce qui l'attendoit dans
l'avenir.
Les autres Payens penfolent , fur cet article , de la même manière que
(40; Du Fiefne a décrit , fort au long , les
foimalités qu'anciennement l'oii obfervoit en
liance dans les PucU. Gloflar, T. JI.p. 21*.
141] Plut. Conv, Sep. Sapt. cap. 23,
4i) iElian. Var. Hi.t. lib. U cap. 31, ci-d,
I<iv> UI. chap. 4. $. 1 1. HOC. a. si-
L I V R E IV. C H A P I T R E VI. 365
les Celtes. » Il n'y a point d'homme affez infenfé , difoit Ammien-
«Marcellm (43) , pour affurer que les Augures & les Aufpices dépen-
» dent de la volonté des oifeaux , qui n'ont aucune connoiffance de
» l'avenir. Mais Dieu dirige le vol des oifeaux , en forte que leur
» chant , ou leur vol , tantôt lent , tantôt rapide , annonce les chofes
» qui font à venir. La bonté de Dieu fe plaît à déclarer aux hommes par
» cette voie , ce qui les attend , foit parce qu'ils le méritent , foit à caufe
•> de l'afFeftion que Dieu porte au genre humain «. Tout ce grand
raifonnement d'Ammnien- Marcellin n'a qu'un feul défaut, mais il eft
capital. 11 fuppofe ce qui eft en queftion , c'eft-à-dire , que Dieu dirige
le vol & le chant des oifeaux d'une manière qui avertit les hommes de
leur deftinée. Indépendamment des raifons qui montrent la folie de tou-
tes les Divinations que les Payem pratiquoient , Cicéron fait un ré-
flexion qui auroit été capable de défabufer pleinement tous ceux qui fai-
foient quelque cas des Aufpices , fi la fuperftition permettoit à l'homme
de raifonner & de faire attention à des vérités qui fe préfentent natu-
rellement (44). » La Science des Aufpices étoit appuyée fur un fonde-
» ment fi incertain , & les régies en étoient fi différentes , & fi oppofées ,
» que les Galates regardoient comme un Augure finiftre , ce qui paiïbit
» chez les Romains pour un A ufpice favorable «.
Quoi qu'il en foit, il eft reconnu, que la fcience des Aufpices étoit
l'une des grandes études des Peuples Celtes (45). Les Efpagnols (46) , les
Gaulois (47) , les Germains (48) , les Pannoniens ( 49 ) , les Troyens
(50), les Phrygiens (51) , les Cariens (51) , les Perfes donnoient tous
dans ces vifions. Cependant les Gaulois & les Germains paffoient
pour être plus expérimentés (dans cette forte de Divinations que les
autres , c'eft-à-dire , qu'entre tous les Barbares , il n'y en avoit point
qui pouflaflent plus loin la fuperftition fur cet article.
Les Gaulois (53) avoient une foumiflion aveugle pour leurs Devins,'
( 43 ) Ammian. Maicell. l.b. XXI. p.
#vid. fa^Aoïuin lib. I. p 447.
(44) Ciccro de Divinitate. lib. II. cap. 76.
(4s) Silius Ital. lib. III. v. 344. Lampiid.
Alex. Sev. p. 917.
(46) Vtiytx. les notes 53. $6,
. (47J Viyei. les notes 57-59. Tacit. Germ.
cap. 10. & cap. 39. AmiB. Maiccl. lib. XIV.
••p. 10, p 50.
(48) To/ftlanote 7 5.Spanian. Sever. p. «oS.
49 Cicero de Di>init. lib. I. cap. tg. Sef
vius ad SLniid. lib. III. v. ] 59. p. 299.
(50J yoyn. la note prcce'dentc. Cicero de
Divinac lib. I. cap, 92. 94. JulUn. XI. 7.
(5 1; Cicero de Divinat. lib. i. cap. 91. 94, ,
(5 2) Cicero de Divinat. lib. I. cap. 50.
^ 5 i ] Diodof. Sic ul. hb. Y . p. a I j .
365. HISTOIRE DES CELTES,
parce qu'ils prédifoient l'avenir par les Aiifpices , &i par l'infpeftion des
victimes. On voyoit fouvent des Peuples entiers (54) , quand ils en-
treprenoient quelque expédition , fe laifler conduire par les oifeaux ,
& fuivre ces animaux comme desiguides que la Providence elle-même
Uur donnoit. Les particuliers , & fur-tout, les grands Seigneurs, n'en-
treprenoient rien d'important , lans avoir premièrement confulté cet
Oracle. Nous avons vu, par exemple, que Divitiac , l'un des Chefs
des Eduens , du tems de Cicéron (55), fe vantoit de prévoir l'avenir
par les Aufpices, & par des conjectures tirées de la Phyfiologie. Dé-
jotarus , Roi des Gallo-Grecs , avoit auffi la foibleffe de déférer beau-
coup à ces préfages ■ & pour montrer qu'il ne le faifoit pas fans rai-
fon , il racontoit à Cicéron (56) qu'un Aigle lui avoit fauve la vie.
Il comprit par la route que cette Aigle tenoit , qu'il devoit retourner
fur fes pas ; & , effeftivement , la chambre où il devoit coucher , s'il
avoit pourfulvi fon chemin , s'enfonça la même nuit.
Les Germains ne différoient pas des Gaulois ( J7 )• Ils étoient atta-
chés aux Aufpices , & aux forts , autant & plus qu'aucun autre Peu-
ple. Audi vante-t-on beaucoup l'habileté avec laquelle ils expliquoient
tout ce qui étoit fignifié par le vol & par le chant des oifeaux. On n'eft
pas furpris de trouver de femblables éloges dans des Auteurs Payens , ils
ajoatoient foi à ces bagatelles. Mais on a peine à comprendre que les
Juifs & les Chrétiens aient pu y foufcrire. Par exemple , Procope
rapporte (58) » qu'Hermigifile , Roi des Varnes, fe promenant un
» jour à la campagne , avec quelques Seigneurs de fa Cour , apperçut
»» fur un arbre un oifeau qui croaffoit beaucoup. Soit qu'il entendît
» le langage des oifeaux , foit qu'il en fît femblant , ou qu'il eût quel-
R qu'autre certitude de fa mort prochaine , il déclara d'abord à ceux
H qui étoient avec lui, qu'il mourroit au bout de quarante jours «.
Ailleurs il remarque (59) qu'Attila étant fur le point de lever le fiége
d'Aquilée , apperçut des cigognes , qui fe retiroient d'une tour de la Ville,
Un Aufpice fi favorable l'ayant obligé à recommencer le fiége , la Tour
(j4) Juftin XXIV. +. livius V. 34,
(5 $ Cicero de Divinat. lib. I. cap. »0. ci.d.
Chap. IV. §. s. not. si.
($« Valer Maxim. lib.I. caj. 4.fine. Ciccio
Bivinat. lib. I, cap. iC.
(57) Taeit. Germ. ca ■. 10.
(si) Frocop. Gocth. lib. IV. cap. zo. p. fxi.
f J ^' Procop. Vandal. lib. I. cap. 4. p. ltf<
Joinud. Gçt. cap. 41,
LIVRE IV. CHAPITRE VI. 367
^ue les Cigognes avoient quittée , s'écroula tout à - coup , & ouvrit
aux Huns un libre paffage pour entrer dans la Ville. Procope qui tenoit
ces faits de quelque Auteur Payen , devoit-il les rapporter fans indi-
quer ce qu'il penfoit du langage des bêtes, & de la fottife des hommes
qui obfervoient le chant & le vol des oifeaux, comme autant d'Oracles
infaillibles.
Jofephe raconte auffi (60) » qu'Agrippa, fils d'Ariftobule , & petit-
» fils d'Hérode-le-Grand , étant prifonnier à Rome , fous l'Empire de
» Tibère , & prenant l'air dans la cour de la Prifon , un hibou vint
» fe repofer fur un arbre contre lequel ce Prince étoit appuyé. Un
» Germain qui étoit prifonnier avec Agrippa , &C qui remarqua la pofi-
» tion de l'oifeau , lui annonça que cet augure lui préfageoit , non-
» feulement fa délivrance , mais encore une gritnde élévation. Il l'avertit,
» en même tems , que , quand il verroit paroître une autre fois ce même
w oifeau , il n'auroit plus que cinq jours à vivre ; ce qui ne manqua pas
M d'arriver comme le Germain l'avoit prédit. Tibère étant mort quelques
» mois après , Agrippa fut relâché , & renvoyé dans fes Etats , avec de
» riches préfens. Mais un jour qu'il célébroit à Céfarée des jeux folem-
» nels en l'honneur de l'Empereur Claude , il vit le hibou &c mourut au
n bout de cinq jours «,
Jofephe étoit trop habile homme pour ajouter foi à un conte fi ridi-
cule. Il a fait dans d'autres endroits de fon Hifloire , des réflexions fort
judicieufes fur la vanité des Aufpices. Cependant il rapporte ici-la Fa-
ble du Hibou , avec, une gravité qui femble infinuer qu'il n'avoit au-
cun doute , ni fur la vérité du fait, ni fur la certitude du préfage qu'on
en avoit tiré. On en voit aifément la raifon. Cet Hiftorien étoit grand
Courtifan. Comme il vouloit que fes Ouvrages fuffent lus par des Ro-
mains , il leur fait fouvent fa cour aux dépens de la vérité , & de fa
confcience. Tantôt il fupprime les miracles du Vieux Teflament , parce
qu'il appréhende qu'ils ne trouvent aucune créance dans l'efprit des
Etrangers , tantôt il diminue la gloire des miracles qu'il eft obligé de
rapporter , pour les rendre moins incroyables. Ici il pafle aux Payens
une prétendue Prophétie , afin qu'on ne lui contefte pas les Oracles dont
les Juifs étoient dépofitaires.
(«o Jofephe, Hifl'oire de» Juifs. Liv. XVII|. cbap. t. g. »|j. Liv. XIX. ebip. 7. p. jïo.dej»
verflon d'Ablancouit.
3<58 HISTOrRE DES CELTES,
§. VÎI. Pour revenir à notre fujet , il y a beaucoup d'apparence
que la fuperftition dont on vient de parler, tiroit fon origine des fimples
Celtes, qui la communiquèrent enfuite aux autres Payens. Les Grecs
& les Latins avouent eux - mêmes , que la doftrine des Aufpices n'étoit
pas de leur invention. Les Romains tenoient leurs Divinations (6i) des
Etrufces. On a vu dans le premier Livre de cet Ouvrage , les railbns
qu'on a (6i) de regarder les Etrufces comme un Peuple Celte. Les
Grecs reconnoiffent aufli (63 ) que les Phrygiens & les Cariens corn,
mencerent les premiers à faire des obfervations fur le vol des oifeaux »
& que c'étoit de-Ià que la fcience des Augures avoit paffé en Grèce.
On aura occafion de montrer dans l'un des Livres fuivans , que les
Phrygiens & les Cariens étoient du nombre des Peuples Scythes , qui
pafferent de la Thrace dans l'Alie mineure , où ils établirent les Royau-
mes de Troye, de Lydie, de Bithynie, de Phrygie, de Carie, & plu-
sieurs autres.
Au refte , il en fut de la fuperftition que l'on vient de repféfenter ,
comme des autres dont on a déjà fait mention. Elle fubfifta parmi les
Celtes , après même qu'ils eurent reçu le Chriftianifme. On peut en
juger ainfi par les Loix des Vifigoths (64) , & des Lombards , qui défen-
dent les Aufpices , & , fur-tout , par la févèrité de l'Edit de Theodoric ,
Roi d'Italie , qui , faifant profeflion de tolérance ( (Î5 ) , ne laifle pas
de condamner au dernier fupplice ceux qui participeront à ces fuper-
flitions Payennes. S'il faut en croire Procope , Genferic , Roi des Van-
dales , défèroit auffi aux Aufpices , quoi qu'il fut Chrétien (66). Il re-
lâcha Marcien , qui dans la fuite, fut Empereur , parce qu'il avoit vu une
Aigle defcendre fur ce prifonnier , & voltiger au-deffus de fa tête,
pour lui faire ombre , pendant qu'il dormoit au fommeil. Regardant cet
Aufpice comme un préfage de la prochaine grandeur de Marcien , Gen-
feric voulut s'en faire un ami , en le mettant en liberté , & lui fît prêter
(si) Ci-deffbus. §. 9. not. 71 7}.
(«2; Ci-d. Liv. I. chap. lo. pag. s<. «i. «1.
(53) Clem. Alex. Stiom. lib. I. cap. i<.
pag. 3«i. Suidas, in aitvUK>i Tom. II. p.«; >.
Plin.H. N. VII. j«.
(<+) Leg. Vifigoth. lib. VI. tit. IX. Leg. I.
pag. IÎ4. ii«, Leg. Longob. p. «31. Ces loix
n'ont été rédige'es par e'crit , qu'après que les
ViCgoths & les Lombards eurent embrafle le
Chriftianifme.
(«s) Edift. Theodorici régis p. 155.
(66] Procop. Vandal. lib, l. cap. 4. p. 185.
ferment j^
LIVRE IV, CHAPITRE VI. ^69
ferment , en même tems , qu'il ne tourneroit jamais fes armes contre les.
Vandales.
§. Vlir. Ce que l'on vient de dire des obfervations que les Peuples
Celtes faifoient fur le vol & fur le chant des Oifeaux , doit s'entendre
encore des autres animaux. Regardant les Brutes comme les organes
d'une Divinité (67) qui les animoit , & qui en dirigeoit toutes les
opérations , ils faifoient attention à l'aboyement d'un chien , aux hen-
niflemens d'un cheval, au fifflement d'un ferpent ; ils en tiroient mille
préfages pour l'avenir. Comme on en a déjà produit plufieurs exem-
ples (68) , il fuffira de rapporter ici ce que Tacite difoit, fur cet article,
des Germains ( 69 ) : » C'eft une chofe particulière à cette Nation ,
» de faire attention aux préfages & aux avertiffemens qu'ils tirent des
» chevaux. Ces chevaux qui font blancs , & qu'on ne charge d'aucun
» travail qui regarde les mortels , font nourris aux dépens du Public ,
» dans les bois &c dans les forêts facrées dont nous avons parlé. On
»» les attéle au Char facré ; ilsifont accompagnés par le Sacrificateur , par
» le Roi , ou par le Chef de la Cité , qui en obfervent le fouffle & les
M henniffemens. Il n'y a point d'Aufpice auquel, non-feulement le petit
» Peuple, mais même les Principaux &c les Sacrificateurs ajoutent plus
» de foi. Se regardant comme les Minières des Dieux , ils croyent que
» ces chevaux en font les confidens «. On fçait que les Perfes avoient la
même fuperfiition , & l'on peut voir, dans les Commentaires fur cet
endroit de Tacite , la parfaite conformité qu'il y avoir, par rapport à cet
article , entre ce Peuple de l'Orient , & les Germains.
§. IX. Comme les Celtes tiroient des préfages de toutes les aftions des
Brutes , ils en cherchoient aufTi dans la conflitution de l'animal , & dans
la dlfpofition de fes parties. C'eft un autre fait que l'on peut fuppofer
ici , parce qu'on a fait voir ailleurs que la plupart de leurs Sacrifices
étoient Divinatoires, (70). Ils immoloient des hommes & des animaux ,
pour chercher leur deftinée dans les entrailles des viûimes. On doit feu-
lement ajouter ici deux réflexions.
La première , c'eft que les Celtes poulToIent , à cet égard , la fuperfti-
tion beaucoup plus loin que les autres Payens. Ils tiroient des préfages ,
(«7) Ci-d. Liv. m. ch. 4 §. I j, & fuiv,
^68) Ibidem.
(^6g] Tacit. Geim.cap. i».
Tome II, A a »
(70) Ci-dcffks, ch. II. §. 14. not, 1514. ch. T.
f. 6. Se 12.
370 HISTOIRE DES CELTES, -
auffi bien que les Grecs & les Romains, de la difpofition du cœurj
du foie , & des intcftins d'une viftime. Mais, outre cela (71), le bat-
tement des artères , la manière dont la viftime tomboit par terre , après
avoir été frappée , la forme & la grandeur de l'ouverture que faifoit
la lance , ou l'épée , dont on fe fervoit pour l'égorger , la palpitation
des membres , la manière dont le fang ruiffeloit des veines , tout cela
étolt l'objet de l'attention des Devins.
La féconde réflexion , c'efl: que les Romains rapportoient l'origine
de cette forte de Divinations (71) aux Etrufces , c'eft-à-dire, au Peu-
ple Celte le plus voifm de leur Pays. C'eft de-là qu'ils avoient reçu cette
belle fcience , qui étoit véritablement née en Etrurie , puifqu'elle avoit
pour Auteur un Etrufce nommé (73) Tages, que la terre avoit produit
immédiatement (74) , félon les uns , & félon d'autres (75) , par fon ma-
riage avec un Génie qui étoit fils de Jupiter.
§. X. On a remarqué dans le Livre précédent (76) , que l'on accu-
f oit les Celtes de déifier les Elémens , paiil qu'ils affignoient à chaque
Elément un ou plufieurs Génies , qui en avoient la conduite. L'Elé-
ment étoit , félon la Doftrine de ces Peuples , le corps ou le véhicu-
le d'une Divinité fubalterne , qui le dirigeoit d'une manière fage , pleine
de vues profondes , tant pour le préfent que pour l'avenir. Cette
Doûrine fervoit de fondement aux Divinations qui fe faifoient par les
Elémens, Si dans lefquelles on confultoit, non le corps matériel, mais
l'intelligence qui y réfidoit. Les Romains , qui tenoient leurs Divina-
tions des Etrufces , préfageoient l'avenir &c s'inftruifoient de leur def-
tinée , félon la remarque de Varron (77) , par le moyen de la terre, de
l'eau , de l'air & du feu. Il en étoit de même des Celtes. Ils confultoient
par leurs Divinations, tantôt les Intelligences qui réfidoient fur la terre
(78), dans les arbres, &c dans les animaux; tantôt celles qui, habitant
les régions de l'air , préfidoient aux vents & aux tempêtes , & dirigoient
le vol ou le chant des oifeaux ; tantôt celles qui avoient leur fiége dans
(71) Ci-deflr. ch. IV. §. 14. not. 141. ch. V.
5. 9.not. 92.§. II. not. I3Î- 1 3 3- Jornandèsdit
quelque chofe de fembUbledes Huns. Jornand.
cap. xxxvni. p. Ô65.
{71} Clem. Alex. Sttom, lib. I. cap. 16.0,3(1.
Lucan. I. v. 635.
(73) Servius ad £neid. VUI. t. ifi.
(74) Ciccro, Divin, lib. II. cap. 50. Voja,
auffi Ovid. Metam. XV. v. j 5 3.
(7s)Feftus.
(76, Ci-d. Liv. III. ch. 4.
{77 ) Fiagm. Varron. p.47 z.Edit Popni. p.47â.
{■jtj Ci-d. ch. II. §, ij. not. 124.
LIVRE IV. CHAPITRE VL 371
l'eau Se dans le feu. On a encore à parler de ces deux dernières fortes
de Divinations.
Le feu du Ciel faifoit parmi les Hetrufces , latnatière d'une infimté
de réflexions. On peut voir dans (75) Pline , & dans (80) Sénéque,
les étranges fuperftitions où ils donnoient fur cet article. Ayant pour
principe que la foudre fignifie toujours quelque chofe ,. & que letf'
Dieux ne lancent le Tonnerre que pour donner des avertlflemens aux;
hommes (8z), ils obfervoient avec un très - grand foin , l'heure & le
moment où la foudre étoit tombée , auffi bien que l'endroit du Ciel d'oti
elle étoit partie. Ils difoient qu'il y avoit onze différentes fortes de fou-
dres qui étoient des préfages , tantôt pour les Etats , tantôt pour les-
Familles , tantôt pour les Particuliers , fur-tout pour ceux qui formoient
un ctabliiTement , Se qui entroient dans l'état du mariage.
On ne peut guèrcs douter que la Phyfiologie des Celtes n'enfeignât
quelque chofe de femblable. Paul Diacre rapporte (83) » que pefi-
» dant les noces d'Autharis , Roi des Lombards , avec Théodelinde ,.
" Princeffe de Bavière , la Foudre tomba dans le Jardin du Roi , &
» qu'un Devin donna à Agilulfe , Duc de Turin , l'interprétation de
>> ce figne. Il marquoit que la Reine feroit bientôt femme d'Agilulfe «
Voilà un préfage pour des perfonnes qui entroient dans l'état du ma-
riage ; en voici un autre qui annonce un changement dans l'Etat.
Suétone rapporte (84) que l'Emperaur Domitien interrogea & con-
damna au dernier fupplice , le jour qu'il fut affafTiné lui-même , im De-
vin qu'on venoit de lui envoyer d'Allemagne , 6c qui ayant été con-
fulté fur un coup de foudre , avoit prédit qu'il arriveroit une révolu-
tion dans le Gouvernement. Dion rapporte ce fait d'une manière plus
étendue. Voici les paroles , ou plutôt l'extrait que Xiphilin nous en 1
donné (85 ). » Larginus Proclus prophétifa publiquement en Germa-
» nie , que Domitien mouroit le jour qu'il fut aflaflîné. Le Gouver-
» neur de la Province l'ayant envoyé là-deffus à Rome , il fut in-
(79] Plin. H\t\. Nat. lib. 2. cap. j i-s 5.
(>o) Senec. Nat. Quxft. lib. II. cap. 3 t. 39.
41.4». 49.
|«i) Sente- Nat. Quarft. lib. II. }i. Voyiz.
luHi Diod. Sic. V. 219.
(»i) Silius dit audî des anciens habîtans de
la Galice qu'ils cnvo/ereat une jciuicfie paifai-
tcmcnt inftruite dans la Science des Divina-
tions. Silius lib. III. V..344.
(% 3 ; Faut. Diac. Hift. Long. lib. III. cap. 1 4.
p. 3«9.
(84) Sueton. Domit. cap. i<5.
{t'i) Xiphilinus tx Dion. lib. LYII. p. 7«7.
A aa 2,
Aatrfs rotttj
de Divina-
i?on!.. Epreu-
TC du feu.
37* HISTOIRE DES CELTES,
M troduît devant Domitien , & affura en fa préfence que la chofe ar-
» riveroit comme il l'avoit prédite. L'empereur le condamna à la mort,
» & ordonna en même tems , que l'on différât fon fupplice jufqu'à ce
» que le danger que lui aiinonçoit cet homme fut paffé. Cependant les
» chofes tournèrent tout autrement. Domitien ayant été tué le même
«jour , le Devin échappa au fupplice, &C reçut de Nerva un prtfent
» de cent mille drachmes «.
On voit dans cette hiftoriette , un Divin Allemand , ou inftruit en Al-
lemagne , qui étoit perfuadé que les régies de fon art étoient fûres Se in-
faillibles. C'eft tout ce qu'on peut conclure des paffages que l'on vient
de rapporter. Tout homme qui voudra les comparer exaftement, trou-
vera que du tems de Suétone , on ne publloit autre chofe, finon qu'un
Devin , ayant été confulté en Germanie fur un coup de foudre , prédit
qu'il arriveroit un changement dans l'Etat. Une femblable Prophétie ne
pouvoit manquer de s'accomplir tôt ou tard. Depuis le tems de Suétone,
jufqu'à celui oîi Dion Caffuis écrivoit , il y a plus de cent ans. Dans
cet intervalle, on avoit brodé l'Hiftoire, en y ajoutant différentes cir-
conftances , qui en augmentoient le merveilleux.
§. XI. On voit dans ce qui vient d'être rapporté , que les Celtes i
comme les Etrufces , tiroient du feu du Ciel certaines Divinations par
lefquelles ils prétendoient dévoiler les fecrets de l'avenir. Les Divina-
tions que ces Peuples fondoient fur le feu naturel & terreftre, avoient,
au contraire , pour but de manifefter la vérité de certains faits , qu'il
n'étoit pas poffible d'éclaircir par d'autres voies. Elles étoient du nom-
bre de ces procédures extraordinaires que les anciens appelloient (86)
Ordalia , parce qu'on les regardoit comme nn Jugement de Dieu (87),
dans lequel la Providence déclaroit, d'une manière immédiate, fi un
homme étoit coupable, ou innocent, des méchantes aûions qu'on lui
imputoit.
Quand des perfonnes accufées ou foupçonnées de quelque crime ca-
pital , n'étoient pas dans le cas de fe purger par le Duel , le Magiftrat
avoit coutume de les afllijettir à l'épreuve du feu. Ainfi la Loi des an-
(»«) Urtheil autrefois Ordtl , eft un mot Al-
lemand qui fignific une Sentence , un Jugement.
(»;) Une Conftitution de Chatles-Magne
(oue , par exemple , ^u'un komme accuCé de
meurire doit être examine' par 'e Jugement de
Dieu , & toucher, pour cet effet, neuf barrcrde
fer rouge. Carol. Mag. addit. ad Leg. Salie, de
anno to]. pag. 351.
-LIVRE IV. CHAPITRE VI.
373
tiens Francs ordonne (88) » que les Efclaves fe purgeront des cri-
» mes dont ils font accufés , en mettant les mains au feu «. Celle des
Anglois porte ( 89 ) » qu'une femme accufée d'avoir empoifonné ,
» ou fait affafliner fon mari , fournira fon plus proche parent pour
»»Ia juftifier par la voie du Duel. Si elle ne trouve. point de Champion,
» on la foumettra elle-même à l'examen , en lui faifant toucher neuf
» barres de fer rouge ». On trouve aufli dans l'ancienne Loi des Saxons ,
connue fous le nom de Sachfen-Spiegd (Spéculum Saxonicum (90) ,
» qu'un homme qui a été convaincu de larcin , ou de brigandage , étant
»» déchu par là de de fon droit, ( c'eft-à -dire , du droit de dépofer)
♦> ne pourra être reçu à fe purger par ferment. Il faudra qu'il choififfe
» entre ces trois moyens de juflification , ou de porter un fer chaud,
»» ou de mettre le bras dans une chaudière d'eau bouillante , & de l'y
» enfoncer jufqu'au coude, ou enfin de défendre fa caufe par le Duel «.
Il eft connu que l'épreuve du feu fe faifoit de trois manières différen-
tes. La première , & la plus ufitée , étoit ce qu'on appelioit le Jugement
du fer rouge, Judicium ferri candentis (91). On faifoit rougir au feu, '"•'
félon que l'accufation étoit plus ou moins grave , une , deux , trois , &
jufqu'à neuf petites barres de fer , du poids d'une (91) à trois livres.
Après qu'un Prêtre avoit récité certaines Prières fur le fer , l'Accufé
Je prenoit la main nue , &: alloit le jetter à neuf pieds de-Ià. Enfuite on
enveloppoit la main & on cachetoit l'enveloppe , pour ne l'ouvrir
qu'au bout de trois nuits. Si la main fe trouvoit alors malade , celui qui
avoit fubi l'épreuve étoit regardé comme coupable , & puni comme
tel. On le déclaroit au contraire innocent , quand la main ne paroiffoit
. point endommagée. Ainfi les Hiftoriens rapportent (93) que Charles-
Chauve, difputant aux Enfans de fon Frère Louis le Germanique ,
Manière dont
fc faifoit l'c-
preuye du
(88 Lcg. Ripuar. Tit. 30. p. 45^, tom. 3 1.
pag. 45 S-
(l9 1 eg. Angl. & Vérin. Tir. XIV. p. 435.
Vy»». aiiûi Dufrelne, GlolT. in .•mejuramut m
( 90 ' Saclifen-Sp egcl. lib. I. An. 1 3. Scliot-
tel. pag. S4+.
(91, Vcj. lesFot .ulesde Maiculphe p. 1 306
Schotteliusp.j4}. 5 s i.Du Fre(ne GlofT. in voce
i^n. Juiic p. 10. Spcliuan. Concil. Anglic. Dec.
pag. 404.
(»»> C'ell ce qu'on appelioit Ltdtmjimflictm
ou irifliccm. HajenU. Gcrin. Med. DifT. 3, §. 19.
Gerike, pag. 1 18. Dufrcfne , in voce /g». Jui.
pag. 20. Lada , p. zi 8.
(93 Annal. Franc Bcrtin. ad ann. S/S. Du-
frcfne, Glofl". p 30». Schottel. pag. Ç47, Ce
n'eft pas ici le lieu d'f xaminer (î le fait eft vrai.
11 eft confiant, au relie, qu; cette e'prcuve e'toit
commune ,8c même ordonnée par les Loi.x, du
tems de Chatlcs-Magnc, Vojet, la note Jy.
IJ4 HISTOIRE DES CELTES,
une partie de la fucceffion de leur père , ceux-ci foutinrent leur droit
par l'épreuve de trente hommes , dont dix ful>irent l'épreuve de l'eau
froide , dix , celle de l'eau bouillante , èc les dix autres touchèrent ua
fer rouge fans fe brûler. Les fers qui fervoient à cet ufage , font ordinai-
rement appelles Fomcres , parce qu'ils avoient la forme d'un foc de
charrue , &C quelquefois ( 94 ) Chirothecœ , parce qu'on y employoit
une efpèce de gand de fer, dans lequel l'accufé fourroit le bras jus-
qu'au coude.
L'épreuve du feu fe faifoit , en fécond lieu , avec des charbons allu-r
mes , que l'accufé recevoit dans fes habits , Si qu'il portoit à une cer-
taine diftance , en les ferrant contre fon corps. Grégoire de Tours en
fournit deux exemples. Le premier eft celui de. Brice (95), fucceffeur
de fâint Martin, Accufé d'être le père d'un enfant dotit fa Blanchiffeufe
étoit accouchée , il fe fit apporter l'enfant , & lui adrefla ces paroles :
»Je vous conjure par Jefus-Chrill , Fils du Dieu Tout-Puiflant , de
» déclarer en préfence de toute cette Aflfemblée , fi c'efl moi qui vous
.! » a), engendré «. L'enfant qui n'avoit que trente jours , ne laifTa pas
4e ^épQndre fort dilHnûement : Fous nàes pas mon père. Mais , com-
me le Peuple ne fe rendoif pas à ce miracle , qu'il attribuait à quelque
Art magique (96) , Brice , pour prouver encore mieux fon inno-
cence , mit des charbons allumés dans fa robe , les ferra contre fa poi-
trine , & les porta de cette manière jufqu'au tombeau de faint Martin,
devant lequel il jetta, les charbons, & montrai au Peuple , qui l'avoit
fuivi, en fovile , la robe qui n'avoit fouffert aucun dommage , non plus
que fa perfonne (*). L'autre exemple efl celui dcSimplicius, Evêque d'Au-
tun (c)7) , qui prouva de la même manière , qu'il n'avoit point touché-
fa^femme,xlepui3 qu'il étpit parvenu à l'Epifcopat , quoiqu'elle eût
toujours demeuré dans la même maifon.que lui.
^ ^Eofin l'épreuve du feu -fç; faifoit encore d'une troifième manière. On
("94 ) Ki'^fz, Ci-dertbuS §. I 5. note liz.
(95) Grcgoï. Tar. lib. I. pag 272 lih. II.
•ip. I. de l'EdUion de Mpiel.
(96) Grcg Tar. Ibid.
( * ) Voilà , ce me fcmble , une très-puifl*ante
tai l'on de douter du pietendu miracle. Celui qui
«voit pu faire parler ua enfant de 30 jours ,
ne pouvoit-il pas bien plus facilement garantit
fon corp« & fes habits de l'aftion du feu ? Les
Peuples pouvoient-ils être plus afleftc's du re'ful-
tat de l'cpreuve , que d'un fait aulîî marquant
que la parole dans la bouche d'un enfant de
cet âge. Grégoire de Tours a trop fouvent ajou-
te foi à des bruits populaires. Note de l'Editeur.
(79) Greg.Tuion. de Glot. Confeff. cap. 7«.
L I V R E IV. C H A P I T R E VI. 375
obllgeoit l'accufé (98) de marcher , nuds pieds, fur des charbons ardens ,
ou fur des barres de fer rouge.
§. XII. Il eft certain que les différentes épreuves , dont on vient de
parler, font fort anciennes , & on ne peut guères douter qu'elles ne
tirent leur origine du Paganifme. Autant qu'il efc poffible de le fçavoir ,
Sophocle eft le premier qui en ait fait mention dans fa Tragédie d'^/z-
tigone. Après que cette Princeffe eut enlevé le corps de Polynice , fon
frère , les Gardes dont elle avoit trompé la vigilance , dirent à Créon j
Roi de Thèbes (99) : » Nous fommes prêts de toucher un fer rouge ,
» & de palier au travers du feu , en prenant les Dieux à témoin
» que nous n'avons point commis cette aftlon , & que nous ne fomme»
« point complices de celui qui en a conçu le deffein , & qui l'a exécuté «.
Comme les Tyrans , qui ufurpolent la Souveraine Puiflance dans les
Villes libres de la Grèce , confîoient ordinairement la garde de leur Per-
fonne à des Thraces , & à des Illyriens, Sophocle fait tenir aux Gardes
de Créon , un langage qui convient à des Barbares , & qui fait allufion
aux moyens de juftification établis dans leur Pays. Cela étoit fort na-
turel. Mais on fe tromperoit beaucoup , li on prétendoit conclure de
ce paiïage , que l'épreuve du feu fut en ufage parmi les Grecs, du tems
de Sophocle , ou dans le fiécle de Créon ; les Hiftoriens n'en font abfo-
liiment aucune mention. ^
Plufieurs Auteurs Latins ont obfervé (100) que dans une folemnité
qui fe célébroit tous les ans fur le Mont-Sora£le , les gens d'une cer-
taine famille que l'on nommoit les Hirpitns , paflbient nuds pieds , &
fans fe faire aucun mal , fur un grand brafier , & qu'en cette confidéra^
tion , ils étoient exemts de toute forte de charges. On ne doutera pas
que cet ufage ne tirât fon origine de l'ancienne Religion des Peuples de
l'Italie, fi l'on veut fe rappeller ce qui a été remarqué ailleurs (101) ,
que la Fête dont il s'agit, étoit confacrée au Père Dis. H y avoit de
même, en Cappadoce , un Temple de Diane (lox), où les PrêtrefTes de
(9S ) Ci-deflous , $. iz. note lo. Schottel.
{99 Sophocl. Antigon. pag, m. 210.
(100 Flin. Hift. Nit. lib. VIII cap. 2. p. 10.
Strabo,! b. V. p. 226., Virg. ^neid. XI. v. 7*7.
Vtjitz. audi Siliut , lib, V. v, 17s. Solin ,
»
cap. t. pdg. 184. cap. 2 , pag. 11. de l'Edit,
de Sauraaife.
(loi) Cl deffiu , |ir. lil. chap VI. $-34.
note 120 iif
{loijSttibo, Xll. ia$H7,
376 H I S T O I R E D E S C E L T E S,
la Divinité marchoient fur des charbons allumés fans en foufFrir aucun
dommage.
On prétend que les Perfes donnoient au/îi dans ces fuperftitions»
M. Hyde rapporte , par exemple , fur la foi d'un Hiflorien Arabe ,
nommé Bur«:lari ( 103 ), » que Zoroaftre fournit fa perfonne & fa
M Doftrine à l'épreuve du feu. Il fe fit jetter fur la poitrine deux livres
n de cuivre fondu , & n'en foufFrit aucun dommage. Une autre fois ,
>» il toucha un fer rouge fans fe brûler la main «. On trouve encore
» dans l'Ouvrage de M. Hyde (104), que fous le régne de Sapor, ua
» Chef des Mages prouva la vérité de fa Religion par l'épreuve du
»> feu. Il propofa qu'on verfât fur fon corps nud , dix-huit livres de
» cuivre fortant de la fonte , & tout ardent , à condition que, s'il n'en
» étoit pas bl^é, les Incrédules fe rendroient à un fi grand prodige.
>♦ On dit que l'épreuve fe fît avec tant de fuccès , qu'ils furent tous
t) convertis «.
On ne voudroit pas garantir ces faits , qui ne font atteftés que par
des Auteurs modernes , auxquels M. Hyde femble s'être fié trop légè-
rement. Mais , au moins , efl-il confiant qu'entre tous les Peuples Celtes
de l'Europe , il n'y en avoit aucun au milieu duquel l'épreuve du feu
ne fut ufitée , & même prefcrlte par les Loix. Les anciennes Loix (105)
de ces Peuples , & l'Hiiloire (106) du moyen âge en fournifTent une
infinité de preuves & d'exemples. Une conflitution du Pays de Bron-
iewig , (Brunfwick), que M. Gerick a publiée, porte expreffément,
qu'un homme accufé de larcin , fe purgera en touchant un fer chaud
(107). » Après avoir lavé fes mains dans de l'eau froide , il lèvera le fer
>» rouge, & le portera au lieu qu'on lui marquera , à la diflance de neuf
» pieds «. Cette Conflitution efl d'autant plus remarquable qu'elle eft
du quatorzième fiécle , & qu'elle fervoit de régie à un Tribunal , qui
tenoit encore fes féances en l'an 1362.
§. XIII. Quand on penfe que ces épreuves ont fubfiflé parmi les Peu-
plesCehes, pendant une longue fuite de fiécles , & qu'une infinité de per-
■' (103) Hyde de Relig. vct. Terfar. pag. 147,
33». ap. Biucket Hift. Crit. rhilofoph. p. 3 1 1.
. ' (10+) Ibidem cap. 2 i . Baiifobre , Hift. du
Manich. Liv, II. ch. i. p. I6«.
.(105) Voyeï ci-deffus , §. XI. note «7-^1
(107) Dufrefne, Gloflat in voce Anfvarcm,
Eed, tom. 1 . p. 2. in Afirejure^menrum , p. zffj,
Lcgendre , Traite' de l'opinion Liv. VI. p. j 5 2.
& fuiv. Schottel. pag. 545. Gerike, pag. iij,
(107) Gerilce , pag. 127.
fonnes
LIVRE IV. C H A P I T R E VI. 377
fonnes fe purgeoient par cette voie des accufations qui leur étolent ia-
tentées, on ne peut guères fe refufer à la conjeûure que les Anciens
avoient quelque fecret pour arrêter l'aftivité du feu. Un grand homme
de l'Antiquité , que l'on appelle U dîjlruclcur de toute Religion , parce
qu'il ne perdoit aucune occafion de relever les fuperftitions du Peuple ,
& la fourberie des Prêtres, avoit eu ce foupçon, & après des exaâes re-
cherches , il avoit reconnu que fa conjecture étoit fondée. On veut par-
ler de Varron ( 108) qui donnant la compofition d'un certain onguent,
aflliroit que les Hirpiens avoient coutume de s'en frotter les pieds ,
quand ils paflbient par le feu. Il ne faut pas douter que le Moine Turc
& le Charlatan Vénitien dont parle Busbequius, & qu'il dit (109) avoir
vu fe laver les mains dans du plomb fondu, manier le fer rouge , & s'en
frotter le dedans de la bouche , n'euffent le même fecret. On entrevoit
encore qu'il n'étoit pas inconnu aux Peuples du Nord. La Chronique de
Norvège porte , par exemple (i 10), «que comme on difputoit à Haquin ,
» Roi de Norvège , fon extraftion Royale , il fut ordonné que la Reine
» Inga , mère de Haquin , toucheroit un fer rouge pour légitimer la naif-
» fance & les droits de fon fils. Un Brabançon , nommé Sigard , oiFrit
»à la Reine de lui frotter les mains d'une herbe qui la mettroit en état
»>de toucher un fer rouge, fans en recevoir aucun dommage; mais cette
w Princefle refufa conftamment de fe fervir du fecret de Sigard. »
Mais quel étoit l'onguent dont on fe fervoit pour fe munir contre la
violente adion du feu? c'eft ce qu'il importe peu de deviner. On trouve,
à la vérité , dans un Auteur moderne ( 1 1 1 ) , que la mauve & la
mercuriale empêchent l'adion du feu fur les parties qui en font frottées.
D'autres attribuent cette vertu (m) au jus d'oignons piles, & d'autres
encore (113) à un onguent compofé d'un mélange égal d'efprit de
foufFre , de fel ammoniac , d'effence de romarin & de jus d'oignon. 11 ne
feroit aflurément pas prudent de garantir , ni d'éprouver ces préferva-
tifs , dont on ne peut avoir qu'une fovt mauvaife opinion ; & dans le
(10!) Voyez ce que porte le Commentaire t
dî Servius, fut ces mots de Virgile, Trttifitittt,
&c. cites i 1» not, 1 09 du paragrap. précèdent.
Serviiu ad MneiSi. XI , tom. 7 s 7. p, «S3. Sal-
maf. ad So'in. p 60.
(109; Busbeq. Epift. IV, pag. z«5.
' (t 16; chronic Norveg. fol. «ïS , apud Lo-
cen. Hiftor. Sueo-Goih. pag. «1.
■ (11 II Locccn, antiq. Sueo-Goth.p.ig. 6a«'
("iix) Legendtc, Traite de l'Opinioil' #
liv. VI. pag. 3«i. '>
{lit) Ibidem. '
Tome IL B b b
37? HISTOIRE DES CELTES;
fond , on ne voit pas qu'un fecret qui ne fufpendroit l'aftlvité des flam-
mes que pour quelques inftans , pût être d'une grande utilité , depuis que
l'épreuve du feu eft abolie.
Quoi qu'il en foit , il eft conftant que la plupart des perfonnes que
Ton foumettoit à cette épreuve , ignoroient entièrement le fecret. Il
paroît , d'ailleurs , par l'exemple de la Reine Inga , que les honnêtes gens ,
qui fe repofoient fur leur innocence , refufoient de s'en fervir. On ne peut
pas douter, par conféquent, que ces prétendus jugemens de Dieu ne fîf-
fent périr tous les jours une foule d'innocens. Agobard , Evêque de
Lyon , le repréfenta à Louis le Débonnaire , avec beaucoup de force
(114), pour obliger ce Prince à réformer ce qu'il y avoit encore de
barbare dans les Loix des Bourguignons. Mais il ne paroît pas que les
remontrances de cet Evêque , euflent fait aucune impreffion fur l'efprit de
l'Empereur ni de fon Confeil.
Il eft vrai que Frédéric II abolit , par une de fes (i 1 5) Conftltutions ,"
qui mérite d'être lue , & que l'on appelloit alors Leges paribiUs , c'eft-
à-dire , les épreuves du fer rouge , de l'eau froide , ou bouillante , &
du combat en champ clos. Mais cela n'empêcha pas qu'on ne s'en tînt
toujours à l'ancien ufage.
Ce qu'il y a ici de furprenanî , c'eft que le Clergé , qui étoit tout-
puiffant dans les fiécles du moyen âge , au lieu de s'oppofer à l'abus ,
l'ait au contraire foutenu de tout fon pouvoir, & qu'il ait même entrepris
de le fanftifier. On trouve , par exemple , dans Helmodus , que , lorfque les
Saxons fe furent rendus maîtres de Meklembourg (116), «il fut dé-
» fendu aux Sclavons de jurer par les arbres, les fontaines & les pierres,
» & qu'on les obligea à préfenter les perfonnes accufées de quelque
M crime , au Prêtre, {>our y être examinées par l'épreuve du fer rouge.»
Un décret du Pape Honoré III prouve que la même chofe fe pratiquoit
en Pruffe(ii7). Il défend aux Chevaliers de l'Ordre Teutoniquc, d'af.
fujettir à cette forte de procédure, les Livoniens , nouvellement convertis
au Chriftianifme.
Il eft vrai que l'épreuve étoit toujours ordonnée par le Magiftrat ;
(1 14) Voyei fon Traita «Jvfniiif^em Gun- futferi. Ibid. p. 301.
dohtUi Opp tom. j, pag. 107. & celui c.niri (115; Conftitut. Sical. lib. II. t, 3 i. p. 777;
damnabiUm cpinionim pumtiiium divtnijuitcii (i i«) Helmod. Chron. Slav. cap. S4. p. I S7.
wii»um ii»i , vcl t^uii , vit ttnfitOit êiwMtttm \ (117) Jm. Canon, tit. 3 s. Deciet. cap. ).
LIVRE IV. CHAPITRE VI. 37^
qui avoit feul le droit de décider fi le cas dont il s'aglffoit , étoit affez
grave, & fi les foupçons ou les indices que l'on fourniffoit contre i'ac-
cufé , étoient affez forts pour qu'on pût l'obliger à fe purger d'une ma-
nière auffi dangereufe. Mais , au reûe > (i 1 8) l'épreuve même fe faifoit tou-
jours dans les Eglifes. Le Clergé y préparoit les accufés par le jeûne ,
par la prière , & en leur donnant la communion. II béniffoit ( i j 9 ) en-
fuite le fer qui devoit fervir à confondre le crime, ou à manifefter
l'innocence.
Quelques-uns ont conclu de-là , que les Eccléfiaftlques , en poffeflîon
du fecret dont on a parlé , il n'y a qu'un moment , avoient leurs rai-
fons pour maintenir un abus qui les mettoit en état de fervir les perfon-
nes qui leur étoient dévouées , & de faire périr leurs ennemis , fans en
être recherchés. D'autres prétendent , au contraire , que le Clergé
donnoit de bonne foi dans ces fuperftitions ( * ). Ils allèguent pour raifrn
que les Eccléfiaftiques ont fouvent expofé leur Religion, leurs Livr.s
facrés & leur propre perfonne à l'épreuve du feu. Michel Glycas rap-
(iit) Spelman in Concil. Décret. Anglican,
f ag. 404. Sciiotcelius , p. 549. Geiikc , p i 8.
(119 La formule de la prière que l'on re'ci-
toit fur le fer rouge e'.i rapportée par Goldaft ,
Antiq. Allem. rom. U. Gerike , p, i 1 8. Vayn.
auffi les formules de Marculphe apud LIndenb.
pag. I 3fr< , & BaUiz. t. U. p. 65 1-«5 8.
(*) Ne pourroit-on pas en tirer une concIU'
lion moins défavorable pour le Sacerdoce î La
■cannoiflance de l'abus de ces épreuves dont on
ne pouvoir défabufer des Peuples groffiers , en-
têtés & fuperftit'eux , portèrent les Prêtrej
^ui étoient niunif du fecret en queftion , à fe
charger de prçferv.et ceux qui y étoient fournis
«lu danger qu'il y auroit eu fans cette précau-
tion. Et pourroit-on faire un grand cr;me aux
Prêtres d'.ivoLr employé, en certaines occallons,
ua ftratagême aulTi efficace, pour faire triom-
pher leur Religion ou pour la fauver, pour ga-
rantir leurs livres & leurs perfonnes du péril
qui les menajoit i Dans un temps de barbarie , ;
ces pieufes fraudes font excufables, quand leur
but eft de faire le b\en. tJoie dt M*'* » qui •
fA^ois iomunicjui le MAnufcrit de M. PelUuiier, j
Ce f,ftême porte fur des principes faux , 8i fur .
i^tt faits démeatii pat l'Hiftoire : i*. £ft-il i
I permis en aucun cas , aux Miniftres de l'Evan-
! gile , aux Miniftres de celui ijui efl , & qui eft
U vérité même, d'induire le Peuple dans J'cr-
reur , de lui annoncer ppur mincie une chofe
qui n'eft que preftige & meiKonge ? Ce feroit
/uftitiei les fraudes qui ont étécommifes dan»
les fauffies religions, 8c que l'on a tcprochéei
aux Seftaires. Ce feroit mettre l'erreur à côté
de la vérité, a*. Eft il toujours vrai que le«
Prêtres qui préiidoient aux didérentes fortes d'é-
preuves, aient garanti du péril les innocens. Se
laifle périr les coupables? L'Hiftoire dément ce
faic. N'eft-ce pas, au eontr ire.l'abus des épreu-
ves, les crimes <^u'elles autojifoient .les défor-
dres qui en réfultoient , qui ont été càufe que
les Peuples pluséclairés, ont rejette ce barbare
uf^ge , cet ufage facrilége & inhumain ; Je ne
ffais tro.i fi les Prêtres de la Religion Chré;ien-
ne avoient un moyen sûr pour empêcher l'ac-
tion du feu. Je ne vois p int que ce foit nn
f»it démontré, de mpnje qu'il ne me femble
pas facile de prouver invinciblement le eon.
traire Mais fl ce fecret exiftoit , combien de
fois n'en a-t-on pas fait un mauvais ufage ?
Qu'on prenne l'Hiftoire & qu'on life. Hoie if
l'MiittM,
iBbbi
3fo HISTOIRE DES CELTES,
porte, par exemple (12.0) , que les Rufl'es furent conv€rtis au Chriftia-
nifme de cette manière, fous l'empire de Bafilius , qui fuccéda à Mi-
chel l'ivrogne. On jetta le St. Evangile dans un grand feu , qui ne put
le brûler, Mariana raconte auffi (m) que l'office Muzarabique &c le Ro-
main furent éprouvés en Efpagne , premièrement par le duel , & enfuite
par le feu. Le Romain fauta d'abord hors du feu , & le Gothique y de-
meura fans en être endommagé. En conféquence de ce double miracle ,
on trouva bon de çonferver les deux offices. On lit encore dans Sa-
xon le Grammairien (m), que Poppon , pour convaincre les Danois
de la vérité & de la divinité de la Doclrine qu'il annonçoit » fit rou-
gir un gand de fer, ôcy fourra le bras jufqu'au coude. Après l'avoir
promené au milieu de l'Affemblée , il alla le jetter aux pieds du Roi , &
lui montra fa main , qui n'avoit pas feulement changé de couleur. Ce pro-
dige fut caufe qu'on abolit, parmi les Danois , l'uiage du duel, pour
mettre en fa place l'épreuve du feu. L'Hilîoire Eccltliaftique de Sozo-
mene fait auffi mention ( il} ) d'un Moine Egyptien , qui portoit fou-
vent du feu dans fon léin , fans que ni fon corps , ni fes habits en fufTent
endommagés , & celle de Théodore le Lefteur (i 14) , d'un Evêque ortho-
doxe , qui difputant en la préfence de l'Empereur avec un autre Evêque
du parti des Ariens , lui propoia d'entrer dans un bûcher allumé , pour
montrer de cette manière , lequel des deux fentimens étoit le plus con-
forme à la piété. L'Arien ayant refufé d'accepter la condition qu'on lui
propofoit , l'Orthodoxe entra dans le feu, parla au milieu des flammes,
& en fortit fain &C iàuf.
Il femble que ces raifons, au lieu de décharger le Clergé , ne peuvent
fervir qu'à le rendre plus fufpeft ; à moins qu'on ne veuille fuppofer
ce qu'Agobard ne croyoit point, & qu'il regardoit ( 125 ) comme une
opinion damnable, favoir que Dieu failbit tous les jours des miracles
pour diflinguer l'innocent du coupable , & la vérité du menfonge ; à
moins de cela , il faudra convenir nécelTairement que le Clergé avoit
(lio) Michel. Glycas, Ann Eccl. Paît. IV.
jag, z»t.
(121 Mariana de Reb. Hifp. adan. Chtifti
1091. lib. IX. cap. 18.
(lli^ Saxo Grammat. lib.X. p. 189. Olaus
Vorm. Danic. Monum. lib I. cap. II. Eric
d'Upfac lappoite cette cvcnement à l'an 9 jo ,
lib. I, p. 7.4-27.
(I2j) Sozom. Lib. VI. cap. zS. inter Script.'
Hiftoria: Ecclef. tom. II. pag. 678.
(124 Colleft. Theodor. Leftoris lib. II. in-
ter Scrip.Hift. Ecc. T. HI.p. s««.
(125J Fojfic Ci-defTus , not. 114. Agobard
adv. Leg. Gundob. cap. 3. Opp. T. I. p. u#.
LIVRE IV. CHAPITRE VI. 381
quelque fecret inconnu aux autres , pour garantir fa perfonne, les habits
& fes Livres de l'ardeur des flammes.
§. XIV. L'épreuve de l'eau , tant froide que bouillante, fe faifoit dans Epreuve de
la même vue que celle du feu. Elle étoit un moyen de juftifîcation pour u^t". '°
les perfonnes accufées ou foupçonnées de quelque crime. Il y avoit
pourtant cette différence, par rapport à l'épreuve de l'eau froide ou
chaude, c'eft qu'on n'obligeoit ordinairement que les efclaves, ou les
perfonnes (12.6) qui s'étoient déshonorées par quelque crime, à fe pur-
ger de cette manière. Les anciennes Loix y font formelles. Celle des
Lombards porte, par exemple (12.7), »que l'accufé défendra fa caufe par
»le duel , s'il eft de condition libre , & par le jugement de l'eau bouil-
wlante, s'il eft efclave. » On trouve des conftitutions femblables , dans
les Capitulaires de (liS) Louis-le-Débonnaire , & dans les Loix des
(119) Frifons. Il falloit d'ailleurs, que la perfonne foupçonnée prêtât ce
qu'on appelioit h ferment purgatoire , avant que de fubir l'épreuve. Ainfi
la Loi des Frifons ordonne ( 130) « que, pour fe purger d'un homicide,
«l'accufé jurera, lui douzième, & qu'enluite il fera fournis à l'é-
>> preuve. »
Il faut que la chofe fe. pratiquât de la même manière dans les Gaules. Il
femble , au moins , qu'Eummenius fait manifeftement allufion à cette cou-
tume , lorfqu'il dit dans fon Panégyrique de l'Empereur Conftantin (13 i) :
« Notre Apollon dont les eaux bouillantes punifftnt le parjur,;...,» Il
S 'agit , dans cet endroit , du célèbre Temple que le Dieu Apollon avoit
à Autun. Là, comme par-tout ailleurs, l'épreuve de l'eau bouillante fe
fâifoit dans les lieux confacrés , & celui qui avoit le malheur d'en rece-
voir quelque impreffion, étoit toujours regardé & puni comme parjure.
Cette épreuve, qui étoit auffi en ufage , parmi les ( 132 ) Vifigoths ,
les (133) Bourguignons, & les (134) Francs , fe faifoit avec les mêmes
(iztf^Ci-d $. II. not 90.
(117) Leg. Longob, lib. I, Tit. IX. Leg. 39.
pag. $34. Leg. 151. p. 531. Tit. XXXIU. Leg I.
pag s SI. Kojicz.2ulTî Dufiefne , Gloflar. in voce
uiifu» ferv. T. I. pag. 3 3-
( 128 ) C»pit. Ludovic. Pii , lib. IV. T. 13.
pag- «S>3,.
(izpJLcg. Frif. Tit. HI. Leg. 4. p. 493.
( 130 ' Leg. Fiif. T. XIV. Lrg. 3. p. 497-
(131) Eutnenivs Faneg/i, Coudant, cap. 21.
pa g. zi(.
(131 Leg Vifig.lib. III. Tit. 3. p. 121.
(133) yojei. Ci-dtflT § m. not. 114. 125,
C'eft encore à la Coutume des Bourguignon»
qu'Agobard fait allufion , lorfqu'il dit : » Or-
» donnez qu'on fafle rougir le ter & bouiUirdc
» l'eau , afin que j'y porte la main , fans en
» recevoir aucune imprcUion ». C^p. T. I.
pag. 301.
(134) Leg. Salie. LIV. p. 33*. Tit. LIX.
pag, 340. Addit. Leg. 4. p, 3.4»,
38i HISTOIRE D E S C E L T E S,
cérémonies que celle du fer rouge. Le Prêtre qui préfidoit à l'aftion
' (i 3 ?) > faifoit chauffer de l'eau dans une chaudièie. Quand elle commen-
çoit à bouillir, il laconfacroit(i36), en récitant un certain formulaire de
prières , & y jettoit une bague , ou une pierre. Enfuite l'accufé alloit
(137) tirer de la chaudière la bague ou la pierre , que le Prêtre y avoit
jettée. Comme on avoit foin d'y mettre plus ou moins d'eau,felon que
le cas étoit phis ou moins grave , les perfonnes qui fubiffoient l'épreuve ,
étoient quelquefois obligées de mettre dans l'eau , non -feulement la
main, mais encore le bras jufqu'au coude.
Epreuve is §• XV. L'éprcuve de l'eau froide étoit affurément la moins dangereufe
l'eau ticidt. jjg toutes. Après avoir dépouillé l'accufé de fes habits, on lui lioit
en croix les mains & les pieds , de manière que le bras droit fut attaché
au pied gauche , & le bras gauche au pied droit. Enfuite on le jettoit
dans une eau courante , en le tenant par une corde , qu'on avoit la pré-
caution de lui mettre autour du corps (138). S'il alloitàfond, on le
retiroit proroptement hors de l'eau , & on le renvoyoit abfous. S'il fur-
nageoit , il étoit regardé & puni comme coupable.
Il faut que les Peuples Celtes fuiviffent ici des règles toutes diffé-;
rentes de. celles qui fervoient de fondement à l'épreuve du fer rouge Se
de l'eau bouillante. Là, le feu & l'eau refpeûoient l'innocent; ici, au
contraire , l'eau épargnoit le coupable pour engloutir celui qui étoit
innocent. Cette contradiâion ne doit pas furprendrç. La fuperftition en
digère bien d'autres.
Savoir , après cela , comment un homme que l'on jettoit dans l'eau
pieds &: poings liés, n'alloit pas toujours à fond, c'eft ce qu'il n'eft pas
facile de deviner. Le célèbre M. Hoffmann a cru (139) que ce miracle
pouvoit-être expliqué par des caufes naturelles. La conftitution de l'Em-
pereur Frédéric II , citée en note (140) , l'attribue à la rétention de
l'air , lorfque l'haleine de celui qui faifoit l'épreuve , étant arrêtée par
( ijS ) Spclman, Concil. Décret. Anglican,
pag- 404.
(i 3 « , On peut voir de ces Foimalaiies dans
les Formules de Matculphe , p. 1299. ijoi.
Voyrz. celui qui fut introduit par çidte de l'Em-
fereur Louis le Débonnaire dans Goldaft.
^crum AUem. T. III. p. 254.
• (137) Greg. Turon. Miracul, lij). I. cap. »i.
p. jo;. edit. Moiell. Duiierne, ClolT, wAm
feldtyhdi. T. 1. f. zi 3. in Aqud ferventii Judii.
pag. 314-
( 138 ) Voyez, les Formules de Maiculphe ,
pag. 130C-1301.
(139) Frédéric! HoSfminni , Demonfttatio-
nes Phyiicz cutiofae. Demonil. XV. n. 10. Ge-
tike , p. I 21-123.
(140) Ci-deflus, $• XIII. aotC !!$■ Coaftit.'
Sic. lib. I|. Tit. J I. p. 777.
LIVRE IV. CHAPITRE VI. 383
la frayeur, le gonfloit comme une veflîe qui nage fur l'eau , quand elle
eft pleine. Peut-être aufîi que le miracle dépendoit beaucoup moins de
l'accufé & de l'état où il fe trouvoit , que de l'habileté & des difpofitions
de ceux qui étoient chargés de tenir la corde. Ils pouvoient l'allonger ,
pour faire emporter par le torrent l'homme qui y étoit attaché , &c la
retenir, pour le faire aller à fond.
Quoi qu'il en foit, il eft confiant que l'épreuve de l'eau froide étoit
en ufage parmi les Peuples Celtes , depuis un tems immémorial. L'Em-
pereur Louis-le Débonnaire (141), & Lothaire, fon fils & fon fuccef-
feur , l'abohrent par leurs conftitutions , & défendirent aux Juges
Royaux de s'en fervir pour examiner les accufés. C'eft une preuve que
cette manière de procéder avoit été reçue , jufqu'alors, dans les Tribu-
naux. Il faut même que Marculphe n'ait point connu ces conftitutions,
ou qu'il ait douté de leur authenticité, puifqu'il afllire (141) que l'é-
preuve de l'eau froide fut ordonnée par le Pape Eugène II, à la requifi-
tion de l'Empereur Louis- le-Débonnaire.
Au refle , ces conftitutions ne fiirent point obfervées : Il paroît , par
l'hiftoire du moyen âge , que les Celtes s'en tinrent toujours à leur
ancienne manière de procéder. On voit , par exemple , dans les Annales
de Suabe (143), que les Moines du couvent de Zuitfalten, prouvèrent,
par l'épreuve de l'eau froide , que les dixmes qu'on leur difputoit , appar-
tenoient au Monaftère.
A la fin, cependant, on n'employa plus cette épreuve que pour exami-
ner les personnes qui étoient accufées de fortilége. Quand un homme
foupçonné de magie, avoit le malheur de ne pouvoir aller à fond , on
l'appliquoit à la torture , jufqu'à ce que les tourmens lui euflent arraché
l'aveu du crime dont il étoit accufé. S'il avoit le malheur de l'avouer ,
on le condamnoit à périr dans les flammes ; s'il ne l'avouoit pas, on le
tourmentoit tant qu'il avoit un foufHe de vie. Cet abus a fubfiflé (144)
(141) Capit. Lotharii in leg. Longob, p. «<i.
On trouve la même Loi dans les adJitions aux
Capitulaires de Louis le Débonnaire , tit. io ,
pag. 1:90. Le Pape Sylveftre II. éciitant à
Lambert , Evêque de Mayence, condamne au'li
l'épreuve de l'eau , tant chaude que fioide.
Apud. Lindenb. inGlofl*. f. mS.
(142' Form. Marculphi , p. tjoi.
( 14) Crufii An. Suev. Lib. III. part. 2.
cap. »• Schoitel. p. $ 49. Ko^tt d'autres exem-
ples ci-deffus 5. II. net. 93. Dufrefne , T. I.
pag. 3o>. Legendre. Traité de l'Opinion , Ur.
VI. p. 3S4-J$S-
(14*) Gctike, pag, lïi. 171.
384 HISTOIRE DES CELTES,'
en Veftphalie jurqiies fur la fin du XVII. fiécle. Ce n'eft aufll ( 145 )
qu'au commencement de ce même fiécle , qu'il a été aboli en France.
Encore ne le fut-il alors que dans le reffort du Parlement de Paris. On a
cru, nial-àpropos (146), que cette manière d'examiner les Sorciers
avoit été inventée par les Chrétiens. L'Hiftorien Phylarque (147) qui
avoit conduit Ibn Hiûoire jufqu'à la fin du régne de PtoloméeEvergete,
parlant des Sorciers que l'on voyoit dans le Royaume de Pont , affuroit
qu'ils enforceloient les enfans , & même les hommes faits, en les regar-
dant fixement. Il ajoutoit (148) que ces Sorciers ne pouvoient aller à
fond , lors même qu'on les jettoit dans l'eau tout habillés,
§. XVI. On ne doit pas oublier ici que les Peuples Celtes fe fer-
voient encore de l'eau , pour pratiquer de ces divinations que les
Grecs défignoient fous le nom d'Hydromantie. Le Devin obfervolt at-J
tentivement le mouvement de quelque eau courante , & jugeoit de l'a-
venir , tant par la manière dont elle couloit , que par le murmure des
ondes.
Les Germains avoient cette fuperftition du tems de Jules -Céfar
(149). «Comme il demandoit à des Priibnniers Germains, pourquoi
» Ariovifte différoit d'en venir à une bataille , ils lui répondirent qu'il
»étoit d'ufage, parmi eux, que les mères de famille confultaffent le
» fort , & qvi'elles euffent recours à d'autres fortes de divinations , pour
w favoir s'il étoit expédient, ou non, de donner bataille; que ces femmes
» avoient annoncé aux Germains la perte de la bataille , s'ils la hafar-
« doient avant la nouvelle Lune. » Le fondement de la prophétie étoit
que ces Dryades (150) ayant examiné les tourbillons, que les eaux
du Rhin faifoient en coulant, avoient lu dans le bruit des ondes, &, dans
(.145^ Un Arrêt de U Tournellc Criminelle
du Patlement de Paris , rendu en i«oi. fur les
Condufions de l'Avocat Ge'néral Servin, dé-
fend à tous Juges du EwclTort de la Cour, de
faire e'prcuve p.ir eau , en accufation de (br-
lilége , êc il eft ordonné que cet Arrêt , fetvant
de Règlement GeBe'ral, foit regiftré dans tous
les Greffes, & publié dans tous les Sièges du
^effort. Legendre, Traité de TOpinion, liv. VI.
pag. 3SS.
|l4*j DBfrefi.e, CloC in A^u* frig, Jh^U,
T. I. p. 309.
(147) Suidas in Fhylurcho.
(i48)Plin. VII. 1. rlutarque parle des mê-
mes Sorciers, & dit qu'ils dcmeuroient ■atft
Tov ^o'vToy fur les côtes du Pont-Euxia S/iU-
pof. lib. V. cap. 7.
(t49) Ci-deffus , Chap. IV. ^. xS. not. îio.
fi5o) Plutarch. Cxfar. T. I. p. 717. Dio-
Caff. Lib. XXXVII. p. 90. Clem. Alex. Strom.
lib. I cap. 15. pag. î6o. Polioen. lib, VIII.
cap. 2j. n. 4.
LIVRE IV. CHAPITRE VI. 385
le tournoiement de l'eau, que le tems u'étoit pa» propre pour donner
bataille.
On devinoit de la même manière dans le célèbre Temple de Dodone
(i^ i). Au pied de l'arbre, qui étoit le fymbole de la Divinité, ilyavoit
une fource vive , que les Dieux avoient douée du don de prophétie, La
Prêtreffe , qui étoit une bonne vieille , prêtoit l'oreille au murmure
des eaux, Se l'interprêtoit à ceux qui venoient confulter l'Oracle. Saint
Auguflin nous a confervé un paffage de Varron, qui porte (152) «que
» l'Hydr mantie venoit originairement de Perfe , &c que le Roi Numa
»♦ Pompiiius , auffi-bien que le Philosophe Pythagore , étoient fort ex-
npérimentés dans cette fcience. Le premier voyoit dans l'eau l'image
» des Dieux , qui lui enfeignoit ce qu'il devoit ordonner & obferver
» lui-même, par rapport aux cérémonies de la Religion. »
Mais, comment l'Hydromantie avoit-elle pu paflerde Perfe en Italie,
dans le tems de Numa Pompiiius ? Il n'eft pas facile de le deviner. Il eft ,
peut-être , encore plus difficile de comprendre , comment faint Augul-
tin a pu s'imaginer que le Démon intervenoit dans cette forte de divi-
nations, qui, pour venir de fort loin, &c pour être fort anciennes, n'ôi
étoient pas moins extravagantes.
§. XVII. Paflbns à une autre manière de deviner, qui étoit commune tes ceb»
à tous les Peuples Celtes & Scythes; c'eft celle qui fe faifoit par le fort. a'In'piVîe
Perfonne ne conteftera que le fort ne puiffe être employé utilement en ^'^'^
plufieurs occafions. Mais on ne peut excufer ces Peuples de s'en être fer-
vis dans les deux cas qu'on va indiquer. Premièrement , ils confultoient
le fort en mille occafions , où il aiiroit fallu confulter plutôt la raifon
& le bon fens. Les Germains font en peine de favoir ( i ^ 3 ) fi le tems eft
favorable pour livrer bataille aux Romains , ou s'il ne l'eft point. Ils
ne favent pas (154) s'il eft à propos de brûler, fur le champ , un homme
de confidération que Jules-Céfar leur a envoyé, ou s'il ne feroit pas
plus expédient de différer fon lupplice à un autre tems. L'une & l'au-
tre de ces queftions font décidées par le fort. Ce n'étoit affurément pas
le moyen de trouver le bon parti. Il eft vrai que les Germains regardoient
cette décifiori du fort , comme un Oracle du Ciel. Mais c'eft en cela
-^— — — — — '^
(l Si^Scvius ad £neid. m. v. 4<(. Voyez i cap. ]s.
#i-deffus , ch. i. §. xo jnot. 131 I {1J3) Ci-defTus , J. XVI. not. 150.
(iji, Auguftin. de Civitate Dci, lib. VU* j (i{4JC3far, I. jj.
Temi II, C c c
386. HISTOIRE DES CELTES,
précifément que çonfiftoit l'extravagance de l'impiété. Il faut avoir une
étrange idée de la Divinité , pour s'imaginer que , toutes les fois que
les hommes jugent à propos de décider une queftion, non par les lu-
mières que Dieu leur a données , mais à coups de dez , il faut que la
Providence faffe un miracle , pour faire trouver la vérité , qu'ils outra-
gent , en la cherchant de cette manière.
En fécond lieu , ces Peuples fe fervoient encore du fort dans les caufes
criminelles , pour juger fi un homme étoit coupable ou innocent des cri-
mes dont on l'accufoit. On en a allégué un exemple bien remarquable
dans l'un des Chapitres (155) précédens. Quand le Roi des Scythes étoit
ipalade , les Devins confultés fur la caufe de fa maladie , l'attribuoient or-
dinairement à un faux ferment que tçlle ou telle perfonne , qu'ils nom-
moient , avoient fait par la maifon Royale. On amenoit auffi-tôt l'ac-
cufé, poyr l'examiner par la fcience de la divination, c'eft- à-dire, parle
fort. Si le fort lui étoit contraire , il étoit fur le champ exécuté , & (es
biens confifqués. C'étoit , affurément , la plus cruelle & la plus détefta-
ble de toutes les injuftices , de condamner un homme fur de femblables
preuves.
Mamète de Cependant cette procédure étoit reçue dans toute la Celtique , & la
fr^^^^ f*^ divination fe faifoit par-tout à peu près de la même manière. On y em-
,. r, -plQyoit des Jaranches d'arbres que l'on coupoit en rameaux, ou en jet-
' ' tons, avec, cette différence pourtant, que les Scythes préféroient (156)
le faule & le tilleul , les Germains (157) une branche d'arbre fruitier,
les Gaulois (158) la verveine, & les (159) Perfes le tamarifc. Les
,Jhraces étoient les feuls (160) qui fe ferviffent dans cette occafion,
^on de branches d'arbres, mais de petits cailloux. Le Ledeur ne fera^pas
fâché qu'on rapporte ici quelques paflages qui fervent à montrer la
parfaite conformité qu'il y avoit fur cet article, entre tous les Peuples
de l'Europe.
«On trouve parmi les Scythes, dit Hérodote (161), un grand nom-
>>brç de Devins, qui devinent avec plufieurs verges de faules, de la
(l 5 s) Ci-d. ch. IV. §. 10. not. Sj.
,.'{lj5«)Vci deffbus , not. i6i.
^157) Ci-deflbus , note 16.3.
(158) Plin. Li. XXV. cap. 9, pag. 41t.
(159) Scholiaft. Nicandri ad illum verfum
Thcriac. Kt-l ftvfi K*s Aalsio Je'nï ap. Lind. in
Gloir. p. 14*7. Vûjiz, Interpret. Theriae. Ni-
candii ap. Scatig. in notis ad Catull. pag. ;;;.
(lâo, Stephan.de Urb. p. 401, Plln. VU.
49. p, 6t. Vo^et., audî Suidas au mot @(i<û.
(1*1) Heiodot JY. 67.
. iie.'iïi,.' ,,
,ki y. Vil
LIVRE IV. CHAPITRE VI. 387
«manière que je vais rapporter. On apporte de grands faifceauri de
»' verges , que l'on pofe par terre. Le Devin ayant ouvert le faif-
wceau, met à part chaque verge & fonde là-deiTus fes divinations;
«après quoi il raffemble les verges, & les remet en un faifceau, C'eft
» la manière de deviner qu'ils ont reçue de leurs Ancêtres. Mais les
» Enaries , qui font hermaphrodites , devinent avec des branches de
» tilleul , & prétendent avoir reçu leur art de la Déeffe Vénus. Ils
» coupent la branche en trois morceaux , qu'ils font paffer & repaffer
entre leurs doigts , & c'eft là-deffus qu'ils fondent leurs divinations. »
Ammien-Marcellin dit quelque chofe de femblable des Alains (162).
« Leur manière de deviner efl toute extraordinaire. Ils raffemblent des
«verges de faule, qui foient droites, & les féparent enfuite , dans un'
>»tems marqué , avec des enchantemens fecrets , » c'eft-à-dire , avec
des prières qu'ils prononcent à voix baffe ; « par ce moyen , ils connoif-
» fent , très-clairement , tout ce qui doit arriver; »
Voici ce que Tacite difoit des divinations qui étoient en iifage parmi
les Peuples de la Germanie ( 163 ). «Ils font attachés aux aufpices &
»>aux forts autant qu'aucune autre Nation. Leur manière de confulter
» le fort eft fort fimple. Ils coupent une branche d'arbre fruitier , & la
«partagent en plufieurs petits rameaux. Ils diftinguent ces rameaux
» par quelques marques , & les répandent au hafard fur un habit blanc.
» Enfuite le Sacrificateur de la Communauté , quand la confultation eft
«publique, ou le Chef de la famille, quand elle eft particulière, après
«avoir invoqué les Dieux, & regardant vers le Ciel, levé par trois
« fois chacun de ces rameaux , & les interprête félon la marque qu'on y
«a auparavant imprimée. Quand le fort eft contraire, on ne confulte
M plus ce jour-là fur la même affaire. Quand il eft favorable , on a encore
«recours aux Aufpices. »
■ Il paroît par le paffage d'Euftathe , cité en note ( 164 ) , que les anciens
Grecs avoient auffi cette manière de deviner avec de petits morceaux de
bois.
Au refte, cette fuperftition, comme les autres dont on a fait mention
dans ce chapitre , fe conferva fort long-tems parmi les Chrétiens. On
. ^ — m
(i«i) Ainm. Marc. lib. J^XXl. c p. z. 1 ( ««-l-J iuftath. ad Uiid. III. v. }i6ji
pag «II. j pag. 4iy.
(i<l) TAcit. Gccm. cap. lo. (
Ccc»
3^8 HISTOIRE DES CELTES,
cmployoit le fort dans les confultations publiques & particulièfes ,
tantôt pour découvrir l'auteur d'un crime, tantôt le légitime pofieffeur
d'un bien , & on appelloit un jugement de Dieu ( 165 ) la fentence que
les Juges prononçoient, après avoir jette croix ou pile fur l'accufé. Trois
Evêques qui fe difputoient le corps de Saint Léger , convinrent de déci-
der le différent par le fort Pafle encore pour cela. Mais le fort eft ici
une aûion fainte, à laquelle on fe prépare par trois jours de jeùiie &
de prière : on met enfuite fur l'Autel trois billets , fur lefquels on avoit
écrit le nom des trois Prétendans ; & l'Hiftorien raconte fort gravement
(166), qu'un Prêtre ayant tiré au hafard l'un de ces billets, fit voir ,
par-là , lequel des trois Evêques avoit la vérité & la juflice de fon
côté. C'eft une réflexion qu'on ne fauroit lui paffer.
La Loi des Frifons ordonne aufïï (167) que pour découvrir l'auteur
d'un meurtre , on fera jetter au fort les perfonnes que le vengeur du
fang jugera à propos d'accufer ; & , parce que cette étrange procédure
étoit regardée comme un jugement de Dieu , la Loi veut qu'elle fe faffe
au pied des Autels.
Il eft vrai qu'un Concile tenu à Auxerre (168), condamne exprefle-
nient cet abus. Mais , outre que la conftitution ne pouvoit regarder ,
tout au plus, que les Eglifes de France, il eft certain , d'ailleurs, qu'elle ne
fut pas obfervée , la coutume ayant prévalu , dans cette occafion , comme
dans plufieurs autres , fur la raifon & fur les bonnes Loix.
Autre iDiniè- S. XVIII. On ne pcut pas douter qu'il ne faille mettre encore au nom-
ïrirdcsmeur- bre des divmations , qui ont une ongme Payenne, la procédure que les
>!is%«iriJu Allemands appellent en leur Langue Baar-Recht^ & en Latin ; /wi ferew ,
Crue»tatio Qyj^jjts cTuentationis. Quand on trouvoit quelque part un corps mort, &
que l'on voyoit fur le corps des indices d'une mort violente , la Juftice
du lieu fe tranfportoit dans l'endroit où étoit le cadavre, & y faifoit con-
duire en même tems , tous ceux que l'on Ibupçonnoit d'avoir commis le
Bi^urtre. Après quelques exhortations , on les obligeoit à pofer , l'un
après l'autre , les mains fur la poitrine & fur les bleflures du mort , &
(i«*) PaSum Childeberti & Chlotaris in
ieg. Salie, p. 3*8- Leg. s. iki fcriem ttmhu-
Ure. Ibid. Leg. % Dccr'tum Childeberti. ibid.
p g, 349. Leg. «. Leg Ripuar. tit. 3 i. Leg, j.
pig. 45 5-
(i««j Viu s. Leodegaili , ap, Duchcfne ,
tom. I. pag. 603 & tzi. Duficfne , GlolT. in
Sort. S^nSl,
(167; Leg. Fitfior. tit. XIV. p. 49«'
(i£t) Concil. Auc fïïdior. ap. Linden lOg.
inGIoff". p. 148 I. 8c ipud Dufrefne , in vo«e
TttiHi, Ce Concile fut tenu en i7>-'
L I V R E IV. C H A P I T R E VI. 389
à réciter , dans c«tte pofture , certaines paroles qu'on leur diûoit.^ S'il
arrivoit, pendant cette épreuve, que les bleffures jettaflent de l'écume
ou du fang , on étoit convaincu que celui qui touchoit le corps, dans ce
moment là , étoit le véritable meurtrie». C'étoit , difoit-on , le cri &
l'accufation même du fang , contre celui qui l'avoit injuftement répandu.
Schottelius(i69), qui écrivoii en 1671, obferve que cet ufage fubfif-
toit encore de fon tems, en plufieurs endroits de la Baffe - Allemagne. II
cite même- des Jurifconfultes célèbres ( 170 ) qui ont entrepris de le jufti-
fîer , & qui ont montré par des raifons naturelles & philofophiques ,
comment il pouvoit arriver que le corps d'un homme alTafTiné , rendît
du fang en la préfence d^i meurtrier, c'ell-à-dire , que ces Savans ont cher-
ché de la liaiîbn entre des chofes qui n'en avoient point , quoiqu'elles ar-
rivaffent quelquefois enfemble. C'cfl le Paralogifme que les Logiciens ap-
pellent Pojî hoc , crgo propur hoc,
§. XIX. La plupart des divinations dont on vient de faire men-
tion , étoient prefcrites par les Loix , & ordonnées par le Magiftrat , qui
jugeoit fur de femblables preuves , (i un homme étoit coupable , ou in-
nocent des crimes dont on l'accufoit. On n'auroit jamais fait, fi on vouloit
parler des préfages que les particuliers tiroient de tout ce qui leur arri-
voit, ou de tout ce qui fe paffoit fous leurs yeux. Au lieu que nos Philo-
fophes font profeffion de chercher la véritable caufe & la raifon fuffifante
des événemens naturels, ou des actions humaines, la Philofophie des
Celtes confiftoit à deviner ce qu'un événement ou une aâion fignifioit
pour l'avenir.
Les Mages , par exemple , ayant fait obferver Ochus dans le premier
repas qu'il fit , après être monté fur le trône de Perfe , prophétiferent ,
fur ce qu'on leur en rapporta (171), que la terre produiroit des fruits en
abondance fous le régne de ce Prince , mais qu'il répandroit aufli beaucoup
de fang. Des fourmis (172) ayant charié quelques grains de froment
dans la bouche de Midas, qui dormoit au berceau, les Devins du Pays
déclarèrent que cet enfant feroit un jour le plus riche de tous les hommes.
(i<>) Schouftius , p. «'2. G'erlké, p. 14. II. «is miracnlis naturz, Lib. II. cap. î. Hyeion,
(170 Les Jurifconfultes qu'il cite , fort Be- ; Migius ratiar. Left. Lib. III. cap j.Scpta-
ibldus in Thef Fraft. B. n. z. Majoluf dicr. Ceurs aatrei
Canicul CoHoq. i. Hyppolit Maifyl. in Praxi
ciimin li nuiu. i«i P.iris de ïiiteo Tr Ait.
4e Syndicat. cJp. } Levia- Lcmnius , de occul-
(171) ilian. V. H. IL 17.
(i7i) Valci. Max-I. «,
<^yb H I s T O r R Ë D E S C È L T E S,
" -Tacite rapporte auffi que le Capitole ayant été brûlé pendant los
guerres civiles, qui fuivirent la mort de Néron , les Druides publièrent
par-tout que cet accident (173) étoit un préfage infaillible de la ruine to-
tale de l'Empire Romain. On pourroit alléguer une infinité d'autres
exemples, pour montrer à quel point on pouffoit la fuperftition, &
la crédulité fur cet article. Mais on craindroit d'abufer de la patience du
Lefteur , û l'on s'arrêtolt plus longtems à ces bagatelles.
• le citrgê §, XX. Avant que de quitter la matière que l'on traite , il faut cepen-
gina de nou' daut ajouter une remarque. Les divinations étoient fi fort à la mode ,
tio!".^'^'"* parmi les Celtes , que le Clergé Chrétien , pour s'accommoder au goût du
Peuple ; trouva bon d'en ajouter de nouvelles ^^à celles qui étoient déjà
en ufage parmi les Payens. De ce nombre étoient , /e Jugement de la.
Croix , celui Va pain & du fromage béni, celui de la Sainte Eucharijlie y
& enfin ce qu'on appelloit Caractères SanBorum , ou Sortes Apojlolorum»
Difons un mot de chacune de ces divinations.
Le jugenrent de la Croix étbit (174) une forte d^ Examen, ou de
Parution canonique^ dans laquelle un homme foupçonné de quelque
crime , étoit obligé de fe juftifier , en fe tenant devant une Croix , pendant
im certain efpace de tems qui étoit déterminé par le Magiftrat.
Jugement de Cc moycn de juftification n'étoit pas auffi facile qu'on pourroit fe l'i-
uctou. maginer d'abord , parce que la pofture étoit des plus gênantes. II falloit
(*75) ^"^ l'accufé demeurât debotir, les bras étendus devant une Croix,
^ fans faire jufqu'au moindre mouvement , pendant cinq ou fix heures.
Celui qui fuccomboit à l'épreuve , perdolt fa caufe , quand il s'agiflbit
«d'affaires d'intérêts, & s'il étoit queflion de quelque délit , il fubiffoit la
peine du crime dont il avoit été convaincu par cette voie. Ainfi il efl or-
ëofiné dans le Teftjttnent de Charlemagne (176), & dans celui de Louis
le Débonnaire fonfils, que* s'il s'élevoit quelque conteftation entre it%
héHtiers , par rapport aii* limites des terres qui leur feroient affignées ,
& que la queflion ne pût être éclaircie par des témoins dignes de foi , le
différent feroit décidé par le jugement de la Croix , & non par le duel.
Les Capitulaires des mêmes Empereurs portent ( 177) que, dans \ti
(i7})Tacït.Hift. IV. J4.
(174J Vùjti. Dufiefne , Glofl". in Ctm. Jud.
tom. I pa . 139$.
(17s) Agobart. Opp. tom. I. p. joz.
(17$) Teftam. Car. Magn. ap. Duchcfne, cap. 125. p. 94S
■ Tom. II p. 90.- att. ». Teftira. Ludov Pii ,
ibid. Tom. II. p. jïS.Du Frefnc Glofl". p. lis 5.
Tom. I
77) Cap. Cai. Magt $c Lud. fii , lib. T.
LIVRE IV. G H AjPIT R E VI. 391
caufes civiles , qui feront de petite importance , on pourra recourir a^
jugement de la Croix. xMais, toutes les fois que l'affaire étoit grave &C
importante, il falloit que (178) les Séculiers fe purgeafTent par le duel,
& dans de femblables cas, le juge ment de la Croix étoit un privilège
alïeâé aux Eccléfiaftiques.
Il y avoit auffi des occafions où l'accufateur & l'accufé étoient obli-
gés de fubir enfemble le jugement de là Croix. Celui qui fe lafToit le
premier étoit le coupable. Ainfi un Canon du Synode de Vermerie, tenu
en 75 I (179) , porte que , lorfqu'une femme fe plaindra de fon mari , &
l'accufera de n'avoir jamais habité avec elle , on les fera approcher
tous deux d'une Croix, &c que û la plainte fe trouve fondée, on les lé*
parera. - fl
L'Empereur Lothaire défendit cette forte d'épreuve (180), par la rair
fon qu'étant téméraire en elle-même , elle ne pouvoit fervir d'ailleurs qu'à
déshonorer la Croix & la Pafîion du Fils de Dieu. Il ne paroît pas que
cette Loi de l'Empereur Lothaire ait été généralement obfervée. Ou plu-
tôt , on trouve plufieurs exemples du contraire dans l'Hiftoire des fié-
cles fuivans. Au refte, Hagenberg a remarqué , avec raifon ( 181 ), qiie
l'on attribue mal-à-propos une femblable Conftitution aux Empereurs
Charlemagne & Louis le Débonnaire. Ces Princes , au lieu de con-
damner le jugement de la Croix j i'ont autorifé , & même ordonné
en différentes occafions. . •
Le jugement du pain & du fromage béni que les Anglo-Saxons ap- jugfmfr.tdu
pelloient en leur Langue (183) Corfned^ étoit aufli une forte de purgation ^romaK té-
canonique , dans laquelle on faifoit avaler à l'accufé un morceau de pain °''
& de fromage, fur lequel le Prêtre avoit prononcé une formule d'exé-
cration, qui portoit que (,i 8.4 ). le morceau pût étrangler le coupable.
(178) lad. Imp. Addit. ad Lcj. ii\. p.iyî, liqju Idmot Cor/nri^eft compof<f de deu* mots
(179) Synod. Vermer. Can. 17. ap. Duftef- ' AUemands ; fçaVoir, de Chor , le'Chœut d'une
ne , GlofT. tom. i. p. 139-5. Genke , p. >»+• --■■'■ ■■ - • - ■■
(i «o) Lothar. Imp. in Leg. Longob. lib. U<
tit. j j. Leg. 31. p. 662. .r '
1.1 /181) Oeira. Med. Diff. lU, §.S}. ,
(i8i) La COnllittttipn:cit«'eci-d. note iSo.
fe trouve fous le nom de. Ctajtcs^M.igne & de
. Loais {le Qe^onA-ûrc , Qjpit. ,Ub..i. «a^^ lo(.
p. 840. ,-, : .'I ,1: .no; ,iiol.tJot-:
(iJjJLeg. CanatiRe^is, Leg. «-7. On croit
Eglife , & Sned ou Snii, coupure , p.irce qus
le morceau éto t coupe' par on Prêtre dans le
< hoeur ^ fut l'Autel. Voyez d'autres étymolo-
fios dan^Dufreftie , Glofl". t. 1 ,-p.'i-jji; Ger!-
Ice , psge'2-05. "" ' '■•<••■?
(184) l'ojreï, dans' Milrcnlphe les Fortnliflk
.iquî (c)-Wt>a*e'nt fous te titre : Ekor'cifmui 'funit
Htrâutti, ^tl tafti »i ftoiafitnim vert , àp. LÎB-
denbi.'p. i}»l. ■<~.^.i
v_
J91 HISTOIRE DES CELTES,
s'il avoit juré fauffement de n'avoir pas commis le crime pour lequel il
, étoit tiré en caufe. On croyoit bonnement dans les fiécles d'ignorance,
qu'un fçélérat qui auroit eu la confcience chargée du crime dont il étoit
accufé , fuccomberoit infailliblement à l'épreuve.
Lindenbroge a remarqué dans fon Gloffaire (185), que lesRomains, &E
même les Grecs , pratiquoient quelque chofe de femblable , à l'égard
des Efclaves qu'ils foupçonnoient de larcin. Il ne feroit pas impoffible
que les Romains n'euflent porté cette fuperftition en Angleterre , ôc
dans les autres Pays de la Celtique , qui étoient fournis à leur domina-
tion. Mais, en le fuppofant ainfi , il faudra convenir , au moins, que le
Clergé Chrétien y changea quelque chofe. Au lieu que , parmi les
Romains , on n'affujettiffoit à cette épreuve que des perfonnes de baffe
condition , les Eccléfiaftiques Chrétiens jugèrent à propos de fe l'appro-
prier, & de fe juftifier par cette voie des crimes qu'on leur imputoit. C'é-
toit le moyen de gagner toutes les caufes qui fe décidoient de cette ma*
nière. Il étoit bien difficile , à moins d'un grand malheur, qu'un Ecclc»
fiaftique , à qui un autre Eccléfiaftique tailloit le morceau , en fut
étranglé.
jugtment de Le jugement de l'Euchariflie ne différoit de celui dont on vient de
parler , qu'en ce qu'on y employoit les fymboles du corps & du fang de
Notre-Seigneur. Il confiftoit à recevoir l'Hoftie fous la condition qu'elle
pût fe changer en (l86) un poifon mortel, fuppofé qu'on fut efFeftive-
ment coupable du crime dont on fe purgeoit par cette voie. C'eft ce
qii'exprimoit la formule que le Communiant étoit obligé de réciter à
haute voix (187). Corpus Domini jit mihi in probationem hod'u. Si celui
qui avoit fubi l'épreuve, mouroit, ou tomboit feulement malade peu
^i»s) Acroniu5 fur ce Vers d'Horace,
fliqut S»ccrd«tis fuginvHS lihiricitfti, Epod. l.h. I.
Ode !•• dit » que , quand un efclave eft
V foupçonné de vol , on le mené au Prêtre
» qui donne à tous le» efclnves un morceau
» de pain béni , 8c qu'ils n'en ont pis plutôt
»» mmgé, que le Prêtre devine qui eft le cou-
pable». Vol. aufli Diofcoride , Uj. V, cap. i«i.
Pf. Lindenbt G\'.S. p. 141 S.
(t 88, •^ritheme rapp ^rte que Robert , Abh»-
it Limputg , confirma li vérité' de fes révéla-
^9n«s p-ii le jugement 4e ri:.uciia(iftic. Qn lit
ces paroles d.ins la Formule qu'il ptononçi i
« Et fi cel,i n'eft pas comme je l'ai afSrmc ,
» que je ne puiffe point avaler le Corps de
» Notre-Seigneur jéfus.Chrift , mais qu'il s'ai-
» lête dans mon goCer , qu'il m'étrangle ,
» qu'il me fuffoque , êj qu'il me t ffe crever
n dans le même moment ». Chr nig. Hicfaug.
ad an. 11x4. Gerike, pi^. aoo.
( i»7) Duftefno , Gloflbr. in A(juii friyi,
Judic. Tom. 1, p g 310-3 II , te in jHdic.
ptobabil, tom. II, f. ii|.
LIVRE î V. CHAPITRE VI. 39)
de tems après , on le regardoit comme convaincu &C condamné par la
juftice même d^' Dieu.
Cet abus ei\ afiurément fès- ancien. On lit, par exemple , dans
Grégoire de Tours ( ii^8 ) que le Comte Eulalius , qui étoit foup-
çonné d'avoir tué fa propre mère , Ce juftifia de cette manière devant
Caiitin , Evêque de Clermont en Auvergne. Ce qui arriva à Lothaire,
Roi de Lorraine, eft également connu. Dans un voyage qu'il fit à Rome
en 768 pour faire lever l'excommunication que le Pape Nicolas avoit
lancée cofitre lui (189), il jura au Pape Adrien II, qu'il avoit repris
Teutberge, fon époufe, & renvoyé Valdrade , fœur de Gonthier, Ar-
chevêque de Cologne, avec laquelle il avoit vécu publiquement en con-
cubinage. Le Pontife qui ne fe fioit pas aux proteflations de Lothaire ,
exigea de lui qu'il confirmât fa déclaration par ferment , &c l'affujettit ,
en même tems, au Jugement (ie l'' Euêhanjlle. Les Seigneurs de la (uite de
Lothaire confirmèrent auïïl fa dépofition ; ils jurèrent & communiè-
rent avec lui. Le Roi mourut avant que d'être de retour dans fes Etats ,
& les Seigneurs qui l'avoient fuivi à Rome , ne lui furvécurent que de
quelques mois ; dès lors on ne douta point qu'ils n'euffent tous commu-
nié , & prêté ferment contre leur confcience.
Parmi les Canons du Concile de Trebur, il y en a un qui femble or-
donner que l'on ne foumettra , déformais , que les feuls Eccléfiafti-
ques au Jugement de l'Euchariftie (190). «Les Laïques feront tenus de
» prêter le Serment purgatoire dans les occafions où il eft d'ufage de
>» l'exiger. Mais , au lieu d'ordonner le ferment à un Prêtre , on l'in-
M terrogera par la fainte Confécration , parce que les Prêtres ne doi-
M vent pas prêter ferment pour des (ujets de peu d'importance. Faut-
M 11 qu'une main qui fait le Corps & le Sang de Notre Seigneur, foit
t» fouillée par le ferment •« ? Voilà , certainement , un étrange fcrupule.
On ne veut pas qu'un Eccléfiaftique fouille fon caradère , en prêtant
ferment pour des fujets peu importans (*), & on ne craint pas de
(iî« Grcgor Ta. on. Hift. lib. X. cp I.
(1(9 B.egina Ptum. in Cliton. ad An. •<).
•ciike , p. iû2.
( lyo ) Loncil. Tiibac cap. ii. Gciifce,
faf' 199
(*) Qu'il ne faiUe pas rendre les fermcns t.cp
•omin ins , c'tftronformc à l'elprit 4c la Re
ligion Qu'on ne doive point exigci ^ue ia
Tomi II,
coupables afouent eurs crimes, ou qu'ils s'ex-
pot'eni à fe parjurer po r é»iter les fuppliccs ,
la ralTon Se l'huma ir«' le dlArnt. Mais il eft
bien fingulier d - voir mettre en principe qac
les Piètres rou'llcroieni leur caraAère en prê-
tant ferment far la vérité des faits qui leui
font imputés , & qu'il faut les interroger pax,
la fainte confccjation On ne vouloit pas
Ddd
394 HISTOIRE DES C E L T E S^
profaner le Sacrement , en le donnant à un homme que l'on foupçon-
ne d'être un meurtrier, un adultère, & , en un mot, un fcélérat.
Cependant il ne paroît pas que , depuis la tenue du Synode de Tre-
bur , le privilège de fe purger en recevant l'Euchariftie , ait été réfer-
vé aux feuls Eccléfiafiiques. M. Gérike (191) a remarqué que les Alle-
mands, quand ils veulent fortement aflurer une chofe , difent encore
aujourd'hui ( 191) ; » Je fuis prêt de recevoir la fainte Gêne , pour af-
H furer ce que j'avance «. C'eft un indice que l'on affujettiffoit les Par-
ticuliers à cette épreuve. On peut imaginer , pour le remarquer en paf.
fant, que l'épreuve du feu a donné lieu à une façon de parler parfaite-
ment femblable , qui eft encore en ufage parmi les François. Pour mar-
quer qu'ils font pleinement perfuadés d'une chofe , ils difent qu'i/j em
mettraient La niain au feu.
^ Divination Enfin , Ce qu'on appelloit CaraBeres Sanclorum , ou Sortes Apojlolo'
^MoiTca- rum , étoit une forte de Divination, pour laquelle on fe fervoit des Li-
'iorum on' yres facrés (19?). On ouvroit au hazard la Bible , les Pfeaumes , l'E-
\lia"um^°^ vangile , ou quelqu'autre Livre de dévotion. Le premier paffage qui fe
préfentoit à la vvie , étoit une, efpéce d"Oracle , dont on tiroit un bon , ove
un mauvais augure , félon qu'il paroiffoit favorable ou contraire ait
deffein qu'on avoit dans l'efprit, & qui faifoit le fujet de la confultation^
. M. Du Frefne (194), qui a ramaffé lur cet article une infinité de
chofes curieufes , remarque qu'on pratiquoit, fur-tout, cette Divina-
lion , quand il s'agiiîbit d'élire ou d'ordonner un Evêque. Le premier
paffage que le hazard offroit à celui qui étoit chargé d'ouvrir la Bible ,.
4toit un prognoftic par lequel on jugeoit , tant du caraûère que de la
conduite de l'Evêque , 8c en général , de tout ce qui devoit lui arri-
ver durant le tems de fon Pontificat. Par exemple, un jour (195) que
Ton confacroit un Evêque de Laon , celui qui ouvrit la Bible , tomb»
^*'une main qui confacre le Corps & le Sang
du Seigneur , fût fouillée par le ferment , 8c
(193) Voyi. le Canon du Concile d'Auxerre
ei-deflus , §. 17. not. i6J. Capitul Carol. M'-
en ne craignoit pas de profaner le Sacrement , . de diverfis re us an An. 78!». Cap. 4 Vcjex,.
en le donnant à des Monftres dans l'ordre de
la Société & de la Religion ! Ceux qui avoient
de pareils fcrupules , etoient des Chrétiens
fcicn peu inftruits. Hott dt l'Editeur.
(i»[)Gerike, cap. VI. p. 197.
■ (ifz]Jch IVill dos hiiligt AbsiiimM dnrtuff
1m^f*n^tn, Ibid.
auHi Capitul de partit Sjxon. cap. 12. Ai-
mond. Hiftor. Francor. lib. II. cap .1». lib. III.
cap. 13. Greg. 'f uron. lib IV. cap. I «. p. 177..
Edit. Morell.
( 1 94) Du Frefne , Gloffai. in Sartii SanStrum^
totn. III p. I 000.
Uisilbid. p. 100»»
LIVRE IV. CHAPITRE Vî. jo;
fur un endroit , oii il n'y avoit que des feuilles de .papier blanc. On coh-
clut delà que cet Evêque ne feroit rien qui méritât d'être tranfmis à la
poftérité. L'Archevêque ( "96) qui devoit confacrer Albert , Evêque
de Liège , ayant aufîi ouvert le Livre qu'on lui préfentoit , félon l'ufage
de ce tems là , trouva au commencement de la page l'hiftoire de l'em-
prifonnement & de la décapitation de Jean-Baptifte , & fur le champ ,
il avertit Albert qu'il devoit le préparer à fouffrir un jour le martyre
pour le fervice de Dieu.
On ne doute pas que cette fuperftition ne tirât fon origine des Ro-
mains, qui la communiquèrent infenfiblement aux Peuples qu'ils avoient
fournis. Au moins jeù. il certain qu'ils pratiquoient une Divination par-
faitement femblable , que l'on appelloit Sortes F'irgi/ianœ , ou Horadanœ y
parce qu'on y employoit les Ouvrages de ces deux Poètes. Spartian
rapporte (197) qu'Alexandre Severe, n'étant encore que fimple parti-
culier, ouvrit l'Enéïde dans le deffein de s'inftruire de ce qui l'attendoit
dans l'avenir. Le vers qui s'offrit le premier à fa vue , lui annonça qu'il
parviendroit un jour à l'Empire (i9>i) :
Tu regere Impcrio populos , Romane , mcnif nto.
On voit dans faint Auguftin (199), que les Chrétiens couroient déjà,
de fon tems , après ces bagatelles , & c'eft , félon les apparences , ce
qui porta le Clergé à fubftituer la Bible aux Livres Payens que l'on
employoit à cet ufage.
11 ne paroît pas , au refte, que faint Auguftin ait approuvé, ni loué,
cette étrange fuperftition , comme M. Gérike (200) l'a avancé. Ce Père
dit, à la vérité (ici), » que les Chrétiens , qui devinent par les
»> Livres facrés , femblent être plus excufables que ceux qui conful-
M tent les Démons « , c'eft-à-dire , les Oracles des Payens ; mais il ajoute
immédiatement après , » que l'ufage même de deviner par l'Evan-
» gile, lui déplaît, la Parole de Dieu ayant été donnée à l'homme pour
♦) le conduire à la vie éternelle , & non pour diriger les vains projets
M d'établiffement & de fortune que nous fkifons ici - bas «. Il efl vrai
(l9«) ibid.
(197) Spartian.
(198; Vir il. ^neid. VI. v. «51. Vojet. plu-
fieurs exemples femblables , Wiei. de PjallJg. '. cap. ïo,
Doetn. Ub. II. cap. ij. p. loi. ; j
Dddx
(199) Cenfefl" lib. IV. cap. }.
(200) Gerikc, cap. t. p. 21}.
(201) Auguftin. Epiftol. ad Janaai. i*f,
y^6 HISTOIRE DES CELTES,
encore , que faint Auguftirk eut recours à cette forte de Divinations i
dans le tems de (a converfion , pour juger du parti qu'il auroit à pren-
dre. Mais on feroit affurémtnt tort à ce grand homme , fi l'on vouloit
juger de fes véritables fentimens , par ce qu'il fit dans un tems oîi il
commençoit feulement à entrevoir la vérité.
' Après tout ce que l'on vient de dire des difFérentes Divinations qui
étoient en ulage , parmi les Peuples Celtes , on efl en droit d'en conclu-
re , que Paufanias ne peut être excufé d'avoir écrit (loz) » que c'eft
» une cho<e fort incertaine , fi les Celtes connoiffent feulement la
»> fcience des Aufpices «. Le mal n'aurolt pas été grand , quand ils
l'auroient ignorée ; mais ils en étoient entêtés, autant & plus qu'aucun au-
tre Peuple. Paufanias ( 103 ) qui regarde Brennus & fes Gaulois com-
me des impies , parce qu'ils étoient allés au combat, fans avoir aupa-
ravant coniulté les Aufpices , devoit s'informer pr'-mièrement , fi le
fait étoit vrai. Il devoit encore moins leur faire un crime de ce qu'ils
ne s'étoient pas fervis , dans cette occafion , d'un Devin Grec. Il n'eft
pas naturel de prendre confeil d'un ennemi. Les Gaulois déteftoient ,
d'ailleurs , la Religion des Grecs , & ils avoient des régies (104) de Divina-
tions, toutes difFérentes de celles des autres Peuples.
DeUMajtie §. XXI. On ne s'arrêtera point à la Magie des Peuples Celtes, autant
^c/."*" " qu'on l'a fait à leurs Divinations , parce qu'on craindroit de fatiguer
le Leéleur par le détail de toutes ces bagatelles. D'un côté , le monde eft
parfaitement revenu fur le fujet des Magiciens : on ne doute plus de la
Tanité de leur Art. De l'autre , on trouve que , dans un tems où la Ma-
gie étoit le plus en vogue , l'Empereur Néron eut occafion de recon-
noître la faufleté de cette prétendue fcience ( 105 ) N'étant pas content
du pouvoir defpotique qu'il exerçoit fur une partie confidérable du
genre humain , il fouhaita encore de commander au Dieux , & de dif-
pofer , à fon gré t de leur puiffance. Il raflembla , pour cet effet , à Rome,
les Magiciens les plus célèbres de la terre , & fe fit initier dans tous les
myftères de leur Art. Après bien des expériences , il eut le regret de
•voir que les Magiciens n'étoient que des charlatans , & des impofleurs ,
& il fut lui-même (206) un illuflre exemple de la vanité de leurs opé-
■ V — ■ ' ■ ■
(îoi) ( oiifeiT. lib. VllI. cap. ult. . (205 Plin. Hift.Nat. lib, XXX. tap. x,
(xoj; /«a.Ti.a. Pauf. Phoc. XXI. p,»4f. | {io«; ibid.
(104) Supia , $, YI. noi. 44.
LIVRE IV. C H A P I T R E VI. 397
rations , qui ne fçaiiroient ni déranger l'ordre de la nature , ni garantir
un icélérat des peines Ô£ des fupplices , qui font la peine inévitable du
crime.
D'ailleurs , on a eu occafion de parler avec affez d*étendue , non-
feulement de la Doôrine (107) , ou des préjugés qui fervoient de fon-
dement à la Magie des Celtes , mais encore des chofes grandes & ex-
traordinaires que les Druides (io8) fe vantoient d'opérer par le moyea
de leur fcience occulte. Il fuffira donc ici de dégager la promeffe
qu'on a faite , de donner quelques échantillons des opérations magi-
ques des Druides. Elles ferviront à montrer que les plus grands Impof-
teurs , font bien fouvent ceux qui rencontrent les plus grandes dupes.
On doit commencer naturellement par le Gui de Chêne , qui étoit
en aufli grande réputation parmi les Gaulois , que la Mandragore l'étoit
parmi les Juifs. Voici ce qu'en dit Pline au Livre feiziéme de fon Hif»
toire Naturelle (109). » En parlant du Gui de Chêne , je ne dois pas
» oublier que les Gaulois en font un cas tout extraordinaire. Leurs
» Mages , qu'ils appellent Druides , n'ont rien de plus facré , que le
» Gui , & l'arbre fur lequel il croît, pourvu que ce foit un chêne (210).
» Indépendamment du Gui , ils choififfent des bocages de chêne , pour
»♦ y faire leurs dévolions , & n'offrent aucun Sacrifice , fans avoir des
» branches de cet arbre ; de forte que fi l'on vouloit donner au nom
» de Druides une Etymologie Grecque (111), on pourroit (*) dire
» aufîi qu'ils l'ont reçu du Chêne. Au refle , ils regardent le Gui qui
»> croît fur les chênes , comme un préfent du Ciel , & comme une preuve
Ou Ciii 4e
(107 Ci-deir. Liv. III. chap. ^. S >e.
(lolCi-d. chap. IV. $. 9. £c it.
(a0»)rlin. H N. XVI. cap. 44- p. |i*.
(iio) Rjkur eft proprement le R«i<«rf , efpècc
4< chêne moins haut que le chêne ordinaire,
mais gros &c tortu. Son bois eft fon dur & ro-
baftc i d'où vient , dit-on , que les Latins l'ont
appe'.'c Rb'W. DiA'Oonaire de Trévoux. L'é-
t/mologic eft pUifante. Je confo.s bien que
les mots François Rtuvit & Rikt,Jtt viennent
4u Latin Robur i mais fien ne prouve que K<-
i^r ait dû deligncc un boi( fort dur , privati-
Temrnt à tout autre terme de convention.
Jat41 dérivé du Grec , de l'.- ébieu , du Cel-
tique, Se de quelque Lanque que ce puiiTe
iiic (ce ^ui negttohsa) «la ittiaeic Rt-
hAt fetoit toujours une cxprefllon qui devroit
fon origine i la paie convention. Les mots
par lefquels certaines cb^fes ont été délïgnées,
viennent , faas doute , du principe qui a mi»
en nous une ame intellectuelle , Ce qui nous •
doué des oiganes propres \ nons entretenir
enfemble ; m^is c'eft tout ce qu'on peut trou-
ver d'eftcntiet dansja dénomination des clio-
fes. Le rcûe s'eft formé p.r la conventian des
hommes. Si nos pères eaffent appelle tel arbre
un grcftillirr , nous y aurions attaché la mjme
idée qu'au Rênvri. Neie dt i'Eiiitur.
(i 1 I Sur le fens de ces paroles , voyez ci»
deflus chap. IV $ 19. not. a6a. & fuiv.
* V'yn, t*-itS\u ,t»g, IV. $. 19, B«t. a«|.
J
f§i KÏ S f OIR E DES CELTES,
j*> que (iii) l'arbre même a été élu par la Divinité. C^ Gui fe trouve
M'fcffrtar'ement ,'& quand on l'a tfouvé , on va le cueillir avec beau-
»> coup de dévotion. On choifit, fur-tout, pour cette cérémonie, le
w lixiéme jour de la Lune , auquel les Gaulois placent le commencement
w des mois , des années & des fiécles qui font , parmi eux, de trente
w ans. Ils donnent pour raifon de cet ufage , qu*alors la Lune a déjà
» aflez de force , quoi qu'elle ne foit pas encore parvenue à la moi-
rttlé de fa grandeur. Le nom que les Gaulois donnent en leur langue
jÎ au Gui de Chêne , marque qu'il guérit toutes fortes de maladies,
w Voici de quelle manière on le cueille. Après avoir préparé fous
M l'arbre tout ce qui eft néceffaire pour un Sacrifice & un feflin , on
» fait approcher deux taureaux blancs , qui n'ayant jamais été employés
»* à aucun travail , font alors liés pour la première fois. En même-
wtems, un Sacrificateur, habillé de blanc , monte fur l'arbre, coupe le
ji Gui avec une faucille d'or 8c le reçoit dans un faye blanc. Enfuite
» on immole les vidimes , & pendant le Sacrifice , on prie Dieu , qui a
M fait ce préfent aux hommes , de Vouloir auffi le leur rendre falutaire.
>f Les Gaulois prétendent que le Gui de Chêne , pris en infufion , donne
» la fécondité aux femmes &: aux animaux ftcriles , & qu'il eft , en
»meme-tems, un antidote contre toute forte de poifons & de mala-
»f dies vénim'eufes. Tant il eft vrai que les chofes les plus frivoles font
>f'f(!rtivent des points eflemiels de la Religion des Peuples «.
On a remarqué ailleurs (Hj), que la Magie confiftoit proprement
ici , dans les cérémonies par lefquelles les Druides prétendoient af-
furer & augmenter la vertu d'un remède, qui auroit perdu toute fon
efficace , s'il n'avolt été préparé & béni par le Clergé. Le Gui de Chêne
devoit être cueilli le jour de l'an , qui étoit l'une des grandes Fêtes des
Gaulois , & par un Prêtre revêtu de fes habits Pontificaux. Il falloit
obferver encore (214) qu'il ne touchât point la terre, & qu'il ne
fiit point coupé avec uminftrument de fer. Sur toutes chofes, il devoit
être confacré par des Sacrifices , des Feftins , des Prières , & des Canti-
ques qui lui donnoient une vertu véritablement enchantée,
(f.ii) C'cfl-à-dire que l'arhre qui porte le . veut recevoir , par cette laifon, les hommages
Gui a été choifl , non par les hommes , mais
par la Divinité elle-nrême , pour être un (ym
l»olç ^tti la lepiéfenie, & dans lequel elle J- (»i4J Plin. H. N. XXIV. 4.
religieux des hommes.
(itj; Ci-d. chip IV. §. 10.
t i V R E IV. C H A P I T R E Vf. ^9^
On ne doit pas douter que les Druides, après avoir béni le Gui,
ne le diflribuaffent comme de précieufes étrennes i ôc c'eft là , félon
les apparences, l'origine d'une coutume (zi<[) qui s'eft conieryée en
plufieurs endroits des Gaules , où les enfans courent les rues la veille
du nouvel an , & demandent leurs étrennes , en criant Aguïlanmuf.
M.Keyfler prétend (zi6) que lesGermains , & même les Gaulois , don'!*;
noient au Gui le nom de Guthyl. C'efl; un fait qu'on ne voudroit pas
garantir ; les preuves fur lefquelles ce Savant fe fonde , ne paroifl'ent
pas décifives. Mais il efl certain , comme cet Auteur l'obferve , que
dans la plus grande partie de l'Allemagne , le commun du peuple eft
encore fort entêté de la merveilleufe vertu du Gui de Chcne. On croit,
non-feulement qu'il guérit toute forte de bleffures , mais encore qu'un
homme qui en porte fur foi, eft fur de faire toujours bonne chaffe , de
ne perdre amais au jeu , & de réuffir dans tout ce qu'il entreprend.
§. XXII. Les Gaulois avoient encore deux autres Plantes , auxquelles
ils attribuoient une vertu magique. Pline en parle en ces termes (217):
» L'herbe qu'on appelle Stlago , reffemble à la Sabine dont je viens de
» faire mention. Au lieu de la couper avec un couteau , il faut la cueilliiî-
» de la main droite , en obfervant de tenir la main cachée fous la tuni-
» que. Enfuite la main gauche doit ( »i8 ) arracher la plante à la droite y
j» comme fi on la déroboit. Il faut, d ailleurs, que celui qui doit cueillie
■>-■ cette herbe foit habillé de blanc, qu'il ait les pieds nuds & bien lavésy
o & qu'il ait fait auparavant une oblation de pain & de vin. Oui
» conferve la plante dans un linge blanc, & les Druides des Gaulois
«prétendent qu'il faut la porter fur foi, comme un préfervatif contre
» toute forte de maux , & d'accidens. Ils ordonnent auffi le parfun»
» de cette herbe , comme le meilleur remède pour toutes les maladie»
» de l'œil. Les mêmes Druides appellent Samolus , une herbe qui croît
» dans les endroits humides. Ils difent qvi'il faut aufli obferve^ qu'elle
(il j} Viiytt,\ei Auteurs citrfs par AI ICeyuer
DifT- dt fifco Drtiidum , p. 506. Fwetiêic ,
Diflion. au mot A^uilunntuf.
(316 Kcyfler p. 307. Les Allemands appel-
lent le Gui Mifitl , les A glois MiJltJioe , les
Iflandois Miftilitirn , les habitans du Heltlein
(417) Plin. Hi(l. Nat. lib. XXIV. cap. il.
P«g. S4J-
^218) Il y a des E 'itions de Pline qui pcf'
tcnt , ^ :* ftnifirA exuitur f 6c alor; ces p^iioIeS'
fembleroient lignifier qu'il falloit cUcil'ir la
plante de la main droite paffée parla manche
Murtni» tn, c'eti^à-dire le rameau des Speftres. , gauche. Peut être , ce'pe dant . fe trompe-t-on,
ibid.
jaand,
p. 30!l>>92^. Cori^'iv lignifie en Aile- 1 parce qu'an n'entend pas ces paroles , qui foi^
l , HH l>cn fMnt , HMt tmtinc luiri/tn, |<«bfcures , pout être rtop concifet. -^ "
- «(.•<! 1 «^
430 HISTOIRE DES CELTES,
» foit cueillie de la main gauche , par un homme qui foit à jeun , &
M qui ait la tête tournée d'un autre côté «. Moyennant ces précautions ,
H ils la donnent pour un remède contre les maladies des pourceaux &
M des bœufs, pourvu qu'on prenne garde encore, de la porter & de
H la piler d'abord dans les auges , où l'on abbreuve le bétail , fans la
» porter ailleurs «.
On voit par ces paffages , que les Druides fe vantoient d'opérer les
plus grandes merveilles , de donner la fécondité aux femmes ftériles , de
rendre l'homme invulnérable , de le garantir de toute forte de maux &C
d'accidens , par le moyen de certaines plantes, pourvu qu'elles fuffent
cueillies avec des cérémonies & des opérations magiques , dont le Clergé
pofledoit feul le fecret. Les Perfes avoient , fur cet article , la même
fuperftition que les Gaulois. Leurs Mages fe vantoient de prédire l'a-
venir , & d'évoquer même les Dieux , par le moyen de deux plantes , dont
Pline (il 9) nous a confervé le nom. C'eft dans cette Ecole que Pytha-
gore (iio) & Démocrite avoient appris ce qu'ils enfeignerent aux
Grecs , des guéritbns & des charmes que l'on pouvoit opérer avec
le fecours de certaines herbes. Il ne faut pas douter que les Germains
n'attribuaffent aulîi une femblable vertu aux plantes. On a cité plus
haut (m), une Loi de Rotharis, Roi des Lombards, par laquelle il
eft défendu aux champions de porter fur eux aucunes des herbes qui
fervent aux maléfices , c'eft-à-dire , félon l'opinion reçue dans ce tems-
là , qui avoient la vertu de rendre l'homme invulnérable.
§. XXIII. Pour revenir aux Gaulois, voici une troifiéme produflion
naturelle , à laquelle les Druides attribuoient une vertu toute extraor-
dinaire. » Il y a, dit encore Pline (xn) , une forte d'œufs, dont les
w Auteurs Grecs ne font aucune mention , mais que l'on vante
M beaucoup dans les Gaules. Une infinité de ferpens s'enlacent , &
»♦ s'enveloppent artiftement les uns fur les autres, pendant les grandes
M chaleurs ; étant d'ailleurs colés enfemble par le moyen de la bave
M qui leur fort de la bouche , & de l'écume dont ils ont le corps tout
(*»9 /ill*'l>Jli>li,Th€tfii^elid» Flin. ZXIV. 17.
(zio F.'in XXIV. 17. Selon U ieinai>
^ue de Saumaife Com.i ent. ad Solin p«g.
4). ) , Solin i avancé , mal - 4 - propos , que
I>cmoc{Ue avgit combattu les p^iaioni <lca ,
Mages : Demotriium tenumin» totttra Ma^ot hé»,
knijft Sol:n. cap. 3. p. ■]. Edit. Salmif.
^tii) Ci-d. eh. VI. §. 5. not. 39.
[tiij flin. XXU. cap . j . p. «II.
M couvert;
LIVRE IV. CHAPITRE VI. 401
» couvert , ils forment une efpèce de peloton , que l'on appelle An-
» guinum , c'ell-à-dire , un œuf de ferpent. Les Druides publient que
w les ferpens jettent un œuf en l'air, en faifant des fifflemens , & qu'il
» faut le recevoir dans un faye , avant qu'il tombe fur la terre , qu'il
» ne doit pas toucher, ( fans quoi l'œuf auroit perdu toute fa vertu ),
M Ils ajoutent que celui qui a enlevé l'œuf, doit s'enfuir à cheval , par-
» ce que les ferpens fe mettent à fes troufTes , & le pourfuivent juf-
» q^u'à ce qu'il ait mis une Rivière entr'eux eux ôc lui. On prétend
» que cet œuf, quand il eft bon , doit nager fur l'eau , & la remon-
wter, fut-il même enchâffé dans de l'or. Les Magiciens, qui font or-
w dinairement des' gens rufés & habiles à cacher leurs tromperies,
>» ordonnent d'enlever cet œuf, un certain jour de la Lune , comme
» s'il dépendoit de l'homme de le faire produire aux ferpens , dans
» le tems qu'il a marqué pour le recevoir. J'ai vu un de ces œufs que
w les Druides vantoient beaucoup. Il avoit la forme d'une pomme
» ronde de médiocre grandeur. Son écaille étoit pleine de petites ca-
» vités , femblables à celles que l'on remarque fur les bras du Polype.
» On affure qu'il eft d'une merveilleufe utilité à ceux qui le portent
» fur eux , tant pour leur faire gagner les procès qu'ils peuvent
>» avoir , que pour leur ouvrir un libre accès auprès des Rois. Cette
» imagination eft fi fauffe, que l'Empereur Claude fit mourir un Che-
>» valier Romain , originaire du Pays des Vocontiens (115), qui, autant
» que je puis le fçavoir, ne méritoitla mort, que parce qu'en plaidant
» devant l'Empereur , il avoit porté dans fon fein un de ces œufs «.
§. XXIV. Les Feux Sacrilèges que le Synode tenu (114) à Leptines (*),
en Hainault, défend d'allumer, & que les Francs défignoient fous le nom
de Nodfyrs , étoient aufli une opération magique des Anciens Celtes.
Il eft d'autant plus facile d'expliquer en quoi confiftoit proprement cette
fuperftition , qu'elle fubfifte encore en divers endroits de l'Allemagne.
Voici ce qu'en difoit Lindinbroge au commencement du fiécle paffé
(iî.5^), » En plufieurs lieux de l'Allemagne, les Payfans ont coutume
(il)) Le» Tocontieat <iemeuroienc en Dau-
phin^ autoui de la Ville de Die , ^ui cA l'an-
cienne D'» Vcetniurui».
(224) Çan. Synod. Lipcina; habicz in Cap.
Kaiol. M. & Lud. Imp, ltb> Y. x. p. yxs.
Tome II, E e e
(') Aujourd'hui Ltfiinei , lien du CambrcCs ;
c'efirancienne £<;>>iii« , Maifon de nos Rois.
N» e de l'Eiiltur.
(115) Liadenbi. GlolT. p. 1445.
401 HISTOIRE DES CELTES,
» d'aller tirer le jour de la faint Jean , un pieu de quelque haie ,
>♦ autour duquel ils frifent une corde, jufqu'à ce qu'elle s'allume. Ils
» entretiennent le feu qu'ils en ont tiré , avec de la paille & du bois
>> fec , & en ramaflent les cendres , qu'ils vont répandre fur les légu-
» mes , dans la vaine perfuafion qu'elles font un remède contre les
«chenilles (*). Ils appellent ce feu Nodfever ^ c'eil-à-dire , un feu
» forcé «.
M. Gérike, qui écrivolt en 1718 (116) , affure avoir vu des Pay-
fans qui faifoient paffer leur bétail au travers du même feu , pour le
guérir d'une maladie que nous appelions , fi je ne me trompe , le Feu
Saint- Antoine. S'il faut en croire M. Hyde (117), les Perfes avoient
une fuperftition parfaitement femblable ; ils frottoient deux petits ro-
feaux l'un contre l'autre , jufqu'à ce qu'ils en euffent tiré du feu , & ils
faifoient paffer par ce feu , leurs enfans , qui n'en fouffroient cependant
aucun mal.
§. XXV. On n'en dira pas davantage de la Magie des Celtes. Ce
qu'on vient de remarquer fiiffit pour faire voir qu'elle ne confiffoit pas
dans des compofitions , des philtres, des (ii8) amulettes, ni d'autres
chofes femblables. On n'y employoit que les fimples produôionsde la na-
ture , mais qui dévoient être enchantées par les Favoris de la Divi-
nité , afin que les efprits , qui réfidoient dans ces parties de la ma-
tière , leur communiquaffent une vertu furnaturelle & divine. Sou-
vent même les opérations magiques des Celtes ne confiftoient que dans
(229) des Dévotions & des Cantiques, par lefquels les fuperffitieux
prétendoient charmer les mêmes efprits , & les mettre dans leurs intérêts.
Il faut que le Peuple Chrétien ait été long-tems infatué de ces baga-
(*) A l'exception du vain pre'paratif qui i (i2«) Cap. 14. p. 70.
précédoit cette opération , le remède e'toit j ( li? ) Voyez. Beaufotsre Hiû. du Manich.
Von. Nos Agriculteurs in eiligens ont foin de
répandre des cendres (ur les légumes 8c fm
les autres plantes attaquées des chenilles. Ce
Liv. I. p. 31 S-32Î.
{iiX' Quelques Auteurs ont parlé des Ama-
lettes des Lydiens, Mais, outre que ces Au-
moyei! eft reconnu pour très -efficace. Sans I teurs font fort modernes , les Lydiens pou-
doute il étpit aullî néceflaiiedans ce tems-là , ' voient,d'ailleuts,avoir emprunté cette fuperfti-
qu'en celui-ci , de mettre du myftère , pour
pouvoir faire goûter au Cultivateur imhécile ,
les pratques les plus utiles pour l'amélioration
ou la confecvation de fes pioduOlons. Nnt de
l'Editeur,
tion des Grecs. Etymol. Mag. p. 40:. Euftath.
ad Odyir. XIX. p. i«<4.
(229) Cideffus, Liv. III. chap. 17. $. 7.
not. ao. Liv. IV, ch. 4. §. p. not. 7». & lo.
LIVRE IV, CHAPITRE Vf. 46^
telles , tant en Efpagne que dans les Gaules Se en Allemagne On en peut
juger ainfi par le grand nombre de Loix (130), de Capitulaires , &
de Canons qui condamnent la Magie , les Magiciens , & ceux qui ont
recours à leur Art. Parmi les Loix des Vifigoths , il y en a une du Roi
Chindafvinthe (131) , dans laquelle les Magiciens, qui font defcendre
la grêle fur les vignes & fur les moiffons par leurs enchantemens ,
font condamnés au fouet. Le Légiflateur fuppofoit donc que la chofe
étoit poffible , & qu'elle arrivoit même quelquefois. Il ne faut pas
être furpris qu'il fût dans ce préjugé , qui étoit fort ancien au milieu
de fa Nation. Saint Agobârd , qui eft poftérieur d'environ deuxfiécles,
remarque que c'étoit une opinion généralement reçue dans fon Pays ,
qu'il y avoit des gens qui difpofoient à leur gré, de la grêle & du
tonnerre.
§. XXVI. Les fupcrflitions dont on a parlé jufqu'à préfent, étoîent
communes à tous les Peuples Celtes. Il y en avoit , après cela , qui
étoient particulières à certains Peuples. Voici , par exemple , ce que
Pofidonius difoit des Myliens , qui étoient un Peuple Thrace ou Géte ,
dont le Pays s'étendoit depuis le Danube jufqu'au Mont Hœmus (23 1).
» Il y a des Myfiens qui s'abftiennent , par Un motif de Religion , de
» tout ce qui a vie , & par conféquent de la viande de boucherie.
» Ils paffent leur vie dans une entière inaftion , & ne vivent que de lait,
M de miel , & de fromage. On leur donne , par cette raifon , le nom de
«Dévots, & (233) d'avaleurs de filmée. Il y a aufli des Thraces qui
» paffent leur vie dans le célibat. Ces gens, que l'on appelle (234) Ctijîes ,
«font vénérés comme des Saints, & jouiffent d'une entière immunité
w de toute charge publique. On les appelle auffi (235) Abii, parce qu'ils
» n'ont point de femmes , & qu'un homme qui paffe fa vie dans le veu-
» vage , c'eft-à-dire , dans le célibat , ne vit, pour ainli dire , qu'à demi «.
Strabon fe moque , avec raifon , de cette Etymologie , & regarde ,
en même tems , comme une fable , ce que Pofidonius rapportoit du cé-
(a}o) Ci-deflus , chap. III. §■ i. not. tt.-,
chap. IV. J. I». net. 23«. 139-2.^1. chap. V.
$. 14. not. i6t. chap. VI. §. 17. not. \6%.
jLr'. Vifig. lib. V. tit. II. I.eg. i. p. 3». Du
f lefne Gloflar. in toc. Ctra^m & Tcmpefltrii.
(.ji)Leg. Vi g. lib. V. tit. II. Leg. 3.
(a(, tz5.14deeciaml.eg. 4fic ;.
(z|z) Agobaid. ,libr. ohit* infulfam opinictum
«11/51 ie grandioc & toniiruii. Tom. I. p. 145,
B lus. ad Agob. p. «8.
(m Strabo, lib. VII. p. iy6.
(234) Sur le fens de ce mot, voyei. ci-dcflut
Liv. II. cap. I». p. ziit.
(zj $1 KtiVci/ , vijn. la note i40.
E e e z
404 HISTOIRE DES CELTES,
libat de quelques Thraces. Il fe fonde fur ces deux raifons (136). La
première , c'efl: qu'on ne voyoit rien de femblable , ni parmi les Thraces ,
ni parmi les Gétes qui, au lieu de fe paffer de femmes , regardoient com-
me un pauvre homme celui qui n'en avoit que quatre ou cinq. Cette
raifon ell bonne , fuppofé que Strabon fût mieux informé que Pofido-
nlus , Se qu'après d'exades recherches , il eût trouvé qu'il n'y avoit
point de Moines dans toute la Thrace.
Au refte , quoique les Thraces priffent ordinairement dix ou douze
femmes, il n'étoit pas impoffible qu'il n'y eût au milieu de la Nation ,
des Mifogames qui fiflent profeffion de la vie Monafiique. La polygamie
étoit permife parmi les Juifs ; ils ne lalffoient pas , cependant , d'avoir
des Moines , tout comme les Turcs en ont encore aujourd'hui.
L'aure raifon que Strabon (23 B) allègue pour détruire ce que Pofi-
donius avoit dit du célibat de quelques Thraces , c'eft que les Gétes
avoient beaucoup de Fêtes , de Sacrifices , & de Cérémonies , & que
les hommes étant ordinairement pouffes à ces fuperftitions par les
femmes , il n'eft pas poffible qu'un homme qui vit dans le célibat , foit
jamais dévot, ni fuperftitieux à l'excès. C'eft une induûion contre la-
quelle les Moines fe recrioient beaucoup , & qu'un efprit critique ne
fçauroit même paffer à Strabon.
Au refte , on eft fort tenté de croire que Poffdonius avoit raifon. On voit
déjà dans Euripide (139), que ceux qui fuivoient laDoûrine d'Orphée,
ne fe marioient point, & qu'ils s'abftenoient de tout ce qui avoit vie.
La Dodrine d'Orphée défigne ici les fuperffitions qui avoient paffé de»
Thraces aux Grecs.
Indépendamment de cette preuve, qui rie laifll pas d'avoir fa force, Jo-
fephe en fournit une autre , qui eft décifive en faveur de Pofidonius.
Après avoir parlé des Efféniens, qui .n'avoient ni femmes, ni domeûi-
ques, & qui vivoient enfemble en communauté, il ajoute (240) «que
«leur manière de vivre eft à peu près la même que ceux que l'on
«appelle Plijîes, obfervent parmi les Daces. »
{îiS)" K&iti , fine vin. On les appelloit dï
ce nom , comme Strabon l'a remarqué , parce
qu'ils étoiciit Nomades.
(i37) Strabo VII. ij5. 197.
(2|8j ibidem.
(îjji) Eurip. Hippolyt. v, ssi. 5c S. ei-def-
fcus J. 27. not. 255. 25<,
(2+o)Jofeph. Aniiquit. lib. XVIII. cap. i.
§. s- p. 7S+. Edit. Hudfon. Les autres Editi-
tions & les Manufctits portent lAtirwf j la
coiicAion de ■ïïtMraXt eft de Jofepli Scaliget.
LIVRE IV. CHAPITRE VI. 405
Il eft vifible que les Plips de Jofephe , & les Ctlfics de Strabon font
les mêmes , & que le nom eft mal écrit dans l'un ou dans l'autre de ces
Auteurs. C'étoient des Anachorètes qui , à l'exemple des Thérapeutes &
des Efféniens , fe retiroient du commerce du monde , pour vacquer à
ce qu'on appelloit alors la vie contemplative. Scaliger , qui conferve
les deux noms (141), prétend qu'ils étoient appelles par les Grecs ^ris-ai^
Condkores , ou voKiç-ai, Cives, parce qu'ils bâtiffoient des maifons , &
qu'ils faifoient leur demeure dans des Villes , ou dans des Villages ,
au lieu que les autres Thraces menoient une vie errante, & n'avoient
point d'autre demeure que leurs chariots. On eft fâché de ne pou-
voir acquiefcer à la conjefture de ce grand homme. Pofidonius & Jofephe
infmuent affez clairement , que c'étoit dans la Langue de leur Pays,{& non
pas en Grec , que ces Moines étoient appelles Ceijîes ou PUfles. Leur véri-
table nom étoit , fulvant les apparences, celui de Plijies, & l'on fou p-
çonne qu'on leur donnoit ce nom , parce qu'ils choififî^oient pour leur
retraite, les Sanâuaires du Dieu P/ei/?, ou /'/<;i/?er (242), dont Héro-
dote fait mention , comme d'une Divinité à laquelle les Thraces im-
moloient des vi£limes humaines.
On ne peut donc guères douter qu'il n'y eût effeâivement en Thrace
& dans les Pays voifins, des gens qui paflbient leur vie dans le céli-
bat , par un motif de Religion. Mais il faut avouer , en même tems , que
l'origine de cette fuperftirion ne doit pas être cherchée parmi les Peuples
Celtes. Particulière aux Thraces , elle étoit inconnue dans tout le refte
de la Celtique. Les Germains , au lieu d'approuver le célibat , le re-
gardoient comme im état puniftable , quand il étoit volontaire. Un hom-
me qui mouroit après la cinquantième année , fans avoir été marié (243),
perdoit le droit & la faculté de tefter ; & s'il avoit difpofé de fes biens
par un teftament , on n'y avoit aucun égard. Sts biens de patrimoine
retournoient aux parens, & fes biens acquis étoient dévolus au fifc.
Cette Loi s'étendoit même aux veufs & aux veuves , qui étant encore
en âge d'avoir des enfans, laiffoient pafler un certain terme fans fe re-;
marier.
(24.1) Jof. Sciliger Elench. Trihzref. p. 454.
Sa conjedlure eft approuvée par Colomies ,
Ml. ni Jhom. Brunttiù Dijfert, de TherMftMii ,
, pag isi. Se par Hudfon »». ttd Uinm Jc/eflti
f»fr. fit.
(242; Voyti.\c paflage d'Hérodote ci-deflus ,
IbiT. III. chap. K. j. I. not. 4:.
(243 C'eft ce qu'on appelle t Jui HuftfttU
zjaius. Vvjei, SChottclius , cap. i, Geiikc ,
cap. I.
4t6 histoire des CELTES,
Le Clergé Chrétien crut avoir de bonnes rai(ons pour faire abolir cette
Loi , ou , au moins, pour s'en faire excepter, dans les lieux où l'on ju-<
gea à propos de la conferver ; de forte qu'il ne faut pas être furpris
qu'elle ne fubfifte plus aujourd'hui , que dans un petit nombre d'endroits ,
comme dans le Pays de. Bruns-wisk (244) , & dans quelques Contrées
du Palatinat.
Il ne paroît pas aufîl qu'il y eût parmi les anciens Gaulois , des gens
qui fiflent profeffion de célibat. Pomponius Mêla parle, à la vérité (245),
d'un Sanûuaire que l'on voyoit dans l'île de Sayne , & dont les (246) Prê-
treffes , qui étoient au nombre de neuf, fe confacroient à Dieu , par le
vœu d'une virginité perpétuelle. Mais Strabon , dont le témoignage
eft d'un tout autre poids , afliire (247) qu'elles étoient mariées , & qu'elles
étoient obligées d'aller trouver leurs maris dans le continent oppofé, par-
ce que l'entrée de l'Ifle & du Sanduaire étoit interdite aux hommes.
Il eft vrai encore que Spartien , parlant de Pefcennius Niger dit (248)
qu'étant dans les Gaules, il fut chargé par les fuifrages unanimes des
Peuples , de préfider à un facrifice , pour lequel on choififfoit ordinai-
rement les perfonnes les plus chaftes. Mais , outre que les Romains op-
pofoient la chafteté à l'adultère & à l'impureté , & non pas au mariage ,
il faut avouer, d'ailleurs , que du tems de Pefcennius, les Gaules étoient
déjà remplies de fuperftitions étrangères.
Au relie , il eft confiant, comme on a eu occafion de le montrer , que
les Druides étoient mariés , & que leurs femmes partageoient avec eux
les fondions du Sacerdoce. Autant qu'on peut fe le rappeller, la Diane
Taurique étoit la feule qui eût pour PrêtrefTe , une vierge ( 249).
§. XXVII. A l'égard de l'abftinence de certaines viandes, il faut-
convenir qu'on en trouve quelques traces parmi les Peuples Celtes. Par
exemple , Jules-Céfar affure ( 250 ) que c'étoit un crime parmi les Habi'
tans de la Grande-Bretagne, de manger des lièvres , des poules & des
oies. Les Scythes qu'Hérodote a connus (251), s'abftenoient aufli
delà chair de pourceau, pour laquelle les (252) Gallo-Grecs avoient
(144) Schottelius , p. lo.
(145) Ci-d. chap. IV. §. 9. not. 7»
(Z4<) C.-d. Liv. III. chap. t. $. t». not. iio.
tii. I 11.
(i47) I' idem.
' (Z4.S) Sputian. Fefcen. p. «s S»
(249) Ci'd. Liv. III. ch. 8.$. 9. not. tî.
(250) CœCir V. li.
(151) Herodot. IV. «3.
(252) laufan. Achaii, pag. i«}, t^î^
Xylandii,
-LIVRE IV. CHAPITRE VI. 407
aviffide l'averfion. Strabon , qui fe moquoit (153) de ce que Pofidonius
avoit dit du grand cas que les Myfiens failoient de la vie monaftique,
avoue qu'il y avoit des Thraces &c des Myfiens, qui ne mangeoient d'au-
cun animal. Le Géographe Scymnus de Chics , parlant des mêmes Peu-
ples (154) , affure qu'ils pouflbient la piété jufqu'à fe faire un fcrupule
de tuer des animaux. Cette fuperftition trouva auffi des partifans en
Crèce (1^5), où on la regardoit comme une partie de la Doârine
(2 5 6) d'Orphée. On fait enfin , qu'il y avoit en Perfe , un Ordre de Mages
(257) qtii ne vivoient que de pain, de fromage , & de légumes.
Au refte, il feroit bien difficile de trouver dans la Religion des Peuples
Scythes & Celtes quelque dogme qui favorifât direûement ou indirec-
tement lesdifférens fcrupules dont on vient de faire mention. Adorant des
Dieux qui prenoient plaifir au fang & au carnage , qui vouloient être
appaifés & confultés par des facrifices de toute efpèce , & qui don-
noient tout au plus fort , comment pouvoient .- ils fe perfuader que
l'homme fe rendoit agréable aux Dieux, en s'abftenant de tuer les ani-
maux Se de manaer de leur chair?
On ne doute donc point que ce ne fuflent ici des dévotions étrangères.
Ceux qui chercheront bien , trouveront qu'elles venoient originaire-
ment d'Egypte. Comme on prétend que Zamolxis & Dicénéus y avoient
étudié , il ne feroit pas impoffible qu'ils n'euflent apporté ces dévo.
lions fuperftitieufes de là dans leur Pays, Il eft confiant, d'ailleurs, que
les Egyptiens avoient fait des établiffemens fur les côtes de la Mer noire,
& jufques dans la Mingrelie. Mais , comment ces mêmes fuperftitions
avoient-elles pu paffer , au moins en partie , jufques dans la Grande-
Bretagne ? C'eft ce qu'on ne fçauroit deviner.
Dans le fond, il ne faut pas toujours conclure qu'une coutume ex-
traordinaire , & fi l'on veut , extravagante , qui eft commune à deux
Nations , ait paffé de l'une à l'autre. Les établifl"emens raifonnables font
ordinairement communs à plufieurs Peuples, parce que les hommes ayant
tous la raifon en partage , il leur arrive fouvent de la confulter &c de la
(153) Cid. $. i«. not. 23}.
^154) Scymn. Chius , p. jyS.
(255, Euripide j Cretenfi us p. 47*) in-
tioduic le CbŒur , dif-inc à Minot , F«3k(
fiim mjft* Jiivii U»i, icc.
(2S«) Le niém • Poëte introduit Thefe'e ,
difant a fou fîU GlorUre timhc , & Eju iimnimMt*
rnm cihii t»nptiiare kc. Euiipid. Hyppolit. v. s» 52.
:2S7 ; Hyeronim. con ra Joviniaiium lib. II.
Diogen. Lacit. Piooem. ;. 6. Edit. Cafaub.
4o8 H r S T O I P». E DES CELTES,
fuivre. Mais, comme les hommes font aiiffi fort f.îjets à faire divorce avec
la raifon, & à s'en écarter en mille manières différentes, il n*efl pas im-
pofllble que ceux-là même qui donnent dans des viûons , ne fe rencon-
trent quelquefois.
On pourroit finir ici ce Traité de Religion des Peuples Celtes , fi l'on
n'avoir promis de donner une hiftoire abrégée de leurs plus célèbre*
Philofophes, & de faire quelques remarques fur la manière dont ces
Peuples reçurent le Chrillianifme. On va donc traiter ces matières le
plus fuccinûement qu'il fera poflible dans lei deux Chapitres fuivans.
CHAPITRE VII.
Hidoirf du §. I. X^ K T R E les Philofophes Scythes ou Celtes , qui ont tranfmis
orf hée. leurs iioms à la poilérité , Orphée efl , fans contredit , l'un des plus an-
ciens. Son ancienneté ne permet pas qu'on fe flatre de pouvoir en dire
quelque chofe de vrai & de fur. Les Grecs (i) reçurent les lettres beau-
coup plus tard qu'on ne le croit communément. Leur premier Hif-
torien fut Phérécide de Scyros, dont onjreporte la naiffançe à la XLV%
Olympiade. En fuppofant qu'il commença à écrire vers l'âge de 36 ou
37 ans, il y aura, de4à , jufqu'au tems d'Orphée (i), 650 ans au
moins.
Tout ce que Phérécide & les Hifloriens qui font venus après lui ,
ont écrit d'Orphée , étàîit donc fondé fur une tradition orale dont
l'origine remontoit à plus de fix fiécles , il ne faut point être fupris
que l'on trouve dans l'hiftoire de ce Philofophe , non -feulement beau-
coup d'obfcurité & d'incertitude , mais encore beaucoup de fables ri-
dicules & de contradidions palpables. C'eft le propre de ces fortes de
traditions , de s'ahérer &c de fe corrompre de plus en plus , à mefure
qu'elles s'éloignent de leur fource. C'eft un mal prefqu'inévitable , à
çaufe de la foibleffe de la mémoire ; elle efl rarement affez fidèle pour
(il Ci-deflus , Liv. II. ch. lo. p. 190. &
fuiv. ch. II. p. 199- & fuiv.
(1) Selon ce te fuppofition , Fkeie'cide étant
né la I. année de la XLV. Olympiade , qui eft
fan 411.V <i' lapciiode Julieiiae , il aiuoit
écrit l'an 41 s o de la même période 3 au lieo
qu'Orphée fleuriffoit Tan de la P. J. 3500,
une génération avant le Cége de Tioye , dont
kpiiie tombe fur l'aa 4c (a P. J. 35)0.
rapportei;
LIVRE IV. CHAPITRE VII. 409
Tâpporter des faits accompagnés de plufieurs circonftances , fans ajouter
ou fans omettre quelque chofe.
D'ailleurs , il ne faut pas douter que'Ies Poëîes , qui recueilloient ces
traditions pour en faire le fujet des cantiques dont on parle ( 3 ) , ne
chargeaflent le portrait des hommes illuftres , dont ils faifoient l'éloge.
Cela plaifoit au Peuple qui aime le grand & le merveilleux , dût-on of-
fènfer la vérité , & heurter de front toutes les vraifemblances.
Malgré tout, on ne fçauroit en conclure , comme l'ont fait quel-
ques-uns ( 4 ) , qu'Orphée n'a jamais exifté. Il eft certain que les
Grecs avoient reçu des Thraces un grand nombre de myftères , de dé-
votions Se de cérémonies religieufes , dont on rapportoit conftamment
î'inftitution à Orphée. On ne peut donc guères douter que les Thraces
n'euffent eu un Philofophe de ce nom , & que la grande réputation qu'il
s'étoit acquife au milieu de fa Nation , n'ait fait paffer inlenfiblement fon
nom & fa doftrine dans les Pays voilins. Au travers de cette prodigieufe
multitude de fables que l'on a débitées au fujet d'Orphée , ne pourroit-
on pas découvrir quelque chofe de vrai , ou , tout au moins , de pro-
bable ?
§. II. Orphée étoit Thrace d'origine. Les Poètes & les Hiftoriens (5) orphée ftoït
en conviennent prefque tous ; mais ils ne font pas d'accord fur le lieu de ginc.
fa naiflance , ni fur le Peuple dont il étoit" ifTu. Les Odryfes ( 6 ) , les Si-
thoniens ( 7 ) , les Cicons ( ^ ) , les Bifahes ( 9 ) fe glorifioient tous de
l'avoir pour Compatriote , & difputoient entre eux fur la patrie d'Or-
phée , comme les Grecs fur celle d'Homère, Cette différence de fenti-
(}) C-delfus , Lit. II. ch. lo. p. 1I3.
Se fuiv.
(4; Cicer de Nat. Peoi. lib. I. p. jC^I. S\ii-
4*i in Oiphco.
(s) Voy. la not. »7. Diod. fie. HI. p, 139. IV.
j«2. Clem. Alex. Sttom. lib. I. cap. 1 5. p. 3 54.
Quelques-uns ont dit qu'Orphc'e ctoit Macc'do»
Bien , parce que les R.ois de Macédoine con-
quirent dans la fuite la Thrace qui devine
Y»ne des Provinces du Royaume de Philippe
& de feî fucccfleurs. Suidas , qui rapporte fans
aucun choix Se fans aucun examen , tout ce
qu'on avoir écrit d'Orphie , cite un Auteur
)|ui le faifoit naittç en Aicadie. Vojtz. ci-
llelTous , net. 17.
'Tpme //,
(6) Vojtz. la note précédente & ci-deffus ,
§. i.not. 4 M>xim. Tyr. Diff. XXI. p, iji.
Les Odryfes demeutoient le long de l'Ebre.
Plin. Hift. Nat. IV. 11. Ils fe rendirent in-
fcnliblement maîtres de toute la Tbrace. Leut
Pjys s'etendoit du tems de Thucydide , depuis
le Bofi'hote de ThraCe jurqi4"au Str'mon , pour
la longueur, 8c depuis Abdere jufqu'au Da-
nube, pour la largeur. Thucyd. lii>. II. cap. 95.
pag. 141. Bocbait. Geoi. Saci. lib. III. dp. z.
pag- »73.
(7)Plln. Hift. Kt. lib. IV. cap. 11. Solin,
cap. 10. p. îo. Edit. Salreaf
(s) Ci-d.not. 15. 17. Diod. Sic. V. 137,
(?) Ci-deflbus, not. 17.
Fff
îjio HÏSTOIRE DES CELTES,
mens n'eft d'aucune importance , & l'on verra bientôt ce qui peut y;
avoir donné occafion.
Mais ceux qui font naître Orphée dans la ville de Lebahra ( lo), ou
dans le bourg de PimpUa ( 1 1 ) , n'ont guères réfléchi avant que d'a-
dopter cette opinion. Les Thraces étoient Nomades du tems de ce Phi-
lofophe , & il fe pafTa plufieurs fiécles avant qu'ils euffent une de-
meure fixe , avant que l'on vit chez eux ni ville , ni village. Ainfi il efl
plus raifonnable de dire que les noms de Lebahra & de Pimplea
défignent une montagne ( ii ), ou une fontaine, auprès de laquelle ce
grand homme avoit vu le jour.
Au refle , il n'efl pas impoiTible que les divers Peuples que l'on a
dénommés , courant continuellement d'un Pays à l'autre , euffent oc-
cupé fuccefîivement la Contrée où Orphée prit naifTance : c'eft peut-
ctre la raifon pour laquelle ils le faifoient tous naître dans leur Pays.
Le tems oii Orphée fleuriflbit , efl déterminé afTez clairement par les
Hiftoriens & par les Poètes. Il étoit Dilciple du même Linus (13), q"i
enfeigna la mufique à Hercule. Il aflifta à l'expédition des Argonau-
tes (14). Il vivoit , par conléquent, une ou deux générations avant le
fiége de Troye.
Quelques Auteurs prétendent , néanmoins , qu'Orphée efl antérieur
de onze générations ( 1 5 ) , à cette époque fameufe dans l'Hiftoire. Ils
auroient raifon , s'il étoit vrai que la doârine d'Orphée eût été portée en
Grèce par le moyen d'Eumolpus ( 16 ) , du tems qu'Erechtée ré-
gnoit à Athènes , c'eft-à dire , plus de 200 ans avant le fiége de Troye ;
mais toute l'hifloire Grecque qui remonte au-delà de ce célèbre fiége ,
paroît fi fabuleufe (17), qu'on ne croît pas devoir s'y arrêter. On
(;o) Tzeta. ad Lycoph. p. 49. Suidas in
Oiph.
(11. Fragment. Sttjbon. lib. VII. p. 350.
Vo^ex. la note fuivan:e.
(12) Apollon Argon. lib. I. p. 3. Schol
ApoU. .id h. 1. Maxime de Tyr fai, naître
Orphée fut le Moût Pange'e. Vojte. ci-deffus ,
not. 6-
(i3;Ci-d. not. 17. Diod. Sic III. p. 140.
EufeS. Iriparat. Ev. lib. x c:p. z p. 495.
& clem Alex, ex Tatiani orat. .ld Graecos
Stiomat. lib. I. p. 397- Eufcbe ilit ailleurs
^n'Oxphée fleutilloit du ceins de Gedeon l'«n
'47 d'Abi.iham , c'eft-à-dire 87 .ins avant la
prife de Troye , qu'il rapporte à l'an >34. d'A-
brahim Eufeb. Chronic. Grsc. pag. 123. Att
refte , / pollodore f.i:t Linus frère d'Orphée.
ApoUod lib. 1. p. «. lib. II. p. 83.
(14) Ap lion. Argon, lib. I. p. î- Diod.
Sic. lib IV. p.iCz.
(15) Schol. ad Apolton. Argon, p. 3. Eu£
ta h. ad Iliad II. v. s^tf. p. js?-
(i«j Ci-deflbus , §. 4. not. s 5-60.
( 17 Comme Suidas avoit ramaflë , fans
aucun choix , tout ce que les Anciens avoient
rappoicé d'Orphée , il ne faut point «tiç fut-
LIVRE IV. CHAPITRE VII. 411
Verra, d'ailleurs, tout- à -l'heure, que d'autres Hiftoriens font cet Eu-
molpus ou Mufée fon fils , Contemporains d'Hercule.
Pour revenir à Orphée , on peut dire qu'il étoit fils d'CEagre , Thrace
(18), & de la Mufe Calliope , c'eft-à-dire , que la tradition avoit
bien confervé le nom de fon père , mais non pas celui de fa mère. Tou-
tes les fois que les Anciens ne connoiffoient pas le père ou la mère
des grands hommes dont ils faifoient l'éloge , ils ne manquoient jamais d'y
fubflituer un Dieu , un Génie, un Héros, une Déeffe , une Nymphe ,
ime Mufe. Les exemples s'en préfentent en foule dans l'hiftoire Grecque.
On n'oferoit affurer que le nom d'Orphée fût le nom propre de nor
tre Philofophe. Comme les Grecs donnèrent le nom d'£w/72o//«i (19) ,
c'efl:-à-dire , de bon Muficien , à divers Philofophes Thraces qui
avoient paffé dans leur Pays , parce qu'ils étoient charmés de la mélodie
des cantiques dans lefquels ces Philofophes propofoient leur doctrine,
il ne feroit pas impofîible que les Thraces euffent donné de même à
Orphée , un nom pris de l'inftrument dont il accompagnoit fes hymnes ,
& qu'ils appelloient , en leur langue (20) , Harf ou Horffi Cette éty-
mologie paroît , au moins , plus naturelle que celle de Voffius , qui
dérive le nom d'Orphée ( 21 ) du mot Phénicien ou Arabe Ariphy qui
Signifie un Sçavant.
On prétend que le defir d'étendre fes lumières , infpira à Orphée le
deffein de voir les Pays Etrangers, & qu'ils paffa, non - feulement en
Grèce , mais auffi en Egypte (zz) , où toutes les fciences étoient culti-
pt'S que ce qu'il dit de ce Philofophe , ne
foit qu'un cahos & un tiflTu de contradiilions.
On en rapportera quelques-unes qui font frjp-
pantes. Orphée étoiî Difciple de Linus , & vi-
voit onze générations avant le fiége de Troye.
Pour lever la difficulté , on fait vivre Orphée
neuf à onze générations : d'où il réfulteroit
qu'Orphée alloit à l'Ecole de Linus âgé de
2IS a 275 ans. D'un autre côté, Orphée eft
antérieur à la prife de Troye ; mais il n'a
précédé que de deux générations le Focte Ho-
mère , qui étoit du nombre des Grecs Ioniens
établis en Afie , oii ils ne paflercnt que l'an
de la r. J. 3<7i, t'eft-à-dire i + i ans aprîs la
prife de Troye Enfin la mort de Codrus, dcr-
«iet Roi des Athéniens , eft poftérieurede plus
i'un Ctclc à la prife de T/oyc , & Offbée ïIt
voit fous les Juges des Juifs après l'abolition
du Royaume des Athéniens.
fis) Apollon. Argon, lib. I. p. }. D'autres
difenr , cependant, qu'il croit fils de la Mufe
Polymnia. Vojti. ci-d. not. 1 5.
(19; Ci-d. §. 4. not. s s- & fuiv.
( 20 ) L'i»fttament fur lequel les Bardes
l'ouoient leurs airs, étoit une haipç. Fortunat.
lib. vit. Carm. 8. Voyci. auffi le Clo(r-.ire de
Duchefne au mot Harpt, Les Germains l'appel-
loient Harf. Le Bas-Breton dit Harp. Les Thra-
ces difoicnt Hirf, de la même manière qu'ils
prononçoient Tn>(eB, au lieu deTi'^c», Xr»W /-
ni au lieu de Tre>^matitur,
{it] De Foetis cap, xiii. $. 3.
(ti) Diod. Sic. I. p. 4+. 60. IV, iSti
Fff»
i
'411 HISTOIRE DES CELTES,
vées de fon tems. En cela , il s'écarta de la coutume des Philofophrt
Celtes , qui ne fortoient point de leur Pays , & qui déteftoient toutes
idées étrangères en matière de Religion , aufli bien qu'en matière de
Philofophie.
II paroît donc affez difficile de nier ce que l'on dit des voyages
d'Orphée , d'autant plus qu'on remarque dans fa doârine , diffé-
rentes fuperftitions qui font manifeftement Egyptiennes. Mais , comme
les Egyptiens avoient des établiffemens dans le Royaume de Colchos ,
oîi les Argonautes abordèrent , & que les vaiffeaux Egyptiens paffoient
& repaffoient fouvent fur les côtes du Pays où ce Philofophe enfeignoit ,
ne peut-il pas avoir connu la Religion de ce Peuple , fans être obligé de
fortir de fa patrie, ou, au moins, fans s'éloigner du Pont - Euxin ? On
ne voit pas trop fur quel fondement , les Grecs ont fait entreprendre à
^notre Philofophe un long voyage , contre l'ufage de fon Pays.
Quoi qu'il en foit , Orphée étant de retour dans fa patrie , s'érigea en
Dofteur de fa Nation , & fiit en même-temps , Philofophe , Poète ,
Muficien, Prêtre ( 23 ), Devin & Magicien. Les Druides réuniffoient,
effeftivement , dans leur perfonne , toutes ces différentes qualités ; ainfi
rien n'empêche qu'on ne les accorde toutes à Orphée. Sa manière
d'enfeigner reffembloit affez à celle des Philofophes Celtes. Il donnoit
fes leçons à fes Compatriotes ( 14 ) fur de hautes montagnes & dans des
forêts oîi les anciens habitans de la Thrace & de toute l'Europe avoient
coutume d'établir leurs fanftuaires. D'ailleurs , il propofoit fa doârine
dans des vers qu'il chantoit à fes Auditeurs, & qu'il accompagnoit de fa
harpe (15) , félon l'ufage de ce tems-là. C'eil: l'origine de l'hyperbole ou
de la fable qu'on a débitée à fon fujet. Il fe faifoit , dit-on (16) , écouter &
fuivre , non-feulement par les bêtes féroces , mais encore par les arbres
& par les pierres.
otphêe n'» Orphée n'a rien écrit. -L'art de donner de la confiffance aux penfées,
lien écrit , , . . , . . , _,
pui^uc les etoit entièrement mconnu de Ion tems , foit parmi les Thraces , foit
tokn"point daus toute l'Europe. Il ne faut pas en conclure , comme le faifoit An-
connu» de — ^— _____^^^_^______^_^^^____________„
fou tems. ^^jj jjjijj jç facrifice que les Argonautes : t. 30. Servius ad h, 1. pag. 31. Pompon. Mel«
offrirent i Rhe'a , Orphée eft repréfenté comme 1 ILb, II. cap. 1. p. 42.
le facrificateur qui prefidoit à la folcmnite'. j (15) C'eft ponr cela qu'on lui attribuoit l'in-
ApoUon. Argon. I. p. 118. Il eft appelle dans | yention de !a guittare. Plin. VII. s t.
Tirgile Pritrt Thrtue. iEneid. lib. VI. v. «45 •
(14) Solin. cap. i $ . p. 1 1 s. Virgil. Eslog. YI.
(zs) Maxim. Tyr. Diff. XXI. p. »ji. HorM^
e«im. lib. I, Od. 1 2,
LIVRE IV. CHAPITRE VII. 41Î
•Irotion (17), cité parElien, qu'Orphée n'étoit pas Philofophe ; mais il
en réfulte , au moins , que les différens ouvrages qui couroient autre-
fois fous fon nom , étoient tous fuppofés. Le refpeft que les Grecs con-
fervèrent pendant plufieurs fiécles , pour la mémoire de ce grand hom-
me , & l'avidité avec laquelle ils recevoient tout ce qu'on leur don-
noit comme une dotlrine d'Orphée, porta un grand nombre de Philofo-
phes & de Poètes , qui vouloient prévenir le Public en faveur de leurs
opinions, & donner cours à leur» ouvrages, à les publier fous le nom
d'Orphée. De ce nombre furent Onomacritus Athénien, Ion le Tra-
gique, Théognete le Theflalien , Cercorps le Pythagorien, Timocles
de Syracufe , Pergine de Milet & plufieurs autres dont on peut voir les
noms dans Suidas (28).
Tout ce qui nous refte de ces pièces fuppofées , fous le nom d'Or-
phée, font les Argonautiques (19) , quelques Hymnes & un Traité de la
vertu de certaines pierres précieufes. On peut y ajouter encore les
fragmens des prétendues Hymnes d'Orphée , que l'on trouve par-ci
par-là dans les Anciens, & qui ont été recueillis, avec beaucoup de
foin , par Henry Etienne (30). Ces morceaux font plus que fuffifans
pour prouver qu'on n'a aucun fujet de regretter les Livres d'où on les
avoit tirés.
Quand tous ces ouvrages exifteroient aujourd'hui , il ne feudroit
pas y chercher la dodrine d'Orphée. Les Auteurs qui s'étoient cachés fous
fon nom , y expofoient leurs propres fentimens , & non pas ceux de
notre Philofophe. On y trouvoit les dogmes de Pythagore , les principes
des Stoïciens & même ceux des Juifs Sc des Chrétiens (31), parce
que , dans tous ces différens Partis , on avoit travaillé fous le nom d'Or-
phée. Auffi les hymnes qu'on lui attribuoit, contenoient-ils, à peu-près,
toute la Mythologie des Grecs, de forte que Diogene Laërce, fuppofant
qu'ils étoient effectivement de lui , avoit raifon d'en conclure (3 1) « qu«
» cet homme ne méritoit pas d'être mis au rang des Philofophes , parce
«qu'il avoit attribué aux Dieux les foibleffes &C les vices de l'homme. »
(i7) S.\\3M. Vir. Hift. lib. tiii. c»p. «.
(2») Suidas in Orpheo. Veyet. c\-d. not. I J.
(19) On j'eft fetT de l'Edition d'Efchcn-
ttach. Orfhei ArgoniHiic» , Hymni , & de Ufiiili.ii,
iurtnit Anir. Chrift, Efthinitchie, TriJ'Slt Ȉ Rhc-
fium iStf,
()o) Poe lis Philofophica, veUaltemreliquiac
Poëfis Empcaoclis, P.itmenidis, Xenoptianis ,
Cleantis, T monis, Epichaiini j adjun^a fant
Orphci Carmina. is7i-
(■j-) Suidas in Otpheo.
(1 1) Diog. Laeit. Procm. g, u
414 HISTOIRE DES CELTES;
Le feul moyen d'entrevoir les véritables fentimens d'Orphée , c'eft
donc de confulter l'ancienne tradition , & de découvrir , s'il eft pof-
fible , quels étoient les dogmes & les cultes qui avoient paffé de Thraee
en Grèce , fous le nom de Doclrine d'Orphée. Voyons donc fi , en fui-
vant cette voie , on ne pourroit pas dire quelque chofe , fmon de cer-
tain , au moins de très-probable des opinions de notre Philofophe.
Q"'''j "°" §• IlL Paufanias , après avoir rejette les fables que l'on débitoit fur
a'oi(iiéc! Il le fuiet d'Orphée, ajoute (t,x) «qu'il eftime que cet homme avoit fur-
ivoit cnf.ig. ', , ', , , ^ ^^^ ^ , r. •• ■ ., • ' 'J'
né icsMyiiè wpafie par la bonté de fes vers, tous les Poètes qui 1 avoient précède ,
chus ° qit » & qu'il s'étoit acquis une grande autorité pour avoir inventé , comme
rKtct'rf'u.'r »ori le croyoit , les Myftères divins , les moyens d'expier les crimes,
«u"ic^routes ** ^^ guérir les maladies & d'appaifer les Dieux.» Mais , pour parler plus
choies. exaâement , Paufanias auroit dû dire , non pas qu'Orphée inventa les
Myftères divins , mais qu'il communiqua aux Grecs les Myftères des
Thraee''.
En effet, les Grecs & les Thraces n'avoient pas vécu jufqu'alors fans
Religion ; mais notre Philofophe & fes Difciples portèrent en Grèce la
doârine & les cérémonies de leur Nation , & ces Myftères furent re--
çus favorablement par les Grecs , parce qu'on leur attribuoit une vertu
toute extraordinaire. Le grand nombre des perfonnes qui s'y faifoient
initier, fut caufe que les Grecs s'accoutumèrent infenfiblement à dé-
signer le fervice des Dieux , & fur-tout les dévotions outrées qui dégé-
néroient en fuperftitions , fous le nom de èfstn-xivnvj (34) comme qui dirolt
imiter les Thraces.
Il eft certain que les Grecs donnoient le nom des Myftères à des cé-
rémonies fecrettes qui avoient pour but de rappeller à ceux qui y partici-
poient , certaines vérités dont on ne donnoit une parfaite connoiflance
qu'aux initiés. Les Myftères dont il s'agit ici , font ceux de Bacchus ,
qu'Orphée avoit apportés en Grèce, & qu'il avoit célébrés, pour la pre-
mière fois , fur une montagne de la Béotie (35). De-là vient qu'on les
appelloit indifféremment les Myftères de Bacchus (36) , ou d'Orphée.
On a vu dans le Chapitre précédent (3 7), que le Bacchus des Thraces
(îl) Paufan. Boet. XXX. p. 7«8,
(54) rlutarcli. Alex. Totn, I. p. «5s. Suida»
T*M. II. p. zoj.
Çîj; ?^ft»nt. Divin. Inftif. ÎJb. I. cap, «2.
p. m. 89.
(jâ^ F«y«z,lesnotes 3 3. !4.45.
(37) Ci-defTus, Liv. III. ch. i 5. $. i. 1. î- &
çh- 6. §. 6. S. Veyn aufll , outic les pieuycs cir
LIVRE IV. CHAPITRE VII. 415
& des Phrygiens étoit le Dieu Suprême , le Créateur du monde & de
l'homme , que ces Peuples appelloient Tis , Cotis , Atis & Saiailus,
C'eft le culte de ce Dieu que l'on recommandoit aux initiés dans les
Myftères dont il eft queftion , & non pas celui du fils de Jupiter & de Se-
melé. Orphée (38) afïuroit que celui-ci avoit été déchiré par les
Géants. Cette conjcfture peut acquérir quelque certitude , fi l'on confi-
dère que les Myftères de Bacchus , dont on rapportoit l'inftitution à
Orphée, avoient pour but, autant qu'il eft poflîble d'en juger, de rap-
peller aux initiés l'idée d'un Dieu , Créateur de toutes chofes.
Outre que les Hiftoriens &C les Poètes s'accordent à repréfenter Or- orph'e avok
phée comme un Philofophe (39) , qui avoit chanté la naiflance de l'U- là r?";t.oûdi»
nivers, & qui avoit enfeigné la doctrine de la création (40) , on entre- """'^•*
voit que les Myftères mêmes de Bacchus propoloient ie dogme de la
création fous l'emblème de cet œuf célèbre dont les Poètes ont tant parlé,
& qui contenoit le germe de toutes chofes. «L'œuf, difoit Pluiar-
>»que (41), eft confacré aux faintes cérémonies de Bacchus, comme
»» Uiie repréfentation de l'Auteur de la Nature qui produit & comprend
«en foi toutes chofes.» Un paffage d'Athénagore (41^ laifte entrevoir la
même chofe.
Il femble que l'on peut conclure aflcz naturellement, que les Grecs
appelloient Myftères d'Orphée , ou de Bacchus la fête qui portoit en
Thrace le nom de Cotyttia (43), de Bindidia. C'ctoit une folemnité
dans laquelle on célébroit la mémoire du mariage de Cotis & de Biji'
dis , qui étoierrt les deux principes , à l'unioîi defquels les anciens Habi-
tans de l'Europe rapportoient l'origine de toutes chofes. Mais il faut
avouer, après cela, qu'il s'étoit mêlé dans les Myftères de Bacchus, tels
qti'on les célébroit en Grèce , des idées & des cérémonies qui ve-
noient manifeftement d'Egypte. On y enfeignoit, que de l'œuf dont on
\iu dans ces endroits, Soerates Hift. Ecclcf. I ScaRg. p. 34' Laclant. Div. Inftit. lib. I. cap. ;.
lib. III. cap. z 3. p. 23 I . Se Saun^aife in excrcit.
f lia ad Sol n p. j'.
|3t) Servius ad Viigil. Gcorjr. lib. I. V. 167
initio JamUic Vita Pythagori Sert. i+S.
{a ) Plumch. Symp. lib. II. qusA. 3. p. 4»,
de l'Edition d'Amyut.
p. 77. Ci d. Liv. III. ch. 1 5. §. 1.2. Vsyti. aulfi i (42) Athcnagor. ap, Henric. Sttpli. in Carnt,
le» partage? c tes par Henri Etienne in Carmini-
I Or^hn psg. g».
^î9, Ap >Ilon. Argon. lib. I. v. 49<. p. 50.
(40) Eufcb. Ctiionic. Grxc. in Thef. Tenp.
Orph. p. (7. Voyti, auflî Oiodoïc de Sicile lib.I,
(43 Ci dcffiis , Liv. III. ch. 6. $. (. net. j^,
$. 1 1. not. 49. 50. 6c cb. 15.$!.
4i6 HISTOIRE DES CELTES;
vient de parler, étoit fort! même (44) le Dieu premier né. Ce n'était pas-là
l'idée des Peuples Scythes §£ Celtes. On défendoit aux initiés de manger
des œufs (45). Quand ils mouroient, il fajloit qu'on les enfevelît (46) dans
de la toile &C non dans la laine, c'eftrà-dire, qu'on ne vouloit pas que ni
leurs habits , ni leurs alimens fuffent tirés de rien de tout ce qui avoit vie.
Hérodote remarque , avec raifon , que ces fuperflitions étoient Egyptiennes
(47); elles avoient paffé d'Egypte en Thrace , & de-là en Grèce, foit
quelles y euffent été portées par Orphée lui-même , foit qu'elles y euffent
pénétré par le moyen de quelqu'un des Difciples de ce Philofophe.
Orphée» en- §. IV. On ne peut pas douter qu'Orphée n'enfeignât auffi le dogme
iWiortaUié de l'immortalité de Tame. La fable de fa defcente aux enfers le fuppofe né-
^^ '■""«• eeflairement. Il fe pourroit même que ce Philofophe eût ufé dans cette
©ccafion , de l'artifice qu'on attribuoit à Zamolxis (48) , c'eft-à-dire ,
qu'après s'être fouftrait pendant quelque tems au commerce des vi-
▼ans , il eût enfuite publié qu'il étoit defcendu aux enfers , pour en rame-
ner fa femme ; que le defpote du féjour ténébreux ]a lui avoit efFefti-
vement accordée , &c que s'il l'avoit perdue une féconde fois , c'étoit
uniquement parce qu'un manque de foi lui avoit fait vipler la condition
qui lui avoit été impofée , la défenfe de regarder en arrière jufques
à ce qu'il fîit de retour dans fa maifon ( 49 ),
Servius eft d'un avis différent. Il repréfente Orphée comme un fanatique
qui , ayant entrepris de tirer fa femme de l'enfer par des enchantemens
(50), échoua dans fon entreprife, Mais il feroit difficile de compren-
dre que ce Philofophe eût pu acquérir une û grande réputation , tant
parmi les Thraces , que parmi les Grecs, & perfuader aux uns & aux
autres qu'il y avoit une autre vie après celle-ci, fi , après avoir tenté
d'évoquer l'ame d'un mort , il s'étoit vu réduit à convenir lui même , ou
que fon art. étoit infuffifant , ou qu'il n'avoit pas réuffi dans fon
entreprife. Il étoit affurément trop habile pour faire une femblable faute.
Outre ce que la fable publioit de la defcente d'Orphée aux enfer? , il
(44) Ci-ë. npt. 41.
(45] Flutarch. Sympof. lit). II. Quxft. 3-
(4«) Hctodot. II. »i. Jamblich. Vil. Pythag.
Seft. X49 p. 126.
(47) Viiyei. la note préce'dente. Eufebe dit
auJTî qu'Orphee communiqua aux Grecs les
^jril^ic; dç$ Sgjrptiens. £ufet)< frspaiat. £v,
lib. I. cap. «. p. 17. it. Les Egyptiens foute-
naientla mêmechofe. Diod.Sk.Iib. I. p. 13. 14.
(48) Htiodot. IV. »S. ci-dcflbus, $.1».
mat. 1 i 3 .
(49) ApoUodsT. lib. I. p. &.
({p} tMtiusad Mnsid. YX. v. 1 1;. p. 411.
LIVRE IV. C HAP I T;RE VIL ^i^
y a une autre preuve qui établit d'une manière, claire & précife ^
que le dogme d'une autre vie étoit un des points efîentiels de fa doc-»
trine. Les célèbres Myftères d'Eleufis avoient été apportés à Athènes
par un Difciple d'Orphée (51), nommé Eumolpus (52) , &le but de ces
Myi'tcres étoit d'inculquer aux initiés le dogme des peines & des réeom-»
penfes d'une autre rvie.. Ifocrate l'affure foraieilement. .<« Ceux , dit-fl,"
» qui participent (5 3) â ces Myfleres ', fojit-nemplis des plus douces efpé-'
«rances , tant pour la mort , que pourtoute l'éternité.»
Il efl vrai que quelques Auteurs prétendent qu'Eumolpus étoit plus
ancien qu'Orphée de près de deux cens ans. Le {i)remier vivoit , felori
ces Auteurs, (54), du tems d'Erechtée-, fixiémé Roi 'd'Athènes , aU lieii
que le fécond étoit contemporain de -Ttiéfée ,'qUf'fUt le'dixiétnè Roi
4e la même V-jUen
I4i|)ix«â U
h «iîi ,noîp,,iilij:
.. Mais c^tte "difficulté né doit point arrêter. Ôutrë^iVorT rier trouvé
qu'obfcurité &c confiiilon dans 1» Chïonolôgie'GrecqUe, par rappôit
à tout ce, qiii rçmonte au-delà ichifiéga de Troyé , <>U feulement au*
4ielà des Olynvpiades ; otrtre que l'on peut avoir confondu, plufieurs "p,e?-
foiinés qui ont porté le nom ( 55 ) tl'|luniolpaiSi un Roi de Thraceavec
lin.ï'hilofopbe du même nom, Euripide; fait d'EiiinoIpus ( 56 )'iirrconJ'
temporain de Théfée , d'où il réfulte qu'il a pu être Difciple d'Orphéci.
Ce fait efl: encore confirmé par le témoignage d'Eufebe & de SuidaS.
Eufebe dit (57) «qu'Orphée eut pour Difciple Muféç f, fils aEur
»molpus , que quelques-uns difent èttc fils d'Orphée m^' Suidas dit
( 58 ) «que les ^Eumolpides , quiétôîent une fâmin.e .d'Athènes ,
»> avoient reçu leur nom du ï'hracé Eumolpus, ou, feloa d'autres-, -de
*> Mufée , que l'on appelloit Eumolpide , parce qu'il étoit fils d'Eu-
» molpus. » Un peu plus bas il rapporte un autre, fentia>ept (jp) , fçlon
r.ar.i Lit. i!.li.Vj>i.'i.
.-.ti ->r-'t.vH'l
* ■
M. rj
■S
(5 1) Voyn. \e» not&iff. 5'».«o.
(jzj'PIutarch. de Exul. Tom. II. (>ag «07.
Luciln. Demonaft. p. ai. Suida» 1» Eumdfii!.
(jl) iracrac. Panegyr, p. 114. Vcyet. en d'au-
trcs pieuves dans la favante Diflerration Je
Warburton que je n'ai vue qu'après avoir A:rït
ceci. C'éft la cinquième de celles que M. Sil-
louectc a traduites fous ce titre : Dijjirmioitsfrr
tHnicn ie U Rtli^ion/ie U Uorult & de U Poli.-i-
< IM , tirées d'un 0:tvr»^t de M. WM^nrun, A 'LOBr
Tome II,
;-;D
■ fy4yApMlo^Jot.' nkhl.'t'h. i'vf. 4. Dïma.
ratus ap. S;oba:um'Sefm. i J7.pag. 552- îchol.
Euripid. id r!iOeni(r. -v. 8 !9.
(j j) Hcfychius in Eumolpid.
($«) ïutipid. Phœniir V. 85'».'*' '^"' ■•'■'f'*'
(s?) Eafeb. Chion. taTWf.ift^ni'f. fc^lgelî
pag. 34. i2î'. ■■•■■'
(58) Ci-d. not. 5î-
(js) Suidas in'Eumofpo.
Ggg
4tS. HISTOIRE D E S C E L T E s;
^equçl « Eiimolpus , Eleufinien, ou Athénien, étoit fils du Poète Mu-
»>jréç,'&,. comme d'autres le difoient, Difciple d'Orphée. »
^ On trouve encore dans Diodore de Sicile un paffage qui revient à ce
fujet.. Il porte ( 6o ) « qu'Hercule » ayant achevé dix de fes travaux ,
wEuryilhée lui ordonna de defcendre aux Enfers , & d'en tirer le chien
»Cerb^rf. Hercule, après avoir reçu cet ordre, paffa à Athènes, 6c
fBjfit yntier ,^vii; My:ftères:d'Eleufis^ auxquels Mufée , fils d'Orphée,
préfidoit alors, parce qu'il jugea que cela lui feroit utile pour exécuter
>» Ton entreprife. »,Ce Mufée eu l'Hiérophante (6i) des Myftères d'Eleufis.
Ç'eft à lui qu'étoit adreffée cette, hymne célèbre lur l'unité de Dieu , qui
çourpit foivs Iç nom d'Orphée , & dont Juftin martyr, & Clément d'A-
lexandrie (62); nous ont confervé d'afiez longs fragmens.
Si Mufée étoit fils d'Orphée , il faudra en conclure que les noms
d'Orphée & d'Eumolpus nie défignent qu'une feule & même per-
fonne; & cette conjecture ne paroîtra peut-être pasdeftltuée de vraifem-*
blance , fi l'on veut fe fouvenir j d'un côté ( 63 ) , que les Grecs rapport
rrrr
" '(fo^biod. SicJib. IV. p. i«i. ^ /" .".,
OO'iSipH'cyitj HeBriciStephSwi Poëf. Philofoph.
'J. T^^S.Qrphçi Hymn. edciite Elchenbach. p. 241.
W ar&urton croit que cette Hym e efl celle qu'on
«bantoic pendant la célébration des Myllères
4'Eleu(js. il ^jiant à CHjmne^ i\t-i\ ^ fur l'unité
» Ae Dieu y (hantée par l* Hiérophante qui paroijjoit
>y fous ta figure du Créateur , je crois la trouver dans
■»«//< d'Orphée dont Eufehe é" Clément d' Alexan-^
ï) drie y nous ont confervé un Fragment. Elle cpm-
»> mcnfoit ainjï : Je vais de'clàrer un fecret aux
» prophmes. O toi, Mufée, defcendu de la
n brillante Se'lene, fois attentif à mes accens :
» je t'annoncerai des vérités importantes. Ne
• fouffre pas que des préjugés , ni des affeftio'ns
» antérieures t'enlèvent le bonheui que tu fou-
it taitede puifer dans laconnoilfancedcs vérités
» myftérieufes. Confidère la Nature divine,
» contemple-la fans ceiTe, régie ton efprit &
» ton cœur, & marchant dans une voye fûre,
* admire le Maître unique de l'Univers, Il eft
P un , il exifte par lui même : c'eft î lui feul
• que tous les êtres doivent leur e.<iiftence; il
.» opère en tout & partout; invifible aux yeux
9 des mortels , il voit lui même toutes chofes.
t> PUJieurs raifons fortevi à croire que e'eft là l'Hym-
m ni mtmt f M l'tn thtmtit dam It dtvttfpftntim Ak
iffecrei des grandi myfttres ; car l'on affrffdduSehc*
n liajîe, d'AriJîofliAne qu'il y avait des^Hymnes au»
» lion chantait en.eejte 'occt^un.~'Ge^ fut Qt^Hte'^ài
n apporta d'Egypte en Thraee'i ta célébration det-Myf»
n teres ; & il efl certain que tes différentes Hymnes
)i dont on le fait jiuteitr , font plus anciennes , an
,> moins ^ que Platon & qu'Hérodote,' . ..» DiiTcr-
tat.V. p. 197. i»8. Cette conjefture de^arbur-
to" paroîr fort heureufe ; mais il s'égare , quand
il veut prouver enfuite que les Hymnes , attri-
bués a Orphée, étoicnt effeftivement de ce Phi-
lofophe. On les attribuoit à Cercops , ci.deffl
$. I. aot. 4- ou à Onoraacrite, §• z. not. 3.31
Brontinus & à plufieurs autres , ci-deflus §. 2,
not. 1%. On ne ptétend ici fe prévaloir de
l'Hymne dont il s'agit, que pour montrer que
l'impofteur qui s'eft caché fous le nom d'Or-
phée , a fuivi dans cette Hymne , l'ancienne
tradition qai poitoit que les Myflères d'Éleufi»
tvoient été inftitués pat Orphée, & par Mufée
fon fils & fon difciple.
iti") U Hiérophante enfeignoit les chofes fa»
' crées & les myftères à ceux qu'on initioit , Se
I c'eft delà qu'il prenoit fon nom. Pour ccla.e«>;
I cote on le nommoit Prophète,
1 (<3}Ci.d. ^. i.noc 31.
LIVRE IV. CHAPITRE VU. 419
îoient à Orphée l'iriftitutlon de tous leurs Myftères ; de l'autre , que le
nom d'Eumolpus étoit, félon toutes les apparences, un nom appellatif ,
^ue les Grecs donnèrent à Orphée , & à plufieurs de fes Difciples *
parce qu'ils avoient excellé dans la Poëfie & dans la Mufique. Aulîi ,
dans un autre endroit, Diodore de Sicile (64) attribue-t-il clairement
à Orphée l'inftitution des Myftères , tant de Bacchus que de Cérès , ajou-
tant que les Prêtres Egyptiens foutenoient que les premiers étoient une
imitation des Myftères d'Ofiris, & que les féconds avoient été formés
à l'inftar des Myftères d'Ifis.
§. V. C'étoit encore une tradition reçue en Grèce , qu'Orphée y avoit
apporté la doftrine (65) des Génies, le dogme (66^ de la conflagration de
l'Univers , avec différentes fortes de divinations (67) & d'enchanremens
(68). Il pouvoit enfeigner tout cela fans s'écarter des opinions reçues au
milieu des Peuples Scythes & Celtes. 11 n'en eft pas de même de plufieurs
autres fuperftitions dont on a déjà parlé. Orphée ne jugeoit pas favo-
rablement du mariage , & regardolt , au moins , le célibat comme un état
plus convenable à un homme qui faifoit profeflion de philofophie ôc
de piété. Il vouloit que fes Difciples s'abftinflent des chofes animées , &
il pouflbit le fcrupule ( 69 ) fur cet article, jufqu'à leur défendre de por-
ter des habits de laine , & de manger des œufs. Il faut donc en revenir
à ce qu'on en a déjà dit. La doârine d'Orphée , qui fit tant de bruit ea
Grèce , étoit un mélange d'idées &C de fuperftitions Thraces &c Egyp-
tiennes.
Au refte, les fuperftitions étrangères qu'Orphée avoit introduites
dans fon Pays , furent également funeftes à fa perfonne & à fa réputation.
Parce qu'il recommandoit le célibat, & qu'il s'étoit fait une loi de n'ad-
mettre à fes inftruôions que des hommes , interdifant aux femmes jufqu'à
rentrée des Sanûuaires , où il enfeignoit , on Paccufa d'avoir appris à
fes compatriotes (70) les plus abominables proftitutions, & de lev.r en
avoir même donné l'exemple (71). Auflî les femmes qui l'accufoient
de débaucher leurs maris (*) jurèrent de le perdre , & après l'avoir tenté
(£4) Diod. Sic. lib. I p.<o.
(tf^s) Plutaich.<lc Oiac. def. Tout. II. p.4is.
(6<) Ibid.
(«7) Ci-d. ch. 6. §. 7. not. «|.
(«1) Ci-d. Liv. in. ch. 17. J. 7.110t. 20.
[tf') Ci-d. J. }. not. 4*' «hap. VI. J. 25. »;,
Plutarch. ConTiv. Sept. Sapient. cap. is.p. 5IJ,
de l'Edit. d'Amjrot.
(70) Diog. Laert. Prooem. p. s.
(7t) Phanocles Lesbius ap. Stob. Serra. It'i^
pag. «u. «14. Oïid. Meram. lib. X, T.'l^, -' '
(*) îaufan. Boeot. p. 76S. • -■' ii:-^ ■ t
410. HISTOIRE DES CELTES,
mutilçment plusieurs fois , elles y réuflîrent à la fin. Un jour (71) que
beaucoup de'Thraces & de Macédoniens s'étoient raffemblc's au tour de
kii pour la célébration des My.ftéres , ils y furent fuivis par leurs femmes ,
qui , s'étant faifîes des armes que les maris avoient laifl'ces à la porte du
Sanduaire où la fête fe célébroit , y entrèrent tranfportées de fureur,
tuèrent tout ce qui .leur rcfiiloit, & affouvirent leur rage fur le malheu-
reux Orphée , dont le corps fut coupé par morceaux & jette dans la Mer,
D'autres difent, cependant, qu'il fut tué par la foudre (73 ), & fon
épitaphe le portoit ainfi.
L'on croit devoii- omettre plufieurs fables que les Poètes ont dé-
bitées ( 74 ) fur la manière dont fa mort fut vengée , & fon innocence
reconnue, pour ajouter feulement que les Thraces enfevqlirent Orphée
à la manière du Pays. Dans les obféques des grands Seigneurs , ils
avoient coutume, félon Hérodote (75), d'expofer le corps mort, d'im-
moler des viftimes de toute efpèce , ôc de célébrer un feftin funéraire;
pendant trois jours entiers. Enfuite le corps étoit brûlé ou enterré. Dans
l*un & dans l'autre de ces cas,OTi élevoit fur le cadavre , ou fur l'urnq
dans laquelle les cendres étoient renfermées, une mont-joye , au tour
de laquelle on célébroit toute forte de combats, & principalement des
duels.
i Ces honneurs que l'on rendit à Orphée , & les fêtes (76) que l'oa
célébroit au tour de fon tombeau-, ont fait juger à quelques Anciens
qu'il avoit été mis au nombre des Dieux (77). C'eft une erreur dont?
on a indiqué la fource ( 78 ). Hérodote la réfute aufli en remarquant ,
dans le paffage qui vient d'être cité , que les Thraces rendoient ces hon-
neurs funèbres à tous leurs grands Seigneurs. Au refte , fi les Thrace*
(7)) Conon ap FJiottum lib. 45. n. i i£,
-'(73) Diogen. Laert. Proorin. pag. s.Boeot.
(74) On a dit, par exemple, que fa tête ■&
fa lyre , après avoir e'te' jettées dans l'Ebre, con-
tinuèrent l'une de clianter Se l'autre de jouer,
jufqu'à ce quVne violente pefte obligea les
gens du Pays de chercher 4e tous côtes les Re-
liques d'Orphe'e , pour les porter dans le tom-
beau qu'on lui av.oif prépare', ci-defl". not. 72.
Lacian. ie Sait, p.^14. adv. IndoAos.ji. I6f.
Tirgil. Çeorg. IV. y. 455. On a.dit encore que
lorr4|irf|tj|les tuèrent Orphe'e , & q«e , depuis ce
téms-là , il fut e'tabli que les hommes s'enyvre-
:roient avant que d'aller à la bataille. Faufan.
,Bœoc. pag. 768. Enfin on a dit que les Thraceï
punirent leurs femmes en les ftigmatifant de
la manière rapportée ci-d.Liv. II. cb. 7. not 17.
Plutatch. de Sera. Num. Vind. Tom II. p. 557--
Phanodes Lesbiu.s ap. Stobœum.'Sctm. itj-
pag. 634. Ilefycbius in 7tAj/r«'At/ic>9i.
(75; Herodot. V. 8.
(76) Ci-d. nof- «s.
(77; Tertullianus de anima cap. I.
les femmes des Thiaçcs ctoient piifes de vin , ^7 *) Ci-d, JUv. lil. cjj, 14. J. i},
L I V R E IV. C H A P I T R E VII. 411
«e mirent pas Orphée au nombre des Dieux, les fêtes qu'ils célébroient
au tour de fon tombeau , étoient au moins une bonne preuve du refpeû
& de la vénération qu'ils conferverent pendant long-tems pour la mé-
moire de ce grand homme.
§. VI. Anacharfis eft un autre Philofophe Scythe , dont les Grecs ont nidoire Ju
fait un très-grand cas. Ils ont porté leur admiration jufqu'à le mettre au AnlchTàl
nombre de leurs Sages (79) ; jufqu'à le propofér comme une preuve (b'o)
que la fageffe n'étoit pas inacceffible aux Peuples mêmes qui paflbient
pour les plus ftupides & les plus barbares. On peut en dire quelque chofe
de plus certain que d'Orphée , parce qu'il vivoit dans un tems dont il nous
refte des monumens. Les Scythes dont il eft iffu, font appelles (81) No-
mades, parce qu'ils n'avoient point de demeure fixe, & Gaîadophages
(81) , parce qu'ils ne fe nourrifloient guères que de lait & de fromage."
C'étoit , pour le remarquer en paflant , les Gétes mêmes (83 ) que
Darius , fils d'Hyftafpe , vint attaquer en Europe 51^ ans avant J. G.
& ils étoient alors maîtres de tout le Pays qui s'étend depuis le Danube
jufqu'au Borifthène , ou jufqu'au Tanaïs.
-'La naiflance d'Anachariis étoit des plus illuftres , puifqu'il étoit
de la famille Royale des Gétes, puifque fon frère Cadvida ( 84 ) , foh
neveu Saulius , & fon petit-neveu Indathyrfus régnèrent fucceffive-
ment fur cette Nation. Le dernier de ces Princes étoit fur le trône (85) du
tems de l'invafion de Darius , & lui réfifta vigoureufement. Le père de
notre Philofophe s'appelloit Gnurus (86). Il avoit eu ce fils d'une femme
Crecque qui prit un grand foin de fon éducation. Elle n'oublia pas fur-
( 7» ) Strabo VII. 301. Herodot. IV. 4«.
'Biogcn. Laert. Vtomm. pag. 9. Cletn. Alex.
Stioiii. lib. I. cap ij. p. 3 5 9.
(ioJEpicbatmus vcl Menandeiap. Stoboeum
Sétm. îi8. p. 717.
(«i) Scymnus Chius p, jy8. flutarch. Sept.
Sapicnt. Conviycap. 14.
(>i) Nicol. Dama c. ap. Stobocnra Scim.
3 S. p. IIS 8c ari. Valefium p. j 1 1.
(»3) Stcabo VII. 305. Jornand. cap. 10.
pag. 6i4
(»+, On a cru devoir ranger de cette ma-
nière la généalogie d' Anacharfis. Diogrne
laërce dit ci-deflbus not. 86. ) qu'Anicharfls
^coit £ls de Cnuius $c fuie de Calvida S^o\
des Scythes. Hérodote dit ( ci-d. §. 11. not.
161. qu'AnacharHs étoic oncle rurfat , du
Roi Indathytfe , & que Saulius , père d'Inda-
thyrfc , étoit neveu ot/î^ç.ift'oi du Philofophe.
Indathyife etoit donc le petit - neveu d'Ana-
charlls. Lucien dit ( ci-delT. not. 95. ) qu'A-
nachariis étoit fils de Daucetus. Mais Hérodote
méiite plus de foi , parce qu'il rapporte ce
qu'il avoit oui dire à Timnes .tuteur de Spar-
gapithes. Roi des Scythes. Ci-deflus , §. 11.
not. i«i. Je crois qu'il faut lire dans Hérodote
:,Kti\!^Si,friitiT y Voy. ci-d.not. i«3. Nat.del'Ed.
f 85) Herodot. IV. t»i-li;.
(8$] Diogen. Laëit. S. I02, p. I<4. Ff^'i^
ci-dcilbus , §■ II. not. i<i.
>*«■
41Z HISTOIRE DES celtes;
tout de lui apprendre la Langue de fon Pays , de forte qu'il parloit (87)
le Scythe & le Grec avec la même facilité.
Ne pourroit-on pas foupçonner , avec quelque fondement , que le nom
d'Anacharfis fut un fobriquet que les Scythes donnèrent à ce Philofophe ,
parce que (88) fa mère lui faifoit quelquefois couper les cheveux 6c
rafer la tête à la manière des Grecs ? Cela paroiffoit abfolument extraor-
dinaire aux Scythes : ils regardoient de longs cheveux comme une mar-
que de Noblefle.
Quoi qu'il en foit , Anacharfis témoigna dès fa plus tendre jeuneffe ,
une forte ^nvie de voir les Pays étrangers , & fur-tout la Grèce. Il ne
faut pas en être furpris. Sa mère n'.avoit pas manqué , fans doute , de l'en-
tretenir fouvent , foit de la différence qu'il y avoit entre les vaftes déferts
de la Scythie , & les campagnes fertiles de la Grèce , foit de l'avantage
qu'on trouvoit à vivre au milieu d'une Nation policée, qui cultivoit
avec fuccès les Sciences & les Arts, plutôt qu'avec des Barbares qui ,
n'ayant d'autre métier que celui des armes , ne s'occupoient , durant la
paix, que du foin de leurs troupeaux.
Ce qui montre l'habileté d'Anacharfis , c'eft qu'il fut prévoir &
prévenir , en homme d'efprit , les obftacles qui auroient pu l'empê-
cher de fuivre fon inclination. Les Scythes avoient ( 89 ) une grande
averfion pour les coutumes étrangères , & ne fouffroient pas que les
jeunes gens fortifient de leur Patrie pour voir des Pays d'où ils auroient
pu rapporter du penchant pour des nouveautés qui paflbient toujours
.pour dangereufes par cela même qu'elles venoient du dehors. Cepen-
dant Anacharfi? trouva le moyen d'obtenir l'agrément du Roi pour
fon voyage, ôç de fe faire donner une çfpèce de cornmiflîon (90) par
laquelle il étoit chargé de s'informer de tout ce qu'il y avoit de plus re-
marquable dans les différens Pays par lefquels il pafleroit.
(ij) Suidas Tofii. I. pag. 571. & in 2xv9ai
fom. III. p. 339.
" (88; On conjeflure e^n' An»charJ!s fignifioit,
fn Scythe , un homme qui n'a point de che-
ycux , comme Langurus , nom de plufieurs Prin-
ces Thr^ces & Illyricns , marque celui qui porte
|Je longs cheveux. Il eft vrai que Plutarqiie
irepre'fente Anacharfis avec une Ipngue cheve.
Jure, Plufàrch. Conviy. Sept. Sapient. jom. II.
pag. 14». Mais Anacharfis pouvoir avoir repris
(es cheveux. D'ailleurs , il n'eft pas impoffiblc
•l^e Pli^tarqup ait ctu 4evoii 4onnei à notre
philofophe un otnemept affefte' aux Princes
Scythes , fans examiner s'il portoit effeâive-
menf de longs cheveux. Au furplus , on ne
donne cette etymologie que comme une purç
conjefture. Voici une autre c'tymologie Qrcc-
que du nom d'Anacharfis. 'Avaxapooix 0' 2Kt/6««
»afa'_T)(if av« iif'ifaii, xai t»» x^f" ^ "/"«•'""
tb'v ;/apay, » TiJ» pi^afnr. Etymol. Magn.p. loi,
(851) IJerodot. IV. 76-80. JElian. Var. Hift,
T. 7.
(90) Heiodot. IV. 77. «i-deffsus , J. iij
not. 167,
LIVRE IV. CHAPITRE VII. 4x3
■ En conféquence de cet ordre, Anacharfis commença fes voyages^
non pas en jeune homme, pour voir du Pays , mais en Philofophe, dans
la feule vue de connoître les Loix (91), & la manière de vivre des au-
tres Peuples, & de profiter de ces connoiffances, tant pour fe conduire
lui-même à un plus haut degré de vertu & de pcrfe£}ion (92), que
pour fe mettre en état de fervir plus utilement fa Nation. Ces vues étoient
également dignes , & d'un homme de grande naiffance , & d'un Philo-
fophe. On voyage toujours avec fuccès, lorfqu'on fe conduit d'après de
tels principes.
La grande réputation que Solon s'étoit acquife parmi les Grecs , attira
d'abord Anacharfis à Athènes, où il arriva (93) la première année de la
XLVII=. Olympiade , c'eft-à-dire , 5 92 ans avant J. C. Auffi-tôt qu'il fut en-
tré dans la Ville , il fe fît montrer (94) la maifon de Solon , & chargea
undomeflique qu'il trouva à la porte, de dire à fon Maître qu'un Etranger
qui étoit venu à Athènes , pour être reçu au nombre de fes amis , & , s'il
€toit pofTible , pour loger chez lui , demandoit à le voir. Solon , furpris
de cette ingénuité d un inconnu, lui fît répondre qu'il convenolt mieux
de fe faire des amis dans fa Patrie. Un compliment en apparence fi défobli-
geant, ne rebuta point Anacharfis. Il entra hardiment dans l'appartement
où étoit Solon , & lui dit en Tabordant: «Puifque vous êtes dans votre
» Patrie , il vous convient donc de vous y faire des amis , & d'y rece-
♦» voir des Etrangers. » Solon , charmé d'une repartie iî prompte & fi
iufte, fît mille carefTes à Anacharfis , le reçut dans fa maifon, & le mit
bientôt au nombre de fes plus intimes amis.
C'efl ainfi que Plutarque &c Diogêne Laërce rapportent ce trait. Lu-
cien le raconte d'une manière un peu différente. Il prétend qu'Ana-
charfîs (95) ayant débarqué au Port de Pirée, rencontra d'abord un
Scythe, nommé Toxaris, qui pratiquoit la Médecine dans cette Ville,
& le conjura au nom de leurs Dieux communs de le recevoir dans fa mai-
fon , qu'enfuite Toxaris le recommanda comme un homme de naif-
fance à Solon qui en prit grand foin.
On pourroit peut-être accorder ces Auteurs, 'en fuppofant que Solon
(91 Ci-deflus, not. ti. ci-deflous , $. i. j
not. 13.
(92) Ci dclTous, §. II. not. Ko.
(»3) Diogcn. Lactt. S. 102, p. fij,
(04 Flataicb. Solone Tom. I. p. 80. Diog.
Laert. S. 101 ai. p. 65.
^9 5j Lucian. Scyth. p, 340-344,
I
414 HISTOIRE DES CELTES;
ne confentlt à recevoir Anacharfis dans fa maifon & à fa table, qu'a-
près que Toxaris l'eût inftruit de la naiflance & des bonnes qualités de
ce jeune homme. Mais , au refte , il faut avouer que Lucien lemble n'a-
voir cherché ni la vérité, ni la vraifemblance dans ce qu'il rapporte
d'Anacharfis. Il dit , par exemple , qu'Anacharfis ne parloit point Grec
lorfqu'il arriva à Athènes, & cependant il le fait d'abord entrer en con-
verfation avec Solon. Il dit encore que Splon étoit vieux & pauvre
lorfque Toxaris lui préfenta le Philofophe Scythe. Cependant Solon
n'avoit pas cinquante ans au commencent de la XLVII Olympiade ,
& c'étoit alors le tems de fa plus grande profpérité.
Quoi qu'il en foit, il eft conflant qu'Anacharfis obtint , ou par luit
même , ou par la recommandation d'un ami , tout ce qu'il avoit fou-
haité..Il entra dans la maifon de Solon, Se fut traité non pas comme un
difciple , mais comme un ami &c un compagnon d'étude. Le Maître con-
fultoit quelquefois l'Ecolier , & recevoit fes avis jufques dans les cljofes
les plus importantes. On en trouve un exemple dans ce qui eft rapporté
par Plutarque. « Anacharfis , dit cet Auteur (96) , ayant appris de Sor
»lon qu'il s'occupoit à dreffer un coips de Loix en faveur des Athé-
M niens, fe mocqua de fon entreprife, Se lui dit qu'il s'abufoit beaucoup,
» s'il croyoit pouvoir remédier aux injuftices Se aux cupidités qui en
»font la caufe, par des Loix écrites. Ce font, difoit-il , (ies toiles d'arai-
»gnée. Les petites mouches y font prifes : les groffes brifent la toile (^C/j^.
» Solon lui répondit: Comme les hommes qui ont fait qtielqu' accord , nom
»pas coutume de s'en écarter , lorfqu^ils ont tous le même intérêt à en remplir
■M fidèlement les conditions , f aurai foin de donner à mes Concitoyens des Loix
v>fi fages & fi utiles qu^ ils feront obligés de convenir quil ef de leur propre
ii intérêt de les obferver. Cependant , dit Plutarque , l'événement ré-
» pondit beaucoiqj plus au jugement d'Anacharfis qu'aux efpérances de
» Solon. ».
La réflexion d'Anacharfis étoit afllirément très-jufte. Les meilleures
JLoix ne remédient point à la corruption du cœur humain , ni aux defirs
déréglés qui font la fource de toutes les injuftices. Les peines que les Loix
décernent contre les injuftes, ne frappent guère que les petits & les pau»
(96) Plutâtch. Solon. Tom. I. p. «i. foy.i, j gène Laerct , lib I. feft. 5g. p. 57, 8c ï Zt-
(luffi Valer. Max. lib. VII. cap. 2. n. 14. I leucus, Legifiateui' des lA)exitiis , p»r Stobe'e,
(s7)Cen}ot eft «tmbuç à SoIp« par Dio-i ! Sçrm. if>. f.>^5|.
L I V R E I V. CHAPITRE VII. 425
vres. Un Philofophe qui rcndroit les hommes fagcs, juiles, vertueux,
acquerroit certainement plus de gloire , &c rcndroit au genre-humaiia
un fervice incomparablement plus grand que tous ceux des Légifla-
teurs. Ceux-ci ne font qu'oppofer des digues & des barrières aux déré-
glemens du cœur & à l'emportement des paffions. Mais il faut avouer ,
malgré toutes ces réflexions, que l'idée d'Anacharfis n'étoit dans le fonds
qu'un fanatifme philofophique , à peu-près femblable à celui que l'on
remarque dans la République de Platon. Comme il y a des hommes in-
juftes & fcélérats, que ni la Philofophie , ni la Religion ne corrigeront
)amai"s , il eft abfohimÇnt néceffaire qu'on tâche de les retenir dans le de-
voir, & d'aflurer les biens èc le repos des honnêtes gens par de bonnes
Loix. II eft vrai que les richefles & la puiflance font bien fouvent un rem-
part , à l'abri duquel on viole impunément les Loix les plus juftes & le»
plus févères. C'eft qu'il y a des inconvéniens attachés à tous les éta-
bliflemens humains. Mais , comme l'inconvénient feroit encore plus
grand, û l'on vouloit abolir toutes les Loix, il faut avouer que Solon
avoit raifon , & le Difciple en convint lui-même dans la fuite , puif-
qu'à l'imitation de fon Maître,il écrivoit auffi des Loix (98) , ou au moins,
des réflexions ( 99 ) fur les Loix des Scythes & des Grecs , & fur les
moyens de les faire fervir à perfeftionner la conduite de l'homme.
§. VII. Après avoir demeuré quelque tems à Athènes ( 100) , Ana-
charfis alla vifiter les principales^ Villes de la Grèce. On a des preu-
ves qu'il fut à Corinthe ( loi ), à Lacédémone (101) , & dans quel-
ques autres endroits. Il n'eft pas fans apparence qu'il ait fait la plu-
part de fes voyages en accompagnant Solon , qui , après avoir fait rece-
voir fes Loix aux Athéniens , en obtint la permiffion de s'abfenter de
fa patrie pour dix ans. Sous prétexte (103) d'aller nég'otier dans les Pays
étrangers , il cherchoit à fe délivrer d'une foule d'importuns , qui Ve-
noient, à tout moment, lui demander l'explication ou la réformation de
quelque Loi. Anacharfis revint enfuite à Athènes , & , foit qu'il fût
arrivé dans fon Pays quelque révolution qui l'empêchât d'y retour-
ner , foit qu'il ne put fe réfoudre à quitter fon Maître , foit enfin que
fsS) Ci-d. not. »8. 1 (toi) Ci - deffbus , not. iio.
(»9) Ci deflous , §. 10. Bot. 1 jj. 1 54, • I (102) Ci-deflbus , §. 1 1. not. i«J.
(loojCi.d. $. s.aot.si. ' {jojj fluurcii. Soloiie, cap. lï.
T"»//!*//, Hhh
4i6 HISTOIREDESCELTES,
le féjour d'Athènes lui plût , 11 y fixa fa demeure & n'en fortit (104)
qu'après la mort de Solon , que l'on place à la féconde année de la 55%
Olympiade (105). Il réfulte de là qu'Anacharfis ne retourna dans fa
patrie ( 106) que trente & quelques années après en être forti.
Pendant le féjour que notre Philofophe fit à Athènes., il y obtint
(107) les droits de Citoyen, & fut initié aux Myftères d'Eleufis. Il ne
faut pas douter que l'étroite amitié où il vécut toujours avec Solon ,
n'eût contribué , autant que fon propre mérite , à lui procurer ces dif-
tinâions que l'on accordolt rarement dans ce tems là à des étran-
gers , & , fur-tout , à des barbares. Ce n'eft pas ,• cependant , que l'on
prétende diminuer par-là les belles qualités d'Anarchafis. Il eft certaitt
qu'elles furent reconnues , non - feulement à Athènes , mais aufîi
dans toute la Grèce , où il étoit chéri, & généralement eftimé. Par-tout
on admiroit fa fagcfl'e , fa probité, fa modeftie, & fur-tout la brièveté,
la franchife & le fens exquis (108) de fes réponfes; de forte qu'il avoit
paflé en proverbe, c'ey? une Sentence Scythique , pour dire cejl un Dif'
cours franc , précis & plein de fens (109).
On racontoit, par exemple, qu'étant à table avec Solon & plufieurs
autres Sages , chez Périandcr , Tyran de la ville de Corinthe , on fit
entrer à la fin du repas une femme pour jouer de la flatte. Après qu'elle
fe fut retirée, Ardalus (110) demanda à Anacharfis ^ les Scythes
Avaient de ces Mujiciennes. Celui-ci répondit fans héfiter, /7o«i n avons
pas feulement des vignes, c'eft- à-dire, qu'il lui paroiffoit mal féant qu'on
appellât une femme pour divertir des hommes qui étoient à table , d'au-
tant plus que le divertiflement même qu'elle leur donna , convenoit moins ,
félon lui , à des fages , qu'à des hommes qui avoient bu. Ardalus
(1041 Cidcflus , §. 6, not. sj.
(10s Solon ctoit né dans le cours de la
XXXVc. Oliyinpiade , & ve'cut »o ans. On a
donc r ifon de placer fa mort â 1 1 LVe. Olym-
piade. Voyez, l'iutarch. Solon. in fine Diogcn.
Laert. Solonc in fine. Petav. Rat. Temp. p.104.
(io«) Anacharfis arriva à Athènes la pre-
mière anne'e de la XLVIIe. Olympiade , qui
tombe fut rans»2 avant J. C. Il fortit d'A-
thènes après la mon de Solon . arrivée la fé-
conde année de la LVe. Olympiade , qui
eft la s 5 se. avant Jefiis-Chrift. En s'en retour-
nant dans fa Fatiie , il f aOa à la Co4U <la Koi
Créfus , qui fut vaincu par Cyrus iJ première
année de la LVille. Olympiade. On ne fauro t
donc placer plus tard le ictour d'Anachâifis ca
Scythie.
(107) Ci-deffus , 5. «.not. 95-
(108) Diog. Laert. Sed. loi. p. «5.
(T09J Suidas donne un autre fens £c une autre
origine à ce proverbe, Voj, SuicJas in •voce ,
i oTo 2xu6mv fitii , & Ménage ad Diog. Laert.
Locum fuprsl citât.
(iioirl tarch. Conv. 5ept. Stpient T IL
pag. 148. Max. Tyr. Diff. VII. p. 90. Diog.
Lacit. ia AnachaïC Seâ. 104. p. «.
LIVRE IV. CHAPITRE VIL 427
ayant encore demandé à notre Philofophe fi les Scythes reconnoijfoient
uni Divinité, celui-ci lui fit la réponfe rapportée dans l'un des Cha-
pitres précédens (m). » Oui , dit-il, nous reconnoiffons des Dieux,
» & nous croyons même qu'ils entendent le lang?ge de l'homme. Nos
» idées font , à cet égard , toutes différentes des vôtres. Vous prétendez
w nous furpaffer du côté de l'éloquence , & , cependant , vous vous
♦> imaginez que les Dieux entendent avec moins de plaifir la voix de
«l'homme que le fon des inftrumens «.
Pour fentir le fel de ces réponfes, il faut remarquer qu'elles avoient
pour but de rabbatre finement la vanité d'Ardalus qui, étant un excel-
lent (i I z) joueur de flûte , & cette raifon ayant porté les habitans de
fon Pays à l'établir Prêtre des Mufes Ardaj-nnes , vouloit favoir s'il
y avoit en Scythie des gens de fa profcflion & de fon mérite. /^v££-
vous , dit- il , au Scythe , des Mufcins ? » Nous nous palVons aifé-»
«ment , répondit Anacharfis , de mufique, de vin, & de beaucoup
» d'autres chofes inutiles «. ReconnoiJJe^ vous , au moins , des Dieux ,
dit encore Ardalus ? » Sans doute , répliqua Anacharfis ; mais nous
«leur offrons d^s prières, & non pas des airs de Mifiruj«.
§. VIII. Il paroît par les différens apophtegmes d'Anacharfis , que les
Anciens nous ont confervés , qu'il rcfléchifloit mûrement fur tout ce
qu'il voyoit & entendoit. Quoi qu'il fût prévenu en faveur des Grecs ,
quoiqu'il reconnût qu'ils a voient de grands avantages fur les Peuples
barbares , il ne laiffoit pas de déiaprouver ouvertement plufieurs cho-
fes dans leurs coutumes & dans leur manière de vivre.
i*'. Les Ecoles (>-uuva(r/a) où les jeunes gens, & même les hommes
faits, alloient s'exercer à la lutte, à la courfe , & à d'autres jeux , n'é-
toient pas de fon goût, parce qu'il s'y pafloit des chofes qui lui paroiP-
foient contraires aux loix de la bienféance. Il s'exprimoit là-deflus d'une
manière fort ingénieufe. wlly a, difoit-il , (111) dans chaque ville
>» de la Grèce , un lieu marqué où les Habitans vont faire les fous en
«plein jour. Arrivés dans cet endroit , ils fe dépouillent tous nuds,
« & fe font frotter d'un onguent qui a la vertu de les rendre furieux,
M Auffitôt qu'on les a frottés , les uns fe mettent à courir , les au-
(1 II) Ci delTus, ch. 5.$ j. nnt. i i. | (1 1 3) Dio. Chrvfoll. Or. 3 1 p. a74.Di«g>
(iizj riataicii. Convir. Sept, SapUat. sbi 1 LKif- $cA> i*i- P- ■^<>-
Hhhi
428 H I S T O I Pv E D E S C E L T E S,
» très s'empoignent & fe terraffent. Vous en voyez qui allongent
» les bras , & qui frappent l'air : d'autres fe meurtriffent le corps à
» coups de gantelet. Quand ce manège a duré quelque tems , on les
» frotte de nouveau pour leur ôter l'onguent qu'ils avoient fur le
» corps , après quoi ils reviennent à eux-mêmes , & s'en retournent
» amicalement les uns avec les autres , ayant pourtant les yeux baif-
» fës contre terre , parce qu'ils font honteux de ce qu'ils viennent
» de faire (114) «.
A la réferve du gantelet , Anacharfis ne blclmoit aucun des exerci-
ces qui étoient en ufage parmi les Grecs. Mais il ne pouvoit fouffrir
qu'on fe dépouillât tout nud pour courir Sc pour lutter , & qu'on af-
feftât de le faire dans une place publique (115). Par la même raifon ,
il ne jugeoit pas favorablement des Jeux Olympiques & des autres fpec-
tacles de cet ordre , que l'on célébroit avec beaucoup d'appareil en
divers endroits de la Grèce. Outre que la plupart des conibattans y pa-
roiffoient nuds , il ne pouvoit d'ailleurs comprendre (116) que les
Grecs qui condamnoient les injures & les querelles , allaffent voir des
gens qui fe battoient , & qu'ils eufTent même des prix pour ceux des
Athlètes qui pourroient frapper & blefTer leurs camarades. Anacharfis
avoit en vue le jeu du Gantelet, oii les Jouteurs étoient fôuvent eftro-
piés pour toute leur vie , par les coups qu'ils fe portoient avec des
gands de plomb ou de cuir durci. D'ailleurs , il trcaivoit étrange que
les Athlètes, qui difputoient le prix de la courfe ou de la lutte , fufient
des gens du métier (117), & que les Juges (118) qui diftribuoient le
prix , n'en fuffent point.
(114) Cette fortie d'Anacharfis elt bien fin-
^uliere. U y .ivoit fans doute de la férocité à
bleircr ou même tuer fes fcmblables de gaieté
de cœur ; mais cette manie n'etoit pns eflen-
tiellemcBt inhérente aux exercices de la lutte
de la courte, &c. Ces exercices, réduits à
leurs juftes bornes , ne pouvoient qu'être très-
< propres a rendre les hommes agiles & vigou-
leux , à leur douncr des corps capables de fup-
potter toutes fortes de travaux. Or tout ce qui
■ peut contribuer à rendre le corps flexible ,
ne fauroit être confidéré comme une chofe
pcrnicieufe. Ncie de l'Editeur.
(i I s) Les mœurs étoient donc déjà bien
coirompues : car , quelles imprefiîons peut fair^
U nudité fur d;$ boouucs bieç le^k'j ^ fuj 4«|
hommes en qui une imagination dépravée n'a
pas avili les charmes de la Nature ? £t combie»
de r,:finemcns ne fuppofcnt pas ces bienféan-
ces, imaginées pour donner beaucoup de valeur
à des chofes qui ne font rien en elles-mêmes ?
Comment ces idées pouvo.ent-elles s'accordât
avec in férocité des Scythes ? Ncie de l'Bdiitur,
(ii«; Diogcn. Laert- Sert. roj. p. ««.
(H7) C'étoit , fans doute , un grand aba»
qu^il y eût des hommes exclus de ces exerci-
ces , & qu'on en fit un métier pour la faiis»
faûion du Public. Deftinés à rendre le copt6
plus robufte , ils dévoient convenir indiftinc^
tement à tous les hommes. Nutc dt l'Editeur,
(ti»)Dios«n. Laeit. Scft. 103. p. 64,.
LIVRE IV. C H A P I T R E VII. 419
i®: On conduifit Anacharfis dans une Affemblée du Peuple d'Athènes ,
«jui avoit été convoquée pour juger de quelques afFaires. Il dit en for-
tant de l'Affemblée (119), qu'/7 étoit furpris d'une conjluution en ver-
tu dî laquelle les fagis parloient , & les ignorans diddoient ( 120 ) ; c'eft-à-
dire , qu'il n'approuvoit point le gouvernement- Démocratique ; car il
eft très - naturel que dans un Pays où le Peuple eft en poffeffion de la
Souveraine autorité , les Sages foient chargés d'inllruire les ignorans , &
de les mettre au fait des matières fur lefquellcs ceux - ci doivent porter
leur décifion.
Anacharfis avoit dans fa tête tout le plan de la République de Platon.
Il auroit voulu que le monde ne fût gouverne que par les Sages. Mais
la difficulté confifteroit à les trouver & à les faire rcconnoître pour
tels par ceux qui doivent leur obéir. Il difoit, pour fe fervir de la verfion
d'Amyot (m), »que la République la mieux ordonnée eft celle oii
» toutes chofes étant égales entre les Habitans , la préfcance fe mefure
» à la vertu & le rebut au vice «. On ne peut contefter la beauté du
plan , mais il eft facile de comprendre que l'exécution en eft morale-
ment impoflible.
3^. Anacharfis blâmoit avec plus de raifon fur d'autres objets , la mc^
nière de vivre des Athéniens & des Grecs en général. Il fe tranfportoit
fouvent dans la place publique (122)011 l'on vendoit les denrées.
En voyant tout ce qui fe paflbit dans cette place , » vous condamnez
» le menfonge , difoit-il ( 123 ) , &: vous mentez ouvertement toutes
M les fois que vous avez quelque chofe à négocier. Vos Marchez font
.> des lieux établis pour tromper , & pour s'enrichir aux dépens des
» autres «, Ces réflexions pourroient convenir encore à notre fiécle.
(119) Pliitarch. Solone , Tom. I. p. 8i.
( 120 ) Cette furprife ne pouvoir prove-
nir que d'un zèle extrême pour le bien,
Btis d'un rèlc mal entend». « Un Peuple ,
w comme le dit très-bien Montefquicu , Efprit
» des Loi» , Liv. II. ch. 2. un Peuple qui a la
)> fouvcraine puiflance , doit faire pat lui-
» même tout ce qu'il peut bien faire s & ce
»■ qu'il ne peut pas bien faire , il faut qu'il le
s fiffe par fes Miniftres «. Tout ce qui de-
mini'.e de l'aftion eft dans ce dernier cas j
m is autrement , il eft admirable de voir le
r< jple r« decidci d'après les inftiuctioas d«t
Sages , 8e ceux-ci doivent aflTez. refpeclcr leurs
concitoyens pour ne pas ufurper le droit de
fouveraineté. Tout hcmmc aie droit d'éclaiiet
fes femblibles ; mais il ne lui appartient ptt
de régler leurs avions, ifiote de l'Eiiieur.
(i2r)Banquer des .<'ept Sages, pag. soj.
Conviv. Sept. Sapient. Tom. II. p. 157.
(122) Cette place e'toit encore à Athène»
une cfpcce de bourfe , où tous ceux qui
avoient à nc'gocier quelque affaire d'intcxct ,
alloient conclure leur marche'.
(i2i) Diog. Laert. Scfl. 104. cap. j.p. «,
Se fe^.
430 HISTOIRE DES CELTES,
Quoique la bonne foi foit, pour ainfi dire, l'ame du commerce, il s'y
commet des fraudes comme par-tout ailleurs.
4^. Les feftins des Grecs déplaifoient auffi , avec raifon , à notre
Philofophe. Accoutumé à uiie vie frugale (114), il ne pouvoit s'ac-
commoder de la proRifion qui y régnoit. Il lui paroiffoit encore plus
étrange , que des Peuples qui fe glorifioient de cultiver la raifon ., don,
naffent avec une efpèce de fureur dans des excès qui ôtent à l'homme
l'ufage de la raiion , & qui abrutiffent entièrement ceux qui y retom-
bent fouvent. Anacharfis faifoit , à ce fujet , mille réflexions pleines
d'efprit & de bon fens. » Au commencement du repas, difoit il (115)
« aux Grecs, vous buvez dans de petits gobelets ; quand vous avez bu
»au- delà même de ce que permet la raifon , vous en faites apporter
» de plus grands. La première coupe (1^6) que vous préfentez aux
»> convives, efl accordée au befoin , parce qu'elle contribue à i'cntre-
»tien de la fanté : la féconde eft un fuperflu qui n'eft que p::iur le
» plaifir : la troifiéme vous rend qu«relleux , & la dernière vous met
» en fureur «.
Anacharfis ne pouvoit foufFrir qu'on établît des prix en faveur de
ceux qui boiroient le plus dans un feftin. Un jour que Périandre avoit
(127) propoië un femblable prix à les convives , Anacharfis le deman-
da préférablement à tous les autres , fous prétexte qu'il s'étoit enivre le
premier. Con me on rioit de fa demande : »> Je ne vois pas, dit-il, qu'en
» invitant les convives à boire, vous puifliez vous propofer d'autre but
» que de les enivrer. Je l'ai atteint le premier; il eft jufte que le prix
H me foit adjugé de la même manière que le prix de la courfe appar-
» tient à celui qui touche le premier au but«. Cette réflexion étoit
affurément un fophifme ; mais elle relevoit d'une manière très-ingé-
nieufe , la brutalité de l'homme , qui eft capable de fe faire honneur
de boire ou de manger plus que les autres
Comme Anacharfis penfoit qu'une honnête converfation étoit le plus
bel ornement d'un repas , il n'approuvoit point auffi qu'on y intro-
(124) Ci-deffbu': , §. ii.not 174.
^Iis)Diog Laert. ubi fupri.
t : (li« Stobœus Scrm. 44. p. 1 s ?• *c Serm.
t>. p. 302 On- atrribuoit auflî à Anacharfis
i^avoif dit qu« l* viptt friixifvU trois grapfti ,
truxe f H< iiltSt Ut ftni, Ctutrt fui njvrt , & I*
Iroifîtme ijui flinge fume d»it U doultur. Diogen.
Laert. SeCt. 1 04. cap. j. p. «6. & feq. Stobee
attribue cette Sentence à Pythagote. Stobœus ,
Scrm. S8. p. $02.
I 127 ' Athen. lib. X. cap. 10. Flutarc h.
ConyiTi Sept. Sapient. T. II. p. !$<•
LIVRE IV. CHAPITRE VIL 431
duifît des Muficiens ou des bouiFons, ni qu'on préférât des 'récréations
qui étourdiflbient les convives , ou qui , tout au plus , ne faifolent que
les amufer , à d'autres qui pouvoient les inftruire utilement. On fit entrer
un jour des bouffons (118) dans un feftin où il avoit été invité ; mais il
garda tout fon férieux , pendant que les autres convives rioient à gorge
déployée des plaifanteries de ces baladins. Quelques momens après, on
produifit un finge dont les poftiires firent jetter des éclats de rire à Ana-
charfis. Comme on lui demandoit la raifon d'une conduite fi différente
de la première , il répondit « que le finge avoit été fiarmé par la nature
» pour divertir l'homme , au lieu qu'il étolt contre la nature que
» l'homme fe fit une étude & un art de divertir fes femblables par des
» poftiires de finge «.
5^*. Enfin les l'hilofophes mêmes qu'Anacharfis reconnoifl'oit pour fes
Maîtres , ne pouvoient pas fe glorifier d'avoir fon approbation à toute
forte d'égards. Il difoit que leur fagefi'e étoit verbeufe , ' &c qu'elle
confifioit plutôt dans de belles paroles qu'en de grandes aâions. Il
avoit afi'urément raifon. Comme c'étoit la coutume dans ce tems-là , de
propofer toutes fortes de queftions fubtiles aux hommes qui étoient en
réputation de fagefle , la grande étude des fages étoit de répondre à
ces demandes d'une manière jufte & ingénieufe. Anacharfis fut obli-
gé , comme les autres , de s'afiiijettir à cette Loi, & nous verrons tout
à l'heure qu'il fe tira aflez heureufement des queftions qu'on lui fit;
mais il ne pou voit fouffrir que iquelques bons mots, quelques reparties
promptes & heureufes fuffent capables d'acquérir à un homme le
nom & la réputation de Sage, i'elon lui , l'effentiel de la fageffe étoit
d'avoir l'efpiit jufte, de parler p<.u & avec fens , & fur -tout de bien
régler fa conduite. Ce que Maxime de Tyr (119) rapporte fur ce fujet,
mérite d'être lu. Anacharfis ayani trouvé dans un petit endroit de la
Grèce, un homme qui étoit en même tems bon père, bon mari, bon
maître & bon économe , déclara çjue c'étoit là le fage qu'il cherchoit.
» J'ai trouvé , difolt-il, dans cet hcmme-là très-peu de paroles, mais en
» même tems une riche abondance d'aftions «.
§. IX. Voici quelques -unts de;; queftions que l'on fit à Anacharfis , itntcnca
avec les réponfes qui lui acquirent le nom de Sage. On demandoit cora-
(lî») Athen. lib. XIV. cap. ».
(iijJMm. Tyr. Dif. XY. p. IJt,
d'Anachsclû»
41i HISTOIRE DES CELTES,
ment Sc par quels moyens un Roi pouvoit fe rendre véritablement
illuftre. Cejl, répondit-il Ç^iio) , lorfquU a ajjiidi modclî'u pour reconnoU
trc qu'il Ticjl pas U feul fagz de fon Royaume , c'efl-è- dire , lorfqu'au
lien de faire tout à fa tête, il eft capable d'écouter & de fuivre un
bon coife'l. La réponfe étoit afTurément très-jufte , mais elle étoit
auffi très-libre , s'il eft vrai , comme Plutarque l'afîui-e , qu'elle fut faite
à la table de Périandre , Roi de Corinthe.
On demandoit encore à. Anacharfis ce qui étoit le plus contraire à
l'homme. 11 répendit (131) » qu'ordinairement l'homme n'avoit point
»> de plus grand ennemi que lui-même «. A la queftion pourquoi
la plupart des hommes étoient toujours chagrins, il répliqua (132):
» C'eft qu'ils s'affligent, non-feulement de leurs propres maux, mais
M encore du bien & de la profpérité d'autrui «. Qu'y a-t-il de bon
& de mauvais dans l'homme , lui difoit quelqu'un ? C'ejl la langue (135),
dit Anacharfis. Un autre lui demandoit quel étoit le véritable moyen
d'éloigner les hommes de l'ivrognerie ? » C'eft, répondit-il (134), de
♦> leur faire regarder toutes les fottifcs que fait im homme ivre«. On
vint encore lui demander à quoi l'argent étoit bon aux Grecs ? Il ré-
pondit ( 135 ) j » l'argent eft bon pour le conter «. Il vouloit taxer par
là , dit Euftathius (136) , l'avarice d'un grand nombre de Grecs qui ne
tiroient point d'autre ufage de leur argeut que de le compter du matin
aufoir. Cet éclairciiTement fauve la riponfe d'Anacharfis : en effet,
l'argent eft bon à beaucoup de chofes, quand on fçàitle bien employer.
Parmi le grand nombre de quefticjns que l'on propofoit à Ana-
charfis , il s'en trouvoit quelquefois de ridicules , d'autres dont il ne con-
venoit pas de demander ia folution à un Phiiofophe. Un fuffifant vint
im jour lui demander » qui des deiix étoient en plus grand nombre
;»>(i37), les vivans ou les morts » ? Anacharfis , au lieu de répondre
.à une queftion fi frivole , demanda lui-même à cet homme : » Dans
j>quel nombre il mettoit ceux qui itoient en mer « ? Un autre qui fè
fr: — — r-T '
(ijo) Stobgcus Setm. 147. p- 4S!. On lit
«lans rlutarque j'i/ cfl It ftul fagc dé fmRoyaiime.
Conv.Scpt. Sapient. T. II. p. 151. Mais il cil
vifiblf que la particule négative manque dans
Je texte de Plutarque. N'y auroit-il pas de
^'extravagance deTe croire le fiulfk^e d'un Etat?
Ui^l Stobœus, Seim. 16. ;, st.
(«3 1 1 Stob, Scrm. i-|0, p. 40I.
(1 33) Di j. Laert. Serm. 104. p, «7,
(i 34] Stobœus , Serm. 44. p, 1 5 5. Serm, tt»
pag. 30Î. Diog. Lneit. Sed. 103. p. ««.
(i 3 s) Atlicn. lib. IV. cap, i j. p. i i*j
■(i3S)F.uftach. adlliad. XIV. p. psiS.
1137} Diog.Laett. Sçcl. I04, p. «7.
préparok
L I V R E IV. C H A P I T R E VIL 435
préparoit à faire un voyage , lui ayant demandé » fur quelle forte
» de Vaifleau on pouvoit s'embarquer plus fùrement ( 1 3 8 ) , « il
répondit , yî^r ceux que l'on a tiré à terre, c'eft-à-dire , qu'alors , com-
me aujourd'hui , les grands hommes difoient quelquefois des bagatelles.
Ce qui peut excufer ici- Anacharfis , c'eft qu'il vouloit infinuer par fa
réponfe , qu'une femblable queftion devoit être propofée à un Mar-
chand , ou à un Pilote , plutôt qu'à un Philofophe.
Voici encore quelques autres Sentences d'Anacharfis. Ils difoit(i39)
M qu'il valoit mieux n'avoir qu'un feul ami bien choili , que d'en avoir
» plufieurs à la douzaine (140) «. Un jour qu'il faifoit un voyage par
mer , il demanda au Pilote de quelle épaiffeur étoient les planches du
(138) Dioj. Laert. Secl. I04. p. «7.
(l39)Diog Laert. ScA. 105. p. 67.
(140 L'expérience de tous les jours ptouve
la ve'tité de cette Sentence. Nous lommes ha-
bitues à la répe'ter à chaque inftant . & qu'il
eft rare que quelques hommes (agcs re'glent
leur conduire d'après ce principe qui les ren-
droit moins malheureux dans le tourbillon du
monde ! t'homme , volage & capricieux ,
cherche à fe faire illufion à lui-même. Il mc-
Connoît dans la pratique Tes propres intérêts. Il
veut fe répandre au dehors , & ne fait ptcfquc
aucune attention i fa famille. C'cft-là où il pour-
loitefpérerde trouver des amis : c'cft-làoù dans
des Jours infortunés ou accablé de vieillcfle ,
l'homme trouveroit de la confolation. Quel
«ft l'épouT chéri qui n'airaeroit pas fa femme,
quelle eft l'époufe adorée qui pourroit ne pas
chérir fon m^ri , quels font les enfans bien
tlevés 8c bien aimés de leurs parens , qui ne
ttembleroient pas de fe voir privés de ceux
dont ils cimentent l'union , & dont ils font les
délices ? O hommes ! prenez-vous en à vous-
mêmes fi vous n'avez aucune confolation dans
ce monde. Vous rcfiftez au vœu de la Nature ,
& vous vous préparez l'ennui dans l'âge viril ,
& dans la vieillelTe des jours qui ne vous fe-
ipnt pas moins infupportables qu'à ceux qui
TOUS environneront. De même que le Labou-
reur \tl%e quelquefois des grains qui pctiffent
fur le fable aride, fur des cailloux ou fur des
ronces , l'homme peut quelquefois trouver
<}an5 fa famille' des fujets qui ne fcntent pas
^cpiix de l'amitié, ou qi;i ne font pas ca-
Tome II.
pables de retour après quelques églremens ;
mais dans une famille bien ordonnée , cet
exemples font rares, & plus rares encore que
de vrais amis parmi ceux Ju dehors "Tout
dépend du choix & de la conduite des pères
& des mercs. Qu'on ne fe marie point pat
intérêt ou par caprice, qu'on s'attache à l'objet
que l'on a choifi ^ qu'on é'.cve avec une ten-
drelTe iclairce ceux à qui l'on a donné le
jour , & chaque famille fera le temple du
bonheur pour ceux qui la compofcront. Si
dans le tumulte des paOîons , une jeunelTe
bouillante donne dans certains écarts , les
principes qu'elle a reçus ne tarderont pas à
la ramener au bien & au vrai. Si l'un
des deux époux a eu te malheur de faire un
mauvais choix , la tendr-fTe de fes enfans
fera le bonheur de fes jours , ?c lui fera re-
gretter la vie même dans la plus décrépite
vieilleffc. L'homme bifarrc ne trouve de plai-
firs que hors de fa famille , parce qu'il eft
alTez injufte pour tout exiger des fiens comme
un devoir. C'eft un tyran , Se non un pcrc. Il
élève fes enfans au gré de fes pàffions , Sx. ne
veut pas s'en faire des amis- Que cet homme
dénaturé fréquente les cercles , & qu'il y
cherche de vrais amis , il n'en trouvera
point , & n'eft pas digne d'en avoir L'homme
du monde e(t trompeur II ne fait la cour que
par intérêt ou par caprice ; il fe dit ami ,
mais il ne l'eft point. Dans des circonftances
fâchcufes ou dans des démê'és d'intérêt , on
apprend à le connoicie. Noie de l'Editeur.
lii
434 HISTOIRE DES CELTES,
Vaifleau. Celui-ci ayant répondu (141) qu'elles avoient quatre doigts
d'épaiffeur , Anacharfis répliqua : Nous ne fommes donc quà quatre
doigts di la mort. Qp voit par ce mot , que les pointes qui étoient fi
fort à la mode au commencement du fiécle pafle , n'étolent pas incon-
nues aux anciens Grecs. Quelqu'un difoit à Anacharfis qu'il avoit l'ac-
cent barbare ; & moi , répondit -il (142.), je trouve auffî que tous les
Grecs tiennent quelque chofé des Barbares. Un autre lui reprochoit qu'//
étoit Scythe , & croyoit lui faire un grand outrage en l'appellant de ce
nom. » Vous avez raifon , répliqua Anacharfis (143), ma patrie me
» fait deshonneur, & vous en faites à votre patrie. J'appartiens aux
» Scythes par ma naiflance , & vous en avez les inclinations & la fé-
» rocité. » Il arriva un jour dans un feflin qu'un jeune homme lui
fit quelque outrage. Anacharfis, fans s'émouvoir , lui dit (144):
» Petit garçon, il étant jeune vous ne portez pas le vin, il faudra,
«quand vous ferez vieux, que vous portiez de l'eau (145) «.
Au refte , l'admiration que les Grecs avoient pour Anacharfis , étoit
«^ fi grande qu'ils ont cru devoir tranfmettre à la poftérité jufqu'à la pof-
ture où il fe trouvoit naturellement en prenant fon repos. S'il faut les en
croire , notre Philofophe étoit fage & donnoit des leçons de vertu
même en dormant. Phérécide racontoit fort gravement (146), qu'A-
nacharfis , quand il étoit couché , avoit coutume de pofer fa main
gauche fur le ventre , & la droite fur la bouche , pour marquer que ces
deux parties de l'homme doivent l'une & l'autre être tenues en bri-
de ; mais que la langue eft , cependant , celle des deux qui a befoln
.d'un frein plus puiffant. On ne fçait fi les Peintres peignoient Anacharfis
dans cette pofture , mais , au moins , il eft certain que l'excellente
leçon qu'elle exprimoit , étoit écrite fur tous fes Tableaux. C'étoit ,
pour ainli dire , la Devife à laquelle on reconnoiffoit ( 147) les Images
du Philofophe.
BoArire §. X. Il eft facheuxque les Grecs , qui rapportent ces bagatelles , di-
ji'Anichailîs.
(141) Diog. Laert. Seft. loj. p. S6. Euftath.
ad Iliad. XV. p. 1034.
(i42)Clem. Alex. Strom. lib. I. cap. ï«.
pag. }«4. L'Editeur de Cle'ment d'Alexandrie ,
a traduit Gr*ci ScjthUi loquum ; ma s «yi/ti'^uj »,
dans la réponfe d'Anacharfis , fignifie imiter ta
Scythes , en Avtir tes fetitimtns , &i Roa j^is tn avoir Stobœus Serm, 128. p. 389
i'Mitni, I (147J Diog. L»«it. SeA, 104. g, 67^
(143J Diog. Laert. Sed. 104. p. 67. Stob,
Serm. 101. p. 722.
(144; Diog. Laert. Seft. 105. p. «7.
(14s; C'eft i-dire , vous ferez unF'oitefair,
un Mendiant.
(146) Clein. Alex. Strom. Hb. V. p. «72.
LIVRE IV. CHAPITRE VU. 435
fent fi peu de chofes de la Doûrine d'Anacharfis. C'eft principalement
par cet endroit, qu'on fouhaite de connoître un Philofophe. Peut-être,
cependant, n'eft-ce point la faute des Ecrivains Grecs. Il paroît affez parce
qu'on a eu occafion de rapporter , qu'Anacharfis étoit dans les mêmes
principes que Socrate. Faifant confifter la bonne Philofophie , non
dans des fpéculations abftraites , qui ne rendent l'homme ni plus parfait ,
ni plus heureux , mais dans une vie fage & bien réglée , il n'a guères
laifle que des maximes de Morale , deflinées à former la conduite de
l'homme. Et c'étoit là aufli le grand but qu'il fe propofoit , d^s le petit
nombre d'Ouvrages (148) qu'il avoit compofés.
Si Plutarque a bien rapporté les fentimens de notre Philofophe , il
ne s'éloignoit pas de la Doftrine de fa Nation fur le Dogme de l'exiftence
de Dieu (149)» ni fur celui de la Providence. Il difoit (150) » qu'il
H y avoit une ame dans les principales parties du Monde; que, comme
w le corps eft l'organe de l'ame, l'ame aufîi ell: l'organe de Dieu....
» qui la manie , la dreffe , & la tourne comme il lui plaît «. C'étoit ,
comme on l'a montré ailleurs ( 151 ), la Doftrine des Scythes. Ils
reconoiffoient des Divinités fubalternes , unies aux différen.tes parties
de la matière , & chargées de la direftion de l'Elément où elles réfi-
doient , & un Dieu fuprême qui étant le Père & le Maître des Efprits,
les dirigeoit aufli félon fon bon plaifir. On croit entrevoir dans Plutarque
(151), qu'Anacharfis ajoutolt foi aux enchantemens dont les Scythes
fe fervoient pour guérir les malades.
Ceft tout ce que nous favons des opinions du Philofophe Scythe ; les
Traités qu'il avoit publiés, & qui pourroient, peut-être, nous en ap-
prendre davantage , font tous perdus. Diogene Lacrce lui attribue un Poë-
me de 800 Vers (153). C'étoit une comparaifon des Loix & des Cou-
tumes des Scythes avec celles des Grecs , & on y donnoit la préfé-
rence aux Grecs , tant par rapport à leur manière de vivre , qu'à l'égard
de l'art militaire. Suidas fait aufli mention de ce Poëme d'Anacharfis ,
& d'un autre C154) cjui étoit un éloge de la frugalité. L'Hiflorien
(148) Vojn. ci-delToiis , note 153. 8c 154.
(149^ Ci-deflus , §. 7. not. iio.
(150} Plutarque, Banquet des Sept Sages ,
fhap. 23. p. sii.de l'Edition d'Amiot,
^l$i)Ci-d. Liv. III. ch. i.
( I S z) Flutaich. CoDV. Sept. Sapient, Tom, H.
pag. 14».
(153) Diog. Laert. Seil. 101. p. 64.
(154/ Suid. T. I. p. 18 S.
lii 2,
43<5 HISTOIRE DES CELTES,
Ephore avoit remarqué quelque part , que le monde étoit redevable
à Anacharfis de plufieurs chofi^s utiles à la vie; par exemple , de l'in-
vention des foufflets dont on fe fert pour allumer le feu de la roue
du Potier , & de la double ancre. Strabon (155) ne convient pas
du fait, au moins par rapport à la roue du Potier, qui étoit déjà con-
nue dutems d'Homère (156). 11 a raifon. Le Scholialie d'Appollonius fe
moque auffi d'Ephore (157)} qui attribuoit au Philolophe Scythe l'in-
vention de la double ancre, quoique l'ancre fût déjà connue du tems des
'Argonautes. Mais la remarque ne paroît pas aufli jufte que celle de Stra-
bon, parce que Ephore parloit de la double ancre ( a^^/a-oxeç ) , c'eft-à-
dire, de l'ancre à plufieurs crochets, que Pline défigne fous le nom (158)
d'harpagons , & dont on attribuoit conflamment l'invention à Ana-
charfis.
§. XI. Achevons préfentement de donner la vie de notre Philofophe*
Ce fut, félon les apparences, la mort de Solon (159), qui lui fit prendre la
réfolution de quitter la Grèce , & de s'en retourner dans fon Pays ,, en- '
viron trente-deux ou trente-trois ans après en être forti. Il alla d'abord
en Lydie, pourvoir le Roi Créfus, qui l'avoit invité fort amicalement
de venir à fa Cour. La Lettre par laquelle Anacharfis répond à l'invita-
tion , mérite d'être rapportée, parce qu'elle renferme une belle preuve du
défintéreflement de ce Philofophe , & du but qu'il s'étoit propofé dans
fes voyages (160). «Je fuis venu en Grèce pour connoître les mœurs
» & les études des Grecs. Je n'ai pas befoin de l'or que vous m'offrez :
»ma fatisfadion fera parfaite , fi je puis retourner en Scythie meil-
»leur que je n'en fuis forti. Cela n'empêchera pas que je ne vous aille
» trouver à Sardes, parce que je mets à fort haut prix l'avantage d'être
»reçu au nombre de vos amis.»
Après avoir vu le Roi de Lydie , Anacharfis s'embarqua pour s'en re-
tourner dans fon Pays , & alla prendre terre vers les embouchures du
Boryfthène. Les Hlftoriens ne font pas d'accord fur ce qui lui arriva ,
après qu'il fut de retour en Scythie. Voici ce qu'^n difoit Hérodote (161).
(ijs)Strabo VII. 203. Dîog. Laert. Seft. 1 (i 57) Appollon, Aigon. I. y. 1277. Schol.
105. p. 67. Plin. Hift. Nât. lib. VII. cap. 54, ad h. I.
/V)'<ï. aufll Suidas in voce ajjcupa' T. I. p. 50,
Senec. Epit. lib.I. p. 50. & la note piécc
dente.
il S S) Iliad. XVIII. V. «00.
(iS« Plin. VII. it.
(i s9} Ci-d. §. 7. not. 105. lo«.
(i«o; Diogen. Laert. Sedt. i»s.p. «I.
(161) Hewdot. lib. IV. cap. /«^
LIVRÉ IV. CHAPITRE VIL 437
'« Les Scythes ont une grande averfion pour les coutumes étrangères ,
»& particulièrement pour celles des Grecs. L'exemple d'Anacharfis &
» celui de Scyles , en fourniflent de bonnes preuves. Le premier avoit vu
» beaucoup de Pays , & acquis une grande fageffe dans (es voyages.
» Comme il paffoit l'Hellefpont , pour s'en retourner en Scythie , il
» toucha à la Ville de Cy fique , où l'on célébroit précifément une magni-
» fîque fête à l'honneur de la Mère des Dieux. A cette occafion , il fit vœu
»»que, s'il arrivoit fain & fauf dans fon Pays , il offriroit à la DéefTe ,
« un facrifice parfaitement femblable , & qu'il lui confacreroit une nuit
» folemnelle. Etant donc de retour en Scythie , il fe retira fecrettement
dans une forêt remplie d'arbres de toute efpèce. On l'appelle Hylœa , &
» elle eft voifme du lieu que les Grecs appellent en leur Langue , la
» courfe ou la carrière d'Achille. Dans cette retraite , Anacharfis célébra
»>la fête de la manière qu'il s'y étoit engagé, battant du tambour, &
» pendant à des arbres les fimulacres de la Déeffe. Un Scythe l'ayant
» apperçu, comme il étoit occupé à ces dévotions, alla le rapporter au
wRoi Saulius, qui s'étant tranfporté fur les lieux , & ayant trouvé
» Anacharfis dans le même état, le tua d'un coup de flèche. Aujourd'hui,
» quand on parle aux Scythes d'Anacharfis , ils répondent qu'ils ne le
»connoifl"ent point, & ils en ufent ainfi parce que ce Philofophe s'é-«
«toit tranfporté en Grèce, & y avoit adopté des coutumes étrangères.'
«J'ai oui dire à Tymnes, tuteur de Spargapithe , qu'Anacharlis étoit
» oncle d'Indathyrfe , Roi des Scythes , & fils de Gnurus , petit-fils de
»>Lycus, 6c arrière petit-fils de Spargapythe. S'il eft vrai qu'Anacharfi»
» fût de cette maifon , il aura été tué par fon propre Neveu (*), Inda-
»thyrfe ayant été fils de Saulius qui tua Anacharfis. »
Diogene Laérce raconte la chofe d'une manière un peu différente ;
mais il convient, cependant, qu'Anacharfis fut tué par le Roi Saulius
(161). «On dit qu'étant de retour en Scythie, il voulut changer les
»Loix du Pays, & y introduire les coutumes des Grecs; ce qui fut
»caufe que fon frère ( 163 ) étant à la chaffe avec lui, le tua d'un coup
(*) A Pmruile , par fon Coufin germain.
Malgré cela , il y a faute dans Hérodote. Si
Anacharfis c'toit Oncle, Putruui, d'IndithyiCcj,
il devoit être frère de Saulius. Stu dt l'Eiii.
(ifii) Diog. Lacit. ScA. 102. p. $£.
(163) Diogene Laërce fe trompe; il paroît
que Saulius étoit neveu d'Anacharfis. Vojex. ci.
dcffus , $. 6. not. 84. [M. Pelloutier n'apoint
fait attention qu'il y a eiieui dans Hwodotej
Ko;i'JifÇi-4. «9t. (*).
43? HISTOIRE DES CELTES;
*>de flèche. Il mourut en difant que la fageffe dont il falfoit profeflioni
«l'avoit fauve en Grèce, & que l'envie qu'elle lui avoit attiré, le
» faifoiî périr dans fa propre Patrie. D'autres affurent qu'il fut tué pen-
»dant qu'il offroit un facrifice à la manière des Grecs.» Ce qu'Héro-
dote & Diogene-Laërce rapportent de la fin tragique d'Anacharfis , eft
encore confirmé par Clément d'Alexandrie (164) qui femble même
approuver cette exécution.
Il y avoit , cependant, des Auteurs qui prétehdoient qu'Anacharfis
retourna à la Cour du Roi de Scythie , qu'il y fut bien reçu , & qu'il
mourut tranquillement au milieu de fes Compatriotes , après avoir vécu
( 165 ) près de cent ans. Trois chofes pourroient favorifer cette opinion.
Premièrement, un Auteur,cité par Suidas, affuroit (166) qu'Anacharfis
avoit donné des Loix aux Scythes. Ce feroit, fans doute, uneforte preu-
ve qu'il fut bien reçu par fes Compatriotes. Mais ces Loix des Scythes,
drefféesou compilées par Anacharfis, paroiffentêtre une chimère. Les Scyr
thés n'eurent des Loix écrites que plufieurs fiécles après le tems de no-
;tre Philofophe , dont l'ouvrage étoit , félon les apparences , une compa-
raifon des Loix des Grecs avec celles de fa Nation.
En fécond lieu , il eft certain qu'Anacharfis , de retour dans fa Patrie ;
vit le Roi , & lui rendit compte de la commiflîon dont il avoit été char-
gé. Il lui parla, par exemple (167), du vin, qui étoit encore inconnu
parmi les Scythes , & lui montrant un farment de vigne qu'il avoit ap-
.porté , il lui dit que cette plante auroit déjà poufle des jets jufques dans
îla Scythie, fi les Grecs n'avoient foin de la tailler tous les ans. Hérodote
-avoued'ailleurs lui-même (i68), que l'on publioit dans le Péloponnèfe,
qu'Anacharfis , en faifant au Roi la relation de ce qu'il avoit obfervé
•dans fes voyages, lui dit, entr'autres chofes, que les Grecs s'appli-
■quoient à toutes les Sciences , à la réferve des Lacédémoniens , qui ,
<omme d'habiles Négociateurs , ne s'occupoient qu'à donner &c à rece-
voir à propos.
(i«4)Clcin.AIex.Coh. adGent. p. 120. Cyril.
-Adv. Jul. lib. IV. p. 131. Cafaubon a remar-
que que , par l'ignorance d'un Copifte , ces
paroles ijni ati^uandj Jlnnchxrfis crut , que
quelqu'un avoit rais à la marine du paiïkge de
•Clément d'Alexandrie , aroient ctc' foutre'es
dians le texte. Cafaub.ad Diog. Ii.aeit,'SeA.-io2.
pag- «s.
(155) Ci-defTus , §. 10. not. 154.
(iS6) Ci-d. §. «. not. 8S.
(i<î7 Athca. lib. X. p. ita. Euftath. «4.
OdyiT. V. p. ISÏ4,
(i««J Herodot. IV. 77.
LIVRE IV. CHAPITRE VII. 439
3^. Enfin, on a eu occafion de montrer ailleurs (169) , que les Scy-
thes fervoient la Mère des Dieux , & lui confacroient des fêtes à peu-
près femblables à celles que les Phrygiens 6c les Myfiens célébroient en
l'honneur de la même Déeffe. On a, par conféquent , de la peine à corn*
prendre, en quoi pourroit confifter le crime d'Anacharfis. Il eft vrai
<jue les Scythes ne vouloient pas qu'on repréfentât la Divinité fous la
forme de l'homme. Mais il eft fort incertain fi le fimulacre que notre Phi-
lofophe apporta de Cyfique , avoit cette forme , puifque celui que les
Phrygiens ( 1 70) envoyèrent à Rome , quelques fiécles après , n'étoit qu'une
pierre , ou pour mieux dire , un caillou.
Sans rien décider fur la mort d'Anacharfis, il faut avouer, cependant;
que la narration d'Hérodote paroît la plus vraifemblable , d'autant plus
qu'il rapporte ce qu'il tenoit de la bouche d'un grand Seigneur Scythe,
qui avoit été tuteur du Roi ( 171 ) Spargapithe. On peut bien croire
qu'Anacharfis retourna d'abord à la Cour du Roi de Scyrhie. Hérodote
ne dit pas le contraire. Mais, comme il fe retira fecrettement dans une fo-
rêt, & qu'il fut découvert , célébrant une fête Grecque, & à la manière
des Grecs, il n'en fallut pas davantage pour le fiire regarder comme un
impie, par des gens quidéteftoient fouverainement toutes les fuperftiiions
étrangères. Le faux zèle a fait périr des hommes pour des kijets bien plus
légers.
Au refte , fi Anacharfis mourut d'une mort naturelle, il faut avouer,
au moins , qu'il ne fit point de Difciples au milieu de fa Nation : au
lieu qu'Orphée & Zamolxis furent écoutés , & fuivis par leurs Com-
patriotes , & même par les Peuples voifins. La raifon de cette différence
eft fenfible , & elle fait honneur à Anacharfis. Il n'étoit ni fanatique ,
ni impofteur. C'étoit un homme de bien qui auroit voulu réformer le
genre humain, & le ramener à la vertu, en le rappellant àla raifon. Il
n'y réuflît pas mieux que Socrate , dont la fin fut à peu-près aufïï tra-
gique que la fienne. Anacharfis avoit l'efprit jufte & pénétrant , le cœur
bon &c bien placé. Il étoit vif & enjoué dans la converfation , fa con-
duite étoit des plus réglées. Il étoit jufte, défintérefTé , fobre, chafte &
modefte.C'eft, affurément , un grand éloge pour lui, qu'étant d'une Mai-
«■ 1 1 1 I I ' »
(l6»;C -d. Liv. m. ch. 8.
(170) Ci-deir. Liv. III. ch. ».$.$.
(171) Ci-d. not, i«i.
440 .HISTOIRE DES CELTES;
fon Royale , 11 ait été capable de s'expofer aux fatigues & aux incom-
modités d'un long voyage , dans la feule vue de cultiver fa raifon , 8C
d'étudier la'Philofophie d'une manière qui put le rendre plus honnête
homme.
On ne fait oh. Elien avoit trouvé (172) qu'Anacharfis s'étoit fouvent
enivré à la table de Périandre , Roi de Corinthe , & qu'il avoit apporté
ce défaut dans fon Pays, les Scythes étant accoutumés à boire le vin pur.
Cette accufation paroît deftituée de toute vraifemblance. Il eft vrai (171),
comme on a eu occafion de le rapporter , qu'Anacharfis fe laiffa liir-
prendre dans un feftin que Périandre donnoit à plufieurs Sages qu'il avoit
raffemblés à Corinthe. Mais , au refte , notre Philofophe étoit ennemi de
tout excès , & fa manière de vivre étoit des plus fimples & des plus fru-
gales (174). «Je fuis habillé, difoit-il à un de fes amis , d'une étoffe corn-
»mune, je marche pieds nuds , & je couche à terre. Je ne connois point
» d'autre affaifonnement à mes repas que la faim. Mes alimens font du
» lait , du fromage &C de la chair. »
. Les Grecs foufcrivent à ce témoignage qu'Anacharfis fe rend à lui-;
.linême. Ils avouent ( 175 ) qu'il leur reprochoit fouvent la diverfité & la
4élicatefre de leurs mets , la profufion qui régnoit dans leurs feflins, Sc
fur-tout les excès qu'on y commettoit pour le vin. Y a-t-il quelqu'appa-
rence qu'il eùtofé donner aux Grecs de femblables avis, & publier (176)
un Poëme fur la frugalité , s'il avoit donné lui-même dans tous les excès
de l'intempérance ? Ne fe feroit-il , d'ailleurs , trouvé perfonne qui lui
eCit reproché qu'il démentoit par fa conduite, les excellentes leçons qu'il
donnoit dans fes difcours & dans fes écrits? On croit qu'Elien fait égale-
ment tort -ici à Anacharfis & aux Scythes. A Anacharfis, parce qu'il
juge des inclinations de ce Philofophe par celles de fes Compatriotes ,
ce qui n'efl pas toujours fiir. Aux Scythes, parce qu'il ne diflingue point
les tems, & qu'il açcufe ces Peuples de boire le vin pur dans un tems où
ce breuvage leur étoit encore inconnu.
On afTure , au refte , qu'Anacharfis mourut fans avoir été marié. Quand
on lui demandoit ( 177) , pourquoi il ne prenolt point de femme , il ré-
. .( T7?).^!'»!?'-y-H. lit. II. cap 41, p. izi,
(173) Ci-dcflus , §. 8. not. 126,
(174) Cicero Tufcul Quïft. lib. V. cap.
jo, pag. jâoo, Vojez. aufli ci-delTus, §. g.
not. 143, I
^175) Ci-(i, §• 8. not. 114. 1 15. lit,
(tysj Ci-d. §. 10. not. 154.
(t77y Scobœus Seim, 201. p, 6%t,
pondoit
LIVRE IV. CHAPITRE VII. 441
pondoit qa'il craindroit de trop aimer fes enfans (178). Si ceux qui rappor-
tent cette particularité ont été bien informés , il en réfultera qu'Athénée
aura mis mal-à-propos fur le compte de notre Philofophe, une hiftoriette
qui ne fauroit le regarder ( 179). «Un homme qui étoit à table avec
»> lui , ayant regardé fa femme , lui dit : vous l'avez prife bien laide.
« Anacharfis répondit : je le fçais aufli-bien que vous : mais qu'on
»nous verfe du vin pur, afin que nous la trouvions belle (180). »
§. XII. Zamolxis , fouverain Sacrificateur des Gétes , dont on va Hidoire du
parler prefentement , paiTe pour avoir ete Difciple de Pythagore. Si zamoUii.
cela cft , il doit ôfï'e poftérieur à Anacharfis , d'un demi fiécle , tout
au moins. Voici ce qu'Hérodote en difoit ( 181 ) : <> Les Gétes que l'on
«appelle Immortels, portent ce nom, parce qu'ils fe croient effedive-
«ment immortels. Ils font dans l'opinion qu'un homme qui meurt va
» trouver Zamolxis (182), que quelques-uns eftiment être le même
» que Gébeleifis. Ils ont coutume de dépêcher tous les cinq ans à Za-
»molxis un meflager, qu'ils choififlent entr'eux par le fort, & que
» chacun charge de fes commiiîions pour l'autre monde (183). J'ai oui
•> dire aux Grecs établis le long de l'Hellefpont , & du Pont-Euxin ,
» que ce Zamolxis avoit été efclave de Pythagore , fils de Mnéfarque ,
» à Samos. Etant enfuite forti de la fervitude , & ayant amaffé de
» grands biens , il s'en retourna dans fon Pays , & trouva les Thraces ,
•ifes Compatriotes, plongés dans le vice & dans l'ignorance. Comme
»le féjour qu'il avoit fait au milieu des Grecs Ioniens , & auprès de
»» Pythagore, qui étoit un excellent Philofophe, lui avoit fait connoî-
»>tre une manière de vivre, & des mœurs plus pollcées,il fit bâtir une
wmaifon où il régaloit fouvent les plus grands Seigneurs de la Nation,
»& pendant qu'ils étoient à table avec lui, ils leur enfeignoit que ni
»>lui, ni eux, ni ceux qui naîtroient d'eux à perpétuité , ne mouroient
»> point (184), mais qu'ils pafferoient dans un lieu, oiiils jouiroient tou-
(178) Cette re'ponfo n'cft point digne d'A-
nacharfis. Si on l'adinettoit comme véritable ,
il faudroit rcjctter , comme fuppofé , tout ce
que les Grecs ont débite' de la fagcfle du Piii-
lolophc Scythe. Htii de t'Eiiit»r.
(179) Athen. lib. X. cap. ij.
(l8o)Le Ptvilofophe Touloit dire , par cette
lepanie , que ce n'eft pas un fimple extc'rieur
l'yvreffe de l'amitic , ou de l'amour qui nom
attache aux pcrfonnes qui nous font les plui
chères. Ce fcntiment eft dans la Nature. Hut
de t'Ediiiur.
(i»i) Hetodot. IV. 94.
(iȔ) Quelques exemplaires portent Sa/uc<
a|iï ■foi^ova ,1e Dieu ou le Ge'nie Zamolxis.
(iSj) Hcrodot. IV. 9,-.ji«.
^ui affefte les pcrfonnc» indiffe'tcntei . mais I (184) Zamolxis enfeignoit, comme on
7'omcII, Kkk
441 HISTOIRE DES CELTES,
"jours d'une affluence de toutes fortes de biens. Pendant qu'il donnoit
» ces inftruftions , il fe préparoit , en même tems , une demeure fourer-
» raine. Lorfqu'elle fut prête , il difparut tout-à-coup , & -defcendit
»dans cette grotte, où il pafla trois ans entiers. Les Thraces le regret-
Mterent & le pleurèrent, parce qu'ils le croyoient mort. Lorfque les.
«trois ans furent écoulés, il parut de nouveau , & les Thraces en ajou-
vterent plus de foi à ce qu'il leur avoit été dit d'une autre vie. Voilà
»ce qu'on attribue à Zamolxis. Je ne prétens ni affirmer, ni nier ce qu'on
»dit de lui & de fa retraite fouterraine. Je le crois, cependant, beau-
Mcoup plus ancien que Pythagorc. Au refte , que Samolxis ait été un
«homme, ou qu'il foit un Dieu Indigéte de la Nation Gétique (ii>5),
M je prie de prendre en bonne part, ce que je viens de dire fur fon fujet. »
§. XIII. Ce qu'Hérodote donne ici pour une chofe confiante, c'eft
l'opinion des Gétes, qui croient que les morts vont trouver Zamolxis,
Mais il ne veut ni garantir , ni contefter ce que les Grecs établis le long
de l'Hellefpont , lui ont rapporté, favoir, qu'il y eut un homme du nom
de Zamolxis , qui eût été efclave , & enfuite difciple de Pithagore , & qui
fe fût fervi d'une fraude pieufe, pour établir au milieu de fa Nation, la Doc-
trine d'une autre vie. On doit tenir compte de fa bonne foi à l'Hiftorien,
qui ayant de fortes raifons de douter de la vérité & de la certitude de cette
relation, avertit qu'il la donne pour ce qu'elle vaut.
Cependant , les Auteurs qui font venus depuis, & quifemblent n'avoir
eu , pour la plupart, d'autre guide qu'Hérodote, non contens de don-
ner pour certain , ce qui paroiffoit fort fufpeft à cet Hiftorien , ont ajouté
encore à fon récit une infinité de circonflances dont il ne fait aucune
mention. On a dit , par exemple , que Zamolxis , efclave de Pytha-
gore , avoit été mis , après fa mort , au rang des ( 1 86) Héros , des demi-
Dieux (187), & même des (i88) Dieux. On a dit encore qu'il fut
Toit , l'immortalité de l'ame & refpe'rance foit pas digne de ù grandeur.
d'une vie future après la mort. Les Grecs im- (i8s. Voyez. le p-iilage de Clément d'Ale-
be'cilcs s'imaginèrent qu'il enfcignoit que les xandrie , cite' Ci-deffus Liv. III. ch. 18. §. 6.
Scythes ne mxïuroicnr jamais. Nau de l'Edi- ■> not. 63.
Kftr,
(1851 Le mjt de x^'f""» exprime ici, fé-
lon l'ufage des Payens , une efpèce d'excufe
que l'Hiftoiien fait à Zamolxis , au cas qu'il
ne lui rende pas la juftice qui lui eft die ,
k qu'il en aye patlç d'une manière gui ne | Jot. Trag. p. «ss.
{187 Entre les demi-Dieux qui font dans
l'ifle des bienheureux , Lucien place les deux
Cyrus , A!iach.ir. s & Zamolxis. Lucian. V.
Hift. lib. II. p. 396.
(188, Lucian. Deor. Concll. p. lop8. Lucian^
LIVRE IV. C H A P I T R E VII. 44^
enfin reconnu par les Gétes (189) pour le phîs grand de tous les Dieux.
D'autres ont affuré (t 90) qu'il jouit, même avant fa mort , des honneurs
& des titres de la Divinité. Strabon lui-même (191), qui femble avoir
vu ici plus clair que les autres, ne laiffepas de dire auffi (192) que les
Gétes ont mis , depuis bien long-tems, au nombre des Dieux un Difciple,
de Pythagore , nommé Zamolxis.
Pour éclaircir ce qu'il y a de confus & d'incompatible dans ces diffé-
rentes relations , il faut rappeller ici unefeflexion que l'on a faite (193)
ailleurs.
1°. Les Gétes donnoient le nom de Zamolxis au Dieufuprême. C'eft
ce que l'Hiftorien Mnafeas affuroit formellement. Il difoit ( 1 94 ) « que
» les Gétes fervoient le Dieu Saturne , fous le nom de Zamolxis. » Otx
trouve la même remarque dans Héfychius. Après avoir rapporté ce
qu'Hérodote difoit avoir appris des Grecs établis le long du Pont-Euxin ,
favoir, que Zamolxis avoit été efclave de Pythagore, il ajoute (195):
« D'autres prétendent , cependant , que ce nom défigne le Dieu Sa-
Mturne. » On voit bien que Saturne eft ici le Teut, ou l'Odin des Peuples
Scythes Se Celtes (196), qu'ils appelloient le plus ancien des Dieux,
& auquel ils offroient des victimes humaines.
Porphyre avoit trouvé quelque part, que le Zamolxis des Gétes pré-
fidoit à la guerre , & par cette raifon , il l'a pris pour (197) l'Hercule
des Grecs. On a montré ailleurs que , félon la Théologie des Celtes , c'é-
toit le Dieu fuprême qui préfidoit à la guerre ( 198 ) ; de forte qu'il ne
faut pas être furpris qu'entre les divers noms fous lefquels les Etran-
gers l'ont défigné, on lui ait aufii donné ceux de Mars & d'Hercule.
C'eft à ce Zamolxis que les Gétes immoloient des hommes. Quand ils
faifoient (199) paffer quelqu'un par les armes , ils appelloient cela dépê-
cher un meflager à Zamolxis, parce qu'ils étoient dans l'opinion que
tous ceux qui mouroient d'une mort violente ( 200 ) , alloient trouver
(189} Jamblich. Vit. Pythag. Sert. 173.
(19°) Fliavorinus ap. Stoboeum Seim.
CLXXIV. p. «00.
(i» 0 Ci-d. ch IV. §. ti. not. 117.
(191) Sttabo, lib. XVI. p. 762.
('9») Ci-deffus , Liv. HI. ch. 14. §. ij.
(19+) Suidas in Zamoîxi.
(l9Sf Hclych. in Zamol.ti.
(196) K«/cz, ce ijui a été dit ci-4cir« Liv. III.
chap. s. §• (4. not. 125. chap. 7. §. z,
not. 42.
(197) Porphyt. Vit. Pythag. Sert. 14-
i;i9«) Ci-deff. Liv. III. ch. 7. $. ï. not. 31.
cbap. 14. $.5. Se §. >.
(19») Cideffus, Liv. III. ch. 6. § 6.
not. 194.
(loo] ci-d. Liv. III. ch. 7. §. 2. not. 31.
cbap, tt. $. 7. not. <9.
Kkki
4H HISTOIRE DES CELTES,
Odln dans le Valhalla. On a rapporté , il n'y a pas long-tems , un paflage
de Lucien , dans lequel Anacharfis eft introduit, priant un Scythe, qu'il
trouve à Athènes , de le recevoir dans fa maifon , & l'en conjurant
(zoi) par Zamolxis & par fon épée. II eft évident que , dans cet endroit ,
Zamolxis défigne le Dieu que les Scythes fervoient préférablement à
tous les autres , par le nom duquel ils juroient , & dont le fimulacre
jétoit une épée.
1°, Les Gétes donnoient encore le nom de Zamolxis au fouveraia
Pontife , qui préfidoit au culte de ce Dieu. C'eft ce qui eft clairement ex-
primé dans un paflage de Strabon , qu'on a eu occafion de donner en
entier, & auquel on renvoyé le Leûeur. 11 porie (202) « que Zamolxis,
» qui avoit été efclave de Pythagore , s'étant rendu célèbre au milieu des
» Gétes par fes divinations, perfuada au Roi de l'aflbcier au Gouverne-
»ment comme un fidèle interprête de la volonté des Dieux. Qu'en
»conféquence , il fut d'abord déclaré Sacrificateur du Dieu que les
» Gétes fervent préférablement aux autres, qu'enfuite il reçut auffi le
»nom de Dieu, & que depuis ce tems-là, il s'étoit toujours trouvé,
» au milieu des Gétes , quelqu'homme du caradère de Zamolxis , qui
wafliftoit le Roi de fes confeils , & auquel le Peuple donnoit le nom
» de Dieu. » Il s'agit manifeftement dans cet endroit,d'un fouverain Po;i-
tife qui , portant le nom du Dieu dont il étoit le Miniftre , tranfmet-
toit ce titre à fon Succefleur, avec la charge à laquelle il étoit attaché.
Il faut dire la même chofe du paflage de Platon où un Médecin Thra-
ce eft introduit , difant au Philofophe Grec (103) : « Zamolxis , notre
» Roi , qui eft Dieu , dit qu'il ne faut pas fe promettre de guérir les
» maladies de l'œil, fi on ne traite, en même tems, toute la tête. » Lç
Pontife qui avoit prononcé cette fentence , eft appelle Roi , parce que
le Roi l'aflbcioit au Gouvernement, & que fon nom fe trouvoit âla tête
de tous les Edits avec celui du Souverain. Il portoit aufli le nom de
Dieu , parce que ce titre étoit attaché à fa dignité , & que les Gétes re-
cevoient fes réponfes comme les Oracles du Dieu même dont il étoit
\t Miniftre.
§. XIV. Tirons préfentement notre conclufion. Puifque les Gétes
• (îol) Ci-deff. §. 6. not. 95.
(îoi) Ci-d. ch. 14. § 12. not. IÎ7.
(103J Ci-d. ch. IV. §. 10. not. «2.
LIVRE IV. CHAPITRE VIL 445
donnoient le nom de Zamolxis , non-feulement au Dieu fuprême , mais
encore au Chef de leurs Druides, rien n'empêche que nous ne difions
que le Légiflateur des Gétes étoit \\n Philofophe célèbre , qui reçut le nom
de Zamolxis , lorfqu'il fut revêtu de la dignité de fouverain Pontife de fa
Nation. C'eft de ce Philofophe qu'il faut entendre le paflage de Diodore
de Sicile, qui dit (104) que Zamolxis fe vantoit d'avoir reçu de la Déeffe
"Vefta, les Loix qu'il donna aux Gétes. Peut-être que ce Légiflateur
comprenant que la doûrine des peines & des récompenfes d'une autre
vie, étoit le plus ferme appui des Loix, n'épargna rien pour lui don-
ner cours. Peut-être que pour mieux y réuffir , il ufa d'une fupercherie ,
qui fit croire à fes Compatriotes qu'il étoit mort , & reffufcité au
bout de trois ans. Enfin, on ne voudroit pas nier abfolument que Py-
thagore n'eût eu un Difciple , qui ayant fait fortune dans fon Pays , y
flit établi Sacrificateur du Dieu fuprême , &c reçut , en conféquence, le
nom de Zamolxis, au lieu qu'il por:oit auparavant celui de Thaïes (105);
Mais les Grecs ont fait ici deux fautes confijjjérables. Premièrement,
ils ont confondu le Dieu Zamolxis avec les Sacrificateurs qui portoient
fon nom. Ils ont attribué à ces Sacrificateurs, ce qu'il falloit appliquer au
Dieu dont ils étoient les Miniftres. Ils ont dit, par exemple (106), que
les Gétes offroient des facrifices , c'eft-à-dire, des viftimes humaines à Za-
molxis, qui avoit été efclave de Pythagore , & le tenolent pour le Dieu
Saturne. Ils ont dit (107) que cet Efclave , ayant perfuadé aux Gétes
que l'ame eft immortelle , & leur ayant donné des Loix , a été reconnu
pour le plus grand de tous les Dieux. Tout cela eft dit en l'air. On
a montré ailleurs (108) que les Gétes ne connoiflbient point cette apo-
théofe , en vertu de laquelle un grand homme eft mis, après fa mort,
au nombre des Diçux. Ils donnoient à leurs Pontifes le nom de Dieu , pen.
dant qu'ils étoient en vie , & qu'ils rempliflbient aftuellement les fonc-
tions de leur charge. Le Succefleur du Pontife héritoit auffi de fon titre.
L'autre faute des Auteurs -Grecs , c'eft de n'avoir pas fait affez atten-
(204) Diodor. Sicul. lib. I. p. 59. Jornandès
met Zeuta , Diceneus & Zamolxis au nombre
des rliilofophes qui fleurirent parmi les Goths ,
après qu'ils eurent pafle dans U Thrace. Jor-
nandès Get. cap. IV. p. «13.
(205) Porphyr. Vit. Fythag. Sert. 14.
(za«J Diogcn. LaetC, >n Fitbag, lib. VIL
Seft. 2. p. 48 8. On aver i: ci-dcffus , Liv. fil.
«hap. «. §. 14. not. 115. que Diogene Laëree
attribue à Hérodote une remarque qui e'ioit
de Mnafeas. f'ojtz. ci-do<rus , $, 13. not. 194.
(107) Jamblich , vica Ijîhag. Sect. 173,
(2&»;Ci-d.Liv, m. ch. 14. §. J3^
44<5 HISTOIRE DES CELTES,
tion à ce qu'Hérodote avoit remarqué, favolr, que le Philofophe Ta*
molxis , qui avolt enfeigné aux Gétes le dogme de l'immortalité de
l'ame , devoit être plus ancien que Pythagore. EfFeftlvement , fi Za-
molxis eût été Difciple de Pythagore , 11 auroit dû être à peu-près contem-
porain d'Hérodote , qui étoit né au commencement de la LXXIV^ Olym-
piade , treize à quatorze ans avant la mort de Pythagore (109) qu'Her-
mippus plaçoit vers le milieu de la LXXVII Olympiade. Au lieu de
cela , le Dogme de l'immortalité de l'ame étoit beaucoup plus ancien
parmi les Thraces. C'étoit ( zio), comme on l'a montré, l'un des points
de la Doftrine d'Orphée, qui vivoit neuf à dix fiécles avant Hérodote,
& , puifque ( 2- 1 1 ) les Loix des Gétes exilloient déjà du tems d'Ana-
charfis , 11 n'étoit pas poffible que le Légiflateur de ce Peuple eût été Dif-
ciple de Pythagore.
Lucien n'y avoit fiirement pas bien penfé. Il prétend (212) que
Zamoixis, efclave de Pythagore, fut mis au nombre des Dieux par les
Gétes, & il introduit Anacharfis , conjurant un de fes Compatriotes,
au nom du Dieu (213) Zamoixis, de lui donner retraite. Pythagore
ne naquit que quelques années après qu'Anacharfis fut arrivé à (214)
Athènes. Strabon ne devoit pas dire non plus (215) que les Gétes obfer-
voient , de fon tems, la Loi que Zamoixis, Difciple de Pythagore , leur
avoit donnée , de s'abftenir de la chair des animaux. Cette fuperftition s'é-
toit introduite parmi les Gétes, dès le tems d'Orphée. Il faut donc s'en
tenir à ce que dit Hérodote , que le Zamoixis des Gétes doit être beau-
coup plus ancien que Pythagore.
A l'égard de l'étymologie du nom de (216) Zamoixis^ que quelques-
uns ont écrit Zalmoxïs , ou Salmoxïs , il n'efl pas poffible d'en rien
dire de certain , parce que ce mot étoit tiré d'une Langue qui nous efl:
à peu-près inconnue. Strabon remarque que l'île de Samos (où les
(109) Diog. I.aert. vita Pythag. lib. VIII.
S 40. Bruckcr Hift. Crit. Philof. lib. II.
cap. 10. p. lozi.
(ïio) Ci-defl". §. 4.
(2ll)Ci-d. §. 10. not. IS3. Se IJ4.
(îli) Ci-d. §.13. not. 18 8,
(ïil) Ci-d. §. «. not. 95,
(214) Anacharfis arriva à Athènes la pre-
mière année de la XLVIIe. Olympiade, ci-delT.
%• fi. not. Si_. On ni«t U nailTance de Pytha.
gore , pour le plutôt , à la troifiéine année de
la XLVIIIe. olympiade , 8c pour le plus t.ird ,
à la preiliiere anne'e de la Lille. Olympiade.
Brucker , Hift. Crit. Philof. lib. II. cap. lo.
pag. S98.
(ils) Ci-d. ch. VI. §. 2IÎ. not. 233,
(216] Quelques Manufcrits d'Hcrodote por-
tent Z/tmolxii. On lit aufli dans Hcfychius ,
Sulmtxis , Sacuinus , &i Saltatio , & Cantileua.
LIVRE IV. CHAPITRE VII. 447
Thraces avoient un San^uaire fort célèbre ) , avoit reçu fon nom des
hautes montagnes dont elle eft couverte , & que les gens du Pays ap-
pelloient dans leur Lzngue (lïj) Samnos. Il fe pourroit donc que Za-
/72oLx-is défignât ici le Dieu Tis , qui étoit adoré lur une de ces hautes
montagnes. Si cette étymologie ne plaît pas au Leûeur , il pourra jctter
les yeux fur celles que Porphyre a indiauées (ii8). Les étymologies
reffeniblent affez à ces nuages, où le Peuple découvre des chevaux, des
chariots, des armées qui fe battent, avec toutes les autres figures qu'une
imagination bleffée trouve à propos de leur donner.
§. XV. Les Gétes ont eu un autre Philofophe fort célèbre. On n'en dira nifioire a»
qu'un mot , parce qu'il en a été fait mention en plufieurs endroits de ce ukc^ucus.''
Livre. Strabon affiire (219 ) que ce Diceneus parvint au milieu des Gé-
tesjà la même dignité dont Zamolxis avoit été revêtu quelques fiécles au-
paravant. II fuppofe donc que les deux Philofophes fleurirent dans la
même Nation. Ce qu'il en dit, n'eft cependant pas fans difficulté. Les
Gétes dont Zamolxis avoit été fouverain Sacrificateur, demeuroient au-
delà du Danube , du côté de la Grèce ( zio ). Darius Hyftafpe pafTa dans
leur Pays, & les foumit avant que d'arriver au Danube. Au lieu de cela,
Diceneus exerça fon Pontificat dans le Royaume de Bérébiftes qui avoit
fes terres en deçà du même fleuve , du côté de la Sarmatie. On croit,
cependant, que cette difficulté peut être levée par une réflexion que
Strabon fait ailleurs. Il dit (m) que les Gétes étoient un Peuple No-
made, qui paffoit & repafibit le Danube, félon que le bien de {es affaires
le demandoit.
Quoi qu'il en foit, le Géographe qui vient d'être cité, paroît juger
fort fainement de Diceneus (aiz). » C'étoit , dit-il , un Charlatan qui,
» ayant parcouru l'Egypte , y avoit appris certaines manières de deviner,
» dont il fe prévalut , pour perfuader au Peuple que les Dieux ren-
w doient des Oracles par fa bouche <«. Jornandès , qui voyoit Diceneus
dans un plus grand éloignement , & qui étoit d'ailleurs fon Compatriote,
en Juge bien plus favorablement. Selon lui (u.} , Diceneus étoit un
{217) Strabo lib. X. p. 457.
(218 Porphyre dit qu'on donna au Philofo-
phe le nom de Zamilxii , parce qu'on le cou-
vrit d'une peau d'ours auifi-tôt qu'il fuv né.
Il njoute que , félon d'autres , le nom de
Zamolxis d^ligne un Eirim^tr, Poiphyt Vit.
rytha|. Sc£t. 14. J;<
(219) Strabo lib. VII, p. 298. r^tt aufg
ci-dcffr.s , §. ij.not. IS2.
(,2îoj Herodot. IV. S3.
( 22 1) Strabo lib. VII p. 305.
2ï2j Ci-d. ch. IV. §. I 2. not. lï J,
(za>j Ci-di ch- lY. §■ 7. noc. ;},
44* HISTOIRE DES CELTES,
excellent Philofophe , un bon Théologien , un fage Légiflateur, & , eQ
un mot , un homme univerfel.
On croit qu'il efl: très-permis de douter de tout cela , ou , au moins ,
de prendre ces éloges au rabais. Mais on ne peut difconvenir qu'à l'im-
pofture près , Diceneus n'ait été un grand homme , & qu'il n'ait rendu
des fervices fignalés à fa Nation. Il releva tellement (214) le courage
des Gétes que le tems de fon Pontificat ne fut marqué que par des
Viûoires continuelles qu'ils remportèrent fur les Peuples voifms. La
Loi par laquelle (115) il défendit aux Gétes l'ufage du vin, femble
infinuer qu'il s'appliqua férieufement à corriger les vices de fes Com-
patriotes. Il ne faut donc pas être furpris que les Gots confervaffent
encore , du tems de Jornandés , un profond refpecl pour fa mémoire ,
& que , pour donner plus d'autorité aux Loix par lequelles ils fe gou-
vernoient , ils en rapportaffent Tinftitution à ce Pontife (226).
On pourroit donner encore de longs articles de plufieurs autres
Philofophes Scythes , dont les Anciens font mention. De ce nombre
font Zeuta, Abaris^ Tamyris , Linus , Toxaris , Promcthie , &C quelques
autres. Mais , d'un côté , nous ne fçavons rien de leur Doftrine ;
de l'autre , ce qu'on rapporte de leur perfonne , eft enveloppé de
tant de fables , l'on y trouve tant de contradiûions , que le plus fur
eft de n'en rien dire. On ajoutera feulement ici un mot fur la confor-
mité de la Philofophie Pythagoricienne avec celle des Celtes,
conforralié g_ XVI. On prétend que Py thagore avoit connu des Philofophes Celtes ,
phic l'ychâ- & qu'il avoit adopté plufieurs de leurs idées. Un Auteur, cité par Clément
avec «îu des d'Alexandrie, afiuroit , par exemple (227), » que Pythagore avoit
^"*^ » eu pour Maître des Gaulois ». Un autre , dont Suidas nous a donné
des Extraits, difoit (228) » que ce Philofophe étudia d'abord fous
» Phérécyde de Scyros , & enfuite fous Abaris l'Hyperboréen «.
Comme Pythagore avoit été en Thrace , où il s'étoit fait initier
(229) aux Myftères inftitués par Orphée , & qu'il paffa les dernières
années de fa vie en Italie , on ne pe\it pas douter qu'il n*ait eu occa-
(124) Stiabon , .^prcs avoir rapporte les con-
quêtes du Roi Bete'biftes, aflure qu'il les de-
voit toutes aux confeils de Oiceneus. Stiab.VII.
pag. 303. 3»4-
[lis) Cid. cb. IV. $. u.not. m.
(226) Ci-d. ch. IV. §. 7. net. j j.
(117) Clem. Alexandr. Strom. hb. I. c p. i j.
pag. JS«.
(128) Suidas in Pyth, Tom. IU. p. 231.
(2^9) Ft^'tb I4 Cote Zj I.
fion
LIVRE IV. CHAPITRE VIT. 449
■fion de connoître la Religion des Celtes. Mais la queftion efl: de fça-
voir, s'il en avoit effectivement emprunté quelque chofe. Hermippus
le croyoit ainfi (130). Il difoit que Pythagore avoit fuivi, en plufieurs
articles , les opinions des Juifs ^ des Thraces. Jamblique affure la
même chofe (231).» On prétend, dit-il, que Pythagore affeâoit d'i-
» miter le ilyle d'Orphée , &c de fuivre fes fentimens , fur-tout par
M rapport à la Religion. La Théologie , qu'il enfeignoit à fes Difcipks ,
» & les préceptes de Religion qu'il leur donnoit , étoient empruntés ,
»> en partie , de la Dodrine d'Orphée , &c des Egyptiens ; en partie., des
»> Chaldéens , & d?s Mages ; en partie , des Myflères d'Ëleufis-, d'Imbros,
»» de Samothrace, de Délos ; & encore des Myftères qui étoient com-
» muns aux Celtes & aux Ibères «.
Sans rren décider fur une queftion qui paroît être fort probléma-
tique , on a , cependant , lieu de croire qu'Hermippus & Jamblique
«voient raifon. On fçait que la Doârine de Pythagore contenolt plu-
fieurs Dogmes , qui étoient, à la vérité, reçus parmi les Celtes, mais
que ce Philofophe pouvoit avoir puifés dans d'autres fources. Il di-
foit , par exemple (132), » que la Divinité eft un Efprit répanda
» dans toutes les différentes parties de la matière , qui donne la vie
» aux animaux «. Il reconnoiffoit un Dieu fuprême (133) auquel il
rapportoit l'origine de toutes chofes , & qu'il appelloit (139) le Dieu
des Batailles. Il ne vouloit pas (135) qu'on repréfentât la Divinité fous la
forme de l'homme , ou de quelque animal.
On a prouvé au long dans le Livre précédent , que les Celtes
avoient les mêmes principes, & qu'ils s'exprimoient, à peu près, dans
les mêmes termes. Mais Pythagore avoit pu emprunter toutes ces idées
des Juifs , & même des Egyptiens , s'il eft vrai qu'elles fiffent partie de
la Doctrine fecrette que les Egyptiens ne confioient qu'aux Initiés.
On peut dire la même chofe de l'immortalité de l'âme. Pythagore
& les Druides enfeignoient également ce Dogme. Cependant les opi-
nions (i}6) qu'on attribue au Philofophe fur cet important article.
(uo'' Hermi p. ai Jofeph. contta Appio-
■em. lib. I. cap. S.
(131 ! Jarnhlich. viti Pythagorat, S. 151.
yag. : »7 8c feq.
jZ3 1 Cî-dclT. LiY. III. ch. 3. §. S. n^t. )S.
(iii< Ci-dfffjs, Liv. m. chap. 5. §, a.
Tome H,
not. 13.
(234) Euftath.aU lliad. II. p. 1S7.
(2351 Clem. Alex. Strom. lib. I. cap. 1$.
pag. 3 5».
^ijS; Ci-d. Liv, m. ch. 17.
LU
45© HISTOIRE DES CELTES,
approchent beaucoup plus de la Doûrine des Egyptiens que de celle
des Celtes.
Mais voici quelques autres points de la Doftrine de Pythagore , qu'il
avoit tirés , félon toutes les apparences , des Peuples Celtes. Ce Phi-
lofophe faifoit un grand cas des (137) Divinations, Si de la (2-38)
Magie ; & ces belles Sciences appartenoient à la Doftrine fecrette,
qu'il ne confioit qu'aux plus affidés de fes Difciples. Les Divinations
qu'il pratiquoit , ne diiîeroient point de celles qu'on a repréfentées dans
l'un des Chapitres précédens. Il devinoit , non - feulement par le vol
des oifeaux, mais encore par le moyen de certaines (2.39) branches
d'arbre , ce qui étoit une forte de Divination particulière aux Peuples
(240) Scythes & Celtes. Il faut en dire autant de la Magie de Pytha-
gore (241). » Il fe vantoit de guérir certaines maladies par des en-
» chantemens « , fuperftitions dont Platon (141) rapportoit l'origine
aux Thraces.
Outre cela, Pythagore propofoit fa Doflrine ( 243 ) dans des Vers^
qu'il n'étoit pas permis de confier au papier. Il compofoit des Hymnes
(244) à la louange' de la Divinité & des gens de bien ; il apprehoit à ies
Difciples à chanter ces Hymnes , & à les accompagner de l'harmonie de
quelque inftrument.
Enfin , il fuffit de lire les Auteurs qui ont écrit la vie de Pythagore i
pour comprendre que ce Philofophe étoit un Fanatique , qui donnoit
dans toutes les vifions des Celtes , par rapport à ce que les Anciens
appelloient la Phyfiologie. Il faifoit attention au vol d'un oifeau , à
l'abboyement d'un chien , parce qu'il étoit dans l'idée que la voix de
la nature étoit la voix même de la Divinité, qui donnoit à l'homme
mille inftrudions falutaires , par le miniftère des animaux , &c même ,
par les êtres inanimés, qui ne paroiffant agir que par un fimple infîinft ,
ou par une détermination aveugle , ne laiffoient pas d'être les inflru-
jnens ou les organes d'un Etre intelligent & fage.
Tout cela paroît confirmer l'opinion de ceux qui ont cm que Py-
(137) Clem. Alex. Strom. lib. I. p. 39p.
(i3« Plin. Hift. Nat. lib. XXX. cap. i.
(239) Suidas in Pythag. T. III. p. jji.
(24o)Ci-d. ch. VI. 5. 17.
(i+i) Jamblich. Vit. Pythagoise, S, H-j.
pag. 139.
(141) Ci-deir. cap. IV. §. 10. not. 91.
( Z43 ) Ciceie Tufcul. Qusft. lib.
pag. 3 53J.
(243) Suidas Tom. III. p. 231.
Vf,
LIVRE IV. CHAPITRE VIII. 451
thagore avoit connu les Celtes , & qu'il en avoit emprunté quelque
chofe. Ce n'eft , cependant , qu'une conjeûure , qui peut être regardée
comme auffi incertaine que tout ce qu'on a dit fur la Vie & les Dogmes
de ce Philolopfie.
C H A P I T R E VIII.
Ç. 1. 1 L ne refte plus , pour finir ce Livre , que de faire quelques remaf»
ques fur la manière dont les Peuples Celtes ont reçu le Chriflianifme.
Nous n'avons point intention de donner ici l'Hiftoire de la con-
verfion de ces Peuples. Ce feroit un Ouvrage d'un travail infini , & nous
ne ferons pas difficulté d'avouer que cette entreprife eft au-deffus de notre
portée. On fe propofe uniquement de faire ici quelques réflexions gé-
nérales qui ont une liaifon naturelle avec le fujet qu'on a traité dans ce
Livre &C dans le précédent.
§. II. Il y eut de bonne heure des Eglifes Chrétiennes en Efpagne , riudeurspe»
dans les Caules , dans la Germanie première & féconde , dans la gran- embuircrcnt
de Bretagne, oC dans toutes les autres parties de la Celtique , qui nu pitco»
obéiffoient aux Empereurs Romains. Saint Irénée ( i ) & (1) TertuUien ^' '°'''
font déjà mention de ces Eglifes & des progrès que la Religion Chré-
tienne faifoit tous les jours, dans les différens Pays que l'on vient de
nommer. Les converfions qui font les plus anciennes , font aufîî les
plus glorieufes au Chriftianifme. Ni la crainte , ni l'intérêt , ni d'autres
confidérations humaines n'y eurent aucune part. L'excellence de la Re-
ligion que les Miniftres de l'Evangile annonçoient , les Miracles dont
ils appuyoient leurs Prédications , le foin qu'ils prenoient de foutenir
par de bons exemples, les falutaires inftruûions qu'ils donnoient au
genre humain , la patience des Confeffeurs & des Martyrs , tout cela
déterminoit les hommes à embraffer le Chriftianifme , au préjudice même
de leurs intérêts temporels.
Naturellement la Doftrine de l'Evangile dut trouver moins d'obfta-
cles au milieu des Peuples Celtes , qui retenoient encore leur ancienne
Religion , que parmi les autres Payens. Les Celtes reconnoiffoient
(i) Irenceus , Adr. Hzref. Lib. I. cap, |.
\») TcitalU adv. Jud. cap. 7.
LIU
tciec.
451 HISTOIRE DES CELTES,
un Dieu fuprcme , Invlfible , Eternel, Créateur du monde & de Thom-
me , ou de l'animal. Quoiqu'ils reconnufient des Dieux fubalternes ,
ils ne vouloient pas , cependant , qu'on parlât de leur naiffance , de
leurs mariages , de leur mort , ni qu'on étendît la diftinûion des Sexe*
à ces natures fpirituelles , que le premier Etre avoit unies aux Elémens,
pour les diriger aux fins auxquelles ils ctoient deflinés. Ils admettoienf
■encore le Dogme àes peines & des récçmpenfcs d'une autre vie. Quoi-
que ces idées fuffent mêlées d'erreurs & de fuperftitions , elles étoient ,
cependant , une avance , & un acheminement pour faciliter la conver-
fionpeces Peuples. Il ne s'agifToit pas de les détruire , mais feulement
de les redifier , &ç de les épurer.
D'autres fe ,§. III. Plufieurs Peuples Celtes embrafferent le Chriftianifme , dans
ii.iis pai in- le cours du quatrième & du cinquième ficcle. De ce nombre furent
les Goths , les Vandales , les Suèves , les Gépides , les Lombards ,
les Bourguignons , les Hérules , & d'autres. Il eft vifible que l'intérêt
eut beaucoup de part à la converfion de ces Peuples. Ils étoient voi-
fms des Provinces de l'Empire , qui avoit à fa tête des Princes Chré-
tiens. Ils afpiroient tous à la qualité de Fœderati , c't ft- à-dire , d'Alliés,
en vertu de laquelle on leur payoit de gros fubfides , foit pour fournir
des troupes à l'Empire , foit pour en garder les frontières, foit enfin
pour les obliger de vivre en paix avec les Romains , & de ne plus faire
d'incurfions fur les terres de l'Empire. Il y eut même de ces Peuples-
à qui les Empereurs d'Orient & d'Occident affignerent des demeures
fur les terres de l'Empire, pour les mettre à couvert de la fureur des
Huns , ou de quelqu'autre puiflante Nation , à laquelle ils ne pouvoient
réfifter. Tout cela obligeoit les Peuples dont on vient de faire mention,
à ménager les Empereurs , à recevoir les Miffionnaires qu'on leur en-
voyoit,.& quelquefois, à demander eux-mêmes l'inAruftion & le Bap-
têiïie. Socrate remarque , par exemple f 5), que Phritigerne, Roi des
VifigQths , ayant obtenu de l'Empereur Valens du fecours contre les
Oftrogoths , embraffa la Religion Chrétienne, & qu'il exhorta fes Sujets
à fuivre fon exemple. Le même Hiflçrien rapporte aufïï (4) , que les
Bourguignons étant , prefTés par les Huns-, pafTerent dans une Province
des Gaules , 6c dema.rtderent le Baptême à l'Evêque du Diocèfe.
" — — Il .11 i .1 ■ .
(3} Socrat. Hift. Ecc. lib. IV. cap, 3 j.
(4) SocMt. lib, VU. caf . 30,
LIVRE IV. CHAPITRE VIII. 453
Quoiqu'on ne puifle pas douter que des confidérations humaines ,
& des intérêts temporels , n'ayent eu beaucoup de part à la converfion
de ces Peuples , il faut avouer qu'elle fut , au moins , volontaire.
On ne forçoit perfonne à embraffer le Chriftianifme. Ceu^ qui demeu- .
roient attachés à leur ancienne ReUgion , confervoient leurs biens &C
leurs Dignités , & l'on voit , julques dans le leptiéme fiécle , un Duc
des Lombards ( 5 ) qui faifoit une profeffion ouverte du Paganifme.
Au reile ^ tous ces Peuples furent convertis par des Miffionnaires
Grecs, & le furent , pour la plupart, fous l'Empire de Valens, c'eft-
à-dire, dans un tems où rArianifme avoit le deffus en Orient. De-là
vient qu'ils étoient tous Ariens ( 6 ). On prétend, à la vérité , qu'ils
«voient été Orthodoxes, avant que de tomber dans l'Héréfie. Mais le fait
ne paroît pas certain. Nous abandonnerons cette difcuffion , par ce
qu'elle n'eft pas de notre fujet.
§. IV. Les Peuples qui demeurèrent dans la grande Germanie ;
après que les Goths , les Vandales, les Sucves ,. les Lombards & le$
Bourguignons l'eurent quittée , furent convertis infenfiblement par les;
foins des Rois Mérovingiens & Carlovingiens. Les Succeffeurs de
Clovis commencèrent l'ouvrage ; Charlcmagne & ks defcendans l'a-
chevèrent. Les Francs, par exemple, les Allemands &c les Bavarois,
reçurent le Chriftianifme fous les Rois de la première Race. Les Fri-
fons, au contraire, les Veftphaliens , les Saxons ne le reçurent que fous
les Rois de la féconde Race.
Ici on ne voit prefque que des converfions involontaires & for-
cées. Les Miffionnaires détruiioient les Forêts confacrées (7). Ils abba-
toient les arbres qui étoient l'objet de l'Idolâtrie Payenne., & met-
loient en leur place des croix, qu'ils propofoient au Peuple pour être
l'objet d'une nouvelle adoration. Ils pouvoient le faire impunément ,
parce qu'ils étoient toujours bien accompagnés, & foutenus quelque-
fois par de bonnes armées , qui annonçoient aux Catéchumènes la
Mort ou le Baptême. Il falloit choifir dans le moment même. Parmi les
Capitulaires de Chale^-Magne , il y en a un qui propofe cette terrible
(s) Atiulfe , Duc de Spolc'te , foas Ag'lule ,
B-Oi des Lombards , étoit Payen. Paul. Diac.
ÏLei. Long. lib. IV. cap. 5. p. 39*.
{i) Piocof. Vfindal. lib. i. cap. il. p. 17».
Paul. Diac. Hift. Mifc. lib. XIV. p. i«i.
(j) Voyez.-en un exemple ei-dcflus , ch. 11.
§. 18. .lot, loi.
454 HISTOIRE DES CELTES;
alternative aux Saxons , ordonnant ( 8 ) » que ceux qui fe cacheront
♦> pour ne pas recevoir le Baptême, foient punis du dernier fuppli'ce».
Cette Loi ctoit une fuite de la ferme réfolution que Charles - Magne
avoit prife , depuis long-tems (9) , de convertir les Saxons , ou de les
exterminer. L'Hiftoire du moyen âge fournit un grand nombre d'exem-
ples (10) d'une femblable manière de procéder.
Dans le fond, ni les Saxons, ni les autres Peuples Celtes, n'avoient
aucun fujet de fe plaindre des févérités que l'on exerçoit contre eux.
Quand ils avoient le deffus , ils ruinoient les Templçs , & brifoient les
Idoles des autres Payens. Ils immoloient à leurs Dieux (11) les prifon-
niers qu'ils faifoient à la Guerre. On fuivcit leurs principes & leur exem-
J)le , en leur rendant la pareille. Malgré cela , les converfions for»
cées , dont il s'agit ici , n'en étoient pas moins contraires à la raifon , Sc
à l'efprit du Chriftianifme , & nous verrons tout-à-l'heure , qu'elles fai-
foient ordinairement de très mauvais Chrétiens. Il eft certain , com-
me on l'a remarqué , il y a long-tems , que la Religion Chrétienne
faifoit des converfions plus glorieufes &c plus fûres, lorfqii'elle laifToit
répandre le fang de fes Maryrs , que lorfque fes Miniflres prirent les ar-
mes ou les mirent entre les mains des Fidèles pour égorger les enne-
mis de Jesus-Christ.
§. V. Parmi les Peuples Celtes , qui avoient embraffé le ChrilVianif-
me , il s'en trouva plufieurs qui ne renoncèrent pas pour cela à l'Ido-
lâtrie & aux fuperftitions Payennes. Procope le difoit des Francs (12.).
>» Ces Barbares , quoiqu'ils faflent profefTion de la Religion Chré-
»» tienne , ne laifTent pas d'obferver plufieurs cérémonies de leur aa-
» cienne Religion , immolant des viftimes humaines, commettant d'autres
M abominations, & fe montrant fort attachés aux Divinations «. La même
chofe eft avouée dans une Préface qui fe trouve à la tête des anciennes
Lolx des Bavarois (i 3). »Théodoric (Roi d'Auftrafie ) avoit changé dans
»» les Lolx des Francs , des Allemands , des Bavarois , tout ce qui tenoit
f encore des Coutumes Payennes. Il avoit réformé ces Loix par celles
» de l'Evangile. Il y eut, cependant, plufieurs Coutumes qu'il ne put
(« Capital, de Pattib. Saxon, cip. 7.
(9)Eginliard. ad Ann. 77«
(10; yoyez, Baltiz. not. ad Agobard. p.
le fuiv. Kcyllerp. i+i. 344.
3«.
(it Ci-dcflus , ch. V. § 7.
(12) rrocop. Gotb. lib. II. cap. 25 p. 44».
( 13 ) Frolcgom. »d Icg. Bajuai. ap. Lin-
Jeinb. p. 3S».
LIVRE IV. CHAPITRE VIII. 455
♦) abolir. Childebert entreprit cet ouvrage , Clotaire l'acheva , & Da-
»> gobert fît enfuite mettre par écrit les Loix de chaque Peuple «. On a ,
d'ailleurs , eu occafion de citer un grand nombre de Loix & de Canons
(14) qui défendent aux Gaulois, aux Francs , aux Lombards, aux
Vifigoths , & aux Saxons , de fe rendre de nuit dans les Forêts , près
des arbres, des fontaines, & des pierres, d'y allumer des chandelles,
d'y offrir des Sacrifices , d'y faire des feflins , & de pratiquer , là , ou
ailleurs , des Divinations &C des Enchantemens, à la manière des Payens.
Tout cela ne permet pas de douter que l'Idolâtrie Payenne n'ait
fubfirté long-tems dans une bonne partie de la Celtique où le Chriflia-
nifme paroiffoit établi. Il n'étoit pas pofîible qu'il en fut autrement par
rapport à tous ces Peuples , qui n'avoient reçu l'Evangile que par in-
térêt ou par crainte. Ayant toujours l'ancienne Religion dans l'efprit Sc
dans le cœur , ils retournoient à fon culte & à fes cérémonies , toutes les
fois qu'ils pouvoient le faire fans crainte d'être dénoncés aux Perfé-
cuteurs Chrétiens.
Ce qu'il y a ici de remarquable , c'efl que les Irlandois , en embraf-
fant la Religion Chrétienne , eurent afTez de bonne foi pour fe réferver
la liberté (15), premièrement, de facrifîcr en fecret à leurs anciennes
Divinités, en fécond lieu, d'expofer leurs enfans , & enfin de manger
de la chair de cheval. Le dernier articje auroit pu leur être accordé
fans aucune difficulté. Mais ces minuties paffoient alors pour des devoirs
efTemiels du Chriflianifme. Il avoit été prononcé (16) que cette viande
étoit immonde & exécrable.
C'efl une chofe véritablement curieufe , de voir les queflions que Bo-
niface , Apôtre des Germains , propofoit quelquefois au Pape , & la
complaifance avec laquelle le Souverain Pontife répondolt à des de-
mandes qui regardoient la cuifine plutôt que la confcience. Voici ce
que le Pape Zacharie mandoit au Prélat dans une de fes Lettres (17);
hVous me demandez encore combien il faut garder le lard, avant
(14) Cidefl". Liv. III. ch. 4. §. 2. not. I.
1 3 . 14. chap. 1 1 . $. z. not. i 3 ■ Lir. IV. cbap, 2.
§. 6. not. «o. §. is. not. 109. §. 1 9- not. 125.
$. 21. not. 1 5«. §. zs- not. loi. chap. j. §. i.
noi. 14-it. ch. 4. $. iS. not. Z46. 241. chap, 5.
$. 14. not. iis-169, chap. 6. §. 7. not. S4. £5.
$. 17. not. i<i.§< 24.not. 224. $. a;,not. 2J9.
S3I. 232.
{l$)Keyflerp. 334- Î3J.
(i(S) Epift. Gregor. III. in Epift. Sanfti Bo-
nifacii apud Seiarium £p. iiz. p. i<t. Sc apud
Othlonem lib. I. cap. 31,
(17) Epift. Zachar. Papx in Epift. Bonif. apud
Seiat. £f . 142. Sc apud Othlon. Ub. I. cap. 14.
456 HISTOIRE DES CELTES,
« que de le manger. Les Pères n'ont rien ordonné là-deffus. L'avis que
«j'ai à vous donner liir votre demande, eft , cependant, qu'il ne
» faudroit pas le manger „qu'il n'eût été léché à la fumée , ou cuit au
» feu. Si on veut pourtant le manger crud , il fera à propos d'atten
» dre pour cela , que les Fêtes de Pâques foient paflées (i8) «.
Par la fuite du tems , on vint, cependant, à bout de déraciner du
• milieu des Peuples Celtes., ces reftes de l'idolâtrie Payenne , dont les
anciens Canons font mention. Autant qu'on peut en juger, le moyen
le plus efficace dont on fe fervit pour y réuffir , fut de repréfenter
Jes Partiians de l'ancienne Religion comme des Sorciers , qui avoient
fait pafte avec le Démon. Parce qu'ils alloient faire leurs dévotions
pendant la nuit, fur des Montagnes &c dans des Forêts , où les Payens
avoient eu leurs Sanctuaires , on prit de-là occafion de les faire paffer
pour des fcélérats , qui couroient les bois & les champs , pendant que
Jes autres dormoient , foit pour y danfer & pour s'y réjouir avec le
Diable, .foit pour y pratiquer des maléfices qui tcndoient à la deflruc-
tion du genre humain, & qui méritoient, par conféquent , le plus ri-
goureux de tous les fupplices , c"eft-à dire , la peine du feu. Depuis ce
tems-là, les Payens prirent le parti de demeurer chez eux , & de re-
noncer à un culte qui les rendoit , non-feulement l'objet de l'exécra-
tion publique , mais qui les expoloit encore à être brûlés fans auctfne
miféricorde.
§. VI. Il y eut d'autres fuperflitions Payennes , qui fubfifîérent beau-
coup plus long-tems parmi les Peuples Celtes , après qu'ils eurent em-
braffé le Chriftianifme. Le Duel, par exemple (19), confidéré comme
une Divination , & un moyen de diflinguer l'innocent du coupable :
les épreuves du (2,0) feu , de l'eau froide (21) & bouillante, & lesau-
tjres fortes (21) de Divinations dont on a eu occafion de parler. Il n'eft
~- ■ ■ —a
' (18 Entre les Lettres du Pape Zacharie qui particulier de re'gler fa cuiûne comme bon lui
fe trouvent au Tome II. des Conciles , on en ferable. «Il eft permis d'ufer de tout ce que
voit une écrite à Boniface , Archevêque de » Dieu a cre'e' , dit S. Paul , & on ne' doit rien
Mayencc, où il eft ordonné aux Chrc'ient fur- » rejetter de ce qui fe mange avec atlion de
tout de l'abjlenir de U chair des gtais , des corncillei , » grâces, parce qu'il eft fanftifié par la parole
dei ci^S"", 4" lièves ^des Cajfers eu hiivrei & des » de Dieu & par la prière » i. Çor. IV. ^. f,
' thevaux fnuv^^is. Cette de'fenfe prouve l'igno- | (19 Ci d. ch. Vt. § j.
rancc & la fuperftition du Pontife Romain. U (20) Ci-d. ch. Vf § 11
eft bon , fans douté , de ne pas maiT^er des
corneilles &. des cigpgnes, 1 caufc qu'elles font
'tiès-de'fagteablcs au goût; mais c'eii à chaque'
(11) Ci-d, ch VI. §. ,4. ij.
(»î) Ci-d. cb. YI. §. 17.
pas
LIVRE TV. CHAPITRE VIII. ^^57
J)as difficile de deviner pourquoi ces abus fe maintinrent fi long-tems.
On trouva le moyen de les féparer du Paganifrae, & de les incorporer,
pour ainfi dire , dans la Religion Chrétienne. Le Clergé qui préfidolt
à ces différentes Divinations , les foutenoit de tout fon pouvoir , par-
ce qu'elles fervoient à affermir fon autorité , & qu'elles étoient , d'ail-
leurs , une branche confidérable de {es revenus. AufTi ne fut-ce pas par
les foins du Clergé que l'on revint à la fin de ces fuperftitions. Nous en
avons toute l'obligation aux Jurifconfultes , ^ particulièrement , à
ceux qui enfeignoient le Droit Romain , comme il feroit facile de le
montrer , fi cette difcuffion étoit de notre fujet.
§. VII. Il ne feroit peut-être pas hors de propos de montrer encore
ici qu'elles font les fuperftitions Payennes qui fe font confervées jus-
qu'à ce jour parmi les Peuples Cehes. Mais , d'un côté , la matière eft
extrèment délicate. Bien des gens fe fâcheroient fi on leur difoit que plu-
fieurs Peuples Celtes offrent encore à la Divinité des viftimes humaines;
que ceux qui préfident à ces barbares Sacrifices ^ font les Druides ,
dont l'empire fubfifte dans toute fon étendue , fans en excepter l'o-
béiffance aveugle , & avec cette cette feule différence , qu'il s'exerce
fous des •noms plus refpedables. D'un autre côté , on a repréfenté
avec affez d'étendue les idées & les fuperftitions des Peuples Celtes ,
par rapport à la Religion, pour pouvoir laifler à un Leûeur attentif &
judicieux le foin de juger par lui-même , â quel égard elles fubfiftent
encore.
On finit donc ici ce long Traité de la Religion des Celtes. Si ces re-
cherches plaifent au Public , on continuera de l'entretenir , dans les Li-
vres fuivans , de différentes chofes qui regardent la manière de vivre
cesPeuples, ôc fur-tout de leurs anciennes migration^.
/>'/» du quatrième 6* dernier JJyrc,
Tome II, M m 14
458
REMARQUES
Sur les Tems facrés des anciens Gaulois 6' des Germains , par
M. P E LLOUT I E R (l).
Je me propofe de parler en peu de mots, du tems où les anciens Habl-
tans des Gaules &c de la Germanie , tenoient leurs Affemblées Rdigieu-
fes. II faudra bien diftinguer ici ce qui eil: certain & indubitable , de
ce que je ne pourrai avancer que fur de fimples conjeiSures , qui , cepen-i
dant, ne font pas deftituées de vraifemblance. Ce qu'il y a de confiant,
c'eft, i^. que toutes les Affemblées Religieufes des Celtes ^fe faifoient dç
nuit. Jules-Céfar ( z ) , parlant des Gaulois , dit «. qu'ils fe vantoient
» tous d'être iffus du Père Dis , & qu'ils diîoient l'avoir appris de leurs
« Druides. C'efl pour cela qu'ils mefuroient le tems par le nombre des
» nuits, & non par celui des jours, comptant les jours de leur naif-
»fance, les mois & les années d'une telle manière , que le jour fuivoit
«toujours la nuit.» Sans examiner ici qui étoit ce Père Dis y auquel les
Peuples Celtes rapportoient l'origine du Genre - humain , il fuffira de
remarquer que les Gaulois confacroient la nuit au Dieu qu'ils regardoient
comme le Créateur de l'homme , 6c que par cette raifon, ils mefuroient
le tems par le nombre des nuits, & non par celui des jours. Tacite (3)
dit la même chofe des Germains : « Quand les Germains font quelque
f> calcul, ils ne comptent pas, comme nous , le nombre des jours , mais
» celui des nuits. C'efl pour la nuit qu'ils fixent , & qu'ils indiquent
» les Affemblées. Il femble , félon eux , que le jour eft une faite de
^la nuit.» Comme la nuit étoit confacrée au culte des Dieux,on lui don-
noit la préférence fur le jour , & parce que les Affemblées civiles ,
fréquentes parmi des Peuples libres, étoient ordinairement précédées
d'un facrifîce , on les indiquoit toujours pour la nuit. Ainfi la Loi Sallquc
porte (4) que le Maître d'un Efclave , accufé de quelque crime , doit le
préfenter dans le terme de fept nuits. Les Francs confervoient encore
9 ■ ■ '^^^
(1) Cet Ecrit eft tiré de ïz Ntuvdle Bitlioéf I (3) Tacit. Germ. cap. ] i.
ijue Germxniijut, Tova. HiU, pag. S<)-iet. i (4) Tit, XLII. af ud Lindenbi. p. 332.
(ïjCatûïVI. Il; l
/*
REMARQUES SURtES TEMS SACRÉS. 459.
cette Coutume dans le neuvième fiècle. On le voit dans les Capitidaires de
Charkmagncy & de Louis le Débonnaire, oîi il efl: ordonné (^) que les
ajournemens perfonnels fe donneront pour comparoître fept, quatorze,
ou vingt-une nuits après l'aflignation. Cette manière de compter tiroit
fon origine , comme je viens de le dire , de ce que les Affemblées civiles
des Peuples Celtes commençoient par un facrifice , ou par quelqu'autre
aûe de Religion , qui , félon l'ufage de ces Peuples , devoit s'offrir pendant
la nuit. Il paroît effectivement par Tacite ( 6 ) , que les Peuples de la
Germanie choififl"oient toujours la nuit pour célébrer leurs Fétesfolem-
lîelles & leurs Feftins facrés , pour chanter leurs hymnes , pour offrir
leurs prières & leurs facrifices , ôc pour s'acquitter, en un mot , de tous
les devoirs qui appartiennent au culte extérieur & public de la Divinité.
Loccénius a ÇTOViVéàsns Çqs Antiquités {^j^ S uîdoifes , que cette pratique
s'étendoit aufli à tous les Peuples du Nord , & on ne peut douter qu'elle
fle fut répandue anciennement par toute VEurope, Strahon (8) remarque ,
par exemple , que « les Celtïbcres & Jes Peuples qui leur étoient voifins
H du côté du Septentrion , choififfoient la nuit de la pleine Lune pour
wrénérer un Diqu fans nom , &c qu'ils paflbient cette nuit à danfer & à
»»fe réjouir avec leurs familles hors des portes. » Les Thraces célébroient
aufîl de nuit (9) la fête de leur Cotys ^ ou de leur Saba^ius. C'eft
par cette raifon que les Athéniens bannirent de leur Ville le Culte de ce
Dieu (10). Des Affemblées no£h.irnes leur étoient fufpeâes à plufieurs
égards ; mais , pour agir conféquemment , ils auroient dû abolir encore
les Myftères ô^EleuJis (11), qui ayant été apportés de Thract , fe cé-
lébroient auffi de nuit avec des torches ardentes. C'eft encore par la
même raifon que quelques-uns ont confondu le Saha:^ius des Thraces ,
avec le Bacchus des Grecs , que l'on appelloit Phanaces Phaiijlérius , le
Dieu des flambeaux (n), ou Nyclelius ^ le DieuNoûure, parce que
fes Myftères fe célébroient de nuit. Il y av.oit à Rome un ancien ufage^
fuivant lequel les Dames de la V^ille alloient faire leurs dévotions vers le
(s) Captt. Karoli Migni ScLudovici pii lib. j.
Tit. 45. p. 8»o. Lcg, Longob. lib. II. Tit. 4).
[6) Tacit. Ann. I. 50. «j. Hift. IV. 4.
{7) ]oh. Locccnii, Antiq. Sueo-Gotbicx c. 4.
f «g. î4.
(1) Strabo III. 1*4,
(9) Strabo X. 470.47 t.
(1 o) Cicero de Leg. II. cap. j 7.
(il; Suidas in &pi«i/(/ï.
(12, AuToo. Epigr. îj. Tzttz. ad Lycophro*
pag. II».
Mm m 1
•460 REMARQUES
commencement du Printems (13) , le jour qu'on appelloit Regifuglam J
dans la Forêt à! Aride. La Coutume vouloit qu'elles s'y rendirent de
nuit , & que chaque Mère de famille portât à Diane une torche allumée.
Macrobe remarque aufli ( 14) que, lorfque \qs Aborigines oSioitnt des
facrifices à leurZ?/^, ils pofoient fur les Autels des chandelles allumées.
En effet , quoique les Celtes tinffent ordinairement leurs Afleniblées
Religieufes au clair de la Lune, ils ne laiffoient pas d'y porter chacun fa
chandelle ou fa torche allumée, qu'ils alloient pofer devant l'arbre,
devant la fontaine , ou devant la pierre qui étoit l'objet de leur culte.
Il faut même que cet abus ait fubfiflé dans les Gaules & dans la Germanie
après l'établiffement du Chnflianifme , puifqu'il nous refte un grand
nombre de Canons & de Capltulaires qui le condamnent. Voici ce que
porte un Capitulaire de Charlemagne (i^) : « A l'égard des arbres, des
«pierres & des fontaines , où quelques infenfés vont allumer des chan-
» délies , Ôc pratiquer d'autres fuperftitions , nous ordonnons que cet
M abus fi criminel & fi exécrable aux yeux de Dieu , foit aboli & entié-
«5 rement détruit par-tout où il fe trouvera établi.» En voici un autre
qui eft de la même teneur (16): «S'il fe trouve dans une Paroifle
» des Infidèles , qui allument des flambeaux , & qui rendent un fer-
»>vice religieux aux arbres, aux fontaines & aux pierres > le Curé qui
» négligera de corriger cet abus, doit favoir qu'il eft coupable d'un
»» véritable facrilége.» Il eft dit auftidans un Canon de la Colleûion de
Burchard ( 17) : «Vous vous êtes rendu à une fontaine, à un carre-
>» four , fous un arbre , ou devant une pierre , & là , par vénération pour
» ce lieu, vous avez allumé une chandelle , ou un flambeau (18). yfVEglife
Chrétienne avoit raifon de condamner cette fuperftition , parce qu'elle
étoit une partie de l'Idolâtrie Payenne , un hommage religieux que l'Ido-
lâtre rendoit aux arbres, aux fontaines, aux pierres, qu'il regardoit
(13) Stat. Sylv. III. I. Ovid, Faft. lU. zSg,
Jiopert. II. Eleg. 32.
{14) Satutn. I. cap. 7.
(i s) Capit. Kar. Mag. lib. I. Tit. «4. p. 239.
(i«) Ubi fuprà lib. VII. Tit. ïjS. p. 1093.
(17) Burchardi Coll. Can. lib. X. ca^. 31,
lib XIX. p. 270-
(is)Il faut croire que dans les premiers
teras où l'^glif' Chrttitnnt faifoit ces de'fenfes ,
les iidcles n'allumoient pas des cierges ou des
bougies dev.int des AuitU ou devant quelque
image de la Vitrée ou des Sxiim ; les Fayrns au-
roientdit aux pajteun de l'E^lift : Vous dc/endex.
nos cérémonies , ^ vous les prAtiqMZ. dans votre
Religion 5 vous honorez, U Divinité' de la mémt
minière <fue nous , & vous fréiendei, que nous ftm-
mes facrile^es & idolâtres ! Donnez, aux Dieux It
nom que vous voudrez.^ mais ne méfrifez, f<u l*
Religion de vos pères, four ^Htljuei ntuvcttum
jK« VOUS j nvtt, intrtdHitti,
SUR LES TEMS SACRÉ s. 4«i
fcomftie le fymbole , ou le fiége de fes Divinités. Mais , au refle , il
étoit très-naturel que des gens qui alloient faire leurs prières de nuit
dans des campagnes & dans des forêts , ne s'y rendirent pas fans lu-
mière. Ce qu'il y a ici de particulier, c'eft que VEglife Chrétienne qwi celé-»
broit fes AfTemblées en plein jour , ne laiffa pas de permettre , & même
d'ordonner (19) aux nouveaux convertis d'offrir au Seigneur les cierges
qu'ils avoient coutume de préfenter à leurs Idoles.
Je ne m'écarterai pas beaucoup de mon fujet, en remarquant que la
coutume qu'avoient les Peuples Ce/tes de s'affembler de nuit pour le
fervice de la Divmité, eft l'origine d'une fable auffi ancienne qu'enraci-
née dans l'efprit du vulgaire ; c'eft celle du Sabbat , ou de l'Affeïtiblée
nodurne des Sorciers. Lorfque la Religion Chrétienne eut été établie
dans les Gaules & en Allemagne par autorité publique , les perfonnes qui
demeuroient attachées à l'ancienne Religion , fe déroboient fecrette-
ment pendant la nuit , pour fe rendre aux Aflemblées qui fe tenoient
dans des campagnes, ou dans des forêts. Le culte même que l'on offroit
àia Divinité dans ces Affemblées , confiftoit dans des facrifices , des
danfes, des divinations & des cérémonies magiques, ( c'eft-à-dire , aux-
quelles le Peuple n'entendoit rien. ) Les Druides qui préfidoient à ces
dévotions , fe vantoient d'ailleurs d'être des Devins qui connoifToient
le paffé , le préfent , l'avenir , avec tout ce qu'il y a de plus caché dans
la Nature, & des Magiciens qui avoient le fecret d'évoquer les âmes ,
de changer les hommes en bêtes, & de bouleverfer toute la Nature par
leurs enchantemens. Tout cela donna lieu à des Chrétiens peu éclairés
d'accufer les Payens qui reftoient encore dans leur Pays , d'être des
Sorciers , qui traverfoient l'air montés fur des balais , qui célébroient
des Affemblées noâurnes avec les Démons , & qui danfoient en céré-
monie autour du Diable , qui leur apparoiffoit, & recevoit leurs hom-
mages fous la forme d'un Bouc. Ce qu'il y a ici de plus furprenant , c'eft
qu'il n'y eut pas jufqu'au Clergé Chrétien ^ qui n'ajoutât foi à ces fableirî:
On le voit dans plufieurs anciens Canons que M. Keyjler a ramaffé , &
qui défendent très-férieufement aux Fidèles (10) de fe rendre au Sabbat,
& de participer aux divinations , aux enchantemens & aux cérémonies
■ I! — _
(ij) Labbe Concil. Tom. IX. p. 474. Baluz, Capit. Tom. I. p. ,$«. ap. Keyller. p. i j. ,
(20) Burchaid lib. I. cap. J4, fol. i«. ^it, Piujf, ij^s, Daiteûic ia DUnâ Tom. lî. p. >»^
I
46a 11 "E M A Q U E S
magiques que les Sorciers y pratiquoient , dans la vue d'obtenir du Démoft
des connoiffances ou des richefles que la Providence leur avoit refufées.
Pour revenir à mon fnjet , il eft bien difficile de deviner les raifons
que les Celtes pouvoient avoir de faire le fervice pendant la nuit. Des
Affemblées nofturnes ont quelque chofe d'étrange & de dangereux ,
& ne conviennent guères qu'à des Egllfes qui n'ont pas le libie exercice
de leur Religion. Mais cette coutume de s'affembler de nuit, devolt fur-
tout paroître facheufe à des Peuples qui, faifant leurs dévotions en plein
air , & dans des lieux éloignés de leurs habitations , étoient obligés
de faire de longues traites pendant la miit , & de la paffer à la belle
étoile. J'avoue que j'ai de la peine à comprendre comment une coutume
fi extraordinaire avoit pu s'introduire 6c fe maintenir parmi les Cdtes
pendant une longue fuite de fiécles, d'autant plus que je ne trouve rien
dans leur Religion qui pût fervir de fondement à cet ufage. Jules-Céfar
dit , à la vérité , dans le paffage que j'ai cité , que les Gaulois fe croyoient
iffus du Dieu Dis^ & que pour cette raifon ils mefuroient le tems par le
nombre des nuits , & non par celui des jours. Mais il eft vif^ble que Jules-
Céfar a confondu , dans cette occafion , le Dis des Grecs & des Latins ^
avec celui des Gaulois. Les Romains facrifioient de nuit à Pluton Sc aux
autres Divinités qui avoient la direûion du Royaume des ténèbres. Au
lieu de cela, le Dis ou Teut des Gaulois étoit l'Être fuprême , l'Efprit
iiniverlel, le Créateur du monde & de l'homme. On le plaçoit dans le
Valhalla , c'eft-à-dire , dans le féjour de la gloire & de la félicité. Pourquoi
lui confacroit-on la nuit préférablement.au jour? J'avoue que je ne le fais
pas , ou qu'au moins je n'en puis rien dire de certain ; & quand on
confidére qu'un ufage fi extraordinaire étoit commun autrefois à tous
les Peuples de l'Europe , cette uniformité conduit naturellement à
croire qu'ils le tenoient tous du même lieu , & qu'ils étoient origi-
naitement la même Nation. S'il m'eft permis , après cela, de propofer mes
conjeftures, je foupçonne i". que cette pratique tiroit fon origine de
l'ancienne manière de vivre des Peuples Celtes : c'étoient .des Bergers
qui ne pouvoient guères quitter leurs troupeaux , ni s'affembler que
pendant la nuit. 2'', Mais ce qui contribua le plus à l'établir & à la faire
paffer en coutume , c'eft , à mon avis , que les Affemblées noûurries
étoient fayorables aux divinations & aux cérémonies magiques , qui
jfeifoient IVffentiel de la Religion des Ctltes, Ces Peuples auroientétéloua.-'
SUR L E"S T E M S SACRÉS. 46)
bles , s'ils euffent cherché la retraite & le filence , pour adorer la Divi-
nité fans aucune diftraûion , & dans un parfait recueillement. Mais, com-
me ils tenoient leurs Affemblées Religieufes loin des Villes Se des Vil-
lages , dans des lieux folitaires & incultes, afin que la Divinité, qui, fé-
lon leurs idées, ne rempliffoit que fes propres ouvrages , eût le paflage
ouvert & libre , & que fon adion ne fût point troublée par quelque
caufe étrangère (n), ils avoient auffi la fuperflition de choifir la-nuit
pour le culte des Dieux, parce qu'ils s'imaginoient que le tems où la
Nature eft dans une efpèce de filence , étoit le plus propre pour en-
tendre la voix de la Divinité , & pour obferver les fignes & les aver-
tiffemens qu'elle donnoit au Genre-humain. Les Magiciens ne prati-
quoient guères leurs cérémonies que pendant la nuit , où une imagination
•bleffée croit voir des fpeftres & des phantùmes , qui difparoiffent aufîi-
tôt que le jour commence à fe montrer.
Il ne paroît pas que le Celtes partageaffent les mois & les années en
femaines , ni qu'ils confacraffent un jour de chaque femaine au culte de
leurs Dieux. Mais une autre chofe qui eft certaine, c'eft qu'ils choifif-
foient ordinairement le clair de la Lune pour leurs Affemblées publi-
ques ôc folemnelles (n). Ainfi les Cdtibhes ^ & les Peuples qui leur
étoient voifins du côté du Septentrion , s'affembloient de nuit dans le
tems de la pleine Lune , pour vénérer un Dieu fans nom , & paflbient
toute la nuit à danfer , & à fe réjouir avec leurs familles hors des portes.
Le même ufage étoit établi parmi les Germains. « Ils s'affemblent, dit Ta-
cite (13), à moins qu'il n'arrive quelque événement inattendu &
»fubit, dans des jours marqués à la nouvelle ou à la pleine Lune; ils
» croyoient que c'eft-là le tems le plus favorable pour traiter les af-
wfaires.» Confacrant aux Dieux les jours de la nouvelle & de la pleine
Lune , ils croyoient que ces jours étoient les plus propres pour traiter
(2ij Cominenr peut on /«rwer tt fejfa^c à Dieu , c'eft qu'ils regardoient l'Univers e«icr
l'Etre fuprêmc , au Crimtkr iu munit & de comme le Temple d»; la Disinite' , & qu'ils
l'homme^ Comment peut-on /roaWir r«7if» du ' croyoient que c'c'toit la dé, r'der que de bitit
Tout-ruifl" nt par quilque caufc $ira gert > Cela
n'eft pa> comi.i'-henfîble- La Tlic'ologie des
Celtes étoit, J'«illeurs, contrnin-à ces principes
i/l.. P.lliiHucr ilîhWtlm mémt ch*f. i.d^ Livre
m de {on Hijloire , que _tt/ Peitflts avaient urfe
des édifices pour l'y adorer Taiiie de Mor.
Germ.cap. 9 l'av ue , en parlant des Gerra i<i(
qui fuivoicnt la Religion des Gaulois Uuts
ayeux Noie de C^diteur. 7^
{lî) Strabo III. tâ4.
jufte idée de Dieu & dt fei ftrferHiom. S'ils ne . /ijj T».it. CeiIU. cap, i
conracioienc point de Temples à rboAAcat de |
404 REMARQUES
des affaires importantes , parce que la Divinité favorable au culte St
aux prières de fes adorateurs , prélidoit alors d'une façon particulière ,
à leurs délibérations. Les Gaulois auffi faifoient leurs Affemblées au
clair de la Lune. C'eft la raifon pourquoi ils comptoient leurs mois &
leurs années, non pas depuis ce que nous appelions la nouvelle Lune,
mais depuis le jour où elle répandoit une lumière fuffifante pour les éclai-
rer -pendant qu'ils alloient à leurs Sanftuaires , ou qu'ils en revenoient.
«Les Druides , dit Pline (14) , cueillent le Gui de chêne le fixiéme jour
»de la Lune, & c'eft à ce jour-là qu'ils placent le commencement
♦> des mois , des années Se des fiécles , qui font parmi eux de trente ans.
«Ils fondent cet ufage fur ce qu'alors la Lune a déjà aflez de force, quoi'
» qu'elle ne foit pas encore parvenue à la moitié de fa grandeur. )»
•Cette manière de calculer ne tiroit pas fon origine de l'ancienne Aftro-
nomie , qui comptoit la nouvelle Lune , non pas depuis le moment de
fa conjonâion avec le Soleil , ou de fon émerfion des rayons de cet aftre ,
-mais depuis le jour où elle commençoit à paroître. La Lune paroît avant
la fixiéme jour. J'approuve encore moins laconjeâure de ceux (15) qui
ont cru que les Gaulois trou voient quelque myftère dans Jix , « le re*
» gardant comme le plus facré de tous ( les nombres ) , & pouflanC
» la fuperftition jufqu'à renverfer, pour lui faire honneur, l'ordre des
» mois , des années & des fiécles, » Les paroles de Pline infinueroient
plutôt que les Gaulois donnoient dans une fuperftition aflez commune
aux Aftxologues &c aux Magiciens , qui s'imaginoient que le Gui de
chêne & les autres plantes avoient plus de vertu , éta^t cueillies fous
; certaines conftellations & dans certaines phafes de la Lune. Mais ces
. paroles ont un fens beaucoup plus fimple & plus naturel. Les Gaulois
tenant leurs Aflemblées au clair de la Lune, les commençoient au tems
çù elle ayoit déjà ajje^ de forée ^ ç'eft-à-dire , où elle donnoit aflez de lu-
mière pour les éclairer. Selon les appsrences , ces Aflemblées conti-
nuoient enfuite jufqu'à la pleine Lune, & peut-être jufqu'au dernier
quartier, de manière pourtant que celle de la nouvelle &. de la pleine
Lune étoient les plus nombreufes & les plus folemnelles. Le fixiéme de la
)Lune-étoit dope le commencement des mois & des années , parce que
c'étoit le jour où les dévotions publiques commençoient. Il me paroît
(x4)Plin. XVI, cap. 44.-
Ui) Relig. des ÇauloU Lir. I. p. «.j^
SUR LÈS TEMS SACRÉS. '465
ïbrt vraifemblaBIe que cette manière-de compter le commencement da
■jnois depuis le fixiéme jour de la Lune, étoit commune aux Gtrmains
& aux Gaulois ; & par cela même que ces Peuples confacroient à leurs
Dieux certains jours de la Lune , ils regardoient auffi ces jours comme le
tems le plus favorable , non-feulement pour les délibérations impor-
tantes , mais encore pour toutes ibrtes d'entreprii'es. Les Druidis (i^) , par
■exemple, vouloient que l'on cueillît dans certains jours de la Lune le
■Gui de chêne, & qu'on prît la même précaution pour ramaffer les œufs
de Serpent^ auxquels ils attribuoient une grande vertu. On voit aulïï
^27) que les Prophêteffes c^xj^ Arlovijle avolt dans fon Armée, lui décla-
rèrent que les Germains feroient infailliblement battus , s'ils n'atten-
^oient la nouvelle Lune pour livrer bataille aux Romains,
Outre les Affemblées ordinaires que les dites tenoient dans certains
jours de la Lune , ils avoient encore des Fêtes folemnelles qui revenoient
tous les ans dans la même faifon, La Fête que les Germains cciébroient
à l'honneur de la Terre, & qui, félon Tacite (28) , étoit accompagnée
de proceffions & de réjouifTances : ( C'étoit la folemnité de fon mariage
«avec Odin , c'efl-à-dire , de la produftion de l'Univers :) la fête que les
7%r<ï«j appelloient Cotitia (29) & Bendidia, du nom des Dieux au*-
xjuels elle étoit confacrée : ( elle reffembloit aux Bacchanales des Grecs ,
6c ne différoit point de celle que d'autres Tkraces célébroient fous le
.«ora de (30) Sabazia ) : la fête annuelle que les Habitans du Géyaudan
(3 i) alloient célébrer pendant trois jours fur le Mont Helénus : celle
encore que les Anglo-Saxons (32) faifoient au mois d'Avril , à l'hon-
ticur de la Déeffe Eojiar ou Eoflre.
La plus folemnelle de toutes ces fêtes étoit celle que Ton célébrait
au commencement de chaque Printems , & dans laquelle les Nations
entières fe réuniflbient par leurs Députés, pour délibérer for les befoins
de l'Etat. Elle étoit généralement obfervée par tous les Peuples Scy-
thes & Celtes. Les Etrangers l'ont appellée , avec raifon (3 3) , ^<î Champ de
Mars , foit parce qu'elle étoit confacrée au Dieu Teut , ou Odin , qui
(i«) Flin. XXIX. 13.
(27;Ca:fai. I. so.Plut. C«f. I. 717. Dio,
caf. xxxvnr. p. 90,
(2») Tacit. Germ. cap. 40«
(ij) Straljo X. 470, «te. j j»ag. 515. JCeyfici p. S7
Torne //, N n a
(30I HeTych. in Sibaz.
(}i~i Gregor. Tut. de glotli Conf. câp. af
(31) Beda dï T?. Rat. cap. 13. ' .y '
33) Vit. S. Rcmig. ap, Duchcih. Tom K
46^ REMARQUES
préfidoit à la guerre , fulvant la doctrine de ces Peuples , foît parce qitt
le fujet le plus ordinaire de l'Aflemblée étoit de déterminer de quel côté
on porteroit la guerre pendant le cours de l'année. D'autres l'ont ap-
pellée ( 34 ) /e Champ de Mai , parce qu'elle fe tenoit dans ce mois. Trois
chofes diftinguoient fur-tout cette folemnité. Premièrement , c'étoit la
fête des Nations entières , & non pas celle des Cantons , qui vraifem-
blablement s'affembloient quelque tems auparavant, pour donner leurs
ihflruftions aux Députés qu'ils envoyoient à l'Aflertiblée générale. En
fécond lieu , on immoloit des viftimes humaines pour la profpérité de
l'Etat , & pour le bon fuccès de la guerre que l'on alloit commencer.
«Entre les Dieux, difoit Tacite ( 3^ ) , les Germains ervent principale-
»ment Mercure ; ils croient même qu'il cft permis de lui immoler dans
» certains Jours des victimes humaines. » Le tems où il étoit permis &
même ordonné d'offrir ces cruels facrifices , étoit celui de l'Aflemblée
générale. On le voit dans un paflage du même Tacite (36) : « Les Peuples
» Semnons s'affemblent par leurs Ambafladeurs dans un jour marqué ,
»au milieu d'une forêt facrée , & là ils commencent leurs dévotions
«barbares par le facrifice d'un homme qui efl immolé publiquement. »
Peut-être qu'il faut rapporter au même ufage, ce que Jules Céfar àHioit
des Gaulois (37) : Public^ ejus generis habent injiituta facrificia y c'eft-à-
dire , que ces facrifices , autorifés par les Loix , s'offroient publique-
ment dans l'AfTemblée du Peuple ; & c'efl , pour le dire en pafl"ant , la
raifon pourquoi leurs Magiftratsétoient annuels (38). On les renouvelloit
au commencement de chaque année. Hérodote rapporte aufîl (3 9) que
« dans une Fête annuelle que les Scythes célébroient à l'honneur de leur
y>A<ars^ ils immololent, entr'autres viftimes, le centième des Prifonniers
»♦ qu'ils avoient fait à la guerre. » Je ne doute point du tout que cette
Fête ne fut celle de l'Aflemblée générale. Enfin , le Champ de Mars étoit ,
préférablement à toutes les autres fêtes des Celtes , un tems de réjouifTance
& de bonne chère. Comme les dignités & les commandemens fe diftri-
buoient dans l'Affemblée , & que toute» les affaires s''y décidoient à la
(î4) Vita S. Remigii ap. Duchefn. Tom. I.
pag. jis-Sigeb. ad An. 66x. Eginh. cap. i.
pag. 9. Paul. Diac. Ker. Longob. lib. III.
cap. 18. p. 392. Hotoman Fianco-Gall. f • IJS-
(j s) Tacic. Geim. cap. 9,
{i6) Tacit. Germ. cap. 39.
(j7) Cifar VI. i«.
(38) Herodot. IV. tfi.
(3 s) Cïfar VII. il.
SURtESTEMSSACRÊS. 467
pluralité des voix , les grands Seigneurs n'y épargnoient ni careffes ,
ni dépenfes pour gagner les fuftrages, & pour augmenter le nombre de
leurs Cliens ; & , parce que le grand moyen de gagner un Cdtt , étoit de
le régaler & de le faire boire , la Nobleffe & les Chefs de Parti tenoient
table ouverte auffi long-tems que la folemnité duroit. On ne fe trompera
pas affurément , en rapportant à cet ufage ce que dit Hérodote (^/[o^ que
«chaque Chef de Province donnoit tous les ans un feftin, auquel affif-
Mtoient tous les Braves qui avoient tué un ou plufieurs ennemis à la
»> guerre. » Les Braves étoient , fur-tout , flattés & careflés , parce qu'au
milieu de ces Peuples belliqueux , le fuffrage d'un guerrier entraînoit or-
dinairement après foi celui de toute l'Affembiée. Les Romains célébroient
au commencement de chaque Printems une ancienne Fête , qui pourroit
bien être la même que celle dont je viens de parler. Elle étoit confacrée
au Père Dis , qui étoit le Teut ou le Mars des Celtes (41). On y otfroit à
ce Dis des viftimes humaines ; & , après que ces barbares facrifices
^curent été abolis , on en conferva cependant une image , en jettant dans
le Tibre des hommes de paille. Cette Fête tomboit à peu-près fur le jour
de la Lune où les Celtes tenoient leurs Affemblées. Denis d'HalicarnaJfe (41)
l'a remarqué. «On précipite ces figures d'homme dans le Tibre peu
»> après l'équinoxe du Printems, au jour que les Romains appellent les
» Ides de Mai , & oii ils difent que la Lune , parvenue à la moitié de fa
» grandeur, partage les mois en deux parties égales.»
Il n'eft pas néceffaire d'avertir qu'outre les Fêtes qui étoient obfer-
vées dans toute la Celtique ^'A y en avoit d'autres qui ne l'étoient que
dans certaines Contrées. Il en étoit, à cet égard, des Celtes comme de
toutes les autres Nations , où chaque Pïovince , chaque Ville trouve
dans des événemens qui lui font particuliers , le motif de quelque folem-
nité. Ainft les Habitans de l'île de ThuléÇj^i), qui eft ïljlande, célé-
broient tous les ans , au mois de Janvier, une grande Fête dans laquelle ils
fe réjouiffoient du retour du Soleil , qui devoit reparoître fur leur horifon
au bout de quelques jours. Je trouve encore qu'il y avoit des Fêtes qui
ne revenoient qu'au bout de quelques années. Celle, par exemple,
où les Gétes dépêchoient des Meffagers à Zamolxis, les jettant en l'air,
(40) Heiodot. IV. «i. 66, I (+z) Dion. Halic. lib, I. p. 30,
(41} Heiodot. III. â. $. z. l (4jjPi;ocop. Goth. II. cap. 15. p. 42}.
N nn z
-468 REMARQUES S^R LES TEMS SACRÉS.
& les rccievàilt fur des halebardes , fe célébroit dprès . une révolution
de cinq ans- (44). Les Peuples du A^or^avoient auffi leur grand /w//,
c'efi-à-dire , leur grande Fête, qui fe célcbroit ( 45 ) de neuf en neuf
ans, èc pendant laquelle on immoloit aux Dieux quatre-vingt-dix-
neuf hommes , avec un pareil nombre de chevaux , de chiens & de
coqs, En voilà affez fur les tems facrés , & fur les Fêtes des Peuples
Celtes. Je n'ajouterai qu'une feule remarque. C'eft que les Peuples des
Gaules &c de la Gcrmanit, en embraffant le CliriJUamJ'me , tranlporte-
rent aux Fêtes des Chrétiens, les divinations, les danfes avec toutes les
fuperftitions qu'ils avoient pratiquées dans le Paganifme. On le voit
dans une Conftitution du Roi Chiliebert (46) : <« Il ell parvenu jufqu'à
» nous que, dans les Affeniblées Religieules, il fe commet des facriléges
»qui offenfent Dieu , &C qui font tomber le Peuple dans le péché
«mortel : on pafie les nuits à s'enivrer , à faire des bouffonneries,
» & à chanter des chanfons , même les faints jours de Pâques & de
»Noël, Ôç les autres jours de folemnité. Quand le Dimanche vient^
M des danfeufes courent les Bourgs & {&$ Bourgades.*
■i ■ - ■ I i— ■ I i^
(44"; Hcrod. IV. 94.
(4s j Diim.lrus LeiSnitzii Tom. I. p. 317.
(4«; Labbc Concil. Tom. V. p. i «s i Balae. Tom. 1. f . i.
'^.je»
4^9
OBSERVATIONS
HISTORIQUES ET CRITIQUES
Sur VaboUdon des Druides & des Sacrifices humains dans les
Gaules y par M. P ellout 1ER (i).
J L y a dans VHijloire Naturelle de Pline , im pafîage fur lequel je me
propofe de faire quelques réflexions. Parlant des Druides , des viclimes hu-
maines qu'ils ofFroient aux Dieux, des divinations qu'ils pratiquoient ,
des guérifons qu'ils prétendoient opérer par le moyen de la Magie , il
dit (i) : « Les Gaulois ont été entêtés de ces fupcrftitions jufqu'à notre
j»fiécle, où VEmpereurTlB^RV. a exterminé leurs Druides avec toute cette
M forte de Devins & de Médecins. » Suctone &c Aurèlius Victor difent quel*
que chofe d'approchant. Le premier, dans la vie de l'Empereur Claude ,
aflTure qu'il abolit entièrement la Religion^ des Druides ( 3 ). Dntidarum
'Religionem apud G allas dirce Immanitatis ,6* tantùm civibns fuh Augujlo in-
terdiclam, penitùs abfoLvit. Le fécond, parlant du même Empereur, dit (4):
Comprejfa per eum vitia , ac per Gallium Druïdarumfamofce fuperjlitiones. Ces
Auteurs différent de Pline fur deux articles. D'un côté, ils attribuent à
l'Empereur Claude les Edits qui furent publiés contre les Druides. De
l'autre , ils prétendent que cet Empereur fe contenta d'abolir la Reli-
gion , ou les fameufes fuperftitions des Druides. Je ne prétends pas con-
tefter les faits que ces Hiftoriens afTurent fi pofitivement; & il me pa-
roît même bien facile de les concilier par rapport aux autres articles
fur lefquels ils ne font pas d'accord. Mais les régies d'une bonne critique
demandent affurément, que l'on donne aux paffages de ces trois Auteurs
im fens qui ne choque ni la vérité , ni la vraifemblance. Les Druides ont
fubfifté, & paroifTentdans l'Hiftoire , long-tems après le régne des Empe-
reurs Tibère & Claude. C'eft , d'ailleurs , une choie fans exemple , que
les Romains, en fubjuguant une Nation , aient penfé à lui ôter fa Reli-
~" • "'Il II II ^ «<
(1) On iioure cet Ecrit djns U 2<'«i«f «//«£<-. (3) Sueton. cap. XXV.
ilMi'qut Gctmani^iu, Tota.^%.%,\l. 1, ^il-é^jl, | -(4) Am. V. C«Ûf' C.11'. 4>
(2) Plin. XXX. I.
470 OBSERVATIONS
gion & fes Sacrificateurs. Il me paroît donc à propos de faire ici une
réflexion , qui fervira à déterminer le véritable fens du paffage que j'exa-
mine.
Quoique les Romains aient fouvent immolé à leurs Dieux des vic-
times humaines, non-feulement fous les Confuls , mais encore fous les
Empereurs , il faut avouer , cependant , qu'ils ne le faifoient que dans
des cas extraordinaires , où le Sénat étoit obligé , malgré lui, de condef-
cendre aux infiances des Pontifes &c d'une foule de Superftitieux qui ne
cefToient de crier que le feul moyen de fauver la République du danger
éminent dont elle paroiflToit menacée , c'étoit de confulter les Livres
de la Sy bille, & d'offrir les facrifices qui étoient ordonnés dans ces Li-
vres. Ces cas , tout extraordinaires, n'empêchoient pas que le Sénat ne
défapprouvât la cruelle fuperflition d'immoler des hommes , & qu'il ne
fît de fages réglemens pour l'abolir, non-feulement à Rome, mais aufU
dans toutes les Provinces qui dépendoient de la République. On en voit
une preuve dans la Fête que les Romains célebroient tous les ans à
l'honneur du Père Dis , & pendant laquelle ils jettoient dans le Tibre
trente hommes de paille en la place de trente vieillards qu'on précipi-
toit autrefois tout vivans. Pline fait aufîi mention d'un Arrêt du Sénat,
publié Tan 657 de Rome ( 5 ) , par lequel il étoit défendu d'immoler
des hommes à la Divinité. Comme cet Edit fut donné dans un tems ok
la pofTeffion de la Gaule NarbonnoifTe venoit d'être affurée à la Ré»
pubUque par les vidoires de Marius , & par la défaite des Barbares qui
avoient ravagé cette Province pendant plufieurs années , il y a toute
apparence qu'il regardoit fur-tout les Gaulois, qui offroient publiquement
à leurs Dieux de femblables facrifices. Quoi qu'il çn foit , il paroît ,
par un paffage de Plutarque , que le Sénat avoit grand foin de recher-
cher & de punir ceux qui contrevenoient à l'Edit dont je viens de par-
ler. Le paffage porte (6) que «les Romains ayant été informés que
i>les Blétonnéfiens , qui étoient des Barbares , avoient immolé un
» homme aux Dieux , firent venir à Rome les Magiftrats de ces Bar»
«bares pour les en punir. Ceux-ci ayant prouvé qu'ils avoient fuivi
» en cela une ancienne coutume , furent renvoyés abfous , mais il leur
» fut défendu de pratiquer la même chofe dans la fuite, »
" — ^ ' -— — *
(s) Plin. ubi fuptà.
(«) Pl^t. Quœfl, Cent. Tora. II. p. »«j.
D Ë M. P E L L C U T I E R. 471
Je ne m'éloignerai pas beaucoup de mon fujet , en faîfant ici une
courte digreffion fur les BUtonéJiens dont parle Plutarque. Ce mot femble
indiquer les Habitans d'une île nommée Bltton. Mais , comme dans aucun
des anciens Géographes , on ne trouve point d'île de ce nom , je ferois
fort tenté de fubftituer ici le met de Bntannefii , qui défigneroit les Infu-
laires ou les Habitans de la Grande-Bretagne. EiFeâivement , il eft conf-
tant que les Bretons , ayant été mal foumis par Jules-Céiar , continuèrent
toujours d'ofFrir à leurs Dieux des viûimes humaines , comme ils l'a-
voient fait par le paffé. Mais il eft , en même tems , très-vraifemblable qu'a-
près que l'Empereur Claude eût fubjugué l'Angleterre , & mis de
bonnes garnifons dans le Pays , le Sénat jugea à propos de foumëttre
cette nouvelle Province au Sénatus-Confulte dont je viens de faire men-
tion. Quelque vraifemblable que foit cet conjeûure , je fuis pourtant
obligé d'y renoncer , parce je ne faurois la foutenlr , fans tomber ,
avec le P. Hardouin , dans un anachronifme de près de deux fiécles.
Plutarque , après avoir parlé de la défenfe faite aux Blétonnéjîens ,
ajoute (7) que « peu d'années auparavant , les Romains eux-mêmes
H n'avoient pas laifl'é d'enterrer vivans deux Grecs & deux Gaulois ,
«favoir un homme & une femme de chaque Nation , & cela après
» avoir confulté les Livres de laSybille, à l'occafion de la mort d'une
w Veftale , nommée Hdoca , qui avoit été tuée'par la foudre , & de l'in-
» cefte commis par trois autres Vefttales , Emylïa , Licinia & Mania ,
w qui avoient été corrompues par un Chevalier étranger , nommé Buté"
» rius.'^ Le P. Hardouin prétend (8) que tout cela s'étoit paffé du tems de
Néron. Mais les raifonsfur lefquelles il appuyé fon fentiment ne font d'au-
cun poids , ou plutôt elles font renverfées par une preuve démonftrative.
i''. Il fait dire à Plutarque que ces chofes s'étoient paffées peu d'années
avant le tems où il écrivoit , aulieu que Plutarque dit clairement & for-
mellement que les Romains qui défendirent aux Blétonnéjîens d'immoler
des viftimes humaines , n'avoient pas laiiTé de pratiquer la même chofe peu
d'années auparavant.
1". Le Père fe fonde (9) fur un paffage de Pline , qui porte «quil
.w n'y avoit pas long-tems que l'on avoit enterré un Grec & une Grecque
{^) Plut, ubi fupti.
(I) Harduin. ad Plin, XXYIII. cap. ». pig. >J7»
(9) ubi faptà.
47i OBSERVATIONS
» dans le marché aux bœufs, &c que ces facrifîces étoîent en quelque
» manière autorifés par les bons fuccès que les Romains avoient eus
» pendant 830 ans. » Il eft vrai que l'an S30 de Rome , qui eft l'année où
Pline écrivoit , tombe fur la fin du régne de Vefpafien, mort l'an 832 de
Rome , & de notre Ere 79. Mais Pline ne parle ici que d'un Grec & d'une
Grecque. Il ne dit pas que ce facrifice eût été offert à i'occafion d'un
incefte commis par des Veflales, & Suétone (10) remarque même ex-
preffément que Vefpafien & Tite négligèrent de punir l'impudicité de
ces Vierges.
3^. Enfin , ce qui eft décifif, Tite-Live , dans l'un de fes Livres, qui efl
perdu , & dont nous n'avons plus que les Sommaires , rapporte la con-
damnation des Veftales Emyl'm , Llcinia 6c Mania , au Confulat de C.
JPorùus , qui tombe fur l'an 640 de P^ome, Les Eiétonnéjuns ne fauroient
donc être les Habitans de la Grande-Bretagne , dans laquelle les Romains
ne pafferent qu'environ foixante ans après», favoir l'an 699 de Rome. Le
P. Hardouin s'eft aufll trompé , en plaçant fous le régne de Vefpafien
des événemens antérieurs de près de 200 ans. Les trois Veftales qu'on
vient de nommer , furent convaincues & condamnées l'an de Rome
640. Les Romains , pour expier ce facrilége , firent enterrer vivans dans
le Marché aux Bœufs , un Gaulois ôc une Gauloife , & en même tems un
Grec ôc une Grecque. Ce fut quelques années après que l'on manda à Rome
les Magiftrats des Blkonnèfitns qui avoient immolé un homme à leurs
Pieux , & qu'on leur défendit d'offrir à l'avenir de femblables facri-
fices. Comme l'Edit du Sénat qui interdifoit ces barbares facrifices , fut
publié l'an 657 de Rome , je fuis bien trompé s'il ne fût pas donné à i'occa-
fion de CQsBUtonnéJiens<\\n étoient , félon les apparences, un Peuple de la
Gaule Narbonnoife , pu fi l'on veut , les Habitans d'une ile voifine de
cette Province,
Pour revenir à mon fujet , j'efpere qu'on ne me conteftera pas que les
Romains abolirent peu à peu les facrifices humains dans toute l'étendue
de leur domination. Lorfque Jules-Céfar (i i) commandoit en Elpagne,
où il avoit été envoyé en qualité de Prêteur, il abolit cette cruelle
fuperftition àGades, où elle avoit été apportée par les Phéniciens j 6C
• — - — . ^
(10) Sueton. Domir. cap. 8.
^ii) Cicci. fco Salbo cap. 9,
D E M. P E L L O U T I E R. 473
oïl elle s'étoit confervée jufqu'à fon tems. Il ne faut pas douter qu'il n'ait
donné dans la fuite de femblables ordres dans les Gaules qu'il avoit
conquifes, .& dont il garda le Gouvernement près de dix ans. Lucain
(iz) l'infinue affez clairement, puifqu'il dit aux Druides qu'ils avoient
renouvelle pendant les guerres civiles des Romains , les barbares céré-
monies qu'ils avoient été obligés d'interrompre après la conquête des
Gaules. Il eft vrai qu'Augufte n'avoit d'abord défendu qu'aux feuls
bourgeois (13) Romains de prendre part aux cruelles cérémonies que les
Gaulois pratiquoient (14) > mais il me paroît très-vraifemblable qu'il
rendit enfuite cette défenfe générale , & qu'il abolit les facrifices humains
dans toute l'étendue de l'Empire. Sans cela , il feroit difficile de compren-
dre que des Hiftoriens qui ont écrit peu après la mort d'Augufte, euffent
pu parler de ces facrifices comme d'une fuperftition qui étoit abolie dans
les Gaules , ou qui ne s'y pratiquoit au moins que fort.fecrettement.
Strabon (15), par exemple, qui publia fa Géographie vers le commence-
ment du régne de Tibère , après avoir parlé de la coutume qu'avoient
les Gaulois de clouer aux portes des Villes les têtes des ennemis qu'ils
avoient tués à la guerre, ajoute : « Les Romains ont cependant fait quitter
» aux Gaulois cette barbarie , & les ont défabufés des facrifices & des
» divinations qui ne s'accordent pas avec nos coutumes. >= Pomponius
Mêla (16), qui vivoit fous Tibère, ou pour le plus tard fous Néron,
dit aufli que « les Gaulois font des Peuples fiers qui ont autrefois pouffé
« la férocité jufqu'à fe perfuader que l'homme eft la plus excellente
« viGime que l'on puiffe offrir aux Dieux. » Il ajoute que , « quoique cette
«barbare fuperftition foit abolie , il en refte pourtant quelque traces. lis ne
» font pas mourir , à la vérité , les hommes , mais ils les font au moins
» approcher de l'Autel , & leur verfent du vin fur la tête.» Pline (i7)qui
écrivoit fur la fin de l'Empire de Vefpafien, reconnoit aufli que l'on n'of-
froit plus dans les Gaules des vidimes humaines. « Il n'y a pas long-tems,
*' dit-il, que les Peuples qui font au-delà des Alpes, avoient encore la
«coutume d'immoler des hommes. Les Romains, dit-il ailleurs (18),
(11] Lucan. I. t. 450. 4SI•
(I3) Il falloit dire *ux Ciioyim Rcmaini. II
y a une gtande différence entre le Citoyen
proprement dit , & le Bour^roii.
(14] Sueton. in Claud. cap. Z{.
Tome IL
fis) Stab. IV. 158.
(i(i) Pompon. Mêla lib. III cap. 2. p. jt.
(17) Plin. VII. c p. p. 6.
(is^ Id. lib. XXX. cap. i. p. 71».
Ooo
474 OBSERVATIONS
» ont rendu aux Genre-humain un fervice ineftimable , en aboliffant
» cette horrible fuperftition , qui faifoit regarder le facrifice d'un homme
» comme la chofe du monde la plus facrée. » Enfin , Solin (19) , qui a
écrit après le régne d'Alexandre Mammée , reconnoît, à la vérité , qu'on
accufoit les Gaulois d'offrir à leurs Dieux des vlâimes humaines , mais il
avertit , en même tems , qu'il n'oferoit garantir la vérité du fait.
Voici donc qu'elle eft ma conclufion. Les Romains n'eurent jamais
kpenfée d'ôter aux Gaulois, ni leur Religion , ni leurs Druides. S'il en
étoit autrement , les Druides &c les Dryades ne paroîtroient pas dans
l'Hiftoire jusqu'au tems de Dioclétien &c de Conftantin le Grand (20).
Mais le Sénat & enfuite les Empereurs défendirent , fous des peines
févères , les divinations & les facrifices humains , parce que les Loix
d'une bonne politique le vouloient ainfi , & que de pareils abus ne doi-
vent pas être tolérés dans une Sotîv'^ bien réglée. Les divinations
étoient une impofture dont les Prêtres abufoient fort fouvent pour trou-
bler le rjpos de l'Etat, & elle ne fervoient ordinairement qu'à remplir
les Particuliers qui y ajoutoient foi , de fauffes craintes, ou de vaines efptr
rances. Les facrifices humains étoient une fuperftition barbare , &C cette
fuperftition fa'loit perdre fort inutilement à l'Etat une partie de fes Su-
jets. Par cette railon , l'an 657 de Rome, le Sénat avoit aboli dans la
Gaule Narbonnoiie les facrifices dont il eft queftion. Ils furent auffi abolis
infenfiblement dans la Gaule , que l'on appelloit barbare , & qui avoit
été conquife par Jules- Céfar. Mais, comme les Gaulois étoient fort atta-
chés à leurs iuperllitions , & qu'ils continuèrent long-tems d'offrir en
fecret des viftimes qu'il ne leur étoit plus permis d'immoler publique-
ment, on fut obligé de renouveller fouvent les Edits qui avoient été
donnés fur ce fujet. Augufte n'avoit d'abord défendu qu'aux feuls Bour-
geois Romains de participer aux barbares cérémonies des Gaulois. J'ai
expofé les raifons qui me font juger que , fur la fin de fon régne , il abolit
les facrifices humains dans toute l'étendue de fon Empire. Quoi qu'il en
foit, Tibère , fucceffeur d'Auguffe , n'épargna rien pour bannir cette fu-
(19) Solin. cap. 34. prophétie s'accomplit lorfqu'il eût tue' Aniut
(i») On fyaii, par exemple , que Diocle'ticn ; Aper , Pie'fct du Prétoire, qui , pour parvenir
ne fe lalTot point d'aller à la chaffe du fan- à l'Empire , avoit aflalline' l'Empereui Nume-
glier, p.lrce qu'une ProphetcffeDraiif lui avoit rien Ion gendie. Vt[iffui in Numeriano , cap.
prédit qu'il deviendroit Empereur quand il ; Xl\, v. 793,
auioit tue un Tangiier : aim A(rHm eççtimi, La 1
D E M. P E L L O U T I E R. 4.^ ^
perdition , tant des Gaules que de cette partie de l'Afrique , qui étoit
foumife à fa domination (ii). L'Empereur Claude prit auffi la chofe fort
à cœur. II abolit, félon la remarque d'Aurélius Vidor , les fameufes fu-
perftitions des Druides , ou , comme le dit Suétone, la cruelle Religion
des Gaulois, c'eft-à-dire, la coutume d'offrir des viftimes humaines. Mal-
gré tous ces foins, cène fut, dit Eufebe (21) , que fous l'Empereur
Hadrien, que l'on cefla d'immoler des hommes.
Tous les Auteurs que je viens de citer , s'accordent à confirmer ma
Thèfe. Ils parlent de l'abolition des facrifices humains , mais ils ne font
aucune mention de l'extirpation de la Sede des Druides. La feule diffi-
culté qui refte , eft celle qui fe tire du paffage de Pline , que j'ai cité au
commencement de ce Difcours. «Les Gaulois, dit cet Hiftorien , ont été
w entêtés de la fuperftition d'immoler des hommes, jufqu'à un tems
«dont nos vieillards peuvent encore fe fouvenir. Car on fait, au refte,
» que l'Empereur Tibère a exterminé leurs Druides, 6c en général , toute
» cette forte de Devins & de Médecins.» Cependant le même Auteur,
rapportant la manière dont on cueilloit le Gui de chêne , parle des
Druides , comme de gens qui exiftoient aftuellement , & qui préfi-
doient au culte divin parmi les Gaulois (13)- Un paffage de Dion ( 24)
Chryfoftome prouve qu'ils confervoient encore leur autorité du tems
de l'Empereur Trajan. Enfin, Aufone (25), qui a écrit depuis l'établif.
fement du Chriftianifme dans les Gaules, parlant des Profeffeurs qui
enfeignoient dans l'école de Bordeaux , dit qu' 4ttius Paiera étoit de
la race des Druides^ qu'il tiroit fon origine du Temple de Bélénus , &
qu'il portoit le nom de Paiera, parce qu'il avoit été Miniftre de ce Dieu.
Il dit encore (26) que Phébitius avoit été Marguillier de Bdlmis , Se qu'il
étoit de la famille des Druides ; ce qui prouve que les Druides avoient
confervé jufqu'alors l'intendance des Sanduaires. Il faut donc nécef-
fairement expliquer le paffage de Pline dont il s'agit, d'une manière
qui puiffe concilier cet Auteur avec lui-même , & qui s'accorde d'ail-
leurs avec la vérité de l'Hiftoire. Voffius a cru réfoudre la difficulté ,
en difant (27) qu'il n'eft queftion dans ce paffage que de la Ville de
(zt) Teriuil. Apol. cap 4.
(12) Eufeb. Prxpar. Evaiig. lib. IV. cap. 15.
pïg. 154-
(îj) Plin. lib. XVI. cap 44. p. 312,
(24}Dio. lib. XLX. p. 5 3 3.
(is) Anfon. rrofelT. IV. p. jo.
(2«) Ibid. Catm. X. p S4-
(27) Voflius de Orig. & Ptogr. Idololatriac ,
lib. I. cap. }f. p. 13$.
O O o z
•
476 O B S E R V A T I O N S , &c;
Rome , dont Tibère fit chaffer les Druides , les Devins & les Méde-
cins. Mais (y avoit-il des Druides à Rome ? Au iiirplus ) , cette explica-
tion eft combattue par les paroles mêmes de Pline , qui dit que les Gau-
lois ont été entêtés des divinations, de la magie & des lacrifices humains
jufqu'aux fiécle où il vivoit , & qu'ils en font revenus depuis que
l'Empereur Tibère a exterminé leurs Druides , & en général cette forte
de Devins & de Médecins. Un pafTage de Tertullien ( i*> ) explique
clairement la chofe. «Tibère, dit-il, faifoit crucifier les Prêtres qui im-
» moloient des viûimes humaines. » Voilà le fait que Pline rapporte. Ti-;
bère n'abolit pas l'Ordre des Druides , mais il puniflbit du dernier fup-
plice les Druides ^ & en général, les Sacrificateurs & les Devins qui, con-
tre la teneur des Edits , offroient des viftimes humaines , le mêloient de
divinations & de magie , fe vantoient de prédire l'avenir , & de guérir les
maladies par le moyen de ces belles Sciences.
Les Druides fubfifterent donc dans les Gaules aufîi long-tems que le Pa-
ganifme. Mais les chofes changèrent defacelorque la Religion Chrétienne
commença à s'y établir. Le Peuple , inflruit par de meilleurs Maîtres ,
abandonna ks Druides ^ & ne leur apporta plus les préfens & les of-
frandes , d'oïl ils tiroient une partie de leur fubfiflance. Bientôt l'Eglife ,
foutenue du bras féculier, alla ruiner les Forêts confacrées, & les au-
tres Sanûuaires des Gaulois. On publia des Edits rigoureux contre ceux
qui alloient faire leurs prières dans les campagnes & dans les bois. On
fit pafTer les Druides pour des Sorciers , qui tenoient des Aflemblées
nodurnes à l'honneur du Diable ; on fournit , de cette manière , au faux
zèle un prétexte pour les perfécuter à toute outrance ; & à la fin , la ruine
du Paganifme dans les Gaules entraîna néeefTairement celles des Druides,
- ,11 .!■ ■! I III I
(î ») Tcitoll. Apol, cap. 4.
vasj
477
DISSERTATION
Sur le tems où la Religion Chrétienne fut établie dans les Gaules ,
par M. DE C H I N I A C .
J. LUSIEURS Ecrivains ont travaillé fur une matière fi digne d'être
approfondie ; mais quelques favans que foient leurs ouvrages , 11 faut
convenir qu'il refte bien des difficultés que je dois éclaircir, pour prou-
ver le pomt le plus intéreffant de l'Hiftoireque j'écris ('), favoir, que
la foi en J. C. n'a été annoncée dans les Gaules qu'au milieu du Ih.Jîécle.
Ceux qui ont entrepris de montrer que le Chriftianifme a été établi
dans les Gaules par les Difciples des Apôtres , dès le premier fiécle , fe
font engagés à défendre un grand nombre de traditions populaires, &
à loutenir comme authentiques les pièces les plus méprifables & les
moins dignes de foi. C'eft fur ce fondement ruineux que quelques-uns
ont prétendu que faint Paul , allant en Efpagne , pafla dans les Gaules,
& laiffa faint Crefcent à Vienne , que faint Trophime fut envoyé à
Arles par faint Pierre, que faint Philippe , Apôtre, & faint Luc, Evan-
gélifle, nous ont prêché la foi, que faint Denis , faint Martial, faint
Sixte , &c. ont reçu leur miflion pour les Gaules de faint Pierre ou de faint
Clément, & y ont établi, dès le premier fiécle, des Eglifes florlffantes.
Je vais difcuter toutes ces traditions , & je me flatte de prouver que l'éta-
bliffement de toutes ces Eglifes dans le premier fiécle , n'efl pas mieux
fondé que l'origine de nos Rois de la première race qu'on a fait remon-
ter jufqu'à Francien , fils de Priam , ou félon d'autres, fils à' Hector, dortt
ôn a produit la filiation jufqu'aux derniers Rois de la féconde race. Si
l'on m'ijccufe de combattre la gloire de la Patrie, je réponds ingénuement
que l'Eglife Gallicane n'a pas befoin de faux titres de noblefTe & d'anti-
quité. Les traditions ne font honorables qu'autant qu'elles font ap-
puyées fur la vérité , «• contre laquelle , félon la remarque de Ter-
*> tuUien , ni l'efpace des tems , ni l'autorité des perfonnes , ni les pri-
»viléges des Pays ne peuvent prefcrire. »> De vel. virg. init. Je fais qu'il
y a des Chrétiens fincères, mais trop crédules , à qui cet examen pourr^
( * ) L'HtJlairt di l'î^lifc G»lH(»nc. Voye» le Journal SnejelpfidijHc , Année 1 770. JatiTiet i paît,
47« DISSERTATION
ne pas plaire, mais, comme l'obferve M. Fleury, «la vraie piété con"
M fifle à aimer la vérité & la pureté de la Religion , & à obferver , avant
» toutes chofes , les préceptes marqués expreffément dans l'Ecriture.
«Or, ajoute le même Hiftorien, je vois que faint Paul recommande
»> plufieurs fois à Tite & à Timothée d'éviter les fables ; & qu'entre les
» défordres des derniers tems , il prédit que l'on fe détournera de la vé-
» rite pour s'appliquer à des fables : je vois que les doftes fables ne font
» pas moins rejettées par St. Pierre, que les contes de vieilles par faint
»j Paul ; &, comme il condamne les fables Judaïques, je crois qu'il au-
H roit condamné les fables Chrétiennes , s'il y en eût eu dèslors. Que
«diront à cela ceux que la timidité rend û crédules? N'auront-ils point
« de fcrupule de méprifer une telle autorité ? Diront-ils que jamais il
»n'y a eu des fables chez les Chrétiens ? Il faudroit démentir toute
>» l'antiquité ; & quand nous n'aurions que la légende Dorée de Jac-
»ques Voragine, elle n'eft que trop fuffifante. La donation de Conflan-
»tin n'eft pas crue même à Rome. La Papeffe Jeanne, crue autrefois
»par les Catholiques, eft abandonnée & réfutée par les Proteftans.
>> Baronius , fans doute , bon Catholique , a rejette quantité d'écrits
» apocryphes , & de fables avancées par Métaphrafte , & par plufieurs
>> autres.... Les fables , dit encore l'illuftre Hiftorien , fe découvrent tôt
»ou tard; & alors elles donnent occafion de fe défier de tout, & de
>> combattre les vérités les mieux établies. » J. Difc. fur fHijl, Ecd,
Art. y.
Première Proposition.
Les Gaules n^ont point reçu la foi dh le premier flécle,
L'Auteur des Aftes nous apprend que les Apôtres ne portoiertt le flam-
beau de l'Evangile que dans les Pays oii l'Efprit de Dieu les envoyoit.
Voici ce que nous lifons au Chapitre XVI : <« Paul étant arrivé à Derbe & à
«Liftre, rencontra un Difciple nommé Timothée ... Paul voulut qu'il
» vînt avec lui. . . . Lorfqu'ils eurent traverfé la Phrygie & la Galatie ,
»le Saint-Efprit leur défendit d'annoncer la parole de Dieu en Afie.
«Etant venus en Mifie, ils fe difpojoient à pafler en Bithinie : mais
« l'Efprit de Jesus ne le leur permit pas. » ( ^. i , 3 , 6 & 7. ) Saint Paul
hous apprend la même vérité, lorfqu'il écrit aux Romains: « Dieu que
*>;e fers par le culte intérieur de mon efprit dans l'Evangile de fou Fils,
D E M. D E C H I N I A C. 479
» m'eft témoin que je me fouviens fans cefle de vous , lui demandant
»> continuellement dans mes prières, que y? c'ejlfa volonté, il m'ouvre
» enfin quelque voie favorable pour aller vers vous ; car j'ai grand de-
»fir de vous voir Je fuis bien aife que vous fâchiez que ]' avals J'ou-
a^vent propoji de vous aller voir. . . mais j'e« ai été empêché jufqu' à cette
» heure .... Ainfi pour ce qui eji de moi , je fuis prêt de vous annoncer aulîi
w l'Evangile, à vous qui êtes à Rome. ( Rom. I. 9 , 1 1 , 13 , 15.)» Il ne
faut donc pas juger fur de fimples raifons de convenance, que St. Pierre
& St. Paul étant à Rome uniquement occupés à la propagation de
l'Evangile , ayent fait annoncer la foi de J. C. aux Gaulois. Le zèle de
ces faints' Apôtres étoit grand ; mais il n'eft pas une raifon fuffifante pour
conclure avec le P. Longueval , qu'ils l'ont fait. Hijî. de CEgl. Gai.
tom. I. DiJJèrt. pag. 43. Examinons donc les preuves pofitives qu'on al-
lègue pour établir ce fentiment.
I. Le Traité de la vie & de la mort des Saints , attribué à faint Ifidore de i. s. phiiîpp
Séville, porte que faint Philippe eft venu prêcher l'Evangile dans les cn*/u"'ior*
Gaules. On ne voit pas que cela ait été connu dans les Gaules par ceux j'*'"'"^»*-
qui pouvoient mieux le favoir. Les Hiftoires Grecques & Latines que
Collandus nous a données de faint Philippe, telles qu'elles foient, ne
difent point qu'il ait jamais voyagé en Occident. Aufïï Baronius croit
que , dans le Traité attribué à faint Ifidore, il faut lire la Galatie, & non
les Gaules. Mais , fans s'arrêter à la conjeûure de Baronius , qui n'eft pas
folide (i), il eft certain que le Traité de la vie & de la mort eft trop plein de
fautes & de menfonges, pour croire qu'il foit de faint Ifidore de Séville;
Se , quand même il feroit de lui , cela ne feroit pas une autorité confidé-
rable, ce Saint étant mort en 636. En effet , de qui faint Ifidore auroit-
il appris que faint Philippe avoit prêché dans les Gaules, puifque Sul-
pice Sévère, Grégoire de Tours, & nos autres Ecrivains, plus anciens
que lui , n'en avoient jamais riea fçu ?
Saint Epiphane affure que «le miniftère de la parole de Dieu ayant n.Nis.i.u^
»été confié à faint Luc , cet Evangélifte l'exerça dans la Dalmatie ,
» dans la Gaule , dans l'Italie &C dans la Macédoine , mais particuliére-
» ment dans la Gaule , ainfi que faint Paul l'attefte dans fes Epitres , de
«quelques-uns de {es Difciples. Car, ajoute le faint Doûeur, il ne
(1) I/Auteur du Tr»iit z certainement voulu parler des Gnules qui font borne'es par l'OcUn oa
la Mei du f onant , Se non de la (/ol»iit ^ui cil boin^c |>ai le Fm-Sunin ou la Met noitc
48o DISSERTATION
» faut pas lire m Galat'u , comme quelques-uns l'ont cru fauflement ,'
» mais en Gaule, » Hxref. 5 1 , />. 43 3 . Il efl évident que le lentiment de ce
Père n'eft fondé que fur la leçon d'un texte de faint Paul , & qu'il n'avoit
point d'autre connoiflance de la prédication de faint Luc dans les Gaules.
li n'allègue , en effet , aucune raifon pour fon fentiment , & dit feulement
qu'il faut lire dans St. Paul en Gaule , & non en Galade. Je ferai voir bien-
tôt qu'il y a tout lieu de croire que cette dernière leçon eft la véritable.
Et certes , le filence de tous les Hiûoriens & de toutes les Eglifes , foit
des Gaules , foit d'ailleurs , efl: plus que fuiEfant pour ne pas ajouter foi
à faint Epiphane , qui , en matière d'Hiftoire , n'efl: point exa£l. Sulpice
Sévère, & fept illufl:res Evêques de France , dans le IVe. fiécle , difent
que Dieu avoit envoyé faint Martin dans les Gaules , afin qu'elles ne
fufl'ent pas inférieures aux Pays où les Apôtres avoient prêché ; ce qui
fuppofe vifiblement que ni St. Paul , ni faint Philippe , ni faint Luc , ni
aucun Apôtre, n'y ont point porté la Foi. «Car, pour ce quequelques-
»uns objeûent, dit M. de Tillemont, que, félon l'Ecriture & la Tradi-
» tion , l'Evangile avoit été porté par les Apôtres dans tome la terre ,
«dès devant la ruine de Jérufalem ; tout ce qu'ils peuvent alléguer n'a
»• pas empêché St. Augufl;in de croire qu'elle n'avoit été portée que, de
«fontems, dans diverfes Nations de l'Afrique, ou qu'elle n'avoit pas
»même encore été prêchée (dans quelques-unes.) Saint Frumence
» l'établit dans l'Ethiopie au IV^. fiécle. . . . L'hiftoire nous affure que
«les Goths & les autres Barbares du Nord n'ont eu la Foi que du
» tems de Valérien , &c que l'Iberie la reçut fous Conftantin , par le
» moyen d'une fervante. » Mém, Eccl. tom. IV. pag. 440. Saint Paul , dans
fon Epitre aux Romains , écrite vers l'an 58 , dit auflî que <■<■ la voix des
» Prédicateurs de l'Evangile a retenti par toute la terre , & leur parole
Ms'eftfait entendre jufqu'aux extrémités du monde.» Rom. X. 18. Mais
il faut , fans doute , l'expliquer des Pays où Dieu avoit ordonné que les
Apôtres prêcheroient l'Evangile ; car depuis ils parcoururent différentes
Contrées où ils n'avoient pas pénétré jufqu'alors , parce qu'ils n'avoient
point encore reçu l'ordre d'y aller. Aci. XI , 12. XFI. 6, 7.
' ni. Ni s. IIÎ- Saint Chryfoflome, faint Epiphane, faint Jérôme & quelques-au-
'*"'■ très Pères difent que faint Paul a été prêcher en Efpagne. Delà on con-
clut que l'Apôtre pafTa par les Gaules , & qu'il laiflâ faint Trophime à Arles ,
Sergins Paulus à Narbonne , 6c faint Crefcent à Vienne. Il efl affez pro-
bable
D E M. D E C H I N I A C. 481
bable que faint Paul n'a iamais été en Efpagne, Le Pape Gélafe l'affure
formellement ( i ); & c'eft, fans doute , une chofe confidérable , qu'on
ne trouve en Efpagne aucun vertige un peu fondé de la prédication de
faint Paul ( 1 ) : car ce qu'en difent quelques nouveaux Efpagnols ne
mérite pas qu'on y faffe attention. Et , en effet , nous voyons bien que
faint Paul fe propofe d'aller en Efpagne ( 3 ) ; mais nous n'avons au-
cune preuve qu'il ait fuivi ce deffein. Qui nous affurera que dans cette
occafion , comme dans plufieurs autres , l'Efprit de Dieu (4) nt le fit pas
changer de fendmtnt ? Ce qui paroît certain , c'eft que dans les Epîtres
écrites de Rome , oii faint Paul ne devoit d'abord faire aucun féjour :
Prxteriens videam vos. . . , l'Apôtre ne parle plus d'aller en Efpagne, mais
il dit toujours qu'il defire , & qu'il efpère de retourner promptement en
Orient , attendant feulement que faint Timothée le fût venu joindre ,
pourvu même ^u'H vint bientôt (5) J ce qui fuppofe qu'il partiroit avant fon
arrivée , s'il tardoit à venir. Saint Athanafe qu'on allègue, pour prou-
ver que faint Paul a prêché en Efpagne , dit feulement que l'Apôtre étoit
tout prêt d'y aller, ,u» cr.tjtï{6). Il en eft de même de faint Cyrille de Jérufa-
lem. Il y a toute apparence que les autres Pères n'en favoient pas davan-
tage , & que , quoiqu'ils en parlent plus affirmativement , ils ne l'ont
fait que fur ce que faint Paul dit lui-même aux Romains. Au furplus ,
quand même on accorderoit que St. Paul a annoncé la foi en Efpagne , il
ne s'en fuivroit point du tout qu'il eût paffé par les Gaules. Saint Paul
dit aux Romains qu'zV les ajfifiera en allant i.n Efpagne , mais il ne fait point
connoître la route qu'il fe propofe de prendre , il ne témoigne point
d'envie d'aller dans les Gaules. Le P. Longueval a donc avancé , fans
fondement, « qu'il ejl vraifernblal'le qu'il y a\la par le grand chemin qui
» conduit d'Italie en Efpagne , c'eft-à-dire , par la Gaule. » Hijl. Gai.
tom. I. Disert, p. 45. On fait combien les voyages de terre étoient
autrefois pénibles & longs. D'ailleurs , faint Paul en allant de Rome
en Efpagne par les Gaules, auroit fait deux fois plus de cliemin , que s'il
s'étoit embarqué direftement pour l'Efpagne. Je penfe donc qu'il fau-
droit des témoignages pofitifs pour fe perfuader que faint Paul ait pris
le chemin des Gaules pour aller en Efpagne.
r
(ilConcil. Lab. Tom. IV. p. isj. ' I {4) Act. XVI. 6. 7.
(2) Eftius inRom. XV. 28. p. 17J. I (s) Hebr. XIII u-
\l] Rom. XV. 2l. I («^ Athan. ad Dracont. p. 95*.
Totne II, P P P
CrcfccuE.
4S2 DISSETATION
IV. Ni S. IV. Saint Paul écrivant fa féconde Epitre à Timothée , en l'an 6'j î
lui mande entre autres chofes , que Crefcent étoit allé e'/ç fa^aTiav
L'ambiguité de ce mot , que l'on peut expliquer de nos Gaules , ou
de la Galatii , Province de l'Afie Mineure (1) , caufe de la difficulté
parmi les Interprètes. Les Grecs l'ont entendu affez univerfellement
des Gaules. Eufébe dans fon Hiftoire Eccléfiaftique , dit que par ce
pafTage , faint Paul témoigne avoir envoyé S. Crefcent dans les Gaules (z),
e/ç Taç Tt7^xictc. On a vu que faint Epiphane afliire même que ceux
qui l'entendent de la Galatie fe trompent. Mais faint Irenée , plus
ancien qu'eux y & mieux inftruit de l'ancienne Tradition de l'Eglife
des Gaules , lit Galatiam , la Galatie ( 3 ). Théodoret , faint Chry-
foflôme & l'Ambrofiafter lifent conftamment h; faXartuv. On ne trouve
point que notre Vulgate Latine ait jamais lu autrement. Le Nouveau
Teftament d'Oxfort , qui a épuifé les recherches fur cette matière ,
ne marque point qu'aucun Manufcrit porte iiç juhxictv. » Il y a donc
» tout lieu de croire , obferve M. de Tillemont , que c'eft le véritable
w Texte de faint Paul , comme le foutient le Père Petau contre faint
» Epiphane , & par conséquent que e'i; ra.hXiu(; eft une pure faute
»(deCopifte,) laquelle aura jette Eufebe dans l'erreur, & l'autorité
») d'Eufebe y aura enfuite entraîné les autres (4 ) «. Il eft , en effet, affez
naturel de l'entendre de la Galatie , qui étoit bien plus connue que les
Gaules de faint Timothée. D'ailleurs , û faint Paul avoit voulu marquer
les Gaules , il auroit fans doute ajouté txV <^utik»v , ou il auroit mis t«V
KeXT«x»V , ou T«? fotAXi'ceç, ou quelqu'autre terme qui les diftinguât de /a
Galatie : car cette contrée de l'Afie Mineure n'avoit point d'autre nom
eue s/ç faXaiTiuv,
I I ) La GaUtie etoit anciennement une l'altérer , & donneren: aux Celtes le nnm de
glande contrée de l'Afie Mineure. Ce Pays ; G««'o",8c à leur Pays le nom de Gxulei. cé-
piit fon n'im des GauUù , qui , après avoir j far aitefte au commencement de fcs Coramen-
brùlé la Ville de Rome , allèrent s'y établir : taires, que ceux que les Romiins appelloient
parmi les Grecs qui i'habitoient & qui por- Gaulois, le nommoientCtZ/fj dans eut Langue,
toient le nom de Phrygiens & de PuphUgonnns. Les Grecs, pour donner au mot Gdller une ter-
Le nom de Gtulois vient du mot Galler , que «linaifon conforme au génie de leur Langue ,
ouclques Celtes qui s'étoient détachés du gros
«le leur Nation , pour palfer les Alpes du côté
ii: l'Italie, prirent pour marquer qu'ils avoient
^té chartes de leurs anciennes demeures, ou
qu'ils s'en étoient exilés volontairement. Guller
en Tudefque , gnifie un Voyageur , un Etran-
|e{. L«$ ^omaîut coaleiveient le mot Ci«//;r ions
le changèrent en celui de GaUits. Ainû ils don-
nèrent le nom de -GaUtie à la contrée d*a
Phrygiens & des Paphiagoniens que les Celtn
ou Gtulois étoient venus hauiter.
(», Lib. 3. cap. 4 p. 74.
[i/ tib. m. cap. 14. p. 171,
' ' çy-^ DE M. D E C H I N I N I A C. 48J
Le Père Longueval a lui-même fenti la difficulté de foutenir le iU
faxxUç d'Eufebe , & même de prétendre qu'il faut lire dans faint Paul
les Gaules au lieu de /a Galatie. » Il ne s'agit pas de fçavoir , dit cet
»> Hiftorien , fi faint Epiphane a eu raifon de lire dans le texte de faint
« Paul , en Gaule , au lieu àHen Galatie : il nous fufRt qu'il ait cru
» qu'on devoit lire de la forte , pour être en droit d'en conclure qu'il
» pafToit alors pour confiant que faint Crefcent avoit prêché la Foi
» dans la Gaule .... Nous croyons devoir nous rendre à l'autorité de
» faint Epiphane. Il fiéroit mal à des Ecrivains François de combattre
» ce que des Auteurs Grecs , des Saints Pères refpetlables par leur
w antiquité & leur érudition , ont avancé de glorieux à l'Eglife Gal-
w licane ( i ) « On n'admirera pas fans doute dans ce raifonnement la
Logique du Père Longueval. Si le fentiment de faint Epiphane fur un
fait de cette nature, n'a d'autre fondement qu'une erreur de Copifle,
quelle créance y devons-nous donner ? Le Père Longueval avoit-il
oublié qu'il venoit d'avouer » qu'une Eglife fi illuftre ( que la nôtre )
» n'avoit pas befoin de faux Titres de NoblefTe « ? Je voudrois volontiers
qu'il me fut permis de me rendre à l'autorité de faint Epiphane ; je
defirerois que la tradition de l'Eglife de France ne fût pas contraire » à
» ce que des Auteurs Grecs, des Saints Pères refpeûables par leur anti-
»quité & leur érudition , ont avancé de glorieux à l'Eglife Gal'icaneiw.
Mais, comme le remarque M. Fleury, » fans manquer de refpedl pour
» les traditions , on peut examiner celles qui font dignes de créance :
» on le doit même , fous peine de manquer de refpeft aux vraies , en y
» en mêlant de faufTes (i)«. Or nos Hifloriens les plus anciens , mieux
inftruits que les Grecs de la Tradition des Eglifes des Gaules , ne font
aucune mention de faint Crefcent. Adon , Archevêque de Vienne au
IX'. fiécle , eft le premier qui en parle , & l'expofé du fyftême de
cet Ecrivain fuffit feul pour le détruire. D'un côté il avoue que faint
Crefcent avoit été ordonné Evêque de la Galatie^ & par-là il ruine
l'interprétation qu'Eufebe & faint Epiphane donnent au mot fccXurî» :
d'un autre côté , il veut , fans aucune preuve , que faint Crefcent
eut quitté fon Eglife pour aller planter la Foi à Vienne. Ce fyftême
(4) Mémoir. Eccle'f. Tom. I. p. «15.
( I ) Hiftoire Gallic. Tom. I. Diflert. pag. 43, 4^,
(»] I. Difc. fux l'Hiftoiie EcckT. art. V.
PppZ
PiUl.
484 DISSERTATION
étoit nouveau ; aufli Adon ne put perfuader fon opinion à fon Eglife i
qui , il y a deux fiécles , ne mettoit point encore faint & efcent dans fes
Litanies, n'en faifoit qu'une fimple Mémoire dans fon Office; ajoutons
qu'il ne fe trouvoit , dans le Diocèfe de Vienne , aucune Eglife ni au-
cun ancien monument de ce Saint. Dans le nouveau Bréviaire de Vien-
ne , on n'en fait qu'un fimple Office , fans Leçon ; & on lui donne le
titre d'Apôtre , mais non celui (TEvêque de Vienne , comme l'on fait à
tous ceux qui font reconnus pour Fondateurs des Eglifes. Il eft , en ef-
fet, certain que dans le Ve. fiécle , on n'avoit aucune connoifTance
que faint Crefcent, Difciple de faint Paul , eiit fondé l'Eglife de Vienne,
puifqu'il n'en eft point parlé dans la difpute qui s'éleva entre cette
Eglife & celle d'Arles touchant le droit de Métropole.
V Nis.Tro- V. Saint Trophime , étoit Gentil, natif d'Ephèfe. Il fuivit faint Paul
dp'ie'Ve s. dans le voyage qu'il fit de Corinthe à Jérufalem en l'an 5 8 ( ^cl. xxi.
19.) Long-tems après , & environ l'an ^4 , faint Paul paflant à Milet;,
y laifla faint Trophime malade , ce qu'il manda à S. Timothée vers 1:î
milieu de l'an 65 , peu de tems avant fa mort (11. Timoth. iv. 20 ). Cel;^
fuffit pour montrer que faint Paul , fuppofé qu'il dit fait le voyage d'Ef »
pagne & qu'il ait paffé par les Gaules, n'a pu le laifl"er à Arles en 6} >
comme Adon l'a avancé , & même que faint Trophime n'a pu être at-
taché à l'Eglife d'Arles du vivant de faint Pierre ôc de faint Paul. Il
faudroit donc , pour prétendre qu'il y eût eu im faint Trophime envoyé
à Arles par faint Pierre , qu'on pût diftinguer un autre faint Trophime ,
Difciple de faint Pierre & de faint Paul, de celui que faint Paul avoi;
laiffé à Milet : c'eft ce que perfonne n'a encore prétemKi. Cependant le
Père Longueval foutient la Miffion de faint Trophime à Arles , & afîiire
que » nous avons pour garant de ce fait, une Tradition fi ancienne,
» 6c fi imiverfellement reçue , qu'on ne pourroit la contredire fans té-
» mérité ( i ) «• Pour prouver cette Tradition , le Père Longueval allè-
gue 1°. Que c'eft fur ce principe que le Pape faint Zofime fonde les
Privilèges qu'il accorde à l'Eglife d'Arles. z°. Que c'eft le motif de la
Requête que les Evêques de la Province d'Arles préfenterent à faint
Léon , pour le fupplier de rendre à cette Métropole les privilèges qu'il
lui avoit ôtés. » Si S.Trophime d'Arles n'avoit reçu fa miffion qu'att
(i) Hifi. de l'fgl. eall. Tom. I. Piiftit. pag. 44.
D E M. DE C H I N I A C. 4S5
»>milieii au troifiéme fiécle, obferve cette Hiftorien, auroit-on pu igno-
» rer ce fait à Rome & clans la Gaule vers le milieu du V . fiécle ? Oii
*> ces Evêques aurolent-ils pu s'exprimer comme ils font ? Peut- on
>» flippofer qu'ils^gnoraffent qu'il y avoit à Lyon & à Vienne , dès le
»> fécond fiécle , une Chrétienté nombreufe, qui avoit donné à l'E-
» glife de fi ilUuftres Martyrs ? Ainfi foutenant que l'Eglife d'Arles efl
» plus ancienne (i), ils prétendent qu'elle a été fondée dès le premier
»> fiécle «.
Il feroit trop long de prouver que la tradition de l'ApoftoIat de faint
Trophime , fondé fur la Lettre du Pape Zofime , & fur la Requête des
Evêques de Provence , ne mérite aucune attention. Je renvoyé à M.
de Tillemont (i) qui l'a prouvé démonflrativement. » Ce que nous
» concluons de tout ceci , dit ce judicieux Ecrivain , c'eft que la
» Miffion de faint Trophime par les Apôtres ôc par faint Pierre , n'é-
» tant fondée que fur des Auteurs qui ne l'avancent que pour foute-
tt nir une prétention que l'on peut affurer être infoutenable , & dans
« laquelle M. de Marca avoue que Patrocle ( 3 ) avoit furpris Zofime
» par fes menfonges , obreptum Zojtmo per falfam PatrocU fuggejîionem ,
» il n'y a gucres lieu de s'y vouloir arrêter contre le témoignage de
» faint Grégoire de Tours , qui n'avoit nul intérêt en ceci , que celui
»de la vérité , & contre l'honneur de l'Eglife Gallicane, qui feroit
» coupable d'une très grande ingratitude envers faint Trophime de ne
» le pas honorer comme fon Apôtre , s'il eft vrai qu'elle ait reçu la
» Foi par fon moyen. Le Père Quefnel (4) ne regarde cette antiquité
«attribuée à faint Trophime , que comme une chofe très-fauffe«. Auffi
faint Léon répondant à la Requête des Evêques de Provence les con-
/■
(1) SiîeP Loirgueraleutétéconfequent dans
•fon fyftêrac , il (e feroit convaincu que la
prétention «les Evêques de Provence e'toit
vjfiblement faulTe, puifqu'ils difoient quêteur
Eglifc e'to't plus ancienne que celle d'Arles :
car il y avoit à Vienne , félon le P. Longueval ,
oneEglife fonde'e par Crefcent , dans le même
tems que S. Trophime avoit e'tabli celle
d'Arles.
(i) Me'moit. Ecclêf. Tom. IV. p. 704-70».
(3) Patrocle avoit fait chaflcr du Siège d'Ar-
les Eros , qui en étoit le le'gitime Evêque ,
pour fe faite meute «n fa place par la faveiu
du Ge'né'ral Confiance. Sa conduite dsns l'E-
pifcopat répondit à fon inftrufion , puifqu'il
vendit même des Evêchés. Dieu le punit de
fes fourberies & de fes attentats , en permet-
tant qu'il fàc matracré.
(4, On verra par la fuite de cette Hiftoire ,'
que le P. Longueval fe glorifie de n'être /amais
du fentiment du P. Quefnel. Pour moi, je
penfe, avec M. de Tillemont , qu'il eft du de-
voir d'un Hiftorien de prendre la vérité pac
tout où elle fe trouve. Un Chrétien ne doit
jamais haïr les homme» , mais fc gaiintil de
leuis CHCuis,
48d DISSERTATION
tredit en ce qu'ils avoient fuppofé fauflement que » l'Evêque d'Arles i
» en confidération de faint Trophime avoie toujours regardé comme une
» partie de fa follicitude Paftorale , les Ordinations de la Province de
» Vienne , auffi-bien que celles des trois Provinces ( les deux Narbon-
» noifes & les Alpes maritimes) «. C'eft pourquoi ce Pape déclare qu'il
a bien examiné toutes chofes de part & d'autre , qu'il a trouvé que les
Villes de Vienne & à^ Arles ayant toutes deux été très-célébres dans la
même Province, l'avoient alternativement emporté Tune fur l'autre (5)
pour la prééminence Eccléfiaftique , félon les tems & les rencontres
différentes ; & qu'ainfi il eft raifonnable de partager la Province , &
de laifTer à Vienne les Evêchés de Valence , de Tarentaife , de Genève
& de Grenoble. Les efforts qu'ont fait dans la fuite les Evêques d'Arles
pour fe relever de cette Sentence , n'ont fervi qu'à la faire confirmer de
plus en plus , fi ce n'eft qu'on a encore retranché Die & Viviers de
la Province d'Arles pour les ajouter à celle de Vienne.
, Il efl (pourtant) difficile, obferve le Père Longueval, de fe per-
fuader que iaint Pierre 6c faint Paul ►> étant à Rome uniquement occu-
» pés à la propagation de l'Evangile , aient négligé de le faire annoncer
» à une Nation aufîi illuftre & aufîi voifine de l'Italie que l'étoient ks
» Gaulois. Le zèle de ces faints Apôtres efl une raifon fufHfante de fe
» perfuader qu'ils l'auront fait «.
J'ai déjà repondu à cette objeftion. Les Apôtres n'ont fans doute
pas négligé d'annoncer l'Evangile dans les difFérens pays où Dieu leur
a permis d'entrer ; mais nous n'avons point de preuves que Dieu ait
voulu que les Apôtres portafTent eux-mêmes le flambeau de la Foi
dans les Gaules. Saint Marc prêche Jefus-Chrift aux environs d'Alexan-
drie ; mais il attend un ordre de Dieu pour entrer dans cette grande Ville ,
la première de l'Empire après Rome, & où perfonne n'avoit prêché avant
lui. Les Apôtres n'ont donc envoyé des Ouvriers Evangéliques que dans
les lieux qui leur étoient n:arqués par le Saint-Efprit , & jufqu'à ce
qu'on nous faffe connoître la volonté divine , à l'égard des Gaules ,
il ne nous efl point permis d'ajouter foi à des conjectures humaines, qui
peuvent fe trouver oppofées aux décrets de l'Eternel qui fait miféri-
(s) s. Léon bien perfuadé que la miflion de
Trophime pat S. Pierre , étoit une pure inven-
tion des Evêijues d'Arles, c'caite cette chimère .
& n'en fait point le focdeiuent de leurs pi««
ro^jativei.
CJ
D E M. D E C H I N I A C. 487
torde à qui il lui plaît : Cujus vult miferetur , 6* quem vult indurat ( Rom.
IX. 18.) «Si l'Eglife Gallicane, obferve M. de Tillemont (i), n'a of-
wfert des Martyrs à J. C. qu'après quelques autres, elle a réparé ce
«défaut par le nombre & la qualité de ceux qu'elle lui a rendus, après
« les avoir reçus de lui. » Nous pouvons certainement dire la même
chofe des premiers Apôtres de notre Eglife : ils lui ont acquis une gloire
qui ne peut périr qu'avec les fiécles.
VI. Le Médecin Chifflet, dans fon Hijloire deBcfançon, veut que St. Lin vi.Nis.LîK
ait apporté la Foi à Befaftçon ( 2 ). Nous apprenons , au contraire , de
faint Irenée que faint Pierre & faint Paul ayant fondé l'Eglife de Rome ,
en confièrent le gouvernement à St. Lin (3). Ce Pontife auroit-i! quitté
l'adminiftration de l'Eglife de Rome pour venir prêcher la foi aux Francs-
Comtois? Chifflet donne pour toute preuve de fon fentiment, que l'E-
glife de Befançon rChonort point cCautn faint Lin. Cela eft certain ; mais
id eft vrai encore qu'elle ne l'honore que comme beaucoup d'autres
Eglifes , & qu'elle ne dit pas feulement dans fon office qu'il ait été fon
Apôtre. D'ailleurs , le même Ecrivain met pour fécond Evêque de
Befançon un faint Maximien , ordonné vers l'an 185 , par le Pape Caïus.
Il auroit donc dû prouver que faint Lin avoit gouverné l'Eglife de Be-
fançon pendant près de deux fiécles & demi, ou nous dire pourquoi
il ne s'eft point donné de SuccefTeur, pourquoi il n'y a point eu d'Evêque
à Befançon jufques vers l'an 185.
Vil. Le Calendrier de Limoges place la mifîion de faint Martial dès V- ^ ï^*'-
le premier fiécle. Nous avons une grande vie de cet Apôtre du Limou- poi'>t venu ,
fm , fous le nom de faint Auftriclinien , fon Compagnon , qui dit la mUt fi'édéV
même chofe ; elle eft appuyée par les deux Lettres qu'on a données ui^Gauie'l!"'
fous le nom du Saint. Il eft certain que la Vie & les Lettres ont été fa-
briquées par des Ecrivains qui ont cherché à en impofer ; la vie a été
écrite fur la fin du X . fiécle , & les Lettres environ cent ans après ( i ).
Ce n'eft, en effet, que fous le régne de Philippe I , qu'on a commencé à
prétendre que St. Martial étoit venu dans les Gaules fur la fin du I . fié-
cle. On peut voir ce que dit fur ce fujet M. des Cordes , Chanoine de *
Limoges (i). Ce Savant étoit cerainement très-zèlé pour la gloire d»
(i) Memoir. Eccle'f, Tom. III. p. x.
(2 Vefontio , Tom. II. p. ii-ij.
(3, Iren lib. III. cap. 3. p. 232.
(i) K»;ffc Dubof^uet , HJÛ. Gallic lib. I.
cap. 23. p 44. 45.
( 2 ) Vcytz. Dubofquet , Hiftoi, GMi<^
pag. 5 0.««,
VIII. Ni S.
Sixte de
R.cims«
IX Ni S
Taurin d'£-
vrcux.
X. Ni S. !i;-
licnduMan.'»
4Î8- DISSERTATION
Limoufin fa Patrie : je ne le fuis pas moins que lui; mais au lieu dTiono*
rer une Eglife, c'eft la dégrader, que de lui donner une origine fabuleufef
VIII. Flodoard, Hiftorien du X , fiécle, dans fon Hijloire des Evêques
de Reims , Liv. /, c, t,. p. 1 1. dit que faint Pierre envoya exprès St. Sixte
à Reims pour y enfeigner la parole de Dieu. Cependant les Aûes mêmes
de faint Sixte de Reims difent qu'il ne vint dans les Gaules que fous
Dioclétien & Maximien, c'eft-à-dire, vers l'an 187. Hincmar, célèbre
Archevêque de Reims , plus ancien que Flodoard, dit (3) que St. Sixte
de Reims fut envoyé en France par le Pape Sivte, fans exprimer fi c'eft
par le premier , vers 120, ou par le fécond, vers 258. M. du Bofquet
l'entend du fécond (4). Cela eft conforme aux Aftes du Saint , & il y a
peu d'exemples que les propres hiftoires des Saints les mettent dans ua
tems poftérieur à celui où ils ont vécu.
IX. Les Aftes de St. Taurin difent qu'il a été envoyé en France avec
faint Denis , par faint Clément. Mais cette pièce eft toute compofée d'é-
vénemens fabuleux & mal confus. On y lit que faint Taurin informa le
Pape Sixte du jour de fa mort , fans dire quel étoit ce Sixte. On y voit
encore que ce Saint étoit frère de faint Gaugeric, Evêque de Cambrai,
& celui-ci n'a vécu que fur la fin du VF. fiécle ( 5 ).
X. Une vie de faint Julien , qu'on croit avoir été compofée fous l'E-
vêque Aldric , vers l'an 850 , dit qu'il a été envoyé par Saint Clé-
ment avec St. Denis de Paris. Cette Hlftoire eft , comme prefque toutes
les vies de Saints , remplie de fables. On y voit que faint Julien n 'étoit
mort que fix cens ans auparavant (6). Il ne mourut donc , félon cette
Hiftoire, que vers l'an 290, & par conféquent il n'avoit point été en-
voyé dans les Gaules par faint Clément. D'ailleurs , je ferai voir que
faint Denis, avec qui l'on prétend que faint Julien étoit venu, ne prê-
cha dans les Gaules que vers l'an 250. Enfin, à la tête même de la
méchante hiftoire de faint Julien , on lit ces mots : Qjd fuit lempore Dc'
(u , & Nervce ac Trajani Imperatorum ^ &c. Ce Decii qui s'accorde fi mal
avec le tems de Nerva & de Trajan , pourroit bien être un refte de I4
plus ancienne tradition de l'Eglife du Mans.
31. cap. lis. Tom. II.
(5) Hincm. Oper.
'■ |^+) Mift. G»lUc. lib, I, cap. ;■ p. 55. }«.
(5) G*Ilia Chrift. Tom. I. p. ijj,
( « ) yi>:ffx. Mabillou , Analeft. Tom, III.
pag. fio.
XI. Grégoire
D E M. D E C H I N I A C. 489
XI. Grégoire de Tours afi"Lire(i) que faintEutrope a été martyrifé, & xi Ni îEa-
^û'on tenait qu'il avoit été envoyé par faint Clément. M. du Bofquet tes.
croit que le nom de faint Clément a pu être ajouté en cet endroit au .
texte de Grégoire de Tours (2). Au furplus , quand le texte de cet Hif-
torien n'auroit pas été corrompu , il faudroit peu connoître combien le
tems altère la vérité des chofes qui ne fe confervent que dans la mé-
moire du Peuple , pour donner quelqu'autorité à une opinion du VI-,
fiécle , dont Grégoire de Tours n'a pas été affuré , & qui n'étoit fondée
fur aucun écrit. Car la vie de faint Eutrope n'a été faite que depuis ce
tems-là, & fe trouve toute pleine de fables (3). Auffi Bollandus n'a pas
cru qu'il fallût s'arrêter à ce que rapporte Grégoire de Tours , & il aima
mieux croire que faint Eutrope n'eft venu qu'au III . fiécle avec St. De-
nis , dont ont le fait Compagnon (4).
XII. « Il y a peu de fables dont on ne fe doive laifler perfuader , dit xti. nï s.
. . . . . D nys ^c Pa-
»M. de Tillemont (5), fi l'on croit que le témoignage de faint Sulpice ris, qu'on a
» Sévère, qui ne reconnoit aucun martyr en France avant Marc-Au- c^n'rndr/
»>rele, joint à l'autorité de faint Grégoire de Tours, qui met la venue nsVAiéo-
» de faint Denis de Paris en 150, & appuyé par prefque tous les Mar- i'-^8"e>
«tyrologes, qui diftinguent les deux faints Denis, ne fuffit pas pour dé-
» truire une opinion inouie dans l'Eglife durant huit cens ans , mife
«au jour par un Abbé, Miniftre d'f.tat , aflez ignorant,- ou affez
«hardi, pour impofer aux Hiftoriens les plus célèbres, &c aux Ecrivains
» les plus facrés , & qui n'a point ceffé d'être combattue depuis qu'elle
«a commencé à paroître jufques à préfent, qu'on peut dire qu'elle efl
» détruite , » & que l'on convient unanimement que faint Denis , pre-
mier Evêque de Paris, ne vint dans les Gaules que vers le milieu du III".
fiécle, du tems de l'Empereur Dèce. Hilduin , Abbé de Saint-Denis en
France , au IX . fiécle , fut le premier qui identifia faint Denis l'Aréo-
pagite , & laint Denis de Paris. C'eft dans fon Jreopaguica , vie pleine de
fables , venues de la vanité , qui tâche d'approcher fes premiers Evê-
ques du tems des Apôtres, en préférant l'impofture à une vérité folide
& inconteftable (6) ; c'eft dans cette vie que l'Abbé Hilduin publia foa
(ij De Glorià Irlart. cap s<-P-i29-
(z] Hift. Galtic. lib. I. cap. 30. p. 54.
( 3) Vùjtt. P. de Natal, lib. lY. cap. I05.
Jf»g' 74-
Tome II. Q 9 SI
(4) Boland, jo. Ap {*• 73}.
(s) M cm. Kccle'f. Tom. IV p. 710,
(6J Vi>jii.lc% Yalefiana , p. 163.
490 DISSERTATION
opinion étrange. Pour la prouver , il cita l'autorité d'un Ariftarque &
d'unVisbius, dont perfonne n'avoit jamais entendu parler, mais il pré-
tendit que les écrits de ces deux perfonnages , qu'on n'a pas plus connus
depuis ce tems qu'auparavant , avoient été trouvés dans la Biblio-
thèque de l'Eglife de Paris. Le crédit d'Hilduin , & l'efpèce d'enthou-
iiafme où les Peuples étoient alors de vouloir que leurs Apôtres fuffent
venus dans les Gaules dès le I. fiécle (7)", affurerent à l'opinion de
l'Abbé Hilduin un prompt fuccès. Elle s'accrut fi fort , Si fît difparoître
avec tant de facilité d'ancienne tradition , qu'au Xlle. fiécle, le fameux
Abelardfut perfécuté parles Moines de Saint-Denis, pour avoir avancé
que VEvéqtti de Paris n'étoït point V Ariopaaite. Ce Religieux préten-
doit que le célèbre Bede , tant approuvé par notre Eglife , devoit être
cru préférablement à l'Abbé Hilduin , qui n'étoit venu que deux fié-
cles après lui. Les Moines, trop entêtés de leur opinion, pour fe rendre
à la raifon, firent grand bruit, comme fi Abelard avoit voulu perdre
l'honneur de leur Monaftcre & celui de notre France. Ils ne s'en tinrent
pas aux paroles & aux injures ; ils le maltraitèrent , & l'obligèrent , une
féconde fois , de quitter leur Abbaye , & de fe retirer dans le Diocèfe de
Troyps. L'aveuglement de ces Religieux ne fe borna pas à ce fait pour
la gloire d'avoit & pofféder le Chef de faint Denis l'Aréopagite. Ils plai-
dèrent avec le Chapitre de N. D. de Paris , fur la queftion de favoir où
rijidoit le Chef de ce SatK^. Le Parlement , follicité par les Parties, voulut
bien rendre en Mai 1401 un Arrêt, fans garantie, par lequel il décida
<^ ue le Chef de Se. Denis le Corinthien ttoit en l'Eglife de N. D. ce qui
étc'^it dire que celui de VAriopag^u étoit dans l'Eglife de Saint-Denis de
France ; car l'on ne fe doutoit pas alors que l'Evêque de Paris eût été
«n Dtnis différent de l'Aréopagite & du Corinthien. L'Arrêt efl rap-
porté pa:r du Luc , titre 3.
A la vérité , il feroit fort difficile de deviner quel fut le motif de cet
Arrêt, fi l'on ne penfe que le Parlement voulut appaifer ime querelle,
que l'entêtement des Bénédiâins rendoit de jour à autre plus férieufe ,
& qui pouvoit avoir des fuites fâcheufes. Il n'y a , en effet , aucune
(7 Avant que de faire S. Denis de Paris tention n'avoit d'autre fondement cjue de s'e'-
Ariafaiite , On avoit déjà prétendu que Saint , Kver au-deflus des autres Eglifes , par le vain
Cle'ment l'avoit envoyé dans les Gaules. On ' honneur d'une faufle antiquité. Ce fut le mên>c
le voit dans une Charte du Roi Thierri en ( motif qui porta l'Abbé Hilduin à conioidte l'E»
- 7IJ , rapportée par Dora MabiHon. Cette pt«- I véquc de Paris , avec S. Denis l'Atcopag'tSr
D E M. D E C H I N I A C. 491
apparence que , ni le corps de faint Denis l'Aréopagite , Evêque d'A-
thènes , ni celui de faint Denis , Evêque de Corinthe , folent en notre
poffeffion. Comment fait-on que ces Saints font venus en France , ou que
leurs corps y ont été portés après leur mort ? On n'en a pas même de pré-
fomption valable. Au furplus , fi le corps de St. Denis de Corinthe étoit
quelque part dans le Royaume , il faudroit bien croire que c'eft à l'Abbaye
de St. Denis ; car l'on produit une Bulle du Pape Innocent III, de l'an
1215, qui porte que ce Pape envoya aux Religieux de cette Abbaye , le
corps d'un St. Dtnis apporté de Grèce ; & fi ces Religieux avoient poffédé
jufqu'alors celui de l'Aréopagite , celui-ci devoit paffer avec quelque
probabilité pour le corps du Corinthien, ou du moins cette Bulle étoit
une efpèce de titre pour croire que le corps de ce Saint étoit à Saint-De-
nis. Mais nous fommes bien peu affurés que ni le corps de l'Aréopagite,
ni celui du Corinthien , foient à cette fameufe Abbaye. La Bulle at-
tribuée au Pape Innocent III , n'eft pas fans fufpicion de fauffeté (i); & fi
elle eft véritable , on n'en peut rien conclure , puifque la Bulle n'âfTure
ni que le corps envoyé par le Pape foit , ou de St. Denis l'Aréopagite ,
ou de St. Denis , Evêque de Corinthe , ni celui d'un St. Denis , Evêque ,
mais celui d'un St. Denis ^ ConfiJ/eur^ (1) apporté dt Grèce , qu'on ne con-
noit point, & qui pourroit être un troifiéme St. Denis, ou Prêtre, ou
Laïque , ou même un St. Denis luppofé ; car ce n'eft pas la première
fois qu'on a reçu de faufies Reliques.
Il feroit inutile & ennuyeux de s'étendi'C fur tous les autres Saints
Evêques, qu'on prétend être venus, dans le I. fiéde , annoncer l'Evan-.
gile dans les Gaules. On les fait prefque tous Difciples ou Compagnons
de Sx. Denis , Evêque de Paris. Saint Trophime d'Arles , St. Clément de
Metz, St. Memmie de Châlons fur Marne, St. Front de Périgueux, St.
George du Puy en Velai, St. Saturnin de Touloufe, St. Savinien & St.
Potentien de Sens, St. Eucher.^ St. Valère & St. Materne d.* Trêves,
de Tongres & de Cologne , St. Manfuet de Toul , St. A'tin d'Orléans ,
(i) Voyez. Tillcraont , Mem. Ecclcf. Tom. II.
pag. 71».
(i) Bollandus( S Apr. p. 744. 74s- ) nous
t donné une petite Hillore de U réception du
Corps envoyé pai Innocent III. Elle porte que
c'étoit le Corps de S. Denis de Coiinthe Ctn-
/«/c«r , titre qu'elle répète pluûcurs fois; &
elle aiiure qu'en le icccvaot i Saini Dcnii ,
on pélébra la t^rande Mefle ic ipf^ Confcjfire.
On eut donc grand (o'a toiit d'abord de dif-
tingucr ce Saint de i'Arcof' giie , c'eû à-dire
de ruioer la Bulle que l'on produit aujour-
d'hui
Qqq *
492 DISSERTATION
St. Catien de Tours , St. Lucien de Beauvais , St. Saintin de Meaux &
de Verdun , St. Exupere de Bayeux , St. Rieule de Senlis, St. Paul de Nar-
bonne, St. Eutrope de Saintes, St, Urfin de Bourges, St. Auftremoinc
de Clermo-nt , St. Génulphe de Cahors , St. Aventin de Chartres , St.
Drennule de Tréguier, St. Quentin d'Amiens , St. Alban de Mayence ,
St. Antonin de Pamiers , St. Afrodite de Bcziers , St. Ruffe d'A.vignon,
St. Martial de Limoges, St Peregrin d'Auxerre , St Nicaife & St. Mellon
de Rouen , St. Taurin d'Evreux , St. Julien du Mans , St. Clair de
Nantes, de Cornouailles & de Vannes, St. Maximien de' Rennes , &
plufieurs que je ne citerai pas , furent , ielon leurs Aâes , les uns ,
Compagnons de St. Denis de Paris, les autres-, fes Dilciples (i) , les au-
tres , ei-icore , les Difciples de fes Compagnons. Il doit donc demeurer
pour confiant que tous ces Saints ne font vernis en France avec St. Denis
qu'au milieu du IIU. fiécle , oit il fant rejetter leurs Aûts dans les
points les plus effentiels , & dire que ces premiers Apôtres des Gaules
n'ont été ni Compagnons, ni Difciples de St. Denis , ou de les Com-
pagnons ; & pour lors dans quel tems faudra-t-il placer leur miffion ,
& fur quelles pièces pourra-t-on l'établir ?
Au furplus , les AQ.es de ces premiers Apôtres des Gaules n'ont été
compofés qu'après le IXe. fiécle , pour appuyer l'opinion qui com-
mençoit à s'établir de l'ancienneté de plufieurs Eglifes , & pour l'attri-
buer à quelques autres. Ces mêmes Aâes ne font naître que des incerti-
tudes & des contradiftions , qu'il coûte de relever , parce qu'on pour-
roit bleffer la délicateffe de la multitude qui a toujours plus de zèle pous
la gloire des Saints , qu'elle n'a de lumière pour difcerner le vrai d'a-
vec le faux , qui ne peut que les déshonorer. Enfin , il paroît évident
que ces AQ.es fe font modelés les uns fur les autres , & même qu'ils fe
font copiés en plufieurs chofes. Par exemple , St. Martial refTufcite faint
Aurélien , ou faint Auftriclinien avec le bâton qu'il avoit reçu de Saint
Pierre ; Sî. Eucher , avec le même bâton , reflufcite aulîi fon Compa-
gnon St. Materne, St. Clément de Metz opère le même miracle, par la
vertu du bâton de St. Pierre; faint Front de Périgueux rend aufîilavie
(i) Il n'eft pas fort affûte que tous ceux
qu'on donne à S. Denis pour Compagnons de
de fa miffion ou pour fes Difciples , l'ayent c'te'
Tcellcment : car il femble qu'on ait cru faire
honneui l pluficuis Saints de les diie Com-
pa^rrons ou Difciples de Saint Denis. L'obfcu-
rire' de l'Hiftoire ne permet pas de fe livrer i
cette difcuflion , & il n'y a aucun inconvé-
nient de fuppofci ce que veulent les Aftes. ^
D E M. D E C H I N I A C. 495
Rvec un femblable bâton , à St. George , fon Compagnon ( 2 ). . . . Quel
fond peut-on faire après cela fur de pareilles pièces ? Il y a plus : dans un
Concilede Limoges en 103 1 , l'Abbé de Salomniac, près de Limoges , re-
jetta ) avec indignation , les Aftes de St. Front de Pcrigueux , comme une
fable, compolée depuis peu de tems, par un certain GEUsbert,Co-Evêque
de Limoges , qui l'a voit même faite pour en tirer de l'argent (3). On in-
venta, depuis ce tems, une autre vie de St. Front, fous le nom de fes Sac-
ceffeurs ; mais cette nouvelle Pièce eft encore plus ridicule que la pre-
mière ( 4 ).
Seconde Proposition.
La Religion Chrétienne na pris naiffance dans les Gaules quau milieu du
fécond fikle.
Sulpice Sévère , le plus ancien Hiftorien que nous ayons , parlant de
•la cinquième perfkution , qui eft celle de Marc- Aurele , dit « qu'alors l'on
«vit dans les Gaules les premiers Martyrs, la Religion ayant été reçue
*>plus tard au-delà des Alpes (à l'égard de l'Italie).» L'Auteur des Ac-
tes de St. Saturnin dit aufli que la lumière de la prédication des Apôtres
ne fe répandit dans nos Provinces que lentement & peu à peu ( i ). II
n'eft pas poflible de rejetter , avec décence, le témoignage de ces deux Au-
teurs , dont l'un a vécu certainement dans les IVe. & Vc fiécle , & l'autre
paroît l'avoir fuivi d'aflez près (z), félon ceux mêmes qui ne veulent pas
tomber d'accord de ce qu'il nous dit (3). Le premier , indépendamment
même de fon antiquité , a été illuftre dans le fiécle par fa Nobleffe & par
les richeffes , ôc dans l'Eglife par fa fcience & par fa piété. On affure que
Bellarmin a cru qu'on devoit tellement déférer à fon autorité, que
(2) Le bâton du Prophète Elifce n'avoit point
autant de vcitu dans la main de Gieli fon
Difciple, puifqu'il ne put refTafciter l'en-
fant de la Sunamite ( IV. des Rois , IV. 31.)
Mais, d'où nos faifeurs d'Aftcs ont. ils tiré
que Saint Pierre avoit un ceiiain nombre de
bâtons , pour en donner ainfi i prcfque tous
ceux de Tes Oifciples qu'il envoyoic dans les
Gaules >
(i) yoyez, Dubofquet, Hilior. Gallic. lib. V.
(4j Vojet. Dubofquec, Gallic. Ijb. I. cap. i s.
pag. 3 5-
(i) Viyex. Sutius , içi. Nov. p. «jo. $. i.'
(ï) Grégoire de Tours fait mention de ces
Acies, 8c les appelle l'Hiftoire du martyre de
de S. Saturnin. Cette Hiftoite paroît être d'un
homme de Touloufe , Difciple de S- Exupcre ,
qui vivoit fur la fia du IVe. fie'cle , Sx. au
commencement du Vc. L'Auteur cite iiiic date
de Confuls , d'oii l'on ^e^it l'uger qu'il fUivoit
même des pièces originales.
{}) l'oyez. Chiaiet , de uno DioniCojpaj.
US. 12 0.
494 DISSERTATION
quand on parloit de quelque Hifloire qui ne s'y accordoit pas , ou il la re*
jettoit comme fauffe, ou il la rapportoit aux tems poftérieurs (4).
Et en efFet , il faudroit recevoir tout ce que des hommes de mauyaife
foi, ou des efprits fuperftitieux nous ont débité de fables & de contes ridi-
cules, fi l'on ne vouloit point admettre ce qu'un Hiftorien François,'
du mérite de Sulpice Sévère , raconte au IVe. fiécle , touchant la propaga-
tion de la Foi dans les Gaules. Joignons au témoignage de cet illuftre
Ecrivain , celui de Grégoire de Tours, qu'on nomme, avec raifon,
le Père de l'Hiftoire de France. Ce célèbre Hiftorien qui vivoit dans le
Vie. fiécle, dit que St. Pothin fut le premier Evêque de l'Eglifede Lyon ,
auquel fuccéda St. Irenée , quefaint Poly carpe avait envoyé dans cette VilU»
enfuite il ajoute que, « ce fut foils Dèce que fept Evêques furent or-
» donnés, & envoyés dans les Gaules pour y prêcher la Foi, ainfl que
» le marque V Hifloire du martyre de St, Saturnin. Car on y lit : Sous le
» Confulat de Dèce & de Gratus , comme on le fait par une tradition fidèle jj.
» la Ville de Touloufe eutSt, Saturnin pour fon premier Evêque. Voici donc
»les Evêques qui furent envoyés , Catien à Tours, Trophime à Arles,
»Paul à Narbonne, Saturnin à Touloufe , Denis à Paris, Auftremoine
» en Auvergne , 6c Martial à Limoges (5).» Saint Grégoire, qui étoit
Evêque de Tours, qui avoit été élevé dans l'Eglife d'Auvergne, Pro-
vince limitrophe du Limofin, & qui avoit fait de frcquens voyages à Pa-
ris , ne pouvoit ignorer la tradition de ces quatre Eglifes fur l'époque de
leur fondation ; & fi cet Hiftorien joint enfemble la miflion des fept
Evêques, il ne l'a fait que fur la tradition qui étoit alors reçue en France ,
c'eft-à-dire, que la tradition du VI<-. fiécle étoit que St. Catien, St.
Trophime , St. Paul , St. Saturnin , St. Denis , St. Auftremoine & Saint
Martial , avoient été envoyés dans les Gaules à peu-près en même-»
tems ( 1 ).
Ç'eft au fujet de ceux qui furent martyrifés à Lyon en l'an 177, que
Sulpice Sévère dit que la Religion a été reçue plus tard dans les Gaules
que dans les autres Pays fitu es au-delà des Alpes, par rapport à nous ,
marquant , affez clairement , qu'elle n'y avoit point été reçue avant la
prédication de St. Pothin.
\^Voyei. Bollandus, 30. Apr. p. 754.
Jj) Voyez. Grégoire de Tours, Hift. Franc, liv. I. chap. 30. p. îj.
(1) I^yffcDttbof^uet, Hift. GaUiclib.IlI.cap. zi. p. 113.
D É M. D E C H I N I A C. 49J
Nous lifons , en effet , dans Eufebe , que falnt Irenée gouvernoit
l'Eglife des Gaules iTria-Troaç, c'efl-à-dire , qu'il en étoit Evêque , d'où le
P. Quefnel conclut , avec fondement , fur Saint Léon , p. 477 , 47g,
qu'il n'y a voit que St. Irenée d'Evêque dans les Gaules. Ce même
Auteur remarque, à cefujet, qu'Eufebe, après avoir dit que la queftion
de la Pâques avoit été jugée par Us Evéques du Pont , ajoute auffi-tôt, &
par les Eglifes des Gaules , changeant le mot A' Evéques en Eglifcs. Ce qui
confirme le fentiment du P. Quefnel , c'eft qu'Eufebe dit dans un autre en-
droit, que St. Irenée écrivit une Lettre au Pape Viûor, au nom des
Frères dont il étoit le Chef dans les Gaules (3), c'eft-à-dire, dont il étoit
Evêque.
Il eft vrai qu'on pourroit reftraindre ces dernières paroles aux Frères
de la feule Eglife de Lyon , ou à ceux dont Lyon étoit la Métropole , parce
que le mot de Frères .^ en cet endroit, n'exclut point abfolument les Evé-
ques ; mais il faudroit qu'il fiit poffible de prouver par l'Hiftoire qu'il
y avoit alors effedivement plufieurs Evêques dans les Gaules. On ne
trouve rien fur quoi l'on puiffe fonder cette conjecture avec quelque
folidité : pourquoi donc l'Evêque de Lyon n'auroit-il pu gouverner
toutes les Eglifes des Gaules, puifqu'il eft certain, dans l'Hiftoire, que
l'Evêque de Tomes a gouverné feul, durant plufieurs ficelés, toutes
les Eglifes de la grande Contrée de Scythie ?
On peut objefter contre ce que je viens de dire, qu'il femble que
Vienne eût un Evêque ; puifque dans la Lettre des Chrétiens de Vienne &
de Lyon , il eft dit qu'on avoit pris tous les Principaux des deux Eglifes
(4). Ce parallèle , joint à ce que les Chrétiens de Vienne font nommés
les premiers dans l'infcription de la Lettre , femble obliger de croire
que Vienne n'étoit point une fimple Paroiffe de l'Eglife de Lyon, mais
une Eglife aufll formée ôc auffi parfaite que l'autre. Or on fait qu'une
Eglife n'eft point parfaite , fi elle n'a un Evêque. Ces deux Eglifes , écri-
vant donc enfemble , difent que St. Pothin étoit chargé du minijîhe de fE-
pîfcopat dans Lyon. Mais s'il étoit également Evêque de Lyon & de
Vienne , pourquoi ne difent- elles pas parmi nous ^ qu'il étoit notre
Evêque , ou quelqu'autre chofe de femblable ? Si fon propre titre & le
(1) Vcjtx. Eufebe , Hifl. lib. V. cap. 23. pag, Iji.
()) Llb cap. 24. p. 19Z.
\ (4) Vojti. £ufcbe, Hift. lib. V. caf. l. pag. I5<.
4Ç)6 DISSERTATION
lievi de fa rcfidence étoit Lyon , comme Tomes étoit le Siège Epifcopal
de la Scythle , pourquoi ceux de Vienne , qui ne dévoient pas être
moins humbles que ceux de Lyon , fouffroient-ils qu'on les nommât les
premiers? Saint Irenée, comme Prêtre de la Ville de Lyon, a pu leur
faire cet honneur ; mais , après qu'il eut drefle la Lettre, elle dut être re-
vue , approuvée Sc fignée par ceux de Vienne.
Il n'ell pas difficile de répondre à cette difficulté. Nous lifons dans la
Lettre des Chrétiens de Vienne Si de Lyon , qu'on avoit pris tous les
principaux des deux Eglifes. L'Evêque de Vienne auroit donc été du
nombre , autrement il eri auroit été excepté. Mais s'il y eut eu un Evê-
que à Vienne , St. Irenée n'auroit pas manqué de faire de lui une mention
honorable, & l'auroit certainement nommé avant St. Pothin , puisqu'il
met l'Eglife de Vienne avant celle de Lyon. Le filence de ce Père, tou-
chant l'Evêque de Vienne , eft une preuve convaincante qu'il n'y' en
avoit point. Joignons à cela qu'on n'a abfolument aucune preuve que
l'Eglife de Vienne eût eu un Evêque dès le tems de St. Irenée, c'eft-à-
dire, vers la fin du IK fiécle (i). On volt , par l'Hiltoire, que dès le tems
de St. Pothin , il y avoit des Chrétiens , non-feulement à Vienne & à
Lyon, mais encore à Autun 5c dans d'autres Villes; auffi Eufebe recon-
noît que les Gaules avoient plufuurs Eglifes du tems de St. Irenée ( i ).
Si dans la Lettre des Chrétiens de Vienne & de Lyon, il n'eft parlé que
des Principaux de ces deux Eglifes , c'eft que les autres n'avoient pas été
l'objet de la petfécution. On ne peut donc rien conclure de ce que l'E-
glife de Vienne eft nommée avant celle de Lyon. Saint Irenée, dont les
gftions étojent réglées par la charité la plus pure , peut l'avoir fait pouf
(i) On compte aujourd'hui Saint Zacarie ,
l'un des Martyrs de Lyon, pour le ptemier ou
le fécond Evéïjuc de Vienne. M.lis cela ne fe
peut foutenir, fuifque S. Ir^ne'e ne le diftin-
gue point de la foule des Martyrs. D'ailleurs,
l'Eglife de Vienne ne lui a rendu aucun hon-
neur , n'a de'die' aucun Autel fous fon nom ,
jie l'a point invoqué d.ms fcs Litanies , &
n'en a tien fait dans fon Office jufqu'en 1578.
Son nom ne fe trouve dans aucun Martyrologe
ayant Galefinius , non pas même dans celui
d'Adon ; ce qui donne grand lieu de craindre
que ce qu'on en lit dans fa chronique Ann.
Enfin le Bréviaire de Vienne , qui en fait au.
jourd'hui la Fête le 27 Mai , en rapporte quel-
ques aftions parriculicres aflez métaplirafti-
ques , qu'il ne fonde que /«r l» fisufe iradiiioit
des Fidcles. « Si l'on voyoit , obferve M. dp
» Tillemont , que Saint Zacarie eût toujours
» été honore' à Vienne , on auroit (^uelqui
» lieu de croire que celiji qui fouffrit à Lyon
» c'toit Prêtre de Vienne , & que de Prêtrp
» on l'auroit fait Evêque dans ces derniers
» ems ». ( MJmoir. Eccléfiaftiq. Tom. III»
pag. fior.)
(z) Vojez. Eufebe , Hif|. lib. Y, cap. »3.
|oi , n'y ait «te ajoute' pai une main infidèlf. pag. j^i,
D E M. D E C H I N I A C. 497
ne pas perfuader aux Fidèles de l'Eglife de Vienne, que celle de Lyon,
dont il étoit Prêtre , voulût s'attribuer un empire fur elle. Car la cha-
rité des premiers Ecrivains Eccléfiaftiques les empêchoit de s'arrêter à
l'ordre politique des chofes. Saint Paul , parlant du fchifme de Corin-
the , dit , que les uns difoient , je fuis à Paul, d'autres , je fuis à Apol-
lo , d'autres , je fuis à Céphas, De ce que l'Apôtre s'efl mis à la tête , &
qu'il a nommé ApoUo le fécond, on n'en conclura certainement , ni que
St. Paul & Apollo étoient fupérieurs à Sr. Pierre , ni qu'AppoUo étoit
égal à ce premier Apôtre. Ainfi , fuppofé même que les Fidèles de Vienne
aient revu , approuvé & figné la Lettre de St. Irenée, cela ne prouve
rien. Ç'auroit été une préfomption dans eux de trouver à redire à ce
qu'un fi faint & fi favant perfonnage avoit fait. On ne peut pas davantage
conclure qu'il y eût un Evêque dans Vienne , de ce que la Lettre porte
que Saint Pothin étoit chargé du minifïert de CEpifcopat dans Lyon. Il fau-
droit pour cela être en état de montrer qu'il y avoit d'autres Evêques
dans les Gaules ; car , autrement , il eft fenfible que Lyon étant le titre
de l'Evêché , & le lieu de la réfidence de St. Pothin , les Eglifes de Vienne
& de Lyon ne fe feroient pas exprimées plus clairement , quand elles
auroient dit que St. Pothin étoit leur Evêque. Je crois même pouvoir aflit-
rer que l'Eglife de Vienne ayant été nommée dans l'infcription avant
celle de Lyon , il étoit néceflaire de faire connoître que <^ étoit dans la
Ville de Lyon que St. Pothin exerçait le miniflcre de CEpifcopat, pour con-
noître le lieu oh étoit le Siège Epi<copal des Gaules. Tout ce que je
viens de dire doit paffer pour confiant, puifqu'on eft dans l'impoiTih:-
lité de prouver qu'au Ile. fiéde il y eût dans les Gaules d'autre Evêque
que celui de Lyon. Car « tant qu'il ne fe trouvera point de preuves
» qu'il y eût d'autres Evêques , obferve M. de Tillemont ( 3 ) , nous
«ne devons honorer, comme nos premiers Prédicateurs, que ceux
«que la tradition de nos Eglifes, & tous les monumens que nous en
w avons, nous font regarder comme les Apôtres de notre Foi. >> On a
tort de prétendre qu'une Eglife particulière ne foit parfaite que lorfqu'il
y a un Evêque pour la régir. Saint EfHphane avoue lui-même que les
Apôtres n'établiffoient , dans plufieurs lieux, qu'un Prêtre avec fon
Diacre : Pnsbiteris imprlmis ac Diaconis opus erat. Le même Pcrc dit»
(3) Mémoir. Eccle'f. Tom. 4. p. 44}.
Tome //, p. r r
498 DISSERTATION
que le Prêtre & le Diacre fiiffifent pour remplir les fondions du miriif-
tère Eccléfiaftiquè : A quibus viddiat ambobus Ecclejiajlica negotia adminif-
trari poffunt , ou , félon l'ancienne verfion Latine : Per hos enlm duos
EccUjîajlica negotia compUr'i pnjjunt.
L'Eglife de Lyon fut donc , dès la naiffance du Chriftianifme , dans les
Gaules , le feul Siège Epifcopal de la Nation , & elle a été la Mère de
toutes les Eglifes qui furent établies dans la fuite. C'eft pour ce fujet , fans
doute , que l'Empereur Lothaire l'appelloit la première Eglife des GaU'
Us (i). Auffi l'Eglife de Lyon prendt-elle cette Devife : Prima sedes
Galliarum, qui lui appartient inconteftablement , tant à caufe de fa
Primatie , que pour l'ancienneté du Siège. Les deux premiers Evêques
de cette Ville , également célèbre dans le Gouvernement Civil & le
Miniftère Eccléfiaftiquè , fcellerent de leur fang la Foi qu'ils avoient
prêchée. Le fang de ces premiers Martyrs rendit l'Eglife des Gaules
féconde, & répandit alors dans tout l'Univers l'éclat de fa gloire.
^Cependant , loit que la perfécution de Sévère eut emporté un fort
grand nombre de Chrétiens , comme on le croit , foit qu'après la mort de
St. Irenée il fe trouvât peu de perfonnes dans les Gaules, capables de
maintenir & d'étendre la Foi , on n'y voyoit vers le milieu du IIU. fiécle
qu'un affez petit nombre de Chrétiens (i). C'eft ce que nous lifons
dans les Ades de St. Saturnin, dont le témoignage doit d'autant moins
nous être fufpeft , qu'il eft conforme à ce que St. Germain de Paris , &
fept autres des principaux Evêques de France écrivirent à Sainte Rade-
gonde, vers le milieu du VI<:. fiécle. Car ils difent que la Foi ayant com-
mencé à être plantée dans les Gaules des la naifîance de la Religion Chré-
tienne , la connoilTance de la vérité s'y répandit néanmoins dans peu de
perfonnes , julqu'à ce que la mifcricorde Divine y envoya St. Martin ,
afin qu'elles ne fuffent pas inférieures aux Pays où les Apôtres avoient
prêché (3). Sulpice Sévère confirme la même chofe: Felicem quidem Gr.-
ciam-f quœ mcrult aud'ire Apoflolum prcedicanttm: Sed nequaquam à Chrijlo
G allias derdlclas , quibus donaveric Iiaberc Martinum, cumverà .,, in fol»
^artino Europa non cejferit (4).
(i) Kojji, de Marca de Primatib. cap. 114.
ag.2 3 1-234
(2 Voytx. Surius , 29. Nov. p. «50. §. i.
(5} Vopz. Gie'g. de Tours , Hiltoit, lib, JX.
cap. 39. p. 512.
(4) Vo^et. Sulp. Scvere , Dial. III. cap. 31,
P4g. 3JI.
D E M. D E C H I N I A C. 499
Ainfi la prédication de St. Martin renoiivella le Chriftianifme dans les
Gaules, & diffipa, avec fuccès, les ténèbres du Chriftianifme. Alors la
Foi Chrétienne fe répandit infenfiblement dans ces vaftes Pays , &
leurs principales Villes ne tardèrent pas à avoir des Evêques. Enfin , le
jour de Noël de l'an 446 , Clovis , Roi des François , après avoir re-
noncé au Paganifme , fut baptifé à Reims par St. Rémi, dans l'EgUfe de
Saint Martin. Une de fes Sœurs , & trois mille Officiers ou Soldats qui
l'accompagnoient , furent baptifés en même tems. C'eft alors propre-
ment que commence VHiJloire EccléJIaJlique de France.
FIN.
ADDITIONS
TOME PREMIER.
P
■*■ yic£ 4^./i^/If 2 6" j. Scytus (8) &d'Eu-
bée (9). Life[ de Scyrus, (8)dEubée&de
Semiios {s).
TOME II.
Page ji. ligne 24. Péiiius , life^ Pennius,
Pag. y 4. ligne 2;. fur ces mots , Caftor &
Vollax ,me!teien note : Voyez ci-après p. i j é.
n. *.
F>2ge 48. ligne ij. fur ces mots, trente
hommes de paille , mette^ en note : A Nîmes ,
ville du Bas-Languedoc, & dans pluficurs au-
tres endroits de la France , l'on pratique , â la
fin du Carnaval , cette cérémonie. On fait un
homme de paille, bien diftingué par les carac-
tères du fexe mafculin , que l'on jette dans la
fontaine de Nimes. C'eft, peut-être, en mé-
moire à'OJîris.
Pag. i}6. ligne ij. après ces mots , où il
étoit adoré , ajoute^ : Il eft vrai que ServiuJ
donne luie autre origine au mot Soranus.
Mais il a fait ici taiit d'autres bévues , qui ont
été relevées pat le dofte Saumailè, dans foit
Commentaire fur Solin p^ig. fç , qu'il n'eft
pas furprenant qu'il ait commis dans cetts oc-
Cifion une faute d'étymologie , d'auiant plus
que ces fortes de méprifes lui font ordinaires.
Les Grecs qui avoient , &c.
Pag. 6g. ligne 18. fur ces mots, Nouveau-»
Teftament , mette^ en note : Ce mot fe trouve
dansunfens approchant./? J/zieZ/JT. 2y. XI1.4,
Pag. 8y- ligne 27. après ce mot , Rome ,
ajoute^ : c'eft une fable que S. Jérôme n'a
adoptée que parce qu'elle eutroit dans fon fyA
tême. Ce Père étoit dans l'opinion que les Gau-
lois qui avoient pris & brûlé la Ville de Rome ,
ayant été battus & chaffés de l'Italie par Ca-
millus , allèrent s'établir dans l'Aiie Mineure.
Il l'aiïure pofitivement dans la Préface du fé-
cond Livre de fon Commentaire fur l'Epure
aux Galates. Il eft fuivi en cela par un grand
nombre d'Hiftoriens , de Géographes & de
Commentateurs. Il eft viiîble, cependant, qu'il
s'eft trompé. Rome fjt prifc par Brennus l'an
364 ou 36'f ds fa fondation. Ce ne fut que
iio ans après , c'a ft- à-dire , l'an de Rome
Rr r X
50O
ADDITIONS.
474 ou 47f que les Gaulois pafTerent en Afie. la teneur dans toutes les Contrées VoiCiies du
D'ailleurs, CCS Gaulois qui, après avoir échoué ^ '. :i. .•^._:.— .'...li:. r^. ■ ,^
du côté de la Grèce, allèrent chercher fortune
au-delà de la Mer , ne defccndoient point de
ceux qui avoient pris Rome. Ceux-ci écoient
des Sénons , établis près des embouchures du
Pô. On voit dans Polybe lib.II.pag. 106. &
feq. que Camillus ne les chafla ni de Rome ,
ni de leur Pays. Mais , comme ils avoient ap-
pris que tes Vènétes leurs voifins, avoient pro-
fité de leur abfcnce, pour faire une incurfion
fur leurs teaes, ils iè laifTerent perfuader à
force d'argent de lever le fiége du Capttole, &
s'en retournèrent dans leur Patrie, dans la-
quelle ils fe maintinrent félon Florus liù. I.
cap. ij , jufqu'à l'an de Rome 471 , tù ils
4(^ent exterminés par C. Dolabella , près du
Lac Vadimon. Les autres étoient des Scord-f-
ces , qui avoient eu de tout tems leur demeure
le long du Danube. Voyeici-deJj~us ,L^v. 1.
ch. 8. p. ç6.
Mais en accordant à S. Jérôme que les Gau-
lois qui prirent Rome , fufTcnt etttûivement
les mêmes qui paflêrent dans la fuire en Afie ,
ce que ce Père dit de l'affront qu'on leur faifoir,
n'en fera pas moins infoutenable. Perfonne n'i-
gnore que ces Gaulois s'emparèrent de laPhry-
^c & de la Paphlagonie, & qu'ils portèrent
Pays où ils s'étoient établis. Voye^ ci-deffus ,
Liv. II. ch. 16. p. 4yj. Comment les Phry-
giens qu'ils avoient fournis, auioient-ils donc
ofè mutiler des Gaulois , & cela pour infulter
& pour punir toute la Nation?
11 faut donc lallTer là cette fable. Les Prêtres
de la Mère des Dieux , &c.
Pag. 2/1,6. ligne ^ I. après ces mots, du Lec-
teur , ajoute^ : mais qi'i eft,au moins, plus
liatuielle que l'aflertion de S. Jérôme.
*M. PJiflon , Dcâcur en Médecine à Berlin,
Neveu de M. Pellouncr , m*» envoyé les qua-
tre Libres de l'Hiftoire des Celtes, écrits eu
entier cic la main de l'Auteur. L'impreflîon de
ce Volume ctoit prefqiic finie quand j'ai reçu
les Mar.ufcrits : ainfi je n'ai pu conférer que
les cii'q dernier"; Cl- apitres de ce tkiifième Livre.
11 fout donc laiffcr là cette Fable. Les Prêtre»
de la Mère des Dieux, &c.
Page 1 5 8. lig, 5. §. Vil. Vifei $. VL
Pag. 1551. lig. 8. mette[ $. VJl.
Pag. 40 f. lig. 10, après le mot , AgobarJj,
mettei{z^i).
. Ibid. lig. 1 8. mettez (i 3 3).
Ibid. lig. 13. effacez (133).
Pag. 434. 1. 141. 1. 4. lifez loquatur-
ÎOI
TABLE
DES AUTEURS
Cités dans cet Ouvrage , & des Editions dont on s^ejl fervi.
,ri. D A MI Bremenfis, Hiftoria Ecclefiaf
tica Gerni. Frajicof. in- fol.
Claudii ^liani, varia Hiftoria . , edic. Fabr.
Salmurii , ij68, in- 16.
Ejufdem , de naturà Animalium , lib.
XVII , . . • Tiguri 1 J f 6 , in-£bl.
Idem , Genevx , 1 6 1 1.
JEfchylis , Tragediae feptem , graccè , cum
Scholiis graecis , cura Pétri Viftorii , cum
Obfervationibus Heurici Stephaiii. Patifiis,
1557. in-4".
JEthici , Cofmographia Lugduxii-Bata-
vorum, 158? , in-ii.
Id. Lugd.-Batav. 1696.
jigathias, Scholafticus, de Imperio Juftiniani ,
cum notis BonaventuraE VulcaiiiL Parifiis ,
1660, in-fol.
u4gobardi , ( San£li ) Opéra , ex editione S:e-
phani Baluzii , Parif. 1666 , 1 vol, jii-S" ,
Aimonus, de geftis Francoium. Parif. 1603.
in-fol.
Alimannorum Leges in Cod. anciquatum Le-
gum Lindenbrogii.
Ammiani Marcellini, Rerum geftarum libri
xviii. à Conftaiitiiio Imperio , aiino Chrifti
3^3 , ad Gratianum,aiino 378 , cum notis
Henrici Adriaiiique Valefii... Parifiis i68t,
in-fol.
A ndradi Modici , Revelationes. Vide DufreC-
ne , Script. Rerum Franc.
Aneriorunt Leges iu Cod. aiitiquarnm Le-
guçn Lindeiibrogii.
Anonymi Chronicon ab Hemico-Valefio edi-
tum adcalccm Ammiaiii-Marcellini.
Anthologia .... cum notis Brodari. Bafilear ,
I5;4P , in-foU
Antpnii Itinetariura ki Tlieatro Bertii.
^oUonii i?^o</i/ , Argonaoticon Libri iv,
grxcè & latine, ex verfione Jeremia: Hoel-.
zlini , cum ejufdem commentario & notis ,
Lugd.-Batav. 1 6 4 1 , in- 8 '^ .
Appiani Alexandrini , Romanarum Hiftoria-
rum Libri, gra:cè & latine , cum aunotatio-
nibusHenrici-StephanijAmft. 1670,1 vol.
in- 80.
Excerpta ex Appiano. Vide Valefium.
Apollodori Bibliotheca: , fivede Deoiura ori-
gine Libri III. Salmurii, i66i,in-ii.
Id. Heydelb. 16$ p.
Lucii Apulei Opéra , cum Commentario PL"
Betoaldi. Bononia:, 1500, in-fol.
Id. cum comment. PIi.Beroaldi&GodeC
Stevechii. Bafilea: , i j 60.
Ariflophanis , Comedia: xi , grxcè & latine ,
cum notis Ifaaci Cafàuboni , & aliorum ,
& indicibus Ludovici Kufteri. Amftelod.
1710, in-fol.
Id. Graecè , cum Scholiafte Grxco. FIo-
rentia: , 15 tf.
Ariftotelis Opéra. . . Aurclis AUobr. 160^ j
in-fol.
Id. Lugduni IJ90.
M. Trogilli Arnkidy Cimbrifches Heytfen-
thuon , c'eft-â-dire , Traité fur la manière
de vivre , les- exploits & la converjîon des
anciens Peuples Septentrionaux , Ham-
lx)urg , 1703.
Arnobius , adversns Geutes , in Bibliotb, P»-
trum , tom. 15.
Id. Parifiis, 1580.
Arriani Taûica , acics coiitrà Alanos, Peri-
plus Ponti-Euxiiii, Peiiplus IVlaris ErythracL,
liber de Vcnatione, &c. graccè & lat. cun»
notis variorum , edentc Nicol. Blancardow
Am^el. 168^. in-S".
Ejufdeai , de Expediticsie Alcxandri Ma-
501
TABLE
/
giiijib. viTi. & Hiftoria Indica graccc & Lipfe , 1744, 6 vol. 111-4".
latine ex Bonarenturac Vulcanii vcrlîone , Id. Hiftoire de la Philofophie , en Alle^.
editio emendata & aiiimadveifionibus illuf- mand,Ulme, 1731.
trata per Nie. Blancardum. Amftel. 1668, Budxus , de AfTe & paitlbus ejus. Pariffis,
in- 8°. IÎ4I , in-fol.
Q. Afconii Pediani , Comment, in aliquot M. Burgundionum Leges. Vide Lindenbro<r.
T. Ciceronis Orationes. LugduniBatav. Busbequii ( Aug. Gifd. ) Legatlonis Turcics:
i644,in-ii. Epift. IV. Fiaiicof. 155)^.
Athenxi , Deipnofophifîàrum libri xv grecè i^'î/z/i/z^e , Hiftoria: Scriptores. PariC 1 648 ,
& latine ; ex interpretatione & cum notis Bi6i^$ , u\-io\.
Jac. Dalcchampii ; cum notis & commen- C
tariis Ifaaci Cafauboni , Lugduni , 1 6z i , '^
X s'ol. in-fol.
Id. Editio gracca , Bafilex , 15:3 j.
Id. Ex verlioiie Dalechampii , 1^83.
Augnflini (Sancli ) Opéra. Par. 16S5 ,ia-fol.
Sandli Augufiini , de Civitate Dei , lib. xxii, CaUimachi Cyrena-i, Hymni & Epigrammata,
cum notis L. Vivis. Lugduni , 1561. Eôit Henr. Stephani. Patifiis, 1577, in-4*',
Auli Geliù Noues Atticx , cum notis Jac. Calpurnius Flaccus, Vide Quintilianum.
Prouft , ad ufum Seren. Delpliini, Parif. Calvifii (Setlii' Opus Cluonologicum , Fran»
1680, in-4''. cof. 168^ , in-fol.
Sexti Aurelii Viftorrs , Hiftorix Romanae Id. Francof. 1630.
Breviarium & Cacfares , cum notis Annœ Juliiis CapitoUnus , cum notis variorum,
Tanag. Fabri filia; , Pariiiis , 1681, in-4". Lugdiini-Bdtav. 167 i. Vide Hiftori^e Au-
'Aufonii Burdigalenlis , Opéra qua; extant gu/te Scriptores.
cum commentariis variormn , ex edit. Jac. Aurelii CaJJlodori , Opéra omnia , notis &
^ MsARis ( C. Julii) Commentarlorurtt
de Bello Gallico, lib. V , cum notis Jean.
Goduiiii, Parifiis, 1678. in-4°.
Id. Edit chr. Cellarii. Lipfiae , 1731."
Tollii,Amftelod. 1671 .in-S».
Idem. Amftelod. 1 6 3 i .
B.
B
\Ajuvariorvm Loges. VideLinden
brog.
Stephanus Balu^îus, Capitularia Regum Fran
obfèrvationibus illuftrata ftudio J. Garctii.
Rothomagi, 1679, i vol in-fol.
M. Porcins Cato. Vide Rei Ruftic* Auétores.
Ejufdem Origiiium.
Caii Valerii CatuU Opéra , cum notis vario-
rum , trajefti ad Rhenum , 1680 , z voL
in 8P.
Id: Francof. ï6af.
corumcum veteribus Marculfi & aliorum Chryftephori Cellarii Differt ationesade-
formulis. Parifiis , 1677,1 vol. in-fol.
Hiftoire critique de Manidiée & du Manichéis-
me , par Nicol. de Baufobre , Amfterd.
i734,in-4°.
Beda , Opéra , Bafileas , i J65 , in-fol.
Beda , de Tempor. ratione. Bafilea; , ij^j.
Bertii , Theatrum. Ai»ftelod. 15; 151 , in-fol.
micas, Lipfîae , 1711 .in-S*^.
Chiniac , ( Pierre de ) Difcours fur la Nature
& les Dogmes de la Religion des Gaulois,"
Paris, 1770 ,in-ii.
Chorier , Hiftoire du Daupbiné. Grenoble ,
1661 , in-fol.
Chronicon Belgicum apud Piftoriuin.
.fi/cKerie ( de la ) Traduûion de quelques Ou- Chronicon Pafchale , aliter Fafti ficnli , vel
vrages de Tacite. Paris, i75î, ^ vol.in-ii. Chronicon Alexan>!rinum , edit. C. DufreCr
Samuel. Bocharti , Geograph. fàcra. Francof. ne , Parifiis , 1 6éo , in-fol.
1674, in-4''. Idem, Parifiis, 1688.
M. le Comte de Boulainvilliers , Etat de la M. T. Ciceronis Opéra. Lugd. Bâta v. 1651;
France , tom. I. & II. Londres , 1717. z vol. in-4'^.
Gloflarium Boxhornii , in CoUeûaneis Leib- Cl. Claudiard Opéra , cum notis Guill. Pyr-
^ nitzii. rhonis , Parifiis , 1677 , in-4'*.
J?ic. Bruckeri, Hiftoria critica Philofophiac. Id. Amftelod. 16 z 8.
DES AUTEURS.
503
CUmemls AlexanJriiii Opéra , grecè & latine.
Parifîis ,1641 ,in-fol.
Id. Cura Joh. Potteri , Epifcopi Oxo-
tiien(î; , Oxoiiii, 1715.
ex verfione Guillelmi Xilandri , cum no-
us Joan. Leunclavii , Hanovix , 1 606 ,
in-fol.
Excerpta ex Dione, Vide Valefium.
CUmentis Roinani Recogniciones , inter Pa- Diogenes Laerdus , de Vitis Philofophorum ,
très qui temporibus Apoftolicis floruerunt ;
edit. Cotelerii. Tarif. 1671, in fol.
Id, Aiituerpix , 1698.
Philippi Cluverii Germauia amiqua. Lugduni-
Batav. ^6^6 , in-fol.
Id. Lugd, Batav. 1651.
Ejufdein , Italia amiqua , Lugd. Batav.
:i6z4, înfol.
Id. Guelferbiti , léfS.
E)u(Hem , Sicilia antiqua , Sardinia &
Corfica , Lugd. Batav, \6if , in-fol.
Id. Guelfer iti , 16^5.
Ejufdem ,Introduâ:io «d Gcographiam...
Amftelod. 16^7 ,in-4°.
Id.em , Studio Joh. Bunonis , Guelfer-
biti, léey.
L. Columella. Vide Rei Rufticx Auftores.
Cornélius Nepos. . . Parifiis , 1674 , in-4'.
Id. Edit. Cellarii. Lipfiae, 16514.
Q. Curtius Rufus .... Parifiis, 1674, in-4°'
Id. Geneva: , 164^.
Cyrilli Alexandrini Libri adversûs Julianum,
in operibus Juliani.
,1 y Emosthenis & Mfchlnis Opéra
Balileas , 1571, in-fol.
Excerpta ex Dexippo , inter excerpta le-
gationum,
Londini , 1 66p , in-fol.
Id. Editio Menagii. Amftelod. i^^j '
DionisChryfoJJomi Orationes gra:cè & latine
ex recenfione & cum notis Federici Mo-
relli , nec-non Ifaaci Cafauboni diatriba.
Parifiis, 1604, in-fol.
Dionyfius Halicarnaffeus , edit. erse & lat,
Franco-Furti , iî86,in-tbl.
Id. Lipfiae, 16^1.
Excerpta ex Dionyfio. Vide Valefium.
Dïonyfû , Periegetis Orbis Defcriptio. Londi-
ni, 16751 , in-8°.
Id. cum Commentario Euilathii. Bafi-
lea» , 1556, in- 1 z .
Id. Paiifiis , I ^ 47.
Differtations hiftoriques fur divers fujets d'An-
tiquité & autres matières qui la concernent.
A Paris, 1706, in-S".
Dufrefne du C^/?f« ( Caroli ) Gloflariumme.
dia: & iiifim* Latinitatis. Pariiiis 1632
m-rol.
Id. Francof 17 10.
Andrcae Du Chefne ; Sciiptores Hilîorix Fran-
corum. Parifiis, 1636 , in-fol.
_iCkakt ( Joan. Georg. ab ) Comm. de
Rébus Francia; Orientafis & Epifcopatûs
Wiccburgenfis. Wiceburg, 17051 , in fol.
Edmundi Dichinfoni Delphi phœnicifàntes , Edda Iflandorum. Haoniae , 166^ ,in-4'.
five Traûatus in quo oftenditur Grxcos , Epnhardi , Vita Caroli Magni apud du
quidquid apud Delpho<; célèbre erat à Jofue CheCie.
Hiftoria , Scriptisque facris effinxillè. Cum Id. Helmftadt, 1667.
diatriba de Noe in Italiam adventus , nec- Ennodii , Panegyr. ad Theodoricum Regem:
)rigine Diuidum. Oxonii , 1655 , in Biblioth. Patr. Tom. XV,
Ce Livre rare & curieux eft dans Etymolog. magnum , Opéra Friderici Sylbm-
non de orisme
la Bibiwthéque de Sainte Geneviève,
fans front! fpice. Il efl coté B , 1347.
Diodori Siculi , Hiftoriarum Libri qui fuper
fljnt , grafcè & latine , interprète Laurentio
Rhodomano. Hanovia:, 1604, in-fol.
Id, Edit, Gnca Henr, Stephani t ^ j 9.
Excerpta ex Diodoro. Vide Valefium &
Hoefchelium.
Cionis Caffii , Hiftoria Romaua , gr, & lat.
gu. Typis Commelini, 1^514,^ in-fol.
Eumenius. Vide Panegerycos veteres.
Excerpta exEunapio. Vide excerpta
Legationum, '
Euripidis , Tragédie qux estant . . . . 1 601 ,
«1-4"
Id. Cantabrigiae , 16514.
Eufeb Pamphili ,Cefare:E Paleftinae Epifco-
pi, Çiuonicou Grxcum , in Thefauio
P4
TABLE
Temporum Jof. Scaligeri.
Ejufdem , Hiftoris Libri duo . . . Lugd.
Batav. 1606 , in fol.
Ejufdem , Praparatio & Demonftiacio
Evan^elica, . . . Colonie , 1688 , in-fol.
Id. Edit. Franc. Vigeri. Parifiis , i6i8.
£utropius. Edk. Cellarii, Qza; , 1678. Vide
Paulum Diaconum.
Bxcepita de Lcgationib, Edit. G. Hoef-
chelii Aug. Vindelic. 1605.
Verlîo latiua Cantoclari. Parif. l^i^.
Edit. grxc. & lat. apud Scriptores Hif-
toiia: Bizantinas , tom. I. [ Les pages font
tirdinairem£nt citées fifivant cette Edition.
J. Abricii , ( Joan. Alberti) Bihliotheca
latina , (wè Notitia Autoruin veteruni La-
tiuorum.. Vcnctiis , 1718, i vol. in 4''.
Sext, Pompei. Feflus , de Veiborum iignifica-
tjone . ex Bibliothecà Fulvii Urfiiii , apud
Petrum Sautadreanum , 1583. Vide Au-
rores Liiigua: latina:.
feflus Pauli Diaconi , inter Lingua; latins
Autores.
J. Firmicus Maternas , de etrore profan.
Jlelig. Lugd. Batav. 170^, in-S",
L. Annacus /"/or«^. Hafiiias , 1700.
Idem , inter Scriptores Hiftoriac Roma-
\-\x. Fiancof. 1588, in-fol.
Stephanus Forcatulus , de Gallorum Imperio
& Pliilofophià. Parifiis, 1579, in-4°.
Id. Gencva: , 1595.
Catalogue des Ouvrages de M. Fourmont.
Amfterdam , 1751.
fredegarii Epitome Hiftorias Francorum , ap.
du Chefne , tom. I.
Joan. Georg. Frickii , Commentatio de Drui-
dis Occidentalium Populorum Philolbphis.
Ulmx, 1744 , in-4^,
Sexti Julii Frontini Stratagemata. Vide Ve-
getiutn.
Annales Fuldenfes , apud DucheCie , tom.' II.
Diftionnaire Univerfel de la Langue Fraa-
çoife , par Ant. Furretiere, A la flîye ,
i6<n, in-fol.
rALLiCAirus , (Vnlcatius) cum notis
Varioiun}. Lugd. Batav, 1671^
Jofepl). Vcrner Gfn^ê , Scliottelins ilIuftratiMI
& continuatus. Lipfiaf , 1718.
Ge(la Francorum , apud Duchefiie , tom. I.
Mémoires pour fervir à l'Hiftoire des Gaules
& de la France , par M. Gihert. A Paris[,
chez Bernard Brunct, I744,in-rî.
Michael Glycau Edit. Plùl. Labbe. Parifiis ,
1660 , in-fol.
Gothofredus Vitcrbicnfis , ap. Piftorium , tom,'
II. Hanov. 161 ;.
Gothelfiï Stuvii, Syntagma , Hiftoria: Ger-
manica:, lenx , 1 7 1 6. in 4' . \^ll y a dans
ce Livre uni Difjertation de Diis Germa-
norum , pag. 1 9 -- ^4.
Gregor. Turonenfis Epifcopi Opéra , ex éditio-
ne Theodorici Ruinard. Parifiis , 169$ ,
in-fol.
Idem , ap. Duchefnc , tom, I.
Gronovii , Antiquitates Gi«cx. Lugd. Batar.
1701 , in-fol.
Hugonis Grotii Hift. Gothorura.Vandalortun
Longobardorum. Amft. 1655 , in-8'.
Infcriptioiies antiqua: totius Orbis Romani 9
Joanne Grutero co\k£tx. Parifiis 1616,
in-fol.
H
H
. 1 ACHENBERG , ( PauliyGermauJa m*
dja. lenx , Té8é,in-4°.
Idem , recenfente Guill. Turckio , Hais,
Harpocrationis Lexlcon , cum Commentario
& notis MaufTaci. Parif ]6i4,in-4°.
Hegejîppus. Vide Biblioth. Patrum , tom. vir,
Helmoldi Chronicon Slavorum. Francofurti^
155:6, in-8°.
Herodiani , Hiftoriarum Libri VIII , gra:c
& lat, Oxoniac, 1678, in-80.
Idem , ciim verfione Angeli Politiaiiî.'
Bafile^ , if49'
Herodoti Hiftoriarum Libri ix. edit. Henr.
Stepliani. Genevx , 1618, in-fol.
Hefiodl Afcrœi , quce extant Opéra. Lipfiae ,
Idem , grxcè & latine, Liigduiii ,'1 6 1 1 1
l'n-i '.,
Hefichà , Lexicon Grareum , Lugd. Batar;
1746 , i vol. in-fol.
Idem , Haî^enox , 171 1.
S. Hieronym, Opéra. Parifiis , 1^79 > 17°^»
iji-fol,
Jdem ^
DES AUTEURS.
Î05
Hem, Francofutti & Lipfîx, 1^84.
Ejufdem, Chronicon. Vide Eufebium.
Iter Hïerofûlymïtanum , in Tiieatro Bertii.
Hiflorix Auguftje Scriptotes. Lugd. Bacar.
IÎ71 , in-80
Hoefchelius. Vide excerpta Legationum.
Homeri Opéra , cum Commentariis grscis
Euftatii , grxcè. Romac , 1J41 , 4 vol.
iii-fol.
Idem, Ediu Spondani. Bafilex, 1606 ,
in-fol.
Q. Horatii Flacci Opéra. Amftelod. ï6i^',
in-iz.
Idem, Edit. Joh. Bond. |Lugd. Batav.
1606.
Franc. Hotomanni , Franco-Gallia. Francof.
1586 , in-80.
Idem , Francof. i66<.
Hiftoiia Religionis veteruni Perfanim eorum-
que Magorum', à Thoma Hyde, Oxonix ,
1700 , in-4".
C. Jul. Hysini , Fabulae. Parif. i j 7 5 , in- 8 <>.
J jMBLici,Ym Pytliagori & Protreptricat
Orationes ad Philofopli. Libri duo,gra:cè
& latine. TypisCommelini, 1558, in-4°.
liatii Chronicon , ap. DucheCie , tom. I.
Ejufdem , Fafti Confulares , in Tbelâu-
ro Temporum Scaligeri.
Jornandis Hiftoria Gothorum, Editio Grotii.
Amftelod. i6ff , in-80.
Flavii -Jofephi Opéra, avec la Verfion de
d'Andilly. Parifiis , 1667. in-fol.
Idem,. Amfterdam , 1715.
Idem , gra:c. & lat. cum notis Sigeberti
Havcrcampi Amftel. 1716, 1 vol. in-fol.
Sanfti Ifidori Hifpalenfis Epifcopi Originum ,
Lib. XX. inter Lingua; lat. Aurores.
Ejufdem , Chronicon , apud Grotiiim.
Ejufdem , Gloffarium , inter lat. Lingua;
Au tores.
Ifocratis Orationes & Epiftola: , gr. & lat.
Parifiis 163 i , in-^o.
Idem, Bafilex , iî4<î.
Juliani Iniperatoris Opéra , graecè & latine.
Lipfia:, 1696 , in-fol.
Juin Honorii Oratoris , excerpta qu.-e ad Cof-
mograph. pertinent. Edit. Gronovii. Lugd.
Batav. 1696.
Tome 11,
Jujlinus , cura notis variorum. Amftelod.
16^9 ,in-8c.
D. Junii JuvenalisSc A. Perfîi Flacci Saty-
ra:. Amftelod. 1648. 1650, iu-ii.
K>
.ErsLERi, (Joan. Georg) Antiquitates
lèledx Septentrionales & Celticae. HanoT.
1710 ,111-8".
Albert! Kriantiii Hiftoria Ecclefiaftica Saxo-
niea, fivè Metropol. Francof. 15 90, in-fol.
W. C. Kriegfmann , Conjeftanea de Germa-
nics Gentis Origine & Conditote Hercule
Trimegifto. Tubingac , 1684. iii-40.
JLjAbbe , ( Ph. ) Colleftio Condliorum
Parifiis , 1 67 1 , 16 vol. in-fol.
L. C. F. Laâ.intii Opéra. Parifiis, 1748,-
1 vol. in-4".
Idem, Oxonia: , 1648.
^lius Lampridius , cum notis variorum.'
Lugd. Bat. 167 1. Vide Hiftoria: Auguftae
Scriptores.
Latinet Lingua Autores in unum rcdadi cot~
pus , cura Dyonyfii Gothofredi. Genev«,
1601 , in 4".
Godofr. Guill. Làbnit{ii Diflertatio de Ori-
gine Gentium , in Mifcellaneis BerolinenC
tom. I. Berolini , 1 6 1 o , in-40.
Ejufdem, Colle£lanea Etymologica. Ha-
nov. 1717, in-80.
Pétri Z«/f <i/o/'er/i Humaaitas Theologica,(îve.
Commentât, in Ciceronem de naturâ Deo-
rum. Parifiis , ijéo , in-fol.
Joh. Limncci , Jus Publicum Romani Imperii
Germani. Argentorati , i6f 7 , 111-4^".
Idem, Argentorati, 164J.
Codex Legum antiquarum , feu Leges Vifi-
gothorum , 'Burguiidionum & aliue , ex edi-
tione Frid. Lindenirogii. Fnncoi, 1^13,
in-fol.
Gloflarium Lindembrogii. , ad calcem Codi-.
cis.
Jufti Zi/T/Ti Epiftolac. Avenione, 1603 , m-80,
Idein, Lugd. Bat. i6i2.
Titi Livii Hiftoriae , cum perpetuis Joan. Fred.
. Gronovii & variorum notis. Amftel. iS6^ 1
3 vol. in-8<>.
Sff
5o6
TABLE
IJem , LugJ. Barav. 16^4,
Joh. Loccenii , Rerum Suevicaium Hiftotia...
cui acccdunt Antiquitates Sueo-Gothica:,
Holmis, i6<i4, hi-it,
Longobardorumheg^es. Vide Lindenbrogium.
Idem , Lugd. Batas'. 1^54,111-80.
M. Annii Lucani , Pharfàlia , ex edit. Hu-
gonls Grotii. Parifîis , 1615.
Luccani Opéra , ^r. & lat. cuni notis Bour-
delotiï. Pariliis , 161 j , in-fol.
Lucreiiiii ^ latin & françois. Paris , i<58j ,
2 vol. in-ii.
Id. ex edit.'jGifijnii. Lugd. Batav. iji»*;.
Lyiophronis Caflandra , five Alexaiidra , gr.
& Vài. curn Haaci Tzetzx , Commentar.
grxcis. Ba(ileaî, IJjS, in- 11.
Idem , ftudio Joaii. Pottcii. Oxonii ,
16^7, m-fol.
M
M.
ACROBII ( Aiirel. Theod.) Opéra om-
Diûionnaîre GfograpMque , par Bnixen Je !•
Martiniere. A h Haye , 1716, 10 voL
iu-fol.
Idem, Pajis, 1730, 6 vol. in-fol.
Joh. Jac. Majca , Gechichte der Teutisclien
bi(s zu Aiifang der Frankifchen Monarchia;
c'eft-â-dire , Hiftoire d'Allemagne jufqu'aa
commencement de la Monarchie des Francs.
Lipfic , 1 7 1 (S.
Ejufdeni,Gefchichte,&c. tom- II. Lip-
fic, 1737.
Antonii Matardli Relponfio ad Francîfci Ho-
tonianni , Fnnco-Galliam. Amftel. i)75 ,
in-Ti.
Idem, Francof. , l^<fy.
Miximi Tirii DifTertationes Phllofophîcœ , et
recenfione Jean. Davifii , & cum notis di-
verforum. Londini , 1740, in-40.
Idem, Oxonii, 11Î7 7.
Meïbonius , Scriptores rerum Germaiiicarum.
Helmftadt. 168,?, in-fol.
nia qua: extant , cum notis felcftifTimis Ifaaci 3/e/j , Pomponius de fitu Orbis , edit. Gro-
Pcntani & variorum , ex recenfione Jaco- novii. Lugd. Batav. 16^6.
bi Gronovii. Londini , 1694 , in-80. Idem, 1543, in-fol.
Idem , ex recenfione Gronovii. Lugd. Mezerai , Abrège chronologique de l'Hiftoir*
Batav , 1670 , in-80.
Excerpta ex Mulcho , "m excerptis Lega-
tionum.
Claudius Mameninus , inter Panegyricos ve-
teres.
JWarci Maniiii Aftronomicon Libri, cum no-
tis Scaligeri. Lugd. Batav. 1 600 , in-4".
Marcellini Comitjs Chronicon , ap. Duchefl
ne , tom. I , & in Thefauro Temp. Scalig.
Marculfi'FottDxùx , apud Lindembtogium &
Balueium.
Marii Adventicenfe Chronieon, apud Du-
chefne , tom. I.
Valerii Af^m'a/w Epigrammata. Pari£ IJ351,
. in- 12.
de France. Paris , 1 667 , 3 vol. in-4~
Idem, Bruxelles, 1700.
Ëjufdem , Hiftoire de France avant CIo-*
vis , Amfterdam , I701 , in.iz.
Minutius Félix , ex recenfione Gronoviii
Lugd. Batav. 1 7op , in-80.
André* Mullcri Alpha & Omcga , five Al-
phabeta , ac notje diverlàrum Ling. , &C.
N.
N
AzARiVS, inter Panegyricos vetercs.
Nicolaus Damafcenus. Vide Stobaum.
Nonni Panopolitae Dionyfiaca , gr, & lat. ex.
verfione Lubini. Hanovijc , 1605 , in-80.
Nonius Marcellus ; inter Autores Linguae lat.
Idem, Pariûis , 1 5 3 3 , in-i6,
'Maniani Mina:i Felicis Capellx Satyricon. Notitia vêtus , apud Duchefne.
Lugd. Batav. 155};.
Idem, Lugd. Batav. liïpS. O
'Maniant Heracleotje Carmen lambicum de •^
fitu Orbis, gr. & lat. ex verfione Frid. \_y £r jtfi'/ojoiîo, (excerpta ex) intef
Wotelli. Parinis, t6oé, in-80. Scriptores Hiftor. Bizant.
Martin , ( 'e P. Dom Jacq. ) la Religion des Origenes contra Celfum , edit. GuilL Speneri.
Gaulois tirée des plus pures fources de Camabrigiae , 1658, in-40.
l'Antiquité , par ... . Religieux Bénçdiftin. Pauli Orojii Hiftoriarum Libri VII. Moguihf
Paijs , 1717 , 2 vol. ia-^°.
\ix Ï^IJ , Ul-Ii.
DES AUTEURS.
507
ÏJem, Colonise, t^+i. Idem, e<ljt. Pautt Staphsnî, iSt\.
Orphai Argonautica , Hymni & de lapidibus, Fhurnulus , de naturâ Deorum in Opufculis
'"'■"' ^'" Mythologicis, Ethicis& Piiy(icis.Catabri-
gias , 167 1 , iii-ii.
Pindari Olimpia , Pythia , Nemea, & Ifthini^
gr. & lat. curante Andr«a Chiftiano Ef-
chenbachio. Trajeûi ad Rhcnura, 168^,
in-80.
OrtelU !,Tabulat Geographicac , in Theatro
Bertii.
Publii Ovidii Opéra omnia qux extant , cura
notis variorum , ftudio & opéra Borchardi
Kiiippiiigii. Lugd, Batav, 1670. 3 vol. Li-8".
Idem , LipfiiE , i6$t.
Callimachi Hyiiuà , Dionyfuis de ficu Or-
bis , & Lycophroms Alexandra , ha:c omnia
grxcè , cum Scholiis gcxcis. Rom», > { i f »
in-4".
Idem,Edit. Henr. Stephani , i6tt.
Idem , ex recenfione & cum notis & ver-
fione metricâ Nicolai Sudorii. Oxonii
Itfp7 , in-fol,
Platonis Opcra omnia, gr. & lat. interprète
& notatorc Joan. Serrano , ex édit. Heur.
Stephani. Pariliis , 1578,3 vol. in-fol.
Idem , Interprète & Commematpie Mar-
filio Ficino. Francof. , iéoz,in-fbl. -
Panegyrici veteres latini , in ufum Delphini , Caii Plinii fecundi iïpiftolaB & Panegyiicus
cum interpretatione & notis Jacobi de la Ltpfîx, 17*1, in-! a.
Baune. Parifiis 1676. in 40. IJem , Editio Cellarii, Lip(î<e T700.
Pault Diaconi , de geflis Longobardorum l^i- Caii Pimii , Hiftoriœ Naturalis Librixxxvrr,
bri VI , apud Grotium. cum notis & indice Joan. Harduini , ad ufum
Idem, Bafiiea:, 1531 , in-fol. Delphini. Parifiis, léSf , f vol. iii-4i>.
Ejufd. Eutropius , five Hiftoria Milcella- Plutarchï Opéra omnia , gr. & lat. cum notis
■ea. Bafileac ,15^1. " _-_--_--
Paufania Defcriptio Grarciaf , gr. & lat. cum
Jr AcATt/s (Ladnus,) intcr Panegyricos ve-
teres.
Jac. Palmerii à GenteraeCiil Gnciar antj-
qusE Defcriptio. Lugd. Batav. i(?7 8 , in-4o.
Annorationibus Guill. Xilandri , & novis
notis Joach. Kunhji. Lipfia: , 1696, in-fol:
Idem, HanoviîE, i^ij, in-fol.
Dionyfii Petavii Opus de doûrinâ Tempo-
rum. Franeq. t6 8?. 5 vol. in tr.
Titi Petronii Arbitrii , Satyricon Fragmenta
qux extant. Parifiis , 1587, in- ii.
Idem , Edir. Jani Doufx, 15 85
Joan. Rualdi. Parifiis ,T y pis Regiis , iéî4>
in-fol.
Julii /*<»//««« Onomaftîcon. Francof. iéo8,
in-4„.
Polyoeni Stratagemata. Lugd. i j 8 j> , in- 1 €.
Idem., Lugd. Batav. i6go.
Polyb'n , quae fuperfunt Hiftoriar gr. & lat.
ex verfione & cum emendationibus ac Com-
mentariis Ifaaci Ca(àuboni. Parifiis , 1 6op ,
in-fol.
Ex'-erpta ex Petro P^ltido , in excerptjs Porphyrius de abflinentiâ , edit. grjeco-lat.
Luj^duni-Ratavorum, Ktio , in-8,].
Ejufdem , Opéra qui extant.
Hiftoirc des Juifs & des Peuples, voifins depuis
la décadence du Royaume d Ifracl & de
Juda, jufqu'a la monde Jefus-Chrift , tra-
duit de l'Anglois de Humphrey Pridtaitx,
Amfterdam , 1711, 5 vol. in- 11.
in-fol.
Legationum.
Perron , Lettre fur l'origine des Celtes , in
Colleftan. Lcibnitz.
Antiquité de la Nation & de la Langue des
Celtes , par le R. P. Feiron. Paris, 1705 ,
in-ii. N.B. Je n'ai vu ce Livre plein de
chimères & de vijîons , qu'après avoir ache-
vé le premier Livre de mon Ouvragç. Ob. Profopi Opéra. Parifiis , irffij
(èrvation de M. Pelloutier. Idem, i(6i.
Perfius. Vide Juvenaiem. Sexti Aurttii Pw^mi Opéra. Lntetix, 1^04.
Philojlorpi Cappadocis Opéra , edit. Jacobj Sanfti Frufperi Aquitani Opeia. ParjC ,i53<7,
Gothofredi. Geneva:, 1641 , in-4 . ju-fol.
Philo flrati Lemni Opéra. Parif. r5o8,in fol. Idem , Colonix , 1540.
Photii Bithiotheca , gr. & lat. ex verfionc Aiid. Ejufd. Chrmicon ; ap Duchefiic, toqul.
Schotti. Rochoraagi , 16J3 , in-fol. & in Thefauro Temp. Scaligeri. • ■ *
Sffi
5o8 T A B
Aurelji Trudentïi Opéra , cum interpretatio-
ne & notis Stephani Charaillard. Parifiis ,
1687 , iii-40.
Ptolomœus Geographus , iu Theatro Bercii.
QUiNTILIANI {M. Fabii) Inftimtio-
; Oratonx,nec-noii Calpurnii Flaccids-
clamationes , cum notis variorum , ex re-
ceiifioiie Pétri Bartnanni. Lugd. Batav.
ij 7 7. o , 4 vol. in-fol.
Idem , cum notis variorum, Lugduni-
Batav. 1665 , 1 vol. in-fol.
R
.AvENNAS Geographus , EJit. Gronovii.
Lugd. Bacav. 16 $6.
Jean. Rojini , Romanarum antiquitatum cor-
pus abfolutillîmum , cum notis variorum.
Lugd. Batav. 1663 , in-4(i.
Idem , Colonie, 161 9.
Diftionnaire François-Celtique , par le R. P.
Grégoire de Roflnnen. Rennes ,1751, Jn-4.
Olavii Rudbechii , Atlancica, five Manheim,
vera Japheti pofterorum fedes. Upfali» ,
J67J , 16&P, i6p8 & 1^5151 , 4 vol, in-
fol. & I vol. in-40. fig.
Sexti Rufi Breviarium , inter ScriptoresHifto-
ria: Romans. Francof. 1588, in-fol.
Idem , Editio Cellarii , Coza , 1 67p.
•Rei Ruflicx Autores Latini Ceta , Varro ,
Columella & Palladius Rutilius. Parifiis,
,1 î 3 î , in-fol.
Idem , Typis Comelini , i J^J.
CI* Rutiiù Numatiani , Itinerarium , cum ani-
madverfionibus Jofephi Simleri , & alioruin.
Amftelod. 1687 , in-ii.
Idem, Bafilex , 157 î.
.Tlieod /JycÀii Différtatio de primis ItalisE In-
coljs. Lugd. Batav. 1684.
^ ÀLMASit ( Claudii) Exerckationes Pli-
nianae. Trajan ad Rhen. & HoLijS^, t.
vol. in-fol.
Salvianus , de vero Dei judicio & providen-
ciâ , cum nous Peu! Galezinii. Roma? )^56j^
în-fol.
L E
Idem, Vide Bibliotheca» Patruirt, tom. r;
C. SallufliiCr'iC^im Opéra. Par. 1675 > in-4.
Idem, Francof. & Lipfiœ , 1706,
Jofephi Scaiigeri Epillo'x. Lugd. BataVar,
1 617 , in-80.
Idem, Francof., 1618.
Ejufd, Thefaurus Temp. Amft. 1 1Î5 8,
Schedius ( Elias ) de Diis Germanorum. Aniift.
1648 , in-8f>.
Hiftoriar Ecclefiafticicx Scriptores Gtxd , cura
Henr. Valefii. Amft, 15^5. in-fol.
Scymni Chii Fragmenta haftenùs non édita»
Lugd, Batav. 1683.
Juft. Georg. Schotellius de quibufdam fingu-
laribus & antiquis in Germanià juribus ob-
fervatis. Francof. & Lipfiîc 1718,
Sdden, de Diis Syriis, Amilel. i($8o, in-80,
Annari Seneca Tragediœ , . . Amftelod. 1671,
iii-8'^'.
Idem/ Aniftelod. 167^.
Ej, Opéra , ,, Genevje, 161 ( ,in-ii.'
Idem, edit, Andréa; 5c/;o»i , 1603.
Servius, Comméntar. in Virgilium, Genevac,
1610.
Sidonius Appollinaris , cum notis Sirmondx.
Parifiis 1614 , in-80.
C. sua Italici Punica . . . Parifiis 1 6 1 8 , in-4oi
Socratis Hift ria Ecclefiaftica , cum notis
Henr. Valefii. Parifiis , idjiS , in-fol.
Idem , in Hiftor. Ecdef, Scrip, Graecis.
Genevx , 16 iz.
Joan. Daniel, Schoepfitni. Confil, Régis &
Francis Hiftoriogr. Vindicis Celtica;, Ar-
gentorati ,1754, in-40.
Solini Polyliiftor. Bafileac, 1^45 , in-fol.
Idem, ex edit, Urftifii. Bafilex, l'jjë.
Sophoclis Tragedix Septem , gr, & lat. Bafi-
leœ, 1558 , in-8".
Idem , Parifiis, iiSf 8 , in-40.
So^omenis , Hiftoria Ecdefiaflica , Parifiis ,
1668 , in-fol.
Idem , in Hift. Eccl. Script. Grxcis ,
Genevx, i6iz.
^lius Spartianus. Lugd. Batav. 1671.
Id. inter Scriptores Hift. Auguftas.
Publii Papirii Statu Opéra , cum notis Va-
riorum, ex edit. Joan. Veeiihufèn. Lugd,
Batav. 1671 , in-8.
Id. Edit. Joan. Frid. Gronovii. Amftel,
16^3.
Stephanuslihi.nùivii deUibibus, cum ooti}
Berkelii. LugJ. Batav. ié^4
Idem ; Lugd. Batav. 1688.
Caroli Snphani Diftionaiium Hiftoricum,
Geographicum , Poëticiim , &c. Londini ,
1686 , in-fol.
Id. cura Nicolai Loydii. Oxonii, 1 67 1.
DES AUTEURS:
in-foL
SO?
F.
Alerii Caii Flacd Argonauticon Li-
bri VIII. Colonix , 1617 , in-ii.
Idem , Lipfiae , 1650.
Henr. Suphani Poëfis Philofophica , five Re- yaUrius Maximus , cum notis Varioi-uin.
liquix Pocfis : Empedoclis , Parmeuidis
& Orpha;i ... i J 7 î •
Joan. Siobai Loci communes facri & ptofeni.
Fraiicof. ij8i , in-fol.
Strakonis Opéra , Edii. Cafâuboni. Farifiis ,
i6io , in-fol.
Pliil. Jean. Stralemberg , das Nordim , Oft-
Liche Theil von Euiopa , und A fia , c'eft-
à-dire , Defiripùon des Partief Septentrio-
nales & Orientales de l'Europe & de l' Afie.
Stockolm , 1730.
Defcripdon Hiftorique de l'Empire Ruflîen ,
traduice de l'Ouvrage Allemand de M. le
Baron i.zSiralemhcTg. hsa&ç.x.iam , 17^7.
i vol. in-ii.
fuetonii Tranquilli de XII Cacfàribus Liber.
Lugd. Batav. 1547. in-80.
Idem , Editio Schidii. Lugd. Bat. 1 65 6.
'fuida Lexicon , graeco • latinum , ex verfione
^milii Porti recognita & notis illuftrata
ftudio Ludolphi Kufteri. Cantabrigix ,
'Synefîi Opéra , gr. & 1 ar. ex edit. Dionyf.
Petavii. Parifiis, 1611, in-fol.
j£ AciTi ( Cornelii ) Opéra , Cum notis va-
riorum. Amftel. 1672 , z vol. in-80.
Idem , Lugd. Batav. 1687 , i voi.in-i».
Tertuliani Opéra, ex edit. Rigaltii. Parifiis,
1641 , in-fol.
TAeopAilaâus Simocatta , inter Script. Hift.
Bizantinx.
Thucydidis Opéra. Oxonix , i(î5)6 , in-foli
Sexti Aurelii Tibulli Opéra. Parifiis, 1604,
in-80.
Trebellius PoUio ,
Auguflx
Lugd. Batav. 1670 , in- 8°.
Idem , Editio Vorstii. Berolini, 1^71;
Heni.Vale/îi , excerpta ex Nicol. Damafceno ,
Polybio , Dionyfio Halicar. Appiano ,
Dione , &c.Parifiiis, i634,in-4o.
M. Terentii Varronis Opéra qux fuperfunt,
in Librum de Linguâ latinâ conjeûanea
Jofephi Scaligeri cum ejufdem notis in Li-
brum de Re Rufticâ , & trium aliorum ....
Parifiis, 1585 , in-80.
Idem , Editio Popmx. Lugd. Bar. 1 6^0;
Ejufdem de Linguà latinâ mter Lingu«
latinx Autores.
EjuClem , de Re Rufticâ, inter ReiRuf-
fticx Autores.
Ejufdem , Fragmenta (Satyra Menippea)
edit Popmx. Francof. 1589, in • r i .
Julius Flavius Vegeiiiu de Re Militari...;
Parifiis 1^35, in-fo!.
Idem , ex Ojficinâ Plantinianâ Raphelea»
gii, 1607.
C. Velleii Paterculi Hiftoria Roitiana. Aralt
i6é4 , in-u.
Idem , Francof. i ^47.
Venantii Fortunati Opéra. Moguntix, itfoj.
Chronologie de l'Hiftoire Sainte , par Alphon-
fe des Fignoles. Berlin , 1738,1 vol. in-40.
• yidoris Tununenfis Chronlcon , in Thefàuro
Tempor. Scaligeri.
yirgilius cum notis feleûiffimîs Servii. Ge-
nevx , 1636 , in-14.
Id. Lugd. Batav. t66i.
M. Vitruvius , de Artchiteûurâ Libri X, cum
notis ..~Amftel. 1649 , in-fol.
Idem , Romx, 1550, in-40.
Lud. yives , in Auguftin. de Civirate Dei.
■ fol.
Bafilex , 1 5 41 , m
inter Saiptores Hiftoriae Flavius Vopifcus , inter Hift. Auguftx Script
Id. Lued. Batav. 1671
Idem. Lugd. Batav. \6fi. Getardi Vojfîi,ie origine & progreflù Idolo-
3oan. T^etia variaram Hiftoï. Liber.... •• latrix Libri IX. Amftelod. i66i , in-fol.
jBafileac,, iJ46,iû-foI. Ifeacus Vojfms , de Poëmatum cantu & Vi-
ribus lithoij. Oxoaix, 1673, ^'^°'
K
|io TABLE DES AUTEURS.
Interprète Joan. Leunclavio , «m nous
Xf' ^mili Porti. Parifùs , Kii^ , in-fol.
•^YT Wem, Verfio latina Heniici Stephani,
\y Itichindj , Chronicon-Saxon , apud
Meibonium in Script, rer. Germ. tom. III, Z
Dilrertation fiir runion delà Religion, de la JuOziMVS^ cutantc Cellatio, CÎW
Morale & de la Politique , tirées d'un Ou- 1^7^ , ia-8°.
vrage de M. Warburton , par M. de Sil
fouette. A Londres, 1741 .» *'<^' i"-i*^
./^fjsropffoyr/sHiftoriîede Cyrî majo.
lis luftituùone , & alia Opéra ,, gr. & lac.
fin de la Table des Auteurs;
TABLE
Des Matières contenues dans ce Volume*
jtrERTisstMEtTT de l'Auteurfur le llle. Livre,
l'âge iij
jIvts de l'Editeur fur le IVe. Livre. tv
Préface de l'Auteur fur Us llle. & IVc- Li-
^re. yij
LIVRE TROISIEME.
T€t principaux Dogmes de la Relifio» des Celui,
m - m
CHAPITRE PREMIER.
J_iA Rrligion des Peuples Celtes eft un fiijet très-
iiitérciraïu. Fag. I. Il cft difScilc de li. bien eoB-
noître. r L'cloigncment du tenu où il faut remon-
ter, 8c le fecret des Druides fur leur Dotlrine, en
font les principales caufes. ibid. Cependant la Loi
du fecret neiegatdoit, à proptemeni parler, que la
Phyfiologie & la Maeie. ib Les Dtui les avoient une
iJoâriiie publique, iï. Huficurs Auteurs Modernes
«nt écrit fur la Religion des Celles. }. Ourraged'£-
fi:nneForcadel. ibid. Traité de Philippe Cluvier 4.
Tiiiii: d'Elie Sc/iedius. j. Traité du tcrc Lefcalo-
pier. ib. Ouvrage de l'Auteur Anonyme de la Re-
ligion des Gaulois. «. Aucun de ces Auteurs n'a
connu la Religion des Celtes, ibid. Plan de ce Livre
Ce du fuixant. 7.
CHAPITRE II.
Les Peuples Celtes ont tous reconnu l'exiftence d'un
Dieu. 7- On a accufé, fans ïondement , quekguei
Peuples Celles, & .en patricuKer , les habitans de la
Galice , d'être Athées t. Cicéron a auflî accufé mal
À propot les Gaulois d'AtJiéifme. li. Examen d'un
pafTage de Cicéron. 5. Les Celte» étoient fort atu-
chéi au Culte de leurs Dieux. 10.
CHAPITRE III.
les Celtes avoient Bne jufte idée de Dieu & de Ces
peifeûions. Us adoroieiu des Dieux fpirituels , & leur
attribuaient une fcience infinie, il. Ils leur aitri-
buoienc aufli une puilTance fans bornes. la. Unejuf.
. ftice inccTiupiible. ij. Ces principes font communs
à toutes les Religions ib. ConféqueiKes que les Cel-
tes tiroient de ces principes. M. Il ne laut pas rc-
ftéfenter les Dieux fous une forme corporelle, ib,
ni fe figurer dis Dieux mâles k femelles 14. Autres
confcqucnces qu'en peut tirer des principes des Cel.
tes. ib. Ils n'ont point fetvi les Dieux des Grecs 8c
<le$ Romains, ibid. On a mal à propos accule les Cel-
tes de dcïficr IcsElémcns. 17. Les Images, les Idoles,
les Statues n'appartiennent point i J'ancicjuae RcU-
SfioB. a.
CHAPITRE IV.
les Celtes vénéroient les ElémcnsSc toutes les dif-
férentes pairies du monde vifible. 17. Ce culte étoit
établi parmi lesScyihes. 18, Parmi les Pcrfes. ib.
Parmi les Turcs, ib Chez les Gaulois , chti les An-
glois, & chee les Germains, ij Les anciens Grecs
eonfervoient le même culte. 10. Les Sarmates véné-
roient âurti les différentes parties du monde, ib. i.ei
Celtes ne regatdoicnt pas les Elémens 8c les autres
parties du monde comme des Divinités, ii. ni com.
medeiîmplesim.1gc5de la Divinité, ti. Ilscrciyoicnt
que chaque partie du monde vilîble étoit le fiége
8c le temple (Tune intelligence à laquelle ils tcndoient
un culte religieux. 25. Confequences que les Celtes
tiroient de la fpiritualité de TErte Suprême, i ". Il
ne faut point bâtit des Temples â la Divinité. x«.
t". L'Homme peut cire infttuit de fa deftinée. }• Il
peut opérer des chofes extraordinaire; par le moyen
delà Divinité qui réfide dans les Etrescoiporels. 17.
40. Tout ce oui fe fait par les Loix de la Nature, cft
l'ouviAge mEmc de la Divinité, ib,
CHAPITRE V.
Les Penples Celtes ont tous reconnu un Dieu Su-
prême. 50, Ils l'appelloient le fcul Dieu. ji. lU
adoroient , en n)éinc teins , un grand nombre de
Divinités fubaltetncs. jj. Us n'ont point reconnu
deux principes éternels 8c incclligcns , l'un boa fc
l'auir* mauvais. 34.
CAAPITRE VI.
Les Peuples Celtes appelloicnt le Dieu Suprême
Teut. yj. Les Efpagnols fcrvoienc le Dieu unique
Teut. ibid. Les Gaulois adotoient le Dieu Suprême
fous le même nom. ;$. Le culte du Dieu Suprême
Teut étoit reçu chez les Thraces 4). Les auties
Peuplet quidemeutoicnt au Midi du Danube , ado-
roient aulll le Dieu Supiême Teut. 44. Le Dieu Su^
pcême Tis , ou Teut , étoit reconnu par les Peuplet
Celtes qui avoient palTé dans l'Alîe Mineure. 4(. Il
y a lieu de croire que les Perles adotoient le Dieu
Suprême Teut, 4S. Les Scythes qui demeutoieut
au Nord du Danube , donuoient au Dieu Suprême
le nom de Tau. 47. Les anciens habitans de la l'I-
talie adotoient le Dieu Suptêoie Dis. 48. lesan--
ciens habitans de Grèce adotoient le uiej Suprême
Teut. 49. Pourquoi la pliipan des .^ncie.is unt-ib
cru que le Teut des Celtes étoit le Mercure det
Grecs 8c des Romains >. ^6 Quelques-uns dei
Anciens ont cru que le Teut des Celtes étoit Sa^
turne. 58. Ptérogatives du LJicu Teut. «o C'étoit
le Dieu Suptême. Ib.. Le Créateur de l'Univers. 1*.
Le Créateur &C le Père des autres Dieux, «i. Le Créa-
teur 8c le Ptrc de l'homme- «x. Ttut avoit tiiê
l'homme de la Terre, ibid. Quelques uns ont cru
OMl-à-f ropos qiic le Teut des Celtes éceic ia Terre
#
»ên«. «■?. te Dieu T<!«t étoit regarde comme l'a-
ms du monde. «?• Quelqucs-uus ont regardé T«/
comme le Dieu qui lance U foudre. 6S. D'autres
«lit fait du Dieu du Tonnerre une Divinité fubal-
terne. <7, Hiftoire de la Création , litéc d'un Livre
fcuirement attribué à un Pbilofophe Etruf(jHe..68.
CHAPITRE VII.
Tous les Anciens s'accordent à dire que les Peu-
ples Celtes fervoient le Dieu Mars. 70. Le Mars
&. le Mercure des Celtes étoient la même Divinité.
71, Pourquoi a-c-on fait du Mars & du Mercure
des Celtes deux Divinités dififërentesî 7J.
CHAPITRE VIII.
Des Divinités que les Peuples Celtes plaçoient dans
les Elément. 78. Apiès le Dieu Suprême , le grand
objet d; la vénération des Peuples Celtes étoit la
Terre, ibid. Fête de la Terre parmi les Germains.
79. Culteque les Peuples Scythes de l'Afie Mineure
rcndoient à la Terre. 8l. La Diane, dont les Scy-
avoient établi le culte à Ephefe , étojt la Terre. 84.
Les Thraces fetvoient aufli la DéelVe Opis , c'eft.
à dire , la Terre. 8j. La Diane Taurique étoit la
Tetre. >i. La Diane des Scythes avoir un Temple
célèbre dans le voifinage de Rome. 9î. La Diane
Taurique étoit fervie à Lacédémone. 9«. Traces du
culte de la Terre parmi les gaulois. 57,
CHAPITRE IX.
Les Peuples Celtes rendoient un culte Religieux
aux Fontaines , aux Lacs ■ aux Fleuves , Je d la Mer.
??. Fonicmcut de ce culte. 100. Nature de ce culte
dans Us Gaules- loi. Les Francs rendoient aullî un
culte à l'Eau. 103.
CHAPITRE X.
Du culte que les Paiples Celtes rendoient au Feu.
loj. Nature de ce culte, no. Ses Fondeiuens. iif'd.
CHAPITRE XI-
Du culte que les Peuples Celtes rendoienr à l'Air
tç aux Vents. 1 1 J. Fondement de ce culte, ibid.
CHAPITRE XII.
Du culte que les Peuples Celtfs rendoient au So-
leil. 114. Réflexion fur le nom que les anciens Ha-
bicans de l'Europe donnoient au Soleil. 1 1 î. Les A«-
ciens parlent »ort au long du culte que les Hypcrbo-
réens rendoient au Soleil. iit.LesHypcrboréciis font
les Germains &c les autres Peuples délîgnés fous le
nom général de Scythes , qui fervoient efreâivement
le Soleil. 117. Les Gaulois le fetvoient aufli. 1 18. Par-
ticularités fur le culte que les Peuples Celtes ren-
doient au Soleil. 119. Culte que les Perfes rendoient
Solei). iio. Conformité du culte que les Celtes 6c les
Pfifes rendoient au Soleil, m.
CHAPITRE XUI.
Du culte que les Peuples Celtes rcntloient à la Lu-
tie. tu. Nature du culte que les Celtes rendoient à la
Lune. ibid. VHécati des Samothraces n'écoit pas la
Lune I mais la Terre, m. Récapitulation de ce qui
a été dit dans les Chapitres pjécédens- ibid.
CHAPITRE XIV.
On a prétendu que les Peuples Celtes rendoient
]ua culte religieux aux ames'des Héros, nj. Oa
« aCuré qu'Hercule école fetvi Comme un Dieu*
dans conte la Celtique, ib. On a dit qu'il avoit palli
en Efpagne 8c qu'il y avoit fournis toute la Nation.
ii<. C'eft unenâion. L'Hercule qui pafla en Efpagne
écoic un Général Phénicien , qui avoit établi la Co-
lonie dcGades. 117. On adiCtfani aucun fondcmeut,
qu'Hercule le Thébain avoit palTé dans les Gaules.
118. Cet Hercule étoit un Général des Marfeillois.
12». Les Gaulois adoroient, du tems de Lucien, l'Her-
cule Ogmius. I jo. L'Hercule Ogmius étoit le Dieu
Suprèine. 151. On prétend qu'Hercule avoit travetfc
l'Italie. 155. ©n dit «ju'Hcrculc avoit paift dans U
Germanie, i J<. Tacite aflurc que les Gctniains rea-
dolent à Hercule un culte religieux. C'ell une mé-
prife. 1 57.Les Grecs aflurent qu'Hercule aveitfaitplu-
fieurs expédicions en Thrace. i}8. Cela peut avoir
quelque fondement, ib. Ce qu'on dit des expédi-
cions d'Hercule en Afic peut aulU être fondé, i jj.
Selon Hérodote, Heicule étoit adoré par les Scy-
thes. 140 Les Celtes ne rendoient point de culte re-
ligitux aux Héros. 141 Pourquoi a-t-on cru que l«s
Celtes rendoient un culte religieux aux âmes des Hé-
ros! 141. Les Hercules, que les Celtes célébroient
daos leurs Cantiques.étoient leurs propres Héros, 14^,
CHAPITRE XV.
On attribue aux Celtes le culte de Bacchus. 147.
CJuelquesuns prétendent que le Bacchus des Thra-
ces étoit leur Jupiter , c'elt-à-dire, leiii Dieu Suprê-
me. 148. D'autres l'ont pris pour le Soleil, ib. D'au-
tres en font un Héros, & difcntqiic c'cft le Bacchus
des Grecs, ibid. Le Bacchus des Grecs avoit été défait
& tué par les Thraces. 149. LesSabaiius des Thraces
8c des Phrygiens étoit le Dieu Suprême , ijue l'oa
a pris pour Bacchus. ib. i'. Parce qu'ils avoienc
des Sanûuaires où il falloic que le Prêtre fût yvte
pour prononcer des Oracles ; C'eft ce que marque
Saba\iusi. ijo. i". Parce que les Thraces avoienc
leur Cotis fur des Montaiires , ou d.ins des Forêts.
ib. 5°. Parce que les Fêtes qui étoient confacrêcs à
Colis fe célébroient de nuit. ibid. 4". Parce que la
Danfe facrce de Cotis tefftnibloit à celle des Bac-
chantes, ifi. 5°. Parce que les Thraces étoient cou-
ronnés de verdure pendant la fête de Saba[i'is. ibid.
On a piétendu qu'Ulyfle avoit parcouru la Celti-
que, ib.
CHAPITRE XVI.
De quelques autres Divinités étrangères, ou Indi-
gétes, dont on a attribué le culte aux Peuples Cel-
tes, 155. Priapeéroitun des Dieux étrangers des Peu-
ples Celtes, ibid. Le Priape des l'éUfges étoit le même
que leur Mercuteif4. On a attiibué aux Celtes. Iç
culte deCaftor & Pollux. Î5S O" prétend que les
Celtes adoroieat Minerve. 1 jS. Les Celtes avoient le
culte d'Ifis. IS7 Du culte de la Vénus-Uranie chez
les Celtes. 158. Des pieux Indigétes àis Peuple»
Celtes. JîJ.
CHAPITRE XVII.
Des autres Dogmes de la Religion des Ceires. i6i.
Ils admettoient une foite de création i(>j. Ils
croyoient le monde incorruptible. ji;<f. M is ils di-
foicut que l'Eau & le Feu y prévaujroient un jour.
11Î4. Ils admertoient un'; Providence, ibid. Us lap-
portoienc les devoirs de l'homme i troiî Chefs gé-
néraux. !£{, U faut fecyir les Dieux, ibid, U ne fauc
poiac
l3
io!nt faire de mal. liii. 1\ faut s'éiudicr à être vail-
Jane &c bravj. i6«. Les Celles avoient l'idée d'un
Dieu orteiifé par le péché , mais qu'il étoic facile
d'appaif^r. 167. Ils pcnfoient qu'il falloir appaifec
'a colère de Dieu par des faciilîces de viâiincs hu-
niaiucs. ihid.
CHAPITRE X'/III.
le Poume de l'immorcaltcé de l'Ame eft edeneiet
i to ite Keligioii. 1*9. Ce Dogme étoit nouveau
paiiiii !cs Grics. 170. La Dodiiru- Je l'immorulicé
de »' inie éioïc n(;uc- de toute ancienneté pat les Cel-
tes. 171. On prctcnd qu'ils croyaient à la Mcicmp-
fycole. 171. Et qu'ili avoieut rciju ce Dogme de Py-
tba^ote. 175. Il n'e:: pas certain que Pychagore ait
cru à la Métempfycole. 174. Les Celtes n'oBt em-
prunté aucun de leurs Dogmes des Philofophes
ttiangers. I7î, Ils n'ont pas cru à la Mérempfycofe.
I7«- Fxpofiiion de la Doftrine des Celtes. Ils ajniet-
toient des peines & des iicompenles apte» cette vie.
177. UiHérenics Cuutunie& des Celtes > qui étoicut
fondées fur la perfuaûon d'une vie nouvelle. 178.
Ils ctoyoient que tes morts reviendroienr â la vie>
181. Mais ils difoient qu'ils ne revicndtoirnt qu'une
feule fois. i8}. Dans le lyftcme des Ceires , les hom-
mes revivoient pour être imiiortels. ibid. Les Celtes
croyoientàla réfurredioa. 184. C'eft l'efpér.ince de
la réfurrtâion qui les rendoit braves, itid. Les lieu
des ptii es Jk des récompcnfes étoit dans l'île des lîicn-
heuteux , qui étoit la Grande-Bretagne. i8j. Cette
île étoit , félon l;s Celtes , la Grande Bretagne. /cii.
Perfonnc n'entn it dans le Païadis , que ceux qui
niouroicnt d'une mott violente. 187. Ceux qui
moutoient de vicillefle Se de maladie! éioient pré-
cipités tlans l'Enfer. 188. Idée que les Celtes fe fai-
foient des plailîrs de l'autre vie. i8>. Selon les Cel-
tes , les Héros fe battoient dans le Paradis , mais ils
ne fe faifoi:nt point de mal. ibid. On y bûvoii de la
bietre. ijo. On y mangcoit du lard d'un faagliec
qui demeuioit toujouts entier, ibid.
LIVRE QUATRIEME.
De l'extérieur de la Religion des Celtes ; des
Sacrifices , des Cérémonies , & des Superftitions
qui étaient particulières à ces Peuples .• Hifloin
abrégée des rhilofophes Scythes & Celtes. Pag. iji.
CHAPITRE PREMIER.
Jr 1 A N de ce Livre. Toge i jj.
CHAPITRE II.
les Celtes n'avoient point de Temples. 194. Ils
tenoient leurs AlTcmblées leligieufes en plein air. 19;.
Ceux qui avoient une demeure fixe, s'allembloient
hors du lieu de leur demeure , pour invoquer la
Divinité & lui olFtir des facriS:es. ib. Les Sanduai-
rej les plus célèbres des Celles éioient dans les Fo-
rêts. 196. Les Peuples Celtes lenoient plus ancien-
nement leurs Affemblées religicufcs fut des Mopca-
Teme lU
gnes. ijj. Ilsétabli'IIoîeDtordinaîremeat leurs Sanc»
luaires près des Fontaines , des Lacs ou de quelque
Eau coûtante. 101. Ils avoient auifi des Sanduaire»
dans des Carrefours. 101. Les Temples n'appartien-
nent point à la Religion des Celtes, ib. Ces Peu-
ples n'avoient ni Images , ni Statues qui repréfen-
taffent la Divinité , fous la forme de l'homme ,
ou de quelque animal- 104 Ils avoient cependant
leurs Simulacres , qui dirf'éroient cntièrcmenf de
ceux des autres Peuples, los. Le Simulacre des Peu-
ples Nomades étoit une Epée. ib. Quelques Peuple»
Celtes avoient poBi Simulacre une Lance. 108. Le»
Simulactes des Peuples , qui avoient une demeure
fixe, étoient le plus fouvcnt un Aibre. iio. Nature
du culte que l'on rendoit aux Arbies coufacrés m.
Temples & Simulactes des anciens Peuples de l'Ita.
lie. ii<. Quand les Arbres confactés roouroient , let
Cel:cs en faifoient des Colonnes pout être le Sym»
bolc Je la Divinité. 117. Les Celtes avoieut quelque-
fois une pierre pour le Symbole de la Divinité, i 1 g.
Fabif (ijr la formation de l'homme. '.19 Les Ro-
mains n'ont rcpréfcnté la Divinité , fous la forme de
l'homme , qu'après le tems de Numa Pompilius.
ib. Les Perles n'eurent ni Images, ni Statues, ui
Auttls jufqu'au règne d'Artaxcrxès Mnemon. ixei
Les Gaulois ne firent des Images & n'érigèrent dei
StatUis que depuis le teins de Lucain ; les Getmains,
depuis le tems de Tacite, lit, Képonfe à quelque»
objeftions. »ii. Errent de l'Auteur de la Religion
des Gaulois, iij. Le Taureau d'Airain des ancien»
Gaulois n'étoit point un Dieu, C'étoit un vailTeau
confacré pour recevoir le fang des Viilimes humai-
nes, 8c fut lequel ils confitmoicnt les Traités de
paix & d'alliance- 114. Explication d'un partage de
Plutarque , fut le<iuel l'Auteut de la Religion des
Gaulois a fondé fa conjeilure. ib. Les Sanânaire»
cioient , parmi les Celtes, des lieux fort refpcâés.
itf On confetvoit dans les Sanftuaires de grande»
richcfles. J27. Le Cleigé faifoit fa demeure dans le»
Sanduaires iji. Les aUemblces civiles & religieufc»
fe tenoient dans les Sanctuaires. 131. Le» alTemblée»
générales de tous les Cantons d'un même Peuple fe
tenoient dans le Sanûuaire oii réfidoit le Soiivcrain
Pontife de la Nation, lî 4- L'excommunication de»
Druides emportoit avec foi l'cxclulîon de tcutesles
ancmblces ■ tant civiles , que religicufes. ibid. Caufe»
des etFet» funeltes de l'exconimunication chez Ie(
Celtes, ijf- On faifoit aurti dans les Sanéluaites ,
les fellinspat lefqucls les affemblces civiles 8c reli-
gicufes des Celtes finilfoient ordinaitemcnt, ibid.
CHAPITRE III,
les Peuples Celtes tenoient Iciirs alTeniMécs rell»
gicufes denuit jaulli compioicnt-ils le tems par Jtj
nuits, & non par les )outs. ii<>. C'eft l'orii'.inc de
la Fable des Sorciers qui vont au Sabbat- 159. On
ignore pourquoi les Celtes faifoient de nuit leur»
alTembleei , tant civiles , que religieufes. 140. Er-
reur de Jules-Céfar , qui aconfondu le Dis des Cel-
tes avec le Dis , Ad'es ou Pluton des Grecs & dej
Latins. 141. Conicftjre fur l'origine des alîemMées
nocturnes parmi les Celtes. iWd Ces Peuples tenoient
leursaflemhlcesau clair de la Lune 141 Faulîecon-
jeéiure de l'Auteur de /a Religion des Gaulois tou-
ckant cet ufage. I43. Explication du palT.ieedc Pli-
BC ibid, Lc$ Celtes «voient auifi des Fêtes .'blemneUc}
Ttt
^ui teveiioient tégiilicrement tous les ans. 144. I.1
piincipile des folemuitcs Celtiques étoic celle qu'on
appcUoic le Champ de Mars ou de May, ibid. Cha-
que Canton des Nations Celtiques avoit fes Fêtes lo-
cales, i4«. Obfervation de Jofeph Scaliget fur 'es
mois & les années des Gaulois. 147. Critique iQjulle
«lu P. Petau fur l'obfetvation de Scaliger. 148.
CHAPITRE IV.
' Des Miniftres d« la Religio» des Celtes, de leurs
fonâions , de leurs privilèges & de la conlidératioii
<}ii'oi: avoir pour eux. 14?. Tous Ici Peuples Celtes
avoieiu leurs facriticaceurs. Erreur de Jules-Céfar.
ibid. Mauvaile interprétation du texte de Jules-cé-
far. 150. Fondions du Clergé parmi les Celtes, ibid.
Les Druides étoienr les Miniltres du Culte, ibid. Les
Gaulois croyoient que les facrificesétoient illégitimes
& les prières inefficaces , s'ils n'éioienc oiFeris par
le miniftére des Druides ; ils Ce recommandoient aux
Saillis qui vivoient encore fut la terre , prcfctable-
nicnt à ceux qui l'avoient quittée pour aller jouir
de la lélicité éternelle dans le Valhalla, n:. Cette
opinion avoic été inculquée par les Druides qui cher-
choient à fe rendre nécelTaites. L'artifice leur avoic
très- bien réufli. ibid. Les Prêtres des Celtes ctoicnt
les Maîtres de la Doflrine. Leurs décifions étoient
prifcs pour des oracles, tçt. Ilsenl'tignoient la Théo-
logie & la Morale, ibid. Ils inftruifoient la jcuncire.
ihid. Ils apprenoicnr à leurs Difciples la Philofophie.
Xjj. Les Prêtres Celtes avoient été les Maîtres des
l'biloforophes Grecs, ibid. Les Dtuïdes doanoient à
leurs Elèves àei préceptes de Rhétorique. i)4. Us
leur enfeignoient la Jurifprudeace & leur appre-
Boient l'Hiftoire. ibid. Us les inftruifoient aufli dans
l'art de la Poëlîe. 15^. Les Prêtres Celtes avoient
tous une Doftrine octulte , qu'ils n'enfeignoient q'i'à
ceux de leuis l'ifciples qui vouloien: entrer dans le
Sacerdoce, ib. La Doârine occulte des Prêtres Cel-
tes donnoit les piincipes ie la divination & de la ma-
gie. 15<. Manière d'enfeigner des Prêtres Celtes, ib.
Examen d'un paffage de Jules-Céfar. 15 S. Le Clergé
ptéfidoit aux Divinations. 160. Les Prêties des Celtes
tailoient profeflion de Magie, i^s. Us exerçoient la
Médecine, & prétendoient guérir les malades parla
Divination, ifij. \\s guéridoient suffi par des en-
chantemcns. iSé- Le Cierge s'attrihuoit, en plufieurs
occafions , l'autorité du Magidrat Civil. X69, Auto-
rité du Clergé parmi les Peuples Celtes, zyj. Conf-
titution du Clergé des Celtes iSi. Le Cletgé
des Gaules étoit partage en trois parties. 185. Les
Devins étaient proprement les Pontifes des Celtes ,
ceux qui préfidoient leur Clergé. 2;!4.Lcs Druides
croient les Ecclélîaftiques des Celtes. iS J- Les Bardes,
fans participer au miniftére Sacré , appartenoienc
au corps des Druides , parce qu'ils étoient de famille
Sacerdotale. ii6. U y avoir , au milieu de chaque
Peuple, un Pape, Primat, ou Souverain Pon'ife. î88.
Piivilégesdont jouiffoit le Clergé des Peuples Celtes.
J.SO. Ip Cotps entier du Clergé avoir le pas fur la
Noblellc.zsi. La famille Sacerdoralc étoit exempte
de toutes fortes de taxes. 151. Elle éroit difpenfce
d'aller à la guerre ; mais cette exemption étoit nou-
velle daiM les Gaules, ib. Les femmes des Sacrifi-
cateurs partagenienr avec eux les fonûions du Sa-
(çtdocc. Elles oii'roieni des façtiHccs. 2^;. Elles s'at-
tribuoient le don de deviner. i6t. les PtêtrelTes Gâu^*
loifes .fur-tout, étoient célèbres. 501. Les femme»
dts Druides fe mêloicnt de Magie, ^0i. Les Gaulois
& la plupart des Peuples Celtes domioient à leurs
Prêtres & même aux Miniftres inférieurs , le nom
de 'Druides. J05. Origine du nom de Druïdei. U
ne dérive pas du Grec. 30s. Du nom de liâtes 310.
De celui de Semnothées. 311. Le Clergé des Celtet
étoit habillé de blanc. 311. De l'abolition des Drui-
des dans les Gaules. 314- Les Romains n'abolirent
proprement dans les Gaules, que les facritices des
Viûimes humaines & les divinations. 31 J. Erreur &
anachrouifme du P. Hardouin. ;i£.
CHAPITRE V.
D
E S perfonnes qui aflîftoient aux AITemMèes
Rcligieufft. 313. Les excommuniés en croient ex-
clus. (4. Les Etrangers n'y étoient point admis, iiii/.
Les Celtes fe rcndoient à leurs Aflemblécs en ar.
mes •; mais ils y paroilloient avec une vénération pr«-
fo.ide. 124. Le culte que ces Peuples rendoient à I4
Divinité, confiftoit j". dans la prière. 32J, Us réci-
toient leufs prières en chintant. jifi. Ils faifoicntua
rour à gauche pendant leurs prières 5:7. Conjcèiurei
fur cet ufagc. 318. Le culte des Celtes conGftoii i*.
dans les Sacrifices, ii. Des viûimes humaines. 32»,
Tous les Peuples Scythes & Celtes oftroient des
vièlimes humaines 9 leurs Dieux. 331. Tous les an-
ciens Habitans de l'Europe factifioient des viâimcs
humaines, ib. Pourquoi , 8c dans quelles vues let
Peuples Celtes olFroient à leurs Dieux des Viftimes
humaines, 533. Us choifilloient pour viiSime IcsPri-
fonniers de guerre. 336. Quelques Peuples Celtes im-
molsient les Errangers qu'une tempête ou quelqu'au-
tra accident faifoit tomber entre leurs mains 537.
D'aurres immolaient les Vieillards infirmes & décré.
pits. 3 3*. Plufieurs Peuples Celtes fubftituerent au d'
crifice des .Vieillards celui des malfaiteurs. 341 Ou
inimoloir des Efclaves. 541 Quelques Peuples Celtes
choilïHoient les Viainies par le fort. ib. A quelle
Divinité ofFroiton des Viaimes humaines î 343. On
ofFioir les facrifices des Vidimes huinaines , fur.
tout, dans le tcms de l'Aflcmblée générale. 34,-.
Diftéremes manières d'immoler les Vidimes hu-
maines 34^. Les Ccltesoffroient encoreàlcurs Dieux
des animaux de route efpèce. 347. Us imraoloieuc
des chevaux. . 348 Ils facrifioieut des chiens, ibid.
Les autres parries du culte des Celtes étoienr le chant
des Hymnes & les Danfcs facrées. 349. Les feftins fa-
ciès n'étoient point particuliers au culte des Celtes.
ib,
CHAPITRE VI.
Des fuperftitions des Peuples Celtes. 3 { 1 . Elles cou^
fiftoient 1°. dans les Divinations, ji. U y avoir plu»
ficurs fortes de Divinations > la plus accréJitée étoic
le duel. 3!4. Autres fortes de Divinations. Epreu-
ve du feu. 372. Manière dont fe faifoit l'épreuve du
feu. 375 . Epreuve de l'eau bouillante. 375. Epreuve
de l'eau fioidc. j8i. l.es Celtes devinoientaulli pat
le fort. 38c. Manière de deviner par le fort. 58s.
Autre manière de découvrir des meurtriers, appelles
jus Feretri ouCruentationis. j88. le Clergé Chrr-
tien imagina de nouvelles Divinations. ;?» Jug r
nient de la Croix, ihid. Jugement du Pain & du
fromage béni. J?r. Jugement de l'£ucliatiftie. Jji.
Dîvînât'on que l'on appelloit CamSerts SanËorttm
ou Sortes Apo/iolorum, i9n- De la Magic Jes Peu-
ples CeUes, ift. Du Gui de Chêne. 397'
CHAPITRE VII,
Hiftoire clu Philofoplie Orphée. 408 Orphée étoit
Tlirace (i'originc. 409. Il n'a lien écrit, puiftiue les
lettres n'éioient point connues de fon tenis. 411.
Quelle étoit la Doitriiie d'Otphée > Il avoit enfci-
gné les MylUrcs dcBacchus, i^ui rappelloient l'idée
d'un Dieu, Créateur de toutes chofes. 414- Havoic
auiC cnfeigné la création du monde. 415. llcnfci-
gnoit encore rimmortalitcderanie.4iS Hiftoire du
Philofophe Anacharlîs.411. Sentences de ce l'hilo-
fophe. 45 r. SaDoûiine 454. HITloiredu Philofophe
Zamolxis. 44t. Hiftoire du l'hilofophe Dlceneus.
447. Conforniiié «le la Philofophie Pythagoricienne
arec celle des Celtes. 448.
CHAPITRE VIII,
FlwHeuts Peuples Celtes embraSeienc le Chriftia-
nîfmc par eolivlûion. 4ji. D'autres fe firent Chtc.
tiens pat intérêt. 451 .
REMAiiQyEsfurUs Temsfacrés des'ancicns Gau-
lois &■ des Germains , par M. Pelloutier 45 S,
Observations fur l'atcUtion dei Druides &
facrifices humains dans les Gaules , par M. PML-
LOUTIER. 4«9.
Dissertation fur le tems où la Religion
Chrétienne fut établie dans les Gaules ,par M, DE
Chiniac. ^-j-j.
I. S. Philipp n*a point prêché la ïoi dans les Gau-
les, 479. II.NiS.Luc ib. IH Ni S. Paul. 460. IV. Ni
S. Crcfcent. 481. V Ki S. Trophime , Difciple de S.
Paul. 484. VI. Ni S. Lin. 487. VU, S Ma.tial n'eft
point venu , dans le pvi-mier liécle , pcèciier dans lef
Gaules, ii- Vin. Ni S. Sixte de Reims îS8. IX Ni
S Taurin d'Evreux. ib. X. Ni S julien du Macs. ib.
XI Ni S. Eutrope de Saintes. 489. XII. Ni S. Deny»
de Paris , qu'on a eu rort de confondre avec S, Dc-
nys l'Aicopagiie ib.
Table des Auteurs cités dans cet Ouvrage , O
des Editions dont m s'ejlferyi, foii
Fin 9c la Table du Tome huitième.
[
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
DC Pelloutier, Simon
62 Histoire des Celtes.
VU Nouv. éd. rev., cor. et augm.
1771 ^
t.2