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Full text of "Histoire des Celtes, et particulièrement des Gaulois et des Germains, depuis les tems fabuleux, jusqu'à la prise de Rome par les Gaulois"

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HISTOIRE 

DES  CELTES, 

■     ET    PARTICULIEREMENT 

DES  GAULOIS  ET  DES  GERMAINS, 

Depuis  les  Tems  fabuleux,  jufqua  la  Prife  de  Rome  par 

les  Gaulois, 

Par  Simon  Pelloutier  ,  Pajleur  de  VEgUfe  Françoife  de  Berlin  ; 
Membre  &  Bibliothécaire  de  l'Académie  Royale  des  Sciences  & 
Belles -Lettres  de  PruJJe. 

NOUVELLE    ÉDITION, 

•    Revue  y  corrigée,  &  augmentée  d'un  quatrième  Livre  pofihume  de  t  Auteur', 

D     È     D     I    É    E 

A  MONSEIGNEUR   LE   DAUPHIN. 

Par  M.  DE    CHINIAC,  Avocat  au  Parlement,  de  V Académie 
Royale  des  Belles- Lettres  de  Montauban. 


Antlquam  exquirite  Matrem.  Firgil.  Mneid.  11.  ^g. 


T  ,0  M  E     SECOND. 


A    PARIS, 

Pe  rimprimerie  de  Quillau,  me  du  Fouarre, 


M.   Dec.  LXXI. 

^Avec  approbation  &  Privilège  du  Roî, 


nit 


g,  ■     '  =3? 

AVERTISSEMENT 

DE    L  A  U  T  E  U  R. 

Sur  le  Ilh.  Livre  de  l'Hi S  T 0  i RE    des    Ce ltes. 

JL  'acceuil  que  le  Public  a  fait  aux  deux  premiers  Livres  de  cet  Ouvra- 
ge ,  m'encourage  à  en  donner"  la  fuite.  On  trouvera  dans  ce  troifième 
Livre, lin  Abrégé ,  affez  étendu ,  de  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  Dogmatique 
dans  la  Religion  des  Celtes.  Si  je  n'en  ai  pas  dit  davantage ,  c'eft  que 
je  n'ai  pas  cru  devoir  deviner,  ni  me  livrera  des  conjeftures  deftituées 
de  fondemens.  Je  me  flatte  ,  cependant ,  d'en  avoir  dit  affez  pour  faire 
connoître  les  Dogmes  les  plus  effentiels  de  la  Religion  des  Celtes ,  & 
rétroite  liaifon  qu'ils  avoient  les  uns  avec  les  autres.  La  feule  grâce 
que  j'ai  à  demander  au  Lefteur ,  c'eft  de  lire  ce  Livre  tout  entier  ,  avant 
que  d'en  porter  un  jugement  décifif. 

Comme ,  pour  éviter  les  répétitions  ,  je  n'établis  que  dans  im  feul 
endroit  ce  que  je  fuppofe  dans  les  autres ,  j'aurois  à  craindre  qu'on  ne 
m'accufât  d'avancer  plufieurs  chofes  fans  preuves ,  fi  on  ne  fe  donnoit  la 
peine  de  lire  tout  le  Volume.  Par  exemple ,  je  ne  prouve  que  dans  le 
dernier  Chapitre  ce  que  j'ai  fouvent  dit  &  répété  dans  les  précédens  ; 
que  ,  félon  la  Doftrine  des  Celtes ,  ceux-là  feuls  entroient  dans  le  Pa- 
radis ,  qui  mouroient  d'une  mort  violente. 

Au  refte ,  j'ai  corrigé  dans  le  corps  de  ce  Volume  ,  quelques  fautes  qui 
me  font  échappées  dans  le  précédent.  Ainfi  il  fuffira  de  joindre  ici  une 
Note  (*)  des  principales  fautes  d'impreffion  que  j'y  ai  remarquées. 
— — ■'  ,. 

(*)  On  a  coiiige  d«ns  cette  nouvelle  Edition  ks  fautes  irtdiquc'es  pai  l'ErrtUê, 


^3^ 


ajt. 


IV 


J 


J   F  I  s 

DE    L' ÉDITEUR 

Sur  le  IV^.  Livre  de  l'Hijioire  des  Celtes. 


_  E  reçus  dans  le  courant  du  mois  de  Janvier  dernier,  une 
Lettre  datée  de  Berlin  i  Décembre  lyyo^  conçue  en  ces  ter- 
mes :  «Monsieur,  la  nouvelle  édition  de  XHiJioire  des  Celtes 
y>  que  vous  venez  de  donner  au  Public  ,  m'a  fait  croiic  que 
»  vous  apprendriez  avec  plaifir  qu'il  y  en  a  un  quatrième  Livre  ^ 
»  en  maïuifcrit ,  tout  prêt  pour  l'impreflion  ,  au  jugement  de 
5)  M.  Formey  ,  qui  a  bien  voulu  l'examiner.  C'tll  par  la 
»  néçlic^ence  de  Ton  Libraire  d'Hollande  que  l'Auteur  a  été 
»  empêché  de  le  publier  de  fon  vivant.  Ce  Manufcrit  contient 
5^408  pagts  injolio.  Il  renferme  l'extérieur  de  la  Religion  des 
»  Celtes  ,  leurs  fuperititions  &  une  Hiitoite  abrégée  des  plus 
»  célèbres  Philofophes  Scythes  6i  Celtes.  —  En  fuppofant  , 
»  Monfieur  ,  que  vous  eurtîez  le  delîem  d'acquérir  ce  Manuf- 
»  crit  ,  il  ne  s'agiroit  que  de  marquer  les  conditions  ,  &  d'en 
«charger  quelque  perfonne  d'ici.  Je  crois  devoir  vous  avertir, 
»  Monfieur  ,  qu'outre  les  quatre  Livres  en  manufcrit,  dont  trois 
»  ont  été  imprim.;s  ,  il  y  a  encore  trois  Volumes  in-folio 
»  manufcrits  de  Notes  G  ographiques  ■&  Critiques  ,  dont  vous 
3)  pourriez  faire  l'acquifition  en  même-tems.  J  ai  l'honneur  d'être, 
&c.  Pélisson  ,  Doclturen  Médecine. 

Aùffi-tôt  que  j'eus  connoiflance  des  Manufcrits  de  M.  Pel- 
loutier ,  je  me  hâtai  de  me  les  procurer.  J'écrivis  à  M.  Pélifîon 
pour  le  remercier  de  i'avis  qu'il  m'avoit  donné  j  je  le  priai  de  les 
remettre  aux  perfonncs  que  je  lui  indiquai,  &  de  me  marquer 
comment  il  étoit  pofîefleur  de  ces  Manufcrits  J'écrivis  en  mê- 
me-tetns  à  M.  Formey  pour  qu'il  voulut  bien  m'npprendre  ce  qu'il 
fçavoit  relativement  aux  Manufcrits  de  M.  f-*eiloutier.| 

Vers  la  fin  d'Avril  dernier,  M.  Pélifion  m'écrivit  en  date  du 
5  du  même  mois  :  «  Pour  ne  pas  vous  cauler  du  retardement ,  je 
»  réponds  a  votre  dernière  Lettre  ,  reçue  fous  ie  couvert  de 


AVIS    DE     L' EDITEUR.  v 

»  M.  Formey.  Je  remets  aujourd'hui  à  MM.  Girard  &  Michelec 
»  les  Manufcrics  de  ÏHiJloire  des  Celtes  ,  dont  celui  du  quatriè- 
»  me  Livre  elt  double  ,  avec  les  Manufcrics  de  Notes  Géogra- 
yy  phiques  &  Critiques. .. ,  Quant  aux  Manufcrits  de  feu  mon 
«oncle  Pelloucier,  ils  étoient  entre  les  mains  de  deux  de  fcs 
»  filles  ,  qui  font  feules  refiées  de  fa  famille.  Lorfque  votre 
»  Ouvrage  fut  annoncé  dans  les  Journaux  ,  j'en  parlai  à  mes 
>)  coufines  ,  q  à  me  donnèrent  plei  i  pouvoir  d'agir  comme 
»  bon  me  fembleroitj  &;  c'eft  fir  cela ,  Monlieur  ,  que  j'fntrai 
»  en  négociation  avec  vous  ,  après  avoir  confulté  M,  formey. 
»  J'ai  l'honneur  d'être,  b.c.  Pi  u.  son». 

Je  reçus  en  même-tems  une  Lettre  de  M.  Formey,  qui  me 
marquoit:  «....  M.  le  Dodtcur  PclifTon  vous  enverra,  confor- 
»  mément  à  vos  demandes  &  inftrudions,  tout  ce  que  vous 
»  fouhaitez.  Je  joints  ici  la  déclaration  relative  aux  Manufcrits 
»  de  feu  M.  Pelloutier  ,  dont  vous  pouvez  faire  l'ufage  qui  vous 

»  conviendra Je  fouhaite ,  Monfaur,  que  vous  terminiez 

»  votre  louable  entreprife  avec  le  plus  grand  fuccès.  J'ai  i'iionneur 
»  d'être ,  &:c.  Formey  ». 

Déclaration  de  M.  Formey, 

«Feu  M.  Pelloutier,  avec  qui  j'ai   eu   des  liaifons  intimes; 

5)  ayant  été  reb  té  par  les  mauvais  procédés  du  Libraire  qui  avoic 

»  imprimé  Se  très -mal  exécuté  'es  deux  Volumes  de  {on  Hijîoire 

»  des  Celtes  ,  fe  trouvant  avec  cela  dans  un  état  d'abattement  qui 

»  a  précédé  fa  dernière  malade,  a  laiiïé  en  Manufcrit  le  qua- 

»  trieme  Livre  de  fon  Ouvrage.  J'ai  examiné  ce  Manufcrit  :  je 

»  l'ai  trouvé  mis  au  net  d'un  bout  .à  1  autre  de  la  m:in  de  l'Au- 

»  teur  ,  ôc  parfaitement  en  état  d'être  mis  fous  la  prefTe  :  fur  quoi 

»  j'ai  engagé  les  héritiers  de  M.  Pelloutier  à  le  céder  à  M.  de 

»  Chiniac  ,  pour  entrer  dans  l'édition  qu'il  donne  actuellement 

»  de  VHiJloire  des   Celtes  &  de  tous  les  Ecrits  (  i  )   de  M.  Pel- 

»  loutier  qu'il  a  pu  recouvrer.  C'eft  ce  que  je  certifie.  A  Berlin 

»  le  4  Avril  ifT^.  Si^né  ,  Formey,  Secrétaire  perpétuel  de  l'A" 

»  cadémie  Royale  de  Prujfe  »  •'■'' 

Les  Manufcrits  de  M.  Pelloutier  vinrent  à  l'adrelTe  de  M.  le 


(  I  )  Je  n'ai  fait  impiimei  ^uc  les  Ecrits  lelatifis  à  ï'H'Jitirt  iu  CcIim, 


yj  AVIS    DE    L'  E  n  I  T  E  U  R. 

JVlarquis  de  Paulmy  vers  le  milieu  de  Mai  dcriiier.  Il  eût  la  bonté 
de  me  les  faire  palTer.  Je  trouvai  dans  le  pac)uet  ,  i°.  quatre 
Volumes  in-folio  M.  S.  contenant  les  quatre  Livres  d&VHiJloire 
des  Celtes  :  i°.  un  fécond  exemplaire  maoufcrit  du  quatrième 
Livre  de  cette  Hiftoire  :  3°.  un  Volume  in-folio  M.  S.  fur 
l'ancienne  Géographie  :  4^-.  deux  autres  Volumes  infolio  M.  S.  de 
Notes  hifloTiques  &  critiques  fur  les  Celtes. 

Le  Manufcrit  des  Notes  Géographiques  eft  tout-à-fiit  impor- 
tant. C'ell  un  dépouillement  de  tous  les  Auteurs  qui  ont  parlé 
de;  anciens  Peuples,  mais  il  paroît  que  M.  Pelloutier  n'a  pas  eu 
le  t:  ms  d'employer  les  matériaux  qu'il  avoit  ramafTés.  Je  ne  pri- 
verai  point  le  Public  de  cet  Ouvrage ,  qui  ne  pourra  qu'aider 
beaucoup  ceux  qui  voudront  lire  ou  étudier  {'Hiftoire  des  Celtes. 
J'employerai  tous  mes  foins  à  remplir  les  vues  de  M.  Pelloutier. 

Quant  aux  Noies  hifloriques  éc  critiques  fur  les  Celtes ,  elles 
prouvent  les  recherches  immenfes  de  l'Auteur  j  mais  elles  ne 
peuvent  être  d'aucune  utilité,  l!  paroît  qu'elles  ont  fervi  à  M. 
Pelloutier  de  répertoire  pour  la  compofition  de  fon  Hi/loire  des 
Celtes.  A  mefure  que  ce  Sçavant  parcouroit  un  Auteur,  il  met- 
toit  par  écrit  tout  ce  qui  àvoit  trait  à  fon  fujet. 

Je  ne  dirai  rien  des  trois  premiers  Livres  de  VHi/Ioire  des 
Celtes,  Ils  font  en  pofleffion  de  l'eftime  publique.  Jobferverai 
feulement  que  j'ai  collationné  l'Imprimé  fur  le  Manufcrit.  J'y 
ai  trouvé  quelques  petites  différences  que  j'ai  inférées  dans  les 
/additions  &c  CorreElions. 

Le  quatrième  Livre  que  je  fais  imprimer  aujourd'hui,  pour'" 
Ja  première  fois,  eft  certainement  la  Partie  la  plus  curieufe  &  la 
plus  amufanre  de  \ Hifloire  des  Celtes.  On  y  voit  l'origine  de 
plufieurs  folies  qui  font  encore  en  vogue  parmi  le  Peuple ,  &  le 
fondement  de  fuperftitions  ou  ufages  ridicules ,  que  des  gens 
qui  fe  prétendent  éclairés ,  ne  laiflent  pas  d'adopter ,  ou  qu'ils 
pratiquent  à  caufe  de  l'empire  que  l'habitude  exerce  trop  fou- 
vent  fur  la  raifon.  D'ailleurs ,  on  eft  obligé  de  recourir  fouvent 
aux  conjectures  pour  approfondir  les  Dogmes  de  la  Religion  des 
Celtes ,  parce  que  les  Druit'des  ,  qui  étoient  les  feuls  Sçavans  dç 
leur  tems ,  n'ont  laiflTé  aucun  écrit  qui  puifTe  nous  inftruire ,  & 
que  rnême  ilsne  fouffroient  pas  qu'on  communiquât  leur  Doc- 
trine à  des  étrangers  j  cette  politique  retenoit  dans  leurs  fers  la 
populace  fuperftitieufe  6c  ignorance.  Mais ,  par  rapport  aux  pra- 


A  V  I  s     D  E    L' E  D  I  T  E  U  R.  vij 

tîqnes  extérieures  de  la  Religion  ,  les  Prêtres  des  Celtes  ne  pou- 
voient  empêcher  que  ceux  qui  venoienc  chez  eux  ,  ne  viflenc 
leurs  fanduaires,  leurs  facrifîces  &  la  plupart  de  leurs  cérémonies. 
Il  (uffifoit  d'avoir  des  yeux  pour  juger  de  tout  ce  qui  pouvoit  s'ap- 

Îiercevoir  :  les  Etrangers  n'ont  guères  pu  fe  méprendre  que  fur 
es  motifs  fecrets  de  certaines  cérémonies.  Ainfi  ce  que  M.  Pel- 
loLitier  a  dit  des  facrifices  ,  des  cérémonies  &  des  fuperftitions  des 
Peuples  Celtes  ,  elt  ce  que  nous  pouvons  mieux  conuoître  dans 
la  Religion  de  ces  Peuples. 

A  la  fin  de  ce  quatrième  Livre  ,  M.  Pelloutier  a  donné 
l'Hifloire  abrt  gée  des  Philofophes  Scythes  &  Celtes.  Ce  morceau 
eft  d  autant  plus  curieux  &L  intéreiïant ,  qu'il  ell  prefque  neuf, 
&  q  e  la  Doctrine  d'Orphée  ,  celle  d'Anacharfis ,  de  Zamoixis, 
de  Diceneus ,  ne  font  guères  connues  de  ceux  mêmes  qui  fe 
vantent  d'avoir  fait  une  étude  particulière  de  l'antiquité. 


L 


PREFACE   (O. 


'accueil  que  le  Public  a  fait  aux  trois  premiers  Livres 
de  mon  Hilloire  des  Celtes  ,  m'encourage  à  en  donner  la  fuite. 
Je  commencerai  par  prier  le  Lecteur  de  corriger  les  fautes  d'im- 
preflion  qui  fe  trov.vent  dans  le  premier  Volume  ,  &  en  même- 
tems  quelques  inexadlitudes  qui  me  font  échappées,  &  dont  je 
donne  la  noce  à  la  fuite  de  cette  Préface.  Je  le  prierai  auffi,  par 
rapport  aux  deux  Livres  qui  paroifient  aujourd'hui  ,  de  les  lire 
tout  entiers ,  avant  que  A'cn  porter  un  Jugement  d/cifif  Je  fuis 
obligé  quelquefois  de  fuppofer  dans  un  Chapitre ,  ce  que  je  n'ai 
occafi  n  de  prouver  que  dans  les  fuivans.  Il  y  a ,  d'ai  leurs,  plu- 
fieurs  points  de  la  Doctrine  des  Celtes,  qui  ne  font  bien  connus 
que  par  le  culte ,  &  par  les  cérémonies  ,  dont  ils  éroient  le  fonde- 
ment. H  eftà  propos,  par  cette  raifon  ,  de  lire  le  quatrième  Livre 
de  cet  Ouv  âge,  pour  être  en  état  déjuger  fi  j'ali  bien  repréfenté 
dans  le  troifi  me  les  divers  Dogmes  de  la  Religion  des  Celtes. 
J'ai  bien  de  l'obligation  à  Melfieurs  les  Journaliilts  qui  ont 

Il  I"  Il  — ^.^—w 

(I)  Cftte  ^ri/«f  que  M.  Pelloutier  a  mife  | /i»ie«  iirpriraé  au  commcn  .i.tiit  du  llle. 
î  la  ccce  d.i  IVe.  Livre  de  t^a  Htftiire  in  Celiei ,  j  Livre.  Malgré  cela  ,  je  n'ai  pas  cm  devoil 
(enferme  ce  qu'il  avoit  dc;a  dit  dansl'.4v«r(»j-  j  fuppi  met   l'Avtrujftment, 


vlij  PRÉFACE. 

donné  pour  la  plupart  des  Extraits  fort  détaillés  de  mon  Ou- 
vrage. Je  fuis  d'autant  plus  fenfible  à  la  manière  avantageufe 
dont  ils  en  ont  parlé,  que  je  me  connois  trop  bien  moi  -  même, 
pour  ne  pas  fentir  que  je  ne  dois  qu'à  leur  politefle  des  éloges  qui 
Ibnt  fort  au-defîlis  du  mérite  de  l'Auteur,  &  du  prix  de  mes  re- 
cherches. On  a  critiqué  auffi  quelques  endroits  de  mon  Ou- 
vrage ,  6c  dans  les  Journaux  &  dans  d'autres  Livres.  Je  profite- 
rai avec  docilité  &  avec  reconnoiflance  des  remarques  qui  me 
paroiflent  fondées.  C'eft ,  comme  je  le  crois ,  tout  ce  que  le  Public 
exige  de  moi.  Il  y  a  d'autres  reiparques  auxquelles  je  ne  fçau- 
rois  acquiefcer  ,  &:  j'aurai  foin,  quand  l'occafion  s'en  préfentera, 
d'expofer  les  raifons  qui  me  déterminent  à  perfifter  dans  mes 
fentimens ,  que  je  n'ai  pas  aflurément  adoptés  à  la  légère ,  ni 
fans  un  mûr  examen.  Dans  le  fond ,  ks  matières  que  j'ai  trai- 
tées ,  ne  font  pas  dtis  articles  de  foi.  Je  crois ,  à  la  vérité  ,  n'avoir 
rien  avancé  que  fur  de  bonnes  preuves.  Mais,  par  cela  même 
que  j'ai  été  obligé  de  m'écarter  fort  fouvent  des  opinions  com- 
munes ,  je  ne  dois  pas  trouver  mauvais  que  les  miennes  ne 
foient  pas  toujours  goûtées,  &  je  verrai  avec  un  très-grand  plaifir 
que  ceux  qui  font  plus  que  moi,  au  fait  de  ces  matières  ,puiflènt 
en  dire  quelque  chofe  de  plus  fur,  ou  feulement  de  plus  probable. 
Je  dois  ajouter  encore  ici  un  mot  d  eclairciflement  fur  une 
difficulté  qu'on  m'a  faite  avec  beaucoup  de  raifon.  Le  titre  de 
mon  Ouvrage  promet  une  Hiftoire  des  Celtes  ,  depuis  les  tems 
fabuleux  julqua  la  prife  de  Rome  par  les  Gaulois.  Cependant 
je  ne  touche  point  l'ancienne  Hiftoire  de  ces  Peuples,  &  je  ne 
parle  prefque  que  de  chofes  fort  poftérieures  au  tems  où  j'avois 
promis  de  me  renfermer.  L'objedion  eft  alTurément  très  fondée. 
J'efpère ,  cependant,  qu'on  ne  mettra  pas  la  chofe  fur  mon  compte. 
Mon  Ouvrage  eft  proprement  un  Traité  des  Mœurs  6'  Coutumes 
des  Peuples  Celtes ,  &  c'eft  auffi  le  titre  que  je  m'étois  propofé  de 
lui  donner.  Le  Libraire  ayant  cru  que  le  titre  de  Mœurs  & 
Coutumes  n'inviteroit  pas  afîez  l'Acheteur ,  m'a  fait  propofer  celui 
qui  fe  trouve  à  la  tête  du  Livre.  J'y  ai  confenti  ,  &  au  refte  la 
Préface  du  premier  Volume  avertit ,  aflez  clairement ,  que  je  ne 
fraiterai  des  migrations  des  Peuples  Celtes  qu'à  la  fin  de  l'Ouvrage. 

HISTOIRE 


HISTOIRE 

DES   CELTES. 

LIVRE     TROISIEME. 

Des  principaux  Dogmes  de  la  Religion  des  Celtes. 


^^s- 


CHAPITRE     PREMIER. 

§.  I.  L  A  Religion  des  Celtes  eft ,  fans  contredit,  un  des  morceaux    ta  Religion 
les  plus  intérefl'ans    de   l'ancienne  Hiftoire    de  ces  Peuples.    Comme  ceitcs  cn  un 
c'eft  une   chofe  digne  de   notre  curiofité  de  rechercher  ce  que   nos  tste&rtr'" 
Ancêtres  ont  penfé  fur  une  matière  fi  importante  ,  on  ne  peut  aufîl  que 
reffentir  une  véritable  fatisfaftion  ,  en  voyant  qu'ils  ont  eu  des  idées 
plus  juftes  &  plus  faines  de  la  Divinité  ,  que  les  autres  Payens  ,  fans  en 
excepter  même  les  Grecs ,  qui  fe  regardoient  comme  les  plus  éclairés  2c 
les  plus  fages  de  tous  les  hommes. 

Il  efl  vrai  ,   qu'au  milieu  de  la  fatisfaftion  que  l'on  doit  trouver 

naturellement   dans  cette  étude  ,  on  a  quelquefois  le  défagrément  de 

remarquer  que  des  Peuples  ,  qui  s'étoient  fait  une  idée  fi  noble  de  la 

Pivinité ,  ne  laiffoient  pas  de  donner  dans  une  infinité  de  fuperflitions, 

7>/n«  //,  A 


<1e   ia  bien 
coanoîcrc 


1  HISTOIRE    DES    CELTE  S, 

qu'ils  ont  même  tranfmifes  à  leur  poftérité  ,  quoique  fous  d'autres  noms. 
Mais  un  homme ,  qui  aime  la  vérité  ,  &  qui  s'intéreffe  finccrement  à  la 
gloire  de  l'Evangile,  verra  toujours  ,  avec  plaifir,  qu'on  lui  montre  , 
dans  l'ancienne  barbarie,  l'origine  de  la  plupart  des  abus  qui  ont  défiguré 
auirefois,  ou  qui  défigurent  encore  aujourd'hui  la  plus  belle  &  la  plus 
pure  de  toutes  les  Religions. 
11  eft  difficile      On  n'ignore  pas  que  le  fujet  qu'on  fe  propofe  de  traiter  dans  ce  Livre , 
a  de  grandes  difficultés ,  &  qu'il  paroît  prefque  impoffible  de  fatisfaire 
la  curiofité  d'un  Lefteur  ,  qui  fouhaite  de  connoître  à  fond  la  Religion 
des  Celtes.    On  repréfentera  cette    Religion  telle  qu'elle    étoit  avant 
qu'on  connut  dans  la  Celtique  les   Divinités,  &  Jes  Cérémonies  des 
Grecs  &  des  Romains. 
riloignc-      L'éloignement  des  tems  a  fait  périr  un  grand  nombre  d'Auteurs  ,  qui 
"ui'tiurre-  auroient  pu  nous  faire  connoître  cette  Religion.  D'ailleurs,  les  Druides 
ftacc" d« '°  (i),  comme  les  Prêtres  des  Egyptiens  ,  étoient  dans  l'opinion  que  leur 
Druides  fur    £)o£lrine  devoit  être  tenue  fort  fecrète.  Ils  regardoient  comme  un  fa- 

IcLir  Doanne         _  ,      .         .  . 

en  fout  les    crilége  de  la  coucher  par  écrit  ;  ils  ne  la  confioient  à  leurs  Difciples  , 

principales  ,  >       ,  •        /  /  ,  ,  r   ■  i,  > 

•aufes.  qu  après  les  avoir  éprouves  pendant  une  longue  luite  d  années  ,  après 

en   avoir  tiré  la  promeffe  folemnelle  ,    qu'ils  ne  la  rendroient  jamais 

publique  ,    &   qu'ils   éviteroient  fur -tout  de  la  communiquer  à  des 

Etrangers. 

cepcnJant  la      Cette  difficulté  feroit  infurmontable ,  fi  les  Druides  avoient  fait  un 

loi  du  fecrec  ^y^^^g  ^g  toute   leur  Dodrinc  :  mais  il  eft  confiant  que  la  loi  du 

jie  regardoit ,        J  '  ^  T 

à  proprenieiic  fgcret  ne  regardoit ,  à  proprement  parler ,  que  ce  que  les  Anciens  ap- 
parier, que  la  •-  **  ,'  -Vl  • 

phyfioiogie    pelloient  la  Phyfiologie  &  la  Magie.  La  première  de  ces  Sciences  enlei- 

&  la  Magie.      ^  .f  ,         '.  ,^  „       ,  'j-         u     •       • 

gnoit  la  manière  d  interpréter  les  prelages  oc  de  prédire  1  avenir  par 
les  caufes  &  par  les  é vénemens  naturels ,  tels  que  l'eau  ,  le  feu  ,  le  vent ,. 
le  vol  d'un  oifeau  ,  le  henniffement  d'un  cheval.  La  féconde ,  faifoit  con- 
noître les^eharmes  &  les  maléfices ,  dont  il  falloit  fè  fervir  pour  opérer 
tputes  les  chofes  extraordinaires  qu'un  Peuple  crédule  &  fuperftitieux 
attribue ,  encore  aujourd'hui ,  aux  Sorciers. 
tes  Drui  ifs      Au  reftc ,  les  Druides  avoient  auffi  une  Doctrine  publique.  Ils  s'ou- 
Koûrkiepu-  vroient  à  tout  le  monde  fur  les  points  les  plus  effentiels  de  leur  Re- 
fciique.         ligion  ,  comme  ,  par  exemple  ,  fur  l'objet  du  culte  religieux  ,  fur  la  na- 

j.  ■  ..      ■■  .-..■■  ^  ,.■■1111  — ■ 

■■    (  I  )  Cifar  VI.    14.  Pompon.  Mêla  lib.  III.  cap.  z,  p.  73.  Vnjiif,  ci-iiffiu  Liv.  I.  chaf.  1}^ 
e.  2^.Liv.  II.  chi  9- p.  182.  183.  &  ch.  II.  ]f.  i>«. 


L  I  V  RE    iri.     CHAPITRE,  I.  ,3 

titre  du  culte  qu'il  felloit  rendre  à  la  Divinité  ,  &  des  (1)  recompenfes 
que  les  gens  de  bien  dévoient  en  attendre.  On  découvroit ,  d'ailleurs , 
les  idées  qu'ils  avoient  de  la  Divinité,  dans  leurs  Sacrifices,  dans  leurs 
Cérémonies,  èc  dans  toutes  Içs  a.utres . parties  du  culte  extérieur  qu'ils 
rendoient  à  leurs  Dieux.  '  .  • 

Il  n'eft  donc  pas  impoffible  de  connoître  ,  au  moins ,  les  dogmes  l'iafîeurs  au- 
capitaux  de  la  Religion  des  Celtes,  pourvu  que  Ion  laclie  faire  uJa^  n:s  onc  écrit 
•de  ce  que  des  Auteurs  ,  bien  inftruits  ,  en  ont  écrit  en  divers  tems,  &  gioadcscd- 
en  divers  lieux ,  dans  des  ouvrages  qui  ont  échappé  aux  injures  du  tems.  *  ^" 

§.  II.  On  auroit  pu  fe  difpenfer  du  pénible  travail  de  raffembler ,  &i  de 
digérer  ce  que  les  Anciens  ont  écrit  fur  le  fujet  qu'on  va  traiter  ,  li  les 
Modernes ,  qui  ont  eu  le  même  defTein ,  avoient  exécuté  ce  que  pro- 
mettoient  au  public  le  titre  de  leurs  Ouvrages. 

Etienne  Forcadd  (3),  Profefleur  en  Droit  dans  l'Univerfité  de  Tou-  Oivrage<f£- 
loufe  ,  publia ,  vers  le  milieu  du  fixième ,  fiècle  un  aflez  gros  Volume  111^  ""''' 
iur  VEmpire  &  la  Pkilofophie  des  Gaulois.  On  ne  fauroit  difconvenir 
que  cet  Auteur  n'eut  une  vafte  leûure  ,  &  une  grande  érudition  ;  mais 
c'efl  aufli  le  feul  éloge  qu'un  Leâeur  équitable  ne  peut  lui  refiifer 
légitimement  ;  il  ne  paroît  pas  ,  au  refte  ,  qu'il  ait  eu  ,  ni  affez  de  droi- 
ture pour  chercher  la  vérité ,  ni  affez  de  difcernement  pour  la  trouver.  Au- 
tant qu'on  en  peut  Juger ,  il  écrivoit  dans  la  vue  de  faire  fa  cour  à  quel- 
que«  Malfons ,  &  à  quelques  Villes  célèbres  ,  en  leur  attribuant  une  an- 
cienneté qu'elles  n'avoient  certainement  point.  Comme  ce  qu'il  avance 
de  l'Empire  des  Gaulois  eft  faux  &  infoutenable  ,  ce  qu'il  dit  de  leur 
Philofophie  n'eft  rien  moins  qu'exaft. 

Diodore  de  Sicile,  parlant  des  Druides,  les  z^t^^Wq  Sarvides  on  Sw 
ronid^s  ,  &  c'eft  peut-être  une  faute  de  copifte.  De  là  le  faux  Bérôfe  a 
pris  occafion  de  forger  un  Roi  des  Gaules  ,  nommé  Saron  ,  qu'il  fait 
vivre  du  tems  du  Patriarche  Ifaac.  On  trouvera  dans  Forcadel  toute 
l'hiftoire  de  ce  Prince ,  qui  n'eft  autre  chofe  qu'un  Roman  ,  auffi  fabu- 
leux que  les  Rolands  &  les  Amadis,  On  fera  bien  plus  furpris  encore  d'y 
voir  qu'Homère  a  parlé  de  la  Ville  de  Touloufe ,  parce  qu'on  trouve 


(2;  Pomp.  Mêla  lib.  III.  cap.  i.  p.  73, 
(  5  )  Stephini   Forcurili  de  GnHornm  imperio  & 
Philofcphii,  L:bii  VIL  On  s"eft  fervi  de  la  féconde 
ïdition,   irapti;née  à  Çencye  en  isss.Moreri 


dit  que  la  première  parut  en  1  579.  Mais  il  pa- 
roît,par  l'Ouvrage  mcme,  que  l'Auteur  écrivoit 
en  is«z. 


A  X 


4  HISTOIRE    DES    CELTES, 

dans  ce  Poëte  le  mot  flowVa ,  curnus ,  dont  il  eft  facile  de  faire  celui  de  To- 
lofa ,  en  y  ajoutant  une  feule  lettre. 

Ces  deux  échantillons  fuffifent  pour  montrer  ce  que  l'on  doit  penfer 
du  (4)  jugement  de  l'Auteur,  &  du  prix  de  fon  Ouvrage.  S'il  falloit 
en  ôter ,  premièrement  ,une  infinité  d'épifodes  mal  placées,  qui  font  per- 
dre de  vue  à  tout  moment  ce  qui  devoit  faire  le  but  principal  de  l'Au- 
teur; en  fécond  lieu  ,  les  fables  qu'il  débite  fur  la  foi  de  Bérofe  ,  de  Ma- 
nethon  ,  &  des  autres  Hiftoriens  fuppofés  par  Annius  de  Viterbe  ;  &C 
enfin  celles  qu'il  fuppofe  lui-même ,  ou  pour  relever  la  gloire  de  fa  na- 
tion ,  ou  dans  quelque  vue  d'intérêt ,  on  retrancheroit  au  moins  les  trois 
quarts  du  Livre  ;  &c  ce  qui  rellerolt  ferviroit  plutôt  à  indiquer  les  four- 
ces  ,  où  il  faut  puifer  ,  pour  connoître  la  Philofo-phie  &C  la  Religion  des- 
Celtes ,  qu'à  en  donner  une  juile  idée. 
Traité  de  §•  UL  Philippe  Cluvier  a  auffi  parlé  de  la  Religion  des  Celtes  dans  le 
^jiipftUu-  jj-gj^ji  q^»j[  publia  ^^  j^^  j  ^  fous  le  Titre  à^Andtnne  Germanie  (5)  ;  cet 

Auteur  avoit  beaucoup  plus^  de  jugement  que  Forcadel.  Son  Ouvrage 
eft  en  lui-même  très-bon ,  &  plein  de  recherches  curieufesi  II  feroit  à 
fouhaiter  ,  pour  l'honneur  de  ce  célèbre  Géographe  ,  qu'il  n'eût  fait 
aucune  mention  de  la  Religion  des  Germains ,  ou  qu'au  moins ,  il  fe  fut 
contenté  de  rapporter  ce  que  les  Anciens  en  avoient  dit ,  fans  y  mêler 
fes  propres  conjeâures  :  elles^  tendent ,  pour  la  plupart ,  à  montrer  que 
les  anciens  Germains  ont  connu  non-feulement  le  vrai  Dieu,  &  la  créa- 
tion du  monde ,  mais  encore  les  plus  auguftes  Myftéres-  de  l'Evangile. 
ïl  foutient ,  que  ces  Peuples  ont  eu  connoiffance  du  Dogme  de  la  Trinité 
long-tems  avant  qu'il  eût  été  révélé.  Mais  ,  comment  prouvera  t-il  cet 
étrange  paradoxe  ?  Voici  fa  démonftration ,  dont  le  Leûeur  jugera. 

»  Jules-Céfar  a  remarqué  (  6  ) ,  que  les  Germains  ne  connoiffoieat 
H  point  d'autres  Dieux  que  ceux  qu'ils  voyoient,  &  dont  ils  éprou- 
»  voient  manifeftement  le  fecours  ,  le  Soleil  ,  la  Lune ,  &  Vulcain- 
»  c'eft-à-dire  le  Feu.  Voilà  (  7  )  manifeftement  le  feul  vrai  Dieu ,  &  les 
«trois  Perfonnes  de  la  Trinité.  Le  Soleil,  c'eft  le  Père  ;  laLune^c'efl 
»  le  Fils;  &  le  Feu,  le  Saint-Efprit  «. 


(4)  Pâpyre  Mafloii  dit  qu'Etienne  Forcadel 
ito'a  un  fat  &  un  ignorant,  homine  ivfulfo  &  ad 
d(>cend:im  minus  idcitec  ,  que  l'on  préféra  cepen- 
dant à  Cujas,  qui  difputa  avec  lui  la  chaire  de 


Jtofcffcui  en  Dioit  à  Touloufc  F»fyr.  Majf»  ,^      (7J  Cluver.  Geim.  A«î^.  p.  îoï, 


Vil»  Cujucii. 

(  S  )  Philippi  Cluverii  Geimanix  antiquae  1, 111% 
Lugd.  Baciv.  t((3  !• 
(6)  Csfar  VI.  21. 


LIVRÉ    III.    CHAPITRE    I.  y 

Cluvier  s'applaudit  fi  fort  de  cette  découverte ,  qu'il  finit  en  difant  (8)  : 
t>  Je  craindrois  d'ennuyer  mon  Leâeur  ,  fi  je  produifois  de  nouvelles 
«  preuves  pour  établir  une  vérité  fi  claire  &  fi  lumineufe  «.  Que  peut- 
on  attendre  d'un  Auteur  capable  de  prendre  le  change  d'une  manière  fi 
pitoyable  ? 

Il  faut  avouer ,  cependant ,  que  cet  Auteur  n'efl  pas  le  feul  que  l'en* 
vie  de  trouver  par-tout  les  idées  des  Juifs  &  des  Chrétiens,  ait  jette  dans 
de  femblables  écarts.  On  aura  fouvent  occafion  de  montrer  qu'il  a  été 
fuivi  ,  &  quelquefois  copié  ,  par  la  plupart  des  Auteurs  ,  qui  ont 
écrit  depuis  (9) ,  &  qu'il  n'y  a  pas  jufqu'au  chêne  de  Mambré  ,  que 
l'on  n'ait  tranfplanté  dans  les  Gaules ,  pour  en  faire  une  Divinité  cel- 
tique. 

§•  IV.  On  piiblia ,  vers  le  milieu  du  xvii".  fiécle  fiécle  ,  le  fçavant  Traité  d'f/;* 
Traité  à'Elie  Schédius ,  qui  a  pour  titre  :  De  Diis  Germanis  ,  Jive  de  ve- 
teri  Germanorum ,  Gallonim ,  Britannorum  ,  Vandalorum  Religione  fyn- 
tagmata  quatuor  (lo).  Si  cet  Auteur  n'a  pas  mieux  réufli  que  Cluvier  , 
il  mérite,  au  moins,  plus  d'indulgence.  Schédius  étoit  un  jeune  homme 
fort  fludieux ,  qui  ayant  lu  un  grand  nombre  d'anciens  Auteurs ,  tant 
Grecs  que  Latins ,  en  avoit  recueilli ,  avec  grand  foin  ,  tout  ce  qui 
pouvoit  avoir  quelque  rapport ,  prochain  ou  éloigné  ,  à  la  Religion  dc« 
Celtes.  Son  Ouvrage  eft  ,  par  conféquent ,  un  bon  répertoire  ,  oà 
l'on  trouvera  une  érudition  peu  commune.  Mais  il  ne  faut  pas  y 
chercher  de  la  juftefle ,  &  de  la  précifion ,  parce  que  ce  Sçavant  fut  fur- 
pris  par  la  mort  à  l'âge  de  27  ans  ,  avant  qu'il  eût  eu  le  tems  de  faire  ufage 
du  grand  nombre  de  matériaux  qu'il  avoit  recueillis ,  &  parmi  lefquels 
il  y  en  a  plufieurs  qui  font  hors  d'oeuvre.  La  chofe  étoit  inévitable  dans 
un  Ouvrage  pofthume  que  l'Auteur  n'a  pas  eu  le  tems  de  revoir, 

§.  V.  Le  Père  Lefcalopier  a  auffi  fait  imprimer  un  Traité  de  la  Relt-     Traire  Sa 
gion  des  anciens  Gaulois ,  à  la  fin  de  fon  Commentaire  fur  les  Livres  de  1"',       *^ 
Cicéron ,  de  Naturd  Deorum  (i  i).  Ce  Traité  n'efi; ,  à  proprement  parler, 
qu'une  courte  Differtation  ,  ôc  il  n'y  a  pas  de  mal  qu'elle  ne  foit  pas 

(g)  Cluvït.  ubi  fupri.  1  Gaulois,  Se  j>tiifiems  autres. 

(9)  De  ce  nombre   font   Elie  Schédius,  dont  i       ^loy   On  s'eft   fervi  de  l'Edition  imprimée  ^ 
il  ell  parle' dans  l'article  fuivant ,  !c  père   Lel-     Amftcrdaiu  en  1648. 

calopier  ,  M.  Huer,  Evêqued'Avranches,  M.  Ju-  ;  (it)  Pétri  Lefcàloperii  Humanitas  Theolo- 
lieu,  dans  fon  Hiftoire  des  Cultes  &  des  Do-  j  gici,  five  Commentarius  in  Ciceronem  de  Nl- 
gmcs  ,  l'Auteur  anon^mo  de  Jia  Religion  des  1  tHiâ  Deoium.  Jacifiij  apud  S.  Ctamoiii  !«<•> 


6  HISTOIRE    DES    CELTES, 

plus  longue  ;  on  n'y  trouve  rien  de  nouveau,  ni  de  curieux.  Il  femble 
même  que  l'Auteur  ne  l'ait  compofée ,  que  pour  y  placer  la  découverte 
fuivante ,  qui  luffira  pour  mettre  le  Leûeur  en  état  de  juger  de  tout 
l'Ouvrage. 

Le  Père  Lefcalopier  affure  qu'on  rendoit  dans  le  territoire  de  Char- 
tres des  honneurs  Divins  (li)  à  la  Fierté  qui  devait  enfanter ,  &   que 
le  fimulacr«   de  cette  Divinité  fut  pofé  cent  ans  avant  Jefus-Chrift.  Si 
cela  efl:  ,  il  faudra  avouer  que  les  Gaulois  ne  le  çédoient  point  aux 
Germains ,  par  rapport  à  la  connoiffance   des    Myftéres  de    l'Evangile. 
On  a  vu  que  les  Germains  connoiffoient  déjà  le  Myftére  de  la  Trinité, 
du ,  tems  de  Jules  Céfar ,  qui    écrivoit   environ  cinquante   ans   avant 
la  venue   du  Sauveur.  Mais  il  y  avoit  près  de  cinquante  ans  que  l'on 
fçavoit  dans  le   Pays  Chartraln ,  non-feulement  que  le  Verbe  devoit 
être  incarné ,  mais   encore  que  la  fainte    Vierge    devoit   être    l'objet 
d'un  culte  religieux.  Ce  culte  ne  s'introduifit ,  cependant ,  que  plus  de 
mille  ans  après. 
Ouvrage  de       §.  VI.  Il  ne  fera  pas  néceffaire  de  s'étendre  ici  fur  l'Ouvrage  d'un 
!!yme'"f "°i  Autcut  anouyme  ,  (  le  Père  Dom  Jacques  Martin ,  Religieux  Bénédiûin  ,  ) 
o'^ufois  ''"   V^^  parut  à  Paris  en  172.7,  fous  ce  titre  magnifique  :  La  Religion  des 
Gaulois  ,  tirée  des  plus  pures  fources  de  C antiquité  :  On  en  a    parlé  au 
long  dans  la  (  i^  ')  Bibliothèque  Germanique.  Cet  Auteur  n'a  pas  connu  la 
Religion  des  Gaulois,  &  fon  Ouvrage  ne  peut  fervir  qu'à  en  donner  de 
fauffes  idées;  il  traveftit  perpétuellement  les  Dieux  des  Grecs  6c  des 
Romains  en  autant  de  Divinités  Gauloifes. 
Aucun  de  cef       §•  VII.  La  Religion  des  Peuples  Celtes  eft  donc ,  jufqu'à  préfent ,  un 
œnmUa"R^c-  ^^]^^  ^  P^"  P'^^^  inconnu.  Si  on  fe  contente  de  lire  ce  que  les  Modernes 
ligion  des       ç„  Qnt  écrit,  on  ne  fçaura  abfolument  à  quoi  s'en  tenir.  La  différence, 
.(ni  plutôt  l'oppofition  continuelle  que  l'on  trouvera  entre  leiu-s  opinion*, 
ne  pourra  même  fervir  qu'à  jetter  le  Lefteur  dans  le  Pyrrhonifme  hifto- 
rique.  Mais  fi  l'on  veut  fe  donner  la  peine  de  confulter  les  Anciens ,  on 
fe  convaincra  bientôt  que  les   Modernes  ,  au  lieu  de  puifer  ,   comme 
ils  le  dévoient ,  ôc  comme  ils  le  prétendent ,  dans  les  plus  pures  fources 
de  l'Antiquité  ,  fe  font  livrés  ,  les  uns  à  leur  propre  imagination  ,  les 


.(xî)  Ctnutum  Dca,  Vir^o  Ftrirura    Cap.  X.  53^.270. 
Çl|)  iiibl.  Germ.  Tom.  XXXVII.  p.  140.     , 


LIVRE    III.    CHAPITRE    II.  7 

autres  à  des  préjugés ,  qui  leur  ont  fait  trouver  dans  la  Religion  des 
Celtes  tout  ce  qu'ils  ont  voulu  ;  tantôt  les  cérémonies  des  Juifs  &  des 
Phéniciens;  tantôt  la  Religion  des  Grecs,  des  Romains  &  des  Egyptiens; 
&  tantôt  la  Philofophie  de  Pythagore  ,  de  Platon  ,  ou  des  Stoïciens.  On 
fe  flate  de  montrer  dans  ce  Livre,  que  les  Peuples  Celtes  avoient  une 
Religion  toute  différente  de  l'idée  qu'on  s'en  étoit  faite  fur  la  foi  des 
Auteurs  dont  on  vient  de  parler  ;  on  la  repréfentera  ,  autant  qu'il  fera 
poffible  ,  telle  qu'elle  étoit  avant  qu'on  eut  introduit  dans  la  Celtique 
des  Cérémonies  ,  &  des  Superftitions  inconnues  aux  anciens  Habitans 
de  l'Europe. 

§.  VIII.  Voici  le  plan  de  ce  Livre  &  du  fuivant.  1°.  On  examinera  les 
principaux  Dogmes  de  la  Religion  des  Celtes ,  ce  qu'ils  penfoient  de 
Dieu  ,   de  fes  perfeftions  ,  de    l'origine   du  monde  ,   des  devoirs  de 
l'homme ,  &C  de  fon  état  après  cette  vie.  2^.  On  repréfentera  enfuite  l'ex- 
térieur de  la  Religion  des  Celtes  ,  &  on  parlera,  à  cette  occafion  ,  des 
DruideSjdes  Tems  &C  des  Lieux  facrés ,  des  Sacrifices ,  des  Cérémonies , 
&  de  tout  ce  qui  peut  avoir  quelque  rapport  à  ces  matières.  3  ^.  De-là 
on  paflera  aux  fuperftitions  les  plus    remarquables  des  Celtes  ,    aux 
charmes  &  aux  maléfices  qu'ils  pratiquoient ,  &  aux  différentes  manières 
de  découvrir  la  vérité  ,  ou  de  prédire  l'avenir,  par  le  duel  ,  par  le  fort, 
par  les  aufpices ,  par  l'infpeftion  des  viûimes  ,  par  la  foudre ,  &c  par 
les  épreuves  du  feu  &  de  l'eau.  4^.  On  donnera,  après  cela ,  une  Hiftoire 
abrégée  des  plus  célèbres  Philofophes  Scythes  &  Celtes ,  tels  qu'Orphée , 
Zamolxis  ,  Abaris,  Toxaris  ,  Anacharjis  ,  &  Dicenœus.   5''.  On  finira  par 
quelques  remarques  fur  la  manière  dont  les  Peuples  Celtes  ont  reçu  le 
Chriflianifme. 


CHAPITRE      II. 

§.  I.L  E  s  Anciens  donnent  un  bel  éloge  aux  Scythes  ,  aux  Celtes  ,  &    tes  Peupk» 
aux  autres  Peuples  ,  qu'il  plaifoit  aux  Grecs  d'appeller  Barbares  ;  c'eft  f°lrreconim 
qu'ils  reconnoiffoient  tous  une  Divinité ,  &  que  l'on  ne  voyoit  parmi  j-'^uifcie". 
eux,  ni  des  Athées  déclarés,  ni  même  des  gens  qui  euffent  jufqu'au 
moindre  doute  fur  les  impportantes  vérités  ,  qui  font  le  fondement  de 
toute  Religion ,  l'exiftence  de  Dieu ,  &  la  Providence.  C'eft  la  réflexion 


On  a  accufc , 
fans  tonde- 
menc,  quel- 
ques ieu[^lcs 
Ce'tcs,  fi, en 
p^ilicu!i:t , 
les  habicaiîs 


8  HISTOIRE    DES    CELTES, 

de  Maxime  de  Tyr  (  i  )  :  ■>  Tous  les  Barbares  admettent  im  Dieu  «, 
C'eft  celle  d'Ellen  (z)  :  "Qui  ne  loueroitla  fagefle  des  Barbares?  Aucun 
•>  d'eux  n'eft  jamais  tombé  dans  l'Athéifme  ;  aucun  d'eux  n'a  jamais 
>=  douté  s'il  y  avoit  des  Dieux ,  ou  s'il  n'y  en  avoit  point  ,  s'ils  pre- 
»>  noient  foin  du  genre  humain,  ou  non.  Ni  les  Indiens,  ni  les  Celtes  , 
>■>  ni  les  Egyptiens ,  n'ont  jamais  donné  entrée  dans  leur  efprit  aux 
»  penfées  qu'Evemére  le  Meffénien,  Diogéne  le  Phrygien,  Hippon  , 
»  Diagoras  ,  Solîas ,  &  Epicure  ont  eues  fur  ce  fujet  «, 

§.  II.  Cependant  cela  n'a  pas  empêché  que  l'on  n'ait  accufé  quelques 
Peuples  Celtes  d'être  Athées  ,  & ,  par  conféquent  ,  fans  aucune  Reli- 
gion. On  voit ,  par  exemple,  dans  Strabon  (3),  que  ,  »  félon  quelques 
»  Auteurs  ,  les  Habitans  de   la   Galice  ne  reconnoiiïoient  aucune  Di- 
de  la  Gniicc     ,  yj„it^  «.  Mais  ce  Géographc  ne  garantit  pas  l'accufation  :  au  con- 

d'cire  Athées.  ....      ri 

traire  il  la  détruit  indirectement ,  en  remarquant  ailleurs  (4)  ,  que  .1  tous 
«  les  Peuples  de  la  Lufitanie  ,  clont  la  Galice  faifoit  partie,étoient  fort 
«  attachés  aux  devinations  «.  Sjlius  affure  aufîi  (  5  )  que  «  les  Habi- 
».  tans  de  la  Galice  étoient  fort  expérimentés  dans  les  préfages  que  l'on 
«  tiroit  des  entrailles  des  vidimes  ,  du  vol  des  oifeaux  ,  Se  du  feu  «. 
Enfin  Juftin  parle  ((S)  »>  d'une  Montagne  de  la  Galice  ,  qu'il  n'étoit  point 
«  permis  de  labourer ,  parce  qu'elle  étoit  confacrée  aux  Dieux  c  C'en 
eft  affez  pour  décharger  ces  Peuples  de  l'Efpggne  de  l'odieufe  imputation 
d'avoir  donné  dans  l'Athéifme. 
eicÉron  a      §,  III.  Ce  n'eft  pas  avec  plus  de  fondement  que  Cicéron  reproche 

nwù'propos  à  toiis  les  Gaulois  ,  en  général,  d'être  des  gens  fans  aucune  Religion. 

id'Acwïfmc.  Donnons-nous  la  peine  d'examiner  les  preuves  dont  il  fe  fert ,  pour 
appuyer  une  accufation  fi  grave.  On  les  trouvera  dans  l'Oraifon  qu'il 
prononça  en  faveur  de  Fontejus  ,  Gouverneur  de  la  Gaule  Narbonnoife, 
que  l'on  accufoit  d'avoir  vexé  les  habitans  de  cette  Province  (.  7  ). 
»  Croyez-vous  ,  dit-il ,  que  les  Gaulojs  puiflfent  refpeôer  la  religion 
»  du  ferment ,  ni  que  la  crainte  des  Dieux  immortels  foient  capables 
tt  de  les  toucher ,  lorfqu'ils  font  appelles  à  faire  une  dépofition  ?  Ke-, 
»>  marquez  ,  je  vous  prie ,  combien  leur  naturel ,  &  leurs  mœurs  font 


(i)  Maxim.  Tyr.  Diflert.  XXXVIU.  p.  455. 
(2I  JElian.  Var.  Hift.  lib,  II.  cap.  )i, 
())  Strabo  III.  p.  1(4. 
(4)  Stiabo  III.p.  J54. 


(s)  Silius  Italicus  lib.  III.  v.  344. 

(«)  Juftin  XLIV.  cap,  3. 

(7)  Ciceio  Qrat,  pro  M,  Fonçejo  p,  î  i4>' 

oppofées 


LIVRE    III.    CHAPITREtl,  9 

»oppofées  à  celles  des  autres  Nations  !  Les  autres  Peuples  prennent 
»  les  armes  pour  la  défenfe  de  leur  Religion ,  les  Gaulois ,  au  contraire , 
»  déclarent  la  guerre  à  toutes  les  Religions.  Les  autres  Peuples  implorent 
»  la  faveur  &  l'affifiance  des  Dieux  dans  les  combats  ,  au  lieu  que 
«les  Gaulois  font  la  guerre  aux  Dieux  mêmes. 

»  Ce  font  ces  Nations  qui  partirent  autrefois  des  extrémités  de  la 
»  terre ,  pour  aller  attaquer  le  Temple  de  Delphes,  &  l'Oracle  d'A- 
»  poUon  Pythien  ,  qui  eft  confulté.  Se. révéré  par  tous  les  Peuples  de 
»  l'univers.  Ces  mêmes  Peuples ,  dont  on  nous  dit  qu'ils  refpeftent 
w  la  religion  du  ferment  ,  comme  la  chofe  du  monde  la  plus  facrée  , 
»  ont  affiégé  le  Capitole  ,  &  ce  Jupiter ,  par  le  nom  duquel  nos  An- 
»  cêtres  ont  voulu  que  toutes  les  dépofitions  fuffent  confirmées.  En- 
»  fin  ,  peut-il  y  avoir  quelque  chofe  de  facré  ,  pour  des  gens  qui , 
»  lors  même  que  la  crainte  de  quelque  fléau  leur  fait  chercher  le 
«moyen  d'appaifer  les  Dieux,  fouillent  les  Temples  &  les  Autels  par 
»  des  vidimes  humaines  ,  &  ne  peuvent  faire  un  ade  de  religion  ,  qui 
»  ne  foit  en  même  tems  un  crime ,  &  un  outrage  fait  à  la  Religion  "? 
»  En  effet,  y  a-t-il  quelqu'un  qui  ne  fçache  que  les  Gaulois  confervent , 
»  jufqu'à  ce  jour,  la  cruelle  &  barbare  coutume  d'immoler  des  hommes? 
»  Quelle  idée  peut-on  donc  avoir  de  la  foi  &c  de  la  piété  d'un  Peuple, 
»  qui  efl  dans  l'opinion  que  les  Dieux  peuvent  être  facilement  appaifés 
»  par  des  crimes ,  &  par  l'effufion  du  fang  humain  ? 

.i(.  §.  IV.  Cicéron  ,  qui  plaidoit  en  faveur  de  Fontejus  ,  vouloit  empê-  T:ri,n,en  H-yn 
cher  que  les  Juges  ne  fiflent  attention  à  la  dépofition  d'une  folile  de  V'-'^t^^  ^\ 
témoins  ,  que  l'on  avoit  fait  venir  des  Gaules  ,  pour  juûifier  les  faits  *  ] 

dont  il  étoit  accufé.  Au  lieu  de  fournir  des  reproches  légitimes  contre 
ces  témoins  ,  l'Orateur  Romain  fe  jçtte  dans  la  déclamation ,  &  pro- 
fère de  grands  mots  ,  qui  ne  font  qu'une  fuite  de  paralogifmes. 

I®.  Il  me  fembie  qu'il  y  a  de  la  contradiftion  à  foutenir  que  les  Gaulois 
étoient  inaccefTibles  à  toute  crainte  des  Dieux  ,  &  d'avouer  ^  en  même 
tems  ,  qu'ils  offroient  aux  Dieux  des  viftimes  humaines.  Il  n'y  a  qu'une 
crainte  excefTive  qui  puifTe  porter  fi  loin  la  fuperftition. 

1*.  Cicéron  foutient  ,  que  les  Gaulois  attaquoient  la.  Religion  de 

tous  les  autres  Peuples.  Pafl"ons  -  lui  cette  thèfe  ,  qui ,  cependant,  auroit 

befoin  de  quelque  refiriaion.  Mais  s'enfuit- il  de-là  ,  que  les  Gaulois 

n'euffent  eux-mêmes  point  de  Religion?  Point  du  tout  ;  ils -croyoient 

Tome  II.  g 


,0  HISTOIRE    DES    CELTES, 

avoir  la  feule  véritable.  Ils  déclaroient  la  guerre  aux  Dieux  des  Grecs 
&  des  Romains ,  parce  qu'ils  les  regardoient  comme  de  faufl'es  Divinités, 
qui  n'exiftoient  que  dans  l'imagination  déréglée  de  leurs  Adorateurs. 
Ils  détruifoient  les  Temples  &  les  Idoles ,  parce  qu'ils  regardoient  comme 
une  impiété  de  renfermer  la  Divinité  dans  des  murailles ,  &  de  la  repré- 
fenter  fous  la  forme  de  l'homme. 

Les  Gaulois  étoient  donc,  à  peu.  près,  dans  la  pofition  des  Icono- 
claftes,  que  l'on  a  accufé  d'impiété  &  d'Athéïfme  ,  avec  auffi  peu  de 
fondement  que  les  Gaulois.  Le  zèle  des  uns  &  des  autres  pouvoit  être 
aveugle  &  outré  :  au  lieu  de  brifer  les  Images  &  les  Statues  ,  qui  font 
l'objet  du  culte  religieux  d'un  Idolâtre ,  il  vaudroit  mieux  arracher  de 
fon  efprit  la  faufl'e  idée  qu'il  s'eft  faite  de  la  Divinité ,  &  la  dévotion 
fuperftitieufe  qu'il  témoigne  pour  les  Images.  Mais  il  n'y  a  que  des 
Déclamateurs  ,  qui  puiilent  confondre  un  Iconoclafte  avec  un  Athée 
&  un  Impie. 

3*'.  On  avoue  ,  enfin  ,  que  les  Gaulois  offroient  à  Dieu  des  viflimes 
humaines  ;  mais ,  fi  la  conféquence  que  Cicéron  prétend  tirer  de-là 
etoit  jufte  ,  il  faudroit  en  conclure ,  qu'il  n'y  avoit  ni  foi ,  ni  rt  ligion  dans 
le  monde  ,  parce  que  cette  horrible  fuperftition ,  au  lieu  d'être  parti- 
culière aux  Celtes  ,  étoit  commune  à  tous  les  autres  Peuples  de  la  terre. 
Nous  verrons  même ,  en  fon  lieu,  qu'avant ,  &  après  le  tems  de  Cicéron  , 
les  Romains  ont  commis  en  plufieurs  occafions  le  même  facrilége 
tes  Celtes  §.  V.  Non-feulement  les  Peuples  Celtes  reconnoiffoient  tous  une  Di- 
atuchés  au  vinlté ,  on  leur  rend  (7)  encore  le  témoignage  qu'ils  étoient  fort  atta- 
»ièux!''  ''""  ^^^^  ^"  ^^^^^  '^^  ^^"""^  Dieux.  Le  refpeft  qu'ils  avoient  pour  leurs  cé- 
rémonies ,  étoit  fi  grand  (8) ,  que ,  dans  une  longue  fuite  de  fiècles ,  ils 
n'avoient  pu  fe  réfoudre  à  y  changer  la  moindre  chofe.  Il  faut ,  d'ail- 
leurs ,  que  leur  culte  parût  édifiant  aux  étrangers  ,  puifque  les  cérémo- 
nies les  plus  vénérables  de  la  Grèce,  &  ,  en  particulier ^  celles  que  l'on 
célébroit,  avec  tant  de  pompe  ,à  Eleufis  (9) ,  Ville  de  l'Attique ,  y  avoient 
été  apportées  de  Thrace.  On  prétend  même ,  que  toute  la  Religion  ,  & 
toutes  les  fuperAitions  des  Grecs ,  venoient  originairement  du  même 

(7)  Plin.  Hift.  Nat.  lib.  IV.  cap.  1 1.  p.  47 1.  ]       (9)  Plutatch.  de  Exul.  Tom.  II.  p.  607.  Lu- 
Solin.  c.  35.  p.isZ'  Czfai  VI.  1$.  Livilu  V.  4<.     cian.  Demona^.  p.  552.  Herodot.  IV.  33.  Vcyn, 
{t)  Dionyf.  Htliç,  YII.  474.  ]  aufll  ci-delTus  Liv.  I.  cbap.  9.  Se  la  sote  fuiv. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    III.  n 

Pays.  C'eft  ce  qu'infinue  ,  félon  Plutarque  (  lo),  &  Suidas  ,  le  mot 
de  ôpwa-xetîs/r,  qui  défigne  en  Grec,  tantôt  le  lervice  religieux ,  que  l'on 
rend  à  la  Divinité  ,  &  tantôt  une  dévotion  exceffive  &  fuperftitieufe. 

§.  VI.  S'il  efl  confiant  &  indubitable  que  les  Peuples  Celtes  avoient 
une  Religion  ,  il  faut  avouer  qu'elle  étoit  toute  différente  de  celle  des 
autres  Peuples.  La  différence  ,  ou  plutôt  l'oppofition  étoit  fi  grande  , 
que  Lucain  ne  fait  pas  difficulté  de  dire  aux  Gaulois  (n)  :  »  Si  vous 
i>  connoiffez  les  Dieux ,  û  vous  en  avez  unejufte  idée,  il  faudra  con- 
»  venir  que  le  refte  des  hommes  ne  les  connoît  point  du  tout  «<.  i 

Solis  nofce  Dcos  ,  Se  Cceli  numina  vobis  , 
Aut  folis  nefciic  dacum. 

C'eft  pour  cette  raifon  que  les  Scythes  &  les  Celtes  détaiifoient 
les  autres  Religions  ,  par-tout  où  ils  étoient  les  maîtres ,  &  qu'ils  pu- 
niflbient  des  derniers  fupplices  ceux  qui  introduifoient ,  parmi  eux  ,  des 
fuperftitions  étrangères.  Il  en  coûta  la  vie  à  un  Roi  des  Scythes  ,  nom- 
mé Scyles  (il),  pour  avoir  participé  au  culte  deBacchus,  dans  une 
Colonie  Grecque.  Le  célèbre  Anacharfis  fut  traité  avec  la  même  févérité 
(*>)»  po"i^  avoir  voulu  introduire,  parmi  les  Scythes,  les  cérémonies 
que  les  Grecs  célébroient  à  l'honneur  de  la  Mère  des  Dieux. 

Tâchons  donc  de  fixer ,  avant  toutes  chofes  ,  l'idée  que  les  Scythes 
&  les  Celtes  avoient  de  la  Divinité ,  &  de  l'objet  du  culte  religieux. 
C'eft  le  véritable  ,  &  le  feul  moyen  de  connoître  à  fond  leur  Religion, 
&C  de  juger  en  quoi  elle  différoit  de  celle  des  autres  Peuples. 


CHAPITRE    III. 

§.1.  L»ES  Peuples  Celtes  avoient  une  jufte  idée  de  Dieu  ,  &  de  {es 
perfeûions.  Peut-être  donnoient-ils  dans  le  Polythéïfme  ,  comme  la  j'Iite""dé""de 
plupart  des  autres  Nations.  C'eft  une  queftion  qu'on  examinera  dans  p^A'^iLm.''^* 
la  fuite.  Mais  ils  adoroient ,  néanmoins  ,  des  Intelligences  pures,  éter-  dêjol'ixf'u 
nelles  ,  Se  immuables;  des  Efprits  fpirituels  ,  dégagés   de   toute  ma-  ''t"<;is'&i'"t 

'       ,  .A  '  o  a  ïttribiioient 

tière ,  qui  ne  pouvoient  être  apperçus  des  yeux  du  corps.  Ils  leur  at-  "  '=  f"cnce 

infinie» 


L-sCeltfs 


(lo\  OfnsKiVul  ,  comme  qui  diroit  imiter  Iti 
Thnces.  C'eft  pourquoi  l'on  a  applique'  le  mot 
tj>e»xn/aï  à  tout  culte  excelTîf  enrcrs  les  Dieux 
|(  aux  pratiques  fupetAitienres.  Pluitreh,  Altx.         (ti)  UcroUot.  IV.  t« 

6i 


f,  66$,  Suid,  in  fifvsXfvn'K  Tom.  Il,  fr.  205. 
(il)  Lucan  lib.  I.  v.  45  z. 
(12)  Herodot.  IV.  79.  80. 


li  HISTOIREDES    CELTES, 

tribiioient  une  fcience  infinie ,  une  puiflance  fans  bornes  ,  une  juftlce 
incorruptible. 

i**.  C'étoit  un  principe  reçu  clans  toute  la  Celtique,  que  les  Dieux 
connoiflent    parfaitement   tout   ce  qui  échappe    aux   lumières   &   à  la 
pénétration  de  l'efprit  humain  ;  &  qu'ainfi  le  véritable    moyen  d'ac- 
quérir une  connoifiance  {iire  &  claire  du  paffé  ,  du  préfent ,  de  l'avenir,- 
&,en  général,  de  tout  ce  qu'il  importoit  à  l'homme  de  fçavoir  ,  c'é-' 
toit  de  confulter  la  Divinité,  qui  réfidoit  dans  toutes  les  créatures  ,  &  qui 
répondoit  en  mille  manières  différentes  à  ceux  qui  entendoient  ce  que 
l'on  appelloit  la  fcience  des  préfages,  &  des  divinations. 
Ils  leurattii-      2*.  L'idée  qu'ils  avoient  de   la  puiflance  de  Dieu  n'étoit  pas  moins 
u'iepiiùrarcè  grande.  Ils  difoient  que  toiit  ce  qui  iurpaffe  les  forces  de  l'homme',  n'eft 
&ns  bornes     pffy^is  au- deffus  de  la  puifTance  divine.  Ils  concluoient  dé  là  que  ^  pour 
opérer    des  chofes    grandes  &  mèrveilleufes  ,  il  falloit  que  l'homme 
cherchât  le  fecret  de  faire  ufage  ,  &  de  difpofer  à  fon  gré  du  pouvoir  de 
l'Etre  tout-puiflant  ,    qui  agit  avec  efficace  dans  toutes  les  créatures. 
C'étoit  le  fondement  des  charmes  &  des  maléfices ,  dont  ils  fe  fer-voient- 
pour  fe  rendre  invulnérables ,  pour  arrêter  l'aftivité  naturelle  du  féU  , 
pour  exciter  des  tempêtes  ,  pour  gagner  un  procès,  pour  rendre  un 
homme  furieux  ,  &c. 
iisaccor-        3'-'.  Ils  étoient  fi  perfuadés  que  la  Divinité  eft  incapable  de  fe  pré- 
Dk'iix  une     venir ,  de  pervertir  le  droit ,  de  favorifer  une  mauvaife  caufe ,  qu'ils 
Mpîibiè""'  S"  concluoient  que  le  feul  moyen  de  ne  faire  aucune  Injuftice ,  c'était 
de  remettre  à  l'Etre  fouverainement  jufte ,  la  décifion  des  procès,  &  des 
conteftations  ,  qui  s'élevoient  parmi  les    hommes.    C'eil   Torigine    de 
l'épreuve  du  feu,  de  l'eau,  &  d'une  infinité  d'autres  pratiques  fuperfti- 
tieufes  ,  auxquelles  on   donnoit  le  nom  de  Jugement  de  Dieu.  Si  les  con- 
féquences  que  l'on  tiroit  des  principes  ,  qui  viennent  d'être  indiqués , 
étoient  quelquefois  fauffes ,  &  infoutenables  ,  il  faut  convenir ,  au  moins, 
que  ces  principes  étoient  vrais,  &  certains,  &  que  les  Celtes  avoient 
une  julte  idée  des  perfedfions  les  plus  eïïentielles  de  la  Divinité. 
Ces  principes      §•  IL    Ces  principes   ne    diflinguoient   pas   la  Religion  des  Celtes. 
'^"u'srtoutcs  Ils  ont  été  communs  à  toutes  les  Religions ,  &  à  tous  les  Peuples  de 
les  Religions.  l'Univcts.  Les  Nations  mêmes  ,  qui  fervoient  des  Dieux  vifibles  &  cor- 
"porels,  qui  leur  attribuoient  les  foiblefTes ,  les  vices,  &  les  misères  de 
la  nature  humaine  ,  ne  laiffoient  pas  de  les  adorer  ,  de  les  prier ,  d'im- 


^ 


LIVRE     m.    CHAPITRE     III.  13 

plorer  leur  fecours ,  &  de  jurer  par  leur  nom.  Par  cela  même,  ils  leur 
attribuoient  cIl'S  qualités  diredement  oppofées  aux  premières,  la'toute- 
puiflance  ,  la  toute-préfence ,  &  les  autres  perfeftions  qu'il  faut  fuppofer 
dans  la  Divinité  ,  pour  lui  rendre  un  culte  religieux. 

Le  culte  religieux  des  Celtes  étoit  fondé  ,  non  fur  l'idée  que  les 
Poètes  leur  donnoient  des  Dieux ,  mais  fur  l'idée  que  la  faine  raifon 
fe  forme  de  l'Etre  infini ,  qui  a  produit  ce  vafte  univers  ,  &  gravé  ,  dans 
tous  les  ouvrages  ,  les  caraûères  les  plus  fenfibles  de  fa  fageffe  ,  de  fa 
puiflance ,  de  fa  bonté  &  de  fes  autres  perfeftions. 

Ce  que  les  Celtes  avoient  donc  de  particulier  ,  c'eft  qu'ils  raifon- 
noient  conféquemment  à  leurs  principes  ,  &  qu'ils  en  faifoitînt  ufage 
pour  la  pratique. 

i".  Ils  adoroient  des  Dieux  fpirituels ,  ils  ne  vouloicnt  pas  qu'on 
repréfentàt  la  Divinité  fous  une  forme  corporelle.  Ils  fe  moquoient  des 
Peuples,qui  faifoient  des  Idoles  pour  adorer  l'ouvrage  de  leurs  propres 
mains.  »  Les  Germains ,  dit  Tacite  (  1  )  ,  eftiment  qu'il  ne  convient 
»  point  à  la  grandeur  des  Dieux  céleftes  de  les  renfermer  dans  des 
»  murailles  ,  ou  de  les  repréfenter  fous  aucune  forme  humaine  (  2  ). 
»  Ils  confacrent  des  bois  &  des  forêts,  &  appellent  du  nom  des  Dieux, 
"les  lieux  fecrets,  où  ils  ne  voyent  la  Divinité  que  dans  le  refpeft 
»  qu'ils  lui  témoignent  «. 

On  aura  occafion  de  prouver  ,  lorfqu'il  fera  queftion  du  culte  exté- 
rieur que  les  Peuples  Celtes  rendoient  à  leurs  Dieux,  qu'ils  avoient 
tous  anciennement  la  même  averfion  pour  les  Images  &  pour  les  Sta- 
tues. On  montrera  auffi  ,  dans  le  Chapitre  fuivant ,  pourquoi  ils  fe 
faifoient  un  fcrupule  d'ériger  des  Temples  à  la  Divinité.  Remarquons 
feulement  ici  ,  que  les  Tradufteurs  de  Tacite  nont  pas  rendu  le  fens 
de  ces  paroles  :  Lucos  ac  ntmora.  confier ant  ,  Deorunique  nominibus  ap-m 
pdlant  fecretum  illiid ,  quod  folâ  reverendâ  vident.  La  verfion  d'Ablan- 
court  porte  :  .=  Ils  fe  contentent  de  leur  confacrer  des  bois ,  dont  le 
»  plus  caché  eft  ce  qu'ils  adorent  ,  &  qu'ils  ne  voient  que  du  penfer»'. 


Confcquen- 
ces  t].e  :^s 
C.'ltcstiioitnt 
de  CCS  pciiici>. 
pcs. 


Il  ne  faut  pat 

rcprir.nvct 
les  Dicus 
fous  une  for- 
me corporel- 
le. 


(i)  Tacit.  Gernaan.  cap  9. 

(  î  )  C'eft  ,  encore  aujourd'hui ,  l'ide'e  d-es 
CaéremilTes ,  Peuple  Scytlie  établi  le  long  du 
Volga ,  dans  le  Koyaume  de  Cafaji.  l's  difent 


qae  le  Dieu /«ma/*  ^  eft  (;ternel&  tout  puiflra(it, 
£c  que  ,  par  cette  r.iifon  ,  il  n'cft  p.is  permis  de 
le  repréfenter  Se  de  l'adorer  dans  des  images. 
Stritlinhn^  /> .  4 1 9 , 


14  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Mezerai  paraphrafe  les  mêmes  paroles  de  cette  manière  (3  ):  •»  Dans 

M  ces  noirs  Se  obfcurs  enfoncemens,  touchés  d'une  religieufe  horreur, 

»'  ils  s'imaginoient  quelque  chofe  de  terrible ,  &C  appelloient  Dieu  ce 

»  qu'ils  ne  voyoient  point  «.  Ce  n'eft  point  cela.  Tacite  veut  dire , 

»>  qu'il  y  avoit  dans  les  Forêts  facrées  ,  un  lieu  fecret  &  très-faint, 

»  oii  perfonne  n'entroit  que  les  feuls  Sacrificateurs  ,  &  où,  d'ailleurs,  il 

»>  n'y  avoit  point  d'ob)et  fenfible  de  la  dévotion.  Ce  lieu  fecret  portait 

n  le  nom  (4)  du  Dieu  qui  y  étoit  adoré,  &C  le  Peuple  ne  l'y  voyoit 

»>  que  par  la  profonde  vénération  ,  avec  laquelle  il  regardoit  de  loia 

,1  un  Sanftuaire ,  où  il  croyoit  la  Divinité  préfente  «. 

ilnefjutpas      i**.  Une  autrc  conféquence  que  les  Celtes  tiroient  de  l'idée    qu'ils 

Dieul  màict  avoient  d'un  Dieu  fpirituel  Se  éternel  ,  c'eft  qu'il  falloit  être  aufli  ex- 

""*  "'    travagant   qu'impie  ,  pour   adorer  des  Dieux  mâles  &  femelles  (  5  ) , 

pour  célébrer  la  fête  de  leur  naiffance  Se  de  leurs  mariages  ,  pour 

leur   rendre  un  culte   religieux  auprès  de  leurs  tombeaux  ,   &  dans 

des  Temples  bâtis  fur  leurs  cadavres.  «  Ce  n'eft  pas  la  coutume  des  Per- 

»  fes ,  difoit  Hérodote  (6)  ,  d'ériger  des  Statues ,  des  Temples  ,  Se  des 

>,  Autels  ;  ils  accufent  même  de  folie  ceux  qui  le  font.  La  raifon  en  eft , 

n  à  mon  fentiment ,  qu'ils  ne  croient  pas  ,  comme  les  Grecs  ,  que  les 

>»  Dieux  foient  iffus  des  hommes  ««.  Clytarque  avoit  auffi  remarqué  (7)  , 

que  ,.  les  Mages  rejettoient ,  avec  mépris,  l'opinion  de  ceux  qui  diftin- 

nEuoient  des  Dieux  mâles  Sc  femelles  ". 

quenccs  qu'-      §.  III.  A  CCS  conlcquenccs  ,  on  peut  en  ajouter  quelques  autres,  qui 

Ici  p't'iBdpes  réfultent  naturellement  de  la  Théologie  des  Celtes. 

**"f  n'ont         *"•  ^"  ^  affuré  ,  fans  aucun  fondement  ,  qu'ils  adoroierit  Jupiter, 

Di'uV"^V"  Apollon  ,  Se  les  autres  Dieux  des  Grecs  Se  des  Romains.  »  Hérodote 

Grecs  &  des   „  dit ,  par  exemple  (8) ,  que  les  Scythes  fervent  Vefta  ,  enfuite  Jupiter , 

H  &  la  terfp,  quils  regardent  comme  la  remme  de  Jupiter;  après  ceux-' 

»lkf  Apollon,  Venus-Uranie,  c'eft -à- dire  la  Célefte,  Mars  &  Hercule. 


(3)  Hift.  de  France  avant  Clovis ,  p.  39. 

(41  On  verra  ,  dans  la  fuite,  que  les  Peuples 
Celtes  donnoient  à  leurs  Sanftuaires  le  nom  de 
la  Divinitç  qui  y  etoit  adorée,  S*  que  les  Prêtres 
portoicnt  aufll  le  nom  du  Dieu, dont  ilsctoient 
Miniftrcs. 

(s)  Les  Scythes  ne  laiflbient  pas  de  dire  eux- 
ipimes  ^ue  U  Tetie  etoit  la  femme  de  Jupiter; 


mais  ils  le  difoient  dans  un  fens  figuré.  Voyez 
le  §.  fuivant  ,  Si  ci-defl'ouj  cliap.  VI.  $.  1 6. 

(6)  Herodot.  I.  cap.  131. 

(7)  Clitarch.  ap.  Diog.  Laert.  p.  5.  &  feq. 

(8  I  Herodot.  IV.  59  On  verra,  par  la  fuite, 
que  le  Simulacre  de  Mars  étoit ,  parmi  les  Sey* 
tHes,  une  épe'e,  ou  une  halebaide» 


y 


LIVRE    III.     C  H  A  P  I  T  R  E    m.  15 

wTous  les  Scythes  reconnoiffent  ces  Dieux,  mais  les  Scythes,  appelles 
»  Bafilii ,  c'eft-à-clire  Royaux,  offrent  auffi  des  facrifices  à  Neptune  «. 

Si  le  faitétoit  vrai,  il  faudroit  en  conckire  que  la  Religion  des  Scy- 
thes, qu'Hérodote  connoiffoit,  avoit  déjà  été  corrompue  par  le  com- 
merce des  Grecs ,  qui  avoient  établi  des  Colonies  fur  les  côtes  du 
Pont-Euxin.  Mais  ,  on  ofe  affurer  que  les  Scythes  ,  les  plus  voifins  de 
la  Grèce  ,  ne  connoiffoient  abfolument ,  dutems  d'Hérodote,  ni  Vefta  , 
fœur  ,  ou  fille  de  Saturne  ,  ni  Jupiter  ,  père  d'Apollon ,  de  Mars  , 
d'Hercule  &  de  Vénus.  Ils  donnoient  à  leurs  Dieux  d'autres  noms, 
&  ils  en  avoient  une  idée  qui  différoit  entièrement  de  celle  des  Grecs. 

Hérodote  reconnoît  la  première  de  ces  vérités  (9).  «<Ils  appellent, 
Vf  dans  leur  Langue,  Vefta  Tahiti  ,  Jupiter  Papous  ,  la  Terre  Apia , 
»  Apollon  Oetofyrus ,  Vénus -Uranie  Artimpafa  ,  Neptune  Thamima- 
M fades.»  La  féconde  n'eft  pas  moins  certaine.  On  ne  dira  pas  que, 
félon  Hérodote  (10),  Vefta  étoit  la  principale  Divinité  des  Scythes.  On 
n'alléguera  pas  que  les  mêmes  Scythes  n  erigeoient  des  Autels  qu'à 
(n)  Mars.  On  verra,  dans  la  fuite  ,  que  leur  Vefta  étoit  l'élément  mê- 
me du  feu,  Apollon  le  foleil,  leur  Neptune  l'eau.  Ils  vénéroient  toutes 
ces  parties  du  monde  vifible ,  non  qu'ils  les  regardafl"ent  comme  des 
Divinités ,  mais ,  parce  que  ,  félon  leur  opinion ,  elles  étoient  le  fiège 
d'un  Efprit,  d'une  Divinité  fubalterne,  qui  y  réfuloit.  Ce  n'étoit  pas  là 
certainement  la  Religion  des  Grecs. 

Hérodote  cherche  donc  ,  parmi  les  Scythes,  les  Dieux  que  l'on  ado- 
roit  dans  fon  Pays ,  à  peu  près  comme  les  Modernes ,  dont  on  a  parlé 
plus  haut  ,  ont  trouvé  parmi  les  Celtes ,  les  Dogmes  &  les  Cérémo- 
nies des  Juifs  &  des  Chrétiens.  Le  même  Hiftorien  remarque  (11)  que 
»  les  Perfes  offroient  des  facrifices  à  Jupiter  &  à  Vénus-Uranie.  »  Comme 
il  reconnoît  que  le  Culte  de  cette  Vénus  venoit  originairement  des 
Aflyriens  (13)  &  des  Arabes,  qui  l'avoient  communiqué  aux  Perfes, 
il  ne  fera  pas  néceftaire  de  s'y  arrêter.  On  peut  remarquer  feulement 
qu'Hérodote  fe  trompe  ,  en  affurant  qu'on  l'appelloit  en  Perfe  (  14  ) 
Methra,  Sans  examiner  ici  fi  ce  Methra ,  ou  Mithras ,  étoit  le  foleil , 


(9;  Herodpt.  IV.  59. 
(10)  Hetodot.  IV.  59. 
^11)  Hciodot.  IV.  59. 


(11)  Herodot.  I.  131. 
{13)  Herodot  I.  131. 
(14]  Heiodoi.  I.  lîi. 


i6  HISTOIRE    DES    CELTES, 

comme  (15)  Strabon  le  croit,  ou  le  Dieu  fuprême,  comme  Hefychius 
(16}  l'afîure,  ou  un  Dieu  quitenoit  le  milieu  entre  le  bon  &c  le  mauvais 
principe,  ce  qui  eft  le  fentiment  de  Plutarque  (17) ,  il  eft ,  au  moins,  cer- 
tain que  le  Dieu  Muhras  avoit  été  fervi  de  toute  ancienneté  parmi  les 
Perfes  ,  &  que,  par  conféquent ,  Hérodote  s'eft  mépris  en  le  confon- 
dant avec  la  Vénus-Uranie ,  dont  il  avoit  emprunté  le  Cuite  des  AfTy- 
riens.  Pour  ce  qui  eft  du  Jupiter- des  Perfes,  on  ne  le  regardera  affuré- 
fnent  pas  comme  une  Divinité  Grecque  ,  fi  on  veut  faire  attention  à  ce 
qu'Hérodote  ajoute  dans  le  même  endroit  (18),  que  «  les  Perfes  don- 
>>  noient  Iç  nom  de  Jupiter  à  toute  la  voûte  des  Cieux.  » 

Jules-Céfar  aflurc  aufli  (19)  que  les  Gaulois  adoroient,  fur-tout, 
»  Mercure,  &  »  après  lui,  Apollon,  Mars,  Jupiter  &  Minerve.  Ils  ont , 
»  dit-il,  à  peu  près,  le  même  fentiment,  fur  le  fujet  de  ces  Divinités, 
»  que  Içs  autres  Peuples.  »  S'il  étoit  vrai  que  les  Gaulois  euffent  connu 
&  adoré  tous  ces  Dieux,  du  tems  de  Jules-Céfar,  comment  Cicéron 
auroit-ii  pu  dire,  quelques  années  auparavant  (io),  que  les  »Gau- 
»  lois  déclaroicnt  la  guerre  aux  Dieux ,  &  à  la  Religion  de  tous  les 
»  autre?  Peuples?»  Comment  Lucain  auroit-il  pu  écrire,  plus  d'un 
demi-fiécle  après  (21),  que  les  Gaulois  penfoient  fur  le  fujet  des  Dieux 
d'une  manière  toute  différente  des  autres  Peuples  ?  La  vérité  eft  que 
Jules-Céfar  s'eft  trompé  fur  cet  article ,  comme  fur  beaucoup  d'autres 
(il),  &  qu'on  ne  peut  l'excufer  que  par  (on  à  peu  près ,  qui  lui  avoit 
été  fuggéré ,  félon  les  apparences ,  par  quelques  Gaulois ,  qui  vinrent 
lui  faire  leur  cour,  en  rapprochant,  autant  qu'il  étoit  poffible,  la  Reli- 
gion des  vaincus  de  celle  du  vainqueur. 

Il  fuffit ,  au  refte ,  de  lire ,  avec  quelque  attention  ,  cet  endroit  de 
Jules-Céfar,  pour  connoître  qu'il  fe  réfute  lui-même.  Il  afîiire,  à  la  vé- 
rité ,  que  les  Gaulois  penfoient  fur  le  fujet  de  Mercure ,  d'Apollon,  de 
Mars,  de  Jupiter,  de  Minerve,  à  peu  après  àe  la  même  manière  que 
les  autres  Peuples  ;  mais  il  avoue  ,  en  même-tems ,  que ,  félon  les  Gau- 
lois ,  Mercure  étoit  l'Auteur  du  genre  humain  ;  que  Jupiter  n'avoit  l'era- 


(iS;  Strabo  XV.  p.  73 z. 
(is]  Hefychius  ,  Lexic. 
(17)  Plutarch.  de  Ifid.  8c  Oiliid.  p.  3  «S. 
(18)  Hexodot.  1.  1$  I. 
(lî)Caefar.  VI.  17. 


(zo)  Ci-deflTus,  Chap.  II.  §.  3. 
(îi)  Ci-Heflus,  Chap.  II  §.  6. 
(22)  Koj)«i  ce  qui  a  c'té  lemirqué  ci-dcflas 
Liv.  I.  Chap.  1 3 . 

pirç 


LIVRE    III.    CHAPITRE    IV.  17 

pire  que  des  chofes  céleftes.  On  verra ,  à  mefure  qu'on  aura  occafion 
d'expliquer  tout  cela,  combien  la  Théologie  des  Gaulois  difFéroit  de 
celle  des  étrangers. 

§.  IV.  Puifque  les  Celtes  adoroient  des  Dieux  fpirituels  &  invi-     on» mal i 
fibles,  on  peut  en  conclure  qu'on  les  a  accufés  mal-à-propos  de  déifier  fes'ceices"de 
les  élémens  ,  &,  en  conféquence  ,  de  leur  rendre  un  culte  religieux.  ^^^5"'"'^** 
Nous  verrons  ,  dans  le  Chapitre  fuiv^,  ce  qui  fervoit  de  fondement  à 
cette  imputation.  Ils  croyoient  que  l'Etre  éternel  avoit  uni  à  chaque 
portion  de   la  matière  un  efprit  capable  de  donner  des  inftruftions , 
&  d'accorder  des  grâces  à  ceux  qui  le  fervoient  avec  la  dévotion  qui  lui 
étoit  due.  Mais  ils  fe  récrioient  contre  ceux  qui  leur  imputoient  d'adorer 
l'objet  qui  tombe  fous  les  fens.  Et  d'ailleurs ,  puifqu'ils  accufoient  d'ex- 
travagance   &  d'impiété  ceux  qui  adoroient  des  Dieux  vlfibles  &  cor- 
porels, ils  établiffoient,  par  cela  même,  qu'aucune  des  chofes,  que  l'on 
découvre  des  yeux  du  corps ,  ne  peut  être  une  Divinité. 

§.  V.  Enfin,  puifque  les  Celtes  ne  vouloient  pas  que  l'on  repréfentât    Lesimagei, 
la  Divinité   fous  une  forme  corporelle  ,  il  en  réfulte  néceffairement ,  s" t,i°s"'ap- 
«jue  les  images,  les  ftatues,   &  les  idoles  n'appartiennent  point  à  l'an-  ^oînt^yf",, 
cienne  Religion  de  ces  Peuples.  Partout  où  l'on  en  trouve ,  la  Religion  '!'-■'""=  ">*'*• 
étoit  déjà  altérée  &  corrompue  par  le  mélange  d'un  culte  étranger;  aufli 
Verra-t-on,  que,  dans  les  tems  les  plus  reculés,  le  fervice  des  images 
&  des  idoles  n'étoit  connu  ,  ni  en  Efpagne ,  ni  dans  la  Grande-Breta- 
gne ,  ni  dans  aucune  autre  partie  de  l'Europe. 


CHAPITRE    IV. 

§.  I.  V^UOIQUE  les  Celtes  adoraffent  des  Dieux  fpirituels  &  invi- 
fibles,  ils  avoient  une  profonde  vénération  pour  les  Elémens,  &c  pour 


LtsCsIits  v4' 
ncroie  t  Icj 


toutes  les  différentes  parties  du  monde  vifible.  On  en  donnera  une  infi-  '«""'"d'f- 

'  tccentjs   pai- 

nité  de  preuves,  &  d'exemples,  en  parlant  de  leurs  fuperftitions ,  &c  du  cksHu monde 
culte  religieux  qu'ils  rendoient  au  Feu,  à  l'Eau,  aux  Vents,  à  la  Terre, 
aux  Arbres,  aux  Rochers,  &c.  Cependant,  pour  mettre  le  Ledeur  au 
fait  de  ce  point  principal  de  la  Religion  des  Celtes,  il  faut  en  alléguer 
ici  quelques  preuves  générales. 

On  a  rapporté,  dans  le  Chapitre  précédent ,  un  paffage  d'Hérodote,  ce  culte  étok 
Tome  II,  C 


i8 


HISTOIRE    DES    CELTES, 


é  abli    parni 
les  Scyibes> 


le  niêine 
cuUe  cioïc 
établi  parmi 
les  l'ciics. 


les  Turcs 
avoient   aurtî 
le  même  cul 
tt. 


qui  dit  ()  ) ,  que  «  les  Scythes  fervent  fur-tout  Vefta  ,  enfuiîe  Jupiter ,  la 
«Terre,  Apollon,  Vénus-Uranie,  Mars,  Hercule,  &  Neptune  ;  ap- 
»  pellant  dans  leur  langue  ,  Vefta  Tahiti  ,  Jupiter  Papceus  ,  la  Terre 
»  Apia  ,  Apollon  O'étojirus  ,  Vénus  - Uranie  Ardmpafa  ,  &  Neptune 
»  Thamimafades.  Vefla  étoit  VElcnunt  du  Feu  ^  Thamimafades,  cdui  de 
»  VEau ,  Appia,  la  Terre  ,  Oëtofirus  U  Soleil ,  Artiaipafa  étoit ,  peut- 
»  être  (ï) ,  la  Lune».  L'Hiftoriei|||joute  (3)  que  «  les  Scylh^font  dans 
»  l'opinion ,  qu'il  ne  faut  confacrer  des  fimulacres ,  des  temples  &  des 
«autels  qu'à  Mars»  Nous  verrons,  en  fon  lieu,  que  le  fimulacre  de 
Mars  étoit  uneépée,  ou  une  halebarde,  l'autel  un  tas  de  faifceaux,  & 
le  temple  une  campagne ,  un  lieu  découvert.  Il  fuffit  de  remarquer  ici , 
que  les  Scythes  joignoient  au  culte  de  Mars,  qui  étoit  leur  grande  Di- 
vinité ,  celui  du  Feu ,  de  l'Eau ,  de  la  Terre  ,  du  Soleil ,  &  de  la  Lune. 

Les  Perfes  ne  différolent  point ,  à  cet  égard ,  des  Scythes ,  dont  ils 
étoicnt  apparemment  defcendus.  «  Ilsont  coutume,  dit  encore  Hérodote 
»  (4),  de  monter  fur  les  plus  hautes  montagnes  ,  &  d'y  immoler  des 
»  vidlimes  à  Jupiter,  appellant  de  ce  nom  toute  la  voûte  des  Cieux*  11$ 
»  offrent  encore  des  facrifices  au  Soleil  ,  à  la  Lune,  à  la  Terre,  au 
w  Feu,  à  l'Eau,  &  aux  Vents.  Ce  font-là  les  feuls  Dieux  qu'ils  fer- 
»  vent  de  toute  ancienneté  ».  Strabon  rapporte  la  même  chofe  (  5  )  ;  U 
ajoute,  i.®  que  «les  Perfes  appelloient  le  Soleil  Mithra  ,  2.®  qu'ils 
»  offroient ,  fur-tout ,  des  facrifices  à  l'Eau  &  au  Feu  ». 

Joignons  aux  Scythes ,  &  aux  Perfes ,  les  Turcs ,  qui  étoient  un  autre 
Peuple  de  l'Orient ,  établi  autour  du  mont  Caucafe.  Théophilafte  Simo- 
catta.  Ecrivain  du  VIII.*^  fiecle,  dit  (6)  «  qu'ils  avoient  un  grand  ref- 
»  peu  pour  le  Feu  ,  &  qu'ils  vénéroient  encore  l'Air  &  l'Eau ,  & 
»  qu'ils  célébroient  la  Terre  dans  leurs  hymnes.  Cependant ,  ajoute 
»  cet  Auteur ,  ils  n'adoroient  ,  &  n'appelloient  Dieu ,  que  -celui  qui 
»  a  fait  le  Ciel  &  la  Terre.  C'eft  à  ce  Dieu  (  unique  )  qu'ils  immo- 
»  loient  des  chevaux,  des  bœufs,  des  brebis,  fe  fervant,  pour  cela, 
»  du  miniftère  de  leurs  Sacrificateurs ,  auxquels  ils  attribuoient  le  don  de 
»  prédire  l'avenir  ». 


(1)  Herodot.  IV.  s»- 

{i\  C'eft  le  fentiment  de  Voflîus  ie  Orig.  & 
Tmir.  Uol.  lib.  II.  cap.  zi,  p.  loj.  Vir/tx, ci-deC- 
fous  Chap.  13. 


(jj  Herodot.  IV.  59. 

(41  Herodot.  I.  131. 

(s)StraboXV.  p.  732. 

(«)The»phyl,  Sira.Hb.  VU,  cap.  j,  p.  Ij*. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    IV.  19 

§.  II.  Le  culte  des  Elémens  &  de  toutes  les  différentes  parties  du  monde  cecuUeétoit 
étoit  auffi   reçu  dans  tout   l'Occident.    Les    Gaulois  regardoient  (7)  cheî'iesGau- 
Mercure  comme  le  plus  grand  des  Dieux  ;  mais  ils  adoroient  avec  lui  ^^^^•^^l^)'-^ 
Apollon  &  Jupiter,  c'eft-à-dire ,  le  Soleil,  &  un  Dieu  qui  préfidoit  à  ^^^ulf ''"' 
l'air.  Canut ,  Roi  d'Angleterre ,  défendant  par  un  Edit  l'idolâtrie  payen- 
ne ,  qui  n'étoit  pas  entièrement  détruite   dans  fes  Etats ,  la  définit  de 
cette  manière  (  8  )  :  «  Ce  que  nous  entendons  par  l'Idolâtrie  payenne  , 
Mc'eft  lorfqu'on  fert  les  Idoles,  (c'eft-à-dire,  les  Dieux  des  Gentils,  ) 
»  comme  font  le  Soleil,  la  Lune,  le  Feu,  une  Eau  courante,  des  Fon- 
»  taines ,  des  Pierres ,  avec  toute  forte  d'Arbres  &  de  Forêts  ».  On  voit 
là,  que  le  culte  ,  ou  l'idolâtrie  des  anciens  Bretons,  avôit  ptécifément 
le  même  objet  que  celle  des  Scythes ,  des  Perfes,  &  des  Turcs.  Jules-Céfar 
affure  aulli  (9),  que  «  les  Germains  ne  reconnoiffoient  point  d'antres 
»  Dieux  que  ceux  qu'ils  voyoient ,  &  dont  ils  éprouvoient  manifefte- 
n  ment  le  fecours,  le  Soleil,  la  Lune ,  Vulcain.  Ils  ne  connoiffoient  point 
»  les  autres ,  non  pas  même  par  la  renommée  ». 

Quoique  Jules  Céfar  ne  connût  guères ,  ni  les  Germains ,  ni  leur  Re- 
ligion ,  il  eft  vrai  cependant  qu'ils  rendoient  un  culte  religieux  au  So- 
leil ,  à  la  Lune  ,  &  au  Feu.  Agathias  ,  qui  écrivoit  dans  le  VI  fiecle  fur  de 
très  bons  mémoires,  remarque  (10)  que  «les  Allemands,  fournis  aux 
»  Francs,  fervoient  encore  des  Arbres,  des  Eaux  courantes,  des  Cô- 
»>  teaux  ,  des  Vallées  ;  qu'ils  leur  ofFroient  des  chevaux ,  &  d'autres 
»  viâimes  ,  auxquelles  ils  coupoient  la  tête  ».  Les  Germains  étoient  fi 
prévenus  en  faveur  de  ce  culte ,  qu'il  fallut  des  ficelés  entiers  pour 
le  détruire  parmi  eux.  «Cette  génération,  difoit  Grégoire  de  Tours 
»>(ii),en  parlant  des  Francs,  a  toujours  été  attachée  à  des  cultes 
»  fanatiques  ,  &  n'a  point  connu  Dieu.  Ils  fe  font  imaginés  des  Fo- 
»  rets,  des  Eaux,  des  Oifeaux,  des  Animaux,  ou  des  formes  (11)  d'au- 
»  très  Elémens ,  &  fe  font  accoutumés  à  les  fervir ,  &  à  leur  offrir 
»  des  facrifices ,  comme  s'ils  étoient  Dieu  ».  Delà  tant  de  Capitulaires 

w  I  '  1111  I 

(7)  Cafar  VI.  1.7.  i       (12)  Sil/i  finxêre  farmits.  Ces  mots  lignifient 

(t)    L.  L.  Politic.  Cinuti    Régis  cap.  $.  ap.     que  les  Francs  repa'rentoient ,  dans  des  images, 
Lindcnbiog.  in  Gloffar.  p.  1473.  des  foitts  ,   des  eaux,  &  qu'ils  rendoient  3  ces 

(9)  Cafar  VI.  21.  images   un   culte   Religieux.    Mais    ce  n'étoit 

(i«)  Agathias  lib.  I.  p.  18.  point   là  la  pratique  des  Francs,   non  plus  que 

(il)Gregot.  Turon.  lib.  II.  17».  {  selle  des  autres  Peuples  Germains. 

Cl 


20 


HISTOIRE    DES    CELTES, 


(  13  )  des  Empereurs,  &  de  Canons  des  (  14  )  Conciles ,  qui  défendent 
«  de  s'affembler  autour  des  arbres  ,  des  rochers  ,  des  fontaines  ,  des 
»  carrefours  ,  d'y  allumer  des  bougies  &  des  flambeaux  ,  ou  d'y 
»>  pratiquer  quelqu'autre  fuperftition  ».  Les  Saxons  ,  qui  demeuroient 
au-delà  de  l'Elbe  ,  n'étoient  pas  encore  revenus  de  ces  abus  dans  le  XHLg 
fiecle.  C'eft  la  remarque  d'Helmoldus  (  1 5  )  :  «  Ils  donnoient  dans  beau- 
»  coup  d'égaremens  &  de  fuperftitions ,  par  rapport  au  culte  des  Forêts 
»  &  des  Fontaines  ». 
Ltsanc'ens      Qq  ^ulte   des  Elémens  étoit  commun  aux  anciens  Grecs,  avec  les 

Crées  COI  fer  _  ... 

»ôie:it le mê- autres  Habitans  de  l'Europe.  «Autant  que  je  puis  en  juger  (i6)» 
»  difoit  Platon^  les  premiers  Habitans  de  la  Grèce  fervoient  les  mêmes 
»  Dieux  que  plufieurs  Barbares  reconnoiflent  encore  aujourd'hui  ,  le 
»  Soleil ,  la  Terre ,  les  Aftres ,  le  Ciel  ».  Epicharmus ,  qui  paffe  pour  avoir 
été  Difciple  de  Pythagore,  fuivoit,  félon  les  apparences,  les  anciennes 
idées,  quand  il  difoit  (17),  que  «  les  Vents,  le  Soleil,  la  Terre,  l'Eau, 
»  le  Feu  ,  &  les  Aftres  étoient  des  Dieux  ». 

Enfin  les  Sarniates ,  peuple  différent  des  Celtes ,  étoient  parfaitement 


tac  culie. 


"  '"l'rditté-  d'accord  avec  eux  fur  cet  article.  «  Ils  ne  reconnolfToient,  au  rapport  de 


Les  Sarmates 

ré.icroi 
aulli  le: 

iumoude'."  **  Procope  (18),  qu'un  feul  Dieu,  qui  lance  la  foudre  ,  &  qui  eft  le  maître 
»  de  l'Univers;  ils  lui  immoloient  des  bœufs  ,  &c  d'autres  viûimes;  mais 
»  ils  vénéroient  auffi  les  Fleuves ,  les  Nymphes  ,  &  d'autres  Divinités 
»  fubalterrfes,  auxquelles  ils  offroient  des  facrifices;  le  but  de  ces  facrifîces 
»  étoit  les  divinations  » ,  c'eft-à-dire  ,  qu'ils  cherchoient  à  connoître 
l'avenir  par  le  battement  du  pouls,  &  par  les  entrailles  des  viftimcs. 

§.  III.  Il  paroît,  par  tout  ce  détail ,  que  les  Celtes  rendoient  un  culte  re- 
ligieux, i."  à  ce  que  les  Philofophes  ont  appelle  les  Elémens,  c'eft-à-dire, 
au  Feu ,  à  l'Eau ,  à  l'Air  &  à  la  Terre.  2.**  à'toutes  les  différentes  parties  du 
inonde  vifible,  au  Soleil,  à  la  Lune ,  aux  Aftres  ,  à  la  voûte  des  Cieux, 
aux  Arbres,  aux  Forêts,  aux  Fleuves,  aux  Fontaines,  aux  Pierres,  aux 
Rochers.  3."  à  ce  qui  réfulte  de  la  combinaifon ,  ou  du  combat  des 
Elémens,  comme  font  les  Vents ,  la  Foudre,  les  Tempêtes.  4.^  Enfin  il 


^131  Cipit  Kar.  M.  lib.  I.  Tit.  «4.  p.  23s. 
lib.  VII.  Tit.  336.  p.  1093. 

( 1 4'  Buichaid.  Colleft.  Canon,  lib.  X, cap.  3  2. 
lib.  XIX.  p.  170.  ap.  Lingenbrog.  in  Gloflar. 
pag-  Ï3S7    '3S0- 

(15)  Helmold.  Ckion.  SUt.  cap.  ^8.  p,  xoC. 


{  16  )  JPlato  in  Cratylo,  &  ex  illo  Eufeb. 
Fizp.  Evang.  lib   III.  cap.  1 1. 

(  17  )  Menandei  ap.  Stobceum  Seim.  2îJ, 
pagTSS- 

(i  8)  Ftocop.  Goth.  lib.  m.  cap.  14.  p.4»>. 


ne 


LIVRE     Iir.    C  H  A  P  I  T  R  E     IV.  îi 

n'y  avoit  pas  jufqu'au  vol  &  au  chant  d'un  Oifeau ,  &  au  henniflement 
d'un  Cheval ,  qui  ne  fut,  pour  eux ,  un  objet  d'un  refpeft  &  d'une  frayeur    » 
religieufe.  Grégoire  de  Tours  l'infinue  dans  un  (  1 9  )  pafîage ,  déjà  cité , 
&  l'on  aura  occafion  de  le  prouver  amplement  dans  la  fuite. 

§.  IV.  Ce  n'eft  pas,  cependant ,  qu'ils  regardaflent  les  êtres  vifibles  &  r.-i  celte* 
matériels  comme  des  Divinités.  On  vient  de  montrer  qu'ils  en  étoient  pis  ie,  eiL 
acciifés;  &  on  ne  peut  pas  difconvenir,  qu'ils  ne  donnaffent  lieu  à  l'im-  ""°'  ^  '" 
putation  ,  puifque  leur  culte  avoit  toujours  un  objet  vifible.  do  moDie 

rr  n  »'i  ■  r  cou. ■.•des 

Quelques  Auteurs  aluirent  même  qu  ils  avouoient,  fans  aucun  détour,  Divinité^ 
que  les  Elémens  étoient  de  véritables  Divinités.  Ainfi  Caffiodore  di- 
foit  (10)  que  «les  Perfes  appellent  Mages  ceux  qui  déifient  les  Elé- 
»  mens  ».  On  trouve  auffi ,  dans  Diogène  Laërce ,  un  paflage  de  Clitar- 
que,  qui  porte  (11),  que«  les  Mages  raifonnoient  beaucoup,  tant  fur 
»  l'eflence  ,  que  fur  l'origine  des  Dieux,  &c  qu'ils  étoient  dans  l'idée  que 
»  le  Feu  ,  la  Terre  &  l'Eau  étoient  des  Dieux  ,  ou  que  les  Dieux 
»  étoient  compofés  de  feu  ,  de  terre  &  d'eau  ». 

Mais  il  eft  confiant  que  ces  Auteurs ,  6c  tous  ceux  qui  ont  affuré  la 
même  chofe ,  fe  font  trompés.  D'un  côté ,  la  contradiûion  eft  {enfible. 
Comment  des  Peuples  ,  qui  adoroient  des  Dieux  fpirituels  ,  invili- 
bles  ,  qui  ne  vouloient  pas  qu'on  repréfentât  les  Dieux  fous  la  forme 
humaine ,  auroient-ils  pu  foutenir ,  en  même  tems ,  que  les  objets  vifi- 
bles étoient  de  véritables  Divinités  ?  D'un  autre  côté  ,  les  Celtes ,  aulieu 
de  convenir  que  les  Elémens ,  &  les  chofes  corporelles  fuffent  des  Dieux, 
fe  récrioient  contre  ceux  qui  les  accufoient  de  l'enfeigner.  Rien  de  plus 
formel  que  la  déclaration  des  Turcs,  rapportée  ci  -  deflus  §.  I.  note  6  ; 
»  ils  n'adoroient ,  &  n'appelloient  Dieu ,  que  celui  qui  a  fait  le  Ciel 
»  &c  la  Terre  ».  Les  PerfeS*s'exprimoient  d'une  manière  qui  n'étoit 
pas  moins  pofitive,  comm»  M.  de  Beaufobre  l'a  prouvé  dans  fon  ffif- 
toire  du  Manichéifmc  (22),  qui,  malgré  les  contradiûions  qu'elle  a  ren- 
contrées ,  fera  toujours  recherchée  &  eftimée  par  tous  ceux  qui  fouhai- 
tent ,  non-feulement  de  connoître  l'héréfie  de  Manès ,  mais  encore  de 
voir  clair  dans  l'Hiftoire  de  l'ancienne  EgHfe. 

On  montrera  auiTi ,  dans  le  Chapitre  fuivant ,  que  tous  les  Peuples 

(19)  Grcgor.  Taron.  Hb.  H   p.  27».  |       (îi)  Hift- du  Manich.  I.iy.II.  Ch.  I.  p.  i<». 

(20)  Hift.  Tripart.  lib.  X.  cap.  30.  p.  363.  &  fuiv,  Liv.  IX.  Ch.  I.  p,  «oo.So?. 
(ziJDiog  Lacrt.  Piocin.  p.  5.  8c  feq.              j 


z^  HISTOIREDES     CELTES, 

Celtes ,  en  général ,  reconnoifToient  uri  feul  Dieu ,  un  Être  fuprême  &  éter- 
nel, quoiqu'ils  admiffcnt,  en  même  tems,  une  théogonie  ,  c'efl: -  à-dire , 
une  produftion  des  Divinités  fubalternes  ,  qu'ils  plaçoient  dans  les  dif- 
férentes parties  du  monde  vifible. 
içs  Celtes  ne      §.  V.  Si  Ics  Celtcs  ne  regardoient  pas  les  Elémens  comme  des  Dieux, 
y.u  u.cme  Us  ils   ne  les   conuderoient  pas  ,  non  plus ,  comme  de  fimples  images  de 
mcX'iîmpicI  la  Divinité.  Quelques  Anciens  l'ont  cru.  Ils  ont  prétendu  que  les  Celtes, 
li"vi'nitéf'  '*  &  les  Barbares  ,  en  général  ,   adoroient  ,  les  uns  des  Arbres  ,  parce 
qu'ils  font  les  emblèmes  d'une  Divinité  bienfaifante ,  qui  protège ,  &c 
qui  nourrit  les  hommes,  &  les  autres,  l'Eau,  &  le  Feu,  parce  que 
la  rapidité  &  la  force  de  leur  adion ,  font  le  fymbole  de  la  manière  effi- 
cace dont  l'Être  fuprême  opère  dans  le  monde. 

C'eft  la  remarque  de  Maxime  de  Tyr  (13)  :  «Les  premiers  hommes 
»  ont  confacré  pour  fimulacres  à  Jupiter ,  le  fommet  des  plus  hautes 
»  Montagnes  ,  comme  de  l'Olympe,  &  du  Mont  Ida.  Dans  d'autres  en- 
»  droits  ,  on  honore  les  Fleuves.  C'eft  ainfi  que  les  Egyptiens  véné- 
»  rent  le  Nil ,  à  caufe  de  fon  utilité  ;  les  Theflaliens  ,  le  Pénée ,  à  caufe 
»de  fa  beauté;  &  les  Scythes,  le  Danube,  à  caufe  de  fa  grandeur. 
»  Les  Barbares  admettent  tous  une  Divinité ,  mais  chaque  Peuple  a 
»  des  fimulacres  différens.  Parmi  les  Perfes ,  c'eft  le  Feu ,  cet  élément 
»  vorace  &c  infatiable ,  qui  ne  dure  qu'un  jour.  Ils  lui  rendent  un  culte 
»  religieux,  &,  en  jettant  dans  le  Feu  des  matières  combuftibles,  ils  lui 
»  difent ,  Dévores  ,  ô  Seigneur  !  Les  Celtes  adorent  auffi  Dieu  ;  mais 
»  le  fimulacre  de  Jupiter  eft ,  parmi  eux ,  un  grand  Chêne.  Les  Pœo- 
♦>  niens  fervent  le  Soleil ,  dont  le  fimulacre  eft ,  au  milieu  de  ce  Peuple , 
>)  un  petit  difque ,  attaché  à  une  longue  perche.  Les  Phrygiens  ,  qui 
w  demeurent  dans  le  voifinage  de  la  Vill^de  Celene ,  fervent  les  deux 
»> Fleuves,  appelles  Marfyas  &  Méandre,  que  j'ai  eu  occafion  devoir. 
»  Us  jettent  dans  l'eau  les  cuifTes  de  la  viôime,  en  célébrant  le  nom 
»  du  Fleuve ,  auquel  ils  ont  offert  le  facrifîce.  Les  Cappadoces  donnent 
»  à  une  Montagne  le  nom  de  Dieu  ;  ils  jurent  par  cette  Montagne ,  & 
»  &  la  regardent  comme  le  fimulacre  du  Dieu  qu'ils  adorent.  Les  Peu- 
wples,  qui  demeurent  autour  des  Palùs-méotides ,  ont  la  même  vé- 
wnération  pour  ce  Lac,  &  les  Maffagetes ,  pour  le  Tanaïs  ».  Clément 
»'.         '■'■  I  I.  .    ,  —       I  .    - 

(ï;)  Maxim.  Tyt.  DiO'.  }  8.  p.  45  i-4<e. 


LIVRE     III.     C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  13 

d'Alexandrie  cite  aiiffi  le  pafTage  d'un  ancien  Hiftorien  ,  nommé  Dinon, 
qui  porte  (14)  que  «les  Perfes ,  les  Médes  &c  les  Mages  regardent 
»  le  Feu  ,  &  l'Eau ,  comme  les  feuls  fimulacres  des  Dieux  ». 

§.  VI.  Il  faut  avouer  que  nous  avons  été  long-tems  dans  une  opi- 
nion peu  différente  des  Auteurs  cités.  Comme  il  eft  certain,  i."  Que 
les   Peuples  Scythes    &   Celtes   tenoient    leurs  Affemblées   civiles   & 
religieufes  en  plein  air,  fur  de  hautes  Montagnes ,  dans  des  Forêts,  près 
des  Fleuves,  &  des  Fontaines,  autour  d'un  monceau  de  pierres.,  &(c. 
2.^  Qu'ils  donnaient  à  leurs  Sanctuaires  le  nom  du  Dieu  qui  y  étoit 
adoré ,  nous  avons  cru  qu'on  les  avoit  accufés  ,  par  ces  raifons ,  d'a- 
dorer des  Montagnes,  des  Arbres,  des  Fleuves,  des  Fontaines,  des  pier- 
res. Nous  avons  foupçonné  encore  qu'on  les  accufoit  d'adorer  le  Feu  , 
parce  que ,  tenant  la  plupart  de  leurs  Affemblées  de  nuit,  ils  avoient  cou- 
tume d'y  porter  chacun  fa  chandelle,  ou  fon  flambeau,  &  de  s'y  chauf- 
fer, pendant  le  fervice ,  autour  d'un  grand  Feu.  Mais  nous  nous  femmes 
apperçus  que  nous  nous  étions  trompés ,  &  que  ces  conjedures  n'étoient 
pas  plus  fondées  ,  que  celles  qu'on  a  rapportées  dans  le  paragraphe  pré- 
cédent. Ces  Peuples  (25  )  jettoient  dans  les  Fleuves,  &  dans  les  Fon- 
taines, une  partie  des  vidimes  qu'ils  avoient  immolées  ,  ils  faifoient  af- 
perfion  (1.6)  de  leur  fang  fur  les  Arbres  confacrés  ,   ils  fourniffoient 
des  alimens  au  Feu  ,  en  lui  difant  (27)»  Dévores  ,  ô  Seigneur!  De 
femblables  fuperftitions  prouvent ,  qu'ils  ne  croyoient  pas  même  que  le 
Feu ,  l'Eau,  &  les  Arbres  fuffent  de  fimples  images  de  la  Divinité. 

§.  VII    Le  véritable  fondement  du  culte  que  les  Peuples  Celtes  ren-     tes  celtes 
doient  aux  différentes  parties  du  monde  vifible ,  c'eft  l'opinion  où  ils  "u7  chaque 
étoient,  que  chaque  Elément,  chaque  être  corporel ,  étoit  le  fiége ,  ou  monde vl'iîbie 
le  Temple  d'une  Divinité  fubalterne,  quiy  réfidoit ,  qui  en  dirigeoitles  f'L 'remp^e 
opérations  ,  &  qui  en  falfoit ,  pour  ainfi  dire,  l'inflrument  de  fa  libéra-  «J'""'  '"""'' 
lité  envers  les  hommes.  C'étoit  proprement  à  cette  Intelligence ,  &  non  q 
à  l'objet  vifible,  qu'ils  rendoient  un  culte  religieux. 

On  a  déjà  produit  quelques  preuves  de  cette  vérité.  Il  fera  bon  de 
rapporter  aufTi  ce  que  les  Habitans  de  l'Ifle  de  Thulé  penfoient  fur  cet 


jellc  ilsrcn- 
oiciituncuU 
te  religieux. 


(14)  Clem.  Alex.  Cohort  ad  gent  p.  î«. 
(tS    Msrim.  Tjrr.  Diff.  3».  p.  +s  l-4«o.  Voytz. 
ci-deflous  Ch.  IX. 

(26)  On  auia  occalïon  de  pailei  de  cette  cou- 


tume ,  m  lepreTcntant  les  cc're'monics  de  la  Re- 
ligion des  Celtes. 

(17)  Maxim.  Tyr.  Difl",  38.  p.4sI-4<o. 


14  HISTOIRE    DES    CELTES, 

article,  du  téms  de  Procope ,  qui  écrivoit  fon  Hiftoire  au  commence- 
ment du  lixieme  fiecle  (28).  Ctéfias  (19),  Pythéas  de  Marseille,  &  plu- 
fieurs autres  Hiftoriens  ,  &  Géographes,  avoient  dit  beaucoup  de  chofes 
incertaines  &  fabuleuies  de  cette  Ifle.  Elle  commença  d'être  mieux  connue 
fous  l'Empire  de  Juftinicn  (30),  parce  que  les  Hérules,  qu'Anafthafe,  l'un 
de  fes  Prédcceffeurs ,  avoit  reçus  &  établis  dans  une  contrée  de  l'Illyrie, 
ayant  tué  leur  Roi  Ochon  dans  une  émeute  ,  envoyèrent  des  Ara- 
baffadeurs  dans  cette  Ifle,  où  une  partie  de  leur  Nation  étoit  établie, 
pour  y  chercher  des  Princes  qui  fuffent  de  la  race  royale.  Ce  que  des 
perfonnes ,  qui  avoient  été  de  l'ambaffade ,  racontèrent  à  Procope  de 
la  fituation  de  Tlfle,  convient  aflez  à  l'Iilande  (3 1)  :  «  Elle  étoit  au-delà 
»  du  Dannemarck ,  &  au  Nord  de  la  Grande-Bretagne.  Le  Soleil  ne  s'y 
»>  couchoit  pas  pendant  quarante  jours  de  l'Eté ,  &  ne  s'y  montroit 
»  point  pendant  quarante  jours  de  l'Hiver».  Cependant  (32)  Grotiiis 
prétend  que  l'IUe  de  Thulé  n'eft  pas  l'Iflande,  mais  la  Scandinavie  , 
parce  que  c'eft-là  que  l'on  trouve  les  Schrltifirmcs ,  &  les  Gantes ,  que  Pro- 
cope place  dans  l'Ifle  dont  il  fait  la  defcripîion,  C'eft  une  quelHon  qu'il 
n'importe  pas  de  décider. 

Quelque  parti  que  l'on  prenne,  11  fera  toujours  confiant  que  les  Iflan- 
dois ,  ou  les  Suédois ,  du  Vl.e  fiecle ,  étoient  des  Peuples ,  qui  n'avoient 
aucun  commerce  avec  les  Nations  policées ,  &  que ,  par  conféquent , 
leur  Théologie  n'étoit  pas  encore  altérée  par  des  idées  étrangères.  Voici 
ce  qu'elle  portoit  fur  le  fujet  que  nous  examinons.  «  Ils  fervent,  dit 
w Procope  (33),  plufieurs  Dieux  &  plufieurs  Génies,  qu'ils  placent 
«dans  le  Ciel,  fur  la  Terre,  dans  l'Air,  &  dans  la  Mer.  Ils  ont  en- 
M  encore  d'autres  Divinités  moins  confidérables ,  qui  réfident,  comme 
w ils  le  croyent,  dans  les  Eaux  courantes,  &  dans  les  Fontaines.  Soi- 
w  gneux  à  leur  immoler  des  viâimes  de  toute  efpèce ,  ils  regardent  l'homme 
»  comme  la  plus  excellente  de  toutes  les  viâimes.  Auffi  le  premier  pri- 
»  fonnier  ,  qu'ils  font  à  la  guerre,  eft-il  immolé  k  Mars,  qui  palîe  chez 
Y>  eux  pour  le  plus  grand  des  Dieux  ». 

§.  VIII,  La  Théologie  des  Scythes,  &  des  Celtes,  ne  différoit  donc  point, 


(zf)  S^ivius  ad  Géorgie.  I.  v.  jo.  p.  64.  BOf 
fhatt.  Canaan  lib.  I.  cap.  40.  p.  72C. 

(fs)  Strabo  lib.  I.  p.  «3.  lib.  IV.  p.  loi. 
(jo)  Ptocpp.  Gotth.  Ub.  K.çap.  ij.p.41}. 


(31)  Frocop.  ubi  fuprà. 

(  2 1)  Grot.  in  Prafat.  ad  Procop. 

{i})  Piocop.  Gotk.  lib.  II.  cap,  ij,  p.  424. 

au 


LIVRE    III.     C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  ij 

au  moins ,  à  cet  égard ,  de  celle  des  Chinois,  qui,  reconnoifiant  un  Dieu 
liiprême ,  alignent  encore  à  chaque  être  corporel  une  Intelligence  parti- 
culière ,  qu'ils  appellent  l'Efprit  de  la  Montagne  ,  l'Efprit  du  Fleuve  ^ 
&c.  On  n'oferoit  pas  afTurer,  comme  quelques-uns  l'ont  fait ,  que  Pytha- 
gore  eût  pris  des  Celtes  la  plus  grande  partie  de  fa  Philofophie ,  & , 
en  particuUer ,  la  Doûrine  des  Elémens  ,  ou  des  Efprits.  Il  eft  vrai  que 
ce  Philofophe  avoit  fait  un  voyage  en  Thrace.  L'Hiftorien  Hermippus 
avoit  même  remarqué  ,  au  rapport  de  Jofephe  (34)  ,  que  «  Pythagore 
M  avoit  fuivi  ,  en  plufieurs  chofes ,  le  fentiment  des  Thraces  ».  On 
fait  d'ailleurs ,  que  ce  Philofophe  pafla  les  dernières  années  de  fa  vie 
dans  la  Grande-Grèce  ,  c'eft-à-dire ,  dans  le  Royaume  de  Naples.  Il  n'eft 
pas  impoffible ,  par  conféquent ,  qu'il  ait  connu  la  Théologie  des  Samnites , 
&  des  Peuples  Celtes,  qui  demeuroient  dans  le  voifinage  de  Crotone 
&  de  Métaponte.  C'eft  ce  qu'infmue  le  paffage  d'un  Pythagoricien,  que 
l'on  trouve  dans  Clément  d'Alexandrie.  Il  porte  (35)  que  fon  Maître 
avoit  entendu  Us  Gaulois.  Mais  Pythagore  avoit  aufîi  parcouru  l'Egypte, 
la  Phénicie  &  l'Affyrie  :  on  voit  même  affez  clairement ,  dans  ce  que 
les  Anciens  rapportent  de  fes  Dogmes ,  qu'il  en  avoit  emprunté  une 
bonne  partie  des  Chaldéens,  des  Mages,  &  des  Prêtres  Egyptiens. 

Il  faut  avouer,  cependant,  que  la  Théologie  de  Pythagore  appro- 
choit ,  par  rapport  à  plufieurs  articles ,  de  celle  des  Celtes.  On  le  prou- 
vera dans  la  fuite.  Il  fuffira  de  remarquer  ici ,  que  ce  Philofophe  regar- 
doit  la  Divinité  comme  l'ame  do  monde  (36).  «Il  appelloit  Dieu 
«l'efprit  qui  eft  répandu  dans  les  différentes  parties  de  l'Univers,  & 
»»  qui  donne  la  vie  à  tous  les  animaux  ».  C'étoit  aufli  le  fentiment  des 
Celtes  ,  avec  cette  différence  que  Pythagore  femble  n'avoir  reconnu 
qu'un  feul  Efprit  répandu  par  tout  l'Univers ,  au  lieu  que  les  Celtes 
admettoient  un  grand  nombre  d'Intelligences  ,  qui  avoient  chacune  leur 
département  particulier,  fous  la  direûion  de  l'Etre  fuprême.  Au  relie, 
on  convenoit  de  part  &  d'autre,  que  Dieu  remplit,  pénétre ,  anime , 
&  dirige  tous  les  êtres  corporels,  &  en  particulier ,  les  animaux,  qui 
ne  vivent  &  ne  refpirent  qu'autant  qu'ils  participent  à  la  vie  de  la  Divi-: 


Félix  'cap.  19.  p.  17S.  Salvian.  de  Frovid   lib,  I. 
p.  4.  LaAtnt,  Infiitut.  lib.  I.  cap.  s-  de  Iià  c.  a. 


{34)  Jofeph.  Cont.  App.  lib.  I    22.  p.  1345. 
(3$)  Clem.  AlcX'Strom.  lib. I.  cap.  15.  p.  3S>' 
(3«)CiccrodeNat.  Deoi.Ub.  I.cap.  }7.Mi«, 

Tome  II»  /  JQ( 


î6  HISTOIRE    DES    CELTES, 

nitc.  C'eft  fur  ce  principe,  qui  étoit  également  reconnu  par  les  Pythago» 

rlciens  6i  par  les  Druides ,  que  les  uns  &c  les  autres  fondoient  une  infinité 

de  divinations,  qui  leur  étoient  communes;  il  en  fera  queftion  en  fon 

lieu.  Indiquons  préfentement  quelques-unes  des  principales  conféquences- 

que  l'on  tiroit  du  Dogme  dont  on  vient  de  parler,  &  qui  étoit  reçu 

univerfellement  dans  toute  la  Celtique. 

conftqueii.      §.  IX.  Adorant  des  Dieux   fpirituels  ,    qu'ils  croyoient  unis  d'une 

cdtmiioinit  manière  étroite  &C  intimera  toutes  les  différentes  parties  du  monde ,  les 

uté''df  î'i"r.'  Celtes  concluoient  de-là ,  premièrement ,  qu'il  ne  faut  pas  leur  bâtir  des 

irne^aut'"'  TempIcs,  ni  leur  confacrer  des  Images  &  des  Statues.  «Ce  n'eft  pas, 

point  bàïii     »  difoient-iis  ,  dans  des  Temples,  ni  dans  des  Idoles,  faites  de  main 

à  u  Divinité.  ».  d'hommes  ,  que  la  Divinité   réfide.  Ce  n'efl:  pas  -  là  qu'elle  opère , 

»  &  qu'elle  prononce  des  Oracles.  Unie  naturellement  à  fes  propres 

»  ouvrages  ,  n'ayant  point  d'autre  Temple  que  l'Univers  même,  elle 

»  ne  peut   s'unir  aux  ouvrages  de  l'homme  ,  qui  font  trop  imparfaits 

»  pour  la  recevoir ,  &c  trop  petits  pour  la  contenir.  Il  faut  donc  fer- 

»  vir  Dieu  ,  &  le  prier    dans  les  lieux  où  il  réfide ,  où  il  répond  à 

»  ceux  qui  le  confultent ,  &  non  pas  dans  les  Temples ,  où  il  ne  fe  trouve 

«point.  On  ne  fait  même  qu'arrêter  &c  fufpendre   l'aftion  de  la  Di- 

»  vinité ,  en  féparant  les  parties  du  monde  vifible.  Il  faut  lui  laiffer  le 

M  paffage  ouvert  &  libre  ,  û  l'on  veut  qu'elle  pénétre  la  matière  ,  & 

»  qu'elle  y  déployé  fon  efficace  ». 

C'étoit-là  la  Do(^rlne  des  Germains  (37).  «Ils  ne  croyoient  pas 
»  qu'il  convînt  à  la  grandeur  des  Dieux  céleftes  ,  de  les  renfermer 
»  dans  l'enceinte  des  murailles ,  ni  de  les  repréfenter  fous  aucune  forme 
»  humaine  ».  C'étoit  la  Théologie  des  (38)  Perfes.  «  Ils  ne  voulolent 
M  pas,  dit  un  ancien  Commentateur  (39)  de  Cicéron  ,  que  l'on  bâtit 
»  des  Temples  aux  Dieux  ;  &  cela  d'autant  plus  que  le  monde  entier 
wfuffit  à  peine  au  feul  Soleil»,  c'eft-à-dire,  que  ce  feul  Dieu  remplit 
le  monde  entier  de  fa  lumière,  &  de  fa  chaleur,  &  qu'il  feroit  peut- 
être  capable  d'en  remplir  encore  d'autres.  Cicéron  lui-même  remar- 
que (40) ,  que  «  Xerxès ,  par  le  confell  de  fes  Mages ,  fit  mettre  le  feu 


(37)  Vojcz.  ci-dcITus  Ch.  III.  §.  ».  jiot.  1.        I       (40)  Cicero  de  Legib.  lib.  H,  p.  jjj^.  Vtyn. 
(js)  C'-deffus  Chap.  III.  §.  1.  n.t.  i.  j  ci-deflbtts  Chay.  IX.  §.  j. 

(39}  Afconius  Pedianus  in  Vet.  II.  | 


LIVRE    III.    C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  17 

»  à  tous  les  Temples  des  Grecs ,  parce  que  ces  Peuples  renfemioient 
»  dans  des  murailles  les  Dieux  ,  auxquels  tout  doit  demeurer  ouvert 
w  &  libre ,  &  dont  le  monde  entier  eft  le  Temple  &  la  maifon  »>.  Tous 
les  Peuples  Celtes,  en  général,  au -lieu  de  bâtir  des  Temples,  démolif- 
foient  ceux  que  d'autres  avoient  conftruits ,  &  tenoient  toutes  leurs 
affemblées  en  rafe  campagne  ,  fur  une  Montagne ,  près  d'un  Arbre ,  d'un 
Fleuve ,  ou  d'une  Fontaine.  Ils  pouffoient  le  fcrupule  û  loin ,  fur  cet 
article,  qu'ils  ne  vouloient  pas  remuer  (41)  la  terre  de  leurs  Sanduaires, 
de  peur  de  troubler  l'aftion  de  la  Divinité  qui  y  réfidolt. 

§.  X.  Les  Celtes  av^oient  jjour  principe  ,  qu'il  y  a  dans  les  élémens ,  &  1*. L'Homme 
dans  tous  les  objets  vifibles,  une  Divinité,  dont  les  lumières  &  les  rn,it  a^  fa 
forces  font  infiniment  plus  étendues  que  celles  de  l'homme  ;  ils  en  ipeû'c  opérer 
titoient  deux  autres  conféquences  ,  qu'on  a  déjà  (41)  touchées,  &  qu'il  ccj„'ai'f"r«' 
fuffira  d'indiquer  ici.  D'un  côté,  ils  dilbient  que  rhomme  peut  confulter  |îfi!,*,'"XT. 
la  Divinité  ,  recevoir  fes  réponfes ,  s'inftruire  de  la  deftinée ,  par  te  f«  i"'  '='""'* 

'  '^  '  '^  aa:is  les  Etres 

moyen  du  feu  ,  de  l'eau  ,  des  aftres  ,  &C  de  tous  les  êtres  corporels  où  elle  cofpoteis. 
fait  fa  demeure ,  pourvu  feulement  qu'il  entende  la  fcience  des  divina- 
tions. D'un  autre  côté  ,  ils  prétendoient  que  l'homme  peut  opérer  aum 
une  infinité  de  chofes  extraordinaires ,  fuppofé  qu'il  foit  initié  dans  les 
fecrets  de  la  magie ,  qui  fait  fervir  à  fes  defleins  les  puiffances  fpirituelles, 
qui  réfident ,  &  qui  opèrent  dans  les  différentes  parties  de  l'Univers. 

§.  XL  Une  dernière  conféquence  que  les  Celtes  tiroient  du  même     4». Tout  ce 

_  .  ir   1  ir    n-  t    n  •    r      f  •      oui  fe  fait  l'ït 

prmcipe,  &  qui  en  relulte  eftectivement ,  celtque  tout  ce  qui  le  fait  icsLoixdeU 

par  les  Loix  de  la  Nature  ,  eft  l'ouvrage  même  de  la  Divinité,  $c  non  fj'Jvtagemê- 

pas  le  fimple  effet  du  méchanifme  des  corps.  Ils  difoient  «  que  ce  n'efl  "'  ^^    ^^' 

»  pas  aux  êtres  matériels  qu'il  faut  attribuer  la  vertu  de  fe  mouvoir  , 

»♦  &  de  le  faire  avec  ordre.   C'eft  l'intelligence  que  Dieu  a  unie  aux 

»»  corps  ,  qui  les  pénétre  ,  qui   les   meut ,    &  qui  en  régie  tous  les 

M  mouvemens.   Ils  ajoutoient  que  l'homme  agit  fouvent  fans  vue  & 

»>  fans  deffein  ;  qu'il  n'a  jamais  que  des  vues  courtes  &  bornées  ;  que 

H  tout  ce  qu'il  fait  fe  reffent  ordinairement  de  la  foibleffe  de  ià.  con- 

M  dition.   Mais  il  ne  faudroit  pas  connoître  la  Divinité  ,  pour  croire 

»»  qu'elle  put  faire  la  moindre  chofe  fans  raifon  ;  toutes  its  vues  font 

(41)  KiîTtt  ci-deflus  Ch.  H.  §.  x.  &  ci-deflbus  Ch.  VI.  J.  U. 
(41J  Vtjn.  ci-dcffiu  Chap.  III.  $.  x. 

D> 


Tinite. 


28  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  grandes ,  nobles ,  profondes  ,   dignes  de  la  bonté ,  de  la  fageffe  Sc 
M  de  la  puifîance  d'un  Être  infiniment  élevé  au-deffus  de  l'homme». 

Les  Celtes  concluoient  de  -  là ,  i  °.  que  le  tremblement  des  feuilles 
d'un  arbre,  le  pétillement  &  la  couleur  des  flammes  ,  la  chute  du  ton- 
nerre dans  un  lieu ,  plutôt  que  dans  l'autre ,  étant  l'ouvrage  d'un  Etre  in- 
telligent, fe  faifoit  auffi  dans  des  vues  que  l'homme  devoit  tâcher  de 
découvrir.»  Ce  font,  difoient-ils ,  des  inftruftions  que  Dieu  donne  au 
*>  genre  humain.  Un  homme  fage  doit  y  faire  attention  ,  &  en  tirer 
»  fon  profit. 

z°.  Ils  rapportoient  à  la  même  caufe,  &  non  pas  au  méchanifrae , 
niàl'inftinft,  les  aftions  des  brutes;  ils  prétendoient  que  l'homme  peut 
tirer  une  infinité  de  préfages  &  de  leçons,  (42)  du  vol  &  du  chant  d'un 
oifeau  ,  de  l'aboyement  d'un  chien,  du  henniffement  d'un  cheval  ,  du 
fifflement  d'un  ferpent ,  de  la  conrfe  d'un  lièvre.  Zeftinfi ,  Prince  Ger- 
main ,  expérimenté  dans  la  fcience  des  aufpices ,  (44)  ayant  entendu 
un  oifeau  qui  croafToit  fur  un  arbre,  déclara  qu'il  mourroit  lui-même  au 
bout  de  quarante  jours.  Ainfi  la  femme  d'un  (45)  Efclave  Thrace ,  qui 
étoit  prifonniére  avec  lui  parmi  les  Romains,  ayant  vu  un  ferpent  qui 
s'entortilloit  à  la  tête  de  fon  mari,  pendant  qu'il  dormoit,  prédit,  par 
Je  même  art ,  qu'il  parviendroit  à  une  PuLffance  redoutable. 

3".  On  étendoit ,  dans  ua  certain  fens,  la  même  réflexion  jufqu'à 
l'homme.  On  difoit  que  tout  ce  que  l'homme  fait  naturellement ,  machi- 
nalement ,  par  un  mouvement  involontaire ,  &  fans  que  la  réflexion 
y  intervienne  ,  ne  pouvant  lui  être  attribué  à  lui-même  ,  doit  être  re- 
gardé comme  l'ouvrage  d'une  Divinité,  qui  avertit  l'homme  de  fadefti- 
née.  Ainfi  on  trouvoit  des  préfages  dans  le  tremblement  involontaire 
de  l'œil ,  ou  de  quelqu'autre  membre ,  dans  l'émotion  du  pouls  ,  dans 
un  éternument,  dans  le  bruit  que  font  des  vents  renfermés  dans  les 
entrailles,  &  dans  quelque  chofe  de  moins  que  tout  cela.  Par  exem- 
ple ,  Tacite  remarque ,  (46)  que  les  Germains  étoient  dans  l'opinion 
qu'il  y  avoit  dans  les  femmes  quelque  chofe  de  plus  divin  que  dans  les 
hommes ,  &  qu'elles  étoient  plus  propres  pour  recevoir  le  don  de 

<43)  £lian.  V.  H.  lib.  II.  cap.  31.  Vtyn,  ci-  |      (44)  Ptocop.  Gotth.  lib.  IV.  cap.  20.  p.  $1 1', 
ieffas  Ch.  II.  §.  2.  ce  qui  eft  dit  des  anciens  1      (45)  Plutatch.  Craflb  Tom.  I.  p.  $47, 
kabjtans  de  la  Galice.  (     (48]  Tacit.  Geim.  cap.  I, 


LIVRE    III.    C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  19 

pTopTiétîe.  La  raifon  en  étoit  que  la  Nature  agit  plus  dans  les  femmes 
que  la  réflexion.  On  voit  aufli  dans  Procope ,  (47)  qu'une  terreur  pani- 
que ayant  faifi  deux  Armées ,  qui  étoient  fur  le  point  d'en  venir  aux 
mains ,  les  deux  Partis  en  conclurent ,  que  cette  frayeur  falutalre  étoit 
l'ouvrage  d'une  Divinité  ,  qui  ne  vouloit  pas  que  les  Gépides  &  les 
Lombards  fe  ruinaflent  réciproquement. 

§.  XII.  Il  paroît ,  par  ce  qui  vient  d'être  dit ,  que  ce  Dogme ,  qu'une 
Divinité  réfide  dans  tous  les  Etres  corporels ,  étoit,  parmi  les  Celtes  , 
le  fondement  d'une  infinité  de  fuperftitions  extravagantes.  Comme  elles 
faifoient  l'effentiel  de  la  Religion  de  ces  Peuples ,  elles  étoient  aufli  le 
grand  objet  des  recherches  de  leurs  Druides.  Il  ne  faut  pas  ctre  furpris  , 
par  coHféquent,  que  la  Noblefl'e  des  Gaules ,  dont  on  confioit  ordinaire- 
ment l'éducation  au  Clergé  ,  employât  jufqu'à  vingt  années  entières 
(  48  )  à  ces  belles  études.  On  pourroit  s'y  appliquer  pendant  un  grand 
nombre  de  fiécles ,  fans  en  être  plus  avancé.  Les  anciens  habitans  de 
la  Tofcane  étoient  fort  adonnés  aux  divinations.  On  a  prouvé ,  dans 
im  des  Livres  précédens  ,  qu'ils  étoient  un  Peuple  Celte;  les  Perfes 
faifoient  aufli  un  grand  cas  de  la  magie.  Defcendant  des  Scythes ,  il^ 
en  conferverent  long-tems  les  fuperftitions.  Pline  ne  fauroit  compren- 
dre (49)  que  les  Peuples  de  la  Grande-Bretagne ,  étant  fi  éloignés  des 
Perfes,  ne  iaiflaflent  pas  de  lui  reflTembler  parfaitement  à  cet  égard.  On 
en  voit  bien  la  raifon.  Sans  fe  connoître ,  fans  avoir  enfemble  aucun 
commerce ,  ils  tenoient  ces  abus  de  la  même  fource. 

§.  XIIT.  Il  ne  fera  pas  inutile  de  rappeller  ici  une  réflexion  ,  déjà  in^ 
diquée ,  mais  qui  eft  éclaircie  &  confirmée  par  ce  qui  vient  d'être  re- 
■  marqué.  Puifque  les  Peuples  Celtes  rendoient  tous  im  culte  religieux 
aux  Élémens ,  il  eft  facile  de  comprendre  ce  qui  a  donné  le  change  à 
ceux  des  Anciens  ,  qui  afllirent  que  ces  Peuples  adorolent  Apollon  ,' 
Neptune  ,  Vulcaln  ,  Diane ,  &  les  Nymphes.  Ils  vénéroient  effeftive- 
mentle  Feu,  l'Eau,  les  Forêts,  &c.  Cette  vénération  étoit  fondée  fur  la 
perfuafion  qu'une  Divinité  réfide  dans  les  élémens.  Mais  ils  n'avoient 
pas ,  fur  le  fujet  de  ces  Divinités ,  les  mêmes  Idées  que  les  Grecs  &  les 
Romains.  Neptune ,  par  exemple  ,  n'étoit  pas  un  homme  qui  eut  été 

(47)  Procop.  Gotth.  lib.  III.  cap.  18.  p.  «15, 

(4t)  Czfar.  VI.  14. 

{4>j  Plin,  Hiû.  K«.  Ijb.  XXX.  cap.  1  ■  p.  7a». 


30  HISTOIRE    DES    CELTES, 

mis  au  rang  des  Dieux  après  fa  mort,  ni  qu'on  crut  être  chargé  de  l'em- 
pire de  la  Mer  ;  mais  on  le  confidéroit  comme  une  intelligence  émanée 
/du  premier  principe  ,  <jui  n'avoit  jamais  eu  d'autre  corps  que  l'élément 
même  de  l'eau. 


Celtes   ont 
tous  reconii! 
un  Dieu   Su 
prèrae. 


CHAPITRE     V. 

§.  I.V— 'Ontlnuons  d'examiner  les  principaux  points  de  la  Théologie 
des  Celtes  ,  &  voyons  préfentement  quelles  étoient  leurs  idées  ,  par  rap- 
port à  l'unité  de  Dieu,  en  tant  que  ce  Dogme  eft  oppofé  ,  foit  au  poly- 
théïfme  des  Gentils,  fojt  à  l'opinion  des  deux  principes. 
tes  Peuples      II  cft  Certain  que  les  Peuples  Celtes  reconnoiffoient  tous  un  Dieu  fu- 
it prême ,  ôc  nous  verrons  ,  dans  la  fuite ,  qu'ils  le  regardoient  comme 
le  Créateur ,  tant  des  corps,  que  des  efprits  qui  leur  font  unis.  Selon  Ju- 
les-Céfar,  (i)  les  Gaulois  fervoient  principalement  Mercure.  Tacite  dit 
la  même  chofe  des  (z)  Germains.  D'autres  ont  prétendu  ,  à  la  vérité , 
que  c'étoit  Mars ,  qui  pafToit ,  parmi  les  Germains  ,  pour  le  plus  grand 
"des  Dieux.  Procope  (3)  l'affure  ,  en  parlant  des  Peuples  qui  demeuroient 
dans  l'ifle  de  Thulé  ;  &  Tacite  lui-même,  rapportant  le  difcours  qu'un 
Ambafiadeur  des  Tenchteres  adreffa  aux  habitans  de  la  VjUe  de  Cologne, 
le  fait  parler  de  cette  manière  1(4)  «  Nous  rendons  grâces  à  nos  Dieux 
»  communs ,  &  à  Mars ,  le  plus  grand  des  Dieux ,  que  vous  foyez 
n  réunis  au  corps  des  Peuples  Germains ,  &  que  vous  en  ayez  repris 
*»Ie  nom  ». 

Mais  la  difficulté  n'eft  pas  confidérable  ,  parce  que  le  nom  de  Mars  , 
&  de  Mercure ,  inconnus  dans  la  Celtique ,  n'étoient  employés  que 
par  des  Etrangers ,  &  défignoient  conftamment  le  même  Dieu.  L'oc- 
cafion  de  le  prouver  fe  préfentera  dans  les  Chapitres  fuivans.  Il  fuffira 
de  remarquer  ici,  qu'entre  les  Dieux  que  les  Germains  fervoient,  il  y 
en  avoit  un  qu'ils  appelloient  (5)  »»le  Maître  de  l'Univers,  auquel  tout 
'W  eft  fournis  ôc  obéiflant».  Hérodote,  en  parlant  des  Thraces  ,  dit  (6) 
'  <^e ,  «  quand  il  faifoit  du  tonnerre  &  des  éclairs  ,  ces  Peuples  tiroient 
«des  flèches  contre  le  ciel,  comme  pour  menacer  la  Divinité,  parce 


(i)Cïfat  VI.  17.  j       (4)  Tacit   Hift.  IV.  «4. 

(»)  Tuit.  Gerroan.  9.  I      (j)  Tacit.  Gerinan,  jj, 

[f)  Ftocop.  Cotch.  II.  l(.  p.  424.  *      (()  Hciodoc.  IV.  94. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    V.  jr 

w  qu'ils  étoient  dans  l'opinion  qu'il  n'y  avoit  point  d'autre  Dieu  que 
»le  leur».  Ailleurs,  il  s'exprime  de  cette  manière  (7):  «Mars,  Bac- 
»  chus  ,  &  Diane  font  les  feuls  Dieux  auxquels  les  Thraces  rendent 
»  un  culte  religieux.  Outre  ces  Divinités  ,  les  Rois  fervent  encore 
»  Mercure  ;  il  eft  celui  de  tous  les  Dieux  ,  pour  lequel  ils  ont  la 
»  plus  grande  vénération.  Ils  ne  jurent  que  par  fon  nom ,  &c  prétendent 
»  même  en  être  iffus.  » 

Il   eft  vrai  qu'Hérodote   fait  raifonner   les  Thraces  d'une  manière 
tout-à-fait  étrange  :  ils  reconnoiffoient  un  Dieu,  ils  foutenoient  qu'il  r 

n'y  en  avoit  point  d'autre  ;  à  caufe  de  cela ,  ils  étoient  affez  extrava- 
gans  ,  ou  affez  impies,  pour  le  menacer  quand  il  lançoit  la  foudre! 
Il  eft  vrai  encore,  qu'il  y  a  de  la  contradiction  entre  les  deux  paffages 
qui  viennent  d'être  cités.  Si  les  Thraces  ne  croyoient  pas  qu'il  y  eut 
d'autre  Dieu  que  leur  Mercure  (  car  c'eft  de  lui  qu'il  s'agit  dans  cet 
endroit  )  ,  comment  pouvoit  -  on  leur  attribuer  encore  le  culte  de 
Mars ,  de  Bacchus ,  &  de  Diane  ?  Mais  on  voit ,  au  moins ,  dans  ces 
paffages ,  que  les  Thraces  fervoient  une  certaine  Divinité  préférable- 
ment  à  toutes  les  autres ,  Se  qu'ils  ne  juroient  que  par  fon  nom.  C'é- 
toit  aufli  l'idée  des  Scythes  ;  ils  croyoient  (  8  )  qu'il  ne  faut  confacrer 
des  Simulacres,  des  Autels  &  des  Temples  qu'au  Dieu  Mars. 

§.  II.  Non-feulement  les  Peuples  Scythes  &  Celtes  admettoient  un     iisi'aprei- 
premier  principe ,  un  Dieu  fuptême  ;  ils  l'appelloient  encore,dans  un  ^[l^ 
certain  fens ,  le  vrai  ôc  le  feul  Dieu.  Ainfi  les  Turcs  (9)  ,  quoiqu'ils  vé- 
néraffent  le  Feu,  l'Air  ,  l'Eau ,  &  la  Terre ,  ne  laiffoient  pas  de  foutenir , 
en  même-tems ,  qu'ils  n'adoroient ,  &  n'appelloient  Dieu  ,  que  celui 
qui  a  fait  le  ciel  &  la  terre.  Les  Thraces  difoient  aufli  (10)  qu'il  n'y 
avoit    point  d'autre  Dieu  que  le  leur.  Nous  avons  montré,  par  un 
paflage  de  Procope  ,  que  les  Sarmates  tenoient  le  même  langage  (i  i).     ^ 
Ils  faifoient  profeflion  de  ne  connoître  qu'un  feul  Dieu ,  qui  lance  le 
tonnerre ,  &  qui  eft  le  maître  de  l'Univers  ;  mais  ils  ne  laiffoient  pas  de 
rendre  un  culte  religieux  aux  Fleuves  &  aux  Nymphes.  Les  Sarmates 
s'expliquoient  de  la  même  manière ,  du  tems  d'Helmoldus ,  c'eft-à-dire 
dans  l'onzième  fiécle  (ii):«  Ayant  des  Dieux  de  différens  ordres,  ils 

(7)  Heiodot.  V.  7.  I      (i»)  Fojietle  Ç.  prccedfnt. 

(s)  royti.  ci-d.  Ch.  III.  §.  3.  &  Ch,  IV.  §.  I.     j       (11)  Ci-defTus  Chap.  IV.  §.  t.  not.  It. 

(>)  KojKitei-d.Chap.IV.  J.  I.  '      (12)  Helmold.  lib.  I.  84.P.  lï». 


3*  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  ne  difconvenoierît  pas  qu'il  n'y  eut  dans  le  ciel  un  Dieu  unique , 
H  duquel  tous  les  autres  dépendoient.  » 

Ne  reconnoître  qu'un  feul  Dieu  ,  &  avoir,  en  même-tems,  plufieurs 
objets  du  culte  religieux  ,  il  femble  qu'il  y  ait  là  de  la  contradiâion.  II 
ne  faut  pas  douter  que  les  Celtes  ne  le  tiraffent  d'affaire  par  quelque 
diftinQion  femblablë  à  ce  que  l'on  appelle  aujourd'hui  le  culte  de  La- 
trie &  de  Dulic.  Si  les  tems  &  les  termes  ont  changé ,  les  idées  font  à 
peu  près  les  mêmes.  Quoiqu'il  en  foit.  Saint  Auguftin  (13)  met  ex- 
preflement  les  Philofophes  Perfes  ,  Scythes ,  Gaulais  &c  Efpagnols ,  au 
nombre  des  Sages  qui  ont  reconnu  un  Dieu  fuprême. 

§.  m.  Les  Celtes  n'adoroient  donc  pas  plufieurs  Dieux  égaux  en  puif- 
fance  &  en  dignité  ,  mais  un  feul  Dieu  fouverain  ,  avec  un  grand 
nombre  de  Divinités  fubalternes.  La  Juflice  veut  qu'on  les  décharge 
encore  du  Polythéifme  à  deux  autres  égards. 

1^,  On  a  multiplié,  fans  raifon,  le  nombre  de  leurs  Dieux  ,  en  fai- 
fant  autant  de  Divinités  particulières  de  ce  qu'on  appelle  les  Dieux 
Topiques  ou  Locaux.  Pour  comprendre  ceci ,  il  faut  fe  fouvenir  de 
ce  qui  a  déjà  été  dit ,  (14)  que  ces  Peuples  donnoient  à  leurs  Sanûuai- 
res  le  nom  de  la  Divinité  qui  y  étoit  adorée.  Un  homme,  par  exemple , 
qui  alloit  faire  fes  prières  dans  une  forêt  confacrce  au  Dieu  Teut  ,  oa 
çonfulter  les  Sacrificateurs  qui  préfidoient  à  fon  culte ,  difoit  qu'il  al- 
loit trouver  Teut.  Mais  pour  diftinguer  les  Sanftuaires ,  on  leur  don- 
noit  quelque  dénomination  particulière  ,  prife  de  la  fituation  du  lieu , 
ou  de  quelqu'autre  cirçonftance.  Ainfi  le  Dieu  Penius  n'étoit  pas  une 
Divinité  particulière  ,  mais  le  Dieu  qui  avoit  un  Sanctuaire  fur  le  fom- 
jnet  des  Alpes.  Le  mot  de  (  15  )  Pinne,  ou  de  Penne,  défigne,  encore 
aujourd'hui,  la  ppinte  ,  ou  la  cime  d'une  chofe ,  tant  en  Allemand  qu'en 
bas-Breton.  Tout  de  même  l'Apollon  Grynœus  des  Mœfiens ,  établis  en 
Afie  ,  n'étoit  pas  un  Dieu  particulier.  C'étoit  le  nom  d'un  Sanftuaire  , 
que  les  Mœfiens  appelloient  le  Soleil  Verd,  (16)  parce  qu'on  y  offroit 
des  facrifices  au  Soleil  dans  un  bocage  où  les  arbres  ne  perdoient  point 
leur  verdure  ,  &  où  la  terre  étoit  toujours  couverte  de  fleurs, 


(13    Auguft.  de  Civic.  Pci  lib.  VIII.  cap.  9. 

{14)  Ci-dcffus  ch.  m.  $.  1.  ?c  ch.  IV.  J.  j. 
(1$)  Ci-dcflus  Liv.  I.  ch.  15.  p.  lo.^. 


(i<)  Viigilius  Eclog.  VI.  v.  71.  Scrvias  ad 
kunc  loc,  p.  js.GrHn,  eBTud«f(iue,  figniiîc 
Vtri, 

i°.Si 


LIVRE    III.    CHAPITRE    V.  3} 

2^.  Si  l'on  examine  avec  attention  la  Théologie  des  Celtes  ,  on 
reconnoîtra  auffi  ,  qu'à  proprement  parler ,  ils  ne  regardoient  pas  les 
Élémens,  ni  les  différentes  parties  de  l'Univers,  comme  des  Dieux,  Ils 
difoient  que  l'Etre  vifible  eft  le  Temple  où  la  Divinité  réfide  ;  le 
corps  qu'elle  anime  ,  l'écorce  où  elle  s'enveloppe  ,  l'inftrument  qu'elle 
met  en  œuvre.  Ils  plaçoient  leurs  Dieux  dans  les  élémens  ,  de  la  même 
manière  que  les  autres  Payens  les  croyoient  préfens  dans  les  Temples, 
&  dans  les  Idoles  qu'ils  leur  confacroient  ;  mais  ils  diftinguoient  tou- 
jours le  Temple  ,  de  la  Divinité  qui  y  fait  fa  demeure ,  les  intelligences 
fpirituelles  ,  des  corps  céleftes  ou  terreftres  qu'elles  animoient. 

§.  IV.  Ce  n'eft,  cependant,  qu'à  ces  différens  égards ,  qu'on  prétend     tesCeitej 
juftifier  les  Celtes  du  Polythéïfme.  Il  faut  avouer  qu'ils  adoroient,  avec  le  mêm.-  uml. 
Dieu  fuprême ,  un  grand  nombre  d'intelligences ,  qui  avoient  été  pro-  n"mbrc"de 
duites  ,  comme  ils  le  croyoient ,  par  l'Etre  infini ,  &  unies  aux  différentes  ba\7«'iKs.  ^"' 
parties  de  là  matière ,  pour  les  animer ,  &  pour  les  conduire  aux  fins 
que  fa  fageffe  s'étoit  propofée. 

La  queftion  fe  réduit  donc  à  favoir ,  quelle  idée  les  Peuples  Celtes 
avoient  de  ces  Intelligences ,  qui  étoient  chargées  chacune  de  quel- 
que diftriû,  ou  de  quelque  fonâion  particulière.  Les  regardoient-ils , 
fimplement ,  comme  des  Anges ,  c'eft-à-dire ,  comme  des  Efprits ,  qui  , 
n'agiffant  que  par  les  ordres,  &  fous  la  direftion  du  Dieu  fuprême, 
en  vertu  de  la  puifTance  qu'il  leur  communique,  ne  méritent  aucun  culte  *««;. 
religieux ,  pour  des  grâces  &  des  délivrances  ,  dont  ils  ne  font  que  les 
minifires  &  les  inftrumens  ;  ou  comme  des  Divinités  fubalternes  ,  qui , 
participant  à  la  puifTance  &  à  l'empire  du  Dieu  fouverain ,  méritent ,  par 
cela  même,  d'être  alFociées  à  fa  gloire,  &C  au  culte  religieux  qu'il  reçoit 
des  hommes  ? 

Quelques  Savans  femblent  avoir  préféré  la  première  de  ces  opinions.' 
Ils  difent,  par  exemple,  que  les  Perfes  alîignoient  à  chaque  Royaume 
un  Ange  Protefteur  ;  que  chaque  mois ,  chaque  jour  de  l'année ,  étoit 
fous  la  direftion  d'un  Ange.  On  ne  balancera  pas  d'embraffer  la  féconde, 
fi  on  veut  fe  rappeller  ce  qui  a  fait  la  matière  du  Chapitre  précédente- 
Les  Perfes ,  comme  les  Scythes  &  les  Celtes  ,  donnoient  le  nom  de 
pieux  aux  Intelligences  qu'ils  plaçoient  dans  les  élémens  ;  ils  les., 
invoqiioient ,  leur  demandoient  des  grâces  ,  les  confultoient  fur  l'avenir , 
&  leur  offroient  des  facrifices.  Tout  cela  prouve  qu'ils  les  regardoient 
Tome  II.  E 


34  HISTOIRE    DES    CELTES, 

comme  des  Divinités,  inférieures ,  à  la  vérité  ,  à  l'Etre  éternel ,  mais  qui 
ne  laifToient  pas  d'être  fouveraines  dans  leur  diftrid  ,  &  d'avoir  une  fu- 
périorité  affez  grande  fur  l'homme  ,  pour  mériter  fon  culte  &C  fes  hom- 


Les  Celtes 
n'ont  pi  int 


^.  V.  A  récard  de l'eninion  des  deux  principes,  on  ne  voit  pas  que 

n  ont  p.  int  ''  ^  ^    ,  <    i  i   ■  /-        /•         J 

r-comiudcux  ceux  qui  l'attriDuent  aux    Celtes  ,   ayent  appuyé  leur  thele    lur  des 
mîs&'îm eiii  pteuvcs  folides  ,  ni  feulement  fur  des  conjeâures  qui  approchent  de  la 
f on'& l'amrs  vraifemblance.  i".  Hérodote,  dans  un  pafl"age,citéci-deffus,  §.I.Note6, 
mauvais.       j-^  ^^^^  ^   ^  quand  il  faifoil  du  tonnen-e  &  des  éclairs  ,  les  Thraces 
»tiroient  des  flèches  contre  le  ciel,  comme  pour  menacer  la  Divinité, 
»  parce  qu'ils  étoient  dans  l'opinion  qu'il  n'y  avoit  point  d'autre  Dieu 
»  que  le  leur  ».  Il  femble  que  Ton  entrevoit  dans  ces  paroles ,  que  les 
Thraces  regardoient  le  tonnerre  &  la  foudre  comme  l'ouvrage  d'une 
Divinité  mal-faifante  ,  qu'ils  menaçoient ,  &  qu'ils  déficient  à  coups 
de  flèches  ,  comme  étant  eux-mêmes  fous  la  proteâion  du  feul  Dieu  tout 
puifTant.  Mais  cette  conjecture  eft  démentie  par  les  paroles  mêmes  de 
l'Hiflorien  ,  qui  afTure  que  les  Thraces  foutenoient  qu'il  n'y  avoit  point 
d'autpe  Dieu  que  le  leur.  Nous  verrons  ailleurs  ce  qu'étoient  les  pré- 
tendues menaces  qu'ils  faifoient  à  leurs  Dieux  ,  en  tirant  contre  le  ciel, 
a*'.  Hagenberg  a  cru  que  les  Germains  admettoient  un  bon  &  un 
mauvais  principe  (ly).  U  en  donne  pour  preuve  ce  pafTage  de  Tacite 
(i8)  :  «On  montre  dans  les  Pays  des  Naharvales  un  bocage,  où  règne 
»  une  ancienne  fuperftition.  ...  La  Divinité ,  qui  y  eft  fervie ,  s'appelle 
»»  j4lcis.  Ils  prétendent  que  c'eft  le  même  Dieu  que  les  Romains  vé- 
»  nérent  fous  le  nom  de  Caftor  &  de  Pollux.  On  n'y  voit  ni  firaula- 
»  cre  ,  ni  veftige  d'une  fuperftition  venue  d'un  Pays  étranger.  Tout 
»  ce  que  cette  fuperftition  a  de  commun  avec  celle  des  Romains ,  c'eft 
«que  l'on  vénère  deux  jeunes  hommes  que  l'on  eftime  frères  (i 9).  « 
Mais  ce  n'efl-Ià  qu'une  conjedture  hafardée  ,  &  deftituée  de  tout  fon- 
dement, qui  ne  mérite  pas  que  l'on  s'arrête  à  la  réfuter. 

3**.  S.  Auguftin  (lo)  parle  auffi  de  quelques  Démons ,  que  les  Gaulw 


(17)  Hagcab,  Geim.  Med.  SilT.  S.  f.  iSo. 

(il)  Tacit.  Geim.  43.  Vcyiz.  ci  -  dcflous  , 
A.  XVI.  §.  î. 

(19}  On  a  fuivi  la  vetlîon  d'Ablancoutt^qui, 
^ant  an  peu  iibie ,  ne  laiilè  pas  de  bien  cxpii- 


raei  le  fens  de  rotigrnat. 

(ae'  DeCi»itat.  Dei  lib.  XV.  cap.  zj.p.  IJJ, 
Hefychius  dit  que  les  Ulyiiens  a; gelloicnt  1«S. 
Satyies  Aivaf/au 


LIVRE    III.     CHAPITRE    V.  35 

appelloient  Dujii ,  &  il  affure ,  d'après  plufieurs  témoins  dignes  de  foi ,  que 
ces  malins  Efprits  aimoient  les  femmes ,  n'épargnoient  rien  pour  les 
corrompre  ,  &  en  venoient  à  bout.  On  fçait  que  plufieurs  Pères  de  l'E- 
glife  ont  foutenu  cette  fable  ,  fans  admettre  pour  cela  l'opinion  des 
deux  principes.  D'ailleurs,  Ifidore  de  Seville  (*)  remarque  que  les  Gau- 
lois appelloient  ces  Dujli ,  les  Velus  (  Pilofos  )  ;  par-là  il  montre  claire- 
ment que  c'étoient  les  Satyres  des  Grecs. 

§.  VI.  On  ne  peut  pas  difconvçnir ,  à  la  vérité ,  que ,  dans  le  VIII. 
fiécle  du  Chriftianifme  ,  les  Saxons  &  les  Sarmates ,  qui  leur  étoient 
voifins ,  ne  ferviffent  un  Dieu  mauvais.  Mais  il  eft  confiant  que  ce 
culte  ne  s'introduifit  parmi  eux,  que  lorfqu'on  eût  commencé  à  leur 
annoncer  la  Religion  Chrétienne  ?  Comme  les  Prédicateurs  leur  par- 
loient  continuellement  de  la  puifTance  redoutable  du  Démon ,  &  de 
l'étendue  de  fon  empire ,  ces  Peuples,  mal  inftruiis  ,  le  regardèrent  comme 
une  véritable  Divinité  ,  &  fe  crurent  obligés  de  le  fervir,  afin  qu'il 
ne  leur  fit  point  de  mal.  Aufli  les  Saxons  le  nommoient-ils  (  n  )  le 
Dieu  Noir  y  ou  TybiUnus^  ce  qui  eft  manifeftement  une  corruption  du 
mot  de  Diable  ;  les  Allemands  appellent,  encore  aujourd'hui ,  le  Démon , 
Dibd,  Deubdy  ou  Teufcl. 

Il  faut  étendre  la  même  réflexion  aux  Sarmates ,  qui  portoient  le  nom 
de  Slaves  ,  &  qui  n'étoient  (éparés  des  Saxons  que  par  le  fleuve  de 
l'Elbe.  Le  mauvais  Principe  portoit,  parmi  eux,  le  nom  de  Diabol(xi)  , 
ou  de  Zeernebock  ,  qui  défigne  le  Dieu  Noir.  Ce  fut  par  une  méprife  , 
à  peu  près  femblable ,  que  S.  Gui ,  ou  Saint  Vite ,  devint ,  parmi  les  mê- 
mes Sarmates,  une  grande  Divinité  (13).  Des  Mifllonnaires ,  fortis  du 
célèbre  Monaftère  de  Corbie  (14)  ,  leur  ayant  vanté  les  miracles  de  ce 
Saint ,  qui  étoit  le  Patron  de  leur  Abbaye ,  les  Slaves ,  après  être  re- 
tombés dans  le  Paganifme ,  en  firent  une  Divinité  ,  qu'ils  appellerent 
Suantevith ,  &  qu'ils  fervirent  comme  un  Dieu  du  premier  ordre. 

§.  VII.  On  attribue ,  affez  généralement ,  aux  Perfes  d'avoir  reconnu 
deux  Principes  éternels  ,  l'un  bon ,  &  l'autre  mauvais.  Le  Leûeur  per- 


(*)  Ifidor.  Orig.  lib.  VIII.  cap-  nit. 

(11)  Fabtic.  Orig.  Saxon,  lib.  I.  ap.  Voffium 
de  orig.  &  progr.  Idol.  lib.  I.  cap.  I.  p.  31.  & 
Voflîus  Ibid.  lib.  I.  cap.  «.p.  I41.  Vofljusre 
connoit ,  dans  le  même  endtoit,  que  le  nom  de 
TybiltnHi  »  ité  pris  de  celui  de  Diahelm, 


(zi)  Helmold  Chcon.  Slav.  lib.  I.  cap.  jj. 
pag.  116. 

(li)  Helmold.  lib.  I.cap.  (,  p.  ij.Sccap.  il.- 
pag.  ii«. 

(24;  Il  s'agit  ici  de  U  nouvelle  Corbie  1  C»r-. 
«'9 1  en  WeA^ialie. 

Ex 


36  HISTOIRE    DES    CELTES, 

mettra  qu'on  le  renvoyé ,  fur  cet  article ,  à  ce  que  M.  de  Beaufobre 
en  a  dit  dans  fon  Hijioire  du  Manichéifme.  On  ajoutera  feulement  que 
l'on  ne  voit  aucune  trace  de  ce  Dogme  dans  ce  que  les  plus  anciens 
Auteurs  ,  comme  Hérodote  &  Ctéfias ,  ont  dit  de  la  Religion  des  Perfes. 
Plutarque  paroît  être  le  premier  qui  en  ait  fait  mention.  Il  aflïire  po- 
fitivement  (  25  )  ,  que  «  Zoroaftre  appella  le  Dieu  bien-faifant  Oro- 
»  maih ,  &  le  mal-faifant  Arimanius.  Entre  les  deux  principes,  il  en 
w  plaçoit  un  autre  ,  qui  s'appelloit  Mithra.  C'eft  pourquoi  les  Perfes 
»  donnent  encore  à  Mithra  le  nom  de  Médiateur.  »  Selon  les  apparences , 
cette  opinion  avoit  été  portée  en  Perfe,  non  pas  de  la  Scythie,  comme 
M.  de  Leibnits  l'a  foupçonné  :  elle  y  étoit  parfaitement  inconnue  ;  mais 
elle  venoit  des  Indes  ,  où  elle  étoit  généralement  reque. 

Hérodote  remarque  ,  à  la  vérité  ,  (a6)  que  la  Reine  Ameflris ,  femme 
de  Xerxés ,  fe  voyant  parvenue  à  un  âge  fort  avancé  ,  fit  enterrer, 
vivans,  quatorze  jeunes  Seigneurs,  comme  un  facrifice  d'aûion  de  grâces 
au  Dieu  que  l'on  place  fous  terre  :  mais  il  eft  affez  probable  que 
cette  manière  d'enterrer  des  hommes  vivans ,  fit  foupçonner  à  l'Hiflo- 
rien  Grec  ,  que  le  facrifice  avoit  été  offert  à  Pluton  ,  quoique  ce  Dieu 
fut  inconnu  aux  Perfes.  Il  paroît  aufïï  que  Plutarque  (  xj  )  affure ,  en 
conféquence  du  même  préjugé  ,  que  ces  jeunes  gens  furent  offerts  à  Pluton. 

§.  VIII.  On  parlera  préfentement  du  Dieu  fuprême  que  les  Celtes 
adoroient,  des  noms  par  lequel  ils  le  défignoient,  &  des  prérogatives 
qu'ils  lui  attribuoient.  On  paffera  enfuite  aux  principales  Divinités  que 
ces  Peuples  plaçoient  dans  les  élémens  ;  &  enfin  on  examinera ,  s'ils 
rendoient  quelque  culte  aux  âmes  des  Héros,  &  s'il  efl  vrai  qu'ils  vé- 
néraffent  même  Hercule ,  Bacchus ,  &  d'autres  Héros  étrangers  ,  que 
l'on  avoit  mis ,  après  leur  mort ,  au  rang  des  Dieux. 


(îs)  Vejn.  ci-deffiisch.  III.  $.  j.  not,  17. 

(16)  Herodot.  lib.  VII.  cap.  1 14. 

(17)  Plutarch.  de  Supeift.  Tom,  II.  p.  171. 


LIVRE    III.     CHAPITRE    VI. 


37 


CHAPITRE     VI. 

§.  I.  1  L  eft  furprenant  que,  depuis  qu'on  a  commencé  à  écrire  fur  la 
Religion  des  Celtes ,  perfonne  ne  fe  foit  apperçu  que  ces  Peuples  ado- 
roient  tous  un  Dieu  fuprême  ,  qui  portoit  le  même  nom  dans  toute  la 
Celtique ,  &  auquel  on  attribuoit  par-tout  les  mêines  prérogatives  fur 
les  autres  Divinités.  On  le  prouvera  dans  ce  Chapitre  ;  &  l'on  efpere 
que  le  Lefteur  ne  fçaura  pas  mauvais  gré ,  fi  l'on  entre  dans  quelque 
détail ,  pour  établir  cette  vérité.  D'un  côté ,  elle  eft  nouvelle ,  &  à 
peu  près  inconnue  ;  de  l'autre  côté ,  elle  confirme  merveilleufement  ce 
qu'on  a  dit  en  plufieurs  endroits  de  cet  Ouvrage ,  que  l'Europe  étoit  au- 
trefois habitée  par  un  feul  &  même  Peuple. 

§.  II.  Le  nom  que  tous  les  Peuples  de  l'Europe  donnolent  anciennement 
au  premier  Principe ,  c'efl:  celui  de  Tcut ,  ou  de  Tis  ,  d'où  a  été  formé 
celui  de  Dieu.  Les  Efpagnols ,  &  les  Gaulois  l'appelloient  Teut ,  ou  d'un 
nom  compofé  (i)  Teutac ,  Dieu  le  Père.  Les  Germains  le  nommoient 
Tis  ,  ou  Teuc ,  6c  fouvent  d'un  nom  appellatif  God ,  Fod ,  Vodan  ,  Odin  , 
c'eft-à-dire,  le  Bon.  Les  Thraces  l'appelloient  Tis  ,  ou  Gotis ,  le  bon  Tis. 
Les  Grecs  Ajç  ,  SfJç ,  ou  0«eV.  Les  Italiens  Dis  ;  Tus  ,  Deus ,  avec  une 
diphtongue ,  &C  quelquefois  Mantus  ,  le  bon  Tus,  Il  faut  fournir  des 
preuves  de  ce  qu'on  vient  d'avancer.  Commençons  par  les  Efpagnols. 

§.  III.  Tite-Live ,  rapportant  le  fiége  de  la  Ville  de  Carthagène,  en  Efpagne, 
par  Scipion  l'Afriquain ,  dit  (i) ,  que  «  ce  Général ,  ayant  pafle  fur  une 
M  Colline ,  que  les  Habitans  du  Pays  appelloient  Mercure  Teutates  (  3  ) , 
»  s'apperçut  que  les  murailles  de  la  Ville  étoient  dégarnies  de  Troupes 
»  en  plufieurs  endroits  ».  On  voit  ici  que  les  Habitans  de  Carthagène  fer- 
voient  le  Dieu  Teut  ,  qu'ils  lui  ofTroient  un  culte  religieux ,  dans  un 


Tes  PcuplrJ 
Celccs  appel- 
loient le  Dieu 
Suprême 
Tiut. 


Les  Efpagnols 
fervoient  le 
Dieu   unique 
Teut, 


(l'  Tai ,  Tad  ,  Père.  Voyez.  Pezron  ,  Antiq.  de 
la  Nation  8c  de  la  Langue  des  Celtes  p.  4.6.  & 
B.oftrenen  Diclionn.  Celtique,  p.  7  i  z. 

(a   Livius  lib.  XXVI   cap.  44. 

(3)  Les  anciennes  Editions  de  Tite-Live  por- 
tent Mtrc.trium  Tcmaiem.  Celle  de  J  F.  Grono- 
vius ,  dont  on  s'eft  fervi,  n'a  pas  le  root  Ténia- 
tes.  Jacques  Gronovius,  fils  du  premier,  re- 
piend  même  foit  aigiement  Ouzcl  (not.  ad 


Min.  Felic.  cap.  6  p.  54.''  d'avoir  confcrve' ce 
mot  en  citant  le  paffar.e  de  T:tc-Live.  Mais 
quand  le  mot  de  Teuiaiei  feroit  une  glofc ,  ce 
qui  n'eft  pas  vrait'emblable  ,  n'y  ayant  qu'un 
feul  Manafcrit,  où  il  ne  fe  tiouvc  point,  la  glofe 
ne  laifleroit  pas  d'être  juftc ,  parce  qu'il  eft 
confiant  que  les  Grecs  ôc  les  Romains  don- 
noieiit  ordinairement  le  nom  de  Mermrc  aux 
TtHt»iei  dM  Celtes. 


3?  HISTOIRE    DES    CELTES, 

lieu  ouvert,  fur  une  Colline  voifine  de  leur  Ville;  qu'ils  donnoient  à 
cette  Colline  le  nom  du  Dieu  qui  y  étoit  adoré;  &  enfin  que  les  Romains 
étoient  dans  l'idée  que  ce  Teutates  étoit  le  même  Dieu  que  Mercure. 
Nous  Dirons  tout-à-l'heure  la  raifon  de  cette  méprife.  Paffons  à  une 
féconde  preuve. 

2.*  Strabon  ,  parlant  des  Celtibères,  &  des  Peuples  qui  leur  étoient 
voifins ,  du  côté  du  Septentrion  ,  dit  (4)  «  qu'ils  étoient  accontumés  à 
»  s'affembler  de  nuit  ,  dans  le  tems  de  la  pleine  Lune  ,  à  l'honneur 
»  à^un  Dieu  fans  nom  ;  &  qu'ils  pafToient  toute  la  nuit  à  danfer ,  &  à 
w  fe  réjouir  avec  leurs  familles  hors  des  portes  ».   Pour  entendre  ce 
M  paflage ,  il  faut  remarquer  que  les  Grecs  &  les  Romains  donnoient  à 
leurs  Dieux  un  nom  commun  ,  &  vm  nom  propre.    On  trouve ,  par 
exemple,  dans  les Infcriptions ,  Deo  Mercurio,Deo  Neptuno,  Deo 
VuLCANO,  Dieu  eu  le  nom  commun  ;  ceux  de  Mercure,  de  Neptune ,  &  de 
Vulcain ,  font  les  noms  propres  de  chaque  Divinité.  Le  Dieu  des  Celti- 
bères n'avoit  point  de  nom  particulier.   Quand  on  leur  demandoit  le 
nom  du  Dieu  qu'ils  adoroient ,  ils  difoient  qu'il  s'appelloit  Deus ,  ou 
Teut,  C'eftce  que  Strabon  appelle  un  Dieu  fans  nom.  Au  refte,  on  trouve, 
dans  ce  paflage,  pluGeurs  autres  coutumes,  qui  étoient  communes  aux 
Celtibères ,  avec  les  autres  Peuples  Celtes.  Ils  tenoient  leurs  affembléeS 
les  plus  folemnelles  de  nuit ,  &  hors  des  portes.  Us  célébroient  particuliè- 
rement le  jour ,  ou  plutôt  la  nuit  de  la  pleine  Lune  ;  c'étoit  une  de  leurs 
Fêtes.  Les  danfes  &  les  feftins  faifoient  partie  du  culte  religieux  qu'ils 
rendoient  à  leurs  Dieux. 

3.''  On  fçait  que  les  Phéniciens ,  s'étant  emparés  de  l'Ifle  de  Gades,  y 
bâtirent  un  célèbre  Temple ,  à  l'honneur  d'Hercule ,  &  donnèrent  à  l'Ifle 
le  nom  de  Gadéira.  Denis  le  Periégéte  remarque  (5),  qu'avant  ce  tems.. 
là ,  les  Habitans  naturels  du  Pays  appelloient  cette  Ifle  Cotinufa  ;  ce 
qui  fignifie ,  comme  on  l'a  obfervé  aillleurs  (6)  ,  la  maifon ,  l'habita- 
tion du  Dieu  Tis,  Il  eft  vrai  que  le  Scholiafte  du  Géographe  prétend , 
que  rifle  reçut  le  nom  de  Cotinufa ,  parce  qu'on  y  trouvoit  beaucoup 
d'oliviers  fauvages,  que  les  Grecs  appelloient  koti'vous.  Mais,  puif- 

<jue  les  Phéniciens  étoient  dans  l'Ifle,  long-tems  avant  qu'elle  fut  connue 
•— — Il  I  .1  -i.>.i»f 

{4)  Stiibo  lib.  lU.  p.  1Ç4. 

(5)  Dionyf.  Fer.   v.  450.  Euftath.  adh.  loc  pac.  74, 

(«)  Çi-df  ffus  î,iy.  J.  ph.  }  j.  p.  10  j. 


LIVRE    III.    C  H  AP  IT  RE    VI.  39 

des  Grecs,  &c  qu'elle  portoit  déjà  le  nom  de  Cotinufa ,  lorfque  les  pre- 
miers y  envoyèrent  une  Colonie ,  il  eft  certainement  ridicule  de  donner 
à  ce  nom  une  étymologie  grecque. 

4."  Ajoutons  enfin ,  que  l'on  trouve  en  Efpagne,  comme  dans  toute  la 
Celtique,  des  noms  propres  d'hommes  &  de  Villes,  dans  la  compofition 
defquels  le  nom  de  Ttut ,  ou  de  Tis ,  entre  manifeftement.  Le  Chef, 
par  exemple  ,  qui  commanda  les  Efpagnols ,  après  la  mort  de  Viriatus  , 
s'appelloit  (7)  Teutamus.  Le  nom  des  Villes  de  (8)  Cottaobriga,  Deobri' 
ga ,  Deobrigula ,  défigne  auffi  le  paflage  d'une  Rivière ,  auprès  duquel  il  y 
avoit  un  Sanftuaire  confacré  au  Dieu  Teut. 

§.  IV.  Les  Gaulois  avoient  auffi  leur  Teutates ,  auquel  ils  ofFroient  lo  cauioîi 
des  viftimes  humaines,  comme  (9)  Lucain,&  (10)  Laftance  l'ont  re-  Dieu  suprê- 
marqué.  C'eft  le  même  que  Jules .  Céfar  appelle  Mercure  (  1 1  ).  «  Mer-  '^4™°"' 
»  cure  eft  celui  de  tous  les  Dieux  auquel  les  Gaulois  font  le  plus 
»  attachés ,  &  dont  ils  ont  le  plus  de  fimulacres.  Ils  le  regardent  comme 
»  l'Inventeur  de  tous  les  Arts  ,  comme  le  proteéteur  &  le  guide  des 
»  voyageurs  ;  ils  croyent  que  fon  pouvoir  eft  très-grand  pour  ceux 
»  qui  veulent  gagner  de  l'argent ,  ou  qui  s'appliquent  au  commerce. 
»  Après  lui ,  ils  fervent  Apollon ,  Mars  ,  Jupiter  &  Minerve  ».  Tout 
cela  fera  expliqué  ,  en  examinant  pourquoi  le  plupart  des  Grecs  &  des 
Romains  ont  donné  le  nom  de  Mercure  au  Teutates  des  Gaulois.  Il  fuffit 
de  remarquer  ici ,  que  les  Gaulois  fervoient  leur  Mercure  préférable- 
ment  à  tous  les  autres  Dieux.  Ils  le  regardoient  comme  le  Dieu  fuprême. 
TertuUien  &  Minutius  Félix  fuivent  les  idées  de  Jules-Céfar.  Le  premier 
dit  (12),  que  «  les  Gaulois  immolent  des  Vieillards  (13)  à  Mercure  ».  Le 
fécond  (14),  que  «les  Gaulois  fervent  Mercure  y  &  lui  offrent  des 
>»  viâimes  humaines ,  qu'il  faudroit  plutôt  appeller  inhumaines  ». 

Au  refte  ,  ce  n'eft  pas  fans  raifon  qu'on  a  remarqué  ailleurs  (i  <Ç) ,  que 
Jules-Céfar  n'étoit  guères  au  fiiit  de  la  Religion  des  Gaulois.  On  en  trouve 
ici  une  preuve  démonftrative.  Il  aiTure ,  que  les  Gaulois  fervent  princi- 
palement Mercure.  Cela  eft  vrai  dans  im  fens.  Le  grand  Dieu  des  Gaulois, 


(?)  Dio*  Sic.  XXXII.  p.  7»5. 

{«)  Ptolem.  lib.  11.  cap   5.  p.  41.  e.  t.  g.  45. 

(9)  Lucanos  lib.  I.  v.  444. 

(10)  Laâanc.  Inftit.  lib.  I.  p.  91. 
(li)Ca:far  VI.  17. 

(1  »)  Tcitnllta».  Af  ologet,  caf>  9. 


(ij)  Mijor  dim ,  par  oppoGtion  aux  Phéni- 
ciens ,  qui  immoloicnc  des  eiifans. 

(14)  Minut.  Fclix  cap.  VI,  p.  5  j.  cap,  XXX>' 
p»g.  31  + 

^1})  Ci-deflus  Lit.  I.  cli.  ij,  f.  jt. 


40  HISTOIRE    DES    CELTES,'' 

étoit  Teutaus  ,  que  -la  plupart  des  Grecs ,  &  des  Romains  ont  pris  pour 
Mercure.  Mais  voici  la  bévue.  Au  commencement  du  chapitre  fuivant, 
il  ajoute  (i6):  «Tous  les  Gaulois  prétendent  être  ifTus  du  Père  Dis, 
»  &  ils  difent  l'avoir  appris  de  leurs  Druides.  C'eft  pour  cela  qu'ils  me- 
»  furent  les  tems  par  le  nombre  des  nuits ,  &  non  par  celui  des  jours. 
»  Ils  comptent  les  jours  de  leur  naiflance  ,  les  mois,  les  années ,  de  telle 
»  manière,  que  le  jour  fuit  toujours  la  nuit». 

On  voit  dans  ces  paroles,  i.°  que  Jules -Céfar  ,  trompé  par  la  feule 
conformité  de  nom,  a  confondu  le  Tis^  ou  le  Teut  des  Gaulois,  avec  le 
Dis  des  Grecs  &  des  Romains  ,  qui  étoit  Pluton.  i.''  Il  n'a  pasfçu  que 
ce  Père  Dis  des  Gaulois  étoit  le  même  que  celui  qu'il  venoit  d'appeller 
Mercure.  C'eft  du  Dieu  Teut,  que  les  Celtes,  en  général  ,  &  les  Gau- 
lois, en  particulier,  prétendolent  être  deicendus.  C'eft  pour  cela  qu'ils 
l'appelloient  (17)  Teutat ,  c'eft-à  dire,  le  Père  Teut.  C'eft  pour  la  même 
raifon  ,  qu'ils  prenoient  anciennement  le  nom  d'enfans  de  Teut ,  ou  de 
~(i8)  T^utofdgcs ,  qu'un  Peuple  de  la  Gaule  Narbonnoife  portoit  encore 
du  tems  (19)  d'Aufone.  Les  noms  de  (lo)  Teutomat ,  de  (21)  Teutomal , 
&  de  (zz)  Cotis ,  que  des  Princes  Gaulois  ont  porté ,  ont  la  même  origine. 

On  ne  fe  trompera  donc  certainement  pas  en  afllirant,  avec  le  Père 
Pezron ,  que  les  Gaulois  étoient  originairement  le  même  Peuple  que  les 
(.3,3  )  Thraces  Se  les  Pélafges,  qui  font  les  Titans  des  Anciens;  &  de 
l'autre ,  ils  fe  glorifioient  eux-mêmes  d'être  defcendus  du  Dieu  Teut.  Il 
feroit  à  fouhaiter  feulement  que  le  Père  Pezron  eût  mieux  choifi  fes 
preuves.  Pour  montrer  (2,4)  que  les  Gaulois  étoient  de  la  race  des 
Titafis,  il  allègue  un  paflage  de  (25)  Callimaque,  où  le  Poëté,  parlant 
des  Gaulois  qui  avqient  pillé  ,  quelques  années  auparavant,  le  Temple 
de  Delphes  ,  les  appelle  'ai.iyçvci  Tnii'vH  ,  c'eft-à-dire ,  les  nouveaux  Ti- 
tans ,  les  Titans  modernes,  ou,  û  l'on  veut,  la  poftérité  des  Titans. 
Le  Scholiafte  Grec,  auquel  le  Père  Pezron  renvoyé  en  marge  ,  loin 
d'appuyer  la  conjeâure  de  ce  Père ,  la  détruit  formellement.  II  dit  que 


(16)  Cïfar  VI.  is. 

(17)  Fojtz,  ci-deffus  note(i), 

(18)  Ci-defTus Liv.  1,  ch.  8.  p.  îj.ch.  14. 
P9g.'9  3.    , 

(19)  Aufon.  Utb.  XII.  p.  75. 

(20)  c^Car  VII,  31. 
(»lj  Epitom.  Livii  tXl- 


(21)  Amm.  Marc.  XV.  19.  p.  loi.  Aurel.  Vift. 
CxC.  cap.  s.  Sueton.  in  Nerone  cap.  it.Vtyex. 
ci-deiTus.  Liv.  I.  ch.  14.  p.  87. 

(23)  Ci-dcflus  Liv.  I.  ch.  9.  p.  43.  44. 

(24)  Pezron  Antiq.  de  la  Nar.  &  de  la  Lan- 
gue des  Celres  p.  1 12.  1S7. 

(jj)  Caltimach.  Hymn.  in  Délum  V.  174, 

Callimaque 


^    LIVRE    III.     CHAPITRE    VI.  41 

Callimaque  appelle  les  Gaulois  Titans ,  (16),  à  caufe  de  leur  entreprlfe , 
c'eft  à-clire,  parce  qu'à  l'exemple  des  Géants,  ils  avoient  déclaré  la  guerre 
aux  Dieux. 

§.  V.  Tacite  dit  des  Germains  ce  que  Jules- Céfar  avoit  dit  des  Gaulois 
(27).  «Entre  les  Dieux,  ils  fervent  principalement  Mercure.  Ils  cro- 
»  yent  même,  qu'il  eft  permis  de  lui  immoler,  dans  de  certains  jours, 
»  des  viôimes  humaines  ».  Le  nom  qu'ils  lui  donnoient ,  dans  leur  Lan- 
gue ,  étoit  auffi  celui  de  Teut ,  ou  de  Tids.  «  Ils  célèbrent  (28) ,  dit  le  mê- 
»  me  Auteur,  par  d'anciens  vers,  qui  font  leurs  feules  Annales,  le  Dieu 
»  Tuijion,  iffu  de  la  Terre,  &  fon  fils  Mannus ,  auxquels  ils  rapportent 
»  l'origine  &  l'établiflement  de  leur  Nation  ».  Tuijlon  (29)  eft  le  pre- 
mier homme ,  dont  les  Germains  faifoient  un  héros ,  qu'ils  célébroient 
par  leurs  cantiques  ;  comme  ils  étoient  dans  l'opinion  que  le  premier 
homme  avoit  été  tiré  de  la  terre ,  par  la  puiflance  du  Dieu  Tuis ,  ils 
l'appelloient,  par  cette  raifon,  Tuijlon,  c'eft- à-dire,  fils  de  Tuis;  &c  ils 
fe  nommoient  eux-mêmes  Teutones ,  (30)  Teutonarii,  Teutofages ;  déno- 
minations qui  étoient  communes  autrefois  à  tous  les  Peuples  de  la 
Çermanie ,  ainfi  qu'on  l'a  prouvé  dans  le  premier  Livre  de  cet  Ouvrage. 
Le  nom  de  Taurifci  (31),  que  les  Noriciens  portoient  anciennement , 
&  qui  fignifie  le  Royaume  de  Teut,  marque  aufli  que  ces  Peuples  pré- 
tendoient  être  fous  fa  protedion.  C'eft  conformément  à  ces  idés ,  que 
le  Scholiafte  de  Pindare,  expliquant  un  paflage  du  Poëte,où  il  eft  dit 
qu'Hercule  avoit  apporté  l'olivier  des  fources  du  Danube ,  remarque 
(3  2)  «  qu'elles  étoient  dans  le  Pays  des  Hyperboréens ,  qui  defcendoient 
»  des  Titans,  comme  Phcrénicus  l'avoit  écrit». 

Dans  la  fuite ,  les  Peuples  de  la  Germanie  s'accoutumèrent  infenfî-. 


(k)  Schol.  Callimachi. 

(l^)  Tacit.  Germ.  cap.  9. 

(zJ)  Tacit.  Getm.  1. 

(29)  On  a  dit  plus  haut  que  Ttciic  npfMeTuif- 
un  ,  le  Ditu  ijue  Jutis-Céftr  afpcHe  Dis  Liv.  I. 
ch.  *.  p.  9  3 .  que  Tk;7?o/i  iioit  le  Dieu  Atijuil  les 
Celtei  rApffonûient  l*ori^ine  du  genre  humnin.  Liv,  I, 
ch,  10.  p.  180.  que, yê/o«  Ict  Germains  ,  Mnnnus  ^ 
tefl-à-àire  y  l*homme  étoit  ijfu  d-i  D'eu  Tis  ou  Tuif^ 
ton.  Liv.  I.  chap.  Ij.  pag  îZ3.  c^ae  les  Celtes  fe 
trorftient  ijfut  du  Dieu  quiU  uppelloient  Dis ,  Tuif- 
nn pTuifcon ,  Teut,  Teuiaies,  Liv.  I,  ch.  14.  p.  2*3. 

Tome  II, 


C'eft  une  inexaclitude  qu^on  prie  le  Lefleur  de 
reftifier.  Dis,  Tuis,  Teut,  eft  le  Dieu  fuprérae 
des  Celtes,  auqi^el  les  Grecs  &  les  Romains 
donnoient  le  nom  de  Mercure.  Tutfion  fignifie 
le  Fils  de  Dieu,  le  premier  homme.  Les  Alle- 
mands diroient  aujourd'hui  Tiiijtoshi).  Sohn  figni- 
fie,  en  leur  Langue  ,  un  fils. 

(3o>  Ci-delTus  Liv.  I. <A.  14.  p.  92,  93.  94. 

(31)  Tau-Kich  ,  Royaume  de  Teut    Voyez,  (î- 
deff.  Liv.  L  ch.  14.  p.  94  note  («2). 

(32)  Schol.  ad  Findat.  Olymp.  III.  p.  38.  39. 


4î  HISTOIRE    DES    CELTES,  # 

blement  à  défigner  le  Dieu  Teut  par  le  nom  de  Vodan,  Guodan,  ou  Goa, 
qui  fignifie  le  bon.  On  le  voit  dans  un  pafTage  de  Paul  Diacre ,  qui  mé- 
rite d'être  rapporté  tout  entier  (33).  Vodan  ^  que  quelques-uns  appel- 
«  lent ,  en  y  ajoutant  une  lettre,  Guodan ,  eft  le  même  Dieu  que  les 
»  Romains  nomment  Mercure.  Il  eft  adoré  par  toutes  les  Nations  de  la 
»>  Germanie.  Ce  n'eft  même  pas  d'aujourd'hui  que  fon  culte  efl  établi  ; 
»  on  prétend  qu'il  étoit  fervi  autrefois  jufques  dans  la  Grèce  ». 

On  peut  conclure  plulieurs  chofes  de  ce  pafiage.  i.'^  Depuis  le  tems  de 
Tacite ,  les  Germains  avoient  fuT^ftitué  le  nom  de  Vodan ,  ou  de  Guodan  , 
à  la  place  de  celui  de  Tuis.  Il  eft  facile  de  comprendre  comment  ce  chan- 
gement avoit  pu  fe  faire.  Comme  quelques  Peuples  Celtes  appelloient 
le  Dieu  fuprême  Tis  ,  ou  Cods  ,  (  Godtis^  le  bon  Tis ,  d'autres  le 
nommèrent  fimplement  God,  lehonj&c  cet  ufage  prévalut  tellement  en 
Germanie,  qu'à  la  fin  ,  le  nom  de  Tis  fe  perdit  infenfiblement,  les  Al- 
lemands ne  fe  fervant,  depuis  long- tems,  que  du  nom  de  Go(f  (34)  ,  pour 
défigner  la  Divinité. 

2.*  Ce  Vodan  étoit  le  grand  Dieu  des  Germains.  C'eft  à  quoi  s'accorde 
VEdda  ,  c'eft-à-dire  ,  l'ancienne  Mythologie  des  Iflandois.  Elle  porte 
(35)  «  qu'Odin  eft  le   plus  ancien  des  Dieux,  le  Dieu  fuprême». 

3."  Ce  Vodan  paftbit  pour  être  le  même  Dieu  que  le  Mercure  des 
Romains.  Godefroi  de  Viterbe  (3  6)  ,  &  l'Auteur  de  la  Vie  de  Saint  Co- 
lumban  (37)  l'affarent ,  après  Paul  Diacre  ;  &  il  falloit  que  les  Peuples 
Germains ,  en  général ,  fuffent  dans  la  même  opinion ,  puifqu'en  rece- 
vant le  Calendrier  Romain  ,  ils  appellerent  le  Mercredi ,  c'eft-à-dire  , 
le  jour  confasré  à  Mercure ,  Vonjiag,  ou,  comme  prononçoient  les  Peuples 
diiNord(38),  O^e/2/?^^. 

4°  Enfin  Paul  Diacre,  &  les  Auteurs  qu'il  fuit,  ont  entrevu  que  le 
Mercure  des  Germains  avoit ,  autrefois ,  été  fervi ,  même  par  les  Habitans 
de  la  Grèce.  C'eft  une  remarque  dont  on  fera  ufage  dans  l'un  des  paragra- 
phes fuivans. 


(33)  Paul.  Diac.  Ren  Longob.  lib.  1.  cap.  8. 

pag-  3  5  7- 

(34J  Gothofredus  V#erb.  part.  17.  pag.  446. 
Ftedegar.  ap.  du  Chefne  Totti.  I.  p.  73  5. 

(3s)Edda  Ifland.  Mythol   18. 

(3«j  Ubi  ftipià,  note  (3  s). 

(37}  Vita  S.  Columbani  ap.  du  Chefne  T.  II. 


pag.  s  j«.  M.  Mafcau  s 'eft  fervi  d'une  Edition  de 
la  vie  de  S.  Colomban,  qui  porte  D'o  fua  Voduno, 
quem  Mercurium  vtctni.  Mafcau  Toin  II.  p.  iSj, 
ex  Surio. 

{38)  Odcm-Ta^  ,  Mercredi.  La  Peyrere  ,  Rela- 
tion de  ri  (lande  ,  dans  le  Recueil  des  Voyages 
au  Noid,  Tom.  I,p.  41, 


es 
Tluaccs. 


LIVRE    III.     CHAPITRE    VI.  43 

§.  VI.Il  faut  paffer  aux  Nations  qui  demeuroient  des  rieux  côtés  du  Le  cuite  <lu 
Danube,  depuis  la  Bavière  jufqu'à  fon  embouchure.  Elles  adoroient  ^e'ril^émit 
auffi  le  Dieu  r«M^  ;  mais  ,  comme  ces  Contrées  étoient  habitées  par  une  Tifr'a«T' 
infinité  de  Nations  différentes,  qui  s'étoient  avancées  fucceffivement  du 
Nord ,  &  de  l'Occident ,  il  ne  faut  pas  être  furpris  que ,  félon  la  diffé- 
renc-e  des  dialeûes ,  chaque  Peuple  donnât  au  nom  de  Teut ,  quelqu'in- 
flexion  particulière. 

i.^  On  a  allégué  un  paffage  d'Hérodote,  qui  porte  (39)  que  «  Mercure 
»  étoit  celui  de  tous  les  Dieux ,  pour  lequel  les  Rois  de  Thrace  avoient 
»  le  plus  de  vénération.  Ils  ne  juroient  que  par  fon  nom ,  &  pré- 
»tendoient  même  en  tirer  leur  origine».  Ce  Mercure,  dont  les  Rois 
de  Thrace  fe  difoient  iffus,  portoit,  chez  eux,  comme  par-tout  ailleurs  , 
le  nom  de  Tis ,  ou  de  Cocis ,  qui  fignifie,  comme  on  l'a  déjà  remarqué  , 
le  bon  Tis.  Ceû  la  raifon  pour  laquelle  ces  Provinces  affeclionnoient 
fi  fort  le  nom  de  (40)  Cods ,  ou  de  (  41  )  Cotifon,  qui  marquoit  qu'ils 
étoient  de  la  race  de  ce  Dieu. 

i.?  C'eft  de  la  même  Divinité  qu'il  faut  entendre  ce  paffage  de  Strabon 
(  4Z  )  :  «  La  Fête  que  les  Thraces  célèbrent  à  l'honneur  de  Coiis  &  de 
»  Bendis  ,  reffemble  aux  Fêtes  de  Bachus».  Cous  eff  le  Dieu,  dont  il 
s'agit  ici,  l'Efprit  univerfel,  l'Ame  du  monde,  ou  ,  comme  les  anciens 
Philofophes  -  l'appelloient ,  le  Principe  aftif.  Bendis  ,  dont  on  parlera 
en  fon  lieu,  étoit  la  Terre,  le  Principe  paffif,  que  le  Dieu  Tis  animoit, 
&  dont  il  s'étoit  fervi  pour  la  formation  de  l'homme.  La  Fête  de  Cotis 
&c  de  Bendis  reffembloit  aux  Bacchanales  des  Grecs  par  trois  endroits. 
Premièrement ,  on  la  célébroit  de  nuit.  En  fécond  lieu  ,  la  (  43  ) 
danfe,  qui  faifoit  partie  du  culte  de  Cotis,  imitoit  celle  des  Bacchantes. 
Enfin  toutes  les  folemnités  des  Thraces  ,  &  des  autres  Peuples  Celtes 
étoient  des  tems  de  réjouiffance ,  &  de  bonne-chère.  On  y  commettoit 
fur-tout  de  grands  excès,  par  rapport  à  la  boiffon,  &  ces  excès  étoient 
non-feulement  permis,  mais  en  quelque  manière  autorifés  par  la  Fête. 


(39)  Ci-deffus  ch.  V   §.  i .  i  Caff.  LIV.  p.  53  ;.  &  545.  Suida?  in  Ko'ri/t, 


(40^  Scobœus  Serni.  142.  p.  488.  Serm.  149. 
p.  519.  Livius  XLII.  19.  SI-  Valef.  in  Exccrpt. 
ex  Polyb.  XXVII.  pag.  i  27.  ex  Diod.  Sic,  XXVI. 
pag.  307.  Ccnui  Rex.  Cifat  BeU.  Civ.  lib.  III. 
cap.  i6,  9$.  Cttji  Rtx.  Tacit,  Ann.  II.  $4.  Dio. 


'41)  Florus  IV.  I  t.  Horat.  lib.  III.  Od.  S. 
Cotifon  fignifie  fils  de  Ctiit. 

(42)StraboX   p.  473.  471. 

(4.3  C'eft  celle  que  Suidas  appelle  imaarm 
Kan/tf.  Kojitï.  ci-après  Bote  95'. 

Fi 


44  HISTOIRE    DES    CELTES, 

3.®  On  a  eu  occafion  de  montrer,  dans  le  premier  Livre  de  cet  Ou- 
vrage (44) ,  que  les  prétendus  Géants ,  que  les  Grecs  accufoient  d'avoir 
déclaré  la  guerre  à  Jupiter  ,  &  aux  autres  Dieux ,  étoient  les  anciens  Habi- 
tans  de  la  Thrace ,  qui  prenoient  le  nom  de  Titans ,  parce  qu'ils  croyoient 
defcendre  du  Dieu  Tis  ,  dont   ils  défendirent  le  culte  à  main  armée. 
Ainfi  ce  n'étoit  pas  un  privilège  particulier  aux  Rois  de  Thrace  ,  d'être 
de  la  race  de  Tis.   Le  Peuple  fe  glorifioit  d'avoir  la  même  extraftion^ 
auffibien  que  les  Princes  qui  le  commandoient. 
tes  autres    '   §.  VU.  Ce  qu'on  vient  de  dire  des  Tbraces  ,  doit  s'entendre  aufli  des 
dciKurôiln'c  autres  Peuples ,  qui  demeuroient  au  Midi  du  Danube ,  tels  qu'étoient  les 
rîlnu'be'.alio   Dardauieus ,  les  Méfiens  ,  les  Triballes ,   les  lUyriens ,  les  Gétes ,  les 
Dieu's'piê.''  Pannoniens  ,    &c.    Paul  Diacre  affure  (  45  )  que  le  Dieu  Teut  ,  qu'il 
mcTeut.       appelle  f^oJan  ,    étoit    adoré  par  toutes  les  Nations  de  la  Germanie, 
jufques  dans  la  Grèce.  EfFeâivement  on  trouve  par-tout  jdes  traces  du 
nom  de  Teut.  On  pourroit  en  alléguer  une  infinité  d'exemples,  fi  l'on 
ne  craignoit  de  fatiguer  le  Leûeur  par  tout  ce  détail.  Les  lUyriens  , 
'•  par  exemple  ,  appelloient  le  Pays  quieft  autour  de  Durazzo  (46),  Tau- 

tant,  c'eft  à-dire,  Pays  de  Teut.  Les  Pannoniens  avoient  aufli  une  forte- 
refle  qui  portoit  le  nom  de  Teutoburgium  (47) ,  &  une  autre  qu'ils  appel- 
loient (48)  Taurunum. 

On  croit,  au  refte,  que  quelques  Peuples  Gétes  &  Daces  appelloient 
Seuth,  le  même  Dieu  que  les  autres  défîgnoient  par  le  nom  AtTis,  ou  de 
Teut.  Ce  qui  fait  naître  cette  penfée,  c'eft  le  nom  de  Seutlhalc ,  ou  àe  Si- 
talces,  que  plufieurs  de  leurs  Princes  portoient  avec  un  nom  propre.  Jor- 
nandes,  par  exemple,  dit  (49)  que  Diceneus  vint  enGothicj  fous  le 
»  règne  de  SitaUus  Boroï/ha»,  c'eft-à-dire,  vers  le  tems  de  Jules-Céfar, 
dont  ce  Roi  des  Gétes  étoit  contemporain.  (50)  Thaïe ,  ou  Sckalc,  figni- 
fîoit,  dans  la  Langue  celtique,  ferv'ueur.  Il  paroît  vraifemblable  que 
Sitalcus  Boroïjla  eft  autant  que  Boroifla  ferv'ueur  de  Dieu ,  ou ,  comme 
l'on  diroit  aujovu'd'hui ,  Boroïjla,  par  la  grâce  de  Dieu:  ce  qui  confirme 
cette  penfée ,  qu'on  ne  donne  cependant  que  pour  une  fimple  conjec- 

(44    Voyez.  c'i'àcSas  Liv.  I.  ch.  j.  pag.  41.4S.  ,       (4»    Ftolem  II.  cap.  i«.  p.  Sj. 
4P.  SI.  5*.  (49)  Jornand.  cap.  i  : .  pag.  6i«,  Thocydnit 

(4s)  Paul.  Diac.  Rcr.  l.ongob.  I.  c.  S.  p.  357.  '  parle  auûî  d'un  Roi  des  Odryfes  ,  nomme'  Si- 

(46  Thuc/d.  I,  cap.  14.  p.  14.  j  mites.  Thucyd.  II.  cap.  i>.  p.  100. 

(47)  îtolera.II.  cap.  ic.  p.  63.  Antonio.  It.         (jo;  Ci-dciTus  Liv.  l.  ch.  15. p.  loj. 
pag.  I  S.  i 


LIVRE    III.    C  H  A  P  I  T  R  E    V.  45 

ture  ,  c'eft  que  ,  dans  la  fuite  ,  plufieurs  Princes  de  la  même  Nation 
prirent  le  nom,  ou  le  titre  de  (^  i)  Rhoemetalces ^  ou  de  (5  x) Rymetalces ^ 
c'eft- à-dire ,  dejirviteurs  des  Romains.  Ils  vouloient ,  fans  doute  ,  faire  leur 
cour  aux  Empereurs. 

§.  VIII.  N'oublions  pas  ici  les  Peuples  qui  étoient  fortis  des  Con-  lecieusu- 
trées,  dont  on  vient  de  parler,  &  qui  avoient  paffé  dans  l'Afie  mineure.  Ç-^^f/"'"" 
De  ce  nombre  étoient  les  Lydiens ,  les  Phrygiens  ,  les  Bithyniens ,  les  "^""''"  p"  i«s 

•'  ,  .  ■'  ,  l'?upl«  Celte» 

Mariandins ,  les  Cariens ,  les  Paphlagoniens ,  ôc  plufieurs  autres  ,  dont  v'  avoient 

on  donnera  ailleurs  le  catalogue.  Ils  vénéroient  tous  la  Terre,  avec  le  ÎAfleMineu- 

Dieu  (53)  Jus.  Atis ,  ou  (54)  As-tis ,  eft  le  Seigneur  Tis ,  que  l'on  appel- 

loit  auffi  (55  )  P  appas,  le  Seigneur  &  Père  ,  parce  qu'on  le  regardoit 

comme  le  Père  de  l'homme,  qu'il  avoit  tiré  de  la  terre.  Ces  Peuples 

avoient ,  d'ailleurs ,  fur  l'origine  de  l'homme ,  une  tradition  affez  fem- 

blable  aux  anciens  Habitans  de  l'Allemagne  (56)  :«  Les  Germains  célé- 

»  broient  par  d'anciens  vers  le  Dieu  Tuijlon ,  iffu  de  la  Terre ,  &  fon 

»fîls  Mannus,  auxquels  ils  rapportoient  l'origine  &  l'établiffement  de 

»  leur  Nation  ».  " 

La  Mythologie  des  Phrygiens ,  &  des  Lydiens  portoit  (57)  que ,  du 
Dieu  fuprême,  &  de  la  Terre  ,  étoient  defcendus  les  (58)  Ajii,  c'eft- 
à-dire ,  les  Seigneurs  ,  les  Divinités  fubalternes  ;  les  Atis ,  &  les  Cous  , 
c'eft-à-dire ,  les  Princes;  les  Manni ,  ou,  ce  qui  eft  la  même  chofe,  les 
Mœones  &  les  Lydi ^  c'eft-àdire,  les  hommes  &  les  peuples.  C'eft  ce 
qu'on  peut  voir  dans  les  difïérens  partages  cités  en  note.  Mais  il  faut 
remarquer  que  les  Grecs,  qui  nous  ont  confervé  la  tradition  de  ces  Peu- 
ples ,  l'ont  défigurée  en  bien  des  manières ,  &  qu'ils  ont  fur  tout  com- 
mis deux  fautes  confidérables.  Premièrement,  ils  ont  confondu  le  Dieu 
j4ns ,  ou  Cotis  ,  avec  une  infinité  de  Princes  ,  &c  de  Pontifes ,  qui  por- 
toient  le  même  nom  ;  les  uns ,  parce  qu'ils  préfidoient  à  fon  culte  ;  les 
^tres,  parce  qu'ils  prétendoient  en  tirer  leur  origine  :  l'autre  faute,  qui 

(si)  Tacit.  Ann.  II.  «7.  III.  38.  IV.  s.  &  47.  |        (s  s)  Diod.  Sic.  lib.  III.  p.  JJ4. 

(si)  rlutarch.  Apopht.  Toin.  II.  p.  107.  Uio  (5S    Tacit.  Gcrra.  cap.  2. 

Caflius  LIV.  p.  Sis-  S'^S•  s*»-  (57)  Dionyf.  Halic.  I.  p.  21.  Herodot.  I.  94, 

(53,  Seivius  ad  iEneid.  VII.  v.  761.  ApoUo-  j  IV.  45.  VU.  74.  Steph.de  Urb.  pag.  194.41;, 

Rii  Argonaut.  lib.  I.  v.i  i  25.  1 1  2«.  Schol.  Apol-  I  Euftatb.  ad  iMonyf.  Terieg  p.  59.  Diod.  Sic. Ilf, 
Ion.  adh.  loc.   pag.  11».  Harpocration  in  voce      134.  Plut.  Ifid.  &  Oflr.  pag.  3«o.  Atlien.  liU.  IV, 

At1i«p.  54.  j  cap.  22. 

($4j  Ci-delTils  note  (jj).  l       {$*)  Ci-deflus  note  ($>> 


Il  y  a  lieu  dt 
croire  que  l.i 
Pctfcs  aiio- 
l^ienr  le  Dieu 
Suprême 
Teut, 


Lis  Scyltits, 
qui  dcmcu- 
luiciic  au 


46  HISTOIRE    DES    CELTES, 

a  été  relevée  ailleurs  (  59  )?  c'eft  qu'ils  ont  rapporté  les  noms  des 
Peuples  Celtes,  comme,  par  exemple,  ceux  de  Lydi,  &  de  Manni ,  k 
quelques  anciens  R.ois,  qui  avoient  porté  ces  noms;  ils  leur  font  ordinai- 
rement époufer  des  Nymphes,  ou  des  DéelTes.  Ces  ttymologies  iont 
auffi  ridicules,  que  fi  l'on  difoit  que  les  noms  d'homme  &  dépeuple 
viennent  de  deux  Princes  Latins  qui  s'appelloient  Humus  &c  Vopulus. 

Quoi  qu'il  en  foit,  (  car  il  n'eft  pas  poffible  de  démêler  parfaitement  la 
vérité  des  fables  où  elle  a  été  enveloppée) ,  on  trouvera  parmi  les  Celtes 
de  l'Afie  mineure ,  comme  partout  ailleurs ,  des  noms  propres  dérivés 
de  celui  de  Tis ,  ou  de  TiUi  (60).  Les  Gallogrecs,  qui  paflerent  en  Afie 
plufieurs  fiecles  après  les  Phrygiens,  &  les  Lydiens,  avoient  deux  Tri- 
bus, dont  l'une  portoit  le  nom  de  (61)  Tcciofages ,  &c  l'autre  celui  de 
(.6z)  Teutobodiaci.  Onaaffez  indiqué  l'origine  de  ces  dénominations,  pour 
fe  difpenfer  d'y  revenir  dans  la  fuite. 

§.  IX.  On  a  prouvé  ailleurs  que  les  Celtes ,  dans  leur  Langue  ,  appel- 
loient  Dieu  (63)  God ,  de  la  même  manière  que  les  Allemands.  Mais, 
comme  ce  terme  God  eft  un  nom  appellatif,  qui  fignifie  le  (64)  bon, 
la  queftion  feroit  de  fçavoir  fi  le  nom  propre  de  Tis  ,  ou  de  Teut ,  étoit 
employé  par  les  Perfes  ,  comme  par  tous  les  autres  Peuples  Celtes ,  pour 
défigner  le  Dieu  fuprême.  Il  faut  avouer  qu'on  n'a  encore  rien  trouvé 
qui  l'établiffe  d'une  manière  pohtive  (65).  L'on  foupçonne  feulement 
que ,  lorfqu'Hérodote  dit  (^66) ,  que  la  Reine  Ameflris  fit  enterrer  tout 
»  vivans  quatorze  jeunes  Seigneurs  ,  comme  un  facrifice  d'aûion  de 
»  grâces  au  Dieu  que  l'on  place  fous  terre  »  ,  cet  Hiftorien  a  confondu 
V^tès  des  Phrygiens ,  &  peut-être  des  Perfes  ,  avec  VAdh ,  ou  le  Pluton  des 
Grecs.  Au  moins  verrons-nous  tout-à-l'heure ,  que  les  Romains  ont  fait 
une  bévue  parfaitement  femblable. 

§.  X.  Il  faut  repaffer  préfentement  en  Europe.  Les  Peuples,  qui  demeu- 
roient  au  Nord  du  Danube ,  &  que  l'on  défignoit  fous  le  nom  général 


(59)  Ci-delTus  Liv.  I.  chap.  8.  pag.  39.  40. 
chap.  u.p.  77.  78. 

(60)  Diod.  Sic.  lib.  II.  p.  80.  Cotn.  Nep.  in 
Datame  cap.  1.  Athen.  IV.  c.  10.  Pomp.  Mêlai, 
cap.  6.  pag.  2«.  rlin.  Hift.  Nat.  lib.  V.  cap.  30. 
Plutarch.  de  Flum.  Tom.  II.  pag.  i  iSr.StobïUs 
Serm.  242.  pag.  193.  Fojfi.  ci-deiTus  note  (57). 
yï/iBK/k  j  maifon  de  Tii, 


{6i)  Ci-deffus  Liv.  I.  ch.  8.  pag.  33.  ch.  14. 
pag.  93- 

(62;  Plin.  V.  cap.  32.  p.  *2S.  Voyci.  ci-de0Us 
note  «I.  Teuiohodin  ,  Pays  de  Tint. 
(<}')  Ci-deflTus  Liv.  I.  ch.  i  J.  p.  1I3. 
{64    Ci-dcflus  §.  2.  &  j. 
(fis)  ci-après  $.  15. 
(a)  Heiodoc.  V^.  cap,  114. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    VI. 


47 


de  Scythes ,  ont  été  peu  connus  des  Anciens.  On  entrevoit ,  cependant ,  Nora  du  m 
que  les  Scythes  donnoient  au  Dieu  fuprême  le  nom  de  Tay ,  ou  de  Tau 


i.**  Il  paroît,  par  un  paffage  de  Théophilaûe  Simocatta  (67),  que 


(«7)  Teophyl.  Simoc.  lib.VII.  cap.  s,  p.  ij6. 

(68)  Thcophyl.  Sun.  TH.  cap.  9.  p.  176. 

(69)  Herodot.  IV.  59. 

(70)  Ci-deffus  ,  ch.  IV.  $.  i.  note  1. 

(71)  Herodot.  I.  cap.  131.- 

(7  2)  CherfetttfusTnuris».  C'cft  l'origine  du  nom 


de  TnHTi ,  que  les  Grecs  donnoient  aux  Scythes 
de  cette  Contrée., 

(73)  Arrian.  Pciipl.  Pont.  Euxin.  p.  130. 

(74)  Herodot.  IV.  5^.  Voyit.  ci-deflus  Ul.  l. 
ch.  13.  p.  83. 


ivjbe  ,  doii- 

noijnt    ail 

Di.'  !  Suprè- 

nu  Ij  nom 


de 


«.les  Turcs  vénéroient  le  Feu  ,  l'Air,  &  l'Eau  ;  qu'ils  célébroient  la  ^' 
»  Terre  dans  leurs  hymnes  ;  mais  qu'ils  n'adoroient  &  n'appelloicnt 
»  Dieu  ,  que  celui  qui  a  fairt  le  Ciel  &  la  Terre  ».  Dans  le  Chapitre 
fuivant ,  le  même  Hiflorien  obferve  (68)  que  «  le  Souverain  de  la 
»  Ville  de  Taugas  s'appelloit  Tay  fan,  ce  qui  fignifioit ,  en  Gxf,fils  de. 
»  D'uu  ».  San ,  on  fort ,  fignifioit ,  en  Scythe,  un  fils.  Ainli  Tay  étoit  le  nom 
du  Dieu  qui  a  fait  le  Ciel  &  la  Terre.  Les  Princes  Turcs  prenoient ,  fans 
doute ,  le  nom  de  Tayfan ,  pour  marquer  qu'ils  tiroient  leur  origine  de 
ce  Dieu,  &,  félon  les  apparences ,  la  vénération  que  les  Turcs  avoient 
pour  la  Terre,  venoit  de  ce  qu'ils  la  regafdoient  comme  la  mère  des 
vivans. 

Ces  idées  s'accordent  affez  avec  ce  qu'Hérodote  dit  du  Jupiter  des 
Scythes  &  des  Perfes  (69).  Les  Scythes  croy oient  que  La  Terre  efi  la 
femme,  de  Jupiter.  Ils  donnoient  à  Jupiter  le  même  titre  que  les  Phry- 
giens ,  defcendus  des  Scythes ,  donnoient  à  leur  Atïs.  Ils  l'appelloient 
PappcEus  (70).  Les  Perfes  nommoient  Jupiter  (71)  toute  la  voûte  des  cieux 
c'eft-à-dire ,  l'Ame  univerfelle  ,  qui  environne,  oc  qui  pénétre  toutes  les 
différentes  parties  du  monde  :  mais  il  y  a,  aureite,  dans  le  récit  d'Héro- 
dote plufieurs  difficultés.  On  en  a  déjà  indiqué  quelques-unes ,  &  l'on 
touchera  les  autres  dans  le  Chapitre  fuivant. 

2.^  La  Cherfonnèfe  Cimmérienne,  qu'on  nomme  aujourd'hui  la  Tarta- 
rie  Crimée ,  étoit  appellée  par  les  anciens  Habitans  du  Pays  Taurich 
(ji),  c'eft-à-dire  ,  le  Royaume  de  Tau,  &c  ces  Peuples  avoient,  comme 
les  autres  Peuples  Celtes,  des  Princes  du  nom  de  (j-^^Botys. 

1.^  On  a  beaucoup  de  penchant  à  croire  que  le  Roi  Targitaiis  (74) 
auquel  les  Scythes  rapportoient,  félon  Hérodote  ,  l'origine  de  leur  Na- 
tion, étoit  le  Dieu  même  dont  on  vient  de  parler,  le  bon  Taus,  Tar- 


48  H  I  S  T  O  I  R  E    D  E  S    C  E  L  T  E  S , 

Githt-Taus ,  OU  ,  comme  les  Allemands  dirolent  aujourd'hui  ,  der- 
guthe-Tr.us.  Au  refle,  ce  n'eft  qu'une  conjechire. 
Lcs^ncia-.s  §.  XL  II  Hc  rcfte  plus  qu'à  parler  des  anciens  Habitans  de  l'Italie  &  de 
ritaiieaao-  la  Grcce.  Avant  que  des  Colonies  étrangères  enflent  pafl^e  en  Italie,  les 
SupiimcDif.  y^borigines ,  a^\.\\  reçurent  enfuite  le  nom  de  Romains,  adoroient  (75  )  le 
Père  Dis ,  auquel  ils  ofFroient ,  fuivant  l'ufage  des  Celtes  ,  des  viâimes 
humaines.  Ces  Peuples  avoient  furtout  une  grande  Fête ,  qu'ils  célé- 
broienfau  commencement  du  Printems,  &  pendant  laquelle  on  avoit 
coutume  de  précipiter  dans  le  Tibre  trente  hommes  fexagénaires.  Les  Au- 
teurs Latins  affurent  qu'Hercule  abolit  ce  barbare  ufage;  mais  que,  pour 
ne  pas  effaroucher  les  efprits ,  qui  demeuroient  attachés  aux  anciennes 
fuperftitions ,  on  jugea  à  propos  de  conferver  une  image  de  ce  facrifîce 
(76),  &  de  jetter  tous  les  ans,  dans  le  Tibre,  trente  hommes  de  paille. 
Servius,  dans  fon  Commentaire  fur  Virgile ,  remarque  (77)  que  les 
Etrufces  appelloient  le  Dieu  des  Romains  Mantus.  Man ,  dans  l'an- 
cienne Langue  de  l'Italie,  fignifioit,  comme  en  Allemand  (78),  bon^ 
vaillant.  Ainfi  Mantus  efl  encore  le  bon  Tus.  Il  n'eft  pas  fans  apparence 
que  c'eft-là  la  véritable  origine  du  nom  de  Tufces  (79),  que  les  Habi- 
tans du  Pays  de  Florence  portoient  dans  les  tems  les  plus  reculés. 

Au  refte,  il  ne  faut  pas  confondre  ,  comme  plufieurs  l'ont  fait,  le  Dis 
des  Aborigines,  ouïe  7"k5  des  Etrufces ,  zvecVAdh  des  Grecs  modernes, 
qui  eft  le  même  que  Pluton.  Pluton  étoit  le  Dieu  de  la  mort  &  de  l'Enfer, 
Dis  étoit  le  Dieu  fuprême ,  celui  qui  avoit  formé  l'homme.  C'eft  pour 
cela  qu'on  l'appelloit  le  Dis  Pater,  ou  Ditis  Pater,  le  Père  Dis,  parce 
qu'on  le  regardoit  comme  le  Créateur  &  le  Père  du  genre  humain. 
Pluton  ,  qui  pafl'oit  pour  avoir  été  frère  de  Jupiter  &  de  Neptune  , 
n'étoit  afTurément  point  connu  par  les  premiers  Habitans  de  l'Italie.  Les 
Hercules ,  c'eft-à-dire  ,  les  Princes  Grecs  ,  qui  avoient  conduit  des 
Colonies  dans  ce  Pays,  aulieu  d'abolir  fon  culte,  tâchèrent,  au  con- 
traire ,  de  l'établir  ;  mais  ils  combattirent  ,  &  ils  détruifirent ,  autant 
qu'il  fut  en  leur  pouvoir,  la  Religion  des  Titans,  c'eft-à-dire ,  des  adora- 


(7  1]  Servius  ad  Virgil.  Georg.  I.  v.  43-  p-  ««. 
Pomp.  Feft.  p.  1 43 .  Varto  de  Linguà  Lat.  lib.  VI. 
pag.  7  5.  &  in  Fragment.  Satyr.  Menyp.  p.  27s. 
Pionyf.  Hal.  I.  cap.  4.  p.  27.  30. 
^  (if)  Voyti,  la  note  prcce'dentc  8c  ci-d.  Liv.  I. 


chap.  10   vers  la  fin. 

(77    Servius  ad  Sneid  X.  v.  i  99-  p.  to6. 

(78^  Poinp.  Feftus  Pauli  Diac.  p.  312.  Vwto 
de  L.  Lat.  lib.  V.  p.  4. 

(7?)  Ci-deflus  Liv.  I.  ch.  10.  p.  53. 

teur» 


LIVRE    III.     CHAPITRE    VI.  4^ 

teurs  du  Dieu  Tis.  Il  (emble  que  Cicéron  lui-mcme  ait  fenti  que  le 
Dis  des  anciens  Romains  ne  pouvoir  être  le  Dieu  du  Tartare.  Il  croit  (80) 
que  «le  Père  Dis  eft  la  vertu  de  la  terre,  d'oii  tout  fort,  &  oii  tout 
»  rentre  ».  Les  Celtes  en  avoient  à-peu-près  la  même  idée  ;  ils  regar- 
doient  Dis  comme  l'Ame  de  la  terr.e  &  du  monde  entier. 

Cependant ,  il  ne  faut  pas  être  furpris  que  plufieurs  Auteurs  célèbres 
de  l'antiquité ,  fans  faire  attention  à  des  différences  fi  notables  ,  ayent 
confondu  le  Dis  des  anciens  Celtes,  avec  VAdh  des  Grecs  modernes. 
Deux  chofes  ont  pu  facilement  leur  en  impofer.  Premièrement,  la  ref- 
femblance  du  nom  à'Jdh  avec  celui  de  Dis  ;  en  fécond  lieu ,  la  confor- 
mité du  culte  que  l'on  rendoit  à  ces  deux  Divinités.  Les  Celtes  oilroient 
des  viâimes  humaines  à  leurs  Dieux.  Ils  croyoient  les  appaifer ,  &  fe  ra- 
cheter eux  mêmes  de  la  mort ,  en  enterrant  des  hommes  tout  vivans  , 
ou  en  les  noyant.  Leurs  Affemblées  religieufes ,  les  plus  folemnel'es  ,  fe 
tenoient  de  nuit.  Les  Grecs  offroient  aufîi  à  Pluton  des  viftimes  hu- 
maines. Ils  précipitoient,  ils  noyoicnt  des  hommes,  pour  appaifer  le  Dieu 
de  la  mort  &  de  l'enfer.  Les  facrifices  deftinés  aux  Divinités  infernales 
s'offroient  ordinairement  de  nuit.  Il  n'en  falloit  pas  davantage  pour  faire 
croire  que  le  Dis  des  Ahorigines  étoit  le  Pluton  des  Grecs  modernes. 
Ce  fut  fur  de  femblables  apparences  que  Jules-Céfar  jugea  (81),  que  le 
Teutates  des  Gaulois  étoit  aufli  le  même  que  Pluton  ;  &  c'eft  fur  un 
fondement  bien  plus  léger  encore ,  que  Plutarque ,  l'un  des  hommes 
les  plus  fçavans ,  6d  les  plus  judicieux  de  fon  fiécle ,  a  foupçonné  (82)  que 
les  Juifs  adoroient  le  Dieu  Bacchus ,  parce  que  les  réjouiflances  qu'ils 
faifoient  pendant  la  Fête  des  Tabernacles  reffembloient  aux  Bacchanales 
des  Grec, 

Puifque  les  anciens  Habitans  de  l'Italie  adoroient  le  Dieu  Tis  ^  ou 
Teut ,  il  n'eft  pas  furprenant  qu'il  y  eût  dans  ce  Pays ,  comme  dans  tout 
le  refte  de  l'Europe  (83)  ,  des  Teutons ^  Se  que  l'on  ait  même  placé  (84}, 
dans  le  voifinai;e  du  Mont  Véfuve  ,  le  champ  de  bataille  où  les  Titans  fi- 
rent défaits  par  les  Dieux.  Les  Grecs ,  qui  avoient  paffé  dans  le  Royaume 
de  Naples ,  vinrent  à  bout  d'y  établir  leur  Religion ,  mais  ce  ne  fut  qu'après 


» 

(so)  Ciccro  de  Kat.  Deor.  lib.  II.  cap.  6i. 
(II)  Ci-deflus  §.  4. 

(«i)  Plutarch.  Symyof.  lib.  IV.  Qua:ft.  s- 
(»3)  Servias  ad  JEntid,  X.  v.  ijf-  p-  ^«4. 


(«4'  Serv.  ii  Mb.  III.  v.  57».  p  311.  Ariff, 
de  Mir.  Aufcult,  p.  707.  Fy<ï,  ci-deflus  Liv.  I. 
chap.  ».  p.  17, 


Les  anciens 
hjbiuiisdc  la 
Grèce  ado 
roif  iir  le  Oic'.i 
Suprême 
Teut, 


50  HISTOIRE    DES    CELTES, 

avoir  foutenu,  de  la  part  des  Habitans  naturels ,  de  longues  &  de  violenteS 
oppofitions,  qui  furent  quelquefois  portées  jufqu'à  une  guerre  ouverte. 

§.  Xll.  Pour  finir  par  les  Grecs ,  on  trouve  dans  Hérodote  quelques 
pafîages  remarquables  fur  laReligion  de  ces  Peuples.  Il  dit ,  par  exemple 
(85),  que  «les  noms  de  la  plupart  des  Dieux  (il  s'agit  de  ceux  dont 
»  le  culte  étoit  établi  de  fon  tems  )  étoient  paffés  de  l'Egypte  en  Grèce  »>. 
Il  ajoute,  un  peu  plus  bas  (86),  que  «les  Pclafges  ,  qui  étoient  les 
»  plus  anciens  Habitans  de  la  Grèce ,  ne  donnoient  ni  nom  ,  ni  furnom 
i}  aux  Dieux ,  &  qu'ils  n'en  avoient  pas  même  entendu  parler.  Ils  les  ont 
«appelles  Dieux,  parce  qu'ils  avoient  difpofé,  &  qu'ils  conduifoient 
»  toutes  chofes  avec  ordre  ».  Cela  ne  fignifie  pas  que  les  Pélafges  étoient 
des  athées.  L'Hiftorien  avoit  remarqué  ,  quelques  lignes  auparavant  (§7)» 
qu'ils  «  immoloient  des  viûimes ,  &  qu'ils  faifoient  confifter  l'effence 
»»  du  facrifice  dans  les  prières  dont  il  étoit  accompagné  ».  Il  veut  dire  que 
les  Pélafges  ne  fe  fervoient  que  du  nom  de  -àloç ,  Dieu ,  aulieu  que  les  noms 
de  Jupiter,  de  Junon,  de  Neptune,  de  Bacchus,  &  les  différens  furnoms 
que  l'on  donnoit  à  ces  Divinités ,  leur  étoient  parfaitement  inconnas. 
Hérodote  reconnoît  donc  que  le  mot  de  0;oç  vient  des  Pélafges  ;  mais  il 
lui  donne  une  étymologie  tirée  du  Grec ,  que  l'on  parloit  de  (on  tems. 
Cette  Langue  ne  s'étoit  formée  que  depuis  (88)  l'expulûon  des  Pélafges. 
D'autres  ont  dérivé  le  mot  de  0fcç  du  verbe  flea,  je  cours,  Siao,ua!,/e 
aonumph.  On  a  dit  encore  que  le  nom  de  ZeJç  ou  de  Xijc,y  Jupiter,  d'où 
l'on  a  fait  le  génitif  Aie;,  vient  de  Aet/a,  j'arrofc. 

On  doit  peu  fe  mettre  en  peine  de  Ces  étymologies ,  qui,  félon  les  ap.. 
parences  ,  font  toutes  fauffes.  Mais  les  divers  noms  dez.«Jf,'  Aew'ç,  0ee«, 
font  une  corruption  de  celui  de  Teut ,  ou  de  Tis ,  & ,  par  conféquent ,  l'on 
ne  doit  point  douter  de  la  folidité  de  la  remarque  de  Paul  Diacre ,  qui  dit 
(89)  que  «  le  Mercure  des  Germains  étoit  autrefois  adoré  jufques  dans 
»  la  Grèce  ».  Delà  vient  que  l'on  trouve  dans  ce  Pays ,  comme  dans 
tout  le  refte  de  l'Europe ,  des  (  90  )  Titans ,  &  des  Princes  dont  le  nom 
efl  dérivé  de  celui  de  (91)  Teut.  On  trouve  encore  que  la  coutume  des 


(85'  Herodot.  II.  50. 

(««)  Herodot.  II.  52.  Kojtt, çi-cj^flïu  I,iv.  I. 
ch.  9-  p-  47-  4«- 

(S7)  Hcrodoî.  II.   SI. 

(«  « j  Ci-d.  Us,  I.  tl».  »  ■  (■  48  •  4»  • 


(«9    Gi-defTus  §.  ç.      . 

(yojSuid.  Tom  m,  f.  479.  Ifid.Orig  lib.IX, 
cap  i.  p.  1045.  Perron  ,  Aiiciq.  de  la  Nat.  &de 
la  Lang.  des  Cclt.  p.  133.  1  40. 

(9 1 )  Vi^jti.  ci-dcA'us  X.1Y.  I.  ch.  i\-  tcis  U  fi». 


LIVRE     lîl.     CHAPITRE     VI.  yi 

Thraces  ,  qui  donnoient  à  leurs  Princes  le  nom  du  Dieu  dont  ils  fe 
croyoient  iffus  ,  s'étendoit  anciennement  jufqu'aux  Grecs  (  91  ).  On 
prétend  même  que  ce  fut  une  des  caufes  de  la  groffière  idolâtrie  ,  où  ces 
Peuples  tombèrent  dans  la  fuite.  Donnant  à  des  hommes  le  nom  de  Dieu, 
ils  s'accoutumèrent  infenfiblement  à  leur  rendre  les  honneurs  divins. 

Il  ne  fera  pas  inutile  de  faire  ici  une  remarque,  qui  appartient  natu- 
rellement à  notre  fujet,  &  qui  fervira  d'ailleurs  à  montrer  jufqu'à  quel 
point  les  Grecs  étoient  capables  de  prendre  le  change,  lorfqu'il  s'agif- 
foit  des  Divinités  étrangères.  La  Religion  des  Pélafges  avoit  été  bannie 
de  la  Grèce  (93)  par  la  défaite  des  Titans.  Plufieurs  fiécles  après ,  vers 
le  tems  des  Poètes  (94)  Efchyle  &  Ariflophane ,  quelques  Grecs,  qui- 
avoient  été  dans  le  Pays  des  Thraces ,  appelles  Edoniens ,  en  rappor- 
tèrent le  culte  du  Dieu  Cotjs ,  qui  trouva  quelques  partifans  à  Corin- 
the  &  à  Athènes.  Mais,  comme  les  aflemblées  fe  tenoient  de  nuit,  &c 
que  l'on  y  commettoit  des  excès  de  boiflbn ,  qui  conduifoient  quelque- 
fois à  d'autres  débauches,  comme  la  danfe  de  Cotjs(^^'j  ),  dont  on  a. 
parlé  plus  haut ,  imitolt  d'ailleurs  celle  des  Bacchantes,  on  fit  non-feu- 
lement de  Cotys  une  Déeffe ,  mais  encore  une  (96)  Vénus  ,  qui  préfi- 
doit  à  l'impureté ,  &  à  la  proftitution.  C'efl  pour  cela  que  le  Poëtt 
Ariftophane  vouloit  (97)  que  fon  culte  fût  banni  de  toutes  les  Villes 
bien  policées. 

§.  XIII.  On  croit  avoir  prouvé  que  tous  les  Peuples  de  l'Europe 
adoroient  anciennement  le  Dieu  fuprême  fous  le  nom  de  Teuc.  Avant 
que  de  paffer  plus  loin ,  il  faut  examiner  pourquoi  la  plupart  des  An- 
ciens ont  pris  le  Tcut  des  Celtes  pour  les  Mercure  des  Grecs  &  de» 
Romains.  Il  y  en  a  deux  raifons  fenfibles. 

i<*.  Les  Celtes ,  qui  avoient  une  demeure  fixe  ,  &  qui  étoient  établis  Pourquoi  u 
dans  un  Pays  découvert,  oii  il  n'y  avoit  point  de  forêts ,  tenoient  leurs  a  Jens-nt- 
affemblées  civiles  ,  &  religieufes  ,  non  dans  le  lieu  même  de  leur  habi-  ïivfdcTce'i! 
tation ,  mais  hors  du  Village ,  près  du  grand  chemin ,  ou  fur  quelque  ^  c"^'  det 
«olline  ,  s'il  y  en  avoit  dans  le  voifmage.  On  le  prouvera ,  lorfqu'il  fera  ^  ''  ^  f" 


(»2:)  TxetE.  adLycophr.  p.  13.  121. 
{f})  Vojex.  ci-deflus  Liv.  I.  ch.  j.  vers  la  fia. 
(94)  Sttabo  X.  p.  470. 

(j  j    Suidas  Tom.  II.  p.  197.  &  in  voce  Ko'tv» 
Com.  II.  p.  %i%.  Vùj,  ci-dclTus  $.  YI.  note  4). 


Le  mot  de  (Diarum  ou  de  ®:àati ,  fîgnifie  lui* 
Danfe  facre'e  ,  une  Danfe  Bacchique. 

(96)  Juvenal.  Satyt.  II.  y  ji.  Horat.  Epo4< 
XVIII.  V.  4. 

(»7)  CiCCIQ  et  Legib.  lib.  II.  cap.  17, 

G» 


51  HISTOIREDESCELTES, 

qaeftion  de  parler  des  Temples ,  ou  plutôt  des  Sanfluaires ,  que  les  Peu- 
ples Celtes  confacroient  à  la  Divinité.  Il  fuffira  de  remarquer  ici , 
qu'Hérodote,  rapportant  la  marche  de  l'armée  de  Xerxès ,  dit  (98)  que 
»  les  Celtes  étant  arrivés  dans  le  Pays  des  (99)  Edoniens,  &  ayant 
»  appris  que  le  lieu  où  ils  étoient  campés  ,  s'appelloit  lef  Naïf-  Chc~ 
M  minSf  y  enterrèrent  vivans  neuf  jeunes  garçons  ,  &  autant  de  jeunes 
»  filles.  »  Cet  endroit,  qu'on  appelîoit  /es  Neuf-  Chemins,  étoit,  félon 
les  apparences,  un  célèbre  Sancluaire  où  les  habitans  de  neuf  cantons 
différens ,  venoient  célébrer  la  fête  de  Cotys.  Ce  qu'Hérodote  ajoute  , 
l'infinue  clairement  (100):  «  Jufqu'i  ce  jour,  les  Thraces  ne  labourent, 
»  ni  ne  fement  le  chefnin  ,  où  Xerxès  paffa  avec  fon  Armée  ,  mais 
»  ils  l'ont  en  grande  vénération.  » 

On  voit  ici  le  fcrupule  ,  ou  la  manie  des  Peuples  Celtes ,  qu'on  a 
déja(ioi)  remarquée.  Ils  ne  vouloient  pas  que  l'on  labourât  la  terre 
des  lieux  confacrés  ,  de  peur  de  troubler  l'aftion  de  la  Divinité  qui 
y  réfidoit.  C'eft  pour  cette  raifon  qu'ils  portoient  dans  les  lieux,  où 
ils  avoient  coutume  de  tenir  leurs  aflemblées  religieufes  ,  un  grand 
nombre  de  groffes  pierres.  Ils  prcnoient  cette  pr 'caution  ,  non -feule- 
ment pour  avertir  les  pafljns  qu'il  y  avoit-là  un  Mallus ,  un  San£li>.aire, 
mais  encore  pour  empêcher  que  la  charue  n'y  pafiât ,  &  qu'une  ma  n 
facrilége  ne  remuât  une  terre  qui  devoit  demeurer  inculte,  afin  que  la 
Divinité  pût  y  rendre  fes  oracles.  On  trouve ,  encore  aujourd'hui ,  en 
divers  endroits  de  l'Allemagne ,  &  de  l'Angleterre ,  de  ces  amas  de 
pierres  ,  dont  on  peut  voir  la  defcription  dans  la  fçavante  differta- 
tion  que  M.  (102)  Keyfler  a  publiée  fur  cette  matière  :  il  y  a  lieu  de 
croire  qu'on  en  trouve  auffi  en  France.  Voici  ce  qu'en  dit  le  Père 
de  Roftrenen,  dans  fon  Didionnaire  François-  Celtique  ,  au  mot  Féei 
(103)  «Lieu  de  Fées  ou  de  facrifices.  C'eft  ainfi  que  le  vulgaire  appelle 
»  certaines  pierres  élevées  ,  couvertes  d'autres  pierres  plates  ,  fort 
»  communes  en  Bretagne ,  &  où  ils  difent  que  les  Payens  ofTroient 
»  autrefois  des  facrifices.  »  Strabon  affure  ,  fur  le  rapport  d'Artemidore  , 


(9S)  Herodot.  Vil.  cap.  114. 

{99)  Les  Edoniens  etoient  voifîns  de  la  Mï- 
cédoine  :  la  ce'Ie'bre  Ville  d'Amphipoles  étoit 
ians  leur  territoire.  Harpocratioa  p.  ï«,  {«4. 

(toe)  Hetodot.  VU.  cap.  11^^ 


(  loi  J    Strabo  III.  pag.    154..   Herodot.  VII. 
cap    1 14.  1 1  s^ 

(loz)  Keyfler  ,  Antiq,  Seleft».  Sept,  p    H». 
(lOJj  Pig.  401, 


LIVRE    m.    C  H  A  P  I  T  R  E    VI.  53 

qui  avoit  été  fur  les  lieux  (104)  ,  que  l'on  voyoit  auffi  de  ces  amas 
de  pierres  en  Efpagne  ;  &  ,  s'il  faut  en  croire  Quinte-Curce  (105  ,  Ale- 
xandre le  Grand  en  trouva  jufques  dans  la  S:ythie. 

Les  Grecs  pratiquoient  quelque  chofe  de  femblable  :  ils  fiiifoient  fur 
les  (  106)  collines  ,  &  le  long  des  grands  (107)  chemins  ,  des  amas  de 
pierres  qui  étoient  confacrées  à  'Mercure  ,  le  Dieu  tutélaire  des 
Voyageurs  ;  on  lui  attribue  l'infpeûion  des  grands  chemins.  Ils  avoient 
encore  la  coutume  de  pofer  dans  les  chemins  des  pierres  quarrées  (108)  , 
qui  étoient  fous  la  proteûion  du  même  Mercure  ;  elles  fervoient  à  mar- 
quer, tant  la  diftance  des  lieux,  que  le  nom  des  Villes  oii  le  chemin 
conduifoit.  On  voyoit  encore  de  ces  pierres  quarrées ,  que  les  Grecs 
appelloient  (109)  Hcrmas ,  à  l'entrée  des  Temples  ,  &  même  des  maifons 
particulières. 

Peut-être ,  que  la  plupart  de  ces  coutumes  venoient  originairement 
des  Pélafges ,  qui  étoient  un  Peuple  Scythe ,  ou  Celte  ,  comme  on  l'a 
prouvé  dans  le  premier  Livre  de  cet  Ouvrage.  On  convient  (i  10)  ,  en 
effet,  que  ces  anciens  habita ns  de  la  Grèce  offroient  leurs  facrificcs  fur 
des  montagnes  ,  &  (i  1 1)  qu'au  lieu  d'avoir  des  Idoles  ou  des  Sti^tues  , 
ils  confacroient  à  la  Divinité  des  pierres  brutes.  Le  nom  même  de 
Hermès ,  que  les  Grecs  donnoient  à  Mercure  ,  defcend  ,  peut-être  ,  de 
la  Langue  des  Celtes  ,  dans  laquelle  Heer  ,  défignoit  une  Armée ,  Harf- 
traat ,  ue  grand  chemin ,  Har-Mann ,  un  homme  de  guerre  ,  Harbcrg^  une 
auberge ,  Hcerbariy  une  convocation  de  l'Armée.  Selon  cette  étymologie , 
le  mot  de  Hcrmïs  feroit  compofé  de  celui  de  Har  ^  Armée  ,  &  de  Mejfen 
mefurer ,  &  ne  défigneroit  que  les  pierres  qui  fervoient  à  mefurer  les 
grands  chemins,  &,  par  conféquent,  la  marche  des  Armées. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  de  cette  conjefture  ,  le  détail  où  l'on  vient  d'entrer 
montre  ,  au  moins ,  comment  il  a  pu  arriver  que  tant  d'Auteurs  célèbres 
ayent  affuré  que  le  Teut  des  Celtes  ,  étoit  le  même  Dieu  que  Mercure. 
Les  Romains  &  les  Grecs ,  qui  avoient  vu  dans  leur  Pays  une  infinité 


(104)  Strabo  III.  p    13  ». 

(105    Curtius  VII.  cap.  •. 

(i  o«)  Homcr.  Odyff.  XVI.  T.  47 1  .Ifidot.  Glofl". 
fag.  II. 

(107I  Hcf;chiuf.  rhurnutus  dcNat.  D.  p.  57- 

(io«;  Suidas.  Voffius  de  Oiig.  &  Prog.  Idol. 
lib.  U.  cap.  jx,  pag.  za,  ii'AcutU  DiiiSyiU 


Synt.  II.  cap.  15.  La  Mariinieie,  Dicl.  Ge»gr. 
au  mot  Mercure. 

(10»',  Corn.  Ncp.  Alcib.  cap.  3.  Plmarck. 
Alcib.  cap    20, 

(1  10,  Maxim.  Tyr,  Difl".  3.  »,  p.  45i.-4i*, 

(m;  fanfan.  VU  p.  57s. 


54  HISTOIRE    DES    CELTES, 

d'amas  de  pierres  confacrces  à  Mercure ,  &  qui  en  trouvèrent  de  fem-* 
blables  dans  toute  la  Celtique,  en  conclurent ,  fans  hcfiter ,  que  Mercure 
étoit  fervi  par  tous  les  Peuples  Celtes.  Il  ne  faut  pas  douter  que  les  Gau- 
lois n'avouaflent  encore  eux  -  mêmes  (i  1 1) ,  que  leur  Teut  ctoit  le  guide 
&  le  patron  des  Voyageurs,  Leurs  Sanûuaires ,  qui  avoient  le  droit  d'azile  , 
étoient  hors  des  Villes  Sc  des  Villages ,  le  long  des  grands  chemins.  II 
y  avoit  une  pleine  fureté  dans  les  chemins ,  non-feulement  pour  les  Gens 
du  Pays ,  qui  alloient  à  un  Sanctuaire  ,  ou  qui  en  revenoient ,  mais 
encore  pour  les  Voyageurs  étrangers  Ci  13),  que  l'on  avoit  foin  de 
conduire  ,  &  d'efcorter  d'un  canton  &  d'un  territoire  à  l'autre  ,  afin 
qu'ils  ne  fuffent  point  infultés  fur  la  route.   C'ell-là ,  autant  qu'il  eft 
poffible  d'en  juger,  la  première  &c  la  principale  raifon  pour  laquelle 
on  a  confondu  fi  généralement  le  Teut  des  Celtes  avec  le  Mercure  des 
Grecs  &  des  Romains. 

A  ces  raifons,  il  faut  en  ajouter  une  autre,  qu'il  fuffira  d'indiquer* 
ici.  Entre  les  différens  Mercures  ,    dont  la  Mythologie  Payenne   fait 
mention"  il  y  en  avoit  un  ,  qu'on  appelloit  le  Célejle,  &  qu'on  regar- 
doit  comme  l'ame  du  monde.  Nous  verrons  tout-à-l'heure  (114)»  4"^ 
c'étoit-là  précifément  l'idée  que  les  Celtes  avoient  de  leur  Teut. 
Cus'quîs-uni       §.  XIV.  Il  s'eft  trouvé  ,  cependant ,  quelques  Anciens  qui  ont  cru 
ont  cru  que  le  que  Ic   Tcut  àçs  Celtes  n'étoit  pas  Mercure ,  mais  Saturne.  Denis  d'Ha- 
t«  étoic  Sa-  licarnafle,  par  exemple  ,  rapporte  (115)  «  que  les  Pélafges  ayant  été 
**'^''**  »  chaffés  de  leur  Pays,  c'eft-à-dire  de  la  Grèce ,  &  ne  fçachant  où  aller , 

»  confulterent  l'Oracle  de  Dodone  ,  &  reçurent ,  pour  réponle,  qu'ils 
»  dévoient  pafler  en  Italie  ,  s'établir  dans  le  Pays  des  Aborigines ,  en- 
«voyer  à  Apollon  les  dîxmcs  de  leurs  fruits,  &  offrir,  en  même-tems, 
»)  les  têtes  des  hommes  à  Pluton ,  &  le  refte  du  corps  à  fon  père.  » 

On  voit  bien  quel  étoit  le  but  de  cet  Oracle.  Il  ordonne  aux  Grecs , 
qui  pafleront  en  Italie  ,  d'un  côté ,  de  ne  pas  négliger  le  culte  d'Apol- 
lon ,  &  de  l'autre  ,  de  fe  conformer  aufll  à  la  Religion  des  Aborigines , 
•n  offrant  des  victimes  humaines  aux  Dieux  du  Pays  ,  qu'il  fuppofe  être 
Pluton  (116),  &  Saturne  fon  père,  Mais  on  voit  encore  mieux,  dans  cet 
Oracle,  l'ignorance  de  l'Impofteur ,  qui  l'avoit  forgé.  C'efl  un  Grec  qui , 

(H2)  CzfarVI.  17.  I       (115)  Dionyf.  Halic.   lib.  I.  p.  i«.  MaCtob, 

(lis)  Ci-de/Tus  Lit.  II.  ch.  17.  p.  175.  1  Saturn.  I.  cap.  7.  p.  i  s  3. 

jiH)  Amm.  Maicell.  lib.  XVkp.  uj.  (      (n«J  Oionyf.  H.Ï.  p.  1<, 


LIVRE    m.    CHAPITRE    Vt.  55 

ayant  oui  dire  que  les  Aborigines  ofFroient  des  victimes  humaines  au 
père  Dis  (Diù  Patri ,  )  s'imagina  que  c'étoient  deux  Divinités  différentes. 
Il  crut  que  Dis  étoit  ÏAdh  des  Grecs,  &  Pater ,  Saturne  fon  père. 

Pour  revenir  à  Denis  d'HalicarnafTe  ,  il  eft  dans  l'opinion  que  Sa- 
turne  étoit  adoré  par    les  anciens  habitans  de  l'Italie,   &  même  pai* 
tous    les    Peuples    Celtes  (  i  •  7  )•  "  Avant  ,    dit  -  il  ,  qu'Hercule  eût 
I»  palTé  en  Italie ,  la  colline  fur  laquelle  on  a  bâti  le  Capitole ,  étoit 
y>  copliicrce  à  Saturne  ,  &  portoit  fon  nom,  Auffi  ,  toute  la  contrée 
»  qu'on  appelle  aujourd'hui  Italie,  étoit  confacrée  au  même  Dieu.  Les 
»gens  du  Pays  la  nommoient  Saturnie.  C'efl;  ce  que  l'on  peut  voir  dans 
»  quelques  Poèmes  des  Sibilles,  &  dans  d'autres  Oracles  où  fe  trouve 
»  ce  nom.  Il  y  a  plufieurs  lieux  qui  portent ,  encore  aujourd'hui ,  le  nom 
»  de  Saturne ,  &  fur-tout  les  rochers ,  &.  les  hautes  collines.  On  prétend 
»  auffi  ,  que  les  anciens  habitans  de  l'Italie ,  avoient  coutume  d'offrir  des 
M  viâimes  humaines  à  Saturne,  comme  la  chofe  fe  pratiquoit  à  Carthage  , 
»  tant  que  cette  Ville  a  fubfiflé,  &  comme  elle  fe  pratique,  encore  au- 
»  jourd'hui ,  dans  les  Gaules,  &  parmi  quelques  autres  Peuples  de  l'Oc- 
»  cident.  Hercule ,  voulant  abolir  ces  facrifîces ,  bâtit  un  autel  fur  la 
w  colline  de  Saturne  ,  &  apprit  aux  gens  du  Pays  ^  y  offrir,  par  le  feu  , 
»  des  viûimes  perniifes.  Cependant ,  pour  arracher  de  leur  efprit  tout 
wfcrupule,   &  pour  empêcher  qu'ils  ne  fe  reprochaffent  de  négliger 
»  les  cérémonies  religieufes ,  il  jugea  à  propos  de  conferver  une  image 
»  de  cette  fuperftition  ,  en  ordonnant   que  ,  pour  appaifer  le  couroux 
»  de  Saturne  ,  on  jetteroit  à  l'avenir  dans  le  Tibre  irente  hommes  de 
»  paille ,  au  lieu  de  trente  vieillards  ,  qu'on  y  avoit  préciphés  jufqu'a- 
»>  lors,  pieds  &  poings  liés.  Les  Romains  confervent,  encore  aujourd'hui, 
»  cette  cérémonie,  &  la  célèbrent  peu  après  l'équinoxe  du  printems, 
»  aux  Ides  de  Mai,  où  la  Lune,  parvenue,  comme  ils  le  difent,  à  la 
»>  moitié  de  fa  grandeur ,  partage  le   mois  en  deux  parties  à  peu  près 
i>  égales.  Ce  jour-là  ,  les  Pontifes  ,  les  Vtflales ,  les  Préteurs  ,  &  les 
w  autres  Citoyens ,    qui  ont  le   droit  d'affifter  à  la  cérémonie  ,  après 
»  avoir  offert  des  facrifîces,  félon  la  coutume  ,fc  rendent  fur  un  pont 
w  facré  ,  d'où  l'on  précipite  dans  le  Tibre  trente  hommes  de  paille , 
»  que  l'on  appelle  (i  jB)  A  geos,» 
' — ■ ' — — « 

(i  17)  Dlonyf.  H.  I.  cap.  4.  p.  î7    50. 
(lis)  Aulfi  U  fcte  poicsit  le  nom  ^Ari'i,  Livius  1<  iuAri,  en  7'udefque  ,  iignific  m»Kx<éis , 


5<î  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Il  n'eft  pas  néceffaire  d'avertir  que  ce  Saturne  eft  le  père  Dis  {Ditls 
Pater)  des  Aborigines.  On  a  montré,  dans  l'un  des  (i  19)  paragraphes  pré- 
cédens,  que  c'eft  à  ce  Dis  que  les  anciens  habitans  du  territoire  de 
Rome  offroicnt  tous  les  ans  trente  vieillards.  C'eft  au  même  Dis  que 
les  collines  &  les  rochers  étoient  confacrés  ,  parce  que  les  Abori- 
gines ,  comme  les  autres  Peuples  Scythes  &  Celtes  ,  choififfoient  or- 
dinairement des  lieux  élevés  ,  pour  tenir  leurs  affemblées  religieufes  : 
ainfi  Serviûs  obferve(i2o)  que  l'on  offrôit  anciennement  des  facri- 
fices  au  père  Dis  fur  le  mont  Sorafte  ,  qui  fut  depuis  confacré  à 
Apollon,  il  ajoute  que  le  père  Dis  étoit  furnommé  Soranus.  Xc  pt;  fignifie , 
en  Grec ,  un  tas  ,  un  amas.  La  raifon  de  ce  furnom  eft  claire.  Les  Grecs 
le  donnèrent  à  Dis ,  parce  qu'ils  ne  virent  qu'un  amas  de  pierres  dans 
le  lieu  où  il  étoit  adoré.  Les  Grecs,  qui  avoient  forgé  les  Poèmes  des 
Sibilles  ,  &:  les  autres  Oracles  dont  Denis  d'HaliearnafTe  fait  mention  , 
donnèrent ,  comme  il  a  déjà  été  remarqué ,  au  père  Dis  des  Aborigines  , 
le  nom  de  Saturne,  parce  qu'ils  le  prirent  pour  le  père  de  leur  Adh  ^ 
c'eft  -  à  -  dire ,  de  Pluton. 

Il  ne  faut  pas  croire,  cependant,  que  tous  les  Romains  fufTent,  fur  cet 
article  ,  du  fentiment  de  Denis  d'Halicarnaffe.  Outre  ceux  qui  ont  pris  le 
Dis  des  Aborigines  pour  Pluton  même ,  on  trouve  encore  dans  un 
ancien  Calendrier  Romain,  publié  par  Heinfuis  (m^,  qu'aux  Ides  de 
Mai,  on  jeltoit  dans  le  Tibre  trente  hommes  de  paille,  &  que  la  fête 
ctolt  confacrée  à  Mercure. 

Denis  d'Halicarnaffe  croit  encore,  que  c'étoit  au  même  Mercure,  que 
les  Gaulois,  &  quelques  autres  Peuples  de  l'Occident  ,  offroient  des 
viftimes  humaines;  il  pouvoit  fe  fonder,  en  cela  ,  fur  l'autorité  de 
Cicéron,  qui  afllire  (m)  «que  Saturne  étoit  fervi  dans  tout  l'Occis 
»  dent  ;  &  fur  celle  de  Varron  ,  qui  avoit  dit,  au  rapport  de  S.  Au- 
»  guftin  (113),  que  les  Carthaginois  offroient  à  Saturne  de  jeunes  gar- 
»  çdns  ,  &  les  Gaulois  des  vieillards.  »  On  voit  aufîi  dans  Suidas  , 
(124)  que  «les  habitans  de  Tlfle  de  Sardaigne  immoloient  à  Saturne 


inutili.  On  les  appeiloir  encore  Cafnarcs.  Varro  in 
Fragm.  Satyr.  •  enip.  pag.  zyj.  Ca» ,  parmi  les 
anciens  Italiens,  fignifioit  -uicu-c ,  &  N»r ,  en 
Allemand,  eft  un  Rndcttur  ,  un  Fan,  YitlO  de 
Jïing.  Lat.  lib.  VI.  p.  7». 
(jij)  Ci-deffijt  $.  II. 


(iio;  Serviiis  ad.  .£neid.  XI.  78  j. 
(121}  Kalend.  £.om.  ad  calcem  Ovid.  edit; 
Henfii. 

(122]  Cicer.de  Nat.  D.  III.  cap.  44. 

(123 ,  Auguft.  deCivit.  Dei  VII.  c.  19.  p.  407. 

(1^4)  Suidas  in  Strdoxiuiri^usT.  III.  p.  i>7. 

»  l'élite 


LIVRE    III.    C  H  A  P  I  T  R  E    VI.  57 

•  l'élite  de  leurs  captifs ,  &:  les  vieillards  qui  avoient  pafle  foixante  dix 
•=  ans.  •>  Enfin  on  lit  dans  Diogene  Laërce  (  125  ) ,  que  c<  Pythagore  eut 
«  un  efclave  ,  nommé  Zamolxis  ,  auquel  les  Gétes  offroient  des 
«>  viûimes  humaines,  eftimant ,  comme  Hérodote  l'a  remarqué  (126), 
»>  que  c'eft  le  même  que  Saturne.»  II  y  a  dans  ces  paroles  bien  des 
bévues.  On  ne  les  cite  ici  ,  que  pour  montrer  ,  félon  l'opinion  des 
Grecs ,  que  les  Gétes  immoloient  des  hommes  à  Saturne. 

Voilà  donc  bien  de  la  différence  entre  les  Auteurs  qui  font  mention 
de  la  Religion  des  Gaulois  ,  &  des  autres  Peuples  de  l'Europe.  Les  uns 
difent  que  Mercure  (12.7)  étoit  le  Dieu  fuprême  des  Gaulois,  &  que 
c'étoit  à  lui  qu'ils  offroient  des  vieillards  décrépits.  Les  autres  prétendent 
que  c'étoit  à  Tcutates  (12^)  que  l'on  préfentoit  ces  barbares  facrifices. 
Ici  l'on  alTure  que  c'étoit  à  Saturne  que  l'on  rendoit  un  culte  û 
inhumain  dans  les  Gaules.  Diogene  Laërce  croit  (129^  que  les  Gétes  fa- 
crifioient  des  hommes  au  même  Saturne.  Jornandès,  au  contraire,  pré» 
tend  (130)  qu'ils  les  immoloient  à  Mars. 

Tout  cela ,  cependant ,  peut  facilement  être  expliqué  &  concilié.  II 
eft  confiant  que  Teut  étoit  le  Dieu  fuprême  des  Gaulois  ,  &  de  tous  les 
autres  Peuples  de  l'Europe  ;  ils  s'accordoient  tous  à  lui  offrir  ce  qu'ils 
appelloient  la  plus  excellente  de  toutes  les  viûimes.  On  a  vu  que- 
ls plupart  des  Etrangers  ont  pris  ce  Teut  pour  Mercure ,  &  l'on  en  a  dit 
la  raifon.  D'autres  ont  cru  que  Teut  étoit  le  Mars  des  Grecs.  Nous  ver- 
rons ,  dans  le  Chapitre  fuivaiu  ,  fur  quoi  fe  fondoient  ceux  qui  ont  pré- 
féré cette  opinion.  D'autres  encore  ont  jugé  que  ce  Teut  étoit  le  même 
Dieu  que  Saturne  :  efîedivement ,  Saturne  reffembloit  aux  Dieux  des 
Celtes  par  bien  des  endroits.  On  offroit  à  l'un  &  à  l'autre  des  viûi- 
mes  humaines ,  avec  cette  feule  différence ,  que  les  Phéniciens  choifif- 
foient  pour  ce  facrificc  de  jeunes  garçons  ,  au  lieu  que  les  Celtes  pré- 
féroient  d'immoler  des  vieillards.  Saturne  étoit  le  père  des  autres 
Dieux  ,  le  mari  de  Rhea ,  ou  û'Ops,  c'eff-à-dire  ,  de  la  Terre.  Les  Scythes 
&   les  Celtes  en    difoient   autant  de  leur  Teut.  Enfin  ,  ce  qui  mérite 


I    (lîs)  Biog.  Laërt.  lib.  VII.  ï.  p.  483. 

(iis)  Hérodote  ne  dit  pas  ce  que  Diogene 
taerce  lui  attribue,  ^ynt,  Herodo't.  IV.  94.  c'e'- 
(oit  Mnafe'as  qui  difoit  que  lei  Gtici  iiitroiem  Sa- 
fuine/aus  le  nom  d<  ZimolniS,  Suidas  in  Z»i«»l^- 

Tomtn,  R 


(127)  Ci-defTis  §.  IV.  notes  11.  11.  8c  1^, 
(lî8)  Ci-defTus  §.  IV.  notes  9.  &  10. 
(lis)  Ci-deflus  note  (108  I. 
(i|o)  Jotnuid.  cap,  IV.  p.  *if. 


^g  HISTOIRE    DES    CELTES  ; 

d'être  bien  remarqué,  les  Romains  difoient  (13  i)  que  leur  Saturne  étoit 
l'ame  du  monde  ,  Fefprit  qui  embraffe  toute  la  Nature.  C'eft  précisément 
l'idée  que  les  Celtes  avoient  de  leur  Dieu  fuprême. 

§.  XV.  Enfin  il  y  a  eu  encore  des  Auteurs  qui  ont  donné  au  Teut  des 
Scythes  &  des  Celtes ,  le  nom  de  Jupiter.  Dans  le  fond ,  ce  font  ceux 
qui  ont  le  plus  approché  de  la  vérité  ,  fuppofé  qu'ils  ayent  entendu 
par  Jupiter  ,  non  le  fils  de  Saturne  ,  mais  le  premier  Etre  ,  le  père  des 
hommes  &  des  Dieux.  Ainfi,  quand  Hérodote  dit  (131)  que  «les  Scy- 
.=  thes  fervent  Jupiter  &:  la  Terre  ;  qu'ils  regardent  la  Terre. comme 
»la  femme  de  Jupiter;  qu'ils  appellent  Jupiter,  Pappœus,»  on  voit 
bien  que  ce  Jupiter  eft  le  Dieu  (133)  Tai ,  ou  lent,  que  les  Scythes 
appelloient  le  père  de  l'homme.  Peut  -  être  qu'il  faut  dire  la  même 
chofe  du  Jupiter  des  Perfes  (134):  ils  appelloient  Jupiter  toute  la 
»  voûte  des  cieux,  »  c'eft-à-dire,  l'ame  du  monde  ,  qui  pénétre  ,  anime, 
&  dirige  toutes  les  parties  de  la  matière. 

Mais  il  y  a  ,  au  refte ,  une  grande  difficulté  dans  ce  qu'Hérodote  dit  du 
Jupiter  des  Scythes.  Non-feulement  il  le  diftingue  de  leur  Mars  ,  il  pré-, 
t^nd  encore  que  ce  Jupiter  étoit  une  Divinité  inférieure  à  Mars  (135)  : 
»>  Ce  n'étoit  qu'à  Mars  ^u'il  étoit  permis  de  confacrer  des  Simulacres, 
«  des  Autels ,  &  des  Temples.  »  Hérodote  fe  trompe  ,  &  diflingue , 
mal-à-propos  ,  le  Jupiter  des  Scythes ,  de  leur  Mars.  On  verra  ,  dans  le 
Chapitre  fuivant ,  les  raifons  fur  lefquelles  ce  fentiment  efl  appuyé.  Hé-, 
rodote,  lui-  même  ,  fait  parler  Indathyrfus,  Roi  des  Scythes,  dans  des 
termes  qui  marquent  que  ce  Prince  regardoit  Jupiter  comme  le  Dieu 
fuprême.  Darius  avoit  écrit  à  ce  Prince ,  &  l'avoit  exhorté  à  fe  rendre 
VafTal  des  Rois  de  Perfe.  Indathyrfus  l\ii  répond  (136)  :  «  Je  ne  reconnois 
»  pour  mes  Seigneurs,  que  Jupiter,  duquel  je  defcends,  &  le  Thrône 
»  Royal  des  Scythes.  »  Dans  un  des  Paragraphes  précédens ,  on  a  cité  un 
pafTage  de  Denis  d'HalicarnafTe  ,  quiporte  (i  37)  que ,  félon  la  Mythologie 
des  Lydiens,  Mafnhs^  leur  premier  Roi,  étoit  fils  de  Jupiter  &  de  la 
Terre.  11  efl  clair  encore  que  les  Grecs  ont  mis  ici  le  nom  de  Jupiter  à  la 


(131)  Dionyf.  H»l.  I.  p.  30.  Amm.  Marcel).     §.  i.  notes  4  &  s 


iib.  XVI.  p.  tis- 

(1311  Herodot.  IV.  55». 

(i3î'  Ci-deffus  §.  10. 

(134)  Ci-delTus  ch.  lU.  $.  i.note^Sifh,  IV. 


(135'  Ci  deffus  ch.  ÏII.  §.  3. note  ». 
(13SJ  Herodor.  IV.  127. 
(137]  Ci-defftts§.  ï.  note  57, 


LIVRE    III.    CHAPITRE     VI,  ^9 

place  de  celui  de  Tis ,  ou  à'Atis.  Mafnh ,  ou  Mannus ,  eft  le  premier 
homme,  qui  >  félon  les  Lydiens  ,  étoit  fils  de  la  lierre  &  du  Dieu  Atis, 
Tout  de  même,  quand  Maxime  de  Tyr  dit  (138)  que,  parmi  les  Gaulois, 
le  fymbole  de  Jupiter  eft  un  grand  chêne,  il  faut  entendre  par  ce  Jupiter, 
le  Tcutaûs  j  le  Dieu  fuprême  des  Gaulois. 

Il  faut  avouer,  cependant,  que  l'on  a  aufli  donné  le  nom  de  Jupiter 
à  lin  Dieu  fubalterne ,  qui,  félon  la  Théologie  des  Celtes,  avoit  l'em- 
pire du  Ciel ,  ou  de  la  moyenne  Région  de  l'air.  C'eft  de  lui  qu'il 
faut  entendre  le  paffage  de  Jules-Céfar,  qui  dit  (139)  que  «  les  Gau- 
»lois  adoroient  fur-tout  Mercure,  &,  après  lui,  Apollon,  Mars,  Ju- 
wpiter,  &  Minerve.  Jupiter  (140)  avoit  la  conduite  du  Ciel,  »  c'eft- 
à-dire,  qu'il  étoit  chargé  de  la  conduite  de  l'Atmofphère  ,  &  qu'en 
cette  qualité  ,  il  préfidoit  aux  Vents  &  aux  tempêtes  ;  c'eft  peut-être  le 
même  que  le  (141)  Tarants  de  Lucain ,  le  Dieu  du  tonnerre.  Nous 
verrons  ,à  la  fin  de  ce  Chapitre,  que  les  Celtes  femblent  n'avoir  pas 
été  d'accord  ,  s'il  falloit  attribuer  le  pouvoir  de  lancer  la  foudre  au  Dieu 
iliprême  ,  ou  à  un  Dieu  inférieur. 

Quoiqu'il  en  foit ,  les  Scythes  &  les  Celtes  rendoient  un  culte  reli- 
gieux aux  Vents  &  à  l'Air  (14^).  Il  eft ,  par  conféquent ,  très  -  facile  de 
comprendre  ,  comment  on  a  pu  donner  à  deux  Divinités  différentes , 
le  nom  de  Jupiter,  qui  étoit  inconnu  dans  toute  la  Cehique.  Des  Etran- 
gers ayant  remarqué  que  les  Celtes  adoroient  un  Dieu  fuprême  ,  lui 
donnèrent  le  nom  de  Jupiter.  Cela  étoit  naturel.  D'autres  aufTi  ayant 
obfervé  que  ces  mêmes  Peuples  vénéroient  l'Air,  c'eft- à -dire,  une 
Intelligence  qui  préfidoit  aux  Vents ,  aux  Tempêtes  ,  &  à  tous  les  change- 
mens  qui  arrivent  dans  l'air,  lui  donnèrent  aufîi  le  nom  de  Jupiter. 
Il  étoit  prefque  inévitable  que  les  Romains ,  qui ,  au  lieu  d'être  au  fait 
de  la  Théologie  des  Celtes,  n'avoient  l'efprit  rempli  que  de  leur  pro- 
pre Mythologie ,  prifTent  facilement  le  change  fur  cet  article  ;  &  par 
cela  même  qu'ils  fe  font  mépris ,  en  défignant  fous  le  nom  de  Jupiter, 
&  le  Dieu  Tmt  ^  &  le  Dieu  fubalterne  qui  réfidoit  dans  l'air,  il  n'efl 
pas  pofTible  de  déterminer  précifément  quel  étoit  le  Jupiter  des  Perfes. 


(i3!)Ci-denusch.  IV.  §.  i.  note  :3.  I       (141')  Ci-defliis  §.  4.  note  9. 

(139;  Ci-deffus  ch.  III.  §.  j.  note  i>.  1     (14^^  Ci'deflTus  ek.IV.  f,  lotes  4,  j  fie  «. 


(140)  Casfat  VI.  17. 


H> 


6o  HISTOIRE    DES    CELTES; 

«Ils  appelloient  de  ce  nom,  dit  Hérodote  (143),  toute  la  voûte  de5 
»cieux.  »  Il  eft  naturel  d'entendre  par-là  l'Etre  fuprcme  qui  environne, 
&  qui  enceint  tout  l'Univers.  Un  paffage  d'Hefychius  le  dénote  fuffi- 
famment  (144):  "Les  Perfes  appellent  la  grande  ,  ou  la  glorieufe 
«  Dias,  le  Ciel ,  &  l'Ifle  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  Naxos ,  » 
c'eft-à-dire  ,  tant  le  Dieu  grand  &  glorieux  ,  que  l'Ifle  qui  lui  étoit 
confacrée.  Cependant ,  fi  l'on  juge  plus  à  propos  d'en  faire  une  Intelli- 
gence d'un  ordre  inférieur ,  qui  prélidoit  à  l'Atmofphére  ,  nous  ne  nous 
y  oppoferons  point.  Mais  il  paroît  inconteftable  que  le  Jupiter  des 
Scythes,  qu'ils  appelloient  le  mari  de  la  Terre,  &  le  père  de  l'homme, 
étoit  le  Dieu  Teut. 

On  trouve,  au  relie,  que  les  My fi ens  ,  établis  en  Afie ,  adoroient  un 
Jupiter  qu'ils  appelloient  (15)  Ahbrettenus  ,  &c  les  Thraces,  un  autre, 
nommé  (146)  Urius,  ou  Surins.  Le  premier  avoit  reçu  fon  nom  de  la 
contrée  où  il  étoit  fervi.  Mais  on  n'a  rien  découvert  jufqu'à  préfent,  par 
rapport  au  furnom  du  fécond.  On  le  fervoit  dans  un  Temple  ;  d'où  il  ré- 
fulte  que  c'étoit  un  Dieu  étranger,  dont  le  culte  pouvoit  avoir  été  ap- 
porté de  Phénicie.  Le  if N  fignifîe  ,  en  Hébreu ,  la  lumière  ,  &  Sur  ^J]f 
étoit  le  nom  Phénicien  de  la  Ville  de  Tyr. 

§.  XVI.  Il  ne  refte  plus ,  pour  finir  ce  long  Chapitre ,  qu'à  parler 
des  prérogatives  que  les  Celtes  attrlbuoient  au  Dieu  Tint.  On  les  a  déjà 
touchées ,  au  moins  pour  la  plupart.  Il  fuffira  de  les  rappeller  ici  en 
deux  mots. 

1  °.  On  le  regardoit  comme  le  Dieu  fuprême.  On  l'appelloit ,  dans 
im  certain  fens  (147)  ,  le  vrai,  le  feul  Dieu,  &,  par  cette'  raifon,  il 
étoit  fervi  &  adoré  préférablement  à  tous  les  autres.  C'eft  à  lui  que  l'on 
confacroit  (148)  la  plupart  des  Sanûuaires  ,  &  que  (149)  l'on  offroit  le 
plus  grand  nombre  de  facrifices.  Les  Rois  de  Thrace  (150)  ne  juroient 
que  par  fon  nom. 
te  rthienv  1*,  On  lui  attribuoit  la  création  de  l'Univers.  Non-feulement  lesScy-; 
*'^'"  thés ,   quoiqu'ils    fe  cruffent  plus  anciens  que  Us  Egyptiens  (151), 


ïrérogativcs 
duUicuXcuc. 


C'étoit  le 
Dieu  Sup[ê- 
•ae. 


(14})  Ci-delTus  ch.  lU,  §.  3.  note  is.  ch.  IV. 
j.  ; .  notes  4  &  I  5. 
(144)  Hefychius. 
(lAS)  Strabo  XII. 

(i4<!)  cUcio  Out.  in  Laci  {ifon.  f>  i<4x. 


(147)  Ci-deflus  ch.  V.  §.  2. 
(ii8)  Ci  dcflus  ch.  III.  §.  3.  note  ». 
(149J  Ci-deffus  ch.  IV.  §.  i.  note  t. 
(150,  Ci-deffiis  ch.  IV.  §.  I.  note  7. 


LIVRE    Iir.     C  H  A  P  I  T  R  E    VI.  et 

convenolent  avec  eux  ,  d'un   commencement  de  toutes  chofes  ,  les 
Turcs  affiiroient  même  formellement  (151)  que  le  Dieu  fuprême  avoit 
fait  le  Ciel  &  la  Terre.  Quoique  l'on  prouve  plus  haut,  que  les  Celtes 
n'admettoient  pas  deux  principes  éternels  &  intelligens ,  l'un  bon ,  &c 
l'autre  mauvais,  on  ne  laiffe  pas  de  foupçonner  que  leurs  Philofophes 
croyoient  réternité  de  la  matière.  La  Doftrine  des  Druides  portoit , 
comme  Strabon  l'a  remarqué  (i53)>  qve  «le  monde  étoit  incorrupti- 
»  ble ,  mais  que  l'Eau  &  le  Feu  prendroient  un  jour  le  deffus.  »  On 
entrevoit  là  dedans,  qu'ils  croyoient  le  monde  éternel,  par  rapport  à 
la  matière ,  dont  il  étoit  compofé ,  mais  non  pas  par  rapi)ort  à  la  forme. 
3°.  Une  troifiéme  prérogative  du  Dieu  Teut,  c'eil  qu'on  le  regardoit 
comme  le  créateur  &  le  père  des  autres  Dieux.  Tous  les  Peuples  Celtes 
admettoient  une  Théogome,  une  génération  des  Dieux;  &  (154)  elle 
faifoit  la  matière  de  leurs  Cantiques  facrés  ;  mais  ces  Divinités  fubalter- 
nes  n'étoient  pas  des  hommes  ,  qui  eufTent  été  mis,  après  leur  mort,  au 
rang  des  (155)  Dieux.  C'étoient  des  Intelligences  que  le  premier  Etre 
avoit  produites  ,  &c  unies  à  chaque  portion  de  la  matière  ,  pour  l'ani- 
mer &  pour  la  conduire.  Il  n'y  a  guères  lieu  de  douter  que  la  Théo- 
gonie que  l'on  trouve  dansHéfiode,  ne  fut  un  refte  de  l'ancienne  Mytho- 
logie des  Pclafges.  Elle  porte  («56)  que  les  Dieux  &  les  hommes  font 
iiïus  du  mariage  du  Ciel  &  de  la  Terre.  Le  Ciel ,  que  les  anciens  Grecs  ap- 
pelloient  (157)  ^ilès ,  eu.,  félon  les  apparences  ,  le  Teui  des  Celtes,  le 
Jupiter ,  ou  l^u4c£s  des  Phrygiens.  La  Terre ,  la  femme  du  Ciel ,  c'eft  la 
maîière  d'où    les   hommes  &    les   Dieux   ont    été    pris.    Il   femble , 
effeftivement ,  que  ,  félon  l'opinion  des  Ççltes  ,  non-feulement  les  hom- 
mes ,  mais  encore  les  Dieux,  c'eft-à-dire,  les  Dieux  inférieurs ,  avoient 
été  tirés  de  la  matière.  Ainfi  les  anciens  habitans  de  l'Iflande  (  158  ) 


te  Cthtfat 
te  U  Vmciei 
auctw'S  Dieux. 


que  ces  Scythes  e'toient,  félon  les  apparences , 
les  Phrygiens.  Vtyez.  ci-delT.  Liv.  I.  ch.  9.  p.  51, 
(i  jî)  Ci-deffus  ch.  IV.  §.  i.note  «. 

(153)  Strabo  IV.  p.  197. 

(154)  HeroJot.  1.  cap.  132. 

{155'  Ci-deflus  ch.  III  §.  i.  notes  j.<.  &  7. 

(i  j6)  Hefiod.  Theog  p.  44.  Findar.  NemelV. 
înitio.  Schol.  adh.  loc.  p.  3  7  S.  Fhére'cidc  ,  qui 
mit  le  premier  par  écrit  les  anciens  Cantiques 
des  Grecs ,  avoit  comnjence'  fqn  Ouvrage  par 
CCS  mots  Jtt^iter  &  Saturnut  &  Tellui  femper  fue- 

THni, Apud  Sock.  G. S.  fait.  1. Ub.  IV, c.  i .p.  2 j  «. 


Au  refte  ,  quoique  laThe'ogonie  cl'Héfiode  s'ac- 
corde avec  celle  des  Celtes  dans  ce  point  efll-n- 
tiel,  qu'elle  fait  delcendre  les  Dieux  &  les 
hommes  du  mariage^u  Ciel  &  de  la  Terre,  il 
faut  avouer  qu'elle  s'en  e'carte  fur  d'autres  ar- 
ticles. Le  Poëte,  par  exemple,  ne  fait  pas  du 
Ciel  le  premier  Etre.  Il  dit  que  ce  fut  la  Terre 
qui  produifit  le  Ciel  pour  la  couvrir.  Cela  n'eft 
point  conforme  à  la  Doflr:ne  des  Scythes,  qui 
e'toit  de'ià  altérée  en  Grèce  du  tems  (FHéliode. 

(1 57)  Hefychius. 
I     (isS)Ci-deirus  ch.IV.  §■  7.notc3}. 


62  HISTOIRE    DES    CELTES, 

admettoient  plufieurs  Dieux,  &  pkifieurs  Génies,  Céleftes,  Aériens, 
Terrellres  ,  6c  Marins ,  ce  qui  peut  s'entendre  ,  ou  de  la  matière  dont 
ils  étoient  formés ,  ou  de  l'élément  dans  lequel  ils  réfidoient  (i59).  Les 
Mages  aufli ,  parlant  de  la  fubftance  &  de  l'origine  des  Dieux ,  difoient 
qu'ils  étoient  formés  de  Feu  ,  de  Terre,  &  d'Eau.  Par-là,  on  voit, 
pour  le  dire  en  partant ,  que  Mafnes ,  qui  ctoit  Perfan  d'origine  ^ 
avoit  adouci,  en  quelque  manière ,  la  Doûrine  des  Philofophes  de  fa  Na- 
tion. Cet  Héréfiarque  ne  faifoit  fortir  de  la  matière  que  les  Démons  ,  les 
Intelligences  mal-faifances ,  au  lieu  que  les  Mages  foutenoient  que  toutes 
les  Divinités  fubalternes  avoient  été  tirées  de  la  matière.    * 

Au  refle ,  la  Théologie  des  Sarmates  s'accordoit  affez ,  fur  cet  arti- 
cle,  avec  celle  des  Celtes  (i6o)  :  «  ils  ne  difconviennent  pas  ,  dit  Hel- 
M  moldus ,  qu'il  n'y  ait  dans  le  Ciel  un  Dieu  duquel  tous  les  autres  dé- 
»  pendent.  Ce  Dieu  tout-puiflant  ne  prend  foin  que  des  chofes  céleftes. 
M  Les  autres ,  qui  font ,  chacun ,  chargés  de  quelque  fonftion  particu- 
.5  liere,  lur  font  foumis.  Ils  font  tous  iffus  de  fon  fang  ,  &  chaque  Dieu 
»»  eft  plus  ou  moins  excellent ,  félon  qu'il  eft  plus  ou  moins  éloigné  de 
«  l'Etre  fuprême.  »  C'eft  la  Doftrine  des  émanations,  qui  étoit  commune 
à  la  plupart  des  Peuples  Payens. 

4*^.  Outre  la  produftion  des  Divinités  qui  réfidoient  dans  les  élé- 
mens ,  on  attribuoit  encore  au  Dieu  Teut  la  création  de  l'homme.  On  l'a 
montré  fort  au  long.  Les  Gaulois  fe  difoient  iffus  de  ce  Dieu ,  &  l'appel- 
loient  ,  par  cette  raifon  (i6i)  ,  Teutat ,  le  Père  Teut.  Les  Germains  ap- 
pelloient  le  premier  homme,  dont  ils  faifoient  un  Héros  (i6z),  TuiJ^ 
ton  ,  le  fils  de  Tuis.  Les  Rois  des  Thraces  prétendoient  defcendre  de 
leur  Mercure;  c'étoit  le  Dieu  (163)  Tis.  Les  Scythes  appelloient  leur 
Jupiter,  Pappœiis  (164)  ,  le  père  des  hommes.  Les  Italiens  ,  comme  les 
Gaulois ,  joignoient  toujours  le  nom  de  Père  à  celui  de  leur  Dis,  Ils 
l'appelloient  Dis  Pater,  ou  (lé'j)  Ditis  Pater. 
Tiut  avoir  L'opinion  commune  étoit  que  le  Dieu  Teut  avoit  tiré  l'homme  de  la 
fi'rii  Tertè"'  terre.  On  en  a  produit  plufieurs  preuves  dans  ce  Chapitre.  Les  Ger- 


Ic  Crcatcut 
te  !c  l'jri  de 
J'jioir.me. 


(159)  Ci-deff.  ch.  IV.  §.  4.  note  i  o.  On  parle, 
ailleurs,  de  la  contradiftion  apparente  ,  qu'il  y 
avoit  ici  dans  la  Théologie  des  Celtes.  Vojitj 
Si-deffous  ch.  17.  $   z. 

(160]  Helmold.  Chron.  Slav.  c.  (4.  p,  i3i. 
(i*ij  Ci-deflfus  §.  4.  note  ij, 


(1S2)  Ci-dcfTus  §.  s  .note  i8. 
(i6j)  Ci-deflus  ch.  V.  §.  i.  note  7.  Se  ch.  VI4 
$   «. 

(i«4l  Ci-deflus  ch.  III.  §,  3,  notç  I, 
(ifi^sj  Ci-deflus  J.  }. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    VI.  63 

maîns  difoient  que  (166)  Tuijlon  étoit  iffu  de  la  Terre,  llsavoienten 
grande  vénération  une  Forêl  du  Pays  des  Semnons  ,  parce  qu'ils 
croy oient  (167)  que  c'étoit-là  que  la  Nation  avolt  pris  fon  origine ,  &  que 
réfidoit  le  Maître  de  l'Univers.  Les  Phrygiens  faifoient  defcendre  l'hom- 
me ,  Mafnh  (i68)  ,  de  Jupiter  ,  ou  d^Aiis  ,  &  de  la  Terre.  Les  Scythes 
auffi  ,  qui  appelloient  Jupiter  le  père  des  hommes  ,  difoient  que  la 
Terre,  qu'ils  nommoient  (169)  Apia,  étoit  fa  femme. 

On  a  averti  ailleurs  que  ces  noms  de  Père  (170),  de  Mari,  de  Femme, 
que  les  Celtes  employoient  dans  cette  occafion  ,  dévoient  être  pris 
daixs  un  fens  figuré.  Car  ces  Peuples  fe  moquoient ,  au  refte ,  de  ce  que  les 
Grecs  difoient  du  mariage  de  leurs  Dieux.  Tau ,  c'efl  l'ame  du  monde  , 
le  Principe  aâif ,  qui  pénétre  la  matière,  &  la  rend  féconde  ;  la  Terre 
c'eft  la  matière  dont  il  s'eft  fervi  pour  la  formation  de  l'homme  &'des  au- 
tres créatures.  On  ne  doute  pas  que  les  Etrufces  n'euffent  une  Doûrine 
à  peu  près  femblable  fur  l'origine  de  l'homme.  On  l'entrevoit  dans  ce  qu'ils 
difoient  de  leur  Tagh ,  qui  a  voit  enfeigné  à  fa  Nation  l'art  de  prédire 
l'avenir  (171).  Un  Païfan  qui  labouroit ,  ayant  enfoncé  bien  avant  le  foc 
de  fa  charrue ,  vit  fortir  Tagès  de  delTous  une  motte  de  terre.  La  Mytho- 
logie des  Grecs  portoit  aufli  (171)  que,  du  mariage  du  Ciel  &  de  la  Terre, 
étoient  nés  trois  fils,  d'une  grandeur  énorme,  &  d'une  force  extraodi- 
raire ,  Conus  ,  Briareus  ,  &  Gigh ,  &  enfuite  les  Géants  &  les  Titans. 

La  différence  que  les  Peuples  Celtes  mettoient  entre  le  Dieu  Teut, 
qu'ils  appelloient  le  Père  des  hommes ,  &  la  Terre ,  qu'ils  regardoient 
comme  la  Mère  du  genre  humain ,  détruit  le  fentiment  de  ceux  qui  ont 
cru  que  Tiut  étoit  la  Terre  même.  Ils  fe  font  fondés  principalement  fur  T""  »"« 
cette  preuve  étymologique ,  «  que  les  Celtes  donnoient  à  la  Terre  un 
j'  nom  qui  approchoit  beaucoup  de  celui  de  Teut.  Les  habitans  du  Pays 
»  de  Gales  ,  qui  ont  confervé ,  à  ce  qu'on  prétend ,  l'ancienne  Lan- 
»  gue  Celtique  ,  appellent  encore  aujourd'hui  la  Terre  ,  Tud  (173), 
»Ceux  de  l'Armorique,  c'eft-à-dire,  les  Bretons,  la  nomment  (  174)  , 


Quelques- ins 
o.ic  cru  m-i!- 

à-ptopOS    r|U3 

le   Teut  des 
Celtes  c  io  !  îa 


I 


(166   Ci-Jeffu"!  §.  s.  note.  29- 
(i«7    Tacit   Getm   cap    79. 

(168    Ci-deflus  §    ».r.otcs7. 
{169)  Ci  defT^is  ch.  in   §.  }.  note  t. 

(170    Ci-dcffus  ch.  UI.  ^.  1.  note  j. 

(17  ly  Ciceiode  Divinat,  II.  cap.  10. 


(172  i  Hefiod.  Thcog.  pag.  î+7.  ApoUodor. 
lib.  I.  p.  I.  14  DioJor.  Sic.  III.  p  132.  Vtye:^ 
ci  deflus  note  1  j  s  ,  &  Liv.  I.  ch.  13.  p    83. 

;t73j  Ti<r, Terra.  Cainbden  in  CoUeû. Leib« 
nitz,  Tom.  11.  p.  143.  j. 

(174J  Diâionnaite  de  KofiieÂen  p.  9 1  «. 


<?4  HISTOIRE    DES    CELTES, 

it  Douar,  ou  Tit.  Selon  Tacite,  la  Déeffe  (175)  Hcrthus ,  pour  la- 
»  quelle  la  plupart  des  Peuples  de  la  Germanie  avoient  une  grande  vé- 
„  nération ,  étoit  la  Terre  :  ce  mot  de  Hatus ,  fignifie  ,  en  Allemand , 
»  le  Seigneur  Tus.  » 

II  faudroit  fçavolr  parfaitement  la  Langue  du  Pays  de  Gales ,  pour 
pouvoir  déterminer  fi  le  mot  Tud  ,  eft  ancien  ,  ou  moderne ,  dans  cette 
Langue  ;  mais  il  eft,  du  moins ,  confiant  que  dans  le  Pays  de  Gales ,  comme 
dans  toute  la  Celtique,  on  appelloit  anciennement  la  Terre,  ^r,  Er, 
Erd^  &  avec  l'article,  Day-Jr,  Dou-Ar ,  Die-Erd.  Ceux  qui  vou- 
dront s'en  convaincre  pourront  jetter  les  yeux  fur  la  difcuflion  etymo-: 
Ipgique  qu'on  renvoyé  au  bas  de  cette  page  (176). 

A  l'égard  du  Bas-Breton  ,  11  ne  paroît  pas  que  le  mot  de  Tu  ait  ja- 
mais fignlfié  la  Terre  dans  cette  Langue.  Le  Père  de  Roftrenen  avoue 
qu'il  ne  fubfifte  plus  dans  l'Armorique,  mais  il  juge  qu'il  a  été  autre- 
fpis  en  ufage ,  &  il  le  prouve  par  le  mot  Titans ,  qui  fignifie  hommes ,  ou 
nés  de  la  terre.  Il  y  a  là  dedans  une  équivoque  que  ce  Père  n'a  point 
éclalrcie,  ni  peut  être  apperçue.  Les  Titans  fe  dlfoient  fils  de  la  Terre. 
Mais  s'enfiiit-11  de-là  que  le  nom  même  de  Titan  exprimât  cette  ori- 
gine ?  On  ne  le  croit  pas.  Ils  le  tenoient ,  non  de  la  Terre ,  mais  du 
Dieu  Teut  ,  qu'ils  appelloient  fian  mari. 

Pour  ce  qui  eft  du  nom  de  Henhus ,  qu'on  lit  dans  Tacite,  les  Alle- 
mands appellent ,  encore  aujourd'hui,  la  Terre,  £r</e.  Il  paroît,  parles 
anciens  Gloffaires,  que  ce  mot  fe  prononçoit  autrefois,  avec  une  af- 
plration  (177)  j  Herde.  Les  Romains,  pour  lui  donner  une  terminaifon 
Latine  ,  le  changèrent  en  Henhus  ;  mais ,  au  refte ,  il  eft  certain  que 
Ips  Germains  diftlnguoient  le  Dieu  (178)  Vodan.,  de  Frea,  c'eft-à-dire  , 
de  la  Terre  fa  femme  ;  de  la  même  manière  que  les  Scythes  mettolent 


(17s)  Tacit.  Germ.  csp  40. 

(176)  L'anciei)  nom  de  la  Terre  ,  que  les 
Teuples  Celtespronpnçoient  différemment  .c'toit 
Ar ,  Er  ,  ou  Erd.  En  y  ajoutant  l'article  ,  on  en 
Z  fait  les  noms  de  Dny-ar  ,  Dou-xr  ,  Dit-ird  , 
Th-er  ,  Terr»  ,  &c.  Ainfi  ,  dans  le  troifième  ar- 
ticle de  l'Oraifon  Dominicale,  les  Belges  difent 
Cervan  be  CaU,  Currtan  Ere,  comme  au  Ciel  , 
ainfi  fur  la  Terre.  Mullerus  in  Alphabet,  ac  no- 
tls  diverf.  Linguar.  p.  37.  Les  Galois  meps  jn 
y  net,  fellj  Ar,  comme  au  Ciel ,  ainfi  fur  la  Terre; 
j^a  XïiDhih.^.  hefj4,  fur  la  Teiic  cgiamc  au  Ciel. 


Bihlia  Cambiic.  edit.  Lond  KÎ77.  Les  anciens 
Bretons  arridaytr  ,  ainfi  fur  la  Terre.  MuU.  Ib. 
p.  43.  Les  Bas-Bretons  en  doimr  evtl  en  euff,  eiy 
la  Terre,  comme  au  Ciel.  Mull.  Ibid.  Le  P.  de 
Roftrençn  remarque  ,  dans  fon  Diftionnaire  , 
que  les  B?s-Bretpns  appelloient  autrefois  U 
Terre  Ar  ou  Ter.  p.  516. 

(177)  Bo.fhom.  ad  Tacit.  Germ.fàp.  4»' 
{178)  Paul.  Diac.  Hift.  Longob.  lib.  I.  pâg; 
3  S 6.   3  5  7'  tr'»>  Fr»»  (  en  Tiidef^uç ,  eft  une 
Femme. 

4« 


LIVRE    III.     C  H  A  P  I  T  R  E    VI.  6^ 

de  la  différence  entre  Jupiter  ,  &  C  179)  ^pia ,  les  Phrygiens  entre 
(iSo)  Tiuas  &  Rkea  ,  les  Italien^  ,  entre  (181)  Dis,  ou  Sacurne ,  & 
Ojfs,  les  Thraces  entre  (182)  Coeis  &  Bendis ,  &  les  Samothraces  entre 
(183)  le  Ciel  &  la  Terre.  Les  Celtes  ne  féparoient  pas  le  culte  de  ces 
deux  Divinités ,  fans  doute  parce  qu'ils  croyoient  que  l'une  âuroit  été 
ftérile  fans  l'autre ,  au  lieu  que  c'étoit  leur  union  &  leur  mariage  qui 
avoit  produit  l'Univers ,  en  général ,  Se  le  genre  humain  en  particulier. 

On  volt  par-là  ,  pour  le  remarquer  en  paffant ,  pourquoi  les  an- 
ciennes Loix  des  Athéniens  ordonnoient  aux  Fiancés  de  ne  point  con- 
fommer  leur  mariage,  qu'ils  n'euflent  offert  un  facrifice  (184)  au  Ciel 
&  à  la  Terre.  C'étoit  un  refte  de  l'ancien  ufage  des  Pélafges  ,  qui 
offroient  ce  facrifice  au  Père  &  à  la  Mère  du  genre  humain  ,  pour  en 
obtenir  la  fécondité. 

5**  Une  cinquième  prérogative  du  Dieu  T^u^,  c'eft  qu'on  le  regardolt  LsDitiir««( 
comme  l'ame  de  la  Terre ,  &  du  monde  entier.  Ayant  tout  créé ,  il  ejln.i^flme 
ttoit  préfent ,  par  cela  même ,  à  tous  fes  ouvrages.  Au  lieu  que  les  Dieux  "^^  '"cnic. 
fubalternes  n'étolent  chargés  que  de  la  conduite  du  corps ,  ou  de  l'élé- 
ment auquel  ils  étoient  unis,  le  Dieu  fuprême  avoit  fous  fa  direc- 
tion tout  l'Univers  ,  avec  les  efprits  &  les  corps  qui  le  compofent.  Ainfi 
les  Romains  difoient  que  leur  Saturne  (185)  eft  l'efprit  qui  embraffe 
toute  la  Nature.  Les  Perfes  difoient  de  même  (186)  ,  que  leur  Jupiter 
étoit  toute  la  voûte  des  deux.  On  lit  aufli  dans  Ammien  Marcellin  (187) 
q4fc  "  l'Empereur  Julien  ,  pendant  le  féjour  qu'il  fit  dans  les  Gaules  , 
»  fe  levoit  toujours  à  minuit  pour  invoquer  fécretement  ce  Mercure , 
»  que  les  Théologiens  regardent  comme  une  Intelligence ,  qui ,  par- 
*>  courant  le  monde  avec  rapidité,  excite  l'efprit  humain,  &  le  met  en 
«mouvement.»  Ce  Mercure  étoit  le  Teut  des  Gaulois,  que  les  Druides 
repréfenterent  à  Julien  comme  le  Dieu  des  efprits  ,  qu'il  devoit  invo- 
quer ,  pour  être  rendu  propre  aux  grandes  entreprifes.  Julien  le  prioit 
de  nuit.  La  pratique  des  Gaulois  le  vouloit  ainfi  ;  &c  cette  pratique  favo- 


(l7j')  Ci-dcffiis  ch.  III.  §.  3.  note  8.  i        ('8_45  Produs  Comment,  in  Timœum  Plato- 

fi80;  Ci  deffus  §.  ».  notes  s  3    54.  8c  5  5.  ris,  ap.  Voffium  de  Otig.  Idol.  lib.  II.  cap.  5I. 


(  1  «  t)  Varro  de  Ling.  Lat    iv.  p.  i  j.  Aufon. 
Idyll.  II.  p.  1 14.  Servius  ad  .Sneid.  VI.  v.  32J. 
(182)  Ci-de(rus  §   6.  notes  42,  SC43, 
{18})  Ci-dcflus  note  i»o,  |       (187)  Amm.  Matcell.  XVI.  p.  us 

Tome  II.  .1 


(rSs    Cl-deflas  §.  14.  note  130. 

(186)  Ci-deiïus  ch.  IV.  §.  i.  notes 4.  &  j. 


C6  HISTOIRE    DES    CELTES, 

rifoit  la  dlfTimulation  de  ce  Prince ,  qui  n'apoftafia  ouvertement  qu'après 
la  mort  de  l'Empereur  Confiance. 

Les  Gaulois  diloient  encore  ,  comme  Jules-Céfar  l'a  remarqué  (i88)  , 
que  leur  Mercure  étoit  l'Inventeur  de  tous  les  Arts  ;  que  fon  pouvoir 
étoit  très-grand  pour  ceux  qui  vouloient  gagner  de  l'argent ,  &  qui 
s'applîquoient  au  commerce.  La  raifon  en  eft  claire.  C'eft  de  lui  qu'on 
obtenoit  cet  efprit  vif  &  pénétrant  ,  fans  lequel  ni  le  Marchand  ,  ni 
l'homme  de  Lettres ,  ne  fçauroient  exceller  dans  leur  profeffion.  On 
a  remarqué  ailleurs  (189)  ,  que  Pythagore  défîniffoit  la  Divinité  : 
«  l'Efprit  qui  eft  répandu  dans  toutes  les  différentes  parties  de  l'Univers  ^ 
»  &  duquel  nos  propres  Efprits  tirent  leur  origine.  »  On  prétend  que 
c'étoit  de  lui  (190),  que  Numa  -  Pompilius  avoit  emprunté  les  idées 
qu'il  avoit  de  la  Divinité.  C'eft  un  Anachronifme.  Numa  étoit  mort  (191) 
dans  la  xxvii.  Olimpiade ,  &  Pythagore  ne  fleurit  que  dans  la  (191) 
LXil ,  c'eft-à-dire,  environ  cent  quarante  ans  après.  Mais  on  peut  eu 
conclure  affez  naturellement,  qu'il  y  avoit,  fur  cet  article,  de  la  con- 
formité entre  la  Doftrine  du  Philofophe ,  .&  celle  de  Numa-Pompilius ,» 
qui  fuivit  conftamment  les  idées  des  Celtes  dans  tout  ce  qui  regardoit 
la  Religion. 
ouriqiiM  UM      6*.  On  n'oferoit  afTurer  que  tous  les  Peuples  Celtes  fufTent  dans  la 

onc  regardé  ^  ,,  tr^  •/  ?•!•  *t-v 

Tfut  conit»e  même  opmion  que  les  Sarmates  ,  qui  (193)  nattnbuoient  qu  au  Dieu 
lancé T»  ?oi.  fuprcDie  le  pouvoir  de  former  l'éclair  6c  le  tonnerre.  On  trouve  bien 
"■  que  les  Thraces  étoient  dans  ce  fentiment.  On  le  voit  dans  un  paflàge 

d'Hérodote,  déjà  cité  (194)  :  «Quand  il  faifoit  du  tonnerre  &  des  éclairs  , 
»  ils  tiroient  des  flèches  contre  le  Ciel  ,  comme  pour  menacer  la 
»  Divinité  ,  parce  qu'ils  étoient  dans  l'idée  ,  qu'il  n'y  avoit  point  d'autre 
»  Dieu  que  le  leur.  »  Ce  qu'Hérodote  ajoute  ici  du  fien  ,  c'eft  que 
les  Thraces  prétendoient  menacer  la  Divinité  ,  en  tirant  contre  le  Ciel. 
Ce  n'étoit  affurément  pas  leur  intention.  Au  contraire  ,  ils  prétendoient 
rendre  hommage  par-là  au  Maître  de  l'Univers  ,  le  féliciter  de  ces 
glorieufes  marques  qu'il  donnoit  de  fa  puiffance ,  lui  déclarer  qu'il  avoit 
€n  eux  des  enfans  qui  ne  dégénéroient  point,  qui  fçavoient  tirer,  aufli 


(i«»)  Ci-deflus  §.  4.  note  1 1. 
(1I9)  Ci-deflus  ch.  IV.  §.  t.  note  jï. 
(190)  Clem.  Alex.  Strom.  I.  cap.  ij.  p,  35I. 
{ifi)  Dion^f.  Italie,  lib,  m.  initio, 


(1J12)  Eufeb.  Fizp.  Ev.  X.  cap.  z.  p.  i  j», 
(IS>3~  Cideflus  ch.  IV.  §.  2.  note  IS. 
(  1  j>4}  Ci-deffus  ch.  V.  J,  i .  note  f, 


LIVRE    III.    CHAPITRE    VI.  67 

bien  que  lui.  On  n'en  doutera  pas  fi  l'on  veut  fe  reflbuvenir  que  tous  les 
Celtes  étoient  perfuadés  que  le  Dieu  fuprême ,  qui  préfidoit ,  félon  eux  , 
à  la  guerre ,  avoit  une  grande  prédileftion  ,  non  -  feulement  pour  les 
Guerriers  ,  o\i  pour  les  bons  tireurs,  mais  aufli  pour  tous  ceux  qui 
périflbient  dans  un  combat ,  ou  de  quelqu'autre  genre  de  mort  violente. 
Hérodote  lui-même  paroît  l'infinuer,  en  remarquant  (195)  que  les  Thra- 
ces  envoyoient  tous  les  cinq  ans  à  Zamolxis  un  Meflager  ,  qu'ils  char- 
geoient  de  leurs  commiflions  pour  l'autre  monde.  Après  que  le  Mefla- 
ger avoit  été  choifi  par  le  fort ,  on  le  jettoit  en  l'air ,  & ,  en  même-tems , 
trois  hommes  ,  nommés  pour  cela ,  tiroient  fur  lui.  S'ils  le  frappoient , 
c'étoit  une  preuve  que  le  facrificc  étoit  agréable  à  Dieu  ;  s'ils  le  man- 
quoient ,  on  choififlbit  un  autre  Meflager  ,  &  le  premier  étoit  re- 
gardé comme  un  fcélérat.  Dieu  lui-même  le  déclaroit  indigne  de  c» 
haut  degré  de  gloire  &  de  félicité  ,  auquel  on  n'arrivoit  que  par  une 
mort  violente. 

On  trouve  encore  que ,  lorfque  Marc-Aurele  eut  remporté  fur  les 
Quades  &  les  Marcomans  ,  cette  célèbre  viûoire  ,  dont  on  a  tant 
parlé,  &  à  laquelle  une  groflTe  pluie,  qui  vint  rafraîchir  l'Armée  Romai- 
ne, contribua  beaucoup  (196),  «  il  fe  répandit  un  bruit  qu'un  Ma- 
»  gicien  ,  venu  d'Egypte,  qui  étoit  la  fuite  de  l'Empereur,  avoit  con- 
»  juré ,  par  les  fecrets  de  fon  Art ,  le  Mercure  Aérien  ,  &  qu'il  en 
»  avoit  obtenu  de  la  pluie.»  Perfonne  n'ignore  que  les  Chrétiens  attri- 
buoient  cette  pluïe  favorable ,  &  la  viâoire  dont  elle  fut  fuivie  ,  aux 
prières  de  la  Légion  fulminante.  Les  Romains  crurent,  fans  doute,  qu'ils 
dévoient  les  mêmes  avantages  à  la  proteftion  de  leurs  Dieux ,  &  à  la 
valeur  du  Soldat.  Il  y  a  lieu  de  foupçonner  que  ce  furent  les  Germains , 
qui ,  pour  fe  confoler  de  leur  défaite ,  &  pour  en  diminuer  la  honte , 
publièrent  qu'un  Magicien  étranger  avoit  trouvé  le  moyen  ,  par  its 
conjurations  ,  de  mettre  leurs  propres  Dieux ,  &  même  Mercure  ,  leur 
Dieu  fuprême,  dans  les  intérêts  des  Romains. 

Il  faut  avouer  ,  cependant ,  que  d'autres  Peuples  Celtes  ont  diftingué  D'.iutr«  ont 
formellement  le  Dieu  fuprême ,  de  celui  qui  lance  le  tonnere.  Par  j"  ronnctr* 
exemple  ,  Lucain  dit  (  197  )  que  les  Gaulois  fervolent  Tentâtes ,  Refus  f^t^iJ^iX" 

(i9i    Herodot.  IV.  94. 
(js.fi,  Xiphil.  ex  DioniT.  lib.  LXXI.  p.  «pj. 
(197)  Ci-deflus  §.  4.  note  s. 

Il 


68  HISTOIRE    DES    CELTES, 

&  Tara/lis.  Teutates  eft  le  Dieu  auquel  les  étrangers  donnoient  le  nom 
de  Mercure.  On  prétend  qu'^ç/K.5  étoit  Mars  ,  &  Taranis  le  Dieu  du 
tonnerre  ,  que  les  Allemands  appellent,  encore  aujourd'hui,  Donner^  & 
les  habitans  du  Pays  de  Gales  (198)  Taran, 

Il  eft  vrai  que  la  preuve ,  que  l'on  tire  de  ce  paflage  ,  n'eft  pas  fans  ré- 
plique. Nous  verrons,  dans  le  Chapitre  fuivant,  que  Tentâtes  &C  Hifus 
étoient  le  même  Dieu.  Il  fe  pourroit  bien,  par  conféquent,  que  le 
nom  de  Taranis  fût ,  parmi  les  Gaulois ,  une  épithète  du  Dieu  fuprême , 
de  la  même  manière  que  les  Romains  appelloient  leur  Jupiter,  Fui- 
minator.  Mais  il  y  a  une  autre  preuve  qui  paroît  bien  décifive  :  les 
Irlandois  ,  les  Suédois,  &  les  Germains  (  199  )  diflinguoient  le  Dieu 
Odïn ,  Vodan ,  du  Dieu  Thor.  Le  premier  étoit  le  Dieu  fuprême  ,  &  le 
fécond  le  Dieu  du  tonnerre.  De-là  vient  que  ces  Peuples  appellerent 
le  jour  que  les  Romains  confacroient  à  Mercure  (  zoo  )  Vonjîag ,  ou 
Odenjlag  ^  &  donnèrent  au  jeudi  (^dies  jov'ts)  le  nom  de  (zoi)  Thorf- 
dag  ,  ou  de  Donnerjlag ,  ce  qui  fignifie  le  jour  de  la  Divinité  qui  pré- 
fide  au  tonnerre.  On  ne  croit  donc  pas  fe  tromper,  en  affurant  que  ce 
Thor  eft  le  même  que  Jules- Céfar  appelle  (201)  Jupiter,  &  Lucain 
Taranis.  Au  refte  ,  comme  les  Bretons  appellent  le  tonnerre  Curum ,  il 
paroît  vrai-femblable  que  le  Dieu  Cernunus  (103)  ,  dont  l'Idole  a  été 
trouvée  à  Paris ,  &  que  M.  de  Leibnitz  prend  pour  Bacchus ,  étoit  le 
Dieu  du  tonnerre. 
Hiftoiredeia      7".  Si  l'on  pouvoit  faire  quelque  fond  fur  le  fragment  d'un  Auteur 

Ct  atioi.  ,  li-  _    '  c-J  r         '  ni 

i.ed'uiiLivfc  ttrulque  ,  que  Mndas  nous  a  conlerve  ,  ce  Peuple  auroit  eu  une 
«HribiTà 'un  Hiftoire  de  la  création ,  peu  différente  de  celle  que  l'on  trouve  dans 
ïcru?q°e''^  nos  Livres  facrés.  Elle  portoit  (104)  que  le  Dieu  créateur  de  toutes 
»  chofes  avoit  deftiné  douze  mille  ans  à  tous  fes  ouvrages  ,  &  qu'il 
«  avoit  partagé  ce  grand  efpace  de  tems  en  douze  maifons.  Dans  le 
«  premier  millénaire ,  il  fit  le  ciel  &  la  terre  :  dans  le  fécond ,  il  fit 
»)le  firmament,  qui  fe  préfente   à   nos  yeux,  &  l'appella  ciel:  dans 


-  (i»l)  Hagenberg,  Diff.  «.  p.  i88.  Bochart. 
Canaan,  lib.  I.  cap.  42.  initio.  Koftrcnen  Dift. 
pag.  Ȕi. 

{199)  Adam  Brenienf.  Hift.  Ecclef.  cap.  233. 
Ericus  Olaus  lib.  I.  initJo.  Frfç^n.ou  Frea,  au- 
jourti'hui  Frau  ,  fignifie  uni  Femme.  C'eÛ  la 
S'erre ,  la  Femme  d'Odin. 


{200)  Ci-dcflus  §.  5.  note  3". 
(201)  Thorfda^ ,   jeudi.   La  Feyrere  ,  Relation 
de  l'Iflande  ,  p.  4  i .  En  Allemand  ,  Donnerflai, 
(202;  Ci-defTus  §.  i  $.  note  1  40, 
(Ï03)  Leibnitz,  Colleft.  Tom.  II. p.  to. 
(104)  Suidas  in  Tvppuyia  X^'^f- 


LIVRE     Iir.     CHAPITRE     VII,  69 

t:  le  troificme ,  il  fit  la  mer ,  &  toutes  les  eaux  qui  font  fur  la  terre  : 
«dans  le  quatrième,  il  produifit  les  grandes  lumières,  le  foleil ,  la 
w  lune  &  les  aftres  :  dans  le  cinquième,  il  créa  tous  les  animaux, 
»  tant  les  oifeaux  ,  que  les  reptiles ,  &  les  bêtes  à  quatre  pieds,  qui 
«font  dans  l'air,  fur  la  terre,  &  dans  les  eaux  :  dans  le  fixiéme  ,  il 
''  fit  l'homme.  Les  fix  premiers  millénaires  fe  font  donc  écoulés  avant  la 
»'  formation  de  l'homme.  Le  genre  humain  fubfiftera  pendant  les  autres 
«  fix  raille  ans  ;  de  forte  que  tout  le  tems  de  la  durée  de  l'Univers  eft 
♦>  de  douze  mille  ans.  » 

Mais  il  eft  vifible  que  cette  prétendue  Hiftoire  Etrufque  avoit  été 
fuppofée,  par  un  Chrétien  ,  ou  par  un  Juif.  Les  fix  premiers  millénaires 
font  les  fix  jours  de  la  création.  L'Auteur  Etrufque,  qui  avoit  em- 
prunté la  plus  grande  partie  de  fon  Hiftoire  du  Livre  de  la  Genefe ,  en 
employé  quelquefois  les  propres  termes.  Les  fix  derniers  millénaires 
font  les  fix  mille  ans  pendant  lefquels  le  monde  doit  fubfifter,  félon 
l'opinion  des  Rabbins.  On  auroit  beaucoup  de  penchant  à  croire  que 
cette  fraude  pieufe  étoit  l'ouvrage  d'un  Juif,  file  mot  de  o-uvTfAe'/a,  qui 
ne  fe  trouve  guères  que  dans  le  Nouveau  Teflament,  au  moins  dans 
le  fens  qu'on  lui  donne  ici ,  n'indiquoit  un  homme  qui  avoit  lu  TE» 
vangile  (205). 


CHAPITRE      VII. 

Vj  E  ne  feroit  pas  ici  le  lieu  de  parler  du  Dieu  Mars ,  c'eft-à-dire , 
d'un  Héros ,  qui ,  félon  la  Doftrine  des  Grecs  &  des  Romains ,  fut  mis 
au  nombre  des  Dieux  après  fa  mort ,  fi  l'on  n'étoit  perfuadé  que  ce  pré- 
tendu Mars  eft  encore  le  même  Jeut  dont  il  a  été  parlé  dans  le  Chapitre 
précédent.  On  va  expofer  les  raifons  qu'on  a  de  l'afl^'urer  ;  mais  il  faut 
rapporter  premièrement ,  en  peu  de  mots  ,  ce  que  les  Grecs  &  les  Latins 
ont  dit  du  culte  que  les  Peuples  Celtes  rendoient^à  Mars. 

§.  I.  Les  Celtes  étoient  des  Peuples  Belliqueux ,  qui  n'avoient  point  tous  le?  Aa 
d'autre  profefiion  que  celle  des  armes.  Il  ne  feut  donc  pas  être  fur-  d"' à^ai"/ 
pris  qu'on  ait  dit  que  Mars ,  le  Dieu  qui  préfide  à  la  guerre ,  étoit  leur  ^Iç';  'ceil^" 

(205]  Mais, un  Juifpouvoit  avoir  la  l'Evangile,  comme  des  Chrétiens  lifent  l'Alcoran.  Oa 
eu  donc  toujours  dans  l'incertitude,  &  l'inipolleur  etojt  Juif  ou  Chrétien.  ^.  i^e  J'£i<. 


Dk'Li  Mar:. 


70  HISTOIRE    DES    CELTE  S> 

ft;t7)ientie  grande  Divinité.  On  lit,  par  exemple  ,  dans  Strabon  (i)  ,  que  les  Lit* 
fitains  ,  qui  font  lei  Portugais  d'aujourd'hui ,  immoloient  à  Mars  dc$ 
chèvres ,  des  chevaux ,  &  les  prifonniers  qu'ils  faifoient  à  la  guerre. 
Macrobe  remarque  auffi  (2)  qu'un  autre  Peuple  de  l'Efpagne  avait  un 
fimulacre  de  Mars  ,  dont  la  tête  étoit  environnée  de  rayons.  Jules- 
Céfar  dit  (  3  ) ,  que  «  les  Gaulois  fervent  le  Dieu  Mars.  Ils  font  dans 
»>  l'opinion  qu'il  préfide  à  la  guerre.  Ainfi ,  quand  ils  ont  réfolu  de  don- 
»  ner  bataille ,  ils  font  vœu  ,  le  plus  fouvent  ,  de  lui  offrir  tout  ce 
»  qu'ils  prendront  à  la  guerre.  Ils  lui  immolent  l'élite  des  animaux  qu'ils 
»  ont  pris  fur  l'ennemi.  A  l'égard  des  autres  chofes ,  ils  les  affemblent 
»>  dans  un  même  lieu.  Il  y  a  plufieurs  (4)  Villes  où  l'on  voit ,  dans 
»des  lieux  confacrés,  de  ces  monceaux  de  dépouilles.  Il  arrive  rarement 
»>  qu'il  y  ait  des  gens ,  qui ,  au  mépris  de  ce  vœu ,  ofent  retenir  fecrette- 
»  ment  les  chofes  qui  ont  été  ainfi  vouées,  ou  qui  les  enlèvent  du  lieu  , 
»  oii  elles  ont  été  mifes  en  trophée ,  parce  que  ce  facrilége  eft  puni 
»  d'un  fupplice  très-cruel.  •>  Florus ,  parlant  d'une  bataille  que  les  Romains 
gagnèrent  fur  les  Gaulois  ,  dit  auffi  (  5  )  que  ceux-ci  avoient  fait  vœu  , 
fuppofé  qu'ils  remportafTent  la  vidoire  ,  d'employer  le  butin  qu'ils 
ièroient  fur  l'ennemi ,  à  un  collier  pour  leur  Dieu  Mars.  On  ne  fait 
pas  mention  de  quelques  temples  que  ce  même  Dieu  avoit  dans  les 
Gaules  (6) ,  félon  les  Itinéraires ,  parce  qu'il  y  a  toute  apparence  que 
ces  Temples ,  qui  étoient  dans  la  Province  Narbonnoife ,  avoient  éié 
bâtis  par  les  Romains. 

Les  Germains  fervoient  le  Dieu  Mars  ,  à  peu  près  ,  de  la  même  ma- 
nière que  les  Gaulois.  «  Ils  appaifent ,  dit  Tacite  (7) ,  Hercule  &c  Mars 
«  par  des  facrifices  d'animaux  permis  ;  »  ou  plutôt ,  comme  les  Germains 
étoient  beaucoup  plus  belliqueux,  &C  plus  féroces,  du  tems  de  Tacite, 
que  les  Gaulois ,  ils  rendoient  auffi  à  Mars  un  facrifice  plus  Cruel  &  plus 
barbare.  Cet  Hiftorien  le  reconnoit  lui-même  dans  fes  Annales.  Parlant 
d'une  bataille  qui  fe  donna  entre  deux  puiflans  Peuples  de  la  Germanie, 
l'an  58  de  J.  C ,  il  dit  (8  )  que  «  cette  guerre  fût  heureufe  pour  les 


(l)  Strabo  III.  p.  I  j  s. 
(x)  Macrob.  SMurn.  Itb.  I.  cap.  i>.  p.  203. 
{}j  Caefar  VI.  17. 

(^   Civiiatthus.  Ce  mot  fignifie,  dans  Jules- 
«CèTuj  uu  Peuple 4  une  République  ,  un  £cac. 


(sj  tlorus  II.  4. 

(«1  Antonin.  Itiner.  p.  zt.  x^.Itiaet.  Butdi* 
gal-p.+o. 

(7;  Tacit.  Gctm.  cap.  y. 
(S)  Tacit.  Ann.  xm.  j?^ 


LIVRE     m.     CHAPITRE    VII.  71 

»  Hermundures  ,  mais  pernicieufe  aux  Cattes ,  parce  que  le  Vainqueur 
»  avoit  confacré  l'Armée  ennemie  à  Mars  ,  &  à  Mercure  ,  &c  qu'en 
y»  conféquence  de  ce  vœu,  on  maffacroit  les  hommes,  les  chevaux, 
w  avec  tout  ce  qui  avoit  vie.  » 

'    Il   paroît  effeftivement,   par  un  paffage  de  Procope ,  rapporté  ai'- 
leurs  (9),   que  dans  le  fixiéme  fiécle  ,  des  habitans  de  l'Iflande  of- 
froient  encore  des   viftimes   humaines   à  Mars.   Jornandès    remarque 
auffi  (  io)  que  les  Goths  appaifoient  le  Dieu  Mars  par  un  culte  extrême- 
ment cruel,  &  qu'ils  lui  offroient  pour  viâimes  les  prilbnniers  qu'ils 
faifoient  à  la  guerre.  Vitikind,  dans  fa  Cronique  de  Saxe  ,  dit  (1 1)  que 
les   anciens  Saxons  érigeoient  des  colomnes  à  l'honneur    de    Mars  , 
qu'ils  appelloient  en  leur  Langue,  Hennin,  ou  Hermès.  Effeûivement , 
l'Idole  des  Saxons  ,  que  Charlemagne  fît  abattre ,  s'appelloit  Irminful, 
ce  qui  défignoit ,  félon  Vitikind ,  la  colomne  de  Mars  ;  Irmin  ,  ou  Her- 
mann,  flgnifîant ,  en  Tudefque,  un  homme  de  guerre  ,  &  Sul ,  une  co- 
lomne. Cette  étymologie  efl  afTurcment  plus  naturelle  que  celle  d'>/- 
xiam  de  Bremen  ,qm  croît  que  (^ii)  Hermanful ,  ou  /rminful ,  marque. t 
la  colomne  univerfelle,  le  fimulacre  de  celui  qui  foutient  l'Univers  (13). 
Tous  les  Peuples  Scythes  ,  en  général ,  fervoient  le  Dieu  Mars.  C'étoit 
leur  grande,  &  en  quelque  manière,  leur  unique  Divinité  ,  puifqu'ils 
ne  croyoient  pas,   s'il  faut  s'en  rapporter  à  Hérodote  (14),  qu'il  fût 
permis  de  confacrer  des  Simulacres  ,  des  Temples  &  des  Autels  à  d'autres 
Dieux  qu'à  celui  là. 

Us  s'accordoient  (15)  tous  à  lui  offrir  des  viftimes  humaines ,  &  le 
/imulacre,  auquel  ils  attachoient  fon  culte  ,  étoit  une  épée.  Les  anciens 
habitans  de  l'Italie  fervoient  ,  à  ce  qu'on  prétend ,  le  même  Dieu  fous 
le  nom  de  (16)  M  amers ,  &c  le  fimulacre  qu'ils  lui  confacroient ,  ne  dif- 
féroit  guères  de  celui  des  Scythes  ;  (17)  ç'étoit  une  halebarde.  Au  reflc, 
efltre  tous  les  Peuples  Scythes  &  Celtes ,  il  n'y  en  avoit  aucun  qi  i 
pafîat  pour  être  plus  attaché  au  culte  de  Mars,  que  les  (i8)  Thraces. 


(9)  ci  deffusch.  IV,  ^.  7.  noie  jj. 
(10)  Jornand.  cap.  IV.  p.  617. 
(il    Vitikin.  Corbei.  An.  lib,  I.  p.  t}t. 
(jf.)  Adam.  Brem.  cap.  «S. 
(1  3)  Selon  cette  étymologie  ,  Imunfttl  feroit 
;iutant  que  Jederm»»i-Siil. 

(l+J  Ci-delTiis  ch.  IIJ.  §.3.  note  I, 


(151  Herodot.  IV.  6z.  Pompon.  Meta  II.  c.  I. 
pag.  41    Solin  cap.  25    p.  231. 

/I6)  Vairo  de  Ling.  Lat.  IV.  it. 

'i  )  Clem.  Alex.  Cohoit.  ad  gent.  pag.  41. 
Arnob.  Cent  Gent.  lib.  VI.  Vtjtt.  ci-d.  Liv.  |. 
chap    10.  p.  66 

(i>j  Heiodet.  V.  y.  Aufon.  Idyll.  iz.  Miouc, 


7i  HISTOIRE    DES    CELTES, 

S'il  faut  en  croire  les  Poètes,  ce  Dieu  (19)  étoit  né  en  Thrace.  Il  y 

faifoit  (zo)  fon  féjour  ordinaire.  On  y  voyoit  même  fon  (11)  tombeau. 

Comme  il  avoit  clioifx  fa  Patrie  (ii) ,  pour  être  le  théâtre  le  plus  ordinaire 

de  fes  exploits  ,  il  y  avoit  auffi  un  grand  nombre  de  Sanctuaires  (13), 

far  les  montagnes,  près  des  fleuves,  ou  dans  des  forêts. 

if  Mars  .Me      §.  II.  Lcs  Auteurs  oti  l'on  a  puifé  ce  qu'on  vient  de  remarquer  ,  s'ac- 

i:cic'"é?otnc  cordent  à  dire  que  les  Peuples  Celtes  adoroient  le  Dieu  Mars.  La  plû- 

Yi.iul"'*'  ^''  part  de  ces  Ecrivains  font  même  dans  l'idée  ,  que  le  Mars  des  Celtes  étoit 

une  Divinité  différente  de  leur  Mercure.  Il  y  a,  cependant,   lieu  de 

croire  qu'ils  fe  font  trompés,  &  qu'ils  ont  attribué  mal-à-propos  à 

ces  Peuples  d'adorer,  avec  Mercure,    qui  étoit  leur  Dieu  fuprême, 

un  Dieu  inférieur  qui  préfidoit  à  la  guerre.    Voici  les  raifons  fur  lef- 

quelles  on  fe  fonde. 

1°,  Il  eft  confiant  que  le  nom  de  Mars  n'étoit  point  connu  parmi  les 
Peuples  Scythes  &  Celtes.  Ceux  qui  ont  dit  que  ces  Nations  offroient 
des  facrifîees  à  Mars ,  ou  à  (24)  Bellone ,  ont  fuivi  en  cela ,  les  idées  & 
les  façons  de  parler  des  Grecs  &C  des  Romains  ,  qui  mettoient  les 
Guerriers  fous  la  proteûion  de  ces  Divinités.  Plufieurs  Auteurs  l'ont 
reconnu.  Vegetce  ,  par  exemple,  dit  (15)  que  Mars  paffoit  pour  être 
le  Dieu  des  Thraces  &  des  Scythes,  parce  que  ces  Peuples  étoient  extrê- 
mement belliqueux ,  diflingués  par  leur  force  &  par  leur  valeur  ,  &C 
que  c'étoit  la  raifon  pour  laquelle  on  difoit  auffi  que  ce  Dieu  étoit 
né  en  Thrace.  Clément  (26)  d'Alexandrie  ,  &  (17)  Phurnutus  ont 
fait  la  même  remarque.  Que  peut-on  donc  conclure  desdifférens  paffages 
qu'on  vient  de  citer  ,  Se  qui  font  mention  du  culte  que  les  Celtes  ren- 
doient  au  Dieu  Mars  ?  Rien  ,  fi  ce  n'eft  que  ces  Peuples  avoient  effeftive- 
ment  une  Divinité  qui ,  félon  leur  Doftrine  ,  préfidoit  à  la  guerre  :  les. 
Armées  rendoient  à  cette  Divinité  guerrière  un  culte  religieux ,  autour 
d'une  épée  ,  ou  d'une  halebarde ,  qu'on  plantoit  au  milieu  du  camp. 


f  elix  cap.  25.5  2  !  8.  Prudent.  Cont.  Symmaclv. 
Kb.  It.  V.  49+.  Sidon.  ApoU  Carm.  IX.  v.  174. 
Claudian.  de  raptu  Trofcrp.  lit.  I.  v.  147.  Vir- 
gil.  Sneld.  II.  v.  3  s. 

(  ,  9)  Arnob.  lib.  iv.  p.  lyif; 

(20)  Homer.  Odj'fT.  viii.  v,  550.  Silius  Ital. 
îib.  I.  V,  433.  xvn.  V.  ^5>2-  Virgtl.  JEncid.  XII. 
».  »ît. 


(îi)  Cfem.  Rom.  Rccognit.  lib.  X.  cap.  24. 
(•21]  Statiti^  Thcbaid.  ilr.  v.  220. 

(23)  Herodot.  vu  76.  Statias  Theb.  vu.  4.0. 
Val.  Flac;  Argon.  V.  121. 

(24)  Amm.  Marcel,  xvii.  cap.  4.  p.  4*2. 

(25)  Vfgct.  de  Re  Alilit.  lib.  I.  cap.  ulc. 

(26)  Clem.  Alex.  Coh.  ad  g.  p.  $t 
[17)  rhuinutus  p.  5.7. 

1®.  Nfeis 


LIVRE    Iir.     CHAPITRE    VII.  73 

l''.  Mais  û  l'on  examine  ,  après  cela,  qui  étoit proprement  ce  Mars, 
ceDleti  des  Giverriers,  félon  laThéologie  des  Celtes,  on  trouvera  que 
c'étoit,  Fodan  ,  ou  Odin^  c'eft-à-dire ,   le  Dieu  fuprcme  ,  que  la  plu- 
part des  Etrangers  ont  appelle  Mercure.  C'eft  à  lui  que  l'on  confacroit 
le  butin  fait  fur  l'ennemi ,  que  l'on  immoloit  des  viâimes  (iS)  humai- 
nes ,  &  en  particulier ,  les  prifonniers  que  l'on  faifoit  à  la  guerre.  C'eft 
auprès  de  lui  que  les  Guerriers  qui  mouroient  fur  le  champ  de  bataille, 
alloient  jouir  de  la  fouveraine  félicité.  Ainfi  Rcgmrus-Lodbrok ,  Roi  de 
Dannemarck  ,  pour  encourager  fes  Troupes  au  combat,  leur  dlfoit(i9)  : 
«  Bientôt  nous  pafferons  dans  le  Palais  du  grand  Odin  ,  pour  y  boire 
»>de  la  Cervoife  (30)  dans  le  crâne  de  nos  ennemis.  »  VEdda  des  Irlan- 
dois ,  où  l'on  trouve  plufieurs  morceaux  de  la  Dodrine  des  Peuples  du 
Nord ,  porte  auffi  (31)  q>^e  «  tous  les  hommes  qui  ont  été  tués  à 
w  la  guerre ,  depuis  le  commencement  4u  monde ,  vont  trouver  Odin 
••  dans  le  Valhalla.  » 

11  eft  vrai  qu'il  réfulte  de-là  ,  qu'il  y  avoit  une  contradiâion  fort 
fenfible  dans  la  Théologie  des  Celtes.  Ils  regardoieqt  Odin  comme  un 
Etre  bien-faifant ;  ils  l'appelloient  le  Bon,  le  Père  des  hommes.  Com-» 
ment  pouvoit-il  donc  prendre  plaifir  à  voir  fes  enfans  fe  détruire  les 
uns  les  autres  ?  Mais ,  dans  le  fond ,  la  même  difficulté  preffe  le  Juif  & 
k  Chrétien  ,  puifque  nos  Livres  facrés  appellent  le  Créateur  du 
monde  ,  &  de  l'homme,  le  Dieu  des  Armées,  ou  des  Batailles.  Nous  le» 
yons  la  difficulté  ,  en  difant  que  Dieu  approuve  les  guerres  juftes , 
^  qu'il  les  dirige  toutes  d'une  manière  pleine  de  fageffe  &  d'équité  , 
f(ï  fervant  même  de  la  méchanceté  de  l'homme ,  &  de  fes  fureurs ,  pour 
exercer  fes  juftes  Jugemens  ,  &  pour  accomplir  les  fages  defleins  dç 
ffi  providence.  Les  Celtes  croyoie.at  la  lever,  en  difant  {^x)  que  Dieu 
avoit  placé  les  hommes  fur  la  terre ,  comme  dans  un  champ  de  bataille  , 
pour  y  exercer  leur  force  &  leur  bravoure  ;  qu'il  donnoit  tout  ici 
bas  aux  hommes  forts,  &  quil  réfervoit  d'ailleurs,  dans  l'autre  vie , 
une  félicité  particulière  aux  braves ,  qui  périfloient  dans  la  noble  pro- 
feffion  des  armes. 


(z<)  Ci-delTus  chap.  VI.  $.  4.  notes  12.,  Se  tj. 
<,  f.  note  27. 

[i9    Ci-deiTus  Liv.  II.  ch.  j.  p.  i]i.note  81. 
0  '  )  ^$[*"f'  '^  I>  même  chofc  ^uc  BUri, 


On  s'en  fert  pour  de'fîgnci  cettùnt  bieuva^ 
des  Anciens. 

(}.)  Eddiiflând.  Myth.  jj. 

Ci z)  Ci-deflus ,  Liv.  Il.ch.  }. 


T"*  ri,  ^ 


74  HISTOIRE    DES    CELTES, 

3*.  Une  autre  preuve  ,  qui  mérite  d'être  bien  pefée  ,  c'efl  que  leS 
Anciens ,  peu  d'accord  entr'eux ,  &  fouvent  en  contradiftion  avec  eux- 
mêmes  ,  font  quelquefois  de  Mars  le  Dieu  fuprême  des  Peuples  Scythes 
&  Celtes.  Par  exemple,  Jules -Céfar  dit  (33)  que  Mercure  étoit  le 
'grand  Dieu  des  Gaulois.  Une  Loi  (34)  Romaine  infinue  que  c'étoit 
Mars.  Elle  défend  d'inftituer  les  Dieux  pour  héritiers  ;  mais  elle  en 
.excepte  ,  Jupiter  ,  pour  les  Romains  ,  &  Mars  ,  par  rapport  aux 
Gaulois ,  fans  doute  parce  qu'elle  regardoit  ce  dernier  comme  le  Dieii 
fuprême  des  Gaulois  ,  qui  lui  confacroient ,  depuis  un  tems  immémo- 
rial ,  une  partie  des  biens  qu'ils  avoient  acquis  à  la  guerre.  Tacite 
affure  aufli  (35)  que  les  Germains  fervoient  principalement  Mercure. 
Ailleurs  ,  il  fait  dire  à  ces  Peuples  (36)  que.Mars  eft  le  premier  de  tous 
les  Dieux.  Dans  un  endroit ,  il  dit  que  (3  7)  les  Germains  n'offroient 
des  viftimés  humaines  qu'à  Mercure  ;  dans  l'autre  ,  il  parie  (38) 
d'un  vœu ,  par  lequel  le  Vainqueur  avoit  confacré  l'Armée  enriemie  à 
Mars  ,  &  à  Mercure.  Comment  accorder  tout  cela  ?  La  chofe  eft  très- 
facile.  Les  noms  étrangers  de  Mars  &  de  Mercure,  défignoient  le  même 
Dieu,  c'eft-àdire  Teuty  ou  Odin  ,  que  les  Celtes  regardoient  comme 
le  Dieu  fuprême,  &, en  même-tems,  comme  le  Proteûeur  des  Guerriers. 

4*.  Si  l'on  veut,  en  effet,  fe  donner  la  peine  de  comparer  divers 
paffages  ,  qui  ont  été  cités  ,  on  pourra  en  tirer  une  preuve  dé- 
monftrative,  que  le  prétendu  Mars  des  Peuples  Celtes  ,  étoit  leur  Dieu 
iiiprême  ,  le  même  Dieu  qu'ils  appelloient  Teut ,  God ,  Vodan ,  Odin. 
Jornandès  dit  (39)  que  les  Goths  immoloient  leurs  captifs  à  Mars, 
qu'ils  lui  offroient  les  prémices  de  leur  butin,  &  que,  pour  l'honorer, 
ils  pendoient  à  des  arbres  confacrés  les  dépouilles  de  leurs  ennemis. 
Paul  Diacre  ,  qui  donne  à  ce  Dieu  le  nom  qu'il  portoit  parmi  les  Peu- 
ples de  la  Germanie,  dit  que  c'étoit  (40)  Vodan.  Procope  dit  (41)  qu'ils 
immoloient  leurs  prifonniers  à  Mars  ,  qu'ils  regardoient  comme  le  plus 
grand  des  Dieux.  La  Mythologie  des  Iflandois  nous  avertit  que  (4;^ 


(3î)  Ci-deflus,ch.  III,  §.  3.  note  is>.  ,       (37";  CidefTus,  ch.  V.  §.  %.  note  27. 

.(3+)  Corpufcul.  Jiwis  Tit.  ,^1  hurciti  injlimi  |       (}»    Ci-deflTiis,  §.  i.  note  ». 
fojfint.  ap.  Forcatul,  lib  V.  p.  701.  &  ia  Cujac 
Opp.  Toin.  I.  p.  2S7. 


(îs)  Gi-dcflus,  cb.  VJr  §.  5.  note  «S. 
C»6]  Ci-dcffus,^V  V.  J.  1.  note  4. 


(39    Ci-de(fus  ,  ^.  I.  note  10. 

(40J  Ci-deffu3,  ch.  vi.  Ç.  5.  note  35. 

(41J  Ci-deflos  ,  cil.  iv.§   7.  note  33. 


L  r  V  R  E  nr.   e  ft  a  p  i  t  r  e  vu.         7^- 

c'eft  Olin ,  qui  eft  le  plus  ancien  &  le  plus  grand  de  tous  les  Dieux. 
Hérodote  affure  (  43  )  que  les  Scythes  ne  confacrent  des  fimulacres  , 
des  Temples  &  des  Autels  qu  à  Mars.  C'étoit  donc  leur  Dieu  fuprême. 
Les  Turcs ,  qui  faifoient  partie  de  ces  Scythes ,  &  qui  font ,  comme  on 
le  prétend  ,  les  (  44  )  Jyrcx  d'Hérodote  ,  nous  difent  que  leur  Dieu 
fuprême  s'appelloit  (  45  )  Tay.  On  a  prouvé  que  c'eft  le  Dieu  Tis  , 
auquel  la  plupart  des  étrangers  ont  donné  le  nom  de  Mercure.  Hérodote 
l'appelle  ici  Mars.  Mais  auffi  il  ne  met  point  Mercure  au  nombre  des 
Divinités  qui  étoient  adorées  par  les  Scythes. 

§.  III.  Il  eft  prouvé  ,  ce  femble,  que  l'on  a  diftingué  mal-à-propos    Pourquoi  a- 
le  Mars  des  Celtes  de  leur  Mercure.  Ces  deux  noms  défignent  conftam-  M°rs  &  du" 
ment  la  même  Divinité.  Il  ne  refle  plus  qu'à  ré  oud.-e  cette  queftion  :  Corn-  ^ji^'s"'^^'!" 
ment  a-t-il  donc  pu  arriver  que  les  Anciens  fe  foient  prefque  tous  générale-  t^ivinicés  dif» 
ment  accordés  à  foutenir  que ,  félon  la  DoSrine  des  Peuples  Celtes ,  Mars  6* 
Mercure  étoient  deux  Divinités  différentes  ?  Voyons  donc  ce  qui  a  pu 
leur  faire  prendre  le  change.  Deux  chofes  y  ont  fur-tout  contribué. 

1°.  Les  divers  noms  que  les  Peuples  Celtes  donnoient  auDieu  fuprême. 
Ils  l'appelloient  non  -  feulement  Teut ,  ce  qui  étoit  fon  nom  propre , 
mais  encore  God^  Guod ,  Guodan  ,  Vodan  ,  Odin  ,  le  Bon,  ou  Hes ,  & 
avec  une  terminaifon  latine  Hefus ,  c'eft-à-dire  ,  le  Seigneur.  Lucain  & 
Laftance  difent  (46)  que  les  Gaulois  offroient  des  viûimes  humaines 
à  Hefus  Se  à  Teutatès.  Le  commun  des  Auteurs  prétend  que  Teutatis 
eft  Mercure^  &  Hefus  ,  Mars.  Peut-être  que  Lucain,  &  Laûance,  qui  l'a 
fuivi ,  ont  regardé  le  Hefus  ,  &  le  Teutatès  ,  comme  deux  Divinités 
différentes.  Ils  peuvent  être  tombés  dans  cette  erreur,  parce  qu'ils  ne 
fçavoient  pas  que  le  mot  de  Hefus  eft  un  nom  purement  appellatif ,  qui 
défignoit  autrefois,  dans  toute  l'Eijrope,  un  Prince,  un  grand  Seigneur. 
On  le  donnoit  indifféremment  aux  Héros  &  aux  Dieux. 

La  Mythologie  des  Iflandois  ,  portoit ,  par  exemple  (47)  qu'il  y  avoît 
idouze  Dieux  (  Afa  )  ,  &  douze  Déeffes  (  Afyniœ  )  ,  qui  méritoient 
les  honneurs  divins  ;  mais  qu'0<//'«  étoit  le  plus  grand  &  le  plus  ancien 


(4)^  Ci-deflus,  ch.  ITI-  §.  ].  note  t. 

(44)  Hetodot.  IV.  11.  Effcftivement  le  nom 
Hljtct ,  en  y  ajoutant  l'article  Scythe,  Th ,  fait 
1<  mot  Thiyrct ,  TKret.  Auffi  Pomponius  Mcla 
lib.  I.cap.  19.  itt  fine  af pelle-t-il  foimclleilient 


ce  Peuple  Turea, 

(4j;  Ci-delTus,  ch.  IV.  §.  i.  note  «.  «h^  VI. 
§,  10.  note  s. 

(4£J  Ci-deflTus,  ch.  VI.  §.  4.  notes  9.81  l»! 

(47)  &àài  lHand.  Hythol.  i  ». 


yô  HISTOIREDES    celtes; 

des  Dieux  (  Afarum  ).  Arngrim  Jonas  ,  après  avoir  remarqué  (  48  ) 
que  les  Chefs  d'une  célèbre  Migration  des  Suédois  furent  appelles  Afer^ 
ajoute  que  le  fingulier  de  ce  nom  eft  As ,  ou  Aas ,  &  qu'on  le  don- 
noit ,  par  excellence  ,  à  OJin ,  avec  l'épithéte  de  Tout-PuiJJant  (49).  On 
voit  aufli  dans  Olaiis-Rudbeck  (50),  que  Fan- ^s  fignifioit  autrefois , 
parmi  les  Suédois  ,  Seigneur  Dieu ,  &  Fan-jEJîr ,  les  Seigneurs  Dieux. 
La  Langue  des  Etrufces  ne  différoit  point ,  à  cet  égard ,  de  celle  des 
Peuples  du  Nord  ;  ils  appelloient  un  grand  Seigneur  ('51)  Bannas  ,  & 
les  Dieux  (51)  AE/î ,  ou  (53)  jEfar.  Les  Peuples  qui  avoient  paffé  de 
Thrace  en  Afie  ,  comme  les  Lydiens ,  &  les  Phrygiens ,  appelloient 
le  Dieu  fuprême  (54)  As-Tis  ,  le  Seigneur  Tis  ,  ou  (  55  )  Titias  ,  Tis^ 
le  Seigneur.  Selon  les  apparences  ,  As-Land,  Adand ,  Ajia  (^6)  ,  figni- 
fioit, dans  leur  Langue,  la  terre  des  Héros,  le  Pays  oii  les  grands  Sei- 
gneurs paffoient  pour  y  moiffonner  des  lauriers  ,  &  Atlas ^  ou  Addas  ^ 
im  noble  Seigneur.  Peut-être  auffi  que  ce  nom  à! As  eft  caché  dans 
ceux  de  (57)  Lailas  ^  de  Bifyras ,  de  Titax ,  que  des  Héros  Thraces  & 
Lydiens  ont  porté.  LesGoths,  au  lieu  de  dire  As,  prononçoient  (58) 
'^nsy&c  ce  mot  défignoit,  parmi  eux,  un  Héros  ,  un  grand  Seigneur.  Les 
Latins,  les  Grecs  ,  les  Germains ,  &  les  Perfes,  changeoient  encore  plus 
la  prononciation  de  ce  mot.  Les  Latins  àifoient ,  I/erus ,  le  Seigneur  ; 
Hera ,  la  Dame.  Les  Grecs  (59)  Héros  ,  un  Seigneur  ,  un  demi  Dieu  ; 
Hera,  ou  Era  la  Dame,  c'eft-à-dire ,  la  Terre.  Les  Germains  Hcer ,  un 
Maître  ,  un  grand  Seigneur;  &  les  Perfes  (60)  Art,  un  homme  illuftre, 
dlftingué ,  un  Héros.  Le  nom  Gaulois  Refus  étoit  donc  un  titre ,  une 
épithéte  de  la  Divinité.  On  comprend  facilement ,  après  cela  ,  que  des 
Etrangers  ayant  oui  dire  aux  gens  du  Pays  ,  qu'ils  adoroient  Hefus 
Tentâtes ,  purent  croire  que  ces  deux  noms  défignoient  deux  Divinités 
différentes  ,  de  la  même  manière  que  les  Grecs  firent  du  Ditis  Pater 
(61  )  des  Aborigines  deux  Dieux  diiî^érens. 


(4t)  Arngrim  Jonas  ap.  Loccen.  Hift.  Suec. 
V.  3*9. 

(45)  Dra  Almtijie  Au ,  fîgnifie  le   Seigneur 
Tout  Puifl'ant. 

(5c)  Olaus  Rudb.  Atlantid.  Toiti.  I,  p.  i «4. 
'      (il;  Hefychius. 

(51^  He'ychius. 

(js)  ^uei.  Augaft.  cap.  97. 

(i4)  Ci-dciT.  ch.  VI.  f  t.  noce  $  j.  «ce. 


(ssilbid. 

(56)  Herodot.  IV.  4J. 
(57)  Hefychius. 

(si   Jornand.  Goth.  cap.  zitl.  p.  <Z9. 
(59;  Hefychius.  Martian.  Capell.  Satyr,  lib.IL 

(60    Hefychius. 
(»ljCi-dcffu5,ch.  YI.  J.  14. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    VII.  77 

1°.  L'autre  fource  de  l'erreur ,  où  font  tombés  ceux  qui  diflinguent 
le  Mars  des  Celtes  de  leur  Mercure,  c'eft  la  diverfité  du  culte  que  ces 
Peuples  offroient  à  leur  Dieu  fuprême.  Les  Nations  qui  avoient  une 
demeure  fixe,  tenoient  leurs  affemblées  religieufes,  ou  dans  des  Fo- 
rêts, autour  d'un  Arbre  confacré ,  ou  fur  des  Collines,  autour  d'un 
amas  de  pierres.  Les  Nomades ,  au  contraire  ,  c'eft-à-dire  les  Peuples  qui 
menoient  une  vie  errante  &  vagabonde,  formoient,  avec  de  la  terre 
&  des  fafcines  (  62  )  ,  une  efpece  de  colline  artificielle ,  au  haut  de 
laquelle  ils  plantoient  une  épée  ,  &  c'étoit-là  leur  Sanftuaire  ,  ou  , 
comme  Hérodote  l'appelle,  leur  Temple,  auiîi  long-tems  qu'ils  de- 
meuroient  dans  la  contrée.  Tous  les  Peuples  Celtes  ,  en  général ,  quand 
ils  entroient  en  campagne ,  &  qu'ils  étoient  à  la  vue  de  l'ennemi ,  plan- 
toient ,  fans  autre  façon ,  au  milieu  du  camp ,  une  épée  ,  ou  halebarde , 
qui  étoit  le  fimulacre  du  Dieu  qu'i's  adoroient.  Il  ne  faut  pas  être  furpris 
que  les  Grecs  &  les  Romains ,  prévenus  de  leurs  idées ,  ayent  cru  que 
le  Dieu  que  les  Celtes  fervoient  autour  d'un  amas  de  pierres  étoit 
Mercure ,  &C  qu'ils  ayent  pris  pour  Mars  ,  celui  dont  le  fimulacre  étoit 
une  épée. 

§.  IV.  Concluons  ,  par  toutes  les  raifons  qui  ont  été  difcutées ," 
que  les  Peuples  Celtes  n'adoroient  tous  qu'un  feul  Dieu  fuprême,  qu'ils 
appelloient  Teut  ,  ou  Tis  ,  &  que  les  Etrangers  ont  appelle  tantôt 
Mercure ,  tantôt  Alars  ,  Jupiter  ,  Saturne  ,  ou  Pluton.  S'il  étoit  vrai , 
comme  plufieurs  l'ont  cru  ,  que  le  Mars  des  Celtes  eût  été  une  Di- 
vinité particulière  &  fubalterne  ,  il  faut  avouer  qu'on  ne  fçauroit 
qu'en  faire  ,  ni  dans  quelle  clalTe  le  ranger.  Ces  Peuples  ne  connoif- 
foient  point  le  culte  des  morts.  Ils  ne  rendoient  point  de  fervices  reli- 
gieux aux  âmes  de  leurs  Héros  ;  & ,  à  la  réferve  du  Dieu  fuprême  ,  ils 
n'en  reconnoiffoient  aucun  qui  ne  fut  attaché  à  quelque  Elément ,  au 
Feu  ,  à  l'Air  ,  à  l'Eau  ,  à  la  Terre.  C'eft  ce  qui  conduit  à  parler  des 
Divinités  fubalternes  que  ces  Peuples  plaçoient  dans  les  Elémens,  & 
dans  les  différentes  parties  de  la  matière. 

■  ' 

(«»)  Hcwdot.  IV.  «ï. 


7&  HISTOIREDES    CELTES, 

^  — ^ 

CHAPITRE      VIII. 

Dts Divinités  §.  I.  \_J  ANS  les  Chapitres  précédens  ,  on  a  montré  fort  au  long  que 
pics  cAics  les  Peuples  Celtes  rendoient  un  culte  religieux  aux  Elcmens  ,  &  à 
fiaTiTEié-  toutes  les  difFérentes  parties  du  monde  vilîble.  Ce  culte  étoit  fondé 
'"""'■  fur  la  perfuafion  qu'il  réfidoit  dans  l'Air,  dans  le  Feu  ,  dans  l'Eau  ,  &C 

dans  tous  les  corps ,  que  nous  regardons  comme  inanimés  ,  des  Intelli- 
gences qui  avoient  une  affez  grande  fupériorlté  fur  l'homme  ,  tant  par 
les  lumières,  que  par  la  puiflance  dont  elles  étoient  douées,  pour  mé- 
riter un  fervice  religieux  de  fa  part.  Dans  le  fond ,  cette  idée  ,  au  lieu  de 
kur  être  particulière,  étoit  commune  à  la  plupart  des  Payens.  Ils  ne 
comprenoient  pas  qu'une  matière  morte  &  infenfible  pût  avoir  en 
elle-même  le  principe  du  mouvement  ,  ni  la  vertu  de  fe  mouvoir, 
avec  une  fageffe  infinie  &  un  ordre  admirable;  ils  ne  croyoient  pas  que 
ce  fût  une  chofe  digne  de  l'Etre  fuprême  de  defcendre  dans  tous  les 
détails  que  demande  la  confervation  &  la  conduite  de  l'Univers  ;  c'eft 
pourquoi  ils  lui  affocioient  des  Intelligences  fubalternes  qui  avoient 
chacune  fon  diftricl  &  fon  département  particulier.  Il  ne  faut  pas 
douter  que  ce  ne  foit  ici  l'origine  de  la  plus  ancienne  idolâtrie.  Le  So- 
leil ,  la  Lune  ,  l'Armée  des  Cieux  en  furent  les  premiers  objets  ,  parce 
qu'on  jugea  que  des  Aftres  fi  beaux ,  fi  utiles  à  l'Univers ,  en  général ,  & 
3u  genre  humain  ,  en  particulier ,  étoient  conduits  par  des  Intelligences 
bien-faifantes  ,  &  amies  de  l'homme.  On  ne  fe  propofe  pas  de  parler  ici 
(de  toutes  les  Divinités  fubalternes  que  les  Peuples  Celtes  plaçoient  dans 
les  Elémens.  Un  femblable  détail  meneroit  à  l'infini.  Il  faudra  fe  con- 
tenter de  parler  des  principales  Divinités  qu'ils  fubordonnoient  à  l'Etre 
fuprême.  Il  ne  fera  même  néceflaire  de  toucher  cette  matière  qu'autant 
qu'elle  pourra  contribuer  à  faire  connoître  la  parfaite  conformité  qu'il  y 
avoit ,  à  cet  égard  ,  entre  tous  les  Peuples  Scythes  &  Celtes. 
ApiJsieDicu  §•  ^^-  Après  le  Dieu  fuprême,  le  grand  objet  de  la  vénération  de  ces 
B^rn^H^oViet''  P^uplcs  étoit  la  Terre.  C'eft  ce  qui  a  déjà  été  prouvé  en  partie.  On 
t  'X'"pcuv  ^  ^"  '  ^^^  exemple  (i),  que  les  Scythes  rendoient  un  culte  religieux  , 

(?)  Çi-dcff.  cji.  ni.  §.  3.  note  I, 


LIVRE    m.    CHAPITRE    VIII.  79 

à  la  Terre  (1);  que  les  Turcs  la  célébroient  dans  leurs  Hymnes  (3);  pies  ceitM 
que  les  Perfes  lui  offroient  des  facrifices  (4)  ;  que  les  anciens  habitans 
de  la  Grèce  la  regardoient  comme  une  Divinité.  En  parlant  du  Dieu  X 

Tcut  ,  &  de  l'idée  que  les  Peuples  Celtes  s'en  formoient ,  il  a  encore 
été  prouvé  (5)  qu'on  le  regardoit  comme  le  mari  de  la  Terre,  à  la- 
iquelle  il  s'étoit  uni  pour  produire  l'homme,  &  toutes  les  autres  Créa- 
tures. C'étoit  la  raifon  pour  laquelle  on  ne  iéparoit  guères  le  culte  de  ces 
deux  Divinités.  Le  Dieu  fuprême  n'étoit  devenu  le  Père  des  hommes 
que  par  fon  mariage  avec  la  Terre  ;  &  la  Terre  auffi  n'étoit  un  objet 
<l'adoration  qu'autant  que  l'Etre  infini  s'en  étoit  fervi  pour  la  pro- 
dudion  de  l'homme.  Ainfi  les  Scythes  (  6  )  adoroient  Jupiter  &  Apia^ 
c'eft-à-dire ,  la  Terre  ,  qu'ils  regardoient  comme  la  femme  de  Jupiter. 
Les  Thraces  fervoient  Cous  (7)  &  Bendls  ,  les  Phrygiens  (8)  ,  Atis  &c 
Rhea ,  les  Italiens  (9)  ,  i'^z^w/'/ze  &  O/75,  les  Germains  (loj  ,  Vodan  ôi 
la  femme  Fna^  c'ell  -  à  -  dire  ,  la  Terre. 

Il  n'eft  pas  néceflaire  ,  après  cela ,  d'entrer  dans  un  plus  grand  détail, 
ni  pour  prouver  que  la  Terre  étoit  ime  des  plus  grandes  Divinités  des 
Peuples  Celtes,  ni  pour  rechercher  les  fondemens  du  culte  qu'ils  lui 
rendoient.  L'un  &  l'autre  de  ces  articles  paroiffoient  affez  cclaircis. 
Contentons-nous  de  repréfenter  ici  le  culte  même  que  ces  Peuples  ren- 
doient à  la  Terre ,  &  les  fêtes  qu'ils  lui  confacroient.  Elles  fe  célébroient 
par-tout  avec  les  mêmes  cérémonies  ,  qui  ont  paffé  infenfiblement  de 
la  Scythie  dans  Les  Provinces  méridionales  de  l'Europe,  &  jufques  dans 
l'Afie  mineure. 

§.  III.  Ta(.ite  ,  parlant  de  divers  Peuples  qui  demeuroient  dans  le 
Nord  de  la  Germanie,  n'y  trouve  rien  qui  mérite  d'être  remarqué,  fi 
ce  n'cll  (il  «  qu'ils  adorent  tous  la  Déefle  Herthus ,  c'eft-à  dire ,  la 
»  Terre  ,  s'imaginant  qu'elle  intervient  dans  les  affaires  des  hommes , 
»  6c  qu'elle  va  vifiter  les  Peuples.  Il  y  a  dans  une  des  (12)  Ifles  de 


Fête  de  II 
Terre  parmi 


(2;  Ci-deflT.  ch   IV.  §.  t-  note  «. 
(î    Ci-dtfl".  chap.  IV.  §.  i.  noteS4.  &  5.  §.  4. 
note  1 1 . 

(4)  Ci-deflf.  ch.  IV  §.  2.  notes  K.  &  17. 
(s)  ei.d.  ch   VI.  §.  16.  note  i»o. 

(6)  Ci-defT  ch.  UI.  §.  3    note  &, 

(7)  Ci-deir  ch   VI.  §    «   note  42. 

(«)  Ci-dcfl"  ch  VI.  §.  8.  notes  Ç3.  54.  &  57. 
(yjCi-deir,  cb.  VI.  §■  1$.  noce  ito, 


(loi  Ci-deff.  ch.  VI.§.  l£.  notes  177.&  19», 

(  I  i,i  Tacit.  Gcrm.  cap.  40. 

fii*  Ciuviet  German.  Ant.  p.  134.  juge  que 
cette  île  e&  celle  de  Kiigen,  dans  la  Mer  B^Ui» 
que.  Cependant  Tacite  la  place  don-,  la  Mel 
Oceane.  D'ailleurs  l'Hiftotien  nomme  peu  après 
les  B.uges  ,  &  ne  les  connptc  point  entre  le» 
Peuples  dévoués  au  culte  de  la  Dceffe  Herthus. 
On  doit  donc,  ce  femble ,  cheichei  le  boi^  ixvi 


8o  HISTOIRE    DES    CELTES,     • 

w  l'Océan  une  chafte  Forêt ,  dans  laquelle  on  conferve  un  Chariot  qui 
»>  lui  eft  confacré.  Il  eft  couvert  d'un  habit ,  &  perfonne  n'a  la  per- 
»  miffion  de  le  toucher  que  le  Sacrificateur  de  la  Déefle.  Celui-là  obferve 
»  le  rems  où  elle  fe  trouve  dans   le  lieu  qui  lui  eft  confacré ,  &  fuit 
M  avec  beaucoup  de  refpeû  la  voiture  traînée  par  deux  vaches.  On  fait 
»>  de  grandes  réjouiffances ,  on  célèbre  des  fêtes  dans  tous  les  lieux  oh. 
»  elle  paffe  ,  &  auffi  long-tems  qu'elle  y  féjourne.  Pendant  cette  fo- 
»  lemnité  ,  ils  ne  font  point  la  guerre  ,  &  ne  portent  point  fes  armes , 
}>  qui  font  toutes  enfermées.   Ce  n'eft  qie  pendant  cette  fête  que  la 
»  paix  &c  le  repos  font  connus  &  aimés.  Après  que  la  Déeffe  s'eft  rafla- 
M  fiée  d'être  dans  la  compagnie  des  mortels  ,  le  même  Sacrificateur  la  ra- 
»  mené  dans  fon  Temple.  Enfuite  le  Chariot  &  les  habits ,  &  ,  fi  on 
»  veut  les   en  croire  ,    la  Divinité  elle  -  même  eft  lavée  dans  un  lac 
M  fecret  &  inconnu.   On  employé  à  cela  des  Efclaves  qui  font  d'abord 
»  noyés  dans  le  même  lac.  Il  naît  de-là  une  frayeur  religieufe ,  qui  réprime 
»  toute  curiofité  profane ,  fur  un  myftere  que  l'on  ne  peut  connoître 
»  fans  qu'il  en  coûte  la  vie  à  l'inftant.  » 

Le  culte  de  la  Terre  n'étoit  pas  particulier  aux  Peuples  que  Tacite 
nomme  en  cet  endroit.  Il  remarque  un  peu  plus  bas  (13  ),que  «les 
wEftions,  qui  font  les  Pruffiens  d'aujourd'hui,  vénèrent  la  mère  des 
«  Dieux  ,  &c  qu'ils  portent  des  figures  de  fangliers ,  comme  une  enfeigne 
»  de  cette  dévotion.  Cette  figure  leur  tient  heu  d'armes  &  de  défenfes, 
»  &  met  les  Adorateurs  de  la  Divinité  en  fureté  ,  même  au  milieu  de 
»  leurs  ennemis.  » 

§.  IV.  Les  paflages  qui  viennent  d'être  cités ,  méritent  quelques  ré- 
flexions. 1^.  La  Déefle  que  les  Germains  appelloient  Herthus  ,  étoit 
la  Terre.  Tacite  fuit  le  ftile  des  Romains  en  l'appellant  la  Terre-Mere  , 
la  Mère  des  Dieux.  Mais  il  ne  faut  pas  douter  que  les  Germains  ne  lui 
donnaflent  les  mêmes  titres  ,  puifqu'ils  la  regardoient  comme  la  femme 
4u  Dieu  fuprême ,  &  comme  la  mère  des  hommes  &;  des  Dieux.  Le 
Sçavant  M.  Keyller  fe  trompe  donc  afliirément,  lorfqu'il  prétend  (14) 


de  la  Déefle,  non  dans  le  îays  des  Ruges,  mais 
chez  quelqu'un  des  autres  Peuples  qui  faifoient 
profeflîon  de  l'honorer.  Il  y  a  plus  d'apparence 
que  c'eft  l'île  à' Hciligclundfiiaée'i  l'embouchure 
de  l'Elbe.  Les  Anglois  {Angti  )  demeuroient  de 
«e  côc^-lii  &  Ainkiei  a  demontié,  dans  fcs  Aor  1 


tiquités  Cimbtiques,  que  les  anciens  Germains 
avoient  cette  ilc  en  grande  vénération.  Lq  iqot 
à.' Htiligdtnd  lîgnifîe  Ttrrt  fuime. 

( U  )  Tacit.  Germ.  Cap.  4  s . 

(14)  iÇe/flci  Anciq.  Scptcnt.  p.  ijt. 


LIVRE    III.    C  H  A  P  I  T  R  E    VIII.  8i 

que  la  mère  des  Dieux ,  vénérée  par  les  Eftions ,  étoit  le  Soleil ,  au- 
quel les  Anciens  oftroient  des  fangliers.  Cette  conjefture  ne  peut  s'ac- 
corder ,  ni  avec  la  Mythologie  des  Peuples  Scythes  &  Celtes ,  ni  avec 
les  paroles  de  Tacite  qui  la  détruifent  formellement. 

z".  Cette  grande  folemnité ,  que  plufieurs  Peuples  de  la  Germanie 
célcbroient  à  l'honneur  de  la  Terre,  étoit  la  fête  de  la  naiflance  du 
monde  ,  &  du  premier  homme.  On  y  regardoit  la  Terre  comme  une 
femme  qui  relevé  de  couche.  On  lui  faifoit  prendre  l'air,  on  la  pro- 
menoit ,  on  la  baignoit.  Elle  rendoit  fes  vifites.  Chacua  la  félicitoit, 
&  fe  réjouiflbit  avec  elle  de  fon  rétabliffement ,  &  de  l'augmentation 
de  fa  famille.  Comme  cette  folemnité  avertiffoit  les  Ppuples  Germains 
qu'ils  avoient  tous  une  origine  commune  (15)  ,  qu'ils  étoient  tous  enfans 
de  la  Terre,  on  ne  voyoit  par-tout  que  feflins ,  que  réjouiffances ,  avec 
mille  démonftrations  d'une  amitié  réciproque.  Toutes  les  armes  demeu- 
roient  enfermées  pendant  tout  le  tems  de  la  folemnité  ,  afin  que  per- 
fonne  n'outrageât  la  mère  commune  du  genre  humain  par  l'efFiifion  du 
fang  de  fes  enfans.  Tous  ceux  qui  portoient  fes  livrées  étoient  en  fureté  , 
même  au  milieu  de  leurs  ennemis  ,  qui  les  regardoient  &  les  traitoient 
comme  des  frères.  Cette  idée  étoit  auffi  belle  que  jufte.  Il  auroit  été 
à  fouhaiter  feulement  qu'elle  fe  fût  profondément  gravée  dans  l'efprit 
des  Germains ,  &  qu'ils  ne  fe  fuffent  jamais  départis  des  leçons  qui  en 
réfultoient  naturellement.  Mais  d'abord  que  la  fête  étoit  finie ,  les  hofti- 
lltés  recommençoient  au  milieu  de  ces  Peuples  féroces.  Alors ,  comme 
aujourd'hui ,  les  hommes  avoient  de  beaux  principes  ;  mais  ces  principes 
n'étoient  que  de  pures  fpéculations,  qu'ils  démentoient  enfuite  par  toute 
leur  conduite. 

§.  V.  Ceux  qui  ont  quelque  connoiflance  du  culte  que  les  Lydiens ,  cuire  que  Us 
les  Phrygiens,  &  les  autres  Peuples  Scythes  de  l'Afie  mineure,  ren-  '|;"sd"rAfiê 
doient   à  Rhea  ,  c'eft-à-dire  ,  à  la  Terre,  fe  font  fans  doute  déjà  an-   "'"""=''"■ 
perçus  ,  qu  u  ne  differoit  pomt  de  celui  que  les  Germains  rendoient  à  T"rc. 
la  même  Divinité.  «Les  Phrygiens,  dit  Firmicus-Maternus  (16),  affi- 
»  gnent  à  la  Terre  la  primauté  des  autres  Elémens ,  &  veulent  qu'elle 
»  foit  la  mère  de  tous.  «  Ils  l'appelloient  la  Grande  Mère ,  la  Mère  des 


(15)  Ci-deff.  ch.  VI.  §.  s.  note  28. 

(l«)  Fitmic.  Matern.  de   error.  Ptof.  Relig.  pag.  40J. 


Tome  II. 


5x  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Dieux.  Elle  étoit  le  grand  ,  &  en  quelque  manière  ,  l'unique  objet  de 
leur  (17)  culte.  La  plupart  de  (ts  Sanftuaires  étoient  fur  des  mon- 
tagnes couvertes  d'épaifles  forêts.  De-là  les  divers  noms  de  (18)  Bere- 
cynthia ,  Ptjjinuntia  ,  Idœa  ,  Dindymene  ,  Cybde  ,  Agdejiis ,  qu'on  lui  don- 
noit,  &  qui  étoient  tous  pris  des  différentes  montagnes  de  la  Phrygie ,  oîi 
cette  Déeffe  étoit  fervie. 

Les  Phrygiens ,  comme  les  Germains  ,  ne  confacroicnt  point  à  la 
Terre  de  fimulacres  qui  repréfentoient  la  Divinité  fous  la  forme  de 
l'homme  ,  ou  de  quelque  animal.  On  voit ,  dans  l'Hiftoire  Romaine ,  que 
le  Sénat  ayant  fait  confulter  les  Livres  de  la  Sybille,  y  trouva  que  le 
véritable  moyen  de  fe  délivrer  de  la  guerre  qu'Annibal  avoit  portée  eii 
Italie,  c'étoit  d'aller  chercher  à  Peffinunte  ,  la  mère  des  Dieux,  &  de 
l'amener  à  Rome.  Les  Ambafladeurs ,  qui  avoient  été  chargés  de  cette 
importante  commiffion,  apportèrent  (19)  à  Rome  ,  en  grande  pompe  , 
ime  pierre ,  que  les  habitans  leur  avoient  dit  être  la  mère  des  Dieux, 
Feftus  &  Servms  remarquent  (  10  )  que  les  Romains ,  en  recevant  la 
mère  des  Dieux  ,  adoptèrent  le  culte  qu'on  lui  rendoit  en  Phrygie ,  fans 
y  rien  changer.  C'étoit  donc  des  Phrygiens  que  les  Romains  avoient 
appris  (1 1)  à  promener  tous  les  ans  cette  pierre  fur  un  chariot  ou  dans 
une  litière ,  &  à  la  laver  enfuite  folemnellement  dans  une  petite  rivière 
que  le  Tibre  reçoit  au-deflbus  de  Rome.  Nous  avons  vu  que  les  Ger- 
mains pratiquoient  précifément  les  mêmes  cérémonies  pendant  la  fête 
qu'ils  célébroient  à  l'honneur  de  la  Terre.  Peut-être  même  que  ce  ne 
feroit  pas  une  conjedure  tout-à-fàit  hafardée ,  de  croire  que  cette  Divi- 
nité ,  qu'ils  promenoient  dans  une  voiture ,  &  qu'ils  lavoient  dans  un 
Lac  fecret  &  inconnu ,  étoit  aufli  une  pierre.  Saint  Auguftin  a  remarqué 
(il)  que,  lorfque  les  Romains  promendient  la  mère  des  Dieux,  ceux 
qivi  affi{k)ient  à  la  proceflion  chantoient  des  chanfons  remplies  de  fottifes 
&  d'infamies.  Les  couches  de  la  Terre  ,  fon  mariage  avec  ^tys ,  l'aftion 
ê^Atys  qui ,  après  la  naiffance  du  premier  homme ,  fe  mit  hors  d'état 

(17;  Schol.  ad  Apollon.  Argon.  lib.  I.  p.  loj.         (19)  Livius  XXIX.  2. 


Ht.  Maciob.  Sacuin.  I.  cap.  zi.  p.  iio.  Mis. 
1t\\%  p.  sa.  Steph.  de  Urb.  p.  s+o. 

(i«}  Stiabo  X.  pag.  4«».  xii.  5*7.  Servius  ad 


^zej  Forap.  Fell.  j>. 4s.£etviusadi£Beid.XII. 
Y.  «}«. 

[il]  Prudent.  Pctti  Steph.  Hymno  X.  v.  15  j. 


X.M\A.  VI.  Y.  78».  Hefychius.  Herodot.  V.  loi.  '  Ovid.  Faft.  IV.  v.  537.  Lucan.  I.  v.  600. 
Suidas  Toin.  II.  p.  )**' Faufan,  Attic.  IV.p.  14.  I       (si)  Auguft.   de  Civit.   Dei   lib.  I/.  cap.  4. 
Dionyf.  Halic.  Jib.  I.  p.  50.  i-Vtjex.  auffi  la  note  de  Vives  fui  cet  aiticle. 


( 


LIVRE    III.    CHAPITRE    VIII.  §u 

d'avoir  d'autres  enfans  avec  fa  femme ,  en  fourniffoient  fans  doute  le 
fujet.  Enfin,  les  Corybantes  t  13  )  ,  les  Telchines  ,  les  Daûiles-Idéens 
nous  font  repréfentés  comme  les  Miniftres,  &  les  Affefleurs  de  laDéeffe. 

Il  a  été  prouvé  ailleurs  ,  que  ce  font  (24)  les  anciens  Scythes  ,  qui 
offroient  leurs  facrifices  d/i^c  des  chants  ,  des  danfes  ,  6c  un  tumulta 
qui  les  fàifoit  prendre  pour  des  poffédés.  La  feule  différence  qu'il  y  a 
ici  entre  les  Germains  &c  les  Phrygiens ,  c'eft  qu'en  Fhrygie ,  la  mère 
des  Dieux  avoit  pour  Sacrificateurs  des  Eunuques  ,  ce  qui  n'étoit  point 
d'ufage  en  Germanie ,  à  ce  qu'il  paroît.  On  prétend  que  ces  Sacrifica- 
teurs, que  l'on  appelloit  (15)  Galli^  tiroient  leur  nom  de  la  petite  rivière 
de  (i6)  Gallus  ,  qui  fe  jette  dans  le  Sangarius ,  &  qui  avoit  autrefois  la 
vertu  de  rendre  furieux  ceux  qui  buvoient  de  ces  eaux.  Il  fe  pourroit 
fort  bien  qu'ils  portaffent  le  nom  de  ce  fleuve  ,  parce  qu'on  y  lavoit 
la  mère  des  Dieux  ;  &  ,  comme  ils  faifoient  les  pofftdes  après  la  céré- 
monie ,  on  s'imagina ,  fans  doute  ,  que  c'étoit  l'eau  même  du  fleuve , 
qui  leur  donnoit  cette  fureur.  Peut-être  aufll  qu'ils  portoient  le  nom  de 
Gain,  pour  marquer  qu'ils  étoient  étrajigers  (17)  &  voyageurs  fur  la 
terre  ,  qu'ils  fe  promenoient  par-tout,  avec  leur  D^efle  ,  fans  avoir 
jamais  de  demeure  fixe.  Ce  qui  paroît  confirmer  cette  conjedure , 
c'eft  que  les  Dévins  des  premiers  habitans  de  la  Sicile  s'appelloient 
aufli  (18)  Gakoi, 

Il  n'eft  pas  facile  de  deviner  oit  Saint  Jérôme  avoit  pris  que  les 
Prêtres  Phrygiens ,  dont  nous  parlons  (  29  )  ,  w  étoient  de  véritables 
»  Gaulois  ,  que  les  Romains  choififToient  pour  fervir  la  mère  des 
«Dieux,  &  qu'ils  privoient  de  ce  qu'Origene  perdit  volontairement, 
«pour  punir,  par  cet  affront,  une  Nation  qui  avoit  pris  autrefois  la 
»  Ville  de  Rome  ».  C'efl  une  fable.  Les  Prêtres  de  la  mère  des  Dieu» 
n'étoient  pas  des  Gaulois  ,  mais  des  Phrygiens ,  comme  tous  les  Anciens 
l'ont  reconnu.  Peut-être  que  les  Phrygiens  avoient  appris  des  Orien-- 
taux  à  faire  fervir  leur  DéefTe  par  des  Eunuques.  Peut-être  aufïï  qu'ils 
trouvoient  dans  leur  Mythologie  la  raifon  de  cet  ufage.  Us  difoient  (30) 


{^i)  FoUux  lib.  II.  cap.  4.  n.  3  i .  pag    io«. 
Schol.  Apotlonii  lib.  I.    liC.  Faufan.  Eliac.  I. 

(14)  Ci-deiT.  Liv.  II.  chap.  10.  p.  ijz. 

(is)  Lucan.  I.  v.  s<7. 

(i«)  Ovid.  Faft.IV.  v.  3«i.  Fliti.V.  jt.Steph. 


de  Urb.  p.  i6i. 

(■-7)  e'eft  ce  que  lignifie  le  mot  4e  Gdlut, 
Viyci.  ci-deff.  Liv.  I,  ch.  14.  p.  91. 

(t«)  Ci-de<r.  Liv.  I   ch.  II.  p.  72. 

(lï)  Hieronymut  in  Ofe  IV.  14. 

(jo)  Ci-4cir.  ch.  Vi.  J.  t.  notes  s,'-i7. 

Lz 


la  Terre, 


94  HISTOIRE     DES    CELTES, 

qu'Jtis   étoit  le   mari  de  la  Terre.  Ils  le  fervoient  avec  elle.  Ils  le 

regardoient  (31)  comme  l'auteur  des  profpërirés  de  leur  Nation.  Parce 

qu'il  n'y  a  fur  la  Terre  qu'une  efpèce  de  créatures  raifonnables ,  qui  eft 

l'homme;  parce  que  le  Créateur  ne  forme  plus  de  nouveaux  êtres,  ils 

difoient  ,  félon  les  apparences  ,  que  depuis  Iff.  formation  du  monde ,  & 

de  l'homme,  Aeis  avoit  perdu  la  faculté   d'engendrer,  qu'il  s'éioit  fait 

eunuque  ,  ôc  qu'il  dcvoit  être  imité  en  cela  par  fes  Sacrificateurs.  C'efl 

xine  conjcûure  qu'on  abandonne  volontiers  au  jugement  du  Ledeur  ; 

mais  qui  efl: ,  au  moins  ,  plus  naturelle  que  l'aflertion  de  S.  Jérôme. 

La  Diane,       §•  VI.  Il  ne  faut  pas  quitter  les  Peuples  Celtes  de  l'Afie  mineure, 

a°oien"éta-    ^^ns  dire  un  mot  de  la  Diane  à  laquelle  ils  avoient  confacré  un  Sanc- 

bii  le  cuircà  tuairc  à  Ephefe,  dans  le  même  lieu  où  l'on  bâtit  depuis  ce  célèbre  Tem- 

Iphcrc ,  etoit  •  '  ' 

pie  qui  paffoit  pour  l'une  des  fept  merveilles  de  l'Univers.  Cette  Diane 
étoit  originairement  une  Divinité  Scythe  :  la  chofe  n'eft  pas  conteftée. 
Quelques  -  uns  ont  cru  feulement  (32)  que  e'étoit  la  Lune.  La  méprife 
n'eft  pas  confidérable.  Nous  verrons  ,  en  fon  lieu ,  que  les  Scythes 
vénéroient  auffi  la  Lune.  Mais^  au  refte,  la  Diane  d'Ephefe  étoit  conf- 
tamment  la  Terre.  On  le  voit  dans  un  paflage  de  Callimaque,  qui  mérite 
d'être  rapporté.  Ce  Poëte ,  dans  fon  Hymne  à  Diane,  dit  à  la  Déefle(3  3)  : 
«Les  belliqueufes  Amazones,  vous  confacrerent  une  ftatue  à  Ephefe, 
»  fur  le  bord  de  la  mer ,  &  la  poferent  fous  un  hêtre.  La  Prêtreffe 
»  Hippo  en  fit  la  cérémonie ,  & ,  après  le  facrifice  ,  les  Amazones  danfe- 
»  rent  folemnellement  autour  de  votre  ftatue ,  ô  Reine  Oupis.  D'abord 
»  elles  danferent  avec  leurs  boucliers  ,  ce  qu'on  appelle  une  danfe 
»  armée,  enfuite  elles  firent  un  grand  cercle,  &  danferent  un  branle  au 
M  fon  des  flûtes.  On  bâtit ,  dans  la  fuite  ,  autour  de  cette  ftatue ,  un 
»  vafte  Temple,  le  plus  magnifique  que  l'on  trouve  dans  tout  l'Orient. 
»  L'impie  &  furieux  Lygdamis  menaça  de  détruire  ce  Temple.  Il  vint 
«même  l'attaquer  avec  une  armée  de  Cimmériens,  qui  fe  nouriftent  de 
»  lait  de  cavale,  &  qui  demeurent  près  du  détroit  (34)  que  la  fille 
»  d'Inachus ,  transformée  en  géniffe  ,  pafla  à  la  nage.  Leur  nombre  égaloit 
»  celui  du  fable  de  la  mer.  Cependant  cet  infortuné  Prince  fe  trouva  bien 
M  trompé  dans  fes  efpérances.  Il  ne  fçavoit  pas  que ,  ni  lui ,  ni  aucun  de 
>»  ceux  qui  avoient  campé ,  avec  leurs  chariots ,  dans  les  prairies  que 


(31)  Ibid.  note  53. 

(31) fij"».  ci-deflbus,  ch.  13.  §.3. 

(33)  Callimacb.  H;rmn.  in  Dian.  v.  zjs-isS. 


(34   C'cft  le  Bofphore  de  Thrace ,  près  dt 
Conftantinoplc. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    VIII.  8y 

»le  Caïftre  arrofe,  ne  retoiirneroit  dans  fa  patrie.  C'eftainfi ,  ô  Diane, 
»  que  vos  flèches  ont  toujours  couvert  la  Ville  d'Ephefe  comme  un 
»>  rempart  ». 

§.  VII.  Donnons -nous  la  peine  d'examiner  &  d'expliquer  ce  paf- 
fage  ,  qui  renferme  plufieurs  particularités  remarquables  au  fujet  des 
Celtes,  &  fur  leur  Religion, 

i.°  Le  Poëte  dit  que  les  Amazones  avoient  établi  à  Ephefe  le  culte 
de  Diane.   Il  eft  fuivi ,  en  cela ,  par  une  foule  d'Auteurs  (35),  qui 
attribuent  unanimement  à  ces  femmes  belliqueufes  la  fondation  de  la 
Ville  &  du  Temple  d'Ephefe.  Mais  perfonne  ne  dit  qui  étoient  ces  Ama- 
zones ,  ni  d'où  elles  étoient  venues.  Cependant  il  ne  fera  pas  difficile  de 
le  déterminer.  Les  Amazones  font  les  femmes  des  Scythes  ,  tant  Sarmatcs , 
que  Celtes.  Les  unes  &  les  autres  fuivoient  l^rs  maris  à  la  guerre, 
avec  cette  différence,  que  les  femmes  des  Sarmates  fe  battoient  avec  l'en- 
nemi ,  aulieu  que  les  femmes  des  Celtes  fe  contentoient  ordinairement 
de  fervir  leurs  maris,  &  d'offrir  des  prières  &  des  facrifices  pour  le  bon 
fuccès  de  l'expédition.   Elles  demeuroient  chargées  ,  pendant  la  campa- 
gne, de  tout  ce  qui  regardoit  l'extérieur  de  la  Religion.  Les  Amazones, 
dont  il  s'agit   ici ,    étoient  Celtes.  C'étoient  les  femmes  de  plufieurs 
Peuples  de  Thrace  ,  qui  ayant  palîe  dans  l'Afie  mineure  ,  en  avoient  oc- 
cupé la  plus  grande  partie  :  de  ce  nombre  étoient    les  Lydiens  ,  les 
Phrygiens  ,  les  Myfiens,  les  Thyniens,  les  Bithyniens,  les  Mirandins, 
les  Cariens ,  les  Paphlagons  ,  les  Moffyniens ,  &   plufieurs  autres  qui 
donnèrent  chacun  leur  nom  aux  différentes   Contrées  où  ils  s'étoient 
établis.  Ceux  qui  s'étoient  emparés  du  territoire ,  où  l'on  bâtit  depuis 
la  Ville  d'Ephefe  ,  étoient  les  Lydiens  (36)  &  les  Cariens.  Ils  en  fli- 
rent  dépoffédés  dans  la  fuite  ,  par  des  Grecs  (ny)  Ioniens ,  qui  donnèrent 
à  la  Contrée  le  nom  d'Ionie.  Pendant  que  les  Lydiens  étoient  encore  maî- 
tres du  territoire  d'Ephefe  ,    ils  y  avoient  confacré   un  Sanâuaire  à 
leur  Diane.  Les  Prêtreffes  font  donc  ici  les  femmes  des  Lydiens,  &  parti- 
culièrement les  Prêtreffes  qui  préfidoient  au  culte  de  la  Divinité.  Effec- 
tivement, on  voit  dans  Ariftophane  (38),  que  la  Diane  d'Ephefe  étoit 
encore  fervie  ,  de  fon  tems ,  par  des  Vierges  Lydiennes.  Le  Scholiafte  du 


(35)  Dionyf.  Pericget.   v.  !>27.  Euftath.  ad  h. 
loc.  pag.  123.  Strabo  i(IV.   initio.  Juftin  IJ,    . 
Plin.  V.  19-  Pompon,  Mêla  lib.  I.  cap.  17,  p.  21. 
Steph.  de  Urb.  p.  3*5.  *7 7,  Solin,  cap,  5  3, 


(3«,  La  Ville  d'Ephefe  avoit  au  Nord  la  Ly- 
die, &  au  Midi  le»  Cariens.  Herodot.  I.  41. 
(37^  StraboXIV.  p.  6}9. 
(ii)  Aiifloph.  Nttb.  p.  70.  Schol.  ad  h.  1. 


^ 


U  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Poète  ajoute  que  la  Ville  d'Ephefe  avoit  appartenu  anciennement  aux 
Lydiens.  La  fable  qui  porte  (39)  qu'Ephefe  fut  bâtie  par  une  femme  du 
ipjjme  nom  (*) ,  qui  étoit  fille  de  LydJ,  &  de  laquelle  les  Amazones  étoient 
dcfcendues ,  cette  fable  infinue  affez  clairement  que  les  Amazones  ,  dont 
il  eft  queliion,  étoient  des  vierges,  ou  des  femmes  Lydiennes. 

zy  Le  nom  de  la  Déeffe,  à  laquelle  les  Amazones  avoient  confacré  le 
Sanûuaire  dont  nous  parlons,  étoit  Oupis.  «Elles  danferent,  dit  Calli- 
w  maque ,  autour  de  votr^-ftatue ,  ô  Reine  Oupis  ».  Pour  bien  exprimer 
le  fens  du  Poëte,  il  faudroit  traduire  elles  danferent  autour  de  votre  jiatue 
l'Oupianassa  (40),  c'eft-à-dite,  qu'en  danfant  ,  elles  chantèrent 
l'Hymne  qui  commence  par  ces  paroles  Oupianassa  ,  ou  ,  comme 
d'autres  prononçoient ,  Iphianassa.  Un  autre  Poëte  Grec  avoit  auffi 
obfervé  (  41  )  que  fis  Ephefiens  donnoient  à  leur  Diane  le  nom 
A^Opi-s.  Cette  Opis  eft  manifeftement  la  Terre,  que  les  Scythes  appelloient 
(41)  Apia,  les  Italiens  (43)  Ops ,  &  les  Phrygiens  (44)  Opis ,  eu  (45) 
Rhea.  Les  Ephefiens  n'en  difconvenoient  pas,  puilqu'ils  repréfcntoient 
leur  Diane  (46)  avec  un  grand  nombre  de  mammelles  pleines  de  lait  ; 
caradère  qui  convient  parfaitement  à  la  Terre  ,  qui  nourrit  avec  abon- 
dance l'homme  &  les  animaux  ;  mais  qu'on  ne  pouvoit  appliquer  à  la 
Diane  des  Grecs ,  c'eft-à-dire ,  à  une  Vierge.  M.  Tournefort  fait  mention, 
dans  fes  Voyages  (47),  de  quelques  anciennes  médailles  de  la  Ville  d'E- 
phefe ,  qui  marquent  qu'elle  fut  bâtie  à  l'occafion  d'un  fanglier.  Effeftive- 
ment ,  Iphi-fou  fignifioit ,  en  Scythe ,  le  fanglier  d'Opis.  Comme  le  fanglier 
étoit  (48)  confacré ,  parmi  les  Scythes ,  à  la  Terre ,  il  fe  peut  fort  bien  que 
les  Lydiens ,  ayant  trouvé  dans  la  forêt  une  laye  avec  des  marcaflins , 
y  établirent  un  Sanduaire  ,  auquel  ils  donnèrent  le  nom  d'Ipkifou ,  & 
peut-être  eft  -  ce  delà  que ,  dans  la  fuite ,  la  Ville  qui  fut  bâtie  dans  le 
voifinage,  prit  fon  nom. 


(3»)  Etymol.  Magn.  p.  40S.  6cci-d.  not.  35. 

(  *  )  Une  aute  FabJe  portoit  que  le  Cmjfre  , 
Fleuve  de  Lydie  ,  reçut  ce  nom  de  C/w/riKj ,  fils 
de  l'Amazone  Penihefile'e,  qui  e'poufaDe««odans 
îâ  ville  d'Afcalon,  &  eut  d'elle  SefluV4m»  qui 
bâtit  Babylone.  Etym.  M.  p.  444. 

(40)  Ovsit  a^tt^oa.  «h  ut  oi'ta.aaa.  on  i(Çta.1aoffet 
Veft  à-dire,  ô  Reine  Oupis.  Sur  le  mot  d'^- 
ntjfi  ,  voyez  ci-dcflous ,  §.  9.  not.  79. 

(41)  Servius  ad  i&neid.  XI.  V.  sJo.p.  m.ejz. 


Macrob.  Saturn.  lib.  V.  cap.  ti.  p.  364. 

(42)  Ci-dcff.  ch.  III.  §.  3 .  not.  8 . 

(43)Ci-de(r.  ch.  VI.  §.  16   not.  iSo. 

.  44)  Tibull.  lib.  I.  Elcg.  ». 

(4s)  Ci-d.  §.  5.  notes  17-18.  RhtaeAle  nom 
que  les  Grecs  de  l'Afie  Mineure  lui  donnoient. 
Servius  ad  JEneid.  XI.  V.  532. 

{46^  Min.  Feliï  cap.  ;  1 .  p.  207. 

(47)  Tow.  II.  p.  s  t9.  Edit.  de  Paris  1717. 

(48)  Ci-delT.  §.  3 .  not.  i|. 


LIVRE    in.    CHAPITRE    VIII.  87 

3.*'  Le  célèbre  Temple  d'Ephefe ,  qui  paffoit  pour  une  des  fept  mer- 
yeilles  du  monde,  n'étoit  point  l'ouvrage  des  Scythes.  Ils  ne  fervoient 
point  la  Divinité  dans  des  Temples  faits  de  main  d'homme.  Calliniaque 
dit  que  «  les  Amazones  poferent  la  ftatue  de  Diane ,  fous  un  hêtre  ,  au 
»bord  de  la  mer;  &  que,  dans  la  fuite,  on  bâtit  autour  de  cette  Statue 
»  un  magnifique  Temple  «.  Denys  le  voyageur  dit  auffi  (49)  que ,  du 
tems  des  Amazones ,  le  Sanftuaire  de  la  Déeffe  étoit  le  tronc  d'un  Orme. 
On  n'oferoit,  cependant,  affurer  que  les  Grecs ,  qui  chafferent  les  Cariens 
&  les  Lydiens  du  territoire  d'Ephefe,  euffent  commencé  les  premiers  à 
bâtir  le  célèbre  Temple  ,  qu'on  voyoit  près  "de  cette  Ville.  La  Reli- 
gion des  Phrygiens  &  des  Lydiens  s'altéra  bientôt ,  lorfqu'ils  fe  furent 
«tablis  en  Afie.  Voifins  des  Cappadoces ,  &  de  divers  autres  Peuples 
Syriens ,  ou  Phéniciens ,  ils  adoptèrent  infenfiblement  plulieurs  de  leurs 
ulages ,  &  particulièrement  celui  de  bâtir  des  Temples. 

4.*  A  l'égard  de  la  Statue  mêfce  que  les  Amazones  confacrerent  à 
Oupis ,  on  ne  voit  pas  trop  ce  que  c'étoit.  Callimaque  employé  le  mot 
de  /îpsTaç  (50),  qui  fignifie  un  fimulacre,  mais  il  ne  dit  pas  quelle  étoit 
la  forme  du  fimulacre.  S'il  faut  juger  des  Lydiens  par  les  Phrygiens,  leurs 
voifins  &  leurs  compatriotes,  c'étoit  une  pierre.  On  lit  dans  Claudien, 
que  la  DécfTe  R/iea(^^ï^  avoit  fur  le  Mont  Ida  un  Sanduaire,  oh  l'on 
voyoit  un  caillou  facré ,  au  pied  d'un  grand  arbre.  Strabon  ajoute  ici 
une  particularité  digne  d'être  remarquée.  Après  avoir  dit  que  le  Temple 
de  la  Diane  d'Ephefe  étoit  fitué  fur  le  bord  de  la  mer,  il  ajoute  (51) 
qu'un  peu  au-deffus,  l'on  voit  une  belle  Forêt,  au  travers  de  laquelle 
coule  un  Fleuve ,  dans  lequel ,  félon  la  tradition  ,  Latone  s'étoit  lavée 
après  fes  couches.  Cela  paroît  fignifier  qu'aufli  long-tems  que  le  Temple 
fut  poffédé  par  les  Lydiens ,  on  lavoit  la  Déeffe  Oupis  dans  ce  fleuve. 

5."  Callimaque  ajoute  que  la  Déejj'e  étoit  fervie  par  une  Prêtrejfe , 
qui  offrit  le  facrifice  pour  la  dédicace  du  Sanctuaire.  Nous  verrons  bientôt, 
qu'il  en  étoit  de  même  de  la  Diane  Taurique  ,  &  de  celle  des  Thraces. 
Elles  étoient  fervies  l'une  &  l'autre  par  des  femmes  ;  on  trouve  même 
quelque  part ,  qu'il  falloit  que  les  Prêtreffes  de  la  Diane  d'Ephefe  fuf- 


(49I  Gi-deir. not.  35. 

(50)  Pollux  lib.  1.  cap.  I.  Seft.  3.  p.  3.  Tem- 
ble  infinuetquc  ce  mot  n'étoit  pas  Grec./Sptrcn 
fignificroit ,  en  Scythe,   la   planche  de  Dieu. 


£r«,  planche.  Ai,  Dieu. 

(s  ij  Claudian.  de  Raptu  Proferp.  I.  v.  m. 
(si)  SttaboXlV.  p.  63». 


88  HISTOIRE    DES    CELTES, 

fent  vierges,  S^qu'afin  que  leur  pudeur  fût  dans  une  pleine  fureté,  les 
Prêtres  qui  fervoient  avec  elles  dans  le  Temple,  dévoient  tous  être  Eu- 
nuques. Mais  cet  ufage,  s'il  eft  confiant,  ne  venoit  point  des  Scythes, 
ni  des  Celtes.  L'on  verra  ailleurs,  que  les  Druides  étoient  mariés,  que 
leurs  femmes  demeuroient  avec  eux  dans  les  Sanâuaires  ,  &i  qu'elles  im- 
moloient ,  auflibien  que  leurs  maris ,  les  prifonniers  &  les  autres  viftimes. 
Selon  le  Poëte ,  la  Prctrefle  dont  il  s'agit  ici ,  s'appelloit  Hippo.  Comme 
les  Prêtres  &  les  Prêtreflcs  des  Scythes  portoient  ordinairement  le  nom 
du  Dieu  dont  ils  étoient  les  Miniftres ,  ce  nom  ôH Hippo  pourroit  bien 
être  le  nom  de  la  Déefle ,  que  les  Scythes  prononçoient  Jplii.  Peut-être 
auffi  que  le  nom  ^ Hippo  eil  pris  de  l'Hymne  que  l'on  chantoit  dans 
les  Fêtes  de  Diane.  On  l'appelloit  Hyppingus  (^•^■^^ ,  c'eft-à-dire ,  le  fau- 
teur, parce  que  la  danfe  en  étoit  fort  animée. 

6."  Apres  kfacrifice,  les  Ama:;ones  danfercnt  folemnelUmint  autour  de  la 
Statue  rOvPlANASSA  ,  &c.  Les  Peii^les  Scythes  S>C  Celtes  chantoient 
leurs  hymnes  au  fon  des  inftrumens ,  &  (  54)  le  chant  étoit  toujours  ac- 
compagné de  la  danfe.  Chaque  Cantique  avoit  fon  Air  &  fa  Danfe  afFec- 
tée.  Il  ne  fera  pas  néçeflaire  de  revenir  à  ces  ufages ,  qu'il  fuffit  d'avoir 
indiqué  une  fois, 

7.^  Apris  qu'on  eût  bâti  un  Temple  dans  le  lieu  où  les  Amazones  avaient 
pofé  leur  Statue ,  des  Cimmériens ,  qui  avoient  pajfé  le  détroit  de  Conjlantino' 
pie  ,  fous  la  conduite  de  Lygdamis ,  menacèrent  de  détruire  ce  Temple.  On 
en  voit  bien  la  caufe.  Les  Cimmériens ,  qui  confervoient  encore  l'an- 
cienne Religion  des  Scythes ,  regardoient  comme  une  impiété ,  que  l'on 
bâtît  des  Temples  à  la  Divinité  ;  &  ,  par  cette  raifon  ,  ils  détruifoient  tous 
les  Temples  qu'ils  trouvoient  fur  leur  chemin.    Le   Poëte  dit  que  la 
Déefle  défendit  &  préferva ,  non-feulement  fon  Temple ,  mais  qu'elle 
fît  périr  encore  tous  les  facriléges  qui  oferent  l'attaquer.    Sans   doute 
que  la  Chronique  d'Ephefe  le  portoit  ainfi ,  comme  celle  de  Delphes  ra* 
contoit  qu'Apollon  avoit  foudroyé  les  Gaulois    qui   afliégeoient  fon 
Temple.  Ces  fraudes  pieufes  ont  été  trop  bien  &  trop  fouvent  imitées 
par  les  Chrétiens ,  pour  qu'on  puiffe  les  reprocher  légitimement  aux  au-, 
très  Religions.  Au  refte,  il  efl  confiant   que  le  Temple  d'Ephefe  fut 

*'"'        ■■■■'■  '  --    ■         - ,     .,  .,  .„..     ,  _  ,■■■..      I    ■        ■- I     , 

(sî)  PoUux  lib.  I.  cap.  z.  art.  j3   pag.  il.  Hi/ife»,  en  AUenjand,  fiçnifie /«ffr, 
(5+)  Ko;«fcCi-!l.  Liy.  II.  cji.  lo.p.  18».  ôcf«iv. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    VIII.  ^ 

brûlé  par  Lygdamis  (5  5)  qui,  après  avoir  fournis  (56)  la  Lydie  &  l'Ionie, 
alla  périr  en  Cilicie. 

§.  VIII.  Puifque  les  Lydiens ,  les  Phrygiens ,  &  les  autres  Peuples    ta  Thrace. 
Celtes  de  l'Afie  mineure  y  avoient  paffé  de  Thrace,  il  eft  naturel  de  a  h  Duas 
préfumer  que  c'étoit  de-là  qu'ils  avoient  apporté  le  culte  de  la  Reine  âdîrc'.'u* 
Opis ,  c'eft-à-dire  de  la  Terre.  Effeâivement ,  il  y  étoit  établi ,  comme  ^"''* 
dans  tout  le  refte  de  la  Celtique.  On  le  voit  dans  un  paflage  d'Hérodote , 
où  cet  Hiftorien  rapporte  ce  qu'il  avoit  appris  dans  l'Ifle  de  Délos,  fur 
le  fujet  des  Hyperboréens,  qui  font  ici  les  Peuples  Thraces,  ou  Gétes, 
établis  le  long  du  Danube ,  au-deffus  de  la  Grèce.  Le  paflage  eft  trop  long, 
pour  être  traduit ,  ou  cité  tout  entier.  Il  fuffîra  d'en  rapporter  la  fubftance. 
Hérodote  dit  donc  (57)  que,  «félon  la  tradition  reçue  dans  l'Ifle  de 
»  Délos  ,   les  Hyperboréens  promenoient  autrefois  les  objets  de  leur 
»  culte  dans  des  gerbes  de  froment.  Ils  envoyoient  la  voiture  aux  Scy- 
»  thés  ,  (  c'eft-à-dire  ,  aux  Peuples  de  la  petite  Scy thie ,  )  &  delà  on  la  ^ 

»  conduifoit  de  canton  en  canton ,  du  côté  de  l'Occident.  Elle  s'avan- 
»  çoit  enfuite  vers  le  midi.  Les  Grecs  larecevoient  à  Dodone,  &  la  con- 
*  duifoient  fucceflîvement  jufques  dans  l'Ifle  de  Délos  ».  (  Voilà  ma- 
nifeftement  la  DéeflTe  que  les  Germains  promenoient  d'un  Peuple  à  l'autre.) 
««  Les  Habitans  de  l'Ifle  de  Délos  difoient  que ,  lorfque  les  Hyperboréens 
H  leur  envoyèrent  ,  pour  la  première  fois,  ces  gerbes,  elles  étoient 
»  conduites  par  deux  Vierges ,  qui  avoient  une  efcorte  de  cinq  hommes. 
»  Ces  Vierges  s'appelloient  Hyperoché  &  Laodicé.  Dans  une  autte  vifite ,  la 
»  Déefl"e  arriva  accompagnée  de  deux  autres  Vierges ,  dont  l'une  s'appel- 
loit  Hecaërge  &  l'autre  Opis».  (Opis  eft  ici  le  nom  d'une  Vierge  qui,  félon 
l'ufage  des  Scythes,  portoitle  nom  de  la  Terre,  dont  elle  étoit  la  Prê- 
treflfe.  Delà  vient  que  les  Grecs  entendent  par  (58)  l'Opis  des  Thraces, 
tantôt  Diane  elle-même  ,  tantôt  une  de  fes  Suivantes.  )  «  Comme  ni  les 
»>  Vierges ,  ni  les  hommes  qui  les  efcortoient ,  ne  revinrent  pas  exafte- 
»ment  dans  le  Pays  d'où  ils  étoient  partis,  les  Hyperboréens  en  furent 
»  fort  indignés ,  &  pour  empêcher  que  la  chofe  n'arrivât  à  l'avenir, 


($s)  Hefychius. 

(5«)  Stiabo  I.  p.  <i. 

(57)  Herodot.  IV.  jj-Js.  Selon  Servius  ad 
JEneid.  IV.  v.  i+S.  ces  Hyperbore'ens  étoient 
k«  Agathyifes.  Vo;)tt.  fiu  lei  Agatbytfcs  ci-defiT. 


Liv.  II.  ch.  6.  p.  14$.  noc.  ;. 

($8)  ApoUodor.  lib.  I  p.  t  LFauTan.  Eliac.I. 
cap.  7.  p.  jsi2,  Scholiaft.  CjilUmacbi  in  Uymn. 
Dianz  v- 204.  Servius  ad  iLii.  XI.  v.  $}}.(}(. 
&  Ijl.  pag.  tfyz,  j 


^  Tome  II,  M 


90  HISTOIRE    DES    CELTES, 

ft  ils  firent  avertir  leurs  voifins ,  en  leur  remettant  fur  les  frontières  les 
»  gerbes  &  les  chofes  faintes ,  qui  y  étoient  cachées ,  de  prendre  bien 
M  garde  à  qui  ils  les  envoyeroient  ».  On  voit  là  que  les  Grecs ,  qui  avoient 
commencé  d'adopter  des  fuperftitions  &  un  culte  venus  d'Orient,  mé- 
priferent,  &  abolirent  enfin  tout-à-fait  une  Fête  qui  les  lioit  à  l'ancienne 
Religion ,  Se  à  ceux  qui  en  faifoient  profeffion. 

Après  tout  ce  détail,  Hérodote  ajoute  (  59)  qvie  «les  femmes  de» 
»  Thraces  &  des  Péoniens  pratiquoient ,  encore  de  fou  tems  ,  quel- 
»  que  chofe  de  femblable ,  &  que  toutes  les  fois  qu'elles  offroient  des 
»  facrifices  à  la  Diane  Royale  ,  elles  fe  fervoient  de  la  paille  de  froment  ». 
Il  ne  faut  pas  en  être  furpris.  Cette  Diane  Royale  des  Thraces,  &  des 
Péoniens  ,  étoit  la  même  Divinité  que  celle  des  Hyperboréens ,  c'eft-à- 
dire,  la  Reine  Opis ,  dont  il  a  été  parlé  dans  le  paragraphe  précédent.  Selon 
les  apparences  ,  cette  Fête  que  les  Scythes  confacroient  à  la  Terre  ,  fe 
célébroit  à  la  fin  de  l'Eté.  On  lui  ofFfoit  des  gerbes ,  ou  de  la  paille  de 
froment,  pour  la  remercier  des  riches  moiffons  qu'elle  accordoit  à  fes 
enfans.  On  la  promenoit  d'une  campagne  &  d'un  Pays  à  l'autre  ,  pour 
avertir  que  c'étoit  par  fes  foins  que  la  fertilité,  l'abondance,  &  la  joiç 
régnoient  par-tout. 

Opis  étoit  donc  le  nom  propre  de  la  Terre  parmi  les  Thraces.  Mais  les 
Thraces,  aulïï  bien  que  l?s  Phrygiens,  donnoient  encore  à  la  Terre 
plufieurs  autres  noms ,  qui  étoient  pris  des  lieux ,  oti  elle  avoit  quelque 
célèbre  Sanûuaire.  Ils  l'appelloient,  par  exemple,  (60)  Cimmeris ,  (61) 
Lemnos ,  (62)  Bousbatos.  Cependant,  comme  le  Sanâuaire  le  plus  renom- 
mé qu'elle  eut  dans  toute  la  Thrace ,  étoit  celui  de  (63  )  Behdis ,  où  il  y 
avoit  un  Oracle  fort  accrédité ,  les  Habitans  de  ce  Pays  la  défignoient 
ordinairement  fous  ce  nom.  Hefychius  remarque  (64)  que  «  cette  Ben» 
v>  dis  eft  la  même  que  Cybéle  ,  ou  la  Grande  Déefle ,  comme  Ariftophane 
»  l'avoit  appellée  ».  II  a  raifon,  Bendis  étoit  la  Terre ,  la  femme  de  (65) 
Cotisy  la  Mère  du  genre  humain.  Les  Grecs  &  les  Latins  ont  appelle 
cette  Bendis  des  Thraces ,  tantôt  Trivia  ,  tantôt  Hécate ,  &  le  plus  fou- 
Tent  Diane.  Ils  l'ont  nommée  (66)  Trivia ,  la  Déefle  des  carrefours,  parce 


(59)  Herodot.  IV,  33. 

(6c)  HefychiBS. 

■{■4 1  )  Stepban.  de  Uib.  p.  s  i_z. 

'^2)  Hefychius 

(*))  Lucian.  Icaio  Mcnip.  pa^.  737.  Liriws  j 


XXXVIII.  41.  Appian.  Syr.  p.  iSs-  it*. 
1*4)  Hefychius. 

(«5)  Ci-d.  ch.  VII.  Ç.  t.  note  42. 
(£6)  Atnm.  Maic.  XXII.  cap.  t.  p.  iK. 


LIVRE    III.     CHAPITRE    VIII.  91 

qu'elle  étoit  fervie  hors  des  Villes ,  dans  les  lieux  où  plufieurs  chemins 
aboutiffoient.  Ainfi  Ovide  dit  (67)  qu'il  avoit  vu  les  Peuples  voifîns 
du  Mont  Hcmus ,  offrir  des  chiens  à  Trivia.  Ils  l'ont  confondue  avec  Hé- 
cate ,  parce  que  leur  Hécate  (68)  ,  qui  étoit  la  Lune ,  étoit  aufli  fervie 
furies  grands  chemins.  Ordinairement  ils  l'appellent  (69)  Diane,  parce 
quelle  avoit  la  plupart  de  fes  Sanftuaires  dans  les  forêts  ,  de  la  même 
manière  que  la  Diane  des  Grecs  &  des  Romains.  Hérodote  dit ,  par 
exemple ,  (70)  que  les  Thraces  fervent  Bacckus ,  Mars  &  Diane.  Cette 
Diane  des  Thraces  eft  Bendis ,  comme  Hefychius  (71)  l'a  remarqué.  Mais , 
aurefte ,  les  Grecs  fe  font  trompés  (71) ,  lorfqu'ils  ont  affuré  que  la  Diane 
des  Thraces  étoit  la  Lune.  C'étoit  conftamment  la  Terre. 

§.  IX.  Les  Scythes  qui  demeuroient  audefTus  des  Thraces ,  le  long  du  Pont  i-»  oi»"» 
Euxin,  &  bien  avant  dans  le  Nord,  avoientauffi  leur  Diane.  C'efl  celle  étoitUTetrc. 
que  les  Anciens  appellent  la  Diane  des  Scythes  (73)  ,  ou  la  Diane  Tauri- 
que,  parce  qu'elle  avoit  un  Sanftuaire  fort  célèbre  dans  la  Cherfonefe 
Taurique ,  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  Tartarie  Crimée  (  74  ).  Le 
Scholiafte  de  Pindare  dit  que  (75)  cette  Diane  étoit  la  même  qui  étoit 
fervie  par  les  Amazones  ;  cela  paroît  certain. 

Hérodote  eft ,  cependant ,  d'un  autre  fentiment.  S'il  faut  l'en  croire 
(76),  «les  Habitans  mêmes  de  la  Taurique  affuroient  que  la  Diane, 
»  à  laquelle  ils  offroient  des  viftimes  humaines  ,  étoit  Iphigénie  ,  fîUe 
»>  d'Agamemnon  ».  Qu'une  Princeffe  Grecque  ait  été  fervie  comme  une 
Divinité  ,  par  des  Scythes ,  qui  fe  moquoient  de  la  Religion  des  Grecs , 
&  de  ces  Dieux  iflus  des  hommes  que  les  Grecs  adoroient ,  c'eft  ce 
que  l'autorité  d'Hérodote  ne  perfuadera  jamais  à  qui  que  ce  foit.  Mais  il 
ne  fera  peut-être  pas  difficile  d'indiquer  ce  qui  a  donné  lieu  à  cette  mé- 
prife.  On  a  eu  occafion  de  montrer  (77)  que  les  Scythes  appelloient  la 
Terre,  Apia^  Ops y  Oupis ,  Iphi.  On  a  vu  auffi ,  dans  le  Chapitre  précé- 
dent, que  les  noms  (78)  A' As  ôç  à^Afa  fignifioient  autrefois  ,  dans 


(«7)  Ovid.  Faftot.  I.  3»». 
(es)   Hefychius.   Suidât    in   Hcctte.   Schol. 
Atiftoph.  Flut.  p.  63. 

(<9)  Valer.  lib.  VI.  p.  4x9. 

(7e)  Heiodot.  V.  7. 

(71)  Hefyckius. 

(li)  Ci-deflus,  §.  S.  note  31. 

(73)Sidon.  ApoU.  Caim.  IX.T.  174.  Liican.I. 


V.  446.  Minât.  Félix,  cap.  S.  25.  pag.  si.  m, 
Ovid.  Ttift.  IV.  Eleg.  4.  v.  «3. 

(74)  Ci-d.  ch.  VI.  §.  10,  note  72. 

(7  5  )  Schol.  ad  Pind.  Otymp.  III.  p.  40. 

(.7*)  Herodot  IV.  103. 

(77)  Ci-deflus,  $.  7.  notes  40.  &  41, 

(7»)  Ci-d.  ch.  VII.  5.  3.  not.  47-  8c  fuiv. 


91  HISTOIRE    DES    CELTES, 

toute  la  Celtique,  un  Seigneur,  une  Dame,  &  qu'on  le  donnoit  indiffé- 
remment aux  Dieux  Se  aux  Princes.  Enfin  il  paroît ,  par  un  paffage  de 
Jornandès  ,  cité  au  même  endroit  (79),  que  les  Goths,  qui  occupoient 
anciennement  la  Cherfonefe  Taurique ,  aulieu  de  dire  ^i ,  prononçoient 
^rzs ,  dont  le  féminin  devoit  être  ^nfe  ,  ou  Anfa.  Ainfi  Iphianfa,  ou  Iphi- 
anajfa  ,  fignifioit  chez  les  Goths  ,  comme  parmi  les  Amazones  ,  la 
Dame,  ou  la  Reine  Opis.  Agamemnon  avoit  eu  une  fille  que  les  Poètes 
ont  appellée  ,  les  uns  Iphigénie  ,  &  les  autres  Iphianajfe  (  80  ).  Voilà , 
autant,  qu'il  eft  polTible  d'en  juger ,  ce  qui  a  fait  prendre  le  change  aux 
Grecs.  Les  Habitans  de  la  Tau  ride  ont  pu  leur  dire  qu'ils  adoroient 
Iphigénie,  ou  Iphianajfe.  Mais  que  cette  /yPy^/a/za^  fut  la  fille  du  Roi  de 
Mycene  ,  c'eft  afîurtmcnt  ce  que  quelque  Grec  y  avoit  ajouté  de 
fon  chef 

Il  y  a  toute  apparence ,  que  cette  conformité  de  nom  eft  l'origine  d'une 
autre  fable  que  les  Grecs  ont  débitée  fur  le  fujet  de  leur  Iphigénie  ,  qu'ils 
font  pafler  dans  la  Tauride  ,  pour  y  être  Prêtreffe  de  Diane.  Il  en  fera  fait 
mention  dans  le  paragraphe  fuivant.  Il  fuffit  de  remarquer  ici,  i.**  que 
la  Diane  Taurique  a /oit  fon  Temple  fur  un  rocher.  2.^  Ovide  rapporte, 
fur  le  témoignage  d'un  homme  qui  avoit  été  fur  les  lieux  (82),  qu'on 
n'y  voyoit  point  de  fimulacre  de  la  Déeffe.  Il  ajoute ,  à  la  vérité ,  qu'il 
y  en  avoit  eu  un  autrefois ,  qui  avoit  été  enlevé  par  Orefte  ;  &  il  en  donne 
pour  preuve  ,  qu'on  montroit  encore  la  pierre  qui  avoit  fervi  de  bafe 
à  U  Statue  ;  mais  c'eft  un  conte.  La  perte  d'une  Statue  auroit  été  facile  à 
réparer,  fuppofé  que  les  Scythes  en  euffent  confacré  à  leurs  Dieux. 
Il  eft  bien  plus  naturel  de  préfumer  que  c'étoit  la  pierre  même  qui  étoit 
l'image,  ou  le  fymboie  de  la  Déeffe.  3.''  Le  Temple  étoit  fervi  (83}  par  des 
filles  de  la  première  qualité.  4.°  On  immoloit  à  la  Déeffe  tous  les  étran- 
gers que  la  tempête  jettoit  fur  les  côtes.  Ammien  Marcellin  rapporte  cette 
particularité  d'après  des  Auteurs  plus  anciens ,  &  ajoute  (84)  que  les 
gens  du  Pays  appelloient  leur  Diane  Oréilorche ,  ou  Orjilorche.  Mais  ce 
nom  eft  manifeftement  pris  des  Grecs,  qui  le  donnoient  à  la  Déeffe 


(T9]  Ci-<3.  ch.  VII  §.  3-  note  57, 

(«c)  Lucret.  lib.  I.  ».  »s. 

(«i)Herodot.  IV.  103. 

(*z)  Ovid.  Efift.  ex  fonto,  lib,  jill,  cp,  t. 


y.  jo. 


(s  3    Ovid.  Ep  tx  Ponto ,  lib.  III  ep.  a.  v.  5  j. 

(84)  Amm.  Marc  XXII-  cap  t.  p  JM-  ''W'* 
auflî  Ovid.  ubi  fupià  v.  571  fc  Tiiftiun  Ub.  IV. 
Sleg.  4.  V.  63, 


LIVRE    III.    CHAPITRE    VIII.  93 

des  Chaffeurs,  parceqii'elle  paffoit  pour  faire  fa  demeure  fur  les  (85) 
Montagnes  &  dans  les  Forêts. 

^.  X.   C'étoit  une  tradition  confiante  parmi  les  Romains  ,  que  le  La  Diane  des 

.  .  ;  Scyihj  avoit 

culte,  &  même  le  fimulacre  de  la  Diane  des  Scythes,  avoientété  por-  m  icnpie 

tés  de  la  Tauride  dans  une  Forêt  voifme  de  Rome,  que  l'on  appelloit  je  voifimge 

^ritia.  Voici  comme  on  rapporte  la  chofe  (86).  «  Lorfque  les  femmes  de    '    °'^' 

M  rifle  de  Lemnos  eurent  pris  laiurieufe  réfolution  de  maflacrer  leurs 

»  maris ,   HypApile  fauva  fon  père  Thoas ,  &  lui  fournit  les  moyens 

»  de  s'enfuir  dans  la  Tauride ,  oii  il  fut  établi  Roi  de  la  Cherfonnefe  , 

w  & ,  en  même  tems ,  Sacrificateur  de  la  Diane ,  qui  y  avoit  un  Temple. 

»  On  place  cet  événement  peu  avant  l'expédition  des  Argonautes ,  qui 

»  précéda  d'une  génération  le  fiége  de  Troyes.  Plufieurs  années  après , 

»  Jphi^énie ,  fur  le   point   d'être  immolée  (87)  par  les  Grecs   réunis 

»pour  ce  fiége,  fut  enlevée  par  Diane,  transportée  dans  la  Tauride» 

>f  remife  à  Thoas ,  qui  l'établit   Prêtreffe  du  Temple   dont  il  étoit  lui- 

»même  Sacrificateur.  Après  la  prife  de  Troye  (8b),  Ménélaus  &  Hé- 

»  lene  ,   ayant  auffi  paffé  dans  la  Tauride  ,  pour  y  chercher  Orefte  , 

»  fiirent    immolés  à  Diane   par   Iphigénie.   Orefte    entreprit  enfuite  le 

«même  voyage  (89),  parce  qu'il  avoit  été  averti  par  un  oracle,  que 

»  le  leul  moyen  de  fe  délivrer  des  furies  qui  le  pourfuivolent,  c'étoit 

»»  d'aller  dans  la  Tauride ,   &   d'en  enlever  la  Statue  de  Diane ,  pour 

M  l'apporter  en  Grèce.   Ce  Prince  ayant  eu  le  malheur  de  faire  nau- 

»  frage  fur  les  côtes,  fut  faifi  &  garotté  par  les  gens  du  Pays,  qui  le 

»  menèrent  au  Temple  de  Diane  ,  pour  y  être  immolé.   Ipkigénie'fe 

»préparoit  déjà  à  offrir  ce  barbare  facrifice,  lorfqu'elle  reconnut  ino- 

»  pinément  fon    frère.   Après  un  entretien  fecret,  le  frère  &  la  fœur 

»  s'enfuirent  enfemble  (90) ,  emportèrent  avec  eux  la  Déeffe ,  c'eft-à- 

»  dire ,  la  Statue  ,  qu'ils  avoient  cachée  dans  des  faifceaux ,  &  vinrent 

»  la  dépofer  dans  la  forêt  à^Aritia.  Ils  s'étoient  auparavant  défaits  de 


(l<)  '0^.«  Aox»  i"  momibus  Cubans,  ab  ôj=»s 
Mons,  &  \/itfiai  Cubo. 

(««   Valer.  T'stcc.  Arg.  lib.  II  v.  joo. 

(»7,)  Oïid.  Trift.  lib.  IV  Eleg.  4  v  «7.Epift. 
ax  Fontol.III.Ep  2.T.  tf  1  .Sciviusad  £neid.  II. 
V,  I  ;«.  pag.  lit.  Euripid.  Iphig.  in  Taur.  v.  s- 
Afeq. 

(«  t j  £xccpta  ex  Ptolesa.  Hcrhaeft.  Ub.  lY,  ap . 


Fhotium  not    ifo. 

(«j  Lucian.  Toxaii  p.  5i-.  Ovid.  Trift.  IV. 
Eteg.  4.  V.  67.  Serrius  ad  £neid.  II.  v.  ne. 
pag.  236. 

(»oJ  Ovid.  ex  Porto  lib.  III.  Epift.  a.  v.  91. 
Seivius  ad  jEneid..H.  ».  ll«.  pag.  i}«.  Solia 
cap,  I.  p.  151. 


ë,4  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  Thoas  (91) ,  &  ,  félon  d'autres,  ils  le  menèrent  (91)  avec  eux  en  Ita- 
»  lie».  Telle  efl  la  tradition  la  plus  reçue.  Il  y  en  avoit  une  autre  qui 
portoit  (93)  «  qu'Hyppolite  ,  fils  de  Théfée ,  ayant  péri  par  la  trahifon 
»  de  fa  belle-mere,  Diane,  qui  avoit  de  l'affedion  pour  lui,  chargea 
»  Efculape  de  le  reflufciter  par  la  vertu  de  fon  art ,  &  le  tranfporta 
»  elle-même  en  Italie ,  oii  il  époufa  une  Princeffe  nommée  Âritia.  On 
»  confacra  enfuite  la  Forêt  où  il  avoit  été  enterré  (94)  ;  & ,  comme 
»  il  s'étoit  tué  en  tombant  de  fon  chariot,  que  les  chevaux  effarou- 
»  chés  avoient  entraîné  dans  des  précipices ,  il  fut  ordonné  qu'en  mé- 
»  moire  de  cet  événement  ,  on  ne  laifferoit  plus  entrer  de  chevaux 
»  dans  la  Forêt  ». 

Il  n'eft  pas  néceffaire  d'avertir  que  ce  font  là  des  fables  véritable- 
ment grecques.  C'efl;  l'expreffion  dont  les  Egyptiens  fe  fervoient , 
quand  on  leur  racontoit  des  chofes  incroyables  &  pleines  de  contradic- 
^ns.  Il  eft  très-vraifemblable  que  ce  font  les  noms  de  Thoas  &c  d'ipki- 
génie ,  qui  ont  donné  lieu  à  ces  fiftions.  Les  Scythes  appelloient  le 
Créateur  du  monde  &  de  l'homme  (95)  Tai,  ou  Tau.  Ainfi  Tau-as  Çi^nx- 
fioit ,  parmi  eux  ,  le  Seigneur  Tau.  Selon  l'ufage  de  ces  Peuples,  le  nom 
de  Thoas  ,  qui  défignoit  proprement  le  Dieu  fuprême ,  étoit  porté  encore 
par  les  Rois  ,  qui  prétendoient  en  tirer  leur  origine ,  &  parles  Pontifes, 
qui  préfidoient  à  fon  culte.  Thoas  eft  donc  ici  (96)  un  Roi ,  ou  un  facrW 
ficateur  des  Scythes  ;  Iphigénic,  ou  Iphianajje,  eft  auffi  un  nom  que  les 
Scythes  donnoient ,  tant  à  la  Terre ,  qu'à  fes  Prêtreffes.  Thoas  8c  Iphigénie 
fe  trouvent  enfemble  dans  la  Tauride ,  parce  qu'on  ne  féparoit  point 
le  culte  du  Dieu  Tau,  de  celui  à^Opis  fa  femme.  Les  Grecs  avoient  eu  un 
Roi  du  nom  de  Thoas ,  &  une  Princeffe  qui  portoit  celui  d'Iphigénie  ♦ 
les  Poètes  jugèrent  donc  à  propos  de  leur  faire  entreprendre  le  voyage 
chimérique  de  la  Tauride ,  &  de  les  tranfporter  delà  d'un  plein  faut  en 
Italie. 

Pour  revenir  à  la  Diane  qui  avoit  fon  Temple  dans  le  voifmage  de  Ro- 
me ,  on  l'appelloit  la  Diane  Scythe,  non  que  fon  culte ,  ou  fon  fimulacre , 


(»i)  Seivius  ad  ;Eneid.  VI.  v.  138.  p.  +1Z. 
(92)  Ci-dcflus  note  »«. 
(»})  Virgil.  ^neid.  VII.  v.  7*1. 
(94)  Virgil.  ^neid.  VII.  v.  77».  OTid.  Faft, 
Ubtlll.v.  265. 
(>j,  Ci-<l.çb  VI.  §.  19. 


(96)  Ovide  &  Euripide  patient  de  Thtm , 
comme  d'un  B.oi  Scythe ,  fans  faire  mention 
qu'il  fât  venu  de  Grèce,  ni  qu'il  eût  jamais 
quitté  la  Tauride.  Ovid.  Tiift.  lib.  IV.  Eleg.  4. 
V.  6  s.  Epift.  ex  Ponto  lib.  III.  ep.  2.  y.  s».  Si» 
;ipid.  Jphig.  in  Taur. 


LIVRE    III.     CHAPITRE    VIII.  95 

cuffent  été  apportés  de  la  Scythie ,  mais  parce  que  c'étoit  originaire- 
ment la  même  Divinité.  Elle  étoit  fervie  par  tous  les  Peuples  Scythes 
&  Celtes ,  &  elle  l'étoit  par-tout  de  la  même  manière.  On  n'en  doutera 
pas ,  fi  l'on  veut  faire  les  réflexions  fuivantes. 

i.*>  Les  Latins  l'appelloient  la  Diane  Royale.  Son  Sacrificateur  (97) 
portoit  le  titre  de  Roi.  La  Forêt  où  elle  étoit  fervie ,  &  les  terres  qui 
en  dépendoient ,  fe  nommoient  le  Royaume  dt  la  Déejfe  ;  ces  dénomi- 
nations venoient  des  Scythes.  Leurs  grandes  Divinités  étoient  Teut  & 
Opis.  Par  cette  raifon ,  elles  portoient ,  dans  un  fens  particulier,  le  titre 
dHJs ,  &  d'jifa ,  ou  d'Anfa ,  c'eft-à-dire ,  de  Roi  &  de  Reine.  On  appel- 
loit  le  Père  du  genre  humain,  Titi-as ,  Tau-as ,  As-tis,  c'eft-à-dire,  le  Roi 
Teut^  &  la  Terre,  Opianafa,  c'eft-à-dlre,  la  Reine  Opis.  Les  Sacrifica- 
teurs &  les  Temples  portoient  aufli  le  nom  du  Dieu  auquel  ils  étoient 
confacrés. 

2.''  Le  Temple  de  Diane  étoit  dans  une  Forêt  (98) ,  près  de  la  Ville 
^Aritia.  C'eft  dans  de  femblables  lieux  que  les  anciens  Habitans  de 
l'Italie,  comme  tous  les  autres  Peuples  Celtes,  alloient  faire  leurs  dé- 
votions. 

3."  Il  y  avoit  dans  la  Forêt  un  arbre  confacré  (99),  &  il  n'étoit 
pas  permis  d'en  couper  une  feule  branche.  Nous  verrons ,  en  fon  lieu , 
que  la  même  fuperftition  étoit  commune  à  tous  les  Peuples  Celtes. 

4.^  Lorfqu'un  fugitif  trouvoit  le  moyen  de  couper  une  branche  de  l'ar- 
bre confacré ,  il  la  préfentoit  au  Sacrifi  cateur  de  la  DéeiTe ,  qui  étoit  obligé 
Ue  fe  battre  en  duel  avec  lui.  Si  le  Prêtre  étoit  tué  dans  le  combat  ('oo)  , 
le  vainqueur  prenoit  la  place  fans  autre  formalité.  Cela  s'accorde  encore 
avec  la  pratique  des  Celtes,  qui  difputoient  par  les  armes,  jufquâ^aux 
dignités  éccléfiaftiques. 

5."  11  y  avoit  près  de  la  Forêt  fjoi";  un  étang,  que  l'onappelloit  le(i02) 
Lac  ,  ou  le  (  1 03  )  Miroir  de  Diane  ,  fans  doute  parce  qu'on  y  baignoit 
anciennement  la  Déeffe. 

6.®  Les  femmes  Romaines  (104),  quand  elles  alloient  faire  leurs  priè- 


(97    Voyez,  ci-d.  Liv.  II   ch.   \i,  p.  ijj. 
Xucan.  ni.  y.  86.  Ovid.  Faft.  III.  v.  zy  i.  8t  Me- 
tamorph   XIV  v   331. 

(9>     Ci  d.  Liv.  II.  ch.  IX.  p.  2zs<  note  7S. 
Lucan.  VI.  v.  74. 

(>9j  Ci-dcflui ,  IbU. 


(ioo_  Ci  d  Liv,  II.  ch.  12.  p.  12  s    note  78. 
;ioi    Siiaho  V.  139.  Ovid.  Faft   II!.  v.  264. 
(io2)S)lius  IV.  V.  3 6 «.Ovid  Fait.  III.  v.  261. 
(103)  Caroli  Steph.  Diftionn.  in  Aritia. 
(104  StaiiusSylv.  III.  1.  v.  s  s.Ovid.faft.HI. 
V.  a  6s.  piope^t.  li.  Eieg.  32, 


96  H  I  S  T  O  I  R  E    D  E  S    C  E  L  T  E  S, 

res  dans  la  forêt,  y  portoient  chacune  un  flambeau  allumé.  C'étoit 
encore  un  refte  de  l'ancien  ufage  des  Peuples  Celtes ,  qui  faifoient  de 
nuit  leurs  affemblées  religieufes. 

7,^  Le  Sanâuaire  étoit  ù  refpecté ,  qu'il  n'étoit  pas  permis  d'y  faire  en- 
trer des  chevaux.  Nous  éclaircirons ,  en  fonlieu  ,  cette  particularité.  Les 
Celtes  avoient  une  û  grande  vénération  pour  leurs  forêts  facrées,  qu'ils 
en  défendoient  l'entrée  aux  animaux  ,  qui  auroient  pu  caffer  bu  ronger 
quelque  branche  des  arbres ,  &  particulièrement  de  celui  qui  étoit  le 
fymbole  de  la  Divinité. 

8."  On  immoloit  dans  cette  forêt  (105)  des  viftimes  humaines,  &  le 
Sacrificateur  même  de  laDéefTe  (106)  périffoit  ordinairement  fous  le  glaive. 
C'étoit  un  ufage  (107)  véritablement  barbare  &  Scythe ,  comme  Strabon 
l'appelle. 

9.°  N'oublions  pas  ici  que  c'eft  dans  cette  forêt  que  Nama  Pompl- 
lius  (108)  avoit  des  entretiens  fecrets  avec  la  Nymphe  Egér'u,  c'eft-à- 
dire,  avec  la  PrêtrefTe  de  Diane.  Il  a  été  remarqué  ailleurs  (109) ,  que  ce 
Prince  demeura  toujours  attaché  à  l'ancienne  Religion  des  Peuples  de 
l'Italie.  Tite-Live  en  dit  la  raifon  (i  10)  :  «  Il  avoit  étéinftruit,  dès  fa 
»  tendre  jeunelTe,  dans  la  Religion  des  Sabins»,  qui  étoient  un  Peu- 
ple (m)  Ombrien,  ou  Celte.  Il  y  a  toute  apparence  qu'il  ne  témoigna 
tant  de  prédileûion  pour  la  (orèt  à' Ar'nU y  que  parce  qu'elle  étoit  l'un 
des  plus  anciens  &  des  plus  célèbres  Sanâuaires  que  la  Déeffe  Ops,  qui 
fut  enfuite  appellée  Diane  ^  eût  en  Italie, 
ta  Diane       §.  XI.  Le  culte  de  la  Diane  Taurique  étoit  auflx  établi  de  toute  ancien» 
ttoulcivicà  neté  à  Lacédémone  (m).  «On  y  offroit,  dans  le  commencement,  des 
LacéisiBone.  ^^  yiftimes  humaines  à  la  Diane  appellée  Onhojîa,  Mais  cette  coutume 
»  paroiffant  trop  barbare  à  Lycurgue ,  il  y  fubflitua  celle  de  faire  fouetter 
«des  jeunes -gens  jufqu'au  fang  devant  l'autel  de  laDéefTe».  Paufanias 
dit  la  même  chofe  que  Suidas,  dont  les  paroles  viennent  d'être  rapportées  j 
•  mais  il  ajoute  (113)  que  l'Idole,  qui  fe  plaifoit à l'efFufion  du  fang,  avoit 
apporté  cette  inclination  de  la  Tauride ,  oii  on  lui  immoloit  des  viftimes 


(185)  Setvius  ad  ^Eneid.  II.  v.  i:«.  p.  jj«, 

(106)  Ovid.  Faft.  III.  zyi. 

(107)  Ci-d,  Liv.  II.  ch.  12.  p,  izs.  note  7I. 

(108)  Fo;.  les  notes  8  5.  8c  102.  Ovid.  Faft.III. 
V.  î< i .  ï7  J .  Tit.  Liv.  I.  î  I . 

'^  (iPS)  Ci-d.  ti».  I.  çh.  I».  p.  <-f. 


(i  10)  Liviut  I.  18, 

(m)  Zenodot.Tioezenius  ap.Dion.Hal.il. 
pag.  ut. 

(112)  Suidas  in  Lycutgo. 
(iij)Faufan.  Laç9n.  XVI.  249-  25o< 

humaines, 


LIVRE    III.    CHAPITRE    VIIL  97 

humaines.  Cet  Auteur  fuppofe  donc  que  la  Statue  de  Diane  fut  portée 
de  la  Tauride  à  Lacédémone ,  &  non  pas  dans  le  voifinage  de  Rome , 
camme  le  prétendent  des  Auteurs  Latins. 

Servius  croit  lever  fort  heureufement  la  contradiûion  où  les  Hifto- 
riens  font  tombés,  fur  cet  article  ,  en  difant  (114)  que  ces  barbares  facri- 
fices ,  déplaifant  aux  Romains ,  quoiqu'on  n'immolât  que  des  efclaves ,  la 
Diane  qu'Orefte  avoit  emportée  en  Italie,  fut  transférée,  après  la  mort 
de  ce  Prince,  à  Lacédémone,  où  l'on  confervoit  encore  une  image  des  an- 
ciens facrifices,  en  faifant  fouetter  de  jeunes  garçons  au  pied  de  l'autel  delà 
Déeffe.  On  n'examinera  pas  fi  cette  conciliation  peut  être  reçue.  Com- 
ment le  culte  de  Diane  a-t-il  pu  être  banni  de  l'Italie  par  les  Romains, 
tranfporté  à  Lacédémone ,  &  aboli  enfin  par  Lycurgue  ,  qui  vivoit 
avant  la  fondation  de  la  Ville  de  Rome  ?  Comment  peut-on  dire  que 
les  Romains  ont  aboli  de  û  bonne  heure  le  barbare  ufage  d'immoler 
des  viftimes  humaines,  pendant  qu'il  efl  confiant  que  cette  coutume 
fubfifta  à  Rome  plusieurs  fiécles  après  la  fondation  de  la  Ville  ? 

Solin  leveroit  bien  mieux  la  difficulté.  Il  prétend  (  1 1  î  )  qu'Orefte 
retourna  à  Argos,  après  fon  voyage  d'Italie  ;  mais,  aulieu  de  lui  faire  em- 
porter fa  Diane,  il  affure  expreffément  que  ce  Prince  la  laiffa  kJritie, 
pour  obéir  à  un  oracle  qui  l'avoit  ainfi  ordonné.  Sans  s'embarafler  de 
ces  fables  ,  il  fuffit  de  remarquer  ici  que ,  jufqu'au  tems  de  Lycurgue  , 
les  Lacédémoniens  ont  immolé  des  viâimes  humaines  à  la  Diane  des 
Scythes ,  c'eft-àdire ,  à  la  Terre. 

§.  XII.  Après  le  détail,  où  l'on  vient  d'entrer,  il  feroit  peut-être    Traces  du 
jufte  de  fuppofer  que  la  Diane  dont  on  attribue  le  culte  aux  autres  Peu-  rJu  parmi 
pies  Celtes,  comme,  par  exemple,  aux  Efpagnols  (116)  ,  aux  Gaulois  '■^s^»"''"»- 
(117)  ,  aux  Germains  (118),  aux  Perfes,  étoit  conflamment  la  Terre. 
Par  furabondance  de  droit,  donnons-nous ,  cependant ,  la  peine  de  recher- 
cher, fi  l'on  ne  trouveroit  pas,  parmi  les  anciens  Gaulois  ,  quelques 
traces  du  culte  que  les  autres  Peuples  Celtes  rendoient  à  la  Terre  (119). 


(ii4y  Servius  ad  ^neid.  II,  v.  ii«,  p.  13  t. 
(i  is)  Ci-deflus  §.  10.  note  90. 
(ii«;  Plin.  XVI.  40. 

(117)  Arrian.  de  Venat.  pag.  îzi.  Plut,  de 
Virt.  mul.  Tom.  II.  p.  257. 

(118)  Vita  S.  Remaculi  ap. Duckefne  Tom.  I, 


pag.  «44.  La  vie  de  S.  X.ilUn  parle  d'une  Diane 
qui  étoit  fervie  dans  le  Diocèfe  de  Vurtzbourg. 
Eccard.  Comm.  de  Reb.  Francix  Orient.  Tom.  I. 
pag.  170.  Mafcau.  Tom.  II.  p.  263. 

(119    Hefychius.  Plutatch.  AitaxeiX.  cap.  14. 
Faufan,  Lacon,  p.  H9- 


Tome  II,  N 


çS  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Denis  le  voyageur  (iio),  Strabon  (lii),  &  i^'^'^)  Pomponius  Mêla 
font  mention  d'un  Oracle  célèbre  que  l'on  trouvoit  dans  une  Ifle  voi- 
fine  des  Gaules.  Ils  ne  font  pas  parfaitement  d'accord ,  ni  fur  la  fituatioa 
de  rifle ,  ni  par  rapport  à  plufieurs  autres  circonftances  qui  ne  font  pas. 
fort  importantes.  Mais  on  voit  bien  cependant  qu'ils  parlent  tous  trois 
de  la  même  Ifle.  Voici  à  peu  près  ce  qu'on  peut  tirer  de  ces  Auteurs, 
dont  les  pafTages  font  cités  en  note. 

«  i.^  Il  y  avoit,  vers  les  embouchures  de  la  Loire,  une  petite  Ifle 
^(123),  où  l'on  voyoit  un  Sanâuaire,  qui  étoit  fervi  par  des  fem- 
>»mes,  ou  par  des  Vierges,  au  nombre  de  neuf».  Nous  'avons  vu  que 
la  Diane  des  Scythes  étoit  aufll  fervie  par  des  Prêtreflis  ,  &  que  les  Ger- 
mains avoient  de  même  une  Ifle  confacrée  à  Hertkus ,  à^où.  la  Déefl'e  for' 
toit  quelquefois,  pour  aller  vifiter  les  Peuples  voifms. 

if  1.°  Dans  une  certaine  faifon  de  l'année,  les  femmes  du  voifinage 
>>  fe  tranfportoient  dans  l'Ifle ,  pour  y  célébrer  ime  Fête  folemnelle  à 
»  l'honneur  du  Dieu  auquel  le  Temple  étoit  dédié  ».  Pomponius  l'ap- 
pelle ime  Divinité  Gauloife.  Les  deux  autres  Auteurs  difent  que  c'étoit 
Bacchus.  Nous  verrons  bientôt  que  les  Celtes  n'ont  jamais  connu ,  ni 
fervi  Bacchus.  Les  étrangers  l'ont  cru  ,  parce  que  les  Fêtes  &  les  folem- 
nités  des  Celtes  étoient  des  tems  de  joie  &  de  bonne-chère ,  &  que  leurs 
danfes  facrées  reflembloient  beaucoup  à  celles  des  Bacchantes. 

Ainfi  Grégoire  de  Tours ,  parlant  d'un  fimulacre  de  Diane ,  que  l'on 
voyoit  autrefois  dans  le  Pays  de  Trêves,  dit  (1x4)  qu'on  y  chan- 
toit  des  Hymnes  à  l'honneur  de  la  Déeflfe,  au. milieu  des  verres,  &  de 
la  débauche.  Artémidore  avoit  remarqué  ,  au  rapport  de  Strabon  (125)  j 
«  que  la  Fête  qu'on  célébroit  dans  Tlfle  ,  étoit  confacrée  à  Cérhs ,  &  à 
»  Proferpinc ,  &  qu'on  y  obfervoit  les  mêmes  cérémonies  qui  fe  pratl- 
»  quoient  dans  l'Ifle  de  Samothrace  ».  Cela  approche  de  la  vérité.  Cérès 
eft  ici  la  Terre ,  la  grande  Divinité  des  Celtes ,  après  le  Dieu  Teut.  Les 
myftères  de  Samothrace  fe  célébroient  à  l'honneur  du  (126)  Ciel  &  de 
la  Terre,  qui  étoient  les  grands  Dieux  de  l'Ifle,  &  que  l'on  appelloit 


(110)  Dionyf.  Pcricg.  V.  570.  &f. 
(121)  Strabo.  IV.  198. 
(112)  Pomp.  Melâ  III.  6.  p.  ia, 
(123)  Bochart.],  Geogr.  Sacr.  p.  740.  dit  que 
xiêii  rile.de  Sa/ne,  aux  exccémite's  de  la  Bie< 


tagne. 

(124)  Gregor.  Tur.  VIII.  cap.  i  j.  p.  3jj, 

(i2Sj  Strabo  IV.  19%. 

(i26)ci-d.  ch..VI- $•  I fi.  note  Mo, 


LIVRE    m.     CHAPITKE    IX.  99 

Cods  Se  Bcndis,  ou  Opis ,  comme  on  a  eu  occafion  de  le  montrer  fort  au 
long.  Les  femmes  Gauloifes  célébrolent  la  Fcte  dont  nous  parlons  (127), 
pendant  la  nuit;  Artémidore  en  a  conclu  que  Proferpine  pouvoity  avoir 
part.  Il  fuivoit  en  cela,  les  idées  des  Grecs  qui  facrifîoient  de  jour  aux 
Dieux  céleftes ,  &  de  nuit  aux  Dieux  de  l'enfer. 

«  3.*^  On  ne  lailToit  entrer  aucun  homme  dans  l'IUe;  mais  les  femmes 
»  qui  y  demeuroient,  paflbient  quelquefois  la  mer,  pour  avoir  la  com- 
»  pagnie  de  leurs  maris ,  après  quoi  elles  s'en  retournoient  dans  leur  ha- 
»  bitation  ».  On  établira ,  en  parlant  des  Druides  ,  que  les  Prêtres  Gaulois 
demeuroient  dans  les  Sanûuaires  avec  les  Prêtreffes ,  qui  étoient  leurs 
femmes.  Elles  n'étoient  donc  pas  obligées  de  paffer  la  mer,  pour  aller 
trouver  leurs  maris.  Mais  on  apperçoit  la  raifon  qu'elles  avoient  de  fe 
tranfporter  en  terre  ferme.  Elles  venoient  y  promener  la  Mère  des 
Dieux  (j  28) ,  &  après  que  la  Déeffe  s'étoit  raflafiée  d'être  dans  la  compa- 
gnie des  mortels,  elle  s'en  retournoit  dans  fon  Temple  avec  fa  fuite. 


CHAPITRE     IX. 

§.  I.  JL/ES  Celtes  rapportoient  l'origine  de  toutes  chofes  ati  Dieu  Teut, 


tes  Peuples 


&  à  la  Terre;  tous  les  autres  Dieux,  auxquels  ces  Peuples  rendoient  un  do|'"r","ûi. 

culte,  delcendoient  donc  des  deux  premiers,  que   l'on  appelloit ,  par  ^eKeiigKux 

cette  raifon  fi"),  les  grands  Dieux,  quoiqu'aurelle,  l'on  mît  une  grande  ncs,auxLa:«, 

^    y  '  °  _       _  '  '      _  o  jm  Fleuves  « 

différence  entre  les  deux  Principes,  l'un  aftif,  &  l'autre  pafîîf  Le  nom-  &àUM«. 
bre  des  Divinités  fubalternes ,  que  ces  Peuples  reconnoiffoient ,  alloit 
à  l'infini.  Attachées  toutes  enfemble  à  quelque  Elément ,  ou  à  quelque 
partie  du  monde  vifible ,  il  n'y  avoit  point  (i)  d'Arbre ,  point  de  Fontaine, 
ni  de  Ruifleau,  qui  n'eût  fon  Efprit,  fon  Génie  particulier.  Ceux  qui  te- 
noient  le  premier  rang  ,  après  le  Dieu  Teut  &c  la  Terre ,  fa  femme, 
étoient  les  Intelligences  que  Ton  plaçoit  dans  l'Eau  &  dans  le  Feu. 
Aufll  le  culte  de  ces  deux  élémens  étoit-il  établi  parmi  tous  les  Peuples 
Celtes,  &  même  parmi  (3  )  les  Sarmates.  Il  ne  fera  pas  diflicile  d'en 
fournir  des  preuves.  On  en  a  déjà  produit  un  bon  nombre,  qu'il  faut 


(i2  7).Ki>_)iez,  ci-deffus  note  i;o.  .       (2)  Ci-d  ch.  IV.  $.  7.  not.  3  3. 

(lUi  Ci-defl"as§.  }.  j      (3)  Ci-d.  ch.  IV.  §.  i.  not.  iS. 

(t)  Ci-d.  ck.  VI.  §.  i«.  sot.  lio.  I 

Ni 


100  HISTOIRE    DES    CELTES, 

récapituler  en  deux  mots.   Commençons  par  le  culte  religieux  qu'on 
rendoit  aux  Fontaines  ,  aux  Lacs ,  aux  Fleuves ,  &  à  la  Mer. 

§.  II.  Les  Scythes  (4),  que  l'on  appelloit  Royaux ,  ofFroient  des  fa- 
crifices  à  Neptune ,  qu'ils  appelloient  dans  leur  Langue  Thamimafades. 
Ceux  qui  dcmeuroient  autour  des  (  5  )  Palus-Méotides  regardoient  ce 
Lac  comme  une  Divinité  ,  &  les  Maflagétes  avoient  la  même  idée  du 
Tanaïs  qui  traverfoit  leur  Pays.  Les  Turcs  aufli  (  6  )  vénéroient  l'Eau. 
Hérodote  remarque  (7)  que  l'Eau  étoit  l'une  des  Divinités  que  les 
Perfes  avoient  fervie  de  toute  ancienneté.  Strabon  ,  qui  affure  la  même 
chofe,  ajoute  (8)  qu'ils  ofFroient  fur-tout  des  facrifices  au  Feu  &à 
l'Eau ,  c'eft-à-dire ,  qu'ils  fervoient  ces  deux  Divinités  préférablement 
aux  autres  ,  dont  le  Géographe  venoit  de  faire  mention.  Clément 
d'Alexandrie  (9)  ,  "Çc  Arnobe  femblent  infinuer  que  ce  culte  étoit 
aboli  de  leur  tems.  On  voit ,  cependant ,  dans  Sidonius  Apollinaris ,  qui 
étoit  poftérieur  à  Arnobe  d'environ  cent  cinquante-trois  ans ,  que  Pro- 
çope  (10),  père  de  cet  Anthemius  qui  fut  dans  la  fuite  Empereur 
d'Occident  ,  ayant  été  envoyé  au  Roi  de  Perfe ,  fit  avec  lui  un  Traité 
dans  lequel  les  Mages  jurèrent  par  l'Eau  &  par  le  Feu.  Les  Germains 
(i  i)  rendoient  un  culte  religieux  au  Danube ,  les  (12)  Allemands,  &  les 
(13)  Francs  aux  Eaux  courantes;  &  puifqu'il  nous  refte  encore  des  Loix 
&  des  Capitulaires  dans  lefquels  les  Princes  Chrétiens  défendent  aux 
Peuples  de  la  Germanie  &  de  la  (i  5)  Grande-Bretagne,  de  fervir  les  Fon- 
taines &  les  Rivières ,  c'eft  une  preuve  que  cet  abus  étoit  aufîi  enra» 
ciné ,  &  difficile  à  détruire  ,  qu'il  étoit  ancien  &  général  parmi  ces 
Peuples.  Du  tems  de  S.  Boniface  (16),  il  y  avoit  encore  des  Germains 
qui  facrifioient  aux  Forêts  ôç  aux  Fontaines ,  les  uns  en  fecret  ,  les 
autres  ouvertement  &  en  public. 
rondement  §.  III.  Daus  l'un  des  (17)  Chapitres  précédens,  on  a  rapporté  &Z 
réfuté  l'opinion  de  ceux  qui  ont  cru  que  les  Celtes  ne  rendoient  des 


(+)  Ci-d.  ch.  III.  §.  3.  «ot.  «.  eh.  IV.  ^.  i. 
(s)  Ci-d.  ch.  IV.  §;  s-  not.  ïj. 
(«j  Ci-d.  ch  IV.  §.  I,  not.  6. 

(7)  Ci-d.  ch.  IV.  §.  I.  not.  4. 

(8)  Ci-d.  ch.  IV.  §.  I    not.  %. 

(9)  Clem.  Alç».  C»b.  ad  gtnt.  p.  40.  Atnob. 
lib  VI.  p.  197, 

(10)  sjdon.  AfoUin.  Faneg.  Anthcm.  y.  <}.. 


(11'  Ci-d.  ch-  IV.  $.  5.  not,  zj. 

(    2)  Ci-d.  ch.  IV.  5.  2.  not.  10. 

(i  3)  Ci-d.  ch   IV.  §.  2.  not.  1 1. 

(14}  Ci-d.  ch.  IV.  §.  2.110t.  12.  Se  tl. 

(r  5    Ci-d.  ch   IV.  §.  1.  not.  «. 

(\&,  WiUibild.  Vit.  S.  Bonjfac.  c»p.  I. 

(i7)Ci-d,ch,IY.J.  j. 


LIVRE    III.     CHAPITRE     IX.  ioî 

honneurs  divins  au  Feu  &c  à  l'Eau  ,  que  parce  qu'ils  les  regardoient 
comme  des  fymboles  &C  des  images  de  la  Divinité ,  &  même  comme 
(i8)  les  feuls  fuinilacres  qui  la  repréfentent  parfaitemen\  Procope  a 
bien  mieux  rencontré.  Parlant  des  Habitans  de  Flflande ,  il  dit  (19)  qu'ils 
fervent  plu/ieurs  Dieux,  &  plufieurs  Génies,  qui  réfident  dans  le  Ciel, 
dans  l'Air ,  fur  la  Terre  ,  &  dans  la  Mer  ;  qu'ils  ont  encore  d'autres 
Divinités,  moins  confidérables ,  qui  font  attachées,  comme  ils  croyent, 
aux  Eaux  courantes,  &  aux  Fontaines.  Effeâivement ,  les  Celtes  attri- 
buoient  à  ces  Génies,  ï°.  la  cènnoiffance  du  pafle.  C'eft  fur  cette  ima- 
gination qu'ils  fondoient  l'épreuve  de  l'Eau.  Quand  un  homme  étoit  ac- 
cufé  de  quelque  crime ,  dont  il  ne  pouvoit  être  convaincu  par  les  voyes 
ordinaires,  on  le  jettoit  dans  une  rivière  ,  &  l'on  étoit  perfuadé  que  les 
Intelligences  qui  y  réfidoient,  ne  manqueroient  pas  de  le  tirer  à  fond , 
ou  de  l'élever  fur  la  fuperfîcie  des  eaux  ,  félon  qu'il  étoit  innocent  ou 
coupable  :  i*.  on  prétendoit  que  ces  Intelligences  étoient  douées  d'une 
parfaite  connoifTance  de  l'avenir.  Ainfi  les  femmes  qui  étoient  dans 
l'Armée  d'Ariovifte  (zo) ,  lui  défendoient  de  livrer  bataille  à  Jules-Céfar, 
avant  la  nouvelle  Lune  :  elles  avoient  lu  dans  le  mouvement  &  dans  le 
murmure  des  eaux,  que  les  Germains  feroient  battus  ,  s'ils  hafardoient 
le  combat  dans  cet  intervalle:  3''.  enfin,  on  croyoit  que  ces  Génies 
avoient  le  pouvoir  d'empoifonner  les  eaux ,  d'exciter  des  tempêtes  , 
&  qu'ils  étoient,  en  un  mot ,  toîit-puiflans  dans  leur  Elément. 

§.  IV.  A  l'égard  de  la  nature  du  cuhe  que  l'on  rendoit  à  l'Eau  ,  il  Nature  de  c« 
étoit  à  peu  près  le  même  dans  toute  l'Europe  ,  &  dans  les  contrées  de  Saiitl'"'  ^*' 
l'Afie  ,  où  il  y  avoit  des  Peuples  Celtes.  On  trouve  dans  Grégoire 
de  Tours ,  un  paffage  très-remarquable  ,  où  cet  Hiftorien  fait  mention 
des  honneurs  religieux  que  les  Peuples  du  Gévaudan  rendoient  autrefois 
à  un  Lac  que  l'on  voyoit  fur  une  des  montagnes  de  leur  Pays.  C'étoit , 
félon  les  apparences  ,  le  mont  Lofere  ,  que  l'on  appelloit  alors  (21  ) 
ffelanus.  «Une  grande  (iz)  multitude  de  Païfans  s'aflembloient  tous 
»  les  ans  auprès  du  Lac.  Ils  lui  offroient  une  efpece  de  libation  ,  jettant 


(U)  Ci-d.  ch.  IV.  §    s.  not   14. 

(i»)  Ci-d.  ch.  IV.  J  7.  not.  33. 

(10)  Cifar  I.  cap,  jo.  Pliitatch.  in  Carfar. 
Tom.  I.  p-?!;.  DioCafl".  XXXVIII.  p  90  Po- 
lysn.  lib.  vin.  cap.  13.  n.  4.  Clem  Alex.  Strom. 
l^b.  I,  cap.  I  s .  p.  3  60.  Anciennement  laFiéttelTe 


dt  Dodone  devinoit  aiiflî  par  le  murmure  des 
eaux.  Servius  ad  ^Sneid.  III.  v.  4(S5. 

11)  Le  Mont  iff/4»aj  avoit ,  peut-être,  pris 
fon  nom  du  Lac  qu'on  y  voyoit,  Lenn  ,  en  Bas» 
Breton ,  fignifie  un  Ei»>'g,  &  Htaul ,  le  Soleil. 

(22)  Gteg.  Tur.  de  Gloi.  ConfelT.  cap.  t| 


Toi  HISTOIRE    D-G  S    C  E  L  T  E  5, 

itdans  l'Eau,  les  uns  des  pic-ces  de  toile  ,  ou  de  drap,  les  autres  des 
>>  toifons.  Le  plus  grand  nombre  y  jettoit ,  outré  cela,  des  formes  de 
a  fromage  ,  ou    de  cire,  ou  des  pains  tout  entiers  ,  &  différentes  autres 
»  chofes ,  chacun  félon  fes  facultés.  Ils  y  venoient  avec  leurs  chariots  j 
»  fur  lefquels  ils  apportoient  de  la  boiffon  &c  des  vivres  ;   &  ,  après 
>>  avoir  immolé  des  animaux ,  ils  faifoient  bonne  chère  pendant  trois 
»  jours.    Le   quatrième   jour  ,    lorfqu'ils  étoient  fur   le  point  de  s'en 
»  retourner ,  il  furvenoit  un  orage ,  accompagné  de  tonnerre  S>c  d'é- 
>>  clairs;  il  toiiiboit,  en  mcme-tems  ,  une  pluye  fi  abondante,  &  une 
»>  û  grande  quantité  de  pierres ,  que  tous  ceux  qui  étoient  venus  à  la 
»  fête  craignoient  d'y  périr.    Cela  arrlvoit  régulièrement  tous  les  ans. 
»  Longtems  après ,  un  Prêtre  de  la  Ville ,  s'étant  tranfporté  fur  les  lieux 
»  avec  i'Evêque  ,    bâtit ,    à    quelque   diftance  du  Lac  ,  une  Eglife  à 
)>  l'honneur  de  Dieu  ,  fous  l'invocation  de  Saint   Hilaire  de  Poitiers» 
»  Alors  les  Habitans  de  la  contrée  ,  touchéç  de  componftion  ,  fe  con- 
nvertirent,  &,  depuis  tems-là ,  l'orage  fut  détourné  de  l'endroit.  » 

"Le  Ledeur  croira  ce  qu'il  voudra  du  double  miracle  rapporté  dans  ces 
paroles.  Le  premier  paroît  fuppofé ,  & ,  par  cela  même ,  le  fécond  de- 
'  vient  inutile.  Comment  étoit-il  poffible  que  les  Habitans  de  toute  une 
contrée  vinffent  faire  ,  d'année  en  année ,  leurs  dévotions  auprès  d'un 
Lac  ,  qu'ils  lui  offriffent  des  préfens  de  toute  efpèce  ,  6c  qu'ils  célébraf- 
fent  une  fête  û  folemnelle ,  à  l'honneuf  de  la  Divinité  qui  y  réfidoit , 
s'ils  euffent  été  convaincus  ,  par  une  longue  expérience ,  qu'ils  n'em- 
porteroient  avec  eux ,  pour  toute   bcnédiftion  ,  que   des    tonnerres  , 
des  éclairs ,  &  fur-tout  une  grêle  de  pierres  ,  dont  ils  rifquerbient  d'être 
aflbmmés?  Tout  ce  qu'il  efl:  important  de  remarquer  ici,  c'eft  i*^.  que 
les  Gaulois  ,  établis  dans  le  Gévaudan ,  rendoient  un  culte  religieux  à 
l'Eau  ,  Si  qu'ils  fe  irendoient  tous  les  ans ,  avec  leurs  familles ,  à  une 
fête  folemnelle  que  l'on  célébroit,  pendant  trois  jours,   à  l'honneur 
d'un  Lac:  a°.  qu'ils  immoloient  des  vidimes  pendant  la  fête:  3°.  que 
chacun  jettoit  dans  le  Lac  ,  à  proportion  de  fes  facultés,  de  la  toilei^ 
*idudrap,  de  la  laine,  du  firomage ,  de  la  cire,  du  pain,  &  d'autres 
fchéfes  femblables  ,  afin  que  la  Divinité  bénît  la   maffe  entière    des 
biens  dont  on  lui  offroit  les  prémices  :  4'''.  que  cet  abus  fubfifta  dans 
les  Gaules ,  non  -  feulement  après  que  le  Chriftianifme  y  eût  été  établi  j 
imais  encore  depuis  qu'un  grand  nombre  d'Eglifes  eurent  choifi S.  Hilairç 
tie  Poitiers  pour  leur  Patron, 


L  I  VRE    III.    CHAPITRE.   IX.  103  , 

Les  Francs  ont  auffi  pratiqué  un  femblable  culte  après  avoir  reçu  la     ic-;  Francs 
Religion   Chrétienne.    On  voit  dans  Procope  ,    que  les  trancs  ,  qui  .nifi  uncuite 
étoient  paffés  en  Italie  fous  la  conduite    du  Roi  Theudibert ,  s'étant  *'^'"' 
rendus  maîtres  d'un  pont  fur  lequel  on  paffoit  le  Pô   à  Pavie  (13)  , 
«  immolèrent  les  femmes  &  les  enfans  des  Gpths,  qu'ils  y  trouvèrent ,  &c 
MJetterent  leurs  corps  dans  le  fleuve  auquel  ils  les  offroient ,  comme  les 
»  prémices  de  la  guerre.  Ces  barbares ,  ajoute  Procope ,  quoiqu'ils  ayent 
}>  embralTé  le  Chriftianifme ,  ne  laiflent  pas  d'obferver  plufieurs  cérémonies 
»  de  leur  ancienne  religion  ;  ils  immolent  des  viftimes  humaines  ,  avec 
»  d'autres  abominations  ,   &   fe    montrent  d'ailleurs  fort  attachés  aux 
M  divinations  ».  On  peut  naturellement  conclure  de  -  là  ,  que  le   culte 
de  l'Eau  étoit  l'une  des  parties  les  plus  eflentielles  de  la  religion  des 
Celtes.  Les  fuperftiiions  les  plus  chéries  font  ordinairement  celles  qui 
fe  maintiennent  le  plus  longtems. 

Effedivement ,  ce  culte  étoit  établi  de  toute  ancienneté  en  Occident. 
Les  Habitans  de  Tlflande  (14)  otfroient  des  facrifices  de  toute  efpcce 
avix  Génies  qui  réfidoient  dans  les  Fontaines ,  &c  dans  les  Eaux  couv- 
rantes. Les  Illyriens  avoient  (25)  une  fête  annuelle  dans  laquelle  ils 
noyoient  un  cheval  avec  certaines  cérémonies.  Les  ThefTaliens  (  z6  )  . 
vénéroient  le  Pénée,  &c  quand  ils  contraûoient  des  alliances,  la  céré- 
monie s'en  faifoit  fur  un  pont  (17)  fut  lequel  on  immoloit  les  viftimes 
dont  on  faifoit  découler  le  fang  dans  le  fleuve.  On  voit  dans  Horace  (28)  , 
que  les  Romains  offroient  auffi  des  facrifices  &  des  préfens  aux  Fon- 
taines ;  &  il  n'efl  pas  fans  apparence  que  cet  ufage  venoit  de  l'ancienne 
Religion  des  Peuples  de  l'Italie. 

Si  de  rOccident  nous  pafTons  en  Orient ,  nous  trouverons  que  le 
culte  que  l'on  vient  de  repréfenter  ,  était  auffi  établi  parmi  les 
Troyens  ,  qui  étoient  un  Peuple  Scythe  venu  de  Thrace.  Ainfi 
Homère  introduit  Achille,  diîant  à  fes  ennemis  (  19  )  :  «  Ce  beau  Sca- 
M  mandre ,  auquel  vous  immolez  ,  depuis  long-tems  ,  un  grand  nombre 

(13)  Fiocop.  Cotih.  II.  cap.  15-  p.  44».  i  va  fe  décharger  dans  le  Golfe  de  Salonichi.  On 


(24)  Ci-d.  cb.  IV.  §    7   not.  33 

(2  s)  Scrvias  ad  Georg.  I.  v.  Jj.  p.  <i 

(21'.)  Ci-d.  eh.  IV.  §    s.  not.  23. 

(♦)  Le    P/We   eft  une  Rivière  de   la  Grèce  ,  '  XXIII    v.  144. 
dont  la' fourcc  eft  dans  les  Montagnes  d- Mtz- j      (29    Honiei.  Iliad.  XXJ.  V.  13° 
zo»o.  Il  coule  dans  cette  dernière  Province,  & 


l'appelle  autrement  Sa'ampria. 

(27,  Polyin.  Stratag.  lib.  III.  cap.  9.  not.  40, 
(28)  Horat.  Carm.  lib.  III.  Od.  1  3.  &  Ilia<l>. 


104  HISTOIRE     DES     CELTES, 

»  de  taureaux,  &  dans  lequel  vous  précipitez  des  chevaux  tout  vîvatrs  « 
»  ne  vous  fauvera  pas  de  mes  mains  ».  Les  Phrygiens  ,  voiiîns  des 
Troyens ,  &  leurs  compatriotes ,  confervoient  encore  la  même  coutume 
du  tems  de  Maxime  de  Tyr  (30).  Ils  jettoient  dans  l'Eau  les  cuifles  de  la 
viclime  ,  &c  célébroient  le  nom  du  Fleuve  auquel  ils  avoient  offert  le 
facrifice.  Valerius  Flaccus  dit  auffi  (i)  que  «  Iç&j^maiones ,  quand  elles 
»  revenoient  d*une  expédition  ,  jettoient  dans  le  Thermodoon ,  des  che- 
»  vaux  ,  &c  des  armes  ,  qu'elles  lui  avoient  voués  dans  le  combat  ». 
Les  Perfes  enfin  (3 1)  avoient  une  û  grande  vénération  pour  la  Mer  ,  & 
pour  les  Fleuves  ,  qu'ils  n'ofoient  y  faire  de  l'eau  ,  s'y  laver  les  mains  , 
&  encore  moins  s'y  baigner.  C'étoit  ,  parmi  eux ,  une  abomination  d'y 
faire  fes  néceffités ,  d'y  jetter  quelque  chofe  d'immonde  ,  ou  une  bête 
morte  de  maladie.  Ainfi  Tyridate  ,  Roi  d'Arménie  ,  qui  fuivoit  la  Reli- 
gion des  Mages  (33),  ayant  été  mandé  à  Rome  par  l'Empereur  Néron, 
riful'a  de  s'y  rendre  par  mer,  parce  que  les  Mages  auroient  cru  commet- 
tre un  facrilége ,  en  crachant  dans  la  mer,  ou  en  s'y  déchargeant  des-autres 
nfceffités  de  la  nature. 

Outre  le  profond  refpeâ:  que  les  Perfes  avoient  pour  l'étément  de 
l'Eau ,  elle  étoit  encore  pour  eux  l'objet  d'un  culte  religieux.  On  lui 
offroit  des  prières ,  des  facrifices ,  des  préfens ,  comme  à  une  grande 
Divinité,  Par  exemple ,  Hérodote  ,  rapportant  de  quelle  manière  Xerxès 
paffa  le  détroit  des  Dardanelles  avec  fon  armée,  dit  (34)  «  qu'auffi- 
»  tôt  que  le  Soleil  fut  l^vé,  ce  Prince  monta  fur  le  pont  qui  joignoit  le 
»  continent  de  l'Afie  à  celui  de  l'Europe ,  &  que  l'on  avoit  couvert 
»  de  myrthe  &  de  toute  forte  de  fleurs.  Xerxès  ,  tenant' une  phiole 
»>  d'or,  fit  des  hbations  à  la  Mer,  &  olirir,  en  même  tems ,  des  prières 
»  au  Soleil,  en  lui  demandant  d'être  favorable  à  fon  expédition.  Après 
»  cette  prière,  il  jetta  dans  la  mer  la  phiole  ,  une  coupe  d'or ,  &  une 
»  épée  ».  L'Hiftorien  ajoute  «  qu'il  ne  fçauroit  dire  avec  certitude ,  li 
»  ce  fut  à  l'honneur  du  Soleil,  que  Xerxès  jetta  cette  épée  dans  l'Hel- 
»  lefpont ,  ou  s'il  prétendit  réparer,  par  ce  préfent  ,  l'outrage  qu'il 
»  avoit  fait  à  la  Mer,  en  la  condamnant  à  recevoir  trois  cens  coups  de 
»  fouet».  Mais  Hérodote  lui-même  pourra  fervir  à  réfoudre  le  doute 


(  3  o)  Ci-d.  ch.  IV.  §.  s  •  not.  2  3 . 
(ji)  Valer.  Flacc.  lib.  V.  Iîi. 
(j»;'  Heiodot.  I.cap.  13».  StralioXV.  p.  73j. 


(33;  rlin.  XXX.  cap.  2. 
(J4;  Ijeiodot.  VU.  cap.  5'^> 


qu^ 


LIVRE    III.  ~C  H  A  P  I  T  R  E    IX.  105 

qu'il  propofe  ici,  puifqu'il  remarque  plus  bas  (35),  «que  l'armée  de 
»  Xerxès  étant  arrivée  fur  les  bords  du  Strymon  ,  les  Mages  immolèrent 
wdes  chevaux  blancs,  avec  plufieurs  autres  chofes,  qu'ils  jetterent  dans 
w  le  Fleuve  ».  Voila  donc  une  parfaite  conformité  entre  la  Religion 
des  Perfes ,  &c  celle  des  Gaulois. 

II  eft  vrai  que  Strabon  repréfente  d'une  manière  un  peu  différente  ,  le 
culte  que  les  Perfes  rendoient  à  l'Eau.  «Voici,  dit-il  (93),  de  quelle 
w  manière  les  Perfes  facrifient  à  l'Eau,  Dès  qu'ils  font  arrivés  à  un  Lac, 
»  à  un  Fleuve ,  ou  à  une  Fontaine  ,  ils  creufent  une  foffe ,  ils  égorgent 
»  la  viftime  ;  mais  ils  prennent  bien  garde  qu'il  ne  coule  point  de  fang 
»  dans  l'eau  ,  parce  que  l'eau  &  le  facrifice  en  feroient  fouillés.  En- 
»  fuite  ils  étendent  la  chair  de  la  viûime  fur  du  myrte  &  du  laurier, 
»  &  la  font  brûler.  On  fait  le  feu  avec  de  petites  branches ,  & ,  après 
M  quelques  prières ,  ils  détrempent  enfemble  de  l'huile  ,  du  lait ,  &  du 
»  miel ,  dont  ils  font  des  afperfions ,  non  fur  le  feu  ,  ou  fur  l'eau ,  mais 
»  fur  la  terre.  Ils  font  là  de  longues  prières  ,  tenant  entre  leurs  mains 
»  des  faifceaux  compofés  de  petites  branches  de  myrte  ».  Strabon  eu  fort 
exaâ:  dans  fes  narrations ,  &  devoit  connoître  parfaitement  les  Perfes  » 
voilins  de  fa  patrie.  Il  n'y  a  donc  pas  d'autre  moyen  de  le  concilier  avec 
Hérodote  ,  que  de  dire  que  les  chofes  avoient  changé  depuis  le  tems  de 
l'Hiftorien,  qui  étoit  antérieur  à  Strabon  de  quatre  cent  cinquante  ans , 
plus  ou  moins.  Quoi  qu'il  en  foit  de  cette  petite  différence ,  elle  ne  mérite 
pas  de  nous  arrêter  plus  longtems. 

§.  V.  FinifTons  ce  Chapitre  par  quelques  réflexions  qui  regardent 
naturellement  notre  fujet. 

I.**  Ce  n'étoit  pas  fans  fondement  que  les  Mages  (37)  accufoient  Hé- 
rodote d'ignorance  &  de  mauvaife  foi,  pour  avoir  dit  (38)  qu'après 
une  tempête ,  dans  laquelle  le  pont  de  bateaux  que  Xerxès  avoit  fait 
jetter  fur  la  mer  fouifrît  beaucoup ,  ce  Prince  fit  donner  à  l'Hellefpont 
trois  cent  coups  de  fouet ,  &  que ,  non  content  de  l'enchaîner  comme 
un  criminel,  il  lui  fit  imprimer,  ce  que  nous  appellerions  \zfieurde  lys  , 
ou  la  marque  du  bourreau.  Il  eft  difficile  de  comprendre  qu'un  Prin- 
ce ,  qui  n'avoit  pas  perdu  le  fens  commun ,  pût  pouffer  auffi  loin  l'ex- 
1  <   ■  — • — — ""^ 

(as)  Herojjot.  VII.  Ii|.  114.  i       (37)  Diog.  Laërt.  Proem.  p.  7. 

(j<)  StraboXV.  p.  73».  733.  |      (38)  Herodot.  VII.  3  5' 

T»me  IL  Q 


io6  HISTOIRE    DES    CELTES, 

travagance  ;  mais  Hérodote  reconnoît  d'ailleurs  ,  que  les  Perfes  avoient 
une  dévotion  toute  particulière  pour  l'Eau  (39),  Flumen  inter  omnia  reli- 
eiofiniml  colunt.  Il  repréfente  même  Xerxès  comme  un  Prince  fort  attaché 
à  fa  Religion.  Il  dit  que  ce  Prince  offrit  des  préfens  à  l'Hellefpont ,  6c 
des  viâimes  au  Strymon.  Y  penfoit-il ,  en  attribuant  à  ce  même  Prince 
des  adions  -  qui  auroient  paffé ,  parmi  les  Perfes ,  pour  la  plus  détefta- 
ble  de  toutes  les  impiétés  ?  Ils  aimoient  mieux  fouffrir  la  mort  &  le 
fupplice,  que  de  (40)  faire  le  moindre  outrage  aux  Elémens,  c'eft-à- 
dire ,  aux  Divinités  qui  les  rempliffoient.  Aflurémcnt ,  les  Hifloriens 
nous  en  impofent,  lorlqu'ils  parlent  d'une  Religion  différente  de  celle 
qu'ils  profeffent,  ou  pour  laquelle  ils  ont  du  penchant.  Hérodote  rai- 
fonne  a  peu  près ,  comme  ceux  qui  reprochent  à  Calvin  d'avoir  été  le 
plus  ardent  promoteur  du  fupplice  de  Servet ,  parce  que  celui-ci  atta- 
quoit  le  myftère  de  la  Trinité ,  &  qui  ne  laiffent  pas  d'accufer  Calvin 
d'avoir  été  Antitrinitaire ,  ou  Socinien.  Il  faut  avoir  un  front  qui  ne 
rougit  de  rien ,  pour  imputer  à  un  homme  de  femblables  contradi£Hons. 
2.^  Le  culte  que  les  Gaulois  rendoient  à  TEau  ,  &  la  coutume  qu'ils 
avoient  d'y  jetter  du  drap ,  de  la  toile ,  de  l'or  ,  de  l'argent ,  en  un 
mot ,  une  partie  de  tout  ce  qu'ils  avoient  de  plus  précieux,  eft,  autant 
qu'on  peut  le  conjedurer,  ce  qui  a  donné  lieu  à  la  fable  qui  porte  (41) 
que  les  Gaulois  qui  avoient  pillé  le  Temple  de  Delphes,  de  retour 
dans  leur  patrie ,  &  voyant  qu'il  y  avoit  une  malediûion  attachée  au 
tréfor  qu'ils  avoient  enlevé ,  prirent  le  parti  de  le  jetter  dans  un  Etang 
facré  de  la  Ville  de  Touloufe ,  d'où  le  Conful  Cépion  le  retira  environ 
cent  foixante-dix  ans  après.  C'eft  un  conte  fait  à  plaifir.  Il  ne  faut  pas 
s'arrêter  à  la  contradiction  que  l'on  remarque  dans  le  récit  des  Auteurs 
qui  rapportent  cette  fable.  On  a  montré  ailleurs  (41)  qu'elle  efl  manifefte. 
Ils  affurent  que  les  Gaulois  ne  purent  prendre  le  Temple  de  Delphes , 
&  qu'ils  périrent  tous  dans  cette  expédition.  Mais  ficela  eft,  comment 
peut-on  les  faire  retourner  dans  leur  patrie?  D'où  veut-on  qu'ils  euffent- 
pris  un  tréfor  qui  montoit ,  félon  Pofîdonius  (  43  )  ,  à  quinze  raille 


(39ICI  i.  §.4.-  nota  31- 

(40)  Ci-deflbus ,  eh.  .o.  §.  i.not.  i<. 

(41)  Juftin.  XXXII.  3.  Excerpt.  m  Dion.  ap. 
Talef.  p.  «jo. 


(■4i)Ci-<l.  Liv:.  I.  dl.  t.p.  31.  atC 

(43)  Vojez.c\  deflbus  la  note  47.  Quinze  mille 

Talens,  à  fîx  cens  écus  le  Talent,  font  neuf 

millions  d'écus. 


LIVRE    III.    C  H  A  P  I  T  R  E    IX.  107 

talens,  c'eft-à-dlre  ,  à  neuf  millions  d'écus ,  &  félon  (44)  Juftin,  à  une 
fomme    que  le  grand  Budé  (45)  n'ofoit  prefque  pas  exprimer,  tant 
la  chofe  lui  paroiffoit  incroyable  ?  Il  eft  très-vraifemblable  que  le  Temple 
de  Delphes  fut  pris  &  pillé  par  les  Gaulois.  Mais  d'un  côté ,  ils  n'y  trou- 
vèrent  point   le    tréfor  qu'ils  cherchoient  :  les   Phocéens  s'en  étoient 
emparés  long-tems  auparavant.  D'un  autre  côté  ,  ces  Gaulois  ne  fortoient 
point  du  Languedoc ,  &  n'y  retournèrent  jamais.  Ce  qui  a  fait  prendre 
le  change  ,  c'eft  que  les  Romains ,  ayant  trouvé  un  fi  riche  tréfor  à  Tou. 
loufe,  &  ne  pouvant  comprendre,  ni  comment  il  y  avoit  été  apporté, 
ni  pourquoi  on  le  laiffoit  là,  faas  y  toucher,  crurent  bonnement  que  c'é- 
toit  un  or  &  un  argent  maudit ,  qu'on  n'avoit  jette  dans  l'eau  ,  que  parce 
qu'il  avoit  été  acquis  par  des  facriléges.  Si  les  Romains  s 'étoient  fou- 
venus  qu'il  y  avoit  de  riches  mines  dans  le  voifinage  de  Touloufe ,  s'ils 
avoient  confidéré  que  les  Gaulois  eonfacroient  à  leurs  Dieux  tout  ce 
qu'ils  avoient  de  précieux,  &c  (46)  qu'ils  puniflbient  du  dernier  fuppli- 
«e ,  ceux  qui  étoient  affez  impies ,  pour  enlever  quelque  chofe  des  tré- 
fors  dépofés  dans  les  Sanftuaires ,  &  dans  les  Etangs  facrés  ,  ils  feroient 
aflurément  revenus  de  leur  furprife,  &  ils  n'auroient  pas  eu  recours  à 
une  fable  aufii  abfurde ,  pour  expliquer  comment  on  avoit  pu  trouver 
une  fi  grande  quantité  d'or  &  d'argent  dans  un  Temple  de  la  Ville  de 
Touloufe.' 

Auffi  Strabon ,  après  avoir  rapporté  la  tradition  qui  couroit  parmi  les 
Romains  ,  fe  range-t-il  à  l'opinion  de  Pofidonius ,  qui  eft  celle  qu'on  a 
fuivie.  Voici  les  paroles  du  Géographe  (47)  :  «  On  prétend  qu'il  y  avoit 
M  des  Teûofages  dans  l'armée  qui  affiégea  le  Temple  de  Delphes,  & 
»  que  le  tréfor  que  Cépion  ,  Général  Romain ,  trouva  dans  une  de 
w  leurs  Villes  ,  nommée  Touloufe  ,  faifoit  partie  de  l'argent  qu'ils 
»  avoient  emporté  de  Delphes.  On  dit  aufli  que  les  Teftofages  ajou- 
V  terent  de  leur  propre  bien  au  tréfor ,  &  qu'ils  confacrerent  le  tout  à 

»>  Apollon  pour  appaifer  fon  courroux Il  y  a  ,  cependant ,  plus 

H  de  vraifemblance  dans  le  récit  de  Pofidonius.  Cet  Auteur  dit  qu'on 
«trouva  à  Touloufe  environ  quinze  mille  talens,  qui  étoient  dépofés > 
»  en  partie  dans  des  Chapelles ,  &  en  partie  dans  des  Etangs  confa- 


(4+)  Veyet.  la  note  41.  1       (4*)  Ci-i.  ch.  VII.  §.  i.  not.  j. 

(4j)BudausdeAfrclib.  ir.  p.  151.  |       (47)Sttabo  IV.  i»S. 

Ot 


io§  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»>  crés.  L'or  &  l'argent  n'étoient  point  monnoyés  ,  ni  travaillés.  II 
»  n'y  avoit  plus  dans  ce  tems-Ià ,  ni  or ,  ni  argent  dans  le  Temple  de 
»  Delphes,  que  les  Phocéens  avoient  dépouillé  ,  pendant  la  guerre  que 
»  l'on  appelle  facrée.  S'il  en  reftoit  quelque  peu ,  il  fut  partagé  entre  un 
»  grand  nombre  de  perfonnes.  Il  n'y  a  ,  d'ailleur?,  point  d'apparence  que 
»  les  Teûolages  ayent  pu  revenir  fains  &  faufs  dans  kur  patrie  ,  par 
»ce  que  s'étant  attiré  mille  calamités  par  leurs  diflenfions,  ils  furent 
»  difperlés  de  tous  côtés.  Je  m'en  tiens  donc  à  ce  que  Pofidonius  &C 
»  pliifieurs  autres  rapportent.  C'eft  que  ce  Pays  produifant  beaucoup 
«d'or,  étant  d'ailleurs  poffédé  par  des  gens  fuperftitieux,  &  de  peu 
»  de  dépenfe,  il  étoit  arrivé  de-là,  qu'on  voyoit  en  plufieurs  endroits 
»  des  Gaules ,  des  tréfors  confacrés.  Ils  étoient  fur-tout  en  fureté  dans 
«les  étangs,  oii  le  Peuple  jettoit  des  maffes  d'or  &  d'argent.  Les  Ro- 
»  mains  s'étanf  donc  rendus  maîtres  du  Pays  ,  firent  vendre  publique- 
»  ment  ces  étangs.  Plufieurs  des  acheteurs  y  trouvèrent  des  meules  d'ar- 
»  gent  maffif.  Il  y  avoit,  au  refte,  à  Touloufe  un  Temple  qui  paffott 
»  pour  très-faint.  Tous  les  Peuples  voifins  avoient  beaucoup  de  véné- 
»  ration  pour  ce  lieu  :  c'eft  pour  cela  qu'il  y  avoit  des  richeffes  immen- 
»  fes,  parce  qu'on  y  portoit  tous  les  jours  despréfens,  &  que  perfonne 
w  n'ofoit  y  toucher».  Pofidonius  a  frappé  au  but,  &  il  n'y  a  rien  à  ajou- 
ter à  fes  remarques.  On  trouva  en  1410  (48),  dans  les  bafîins  de  Bade, 
en  SuifTe,  des  médailles  d'or,  d'argent,  &c  de  cuivre.  Elles  y  avoient 
été  jettées,  dans  un  tems  où  les  Helvétiens,  comme  les  autres  Gaulois, 
rendoient  un  ailte  religieux  aux  Fontaines,  &  leur  ofFroient  des  préfens. 
3.°  Le  petit  peuple  de  la  plupart  des  Villes  de  l'Allemagne  a  une  idée, 
qui  paroît  un  refte  de  la  fuperftition  repréfentée  dans  ce  Chapitre.  II 
place  dans  les  Lacs,  &  dans  les  Fleuves,  un  Génie  qu'il  appelle  der  Nix , 
le  Nix ,  &  il  eft  fermement  perfuadé  que  les  hommes  lui  doivent  un  tribut 
annuel.  Ainfi,  quand  quelqu'un  a  le  malheur  de  fe  noyer,  les  plus  crédu- 
les ne  manquent  jamais  d'afl^urer,  que  c'eft  le  Nix  qui  l'a  tiré  par  les 
pieds,  &  qui  l'a  étouffé  dans  les  eaux. 

'^— —  ■  ii.i.ii..    -^        I     .     i.i        ..  -I.    —  .  I  .1  II—    ■■■M.MM^II       II  II       II     I—     Il    ■     -     ■■-    I"—  11—      — 

"(4S)  Dcliccs  de  la  SuiiTe  >  Totn.  IXI>  p*  4.40.  De  la  Martinierc,  Di^*  Geogi.  au  mot  Baden^ 


LIVRE    III.    CHAPITRE    X. 


109 


CHAPITRE    X. 

>ELON  la  mythologie  des  Peuples  Celtes,  l'Eau  &  le  Feu  tenoient  le  du  cuI 


r 


premier  rang  entre  les  Divinités  qui  étoient  émanées  du  Dieu  Tmt , 
&  de  la  Terre  fa  femme  (i).  Auffi  les  Perfes  (2)  facrifioient-ils  princi- 
palement à  ces  deux  Elémens,  &  ne  croyoient-ils  pas  pouvoir  engager 
plus  folemnellement  leur  parole  (3),  qu'en  prêtant  ferment  par  l'Eau , 
&  par  le  Feu.  Il  fembleroit  qu'ils  avoient  pris  ce  culte  des  AfTyriens 
&  des  Chaldéens  ,  leurs  voifms.  Mais  d'un  côté ,  Hérodote  obferve 
que  (4)  les  Perfes  avoient  facrifié  à  la  Terre,  à  l'Eau,  au  Feu,  aux  Vents, 
de  toute  ancienneté  ,  c'efl-à-dire  ,  avant  qu'ils  euffent  adopté  des  fuperf- 
titions  étrangères  ;  &  d'un  autre  côté ,  ce  même  culte  du  Feu  étoit  éta- 
bli parmi  tous  les  Peuples  Scythes  &  Celtes  de  l'Europe.  Les  (5)  Macédo- 
niens &  tous  les  Grecs,  en  général,  fervoient  Vejla ,  (*V'a)  :  c'eft  ainli 
qu'ils  apnelloient  le  feu,  avant  qu'ils  euffent  pris  des  Barbares  le  mot  de 
{6)  Pjr  (TriJ'p).  Les  Romains  fervoient  la  même  (7)  Vejla^  &  entretenoient 
à  fon  honneur  un  feu  perpétuel.  Le  Temple  qu'elle  avoit  à  Rome  avoit 
été  fondé  par  (8)  Numa  Pompilius  ,  qui  demeura  toujours  attaché  à  l'an- 
cienne Religion  (9);  auffi  n'y  voyoit-on  point  de  fimulacre.  «Los  Ger- 
»  mains  ,  félon  Jules-Céfar  (10),  ne  reconnoiffoient  point  d'autres 
»  Dieux,  que  ceux  qu'ils  voyoient,  &  dont  ils  éprouvoient  évidem- 
wment  le  fecours,  le  Soleil,  la  Lune,  Vulcain  »,  Vulcain  eft  ici  mani- 
feftement  le  Feu.  C'eft  à  ce  Vulcain  (11)  que  des  Gaulois,  conduits  par 
Viridomarus  avoient  voué  les  armes  des  Romains,  fuppofé  qu'ils  euffent 
le  bonheur  de  les  vaincre.  Les  anciens  habitans  de  l'Angleterre  (12) 
rendoient  un  culte  religieux  au  Feu,  Les  Turcs  (13)  l'avoient  auffi  en 
grande  vénération;  &  les  Scythes  (14),  en  général,  lui  offroient  des 
facrifices,  l'appellant  en  leur  Langue  Tahiti. 


'es    Peuples 
Ceitcs   icn- 
'ioi.nt  au 
Feu. 


quç 


(I    Ci-d.  ch.  IX.  §.  i.î.  3. 
{2)  Ci-d.  ch.  IV.  %.  I.  not   4.  &  5. 
(3    Ci-d.  ch.  IX.  %.  I.  not.  7. 
(4,  Ci-d.  ch.  IV.  §.  I.  not.  4. 
(s)Ci-d.  ch  IV.  §.2.  not.  I7.&§.  s. not.  24. 
(«j  Ci-d.  Liï-  I.  ch.  10.  p.  «o.  &  «i. 
^7)   Ovid.   F»ft.  VI.  T.    »Si.  Diod.  Sic.  II. 
pag.  115.  12$. 


(S)  Ovid.  Faft.  VI.  v.  259.  Livius  I.  20. 
\9    Ovid.  Fatt.  VI.  v.  29$. 

(10)  Ci-d.  ch.  I.  §.  3.  not.  6. 

(1 1)  Florus  II.  4. 

(12)  Ci-d.  ch.  IV.  §.  1,  not.  8. 

(13)  Ci-d.  ch.  IV.  §.  i.not.  «. 
(  1 4)  Ci-d.  ch.  m.  §.  3 .  not.  < . 


îio  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Nature  du  §.  II.  On  ne  trouve  prefque  rien  dans  les  Anciens  fur  la  nature  à\i 
ch.-z'iw'cd-"  culte  que  les  Peuples  Celtes  rendoient  au  Feu  ,  &  des  cérémonies 
'"'  qu'ils  y  obfervoient.   Voici  à  peu  près  ce  qu'ils  en  difent.  Les  anciens 

Habitans   de   l'Italie  entretenoient  dans  le  Temple  de  Vefta  (15)  un 
feu  immortel ,  devant  lequel  ils  alloient  faire  leurs  prières.  Les  Perfes 
fe  faifoient  un  fcrupule  de  jetter  dans  le  feu  aucune  des  chofes  qui  paffoient 
pour  immondes  ;  ils  étoient  même  (16)  capables  de  fouffrir  le  plus  cruel 
fupplice ,  plutôt  que  de  commettre  un  femblable  facrilége.  Strabon  dit 
«que  (  17)  )  quand  ils  vouloient  facrifier  au   Feu  ,  ils  arrangeoient 
»>  du  bois  fec ,   dont  ils  avoient  auparavant  ôté  l'ccorce.  Après  avoir 
»  jette  de  la  grailTe  fur  le  bois,  &c  y  avoir  verfc  de  l'huile,  ils  allu- 
»  moient  le  feu  (18),  non  pas  en  le  foufflant  de  la  bouche,  mais  en 
»  l'agitant.    On   puniffoit    du  dernier  fupplice   ceux   qui  fouffloient  le 
w  feu,  auffibien  que  ceux  qui  y  jettoient  de  la  boue,  ou  quelque  bête 
»  morte.  Ils  avoient  aufil  des  Temples  confacrés  au  Feu  :  c'étoient  de 
M  grands  enclos  ,  dans  lefquels  on  voyoit  un  Autel  ,    oh  les  Mages 
»  confervoient  un  feu  immortel ,  au  milieu  de   beaucoup  de  cendres. 
M  Les  Mages  entroient  tous  les  jours  dans  ces  enclos ,  &  y  adreffoient 
»  leurs   prières  au  Feu  ,  pendant  une  heure  entière ,  tenant  en  leur 
M  main  de  la  verveine,  &  ayant  fur  la  tête  une  thiare ,  qui  leur  pendoit 
»  des  deux  côtés,  &c  dont  les  bouts  leur  couvroient  les  joues,  &  les 
»  lèvres».  Maxime  de  Tyr  ajoute  (19)  qu'en  fourniffant  au  feu  des 
matières   combuûibles  ,  ils  lui    difoient  :  Dévores  ,   6  Seigneur  !   Ces 
exemples    font  juger  ,   que  les    Peuples  Celtes   faifoient  confifter   le 
culte  du  Feu ,  à  entretenir  dans  leurs  Sanâuaires  un  Feu  facré ,  devant 
lequel  ils  faifoient  leurs  prières  (zo). 
F.  ndemrs       §.  III.  Le  fcrvicc  religieux  que  les  Celtes  rendoient  au  Feu,  avoit  le 
Feu.    '  "  même  fondement  que  celui  qu'ils  ofFroient  à  l'Eau.  On  regardoit  le 
Feu  comme  une  Divinité.  On  y  plaçoit  des  Intelligences  fupérieures  à 
l'homme.  On  les  confultoit ,  tantôt  pour  découvrir  le  paffé ,  comme 


(l  s)  Ovid.  Fift.  VI.  V.  î  00.  &  feq.  1       (20)  Les  Czére'mifles  pratiquent  ,  encore  au- 

(i  6)  Suidas  in  àvhyiih  Tom.  I.  p.  J  7s.  j  jourd'hui ,  quelque  chofe  de  femblable.  \h  /et- 


(17;  Stiabo  XV.  7iz.  7}} 

(18)  La  taifon  de  ce  fcrupule  e'toit  que  le 
fouffle  de  l'homme  auroit  fouille'  les  intelli- 
gences toutes  pures  qui  léddoicnt  dans  le  feu. 

(i»)  Ci-d.  ch.  XV.  $.  %.  not.  n. 


tent  dans  le  Feu  du  pain  &  de  la  viande  ,  foa» 
haitant  que  le  parfum  foit  agre'able  î  Dieu,  8s 
en  même-tcms  ils  crient  Jumala  Sargala  t 
Gr»nd  Dieu, »jei.  fini  dt  nous',  Scialcnbeig,  p>4i9. 


LIVRE    III.     C  H  4  P  I  T  R  E    X.  m 

dans  l'épreuve  du  fer  rouge  &  des  charbons  brulans  ,  tantôt  pour  être 
inflruit  de  l'avenir.  Il  eft  remarqué ,  par  exemple  (  1 1  ) ,  que  les  anciens 
Habitans  de  la  Galice  étoient  fort  expérimentés  dans  les  préfages ,  qui 
ie  tiroient  du  feu,  c'eft-à-dire,  qu'ils  fe  vantoient  de  prévoir,  &  de  pré- 
dire l'avenir ,  foit  par  la  couleur  ,  &  par  le  pétillement  du  Feu  fîicré ,  foit 
par  le  feu  du  Ciel.  Hérodote  va  bien  plus  loin  :  il  dit  (zi)  que  «  les  Scy- 
»>  thés  fervoient  préférablement  à  tous  les  autres  Dieux  ,  Vefta ,  & 
H  enfuite  Jupiter  &  la  Terre  ».  Ces  expreffions  femblent  marquer  que 
les  Scythes  regardoient  le  feu  comme  le  premier  être.  EfFeftivement  Juftin , 
dans  un  Difcours  qu'il  attribue  aux  Scythes,  leur  fait  dire  (13)  que  c'ejl 
U  Ftu  qui  a  engendré  l'Univers.  L'opinion  des  Scythes  auroit  donc  été 
celle  des  Stoïciens,  qui  failoient  confifter  l'efTence  de  leur  Jupiter  dans 
im  feu  fubtil  qui  pénétroit ,  &  qui  animoit  toutes  les  différentes  parties 
de  la  matière  ;  mais  cette  opinion  n'a  pas  le  moindre  fondement. 

En  effet ,  on  ne  peut  pas  faire  beaucoup  de  fonds  fur  ce  qu'Hérodote 
dit  des  Scythes ,  qu'il  n'a  connus  que  très-imparfaitement.  Cet  Hifîo- 
rien   affure  ,   dans  l'endroit  cité   ci-defl"us  ,  que  les  Scythes  ne  confa- 
croient  des  fimulacres  ,  des  Temples,  des  Autels  qu'à   Mars.    C'étoit 
donc  là  leur  Dieu.    D'ailleurs,  le  Mars  des  Scythes  étoit    le  même 
que  leur  Jupiter  (14).  C'efl  à  ce  Jupiter,  &  non  au  Feu,  qu'ils  rappor- 
toient  l'origine  de  toutes  chofes.  Hérodote  lui-même  l'infinue,  en  re- 
marquant qu'ils  appelloient  leur  Jupiter  Pappœus ,  &  qu'ils  regardoient 
la  Terre  comme  fa  femme;  auflî  les  Turcs,  qui  avoient  un  très- grand 
refpeft  pour  le  feu  (2.5)  ,  ne   laifToient-ils   pas  de  le  diflinguer  for- 
mellement du  Dieu  qui  a  fait  le  Ciel  &  la  Terre.  A  l'égard  du  Difcours 
que  Juflin  attribue  aux  Scythes ,  il  a  bien  l'air  d'être ,  en  tout ,  ou  en 
partie ,  de  la  façon  de  l'Hiflorien ,  qui  a  profité  de  l'occafion ,  qui  fe 
préfentoit  naturellement  ,  pour  y  giifTer  l'opinion  des  Stoïciens.  Au- 
refle,  il  n'efl  pas  douteux  que  les  Scythes  (i6)  ,  comme  les  Perfes,  ne 
préféraffent  le  Feu  à  tous  les  autres  Elémens.  Ils  croyoient  que  les  Intel- 
ligences qui  y  réfidoient ,  étoient  les  plus  pures ,  les  plus  pénétrantes , 
les  plusaûives,  &  qu'elles  méritoient ,  par  conféquent,  un  culte  & 
des  hommages  particuliers  de  la  part  de  l'homme. 

(zi)Ci-dch.  2    §.  î.not.  s.  |       /24   Ci-d.  ch.  VI.  §.  1 5.  ch.  VII.  §.  a. 

(211  Ci-d.  ch.  3.  §   3.110t.  t.  I       ;ï5)  Ci-d.  ch.  IV.  §.  1    not.  «. 

(»3)  Juûin.  U.  2.  \      (ï«J  f  irmic.  Watern.  p.  4  )  j. 


m 


HISTOIRE    DES    CELTES; 

§.  IV.  Aurefte ,  les  Perfes ,  au  rapport  de  Strabon  (17) ,  dans  tous  les 
facrifîces  qu'ils  offr oient  aux  Dieux ,  adreffoient  premièrement  leur  prière 
au  Feu.  La  raifon  en  eft  claire.  Les  facrifîces  &  le  parfum  ne  pouvoient 
s'offrir  qu'avec  le  feu  facré  que  l'on  confervoit  dans  les  enclos,  dont  on 
vient  de  faire  mention.  On  croyoit  (28)  que  ce  feu  étoit  tombé  du  Ciel. 
Comme  il  étoit,en  quelque  manière,  le  miniflre  &  le  meffager ,  qui  por- 
tait aux  autres  Dieux  le  parfum  Se  les  facrifîces  que  les  hommes  leur 
offroient ,  les  Perfes  prioient,  avant  toutes  chofes ,  le  feu  facré  de  ne 
point  intercepter  l'oblation,  mais  de  la  préfenter  fidèlement  au  Dieu, 
auquel  on  la  deflinoit. 

Les  anciens  Grecs  allumoient  des  feux  devant  leurs  maifons,  quand  ils 
chantoient  VOupianaffa ,  à  l'honneur  de  la  Terre.  Le  paflage  d'Héfychius , 
rapporté  en  note  (i9)  ,  femble  l'infmuer.  On  peut  excufer  par  là,  ceux 
qui  ont  prétendu  (jo)  que  Vefla  étoit  la  même  Divinité  que  la  Terre. 
Il  efl  confiant,  aurefle,  que  les  Scythes  diflinguoient  (31)  Tahiti ,  c'eA- 
à-dire,  le  Feu,  à^Apia,  qui  étoit  la  Terre.  Les  Romains  difoient  auffi 
(31),  que  Vefla  étoit  la  filles  à^Ops  &  de  Saturne.  Ils  fuivoient,  en  cela, 
lei  Théologie  des  Celtes ,  qui  prétendoient  que  toutes  les  Divinités  fu- 
balternes  étoient  émanées  du  Dieu  Teut ,  &  de  la  Terre  fa  femme. 

Les  Peuples  Celtes,  non-feulement  devinoient  par  le  feu ,  mais  ils  l'em- 
ployoient  encore  à  des  ufages  que  nous  appellerions  magiques.  On  le 
prouvera ,  lorfqu'il  fera  quçflion  de  parler  de  leurs  fuperflitions.  Ils  puri- 
fîoient,  par  le  feu,  les  hommes,  les  animaux,  les  plantes;  &  l'idée  qu'ils 
avoient  des  grandes  vertus  du  feu ,  fervolent  de  fondement  au  culte 
qu'ils  lui  rendoient.  Il  paroît  affez  vraifemblable  que  les  feux  qu'on 
allume  en  plufieurs  lieux  de  la  France  (33),  la  veille  de  la  S,  Jean,  font 
un  refle  de  l'ancienne  fuperftition ,  &  de  la  vénération  toute  particuç 
lière ,  que  les  Celtes  avoient  pour  le  Feu. 


(27)  Sttabo  XV.  p.  733. 

(z8)    Amm.    Marccll.  XXni,  pag.  375.  Cur- 
tius  III.  cap.  3.  p.  SI.  Firmic.  Matern.p.  413. 

(z.9)  ÙTi  àvaa-a-iz  •^iiùhc(  Trpjflopciç,  txjb 
Trpo  rm  flufwi'.  Hefych. 

(jo)  DionyC,  {isl.  II,  f ,  nS.  Ovid.  Faft.  VI. 


V.  2S7.  4*0.  Hefychius. 

(3O  Ci-d.  ch.  III.  §.  3.  not.  2, 

(}l)  Ovid.  Faft.  VI.  V.  285. 

(33)  C'eft  même  l'ufage  commun  de  la  Fran. 
ce.  On  allume  un  feu  tous  les  ans  à  Paris  dans 
la  Place  de  Gic'yc  ,  U  veille  de  la  S.  Jeai?. 


^ 


CHAPITRE  XI, 


LIVRE    m.    CHAPITRE    XL 


ïï3 


CHAPITRE      XL 

§.  I.  On  a  eu  raifon  de  dire ,  au  moins  dans  un  certain  fens,  que  les 
Peuples  Celtes  vénéroient  les  Elcmens.  Ils  adoroient  des  Dieux  fpiri- 
tuels  &  invifibles;  mais  ils  les  attachoient  tous  à  quelque  Elément, 
&  il  n'y  avoit  point  de  partie  de  la  matière  &  du  monde  vifible,  qui  ne 
fut  Ibus  la  diredion  de  quelque  Divinité  particulière.  Les  anciens  Philo- 
fôphes  établiflbient  quatre  élémens,  la  Terre,  l'Eau,  le  Feu  &c  l'Air.  On 
a  déjà  parlé  du  culte  qui  étoit  rendu  aux  trois  premiers.  Il  faut  montrer 
en  deux  mots,  que  le  quatrième,  c'eft-à-dire,  l'Air  recevoit  les  mêmes 
honneurs.  Les  violentes  agitations  de  l'Air ,  la  force  &  la  rapidité  de 
fon  adion,  les  terribles  ravages  que  la  pluie,  la  foudre,  les  orages,  & 
les  tempêtes  font  capables  de  caufer  ;  tout  cela  perfuadoit  aux  Celtes  (  i  ) 
que  l'Air  étoit  rempli  d'une  prodigieufe  quantité  d'Efprits  ,  qui  étant 
maîtres ,  à  plufieurs  égards ,  de  la  deftinée  de  l'homme ,  méritoient  , 
par  cette  raifon,  de  recevoir  de  fa  part  un  culte  religieux.  Ainfi  les 
Turcs  (2)  vénéroient  l'Air.  Les  Perfes  (3)  ofFroient,  de  toute  ancienne- 
té, des  facrifices  aux  Vents.  Les  Germains  avoient  leur  T/ior  (4)  «  qui 
>>  préfidoit  à  l'Air  ,  &  qui  avoit  fous  fa  direâion  le  tonnerre  ,  la 
«foudre,  les  vents,  &  les  fruits  de  la  terre».  Ce  TAor  étoit  le  Tarants 
des  Gaulois  (5),  le  même  que  Jules-Céfar  a  cru  devoir  appeller  (6)  /«- 
j>iter ,  parce  qu'on  lui  attribuoit  l'empire  de  l'Air.  Les  Lacédémoniens 
(7)  ofFroient  anciennement  un  facrifice  annuel  aux  Vents,  fur  une  mon- 
tagne de  leur  Pays;  &,  s'il  faut  en  croire  un  ancien  Hiftorien,  cité  par 
Clément  d'Alexandrie  (  8  )  ,  «  les  Prêtres  des  Macédoniens  offroient 
»  des  prières  à  BeJy  ,  c  eft-à^^dire ,  à  l'Air  (9),  lui  demandant  qu'il  leur 
»fîit  propice,  &  à  leurs  enfans». 

§.  II.  Les  Peuplés  Celtes  devinoient  par  l'Air ,  comme  par  les  autres 
Elémens.  On  le  prouvera,  en  parlant  de  leurs  fuperftitions.  Ils  faifoient 


Du  cu!a;  q>ie 
les    i'çti['l;s 
Ccltej  içii- 
d'jieiît  à  l'Air 
Se  aux.YcBCk 


FondïmfiTt 
de  ce  culte. 


(l)  Ci-d.  ch.  IV.  §.  7.  not.  33. 
{2)  Ci-d.  ch.  IV.  5.  I.  not.  S. 

(3)  Ci-d.  ch.  IV.  $.  i.not.  4   &  $; 

(4)  Ci-d.  ch.  VI.  §.  i«.  not.  19». 

(s)  Ci-dcffus ,  ch.  VI.  $.  4.  not.  9,  «{  §■  Ifi. 
■ot.  197.  &  201. 

(«)  Ci-d.  ch,  VI.  §.  I  s.  not.  140, 

Tome  II, 


(7)  Pomp.  Feft.  Paul.  Diac.  pag.  34s,Etyia 
Mag.  p.  10}. 

(«)  Clem.  Alex.  Strom.  lib.  V.  p.  «73. 

(  p  )  Parmi  les  Phrygiens  Beij  fignifioît  de 
l'Eau.  Clem.  Alex.  Stioin.  V.  «73.  V0;jct,  ci-ii 
Liv.  I.ch.  ;.  p.  5I> 


K 


114  HISTOIRE    DES    CELTES, 

principalement  attention  aux  préfages  que  l'on  tiroit  de  la  foudre.  Les 
Scythes  (  lo)  juroient  par  le  Vent ,  non-feulement  parce  que  la  vie  de 
l'homme  dépend  de  l'air  qu'il  refpire ,  ce  qui  eft  le  fentiment  de  Lucien , 
mais  auffi  parce  qu'ils  attribuoient  aux  Intelligences  de  l'Air  des  con- 
noiffances  infiniment  fupérieures  à  celles  de  l'homme. 

Cependant  le  grand  but  du  culte  que  l'on  rendoit  aux  Divinités  qui 
préfidoient  à  l'Air,  c'étoit  d'en  obtenir  des  faifons  favorables,  &  des 
influences  falutaires.  Ainfi  les- Mages  nous  font  repréfentés  ('  i)  fe  faifant 
des  incifions,  &  recourant  aux  enchantemens ,  pour  appaifer  une  tem- 
pête ,  qui  avoit  fait  périr  une  partie  des  vaiffeaux  de  Xerxès.  Ce  fut ,  fé- 
lon les  apparences,  pour  condefcendre ,  fur  cet  article,  à  la  fuperfti- 
tion  des  Gaulois  (12),  que  l'Empereur  Augufte ,  fe  trouvant  dans  la 
Province  Narbonnoife  ,  y  confacra  un  Temple  à  un  certain  Vent ,  que 
l'on  appelloit  Circius ,  &  qui  étant  des  plus  furieux,  ne  laifToit  pas  d'être 
fouhaité  par  les  gens  du  Pays ,  parce  qu'il  purifioit  l'air  des  mauvaifes 
exhalaifons ,  dont  il  étoit  chargé.  On  voit ,  au  refte ,  dans  les  Capitu- 
laires  de  Charlemagne  (13),  qu'il  y  avoit  encore,  du  tems  de  cet  Empe- 
reur ,  des  gens  qui  fe  vantoient  d'exciter  des  tempêtes ,  ôc  d'autres 
qui  prétendoient  avoir  le  don  de  les  appaifer  ,  par  leurs  enchantemenS' 
On  appelloit  les  premiers  Tempeflarii  ,  &  les  féconds  Ohligatores,  Les 
Canons  défendent,  avec  raifon,  cette  fuperflition  ,  qui  étoit  aufïi  vaine  y 
que  criminelle. 


CHAPITRE    XII. 

Dii  culte  que  §•  !•  J--/ E  S  Pcuplcs  qui  vénéroient  les  Elémens  ,  avec  toutes  les  difFé- 
cei.eiTen-    ''fiitss  parties  du  monde   vifible  ,    dévoient    avoir   naturellement  un 
deiennuso- gf^fjji  refpcû  pour  le  Firmament,  &  y  placer  les  Intelligences  les  plus' 
pures ,  &  les  plus  parfaites.  La  beauté ,  l'utilité  du  Soleil ,  qui  communi- 
que à  l'Univers  une  lumière  fi  agréable ,  &  en  même  tems  ,  «ne  chaleur 
fi  nécefTaire ,  pour  la  confervation  de  l'homme  ,  des  plantes  ,  &  des 

(lo)Lucian.  Toxarip.  «40.  |  riine,  Hift.  Nat.  lib.  II.  c»p.  47,  lib.  xvil.  2. 

(i  i)  Herodot.  VII.  cap.  isl.  |  ^ue  le  Circius  étoit  un  Vent  d'Occident. 

(iz)  Seneca  Quasft.  Nat.  lib.  V.  cap.  17.  On  i  (  ij)  Capital.  Kai.  Mag.  lib.  1.  Tit.  «4. 
pre'tcnd  que  c'eft  le  même  Vent  que  Strabon  ap-  j  pag.  '.  5>.  Voyex.  auffi  Du  Cange  aux  mots  C<i«- 
pelle  MeUmhrtu,  Stiabg  lY.  !»<>.  Il  paioît,  pai  [  oihtcrii,  IncMtttoui,  Tcm^cji4rif  ^  i>l>l>{*itrti. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XII.  nj 

animaux,  dévoient  auffi  le  faire  regarder  comme  une  grande  Divinité 
parmi  des  Peuples  qui  aflbcioient  à  tous  les  corps  célefles  &c  terreftres 
des  Intelligences  plus  ou  moins  parfaites,  à  proportion  de  la  fubti- 
lité  &  de  l'aûivité  de  la  matière  qu'elles  animoient.  On  ne  fera  pas 
furpris,  par  conféquent,  de  voir  queles  Scythes  &  les  Celtes  adoraffent 
le  Soleil.  Cette  Idolâtrie  étoit  très-ancienne  ;  elle  étoit  généralement 
répandue  dans  tout  le  monde. 

§.  II.  Il  ne  fera  pas  inutile  de  faire  ici  une  courte  digreflion  fur  le  nom  Réflexîomfur 
que  les  anciens  Habitans  de  l'Europe  donnoient  au  Soleil.  Les  Allemands  i;s  andcm"* 
l'appellent  Sonn,  ou  Sonne;  les  Latins,  5o/;  les  Mokovltes  Solnie ;  Se  i'£uroTdot*. 
les  Efclavons ,  établis  le  long  de  la  Mer  Adriatique,  S  unie ,  ou  Sunac^e.  "olsntauso. 
S'il  faut  en  croire  Jacques  Gronovius  ,  les  anciens  Habitans  de  l'Ef- 
pagne  l'appelloient  aufîi  Son  ,  ou  Ton.  Macrobe  dit  (i)  que  «  les  Acci- 
»  tains ,  qui  étoient  un  Peuple  de  l'Efpagne  ,  fervoient  ,  avec  beau-- 
»  coup  de  dévotion ,  un  fimulacre  de  Mars.  Il  avoit  la  tête  environnée 
»de  rayons  ,  &  les  gens  du  Pays  l'appellent  Neton y  ou,  comme  por- 
wtent  d'autres  exemplaires ,  A'iearo/z ».  Gronovius,  dans  fa  note  fur  ce  paf- 
fage ,  prétend  (  z  )  que  le  fimulacre  repréfentoit ,  non  le  Dieu  Mars  , 
mais  le  So/eil.  Effeftivement ,  les  rayons  qu'il  avoit  autour  de  la  tête, 
appuyent  ce  fentiment;  &  le  mot  de  Neu-fon,  ou  de  Neu-ton  ,  fignifie, 
en  Allemand ,  le  nouveau  Soleil ,  ou  le  Soleil  levant. 

Quoiqu'il  en  foit  de  cette  conjefture  ,  la  conformité  de  nom  que 
les  Latins  ,  les  Allemands  ,  &  les  Sarmates  donnent  au  Soleil ,  fait  ju- 
ger que  le  mot  de  Sol,  ou  de  Son,  efl  le  nom  que  cet  aftre  portoit  par- 
mi les  anciens  Habitans  de  l'Europe.  Le  Bas-breton ,  qui  paffe  pour  être 
l'ancienne  Langue  des  Celtes,  l'appelle  cependant  Heaul,  &,  félonie 
père  de  Roftrenen  (  3  )  ,  ce  même  nom  eft  aufïi  en  ufage  dans  le  Pays 
de  Gales.  Un  Etymologifte  ,  qui  feroit  auffi  prévenu  en  faveur  du  ~ 
Tudefque ,  que  le  Père  Pezron  étoit  entêté  de  fon  Bas-Breton ,  dériveroit, 
peut-être,  le  mot  Heaul,  de  l'Allemand  hell  ,  clair,  ferain  ,  ou  de 
heylen ,  guérir ,  keyl,  guérifon  ,  falut.  La  dernière  de  ces  étymologies  pour-j 


(:)  Mactob.  Satutn.  lib.  I,  cap.  19.  pàg.  ïoj, 
Ct-deiTus,  ch.  VII,  §.  I.  not.  z. 
(i)  Not.  ad  Maciobium.  p.  iiz. 
(j)  Soleil i£('«»<,  M  aîml  (Vannes  &  haute 


Cotnoiiaille)  Hyaul^G'iïei),  H»ut,  Houl  aU  Sul, 
qu'on  ptononçoit  Soûl.  Delà  Vi-Sul ,  jour  du 
Soleil  .Dimanche.  Roflrenen,  Diftionn.  Cclti^, 
f»S-  »7». 


y 


;,j6  H  I  S  T  O  I  R  E    D  E  S    C  E  L  T  E  S, 

roit  même  erre  confirmée  par  un  paffage  de  Jules- Céfar,  qui  dit  (4) 
que  les  Gaulois  fervoient  Apollon ,  auquel  ils  attribuoient  la  guérifon 
des  maladies.  Mais  il  paroît  bien  plus  vraifcmblable  que  le  mot  hiaul  a 
été  emprunté  des  Grecs,  qui  avoient  une  célèbre  Colonie  à  Marfciile. 
Les  Grecs  appellent  le  Soleil,  n-hiin fjldios ,  &c  ils  ont  pris  eux-mêmes 
ce  mot  des  Piiéniciens.  Le  nom  propre  du  Soleil ,  en  Phénicien ,  étoit 
Schanejch.  Mais  les  idolâtres  lui  donnoient,  après  cela,  un  grand  nombre 
de  titres ,  qui  marquoient  qu'on  le  regardoit  comme  une  des  plus  grandes 
Divinités.  On  l'appelloit ,  par  exemple  ,  (5)  Hd ,  le  Dieu  fort,  A/o- 
loch  ,  OU  Bal  (  6  )  ,  le  Roi ,  Bal-Schamaïm  ,  le  Roi  du  Ciel ,  Jbd ,  le 
Seigneur  &  père.  C'eft  delà  manifeftement  que  les  Grecs  ont  emprunté 
les  noips  ïiUcç,  ,  Héllos ,  à^iucç,  (7)  abdios  ,  aVexXov ,  Apollon,  qu'ils 
donnent  au  Soleil ,  auffibien  que  celui  de  Ba>,x»V  (8) ,  Ballen ,  qui ,  en 
Phrygie,  &  dans  la  Grande  Grèce,  fignifioit  un  Roi.  Par  la  fuite  du 
tems,,  ces  mots  paflerent  des  Grecs,  &  particulièrement  de  ceux  qui 
étoient  établis  à  Marfeille ,  aux  Gaulois  leurs  voifms ,  qui  defignerent 
àuffi  le  Soleil  fous  le  nom  de  heaul  (9),  à'abdllo ,  &  de  (10)  Bdenus. 
•u%  Anciens       S.  IH.  Pour  revenir,  au  fuiet ,  il  eft  confiant  que  tous  les  Peuples 

parlent  fort     t^    ,  ,     .  ,  ,.    .  .  ,  , 

au  long  du  celtes  rendoiettt  un  culte  religieux  au  Soleil.  Les  Anciens  qui  ont  parle 
Hypaboié-"  des  Hyperboréens ,  font  mention,  de  leur  Apollon,  &  ,  au  travers  des 
aù'so"ei°.'""  tables  puériles  qu'ils  racontent ,  on  entrevoit  que  ces  Peuples  avoient 
une  grande  vénération  pour  le  Soleil.  Voici  ,  par  exemple  ,  ce  que 
Diodore  de  Sicile  dit  des  Hyperboréens ,  qu'il  place ,  d'après  Hécatée , 
dans  une  Ifle  de  l'Océan  ,  à  l'oppofite  de  la  Celtique(i  i)  :  «  Les  arbres  de 
»  rifle  portent  du  fruit  deux  fois  par  an.  La  fable  raconte'que  Latone 
»  eft  née  dans  ce  Pays.  Delà  vient  que  les  Habitans  fervent  principa- 
«lement  Apollon.  Ils  font  comme  autant  de  Sacrificateurs  de  ce  Dieu, 
«dont  ils  chantent  journellement  les  louanges.  Il  y  a  dans  l'Ifle  une 
w belle  forêt,  confacrée  à  Apollon,  un  Temple  de  figure  fphérique  , 
k»  rempli  de  dons ,  &  une  Ville  dédiée  au  même  Dieu.  La  plupart  de 


(4)Ca:far  VI.  '7. 
(si  Servius  ad  Sneid.  I.  v.  fi+s. 
(•«]  Servius  ad  iEneid.  I.  v. 7 3 3.  Bach.  p.  717. 
^7)  Hefychius 

(!)  Hefychius,  Schol.  .«fchyli  ad  Perf.  p.  i  ?«. 
^.  Voff.p.  500.  Sext.  Enipi.  MÛT.  ap,  MaulTac. 


Diflert.  Crit.  ad  Harpocration.  p.  3  s  «• 

{9]  Ap.  Gruterum  pag.  37    n.  4.  j.  «.  Scalig, 
Aafonian.  LeA.  lib.  I.  cap.' $.  pag.  50,  Boch. 

pag-  7  3  7- 

(lo)Ci-defifous,  $.  4.  not.  17. 

(11)  Oiod.  Sic.iib,  U.  f.  sst 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XII.  ny 

•»  fes  Habitans  font  muficiens.  Ils  jouent  de  la  guittare  dans  le  Temple 
»  d'Apollon  ,  &   chantent  des  hymnes  à  fa  louange  ». 

Ce  <}u'Hécatée  diioit  (ii)  de  la  fituation  de  cette  Me,  convient  à  la 
Grande-Bretagne.  Mais  il  y  a  tout  lieu  de  juger  qu'il  n'en  connoiiToit 
pas  mieux  les  Dieux  &  les  Habitans,  que  les  arbres  &c  le  climat;  &, 
par  cette  railon  ,  on  ne  doit  pas  regretter  la  perte  d'un  Traité  particulier 
qu'il  avoit  compofé  (13)  fur  l'Apollon  des  Hyperboréens.  Ce  n'étoit, 
félon  les  apparences ,  qu'un  tifTu  de  fables.  On  trouve  dans  les  Argonau- 
tiques  d'Apollonius  un  autre  conte  encore  plus  ridicule.  Il  porte  (14) 
que,  lorfque  Jupiter  eût  foudroyé  Efculape  ,  Apollon  ,  extrêmement 
affligé  de  fa  mort,  fe  retira  dans  le  Pays  des  Hyperboréens,  &  que 
l'ambre  qu'on  y  trouvoit,  s'étoit  formé  des  larmes  que  la  perte  de  fon 
Elève ,  avoit  fait  verfer  à  ce  Dieu.  Ces  Hyperboréens  font  les  Celtes 
qui  demeuroient  le  long  du  Pô.  C'ctoit  là  que  les  Pannoniens  venoient 
vendre  l'ambre  (  15  ),  qu'ils  achetoient  eux-mêmes  des  Eftions  i  les 
Grecs  ont  cru  qu'il  croiffoit  dans  le  Pays  même  d'où  ils  le  tirpient. 

La  plupart  des  Anciens  ont ,  cependant  ,  placé  les  Hyperboréens 
(16)  autour  du  Danube  ,  &  ils  aflurent  affez  généralement  (17), 
4<  qu'Apollon  alloit  vifiter  tous  les  ans  ces  peuples,  pour  ailifter  à  une 
»  Fête  folemnelle  qu'ils  célébroient  à  fon  honneur,  &c  dans  laquelle  (18) 
wils  lui  immolplent  des  Anes.  Ce  Dieu  fe  (19)  divertiffoit  beaucoup 
»  à  entendre  braire  ces  animaux  ,  &  il  prenoit  ,  en  même  tems  ,  un 
»  plaifir  fingulier  aux  acclamations  ,  aux  feftins ,  &c  aux  autres  démon- 
»  ftrations  de  joie,  que  les  Hyperboréens  donnoient  pendant  une  Fête, 
»  dont  il  étoit  l'unique  objet.  Aufli  long-tems  que  cette  folemnité  du- 
»  roit  (zo)  ,  l'Oracle  de  Delphes  étoit  muet  ,  à  caufe  de  l'abfence 
»  du  Dieu  ». 

Cela  fignifie,  comme  on  l'entrevoit  dans  les  pafTages  cités  en  note, 
qiie  lesGermams,  qui  font  les  Hyperboréens  dont  il  s'agit  ici,  avoient  cécns  loiit  ie» 
une  Fête  folemnelle  ,  dans   laquelle  ils  fe  réjouiflbient  du  retour  du  les  Scythes  , 

^____ "  qui  fccvoieut 


(lî)  Diod.  sic   II.  p.  91. 

{\%)  iElian.  Hift.  anim.  XI.  cap,  I.  pag,  6%i, 
cap.  10.  .p.  »4^. 

(14,  ApoUon.  Argon,  lib.  IV.  p.  440.  &  f., 

(15)  Flin.  XXXVII.  3.  p.  ?«?.  SoUn.  cap.  33. 
pag.  14I. 

(i«j  rindar.  Olymp.  |,  Vejtt.  ci-d.  Va>  I» 


ek.  I.p.  2.  &  f,, 

(17)  Findar.  Olymp.  4,  Scholiaft.  rind.  a(!li.° 
loc.  ApoUon.  Argon,  lib,  II.  pag.  m.  Schol. 
Apoll.  ad  h.  loc. 

^18;  Clem.  Alex.  Coh,  adg«nt.Tom,  I.  p.  2{. 

(19)  ïindar.  P^tU.  Od.  10, 

(2bj  claudian  de  YI.  Conful.  Honom  v,  si. 


le  Soleil. 


te  culte  du 
Soleil  étoic 
au  (fi  reçu 
chez  les  Gau- 
loii. 


ii8  HISTOIRE    DES    CELTES, 

«(Teaivemcnt  Soleil ,  lul  offrant ,  entr'autres  viûimes ,  un  grand  nombre  de  chevaux. 
EfFeôivement ,  (ii)  les  Peuples  Germains  ,  auffibien  que  ceux  de  la  (22) 
Grande-Bretagne ,  fervoient  le  Soleil  ,  &  l'on  montrera ,  dans  le  Livre 
fuivant,  que  la  Fête  du  retour  du  Soleil  étoit  l'une  des  plus  grandes, 
&  des  plus  folemnelles  qu'ils  célébraffent.  Ils  avolent  cela  de  commun 
avec  tous  les  autres  Peuples  que  l'on  a  défignés  fous  le  nom  de  Scythes. 
La  grande  vénération  qu'ils  avoient  pour  cet  Aftre ,  a  fait  croire  à  quel' 
ques  Anciens  (  2.3  ) ,  qu'ils  ne  reconnoifToient  point  d'autre  Dieu  que 
le  Soleil. 

S,  IV.  Orofe  prétend  que  le  célèbre  Temple  de  Touloufe,  dont  il  a 
été  parlé  plus  haut  (24),  &  où  les  Romains  trouvèrent  de  fi  grandes 
richeffes ,  étoit  confacré  (*)  au  Soleil.  Le  fait  n'eft:  pas  certain.  Il  y  a  même 
toute  apparence  que  la  feule  chofe  qui  a  donné  lieu  à  cette  conjefture, 
c'eft  la  fable  réfutée  dans  le  même  endroit  (25).  Comme  on  croyoit 
que  l'or  &  l'argent  que  le  Proconful  Cépion  tira  d'un  Etang  facré  de 
Touloufe ,  faifoient  partie  du  tréfor  que  les  Teftofages  avoient  emporté 
de  Delphes ,  on  jugea  auffi  que  ces  facriléges  avoient  reftitué  à  un  Tem- 
ple du  Soleil  ce  qu'ils  avoient  pillé  dans  l'autre.  Il  n'eft  pas  plus  vraî- 
îemblable  (26)  que  le  célèbre  Temple  d'Apollon  ,  que  l'on  voyoit  à 
Autun ,  eut  été  fondé  par  les  Gaulois.  Au  moins  ne  l'avoit-il  pas  été 
dans  le  tems  que  ces  Peuples  regardoient  encore  comrae  une  abomina- 
tion de  fervir  la  Divinité  dans  des  Temples.  Au  refte ,  il  eft  confiant 
que  le  Soleil  étoit  fervi  fous  le  nom  de  Belis ,  ou  de  Beknus ,  non-feule- 
ment par  les  Noriciens  (27) ,  établis  autour  d'Aquilée ,  mais  encore  par 
les  Gaulois  qui  demeuroient  dans  le  Diocèfe  de  (28)  Bayéux,  &  par 
ceux  de  (29)  l'Armorique,  qui  efl  la  Bretagne  d'aujourd'hui.  On  a  déjà 
dit  d'où  le  nom  de  Beknus  tire  fon  origine  :  ainfi  il  ne  fera  pas  néceffaire 
<de  s'y  arrêter.   Les  Noriciens  pouvoient  l'avoir  pris  des  Grecs  ,  qui 


(îi)  Ci-d.  chap.  I.  §.  3.  not.  6.  ch.  IV.  §.  %. 

bel.  9. 

(zi)  Ci-d.  ch.  IV.  f  i.not.  ». 

(x3)Herodot.  I.  zi6. 
•     (»4)  Ci-d.  ch.  IX.  §.  s.  not.  41. 

{*)Orof.  libiv.  cap.  15.  p.  278. 

{•>^i)  Ci-d.  eh.  IX.  §.  5-  not-  4i' 

\^Âl  Eaniien.  ïane^t.  Conftantini  Câp.  »i. 


pag.  ït«. 

(  17  )  Tettullian.  Apologet.  cap.  «4.  &  ad 
Cent.  cap.  8.  Hciodian.  lib.  VIII.  p.  «os.  Ca- 
pitolin.  in  Maximin.p.  47.  Infciipt.ap.  Qmtes 
tim  p.  3<. 

(18)  Aufonii  Piofefl*.  4, 

(19)  Ibid.  not.  10^ 


III 


fur  le  culte 
que  les    Tcu- 
es    Celtes 
oient  a» 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XII. 
avoient  plufieurs  établiffemens  dans  les  îles  de  la  mer  Adriatique  ,  & 
les  Gaulois  l'avoient  tiré  de  la  célèbre  Colonie  de  Marfeille. 

§.  V.  Voici  quelques  particularités  qui   regardent  le  culte  que  les  pjuicu'aritéf 
Peuples  Scythes  &  Celtes  rendoient  au  Soleil. 

i.*'  Hérodote  dit  (30)  que  les  Scythes  l'appelloient  Ohafyrus.  Le  f^\l^^ 
Diftionnaire  d'Hefychius  porte  (3  i  )  Goaofyrus.  Ce  dernier  nom  pour-  ^oieii 
roit    bien  être   le    véritable  :  le  mot  de  Goëtofyrus  (goei-Jyr) ,  qui 
fignifie  le  bon  Aftre ,  étoit  probablement ,  parmi  les  Scythes ,  non  pas 
le  nom  propre ,  mais  un  épithete  du  Soleil. 

1.°  Les  mêmes  Scythes  ,  dans  les  Fêtes  qu'ils  confacroient au  Soleil, 
lui  immoloient  des  chevaux.  Ils  donnoient  pour  ralfon  de  cet  ufage ,  qui 
étoit  commun  à  tous  les  Peuples  de  l'Europe  (31),  qu'il  étoit  naturel 
d'ofFrir  le  plus  léger  des  animaux  à  quatre  pieds,au  Dieu  dont  le  mouve- 
ment eft  le  plus  rapide.  Comme  ces  chevaux  étoiçnt  extrêmement  petits, 
(33)  fort  laids,  &  d'un  poil  roux  ,  plufieurs  Anciens, fur-tout  les  Poètes, 
ont  dit ,  foit  par  raillerie ,  foit  qu'ils  le  cruffent  ainfi ,  que  (3  4)  les  Scythes 
immoloient  des  ânes  à  Apollon.  Mais  les  Naturaliftes  &i  les  Hiftoriens  » 
qui  avoient  examiné  la  chofe  de  plus  près,  ont  remarqué  (35)  qu'on 
ne  voyoit  point  autrefois  de  ces  animaux ,  ni  dans  le  Pont ,  ni  en  Scythie, 
ni  dans  les  Gaules.  Ils  ne  pouvoient  réfifter  au  froid  exceflif  du  Pays, 

3.^  Les  Sanduaires  confacrés  au  Soleil,  étoient  ordinairement  des  Fo^ 
rets ,  &  l'on  choififfoit  préférablement  aux  autres ,  celles  dont  les  arbres 
ne  perdoient  point  leurs  feuilles  pendant  l'hyver.  C'eft  l'origine  du  nom 
que  les  Moéfiens  donnoient  à  une  de  leurs  Forêts  facrées ,  qui  étoit  dans 
le  voifmage  de  Clazomene,  Ils  l'appelloient  (36)  Jpollo  Grynttus ,  c'eft- 
à-dire  ,  le  Soleil  verd.  Peut  -  être  qu'il  faut  dire  la  même  chofe  de 
l'Apollon  Grannus,  dont  il  eft  fait  mention  dans  plufieurs  (37)  Infcrip- 
tions,  que  l'on  a  trouvées  en  Allemagne,  &  en  Ecoffe,  En  attendant 
qu'on  puiffe  nous  apprendre  quelque  chofe  de  plus  fatisfaifant,  ilfem- 
ble  que  cet  Apollon  Grannus  eft  l'Apollon  des  Celtes ,  le  Soleil  qui  étoit 


{le)  Herodpt.  IV.  5s.  ci-deff.  ch.  JII.  §.  3. 
not.  s- 

(3  j)  Hcfychius. 

(32  '  Heiodot   I,  zi<. 

(33)  Ci-d.  Liv.  U.  ch  XIII.  p.  ^i^. 

(34J  Ci-d  §.  3.  not.  17.  18.  ij), 

(^j)  Atiftot.  de  Animal,  lib,  vu.  c»p.  ïj. 


p.  s «3.  cap  18.  p.  s «4.  Herodot.  IV.  2».  129, 
Bochart.  Geogr.  Sicr  lib.  III.  cap.  1 1.  p.  200, 

(3«}  Ci  d   ch.  V.  $,  3.  not.  i«. 

(37)Grutet  Infciipt  p.  37- 3<.  Jof.  Scaiig, 
Epirt.  lib.  I.  ep.  66.  j,  ij«,  p.^chii}s,  not.  »d 
Tacit.  p.  «, 


1 


lio  H  I  S  T  O  I  R  E    D  E  S    CELTES, 

fervi  dans  des  bocages  (38)  toujours  verds ,  &  non  dans  des  TempleJ. 

4  "  Maxime  de  Tyr  a  remarqué  que  les  Pœoniens ,  Peuple  Celte^ 
voifm  de  la  Macédoine ,  avolent  un  fmiulacre  du  Soleil  ('?9).  «  C'étoit , 
»>  dit  il  ,  un  petit  difque  attaché  à  une  longue  perche  »,  Ancienne- 
ment (40)  l'image  d'Apollon  n'étoit  auffi  à  Delphes  qu'une  fimple  co- 
lomne.  On  voit  bien  la  raifon  de  cette  conformité.  L'Oracle  de  Del- 
phes avoit  été  fondé  par  des  (41)  Hyperboréens  ,  qui  ne  vouloient 
pas  qu'on  repréfentât  la  Divinité  fous  la  forme  de  l'homme. 

5.**  Il  y  avoit,  ordinairement  un  Oracle  dans  tous  les  Sanâuaire» 
que  les  Peuples  celtes  confacroient  au  Soleil.  Sans  parler  de  celui  de 
Delphes ,  on  confultoit  encore  Apollon ,  &  on  recevoit  fes  réponfes  dans 
la  Forêt  (42)  d'Apollon  Grynœus  ^  &  à  (43)  Aquilée,  dans  le  Temple  de 
Bdcnus.  Il  y  avoit  auffi  un  Oracle  d'Apollon  chez  les  (44)  Agathy rfes , 
Peuple  Scythe,  établi  au  Midi  du  (45)  Danube.  EfFeûivement ,  tous 
les  Druides  fe  mêloient  de  prédire  l'avenir ,  &,  félon  leur  mythologie  , 
le  don  de  prophétie  devoit  appartenir ,  d'une  façon  particulière ,  aux 
Minières  d'un  Dieu  qui  éclaire ,  qui  pénétre ,  &  qui  anime  toute  la  nature. 
Culte  que  les      fi.  VI.  Difons  cncorc  un  mot  du  culte  que  les  Perfes  rendoient  au 

Ferles  rcu-  K  ..  \' rr       ^    • 

aoienc  au  £0- Soleil ,  &  profitons  de  cette  occafion  ,  pour  éclaircir  une  difficulté 
que  l'on  rencontre  dans  ce  que  les  Anciens  en  ont  rapporté.  Juftin  dit 
(46)  que  les  Perfes  ne  reconnoiflbient  point  d'autre  Dieu  que  le  So- 
leil. C'efl:  une  erreur.  Nous  avons  vu  qu'ils  (47)  plaçoient  dans  les  Elé- 
mens  un  grand  nombre  de  Divinités  fubalternes  ;  mais  ils  reconnoiflbient 
auffi  (48}  un  Dieu  fuprême ,  qu'ils  regardoient  comme  le  Père  du  Soleil  & 
de  tous  les  Elémens.  Ils  prétendoient  encore  (49)  que  les  Intelligences  les 
plus  pures  &  les  plus  parfaites  étoient  celles  qui  réfidoient  dans  l'Elément 
du  Feu  ;  & ,  comme  le  feu  du  Soleil  eft  le  plus  ardent  &  le  plus  falutaire  , 
ils  plaçoient  dans  c«t  Aftre ,  la  première  &  la  plus  parfaite  de  toutes  les 
émanations  divines,  à  laquelle  ils  donnoient  le  nom  de  Mithras. 


(3«)  Grii»««,  Prairie,  Bocage   verd  ,  Qrun- 
hus ,  Maifon  verte. 

(39)  Ci-d,  ch.  IV.  §.  s.  not.  23. 

(40)  Clem.  Alex.  Strom.  I.  p.  415. 

(41)  Paufan.  Phoc.  V.  p.  805. 

(42)  Virgil.  .Œneid.  IV.  v.  34J. 

(43)  Ci-d.  §.IV.  not.  27. 
i^44)  Seivias  ad  iEneid.  IV.  14S. 


(4s)  Ci  d.  Liv.  II.  ch.  VI.  p.  145.  note  s. 
(46]  Juftin.  I.  10. 

(47)  Ci-d.  ch.  IV,  §.  I.  not.  4.  J. 

(48)  Beaufobre  Hift.  du  Manich.  Liv.  IX. 
ch.  I.  §.  12.  p.  600.  &  fniv.  8c  ci-deflus,ch.  VI. 
$.15.  not.  134. 

(49)  Ci-d.  eh.  X.  J.  3.  not,  i«.  * 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XIL  m 

De  cette  manière  ,  on  concilie  facilement  les  Anciens  qui  paroiffent 
peu  d'accord ,  qui  même  femble  fe  contredire  dans  ce  qu'ils  difent  du  Mi- 
thras  des  Perfes.  On  convient  (50)  que  Mithras  étoit  le  Soleil,  & 
qu'Hérodote  s'eft  trompé  (  5 1  ) ,  en  le  confondant  avec  la  Vénus-Uranu 
des  Aflyriens,  Mais  ce  Mithras  étoit,  félon  quelques-uns  (51)  ,  le  Dieu 
fuprême.  Cela  eft  vrai,  pourvu  qu'on  l'entende  avec  la  reflriftion  que 
Firmicus-Maternus  fournit  (53).  C'étoit  la  première  des  Intelligences 
que  l'on  fervoit  dans  les  Elémens ,  &  particulièrement  dans  le  Feu.  Se- 
lon d'autres,  c'étoit  un  Dieu  (54)  mitoyen,  un  médiateur,  comme  la 
force  même  du  (55)  terme  le  marque.  EfFedivement  M'uhras  étant  la  plus 
parfaite  des  émanations  dirines ,  tenoit  aufll  le  milieu ,  entre  le  Dieu 
fuprême  &   les  Divinités  du  bas  ordre. 

Il  y  avoit ,  au  refte ,  une  parfaite  conformité  entre  les  Celtes  &  les    conformité 
Perles ,  par  rapport  au  culte  que  les  uns  &  les  autres  rendoient  au  Soleil,  le"  celles  b^" 
i.**  Les  Perfes  vénéroient  cet  Aftre  (56)  comme  une  grande  Divi-  '/^ nioVe"  a» 
nité ,  &  ne  vouloient  pas  qu'on  lui  érigeât  des  Temples ,  «  parce  que  ,  ^°'"^' 
«  difoient-ils  (57)  ,  le  monde  entier  eft  à  peine  un  Temple  affez  grand 
»  pour  le  Soleil  ».  Ils  appelloient  le  Temple  d'un  Dieu ,  l'Elément  ou 
la  portion  de  matière  à  laquelle  il  étoit  uni ,  le  lieu  où  il  réfidoit ,  oh. 
il  déployoit  fon  efficace ,  &  où  il  rendoit  des  oracles.   Delà  ils  con- 
cluoient  que  le  Soleil,  rempliffant  tout  l'Univers  de  fa  lumière,  &  de 
fa   chaleur  ,   il    n'y    avoit   ni  maifon ,    ni   Temple    qui   fut  digne  de 
lui,  que  le  monde,  &  que  c'étoit  une  extravagance,  foit  de  lui  confa- 
crer  des  édifices,  qui  ne  pouvoient  ni  le  recevoir,  ni  le  contenir,  (*) 
foit  de  le  fervir ,  ou  de  le  confulter  dans  des  lieux  dont  il  étoit  abfent. 

a.'  Les  Perfes ,  auffibien  que  les  Scythes  ,  immoloient  des  chevaux 
au  Soleil  (58)  ,  &  les  regardoient  comme  la  viâime  la  plus  agréable 
que  l'on  pût  préfenter  à  ce  Dieu. 

3.^  Enfin  leur  grande  Fête  étoit  celle  qu'ils  célébroient  à  l'honneur 
du  Soleil,  Le  Roi  même  y  dépouilloit  toute  fa  gravité.  Il  lui  étoit  per- 


(50)  Strabo  XV.  pag.  732.  Hefychius  &  ci-d. 
«h.  ni.  §.  3.  noc.  S,  ch.  IV.  §.  i.  not.  5. 

(s  i)  Ci  d  ch.  III.  §.  î.  not.  II. 

(51)  Hefychius. 

.     (53)  F'fmic.  Matern.p.  41  3. 

(<+)  f'ojiti,  les  paflages  de  Plutat<|ue  cLdelT. 
ch.  III.  %.  3.  noc.  17. 


(js)  Plut.  Ibid.  As,  Dieu,  Seigneur,  Mitt , 
Miiten  ,  Mitiel  ,  milieu. 

(s«)Ci-d.  ch.  IV.  §.  i.not.  4.  &  5. 
(57)  Ci-d.  ch.  IV.  $.  s>.  not.  39-  +°- 

not.  S, 


(s S)  OTid.  f  a&.  X.  V.  3S;.Ju(Un.  I.  10. 
Tome  II,  Q 


% 


ni  HISTOIRE    DES    CELTES, 

niis  :(59)  de  s'enyvrer  pour  la  mieux  folemniftr  ,  &  ce  n'ctoit  que  dans 
ccjfe^^l  joijr  dç  l'année  qu'on  le  voyoit  danfer  publiquement. 

-  yj  ♦■•-'   -  -     •' , ■- , 


CHAPITRE     XIII. 


Du  culte  que  S,  I.  1_,ES  Idolâtres,  qui  ont  adoré  le  Soleil,  n'ont  guères  féparé  fon 

les  Peuples  i     •   i     i     t  ti        »         •  i  i         *  «  i  j       i         il- 


Ce!t:s  rcii 

doicnt 

Lune. 


à  la 


culte  de  celui  de  la  Lune.  Ils  plaçoient  dans  les  Aftres  deux  grandes  Intelli- 
gences, dont  l'une  avoit l'empire  du  jour,  &  l'autre  celui  de  la  nuit.  Les 
Celtes ,  en  particulier ,  attribuoient  une  grande  vertu  aux  influences  de 
la  Lune,  Ils  çpipptoient  leurs  mois ,  leurs  années,  leurs  fiécles  par  le 
cours  de  cet  Aftre.  Sa  lumière,  ne  potivoit  être  que  très-agréable  à  des 
Peuples  qui  tqnoient  lelirs  aflemblées  religieufes  de  nuit.  Par  toutes 
ces  raifons,  ils'lui  offroient  un  culte  particulier,  comme  à  une  grande 
Divinité.  Les  Germains,  félon  Jules-Céfar  (i),  fervoient  le  Soleil,  la 
Lune,  ScVulcain.  Les  anciens  Habitans  de  l'Angleterre  offroient  un 
facrifice  religieux  à  la  Lune,  au  Feu,  aux  Eaux  courantes,  comme  on  le 
voit  dans  (i)  une  Loi  du  Roi  Canut,  citée  ailleurs.  Les  Perfes  adoroient 
auffi(3)  la  Lune.  Les  Phrygiens  (4)  lui  rendoient  les  mêmes  honneurs, 
&  les  plus  magnifiques  Temples  que  l'on  voyoit ,  non  -  feulement  dans 
leur  Pays  ,  mais  aufTi  dans  les  Provinces  voifines  (  5  )  du  Pont  &  de 
(6)  l'Albanie,  étoient  tous  confacrés  à  cette  Divinité.  Voffius  prétend 
que  (7)  la  Fénus-Uranie  des  Scythes,  qu'ils  appelloient  dans  leur  Langue 
Anlmpafa ,  étoit  la  Lune.  Cette  conje£lure  n'efl  pas  deftituçe  de  fonde- 
ment ,  d'autant  plus  qu'Hérodote  place  cette  Vénus-Uranie  des  Scythes 
d'abord  après  leur  Apollon.  Cependant  Hefychius  afiure  que  les  Scythes 
appelloient  la  Lune  (8)  MefpU.  Mais  les  Scythes  ,  dont  parle  Hefychius , 
étoient  peut  être  un  Peuple  différent  de  ceux  qu'Hérodote  avoit  connus. 
Nature  du  §.  H.  Les  Anciens  n'entrent  dans  aucun  détail  fur  la  nature  même  du 
;ticM^Kn-   culte  que    les  Celtes  rendoient  à  la  Lune.   Il  n'eft  donc  pas  poffible 


(59)  Athen.  lib.  X.  cap.  lo. 

(i)  Caifat  VI.  21.  ci-d  ch.  I.  §.  j.  not.  S. 

(2;  Ci-deiTas  ,  ch.  iv.  §.  2.  not.  % 

(3)  Vtytz.  les  paflages  d'Hérodote  &  de  Stra- 
bon  ei-d.  chap.  IV.  $.  i.  not.  4.  &  $.  Suidas  in 
f^vir.  Tom.  I.j.  675, 


(4)  Lucian.  in  Jove  Ttagzdo. 
(s)  Strabo  XII.  557.  s  S 8. 
(<)Sttabo  XI.  503.  XII.   S57-  5  5«- 
(7,  Cid.  chap.  III.  §.  3.  «01-  8-  ch.  IV.  §. 
not.  7,, 
(8)  Hcfychiiw. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XIII.  115 

d'en  rien  dire.  On  trouve  feulement ,  que  (9)  les  Albaniens ,  Peuple  Scythe  Joiçm  i  u 
de  l'Afie  ,  offroient  à  la  Lune  des  viftimes  humaines  ,  &  que  le  grand 
but  de  cefacrifîce  étoitde  pénétrer  les  fecretsde  l'avenir.  Effeûivement, 
les  divinations  faifoient  prefque  l'effence  de  la  religion  des  Celtes.  Le 
Lefteur  doit  s'en  être  déjà  apperçu  ,  &  il  en  trouvera  de  nouvelles  preu- 
ves dans  ce  qui  fera  dit  de  leurs  facrifices ,  &  d'une  infinité  de  fupçr- 
flitions,  qui  tendoient  toutes  à  découvrir,  par  des  moyens  extraor- 
dinaires ,  des  événemens  que  la  prudence  humaine  ne  pouvoit  ni  pré- 
voir, ni  prédire. 
<S.  III.  On  a  réfuté ,  dans  l'un  des  Chapitres  précédens  (10),  l'opinion  L'Hicau  Ad 

y       V    1      TA-  J         c         ù  o       Samothraces 

de  quelques  Anciens,  qui  ont  cm  que  (11)  la  Diane  des  Scythes  oC  n'étoit  pas  1» 
des  Thraces ,  qu'ils  appelloient ,  dans  leur  Langue ,  Opis ,  ou  Bendis ,  étoît  TcrtV." 
la  Lune.  On  croit  avoir  prouvé  clairement ,  que  c'étoit  la  Terre  ,  que 
ces  Peuples  fervoient  fous  le  nom  ôHOpis  &  de  Bendis.  Il  fufîira  d'ajou- 
ter ici  que  cette  méprife  a  fait  croire  aux  mêmes  Anciens  ,  que  la  Lune 
étoit  l'objet  de  certaines  Fêtes,  qui  étoient  certainement  confacrées  à  la 
Terre.  Ainfi,  quand  Suidas  dit  (12)  que  l'on  célébroit  dans  l'Ifle  de  Sa- 
mothrace  les  myftères  à' Hécate  ,  il  faut  fe  fouvcnir  que  cette  Hécate  des 
Samothraces  n'efl  pas  la  Lune ,  mais  la  Terre ,  parce  qu'il  eft  confiant 
(13)  que  les  grands  Dieux  de  l'Ifle  étoient  le  Ciel  &c  la  Terre,  Cotis  &c 
Bendis. 

§.  IV.  Ce  font  là,  vraifemblablement ,  les  différentes  Divinités  qui    Récapitula- 
étoient  l'objet  du  culte  religieux  des  Peuples  Celtes.  Ils  adoroient  pré-  """é  dit"  an» 
mièrement  un  Être   fuprême,    qu'ils  regardoient    comme  le  Père   des  iVéc^deX"* 
Dieux  Se  des  hommes.   En  fécond  lieu,  la  Terre,  qu'ils  appelloient  fa 
femme  ,  parce  qu'elle  étoit  le  fujet,  dont  ils'étoit  fèrvi  pour  la  produc- 
tion de  toutes  chofes.  C'étoit,  félon  les  apparences ,  la  matière.  Enfin  ils 
adoroient  une  infinité  de  Divinités. fubalternes,  iffues  dé  ces  deuxPrinw 
cipes  ,  &  attachées  chacune  à  quelque  Elément,  mais  dont  les  princi- 
pales réfidoient  dans  l'Eau  &  dans  le  Feu;  Il  faut  avouer  que  leur  fyf- 
tême  avoit  une  grande  affinité  avec  celui  dé  Spinofà  ,  ou  plutôt  arec  cè^ 
lui  des  Chinois.  Non-feulement>  ils  pla^ie*t^UBê-Int^igehte"danisi:ltlai 


(9,  Strabo  XI.  503. 

(10)  Ci-d.cli.  Y III.  §.  S.  not.  3  1.  J.  S.not.yi. 

(lij  Tzetz.   ad  Lycoph.  pag.  27.  Helychius. 

Yoffius  de  Orig.  8c  Progi.  Idol.  lib.  U.  cap,  j;. 


pag.  3  13. -  -      _-  . 

(12)  Sui4.  in  lïM'ï»  Tif  Tom   I.  p<  tof.,    \ 
'  (13)  Ci-dciTiû,  ch.  VI.  §.-  «.  not.^».  &'l<it 
not.  isi.  Il  j. 


114  HISTOIRE    DES    CELTES, 

que  portion  de  la  matière,  mais  ils  femblent  avoir  cru  (14)  <îwe  les 
Divinités  fubalternes  avoient  été  tirées  de  l'Elément  même  qu'elles 
dirigeoient,  ce  qui  infinue  qu'ils  regardoient  la  penfée  comme  un  at- 
tribut de  la  matière.  Mais  leur  fyftême  approchoit  encore  plus  de  ce- 
lui de  la  cabale,  ou  des  émanations,  parce  qu'ils  diftinguoient  formelle- 
ment le  Dieu  fuprôme  des  Dieux  inférieurs  (15)  qvii ,  étant  iffus  de 
fon  fang  ,  lui  étoient  tous  fournis. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  pourvu  que  l'on  fe  fouvienne  de  ce  qui  a  été 
rapporté  jufqu'ici  de  la  Théologie  des  Celtes,  il  fera  facile  d'éclaircir 
&  de  concilier  tout  ce  que  les  Anciens  en  ont  dit.  On  affure  ,  par 
exemple ,  que  les  Germains  &C  les  Perfes  adoroient  des  Dieux  invifi- 
bles ,  qui  n'étoient  point  iffus  des  hommes ,  comme  ceux  des  Grecs , 
&  dont  on  aviliffoit  la  majeflé,  en  les  repréfentant  fous  la  forme  hu- 
maine. C'étoit,  efFeftivement,  leur  Doûrine.  Mais  on  a  dit  aufH  que  ces 
mêmes  Peuples  déifioient  les  Elémens  ,  &  qu'ils  ne  reconnoifToient 
point  d'autres  Dieux  que  ceux  qu'ils  voyoient.  Quoiqu'ils  fe  récriaffent 
contre  cette  imputation ,  elle  ne  laifToit  pas  d'avoir  quelque  fondement. 
Ils  atttachoient  des  Divinités  à  tous  les  Elémens,  &  n'en  reconnoifToient 
aucune  qui  ne  fût  revêtue  d'un  corps  vifible ,  ou  élémentaire  ;  ils 
adoroient,  finon  l'Elément  &c  le  corps  qui  tomboient  fous  les  yeux, 
au  moins  l'Efprit  qui  y  réfidoit,  &  qui  en  étoit  inféparable.  Un  Lefteur 
attentif  fera  encore  en  état  de  juger,  par  ce  qui  a  été  dit  jufqu'à  préfent, 
en  quoi  les  Grecs  &  les  Romains  avoient  retenu  la  Mythologie  des 
anciens  Peuples  de  l'Europe ,  &  à  quels  égards  ils  s'en  étoient  écartés. 
Les  Latins  rapportoient  l'origine  de  toutes  choies  à  Saturne ,  &  à  Ops  fa 
femme.  Les  Grecs  au  Ciel  &  à  la  Terre  ;  c'étoit  l'ancienne  Dodrine. 
Les  uns  &  les  autres  ont  retenu  le  culte  des  Elémens  ;  mais  ils  en  attri- 
buoient  la  direâion  à  des  Héros,  Neptune ,  par  exemple ,  avoit  l'em- 
pire de  la  Mer;  Vulcain,  celui  du  Feu.  En  cela,  ils  s'écartoient  de  la 
Doârine  des  Celtes  ,  qui  croyoient  que  les  Intelligences  auxquelles  ils 
rendoient  un  culte  religieux  ,  n'avoient  jamais  eu  d'autre  corps  que 
l'Elément  où  elles  réfidolent.  Il  faut  voir  préfentement ,  fi  les  Peuples 
Celtes  &  Scythes  rendoient  un  culte  religieux  aux  Ames  de  leurs  Héros, 


(x4)Ci-d.  ch.VI.  §.i<not.i5«.iJj,«cçi.(lçfl;cJi.aVH.§.aH 

j(<  j)  ci-d.  «h- YI.  $,  i#.  aot,  x«o, 


LIVRE    I!I.    CHAPITRE    XIV.  iz^ 

&  s'il  eft  vrai  qu'ils  vénéraffent  même  un  Hercule  ,  un  Bacchus ,  & 
d'autres  Héros  étrangers,  qui  avoient  été  mis ,  après  leur  mort ,  au  nom- 
bre des  Dieux. 


au]£ 
des  Hé- 


CHAPITRE     XIV. 

§.  1.  Le  jugement  que  les  Peuples  Celtes  portoient  de  la  Théologîç  onaprécn- 
des  Grecs ,  fuffiroit  prefque  ,  fans  autre  preuve  ,  pour  montrer  que  p''upi«cch=s 
l'apothéofe  des  morts  étoit  un  Dogme  inconnu  à  ces  Peuples.   Ils  fe  c'a^l^'^di-"" 
moquoient  des  Religions ,  où  l'on  repréfentoit  la  Divinité  fous  la  forme  ^j^';'^-^ 
de  l'homme  ,  oîi  l'on  adoroit  des  Dieux  mâles  ôc  femelles ,  des  Dieux  ^°^- 
iflus  des  hommes ,  dont  on  célébrolt  la  naiffance  ,  dont  on  montroit  le 
tombeau.   Peut -on   fe  perfuader  ,  après  cela,    qu'ils    donnaient  eux- 
mêmes   dans   toutes  ces  extravagances  ,    qui  étoient  auffi  oppofées  à 
leur  Doftrine  ,  qu'elles  le  font  au  fens  commun  ?  Cela  n'a  pas  empêchç 
qu'on  ait  attribué,  prefque  généralement,  aux  Peuples  Celtes  d'adorer, 
non  leurs  propres  Héros,  il  y  auroit  là  quelque  ombre  de  vraifem- 
blance ,   mais  des  Héros  étrangers,  tels  qu'étoient  Hercule,  Bacchus, 
Caftor,  PoUux  &  plufieurs  autres.  Il  faut  examiner  le  fait,  &c  décou- 
vrir ,  s'il  eft  poffible,  ce  qui  a  donné  lieu  à  cette  imputation. 

Nous  parlerons  dans  ce  Chapitre,  du  culte  que  les  Celtes  rendoient  à    ou  a  affûté 
Hercule  ,  félon  les  Auteurs  Grecs  &  Latins.  On  prétend  qu'il  étoit  fervi  '^^ 
&  connu  dans  toute  la  Celtique,  comme  un  Dieu.  Ayant  parcouru  oici!i"'da"s 
toutes  ces  vaftes  contrées ,  il  n'y  en  avoit  aucune  où  il  n'eût  mérité  ,  par  ^""''-  '*  ""'•'■ 

...  tique. 

quelqu'exploit,  les  honneurs  divms ,  que  les  gens  du  Pays  lui  rendirent, 
les  uns  pendant  fa  vie,  &  les  autres  après  (a  mort.  On  va  donner ,  en 
deux  mots,  l'hiftoire  d'Hercule,  autant  qu'elle  regarde  les  Celtes.  Si 
l'on  rapporte  des  fables,  ce  fera  pour  les  relever ,  6c  pour  montrer  que  les 
Grecs,  afin  de  donner  du  luftre  au  plus  célèbre  de  leurs  Héros,  ont 
débité  effrontément  les  menfonges  les  plus  greffiers  &  les  plus  ridicules , 
qu'ils  ont  prêté  leurs  propres  idées  à  des  Peuples  qui  en  avoient  de  dir 
reûement  oppofées. 

§.  II.  On  a  donc  dit  (i)  «que  l'un  des  douze  travaux  qu'Eurifthée     on  am.r« 

qu'Hcicuic 

(0  Diod.  Sic.  lib.  IV.  f .  I {<.  6c  fc^.  DioDjrf,  Halic,  I.  caj .  j.  pag.  j  i.  Juflin.  XUV.  -j.  Heiiod. 


ii6 


HISTOIRE    DES    CELTES, 


avoît  piffé  en  »  impofa  à  Hercule  ,    fut    qu'il    lui  amenât    les  vaches"  de   Géryoni 

olriTylv^ic    »  Pour  obéir  à  cet  ordre ,  le  Héros  le  rendit  dans  l'Ifle  de  Crète ,  oii 

(cuaiis^  tome  „  Jl  j'embarqua  pour  l'Efpagne  ,  qui  étoit  gouvernée  par  un  Roi,  nom- 

»  mé  Chryfaor.  Il  portoit  ce  nom  à  caufe  de  fes  richeffes ,   &C    avoit 

»  trois  fils  extrênîement  braves.  Hercule  ayant  pafTé  (z)  en  Egypte ,  & 

»  en  (3)  Afrique  »  arriva  à  l'endroit  oîi  la  mer  Méditéranée  étoit  fermée 

«  &  ieparée   de  l'Océan  par  deux  grandes  Montagnes,  appellées  Calpé 

»  &c  Abyla.    Pour    ouvrir   une  libre  communication    aux    vaiffeaux  > 

»  entre  les  deux  Mers  (4) ,  il  fépara  les  rochers,  Ôc  les  pofa  fur  les  deux 

»  rivages  oppofés  (5)  ,  comme  un  monument  de  fes.courfes,  qu'il  n'aVoit 

»  pu  pouffer  plus  loin ,  parce  qu'il  n'avoit  trouvé  au-delà  que  le  cahos 

»  &  d'épaifles  ténèbres.  C'eft  en  mémoire  de  cet  événement  (6)  que  le» 

»  deux  Montagnes  ont  reçu  le  nom  de    Colomnes  d'Hercule.    Etant 

»  enfuite  paffé   en  (7)  Efpagne  ,  il  tua  en  duel  Géryon  &  fes  deux 

»  frères.  D'autres  difent  qu'Hercule  vint  avec  fa  flotte,  dans  l'IUe  ^8) 

»  d'Erythie ,  (que  quelques-uns  placent  fur  les  côtes  dePortugal  ;  mais 

»  qui  eft  conftamment  l'Ifle  deGades ,  comme  Samuel  Brochart  l'a  dé- 

»  montré  avec  beaucoup  d'érudition.  )  Ce  fut ,  comme  ils  le  préten- 

»  dent  ,  dans  cette  Ifle  ,  qu'Hercule  combattit  Géryon  (10),  qui  efl 

,  »  repréfenté  comme  ayant  trois  têtes  &  trois  corps  ,  foit  parce  (  1 1  ) 

w  qu'il    étoit   Roi    de   trois   Ifles ,    foit    parce    que    (  12  )   fes  deux 

»  frères  8c  lui  étoient  trois  têtes  dans  un  bonnet ,  comme  on  le  dit  en 

»  commun    proverbe.     Après    s^être    emparé    des    richefl^es  de  Chry- 

«  faor,  &  des  troupeaux  de  Géryon  ,  Hercule  pouffa  plus  loin  fes  con- 

♦>  quêtes ,  bâtie  les  Villes  de  (13)   Cartéja,  &  de  (14)  Sagunte,  éta- 

»  blit  une  Colonie  de  (15)  Doriens  fur  le  bord  de  l'Océan,  ôc.s'avança 


(2;  Diod.  Sic.  IV.  p.  15S   &feq.  t 

(;)  Diod.   Sic,  ibid.  Saluft,  Jugurth.  cap.  Sjj. 

Tomp.  Mel.  I.  cap.  5.  p.  10.  Euftatli.  ad  Dionyf. 

ïerieg.  v.  i  74.  p.  33.  Soliii.  p.  m.  260.  &  26a. 
(;».)  Pomp.   Met.  I.  cap.  5.  pag.  10.  Fliii.  Hift. 

Kït.  ab.  UI.inFiocm.Fhi'ofttateliJj.  III.  c.  14. 

(s  ISchoI.  ad  rindar.  Olymp.  3.  Dion.  Perieg. 
V.  64.  Euftatli.  ad  Dion.  Per.  p.  19. 

(6). Pampan.  Mêla  Ub.  1.  cap.  5.  p.  10. 

(7)  Diod.  Sic  IV.  p.  156.  &  f.  Strabo  I.  p.  2.  | 

(J)  Poinp.  Mçl.  lIL.cap  6.  p.  80.  Solin.c.  30,  j 
Çag.  »57.  Eiujpid.  H«c.  Fur.  v.  413.  Etyiiiol.  | 


Magn.  p.  131. 

(  9  )  Gcogr.  Sacr.  Part.  IL  lib.  I.  cap.  34. 
pag.  677. 

(  10}  Hefiod.  Theog.  v.  2S8  Silius  I.  v.  277. 
III.  V.  422.  XIII.  V.  2or.  Euiip.  Heic.  Fur. 
V.  423.  Apollcdor.  lib.  II.  cap.  j. 

(ai,'  Servius  ad  ^Eneid.  VII.  v.  Cà\. 

(il)  Juftiii  XLIV.,4., 

(13)  Strabo  II;!.  14p..  Cafaubon  ,  daasfaiiote 
furStiabon,  prouve  tju'il  faut  lire  Caruja,  as 
lieu  ce  Calpe ,  qui  e'toit  une  Montagne, 

(14)  Silius  lih.  J.  V.  27  5.  36s.. 

(i  i}  Amm.  Marc.  XV.  cap.  ji/.;.  »7> 


LIVRE    IH.     <^.  H  A  P  I  T  RE    XIV.  ki7 

•>»  iufqu'anx  Monts  Pyrénées,  t)^  nous  le  retrouverons  bientôt  »;!  £ti 
confidération  de  ces  exploits  ,  les  Hàbitans  du  Pays  confacrereTit''è 
Hercule  le  célèbre  Temple  que  l'on  voyoit  dans  TWe  de  Gades,  cù  étoh 
un  Oracle  fort  renomme;  mais  ils  réiolurent  en  même  tems,  &  firent 
paffer  en  loi  (17),  qu'à  l'avenir  aucun  Efpagnol  ne  pofiederoit  plus 
ni  or,  ni  argent,  parce  que  ce  Conquérant  n'avoit  porté  autrefois  la 
guerre  dans  un  Pays  fi  éloigné  de  fa  patrie ,  que  pour  s'emparer  de  leuïs 
tréfors. 

§,  III.  Les  Auteurs  Grecs  &  Latins  qui  s'accordent  prefque  tous  à  racon-     cea  une 
ter  des  fables,  ont  bien  fenti  (18)  que  leur  Hercule  étoit  beaucoup  plus  H.tcui-:  éioit 
moderne  que  celui  qui  avoit  un  Temple  dans  l'Ifle  de  Gades.  Celui-ci  qui  avou  6^"' 
étoit  d'ailleurs  un  Dieu  Phénicien,  dont  le  culte  avoit  été  apporté  de  d'.'cijjj""'* 
(19)  Tyr ,  &  non  pas  de  Grèce  ;  ou ,  ce  qui  paroît  être  encore  plus 
vraifemblable  ,  c'étoit  un  Général  Phénicien  (20),  qui  ,  après  avoit 
établi  une  Colonie  de  fa  Nation  dans  l'Ifle  de  Gades  (*) ,  périt  enfuite    . 
dans  la  guerre  contre  les  Efpagnols.  Par  ces  raifons,  les  Tyriens  &  les 
Carthaginois  qui  demeuroient  en  Efpagne  ,  en  firent  un  de  leurs  Dieux 
tutélaires,  &  lui  rendirent  un  culte  religieux  dans  le  Temple  où  il  étoît 
enterré.  ' 

Philoflrate  prétend,  à  la  rérité  (zi),que  l'on  fervoit  dans  le  Tem- 
ple de  Gades  les  deux  Hercules ,  fçavoir ,  l'Egyptien  (  c'eft  le  même 
que  leTyrien),  &  le  Grec.  Mais,  i.'^  Philoftrate  ne  mérite  aucune  foi  fu'r 
cet  article ,  non-feulement  parce  que  c'eft  un  Auteur  fabuleux ,  &  qui  rte 
rapporte  les  chofes  que  fur  un  ouï-dire,  mais  encore  parce  qu'il  avoue 
lui-même,  dans  un  autre  endroit,  que  l'Hercule  Egyptien  (iz)  étoit 
le  feul  qui  fut  venu  à  Gades.  z.°  Les  Auteurs  plus  anciens  ne  font  men- 
tion que  d'un  feul  (13)  Hercule ,  qui  fût  connu  &  fervi  à  Gades  ;  c'étoit 
le  Phénicien.  3."  Hécatée,  quoiqu'il  aimât  beaucoup  le  merveilleux,  n'a- 


(i«)  Cet  Oracle  c'toit  encore  en  réputation 
du  tems  de  l'Empereur  CuracalU  ,  qui  fit  mourir 
Ciuil'as  JEmiliiutui,ço\xi  l'avoir  confulté.  Excerpt. 
ex  Dione  ap.  Valef.  p.  7  s  <•  On  a  cité  ci-deflus , 
ch.  VII.  J.  I.  not.  34.  une  Loi  Romaine,  qui 
permet  de  faire^ies  Legs  pieux  à  l'Hercule  de 
Godes. 

(17)  Ariftot.de  Mirab,  Aufcult.  p.  707. 

(1$)  Herodot.  II.  44. 

il»)  Juftin.  XLIV.  j,  Maciobe  infinue  que 


c'étoit  le  Soleil.  Satutn.  lib.  I.  cap.  zo.  p.  ,-,07. 

(10)  Pomp.  Mêla  lib.  III.  cap.  6,  pag,  80. 
Saluft.  Jugurth.  cap.  18. 

(■*;  Etymol.  Magn.  p.  2I9. 

(  zi  j  Philoft.  Vit.  Apollon,  lib.  V.  cap,  l. 
pag.  an. 

(iz)  Philoftrat   lib.  II.  cap.  14.  p.  s>7- 

(23]  Arriah.  Exped.  Alex.  lib.  II.  pag.  lH, 
Appian.  Ibei.  initio. 


Oi  A  ilir, 
fn^  antiin 
Ibad.m.'UC, 


ïi8  HISTOIRE    D  ^  5    CELTES, 

voit  pas  laifle  de  remarquer  (24)  t/^^  le  Roi  Géryon  avok  été  trati^ 
planté  fort  mal- à-propos  en  Efpagne  :  il  avoit  régné  dans  une  petite  con- 
trée de  FEpire ,  où  Hercule  alla  l'attaquer  &  lui  enlever  fes  troupeaux. 
Après  un  témoignage  û  formel ,  il  ne  faut  pas  s'arrêter  à  celui  d'Ariftote; 
il  prétend  (25) ,  que  l'Hercule  Grec  avoit  fournis  l'Efpagne,  &  en  donne 
pour  preuve  ,  que ,  depuis  ce  tems-là ,  les  Efpagnols  avoient  renoncé  à 
l'ufage  de  l'argent.  Le  Philofophe  commet ,  dans  cette  occafion ,  le  fo- 
phifme  que  l'on  appelle  non  caufœ  pro  caufd.  Les  Efpagnols ,  non  plus 
<jue  les  autres  Peuples  Celtes  (26) ,  ne  pofledoient  ni  or ,  ni  argent ,  du 
tems  d'Ariftote  ;  ce  n'eft  pas  qu'ils  en  euffent  interdit  l'ufage ,  après  en 
avoir  reconnu  l'abus  &  le  danger  ;  mais  c'étoit  des  barbares  qui  ne  con- 
noifToient  point  encore  le  prix  de  ces  métaux  ,  ni  l'utilité  qu'une  fociété 
bien  réglée  peut  en  tirer.  5.**  Mais  que  cet  Hercule,  qui  avoit  un  Tem- 
ple à  Gades ,  &  qui  paffoit  pour  avoir  foumis  une  partie  de  l'Efpagne, 
fut  Grec  ,  ou  Tyrien  ,  il  en  réfultera  toujours  que  c'étoit  un  Héros  étran- 
ger. Il  pouvoit  être  fervi  par  les  Grecs ,  &  par  les  Phéniciens ,  qui 
avoient  plufieurs  établiffemens  fur  les  côtes  de  ce  Royaume  ;  mais  il  ne 
l'étoit  aflâirément  pas  par  les  Habitans  naturels  du  Pays.  Les  Peuples 
ont  mis  au  l'ang  des  Dieux  ,  des  Conquérans  qui  les  ont  élevés ,  ou  tirés 
de  la  fervitude  ;  jamais  ils  n'ont  fait  le  même  honneur  à  des  brigands  qui 
les  avoient  opprimés  ou  dépouillés.  6,"  On  ne  fait,  aurefte,  fi  ce  fiit 
pouf  s'accommoder  aux  idées ,  &  aux  coutumes  des  Efpagnols ,  que 
les  Ty  riens  (27)  ne  placèrent  point  d'Idole  dans  le  Temple  qu'ils  avoient 
confacré  à  leur  Hercule  dans  l'Ifie  de  Gades.  Cependant  cette  conjecture 
affez  naturelle,  fi  l'on  confidére ,  d'un  côté,  que  les  Celtes  condam- 
noient  l'ufage  des  fimulacres ,  &  de  l'autre,  qiie  l'Ifle  s'appçlloit  ancien- 
nement (28)  Cotinufa,  c'eft-à-dire,  la  maifon,  le  Sanftuaire  du  Dieu  Tis  , 
qui  eft  le  nom  que  les  anciens  Habitans  de  l'Europe  donnoient  à  l'Être 
fuprême. 

§,  IV.  Revenons  préfentement  à  notre  Héros.  On  afliire  (29)  que  de 
l'Efpagne  il  pafTa  dans  les  Gaules.  Quelques-iuis ,  à  la  vérité ,  lui  font 


(j4^  Arrian.  Expe  \.  Alex.  II   p.  iiS.Euftath. 
in  Dionyf.  Periçg.  v.  561.  p.  92. 
(2  J    Ci-d.  §.  2.  aot.  77. 
(»«J  Ci-d.  Liv/ll.  ch.j.p.  179. 


(27)  Ci-d.  not.  il.  Silius  l'b.  III.  v.  3», 
(2.8)  Ci-d.  ch.  VI.  §.  3.  not.  41. 
(29;  Diod.  Sic.  IV.  p.  I  ;S.&  f.I^ucian.  Hercul. 
Gallic.  pag.  Sjl, 

prendre 


LIVRE    m.    CHAPITRE    XIV.  119 

prendre  une  route  toute  oppofée  ,  &  prétendent  (30)  qu'il  traverfa  qu'usrcuieU 
l'Europe   d'Orient  en   Occident,  Mais  ils  conviennent,  au  refte,  que  ^iitdans7« 
ce  Conquérant  entra  dans  les  Gaules  avec  fon  armée ,  &  les  fournit  à  fa  '^•"''"* 
domination.   D'abord  il  vint  à  la  cour  du  Roi  des  (3  i)  Bébryces  qui 
demeuroient  autour  de  Narbonne.  Là  il  corrompit  la  PrincefTe  Pyrène , 
fille  du  Roi ,  de  laquelle  les  Monts  Pyrénées  ont  reçu  leur  nom.  S'étant 
enfuite  avancé  jufqu'cn  Bourgogne  (32),  il  y  conilruifit  la  célèbre  (33) 
Ville  d'Alifé  {^AUfia')  que  les  Gaulois  regardoient  comme  la  Métro- 
pole de  leur  Pays,  &  qui  paffa  pour  imprenable  jufqu'au  tems  de  Jules- 
Céfar,  Pendant  le  féjour  qu'il  fit  dans  les  Gaules  (  34) ,  il  eut  commerce 
avec  différentes  Dames  du  Pays ,  dont  il  eut  plufieurs  enfkns ,  &  en- 
tr'autres  (35)  trois  fils,  Cdtus ,  GaUtes y  &  Iber.  Un  de  fes  Capitaines 
bâtit  auffi  une  yiUe  dans  le  Languedoc ,  à  laquelle  il  donna  fon  nom  de 

(36)  Nemaufus  (^NiJ'mes.  ) 

Pline  a,  fans  doute,  raifon  de  regarder  tout  ce  qu'on  difoit  d'Hercule 

(37)  &  de  Pyrène ,  comme  de  pures  fictions.  H  y  a  ,  cependant,  quelque 
fondement  dans  ce  que  les  Hiftoriens  rapportent  (38)  «  qu'Hercule  paffa  M'"^^'' 
w  dans  la  Celtique,  qu'il  y  abolit  les  injuftices,  &  la  barbare  coutume 
»  d'immoler  les  étrangers  (39)  i  qu'il  tua  dans  les  Gaules  Taurifcus 
»  (40)  ;  qu'il  défit  les  géants  Albion  &  Bergion ,  dans  la  plaine  que  l'on 
»  appelloit  autrefois  (41)  Campi  lapida  y  &c  que  les  flèches  lui  ayant 
.»»  manqué  pendant  la  bataille  ,  il  invoqua  Jupiter  qui  le  fecourut  , 
M  en  faifant  defcendre  fur  fes  ennemis  une  grêle  de  pierres  ».  Voici  ce 
qui  a ,  probablement ,  donné  lieu  à  ces  fables.  L'Hercule  dont  il  s'agit 
ici,  eft  un  chef  des  Marfeillois,  qui  avoit  gagné  une  bataille  confidéra- 
ble  fur  les  (41)  Liguriens  établis  autour  de  la  Ville.  Les  noms  à^Al' 


Cet  Hercu!» 
écolt   un  Gé. 
□  irai   des 
oit. 


(30)   StraboIV.  p.  i S 3 .  Ammian.  Marc.  XV. 
cap.  9.  p.  96.  cap.  To.  p.  loi. 
(3  i)  Silius  lib.  III  V.  420-441. 

(32)  Diod.  Sic.  IV.  ls6-  V.  210. 

(33)  Diodore  de  Sicile  lib.  ut.  pag.  15».  dit 
»  qu'il  l'appe'.la  Aiefta,  parce  que  fon  armée 
»  s'étoit  égarée  dans  cet  endroit.  » 

(34)  Animian.  Marc.  XV.  cap.  9.  p.  96. 

(3  s)  Diod.  Sic  V.  zio.  Euftath.  ad  Dionyf. 
Ferieg.  v.  281.  p,  47. 

(36)  Stephan.  de  Urb.  p.  jjtf. 

(37)  Plin.  Hift.  Nat.  III.  I. 

Tome  IL 


(  3  «  )  Diod.  Sic.  IV.  p.  I  s  «.  &  f. 

(39)  Ci-deflus  note  34. 

(40 j  Fomp.Mela  II. cap.  j.p.  s7.Flin.  IU.4« 
Strabo  IV.  p.  1S3.  Dionyf.  Halle.  I.  p.  34.  Bo- 
chart.  Geogr.  Sacr.  Part.  2.  lib.  I.  c.  91    p.  730. 

{41)  On  l'appelle  aujourd'hui  li  Crau.  Bo- 
chart  prétend  <jue  ce  nom  a  été  corrompu  de 
celui  de  Cr«ij  ,  qui  iîgnifioit  ,en  Gaulois,  une 
pierre. 

(42)  Efchyle  avoit  remarqué  que  ce  fut  con« 
tre  des  Liguriens  qu'Hercule  g^gna  la  bataille 
de  la  Cr«K.  On  peut  voir  le  palTage  de  ce  Potrte 

R 


tes  Gauîti: 

tcnis  di  Lu- 
€ii-;i  ,    l'iler- 
tuîe  Ogmius. 


130  HISTOIRE    DES    CELTES, 

iion.  Si  de  (43)  Bergion  ,  qui  défignent  tous  deux  des  montagnards, 
infinuent  que  ces  Liguriens  étoient  de  ceux  qui  demeuroient  dans  les 
Alpes  voifines,  &  qui  paflbient  pour  le  Peuple  le  plus  belliqueux  de  toute 
la  Contrée.  Ils  avoient  encore  la  même  réputation  du  tems  de  Jules- 
Céfar ,  qui  les  appelle  (44)  Albici.  Le  nom  de  Taurifcus  marque  que 
ces  Liguriens  étoient  des  Celtes,  qui  fe  croyant  iffus  du  Dieu  Teut ,  por- 
toient  le  nom  de  Teclofages ,  c'eft-à-dire,  d'enfans  de  Teut,  &  appelloient 
leur  Pays  Tau-rich,  Royaume  de  Teut.  Il  fe  peut  bien  que  les  flèches 
ayant  manqué  fur  la  fin  du  combat ,  le  Chef  des  Marfeillois  eût  ordonné  à 
fes  gens  de  fe  fervir  contre  l'ennemi  des  pierres  qu'ils  trouvoient  fous 
leurs  pieds.  Le  Général  Grec  ayant  foumis  les  Liguriens  après  cette  vic- 
toire, abolit  dans  le  Pays  conquis  les  barbares  coutumes  d'immoler 
des  étrangers ,  &  de  vuider  tous  les  différens  à  la  pointe  <^e  l'épée.  C'eft- 
là,  félon  les  apparences,  ce  qui  a  fourni  le  canevas  (45)  qu'Efchyle 
&  les  autres  Poètes  ont  brodé  à  leur  manière.  Ammien-Marcellin  pou  voit 
aufli  avoir  lii  quelque  chofe  de  femblable  dans  une  Infcription  (46)  qu'il 
dit  avoir  vue.  Ou  y  donnoit  au  Chef  des  Marfeillois  le  glorieux  titre 
d'Hercule,  que  cet  Hiftorien  a  pris  mal  à  propos  pour  le  fils  d'Aniphi^ 
trion. 

§.  V.  Le  Héros  dont  on  vient  de  parler,  ayant  été  l'ennemi  déclaré  des 
Gaulois ,  on  fent  bien  qu'il  ne  pouvoit  être  l'objet  de  leur  culte  reli- 
gieux. Il  faut  avouer ,  cependant ,  que  dans  le  fécond  fiécle  du  Chrifti?, 
nifme  ,  les  Gaulois  adoroient  un  Hercule ,  qu'ils  appelloient  Ogmius, 
Mais  ce  n'étoit  affurément  pas  un  Héros ,  encore  moins  le  grand  Héros 
des  Grecs,  C'étoit  un  Dieu  Celte  ;  il  fera  facile  de  le  reconnoître , 
pour  peu  qu'on  life  avec  attention  ce  qui  en  a  été  dit  par  Lucien ,  qui 
eft  le  premier  &  le  feul  Auteur  qui  en  ait  fait  mention.  Ce  Philofophe 
avoit  été  dans  les  Gaules.  Il  y  avoit  vu  le  Dieu  Ogmius ,  repréfenté  fous 
une  forme  &  dans  une  attitude  toute  extraordinaire.  C'efl  le  fujet 
d'un  Dialogue  intitulé,  V Hercule  Gaulois,  dans  lequel  on  trouve  les 
particularités  fuivantes  (47).  ^  Les  Celtes  nomment  Hercule ,  dans  leup 
»  Langue ,  Ogmius,  Ils  repréfentent  ce  Dieu  fous  une  fonne  toute  ex- 


dans Strabon  IV.  p.  183.  &  lians  Denys  d'Hali- 
cainaÛe  lib.  I.  pag.  3  +.  Voyez,  auflî  Euilatb.  ad 
Dionyi".  Ptrieg.  v.  76.  p.  2i. 

(f  3^  Ci-d.  Liv.  I.  cb,  i  j.  p.  104. 


(44)Ca:fard2  Bcllo  CivUi  lib.  I.  cap.  34.  &  J7, 

(4s)  Ci-Jeffus  noi   42. 

(4S)  Ci-deffus  not.  3  +. 

(47;  Lucian.  in  Hecctile  Oallico  p.  8  s  S. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XIV.  131 

»  traordinaire.  C'eft  un  vieillard  décrépit ,  qui  a  le  derrière  de  la  tête 
»  chauve.  Le  peu  de  cheveux  qu'il  conferve  fur  le  devant ,  font  par- 
»  faitement  blancs.  Il  a  la  pewi  ridée  &  d'un  noir  de  fuie ,  comme  les 
»  vieux  matelots.  Vous  diriei/  plutôt  que  c'eft  ou  Caron  ,  ou  Japet ,  ou 
»  quelqii'autre  homme  revenu  de  l'enfer;  en  un  mot,  à  en  juger  par 
«l'imap^e,  vous  le  prendriez  pour  tout  autre  que  pour  Hercule.  Cette 
»  figure  d'homme  ne  laiffe  pas  de  porter  l'équipage  d'Hercule.  Cou- 
»  vert  d'une  peau  de  lion ,  il  tient  la  maffue  dans  fa  main  droite ,  le 
»  carquois  lui  pend  fur  les  épaules ,  &  dans  la  main  gauche ,  il  tient 
»  un  arc  bandé.  Enfin  il  a  tout  l'aitirail  d'Hercule.  Je  crus  d'abord  que 
»  les  Celtes  avoient  inventé  cette  figure  grotefque ,  pour  fe  moquer 
»  des  Dieux  des  Grecs  ,  &  pour  fe  venger  d'Hercule ,  qui  avoit  autre- 
»  fois  ravagé  leur  Pays ,  &  la  plus  grande  partie  de  l'Occident ,  en 
»  allant  chercher  les  troupeaux  de  Géryon,  Mais  je  n'ai  point  encore 
»  rapporté  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  extraordinaire  dans  le  tableau.  Ce 
«vieux  Hercule  .traîne  après  foi  une  grande  multitude  d'hommes,  qu'il 
«tient  tous  attachés  par  les  oreilles  avec  des  chaînes  d'or  émaillé,  fort 
»  délicates  ,  &c  fort  précieufes ,  qui  reffemblent  à  celles  qu'on  porte 
«  autour  du  cou.  Attachés  par  des  liens  fi  fragiles ,  ils  ne  penfent  pas 
«  à  s'enfuir,  quoiqu'ils  pufl"ent  le  faire  facilement.  Ils  ne  réfiftent point, 
»  &  ne  fe  roidiffent  pas  contre  celui  qui  les  tire.  Au  contraire ,  ils  le- 
»  fuivent  volontairement,  &  avec  joie  ,  en  louant  celui  qui  les  conduit. 
»  Ils  fe  hâtent  même ,  &  on  voit  par  les  chaînons ,  qui  font  lâches , 
»  qu'ils  tâchent  de  devancer  leur  condufteur ,  &  qu'ils  feroient  bien 
»  fâchés  qu'on  les  déliât.  Quand  je  devrois  ennuyer  mon  Lefteur ,  il 
>>  faut  que  je  rapporte  encore  ce  que  je  ttouvai  de  pkis  abfurde  dans 
«le  tableau.  Hercule  a  la  main  droite  embaraffée  de  fa  maffue,  &  la 
»  gauche  d'un  arc.  Le  Peintre  ne  fâchant  donc  où  il  devoit  attacher  un 
«bout  des  chaînons,  s'eft  avifé  de  percer  l'extrémité  de  la  langue  du 
»  Dieu ,  ÔC  d'y  attacher  de  petites  chaînes  qui  vont  toutes  fe  rendre 
M  dans  fa  bouche ,  enforte  qu'il  tire  toute  la  foule  avec  fa  langue.  Le 
M  Dieu  a  le  vifage  &  les  yeux  tournés  fur  la  multitude ,  qu'il  regar- 
»  de  d'un  air  gracieux  Se  riant  ».  Un  Philofophe  Celte ,  auquel  Lucien  ' 
demanda  l'explication  de  ce  tableau ,  hii  répondit  qu'Hercule  préfidoit 
à  l'éloquence  parmi  les  Gaulois. 
Pour  faire  préfentement  nos  réflexions  fur  ce  paffage,  remarquons    VHaeaîi 

Rî 


,31  HISTOIRE    DES     CELTES, 

O^mu,,  hoi:  d'abord,  que  ce  tableau  n'appartient  point,  à  proprement  parier,  à  la  Re- 
i'/mc."  ^'''    ligion  des  Celtes,  qu'i  ne  vouloient  pas  qu'on  repréfentât  la  Divinité 
ibus  la  forme  de  l'homme.  On  fera  voir,  en  fon  lieu  ,  que  ce  fcrupule 
étoit  commun  aux  Gaulois  avec  tous  les  autres  Peuples  Scythes  &  Celtes. 
Ce  tableau  avoit  été  fait  depuis  le  tems  de  Jules-Céfar,  après  que  les 
Gaulois  eurent  adopté  des  fuperftitions  étrangères,  ôc  particulièrement 
la  coutume  d'avoir  des  Temples  &  des  Idoles.  On  voit  clairement,  que 
le  Peintre  ,  qui  étoit  initié  dans  la  Mythologie  des  Grecs  &  des  Ro- 
mains   voulant  repréfenter  im  Dieu  des  Gaulois ,  &  exprimer  parfaite- 
ment l'idée  qu'ils  en  avoient ,  lui  attribue  les  caraâères  de  trois  Divi- 
nitc  S  étrangères ,  l'ancienneté  de  Saturne ,  la  valeur  d'Hercule ,  &  l'élo- 
quence de  Mercure.  Ce  Dieu  Gaulois  eft  manifeftement  le  Teut ,  VOdin , 
dont  il  a  été  parlé  au  long  dans  le  Chapitre  fixième  de  ce  Livre.   Ce 
Teut  étoit  regardé  comme  le  Père  des  Hommes  Ik.  des  Dieux.  C'étoit 
le  premier  Être,  le  plus  ancien  des  (48)  Dieux,  ainfique  le  porte  l'Edda 
des  Iflandois,  Par  cette  raifon,  il  eft  repréfenté  fous  la  forme  d'un  vieil- 
lard. Le  même  Teut  étoit  le  Dieu  des  Guerriers.  C'e(t  auprès  da  lui  (49) 
que  tous  ceux  qui  perdoient  la  vie  dans  le  noble  métier  des  armes,  al- 
loient  jouir  d'une  gloire  &  d'une  félicité  tranfcendantes.  C'ell:  ce  que 
marque  la  mafllie  ,  l'arc ,  en  un  mot ,  tout  l'équipage  d'Hercule,  dans  le- 
quel il  eft  repréfenté.  Enfin  le  Dieu  Teut  étoit  regardé  dans  les  Gaules  , 
comme  (50)  l'inventeur  des  Sciences  &  des  Arts.  C'eft  la  raifon  pour  la- 
quelle le  Peintre  lui  attribue  ce  que  les  Grecs  appelloient  les  laqs  de 
Mercure,  c'eft  à-dire,  le  don  de  perfuader.  Lucien  appelle  ce  Dieu  Gau- 
lois Hercule.  Il  aiiroit  pu  l'appeller,  avec  autant  &  plus  de  r^l{on,  Mercure, 
D'un  côté ,  c'eft  fous  ce  nom  que  les  étrangers  défignoient  ordinairement 
le  Teut  des  Gaulois.  D'un  autre  côté,  c'eft  là  précifément  ce  que  marque 
le  nom  d'Ogmius.  Edmond  Dickinfon  a  cru  (5 1)  que  cet  Ogmius  éio'ix  Jofùè, 
qui  reçut  ce  nom ,  après  qu'il  eût  défait  Og ,  Roi  de  Bafan.    C'eft  une 
vifion.  M.  Keyfler  a  prouvé  (51)  qu'O^^ ,  Ogum ,  &  Ogma ,  eft  un 
vieux  mot  Celtique  ,  qui  lignifie  proprement  des  lettres  fecreties ,  écrites 
en  chiffre ,  &  indireftement  une  Science  occulte.  Ainfi  le  Dieu  Ogmius 
eft  le  Dieu  du  fçavoir  &  de  l'éloquence. 

(48)  Ci-dcflusch.  VI.  §.  s.  not.  jtf.  1       (s  i)  Dickinfon  Delphi  Phinicifantes  cap,  4, 

(49^  Edda  Ifland.  Mitholog.  3  j.  1  pag.  41. 

(so)  Ci-deiTus  ch.  VI.  $.>^  not.  11.  i      (jt;  Kejùet  Anti^.  Septcmc.  p.  }l. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XIV.  133 

§.  VI.  Il  faut  fuivre  préfentemcnt  Hercule  àms  fes  courfes.  «  Après     on  pr  tend 

«avoir  fournis  l'Efpagne  Se  les  Gaules  (53)  ,  il  fe  mit  en  marche  pour  av.ù.n'i.'Utf* 

»>  l'Italie,  &  paffii  le  premier  (54)  les  Alpes,  à  la  tête  d'une  armée. 

«Ce  fut  en  mémoire  de  fon  paffage,  que  les  montagnes  qu'il  avoit  tra- 

»  verfées  avec  fes  Grecs ,  reçurent  le  nom  d'Alpes  Grecques.  On  pré- 

»  tend  même  que  les  Lépontiens  ,  qui  demeuroient  près   des  fources 

»du  (55)  Rhin,  defcendoient  d'une  troupe  de  foldats  (5 6)  qu'Hercule 

Mftit  obligé  de  laiffer  en  arrière,  parce  qu'ils  avoient  eu  les  mains  Sc 

»  les  pieds  gelés  dans  les  neiges.  Arrivé  dans  le  Pays  Latin  (57),  le 

»  Héros  tua  le  brigand  Cacus ,  qui  infefloit  depuis  long-tems  la  Con- 

»  trée,  &  qui  lui  avoit  volé  à  lui-n>ême  les  plus  belles  vaches  de  fon 

»  troupeau.  Il  établit  enfuite ,  fur  le  bord  du  Tibre ,  dans  le  lieu  où  l'on 

»  bâtit  depuis  la  Ville  de  Rome,  une  Colonie  Grecque,  qu'il  forma 

»(58)de  Péloponnéfiens  tirés  de  fon  armée,  &c  de  quelques  prifonniers 

»  qu'il  avoit  emmenés   de  Troye.  Non  content  d'avoir  fondé  la  Co- 

wlonie,  il  voulut  encore  contribuer  à  l'augmenter.  Il  époufa  pour  cet 

w  effet  deux  Princeffes  ,  l'une  Grecque  (59),  ôc  l'autre  Latine  ,   ou 

M  Hyperboréenne,  &c  il  eut  des  enfans  de  l'une  6c  de  l'autre.  Pendant 

»  le  léjour  qu'il  fît  dans  cette  Contrée  ,  il  adoucit,  à  plufieurs  égards, 

»  les  mœurs  féroces  de  fes  Habitans  naturels ,  &C  il  abolit ,  en  particu' 

»  lier  ,   la    barbare  coutume   qu'ils  avoient    de    précipiter  ,    to\is    les 

»ans,  trente  hommes  dans  le  Tibre  (60),  comme  un  iacrifice  au  Dieu 

»  Dis.  Cependant  j   pour  ne    pas  effaroucher  les   efprits  attachés  aux 

«anciennes  iuperflitions,  il  jugea  à  propos  de  conferver  une  image  du 

«facrifice,  6c  de  faire  jetter  dans  le  Fleuve  trente  hommes  de  paille, 

w  que   les    Latins    appellerent   (61)  Jrgù  ;    (  félon   les    apparences  , 

»  parce   qu'avant  le  changement   introduit   par  Hercule  ,    on  noyoit 


(j3)Ammien  Marccllin  prétend  qu'Hercule 
pafTi  d'Italie  dans  les  Gaules  Sc  en  Efpagnc. 
Amm-  Mate  XV  cap.  to   p.  loi, 

(54)  Coinel.  Ncp.  Hannibal.  cap.  j.Flui.  Hift. 
Nat.  lib  m.  cap.  17.  Juftin,  XXIV.  4.  Silius 
lib.  ui  V.  496.  Conon.  ap.  Photium  n.  i8«. 
Virgll  .ineid  VU.  y.  ««0.  VIII.  V.  J9i.  &  feq. 
Diod.  Sic.  lib.  iv.  p  158.  Dionyf.  Halic.  lib.  I. 
fag.  26    f  I.  I.b.  11.  p.  77. 

(s  s)  CxCii  IV.  .0. 


($7)  Virgil.  iïneid.  viIl.  105.  Dionyf.  Hal.I. 
pag.  ) I .  Livius  lib.  I    7. 

(58    Dionyf.  Halic.  I.  p.  27.49-  II.  77. 

($»,  Dionyf  Ha!.  1  pag  15.  }^.  î  S- Juftin. 
xilil.  1 .  Pomp.  Feilus  Paul.  D.ac  p  3  s  S- Virgil. 
jEneid.  vu.  «s«.  Dion.  Hal.  1.  p.  j  5.  Solin  I.  i. 
Etymol.  Magn.  p.  502. 

(60  Macrob.  Saiurn.  I.  cap.  7.  p  I5  3-Eufeb. 
Pti  .  Evang  lib  iv.  cap.  I  6.  p.  i«o.  Fyetci» 
deffus  ch.  VI.  §.  i  1.  not.  75. 


(5<)  rlin.  lib.  III.  «p.  lo.p,  37«.  1      (61)  Ci-d.  ch.  vi.  $•  14.  not.  iil. 


134  HISTOIRE    DES    CELTES', 

»  des  vieillards ,  des  hommes  inutiles  h.  la  fociétc  ».  )  Varron  a  cru  qu'ils 
reçurent  le  nom  à'Jrgd  (6i)  des  grands  Seigneurs  Argiens  qu'HercuIs 
avoit  auprès  de  lui.  C'eft  une  étymologie  ridicule  ,  parce  qu'il  eft 
•vifible  que  ces  images  ne  repréfentoient  pas  des  Grecs ,  mais  des  Abo- 
rigines,  que  l'on  offroit  au  Père  J^is. 

■  Cette  conjeûure  de  Varron  eft  cependant  plus  vraifemblable  ,  que 
celle  d'un  certain  Epicadus,  qui  eft  rapportée  par  Macrobe  (63  ).  Attri- 
bant  à  Hercule  l'invention  de  ces  hommes  de  paille,  il  difoit  »  que  ce 
»  Héros ,  après  avoir  vaincu  Gcryon  en  Efpagne  ,  fit  des  ftatues  de  les 
»  compagnons  qui  avoient  été  tués  ,  &  qu'il  les  jetta  dans  le  Tibre ,  afin 
»  qu'elles  defcendifl"ent  dans  la  mer,  &  qu'elles  allaffent flotter  fur  le  ri- 
»  vage  de  leur  Patrie.  Il  prétendoit  confoler  par  là  les  parens  des  déflmts , 
»  en  leur  rendant  au  moins  les  images  de  ceux  que  la  mort  leur  avoit  en- 
wlevé.  »I1  faut  qu'un  Hiftorien  foit  fimple  &  crédule  au  dernier  point, 
ou  qu'il  ait  bien  mauvaife  opinion  de  fes  Lefteurs ,  pour  mettre  fur  le 
papier  de  femblables  impertinences.  Quoi  qu'il  en  foit ,  Hercule  pafla  du 
Pays  Latin  dans  le  Royaume  deNaples,  où  il  défit  les  Titans,  pre- 
Hiièrement,  près   du  Mont  (64)  Véfuve,  &  enfuite  plus  bas ,  dans  la 

(65)  Japygie.  C'eft  de  là,  félon  les  apparences,  qu'il  alla  foumcttre  la 

(66)  Sicile  &  la  (67)  Sardaigne  ,  &  ce  fut  eiï  confidération  de  tous  ces- 
exploits,  que  les  Habitans  de  l'Italie  lui  coniacrerent  dans' les  Villes,  & 
le  long  des  (6S)  grands  chemins,  des  Autels,  oit  on  lui  oiFroit  des  fàcri- 
fices  annuels.  Ils  inférèrent  auffi  fon  nom  dans  l'Hymne  (69)  que  les 
Saliens  chantoient  à  l'honneur  du  Dieu  de  la  guerre. 

§,  VII.  Tite-Live  regarde  comme  une  fable ,  la  tradition  qui  portoit 
(70)  qu'Hercule  avoit  pafle  les  Alpes  avec  fes  Grecs.  Ilaraifon.  Il  n'eft 
pas  douteux  que  les  Gaulois  appelloient  le  grand  S.  Bernard  &  les 
Montagnes  voifines  ,  the  graiice  Albcn,  les  Alpes  grifes,  parce  qu'on 
y.  voyoit  toujours  de  la  neige  ,  de  la  même  manière  que  les  Scythes  ap- 


(«2)  Varro  de  Ling.  Lat.  lib.  iv.  p,  12. 

(63)  Macrob,  Saturn.  I.  cap.  1  2.  p.  168.  On 
prétend  que  cet  Eficadus  eft  le  même  dont  il  eft 
fait  mention  dans  les  illuftres  Grammairiens  de 
Siiatone  ch.  12.  Il  e'toit  affranchi  du  lîiftateut 
Sj!l,t ,  dont  il  publia  les  Mémoires, 

(64)  ci-d.  ch.  Yi.  §,  1 1.  not.  24.  Liv.  I.  cb.  9. 


{6s)  Arift.  de  Mirab.  Aufcult.  p.  707. 
(««)  Diod.  Sic.  IV.  p.  1  s«.  8c  f- 

(67)  Bochait.   Geogr.   Sacr.   Part.  II.  lib.  I. 
cap.  3  I.  p.  63  t. 

(68)  Dioiîyf.   Halic    I.  pag.   31.  îî.Virgil. 
iEii;;id.  vni.  185-268. 

(tfj)  Ci-d.  Liv.  II.  ch.  10,  p.  l>4'  not.  71* 
(70)  LiviwV.  34. 


I 


LIVRE    m.    CHAPITRE    XIV.  135 

peîIoientleCaucafe,  Graucafusiji)  ,  c'eft-à-dire  ,  coinnie  Pline  l'a  remar- 
qué, la  Montagne 'toujoiirs  couverte  de  neige.  La  conformité  du  mot 
Celte  .gra'ùe  (72),  ou  ^rifc,  avec  le  mot  Latin  ^wy'^,  a  fait  .croire  que  les 
Montagnes  dont  il  s'agit ,  portoient  le  nom  d'Alpes  Grecques.  Pour  ren- 
dre raifon  de  cette  dénomination  ,  on  a  fuppofé  enfuite  qu'Hercule 
avoit  pafle  dans  ces  Montagnes  avec  fon  armée.  Par  une  femblable  mé- 
prife,  on  a  dit  que  les  Alpes  Penines  étoient  ainfi  appellées,  parce  que 
les  troupes  Puniques  y  avoient  paiTé  fous  la  conduite  d'Aanibal,  quoique 
ces  troupes  euflent  pris  une  route  toute  différente ,  &  que  le  nom  de 
penn,  ou  Aq  pinne,  fût  un  mot  Celtique  qui  défignoit  (73)  la  cime,  le 
fommet  des  Alpes.  Mais  quoiqu'Hercule  n'eût  jamais  vu  les  Alpes ,  ce 
que  la  fable  débitoit  fur  ce  fujet,  ne  laiffoit  pas  d'avoir  quelque  fonde- 
ment. Il  y  avoit  eu  un  Hercule  dans  les  Alpes,  &  un  autre  dans  le  Pays 
Latin.  Le  premier  étoit  encore  l'un  des  Chefs  de  la  Colonie  de  Marfeille. 
Cette  Ville  fe  trouvant  extrêmement  incommodée  par  les  courfes  conti- 
nuelles que  les  Montagnards  faifoient  fur  fon  territoire,  envoya  coc- 
tr'eux  un  de  fes  Capitaines  ,  qui  ayant  pouffé  l'ennemi  ,  &  pénétré 
avec  fon  armée ,  non  pas  jufqu'au  grand  S.  Bernard  ,  mais  jufqu'aux 
Alpes  maritimes  ,  qui  féparent  la  Provence  de  l'Italie ,  y  conilruifit 
<leux  forts ,  pour  tenir  en  bride  les  Montagnards.  Il  appella  l'un  de  ces 
forts  (74_)  Niccea  (n/k*»»),  en  mémoire  de  la  victoire  qu'il  avoit 
remportée  fur  les  Barbares.  L'autre  fort  qu'il  bâtit  fur  un  promontoire 
fut  confacré  par  la  même  raifon  à  Hercule  ;  &  c'eft  de  ce  Promontoire 
que  le  port  qu'il  forme,  reçut  le  nom  de  (75)  Portus  Hcradïs  Monxci, 
C'cil-là ,  à  ce  qu'il  paroît ,  la  feule  armée  de  Grecs  que  l'on  eût  jamais 
vue  dans  les  Alpes. 

Il  eft  connu  que  les  Grecs^  avoient  aufli  plufieurs  établiffemens  dans  le 
Royaume  de  Na[jles.  Ces  Colonies,  comme  celles  de  Marfeille  ,  avoient 
eu  leurs  Hercules,  leurs  Héros,  qui.avoient  fournis  les  Habitans  naturels 
du  Pays,  adouci  ce  qu'il  y  avoit  de  féroce  dans  leur  manière  de  vivre, 
défait  les  Titans,  c'efl-à-dire  ,  les  partifans  de  l'ancienne  Religion  , 
exterminé  les  brigands.  La  fable  ne  pêche  ici  qu'en  ce  qu'elle  attribue 
tout  celaà  un  feul  honmie.  Par  la  fuite  du  tems,  les  Grecs  en  vinrent 


(71)  Ci-d   Liv.  I.  ch.  15.  p.  3^4- 

(72)  Giiijcn  BasrUreton  ,GraM,en  Allemand. 
(jjj  Ci-d.  tiv.  I.  ch.  I  s.  p.  104.  not.72. 


(74)PHn.  III.  5. 

(75)  Flin.  JU.  5.Lucan.  I.  v.  405.. 


136  HISTOIRE    DES     CELTES, 

fans  doute,  jufqu'à  rendre  des  honneurs  divins  aux  grands  hommes  à 
qui  ils  étoient  redevables  de  leur  établiffement  en  Italie  ;  mais  il  n'eft 
pas  facile  de  croire  que  les  Aborigines ,  les  Aufons,  les  Opiciens ,  en 
un  mot ,  les  Peuples  à  qui  ces  Conquérans  avoient  arraché  leur  Reli- 
gion &  leur  liberté,  ayent  pu  fe  réfoudre  à  leur  rendre  un  culte  reli- 
gieux. Cet  Hercule  ,  qui  étoit  fervi  dans  le  Pays  Latin  ,  étoit  affurément 
un  Héros  Grec.  L'Hiftorien  Romain  Cecilius  le  croyoit  ainfi.  Il  conjec- 
turoit  C76  )  que  la  Ville  de  Rome  avoit  été  bâtie  par  les  Grecs  ,  parce 
qu'on  y  ofFroit  anciennement  des  facrifices  à  Hercule ,  avec  les  mêmes 
cérémonies  que  l'on  obfervoit  en  Grèce.  Varron  fe  trompoit  donc, 
loriqu'il  afluroit  (77)  qu'Hercule  étoit  le  même  Dieu  que  les  Sabins 
appelloient  Sanclusy  ou  Sancus.  Portius  Caton  avoit  remarqué  (7  8)  que 
Sancus  étoit  un  Dieu  indigéte  des  Sabins ,  auquel  ils  rapportoient  l'o- 
rigine de  leur  Nation.  Si  ce  Sancus  étoit  fervi  le  long  des  grands  che- 
mins, ce  n'étoit  pas  ,  comme  (79)  Feftus  l'a  cru,  en  mémoire  d'Hercule 
qui  y  avoit  paffé ,  mais  parce  que  les  anciens  Habitans  de  l'Italie ,  com- 
me les  autres  Celtes,  avoient  leurs  Sanûuaires  hors  des  Villes,  &  le 
long  des  grands  chemins. 
Oa  (Ut  §.  VIII.  Il  faut  dire  un  mot  des  autres  Pays  de  la  Celtique  qu'Her- 

av.-it  paiVé  cule  doit  avoir  traverfé.  les  Poètes  afllirent  qu'il  entra  dans  le  Pays  des 
nmîiis*'^"  Hyperboréens ,  &  qu'ayant  pénétré  jufqu'aux  fources  du  Danube  (80), 
il  en  rapporta  l'olivier  dont  les  branches  fervoient  à  couronner  le  vain- 
queur dans  les  jeux  Olympiques.  C'eft  une  fuppofition.  Peut-être 
l'Hercule  Grec  s'avança-t-il  jufqu'au  Danube  ;  mais  il  ne  remonta  affuré- 
ment pas  jufqu'aux  fources  du  Fleuve ,  &  ce  n'eft  pas  de-là  que  l'olivier 
avoit  été  apporté  en  Grèce.  Tacite  parle  auili  d'une  tradition  félon  la- 
quelle Hercule  devoit  être  parvenu  jufqu'au  Sund  .(^Si  y  «On  publie, 
»  dit-il ,  qu'il  y  a  dans  l'Océan  Germanique  des  colomnes  d'Hercule , 
H  foit  qu'Hercule  ait  pénétré  jufques  là ,  foit  que  l'on  ait  coutume  d'at- 
»  tribuer  à  un  homme  fi  renommé  les  grands  &  magnifiques  ouvrages 
»  que  l'on  trouve  quelque  part  que  ce  foit  ».  Tacite  ,  en  rapportant 

(76)  Strabo  lib.  V.  p.  230.  j        (79)  Pomp.  Feftus  in  voce  Pr./,«r. 

(77)  Varro  de  Ling.  Lat.  lib.  IV. +.  P.  reftiis  |       (80)  Paufan.  EUac.  I.  cap.  j.p.  352.  ci-deflus 
in  voce  Prcj^tcr.  i  ch.  XII.  §.  3  •  not.  j  6. 

(78)  Dionyf.  Halie.  lib.  II.  pag.  113.  Silius  j       (81)  Tacit.  Germ.  cap.  34. 
Ital.  Ub.  viii.  V.  4.21.  1 

cette 


LIVRE    III.     CHAPITRE    XIV.  137 

cette  tradition,  infinue  affcz  qu'il  n'y  ajoute  point  de  foi.  «Depuis  Drufus 
»  Germanicus  perfonne  n'a  fait  de  recherches  ,  pour  découvrir  ces 
»  eolomnes  d'Hercule  ,  &  l'on  a  cru  que  c'étoit  une  chofe  plus  digne  de 
»  la  piété  &  du  refpeû  que  l'on  doit  aux  Dieux,  de  croire  ce  qu'on  dit 
»  de  leurs  exploits,  que  d'en  avoft  une  entière  certitude  ». 

Ce  n'eft,  cependant,  que  cette  particularité  qui  eft  révoquée  en  doute  Tacite  a(T.tre 
par  l'Hiftorien.  Il  étoit  perfuadé,  au  refte,  qu'Hercule  avoit  pafle  dans  la  ?,ains"ren"" 
Germanie  ,  &  qu'il  s'y  étoit  fignalé  par  fes  exploits.  <*  Les  Germains ,  dit-il  c°|°'un  cuîie 
«ailleurs  (82),    rapportent  qu'Hercule   a   paffé  dans  leur  Pays  ,  &  c'efrunemè^, 
»  quand  ils  vont  au  combat  ,  ils  le  célèbrent  comme  le  premier  de  ?"*=• 
»  tous  les  vaillans  hommes».  Cet  Auteur  affure  même  que  les  Peuples 
de  la  Germanie  rendoient  un  culte  religieux  à  Hercule  (83)  :  «  Ils  appai- 
»>  fent  Hercule  &  Mars  par  des  facrifices    d'animaux   permis  ».    Mais 
Tacite  s'eft  affurément  trompé  fur  cet  article.  Les  Germains  avoient 
leurs  Mars  auquel  ils  offroient  des  facrifices.  On  a  vu  dans  le  Chapitre 
VII  de  ce  Livre ,  que  c'étoit  Odin.  Mais  ils  n'ont  jamais  connu  l'Hercule 
Grec,  &  ce  n'étoit  point  fes  louanges  qu'ils  chantoient  en  allant  au 
combat.  Nous  verrons  dans  le  moment  ce  qui  a  fait  prendre  le  change 
à  cet  Hiftorien.  Il  étoit  bien  difficile  que  des  étrangers  ne  s'y  méprîffent. 
Contentons-nous  de  remarquer  ici,  i.^  que  c'eft  en  conféquence  du  pré- 
jugé où  il  étoit ,  que  Tacite  parlant  d'une  Foret  du  Pays  des  Chérufques, 
dit  (  84)  qu'elle  étoit  confacrée  à  Hercule.   Hercule  eft  ici  Vodan ,  le 
Dieu  de  la  guerre,  que  les  Germains  fervoient  dans  leurs  Forêts  confa- 
crées.  2.*  On  voit  le  même  préjugé  dans  une  Infcription  qui  a  été  trou- 
vée dans  le  Pays  de  Cléves.   On  y  lit  ces  paroles  (85)  Herculï  faxano. 
Cette   Infcription   eft  de    quelque   Romain  ,   qui  voulant  donner  un 
nom  latin  au  Dieu  Vodan  ,  que  les  Germains  fervoient  autour  d'un  amas 
de  pierres  ,  &  qu'ils  regardoient  comme  k  Dieu  des  Guerriers,  l'ap- 
pella   Hercules  fax  anus  ;  Hercules  ,   parce   qu'il   préfidoit  à  la  guerre; 
faxanus ,  parce  qu'on  lui  ofFroit  un  culte  religieux  au  milieu  d'un  grand 
nombre  de  groffes  pierres.  3.®  On  ne  s'arrêtera  point  aux  médailles  de 
Pofthumius ,  fur  lefquelles  font  gravés  les  noms  de  Hercules  Deufontnjïs, 
Hercules  Magufarzus  ,  parce  qu'elles  ont  été  conftammerrt  frappées  par 

I •■  -u  '  'I 

(5  2)Tacit.  Germ.  1.  1      (14)  Tacit.  Ann.  II.  iz, 

(Sî)  Tacit.  Getm.  s.  j       (»s}  Kejrflet  p.  Ijil^ 

Tçme  II.  S 


,     138  HISTOIRE    DES    CELTES, 

les  Romains.  La  flaterie,  pour  honorer  ce  Poflhumuis,  que  les  Gaulois 
proclamèrent  Empereur  ,  du  tems  de  ^86)  Galien,  lui  donne  ici  le  nom 
*  d'Hercule.  Les  mots  de  Deufonenfîs ,  &  de  Magufanus  font ,  félon  les 

apparences  ,  les  noms  des  lieux  où  Pofthumius  avoit  battu  les  Gtr- 
mains  (87).  • 

te»  Grec»  if-       §.  IX.  La  Thracc  étoit  voifine  de  la  Grèce ,  &  remplie  de  Peuples  éx- 
He^uicVnir  tfêmement  belliqueux.  Il  ne  faut  pas  être  furpris  que  les  Poètes  Grecs  en 
cxlélwioZ"  ayent  fait  le  théâtre  ,  où  leur  Héros  avoit  donné  les  plus  grandes  preuves 
en  Thrace.      j^  ^qj^  courage  &  de  fa  valeur.  On  prétend  qu'Hercule  eut  pour  maîtres 
dans  fa  jeunefle,  im  Scythe ,  nommé  Teutams  (88) ,  i[\n  lui  apprit  à  tirer 
de  l'arc,  &  un  Thrace  nommé  Linus  (  89) ,  qui  lui  enfeigna  à  jouer  de  la 
guittare.  L'EcoUer  ayant  peu  de  difpofitions ,  &  encore  moins  de  pen- 
chant pour  la  mufique ,  Linus  ofa  le  frapper  un  jour  de  fa  guittare ,  ce  qui 
irrita  tellement  le  Difciple,  qu'il  tua  fon  maître  fur  la  place  (90).  Arrivé 
à  l'âge  viril  ,  Hercule  fit  plufieurs  expéditions  en  Thrace.  Dans  l'une , 
il  tua  Diomede,  Roi  des  Thraces  Biftoniens  (91%  qui,  après  avoir  im- 
molé à  Jupiter  les  étrangers  qui  tomboient  entre  fes  mains,  les  faifoit  en- 
fuite  dévorer  à  fes  chevaux.  Dans  l'autre  (92) ,  il  défit  les  Géants ,  ou 
les  Titans. 
Ce  <]"i  pejt       Tout  cela  peut  être  vrai ,  ou  avoir  quelque  fondement ,  pourvu  qu'on 
foadtmem'.''  en  retranche  les  fables  des  Poètes ,  qui  ont  enrichi  le  fujet  à  leur  ma- 
nière ,  &  aux  dépens  de  la  vérité.  Ce  fut  du  tems  d'Hercule,  une  géné- 
ration avant  le  Siège  de  Troye  ,  que  les  Phéniciens  &  les  Egyptiens, 
qui  avoient  autrefois  pafle  en  Grèce  fous  la  conduite  de  Cadipus  (93)  & 
de  (94)  Danaùs ,  s'étant  accrus  &  affermis,  foumirent  entièrement  les 
Pèlalges,  qui  étoient  les  anciens  Habitans  du  Pays  (95).  Les  Pélafges 
ne  purent  fe  réfoudre  à  plier  fous  le  joug  du  vainqueur,  &  à  embrafler 
la  nouvelle  Religion  qu'il  avoit  apportée  en  Grèce;  ils  fe  retirèrent 
dans  la  Theffalie  ,   &  delà  dans  la  Thrace.  Us  y  furent  pourfuivis  par 

(1$)  Zofîmus  lib.  I.  p.  «z.  |  Ovid,  Ibif.  v.  3  Si.  401,  Sil.  Ital  lib.  m.  v.  J8. 


(«7)  On  peut  voir  fur  ces  Me'dàilles  Mafcau 
Lib.  V  c.  40.  p.  177.  Keyfler  p.  30.  zoo.Relig. 
des  Gaul.  Liv.  III  p.  zS. 

(8S)  Lycophr.  V.  s<.  p.  10.&  Schol.  '^ 

(ss)  Apollodor.  lib.  II.  p.  Sj. 

(90)  id.  Ibid. 

(91)  Apoilodor.  II.  95.  Diod.  Sic. IV.  Zi6. 


Euripid.  Alceft  v.  485.  Hercul.  Furens  v.  3Ï0, 
Solin.  p.  m.  215. 

(9  2'  Apollod.  I.  14.  ci-dcflus  Liv.  I.  chap.j. 
pag.  5f  52.  53. 

(93)  Ci-d.  Liv.  I.  ch.  9.  p.  40.  41.  4^1 

(94^  Hcrodot.  II.  91. 

(9$)  Ci-d.  Liv.  I,  cil.  9.  p,  4i-tî. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XIV.  139 

les  Grecs ,  &  les  chofes  en  vinrent  à  une  bataille  décifive  ,  dans  la  plaine 
de  Phlégra ,  où  les  Titans ,  c'eft-à-dire ,  les  adorateurs  du  Dieu  Tis , 
furent  entièrement  défaits  par  la  valeur  d'Hercule  qui  commandoit 
l'armée  Grecque.  * 

§.  X.  Il  ne  faut  pas  nier  non  plus ,  que  le  même  Hercule  ,  ou  quel- 
qu'autre  Héros  Grec  n'eût  paffé  dans  l'Afie  mineure  ,  &  qu'il  n'eût  battu, 
en  plufieurs  rencontres,  les  Scythes  qui  y  étoient  établis.  Les  Anciens 
afliirent  affez  généralement,  qu'Hercule  avoit  vaincu  (96)  les  Amazones 
près  du  Thermodon,  &  (97)  pris  la  Ville  de  Troye,  dont  il  avoit  ôté  le 
gouvernement  à  Laomédon  ,  pour  le  donner  à  Priam.  Quelques-uns 
ajoutent  que ,  dans  l'une  des  expéditions  dont  on  vient  de  parler ,  il  bâtit 
la  Ville  (  98  )  d'Héraclée.  Mais  il  y  a  toute  apparence  que  cette  tradition 
n'étoit  fondée  que  fur  le  non  mèm^  à^ HéracUe ,  que  cette  Ville  reçut, 
non  parce  qu'Hercule  l'avoit  bâtie  ,  mais  parce  qu'elle  lui  avoit  été  con- 
facrée  dans  le  tems  même  de  fa  fondation ,  comme  on  peut  le  voir  dans 
Juftin  (99). 

Au  refle ,  il  y  a  ici  deux  chofes  qui  font  confiantes.  La  première  ,  c'eft 
que  l'Afie  mineure  étoit  remplie,  du  tems  d'Hercule ,  d'un  grand  nombre 
de  Peuples  Scythes,  qui  y  étoient  paffés  de  l'Europe;  la  féconde,  qu'ils 
furent  dépofTédés  de  l'Eolie,  del'lonie,  &  de  plufieurs  autres  Contrées, 
par  les  Grecs.  11  eft  vrai  que  la  chofe  n'arriva  (  100)  que  long-tems  après 
les  expéditions  d'Hercule  ;  mais  il  ne  faut  pas  douter  que  les  Grecs ,  avant 
que  de  s'établir  dans  l'Afie  mineure,  n'y  euffent  paffé  plufieurs  fois 
avec  leurs  flottes.  Par  ces  raifons ,  il  ne  paroît  pas  impoffible  qu'Her- 
cule n'eût  fait  quelque  tentative  fur  les  Villes  maritimes  de  l'Afie 
mineure.  Mais  il  y  a  beaucoup  lieu  de  douter  qu'il  fe  fût  éloigné  des 
côtes,  &  encore  plus  qu'il  fût  parvenu  jufqu'en  Albanie  (ici),  &  au 
Mont  (102)  Caucafe.  Il  faut  avouer  aufîi  qu'il  n'efl  pas  facile  d'expliquer 
parfaitement  la  (103)  fable  qui  porte  qu'il  délia  Promethée ,  que  Jupiter 


Ce  qu'on  dit 

d-'î  fvp'di- 
lOtii  d'Het- 
cuL-  en  Afie 
poLic  aiifli 
svoir(]uelque 
fo.idcmcu:. 


(9*)  Juftin.  II.  4.  Euripide  Hercul.  Fur. 
T.  40S.  dit  que  ce  fut  près  des  Talus-Méotides 
qu'Hercule  vainquit  les  Amar.ones. 

(97)  Dionyf.  Halic.  lib.  I  p.  27.  ApoUoder. 
lib.  I   p.  %.  II.  91. 

(9S)Pomp.  Mêlai,  cap.  9.  p.  3}. 

(99)  Juftin  XVI.  3. 

(100)  Hercule  vivoit  une  généiation  avant 


le  fiége  de  Troye.  Les  Ioniens  pafferent  en  Afie 
I  3°'  ou  14a.  ans  après  la  ptife  de  cette  Ville. 
On  prétend  que  les  Eoliens  y  avoient  paiTé 
30  ans  plutôt.  Vùytz,  Petav.  Rat.  Temp.  lib.  I, 
p.  S3.  Kickii  Canon.  Chtonol.  p.  405.  3cf«q. 

(10  1)  Juftin.  xiir.  3. 

(loz)  Strabo  iv.  r  83. 

(103)  ApoUodor.  I.  p   19. 

Sx 


I40  H  I  S  T  O  I  R  E    D  E  S    C  E  L  T  E  S, 

avoit  fait  attacher  au  Mont  Caucafe  par  Vulcain ,  parce  qu'il  avoit  formé 
le  premier  homme  de  terre  &  d'eau,  &  parce  qu'il  avoit  volé  le  feu  dvi 
Ciel  pour  l'animer.  Tout  ce  que  l'on  voit  dans  un  conte  û  ridicule  ,  c'eft 
I.®  que  le  nom  de  Promttheus  fignificut,  parmi  les  Scythes,  (104)  le  ^on 
Theus  ;  c'efl:  le  nom  que  ces  Peuples  donnoient  au  Dieu  fuprême  ÔC  à  fes 
Miniftres.  1°.  Les  Scythes  qui  attribuoient  la  produftion  de  l'homme 
3u  Dieu  fuprême ,  difoient  auffi  que  le  bon  Teut  avoit  formé  le  corps  de 
l'homme  de  terre  &  d'eau  ,  &  qu'il  l'avoit  animé,  en  le  rempliffant  d'un 
feu  célefte.  Tout  cela  s'accorde  parfaitement  avec  leur  Dodrine.  3.°  Ces 
Peuples  offrant  à  leurs  Dieux  des  viûimes  humaines  ,  &  le  but  des 
facrifices  étant  de  découvrir  l'^ivenir  par  l'infpeftion  des  entrailles  de  ces 
malheureufes  viûimes,  on  entrevoit  que  les  Grecs  qui  déteftoient  ce  bar- 
bare ufage ,  ont  pu  dire  à  leurs  enfans ,  que  les  Sacrificateurs  Scythes 
avoient  été  condamnés  par  Jupiter  à  voir  dévorer  leur  propre  foye  par 
des  vautours.  4.''  Mais  ce  qu'on  ne  fçauroit  comprendre  abfolument , 
c'eft  qu'Hercule  qui  étoit  l'ennemi  déclaré  de  l'ancienne  Religion ,  èç. 
qui  contribua  de  tout  fon  pouvoir  à  introduire  la  nouvelle,  n'ait  pas  laifTé 
d'être  le  libérateur  de  Promethée.  LaifTons  à  ceux  qui  voudront  s'en  doa- 

/  ner  la  peine,  le  foin  de  chercher  quelque  folution  pour  lever  cette  diffi- 

culté qui  paroît  infurmontabje. 

srion  Héro-      §.  XI.  Pour  finir  cette  énumération  par  les  Scythes,  Hérodote  affiire 

;dote,  riercu-  .  .  i.v, 

le  étoit  adoré  (ïoj)  quc  ceux  qui  demeuroient  au-delà  du  Danube,  adoroient,  en- 
jhc.."  ^'^^'  tr'autres  Dieux  ,  Mars  &  Hercule.  Le  Mars  des  Scythes ,  ou  des  Ger-r 
mains  étoit  le  Dieu  fuprême  (106),  qu'ils  appelloient  Tay ,  Teut ,  o\i 
Odin.  On  verra  tout  -  à  ^  l'heure  ce  qu'étoit  cet  Hercule  ,'  dont  on 
prétend  qu'ils  joignaient  le  culte  à  celui  de  Mars.  Le  même  Hiftorien 
rapporte  ailleurs  (107)  qu'Hercule,  revenant  d'Efpagne  ,  paffa  dans  Iji 
Scythie ,  qui  étoit  encore  inhabitée  :  il  y  troiiva ,  cependant ,  une  efpèce 
de  Syrène ,  qui  étoit  d'une  forme  tout-à-fait  monftrueufe  ;  elle  fçut 
l'engager  à  paffer  une  nuit  avec  elle ,  &  lui  annonça  le  lendemain  qu  elle 
lui  donneroit  trois  fils.  La  prédiftion  ayant  été  accomplie ,  elle  nomma  le 
premier  Jgathyrfus ,  le  fécond  Gelonus ,  Si  le  troifième  Scytha.  Héro, 
dote  (108)  avoue  de  bonne  foi  que  cette  fable  étoit  inconnue  aux  Scythes, 
•  —     ^  — -        — — , -^ 

(io^)Tr(»n-Thtus,leboaTheu!.  1      (107)  Heiodot.  iv.  S.  8c  feg. 

(los)Ci-d.  ch.  III.  $.  a.not.  S,  I      (ip8}H«odot.  IV.  ». 

(lotf)  çi-d.  ck.  vil.  ' 


Les  Celtei  nt 
point  deculte 


LIVRE    ni.    CHAPITRE    XIV.  141 

ï,lle  venoit  des  Grecs ,  qui  vouloient  abfolument  ,  que  tous  les  Peu- 
ples de  l'Univers  defcendiffent  de  leur  Nation.  On  peut  attribuer  aux 
2nêni£S  Grecs  un  autre  conte  qui  vaut  bien  le  premier.  Il  porte  que 
l'on  (105)  voyoit  fur  un  rocher,  près  du  fleuve  Tyras  ,  l'empreinte  du 
pied  d'Hercule ,  qui  avoit  deux  coudées  de  long, 

§.  XII.  11  faut  voir  préfentement,  comment  il  a  pu  arriver  que  les  An- 
ciens ayent  affuré  fi  généralement ,  que  les  Celtes  rendoient  un  culte 
religieux  aftx  Héros ,  &  fur-tout  à  Hercule.  Ce  n'étoit  point  la  coutume  '^^f^^^''  *"* 
de  ces  Peuples  de  mettre  les  grands  hommes  au  rang  des  Dieux ,  ni  pen- 
dant leur  vie  ,  ni  après  leur  mort.  Trois  raifons  le  prouvent  clairement. 
La  première ,  qui  a  déjà  été  alléguée  au  commencement  de  ce  Chapitre  , 
c'eft  qu'ils  fe  moquoient  des  Grecs  ,  qui  admettoient  des  Dieux  iffus  des 
hommes.  En  fécond  lieu,  cette  apothéofe  étoit  incompatible  avec  leur 
Théologie.  Ils  foutenoient  (no)  que  le  monde  étoit  incorruptible; 
ils  croyoient  que  le  Créateur  avoit  uni ,  dès  le  commencement ,  à  cha- 
que Elément,  une  intelligence  qui  le  dirigéoit,  &  qui  ne  devoit  jamais 
en  être  féparée.  Quel  empire  aur£>ient-ils  donc  pu  attribuer,  &c  quel 
culte  auroient-ils  pu  rendre  à  de  nouveaux  Dieux ,  qui  étoient  une  pièce 
hors  d'œuvre  dans  leur  fyftême  ?  La  troifième  preuve,  qui  eft  décifive, 
c'eft  la  Doûrine  même  des  Celtes  fur  le  fort  de  l'homme  après  cette  vie 
(i  I  i).  Ils  ne  croyoient  pas  que  l'ame  des  grands  hommes  fïit  élevée  après 
la  mort  au-delTus  de  la  condition  humaine.  Ils  difoient  que  les  braves 
sllojent  trouver  OMn ,  le  Dieu  des  combats,  &  qu'ils  jouiffoient  auprès 
de  lui  de  tous  les  plaifirs  qui  peuvent  flatter  les  Guerriers.  C'eft  ce  qu'on  ' 
^ura  occafion  d'expliquer  plus  au  long  dans  l'un  des  Chapitres  fuivans.    pourquoi». 

^.  XIII.  Voici  ce  qui,  vraifemblablement,  a  fait  croire  que  les  Peuples  '■°"  V"  1"' 
.Scythes  &  Celtes  veneroient  les  Héros. 


(109^  Herodot  iv.  8i. 

1 10  Ci-d.  ch.  VI.  §.  16.  not.  153. 

(iii]  L'Auieur  de  la  Keligion  des  Gaulois 
liv.  I.  p.  8  8.  dit  :  «  Les  Gafcons  croyoient  icn- 
i>  die  un  bon  office  aux  hommes  qu'ils  immo- 
)y  loienti  cai  ils  pre'tendoiçnt  que  leurs  âmes 
»  e'toient  déifiées  par  la  voye  de  l'immolation  , 
»  &  qu'elles  avoient  rang  parmi  les  Dieux.  »  Il 
le  prouve  par  un  «ndroit  de  l'Hymne  de  pru- 
dence ,  compofe'e  à  l'honneur  des  Martyrs  Hemi- 
leriui  liChihHsniki.  Prudent,  teii  Steph.  Hymn. 

^,  V,  $^.  jtli>i$  ;  félon  les  apj iiences ,  l'AutcHr 


de  ta  Religion  dei  Gaii/dii  n'avoit  point  lu..Ie  paf- 
fage  de  Prudence.  Ce  Poëte,  rapportant  les  mi- 
racles que  Dieu  ope'roit  fur  le  tombeau  des  Mar- 
tyrs Uemiteriiis  &  Chtlidinius ,  dit  à  ceux  des 
Gafcons  qui  demeuroient  encore  dans  l'Idolatiiç  : 
»  Croyez-vous  préfentement  et  que  vous  m  pon- 
»  vitz,  eroire  du  tems  que  vous  e'tiez  plônge's 
»  dans  les  ténèbres  du  Paganifme  ?  A  la  vue  de 
»  ces  Miracles,  ne  reconnoîtrcz-vous  pas  qud 
»  l'ame  des  Martyrs,  que  vous  avez  fait  mourir 
»  fi  cruellement,  a  e'.té  poitc'e  entre  les  bm  de 


Î4Z  HISTOIRE    DES    CELTES, 

aoi-ntun  !•"  ^cs  Peuples  étoient  dans  la  ferme  perfuafion,  qu'un  homme  qui 

cii'terciigieuï  n^ourolt  à  la  guerre,  ou  de  quelqu'autre  forte  de  mort  violente,  paffoit 

Héros  î         fùrement  &  infailliblement  à  une  vie  menheureufe  (m)-  En  conle- 

quence  de  ce  préjugé  ,  les  Scythes  (  113  )  difoient  au  Meffagers  qu'ils 

envoyoient  à  Zamolxis  (à  14),  qu'ils  alloient  leur  donner  l'immortalité. 

De  ce  que ,  parmi  les  Grecs ,  donner  ^immortalité  à  un  homme ,  fignifioit 

le  mettre  au  nombre  des  Dieux ,  on  a  conclu  que  les  Scythes  avoient,  fur 

cet  article,  la  même  Doârine  &  la  même  pratique  que  les  Grecs.  C'eft 

ime  chimère.  Donner  Vitnmortalité ,  parmi  les  Scythes ,  étoit  ce  que  nous 

appellerions  envoyer  quelqu'un  à  la  vie  éternelle. 

2."  Les  Scythes  &  les  Celtes  avoient  un  profond  refpeft  pouf 
leurs  Druides ,  &  fur-tout  pour  leur  Pape.  Il  eft  affez  naturel  de  fe  fervir 
de  ce  terme,  puifqu'ils  en  avoient  un  ,  ainfi  que  les  Chrétiens.  Ils 
crOyoient  que  les  Eccléfiaftiques ,  remplis  de  l'efprit  de  Dieu  ,  con- 
noiffoient  le  pafle,  le  préfent,  l'avenir,  avec  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
caché  dans  la  nature ,  &  leur  attribuoient  le  pouvoir  d'opérer  les  chofes 
du  monde  les  plus  extraordinaires.  Aufli  vénéroient-ils  dans  leurs  Pro- 
phètes ,  &  dans  leurs  Prophéteffes ,  le  Dieu  dont  ils  étoient  les  Miniftres 
&  les  Interprètes ,  &  recevoient-ils  leurs  décifions  comme  les  oracles 
mêmes  de  la  Divinité.  Tacite  remarque  (i  i5)«  que,du  tems  de  l'Empe- 
«  reur  Vefpafien  ,  la  plupart  des  Germains  regardèrent  long  -  tems 
»  Veleda  comme  une  Divinité ,  &  qu'ils  avoient  autrefois  vénéré  Au- 
»  rinia ,  èc  plufieurs  autres  femmes ,  non  par  flaterie ,  ni  comme  s'il 
'     »  leur  appartenoit  de  faire  des  Déefles  ». 

Cette  vénération  étoit  portée  fi  loin  par  les  Peuples  Celtes ,  qu'ils 
ne  faifoient  pas  difficulté  de  donner  à  leurs  Pontifes  le  nom  même  du 
"^  Dieu  au  culte  duquel  ils  préfidoient.  »  Zamolxis ,  difoit  Strabon  (116), 

»  fut  d'abord  créé  Sacrificateur  du  Dieu  que  les  Celtes  fervent  préfé- 
»  rablement  à  tous  les  autres.  Enfuite  il  reçut  aufîi  le  nom  de  Dieu  ». 
Tacite  fait  la  même  remarque  ,  en  parlant  de  cette  Feleda  dont  on  vient 
de  faire  mention  (117).  «  C'étoit  ,  dit- il  ,  une  Vierge,  Bru£tere  de 

»  nation,  qui  avoitune  domination  fort  étendue.  Les  Germains  étoient 
1'  ■ 

(lîî)Ci-d.  ch   VI.  §.  i<S.  not.  i»s- eh.  VII.         (iis)  Tacit.  Germ   cap.  8. 


>.  t.  not   3  I. 

(1I3)  Herodot.  lV.94.Lucian.Scyth.p.  340. 
^   (ti4}  Vojti^ci-ôi.  ch.  VI.  §.  16.  p.  lyj. 


(lis)  Strabo  IV.  198. 
(117)  Tacit.  Hiflor.  IV.  61. 


LIVRE    III.    C  H  A  P  I  T  R  R    XIV.  145 

a  accoutumés  de  toute  ancienneté  ,  à  tenir  la  plupart  des  femmes  pour 
M  des  Prophéteffes ,  &  même  pour  des  Déeffes ,  quand  la  fuperftition 
»  vint  à  s'en  mêler  ». 

On  a  prétendu  conclure  delà   que  les  Peuples  Celtes  faifoîent  des 
Dieux  félon  leur  bon  plaifir.  «Les  Scythes  &  les  Gétes,  difoit  Lucien 
«(118),  donnent  l'immortalhe  k  qui 'A  leur  plaît,  &  mettent  au  nombre 
w  des  Dieux  qui  ils  veulent ,  de  la  même  manière  que  Zamolxis ,  qui 
Mn'étoit  qu'un  efclave  ,    fut  placé  parmi   les   Dieux».    C'eft  encore 
une  illufion.  Les  Celtes  donnoient  à  des  hommes  le  nom  de  Dieu  pendant 
leur  vie ,  &  non  pas  après  leur  mort.  Le  Succeffeur  du  Prophète  ou  du 
Pontife ,  héritoit  auiE  de  fon  titre,  Strabon  &  Tacite  l'afTurent  expreffé- 
jnent.  Le  premier  dit  (119)  «que,  depuis  le  tems  de  Zamolxis,  il  s'é- 
»toit  toujours  trouvé  quelque  Pontife,  qui  fe  difant  rempli  de  l'efprlt 
»de  Dieu,  &  fervant  de  confeil  au  Roi,  étoit  honoré  par  les  Gétes 
»  du  titre  de  Dieu  ».  Le  fécond  dit  (ixo)  que«  les  Germains  ont  vénéré 
»  autrefois  Aurinia  ,   c'eft -à- dire  ,  pendant  fa  vie,    &  que,  fous  le 
»  règne  de  Vefpafien ,  ils  ont  regardé  pendant  long-tems  Vd:da  comme 
wune  Déeffe».   C'eft -à -dire,   qu'ils  en  eurent  cette  idée,  jufqu'à  ce 
qu'elle  eût  été  faite  prifonnière  par  les  (m)  Romains.  Alors  l'opinion 
que  l'on  avoit  de  fa  Divinité  ,  ou,  comme  nous  le  dirions,  de  fa  magie, 
s'afFoiblit  infenfiblement,  &  bientôt  fe  perdit  tout-à  fait. 

3.^  Après  les  Gens  d'Eglife,  le  grand  objet  de  la  vénération  des 
Peuples  Celtes  étoit  les  bons  Guerriers.  On  en  a  vu  la  raifon  dans  le 
Livre  précédent  (m).  Ces  Peuples,  ne  connoiflbient  point  d'autre  pro- 
fefîion  que  celle  des  armes,  ni  d'autre  gloire  que  celle  de  fe  diftinguer 
dans  ce  noble  métier;  les  honneurs,  les  louanges  ,  les  diftinûions  ,  la 
confiance  du  Public ,  tout  cela  étoit ,  pour  ainfi  dire,  confacré  aux  Héros, 
Vénérés  pendant  leur  vie ,  ils  l'étoient  aufll  après  leur  mort.  Premiè- 
rement, on  leur  donnoit  le  titre  de  Herr  ^  ou  de  (123)  Hans ,  qni  étoit 
réfervé  aux  Dieux,  &  aux  Prince?,  Ainft  Jornandés  dit  (114)  que  les 
Goths ,  après  une  viftoire  fignalée ,  qu'ils  avoient  remportée  fur  les  Ro- 
mains,  donnèrent  à  leurs  Généraux  le  nom  ^ Anfts  y  qui  défigne  quelque 


(t  it)  Lucian.  neor  Concil.  p.  109I, 

(llsi'  Strabo  IV.  29». 

(i»o    Tâeit.  Germ.  cap   S. 

(izi;  Statius  S^Ivat.  I.  Caria.  4.  v.  t;.  lY. 


ilarm.  10  r.  24. 

(1  71    Ci-d  Liv.  II.  ch.  12.  p.  lii.  &  fuir. 
(113    Ci-d.  ch.  VII  $.  s.not.  $8. 
(124)  Jotnand.  Goth.  xiii,  p.  £79, 


tu  HISTOIRE    DESCELTÉ5, 

chofe  de  plus  qu'un  fimple  homme ,  &  qui  marque  une  efpèce  de  demi-- 
Dieu.  De  même  la  Mythologie  desiflandois  (125)5  quand  elle  parle  des 
Héros^  qui  font  avec  Odin ,  dans  le  Valhalla ,  les  appelle  toujours  (116) 
Einherren ,  mot  que  l'Interprète  Latin  a  rendu  par  celui  de  Mono-heroës. 
En  fécond  lieu  ,  on  célébroit,  près  le  tombeau  des  braves  (  12.7) ,  des 
feftins  ,&  des  combats  funèbres,  &  dans  ces  fol^mnités ,  on  dépêehoit 
fouvent  au  mort  im ,  ou  plufieurs  meifagers ,  pour  l'informer  des  hon- 
neurs qu'il  recevoit  parmi  les  vivans.  Enfin  ,  ce  qu'il  faut  bien  remarquer  y 
on  compofoit  à  l'honneur  des  Héros  ^  quelqu'un  de  ces  Cantiquejqui  ont 
été  repréfentés  au  long  dans  le  Livre  précédent  (128).  Ces  Hymnes  com- 
mençoient  par  les  louanges  de  Dieu.  Ils  finifToient  par  l'él-oge  des  grands 
hommes,  qui  s'étoient  difîingués  au  milieu  de  chaque  nation  dans  le- 
métier  des  armes  ,  &  particulièrement  de  ceux  qui  avoient  perdu  la 
vie  pour  la  défenfe,  ou  pour  la  gloire  de  la  Patrie  (12-9).  On  y  rap- 
pelloit  le  fouvenir  de  leur  bravoure ,  &  de  leurs  exploits  :  on  y  célébroit 
le  bonheur  dont  ils  jouiflbient  auprès  du  grand  Odin.  La  jeuneffe  appre- 
nôit  ces  Cantiques ,  pour  fe  remplir  de  bonne-heure  d'une  noble  émula- 
tion. Le  Soldat  les  entonnoit  en  allant  lui-même  à  la  charge ,  &  s'animoil 
ainfi  lui-même  à  fuivre  de  fi  beaux  modèles.  On  les  chantoit  encore  dans 
toutes  les  folemnités,  &  même  dans  les  Affemblées  religieufes,  pour  for- 
cer, Si.  pour  entretenir  dans  le  cœur  de  tous  ceux  qui  y  affiftoient ,  les 
fentimens  de  valeur  &  de  bravoure ,  que  ces  Hymnes  repréfentoient , 
comme  le  véritable  &  le  feul  chemin  de  l'immortalité» 

Voila  affuréraent  ce  qui  a  fait  croire  que  les  Peuples  Scythes  & 
Celtes  rendoient  un  culte  religieux  aux  Héros.  Les  Hymnes  que  ces. 
Peuples  chantoieni;,  pendant  le  fervice  ,  faifoient  mention  des  Héros  ; 
ofi  en  a  conclu  que  ces  grands  hommes  étoient  l'objet  même  du  culte.. 
Mais  on  l'a  fuppofé  fans  raifon,  pour  avoir  jugé  de  la  chofe  par  les  appa- 
reftces  j  plutôt  que  par  le  fond  même  de  la  Religion  des  Celtes ,  dont  le 
fyflême  étoit  incompatible  avec  un  femblable  culte.Ainfî  Lucien  fait  dire 
à  un  Scythe  (  130)  :  «Nous  offrons  des  facrifîces  aux  gens  de  bien. 


(125)  Edda  IfhiKi.  Mythol.  3?. 

(tîS)  C'cfl,  un  mot  compofe  de  celiti  de 
irrè  ,  un  ,  &  Hirr,  Seigneur. 

(117)  On  aura  occalion  de  le  prouver  ,  en 
parlait  de  ce  <}ue  lés  Celtes  pratiquoient  par 
laippott  aux  cntexrgmeas  Se  aux  obfc'qires. 


(lî8)  Ci-d.  Liv.  îl.  ch,  lo'.  p.  i?«.  ii  fuir. 

(129)  On  voit  dans  Horace  que  ,  de  fon  feras, 
les  Romains  chantoient  encore  des  femblable» 
Hymnes  dans  leurs  folemnite's.  Horat.  Caub 
lib.  IV.  Od.  I  j. 

(lioj  Lucian.  Toxuiç.  611. 

»  c*efl-à-dlrej^ 


'^. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XIV.  145 

»  c'eft-à-dire ,  aux  braves ,  &  nous  célébrons  à  leur  honneur  des  Fêtes 
w  folemnelles  ».  Lucien  l'a  cru  ainfi ,  p^rce  que  les  Scythes  faifoient  men- 
tion des  Héros  dans  leurs  facrlfices  &  dans  leurs  Fêtes.  Ainfi  Hérodote  dit 
fur  le  même  fondement  (131),  que  Xerxès  étant  arrivé  à  Pergame ,  y 
»  offrit  à  la  Minerve  Trojenne  mille  bœufs  ,  dont  les  Mages  employe- 
»  rent  la  chair  à  faire  des  obféques  aux  Héros  ».  Cette  Minerve  des 
Troyens  étoit  la  Terre  ,  la  grande  Divinité  des  Amazones ,  des  Phry- 
giens, des  Lydiens  ,  &  des  autres  Peuples  Celtes  de  l'Afie  mineure. 
Les  Mages  offrirent  à  la  Terre  mille  bœufs ,  c'eft-à-dire ,  qu'après  avoir 
égorgé  les  vidimes ,  ils  en  firent  bouillir  la  chair  ,  retendirent  fur 
l'herbe  verte,  &  chantèrent  la  Théogonie,  la  génération  des  Dieux  & 
des  hommes,  la  produftion  de  toutes  chofes  parles  deux  Principes,  fçavoir 
le  Dieu  fuprême  &  la  Terre  fa  femme.  C'eft  dans  le  chant  de  cette  forte 
d'Hymnes  (132)  que  lés  Mages  faifoient  confifter  le  facrifice,  ou  la 
confécration  de  la  viâime.  Comme  la  chair  des  vidimes  étoit  ordinai- 
rement mangée  dans  des  feftins ,  où  l'on  continuoit  de  chanter  ces  Hym- 
nes qui  commençoient  par  les  louanges  de  la  Divinité,  &  qui  finiffoient 
par  l'éloge  des  Guerriers ,  Hérodote  a  dit  que  ces  vidimes  ,  immolées  à 
Minerve ,  fervirent  auffi  à  faire  des  obféques  aux  Héros.  Le  même  Hé- 
rodote remarque  ailleurs  (133)  que  les  Scythes  fervent  Mars  6c  Hercule, 
Tacite  en  dit  autant  des  (1:3^)  Germains.  Man  eft  ici  Teut  y  ou  Odïn  , 
le  Dieu  de  la  guerre  :  Hercule  défigne  les  braves-,  qui  jouiffoient  auprès 
de  ce  Dieu  de  la  fouveraine  félicité.  Ces  Hiftoriens  ont  cru  devoir  faire 
une  Divinité  de  cet  Hercule.  On  en  voit  la  raifon  dans  ce  qui  vient  d'être 
expofé.  Il  étoit  célébré  dans  des  Cantiques ,  qui  faifoient  une  partie  ef- 
fentielle  du  culte  de  la  Divinité. 

§.XIV.  On  fent  bien,. au  refte,  que  les  braves  dont  les  Celtes  fai-  r.esHcrcuit# 
foient  l'éloge  dans  leurs  Cantiques ,  n'étoient  pas  des  Héros  étrangers.  n,",=|j«5^i"'» 
De  grands  hommes  de  l'antiquité  ,  (135)  Varron,  par  exemple,  Cicé-  <!■»'"''"« 
ron  &  Servius  ont  reconnu  qu'il  y  a  eu  plufieurs  Hercules,  &  qu'on  a  =<oieiiticn'» 
attribué  mal-à-propos  à  un  feul  homme  des  exploits ,  des  conquêtes ,  en  toTr" 
un  mot,  une  gloire  que  plufieurs  ont  partagée.   Cette  remarque  eft 
très-folide  ;  mais  fi  l'on  veut  y  prendre  garde ,  on  fe  convaincra  facile- 


(i3t)  Herodot.  VII.  +3. 
(U2)  Herodot.  I.  I32. 
(ij3)  Ci-d.ch.  II}.  $.  i.not.  t. 

i  Tomt  II,    ^ 


(134)  Ci-d.  $.  ».  not.  «3. 
(13  s)  Servius  ad  iEneid.  viil.  V.  j«|.p.  J4»; 
XI.  ^6i.  Ciceio  de  Nat.  Deor.  lib.  m.  cap.  41» 

y. 


Ï4Ô  HISTOIRE    DES    CELTES, 

ment  que  tous  les  Hercules  dont  les  Grecs  &  les  Latins  vantent  les  ex- 
ploits ,  avoient  été  les  ennemis  déclarés  des  Peuples  Scythes  &c  Celtes 
&  les  deftrufteurs  de  leur  Religion.  Ils  avoient  exterminé  (136)  les  Ti- 
tans en  Efpagne  ,  en  Italie ,  &  en  "thrace.  Ils  avoient  défait  les  Géants 
Albion  &  Bergion  ,  tué  le  brigand  Cacus ,  aboli  les  duels ,  &  la  coutume 
barbare  d'offrir  aux  Dieux  des  viûimes  humaines.  Ils  avoient  bâti  des 
Villes ,  pour  tenir  en  bride  les  Peuples  qu'ils  avoient  fournis  ,  &  pour 
enchaîner  leur  liberté.  Comment  veut-on  que  les  Peuples  Celtes  celé- 
braffent  par  leurs  Cantiques  des  Héros  de  cet  ordre  ?  Etoit-ce  le  moyen 
d'allumer  le  courage  du  Soldat,  que  de  lui  faire  chanter  des  Hymnes  qui 
lui  auroient  rappelle  la  défaite  de  fa  Nation  ?  La  vérité  eft  qu'ils  chan- 
toient  leurs  propres  Héros.  Diodore  de  Sicile  l'avoue  fort  ingénuement , 
quoiqu'il  ait  débité  bien  des  fables  fur  le  fujet  de  l'Hercule  Grec  (137). 
«  Un  Gaulois  ,  dit-il ,  à  qui  l'on  a  fait  un  appel ,   va  au  combat ,   en 
»  célébrant  par  fes  Hymnes  la  bravoure  de  fes  Ancêtres.  Les  Celtes  f 
»  dit  encore  Elien  (138),  choififfent  pour  fujet  de  leurs  Hymnes,  les 
»  braves  qui   ont  perdu  la  vie  ,   en  combattant    vaillamment   contre 
«l'ennemi».  Lucain  dit  la  même  chofe  (139).  Il  en  étoit  des  Germains 
comme  des  Gaulois.  Ammien  Marcellin ,  parlant  d'une  bataille  qui  fe 
donna  entre  les  Goths  &  les   Romains ,  du  tems  des  Empereurs  Va- 
lens  &  Gratien  (140)  ,  dit  que  «  les  Barbares  commencèrent  le  combat 
»  en  chantant  d'une  voix  difcordante  les  louanges  de  leurs  Ancêtres  ». 
Un  paflage  de  Jornandés  éclaircit  &  confirme  celui  qui  vient  d'être  cité 
(  141  ).  «  Les  Goths  chantoient  au  fon  de    la  guitare  les  exploits  de 
w  leurs  Ancêtres,  tels  qu'avoient  été  Ethefpamara ,  Hamala  Çi4i),Fri' 
^i  digerne  (143),   Vidicula ,   &c  plufieurs  autres  dont  ce  Peuple  avôit 
»  une  opinion  fort  avantageufe ,  qui  furpafToit ,  en  quelque   manière  , 
»>  l'idée  qu'une  antiquité  fabuleufe  nous  donne  des  Héros  ».   Tacite , 
qui  écrivoit  fous  l'empire  de  Trajan  (144)  ,  rapporte  auffi  que  les  Ger- 
mains avoient  depuis  long-tems  un  Cantique  compofé  à  la  louange  de 
cet  Arminius ,  qui  avoit  défendu  fi  vaillamment  leur  liberté  contre  les 


■  (lî«)  Ci-d.  Liv.  I.  ch.  9.  p.  43-53. 
(137)  Diod   Sic.  V.  iii. 
(138;  itlian.  Var.  Hift.  lib.  xii.  cap.  23, 
(i3s)  Lucan  I.  v.  447. 
(140)  Anun.  Maic.  ^XXI.  p.  £32. 


(141)  Jornand.  cap.  iv.  p.  «17. 

(142)  Chef  de  la  famille  des  Am»U: 
(143;  Joinand.  cap.  xxxiu.  p.  «60. 
(144;  Tacit.  Ann.  II.  38. 

(144J  Tacit,  Ann.  II.  ii< 


LIVRE    HT.     CHAPITRE    XV.  147 

Empereurs  Augufte  &  Tibère.  Voila  quels  étoient  les  Hercules  des  Peu- 
ples Celtes.  C'étoient  leurs  propres  Héros.  Ils  les  appelloient  (iie-Herren, 
les  Seigneurs ,  die-Carkn  (145) ,  les  Braves  :  il  ne  feroit  donc  pas  furpre- 
nant  qu'ils  euffent  répondu  affirmativement  aux  étrangers  qui  leur  de- 
mandoient,  s'ils  ne  connoiffoient  pas  Hercule,  &  s'ils  ne  le  célébroient 
pas  dans  leurs  Cantiques. 


CHAPITREXV. 

1_  E  Chapitre  de  Bacchus  ne  fera  pas  aufll  long  que  celui  A^ Hercule.  On 
prétend  «  que  Bacchus  étoit  fervi  par  divers  Peuples  Celtes  ;  &  en 
»  particulier,  par  les  (i)  Efpagnols ,  les  (2)  Gaulois,  &  les  (?)  Thraces, 
t>  Les  derniers  étoient ,  cependant  ,  celui  de  tous  les  Peuples  Celtes  » 
»  qui  avoient  le  plus  de  dévotion  pour  le  Dieu  de  la  vendange.  On 
»  voyoit  dans  leur  Pays  un  grand  nombre  de  Sanûuaires  (4)  confa- 
V  crés  à  ce  Dieu,  &  fervis  par  des  (5)  Prêtres  &  par  des  (6)  Prê- 
w  trèfles  ,  qui  étoient  tous  en  pofTefîion  du  don  de  deviner.  Comme 
w  les  Thraces  appelloient  Bacchus  dans  leur  Langue  (  7  )  Sabus ,  ou 
ySataiius ,  les  Sanftuaires  qui  lui  étoient  dédiés,  les  Prêtres  qui  pré- 
M  fidoient  à  fon  culte  ,  les  Peuples  au  milieu  defquels  il  étoit  établi , 
»  les  Fêtes  enfin ,  que  l'on  célébroit  à  l'honneur  du  Dieu,  portoient  tou- 
»  tes  le  même  nom,  ou  au  moins  ,  un  nom  dérivé  de  celui-là.  11  en  étoit 
»  de  même  dans  toutes  les  Contrées  de  la  (8)  Phrygie,  oîi  les  Thraces 
»  avoient  envoyé  des  Colonies. 

§.  II.  Comme  la  vigne  avoit  été  portée  en  Efpagne  &  en  Thrace  par' 
des  Orientaux ,  il  ne  faudroit  pas  être  furpris  qu'ils  eufTent  introduit 
le  culte  du  Héros  (  9  )  Syrien  ,  ou  Phénicien  ,  qui  paffoit  pour  avoir 
enfeigné  aux  hommes  (10)  la  manière  de  faire  le  vin,  &  les  liqueurs 


On  attribua 
aux  Celtes  le 
culte  de  Bac- 
ciiui. 


(i  4S)  Ci-d.  Liv.  1.  cà.  u.  p.  81. 

(l)  Ci-deflbus  §.  ï.  note  17. 

(1)  Ci-d.  ch.  vni.  §.  i  z.  not.  iio-iiz. 

(3*  Hetodot.  V.  7.  Lucian.Dial.  Deoi.  p.  83. 
Dio  CaOîus  Ub.  LI.  p.  46  i. 

(4  Heiodot.  VII.  i,  Fomp.  Mêla  lib.  II.  cl  ï. 
pag   4î- 

(s)  Dio  Caff.  lib.  UV.-p.  545, 

(«J  Hefychius.  Plutaich.  Cxaff.  Tom,  I. p.  547. 


(7)  Herychius.  Arnob.  lib.  V.  p.  i8  8,SchoI, 
ad  Ariftoph.  Aves  p.  124.  Haipociatioa  p.  iSj. 
Etymol.  Magn.  p.  707. 

(s)   Schol.  ad  Ariftoph.  Ares  p.  288.  Steph. 
de  Urbib.  pag.  6s«.  Euftath.  in  Dionyf.  Petieg. 
V.  1069.  p.  i47,Strabo  X.-P.470.  Vojci,  la  note 
précédente. 
'     (9)  Bochart.  Geogr.  Sacr.Part.  »,lib.  I.c.  i>^ 

(10)  Eufeb.  Prsp.  Ev.  Il-  cap.  2.  g,  j  j. 


44«  HISTOIRE     DES    CELTES, 

'  que  l'on  brafle  avec  de  l'orge.   II  femble  d'ailleurs  que  des  Peuples ," 

qui  avoient  tous  (ii)  beaucoup  de  penchant  à   l'ivrognerie,  ont  du 
adopter  avec  plaifir  un  culte  qui  excufoit,  &  qui  juftifioit  même,  en 
quelque  manière  ,  tous  les  excès  auxquels  ils  s'abandonnoient.  Mais , 
'  malgré  tout  cela ,  ni  les  Celtes ,  en  général ,  ni  les  Thraces ,  en  particu- 

lier ,  n'ont  jamais  fervi  ,    ou   feulement   connu  le  Dieu  Bacclius.  Le 
Leâeur  en  conviendra ,  s'il  veut  faire  les  réflexions  fuivantes. 

Ci.ciqi-c!  uns  •    Les  Anciens  qui  parlent  des  Fêtes  que  les  Thraces  célébroient  à  l'hon. 

PR'tsndcnc     pgm-  j[e  lei,].  Bachus ,  ne  font  plus  d'accord ,  quand  il  s'agit  de  déter- 

que    le   Bac  _  ^  '    ^  v 

chus  des       miucr  dans  quelle  clafTe  il  faut  le  ranger. 

leur  Jupiter,       i,"  Les  uns  cu  font  le  Jupiter  (ii),  c'eft-à-dire ,  le  Dieu  fuprême  des 
Jeni  Dieu  Su-  Thraces.  A  ce  compte  ,  Saba^ius  feroit  le  Tis ,  ou  le  (13)  Cotis  des  Cel- 
rtcuis.         j^^  ^  ^^jg  jg^  étrangers  ont  appelle  ,  tantôt  Jupiter ,  tantôt  Bacchus  ,  tan- 
tôt Suturne ,  tantôt  Platon  ,  &  le  plus  fouvent  Mercure.  Cette  première 
opinion  eft  la  plus  raifonnable ,  &  l'on  fe  flatte  de  le  prouver  d'une 
manière  qui  ne  laiflera  aucun  doute  fur  cet  article. 
c'auires l'ont      ^'^  D'autres  prétendent  (14)  que  Sahaiius  étoit  le  Soleil,  &  ils  fe 
piis  pour  le  fondent  principalement  fur  cette  raifon ,  que  ce  Dieu  rendoit  des  ora- 
cles ,  de  la  même  manière  que  l'Apollon  des  Grecs. 
■D'autres  en       3*°  Cependant,  félon  le  fentiment  le  plus  reçu ,  le  Saba^ius  des  Thraces 
font  un  Hé-    ^j  j^  jg  Bucchus  que  les  Poètes  Grecs  &  Latins  ont  chanté  ,  c'eft-à-dire» 

10-,,  &  dilem  T-  •  '  _ 

que  c-eii  le   im  Héros  CiO  qui  défit  les  Titans  dans  l'Ifle  de  Crété ,  &  qui  fournit 

Bacchus  des  \     //     T  -rx-     j  j 

par  les  armes  (16)  l'Italie,  (17)  l'Efpagne,  &  la  Thrace.  Diodore  de 
Sicile  afl^^Lire  que  ce  Héros  (18),  voulant  paflTer  en  Europe ,  «  fit  al- 
»>  liance  avec  Lycurgue  ,  Roi  des  Thraces ,  qui  demeuroit'  le  long  de 
»  l'Hellefpont.  Les  femmes  Bacchantes  étant  pafl^^ées  les  premières  , 
»  Lycurgue  leur  fit  courir  fus  ,  contre  la  foi  des  traités.  Bacchus  en 
«ayant  été  informé  par  un  homme  du  Pays  nommé  Tharops ,  pafTala 


Crées. 


(i  i)  Ci-d.  Liv.  II. ch.  3.  p.  128.  125.  ch.  13. 
pag.  245.  ch.  19-  p.  292. 

(12)  Giuter.  Infcript.  pag.  21.  n.  $.  Fiimic. 
Mater,  n.  p.  446. 

(13^  Ci-d.  ch.  VI.  §.  «. 

(i4)Mactob.  Saturn.i.  c.  iS.  p.  i^^-zoï. 

(i  s)  Diod.  Sic,  lib.  111.  p.  144.  145. 
■  (16)  Bochaf t.  G<og.  Sact, Paxt.  ».  lik.  I. c,  33. 


pag.  «4J. 

(17)  Silius  lib.  iiT.v.  TOT.riutaich.  delliMT, 
in  Nilo  Tom.  II.  p.  1159.  Plin.  III.  r. 

(18)  Diod.  Sic.  III.  pag.  I39.  IV.  14».  Ccu» 
qui  feront  curieux  d«  lire  les  Fables  que  l'on 
a  débite'es  fur  le  fujet  de  Bacchus  &  de  Lycur- 
gue ,  pourront  confulter  Apollodor.  lib.  iii, 
Hygùi.  Fab.  çap.  lu. flntaich.  de  Aud.  foeiis,. 


LIVRE    III.    C  H  A  P  I  T  R  E    X  V.  149 

»>  mer,  battit  les  Thraces,  prit   Lycurgue  qu'il  fit  crucifier,  Se  donna 
»  enfuite  fon  royaume  à  Tharops  >».< 

Mais  tout  ce  qu'on  a  dit  des  exploits  &  des  conquêtes  de  Bacchus  u  cacchn* 
en  Europe  ,  n'eft  affurément  qu'une  pure  fable.  Homère  met  Bacchus  au  a™it  a" dé. 
iîombre  des  Dieux  ,  &  cependant  il  reconnoît  (19)  qu'il  avoit  été  battu  îcrriuac^*' 
par  Lycurgue  ,  Roi  de  Thrace  ,  &  qu'il  s'étoit  jette  dans  la  mer,  pour 
échapper  à  fon  ennemi.  Le  Poëte ,  dont  les  Ouvrages  couroient  autre- 
fois fous  le  nom  d'Orphée ,  difoit  de  même  (zo)  que  Bacchus  avoit  été 
déchiré  par  les  Géants  ;  la  chofe  étoit  encore  confirmée  par  les  Poètes 
Callimaque  (21)  &  Euphorion,  qui  ajoutoient  que  les  Titans,  après 
avoir  coupé  le  corps  de  Bacchus  par  morceaux,  le  firent  bouillir  dans  une 
chaudière.*Tous  ces  Poètes  ont  fuivi,  félon  les  apparences,  la  tradition 
des  Thraces ,  qui  fe  glorifioient  d'avoir  battu  &  tué  ce  Bacchus  dont 
ks  Grecs  leur  vantoient  les  exploits.  De-là  on  peut  conclure  aflez  natu» 
Tellement,  que  les  Thraces  ne  rendoient  aucun  fervice  religieux  à  ce 
Héros.  On  trouve  même  dans  Hérodote  (iz)  que  les  Scythes  établis  le 
long  du  Borifthène  ,  firent  mourir  un  de  leurs  Rois ,  nommé  Scyles , 
pour  avoir  participé  à  la  Fête  que  les  Grecs  célébroient  à  l'honneur  de 
Bacchus  ,  dans  la  Colonie  qu'ils  avoient  à  l'embouchure  de  ce  Fleuve, 
L'Hiftorien  rapporte ,  d'ailleurs  ,  une  cireonftance  qui  mérite  qu'on  y 
faffe  attention.  Scyles ,  fe  voyant  découvert ,  &  fentant  bien  que  ce 
crime  étoit  capital,  prit  la  fuite,  &  fut  chercher  un  refuge  auprès  de  Sital- 
cus  ,  Roi  de  Thrace  ,  fon  oncle.  Celui-ci  le  rendit  aux  Scythes,  à  con- 
dition qu'ils  lui  remettroient  un  de  fes  frères,  qui  s'étoit  réfugié  chez  eux. 
Les  droits  de  l'hofpitalité  étoient  fi  facrés  ,  parmi  tous  les  Peuples  Cel» 
tes ,  qu'on  ne  fçaurolt  fe  perfuader  qu'un  Roi  de  Thrace  eut  pu  confen» 
tir  à  livrer  aux  Scythes  fon  propre  neveu ,  s'il  ne  l'avoit  regardé  comme 
im  impie ,  &;  fi  le  culte  de  Bacchus,  que  les  Scythes  détefloient ,  avoit 
été  reçu  &  autorifé  parmi  les  Thraces. 

§.  III    Mais  qu'étoit  donc   le  Sal^a^ius  des  Thraces ,  qui  a  été  pris  ^"  Safaiias 
pour  Bacchus  par  la  plupart  des  Anciens?  C'étoit  conftamment  le  Dieu  &  <!«  'hr»'- 
fupreme,  dont  le  nom  propre  etoit  Tis,  ou  (23)  Cotis  ^  mais  que  Ion  Dicusuf:ê- 
appelloit  aufli  Sabaiius  par  des  raifons  qu'il  faut  expofer.  mci'"^   °n 


a  pris  pour 


(19)  Homet.  Iliad.  VI.  v.  lis  &  f.  Euftath. 
ni  Iliad.  V.  p.  j  if.  VI.  pag.  «zj.  Tîetz.  ad  Ly- 
^oph.  p.  j«. 

^9)  Seiyios  ad  Virg.  Geoig.  I,t.  i<7'p.  77-  * 


Tzetz.  ad  Lycoph.  p   4}    HefychilH. 
(il    Tzetz  ad  Lvcoph.  p,  2;, 
(li)  Hcrodot.  IV.  80. 

(23)  Ci-d.ch.  n.f.f, 


1*.  Parce 

Qu'ils  avoitnc 


»5o  HISTOIRE    DES     CELTES, 

r.^  Les  Thraces  avoient  un  ou  plufieurs  Sanftuaires ,  oh  il  falloit 


u.-s"ia''iauai-  que  le  Prêtre  fïit  yvre ,  pour  avoir  le  don  de  prédire  l'avenir.  Macrobe 
loit  fi'tie  le  '  l'affure   pofitivement  ,   d'après  un  Auteur  plus  ancien  (14).   «  Les  Ly- 


l'ràic  fut 
yïte  pour 
jjronoaccr 
dïs  Ora.Ics. 
C'eft  ce  que 
ïnArcj^JC  Sd' 


»  guriens ,  dit-il ,  qui  (ont  un  Peuplede  Thrate ,  ont  un  Sanûiiaire  con- 
»  facré  à  Bacchus ,  oii  il  y  a  un  oracle.  Ceux  qui  doivent  prophétiler 
»  ne  prononcent  des  oracles  ,  qu'après  s'ctre  chargés  d'une  grande 
»  quantité  de  boiffon  ».  On  voit  la  même  chofe  dans  un  paflage  de  Plu- 
tarque,  que  Maiiffac  (25)  a  fort  bien  rétiibli,  aulîeu  qu'il  ne  forme  aucun 
fens  dans  les  éditions  communes.  Le  paflage  porte  (16)  que  «  les  Thraces 
»  établis  autour  de  l'Hébre  ,  vêtus  de  peaux ,  &  tenant  en  leurs  mains 
»  des  Thyrfes ,  chantent  des  Hymnes  &  fe  montrent  fages ,  lors  même 
»  qu'ils  font  infenfés  »  ,  c'eft-à-dire ,  qu'ils  prédifent  l'avenir,  «près  avoir 
bu  jufqu'à  perdre  la  raifon.  Sauf  en ,  que  les  Thraces  prononçoientyà^e/i , 
fignifie,  en  Tudefque ,  boire ,  s'enyvrer.  Ainfi  on  appelloit  l'oracle  (17) 
Sab-as  ,  le  Dieu  de  la  boiffon.  Les  Prêtres  qui  fe  rempliffoient  de  vin  , 
pour  être  remplis  du  don  de  prophétie  ,  étoient  appelles  Sabi ,  les  Bu- 
veurs. Le  Peuple  qui  affifloit  à  la  Fête,  pendant  laquelle  on  venoit 
confulter  l'oracle  de  toutes  parts ,  recevoit  le  même  nom ,  parce  qu'à 
l'exemple  de  fes  Prêtres  ,  il  paffoit  toute  la  folemnité  dans  l'yvreffe. 
Faut-il  être  furpris  que  les  Grecs  ayent  cru  fermement,  qu'une  Fête, 
pendant  laquelle  tous  les  Thraces  s'enyvroient  ,  étoit  confacrée  au 
Dieu  des  yvrognes  ?  Mai*  il  y  avoit,  outre  cela  ,  plufieurs  autres  traits 
de  conformité  entre  le  culte  que  les  Grecs  offroient  à  leur  Bacchus,  Sc 
celui  que  le  Dieu  Cotis  recevoit  parmi  les  Thraces. 

2.^  On  a  fouvent  averti  que  les  Celtes  avoient  tous  leurs  Sanftuaires 
icivoienticur  hors  du  lieu  de  leur  demeure,  dans  des  Forêts ,  ou  fur  de  hautes  Mon- 
«"oriag'cs,   tagnes.  C'eft  là  auffi  (i8)  que  les  Bacchantes  alloient  célébrer  la  Fête 
de  leur  Dieu ,  &  lui  offrir  des  facrifices. 

3.*  Les  Fêtes  de  Bacchus  fe  célébroient  de  nuit  (29).  On  s'y  rendoit 
avec  des  torches  &  des  flambeaux.  C'eft  la  raifon  pour  laquelle  ce  Dieu 
portoit ,  entr'autres  noms ,  ceux  de  Phanaces  (30)  &  de  Fhaujlerius.  Les 


l».  rarccquc 
les  Thraces 


t>u  d.ins  lies 
Foïêfj. 

Il',  l'ârce  que 
l«s  Fèces  qui 
étoient  con- 
fit rets  à  Co- 
Ùi  fc  celé. 


(24.)  Ci-d.  §.  2.  not.  14. 

(25)  Notis  ad  Haipocrat.  ad  voeem  ïijepi1^»i 
pag.  214. 

(i«)  Plutarch.  de  Flnv.  in  Hcbro  Tom.  II. 
pàg.  115 1 . rojtt  aufli  Eutipid.  B«cch»nt.  v.jïio. 

(t?)  Gi-d.  §.  I.  not.  7.  ». 


(28)  Harpocration  p.  2 1 8.  Etym.  Mag.  p.fiiy. 

(29)  Virg,  Georg.  IV.  v.  sti.  jEneid.  IV. 
V.  303. 

(30)  Aufon.  Epigr^  îp.  Tzeti,  ad  Lycoph. 
p.  2 1 2.  Voflîus  de  Orig.  &  Piogteff.  Idol.  lib.  II, 
cap.  14.  p.  lyi. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XV.  iji 

Celtes  tenoient  auffi  pendant  la  nuit,  leur^  affemblées  les  plus  folcm- 
nelles ,  &:il  paroîr ,  par  un  paffagê  de  Cicéron ,  déjà  cité  ,  que  cela  s'oh- 
fervoit  en  particulier  dans  la  Fête  de  Sabaiius  (31). 

4*.  Les  Grecs  appelloient  Bacchus  (32.)  Enorchos  ,  le  Sauteur, 
parce  que  la  danfe  faifoit  une  partie  de  fon  culte.  On  a  parlé  plus  haut 
(33)  de  la  danfe  de  Cotis^  qui  imitoit  celle  des  Bacchantes. 

5".  Enfin,  les  Thraces  dans  leurs  folemnités  (  34  )  >  couronnoient 
leurs  lances ,  leurs  cafques  &  leurs  boucliers  de  lierre ,  ou  de  quel- 
qu'autre  verdure,  de  la  même  manière  que  les  Bacchantes. 

De  tout  cela,  les  Grecs  ont  conclu  que  le  Dieu  Sabai(ius^  auquel 
les  Thraces  facrifioient  dans  des  Forêts ,  ou  fur  des  Montagnes ,  à  la 
lueur  des  flambeaux ,  &  dont  la  fête  étoit  un  tems  de  plaifir  &  de  débau- 
che ,  devoit  être  infailliblement  le  même  Dieu  eue  Bacchus.  EfFeûive- 
ment  la  reflemblance  étoit  fl  parfaite,  qu'il  n'efl  pas  étonnant  qu'on 
s'y  foit  trompé.  Au  refl:e  ,  il  eft  confiant  que  le  Saba:^ius ,  ou  fi  l'on 
veut ,  le  Bacchus  des  Thraces  étoit  leur  Cotis ,  leur  Dieu  fuprêrnè.  La 
fête  de  Sabaiius  étoit  aufîi  la  même  que  les  Thraces  appelloient  Cotittia , 
&  Bendidia ,  &  dans  laquelle  ils  célcbroient  le  mariage  de  Cotis  & 
de  Btndis  ,  du  Père  &  de  la  Mère  des  Dieux  &  des  hommes.  Strabon 
l'afTure  formellement  dans  un  pafTage  cité  ci  -  deffus  (35):  «  Les 
»>  fêtes  que  les  Thraces  célèbrent  à  l'honneur  de  Cous  &  de  Bendis  , 
MrefTembient  afTez  à  nos  fêtes  de  Bacchus  11.  AInfi  i*orfqu'Horace  dit 
(36)  qu'il  veut  célébrer  la  fête  de  Bacchus  à  la  manière  des  Edoniens, 
c'cfl  -  à  -  dire ,  s'y  enyvrer  jufqu'à  perdre  la  raifon  ,  il  efl  vifible  qu'il 
fait  allufion  aux  Bacchanales  que  les  (57)  Edoniens  célébroient,  non 
pas  à  l'honneur  de  Bacchus,  mais  de  Cotis ^  qui  avoit  un  Saftuaire  fort 
renommé  fur  une  montagne  de  leur  Pays. 

§.  IV.  On  en  a  dit  afTez  pour  montrer  que  les  Peuples  Celtes  n'ont 
jamais  rendu  des  honneurs  religieux  à  leurs  Héros ,  encore  moins  à  des 
Héros  étrangers.    Ce  feroit  perdre  fon  tems  ,   &  amufer  inutilement 


4"-  Parccqae 
h  Da.ifc  ù. 
crv^e  \^  Cous 
rcilc'inbloic  à 
celle  des  Daç- 
chanics. 
5°.  Parce qw# 
les  Thraces 
ctoient  cou- 
ronnes de  ver- 
dure pendanE 
U  t'êce  de  !>«'■ 
ba{ius> 


On  a  priten» 
di;  qu'Ul)  lie 
avoit  parcou- 
ru U  Celti- 
que. 


(3t)Ci-d.ch.  VI.  §.  lî.  not.  S7. 
(îî)  Ci-d.  note  }o. 

(33)  Ci-deffus,  ch.  VI.  §.  6.  not.  44.  §.  il. 
ftot.  9  s . 

{34)  rlin.  XYI.  cap.  35.  pag.ïys.i;*.  Vojtx, 


ci-defius,  note  i6. 

(3j,  Ci-d.  cb  VI,  §.  S.  not. 41. 

'36    Horat.  Carm.  lib.  II.  Od.  7. 

(37;  Ci-d.  ch.  VI.  §.  lî.  noi.  S4-  &  fw»' 


Iji  HISTOIRE    DES    CELTES, 

le  Leûeur ,  que  de  s'arrêter  à  examiner ,  &  à  réfuter  pied  à  pied'  ce 

que  les  Poètes  ont  dit  des  Voyages  d'Ulyffe* 

On  prétend  qu'après  la  prife  de  Troye  ,  il  pafla  ,  non  -  feiffèment 
(3  8)  en  Sicile  ,  ôc  en  (3  9)  Sardaigne ,  mais  qu'il  parvint  encore ,  avec 
fe  flotte  ,  jufqu'à  l'embouchure  du  Tage,oii  il  bâtit  la  Ville  (40)  de  Lif- 
bonne.  .^trabon  ,  l'un  des  Auteurs  les  plus  judicieux  de  l'antiquité  , 
mais  trop  prévenu  en  faveur  de  fon  Homère,  femble  avoir  été  perfuadé 
de  la  vérité  de  cette  tradition.  Il  a  du  penchant  à  croire  que  les 
champs  Elyfiens ,  dont  Circé  enfeigna  le  chemin  au  Héros  ,  étoient 
l'Efpagne  ,  où  l'on  voyoit  une  (41)  infinité  de  monumens,  qui  prou- 
voient  qu'Uliffe  avoit  parcouru  ce  Pays.  Quand  tout  cela  feroit 
vrai  &  certain  ,  il  faudroit  avouer  que  les  Auteurs,  qui  l'affurent  , 
ne  difent  rien  qui  prouve  ,  ou  qui  infinue  feiriement  ^  qu'Uliffe  ait 
jamais  été  fervi  comme  un  Héros  ,  ni  en  Efpagne ,  ni  en  Sicile  ,  ni  en 
Sardaigne.  Il  y  a  plus  de  difficulté  dans  un  paffage  de  Tacite,  qui  fait 
mention  d'un  Autel  confacré  à  Uliffe  ,  fur  le  bord  du  Rhin.  «  Au 
nreûç,  dit-il,  (42),  quelques-uns  efliment  qu'Ulifîe ,  dans  fon  long 
»  &  fabuleux  Voyage ,  fut  auffi  porté  dans  la  Mer  Océane ,  &  qu'il 
»  entra  dans  la  Germanie  ,  où  il  bâtit  ,  &  donna  fon  nom  à  ^fci- 
>)  bur^ium ,  lieu  fitué  fur  le  bord  du  Rhin.  lis  ajoutent  qu'on  a  autre- 
»  fois  trouvé  ,  dans  le  même  lieu ,  un  Autel  confacré  à  Uliffe  ,  avec 
^  le  nom  de  fon  père  Laërte  ;  qu'outre  cela ,  il  y  a  encore  dans  les 
»  confins  de  la  Rhélie  &  de  la  Germanie  des  monumens  &  des  fé- 
»  pultures  ,  avec  des  infcriptions  en  lettres  Grecques.  Mon  deffein  n'eil 
»  pas ,  ajoute  Tacite  ,  de  produire  des  preuves  ,  ni  pour  confirmer 
«  la  chofe ,  ni  pour  la  réfuter.  Je  laiffe  à  chacun  la  liberté  de  la 
«croire,  ou  d'en  douter,  comme  il  le  jugera  à  propos».  Onvoitbiea 
que  Tacite  n'ajoutoit  aucune  foi  à  ces  fables.  Quand  on  les  regarde- 
roit  comme  autant  de  vérités  ,  il  feroit  toujours  certain  que  cela 
ne  touchoit  en  aucune  manière ,  ni  les  Germains ,  ni  leur  Religion., 
n  eff  connu  que  les  Germains  ne  bâtiffoient  point  de  Villes  ,  qu'ils 
fi'avcsient  d'Autels  ,  qu'ils  ne  mettoient  point  d'infcriptions  fur  leurs 
fépulchres  ,  &  qu'ils  ne  fçavoient  même  pas  écrire ,  non-feulement  du 


(3«)  Plin.  III.  J.  j       (4,)  strabo  III.  p.ig.  148.  Euftath.  Pisf.  U. 

(îUJFlin.  III.  7.  J  odyff.  p.  1379. 

U»)  Solin.  cap.  3  5.  p.  2  jf .  [      (.^j)  Tacit.  Germ.  cap.  3, 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XVI.  155 

tems  d'Uliffe ,  mais  encore  dans  le  fiécle  de  Tacite.  Il  faudroit  attribuer, 
par  conféquent ,  la  conftriiûion  de  la  Ville,  de  l'Autel ,  &  des  autres 
mohumens  ,  dont  Tacite  fait  mention  ,  à  des  Grecs.  Mais  il  feroit 
bien  difficile  de  comprendre ,  comment  ils  ont  pu  pénétrer ,  ni  par 
terre ,  ni  par  mer ,  dans  le  cœur  de  l'Allemagne  ,  &  y  faire  des  éta- 
bliffemens.  • 


CHAPITRE     XVI. 

§.  I.  1  L  refte  à  dire  un    mot  de  quelques  autres  Divinités  des  Peu-   ne  queiquei 

pies  Scythes  &  Celtes ,  dont  les  Anciens  font  mention.  On  peut  les  tuTi^ngè-' 

partager  en  deux  claffes.  Les  Dieux  étrangers  &  les  Dieux  indigétes.       '"ès° 'donf' 

Les  Dieux  étrangers  ,  dont  on  a  attribué  le  culte  aux  Scythes  &  aux  °"  »  attribué 

'-'  ^,  ■'le  culte  aux 

Celtes ,  font ,  outre  ceux  dont  on  a  déjà  eu  occafion  de  parler ,  en  pre-  p^upi^s  cei- 
lïiier  lieu ,  Priape  ,  le  Dieu  des  Jardins,  fervi  par  les  My fiens ,  par  les  Phry-   „  .^  ^  ^^^.^ 
giens  ,  &c  par    les  autres    Peuples  Scythes  ou  Pélafges  de  l'Afie  mi-  »"  '^"  Dieux 
neure  ;  fon  culte  étoit  fur-tout  établi  dans  les  Villes  de  (  i  )  Lampfa-  l'cupiescd- 
que ,  &  de  (  x  )  Priape  ,  fituées  l'une  &  l'autre  fur  le  bord  de  la 
mer ,  à  l'entrée  de  la  Propontide.  Ce  qu'il  y  a  ici  de  particulier ,  c'efl 
que  les  Myfiens  n'avoient  point  reçu  des  Grecs  le  culte  de  ce  Dieu  : 
au  contraire,  il  avoit  paffé  de  la  Myfie  en  Grèce  (3),  où  il  étoit  fort 
nouveau. 

n  n^eft  pas  facile  de  deviner  ce  que  ç'étoit  que  le  Priape  des  Pé- 
lafges. Mais  pour  peu  qu'on  réfléchifTe  fur  un  paflage  d'Hérodote, 
l'on  voit  qu'ils  donnoient  ce  nom  à  leur  Mercure  :  «  Les  Grecs  (  4  )  , 
«  dit  cet  Hiftorien ,  ont  emprunté  des  Egyptiens  les  cérémonies  dont 
w  je  viens  de  parler  ,  &  plufieurs  autres  dont  je  ferai  mention  dans 
♦>la  fuite.  Ce  n'efl:  pas,  cependant,  des  Egyptiens,  mais  des  Pélafges, 
»  qu'ils  ont  appris  à  repréfenter  Mercure  avec  le  Phallus.  Les  Athé- 
»  niens  font  les  premiers  des  Grecs  ,  à  qui  les  Pélafges  ayent  communi- 
»  que  cet  ufage ,  &  c'efl  de-là  qu'il  a  paffé  aux  autres  Peuples  de  la 

■  ■  '       ■  ■   ■  ..  ■  ,  ■  11     r-  I  I  I  1     I  .     .  -  -  rr 

(l)  Ovid.  Ttift.  lib,  I.  Eleg.  9.  y,  2«.  Vilgil.  1       (3"  Strabo,  Ibid. 
J6eotg.  IV  V.  3.  &  not.  Seivii,  1      (4)  Hctodot.  U.  jl. 

[tj  Str»b.  XIII.  s  «7.  t  , 


^54  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  Grèce.  ....  Les  Pélafges  ont  là-deffus  une  tradition  fecrette  ,   qvtç 
»  l'on  explique  dans  les  myftères  de  Samothrace  ». 
le  Priapedfs      §.  II.  H  paroît  par  Hérodotc  que  les  Pélafges,  dont  il  s'agit  ici,  font 
le  mlw  que  les  Peuples  Thraces  ,  tant  ceux  qui  demeuroient  en  Europe  ,  au-dellu$ 
«uiMerçute.  j^  j^  Grécc ,  que  ceux  qui  étoient  paffés  dans  l'A  fie  Mineure,  où  ils 
portoient  le  nom  de  M;^fiens ,  de  Phrygiens ,  de  Troyens  ,  de  Bithy- 
niens,  ôic.  Nous  avons  vu   auffi  que  (5)  le  Mercure  de  ces  Peuples, 
qui  avoit  un  Sanûuaire  fort  célèbre  dans  l'ifle  de  Samothrace,  étoit 
le  Dieu  Tis  ,  ou  Cotis ,   auquel  ils  rapportoient   l'origine  de  toutes 
chofes  ,  &  qu'ils  appelloient ,  par  cette  raifon ,  le  Père  des  hommes  & 
des    Dieux.  Ces  Pélafges,  demeurant  à  l'entrée  de  la  Propontide,  où 
font  aujourd'hui   les  Dardanelles  ,  avoient  fouvent  occafion  de  voir 
des  Egyptiens  ;  ceux-ci  faifant  un  commerce  confidérable  dans  la  Col- 
chide  ,  où  ils  avoient  plufieurs  établiffemens  ,  étoient  obligés  de  paffer 
devant  les  Dardanelles ,  en  allant  &  en  revenant.  Il  arriva  de-là  que  les 
Pélafges ,  lorfqu'ils  commencèrent  à  adopter  des  fuperftitions  étrangères , 
&  à  repréfenter  leurs  Dieux  fous  la  forme  de  l'homme,  trouvant  que 
le  Phallus  (*)  des  Egyptiens  étoit  un  fiymbole  très-propre  pour  défigner 
leur  Tis ,  qui  étant  le  Père  de  toute  la  Nature ,  devoit  naturellement 
être  repréfenté   avec    des  organes  proportionnés  à  la  grandeur  &  au 
nombre  de  fes  produûions.  Voilà  ce  qu'étoit  le  Priape  des  Pélafges. 
C'ètoit  leur  Mercure.  Un  refte  de  l'ancienne  fuperftition ,  qui  ne  vou- 
loit  pas  qu'on  renfermât  les  Dieux  dans  des  Temples,  &  fur-tout  un 
Dieu  qui  rempliffoit  tout  l'univers  ,    fit  que   l'on   plaça  ces  Statues 
■^  en  plein  air,  dans  les  enclo?  que  chacun  avoit  autour  de' fa  maifon , 

&  c'eft  de  cette  manière  que  le  Mercure  des  Pélafges  devint  infenfi- 
blement  le  Dieu  des  Jardins.  Tout  cela  étoit  expliqué  aux  perfonnes 
que  l'on  jnitioit  aux  myftères  de  l'Ifle  de  Samothrace ,  &  ,  félon  les 
apparences  ,  on  enfeignoit  quelque  chofe  de  femblable  dans  les  myftères 
d'Eleufis  (6) ,  qui  avoient  aufli  été  apportés  de  Thrace. 
On  a  attribué      HL  On  a  dit  encore  que  les  Gaulois  adoroient  Caflor  &  Pollux,  qui 
«uitt^eof!  étoient  paffés  dans  les  Gaules  avec  les  Argonautes.  Effeâivement,  en- 
«»r& Pollux-  jj.g  jgj  fables  que  l'on  racontoit  fur  le  fujet  des  Argonautes,  il  y  en 

^— ^-^ 

(s)  Ci-d.  cil.  VI.  §.  fi.  8c  8.&§.  16.  not.  i»i. 
C)  PhallKS  tru  vereirum  fculntnm  ,  lifnium  virile, 
(fi)  Ci-d.  ch.  II.  §.  $,  note;. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XVI.  ïjy^ 

avoit  une  qui  portoit  (7)  «  que  ces  »  Guerriers ,  après  avoir  remonté  le 
«Tanaïs  ,  tranfportèrent  leur  vaiffeau  jufqu'à  un  autre  fleuve  qui 
»  les  conduifit  à  la  Mer  Océane,  &  que,-navigeant  enlliite  du  Septen- 
»  trion  à  l'Occident  ,  ils  touchèrent  à  Cadix  ,  d'où  ils  revinrent  dans 
»  leur  Pays  ». 

Diodore  de  Sicile  obferve  (8)  que  Timée ,  &  les  autres  Hiftoriens 
qui  faifoient  prendre  un  û  grand  tour  aux  Argonautes  ,  appuyoient 
leur  fentiment  fur  ce  que  les  Celtes  établis  le  long  de  la  Mer  Océane , 
fervoient  principalement  les  Diofcures.  Mais  les  Celtes ,  voifins  de 
l'Océan  ,  étoient  fi  peu  connus  du  tems  de  Timée ,  c'eft  -  à  -  dire  (9)  , 
a8o  ans  avant  Jefus  -  Chrift ,  qu'il  étoit  bien  difficile  que  cet  Hiftorien 
pût  dire  quelque  chofe  de  certain  de  leur  Religion  ,  &  dé  l'objet  de  leur 
culte.  D'ailleurs ,  la  manière  dont  il  racontoit  le  voyage  des  Argonautes, 
ne  donne  pas  une  grande  idée  de  fon  jugement,  &C  confirme,  ait 
contraire  ,  le  reproche  qu'on  lui  a  fait  d'avoir  rempli  fon  Hiftoire  d'un 
grand  nombre  de  puérilités.  L'opinion  commune  étoit  (10)  que  les 
Argonautes  ,  pourfuivis  par  la  Flotte  du  Roi  de  Colchos  ,  remon- 
tèrent le  Danube ,  &  pafferent  la  Mer  Adriatique  ,  ou  par  une  bran- 
che du  Danube  qui  fe  jettoit  dans  cette  Mer,  ou  en  portant  leur  vaif- 
feau par  terre ,  depuis  le  Danube  jufqu'au  Golfe  de  Venife.  Timée  , 
pour  augmenter  le  Merveilleux,  tranfporte  les  Argonautes,  avec  leur 
vaiffeau ,  dans  la  Mer  Océane ,  &  c'eft ,  félon  les  apparences ,  pour 
appuyer  cette  chimère ,  qu'il  attribue  le  culte  des  Diofcures  aux  Celtes 
qui  demeuroient  le  long  de  l'Océan. 

Il  faut  avouer,  cependant,  que  Tacite,  fans  parler  auflî  pofitive- 
ment  que  Timée ,  ne  laiffe  pas  de  faire  mention  du  culte  qu'un  Peuple 
établi  dans  le  cœur  de  la  Germanie  ,  rendoit  à  Caflor  &  à  Pollux. 
Voici  le  paffage  de  cet  Hiflorien  (ti)  ;  «  On  montre  ,  dans  le  Pays  des 
»  Naharvales  ,  un  Bocage  oh.  règne  un  ancienne  fuperftition.  Le  Prêtre 
»  qui  préfide  au  culte  de  la  Divinité  qui  y  eft  fervie ,  eft  habillé  en  fem- 
»  me.  La  Divinité  même  s'appelle  Alcis.  Les  Romains  prétendent ,  par 


(7)  DioJ.  Sic.  lib.  IV.  cap.  s*. 

(8)  Ibid. 

(s»;  Timée  vivoit  en  Sicile  du  tems  d'Agatho- 
cle,  qui  mourut  à  la  fin  de  Ucxxih"^.  Olym- 
piade. 

Cio'  ■«soMoti.  Areon.  lib.  IV.  v.  ij.  8j.  150. 


254.  &  Schol.  Ariftot.  Hiftot.  Animal.  lib.  viii. 
cap.  ij.Mitabil.  Aufc.  p.  1 190.  Juftin.  XXXII. 
3.  Plin.  III.  II.  Strabo  I.  39-  Pifandei  ap.  Zo- 
fim.V.  I».  34-  Clflîodoi.  Hift.  Trip.  1. 1.  c.  7. 
p.aoj.Ifiior.Orig.  IX.  2.Dionyf.Pcnes•v■4*#• 
(II)Tacit.  Cclffi.  43. 

y» 


jjô  HISTOIRE    DES    CELTES, 

«conieâure,  que  c'eft  le  même  Dieu  qu'ils  vénèrent  fous  le  nom  de 
M  Caftor  &  PoUux  (§).  On  n'y  voit  ni  fimulacre,  ni  veftige  d'un  culte 
»  étranger  aux  Germains.  Tout  ce  que  cette  fuperftition  a  de  commiui 
»  avec  celle  des  Romains ,  ç'eft  qu'on  y  adore  deux  jeunes  Hommes ,, 
»  que  l'on  eftime  frères  ». 

Tacite  avoue  qu'on  ne  voyoit ,  dans  le  bocage  confacré  à  Âlcis  ,  ni 
fimulacre  ,  ni  vertige  d'une  fuperftition  étrangère.  C'eft  une  bonne 
preuve  que  les  Naharvales  ne  connoiffolent  point  les  deux  Héros  qui 
avoient  aflîfté  à  l'expédition  des  Argonautes.  Mais  l'Hiftorlen  dit,  en. 
même  tems ,  deux  chofes  qui  méritent  quelque  réflexioru 

i**.  On  vénéroit  dans  cette  Forêt  deux  jeunes  Divinités  qui  paffoient 
pour  frères  ,  ut  fratres  ,  ut  Juvenes. , . ,  2°.  Les  gens  du  pays  affuroient 
cvi  Alcis  étoit  la  même  Divinité  ,  que  les  Romains  vénéroient  fous  le: 
nom  de  Cajlor  &  Pollux  (^).  Ce  que  nous  avons  dit  jufqu'ici  de  la  Reli- 
gion des  Germains  &  des  autres  Peuples  Celtes ,  ne  nous  permet  pas  de 
croire  qu'ils  ayent  jamais  rendu  im  fervice  religieux  à  des  hommes  ,, 
morts,  on  vivans,  jeunes ,  ou  vieux;  mais  il  eft  certain  qu'ils  plaçoient 
des  Divinités  dans  le  Soleil ,  dans  la  Lune ,  dans  l'Air ,  &  dans  le  Feu. 
Nous  avons  vu  aufli  que ,  félon  leur  doârine ,  tous  les  Dieux  fubal- 
'  ternes  étoient  frères ,  enfans  du  Dieu  Tua ,  &  de  la  Terre  fa  femme.  Peut- 

être  qu'ils  appelloient  ces  deux  principes  les  Dieux  anciens ,  &  les  Ef_ 
prits  qui  réfidoient  dans  les  Elémens,  les  Dieux  nouveaux.  Si  donc 
les  Romains  entendoient  par  Cafior  &  Pollux  ,  ou  le  Soleil  ou  la  Lune  y 
ou  deux  Etoiles  ,  dont  ordinairement  une  feule  étoit  vifible ,  ou  un. 
certain  Météore  qui  fe  formoit  dans  l'air ,  ou  deux  Génies  ,  dont  l'un 
préfidoit  au  Jour  &  l'autre  à  la  Nuit,  les  Naharvales  ont  pu  leur  dire  qu'ils. 
avoient  dans  leur  pays  une  dévotion  femblable. 
On  prétend  g.  \Sf ,  '  Au  commencement  de  ce  Livre  ,  l'on  a  fait  ufage  d'un  paffage 
adoroKHc  de  Jules  Céfar,  qui  porte  (iz)  que  les  Gaulois  adoroient  furtout  Mer- 
»  cure  ,  ôc  ,  après  lui ,  Apollon  ,  Mars  ,  Jupiter ,  Minerve ,  &  qu'ils 
»  avoient,  à-peu-près,  le  même  fentiraent  fur  le  fujet  de  ces  Divini-» 
»  tés ,  que  les  autres  peuples.  »  On  a  fait  voir  ce  que  c'étoit  que  le  Mer* 

(  §  )  J'ai  reformé  la  tTaduftion  fur  le  tente.  \  vinité  adorée  fous  le  nom  d' Alcis,  par  les  Na.- 
yWst  ci-après  note  (*).  Noie  de  [''Editeur.  haivales  :  Deos  ,  interfretutione  Romuni  ,  Cajicrem 

(*)  Le  texte  porte  que  les  Rorsains  ,  par  con-     Vollucemque  memorimt.  Note  de  l'Editeur, 
jeûiue ,  jftennent  poui  Ctflor  &  Fellux,  la  DU  1      (12)  Ci-d.  ch.  m,  §.  i,  noc  1  s. 


MiDMve. 


LIVRE     III.    CHAPITRE    XVI.  157 

cure,  l'Apollon,  le  Mars,  le  Jupiter  des  Gaulois.  A  l'égard  de  leur  Mi- 
nerve ,  il  eft  affez  vraifemblable  que  c'étoit  celle  des  Grecs  &  des  Ro-. 
mains.  Jules  Céfar  dit  (13)  que  Minerve  préfidoit,  dans  les  Gaules, 
aux  Métiers  &  aux  Arts  méchaniques.  Il  femble  que  ces  idées  ve- 
noient  des  Etrangers  ;  car ,  félon  la  Théologie  des  Gaulois ,  c'étoit  Mer- 
cure, ou  Ttutat  (14),  que  l'on  regardoit  comme  l'Inventeur  de  tous 
les  Arts.  Il  paroit  d'ailleurs,  parPolybe  (15),  que  le  culte  de  Minerve 
étoit  déjà  établi,  vers  l'an  531  de  Rome  ,  parmi  les  Infubres  qui 
etoient  un  Peuple  Gaulois  de  l'Italie.  Les  Infubres  avoient ,  peut-être, 
reçu  fon  culte  des  Latins  ,  &  il  pouvoit  être  paffé  de  Marfeille  dans  les 
Gaules ,  qui  font  au-delà  des  Alpes.  Cependant  Solin ,  parlant  de  la  Mi., 
nerve  des  habitans  de  la  Grande  Bretagne ,  dit  qu'elle  préfidoit (i 6),  fé- 
lon l'opinion  de  ces  Peuples,  aux  Fontaines  ,  &  aux  Eaux  minérales.  En 
ce  cas ,  la  Minerve  des  Celtes  auroit  été  l'un  de  ces  Génies ,  qu'ils 
placoient  dans  l'Elément  de  l'Eau,  &  dont  il  a  été  parlé  au  Chapitre  IX 
de  ce  Livre  (17). 

§.  V.  Tacite  affure  (  18  )  »  qu'une  parties  des  Suèves  faifoient  des  Sa-     i«ctitfi 
M  crifices  à  Ifis.  Je  n'ai ,  dit-il ,  pu  rien  découvrir  fur  la  caufe  &  l'o-  îuUe  dVii 
»  rigine  de  ce  culte  étranger ,  fi  ce  n'eft ,  que  l'Image  même  ,  qui  ref- 
«  femble  à  un  vaiffeau  Liburnien ,  montre  que  ce  culte  leur  eft  venu 
>>  d'au-delà  des  mers.  « 

Il  faut  avouer  que  Tacite  paroit  être  ici  en  oppofition  avec  lui-mê- 
me :  il  affure  (19)  que  les  Germains  ne  repréfentoient  pas  les  Dieux  fous 
la  forme  de  l'Homme ,  qu'ils  n'avoient  ni  fimulacre ,  ni  objet  fenfible 
de  leur  culte.  Mais  s'il  en  étoit  ainfi  ,  comment  Tacite  pouvoit-il 
donc  parler,  quelques  lignes  auparavant,  du  culte  que  les  Suèves  ren- 
doient  à  un  Simulacre  d'Ifis  ?  Indépendamment  de  cette  contradiûion , 
il  femble  que  Tacite  a  jugé  de  la  Religion  des  Germains  par  celle  des 
Egyptiens,  au  milieu  defquels  le  Vaiffeau  étoit  un  fymbole  confacré 
à  Ifis.  On  voyoit  une  Barque  dans  un  Sanctuaire  du  Pays  des  Suèves. 


(u)  Czfar  VI.  17. 

(14)  Ci-d.  ch.  VI.  §.  4.  not.  1  j. 

(i  si  Folyb.  lib.  II    p    119, 

(16)  Solin.  cap.  3  s. 

(17)  Bochart  prétend  que  la  Minerve  des 
Gaulois  étoit  la  Lune ,  parce  qu'on  a  trpuvéd^ns 
U  pays  4e  Ç'xpram  une  Infciif  tien  ^ui  poitc 


MiniTvd  Eclifam/t  ,  &  que  Ëclifama ,  en  Phe'nU 
cien,  fignifie  la  Reine  des  Cieax  Geogr.  S*CC» 
Paît.  X.  lib   I.  çap   41.  p.  737, 

{18    Tacit    Geim.  cap.  9. 
|p(is>)  Taci(.  Geim.  cap.  9.  ci-4.  çh.  m  §.  «« 
n«t.  I. 


ïjS  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Donc  ils  fervoient  Ifis  !  La  preuve  n'eft  pas  aflltrément  concluante.  Les 
Gei-mains  avoient  coutume  de  dépofer  dans  les  Forêts  confacrées  les 
Enfeignes  militaires ,  &  les  dépouilles  de  leurs  ennemis.  Cette  Barque 
étoit  vraifemblablement  luie  prife  que  les  Suèves  avoient  faite  fur  quel- 
que Peuple-  voifin  (20  ) ,  &  qu'ils  avoient  portée  dans  Tun  de  leurs 
Sanéluaires ,  pour  y  être  un  monument  perpétuel  de  leur  Viftoire.  C'eft 
fur  ce  feul  fondement,  qu'on  a  attribué  aux  Suèves  le  culte  d'une  Di- 
vinité ,  qui  leur  étoit  parfaitement  inconnue, 
t-j  cuUc  de      §.  VU.  Selon  Hérodote  (21),  les  Perfes  offroient ,  à  la  vérité ,  un  Sd> 
tv'ujTVhei  crifice  à  Vmus-Urank  ;  mais  cette  Venus-Uranu  étoit ,  parmi  eux ,  ime 
kiCL-iics.      Divinité  étrangère,  dont  ils  avoient  reçu  le  culte  des  AlTyriens ,  qui  l'ap- 
pelloient ,  en  leur  langue ,  Mylitta ,  &  des  Arabes ,  qui  l'appelloient 
ALitta.    On  peut  voir    dans    les  Auteurs  qui  ont  parlé  de  la  Réligiori 
des  Affyriens  &  des  Arabes  ,  ce  que  c'étoit  que  leur  (22)  Venus-Urank,. 
H  n'eft  pas  néceffaire  d'entrer  ici  dans  cette  difcuiîion  ;  elle  n'appar- 
tient point  au  fujet.  Hérodote  dit  (23)  que  les  Perfes  appelloient  Mi- 
tra, la  Venus -Uranie,  que  les  Aflyriens  nommoient  Mylitta  ,   &  les 
,'  Arabes  AL'uta.  C'eft  une  erreur.  Le  Mura  des  Perfes  (24)  étoit  le  Soleil, 

&,  de  l'aveu  même  d'Hérodote  (25),  le  culte  du  Soleil  étoit  établi  parmi 
les  Perfes ,  avant  qu'ils  euffent  aucun  commerce  avec  les  Affyriens  & 
les  Arabes*  D'autres  ont  crû  que  la  Vmus-Uranie  des  Perfes  étoit  Is 
Lune  j  mais  ceux-là  fe  font  aufTi  trompés.  D'un  côté,  les  Perfes  dif- 
tinguoient  leur  Venus-Uranie  de  la  Lune  (2.6).  «  Ils  fervent ,  dit  Strar 
n  bon  ,  le  Soleil ,  qu'ils  appellent  Mithra  ,  la  Lune  Venus  ,  le  Feu ,  la 
M  Terre ,  les  Vents ,  l'Eau  »■  ;  &  de  l'autre ,  la  Lune  étoit  aufli  du  nom- 
bre des  Divinités  auxquelles  les  Perfes  (27)  avoient  offert  des  facrifîces 
de  toute  ancienneté.  Enfin  Agathias  affure  (28)  que  les  Perfes  fervoient 
effeûivement  Venus ,  qu'ils  appelloient  en  leur  Langue  Anaïtis..  Son 
fentiment  petit  être  confirmé  par  un  paffage  de  Clément  d'Alexandrie  , 
qui  porte  (  19  )  que  le  Roi  Artaxerxès  fut  le  premier  qui  érigea  des 


(ïo)  Voyii.  ci-d,  Liv.  I.  ch.  ij-  ?•  82. 

(z8}  ci-d'.  ch.  ti'i.  $.  3.  noc.  iz. 

(21)  fiochart  croit,  après  Scaliger,  que  c'é- 
toit laLune.  Geogr.  Sacr.  part.  I.  lib.  II.  cap.  19. 

p.  124.  lib.  IV.  cap.  19.  p.  177.  Voy.  auflî  Juii^lBI      (17)  Ci-d.  note  25. 
Hift.  des  Cuit.  p.  674-S92.  |       (i8]  Agath.  Ub,  XI,  £.  «t, 

"  "  Heiodot.  I.  13 1,  Koji«*ci-d.  ch.  m.  §,  |,  1 


net.  iz. 

(24)  Ci-d.  ch.  xn.  §.  e. 

(25)  Herodot.  I.  131. 
(26]  Ci-d.  ch.  IV.  §.  I.  note  5. 


ï.  I  V  R  E    ni.    CHAPITRE    XVI.  159 

Statues  à  la  Venus ,  nommée  Anditïs ,  &:  qui  fit  rendre  à  cette  Déeffe  ua 
culte  religieux  clans  Babylone  ,  dans  Sitfe  ,  dan*  Ecbatan^,  &ç.  Cepen- 
dant cette  conjeâure  ne  paroît  pas  plus  fondée  ,  que  celle  de  Plu- 
tarqup.  Cet  Auteur  a  dit  que  (3c)  VAnaïds  des  Perfes  étoit  la  Diane 
des  Grecs.  Nous  verrons  tout-à-l'heure  x^vCAnaïtis  n'étoit ,  ni  le  Soleil , 
ni  la  Lufle,  ni  Venus,  ni  Diane;  mais  un  de  ces  Génies  que  les  Perfes 
plaçoient  dans  le  Feiu 

Au  refte  ,  Hérodote  attribue  le  culte  <ie  Fe/zaii7ra«ie,  non-feulement 
aux  Perfes,  mais  auffi  (31)  aux  Scythes.  Lorfque  les  Germains  reçurent 
le  Calendrier  Romain  ,  ils  appelèrent  le  Vendredi  ,  jour  que  les 
i.atins  confacroient  à  Venus  ,  Freytag,  le  jour  de  Frea,  de  la  femme, 
c'efl-à-dire  ,  de  la  Terre  ,  qui ,  félon  leur  Mythologie ,  pafToit  pour  être 
îa  femme  d^Odin.  Il  fembleroit  donc  que  la  Fenus  -  Uranie  des  Scythes 
(étoit  la  Terre.  Mais  cette  conjeûure  ne  s'accorde  pas  avec  ce  que  dit 
Hérodote  (31),  que  les  Scythes  diftinguoient  à^Apia ,  qui  étoit  la 
Terre  ,  leur  Venus  -  Uranie  ,  qu'ils  appelloient  Artimpafa.  Il  faut  donc 
fe  ranger  à  l'opinion  de  Voflius ,  qui  croit  (33}  que  \ Artimpafa  des  Scy- 
thes étoit  la  Lune.  Deux  chofes  appuyent  beaucoup  fon  fentiment, 
D'im  côté  ,  Hérodote  la  place  immédiatement  après  Apollon ,  qui  eft 
le  Soleil  ;  de  l'autre  ,  il  ne  fait  pas  mention  du  culte  que  les  Scythes 
rendoient  à  la  Lune,  quoiqu'elle  fût  conflamment  une  de  leurs  plus 
grandes  Divinités. 

§.  VIII.  Outre  les  Dieux  étrangers,  dont  on  vient  de  parler,  les  dcsd 
Anciens  attribuent  aux  Peuples  Celtes  le  cuhe  de  quelques  Dieux  indi-  p^^^^",  cet 
jgétes.  On  appelloit  ainfi  les  Dieux  qui  n'étoient  fervis  que  par  un  cer-  *'*• 
taiiï  Peuple,  &  dans  une  certaine  contrée.  Ainfi  (34)  Sangus  étoit  le 
Dieu  indigéte  des  Sabins ,  &  (  3  5  )  Pleiflorus ,   celui  des  Thraces  que 
l'on  appelloit  Apfinthiens.  Il  n'eft  pas  pofFible  de  donner  beaucoup  de 
lumière  au    fujct    de    ces    Dieux  indigétes.  Les    Hiftoriens  ,    qui  en 
font  mention  ,  ne  nous  en  ont  guères  confervé  que  le  nom.  Il  faudra  donc 
fe  contenter  de  donner  ici  quelques  régies  générales  ,  qui  pourront  fer- 


cc;i. 


(î9)  Clem.  Alex.  Cohott.  ad  Gent.  pag.  57. 
Bochart.  a  remarqué  qu'il  faut  lire  àiaû-Titts  , 
au  lieu  de  raialfiu.  Ceogr.  Sacr.Pait.  ).lib.)V. 
*»p.  19.  p.  177- 

ifo)  Çi^d.  (cb.  y III.  f.  lï.not.  ii». 


(î  i)  Ci-d.  ch.  m.  §.  j.not.  ». 
(32)  Ci-d.  ch.  m.  $.  }.  not.  8. 
(as)  Ci-d.  ch.  IV.  §.  I .  note  2. 
(14)  Ci-d.  ch.  XIV,  §.  7.  not.  77,  7»> 
(3;)  Heiodot.  IX.  ii%,ti-d,HDte  tu 


tî<i  HISTOIRE    DES    CELTES, 

vir  à  les  faire  reconnoître  ,  ou  qui  empêcheront ,  au  moins ,  qu'on  ne 
s'en  faffe  de  fauffes  idées. 

i»^  Les  Perfes  plaçoient  des  Divinités  fubalternes  dans  tous  les 
clémens  ;  il  ne  faut  donc  pas  douter  qu'ils  ne  diftinguaffent  par  des  noms 
propres  les  diffèrens  Génies  qui  réfidoient ,  félon  leur  Doârine ,  dans 
l'Air  ,  dans  l'Eau ,  &c  dans  le  Feu.  Ils  appelloient ,  par  exemple  ,  Tor,  ou 
Taranis  (36)  ,  le  Dieu  qui  préfidoit  à  l'Air  ,  au  Tonnerre ,  aux  Eclairs, 
aux  Vents  ,  &  aux'  Pluies.  Les  noms  des  Divinités,  qui  avoient  la  di- 
reftion.du  Feu.,  de  l'Elau ,  des  Fleuves,  des  Montagnes,  des  Forêts, 
nous  font  inconnus,  au  moins  pour  la  plupart.  On  pourra-,  cependant  , 
en  deviner  quelques  -  mis  ,  en  lifant  les  Anciens  avec  attention. 
Strabon  ,  par  exemple  ,  après  avoir  parlé  de  ces  grands  enclos  ,  où  les 
Mages  rendoient  un  -culte  religieux  au. Feu  (37  ),  ajoute  (38)  que  la 
ehofe  fe  pratiquolt  ainfi  dans  les  Temples  à!Anditis  &  ^Omanus.  Anaids 
^  Omaniis  étaient  donc  des  Génies  que  les  Perfes  plaçoient  dans  l'E- 
lément du  Feu, 

z.®  Les  Celtes  donnoient  fouvent  à  leurs  Dieux  les  noms  desSanftual- 
res,  où  ils  étoient  fervis.  On  en  a  nommé  plufieurs.  Le  nom  propre 
de  la  Terre ,  parmi  les  Thraces  &  les  Phrygiens  ,  étolt  Opis  ou  Jpia. 
Ceux  de  Bendis,  de  Cybele,  de  Dyndimznt^  de  Bcrecynthia  ^  font  des 
noms  empruntés  des  montagnes  &  des  forêts  ,  qui  lui  étoient  confa- 
crées.  Ainfi  Ardoina  étoit  la  Divinité  qui  étoit  fervie  dans  la  Forêt 
des  Ardçnnes.  Jupiter- Peninus  (39)  étoit  le  Dieu  fuptême,  qui  avoit  un 
Sanftuaire  au  fommet,  à  la  cime  des  Alpes  ,  que  les  Celtes  appelloient 
Penn ,  ou  Pinne.  Sangus ,  Dieu  indigéte  des  Sabins ,  auquel  ils  rappor- 
toient  (40)  l'origine  de  leur  Nation,  étoit,  félon  les  apparences,  le  Dieu 
fuprême  qu'ils  appelloient  Sangus^  du  nom  de  quelque  Forêt  qui  lui 
étoit  confacrée.  Pkijlorus  (41)  ,  Dieu  indigéte  des  Thraces  Apfm- 
thiens ,  qui  lui  offroient  des  viâimes  humaines ,  étoit  encore  le  Dieu  fu- 
prême ,  qui  pouvoit  avoir  reçu  ce  nom  des  Sanôuaires  ,  ou  demeu- 
raient les  PUfies  (41) ,   c'eft-à-dire  des  Druides ,  dont  la  manière  de 


{3<s)  Cid.  ch.  VK  J.  is.  note  i  ip.  &  ch.  xi. 
{37)  Voyei.c'iA.  ch.  X.  §.4. note  17. 
(38)  Strabo  XV.  73 3. 
1(}9)  Livius  XXI.  cap.  3«. 
(40)  Ct^.  ch.  XIV.  §.  7.  not.77.  7.S. 
^41,)  H-crodot.  IX.  I  i-l. 


(41)  Jofeph,  Antiq.  .lib.  xviii.  cap  i.  §.  5, 
p.  754.  Il  femble  que  ce  foient  les  mêmes  que 
Strabon  appelle  «riVai.  Strabo  VII.  29«.  Vcj. 
Hudfon  fur  le  paffage  d«  Jofeph  q,u'on  nefix  de 
citci. 


TÎvrç 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XVI.  i6i 

vivre  approchoit  beaucoup  de  celle  des  Effeniens.  Il  faut  porter  le  même 
jugement  d'une  Déeffe  des  Habitans  de  la  Grande-Bretagne  ,  dont  Dion 
fait  mention ,  &  qu'il  appelle  Andau ,  ou  Andrajle.  Cet  Hiftorien , 
parlant  d'une  Forêt  facrée ,  où  les  gens  du  Pays  allolent  offrir  des  fa- 
crifices,  &  célébrer  des  feftins  facrés,  dit  qu'on  l'appelloit  Andate^ 
(43)  du  nom  de  la  Viûoire  qui  étoit  fervie  dans  cette  Forêt.  Il  introduit 
même  la  Reine  Bundovica  ,  priant  la  Vifloire  en  ces  termes  :  «  Je  vous 
»  offre  ,  ô  Andau ,  mes  aftions  de  grâces  ;  &  je  vous  invoque ,  parce 
»  que  vous  êtes  de  mon  fexe  ».  Tout  cela  ne  s'accorde  guères  avec  la 
Théologie  des  Celtes.  Selon  leur  Doûrine ,  Odln  étoit  le  Dieu  de  la 
guerre.  C'eft  à  lui  que  l'on  offroit  des  facrifices  après  la  viûoire ,  & 
que  l'on  confacroit  les  dépouilles  de  l'ennemi ,  qui  étoient  pendues  à 
des  arbres  ,  ou  mifes  en  monceau  dans  les  Forêts  oti  il  étoit  fervi.  Il 
y  a  ,  par  conféquent ,  toute  apparance  qa'Andate  ,  ou  Andrajle  ,  n'étoit 
pas  le  nom  d'une  Divinté ,  mais  d'une  Forêt  çonfacrée  au  Dieu  de  I3 
Viaoire  ,  c'eft-à-dire  ,  à  Odin. 

3.''  Les  Dieux  mâles  &  femelles,  les  Dieux  que  l'on  fervoit  dans 
les  Temples ,  que  l'on  repréfentoit  fous  une  forme  corporelle ,  &  par 
conféquent ,  les  Idoles  &  les  Statues  ,  n'appartiennent  pas  proprement 
à  la  Religion  des  Celtes.  Partout  où  l'on  en  trouve ,  l'ancienne  Religion 
étoit  déjà  altérée  par  des  idées  &  des  fupeftitions  étrangères,  qui  fe 
provignerent  infenfiblement  des  Provinces  méridionales  de  l'Europe, 
jufques  dans  le  fond  du  Nord.  L'Edda  des  Iflandois ,  qui  efl  du  XIII. 
fiécle,  porte  (44)  «qu'il  y  a  douze  Dieux  (^Afœ),  qui  méritent  des 
»  honneurs  divins  ,  &  autant  de  Déeffes  (  AJyriœ  ) ,  dont  la  puiffance 
»  &  la  fainteté  font  égales  à  celles  des  Dieux  ».  On  ne  voit  rien  de 
femblable  dans  Procope  ,  (45)  qui  avoit  repréfenté,  plufieurs  fiécles 
auparavant  ,  la  Religion  des  mêmes  Iflandois.  Krantzius  ,  fait  aufli 
mention  (  46  )  d'un  grand  nombre  d'Idoles  qui  étoient  adorées  par  les 
anciens  Saxons.  Cependant ,  Adam,  de  Brème  remarque  (  47  )  que  ,  du 
tems  de  Charles-Magne ,  le  fimulacre  de  Mars  n'étoit ,  parmi  les  Saxons, 
qu'une  colomne ,  ou  plutôt  un  tronc  d'arbre.  Il  en  étoit  de  même  des 

(  +s  )  Xiphilin.  Exçerpt.  Dion,  in  Neione  j      (45)  Ci-d.  ch.  iv.  §.  7,  not^  33. 

pag. 171.173.  j      /46)Hift.  Saxon,  init.     '   ' "        ", 

(4+)  Ci-d.  ch.  VII.  §.  3.  not,  47,  \     (^^J  ci-d.  ch.  vii.  5.  r.  note  ^iV^f 

JmcII,  X 


i6z  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Gaulois ,  du  tems  de  Lucaln.  Les  finnilacres  de  leurs  Dieux  étolent  de 
vieux  troncs  de  chêne  (  48  )  : 

Simulacraque  mœfta  Deorum 

Ane  carent,  cxflfque  excanc  infoiinia  truncii. 

§.  IX.  On  pourra  examiner ,  félon  ces  régies ,  les  Dieux  indigétes  des 
Celtes,  dont  les  Anciens  font  mention.  Ceux  qui  appartiennent  à  l'an- 
cienne Religion  ,  font  ce  que  l'on  appelloit  Genius  Loci ,  le  Génie  du 
Lac  ,  des  Forêts,  des  Montagnes,  où  les  Habitans  d'une  Ville  ,  ou  d'un 
canton,  faifoient  leurs  affemblées  religieufes.  D'autres  fois  ce  font  des 
Dieux  Topiques,  qui  portoient ,  comme  on  vient  de  le  montrer,  le 
nom  du  Sanduaire  dans  lequel  ils  étoient  fervis  ,    ou  qui  recevoient 
quelques  dénominations  particulières  par  des  raifons  que  nous  ignorons. 
Les  Anglo-Saxons ,  par  exemple,  av oient  une  DéefTe  ,  qu'ils  appelloient 
Eojlre ,  ou  Eojlar  ,  &  ils  célébroient ,  à  fon  honneur ,  dans  le  mois  d'A- 
vril ,  une  Fête  folemnelle  :  c'efl ,  comme  Bede  l'a  remarqué  (  49  ) ,  la 
raifon  pour  laquelle  les  Germains  ont  appelle  la  Fête  de  Pâques,  OJlar  ^ 
ôc  le  mois  d'Avril  Ojtar-Monath.  Cette  Eoftre  étoit  la  Terre  :  on  n'en 
peut  guères  douter,  s'il  eft  vrai  (50)  qu'on  la  regardât  comme  la  Déeffe 
de  la  fertilité ,  &  qu'on  lui  offrit  des  facrifices  dans  le  mois  d'Avril ,  pour 
en  obtenir  des  moiffons  abondantes.  Mais  pourquoi  l'appelle-t-on  Eojlar ^ 
ou  OJlar}  C'eft  ce  qu'il  n'eft  pas  facile  de  déterminer;  il  faut  laiffer 
aux  Etymologiftes  à  rechercher  ii  l'ancien  nom  Celtique  de  la  Terre  , 
qui  étoit  Ar  ,  Er  ^  ou  Erdy  ne  feroit  pas  caché  dans  celui  ^Ofiar. 


CHAPITRE    XVII. 

N  a  VU  quelles  étoient  les  idées  des  PeiipleS  Géltes,par  rapport 

Reifgion de/  à  l'objet  du  culte  religieux.  Ils  reconnoiïïbient  un  Dieu  fuprême ,  & 

*"*"''•         îliié  infinité  de  Divinités  fubalternes  ,^^  qu'ils  plaçoient  dans  les  Elémens; 

mais  on  a  cru  mal  à-propos,  qu'ils  vénéroient  les  âmes  des  Héros,  & 

iqu'ils  leur  offroient  des  facrifices.  Difons  quelque  chofe  dans  ee  Chapi- 


(4»)  Lucan.  lib.ïll.  V.  412.  |       (50)  Getike  addit.  adSchotell.  p.  <?•  Hagci- 

{49)  Beda  de  Temp.  Ratioue  Tom.  II.  p.  S i,  1  berg.  Germ,  Med.  DiiT.  YIII.  $.  le.  p.  il*. 
Eginhaid.  cap.  z$.  * 


LIVRE     III.     CHAPITRE     XVII.  163 

tre  des  autres  Dogmes  de  la  Religion  des  Celtes  ,  qui  font  parvenus  * 

jufqu'à  nous. 

§.  II.  Les  Celtes  admettoient  une  forte  de  création  :  ils  reconnoiffoient     lU  admet- 

^    .     ,  ,  .  o      '1  ■  tnienc  une 

que  (i)  le  monde  avoit  eu  un  commencement ,  &  us  en  rapportoient  forte  de  «c»- 
l'origine  au  Dieu  Teut ,  &  à  la  Terre  fa  femme.  L'un  étoit  le  Principe  ac-  "°°" 
tif ,  l'autre  la  matière ,  ou  le  Principe  pafllf.  L'union  de  ces  deux  Principes 
avoit  produit,   non  -  feulement  les  hommes,  mais  encore  les  Dieux, 
que  l'on  faifoit  fortir  de  la  matière  ,  auffi  bien  que  tous  les  Etres  vifibles 
&  corporels.  Il  femble  qu'il  y  avoit  ici  une  contradiûion  affez  fenfible 
dans  la  Théologie  des  Celtes.  Adorant  des  Dieyx  fpirituels,  invifibfeSj 
comment  pouvoient-ils  foutenir ,  en  même-tens ,  que  ces  Dieux  avoiei^t 
été  tirés  de  la  matière  ?  Ces  deux  Dogmes  paroiffent  incompatibles  , 
&  il  n'eft  pas  facile  de  concevoir  comment  ils  les  concilioiept.  Peut- 
être  croyoient-ils  que  les  Efprits ,  les  Génies  ,    qui  réfidoient  dans  la 
matière,  cmanoient  du  premier  Principe  ,  &  que  la  Terre  n'avoit  fourni 
que  le  corps  auquel  ils  étoient  unis ,  ou  l'Elément  dans  lequel  ils  réfi- 
doient. Peut-être  qu'ils  reconnoiffoient,  avec  les  Stoïciens,  une  ma- 
tière vivante  ,  a<Etive  ,  invincible ,  qui  faifoit  l'effentiel  de  la  Divinité  , 
&  une  matière  vifible ,  deftituée  par  elle-même  de  vie  &  de  mouvement, 
qui  faifoit  la  fubftance  des  corps.  Il  n'eft  pas  polîible  de  rien  déterminer 
là-deffus;  &  nous  n'avons  d'ailleurs  aucun  intérêt  à  juftifîer,  fur  cet  arti- 
cle, la  Doârine  des  Celtes-,  peut-être  même  qu'ils  n'ont  pas  apperçu 
la  contradiûion  qu'il  y  avoit  entre  divers  points  de  leur  Doârine  :  dans 
le  fonds  ,  ils  ne  font  pas  les  feuls  qui  ayent  cr^i  &  enfeigné  des  chofes 
inconciliables. 

§.  III.  Quoique  les  Celtes  reconnuffent  un  commencement  de  tcmtes  u,  crojroient 
chofes  ,  ils  ne  laiffoient  pas  de  foutenir  (z)  que  le  monde  devoit  fub-  |.o™up"fbu?' 
-fifler  éternellement.  Ce  Dogme  avoit  une  liaifon  naturelle  &  néceffaire 
avec  un  autre  point  de  leur  Doûrine ,  qui  fait  le  fujet  du  Chapitre 
fuivant.  Ils  croyoient  que  les  hommes  dévoient  revivre  pour  être  im- 
-  mortels.  Par'cela  même ,  ils  affuroient  que  le  féjour ,  où  les  hommes 
dévoient  jouir  d'une  vie  immortelle ,  ne  feroit  jamais  détruit.  .«  Les 
«Druides  croyent ,  dit  Stabon ,  (})  que  le  monde  eft  incorruptible; 

(i)  Voytt,  ci-d.  ch.  vi.  J.  i«.  ' 

(i)  StraboIV.  p.  197. 

(1)  Vyit,  U  note  pcéccdeate. 

Xi 


i64  HISTOIRE    DES    CELTES, 

«  mais  ils  avouent  en  même  tems  ,  que  le  Feu  Ôt  l'Eau  y  prendront  un 
"  jour  le  defllis  »'. 
Miis  ils  di-      Il  femble  que  l'on  entrevoie  là-dedans  cette  ancienne  tradition,  mi 
r£a'i'i&?"Lii  annonçoit   deux    grandes  cataftrophes ,  dont  l'une  devoir   arriver   par 
eami'jour!'  l'Eau,    &  l'autre  par  le  Feu.  Les  Celtes   croyoient  ,   vrai- femblable- 
ment,  que  le  monde  feroit  purifié  &  renouvelle  par  un  em' rafemenf 
imiverfel  ,  comme  il  l'avoit  été  autrefois  par  le  déluge  ;  &  c'eft ,  félon 
les  apparences  ,  ce  qui  faifoit  le  fujet  d'une  ancienne  danfe ,  ou  d'un  an- 
cien Cantique  ,  dont  Menippe ,  Philo  fophe  Cynique  ,  a  voit  fait  men- 
tion. On  l'appelloit  (  4  )  Koo-yus  iktv^uo-iç  ,  l'embrafement   de  l'Univers. 
Cette  manière  d'exprimer  les  Dogmes  de  la  Religion  dans  des  Canti- 
ques &  dans  des  danfes,venoit  affurément   des   anciens  Habitans   de 
l'Europe. 
Ils  admet.       §,   IV.  La  Providence  efl:  un  Dogme  commun  à  toutes  les  Reli- 
Pr'ovideùcé.    gious.  Pour  rendre  à  Dieu  le  culte  qui  lui  eft  dû ,  &  fur  tout  pour  fe 
foumettre  à  fon  autorité ,  il  faut  fuppofer ,  avant  toutes  chofes ,  qu'il 
eft  l'auteur  &  le  confervateur  de   notre  vie  ,    le  maître  des  événe- 
mens,  le  témoin  &  le  juge  de  notre  conduite.   Ces  vérités  n'étoient 
point  (5)   conteftées  parmi  les  Celtes.  Au  contraire,  entre  les  Reli- 
gions Payennes  ,   il  n'y  en    avoit  peut-être  aucune  ,  qui  donnât  plus 
d'étendue  au  règne  de   la  Providence ,  que  la  leur  (6).   Le  tremble- 
ment, la  chute  d'une  feuille,  le  vol  d'im  oifeau,  la  manière  dont  les 
branches ,  que  l'on  employoit  aux  divinations  ,  tomboient   à  terre  , 
après  avoir  été  jettées  en  l'air;  en  un  mot,  tout  ce  que  nous  attri- 
buons aux  loix  de  la  pefanteur ,  au  méchanifme  des  corps  ,  à  l'inftinft 
des  animaux ,  ou  même  au  pur  hafard  ;  tout  cela  étoit ,  félon  les  Cel- 
tes ,  l'ouvrage  de  la  Divinité ,  qui  animoit  &  qui  dirigeoit    les  êtres 
matériels  d'une  manière  pleine  de  vues  profondes ,  tant  pour  le  pré- 
fent  que  pour  l'avenir.    Il  en  réfultoit  naturellement  que  la  Divinité 
étoit  le  feul  agent ,  que  tout  étoit  dirigé   &  déterminé  d'une  manière 
infaillible  par  la  Providence  ,  &  que  toute  la  fageffe  de  l'homme  confîf- 
toit  à  connoître  les  defleins  de  Dieu  ,  &  à  y  acquiefcer.  Cependant 
les  Celtes  employoient,  non  -  feulement  les  prières  &  les  facrifices, 
■' ■■■'■"■^^— ^^■"-'^■■^^^-^•■-^— — ■■-■■^.— ^^•.»'"»— ..^«^ w 

(4)  Athen.  XIV.  cap.  7. 

(5)  Ci  d.  ch.  II.  §.  i.notei. 

(6)  Fiy«x.  «i-4.  ïjl.  IV.  J.  I  J.not.  4J. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XVII,  165 

mais  encore  des  charmes  &c  des  maléfices,  pour  détourner  le  cours 
naturel  des  événemens.  Selon  les  apparences  ,  ils  ne  croyoient  pas 
que  ces  chofes  fuflent  incompatibles.  Cela  n'efl;  pas  furprenant.  Il  y 
a  des  Théologiens  qui  admettent  un  décret  infaillible  ,  &  qui  ne  laiflent 
pas  de  le  concilier  avec  la  liberté  de  l'homme.  Ces  queftions ,  qui  ap- 
partiennent plutôt  à  la  Théologie  qu'à  la  Religion ,  ont  été  agitées  par 
tous  les  Peuples  ;  &  comme  ceux  qui  élèvent  le  plus  le  franc  arbitre 
de  l'homme,  n'ont  pas  prétendu  nier  la  Providence;  l'équité  veut  aufîi 
qu'on  n'accLife  pas  ceux  qui  admettent  un  décret  infaillible  ,  une  déter- 
mination phyfique  de  la  Providence ,  d'arracher  à  l'homme  fa  liberté  , 
d'autant  plus  que  leur  pratique  eft  toute  différente  de  leurs  principes  (7). 

§.  V.  A  l'égard  des  devoirs  de  l'homme,  les  Celtes  les  rapportoient 
tous  à  ces  trois  ch»fs  généraux  (8)  :  //  faut  fervir  /es  Dieux  ;   ne  point 
faire  de  mal;  s'étudier  à  être  vaillant  &  brave.  C'étoit-là  une  efpèce  d'a- 
brégé de  leur  morale.  Examinons ,  en  peu  de  mots ,  le  fens  &  l'étendue  6«néraux. 
qu'ils  donnoient  à  ces  trois  maximes. 

Ils  difoient  i  °.  qu'i/  faut  fervir  les  Dieux.  Quoique  ces  Peuples  fif-  11  faut  fervu 
fent  beaucoup  de  cas  des  facrifices ,  ^9)  &  qu'ils  attribuaffent  une  grande 
efficace  à  leurs  cérémonies ,  il  faut  avouer  qu'ils  ne  faifoient  pas  con- 
lifler  tout  le  fervice  des  Dieux  dans  ce  culte  extérieur.  Les  Druides  s'ap- 
pliquoient  à  l'étude  de  la  morale  :  ils  la  prêchoient  aux  Peuples  (10), 
pour  adoucir  la  férocité  de  leur  naturel  (11)  :  ils  la  propofoient  com- 
me la  volonté  de  Dieu  (12).  Le  Peuple  regardoit  aufîi  la  juftice  ,  la 
bonne  foi ,  l'hofpitalité ,  comme  des  vertus  qui  rendent  l'homme  agréa- 
ble à  Dieu.  Tout  cela  ne  permet  pas  de  douter  que  cette  maxime  ,  il  faut 
ftr.'ir  les  Dieux ^  n'exprimât,  en  même-tems,  le  culte  &  l'obéifTance 
que  les  hommes  doivent  à  la  Divinité. 

Le  fécond  point  de  la  morale  des  Celtes  ,  étoit  qu'zV  ne  faut  point 
Jaire  de  mal.   Cette  maxime  recommandoit ,  non  -  feulement  la  juflice,  po'nt  faire  de 
qui  ne  fait  aucun  tort  au  prochain  ,  &  que  Juflin  appelle  une  vertu  (13) 
tiaturelle  aux  Scythes,  mais  encore  la  tempérance,  la  chafleté,  avec 


lît  rappor- 
toient les  de- 
voirs de 
r/iomme  i 
trois   cliefs 


les  Dii 


x'.  Il  ne  faiTt 


(7)  C'eft  une  queftion  de  l'Ecole  qu'il  n'cft 
pas  rK^cclTaite  d'examiner  dans  cet  Ouvrage. 
tJtie  de  i'EdîiiHr. 

(1)  .  iogen.  Lacrt.  Fi3em>  f  •  }. 

(»J  £Uan.  II.  M. 


(lo)Strabo  IV.  197. 
(i  I)  Jornand.  cap.  2. 
(12;  Pomp.  MetaUb.  III.  cap.  i.  p.  jj. 
(lî)  Juftin  II.  i.  rejfrt,  Ci-d.  LJT.  II.  ch.  It. 
pag.  »7»,  »7s. 


i65  HISTOIRE    DES     CELTES, 

toutes  les  vertus  prefcrites  par  la  loi  naturelle.  Si  les  Celtes  avoient  des 
vices  ,  ce  n'étoit  pas  qu'ils  ne  connufTent  fort  diftinftement  le  bien  & 
le  mal  ;  mais  la  plupart  des  hommes,  au  lieu  de  fuivre  leurs  principes  ,  fe 
livrent  aveuglément  à  leurs  propres  penchans.  Il  eft  certain  ,  cependant , 
que  les  Celtes  avoient  une  idée  très-imparfaite  (14)  de -la  juftlce  qui 
nous  défend  de  faire  aucun  mal  à  qui  que  ce  foit  (*).  D'un  côté  ,  ils 
n'étendolent  cette  obligation  qu'aux  hommes  qui  vivent  enfemble  dans 
une  même  fociété.    Ce  n'étoit  pas  une  injuftice  de  piller  &  de  tuer 
dans  un  Etat  voifin.  De  l'autre  ,  ils  permettoient  de  fe  rendre  juftice  à 
eux-mêmes,  de  vuider  leurs  querelles  &  leurs  procès  parla  voie  des 
armes.  Ils  donnoient  toujours  gain  de  caufe  au  plus  fort;  ce  qui  n'étoit 
autre  chofe  qu'un  renverfement  total  de  toutes  les  loix  de  la  juftice. 
$•.  t!  fïu        Enfin  ,  le  dernier  chef  de  la  morale  des   Ceîfcs  ,   étç>it   qu'il  faut 
êctev/iiunt    s'étudier  à  être  vaillant  &  brave,  La  bravoure  peut  compatir  ,  jufqu'à  un 
k  biavc.       certain  point ,  avec  l'amour  &  la  juftice ,  en  tant  qu'elle  fert  à  foute- 
nir  &  à  défendre  une  bonne  caufe.  C'eft ,  à  la  vérité  ,  l'opprobre  de  la 
nature  humaine  ,  que  des  hommes ,  qui  ont  la  raifon  en  partage ,  fe  trou- 
vent quelquefois  réduits  à  décide»  leurs  différends  par  la  force ,  6c  à 
entreprendre  des  guerres  dans  lefquelles  celui  qui  voudroit  fe  relever 
du  tort  &  de  l'injuftice  qu'il  a  foufferte  ,  s'expofe  au  danger  de  fuccomber 
une  féconde  fois.  Mais  enfin ,  dans  l'état  où  font  les  chofes ,  la  guerre  , 
comme  les  procès  ,  les  prifons  &  les  fupplices ,  eft  un  mal  inévitable  ;  ou 
plutôt,  elle  eft  une  barrière  que  l'on  a  été  obligé  d'oppofer  à  la  méchan- 
ceté de  l'homme ,  &  que  l'on  ne  fçauroit  ôter  fans  ouvrir  la  porte  à 
la  violence  &  à  l'opprefllon.  Les  hommes  étant  injuftes  &  raviffeurs , 
il  faut ,  de  toute  néceffité ,  que  les  gens  de  bien  s'arment  de  force  & 
de  courage ,  pour  défendre  ceux  que  l'on  opprime  injuftement ,  &  pour 
réfifter  eux-mêmes  à  ceux  qui  leur  ôtent  ou  leur  retiennent ,  contre 
tout  droit  &  toute  raifon ,  ce  qui  leur  appartient  légitimement.  Mais 
comme  ces  réflexions  n'excufent  que  les  guerres  juftes ,  elles  montrent 
auffi  que  la  valeur  n'eft  une  vertu  que  lorfqu'elle  prend  les  armes  pour 
foutenir  des  droits  légitimes. 

Il  ne  paroît  pas  que  les  Celtes  fiflent  une  diftinaîon  fi  néceffaire. 

(14)  Ci-deflus  Liv.  II.  ch;»i  i.  &  1 1. 

(*)  Voy.  ci-deff.  Liv.  II.  chap.  12.  not.  71.  ti.  ch.  ij.not.  41.  ch.  U.  not.  14.  cj».  i«.  Wt.  tyi 
it*.  tiH  4».  4J.  j 7. 6i>  ch.  ly.  «or.  t.  w. 


LIVRE     III.     CHAPITRE    XVII.  167 

Ils  eftimoient  la  bravoure  en  elle-même ,  fans  fe  mettre  en  peine ,  û 
elle  défendoit  une  bonne  caufe ,  ou  fi  elle  venoit  à  l'appui  de  l'injuftice 
ou  de  la  violence.  Ils  croyoient ,  comme  on  le  verra  dans  le  Chapitre 
fuivant ,  que  tous  ceux  qui  périflbient  à  la  guerre  étoient  fauves  ,  & 
élevés  à  un  degré  de  gloire  &  de  félicité  auquel  des  hommes  juftes , 
bienfaifans ,  ne  pouvoient  arriver ,  fuppofé  qu'ils  fortifient  de  la  vie 
par  une  mort  naturelle.  Il  faut  donc  paffer  condamnation  fur  cet  article  : 
la  valeur  que  les  Druides  recommandoient  aux  Celtes  ,  étoit  une 
vertu  de  Brigands ,  &  le  Paradis  qu'ils  leur  promettoient  ,  au  lieu 
d'être  la  récompenfe  de  la  vertu ,  étoit  véritablement  le  triomphe  de 
l'injuftice ,  de  la  violence  ,  &  de  la  fureur. 

§.  VI.  Les  Celtes,  comme  tous  les  autres  Peuples  Payens,  avoient     tesceii« 
l'idée  d'un  Dieu  ofFenfé  par  le  péché  ;  mais  en  même-tems  d'un  Dieu  d'^n  oicul^ 
placable ,   qui  devoit  être  appaifé  par  des  facrifices.  Il  eft  vrai  que  le  ^^''jj^^pjf ';= 
grand  but  de  leurs  facrifices ,  étoit  de  découvrir  l'avenir ,  &c  de  s'inf-  'î';'''  t'""  f->- 

.  .  •  cile  dappai- 

truire  de  leur  deftinée  ,  qu'ils  croyoient  lire  clairement  dans  les  entrailles  f«- 
des  vidimes. 

Nous  parlerons  dans  le  Livre  fuivant  des  principes  de  cette  belle  Hs  penfoicm 
fcience.  Mais  on  ne  peut  pas  douter  qu'ils  n'euffent  aufli  des  facrifices  Z'flJc^Ti 
expiatoires ,  deftinés  à  délivrer  le  pécheur  de  la  peine  qu'il  avoit  mé-  oi' u  pit'dcs 
ritée ,  par  la  fubftitution  d'une  viâime  qui  étoit  immolée  en  fa  place.  f^c'.'''"\'i* 

T    1  /-'/•  viflimes  hu- 

lules -  Céfar  l'affure  formellement  :  (  1 5  )  «  Toute  la  Nation  des  Gau-  mainvi. 

»  lois  eft  fort  adonnée  à  la  fuperftition.  Sont- ils  attaqués  de  quelque 
»  maladie  dangereufe ,  fe  trouvent-ils  dans  une  bataille  ,  ou  dans  un 
»  grand  danger  ,  ils  immolent  des  viôimes  humaines  ,  ou  font  vœu 
»  d'en  offrir  ,  &  fe  fervent  ,  pour  ces  facrifices  ,  du  miniftère  des 
»  Druides  :  ils  s'imaginent  que  les  Dieux  immortels  ne  peuvent  être 
»  appaifés ,  à  moins  qu'on  ne  racheté  la  vie  d'un  homme  par  celle 
»  d'un  autre  homme  «. 

Il  faut  avouer  que  ce  font-là  d'étranges  idées.  La  vraie  Religion 
n'ordonna  jamais  d'offrir  à  Dieu  des  viûimes  humaines  :  au  contraire , 
elle  le  défend  exprefiément.  Elle  enfeigne ,  à  la  vérité ,  que  les  pé- 
chés ont  été  expiés  par  le  facrifice  du  Fils  unique  de  Dieu  ;  mais  comme 
ce  ne  font  pas  les  Juifs  qui  ont  offert  ce  facrifice ,  il  en  réfulte  néceffai- 


(15)  C«fat  VI.  I*. 


i68  HISTOIRE    DES    CELTES, 

rement  qu'il  ne  coniîfte  pas ,  k  proprement  parler  ,  dans  la  mort  de 
Jefus-Chrift,  ni  dans  l'efFufion  de  Ion  fang.  A  cet  égard,  le  fupplice  du 
Sauveur  eft  un  attentat ,  que  Dieu  a  puni  par  la  deftrudHon  totale  de 
l'Eglife  ,  &  de  la  République  Judaïque.  Le  facrifice  de  Jéfus-Chrift  con- 
fifte  dans  l'obéiffance  qu'il  a  rendue  à  fon  père ,  aimant  mieux  foufFrir 
le  fupplice  le  plus  honteux  &  le  plus  cruel ,  que  de  fe  détourner  un 
feul  moment  de  la  foi ,  ou  de  la  piété.  Il  tire  tout  fon  prix  des  grandes 
&  glorieufes  vertus  que  Jéfus-Chrift  a  pratiquées  avant  fa  mort,  &C 
de  l'intention  qu'il  a  eue  de  nous  en  appliquer  les  fruits.  Ainfi,  quoique 
le  Dogme  de  la  rédemption  du  Fils  de  Dieu  ,  foit  propofé  dans  l'E» 
vangile  comme  un  myftère,  il  faut  convenir  que  la  raifon  eft  obligée 
de  foufcrire  à  une  Doûrine  qui  enfeigne  que  l'obéiffance  la  plus  parfaite, 
l'humilité  la  plus  profonde  ,  la  vertu  la  plus  confommée  que  l'on  puifle 
imaginer  ,  eft  un  facrifice  véritablement  expiatoire  ,  en  confidération 
duquel ,  Dieu  a  bien  voulu  pardonner  au  genre  humain  les  outrages 
qui  avoient  été  faits  à  fa  Majefté. 

Les  Cehes  avoient  des  idées  toutes  différentes.  On  voit  dans  le 
paffage  de  Jules -Céfar,  qu'ils  regardolent  la  Divinité  comme  un  Etre 
altéré  de  fang ,  qui  ne  faifoit  grâce  de  la  vie  à  un  homme  ,  que  fous  la 
condition  qu'on  lui  en  offrirait  un  autre.  D'oii  avoit-on  pris  ces  idées 
qui  étoient  communes  à  la  plupart  des  Peuples  Payens  ?  Plutarque  a 
dit  (i6)  qu'on  offroit  ces  viûimes  à  des  Génies  malfaifans.  On  leur  lâ- 
choit ,  comme  à  des  bêtes  féroces ,  une  efpèce  de  proye ,  afin  qu'ils 
épargnaffent  le  refte  de  la  fociété.  Si  telle  étoit  la  véritable  opinion  des 
autres  Payens  ,  les  Celtes  qui  offroient  ces  facrifices  au  Dieu  fuprême  , 
avoient  une  autre  idée  ;  ils  appelloient  Dieu  T&utat ,  le  Père  Ttut , 
Cuod,  Vodan^  l'Etre  infiniment  bon  :  ils  croyoient  en  même  tertis,  qu'il 
prenoit  plaifir  à  l'effufion  du  fang ,  &  qu'il  réfervoit  une  félicité  parti- 
culière aux  hommes  qui  fortoient  du  monde  par  une  mort  violente. 

§.  Vil.  Outre  les  Dogmes  dont  on  vient  de  faire  mention,  les  Druides 
agitoient  im  grandnombre  de  queftions  (17  fubtiles  &  abftrufes  :  «II 
»  y  a  ,  dit  Jules-Céfar  (18)  ,  plufieurs  autres  chofes  qu'ils  enfeignent  è 
H  la  jeuneffe ,  &  dont  ils  difputent  dans  leurs  Ecolet ,  par  exemple  , 

-— ■ — ■ '' ' — ^ st.    ■ r- 

(t«)  Plut,  de  Otac.  Defeft.  Tom.  II,  p.  417. 
(17)  Amm.  Marc.  XV.  cap.  j.  p.  »s. 
{i»;Cicf«r  YI.  ^\' 


LIVRE    III.     CHAPITRE    XVIII.         1^9 

»  des  Ailres  &  de  leur  mouvement ,  de  la  grandeur  du  Monde  & 
»  de  la  Terre,  de  l'Univers  ,  de  la'puifTance  &  de  l'empire  des  Dieux. 
»Ils  fe  vantent,  dit  encore  Pomponius-Mela,  (19)  de  connoître  la 
»  grandeur  &  la  forme  de  la  Terre  &  du  Monde,  les  divers  mouvemens 
»  du  Ciel  &  des  Aftres  ,  &  la  volonté  des  Dieux.  Ils  enfeignent  beau- 
»  coup  de  chofes  fur  ces  matières  à  la  noblefle  la  plus  diftinguée ,  &  cela 
»  d'une  manière  fort  fécrette  ,  &  pendant  long-tems  ,  y  employant 
H  quelquefois  jufqu'à  vingt  ans.  Ils  donnent  leurs  leçons  dans  des  caver- 
»  nés  ,  ou  dans  des  Forêts  reculées  ». 

Il  n'eu  pas  néceflaire  de  rechercher  ici  ce  que  les  Druides  croyoient 
fur  ces  matières.  D'un  côté ,  la  plupart  de  ces  queftions  appartiennent 
à  la  Philofophie  ,  plutôt  qu'à  la  Théologie.  De  l'autre  ,  celles  qui 
pouvoient  avoir  quelque  influence  fur  la  Religion  ,  faifoient  partie  de 
Il  Doûrine  occulte  ,  que  les  Druides  ne  confioient  qu'aux  plus  affidés 
de  leurs  Difciples,  parce  qu'elle  fervoit  de  fondement  aux  divinations 
&  à  la  magie ,  dont  on  faifoit  un  fecret  au  Peuple.  Par  exemple  ,  la 
Doftrine  occulte  des  Thracès ,  enfeignoit  un  Cantique  (  io  )  ,  par  la 
vertu  duquel  un  tifon  s'enfonçoit  dans  l'œil  d'un  homme  ,  fans  être 
poufle  par  qui  que  ce  fut.  Il  falloit  bien  que  l'on  difputâf  fur  la  puif- 
fance  des  Dieux ,  pour  montrer  comment  la  chofe  étoit  poffible.  Il 
ne  refte  donc  plus  qu'à  examiner  ce  que  les  Celtes  croyoient  fur  le 
fort  de  l'homme  après  cette  vie.  Il  faudra  le  faire  avec  quelque  éten- 
due ,  foit  pour  établir  leur  véritable  fentiment  fur  cet  important  article , 
foit  pour  réfuter  l'opinion  de  ceux  qui  prétendent  que  ces  Peuples 
croyoient  à  la  Métempfycofe  de  la  même  manière  que  Pythagore. 


CHAPITRE     XVII  r. 

§.  I.  JL'iMMORTALiTÉ  de  l'ame  eft  un  Dogme  fans  lequel  la  Re-  LeDogmt,je 
ligion  ne  peut  guères  fubfifter.  Un  homme  qui  n'attendroit  ni  peines  ,  dÉTÀme'"» 
ni  récompenfe ,  après  cette  vie  ,  ne  pourroit  s'attacher  à  la  vertu ,  que  ="«  1"='  ^ 
dans  la  vue  d'un  intérêt  préfent  &  temporel.  Par  cela  même,  il  aban-  &"'»• 


(jj)  Fomp.  Mel.Iil.  cap.  i.  p.  ^j. 
(loj  3(10  incaniaiioncm  Orphti  valiie  hotiam  ,  ut 
fpome  fxâ  icrrii  in  cranium  v»d*l,  C'eft  ce  qu'un 


Satyre  difoit  à  Ulyffe  qui  le  prioit  de  l'aider  à 
poufler  un  tifon  brûlast  dans  l'oeil  du  Cyclope. 
£uiipid.  C^'clop,  V.  642. 


Terne  IL  T 


lyo  HISTOIRE    DES    CELTES, 

donneroit  la  vertu  toutes  les  fois  qu'elle  ne  feroit  propre  qu'à  le  ren- 
dre malheureux.  Il  feroit  difficile ,  par  exemple  ,  qu  il  ne  fe  laflât  pas 
d'obferver  les  loix  de  la  juflice  &c  de  l'équité ,  vivant  avec  des  fcélérats 
qui  les  vloleroient  toutes  à  fon  égard,  s'il  n'étoit  fermement  perfuadé 
que' la  préférence  qu'il  donne  à  la  vertu,  fur  tous  les  intérêts  temporels  , 
trouvera,  dans  une  autre  vie,  une  récompenie  aufîi  fiire  qu'excellente. 
r«  Dogme       Quelque  important  que  foit  ce  Dogme ,  il  ne  laiûoit  pas  d'être  fort 
"imncs  "  moderne  patmi  ce  nouveau  Peuple  qui  chafTa  les  Pélafges,  6c  qui  intrc- 
''""■  duifit  en  Grèce  le  culte  des  Dieux  Egyptiens  &C  Phéniciens.  On  pré- 

tend (  1  )  que  «  Thaïes  enfeigna  le  premier ,  que  l'ame  étoit  immor- 
»  telle  ".  D'autres  dilent  (  i  )  que  ce  fut  Phérécyde  de  Scyros  qui 
»  avança  le  premier ,  que  l'ame  de  l'homme  étoit  éternelle  ».  Ce'  qu'il 
y  a  de  certain ,  c'eft  (3)  que  Pythigore  &:  Platon  (4)  contribuèrent  le 
plus  à  introduire  ce  Dogme  parmi  les  Grecs.  Il  n'eft  pas  poffible  de  déte  - 
miner  d'où  Pythagore  avoit  tiré  la  Dodrine  de  l'immortalité  de  l'ame. 
Il  étoit  (5)  Difciple  de  Phérécyde,  qui  l'avoit  enféignee.  Il  avoit  fait  (6) 
im  voyage  à  Chaldée ,  où  elle  étoit  gén^aleraent  reçue.U  avoit  été 
en  (7)  Thrace  ,  &c  y  avoit  eu  pour  Maître  (8)  Abaris  l'Hyperboréen.  Il 
pafl'a  les  dernières  années  de  fa  vie  en  Italie  ,  où  il  fut  à  portée  de  con- 
noître  les  opinions  des  Celtes  ;  &  ,  c'efl-là ,  félon  les  apparences  ,  qu'il 
eut  occafion  d'entendre  des  Philofophes  Gaulois  (9).  Voilà  bien  des 
fources  où  Pythagore  avoit  pu  puifer  fes  idées  fur  l'immortalité  de 
l'ame  ,  fuppofé  que  fa  propre  méditation  ne  les  lui  eût  point  fournies. 
A  l'égard  de  Platon,  il  avoit  (10)  étudié  en  Italie  ,  fous  des  Philofo- 
phes Pythagoriciens.  Il  y  avoit  acheté  ,  pour  une  grofle  fomme ,  les 
Ouvrages  de  Philolaiis  Crotoniate  ,  où  les  fentimens  de  Pythagore 
étoient  expofés  d'une  manière  fort  étendue.  C'efI  de  là  fans  doute  qu'il 
avoit  tiré  ce  que  l'on  trouve  dans  fes  écrits  fur  la  nature  de  l'ame, 
&  fur  fon  immortalité.  Il  paroît ,  cependant,  par  un  de  les  Dialogueb, 

^                            (i    Chœiilus  l'oeta  ap   Diog.  tacrt.  in  Tha-  PhcrecidcToin.  Ili.  592.  &  in  Fythag.  Tom.IIi» 

lete    Suidas  in  Tlialeic.  pag.  ijt. 

(i)  Ciceto  Tufc.  Quacft.  I.  cap.  38  Thaïes  j  (6    f'ojyez,  la  note  8.  ei-deffbus.  ' 

naquit  dars  le  cours  de  la  XXXVc.  Olympiade  ,  1  (7)  Ci-d.  cli    IV.  §.  8   note  34. 
&  Pherécide  dans  la  XLVe.  Suidas  in  Thaleteâc 


Phetccyde. 

(3j  Diod  Sic.  xvin.  p.  «17. 

(4)  Paufanias  MelTiniac.  XXXII.  p.  3 s». 

(;)  Cic.  Tafc,  Quaeft.  I>  cap.  3 1.  Suidas  in 


(8    Suidas  in  Pythag    Toin.  III    p.  131, 
(9)  Ftjei.  ci-d    ch.  IV.  S  8.  not.  35. 
(loj  Diog.  Laeit.  in  îUtonc  Seg.  j.  A.  Gell. 
lib,  lu,  cap.  17. 


LIVRE     III,    CHAPITRE    XVII.  iji 

qu'il  n'a  pas  ignoré  que  les  Thraces  croyoient  auffi  que  l'ame  étoit  im- 
mortelle. Parlant  d'un  certain  Cantique  auquel  on  attribuoiî  la  vertu 
de  guérir  les  maladies  ,  il  dit  (  1 1  )  qu'il  l'avoit  appris  d'un  de  ces 
«Prêtres  qui  exercent  la  médecine ,  &  qui  enfeignent  que  l'ame  eft 
»  immortelle  ». 

Au  refte  l'immortalité  de  l'ame  étoit ,  parmi  les  Grecs ,  un  Dogme 
purement  fpéculatif.  Les  Poètes  la  propofoient  dans  leurs  écrits  ;  les 
Philofophes  l'enfeignoient  à  leurs  Difciples;  on  en  difputoit  dans  les 
Ecoles  :  mais  il  ne  paroît  pas  qu'on  la  regardât  comme  une  vérité  qui 
appartînt  à  la  Religion,  &  peut-être  les  Philofophes,  qui  difoient 
qu'il  faut  aimer  la  vertu  pour  elle-même ,  oublioient-ils  ,  dans  cet  en- 
endroit  ,  ce  qu'ils  avançoient  ailleurs  des  récompenfes  qui  l'attendent 
dans  une  autre  vie. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  la  Doftrine  d'une  vie  avenir  étoit ,  parmi  les    wpoat  \m 
Celtes ,   un  Dogme  fur  lequel  toute  la  Religion  étoit  appuyée.  Les  u\ui  de  I'a. 
Druides  avoient  une  Doôrine  fécrette,  qui  n'étoit  que  pour  les  initiés  d""to°'t"aa"* 
(il).  Mais  pour  celle-ci,  ils  ne  ceffoient  de  la  propofer  (  13  ),  &  de  l'ôs'cTtesr' 
l'inculquer  au  Peuple ,  comme  fervant  de  bafe  &  de  fondement  à  l'obli- 
gation où  font  les  hommes  de  fervir  les  Dieux,  d'obferver  les  loix 
de  la  juftice  ,  &  de  s'étudier  à  être  vaillans  &  braves.  Le  Peuple  faifoit 
aufli  de  cette  vérité  la  matière  de  fes  Cantiques  facr.és.  Il  y  célébroit 
l'excellence  du  bonheur  avenir,  &  des  vertus  qui  conduifent  à  cet  heu- 
reux état.  En  un  mot  ,  l'immortalité  de  l'ame  étoit  reconnue  par  tous  les 
Peuples  Celtes ,  &  cette  Doftrine  étoit ,  parmi  eux  ,  d'une  antiquité 
è  laquelle  l'Hifloire  ne  remonte  point.   Par  exemple  ,   elle    étoit   re- 
çue chez  les  Perfes  (  14  ) ,  du  tems  de  Cyrus ,  à  qui  Xenophon  fait 
tenir  un  beau  difcours  fur  l'état  de  l'ame  féparée  du  corps.   On  voit 
bien  ,  à  la  vérité ,  que  la  plupart  des  preuves  &  des  réflexions  font 
du  Philofophe  Grec  ;  mais  il  n'en  eft  pas  moins  conftant ,  que  le  Dogme 
même  étoit  reconnu  par  les  Anciens  Perfes ,  qui  croyoient  non-feule- 
ment l'immortalité  de  l'ame,  mais  encore  la  réfureûion  (ij)  du  corps. 


(Il)  Plito  Charmide  pag. 4S4.  Clcm.  Alex. 
S«om.  I.  cap.  I  s  p  s  s  c.  On  verra  ,en  fon  lieu, 
^uc  TOUS  les  Druidcse'toientMédecins,&  qu'i^ 
(e  vantoient  de  guérir  les  maladies  par  des  pa- 
«ples  &  pai  det  Cauti9[ues  magiques. 


(12)  On  en  parlera  ailleurs. 
(13    Pomp.  Mel.  III-  cap.  2.  p.  73.  Sitrabo  IT. 
197.  Am.  Marcell.XV.  cap.  s-  p.  99. 

^14)  Xenophon  Cyrop.  lib.  viii.  p.  loi. 
(i  i]  On  le  prouvera  dans  le  paiagraf  he  VIK^ 

Yx 


lyi  HISTOIRE    DES     CELTES, 

Cicéron  a  encore  remarqué  (i6)que  «les  Habltans  de  l'Italie  étoient 
M  perfiiadés  que  l'homme  qe  périflbit  pas  totalement  ,  &  qu'il  ne 
»  perdoit  pas  tout  fentiment  par  la  mort». 

II  y  a ,  à  la  vérité  ,  dans  Pomponius-Mela  ,  un  paffage  qui  porte 
expreflement ,  que  les  Gétes  n'étoiçnt  pas  d'accord  entr'eux  fur  le  fort 
de  l'homme  après  cette  vie  (17).  »  Les  Gétes,  dit-il,  meurent  fans 
»  aucun  regret.  Ils  ont  différentes  opinions  qui  fervent  à  les  détacher 
»  de  la  vie.  Il  y  en  a  qui  croyent  que  les  âmes  des  morts  revien- 
»  dront  au  monde.  D'autres  difent  qu'elles  n'y  reviendront  point  ; 
»  mais  ils  foutiennent ,  en  même  -  tems ,  qu'au  lieu  d'être  anéanties  par 
«la  mort,  elles  paffent  à  un  état  plus  heureux.  D'autres  enfin  avouent 
»  que  les  âmes  font  anéanties  par  la  mort,  mais  ils  difent  que  cet  état 
»  eft  préférable  à  la  vie.»  Il  fe  peut  fort  bien  que  chacune  de  ces  trois 
^  opinions  eut  {es  partifans  parmi  les  Gétes  ;  mais  la  première  étoit  cer- 

tainement la  plus  reçue;  c'étoit  d'ailleurs  la  feule  que  la  Religion  auto- 
rifât,  &  c'efl  uniquement  de  quoi  il  s'agit  ici.  Il  y  a  eu,  dans  le  fein 
même  de  la  Religion  Chrétienne ,  un  Synefius  qui  nioit  la  réfurreûion 
du  corps ,  parce  qu'il  étoit  dans  l'idée  qu'elle  oppoferoit  des  obftacles 
invincibles  à  la  perfection  &  au  bonheur  de  l'ame.  On  trouve,  dans 
toutes  les  Communions  Chrétiennes  ,  des  libertins  qui  fe  dégradent 
eux-mêmes  de  l'immortalité  ,  pour  n'être  pas  obligés  de  vivre  d'une 
manière  qui  réponde  à  l'excellence  de  leur  condition.  11  y  en  avoit  même 
déjà  du  tems  de  Saint  Paul ,  qui  difoient  que  l'ame  de  l'homme ,  comme 
celle  de  la  bête ,  retourne  dans  la  terre.  Tout  cela  n'empêche  pas  que 
l'immortalité  de  l'ame,  la  réfurredion  du  corps,  l'éternité  des  peines 
&  des  recompenfes ,  ne  foient  des  Dogmes  efientiels  &  fondamentaux 
du  Chriftianilme.  Or  il  eft  queftion  ici  de  repréfenter  la  Religion  des 
Celtes ,  les  vérités  qu'elle  enfeignoit ,  &  non  prs  l'opinion  de  quelques 
particuliers  ,  dont  les  erreurs  furprennent  beaucoup  moins  dans  des 
Barbares ,  que  dans  des  Chrétiens.  L'on  peut  donc  pofer  en  fait  que 
le  Dogme  de  l'immortalité  de  l'ame  étoit  reconnu  généralement  par  tous 
les  Peuples  Celtes. 
On  prétend      §.  II.  Mais  on  Icur  H  attribué  ,  après  cela ,  un  autre  Dogme  qui  au- 

(16)  Cicero  TuTc.  Qazft.  lib.  I.  f.  3437. 
■(ï7)Pomp.MelaII.  cap.  i.p.  43.  Solin  dit  à  peu  ptès  la  mçme  chofc ,  cap.  XV.  p.  zi^. 


LIVRE    III.     CHAPITRE    XVII.  173 

roit  détruit,  à  peu  près,   toute  l'utilité  que  la  Religion  peut  tirer  du  eut  à  la m4- 
premier.   On  prétend  que ,  félon  leur  Doctrine ,  l'ame  au  lieu  d'entrer  «^^f^y""' 
par  la  mort  dans  un  état  de  peines  ou  de  récompenfes ,  ne  faifoit  que 
circuler  perpétuellement  d'un  corps  à  l'autre.  C'eft  ce  que  Jules-Céfar 
afiure  formellement  (18;:  »  Les  Druides  tâchent,  fur-tout,  de  perfuader 
»  au  Peuple  que  les  âmes  ne  périffent  point  ,  mais  qu'après  la   mort 
»  elles  paffent  d'un  corps  dans  un  autre  (19).  Ils  prétendent  que  cette 
>>  perfuafion  contribue ,  d'une  façon  toute  particulière ,  à  rendre  l'homme 
M  brave  ,    parce   qu'elle  l'empêche  de  craindre  la  mort.  »  Diodore  de 
Sicile  dit  auffi  (20)  que  «  les  Gaulois  fuivent,  à  cet  égard,  le  fentiment 
»  de  Pythagore.  Ils  croyent  que  l'ame  de  l'homme  eft  immortelle, qu'elle 
«doit  retourner  à  la  vie,  &  rentrer  dans  un  autre  corps,  après  un 
»  certain    nombre   d'années.  De  -  là  vient  que  ,    dans  les   obféques  , 
»  quelques-uns  jettent  dans  le  feu  des  lettres   qu'ils  écrivent  à  leurs 
»  pères,  à  leurs  mères,  ou  aux  autres  parens  qu'ils  ont  perdus,  s'ima- 
»  ginant  que  les  morts  lifent  ces  lettres,.  »  Julien  l'Apoftat  attribue  des 
idées   à  peu  près  femblabks  aux  Gétes  (21)  :  «  ils  font  extrêmement 
»  belliqueux,  non- feulement  parce  qu'ils  ont  un  corps  robulle  &  vi- 
»  goureux  ,  mais  encore  parce  que  Zamolxis  ,  auquel  ils  rendent  im 
»  culte  religieux ,  leur  a  perfuadé  que  les  hommes  ne  meurent  point, 
»  mais  qu' i/s  pajjhit  dans  un  autre  fijour  (  11  )•   Attendant  fermement 
»  ces  migrations,  ils  font  toujours  préparés  à  toute  forte  de  dangers.» 
Porphyre  dit  auffi,  (23)  que  la  Métcmpfycofe  étoit  un  des  prmcipaux 
Dogmes  des  Mages ,  &  il  en  donne  pour  preuve ,  que  dans  la  célébra- 
tion de  leurs  myftères,  chacun  d'eux  prenoit  le  nom  de  quelqu'animal. 

Il  y  a  des  Auteurs  qui  vont  encore  plus  loin  ,  &  qui  foutiennent  on  prérend 
que  c'eft  de  Pythagore  même,  ou  de  quelqu'un  de  fes  Difciples,  que  T'-^^^^^-a^' 
les  Celtes  avoie'nt  reçu  le  Dogme  de  là  Métempfycofe.  C'eft  le  fenti-  &  '- '^^  'y' 


(18)  Cœfar  VI.  14 

(t>  Vtyci.  ce  que  j'ai  dit  fur  ce  pafTage  Ke 
Céfat  dans  mon  Difcaxn  fur  l»  Nature  &  les  Do- 
fmfi  de  l»  Religion  des  Gauloii ,  p.  «JI-7  I.  N(>ie-4e 
l'EUtenr. 

(20    Diod.  Sic.  V.  x\i. 

(il    Julian.  Catfar  in  Ttajan.  p.  ai7. 

(lï)  Alii  migr»re  . . .  Cette  cxprtlfion  «le  Ju- 
lien confirme  ce  que  j'ai  di:  dans  mon  D.fe^..r, 
fur  U  Religion  An  Gunlois ,  que ,  dans  ce  texte  de 


Jules-Cefar,  ah  tliii  foft  menem  tmnjîfe  ad  nlios  ,  il 
faut  fuppleer  licos  Sx.  non  pas  hommes.  Se  on  la 
Doflrine  des  Celtes,  les  Ames  fortoicnt  de  ce 
monde  pour  habiter  un  monde  nouveau.  R<^it 
Htm  ffiriiui  nrius  ORBE  iLIo  ,  dit  Lucain.  Aternit 
ejfe    animai,   vitAm^ue    ALrtB.^M    ad   mânes    ,    dit 

fompoiiius  Mêla.  Kojrï,  ci  dcflous  note  4I, 
Niitc  de  i*Edif!*r. 

{i}j  Forfbyi,  de  Abftin.  Ub.  IV.  f.  }fgt 


174  HISTOIRE    DES    CELTES, 

ment  de  l'Auteur  des  Phllofophumcnes  ,  que  l'on  attribue  communé- 
ment à  Origene.  Il  dit  (z4)  que  «Zamoixis,  premièrement  efclave , 
»  &   enfuite  difciple  de  Pythagore  ,    avoit  enfeigné   aux  Druides  les 
»  principes  de  la  Philolophie  Pythagoricienne.  »  Hérodote  avoit  aufli 
appris   des  Grecs  ,  établis  le  long  de  l'Hellefpont ,  &  du  Pont-Euxin 
(25),  que  Zamolxis  étant  de  retour  dans  fa  Patrie,  enfeigna  aux  Thraces 
que  l'ame  étoit  immortelle.  Tout  cela  eft  avancé  fans  fondement  :  les 
Celtes  n'ont  jamais  cru  cette  tranfniigration  des  âmes  d'un  corps  à  l'au- 
tre. Avant  que  de  le  prouver,  il  eft  à  propos  de  faire  ici  quelques 
réflexions  générales, 
tl  ft'eft  pas      §•  lïl-  Il  femble  que  ceux  qui  ont  aiTuré  fi  pofitivement  que  les  Celtes 
ry^îià'orTjit  avoient  reçu  de  Pythagore  le  Dogme  de  la  Métempfycofe  ,  auroient 
wmV'r'^"  ^^^^^^"  établir,  avant  toutes  chofes,  ce  que  ce  Philofophe  a  cru  &  en- 
feigné fur  le  fort  de  l'homme  après  cette  vie.  On  lui  attribue  d'avoir 
cru  (î6)  «que  les  âmes  animent  fucceffivement  divers  corps,  paffant 
»  quelquefois  du  corps  d'un  homme  dans  celui  d'un  autre  homme ,  & 
»  d'autrefois  dans   le  corps  d'une  bête.   On  ajoute  (27)  qu'il  fe  don- 
»  nolt  lui-même  pour  preuve ,  èl  pour  exemple  de  cette  vérité ,  af- 
»  furant  que  ,  du  tems  du  fiége  de  Troye  ,  fon  ame  avoit  animé  le 
»»  corps  d'un  certain  Euphorbe ,  dont  11  efï  fait  mention  aux  Livres  XVI 
»»  &  XVII.  de  riUiade  d'Homère.  »  L'opinion  commune  eft ,  que  c'eft 
en  cela  que  confiftoit  le  Dogme  de  la  Métempfycofe  (28) ,  que  Pytha- 
gore, ou  Phérécyde^  fon  maître,  enfelgnerent  les  premiers  parmi  les 
Grecs. 

Mais  eft-on  bien  fur  que  Pythagore  reconnut  effeftivement  cette 
circulation  perpétuelle  des  âmes  d'un  corps  à  l'autre?  La  chofe  ne  paroît 
pas  tout-à-fait  démontrée ,  &  il  y  a ,  au  contraire  ,  de  fortes  raifons  d'ea 
doxiter. 

Il  eft  conftant ,  i  ®.  que  Pythagore  n'a  rien  écrit ,  ou  qu'au  moins , 
il  ne  nous  refte  aucun  de  fes  Ouvrages.  Comme  la  Doftrine  de  Tim- 
mortalué  de  l'ame  étoit  nouvelle  parmi  les  Grecs ,  du  tems  de  ce  Phi- 
lofophe ,  il  fe  peut  fort  bien  que  ceux  de  fes  Difciples ,  qui  ont  rédigé 


(14)  Origcn.   Fliilofophum.  ap.  Grouov.  in 
Thefauro  Antiq.  Giœc.  Tom.  X.  p.  264. 
(i.  s)  Heiodoc.  IV.  95.  Suidas  iu  Zamolxi» 
(i«)  Dioj,  I<««it.  in  Pythag.Scf.  14, 


(27)  Suidas  in  Pythag.  Tom.  III.  p.  zj  i. 

(28)  Schol.  ad  Findar.  Olymp.  II.  p.  fi,  $•!« 
iu  in  f  hciec^dc  Tom.  Ul  2'  Sf*' 


LIVRE  III.  CHAPITRE  XVIII.  175 
par  écrit  fes  fentiniens ,  fur  cet  article  ,  ne  les  ayent  pas  bien  com- 
pris, i**.  On  trouve  effeûivement  dans  Clément  d'Alexandrie  ,  qu'il 
admettoit  les  peines  &  les  récompenfes  d'une  autre  vie.  Ce  Père  dit 
que  (19)  «  les  Philofophes  Barbares ,  &  les  Pythagoriciens ,  reconnoifient 
»  également  un  avenir  heureux  pour  les  gens  de  bien ,  &  malheureux 
pour  les  méchans.  »  3  ^.  Si  Pythagore  établiffoit ,  avec  cela  ,  un  retour 
des  âmes  (  30)  ,  il  ne  les  faifoit  revenir  qu'après  un  certain  tetns ,  après 
un  nombre  défini  d'années,  pendant  lefquelles  chacun  recevoit ,  auprès 
des  Mânes,  la  peine  ou  la  récompenle  qu'il  a  voit  méritée.  Ce  Philofophe 
ne  croyoit  donc  pas  que  les  âmes  circulaflent  perpétuellement  d'un 
corps  à  l'autre.  4*.  Il  appelloit  ce  retour  non  pas  une  Métempjycofe  ^ 
mais  une  (,31)  Palingénéjîe ,  une  nouvelle  naiffance  ;  ce  qui  infïnue 
que  c'étoit  le  même  homme  (31)  qui  renaifîbit  dans  un  état  plus  par- 
fait. Mais  Pythagore  a-t  il  cru ,  au  refle ,  que  le  même  homme  revien- 
droit  plufieurs  fois  à  la  vie,  ou  qu'il  n'y  reviendroit  qu'une  feule  fois? 
C'eft  une  queftion  qui  paroît  aflez  problématique ,  ôc  qu'il  n'importe 
point  de  décider. 

§.  IV.  En  fuppofant  même  que  Pythagore  ait  eu  fur  le  fujet  de  la     i«ce't« 
Métempiycofe ,  toutes  les  opinions  qu'on  lui  attribue  communément,  p,u"ùé aucun 
il  faudroit  examiner  ,  après  cela ,  s'il  eft  polfible ,  ou  s'il  eft  ,  au  moins ,  '*'  ''=""  'i°; 
vraifemblable,  que  les  Celtes  ayent  adopté  fur  ce  fujet  les  fentimens  du  '«'"pii" 
Philofophe.  Les  Peuples  Scythes  &  Celtes  détcftoient  les  fuperftitions 
étrangères ,  &  faifoient  mourir  ceux  qui  entreprenoient  dé  les  introduire 
parmi  eux.  v^uand  on  accordcroit  donc  qu'un  Ditciple  de  Pythagore 
avoit  enfeigné  aux  Thraces  les  Dogmes  de  fon  Maître  fur  l'immortalité 
de  l'ame  ,  &  fur  fes  dilFérentes  migrations  ,  comment  veut- on  qu'au 
bout  de  quelques  années,  cette  Doûrine  ait  paffé  ,  non-ieulement  juf- 
ques  dans  le  tond  du  JNord ,  mais  qu'elle  ait  été  reçue  par  tous  les 
Peuples  Celtes   comme    un  article  eflenticl  de  la  Religion  ?  La  chofe , 
ne   paroît  afliirément   guères  probable  ;   d'ailleurs  ce  que  les  Aiiciens 
ont  fi  iouvent  dit  &  répété ,  après  Hérodote  ,   que  «  lé  Zamolxis  des 
»  Thraces  avoit  été  Eiclave ,  &  enluite  Difciple  de  Pythagore  ;  qu'a- 


(29   Clem   Alex  Suom   lib  IV  p,  619, 
(î--)  Ci-d    $  ,i.  not   10.  &  la  notr  fuivaote 
lilj  Setvius  ad  ^nei  1.  lU   v    «7.  pag    174 
Schol.  «d.  rindai,  01/mp.  XI.  p.  3 1 .  Demeuius^ 


t-     Dès   «^ue   c'ctcit  le   ititmc  homme,  il 
avoit  Ton  piemiei  cotps.  lUm  dt  l'EUunt, 


176  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  près  la  mort  de  fon  Maître ,  il  s'en  étoit- retourné  dans  fa  Patrie  ,  Sc 
»y  avoit  répandu  les  opinions  du  Philofophe  :  »  tout  cela  n'efl,  de 
l'aveu  d'Hérodote,  qu'une  pure  fable.  Il  ne  veut  pas  garantir  ce  que 
les  Grecs ,  établis  le  long  du  Pont-Euxin ,  &  de  l'Hellefpont ,  lui  ont 
raconté  au  fujet  de  Zamolxis. 

Effeâivement,  la  raifon  qu'il  avoit  d'en  douter  eft  démonflrative  ,  & 
fans  réplique  (33).  Zamolxis  étoit  beaucoup  plus  ancien  que  Pytha- 
gore ,  & ,  affurément ,  ce  n'étoit  pas  des  Grecs ,  ni  de  leurs  Philofo- 
phes,  que  les  Barbares  avpient  emprunté  leur  Doftrine  :  au  contraire  , 
toutes  les  Sciences  avoient  paffé  des  Barbares  chez  les  Grecs.  Ariftote  le 
reconnut ,  &  l'avoua ,  après  avoir  recherché  ,  avec  beaucoup  de  foin , 
l'origine  de  la  Philofophie.  Voici  ce  qu'en  dit  Diogene  Laërce  au  com- 
mencement de  fon  Ouvrage  (34):  «Quelques-uns  affurent  que  les 
w  Barbares  font  les  premiers  qui  fe  foient  appliqués  à  l'étude  de  la 
M  Philofophie ,  &  qu'elle  doit  fon  origine  aux  Mages  parmi  les  Per- 
»  fes  ,  aux  Chaldéens  parmi  \es  Aflyriens  &  les  Babyloniens ,  aux 
»  Gymnofophiftes  parmi  les  Indiens ,  aux  Druides  &  aux  Semnothées 
»»  parmi  les  Celtes  &  les  Galates.  C'eft  le  fentiment  d'Ariftote  &  de 
»  Sotion.  »  Nous  verrons ,  en  fon  lieu  ,  que  Pythagore  avoit  em- 
prunté des  Celtes  différentes  fuperflitions ,  &  entr'autres,  la  manière 
de  deviner  avec  de  petites  branches  d'arbre ,  qui  étoit  particulière  à  ces 
Peuples.  A  l'égard  de  la  Métempfycofe  ,  s'il  l'a  effeâivement  crue  , 
ïl  ne  la  tenoit  pas  des  Celtes ,  à  qui  ce  Dogme  étoit  inconnu.  Il 
avoit  voyagé  en  Egypte  ,  Se  en  Orient ,  dans  la  vue  de  connoître 
les  fentimens  des  Philofophes  étrangers.  D'ailleurs  ,  Paufanias  afTure 
formellement  (35),  que  la  Doftrine  de  l'immortalité  de  l'ame  avoit 
pafTé  de  l'Orient  en  Grèce.  Il  efl  donc  afTez  naturel  de  préfumer,  que 
c'efl  de-là  que  Pythagore  avoit  apporté  l'opinion  de  la  tranfmigration 
des  âmes  (36).  Au  moins,  on  prétend  qu'elle  étoit  généralement  reçue 
tant  en  Egypte  ,  que  dans  les  Indes. 
iM  Celtes  §.  V.  Enfin  il  femble  que ,  pour  ne  pas  prendre  le  change  dans  cette 
i uMc'emp"  occafion ,  il  auroit  été  à  propos  de  bien  éclaircir  cette  queflion  capi- 
^'■°^'  taie;  fçavoir,  Jî  les  Peuples  Celtes  ont  cru  à  la  Métempfycofe ,  &  s'il  y  a 


(33)  Heiodot.  IV.  j«. 

(34)  Diog.  Liërt.  Pijtjn.pag.  i.  Clem.  Alex. 
éuoo).  lib.  I.  p.  359. 


(3  s)  Ci-d.  §.  I.  note  4. 
(s*)  Brucher  Hift.  de  la  Philofophie  Tom  II, 
fag.  174.  177.  1044. 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XVIII.  177 

€U  fur  cet  article  une  véritable  &  parfaite  conformité  entre  leur  Doctrine 
&  celle  de  Pythagorc.  On  l'affure  communément,  fur  !a  foi  de  Jules- 
Céfar,  qui  dit  (37)  que,  «félon  la  Doârine  des  Druides,  les  âmes 
»  ne  périffent  point,  mais  qu'elles  paflent  d'un  homme  à  l'autre  (38)  >». 
Cependant,  ceux  qui  ont  examiné  la  chofe  avec  attention ,  y  ont  trouvé 
^e  la  différence.  Jean  Brantius,  par  exemple,  dans  fon  Commentaire  fur 
Jules-Céfar,  a  remarqué  que  (39)  les  Celtes  ne  croyoient  pas  qu'une 
ame  raifonnable  pût  être  dégradée  &  avilie ,  jufqu'à  pafîer  du  corps 
d'un  homme  dans  celui  d'une  brute.  Le  Père  (40)  l'Efcalopier,  &  le 
Sçavant  (41)  Brucker  foufcrivent  à  cette  remarque,  qui  eft  effeûive- 
lîient  très-fondée.  Mais  ,  fi  l'on  avoit  comparé  de  plus  près  le  fyftême  du 
Philofophe  avec  celui  des  Druides,  on  auroit  pu  fe  convaincre,  qu'ils 
différoient  fur  des  articles  bien  plus  importans.  C'eft  ce  qui  va  paroître 
par  l'expofition  fidèle  de  la  Doftrine  des  Peuples  Scythes  &  Celtes, 
fur  le  fort  de  l'homme  après  cette  vie. 

§.  VI.  Reconnoiffant  tous  l'immortalité  de  l'ame ,  ils  croyoient 
encore  que  les  hommes  entrent ,  après  cette  vie ,  dans  un  état  de 
peines  ou  de  récompenfes ,  félon  qui  s  avoient  négligé  ou  pratiqué 
les  trois  grandes  vertus  ,  la  piété  ,  la  juftice ,  &  ,  fur-tout ,  la  bra- 
voure ,  auxquelles  l'on  a  vu  ou'ils  rapportoient  tous  les  devoirs  de 
l'homme  (41).  C'étoit  la  Doûrine  des  Gaulois.  Ils  difoient  (43)  que 
»  les  âmes  font  immortelles  ,  &  qu'il  y  a  une  autre  vie  auprès  des 
»  Mânes.»  C'étoit  celle  des  Gétes.  Ils  croyoient ,  félon  Hérodote  (44), 
que  «l'homme  ne  meurt  point,  mais  qu'en  quittant  cette  vie  ,  il  va 
»♦  trouver  Zamolxis  ,  que  quelques-uns  d'entr'eux  eftiment  être  le 
»  même  que  Gebeléifis.  »  Zamolxis  eft  ici ,  le  Tis  ,  VOdin ,  le  Dieu  Su- 
prême des  Celtes,  que  l'on  appelloit  Zamolxis  (45) ,  par  des  raifons 
qu'on  expofera  ailleurs  ;  &  Gebeléijis  (46) ,  celui  qui  donne  le  repos ,  parce 

(37)  Ci-d.  $.  ».  note  l«.    ' 
(3*j  Ci-d.  §.  2.  noces  19.  ?1, 
(39)  Notis  ad  Cifar   VI.  14.  p.  454. 
(40J  L'Efcalopier  eap.  17.  p.  725. 

(41)  Bruckei  Hiftoiie  de  la  f  hilof.  Tom.  I- 
fag.  T9«.  I  9I. 

(42)  Ci-d.  ch.  xvil.  §.  5. 

(43)  Vaytz.  le  palTage  de  Fomponiu»  Mêla  ci- 
delTus  §.  I.  noce  13. 

(44)  Herodot.  IV.  94, 
^45  \  En  parlant  du  Z»milxis  dc$  C«CeS  8c  des 

Tfme  II, 


Fxpofitîon  de 
la  Doctrine 
des  Celtes.  Ht 
a.1nie-toii;nc 
des  peines  tt 
des  récom- 
penfes apici 
«cite  vie. 


Thraces ,  on  montrci  3  qu'ils  donnoient  ce  nom, 
tant  au  Dieu  Suprême  ,  qu'à  un  Pontife  qui  s'e- 
coic  rendu  fort  célèbre  au  milieu  >  e  fa  Nation. 
(46)  Loccenius  Antiq.  Sueo-Goth.  p  7 .  dérive 
ce  nom  de  deux  mots  de  l'ancieii  Tud  fque 
Gif-v»  donnft,  L'-'f'  repos.  Les  Allemands  di- 
foient Cihcn  donner  ,  Lajfen  la'fîer  HetiU: ,  par- 
mi les  anciens  Germains  ,  ngnifioit  le  congé 
que  l'on  donnoit  aux  gens  de  guerre  qui  avoient 
feivi  dans  uuc  aimcc.  Hier  atme'e  ,  lo/.  congé. 


Différente» 

CvitLiiTCsdes 
Cd'es  1  qui 
étoienc  fon- 
dées Air  la 
P-'rfiia!îim 
d'une  vie 
nouvelle. 


17g  HISTOIRE    DES    CELTE  Ç, 

qu'on  le  regardoit  comme  l'Auteur  du  repos  &C  de  la  félicité ,  dont  les- 
âmes  jouiffent  après  la  mort.  D'autrefois  Zamolxis  défigne,  félon  l'ufage 
des  Peuples  Celtes,  non  le  Dieu  Suprême,  mais  le  Pontife  qui  préfi- 
doit  à  fon  culte,  &  ,  fur-tout,  un  célèbre  Druide  qui  avoit  peifedionné 
confidérablement  la  Théologie,  &  la  Morale  des  Gétes  &  des  ThracfSi 
C'eft  de  ce  Philoi'ophe  qu'il  faut  entendre  un  autre  paffage  d'Hérodote  ^ 
qui  porte  (47)  »que  Zamolxis  enfeignoit  à  ces  convives,  que  ni  lui ,  ni 
»>  eux  ,  ni  les  hommes  qui  nalifoient  tous  les  jours,  ne  périroient  point,, 
M  mais  qu'ils  pafferoient  dans  ua  lieu  (  48  )  ,  où  ils  jouiroient  d'une 
»  affluence  de  toute  forte  de  biens.  » 

Cette  Doftrine  ,  qui  étoit  commune  S  totis  les  Peuples  Celtes  » 
fervoit  de  fondement  à  un  grand  nombre  de  Coutumes ,  les  unes  fu- 
perftitieufes  ,  les  autres  barbares  ,  qu'il  n'efl  pas  poffible  de  Juftifier  ;. 
mais  qui  montreront  ,  au  moins ,  combien  la  perfuafion  d'une  autre 
vie  étoit  enracinée  dans  l'efprit  de  ces  Peuples. 

Les  Gaulois ,  par  exemple  (  49  ) ,  prêtoient  de  l'argent  pour  leur  être 
rendu  dans  l'autre  vie.  Quand  on  brùloit  un  cadavre  (50),  ils  profi- 
toieat  de  l'occafion,,  pour  écrire  aux  parens,  qu'ils  avoient  dans  l'autre 
monde  ,  &  pour  leur  envoyer  un.  compte  exaâ ,  tant  de  l'état  de 
leurs  affaires  ,  que  des  dettes  qui  étoient  rentrées  depuis  leur  mort; 
On  croyoit  fermement  que  ces  comptes  &  ces  lettres,  qui  étoient  jettét 
dans  le  feu  ,  parvenoient  jufqu'au  Royaume  des  Ombres  ,  &  qu'ils 
y  étoient  lus  par  les  morts.  Dans  tout  cela  il  n'y  avoit  que  de  la  fu- 
perftition  ;  mais  voici  la  barbarie.  »  Les^  obféques  des  Gaulois ,  dit  Ju- 
»>les-Céfar  (51),  font  magnifiques  &  fomptueufes  à  leur  manière.  On 
>»  jette  dans  le  feu  tout  ce  qui  faifoit  plaifir  au  défunt ,  &  même  les 
H  animaux.  Il  n'y  a  pas  fort  long  -  tems  y  que  l'on  brûloit  ,  avec  la 
»  corps  du  Maître ,  les  Efclaves  &  les  Cliens  qu'il  avoit  affeftion- 
nmés.»  Les  Cliens,  dont  il  s'agit  ici,  font  les  Solduriï  (52),,  qui  fai- 


(47)  Herodot.  IV.  95- 

(48)  Ntqut .  .  .  intertre  ,  fei  in  eum  locumire, . ,. 
Ce  palTage  eft  véritablement  conforme  à  celui  de 
Çcfar  :  Ah  »liit  ffi  mtrtem  trtnjîre  ad  Mioi.  Lei 
«mes  ,  après  cette  vie  ,  ne  paiToient  pas  dans 
d'auttes  corps,  (oit  d'hommes,  foit  de  bêtes  , 
nais  elles  alloicnt  animer  le  même  corps  dans 
un  monde  nouveau.  Fv'*>  ^^■-ii  note  n,  Hm 


J*  l'Edùiur. 

(49)  Yaler.  Max.  lib.  II.  cap.  «.  Jii  10.  p.  yj, 

(50)  Voyei.  les  paflages  de  Diodeie  de  Sicil» 
fti-d.  $.  a,  n»te  lo.  &  de  f  oonpoaiu»  MeJa  i.  x. 
note.  13.- 

(51)  CafarVI.  19.. 
{il)  Cxiàl  lY.  u. 


LIVRE    IIL    CHAPITRE    XVIII.  179 

fbîent  vœu  de  vivre  &  de  mourir  avec  leur  Patron  ,  ^  qui  obfer- 
voient  leur  vœu  fi  religieufement  ,  que  ,  de  mémoire  d'homme ,  il  ne 
s'en  étoit  trouvé  aucun  qui  eût  refvifé  de  mourir  avec  fon  Maître. 

Jules-Céfar  ne  fait  mention  que  des  Cliens  &  des  Efclaves  ;  mais  un 
paffage  de  Pomponius  Mêla  infinue  que  les  femmes  Gauloifes  fe  fai- 
foient  auffi  un  point  d'honneur  de  ne  pas  furvivre  à  leurs  maris,  «  Il  fe 
M  trouvoit  autrefois  ,  dit  ce  Géographe  (53),  des  perfonnes  qui  fe 
»  précipitoient  volontairement  dans  le  feu ,  oti  l'on  brùloit  le  cadavre 
»  d'un  homme  qui  leur  avoit  appartenu ,  &  cela  pour  vivre  toujours 
»  enfemble.  »  Il  paroît ,  par  tous  ces  différens  paflages ,  que  les  Gaulois 
étoient  fermement  perfuadés,  que  tout  ce  que  l'on  brùloit,  ou  que 
l'on  enterroit  avec  un  homme,  fa  femme,  fes  Cliens,  fes  chevaux,  fes 
chiens,  fes  armes,  fes  habits,  tout  cela  le  fuivoit  dans  l'autre  vie,  Sc 
lui  rendoit  les  mêmes  fervices  qu'il  en  avoit  tirés  ici  bas.  Sçavoir ,  après 
cela ,  comment  ils  expliquoient  la  chofe ,  pour  lui  donner  quelque 
ombre  de  vraifemblance  ,  c'eft  ce  qu'il  n'importe  pas  de  deviner. 
Quelque  Auteur  moderne  dit  qu'ils  croyoient  que  les  images  de  toutes 
ces  chofes  s'envoloient  du  bûcher  avec  l'ame  du  mort,  pour  ne  la 
plus  quitter  ;  mais  cette  particularité  ne  fe  trouve  dans  aucun  des 
Anciens  que  nous  avons  eu  occafion  de  confulter.  Quoi  qu'il  en  foit , 
tous  les  autres  Peuples  Celtes,  ayant  les  mêmes  idées  que  les  Gaulois, 
par  rapport  à  la  vie  avenir ,  avoient  auffi  des  ufages  parfeitement  con-, 
formes  à  ceux  qui  viennent  d'être  repréfentés. 

Les  Germains  (54)  brûlolent,  avec  le  corps  du  guerrier,  fes  ar- 
mes &  fon  cheval.  Quand  il  mouroit  un  homme  parmi  les  Herules  (55)  ,; 
qui  étoient  un  Peuple  de  l'ancienne  Germanie,  il  falloit  que  fa  femme, 
fuppofé  qu'elle  fit  profeffion  d'être  forte,  chafte  &  vertueufe,  &  qu'elle 
voulût  acquérir  de  la  gloire ,  s'étranglât  près  du  tombeau  de  fon  mari. 
Si  elle  ne  prenoit  pas  ce  parti ,  la  famille  du  défunt  fe  regardoit  comme 
déshonorée  ,  &  la  femme  elle-même  étoit  généralement  méprifée  pen- 
dant tout  le  refte  de  fa  vie.  Ce  que  les  Anciens  ont  dit  fur  cet  article  ,' 
des  Thraces  &  des  Gétes  ,  mérite  bien  d'être  rapporté  avec  quelque 
étendue. 

(55)  Ci-d.  Ç.  I.  note  13. 

(54)  Tacit.  Germ.  cap.  27. 

(s  {}  Fiocof ,  Gotb.  lib.  U.  cap.  14.  p.  4ij>, 


iSo  HISTOIRE    DES    CELTES, 

I  ".  Ils  pleuroient  (56)  à  la  naiflance  de  leurs  enfans.  Quand  on 
préfentoit  au  père  (57)  l'enfant  que  la  femme  venoit  de  lui  donner,  il 
le  prenoit  entre  fes  bras  en  répandant  des  larmes.  Les  parens  (58) 
venoient  enfuite  s'afleoir  autour  du  berceau  ,  &  dans  cette  afTemblée 
domeftique  ,  chacun  repréfentoit  aufll  pathétiquement  qu'il  lui  étoit 
poflible ,  les  miieres  de  la  vie  humaine ,  &  compâtiffoit  aux  maux  que 
le  nouveau  né  auroit  à  fouiFrir  dans  le  cours  d'une  vie  qui  n'étoit 
qu'un  tiffu  de  calamités. 

2*^.  Au  lieu  de  cela  ^  quand  on  enterroît,  ou  qu'on  brûloît  un  corps 
mort,  la  chofe  fe  faifoit  avec  mille  démonftrations  de  joye  (59).  Tous- 
ceux  qui  affiftoient  à  la  cérémonie,  ne  s'entretenoient  que  du  glorieux 
échange ,  par  lequel  le  défunt  avoit  quitté  une  vie  fujette  à  tant  de  mi- 
fères  ,  pour  entrer  dans  l'état  d'une  parfaite  félicité.  En  un  mot ,  on 
jouoit ,  on  chantoit  ,  on  fe  régaloit  pendant  les  obféques  ,  qui  du- 
roient  ordinairement  trois  jours,  de  la  même  manière  qu'on  le  faifoit 
dans  les  Fêtes  folemnelles,  &  dans  les  réjouiflances  publiques.- 

3  ®.  Les  loix  de  l'honneur  &  de  la  bienféance  vouloient  (60)  qu'une 
femme  qui  perdoit  fon  mari  renonçât  à  la  vie ,  &  qu'elle  fe  fît  enter- 
rer avec  lui  :  ainfi  ,  lorfque  la  Polygamie  eut  été  introduite  parmi 
les  Gétes  &  les  Thraces  (  61  ),  on  vit  naître  une  noble  contention  en- 
tre les  femmes  qu'un  homme  laiffoit  après  lui.  Elles  prétendoient 
toutes  à  la  gloire  de  mêler  leurs  cendres  avec  celles  de  leur  mari, 
&  de  repofer,  avec  lui ,  dans  un  même  tombeau.  Non  contentes  de 
folliciter  elles-mêmes  les  Juges  établis  pour  décider  le  différent,  elles 
employ oient  encore  tout  le  crédit  de  leurs  parens ,  &c  de  leurs  amis  , 
pour  fe  faire  préférer  à  leurs  rivales.  Les  Juges  prononçoient  ordi- 
nairement en  faveur  de  celle  des  femmes  que  le  défunt  avoit  le  plus 
aimée,  &c  qui  paflbit  pour  la  plus  vertueufe  ;  &  pendant  que  les  au- 
tres femmes  fe  défelpéroient  d'avoir  perdu  leur  caufe  ,  celle  qui  avoit 
été  préférée  ,  revêtue  de  tous  fes  atours ,  fe  tendoit  en  triomphe  an 
tombeau ,  où  fon^  plus  proche  parent  lui  reodgit  le  fervice  de  l'égor- 
ger ,  &  de  l'enterrer  auprès  de  fon  mari. 


{$%}  Herodot.  V.  4. 

(js)  Vojs:i,  les  trois  notes  pre'cedentei. 

(it)  Porap.  MeU  II.  2.  p.  +3,  Val.  Ma»,  II.  f. 


(j7)  Solin.  cap.  XV.  p.  214. 

(«o)  Steph.  de  Urb,  p.  271. 

(61)  Herodot.  V.  $..  Poinp.  Mclâ  II.  1-.  p.  4». 


LIVRE    III.    CHAPITRE    XVïII.  i8i 

4°,  Lès  Gétes  envoyoient  toits  les  cinq  ans  à  Zamolxis  un  Meffa- 
ger  qu'ils  ehargeoient  de  leurs  commiflions  pour  l'autre  monde  (62). 
Clément  d'Alexandrie  ,  qui  rapporte  la  chofe  d'une  manière  un  peu 
différente  ,  ajoute  (  63  )  «  qu'il  y  avoit  ,  en  cette  occafion  ,  de  la 
»  contention  entre  les  Gétes  qui  afpiroient  tous  à  une  commifïïoa 
»  fi  honorable.  On  immoloit  celui  qui  étoit  reconnu  pour  le  plus 
»  honnête  homme.  Ceux  qui  s'étoient  préfentés,  &  que  l'on  renvoyoit, 
»  s'affligeoient  d'être  exclus  d'un  miniftère  fi  glorieux  ». 

Nous  apprenons  de  Servius  (64)  que  les  anciens  habitansde  l'Italie^ 
quand  ils  enterroient  un  homme  diftingué  ,  &,  fur- tout,  un  guer- 
rier ,  le  faifoient  accompagner  dans  l'autre  monde  par  des  Prifonniers^ 
que  l'on  égorgeoit  fur  fon  tombeau. 

Enfin  tous  les  Peuples  inconnus  qui  demeuroient  au  Nord  de  l'Eu- 
rope ,  &  que  l'on  défignoit  fous  le  nom  général  de  Scythes ,  avoient 
auffi  les  mêmes  ufages  (65).  Ils  enterroient  tout  vivans  ^  ou  ils  égor- 
geoient ,  près  du  tombeau ,  les  perfonnes  ^ue  le  mort  avoit  le  plus 
affedionnées.  On  peut  voir  dans  Hérodote  (66) ,  ce  que  les  Scythes  , 
établis  le  long  du  Borylîene ,  pratiquoient  dans  les  obfé-ques  de  leurs 
Souverains»  Après^  avoir  promené  le  corps  du  Roi  mort  par  tous  fes 
Etats ,  on  le  porfoif  enfin  dans  le  lieu  ,.  où  la  Maifon  Royale  avoit 
fon  tombeau.  Là  on  enterroit  avec  le  Roi ,  quelqu'une  de  fes  Concu- 
bines ,  fon-  Echanfon  ,  fon  Cuifinier,  le  Maître  de  fes  dépêches ,  des  phio- 
les  d'or,  avec  une  partie  de  fes  chevaux,  &  de  fes  autres  biens.  L'an- 
née fuivante  ,  on  étrangloit  encore  dans-  le  même  endroit  ,  cinquante 
Domeftiques  du  Roi ,  &  cinquante  de  fes  plus  beaux  chevaux.  Ces  Bar- 
bares ufages  ont  fubfillé  long-tems  parmi  les  Peuples  Scythes.  Ainfi,- 
du   tems   de  l'Empereur   Juflinien  (  67  )  ,   im  Prince  Turc  ,    nommé 
Turkathi,  qui  venoit  de  perdre  fon  père  Dilzibul,  fe  fit  amener  quatre 
Prifonniers  Huns  ,  &  les  dépêcha  avec  les  chevaux  de  fon  père ,  pour' 
lui  porter  de  fes  nouvelles. 

L'uniformité  de  ces  Coutumes ,  qui  s'étendoient  aufli  loin  que  les 

(«i)  Herodot.  IV.  94.  ci-defT.  ch.  VI.  J.  J4.  jronym.adv.Jovin.lib.II.Tom.il  p.  jj.Valef.- 


note  ix$.  &  §.  16.  note  195 

^3)  Clem.  Aies.  Strora.  IV.  598'. 

(«4.}  Setvius  ad  i£neid.  III.  v.  6y.  pag.  172. 
te  X.  y.  5^19.  p.  «21. 

(^j)  E«feb.  Si*S'  Ev^ng.  lib.  Ii  p>  11,  Hie- 


ex  Nicol.  Damafc.  &  Stoba:o  p.  516. 

{66)  Herodot.   IV.  71.  Dio.  Chryfoft.  XIII. 
pag  219. 

(67]  Mcnandcr  in  Excerpjt.  Lcgat,  p..  i<4> 


i«t  HISTOIRE    DES    CELTES, 

bornes  de  l'Europe ,  &  même  au-delà ,  prouve  que  les  Peuples  Scythes 
&  Celtes  avoient  tous  l'idée  d'une  autre  vie  ,  à  laquelle  les  hommes 
paffoient  par  la  mort.  Ce  n'eft  pas ,  cependant ,  ce  premier  article  qui 
diftinguoit  leur  Doûrine.  Nous  avons  vCi  (68)  que  les  Pythagori- 
ciens reconnoiffoient  tous  un  avenir  heureux  pour  les  gens  de  bien  ,  & 
un  malheureux  pour  les  méchans.  Il  faut  donc  paffer  aux  autres  points 
de  leur  créance  par  rapport  au  fujet  que  nous  examinons, 
îiscroyoient      $•  VII.  Lcs  Celtes  croyoient ,  en  fécond  lieu,  un  retour  de  l'homme 
«wendrorcm  à  la  vie.  Il  y  E  dans  Suidas  un  paflage  qui  prouve  que  c'étoit  le  fen- 
^1»  vie.        timent  des  Thraces  (  69  ).  «  Les  Terifes ,  &  les  Crobifes  difent  que  les 
»>  morts  vont  trouver  Zamolxis ,  mais  qu'ils  reviendront  au  monde  :  ils 
»  répètent  la  même  chofe  toutes  les  fois  qu'il  meurt  quelqu'un  ,  &  ils 
w  croyent  dire  toujours  la  vérité.   De-là  vient  que  ,   dans  les  obfé- 
w  ques,  ils  égorgent  des  viûimes,  &  font  bonne  chère,  dans  l'efpérance 
»  que  le  mort  reviendra.  »  La  même  opinion  étoit  généralement  reçue 
parmi  les  Germains.  «  Ils  méprifent  la  mort ,  difoit  Appien  (70)  ,  parce 
w qu'ils  efpérent  de  revivre.»  Les  Gaulois  croyoient  aufli,  (71)  que 
«les  âmes  retournent  à  la  vie,  &  rentrent  dans  un  autre  corps,  après 
M  un  certain  nombre  d'années.  »  Ce  fécond  Dogme  encore  étoit  com- 
mun aux  Celtes  (  72  )  ,  non-feulement  avec  la  Sefte  de  Pythagore  , 
mais  encore  avec  les  (73  )  Platoniciens,  qui  enfeignoient  que  les  âmes, 
après  avoir  pafTé  par  les  peines ,  ou  par  les  récompenfes  de  l'autre  vie  , 
reviendroient  au  monde,  &  rentreroient  dans  d'autres  corps.  Platon 
dit  lui-même  (  74  )  ,  ou  fait  dire  à  l'un  de  fes  Interlocuteurs ,  qu'au  bout 
de  neuf  ans  ,  les  âmes  rentrent  dans  un  autre  corps. 
•    I  I  —  1  . 

(sï)  Ci-d.  §.  3.  note  i».  j  Pères  ,   que   la  fe'paration  d'une  longue   vie, 

{s»)  Suidas  in  Zamolxi.  |  parce  que  les  hommes  ne  pcrdoient  la  vie  que 

(70]  Appian.  Celt.  p.  1 192.  j  pour  un  inftant.  Ce  fyftême  eft  admirablement 


(71)  yoyrz.  le  paflage  (k  Diodore  de  Sicile  , 
cUd.  $•  z-  note  zo. 

(71)  Ce  Dogme  n'appattenoit  point  aux  Cel- 
te». Ils  difoient  bien  que  les  morts  recevoient 
une  vie  nouvelle,  &  c'ett  à  caufe  de  cela, 
4it  Lucain ,  qu'ils  blàmoient  ceux  qui  ctai- 
{noient  la  mort  :  &  igntvum  REpiTUR.t  ftrcert 
mil*.  Mais  les  morts  ne  dévoient  pas  revivre  dans 
ce  monde.  C'étoit  dans  un  monde  nouve.iu  que 
les  hommes  dévoient  continuer  de  vivre,  de 
forte  ^ue  la  moïc  n'ctoit ,  félon  nos  anciens  ^ 


développé  dans  ces  paroles  de  Lucain: 

Hegit  idem  fpiritus  artus 

Orte  tUio  :  Itn^t ,  canitis  {  fi  cognita  ) ,  vits 
Mort  wuiU  efl ,  &C.  Huit  de  t'Eiltturi 

(tî)  Virgil.  £neid.  VI,  y.  73s.&feq.  De» 
tnetc.  Triclin.  Sckol.  ad  Findai.  Olywf,  II, 
pag.  146. 

174)  Flato  Meon.  pag.  41  {.  Stobvus  Sttm- 
CXU.p.«««. 


LIVRE    III,    CHAPITRE    XVIIÏ.         1S3 
§.  VIII.  Mais  voici  l'article  capital  &  diflinûif  de  la  Religion  des   Mais  ils  dti- 
Celîes.  lîs  croy oient  que  les  atties  ne  retourneront  à  la  vie  qu'une  feule  ne  wun'' 
fols,  Lucain  l'afTure  formellement  (75),  &  fon  témoignage  eft  d'autant  ^"^IJiX"; 
pins  grand ,  qu'étant  né  au  milieu  des  Celtes ,  il  n'a  rien  avancé  fur 
leur  fuj^ct ,  qui  ne  prouve-  qu'il  en  étoit  parfaitement  inftruit.  Voici  ce 
qu'il  dit,  au  Livre  premier  de  fon  Poëme  ,  en  s'adreflant  aux  Druides 
(76)  :  «  S'il  faut  vous  en  croire ,  les  âmes  ne  defcendent  pas  dans  le  fé- 
«jour  des  ténèbres  &  du  filence  ,  ni  dans  l'empire  fouterrain  de  Plutoru 
»Vous  dites,  (je  ne  fai  fi  vous  en  avez  quelqtié  certitude),  que  U 
»meme  efprit  anime  le  corps  DANS  t7N  AUTRE  MONDE  (77),  &  que  I* 
»  mort  eft  le  milieu  d'une  longue  vie.» 

On  voit  deux  chofes  dans  ces  paroles.  La  première ,  que  ,  félon  la 
Doârine  des  Gaulois ,  l'ame  animoit  un  nouveau  corps ,  ou  plutôt  le 
même  corps  dans  un  autre  monde,-  dont  je  parlerai  tout-à-l'heure.  La 
féconde ,  qu'ils  regardoient  la  mort  comme  le  milieu,  qui  féparoit  la  vie  ''"'^*""'' 
courte  &  mlférable  ,  que  les  hommes  mènent  ici  bas ,  de  la  vie  longue 
&  heureufe  qui  les  attendoit  dans  un  autre  monde.  C'eft  ce  qu'ex* 
prime  le  paSage  de  Pomponius  JMéla ,  déjà  cité  (78)  :  «  Les  Druides  di- 
♦»  foient  que  les  âmes  font  éternelles,  &  qu'il  y  a  une  autre  vie  auprès 
»  des  Mânes.  »  Les  Perfes ,  comme  les  Gaulois ,  n'admettoient  qu'un 
feul  retour  de  l'homme  à  la  vie  ;  &  ils  ne  pouvoient  même  en  croire  plu- 
fieurs,  parce  qu'ils  étoient  dans  l'idée  que  les  hommes  qui  revien- 
dront au  raonde,  ne  feront  plus  fujets  à  la  mort.  Les  Mages  enfei- 
gnoient,  comme  Théopompus  l'avoit  remarqué  (79)  ,  que  «  les  hommes 
»  retourneront  à  la  vie  pour  être  immortels,  &  qu'alors  toutes  chofes 
«demeureront  toujours-  dans  le  même  état.»  Le  Philofophe  Démocrite 
(  80  )  ,  qui  avoit  fait  un  voyage  en  Perfe ,  .pour  y  entendre  les  Mages, 


dans  le  fyf- 
tême  des  Cel- 
tes ,  les  hom- 
mes rcvivoi- 
ent  pour  être 


(7  5)  Lucain  ne  dit  pas  cela.  Vojix,  ci-deflUs  , 
ftOte  7I'  Hait  de  l'ZdiitHr, 

(7«) Vobis  auAoïibus  ,  umbraS 

Kon  tacitas  Erebi  fedes,  Ditifque  profundl 
TaDida  régna  petunt;   rc^it  idem  fpiriius  ariut 
Orbe  Aiio  :  longt ,  canitis(fî  cognita),  *i/< 
Mots  médit  efi.  Cclte  populi,  quosdefpicit  aiûos 
lelices  errore  fuo  ,  quos  ille  Timoruin 
Maximus  haud  utget  lethi  raetus.  Inde  ruendi 
In  ferium  mens  ptona  viris,  animsque  capaees 
Mottis,  ^i]j)««VI(WREDiruR*  pareire  vit*. 


(77)  Coffiment  M.  Pelloutier  a-t-il  pu,  en* 
traduifant  de  la  forte  ,  conclure  du  texte  de  Lu- 
cain que  ce  Poète  a/fure  formellement  que,, 
félon  les  Celtes,  les  âmes  revivroient  dans  ce 
monde,  &  y  animeroient  un  nouveau  corps?' 
Mais  il  pâtoît ,  par  ce  qui  fuit ,  que  notre  Aa^ 
teut  abandonne  l'opinion  qu'il  avoit  voulu  ét«* 
blir  dans  les  paragraphes  pte'ce'denj.  Neiidc  /'£«- 
iitiur, 

(78)  Ci-d^  5.  I.  iJOte  13. 

(7»)  Diog.  Laërt.  Prasm.  p.  5.  7. 

\ui)  Biog.  Latitt  in  Dcmouito  Uitiâ^ 


i84  HISTOIREDESCELTES, 

en  avoit  auffi  rapporté  (8i)  la  même  Doârine. 
tesCeUcs  La  Métempfy  cofc  des  Peuples  Celtes  n'étoit  donc  autre  chofe ,  que  la 
féiuireaion.  réfurrcdion  des  morts.  Le  mot  de  revivre ,  aV->j2(«ra/ ,  dont  les  Anciens 
fe  fervent,  pour  exprimer  l'opinioade  ces  Peuples,  l'infinue  affez  claire- 
ment. Mais  il  y  a  une  autre  preuve ,  qui  eft  encore  plus  forte  ;  les  Celtes , 
en  parlant  des  plaifirs  de  l'autre  vie ,  y  affocient  toujours  le  corps. 

Il  paroît  par  tout  ce  qui  a  été  dit,  qu'il  y  avoit  effeûivement  de  la 
conformité  entre  les  fentimens  de  Pythagore  6c  ceux  des  Celtes,  furie 
fort' de  l'homme  après  cette  vie.  Mais  iî  s'en  faut  de  beaucoup  que  la  con- 
formité fut  parfaite;  on  croyoit  de  part  &c  d'autre  ,  premièrement,  un 
lieu  de  peines  ôc  de  récompenfes  ,  où  les  hommes  entrent  par  la  mort , 
&  en  fécond  lieu ,  un  retour  de  l'homme  à  la  vie.  Mais  les  Celtes  difoient 
que  les  hommes  ne  reviennent  à  la  vie  qu'une  feule  fois ,  au  lieu  que 
Pythagore,  ou,  au  moins,  fes  Difciples ,  fuppofé  qu'on  ait  bien  com- 
pris fes  fentimens ,  établiffoient  une  circulation  perpétuelle  des  âmes  , 
qui  paflbient  fuçceffivement  d'un  corps  à  l'autre.  Le  Philolophe  pré- 
tendoit  que  les  peines  &  les  récompenfes  de  l'autre  vie  ,  ne  regar- 
doient  que  l*ame,  &  qu'elles  ne  duroient  qu'un  certain  temps  ;  au  lieu, 
que ,  félon  l'opinion  des  Celtes ,  elles  dévoient  être  éternelles ,  &  s'éten- 
dre également  à  l'ame  &  au  corps. 
Ceft  VeCpé-      Au  refte  ,  cette  efpérance  d'une  réfurreâlon  difpofoit  les  Celtes  à 

rance  de  la  ,       ,_  r  i      • 

léfurrcaion  mcpriler  le  danger ,  &  à  braver  la  mort.  Quelles  grandes  coniolations 
iioîitrtvet.  les  Pythagoriciens  trouvoient-ils  dans  le  Dogme  de  la  Métempfycofe? 
On  dit  qu'ils  perdoient  la  vie  fans  aucun  regret,  parce  qu'ils  la  quittoient 
aVec  la  perfuafion  d'y  revenir.  Mais,  fuivant  leur  Doûrine ,  ils  pouvoient 
y  revenir  pour  y  être  plus  mal ,  &  pour  fe  voir  réduits  à  la  condi- 
tion des  brutes  :  il  n'eft  donc  pas  facile  de  comprendre  que  l'efpérance 
d'un  femblable  retour  dût  avoir  une  grande  efficace ,  pour  les  détacher 
du  monde  &  de  la  vie.  On  fent  encore  moins  la  force  du  raifonne-» 
jnent  ,  par  lequel  ils  vouloient  perfuader  à  l'homme  qu'il  ne  devoit 
point  craindre  la  mort,  parce  qu'il  étoit  appelle  à  la  foufFrir  plufieur$ 
fois.  Quoi  qu'il  en  foit ,  û  la  Doûrine  de  la  tranfmigration  cjes  âmes  avoit 
quelque  vertu ,  pour  afFoiblir  dans  l'homme  la  crainte  de  la  mort ,  on 
conviendra,  au  moins,  que  les  Celtes,  qui  attendoient  une  vie  immor*; 


iti)tlia,vil.  sfr 


telle,. 


LIVRE  III.  CHAPITRE  XVIïL  iS^ 
telle  ,  Se  qui  étoient  perfuadés  encore ,  qu'on  ne  pouvoit  y  arriver 
<jue  par  une  mort  violente,  dévoient  trouver  dans  cette  perruafion  des 
lujets  Se  des  encouragemens  tout  particuliers  pour  méprifer  cette  vie 
temporelle  ,  Se  pour  fe  précipiter  dans  les  plus  grands  dangers.  C'ell 
encore  fur  l'efpérance  de  la  réfurreftion ,  qu'étoit  fondée  la  Coutume 
qu'avoient  les  Scythes  "Si  les  Celtes  (82)  ,  d'enterrer,  avec  un  homme 
mort  ,  non  feulement  les  perfonnes  qu'il  avoit  aimées ,  mais  encore 
de  l'or,  de  l'argent,  avec  tout  ce  qu'il  avoit  poffédé  de  plus  précieux. 
On  croyoit ,  fans  doute ,  que  les  perfonnes  que  l'on  enterroit  enfemble , 
refTufciteroient  en  même  tems,  Se  que  les  richeffes ,  que  l'on  dépofoit 
dans  les  tombeaux  ,  pourroient  leur  être  utiles  après  la  réfurreôion. 

§.  IX.  Voyons  préfentement  011  les  Celtes  plaçoient  le  lieu  des  peines  lss  lieu  de» 
Se  des  récompenfes.  Lucain  dit  (83)  que  /es  âmes  animent  le  corps  dans  un  r  compciucs' 
■autre  monde,  c'eft- à-dire  ,  dans  un  Pays féparé  de  notre  continent.  C'eft  f^ 'j^s^b-JJi 
ce  que  les  anciens  Habitans  de  l'Europe  appelloient  Tlfle  ,  ou  les  Ifles  ',1="/™-'  -  q^'' 

T  j  1  i  '  eiav.  u  Gran- 

des Bienheureux.  On  trouve  dans  Démoilhene  (  84  ) ,  que  l'opinion  d^-Bieugne. 

reçue  de  fon  tems ,  parmi  les  Grecs  ,  étoit  que  les  gens  de  bien  defcendent 
en  mourant  aux  Enfers  ,  Se  vont  trouver  les  Dieux  Mânes.  Mais  que , 
félon  l'ancienne  Doûrine ,  elles  étoient  tranfportées  dans  l'Ifle  des  Bien- 
heureux. C'eft  dans  ces  Ifles  que  Lucien  (  85  )  place ,  entr'autres  héros  , 
les  deux  Cyrus ,  Zamolxis  Se  Anacharfis.  Tzetzés  ,  dans  fon  Com- 
mentaire fur  Lycophron  ,  dit  {^d^  «qu'Héfiode,  Homère,  Euripide, 
wPlutarque,  Dion,  Procope ,  Philoftrate ,  Se  plufieurs  autres,  s'accor- 
»dent  à  placer  ces  Ifles  dans  la  Mer  Océane  ,  &  que  c'eft-là  effeftive- 
»menT  que  l'on  trouve  l'Ifle  de  la  Grande-Bretagne,  à  l'Orient  de  la 
»> Province  de  Bretagne,  Se  à  l'Occident  de  l'Ifle  de  Thulé.  » 

Cependant ,  le  témoignage   de  tous  ces  Auteurs    ne  feroit  pas  d'un     l'ilc  a.-! 
grand  poids ,  s'il  ne  paroiffoit  par  des  palTages  formels  de  Plutarque  Se  é'oi'trfcio'ii 
de  Procope ,  que  les  Celtes  même  plaçoient  le  Paradis  dans  la  Grande-  Grfnlc-Brei* 
Bretagne ,  ou  au  moins ,  dans  quelqu'une  des  Ifles  voifines.  Voici  le  "S"'* 
paflTage  de  Plutarque  (87)  :  «  Démétrius  dit  qu'entre  les  Ifles  voiflnes 


(Sz)  Ci-d.  f.  5.  note  6«.  Strabo  XI  piig.  503. 
Keyflcr.p.  172. On  trouveordinaircment  de  l'ar- 
gent dans  les  urnes  que  l'on  déterre  .  même  dans 
le  Nord  de  l'Allemagne  ,  ou  les  Romains  n'ont 
pûuit  pénétre.  Hagcnbeig.  Geim.  Me4.  DiiT.  XI. 
jag.  30. 


(«3)  Ci-d.  $.  VIII.  note  75. 
(«4)  Demofthen.  Orat.  Funeb.  p.  157. 
(8s)  Lucian.  V.  Hift.  lib.  II.  p.  3Si«. 
(S S)  Tzetz.  ad  Lycoplir.  pag.  123.  1*4.  Eut 
tath.  id  Dion.  Perieg.  t.  S4i-  p-  »!• 

(87)  rlutatch.  de  Oracul.  Defeft.  Tom.  Il, 


Tomt  lU  Â  a 


ig(S  HISTOIRE    DES     CELTES, 

»de  la  Grande-Bretagne,  il  y  en  a  quelques  unes  dçfertes ,  que  l'on 
»  appelle  les  Ifles  des  Génies  &C  des  Héros.  Il  (uivit  un  jour  ,  par 
»  curiofiîç,  un  Roi  qui  s'embarquoit  pour  la  plus  voifine  de  ces  Ifles  dé- 
wfertes;  ils  n'y  trouvèrent  qu'un  petit  nombre  d'Habitans  ,  qui  vi'- 
»  voient  dans  une  pleine  fureté  »  parce  que  les  Bretons  les  tenoient 
«pour  facrés.  Auffi-tôt  qu'ils  eurent  débarqué  ^ns  l'île,  il  s'éleva  une 
»  violente  tenîpête ,  accompagnée  de  différcns  prodiges,  de  coups  de 
»vent,  &z  de  tourbillons  de  feu.  Après  que  la  tempête  fut  appaifée, 
»  les  Habitans  de  l'Ifle  leur  dirent  qu'il  venoit  de  mourir  quelque 
»  grand  perfonnage.  Car,  difoient  ils,  comme  une  chandelle  allumée 
»  n'incommode  perfonne  aufli  long-tems  qu'elle  éclaire,  au  lieii  qu'ellç 
»  répand  une  odeur  défagréable  ,  quand  elle  vient  à  s'éteindre,  de 
wmême  aufîi  les  grandes  âmes  brillent  d'une  clarté  agréable  &  bien-» 
»faifante.  Mais  quand  elles  viennent  à  s'éteindre  &  à  périr,  elles  exci- 
»tènt  fouvent ,  comme  cela  vient  d'arriver,  des  vents  &  de  la  grêle; 
»  d'autres  fois  elles  infeâent  l'air  de  vapeurs  peftilentielles.  On  leur  ra- 
»  conta  encore  qu'il  y  avoit  dans  ces  contrées  une  île ,  où  le  Géant 
»Briareus  gardoit  Saturne,  qu'il  tenoit  enchaîné  &  endormi.  Ce  fom- 
w  meil  étoit  un  nouveau  charme  ,  que  l'on  avoit  inventé  pour  le  lier, 
i>  &  il  avoit  au  tour  de  lui  plufieurs  Génies  pour  le  fervir.  »  Le  paf- 
fage  de  Procope  eft  encore  plus  précis  (88):  «  On  prétend  que  les 
>»ames  des  morts  font  portées  dans  la  Grande-Bretagne,  Je  vais  rap- 
»>  porter  la  chofe  de  la  manière  que  les  gens  du  Pays  me  l'ont  racontée 
»  fort  fouvent,  &  fort  férieufement ,  quoique  j'aie  beaucoup  de  penchant 
M  à  croire  que  la  chofe  ne  fe  paffe  qu'en  rçve.  Le  long  de  la  côte  op- 
wpofée  à  cette  île,  il  y  a  plufieurs  Villages  occupés  par  des  Pêcheurs, 
♦>  par  des  Laboureurs  ,  par  des  Marchands  ,  qui  vont  trafiquer  dans 
»la  Grande-Bretagne.  Sujets  aux  Francs  ,  ils  ne  leur  payent  aucun 
»  tribut,  &  an  ne  leur  en  a  jamais  impofé.  Ils  prétendent  en  avoir  été 
»  déchargés  ,  parce  qu'ils  font  obligés  de  conduirç  tour -à- tour  les 
«âmes.  Ceux  qui  doivent  faire  l'office  de  la  nuit  fuivante  fe  retirent 
«dans  leur  maifon,  d'abord  qu'il  faitobfcur,  &  fe  couchent  tranquille- 
»  ment ,  en  attendant  les  ordres  de  celui  qui  a  la  direûion  du  trajet. 


p.  419.  &  ex  illoEufeb,  Prïpir.-Ev»ng.  lib.  V.  1       i'««,   Procop.   Goth,  lib.  IV.  cap.  lo.  p.  $2^, 
f,ip,  17.  p.  207.  I  k  ex  illo  Ticti.  ad  Lycoph.  p.  12).  «14> 


LIVRE    III.     CHAPITRE    XVIII.  1S7 

»>X'ers  le  mimiit,  ils  entendent  quelqu'un  qui  frappe  à  leur  porte,  & 
»qui  les  appelle  tout  bas  ;  fur  le  champ,  ils  fe  jettent  à  bas  de  leur  lit , 
»  &  courent  à  la  Côte  ,  fans  favolr  qu'elle  eft  la  caufe  fecrette  qui  les 
»y  entraîne.  Là,  ils  trouvent  des  barques  vuides  ,  &  cependant  û 
»  charoées ,  qu'elles  s'élèvent  à  peine  au  deffus  de  l'eau  d'un  travers  de 
wdoiot.  En  moins  d'une  heure  ,  ils  conduifent  ces  barques  dans  la 
«Grande-Bretagne,  au  lieu  que  le  trajet  eft  ordinairement  de  vingt- 
»  quatre  heures  pour  un  vaifleau  qui  avance  à  force  de  rames.  Arrivés 
»  à  File,  ils  fe  retirent  auffi-tôt  que  les  âmes  font  defcendues  du  vaif- 
»  feau ,  qui  devient  alors  fi  léger ,  qu'il  effleure  à  peine  l'eau.  Ils  ne 
wvoyent  perfonne  ,  ni  pendant  le  trajet,  ni  dans  le  débarquement. 
«Mais  ils  entendent,  à  ce  qu'ils  difent,  une  voix  qui  articule  à  ceux 
»  qui  reçoivent  les  âmes ,  le  nom  des  perfonnes  qui  étoient  fur  le  vaif- 
»feau,  avec  le  nom  de  leur  père,  &C  des  charges  dont  ces  perfonnes 
»  étoient  revêtues.  S'il  y  avoit  des  femmes  dans  la  barque  ,  la  voix 
»  déclaroit  le  nom  des  Maris  qu'elles  avoient  eu,  » 

Les  Celtes,  ou  au  moins  les  Gaulois,  piaçoient  donc  le  Paradis  dans 
la  Grande-Bretagne ,  ou  dans  quelqu'une  des  îles  voifines.  Il  ne  faut 
pas  être  furpris,  après  cela  (89),  que  les  Druides  publiaffent  que  leur 
Doârine  avoit  été  apportée  de  ce  Pays-là  ;  c'étoit  lui  alTurer  une  ori- 
gine célefte  &  divine.  Nous  avons  lu  quelque  part  que  la  célèbre  ca- 
verne que  les  Irlandois  appellent  le  trou  ,  ou  le  purgatoire  de  Saint-Pa- 
trice ,  paffoit  autrefois  pour  être  l'entrée  de  l'Enfer ,  &  c'étoit  peut-être 
là  l'endroit  où  l'on  prétendoii  que  Saturne  étoit  gardé  par  le  Géant 
Briareus. 

§.  X.  Les  Anciens  qu'on  a  confultés ,  n'entrent  point  dans  un  plus     p.-rionne 
grand  détail ,  &  ne  déterminent  pas  ce  que  les  Celtes  penfoicnt  fur  la  na-  "é' p";âàfs7' 
ture  même  des  peines  &  des  récompenfes  ,  qui  attendoient  l'homme  ''"^„'-"'  '^'" 
dans  un  autre  vie.  L'Edda  des  Iflandois  fuppléera  à  ce  défaut.  Cet  Ou-  <!'';":  "'"« 
vrage  qui  a  été  compofé  dans  le  treizième  fiécle  ,  eft  un  recueil  de 
l'ancienne  Mythologie  des  Peuples  du  Nord.  Quoiqu'il  foit  rempli  d'une 
infinité  de  fables  puériles  ,  on  ne  laiffe  pas   d'y  trouver  divers  mor- 
ceaux ,  auffi  anciens  que  curieux ,  fur  la  Religion  de  ces  Peuples.  Le 
Leûeur  ne  fera  pas  fâché  qu'on  en  rapporte  ici  quelques-uns,   qui  ont 


(»*;  Cïfai  VI.  S}. 


Aa  1 


JÎS  HISTOIRE    DES    CELTES» 

paru  d'autant  plus  intéreffans  ,  qu'ils  s'accordent  parfaiicment  avec  ïm 
Doctrine  des  Celtes,  qui  a  fait  le  fujet  de  ce  Chapitre. 

Le  lieu  où  les  morts  jouiffoientde  la  Ibuveraine  félicité  étoit  le  ya/- 
kiilià.  (*) ,  le  palais  du  grand  Odïn  ;  on  ne  pouvoit  y  enirer  que  par  une 
mort  violente.  L'Edda  y  eft  formelle  (90)  :  «  Tous  les  hommes  qui  ont 
.*>  été  tués  à  la  guerre  ,  depuis  le  commencement  du  mande,  vont  trouver 
»Odin  dans  le  Valhalla.  vt  Cette  idée  fubfifte  encore  aujourd'hui  par- 
mi les  Oiliaques,  qui  font  un  Peuple  Scythe,  établi  le  long  de  TObj. 
Stralenberg  ,  ayant  demandé  à  un  homme  de  cette  Nation  (91),  ce  quê- 
teur amc  devenait-  après  la  morù  L'Ofîiaque   répondit  que   «ceux  d'en- 
tr'eux,  qui  mouroient  d'une  mort  violente,  ou  à  la  guerre  des  Ours, 
>»  entroient  d'abord  dans  le  Ciel.   Mais  que  ceux  qui  mouroient  dans 
»  leur  lit ,  ou  d'une  autre  forte  de  mort  naturelle ,  étoient  obligés  de 
wfervir  long-tems  fous  la  terre,  auprès  du  Dieu  rigoureux  ,  avant  qu'ils. 
»  puffent  être   reçus  dans  le  Ciel.  >♦ 
Ceux  (]ui        L'Enfer  que  les  Irlandois  appelloient  Nifîheim,  le  féjour  des  Vau- 
d>;vijiciie&r  riens ,  ou  de  la  canaille,  étoit  partagé  en  neuf  mondes.  Le  Génie  qui 

ae  t):i\  iiii-.  ...  .  , 

étoiciit  puci.  en  avoit  la  direction  ,  étoit  chargé  de  partager  dans  ces  neuf  mondes  , 
i'£;4r.^'"      toutes  les  perfonnes  mortes  de  maladie,  ou  de  VitillelTe  (91).  »Héia, 
»ou  Hécate,   fut  envoyée    en  Nifjlheim  ,  &  reçut  l'Empire  de  neuf 
»  mondes ,  pour  y  affigner  des  demeures  à  tous  ceux  qui  hu  font  en- 
»  voyés.  Là  font  ceux  qui  meurent  de  maladie  ou  de  vieillefTe.  >♦-  Ces. 
idées  étoient  communes  à  tous  les  Peuples  Scythes  &  Celtes  (93).  «Les. 
»  Ambres  &  les  Celtiberes  fautoient  &  danfoient  en  allant  à  la  bataille,, 
«comme  devant  fortir  de  la  vie  d'une  manière  également  glorieule  & 
wfalutaire.  Mais  ils  fe  lamentoient,  quand  ils  étoient  malades,  comme 
»  s'ils  avoient  dû  périr  de  la  manière  du  monde  la  plus  ignominieule  & 
>tla  plus  miférable.  »  La  raifon  eft  fenfible.  Ceux  qui  perdoient  la  vie 
dans  un  combat,  mouroient  tvec  la  ferme  efpérance  de  paffer  à  un  état 
de  gloire  &  de  bonheur.  Ceux  ,  au  contraire  ,  qu'une  maladie  dan- 
gereufe    menaçoit    d'une    mort    prochaine  ,    étoient    environnés   des 
frayeurs  de  l'Enfer  ,   qu'ils  regardoient   comme   inévitable  pour   eux. 
Les  Irlandoifes  ,  quand  elles  étoient  accouchées  d'un  fils  (94)  ,  prioient 

(*}  Keyfler.p.  117.  [       (92;  Edda  IQand.  Mytiiol.  2». 

(90;  Ci-deffbus,  §.  11.  note  102.  !       (93)  Valer  Alax.  II.  cap.  £.  n.  it. 

(9i)Stulenbetg.  p.  7S.note  i.  |       (a4)  Ci-d.  LiY.  II.  ch.  12.  p.  301.  note  %z- 


LEVRE  irr.  CHAPITRE  XVIU.  189- 
Dieu  qu'il  fît  la  grâce  à  cet  enfont  de  mourir  à  la  guerre  ,  c'eft-à-dire,, 
qu'elles  faifoient  des  vœux  pour  fon  falut.  Les  Thraees  s'accordoiert 
tous  (95)  à  quitter  la  vie  par  une  mort  volontaire.  LesEfpagnols  (96) 
prévenoient  la  vieilleffe  &  la  mort  naturelle ,  en  fe  précipitant  d'un  ro- 
cher,  ou  en  fe  jettant  fur  leur  épée.  La  plupart  des  (97  )  Germains  s'é- 
tranoloient  eux-mêmes.  Ils  croyoient  tous  qu'une  mort  violente  étoit  la 
feule  porte  par  laquelle  l'homme  pût  entrer  dans  le  féjour  de  la  gloire, 
&  de  la  félicité.  Par  la  même  raifon ,  ces  Peuples  ('98  )  croyoient  rendre 
fervice  aux  malades  &C  aux  vieillards ,  en  leur  ôtant  la  vie  d'une  ma- 
nière qui  les  délivrât  des  fupplices  de  l'Enfer,  6c  qui  leur  affurât  une 
place  honorable  dans  le  Valhalla. 

§.  XL  L'idée  que  les  Celtes  fe  faifoient  des  plaifirs  &  des  délices    Tdîec,u<fi;! 
de  l'autre  vie,  s'accordoit  parfaitement  avec  l'inclination  de  ces  Peu-  fu'!"  <iej*'' 
pies.  Ils  ne  connoiflbient  point  d'autre   plaifir  que  celui  de  manger ,  ?•'''"  ^' 
de  boire,  de  dormir,  &  de  fe. battre i  aufli  en  faifoient- ils  l'unique 
occupation  des  bienheureux.  Tout  le  tems  que  les  habitans  du  Paradis 
ne  paflbient  pas  au  lit ,  ou  à  table ,  ils  l'employoient  à  s'excrimer  Se  à 
fe  battre.  Il   faut  écouter  encore  l'Edda  des  Iflandois  (99).  «  Le  Val- 
»halla  a  cinq  cens  quarante  portes,  fi  larges  que  huit  cens  Héros  peu- 
vt  vent  facilement  entrer  &  fortir  de  front  par  chacune  d'elles.  Voici 
»  quelle  eft  la  récréation  journalière  des  Héros ,  quand  ils  ne  paffent 
»  pas  leur  tems  à  boire.  D'abord  qu'ils  font  habillés  ,  il>  prennent  tous 
y>  leurs  armes  ,  &  fe  rendent  à  la  place ,  où  ils  ont  coutume  de  s'exercer.. 
»  Là  ils  fe  terraffent  les  uns  les  autres  à  grands  coups  d'épée  ;  ce  qui  idonlesctlt 
»  eft  un  jeu,  &  un   divertifTement  pour  eux.  Quand  l'heure  du  dînfr  c' bitto'^en 1 1* 
»  approche ,  ils  remontent  à  cheval ,  &  fe  rendent  tous  fains  &  faufs  à  la  \^  "  ''  ''*'V 

11^'  _  di< ,  mais  lis 

»  Cour,  Se  s'y  mettent  à  table  pour  boire.  Odin  eft  donc  un   grand  >  l"':fa'!"•^"^ 

_^.  •/-»•!  1      \  1  •       1       MI  /-     •  point  de  mal.. 

w  Dieu  ,  puilqu  u  commande  a  ime  multitude  d  hommes  fi  mnombra- 
»  ble.  »  La  même  Mythologie  dit  que  les  Héros  étoient  fervis  à  table 
par  des  vierges  qui  leur  préfentoient  à  boire  dans  des  cornes.  (ioo\  ..  IL 
»  y  a  encore  dans  le  VathaLla  d'autres  vierges  qui  Urvent  les  Héros. 
V,  Elles  portent  la  boiflbn  dans  la  falle  à  manger.    Elles  ont  foin  diei' 


(9  s    Solin.  cap.  i  s.  p   ïi+. 
(Sf6)  Ci-d   Liv.  n.  ch.  12.  p.  333.  note  S8. 
(97)  Eufeb.  Frsp.  Ev.  e»  Bardefane  VI.  lo. 
pag    177.  .  - 


(98"  Ci  d.  Liv.  II.  ch.  12    p-  333. 
(ysi)  fcJJa  lllarid.  Mytic.  35. 
(loo)  Eddalfland.  Mythol,  îi. 


éc  la  bjcu-. 


190         «HISTOIRE    DES    CELTES, 

»>la  vaiflelle ,  &  de  tout  ce  qui  regarde  le  fervice  de  la  table.  Elleg 
»  tirent  auffi  les  cornes  du  buffet  pour  les  préfenter  aux  Héros.  » 
o:'yhûvoit  Labôiffon  des  Héros  n'étoit  pas  l'ambroifie ,  mais  de  la  bière.  Ort 
le  voit  dans  l'Hymne  de  Régnier  Lodbrock  ,  Roi  de  Dannemarck, 
qui  a  été  citée  ailleurs.  Menant  fes  Troupes  au  combat ,  il  leur  dit , 
pour  allumer  leur  courage  (ici  )  :  IJientôt  nous  boirons  de  la  bière 
»  qui  nous  fera  préfentée  dans  des  crânes,  au  palais  du  grand  Odin:» 

Bibemus  cerevifiim  brevi 

Ex  concavis  craniorum  poculij 

In  prïflautis  Otiini  domicilio. 

6:1  y  mail-      A  l'égard  des  mets  que  l'on  fervoit  fur  la  table  des  Héros,  le  plus 
dl"n  TiDgiier  délicieux  étoit  le  lard  de  fanglier  (101).   «Puifque  tous  les  hommes 


frx    touj 

«itur. 


rm  "iouimi'i  ♦»  «ï»i  ont  été  tués  à  la  guerre ,  depuis  le  commencement  du  monde , 
»  Tont  trouver  Odln  dans  le  Valhalla ,  le  nombre  ne  peut  en  être  que 
»  très -grand,  &  peu  de  gens  fça vent  d'(>ii  les  Héros  tirent  leur  nour- 
»  riture.  Mais  il  n'y  a  jamais  danS  le,  Valhalla  une  fi  grande  multitude 
»  d'hommes,  que  le  feul  lard  de  fanglier,  que  l'on  appdle  fcrim/ier, 
»  ne  leur  fuffife  abondamment.  Tous  les  jours  on  le  cuit,  mais  le  foir 
»  on  le  retrouve  tout  entier.  «  Il  paroît,  par  ce  dé.'ail,  que  les  Celtes 
affocioiefit  le  corps  à  la  félicité  avenir.  On  y  mangeoit,  on  y  buvoit, 
on  s'y  bartoit;  mais  c'étoit  un  corps  impénétrable  qui  demeuroit  tou- 
jours dans  une  immortelle  vigueur. 

§.  XII.  Voilà  ce  que  les  Peuples  Celtes  penfoient  des  plaiCrs  d'une 
autre  vie,  &c  des  moyens  d'y  parvenir.  Leur  Doûrine,  fur  cet  article  , 
étoit  barbare  autant  que  leur  naturel;  mais  elle  influoit  fur  toute  leur 
conduite.  Elle  leur  apprenoit  à  méprifer  le  danger  (103  ) ,  &  à  mourir 
avec  une  véritable  joye.  Au  lieu  d'attendre  la  mort,  ils  la  prévenoient. 
Les  Chrétiens ,  qui  ont  d'autres  preuves ,  &c  une  autre  certitude  d'une 
vie  avenir ,  en  font-ils  plus  inacceflibles  aux  frayeurs  de  la  mort  ? 
Attendant  un  état  qui  fera  le  fiége ,  &c  la  récompenfe  éternelle  de  la 
vertu ,  aiment-ils  la  vertu ,  s'y  attachent-ils  autant  que  les  Celtes  s'ap- 
pliquoient  à  acquérir  cette  bravoure  qu'ils  regardoient  comme  le  feul 
chemin  de   l'immortalité  ?   AfTurément  ce  parallèle  ,   û  on  vouloit  le 


(10  i)  Bartholin.  de  caufis  contempti  à  Da- 
nis  mortis  lib.  II.  cap.  II.  p.  5  57.  ap.  Mafc9« 
Tom,  II.  j.  174. 


(loî' £dda  Mythol.  33. 

(tojj  Ci-d.  Liv.  II.  ch.  i«.  p.  448.  &  fui». 


LIVRE     lîl.     C  H  A  P  I  T  R  E.   XVIII.  191 

pouffer  ('.04),  au  lieu  d'ctre  avantageux  au  Chrétien,  tourneroit  tout 
à  ia  confufion. 

§.  X'îl.  On  a  indique  ,  on  a  mSme  établi  les  principaux  Dogmes 
de  la  Théologie  de  Celtes  :  c'efl  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  important 
&  de  plus  difficile  dans  le  fujet  qu'on  s'étoit  propofé  de  traiter.  Il 
fera  facile,  après  cela,  d'éclaircir  tout  ce  qui  regardoit  l'extérieur  de 
la  Religion  de  nos  Pères,  leurs  cérémonies,  leurs  fuperflitions ,  parce 
que  tout  cela  étoit  fondé  fur  les  principes  qui  viennent  d'être  expo- 
fés;'mais  il  eiï  tems  de  finir  ce  Livre,  qui  s'efl  groffi  infenfiblement 
fous  la  main  ,  &  de  donner  auffi  quelque  relâche  au  Letteur.  Si  nos 
recherches  font  agréables  au  Public,  ce  fera  un  encouragement,  pour 
nous  obliger  à  continuer  un  travail ,  qui  affurément  n'eft  pas  petit ,  mais 
qui  ne  rebutera  point ,  û  les  autres  éprouvent ,  en  lifant  nos  recherches , 
le  même  plaifir  que  nous  goûtons  à  les  faire. 

(to+(  »  On  pourroit  poulTcr  ee  parallèle  plus  loin  ,  Si  ,  peut-étiç  ,  trop  ,  »  dit  M.  Des  Vignîiej 
dans  fes  obfMvations  fui  le  Mauufcrit  de  l'jVutewr. 


Fin  du  Troijiïmt  Livre, 


H 


I  R  E 


DES   CELTES. 


miÎBIT: 


:»3atlL_rT?'3  »««a>ea;  s.ta^^tsmrxitdz.am.  i 


L  I  V  R  E      Q  U  A  T  R  I  E  M  E. 

3De  l'extérieur  de  la  Religion  des  Celtes  ;  des  Sacrifices  y 
des  Cérémonies  &  des  Superjlitions  qui  étoienr  par- 
ticulières a  ces  Peuples  ;  Hijloire  abrégée  des  Phi- 
lofophes  Scythes  &  Celtes. 

CHAPITRE     PREMIER. 

'§.  I.  l_/N  a  expofé  dans  le  Livre  précédent ,  les  principaux  Dogmes 
de  la  Religion  des  Celtes.  Il  faut  paiîer  dans  celui-ci ,  à  l'extérieur  de 
cette  même  Religion  ,  repréfenter  les  facrifices  ,  les  cérémonies ,  les 
fuperflitions  ,  qui  étoient  particulières  aux  Peuples  Celtes ,  &  faire 
fentir ,  en  même  tems ,  l'étroite  liaifon  &  la  parfaite  correfpondance 
tju'il  y  avoit  entre  leur  Doûrine  &  le  Culte  qu'ils  rendoient  à  la  Divi- 
saité.  U  ne  fera  pas  difEcile  de  fatisfaire  la  curiofité  du  Leâeur,  par 

rapport 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    I.  195 

rapport  à  tout  ce  qui  regarde  l'extérieur  de  la  Religion  y  qu'on  a  entre- 
pr-<;  rie  faire  connoître.  Les  Anciens  entrent,  à  cet  égard,  dans  un  grand 
détail,  &  donnent  beaucoup  plus  de  lumières  que  fur  le  fujet  dii  Dogme. 
On  en  voit  bien  la  raifon. 

D'un  côté ,  les  Etrangers  qui  voyagèrent  dans  la  Celtique ,  furent  frappés 
des  barbares  facrifices  qu'on  y  ofFroit  aux  Dieux,  &  de  la  différence 
fenfible  qu'il  y  avoit  entre  les  cérémonies  des  Celtes ,  &  celles  des 
autres  Peuples.  Mais,  félon  les  apparences ,  ils  en  demeuroient-Ià,  fasis 
fe  foucier  de  pénétrer  dans  l'intérieur  de  la  Religion  des  Celtes ,  ni 
de  connoître  les  idées  &  les  fentimens  dont  ce  Culte  extérieur  étoit 
le  témoignage  &  la  profeffion.  De  femblables  recherches  ne  font  guères 
que  pour  les  Savans.  Encore  leur  arrive-t-il  bien  fouvent  de  s'y  mé-, 
prendre.  Plutarque ,  l'un  des  plus  grands  hommes  de  l'antiquité ,  a  cru 
que  (  I  )  les  Juifs  adoroient  le  Dieu  Bacchus  ,  parce  qu'on  célébroit , 
dans  la  Paleftine ,  une  fête  qui  reflembloit  aux  Bacchanales  des  Grecs  ; 
c'étoit  celle  des  Tabernacles. 

D'un  autre  côté ,  les  Druides,  qui  vouloient  que  leur  Doûrine  fût  fe- 
nue  fecrettç,  &  qu'on  évitât,  furtout,de  la  communiquer  à  des  Etran-  - 
gers  ,  ne  pouvoient  pas  empêcher  qu'on  ne  vît  leurs  fanâuaires ,  leurs 
facrifices ,  &  la  plupart  de  leurs  cérémonies.  Au  lieu  donc ,  qu'il  a  fallu 
recourir  fouvent  à  des  conjeûures,  pour  découvrir  divers  Dogmes  de 
la  Religion  des  Celtes,  on  ne  trouvera  ici  que  des  faits,  qui  font  due- 
ment  atteflés ,  &  qui  contribueront  beaucoup  à  éclaircir  &  à  confirmer 
la  Doûrine  qui  a  été  expofée  dans  le  Livre  précédent. 

§.  II.  Selon  le  (2)  plan  qu'on  s'eft  propofé ,  il  faut  parler  premièrement  pjan  de» 
des  lieux  où  les  Celtes  tenoient  leurs  Affemblées  Religieufes,  des  tems  où  '■""'' 
ils  avoient  coutume  de  s'afTembler  ,  des  Miniftres  qui  préfidoient  au  culte 
de  la  Divinité ,  &  des  différentes  parties  de  ce  culte ,  qui  confifloit 
dans  des  prières ,  des  facrifices  ,  des  danfes ,  des  feftins ,  &  dans  d'autres 
cérémonies.  2°.  Delà  on  paffera  aux  fuperftitions  des  Peuples  Celtes, 
dont  les  plus  remarquables  étoient  la  Magie  &  les  Divinations.  3^''. 
Viendra  enfuite  l'Hiftoire  abrégée  des  plus  célèbres  Philofophes  Scy- 
thes, &  Cehes,  tels  qu'ont  été  Orphée  ,  Zamolxis,  Anacharfis,  Dice- 


(i)  Ci-d.  Livre  III.  ch.  Vl.  §.  ii,  not.  Si. 
(z)  Ci-d.  Livre  m.  ch.  I.  J.  I. 

T»me  II,  B  l^ 


Î94  HISTOIRE     DES    CELTES, 

neus;  4^.  enfin,  l'on  finira  ce  Livre  par  quelques  remarques  llir  la  ma- 
nière dont  les  Peuples  Celtes,  ont  reçu  le  Chriflianifme. 


les  Ccltts 
n'avoient 
point    de 
Temples. 


CHAPITRE     ir. 

§.  I.  1  L  a  été  remarqué  ailleurs  (i) ,  que  dans  les  tems  les  plus  reculés  ^. 
Je*  Peuples  Celtes  étoient  tous  Nomades ,  c'éft-à-dire ,  qu'ils  couroient: 
continuellenient  d'un  Pays  à  l'autre,  fans  avoir  de  demeure  fixe.  Il  n'ew- 
pas  néceffaire  d'avertir ,  qu'auffi  long-tems  que  les  Gaulois ,  les  Ger- 
jnanis ,  &  les  Scythes  en  général ,  conferverent  la  coutume  de  pafler 
leur  vie  fi.ir  des  chariots  (  i  ) ,  ils  n«  pcnferent  point  à  bâtir  des  Temples. 
La  chofe  parle  d'elle-même.  Mais  il  eft  conilant  encore,  que  ces  Peuples, 
long-tems  après  qu'ils  fe  furent  établis  &  fixés  dans  un  Pays ,  ne  crurent 
pas  qu'il  fut  permis  de  bâtir  des  Temples,  de  dreiTer  des  Autels,  &  de 
tenir  leurs  Affemblées  Religieufes  dans  des  lieux  fecrets,  à  la  manière 
des  autres  Nations.  Par  exemple  ,  «félon  les  Germ.ains  (3),  c'étoit  dé-- 
»grader  la  majefté  des  Dieux  céleftes,  que  de  les  emprifonner  dans  dei. 
»  Temples,  &  de  les  repréfenter  fous  une  figure  humaine.  » 

Les  Perfes  auffi  ne  vouloient  pas  (4)  que  l'on  bâtît  aux  Dieux  des 
Temples,  qui  ne  pouvoient  les  contenir.  On  a  vu  dans  le  Livre  précé- 
dent (5),  quelle  étoit  la  raifon  &  le  fondement  de  ce  ferupule.  Tous  les 
Dieux  que  les  Celtes  adoroient,  étoient,  félon  eux,  unis  d'une 'ma- 
nière intime  à  quelque  élément ,  ou  à  quelque  partie  du  monde  vifible. 
C'eft-là  que  les  Dieux  réfidolent ,  qu'ils  déployoient  leur  puiffance  , 
qu'ils  donnoient  des  réponfes.  Attachés  naturellement  aux  différentes 
parties  de  l'Univers,  inféparables  des  Elémens ,  ils  ne  pouvoient  s'u- 
nir aux  ouvrages  de  l'homme  ,  ni  établir  leur  demeure  dans  des  Tem- 
ples, &  dans  des  Images  &  des  Statues,  faites  de  la  main  de  l'homme. 
De  là ,  on  conclHoit  qu'il  falloit  adorer ,  invoquer ,  confuher  la  Di-r 
vinité ,  non  pas  dans  les  lieux  oii  elle  ne  pouvoit  déployer  fon  effi-- 


(l)  Ci-d.  Liv.  II.  ch.  6.  p.  144-148. 
(z^  De  Alanis  Am.  MatceU.  lib.XXXI.  cap,  3, 
f»l.  611.  Aiiian.  Indic.  p.  $ii, 
{)]  Tactt.  Geim.  cap.  ». 


(4)  Herodot.  I.  131.  Vtjet.  c'ideff.  Livie  UI» 
chap.  IV.  $.  9, 

(i)  Ci-d.  Liv.  m.  ch.  IV.  $.5. 


Ils  teftoieiit 
lems  Air^'m- 
bU'iS  leiigieu- 


L  I  V  Pi.  E    IV.    CHAPITRE     I.  195 

Càce  ,  mais  dans  le  monda ,  qu'elle  remplit  ,  qu'elle  anime ,  &  qui  eft 
fon  véritable  Temple  (6). 

En  conféquence  de  ce  préjugé  ,  les  Celtes,  au  lieu  de  bâtir  des  Tem- 
ples ,  démoliffoient ,  quand  ils  en  étoient  les  Maîtres  ,  ceux  que  d'au- 
tres (7)  avoient  bâtis,  faifoient  eux-mêmes  leurs  dévotions  publiques  &  ai!/" '^'*'" 
particulières ,  fub  Dio  ,  c'eft-à-dire ,  fous  le  Ciel ,  en  plein  air.  Ainfi ,  un 
ancien  Poëte  Athénien  ,  nommé  Cratinus  (8),  remarquoit  que  les 
Hyperboréens  avoient  coutume  d'adorer  la  Divinité  ,  non  dans  des 
Temples  ,  mais  fous  le-Ciel.  Dinon  difoit  {9)  la  même  chofe  des  Perfes» 
des  Médes  &  des  Mages  ,  &  nous  verrons  bientôt  qu'il  en  étoit  de 
même  de  tous  les  autres  Peuples  Scythes  &  Celtes. 

§.  II.  Une  autre  remarque  qu'il  faut  faire  ici ,  c'eft  que  les  Celtes  qui     tes  cdtes 
avoient  une  demeure  fixe ,  ne  tenoient  point  leurs  Affemblées  Reli-  Snè  dme'ure 
^ieufes  dans  le  lieu  même  de  leur  demeure ,  mais  hors  des  Villes  &  des  biolent ho"' 
"Villages,    le   long  des  grands  chemins,  dans  quelque  forêt  ,  ou  fur  j'^^j/d^^/u';., 
quelque  montagne,  voifme  de  l'endroit  où  ils  étoient  établis.  On  en  a  ^,"^"^13^°^ 
produit  plufieurs  exemples  dans  le  Livre  précédent,  &  ils  fe  prélente-  nité&iuiof- 
ront  en  foule  dans  celui-ci.  Le  Sanûuaire  que  les  Efpagnols  appelloient  fi:es. 
Teutaiès  (  lo)  ,  du  nom  du  Dieu  qui  y  recevoit  un  culte  Religieux  , 
•étoit  fur  une  colline  ,  voifinë  de  la  Ville  de  Carthagene.  Celui  que 
les  Amazones  (11)  avoient  confacré  à  la  Terre  ,  dans  le  voifinage  d'E- 
phèfe  ,  étoit  éloigné  de  la  Ville  (ii)  d'une  diftance  de  fept  ftades.  L'Ora- 
cle d'Apollon,  que  les  Méfiens  appelloient  Grynaus ,  étoit  dans  une 
forêt  voiiine  (13)  de  la  Ville  de  Clazomene  (14).  Tous  les  Sanduaires 
que  le  Dicis  Pater  des  Aborigines  avoit  en  Italie  (15),  étoient  fur  dej 
^montagnes ,  ou  le  long  des  chemins. 

On  a  expliqué  (16)  ailleurs  la  raifon  de  cet  ufage.  Les  Celtes  étoient 


{«)  On  fe  rappelle,  \  ce  piopos,  ce  diftiqiie 
de  Buchanan,  Poète  Ecoflbis  [tdvtrf.  Pcrt^ri- 
num]  qui  espiimc  très -bien  la  Docliine  des 
Celtes  : 

Quetn  mare,  quem  tellus,  qucm  non  cap  it  igr.eus 
ïtlier 

Clauditur  in  tuiUo  Spiritus  ille  loto  .... 
Aut  qUE  divcs  liabct  paffim  circurafpice  mundiit , 

Ha:c  vcta  ell  aides ,  hoc  pcnecrale  Oei. 

,(7)  Ciceto  de  Leg  lib.  ;.  p.  jt$4. 
'  («)  Suidas.  Hefych. 

(»)  Clcm.  Alex.  Coh.p.  i«.  8c  ci-d.  I,W.  III. 
chap.(v.$.  S' 


(lo)  Ci.d.  Liv.  m.  ch.  «.  $.  J.  net.  ï. 
(il)  Ci-d.  Liv.  III.  chap.  >.  $.  7. 
(il)  Herodot.  I.  i«. 

(ij)  Setvius  ad£neid  IV.  v.  345.  Ky«s.  ci- 
delTus  ,  Liv.  m.  ch.  5.  §.  3.  not.  is. 

(14)  C'e'toit  une  Ville  ancienne  d'Ionie  , 
dans  l'Alie  Mineure  ,  entre  Smyrne  &  Chios. 
Elle  s'appella  enfuite  Gryn»  :  ce  n'eft  plus  au» 
jourd'hui  qu'un  petit  Village. 

(15)  Ci-d.  Liv.  m.  chap.  <■  §.  t4.not.  itf* 
Se  I  zo. 

(x«)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  4-  f.  P. 

Bb  z 


'io^6  HISTOIRE    DES    CELTES, 

dans  l'idée  qu'un  Saniluaire  devoit  être  placé,  i^  dans  un  lieu  foîltaire, 
féparé  du  commerce  des  homipes  ;  &  ,  i'''.  dans  un  lieu  inculte,  où  l'on 
ne  vit  rien  qui  ne  itit  rouvrat?e  de  la  Nature ,  &  où  la  main  de  l'hom- 
me  n'eût  poi'rft  doràHgé  ni  feparé  les  parties  d'une  matière  qui  étoit,  pour 
ainfi  diréj'fé  c:o?p's'&: 'le;  véhicule  Hé  là  Divinité.  C'eft  ce  qu'ils  appef- 
loient  (i7)'«/2 //£«/r//r.'Cetté  d'ouble 'précaution  étoit  nécefibire,  afin  que 
rien  ne  pût  troubler,  ni  interrompre ,  non-feulément  l'attention  du  dévot, 
mais  encore  l'aftion  de  la  Divinité  qu'il  alloit  confulter,  C'eft  dans'cette 
vue  qu'ils  établiffoient  tèurà  Sariftuaires  aune  diftance  affez  confidé- 
rable  du  lieu  de  leurs  habitations,  fur  des  montagnes -oh  la  Divinité  qui 
rempiit  l'Univers  ,(i^)r  avoit  le  paflage  ouvert  &  libre  ;  dans  des  fo- 
rêts vierges  (19),  dont  les  arbres  h'étoient  point  taillés;  dans  des  bru- 
yères (20)  ,  dont  le  fonds  n'eût  pas  été  remué.  Par  la  même  raifon  ,  ils 
regardoient  comm'î  un  facrilége  de  labourer  (11)  la  terre  des  lieux  con« 
facrés  ;  &  pour  prévenir ,  'autant  qu'il  étoit  poffible  ,  cette  profana- 
tion ,  ils  portoient  dans  les  lieux  où  ils  venoient  célébrer  leurs  Myftères, 
im  grand  nombre  (ti)  de  groffes  pierres,  qui  empêchoient  que  ni  la 
charrue ,  ni  la  faulx  ne  puffent  y  paffer. 
irssanfluai-      «.  in.  Les  Gaulois  &  les  Germains   avoient   leurs  Sanftuaires  les 

rts  les  plus        t  mm 

cciébKfs  «les   plus  célèbres  dans  des  Forêts.  Tacitç  l'alTure  des  Germains.  Ils  eftimoient 

Ccltescroient  ,.,  .  . 

dam  les  Fo-  qu  il  ne  convenoit  point  à  la  grandeur  des  Dieux  celeftes,  de  les  ren- 
fermer dans  des  murailles  (  ^3  )  ;  c'eft  pourquoi  »  ils  confacroient  des 
«Bois  &  des  Forêts,  &  appelloient  du  nom  des  Dieux  ces  lieux  fe- 
»  crets  ,  où  ils  ne  voioient  la  Divinité  que  dans  le  refpeft  qu'ils  lui 
wtémoignoient  «. 

Le  même  Hiftorien  fait  mention  de  plufieurs  Forêts  facrées ,  où  des 
Cantons  (  14  )  &  des  peuples  entiers  s'affembloient  pour  l'exercice 
de  leur  Religion  &  pour  célébrer  leurs  Fêtes  folemnelles ,  qui  com- 
mençoient  ordinairement  par  le  Sacrifice  d'un  homme ,  que  ces  Barbares 
regardoient  comme  la  plus  excellente  de  toutes  les  Viûimes  que  l'on 


têts. 


(17)  Strabo  XV.  731.  Herodot.  I.  cap.  131. 

(is]  Ci-d.  §.  I.  note  7. 

(19;  C'eft  ce  que  Tacite  appelle  ea/iumnemus. 
Tacit.  Geim.  cap,  40. 

(20^  Stephan.  ex  Polyb.  XIII.  p.  163,  Çc  Va- 
leiius  in  £\perp^,  Polyb.  p.  zoi. 


(21)  JuftinXLIV.  3.  Hetodot.  VII.  lis- 

(22J  Ci-d.  Liv.  III,  chap.  6.  §.  13.  &  ch.  14; 
§.  t.  note  8  s. 

(î3)  Tacit.  Genn.  cap.  9.  ci  d.  Liv.  III.  ch.  }. 
§.  2.  note  I. 

(14;  Tacit.  Germ.  43.  Hift.  IV.  14. 


L  I  V  R  E     IV.     C  H  A  P  I  T  R  E     ir.  197 

put  offrir  aux  Dieux.  On  le  voit  dans  le  Chapitre  trente-neuvième  de 
_\s^'Germame,  où  e(l-il  dit  (25)  que  »tous  les  Peuples  Semnons  s'affem- 
»b!ent  à  certains  jours  par  députés  dans  une  Foret  confacrée  par  icuns 
»  ayeux  ,  &:  que  les  mortels  ont  toujours  révérée  avec  une  frayeur 
»Rtligieufe.  Us  y  célèbrent  les  aitreufes  cérémonies  de  leur  culte 
»  barbare,  dont  la  première  eîl  d'immoler  un  homme  en  public.  «  De-là 
vient  qite  ces  Forêts  étoient  un  objet  d'horreur  pour  les  Etrangers , 
qui  frémifibient  en  voyant  des  arbres  arrofés  du  fang  humain ,  &  des 
têtes,  des  bras,  des  jambes  &  des  fquélétes  entiers  pendus  ou  cloués 
à  ces  arbres. 

Il  paroît ,  par  Claudien ,  que  cette  coutume  de  s'affembler  dans  des  Fo- 
rêts ,  fubfîftoit  encore  de  fon  tems  en  Allemagne.  Ce  Poëte  ,  dans  le 
premier  Livre  du  Panégyrique  de  Stilicon  ,  dit  à  fon  Héros ,  qu'il  a 
donné  tant  de  terreur  aux  Peuples  de  la  Germanie,  étendu  fi  loin  les 
bornes  de  l'Empire  Romain  (  26  )  ,  »  que  l'on  peut  chaffer  fûrement 
»  dans  la  Forêt  Hércynie  ,  6c  abbattre  impunément  ces  bocages  fi  ter- 
♦>  ribles  par  les  cruelles  cérémonies  qu'on  y  pratiquoit  de  toute  an- 
wcienneté,  &:  ces  grands  Chênes ,  qui  étoient,  en  quelque  manière, 
»les  Dieux  des  Barbares.  «  Bien  plus  :  du  tems  même  de  Saint  Boni- 
face  (  27  )  ,  »il  y  avoit  encore  des  Germains  qui  offroient  des  Sacri- 
wfices  aux  Bois  &  aux  Fontaines,  les  uns  en  cachette,  les  autres  tout 
»  ouvertement». 

Ce  n'eft  donc  pas  fans  raifon  que  les  Anciens  Canons  (  i8  ) ,  cités  ail- 
leurs ,  condamnent  cette  Coutume  de  s'aflembler  dans  des  Forêts.  Il  eft 
vrai  que  fous  l'Evangile  ,  toute  lorte  de  lieux  font  propres  pour  le 
fervice  de  Dieu.  Ce  n'eft  pas  le  lieu  où  l'on  prie  ,  mais  les  idées  &  les 
fentimens  qu'on  y  apporte,  qui  rendent  notre  offrande  agréable.  Mais 
les  Germains  rendoient  dans  leurs  Forêts  facrées  à  de  fauffes  Divinités, 
un  culte  qui  étoit ,  non-feulem.nt  fuperftitieux  ,  mais  encore  cruel  & 
barbare,  &  qui,  par  cela  même,  ne  de  voit  point  être  toléré  dans  une 
fociété  réglée.  Savoir  ,  après  cela  ,  fi  les  Chrétiens  faifoient  bien 
d'immoler,  à  leur  tour,  les  Germains  qui  ne  vouloient  renoncer  ,  ni  à 
leurs  Forêts  ,  ni  aux  Sacrifices  qu'ils  y  avoient  offerts  de  toute  ancien- 


(25]  Tacit.  Geim.  cap.  39. 

{i.6'  Claudian,  de  Laud.  ScUic.  lib.  I.  v.  2:8. 

(?7j  Yilibald.   vit,  S.  Bonif.  caf,  8,  Othlo. 


Lib.  I.  cap.  27. 

(28j  Ci-d.  Liv,  lU,  cJi.  IV.  $.  1.  not.  l},  14. 


198  HISTOIRE    DES     CELTES, 

neté ,  c'efl:  une  queftion  toute  difFcrente.  Il  eft  fort  douteux  que  ni 
Saint-Bonlface ,  ni  les  autres  Miffionnaires  qui  travaillèrent  à  la  conver- 
fion  des  Peuples  de  la  Grande  Germanie,  fuffent  en  état  de  faire  bien 
fentir  à  leurs  Catéchumènes  la  différence  qu'il  y  avoit  entre  des  Payens, 
qui  offroicnt  des  Viftimes  humaines  à  leurs  Dieux  ,  6c  des  Chrétiens  qui 
failoient  mourir  les  hommes  qui  ne  vouloient  pas  reconnoître  le  leur. 

§.  IV.  Ce  qui  vient  d'être  dit  des  Germains  regarde  aufli  les  Gaulois. 
(29)  »Ils  confacroient  des  Forêts  aux  Dieux  ,  principalement  des 
»  Forêts  de  Chênes  ,  Se  dans  tous  leurs  facrifices  ,  ils  tenoient  à  la 
»  main  des  branches  de  cet  arbre  ».  Selon  les  apparences  ,  ce  célèbre 
Sanûuaire  du  Pays  de  Chartres  ,  où  les  Druides  des  Gaules  (30)  s'af- 
fembloient  dans  une  certaine  faifon  de  l'année  ,  étoit  une  Forêt.  On 
verra  dans  la  fuite  ,  fur  quoi  cette  conjefture  ell  fondée. 

Tout  ce  qu'il  eft  à  propos  que  l'on  remarque  ici ,  c'eft  que ,  du 
tems  de  Jules-Céfar ,  il  y  avoit  encore  dans  la  Province  Narbonnoife, 
&  jufqu'aux  portes  de  Marfeille,  de  ces  Forêts  confacrées,  où  les  gène 
du  Pays  alloient  faire  leurs  dévotions.  Lucains,  parlant  du  Siège  que 
cette  ville  foutint  contre  une  Armée  de  Jules-Céfar  ,  obferve  »  que  les 
»  Afliégeans  employèrent  aux  travaux  (31)  le  bois  d'une  Forêt  voifine 
»  dont  les  arbres  n'avoient  jamais  été  taillés.  Les  cérémonies  qui  fe 
■»  pratiquoient  dans  cette  Forêt  ,  étoient  cruelles  &  barbares.  On  y 
»  voyoit  des  Autels  fur  lefquels  les  gens  du  Pays  immoloient  des  Vidi- 
»  mes  humaines,  &  il  n'y  avoit  pas  un  feul  arbre  qui  ne  fut  arrofé  du 
»fang  de  ces  malheureux». 

On  rapporte  ces  circonftances ,  parce  qu'elles  font  fentir  la  confor- 
mité du  culte  que  les  Gaulois  &  les  Germains  rendoient  à  leurs  Dieux. 
Tout  cela  étoit  obfervé  de  la  même  manière  par  les  Peuples  de  la  Gran- 
de Bretagne.  C'étoit  dans  ces  Forêts  qu'ils  alloient  célébrer  leurs  feftins 
facrés  (  32.)  ,  &  offrir  des  Sacrifices  qui  ne  dlfféroient, point  de  ceux  des 
■Gaulois  &c  des  Germains.  Tacite  l'a  remarqué,  en  parlant  de  la  prife 
de  rifie  de  Man  (*)  par  les  Romains.  »  On  abbatit,  dit-il:,  (33)  les  Fo» 
»rêts  où  les  gens  du  Pays  avoient  pratiqué  jufqu'alors  de  cruelles 


(29)  Plin.  H.  N.  lib.  XVI.  cap.  44-  P'  3  l  >• 

(30)  Czfar  VI.  13, 

(.3  1)  Lucan.  III.  V.  39». 
,(32)  Dio.  CafT.  lîb.  LXII.  p.  704.  Xiphil.  in 
,Kerone.  p.  172.  173.  ci-defl"iisLiy.  lil.  ch.-ifi. 


§.  8.  note  1  I. 

(*  )  C'eft  uns  ile  d'Angltterre  ,dans  la  Met 
d'Irlande  ,  entre  les  Côies  d'Ecofîe  ôc  celles  de 
la  Fiincipauté  de  Galles. 

(3  3)  Tacit.  Ann.XIV.-30. 


LIVRE     IV.     CHAPITRE    II.  199 

wAiperftitlons  ,  faifant  fumer  le  fang  des  Captifs  fur  les  Autels  qui  y 
»étoient  dreflés  ,.  &  confultant  la  Divinité  par  les  entrailles  de  ces 

»Viclimes«k 

On  a  vu  ailleurs  que  lés  anciens  Habitans  de  l'Italie  (  34  )  avoient 
auffi  une  célèbre  Foret  confacrée  à  la  Terre.  Les  Méfiens  établis  en  Afie ,, 
fervoient  le  Soleil  dans  une  Forêt  de  laquelle  ce  Dieu  avoit  reçu  le 
nom  (35)  à' Apollon  Grynceus.  Parmi  les  Thraces  ,  tous  les  Temples 
de  Mars  (36)  étoient  des. Forêts.  C'eft  l'une  des  raifons  qui  ont  fait 
croire  que  ces  Peuples  fervoient  le  Dieu  Bacchus^  dont  on  célébroit 
auffi  les  Fêtes  (37)  dans  des  Forêts  &  fur  des  hauteurs. 

§.  V.  Si  la  Coutume  de  tenir  les  Aflemblées  Religieufes  dans  des  Fo- 
rêts étoit  la  plus  générale  parmi  les  Celtes,  il  y  a  de  fortes  raifons  de 
croire   que   celle  de  faire  fes  dévotions  fur  des    Montagnes  étoit  la 
plus  ancienne.  Il  eu  vrai  que  les  Forêts  avoient  une  grande  commodité. 
Indépendamment  de  la  remarque  de  Sénéque  qui  prétend  (  38  )  que  la  E""' 
{blltude  &  l'obfcurité  d'une  haute  &  varte  Forêt  infpiroient  à  l'homme 
une  efpéce   de  frayeur  Religieufe ,  &  fembloient  lui  annoncer  la  pré- 
fence  de  la  Divinité;  il  efl  certain  ,  d'ailleurs,  que  le  Peuple  y  étoit  à 
couvert  du  vent,  de  la  pluie ,  &.  des  ardeurs  du  Soleil  (*).  Mais  les  Mon- 
tagnes avoient  auffi  un  grand  avantage  ,  félon  la  Doftrjne  des  Celtes. 
La  Divinité  qui  animoit  la  matière  y  avoit  le  paflage  ouvert  &  libre. 
Son  aôion  n'y  étoit  point  troublée  par  le  tumulte  de  ce  bas  monde.  Les 
efprits  les  plus  purs  ,   les  plus  attentifs ,  les  plus  pénétrans  ,   étoient 
auffi  les  plus  éloignés  de  notre  atmofphère. 

Par  ces  raifons,  les  Celtes  croyoient  s'approcher  de  Dieu  ens'approchant 
du  Ciel,  Ils  confacroient  à  la  Divinité  des  Collines,  &  montoient  juf- 
qu'au  fommet  des  plus  hautes  Montagnes ,  pour  y  offrir  leurs  Sacrifices. 
Qn  l'a  dit  des  Pelafges ,  c'eft-à-dire  des  anciens  Habitans  de  la  Grèce 
&  de  l'Afie  mineure.  (39)  »Ils  confacroient  pour  fimulacres  à  Jupi- 
»ter  le  fommet  des   hautes   Montagnes,  comme  de  l'Olympe  &   de 


I.et  Ccîrei 
lenoienc  plu» 
a:icicnuc- 
incnc    leurs 
Afftmliiérs 
rclij,iciirtsfuC' 
d^i  MoQt»- 


(34)  Ci-d  Liv.  III.  ch.  I.  $.  lo.  note  97. 

(3S|  Ci-deft,  %.  z.  note  i  j.  &  Lit.  III.  ch.  5. 
S).  3 .  note  1 6. 

(3 «)  Stitius  Thebaïd.  VII.  v.  40.  ci-de£  §.  2. 
note  20. 

(37)  Ci-d.  Lit.  III.  e'h.  »j.  §,  3.not.  î», 

(3>,  Scncca£piû.  41. 


'*)roUToit  on  y  itrt  à  ouvert  du  ardeurs  dt 
Siltil ,  puifque  les  affcmble'es  fe  tenoient  (le 
nuit  &  à  U  lueur  des  flambeaux?  PV>'z.ci. après, 
ch.  3.  §.   I.  3.  Scie  de  l'Editeur. 

(39)  Maxim.  Tyr.  Diflert.  3«.  Homer.  Uiad. 
YIII.  V.  4I. ci-d.  Liv,  IIX.  ch.  4-  $.  $■  note  ai. 


aoo  HISTOIRE     DES     CELTES, 

»  l'Ida.  (40)  Ils  érigeoient  des  Autels  à  Jupiter  fur  la  haute  cîme  deS 
M  Montagnes,  comme  on  le  voioit  fur  les  Monts  Hymettus  &  Parne- 
»  thus  ».  De-là  le  furnom  (41)  à'Epacrius ,  que  l'on  donnolt  à  ce  Jupiter  , 
qui  avoit  fes  Sanftuaires  &  fes  Autels  au  fommet  des  Montagnes.  Les 
Perfes  auffi  (42.)  montoient  fur  les  plus  hautes  Montagnes  ,&  y  immo- 
loient  des  Vidimes  à  Jupiter  ,  appellant  de  ce  nom  toute  la  voûte 
des  Cieux. 

Le  même  ufage  étoit  établie  dans  tout  l'Occident.  Ainfi  le?  Efpagnols 
avoient  (43)  une  Colline  confacrée  à  leur  Teuiaiès  ,  &c  une  Mon- 
tagne Sainte  (  44  )  dont  il  n'étoit  pas  permis  de  remuer  la  terre.  Les  Gau- 
lois avoient  un  Sanûuaire  confacré  à  leur  Jupiter  fur  la  plus  haute  cîme 
des  Alpes,  &  c'eft  de-Ià  qu'il  avoit  reçu  le  nom  de  (45)  Peninus  du 
mot  Penn  ,  ou  de  Pinn,  qui  fignifîoient  la  pointe,  le  fommet  d'une 
Montagne.  Les  Allemands  (46)  rendoient  un  culte  Religieux  aux  Col- 
lines. Les  Aborigines  fervoient  leur  Dis  (47)  fur  le  Mont  Soratle  , 
Se  en  général ,  fur  tous  les  hauts  lieux  du  (  48  )  Pays.  Les  Gétes 
avoient  une  Montagne  où  réfidoit  leur  fouverain  Sacrificateur,  &  qui 
par  cette  raïfon  ,  étoit  le  Sanduaire  le  plus  célèbre  qu'il  y  eût  dans 
toute  la  Nation.  Aufïï  l'appelloit-on  (49  )  /^z  Montagne  Sainte. 

Les  Thraces  ,  voifins  des  Gétes ,  avoient  de  même  une  Sainte  Mon' 
tagne,  qui  fut  prife  (50)  par  Philippe,  Roi  de  Macédoine.  C'eft, 
peut-être,  celle  qui  étoit  confacrée  à  Cotis  (5j),|dans  le  Pays  des 
Edoniens.  Cette  Coutume  de  s'afTembler  fur  des  Montagnes  étoit 
établie  fi  généralement  parmi  les  Thraces ,  que  Strabon  a  cru  pou- 
voir en  conclure  (  52  )  que  le  Mont  Hélicon  &  plufieurs  autres 
Montagnes  de  le  Grèce,  avoient  été  confacrées  par  les  Thraces,  dans 
le  tems  qu'ils  étoient  Maîtres  du  Pays.  Enfin,  les  Phrygiens  avoient 
la  plupart  de  leurs  Sanûuaires  fur  des  Montagnes,  telles  que  l'étoient 


(40)  Etymol.  magn.  in  «'ja'xpuj  Zei/'f  p.  351. 
(41^  'E-rdxfiDs  Zît/f.  Hefych. 

(41)  Herodot.  I.  1 5  i  •  Strabo  XV.  731. 
(+j)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  6.  §.  3.  not.  z. 
(44'  Cid.  §.  z.  note  21. 

(45)  Liviiis  XXI.  3  8.  Serv.  ad.  ^neid.  X.  lî  . 
fag.  593.  Infcriptio  apud  Guich.  Hiftoire  de 
Savoie  ,  Tom.  I.  lib.  I.  cap.  4. 

(46)  Ci-d.  Liv.  III.  cap.  4.  §.  2.  nete  10. 

(47)  Servius  ad  iga.  XI.  785,  Ci-d.  Liv.  III. 


chap.  6.  §.  14.  not.  iio. 

,48)  Dionyf.  Halic.  lib.  I.  cap.  4.  p.  27.  ci- 
deflus,  Liv.  III   ch.  6.  §.  14.  not.  1 17. 

(4s;  Strabo  VII.  298.  Statius  Sylv.  lib.  J.  i» 
T.  80.  Idem  Syl.  lib.  III.  3.  v.  169. 

(50)  .aifchines  de  Falf.  Leg.  p.  258. 

(51)  Strabo  X.  470.  ci-deflus,  Liv.  ni.ch..<'. 
§.  12.  not.  94.  &  fuiv. 

(52)  Strabo  IX.  410, X.  471. 


LIVRE     r  V.    CHAPITRE    II.  zoi 

les  Monts  de  Berecynthus  (53)  ,  Dindymus ,  CybUc^  ^gJefiis.  De-Ià  vient 
que  leur  Jupiter  eft  ordinairement  repréfenté  dans  (  54)  les  Médailles,. 
par  une  Montagne  placée  au  milieu  d'un  Temple. 

§.  VI.  Il  ne  faut  pas  oublier  ici  que  les  Celtes  établiffoient  ordinai-  Lcscdtesiti- 
rement  leurs  Sanftuaires  fur  des  Montagnes  ou  dans  des  Forêts ,  oii  ainaktmcat" 
il  V  eût  une  Fontaine ,  un  Lac  ou  quelque   Eau  courante.   Par  exem-  '"1^  ^^"'r 

J  '  1  ^  ;j^ ,  tuaircs  près 

pie,  les  Habitans  du  Gévaudan  C55  )  alloient  célébrer  une  Fête  folem-  d  s  roni»i- 

11 'S     des  Liïcs 

nelle    autour    d'un   Lac    que    l'on  voyoit  fur  le  Mont  Hélanus.  Les  oudcqusique 
Germains  avoient  une  Forêt  (56)  confacrée  à  la  Terre  ,  Si  il  y  avoit ,    '''"^°''  ■ 
au  milieu  de  cette  Forêt ,  un  Lac  où  on  lavoit  la  Déeffe ,  après  l'avoir 
promenée    dans  toute    la  contrée  :  dans  la  Forêt    (57)    d'Aricia   fe 
trouvoit  aufli  un  Lac  confacré ,  que  l'on  appelloit  le  miroir  de  Diane. 

On  voit  bien  la  raifon  de  cette  Coutume  ,  dont  il  feroit  facile  de 
produire  plufieurs  autres  exemples.  Les  Celtes  avoient  befoin  d'eau 
pour  les  Ablutions,  pour  les  Sacrifices,  &  pour  cuire  la  Chair  des 
Viûimes  que  l'on  mangeoit  ordinairement  dans  le  lieu  même  où  elles 
avoient  été  immolées;  d'ailleurs  ils  plaçoient  (  58)  dans  les  Lacs ,  dans 
les  Fontaines ,  &  dans  les  Eaux  courantes ,  certains  Génies  qui  inftrui- 
foient  l'homme  de  fa  deftinée  ,  pourvu  qu'ils  en  reçuflent  un  Ciilte 
convenable.  Ainfi  ,  afin  qu'un  Sanduaire  fîit  bien  accrédité,  il  falloit 
qu'on  put  y  confulter  la  Divinité  ,  &c  recevoir  la  réponfe  en  plufieurs 
manières,  par  le  moyen  des  différentes  divinations  qu'on  tiroit  de  l'Air, 
des  Arbres ,  des  Viftimes  &  furtoulide  l'Eau  &  du  Feu. 

De-là  vient  que  les  Hifloriens  qui  parlent  des  fuperftitions  des  Peu- 
ples Celtes,  s'accordent  à  dire  (59)  qu'ils  rendoient  un  Culte  religieux 
aux  Arbres,  aux  Forêts,  aux  Montagnes,  aux  Rochers,  &  aux  Eaux 
courantes.  Par  la  même  raifon  ,  les  anciens  Canons  qui  condamnent 
ces  fuperftitions  (  60  ) ,  interdifent  toujours  le  Culte  des  Fontaines  , 
avec  celui  des  Montagnes  &  des  Forêts.  C'étoit  dans  de  femblables 
endroits ,  que  les  Celtes  faifoient  leurs  AfTemblées  Religieufes  ,  &  qu'ils 


(s  si  Ci-d.Liv.  m.  ch.  ».  §.  %.  note  i8. 

(54)  Science  des  Médailles  p.  i  84. 

tS  5)  Ci-d.  Liv.  m.  ch.  9.  §•  4.  not.  ïi. 

(s<)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  8.  §.  3.  not.  1 1. 

(57),  Ci-deffus,  Liv.  III.  chap.  S.  §,  10,  no- 
tes Jl.  99.  100.  lot,  loî,  io|. 


(58)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.9.  ch.4.  J.  /.not.  33. 

(59)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  4.  §.  2.  not.  3.  13.  14, 
Leg.  Longobard.  a  Lindenbr.  lib.  II.  Tit.  38, 
pag.  «3  5. 

(60)  Ci-d.  §.  3.  not.  z7.  &  Liv.  IH.  ehap,  4.^ 
J.  z.  not,  10.  II,  ij. 


Ttmt  II,  Ç  Ç 


aoi  m  S  T  O  I  Pv.  E    DES    CELTES, 

pratlquoient  des  divinations  qui  ctolent,  en  quelque  manière  ,  riinlque 
but  de  leur  Culte, 
jis  avoicnt      ig.  VII.  Enfin  les  Peuples  Celtes  avolent  plufieurs  de  leurs  Sanânal- 
6^Vir"d3ii^  res  le  long  des  grands  chemins,  &  fur-tout  dans  des  (6i  )  Carrefours, 
i(!ùrs?""'     c'eft-à-dire  dans  des  lieux  où  plufieurs  chemins  fe  réuniflbient.   Quand 
il  n'y  avoit  ni  Forêt,  ni  Montagne,  ni  Colline  dans  le  voifmage  d'un 
Canton  ou  d'un  Village ,  le  Peuple  établiffoit  le  Sanftuaire  en  rafe  cam- 
pagne ;  &  comme  il  y  avoit  de  ces  lieux  confacrés  ,  où  les  Habitans  de 
jilufieurs  Cantons ,  &  les  Peuples  entiers  célébrolent  des  Fêtes  folem- 
nelles  ,  il  falloit  néceflairement  que  plufieurs  chemins  vinflent  y  abou- 
tir. Ainfi  il  y  avoit  dans  le  Pays  des  Edoniens ,  près  de  la  ville  d'Amphi- 
polis,  &c  du  fleuve  Strymon  (61),  un  célèbre  Sanâuaire  que  l'on  ap- 
pelloit  les  neuf  Cktmins.  On  lui  avoit  fans  doute  donné  ce  nom ,  parce 
que  les  Habitans  de  neuf  Cantons  diffèrens  s'y  affembloicnt  dans  une 
certaine  faifon  de  l'année,  pour  célébrer  la  Fête  de  Cotis  &  de  Bendis, 
LesTenip'cs      g.  VIII.  De  tout  ce  qul  vient  d'être  dit,  il  faut  conclure  que  les  Tem- 

Il'jppiltit:!!-         1  /•  ■  1  •  m  ,  ■  »     11 

lit;)!  po'nt  ■:  pies ,  faits  de  main  d  homme ,  n  appartiennent  pas  proprement  a  1  an- 
.ij/ccltés."  cienne  Religion  des  Peuples  Scythes  &  Celtes,  Tant  que  ces  Peuples 
confervèrent  leurs  propres  idées ,  &  qu'ils  n'adoptèrent  pas  des  fuperf- 
titions  étrangères  ,  ils  regardèrent  comme  une  impiété  (  63  )  &  comme 
une  folie  ,  d'ériger  des  Temples  à  la  Divinité.  Hérodote ,  Strabon  & 
Tacite  le  remarquent  exprefTément ,  en  parlant  des  Scythes ,  des  Ro- 
mains &  des  Perfes.  Si  ces  mêmes  Hiftoriens  ne  laifTent  pas  de  leur  attri- 
buer ailleurs  des  Temples ,  il  eft  vifible  qu'en  fe  fervant  d'un  terme 
iifité  dans  leur  Langue ,  ils  ne  l'ont  emploie  que  dans  un  fens  impropre, 
&  qu'il  ne  défigne,  dans  ces  endroits ,  qu'un  lieu  confacré. 

Par  exemple,  Hérodote  dit  (64)  que  les  Scythes  ne  confao^ent  des 
Temples  qu'au  Dieu  Mars.  Mais  il  remarque ,  en  même  tems  ,  que  le 
Temple  (65)  étoit  une  efpéce  de  Colline  que  l'on  faifoit  avec  des  fafcines 
&  de  la  terre.  Tacite  parlant  de  plufieurs  Peuples  établis  dans  le  cœur 
de  la  Çrande-Germanie  ,  dit  (^66')  qu'ils  fervent  en  commun  la  DéefTe 
Herthus  ,  qu'ils  la  promènent  dans  toutes  les  Contrées  voifines  ,    & 


(61)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  8.  §.  g.not.  ««.«7.6t. 
•hip.  14  §.  6.  not.  6».  &  §.  7.  not.  jS, 

(<2)Ci-d.  Liv.  III.  ch.  «.  §,  j.not.  st-py.loo. 
{«j)  Ci-d.  §.  i.not.  3.4. 


(<4)Herodot.  IV.  59. 

(«S(  Ci-deffous  ,  §.  il.  not.  «3,^ 

{66)  Ci-d.  Liy.  III,  ch.  < .  §■  ) <  note  1 1 . 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    II.  zoj. 

qu'après  qu'elle  s'eft  raffafiée  d'être  clans  la  compagnie  des  mortels ,  ils 
la  ramènent  dans  fon  Temple.  Mais  il  avoit  dit  un  peu  plus  haut,  que 
ce  Temple  étoit  une  chafle  Forêt,  où  l'on  confervoit  un  charriot  confa- 
cré  à  la  Déeffe  Henhus.  Strabon  auffi  fait  mention  (  67  )  des  Tem- 
ples diJnauis ,  &  à'Omanus ,  où  les  Mages  rendoient  un  culte  religieux 
au  Feu.  Mais  on  voit,  dans  le  même  endroit,  que  les  Temples  (68) 
étoient  de  grands  enclos ,  où  l'on  confervoit  le  feu  facré  au  milieu  de 
beaucoup  de  cendres. 

A  l'égard  des  Temples ,  proprement  ainfi  nommés ,  que  l'on  voioit 
dans  la  Celtique  ,  les  uns  avoient  été  bâtis  par  des  étrangers,  les  au- 
tres ayoient  été  élevés  par  les  gens  du  Pays ,  dans  un  tems  où  ils  avoient 
déjà  abandonné  leur  ancienne  Religion ,  pour  embrafîer  celle  des  Grecs 
ou  des  Romains  qui  les  avoient  fournis ,  ou  qui  s'étoient  établis  dans 
leur  voifinage.  Par  exemple  ,  les  Cariens  ,  les  Leléges ,  &  d'autres 
Peuples  Scythes  avoient  envahi  autrefois  une  partie  de  l'Afie  mineure. 
Auffi  longtems  qu'ils  furent  les  maîtres  du  Pays  ,  leurs  Sanctuaires 
étoient  (  69 )  des  Montagnes  &  des  Forêts.  Ce  ne  fut,  dit  Vitruve  (70) , 
qu'après  que  les  Cariens  &  les  Leléges ,  eurent  été  dépoffédés  par  les 
Grecs  ,  que  ceux-ci  commencèrent  à  bâtir  les  magnifiques.  Temples  que 
l'on  voit  aujourd'hui  dans  l'Ionie. 

Juflin  allure  (71  )  que  les  Grecs  établis  à  Marfeille  enfeignèrent  aux 
Gaulois  à  cultiver  leurs  terres  ,  à  bâtir  des  villes  &  à  les  enfermer  de 
murailles.  C'eft  de-là  aufli ,  que  les  Divinités ,  les  cérémonies  des  Grecs, 
&  en  particulier,  la  coutume  d'ériger  des  Temples  aux  Dieux,  palîè- 
rent  infenfiblement  dans  les  Gaules.  Tîte-Live  (72  )  &  Polybe  (73) 
femblent  infinuer  que  les  Gaulois  d'Italie  avoient  des  Temples  ,  lors- 
qu'ils furent  fournis  parles  Romains ,  peu  de  tems  avant  la  féconde  guerre 
Punique.  La  chofe  n'eft  pas  certaine ,  parce  que  le  mot  de  Temple  eft  peut- 
être  employé  par  ces  Hiftoriens ,  dans  un  fens  impropre.  Mais  en  fup- 
pofant  la  vérité  du  fait ,  il  eft  affez  naturel  de  préfumer  que  la  coutume 
de  confacrer  des  Temples  aux  Dieux ,  avoit  pafle  des  Romains ,  &  des 
Etrufces  ,  aux  Gaulois  leurs  voifins. 


(«7)  Ci-d.  Liv.  III.  cil.  10.  §,  2.  not.  17. 
(«S)  Ci-d.  Liv.  in.  cil.  10.  §.  2.  not.  17. 
(«9)  Voyez  en  les  ptcuYei  ci-dcff.  Liv.  lU. 
•tup.  8.$.  i.i. 


(70)  Vittuvius  lib.  IV.  cap.  i .  p.  âo. 

(71)  Juftin  XLIII.  3. 

(72)  Livias  ,  lib.  XXIIL  cap.  14, 


204  HISTOIRE    DES     CELTES, 

Enfin  Tacite  ,  parlant  de  l'expédition  que  Germaaicus  entreprit  con- 
tre les  Marfes,  l'an  767  de  Rome,  dit  (74)  que  ce  Prince  fit  rafer  jus- 
qu'aux fondemens,  tous  les  édifices  tant  facrés  que  profanes,  &c  en  par- 
ticulier, ce  célèbre  Temple  que  les  gens  du  pays  appelloient  Tanfana  (*). 
Mais  ces  Marfes  étoient  voifins  du  Rhin ,  le  long  duquel  les  Romains 
avoient  établi  des  Colonies,  bâti  des  Temples  ,  introduit  leur  Religion; 
jufques-là  qu'il  y  avoit  près  de  Cologne  un  Temple  qui  avoit  été  con- 
facré  à  Augufte  (75),  de  fon  vivant,  &c  dans  lequel  un  Prince  Germain 
(76)  exerçoit  le  Pontificat,    - 
les  celtes       §'  ^^-  ^"^  Pcuples  Ccltcs  n'avoicnt  ni  images,  ni  ftatues  qui  repréfen- 
n'avoi-mrii    taffent  la  Divinité  fous  la  forme  de  l'homme  ou  de  quelqu'animal.   Ce 
tu.s  qui  re-    n'eft  pas  que  la  Peinture  &  la  Sculpture  leur  fuflent  entièrement  in- 
i.a  uivinitc ,  connues  ;  ils  avoient  des  enieignes  mihtaires  (77) ,  qui  etoient  des  figu- 
<i°'rho!i°n)';',  res  de  dragons ,  de  fangliers,  &:  d'autres  animaux ,  &  en  tems  de  paix, 
animaîr''^"'^  CCS  cnfeignes  étoient  remifes  aux  Druides ,  qui  les  confervoient  dans 
les  forêts  facrées.  Peut-être  que  ces  figures  n'étoient  pas  mieux  faites 
que  les  anciennes  idoles  des  Grecs  (78),  que  l'homme  le  pluS  férieiix 
ne  pouvoit  regarder  fans  éclater  de  rire.  Mais  au  refte ,  les  Celtes  trou- 
voient  dans  leur   Théologie  ,  des  raifons  qui  leur  déféndoient  de  re- 
préfenter  la  Divinité  dans  des  images  ,  ou  dans  des  flatues ,  &  de  rendre 
un  culte  religieux  à  ces  repréfentations. 

i.^^Ils  adoroient  des  Dieux  fpirituels,  invifibles;  ils  difoient  en  con- 
féquence  qu'on  abbaifibit  la  Divinité  ,  en  lui  attribuant  une  forme 
dont  elle  n'étoit  pas  fufceptible  ,  fût-ce  même  la  forme  du  plus  excel- 
lent de  tous  les  êtres  matériels.  «  Les  Germains  eftimoient  (79) ,  comme 
»  l'a  remarqué  Tacite  ,  qu'il  ne  convenoit  point  à  la  grandeur  des 
»  Dieux  célefles  de  les  renfermer  dans  l'enceinte  des  murailles  ,  ni 
»  de  les  repréfenter  fous  la  forme  de  l'homme».  Hérodote  dit  à-peu-près 
la  même  chofe  des  Perfes  (80)  »  :  Ce  n'eft  pas  leur  coutume  d'ériger  des 
M  Statues  ,  des  Temples  ,  &c  des  Autels.  Ils  accufent  même  de  folie 
»  ceux  qui  le  font.  La  raifon  en  eft ,  à  mon  avis,  qu'ils  ne  croient  point, 
»  comme  les  Grecs ,  que  les  Dieux  foient  iffus  des  hommes  ». 


■     (74"!  Tacit.  Ann.  I.  si- 

(  *  )  Voyez  les  Ktmurquts  fur  U  Gtrmtnie  de 
Tacite  par  M  l'Abbe'  de  la  Bleterie  ,  p.  144. 

(  7  ^  )  On  l'appelloit  uirit  Libiintm,  Tacit. 
iinn.  I.  39- 

^76)  Tacit.  Ann.  I.  57- 


(77)  Arrian.  Taftic.  p.  80.  Val.  Flac.  lib.  ¥i* 
T.  89.  Tacit.  Gerin.  cap.  7.  &  cap.  4$, 

(78)  Athen.  XIV.  init.  p.  614. 
(79)  Ci-d.  §.  I.  not.  3. 

(Soi  ci-deff.  $.  I.  not.  4.  8c  Liv.  IH.  ch.  j. 
$.  2.  not,  «. 


LIVRE    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    II.  zoj 

2.^  Les  autres  Payens  étoicnt  dans  l'idée  que  les  Dieux  auxquels  ils 
confacroient  des  Temples  &  des  Idoles,  venoient  y  établir  leur  de- 
meure, &C  que  c'étoit-là,  par  conféquent,  qu'il  falloir  les  confuiter  , 
leur  demander  des  grâces.  De-là  la  cérémonie  de  l'évocation,  par  la- 
quelle on  conjuroit  les  Dieux  de  fe  retirer  d'un  lieu  oii  on  les  crcyoit 
préfens  d'une  façon  particulière.  Les  Celtes ,  au  contraire ,  étoient  dans 
l'opinion  ,  que  la  Divinité  étant  unie  aux  Elémens  &  aux  différentes  par- 
ties de  la  matière,  &c  cela  d'une  manière  à  ne  pouvoir  en  être  féparée  , 
ne  devoir  point  être  fervie  dans  des  Temples ,  &  dans  des  Idoles.  Ils  fe 
croioient  même  autorifés,  par  ces  raifons,  à  détruire  les  Temples,  qui 
étoient  le  domicile  des  morts,  au  lieu  d'être  celui  de  la  Divinité,  &  à  bri- 
fer  des  Idoles,  qui  ne  pouvant  donner  aux  hommes  aucune  idée  de 
Dieu,  n'étant  même  propres  qu'à  leur  en  donner  de  fauffes ,  étoienf 
d'ailleurs  l'objet  d'un  culte  fuperflitieux ,  &  impie,  par  cela  même  que 
la  Divinité  ne  pouvoit  s'unir  aux  ouvrages  de  l'homme. 

§.  X.  Cela  n'empêchoit  pas  ,  cependant,  que  les  Celtes  n'euflent  leurs  \u  avoient 
fimulacres  ;  mais  ils  dlfféroient  entièrement  de  ceux  des  autres  Peuples.  îc^rTsi  "uia- 
Pour  en  parler  avec  plus  de  précilion,  il  paroît  à  propos  de  diffinguer  f:roieiu"én- ' 
les  fimulacres  des  Peuples  Nomades  de  ceux  des  Peuples  qui  avoient  une  '■^''^'"«"^  •^^ 

r  r  T  j:ux  des  ais- 

demeure  fixe.  Les  premiers  femblent  n'avoir  été  que  des  fymboles  aux-  "«s  Peupiet. 
quels  on  attachoit  l'idée  &C  le  culte  de  la  Divinité ,  afin  que  la  dévotion 
eût  un  objet  préfent  &  fenfible.   Les  féconds  recevoient  un  culte  reli- 
gieux ,  parce  qu'on  y  plaçoit  un  Efprit,  une  Divinité  qui  prononçoit 
des  oracles ,  &  qui  diftribuoit  des  grâces. 

§.  XI.  Le  fimulacre  des  Peuples  Nomades  étoit   une  épée  ou  une  l«  simulacre 
halebarde.  Hérodote  rapportant  dans  le  quatrième  livre  de  fon  Hiftoire,  Nouu'ies" 
l'expédition   que  Darius  Hyfiafpe  entreprit  contre  les  Scythes  qui  de-  ^"^J  ""' 
meuroient  au  Nord  du  Danube,  en  prend  occafion  de  décrire  fort  au 
long  la  manière  de  vivre  de  ces  Scythes,  qui  reçurent  dans  la  fuite  le 
nom  de  Gétes  ou  de  Goths.  Il  remarque  qu'ils  étoient  Nomades  (  8 1  ). 
«  On  ne  peut ,  dit-il ,  les  furprendre  ,  ni  même  les  trouver ,  s'ils  ne  le 
«veulent  pas,  parce  qu'ils  n'ont  ni  Villes,  ni  Fortereffes,  &  que  cha- 
w  cun  porte  fa  maifon  avec  foi.   Ils  font  habiles  h  tirer  des  flèches  à 
»  cheval.  Aulieu  de  vivre  de  pain ,  ils  tirent  toute  leur  fubfiflance  de 


(li}Hciodot.  lV-4«' 


loS  HISTOIRE    DES    CELTES, 

w  leurs  troupeaux,  &  n'ont  point  d'autres  maifons  que  leurs  chariots»* 
Hérodote  parle  enfuite  de  la  Religion  de  ces  Peuples,  &  dit  (81)  que 
les  Scythes  rendent ,  à  la  vérité ,  un  culte  extérieur  à  Vefta ,  à  Jupiter ,  à 
la  Terre,  à  Apollon,  à  Vénus  Uranie,  à  Hercule  &  à  Neptune;  mais 
qu'ils  font  dans  l'opinion  qu'il  ne  faut  confacrer  des  fimulacres  ,  des 
autels  &  des  temples  qu'à  Mars  (83).  »  Voici,  ajoute-t-il ,  de  quelle  rr.a- 
»  nière  les  Scythes  ont  coutume ,  de  toute  ancienneté  ,  d'élever  des 
»  Temples  à  Mars.  On  marque,  un  terrein  de  trois  ftades  en  long  & 
»  en  large ,  dans  lequel  on  affemble  un  monceau  de  fafcines ,  qui  n'a 
»  pas  tout-à'fait  la  même  hauteur.  Audeffus  du  monceau,  onforme 
»  une  plaine  quarrée ,  qui  eft  efcarpée  par  trois  de  fes  côtés.  On  monte 
»  au  quatrième  par  une  pente  douce.  Ils  portent  tous  les  ans ,  fur  cette 
»  plaine  ,  cent  cinquante  chariots  de  fafcines  fraîches  ,  les  vieilles  fe 
»  pourriffent  à  l'air.  Chaque  Peuple  a  une  vieille  épée  de  fer,  que  l'on 
»  place  fur  ce  monceau,  &C  c'eft-là  le  fimulacre  de  Mars,  auquel  on 
»  offre  annuellement  des  chevaux  Sf.  d'autres  viftimes ,  &  cela  en  beau- 
»>  coup  plus  grand  nombre  qu'aux  autres  Dieux.  Ils  immolent  aufli 
M  le  centième  des  prifonniers  qu'ils  font  à  la  guerre ,  offrant  ces  vifti- 
»  mes  d'une  manière  toute  différente  des  autres.  Après  avoir  répandu 
«  du  vin  fur  la  tête  des  prifonniers  ,  on  les  égorge  dans  un  vaiffeau  de{- 
»  tiné  à  cela ,  &:  enfuite  on  va  répandre  leur  fang  fur  l'épée  ». 

§.  XII.  On  a  prouvé  ailleurs  (84)  ,  que  le  Mars  des  Peuples  Scythes  & 
des  Gétes,  eft  celui  qu'ils  appelloient  dans  le.ur  langue  Tay  ou  Kodan  ,  & 
qui  étoit  regardé  par  ces  Peuples  comme  le  Dieu  fuprême  ,  &  en 
même  tems  ,  comme  le  proteûeur  des  guerriers.  Il  refte  donc  ici  deux 
chofes  à  remarquer. 

i,^  Quoique  les  Scythes  ,  dont  il  s'agit  ici,  n'euffent  point  de  demeure 
fixe ,  &C  qu'ils  fuffeni  obligés  de  fe  tranfporter  d'un  pâturage  à  l'autre , 
pour  faire  fubfifter  leurs  troupeaux,  ils  bornoient  leurs  courfes  aux  Con- 
trées qui  font  entre  le  Danube  &  le  Niefter,  &  fe  retrouvoient  tous, 
dans  une  certaine  faifon  de  l'année ,  au  même  lieu  ,  pour  y  tenir  le 
champ  de  Mars ,  c'eft-à-dire ,  l'affemblée  générale  de  la  Nation ,  qui  com- 

mençoit  par  des  facrifices  de  différentes  efpèces ,  oâerts  au  Dieu  qui 

■  •  Il   Il       - 

(si)   Vojtz.  le  paflage  ci-deff'.  Liv«III.  ch.  3.  §.  3,  not.  8. 

(«3)H«ro<ioi.  IV.  6î. 

it^j  Ci-deiT.  Lir.  UI.  ch.  6,  §.  10.  &  ch.  7.  §.  Zi  3.4.  n«t.  jf-d^ 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    IL  107 

préfidoit  à  la  guerre.  Le  lieu  où  l'on  ofFroit  ces  facrifîces ,  cto'it  une  efrcce 
de  colline  artificielle  que  l'on  formoit  avec  de  la  ft:rre  &  des  fafcincs. 
Cet  ufage  étoit  un  refte  de  l'ancienne  fuperftition ,  qui  vouloit  que  les 
Sanftuaires  fuflent  dans  des  lieux  élevés.  Là  où  il  n'y  avoit  pas  de 
montagnes,  on  fuppléoit  à  ce  défaut  par  des  amas  de  terre  que  l'on  entrc- 
tenoit  toujours  d'une  égale  hauteur,  en  y  portant,  tous  les  ans,  de  nou- 
velles fafcines. 

i.*'  La  fête  que  les  Scythes  célébroient  en  l'honneur  de  leurs  Mars , 
commençoit  par  la  cérémonie   de  planter  ,  au  milieu  du  Sanûuaire , 
une  vieille  épée  de  fer,  que  Ton  confervoit  précieufement  au  milieu  de 
chaque  Peuple;  c'étoit-là  le  fimulacre  de  Mars,  auffi  long-tems  que  la 
folemnité  duroit.  Quelques  Anciens  ont  cru  (85)  que  les  Scythes  regar- 
doient  cette  épée  comme  une  véritable  Divinité.  Ils  ont  affuré  qu'elle 
étoit  l'objet  propre  &  direft  de  leur  adoration.  Mais  ils  fe  font  trompés. 
Elle  n'étoit,  comme  Hérodote  (S6) ,  &  d'autres  l'ont  reconnu,  qu'un 
fimulacre,  un  fymbole  ,  auquel  les  Scythes  attachoient  l'idée  &  le  culte 
de  leur  Mars.   S'ils  répandoient  fur  ce  glaive  le  fang  des  viûimes,  &  en 
particulier ,  celui  des  prifonniers  ,  c'étoit  pour  rendre  au  Dieu  de  la 
guerre  une  efpèce  d'hommage  des  avantages  qu'ils  avoient  remporté 
fur  leiirs  ennemis,  &  pour  en  obtenir  de  nouvelles  vidoires  pendant 
l'expédition  qu'on  alloit  propofer  &  réfoudre  dans  l'Aflemblée  générale 
de  la  Nation,  De-Ià  vient  que  cette  épée  ne  recevoit  un  culte  relioieux 
qu'auffi  long-tems  qu'elle  demeuroit  plantée  au  milieu  du  Sanâuaire  , 
c'eft-à-dire  ,  pendant  tout  le  tems  que  l'AlTemblée  fubfiftoit.  Quand  la  fo- 
lemnué  étoit  finie,  on  remettoit  l'épée  au  Roi,  ou  au  Sacrificateur,  qui 
étoit  chargé  du  foin  de  la  garder ,  &  de  la  repréfenter  l'année  fuivante. 

§.  Xni.  Cette  coutume  de  célébrer  les  Myftères  de  la  Religion  au- 
tour d'une  épée,  fubfiftoit  encore  du  tems  de  l'Empereur  Valens  ,  parmi 
les  Alains ,  qui  étoient  une  Nation  Gothique  (87).  Mais  ils  le  faifoient 
avec  moins  de  cérémonies  que  les  Gétes,  ou  les  Goths,  qui  vivoient  du 
tems  d'Hérodote.  «Les  Alains,  dit  Ammien-MarceUin  (88),  n'ont  ni 
»  Temples  ,  ni  Chapelles ,  ni  même  une  feule  cabane  couverte  de  chau- 


(«s)  Lucîan.  Jov.  Trag  pag.  699.  Epiphin. 
lib.  I.  pag.  8.  Aram.  Marc.  lib.  xvii.  cap.  ii.. 
pag.  179. 

(»«;  Pomp.MeUlib,  II.  cap.  1,  p.  4i,Solin. 


cap.  XXV.  pag.  132.  Clem.  Alex.  Coh.  ad  Gcnt. 
pag-  S«. 

(87)  Procop.  Vand.  lib.  I.  cap.  3.  p.  igi. 

{iij  Amm.  Maic.  lib,  xxxi,  cap.  2. p.  6211 


1 


2o8  HISTOIRE     DES    CELTES, 

Mme.  Ils  plantent  en  terre,  avec  des  cérémonies  barbares,  une  épée 
»nue,  qu'ils  adorent  avec  beaucciip  de  refpeft,  comme  étant  le  Dieu 
>>  Mars  ,  Protedeur  des  Provinces  qu'ils  parcourent.  »  Il  ne  faut  pas 
être  furpris,  après  cela,  que  les  Peuples  Scythes  &  Celtes  témoignaflent 
tant  de  refpeft  pour  les  armes ,  &c  particuliéi-ement  pour  l'épée.  Quand 
ils  étolent  appelles  à  prêter  ferment  (  89  )  ,  ils  juroient  par  leur  épée. 
Dans  les  Traités  de  paix  (90)  ,  ou  d'alliance  ,  ils  donnoient  une  épée 
pour  gage  de  leur  foi.  La  raifon  de  ces  ufages  eft  fenfible.  L'épée  étoit , 
parmi  ces  Peuples,  le  fymbole ,  le  fimulacre  de  leur  Mars;  les  fermens 
qu'ils  prêtoient  fur  leurs  armes ,  étoient  donc  des  engagemens  dont 
on  prenoit  pour  témoin  &  pour  garant ,  le  Dieu  qui  préfidoit  à  la 
guerre  ,  &C  que  l'on  rcgardoit ,  en  même  tems ,  comme  le  maître  fou- 
verain  des  Dieux  &C  des  hommes. 

§.  XIV,  Clément  d'Alexandrie  &  Saint  Epiphane  affurent,  d'après  des 
Auteurs  plus  anciens  (91  )  ,  que  la  coutume  de  rendre  des  hommages 
Religieux  à  une  épée  ,  s'étendoit  auffi  à  cette  autre  forte  de  Scythes  , 
que  l'on  défignoit  fous  le  nom  de  Sarniates.  Nous  ne  doutons  pas  de  la 
vérité  du  fait ,  au  moins  la  chofe  paroit-elle  claire ,  par  rapport  aux  Huns 
Se  aux  Avares.  On  trouve  qu'Attila  (91) ,  Roi  des  Huns,  ayant  recou- 
.  vré  ,  par  hafard ,  une  de  ces  vieilles  épées ,  que  les  anciens  Rois  de  Scy- 
thie  avolent  ordinairement  fous  leur  garde  ,  s'en  félicita  beaucoup  ;  il  fe 
perfuada  même  que  cette  épée  lui  promettoit  l'Empire  de  l'Univers  , 
&  la  viûoire  dans  toutes  les  guerres  qu'il  entreprendroit.  A  l'égard  des 
Avares,  on  voit  un  de  leurs  Chans ,  qui  vivoit  du  tems  de  l'Empereur 
Juftinien,  prêter  aux  Romains  de  la  manière  fuivante,  le  ferment  ufité 
au  milieu  de  fa  Nation  (93):  «Ayant  tiré  fon  épée  ,  &c  l'ayant  élevée,  il 
»  fouhaita  que  l'épée  l'exterminât  avec  toute  la  Nation  des  Avares , 
»  s'il  jettoit  un  pont  fur  la  Save  dans  quelque  mauvaife  intention  contre 
«les  Romains.  » 
Q;i  iquti  §•  ^^'  1^  y  avoit  des  Pcuples  oii  le  ûmulacre  de  Mars  n'étoit  pas  une 
r  upie^ccitc?  épée  ,  mais  une  lance,  Ainfi  Juftin  ,  après  avoir  dit  que ,  du  tems  de  Ro- 

(Ss)   Voytz.  ci  delT.  §.  1  z.  not.  8 j.  &  Liv.  II.  I  Prifcus  Rhetor,  in  Excerpt.  Légat,  p.  «s.  Cette 
cUap.  7.  p.  170.  not.  87.  c'pe'e  parvint   en  Allemagne.  Scbaffnabu^g,  ad 


(901  Adam  Bremenf.  cap.  jo.Keyflcr,  p.  i  «. 

(yl)  Ci-d.  §.  11.  not.  85.-86. 

t»ii  Jojnand.  Gotth.  cap.  3  j.  p.  SSx-iSSz,  8c 


An.  107  i.pag.  483. 

{»  1  ]  Menander  in  Excerpt.  Légat,  p.  1 1 8 . 

mulus  ï 


1  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    II.  lo? 

.<«\'tlws,  fa  lance  étoit  la  marque  delà  dignité  R.oyale,  ajoute  (94)  :  =<Le5  rmuiacic»*, 
w Anciens  ont  même  rendu  les  honneurs  divins  à  des  lances,  en  la  ^^""' 
»  place  des  Dieux  immortels  ,  &  c'eft  en  mémoire  de  ce  culte  qu'on 
^reoréfente,  encore  aujourd'hui,  les  Dieux  avec  des  lances.»  Si  l'on 
prend  à  la  lettre  les  expreflions  de  cet  Auteur ,  11  femble  que  les  anciens 
Habitans  de  l'Italie  ne  connufient  &  ne  ferviffent  point  d'autres  Divi- 
nités que  leurs  lances.  Mais  affurément ,  Ce  n*étoit  pas-là  la  pcnfée  de 
JulHn ,  ni  celle  de  Trogue  Pompée ,  dont  il  eu  l'Abréviateur.  Ceil  aflez 
le  défaut  des  Abrégés  d'être  obfcurs,  à  proportion  qu'ils  font  concis.  Au 
refte,  il  eft  certain,  comme  Varron  nous  l'apprend  (95)  ,  que  les  Ro- 
mains adoroient  anciennement  des  lances,  parce  qu'elles  étoicnt,  par- 
mi eux  ,  le  fmiulacre  du  Dieu  Mars. 

$.  XVI.  Il  y  avoit  auffi  dans  l'Afie  Mineure  des  Peuples  Scythes ,  qui 
recdoient  à  la  lance  les  mêmes  honneurs  que  les  autres  Scythes  ren- 
voient à  l'épée.  Ils  l'adoroient ,  &c  la  donnoient  pour  gage  de  leur  foî. 
Par  exemple ,  dans  la  retraite  des  dix  mille  (96)  ,  Xénophon,  étant  arrivé 
avec  fes  Grecs  au  Pays  des  Macrons ,  CBtra  en  traité  avec  eux  ,  6c  après 
qu'on  fiit  convenu  des  articles  ,  il  reçut  une  lance ,  &  en  donna  une 
autre  pour  la  confirmation  du  traité  ;  les  Barbares  lui  dirent  que  c'étoit-là , 
de  toute  ancienneté,  le  gage  leplusaffuré  qu'ils  puffent  donner  de  leur  foi. 
Dans  les  Aûes  Apofloliques ,  attribués  à  Abdias  ,  l'Apôtre  eft  in- 
troduit ,  difant  aux  Scythes ,  à  qui  il  précholt  l'Evangile  (97)  :  «Abattez 
»  ce  Mars ,  &  le  brifez  ;  dreffez  en  fa  place  la  croix  de  Notre  -  Sei- 
♦♦  gneur  Jefus-Chrift ,  &  l'adorez.  »  Ce  Mars  étoit  une  lance  qui  repré- 
fentoit ,  parmi  les  Scythes  ,  le  Dieu  de  la  Guerre.  On  fait  bien  que  l'Hif- 
tolre  Apoftolique  d' Abdias  eft  un  ouvrage  du  cinquième  ou  fixiéme 
fiécle  ,  &  que ,  par  cette  raifon ,  tlle  ne  peut  guères  fervlr  à  nous 
faire  connoître  les  ufages  des  anciens  Scythes.  Mais  M.  de  Beaufobrg 
qui  étoit  un  juge  très-compétent  en  ces  matières  ,  a  obfervé  (98)  que 
l'Auteur  de  cette  pièce  n'a  fait  que  copier  des  Mémoires  anciens ,  dref- 


(S4>  Juftin  XLIII.  3. 

(»s)  Clcm.  Alçx.Coh.  adGent.  p. 4i.Arnob. 
lit.  VI.  p.  197.  Diod.  Sic.  XIV.  p.  411. 

(j«)  Xenoph.  Anablf.  lib.  V.  p.  14!.  Diod. 
Jic.  XV.  p.  41t. 

(j7)  Fïbiic.  Codic.  Apocryph.  N,  T.  Tom.I. 

Tome  II,  D  d 


pag.  739.  La  Légende  des  Saints  porte ,  à-peu- 
ples ,  la  même  ehofc.  Hift.  Longob.  Hve  Legend. 
Sanétpr.  de  SanAo  Fhilippo  Apoftolo  p.  m.  i  54. 
{9%}  Hiftoire  du  Manicheifine  Liv. II.  cb.  <. 
pag.  409.  ii  fuiv. 


MO  HISTOIRE    DES    CELTES, 

fés  par  des  Auteurs  Grecs  Se  Syriens,  à  qui  les  Peuples  Scythes  de  l'Afie 
Mineure  ne  dévoient  pas  être  inconnus. 

§.  XVll.  Il  y  a  quelqu'apparence  que  la  lance  étoit  auffi  le  fimulacre 
de  la  Divinité  parmi  les  Pélafges ,  qui  écoient  les  anciens  Habitans  de 
la  Grèce.  On  croit  l'entrevoir  dans  ce  que  l'Hiftoire ,  ou  la  Mythologie 
des  Grecs  rapporte  d'un  Theflalien  ,  nommé  Cenée ,  qui  doit  avoir  vécu 
une  génération  ,  environ  ,  avant  la  guerre  de  Troye ,  puifqu'il  étoit  con- 
temporain de  Théfée  (99),  &  de  Neflor.  On  dit  (100)  «que  ce  Cenée 
»  étoit  un  homme  brave  &  invulnérable.  Maison  l'accufe,  en  même- 
»  tems,  d'avoir  été  un  impie  qui,  au  lieu  d'offrir  fes  prières  &  fes  facri- 
»  fices  aux  Dieux  immortels  ,  n'adoroit  uniquement  que  fa  propre 
»  lance.  Non  content  de  lui  rendre  un  fervice  religieux ,  il  alloit  quel- 
»quefois  la  planter  dans  une  place  publique,  &  là,  il  obligeoit  tous 
»  les  paffans  à  rendre  des  honneurs  divins  à  fa  lance ,  à  moins  qu'ils 
»n'aimaffent  mieux  fe  battre  avec  lui.  Jupiter  punit  l'orgueil  &  l'im- 
»  piété  de  Cenée ,  en  fufcitant  contre  lui  les  Centaures ,  qui  le  firent  périr  , 
»  ou  plutôt  qui  l'enfoncèrent  vivant  dans  la  terre ,  en  renverfant  fur  lui 
'  des  fapins  &  des  chênes.  » 

Comme  le  tems  &  les  autres  circonftances  de  Texpulfîon  (loi)  des 

Pélafges  s'accordent  avec  le  tems  &;  les  lieux  où  l'on  fait  vivre  Cenée  , 

cet  homme  que  les  Grecs  font  paffer  pour  un  impie  &  un  athée ,  devoit 

être  quelque  Pélafge  violent  &c  emporté  ,  qui ,  demeurant  attaché  à 

l'ancienne  Religion  ,  ne  vouloit  pas  que  perfonne  s'en  départît ,  &  for» 

■çoit  tous  ceux  qu'il  rencontroit  à  fléchir  le  genou  devant  le  fimulacre 

"de  fon  Dieu.  Il  y  a  dans  toutes  les  Religions  de  ces  efprits  furieux  , 

qui  emploient  la   forcé  &  la  contrainte  ,  finon  pour  convaincre  les 

Incrédules,  au   moins  pour  les  opprimer,  ou  pour  leur  arracher  un 

Vulte  qui  efl  indigne  d'un  homme  raifonnable,  par  cela  même  que  l'ef- 

prit  &c  le  cœur  le  déteftent  en  fecret. 

ctcVdèrpcu-      S*  XVIII.  Voilà  quels  ctoient  les  fimulacrcs  des  Peuples  NomaJes, 

îloi'm''un<:   ^^^  ^P^^^  »  ^^^  lances  ,  étoient  regardées  comme  le  fymbole  du  Dieu 

demeure  fixe,  j^^^  qu  OMn,  qui  avoit  fioi)  placé  les  hommes  dans  ce  monde,  comme 

fouvcnc  un    danj  Un  champ  de  bataille,  pour  s'y  diflinguer  par  leur  valeur,  &  qui 

{99)  Homcr.  Iliad.  I.  v.  2S4.  t  de  Or.  &  Prog.  Idol.  lit.  ix.  cap.  5.  p.  114. 

(100}  Apollon.  Aragonaut.  lib.  I.  p.  7.  v.  jS,  [       (loi)  Ci-d.  Liv.  I.  ch.  j. 
Je  Schol.  Euftathius  ad  Iliad.  I.  p.  loi.  VoffiM  j      (loi)  Ci-d.  Liv.in.  ch  7^8c  i«. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    IL  i\i 

"réfervoit  une  félicité  particulière  à  ceux  qui  périffoient  dans  /le  noblq 
métier  des  armes.  Les  Peuples  qui  avoient-^tne  demeure  fixe,  &  qui 
faifoient  leurs  AfTemblées  religiéufes  dans  des  forêts  ,  choififfoient  ordi- 
nairement quelque  grand  &  bel  arbre  ,  pour  être  le  fymbole  du  Dieu 
«[u'ils  adoroient ,  &  l'objet  fenfible  de  leur  culte.  Maxime  de  Tyr  le  dit 
<les  Gaulois  (  103  )  :  »Les  Celtes  reconnoiffent  un  Dieu,  mais  le  funu- 
>»lacre  de  Jupiter  efl ,  parmi  eux,  un  grand  chêne.»  Il  en  étoit  de  même 
•des  Peuples  de  la  Germanie.  «  Les  Allemands,  diiolt  Agathias  (104), 
«rendent  un  culte  religieux  à  certains  arbres  &c  aux  eaux  courantes.* 
-Grégoire  de  Tours  ('05)  reproche  la  même  idolâtrie  à  fes  Francs.  Hel- 
niodus  obferve  auffi  (106)  que  les  Saxons,  qui  demeuroient  au-delà  de 
l'Elbe ,  fervoient  encore  ,  de  fon  tems ,  les  forêts  &c  les  fontaines. 

Les  Miffionnaires  Chrétiens  trouvèrent  ce  culte  établi  dans  toutes  les 
■contrées  de  la  Germanie ,  où  ils  portèrent  l'Evangile.  Par  exemple.  Saint 
Aniand  ,  partant  dans  un  Canton  fitué  le  long  de  l'Efcaut,  appelle  Ga/t' 
ilavum  (^  loy  )  ,  trouva  que  les  Peuples  y  adoroient  toute  forte  d'arbres 
&  de  bois.  On  peut  voir  aufïï  dans  la  vie  de  Saint  Boniface  ,  écrite  par 
Othon,  de  quelle  manière  cet  Apôtre  des  Germains,  appuyé  de  l'au- 
torité de  Charles-Martel,  &  ayant  avec  lui  une  bonne  efcorte  (108), 
abattit  dans  un  lieu  du  Pays  de  Hefle,  nommé  Géifmqr,  un  grand  arbre  , 
que   les  gens  du  Pays  appelloient  Varhre  de  Jupiter.  Depuis  même  que 
la  Religion  Chrétienne  eut  été  reçue  dans  les  Gaules  ôi  dans  la  Germanie  , 
une  partie  du  Peuple  ne  laiflbit  pas  de  fe  rendre  dans  les  forêts,  &  d'y 
faire  l'exercice  de  fa  Religion  ,  autour  des  arbres  confacrés.  C'eft  ce 
qui  eft  confiant  par  une  lettre  que  Grégoire-le-Grand  écrivit  à  la  Reine 
Brunehaud  (109).  «Nous  vous  exhortons»,  dit-il  à  cotte  Princeffe, 
« d'interpofer  votre  autorité,  pour  empêcher  que  vos  Sujets  n'otfreat 


(loj)Ci-d.  Liy.  III.  ch-  4.  §•  S-  no'-  JJ. 

(104)  Agathi.  lib.  I.  p.  U.  Ci-deffus,  Liv.  III. 
chap.  4.  §   1  noc.  10. 

(lOi)  Gregor.  Tu»,  lib.  II.  p.  178.  Ci-dcflus 
X.iv.  III.  ch.  4  §.  l.  not.  1 1 . 

(i()$,  Helmsld,  Chron.  SUv.  cap.  48.  p.  lofi. 
Ci-d.  Liv.  III.  ch.  4.  §.  z.  not.  14. 

(107)  Vita  Sanfti  Amandi,  apud  D«  Chefne, 
Tom.  I.  p.  64s. 

(lo»)   Othlo   Vit.  Sanfti  Bonifacii,  lib.   I. 
;)f  ifd  Canif,  t^,  h,  T914.IV.  p.  4Z  j .  Epiit.  Gicg. 


Papa;  ad  S.  Bonifac.  in  vità  B.  waltgeri  Aurore 
Wigandp  Fresbyt.  BiUfcld.  p  ;8S.  Sulp.  Severc 
rapporte  quelque  chofe  de  femblable  de  Saint 
Martin.  Vita  S.  Mirt.  cap   13.  p.  320. 

1109  Gregor.  Magn.  Epift.  âd  Brunechild. 
lib.  vu.  Ep  s-  Duftefne  a  raflemble,  dans  fpn 
Gloflaire,  un  grand  nombre  de  paffiges  qui 
prouvent  que  cette  idolâtrie  fubfifta  long  tems 
dans  les  Gaules,  Vcjtt.  l'aitide  Arlortt  SiK'-iti 
Tom.  I.  p.  327. 

P4» 


iii 


HISTOIRE    DES    CELTES 


»des  viâimes  aux  Idoles  j».  qu'ils  ne  rendent  un  fervice  religieux  au» 
»  arbres  ,  &C  qu  ils  ne  faÛeUt  "un  facrifice  facrilége  de  la  tête  des  animaux.  »» 
La  Religion  Chrétienne  s'établit  jnfenfiblement  dans  les  Pays  de 
Hefîe  &  de  Turinge  (i  lo)  ,  après  que  ces  Provinces  eurent  paffé  fous 
la  domination  des  Francs ,  par  la  défaite  d' ffermenfroi ,  Roi  de  Turinge , 
arrivée  au  commencement  du  fixiéme  fiécle,  (  l'an  530).  Lorfque  Saint 
Boniface  vint  prêcher  l'Evangile  dans  ces  Contrées  ,  environ  deux 
cens  ans  après  ,  il  trouva  ,  comme  on  l'a  déjà  remarqué  (  1 1  ï  )  ,  que 
les  gens  du  Pays  alloient  offrir  des  facrifices  aux  bois  &  aux  forêts ,  le» 
tins  en  cachette ,  &  les  autres  hautement  &  en  public.  On  voit  bien 
que  ceux  qui  s*y  rendoient  ouvertement ,  étoient  les  partifans  de  l'an- 
cienne Religion.  Ceux,  au  contraire,  qui  faifoient  profeffion  du  Chrif- 
tianifme ,  n'y  alloient  qu'en  fecret ,  de  peur  d'être  recherchés  &  punis  , 
s'ils  avoient  participé  publiquement  à  l'Idolâtrie  Payenne.  Cette  fuperf- 
tition  de  faire  des  facrifices  au  pied  d'un  arbre  confacré  ,  étoit  û  enra- 
cinée dans  l'efprit  des  Peuples  Celtes  ,  qu'il  fallut  des  fiécles  entiers 
pour  les  en  détourner.  De-là  ,  les  Canons  des  Conciles  &  les  Capitu- 
laires  des  Rois  de  France  qu'on  a  eu  occafion  de  citer  ailleurs  (ïizr),  & 
qui  défendent  fous  de  rigoureufes  peines  de  véncrer  les  arbres  &  les 
fontaines,  de  s'affembler  dans  les  forêts,  &  d'y  pratiquer  quelqu'autre 
fuperftition  Payenne. 
Nitute  du  §.  XIX.  Paffons  à  la  nature  même  du  culte  que  les  Peuples  Celtes  rert- 
rendoiraux"  doient  aux  arbres  confacrés.  On  trouve  i**.  Qu'ils  alloient  faire  leurs 
Arbiesconfa  p^j^res  devant  ces  arbres  (113)5  &  qu'il*  y  allumoient  des  flambeaux. 
On  verra,  dans  le  Chapitre  fuivant ,  la  raifon  de  ce  dernier  ufage. 

i*:".  Ils  arrofoient  l'arbre  confacré,  (114)  &  même  les  arbres  voifins  , 
Au  fang  des  hommes  &  des  animaux  qu'ils  avoient  immolés. 

3''.  Ils  attachoientà  ces  arbres  la  tête  (  115  )  &  la  main  droite  des 
hommes  dont  ils  avoient  fait  un  facrifice  à  leurs  Dieux.  On  y  clouoit 
aufTi  la  tête  des  autres  Viftimes  (116)  comme  une  preuve  de  la  dévotion 


(lio)  Vcytx,  Sn^iii/ini  jimiquiiiutiCtntihfmità' 
CbriJUtnifmi  Turirtpci  ,  lib.  II.  cap.  3 .  8{  4. 

^11  ij  Ci-d.  §.  3.  not.  ij. 

(111)  Ci-d.Liv.  III.  ch.4.§.2.not.  8. 13.  I4. 
Xeyfl.  pag.  14.  I  s-  '«•  74-  Du  Freine  in  Arbsres 
Sttrivi  Tora.  I.  p.  3 17. 

I^it})  Ci-d.  Liv.  UI.  ch.  4.  {.  2.  not,  12^  i). 


(l  14]  Ci-d.  §.  4.  not.  jr. 

(ii5)Tadt.  Ann.  I.  61.  Strabo  IIl.  154.  Le» 
Peuples  qui  avoient  des  Temples  attachoient 
ces  têtes  i  U  porte  du  Temple.  Aiiim.  Marcel, 
lib.  XXII.  e.  8.  p.  315.  Cyrill.  adverl.  Jul.  lib.  4. 
pag.  iz8. 

(r  j«)  Ob  oe  fjftit  ok  jiczciai  avoit  pris  ce 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    II.  113 

des  Peuples ,  &  de  la  multitude  des  facrlfices  qu'ils  ofFroient.  C'eil  ce 
que  Grégoire-le-Grand  appelle  faire  un  fatrifict  facrilége  de  la  tête  des  am- 
i/taux. La  tête  étoit  pour  ainfi  dire  la  portion  de  la  Divinité.  »  Les  AU 
»»lemands»,  dit  Agathias,  (  n?)  »  fervent  des  arbres,  des  eaux  cou- 
n  rantes ,  des  coteaux ,  des  vallées ,  &  leur  offrent  des  chevaux ,  & 
M  d'autres  animaux  auxquels  ils  coupent  la  tête  »,  Le  corps  de  la  Vic- 
time appartenoit  à  celui  qui  faifoit  l'offrande ,  &  fi  la  chair  en  étoit 
bonne  à  manger,  il  en  régaloit  fa  famille  &c  fes,  amis,  dans  le  feftia 
dont  le  facrlfice  étoit  ordinairement  fulvi.  __ 

4**.  Chacun  faifoit  des  préfens ,  félon  fon  pouvoir ,  aux  arbres  confa- 
crés,  &  les  Guerriers ,  en  particulier,  avolent  coutume  de  leur  offrir  une 
partie  du  butin  qu'ils  fàlfoient  fur  l'ennemi.    Ainfi  Jornandès  ,  après 
avoir  dit  (  1 1 8  )   »  que  les  Goths  appalfolent  leur  Mars  par  un  culte 
»  extrêmement  barbare ,  &  qu'ils  lui  ofFroient  pour  viftime  les  prifon- 
»niers  qu'ils  fàlfoient  à  la  guerre  »,  ajoute  (119)  que  «les  mêmes  Goths 
wvouoient  au  Dieu  de  la  guerre  les  prémices  de  leur  butin  ,  &  que 
«pour  l'honorer,  Ils  pendoient  à  des  arbres  les  dépouilles,  c'efl- à-dire , 
«les  armes  de   leurs  ennemis  »  ;  c'eft  ce  que  fignlfîe  proprement  le 
mot  latin  de  Spolia  ou  de  Exuvia,  Il  n'y  avoit  pas  jufqu'aux  ornemens 
militaires ,  dont  les  Celtes  ne  chargeafTent  les  arbres  qui  étoient  l'ob- 
jet de  leur  culte  Religieux.  Ainfi  les  Gaulois,  conduits  par  Ariovlfle, 
avolent  felt  vœu  (12.0)  d'employer  le  butin  qu'ils  ferolent  fur  les  Ro- 
mains, à  un  coller  pour  leur  Dieu  Mars.  Marj  efl  le  Dieu  fuprême  des 
Gaulois ,  le  même  que  Maxime  de  Tyr  appelle  (  m  )  Jupiter  ,  &  dont 
le  fimulacre  étoit  un  grand  chêne.  Cette  coutume  de  -donner  des  coliers 
aux   arbres,   s'étendolt   jufqu'aux   Perfes.  Hérodote  rapporte   (ni) 
que  »Xerxès  traverfani  la  Phrygle,  y  vit  un  Plane  ou  Platane  (*)  qui 


qu'il  dit  du  but  de  cet  ufage  :  «Quand  ils 
»  lui  avoicnt  immolé  des  viftimes  ,  ils  les  pen- 
»  doicnt  aux  arbres  d'alentour  .auxquels,  feloa 
»  leur  croyance,  le  fang  8c  l'attouchement  de 
»  ces  animaux  facrés  communiquoient  une  fain- 
»  teté  ôc  une  vie  prefque  Divine.»  Hiftoice  de 
f  tance  ,  avant  Clovis  p  40. 

(117)  Ci-d.  Liv.  UI.  cb.  4.  $.  2.  net.  i  o. 

(11?)  Jom.  cap.  V.p.  «17. 

(119)  Ibidem. 

(lao;  Floius  II.  4.  Cela  airiva  l'an  de  Ko- 


(lit)  Ci-d.  §.  Il   not.  lo). 

li22JHerodot.  VII.  31.  .Slian.  V.  H.  II.  1+; 

(*)  Le  ?Unt  eft  un  grand  aibie  dont  les  ra- 
meaux s'étendent  au  large  comme  ceux  du 
noyer.  Ses  feuilles  font  grandes  ,  8c  donnent 
beaucoup  d'ombrage.  Le  P/iiiedes  Indes  Otien' 
taies  ôc  Occidentales,  appelle  auttcuient  Muf» 
•  u  le  Bananier,  eft  une  p'ante  dont  les  feuilles 
font  longues  d'environ  4,  5,  ou  8.  pieds,  8c 
larges  de  15  ou  1 8.  pouces:  elles  peuvent  fei- 
vit  de  napes  îc  de  fervjcttcs. 


ai4  HISTOIRE    D  E  S    C  E  L  T  E  S , 

»lui  parut  fi  beau,  qu'il  y  pendit  un  colier  d'or,  &  qu'il  laiffa  encore 
»unde  fes  gardes  auprès  de  l'arbre,  pour  empêcher  qu'on  ne  lui  fît 
«aucun  dommage  »;  c'eft-à-dire  ,  que  cet  arbre  reçut  1  s  mêmes  hon- 
neurs ,  que  l'on  rendoit  aux  arbres  eonfacrés.  Hagemberg  s'efl  donc 
alTurément  trompé  (  113  ),  lorfqu'il  a  prétendu  que  la  coutume  d'atta- 
cher des  rubans  ,  des  bandes ,  &  d'autres  ornemens  aux  arbres  auprès 
defquels  on  imraoloit  les  Viâimcs  ,  vient  originairement  d'Italie,  ôc 
qu'elle  a  paffé  de-là ,  non-feulement  en  Germanie  ,  mais  encore  dans  les 
Gaules  &  en  Angleterre.  Cet  ufage  étoit  anciennement  établi  parmi  tous 
les  Peuples  de  l'Europe,  ôc  ce  n'étoit  pas  de  l'Italie  qu'il  avoit  été 
porté  en  Perfe, 

5'.  Enfin  les  arbres  eonfacrés  étoient  encore  une  efpéce  d'oracles 
oii  l'on  confultoit  la  Divinité  &  où  l'on  recevoit  fes  réponfes.  Les  Cel- 
tes croyolent  (  124  ),  comme  on  l'a  remarqué  ailleurs  ,  que  le  mouve- 
ment des  branches  &C  des  feuilles  d'un  arbre,  le  bruit  qu'elles  font, 
quand  elles  font  agitées  du  vent ,  étoient  des  fignes  &c  des  preftiges 
fort  intelligibles ,  pour  un  homme  verfé  dans  la  fcience  des  Divina- 
tions. En  conféquencç  de  ce  préjugé ,  les  dévots  ,  quand  ils  étoient 
en  prière  devant  un  arbre  confacré ,  faifoient  une  grande  attention  à  ces 
fignes  que  la  Divinité  leur  donnoit  pour  les  Inflruire  de  leur  deftinée. 
Delà  vient  que  les  anciens  Canons  défendent  ,  non-feulement  (iij) 
d'adorer  la  Divinité  devant  des  arbres ,  mais  encore  d'y  faire  des  en- 
chantemens  6c  des  obfervations.  Ces  abus  marchoient  ordinairement  l'un 
à  la  fuite  de  l'autre.  On  adoroit  la  Divinité  que  l'on  croyoit  préfente 
dans  l'arbre.  Enfuite  on  lui  demandoit  quelque  Oracle  ,  ou  quelque 
inerveille  ,  on  faifolt  des  obfervations  &  des  enchantemens  ;  des  ob- 
fervations pour  être  inftruit  de  l'avenir  ;  des  enchantemens  pour  con- 
jurer la  Divinité ,  &  pour  en  obtenir  quelque  çhofe  d'extraordinaire  ; 
en  un  mot,  on  exerçoit  fous  l'arbre  les  deux  arts  qui  faifoient  l'efTentiel 
de  la  Religion  des  Celtes ,  c'efl-à-dire ,  la  Divination  &  la  Magie.  C'efl 
•ce  qui  fait  juger  que  Içs  arbres  confaçrés  n'étoient  pas  feulement,  p^r- 


(113)  Hagemberg.  Germin.  Med.  piff.  VIII. 
S.  29.  pag.  102. 

(124,  Ci-d.  Liv.  III.  eh.  4.  §.  10.  &  1 1. 

(lis)  Leg.  Longob.  ap.  Lifidcnbr.  lib,  II. 
Tic.  38,  Le^.   I.  pà^.  £3|.  Çoncil,  Anùofiod. 


Can.  3.  Du  Frefn.  Gloff".  in  arbores  Sucrivi, 
Tora.l.  327.  Voyez,  aatti  le  Gloflairedc  Linden- 
brog  p.  1557.  Keyflcrp.  71-72.  &  çi-d. l-iV' nj, 
ehap.  ^.  §.  2.  not.  ij^ 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    II.  115 

mi  ces  Peuples ,  des  fymboles  &  des  fimulacres  auxquels  ils  attachaflent 
l'idée  &  le  culte  de  la  Divinité.  Ils  ont  dû  croire  néceffairement  qu'il 
réfidoit  dans  les  arbres  confacrés  ,  quelqu'Efprit  capable  de  donner 
aux  hommes  les  grâces  qu'ils  venoient  lui  demander,  &  de  les  i^-. 
tniire  de  ce  qui  Its  attendoit  dans  l'avenir. 

Savoir  ,  après  cela  ,  fi  l'intelligence  que  l'on  plaçoit  dans  les  ar- 
bres ,  étoit  le  DieuT^w,  l'Efprit  univerfel,  ou  quelque  Divinité  fu- 
balterne ,  c'eft  ce  qu'on  n'oferoit  déterminer  formellement.  Comme  les 
Gaulois  choififfoient  de  grands  arbres ,  pour  être  des  fimulacres  de  leur 
Jupiter,  c'eft-à-dire  ,  du  Dieu  fuprême,  comme  ils  oiFroient  à  ces  ar- 
bres des  viûimes  humaines,  &  d'autres  facrifices  ,  il  y  a  lieu  de  préfu- 
mer  qu'ils  étoient  dans  l'opinion  que  l'ame  du  monde,  unie  naturellement 
à  tous  fes  ouvrages,  fe  manifeftoit  &  fe  communiquoit,  cependant,  d'une 
façon  particulière  aux  hommes ,  dans  les  produûions  dont  le  Genre- 
humain  tiroit  le  plus  d'utilité  ,  comme  l'étoient  les  arbres  &  les  fontai- 
nes, &  que  c'étoit  là ,  par  conféquent,  qu'elle  de  voit  être  principalement 
fervie. 

§.  XX.  Il  ne  fera  pas  inutile  de  remarquer  encore  ici,  que  tout  ce  qui  a 
été  dit  du  culte  que  les  Gaulois  &  les  Germains  rendoient  à  des  arbres  , 
avoit  été  obfervé  de  Ja  même  manière  ,  &  de  toute  ancienneté  en 
Grèce  &  en  Italie.  Les  Grecs  avoient  dans  la  forêt  de  Dodone  (i  16)  ,  un 
Oracle  fort  célèbre,  qui  pafToit  pour  avoir  été  établi  parlesPélafgesfiiy), 
&  quj  étoit  conftamment  (  Î2.8)  le  plus  ancien  de  toute  la  Grèce.  La  Di- 
vinité que  l'on  fervoit  dans  cette  forêt  étoit,  félon  les  uns,  Jupiter  (129). 
Seloh  les  autres,  la  forêt  étoit  confacrée  à  (130)  Jupiter  &c  à  Vénus.  Ce 
n'efl  pas  de  quoi  il  s'agit  ici  ;  &  d'ailleurs ,  cette  différence  peut  fe  con- 
cilier facilement  par  la  remarque  que  l'on  a  faite  ailleurs ,  que  les  anciens 
Habitans  de  l'Europe  ne  féparoient  point  le  culte  du  Dieu  fuprême ,  de 


(i26)^Elle  e'toit  dans  la  Thefprotie  qui,  fé- 
lon Clavier ,  s'appelle  aujourd'hui  Vnjelmi  ,  vis- 
à-vis  de  rile  deCorfou.  Clavier,  introd.p.  39*. 
EUripid.  Phœnifl".  v.  989.  Voyez  ci-d.  not.  132. 
félon  d'autres,  elle  etoitdans  le  Pays  des  Mo- 
loffes,  ou  des  Perhœbiens.  Homer.  Iliad.  II. 
V.  749.  Euftath.  ad  h.  loc.  p.  3  3  5-  Solin.  cap.  7. 
pag.  i«.  cap.  12.  pag.  201.  Les  Thefprotiens  , 
.  les  Moloffes  5c  les  Pethœbiens  e'toient  des  Peu- 
ples de  l'Epiic  qui  occupeient  fucccûivemcat 


le  territoire  de  Bodone.  Voyez  Palmeiii,  Gr«c. 
Antiq.  lib.  2.  cap.  8.  p.  321. 

(127)  Mattian.  Heiacleot.v.  441.  &  f.  Strab. 
L.  VU.  p.  327-  IX.  p.  402.  Voyez  auffi  ci-deff. 
Liv.  I.  ch  9.  p.  125.  &  f. 

(1  2»)  Herodot.  II.  52. 

(129)  Homer.  Iliad.  XVI.  t.  ïj),  Voye» U 
not.  Î17. 
.  (i3o)Voyezci-d.  lanot.  133. 


%i6  HISTOIRE    DES    CELTES, 

celui  de  la  Terre  ,  qu'ils  appelloient  fa  femme ,  &c  qui  eft ,  félon  toutes, 
les  apparences ,  la  Fénus  dont  il  s'agit  ici.  L'Oracle  même  de  Dodone 
étoit  un  (131)  chêne.  Quand  quelqu'un  venoit  confulter  cet  Oracle  , 
iffL  lui  fàifoit  voir  de  loin  l'arbre  (131),  qi  i  fe  remuoit  avec  un  cer- 
tain bruit,  après  quoi,  la  PrêtrefTe  prenoit  la  parole,  &  répondoit  au 
«cm  de  Jupiter.  Il  y  avoit  au  pied  de  l'arbre  (!33)  une  fontaine  ,  par 
le  murmure  de  laquelle  les  Dieux  déclaroient  aulïï  leur  volonté.  Voilà 
une  conformité  bien  marquée  entre  les  Celtes  &  les  premiers  Habitans 
de  la  Grèce.  Le  plus  ancien  Sanûuaire  des  Grecs  étoit  une  forêt.  Il  y 
avoit  au  nj^liçu  de  la  forêt  un  arbre  confacré  ,  qui  étoit  le  fimulacrç  de 
Jupiter,  &  qui,  par  cela  même,  rendoit  des  Oracles. 

On  trouve  dans  le  Scholiafte  d'Ariftophane  une  autre  particularité , 

qui  mérite  d'être  rapportée.  «Les  Laboureurs,  dit-il,  (134)  ont  cou*- 

♦>  tume  ,  e»  Grèce ,  de  clouer  aux  arbres  la  tête  Se  les  membres  de  quel» 

w que  animal-,  ils  croient  prévenir,  par-là,  les  maléfices  dont  on  pour- 

>  roit  fe  fervir  pour  faire  mourir  les  arbres.  Les  Chaffeurs ,  qui  ont  fait 

«quelque  capture,  ont  aulîi  coutume  ,  en  l'honneur  de  Diane  ,  d'at- 

w  tacher  à  quelqu'arbre  de  la  forêt,  où  ils  ont  chaffé,  la  tête  ou  un 

»  pied  de  l'animal  qu'ils  ont  tué.  »  On  voyoit  la  même  chofe  dans  toute 

•^a  Celtique  ,  &  il  paroît  fort  vraifemble  que  ces  dilFérens  ufages  ti- 

Toient  leur  origine  du  culte  que  les  anciens  Habitans  de  l'Europe  rea 

doient  aux  arbres. 

Temples  &      On  a  promis  de  dire  auffi  un  mot  concernant  la  Religion  de  ritalie. 

d'ei  anciens    Lcs  Aborigines ,  qui  étoient  les  maîtres  du  Pays  Latin,  avant  que  le$ 

Peuples  de  n.pgj.^gj  y  euffent  envoyé  des  Colonies ,  faifoient  leurs  Affemblées  Re- 

-ligieufes  fous  des  arbres  qu'ils  confacroient  à  leurs  (135)  Dieux,  &ils 

^pendoient  à  ces  arbres  les  dépouilles  de  leurs  ennemis.  «  C'étoient-là  au- 

^Mtrefbis,  dit  Pline  (136)  ,  les  Temples  des  Dieux ,  &  les  gens  de  la  cam- 

»  pagne,  qui  ont  confervé  plus  long-tems  l'ancienne  fimplicité,  confa* 

M  crent  ,  encore   aujourd'hui  ,  à  la  Divinité  de  grands  6f  beaux  ar^» 


(  U I  )  Hormei.  Odyff.  XIV.  v.  3  2  7.  XIX,  v.  »  9  «  ■ 
Virgil.  Georg.  II.  v.  i«.  Seivius  ad  h.  1.  f.  100. 
idem  ad  Geotg.  ).  v.  S.  p.  61.  Stephan.  de  Uib. 
pag.  510. 

(  1 3  z)  Suidas  in  Otioni.  Euft,  ad,  Iliad.  II.  ï$  o. 


(134)  Schol.  Ariftoph.flat.  p,  34.  Col.  s. 

(13  s)  Liyius,  lib.  I.  cap.  10.  Virgil  £neid.X. 
V.  423.  Sciviusad  h.  I.  p.  617.  Lusan.  lib.  I. 
V.  I3<. 

(13<)  Plin.  lib.  XII,  cap.  i.  Virgile  dit  à-pe<)- 


pag.  33  J.  pt"  la  même  ehoCc,  Georg.  lib.  jir,  v.  jja. 

(i  ^ 3;  Seirilu  ad  igneid.  lll.  y.  4«<.  [  {cIyi^s  ad  h.  1. 

»»i>res.i» 


LIVRE    IV.    CHAPITRE     H.  117 

»>  bres.  »  Feflus  remarque  auffi  (157)  que  le  nom  de  Fagutal ,  que  portoit 
une  Chapelle  de  Jupiter  ,  tlroit  Ibn  origine  de  ce  qu'il  y  avoit  eu  ancien- 
nement, à  la  même  place-,  wn  hêtre  confacré  à  ce  Dieu.  Il  y  a  bien  de 
l'apparence  que  l'arbre  de  la  forêt  d'Aricie ,  dont  on  a  parlé  ailleurs 
(i  j8),  &  auquel  il  étoit  défendu  de  toucher,  étoit  aufli  le  fimulacre  de 
la  DéeflTe.  Le  culte  extérieur  des  Peuples  Sarmates  ne  dilféroit  point, 
fur  cet  article ,  de  celui  des  Celtes.  Au  moins,  Helmoldus  (139)  témoi- 
gne avoir  vu  dans  le  Pays  des  Sclaves,  de  vieux  chênes  qui  étoient 
confacrés  au  Dieu  Provcn.  On  trouve  même,  encore  aujourd'hui,  dans 
les  vafles  Contrées  de  la  Mofcovie ,  divers  Peuples  Scythes  qui  confer- 
vent  le  même  culte.  «Les  Czérémiffes  du  Royaume  de  Cafan  (140), 
»  dit  Stralemberg ,  tiennent  leurs  Affcmblées  Religieufes  fous  un  arbre  , 
»  &  pendent  à  c?t  arbre  la  peau  &  la  carcaffe  des  vidinies  qu'ils  ont  of- 
«fertes.  Les  Jakutes  ,  qui  font  un  Peuple  ds  la  Sibérie  (  141  ),  font 
»  auiïi  leurs  dévotions  autour  d'un  grand  arbre  ,  &  y  pendent  la  tête 
»des  chevaux  &  des  bœufs  qu'ils  ont  immolés,  avec  toute  forte  de 
»  bagatelles  de  fer  &  de  cuivre.'  » 

§.  XXI.  Quand  un  arbre  confacré  mouroit,  ou  de  vieillelTe,  ou  de  quel- 
qu'accident  ,  il  ne  perdoit  pas  pour  cela  le  privilège  d'être  le  fy  mbole  de 
la  Divinité.  On  en  ôtoit  l'écorce  ,  on  le  tailloir  en  pyramide  ou  en  co- 
lonne ,  afin  qu'il  durât  plus  long-tems ,  &  on  lui  rendoit ,  fous  cette  [;,'i,''nts''"o^r 
nouvelle  forme,  les  mêmes  honneurs  Qu'auparavant.    Ainfi  le   Moine  =  ,=  }' ,^5""' 
Vitikind  rapporte  «que  ('141)  les  Saxons   rendoient   un  culte  reli-  viuité. 
M  gieux  à  des  colonnes ,   qui  étoient  l'effigie  de    leur  Mars.  >»  Ils  fer- 
»  voient,  dit  Adam  de  Brème  (143),  un  tronc  d'arbre,  extrêmement 
«haut,  qu'ils  appelloient  en  leur  Langue  Irmmjul  ,   &  qui  figftifîe , 
»>  en  Latin ,  la  colonne  univerfelle.  »  Selon  Valérius  Plaçais  ,  les  Co" 
ralies.  Peuple  Scythe ,  ou  Thrace  ,  (144)  avoient  pour  funulacres  de 
Jupiter  de  grandes  colonnes.  La  même  chofe  fe  pratiquolt  aufli  en  Grè- 
ce, oit  les  plus  anciennes  ftatues  (145)  d'Appollon,  de  (146)  Junon, 


Quard  lis 
Aibrfs  cor.fa 
çtcs  niouio!- 
e.it ,  les  Cel- 
tes en    fai- 


(137)  Pomp.  Feftus  Pauli  Diac.  p.  i8«. 
(i3  8)Ci-d.LiT.  III.  ch.  8.  §.  lo.  not.«j.& 
Lit.  II-  ch.  il. p.  ztj.not.  78. 

(139)  Hclmold.  cap.  84.  p.  i8z. 

(140)  Stralemberg  ,  p.  341Î-4.IS. 

(l4l)Ibid.  p.  37«'  ,,  , 

(142;  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  7.  §.  I.  not.'lt.  '    .^ 
(143)  Ci-d.  Liv.  III.  ch,  7.  §.  I.  not.  II. 

Ttmc  II, 


(144)  Valerius  FUccus,  lib.  vi.  v.  89. 

(14s)  Cleni.  Alex.  Strom.  lib.I.  p.419.  On 
a  remarque  ailleurs  que  cet  Oracle  avoit  été 
fonde'  par  les  Hjfpcrbotce^s.  Paufan.  Phocic.  V. 
pag.  809. 

(146  Clem.  Alex.  Strom.  lib.  I.  p,  41»,  Voj, 
Scaligcr  not.  ad  Eufcb.  Chron.  p.  24. 

Ee 


iiS  HISTOIRE    DES    CELTES; 

de  (147)  Cérès  &  de  (148)  Pallas  ,  étoient  des  colonnes.  Il  y  a  lieu  de 
croire  que  les  dévots  emportoient  dans  leurs  maifons ,  les  branches  qui 
tomboient  des  arbres  confacrés,  &  qu'ils  en  faifoient  l'objet  de  leur 
culte  religieux ,  quand  une  maladie,  ou  quelqu'autre  obftacle  les  empê- 
choient  d'aller  faire  leurs  prières  au  pied  de  l'arbre  même.  On  ne  peut 
guères  expliquer  autrement  ce  qui  eft  rapporté  (149)  >  que  les  Cariens 
fervoient  en  la  place  de  Diane  une  pièce  de  bois,  qui  n'étoit  pas  môme 
polie,  &  (150)  q"e  les  Romains  vénéroient,  comme  une  Divinité, 
un  gros  t)âton  dont  on  avoit  ôté  l'écorce.  Les  branches  du  bois  facré 
,  .  étoient  des  efpèces  de  Reliques  auxquelles  on  attribuoit  la  même  vertu 

qu'au  corps  &  au  tronc  de  l'arbre  dont  elles  avoient  été  détachées  ;  de 
la  même  manière  que  les  Catholiques  Romains  vénèrent,  non -feule- 
ment divers  membres  du  corps  d'un  Saint ,  mais  encore  fes  cheveux,  fes 
habits ,  &c.  en  un  mot ,  tout  ce  qu'ils  croient  lui  avoir  appartenu ,  &  tout 
ce  qui  a  touché  à  fon  corps. .... 
les  ceifcs       §.  XXII.  Il  paroît,  partout  ce  qui  vient  d'être  dit,  que  les  Peuples 
qiie'Tois'uL  Celtes  ,   qui   avoient  une  demeure  fixe  ,   choififToient  ordinairement 
symbo^rde'*"  ^uelquc  bel  arbre ,  pour  être  le  fimulacre  du  Dieu  qu'ils  âdoroient , 
u Divinité,    g^  pour  en  faire,  conféquemment ,  l'objet  fenfible  de  leur  culte.  On 
trouve,  cependant,  que  quelques-uns  de  ces  Peuples  plaçoient,  au  mi- 
lieu de  leurs  Sanftuaires,  un  caillou,  ou  quelque  groffe  pierre  ,  qui  n'eût 
point  été  travaillée ,  autour  de  laquelle  ils  alloient  faire  l'exercice  de 
leur  Religion.  On  a  vu  ailleurs  (151)  que  les  Celtes,  pour  empêcher  qu'on 
ne  remuât  la  terre  des  lieux  confacrés ,  y  portoient  un  grand  nombre 
de  groffes  pierres.  Mais  ceux  dont  il  s'agit  ici ,  avoient,  outre  cela ,  une 
pierre  qui  portoit  le  nom  de  la  Divinité  dont  elle  étoit  le  fymbole ,  ôc 
dont  elle  recevoit  les  honneurs.  En  Phrygie  (iji),  le  fimulacre  de  la 
Mère  des  Dieux  étoit  une  pierre  qui ,  dans  une  certaine  faifon  de  l'année  , 
étoit  promenée  en  pompe  par  tout  le  Pays.  Sur  le  Mont  Ida,  où  la-même 
Déeffe  avoit  un  Sanûuaire  fort  célèbre ,  l'objet  du  culte  étoit  un  cail- 
lou confacré  ,  que  l'on  voyoit  au  pied  d'un  grand  chêne  : 


{147)  TerfuUian.  Apologet.  p.  17. 
(  1 48)  Voyti.  là  note  précédente. 

(149)  Atnobias,  lib.  vi.  p.  157. 

(150)  Sext.  Pomp.  P.  Diac.  p.  27».  Servîus 
•d  ffineid.  IV.  s  5.  On  peut ,  peut-être  ,  rappor- 
tei  ici  la  rapeiftiiion  que  le  Code  Theodoiien 


condamne  fous  le  nom  de  Dendropheri ,  Leg.  20. 
dePaganis.  V.  Du  Frefne  ,  GloflT.  Tom.  II.  p.  «i. 

(i  51)  Ci-d.  §.  2,  notes  20.  a  t.  &  Livré  HI. 
ch.  t.  §.  13.  ch.  14.  §.  8.  not.  «s. 

(i$2)  Ci-d.  Liv,  III.  cb.  <.  $.  ;•  not.  1$.  te 
fuir. 


LIVRE     IV.    CHAPITRE    II.  119 

Religiofa  Silex,  deiifïs  quam  Pinus  ol  uinbrat 
FronJibus  (i  s  3J. 

Appollonius  rapporte  dans  fes  Argonautiqiies  (154),  qu'il  y  avoit 
dans  une  île  voifine  du  Pays  de  Chofyniens  un  Temple ,  &  dans  le  Tem- 
ple une  pierre  noire ,  auprès  de  laquelle  les  Amazones  alloient  faire 
leurs  prières,  &  offrir  leurs  facrifices.  On  ne  peut  pas  douter  que  ce 
ne  foit  là  auffi  le  (155)  Jupiter  Lapis  des  Peuples  Scythes  de  l'Afle-mi- 
neure  ,  que  l'on  voit  fur  plufieurs  anciennes  Médailles. 

Au  refle  ,  ce  culte  n'étoit  pas  particulier  aux  Scythes  qui  avoient 
pafle  en  Afie.  Il  avoit  été  établi  dans  toute  la  Grèce  (i  56),  «  où  l'on  ren- 
»  doit  anciennement  les  honneurs  divins ,  non  pas  à  des  Idoles ,  mais 
»  à  des  pierres  brutes.  »  Les  Canons  qu'on  a  eu  occafion  de  citer  ailleurs , 
ôt  qui  défendent  (157)  d'adorer  des  pierres,  prouvent  même  que  cette 
forte  d'idolâtrie  étoit  reçue  dans  une  grande  partie  de  l'Occident. 

On  ne  fait  fi  les  fymboles  auxquels  les  anciens  Habitans  de  l'Europe  pabiefuru 
attachoient  l'idée  &  le  culte  de  la  Dinité ,  ne  feroit  pas  l'origine  de  la  Fa-  ^;,'^^°°  "^^ 
ble  qui  porte  (158)  que  le  Genre  humain  a  été  formé  (ex  /pvav  x.a.\  itr^oùv) 
de  chênes  &  de  pierres.  Les  nouveaux  Grecs  débitoient  des  fables  ridicules 
fur  la  formation  de  l'homme.  Les  Pélafgés  ,  qui  fe  moquoient  de  ces 
fables  ,  difoient  que  le  Créateur  de  l'homme  étoit  le  Dieu  des  chênes  & 
des  pierres^  c'eft-à-dire ,  le  Dieu  Teut ,  l'Être  fuprême  qui  étoit  adoré 
dans  ces  fimulacres.  Peut-être  que  les  partifans  de  la  nouvelle  Religion, 
pour  donner  à  leur  tour  du  ridicule  aux  Pélafgés ,  les  accufoient  d'en- 
feigner  que  l'homme  étoit  né  d'une  pierre  ou  d'un  chêne.  C'eft  une- 
conjeûure  qu'on  ne  voudroit ,  cependant ,  pas  garantir  :  on  l'abandonne 
de  bon  cœur  aux  Lefteurs  ,  pour  la  recevoir,  bu  poiir  la  rejetter, 
comme  ils  le  jugeront  à  propos. 

§.  XXIII.  L'on  croit  pouvoir  conclure  préfentement  que  les  fimulacres  ^es  Romain» 
qui  repréfentent  la  Divinité  fous  la  forme  de  l'homme ,  ou  de  quelque  "j°"/i',^£,'i*' 
anijnal,  n'appartiennent  pas  proprement  à  la  Religion  des  Peuples  Cel-  ""«>  ^°^^  '» 


(153)  Claudian.  de  Rapt.  Prof.  lib.  I.  v.  114. 

(1  54)  Apollon.  Argon,  lib.  II.  ïs«. 

(i$s)  Science  des  Médailles  ,  p.  x»4. 

(15«)  Paufan.  VII.  579. 

<lî7)  Ci  d.  Liv.  III.  ch.  4.  Ç.  i.  not.  t.  13. 
&  14.  Can.  20.  Concil.  Nannet.  apud  Labbeum 
Tom.  IX.  p.  474.  &  f.  Vojiz.  d'autres  Csuions.dans 
KeyAct ,  Antiq.  Sept.  p.  13-1  f. 

^tjs)  EuAath.  ad  Iliad.  I,  ]p.  24.  Etymolo* 


gicon  magnum  in  voce  TsAsK^aroir  pag.  (S47. 
Virgil.  Eneïd.  VIII.  v.  315.  Juvenal.  Satyr.  S. 
Euftathc  ad  Iliad.  XVII.  V.  ii6.  p.  ii«2.  don- 
ne, cependant  ,  une  autre  raifon  de  cette  Fable. 
Il  dit  «que,  comm«  les  Anciens  expofoient  les 
»  nouveaux  nés  dans  des  chênes  Se  dans  des  piei- 
»res  cave'cs  ,  ceux  qui  trouvèrent  des  cnfansainfî 
»  expoféî,  publièrent  que  les  hommes  e'tpicnt 
«produits  pai  les  chênes,  &  par  les  pierres.» 

£e  X 


iio  HISTOIRE    DES    CELTES, 

l'homme,  tcs.  Par-tout  oii  l'on  eji  trouve  ,  l'ancienne  Religion  étoit  déjà  alté- 
mi^deNu-  rée  &  corrompue  par  des  fuperftitions  étrangères.  Quelques  exemples  • 
uL  ""^'  rendront  la  chofe  plus  fenfible.  Numa  Pompilius ,  qui  étoit  (159)  Sa- 
bin  d'origine ,  &  qui  demeura  toujours  attaché  à  la  Religion  de  fes 
Pères  ,  avoit  défendu  aux  Romains  (160)  de  faire  des  images  de  la  Divi- 
nité, &  de  lui  attribuer  la  forme  de  l'homme,  ou  des  aninnux.  «Il 
»  croyoit ,  dit  Plutarque  (161),  que  des  chofes  baffes  &  viles  ne  font  pas 
»  propres  pour  en  repréfenter  d'autres  plus  excellentes ,  &  que  la  Di- 
«vinité  ne  peut  même  être  conçue  autrement  que  de  la  penfée.»  Cette 
Loi  demeura  dans  toute  fa  force,  jufqu'à  l'an  1 70  de  Rome  (: 6x) ,  &  on 
ne  voyoit  ni  image ,  ni  ftatue  dans  les  Temples  &  dans  les.  Chapelles 
qui  avoient  été  bâties  avant  ce  (163)  tems-là. 

Ce  ne  fut  qu'après  l'année  dont  on  vient  de  parler ,  que  Tarquin 

l'ancien  (164),  qui  étoit  Grec  d'origine  ,  Si  qui  avoit  été  élevé  en  Hé- 

trurie  (165),  inonda  la  ville  d'Idoles  &  de  fuperftitions  étrangères.  On 

croit  même  entrevoir  que  ce'changement  avoit  fouffert  de  grandes  & 

longues  oppofuions ,   puifque  Tarquin  ne  vint  à  bout  d'introduire  à 

Rome  le  culte  des  Grecs,  que  l'an  170,  qui  étoit  la  trente-deuxième 

de  Ion  régne,  dont  le  commencement  tombe  (166)  fur  l'an  138. 

les  Pcrfcs        Les  Perfes  n'avoient   anciennement  ni  Images  (167),  ni  Statues, 

"mages,  ni    ni  Autels;  ils  en  condamnoient  même  l'ufage  ,  par  les  raifons  que  l'on 

Au'tcU  jur-'    ^  expofées  (i6S)  ailleurs.  Artaxercès  Mnemon  qui  commença  à  régner 

d-AruxS  ^^^^  ^^  ^"  ^^  ^^  XCIII  Olympiade  ,  fut  le  premier  qui  introduifit,  parmi 

Macmon.       les  Perfes,  des  fimulacres  qui  avoient  la  forme  de  l'homme  (  169  )  :  il  fit 

placer  ,  en  divers  endroits  de  fes  Etats ,  des  Statues  de  la  Fénus-Anaïtis, 

Jules-Céfar  dit  (170)  que  les  Gaulois  fervoient  principalement  Mercure ^ 


(159)  Voyei.  ci-d."Liv-   I.  ch.  lo.  p.  «4.    & 
fuiv.  J,iv.  III.  ch.  8.  §.  10.  not.  108. 

(160)  Clem.  Alex.  Strom.  lib.  I.  ^ap.  15. 

fag-  3  5«-  '  ' 

(i«i)  Platârch.  in  Num.  Tom.  I.  p.  «j. 
(iSî)  Vejexa  la  note  précédente.  Auguft.  de 
Civic,  Dei  lib.  iv.  cap.  3  1.  p.  %S9- 

(i«3)  Voy.  la  not.  161.  Ovid.  Faft.  VI.  v.  Z9<. 
Numa  Pompilius    avoit   fondé   le   Temple  de 
Vefta.  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  10   §.  i.  not.  8. 
(164)  Strabo  V.  219.  VIII.  378. 
{i«S)  Tertull.  Apol.  p.  27.  zS.  Vcyet.  fut  ce 


yaflage  de  TeiulUcn  VolT.  de  Idol,  Gentil,  l      (170J  Csfai  YI.  17. 


■ « 

lib.  IX.  cap.  s.  p.  213. 

{166)  Dionyf.  Halic.  lib,  xii.  p.  184.  C'eit 
l'an  de  Rome  138.  Solin.  cap.  2.  p.  153.  Petav. 
Rat.  Temp.  lib.  II.  pag.  S4.Eiifebe  met  le  com- 
mencement du  règne  de  Turquin  l'ancien  à 
l'an  de  Rome  134.  Can.  p.  159. 

(167)  Herodot.  I.  13  i-  StraboXV. 731.  Diog, 
Laert-  p.  s  •  Se  fui». 

(l«8)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  4.  §.  9. 

(iSs)  Clem.  Alex.  Coh.  ad  gent.  p.  57.  Il  y 
a  dans  le  Grec  tv  Aapsi'ii»  7?  mnw  ,  qu'il  faut 
I  traduire  Dirii  Ochi  filio. 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    II.  m 

que  c'étoit  celui  de  tous  les  Dieux  dont  on  voyoit  le  plus  de  fimulacres 
dans  les  Gaules.   L'on  a  montré  que  cq  Mercure  (^ij \)  eft  le  Teutat,\& 
Dieu  fuprême  des  Gaulois.  Maxime  de  Tyr  qui  l'appelle  Jupiter,  nous 
avertit  (lyi)  que  fes  fimulacres  étoient  de  grands  chênes.  L'un  de  ces 
paflages  explique  l'autre ,  &  fait  voir  que  Jules-Céfar  a  pris  ici  le  mot 
de  Simulacre  dans  un  fens  général  &  impropre.   On  n'ignore  pas  que 
Lucain  (173)  ,  parlant  de  ce  bocage  facré  que  les  Gaulois  avoientdans 
le  voifinage  de  Marfeille,  fait  mention  de  quelques  fimulacres  qu'on 
y  trouva  ,  &  qui  n'étoient  pas  les  arbres  mêmes.  «On  voyoit ,  dit-il,' 
»  fur  des  troncs  d'arbres ,  les  trifles  fimulacres  des  Dieux.  »  Il  ne  feroit 
pas  furprenant  que  les  Gaulois  étant  aux  portes  de  Marfeille,  euflent 
adopté  qiielques-unes  des  fuperftitlons  des  Grecs,  &  particulièrement 
celle  de  repréfenter  &  de  fervir  les  Dieux  fous  la  forme  de  l'homme. 
Mais  Lucain  remarque  expreffément  «  que  les  fimulacres  étoient  faits  fans 
»art,  qu'ils  n'avoient  aucune  forme,  &  que  la  terreur  qu'ils  donnèrent 
»  au  Soldat  Romain  ,  fut  d'autant  plus  grande  qu'il  n'avoit  jamais  vu 
«des  Dieux  d'une  femblable  figure  (174)  :  »  ^'^^''^  • 

.  .  .  .  SimuUctaque  moefta  Deoium  , 
Arte  carent ,  cifis  exftant  informia  truncis. 
Ipfc  (îtus,  putrique  facit  jam  robore  pallor, 
Attonitos  :  non  vulgatis  Sacrata  figuris, 
Namina  fie  metuunt  ;  tantum  terroribus  addit, 
Quos  timeant  non  iiolTc  Deos 

Ce  n'eft  donc  (175)  que  depuis  le  tems  de  Lucain,  que  les  Images  &  les    u%  cauioU 
Statues  commencèrent  à  s'introduire  dans  les  Gaules.  Elles  furent  adop-  ?'  ''""l  **" 

r     Images  8c 

tées  beaucoup  plus  tard  dans  l'Allemagne,  puifque,  du  tems  de  Tacite  ■'^rig"=-T: 
(176) ,  c'étoit,  félon  les  Germains,  dégrader  la  majefté  des  Dieux  ce-  qie  depuis  u 
»leftes,  que  de  les  emprifonner  dans  des  Temples,  &  de  les  repréfenter  cain-, lescet- 
»fous  une  figure  humaine.   Ils  n'avoient  point  d'autres  Temples  que  pLurTici». 
»les  bois  &  les  forêts  ,  qu'ils  confacroient  à    leurs  Divinités  qu'ils 
wadoroient  en  efprit,  fans  ofer  porter  les  yeux  fur  les  retraites  pro- 

(171)  Ci-/.  Liv.  ni.  ch.  «.  j  dole  de  Cern-tnus ,  ci-dcff.  Liï.  III.  ch.  5.  §.  itf. 

net.  zoz.  IC3.  à  l'Image  d'Hercule  O^mim ,  ci- 


(«7lOCi-d.  §.  i«.  not.  103,  8c  Liv.  III.  c'i.  +. 
§.  5.  not.  13. 

(173'  Ci-d.  §.  4.  not.  31. 

(174)  Lucanus  lib.  m.  r.  41  z.  &  feq, 

^17  s)  XI  faut  appliquer  cette  leflexion  aux 
Images  &  aux  Statues  dont  il  eft  fait  mention 
iiai  l'Hiftoiie  ia  Gaules,  pat  exemple,  à  l'I. 


deflus ,  Liv.  III.  ciiap.  14.  J.  s.  &  en  gene'ral  à 
toutes  les  Statues  <jue  l'ou  a  déterrées  &  que 
l'on  de'terte  encore  tous  les  jours  en  France. 

(17Ô)  Tacit.   Geim.  cap.  9.  ci-deflT.  Liv.  III, 
ch.  i.  5.  2.  not.  t. 


Réponfe  à 
jeéUons, 


iiz  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  fondes  où  elles  habitoient  particulièrement.»  Si  le  même  Hiftorien 
ne  laifle  pas  de  faire  mention,  quelques  lignes  auparavant,  d'un  fimu- 
lacre  diljîs  ,  que  l'on  voy oit  dans  le  Pays  des  Sucves ,  il  avertit ,  en  même 
tems ,  «que  cefimulacre,  (  dont  on  a  dit  ailleurs  (  177)  ce  qu'on  en 
»penfoit'),  avoit  la  forme  d'un  vaiff.^au  Liburnien  (*)•  » 
:,  §.  XXIV.  Il  faut  avouer,  cependant ,  que  l'on  trouve  dans  les  An- 
ciens quelques  partages ,  qui  femblent  détruire  le  fentiment  que  l'on 
vient  d'établir,  &  qui  attribuent  aux  Celtes  des  Idoles  parfaitement  fem- 
blables  à  celles  des  Grecs  &  des  Romains.  Il  eft  jufte  de  rapporter  ôc  d'é- 
«laircir  en  deux  mots  ces  paffages. 

Clément  d'Alexandrie  remarque  ,  après  un  Auteur  plus  ancien  (178), 
«  que  les  Idoles  des  Thraces  avoient  les  yeux  bleus  &  les  cheveux 
»»  blonds,  au  lieu  que  celles  des  Maures  étoient  noires  &  camues.»  Voi- 
là ,  dit-on  ,  les  Dieux  des  Thraces  repréfentés  fous  la  figure  de  l'hom- 
me !  On  ne  difconvient  pas  du  fait.  Les  Thraces ,  peu  éloignés  de  la 
Grèce  &  de  l'Afie ,  reçurent  d'affez  bonne  heure  de  leurs  voifms ,  les 
Idoles ,  auffi-bien  que  la  Polygamie.  Mais  ils  s'étoient  écartés  fur  ces  deux 
articles  de  la  pratique  des  autres  Celtes,  &  pendant  un  tems,  des  Peu- 
ples Thraces  (  179)  avoient  eu  pour  fimulacres  de  Jupiter ,  de  grandes  co- 
lonnes ,  &  pour  fimulacres  du  Soleil  (180),  un  petit  difque  attaché  à 
une  longue  perche. 

Macrobe  rapporte  que  les  Accitains ,  qui  étoient  un  Peuple  de  l'Ef- 
pagne  (181)  ,  avoient  un  fimulaçre  de  Mars  ,  pîi  ce  Dieu  çtoit  repré- 


(177)  Ci-d.  Liy.  III.  ch.  I6.  §.  5. 

(*)  M.  l'Abbé  de  U  Bletterle  cpnjeflute  , 
fur  cçt  endroit  de  Tacite,  que  «les  Suèves  re- 
»  gardoienc  apparemment  comme  une  Dcefle  la 
w  Divinité' qu'ils  honotoient  fous  la  forme  d'un 
»>  vaifTeau.  Ifis  paflbit  pour  être  l'inventrice  de 
,>).la, navigation  :  c'atoit  la  Patrone  des  Niviga- 
n'teurs.  En  falloit-il  davantage ,  conclut  M. 
•pT-AbUe'  de  laBletterie,  pour  faire  dire  aux 
»  Romains  que  les  Suèves  adoroient  Ifisî»  Je 
.fuis  perfuade'  avec  M.  Pelloutier  (  Liv.  III. 
th.  XVI.  §.  s.  )  que  les  Suèves  n'adoroient  point 
de  Divinité  fous  U  forme  d'un  vaifTeau.  Celui 
que  Tacite  prit  pour  le  Simulacre  d'Ifis  étoit 
quelque  prife  faite  fur  les  ennemis  des  Suèves: 
oK  l'avoir  apporté  dans  un  Sanftuaire  du  Dieu 
de  la  Viftoire.pour  y  être  un  monument  perpér 
mcl  de  la  défaite  des  ennemis  de  la  Natioii 


Suévique.  Tacite  fugea  donc  de  la  Religion 
des  Germains  par  celle  des  Egyptiens  ,  au  mi- 
lieu defquels  le  valffeau  étoit  le  Symbole  d'Ifis. 
Auffi  l'Hiftorien  Romain  avoue-t-il  qu'iJ  n'trien 
fm  découvrir  ,  chei  les  Suèves ,  fur  la  cnufi  éf 
^ùrigint  de  ci  culte  étranger.  Il  ajoute  immédiate- 
ment après  ,  que  les  Germains  n'avoietii  ni  Simu- 
lacre ,  ni  objet  fenfhie  fie  leur  Religion  ,  qu'ils  don~ 
tfoient  le  nom  des  Divinités  mêmes  aux  Forets  cenftL^ 
cre'ef  à  leur  honneur  ,  &  qu'ils  les  adoroient  en  efprù  , 
fans  tfer  porter  les  yeux  fur  Iturt  retraites  frofondci. 
Note  de  l'Editeur. 

(178)  Clem.  AJejc.  Sttom.  lib.  vu,  cap.  4. 
pag.  84I. 

(179)  Çi-d.  §,  2j.  not.  I44. 

(lîo)  ci-d,  Liv.  III.  ch   4.  §.  J.  not.  ï3. 
(j8i)  Çi-d.Liv.  in.  c(i.  7.  §.  I.  not.  î^ 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    II.  213 

^enté  ,  ayant  la  tête  environnée  de  rayons.  Mais ,  comme  les  Accitains 
étoient  établis  clans  l'une  des  Provinces  Maritimes  de  l'Efpagne  ,  & 
peu  éloignés  de  Carthagêne  ,  on  ne  doit  pas  douter  qu'ils  n'euffent  reçu 
des  Carthaginois  un  fimulacre  qui ,  félon  les  apparences ,  repréfentoit  le 
Soleil  (182),  le  grand  Dieu  des  Phéniciens,  plutôt  que  Mars. 

On  trouve  dans  Hérodote  (183),  que,  lorfqu'un  Chef  de  famille  mou- 
roit  parmi  les  Scythes ,  appelles  Iffedons  ,  les  enfans  qu'il  laiffoit  après 
lui,  décharnoient  le  crâne  de  leur  père,  le  faifoient  enchafler  dans  de 
l'or,  après  quoi  ce  crâne  devenoit  un  fimulacre  domeftique,  auquel  la 
famille  du  défunt  offroit  des  facrifices  annuels,  &  qu'elle  vénéroit  encore 
par  d'autres  cérémonies.  L'on  a  indiqué  ailleurs  ce  qui  peut  avoir 
donné  lieu  à  cette  méprife  de  l'Hiftorien  Grec.  Les  Peuples  Scythes  & 
Celtes  confervoient  précieufement  les  crânes ,  les  uns  de  leurs  parens  , 
les  autres  de  leurs  ennemis.  Ils  expofoient  ces  crânes  dans  les  lieux 
confacrés,  ils  y  buvoient  dans  les  grandes  folemnités,  &  fur-tout  pen- 
dant l'Affembîée  générale,  qui  fe  tenoit  tous  les  ans  ,  au  milieu  de  cha- 
que Peuple.  Voilà  l'origine  d'un  conte  qu'il  n'eft  pas  poffible  d'accor- 
der, ni  avec  la  Religion  des  Scythes,  qui  ne  connoiflbient  point  le  culte  " 
des  morts ,  ni  avec  ce  qu'Hérodote  lui-même  dit  ailleurs  des  Scythes  en 
général  (185),  qu'ils  ne confacrolent  des  Simulacres,  des  Temples  &  de« 
Autels  qu'à  Mars ,  &  que  le  fimulacre  de  ce  Dieu  étoit ,  parmi  eux , 
une  épée.  Peut-être  auffi  qu'Hérodote  n'a  pas  mieux  connu  les  Iffedons 
(186),  que  les  Arimafpes  &C  les  Griffons  ,  qu'il  leur  donne  pour  voifins. 

L'Auteur  de  /a  Religion  des  Gaulois  dit  (187)  «  que  les  anciens  Gau-     Ertoiir  de 
.  »lois  faifoient  un  Dieu  d'un  Taureau  d'Airain  fur  lequel  ils  juroient,  ^'itengien^'da 
»  &  que  c'eft-là  le  veau  d'or  tout  pur  des  Ifraëlites.  »  Si  le  fait  étoit  '''"''»"• 
certain ,  il  faudroit  en  conclure  que  les  Gaulois  repréfentoient  la  Divi- 
nité ,  non-feulement  fous  la  forme  de  l'homme  ,  mais  encore  fous  la 
figure  des  animaux.   Mais  ,  affurément  ,   cet  Auteur  s'eff  trompé ,  ou 
plutôt  il  a  fuivi  trop  légèrement  une  penfée  qui  étoit  venue  à  M.  Eccard, 
&  qu'il  a  communiquée  au  Public  dans  la  Préface  (188)  qu'il  a  mife  à 
la  tête  des  CoUectanea  de  M.  Leibnitz.  Pour  ne  pas  renvoyer  le  Leâeur 

m  ■  '  ■ 

(i8i' Ci-d.  Liv.  m.  ch.  12.  §.  z.  j       (i  8S)  Herodot.  IV.  17. 

(183)  Heiodot.  IV.  l$.Ci-d.  Liv.  II.  chap.  3.  I       (i>7)   Kelig.  des  Gaulois ,  Liv.  I.  pag.   55. 
|iag.  54.  not.  (3.  1  Liv.  III.  p.  7'. 

(iSj)  Ci  d.  §.  ii.note  l|.  I      (t<8}Fisfac.  ad  ColleAan.  Leibnitz,  p.  24, 


214  H  I  s  T  O  I  R  E    D  E  s    CELTES, 

à  la  Bibliothèque  Gertnanïqiu  (i§9),  où  la  conjefture  de  ces  deux  Savans  eft 
djfcutée,  on  va  expofer  les  raifons  qui  doivent  empêcher  d'y  acquiefcer. 
Tout  ce  qu'on  a  dit  de  ce  Taureau  d'airain  eft  fondé  fur  un  paffage 
de  Plutarque,  qui  dit,  dans  la  vie  de  Marius  (  190) ,  «  que  les  Cimbres 
»  ayant  attaqué  &  emporté  un  Fort ,  qui  étoit  fur  le  bord  de  l'Adige ,  ad- 
»  mirèrent  la  bravoure  avec  laquelle  les  Soldats  Romains  l'avoient  dé- 
»  fendu  ,  &  qu'ils  renvoyèrent  ces  Soldats  fur  leur  parole ,  après  leur 
«avoir   fait  prêter  ferment  fur  le  Taureau  d'airain,  qui  ayant  été  pris 
»  enfuite  fur  les  Cimbres ,  fut  porté  dans  la  maifon  de  Catulus.  » 
u  Taureau      On  a  conclu  delà  que  non-feulement  les  Cimbres  ,  mais  encore  les 
anciiis  G.iu    Gaulois ,  &  tous  Ics  Pcuples  Celtes  en  général ,  faifoient  un  Dieu  d'ua 
point unUicf.  Tauteau  d'airain,  qu'ils  le  portoient  à  la  guerre ,  qu'ils  le  prenoient  pour 
vàm"Mu"on-  ^^^'■"oi"  &    pour  garant  de  leurs  promeffes.  Cela   n'eft  point  du  tout 
«"^ifïï"    croyable.  Tacite,  qui  étoit  poftérieur  à  Marius  de  plus  deux  cens  ans, 
des  viitimcs   avertit  «  que  ce  n'étoit  point  la  coutume  des  Germains  de  repréfenter 
fur  lequel  ils  »  les  Dieux  céleues  fous  la  forme  de  l'homme  :  »  à  plus  forte  raifon  ne 
les  Traités  de  Ks  reprcientoient-ils  pomt  lous  la  ngure  des  animaux. 
fiance.     ^  "      Voici  donc  ce  que  c'eft  que  le  Taureau  d'airain ,  dont  le  P.  Dom 
Expiicition  Martin  a  fait  un  Dieu.  Nous  avons  vu  (191)  que  les  Celtes,  quand  ils 
dc"i"iuur'.iuc^  immoloient  des  viûimes  humaines  ,  en  recevoient  le  fang  dans  un  vaif- 
rAijt';"il't"diia  ^^^^^  confacré  à  cet  ufage,  ôc  qu'enfuite  ils  alloient  le  répandre  fur  l'é- 
^«//Viofl  des  rtée  de    Mars.    Strabon  dit  quelque  chofe  de  femblable  des  Cimbres 
fondé  fi  con-  C  igi  )  :  «  Comme  les  femmes  des  Cimbres  les  fuivoient  à  la  guerre, 
»  ils  avoient  auffi  dans  leur  armée  des  Prophéteffes  qui  étoient  toutes 
»  grifes ,  habillées  de  blanc ,  couvertes  d'un  fàye  de  toile ,  attaché  par 
»  le  haut  avec  des  boucles.    Elles  avoient  autour  des  reins  une  cein- 
»tùrede  cuivre,  &  marchoient  les  pieds  nuds.  Ces  femmes  couroient , 
»  l'épéé  à  la  main  ^  au-devant  des  prifonniers  que  l'on  amenoit  au  camp, 
»  &  après   s'en  être  rendues  maîtrefles  ,   elles  le  menoient  à  la  cuve 
»  d'airain ,  qui  pouvoit  contenir  environ  vingt  féaux ,   a/j,(f o^ixv.  Il  y 
»  avoit  fur  la  cuve  un  banc ,  oii  la  Prophéteffe  montoit ,  &  tiroit  à 
«foi  les  Prifonniers  l'un  après  l'autre;  elle  leur  coupoit  la  gorge,  & 
«fondoit  (es  divinations  fur  la  manière  dont  le  fang  couloit  dans  le 
»  vaifleau.  D'autres  difféquoient  les  cadavres  des  Prifonniers  qu'on  ve» 


(l»9)Biblioth.  German.Tom. XXXVII.  p.62.   I       (is>i)ci-d.  J    ii.  not.Sj. 
(iSo)  Plutatch.  Mai.  Tom.  I.  p.  ^il.  |      (iji)  Strabo  VII.  154. 


»noit 


L  r  V  R  E    IV,     C  H  A  P  I  T  R  E    ri.  215 

w  rioit  d'égorger,  &  examinoient  leurs  entrailles;  elles  en  tiroient  des 
»> divinations  qui  promettoient  la  viûoire  à  leur  armée.  »  Comme  ks 
Germains  appelloient  leurs  gobelets  (191)  Scalas  ,  parce  qu'on  les 
faifoit  d'un  crâne  humain  ,  il  ne  faut  pas  douter  qu'ils  n'appellaflent  leurs 
cuves,  Oxkof,  tête  de  bœuf,  parce  qu'elles  étoient  d'une  plus  grande 
capacité  ;  au  moins  le  mot  d'OxhoJf  fubfiile ,  encore  aujourd'hui ,  dans 
la  Langue  Allemande  ,  où  il  fignifie  une  barrique ,  un  grand  vaiffeau. 

C'eft-là,  autant  qu'on  en  peut  juger,  le  Taureau  d'airain  (*)  dont  il 
s'agit  ici.  D'un  côté  ,  les  Cimbres  juroient  par  leur  cuve  qui  pafToit  , 
parmi  eux  ,  pour  la  chofe  du  monde  la  plus  facrée  ;  un  femblable  fer- 
n-ent  marquoit  qu'ils  vouloient  être  égorgés  comme  des  Prifonniers  , 
s'ils  manquoient  jamais  à  leur  parole.  Delà  vient  que  ,  dans  un  traité  de 
paix  qu'ils  conclurent  avec  l'Empereur  Augufte  (  94)>  ils  lui  envoyè- 
rent une  de  ces  cuves  ,  comme  un  gage  de  leur  foi.  D'un  autre  côté , 
on  voit  bien  quel  étoit  le  but  du  ferment  que  les  Cimbres  firent  prêter 
aux  Prifonniers  Romains  fur  le  Taureau  d'airain.  Ils  les  avertiffoient , 
par-là,  que  s'ils  portoicnt  encore  les  armes  contre  les  Cimbres  ,  &  qu'ils 
vinflent  à  tomber  entre  leurs  mains,  ils  auroient  infailliblement  le  fort 
des  autres  captifs  dont  ils  voyoient  ruiffeler  le  fang  dans  la  cuve  (*). 

§.  XXV.  On  a  parlé  jufqu'à  préfent  des  Sanâuaires  des  Peuples  Celtes  tss  sanami- 
&  de  leurs  fimulacres.  Avant  que  de  finir  ce  Chapitre,  on  doit  ajouter  p.i[mTits' ci! 
quelques    remarques    qui   appartenant    naturellement   au    fujet    qu'on  foVt ùipettéi! 
examine  ,  fervlront  encore  à  éclaircir  des  matières  dont  on  doit  traiter 
dans    les  Chapitres  fuivans ,   Se  y  prépareront  infenfiblement  le  Lec- 
teur.   Les   Sanftuaires  étoient  des  lieux   fort  refpeftés  (  195  )   par  les 
Celtes.  Ces  Peuples  /eur  donnoient  le  nom  des  Divinités  mêmes  quils y  ado- 
rpicnt  en  efprit ,  parce  qu'ils  étoient  perfuadés  que  les  Dieux  faifoient 


(193    Ci-tl.  Liv   II.  ch.  3.  p.  130.  note  «4.. 

(  *  :  Les  Grecs  avoicnt  aulli  leur  manière  de 
faire  ferment  lui  le  Taureau,  &  ne  lemcttoient 
pas  non  plus  au  nombre  des  Dieux  ;  c'eft  ce 
qui  eft  clairement  exprimé  dans  Echyle,  &  que 
Boileau,  dans  fon  Longin,  a  traduit  de  cette 
manière  : 

Sur  un  bouclier  noir  fept  Chefs  impitoyables 
Epouvantent  les  Dieux  de  fermens  effroyables  : 
Près   d'un   Taureau  mourant,   qu'ils  viennent 

d'égorger , 
Tous  la  main  dans  le  fang ,  jiuent  de  fe  vanget, 

Tomt  IL 


Us  en  jurent  la  Peur,  le  Dieu  Mars  ScBellone» 
Hott  de  i' Editeur, 

(i»V  Strabo  VII.  392. 

{  •  j  On  ne  pouvoir,  en  effet,  engager  plut 
fortement  les  Soldats  Romains  à  tenir  leur  pa- 
role Ce  (ignc  fenlible  devoir  faire  plus  d'ini- 
prelTioii  fut  eux,  que  le  refpeft  qu'ils  témoi- 
gnoicnt  pour  les  Dieux.  N««  de  l'Editeur. 

(  I  9  s)  ytjet.  en  des  preuves  &  des  exemples 
ci-dcflus  ,  §.  }.  not.  i.  Livre  III.  chap.  .6.  §.  i. 
not  2.  ji.cJi.  !$•  $■  I.  not.  7. 

Ff 


ii6  HISTOIRE    DES    CELTES, 

connoître  ,  par  des  fignes  fenfibles  ,  qu'ils  ctoient  préfens  dans  ces  lîeitx 
confacrés  :  ils  n'y  entroient  qu'avec  une  profonde  vénération  ,  &  ils  ea 
défendolent  l'entrée  aux  (196)  lâches  &  aux  fcélérats  ,  que  leurs  Druides 
avoient  excommuniés.  Il  y  avoit  de  ces  Sandluaires  (197)  où  «perfonne 
Mn'entroit  qu'il  ne  fîit  lié,  pour  rendre  hommage,  par  cette  attitude 
«humiliante ,  à  la  Majellé  du  Dieu  qui  l'habitoit.  Si  l'on  venoit  à  tomber, 
»iln'étoit  pas  permis  de  fe  relever  même  furies  genoux.  11  fàlloit  for- 
»tir  en  fe  roulant.  »>  Il  y  en  avoit  d'autres  qui  jouilToient  du  droit  d'afyle 
(198).  Quand  un  Prifonnier  trouvoit  le  moyen  de  s'y  glijTer,  il  falloit 
qu'on  lui  ôtât  fes  chaînes  &  fes  fers,  qui  étoient  enfuite  pendus  à  un 
arbre ,  &  confacrés  au  Dieu  qui  lui  procuroit  la  liberté.  On  a  montré 
ailleurs  (199)  qu'il  étoit  défendu  de  remuer  la  terre  des  lieux  confacrés» 
pour  ne  pas  troubler  l'aâion  de  la  Divinité  qui  y  réfidoit.  Par  la  même 
raifon,  c' étoit  un  facrilége  d'abattre  les  arbres  d'un  Sanûuaire  ,  &  fur- 
tout  de  toucher  à  l'arbre  qui  étoit  le  fymbole  de  la  Divinité.  Lucain  , 
parlant  de  la  forêt  facrée  que  les  Gaulois  avoient  encore  dans  le  voifi-» 
nage  de  Marfeille,  du  tems  de  Jules-Céfar,  dit  (200)  «quelle  n'avoitja- 
«niais  été  taillée.»  Il  ajoute  que  Jules-Céfar  ayant  fait  abattre  des  ar- 
bres du  bocage  ,  pour  s'en  fervir  au  fiége  de  la  Ville  (ici) ,  «  les  Gaulois 
»en  gémirent,  &  le  Soldat  même  (ici),  effrayé  par  la  majefté  du 
»lieu  ,  ne  prit  la  hache  qu'en  tremblant.  »  On  voit  la  même  chofe 
dans  iHi  paffage  de  Claudienque  l'on  a  déjà  cité.  Il  porte  (103)  «que  les 
♦)  Romains  ayant  étendu   leurs  conquêtes  jufqu'à  la  forêt  Hercynie  , 
♦>  peuvent  abattre  impunément  ces  bocages ,  fi  terribles  par  les  cruelles 
»  cérémonies  qu'on  y  pratiquoit  de  toute  ancienneté,  &  ces  grands  chê- 
»  nés  qui  étoient ,  en  quelque  manière  ,  les  Dieux  des  Barbares.  »  C'eft- 
à-dire  ,  que  fi  les  Barbares  en  enflent  été  les  Maîtres,  ils  n'auroient  pas 
fouifert  qu'on  touchât  à  leurs  bocages. 

•Les  Forêts  facrées  des  Peuples  Celtes  étoient  donc ,  comme  (104) 
Tacite  les  appelle,  de  chartes  forêts  ^caflum  nemus ,  ou ,  comme  difent  les 


(i9«)  Ci-deffous,  §,  31.  not.  Z44.  145. 
(197)  Tacit.  Germ.  39. 
(19»)  Serv.  ad  Viigil.  Eleg.  VI.  v.  72. 
(199)  Ci-d.  §.  2.  Liv.  III.  ch.  1.  §.  2.  not.  6. 
rii.  4.  §  9.  not.  41.  ch.  «.  §.  13.  not.  10 1. 
(ïoo)  Lucan,  III.  v.  399.  ci-d.  $.  4.  not.  39. 

(»oi)  Lacsui.  UI.  T.  44$.  Ccue  fupeifliciOA 


a  fubCfté  long-tems  dans  les  Gaules.  ConciU 
Nannet.  cap  20.  apud  Keyfl.  p.  7  I.  ôc  ap.  Lab^ 
bœum  Tom.  VII.  p.  1133. 

(202)  Lucan.  III.  v.  .4.29. 

(203)  Ci-d.  §.  3.  not  i<, 

(204)  Tacit.  Ceiio.  4e. 


LIVRE     IV.    CHAPITRE    II.  nf 

Allemands,  des  forêts  vierges,  Jiingfir-bejJe.  Il  femble  qu'on  peut  con- 
clure de- là,  que  les  Sanftuaires  dévoient  avoir  quelque  marque,  ou 
quelque  haie,  qui  fervît  à  diftinguer  les  terres  Se  les  forêts  communes,  de 
celles  qui  étoient  tonfacrées.  Il  paroît  aufll  fort  vraifemblable  que 
cette  partie  du  Sanduaire  où  étoit  le  fimulacre  de  la  Divinité ,  avoit 
un  enclos  particulier  où  le  Sacrificateur  entroit.  On  rapporte  à  cet  ufage, 
ce  que  dit  Tacite  (205),  que  «les  Germains  confacrent  aux  Dieux 
»  céleftes  des  bois  &  des  forêts ,  &  qu'ils  donnent  le  nom  des  Divinités 
»  mêmes  à  ces  retraites  profondes  qu'on  adore  en  efprit  ,  fans  qu'on 
»  ofe  porter  les  yeux  fur  les  lieux  où  la  Divinité  réfide  ».  On  croit 
entrevoir  la  même  chofe  dans  ce  qui  a  été  rapporté  (206) ,  que,  «  lorfque 
»  quelqu'un  venoit  confulter  l'oracle  de  Dodone ,  on  lui  faifoit  voir 
»  de  loin  l'arbre  qui  fe  remuoitw.  Il  fe  préfentera,  dans  la  fuite,  plufieurs 
autres  exemples  quiferviront  à  confirmer  cette  conjeâure,  &  aurefte, 
la  chofe  n'eft  pas  affez  importante  pour  mériter  qu'on  s'y  arrête  plus 
long-tems. 

§.  XXVI.  On  confefvoît  ordinairement  de  grandes  richeffes  dans  les  oa  crnrcc- 
Sanftuaires  des  Peuples  Celtes  ,  &  il  n'eft  pas  difficile  de  comprendre  Ji^J^i^'" 
comment  elles  y  étoient  amaflees.  i.'*  Les  Peuples  qui  vivoient  de  ''.=  K™^'ic« 
guerre  &C  de  pillage ,  confacroient  à  leurs  Dievix  les  dépouilles ,  c'eft-à- 
dire,  les  armes  (207)  de  leurs  ennemis,  avec  une  partie  du  butin  qu'ils 
avoient  fait  ;  tout  cela  étoit  mis  en  un  monceau ,  auquel  on  ne  pouvoit 
toucher  ,  fans  commettre  un  facrilége  ,  &c  fans  s'expofer  au  plus  cruel 
de  tous  les  fupplices ,  fi  l'on  venoit  à  être  découvert.  «  Quand  les  Gau- 
»  lois  ont  réfolu  de  donner  battaille ,  ils  font  vœu  d'immoler  à  Mars 
»  tout  ce  qu'ils  prendront  à  la  guerre.  En  conféquence  de  ce  vœu ,  ils 
»  immolent  l'élite  des  animaux  qu'ils  ont  pris  fur  l'ennemi.  A  l'égard  des 
»  autres  chofes ,  ils  les  affemblent  dans  un  même  lieu.  II  y  a  plufieurs 
»  provinces  où  l'on  voit ,  dans  des  lieux  confacrés ,  de  ces  monceaux 
»  de  dépouilles.  Il  fe  trouve  rarement  des  gens  qui  ,  au  préjudice 
>»  de  ce  vœu  ,  ofent  retenir  fecrettement  les  chofes  qui  ont  ainfi  été 
«vouées,  ou  les  enlever  du  lieu  où  elles  6nt  été  dépofées,  parce  que 

»  ce  facrilége  eft  puni  d'un  fupplice  très-cruel.  » 

■  —  I  ■ 

(ros)  Tacit.  Germ.  9.  ci-d.  Liv,  III.  chap.  }.  1        (107)  Ci-dcfTus  ,  §.  19.  not.  1 19.  &  Seq.  Li. 
(,  z.  not,  I.  I  viut  V.  )s- 

(ïatf)  Ci-d.  $.  zo.not.  13».  l      (»o»)f<i7es,ci-d.  tiv.  Iir.  ch.  7.  §.  I.  not.  K' 

F£x 


:s 

tes 


zi8  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Ces  Sanctuaires  étoient  donc  des  efpèces  d'arfenaitx  où  l'on  voyoît 
des  (109)  drapeaux,   des  (iio)  armes,  avec  une  infinité  de  chofes 
précieuses  que  l'on  avoit  prifes  fur  l'ennemi,  &  que  l'on  avoit  confa- 
crées  au  Dieu  de  la  guerre  (an).  Ainfi  Jules-Céfar  ayant  perdu  fon 
poignard  dans  un  combat  contre  les  Arméniens  ,  ceux-ci  le  pendirent 
dans  un  de  leurs  Temples.  Céfar  l'ayant  vu  quelque  tems  après  dans 
cet  endroit,  fourit,  &  les  gens  de  fa  fuite  ayant  voulu  l'emporter,  il  les 
en  empêcha ,  en  difant  que  c'étoit  une  arme  confacrée.  i  "  Indépendem- 
ment  des  dépouilles  &  du  butin  que  l'on  confacroit  aux  Dieux,  les  Cel- 
tes n'entroient   guères  dans  leurs  Sanftuaires  qu'ils  n'y  portaffent  quel- 
que préfent.   Nous  avons  vu,  par  exemple  (m),  que  les  habitans  du 
Gévaudan  alloient  faire  tous  les  ans  leurs  dévotions  autour  d'un  Lac  , 
auquel  ils  offroient  des  préfens  de  toute  efpèce,  chacun  félon  fes  fa- 
cultés. La  même  chofe  fe  pratiquoit  auffi  chez  tous  les  autres  Peuples 
des  Gaules.  Diodore  de  Sicile  l'a  remarqué  (  113  ).  «  On  voit ,  dit-il , 
»  quelque  chofe   de   particulier    &c  d'extraordinaire    dant    la  Celtique 
»  fupérieure  ,  par  rapport  aux  Temples  &  aux  Forêts  confacrées  aux 
»  Dieux.    On  y  jette  une    grande    quantité    d'or    que  l'on   confacre 
»  aux  Dieux,  &  qu'aucun  des  habitans  n'ofe  toucher  par  fuperftition, 
»  quoique  d'ailleurs  les  Celtes  aiment  fort  l'argent  ». 

Il  ne  faut  pas  être  furpris,  après  cela,  que  les  Romains  euflent  trouvé  (214) 
des  richeffes  immenfes  dans  les  Chapelles  &  dans  les  lieux  facrés  de  la 
Ville  de  Touioufe.  Il  y  avoit ,  dans  cet  endroit ,  un  Sanftuaire  fort  cél  .'- 
bre,oùtous  les  Peuples  du  voifinage  venoicnt  faire  leurs  dévotions.  Le 
nom  de  (215  )  Toiofa,  qui  fignifioit  ia  vieille  maifon  ,  infmue  qu'il  étpit 
fort  ancien  (216).  Comme  on  y  portoit  tous  les  jours,  &  depuis  plu- 
fieurs  fiécles,  des  préfens  auxquels  perfonne  n'ofoit  toucher,  il  ne  pou- 
voir ,  à  la  fin ,  qu'engloutir  toutes  les  richefies  du  Pays. 


(20»)  Tacit.  Ann.  I    59.  ihid.  II.  25.£uftath 
adlliad.  VII.  83-  p.  <<«. 
(ïio)  Valer.  FUc.  v.  121. 

(211)  Plutarch  C«f.  Tom.  1,  p.  72c: 

U I  2)  Ci-d,  Liv.  III,  chap.  9.  §-4. 

(213)  Diodor.  Sic.  V.  21 1.  a  12. 

(2I4')  Ci-d.  Liv.  III   ch.  9.  §    s.  not.  47. 

(21 5 )T!)'-o/-<)«jrj, vieille  maifon  ;  Th'  eft  l'ar- 
ticle 01,  Al ,  -Alt,  enTadeÇque ,vic^x.  Le  Bas- 
Bietpn  dit  Omi.  H»hs,  huyi,  ou  hji ,  (îgnific 


Maifon  en  Tuiefque  ,  &  avoit  la  mcme  ilgniti. 
cation  parmi  les  Gaulois.  Vernemri-hjs.  F  rtun, 
ïiftavicnf.  lib.  I  Carm.  9.  &  ci-d.  Liv  I.  ch.  5. 
p.  3ot,  Drjintmttui.  Suabo  XII  $6r.  Drjnsmti- 
hjs ,  la  maifon  des  irais  noms ,  c'ell-à-dire,  le  Sanc- 
tuaire ou  les  trois  Peuples  de  la  Galatie  te- 
noitnt  leur  alTemblée  générale.  Marc  -  h»ucx.i , 
écurie,  maifon  à  chevaux.  Diûion.  de  B-oftreo. 
pag.  J2  2. 

(1.1  £)  Ci-d.  Liv. XII.  cb.  s.  $.  {.not.  47* 


LIVRE    IV,     CHAPITRE    II.  219 

Les  Thraces  confervoient  auffi  des  tréfors  dans  leurs  SanQuaires,  de  la 
même  manière  que  les  Gaulois.  Ainii  le  Roi  Cotys  s'étant  emparé  de  lâ 
fainte  Montagne  (ny),  dont  on  a  parle  ailleurs,  fe  vit  en  pofleiTion 
par  cela  même  (218),  du  tréfor  qui  y  étoit  dépofé.  Euilathe  rapporte 
auffi,  après  un  Auteur  plus  ancien  (219),  que  des  pirates  de  Cilicie 
ayant  attaqué  un  Temple  de  l'We  de  Samothrace,  en  emportèrent  plus  de 
mille  talens.  On  ne  doit  pas  douter  que  l'or  confacré  des  Scythes,  dont 
Hérodote  fait  mention,  ne  fût  dépofé  dans  quelqu'un  de  leurs  Sanûuaires. 
On  peut  le  conclure  ,  en   quelque  manière  ,  de  la  remarque  de  l'Hifto^ 
rien  qui  dit  (110)  «  que  les  Scythes  s'affemblent  tous  les  ans  autour  de 
»  cet  or ,  Se  lui  off  eut  des  facriEces  folemnels  ».  Le  facrifice  s'offroit 
au  Dieu  Mars  dont  le  umulacre  étoit  une  épce,  &  qui  avoit  pour  Sa^ic- 
tuaires  les  collines  artificielles  dont  on  vient  de  parler  (m).  Commç  on 
voyoit ,  dans  le  même  endroit ,  des  charrues,  des  haches  &  des  gobelets 
de  pur  or  (211),  les  Grecs  s'imaginèrent,  mais  mal-à-propos,  que  cet 
or  confacré  étoit  l'objet  du  culte  religieux  des  Scythes.  Au  refte  ,  ce  que 
Jules-Céfar  dit  «  que  l'on  punidoit  d'un  fupplice  très-cruel  les  facri- 
»  léges  qui  enlevoient  quelque  chofe  du  tréfor  confacré  w ,  eu.  expliqué 
par  une  ancienne  loi  des  Frifons  ,  où  l'on  voit  la   nature  même  du 
fuplice  que  Ton  faifoit  fouffrir  à  ceux  qui  étoient  convaincus  de  ce  crime 
(123).  «Si  quelqu'un  enfonce   un  Temple,  &  dérobe  quelque  partie 
»  des  chofes  confacrées ,  on  le  conduit  au  bord  de  la  mer;  &  là,  après 
>♦  lui  avoir  fendu  les  oreilles ,  &  lui  avoir  arraché  les  parties  hoateu- 
»  fcs,  on  l'immole  au  Dieu  dont  il  a  violé  les  Temples  >>. 

§.  XXVII.  Outre  les  richeffes  que  l'on  dépofoit  dans  les  lieux  confa- 
crés,  &:  qui  étoient  des  biens  morts,  les  Sanctuaires  tiroient  encore  un 
revenu  fixe  des  terres  &c  des  efclaves  qui  en  dépendoient.  La  Loi  Romaine 
qu'on  a  citée  ailleurs  (224)  ,  &  qui  permet  d'ïnû'itiier  Mars  pour  héritier 
dans  les  Gaules,  infinue  que  c'étoit  une  chofe  commune, "parmi  les  Gau- 
lois ,  de  laifler  en  mourant ,  fes  biens  au  Dieu  Tcue ,  c'eft-  à-dire ,  aux  Sanc- 
tuaires qui  étoient  confacrés  à  l'Etre  fuprême.  On  ne  fait  s'ils  avoient 
par-tout  des  revenus  auffi  confidérables  que  dans  la  Galatle  Se  dans 


(117' Ci-d^.  s.  not.  4S.  j  (2n)ci-d    §.  ii.not.  «j. 

(i  18)  Demofthen.  adv.  Ariftocrat  p.  443.         |  (zî-i    HeroJot.  IV.  5. 

(il»)  Eullath    ad  Dionj'f.  ferieg.  v.    J74.  j  ;  2i  i)  Lcg.  Friflor.  p.  508. 

f3g-'3o-  l  (iZ4}  Ci-a.  tiv.UI..cl>.  7.§.  2.not,  14. 

(iïoj  Herodot.  IV.  7.  I 


230  If  I  s  T  O  I  RE    D  F.  S    C  E  L  T  E  S, 

les  Provinces  voifines  qui  étoient  occupées  par  des- Peuples  Celtes 
(i2  5().  On  y  voyoit  des  Temples:  qui  avoient  jufqu'à  fix  mille  efclaves, 
&  dont  les  terres  rapportoient  au  Sacrificateur  quinze  talens  par  an , 
c'eft-à-dire  neuf  à  dix  mille  écus  de  notre  monnoie.  Le  revenu  de  ce* 
terres  appartenoit  aux  Druides,  &c  (126),  quand  elles  annonçoient 
une  belle  moiffon,  le  peuple  fe  promettolt  bonnement  à  lui-même  une 
abondante  récolte.  Cela  ne  pouvoit  pas  manquer.  On  ne  peut  douter 
que  le  Clergé  ne  poffédât  fes  terres  à  titre  d'office ,  c'eft-à-dire  ,  pour 
faire  le  fervice  dans  les  lieux  confacrés ,  pour  nourrir  les  oifeaux  & 
(117)  les  chevaux  qui  fervoient  aux  aufpices  &  aux  divinations,  ÔC 
pour  fournir  aux  autres  dépenfes  ,  que  demandoit  l'entretien  des  Sanc- 
tuaires. 

A  l'égard  des  efclaves,  ils  étoient  ce  qu'on  appelle  gkhx  adfcripil.  On 
les  employoit  à  cultiver  les  terres  du  Clergé,  &  à  d'autres  (22.8)  ouvrages 
qui,  félon  le  préjugé  des  Peuples  Celtes,  ne  convenoient  point  à  des 
pcrfonnes  libres ,  encore  moins  à  la  Notleffe ,  parmi  laquelle  le  Cierge 
tenbit  le  premier  rang.  Le  revenu  que  l'on  tiroit  de  ces  efclaves ,  étoit 
d'autant  plus  grand,  qu'ils,  n'éioient  point  à  charge  à  leurs  maîtres.  Il» 
fe  nourriflbient  avec  leurs  familhs  d'un  morceau  de  terre  qu'on  leur 
affignoit  (229),  &  pour  lequel  ils  payoient  encore  un  certain  droit. 
De  forte  qu'un  efclave  devoit  à  fon  Seigneur,  non-feulement  la  corvée 
pour  fa  perfonne  ,  mais  encore  une  cenfe  pour  la  terre  qu'il  poffédoit. 

Les  Princes  Chrétiens  ne  firent  donc  que  tranfporter  aux  Minlftres 
de  l'Evangile,  des  biens,  des  revenus,  dont  le  Clergé  payen  étoit  en  pofTef- 
fion.  Ils  ont  pu  le  faire  légitimement,  &  convertira  des  ufages  facrés  ce 
«  li  étoit  employé  auparavant  à  des  ufages  fuperftitieux  &  profanes. 
Quand  un  Etat  entier  change  volontairement  de  Religion ,  les  biens  de 
l'ancienne  Eglife  doivent  naturellement  pafler  à  la  nouvelle  ;  &  dans 
fe  fond ,  on  ne  voit  pas  qu'il  y  ait  du  mal  que  l'Eglife  Chrétienne  foit 
riche,  pourvu  que  fes  richefles  foient  bien  adminiftrées,  &:  que  fous  le 
beau  prétexte  de  la  Religion,  elles  ne  fervent  pas  à  nourrir  la  pareffe,, 
Fambition ,  &  la  molleffe  du  Clergé. 


(î2s)  Strabo  XI.  503.  XII.  sîj.  55;.  $57. 
(226J  Strabo  IV.  197. 
(1H7)  Taeit.  Gçrra.  la. 


^228)  Tacit.  Geim.  40U 
(lis)  Tacic.'Getm.  ij. 


LIVRE     IV,     CHAPITRE    H.  131 

§.  XXVIII.  Les  Druides  demeuroient  dans  les  Saiîâuaires  avec  'eu.-'s  ' 
femmes  &c  leurs  enfrns.  Il  le  falloit  ainfi  ,  afin  qu'ils  fuffent  toujours  à  r 
portée  de  répondre  à  ceux  qui  venoient  confulter  la  Divinité  ,  & 
fl'iiiîmoler  les  viûimes  qui  lui  étoient  offertes.  Comme  ils  tiroient  leur 
fubfiftance  des  terres  qui  étoient  fituées  autour  des  lieux  conlacrcs  , 
ils  étoient  chargés  aufli  du  foin  défaire  cultiver  ces  terres,  &  ^d'en  re- 
ceuillir  les  fruits.  Eloignés  de  la  fcciété  des  autres  hommes ,  ils  en 
devenoient,  d'ailleurs,  plus  refpeftables  ;  on  les  regardoit  comme  des 
gens  qui  étoient  toujours  en  commerce  avec  la  Divinité.  Enfin  ,  lé 
Clergé  étoit  chargé  de  la  garde  des  Sanûuaires  ,  &  en  même  teins  ,  ées 
«nfeignes  militaires ,  des  vaiffeaux  (scrés ,  &  des  tréfors  qui  y  étoient 
dépofés.  Toutes  ces  raifons  demandoient  que  les  Minières  de  la  Reli- 
gion demeuraient  dans  les  lieux  confacrés,  &  qu'ils  y  fiiTent  bonne 
garde. 

Savoir,  après  cela,  û  le  Clergé  avoit  le  même  fcrlipitle  que  le  peu- 
ple,  qui  auroit  cru  fe  rendre  coupable  de  facrilége,  s'il  àvoit  emporte' 
&  converti  à  fon  ufage  quelque  partie  des  biens  confacrés ,  c'eft  ce' 
qu'on  n'oferoit  affurer.  Dans  le  fond,  il  ne  faudroit  pas  en  faire  un  crime 
aux  Druides,  s'ils  s'étoient  mis  au-deffus  de  ce  fcrupule.  Il  étoit  bon 
que  l'on  confervât  des  richefl'es  dans  les  Sanftuaires  ,  pour  être  une  ref- 
fource  dans  les  calamités  publiques ,  mais  il  pouvoit  auffi  fe  préfenter 
mille  cas ,  où  il  auroit  été  beaucoup  plus  naturel  de  fe  fervir  de  ces  ri- 
chefl'es ,  que  de  les  laifler  périr  inutilement ,  ou  de  les  garder  pour*  de- 
venir la  proie  d'un  ennemi ,  comme  cela  arriva  à  l'égard  des  fommes  im- 
anenfes  qui  étoient  dépofées  dans  les  Chapelles  &  dans  les  Etangs  facrés 
de  la  Ville  de  Touloufe. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  il  efl:  certain  que  les  Prêtres  des  Celtes  avoient 
leur  domicile  dans  les  Sanftuaires.  Lucain  le  dit  exprefTément ,  en  par- 
lant aux  Druides  (i3o):  «Vous  demeurez  dans  des  bocages  élevés,  Se 
i)  dans  des  forêts  reculées  »  : 


,e  Clcigirai. 
;  ians   l;s 


Ncmora  alta ,  reraotis 


Incolitis  lucis. 


Pomponius  Mêla  le  dit  aufîi  (23 1)  :  «  Les  Druides  enfeignent  beaucoup 
»>  de  chofes  à  la  NoblefTe  la  plus  diftinguée  des  Gaules ,  qu'ils  infiruifent 


(î3»)  Lucan.  I.  v.45  3- 

(23 1)  roiDf  on.  Mêla  lib,  m.  cap.  i.  f . 


73. 


131  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  fécfcttemcnt  dans  des  cavernes,  &c  dans  des  forêts  écartées,  y  ém- 
»  ployant  quelquefois  jufqu'à  vingt  années».  La  Noblefle  des  Gaules 
confioit  aux  Druides  l'inllruftion  &  l'éducation  de  fes  enfans,  qui  de- 
meuroient  avec  leurs  maîtres  dans  des  Sanûuaires  •,  &c  quand  les  Druides 
vouloient  enfeigner  à  leurs  difçiples  ce  que  l'on  appelloit   la  fcience 
occulte,  ils  alloient  leur  donner  des  leçons  fecrettes  dans  des  cavernes 
ou  dans  quelqu'endroit  reculé  des  forêts  coniacrées.   Aufîi  Aufone  dit 
d'un  Profefleur  de  l'Académie   de  Bordeaux  (232)  «qu'il  eft  de  la  race 
»  des  Druides ,  &  qu'il  tire  foft  origine  du  Temple  que  le  Dieu  Bele- 
»  nus  avoit  dans  le  Pays  des  Bajocaffes  ».  On  croit  qu'il  faut  expli- 
quer de  la  même  manière  ce  que  Strabon  rapporte  (  233  )  «  q^le  Za- 
»  molxis   ayant    été    établi  Sacrificateur   du  Dieu  que  les   Gétcs  fer- 
»  voient  préférablement  à  tous  les  autres  ,    fe  retira  dans  un  endroit 
»  reculé  &  plein   de  cavernes,  oii  il  ne  recevoit  perfonne,  à  la  ré- 
«ferve  -du  Roi ,  Se  des  gens  de  fa  cour  ».  Cela  fignifie ,  autant  qu'on 
en  peut  juger  ,  que  Zamolxis  conftruifit  une  efpèce  d'hermitage  dans 
quelqu'endroit  écarté  de  la  fainu  Mo/z^^o-TZé  (234)  dont  il  étoit  le  prin- 
cipal Sacrificateur. 
Tfiarem-       ■§.  XXIX.  Toutcs  les  aflemblécs,  tant  civiles  <|ue  religleufes  des  Peu- 
l^i^ieJférft  pies  Celtes  ,  fe   tenoient  dans  les  Sanctuaires.   La  choie  mérite  d'être 
i-"s'^a''u'  ^^^"  remarquée, -parce  qu'elle  fert  à  expliquer  diverfes  autres  coutumes 
rtes.  de  ces  Peuples,  &  qu'elle  donne  du  jour  à  plufieurs  paflages  des  Anciens 

que  l'on  aura  occafion  de  citer.  Le  Comte,  c'eft-à-dire,  le  Juge  d'un  can- 
ton tenoit  les  féances.dans  le  même -lieu  où  les  Habitans  du  Pays  alloient 
fslre  leurs  dévotions.  Olaiis  Vormiusle  dit  des  Peuples  du  Nord  (23  5). 
Ils  adminiftroient  la  juftice  en  rafe  campagne  ,  près  des  Autels  des 
Dieujf.  On  le  voit  dans  une  Comédie  qui  porte  le  nom  de  Quero/us ,  ou 
k  d'Auluiaria,  Si  que  (23  6)  Paréus  a  fait  .imprimer  avec  fon  Plaute.  Paréus  la 

croit  de  Gildas ,  Auteur  du  fixième  fiécle  ;  en  quoi  il  fe  trompe  &  fe 
itcontredit,  puifqu'il  avoue  lui-même  (237)  qu'elle  eft  citée  par  Servius, 

("232)  Aufon.  Prof.  IV.  p.  50,  (î3fi)  Plautus  ex  editionc  Joh.  Phil.  Parsti. 

(i33j  Strabo   VII.    i»7.    Kiy'i  auflS    Hero- ;  Neap.  Kcmet.  1S19. 
det.jIV.^yï.  (137)  Ces  paroles  qui  fe  trouvent  i  la  p,  4> 


(i34   Ci-d.  §.  s-not.  .^9 
(î35)  O'aus  Vorm.  Monum.  Danic.  lib.I. 
càp.  lo.  p.iîg.  KojevaufliKejflci.  Antiq.  Sept. 


de  la  Comédie  ,  Cun£ii  aUs  tjuatmnt\  diris  tuip 
fltngorihHi ,  font  cite'es^ar  SetYius  ad  .£neid.  III. 
pag.  Z7S. 

Commentateur 


Livre   iv.  chapitre   ii.  25? 

Comineiitateur  de  Virgile,  qui  vivoit  fur  la  fin  du  quatrième  lîécle* 
La  picce  a  certainement  été  écrite  dans  un  tems  où  la  Religion  n  cto!t 
point  encore  établie  dans  les  Gaules  (158).  «  Querolus  demande  à  fon 
M  Dieu  un  degré  de  puiffance  qui  le  nîît  en  état  de  dépouiller  ceux 
»  (jLÙ  ne  lui  dévoient  rien  ,  de  battre  les  étrangers,  de  piller  &  de  tuer 
«  fes  voifins.  Le  Dieu  domeflique  lui  répond  qu'il  ne  voit  pas  d'autre 
»  moyen  de  lui  procurer  cette  puiffance ,  que  de  l'envoyer  dans  les 
»  Gaules,  vers  la  Loire.  Là,  dit-il,  les  fentences  de  mon  font  prononcéiS 
»  par  un  chêne,  &  s'écrivent  avec  des  os.  Là  ,  les  pay fans  haranguent ,  &  Us 
»  perfonnes  privées  jugent.  "  Là  ,  tout  vous  fera  permis  ;  &  Ji  vous  êtes 
»  riche  ,  on  vous  donnera  encore  le  nom  de  Patus  ». 

Il  y  a  dans  ces  paroles  une  allufion  continuelle  à  la  procédure  que  les 
Gaulois  obfervoient  dans  leurs  Tribunaux.  Les  Payfans  qui  haran- 
guoient  étoient  les  parens  de  l'accufé.  Ils  étoient  chargés  de  le  défendre, 
&  de  plaider  fa  caufe.  Les  perfonnes  privées  qui  jugeoient ,  étoient  des 
particuliers  que  l'on  choififfoit  pour  inftruire  le  procès ,  &  pour  affifter 
le  Juge  de  leurs  confeils.  Il  falloit  qu'ils  fuffent  pares  ,  pairs  ,  c'eft- 
à-dire  ,  de  même  condition  que  l'accufé  ,  &  d'abord  que  la  fen- 
tence  étoit  prononcée  ,  ils  fe  retiroient.  C'étoit  donc  véritablement 
des  perfonnes  privées  qui  jugeoient,  puifque  ces  Affeffeurs  n'étoient  don- 
fiés  au  Juge,  que  pour  la  feule  féance  où  l'accufé  étoit  abfous  ou  condam- 
né. On  obferve  encore  aujourd'hui ,  quelque  chofe  de  femblable  en  An- 
gleterre. La  Sentence  fe  prononçoit  dans  une  forêt  confacrée ,  fous  un 
chêne  ,  &  fouvent  on  devinoit  par  le  chêne,  fi  l'accufé  étoit  innocent  ou 
coupable.  11  eft  facile  de  comprendre  que  lorfqu'un  criminel  étoit  riche  ,  & 
en  état  de  corrompre  les  Juges  &  le  Druide  qui  étoit  chargé  de  confulter 
l'Oracle ,  le  chêne  prononçoit  toujours  en  fa  faveur.  Ainfi  tout  étoif 
permis  ou  pardonné  à  un  homme  qui  avoit  de  l'argent.  Le  titre  de 
Patus  ou  Fates ,  étoit  propre ,  comme  nous  le  verrons  en  fon  lieu ,  au 
Chef  des  Druides  qui  demeuroit  dans  le  Sanftuaire.  Peut-être  que  la 
flatterie  le  donnoît  aufîi  aux  riches  &  aux  perfonnes  de  confidération. 
A  l'égard  de  la  Sentence  qui  s'écrivoit  aVec  des  os ,  ou  fur  des  os  ,  il 
faut  avouer  fon  ignorance  fur  cet;  objet;  mais  oh  voit  bien  qu'il  y  a 


— •  -'"'■■' 


(ijs;  Qiifrol.  p.  41.  4a, 

Tome  II,  G  g 


234  HISTOIRE    DES    CELTES, 

dans  ces  paroles ,  une  allufion  aux  crânes  &  aux  os  qui  étoient  pendus 

ou  cloués  à  l'arbre  confacrc. 

iftafftm-       §,  XXX,  Lorfqu'il  s'agifibit  de  délibérer  de  la  paix  on  de  la  guerre 

bsdefuosict  &  des  autres  affaires  qui  intéreffbient  le  bien  commun  de  la  Nation  ,  tous 

^^smciMi vt  l'^s  cantons  d'un  même  Peuple  fc  réuniflbient  par  leurs  Députés,  dans 

fe  iLnoi...t     1     s  mduaire  le  plus  renommé  du  Pays.  Ces  affemblées  générales  com^ 

dais  le  -'>anc    *>-      ■  i  ■'        _  "    _ 

tÉ.i-rciaiéiî  inençoient  par  un  facrifice  que  l'on  ofFroit  pour  la  profpérité  de  l'Etat, 
V  lain  l'onti    Qn  3  cu  occafion  de  prouver  que  la  chofe  fe  pratiquoit  ainfi  dans  la 
ùoa.  "*    ^   grande  Germanie  (139).  Tous  les  Peuples  Sennons  s'affembloient  par 
leurs  députés ,  à  un  jour  marqué  ,  dans  une  forêt  confacrée ,  &  là  ils 
commençoient   leurs  dévotions   barbares  par  le  facrifice  d'un  homme 
que  l'on  immoloit  publiquement.   Les  Galates  tenoient  auffi  leur  affem- 
blée  générale  dans  un  endroit  qu'on  appelloit  (240)  Dry/nsmetus ,  la  mai- 
fon  ou  le  Temple  des  trois  noms,  c'eft-à-dire,  des  trois  Peuples  Celtes 
qui  avoient  paffé   dans  l'Afie  mineure  ,  fçavoir  ,  les  Tectofàges  ,  les 
Trocmes,  &  les  Tolifloboïens.  L'affemblée  générale  des  Gaules,  ou  au 
moins  (2.41)  d^s  Druides,  fe  tenoit  dans  un  lieu  confacré  du  Pays  des 
Carnutes  (du  Pays  Chartrain).  Comme  les  (242)  Carnutes  deraeuroient 
le  long  de  la  Loire,  ce  lieu  confacré  dont  parle  Jules- Céfar  ,  pourroit 
bien  être  le  même  dont  il  eft  fait  mention  dans  la  Comédie  (^Q^uerolus) 
qu'on  vient  de  citer,  &  où  les  Sentences  de  mort  étoient  prononcées  par 
un  chêne  (*).  On  a  fait  voir  ailleurs  (243),  que  Milan  étoit  autrefois  la 
métropole  des  Infubres ,  &  Vienne  celle  des  Allobroges.  C'étoit  ordi- 
nairement dans  le  Sanûuaire  delà  Métropole,  que  réfidoit  le  Chef  des 
Druides ,  ou  le  Souverain  Pontife  de  chaque  Nation. 
L'excommu-      §•  XXXI.  Après  tout  cc  qui  vient  d'être  dit ,  on  comprend  pourquoi 
Druïd""em-   l'excommunication  du  Clergé  emportoit  avec  foi  l'exclufion  de  toutes 
poitoi  av.c   .|ç5  affemblées,  tant  civiles,  que  religieufes.  Parmi  les  Germains  ,   un 

foi  1  eïtlu  '        ^  '  o  ' 

fiou  le  i"u.ts  homme  qui  perdoit  fon  bouclier  dans  une  bataille ,  étoit  déclaré  infâme , 

les  aflem-         o  i  «  /  n  ., 

biées.tamci-  &  par  ccla  même  (244),  «il   ne   pouvoit  affifter  au  culte  divin,  ni 
îigicu'fe.?  "'  »  entrer  dans  l'affemblée  du  Peuple».  Dans  les  Gaules  (245) ,  «  les  particu- 


_^(23»;  Ci-d- §•  3.  not.  ïs. 

l[l4o)  Sirabo  XII.  s* 7.  Dryn^imeiui  ,  eft  UB 
nom  com^'ofé  de  trois  mots  Celtiques,  Dry,. 
trois,  Him  ou  No»,  nom  ;  Hms  oui/jn,  màifoii, 

(141)  Ci-d.  §   4'  not.  30. 

(^42)  C»f.  Yli.  II.  Sirabo  lY.  i 91,191, 


{*)  C'cft-àdire  ,  par  U  Divinité'  dont  le 
Chêne  e'toit  le  Symbole. 

(243    Ci-d.  Liv.  U.  ch.  6.  vers  la  an, 
(244)  Tacit.  Cerm.  t, 
(i+jjCîcf.  VI.  JJ. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    H.  i^p 

»  îiers  ou  les  Peuples  qui  refufoient  de  fe  foumettrè  aux  décifions  des 

«Druides    étoient    excommuniés.  C'étoit-là  ,  parmi  les  Gaulois,   la 

»>  plus    forte  de    toutes  les  peines  ,    parce   qu'on  regardoit  ceux  qui 

»  étoient  excommuniés  ,  comme  des  impies  &  des  fcélérats  ;  tout  le 

«monde  les  évitoit  ;  on  craignoit  de  les  approcher,  &  de  s'entretenir 

M  avec  eux  ,  comme  fi  l'on  avoit  appréhendé  d'en  être  infedé.  Il  n'étoit 

»  pas  permis  de  leur  rendre  juftice ,  lorfqu'ils  le  demandoient,  &  on 

»  ne  les  élevoit  à.  aucune  dignité  ».  Si  le  Clergé  Chrétien  ne  s'eft  pas 

modelé  quelquefois  fur  les  aâions  des  anciens  Druides,  au  moins  faut  il  * 

avouer  qu'il  en  a  bien  fou  vent  imité  la  conduite.  Mais  ce  n'eft  pas  de  quoi 

il  s'agit  ici. 

Il  eft  important  de  remarquer  que  les  malheurs  qu'entraînoit  après  foi  caufcsdesef- 
l'excommunication,  étoient  chez  nos  pères,  une  fuite  inévitable  de  leur  ^"^"/unciies 
fyflôme  religieux.    Les  Druides  étoient  maîtres  ,  Seigneurs  temporels  "'"nication 
&  fpirituels  des   lieux  confacrés.   C'étoit  dans  ces  lieux  qu'on  tenoit  "«• 
les  affemblées  civiles  &  religieufes ,  qu'oïl  adminiftroit  la  juftice ,  qu'on 
diftribuoit  les  charges  &  les  dignités  de  l'Etat.  Ainfi  un  homme  que  le 
Clergé  avoit  frappé  d'anathême  ,  étoit  privé  de  tous  les  avantages  de 
la  vie  civile  ,  parce  que  l'entrée  des  Sahûuaires  lui  étoit  abfolument  dé- 
fendue. Tacite  dit  (246)  que,  dans  les  affemblées  générales  des  Ger- 
mains, le  Sacrificateur  ordonnoit  au  Peuple  de  faire  filence,  5c  avoit 
même  le   droit  de  châtier  ceux  qui  n'obéiffoient  pas.  Il    eft  facile  de 
comprendre  fur  quoi  étoit  fondé  ce  droit  du  Sacrificateur.   L'affemblée 
fe  tenoit  fur  fes  terres ,  dans  un  lieu  confacré  au  Dieu  dont  il  étoit  le 
Miniftre.  On  voit  encore  ici  pourquoi  les  enfeignes  militaires  étoient 
ordinairement  gardées  dans  des  lieux  confacrés  (147).  C'étoit-là  qu'on  te- 
noit ,  au  commencement  de  chaque  Printems  ,  l'affemblée  générale  de 
la  Nation.   Les  particuliers  y  venoient  prendre  féance  tout  armés,  & 
auffitôt  que  la  guerre  étoit  réfolue ,  les  Chefs  tiroient  les  enfeignes  du 
lieu  oîi  elles  étoient  dépofées ,  &  chacun  alloit  fe  ranger  fous  fon  dra- 
peau ,  pour  entrer  en  campagne  fans  aucun  délai. 

§.  XXXII.   Enfin  comme  toutes  les  affemblées  civiles  &.  relîgîeiifes     on  tifoic 
des  Peuples  Celtes  fe  tenoient  dans  des  lieux  confacrés ,  on  v  faifoit  àuffi  *"  ''  ''*"'  '" 

'  '  /  Sa  utuair 


lires. 


les  feftins  par  lefquelsces  folemnités  finiffoient  ordinaireiîïent.  Ainfi  Dion  '«  '-""n»p« 

* ^^  Icf^tids  le» 

T  ' '« 

(x4<   Tacit.Germ.cap.il. 

(»47J  Tacit.  Hift.  IV.  i»,  Polyb.  II,  liy. 

Gg» 


affnhlUs  ci 
viies  Si  rcli- 
pituf,.s  lies 
Celtes  fiuif- 
foienc  orJi. 
naircnieac. 


136  HISTOIRE    DES    CELTES, 

dit  (  148)  «que  les  Peuples  de  la  Grande-Bretagne  offroient  leurs 
»  facrifices ,  &  faifoient  leurs  feftins  dans  des  forêts  confacrées  ».  Ta- 
cite dit  la  même  chofe  des  Bataves  (149).  «  Civilis  voulant  foulever 
»  cette  Nation  contre  les  Romains ,  aiïembla  la  Noblefle  &  les  plus  dé- 
M  terminés  du  Peuple  dans  une  forêt  facrée  fous  prétexte  d'un  feftin  ». 
On  voit  auffi  dans  Athénée  (150) ,  qu'un  Roi  de  Thrace ,  nommé  Cotys , 
alloit  fouvent  offrir  des  facrifices ,  &c  faire  bonne-chère  avec  fes  amis  dans 
ime  forêt.  Cette  forêt  étoit  un  Sanduaire ,  comme  on  l'entrevoit  par 
ce  qui  eft  ajouté ,  que  Cotys  fe  vantoit  qu'après  le  repas ,  Minerve 
venoit  ordinairement  le  trouver ,  &  pafToit  quelquefois  la  nuit  avec  lui. 
On  fera  obligé  de  faire  mention  de  ces  feftins,  en  parlant  du  culte  même 
dont  ils  étoientune  partie  effentielle.  Ainfi  il  n'eft  pas  nécefTaire  de  s'y 
arrêter  ici. 


iouu- 


C  H  A  P  I  T  R  E      I  II. 

letPcupirs  ^_  i_  (Jn  doit  parler  dans  ce  Chapitre,  du  tems  oii  les  Peuples  Celtes 

Celtes  teiioi.  •'^  rri'  ••  irjL-  •• 

em  le.irs  I-  tenoient  leurs  anembiees  religieufes.  Il  faudra  bien  diftinguer  ici  ce  qui 
gicufis  de  eft  certain  &c  indubitable ,  de  ce  que  l'on  ne  pourra  avancer  que  fur  des 
comp.Xiît-  conjeftures  ,  qui,  cependant,  ne  feront  pas  deftituées  de  vraifemblance. 
]«mL't's"&'  Ce  qu'il  y  a  de  conftant,  c'eft  premièrement,  que  toutes  les  afîem- 
non  pat  les  jjjées  religieufes  des  Celtes  fe  fdifoient  xle  nuit.  Jules -Céfar,  parlant 
des  Gaulois,  dit(i)  «  qu'ils  fe  vantoient  tous  d'être  iffus  du  père  Dis ^ 
»  &  qu'ils  dlfoient  l'avoir  appris  ainfi  de  leurs  Druides.  C'eft  pour 
»>  cela  qu'ils  mefuroient  le  tems  par  le  nombre  des  nuits ,  &  non  par 
M  celui  des  jours,  comptant  les  jours  de  leur  naiffance,  les  mois  &  les 
»  années  d'une  telle  manière  que  les  jours  fuivoient  toujours  la  nuit 
»  (*)».  Sans  répéter  tout  ce  qu'on  a  dit  ailleurs  du  Bis  des  Gaulois,  il 
fuffit  de  remarquer,  que  ces  Peuples  confacroient  la  nuit  au  Père  Bis  , 
qu'ils  regardoient  comme  le  créateur  de  l'homme ,  &  que  ,  par  cette  rai- 
fon,  ils  mefuroient  le  tems  par  le  nombre  des  nuits ,  &  non  par  celui 
des  jours.  Tacite  dit  la  même  chofe  des  Germains  (i)  :  «  C'eft  le  tems  de 


(248)  Ci-d.  Liv.  III.  eh.  1 6.  |.  8,  not.  43. 

(249)  Tacit   Hift   IV.  I4. 

(250)  Athen.  XII.  8. 
(f)C«farYI.  il. 


(*)  Voyez,  ci-deff.  p.  141.  not,  *.  p.  258,253. 


not. 


(2)  Tacit,  Geim.  cap,  11. 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    III.  237 

Ȕa  nouvelle  ou  de  la  pleine  lune  qu'ils  eftiment  le  plus  heureux. 
M  pour  entamer  les  affaires.  4u  lieu  que  nous  comptons  par  les  jours , 
w  ils  comptent  par  les  nuits  (*).  Tel  eft  le  flyle  dont  ils  fe  fervent  dans 
»  leurs  Ordonnances  &  dans  leurs  convocations  :  ils  croient  la  nuit 
»  plus  ancienne  que  le  jour». 

Comme  la  nuit  ctoit  confacrce  au  culte  des  Dieux,  on  lui  donnoit  la 
préférence  fur  le  jour.  Et  parce  que  les  ciffcmblées  civiles  étoient  ordi- 
nairement précédées  d'un  facrifice,  on  les  indiquoit  toutes  pour  la  nuit» 
Ainfi  la  Loi  Salique  porte  (3)  que  le  maître  d'un  efclave  acaifé  de  quel- 
que crime  ,  doit  le  préfenter  dans  le  terme  de  fept  nuits.  Les  Francs  con- 
fervoient  encore  cette  coutume  dans  le  neuvième  fîécle.  On  le  voir  dans 
les  Capitulaires  de  Charlemagne  ,  &  de  Lours-le-débonnaire  ,  où  il  eft 
ordonné  (4)  que  les  ajournemens  perfonnels  fe  donneront  pour  com- 
paroître  fept,  quatorze,  ou  vingt  &  une  nuits  après  l'affignation. 

Cette  manière  de  compter  tiroit  fon  origine ,  comme  on  vient  de  le 
dire ,  de  ce  que  les  aflemblées  civiles  des  Celtes  commençoient  par  uri 
facrifice  ,  ou  par  quelqu'autre  a£te  de  dévotion  qui ,  félon  l'ufage  de 
ces  Peuples  ,  devoit  s'offrir  pendant  la  nuit.  Il  paroît  effeftivement ,  par 
Tacite  (5),  que  les  Peuples  de  la  Germanie  choififlbient  toujours  la 
nuit  ,  pour  célébrer  leurs  Fêtes  folemnelles ,  &c  leurs  feftins  facrés  > 
pour  chanter  leurs  Hymnes  ,  pour  offrir  leurs  prières  &  leurs  facrifîces,, 
&  pour  s'acquitter  ,  en  un  mot ,  de  tous  les  devoirs  qui  appartiennent  à 
ce  qu'on  appelle  le  culte  extérieur  &  public  de  la  Divinité» 

Loccénius  a  prouvé  dans  fes  Antiquités  Suédoifes  (6),  que  cette  pra- 
tique s'étendoit  à  tous  les  Peuples  du  Nord,  &  on  ne  peutguères  dou- 
ter  qu'elle  ne  fiit  répandue  anciennement  par  toute  l'Europe.  En  voicî 
quelques  preuves  qu'on  a  eu  occafion  d'indiquer  dans  le  Livre  précé- 
dent (7).  M  Les  Celtibères  &  les  Peuples  qui  leur  étoient  voifins  du  côté 


(  *  j  Dans  les  Langues  Germaniques  ,  on  dt  l'Eitiieur, 
trouve  encore  des  veftiges  de  cette  manière  de 
compter.  En  Anglois,  Sni^th,  abréviation  de 
Seven-nigtht ,  (cft  nuits,  hgnifie  huit  jours,  for»- 
nei^i,  pour  F<,uri:rn  uigiki  ,  quatorze  nuits,  veut 
dire  quinze  jours.  En  AUemand  ,  Sibcn  /lachte, 
fivttt  nuchte ,  fept  nuits,  vc.it  dire  huit  jours,  U 
huitaine.  En  plufieuts  endroits  nos  Payfans  , 
pour  dire  4njoiird'hui  ,  fe  fervent  du  vieux  mot  crp.  4.  p.  t^. 
tinii  OU  ««")  coHompu  di»  Latin  hit  noUt,  Km  {      {j)  Ci-<?»  Liv.  III.  ch.  6.  §,  3,  not.  i» 


(})  Apud  Liiïdenbrog.  p.  jji    Tit.  XLII. 

{4:  Capit.  Karol  Mag.  Si.  Ludov.  Pii  lib  III. 
Tit.  4S.  p.  *8o.  &  in  Leg  Long.  lib.  II.  T  41» 
pag.  64 1. 

(s  Tacir.  Ann.  I.«ç.  Hift.  IV.  14.  Voyez.  ci-dV 
cha;}.  II.  $.  32.  not.  249. 

(«'  Joh.  LjcceniîAntiquitates  Sueo-Gothic<B: 


XI4  HISTOiRE     DES    CELTES, 

»  du  Septentrion,  choififfoient  la  nuit  de  la  pleine  Lune,  pour  vénérer 
»  lin  Dieu  fans  nom  ,  &c  ils  pallbient  cette  nuit  à  danler,  &  à  fe  réjouir 
»  avec  leurs  familles  hors  des  portes  ».  Les  Thraces  célébroient  aufîl  de 
nuit  la  Fête  de  leur  (8)  Cotys ,  ou  de  leur  Sabazius.  C'efl  par  cette  rai- 
fon  (9)  que  les  Athéniens  bannirent  de  leur  Ville  le  culte  de  ce  Dieu.  Des 
aifemblées  nofturnes  leur  étoient  fufpedes  à  plufieurs  égards  ;  mais 
pour  agir  conféquemuient ,  ils  auroient  di^i  abolir  encore  les  Myflcres 
d'Eleufis ,  qui  ayant  été  apportés  (10)  de  Thrace ,  fe  célébroient  aufli 
de  nuit,  à  la  lueur  des  flambeaux.  C'eft  encore  par  la  même  raifon, 
que  quelques-uns  ont  confondu  le  Sabailus  des  Thraces  avec  le  Bacchus 
des  Grecs ,  que  l'on  appelloit  (11)  Phanaces ,  Phaujîerius  ,  le  Dieu  des 
flambeaux ,  ou  Nicldius ,  le  Dieu  nodurne ,  parce  que  fes  myilères  fe 
célébroient  de  nuit. 

Il  y  avoit  à  Rome  un  ancien  ufage  fulvant  lequel  les  Dames  de  la  Ville 
alloient  faire  leurs  dévotions ,  une  fois  par  an  (  1 2)  ,  vers  le  commence- 
ment du  Printems  ,  dans  la  Forêt  d'Aricie.  La  coutume  vouloit  qu'elles 
s'y  rendiflent  de  nuit,  &  que  chaque  mère  de  famille  portât  à  Diane 
une  torche  allumée.  Macrobe  remarque  aufli  (13)  que,  lorfque  les 
Aborigines  offroient  des  facrifices  à  leur  Dis ,  ils  pofoient  fur  les  autels 
des  chandelles  allumées.  En  effet,  quoique  les  Celtes  tinflent  ordinaire- 
ment leurs  afi'emblées  religieufes  au  clair  de  la  lune  ,  ils  ne  laifl'oient 
pas  d'y  porter  chacun  fa  chandelle  ,  ou  fa  torche  allumée  ,  qu'ils 
alloient  pofer  devant  l'Arbre ,  devant  la  Fontaine  ou  la  Pierre  qui  étoit 
l'objet  de  leur  culte. 

Il  faut  même  que  cet  abus  ait  fubfiflé  dans  les  Gaules  &  dans  la  Ger- 
manie, après  l'étabhfî'eiTient  du  Chriflianifme ,  puifqu'il  nous  refte  un 
grand  nombre  de  Canons  &c  de  Capitulaires  qui  le  condamnent.  Voici 
ce  que  porte  un  Capitulaire  de  Charlemagne  (14).  «  A  l'égard  des  arbres, 
n  dés   pierres  &  des  fontaines  ,   où   quelques   infenfés   vont  allumer 


(s)  Ci-d.  Liv  m.  ch.  «.§.«■  not.  42.  §.  i  j. 
fiot.  94  97.  8c  ch.  I  j.  §.  3-  Peuc-étte  que  c'ell 
delà  que  les  Macédoniens  avoient  reçu  le  même 
ufage.  Q.  Cutt.  III.  8.  p.  m.  88. 

^)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  *.  ^.  i  2.  not.  97. 

(10}  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  i.  §.  j.  not.  9. 
,  (il)  Ci-deff.  Liv. III.  cTv.  Is-  §   3.  not.  30. 
ySvxjÎMts   N)litiiiu  ,    Btcchui ,   ciii    neile  Smr» 
fiant.  £tpitoi>  MagH.  p.  <o». 


";i2)  Ci-d  Liv.  III.  ch.  8.  §.  10.  noi.  95  Ell<» 
s'y  rendoient  le  jour  que  l'on  appelloit  Rigifu- 
gium.  L'ancien  Calendrier  Romain  que  Heinfîui 
a  fait  imprimer  avec  fon  Ovido,  met  la  fuite 
de  Tarquin  le  Superbe  &  le  commencement  du 
Printeir.s  au  22  Février.  VIH.  Ktl.  Mari, 

(i3;  Macrob.  Saturn.  lib.  I.  cap.  7. 

{14)  Capit.  Hatt.  JNlag.  lib.I.  Tit.  «4-  p.  lîSf. 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    III.  239 

H  des  chandelles,  &  pratiquer  d'autres  fuperfiitions  ,  nous  ordonnons 
»  que  cet  abus ,  il  criminel  8c  û  exécrable  aux  yeux  de  Dieu  ,  folt 
«aboli  &  détruit  partout  où  il  fe  trouvera  établi».  En  voici  un  au- 
tre  qui  efl  de_  la  même  teneur  (15)  :  «  S'il  fe  trouve  dans  une  Paroiffe  des 
»  infidèles ,  qui  allument  des  flambeaux ,  &  qui  rendent  un  fervice 
»  religieux  aux  Arbres  ,  aux  Fontaines  &  aux  Pierres  ,  le  Curé  qui 
»>  néoli^era  de  corriger  ces  abus,  doit  Hivolr  qu'il  fe  rend  coupable  dun 
»  véritable  facrilcge  >>.  Il  eu  dit  auffi  dans  un  Canon  de  la'Collection  de 
Burchard,  Evêque  de  Wormes  (i6}:  Vous  vous  êtes  rendu  à  une  Fon- 
wtaine,  à  un  Carrefour,  fous  un  Arbre,  ou  devant  une  pierre,  &c 
y>  là ,  par  vénération  pour  ce  lieu  ,  vous  avez  allumé  une  chandelle  ou 
»  un  flambeau  ». 

L'Eglife  Chrétienne  ayoit  raifon  de  condamner  cette  fuperftition  , 
parce  qu'elle  faifoit  partie  de  l'Idolâtrie  Payenne.  C'étolt  un  hom.mage 
religieux  que  l'Idolâtrie  rendoit  aux  Arbres ,  aux  Fontaines,  aux  Pierres, 
qu'on  rcgardoit  comme  le  fymbole  ou  le  fiége  de  la  Divinité.  Mais 
au  refle,  il  étolt  très-naturel  que  des  gens  qui  alloient  faire  leurs  prières 
de  nuit  dans  des  campagnes ,  &  dans  des  forêts ,  ne  s'y  rendiflent  pas  fans 
lumière.  Ce  qu'il  y  a  ici  de  particulier,  c'efl  que  l'Eglife  Chrétienne, 
qui  célébroit  {es  afTemblées  en  plein  jour,  ne  laifTa  pas  de  permettre  ,  & 
même  d'ordonner  (17)  aux  nouveaux  convertis,  d'offrir  au  Seigneur 
les  cierges  qu'ils  avoient  coutume  de  préfenter  à  leurs  Idoles. 

On  ne  s'écartera  pas  beaucoup  du  fujet,  en  remarquant  que  la  coutume  c'eftrotiqin» 
qu'avoient   les  Peuples   Celtes  de  s'aflembler  de  nuit,  pour  le  fervice  al'torckrt 
de  la  Divinité,  efl:   l'orieine  d'une  fable   auffi  ancienne  qu'enracinée  i"! ,™"' ■*" 
dans  l'efprit  du  vulgaire;  c'eft  celle  du  fabbat,  ou  de  l'aflemblée  noc- 
turne des  Sorciers.  Lorfque  la  Religion  Chrétienne  eût  été  établie  dans 
les  Gaules  &  en  Allemagne,  par  autorité  publique,  les  perfonnes  qui 
demeuroient  attachées  à  l'ancienne  Religion  ,  fe  déroboient  fecrettement 
pendant  la  nuit ,  pour  fe  rendre  aux  afTemblées  qui  fe  tenoient  dans  des 
campagnes  &  dans  des  forêts.  Nous  verrons  en  fon  lieu,  que  le  culte 


(15)  C»pit.  Karol.  Mag.  lib.  7.  Tit.  136. 
pag.  1093    Voyez.  iuK  Kcydcr,  p.  14. 

(  1  «)  Burchard.  CoUeft.  Can.  lib.  X.  cap.  3 1. 
lib.  XIX.  pag.  270.  Voyez,  aullj  Hagemberg  Diff. 
VllI.  J.  l?.  p.  »o».  Keyllcr.  p.  13.  m,  i«.  «>, 


&  feq.  Lindenbr.  Gloflar.  p.  1357.  1 390. 

{17)  Concil.  Ninnet.  ap.  Labbium  Tom.IX. 
pag  474.  &  apud  Keyfler.  p.  1  $.  Baluz.  Capit. 
Tora.  I.  p.  s  5  4.  Se  ap.  Keyûet.  p.  14.  i  j. 


X40  H  I  S  7  O  î  R  E     D  E  S    C:  E  /.  TES, 

même  que  l'on  offroit  à  la  Divinité ,  clans  ces  aiTemblées ,  confiftoit  d?ns 
des  facrifices ,  des  danfes  ,  des  divinations  &c  des  cércmonies  magiques. 
Les  Druides  qui  préfidoient  à  ces  fuperftitions  ,  fe  vantoient ,  d'ailleurs  , 
d'être  des  devins  qui  connolfloient  lepréfent,  le  paffé,  l'avenir,  avec 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  caché  dans  la  nature  ;  &c  des  magiciens  qui 
avoient  le  fecret  d'évoquer  les  âmes ,  de  changer  les  hommes  en  bétes ,  &c 
âe  boulverfer  toute  la  nature  par  leurs  enchantemens.  Tout  cela  don- 
na lieu  à  des  Chrétiens  peu  éclairés ,  d'accufer  les  Payens  qui  reftoient 
encore  dans  le  Pays,  d'être  des  Sorciers  qui  traverfbient  l'air,  montés 
fur  des  balais,  qui  célébrolent  des  afferablces  noûurnes  avec  les  Dé- 
mons, &  qui  danfoient  en  cérémonie  autour  du  Diable,  qui  leur  appa- 
roiffoit,  &  recevoit  leurs  hommages  fous  la  forme  d'un  bouc. 

Ce  qu'il  y, a  ici  de  plusfurprenant,  c'eft  qu'il  n'y  eut  pas  jufqu'au  Clergé 
Chrétien  qui  n'ajoutât  foi  à  ces  fables.  On  le  voit  dans  plufieurs  an- 
ciens Canons  que  M.  Keyflcr  a  ramafles ,  &  qui  défendent  trés-férieu- 
fement  aux  Fidèles  (i8)  de  fe  rendre  au  fabbat,  &  de  participer  aux  divi- 
nations, aux  enchantemens ,  &C  aux  cérémonies  magiques  que  les  Sor- 
ciers y  pratiquoient  ,  dans  Ja   vue  d'obtenir  du  Démon   des  connoif- 
.fances ,  ou  des  richeiTes  que  le  Providence  leur  avoit  refufées. 
On  ignore       §.  II.  Pour  revenir  à  notre  fujet ,  il  eft  bien  difficile  de  pénétrer  les 
x;ekcTfa'ifoi-  raifous  que  les   Celtes  pouvoient  avoir  de  faire  le  fervice  pendant  la 
l'urs''a(T"m'- '  t^^ï^-  ^^^  affemblées  noôurnes  ont  :quelque  chofe  d'étrange  &  de  dan- 
^''iîi's'  """    gcrcux,  &  ne  conviennent. guères  qu'à  des  Eglifes  qui  n'ont  pas  le  libre 
«lèiigieufes,     excrcice  de  leur  Religion.  Mais  cette  coutume  de  s'aflembler  de  nuit ,  de- 
voit  fur-tout  paroître  fâcheufe  à  des  Peuples  qui ,  célébrant  leurs  myftè- 
tcs  en  plein  air,  &  dans  des  lieux  éloignés  de  leur  habitation,  étoient 
obligés  de  faire  de  longues  traites  pendant  la  nuit ,  &  de  la  paffer  à  la 
Jjelle  étoile.  Il  faut  avouer  qu'on  a  de  la  peine. à  comprendre  comment 
une  coutume  fi  extraordinaire  avojt  |)u  s*introduire  ,  &C  fe  maintenir  parmi 
les  Celtes,  pendant  une  longue  fuite  de  fiécles,  d'autant  plus  qu'on  ne 
trouve  rien  dans, leur  Religion  qui  pût  fervir  de  fondement  à  cet  ufage. 
sErteurdeJu-      Jules-Céfaf  dit ,  à  la  vérité ,  daus  le  paflage  déjà  cité  (*)>  «  que  les 
'^confondu Je  »<  Gaulois  fe  croioient  iffus  du  Dieu  Dis ,  &  que ,  par  cette  raifon ,  ils 


M 


(  iS  )    Gulathings   Làgen    Kriftendomsbalk  1  frcfne  in  Gloflar.  Tom.  II. p. 52,  Keyùeif.fa. 
cap.   I.  apud  Keyfler  pag.  89.  Butchard.  Hb.  I.     Bruck.  p.  333. 
,cap.  S4.  ^.44.,  foU  is.  Edit,  Patif,  1549.  Du  1       {*)  Ci-d.  $.  i.initb 

«mefurolent 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    III.  ^41 

»»  mefuroient  le  tems  par  le  nombre  des  nuits ,  &  non  par  celui  des 
»  jours  ».  Mais  il  eft  vifible  que  Jules  Céfar  a  confondu ,  dans  cette  occa- 
fion ,  le  Dis  des  Grecs  &  des  Latins,  avec  celui  des  Gaulois.  Les  Romains 
facrifioient  de  nuit  à  Pluton  &  aux  autres  Divinités  qui  avoient  la  direc- 
tion du  Royaume  des  ténèbres.  Au  lieu  de  cela,  le  Dis  des  Gaulois étoit 
l'Etre  fuprême  ,  l'Efprit  univerfel ,  le  créateur  du  monde  &  de  l'homme. 
On  le  plaçolt  dans  le  Falhalla,  c'çfl-à-dire,  dans  le  féjour  de  la  gloire  & 
de  la  félicité. 

Pourquoi  les  Celtes  confàcroient-ils  à  Dis  la  nuit  préférablement  au 
jour  ?  Il  faut  convenir  qu'on  ne  le  fçait  pas ,  ou  qu'au  moins ,  on  n'en 
peut  rien  dire  de  certain  ;  &  ,  quand  on  confidere  qu'un  ufage  fi  extraor- 
dinaire ,  étoit  commun ,  autrefois ,  à  tous  les  Peuples  de  l'Europe  ,  cette 
uniformité  conduit  naturellement  à  croire  qu'ils  la  tenoient  tous  du 
même  lieu,  &  qu'ils  étoient  originairement  la  même  Nation. 

S'il  eft  permis ,  après  cela ,  d'expofer  fes  conjeûures ,  il  y  a  lieu  de 
foupçonner,  1°  que  cette  pratique  tiroit  fon  origine  de  l'ancienne  ma- 
nière de  vivre  des  Peuples  Celtes.  C'étoient  des  Bergers  qui  ne  pou- 
voient  guères  quitter  leurs  trotipeaux ,  ni  s'affembler  que  pendant  la: 
nuit,  i.**  Ce  qui  contribuoit  encore  beaucoup  à  l'établir ,  &  à  la  faire 
paffer  en  coutume  ,  c'eft  que  les  affemblées  noûurnes  étoient  favo- 
rables au  divinations ,  &  aux  cérémonies  magiques  (*) ,  qui  faifoient 


(  •)  Les  aflcrablées  nofturnes  étoient  encore 
plus  favorables  i  la  friponnerie  des  Prêtres, 
qui  faifoient  illufion  au  Peuple  &  lui  perfua- 
doient  ce  qui  n'ctoit  pas.  Mais  ,  comme  les 
Celtes  s'alTcmbloient  de  nuit  avant  le  charla- 
tiiiifcne  de  leurs  Prêtres ,  je  ne  crois  pas  que  les 
divinations  8c  les  ccremonies  magiques  cuflcnt 
contribué  à  faire  recevoir  la  coutume  de  s'af- 
fembler de  nuit.  Cet  ufage  venoit  incontefta- 
blement  de  l'ancienne  manière  de  viyre  des 
Peuples,  &  remontoir  jufqu'aux  premiers  tems 
où  les  hommes  furent  fur  la  terre.  Je  le  prou- 
verai ailleurs.  Mais  les  divinations  &  les  céré- 
monies magiques  que  la  friponnerie  des  Prê- 
tres avoir  mis  en  vogue  ,  étoient  bien  pofté. 
lieures  à  ces  premiers  tems.  Ce  qui  contribua 
à  établir  d'une  manière  fixe  l'ufage  de  s'affem- 
bler de  nuit  pour  l'exercice  de  la  Religion, 
c'eft  ,  i  mon  avis,  i*.  que  les  Celtes  étoient 
dans  lanccelTité,  pour  fe  procurer  les  chofes 
(leccflaires  à  la  vie ,  de  meoei  f  aîtçc  leius  ttou- 
Tomt  II, 


Dis  des  Cel- 
tes  avec  le 
Dn  ,  Adcs 

ou  Pluton  tics 
Grcts  tic  des 
Latias. 


Conjeflurc» 
fui  l'i  ri^me 
des  affjin- 
blé;.s  uoâur- 
n:s  parmi  \tH.- 
Celtes. 


peaux  pendant  tout  le  jour  ,  d'aller  à  la  chaiTe 
des  bêtes  fauvages  dont  la  peau  pouvoit  les 
couvrir  &c.  ce  qui  ne  leur  lailfoit  pas  le  terni 
de  s'affembler  de  jour  pour  leurs  affaires  &  pour 
faireen  commun  l'exercice  de  leur  Religion  ï°. 
Lefilence&l'obfcurité  de  la  nuitfcmblent  ren- 
dre les  affemblées  plus  auguftcs  &  infpirer  i 
ceux  qui  fe  font  affemblés  pour  prier  la  Divi- 
nité, une  frayeur  religieufe  qui  les  rend  moins 
diftraits  dans  leurs  prières.  Telle  eft  ,  à  ce  que 
je  crois  ,  l'origine  des  alTemblées  nofturnes. 
Mais  je  ne  penlé  pas  que  cela  ait  donné  lieu  à 
cet  autre  ufage  ,  de  compter  par  les  nuits  8e 
non  point  pat  les  jours.  L'origine  de  ce  fécond 
ufage  doit  venir  de  ce  qu'avant  la  création  du 
monde,  avant  la  création  du  Soleil  &  des  au- 
tres Alites  ,  les  ténèbres  couvroient  la  face  de 
l'abîme.  C'eft  pourquoi  Moyfe  place  toujours 
la  nuit  la  première',  c'eft  à-dire  avant  le  jour, 
&  du  foir   &  du  tMiin  /c  fit  te  premier  jtur  ,  &<r, 

Gcncf.  I,  5.  t.  ij,  ip.  li-  31.  Note it l'Editeur^ 


»4x  HISTOIRE    DES    CELTES, 

reïïentlel  de  la  Religion  des  Celtes.  Ces  Peuples  auroient  été  louables, 
s'ils  euffent    cherché  la  retraite  &   le  filence  ,  pour  adorer  la   Divi- 
nité,  fans  aucune   diftraâion ,  &:  dans  un  parfait  recueillement.  Mais, 
comme  ils  tenoient  leurs  affemblées  religiçufes ,  loin  des  Villes,  &  des 
Villages,  dans  des  lieux  folitaires  &  incultes,  afin  que  la  Divinité,  qui, 
félon  leurs  idées,  ne  rempliflbit  que  fes  propres  ouvrages  ,  eût  le  paflage 
ouvert  &  libre,  Sc  que  fon  aftion  ne  fût  point  troublée  p^r  quelque 
caufe  étrangère ,  ils  avoient  auffi  la  fuperftition  de  choifir  la  nuit  pour 
lé  culte  des  Dieux  ,  parçç  qu'ils  s'imaginoient  que  le  tems  où  la  nature 
eft  dans  une  efpèce  de  filence ,  étoit  le  plus  propre  pour  entendre  la  voix 
de  la  Divinité ,  &  pour  obferver  les  fignes  &  les  avertiffemens  qu'elle 
donnoit  au  genre  humain.  Les  Magiciens  auffi  ne  pratiquoient  guèr>;s 
leurs  cérémonies  que  pendant  la  nuit ,  où  une  imagination  bleflée  croit 
voir  des  fpeftres  &  des  fantômes  qui  difparoiffent  auffitôt  que  le  jour 
commence  à  fe  montrer. 
^  Ms  tenoiciit       §.  III.  Il  ne  paroît  pas  que  les  Celtes  partageaient  les  mois  &  les  an- 
Wcctau  c'ait- nées  en  femaines  ,  ni  qu'ils  confacraflent  un  jour  de  chaque  femaine 
âtunc     g^j  culte  de  leurs  Dieux.  Mais  une  chofe  qui  eft  certaine,  c'efl  qu'ils 
choififlbient  ordinairement  le  clair  de  la  Lune  pour  les  Afl'emblées  pu- 
bliques &  folemnelles  (19).  Ainfi  les  Celtib^res  &  les  Peuples  qui  leur 
étoient  voifins  du  côté  du  Septentrion ,   s'aflembloient  de  nuit  dans  le 
tems  de  la  pleine  Lune  ,  pour  vénérer  un  Dieu  fans  nom  ,  &  paffoient 
toute  la  nuit  à  danfer  &  à  fe  réjouir  avec  leurs  familles  hors  des  portes. 
Le  même  ufage  étoit  établi  parmi  les  Germains  (io).  «Hors  les  cas  im« 
M  prévus ,  dit  Tacite ,   on  ne  tient  l'Affemblée  générale  qu'à  des  jours 
»  fixes.  C'eft  le  tems  de  la  nouvelle  ou  de  la  pleine  Lune  qu'ils  eftiment 
»..le  plus  heureux  pour  entamer  les  affaires,  »  Confacrant  aux  Dieux  le 
jour  de  la  nouvelle  &  de  la  pleine  Lune ,  ils  croyoient  que  ces  jours 
étoient  les  plus  propres  pour  traiter  les  affaires  importantes ,  parce  que  la 
Divinité ,  favorable  au  culte  &  aux  prières  de  fes  adorateurs ,  préfidoit 
alors  d'une  façon  particulière  à  leurs  délibérations. 

Les  Gaulois  aufïï  faifoient  leurs  Affemblées  au  clair  de  la  Lune.  C'eft 
à  çaufe  de  cela  qu'ils  comptoient  leurs  mois  ^  leurs  années,  non  pas 

•— ~— ^ I  I   I  II     .  1         ,      I.    M*>       I  " 

(i»)  Ci-d.  §.  I,  not.  7.&Liv.  III.  ch.  S.^.f,  net.  j, 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    III.  145 

tîepuîs  ce  que  nous  appelions  la  nouvelle  Lurie  ,  mais  depuis  le  jour  ci 
elle  répandoit  une  lumière  fuffifante  pour  les  éclairer  pendant  qu'ils  al- 
loient  à  leurs  Sanftuaires ,  ou  qu'ils  en  revenoient  (n).  «  Les  Druides  , 
»  dit  Pline,  cueillent  le  Gui  de  chêne  le  fixiéme  jour  de  la  Lune,  &  c'eft 
»à  ce  jolir  qu'ils  placent  le  commencement  des  mois,  des  années  &C 
»  des  fiécles ,  qui  font ,  parmi  eux,  de  trente  ans.  Ils  fondent  cet  ufage  fur 
»ce  qu'alors  la  Lune  a  déjà  aflez  de  force,  bien  qu'elle  ne  foit  pas  en- 
»  core  parvenue  à  la  moitié  de  fa  grandeur.  » 

Cette  manière  de  calculer  ne  tiroit  pas  fon  origine  de  l'ancienne  Aftro- 
nomie  ,  qui  comptoit  la  nouvelle  Lune ,  non  pas  de  fa  cohjonftioii 
avec  le  Soleil,  ou  de  fon  émerfion  des  rayons  de  cet  Aftre,  mais  depuis 
le  jour  où  elle  commence  à  paroître.  La  Lune  paroît  avant  le  fixiéme  jour. 

On  peut  encore  moins  approuver  la  conjedure  de  ceux  qui  ont  cru  que  Pau  tTe  ccn- 
les  Gaulois  trouvoient  quelque  myftère  dans  le  nombre  de  fix  (12),  «  le  lAmcurde/a 
«regardant  comme  le  plus  facré  de  tous,  &  pouffant  la  fuperftition  ol'aZW'oa. 
wjufqu'à  renverfer  pour  lui  faire  honneur,  l'ordre  des  mois,  des  '^''•""«tufa' 
«années,  des  fiecles.  » 

Les  paroles  de  Pline  infihueroient  plutôt ,  que  les  Gaulois  dônnoienf     Explication 
dans  une  fuperftitioti  affez  commune  aux  Aftrologues  &  aux  Magiciens ,  pjnet  "^^  * 
qui  s'imaginoient  que  le  Gui  de  chêne  &  les  autres  plantes  a  voient 
plus  de   vertu  ,  étant  cueillies  fous  certaines   conftellations  ,    &    dans 
certaines  phafes  de  la  Lune.   Mais   ces   paroles  ont  un  fens  beaucoup 
plus  fimple  &  plus  naturel.  Les  Gaulois,  tenant  leurs  Affemblées  au  clair 
de  la  Lune  ,  les  commençoient  au  jour,  où  elle  avait  déjà  a^e:^  de  force  ^ 
c'eft-à-dire ,  où  elle  donnoit  affez  de  lumière  pour  les  éclairer.  Selon 
les  apparences ,  ces  Affemblées  continuoient   enfuite  pendant  toute  la         " 
pleine  lune,&  peut-être  jul'qu'au  dernierquartier;  de  manière,  cependant, 
que  celles  du  jour  de  la  nouvelle  &  de  la  pleine  Lune  étolent  les  plus 
nombreufes  ôi  les  plus  folemnelles.  Le  fixiéme  jour  de  la  Lune  étoit 
donc  le  commencement  des  mois  &  des  années ,  parce  que  c'étoit  le  jour 
où  commençoient  les  folemnités  publiques  &  religieufes. 

Il  paroît  fort  vraifemblable  que  cette  manière  de  compter  le  com- 
mencement du  mois  depuis  le  fixiéme  jour  de  la  Lune,  étoit  commune 


(21)  Flih.  XVI.  cap.  44.  pag.  4 1  î.  Les  Indiens  comptoient,  ï-pcu-près ,  de  la  même  maaièlié^ 

■ri  " '- 

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Curtiutlib.  vin.  cap.  j.p    386.  ■.   ;     T  1  'i"    ;:''   •-■'' 

iiîjRelig.  des  Gaulois,,  lib.I. p.  14.     •       •  .•  A  •  ■  .  .\>-\- -.       .» 


les  Cc!t;s 
jvoient  aullî 
des  l'êiÇ5  io- 
Icmr.cl'.es  q'.ii 
reveiioiontrc- 

tous  les  aiis> 


144:  HISTOIRE    DES     CELTES, 

aux  Germains  6c  aux  Gaulois;  vz  par  cela  même ,  que  ces  Peuples  con- 
f'acroient  à  leurs  Dieux  certains  jours  de  la  Lune  ,  ils  regarJoicnt 
a^iffi  ces  jours,  comme  le  tems  le  plus  favorable ,  non-reiilemeni  pour  les 
délibérations  importantes ,  mais  encore  pour  toute  forte  d'entreprifes. 
Par  exemple,  les  Druides  vouloient  que  l'on  cueillît  le  Gui  de  chêne  (13) 
dans  certains  jours  de  la  Lune  ,  &  qu'on  prît  la  même  précaution  po.ir 
ramafier  les  œufs  de  Serpens,  auxquels  ils  attribuoient  une  grande 
vertu.  On  voit  auffi  les  Prophétefles  ,  qu'Ariovifte  avoit  dans  fon  armée 
(14),  lui  déclarer  que  les  Germains  feront  infailliblement  battus  ,  s'ils 
n'attendent  la  nouvelle  Lune  pour  livrer  bataille  aux  Romains. 

§.  IV.  Outre  ces  Aflemblées  ordinaires  que  les  Celtes  tenoient   dans 
certains  jours  de  la  Lune,  ils  avoient  encore  des  fêtes  folemnelles,  qui  re- 
venoient  tous  les  ans  dans  la  même  faifon.  On  a  eu  occauon  d'en  nom- 
mer plufieurs  dans  les  Livres  précédens  (15).  La  fête,  accompagnée  de 
proceffions  &  de  réjouiflances,  que  les  Germains  &c  la  plupart  des  autres 
Peuples  de  l'Europe  ,  célébroient  à  l'honneur  de  la  terre.  La  fête  que  les 
Thraces  appelloient  (16)  Contiu  Se  BendiJia^àw  nom  des  Dieux  aux- 
quels elle  étoit  confacrée.  Elle  reflembloit  aux  Bacchanales  des  Grecs , 
&  ne  différolt  point  de  celle  que  d'autres  Thraces  célébroient  fous  le 
nom  de  (  27  )  Sabaiia.  La  fête  annuelle   que  les  Habitans  du  Gévau- 
dan  (28)  alloient  célébrer  pendant  trois  jours   fur  le  Mont  Hélanus. 
Celle,  encore ,  que  les  (29)  Anglo-Saxons  faifoient,  au  mois  d'Avril , 
en  l'honneur  de  la  Déeffe  Eoftre. 
îj  principale      La  plus  folemnelle  de  toutes  ces  fêtes  ,  étoit  celle  que  l'on  célébroit 
tés  ccUiqKs  au  commencement  de  chaque  Printems  ,  &  dans  laquelle  les  Nations 
au''oa"appci-  entières  fe  réuniffoient  par  leurs  Députés ,  pour  délibérer  fur  les  befoins 
'/'^M^s'ou  ^^  l'Etat.  Elle  étoit  généralement  obfervée  par  tous  les  Peuples  Scythes 
i^iMay.        &  Celtes.  Les  Etrangers  l'ont  appeliée  avec  raifon  (3o),/e  champ  de 
Mars,  foit  parce  qu'elle  étoit  confacrée  au  T>\t\xTeuto\\Odin,  qui  pré- 
fidoit  à  la  guerre ,  fuivant  la  Doftrine  de  ces  Peuples ,  foit  parce  que 


(i3)Plin.XXIX.  3.  p.  «81. 

(24)  Ccfar  I.  50.  Elutarch.  Czfar  I,  717. 
Dio.  Cair.  lib.  xxxviii.  pag.  90.  C!em.  Alex. 
SttORi.  lib.  I-  cap.  15.  pag.  jSo.  Les  Lace'démo- 
niens  avoient  la  même  fupetfticion.  Faufan  At< 
tic.  pag   tf«. 

(15)  Ci-d.  Liv.  m.  ch.  t.  $.  3.  &  fuir. 


(ï6)  Ci-d.  Liv,  III.  ch.  6.  §.  6.  not.+î. 

(17)  Ci-d.  Liv.  ni.  ch.  15-  §■  3. 

(îS)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  s.  §.  4. 

(ij)  Ci-d.  Liv.  111.  ch.  \6.  §.  s>. 

(30)  Vita  Sanfti  Remigii  ap.  Do  Chefnc 
Tom.  I.  p.  sii.Voyet,  aufli  Keyflcr,  &  Ici  Mi 
tcuis  ^u,!il  cite  f.  I7. 


LIVRE    IV,    CHAPITRE    III.     •         245 

le  fujet  le  plus  ordinaire  de  l'AfTemblée  étoit  de  déterminer  de  quel  côté 
on  porteroit  la  guerre  pendant  le  cours  de  l'année.  D'autres  l'ont  np- 
pe'.'ée  (3  i),  k  champ  de  Mai,  parce  qu'elle  fe  tenoit  régulièrement  dans 
ce  mois. 

Trois  chofes  diftinçfuoient  fur  tout  cette  folemnitc.  Premièrement ,  c'é- 
toit  la  tcte  des  Nations  entières,  &  non  pas  celle  des  Cantons  qui,  vrai- 
femblablement ,  s'afl'embloient  quelque  tems  auparavant,  pour  donner 
leurs  infiruftions  aux  Députes  qu'ils  envoyoient  à  l'affemblée  générale. 
En  fécond  lieu,  on  y  immoloit  des'victimes  humaines  pour  la  profpé- 
rite  &  le  bon  fuccès  de  la  campagne  cii.ie  l'on  alloit  commencer.  «  Entre 
»les  Dieux,  diibit  Tacite  (31),  If 5  Germains  fervent  principalement 
»  Mercure  ,  ils  croyent  même  qu'il  eft  permis  de  lui  immoler,  dans 
»  certains  jours  ,  des  viûimes  humaines.  »  Le  tems  où  il  étoit  permis  , 
&  même  ordonné  d'offrir  ces  cruels  facrifices,  étoit  celui  de  l'Afiemblée 
générale.  On  le  voit  dans  un  paffage  du  même  Tacite  ,  qu'on  a  déjà 
cité  (33).  «Tous  les  Peuples  Semnoms  s'affemblent  à  certains  jours 
»par  leur  Députés,  au  milieu  d'une  forêt  facrée  ,  pour  célébrer  les  af- 
«  frcufes  cérémonies  de  leur  culte  barbare,  dont  la  premiers;  eft  d'im- 
»> moler  un  homme  (34)  en  public.» 

Peut-être  faut-il  rapporter  au  même  ufage  ce  que  Jules-Céfar  dlfoit  des 
Gaulois  (35)  :  Piibliceqiu  ejufdcm  generis  habent  injlituta  facrifida.  Ces  fa- 
crifices ,  autorifés  par  les  Loix,  s'offroient  publiquement  dans  l'Afiem- 
blée du  Peuple;  &  c'eft,  pour  le  dire  en  paffant,  la  raifon  pourquoi  leurs 
Magiftrats  étoient  annuels  (36).  On  les  renouvelloit  au  commencement 
de  chaque  année  dans  l'Afiemblée  générale.  Nous  avons  vit  auflî  que 
dans  une  fête  annuelle ,  que  les  Scythes  célébroient  à  l'honneur  de  leur 
Mars,  ils  immoloient  ,  cntr'autres  viftimes  ,  le  (37)  centième"  des 
Prifonniers  qu'ils  avoient  faits  à  la  guerre.  Il  n'y  a  point  à  douter  que 
cette  fête  ne  fîit  celle  de  l'Afll'mblée  générale. 

Enfin ,  le  champ  de  Mars  étoit ,  préférablement  à  toutes  les  autres 
fêtes  des  Cehes,  un  tems  de  réjouiffance  6c  de  bonne  chère.  Comme  les 


(3i)VitaSan(aiKeniigii  ibid.  Sigebert  ad  An. 
6iz.  F»jet,aulli  Ejiiuliarii  vit.  Caroli  M.  cap.  i. 
pag.  p.Paul.  Diac  Rer  Longob.  Iib,  Hl.cap.  i8. 
pag.  jvz.  &  Ho:oman  Fiauco-Gall.p.  \i%, 

(i  a)  Tacit.  Gocm.  9. 


(3  ;^  Cid.  ch.  II.  §    J.iiot.  2{. 

{i^)  Tacit.  Gcrtti.  35. 

(5  5    Cafar  VI.  16. 

(}6    Cïtfarl.  ifi.  VII.  32. 

(3  7)Ci  d.  cU.  II.  $  ii.not.  Ȕ; 


a4<5  HISTOIRE    DES    CELTES, 

dignités  &  les  commandemens  fe  dillribuoient  dans  l'Affemblée,  &  qua 
toutes  les  affaires  s'y  décidoient  à  la  pluralité  des  voix ,  les  grands  Sei" 
gneurs  n'épargnoient  ni  carrefles,  ni  dépenfes,  pour  gagner  des  AifFrages 
&  pour  augmenter  le  nombre  de  leurs  clients  ;  &c  parce  que  le  grand 
moyen  de  gagner  un  Celte  ,  étoit  de  le  régaler  &  de  le  faire  boire ,  la  No- 
blefle  &  les  Chefs  de  parti  tenoient  table  ouverte,  aufll  long-tems  que 
la  folemnité  duroit* 

On  ne  fe  trompera  affurément  pas ,  en  rapportant  à  cette  fête  ce  que  dit 
Hérodote  (38) ,  que  chaque  Chef  de  Province  donnoittous  les  ans  un  fef» 
tin ,  auquel  affiftoient  tous  les  braves  qui  avoient  tué  un,  ou  pliifieurs  en- 
nemis à  la  guerre.  Les  braves  étoient ,  fur-tout ,  careflés  &  flattés ,  parce 
qu'au  milieu  de  Ces  Peuples  belliqueux,  le  fiiffrage  d'un  guerrier  em- 
portoit  ordinairement  après  foi ,  celui  de  toute  l'Aflemblée. 

Les  Romains  célébroient,  au  commencement  de  chaque  Printems  , 
une  ancienne  fcte ,  qui  pourroit  être  la  même  que  celle  dont  on  vient  de 
parler;  i''.  elle  étoit  confacrée  au  Père  (39)  Dis ,  qui  étoit  le  Teut  ou 
Je  Mars  des  Celtes,  a^.  On  y  offroit  à  ce  Dis  des  vidimes  humaines  ,  &C 
après  que  ces  barbares  facrifices  eurent  été  abolis,  on  en  conferva  une 
image,  en  jettant  dans  le  Tibre  des  hommes  de  paille.  3".  Cette  fête 
tomboit.,  à  peu  près  ,  fur  le  jour  de  la  Lune ,  oii  les  Celtes  tenoient  leurs 
Aflemblées.  Denis  d'Halicarnaffe  l'a  remarqué  (40):  «  Ort  précipite  ces 
»  figures  d'hommes  dans  le  Tibre  peu  après  l'équinoxe  du  Printems , 
»  au  jour  que  les  Romains  appellent  les  Ides  de  May ,  &c  où  ils  difent  que 
»  la  Lune ,  parvenue  à  la  moitié  de  fa  grandeur ,  partage  le  mois  en 
w-deux  parties  égales.  » 

§.  V,  Il  n'eft  pas  nécefiàire  d'avertir ,  qu*outre  lés  fctéS  qui  étoient  ob- 
fervées  dans  toute  la  Celtique,  il  y  en  avoit  d'autres  ,  qui  ne  l'étoient 
qiicsavoicfes  îjuc  dans  ccrtaihes  Contrées.  Il  en  étoit  ^  à  cet  égard,  des  Celtes, 
comme  de  toutes  les  autres  Nations,  oîi  chaque  Province  ,  chaque  Ville 
trouve  dans  des  événemens  &  dans  des  délivrances ,  ^ui  lui  font  pro- 
pres^ le  motif  de  quelque  folemnité  particulière.  Ainfi  les  Habitans  de 
nie  de  Thulé  célébroient  tous  les  ans,  au  mois  de  Janvier  C41),  une 
grande  fête  dans  laquelle  ils  fe  réjouiffoient  du  retour  du  Soleil,  qui 


'Char|iic  Cah. 
't.>n  des  Na- 
tions CeUi- 


(3«)  Herodot.  IV.  «5. 

(39)  Ci  d.  Liv.  III.  ch.  6.  §.  ii. 

(ifoj  Dioa^rf.  Halic.  -I.  30.  Bafeb.  Pracj.  Ev.  ■ 


tib.  IV.  cap.  I  S.  p.  160. 

(41}  ftocop.  Goth.  lib.  II.  ca^.  is.p.^i}* 


LIVRE     IV,    CHAPITRE    III.  14? 

dcvoit  reparoître  fur  leur  horizon  au  bout  de  quelques  jours. 

On  trouve  encore  qu'il  y  avoit  des  fêtes  qui  ne  revenoient  qu'après 
la  révolution  de  quelques  années.   Par  exemple,  celle  où  les  Gétes  dé. 
péchoient  des  Meffagers  à  leurs  Zamolxis  (  4O  »  ^^  célébroient  tous  les 
cinq    ans.  Les  Peuples  du  Nord  avoient  auffi  leur  grand  Juul  (43)» 
c'eft-à  dire,  leur  grande  fête,  quife  çélébroit  de  neuf  en  neuf  ans  ,  U 
pendant  laquelle  on  immoloit  aux  Dieux  (44)   quatre-vingt-dix-neuf 
hommes ,  avec  un  pareil  nombre  de  chevaux ,  de  chiens  &  de  coqs.  On 
n'en  dira  pas  davantage  fur  les  fêtes  des  Peuples  Celtes,  Un  plus  grand 
détail ,  dont  les  recherches  couteroient  beaucoup  de  peine  ,  ne  pour- 
roit  devenir  qu'ennuyeux  pour  le  Lefteur ,  parce  que  ces  fêtes  fe  cé- 
lébroient toutes  de  la  même  manière ,  avec  cette  feule  différence  qu'il 
y  en  avoit  où  il  n'étoit  pas  d'ufage  d'immoler  des  viftjmes  humaines.  H 
ne  refte  plus  qu'à  ajouter,  en  deux  mots,  deux  ou  trois  remarques  qui 
font  peu  importantes  en  elles-mêmes,  &  ne  regardent,  d'aillçurs,  qu'in» 
direftement  le  fujet  que  l'on  traite. 

§.  VI.  1°.  Varron  avoit  remarqué  (45)  que  ,  parmi  les  Ombriens,  qui 
étoient  un  Peuple  Gaulois  ,  le  jour  civil  commençoit  à  midi ,  ôi  duroit 
jufqu'à  l'autre  inidi.  Ils  s'étoiçnt  écartés ,  en  cela ,  de  la  pratique  des 
avitres  Celtes ,  qui  çomptoient  Içurs  jours  depuis  le  coucher  du  Soleil , 
de  la  même  manière  que  les  (46)  Athéniens.  On  ne  voudroit,  cepen-, 
dant ,  pas  conclure  delà ,  que  les  Athéniens  eufîent  tiré  cet  ufage  des 
Peuples  Celtes.  Il  étoit  aufll  établi  chez  les  Juifs,  qui  ont  toujours  placé 
le  commencement  de  Içur  Sabbat ,  &  Içs  autres  jours  de  la  femaine  311 
coucher  du  Soleil  (  *  ). 

1''.  Jofeph  Scaliger  a  conclu  des  paroles  de  Pline  ,  que  l'on  a  citées  , 
il  n'y  a  qu'un  moment  (47) ,  que  les  années  des  Gaulois  étoient  lunaires. 
Effeûivement,  le  paffage  eil  des  plus  formels  (48}.  «  Les  Gaulois  placent  le 


(41'  Ci-d.  Liv.  III.  ch    I8.  §.  6.  not.  6t. 

(43)  Us  appelloient'Jaa/  une  fête,  &  don- 
naient lenom  àe graxi ] nui  à  la  folemnit^ qu'ils 
célfbroient  vers  le  Soiftice  d'hyver.  Vùyei.  la 
note  fuivantç  &  Keyfler  p.  i  $>.  En  Bas-Breton, 
Goiir/  e,^  auîlî  une  fête.  Didion.  de  B.oft:cnen 
pag.  43«. 

(44)  Ditmarus  de  Danis  Edit.  Leibniti.  T.  I. 
pag.  327    Kevfler  p.  32*. 

('45)  Macrob,  S^wm.  Ht.  I.  Mj.  3.  p.  13«. 
fUn.  II.  77» 


Obfcrvatlon 

de  Jofeph 
Scaliger  fur 
les  mois  &  Ici 
annc:s  4-< 
Gauloi». 


(4«)Plin.  ibid. 

(*)  On  ne  connoît  aucune  Nation  qui ,  dans 
les  premiers  tems  ,  n'ait  compté  par  des  mois 
abfolument  lunaires  ;  de  forte  que  le  loiir  corn, 
mcnçoit  au  couclier  du  Soleil ,  &  au  moment 
que  la  Lune  éclaire  l'horifon.  Cette  oblerva., 
tion  confirme  Ce  que  j'ai  conicduté  ci-deflus  , 
pâg.  145.  not.  *.    Note  de  l'Eiae.ir. 

(47)  Scalig.  de  Emend.  Temp.  p.  172.  Bdif, 
Genev.  1629, 

(48)  Ci-d.  j.  3.  n«H.  ijt 


24?  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  commencement  des  mois,  des  années  &  des  fiécles  au  fixiéme  jour  de 
»  la  Lune.  » 
ctitique  in-  Cette  remarque  ,  quelque  jufîe  qu'elle  foit ,  n'a  pas  laiffé  d'être  re- 
L'a'fu'J'rrb-  levée  par  le  Père  Pétau,  qui  étolt  affurément  un  grand  homme,  mais 
s"a"<l'r"  ***  ^'^'^  l'auroit  été  encore  plus ,  s'il  n'avoit  pris  à  tâche  de  chicanner ,  en 
mille  occafions ,  un  Savant  ,  du  travail  duquel ,  il  avoit  ,  peut-être  , 
plus  profité  que  perfonne.  «  Quoique  les  années  &c  les  fiécles  des 
»  Gaulois  fuffent  lunaires,  dit  lé  Père  Pétau  (49)  ,  cela  n'empêche  pas 
♦>  qu'ils  ne  puffent  avoir  une  année  civile  qui  fût  folaire.  »  C'eft  ce  que 
Scaliger  n'auroit  point  du  tout  contefté.  Mais  il  ne  s'agiffoit  point  de 
fiire  voir  la  poffibilité  de  la  chofe.  Il  falloit  prouver  que ,  de  fait ,  les 
Gaulois  avoient  une  année  civile  réglée  fur  le  cours  du  Soleil,  ou  fouf- 
crire  de  bonne  foi  à  la  remarque  de  Scaliger.  3  ^.  Tacite  dit  dans  fa  Def- 
cription  de  la  Germanie  (50)  «que  les  Germains  ne  fe  fervent  de  la  terre 
»que  pour  y  femer  du  bled,  ôc  que,  par  cette  raifon  ,  ils  ne  partagent 
»  pas  l'année  en  autant  de  faifons  que  nous.  Ils  connoiffent  l'Hy  ver  ,  le 
»  Printems ,  l'Été,  ils  ont  des  noms  pour  les  défigner.  Mais,  quant  à 
>j l'Automne  ,  &  fon  nom,  &:  fes  préfens  leur  font  également  incon- 
/  »:  nus  (*)•»  Diodore  de  Sicile  (5 1)  avoit  dit  la  môme  chofe  des  Egyp- 
tiens, parce  que  leur  Pays  ne  produifoit  point  de  vin,  non  plus  que 
l'ancienne  Germanie. 

Il  y  a,  cependant,  lieu  de  craindre  que  Tacite  ne  fe  foit  trompé  dans 
Cotte  occafion.  Il  paroît,  au  moins  ,  par  d'anciennes  Loix,  que  les  An- 
glo-Saxons avoient  un  nom  pour  défigner  l'Automne,  qu'ils  appelloient 
(51)  Hoerfejle.  On  trouve  même  (53)  que  les  Bajouriens  comptoient 
les- années  par  le  nombre  des  Automnes,  &  les  Anglo-Saxons ,  avec 
tous  les  autres  Peuples  du  Nord ,  par  celui  des  Hivers.  Pour  marquer 
qu'un  homme  étoit  âgé  de  trente  ans ,  ils  difoient  qu'il  avoit  trente 
Automnes,  ou  trente  Hivers. 


(43)  Petav.  Doiftr.  temp.  lib.  II.  c.  70.  p.  2jï. 
Edit.  Tarif.  16 lj. 

(50)  Tacit.  Gerra.  i5. 

l'i  L'Automne  n'a  point  de  nom  dans  la 
Langue  Anglo-S^ixonne.  Les  Anglois  ont  em- 
prunté le  mot  Awiumn.  Le  fond  de  leur  Lan- 
gue ne  leur  fournit  qu'une  paraphrafe  ,  ihe  fall 
ef  thc  Utf ,  la  chute  des  feuilles.  Dans  les  Dia- 
Icûes  Allemandes  on  fe  f«t  du  mot  lierhtfl. 


herhz.fl  ,  hirveft ,  qui  fignifie  la  moiflbn  ou  la 
récolte  du  bled.  Remurq,  fur  U  Germtnic  ii  Tu- 
tire  ,  par  M.  l'Abbé  de  la  Blettcrie  ,  p.  174. 

(51)  Diod   Sic.  lib.  I.  p.  7. 

(52)  Hotrfcjle  Aummnm.  L.  L.  Alfredi  Reg. 
Anglo-Sax.  cap.  jj.  ap.  Lindenbi.  in  Gloflar. 
pag.  i3«i. 

(53)  Lindenbi.  GloC  ibid. 

CHAPITRE  IV, 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    IV.  149 

CHAPITRE     IV. 

§.  I.  vy  N  doit  parler  dans  ce  Chapitre ,  des  Miniftres  de  la  Religion  des  ncs  Minidrcî 
Celtes,  des  fondions  dont  iL  étoient  chargés  ,  de  la  confidération  où  ils  dcsceit«^d" 
étoient,  des  privilèges  dont  ils  jouifToient.  Le  fujet  qui  eft  des  plus  inté-  t'"ns,ae"cûts 
refians ,  a  été  traité  par  un  grand  nombre  d'Auteurs  modernes  ;  mais  la  ^"î'j'clnfiî; 
plupart  de  ceux  qu'on  a  eu  occafion  de  voir,  ont  négligé  bien  des  chofes  ""?"  "1"'°'* 
efTentielles  :  il  femble  ,  d'ailleurs ,  qu'ils  s'an'êtent  trop  à  des  minuties ,  eux- 
par  exemple ,  à  l'origine  du  mot  de  Druide  ,  à  la  forme  &  à  la  couleur 
de  leurs  habits  ,  &  à  d'autres  queftions  moins  importantes.  On  dira  un 
mot  de  tout  cela  à  la  fin  de  ce  Chapitre  ;  mais  on  croit  qu'il  eft  à  pro- 
pos de  commencer  par  ce  qu'il  y  a  de  plus  eflentiel  dans  le  fujet  qu'on 
doit  examiner.  C'eft  de  repréfenter ,  avec  une  jufte  étendue ,  les  fondions 
&  la  conftitution  du  Clergé  parmi  les  Peuples  Celtes,  &  en  môme  tems, 
la  grande  autorité  dont  il  étoit  revêtu. 

§.  II.  Jules-Céfar  ,  parlant  de  la  différence  qu'il  y  avoit  de  fontems  ,  tous  les  Pîii- 
•entre  la  manière  de  vivre  des  Gaulois  ôc  des  Germains ,  dit  (  i  )  «  que  ^;"ic^:'"urs 
»  ceux-ci  n'avoient  point  de  Druides  qui  préfidaffent  au  culte  de  la  £\%'|;"de  j'a- 
»  Divinité  ,  &  qu'ils  ne  faifoient  aucun  cas  des  facrifices.  »  C'eft  une  '«s-cérar. 
preuve  que  Jules-Céfar  n'a  point  connu  les  Germains.  Par  cela  même 
qu'ils  avoient  une  Religion  ,  ils  avoient  auffi  une  forme  de  culte  ex- 
térieur, des  Sacrifices,  des  Cérémonies  &  des  Sacrificateurs,  qui  étant 
les  Miniftres  du  Culte  Religieux ,  étoient  aufll  les  Maîtres  de  la  Doc- 
trine fur  laquelle  ce  culte  étoit  fondé.  Tacite  &  Strabon  ,  beaucoup 
mieux  informés ,  reconnoiffent  (  1  )  que  les  Germains  avoient  des  Sacri- 
ficateurs &  des  Devins ,  auffi-bien  que  les  Gaulois.  On  verra  auftî  ,' 
dans  la  fuite  de  ce  Chapitre  ,  que  la  conftitution  du  Clergé  étoit,  à  peu- 
près  ,  la  même ,  non-feulement  dans  les  Gaules  &  dans  la  Germanie , 
mais  encore  parmi  toutes  les  Nations  Scythes  &;  Celtes,  avec  cette 
différence,  cependant,  que  les  Gaulois  étant  plus  policés,  leurs  Druides 
l'emportoient  aufli ,  à  toute  forte  d'égards ,  fur  le  Clergé  des  Peuples 
qm  étoient  encore  plongés  dans  la  plus  ftupide  barbarie. 

(i)  CzfaiVI.  II. 

(i)  Tacit.  Getm.  çap.  7.  10.  40.  41.  St»b«  IV.  zoi,  VU.  t>l. 

J'orne  IL  I  î 


i5o  H  I  S  T  O  I  R  E    D  E  S    C  E  L  T  E  S, 

Ma.ivaiie  ia-      Quclques  Interprètes  ont  cru  juftifîer  Jules-Céfar ,  en  donant  â  fe» 
li7t'«^c'd"    paroles  une  explication  qui  paroît  tout  -  à  -  fait  forcée.  Ils  prétendent 
Jules  céLir.    qu'elles  ne  fi^nifient  autre  chofe ,  fi  ce  n'eft  que  le  nom  des  Druides  étoit 
inconnu  aux  Germains.  C'eft,  affurément,  mettre  ce  qu'un  Auteur  de- 
voit  dire  ,  à  la  place  de  ce  qu'il  a  dit.  Il  fuffit  de  lire  le  paffage  pour  fe  con- 
vaincre qu'il  a  un  tout  autre  fens.  Jules-'Céfar  qui  n'a  parlé  des  Ger- 
mains ,  que  fur  de  trùs-mauvais  Mémoires ,  a  cru  qu'ils  n'avoient  ni  Sa- 
crificateurs ,  ni  Sacrifices  ,  &  que  tout  leur  culte  fe  réduifoit  à  quelques 
prières  qu'ils  adreflbient ,  foit  au  feu  qui  brûloit  fur  leurs  foyers  ,  foit 
au  Soleil  &  à  la  Lune  ,  quand  ces  Aftres  fe  montroient  fur  l'horifon. 
Fonaions  du      S.  III.  Lcs  fonâions  du  Clergé  des  Peuples  Celtes  peuvent  être  réduites 
les  ccUfs.      à  cmq  ou  fix  Chefs  généraux. 

j". Lc<Druî.  i*'.  Les  Druides  étoient  en  premier  lieu,  les  Minières  des  prières, 
'm^itiii  i*  des  facrifices,  des  cérémonies ,  &  en  général ,  de  tout  le  culte  que  le  Peu- 
^"'"'  pie  rendoit  à  la  Divinité.  C'eft  ce  que  Jules-Céfar  difoit  des  Prêtres 

Gaulois  (3)  :  «<  Ils  vaquent  aux  chofes  divines  ,  ils  ont  foin  des  facrifices 
»  publics  &  particuliers  ,  &  ils  expliquent  au  Peuple  les  différents 
»  points  de  la  Religion.  »  Ils  vaquaient  aux  chofes  divines ,  c'eft-à-dire  , 
qu'ils  préfuloient  aux  Affemblées  Religieufes  &  au  culte  public  de  la 
Divinité.  Ils  avaient  foin  des  facrifices  publics  &  particuliers  ,  c'eft  à-dire , 
qu'ils  étoient  chargés  d'immoler  toutes  les  viâimes  qui  étoient  offertes 
au  nom  d'un  Peuple ,  d'un  Canton  ,  d'une  Communauté  ,  ou  préfentées 
par  des  perfonnes  privées.  Us  expliquaient  au  Peuple  Us  diferens  points 
de  la  Religion^  c'eft- à-dlre ,  qu'ils  répondoient  de  la  part  de  la  Divi- 
nité ,  aux  dévots  qui  venoient  la  confulter ,  leur  expliquant  ce  que  figni- 
fioit  un  fonge ,  le  vol  d'un  oifeau  dirigé  vers  un  certain  côté  du  Ciel , 
les  entrailles  d'une  vlftime  difpofées  d'une  certaine  manière.  Jules- 
Céfar  ajoute  un  peu  plus  bas  (  4  ) ,  que  «  les  Gaulois  fe  fervoient  du 
miniftère  des  Druides  pour  immoler  des  viftimes  humaines.  »  Lucain 
j^^j  Ç3^i„is  remarque  aufll  (5),  que  ce  furent  les  Druides  qui  renouvellerent, 
troyoicntque  pendant  les  euerres  civiles  des  Romains ,  ces  barbares  facrifices  qu'ils 

les  facrifices     »        .  ,    ,  .  '  ^ 

étoient  iiiéy-  avoient  ete  obfcges  dmterrompre,  après  la  conquête  des  Gaules. 
pr'iéKs  inef.       Les  Gaulois  pouffoient  le  fcrupule  ,  fur  cet  article,  jufqu'à  fe  per- 

Scaces .  s'ils    ____^__-— — — — _— ___________^_^________^_^______^__^ 


limes  &  les 
prières  inef- 
ficaces .  s'ils 
^'étoient  oi 


« 


(l)C«far  VI.  IJ. 
(+)Csfa(  VI.  16. 
(j)  Lttcan.  I.  V,  ISO» 


L  I  V  R  E    IV.     C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  251 

fuader  que  les  facrifices  étoient  illégitimes,  &  les  prières  inefficaces,  fi  ûrts  iJii-  le 
tout  cela  n'étoit  offert  par  le  miniftère  du  Clergé.  «  C'eft  une  coutume  Dtuïd«  -,  iU 
»  reçue  parmi  eux  ,  difoit  (  6  )  Diodore  de  Sicile ,  de  n'offrir  aucun  do'icn""auï^ 
>»lacrifîce  fans  le  miniftere  d'un  (7)  Philofophe.  Ils  donnent  pourrai-  voient  ^nœ,'.- 
»  fon  de  cet  ufage ,  que ,  quand  on  veut  offrir  des  préfens  aux  Dieux ,  '^'J^fi^'"'  ' 
«ou  leur  demander  des  "races,  il  elî  à  propos  de  recourir  à  la  média-  "^entà  ceux 
»  tion  des  hommes  qui  connoiffent  la  Divinité  ,  &  qui  font  fes  eonfi-  qL-itté.-  pour 

I  »    n  !•  ï     1  tf  rr  I        r    •  -1  'C  aller  jouir  Jî 

»  cens»  ,  c  clr-a-dire  ,  qu  admettant  1  mterceluon  des  Saints,  ils  prêtèrent  u  (éiiciti 
la  recommandation  des  vivansàcelle  des  morts.  Paffe  pour  cela.  C'eft  une  [t'vlihaiu* 
petite  erreur,  que  l'on  peut  bien  pardonner  à  des  Barbares. 

Mais  ce  qui  frappe  le  plus  ici,  c'eft  l'habileté  des  Druides  ,  qui  ne  cher-  c.tte opinion 
chant  qu'à  fe  rendre  néceffaires ,  donnoient  adroitement  le  change  au  cuiquét^puT 
Peuple,  &  trouvoient  le  moyen  de  lui  perfuader  que  fes  prières  &  fes  l:"uj^'er'i:t"i. 
facrifices  feroient  inutiles  fans  l'interceflion  du  Clergé.  Tout  cela  étoit  ""^  »  ,'■=  \^"r 

o  Je    nccclui- 

à  peu-près  établi  fur  le  même  pied  parmi  les  autres  Peuples  Celtes  (  8  ).  ■■"•  L'ai::if;ce 

*  '  .  leur  avoïc 

»  Les  Sacrificateurs  des  Germains  fe  glorifioient  d'être  les  Minières  des  très-bisn 
»  Dieux.  »  Ceux  des  Gétes  (9)  étoient  les  Miniftres  de  tous  les  facrifices. 
Les  Druides  de  la  Grande-Bretagne  fuivoient  les  armées ,  &  quand  on 
étoit  fur  le  point  d'en  venir  aux  mains  (10),  ils  faifoient  la  prière  à 
la  tête  des  bataillons,  parce  que  l'ennemi  ne  pou  voit  être  dévoué  qua 
par  les  prières  du  Clergé.  Enfin ,  la  pratique  &  les  principes  des  Perfes 
s'accordoient  parfaitement,  fur  cet  article ,  avec  ceux  des  Gaulois  (11). 
Aucun  facrifice  ne  paffoit  pour  légitime ,  s'il  n'étoit  offeh  par  les  Mages , 
qui  étoient  en  poffeffion  du  (  11)  Sacerdoce,  parmi  les  Perfes,  comme 
la  famille  d'Aaron  ,  parmi  les  Juifs.  Il  falloit  qu'un  Mage  chantât  (13)  la 
Théogo;iie  fur  les  chairs  de  la  vidime ,  &  c'étoit  en  cela  qu'on  faifoit 
confifter  la  confécration.  La  ralfon  de  cet  ufage  étoit  que  les  prières  & 
les  facrifices  du  Peuple  n'étoient  agréables  aux  Dieux  ,  qu'autant  qu'ils 
étoient  offerts  par  le  miniflère  d'un  Mage.  Clitarque  l'avoit  remarqué 
(14).  «Les  Mages  fe  confacrent  au  culte  des  Dieux,  ils  ne  s'occupent 


(«)Diod.  Sic.  V.  2U. 

(7)  Le  mot  ie  PhiUftphe  de'figne  ici  un  'Drnï- 
de.  Diod.  Sic.  V.  21  j.  Strabon  IV.  is». 

(l)  Tacit.  Geim.  10. 
\    (»)  Joinand.  cap.  II. 

(lo)Tacit.  Ann.  XIV.  î». 


(il)  Herodot.  I.  iji.  Strabo  XV.  731. 

(lî)  Hcfycli.  Amm.  Marc.  XXIII.  6.  p,  fji, 
Dio.  Cliryft.  in  Boryftli.  S.  XXXVI.  p.  44p.  Por- 
^hyr.  de  aHftineutiâ  lib.  iv.  pag.  39».  Apulej, 
Apol.  I.  p.  44«. 

(i|)  Herodot.  1. 132. 


iji             HISTOIRE    DES    CELTES, 
»  qu'à  offrir  des  (acrifices ,  comme  s'ils  étoient  les  feuls  dont  les  Dieiix 
»  diiffent  accepter  le  culte  &{  exaucer  les  prières.  » 
Les  prêtics      §.  IV.  Les  Prêtres  des  Celtes  étoient ,  en  fécond  lieu ,  les  maîtres. 
c"iepr'"s     de  la  Doûrine  ,  qui  fervolt  de  fondement  à  la  Religion  &  au  culte  dont 
uodrine.'  '^  ï^s  étoicnt  les  Minières.  Il  n'y  avoit  rien  là  que  de  naturel.  Mais  la  doci- 
i-euis  déci-    ijj^  j     Peuples ,  &c  la  confiance  qu'ils  avoient  en  leurs  Doôeurs  ,  étoit  en 
jjrifjs  pour     même  tems  fi  grandes,  que  les  inftruûions  du  Clergé  étoient  reçues  com- 
me autant  d'Oracles  infaillibles.  Les  Gaulois  ,  par  exemple  (15) ,  fe  van- 
toient  d'être  iffus  du  Père  Dis.  Quand  on  leur  demandoit  fur  quoi  cette 
opinion  étoit  fondée ,  ils  donnoient  pour  réponfe  ,  qu'ils  l'avoient  ap- 
pris ainfi  de  leurs  Druides.  L'Eglife  avoit  prononcé;  fes  décifions  étoient 
des  articles  de  foi. 
lis  enfci-        Comme  on  a  expofé  dans  le  Livre  précédent ,  les  principaux  Dogmes 
Théologie*  &  de  la  Religion  que  les  Druides  enfeignoient  au  Peuple ,  il  ne  fera  pas 
la  Morale,     ^^^j-effaire  de  s'y  arrêter  dans  celui-ci.  Leur  Doûrine  fe  réduifoit  à  ces 
deux  chefs  capitaux.  L'exiftence  d'un  Dieu  ,  Créateur  du  monde  &  de 
l'homme ,  &  la  certitude  des  peines  &  des  récompenfes  d'une  autre  vie. 
Leur  Morale  étoit  renfermée  en  abrégé  dans  ces  trois  maximes,  c^il  faut 
Jervir  les  Dieux ,  ne  faire  du  mal  à  perfonne ,  s'' étudier  à  être  vaillant   &• 
brave.  C'étoit-là  la  Doûrine  publique  que  le  Clergé  enfeignoitau  Peu- 
ple dans  toutes  les  occafions  qui  fe  préfentoient ,  n'épargnant  rien  (  1 6) 
pour  l'en  bien  convaincre.   Le  Peuple  ,  de  fon  côté  ,  apprenoit  par 
cœur  les  hymnes  (17)  où  elle  étoit  contenue  ,  &  les  chantoit  dans  les 
feflins  facrés ,  en  allant  au  combat ,  &  dans  toutes  les  autres  occafions 
où  il  vouloit  s'animer,  lui-même,  foit  à  fervir  les  Dieux  avec  ferveur  , 
foit  à  attaquer  un  ennemi  avec  intrépidité. 
Us  inftrui-      Outre  les  Inftruâions  publiques ,  dont  ont  vient  de  parler ,  les  Druides 
neffe!*^^"   en  donnoient  encore  de  particulières  (  18  )  à  la  jeune  Noblefle,  qui 
étudioit  fous  eux.  Une  partie  de  ces  difciples  alloient  trouver  les  Dniï- 
/    des  ,  de  leur  propre  mouvement ,  les  autres  étoient  envoyés  par  leurs 
pères  &  mères ,  ou  par  ceux  des  parens  qui  tenoient  leur  place.  Toute 
cette  jeuneffe   demeuroit  avec  fes  Maîtres  dans  les  Sanftuaires  ,  qui 
étoient  des  efpèces  à' Académies  où  les  enfans  de  qualité ,  qui  étoient  en 
«■'      ''    ■    .   Il        '  II,  ,  , ,  ,1 

(14)  Diog.  Laett.  Procm.  p.  s.  7,  1$.  2.  not.  i8. 

(15)  Ci-d.  ch.  m.  §.  1.  not.  I.  j       (17)  Ci-d.  lib.  H.  ch.  10.  not.  îî. 
(i«)Ci-d,tW.Ui.chi^.  I».  ^.  i.noMJ.k  I      (lï^Cîefai  VI.  lîij^ 


tes  Prêtre» 
avoi- 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  253 

ëtat  de  payer  une  penfion  ,  apprenoient ,  non -feulement  la  Théologie 
&  la  Morale ,  mais  encore  la  Philofophie  ,  l'Art  Oratoire  ,  la  Jurifpru- 
dence ,  l'Hiftoire  &  la  Poëfie. 

Les  Anciens  s'accordent  affez  généralement  à  donner  aux  Druides  le  ils  apprenoi- 
nom  de  (19)  Philofophes.  On  ne  voit  pas  qu'on  puiffe  le  leur  contefter  lé-  Difcipiès'u 
gitimement,  puifque  leurs  études  &  les  leçons  qu'ils  donnoient  à  la  jeu-  ''  '°°^  "' 
neffe ,  rouloient  fur  des  matières  qui  ont  toujours  appartenu  à  la  Philo- 
fophie. Selon  Jules-Céfar  (20) ,  «  on  difputoit  dans  leurs  Ecoles ,  des 
»  Aftres  &  de  leur  mouvement ,  de  la  grandeur  du  inonde  &  de  la 
H  terre ,  de  la  conflitution  de  l'Univers ,  de  la  puiffance  &  de  l'empire 
»  des  Dieux  immortels.  Ils  faifoient  profeflion ,  dit  Pomponius  Mêla  (2 1), 
M  de  connoître  tant  la  grandeur  que  la  forme  du  monde  &  de  la  terre , 
»  les  divers  mouvemens  du  Ciel  &  des  Aftres ,  &  la  volonté  des  Dieux.  » 
Il  y  a  bien  plus.    Quoique  les  Grecs  fe  vantaffent  d'avoir  perfec- 
tionné la  Philofophie ,  ilsétoient,  cependant,  obligés  d'avouer  qu'elle  entVté" 
tiroit  fon  (22)  origine  des  Chaldéens ,  des  Celtes,  des  Galates,  des   Pbiio"o(o-' 
Perfes  &  de  plusieurs  autres  Peuples  qu'il  plaifoit  aux  Grecs  d'appeller  **  "  ''""* 
Barbares  (23  j.  «Cette  fcience,  dlfoit  Clément  d'Alexandrie ,  avoit  fleuri 
»  de  toute  ancienneté  ,  parmi  les  Peuples  barbares  ,    &  c'eft  de-là , 
w  qu'elle  pafla  enfuite  chez  les  Grecs.  Elle  étoit  cultivée,  en  Egypte,  par 
»  les  Prophètes  ;  en  Aflyrie ,  par  les  Chaldéens  ;  dans  les  Gaules ,  par 
»  les  Druides  ;  dans  la  Badriane,  par  les  Semanééns  ;  dans  la  Celtique  , 
»  par  ceux  qui  en  faifoient  profeflion  ;  en  Perfe ,  par  les  Mages  ;  dans  les 
»  Indes ,  par  les  Gymnofophifles ,  &  par  d'autres  Philofophes  Barbares.  >» 
Effeûivement,  Pythagore  &C  Platon  n'enfeignerent  la  Philofophie, 
qu'après  avoir  voyagé  en  Egypte  ,  en  Chaldée  ,  en  Thrace  ,  en  Italie  , 
&  avoir  profité  des  lumières  des  Savans  qu'ils  trouvèrent  dans  ces  diffé- 
rens  Pays.  Démocrite  (  24  )  aufTi  avoit  étudié  fous  les  Mages  de  Perfe. 
Enfin  ,  Thaïes  qui  pafToit  ,  parmi  les  Grecs ,  pour  le  père  de  la  Philo- 
fophie ,  avoit  voyagé ,  non-feulement  en  Egypte ,  mais  aufTi  en  Ly- 
die où  il  fut  appelle  par  le  Roi  Créfus.  Comme  les  Lydiens  étoient  un 


(19)  Diodor.  Sic.  V.  213.  Steph.  de  Urb. 
p.  3  1 1-  Api/ZcCxi  jiafà  TaAaTait  t'i  (piAi'fif  ii  xoi 
n/iliiiti.  Suidas. 

(■-zo)  Ca;far  VI.  14.    ' 

(ïi)  Pomp.  Met.  lib.  m,  cap.  î.  p.  73. 

(»2)  Diogcn.  Lacit.  Ftoem.  g.  i,  U  hq. 


(23)  Clem.  AUx.  Strom.  lib.  I.  p.  359.  Les 
Celtes  font  ici  les  Peuples  qu'on  de'ffgnoit  fom 
ce  nom,  du  tems  de  Cle'ment  d'Alexandrie, 
c'eft-à-dire  ,  les  Germains,  yejcz.  ci-defl".  Liir.  I. 
chap.  fi.  p.  ai.  &ruir. 

(x^)  Ci-d,  Liv.  III.  cb.  it.  $.  t.  not.  lo.  ti. 


2^4  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Peuple ,  qui  avoit  pafle  de  la  Thrace  dans  l'Afie-Mineure ,  il  n'eft  pas  Im- 
pofllble  que  Thaïes  n'eût  emprunté  ,  de  ce  Peuple  ,  deux  Dogmes  de  fa 
Philofophie  ,  qui  s  accordoient  parfaitement  avec  celle  des  Druides.  U 
donnoit  à  la  nuit  la  préférence  fur  le  jour ,  &c  enfeignoit  publiquement 
l'immortalité  de  l'ame  (  2.5  )  ,  qui,  jufqu'alors,  avoit  été  inconnue  parmi 
les  Grecs, 
les  Druïdcj  .  On  trouve  dans  Pomponius  Mêla  (i6)  ,  que  les  Gaulois ,  quoiqu'ils 
icTrrÈicvcs    fiiffent  extrêmement  féroces,  ne  laiffoient  pas  d'avoir  des  Maîtres,  favoir 
de^RWiod"  les  Druides,  qui  leur  enfeignoient  la  Rhétorique  &  la  Philofophie. 
•î"''  Caton  le  Cenfeur  avoit  aufli  remarqué  (  17  )  que  les  Gaulois  s'appli- 

quoient ,  avec  beaucoup  de  foin ,  aux  exercices  militaires ,  &c  à  l'Art 
oratoire.  Il  n'eft  pas  difficile  de  comprendre  pourquoi  la  NoblefTe  Gau. 
loife  failbit  tant  de  cas  de  l'éloquence.  Les  Peuples  Celtes  ,  fort  jaloux 
de  leur  liberté  &c  de  leur  fouveraineté ,  décidoient  dans  leurs  AfTem- 
blées  générales  ,  non-feulement  de  la  paix  ,  de  la  guerre  ,  &  des  autres 
affaires  qui  regardoient  le  bien  de  la  Nation ,  mais  encore  de  la  vie  &c  de 
la  mort  des  Particuliers  qui  étoient  accufés  de  crimes  d'Etat.  La  fortune 
des  Grands  étoit  aufli  toute  entre  les  mains  de  l'Aflemblée  qui  les  élevoit 
aux  dignités  &  les  en  dépouilloit,  comme  elle  le  trouvoitbon.  On  fent 
bien  ,  après  cela  ,  que  l'éloquence  devoit  être  d'une  grande  utilité  à 
ceux  qui  vouloient  parvenir  auy  charges ,  &  fe  rendre  maîtres  des  dé- 
libératioas.  Un  Orateur  habile  &  véhément  emportoit  ordinairement 
tous  les  fuffrages. 
«sieur  en.  Par  la  même  raifon  ,  le  Clergé  étoit  encore  chargé  d'enfeigner  à  fes 
jufifprude»-  Ecolîers  la  Jurifprudence  &  l'Hiftoire.  La  Jurifprudence  que  les  Druï- 
prenoiTn/''  deS  eufelgnoient ,  renfermoit,  non  feulement  (i8)  la  Philofophie  Morale, 
l'Hiftoite.  c»eft-à-dire ,  les  Maximes  du  Droit  naturel ,  mais  encore  les  Loix  &  les 
Conftitutions  particulières  de  chaque  Etat.  L'Hiftoire  retraçoit  les  dif- 
férentes migrations  d'un  Peuple ,  les  guerres  qu'il  avoit  foutenues ,  les 
yidoires  qu'il  avoit  remportées ,  les  grandes  aûions  des  Braves ,  qui  s'é- 
toient  diftingués  par  leur  valeur.  Ces  études  étoient  aufli  très-utiles ,  &  en 
quelque  manière  ,  néceflfaires  à  la  Noblefl^e  qui ,  étant  appellée  à  faire 
pendant  toute  fa  vie  le  métier  des  armes,  participoit  encore,  d'une  fa» 

*^***^^™^'^^^™'^^  '  ^——1  ■  ■  Il  ■  ■         ■■  ■  »  —  ■—  ■  _ ■    ■  I  ■  »■— — iwpa 

{ïs)Ci-d.Liv.  ni.ch.  I8.§,  l.not.l.  I       (zj)  Ci-d.  Uw.  II.  di.  XI.  aot.  r*< 

(»«J  Ci-d.  note  »i.  |     (»8)  StiaboIV.  ij/. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    IV.  155 

çon  particulière ,  au  Gouvernement  de  l'Etat ,  &  à  radminiftration  de 
la  Juftice,  comme  on  aura  occafion  de  le  montrer,  plus  au  long,  dan« 
l'un  des  Livres  fui  vans. 

On  ne  peut  pas  douter  que  les  Druides  n'enfeignaffent  encore  la  iisiesinftrui. 
Poëfie.  11  ne  paroît  pas ,  à  la  vérité  ,  que  les  Bardes  (19) ,  qui  étoient  pro-  4"°"'  ^^f  j^ 
prement  les  Poètes  des  Celtes,  fuffent  membres  du  Clergé ,  ni  qu'ils  furent  '»^°^''«' 
chargés  de  quelque  miniftère  facré.  Au  lieu  de  vivre  en  communauté 
(30)  avec  les  Druides  dans  les  Sanftuaires,  ils  paffoient  ordinairement 
leur  vie  à  la  fuite  des  Grands.  Mais,  comme  (31)  l'Hiftoire  des  Peuples 
Celtes,  leur  Jurifprudence,  &  en  général,  tout  ce  que  les  Druides  en- 
feignoient ,  étoit  contenu  dans  des  vers  qu'ils  faifoient  apprendre  par 
cœur  à  la  jeuneffe ,  il  efl  fort  vraifemblable  que  le  Clergé  cultivoit  lés 
génies  ,  en  qui  il  trouvoit  du  talent  pour  la  Poëfie.  Peut-être  même  que, 
dans  le  grand  nombre  des  Prêtres  qui  demeuroient  dans  un  Sanftuaire  , 
il  y  en  avoit  qui  s'appliquoient  à  compofer ,  non-feulement  des  hymnes 
facrés ,  mais  encore  les  cantiques  qui  contenoient  les  principes  des  dif- 
férentes Sciences  que  le  Clergé  enfeignoit.  On  verra,  à  la  fin  de  ce 
Chapitre,  ce  qui  fert  de  fondement  à  cette  conjefture. 

Enfin,  les  Druides  avoient  encore  une  Doûrine  occulte,  qu'ils  ne  con- 
fioient  qu'aux  plus  afiidés  de  leurs  difciples.  C'eft  à  cette  Doârine  qu'il 
faut  rapporter  ce  que  dit  Pomponius  Mêla  (31),  «que  les  Druides  inflrui-  qu-usTcnicV- 
»  foient  fécreftement ,  dans  des  cavernes   &  dans  des  forêts  reculées ,  s""'""^  ,'i"'^ 

'      _  ,  '    ceux  de  kuii 

»  la  Nobleffe  la  plus  diftineuée  des  Gaules  ,  y  imployant ,  quelquefois  »  "■'"''pi"  qui 
»]ulqua  vingt  ans.  »  Jules- Celar  remarque  au/li  (33),  «  que  la  Doctrine  "et  dans  le 
ndes  Druides  étoit  tenue  fort  fecrette  &  qu'il  n'étoit  pas  permis  de  la  ré-  ^""''°"' 
«  pandre  dans  le  Public.  »  Il  s'agitlà  d'une  Doârine  que  l'on  cachoit , 
non-feulement  aux  étrangers ,  mais  encore  au  Peuple.  Il  faut  expliquer 
de  la  même  manière  le  paffage  d'Ammien  Marcellin  (34) ,  qui  porte  «  que 
»  les  Druides  qui  étoient  de  grands  génies ,  &  qui  vivoient  enfemble 
»  en  communauté ,  à  la  manière  des  Pythagoriciens ,  appliquoient  leur 
»efprit  à  des  matières  occultes  &  fublimes.  » 

Cette  Doârine  fecrette  contenoit,  autant  qn'on  en  peut  juger ,  la  Divi- 
nation &  la  Magie ,  deux  Sciences  qui  faifoient  l'étude  favorite  du  Cler- 


L«  Prétret 
Celtesavoieuc 
tous  une  Uoc- 


ta  Doârine 

occulte  det 
Pièlics  Cclces 


(19)  Ci-d.  Liv.  U.  ch.  10.  p.  it+.  âcfuiv. 
(io)  Ibid.  p.  18  j. 
(«i)Ibib.p.  (S{.  &raiT.  d-d.  a»t.  iS. 


(j2}  Ci-d.  not.  ïi.  &ch.  II.  §  28.not.  zn, 

(3  3)Ci-d.  $  4.  not.  I». 

()4}  Amm.  Maic.  lib.  XV.  cap.  9,  p.  yy. 


z)6 


HISTOIRE    DES    CELTES 


donnoic  les  gé ,  taiît  parcc  qu'elles  rempliffoient  fes  coffres ,  que  parce  qu'elles  étoient 
u'divinltion  le  grand  fondement  de  l'empire  abfolu  qu'il  exerçoit  fur  les  efprits.  Ce 
&  de  la  mi-  j^»g^  pgj  -^j  jg  jjgj^j  jg  s'étendre  fur  ces  Sciences,  dont  on  aura  occafion 

de  parler  ailleurs.  Il  ne  faut  pas  être  furpris  ,  au  refte ,  que  les  Druides 
,  en  fiffent  un  fecret ,  &C  qu'ils  ne  s'en  ouvriffent  qvi'à  ceux  de  leurs  Difci- 
pies  dont  ils  avoient  éprouvé  la  difcrétion.  Si  cette  Doftrine  occulte 
eut  été  divulguée,  peut-être  que  le  Peuple  en  auroit  reconnu  la  vani- 
té, au  moins  auroit-il  pu ,  peut  être ,  fe  paffer  de  fes  Druides,  deux  incon- 
véniens  qui  ne  pouvolent  être  que  très-facheux ,  pour  un  Clergé  qui  vi- 
voit  de  la  crédulité  des  Peuples  ,  &  qui  devoit  à  la  fuperftition  l'empire 
abfolu  qu'il  exerçoit. 

Il  paroît ,  par  ce  détail ,  que  les  Druides  cultivoient  à  leur  manière 
;toutes  les  Sciences  &  tous  les  Arts  Libéraux  (3^)  ,  qui  étoient  connus 
de  leur  tems.  Déchargés  de  la  profeflion  des  armes ,  qui  étoit  le  feul 
niétier  des  Celtes,  ne  payant  aucune  taxe  ,  ayant ,  d'ailleurs  ,  un  revenu 
fur  &c  fixe,  qui  les  difpenfoit  du  foin  de  pourvoir  à  leur  fubfiftance  ,  ils 
nienoient  ce  que  les  Anciens  appellent  une  vie  contemplative,  c'eft- 
à-dire ,  qu'ils  la  paflbient  toute  dans  l'étude  des  Sciences  dont  on  vient  de 
faire  mention.  Comme  ils  étoient  les  feuls  Savans ,  ils  étoient  auffi  en  pof- 
feffion  d'être  les  feuls  Doûeurs.  Ainfi ,  quand  les  Gaulois  commen- 
cèrent à  fortir  de  la  Barbarie  ,  &  à  prendre  du  goût  pour  les  Sciences  , 
la  Noblefle  obligea  les  Druides  à  ouvrir  des  écoles  ,  &  à  fe  charger  de 
l'inftruâion  &ç  de  l'éducaticrj  des  jeunes  gens  que  L'on  inettoit  fous  leur 
conduite. 

§.  V.  A  l'égard  de  la  manière  dont  le  Clergé  des  Gaules  inftruifoit  fes 
Difciples ,  Jules -Céfar  remarque  (36)  «que  la  Dodrine  des  Druides 
»  étoit  renfermée  dans  des  vers  qu'ils  faifoient  apprendre  par  cœur  à  la 
»  Jeuneffe  »,  On  a  vu,  ailleurs  (37)  ,  qu'on  en  ufa  ainfi  dans  toute  l'Eu- 
rope ,  aufli  long^tems  que  les  lettres  &  l'écriture  y  furent  inconnues.  Les 
Loix,  la  Religion,  l'Hlfloire  des  Peuples,  &,  enunmot,  tout  ce  qu'il 
importoit  de  tranfmettre  à  la  poftérité,  ne  fe  confervoit  que  par  le 
moyen  de  la  tradition  orale.  .On  confioit  tout  cela  à  la  mémoire ,  que 


Manicred'eii' 
fcignct  des 
Prêtres  des 
CcUcs. 


(3  s)  Amtn-  M«c.  lib.  XV.  ç4p.  j.  p.  yy,  Dio. 
Cliryf-Setm.XLIX.  p.  S3S. 
(3«^  CM.  §.4.not.  li. 


1 


(37)  Cird.  Li7.  II.  ch,  lo.  p.  184.  8cf|ùf. 
(3t)Ci-d.  $.  4.  not.  Il, 


m 


J.   IVRE     IV.     CHAPITRE    IV.  2^7 

Ibn  cherchoit  à  foulager  par  des  vers,  qu'el.e  iaifit,  &  qu'elle  retient 
beaucoup  plus  facilement  que  la  profe. 

2. '^  Depuis  même  (38)  que  les  Druides  eurent  permis  au  Peuple  de 
fe  fervir  de  l'écriture ,  pour  drefler  des  comptes ,  des  contrats ,  des  let- 
tres, ils  ne  vouloient  pas  confentir  que  la  Doftrine  qu'ils  enfeignoient , 
fnt  couchée  par  écrit.  Ils  avoient,  fjlon  Jules-Céfar  ,  deux  raifons  d'en 
ufer  ainfi.  D'un  côté ,  ils  craignoient  que  les  jeunes-gens  ne  négligeaient 
d'exercer  leur  mémoire  ,   d'abord  qu'ils  commenceroient  à  fe  fier  fur 
le  papier.   De  l'autre ,  ils  ne  vouloient  pas  que  leur  Doftrine  fut  ré- 
pandue dans  le  public.  C'étoit-là  la  raifon  du  cœur.  Le  Clergé  avoit , 
comme  on  l'a  dit ,  uh  grand  intérêt  à  cacher  au  Peuple  cette  Doftrine 
occuhe  qui  traitoit  de  la  magie  &  des  divinations.  S'il  eût  permis  qu'elle 
fut  couchée  par  écrit ,  il  n'auroit  pas  été  poffible  d'empêcher  que  les 
Livres,  oti  les  Sciences  occultes  auroient  été  expliquées  ,  ne  tomba'- 
fcnt  infenfiblement  entre  les  mains  du  Peuple  ,  &  même  qu'ils  ne  vinf- 
fent  à  la  connoiflance  des  étrangers.  D'ailleurs,  les  Druides  ne  vouloient 
pas  de  ces  Dofteurs  muets,  avec  le  fecours  defquels  un  bon  efprit  peut 
s'inflruire,  &  devenir  fçavant  par  lui-même.  II  falloit  que  tous  ceux 
qui  vouloient  étudier  entraflent  dans  leur  Ecole.^  C'eft  la  raifon  pour  la- 
quelle le  Clergé  s'oppola  de  tout  fon  pouvoir  (3  9)  à  l'introduftion  & 
à  l'ufage  de  l'écriture  ,  au  moins  en  matière  de  fcience. 

3.^  Jules-Céfar  remarque  encore  (40)  qu'entre  les  Difciples  des 
Druides,  il  y  en  avoit  qui  n'achevoient  leurs  études  qu'au  bout  de 
vingt  ans.  Pomponius  Mêla  (41)  confirme  cette  particularité.  Comme 
toute  la  Nobleffe  des  Gaules  (42)  portoit  les  armes,  &  cela  dès  l'âge 
de  Tadolefcence ,  il  y  a  beaucoup  d'apparence  que  ce  long  apprentif- 
fage  ne  regardoit  qu'un  très-petit  nombre  de  difciples ,  à  qui  l'on  en- 
feignoit  la,  Doûrine  occulte,  c'eil-à-dire  ;  les  Divinations  &  la  Magie, 
deux  fciences  auffi  étendues  que  vaines. 

4.°  Enfin  les  Druides  des  Gaules  (43)  avoient  ceci  de  commun  avec 
les  Gymnofophiftes  des  Indes,  qu'ils  propofoient  la  Doârine  d'une  ma- 
nière concife  ,  énigmatique,  &C  par  conséquent,  très-obfcure.  Cette  obf- 

(j.8)  Ci-d.  £.  4.  not.  iS.  1       (41I  Ibid.  not.  21. 

(39,  Ci-d.  Liv.  II.  ch.  p.  pag.  i»i,  chap.  II".  I      (41)  Cafar  VI.  1 5.  i8. 
çag-  i9<.  1       143)  Diog.  Laert.  Fioen».  p>  ^.Va/ix.  auffi  cir. 

(40    Ci-d.  §.  4.  not.  lï.  1  dcflTui.Uv.  I.ch.  15.  ., 

ToTTii  II.  K  k 


15*        .    HISTOIRE    DES    CELTES, 

curité  venoit  fouvent  des  matières  mûmes  qu'ils  traitoient  ,  &  de  !a 
confufion  de  leurs  idées.  Mais  il  faut  l'attribuer  fur-tout  au  mauvais  goût 
des  Anciens ,  qui  croyoient  rendre  la  vérité  plus  vénérable  ,  en  la  cou- 
vrant d'un  voile  impénétrable  à  la  plus  grande  partie  du  genre  hunici^jn. 
Peut  être  qu'elle  étoit  auffi  un  artifice  pour  cacher  la  vanité  des  fciences 
qu'ils  enfeignoient.  Peut-être  enfin  que  le  ftyle  des  Druides  étoit  obfcur 
&  concis,  parce  qu'ils -étoient  obligés  de  propofer  toute  leur  Doftrine 
dans  des  vers.  Indépendamment  des  hyperboles ,  &  des  autres  figures 
qui  entrent  dans  le  ftyle  poétique,  la  mefure  &  la  rime  font  bien  fou- 
vent  recueil  de  la  clarté  &  de  la  juftcffe. 
F.ïamcn  rî'un  §•  ^^-  Po"'"  "^  rien  Omettre  de  ce  qui  appartient  au  fujet  que  l'on 
f.'"^-far^"'  t-'3ife,  il  eft  à  propos  d'examiner  un  paffage  de  Jules-Céfar,  fur  lequel  on 
a  fondé  une  conjeûure  qui  ne  paroît  pas  probable.  Cet  Auteur  parlant, 
foit  des  Ecoles  que  les  Druides  avoient  établies  pour  l'inftitution  & 
pour  l'éducation  de  la  jeune  Nobleffe  ,  foit  de  la  Doûrine  même 
qu'ils  enfeignoient  à  leurs  Ecoliers,  fe  fert  toujours  du  mot  de  difcipline. 
Il  dit,  par  exemple,  (44)  «qu'il  s'afiemble  autour  des  Druides  un 
'  »  grand  nombre  de  jeunes -gens  dlfcipUna  caufd  ,  c'eft-à-dire  ,  pour 
»  étudier  ,  &  pour  y  être  inftruits  dans  les  Sciences  ».  Et  plus  bas 
(45 j>  «  q»s  plufieurs  de  ces  jeunes-gens  vont  fe  ranger,  de  leur  pro- 
»  pre  mouvement ,  fous  la  difcipline  des  Druides ,  &  que  d'autres  y 
«font  envoyés  par  leurs  parens  ».  Jules-Céfar  dit  encore  (4<5)  «que 
M  les  Druides  ne  fouffrent  pas  que  leur  difcipline  ,  »  c'eft-à-dire  la 
Doftrine  qu'ils  enfeignent  à  leurs  Difciples  ,  «  foit  répandue  dans  le 
»  Public  (47)  qu'ils  ont  des  Ecoliers,  qui  demeurent  fous  leur  difcipline  ,  - 
»)  c'eft-à-dire ,  qui  étudient  fous  eux  jufqu'à  vingt  années  ».  Ces  divers 
paffages  en  expliquent  un  autre,  qu'il  faut  auffi  rapporter  (48).  «  On  pré- 
»  tend  que  cette  difcipline  a  été  découverte  dans  la  Grande-Bretagne  , 
»  &  qu'elle  a  été  apportée  de-là  dans  les  Gaules,  deforte  qu'encore 
»  aujourd'hui ,  ceux  qui  veulent  connoître  la  chofe  à  fond ,  ont  cou- 
»  tume  d'aller  étudier  dans  ce  Pays  ». 

Il  femble  qu'il  ne  s'agit  là  que  des  Ecoles  que  les  Druides  avoient  éta- 
blies pour  l'inftruaion  de  la  jeuneffe ,  &  des  Sciences  occuhes  qu'ils  enfei; 

■■         ■   ■■■■■  II-     I    M"  M— ^ — . .^ .  ^  ^    ii-^ir-M— I — n— ~" 

(44:CirarVI.  13.  i      (47)  Ibid. 

(4j)C«fatVI.  14.  I      (+»\c«farvi.  ij. 

i4«)  Xbid,  I      V*  /  _ 


L  I  V  P^  E     IV.     CHAPITRE     IV.  159 

gnolent  à  leurs  Dlfciples.  Cet  établiflement  venoit  de  la  Grande-Bre- 
tagne, où  l'on  étoit  fort  entêté  des  Divinations  6c  de  la  Magie.  Ces 
Sciences  y  faifoient  la  grande  étude,  non -feulement  du  Clergé,  mais  en- 
core du  peuple  (49).  «  Les  Silures ,  dit  Solin  ,  font  fort  attachés  au 
»  culte  des  Dieux ,  les  hommes  &  les  femmes  de  cette  Nation  fe  van- 
»  tent  également  de  connoître  l'avenir  ».  Pline  remarque  auiîi  (50)  ' 
que  «la  Magie  avoit  pafTé  jufques  dans  la  Grande-Bretagne,  &:  qu'on 
»  y  exerçoit  cet  art  avec  tant  d'admiration  ,  &c  des  cérémonies  fi 
»  étranges  ,  que  les  Perfes  mêmes  pourroient  encore  profiter  à  l'école 
»  des  Bretons  ». 

Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  ,  après  cela,  que  les  Gaulois,  &,  en 
particulier  ,  les  Druides  qui  vouloient  connoître  à  fond  ces  Sciences, 
allaffent  étudier  dans  la  Grande-Bretagne,  oh.  elles  étoient  plus  cultivées 
qu'ailleurs.  C'efl-là  ,  autant  qu'on  en  peut  juger,  tout  ce  que  lignifient 
les  paroles'de  Jules-Céfar.  Les  Auteurs  qui  ont  cru  y  trouver  (51) 
que  la  Religion  des  Gaulois  &  la  feue  des  Druides  tiroient  leur  ori- 
gine de  la  Grande-Bretagne,  paroiflent  en  avoir  trop  étendu  le  fens. 
Peut-on  fe  perfuader  que  les  Gaulois  qui,  félon  les  Hifloriens  les  plus 
dignes  de  foi,  avoient  peuplé  la  Grande-Bretagne,  euflent  vécu  fans 
Druides,  &c  fans  Religion,  jufqu'à  ce  que  les  Bretons  leur  euflent  en- 
voyé des  Miffionnaires  ?  Jules-Céfar  ne  le  dit  pas;  &,  quand  il  le  diroit, 
il  ne  mériteroit  aucune  foi  fur  cet  article,  d'autant  plus  qu'il  avance  lui- 
même  ,  qu'il  n'eft  pas  bien  informé  de  la  chofe  (51),  exijlunatur ,  on  le 
croit  ainfi. 

§.  VIL  En  voila  aflez  fur  la  Doûrine  que  les  Druides  des  Gaulois 
enfeignoient ,  &  fur  la  manière  dont  ils  avoient  coutume  de  la  propofer. 
Les  Hifloriens  n'entrent  pas  dans  le  même  détail  par  rapport  aux  autres 
Peuples  Celtes.  On  entrevoit ,  cependant ,  que,  dans  toute  la  Celtique  , 
le  Clergé  enfeignoit,  non-feulement  la  Religion  ,  mais  encore  les  autres 
fciences  dont  ces  Peuples  barbares  faifoient  quelque  cas.  Par  exemple, 
Jornandés  dit  (53)  «que  Dicenéus  (qui  étoit  fou V€rain  Sacrificateur 
»  des  Gétes ,  du  tems  que  Sylla  exerçoit  la  Diâature  à  Rome  ) ,  ayant 
«gagné  la  confiance  de  fa  Nation,  &  voyant  que  les  Gétes  avoient  n^-; 


(49)  Solin  cap.  XXV.  p.  152. 
{so)  JUn.  Hift.  NAt.iXXX.  J. 
(5  ij  Relig.  des  Gaulois  Tom.  I.  p.  12,  Fiic- 


kius  p.  9-  19.21. 
(si).Ci-<i<  00t.  4.8. 
(mÎ  Joinandes.cap.  it- 

Kk'i 


x6o  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  turellement  beaucoup  de  génie ,  leur  expliqua  la  plus  grande  partie 
»  de  la  Philofophie  dans  laquelle  il  ctoit  fort  verfé.  Il  les  indruifit  des, 
»  devoirs  de  la  Morale,  pour  adoucir  la  férocité  de  leurs  mœurs.  lî 
»  leur  enfeigna  encore  la  Phyfique  ,  &C  leur  apprit  à  fe  gouverner  pa? 
»  leurs  propres  loix  ,  qui  font  les  mêmes  qu'ils  ont  couché  depuis 
»  par  écrit,  &c  qu'ils  confervent  encore  aujourd'hui,  fous  le  nom  de 
»  Bellagines  (*).  Les  leçons  de  Logique  qu'il  leur  donna  ,  les  mirent 
»  en  état  de  mieux  raifonner  que  ne  faifoit  aucun  autre  Peuple  de  l'U- 
»  nivers.  En  un  mot,  il  leur  enfeigna  la  Pratique  ,  pour  l'appliquer  à  des. 
»  chofes  louables  ,  &C  la  Théorie ,  pour  contempler  le  cours  des  af^ 

»  très Toutes  ces  différentes  inftruûions,  qu'il  donna  au  Gétes^ 

»  lui  acquirent  une  fi  haute  réputation  ,  que  les  petits  &  les  grands,. 
»  fans  en  excepter  même  les  Rois  ,  refpeûoient  également  fes  com- 
»  mandemens  », 

Il  ne  faut  pas  prendre  tout  cela  au  pied  de  la  lettre.  On  voit  bien, 
que  Jornandés,  rempli  du  préjugé  de  l'antiquité,  &  prévenu  en  faveur- 
de  fa  propre  Nation,  en  fait  un  Peuple  de  Savans,qui  avoient  été  inf- 
truits  par  un  homme  univerfel.  Auffi  tout  ce  que  Von  prétend  conclure 
de  ce  long  paflage,  c'eft  qu'auffitôt  que  les  Gétes  commencèrent  à  fortir 
de  la  barbarie,  &c  à  prendre  du  goût  pour  les  Sciences,  le  Clergé  fut 
chargé  du  foin  de  les  enfeigner.  Il  efl;  connu  encore ,  que  ks  Mages, 
qui  étoient,  parmi  les  Perfes,  les  Miniftres  de  la  Religioa  (54)  étoient,^ 
de  tems  immémorial ,  en  pofïeiîion  d'enfeigner  la  Philofophie  ,  qui  corn-, 
prenoit  alors  la  plupart  des  autres  Sciences.  On  leur  confioit  aufii  l'ii/-. 
truftlon  &  l'éducation  de  la  jeune  Nobleffe ,  jufques-là  que  ('ïs)  per*. 
fonne  ne  pouvait  être  déclaré  Roi  de  Perfe ,  s'il  n'avok  étudié  chez  ks. 
Mages, 
te  clergé        §•  VIII.  Les  Divinations  étoient  un©  troifième  partie  des  fondions 
pTrkaîLnr  ^"  Clergé ,  parmi  les  Celtes.  On  a  montré ,  ailleurs ,  que  ces  Peuples, 
avoient  une  grande  idée  de  la  Divinité.  Ils  difoient  (56)  que  tout  ce  qui 
échappe  aux  lumières  &  à  la  pénétration  des  hommes,  eft  parfaitement 

■    T- ' ' '• 1 r— 

(^*)  Bellaiinrs  OU  BiUglneseA  nn  nom  Saxon  ,  ;       (55)   Cicero   de  Divinitat.   lib.  I.  cap.  91., 
'   qui  eft  compofe' de  fi; ,   habitation,  bourg ,  8c  :  Philo  de  Leg.  Spécial,   pag.   S:i.  Cleric.  Hift. 
f«5«i ,  Loi.  BelUiines  veut  dire,  par  confe'quent,  ,  Philof.  p.  2  5^.Brucher  Hill.  Ciit.  Fhilof  lib.  II, 
K»  ctrfs  dt  Loix  muniiifales.  Note  de  l'Editeur.'     1  cap.  %.  p.  i«s, 

(j4)  Ma').»  j«f à  »t'f «««  ji  ip(A««q)j(  Xai  Çt-  j       (jSJCi-d.  ï.iY.  lU.  ch.  3>  $;  !•  e]i.  4.  f.  IQ^ 
,A^(»i-  Suidas.  i 


LIVRE    IV,    CHAPITRE:  IV;  iCv 

connu  à  l'Etre  fuprcir.e;  mais  ils  tiroient  de  cette  belle  vérité  la  pai.s. 
fiiiiffe  de  toutes  les  eonfcquences.  Ils  croyoient  être  en  droit  d'en  coa-. 
dure  que-  tout  ce  qu'il  importoit  à  l'homme  de  favoir  ,  &  qu'il  ne  pou- 
voit  découviir  par  les  propres   recherches  ,  il  devoit  l'apprendre  de 
la  Divinité-,  qui  répondoit  en  mille  manières  différentes,  à  ceux  qui  eur 
tendoient  la  fcience-des  Divinations.  Il  arrivoit  de-là,  que  toutes  les  fois, 
qu'il  s'agifioit  de  délibérer  fur  des  aiiaires  importantes,  de  décjdfr  d^s. 
queltions  éplneules  ,  de  découvrir  la  vérité  d'un  fait  qui  n'étoit  pas  fufîi- 
famment  attefté  ,  on  prenoit  le  parti  d'interroger  la  Divinité  ,  &.  de  re- 
mettre la  chofe  à  fa  décifion.  De  même  que  les  Peuples  ne  fe  décidoient  à: 
faire  la  guerre   ou  la  paix  que  par  foij  avis,  il  y  avoit  auffi  des  pas-.. 
t'culiers  (57)  qui  le  feroient  fait  un  fcrupuie  de  prendre  une  réfolution,, 
ou  de  faire- la  moindre  démarche,  avant  que  de  s'être  affu  ré  ,..paï  le 
moyen  de  quelque  Divination  ,  que  le  fuccès  en.feroit  favorable. 

Ce  n'eft  pas  ici  le  lieu  de  reprcfenter  la  nature  mc-me  de  ces  Divi-- 
nations.  On  fera  obligé  d'en  parler,  lorfqu'on  traitera  des  fuperflitions 
des  Peuples  Celtes.   On  doit  feulement  remarquer,  à  pr-éfent,  que  la 
fcience  des  Divinations  étoit  entre  les.  mains,  du  Clergé.  Il  eft  vrai  que 
les  particuliers  afpiroient  (58),  pour  la  plupart ,  au  don  de  deviner  ,  &c 
qu'ils  s'étudioient  beaucoup  ;\  entendre  la  voix  &  le  langage  des  Efprits 
qui,  félon  la  Dodrine  des  Celtes  ,  rélidoient  dans  les  différentes  parties 
du  monde  vifible.  Mais  le  Peuple  ne  connoilToit  les  principes  ôc  les  règles 
de  cette  belle  fcience,  qu'autant  que  le  Clergé  vouloit  bien. lui  en  enfei- 
gner  une  petite  partie.   Comme  les  gens  d'Eglife  palToient  pour  être  ks 
tîivoris  &   (  59  )  les  confîdens  des  Dieux  ,  leurs  Divinations  étoient 
les  feules  qui  fuffent  accréditées  &c  reçues  comme  autaot  d'oracles  in- 
faillibles. Ainfi  les  Gaulois  avoient  leurs  Druides  ,  &  ,  parmi  ces  Druides 
(  60  ) ,  des  Devins  en  titre  d'ofEce ,  auxquels  ils  ajoutoient  beaucoup 
de  foi. 

La  grande  étude  des  Devins ,  &,  engendrai  (61),  de  tout  Iç  Clergé 
Gaulois,  étoit  ce  que  les  Grecs  appelloient  la  (62)  Phyfiologie.  Con-i 
templant  continuellement  la  nature ,  & ,  en  même  tems,  la  difpolition  8ç 

(57)  Cicero  de  Divjoat.  lib.  1.  cap.  2«,  fSo)  Diodor.  Sic,  V.  n  j, 

(58)  Voyet.  cJTdeCu  §,  6.  not.  42.  Ciccr.  de     ,       («i)  Dio.  Chryf,  Serm.  XLIX.  p.  s3it 
Çjïinat.  I.  eap   90-  («ij  Sur  le-ieiu  de  ce  mot  voja,  1»  no».  5*», 


CELTES, 


en  tiroient  des  conjcflu- 


igi  H  I  S  T   O  I  R  E    D  E  S 

î'enchiiînement  de  fes  diiîerentes  parties  , 

tes,  des  prcfages,  des  prophéties  ,  en  un  mot,  des  Divinations,  qui  leur 

'découvroient  les  faits  les  plus  cachés  ,  auffi  bien   que  les  événemens 

les  plus  éloignés  &  les  plus  incertains.  On  le  voit  dans  un  pafiage  de 

•Strabon  (63)  :  «  Il  y  a  trois  ordres  de  perfonnes  qui  font  en  grande 

»  vénération  parmi  les  Gaulois,  les  Bardes,  les  Devins  Se  les  Druides. 

'»  Les  Dardes  compofent  des  Hymnes  èc  des  Poèmes.  Les  Devins  of- 

•»  frent  les  facrifices,  &  s'appliquent. à  la  Phyfiologie.  Les  Druides,  ou- 

»  tre  la  Phyfiologie  ,  cultivent  encore  la  Phllofophie  morale  ». 

La  même  chofe  eft  confirmée  par  Ammien  Marcellin  (64)  :  «  Les  De* 

■  wvins   s'appliquoient  à  dévoiler   l'enchaînement  Se   les   fecrets  de  la 

,»  Nature»;  &C  par  Diodore  .de  Sicile  (65):  «Les  Devins  prédifent 

«l'avenir  par  les  aid'pices^  6c  par  les  vidimes,  &  le  Peuple  leur  eft 

»  entièrement. foumis». 

On  a  remarqué,  il  n'y  a  qu'un  moment,  que  c'efl  des  Divinations 
qu'il  faut  entendre  ce  que  dit  Jules-Céfar  {66)  ,  que  les  Druides  exp/i~ 
quent  liS  principaux  points  de  la  Religion.  Le  Peuple  aveugle  ôc  fuperfli- 
tieux  ,  attribuant  tous  les  événemens  naturels  à  l'opération  de  quel- 
qu'Efprit ,  regardant  tout  ce  qu'il  voyoit ,  &:  ce  qu'il  enîendoit ,  com- 
me autant  de  préfages  &  d'inftruftions  que  la  Divinité  donnoit  au 
genre-humain  ,  allolt  demander  avec  dévotion  aux  Devins,  ce  que  figni- 
fioit  telle  ou  telle  chofe  dont  il  avoit  été  frappé.  Les  Druides  répon- 
doient  à  ces  demandes,  félon  les  règles  de  la  Phyfiologie,  ôc  toujours 
de  la  part  du  Dieu  dont  ils  fe  vantoient  d'être  les  Miniftres  &  les  fa- 
voris.  C'eft  ce  que  Jules-Céfar  appelle  interpréter  les  Religions. 

Tous  les  autres  Peuples  Celtes  faifoient  le  même  cas  des  Divina- 
tions, &  c'étoit  toujours  le  Clergé  qui  y  préfidoit  (67).  Les  Lufitains  , 
qui  font  les  Portugais  d'aujourd'hui,  avoient  leurs  Devins  qui  prédifôient 
l'avenir,  par  l'infpeâion  des  viftimes.  Les  Germains  (68)  déféroient 
beaucoup  aux  aufpices ,  &  aux  forts  :  &  c'étoit  ordinairement  le  Sacrifi- 
cateur qui  interprêtoit  les  uns  &  les  autres.  Les  Noriciens  avoient  des 
Arufpices  (69)  ,  qui  prononçoient  des  oracles  au  nom  du  Dieu  Belenus, 


1 


(6j)  Strabo  IV.  197. 

(64)  Amra   Marcell.  lib.  XV.  cap.  9,  p.  jp. 

(6.;)  Diodor.  Sicul.  V.  21Î. 

(65;  Ci-d.  §.  î.not.  j. 


(67)  Strabo  HI.  I54. 

(68)Tac>t.  Germ.  10.  TmncidivinniiiniliHiclt' 
diii.  Procop.  Gotth.  lib.  II.  cap.  2$.  p.  44^. 
(«sj  Capitolin,  in  Maxirain.  p.  il. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    IV.  i6j 

Ceux    des    Rhétiens   6c  des  Vindéliciens  le   vantoicnt  de  deviner  les 
chofes  les  plus  cachées  ;  par  exemple ,  (70)  ils  connoifioieRt  û  une  femme 
grofle  de  voit  accoucher  d'un  fils  ou  d'une  fille.  Cette  paffion.  pour  les 
Divinations  fubfiftoit  encore  en  Germanie  dans  le  fixième  fiécle  ,  ou 
l'on  voit  des  Devins  (71)  Allemands  déclarer  à  Butilin  ,  qui   fe  pré- 
paroit  à  combattre  l'Armée    Romaine    commandée  par  Narsès  ,  qu'il 
périra  avec  tous  fes  Francs ,  s'il  hafarde  la  bataille  ce  jour-là.  Les  Gctcs 
avoient  leurs  Pontifes  (71)  qui»  félon  l'inftruûion  de  Zamolxis ,  in- 
terprêtoient  les  préfages  ,  &  déclaroient  la  volonté  des  Dieux.    La 
même  chofe  étoit  établie  parmi  les  Turcs  (73),  qui  attribuoient  à  leurs 
Sacrificateurs  le  Don  de  prophétie.  Les  Scythes  qu'Hérodote  a  connus, 
favoirceux  qui  demeuroient  au-delà  du  Danube  (74),  avoient  auffi  beau- 
coup de  Devins ,  &  ils  ne  différoient  point  en  cela  des  autres  (7  5)  Scythes 
qui  étoient  établis  en  Afie.  En  Perfe  auffi,  la  fcience  des  Divinations  (76) 
faifoit  la  grande  étude  des  Mages.  En  voilà  affez  pour  montrer  que  le 
defir  de  connoître  l'avenir  ,  avec  mille  chofes  qui  font  au-defiiis  des 
recherhes  de  l'homme ,   étoit   une  folie  commune  à  tous  les  Peuples 
Celtes.  Le  Clergé  s'étoit  rendu  maître  de  cette  Science,  parce  qu'elle  lui 
foumettoit  tous  les  efprits,  &  cela  d'autant  plus  alfément,  qu'il  avoit 
trouvé  le  moyen  de  perfuader  aux  Peuples ,  que  fes  Divinations  n'é- 
toient  pas  de  fimples  conjeûures  (77) ,  mais  les  réponfes  mêmes  de  la 
Divinité,  &c  par  conféquent,  autant  d'Oracles  infaillibles. 

§.  IX.  Les  Eccléfiafliques  des  Peuples  Celtes  faifoient  encore  profef-     ^"  ^'^'-'t 
fion  de  Magie,  &C  fe  vantoient  d'opérer,  par  le  moyen  de  leur  art,  l'.e-upn.fcu 
les  chofes  du  monde  les  plus  extraordinaires.  Il  y  a ,  à  la  vérité ,  une  très-  gi".   '  "'*" 
grande  différence  entre  la  Magie  dont  on  accufe  aujoiird'hui  les  Sor- 
ciers,  &  celle  des  Druides,  qui  prétendoient  faire  des  miracles,  non 
par   le  miniftère  du  Diable ,  mais  avec  le  fecours  des  Efprits  qui  réfi- 
doient ,  félon  leur  Doftrine ,  dans  les  différentes  parties  de  (78)  l'Uni- 
vers.  Mais  cela  n'empêchoit  pas  que  la  Magie  des  Celtes  ne  fût  une 


(70)  Ci-d.  Liv.  II.  ch.  is.  p.  î»o,  not,  7. 

(71)  Agath.  lib.  II.  p.  41.  42. 
(71)  Strabo  VII.  197. 

(73)  Theophyl.  Simocat.   lib.  VII.  chap.  S. 

P»g.  i7«. 

(74}  Herodol.  IV,  «7. 

(7$)  CUci.  Divin.  lib.  I.  ctp.  91.  Stiabo  XI. 


pag.  5  =  3. 

(7«}  Lucînnus  Macrob.  itlianus  V.  H.  II  17; 
Ciccro  Divin,  lib.  I.  cap.  90. 

(77)  SiraboVII.  J04.  Pomp.  Mêla  lib.  III, 
cap.  1.  p.  73. 

(78)Ci-d.Liv.  m.  Ch.  4.5.  10. 


:i^)}..  HISTOIRE     D  E  S  .  C  E  L  T  E  S, 

Icience  aiilii  vaine  que  criminelle.  Elh  koit  vainc ,  parce  que  Ces  pré- 
tendus Enchanteurs  promettoient  mille  chofes  qu'ils  n'étoient  pi  s  en 
«kat  d'exécuter.  Par  exemple  ,  ils  fe  glorlfîoient  (79)  d'avoir  des  charmes 
qui  rendoient  L'homme  invulnérable  ,  &  qui  le  préfervoient  de  tout 
danger  «tant  fur  mer  que  fur  terre.  Us  enfeignoient  les  moytns  de  chafler 
Its  infeâés  d'un  Pays,  de  prendre,  comme  Protée ,  la  forme  de  toute 
forte  d'animaux.  Elle  était  ciiminelk,  ■çd.xct  qu'elle  enfeignoit  aiiffi  diff.* 
rentes  fortes  de  maléfices.  Avec  le  lecours  de  leur  grimoire  (^o),  les 
Druides  ruinoient  les  moifîôns,  excitoient  des  vents  &  des  t-empêtes 
qui  renverfoierit  tout,  rendoient  les  hommes  furieux,  leur  nouoient 
l'alguiliêtte  ('),  oii  leur  ôtoient  tout  moyen  de  fe  défendre  contre  im  en- 
nemi. On  aura  occafion  de  .rapporter  quelques  -  unes  de  ces  opérations, 
magiques  ,  quand  on  fera  parvenu  aux  fuperftitions  des  Peuples  Celtes. 
Elles  conHriiieront  te  que  l'oft  vient  de  dire  de  la  futilité  de  la  Magie  , 
dont  ces  Peuples  faifoient  un  fi  grand  cas. 

On  s'eft  cent  fois  étonné  qu'une  Science  aufli  vaine  pût  être  e^cercée 
avec  tant  de  fuccès  par  les  Pi-êtres  des  Celtes  ,  &  leur  donner  un  fi 
grand  crédit  dans  l'efprit  du  Peuple.  Mais  ,  outre  que  l'ignorance,  la'  fu- 
perflition  i  la  crédulité  font  le  caradère  dominant  du  Peuple,  outre 
que  les  Druides  étoient  des  impofleurs ,  qui  favoient  fe  revêtir  d'un 
ikix  merveilleux,  il  faut  avouer ,  d'ailleurs ,  que  la  Théologie  même 
des  Celtes  les  conduii'oit ,  en  quelque  manière ,  à  regarder  la  Magie ,  com- 
me une  fcience  aufTi  folide  qu'excellente  &  fublime.  Croyant  que  toutes 
les  difFérentes  parties  de  l'Univers  étoient  remplies  d'une  infinité  d'Ef- 
prits  ,  auxquels  ils  attribuoie-nt  tics  connoifTances  &  des  forces  fupé- 
rieures  à  celles  des  hommes ,  ils  en  concluoient,  naturellement,  qu'un 
homme,  qui  avoit  le  fecret  de  mettre  ces  Efpritsdans  fes intérêts,  étoit  en 
état  d'opérer  les  chofes  les  plus  extraordinaires.  Comme  les  Minières 
de  la  Religion  Celtique  fe  vantoient  d'être  toujoiirs  en  commerce  avec 
laDivinhé,  &  avec  les  Efprits  qui  en  étoient  émanés,  il  ne  faut  pas 


(79)  Suidas  in  aW'.ii  T/jTom.  I.  pag.  lot. 
romp.  Mcl.  !ib.  ill.  cap.  6.  pa,g.  89.Coluracl. 
lib  X,  p.  i  S6.  Edit.  P.  Manut.  1553.  Fojcz,  auflî 
/Etiaii.  Hift.  Anim   Hb.  xvii.  cap.  10. 

(80)  yojcz.  la  note  pre'ccdente.  Dio  ap.  Valef. 
fpag.  750.  ScUbl.  ad  Apoll.  Atgon.  lib.  I.  p.  f  16. 


(  *  )  On  n'ôteioitpas  de  l'efprit  de  bi«n  des 
petfoîïnes  qu'il  y  a  ,  encore  aujourd'hui  ,  des 
gens  qui  noueflt  l'-ai^HilUiie  ,  c'eft-à-dire,  qui 
font  des  maléfices  qui  empêchent  la  conlotn- 
mation  du  mariage.  C'eft  ainfi  que  nous  avons 
hérite  des  prtjugés  de  nos  Feies.  Hue  de  l'Ldu. 

être 


LIVRE     IV.     CHAPITRE     IV.  265 

être  furpris  qu'on  les  regardât  comme  des  gens,  qui  avoient ,  pour  ainfi 
dire ,  toute  la  Nature  à  leur  commandement. 

Pline  avance ,  comme  un  fait  certain  &  reconnu  ,  que  la  Magie  dont  < 
on  vient  de  parler,  &  qui  donnoit  une  fi  grande  réputation  aux  Drui- 
des (Sî),  tiroit  fon  origine  dePerfe.  La  chofeparoît, cependant,  fort  pro- 
blématique ,  auffi  bien  que  tout  ce  que  les  Perfes  publioient  de  leur  Zo~ 
roajire ,  auquel  ils  rapportoient  la  première  invention  de  cette  Science. 
Quoi  qu'il  en  foit,  Pline  reconnoît,  dans  le  même  endroit  (82)  ,  que  la 
Magie  s'étoit  répandue  par  toute  l'Europe  ,  qu'on  en  trouvoit  des 
traces  jufques  dans  les  XII.  Tables,  que  les  Gaulois  en  étoient  vé- 
ritablement forcenés  ,  &  qu'elle  avoit  même  paffé  dans  la  Grande- 
Bretagne  ,  où  elle  s'exerçoit  avec  des  cérémonies  û  étranges ,  que  les  Per- 
fes mêmes  auroient  pu  profiter  dans  cette  Ecole. 

§.  X.  Les  Minières  de  la  Religion  exerçoient  encore  la  Médecine  par-  tes  rrècret 
mi  les  Celtes,  &  ils  avoient  deux  manières  différentes  de  traiter  les  ecerçoient  u 
malades.  La  première,  c'étoit  la  Divination,  par  laquelle  ils  prête n-t  pécVndôlên^ 
doient  découvrir  la  véritable  caufe  de  la  maladie.   On  trouve  là-deffus  LT!"^ '"*?*" 

'al. s  par  I^ 

im  paffage  remarquable  dans  Hérodote.  Parlant  des  Scythes  (83),  qui  ^'^'nauoa. 
demeuroient  depuis  le  Danube  jufqu'au  Tanaïs  ,  il  dit  (  84  )  qu'ils 
avoient  beaucoup  de  Devins ,  qui  devinoient  les  uns  avec  des  verges 
de  fautes ,  &  les  autres  avec  des  branches  de  tilleul.  Après  quoi ,  il 
ajoute  (85):  ■■<  Toutes  les  fois  qu'un  Roi  des  Scythes  eft  malade,  il  fait 
»  appeller  trois  Devins  ,  de  ceux  qui  ont  le  plus  de  réputation.  Les 
»  Devins  répondent  prefque  toujours  que  tel  ou  tel  Scythe  a  fait 
»  un  feux  ferment  par  la  maifon  du  Roi ,  ce  qui  eft ,  parmi  les  Scythes , 
»  la  formule  du  ferment  la  plus  connue  &  la  plus  folemnelle.  On 
«amené,  fur  le  champ,  celui  qui  eft  accufé  de  ce  parjure  ,  pour  le 
«convaincre  par  la  fcience  de  la  Divination,  d'avoir  fait  un  faux  fer- 
»  ment  par  la  maifon  du  Roi ,  &  d'avoir  caufé  de  cette  manière ,  la  ma- 
wladie  dont  il  eft  atteint.  Si  l'Accufé  nie  le  fait,  &  fe  récrie  à  l'injuftice, 
»le  Roi  fait  appeller  d'autres  Devins  ,  au  nombre  de  fix.  Ceux-ci 
vfont  un  nouvel  examen,  félon  les  règles  de  la  Divination,  &  fi  l'Ac- 
»  cufé  eft  convaincu  une  féconde  fois ,  par  le  fort ,  on  lui  coupe  la 


(84)  Heiodot.  IV.  67. 
(«5)  Her9d0t.lv.  «».<>. 


(,8i)Plin.  H.  N.  XXX.  I. 

{tz]  Ibid. 

(83)  Herodot.  IV.  47. 

Tfime  //.  l^l 


x66  HISTOIRE    DES    CELTES, 

M  tête,  fans  aucun  délai,  &  fes  biens  font  partages  entre  les  trois  pre- 
^'  miers  Devins.  Quand  l'Accufé  eft,  au  contraire,  abfous  par  les  fix  De- 
»  vins ,  on  en  appelle  d'autres  pour  une  féconde  &  une  troificme  revi» 
»fîon,  Se  s'il  eft  déchargé  par  la  pluralité  des  fufFrages  ,  les  trois  De- 
»vins  qu'on  avoit  appelles  dans  le  commencement  ,  font  condamnés 
>>  à  mort.  Voici  de  quelle  manière  on  les  fait  mourir.  On  remplit  un 
»  chariot  couvert  de  fagots  ,  &  on  y  attéle  des  bœufs  ;  enfuite  on 
»  étend  les  criminels  fur  les  fagots,  pieds  &  poings  liés,  &  un  bâillon 
wdans  la  bouche;  après  y  avoir  mis  le  feu  ,  on  pouffe  les  bœufs ,  qui 
»  fouvent  font  bridés  avec  les  Devins.  Il  arrive  d'autres  fois  que  le 
»  timon  du  chariot  étant  promptement  confumé  ,  les  bœufs  échap- 
.»  pent  à  demi  grillés.  C'eft  de  cette  manière  que  les  Scythes  brident 
«leurs  Devins,  non-feulement  pour  ce  crime,  mais  auffi  pour  d'autres , 
n  appellant  ceux  qu'ils  font  mourir ,  de  faux  Devins.  » 

Voilà ,  affurément ,  une  étrange  manière  de  traiter  les  malades.   On 
peut  imaginer  qu'elle   avoit  été  introduite    par   quelque  fçélérat  qui 
penfolt    moins    à    guérir  le  Roi  ,  qu'à  faire    périr  des   innocens.  Le 
Clergé  Scythe  ne  laiffa  pas  de  foutenir  cette  injufte  procédure  ,  &  de  la 
faire  paffer  en  coutume,  parce  qu'elle  lui  procuroit  la  confifcation  des 
■         biens  des  perfonnes  qu'il  accufoit  de  parjure  ;  au  refte ,  les  Devins  ne 
couroient  pas  un  grand  danger  dans  des  révifions  pour  lefquellcs  on  choi- 
fiffoit  toujours  des  Juges,  qui  étoient  de  leur  ordre  &  de  leur  parti.  Sa- 
voir, après  cela,  comment  les  Devins  trouvoient  le  moyen  de  perfua- 
'   der  au  Roi ,  que  le  faux  ferment  d'un  fujet  étoit  capable  de  lui  attirer  une 
maladie,  &  qu'elle  feroit  infailliblement  guérie  par  la  mort  du  parjure  , 
c'eft  ce  qu'il  importe  peu  de  deviner.  Ce  n'étoit  pas  dans  cette  feule  occa- 
lion,  que  le  Clergé  fe  jouoit  de  la  crédulité  publique  :  l'on  s'imagine 
bien  que  ,  quand  le    Roi  ne    laiffoit  pas  d'être  emporté  par  la  mala- 
die ,  les  Devins  avoient  une  excufe  toute  prête  ;  ils  fe  récrioient  fur  ce 
qu'on  n'avoit  pas  fait  mourir  tous  les  parjures. 
ïis  nucrifloi.       Outre  ccttc  manière  de  traiter  les  maladies ,  il  y  en  avoit  une  autre  , 

tnt  aufli  par  .      ,      .  ,  o         i  •  ■, ,      •     t     1. 1      •  •         r  • 

aes enchante-  qui  ctoit  pliis  commune  &  plus  ancienne;  c  etoit  la  Magie,  quienlti- 
'"*'^'  gnoit  le  moyen  de  guérir  un  malade  ou  un  bleffé  ,  en  prononçant  certai- 

nes paroles,  en  pratiquant  certaines  cérémonies,  &  fur-tout  en  chantant 
auprès  de  fon  lit ,  certains  cantiques  auxquels  on  atfribuoit  la  vertu  d'é- 
tancher  le  fang ,  de  confoUder  les  plaies ,  &  d'appaifer  les  douleurs  i 


L  I  V  R  E     ÎV.    C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  i<7 

cVft  ce  que  fignifie  proprement  le  mot  Grec  'trra.iij'ii ,  auquel  on  don- 
na dans  la  fuite  un  fens  plus  étendu  ,  &  que  l'on  rendroit  fort  bien  dans 
notre  Langue  par  celui  à'encha/uemens. 

Il  faut  que  cette  forte  d'enchantemens  fîit  déjà  connue  parmi  lesGrecs , 
du  tems  d'Homère.    Il    dit  (  86  )  qu'Uliffe   ayant  été  dangereufement 
bleffe,  dans  fa  jeuneffe ,  par  un  fanglier ,  on  arrêta  par  des  enchante- 
mens  le  fang  qui  couloit  de  fa  plaie.  On  ne  peut  guères  douter  que  cette 
fuperftition   n'eût  paffé  de  Thrace  en  Grèce.  D'un  côté ,  les  Auteurs 
Grecs  rapportent,  prefque  généralement,  à  Orphée,  qui  étolt  un  Philo- 
fophe  Thrace  ,  l'invention  de  leurs  inyftcres ,  c'eft-à-dire ,  des  cérémo- 
nies fécrettes  qu'ils  pratiquoient ,  pour  expier  les  crimes ,  pour  guérir 
les  maladies,  &  pour  appaifer  la  colère  des  Dieux  (87).  De  l'autre , 
on  appelloit  cette  partie  de  la  Magie,  qui  traitoit  de  la  guérifon  des  mala- 
dies (88)  ,  Jrtcs  Dardanias  ,  parce  que  les  Dardaniens  ,  qui  étoient  un 
Peuple  Thrace  ,  en  faifoient  beaucoup  de  cas,  ou  parce  que  (89)  Dar-^ 
danus  ^  qui  quitta  la  Thrace  pour  aller  s'établir  dans  l'Afie-Mineure  » 
avoit  écrit  plufieurs  Livres  qui  traitoient  de  cette  Science.  Il  eft  certain , 
d'ailleurs  (90),  que  les  Phrygiens  ,  qui  étoient  un  Peuple  Scythe  venu 
de  Thrace ,  vantoient  beaucoup  cette  manière  de  traiter  les  maladies. 
Il  y  a  bien  plus.  On  voit  dans  un  paffage  de  Platon  ,  que  les  Prêtres 
des  Thraces  avoient  entrepris  d'appuyer  leur  méthode  fur  des  prin- 
cipes ,  &  de  la  juftifier  par  des  raifons  prifes  de  la  liaifon  de  l'ame  avec 
le  corps.  Voici  le  paffage  de  Platon  (91).  «Telle  eft,  ô  Charmide  ! 
»  l'efficace  de    ce   cantique.    Je  l'appris    étant   à   l'armée  en  Thrace , 
»  d'un  des  Médecins  de  ce  Pays ,  qui  fe  difent  difciples  de  Zamolxis ,  & 
»  qui  fe  vantent  encore  de  rendre  les  hommes  immortels.  Ce  Thrace 
»  difoit  donc  ,  que  nos  Médecins  Grecs  convenoient ,   avec  raifon  , 
»de  tout  ce  que  je  viens  de  dire.  Mais,  ajoutoit-il,  Zamolxis,  notre 
M  Roi ,  qui  eft  Dieu ,  a  dit  que ,  comme  il  ne  faut  point  panfer ,  ni  gué- 
»rir  les  maladies  de  l'œil,  fi  on  ne  prend  foin  ,  en  même  tems,  de 
>»  toute  la  tête  ,  ni  à  guérir  la  tête ,  fans  traiter  ,  en  même-tems ,  tout 


(!6)  Etymolog.  Magnum  p.  353.  Le  partage 
d'Homcre  ,  que  l'Auteur  de  l'Etymologicon  a 
cite'  de  me'molre  porte,  'tiaoïJ'îi' (Tt  aii^ct  Xi\».ivil 
Wi9oï.  Odyff.  XIX.  p.  45  7. 

(S7)  Paufan.  Bœot.  XXX.  p.  7«l. 

(»»)  Columell»  lib.  X.  p.  iS.  Edit,  P.  Mânut, 


IS33-rlin.  XXX.  I. 

(89)  Plin.  Ibid. 

(»o)  Euftath.  ad  Iliad.  XVI.  p.  i  "'«. 

(91)  Plato  Charmid.  p.  +«4.  Se  ap.  Stobœum 
Secm,  243.  p.  toi. 

LU 


^69  HISTOIRE    DES    CELTES, 

M  le  corps,  il  faut  aufîî  qu'un  Médecin  traite,  en  même  tems*  le  corps 
*>  &c  l'ame.  C'eft  la  raifon  pourquoi  plufieurs  maladies  écliapent  à  la 
»  pénétration  des  Médecins  Grecs  ,  parce  qu'ils  ne  connoifTent  pas 
»  le  tout ,  dont  il  faudroit  principalement  prendre  foin  ,  6c  que  le 
»  tout  étant  indifpofé  ,  il  n'eft  pas  pcffible  qu'aucune  des  parties  fe 
»  porte  bien.  C'eft  de  l'ame ,  difoit-il ,  que  tous  les  biens  &;  tous  les 
»maux  paffent  dans  le  corps,  comme  ils  defcendent  de  la" tête  fur  les 
*»  yeux.  Il  faut  donc  qu'un  Médecin  accorde  fes  premiers  &  fes  plus 
»  grands  foins  à  l'ame ,  s'il  veut  que  la  têt^  &  tout  le  refte  du  corps 
wjouiffent  d'une  bonne  fanté.  Il  ajoutoit  que  l'on  guériffoit  l'ame  par 
«certains  cantiques,  qui  étoient  des  paroles  faines  &c  propres  à  pro- 
»  duirc  dans  l'ame  la  fagefle.  AufTi-tot,  dit-il,  qu'on  a  procuré  la  fageffe 
»  à  l'ame,  il  eft  facile  de  rendre  la  fanté  à  la  tcte  &  h  tout  le  corps.» 

Abandonnons  tout  ce  grand  raifonnement  à  Platon  qui  l'a  développé 
&  orné  du  mieux  qu'il  lui  a  été  pofljble.  Quand  mcme  les  cantiques 
des  Prêtres  Thraces  auroient  pu  rendre  à  l'ame  la  fageffe  &  la  vertu , 
autant  que  le  fermon  du  Prédicateur  le  plus  pathétique ,  c'étoit  peine  per- 
due de  chanter  ces  cantiques  à  des  malades  qui,  le  plus  fouvent,  n'c- 
toient  pas  en  état  de  les  entendre  ,  ou ,  au  moins ,  d'y  faire  attention.  II 
eft  bien  vrai  que  la  fageffe  eft  très-utile  pour  préferver  l'homme  d'un 
grand  nombre  de  fâcheufes  incommodités  ,   que   des   paffions  aveugles 
&  emportées  traînent  après  foi  ;  mais  le  retour  à  la  fageffe  guérit  rarement 
les  maladies  qui  font  le  fruit  d'une  njauvaife  conduite.  Il  faut  avouer , 
d'ailleurs ,  qu'il  y  a  une  infinité  de  maux  &  d'accidens ,  qui  frappent  ' 
les  hommes  fages  &  vertueux  ,  autant  que  les  vicieux.  Mais  il  falloit 
bien  dire  quelque  raifon,  bonne  ou  mauvaife  ,  pour  Juftiiîer  cette  étran- 
ge fuperftition  ,  qui  prétendoit  guérir  les  maladies  par  le  chant  d'un 
cantique.  Au  refte,  ni  Platon,  ni  le  Médecin  Thrace  ,  qu'il  introduit, 
n'ont  pas  frappé  au  but.  La  véritable  raiibn  pour  laquelle  les  Thraces 
ufoient  d'enchantemens  ,  pour  guérir  leurs  malades,  c'eft  parce  qu'ils 
regardoient  la  plupart  des  maladies ,  comme  l'ouvrgge  de  quelqu'Efprit 
irrité  que  l'on  cherchoit  à  charmer  par  l'harmonie  de  la  voix  &  des  inf- 
trumens  dont  on  l'accompagnoit ,  ou  plutôt ,  par  des  prières  qui  fe  ré- 
citoient  en  chantant.  Mais  on  ne  fauroit  deviner  pourquoi  ces  cantiques 
avoient  la  vertu  d'arrêter ,  fur  le  champ ,  le  fang  d'une  plaie.  Peut- 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    IV.  269 

être  que  Zamolxis  lui  -  même ,  auroit  été  bien  embarraffé  de  répondre 
à  cette  queftion. 

Quoi  qu'il  en  ioit ,  les  Druides  des  Gaules  ne  difFéroient  point  fur 
cet  article  des  Prêtres  Thraces.  Ils  traitoient  aufli  leurs  malades  par  la 
Magie.  On  le  voit  dans  un  paflage  de  Piine  qui ,  après  avoir  parlé  fort 
au  long  de  la  Magie  des  Anciens,  ajoute  (91)  :  «  Les  Gaulois  ont  été 
»entêtés  de  cette  Science  jufqu'à  notre  fiécle.  Ils  en  font  revenus  au- 
wjourd'hui  ,  parce  que  l'Empereur  Tibère  a  fait  exterminer  leurs 
»>  Druides,  &c  en  général ,  toute  cette  forte  de  Devins  &  de  Médecins.  » 

On  ne  difconvient  pas  que  les  Druides  ne  s'appliquaient  auffi  à  la 
botanique.  Par  exemple  ,  ils  cueilloient ,  avec  pompe  ,  une  herbe, 
que  Pline  appelle  Sdago  (  93  )  >  &  qui  reflembloit  à  la  Sahïm  :  ils 
prétendoient  que  fon  fuc  étoit  un  remède  fpécifique  dans  toutes  fortes 
de  maladies ,  &  fur-tout  pour  guérir  toutes  les  maladies  des  yeux.  Ils 
attribuoient  encore  une  tiès-grande  vertu  au  Gui  de  chêne ,  qu'ils  regar- 
doient  comme  une  (94)  Panacée  univerfelle.  Mais  afin  que  cet  excellent 
remède  pût  produire  fon  effet,  il  falloit  qu'il  fïit  cueilli  dans  un  cer- 
tain jour  ,  par  un  Druide  vêtu  de  blanc  ,  &  avec  certaines  cérémo-  ^ 
nies ,  qu'on  aura  occafion  de  repréfenter  ailleurs ,  &c  fans  lefquelles 
il  perdoit  toute  fon  efficace.  Les  fimples  dont  on  fe  fervoit  dans  la 
Médecine  ,  fe  cueilloient  aulîi  avec  de  fémblables  cérémonies.  Si  elles 
ne  donnoient  pas  une  plus  grande  vertu  aux  remèdes,  elles  marquoient 
très-certainement  le  favoir  faire  du  Clergé ,  qui  ne  vouloit  pas  que  cet 
Art  fi  utile  paflat  en  d'autres  mains  :  il  lui  donnoit  un  grand  crédit  fur  l'ef- 
prit  des  Peuples ,  &c  il  étoit  la  fource  de  fes  richefTes  immenfes. 

§.  XL  Outre  ces  différentes  fondions ,    dont  le  Clergé  Celte  étoit     le  c^r^^ 
chargé  ,  il  s'attribuolt.  encore  ,  en  plufieurs  accafions  ,  &  à  différens  îf lo^è'enpiu- 
égards ,  l'autorité  du  Magiflrat  civil.  Ce  n'eft  pas  qu'il  fût  établi  pour  ad-  "-^"^^  "•j"'©. 
miniflrer  la  'uflice.  Il  y  avoit  dans  chaque  Canton,  un  Comte,  qui  étoit  l'i^J'iw-'iiif' 
chargé  de  maintenir  l'ordre  dans  fon  dillrid,  de  prendre  connoifTance  des 
différens  qui  s'élevoient  entre  les  Particuliers,  &  de  châtier  les  cou- 
pables, félon  la  teneur  des  Loix  i  il  y  avoit  aufli  un  Sacrificateur  dans 
chaque  Canton,  mais  fon  miniflcre  devoit  fe  borner  à  ce  qui  regarde  la 

(61)  Ci-d.  §.9^  bot.  Sî. 

(93)   Plin.   Hift    Nit.  lib.  XXiV.  cap.  ii.pag.  341. 

(V4)  Plin.  lib.  XVI.  cap,  44.  pag.  3 1 1,  j 


I/o  HISTOIRE    DES    CELTES, 

cônfcience,  &C  le  culte  extérieur  cle  la  Religion,  S'il  pratiquoît  aufii  h 
Médecine ,  il  le  faifoit  en  qualité  de  Miniftre  de  la  Divinité  ,  qui  lui  dé- 
eouvroit  la  véritable  caufe  des  maladies ,  &  lui  donnolt  des  moyens 
tout  extraordinaires  pour  y  apporter  du  remède.  Mais,  quoique  le  Comte 
&C  le  Sacrificateur  exerçaffent  des  emplois  tout  diîïérens  ,  &  qu'ils 
euflent  chacun  leurs  fonôions  particulières ,  cela  n'empcchoit  pas  que 
le  Clergé  n'empiétât,  tous  les  jours,  fur  les  droits  du  Magiilrat ,  &  qu'il 
ne  tirât  à  foi,  fous  divers  prétextes,  la  connoiffance  de  plufieurs  caufes 
qui  ctoient  purement  civiles, 

I  ^*  La  dlfcipline  que  les  Eccléfiaftiques  exerçoîent  au  nom  de  la  Divi- 
nité ,  dont  ils  fe  diloient  les  Miniftres ,  leur  donnoit  déjà  une  jurifdic- 
îion  très-réelle  &  très-étendue  ,  à  laquelle  aucun  Membre  de  l'Etat  ne 
pouvoit  fe  fouftraire.  Leur  miniftère  les  appelloit  à  prêcher  (95)  qu'^V 
Jaut  Jervir  les  Dieux  ,  ne  faire  aucun  tort  à  perfonne  ,  être  vaillant  &  brave. 
Par  cela  même ,  ils  fe  crOyoient  en  droit  de  citer  à  leur  Tribunal  ,  &: 
d'excommunier  ceux  qui  prêchoient  contre  ces  trois  articles  capitaux  de 
la  Morale.  Les  Impies ,  qui  négligeoient  le  culte  des  Dieux ,  ou  qui  in- 
troduifoient  des  fuperftitions  étrangères  :  les  injuftes,  qui  tranfportoient 
les  bornes  d'une  poffeffion  ,  qui  s'emparoient  de  l'héritage  &  qui 
tifurpoient,  de  quelque  manière  que  ce  fût,  le  bien  d'autrui.  Les  Lâches 
(96),  qui  avoient  fui  devant  l'ennemi ,  ou  qui  avoient  perdu  leur  bou- 
clier dans  une  bataille  ;  les  Meurtriers,  qui  tuoient  un  homme  en  tra- 
hifon ,  Se  contre  les  loix  de  Thonneur. 

Quand  une  famille  vouloit  pourfuivre  la  vengeance  d'un  meurtre, 
îl  falloit  qu'elle  intentât  fon  aftion  (97)  devant  le  Trib^mal  du  Clergé  , 
qui  étoit  en  poffeffion  de  juger  de  femblabies  caufes.  Il  cft  vrai  que  l'ex- 
communication, dont  le  Clergé  frappoit  les  coupables  ,  étoit  une  peine 
Eccléfiaflique  qui  fembloit  fc  réduire  à  exclure  un  homme  des  Affemblées 
Religicufes.  Mais  nous  avons  vu  (98}  qu'elle  avoit  de  terribles  fuites,  par 
rapport  à  la  vie  civile,  parce  qu'un  excommunié,  devenu  l'objet  de  la 
déteftation  publique,  étoit  retranché  de  la  fociété ,  dans  laquelle  il  ne  pou- 
voit occuper  aucune  charge,  ni  trouver  aucune  juflice.  D'ailleurs,  Jules- 
Céfar  remarque  expreffément  que  les  Druides  établiffoient  des  peines 
&  des  récompenfes ,  ce  qui  ne  permet  pas  de  douter  qu'ils  ne  s'attri- 

(ps)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  17.  §.  5.  |       (97)  Ci-dcfTous  ,  not.  loo. 

(>«)  Tacit.  Getm,  tf.  |       (s8)  Ci-d.  ch.  II.  §.  zj-jl. 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    IV.  271 

buaffent  le  droit  d'infliger  des  peines,  &  même  de  punir  du  dernier  fiip- 
plice ,  félon  la  nature  du  crime. 

z^.  Outre  la  difcipline  que  le  Clergé  exerçoit ,  &  qui  lui  fournifToit 
un  prétexte  fpécieux  ,  pour  s'attribuer  la  connoiffance  d'une  infinité 
de  caufes  purement  civiles ,  il  préfidoit,  d'ailleurs,  à  ce  qu'on  appelloit 
les  jugement  de  Dieu,  dans  lefquels  on  recherchoit  par  le  fort,  par  des 
divinations  ,  en  feifant  fubir  l'épreuve- du  fer  rouge,  de  l'eau  froide 
ou  bouillante ,  fi  un  homme  étoit  coupable  ou  innocent.  Il  efl  vrai  que 
ces  épreuves  étoient  ordonnées  par  le  Magiftrat,  quand  il  ne  voyoit 
point  d'autre  moyen  pour  découvrir  la  vérité.  Mais,  comme  elles  ,fe  fai- 
foient  rarement  de  bonne  foi ,  &  qu'il  s'y  mcloit  prefque  toujours  de  la 
fraude,  dont  le  Clergé  étoit  néceflairement  complice,  on  fent  bien 
que  les  Prêtres  pouvoient,  à  leur  gré,  faire  décharger  ou  fuçcomber 

îes  accufés. 

3^.  Il  convient  de  rappeller  ici  une  autre  remarque  que  l'on  a  déjà  faite 
dans  l'un  (  99  )  des  Chapitres  précédens.  Le  Clergé  faifoit  fa  demeure 
dans  les  Sanâuaires  :  c'étoit-là  auffi  que  les  Comtes ,  c'eft-à-dire  ,  les 
Juges  des  Cantons  alloient  tenir  leurs  féances.  Il  ne  faut  pas  douter 
que  les  Eccléfiaftiques  ,  à  portée  de  voir  tous  les  jours  des  Plaideurs  mé- 
contensde  leurs  Juges,  dégoûtés  des  longueurs  &  des  embarras  d'un  pro- 
cès ,  ne  profitaffent  de  l'occafion  ,  pour  porter  les  Parties  à  un  accom» 
modement,  dans  lequel  ils  faifoient  l'office  d'amiables  Compofiteurs.  Ou 
même  parce  que  le  peuple  avoit  une  grande  opinion  des  lumières  &  de 
réquité  de  fon  Clergé ,  les  Particuliers  qui  avoient  des  conteflations , 
choififToient  d'ordinaire  ,  de  leur  propre  mouvement,  les  Eccléfiaftiques 
pour  terminer  leurs  difFérens ,  par  la  voie  de  la  médiation  &  de  l'arbi- 
trage. Le  Peuple  auffi  &  les  Cantons  (qui  étoient  des  (loo)  Etats 
fouverains  &  indépendans,  en  tems  de  paix)  ne  reconnoifToient  point 
de  Supérieurs,  &  n'ayant  point  de  Magiftrat,  ni  de  Tribunal  commun, 
oti  ils  puffent  porter  leurs  différens  ,  préféroient  fouvent  l'arbitrage  du 
Clergé ,  à  la  voie  des  armes.  On  voyoit  même  quelquefois  des  ar- 
mées qui  en  étoient  déjà  venues  aux  mains  ,  pofer  les  armes ,  à  la  folli- 
.citation  des  Eccléfiaftiques ,  &  confentir  qu'ils  fuffenî  les  arbitres  du 


frjij)  Ci-d.  ch.  II.  §.  aj-31. 


Î72  H  I  s  T  O  I  p.  E    D  E  s    CELTES, 

diitcrent.  »Les  Druides,  dit  Straban  (loi),  palTent  pour  être  d'une  in- 
wtégrité  à  toute  épreuve;  delà  vient  qu'on  leur  remet  la  décifion  des 
»  diiiérens  que  les  Particuliers  &  les  Peuples  ont  les  uns  avec  les  autres. 
»  Quelquefois  les  Druides  des  deux  partis ,  difcutent  entre  eux  ce  qui 
»  fait  le  fujet  d'une  guerre ,  &  trouvent  le  moyen  de  pacifier  des  ar- 
»  mées  qui  étoient  furie  point  de  fe  battre.  Ils  font  chargés,  principale- 
»ment,  de  juger  les  caufes  où  il  s'agit  de  meurtre  &  d'efFufion  de 
»  fang.  »  Diodore  de  Sicile  fait  la  même  remarque  ;  il  dit  (  ici)  «que 
«les  Druides  &  les  Bardes  vont  fe  jetter  au  milieu  des  bataillons,  & 
»  qu'ils  appaifent  le  Soldat  irrité  ,  comme  on  apprivoiferoit  des  bêtes 
»  féroces,  w 

Tous  les  foins  que  le  Clergé  fe  donnoit  pour  prévenir  les  guerres 
&  les  procès,  lui  auroient  fait,  afTurément,  beaucoup  d'honneur,  s'il 
n'eût  eu  pour  but  que  de  procurer  le  bien  public,  &  d'empêcher  refFufion 
du  fang.  Mais  11  paroît  affez  que  l'ambition  &c  le  defir  de  dominer  avoient 
le  plus  de  part  à  ces  démarches.  Ce  fut ,  au  moins ,  par  ces  différens  de- 
grés ,  que  les  Druides  vinrent  à  bout  d'établir ,  dans  les  Gaules ,  un  Tri- 
bunal ,   qui   ancantiffoit  ,   prefqu'entiérement  ,  l'autorité  du  Magiflrat 
civil.  On  le  voit  dans  un  pafTage  de  Jules-Cèfar ,  qui  mérite  d'être  rap- 
porté (103)  :  «Les  Druides  font  fort  confidérés  parmi  les  Gaulois.  Ils 
»  décident  prefque  de  tous  les  différens,  tant  publics  que  particuliers; 
»ils  jugent  des  crimes,  des  meurtres,  auffi-bien  que  des  procès,  tou- 
♦>  chant  les  fucceffions  &  les  bornes  des  terres;  ils  déterminent  les  pei- 
»  nés  Se  les  récompenfes.  Lorfqu'une  perfonne  privée,  ou  même  un  Peu- 
»  pie  à  refufé  de  fe  foumettre  à  leurs  décifions  ,  ils  l'excluent  des  facri- 
»fices  ,  ce  qui  eu  ,  parmi  les  Gaulois  ,  la  plus  griève  de  toutes  les 
»  peines.  Ceux  qui  font  ainfi  excommuniés ,  font  regardés  comme  des 
»  impies  &   des  fcélérats.   Tout  le  monde  fe  fépare  d'eux  ,  on  évite 
»leur    rencontre  &  leur  entretien,  comme  fi  on  craignoit  d'en  être 
»  infefté.  On  ne  leur  rend  point  juftice ,  lorfqu'ils  le   demandent ,   & 
»  on  ne  les  élevé  à  aucune  dignité, . .  Ces  Druides  s'afTemblent  dans  une 
»  certaine  faifon  de  l'année  dans  le   Pays   des  Carnutes    (  le  Pays  de 
M  Chartres) ,  que  l'on  tient  pour  le  milieu  des  Gaules  ;  ils  s'affeyent-là 


(loi)  Sttabo  IV.  :9  7. 
(102)  Diod)  Sic.  V.  z  1  j. 
(loj)  Csfai  VI.  ij. 

,  .  wdans 


LIVRE    IV.-CHAPITRE    IV.  173 

«dans  un  lieu  confacré  ;  tous  ceux  qui  ont  des  différens  y  accourent 
»de  toutes  parts,  &  obéiffent  à  leurs  décifions.  » 

Les  autres  Peuples  Celtes  ne  différoient  des  Gaulois,  fur  cet  article, 
que  du  plus  au  moins.  Tantôt  on  confultoit  les  Eccléfii  ftiques  comme 
des  experts,  qui  connoifToient  parfaitement  les  Loix,  &  qui  en  étoient, 
en  quelque  manière ,  les  dépofitaires ,  parce  qu'ils  favoient  par  cœur 
les  cantiques  oh  elles  étoient  contenues.  Tantôt  ils  étoient  des  Mé- 
diateurs ,  qui  s'employoient ,  de  leur  propre  mouvement ,  à  procureir 
un  accommodement  entre  les  parties.  Tantôt  les  Particuliers  conve- 
noient  de  remettre  leurs  différens  à  l'arbitrage  du  Clergé.  Tantôt  les 
Eccléfiaftiques  s'établiffoient ,  eux-mêmes ,  pour  Juges  de  certaines  caufes 
qu'ils  prétendoient  être  de  leur  reflbrt.  Par  exemple,  nous  lifons  dans 
Jornandès  (104)  que  Comoficus  ,  qui  fuccéda  à  Dicéneus  dans  la  charge 
de  Souverain  Pontife  des  Goths ,  s'acquit  une  fi  grande  réputation  par 
fon  habileté ,  qu'on  lui  obéit ,  non-feulement  comme  à  un  Sacritîcateur, 
mais  encore,  comme  à  un  Roi,  enforte  qu'il  jugea  le  Peuple  félon  la 
juftice. 

Parmi  les  Ibères ,  qui  étoient  un  Peuple  Scythe  de  l'Afie  (  105  ),  c'é- 
toient  les  Sacrificateurs  qui  conduifoient  les  négociations ,  &  qui  vui- 
doient  les  différens  que  la  Nation  avoit  avec  fes  voifins.  En  Perfe  aufïï, 
les  Mages  (io6)avoient  féancedans  le  Confeil  du  Roi, toutes  les  fois  qu'il 
adminiftroit  la  juftice.  Ce  fut,  peut-être,  pour  conlerver  les  chofes  fur 
l'ancien  pied  ,  que  Charles-magne  fit  renouveller ,  dans  toute  l'éten- 
due de  fon  Empire,  la  Loi  de  Conftantin  le  Grand,  ou  de  Théodofe  I, 
qui  défendoit  aux  Juges  civils  de  prendre  connoiffance  (  107  )  des 
caufes  ,  qui  auroient  été  portées  devant  le  Tribunal  des  Evêques.  Com» 
me  les  Evêques  avoient  fuccédé  aux  biens  &  aux  droits  des  Sacrificateurs 
Payens,  ils  demandèrent,  fans  doute,  d'être  maintenus  dans  le  droit  qu'a- 
voit  le  Clergé ,  de  connoître  de  certains  crimes ,  6c  de  juger  même  toutes 
les  caufes  que  l'on  portoit  devant  fon  Tribunal. 

Ce  que  l'on  vient  de  dire ,  de  la  part  que  Clergé  prenoit  à  l'adminîf- 
tration  de  la  Juftice ,  conduit  naturellement  à  expliquer  un  pafFage  de 


(104   Jornandès  cap.  il.  I       (107)  Clpit.  Kar.  Mag.  lib.  VI.  Leg.  atl, 

(105)  Strsbo  XI.  SOI.  Ipag.  I0»4, 

(l«6)  Ci-deflous.J.  lï.ttOt.  13».  IIJ.  l 

Tome  U,  M  m 


174  HISTOIRE    DES.  CELTES, 

Jules-Céfar,  &  un  autre  de  Tacite  ,  qui  regardent ,  tous  deux,  le  fujet 
qu'on  examine. 

Le  premier  porte  (loS)  «que  Jules-Ccfar,  ayant  pris  connoiffance 
«des  troubles  qui  s'étoient  élevés  dans  la  République  des  Eduens  , 
«contraignit  Cotus  à  réfigner  la  Magiftrature  ( c'eft-à-dire  ,  la  dignité 
«de  Vergobret),  dont  il  s'étoit  emparé  contre  les  Loix,  &  qu'il  con- 
«  firma  dans  cette  Charge  convi£tolitanes  qui ,  félon  la  coutume  des 
«Ediiens,  avoit  été  créé  par  les  Sacrificateurs,  dans  un  tems  où  il  n'y 
«avoit  pas  de  Magiftrat.  «  Pour  entendre  ce  paflage,  il  faut  remarquer 
que  les  Ediiens  ,  comme  les  autres  Peuples  Celtes ,  nommoient  tous  les 
ans  leurs  Magiftrats ,  dans  l'Affemblée  générale ,  qui  fe  tenoit ,  au  com- 
mencement de  chaque  Printems ,  dans  le  Sanâuaire  où  réfidoit  le  Sou- 
verain Pontife  de  la  Nation.  Les  anciens  Magiftrats  y  abdiquoient  leur 
Charge  ,  &  il  falloir  que  les  nouveaux  fuffent  élus ,  avant  que  l'Af- 
femblée,  qui  ne  pou  voit  durer  qu'un  certain  nombre  de  jours  ,  fe  féparât. 
Quand  les  DépiTtés  des  Cantons,  auxquels  appartenoit  le  droit  d'élire  le 
Maciftrat  commun  de  la  Nation,  ne  pouvoient  s'accorder  fur  le  choix  du 
Vergobret  &  des  autres  Sénateurs ,  &  qu'ils  fe  féparoient  fans  avoir 
rempli  les  places  vacantes ,  les  Sacrificateurs  du  Sanâuaire  étoient  char- 
gés de  nommer  d'office  un  Vergobret,  qui  demeuroit  revêtu  de  cette 
dignité ,  jufqu'à  ce  qu'on  en  nommât  un  autre  dans  une  AfTembiée  gêné» 
raie.  On  avoit  pris  cette  précaution  pour  empêcher  que  l'Etat  ne  tom-» 
bât  dans  l'Anarchie.  En  conféquence  de  ces  Loix,  Cotus  étoit  un  ufurpa- 
teur,  qui  s'étoit  fait  déclarer  Vergobret  (  109)  par  un  petit  nombre  de 
Députés,  convoqués  feulement  hors  du  tems  &  du  lieu  de  l'Aifembiée 
générale,  où  ce  Magiftrat  devoit  être  nommé.  Cotus  étoit,  d'ailleurs, 
exclus  de  cette  dignité ,  &  même  du  Sénat ,  par  une  Loi  qui  défendoit 
d'y  recevoir  deux  frères.  Védéliacus  (uo),  frère  de  Cotus,  étoit  dans 
le  Sénat ,  &  avoit  été  nommé  Vergobret  l'année  précédente.  Convic- 
tolitanes,  au  contraire,  rempliflbit  légitimement  cette  Charge,  comme 
ayant  été  nommé  parles  Sacrificateurs  pendant  l'interrègne,  intermijjis 
Magijlradbus.  Jules-Céfar  prononça  donc  félon  les  Loix ,  &fitunaâe 

de  juftice ,  en  dépofant  Cotus ,  pour  confirmer  Conviâolitanes. 
■' 

.  (10»)  estar  Vlli  33. 
(loj  Caefar  VU.  a. 
(llo;  ibid.  cap.  il.  •  ' 


LIVRE    ÎV.     CHAPITRE    IV.  275 

Le  paflage  de  Tacite  ne  doit  arrêter  qu'un  moment,  parce  qu'il  s'ap- 
plique de  lui-même  au  fujet  que  l'on  vient  de  traiter.  «  Parmi  les  Ger- 
»  mains  ,  dit  l'Hiftorien  (  1 1 1  )  ,  les  Prêtres  ont  droit  de   mettre  aux 
»  fers  ,  d'infliger  des  peines  ,   d'exécuter  les   criminels    (  1 1 2  )  ;  &  ce 
«n'efl   point   la  juflice   des    hommes   qu'ils  prétendent    exercer  ,    ni 
»  l'ordre  du  Général   qu'ils   prétendent  accomplir,    mais  l'arrêt  mêma 
»du  Dieu  tutélaire    de   leurs  armées,  auquel  ils    obéifTent  (113).  >♦ 
On  voit  dans  ces  paroles,  ce  qu'on  vient  de  remarquer  (114),  que  la 
punition  du  Soldat  étoit  une  partie  de  la  dlfcipline  que  les  Sacrificateurs 
exerçoient ,  non  pas  en  qualité  de  Magiflrats  civils ,  mais  comme  Mi- 
niflres  du  Dieu  qui  préfidoit  aux  combats  ,  &  qui  avoit  fait  de  la  bra- 
voure l'un  des  devoirs  les  plus  importans  de  la  Religion.  Ils  étendoient 
cette  difcipline  fur  les  mutins,  fur  les  déferteurs  &  les  lâches,  en  un  mot, 
fur  tous  ceux  qui  péchoient  contre  les  Loix  de  la  guerre,  prétendant  en- 
core qu'elle  leur  donnoit  le  droit,  non -feulement  d'excommunier  les 
coupables  (  1 1 5  )  >  mais  aufîi  de  les  condamner ,  félon  la  nature  du  crime  , 
au  fouet ,  à  la  prifon  ,  &C  même  à  la  mort.  Au  refle ,  ce  n'étoit  pas  une 
chofe  particulière  aux  Sacrificateurs  des  Germains ,  d'exécuter  eux-mê- 
mes, toutes  les  fentences  qu'ils  avoient  prononcées.  Nous  verrons ,  en 
fon  lieu ,  que  la  chofe  fe  pratiquoit  ainfi  dans  toute  la  Celtique.  Celui 
qui  rendoit  un  jugement  (1 16)  en  étoit  aufîi  l'exécuteur. 

§.  XII.  Il  efl  facile ,  préfentement,  de  fe  faire  une  idée  de  la  grande  au- 
torité dont  le  Clergé  jouiflbit  parmi  tous  les  Peuples  Celtes.  Ils  regar- 
doient  leurs  Sacrificateurs  comme  les  Miniflres  de  la  Divinité.  Ils  étoient  *^'''" 
perfuadés  que  le  miniflère  du  Clergé ,  defliné  à  rendre  l'homme  dé- 
vot, jufle  &  brave,  fe  rapportoit  uniquement  à  leur  propre  utilité.  II 
ne  faut  pas  être  furpris  (117)  qu'ils  euflent  pour  les  Druides  un  refpeft 
proportionné  à  la  fainteté  du  caraftère  dont  ils  étoient  revêtus ,  &  à 


Aurnrité  da 
Clergé  p.irmi 
les  Peuf  les 


(i  II)  Tacit.  Germ.  7. 

(112)  Quelqu'un  pouiroit  conjefturcr  que,  (î 
la  fonftion  d'exécuter  les  criminels  n'eft  pas 
jaffi  odieufc  Se  audi  infime  parmi  les  Alle- 
mands qu'elle  l'eft  parmi  nous,  on  doit  en  cela 
reconnoîtic  une  impreflion  de  l'ancienne  Cou- 
tume nationale ,  dont  l'effet  fubfifte  en  partie, 
quoique  la  caufe  ne  fubfifte  plus. 

(il))  Les  Germains  croyoient  apparemment 
q[ue  la  vie  de  l'homme  étoit  fi  ^ cécieufc ,  que 


celle  du  plus  coupable,  ne  devoit  être  faciifî^e 
qu'a  la  Divinité'.  D'autres  Nations  croient  dan». 
le  même  fentiment ,  fans  en  outrer  les  confe'- 
quenccs  comme  faifoient  les  Germains. 

(114)  Ci-d.  $.11.  not.  9  5.  Liv.  III.  ch.  17, 
§•5. 

(lis)  Ci-d.  not.  9«. 

f  1 1«)  Fojrjt,  en  attendant  Key  fier,  p.  iSs.  iStt. 
Hagenb.  p.  7. 

(117)  Catfa»  VI.  13-  Diod.Sicttl.V.  p.  tu. 

Mm  % 


276  HISTOIRE    DES    CELTES, 

l'excellence  du  miniftère  qu'ils  exerçoient.  Mais  le  Peuple  avoit ,  d'ail- 
leurs, une  déférence  û  parfaite,  &  une  foumiflion  û  aveugle  pour  les 
Eccléfiaftiques  ,  qu'il  n'entreprenoit  rien  fans  leur  avis.  Un  homme  vou- 
loit-il  fe  marier ,  entreprendre  un  voyage  ,  établir  fes  enfans ,  il  com- 
mençoit  par  confulter  le  Devin,  qui  étoit  ce  que  nous  appellerions  au- 
iourd'hui  le  Curé  de  la  Paroiffe  ,  ou  l'Evêque  du  Diocèfe.  Il  fuffiloit  que 
le  Devin  défapprouvât  un  projet ,  pour  le  faire  rejetter  fans  autre  exa- 
men. On  étoit  perfuadé  que  le  Clergé  ,  rempli  de  l'efprit  de  Dieu  ,  ne 
prononçoit  que  des  oracles,  &  que  l'impiété  d'un  homme  qui  méprifoit 
les  avis  de  la  Divinité  &  de  fes  Miniftres,  ne  pouvoit  que  le  précipiter 
dans  un  abîme  de  malheurs. 

A  cet  égardjles  Druides  exerçoient  un  empire  d'autant  plus  fur  &  d'au- 
tant plus  glorieux,  qu'il  étoit  volontaire  de  la  part  du  Peuple.  Mais  ils 
avoient  d'ailleurs,  des  moyens  pour  fe  rendre  redoutables  à  ceux-là  mê- 
mes qui  auroient  refufé  de  reconnoître  leur  autorité,  &c  de  fe  foumettre 
à  leurs  jugemens.  La  difcipline  qu'ils  exerçoient  au  nom  de  la  Divinité  , 
les  rendoient  maîtres  fouverains  &C  abfolus  (  1 18)  de  la  fortune  des  Par- 
ticuliers ,  parce  que  l'excommunication  excluoit  ceux  qui  en  étoient 
frappés  ,  du  commerce  des  hommes  &  de  tous  les  bénéfices  de  la  Société. 
Par  conféquent  ,  il  ne  pouvoit  être  qu'extrêmement  dangereux  de  fe 
brouiller  avec  les  Druides.  C'ëtoit  courir  à  fa  propre  ruine  ,  &  fe  perdre 
fans  reflburce  ,  que  d'irriter  un  Clergé  qui  favoit  foutenir  fa  propre 
domination  ,  fous  le  beau  prétexte  d'affermir  l'empire  de  la  Divinité. 

L'autorité  des  Druides  s'étendoit,  non-feulement  fur  les  Particuliers  de 
quelque  rang  qu'ils  pufTent  être  ,  mais  encore  fur  les  Affemblées  gé- 
nérales ,  qui  étoient  le  Confcil  fouverain  des  Nations  Celtiques.  On 
n'en  doutera  pas ,  fi  l'on  veut  faire  ici  deux  réflexions.  La  première  , 
qu'il  étoit  au  pouvoir  du  Clergé  de  faire  renvoyer  à  un  autre  tems,  tou- 
tes les  propofitions  qui  ne  lui  étoient  point  agréables.  Avant  que  de  déli- 
bérer fur  les  affaires  qui  avoient  fait  convoquer  l'AfTemblée ,  le  Sacrifica- 
teur (i  19)  commençoit  par  confulter  le  fort  (lao)  &  les  aufpices,  il  dé- 


{tlt]Vi>yti.ci-d.$    tl.&  ch.  II.  $.  31. 

(i  19    Tacit.  Germ.  10. 

(izo)  Pour  confulter  le  fort,  on  fe  fervoit 
d'une  baguette  d'arbre  fruitier.  Tacit.  Gem.  10. 
La  Loi  des  Frifons  nous  apprend  que  ce  Peu  - 
fie,  quoique  GODTCiti ,  a'avoit  ^as  lenonc^  4 


la  divination  ,  dont  parle  Tacite  Seulement  ils 
avoient  prétendu  la  fan^lifiet  par  des  formules 
Chre'tiennes  &  par  la  ci:oix  dont  ils  marquoient 
les  baguettcsnomméeTeni.  C'ell  là  ,  fans  doute, 
l'origine  de  \3  Bn^ueite  divintroire,  ou  baguette  de 
coudiiei  fouichue,  pai  le  mo^en  de  laijucUc 


LIVRE    IV.    CHAPITRE     IV.  277 

claroit  fi  la  Divinité  avoit  pour  agréable  qu'on  traitât  de  telle  affaire. 
Quand  la  réponfe  n'étoit  point  favorable ,  de  tout  le  jour  on  n'interrogeoit 
plus  le  fort ,  ni  les  augures ,  touchant  la  même  affaire.  Il  eft  facile  de 
comprendre  que.  le  Clergé,  fous  ombre  d'interroger  la  Divinité ,  trou  voit 
moyen  de  faire  furfeoir,  autant  qu'il  le  vouloit,  toutes  les  délibérations 
qui  n'étoient  point  de  fon  goût.  Comment  les  Romains  eux-mêmes  ,  qui 
vantoient  tant  la  fageffe  de  leur  Gouvernement,  ne  fe  font-ils  jamais 
apperçus  que  la  néceffité  de  confulter  les  Aufpices ,  toutes  les  fois  qu'on 
affembloit  le  Peuple  poiu"  quelque  affaire  importante ,  mettoit  toute  la 
République  dans  la  dépendance  d'un  Augure  ,  ou  d'un  Sacrificateur? 
L'efprit  de  fuperftition  &  de  fanatifme  aveuglent  tous  les  hommes,  qui 
croyent  être  éclairés,  lors  même  qu'ils  ignorent  les  chofes  les  plus  im- 
portantes &  les  plus  effentielles ,  celles  mêmes  fur  lefquelles  l'mtérêt  per- 
fonnel  devroit  les  rendre  attentifs. 

L'autre  réflexion ,  c'eft  qu'après  même  que  l'Affemblée  avoit  pris 
quelque  réfolution ,  il  demeuroit  toujours  au  pouvoir  des  Prêtres  d'en 
fufpendre  l'exécution  ,  autant  qu'ils  le  jugeoient  à  propos.  Par  exemple, 
il  ne  falloit  pas  (lii)  qu'une  Armée  entrât  en  campagne  ,  qu'elle  chan- 
geât de  camp,  ou  qu'elle  attaquât  l'ennemi,  que  les  Devins  n'euffent 
examiné  fi  le  tems  étoit  propre  pour  décamper ,  ou  pour  livrer  bataille  ; 
il  n'étoit  guères  à  craindre  qu'un  Général  hafardât  de  prendre  un  parti 
contre  l'avis  des  Devins.  D'un  côté,  il  auroit  été  mal  obéi  par  le  Sol- 
dat, qui  croyoit  devoir  déférer  beaucoup  plus  à  la  volonté  des  Dieux 
qu'aux  ordres  de  fes  Chefs,  &  qui  auroit  cru  s'attirer  l'indignation  de  la 
Divinité  ,  s'il  n'avoit  point  obéi  à  la  voix  de  fes  Miniflres;  de  l'autre,  le 
Général  fe  feroit  rendu  feul  refponfable  du  mauvais  fuccès  de  la  bataille, 
&  les  Prêtres  ne  l'auroient  point  épargné. 

Cette  grande  autorité  d'un  Clergé,  qui  exerçoit  un  empire  prefqu'abfo- 
]u  fur  l'efprit  des  Peuples ,  obligeoit  les  grands  Seigneurs ,  &  même  les 
Rois,  à  le  ménager  extrêmement.  On  a  remarqué  ailleurs  (121)  que 
les  Celtes  choififfoient  eux-mêmes  leurs  Juges  6c  leurs  Princes;  ceux- 
ci  ,  loin  de  jouir  d  un  pouvoir  illimité ,  étoient  refponfables  de  leur 
adminiftration  au  Peuple,  qui  fe  réfervoit  toujours  le  droit  de  les  dafti- 


on  prétend  découvrir  les  mines  ,  les  rre'lors 
caches  &  les  fourres  d'dux  qui  font  placées 
fout  la  fupeificic  de  l>  teiie.  Nett  4t  l'£diiiKr, 


(lii)  Voyez,  en  des  exemples  ci-deflus,  J,  I. 
BOt   7  1-  &  ch.  III.  §.  3.  not    24. 
(m)  Ci-d,  Liv.  II.  ch.  1}. 


ayS  HISTOIRE    DES    CELTES, 

tuer,  lorfqu'ils  abufoient  de  leur  autorité.  Il  arrivoit  de^là  que  la  No- 
blefle  étoit  obligée  de  careffer  le  Peuple ,  pour  parvenir  aux  dignités,  6c 
pour  s'y  maintenir.  Or  le  véritable  moyen  de  gagner  l'afFedion  du  Peu- 
ple, c'étoit  de  s'affurer  de  celle  des  Druides.  Jamais  un  Prince  n'étoit 
mieux  obéi,  que  lorfqu'il  avoit  pour  règle,  de  ne  rien  entreprendre,  fans 
avoir  confulté  la  Divinité,  par  l'entremife  de  fes  M'niftres.  Toutes  les 
fois,  au  contraire  ,  qu'un  Prince  fe  brouilloit  avec  le  Clergé,  il  s'expo- 
foit  au  danger  prefqu'inévitable  d'être  abandonné,  &  même  dépofé  par 
le  Peuple.  Par  ces  raifons ,  on  admeuoit  les  Druides  dans  le  Conleil  des 
Rois.  C'étoit  la  meilleure  précaution  qu'on  pût  prendre  pour  retenir  les 
Peuples  dans  le  devoir.  Le  Souverain  Sacrificateur  d'une  Nation,  étoit 
la  première  perfonne  de  l'Etat  après  le  Roi.  Il  avoit  une  autorité  égale  , 
•&C  quelquefois  fupérieure  à  celle  du  Souverain ,  parce  qu'on  déféroit 
beaucoup  plus  à  fes  avis  qu'aux  ordres  du  Maître.  Pour  faire  voir  qu'on 
ne  l'avance  pas  fans  preuve  ,  il  n'efl  pas  inutile  de  rapporter  quelques 
paffages  ,  qui  montreront  que  le  Clergé  étoit  revêtu  de  la  même  autorité 
dans  toute  l'étendue  de  la  Celtique. 

Jules-Céfar  nous  apprend  (  123  )  que  les  Druides  avoient  une  Jurif- 
diftion  fort  étendue  dans  les  Gaules.  Ils  jugeoient  de  la  plupart  des  cri- 
mes ,  prenoient  connoiflance  des  différens  qui  s'élevoient  non-feule- 
ment entre  les  Particuliers,  mais  auffi  entre  les  Peuples  ,  établiffoient  des 
peines  &  des  récompenfes.  L'AfTemblée  générale  des  Druides  ,  qui  fe 
tenoit  tous  les  ans  dans  le  Pays  de  Chartres  ,  étoit  une  efpèce  de  Cour 
Souveraine ,  oii  ceux  qui  avoient  des  procès  accouroient  de  toutes 
parts  ,  &  recevoient  des  Sentences  définitives. 

Dion  Chryfoftônie  dit  quelque  chofe  de  plus,  II  affure  que  le  Gou- 
vernement même  de  l'Etat  étoit  entre  les  mains  des  Druides  (  124), 
-4*  On  donne  ,  parmi  les  Celtes ,  le  nom  de  Druides  à  ceux  qui  s'ap- 
»  pliquent  aux  divinations  &  aux  autres  fciences.  Il  n'eft  pas  permis 
»  aux  Rois  de  mettre  une  chofe  en  délibération ,  encore  moins  de  rien 
»  exécuter  fans  l'aveu  de  ces  Prêtres.  Ce  font  proprement  eux  qui  gou- 
»  vernent.  Affis  fur  des  trônes  d'or ,  &i  logés  dans  des  Palais  magnifi'^ 
♦>  ques  ,  où  ils  ont  des  tables  fomptueufes  ,  les  Rois  ne  font  que  les 


l'iîj)  Ci-d.  §.  1 1.  not.  103. 

^ii»j  Pjo  Clujrfoft,  Setm.  XLIX.  p.  Sï*. 


LIVRE     IV.    CHAPITRE    ÎV.  179 

w  exécuteurs  de  la  volonté  des  Minières  de  la  Religion.  »Ce  paflage 
exprime  en  deux  mots ,  tout  ce  que  l'on  a  dit  de  l'autorité  du  Clergé 
parmi  les  Gaulois. 

Il  ne  faut  pas  douter  que  les  chofes  t)e  fuffent  établies  fur  le  même 
pied  parmi  les  Germains.  Leurs  Sacrificateurs  étoient  chargés  deconfulter 
la  Divinité  toutes  les  fois  qu'il  s'agiffoit  de  prendre  quelque  délibéra- 
tion importante,  ou  de  l'exécviter  (115).  Pour  peu  qu'ils  eiiffent  d'am- 
bition ôc  d'habileté,  il  n'en  falloit  pas  davantage  pour  les  rendre  maî- 
tres de  toutes  les  affaires.  Le  Souvevain  Pontife  d'un  Peuple  Germain 
avoit  une  grande  prérogative  audeffus  du  Roi.  Le  Prince  pouvoit 
être  dépofé  ,  &c  cela  arrivoit  fouvent  ;  le  Souverain  Prêtre  ne  cour- 
roit  pas  le  même  danger.  L'efprit  de  Dieu ,  dont  on  le  croyoit  rempli ,  le 
faifoit  regarder  non-feulement  comme  infaillible  dans  la  Doftrine,  mais 
encore  le  faifoit  paiïer  pour  impeccable  dans  la  conduite  :  c'eft  pour- 
quoi il  ne  perdoit  fa  dignité  qu'avec  la  vie.  Ammien-Marcellin  le  dit  bien 
formellement  (115)  :  «Tous  les  Rois  des  Bourguignons  portent  le  nom 
M  de  Hindinos.  C'efl  une  ancienne  coutume  parmi  ces  Peuples  de  dé- 
»  pofer  leur  Roi  ,  toutes  les  fois  qu'ils  font  malheureux  à  la  guerre , 
»ou  que  la  terre  leur  refufe  des  moiffons  abondantes.  A  l'exemple  des 
»  Egyptiens ,  ils  imputent  tous  ces  malheurs  aux  Princes  qui  les  gou- 
»  vernent.  Il  n'en  eft  pas  de  même  de  leur  Sacrificateur,  qu'ils  appellent 
»  Sinijtus  :  il  eft  le  premier  homme  de  l'Etat  ,  omnium  maxlmiis ,  & 
M  demeure  revêtu  de  fon  emploi  pendant  toute  fa  vie.  >» 

Ajoutons  ce  que  les  Anciens  rapportent  du  Souverain  Sacrificateur 
des  Gétes.  Voici  ce  qu'en  dit  Strabon  (117):  «On  publie  qu'un  cer- 
wtaln  Géte,  nommé  Zamolxis,  ayant  été  efclave  de  Pythagore  ,  reçut 
»  de  ce  Philofophe  quelques  leçons  d'Aftrologie.  Les  courfes  de  ce  va- 
wgabon  l'ayant  conduit  en  Egypte,  il  s'y  perfeftionna  dans  cette  fçisnce. 
wDe  retour  dans  fa  Patrie  ,  il  fe  rendit  agréable  aux  Princes  &  au 
»  Peuple  ,  en  interprêtant  les  préfages  ,  &  il  perfuada  enfin  au  Roi  de 
«l'affocier  au  Gouvernement,  comme  un  fidèle  interprête  de  la  volonté 
»  des  Dieux.  En  conféquence  Zamolxis  fut  d'abord  déclaré  Sacrifica- 
»teur  du  Dieu  que   les  Gétes   fervoient  préférablement  aux  autres. 


fi2s  ,  Ci-d.  not.  119-  1 1 1- 

(126'  Amm.  Matcell.  XXVIII.  Câp.  5.  p.  51^. 

^127]  Siiabo  Vn.  2?7. 


a8o  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  Enfuite  il  reçut  auffi  le  le  nom  de  Dieu,  &  allà^fe  cacher  dans  un  Heu 
»  plein  de  cavernes ,  dont  l'accès  étoit  défendu  au  Peuple.  Il  paffa  là 
»  fa  vie  ,  fe  faifant  voir  rarement  à  des  étrangers ,  à  l'exception  du  Roi 
»  &  de  fes  Miniftres.  Le  Roi,  de  fon  côté ,  affermiffoit  les  Gétes  dans 
»  l'idée  qu'ils  avoient  de  Zamolxis ,  parce  qu'il  voyoit  que  le  Peuple  lui 
»  étoit  beaucoup  plus  fournis  qu'auparavant ,  &  le  refpe£loit  comme 
»un  Prince  qui  n'ordonnoit  rien  que  delà  part  des  Dieux.  Auffi  cette 
»  coutume  a-t-elle  fubfiflé  jufqu'à  notre  fiécle,  s'étant  toujours  trouvé 
»»  quelqu'homme  du  caraûère  de  Zamolxis,  qui  étoit  le  confeil  du  Roi , 
»&  auquel  les  Gétes  donnoient  le  nom  de  Dieu.»  Un  peu  plus  bas  , 
Sfrabon  ajoute  (iî8)  :  <  Boerebiftas,  Roi  des  Gétes,  fe  fervit  fort  utile- 
»  ment  du  miniftère  d'un  Magicien  nommé  Dicenéus  ,  qui  ayant  par- 
»  couru  l'Egypte  ,  y  avoit  appris  certaines  manières  de  deviner,  dont 
»  il  fe  prévalut  pour  perfuader  au  Peuple  que  les  Dieux  rendoient  des 
«oracles  par  fa  bouche.  Peu  s'en  fallut  qu'on  ne  le  regardât  comme 
»  un  Dieu ,  de  la  même  manière  que  Zamolxis  dont  je  viens  de  faire 
«mention.  Une  preuve  de  l'afcendant  que  Dicenéus  avoit  fur  l'efprit 
«des  Gétes,  c'efl  que  leur  ayant  confeillé  d'arracher  leurs  vignes,  ôi 
»  de  fe  paffer  de  vin ,  ils  lui  obéirent.  » 

Ce  que  Strabon  dit  du  Souverain  Pontife  des  Gétes,  eft  confirmé  par 
Jornandès  (  i  29  )  ;  «  Dicenéus  vint  en  Gothie  ,  pendant  que  Sitalcus  Bo- 
»  roïfta  régnoit  dans  ce  Pays ,  &  que  Sylla  exerçoit  la  Diftature  à  Rome. 
»  Boroïfta  le  reçut ,  &  lui  donna  un  pouvoir  qui  approchoit  de  l'auto- 
f>  rite  Royale.  Ce  fut  par  fon  confeil ,  que  les  Goths  ravagèrent  les  terres 
»  des  Germains ,  qui  font  occupées  aujourd'hui  par  les  Thraces.  Tout 
»  ce  qu'il  confeilloit  aux  Goths  étoit  reçu  &c  exécuté  comme  utile  ,  agréa» 
»  ble ,  falutaire ,  &  digne  de  tous  leurs  foins . . .  Toutes  les  différentes 
»  inftruâions  qu'il  donna  aux  Goths ,  lui  acquirent  une  fi  grande  répu- 
»tation  que  les  Petits  &  les  Grands,  fans  en  excepter  même  les  Rois  , 
«  refpeftoient  également  fes  çommandemens.  Après  la  mort  de  Dice-» 
>)  néus  ,  ils  eurent  prefque  la  même  vénération  pour  Comoficus ,  qui 
»  n'avoit  effe£livement  pas  moins  d'adrefTe  que  fon  Prédéceffeur.  Son 
f>  habiletç    le   fit    regarder  ,    non-feijlepient  comme  un  Sacrificateur  , 

(tî8)  Strabo  VII.  304. 
(i>?9}  jQinand.  ca^.  II. 

wmals 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    IV.  281' 

>nnais  encore  comme  un  Roi,  enforte  qu'il  jugea  les  Peuples  félon 
»  fa  juflice.  » 

On  ne  peut  s'empêcher  d'ajouter  encore  une  particularité ,  rapportée 
par  Polyœnus ,  parce  qu'elle  montre  jufqu'à  quel  point  l'ignorance  6c  la 
crédulité  du  Peuple  fiivorifoient  l'ambition  du  Clergé  parmi  les  Thraces. 
Parlant  de  deux  Peuples  de  la  Thrace ,  les  Cerréniens  &  les  Scaboès  , 
cet  Auteur  dit  (130):  «  C'eft  une  coutume  établie  parmi  eux,  qiie- 
H  celui  qui  eft  Sacrificateur  de  Junon  les  commande  auffi  toutes  les  fois 
»  qu'ils  vont  à  la  guerre.  Un  jour  qu'i  s  refufoient  d'obéir  à  Colin- 
»>  gas ,  qui  étoit ,  en  même  tems  ,  leur  Général  &  leur  Pontife  ,  il  fit  dreA 
»  fer  plufieurs  grandes  échelles ,  &  les  fit  attacher  l'une  au  -  deffus  de 
«  l'autre.  On  publia  qu'il  voulbit  monter  au  Ciel ,  &  fe  plaindre  à 
»  Junon  de  la  défobéiffance  des  Thraces.  Ceux-ci  furent  affez  fimples  & 
«aflez  flupides ,  pour  ajouter  foi  au  bruit;  dans  l'appréhenfion  où  ils 
«étoient,  que  leur  Général  ne  montât  au  Ciel ,  ils  vinrent  fe  profterner 
»  à  fes  pieds ,  lui  demandèrent  pardon ,  &  lui  promirent  ,  avec  ferment , 
».  d'exécuter  ,  fans  aucun  délai  ,  tout  ce  qu'il  commanderoif.  » 
.  Si  l'on  ne  craignoit  de  s'étendre  trop  ,  il  feroit  facile  de  montrer  que' 
les  Mages  étoient  revêtus  en  Perfe  de  la  même  autorité  que  les  Druides' 
exerçoient  dans  les  Gaules.  <«  Ils  dirigeoient  les  atîaires  d'Etat,  ils  éta- 
^bliflbient  des  peines  &  des  récompenfes  (  13 1  ).  La  éonnoifîance 
«qu'ils  avoient,tant  delà  Phyfiologie,  que  de  la  manière  dont  il  fal- 
>»  loit  fervir  les  Dieux,  leur  donnoit  entrée  dans  le  confeil  du  Roi,  dont 
»  ils  étoient  les  Affeffeurs ,  quand  il  adminiflroit  la  juftice  (131).  La 
»  Divination  &  la  Magie  affujettifioient  à  leur  pouvoir  les  Rois  mê- 
»  mes  (133);  ils  ne  pouvoicnt  rien  entreprendre  fans  leur  avis.  »  C'en  ell 
aflez  pour  montrer  que  le  Clergé  étoit  revêtu  de  la  même  autorité 
dans  toute  l'étendue  de  la  Celtique. 

§.  XIII.  Il  faut  parler,  pféfentement  ,  de  la  conftitution  même  du    Connimtio» 
Clergé.  Ceux  qui  ont  dit  (134)  que  les  Druides  étoient  une  Nation  Gau-  c'.|t«r^° '^*' 
loife ,  fe   font  exprimés  d'une  manière  qui  n'eft  pas  tout-à-fait  jufte. 
Les  Druides  ne  formoient  pas  un  Peuple  féparé  des  autres  Peuples  des 
Çaules.  On  voit  bien ,  cependant ,  ce  qui  a  donné  lieu  à  cette  façon  de' 


(ijoi  Polyœnus  Ub.  VII.  cap.  12.  t      (ijj   rlin   XXX.  i. 

-   (131)  Agarhias  II.  «  j.  '  "  T  —  (,",■;]  jjc'ph.  de  Ulb,  p.  3 1 1 


(iji)  Oio  Chryfoft.  or.  XUX,  p.  jj». 


28i  HISTOIRE    DES    CELTES, 

parler.  Les  Sacrificateurs  des  Peuples  Scythes  &  Celtes  fe  tiroient  or- 
dinairement de  certaines  familles  qui  étoient  chargées  du  miniftère  facré , 
de  la  même  manière  que  les  Lévites  &  la  famille  d'Aaron  l'étoient  par- 
mi les  Juifs.  C'ctoit  une  coutume  établie  au  milieu  de  ces  Peuples  , 
que  les  enfans  fuiviflent  tous  la  profeffion  de  leurs  Pères. 

On  aura  occafion  de  le  prouver  au  long  dans  l'un  des  Livres  fuivans, 
^  l'on  examinera ,  en  même-tems  ,  ce  qui  pouvoit  avoir  contribué  à 
introduire  une  coutume  qui  s'étendoit,  félon  Strabon,  jufqu'aux  Scy- 
thes établis  en  Afie.  Ce  Géographe  dit  (135)  que  «  l'on  trouve  dans  TI- 
>».bérie  Afiatique  quatre  difterens  ordres  de  perfonnes.  Premièrement , 
»ila  famille  dans  laquelle  on  choifit  les  Rois.  Ce  choix  tombe  toujours 
wfur  le  plus  âgé  des  parens  du  Roi  défunt.  Celui  qui  le  fuit  immé- 
»  diatement,  par  rapport  à  l'âge ,  adminiftre  la  juftice  ,  &  commande  les 
M  armées.  La  féconde  claffe  eu  celle  des  Sacrificateurs ,  du  minifière  def- 
>>  quels  on  fe  fert  auflî  pour  traiter  avec  les  Peuples  voifins.  A  la  troi- 
»fiéme,  appartiennent  les  gens  de  guerre  &  les  Laboureurs.  La  qua- 
»  triénje ,  enfin ,  contient  la  populace.  Ceux-ci  font  les  efclaves  du  Roi , 
»  &c  on  les  charge  de  tout  le  travail  qui  regarde  l'entretien  de  la  vie. 
>>  Les  Ibères  partagent  leurs  terre^  par  familles ,  &  chaque  famille  poflede 
>j.en  commun  telles  qui  lui  appartiennent.  Le  plus  âgé  d'une  famille  la 
»  coi7;imande  ,  &c  en  adminiftre  les  revenus.  >»  En  conféquence  de  cet 
ufage ,  tous  les  enfans  d'un  Sacrificateur  étoient  membres  du  Clergé  , 
demeurçiqnt  d:4ns  les  lieux  confacrés ,  &c  y  étoient  entretenus  des  re- 
venus fixes  ou  cafaels  de  l'Eglife  ;  de  forte  que  les  Druides  étoient 
çfFedivement  une  efpcce  de  Peuple  féparé  ,  qui  avoit  fa  demeure  &  fes 
revenus  particuliers,  &  qui  s'aliioit  rarement  avec  les  autres  familles 
de  l'Etat. 

On  a  prouvé  ailleurs  ,  que  les  Druides  demeuroîent  avec  leurs 
f^ipraes  &  leurs  enfans  dans  les  Sanduaires:ainfi  il  ne  fera  pas  nécefî^aire 
d'y  revenir  ici.  Il  faut  avertir  feulement  que  les  maifons  des  Celtes 
étoient  dans  les  forêts ,  &  dans  les  terres  dépendantes  du  lieu  confacré , 
éi  non  dans  les  Sanâuaires  mêmes  où  il  n'étoit  pas  permis  de  bâtir.  S'il 
d'^meuroit  quelques  Druïdeç  dans  l'intérieur  des  Sanûuaires ,  il  falloit 
qu'ils  fe  logeaffent  dans  les  cavernes  que  la  nature  même  y  avoit  ménagées. 

{i3i)StraboXI.  p.  joi. 


t-cl-f-é  'et 
Coules  éroit 
[wnîagé  fa 


.LIV.  R,  E    IV.     CHAPITRE    IV.  ïSj 

Qiîoi  qu'il  eh  folt ,  il  réllilte  de  ce  qui  vient  d'être  remarqué ,  que  l'on 
devoit  diilinguer  les  Druides  par  la  famille  dont  ils  étoient  iffus.  Si  par 
le  Sanctuaire  où  ils  avoient  pris  naiffance.  Ainfi  Aufone  dit  à  Attiu( 
Paura  (136),  qu'il  eft  de  la  race  des  Druides  qui  demeurent  dans  le  Pays 
des  Bajocaffes ,  &  qu'il  tire  fon  origine  du  Temple  que  le  Dieu  5«/e- 
nus  avoit  dans  ce  Pays.  Le  même  Poëte  ,  parlant  de  Phizbidus  (137)  » 
dit  qu'il  avoit  été  Sacrillain  ou  Marguiller  du  Dieu  Belenus,  &i.  qu'il 
étoit  de  la  famille  des  Druides  qui  demeuroient  dans  l'Armorique. 

§.  XIV.  Strabon  femble  infinuer  que  le  Clergé  des  Gaules  étoit  par- 
tagé en  trois  claffes  différentes ,  les  Bardes  ,  les  Devins  &  les  Druides. 
«Tous  les  Gaulois  ,  dit  ce  Géographe  (  1^8),  ont  une  vénération  '"^'^  !"■"""• 
»  particulière  pour  trois  Ordres  de  perfonnes ,  les  Bardes,  les  Devins 
»  &  les  Druides.  Les  Fardes  compofent  des  hymnes  &  des  poëmes. 
M  Les  Devins  offrent  des  facrifices ,  &  s'appliquent  à  la  Phyfiologie 
>»(i39).  Les  Druides,  outre  la  Phyfiologie,  cultivent  la  Philofophie 
y>  Morale.  Ils  paffent  pour  être  d'une  intégrité  à  toute  épreuve.  De-là 
»  vient  qu'on  leur  remet  la  dccifion  des  dlfférens  que  les  Particuliers  , 
»&  même  les  Peuples  entiers  ont  les  uns  avec  les  autres.  Quelquefois 
•♦les  Druides  des  deux  partis  difcutent  entr'cux  ce  qui  fait  le  fujet 
»  d'une  guerre  ,  &  trouvent  le  moyen  de  pacifier  des  armées  qui 
»  étoient  fur  le  point  de  fe  battre.  Ils  font  charfii:cs  principalement  de 
«juger  les  caufes  oii  ii  s'agit  de  meurtre  &  d'effufion  de  fang.  » 

Ammien-Marcellin  a  fuivi  Strabon  (140)  :  «Les  efprits  s'étant  in- 
wfénfiblement  cultivés  dans  les  Gaules,  les  Sciences  commencèrent  à  y 
«fleurir.  Ceux  qui  les  enfeignerent  les  premiers,  furent  les  Bardes,  les 
»  Devins  &  les  Druides.  Les  Bardes  chantoient  dans  des  vers  héroï- 
»  ques,  &  au  doux  accord  de  leur  lyre,  les  exploits  dus  grands  hom- 
»  mes.  Les  Devins  étudioient  l'enchaînement  &  les  fecrets  de  la  Na- 
»  ture  ,  &  s'appliquoient  à  les  dévoiler.  Les  Druides  qui  avoient  un' 
»  efprit  plus  élevé  que  les  autres ,  "vivoient  enfemble  en  communauté 
»  à  la  manière  des  Pythagoriciens  ,  s'appliquant  à  des  queftions  occultei^ 
»  &  fublimes ,  &  s'élevant  audeffus  de  la  condition  humaine ,  ils  proJ 
nonçoient  que  les  âmes  font  immortelles.  >» 


(l»«)  Au('i)n.  Prof.  IV.  p.  50. 
(i  t7  I  Aufon.  PrbF.  X.  p.  54.  j  j. 
(lj()  Sil,ibo  IV.  l9^. 


(13»^  Sur  le  fens  de  ce  mot,  v^^tx,  ci-d,  {.  1. 
noc   s*-  <it 
L     (140^  Amar,  Mafcdl.TikXV.  eaf.i,p^jjr» 


iS%  HISTOIRE    DES    CELTES, 

On  entrevoit  encore  les  trois  Ordres  d'Eccléfiaftiques  dans  un  paffag* 
deDiodore  de  Sicile  (141):  «Les  Gaulois  ont  un  grand refpeft  pour 
«les  Druides,  qui  font  les  Philolbphes  &  les  Théologiens  de  la  Na- 
«  tion.  Ils  ont  auffi  leurs  Devins  auxquels,  ils  ajoutent  beaucoup  de  foi. 
»Les  Devins  prédifent  l'avenir  ,  tant  par  le  vol  des  oifeaux ,  que 
vpar  l'inipeûion  des  vidimes,  &  le  Peuple  leur  efl  entièrement  fournis. 
»ils  pratiquent,  fur-tout,  quelque  chofe  d'extraordinaire  &C  d'incro- 
«  yable  ,  quand  il  s'agit  de  délibérer  fur  des  affaires  extrêmement  im- 
»  portantes.  On  immole  alors  un  homme  que  le  Devin  frappe  d'une 
»épée  au-deffus  du  diaphragme,  pour  juger  de  l'avenir,  tant  par  la 
«  manière  dont  la  viftime  tombe  par  terre ,  que  par  la  palpitation  de  fes 
«  membres.  Il  obferve-  encore  de  quelle  manière  le  fang  coule.  Les 
»=  Gaulois  ajoutent  beaucoup  de  foi  à  cette  forte  de  divination  ,  qui  eft 
m  fort  ancienne  parmi  eux,  C'efl:  une  coutume  reçue  au  milieu  de  ce 
»  Peuple ,  de  n'offrir  aucun  facrifice  fans  le  miniftère  d'un  Philofophe. 
^  Ils  donnent  pour  raifon  de  cet  uftge ,  que ,  quand  on  veut  offrir  des 
«  préfens  aux  Dieux ,  il  efl  à  propos  de  recourir  à  la  médiation  des  per- 
»  fonnes  qui  connoifîent  la  Divmitc  ,  &;  qui  font  fes  confîdens.  On 
"  obéit  aux  Druides  &  aux  Poëtes  qui  compofent  des  hymnes  ,  non- 
»  feulement  dans  les  chofes  qui  concernent  la  paix ,  mais  encore  dans 
«  celles  qui  regardent  la  guerre.  Les  amis  &  les  ennemis  ont  la  même 
»foumiffion  pour  eux.  On  a  vu  fouvent  que  ,  lorfque  les  Armées 
«étoientdéja  en  préfence,  &  que  le  Soldat,  après  avoir  jette  fa  lance 
«  contre  l'ennemi,  étoit  fur  le  point  de  forcer  les  rangs  l'épée  à  la  main , 
"les  Druides  fe  préfentoient  entre  les  deux  Armées,  &  appaifoient  le 
M  Soldat  irrité ,  comme  on  apprivoiferoit  des  bêtes  fauvages ,  tant  il 
»  efl  vrai  que  jufques  parmi  les  Nations  les  plus  barbares  &  les  plus 
«féroces,  la  fureur  cède  à  la  fagefTe,  &  qu'il  n'y  en  a  aucune  où  Mars 
»  n'ait  de  la  confidération  pour  les  Mufes.  >» 

§.  XV.  En  comparant  exa£lement  ces  trois  pafTages  ,  on  reconnoîtra 
iteicnt  pro-    ^yg  \ç^  Devins  étoicut  proprement  les  Miniftres  de  la  Religion  parmi  ■ 
vontifesHcs    igg  Gaulois.  Ils  offroicut  les  facrifices  ,  interprêtoient  les  préfages  ,  prê- 
tai pré'ûdoi-    difoient  l'avenir ,  tant  par  les.  aufpices ,  que  par  les  entrailles  des  vic- 
j"  ""^    '     times  ;  en  un  mot ,  ils  répondoient  de  la  part  de  la  Divinité  à  tous  ceux 

m—  '  ■     '  "  '    '  '  "^i^iiwwii^^wpw-v*— ^^— - ■■  ■  ■  ■■  -y-»  -n      ■■■■■■■  ■  ipw  I  I    1     ■    ■      m 

(  1 4 1  )Diod(».  Sjc.  JJ^j  Vit  p,  1  j  Jv 

i.  u  'i 


Les  DcTist 


L  I  V  R  E    I  V.     C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  185 

qui  venoient  la  confulter.  C'eft  ce  que  Strabon  exprime,  en  difant  qu'ils 
étoient  Sacrificateurs  &  Phyfiologues.  La  Phyfiologie  confiftoit,  com- 
me on  l'a  déjà  dit  (141)  ,  à  étudier  la  nature  &  l'enchaînement  de  fes 
parties,  dans  la  vue  d'en  tirer  des  conjeâures  fur  l'avenir.  Il  y  avoit 
dans  chaque  Sanduaire  un  de  ces  Devins  (143),  qui  étoit ,  comme 
JUS  le  dirions  aujourd'hui,  le  Curé  de  la  Paroiffe  ou  l'Evêque  du  Dio- 
cèfe  ,  c'eft  celui  que  Tacite,  parlant  des  Germains,  appelle  (144)  le  Prê- 
tre de  la  Cité  ,  Sacerdos  Clvitatis  :  il  étoit  le  Sacrificateur  d'un  Peuple  ou  " 
d'un  Canton.  Chargé  de  toutes  les  fondions  Sacerdotales ,  il  étoit  en- 
core le  Chef  des  Eccléfiafliques  qui  demeuroient  dans  un  lieu  con- 
facré  ,  il  adminiftroit  les  biens  de  l'Eglife  ,  &  pourvoyoit  à  l'entretien 
du  Clergé  qui  lui  étoit  fournis. 

Les  Druides  étoient  tous  les  autres  membres  du  Clergé.  Ils  vivoient  lm  om-Mcs 
en  communauté  dans  les  Sanduaires ,  fous  la  diredion  du  Sacrificateur  ciaiaftiT^ci 
qui  les  employoit  au  miniftère  pour  lequel  ils  étoient  propres.  Ce  Sa- 
crificateur fe  tiroit  ordinairement  de  leur  Corps  ,  dans  lequel  il  étoit 
choifi  à  la  pluralité  des  voix  (145).  Comme  les  Gaulois  étoient  dans 
l'idée  qu'une  vidime  n'étoit  agréable  aux  Dieux  que  lorfqu'elle  étoit  im- 
molée par  un  des  Miniftres  de  la  Religion  ,  il  ne  faut  pas  douter  que  le 
Sacrificateur  n'envoyât  fes  Druides  dans  les  maifons  particulières,  pour 
y  offrir  les  facrifices  domelliques  auxquels  il  ne  pouvoit  affifler  lui- 
même. 

Au  refte  ,  ces  Druides  étant  en  grand  nombre ,  &  par  conféquent 
peu  occupés  ,  regardant  d'ailleurs  tout  travail  manuel  comme  une  chofe 
indigne  de  leur  caradère  ,  employoient  leur  loifir ,  foit  à  entendre  les 
caufes  que  l'on  foumettoit  à  l'arbitrage  du  Clergé,  foit  à  étudier  ou 
à  enfeigner  la  Philofophie,  la  Théologie  &  les  autres  fçiences,  dont  on 
a  fait  mention.  Outre  les  études  que  chacun  faifoit  en  fon  particulier  , 
ils  avoient  encore ,  à  la  façon  des  Pythagoriciens  ,  des  conférences  ,  oh 
ils  fe  communiquoient  réciproquement  leurs  doutes  &  leurs  découvertes 
fur  les  matières  qui  faifoient  l'objet  de  leurs  recherches. 

A  l'égard  des  Bardes,  qui  étoient  les  Poètes  des  Gaulois,  il  eft  certain ,  l«  Bardes, 
comme  on  l'a  montré  ailleurs  (146)  ,  qu'ils  n'étoient  chargés  d'aucun  '^*j"\u"i''ui 
^— ^— — —  I.   11^ 

(l+i)  Ci-d.  §.  ï.  net.  58.  62.  j       (144)  Tacit.  Germ.  10. 

(i4j)  Kojfj, en  des  exemples  ci-deflus,ch. II.  i       (14s)  Ci-deflbus  §.  i«.  not.  ij8. 
J.  27.not._iis.  I      (i4«jcid,  Liv.  II,  ch.  10.  p.  U4.  ij5. 


1Î6  HISTOIRE    DES    CELTES, 

tête  Sacré ,  miniftèrc  fecré  ,  &  qu'ils  paffoient  ordinairement  leur  vie  à  la  fuite  des 
n,c  au  corps  grands  Seigncuts.  Aulli  les  Auteurs  qu  on  vient  de  citer,  ne  diient  pas 
p"ce  qu'ils'  que  les  Bardes  fuffent  membres  du  Clergé.  Diodore  de  Sicile  dit  fe^- 
mnksâlt-  ^^nt  qu'ils  partageoient  avec  les  Druides  l'eftime  &  la  confiance  du  Peu- 
docsle.  pjç_  j[  faut  avouer,  cependant,  qu'en  comparant  Jules-Céfar  avec  Strabon, 

il  femble  qu'on  peut  en  conclure  que ,  fi  les  Bardes  n'étoient  pas  propre- 
ment membres  du  Clergé  ,  ils  étoient  au  moins  de  famille  Sacerdotale. 
Jules-Céfàr  dit  (147)  «que  ,  dans  toutes  les  Gaules ,  il  n'y  a  que  deux 
»  Ordres  de  perfonnes  qui  foient  confidérées  ,  &  qui  faffent  nombre  :  le 
»  Peuple  n'efl  compté  pour  rien,  &  fa  condition  ne  diffère  prefque  pas 
»de  celle  des  Efdaves.  Ces  deux  Ordres  font  les  Druides  &  les  Chcva- 
»»  liers.  »  Strabon  entre  dans  un  plus  grand  détail ,  &  partage  les  Druides 
dont  Jules-Céfar  fait  mention  ,  en  trois  clafles  différentes ,  les  Devins  , 
les  Druides  (proprement  ainii  nommés),  &  les  Bardes.  De-là,onpeut 
inférer  affez  naturellement ,  que  les  Bardes  ap.partenoient  au  Corps  des 
Druides  ,  qui  choififibient ,  parmi  leurs  enfans  ,  ceux  en  qui  ils  trou- 
voient  du  talent  pour  la  Poëfie ,  pour  en  faire  des  Poëîes  &  des  Muficiens , 
&  les  mettre ,  en  cette  qualité ,  à  la  fuite  des  grands  Seigneurs. 

Si  l'on  veut ,  au  refte ,  que  les  Bardes  ,  -les  Druides  &  les  Devins , 
ou  les  Sacrificateurs,  quoiaue  appartenant  tous  au  corps  du  Clergé,  fuf- 
fent des  familles  différentes ,  de  la  même  manière  que  les  Sacrificateurs 
&  les  Lévites  étoient  diftingués  parmi  les  Juifs  ,  rien  n'empêche  de  l'ac- 
corder :  Strabon  ,  parlant  de  ces  trois  Ordres  de  perfonnes ,  fe  fert  du  mot 
Grec  (pvxa ,  qui  peut  également  défigner  des  familles  &C  des  claffes  dif- 
férentes. 

On  a  eu  occafion  de  remarquer  que  la  Nobleffe  des  Gaules  confioit 
aux  Druides  l'inftruâion  &  l'éducation  de  fes  enfans,  qui  étoient  re- 
çus Ô4  entretenus  dans  les  lieux  confacrés  en  qualité  de  Pcnfionnaires. 
Jules-Céfar  s'exprime  d'une  manière  qui  femble  infinuer  qu'entre  ces  dif- 
ciples,  il  yen  avoitqui  embraffoient  l'état  Eccléfiaffiqae,c'eff-à-d!re,  qui 
entroient  dans  le  corps  des  Prêtres  ('4^)-  «Les  Druides  n'ont  pas  cou- 
Mtume  d'aller  à  la  guerre  ,  &  ne  payent  point  les  taxes  auxquelles 
«les  autres  font  impofés;  avec  l'exemption  de  la  milice.,,  ils  jouiffent 

(147)  CsTar  VI.  ij. 
(148^  CaBfai  VI.  14. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE     IV.  287 

»»  d'une  entière  immunité.  Ces  prérogatives  excitent  un  grand  nombre 
de  Sujets  à  fe  mettre  volontairement  fous  la  difcipliiie  de  ces  Prêtres; 
»  d'autres  font  envoyés  datis  les  Sanftuaires  par  leurs  pères  &  mères  , 
»  ou  par  leurs  plus  proches  parens.  Là  ,  à  ce  que  l'on  rapporte  ,  on  fait 
«apprendre  à  la  jeuneffe  un  grand  nombre  de  vers:  il  y  en  a  même 
»  qui  étudient  fous  les  Druides  pendant  vingt  ans.  »  Mais  il  ne  faut  pas 
trop  prefTer  les  paroles  d^  Jules -Céfar.  Cet  Hiftorien  ne  veut  dire 
autre  chofe ,  fi  non  que  la  grande  réputation  des  Druides  leur  procu- 
roit  beaucoup  de  Difciples ,  entre  lefquels  il  y  en  avoit  qui  confen- 
toient  d'étudier  pendant  vingt  ans  dans  leur  école  (149),  &  qui  étoient 
difpenfés,  pendant  tout  ce  tems-là,  d'aller  à  la  guerre. 

Au  refte,  deux  chofes  font  ici  confiantes.  La  première  (150),  que 
les  Chevaliers  Gaulois  fuivoient  tous  la  profeffion  des  armes.  La  fé- 
conde, que  les  grands  Seigneurs  qui  avoient  étudié  chez  les  Druides,  fe 
faifoient  un  honneur  de  porter  eux-mêmes  le  nom  de  Druides  (1 5 1) ,  foit 
parce  qu'ils  avoient  reçu  ce  que  l'on  appelleroit  aujourd'hui  les  petits  Or- 
dres ,  foit  parce  qu'ils  confervoient  toujours  le  droit  d'affifler  aux  confé- 
rences des  Druides ,  où  l'on  difcutoit  les  matières  qu'ils  avoient  étu- 
diées. Par  exemple ,  Divitiacus  (  1 5  i)  étoit  un  grand  S  .igneur  Eduen  ,  8c 
remplifToit  dans  fa  Patrie  la  première  dignité  de  l'Etat,  qui  étoit  celle  de 


(149)  Mais,  pourquoi  certains  fujets  confen- 
toicnt-ils  à  étudier  fous  le^  UruiJcs,  pendant 
Tingt  ans?  Ce  n'eft ,  ce  ine  fembie,  que  parce 
qu'ils  fe  deftinoient  au  Sacerdoce.  Si  les  Celtes 
euffente'tc  auOi  jaloux  que  nous,  de  paroître 
favans  ,  fi  les  Sciences  euffcnt  e'te'  en  honneur 
parmi  eux,  ;c  concevrois  qu'ils  auroient  pu 
pafTtr  leur  jeunelfe  is'inftruire;  mais  des  Peu- 
ples qui  ne  té.vioigaoienc  que  du  mépris  pour 
les  Sciences,  qui  tenoient  à  deshonneur  de  f«. 
voir  lire  Se  écrire,  parce  que  les  armes  e'roient, 
félon  eux,  la  feule  carrièje  où  l'on  pùi  acquérir 
de  la  gloire  ,  oix  l'on  pût  mériter  d'occuper  un 
jour  les  premières  places  dans  le  féiour  des 
Bienheureux,  des  Peuples  qui  e'toient  dans  ces 
ide'es ,  auroient-ils  pu  fc  réfoudre  à  étudier  pen- 
dant tout  le  tems  le  plu;  précieux  de  leur  vie  , 
fi  les  Sciences  ne  leur  euflent  été  d'aucune  uti- 
lité ;  Les  exemptions  dont  on  jouiffoit  pendant 
le  tems  des  «tudcs ,  n'écoient  point  un  motif 


fuffifant  pour  déterminer  les  Celtes  à  préfère» 
l'ennui  &  le  dégoût  qu'ils  auroient  trouvé  dans 
la  méditation  fur  des  Sciences  aV>Araites  aux 
chatmes  que  k  guerre  aroit  pour  eux.  D'aiU 
leurs  ,  ceux  qui  auroient  voulu  prendre  ce  par- 
ti, ne  fe  feroient-ils  pas  déshonorés  dans  l'ef- 
prit  de  leurs  Concitoyens  ?  Voyez,  ci-d  Liv.  II. 
ch.  1  2.  &  I  3.  Il  n'y  avoit  que  le  fcul  Sacerdoce 
qui  exemptât  honorablement  de  la  Milice  ceux 
qui  avotent  atteint  l'âge  oii  l'on  portoit  larol^e 
virile.  Tacit.  Gcrm.  13.  M.  Pelloutier  avou« 
lui-même,  ci-d.  §.  5.  que  les  Druides  étoient 
déchargés  de  la  frofeSion  des  ttmes.  Neicde  l'£dm 
(l  50    Ci-d   §.  5    not.  <  z.  - 

(>$■]  C'ell  là  l'origine  des  affiliations,  par 
lefquelles  des  Laïques  deviennent  Membres  d'un 
Ordre  Religieux;  moyen  mis  en  pratique  par 
des  Moines  ambitieux,  pour  fe  mcier  de  tout 
dans  les  Etats. 

(ijz)  Csfu  I.  ).  IC. 


lilieu  Je 
c!-aq'-ie  Pea- 
H'e  I  m  Pape 
i'iiiiiati   ou 
S  u/.raia 
l'en  if;. 


283  HISTOIRE    DES     CELTES, 

Fergobru  (153).  Il  ne  lalfToit  pas  de  prendre  auffi  le  titre  de  Druide  (i  54), 
Au  moins,  Cicéron  introduit  fon  frère  Quintus  qui  avoit  été,  dans  les 
Gaules  ,  parlant  de  cette  manière  (155)  :  »  Les  Barbares  mêmes  n'ont 
»pas  négligé  cette  forte  de  divinations.  Elle  fait  dans  les  Gaules  l'é- 
»  tilde  des  Druides,  entre  lefquels  j'ai  connu  Divitiacus ,  Eduen,  votrç 
»  ami  &  votre  admirateur  ,  qui  fe  vantoit  de  connoître  cet  ordre  de 
»>Ia  Nature,  que  les  Grecs  appellent  Phyfiologie  ,  &  qui  prédifoit  l'a- 
»  venir ,  en  partie  par  les  aufpices ,  en  partie  par  les  conjeftures.» 
ïiy  avoit,  au  g.  XVI,  Le  Sacrifica>eur  dii  Sanftuaire  où  fe  tenoit  l'Affemblée  géné- 
rale d'un  Peuple,  étoit  le  fouverain  Pontife  du  Pays,  &,  en  cette  qua- 
lité ,  il  avoit  infpeûion  fur  tout  le  Clergé  des  diflcrens  Cantons.  On  a 
vu  que  Zamolxis  (156),  Dicenéus  &  Comoficus  remplirent,  en  di- 
vers tçms ,  cette  dignité  parmi  les  Gétes.  On  a  remarqué  auffi  que  les 
Bourguignons  avoieqt  leur  grand  Sacrificateur  ,  qu'ils  appelloient  i"/- 
/z///k5^  (157).  Sans  favoir  quel  nom  lui  donnoient  les  Gaulois  ,  on  peut 
afiiirer  qu'ils  en  avoi.^nt  un.  Jules-Céfar  le  dit  formellement  (  158): 
«Tous  les  Druïdps  obéiflent  à  un  Chef  qui  a  fur  eux  une  autorité  fu- 
wprême.  Vient -il  à  mourir  ,  ôc  ,  parmi  les  Druides,  fe  trouve-t-il 
«quelqu'un  d'un  mérite  fupérieur  ,  il  lui  fuccéde  :  s'il  s'en  trouve  pkn 
>j  fleurs  d'un  mérite  égal,  il  eft  élu  par  le  futfrage  des  Druides;  quel- 
»'  quefois  la  place  eft  difputée  par  les  armes.  » 

Selon  les  apparences ,  depuis  que  les  divers  Peuples  des  Gaules  fe  fu- 
rent réunis  pour  mieux  réfifter  à  un  ennemi  commun,  le  fouverain  Pon- 
tife du  Peuple,  auquel  ils  avoient  déféré  le  commandement  &  le  droit 
d'aflembler  les  autres,  ou  le  Sacrificateur  du  Sanâuaire  dans  lequel  fe 
tenoit  l'Affemblée  générale,  l'un  ou  l'autre  s'étoit  érigé  en  Pape  ou  Pri- 
mat des  Gaules  ,  &  avoit  été  reconnu  pour  tel  par  tout  le  Clergé  de  ce 
vafte  Pays  ;  Preœjl  uniis ,  tjui  fummam  hiter  eos  liabet  autoriiatem. 

Ce  Primat  s'éiifoit  ordinairement  par  les  fiïffrages  des  autres  Druides, 


(iSî)  Virg  OU  F'rgtn  ,  clieï  les  Allemands  , 
lignifie  rendre  ItjuJUce  ,  &  OOrci  OU  Obreft ,  veilt 
dire  premier  ou  ffiuvevain.  Le  Vcr^obret  ç'toit  donc 
le  fufréme  14''g'flrai  des  Edteni    Note  de  l'Edit 

{154)  Il  me  femble  <]ue  Divitiacus  etoit  le 
Irétre  des  Eduetis.  Cice'ron  lui  fait  exercer 
toutes  les  fondions  qui  e;oienî  refctve'es  cx- 
yteffement  aux  Devins.  Les  Prêtres  Gjulois 
mitoient-ils  fouffeit  qu'un  ^.sjqiie  fç  fut  »inû 


arroge' les  fondions  du  miniftcrc  facre?  J'aî 
peine  à  le  croire.  Les  Sacrificateurs  '  ruïdcs 
n'ctoient  pas  moins  jaloux  de  leurs  fondions 
que  notre  Clergé.  Noie  de  l'Editeur. 

(i  5  s)  Ci-d.  §.  ».  not.  58. 

(is*)  Ci-d.  §.  1 1.  not.  104  §.  II.  not.  117, 

ItS.   1Î9. 

(i  57)  Ci-d.  5.  Jî,  ii.'^:    izS, 
(l58)CcfirVI,  u. 

qui 


L  ï  V  R  E    IV,    CHAPITRE    IV.  i?9 

qui  le  clioififfoient  toujours  dans  leurs  propres  Corps  :  Suffragio  Drui- 
■dûm  adUgitur.  Il  étoit  arrivé  quelquefois  qu'un  Druide,  d'un  mérite 
fupérieur ,  avolt  été  élevé  à  la  dignité  de  fouverain  Pontife,  fans  être 
affujetti  à  la  formalité  de  l'éledioh  :  Si  quis  ex  rdiqtiis  excdlit  digrzitate^ 
fuccedit.  Mais,  comme  cette  fopériorité  n'étoit  pas  toujours  reconnue  . 
par  les  autres  afpirans  ,  il  étoit  inévitable  qu'il  en  réfultât  un  grand  in- 
convénient :  Quelquefois  La  place  fe  difpute  auffi  par  les  armes.  Des  Druides 
ambitieux ,  entêtés  de  la  fiipériorité  de  leurs  talens  ,  prenoient  les 
armes ,  pour  emporter  par  la  force  utie  charge  qu'ils  croyoient  mériter 
préférablement  à  tons  les  autres  concurrens.  Mais  cette  guerre  étoit  bien- 
tôt terminée  ;  elle  fe  décidoit  par  le  duel.  C'efl  le  fens  naturel  de  ces  pa- 
roles de  Jules-Céfar  :  De  principatu  armis  contendunt.  Le  duel  étoit,  com- 
me on  l'a  montré  ailleurs  (  159),  la  manière  de  procéder  des  Celtes,  qui 
croyoient  que  tout  appartenoit  au  plus  fort,  &  que  la  décifion  qu'on^ 
obtenoit  par  le  fort  des  armes ,  étoit  l'ouvrage -de  la  Providence,  le  juge- 
ment de  Dieu  même. 

Cette  manière  de  parvenir  à  la  dignité  de  Souverain  Pontife  ne 
^oit  point  nous  furprendre  ;  elle  étoit  fondée  fur  les  principes  d'une 
Nation  guerrière ,  barbare  &  fuperftitieufe.  Mais ,  quel  ne  doit  pas  être 
i'étonnement  de  ceux  des  Nations  infidèles  ,  qui  lifent  l'Hiftuire  des 
Nations  Européennes  ,  de  voir  les  Pontifes  d'un  JDieu  de  paix  ,  les 
Miniftres  d'une  Religion  qui  ne  refpire  que  fainteté  &  charité  ,  armer 
toute  la  Chrétienté,  &  folliciter  les  Fidèles  à  s'égorger ,  les  uns  les  au-jte 
très  ,  de  les  voir  fe  mettre  eux-mêmes  à  la  tête  des  armées  ?  Et  fe 
trouveroit-il  ,  de  nos  jours ,  même  parmi  les  Catholiques  -  Romains , 
<juelqu'ame  aflez  féroce  pour  ne  pas  frémir  en  entendant  raconter 
tous  les  maux  qu'occafionna  le  grand  fchifme  d'Occident  ?  Jettons  un  voi- 
le fur  les  aborhinations  qui  furent  commifes  par  les  conlendans  à  la 
Papauté  Romaine.  Les  Druides  qui  prétendoient  au  rang  fuprême  ,  n'é- 
toient  ni  aufîi  cruels  ,  ni  aufli  impies  que  les  Alexandre  VI  &;  les 
Urbains  VI.  Us  n'avoient  recours  ni  au  poifon  ,  ni  à  la  trahifon  ;  ils 
ne  détruifoient  point  les  Sanftuaires  de  leurs  Compétiteurs  ,  ils  ne  ven- 
doienî  point  les  chofes  facrées  &  ne  faifoient  point  de  leurs  querelles 
particulières  des  guerres  civiles  qui  portoient  le  fer  &  le  feu  dans  tou- 
*  "  '  '  I  I  »        Il  I       .  »     ■    I  m 

(159)  Ci-d.  Liv.  II.  ch.  II.  p.  ilj, 

Tomi  11,  O  o 


aço  HISTOIRE    DES    CELTES, 

tes  les  parties  de  la  Nation.  Leurs  prétentions  étoient  bientôt  déci- 
dées :  un  combat  en  champ  clos  faifoit  connoître  celui  qui  étoit  le  plus 
digne  d'être  revêtu  du  Souverain  Pontificat  :  Dt  Principatu  armis  con- 
tendunt. 

Soumis  à  un  feul  Chef ,  le  Clergé  des  Gaules  fe  réuniffoit  d'une 
manière  encore  plus  étroite  par  des  Aflemblées  générales  ,  dont  Jules- 
Céfar  fait  mention  (169)  :  »  Les  Druides  s'aflemblent  dans  une  cer- 
«  taine  faifon  de  l'année  ,  dans  le  Pays  des  Carnutes ,  que  l'on  tient 
»  pour  le  milieu  des  Gaules.  Ils  s'affeyent  là  dans  un  lieu  confacré. 
»  Tous  ceux  qui  ont  des  différens  y  accourent  de  toutes  parts,  &  obéif- 
»  fent  à  leurs  décilions  .•.  Ces  paroles  femblent  infinuer  que  l'on  avoit 
choiii  pour  le  lieu  de  rAflemblce  un  Sanûuaire  du  Pays  de  Chartres ,  non 
parce  qu'il  étoit  le  fiége  du  Primat ,  mais  à  caufe  de  fa  commodité,  puif- 
qu'il  étoit  fitué  dans  le  milieu  des  Gaules.  Quoique  cette  Affemblée  fut 
proprement  une  Cour  de  Juflice  (161),  il  ne  faut  pas  douter  que  les 
Druides  ne  profitaffent  de  l'occafion  pour  délibérer  de  leurs  propres 
affaires,  &  pour  cimenter  une  union  qui  contribuoit  beaucoup  à  affermir 
leur  puifTance  &  leur  autorité. 

Il  paroît ,  par  ce  détail,  &  par  ce  qu'on  a  dit  ailleurs  (161) ,  des  ri- 
cheffes  &  de  revenus  des  lieux  confacrés ,  que  les  Druides  formoient 
dans  les  Gaules ,  un  Corps  diftinfl:  &  féparé  ,  qui  étoit  compofé  d'un 
certain  nombre  de  familles  ,  avoit  des  biens  &  des  poffefîions  inalié- 
guiables  ,  étoit  gouverné  par  fes  propres  Chefs  ,  &  avoit  ,  en  même 
tems ,  fa  Jurifdiâion  &  fes  AfTemblées  particulières.   Il  ne  faut  pas 
être  furpris  que  ,  lorfque   le  Chriflianifme  s'établit  dans  les  Gaules, 
les  chofes  ayent  été  laifTées ,  à  certains  égards ,  fur  le  même  pied.  Le 
Clergé  Chrétien  y  trouvoit  fon  compte ,  &  le  Peuple  qui  avoit  re- 
gardé comme  un  facrilége  de  toucher  aux  biens  de  l'Eglife  Payenne,  dût 
confentir  fans  aucune  peine,  qu'ils  fuffent  dévolus  au  Clergé  Chrétien. 
Prîviiégos        §.  XVII.  Il  faut  dire  encore  un  mot  des  Privilèges ,  dont  le  Clergé 
le"  cie°rgé  dé!  jouifToit  parmi  les  Peuples  Celtes.  Quoique  les  Eccléfiafliques  formaf- 
PeupiesceU    ^^^^  ^^^  l'Etat  UH  Corps  entièrement  féparé  de  celui  des  Laïques  , 
cela  n'empêchoit  point  qu'ils  ne  fuffent  eux-mêmes  Membres  de  l'Etat, 

(ko)  C«f»lVI.  IJ. 

(t«l)Ci-d.  $.  II. 

(Kl)  Ci-d.  ch.  a.  s.  a (•  S(  fuir.  , 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    IV.  ±91 

&  qu'ils  ne  tinffent  un  rang  confidérable  dans  la  Société  civile.  Par 
exemple  ,  on  a  vu  (163)  qu'ils  entroient  dans  le  Confeil  des  Prin- 
ces,  &  qu'ils  en  dirigeoient  toutes  les  opérations  ;  que  l'Affemblée  gé- 
nérale (164)  ne  pouvoit  ni  délibérer  fur  un  projet,  ni  l'exécuter  fans 
leur  avis;  qu'ils  étoient  chargés  (165)  de  maintenir  l'ordre  dans  cette 
Affemblée  ;  qu'ils  jugeoient  (  1 66  )  de  la  plupart  des  différens  qui  s'éle- 
voient ,  non  -  feulement  entre  les  particuliers  ,  mais  encore  entre  les 
Peuples  entiers;  que  la  difcipline  (167)  qu'ils  exerçoient ,  leur  don- 
noit  le  pouvoir  d'exclure  un  homme  de  tous  les  bénéfices  de  la  So- 
ciété civile.  Il  n'eft  pas  difficile  de  comprendre ,  après  cela  ,  qu'ils  dé- 
voient occuper  un  rang  proportionné  à  l'autorité  dont  ils  étoient 
revêtus  ,  &  aux  richeffes  qu'ils  poffédoient. 

EfFeftivement  ,   la  Dignité  de  Sacrificateur  étoit  très-illuftre  parmi  Le  eorps  en- 
les  Celtes.  Le   Souverain  Pontife  (168)  avoit  le  front  ceint  d'un  Dia-  "voitieplf 
dême;  ordinairement  il  étoit,  après  le  Roi ,  la  première  perfonne  de  i;^!^ '»  î^'^'''"='- 
l'Etat ,  &  le  corps  entier  du  Clergé  avoit  le  pas  fur  celui  de  la  Noblefle. 
Cela  eft  clair  par  rapport  aux  Gétes.  Nous  apprenons  de  Jornandés  (169), 
que  »  Dicenéus  choifit  pour  le  Sacerdoce ,  la  Noblefle  la  plus  diftin- 
H  guée  de  la  Nation  ,   &  qu'il  donna  aux  Sacrificateurs  le  nom  de 
«Mitres,  Pilead ,  parce  qu'ils  portoient  des  efpéces  de  Mitres  pendant 
♦»  le  tems  des  Sacrifices  ,  opertis  capitihus  ,  tiaris  ,  Ikabant.  A  l'égard  du 
w  refte  de  la  Nation  ,  il  ordonna  qu'on  appellât  les  Laïques  chevelus  , 
»»  capillatqs.  Les  Goths  ont  tenu  ce  nom  à  fi  grand  honneur  qu'ils  en 
M  font  mention  ,  même  aujourd'hui ,  dans  leurs  cantiques  «. 

Les  Gétes  &  les  Goths  ,  qui  étoient  leurs  defcendans  ,  fe  fai- 
foient  un  honneur  de  porter  le  nom  de  CapiUati ,  parce  que  c'étoit  un 
titre  de  NobleflTe  ,  comme  on  l'a  montré  ailleurs  (170).  Mais  le  nom 
de  Mitres ,  Pileati ,  qui  étoit  propre  aux  Sacrificateurs  ,  marquoit  une 
condition  fupérieure  à  celle  de  la  Noblefle.  On  le  voit  dans  ce  que 
difent  les  Hiftoriens ,  que  Decebalus ,  Roi  des  Gétes ,  pour  obtenir 
la  paix  de  l'Empereur  Trajan  ,  lui  envoya  (  171  )  d'abord  de  fimples 


(i«})  Ci-d.  $.  II.  not.  11+.  iz«.  izy. 
(1*4)  Ci-d.  %.  1 1.  not.  119. 
(165)  Ci-d.  ch.  II.  $.  31.  not.  245. 
(i$<]  Ci-d.  $.11.  not.  103. 
{l<S7)  Ci-d.  $.  ii.St  ch.  II.  $.  }i. 
(i<«)Sttab»XI.  p.  soj.XII.  pag.  }3J.  JS7' 


Viyti,  aulfi  ci-d.  $    il.  not.  I2fi. 

(  i<9)  Jornand.  cap.  1 1. 

(170   Ci  d.  Li».  II.  ch    ».  p.  T7«.  not.  i*. 

(171)  Theodof.  Exceipt.  ex  Dion.  Cafl".  lib. 
LXVIII.  p.  77].  Fetius  patiitiui  in  excerpcLe: 
gat.  pag.  24. 


la  fumillc 

Sacctdiit.ili.- 
rcoi'   ex  n-p- 
ic  de  loiucs 
fones  de 


292  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Gentilshommes  ,    Comatos  ,  &   enfuite    des   Sacrificateurs  ,  Piteatos  ; 
qui  étolent  les  perfonnes  les  plus  diflinguées  de  la  Nation. 

Le  Clergé  ,  avoit ,  fans  doute  ,  dans  lès    Gaules  ,    le  même  rang 
qu'il  occupoit  parmi  les  autres  Nations  Celtiques,   Jules-Céfar  ,  par- 
lant des  deux  Clafles  de  gens  notables  que  l'on  voyoit  de  fon  tems 
dans  les  Gaules,  nomme  (171)  les  Druides  avant  les   Chevaliers,  & 
tout  ce  qu'il  dit ,  dans  le  même  endroit ,  de  l'autorité  dont  ils  étoienî 
revêtus  ,  &  de  la  confidération  que  l'on  avoit  pour  eux ,  infinue  claire- 
ment qu'ils,  avoient  la  préséance  fur  tous  ks  autres  Membres  de  l'Etat. 
Outres  les  honneurs  du  rang  ,  1-es  Druides  des  Gaules  étoient  encore 
en  pofTeffion  de  deux  autres  Privilèges,  bien  plus  réels  ôc  bien  plus 
confidérables.  Premièrement  (173),  ils  ne  payoicnt  aucune  des  taxes 
auxquelles    les  Laïques   étoient  impofés  ,  &:  joiiiffoient  d'une  entière  . 
immunité.  Cette  immunité  des  Druides  confiftoit  en  ce  qu'on  ne  pou- 
voit  mettre   aucune  taxe  ,  ni  fur  leurs  perfonnes  ,  ni  fur  les  terres 
qui  leur  appartenoient ,    ni  fur  les   différentes   chofes   dont  ils  pou- 
voient  avoir  befoin  pour  leur  entretien.  Le  Privilège  étoit  affurément 
très-confidérable  dans  les  Gaules  ,  oii  la  Nobleffe,  qui  s'étoit  emparée 
du  Gouvernement  (174),  ^ccabloit  le  Peuple  par  des  impôts  exceffifs. 
Mais   on  i'auroit  compté  pour  rien  dans  les  autres  Pays  de   la  Cel- 
tique (175)  r  o\i  tous  les  autres  Membres  de  l'Etat,  depuis   le  plus 
grand,  jufqu'au  plus  petit,   jouiffoient  d'une  parfaite  immunité,  fans 
qu'il  fût  permis,  ni  à  la  Nobleffe  ,  ni  même  aux  Rois ,  d'imposer  aucun, 
tribut  à  des  perfonnes  libres. 
El!,;  étoit  dif-      L'autre  Privilège  dont  les  Druides  jouiffoient  (176),  c'efl  qu'ils  ri  a- 
ri'â'guf"='i  ^'"^'^^  P"-^  coutume  d'aller  à  la  guerre.  Au  lieu  que  les  Chevaliers  (177)  y 
'^m-J^lThon  alloient  tous  ,   &   n'avoient  point  d'autre  profeffion  que  celle  des  ar- 
nouvc'L  dans  jjjçj  ^  [çg  Eccléfiaftiqucs  étoient  difpenfés  de  les  porter.  Mais,  il  paroît 
très  -  vraifemblable  que  cette   exemption   étoit   une   chofe.  nouvelle  y 
ou  ,  au  moins,' peu  ancienne  dans  les  Gaules  (178),  lorfque  Jules- 
Céfar  écrivit  fes  Commentaires.  Il  y  avoit  déjà  du  tems  que  les  Gau-- 


(l72)Ci-d.  §.  I  5.  not.  147. 

(-lysici-d.  §.  1 5.  not.  148. 

(174   Cifar  VI    13. 

(17  s)  Ci-d.  Liv.  II.  ch,  i  s.  p.  îj  j.&fiiÎT, 

(17*;  Ci  d.  §.  is-not.  M8. 


(177)  Cïfar  Vf.  15. 

{17  s)  Jcpenfe  ,  au  contraire.  (}ue,  de  tout 
tems,  les  Prêtres  des  Celtes  avoient  ete' exempts 
de  la  Milice.  J'aurai  occafion  de  le  pioUTcr. 
Vtjiz.  ci-U-  not.  14^.  îîiittde  l'SdiifHT, 


LIVRE    ÎV.     CHAPITRE    IV.  293 

lois  commençoient  à  fortir  infenfiblement  de  la  barbarie  par  le  com- 
merce qu'ils  y  avoient ,  tant  avec  les  Grecs  établis  à  Marfeille  ,  qu'a- 
vec les  Romains  qui  étoient  maîtres  de  la  Province  Narbonnoife. 
Adoptant  peu  à  peu  des  coutumes  étrangères  ,  ils  fe  conformèrent  à 
luCage  des  Peuples  policés,  qui 'difpenfoient  leurs  Sacrificateurs  d'al- 
ler à  la  guerre  &  de  fe  battre  contre  l'ennemi.  Selon  les  apparences  , 
les  Druides  acceptèrent  avec  plaifir  cette  immunité  ,  parce  qu'elle  les 
mettoit  en  état  de  s'établir  pour  Juges  &C  pour  Médiateurs  des  ditférens 
que  les  Peuples  avoient  les  uns  avec  les  autres. 

Au  refte ,  ce  qui  fait  juger  que  cette  Loi,  qui  exceptoitjes  Druides 
de  prendre  les  armes  pour  la  défenfe  de  l'Etat ,  étoit  nouvelle  dans 
les  Gaules,  c'eft  1°.  qu'il  n'y  avoit  rien  dans  la  Religion  des  Celtes  qui 
dût  difpenfer  les  Eccléfiaftiques  d'aller  à  la  guerre  (179).  Miniftres  d'une 
Religion  qui  faifoit  regarder  la  bravoure  comme  le  feul  chemin  de  la 
gloire  fie  du  falut ,  il  étoit  jufle  que  les  Druides  qui  recommandoient 
continuellement  cette  vertu,  en  donnaient  eux-mêmes  l'exemple.  Les 
exempter  de  la  Milice,  c'eût  été  leur  fermer,  en  quelque  manière,  l'entrée 
du  Falhalla ,  du  Paradis  ,  où  perfonne  n'entroit  que  par  une  mort 
violente  ,  %i.  où  les  places  les  plus  diftinguées  étoient  pour  ceux  qui 
périfToient  dans  un  champ  de  bataille 

z".  Jules-  Céfar  s'exprime  d'une  manière  qui  femble  infinuer  que  ce 
n'étoit  pas  une  chofe  fans  exemple  ,  de  voir  des  Druides  faire  le  métier 
de  foldats  ;  il  femble  dire  que  tous  ne  fe  prévaloient  pas  du  Privilège 
qui  les  exemptoit  du  fervice  de  la  guerre.  »  Les  Druides  ,  obferve-t-il , 
«  ont  coutume  de  ne  point  aller  à  la  guerre,  parce  qu'ils  font  exemts 
»  de  la  Milice  »  A  bdlo  ahejfe  confueverunt .  .  , ,  Militice  vacationcm  im~ 
munitattm  habcnt  (180). 

3*'.  Le  même  Hiftorien  dit  (181)  que  »  les  Druides  difputent  quel- 
»  quefois  par  les  armes  la' Dignité  de  Souverain  Pontife  «  :  Nonnun- 


(179)  Occupes  fans  cefle  du  foin  de  décou- 
viit  la  volonté  de  l'Etre  fuprême  par  toute 
forte  de  divinations  ,  de  pe'netrer  les  Myftères 
de  la  Religion  ,  de  s'inftruire  des  Dogmes 
de  la  Morale  8c  de  la  Phyfiologie  ,  d'ap- 
prendre toutes  ces  Sciences  aux  jeunes  gens  qui 
étoient  dellinés  au  Sacerdoce  ,  C^  de  juger  les 
ilififcrens  qui  étoient  portes  à  leurs  Tribunaux, 
Ibit  pour  Us  caufes  de  Religion,  foit  pouc  les 


querelles  domeftiques  des  Laïques,  comment 
les  Druides  auroient-ils  pà  faire  profeflion  des 
armes  ?  Il  eft  bien  plus  croyable  que  les  Prê- 
tres ne  fe  rendoient  au  camp  que  pour  y  faire' 
les  facribccs  accoutiime's,  8c  pour  animer  U» 
Guerriers  au  combat.  Note  de  l'Editinr, 

(i8o)ci-d.§    i5.not.  t^S. 

(iSiJ  Ci-d.  §■  iS,  not.  ij8> 


»94  HISTOIRE    DES    CELTES, 

quam  etîam  de  Principatu  armis  conttndunt..  C'eft  une  preuve  qu'ils  ma- 
nioient  les  armes.  Or ,  il  n'eft  giières  vraifemblable  que  des  gens  qui 
confentoient  de  fe  battre  avec  des  concurrens  ,  fe  fiffent  un  fcrupule 
d'en  venir  aux  mains  avec  des  ennemis  (i8z). 

4*^.  Enfin  ma  grande  raifon ,  c'eft  que  parmi  tous  les  autres  Peuples 
Celtes ,  les  Sacrificateurs  alloient  à  la  guerre ,  &  s'en  faifoient  un  hon- 
neur. Par  exemple  ,  on  a  vu  qu'il  y  avoit  des  Peuples  Thraces  (183)  * 
au  milieu  defquels  c'étoit  une  chofe  établie ,  que  l'armée  fût  toujours 
commandée  par  le  Sacrificateur  de  Junon  (184),  c'eft -à -dire,  de  la 
Terre.  On  vient  de  montrer  (185)  que  les  Goths  donnoient  à  leurs  Sa- 
crificateurs le  nom  de  Mitres  ,  parce  qu'ils  portoient  fur  la  tête  une 
efpèce  de  Mitn  ou  de  Tiare.  Ceux  que  Decebalus  envoya  à  Trajan 
pour  lui  demander  une  entrevue  (186),  »  ayant  été  introduits  auprès 
»  de  l'Empereur ,  jettèrent  leurs  armes  à  fes  pieds ,  &  fe  profternerent 
«en  fa  préfence«.  Ils  portoient  la  mitre  àcVepée^  parce  qu'ils  étoient, 
en  même  tems ,  Sacrificateurs  &  gens  de  guerre. 

Cet  ufage  étoit  fi  ancien  &  fi  généralement  reçu  dans  toute  la  Cel- 
tique ,  que  le  Clergé  chrétien  fut  obligé  de  s'y  conformer  pendant 
plufieurs  fiécles.  Du  tems  de  Charles-Magne  (187),  les  Eccléfiaftiques 
alloient  à  la  guerre  ,  tant  dans  le  Gaules ,  qu'en  Efpagne  &  en  Italie. 
Cela  fe  pratiquoit  ainfi  en  conféquence  d'une  coutume  qui  avoit  été 
apportée  dans  les  Gaules  par  les  Francs  ,  en  Efpagne  par  les  Vandales  , 


(1*2)  J'avouerai  volontiers  que  ce  n'e'teit 
point  par  fcrupule  que  les  Prêtres  des  Celte» 
n'alloient  point  à  la  guerre  5  j'accorderai  aufli 
que  les  Druides  qui  fuivoient  les  arme'es  pour 
faire  les  facrifices  d'ufage  avant  que  l'aftion 
commençât  ,  faifoient  leur  devoir  aufli-bien 
que  le»  Guerriers  8c  n'etoicnt  point  fpedateurt 
oiûfs  ;  mais  je  foutiens  ,  en  même-tems  ,  qut 
les  Druides  n'alloient  à  l'armée  que  comme 
facrificateurs ,  &  qu'il  n'y  en  alloit  que  le 
nombre  ne'ceflaite  pour  faire  Us  facrifices  & 
les  autres  fondions  du  miniftère  EccleTuftique. 
Voj.  ci-d.not.  149.  17».  179.  Kme  it  l'Edittur. 

(ilî)  Folyœn.  lib.  VII,  cap.  it. 

(184)  Folyen  rapporte  que  le  facrificateur 
lie  Junon  étoit  en  même-tems  le  Chef,  le  Sou- 
verain de»  Cerr<éniens  &  des  Sycaboës,  Peuples 
TllfïÇf S.  £r(u  lii  Dhk  &  Suçtri»  CcfiHfM,  Mais , 


quand  ce  premier  Prêtre  n'auroit  pas  ^t^  m 
même  tems  le  Souverain  ,  on  ne  pourroit  pas 
conclure  que  les  Prêtres  des  Celtes  faifoient  , 
comme  les  autres ,  profelfion  des  arme» ,  &  fc 
trouvaient ,  comme  eux,  à  l'armée  pour  combat- 
tre les  ennemis.  On  a  vu  fort  fouvent  des  Prê- 
tres i  la  tête  des  Armées  Chrétiennes.  Ncte  it 

l'Editeur. 

(i»s)  Ci-d.  not.  iSs. 

fias)  Theodof.  excerpt.  ex  Dion.  Caff".  lib. 
LXVIII.  pag.  773.  Petrus  Patritius  in  esceipt. 
Légat,  pag.  14. 

(i«7)  Capit.  Carol.  M.  Se  Ludovic!  Piî 
Tit.  103.  pag.  io(S4.  On  voit  dans  les  Loix  def 
Vifigoths,  que  du  tems  du  Roi  Vamba,  c'eft-i- 
dire,  vers  la  fin  du  VIP.  fîécle  ,  tous  les  Ecclé» 
fiaUiques  étoient  obligés  d'alleC  à  la  guciIC» 
lib.U.  Tit.  S.  p.  J8(. 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  295 

les  Suèves   &  les  Vifigoths  ,    èi.  en  Italie  par  les  Oftrogoths  &  les 
Lombards. 

Il  efl  vrai  que  dès  l'an  741  ,  le  Clergé  (  1S8)  avoit  été  difpenfé  de 
porter  les  armes  par  un  Décret  donné  à  l'inftance  du  Pape  Zacharie. 
Mais  ce  Décret  fut  long-tems  à  être  mis  à  exécution  ,  aufîibien  que  les 
autres  (189),  qu'on  donna  depuis  fur  le  même  fujet.  Toutes  ces  con- 
tradiâions  qu'éprouva  la  Loi  qui  difpenfoit  le  Clergé  du  Service  mili- 
taire, proviennent  (")  de  ce  que  bien  des  gens  fe  perfuadoient  que  l'on 
dérogeoit  à  l'honneur  des  Eccléfiaftiques ,  en  les  difpenfant  d'aller  à  la 
guerre.  C'eft  ce  qui  efl  remarqué  expreffément  (190)  par  les  Capitulaires 
de  Charles-Magne  &  de  Louis  le-Débonnaire. 

Avant  que  de  quitter  cette  matière  ,  il  faut  remarquer  en  deux 
mots ,  que  la  conftitution  du  Clergé  étoit  la  même  parmi  les  Perfes , 
que  parmi  les  Celtes.  Le  Sacerdoce  étoit  entre  les  mains  des  Mages 
(191).  C'eft  le  nom  que  l'on  donnoit  à  certaines  familles  confacrées, 
qui  ne  fe  mêloient  point  avec  le  rafle  de  la  Nation  ,  &  qui  avoient  leurs 
biens ,  leurs  terres ,  leurs  habitations ,  &  leur  manière  de  vivre  par- 
ticulière. Ces  Mages  avoient  leurs  AfTemblées  (191)  ,  leurs  Confé- 
rences comme  les  Druides  ,  &  un  Chef,  Pape  ou  Souverain  Pontife , 
que  Sozomene  appelle  le  Grand  Archimage  (  193  ).  Ceux  qui  voudront 
en  fçavoir  davantage,  fe  donneront  la  peine  de  confulter  Meflieurs  le 
Clerc  (194)  &  Brucker  (195),  qui  ont  ramafTé  avec  beaucoup  de  foin, 
tout  ce  qu'on  trouve  dans  les  Anciens  fur  le  fujet  des  Mages. 

§.  XVIII.  Les  femmes  des  Sacrificateurs  partageoient  avec  leurs  maris  te»  femmei 
la  plupart  des  fondions  du  Sacerdoce.  En  premier  lieu ,  elles  avoient  teuis  pitt»-" 
le  droit  d'offrir  des  facrifîces ,  &  même  les  viûimes  humaines.  On  l'a  fux'ic"  f*'" 
vu  dans  ce  que  nous  avons  dit  (196)  des  Prêtreffes  Cimbres,  qui  égor-  c^doce^EUei 

ofFroicnu  dc< 

*"  Eiciificcs. 


(its)  Capit.  Carol.  M.  ibid.  p.  921. 

(itsi)  Capit.  Caiol.  M.ScLudov.  Piiiib.TII. 
Tît.$i.  p.  loii.  Tit.  103.  p,  io<4. 

(  *  )  Les  Piélats  8c  les  Abb^s  qui  avoient  de 
Taftes  polTcinons  ctoient ,  fans  doute  ,  obliges 
d'allei  i  la  guérie ,  pour  y  commander  leurs 
Taflauz  i  mais  il  ne  patoît  point  que  tous  les 
Itiniftres  de  l'Eglife  indifféremment,  fuflcnt 
obliges  de  porter  les  armes.  Hott  de  l'£dii. 

(  lyo)  Capit.  Car.  M.  2c  Lad.  Fii,  Tit.  $4. 

(  i>i  )  AnuB.  Maiccll.  lib.  XXIII.  cap.  «, 


pag.  373.  374-  37S-  Clem.  Alex.  Strom. lib.  VI. 
pag.  6}i,  Solin.  cap.  $;. 
(1S12)  Ci-d.  §.  8.  not.  r«. 

(193)  Af«j»Kj  Arihima^ui,  Soxom.  lib.  II. 
cap.  u. 

(194)  Cletici  Hiilofophia  Tom.II.  p.  iS6. 

(195)  ïruckeri  Hift.  Philofophica  Tom.  I. 
pag.  1 19-1 Z4,  de  l'Edition  Allemande  ,Si  T.  I. 
pag.  16 2-1  £4.  de  l'Edition  Latine. 

(196)  Ci-d.  ch.  II.  $,  24.  not.  if^ 


ipô  H  I  s  T  O  I  R  E    D  E  s    C  E  L  T  E  s, 

geoient  des  prifonniers  Romains ,  &  qui  fondoient  leurs  divinations 
par  rapport  aux  fuccès  de  la  guerre  ,  fur  la  manière  dont  elles  voyoient 
couler  le  fang  de  ces  malheureux.  Plutarque  remarque  auffi  que ,  dans 
la  guerre  que  les  Romains  eurent  à  foutenir  contre  les  Gladiateurs 
(197,  qui  étoient  prefque  tous  des  prifonniers  Gaulois  ,  Germains  & 
Thraces,  un  corps  de  troupes  (198:)  que  Crafliis  faifoit  marcher  fecrette- 
nient,  fut  découvert  par  des  femmes  qui  facrifioient  à  -la  tête  du  camp 
ennemi. 

Tacite ,  rapportant  une  bataille  que  Suetonlus  Paulinus  gagna  dans 
la  Grande-Bretagne  ,  l'an  61  de  J.  C.  contre  les  Habitans  naturels  du 
Pays,  dit  encore  (199)  «qu'on  voyoit  courir  au  milieu  des  rangs 
>♦  ennemis  ,  des  femmes  qui  reffembloient  à  des  furies.  Elles  étoient 
»  vêtues  de  noir,  avoient  les  cheveux  épars,  &  portoient  des  torches 
»  ardentes.  Des  Druides  qui  tenoient  les  mains  élevées  vers  le  ciel,  & 
»  prononcoient  des  imprécations  contre  les  Romains,  étoient  autour 
»  d'elles  ». 

M.  Key {1er  juge  avec  beaucoup  de  vraifemblance  ,  que  (aoo)  ces 
femmes  étoient  les  Prêtreffes  qui  accompagnoient  les  Druides,  pour 
dévouer  l'armée  ennemie  par  des  imprécations  &  des  cérémonies  ma- 
giques, dans  lefquelles  on  employoit  toujours  des  torches  ardentes. 

A  la  vérité ,  les  femmes  des  Sacrificateurs  étoient  chargées  principa- 
lement en  tems  de  guerre  d'offrir  des  facrifices  ;,m3is  c'étoit ,  félon  les  ap- 
parences, parce  que  leurs  maris  ,  obligés  de  porter  les  armes  contre 
l'ennemi ,  étoient  occupés  ailleurs.  Les  paffages  qu'on  vient  de  citer 
l'infinuent  affez  clairement.  Mais  on  célébroit  aufli  en  temps  de  paix ,  des 
fêtes  auxquelles  les  Prêtreffes  feules  pouvoient  préfider ,  fans  doute  parée 
que  la  folemnité  n'étoit  que  pour  les  femmes.  On  en  trouve  un  exem- 
ple dans  ce  qu'Hérodote  (201)  rapporte  du  facrifice  que  les  femmes  des 
Thraces  &  des  Péoniens  offroient  à  la  Diane  Royale,  c'eft-à-dire ,  à  la 
Terre. 

D'ailleurs,  il  y  avoit  des  Sanûuaires  oti  les  Prêtreffes  feules  avoient 
le  droit  d'offrir  des  facrifices  &  de  répondre  de  la  part  de  la  Divinité  à 


^" 


(197)  Plutarch.  Craffb  Tom.  I.  p.  547-548. 
yaul.  Diac.  Hift.  Mifcellan.  lib.  VI.  g.  72.  Orof. 
jtH).  V.  cap,  ^4.  p.  31,1. 

(j9*)  flutatch.  Ciaflb  Tom.-I,  p.  549. 


(199)  Tacit.  Annal.  XIV.  30. 

(200)  Keyfler  p.  459. 

(i*ij  Ci-d.  Lir.  UI.  cit.  >.$.>.  not.  59. 


ceux 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  197 

ceux  ^ui  venoient  confulter  l'Oracle.  Par  cette  raifon ,  c'étoit  un  Prêtreffe 
qui  avoit  l'intendance  du  lieu  confacré  &  du  Clergé  qui  y  demeuroiti 
On  voyoit  de  ces  Sanftuaires  en  Thrace  (zoz).  On  en  voyoit  dans 
les  Gaules  (203),  &c  il  ne  faut  pas  douter  qu'il  n'y  en  eût  auffi  dans  la 
Germanie.  Tacite  dit  (104)  «  que  les  Naharvales  montroient  un  bois 
>»  facré ,  révéré  de  toute  ancienneté  par  leurs  ayeux.  Le  Prêtre  qui  le 
w  deffervoit  portoit  un  habit  de  femme  ».  Vraifemblablemènt  il  étoit 
obligé  de  porter  un  habit  de  femme ,  parce  qu'il  tenoit  la  place  d'une 
Prêtreffe  que  l'on  avoit  dépoffédée  (105)  pour  y  fubftituer  un  Sacrifi- 
cateur. 

Les  Peuples  Celtes  trouvoient ,  fans  doute  ,  dans  leur  Religion ,  des 
raifons  qui  les  déterminoient  à  employer  tantôt  des  hommes  &  tantôt 
des  femmes  au  miniflère  facré.  Les  deux  grandes  Divinités  de  ces  Peu- 
ples ,  auxquelles  ils  rapportoient  l'origine  de  toutes  chofes  ,  étoient 
Tew,  l'Efprit  univerfel,  &  la  Terre,  qu'ils  appelloient  fa  femme.  Ilfemble 
qtie  Teut  avoit  des  Sacrificateurs ,  &  la  Terre,  des  Prêtrejjes.  On  trouvera 
dans  le  Chapitre  VIII  du  Livre  précédent ,  plufieurs  chofes  qui  fervent 
à  confirmer  cette  conjefture.  Par  exemple,  il  y  avoit  dans  le  Temple 
de  la  Diane  Taurique  (206),  un  Sacrificateur  &  une  Prêtreffe.  Le 
Sacrificateiu"  portoit  le  Nom  du  Dieu  Teut  :  la  Prêtreffe  portoit  celui  de 


(202)  Herodot.  VIT.  3-  Le  Sanftuaire  etoit 
confacré  au  Dieu  fuprême  que  les  Thraccs  ap- 
pclloienc  Cotii  ou  S»hai.tus.  Ci-d. Liv.  III.  ch,  i  $ 
$.  3.  8c  fuiv.  Les  Grecs  s'ctant  imagines  que  ce 
Siih<i7.im  étoit  leur  Biechiis  ,  o-nt  appcllé'Ies  Pré- 
trefles  de  Sah*2.tus  des  Bucchtmes.  Ainfî  flutar- 
quc  dit  de  la  femme  du  gladiateur  Sparcacus 
qu'elle  étoit  une  Fraphc'effi  &  inffirce  fur  Bdc- 
thiis.  Plutarch.  Craffo  Tom.  I.  p.  s  47. 

{1°})  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  z.  $.  1  z.  not.  izo. 
le  fuiv. 

(404)  Tacit.  Germ.43, 

(Z05)  Cette  raifontoe  paroît  pas  trop  admif- 
fible.  Par  quel  motif  les  Druides,  en  dépblfé- 
dant  une  Prêtreffe  ,  auroient-ils  cru  devoir  s'ha- 
biller en  femme  pour  occuper  fa  place  !  Au- 
roient-ils penfé  qu'ils  tromperoient  la  Divinité; 
On  ne  pouvoir  non  plus  tromper  le  Peuple.  Un 
liomme  ed  très-facile  à  diftinguer  fous  l'habit 
4'une  femme.  D'ailleurs ,  le  lecitde  Tacite  ne 

Tome  II, 


me  femble  pas  vraifcmblable.  Un  Druide  Ger- 
main auroit-il  voulu  porter  l'habit  d'une  fem- 
me? N'auroit-ce  pas  été,  félon  cette  Nation 
guerrière  ,  dtihonorer  fon  fexe  ?  Tacit.  Germ. 
cap.  1 1.  Au  furpliis,  un  Peuple  qui  alloit  jufqu'i 
croire  qu'il  y  avoit  quelque  chofe  de  divin  dan» 
les  femmes,  &  qui  prenoit  leurs  réponfes  pour 
des  otaclcs  (Tacit.  Germ.  8.),  aiiro:t-il  fouf- 
fert  qu'on  eût  dépotrédé  une  Piîtrefle  pour  lui 
fublUtuer  un  facrificateur  ?  Enfin  .Tacite  avoit, - 
fans  doute,  oublié  que,  félon  qu'il  venoit  de 
le  rapporter  o  l'habit  des  femmes  Germaines 
»  éioit  le  même  que  celui  des  hommes  »  :  N«« 
nliui  fiminii  ijuàm  vtris  hthitui.  Tacit.  Germ.  ty. 
Cela  pofé  ,  comment  l'Hiftorien  Romain  pou- 
voit-il    dire  que  le   Prêtre  d'A'cis  ftrtjit  un  habit 

i  de  femme  >  Certainement  Tacite  étoit  mal  1^ 

;  formé.   Noie  de  l'Editeur. 

(zo6j  Ci-d.  Liv.  III,  ch.  ».  §.  10. 

PP 


tes  femme» 
des  Sacrifica- 
teurs s'attii- 
biioient  le 
don  dt  deri- 
ner. 


198  HISTOIRE     DES    CELTES, 

la  Terre ,  que  les  Scythes  Orientaux  appelloient  Opis ,   Apia. ,  Ipki  & 
Iphianajfa. 

Cependant,  quelque  plaufib'ie  que  paroifTe  cette conjedure, elle  n'eft  pas 
fans  difficulté,  parce  qu'on  ne  voit  point,  fur  cet  article,  d'uniformité 
entre  les  Celtes.  Le  chariot  fur  lequel  ces  Peuples  promenoient  tous 
les  ans  le  fuiiulacre  de  la  Terre  ,  étoit  conduit  en  Germanie  par  un  Sacrifi- 
cateur, en  Thrace  par  des  Vierges ,  ôc  en  Phrygie  par  des  Prêtres  que 
l'on  appelloit  Galti.  Il  faut  donc  s'en  tenir  à  cette  remarque  générale  , 
qu'il  y  avoit  dans  tous  les  lieux  confacrés,  des  Prêtres  &  des  Prê- 
treffes  qui  fe  partageoient  les  fondions  du  Sacerdoce  ;  des  Sanûuaires 
dans  lefquels  le  Clergé  étoit  fournis  à  des  femmes  :  il  y  a  toute  apparence 
qu'elles  doivent  cette  prérogative  à  quelque  Prêtreffe ,  qui  s'étant  rendue 
célèbre  par  fes  prophéties ,  avoit  acquis  à  fon  fexe  le  droit  de  préé- 
minence. 

EfFeûivement  ,  les  femmes  des  Sacrificateurs  Celtes  étoient  fi  fort 
expérimentées  dans  les  Divinations ,  que  le  Peuple  les  confultoit  fouvent 
de  préférence  à  leurs  maris.  Tacite  dit  à  ce  fujet,  quelque  chofe  de  par- 
ticulier des  Germains  (  107  )  :  «  Ils  vont  jufqu'à  croire  que  ce  fexe  a 
»  quelque  chofe  de  divin  (2.Q.9) ,  &  des  lumières  fur  l'avenir.  Dociles 
»  à  fes  confeils  ,  ils  les  regardent  comme  des  Oracles  ».  On  a  vu 
ailleurs  (209) ,  ce  qui  fervoit  de  fondement  à  ce  préjugé ,  à  la  faveur 
duquel  on  voyoit  des  femmes  de  tout  état  faire  les  infpirées  &  fe 
vanter  d'avoir  des  infpirations  du  Ciel.  Il  femble  qu'on  puiffe  l'inférer 
du  pafTage  de  Tacite  qui  continue  de  cette  manière  (iio)  :  «Nous 
»  avons  vu  fous  Vefpafien  une  Velléda  (  z  1 1  ) ,  qui ,  depuis  long-tems , 


(207)  Tacit.  Germ.  !. 

(208)  «On  croit,  avec  raifon,  que  ces  de- 
»  vinereiTes  Gauloifes  &  Germaines,  nommées 
»  par  les  Latins  fatidicœ  ,  fiux  &  faix  ,  font  l'o- 
»  riginal  de  nos  Fe'es;  &  leurs  prétendus  pro- 
ndiges,  le  canevas  de  toutes  les  merveilles  de 
»  la  Féerie.  Comme  ces  femmes  paffbient  pou' 
»  Itre  doue'es  de  lumières  furnaturelles  ,  des 
»  Peuples  groflîers  en  vinrent  aife'ment  à  croire 
»  qu'elles  pouvoient  bien  influer  fur  les  e'vène- 
»  nemens  qu'elles  pre'difoient  ;  &  de  proche 
»  en  proche,  ils  abandonnèrent  toute  la  nature 
»  à  leur  difpoiîtion.  Qui  fait  même  fi  les  e'gards 
»  &  le  refpeft  que  notre  Nation  s'eft  toujours 
»  piquée  d'avoir  pour  Us  femmes ,  n'eft  pas  en 


»  partie  la  fuite  de  cette  efpèce  de  culte  reli- 
»  gieux ,  que  leur  rendirent  nos  ancêtres  les 
»  Germains  Se  les  Gaulois;  8c  C  la  pofleflioa 
»  où  leurfexe  s'eft  maintemi,  de  donner  le  ton 
»  parmi  nous ,  n'eft  point  un  débris  de  fa  pre- 
»  mière  autorité  î  Quelquefois  les  ufages  d'une 
»  Nation  peuvent  avoir  une  liaifon  impercepti- 
»  ble  avec  des  idées  anciennes  Se  totalement 
»  oubliées!  ce  qu'on  faifoit  originairement  par 
»  principes  ,  on  continue  de  le  faire  par  habi« 
»  tude  &  par  réflexion.  »  Kemarquts  fur  t»  Germ. 
de  Txciie  par  M.  l'Ahhé  de  la  Bttitrie  ,  f.  Iî4. 

(209)  ci-d.  Liv.  m.  ch.  4.  §.  11.  not.  4«. 
(iio)  Tacit.  Germ.  8. 

(ïii)  C'étoit  une  fillt  Bxuftèic  de  Nition, 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  199 

»♦  paflbit  dans  l'efprit  du  plus  grand  nombre  ,  pour  une  Divinité  (212).' 
»  Avant  elle  ,  Aurinia  &c  d'autres  encore  s'attirèrent  la  même  véné- 
»  ration  des  Peuples.  Ce  n'étoit  ni  politique,  ni  flatterie.  Ils  ne  les  re- 
»  gardoient  point  comme  des  Déeffes  de  leur  façon  (  213  )  ».  Le  même 
Hiftorien  dit  dans  un  autre  endroit  (214)  :  »  Cette  Velléda  étoit  une 
»  Vierge  Bruûère ,  qui  avoit  une  domination  fort  étendue.  Les  Ger- 
w  mains  ont  coutume  de  tenir  la  plupart  des  femmes  pour  des  Pro- 
»  phéteffes;  ils  les  regardèrent  même  comme  des  Déefles  (115),  lorfque 
»  la  fuperllition  s'en  mêla.  L'autorité  de  Velléda  s'accrut  alors  ,  parce 
»  qu'elle  avoit  prédit  aux  Germains  de  bons  fuccès  &c  la  défaite  des 
»  Légions  ». 

On  pourroit  regarder  cette  Velléda  comme  une  perfonne  qui ,  fans 
être  de  race  facerdotale,  s'étoit  érigée  en  Prophéteffe.  On  peut  faire 
venir  à  l'appui  de  cette  conjeôure,  un  paflage  de  Suétone  (i  16),, qui 
dit  que  Vitellius  écoutoit  comme  un  Oracle  ,  une  Devinereffe  du  Pays 
des  Celtes.  Elle  lui  prédit  que  s'il  furvivoit  à  fa  mère,  fon  règne  feroit 
long  &  heureux  :  ce  qui  le  fit  foupçonner  ou  d'avoir  empoifonné  fa 
mère  ,  ou  du  moins  de  lui  avoir  refufé  les  alimens  néceflaires  pen- 
dant qu'elle  étoit  malade.  Cependant  il  paroît  vraifemblable  que  Velléda 
étoit  fille  de  Sacrificateur,  D'un  côté  (217  ),  on  lui  ofFroit  de  ces 
préfens  que  les  Celtes  avoient  coutume  de  dépofer  dans  les  Sanftuaires. 
De  l'autre,  après  que  Velléda  eût  été  faite  prifonnière ,  &  conduite  à 
Rome,  fa  place  (218)  fut  remplie  par  une  Vierge  nommée  Ganna,  qui 


r 


qui,  du  haut  d'une  tour  élevée,  ou  elle  vivoit 
en  reclufe  ,  exerçoit  ,  au  loin  ,  une  puiffance 
égale  ou  fupérieurc  à  celle  des  Souverains  : 
Ute  imferiiihiti.  On  ne  la  confultoit  que  par  l'en- 
tremife  d'un  de  fes  païens  ,  qui  feul  avoit  le 
privilège  de  lui  parler.  Elle  eut  beaucoup  de 
part  au  projet  que  forma  Civilis  ,  cet  illuflre 
Chef  des  Baraves ,  de  chaffcr  les  Romains  de  la 
Gaule.  Les  plus  illuftres  Guerriers  n'ofoicnt 
rien  entreprendre  fans  l'attache  de  Velléda ,  8c 
lui  confacioient  une  partie  du  butin.  (  Voj.  Ta- 
cit.  Hift.  IV.  8c  V.  )  Stacc  fSylv.  I.  4.)  nous  ap- 
prend qu'elle  fut  faite  prifonnière  par  Ruffius 
Gallicus  &  réduite  à  s'humilier  devant  la  Ma- 
jefté  Romaine.  Il  paroit  qu'on  la  conduifit  à 
Kome;  8c  c'eft  pour  cela  que  Tacite  dit  :  Ntui 
fâvttu  VHt,  Remarq.  fnr  t»  Germ.  fur  M,  t'Ahht 


il  U  Bleittrie  ,f.  I  z  ;. 

(ziij  Ci.d.  Liv.  III.  ch.  i+.  §.  13.  not,  1 17. 
&  fuiv. 

(zij)  C'eft  un  trait  de  fatite  contre  les  apo- 
théofcs  des  Empereurs.  Les  Romains  avoient 
peu  de  refpeft  pour  ces  Divinités  de  nouvelle 
«réition,  qui  n'étoient  bonnes  qu'à  faire  dou- 
ter des  anciennes. 

(ii4)Tacit.  Hift.  IV.  «r. 

(X  I  s)  Sur  le  fens  de  ces  paroles  ,  vtjex.  ci-d, 
lÂv,  III.  ch.  14.  §.13.  not.  1 17.  8c  fuiï. 

(116)  Sueton.  Vitell.  cap.  14. 

(117)  Voyez,  les  notes  114.  8c  145. 

(itR)  Statius  Sylv.  lib.  I.  4.  v.  89.  Theodof. 
excerpt.  ex  Dion.  lib.  LXVIII,  pag.  7*0,  7*1. 
Suidas  in  8Eia^«v7oi, 

Pp» 


300  HISTOIRE    DES    CELTES, 

fut,  dit-on  (219),  trouver  Domitien  &  en  fut  reçue  honorablement.  Ceta 
ne  femble-t-il  pas  infinuer  que  les  Bruftères  avoient  un  Sanûuaire  , 
dans  lequel  une  Vierge  exerçoit  le  Sacerdoce  ,  &  répondoit  au  nom  de 
la  Divinité  à  ceux  qui  venoient  confulter  l'Oracle  ? 

Quoi  qu'il  en  foit ,  il  eft  certain  que  les  Germains  avoient  des  Pré- 
trefles  auxquelles  ils  attribuoient  le  don  de  deviner.  On  l'a  vu  dans  ce 
que  nous  avons  dit  des  Prophéteffes  qui  fuivoient  l'armée  des  Cimbres  , 
&  dans  ce  que  nous  avons  obfervé  des  cruelles  Divinations  qu'elles 
pratiquoient.  Jules-Céfar  en  fournit  un  autre  exemple  (,2.io)  :  «Il  de- 
»  manda  à  des  Prifonniers  Germains  pourquoi  Ariovifte  différoit  de 
»>  livrer  bataille  ?  C'eft ,  lui  dirent-ils ,  qu'il  eft  d'ufage  ,  parmi  nous , 
»  que  les  mères  de  famille  s'affurent  par  la  voix  du  fort  &  par  les  divi- 
»  nations  ,  s'il  eft  avantageux  ou  non  d'en  venir  aux  mains.  Elles 
»  ont  déclaré  que  les  Germains  perdroient  infailliblement  la  bataille, 
»  s'ils  la  hazardoient  avant  la  nouvelle  Lune».  Plutarque  &  Clément 
»  d'Alexandrie  (121),  qui  rapportent  ce  même  fait,  remarquent  que 
ces  femmes  étoient  des  Prètre{'[çs ,  facrœ  muiieres ,  hiai  ywcû'x.i;. 

Il  faut  que  les  Gaulois  enflent, fur  cet  article,  les  mêmes  idées  que  Ta- 
cite attribue  aux  Germains.  Toutes  les  femmes  Gauloifes  fe  mêloient  de 
deviner.  Zolime  rapporte  (221)  que  »Magnence  fe  repentit  de  n'avoir 
»  pas  fuivi  les  avis  de  fa  mère  qui  lui  avoit  défendu  de  pafl'er  en  II- 
w  lyrie.  Il  étoit  d'autant  plus  blâmable  qu'en  plufieurs  occafions ,  il 
»  avoit  reconnu  qu'elle  étoit  une  véritable  Prophétefî'e  ».  La  mère 
de  Magnence  étoit  Barbare  (xi^)  ,  comme  dit  Aurélius  Viftor ,  c'eft-à- 
dire ,  qu'elle  étoit  Gauloife ,  ou  qu'elle  defcendoit  des  Germains  qui 
s'étoient  établis  dans  les  Gaules.  Ammien  -  Marcellin  rapporte  aufli 
c[ue,  lorfque  Julien  (l'Apoftat)  fît  fon  entrée  (224)  à  Vienne  en  Dau- 
phiné ,  une  bonne  vieille  ,  qui  étoit  aveugle ,  prophétifa  qu'il  releveroit 
les  Temples  des  Dieux. 

Les  Gaulois  ajoutoient  furtout  beaucoup  de  foi  aux  prédirions  de 
leurs  Prêtrefles;  deforte  qu'il  y  avoit  des  Sanftuaires  où  les  divinations 
étoient  entre  les  mains  des  femmes.  Pomponius  Mêla  afî'ure  (225)  qu'il 


(il?)  Theodof.  excerpt.  ex  Dion  &  Suidij , 
ubi  fuprk. 

(lîo)  Cifar  I.  50. 

(ïii)  Plutarch.  CzfareTom.  I.  p.  7i7,01em. 
Alex.  Strom.  lib.  I.  cap.  1 5,  p.  3  $o. 

(aza)  Zoilm.  Itb,  if.,  cip.  ^6.  p.  214. 


(ï23)  Aurel.  Viiflor.  Epit.  cap.  55.  Ca:far 
eap.  41. 

(124)  Amrn.  Marcell.  Ub.  XV.  cap.  ».  p.  jj. 

(225}  Ci-d.  Liv.  m.  chap.  I.  §.  la,  Liv.  IV. 
chap.  4.  §.  j^not.  79, 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    IV.  301 

y  avolt  dans  une  Ifle  voifine  des  Gaiiles,  un  Oracle  dont  les  PrêtrefTes 
connoiffoient  l'avenir  &  le  prédlfolent  à  ceux  qui  paffoient  dans  Tlfle 
uniquement  pour  les  confulter, 

La  réputation  des  Prophétefles  Gauloifes  s'étoit  fi  bien  établie ,  que 
les  grands  Seigneurs  &  même  les  Empereurs  paffoient  rarement  dans 
les  Gaules  ,  fans  y  confulter  une  Dryade,  pour  être  inftruits  de  ce  qui 
les  attendoit  dans  l'avenir,   &  les  Hiftoriens  ont  grand  foin  d'avertir 
que  les  prédirions  de  ce?  femmes  s'accompliffoient  exa£l:ement.  Ainû 
Lampride  rapporte  (216)  que,  lorfque  l'Empereur  Alexandre-Sévere 
paffa  dans  les  Gaules,pour  repouflcr  les  Germains  qui  ravageoient  ce 
Pays  ,  une  Dryade  lui  cria  en  Langue  Gauloife  :  «  Allez  ;  mais  ne  vous 
»  flattez  pas  de  remporter  la  viftoire,  &  ne  comptez  point  fur  vos  Sol- 
»  dats».  Vopifque  (127)  ditauffiavoir  ouï  raconter  ;\  fon  grand  père ,  à  qui 
Dioclctien  lui-même  l'avoit  avoué ,  que  ce  Prince  fervant  encore  dans 
les  Ordres  inférieurs  de  la  Milice,  conçut  les  premières  efpérances  de 
fa  fortune  fur  les  difcours  que  lui  tint  une  Dryade  du  Pays  de  Tongres 
(du  Pays  de  Liège).  Elle  lui  annonça  qu'il  feroit  Empereur,  lorfqu'il 
auroit  tué  Aprum.  Comme  Aptr  veut  dire  en  latin  unfanglUr,  Dioclétien 
qui  defiroit  fort  de  parvenir  à  l'empire ,  fe  mit  à  chaffer  au  fanglier; 
mais  fort  inutilement.  La  prédiction  ne  s'accomplit  que  lorfque  Dioclé- 
tien tua  à  la  tête  de  l'armée  Romaine,  le  Préfet  du  Prétoire  Arrius  Aper, 
qui  venoit  de  poignarder  fon  propre  gendre  l'Empereur  Numérien  , 
pour  fe  faire  proclamer  à  fa  place.  Vopifque  rapporte  encore  (228), 
fur    la    foi    de    Dioclétien  ,   que    l'Empereur   Aurélien    confulta   les 
»  Dryades  Gauloifes,  pour  favoir  fi  la  dignité  impériale  refteroit  long- 
»  tems  dans  fa   famille.    Elles  lui  répondirent  qu'entre  toutes  les  fa- 
»  milles  Romaines,  il  n'y  en  auroit  aucune  qui  fut  plus  illuftre  dans 
>»  la  poftérité ,  que  celle  de  Claude  ».  Sur  quoi  l'Hiftorien  fait  cette  ré- 
flexion :  «L'Empereur  Conftance  ,  qui  règne   aujourd'hui  (*),  def- 
»  cend  effeélivement  de  Claude ,  &  je  crois  que  fa  poftérité  arrive  in- 
M  fenfiblement  à  la  gloire  qui  lui  a  été  promife  par  les  Dryades  ». 

Il  eft  vifible  que  Vopifque,  qui  étoit  Payen,  aiïefte  de  rapporter  ces 
oracles,  pour  faire  voir  que  le  Paganifme  avoit  eu  fes  Prophètes,  auffi 


Le!  rrîrrcfÎJ» 
Gauloilss  , 
fur  -  rdiic  , 
éc  lien:  ,ctlé- 
brci. 


(216)  Lamprid.  Alex.  Sever-  p.  102p. 
(227)  Vopifc.  Numeiiano  cap.  14.  15.  pag. 
7*3-  7i'4- 


(22!)  Vopifc.  Aurelianocap.  44.  p.  533.  554. 
(*)  Vers  le  commencement  du  IVe.  ficelé. 


30Î  HISTOIRE    DES    CELTES, 

bien  que  la  Religion  Judaïque  &c  la  Chrétienne.  Selon  les  apparences  i' 
c'étoit  dans  la  même  vue  qu'il  fe  propolbit  d'écrire  la  vie  d'Apollonius 
de  Tyane  ,  c'eft-à-dire ,  pour  oppofer  ies  miracles  à  ceux  du  Fils  de 
Dieu.  Mais  cela  ne  fait  rien  au  fujet  que  nous  traitons. 

Pour  revenir  à  notre  matière,  les  Prêtreffes  avoient  reçu  le  nom  de 
Dryades ,  parce  qu'elles  étoient  de  race  facerdotale ,  &  filles  ou  femmes 
des  Druides.  Ainfi  une  infcription,  trouvée  aux  environs  de  Metz  (119), 
porte  : 

£2). 

C'eft-à-dire ,  «  o^^Anu ,  Dryade  &  Prêtrefle  ,  avertie  par  un  fonge  ,  a 
>•  confacré  l'endroit  où  cette  pierre  étoit  pofée ,  au  Dieu  des  forêts  & 
»  aux  Nymphes  du  lieu  ».  On  voit  dans  cette  infcrition ,  c^viAreu  étoit 
non-feulement  de  la  race  des  Druides ,  mais  encore  qu'elle  étoit  revêtue 
du  Miniftère  facré.  Elle  étoit  Antifiita  ,  c'eft-à-dlre  la  Prêtrefle  du 
Sanûuaire  (230),  &  en  cette  qualité,  elle  fe  vantoit  d'avoir  des  ré- 
vélations. 

ie<  fernrei  Enfin  les  Dryades  fe  mêloient  de  Magie,  aufll  bien  que  les  Druides. 
fe"n.cbicnt    Pomponius  Mêla ,  parlant  des  Prêtreffes  de  l'Ifle  de  Sayne ,  dont  on  a 

çMjgie.  déjà  fait  mention  (131),  dit  (131)  qu'on  leur  attribuoit  le  pouvoir 
«  d'exciter  les  vents  &  les  tempêtes  par  leurs  enchantemens ,  de  pren- 


(229)  Ap.  Gruter.  p.  %%.  n.  9. 

(230)  Il  me  femble  que  ces  mots  Druis 
AnTistixa  fignifient  quelque  chofe  de  plus; 
ce  titie  emporte  une  idée  de  fupe'riorité,  &  d^- 
figçe  une  Frîtrejfe  qui  e'tpit  à  la  tête  de  plulîeurs 


Femmes  Druides,  celle  qui  e'toit  la  fupérieure 
des  Prctrefles  du  Sanftuaire.  Naie  de  l'Edinur, 

(il  i)  Ci-d.  nqt.  23  $. 

(232)  Ci-d.  §.  «.  not.  221.  &  Liv.  IlI.cJl.  ». 
§.  12.  &fijiv,        \ 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    IV.  303 

n  dre,  à  leur  gré,  la  forme  de  toute  forte  d'animaux,  de  guérir  les  ma- 
»  ladies  les  plus  incurables  ».  On  a  eu  fouvent  occafion  de  remarquer 
dans  ce  Livre,  &  dans  le  précédent,  que  les  Peuples  Celtes  croyoïent 
de  bonne-foi  qu'il  y  avoit  des  Sorciers  &  des  Sorcières  :  les  Dogmes 
les  plus  eflentiels  de  leur  Religion  (133)  contribuoient  naturellement 
à  les  entretenir  dans  cette  illufion.  Il  ne  faut  donc  pas  être  furpris  que 
l'on  trouve  dans  l'Hiftoire  de  ces  Peuples  ,  mille  chofes  qui  montrent 
jufqii'à  quel  point  ils  étoient  entêtés  du  grand  pouvoir  de  leurs  Ma- 
gicennes. 

Par  exemple,  on  difoit  (134)  «qu'il  y  avoit,  dans  la  Scythie,  des 
»  femmes  dont  le  feul  regard  enforceloit  &  faifoit  mourir  un  homme. 
»  Elles  avoient  deux  prunelles  dans  chaque  œil.  On  les  appelloit  les 
n  Byth'us  (135).  Dans  le  Pont,  on  trouvoit  des. hommes  qui  avoient 
»  deux  prunelles  dans  un  œil  &  l'effigie  d'un  cheval  dans  l'autre. 
«Ces  Magiciens  n'alloient  point  à  fonds,  lors  même  qu'on  les  jettoit 
w  dans  l'eau  tout  habillés».  Jornandès,  qui  étoit  Chrétien,  &  même 
Eccléfiaftique ,  raconte  fort  gravement  (236)  que  «  Filimer,  Roi  des 
>»  Goths ,  ayant  paffé  en  Scythie  avec  fa  Nation ,  trouva,  dans  fon  armée , 
»  de  ces  Magiciennes  que  les  Goths  appelloient  Aliorumnas.  Elles  lui 
»  furent  fufpeftes  ;  c'eft  pourquoi  il  les  chafla  du  camp.  Ces  femmes  fe 
»  retirèrent  dans  un  defert ,  &  y  eurent  commerce  avec  ces  Efprits  im- 
»  mondes  (237)  qui  errent  dans  les  lieux  inhabités  de  la  terre.  De  ce 
»  commerce  abominable  naquirent  des  bêtes  féroces  qui  ont  formé  la 


(13 s)  Les  Dogmes  /«  flm  ejfemiels  de  la  Reli- 
gion des  Celtes  étoient  les  Dogmes  fondamen- 
taux de  toute  Religion,  l'exiftence  de  Dieu, 
l'immortalité  de  l'ame  ,  une  vie  avenir  ,  un  lieu 
de  récompenfes  pour  les  bons  8c  un  autre  pour 
les  méchans....  De  pareils  Dogmes  conirihulnt-ili 
tiMuriIUmeitt  à  faire  croire  aux  Sorciers  ,  à  tnirt- 
lenir  l'Ulufion  ?  Ce  ne  furent  point  les  Dogmes 
lu  fini  ejfeniiih  de  la  Religion  des  Celtes,  mais 
les  fuperftitions  que  la  fourberie  y  introduifit , 
qui  firent  croire  à  la  Magie  &  au  pouvoir 
des  Charlatans  qui  trompoient  le  Peuple.  La 
tncme  fraude  perpétua  rillufioi».  Non  de  l'Edit. 

(z3+)Plin  Hifl.  Nat.  lib.  VII.  2.  Solincap.y. 
pag.  171.  A.  Gell.  IX.  cap.  4.  p.  247, 

(ij  s)  Voili  nos  Sorcières. 

{tî6)  Jotnand,  cap.  24.  p.  «43, 


(137  rlufieursTeres  de  l'Eglife  ont  expliqué 
des  Anges  &  même  des  Démons ,  le  palTage  de 
la  Genefe  VI.  1.  «Les  enfans  de  Dieu  voyant 
»  que  les  filles  des  hommes  étoient  belles  ,  pri- 
n  rent  pour  leurs  femmes  celles  d'cntr'elles  qui 
»  qui  leur  avoient  plu.  »  Koji»!,  Eftius  fur  ce 
texte.  îioie  de  M.  Pellautier.  On  lit  tout  de  fuite 
dans  le  même  Chapitre  de  la  Genefe  (  verfet  4.) 
que  «  depuis  que  les  enfans  de  Dieu  eurent 
»  époufé  les  filles  des  hommes  ,  il  en  fortit  de» 
»  enfans  qui  furent  des  hommes  puiflans  5:  fa- 
rt meux  dans  le  fic'cle.»  Ne  feroit-ce  pas  fur 
l'abus  qu'on  fit  de  cette  tradition  ,  que  fe  forma 
l'idée  du  prétendu  pouvoir  des  Sorciers  ,  &  la 
Fable  qui  les  a  fait  naître  du  commerce  de  cer- 
taines femmes  avec  les  Démons  ?  H'it  de  CEdit. 


304  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  barbare  Nation  des  Huns  ».  Ce  conte  qai  femble  avoir  été  forgé 
dans  untems  où  les  Goths  avoient  reçu  le  Chriftianifme  (238),  montre 
combien  ce  Peuple  redoutoit  en  môme  tems  &c  les  Sorciers  &  les  Huns. 

A  la  vérité,  nous  voyons  par  la  Loi  des  Lombards  (139),  que  la  Re- 
ligion Chrétienne  a  fait  revenir  les  hommes  des  préjugés  où  ils  étoient 
fur  ce  fujet,  &  en  particulier  de  l'opinion  que  des  Sorcières  dévoroient 
un  homme  tout  entier.  Cela  peut  être  vrai  par  rapport  aux  Lombards  ; 
mais  il  faut  que  les  Francs,  les  Allemands,  &  divers  autres  Peuples 
Celtes,  qui  obéiffbient  à  Charlemagne,  foient  revenus  beaucoup  plus 
tard  de  cette  illufion ,  puifque  les  çapitulaires  de  ce  Prince  (240)  défen- 
dent aux  Chrétiens  les  fortiléges  ,  les  divinations,  les  enchantemens-, 
6f  d'autres  chofes  femblables.  On  voit  mêmcv  dans  un  de  ces  çapitu- 
laires (241),  que  le^  Saxons  pratiquoient  un  étrange  moyen  pour  fe 
préferver  des  enchantemens.  Ils  brùloient  (24?.)  la  Sorcière ,  ôc  en  man^ 
geoient  la  chair  grillée. 

Les  Prêtreffes  des  Celtes  partageoient  donc  avec  les  Sacrificateurs, 
I3  plupart  des  fondions  du  Miniftère  Sacré.  Elles  offroient  les  facrifices  , 
préfidoient  aux  divinations  &  exerçoient  la  magie.  Par  la  même  raifon , 
elles  participoient  à  tous  les  honneurs  du  Sacerdoce.  Nous  lifons  dans 
Tacite  (  243  )  que  Velléda  exerçoit  un  empire  abfolu  fur  l'efprit  des  Ger- 
mains. Il  faut  même  que  fes  avis  décidaffent  de  la  paix  &c  de  la  guerre  , 
puifque  (244)  Céréalis  ne  trouva  point  de  moyen  plus  propre  pour 


(23  8)  Une  partie  des  Goths  embrafla  la  Re- 
ligion Chrétienne  du  tems  de  l'Empereur  Va- 
lens.  Socrat.  VU.  i.  Ce  fut  dans  le  même  tems 
qi^'ils  commencèrent  à  être  pouffes  parles  Huns. 

(239)  Leg.  Longob.  lib.  I.  Tir.  II.  Leg.  9. 
p»g.  S3«-  Les  Francs  croyoient  auffi  que  les 
Sorcières  e'toient  capables  de  dévorer  un  homme 
vivant.  Il  n'en  faut  point  d'autre  preuve  que  la 
Loi  qwi  ordonne  que  «  fi  une  Sirix  ou  Strict  eft 
»  convaincue  d'avoir  mange'  un  homme ,  elle 
»  foit  condamnée  à  une  amende  de  huit  deniers 
»  qui  font  deux  cent  fols.  »  Leg.  Salie,  tit.  6j. 
Lfg.  3.  pag.  343.  Les  Saxons  avoient  le  même 
pre'jugé.  Capit.  Karol.  M.  de  Partit.  Saxon. 
c?p.  j.  Labb.  Tom.  VII.  p,  iljz.Baluz.  Tom.  I. 
pag.  25?.  Keyfler  p.  491. 

(240)  Capit.  Karol.  M.  lib,  I.  tit.  6^.  p.  233. 
lib.  li.  ;«•  II.  paç-  m-  Leg.  Vifigoth.  lib.  VI. 


tit.  1 1.  §.  3.  Capit.  Ludov.  Pii  Addit.  II.  tit.  I8, 
pag.  1  14s.  Keyfler  pag.  493.  494. 

(241)  Capit.  Karol.  M.  de  partib.  Saxon,  cap.  j, 
Labb.  Tom.  VII.  p.  J132.  Ealuz.  Tom.I.  p.  2$I, 
Keyfler  p.  492. 

(242)  Ce  pre'jugé  s'eft  perpe'tue'  jufqu'à  nos 
jours.  J'ai  vu  beaucoup  de  gens  du  peuple  qui 
pre'tendoient  que  pour  guérir  ceux  qu'on  dit 
étreenforcele's.il  falloir  prendre  un  paquet  d'une 
certaine  herbe  qui  fe  trouve  dans  les  près.  On 
l'attache  dans  la  chemine'e  au-delfus  d'un  grand 
feu.  Le  Sorcier  éprouve  la  même  chaleur  que 
l'herbe  ;  &  pour  ne  pas  fe  laifler  brûler,  eft 
obligé  de  venir  demander  gtace  ,  à  conditioij 
de  défenforcelet  le  malade.  Note  de  l'Editeur, 

(243)  Ci-d.  not.  214. 
(244}  Tacit.  Hift.  V.  ï4. 

obliger 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    IV.  jof 

obliger  les  Germains  à  demander  la  paix ,  que  de  gagner,  fecrettement , 
Velléda.  Le  même  Hiftorien  remarque  encore  (  145  )  que  les  Ubiens 
remirent  un  différent  qu'ils  avoient  avec  les  Tenôères  à  la  décifion  de 
Velléda,  qui,  à  l'exemple  des  Souverains,  reçut  la  demande  des  Dé- 
putés qu'on  lui  avoit  envoyés,  &C  leur  donna  fes  réponfes  par  l'entre- 
mife  d'un  de  fes  parens  ,  qui  étoit ,  pour  ainfi  dire  ,  le  Miniftre  &  l'In- 
ternonce  de  cette  Divinité  ,  ou  plutôt  de  cette  Prophéteffe.  On  trouve 
même  qu'on  lui  offroit  des  préfens,  que  l'ufage  religieux  avoit  deftinés 
pour  les  Dieux ,  &  que  l'on  dépofoit  dans  les  Sanftuaires.  Tantôt  on 
lui  envoyoit  (  246)  une  partie  du  butin  &c  des  prifonniers  qui  avoient 
été  faits  à  la  guerre,  &  même  le  Chef  d'une  Légion  Romaine;  tantôt  (147) 
le  vaifleau  du  Capitaine ,  pris  fur  les  Romains.  Ces  particularités  prou- 
vent ,  non-feulement  que  l'autorité  du  Clergé  étoit  la  même  dans  les 
Gaules  &  en  Germanie,  mais  encore  que  les  PrêtrefTes  la  partageoient  par- 
tout avec  les  Sacrificateurs. 

§.  XIX.  Il  faut  dire  préfentement  un  mot  des  noms  que  les  Celtes  don-  Ut  Gaulois 
noient  ;\  leurs  Eceléfiafliques ,  de  la  manière  dont  ceux-ci  étoient  vê-  dés  'peup^er 
tus ,  ÔC  enfin  de  l'abolition  de  l'Ordre ,  ou  de  la  Sede  des  Druides,  que  J:^|^"  /™;,, 
quelques-uns  attribuent  aux  Romains  ,  quoiqu'il  paroiffe  plus  vrai- '"""•^*^^'*; 
femblable  qu'elle   tomba  d'elle-même  avec  le  Paganifme  ,  lorfque  la  niiuc.  infè- 

.    .  /  .  .  .  r  '       1        tieur»  ,  le 

Religion  Chrétienne  fut  triomphante  dans  toute  la  Celtique ,  fous  les  aomdeDr«i. 
Empereurs  devenus  Chrétiens. 

Perfonne  n'ignore  que  les  Gaulois  donnoient  à  leurs  Eccléfiaftiques  le 
nom  de  Druides.  "  C'eft  ainfi ,  dit  Pline  (148) ,  qu'ils  appellent  leurs 
»  Mages ,  »  c'efl-à-dire ,  leurs  Savans ,  leurs  Philofophes  &  leurs  Sa- 
crificateurs. Cluvier  cite  un  ancien  Gloffaire  (149) ,  dans  lequel  on  voit 
que  les  Saxons  qui  avoient  paffé  en  Angleterre,  appelloient,  en  leur  Lan- 
gue, un  Mage  Dry.  M.  Keyfler  a  montré  aufli  par  plufieurs  paffages  de 
la  verfion  Irlandoife  de  la  Bible ,  que  (150)  le  mot  Draoi ,  dont  le  pluriel 
eft  Draiothe  ,  fignifioit  dans  cette  Langue ,  un  Magicien ,  un  Enchan- 
teur. Enfin ,  M.  Rhotius ,  dans  une  Lettre  écrite  à  M.  de  la  Croze  (z  5 1)  , 
prouve ,  tant  par  la  chronique  de  Norvège  de  Snorron  Sturlœus ,  que 


ies. 


(145)  Tack.  Hift.  IV.  «  $ . 
(l4«)  Ci-d.  not.  U4. 
(»47)  Tacit.  Hift.  V.  2  2. 
^»4t)  Ci  delTous,  note  t(o. 

Tomt  IL 


y*£' 


(2*9)  Cluver.  G.  A.  p.  1*7. 
(150   Keyfler  Antiq.  Septent.  p.  17. 
(251)  Thefaur.  Epift.  la  Crofianiui  Tom.  \ 
330. 


5o(5  H  I  S  T  O  I  R  E    D  E  S    C  EL  T. ES, 

par  d'autres  autorités  ,  que  les  Peuples  du  Nord  appelloient  leurs  Sacri- 
ficateurs Druter  ou  Drotter.  Il  femble  que  l'on  peut  conclure  de-là  que  le 
nom  de  Druides  étoit  alTcûé  au  Clergé ,  non-feulement  dans  les  Gaules , 
mais  encore  dans  la  plupart  des  autres  Pays  de  la  Celtique.  On  peut , 
d'ailleurs  ,  confirmer  cette  conjefture  par  un  paffage  de  Diogéne-. 
Laërce,  qui  dit  152.)  «que  les  Druides  ont  enfeigné  la  Philofophie aux 
»  Celtes  &  aux  Calâtes.  »>  Les  Celtes  ,  diftingués  des  Calâtes ,  font  in- 
conteftablement  les  Germains  (z')3}.  C'efl  ainfi  que  ,  quand  l'Auteur  des 
Philofophumenes  dit  (i54)  que  «Zamolxis  enfeigna  aux  Druides  les 
»  principes  de  la  Philofophie  Pythagoricienne ,  »  il  eft  vifible  que  ces 
Druides  ne  font  pas  ceux  des  Gaules,  mais  les  Sacrificateurs  des Cétes,  qui 
faifoient  profcffion  d'être  les  Difciples  de  Zamolxis  (255). 
oripinedu  Savoir ,  après  cela,  quelle  étoit  proprement  l'origne  de  ce  nom  de 
des.  lin  dé-  Druïdis ,  c'eft  ce  qu'il  n'eft  pas  facile  de  deviner.  Dans  le  fonds,  lat 
Grec.  chofe  paroît  être  de  très-petite  importance.  Il  n'eft  pas  naturel  de  la  dé- 

<i^o  mj  river  du  mot  Grec  (156)  ^[Vi,  Drys,  qui  fignifie  un  chêne.  Il  femble  que 
■■   '"Diodore  de  Sicile  ait  approuvé  cette  étymologie  Grecque.  S'il  ne  s'eft 
pas  gliiTé  quelque  faute  de  Copifle  dans  cet  Hiflorien  ,  il  appelle  les 
Druides  Sarvides  (257)  ou  Saronides  (  1  j8  )  ,  &  le  mot  de  Xapanç  com- 


(251)  Ci-d.  §.  4.  not.  255. 
(1 S  î)  Ci-d.  Liv.  I.  ch.  «.  Init. 
(254)  Ci-d  Liv.  m   ch.  1 1.  §.  2.  not.  24. 
,(255)  Ci-d.  §.  10.  not.  91. 
'   (256)  Ce  n'eft  pas  fans  laifon  que  Diogene- 
Laërce  s'eft  moqué  de  ceux  qui  dc'tivoient  le» 
mots  Celtes   du  Grec.   Comment  les  Gaulois  , 
au   me'pris    de    leur   Langue ,   auioient-ils   été' 
puifer  chez  les  Grecs,  fans  favoii  le  Grec,  les 


gner.  I!  faut  donc  examiner  ,  s'il  y  a  ,  dans  la 
Langue  des  Celtes,  quelque  racine  dont  on  puifle 
avoir  fait  le  mot  de  Druides,  S'il  n'y  en  a  point, 
il  faut  conclure  que  le  nom  de  DruUei  étoit 
nouveau  dans  la  Langue  des  Celtes ,  Se  cher- 
cher quel  étoit  le  nom  que  ces  Peuples  don- 
noient  piimitivement  à  leurs  facrificateut>..îfojF. 
ci-dclTous  ,  not.  m.  Non  de  l'Editiur.  ■  Il  • 
2i7>  Diod-  Sic.  V.  2'  î.  M. Bochan  Geogl. S. 


noms  qu'ils  dévoient  donner  aux  chofes?  Pline  I  qui  fcmbleauflî  s'être  fervi  de  l'Edition  d'Henrj 
dit  qu'il  peut  patoître  que  le  nom  de  Druides  eft  j  Etienne,  i  lu  Zaprov/Vai  C'eft  ainfî  que  porte 
Viçnu    du    Grec  :  «4  apfelUiiinterpreiaiint  Gmci  '  l'Edition  de  Rhodoitjan  lib.  V.  pag.  308.  Vojex, 


HOSsrNT  DrHii*  videri.  La  conjerture  que  Pline 
n'adoptoit  même  pas  comme  conjefture  (ci-d. 
not.  iSo.  iSi.  )  ,.  fut  reçue  comme  une  chofe 
confta^ite  par  des  Ecrivains  qui  le  fuivirent 
Uos  critiques  qui  vont  tout  chercher  dans  le 
Grec  ,  ont  auffi  donné  cette  origine  comme 
te,rtaine.  Mais  une  fimple  réflexion  la  détruit. 
Avant  que  d'avoir  eu  aucun  commerce  avec  les 
Nations  étrangères ,  avant  que  d'avoir  connu 
W  Grecs,  les  CeKes  avoient ,  fans  doute,  des 
Miniftres  de  leur  Religion.  Ils  avoient  donc 
daas  leur  Langue,  quelçjue  nom  pour  les  défi- 


Frick  p.  .12.  D'autres  Ulent  Zaftuiif as  on  caftv- 
ytfas. 

(ïSf)  Diodpre  de  Sicile  eJ:  le  premier  qui 
ait  donné  3ux  Druides  le  nom  de  Stritiidts,  S'il 
n'y  a  pas  faute  dans  le  texte  ,  il  l'aura  fait,  fan» 
doute,  d'après  des  Ecrivains  Grecs  qui  croyoient 
le  nom  de  Druides  dérivé  du  Grec.  En  fait  d'c- 
tymologies, chacun  abonde  dans  fo«  fens.  C'eft 
le  ugement  de  St.  Aug^iftin.  Vi  jomnierum  in- 
irrfretttio  ,  il»  verhirum  ori^o  frtiu-jufqfn  infini* 

frddieAiur.  Note  df  y£diceac. 


,  ^:î  V  R  E    IV.  iGÎHA^P  I  T  ïl  e:  IV.  307 

me  ceïuî  de  Ap'^<,  lignifie  un  chêne.  Le  favant  Bcchart  fouicrit  à  cette 
étymologie.  «Je  fuis,  dit-il  (159),  du  fentinient  de  Pline  ,  qui  dérive 
»le  nom  de  Druide  du  mot  Grec  Dryos ,  ^?tcV.  »  Mais,  d'un  côté  , 
Pline  ne  dit  pas  ce  qu'on  lui  attribue»  Le  paffageque  l'on  peut  voiren  note, 
porte  fimplement  (160)  qvie  «  les  Druides  ayant  Wfie  gtandè  vénéra- 
wtion  pour  le  chêne,  on  pourroit,  fi  l'on  vouIoit(  161  ),  donner  au 
»  nom  de  Druide  une  étymologie  Grecque ,  parce  que  Drys  défigne 
»  un  chêne  dans  cette  Langue.  »  De  l'autre,  on  a  peine  à  comprendre 
que  les  Gaulois  aient  pu  donner  à  leurs  Sacrificateurs  un  nom  dérivé 
d'une  Langue  étrangère,  &  encore  plus  que  ce  hôm  ait  pii  parveniVà 
des  Peuples  qui ,  affurément ,  n'ont  jamais  connu  les  Grecs.  -i>ii  >« 

Au  refte,  ce  n'eft  que  l'étymologie  Grecque  du  nom  de  Drufdeqi^ 
l'on  croit  devoir  rejetter  ici.  S'il  eft  vrai  que  le  mot  de  Dcru ,  ou  Drw  , 
Derou  (i6i),  fignifiât  (263)  un  chêne  dans  la  Langue  Celtique ,  &  que  ce 


(259;  Bochart.  G.  S.  Part.  II.  lib.  I.  cap.  41 
pag.  740. 

(260)  Non  omittcnda  in  ea  re  Se  Galliarum 
admiratio.  Nihilhabent  Druidi  vifco  6c  arbore, 
in  qui  gignatur,  fi  modo  fit  robur,  facratius. 
Jam  pcr  fc  roborum  eligunt  lucos  :  iiec  ulla  fa- 
cra  fine  ea  fronde  conficiunt,  ut  inde  appellati 
quoque  interpretatione  Gtxci. pojfim  Druidac  vi- 
^eri.  P/(».  H>/?.  N«.  hb.  XVI.  caf.  44.  /««j.  3  tt. 
Il  y  en  a  quilifent  voctri  au  lieu  de  viicri  ;  ce 
qui  fait  un  fens  difFéient.  Par  la  leçon  que  j'ai 
«doptee,  Pline  dit  que  la  véne'ration  «que  les 
»  Druides  avoient  pour  le  chêne  peut  faire 
»  croire  que  ce  nom  leur  venoit  par  alluCon  du 
»  mot  Grec  Ayst/ot,  Drjiw.qui  fignifi'e  «n  cfc/- 
n  «.»  Pat  l'autre  leçon,  l'Hiftorien  croit  que 
1  on  peut  donner  une  interprétxnon  Grecque  au  mol  df 
Druide.  Mais  la  première  leçon  me  paroît  être 
la  ve'ritable,  &  il  faut  lire  videri.  Sam  cela  le 
nottffelUii ,  qui  pre'ce'de,  ne  fignifieroit  rien  & 
devroit  être  retranche'.  Je  crois  donc  que  ceux 
qui ,  les  premiers,  ont  lu  vccuri ,  l'ont  fait  par 
efptit  de  fyftême  ,  fans  faire  attention  que  la 
phrafe  ne  permcttoit  pas  de  fubftituetei  mot 
à  videri.  Uote  de  t  Éditeur. 

(251}  Pline  ne  dit  pas  que  Von  pourroit  ,ft  Von 
vtutoit,  faire  de'tiver  le  nom  de  Druide  du  mot 
Giec  Drjrj ,  mais  que  lei  Dr:iidtt  ayant  une  trei- 
irtnde  vénération  four  le  chêne  ,  il  peut  fariîiri  à 
ceux  qui  ignorent  l'origine  du  no.nj  de  Druide 
aM'il  dérive  du  Gril  i  de  la  même  mi.<iièie  que 


rlutr.rque  qui  étoit  ignorant  dans  la  Langue 
Hébraïque  a  cru  que  le  SMathum  des  Juifs  ve. 
noit  de  ce  que  ce  jour  e'toit  confacre'  à  Jupiter  Sat- 
iatiui ,  &c  que  Sttabon  a  écrit  que  les  Germaini 
avoient  reçu  ce  nom  parce  qu'ils  e'toient  frerei 
des  Gaulois.  Cette  remarque  pleine  de  fens,  eft 
d'Egide  Bûcher.  Pliniui  ,  dit  cet  Auteut  ,  nom 
exferte  a^rmat  Druidas  appetlatione  Graca  ftc  diâoi  , 
fed  iià  ijuercum  amajfe  ,  ut  indc  interpretatione 
Grzcâ  appellati  videri  poDînt;  in  fcilicct,  qui 
Dniidarum  criginem  aliunde  i^norarent.  Iià  Vlutar- 
ihus  Hehraici  Lin^ua  prorfus  i^rarut ,  judatcam  vo-' 
eem  Sabbathum  à  Jot-e  Sabbatliio  dérivât.  Iri 
StraOo  Germanos  à  Gcrmanâ  Gallorum  fratemitait 
diSlos  fcrihii.  Kiàieule  Timidiui  hic  Plinius  ^  eotjue 
tautiui ,loqniiur.  S.%ii.  Buch.  Belg.  Rom.  lib.  V, 
cap  3J  $  ».  cdît.  Leodii  lia.itiM.  Noti  i* 
l'Editeur. 

(16:)  Dcrven  ,  Dcrvenmu  ,  Derilinned ,  Deru  , 
Derxi',  uq  chêne  Diclionn.  de  Roftren.  pag.  i  «o. 
Bochart.  G.  S.  p  741.  Edm.  Dickinfon  Delph. 
Phïniciff.  p.  iS8.  Frick.  de  Druid.  p.  9  Toland 
ap.  Bruckcr.  Hift.Ctit.  Philof.Tom.  H.  p.  107J. 
Keyller,  Antiq.  Sept.  p.  3  i  J. 

(263)  Il  eft,  fans  douie  ,  bien  plus  raifon- 
nable  de  dériver  le  nom  deDrK;iitdu  mot  Celte 
Deru  ou  Derou  ,  que  de  le  faire  venir  du  Grec. 
Car  il  eft  bien  plus  probable  que  le  mot  Gtec 
Apvi ,  Dryi ,  qui  fignifie  un  chêne  ,  vient  de 
Dru,  qui  ,en  Celte  ,  veut  d:re  la  même  chofe  , 
(^Ue  de  c'ioiie  que  les  Celtes  ont  e'té  puifcidan» 


3o8  HISTOIRE    DES    CELTES, 

mot  fe  foit  confervé  jufqu'à  préfent  dans  le  Bas-Breton  &  dans  le  Gal- 
lois ,  il  fera  fort  inutile  de  chercher  dans  une  Langue  (164)  étrangère,  l'o- 
rigine d'un  nom ,  qui  fe  tire  naturellement  de  la  Langue  que  les  Gaulois 
parloient.  Les  Peuples  Celtes  tenoient  leurs  Affemblées  Religieufes  dans 


le  Grec  ,   qu'ils  ignoroient ,  le  nom  pat  lequel 
ils  ont    de'figne'   leurs   Prêtres  ,    tandis   qu'ils 
avoient ,  dans  leur  Langue ,  un  mot  qui  leur  en 
fourni flbit  Vidée.  Frick,'C<"nmeni.  deDruidiiclf  i. 
§.  2.  p.  27.  edit   Ulmz  i  744.  Cependant,  je  ne 
crois  pai  que  l'ordre  entier  des  Prêtres  Celtes 
tirât  fon  nom  de  celui  des  arbres  fur  Icfquels  ils 
"cueilloient  le  Cki.  Cette  circonftance  du  culte 
Religieux   ne  me'ritoit  pas  beaucoup  d'atten- 
,tion  ,  9c  avoit  e'te'  introduite  par  le  Charlata- 
nifme  des  Dmides.  Les  Celtes  &  leurs  Prêrres 
n'c'toient  pas  les  feuls  qui  euflent  une  ve'ncra- 
tion   particulière   pour  les  chênes,   8c  qui  ai. 
inaflcnt   i  habiter  les   forêts.  On  voit  que  cet 
ufage  fut   adopté  par  toutes  les  Nations  qui , 
«lès  le   commencement  du  monde,  fe  rc'pandi- 
rent  dans    l'Univers.  Nous  Hfons  ,  non-feule- 
ment dans  Virgile   8c  dans    les  autres  Poètes  , 
mais  encore  dans  les  Livres  Sacre's ,  que  pref- 
que  tous  les  Peuples  deraeuroient  dans  des  fo- 
lèts,  qu'ils  facrifioient  dans  ces  lieux  folitaires, 
&  qu'ils  y  faifoicnt  les  autres  chofes  ^i  appai- 
tenoient  au  culte  Religieux.  Ce  n'eft  pas  fans 
laifon,  que  les  premiers  hommes  avoient  de  l.i 
yénération  pour  le  chêne.  Cet  arbre  ptoduifoit 
la  nourriture  dont  ils  fe  nourrifToient  ;   il  les 
garantiflbit  des  injures   de  l'air  par  fon  c'pais 
fueillage  ,  8c  par  fes  branches  qui  s'étendent  au 
loin.  La  majefte'  de  cet  arbre   infpira  donc  aux 
àommes  une  forte  de  vénération  ,  qui  les  porta 
'naturellement  à  faire  leurs  demeures  dans  les 
forêts  de  chênes  ,  Se  ,  par  conféquent,  à  y  ren- 
dre le  culte  dû  à  la  Divinité,  tant  qu'ils  nefe  fu- 
ient point  faits  d'autres  habitations,  8c  qu'ils 
ne  connurent  d'autre  nourriture  que  le  gland. 
Lots  même  que  les  hommes  fe  furent  bâtis  des 
cabanes  ,  ils  ne  quittèrent  pas  pour  cela  les  fo- 
rêts qui  pouvoient  feules  protéger  des  logemen» 
mil  conftruits  contre  la  force  des  tempêtes.  Ce 
ne  fut  qu'à  mcfure  que  les  Arts  s'introduintent 
(c  fe   perfeftionncrent  que  les  hommes  quittè- 
rent leurs  retraites  pour  fe  conftcuire  des  cha- 
lîots  où  ils  habitoicnt  avec  leurs  familles.  Mais 
alors  même  ,   8c  lorfqu'ils  eurent  découvert  la 
{jopriét^  du  bled,  ils  confctvetent  toute  Icui 


vénération  pour  un  arbre  qui  leur  avoit  été  S 
utile  ,  8c  continuèrent  à  faire  leurs  affemblée» 
civiles  Se  religieufes  dans  les  forêts  de  chênes. 
Cet  ufage  étoit  donc  généralement  adopté  pat 
toutes  les  Nations  dans  les  premiers  tems,  tou- 
tes avoient  le  même  refpert  pour  le  chêne.  Le» 
Oracles  des  Druides  n'étoient  pas  plus  célébies 
que  celui  de  la  forêt  de  Dodone.  Ce  dernier 
eft  également  célébré  par  les  Poètes.  Claudiea 
de  Uudihm  Jlilicotiis  lib.  I.  dit  des  uns  : 
....  Hctcyniam  lîlvam ,  lucofqiie  vetufta 
RcUigiane  truces ,  Se  robora  nuraiais  inflar. 

Virgile  dit  de  l'autre  : 
Sicuti  niagna  jovis  antiquo  roboce  qu:rcus 
Ingentei  tendât  tamos.  Georg.  III. 

....  Qiules  cum  veriice  Celfo 
Acriz  quctcus ,  aul  coniferz  cyparillî 
Conftitu«rani ,  filva  alta  jovis,  lucusre  Dianz. 

JEneid.  m. 
Enfin  le  Seigneur  fait  ces  menaces  aux  Ifra&. 
lites,  par  l'organe  du  Prophète  ZzechieUhap.  VI. 
I  3.  «  Vous  faurez  que  je  fuis  le  Seigneur  ,  lorf- 
»  que  vos  corps,  morts  8c  tout  fanglans,  feront 
»  étendus  au  milieu  de  vos  Idoles,  autour  de 
»  vos  Autels,  autour  de  vos  Collines  élevée»  fit 
»  fur  vos  hautes  Montagnes,  fous  tous  vos  ar- 
»  bres  chargés  de  feuillages  ,  feus  nui  vos  thcnes 
»  ttufus ,  8c  dans  tous  les  lieux  où  l'on  fentoit 
»  auparavant  l'odeur  de  l'encens  que  vous  brû- 
»  liez  en  l'honneur  de  vos  Idoles.»  Les  Druides 
n'ont  donc  pas  été  les  feuls  qui  ayent  eu  de  la 
vénération  pout  le  chêne.  Si  pouquoi  leur  nom 
fero'ir-il  plutôt  venu  du  culte  qu'ils  rendoient 
à  cet  arbre  ,  que  celui  des  Prêtres  des  autres 
Nations  ?  Ncie  di  l'Editeur. 

(164;  L'origine  du  nom  de  DruïJes  a  viri^ 
félon  le  goût  des  Ecrivains.  On  a  refuté  l'opi- 
nion de  ceux  qui  le  font  venir  du  Grec.  Jean 
Picard  ,  dans  fa  Celto-fe'die  Liv.  II.  prétend  que 
les  Drutdei  ont  retenu  ce  nom  d'un  Prince 
Druide  ou  Dryus ,  inconnu  à  toute  l'antiquité, 
ôc  qu'il  fait  le  quattièrae  ou  le  cinquième  R.oi 
des  Gaulois.  D'auttes,aufli  peu  raifonnables,dé- 
livent  k  aom  de  Druide  de  l'Hébreu  Verujfim , 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    IV.  309 

des  forêts,  &  fur-tout  dans  des  forêts  de  chêne.  Ils  choififfoient  or- 
dinairement un  grand  chêne  pour  être  le  fimulacre  de  Jupiter,  c'eft-à- 
dire,  du  Dieu  Suprême.  Dans  les  facrifices  &  dans  les  autres  cémonies 
de  la  Religion  (165) ,  le  Sacrificateur  avoit  toujours  quelque  branche  de 
chêne  dans  la  main,  ou,  félon  d'autres,  fur  la  tête,  en  forme  de  cou- 
î.  Si  l'on  ajoute  à  cela  que  le  Clergé  faifoit  fa  demeure  dans  les  fo- 


ronne. 


DruJJHm,   OU  DriJJim,  qui  fignifie  emtmfUitur. 
Mais  quelle  relation  y  avoit-il  entre  les  Hé- 
breux &  les  Celtes  f  Arnold  Montan  fait  venir 
le  nom  de  Druide  du  mot  Dry ,  parce  que  les 
Saxons  c'tablis  dans  la  Grande-Bretagne  ,    le 
Siège   du  Druidifmt  ,  appelloient   leurs  Prêtres 
Dry.  Mais  les  Saxons  ne  conquirent  la  Grande- 
Bretagne  que  vers  le  milieu  du  Ve.  fîe'cle  :  d'où 
venoit  donc  le  nom  de  Drji  Ne  feroit-il  pas  lui- 
même  le  nom  de  Driude  pat  corruption  î  Quel- 
ques-uns font  defccndre  ce  nom  de  Drus ,  qui , 
«nvieux  Langage  Britannique, veut  dire  Démon, 
Musicien.  Mais  les  anciens  Celtes  n'adoroient 
point  le  Dtmon,  &  on  les  auroit,  certainement, 
ofTenfés,  fi  l'on  eut  appelle  leurs  DruUii,  les  Mi- 
nières du  Ditblt.  La  Magie  n'avoir  point  cher 
eux,  la  même  fignification  qu'on  lui  adonné 
depuis.  Tout  ce  que  les  Druides  faifoient ,  ils 
Je  pratiquoient  au  nom  de    Dieu  &   en  vertu 
de  la  puiflance  Se  des  connoiffances  qu'ils  pré- 
tendoiem  avoir  reçues  de  lui.  Palthenius  penfa 
que  le  nom  de  Druide  eft  formé  du  fubftantif 
Germanique  Druihin ,  qui  veut  dire  (?  St/j^nr  , 
D<(«;  de  forte  qu'on  appella  les  Druides  Dr«- 
/t«  ,  &  en   faifant  fonnet   davantage  le   mot, 
Druthd  ou  Druidoi,  ap.  Schiller.  Tom.  J.  Antiq. 
Teuton,  p.  ii2.  Maison  n'allègue  aucune  rai- 
fon  fuffifante  pour  que  nos  Pères  ayent  dcTigné 
Dieu  &  tous  leurs  Picttes  par  un  feul  &  même 
nom.  Un  grand  nombre  de  Savans  donnent  pour 
etyraologie  du  nom  de  Drmde  le  mot  Hibernois 
Z>riii,  par  corruption  Droi  &  Dr»ui,  qui  défi- 
gne  une  petfonne    facrée.  Théodore  Hafée ,  de 
True  ,  qui  veut  aire  foi ,  fidélité'.  Grotius  a  adopté 
la  même  étymologie.  Voici  comment  il   s'ex- 
plique, u  DreiluifDruchr-ulf.  Fidclis  auxiliator. 
wDruch,  &  Trud,  Trouve,  fides,  Truchten  , 
»i  Dominus.  Sxpc  occurrit  in  Novo  Teftamento 
»  vctere  Germano.   Truchtin   in   gloflario  ,  & 
»  nunc  quoque  Suedis  Reginà  Drog-niag  ;  pu- 
j»  to  ,  quad  fides  ei  data  fit  :  ut  qui  fidem  de- 
t>  dejunt  Druda,  Drudi,  Druid<ii,  o  Hijict.  Gith. 


Vtni.  &  Lanioliard.  p.  I  >t.  Sebaftien  Rovillard  , 
dans  fon  Hijloire  de  Chartrei ,   foutient  que   le 
mot  Dru  eft  un  mot  Celtique  qui  <îgnifioit/rr- 
jmeniem,  erehrum  ,  denfum.   Comme   les  Prêtres 
des  Celtes   demeuroient  tous   dans  le   même 
Collège  Se  formoient  une  efpcce  de  fociété,  ils 
furent  appelles,  en    Gaulois,  les  Drus;  ce  qui 
les  fit  nommer  par  les  Latins  &  par  les  Grecs 
Druides  ou  Drufides.  Rovillard  apporte  en  preuve 
de  fon  fiftême  que  la  Ville  des  Druides ,  qui  • 
depuis  été  nommées  Dreux ,  s'appelloit,  autre- 
fois, l*  Ville  des  Drus.   Il  faut  avouer  que  cer- 
tains Auteurs  comptoicnt  fingulièrcment  fur  la 
fimplicité  de  leurs  Lecteurs,  pour  leur  débiter, 
avec  un  ton  d'aflurance,  les  chofcs  les  plus  dé- 
nuées de  fondement.  Le  nom  des  Druides  doit 
avoir  ,  ce  me  femble ,  une  origine  qui  ait  un 
rapport  eflentiel  à  la  ptincipale  fon^ion  de  c*s 
Prêtres  qui  étaient  regardés  comme  les  feuls 
interprètes  de  Dieu  ,  comme  les  feuls  dont  le 
Souverain   Etre  écoutât  la    voix  ,  &   i   qui  il 
déclarât  fes   volontés.  Ainfi  Diodore  de  Sicile 
les  défigne  par  le  nom  de  ThéoUiiens ,  &  dans 
les  Poefies  du  Ve.  &  du  Vie.  Cécle,  c'eft-à-dirc, 
dans  un  tems  ou  la  Religion  des  Druides  n'é- 
toit  pas  encore  tout-â-fait  détruite,  il  eft  parle 
de  ces  Prêtres  fous  le  nom  de  Derouyden  au  plu. 
riel  &  Derouyd  «u   fingulier.  Ce  nom  eft  formé 
f«K  deux  racines  Celtiques    Di  ou  Di  Dieu, 
&  RoMjd  ou  Raydd,  participe  du  yerhe  Rajddeism 
ou  RoKj)i<(i»m ,  parler  ,  dire ,  haranguer,  foutenir. 
Par  cette  étymologie,  Derouyd  ou  Dirouyd  t  la 
'  même  lignification  que   le  &i»\iy^s  des  Grecs  , 
Thîohiien.  Au  reftc  ,  comme  l'ont  fort  bien  ob- 
fervé    les    favans   Bc'nédiclins    qui    ont    publia 
l'Hiftoire  Littéraire  de  la  France  :  «  Qu'importe 
»  de  rechercher  fi  fcrupuleufement  l'étymolo- 
»  gie  du  nom  de  ces  Savans  |les  Druïdes),pout 
»  vu  que  nous  fâchions  qu'ils  étoient  ?  C'eft  U 
»  le   principal ,   8c   ce  qui  doit  nous  fiiffiic.  » 
Non  de  l'Editeur. 

(2<5)  Ci-d.  note  ifo. 


Bu  nom  de 
V'jtcs, 


^33ro  H  I  S  T  O  I  RE    DESCELTES, 

-rets  cohfacrces,  il  fera  facile  de  comprendre  pourquoi  on  donnoit  aux 
.gens  d'Eglife  une  dénomination  prife  du  chêne.  Le  paflage  de  Pline,  au 
lieu  de  combattre  cette  étymologie,  femble  au  contraire  l'appuyer.  Cet 
-Auteur  qui  s'exprime,  ordinairement,  d'une  manière  fort  concife,  a 
voulu  dire  (166)  que  les  Gaulois  ayant  une  grande  vénération  pour 
le  chêne,  &c  en  employant  les  branches  dans  toutes  leurs  cérémonies 
facrées,  donnoient,  par  cette  raifon,  à  leurs  iMages  un  nom  emprunté  de 
■cet  arbre;  &  que  les  Grecs  auffi  donnant  au  chêne  un  nom  parfaitement 
femblable  à  celui  qu'il  portoit  dans  les  Gaules ,  on  peut  donner  égale- 
ment une  interprétation  Grecque  ou  Gauloife ,  au  nom  de  Druide.  Dans 
l'une  &  dans  l'autre  Langue  ,  il  fera  toujours  dérivé  du  chêne. 

Diodore  de  Sicile,  parlant  des  Sacrificateurs  Gaulois ,  les  appelle  (167) 
Ma'vTs/ç,  c'eft-à-dire ,  Devins ,  parce  que  les  divinations  étoient  eifec- 
tivement  la  partie  la  plus  eflentielle  &  la  plus  lucrative  de  leur  mi- 
niflère.  Strabon  qui  écrivoit  aufli  en  Grec ,  n'a  pas  laifle  de  défigner  ces 
mêmes  Sacrificateurs  fous  le  nom  de  Vaus  ,  'ovÛtuç  ,  qui  fignifie  auffi  des 
Devins.  Peut-être  que  le  nom  de  Plates ,  comme  plufieurs  autres  mots 
Latins ,  avoit  pafle  dans  la  Langue  Grecque  du  tems  de  ce  Géographe. 
Peut-être  auffi  qu'il  a  eu  quelque  raifon  particulière  de  conferver  le 
nom  de  VauSy  tel  qu'on  l'avoit  trouvé  dans  les  Mémoires  fur  lefquels 
il  écrivoit.  Ce  qu'il  y  a  de  confiant,  c'eft  que  le  mot  eft  Latin.  Comme 
Ammien-Marcellin  a  fuivi  Strabon  dans  ce  qu'il  dit  du  Clergé  Gaulois , 
on  peut  remettre  fûrement  le  mot  de  Vates  dans  cet  Hiftorien  ,  au  lieu  de 
celui  (z68)  ^^uhages  ou  à!Eubagcs ,  qu'on  lit  dans  les  éditions  commu- 
nes ,  &  qui  eft  certainement  xme  faute  du  Copifte.  Cette  correâion , 
qui  eft  de  Cluvier  (269) ,  eft  beaucoup  plus  naturelle  que  celle  de  du 
Valois  (270)  qui ,  corrigeant  Strabon  par  Ammien-Marcellin ,  veut  qu'on 
life  dans  le  premier  'ouàyen ,  au  lieu  de  'ou*t//ç  (271). 

Au  refte  ,  l'on  prétend  que  les  mots  de  Fates ,  Fadus,  Fada  (272)  , 
défignoient  un  Devin  ,  une  Femme  infpirée,  non-feulement  dans  la  Lan- 
gue des  Aborigines  qui  étoient  les  anciens  habitans  de  l'Italie,  mais  aufli 


(î««j  Ci-d.  notes  2sS-z<o.  &  x«i. 

(ÏS7I  Ci-d  S-  i4-  not.  I41. 

(25s)  Ci-d.  §.  14.  not.  t|t. 

(t*9)  Cluv.  Geim.  Ant.  p.  isj. 

(»7oj  Not.  ad  Amm.  Mate,  lib.  XY.  câp.  >. 


(171)  Jean  Saubert  ie  Siurificiis  tuf,  VU.  f. 
m.  i6t.  lit  £u0a>Ei(  au  lieu  de  'Ovalrai. 

(171)  Eccard.  Przfat.  ad  Leibnitz.  ColleA. 
pag.  S.  Keyfleip.  3  3-3  5. 


LIVRE     IV.    CHAPITRE    IV.  311 

parmi    les  Celtes.    La    chofe   eft  certaine  par  rapport   aux  premiers , 

comme  on  peut  le  voir  dans  un  paifage  de  Juilin  (173).  On  n'oCeroit  pas 

en  dire  autant  des  Celtes.  Aufone  remarque,  à  la  vérité,  que  les  Gau-  ^ 

lois  attribuoient  aux  Prêtres  d'Apollon  le  nom  de  Paiera  (  274  )  ;  mais  il 

fembleque  l'on  entrevoit  plutôt  dans  le  partage  que  les  Celtes  donnoient 

à  leurs  Prctres  le  nom  de  Pens ,  comme  ils  donnoient  aux  Prêtreffes  celui 

de  Mères  (275).  Cependant  M.  Keyfler  a  prouvé  que  les  mots  de  Faidh 

(276)  &  de  Thada ,  fignifient ,  en  Irlandois ,  un  Prophète  &  une  Prophê- 

tefle.  Il  faudroit  entendre  affez  cette  Langue  ,  pour  être  en  état  de  juger 

fi  elle  eft  dcrivce  de  la  Celtique.  Il  faudroit  favoir  fi  ces  mots  qui  fe 

trouvent  dans  la  verfion  Irlandoife  de  la  Bible,  font  anciens  ou  modernes 

dans  cette  Langue.  Abandonnons  donc  la  queflion  à  ceux  qui  entendent  la 

matière ,  &  qui  font  curieux  de  ces  fortes  de  recherches  étymologiques. 

Diogcnc-Laërce ,  dans  un  partage  déjà  cité  (  1 77) ,  dit  que  «  la  Philofo-  De  celui  Je 
»  phie  doit  fon  origine  aux  Druides  &  aux  Semnothées  parmi  les  Celtes 
»  &  les  Calâtes.  »  On  a  cru  pouvoir  conclure  delà  que  les  Gaulois 
avoient  un  Ordre  d'Eccléfiaftiques  qu'ils  appelloient  Semnothées.  Au 
moins  Ménage  rapporte  (278)  la  remarque  d'un  Commentateur,  nom- 
mé Johannes  GaLeJius,  qui  lifoit  dans  cet  endroit  lauv'nu^,  au  lieu  de 
iffA-vlliicç ,  &  qui  prétendoit  que  ces  Samnitce  étoient  les  Prophétertfes 
de  l'île  de  Sayne,  que  Strabon  appelle  Samnidcas  (279),  &  Denis  le 
voyageur ,  Amnltas  (280).  La  conjefture  de  ce  Commentateur  paroît 
très-vaine  ,  &  fa  corredion  tout  à  fait  inutile.  2e/xrt6fcç  eft  un  mot 
Grec  qui  fignifie  Devin ,  un  homme  qui  interprête  les  chofes  divines. 
Diogéne-Laërce  a  donc  voulu  dire  que  les  Druides ,  &  en  particulier  , 
les  Sacrificateurs  qui  préfidoient  aux  divinations ,  enfeignoient  la  Philo- 
fophie  parmi  les  Celtes  &  les  Gaulois.  Le  meilleur  Commentaire  de  ce 
paflTage  eft  celui  de  Suidas  qui  dit  (281  )  que  «  les  Gaulois  donnent  le 
»nom  de  Druides  à  leurs  Philofophes  &  à  leurs  Semnothées  (281), 
»c'eft-à-dire,  a  leurs  Devins.  » 


(173)  Juftin  XLIII.  i.  Comme  les  Devins 
le'pondoienc  orainairoment  en  vers,  à  ceux  qui 
vcnoieHt  confulter  l'Oracle.  Les  Latins  doiinc- 
lent  auûi  aux  Poètes  le  «om  de  Vniti.  Varro  de 
Linguà  Latinâ  lib.  VI.  p.  73.  Servius  ad  Aneid. 
VIL  V.  y .  Le  mot  de  F«  tire  ,  félon  les  appa- 
rences ,  fon  origine  de  celui  de  I*i»  ou  de 

tttH». 

î,  J»7+)  Aufon.  Profcff".  IV.  p.  50. 


(27s)  Keyfler  Ant.  Sept.  p.  571.  &  feq. 
(176)  Ibid.  p.  3<5. 
{z77J  Cl-d  §.  4.  not.  zz. 
(Z78)  Not.  ad  Diog.  Laert.  Tom.  I.  p.  j.  4. 
(179)  C4-d.  Liv.  III.  ch.  8.  §.  iz.not.  Xtû  '■ 
(180]  Ibid.  not.  izo.  ■ ''   ■' 

(i8  1)  Suidas  in  voce  Dryidn. 
(zSz;  Selon  ceitains  Auteurs,  Sttmtihes ,  frère 
l  ou  fils  de  Gomer,  &  neveu  de  Japhet,  fut  e't»- 


te  Clerpc  des 
Celte»  etoit 
habité  'ie 


3 II  HISTOIRE    DES    CELTES, 

§.  XX.  A  regard  de  la  manière  dont  le  Clergé  s'habilloit,  il  eft  cer- 
tain (iSj)  que  les  Druides  prenoient  des  habits  blancs  pour  cueillir  le  Gui- 
de chêne,  &  cette  autre  plante  appellée  Selago  (184),  à  laquelle  i's  at- 
tribuoient  de  très-grandes  vertus  ;  de  forte  qu'il  y  a  toute  apparence 
que  c'étoit-là  leur  habit  de  cérémonie.  (185),  l'habit  qu'ils  avoient  cou- 
tume de  porter  pendant  le  fervice. 

L'Auteur  de  la  Religion  des  Gaulois  dit  quelque  chofe  de  plus  (286)  : 
«Dans  toutes  les  cérémonies  de  la  Religion  ,  les  Druides  portoient 
»'  toujours  de  longues  robes  blanches  ,  rayées  de  pourpre  ,  en  telle 
«  forte  que  ces  rayes  alloient  fucceffivement  en  diminuant  de  part  6c 
»  d'autre ,  in  modum  orga/ù  utrimquc  decrefcentibus  virguUs  purpunis.  >* 
Mais  ces  particularités  ne  paroiflent  point  fondées.  Les  Gaulois  ne  por- 
tèrent point  de  robes  longues  ÇTogas) ,  avant  que  d'avoir  été  fournis  par  les 
Romains  (187),  &c,  félon  les  apparences,  les  Druides  qui  demeuroient 
dans  des  forêts ,  &  qui  étoient  attachés  à  leurs  anciennes  coutumes , 
les  prirent  plus  tard  que  les  autres  (  188  ),  Effeftivement ,  Pline  qui , 
ftul ,  a  parlé  de  l'habillement  des  Druides  ,  leur  donne  des  tuniques 
(289),  des  fayes,  comme  les  autres  Gaulois  en  portoient,  &  non  des 
robes  longues.  Le  même  Auteur  dit  Amplement  (  190)  que  «  le  Druide 
»  qui  coupoit  le  Gui  de  chêne  avoit  un  habit  blanc ,  &  qu'il  recevoit 
»  ce  préfent  des  Dieux  dans  un  faye  de  la  même  couleur,  »  Au  lieu  que 


bli  Roi  des  Gaules  pat  Gomei  environ  140  ans 
aptes  le  de'luge.  Ce  Monatque  fut  le  premiei 
inftituteut  des  Letttes ,  de  la  Philorophie  &  de 
ÏAihologie  ;  il  enfeigna  auffi  le  ptemiet  l'im- 
moitalite  de  l'ame.  Pout  perpc'tuet  cette  Doç- 
tiine  ,  il  e'rablit  un  ordre  de  Préties  qui  reçu- 
rent le  nom  de  Sumothca.  Sarron  fut  le  ttoifième 
Koi  des  Gaules,  Il  c'toit  neveu  de  Stmoihei  & 
fils  de  M.»gus  ou  Ma^of,  duquel  les  Muget  &  1^ 
M^iii  ont  pris  leur  nom.  Surron  inftitua  un  Col- 
lège de  Philofophes&  de  The'ologjons,  qui  furent 
appelles  S*Trmiiti,  Sardui  régnoit  dans  les  Gaules 
vers  l'an  zii6.  du  monde  ,  1885.  ans  av.  J.  C- 
Il  établit  la  Société  des  Bardes ,  &  des  Chantres 
Gaulois.  De-là  vient  le  nom  de  Momhard  que 
porte  un  bourg  de  Bourgogne, comme  quidiroit 
laA^ontagneoccupe'e  par  les£drfi».Czfar.  Egaf. 
SuUoei  Hift.  vetetum  Acad.  Galliz  Diuidic.  cap. 
I .  Ces  fottifes  fe  réfutent  d'elles-mêmes.  On  ne 
Ici  tappoite  que  pour  faire  voir  que  Ict  hgmmes 


[  font  eapablesd'adopter,  de  cre'er  même  les  idc'es 
les  plus  abfurdes.  Non  de  l'£diteur, 

(213)  Plin.  Hift.  Nat.  lib.  XVI.  cap.  4+. 
pag.  3  11. 

(2S4)  PHn.  Hift.  Nat.  lib.  XXIV.  cap.  u, 
pag.  341. 

(lîj)  Cet  habit  e'toit  de  lin  8c  e'toit  delHn^ 
aux  mêmes  ufages  que  les  futplis  ou  les  aube* 
dans  l'Eglife  B.omaine. 

(2S«j  Kelig.  des  Gaukpis  ,  Liv.  ^.  p.  91. 

(187)  KojiM.  ce  qui  a  e'tc  dit  de  la  manière 
dont  les  Peuples  Celtes  e'toient  habillés  ci-d, 
Liv.  II.  ch.  7.  init. 

(aSt)  De  même  le  Cierge  Chrétien  ne  crut 
point  devoir  quitter  la  robe  longue ,  lorfque 
les  Laïques  reprirent  les  habits  courts.  Ntit  i$ 
l'Ziùeur. 

(2S9]  Ci-d.  not.  z83.  zt4. 

(asic)  Ci-d.  not.  a<3. 

0 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  TR  E    IV.  515 

te  n'eft  pas  des  Druides ,  mais  des  Gaulois  en  général ,  &  fur-tout  des 
grands  &  des  riches,  que  Diodore  de  Sicile  &  Strabon  difent  (i9i> 
qu'ils  étoient  magnifiques  dans  leurs  habits ,  qu'ils  faifoient  broder  fur 
leurs  fayes  &  fur  leurs  tuniques  des  bordures ,  des  rayes ,  des  car- 
reaux ,  chargés  d'une  infinité  de  fleurs  &  d'ornemens  de  toute  forte  de 
couleurs  ,  mais  principalement  de  pourpre. 

Pour  ne  rien  avancer  fans  preuve,  il  faut  donc  s'en  tenir  à  ce  que  dit 
Pline  ,  que  dans  les  folemnités  ,  les  Druides  étoient  habillés  de  blanc.  Le 
Clergé  des  autres  Peuples  Cehes  avoit  cela  de  commun  avec  celui 
des  Gaulois.  Strabon ,  parlant  des  PrêtrefTes  Cimbres,dit  (^92.)  qu'elles 
étoient  habillées  de  blanc,  &  qu'elles  portoient  des  fayes  de  toile  que  l'on 
attacholt  fur  l'épaule.  On  ne  peut  guères  douter  que  les  Prêtres  ne  fuf- 
fent  habillés  de  la  même  manière.  Tacite  (193)  remarque  expreffément 
que  «l'habit  des  femmes  Germaines  eft  parfaitement  femblable  à  celui 
»>  des  hommes ,  ncc  alius  fxminis  quàm  viris  habitas  ,  excepté  qu'elles  font 
»  communément  vêtues  de  toile  de  lin  ,  brodée  de  pourpre,  qu'elles 
w  n'ont  point  de  manches ,  &  laiffent  voir  outre  leur  bras ,  ime  partie  de 
»leur  fein  (X94).  »  On  lit  aufli  dans  Jornandcs  (195)  ,  que  Philippe,  Roi 
de  Macédoine  ,  afiiégeant  la  Ville  d'Udifitane  en  Méfie  ,  les  Prêtres 
Goths  vinrent  au-devant  des  Macédoniens  avec  des  guittares  &  des  ha* 
bits  blancs,  &  obtinrent  que  le  fiége  i\iX  levé.  Enfin,  Diogéne-Laërce 
remarque,  après  des  Auteurs  plus  anciens,  que  (296)  les  Mages  des 
Perfes  ne  s'habilloient  que  de  blanc. 

Il  importe  peu  de  fàvoir  pourquoi  le  Clergé  Celte  préfcroit  cette  cou- 
leur à  toutes  les  autres.  Mais,  quand  on  voit  les  Prêtreiïcs  des  Bretons 
(297)  prendre  des  habits  noirs  pour  dévouer  l'armée  ennemie,  il  femble 
que  l'on  entrevoye  là -dedans  que  ces.  Peuples  étoient  dans' la  même 
idée  que  les  autres  Payens  ,  qui  croyoient  que  le  noir  étoit  propre  pour 
les  maléfices  (298),  &  le  blanc  pour  la  magie  naturelle  &  innocente. 


(291)  Ci-d.  Liv,  II.  ch.  7.  not.  77.  &  y». 

(29i)Ci-d.  ch.  II.  $.  4.  not.  I94. 

(293)  Tacit.  Gcrm.  17. 

(4,94;  Cet  ufage  s'eft  confervé  en  Saxt ,  en 
Frufle  &  en  Livonie.  Les  femmes  y  portent  des 
cbemifes  fans  «nancht  ,  &  UiiTcnt  leur  gorge 
à  découvert. 

(a9s)  Joriiand.  cap.  X.  p.  <Z4. 

(lyS)  Diog.  Laert.  Ftoeta. 


(297)  Ci-d  $.  1  8.  not.  199. 

(29!^  Les  Prêtres  Celtes  ne  connoifloicnl 
point  ce  qu'on  appelle  la  Migie  noire  ;  ils  n'in- 
voquoicnt  point  les  Dcmons ,  du  inoins  avant 
que  leur  Religion  eût  e'té  jlte'ite  par  le  com- 
merce avec  les  nduvc.iu.ï  Grtcs-;  leur  pourvoit 
venoit  de  Dicu.c'eft  lui  fcul  qu'ils  invcquoient; 
c'eft  en  fon  notu  qu'ils  prctcndoient^ /aire  tant 
de  chofts  furptenautes  :  c'eft  à  iui  qu'ifs  facri- 


Tomi  II,  R  r 


Be  l'aboli» 
liondesDruï- 
àet  dans  les 
Caulci. 


^ï'4  HISTOIRE    DES    CELTES, 

On  a  vu  dans  l'un  des  paragraphes  précédens  (299)  ,  que  les  Sacrmca^ 
teurs  des  Gétcs  étoient  appelles  Pikati ,  parce  qu'ils  portoient  pendant 
le  fervice  ,  une  efpèce  de  tiare,  de  mître  ou  de  chapeau.  Denys  d'Hali- 
carnafle  aobfervë  (300)  que  les  Romains,  par  la  même  railon,  donnoient 
à  leurs  Sacrificateurs  le  nom  de  Flamims,  Les  Prêtres  des  Scythes  &  des 
PerfeS  portoient  aufli  des  tiares ,  avec  cette  différence  que  (  301  )  les  Scy- 
thes qiiittoient  leurs  tiares  pour  offrir  les  vi^imes,  au  lieu  que  (301) 
les  Perfes  les  gardoient. 

'  On  peut  ajouter  encore  ici  la  remarque  de  Pline ,  qui  dit  que  les 
Druides  n'offroient  aucun  facrifice  fans  avoir  des  branches  de  chêntf 
(303)  :  Nullafacrajïne  eâ fronde  confitiunt.  Comme  le  chêne  étoit  confacré 
au  Dieu  fuprême  ,  il  y  a  apparence  que  c'étoit  à  Ton  honneur  ,  &  pour 
marquer  qu'il  étoit  l'objet  de  leur  culte  ,  que  les  Druides  prenoient  des 
branches  de  chêne  dans  toutes  les  cérémonies  religieufes.  Cependant,  on 
n'oferoit  pas  décider  que  ces  Prêtres  portaffent ,  pendant  le  fervice  ,  des 
couronnes  de  feuilles  de  chêne;  Pline  lui-même  ne  le  dit  pas:  d'ailleurs,  il 
paroît  plus  vraifemblable  que  les  Druides  portoient  des  tiares ,  de  la 
même  manière  que  les  Sacrificateurs  des  autres  Peuples  Celtes.  On  voit 
dans  Strabon  (304)  ,  que  les  Perfes  couronnoient  leurs  viftimes  ,  qu'ils 
en  étendolent  les  chairs  fur  des  branches  de  myrthe  &  de  laurier,  que 
les  Mages  offroient  leurs  prières  au  Feu  &  à  l'Eau ,  tenant  en  leurs  mains 
des  branches  de  myrte  &  de  verveine.  Peut-être  que  les  Druides 
employoient  à  de  femblables  ufages  les  branches  &  les  feuilles  de  chêne. 
Ne  nous  étendons  pas  davantage  fur  les  habits  &  fur  les  autres  ornemens 
du  Clergé  des  Peuples  Celtes ,  parce  que  la  chofe  n'en  vaut  pas  la  peine  ; 
il  faut  paffer  à  un  article  plus  important ,  fur  lequel  les  Savans  ne  font 
pas  d'accord  ,  c'eft  l'abolition  de  l'Ordre ,  ou  de  la  Sefte  des  Druides, 

§.  XXI.  Pline  l'Ancien  affure  formellement  (305),  que  l'Empereur 
Tibère  extermirva  les  Druides  des  Gaulois ,  &  en  général  toute  cette 
forte  de  Devins  &  de  Médecins.  Suétone  (306)  &  Aurélius-Viftor  (3,07) 


£oient  le»  ennemis  qu'ils  d^vouoient.  Ils  pre- 
noient des  habits  noirs  dans  toates  tes  ce'rémo- 
jiies  lugubres,  de  la  même  manière  que  les 
Chrétiens  >  leurs  idées  fur  ce  point  n'étoient 
jfas  différentes  des  nôtres.  Htit  àe  l'MdiiiHr, 

{299)  Ci-d.  §.  17. 

j}oo)  Diooyf.  Hillicai.  lib.  1 1.  p.  114. 


(301]  Herodot.  IV.  «o. 

{301)  Ci-d.  Lir.  III.  ch.  10.  $,  a.  not.  17.^ 

(303)  Ci-d.  §.  19.  not.  260. 

(304)  Strabo  XV.  p.  7J0-733,. 
(joj)  Ci-d.  §.  24.  not.  3  3». 
(3°<)  Ci-defloBs  $.  24.  not.  33l> 
(307)  Ci-defroiu  §.  14.  not.  ^i.«<^ 


L  I  V  R  E     IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    ÏV.  315 

éifent  quelque  chofe  de  femblable  ;  mais  ils  différent  de  Pline  fur  deui 
articles.  D'un  côté  ,  ils  attribuent  à  l'Empereur  Claude  les  Edits  qui 
furent  publiés  contre  les  Druides.  De  l'autre  ,  ils  prétendent  que  cet 
Empereur  fe  contenta  d'abolir  la  Religion  ou  les  fameufes  fuperftitions 
des  Druides.  On  ne  conteftera  pas  les  faits  que  ces  Hiftoriens  aflurent 
fi  pofitivement  ;  il  paroît  même  très-facile  de  les  concilier  par  rapport 
aux  articles  fur  lefquels  ils  ne  font  pas  d'accord.  Mais  les  régies  d'une 
bonne  critique  demandent  affurément  que  l'on  donne  aux  paffages  de 
ces  trois  Auteurs  un  fens  qui  ne  choque  ni  la  vraifemblance  ,  ni  la 
vérité.  Les  Druides  ont  fubfifté,  &  paroiffent  dans  l'Hifloire  long-tem# 
après  le  régne  des  Empereurs  Tibère  &c  Claude.  C'eft ,  d'ailleurs  ,  une 
chofe  fans  exemple  que  les  Romains,  en  fubjuguant  une  Nation  ,  ayent 
penfé  à  lui  ôter  fa  Religion  &  fes  Sacrificateurs.  Il  paroît  donc  à  propos 
de  feire  ici  une  réflexion  qui  fervira  à  déterminer  le  véritable  fens  des 
paffages  que  l'on  examine. 

Quoique  les  Romains  ayent  fouvent  immolé  à  leurs  Dieux  (308)  lm  Romain* 
des  viâimes  humaines ,  non-feulement  fous  les  Confuls ,  mais  encore  p'^,p°c,""nt 
fous  les  Empereurs,  il  faut  avouer  qu'ils  ne  le  faifoient  que  dans  des  cas  J'>n«'"G»u- 

r  '  1  i  les ,  que  kf 

extraordinaires  où  le  Sénat  étoit  oblieé ,  malgré  lui,  de  condefcendre  î>a  ihces  des 
aux  inffances  des  Pontifes  &  d'une  foule  de  fuperftitieux  qui  ne  cef-  mimes  scic 
foient  de  crier  que  le  feul  moyen  de  fauver  la  République  du  danger 
éminent  dont  elle  parolffoit  menacée ,  étoit  de  confulter  les  Livres  de 
la  Sybille ,  &  d'offrir  les  Sacrfices  qui  étoient  ordonnés  dans  ces  Li- 
vres. Ces  cas  extraordinaires  n'empêchoient  pas  que  le  Sénat  ne  dé- 
fapprouvât  la  cruelle  fuperffition  d'immoler  des  hommes  ,  &  qu'il  ne 
fît  de  fages  réglemens  pour  l'abolir ,  non-feulement  à  Rome  ,  mais  aufll 
dans  toutes  les  Provinces  qui  dépendoient  de  la  République.  On  en 
voit  une  preuve  dans  ce  qui  a  été  dit  ailleurs  (309)  de  la  fête  que  les 
Romains  célébroient  tous  les  ans  à  l'honneur  du  Père  Dis ,  &  pendant 
laquelle  ils  jettoient  dans  le  Tibre,  trente  hommes  de  paille  ,  en  la  pla- 
ce de  trente  vieillards  qu'on  y  précipitoit  autrefois  tout  vivans,  Pline 
fait  aufli  mention  d'unDécret  d\i  Sénat  (3  10)  ,  par  lequel  il  étoit  dé- 


(jot)  Kojrcj.  en  des  exemples.  Flutarch.  Mar- 
celin Tom.  I,  p.  299.  Tit.  LiY.  lib.  ai.  cap.  s  7. 
Oiof.  lib.  IV.  cap.  t  ].  p.  20 s.  Fragment.  Disn. 
>f,  Valef.  p.  774.  Tzetz.  ad  Lycophion.  p.  «9. 

{t»9)  Ci-i,  Liv.  III.  ch.  S.  §,  ii.noc.  7$, 


fie  §.  14  not.  1 17. 

(|io)  DCLVII.  demùm  anno  Urbis  conditae 
Cn.  Cornelio  Lentulo  ,  îubl.  Licinio  Cr.iflb  , 
Coiifulibus  ,  Senatus-confultum  faftum  eft  ,  ne 
hotao  inuQolaietui  ;  palamque  in  illud  teropu« 

Rri 


I 


îrreur  & 
«nachDiiif- 
ncd'j  P.  Har 


316  HISTOIRE    DES    CELTES, 

^ndu  d'immoler  des  hommes  à  la  Divinité.  Cet  Edit  fiit  donné  dans 
un  tems  où  la  poffeffion  de  la  Gaule  Narbonnoife  venoit  d'être  afliirée  à 
la  République,  par  les  vidoires  de  Marius,  &  par  la  défaite  des  Barba- 
res qui  avoient  ravagé  cette  Province  pendant  plufieurs  années.  Il  y- 
a  donc  toute  apparence  que  ce  Décret  regardoit  fur- tout  les  Gaulois, 
<jui  offroient  publiquement  à  leurs  Dieux  de  femblables  Sacrifices. 

Quoi  qu'il  en  foit,  il  paroît  par  un  paflage  de  Plutai-que  ,que  le  Sénat 
avoit  grand  foin  de  rechercher  &  de  punir  ceux  qui  contrevenoient  à 
l'Edit  dont  on  vient  de  parler.  »  Les  Romains ,  dit  le  Philofophe  Grec 
»  (3 1 1)  ,  ayant  appris  que  les  Blctonncfiens  avoient  immolé  un  homme 
Maux  Dieux  ,  firent  venir  à  Rome  les  Magiftrats  de  ce  Peuple  barbare, 
»  pour  les  punir.  Ceux-ci  prouvèrent  qu'ils  avoient  fuivi  en  cela  ua 
>>  ancienne  coutume  ;  ils  furent  renvoyés  abfous ,  avec  défenfe  de  pra- 
»  tiquer  la  même  chofe  dans  la  fuite  « 

§.  XXII.  On  peut ,  fans  s'éloigner  beaucoup  du  fujet ,  faire  ici  une 
courte  digreffion  fur  les  BUtonnéJiens ,  dont  parle  Plutarque.  Ce  mot 
femble  indiquer  les  Habifans  d'une  île  nommée  Blâon.  Mais ,  comme 
on  ne  trouve  dans  les  anciens  Géographes ,  aucune  île  de  ce  nom,. 
on  feroit  tenté  de  fublHtuer  ici  le  mot  de  Breianmjïi ,  qui  défigneroit 
les  Infulaires  ou  les  Habltans  de  la  grande  Bretagne.  EfFedivement ,  il 
eft  confiant  que  les  Bretons  ayant  été  fournis  par  JulesCéfar  ,  conti- 
nuèrent toujours  d'offrir  à  leurs  Dieux  des  viftimes  humaines  ,  comme 
ils  avoient  fait  par  le  pafTé.  Mais  il  eft  ,  en  même  tems  ,  très-probable, 
qu'après  que  l'Empereur  Claude  eût  fubjugué  l'Angleterre ,  &  mis  de 
bonnes  garnifons  dans  le  Pays,  le  Sénat  jugea  à  propos  de  foumettre 
cette  nouvelle  Province  au  Senatus  -  Confulte  dont  on  a  iait  mention. 
Cependant,  quelque  vraifemblable  que  foit  cette  conjecture,  il  y  faut 
renoncer  pour  ne  pas  tomber  ^  avec  le  P.  Hardouin,  dans  un  anachro- 
nifme  de  près  de  deux  fiécles. 


facra  prodigiofa  celebrata.  Gallias  utiqae  pof- 
fedit  [magica  difciplina  )  ,  &  quidem  ad  nof- 
«am  memoriam;  namqaeTiberii  Ca:fatisprin- 
cipatus  fuftulit  Biuidas  eorum ,  &  hoc  genus 
vatum  medicorumque.  Sed  quid  ego  ha:c  com- 
memorcm  in  arte  Oceanum  quoque  tranfgrefla, 
U.  ad  natutz  inancproviAa.  Biitannia  hodicque 
caro  attonite  celcbut,tantis  ceittnQniis  ut  dc- 


difle  Perfis  videri  poflît.  .Adeo  ifta  toto  mund»- 
confenfere  ,  quamquira  difcordi  &  fibi  ignoto» 
Non  fatis  iftimari  poteft,  quantum  Romanis 
debeatur,  qui  fuftulere  raonftra  in  quibus  ho- 
minem  occidere  religiofiffimum  erat  ,  mandi. 
verà  etiam  falubetriinum.  P/i'n.  JfXX.  I./».  72I, 
(311)  Plutatch.  <^u«ft.  Centiw.  Ton».  U; 
pag.  2S), 


,  1  1  V  R  E    IV.     C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  "jt^ 

Plutarque ,  après  avoir  parlé' de  la  défenfe  faite  aux  Bîétonnéfiens , 
ajoute  (311):»  Peu  d'années  auparavant ,  les  Romains  avoient  eux- 
»  mêmes  ,  enterré  vivans  ,  dans  le  marché  aux  Bœufs  ,  deux  Grecs 
>>&  deux  Gaulois,  fçavoir  un  homme  &  une  femme  de  chaque  Na^ 
»  tion  ,  &  cela  après  avoir  confulté  les  Livres  de  la  Sybille  à  l'occafion 
>>  de  la  mort  d'une  Veftale  ,  nommée  Hdvia ,  qui  avoit  été  tuée  par 
»Ia  foudre,  &  de  l'incefte  commis  par  trois  autres  Veftales ,  Emylia^ 
»  Licinia  &  Marna  ,  qui  avoient  été  corrompues  par  un  Chevalier 
^>  étranger,  nommé  Buurius  c.  Le  Père  Hardouin  (313)  prétend  que  tout 
cela  s'étoit  paffé  fous  l'empire  de  Néron,  Mais  les  raifons  fur  lefquelles 
il  appuie  fon  fentiment,  ne  font  d'aucun  poids,  ou  plutôt,  elles  font 
■renverfées  par  une  preuve  démonftrative. 

I  *^.  Il  fait  dire  à  Plutarque  que  ces  chofes  s'étoient  paflees  peu  d'an- 
flées  (314)  avant  le  tems  où  il  écrlvoit  ;  au  lieu  que  le  Philofophe 
.Grec  dit  clairement  &  formellement,  que  les  Romains  qui  défendirent  aux 
bîétonnéfiens  d'immoler  des  viftimes  humaines  ,  n'avoient  pas  laifl'é  de 
pratiquer  le  môme  genre  de  Sacrifices  peu  d'années  auparavant  (3  15). 
,  ;  .***.  CePere  fe  fonde  fur  un  paflag£  de  Pline,  qui  porte  (5 16)  qu'il  n'y 
I»  avoit  pas  long-tems  que  l'on  avoit  enterré  un  Grec  &  une  Grecque 
»►  dans  le  Marché -aux- Bœufs  ,  &  que  ces  Sacrifices  étoient,  en  quel- 
w  que  manière,  autorifés  par  les  bons  fuccès  que  les  Romains  avoient 
>»,eus  diu^ant  830  ans  «.  Il  eft  vrai  que  l'an  830  de  Rome,  qui  eft  l'an- 
née où  Pline  écrivoit,  tombe  fur  la  fin  du  régne  de  Vefpafien.  Mais  Pline 
ne  parle  proprement  ici  que  du  Sacrifice  d'un  Grec  &  d'une  Grecque. 
Il  ne  dit  pas  que  ce  Sacrifice  eût  été  offert  à  l'occafion  d'un  incefle  com- 
mis par  des  Veilales  ,  &  Suétone  (3  17,)  remarque  même  expreflement 


"(312;  Ubi  fuprà. 
'■  {iXi)  Ci-d.  not.  3  1*. 
j  ;(3l4)Ci:d.  noi,  3i«. 

(jïS)  Ci-d.  not.  îiz. 

t3"-l  Boario vfrô  in  foro  Grsctrm.Gncahi- 
que  dcfolTos ,  aut  ali.irum  gcntium  ciim  quibus 
tunc  res  effet,  etlam  noiera  itas  vidit  ;  cujus 
Cicri  pricaiioncm  ,  quafolet  praiire  <juindecim 
liiûm  Collcgii  magifttt,  fi  quis  Icgat ,  profeftb 
tim  caritiinum  fjteatur  ,  ea  oirmia  approbanli- 
hiis  Qftingentoiutt»  triginta  annorum  eventibus, 
f\m-  'Hift.  Hit.  '/<>.  XXyill.  cap.  z.j,.  j  57'.  Le 
S.  Hatdouin  fut  le  pjffagc  de  Pline  ,' èc ,  en 


particulier,  fiu  ces  paroles  eiUmntflr»  tmivU'Mf 
a  fait  cette  remarque  :  Plutarchus  qui  non  Gxx- 
cum  Grarcamque  modo,  fed  &  galluiiv  fimut 
gallamque  defoffos  rcfcrt,  idquoque  haiid  mul- 
tis'  ahte  fe  annis  ,  contigiffe  ait  ,  (.'u  iiMais 
îVtJiV  Xfinpti.ii  in  QuKil.  Ronj.  p.  183.  &  ad 
Vafpaniani  tempora  référendum  iJ  videtur,  vel 
ce^te  Neronis  j  fed  &  UluJ  priiis  accidiffc  nar- 
rât Livius  XXII.  p.ig.  125.  Dans  l'endroit  cité 
Tite-Live  XXII.  cap.  57.  parle  de  la  condam- 
nation des  Ve/la!cs  OpimU  &  Flortni»,  mais 
Bou  pas  de  celles  dont  il  s'agit  ici, 
(317)  Sueton.  Domitian,  cap.  1, 


31?  HISTOIRE    DES    CELTES, 

que  Vefpafien  &  Tite  négligèrent  de  punir  l'impudicité  de  ces  Vierges; 

3  *■'.  Enfin ,  ce  qui  eft  décifif ,  Tite-Live  dans  un  de  ces  Livres  qui  eft 
perdu ,  &  dont  nous  n'avons  que  les  Sommaires  ,  rapportoit  (3 1 8)  la 
condamnation  des  Veftales  Emylia ,  Licinia  &c  Mania  au  Confulat  de 
C.  Porcius  -  Caton ,  qui  tombe  fur  l'an  640  de  Rome.  Les  Blétonné- 
fiens  ne  fçauroient  donc  être  les  habitans  de  la  Grande-Bretagne,  dans 
laquelle  les  Romains  ne  pafferent  qu'environ  60  ans  après  ,  fçavoir 
l'an  de  Rome  699.  Le  P.  Hardouin  s'étQit  aufll  trompé ,  en  plaçant  fous 
le  régne  de  Vefpafien  ,  des  événemçns  antérieurs  de  près  de  100  ans. 
Les  trois  Veftales  qu'on  vient  de  nommer  ,  ayant  été  convaincues  & 
condamnées  l'an  de  Rome  640  ,  les  Romains  ,  pour  expier  ce  facrilége , 
firent  enterrer  vivans  dans  les  Marchés-aux-Bœufs ,  un  Gaulois  &  une 
Gauloife,  &  en  même  tçms  un  Grec  &  une  Grecque.  Ce  fut  quelques 
années  après,  que  l'on  manda  à  Rome  les  Magiftrats  des  Blétonnéfiens , 
qui  avoient  immolé  un  homme  à  leurs  Dieux  ,  &  qu'on  leur  défen- 
dit d'offrir  à  l'avenir  de  femblables  Sacrifices.  Comme  l'Edit  du  Sénat , 
qui  interdifoit  ces  barbares  Sacrifices,  fut  publié  l'an  6^7  de  Rome  , 
iî  fut  trèS'Vraifemblablement  donné  à  l'occafion  de  ces  Blétonnéfiens , 
qui  étoient ,  félon  les  apparences  ,  un  Peuple  de  la  Gaule  Narbonnoifô 
(319),  ou ,  fi  l'on  veut ,  les  Habitans  d'une  île  voifine  de  cette  Province. 

§.  XXIII.  Revenons  à  notre  fujet.  On  ne  conteftera  pas  fans  doute 
que  les  Roniains  abolirent  peu  à  peu  les  Sacrifices  humains  dans  toute  l'é- 
tendue de  leur  domination,  Lorfque  Julas-Céfar  commandoit  en  Efpa- 
gne  ,  où  il  avoit  été  envoyé  en  qualité  de  Prêteur,  il  abolit  (310) 
cette  barbare  fuperftition  à  Gadej ,  où  elle  avoit  été  apportée  par  les 
Phéniciens ,  &  où  elle  s'étoit  confervée  jufqu'à  fon  tems.  Il  ne  faut 
pas  douter  qu'il  n'ait  donné  dans  la  fuite  de  femblables  ordres  dans  les 
Gaules  qu'il  avoit  conquifes ,  ôf  dont  il  garda  le  gouvernement  pen- 
dant près  de  diîç  ans.  Lucain  l'infiaue  affez  clairement,  puifqu'il  dit  aux 


(3  I  S)  Spitome  Livii  lib.  LXIII.  Voytx.  aulS 
Orof.  lib.  V.  cap.  1 5. 

(319)  Plutarque  les  appelle  BAtTivtn'o).  Si  le 
mot  Ntfici  ou  N«/îoJ  defigiioic  ici  une  île  ou 
des  infulaires ,  comme  le  prétend  M.  Biuzen 
de   la  Martiniere ,  f  lutarque  auioit  dû  éciire 


voifine  de   Marfeille,  qui  portoit  le  oem  do 
Slufio.  Sviabo  IV.  p.  181, 

[iio)  Cicero  Orat.  pro  Balbo  cap.  43.  Da 
Valois  a  juge  ,  avec  taifon  ,  que  par  ces  mot* 
inveteramm  tjufindtim  lnjb0riAm,  Ciccron  déâgnoic 
les  Sacrifices  humains.  Valef.   in  nof.  fd  &l^ 


J|A(Ter"<"'t<*  Au  teftc,  Suabon  ^ailc  d'une  tU  ^  <<'((•  ex  Dione  p.  ii£, 


LIVRE    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    IV.  jif 

Druides  (jii  )  qu'ils  avoient  renouvelle  pendant  les  guerres  civiles  des 
Romains ,  les  barbares  cérémonies  qu'ils  avoient  été  obligés  d'inter- 
rompre après  la  conquête  des  Gaules. 

Il  eft  vrai  qu'Augufte  (312.  )  n'avoit  d'abord  défendu  qu'aux  feuls 
Citoyens  Romains  de  prendre  part  aux  cruelles  cérémonies  que  les 
Gaulois  pratiquoient.  Mais  il  paroît  très  -  vraifemblable  ,  qu'il  rendit 
enflure  cette  défenfe  générale  ,  &  qu'il  abolit  les  Sacrifices  humains 
dans  toute  l'étendue  de  l'Empire.  Sans  cela  ,  il  feroit  difficile  de  com- 
prendre que  des  Hiftoriens  qui  ont  écrit  peu  après  la  mort  d'Augufte  , 
eufi'ent  pu  parler  de  ces  Sacrifices  comme  d'une  fiiperftition  qui  étoit 
abolie  dans  les  Gaules,  ou  qui  ne  s'y  pratiquoit,  au  moins,  que  fort  fecret- 
tement.  Par  exemple  ,  Strabon  qui  publia  fa  Géographie  vers  le  com- 
mencement du  régne  de  Tibère  ,  après  avoir  parlé  de  la  coutume 
qu'avoient  les  Gaulois  de  clouer  aux  portes  des  Villes ,  les  têtes  des 
ennemis  qu'ils  avoient  tués  à  la  guerre,  ajoute  (3x3)  :  »  Les  Ro- 
»  mains  ont  ,  cependant  ,  fait  quitter  aux  Gaulois  cette  barbarie ,  & 
»>  les  ont  défabufés  des  Sacrifices  &  des  divinations ,  qui  ne  s'accor- 
y>  doient  pas  avec  nos  coutumes  «. 

Pomponius-Mela ,  qui  vivoit  fous  Tibère  ,  ou,  pour  le  plus  tard,  fous 
Néron  ,  dit  aufli  (324)  »  que  les  Gaulois  font  des  Peuples  fiers, 
»fuperftitieux  ,  qui,  autrefois,  ont  porté  la  férocité  jufqu'à  fe  perfua- 
»  der  que  l'homme  eft  la  plus  excellente  viûime  que  l'on  puiffe  offrir 
«aux  Dieux.  Quoique  cette  barbare  fuperftition  folt  abolie,  il  en  refte 
»  pourtant  quelques  traces.  A  la  vérité,  ils  ne  font  pas  mourir  les  hom- 
tt  mes  qu'ils  ont  dévoués  aux  Dieux  ;  mais  ils  les  font ,  au  moins ,  appro* 
»  cher  de  l'Autel ,  &C  leur  répandent  du  vin  fur  la  tête  «. 

Pline  ,  qui  écrivoit  fous  l'empire  de  Vefpafien ,  reconnoît  également 
que  l'on  n'offroit  plus  de  vlftimes  dans  les  Gaules  (32«[):  »»  Il  n'y  a 
M  pas  long-tems  que  les  Peuples  ,  qui  font  au-delà  des  Alpes,  avoient 
M  encore  la  coutume  d'immoler  des  hommes.  Les  Romains  ,  dit-il  ail- 
»»  leurs  (316),  ont  rendu  au  genre  humain  un  fer  vice  ineftimable  j 
1»  en  aboliffant  cette  horrible  fuperftition ,  qui  faifoit  regarder  le  Sa- 


(lai)  Lucan.  t.  v.  4S0. 

(}121  Ci-deflbus,  ^.  i4.not.  m, 

iji})  Strabo  IV.  19S. 

(1x4)  Fompon,  McU  lib.  III.  cap.  }.  p.  7*. 


(315)  rlin.  Hift.  Nat.  lib.  VI.  cap.  1.  p.'«.  * 
(3  2«)  Ci-d.  §.  II.  not.  310. 
(ja/jsalmaiius  in  Excicit.  !lin.  Fiolcgant);, 


310  H  ÎS  T  O  I  R  E    D  E  S    C  E  LiT-E  Sj; 

j»  crlfice  d'un  homme  comme  la  chofe  du  monde  la  plus  facrée  »; 
Enfin,  fi  Solin  ,  qui  a  écrit  après  Je  régne  d'Alexandre  Mammée  (317), 
reconnoît  (32.8)  qu'on  accufoit  les  Gaulois  d'offrir  à  leurs  Dieux  des 
vidimes  humaines,  il,  aKpjrtit,,en,fmêaie..tems.j;,qu'i}^ii'9feroit  pas  ga- 
rantir la  vérité  du  faijt.      ,,;-3    y;,^    *.£.;    ^.  ,,.,       ;      ,,,        ;.  ' 

J  §.  XXIV.  Pe  tout  ce  qu'on  jsirdij  ei-deffus  ,  il  faut  conclure  que  les 
Romains  n':euiient  jamais  là  pônfée  d'ôter  aux  Gaulois  ,  ni  leur  Reli- 
gion ,  ni  leurs  Druides.  S'il  en  étoit  autrement ,  les  Druides  (319)  &C  les 
Dryades  (330)  ne  paroîtroient  pas  dans  l'Hiftoire  jufqu'au  tems  de 
Dioclétien  &  de  Conft^ntin  -  le  -  Grand. .  Mais  le  Sénat,  &c  enfuite  le 
Empereurs  ,  défendirent  ,  fovis  des  peines  féveres  (331),  les  Divina- 
tions &C  les  Sacrifices  humains,  parce  que  les  Loix  d'une  bonne  poli- 
tique l'exlgeoient ,  &  que  des  abus  femblables  ne  doivent  point  être  to- 
lérés dans  une  Société  bien  réglée.  Les  Divinations  étoient  une  im- 
pofture  dont  les  Prêtres  abufoient  fouvent  pour  troubler  le  repos  de 
l'Etat,  &  eiles.ne'fervoient  ordinairement  qu'à  remplir  les  particuliers 
qui  y  ajoutôient;  foi,  de  fauffes craintes ,  ou  de  vaines  efpérances.  Les 
Sacrifices  humains  étoient  une  barbare  fuperftition ,  &  cette  fuperftition 
faifoit  perdre  inutilement  à  l'Etat  une  partie  de  fes  Sujets.  Par  ce» 
raifons,  le  Sénat  avolt  aboli  (331)  dans  la  Gaule  Narbonnoife ,  dès 
l'an.  657  de  Rome  ,  les  Sacrifices  dont  eft  queftjon.  Ils  furent  aufli 
abolis  d'-une  manière  infenfible  ,  dans  la  Gaule  que  l'on  appelloit  bar- 
bare ,  &i.  qui  avoitété  conquife  par  Jules- Çéfar.  Mais,  comme  les 
Gao-ilois  étoient  fort  .attachés  à  leurs  fuperftitions  ,  &  comme  ils  con- 
tinuèrent long-tems  d'immoler  en  fecret  des  viûimes  qu'il  ne  leur  étoit 
plus  permis  d'offrir  publiquement ,  on  fut  obligé  de  renouveller  fouvent 
le^  Edits  ,  qui  avoient  é;té  donnés  fur  ce  fujet.  Augvjfte  n'avoit  (  333  ? 
^'abord  défendu  qu'aux  feuls  Citoyens  Romains  ,  de  participer  aux  bar- 
h^f^s  cérémonies  des  Gaulois.  On  a  expofé  les  raifons  qui  font  juger 
que  fur  la  fin  de  fon  régne,  il  abolit  les  Sacrifices  humains  dans  toute 
l'étendue  de  l'Empire. , . 

Quoi  qu'il  en  foit ,  Tibère ,   fucceffeur  d'Augufte  ,  n'épargna  riea 


f*g.  II I.  271.  »?9. 

'  (3f«)  Sôlin.  pïD.  54.  pag.  100.  Edit.  Salm. 
pap.  21.  p.  jo,,'  .'  1    .1 

^if)  Çi-deflous ,  not.  340.  j'^t.  $49, 


^jjo)  Ci-d.  §.  18.  .    .    . 

(331)  Cij<J..§.  1».  jiot.  323. 

(332)  Ci-d.  $.  il.  nol.  3  10,  &  §.  îi. 
(33^]$ueton.  Claudio caf.  2;. 

pouï 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    IV.  311 

pour  bannir  cette  fuperftition  (334)*  tant  des  Gaules  que  de  cette  partie 
de  l'Afrique  (335),  qui  étoit  foumife  à  fa  domination.  L'Empereur 
Claude  prit  auffi  fort  à  cœur  l'abolition  des  Sacrifices  humains.  Il  extir- 
pa ,  félon  la  remarque  d'Aurélius  Viûor  (336),  les  fameufes  fuperfli- 
lions  des  Druides,  ou,  comme  le  dit  Suétone  (337)»  leur  cruelle 
Religion  ,  c'ell-à-dire  la  coutume  d'offrir  des  Viûimes  humaines.  »  Mal- 
»gré  tous  ces  foins,  dit  Eufebe  (338)  ,  l'on  ne  ceffa  d'immoler  des 
»  hommes  que  fous  l'Empereur  Adrien  ,  lorfque  la  Dodrine  de  Jefus- 
»  Chrifl  commençoit  à  éclairer  les  efprits  dans  toutes  les  parties  du 
»  monde  «. 

Tous  les  Auteurs  que  l'on  vient  de  citer,  s'accordent  à  confirmer  le 
fentiment  qu'on  s'eft  propofé  d'établir.  Ils  parlent  de  l'abolition  des 
Sacrifices  humains  ,  mais  ils  ne  font  aucune  mention  de  l'extirpation  de 
la  feâe  des  Druides.  La  feule  difficulté  qui  refte ,  eft  celle  qui  fe  tire 
du  célèbre  paffage  de  Pline.»  Les  Gaulois ,  dit  cet  Hiftorien  (339) 
»  ont  été  entêtés  de  la  fuperftition  d'immoler  des  hommes  ,  jufqu'à 
»  un  tems  dont  nos  Vieillards  peuvent  encore  fe  fouvenir.  Car  on 
»>  fçait  ,  au  refte  ,  que  l'Empereur  Tibçre  a  exterminé  ,  SuJluUt.^ 
y>  leurs  Druides  ,  &  en  général ,  toute  cette  forte  de  Devins  ôc  de 
»  Médecins  «.  Cependant  le  même  Auteur ,  rapportant  la  manière  dont 
on  cueilloit  le  Gui  de  chêne  ,  parle  des  Druides  (340)  comme  d'un  Or- 
dre de  Prêtres  aûuellement  fubfiftant ,  &  qui  préfidoit  au  culte  Di- 
vin parmi  les  Gaulois.  Un  paflage  de  Dion  Chryfoftôme  ,,  cité  plus 
haut  (341),  prouve  qu'ils  confervoient  encore  leur  autorité  du  tems 
de  l'Empereur  Trajan.  Enfin  Aufone  (341),  qui  a  écrit  depuis  l'éta- 


(134)  Ci-deffbus,  not.  139. 

(33s;  TettuUian.  Apolog.  cap.  4. 

(l  3«)  Aurcl.  Vi(aor.  Ca:far.#ap.  *.  pag.  1 14. 
Att  rcftc  ,  il  ne  faut  pas  s'arrêter  i  ce  que' dit 
Scncquc  que  Cikude  intioduiût  à  Komc  la  B.c/ 
ligion  des  Druides  ,  foit  parce  qu'il  le  dit  dans 
une  Satire  fort  envenime'e  ,  où  l'on  ne  doit  pas 
chetckct  la  veritc,  foit  parce  qu'on  entrevoit 
que  cette  accufation  avoit  pour  fondement,  que 
les  Druides  ,  confultes  par  Claude  ,  avoient  dé- 
clare qu'il  pouvoit  e'poufcr  fa  nièce  ,  au  lieu 
que  ces  mariages  ^toient  condainne's  parmi  les 
Romains.  Senec.  Apocolocynth.  p.  «04. 

(337)  Ci-d.  not.  3  3  5- 

(U  S)  Eufeb.  Przpatat.Evang.  Ub.IY.  cap.  i  5> 

Tome  II. 


pag.  154.  I  s«.  Kojfîjauffi  c^,  17,  p.  164,  Lae- 
tint,  Div.  Inftit.  lib'.-l.  cap.  li.  p.  7I. 

■^3  39;  Vojet.  le  texte  de  Pline  ci-dertas  $.  tjl. 
not.  3  10.  M.  Echard  n'a  pas  entendu  ce  paffa- 
ge. «  Tibère  ,  dit-il  ,  avoit  ab'oli ,  félon  Tline', 
»  les  Druides,  les  Poiites  ôc  les  Devins  des  Qau- 
»  lois,  appelle's  Bardes.».  Hlft.  Rom.  Liv.  IV. 
chap.  3-  pag.  150.  Cela  n'eft  point  exacl.  Les 
Bardes  .étoient  proprement  les  Foëtcs  des  Gaii- 
,i2JSi.c,cux  que  Pline  appelle  Vnn^  e'oicnt  les 
Divins ,  qui  offtoiept  les  Sacrifices,  éi  qui  pt^- 
difoient  l'avenir  par  l'inTpcAiou  des  viâimes. 
Vtjez.  ci7d.  J.  is,  i  ,,. 
I  (340)  Ci-d.'S.  19,  n«t.  arfs. 
[     (941)  AufoQC  avoit  été  tiéceftent  ,ieCti~ 

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311  HISTOIRE    DES    CELTES, 

bliffement  du  Chriftianifme  dans  les  Gaules ,  parlant  des  Profeffeurs  qui 
enfeignoient  dans  l'Ecole  de  Bourdeaux ,  dit  (343)  qu'Jttius  Paiera 
étoit  de  la  race  des  Druides  ,  qu'il  tiroit  fon  origine  du  Temple 
de  Belenus  ,  &  qu'il  portoit  le  nom  de  Paiera  ,  parce  qu'il  avoit  été 
Miniflre  de  ce  Dieu.  Il  dit  encore  que  Phebitius  (344)  avoit  été  Mar- 
guillier  de  BeUnus  ,  &  qu'il  étoit  de  la  famille  des  Druides  ;  ce  qui 
prouve  que  les  Druides  avoient  confervé ,  jufqu'alors  ,  l'intendance 
des  Sanûuaires. 

Il  faut  donc  expliquer  néceffairement  le  paffage  de  Pline  ,  dont  il  s'a- 
git,  d'une  manière  qui  puiffe  concilier  cet  Auteur  avec  lui-même, 
&,  qui,  d'ailleurs,  s'accorde  avec  la  vérité  de  l'Hiftoire.  Voffius  a  cru 
réfoudre  la  difficulté,  en  difant  (345)  qu'il  ne  s'agit  dans  ce  paffa- 
ge ,  que  de  la  Ville  de  Rome ,  d'où  Tibère  fit  chaffer  les  Druides ,  les 
Devins  &  les  Médecins.  Mais  cette  explication  eft  combattue  par  les 
paroles  même  de  Pline ,  qui  dit  que  »  les  Gaulois  ont  été  entêtés  des 
»  Divinations ,  de  la  Magie  &  des  Sacrifices  humains,  jufqu'au  fiécîe 
»  où  il  vivoit  ;  mais  qu'ils  en  font  revenus  depuis  que  l'Empereur 
»  Tibère  a  exterminé  leurs  Druides ,  &  en  général ,  cette  forte  de  De- 
w  vins  &  de  Médecins  «.  Un  paffage  de  Tertullien  lève  toute  la  difficulté. 
»  Tibère  ,  dit-il ,  (346),  faifoit  crucifier  les  Prêtres  qui  immoloient  des 
»  Viûimes  humaines  «.  Voilà  le  fait  que  Pline  rapporte.  Tibère  n'abolit 
point  l'ordre  des  Druides  ;  mais  il  punit  du  dernier  fupplice  les  Drui- 
des ,  &  ,  en  général ,  les  Sacrificateurs  &  les  Devins ,  qui ,  contre  la 
teneur  des  Edits ,  offroient  des  Victimes  humaines ,  fe  mêloient  de  Di- 
vinations &  de  Magie ,  &  fe  vantoient  de  prédire  l'avenir  ,  ou  de 
guérir  les  malades  par  le  moyen  de  ces  Sciences. 

Les  Druides  fubfifterent  donc  dans  les  Gaules  auffi  long-tems  que 
le  Paganifme.  Mais  les  chofes  changèrent  de  fate ,  lorfque  la  Religion 
chrétienne  commença  à  s'y  établir  (  347  ).  Le  Peuple  ,  inflruit  par  de 
meilleurs  Maîtres  ,  abandonna  fes  Druides  ,  &  ne  leur  apporta  plus 
les  préfens  &  les  offrandes  ,  d'où  ils  tiroient  une  partie  confidérable  de 
leur  fubfiftance.  Bientôt  l'Eglife ,  foutenue  du  bas  Séailier ,  alla  mi- 


tien.  Cet  Empereui  iVleva  au  ConfuUa»  l'a» 
«le  Rome  379.  Il  mourut  fous  l'Empitc  d'Ho- 
aeiius.  fabticii  Biblioth.  Lat,  p,  i  jy,  ij(, 

/a 43)  Ci-d.  §.  ïi.nm.  ij«,. 

(344)Ibi4.  net.  )37. 


(345]  Vofllus  de  Oiig.  Scprogi.  Idol.  lib.  I> 
cap.  3S.p-  13  S- 

(34<)  Teitutlian.  Apologet.  cap.  jr. 
(147)  Cl-d.  not.  3  il. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    V.  31^ 

tier  les  Forêts  confacrées ,  &  les  autres  Sanôuaires  des  Gaulois.  On  fit 
paffer  les  Druides  pour  des  Sorciers  (348)  ,  qui  faifoient  des  Affemblées 
noâurnes  à  l'honneur  du  Diable.  De  cette  manière ,  on  fournit  au 
feux  zèle  un  prétexte  pour  les  perfécuter  à  toute  outrance  ;  la  ruine 
du  Paganifme  dans  les  Gaules ,  entraîna  néceffairement  après  foi  l'ex- 
tinâion  des  Druïdes. 


CHAPITRE     V. 

5»  !•  yJ  N  a  parlé ,  jufqu'à  préfent ,  des  San£hiaires  où  les  Peuples  Celtes   o.-s  pet f<»«- 
tenoient  leurs  Affemblées  religieufes ,  des  terres  qu'ils  confacroient  au  "" nT'aûx'^ 
Service  public  de  leurs  Dieux  ,  enfin  des  Druïdes  qui  étoient  les  Mi.  *^'"''u^. 
niftres  de  leur  Religion,  La  forme  de  leurs  Affemblées  &  la  nature  du 
culte  qu'on  y  offroit  à  la  Divinité  ,  font  les  objets  qui  doivent  être 
difcutés  dans  ce  Chapitre. 

Parmi  les  Gaulois  &  les  Germains ,  les  perfonnes  excommuniées  étoient    Le«excom- 
exclues  des  Sanâuaires  (i),  &  par  conféquent  des  Affemblées,  des  Sa-  "toicm  ei" 
crifices  &  des  Feftins  facrés.  Il  n'étoit  guères  à  craindre  qu'un  hom-  *'*"' 
me  ,  à  qui  l'on  avoit  interdit  l'entrée  des  Sanâuaires ,  s'y  rendit  mal- 
gré les  défenfes.   D'un  côté ,  les  Druïdes  faifoient  bonne  garde  dans 
les  lieux  confacrés;  de  l'autre,  le  Peuple  (1),  qui  fe  croyoit  fouillé 
par  la  feule  vue  d'un  Excommunié ,   n'auroit  pas  manqué  de  donner 
main  forte  au  Clergé. 

Il  eff  auffi  trcs-probable  que  les  étrangers  ,  c'eft-à-dire,  ceux  qui  tcsEtrangefi 
n'étoient  pas  initiés  dans  la  Religion  du  Pays  ,  n'étoient  point  admis  dans  ^''nt'aJmii. 
ces  Affemblées.  La  loi  du  fécret ,  dont  on  a  déjà  parlé ,  fembloit  le  de- 
mander ;  &  l'on  ne  peut  guères  expliquer  autrement  ce  paffage  de  Stra- 
bon  (})  :  »  Artemidore  ,  qui  dit  avoir  été  fur  les  lieux,  affure  qu'on  ne 
»  voyoit  autour  du  Promontoire  facré  (  4  )  ,  aucun  Temple  dédié  k 
»  Hercule  ;  il  prétend  que  tout  ce  qu'Ephore  en  a  écrit ,  n'eft  qu'une 
»  pure  fiûion.  Selon  lui  ,  il  n'y  a  dans  cette  contrée  aucun  Autel 
»  qui  foit  confacré  à  Hercule  ,  ou  à  quelqu'autre  Divinité  ,  mais  oa 


(341)  Ci-deflus ,  ch.  III.  $   i.  noc.  tt.  $.  tt. 
jiot.  117.  1}».  242.  $•  zo.  not.  190. 

(  I  )  Cid.  chap.  U.  $.   JS.  A0(.  »44.  f.^(. 
{!■)  Ali.  noi.  >4s> 


(3)  Stiabo  lib.  III.  p.  i}t, 
(  4  )  Cap  de  $.  Vincent ,  dans  le  ft.07aiuif 
dei  AtgairM, 


fi4  H  t  S  T  O  I  R  E    DES    CELTES, 

«,voit  en  plufîeurs  endroits  ,  trois  ou  quatre  groffes  pierres  ,  pofée* 
»  l'une  auprès  de  l'autre.  En  conféquence  d'un  ancien  ufage  ,  les 
»  gens  qui  vont  vifiter  le  lieu  ,  tournent  ces  pierres  &c  font  croire  aux 
"  autres  qu'elles  ont  changé  de  place  d'elles-mêmes.  Il  n'eft  pas  permis 
»  d'offrir  des  Sacrifices  dans  cet  endroit ,  ni  même  de  s'y  rendre  de  nuit  : 
»  les  gens  du  Pays  difent  que  les  Dieux  l'occupent  pendant  la  nuit. 
w  Ceux  qui  font  curieux  de  voir  le  Promontoire  ,  vont  paffer  la  nuit 
wdans  un  village  voilin,  &  s'y  rendent  de  jour.  « 

Ce  Promontoire  facré  ,  dans  lequel  on  voyoit ,  en  plufieurs  en- 
droits ,  de  groffes  pierres  raffemblées  ,  étoit  manifeftement  un  Sanc- 
tuaire 011  les  gens  du  Pays  alloient  faire  leurs  prières.  Pendant  le  jour  , 
on  y  menoit  les  Etrangers  ;  mais ,  comme  on  ne  vouloit  pas  qu'ils  y 
offriffent  des  Sacrifices ,  ni  qu'ils  entraffent  dans  les  Affemblées  noftur- 
nes  des  gens  du  Pays  ,  on  leur  difoit  qu'il  étoit  défendu  d'immoler 
des  Viftimes  fur  le  Promontoire  facré  ,  &  même  de  s'y  rendre  pendant 
^  la  nuit.  Il  femble  que  l'on  entrevoie  quelque  chofe  de  femblable  dans  un 

^rr-t!«;'     paffage  de  Liïcain  (  5  ).  Enfin  cette  ccnjeûure  eft  confirmée  cardes  cir- 
conftances  qui  doivent  être  de  poids  auprès  des  perfonnes  fenfées.  Les 
Auteurs  citent ,  à  la  vérité  ,  des  témoins  ,  qui  difent  avoir  vu  des  Fo- 
rêts ,  oii  les  Peuples  Celtes  faifoient  leurs  Affemblées  religieufes ,  des  ar- 
bres rougis  du  fang  dont  on  les  arrofoit ,  des  têtes  clouées  à  ces  ar- 
bres ,  mais  ils  n'en  produifent  aucun  qui  eût  affifté  aux  Sacrifices  &  aux 
Affemblées  noftumes  des  Celtes. 
les  ceiK»  fe      §•  H.  On  a  VU  ailleurs  (6)  que  les  Celtes  fe  rendoient  à  leurs  Affem- 
îevts°Aaem-  ^^^^^  ^^ec  l'épéc  ,  le  bouclier  ,  &  la  lance  ;  qu'ils  ne  quittoient  ces  ar- 
mts\mais"s'  '"^^  '  "^  pendant  le  Sacrifice  ,  ni  pendant  la  danfe ,  qui  étoit  une  par- 
avcc°uie'tél  *^^  ^^  ^^"^"  "'^^^'  ^^^  Sanfluaircs  n'en  étoient  pas  moins  refpeôés  (7)  ; 
fond"°"^'*'  ^^^  Celtes  n'y  entroient  qu'avec  une  vénération  profonde.  Il  y  en  avoit 
même  où  l'on  obfervoit  quelque  chofe  d'extraordinaire.  Tacite ,  par- 
lant d'une  Forêt  facrée  du  pays  des  Semnons  (8)  j  dit  :  »  On  obferve 
»  une  autre  cérémonie  dans  cette  Forêt.  Perfonne  n'y  entre  qu'il  ne  foit 
»>lié,  pour  exprimer  par  là  le  fentiment  qu'il  a  de   la  grandeur  de 
»Dieu,  &  de  fa  propre  petiteffe.  Si  un  homme  fe  laiffe  tomber,  dan» 

(s)Lucan.  lib.  m.  V.  4ZI.    •''■'   •■■^      '■        *C-S*  ■''  ■'''"■    '    '■ 
'"(«JCi-deffiis.Liv.  II.  ch,  7.  p.  i«9  &  fuiv.  I       (7)  Ci-deffils  chap.  II.  J.  zj.        ~- 
eh.  10.  p.  188,  isi.  &  fuiv.  &  Liv.  lU,  çh.  f .  J     (I]  Ci-dcffus  chap.  U.  $.  15.  not.  195.  Ii9. 


LIVRE    IV;    CHAPITRE    V.  315 

M  cet  équipage ,  il  ne  lui  eft  pas  permis  de  fe  remettre  fur  fes  pieds , 
w  ni  à  d'autres  de  le  relever  ;  il  faut  qu'il  fe  roule  par  terre  jufqu'à  ce 
»>  qu'il  foit  hors  de  la  Forêt.  Le  but  de  cette  fuperftition  eft  de  mon- 
»  trer  que  c'eft  là  où  la  Nation  a  pris  fon  origine,  &  que  réfide  le  Maî- 
»  tre  de  l'Univers ,  auquel  tout  doit  être  fournis  «. 

Pour  entendre  ce  paffage  ,  il  faut  remarquer  que  les  Germains  (9)  & 
les  Sarmates  (10)  ,  quand  ils  ne  pouvoient  plus  réfiiler  à  un  ennemi,  & 
qu'ils  fe  préfentoient  devant  le  vainqueur  pour  lui  demander  la  paix, 
avoient  coutume  de  jetter  leurs  armes  &  de  fe  profterner  à  terre  ,  te-i- 
nant  les  mains  jointes  derrière  le  dos  ,  de  la  même  manière  qu'on  les 
lioit  aux  prifonniers.  Cet  ade  de  foumiffion  marquoit  qu'ils  fe  remet- 
îoient  entièrement  à  la  difcrétion  du  vainqueur.  La  même  cérémonie, 
pratiquée  dans  un  Sanûuaire ,  indiquoit  que  l'homme  eft  toujours  nud, 
défarmé  ,  &  lié  en  la  préfence  de  l'Etre  fuprême  ;  que  toute  la  force 
de  fes  armes  ,  n'étant  qu'une  foible  relTource  contre  la  Puiffance  Divi- 
ne ,  il  ne  lui  refte  d'autre  moyen  de  falut ,  que  de  fe  déclarer  humble-* 
ment  le  prifonnier  &c  l'efclave  du  Maître  de  l'Univers. 

§.  III.  A  l'égard  du  culte  même  que  les  Peuples  Celtes  rendoient  à  te  enite  qii« 
leurs   Dieux  ,    on  peut  le  réduire    commodément  à   ces    cinq  chefs  d'i^n^Tu' 
principaux:  la  Prière,  les  Sacrifices,  léchant  des  Hymnes,  la  Danfe,  dont  fiûort'l'»?"' 
ce  chant  étoit  accompagné  ,  les  Feftins  facrés.  Tous  les  Peuples  qui  ont  *'"'  '*  ^ "** 
reconnu  une  Divinité ,  ont  fait  auffi  de  la  Pri«re  l'une  des  parties  les 
plus  effentielles  de  la  Religion.  Cela  eft  naturel.  La  Religion  a  pour  but 
d'affurer  à  l'homme  la  proteâion  &  les  grâces  de  Dieu  :  pour  les  obte- 
nir, il  faut  que  l'homme  fente  la  dépendance  où  il  eft  à  l'égard  de 
l'Etre  fuprême;   qu'il  reconnoiife  en  Dieu  l'auteur  &  la  fource  des 
biens  qu'il  délire  ,  &  qu'il  exprime  ces  fentimens  par  la  prière. 

Les  Scythes  &  les  Celtes  penfoient ,  fur  cet  article ,  de  la  même 
manière  que  les  autres  Peuples,  ou  plutôt  ils  avoient ,  à  certains  égards, 
des  idées  plus  faines  de  l'excellence  de  la  prière ,  que  les  Nations  qui 
paffoient  pour  les  plus  policées.  Quoi  de  plus  beau  que  la  réponfe 
que  fit  Anacharfis  à   un  Grec  qui   lui  demandoit  fi  les  Scythes  re- 


(»)  Ci-delTus  chap.  IV-  §  17.  Jiot,  171. 
Theodofii  Excerpt.  ex  Dionis  libro  LXVIII. 
p.  774.  Xiphilin.  Excerpt.  ex  Dion.  lib.  LXVIII. 


(10)  Amfflian.Matccllin,  lib.  XVII.  cap.  if, 
p.  iii. 


T.CS  Celtes  ré- 

citoicr.t  leurs 
piicrcs  CI» 


5i«  HISTOIRE    DES    CELTES, 

connoiflbient  quelques  Divinités.  »  Oui ,  dit-il  (i  i)  ,  nous  reconnoif- 
>»  fons  des  Dieux ,  &  nous  croyons  même  qu'ils  entendent  le  langage 
>»  de  l'homme.  Nos  idées ,  fur  cet  article ,  font  toutes  différentes  des 
»  vôtres.  Vous  prétendez  nous  furpaffer  du  côté  de  l'éloquence ,  & , 
w  malgré  cela  ,  vous  vous  imaginez  que  les  Dieux  entendent  avec 
«moins  de  plaifir,  la  voix  de  l'homme,  que  le  fon  des  inftrumens  feits 
M  d'os  ou  de  bois  «.  Anacharfis  avoit  raifon.  Les  idées  &  les  fentimen* 
que  la  prière  exprime  ,  font  un  fervice  raifonnable  ,  offert  par  l'efprit 
&i.  par  le  cœur ,  auquel  Dieu  prend  infiniment  plus  de  plaifir  qu'à  la 
mufique  que  les  Grecs  regardoient  comme  la  plus  belle  partie  de  leur 
culte. 

La  prière  étoit  donc  l'une  des  principales  parties  du  culte  public 
de  la  Divinité ,  parmi  les  Peuples  Scythes  &  Celtes.  Les  Sacrifices  & 
les  autres  Cérémonies  qu'ils  pratiquoient  dans  leurs  AfTemblées  » 
étoient  toujours  accompagnées  d'une  prière.  Par  exemple  ,  Hérodote 
dit  (il)  que  *>  les  Sacrificateurs  des  Scythes ,  quand  ils  frappoient  la 
»  viûime ,  adreffoient  en  même  tems  ,  une  prière  au  Dieu  auquel  elle 
»  étoit  affeûée.  Ailleurs  II  dit  la  même  chofe  des  Perfes  (13).  Quand  un 
H  Perfe  a  réfolu  d'offrir  un  Sacrifice  à  quelqu'un  des  Dieux  dont  je 
»  viens  de  parler ,  il  conduit  la  Viûime  dans  un  lieu  pur ,  &  adreffe 
»  une  prière  au  Dieu  auquel  la  Viâime  eft  deftinée.  Celui  qui  facrifie 
»  ne  prie  pas  uniquement  pour  lui-même  ,  mais  pour  tous  les  Perfès  , 
«  8c' fur-tout  pour  le  Roi,  faifant,  ainfi  dépendre  fa  propre  félicité  dç 
V  celle  du  corps  dont  il  eft  membre  «.  Tout  de  même  ,  quand  les 
Gaulois  falfoient  la  cérémonie  de  cueillir  le  Gui  de  chêne  (14),»  un 
Druide  immoloit  deux  taureaux  blancs  ,  &  prioit  Dieu  qu'il  rendît  ce 
don  falutaire  à  tous  ceux  qui  le  recevroient«. 

Ce  que  les  Celtes  av oient  ici  de  particulier,  c'eft  1^.  Que  leurs 
prières  étoient  des  Hymnes  qui  fe  récitoient  en  chantant.  On  l'a  prouvé 
fort  au  long  dans  l'un  des  Livres  précédens  (15).  La  prière  que  le 
foldat  faifoit  en  allant  à  la  charge  ,  étoit  un  cantique  auffi  bien  que  l'ac?» 
tion  de  grâces  qu'il  offrojt  après  la  ridoire.  Les  Cantabres  chantoieitf 


(i  i]  Fluuich.CoDviv.  Sept,  sapient.  Tom,  U. 

(11)  Herodot.  IV.  «•. 

(i)  )   Hetodot.  I.    13a,  Yo^es  1%^  Stra- 


(14;  Pliii.  Hift.  Nat  lib.  XYI.  cap.  44, 
p.  }i», 

(  is  )  Çi-dcflui  ]Lir,  II,  ck.  |e>  r-  '*^s 
«*  fuiy. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    V.  517 

Jes  Hy»nes  Jufques  fur  la  croix  &  an  miHeu  des  tourmens  (  16).  On 
voit  bien  que  ces  Hymnes  étoient  des  prières  convenables  à  leur  état  * 
par  lefquelles  ils  fe  recommandoient  à  Dieu  ,  &  lui  demandoient  qu'S 
reçût  leur  ame  dans  le  féjour  de  la  félicité; 

Peut-être  qu'on  ne  fe  tromperoit  pas  en  portant  le  même  jugement 
des  Cantiques  (17)  auxquels  les  Prêtres  ou  les  Médecins  Thraces  at- 
tribuoient  la  vertu  de  guérir  les  maladies.  C'étoit  des  prières  deftinées 
à  fléchir  les  efprits  irrités  qui  avoient  la  vie  &  la  fanté  de  l'homme  entre 
leurs  mains.  Cette  coutume  de  chanter  les  prières  s'étendoit  jusqu'aux 
Perfes.  De  -  là  vient  que  Scrabon  ,  parlant  des  prières  que  les  Mages 
adreflbient  au  feu  &  à  l'eau ,  les  appelle  (  1 8)  i-Tud^àç ,  des  cantiques , 
ou  des  enchantemens.  Hérodote  dit  (19)  auffi  que  les  Mages  chantoient 
la  Théogonie  fur  les  chairs  de  la  viftime  que  l'on  avoit  immolée  , 
&  que  c'étoit  en  cela  que  les  Perfes  faifoient  confifter  la  confécra- 
tion.  La  Théogonie  étoit  un  Hymne  qui,  rapportant  l'origine  de  tou- 
tes les  chofes  à  Dieu  ,  avertiflbit ,  par  cela  même  ,  les  hommes  de  ren- 
dre hommage  au  Créateur  de  tous  les  biens  qu'ils  tenoient  de  fa  libé- 
ralité, &  de  lui  offrir  le  facriiîce  d'un  cœur  plein  de  reconnoiflance 
pour  fes  bienfaits. 

Pour  revenir  aux  Celtes,  &  à  la  forme  de  leur  culte,  il  eft  aflfez  vrai- 
femblable  que  le  Druide  ,  en  recevant  les  Viôimes  &  les  autres  Obla- 
tions  de  la  main  de  l'Offrant ,  entonnoit  une  prière  que  l'Aflemblée 
chantoit  avec  lui  ;  &  il  paroît  naturel  d'expliquer ,  de  cette  manière  , 
le  palTage  de  Diodore  de  Sicile ,  qui  dit  (  i  lo  )  »  que  les  Gaulois  n'of- 
»  froient  aucun  Sacrifice  fans  le  miniftère  des  Druides ,  parce  qu'ils 
M  étoient  perfuadés  qu'un  homme  qui  veut  offrir  des  préfens  aux 
>  Dieux ,  ou  leur  demander  des  grâces ,  doit  recourir  à  la  médiation 
w  de  ceux  qui  connoiffent  la  Divinité  ,  &  qui  font  fes  confidens  «. 

a°.  Une  autre  coutume  particulière  aux  Celtes,  c'efl  que,  récitant  LMCelteifjï- 
leurs  prières  debout,  tenant  le  bouclier  de  la  main  gauche,  &  la  lance  i'^auchrA» 
de  la  droite  ,  ils  avoient  coutume  de  tourner  le  corps  tout  entier  du  ''"".i""* 


(i<)lbi4.  p.  ii{. 

(iT)Ci-d.  Liv.  III.  ch.   It.  §.  t.  not.  1 1. 
Lit.  IV.  ch.  i..  $.   le. 

(itjstnbo.  lib.  XY.  p.  7]t.  713.  ci-itfTm 


Liv.  III.   ch.  9.  {.  4.  not.  it.  ck.    10,  (. 
aot.  17. 

(  yg )  Herodot.  1*  iji. 

(loj  Ci-dtOHi  ch.  lY.  $.  ).  aoj.  <(,, 


• 


3i8  HISTOIRE    DES    CELTE iS, 

côté  gauche  (21  )•  Pline  a  cru  que  cela  méritoit  d'être  remarqué,  par- 
ce que  les  Romains  avoient  un  ufage  tout  oppoie.  »  Quand  nous  ado- 
»  rons ,  dit-il  (2 1)  ,  la  Divinité ,  nous  baifons  notre  main  droite  ,   & 
«  nous  faifons  faire  un  tour   de   ce  côté-là  à  tout  not»e  corps  ,  an 
»Iieu  que. les  Gaulois  croyent  qu'il  y  a  plus  de  dévotion  de  fe  tour- 
»  ner  du  côté  gauche  «.  Les  Anciens  ne  difent  point  quel  étoit  le  fens  & 
le  but  de  cette  cérémonie ,  &  pourquoi  la  pratique  des  Romains  difFé- 
roit  fur  cet  article  de  celle  de  Gaulois  ;  mais  il  importe  peu  (23)  de 
s'en  occuper. 
conicûiirct      Peut-être  la  coutume  de  tourner  tout  le  corps  ,  &  dç  regarder  ainfi 
ur  cec  u  jg».  f'^j.j.ëfHvement  vers  les  quatre  parties  du  monde  ,    marquoit-elîe  que 
la  prière  s'adrefloit  au  Dieu  Teut  ,  à  l'efprit  univerfel ,  &  non  pas  aux 
Divinités  fubalternes  qui  étoient  attachées  à  certains  élémens  ,   &  à  un 
lieu   déterminé.    Peut-être  que  les  Gaulois   regardoient    comme    une 
chofe  plus  refpeûueufe ,  de  fe  tourner  en  priant  du  côté  gauche  ,  parce 
qu'un  homme ,  armé  à  la  manière  des  Celtes ,  fe  découvroit  en  tour- 
nant à  gauche ,  au  lieu  qu'il  fe  couvroit  &  fe  mettoit  en  défenfe  en 
tournant  à  droite.  Peut-être  enfin  cet  ufage  n'étoit-il  qu'arbitraire ,  de 
même  que  plufieurs  autres  cérémonies ,  tant  anciennes  ,  que  modernes, 
le  ctiite  dct      §.  IV.  Les  Sacrifices  étoient  la  féconde  partie  du  culte  religieux  des 
fe^'^i^drî  Peuples  Celtes.  Ce  n'eft  pas  ici  le  lieu  d'examiner  qu'elle  pouvoit  être 
iu  Sacrifices,  l'origine  d'un  ufage  ,  en  vertu  duquel  l'homme  prétendoit  offrir  à  la 
Divinité  des  chofes  dont  elle  n'a  pas  befoin  ,  6c  qu'elle  a  manifeflement 


(  21  )  Lucan.  lih.  I.  v.  jo. 

Kt  vos  batbaricos   ritus  raoremque  finiftrum 
Jacromm  ,  Druidj:  ,  pofitis  repctiltis  ab  armis. 

Dom  Jacques  Maitin  ,  dans  le  Livre  I.  de  U 
tieliiion  dei  Gtulois  ,a  prétendu  ,  pag.  229  ,  que 
CCS  mots  moremque  ftnifirurn  fucrorujn  ,  defigncnt 
la  coutume  lingulière  de  fe  tourner  à  gauche 
dans  l'exercice  de  la  Religion.  Pour  tout 
homme  qui  entend  le  Latin  ,  Lucain  parle 
cridemment  du  barbare  &  liniftre  ufage  d'im- 
moler des  viûimes  humaines.  Les  Romains 
l'avoient  interdit  avec  beaucoup  de  raifon  ; 
mais,  félon  les  apparences  ,  ils  ne  s'embarraf- 
foiéiit  guères  que  les  Gaulois  fe  tournaifent  à 
âroite  ou  à  gauche  en  faifant  leurs  prières. 
tlote  dt  l'Editeur. 

(îï)  ?Uti.  Hift.   Nat.   lib.  XXVIII.  cap.   z. 


pag.  564.  Ce  que  Pline  dit  ici  eft  confirme'  pat 
Plauts  &  par  Plutatque.  Plaut.  Curculion.  Aft.i. 
Scen.  I.  V.  70.  Plutarch.  Caraill.  Tom.  r.  p.  i  j  t« 
Cafaubon  ,  ad  Athen.  p.  zys-  a  donc  jugé  avec 
raifon  qu'il  y  a  faute  dans  le  pafHge  d'Athe- 
aée  ,  qui  dit  que  lei  Celtes  tdorent  les  Dttux 
tn  Je  tourn»nt  vers  la  droite.  Athen.  lib.  IV. 
cap.  12.  p.  I$ï.  Le  Père  Hardouin,  dans  fe» 
Notes  fut  le  paflage  de  Pline  ,  prétend  que  le» 
Gaulois  fe  tournoient,  en  priant  ,dc  In  gauche 
à  la  droite  ,  &  les  Romains  de  la  droite  à  U 
gauche.  Pline  ,  Plaute  &  FlutJrque  difent 
expreffémenr  le  contraire. 

(23)  On  peut  voit  Barn.  Briflbni»  Form. 
Ub  I.  p..  35,  Fctti  fithoci  adv.  lib.  I.  cap.  3, 
&   7. 


deflinées 


r 


huauiucs. 


L  I  V  R  E'    IV,     C  H  A  P  I  T  R  E    V.  319 

deftlnées  à  rutiUté  du  genre  humain.  Quand  il  feroit  vrai  que  la 
Religion  naturelle  approuve  &  prefcrit  les  Sacrifices ,  proprement  ainfi 
nommés ,  il  faudrolt  toujours  convenir  que  les  Celtes  oiî'roient  leurs 
Vidimcs  dans  des  vues  ,  non-feulement  fuperftitieufes  ,  mais  encore 
illégitimes.  C'eft  ce  qu'on  aura  occafion  de  prouver,  en  examinant  les 
raifons  par  lefquelles  ils  prétendoient  juftifier  la  néceffité  &  l'utilité 
des  Sacrifices.  Il  fuffira  de  remarquer  ici  que  ces  Peuples  ofFroient  à 
leurs  Dieux  des  viôimes  de  toute  efpèce  ,  comme  les  autres  Payens , 
quoiqu'ils  le  fiflent  avec  des  cérémonies  différentes.  Jules-Céfar  s'eft 
affurément  trompé ,  lorfqu'il  affure  (14)  que  les  Germains  n'ont  point 
de  Sacrifices  ;  &  ,  fuppofé  qu'il  n'eût  voulu  dire  autre  chofe  ,  fmon 
que  ces  Peuples  ne  faifoient  pas  beaucoup  de  cas  des  Sacrifices  ,  il 
n'auroit  pas  laiffé  d'être  mal  informé  ,  parce  qu'il  eft  confiant  que  les 
Germains  offroient  des  Sacrifices  dans  toutes  leurs  AfTemblées,  &  qu'ils 
déféroient  beaucoup  aux  préfages  qui  fe  tiroient  des  entrailles  des 
viâimes. 

Les  Sacrifices  barbares  des  viûimes  humaines  fe  préfentent  natu-  D«sTiciiiiic« 
Tellement  les  premiers.  Plutarque  ,  l'un  des  plus  grands  hommes  de 
l'antiquité ,  a  cru  pouvoir  propc^r  ,  à  l'occafion  de  ces  ufages  inhu- 
mains ,  cet  étrange  problêm«»^dî  r Athcifmt  nejl  pas  préférable  ,  par 
\\  plujîeurs  endroits  ,  à  la  fuperjliùon?  N'auroit-il  pas  mieux  valu,  dit  il 
H  (15)  ,  que  les  Gaulois  n'eufTent  jamais  eu  aucune  idée  de  la  Divinité  , 
»  qu'ils  n'en  euffent  rien  appris,  ni  par  leur  propre  méditation  ,  ni  par 
»  la  voie  de  l'inflruftion,  que  de  fe  figurer  des  Dieux,  qui  prennent 
wplaifirà  l'tffufion  du  fang  humain,  que  de  regarder  comme  le  culte 
»  &c  le  facrifice  les  plus  parfaits  qu'on  puiffe  leur  offrir ,  ceux  où  l'on 
»  égorge  des  hommes  à  l'honneur  de  la  Divinité  «. 

Pkitarque  ,  &  ceux  qui ,  de  nos  jours  ,  ont  pris  plaifir  à  faire  valoir 
ces  argumens  ,  auroient  pu  exercer  leur  génie  plus  utilement  qu'à  exa- 
miner de  femblables  queflions.  Il  efl  très-naturel  que  des  foldats  qui 
fe  trouvent  dans  la  nécefîité  de  choifir  entre  deux  maux  dont  l'un  & 
l'autre  efl  inévitable  ,  examinent  &  décident  ce  problême  :  Si  une  mort 
honorable  n^ejl  pas  préférable ,  à  plufîeurs  égards  ,   à  une  dure  &  honteufc 

(24lCi-d.ch.  IV.  $.  X.  not.   i, 

(ïj,  Plutarch.  de  fupeiftit.  Tom.  II.  p.  17J. 

Tome  //,  T  t 


I 


330  HISTOIRE    DES     CELTES, 

captivité.  Mais  il  cil:  abroliiment  Inutile  de  demander  s'il  m  vaudro't 
pas  mliux  être  fcélcrat  que  fuperjiit'uiix  ;  fi  lu  fupcrjlinon  nejl  pas  un 
plus  grand  iiiiil  qui  l'ii/ipi-té ,  parce  qu'un  homme  fage  ne  fera  jamais 
réduit  à  choilir  entre  l'Athéifme  ,  qui  arrache  la  Divinité  de  fon  trô- 
ne ,  &  la  fuperftition  qui  ne  l'y  place  que  pour  l'outrager  par  un 
culte  barbare  ,  indigne  de  fa  grandeur  &  de  fa  bonté  ,  &;  direâe- 
ment  oppofé  à  l'efprit  de  la  Religion ,  qui  n'cxifte  que  pour  la  con- 
folation  &  pour  le  bonheur  de  l'homme  ,  qui  eft  faite  pour  le  faire 
jouir  dès  cette  vie  ,  des  biens  ineffables  qui  l'attendent  dans  l'autre. 
Il  faut,  cependant,  rendre  juftice  à  Plutarque.  Cet  Ecrivain- Philo  fophe 
ne  paroît  avoir  eu  aucune  mauvaife  intention  ,  en  propofant  cette 
odieufe  queftion.  Il  feroit  à  fouhaiter  qu'on  pût  en  dire  autant  de  ceux 
qui ,  de  nos  jours ,  font  profeffion  de  Phiiofophie  &  examinent  la  même 
thèfe.  S'ils  fe  font  acharnés  à  prouver  que  la  Religion  a  toujours  fait 
plus  de  mal  que  de  bien  ,  n'eft  -  ce  pas  pour  en  conclure  que  toutes  les 
Religions  ne  font  que  des  fyftêmes  politiques  que  l'ambition  &  la  cor- 
ruption des  Miniftres  des  différens  cultes ,  ont  rendus  fi  odieux  &  fi 
dangereux  ,  qu'il  faut  fe  pafler  de  Religion  ?  S'ils  n'ont  point  ofé 
avancer  ouvertement  cette  conféquence  ,  au  moins  fuit-elle  néceflai- 
rement  de  leurs  principes.  On  avouera  de  très-bon  cœur ,  que  la  fuper- 
flition  faifoit  de  terribles  ravages  parmi  les  Celtes ,  &  qu'elle  les  por- 
toit  à  des  excès  de  cruautés  dont  la  feule  idée  fait  frémir.  C'efl  ce  que 
difoit  Diodore  de  Sicile  (16)  :  »  La  férocité  des  Gaulois  fe  remarque 
»  fur-tout  dans  leur  Religion.  Il  n'y  a  rien  de  plus  impie  que  les  vidi- 
»  mes  qu'ils  préfentent  à  la  Divinité ,  ni  rien  de  plus  barbare  que  la 
»  manière  de  les  offrir  «.  On  avouera  aufll  que  dans  chaque  Religion  il 
a  régné  des  fuperftitions  ,  &  qu'il  en  régne  encore  aujourd'hui ,  qu'il 
s'cft  toujours  trouvé  des  Prêtres  ambitieux,  fanatiques,  ignorans  ou 
corrompus  ,  qui  ont  boulverfé  les  Sociétés  ;  mais  loin  de  nous  qu'à 
caufe  des  abus ,  il  faille  fe  paffer  de  la  Religion.  Ceux  qui  prêchent  cette 
Doftrine  font  encore  plus  dangereux  que  les  Prêtres  contre  lefquels 
ils  déclament.  Tout  Miniftère  fage  détruira  les  fuperftitions ,  fermera  la 
bouche  aux  mauvais  Prêtres,  &  protégera  la  Religioa  (*). 

(26)  Ci-d.  Liv.  II.  chap.  19.  p.  290-291. 

(  *  )  Voyez  les  Dijfenamm  fur  l'union  <U  U  Religion  de  U  Mirait  &  de  foUtitjnt  5   tir^CS  d'ua  0«- 

«rage  de  M.  ViKBURïOH,  pat  M.  SiiioutriE,  ALindru  1742.  z  vol.  jimî. 


•li 


LIVRE     IV.    CHAPITRE    V.  331 

§.  V.  Revenons  aux  Sacrifices  de  vidimes  humaines.  II  eft  confiant 
que  tous  les  Peuples  Scythes  &  Celtes  (zy)  offroient  à  leurs  Dieux  des 
viâimes  humaines  :  ce  fait  n'étant  nié  par  aucun  Auteur  ,  quelques  re- 
marques générales  concernant  les  fuperftitions  que  l'on  doit  repré- 
fenter ,  fuffiront ,  quant  à  préfent.Les  preuves  fe  préfenteront  en  fou- 
le dans  le  refte  de  l'Ouvrage. 

Jl  faut  avouer  d'abord   que  tous  les  anciens  Habitans  de   l'Europe 
participoient ,  à  cet  égard  ,  à  la  barbarie  des  Nations  Celtiques.  Ils  im- 
moloient  tous  des  viâimes  humaines.  On  n'eft  pas  furpris  de  voir  que 
cet  ufage  fîit  établi  parmi  les  Sarmates.  Comme ,  entre  tous  les  Peu- 
ples Scythes ,  ils  étoient  les  plus  cruels ,  il  ne  faut  pas  s'étonner  que 
leur  Religion  fe  foit  long-tems  reffentie  de  l'extrême  férocité  de  leur 
naturel.  On  voyoit  ,  jufques  dans  le  douzième  fiécle  du  Chriftianifme , 
des  Peuples  Sarmates ,  ou  efclavons ,  (  car  c'eft  la  même  chofe  )  ,  offi-ir  à 
leurs   Dieux   (  2.8  )    tous  les  Chrétiens   qui    tomboient    entre    leurs 
mains.  Il  falloit  même  que  le  Sacrificateur  bût  du  fang  de  ces  viûinies, 
pour   devenir  capable  de  prononcer  des  oracles.    Mais  ces  Sacrifices 
avoient  anciennement  été  établis  dans  la  Tofcane  (29),  en  Sicile  (30), 
à  Lacédémone  (31),  & ,  ce  qui  eft  très-remarquable  ,  les  Athéniens  (3  2) , 
&C  tous  les  Grecs  (33)  en  général ,  long-tems  après  qu'ils  furent  fortis 
de  la  Barbarie  ,  ne  laifTerent  pas  de  retenir  &  de  renouveller  fort  fou- 
vent  ces  cruels   Sacrifices ,  qui  étoient   en  ufage ,  parmi  eux ,  depuis 
un   tems  immémorial.  Toutes  les  fois  que  (34)  le  Pays  étoit  affligé  de 
la  pefte,  de  la  famine,  ou  de  quelqu'autre  fléau,  il  falloit  appaifer  les 
X)ieux  irrités ,  en  leur  offrant  pour  viftime   proi)itiatoire  ,  un  homme 


Tous  les  Peu- 
ples Scfchcf 
&  Celtes  of- 
froient des 
viclimes  hu- 
mainesàleurs 
Dieux. 


Tous  le!  an- 
ciens Habi- 
tans de  l'Ea- 
roiie  f.icti- 
fioient  l'es 
viilim-^  1)U- 
n  a'mcs. 


(ït)  Ci-d.  I.iï.  I.  ch.  to.  p.  sj.  not.  ïi. 
Liv.  m.  chap.  i.  $.  3.  not.  7.  eh.  4.  $.  7. 
not.  13.  chap.  ;.  $.  7.  not.  i£  Z7.  ch  s-  i-  4. 
■ot.  9.  10.  II.  14.  §•  S'  not-  Z7-  i-  >3-  not.  $S. 
§.  14.  not.  Ity.  114.  cil.  7  J.  i.not.  i.  10.  !(. 
§.  1.  not.  34.  chap.  t.  $.  }.  not.  11.  $.  9. 
not.  73.  J.  10.  not.  105.  io«.  $.  II.  not.  1 14. 
ch.  14.  (j.  13.  not.  113.  Liv.  IV.  ch.  a.  $.  j. 
BOt.  25.  §.  4.  not.  3  <•  33  §.  II.  not.  83.  §  ;». 
«ot.  1 14.  1 1  s.  II.  chap.  }.  $.4.  not.  31.  J.  5. 
«ot.  44.  ch.  4.  J.  3.  not.  s-  §•  14'  not.  141. 
$.21.  not.  ]  10. 3ii.$.ï3.noi.  31».  3ïS.$.  »4' 
BOt.  33».  3J7'  Î43-  ch.  s-   §     4    not.    25. 

(  i»  )  Helmold.  Chronic.  Slaror.  lib.  I. 
cap.  5  3.  p.  iiC'  lib»  II.  cap.  12. p.  240. 


(29).  Schol.  aj  Findar.  Fyth.  II.  p.  izo, 

(30)   Virgil.    ^neid.   IX.  v.   58$.   Serviu» 
ad   h.  1. 

(il)    Ci-deffus  ,   Lit.    IIl.    ch.    t.    $.    il. 
■ot.   I  I  z 

(il]  Scholiall.  ad  Ariftoph.   Equic.  p.    iSI. 
col.   a. 

(33)  Tzetr.  ad  Lycoph.  p.  jS.  SetTÏui  Da- 
niel, p.  273. 

34)  Voyez  -  en  des  exemples  Eufcb.  de 
Laudib.  Conftantini  p.  $33-  534-  Wier.  de 
Frzftig  dxm.  lib.  I- cap.  7.  p  37-  3'-  Voflîu» 
de  Or:g.  &  ProgrcflT.  Idol.  lib.  II.  cap.  4. 
p.  i$S'  cap.  Il,  p.  18$.  .Turieu  de*  CultM 
p.  J7J.  U  fuiy.  p.  7>3.  Se  fuiT. 

Tu 


lï 


53^  HISTOIRE    DES    CELTES, 

que  l'on  faifoit  périr  avec  mille  exécrations  ,  par  lefquelles  on  prétendoit 
le  charger  de  tous  les  crimes  &  de  tous  les  maux  de  la  Cité. 

On  ne  prétend  pas  en  conclure  que  cet  ufage  venoit  des  anciens 
Habitans  de  la  Grèce  ,  c'efl-à-dire  ,  des  Pélafges.  Il  eft  vrai  que  ces  Peu- 
ples l'avoient  porté  en  (35)  Italie,  s'il  faut  en  croire  Denis  d'H.dicar- 
nafle.  Il  fe  pourroit,  néanmoins,  que  le  nouveau  Peuple  qui  lucccda 
aux  Pélafges  ,  tint  cette  fuperftition  des  Egyptiens  &C  des  Phéniciens , 
qui  avoient  envoyé  plufîeurs  Colonies  en  Grèce  ,  &  particuliértmcnt 
à  Thébes  &  à  Athènes. 

Au  refte  ,  puifque  »  les  Sacrifices  des  viôimes  humaines  étoient  en 
»  ufage,  comme  le  dit  Eufébe  (36),  dans  la  plus  grande  partie  de  la 
»  terre  ,  chez  les  Rhoditns  ,  à  Salamine ,  en  Egypte  ,  dans  les  Ifles 
»de  Ténédos,  &  de  Chius,  chez  les  Phéniciens  ,  dans  l'Ifle  de  Crète  , 
M  à  Laodicée ,  à  Carthage ,  chez  les  Thraces  ,  &  parmi  les  Scythes  « , 
il  en  rèfulte  très-naturellement ,  qu'à  cet  égard  ,  tous  ces  divers  Peuples 
n'avoient  rien  à  fe  reprocher.  Les  Grecs  ne  pouvoient  pas  condamner 
légitimement  dans  les  Celtes  ,  des  fuperflitions  dont  ils  n'étoient  pas 
exempts.  Les  Romains  ,  eux-mêmes  ,  après  avoir  défendu  ,  fous  des 
peines  très-rigoureufes,  aux  Gaulois  qui  leur  étoient  foumis  ,  d'immolef 
des  hommes,  ne  laifToient  pas  d'en  offrir  en  différentes  occafions  (j?)* 
N'étoit-ce  pas  autorlfer  indire£lement  cette  cruelle  fuperltition  ?  11  ne 
faut  donc  pas  être  furpris  que  l'on  ait  eu  tant  de  peine  à  arracher  aux 
Peuples  Celtes  des  Sacrifices  qui  étoient  aufli  anciens  qu'univerfelle- 
ment  reçus  parmi  eux  ;  mais  ces  Peuples  ne  fe  fondoient  pas  uni- 
quement fur  l'ancienneté  de  l'ufage  :  ils  croyoient  pouvoir  le  jullifier  par 
de  bonnes  raifons. 


(3  j)  Ci-d.  Liv.  III.  th.  «.  §.  14.  not.  115. 

(3  S)  Eufeb.  Préparât.  Evanj.  lib.  IV,  cap.  i  6. 
pag.  154.  Voyez,  aufli  Porphyr.  de  Abftinent. 
îib.  IV.  p.  221.  Edit.  Lugdiin  1620. 

(37)  Cl  voit  que,  du  tems  de  Ce'far  le 
Biftateur  ,  deux  hommes  furent  immoles  au 
Cha.np  de  Mars  par  les  Pontifes  &  par  le  CheF 
«l«s  Prêtres  Saliens.  Pline  d  t  que  ,  de  Ton  :ems, 
•u  avoit  enterré  v:v.ns  un  Grec  &  une  Grec- 
que Plutarque  attefte  qae  ,  peu  d'années  avant 
q-i'il  compofât  fes  QUfftions  Romaines  ,  on 
avoit  aufli  «xeicé   la  même  batbaiie    Aie  un 


Gaulois.  V  rs  l'an  de  J.  C.  270  ,  l'Empereui 
Aurélien  demandant  au  Se'nat  qu'il  fit  conful- 
ter  les  L  vres  Sibyllins  ,  offre  de  fournir  pour 
les  facrificfs ,  des  Prifonniers  de  elle  Natio" 
qu'on  fouhaiteror.  Voyez.  Plin.  lib.  XXVIII- 
Dio.  lib.XLVlII.  Vopifc.  de  Aurel  an.  PluMrch- 
Graec.  &  Rom.  (  omp.  T.  II  p.  310.  Clen»- 
Alex.  Coh  ad  G.  p.  37.  Fi;fcb.  P  aep,  Evang- 
lib.  IV.  cap.  16.  p.  157.  Dio  CafT.  lib.  XLIII- 
pag.  225.  Aufon!  Idyll.  16.  Min  Félix  p.  314. 
Lamprid  Hcliogab.  pag  8oy.  Echatd  Hift. 
Rom.   Lir.  V,  eh.  t.  p.  i«i. 


L  I  V  R  E     IV.    C  H  A  P  I  T  R  E     V.  333 

Ç.  VI.  Ils  difoient  i^.  Que  (38)  la  vie  &  le  fang  d  un  homme  étoient  Pomqooi.ï* 
le  culte  le  plus  parfait  ,  le  Sacrifice  le  plus  agréable  que  l'on  pût  offrir  v««  Us  i'.>.- 

^ii-//-i  /r  11         P''^   Celtes 

à  la  Divinité.  Cette  confecuence    lembloit   relulter  ,  allez  naturelle-  otHoicnt  a 
ment  ,  d'un  principe  reconnu  par  tous  les  Payens.  Admettant  la  né-  de'via'nL 
ceffité  &   l'utilité  des    Sacrifices  ,  regardant   la  deftruftion   d'un  ani-  ''"m»*»"- 
mal  comme  un  hommage,  par  lequel  l'homme   reconnoît ,   non -feu- 
lement la   dépendance   continuelle  où  il  eft  à  l'égard  de  l'Etre  fuprê- 
me  ,  mais  encore  les  droits  que  la  Juftice  de  Dieu  lui  donne  fur  le 
pécheur,  il  auroit  été  bien  difficile  qu'ils  n"en  concluffent  pas   que  la 
plus  parfaite  de  toutes  les  créatures  eft  aufîi  la  plus,  excellente  de  toutes 
les  viflimes.  En  immolant  un  homme,  ceux  qui  offroient  le  Sacrifice , 
reconnoiffoient  par-là  qu'ils  avoient  reçu  la  vie  de  Dieu  ,  qu'ils  avoient 
mérité  de  la  perdre  ,  &  qu'ils  ne  la  confervoient  que  par  un  effet  de  la 
bonté  &  de  la  miférlcorde  de  cet  Etre  fuprême.  Tel  étoit  l'un  des  rai- 
fonnemens  des  Celtes. 

Ces  Peuples  difoient  encore  (39)  que  l'homme  efl  infiniment  plus 
parfait ,  &  plus  excellent  que  les  animaux.  Ils  en  concluoioient  (40) 
que  le  Sacrifice  le  plus  excellent  que  l'on  pût  préfenter  aux  Dieux  ,  étoit 
celui  d'un  homme,  &  qu'entre  (41)  tous  les  aftes  de  la  Religion ,  il  n'y 
en  avoit  point  de  plus  facré. 

La  conféquence  étoit  certainement  fauffe  ,  parce  que  la  Religion 
toute  faite  pour  l'homme  &  pour  le  conduire  à  la  perfeftion  &  au 
bonheur  dont  il  eu  capable,  ne  lui  demande  que  le  facrifice  de  (es  vi- 
ces &C  de  fes  paffions  j  mais  elle  fembloit  réfulter  naturellement  & 
néceffairement  des  principes,  ou  plutôt  des  préjugés  que  les  Payens 
avoient  adoptés. 

1°.  Les  Celtes  prétendoient  que  (42)  /es  Dieux  immortels  ne pouvoient 
être  appa'ifis ,  à  moins  qiCon  ne  rachetât  la  vie  d'un  homme  par  celle  d'un 
autre  homme  ;  c'tft- à-dire,  qu'ayant  des  Sacrifices  d'expiation  ,  deflinés 
à  délivrer  le  pécheur  de  la  peine  qu'il  avoit  méritée  par  la  fubflitu- 
tion  d'une  viéVime  que  l'on  immoloit  en  fa  place,  ils  croyoient,  en 
même  tenis  ,  que   cette  expiation  dépendoit  ,  non  de  la  deftrudion 


(3I    Ci-delTus  ,  $     4.  not.   15. 

(39    Auguftin.  deCivit.  Dei  lib.  VII.  cap.  19. 

(40)  CJ-d.  ch.  IV.  $.  a,  not.  324.  Uvre  III. 


thap.  4.  §.  7.  note  33. 

{41)  Ci-d.  cil.  IV.  §,  2 1.  not.  3  10. 

(42    Kyrî.  le  paflage  de  Jules-Cefai  ci-detT. 
Liv.  III.  ck.  1 7.  $.  6,  noc.  i  j. 


334  HISTOIRE     DES    CELTES, 

d'un  animal  (  la  viûime  n'auroit  pas  été  équivalente  ,  ni  la  fatisfaftion 
proportionnée  ) ,  mais  uniquement  de  la  mort  d'un  autre  homme.  En 
conféquence  de  cette  idée  (43)}  "les  Gaulois  fe  fentoient-ils  atta- 
»  qués  d'une  maladie  dangereufe  ,  fe  trouvoient-ils  dans  une  bataille 
»  ou  dans  quelqu'autre  danger  ,  ils  immoloient  des  viûimes  humai- 
»  nés ,  où  ils  faifbient  vœu  d'en  OiTrir  «.  Par  la  même  raifon,  ils  fai- 
foient  périr  ces  viftimes  par  les  tourmens  les  plus  cruels  ,  afin  que  l'ex- 
piation en  devînt  plus  parfaite  ,  afin  quelle  eût  plus  de  proportion  avec 
la  grandeur  des  crimes  qu'elle  devoit  effacer,  ou  des  maux  qu'elle 
devoir  racheter. 

Si  la  vraie  Religion  admet  ces  principes ,  dans  un  fens  raifonnable 
.  &  avec  de  jufles  reftriclions  (44),  il  faut  ,  cependant  (45  ),  avouer 
qu'ils  étoient  faux  ,  &  infoutenables,  dans  le  fens  que  les  Celtes  leur 
donnoient.  Adorant  un  Dieu  qui  prenoit  plaifir  à  voir  répandre  du 
fang ,  qui  n'avoit  placé  l'homme  fur  la  terre  que  pour  y  faire  \m  appren- 
tifiage  de  valeur  &  pour  s'y  dillinguer  par  la  deftruâion  de  fes  fem- 
blables ,  ils  en  concluoient  que  le  moyen  de  fléchir  la  Divinité  étoit 


(4.3)  Ibib. 

(44^  J'ai  vu  des  perfonnes  favantes  chercher 
iins  la  véritable  Religion  ,  le  fondement  des 
Ti^ïmes  humaines,  u  La  foi  nous  apprend  ,  di- 
»foient-ils  ,  qu'il  lui  a  fallu  une  viftimc 
»  Tlicuad'i^ue ,  c'eft-à  dire.  Divine  &  Humaine 
»  tout  enfemble.  rcur-ctrc  que  ceux  qui  abor- 
»  derent  les  premiers  dans  les  Gaules,  avoient 
»  appris  des  Defcendans  de  Nol' ,  qu'il  vien- 
»  droit  quelqu'un  qui ,  par  fa  mort ,  réparetoit 
»  tout  le  mal  des  hommes  8c  de  la  nature,  De- 
»  là  à  des  viiHiimes  humaines  le  chemin  eft 
»  court.»  Cette  objeftion  eft,  fans  doute  ,  la 
plus  ipécieufe  que  l'on  puiffe  propofer  •  mais 
elle  n'a  aucune  folidité.  Il  y  a  une  di£Fe'rence 
eflentiellc  entre  le  facrifice  de  Jesos-Christ 
&  tous  ceux  que  les  hommes  ont  offerts  à  telles 
Divitiités  que  ce  puifie  être.  En  effet ,  quelle  eft 
l'idée  que  nous  prcfentcnt  ces  facrifices?  Elle 
réunit  trois  chofes  :  les  hommes  étoient  les 
facrificateurs,  li  viftime  étoit  l'offrande  ,  8c  1» 
Divinité  étoit  l'objet  auquel  on  offroit  cette 
viftime  :  Or  dans  le  Sacrince  de  Jesus-Ciirist, 
les  hommes  ne  font  nullement  le  rôle  de  Sa- 
crificateurs. Les  Juifs  n'ont  fait  mourir  notre 
Divin  Sauveur  que  par  l'effet  de  l'aveuglement   , 


&  de  la  haine  la  plus  envenimée;  4c  ils  ne  l'ont 
prcfenté  aux  ruiffances  de  la  terre  que  comme 
un  criminel  ,  un  blafphémateur ,  un  fcélérat  Se 
«n  perturbateur  du  repo^  public.  Il  eft  biea 
vrai  que  U  mort  dt  jEsus  -  Chkisï  étoit  un 
véritable  Sacrifice  offert  à  Dieu  ,  mais  la  vifti- 
me étoit  volontiire.  j£4US-CHB.i^r  étoit,  ea 
mcmetems  ,  8c  le  Pontife  Se  l'Holne-  Il  s'im- 
moloit  lui-même  à  fou  Pcre  pour  tous  les  hom- 
mes qui,  en  qualité  de  pécheurs,  avoient  tous 
mérité  la  mort  8c  la  mort  éternelle.  Ce  n'étoit 
point  de  la  part  des  hommes  que  Dieu  avoit 
exigé  un  pareil  facrifice  ,  puifque,  bien  loi» 
d'avoir  été  de  leur  côté  un  afte  de  Religion  , 
ce  Déicide  a  été  le  plus  grand  de  leurs  crimes. 
On  n'en  peut  donc  nullement  inférer  que  Dieu 
ait  Jamais  dcnian  le  aux  hsmmcs  des  victimes 
humaines.  Il  eft  bien  naturel  de  penfcr  que 
cette  elpèce  de  facrifice  dans  leurs  mains ,  ne 
pouvoir  être  que  le  fruit  de  la  fupertlition  la 
plus  barbate  ,  fuggérée  par  le  Démon  même 
qui  eft  l'ennemi  de  tout  le  Genre-humain,  8c 
qui  ne  cherche  que  fa  pette  8c  fa  deftruftioH. 
Note  de  rEditenr. 

(4S)  To;;:.  ci-defius  iir.  III.  eh.  17.  $.  <• 


L  I  V  R  £     I  V.    C  H  A  P  I  T  R  E     V.  335 

cle  lui  promettre  du  fang  ,  &  que  l'on  avançolt  en  faveur  auprès  de 
luii,  à  proportion  des  viftimes  humaines  qu'on  lui  ofFroit.  Ainfi  les 
Germains  (46)  ,  aulTi  bien  que  les  Gaulois  (47),  quand  ils  étoient  fur 
le  point  d'en  venir  à  une  bataille  décifive  ,  faifoient  vœu  d'exter- 
miner tous  les  hommes  &C  tous  les  animaux  qui  tomberoient  entre  leurs 
mains.  Selon  ces  principes  ,  la  Divinité  favorifoit  toujours  le  parti  qui 
lui  promettoit  le  plus  de  viftimes. 

3°.  Les  Celtes,  en  immolant  des  viûimes  humaines  ,  cherchoient  à 
découvrir  quelque  événement  qu'il  leur  importoit  de  prévoir ,  ou  de 
s'mftruire  de  leur  propre  deftinée  par  le  fang  &  par  les  entrailles  des 
viûimes. 

On  a  déjà  vu  que  cette  fuperftition  étoit  commune  aux  Gaulois  (48)  , 
aux  Germains  (49)  ,  &  aux  Efpagnols  (50).  Tacite  remarque  que  les 
Habitans  de  la  Grande-Bretagne  (5  i)  en  étoient  aufli  fort  entêtés.  Tous 
ces  Peuples  ajoutoient  foi  à  différentes  obfervations  que  les  Devins  ièi- 
foient  en  égorgeant  un  homme  ;  ils  regardoient  ces  obfervations  comme 
des  préfages  certains  &c  infaillibles  de  tout  ce  qui  devoit  leur  arriver  ;  ils 
en  concluoient  qu'il  devoit  être  très-permis  de  faci-ifîer  ,non  -  feulement 
un  prifonnier  ,  mais  encore  un  citoyen  ,  lorfque  fa  mort  étoit  un 
moyen  pour  prévoir  &  pour  prévenir  le  danger  dont  un  Etat  entier 
étoit  menacé.  Ici  la  conféquence  pouvoit  être  jufte  ;  mais  le  principe 
ne  valoit  rien.  Il  falloit  avoir  perdu  toute  raifon  pour  s'imaginer  que 
la  deflinée  des  Etats  étoit  écrite  dans  les  entrailles  d'un  homme.  Mais, 
fi  cette  manière  de  préfager  l'avenir  étoit  abfurde  &  ridicule  ,  les  Grecs 
&  les  Latins  ,  lorfqu'ils  eurent  aboli  les  Sacrifices  de  viftimes  humaines, 
n 'étoient  pas  plus  raifonnables  de  chercher  à  connoître  les  chofes  fu- 
tures en  fouillant  dans  les  entrailles  des  brutes. 

4**.  Les  Celtes  avoient  encore  quelques  autres  raifons  qui  fervoient 
de  fondement  ,  ou,  au  moins,  de  prétexte,  à  ces  facrifices  barbares. 
Tantôt  les  malheureux  que  la  fuperflition  imnioloit,  étoient  des  Mefla- 
gers  (  3  X  )  que  l'on  envoyoit  a  Zamolxis ,  &  que  chacun  chargeoit  de 
fes  commilïïons  pour  les  parens  &  pour  les  amis  qu'il  avoit  dans  l'autre 


(4«)  Tacit,  Ann.  XIII.  cap.  57. 

(47)  Czfar  VI.  17.  ,     • 

(4«]Ci-deff  ch.  IV.  $.   J4,  not.  140.  141. 


(49)  Ci-d.  ch.  ï.   §,  24.  not,  191.  194.         ^  not.  <i.  f). 


(50)  Ci  delTiis  ,  ch.  IV.   §.    t.  not.  71. 

(s«)  Tacit.  Ann.  XIV.  30. 

(sî)    Ci-deirus,  l:v.  III.   «h.    il.    J.    t. 


336  HISTOIRE    DES    CELTES, 

monde.  Tantôt  on  les  clépôchoit  pour  former  la  fuite  des  grands  Sei- 
gneurs que  la  mort  enlevoit ,  Se  la  chofe  fe  pratiquoit  ainfi ,  non-feule- 
ment chez  les  Scythes  Septentrionaux  (53),  mais  encore  parmi  les 
Gaulois,  au  milieu  defquels  (^4)  la  Femme,  les  Efclaves  &  les  Cliens 
d'un  homme  de  qualité,  étoient  immolés ,  ou  fe  donnoient  eux-mêmes 
la  mort  auprès  de  fon  biicher. 

Les  hommes  qui  étoient  facrifiés  de  cette  manière ,  mouroient  ordi- 
nairement fans  aucun  regret ,  &  avec  la  ferme  efpérance  de  paffer  fûre- 
ment  &  infailliblement  à  une  vie  bienheureufe.  Cette  perfuafion  étoit 
en  eux,  l'effet  du  dogme  capital  (55)  de  la  Religion  des  Celtes  ,  de  cette 
idée  qu'une  mort  violente  étoit  le  feul  chemin  par  lequel  l'homme  pût 
parvenir  au  féjour  de  la  gloire  &  de  la  ftlicité. 
tes  peup'cî      §•  VIL  II  faut  volr  préfcntement  quels  étoient  les  fujets  que  les  Cel- 
Wcn^poùr'  t^s  avoient  coutume  de  choilir  pour  les  Sacrifices  dont  nous  parlons.  L'u- 
ptUownt's     ^''S*   ^^  P^"^  ancien  &:  le  plus  commun  étoit  d'immoler  ceux  que  l'on 
ic^m'.re.      faifoit  prifonniers  à  lagaerre.  Comme  ces  Peuples  belliqueux  promet- 
toient  à  leurs  Dieux  de  femblables  vidimes  à  l'entrée  de  la  campagne  , 
fie  à  la  veille  de  l'aftion  ,  fur-tout ,  lorfqu'il  y  avoit  apparence  que  le 
combat  feroit  meurtrier,  ils  ne  manquoient  jamais,  après  le  gain  des  ba- 
tailles, de  s'acquitterde  leur  vœu,  &  d'offrir  ce  qu'ils  appelloient  le  plus 
excellent  de  tous  les  facrifîcos ,  aux  Dieux ,  par  le  fecours  defquels  ils 
croyoient  avoir  remporté   la   viclï)ire.   On   le  pratiquoit  ainfi  en   Ef- 
pagne  (56) ,  dans  les  Gaules  (57),  dans  la  Grande-Bretagne  (58),  & 
dans  toute  la  Germanie  (59). 

.  Cependant  il  étoit  rare  que  l'on  immolât  tous  ceux  que  l'on  avoit 
faits  prifonniers  fur  l'ennemi,  &  encore  plus  ,  que  l'on  exterminât,  à  la 
façon  de  l'interdit ,  les  femmes ,  les  enfans  ,  les  animaux  ,  avec  tout  ce 
■11-, ■      -'jp  ■-'■   ■■■'■ ■  ■-  ■  ■        • 

vie  par  une  nort  violence. 


(jj)  ibid.  noc.  «5.'««." 

(54;   Ci-dcfTus,   Liv.    m.    ch.    i!.    §    i. 
not.  «».§■«-  not.  51.  ,tj. 

iSS)  Ci-deiTus,  Liv.  III.  ch.  VI.  §.  i6. 
not.  195.  ch;  7.  §.  i;  mJt.'  j.  ch.  14.  §."ij. 
noc  H  3.  1 14-  ch.  1  8.  §.  10.  VI.  Keyiler  dan»^ 
fes  Antiq.  Se;pt. ,  p.  127.  prouve  que  le  mot 
yalhalla  ,  par  lequel  les  Peuples  Septentrio- 
naux •  defignoi^ut  Je  .Puraii»  ,  firrpifre  ^k/it  sext.  Ruf.  p.  il-i».  ' 
Cajirum  ,   le   falais   de  ceux  qui  ont- pendu  Uil' 


(5<))  Str.bo  III.  p.  Ij  j. 

(s7)Athen.IV.  iiji  Euftath.  »d  Iltad  XXIIf. 
p<  1194.  ci-deïïbiiis^  r$.  ».  iioi.    84. 

(j  8)  Ci-d^flus  ,  §.  S.  not.   s  t. 

(59"  Ci  d.  Liv.  III.  ch.  4.  §.  7.  not.  }}. 
Liv,  IV.  ch.  2.  §••■  iV.'  not.  i«.  19.  §.  24. 
not    194.  Ovid.   Trift.  lib.  •I\'.  Ëleg.  2.1.    3j. 


qu» 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    V.  357 

qui  avoit  appartenu  au  vaincu.  Les  Germains  (60)  &  les  Gallogrecs  (61) 
font  prefque  les  feuls  de  tous  les  Peuples  Celtes ,  parmi  lefquels  on 
trouve  des  exemples  d'une  femblable  fureur.  Ordinairement  on  réfer- 
voit  pour  le  facrifice,  les  Chefs  (62)  de  l'armée  ennemie  ,  ou  une  partie 
des  Prifonniers ,  après  quoi  les  autres  étoient  vendus ,  réduits  en  efcla- 
vage ,  ou  même  tués ,  félon  que  l'intérêt  du  vainqueur  le  demandoit.  Par 
exemple,  les  Gaulois  (63)mettoient  à  part  l'élite  des  Prifonniers  pour 
les  offrir  à  leurs  Dieux.  Les  Saxons  (64)  jettoient  le  fort  fur  leurs  captifs 
pour  immoler  le  dixième,  au  lieu  que  les  Scythes  (65)  qu'Hérodote  a 
connus ,  n'offroient  que  le  centième. 

Plufieurs  Peuples  de  la  Celtique  immoloient  à  leurs  Dieux,  non-feu-     Quei^u* 
lement  les  Prifonniers  qu'ils  feifoient  à  la  guerre,  mais  encore  les  Etran-  tes  ii^moioi 
gers  qui  tomboient -entre  leurs  mains.  On  ne  peut  guères  douter  que  cette  ^„i  qu'un 
barbare  coutume  ne  iïit  établie  dans  la  Cherfonèfe  Taurique ,  qui  étoit  ^y^iqu" 
l'ancienne  demeure  des  Goths.    Les  Hiftoriens  aflurent  u«animement  *^ 
(66)  que  l'on  offroit  à  la  Diane  Taurique  les  Grecs,  &  en  général,  tous  " 
les  Eirangers  que  les  tempêtes ,  fréquentes  fur  la  mer  noire  ,  jettoient 
fur  cette  côte.  On  accufoit  de  la  même  cruauté  tous  les  autres  Peuples 
Scythes  (  67  )  établis  au  tour  du  Pont  Euxin ,  qui ,  par  cette  raifon ,  portoit 
anciennement  chez  les  Grecs  le  nom  d'à^troç  (  68  )  inhofpitalis.  Un  an- 
cien Commentateur  d'Horace  prétend  aufli  que  ces  paroles  du  Poète 
(  69  )   Vifam  Britannos  liofpitaUbus  fcros  ,  font  allufion   à  la  coutume 
qu'avoient  les  Bretons  d'immoler  les  Etrangers  à  leurs  Dieux. 

Les  Peuples  Celtes  recevoient  (70),  avec  beaucoup  d'humanité," 
les  Etrangers  &  les  Voyageurs  qui  paffoient  dans  leur  Pays ,  mais  cela 
ne  doit  s'entendre  que  de  ceux  qui  venoient  les  trouver  volontaire- 
ment. Ils  ne  faifoient  pas,  fans  doute,  le  même  traitement  à  ceux  qu'une 


e 
ou 
autre 


(<o)  Ci-delTus  ,  ^.  t.  not.  4«-47.  Orof. 
Kb.  V.  cap.  i«.  p.  27».  iJo.  Dio.  Ca/T.  lib. 
IIV.  p.  S3<-    Strabo  IV.  ïo<. 

(<  t)  Tit.  Liv.  lib.  XXXVIII.  cap.  47. 

(61)  FIoiUJ  IV.   II.  Herodot.  I.  cap.  tS. 

(«l)  Excepta  ex  Diod.  Sic.  lib.  XXVI.  Ap. 
▼alef.  p.   1 T  7. 

(64)  SidoB.  ApoUin.  lib.  Vllf.  Epift.  (. 

{65)  Herodot.  IV.  «z. 

(««)  Herodot.  IV.  103.  Paufan.  Attic. 
cap.  4}.  pag-  '03.  Scymmus  Chius  pag.  ij6. 
fomp.  Mêla  lib.  II.  cap.  i.  p.  40.  Solin  cap.  ij, 
Tomt  II, 


pag.  Z34.  Lucian.  Dialog,  Jun.  &  Lat.  p.  Si. 
&  94.  Clem.  Alex.  Coh.  ad  Gent.  p  jS-CyriU. 
ad  Julian.  lib.  IV.  p.  iî8.  Amm.  Marc,  lib  XXV, 
cap,  l.p.  II 5.  Ovid.  £piû.  ex  Porno  lib.  III. 
Ef.  i.   V.  5  5. 

(«7)  Strabo  Vil.  ïst.  Min.  Félix  p.   3  It. 

(«»)  Euâdth.  ad  Dionyf.  Pericg.  ».  14*. 
pag.  jo. 

(«5»)  Horat.  Carm.  lib.  III.  Od  lY.  v.  Ji, 
Actonius  ad  h.  I. 

{70J  Cicdcffiis,  LW.  ILcb.   ij. 

y  V 


338  HISTOIRE    DES    CELTES, 

tempête  ,  un  naufrage  ,  ou   quelqu'autre  accident  conduifoient  ,  mal- 
gré eux,  dans  la  Celtique.  Exclus  des  droits  lacrés  de  Thorpitalité ,  ils 
étoient  traités  (7 1)  en  ennemis. 
D'antres         (?,  VIII.  S'il  eft  Vrai ,  comme  les  Jurifconfuttes  l'affurent,  que  le  vain- 

IV'.iplf  s  Celtes        «^  ,      1         -,  -,  -1  ' 

im.iK.ioient  q  ucur  foit  maître  abfolu  des  biens  oc  de  la  vie  du  vamcu  (yx) ,  il  en  re- 
iftiirmcf.  &  fultera  que  les  Celtes  péchoient ,  à  la  vérité  ,  contre  les  loix  de  l'huma- 
dcctepus.  nité,en  tuant  des  Prifonniers  qui  étoient  fans  défenfe,  &  hors  d'état 
de  leur  nuire;  ils  pouvoient  même  fe  rendre  coupables  d'impiété,  en 
offrant  à  la  Divinité  des  facrifices  quelle  dételle  ;  mais ,  au  moins ,  ne 
commettoient-lls  point  d'injuftice  ,  en  faifant  mourir  des  ennemis  que  le. 
fort  des  armes  avoit  livré  entre  leurs  mains. 

Cependant,  les  Peuples  Celtes  n'étoient  pas,  pour  cela,  plus  excu-î 
fables ,  puifqu'ils  immoloient  encore  leurs  propres  Concit6yer»s ,  &C  fou- 
vent  même  les  perfonnes  à  qui  ils  dévoient  la  vie.  Il  eft  certain  que  les 
vieillards  infirmes  &  décrépits  ne  pouvoient  qu'être  fort  à  charge  à 
des  Peuples  Nomades ,  qui  changeoient  fouvent  de  demeure ,  &  qui 
fulvoient  tous  la  profeffion  des  armes.  Les  vieillards ,  entretenus  pen- 
dant leur  vie,  dans  l'idée  que  l'homme  eft  né  pour  la  guerre ,  fouffroient 


(71)  Herodot.  IX.  cap.  1 1  ».  Nicol.  Damafc. 
ap.  Stobsura  Serm.  V.  pag.  40.  Serm.  CXXXVI. 
pag.  400.  On  voit  ,  par  ce  que  rapporte  Nicolas 
de  Oamas.que  IcsTliyniens,  Peuple  Scythe  venu 
d'Europe  ,  avoient  dépouille',  au  moins  en  par- 
tie ,  U  fe'rocité  de  leurs  Pères.  Ils  regardoient 
les  Etrangers  qui  voyageoient  dans  leur  Pays  , 
comme  des  Perfonnes  facre'es  ,  8c  leur  procu- 
loieiït  tous  les  agrémens  qui  de'pendoient  d'eux. 
Quant  à  ceux  qu'une  force  majeure  conduifoit 
dans  la  Thynie  ,  ils  recevoient  avec  beaucoup 
d'humanité,  8c  s'attachoient  par  les  liens  de 
l'amitié  ceux  qu'une  tempête  avoit  jette's  fur 
leurs  côtes  ;  ils  punilfoienr  ceux-là  feuls  qui , 
par  tout  autre  motif,  par  toute  autre  rencon- 
tre, étoient  forcés  d'aborder  leur  Pays. 

(72)  Cette  opinioa  de  quelques  Jurifcon- 
Tultes  eft  vraiment  digne  d'un  liécle  barbare. 
N'y  ayant  de  guerre  que  d'Etat  à  Etat ,  il  ert 
évident  que  le  vainqueur  n'a  aucun  droit  fur 
les  Membres  de  l'Etat  oppofé,  dès  que  ceux-ci 
ont  mis  bas  les  armes.  La  fin  de  la  guerre  n'é- 
tant que   la  deftruftion   de  l'Etat  ennemi ,  on 

a'a  que  Is  dioit  d'en  mer  les  défeofcnis ,  tant 


qu'ils  ont  les  armes  à  la  main  5  mais  fitôt  qu'il» 
les  pofcnt  &  fe  rendent,  ccffant  d'être  enne- 
mis, ou  plutôt  inrtrumens  de  l'ennemi,  ils 
redeviennent  fimplement  hommes,  &  le  vain- 
queur n'a  plus  aucun  droit  fur  leur  vie.  Il  ej^ 
faux  ,  dit  très-judicieufcment  Montefquieu  , 
Efp.  des  Loix  Liv.  XV.  ch  2.  ju'il  foii  ferma  de- 
ruer  dam  U  guerre  y  autrement  que  dans  te  eat  de 
néctjfité.  Les  biens  des  particuliers  ne  doivent 
pas  moins  être  refpetlés  par  le  vainqueur.  La 
juftice  lui  permet  bien  de  s'emparer,  en  Pays 
ennemi,  de  tout  ce  qui  appartient  au  Public} 
mais  elle  veut  que  la  perfonne  &  les  biens  des 
Membres  de  l'Etat  vaincu  forent  en  fureté.  Et, 
d'ailleurs,  comment  violeroit -on  les  Loix  de 
l'humanité  fans  être  injufte  ?  Il  faut  croire  que 
M.  Pelloutiet  a  été  effrayé  pat  l'autorité  de* 
Jurifconfultes  qu'il  cite.  S'il  avoit  examiné  la 
queftion  ,  fon  cœur  n'auioit  pas  manqué  de 
combattre  des  maximes  fi  étranges,  &  qui  font 
aulti  barbares ,  auill  funeftes  à  la  Société  que 
la  coutume  d'immoler  des  viAimet  humaiocs  ) 
la  Divinité.  I^tn  it  l'Editeur, 


LIVRE    IV.     C  H  A  P  I  T  R  E-   V.  339 

avifll  avec  la  dernière  impatience  des  infirmités  qui  les  mettoieht  hors 
d'état  de  fervir. 

Enfin,  le  dogme  capital  de  la  Religion  des  Celtes,  qui  croyoient  ne 
pouvoir  entrer  dans  le  Paradis  que  par  une  mort  violente ,  faifoit  regar- 
der comme  des  lâches  (73)  ,  &  même  comme  des  impies  ,  tous  ceux  qui 
confentoient  à  mourir  d'une  mort  naturelle.  Il  réfultoit de  ces  maximes, 
(74)  que  la  plupart  des  vieillards  fe  tuoient  eux-mêmes,  tantôt  parce 
qu'ils  étoient  dégoûtés  de  la  vie  ,  tantôt  par  un  point  d'honneur,  tan- 
tôt par  un  principe  de  Religion,  &  tantôt  pour  fuivre  une  coutume 
établie.  Les  enfans  croyoient  aufli  rendre  fervlceA  leurs  pères,  &  s'ac- 
quitter d'un  devoir  de  la  piété  filiale,  en  les  délivrant  de  la  vie  d'une  ma- 
nière qui  leur  affurât  la  gloire  &  la  félicité  du  Paradis ,  d'autant  plus  que 
les  vieillards  demandoient  avec  inftance  qu'on  leur  rendît  ce  bon  office. 
Ainfi ,  quand  les  Hyperboréens  (75)  avoient  atteint  l'âge  de  foixante  ans," 
on  les  conduifoit  hors  des  portes  pour  leur  ôter  la  vie.  Les  Aborigines 
précipitoient  dans  le  Tibre  (76)  les  hommes  fexagénaires  ,  &  ils  les  of- 
froient  de  cette  manière  au  Père  Dis. 

Les  Scythes  Maffagétes  pratiquoient  quelque  chofe  de  femblable 
au  rapport  d'Hérodote  (77).  Quand  un  homme  étoit  vieux  &  infirme ,  fa 
famille  s'aflembloit  pour  l'immoler,  avec  d'autres  animaux  ,  &  manger 
toutes  ces  viandes  mêlées  en(émble.  C'étoit,  félon  eux,  la  plus  glorieufé 
&  la  plus  heureufe  de  toutes  les  morts.  Au  lieu  de  manger  ceux  qui 
mouroient  de  maladie,  on  les  enterroit  comme  des  impies  ,  qui ,  tout  au 
plus,  méritoient  d'être  la  pâture  des  animaux voraces.  Aufîiles  Maffagétes 
s'eflimoient  ils  malheureux ,  quand  ils  ne  parvenoient  point  à  être  immolés. 
Les  anciens  Habitans  de  la  Sardaigne  avoient  encore  la  même  coutume. 
Ils  immoloient  (78)  à  Saturne  l'élite  de  leurs  Prifonniers,  &  les  vieil- 
lards qui  avoient  paffé  l'âge  de  foixante-dix  ans. 

Quoique  l'on  fit  périr  ces  vieillards  d'une  manière  cruelle,  ils  al- 
loient  cependant  à  la  mort  avec  des  démonftrations  de  joie  ;  ils  regar- 
doient  comme   une  chofe  ignominieufe  qu'un  homme    placé  dans  de 


"{■Ti^  Àinm.    Marccil.   de   Alanis    lib.   XXXI.      shap.  6.  $.  ii.  note  75. 

cap.  3.  p.  <îo,  — 1       (77)  Liv.  II.  chap.  4.  not    4. 

(74]  ei-d.  Liv- 11.  ch.  12.  not.  87.  »»•.  {7»)  Suidasin  Satdonio  rifu.  Tom.  III  p.  2«7. 

(7  j)  Ci-d.  Lit.  I.  chip,  i.not.  23.  14.  j  Tfeti.  ad  Lycophr.  p.   87.   Hcf/ch   in  Saidpn. 

(7*;  Ci-i.Li*.i.chap.  10.  not.  m.  LW.  III,  |  tifu.  Euftath.  ad  OdyûT.  XX.  v.  30:.  p.  i»jj. 

Vy  J. 


340  HISTOIRE    DES    CELTES, 

femblables  circonftances ,  fe  répandît  en  pleurs  &  en  lamentations.  II  y 
a  plus.  Les  vieillards  eux-mêmes  fe  préfentoient  volontairement  à  la 
mort.  Le  moment  de  leur  facrifice  étoit  pour  eux ,  le  couronnement  de 
leurs  plaifirs  &  leur  plus  grand  triomphe.  Ils  fe  réo;aloient  avec  leurs  pa- 
rens  &  leurs  amis ,  chantoient  &  danfoient ,  fe  couvroient  de  l'au- 
riers,  &  avec  cet  appareil,  ils  mont  oient  gaiement  fur  un  rocher,  d'où 
ils  fe  précipitoient ,  &  ils  fe  perfuadoient  bonnement  que  cette  dernière 
aûion  de  leur  vie,  leur  méritoit  d'aller  revivre  dans  le  féjour  des  bien- 
heureux. 

Il  paroît  d'après  un  paffage  de  Procope ,  que  Tufage  barbare  d'immoler 
les  vieillards  qui  n'étoient  plus  en  état  de  fervir  la  Patrie ,  avoit  été 
établi  parmi  les  Hérules ,  Peuple  Germain ,  que  l'Empereur  Anaftafe 
reçut  fur  les  terres  de  l'Empirp  (79).  «  Ayant  des  coutumes  oppolées  à 
«celles  des  autres  Nations  ,  ils  ne  laiffoient  vivre  ni  les  vieillards,  ni 
«les  malades.  Quand  un  homme  étoit  accablé  par  les  infirmités  de 
»la  vieillefl'e  ,  o\i  attaqué  de  quelque  maladie  incurable  ,  il  étoit 
»  obligé  de  prier  fes  parens  qu'ils  le  délivraient  promptement  de  la  vie» 
»  Pour  cet  effet ,  on  dreflbit  un  grand  bûcher ,  fur  lequel  on  mettoit  le 
«vieillard.  Enfuite  la  famille  chargeoit  un  Hérule,  qui  ne  devoit  être 
«ni  parent,  ni  allié  du  vieillard,  de  l'égorger.  Dès  que  la  coramiffion 
»  étoit  remplie ,  les  parens  mettoient  le  feu  au  bûcher ,  &  ramaffoient 
n  enfuite  les  cendres  du  défunt  pour  les  enterrer.» 

TertuUien  &  Saint  Auguftin  (80)  remarquent  après  Varron ,  que  les 
Gaulois  ofTroient  auffi  à  leurs  Dieux  des  vieillards.  Il  en  réfuhe  que  cette 
étrange  coutume  étoit  anciennement  établie  dans  toute  la  Celtique ,  &S 
même  dans  toute  l'Europe. 

Il  y  avoit  donc  entre  les  Phéniciens ,  qui  étoient  des  Peuples  poli- 
cés ,  &  nos  Celtes ,  cette  différence  que  chez  les  premiers ,  les  pères  im- 
moloient  leurs  enfans,  au  lieu  que  chez  les  autres,  les enfans  rendoient 
ce  fervice  à  leurs  pères.  De  quel  côté  y  avoit-il  plus  de  barbarie  ?  Si 
les  Phéniciens  difoient  qu'un  père  eâ  maître  de  fes  enfans ,  les  Celtes  pou- 
voient  s'excufer,  en  difant  qu'ils  n'ôtoient  la  vie  qu'à  des  gens  à  qui  ell« 
étoit  à  charge,  &  qui  demandoient  la  mort  comme  une  grâce  ,  &  com- 


(7»)  Iiocop.  Gotth.  )ib.  II..  cap.  14.  p.  419. 

(lo)  Tcitttllian.  Apologet.  cap.  g,  Aupftin.  de  ciyit.  Dci,  Ub.  Vil. cap.  ij.  p.  4,07. 


LIVRE    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    V.  541 

me  l'unique  moyen  qui  leur  refiât  pour  parvenir  à  la  félicité  de  l'avitre 

vie  (  8 1  ). 

§.  IX.  Ce  que  l'on  vient  de  dire  doit  s'entendre  des  tems  les  plus  re- 
culés. Dans  la  fuite  ,  plufieurs  Peuples  Celtes  s'écartèrent  de  la  cou- 
tume générale,  &  fubftituerent  d'autres  vidimes  en  la  place  des  vieil- 
lards qu'ils  ofFroient  anciennement.  Par  exemple,  du  tems  de  Jules-Cé- 
far  (82)  ,  «les  Gaulois  regardoient  »les  voleurs  ,  les  brigands,  &  en 
»  général,  tous  ceux  qui  avoient  été  furpris  dans  quelque  crime,  com- 
»  me  les  viûimes  Jes  plus  agréables  qu'ils  pufTent  préfenter  aux  Dieux 
y  immortels.  Cependant ,  quand  ils  ne  trouvoient  pas  aflez  de  viûimes 
»  dans  cette  efpèce  d'hommes  ,  ils  ne  faifoient  aucune  difficulté  d'im- 
»»moler  des  innocens(83).  »  Diodore  de  Sicile  ,  qui  écrivit  quelques  an- 


PlufitursPei* 
pics  Ccitct 
fabrtituerenç 
211  factiticc 
des  Viciliaid» 
cclm  des  :i>«l- 
t'aiicuit. 


(81)  Le  problème  patoit  cire  facile  a  re'fou- 
ëre.  A  ne  confulcer  que  la  Politique  ,  les  Phe'ni- 
cicns  étotent  ,  fans  contredit  ,   plus  barbares. 
Ils  affoiblilToient  l'Etat.en  faifantpérir  ceuxqai 
en  ctoicnt   la  véritable  leflource.   Les   Celtes 
ft'ofiroient  aux  Dieux  que  des  boimocs  prefque 
inutiles  à  la  Société.  Si  l'on  confidére  les  droits 
de  l'huitianitéj  l'ufage  des  Phéniciens  croit  en- 
core plus  atroce  que  celai  des  Celtes.  Ceux-ci 
«toient  animes  par  une  pi^té  mal   entendue  j 
mais  il  n'eft  pas  moins  vrai  qu'ils  croyoienc  ren- 
dre feiviee  i  des  hommes  pour  qui  la  vie  n'étoit 
qa'uo    fardeau.    Les   Phénictens   n'all^gnoient 
«ju'une  volonté  barbare   Euffent-ils  été  ks  mai- 
ttesde  H  vie  de  leurs  enfans  ,  leur  cruauté  n'en 
feroit  pas  moins  inexcufable  ;  mais  ce  droit  , 
qu'ils  s'attribuoient  ,  u'étoit  pas  en  loi-même 
plus  raifonnable  que  le  principe  de  celui  des 
Celtes.    Noie  dt  l'Editeur. 
(»i)  Cxfar.  VI.  i«. 

fis]  Le  moins  déraifonnable  des  principes 
Jes  Celtes  ,  étoit  ,  fans  doute  ,  celui  du  facri- 
fice  des  hommes  coupables ,  &  furtout  des  meur- 
triers. Mais  par  quelle  affreufe  application,  fai- 
fbient-ils  périt  des  innoccns  ?  &  comment, poui 
tt  pareils  facrifices  ,  choififfbient  -  ils  les  uns 
plutôt  que  tes  autres  i  Ce  fait  eft  fi  atroce,  qu'on 
ferait  tenté  de  nier  que  des  hommes  ayent  ja- 
mais pu  commettre  de  femblables  horreurs.  Ce- 
pendaait ,  la  difficulté  ne  peut  tomber  que  fur 
U  manière  ,  8c  non  fut  la  fubftance  même  du 
fait.  Les  fcicnces  ont  chacune  tcui  façon  de 
procéder  à  la  recherche  des  vérités  qu:  font  de 
leur  icflbtt ,  Si  ruiftoiic,  coaiDC  1*«  au;tes,  a 


fes  démonftrations.  Les  témoignages  unanime» 
d'Auteurs  graves,  contemporains,  définterefles, 
en  un  mot ,  dont  on  ne  peut  contefter  ni  les  lu- 
mières ,  ni  la  bonne  foi  ,  conllituent  la  ceiti- 
rude  hiftoriquc  ,  Scce  feroit  une  injurtice  d'exi- 
ger d'elle  des  preuves  d'une  efpèce  diftérente. 
En  matière  de  faits,  les  raifonncmensne  pcu- 
ventrien  contre  les  autorités.  La  coutume  d'im- 
moler des  victirats  humaines  ,    3c  d'employer  . 
pour  ces  facrifices  ,  même  des  innoccns  ,  efl  un 
de  ces  ufjjes  barbares  fit  révoltans,  dont  la  cer- 
titude eft  trop  bien  établie  pour  qu'on  en  puifle 
douter  i  Siceqoiparoît  plus  étrange  ,  c'eftqu'oir 
trouve  ,  chez  les  Na:ions  les  plus  policées  ,  de* 
exemples  de  ces  cruels  facrifices  :  qu'on  ouvre 
Manethon  ,  Sancboniaton  ,  Hérodote,  Paufa. 
nias,  Jolephe,   Philon ,    Diodore   de   Sicile, 
Denis  d'HalicarnalTe ,  Sttabon  ,  Cicéton  ,  Julet- 
Céfar  ,  Macrobe  ,  Pline  ,   Tite-Live  ,  Lucain  ,. 
la  plupart  des   Poètes  Grecs  8c  Latins  ;  qu'on 
paicourc  les  livres  de  l'ancien  Tcftamcnt;  qu'on 
fouille  dans  une  partie  des  Pères  de  l'Eglife  ji 
de  toutes  ces  dépofitions  jointes  enfemble  ,  H 
réfulte  que  les  Phéniciens  ,  les  Egyptiens  ,  le» 
Arabes,  les  Cananéens  ,  les  babitans  de  Tyr  H 
de   Carthage  j   ceux  d'Athènes  8<   de  Lacédc- 
monc  ;  tous  les  Grecs  du  continent  des  îles  ;  le» 
Komains  ,  les  Scythes,  les  Albanoio  ,  les  AllC' 
mandt,  les  Anglois,le9  £fpagnols&  Jes  Gaul»i<i^ 
étoicnt  également   plongés  daiu-  eetxe  ccucMi 
fuperQiiion ,    dortt  on  }wut  dite  ce  qu«  PKiir 
difoit  autrefois  de  la  Magie  ;  qu'elle  avoit  pw- 
cooiu  routf  la  ttiie  ,  Se  que  fes  habiians,  tout 
inconnus  qu'ils  étoicnt  les  uim  aux  auucs ,  S(  â 


On  inuvo  oi 
dciEfclavci. 


Quelques 

Peuple.  Cc!ti 
choililltiicnt 
les  Viciiiii.s 
pac  le  lur[. 


541  H  I  S  T  O  I  RrE    DES    CELTES, 

nées  après  Jules-  Céfar  ,  dit  (  §4  )  que  les  Gaulois  avoient  ooutums 
»  de  tenir  les  malfaiteurs  en  prilon  pendant  cinq  ans ,  tems  après  le- 
»  quel  ils  étoient  mis  en  croix;  qu'on  les  confacroitainfi  aux  Dieux  avec 
»  beaucoup  d'autres  oblations  que  l'on  briiloit  fur  de  grands  bûchers , 
»drefl'és  exprès.»  Il  dit  auffi  (  85  )  que  «.  les  Prilonniers  étoient  des  vic- 
»times  dont  ils  faifoient  un  (iiciifiçe  à  leurs  Dieux  ;  oc  qu'il  y  avoit 
«même  dans  les  Gaules,  quelques  .Peuples  au  milieu  defquels  s'étoit 
»  établi  l'ufage  d'égorger  ou  de  brûler ,  ou  de  faire  périr  par  quelqu'autre, 
»efpèce  de  fupplice ,  non-feulement  les  Prifonniers  ,  mais  encore  tous 
»  les  animaux  qu'ils  avoient  pris  fur  l'ennemi.  » 

A  l'égard  des  Germains ,  il  ne  paroît  pas  que ,  du  tems  de  Tacî'te  ,  au- 
cun de  ces  Peuples  (8.6)  q.ue  cet  Hiftorien  a  connus ,  confervaffent  en- 
core la  coutume  d'immoler  des  vieillards.  D'un  côté,  ils  offroient  à  leur 
Odin  les  Prifonniers  qu'ils  faifoient  à  la  guerre.  De  l'autre ,  ils  immo- 
loient  leurs  propres  Efclaves  (87).  Ce  dernier  ufage  a  même  exifté  juf- 
ques  dans  le  huitième  fiécle.  C'eft  alors  qu'on  voyoit  (88)  des  Chré- 
tiens vendre  leurs  Efclaves  auoç  Barbares ,  quoiqu'ils  n'ignoraffent  pas 
que  ceux-ci  les  achetoient  pour  les  facrifier  à  leurs  Dieiix. 
■  -Les  Gétes  avoient  une  coutume  qui  leur  étoit  particulière.  Les  Mef- 
fagers  qu'ils  (89)  dépêchoient  à  Zamolxis  étoient  choifis  par  le  fort ,  & 
ilfemble  qu'on  eût  pris  ce  parti  pour  empêcher  qu'il  n'y  eût  de  la  jaloufie 
éi.  de  la  contention  entre  les  Citoyens  qui  afpiroient  tous  à  ce  miniftère. 


diffétens  d'ailleurs  d'idées  &  de  fentimens  , 
s'ptoicntunis  dans  cette  pratique  malheureufe  : 
I/iaiata  murtio  anfetifêre  ijuaiijuam  difcordi  &  fihi 
i^noto.  L'Hiftoire  nous  offre  uneinhnitéde  faits 
ou  d'ufages  il  contraires  à  'a  nature  ,  que  pour 
l'honneur  des  hoinines  ,  l'on  voudroit  les  con- 
•efter.s'Us  n'etoient  prouves  par  des  autotite's  in- 
conteftaMes.  La  raifon  s'en  étonne  ,  l'humanité 
tn  frémit  ;  mais,  comme  après  un  mut  examen, 
U  critique  n'oppofe  lien  aux  faits  qui  les  attef-' 
tent,  on  eft  réduit  à  convenir,  en  gérailTant  , 
qu'il  n'y  a  poi  nt  d'aftion  que  l'homme  ne  puifle 
commettre ,  comme  il  n'y  a  point  d'opinion 
qu'il  ne  foit  capable  d'embraflet.  Après  cela  , 
que  l'homme  vante  fa  laifon  ,  ôc  qu'il  cootefte 
encore  la  néceffité  de  la  révélation.  Nott  dil'E- 

J»+)  Diod.  Sic.  V.  »l+.  Les  Fiifpns  immor 


•    •,'n'"t/.t-"  ViV      ■ " 

loienr  auflî ,  à  leurs  Dieux  ,  les  Malfaiteurs ,  ?c , 
î  en  particulier,  les  Sacrilèges.  Ci-d.ch.  II.  §.  2*, 
not.  r23. 

(Ss)  Diod.  Sic  V.  ZI4. 

(84 j Les  Hérules,  dont  n»us  avons  fait  men- 
tion dans  le  Paragtaphe  précédent  ,  n'ctoient 
point  connus  du  tems  de  Tacite.  Ils  ne  paroif- 
fcnt  ,  dans  l'Hiftoire  ,  que  dans  les  lîécles  fui- 
vans.  Procope  les  fait  fortir  de  l'île  de  Thulé  , 
Je  Jornandès  ,  du  Danemarck.  Procop.  Gotth. 
lib.  II.  cap.  4.  p.  4Z:.  Jornand.  Qet.  cap.  3. 
pag.  «II. 

(87J  Tacit.Germ.  cap. 49.  ci-d.Liv.  III.  ch.  ». 
§.  10.  not.  105.  los.  $.  1 1.  not.  114. 

(8  8)  Gregorii  IlI.Papae.  Epift.  ad  Bonif.  iiî. 

(89)  Ci-d.  Lîv.  III.  chap.  14.  §,  13.  not.  il}« 
1 14.  chap.  1 8,  ^.  6.  not.  $3.  £4. 


LIVRE    IV.     CHAP-ITRE    IV.  343 

On  pratiqiioit  quelque  chofe  de  fembiable  en  Suède ,  oii  tous  les 
Membres  de  l'Etat ,  fans  en  excepter  le  Souverain  ,  fubiffoient  la  loi  du 
fort  dans  les  fblemnités  oii  l'on  ofFroit  aux  Dieux  des  facrifices  humains. 
Les  Suédois  regardoicnt  (90)  même  comme  le  plus  favorable  de  tous  les 
aufpices,  quand  le  fort  tomboit  fur  le  Roi,  qui  éloit  immolé  au  milieu 
.des  applaudifl'emens  &  des  cris.de  joie  de  toute  la  Nation. 

Il  eu  très-probable  que  les  Perfes  (91)  &  les  lUyriens  (92)  avoient  ap- 
pris des  Phéniciens  à  immoler  des  enfans.  Au  relie,  les  Albanois ,  éta- 
blis entre  le  Pont  Euxin  &  la  Mer  Cafpienne,  étoient  les  feuls  de  tous 
les.Scythes,  qui,  dans  certaijis  jours,  offriffent  à  leurs  Dieux  Jufqu'âux 
Minières  de  la  R.eîijgion.  Lorfque  (93)  quelqu'un  d'entre  eux,  laili  d'une 
frayeur  violente ,  que  l'on  attribuoit  à  l'efprit  de  Dieu  ,  fe  raettoit  à  cou- 
jrir  leûlles  campagnes  &  les  forêts,  on  le  lioit  d'une  chaîne  facrée,  com- 
me une  vidime  que  la  Divinité  s'étoit  choifie  elle-même ,  &  ,  après 
l'avoir  nourri  fomptueuiement  pendant  une  année  ,  on  l'immoloit  en 
pompe  à  la  Déefle ,  qui ,  à  ce  qu'on  prétend  ,  étoit  la  Lune. 

•  §.  X.  Il  refte  encore  à  examiner  à  quelle. Divinité  les  Peuples  Celtes  Aqu-UsDi. 
ofFroient  des  victimes  humaines,  &C ,  outre  cela  ,  dans  quel  tems ,  &  de  o'"des°viau 
quelle  manière  on  les  offroit.  La  première  de  ces  queftions  n'arrêtera  '""  *""""" 
pas  long-tems.  Quelques-uns  des  Anciens  affurent  que  les  Gaulois  & 
les  Germains  immoloient  des  hommes  vivans  à  Mercure  (  94  )  &:  à 
Mars  (95)  ,  qui  recevoit  encore  les  mêmes  honneurs  parmi  tous  les  Peu- 
ples Scythes.  D'autres  prétendent  que  ces  barbares  facrifices  s'offroient 
à  Saturne  (96  )  ou  à  Pluton  (  97).  Dans  le  fond,  tout  cela  revient  à  la 
même  chofe.  Les  Etrangers  ontdéfigné  (98),  fous  ces  divers  noms,  le 
Teut ,  ou  le  Dieu  fuprême  des  Celtes.  Le  regardant  comme  le  Créateur  du 
monde  &  de  l'homme ,  ils  croyoient  lui  rendre  hommage  de  la  vie  par 
de  femblables  facrifices.  L'appellant  d'ailleurs,  le  Dieu  de  la  Guerre,  s'i- 
maginant  qu'il  prenoit  plaifirà  l'efFufion  du  fang,  &c  que  l'on  n'entroit 

(90)  Loccen.  Antiquit.  Sueo-Gotth.  p.  15. 

•  {91)  Hcrodot,  VI.  cap.  i  14. 
(»l)  Artian.  Expedit.  Alex,  p.  is, 
(53)  Strabo  XI.  p.  ^03. 
(s,4)  Ci-d;  Ltv.  III.  chap.  6.  $.  4.   iî.  14. 

■trV.  IV<  ch.'3.-§.  4.  Bot.  31.  S.  «.  not.  46.  §."». 
not.  79.         .     «     w    i        ;  ■    ; 

(95)  Ci-d  tivJ  III. 'ch;  4.  §.'7;  not.  î|.  ch.  7. 
{.  I;  not.  I  o.  1 4.  §,  2.  not,  24.'Liv.  IV.  ch.  2.  $. 


nts  î 


1 1.  not.  97.  §•  lî.  not.  119.  Ç.  19.  not.  253. 
ch.  s-  $    *    not.  47,  i.  7.  not.  $5. 

(»«}  Ci-dffl".  Liv.  m.  ch.  «.  §.  14.  not.  I17. 
112.  IZ3  124.  Liv.  IV.  ch.  s.  §.  5.  not.  39. 
$.  S.  not.  79. 

'(>7  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  5.  §.  7.  not.  2«.  X7v 
«h.  «.  §.  14.  not.  U5.  Lit.  IV.  chap.  5.  J,  ^ 
not.  loi.  !  L'      i 

(91}  Ci-d.  Liv.  m.  ch.  6.  §.  <.  8c  7. 


Î44  HISTOIRE    DES    CELTES, 

dans  le  Palais  oii  11  réfidoit,  que  par  une  mort  violente,  ils  trouvèrent 
dans  ces  idées  des  prétextes  pour  lui  offrir  un  culte  qui  convenoit  à  la 
férocité  de  leur  naturel. 

On  ne  peut  guères  douter  que  la  Terre  ne  participât  ici  aux  préroga- 
tives du  Dieu  Teut ,  &  qu'on  ne  lui  offrît ,  comme  à  la  mère  du  genre- 
humain  ,  les  mêmes  facrifices  que  l'on  préfentoit  à  fon  mari.  Outre  qua 
les  Germains  (99)  noyoient  les  Efclaves  dont  ils  s'étoient  fervis  pour 
laverie  charriotde  la  Déeffe  (100),  on  a  vu  dans  le  Livre  précédent  (loi), 
que  la  Diane  Taurique ,  à  laquelle  les  Scythes  facrifioient  tous  les  Grecs 
qui  tomboient  entre  leurs  mains ,  étoit  indubitablement  la  terre  ,  la 
grande  Déeffe  de  ces  Peuples  (loz)  ,  à  laquelle  les  Thraces  immoloient 
aufli  des  Vierges. 

Peut-être  les  Celtes  offroient-ils  encore  du  fang  humain  aux  Dieux 
fubalternes  ,  qui ,  félon  la  doûrine  de  ces  Peuples ,  réfidoient  dans  les 
élémens.  Il  femble  qu'on  peut  l'inférer  d'un  paffage  de  Lucain  oii  il  eft 
dit  (103)  que  l'autel  de  Tarants  n'eft  pas  moins  redoutable  que  celui  de  la 
Diane  des  Scythes.  Le  Taranis  des  Gaulois  étoit ,  ielon  les  apparences, 
le  même  que  le  Tkor  des  Peuples  Septentrionaux  ,  c'eft-à-dire  ,  un  Dieu 
d'un  ordre  inférieur ,  qui  étoit  chargé  de  la  direftion  de  l'Athmofphère , 
&  préfidoit ,  en  cette  qualité ,  aux  vents  &  aux  orages.  Procope  re- 
marque aufli  que  les  Francs  qui  fuivirent  le  Roi  Theudibert  en  Italie 
(104),  «s 'étant  rendus  maîtres  de  la  Ville  de  Pavie,  immolèrent  les 
»  femmes  &  les  enfans  des  Goths  qu'ils  y  trouvèrent  ,  &c  jetterent 
M  leurs  corps  dans  le  Pô ,  auquel  ils  les  offroient  comme  les  prémices 
»  de  la  guerre.  >»  On  voit  dans  ces  paroles ,  que  les  Germains ,  qui  offroient 
communément  (105)  des  chevaux  &c  d'autres  animaux  aux  Génies  qui  ré- 
fidoient dans  les  Fontaines  &C  dans  les  Fleuves ,  leur  immoloient  quel- 
quefois des  vidimes  humaines.  Néanmoins,  il  paroît ,  autant  qu'il  eff  poP 


(99)  Cird.  Liv,  III.  chap.  8.  §.  3.  noc.  il. 
4,iv.  IV.  ch.  s.  $.  ».  not.  98. 

Cioo)  Il  ne  pouvoir  y  avoir  un  inoyen  plus 
aflure,  pourenfevelir,  dansl'ombre  du  myftere, 
tout  ce  qui  fe  psffoit  dans  cette  cérémonie.  Pour 
cacher  leurs  fourberies ,  il  falloir  que  les  Frétre$ 
^flent  cruels.  «  Auflî-tôr ,  dit  Tacite  ,  I«  Lac 
»  englautitles  Efclaves  employe's  à  laver  le  char 
>)  de  la  De'efle  ,  les  étoffes  qui  les  couyroie.nt , 
«>  ^  U  Dtfefle  cUf-mtmei  ce,<jui  f^oecie  les 


»  efprits  d'une  frayeur  religieufe  ,  &  réprime 
»  toute  profane  curiofité  fui  un  myftere  que 
»  l'on  ne  peur  connoitre ,  fans  qu'il  en  Coûte  U 
»  vie  à  rinftant.  »  Tacit.  Germ.  40. 

(101)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  8.  §.  9.       . 

(102)  Stephan.  de  Urb.  pag.  siî. 

(103)  Ci-d.  Liv.  ni.  ch   S.  §.  i  s- not.  14J, 
^,  16.  nor.  19t.  199.  ch.  is.  §  i.  not.  36. 

(104)  Liv.  III.  ch.  9-  §■  4.  not.  13. 

(ifl  J>  Ci-d.  iiv.  UI.  cJ».  4-  §•  *•  ttot.  10. 

fible 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    V.  345 

fible  d'en  juger ,  qu'on  ne  le  faifoit  que  dans  des  cas  extraordinaires  ;  le 
plus  excellent  de  tous  les  lacrifices  ne  s'ofFroit  ordinairement  qu'aux 
grandes  Divinités  ,  c'eft-à-dire  ,  à  Tentâtes  &  à  la  Terre ,  qui  avoit 
concouru  avec  lui  à  la  production  de  Ttiomme. 

^.  XI.  A  l'égard  du  tems  oue  les  Peuples  Celtes  choififlbient  pour  of-  onofF.n!tlc* 
fnr  les  viftimes  humaines  ,  on  a  vu  dans  le  troilieme  Chapitre  de  ce  Li-  vidimcs  ha- 
vre ,  que  l'ouverture  du  champ  de  Mars,  ou  de  l'Affemblée  générale  de  tout, /ans  lê 
chaque  Peuple,  fe  faifoit,  ordinairement,  par  de  femblables  facrifices.  felnbic'géné- 
Le  fait  eft  certain  par  rapport  aux  Scythes  (106),  aux  Germains  ^107),  '*''" 
&  aux  ^borigines  (ïo8)  ,  &  il  n'eft  pas  fans  vraifemblance  que  les  Gau- 
lois (109)  aient  eu  le  môme  ufage.  En  comparant  le  paffage  de  Diodore 
«le  Sicile,  oii  il  efl  dit  (i  10)  que  nies  Gaulois  tenoient  les  malfaiteurs  en 
»  prifon  pendant  cinq  ans  avant  que  de  les  offrir  aux  Dieux,  »>  avec  ce- 
lui d'Hérodote  ,  qui  porte  (i  i  r)  que  •>  les  Gétes  dépêchoient  tous  les  cinq 
»  ans  un  Meffager  à  Zamolxis ,  »  il  femble  que  l'on  peut  en  conclure  que 
ces  Peuples  avoient  quelque  grande  cérémonie  tous  les  cinq  ans,  comme 
les  Danois  (  1 11  )  en  avoient  une  qu'ils  célébroient  au  boiu  de  neuf  ans. 

Outre  ces  jours  fixés  par  les  Loix  ou  par  la  Coutume  ,  pour  offrir  aux 
Dieux  du  fang  humain,  les  Celtes  en  offroient  encore ,  extraordinairement, 
en  mille  circonftances  différentes.  On  en  trouvera  plufieurs  exemples 
dans  les  paffages  déjà  cités.  Les  malades  (113)  offroient  de  femblables 
facrifices  pour  obtenir  du  Ciel  leur  guérifon.  Les  fuperftitieux  (  114)  & 
les  poltrons,  qui  étoient  obligés d'expofer  leur  vie  aux  périls  d'un  com- 
bat, ou  à  quelqu'autre  danger,  croyoienî  la  fauver  ,  en  chargeant  les 
Druides  d'immoler  pour  eux  quelque  malheureux.  Les  Armées  (nj) 
confacroient  aux  Dieux  les  prémices  des  Prifonniers  qu'elles  faifoient  à  la 
guerre  :  d'autres  fois  on  les  faifoit  mourir  (116)  pour  juger  du  fuccès 
de  la  guerre  ou  d'une  bataille,  par  certaines  oblervati  ms  que  failoient 
les  Druides  en  égorgeant  un  homme.  En  un  mot ,  le  Clergé  ne  manquoit 
jamais  de  prétexte  pour  demander  de  femblables  vidimes,  ni  le  parti- 
culier pour  en  offrir. 


(loii)  Ci-d.  ch  II   $.  ii.noc.  I3. 

(107    Ci  d.  fhap.  m.  $.  4    not.ji.J3, 

(icS       i-d.  ch    )' $.4   not.  J9    4^. 

(if»)  Ci  d  ch.  3.  $  4.  not.  17. 

(i    o)  Ci-d.  §   9.  not   «4. 

(i  1 1  )  Ci-ri.  Ltv.  m,  cb.  14.  5.  13, not.  113. 

Tomt  II» 


(tu)  Ci-d.  ch.  3.  J.  s.  not  44. 

(i  1 3)  C-d.  Liv.  !II.  ch.  17.  $.  «.  not.  15, 

(1 14,  Ubi  fu  là. 

(i    S  ;  Ci-d.  J.  1  o.  not.  1 04. 

\i\t^  Ci-d.  ch.  2,  $.  14.  n'  t.  194. 

Xx 


34<S  HISTOIRE    DES    CELTES, 

^Diff'Knres  §.  XII.  Il  paroît  afftz  par  les  difFérens  paffages ,  déjà  cités,  que  les  Cel- 
S'm.'.B<"tie5,  tes  immoloient  les  viftimes  humaines  en  différentes  manières.  On  croi- 
m'imei"  ''"  roit  même  volontiers  que  ces  Peuples  avoitnt  conçu  cette  idée  barbare 
&  ridicule  ,  que  la  Divinité  prenoit  plaifir  i\  voir  inventer  quelque  nou- 
veau fupplice  pour  faire  périr  les  hommes  que  l'on  facrifioit  à  fon  hon- 
neur. On  les  noyoit  (117),  onlespendoit  (118),  on  les  mettoit  en 
croix  (119),  on  les  perçoit  de  flèches  (  120) ,  on  les  jettoit  en  l'air  (  m  ) 
pour  les  recevoir  fur  des  lances ,  on  les  pouflbit  (122)  dans  d'affreux  pré- 
cipices ,  on  les  affommoit  (1^3)  à  coups  de  maffue ,  on  les  failoit  mou- 
rir (124)  fous  le  bâton,  on  les  enterroit  (125),  ou  on  les  brùloit  (ii6) 
tout  vivans.  Les  Gaulois  pratiquoient  à  cet  égard,  quelque  chofe  d'extrê- 
mement cruel.  Ils  formoient  (liy)  avec  de  l'ofier  de  grands  colofles 
qu'ils  empliffoient  de  bois  &  de  foin  :  on  y  enfermoit  enfuite  des  hommes 
&  des  animaux  de  toute  efpèce  pour  en  faire  un  feu  de  joie.  En  un  mot , 
comme  le  difoit  Procope ,  en  parlant  des  Habitans  de  l'île  de  Thulé  (  1 28)  : 
«Quand  ces  Peuples  facrifioient  un  Prifonnier,  ils  ne  fe  contentoient 
»pas  de  lui  ôter  la  vie,  il  falioit  qu'il  fût  pendu  ,  froiffé  fur  des  épines, 
»  ou  qu'on  le  fît  périr  cruellement  par  quelque  autre  efpèce  de  fupplice.  » 
Cependant  l'ufage  le  plus  ordinaire,  étoit  (129)  de  faire  mourir 
fous  le  glaive  les  hommes  que  l'on  offroit  aux  Dieux.  Il  failoit  que  l'exé- 
cution fe  fit  de  cette  manière,  lorfque  le  facrifice  étoit  divinatoire  , 
parce  que  les  Devins  jugeoient  de  l'avenir  par  le  fang  &  par  les  entrailles 
des  victimes.  Les  cérémonies  que  l'on  obfervoit  en  les  immolant  de 
cette  manière  ,  étoient  à  peu-près  les  mêmes  dans  toute  l'Europe. 

Nous  avons  vu  (130),  par  exemple,  «que  les  Scythes  égorgeoient 
»les  Prifonniers  fur  un  vaiffeau  deftiné  à  fervir  de  théâtre  pour  cette 
»  opération.  Ils  répandoient  enfuite  le  fang  qu'ils  avoient  reçu  dans  ce 

(117)  Ci-d.  Liv.  I.  ch.  10.  pag.  67.  Liv.  III.  1       (izs)  C  -d.  not.  i  i  8.  8c  §.  9.  not.  9i.Liv.  III. 


eh.  s.  5.  II.  not.  7  j.  §.  14.  not.  1 17.  ch.  8.  §.  3. 
not.  II.  ch.  9.  §.  4-  not.  23. 

(il 8'  Ci-d  §.  7.  not.  79-ci-de(rous  i;ot.  lal. 
Tacit.  Ann.  161. 

(i  i9)Cï-d.  §.  9. not,  84.  ci-deffbus.  not.  132. 

(i2ojCi-d.  $.7.not.  63.  ci-de flous,  not.  132. 

(121.  Ci-d.  Liv.  III.  ch. S.  §.  1 5. not.  19  j. 

(i22)Ci  d.  §.  8.  not.  7  8.ci-deifous. not.  xz». 

(123)  Herodot.  IV.  103. 

(124)  Ci-d.§.  %.  not.  78. 


ch.  «.§.13.  not.  98.  ch.  s.  5.  7.  not.  2«.  17. 
(12S,  Ci  d.  §.  7,  not.  «2.  CsOir.  I.  53- 
(127]  Ci-J.  $.  9- not.  84.ci-de<rous  not.  ut. 

Csfar  VI.  i«. 

(i  28    Procop.  Cotth.  lib.  II.  cap.  1  5.  p.  424, 
(129)  Tacit.   Ann.  I.  «i.  ci-d.  $.  4.  not.  2j. 

§.  6.  not.  j  I.  §.  7.  not.  «2.    §.8.  not.  79.  §.  9. 

not.  91.  &  ch.  2,  §.  19.  not.  1 1  3,  ch,  4.  §.  Z3- 

noc.  3  18. 

(i)o]Ci  d. ch.  a.  $.  II.  tioi.  8). 


L  I  V  R  E    I V.    C  H  A  P  I  T  R  E    V,  547 

»  vaifleau,  fur  l'épée  qui  étoit  le  fimulacre  de  leur  Mars.  »  Hérodote  qui 
rapporte  ces  particularités  ,  ajoute  «qu'enfnite  les  Scythes  coupoient 
»Ie  bras  droit  des  hommes  qu'ils  avoient  égorgés,  &  qu'ils  le  jet- 
Mtoicnt  en  l'air.  »  Cette  cérémonie  étoit,  félon  toute  apparence ,  un  hom- 
mage qu'ils  rendoient  au  Dieu  Mars,  de  ce  qu'il  avoit  abattu  la  force  de 
leurs  ennemis. 

Chez  les  v.imbres  (131),  «les  Prêtreffes  égorgoient  les  Prifonniers 
>»fur  une  grande  cuve,   &c  obfervoient  ,  avec  beaucoup  de  foin,  la 
»  manière  dont  le  fang  couloit.  Enfuite  elles  difféquoient  le  cadavre , 
>»  6i  en  examinoient  les  entrailles  félon   les  règles  de  la  divination.» 
Dais  les  Gaules  (132),  «le  Devin  frappoit  la  victime  au  défaut  des  côtes, 
M  &  tiroit  de  la  palpitation  de  fes  membres  divers  préfages  fur  l'avenir.  » 
Cela  fe  pratiquoit  de  la  même  manière  &  dans  les  mêmes  vues  par  les 
Lufitams  (  133  )  qui  font  les  anciens  Habitans  du  Portugal,  &  par  les  AI- 
banois  (134),  avec  cette  différence ,  néanmoins,  qu'après  avoir  immolé 
un  Prilonnier,  les  Lufitains  lui  coupoient  la  main  droite  pour  la  confa- 
crer  aux  Dieux  ,  c'eft-à-dire,  pour  la  clouer  à  un  arbre  conlacré;  les 
Albanois,  au  contraire,  portoient  le  cadavre  tout  entier  dans  un  certain 
lieu ,  où  tous  ceux  qui  avoient  aflifté  à  la  cérémonie ,  alloient  le  fouler  aux 
pieds.  En  voilà  affez  pour  montrer  que  ce  qu'il  plaiioit  aux  Celtes  d'ap- 
peller  le  plus  excellent  de  tous  les  cultes  &  de  tous  les  facrifices,  n'é- 
tolt  dans  le  fonds ,   qu'une  cruelle  &  déteftable  fuperftition.  Pourquoi 
parleroit-on  plus  longtems  de  ces  horreurs  dont  la  leule  idée  fait  fré- 
mir ,  dont  le  fouvenlr  deshonore  l'humanité  ,  &  rabaiffe  fi  foj  t  la  raifoa 
qui  re  id  les  hommes  fi  orgueilleux? 

§.  XIII.  Outre  les  viâimes  humaines,  les  Peuples  Celtes  ofFroient en-  t„ceit« 
core  à  leurs  Dieux  des  animaux  de  toute  efpèce,  des  bœufs  (135),  des  e^'^Tu^n 
brebis  (136),  des  pourceaux  (137),  des  chèvres  (138').  Il  y  avoit,  cepen-  ^  ""^f 

,  j  \      r  •      fn-  ■  '■-'/  J  'r  ma  IX  Je. 

dant,  deux  choies  qui  diltmguoient  leurs  facrifices  de  ceux  des  autres  "  «'p^"- 
Payens. 


sani- 


(tîl^  Cid.  ch.  ï    $.  i4    not.  I9t. 

(ui)Ci-d  cli.4.<(.  14.  not.  ,41. Str.  IV.  ijl. 

(1  3],  S  labo  III.  p.  I S4. 

(134    Ci-d    %.  9    n.)t    :  04. 

(i  i  s)  Ci-d.  Liv.  III  ch.  4.  §.  i.  n-jt.  «.  ch.  9.  j 


1er  deux  tauieaux  blancs.  Pliij.  Hift.  Nat.  1,  XVI. 
cap   44.  p.  3  I  2. 

(ij6  Cl-d  $.  s.  not.  >».  &  Liv.  III.  ch.  4. 
J.   X.  not.  «. 

(    37    Les  Sue'dois  en  offroient  ,  félon OlaiM 


$.  4.  not.    19.  Pline,   parlant  de»  cérémonies  •  B.udbeck  Atlant   cap.  s    §.  «.p.  loji, 
que   -s  Druides  obfervoiept  en  cueillant  le  gui  ^,33^  Ci-deflbus,  not.  140. 

de  chêne  ,  dii  qu'ils  coiumeofoicnt  (M  iu.mo-  4 

Xxi 


vauj(. 


34?  HISTOIRE    DES    CELTES; 

iij  imwoioi-      En  premier  lieu,  ils  immoloient  fréquemment  ,  non -feulement  des- 
cm  des  chc-  gheyaux,  niais  encore  des  chiens,  ce  qui  n'étoit  pas  en  ufage,  ou  ne  fe 

vaille.  '  *  J.  fc^ 

pratiquoit ,  au  moins ,  que  très-rarement  parmi  les  autres  Payens.  Le 
cheval  eft  celui  de  tous  les  animaux  dont  les  Guerriers  ont  toujours  fait 
le  plus  de  cas ,  &C  dont  ils  tirent  effeûivement  le  plus  de  fervice.  Par 
cela  même ,  les  Scythes  Se  les  Celtes  regardoient  le  cheval  comme  la 
vidime  la  plus  excellente  6c  la  plus  agréable  que  l'on  pût  préfenter  aux 
Dieux,  après  les  viâimes  humaines.  Ce  n'eft  pas  dans  cette  feule  occafion, 
que  les  Inclinations  guerrières  de  ces  Peuples  influoient  fur  leur  Religion, 
Âinfi  (  139),  «les  Scythes,  dans  toutes  leurs  folemnités,  immoloient 
»  principalement  des  chevaux;  »  &  cet  ufage,  au  lieu  de  leur  être  parti- 
culier ,  s'étendoit  (140)  anciennement  à  tous  les  Peuples  de  l'Europe, 
&même  (141)  aux  Perfes,  aux  Amazones  (141),  Se  aux  Troyens  (143). 
Il  s'étoit  auffi  confervé  parmi  les  Romains  (144)  qui  le  tenoient  des  Abo« 
rjgines  ,  comme  les  Lacédémoniens  (  145  )  l'avoient  reçu  des  Pélafges  ôc 
des  Doriens  dont  ils  étoient  defcendus. 

A  l'égard  des  chiens,  on  voit  que  les  Thraces  (146)  &  lesCariens(i47) 
en  ofFroient  communément  à  Diane  ou  à  Hécate ,  c'eft-à-dire ,  à  la  Terre.' 
Cet  ufage  paroiffbit  tout-à-fait  étrange  en  Orient ,  où  le  chien  éroit  détefté 
comme  un  animal  impur ,  fans  doute  parce  que  dans  ce  Pays ,  fon  corps 
exhale  une  odeur  infupportable  ;  mais  il  ne  devoit  furprendre  ni  les 
Grecs,  ni  les  Romains  (14^)  j  qui  avoient  eux-mêmes  de  femblables 
facrifices.  On  fait,  d'ailleurs,  que  la  fuperftition  vouloit  qu'on  offrît  aux 
DiejLix  du  Paganifme  tout  ce  que  l'homme  avoit  de  plus  précieux  ;  de 
forte  qu'il  ne  faut  pas  s'étonner  que  des  Peuples  qui,  dans  le  commen- 
cement ,  ne  s'appliquoient  pas  à  l'agriculture ,  &  dont  toutes  les  richef- 
fes  confifîoient  dans  le  bétail  qu'ils  conduifolent  d'un  pâturage  à  l'autre, 
aient  regard»;  un  animal,  qui  leur  étoit  utile,  &c  même  néceflaire  pour 


Ils  facri- 

fioL.-iu  des 
tbi-ait 


(np)  Herodot.  IV.  <S.  «i-d.  Liv.  HI.  ch.  12. 
J.  s.  DOt.  33. 

,'140)  Florus  IV.  I  2.  Olafs  Saga  ap.  Rudbeok 
Allant,  cap  5.  §.  is.p.  iio.  Paiifan.  Attic.  cap. 
ai.p.  S"-  f^iytci  d.  Liv.  III.cli. 4.  §  (  noi.  *. 
J.  I.  not.  10.  Liv    IV.  ch.  3  §.  s.  npr.  45, 

(i4i)Ovid.raa.  Ub.  I.  v.  s8  5.  Herodpt.  VÎI. 
113- 

(141)  Valer  Flacc.  Argonaut.  II.  is«-  V.  ai. 

(143J  Ci-d.Liv.  III.  ch.  9  $.  4.  not.  23. 


(i44lro!iip.  Feftus  p.  ï8  î9.  Feftus  Fauli 
Diacpni  p.  34$.  Julian.  Ora  .  V.  p.  17S. 

(i4<)  Fojfz,  la  note  prcccdentc. 

(145  Ovid.  faft  I.  V.  189.  TietE  ad  h.  I., 
p.  I  z.  Stephsn.  de  Urb.  p.  f  $.  Suid.  in  Samo- 
thrace  III,  i  So.  &  in  d>A'  'n  ris  Tom.  I.  p.  1  oB, 
Hefychius.  ci-d.  diap.  3.  §.  j    not.  4. 

(147)  Suidas  Tom.  II.  244.  Cîcm.  Alex. 
Cohojt.  ad  Gent.  Tom.  I.  p.  ij. 

(148]  Flutacch.  Qyxiù.,  H.om.  ;z.  6t, 


LIVRE     IV.    CHAPITRE    V.  349 

fa  garde  de  leurs  troupeaux  &c  de  leurs  charriots,  comme  une  viûime 
excellente  &  très-agréable  à  la  Divinité.  Le  Guerrier  ofFroit  fes  chevaux, 
&c  le  Berger  fes  chiens.  N'étoit-ce  pas  le  plus  grand  facrifîce  qu'ils 
puffent  faire  ? 

En  fécond  lieu ,  les  Peuples  Celtes  difFéroient  des  autres  Payens  dans  la 
manière  d'immoler  les  animaux ,  &  d'offrir  les  facrifîces.  Au  lieu  d'égor- 
ger les  viftimes,  il  leur  étoit  plus  ordinaire  de  les  aflbmmer  (149),  ou 
de  les  étrangler.  D'ailleurs ,  ils  ne  briiloient  aucune  partie  des  animaux 
qu'ils  avoient  facrifiés ,  &  à  proprement  parler ,  ils  n'en  offroient  aux 
Dieux  que  la  vie ,  ou ,  tout  au  plus ,  la  tête  (150)  que  l'on  clouoit  à  un 
arbre  confacré.  Après  quelques  prières  que  le  Sacrificateur  prononçoit 
fur  la  vidime,  foit  en  l'offrant ,  foit  en  la  difféquant,  il  la  rendoit  à  celui 
qui  l'avoit  préfentée  pour  la  manger  avec  fes  parens  &  fes  amis  ,  dans  le 
Sanftuaire  même  où  elle  avoit  été  immolée  ,  de  forte  que  le  feftin  fai- 
foit  toujours  la  clôture  des  facrifices ,  &  des  Affemblées  Religieufes. 

§.  XIV.  Il  ne  fera  pas  néceffaire  d'entrer  dans  le  même  détail,  par     lesiutr» 
rapport  aux  autres  parties  du  culte  que  les  Peuples  Celtes  rendoient  à  cjtcdescd- 
leurs  Dieux,  parce  qu'on  a  déjà  eu  occafion  d'en  parler  fort  au  long  cvint^ks' '° 
dans  Jes  Livres  précédens.  Par  exemple  ,  on  a  vu  que  ces  (151)  Peuples  "j,™"s"f^.'" 
chantoient  dans  leurs  Affemblées,  des  hymnes  (acres  defîinés  à  les  former,  ecées. 
non-feulement  à  la  piété,  mais  auffi  à  la  bravoure,  qui  étoit  la  vertu 
dont  Ces  Peuples  frifoient  le  plus  de  cas.  On  a  vu  (151)  encore  que  ces 
hymne*  fe  chantoient  au  fon  des  inflrumens ,  &  avec  divers  mouve» 
mens  du  corps,  de  manière  que  chaque  cantique  avoit  non-feulement 
fon  air,  mais  même  fa  danfe  particulière.  D'après  cela,  comment  fe- 
roit-on  furpfis  que  la  danfe  ,  inféparable  du  chant  des  hymnes ,  fiit  une 
partie  (i<i})  du  culte  des  Diiix  parmi  les  Celtes.  C'eft  aufli  ce  qui  fe 
pratiquoit  parmi  les  autres  Peuples  Payens,  &  même  au  mileu  des  Juifs. 

La  coutume  de  célébrer  des  ft-ffins  facrés  dans  les  Temples  &  dans  les  l^s  fedins  fa- 
Sanduaires  (154)  n'étoit  pas  plus  particulière  aux  Cehes.  Le  Paven ,  re-  ""  ""O'^t 
gardant  la  Divmite  comme  appaifee  par  le  facrifice  qu'il  venoit  de  lui  of-  wiiiasavicut- 

'^  '^ 2 ce  des  Celtes. 

(149;  Herodot.  IV.  «o.  6 1.  Stiabo  XV.  732.1  (.jj)  ci-d  Liv.  II,  ch.  10.  p.  192.  191. 
?"•  j  Liv.  III.  ch.  «.  $    },  not.  4  ch.  I.  §.  7.not  5t. 

(i^o)  Ci-d.  ch.  2.  §.  it.  not.  109.  Agathias     ch.  17.  §'  3.  not.  4. 

ïi^^'P"-  j       (154    Ci-d.  LiT.  II.  ch    u.p.  n7    I-iv    IV.' 

ils    )  Ci-d.  Liv.  II.  ch   10.  p.  i««.  &fui».  Uh.z.  §.3  2.eh.  1.5.  I.  not.  s.  4.  4.  not.  i». 
(uOiti-lp.  lit.  acfuiv.  i  '  • 


350  HISTOIRE    DES    CELTES, 

frir,  exprimoit  fa  fatisfaûion  &  fa  reconnoiflance  en  mangeant  avec  {es 
parens  &  fes  amis  ,  dans,  quelque  endroit  du  Temple,  cette  partie  des 
viâimes  qui  leur  étoit  rendue  par  les  Sacrificateurs  ;  &C  l'on  ne  peut  dif- 
convenlr  que  ces  repas ,  pourvu  qu'on  n'y  lortît  pas  des  bornes  de  la 
fobriété  &c  de  la  modellie,  ne  puffent  fervir  à  cimenter  l'union  qui  doit 
naturellement  régner  entre  les  membres  d'une  même  Société  &  d'une 
même  Religion.  On  voit  dans  Hérodote  (155),  que  Zamolxis,aui  étoit 
le  Souverain  Pontife  des  Gétes,  régaloit  fouvent  dans  fa  retraite  les 
Seigneurs  de  fa  Nation,  &  qu'il  profitoit  de  cette  occafion  pour  leur  en- 
feigner  l'immortalité  de  l'ame.  Il  n'y  avoit  en  cela  rien  que  de  très-loua- 
ble; mais  il  faut  avouer  qu'il  fe  commetîoit  ordinairement  d'étranges  ex- 
cès dans  les  feftins  que  les  Celtes  faifoieni  à  l'honneur  de  leurs  Dielix. 

L'on  obfervera  d'abord  que  ces  feflins  fe  réitéroient  trop  fouvent. 
Par  exemple,  les  Celtiberes  (  156  )  paffoient  toutes  les  nuits  où  la  Lune 
»  étoit  pleine  ,  à  danfer  &  à  fe  réjouir  avec  leurs  familles  hors  des 
»  portes.  »  Toutes  les  fois  que  les  Gaulois  faifoient  la  cérémonie  de 
cueillir  le  Gui  de  chêne  ,  il  falloit  (157)  <•  que  l'on  commençât  par  pré* 
»  parer  un  facrifice  &  un  feftin  au  pied  de  l'arbre.  » 

i".  Ces  feftins  duroient  ordinairement  (158)  plufieurs  jours,  & 
quelquefois  (159)  des  femaines  entières.  Que  ne  devoit-on  pas  craindre 
de  ces  excès  ? 

D'ailleurs  ,  les  Celtes  paffoient  toutes  leurs  fêtes  à  fe  gogcr  de  vian- 
des, &C  à  s'enivrer.  Ce  n'étoit  pas  affez  d'y  manger  la  chair  des  vi£timc$ 
que  l'on  avoit  immolées  ,  il  falloit  y  apporter  encore  (160)  des  provi- 
fions  de  toute  efpèce  ,  &  fur-tout  de  grands  tonneaux  de  bierre,  que  l'on 
ne  manquoit  jamais  de  vuider  pendant  la  folemnité.  Ainfi  Saint  Co- 
lomban ,  paffant  dans  le  territoire  de  Bregentz  fur  le  Lac  de  Confiance ,  y 
trouva  les  gens  du  Pays  qui  fe  préparoient  à  offrir  un  facrifice  à  leur 
Vodan  ,  &  (i6i)  au  milieu  de  TAffemblée  ,  un  grand  tonneau  de  bierre 
qui  pouvoit  tenir  vingt  bariques  ,  plus  ou  moins. 

3°.  C'étoit  encore  pendant  ces  feffins  que  l'on  buvoit  dans  les  cornes ,' 


(i  s  5)  Hcrodor.  IV.  95.  Kiijfi,  ce  qui  a  été  dit 
de  Zamolxis  ci-d.  Ch.  II.  §.  28.not.  ijj  ch  IV. 
5.  1 1-  not   I  î7. 

(iS«)  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  tf.  §.  3.  not.  4. 

(I S 7;  flin.  Hift.  Kat.  1.  XYI.  cap.  44.jp.jia. 


(i  sS   Ci-d.  Liv.  m    ch  9    §■  4-  not.  îï. 
(1J9)  Ci-d.  Liv.  m.  ch.  S.  §.  3   not   11, 
(iiSo  ci-d.  Liv.  III  ch.  9.  §   4.  not.  tz. 
(i4 1  Visa  S.  Columbani  ap.  Duchcûie.  T.  lï. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    V.  jjt 

&  fur-tout  dans  les  crânes  que  l'on  confervoit  pour  cet  ufage  (162)  dans 
les  Sanftuaires.  Chacun  des  affiftans  étoit  obligé  de  vuider  une  coupe 
entière,  premièrement  en  l'honneur  (163)  du  Dieu  Fodan ,  on  OJin  y 
enfuite  en  l'honneur  de  la  Terre  &  des  autres  Dieux.  Après  avoir  bu  en 
l'honneur  des  Dieux,  on  buvoit  en  l'honneur  des  Héros  dont  il  étoit  fait 
mention  dans  Jes  cantiques  que  l'on  chantoit  pendant  la  folemnité.  Des 
Héros  on  paffoit  aux  amis  défunts  &  vivans  :  en  un  mot,  on  ne  ceffoit  de 
porter  de  nouvelles  fantés  jufqu'à  ce  que  la  bolffon  manquât. 

4**.  De-Ià  il  arrivoit  que  les  fêtes  des  Celtes  étoient  un  tems  de  cra- 
pule &  de  débauche,  pendant  lequel  perfonne  ne  fortoit  de  l'y-vreffé. 
Quand  un  ennemi  pouvoit  les  furprendre  dans  un  de  ces  feftins,  il  les 
(164)  trouvoit  endormis,  &  couchés  fous  les  tables  :  le'  plus  fouvent' 
on  les  affommoit  avant  qu'ils  fuffent  éveillés.  Les  Capitulaires  de  Char- 
lemagne  (165)  défendent  aux  Saxons  qui  avoient  embrafle  le  Chriftianif-- 
me ,  de  fe  rendre  aux  feftins  que  les  Payens  célébroient  à  l'honneur  de 
leurs  Dieux.  Cette  Loi  étoit  conforme  à  i'efprit  de  l'Evangile.  Tous  ceux 
qui  affiftoient  à  ces  feftins ,  rendolent  un  hommage  religieux  aux  fauffes  Di- 
vinités des  Payens,  &  vuidoient  une  ou  plufieurs  coupes  à  leur  honneur. 
C'étoit  précifément  ce  que  St.  Paul  appelloit  (166)  l>oire  le  calice  des  Dé- 
mons y  &  participer  à  leur  table. 

Grégoire-le-Grand  (167)  «avolt  permis  aux  nouveaux  convertis  de 
M  célébrer  auprès  des  Eglifes  &  à  la  louange  du  vrai  Dieu ,  les  feftins 
w  folemnels  que  les  Payens  faifoient  à  l'honneur  de  leurs  Divinités.  »» 
Cette  condefcendance  étoit  louable ,  parce  qu'il  s'agiffoit  d'une  chofe  qui, 
en  elle-même ,  n'étoit  ni  bonne ,  ni  mauvaife  ;  les  Apôtres  avoient  de 


(t«i)  Ci-d  Liy.  II.  ch.  }.  not.  78.  8j. 

(163,  Keyflcr  p.  3  5  '•  &  h<\- 

(164)  Vnjci.  en  un  exemple  ians  Tacite 
Annal.  I.  s°. 

(i«s)  Capit.  Karol.  M.  de  Faccibus  Saxon, 
ap.  Baluz.  Capit.  Tom.  I.  p.  254.  Ke/fler 
P    7^-  J3I. 

(iiS«)  «  Confiderez  les  Ifraelites  félon  la 
»  chair  :  ceux  d'entr'eux  qui  mangent  de  la  vic- 
»  time  immolée  ,  ne  prennent-ils  pas  ainûpart 
»i  l'autel?  Eft  -  ce  donc  que  je  veuille  dire 
»  que  ce  qui  a  été  immolé  aux  Idoles  ,  ait  quel- 
que vertu  ,  ou  que  l'Idole  foit  quelque 
«  chofe  \  Non  :  mais  je  dis  ^ue  ce  que  les 


»  Payens  immolent,  ils  l'immolent  aux  De- 
»  mons  ,  6c  non  pas  à  Dieu.  Or,  ;e  deiite  que 
»  vous  n'ayez  aucune  fociété  avec  les  Démons. 
»  Vous  ne  pouvez  pas  boire  le  calice  du  Sei- 
»  gtieur  2c  le  calice  des  De'mons.  Vous  ne  pou- 
»  vez  pas  participer  a  la  table  du  Seigneur,  ea 
»  mangeant  le  pain  Euchatillique  ,  &  avoir  part 
»  à  la  table  des  Démons  ,  en  vous  nouriflant 
i>  de  ce  qui  a  été  offert  aux  Idoles.»  I.  Cor.  X. 
19,  20.  21. 

(i(57)  Gregorii  M.  Ep.  ad  Millitura  Abbt- 
tem  itiFtancii  lib.  IX.  £p.  71.  ap.  Ou  fiefne 
Tom.  II.  pap.  i  <. 


351  HISTOIRE    DES    'CELTES, 

même  permis  aux  Juifs  Chrétiens  d'obferver  les  cérémonies  de  la  Loi; 
La  permifllon  du  Pontife  Romain  dégénéra  bientôt  en  abus.  Le  lieu  faint 
étoit  profané  par  les  abominations  que  l'on  y  commettoit ,  &  qui  font 
la  fuite  naturelle  de  l'ivrognerie.  Les  feftins  que  les  Chrétiens  faifoient 
près  des  Eglifes,  ou  même  dans  les  Eglifes  ,  étoient  de  véritables  Bac- 
chanales Charlemagne  fe  vit  obligé  (i68)  de  les  défendre.  On  ne  fait  fi 
la  Loi  de  cet  Empereur  remédia  à  l'abus  ,  &  fi  les  feftins  dont  il  s'agit 
furent  abolis  dans  les  terres  de  fon  obéiffance  ,  mais  il  eft  conftant  que 
les  Peuples  du  Nord  ont  confervé  ces  repas  facrés  ,  long-tems  après 
avoir  reçu  le  Chriftianifme  (  169)  ,  &  qu'ils  y  pratiquoient  des  cérémo- 
nies Payennes.  Par  exemple  ,  on  y  vuidoit  des  coupes  à  l'honneur  du 
Père  (170) , du  Fils,  du  Saint-Efprit,  de  la  Sainte  Vierge  ,  de  St.  Etienne, 
de  St.  Nicolas,  de  St.  Martin,  &c  de  tous  les  Dofteurs  de  l'Eglife  ;  en 
buvant  à  l'honneur  de  la  Divinité  (171)  &  des  Saints ,  on  leur  failoit 
des  préfens  èc  des  donations  pieufes  qui  tournoient  au  profit  des  Prêtres. 


CHAPITRE      VI. 

De>  fuFtifti-§- 1.  Suivant  le  plan  qu'on  s'eft  propofé  de  fulvre,  on  doit  parler 
pks  cthc.r*  <^<ï"s  ce  Chapitre ,  des  fuperftitions  des  Peuples  Celtes.  Cet  objet  feul 
pourroit  fournir  la  matière  d'un  gros  Livre.  Mais  d'autres  ont  déjà  écrit 
fur  ce  fujet.  Il  eft:  d'ailleurs  fâcheux  de  s'arrêter  long-tems  à  des  égare» 
mens  fi  marqués  ,  Se  qui  «toient  l'opprobre  de  la  raifon ,  autant  que  de  U 
Religion.  On  va  donc  traiter  cette  matière  avec  le  plus  de  précifioa 
qu'il  fera  poflible. 

Les  fuperftitions  communes  à  tous  les  Peuples  Celtes,  peuvent  être  ré- 
duites à  deux  chefs  généraux  ,  les  Divinations  &  la  Magie. 
ïiies  confif-      §•  ^^'  ^  l'égard  des  Divinations ,  c'eft  une  queftion  célèbre  dans  le» 
d«'i«1cs uivi- ^'■^^^^ '  ^*  ^^  qu'on  appelle  le  futur  contingent,  peut  être  prévu   par 

nations.  ♦ 


(i«»;  Capit.  Kar.  M.  lib.  II.  Tit.  1 1.  p.  szj. 
(ifij)  Vojtz,  la  Diilertation  de  M.  Kcyflet, 
qui  a  pour  titre  :  Dt/quifiionei  de  initrdiilo  larnu 
tautiidufu  )&  comjyotxttJnihuifAcrii  majorum  nojlro- 
rum.  in  Antiquit.  Sepentr.  p.  jiz.  Se  feq.  & 
Du  Frefne  Gioflar.  au  mot  Bihere  in  »mtre  finc- 
Urutn,    Tom.   I.   fag,    107,  &  à  celui  C»r»u  , 


pag  1340. 

(70  Ritus  Nuptial  Idardorum  ap.  Keyfle» 
pag  Jso.  Chtiftian  de  fcala  in  vita  Sanfti  Veiw 
ceflei  p.  s  6.  ap    Du  Frefne  p.  607. 

(17  ij  Olaus  Worinius  ad  faâos  Danicos  ap> 
Du  Fiefne  p.  1340. 

quelque 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    VT.  353 

quelque  intelligence  que  ce  foit.  Bien  des  Philofophes  ont  prétendu 
que ,  comme  il  n'y  a  aucune  puiflance  qui  puiffe  s'étendre  à  des  ciiofes  im- 
poffibles  &  contradiûoires ,  il  n'efl  pas  poffibleaulîî  d'acquérir  une  con- 
noiflance  certaine  des  chofes  qui  font  encore  incertaines  &  contingentes. 
On  peut  voir  dans  Cicéron  (i),  de  quelle  manière  ceux  qui  étoient 
d'un  autre  fentiment ,  fe  tiroient  de  cette  difficulté.  Au  refte  ,  la  queftion 
eft  décidée  pour  tous  ceux  qui  reconnoiffent  la  Diviàité  des  faintes 
Ecritures.  On  trouve  dans  les  Livres  de  l'Ancien  &  du  Nouveau  Tefta- 
ment,  un  grand  nombre  d'Oracles  qui  ne  permettent  pas  de  douter 
que  Dieu  ne  prévoie  jufqu'aux  événemens  qui  dépendent  de  la  déter- 
mination libre  de  l'homme ,  &  du  concours  de  certaines  circonftances 
qui  pouvoient  varier  jufqu'à  l'infini.  Mais  ,  fans  rien  ôter  à  la  fcience  de 
Oieu ,  il  faut  convenir ,  après  cela ,  qu'entre  les  chofes  que  l'homme 
fouhaiteroit  de  favoir,  &  qu'il  ne  fauroit  découvrir  par  fes  propres  lu- 
mières ,  il  y  en  a  une  infinité  que  la  fagefle  de  Dieu  ne  doit  pas  lui  dé- 
couvrir. Les  caufes  fécondes  agiffent ,  par  exemple ,  fous  la  diredion  de  la 
caufe  première  ;  elles  font  fouvent  des  moyens  &  des  inftrumens  dont 
Dieu  fe  fert  pour  exécuter  fes  propres  defleins.  Il  n'efl  donc  pas  à  propos 
que  l'homme  foit  inftruit  des  vues  &  des  deffeins  de  Dieu ,  d'une  ma- 
nière qui  le  mette  en  état  de  troubler  l'ordre  des  événemens  ,  &  de 
déranger  le  plan  de  la  Providence- 
Dans  toutes  les  chofes  qui  dépendent  de  notre  liberté  ,  l'homme  eft 
réduit  à  fe  fervir  de  fes  lumières ,  pour  choifir  entre  le  bon  &  le  mauvais 
parti.  Il  n'eft  pas  naturel  que  Dieu  établiffe  un  Oracle  pour  lui  annon- 
cer lequel  des  deux  partis  il  prendra.  Un  homme  veut-il  favoir  s'il  fera  heu- 
reux dans  l'état  de  mariage  ?  c'eft  une  queftion  qu'il  doit  décider  par  fa 
propre  fageffe,  parce  que  la  folution  du  problême  dépend  de  la  bonté  du 
choix  qu'il  fera ,  &  des  difpofitions  qu'il  apportera  lui-même  à  cet  état. 
Enfin ,  il  faut  avouer  que  la  Providence  a  pourvu  à  la  tranquillité  de 
l'homme ,  en  dérobant  à  fes  regards  des  événemens  abfens  &  éloignés. 
Il  voudroit  avoir  une  connoiftance  claire  de  tout  ce  qui  l'attend  dans  l'a- 
yenir ,  &  le  plus  fouvent  il  y  trouveroit  fon  fupplice.  La  vue  certaine 
d'un  mauvais  fuccès ,  ou  d'un  m^I  inévitable ,  ne  feroit  propre  qu'à  le 
décourager  &  à  le  tourmenter  inutilement. 

(i)  Ciccro  de  Divinat.  Ub.  II.  cap.  17,  1 1. 

Tome  II.  y  V 


JJ4  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Les  Peuples  Celtes  avoient ,  fur  ce  point ,  des  idées  toutes  difFérentesi 
Reconnoiffant  que  rien  n'échappe  à  la  fcience  divine,  ils  en  concluoient 
que  l'amour  que  Dieu  a  pour  la  vérité  &  pour  lajuftice,  l'oblige  a  dé- 
clarer aux  hommes  toutes  les  chofes  qu'il  leur  importe  de  favoir ,  & 
qu'ils  ne  font  pas  en  état  de  découvrir  par  eux-mêmes.  Ainfi  toutes  les 
fois  qu'il  s'agiffoit  d'un  cas  douteux,  ou  d'une  délibération  importante  , 
par  rapport  à  laquelle  il  auroit  été  dangereux  de  fe  tromper,  au  lieu  de 
décider  la  queftion  par  leurs  propres  lumières,  ils  préféroient  de  con- 
fulter  la  Divinité ,  dont  les  réponfes  étoient  toujours  infaillibles.  Ils  en 
concluoient  encore  que  la  Divinité  réûdant  dans  toutes  les  parties  de  la 
Nature,  dans  l'air,  dans  l'eau ,  dans  le  feu  ,  dans  les  animaux,  &  même 
dans  l'homme  ,  en  qui  elle  produit  des  raouvemens    naturels   &c   in- 
délibérés ,    on  pouvoit  aulîi  l'interroger  &  recevoir  fes  réponfes  par 
tous  ces  différens  véhicules.  La  voix  de  la  Nature  étoit  la  voix  même  de 
la  Divinité.    Ces  conféquences   qui  étoient  fauffes  &  infoutenables  , 
comme  on  l'a  montré  ailleurs ,  fervoient  de  fondement  à  la  Phyfiolo- 
gie ,  c'eft-à-dire ,  à  la  fcience  des  divinations ,  parmi  lefquelles  il  y  en 
avoit  qui  étoient  auffi  dangereufes  &c  auffi  cruelles  ,  qu'elles  étoient 
vaines  &  fiiperftitieufes. 
ilyavoitp'u.       §.  III,  L'une  des  divinations  les  plus  accréditées  parmi  les  Celtes, 
de  uivina-     c'ctoit  Ic  ducl ,  dout  OU  a  eu  occafion  de  parler  fort  au  long  dans  un 
àcaé.nlèe''  "*  ^^^  Llvres  (i)  précédens.  On  ne  doit  le  confulérer  ici  qu'autant  qu'il  étoit 
étouicduci-    yne    divination,  un  jugement  de  Dieu,  dans  lequel  la  Providence  dé- 
claroit  à  l'homme  ,  d'une  manière  extraordinaire  ôc  furnaturelle ,  des 
chofes  qu'il  n'auroit  pu  découvrir  par  d'autres  voies.  On  recouroit  à  ce 
jugement  dans  deux  cas  principaux. 

i**.  Quand  les  Peuples  étoient  convoqués  pour  délibérer  fur  quel- 
que fiijet  important ,  &  que  l'Aflemblée  avoit  de  la  peine  à  fe  détermi- 
ner ,  foit  parce  que  l'affaire  étoit  embarraffante  &c  pleine  de  difficul- 
tés ,  foit  parce  que  les  avis  étoient  partagés ,  &  dans  une  efpèce  d'équi- 
libre ,  on  prenoit  le  parti  d'ordonner  le  duel ,  &  de  remettre  à  la  décifion  de 
la  Providence  une  queftion  que  les  hommes  ne  pouvoient  pas ,  ou  ne 
youloient  pas  décider.  On  voit,  par  exemple,  dans  Hérodote  (3)  «  que 
«les  Scythes,  nouvellement  venus  d'Afie  ,  ayant  attaqué  les  Cimmé- 

(î)  Ci-d.  Lit.  II.  chap.  14,  p.  lii-iz^, 
(3)Hcioilot.  IV.  II, 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VI.  3^5 

M  riens  dans  leur  Pays  ,  les  Chefs  des  derniers  furent  d'avis  de  réfifter  à 
«l'ennemi,  au  lieu  que  le  Peuple  croyoit  qu'il  valoit  mieux  fe  reti- 
»rer.  Les  deux  partis  n'ayant  pu  s'accorder,  il  fut  convenu  que  la  quef- 
wtion  feroit  décidée  par  le  combat  d'un  nombre  égal  de  perfonnes  , 
»  choifies  de  part  &  d'autre.  »  Selon  les  apparences  ,  les  Champions  da 
Peuple  remportèrent  la  viûoire ,  puifque  les  Cimmérieiis  abandonnèrent 
leur  Pays ,  &  pafferent  dans  l'Afie-Mineure. 

Cette  même  divination  fe  pratiquoit  aufïi  chez  les  Peuples  de  la 
Germanie  (4).  «  Dans  une  guerre  importante  ,  dit  Tacite  ,  les  Ger- 
»  mains  ont  encore  une  autre  façon  de  deviner  quel  fera  l'événement. 
M  A  quelque  prix  que  ce  foit ,  ils  font  un  Prifonnier ,  qu'ils  forcent  de  fe 
»  battre  avec  un  de  leurs  plus  braves  Guerriers.  Les  deux  Champions 
»»  font  armés  chacun  à  la  manière  de  fon  Pays  ,  &  la  fortune  du  vain- 
»queur  femble  pronoftiquer  celle  de  fa  Nation.»  L'hiftoire  de  Paul 
Diacre  fournit  un  exemple  d'un  femblable  duel  (5).  Les  Lombards  ayant 
demandé  aux  Aflipites  la  permiflion  de  paffer  dans  leur  Pays,  &  ceux-ci, 
après  une  mûre  délibération  ,  trouvant  de  la  difficulté  à  accorder  la  de- 
mande ,  on  demeura  d'accord  que  chaque  Nation  fourniroit  un  Efclave, 
pour  décider  le  différent  par  le  duel.  Le  Champion  des  Lombards  ayant 
remporté  la  viftoire  ,  leur  démande  ne  fonffrit  point  d'oppofition. 

a".  On  avoit  encore  recours  au  duel  dans  lescaùfes  criminelles,  pour 
connoître  de  cette  manière ,  la  vérité  de  certains  faits  qu'il  n'étoit  pas  pof- 
fible  de  découvrir  par  d'autres  voies.  Quand  un  homme  étoit  accufé  de 
meurtre,  d'adultère,  d'empoifonnenient ,  ou  de  qùelqu'autre  crime  ca- 
pital ,  (i  l'accufateur  ne  fondoit  fon  aûion  que  fur  des  foupçons ,  des  in- 
dices ,  ou  fur  d'autres  demi-preuves,  il  étoit  permis  à  l'accuïé  de  de- 
mander à  être  reçu  à  fe  purger  par  le  duel;  &  fouvent  le  Magiftrat  lui- 
même  ordonnoit  le  duel ,  comme  le  feul  moyen  de  découvrir  la  vérité. 
Cette  Loi  étoit  bonne  dans  un  certains  fens.  Elle  empêchoit  qu'un  fçé- 
lérat  n'intentât  témérairement  une  aftion  qu'il  étoit  obligé  de  foutenir 
an  péril  de  fa  vie ,  fuppofé  qu'elle  fe  trouvât  dcftituce  de  preuves  fuffi- 
fantes  (*  ).  Mais,  à  d'autres  égards ,  cette  même  loi  étoit  Injufte  &  per- 

— - : -    ^.V--.->-^     ■■      ;■_ 

(4!  Tac'it.  Gerra.  cap.  lo.  1  henCblc;.  Le  Scete'rat  n'a'ura-t'il  pas   autant  de 

(s)   Paul.   Diac,  Hifti  Long;,  lib.  I.  cap,  9.     bravoure  pour  foiitenir  fes  crimes ,  qne  l'hon-' 

pzg.  3$7.  js*-  Ijnéte    homme   pour   «^feiMlre  fon  inr.ocencd  ? 

(•J  Cette  afleition  cft  etitie'iement  incompré-  [  L'audtce  «cite  le  piemier  :  le  fécond  fe  le- 

Yyz 


35.6  HISTOIRE    DES    CELTES, 

lîicieufe,  parce  qu'elle  donnoit  toujours  gain  de  caufe  au  plus  fort.  Un 
homme  brutal  &;  méchant  pouvoit  hardiment  acculer  des  innocens,  & 
nier  avec  la  même  effronterie  les  crimes  qu'il  avoit  commmis,  pourvu 
qu'ils  ne  fuffent  pas  avérés.  Il  étoit  lûr  de  gagner  fa  caufe  par  le  duel , 
parce  qu'il  favoit  mieux  manier  une  épée. 

(Quoiqu'il  en  foit ,  on  procédoit  de  cette  manière  devant  les  Tribu- 
naux des  Celtes.  Les  anciennes  Loix  y  font  formelles.  Voici  ce  que  porte 
fur  cet  article ,  celle  des  Allemands  (6).  «Si  un  homme  qui  en  accufe  ua 
»> autre  de  quelque  crime  capital,  ne  peut  prouver  fon  accufàtion  , 
»>  il  fera  permis  à  l'accufé  de  fe  juftifier  par  la  voie  des  armes.  »  La  Loi 
des  anciens  Bavarois  dit  (7)  :  «Si  un  homme  acculé  par  un  feul  témoia 
«d'avoir  confpiré  contre  la  vie  du  Duc,  nie  le  fait,  le  témoin  &  l'ac,- 
»cufé  feront  remis  au  jugement  de  Dieu.  Qu'ils  fe  trouvent  en  champ 
»»clos,  &  que  l'on  ajoute  foi  à  celui  auquel  Dieu  donnera  la  viâoire.  » 

Cette  divination  étoit  fi  accréditée  parmi  les  Peuples  Celtes ,  qu'on 
l'employoit  fouvent  dans  des  cas  qui  pouvoient  demeurer  indécis,  fans  le 
moindre  danger,  ou  qui  pouvoient,  au  moins,  fe  décider  d'une  manière 
plus  naturelle  &  moins  dangereufe.  Par  exemple  (e) ,  Grégoire  de  Tours 
rapporte  que  le  Roi  Gontrand,  chafTant  furie  mont  Vofge,  trouva  dans 
fon  chemin  la  carcaffe  d'un  bœuf  fauvage ,  &  des  marques  qu'il  avoit  été 
tué  par  des  ChalTeurs.  Le  Garde-forêt  ayant  été  mis  là-delTus  en  prifon ,  dé- 
déclara que  la  bête  avoit  été  tuée  par  un  Chambellan  du  Roi,  nommé 
Chundon.  Comme  celui-ci  nia  le  fait,  le  Roi  ordonna  qu'on  auroit  re- 
cours au  duel  pour  découvrir  la  vérité  ou  la  fauffeté  de  l'accularion.  Le 
Chambellan  (que  fon  âge  difpenfoit ,  félon  les  apparences ,  de  fe  battre 
lui-même ,  )  choifit  un  de  {es  Neveux  pour  lui  fervir  de  Champion  :  les 
combattans  ayant  péri  tous  deux  dans  le  combat ,  Chundon  voulut  fe  fau- 


pofe  fouvent  fur  le  tcmoignage  de  fa  propre 
confeicnce  :  celui-ci  fe  lie  fur  la  bonté'  de  fa 
caufe  :  celui-là  n'ad'exiftence  qu'avec  le  ciime. 
Hôte  de  l'Editeur, 

(«1  Leg.  Alaman.  Tir.  XLIV.  p.  37  j. 
.  (7)  Leg.  Bajuar.  Tit.  II.  Leg.  2.  p.  404.  Leg. 
Alam".  Tit.  84  p.  385,  Tit.  8?.  p.  3  «7.  Tit  94- 
p.  38».  Leg.  Bajuar  Tit.  8.  Leg.  3.  p.  417.  Tit. 
IX.  Leg.  4  P-  4^1-  Tit.  XL  Leg.  6.  p.  424 
Tit.  II.  Leg.  8.  p.  425.  &  Leg.  9.  p.  426. 
;rit.  i<.  Leg.  !•  z.  p.  .t}a<>k3  3<  LCS'  RifUU. 


Tit  57  Leg.  2.  p.  4«o.  Leg.  Saxon.  Leg.  15, 
pag.  478.  Leg  Anglior.  &  Vérin.  Tit  I.  Leg.  2. 
pag.  482.  Tit.  7.  Leg.  4.  pag.  484.  Tit  », 
Ibid.  Leg  Frifiot.  Tit.  XI  Leg.  3.  pag.  49J. 
Tit.  t4.  Leg.  4.  p.  497.  Leg.  Lorgob.  lib.  I. 
Tit.  I  Leg.  7.  p.  j  15.  Tit.  III.  Lrj,.  6.  p.  s  ». 
Vojiz.  auOi  Du  Frefiie  Gloflar.  in  T)utUi.m  T.  II. 
p.  208.  Schotteliui  de  Aiuiq.  Gcrm.  Jui.  caf. 
28.  p.  530. 

[ij  CiegQ{,  TuiOOi  lrb<  Zt  cap.  i«.  p.  442. 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    VI.  3^7 

ver  dans  une  Eglife  ;  il  fut  faifi ,  attaché  à  un  poteau  ,  &  aflbmmé  k 
coups  de  pierres.  Voilîl,  afiurément ,  une  grande  cruauté,  exercée  par  un 
Roi  à  qui  on  a  prodigué  les  glorieux  titres  de  èon  &  de  faint.  Grégoire  re- 
marque que  Contran  témoigna  enfuite  beaucoup  de  regret  de  s'être 
tant  précipité.  C'eft  la  meilleure  manière  de  Vexcu{QT.  Il  avoua  fa  faute 
&  pajfa  condamnation  ,  dit  l'Auteur.  On  a  vou;u  auffi  difculper  ce  Prince, 
en  difant  qu'il  n'avoit  fait  que  fuivre,  dans  cette  occafion  ,  une  cou- 
tume établie  parmi  les  Francs.  Mais  cette  réflexion  n'excufe  en  aucune 
manière  l'emportement  de  Contran.  Outre  qu'il  faifoit  profefïïon  du 
Chriftianifme ,  les  Loix  mêmes  des  Celtes  n'ordonnoient  le  duel  que 
dans  les  cas  où  il  s'agiflbit  de  crimes  capitaux ,  au  lieu  qu'il  n'étoit  ici 
queftion  que  d'une  bagatelle.  Il  falloit  être  inhumain  &  barbare  au  plus 
haut  degré ,  pour  expofer  &  pour  facrifier  la  vie  de  trois  perfonnes , 
dans  la  feule  vue  de  favoir  fi  un  homme  avoit  chaflé  dans  \^s  plaifirs 
du  Roi. 

Vitikind  le  Saxon  (9)  fait  mention  dans  fon  hiftoire  ,  d'un  duel  qui  fut 
ordonné  pour  décider  une  queftion  de  droit.  Il  s'étoit  élevé,  du  tems  de 
l'Empereur  Othon  I,  un  différent  entre  des  Oncles  &  des  Neveux  ,  fur 
une  fucceffion.  Les  Oncles  invoquolent  le  droit  Saxon ,  félon  lequel 
des  frères  qui  furvivent  à  un  autre  frère ,  héritent  de  fes  biens ,  au  pré- 
judice des  Neveux.  Les  Neveux,  au  contraire,  s'appuyoient  fur  le  d/oit 
Romain  ,  fuivant  lequel  les  enfans  du  frère  jouiffent  du  droit  de  repré- 
fentation.  L'Empereur  ne  fe  fentant  pas  en  état  de  juger  le  différent  par 
fes  propres  lumières,  fît  convoquer  les  Etats  de  l'Empire  pour  l'exami- 
ner; mais,  parce  que  la  NoblefTe  &  les  Députés  des  Villes  ne  purent 
s'accorder  fur  la  queflion ,  ils  convinrent,  fuivant  l'ufage  de  ce  tems- 
là  ,  de  la  décider  par  le  duel.  Enfin  ,  Mariana  rapporte  (  10  )  que  les  Ef- 
pagnols  s'étant  partagés  fur  la  fin  de  l'onsiéme  fiécle ,  entre  l'office  Ro- 
main &  le  Muzarabique  dont  les  Goths  s'étoient  fervis  jufqu'alors  , 
on  les  éprouva  premièrement  par  le  duel ,  &  enfuite  par  le  feu. 

On  voit  bien  que  cette  étrange  manière  de  procéder  ,  étoit  fondée 
fur  la  perfuafion  que  la  Providence  donnoit  toujours  gain  de  caufe  à  ce- 
lui qui  avoit  le  droit  &  la  juflice  de  fon  côté.  C'efl  ce  que  faint  Agobard 


(9)  Wtikinduj  Saxo  lib.  II.  ad  an.  y^a. 
(10^  C-dcfloiM.  5>  U.no.  lai. 


J58  HISTOIRE    DES    CELTES, 

obfervoit  à  l'égard  des  Bourguignons  dans  fon  Traité  contre  la  Loi  Gom- 
bette  (il).  «  Ils  croient  que  Dieu  favorife  celui  qui  remporte  la  vie- 
Mtoire  fur  fon  frère.»  Il  paroît  par  une  ancienne  conftitution  qui  fe 
trouve  dans  le  Recueil  de  Goldafte ,  que  les  Allemands  raifonnoient  de  la 
même  manière  (  ii).  «  Quand  un  homme  qui  en  a  tué  un  autre  fans 
»  témoin ,  déclare  l'avoir  fait  en  défendant  fon  propre  corps ,  on  eft 
»  obligé  de  l'en  croire  fur  fa  parole ,  foit  qu'il  mente  ,  foit  qu'il  dife  la 
»  vérité  ,  parce  qu'on  ne  peut  lui  contefler  la  vérité  du  fait  ;  mais  on 
»  remet  la  décifion  au  jugement  de  Dieu  :  les  parens  du  défunt  fe  pre- 
«fentent  pour  convaincre  l'affaffin  d'impofture.  C'eft  pour  de  fem- 
wblables  cas  que  le  duel  eft  ordonné.  Ce  que  les  hommes  n'ont  pomt 
»vu  ,  eft  parfaitement  connu  du  Tout-Puiffant  ;  de  forte  que  nous 
»  devons  avoir  cette  confiance  en  Dieu ,  qu'il  décidera  du  duel ,  félon 
»le  droit  &  la  juftice.» 

Il  femble  que  la  feule  expérience  auroit  dû  défabufer  les  Celtes  de 
cptte  illufion ,  &  les  convaincre  que  dans  un  champ  clos  ,  non  plus  que 
dans  un  champ  de  bataille ,  la  Providence  ne  fait  point  de  miracle  pour 
faire  triompher  du  plus  fort  le  plus  foible  qui  a  la  raifon  &  la  Juftice  de  fon 
côté  ,  &C  pour  faire  fuccomber  celui  qui  eft  véritablement  coupable.  Tous 
les  jours  ils  voy oient  périr  enfemble  dans  les  duels,  l'accufateur  &c  l'accu- 
fé,  l'innocent  &  le  coupable.  D'ailleurs,  il  n'étoit  pas  poffible  qu'ils  ne 
s'apperçuftent  fouvent  de  ce  que  St.  Avite  ,  Evêque  de  Vienne,  difoità 
Gombault ,  Roi  des  Bourguignons  (13)  :  «  Nous  voyons  la  force,  ou 
»  l'adrefte  d'un  combattant  ,  l'emporter  fouvent  fur  la  légitime  pof- 
«feflîon  ,  ou  fur  la  jufte  demande  de  fon  adverfaire.  »  Malgré  cela  ,  les 
Celtes  ont  confervé  cette  cruelle  manière  de  deviner,  pendant  une 
longue  fuite  de  fiécles.  C'eft  une  bonne  preuve  de  leur  férocité  &  du 
penchant  qu'ils  avoient  à  décider  tous  leurs  différens  par  la  force ,  au 
préjudice  de  toutes  les  Loix  de  la  juftice  &  de  l'équité. 

§.  IV.  L'on  doit,  cependant,  remarquer,  i".  qu'il  n'étoit  pas  permis 
aux  Particuliers  de  recourir  à  cette  divination ,  de  leur  propre  autorité. 
Le  Magiftrat  avoit  feul  le  droit  de  l'ordonner ,  &  il  ne  le  faifoit  qu« 
dans  les  cas  dont  on  a  fait  mention  ,  c'eft-à/-dire ,  lorfqu'un  homme  étoit 


(Ji)  Agobaid.  adv.  Leg.  GunJobaldi  cap.  7. 
Opp.  Tit.  I.  p.  113. 

{il)  GoldaftiKcichs-Salzungt  cap.  i6S.o.Sy, 


6%. 


(iiy-AVitiR  Viennenf.  apud  Agobaid.  lib. 
•dv.  Leg.  Gundob.  cap.  tj.  p.  iio. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VI.  359 

acaifé  de  quelque  crime  capital  fur  des  foupçons  &  des  indices  qui  ne 
formolent  pas ,  à   la  vérité ,  une  preuve  complette ,  mais  qui  ne  per- 
mettoient  qu'on  le  déchargeât  entièrement.  Dans  ces  cas ,  les  Juges  s'em- 
ployoient,  avant  toutes  chofes,  à  procurer  un  accommodement  à  l'amia- 
ble   entre  les  Parties.  Quand  ils  ne  pouvoient  pas  y  réuflîr,  ils  avoient 
coutume  d'ordonner  que  l'accufé  fe  purgeât  par  ferment,   &  il  falloit 
qu'un  certain  nombre  d'hommes  de  fa  connoiflance,  reconnus  pour  des 
gens  dignes  de  foi ,  prêtaflent  en  fa  faveur,  ce  qu'on  appelle  \ç  ferment 
de  crédulité.  Ils  juroient  qu'ils  avoient  toujours  connu  le  dépofant  pour  un 
homme  de  probité ,  &  que  par  cette  raifon  ,  ils  croyoient  fa  dépofition 
véritable.    On  les  appelloit  Sacramentales  ou   Compurgatores.    D'autre- 
fois ,  c'étoit  à  l'accufateur  que  les  Juges  ordonnoient  de  confirmer  fon 
accufation  par  le  ferment.  Mais ,  dans  l'un  &  dans  l'autre  de  ces  cas  (14),  il 
étoit  toujours  permis  à  la  Partie  contraire  ,  de  s'oppofer  à  la  preftation 
du  ferment ,  &  de  déclarer  q'u'affurée  de  la  bonté  de  fa  caufe  ,  elle  vou- 
loit  convaincre  fon  ennemi  par  la  voie  des  armes  ,  à  quoi  le  Maglftrat 
étoit  obligé  de  confentir.  De-là  vient  que  les  anciennes  Loix  propofent 
ordinairement  l'alternative  du  duel  &  du  ferment  purgatoire  ,  pour  la 
décifion  des  cas  dont  il  s'agit  ici.  «  La  Loi  des  anglais  ou  Anglo-Saxons  , 
»»  (15)  dit:  Si  quelqu'un  eft  accufé  d'avoir  tué  un  homme  noble,  ou  une 
»perfonne  libre,  &  qu'il  nie  le  fait,  il  faudra  qu'il  fe  purge  par  ferment, 
»  &  que  douze  hommes  jurent  avec  lui ,  ou  qu'il-fe  batte  avec  fon  ac- 
>>  cufateur.  » 

3°.  Le  duel  n'étoit  permis  qu'entre  des  perfonnes  d'une  naiflance  & 
d'une  condition  égale.  C'eft  ce  que  l'ancienne  Loi  des  Saxons  porte  ex- 
prefTément  (16).  »  Perfonne  n'eft  obligé  de  répondre  au  défi  d'un 
»  autre ,  fi  celui  qui  fait  le  défi  eft  d'une  naiflance  inférieure ,  »  c'efl:-à-dire , 
s'il  n'eft  pas  Gentilhomme.  Le  privilège  du  duel  étoit  tellement  affefté 
à  la  Nobiefle ,  parmi  les  Saxons ,  qu'il  falloit  faire  preuve  de  fes  quatre 
quartiers  (17)  pour  y  être  admis. 

4°.  Les  femmes ,  les  mineurs ,  les  vieillards ,  les  infirmes  avoient  la  per- 
miflion  de  mettre  en  leur  place  (18)  un  Champion  ,  pour  foutenir  leurs 


(14)  Leg.  Burgund.  Tit.  f .  Leg.  ï.  p.  jyj- 
Tit.  45-  p-  i«S 

(151  Leg.  Anglior.  Tit.  i.  pag.  48^. 
Tit.  ».  p.  4«4.  Fojei,  plufieurs  lois  de  la  même 
«eneui  SchotcU.  p.  j}o.  sji. 


(  16)  Land  Rech.  lib.  III.  Tit.  «J.  ap. 
Schocicl.  p.  3  s  2. 

(^17)  LandRccht.  Lib,  I  Artic.  5  7.ap.  Scfaot. 
pag-  îso. 

(I»)  Leg.  FriCor.  p.  497.  Longob.  p,  $15. 


36o  HISTOIRE    DES    CELTES, 

droits.  Mais  on  accordoit  rarement  la  même  permiffion  aux  hommes  quî 
étoient  en  âge  Se  en  état  de  fe  battre  (19) ,  fur-tout  lorfqu'il  s'agiffoit  de 
quelque  affaire  grave  &  importante.  Les  Champions  étoient  quelquefois 
des  gens  de  qualité ,  que  l'on  choififfoit  parmi  les  parens  ou  les  amis 
de  l'accufé ,  ou  qui  fe  préfentoient  eux-mêmes  pour  défendre  fa  caufe 
(  *  ),  Ainfi  la  Reine  Gundeberge  ,  ayant  été  accufée  par  un  Gentilhom- 
me nommé  Adalulfe ,  d'avoir  voulu  empoifonner  Chrodoaide,  Roi  des 
Lombards ,  fon  mari ,  les  Ambaffadeurs  du  Roi  Clotaire  ,  frère  de  la 
Reine  ,  obtinrent  qu'Adalulfe  feroit  obligé  de  juftifier  fon  accufation  par 
le  duel  (  2.0  ) ,  «  afin  qu'on  connût  par  le  jugement  de  Dieu ,  fi  Gun- 
wdeberge  étoit  innocente  ou  coupable.  »  Les  parens  de  la  Reine  four- 
nirent pour  Champion  un  Gentilhomme  nommé  Pitton  ,  qui  tua 
Adalulfe.  La  bravoure  du  Champion  rétablit  entièrement  l'honneuc 
de  la  Reine  :  elle  fortit  en  triomphe  de  prifon  ,  &  fut  reçue  par  Chro- 
doalte  comme  une  femme  injuftement  accufée.  Mais  le  plus  fouvent 
les  Champions  étoient  des  gens  de  baffe  extraftion  ,  &c  même  des  efcla- 
ves  que  l'on  payoit  pour  défendre  une  caufe.  Quoiqu'on  ne  leur  don- 
nât pour  armes  qu'un  gros  bâton  (  1 1  )  ou  une  maffue  avec  un  bou- 
clier de  bois  pour  fe  couvrir ,  ils  ne  laiffolent  pas  de  fe  faire  beaucoup  de 
mal,  &  il  y  en  avoit  fouvent  d'affommés.  Au  refte,  un  Champion  qui 
avoit  été  vaincu  étoit  regardé  comme  infâme  (^i).  Il  ne  pouvoit  plus 
fe  battre,  à  moins  que  ce  ne  fîit  pour  défendre  fa  propre  caufe  ;  encore 
falloit-il  qu'il  fut  appelle  :  car  il  ne  lui  étoit  pas  permis  de  faire  un  défi. 
5*^.  Quand  on  ne  trouvoit  pas  une  parfaite  conformité  entre  les  dif- 
férentes dépofitions  des  témoins  que  le  Demandeur  &  le  Défendeur  pro- 
duifoient  pour  établir  un  fait ,  les  Juges  avoient  coutume  d'ordonner 
que  les  témoins  juAifieroient  leur  dépofition  par  le  duel.  Il  falloit  que 
de  part  &  d'autre  ,  ils  choififfent  dans  leur  nombre  ,  un  Champion 
pour  foutenir  leur  caufe ,  &  dans  ce  cas ,  le  Champion  qui  fuccomboit 


5  3  «  &  <  3  4  .Alaman.  Tit.  LVI.  p.  3  77.  Du  Frefne. 
iayocc  campio.  Tit.  I.  p.  795-  &/<?• 

(19)  Lcg.  Bajuar.  Tit,  XI.  cap.  s.  p.  424. 
(*)  Comment  n'eft-il  pas  étrange  de  voir  des 
hpmmes  prêts  àfacrifier  leur  vie  juridiquement 

6  de  fang  froid,  pour  les  folies  d'autrui  ?  Il  n'y 
a  guctes  d'exemples  d'une  femblable  barbarie. 
Cette  fureur  éteignoit  jufqu'.iu    fentiraent    de 


i  la  confervation  de  fon  être.  Nare  dt  l'Editeur, 
(10)  Fredegar.  cap-  5 1.  apud  DucHefnc.  T.  I. 

pag.  7  s  s.  Voyez,  en   un  autre  exemple  dans  Paul 

Diacr.  Rer.  Longob.  lib.  IV.  cap.  i«. 

(il)  Leg.  Longob.  lib.  II.  Tir.  j  i.  Leg.  10. 

pag.  648.  &    Tit.    5  5.   Leg.  19.  p.    6Sï.  Leg. 

Salie,  p.  3  5S.conftitut.  Sicul.  lib.  II.  Tit.  3  7- 

Leg.  I.  p.  781. 


'ir 


la  ptemlete  loi  natacelle  ,  qui  porte  l'homme  1       {zi)  Conftit.  Sicul.  Ibid. 

étoit 


LIVRE    IV     CHAPITRE    VI.  301 

ctoit  puni  comme  parjure  (23  )  ;  on  lui  coiipoit  la  main  droite  ;  mais  les 
autres  témoins  (  24)  étoient  reçus  à  racheter  leurs  mains,  moyennant  une 
grofie  amende. 

§.  V.  Il  paroît  affez,  par  ce  qui  vient  d'être  remarqué  ,  que  la  Religion 
Chrétienne  ne  remédia  pas  à  ce  qu'il  y  avoit  de  cruel  &c  de  barbare ,  dans 
cette  première  forte  de  divinations  que  les  Celtes  pratiquoient.  Au  con- 
traire ,  le  Clergé  fanâifia  en  quelque  manière  le  duel ,  foit  en  donnant 
des  Confeffeurs  à  ceux  qui  alloient  fe  battre ,  foit  en  ordonnant  que  le  com- 
bat en  champ  clos  fut  accompagné  de  certaines  cérémonits  &C  de  cer- 
taines prières ,  qui  en  faifoient  une  afte  de  Religion  parmi  les  Chré- 
tiens ,  comme  il  l'avoit  été  parmi  les  Payens.  On  prioit  Dieu  «  qu'il 
»  voulût  affifter  l'innocent,  &C  décider  le  combat  félon  la  vérité  &  la 
njuftice.  ♦»  Les  Empereurs  aufli,  au  lieu  de  remédiera  l'abus  ,  accordè- 
rent à  quelques  Villes  d'Allemagne  ,  comme,  par  exemple,  à  celles 
de  Nuremberg  (  25  )  ,  &  de  Halle  (26)  en  Suabe  ,  des  privilèges  en  ver- 
tu defquels  elles  avoient  le  droit  de  donner  une  pleine  fCireté  aux 
Gentilshommes  qui  venoient  s'y  battre ,  de  marquer  le  jour  &c  le  lieu  du 
combat ,  &  de  mettre  au  ban  de  l'Empire  ceux  qui  refufoient  de  fe  rendre 
à  l'affignation. 

Il  y  eut,  à  la  vérité ,  des  Evêques  Si  des  Princes,  qui  reconnurent  l'abus 
d'une  procédure  qui ,  au  lieu  d'être  xm  jugement  de  Dieu  ,  n'ctoit,  dans 
le  fond  ,  qu'une  cruelle  &  barbare  oppreflion.  On  trouve ,  par  exemple, 
parmi  les  œuvres  d'Agobard ,  Evêque  de  Lyon ,  un  Traité  qu'il  avoit 
compofé  (  17  )  «  contre  la  Loi  Gombette ,  &  les  déteftables  combat* 
»»qu'elk  autorifoit,  »  &  un  autre  Traité  (28)  «contre  la  damnable 
M  opinion  de  ceux  qui  croyoient  que  Dieu  manifeftoit  la  vérité  par  les 
»  épreuves  du  feu  &  de  l'eau  ,  ou  par  le  duel.  »  Rotharis  ,  Roi  des 
Lombards  ,  reftraignit  eonfidérablement  les  cas  (  29  )  oh  il  étoit  permis 
aux  Magiftrats  d'ordonner  le  duel;  il  n'ofa  pas  l'abolir  entièrement,  par- 
ce qu'un  long  ufage  Tavoit  fait  pafTer  en  Loi ,  au  milieu  de  fa  Nation  , 
mais  dans  le  fond ,  il  reconnoiïïbit  (  30  )  que  cette  Loi  étoit  injufte  & 


(ij)  Vojiz.  la  not.  XI.  Capit.  Kiroli  8c  Lud. 
Jmpp.  lib.  IV.  1.  2).  p.  S95. 

(î4)Leg.  Burgund.  TU.  +5.  p.  l«s.Tit.  »o. 

(25;  Limnzi  jus  public,  in  addit.,  «d  lib.  V. 
cap.  7-  ¥■  7S°-  7}«> 

{%tj  GoldaftReichs  Satzung.cap.170.  Schot.. 

Tomt  IL 


p.  250.  Joh.  Pet.  Ludwig  de  Hcbus  Halenfîbu» 
pag.  24.  25. 

(17)  Agobardi.  Opp.  torti.  I.  p.  107. 

(xS    Ibid.p.  joi. 
''   (I9)  Leg.  Longob.  p.  «5C. 

(30,  Lcg.  Longob.   lib.  I.  Tit.   9.  cap.  s}.' 
pag.  S30.  lib.  II.  Tit.  a. h.  i.  z.  3.  p.  a*. 


302  HISTOIRE    D  E  S    C  E  L  T  E  S, 

impie-  Parmi  les  cbnftitution  de  l'Empereur  Frédéric  fécond,  il  y  en  aune 
(  ^  I  )  «  qui  abolit  le  duel  dans  les  caufes  criminelles ,  auffi-bien  que 
»  dans  les  affaires  civiles  ,  tant  par  rapport  à  la  Nobleffe  &  aux  Barons  ^ 
»  qui  s'offroient  réciproquement  le  combat  en  champ-clos ,  que  relati- 
»  vement  aux  témoins  que  l'on  produifoit  de  part  &  d'autre.  » 

Cependant  la  conftitution  permet  encore  le  duel,  dans  un  petit  nom- 
bre de  cas;  par  exemple,  lorfqu'un  homme  étoit  accufé  d'homicide, 
d'empoifonnement  ou  du  crime  de  Lèze-Majeilé.  Dans  ces  cas  mêmes  la 
Loi  veut  qu'on  commence  par  les  preuves  ordinaires ,  &  qu'on  n'or- 
donne le  duel  que  lorfqu'elles  n'auront  pas  éclairci  le  fait  dont  il  efl 
queftion.  Malgré  ces  reftriâions  (3 1) ,  il  ne  laiffoit  pas  d'y  avoir  bien  de  la 
barbarie  dans  la  forme  des  duels  que  l'Empereur  jugea  à  propos  de  con- 
ferver.  On  trouve  encore  qu'en  1291.  l'Empereur  Rodolphe  accorda 
à  la  Ville  de  Friedberg  un  privilège  (33),  en  vertu  duquel  aucun  Habi- 
tant de  la  Ville  ne  pouvoit  être  cité  devant  un  Tribunal  étranger ,  ni 
obligé  à  défendre  fon  droit  par  les  armes  ,  à  moins  que  le  Magiftrat  du 
lieu  n'eut  dénié  là  juflice  au  plaignant.  Le  privilège  eft  remarquable, 
parce  qu'il  prouve  que  les  Villes  qui  jouiffoient  du  Kampfrecht ,  c'efl-à- 
dire  ,  du  droit  d'ordonner  le  duel ,  étendoient  leur  jurifdidion  fur  tous 
les  Membres  de  l'Empire.  ' 

Les  bons  réglemens  dont  on  vient  de  faire  mention  ,  ne  remédièrent 
point  à  la  fureur  des  Duels  ,  ni  à  la  fuperftition  qui  croyoit  diftin- 
guer  l'innocent  du  coupable  par  une  femblable  procédure.  L'abus  fubfif- 
toit  encore  dans  le  quinzième  fiécle  ,  dans  lequel  on  voit  la  Chambre 
Impériale  de  Rotweil  (34)  ordonner  le  Duel  pour  la  décifion  d'une 
Caufe  qui  étoit  pendante  devant  fon  Tribunal, 

Nous  avons  encore  les  anciennes  Loix  de  quelques  Peuples  d'Alle- 
magne, danslefquelles  la  forme  des  Duels  eft  réglée  fort  au  long.  On  y 
voit  de  quelle  manière  les  combats  en  champ  clos  ,  fe*  faifoient  (•  5)  en 
Çaxe,  en  (  j&)  Sùahe,  &  en  (37)  Franconie.  Voici  quelques-unes  des 


f 


(ài)Conftit.Skul.  lib.  IJ.  Tit.    31.  p.  77».  (jj     ^pecul.   Saxon,  lib.  I.  art.    63    &  sj. 

Tit.Ji.p.  77»-  jWeichbildt.  art.  3  5. 

('}»)  Vdjn.  le  Titre  37  du  même  Livre.  )       1^36 i  Schvt-aben  Spieget    cap.  70-73.  Munfter 

(3j)  LimniÀ  jus  ïui>U  lib.  VU.  cip,  17.  ;  Comog.lib.  III.  cap'.  301.  305.  Goldaft 
*""*•  *'  ;  Reichs  Satzung.  part.  II.  ad  an    J410. 

(34)  Anno  I4î^  Caldift  Reichs.  Satz.  T- 1.  j  ■     (37)  OrW»«»j  ic,  Kamp,  d,  Burgr»v,humh\» 

'*''■*"*-«  •'l'''  .    .3(îj  .yo      I  Waruter^ ,  e'eft-à-dirc  »  roiddnnanee  «jui  te'jl» 

.^j^j.q.j.-.  1  .dil  .ojj  .J4JJ  [..  _ 


LIVRE    IV.    C  HA  PITRE    VI.  3<5j 

principales  formalités  qu'on  y  obfervoit.  t^)uancl  un  Gentilhomme  ve- 
noit  fe  plaindre  d'un  autre  Gentilhomme  ,  de  la  part  duquel  il  pré- 
tendoit  avoir  reçu  quelqu'outrage ,  ou  loufFert  quelque  injuftice  ,  le 
Magiftrat  établi  pour  recevoir  la  plainte  ,  faifoit  citer  l'accufé  à  trois 
différentes  reprifes.  S'il  ne  comparoifToit  pas  après  la  troifième  cita- 
tion ,  il  étoit  mis  au  Ban  de  l'Empire  (3  ^)  ,  &  en  vertu  de  cette  prof- 
criptlon  ,  il  étoit  permis  au  premier  qui  le  rencontroit ,  de  le  tuer.  Quand 
les  Parties  comparoiffolent  ,  le  Magiflrat  leur  ordonnoit  de  plaider 
leur  Caufe  ,  &  après  avoir  entendu  l'Accufateur  &  l'Accu  é  ,  il  n'épar- 
gnoit  rien  pour  les  obliger  à  finir  leur  querelle  fans  effufion  de  fang. 
Après  avoir  tenté  inutilement  un  accommodement  ,  les  Juges  indi-  ' 
quoient  enfin  le  jour  &  le  lieu  du  combat ,  ils  faifoient  prêter  ferment 
aux  Parties  d'obferver  religieufement  les  Loix  du  Duel ,  comme  , 
par  exemple  ,  qu'ils  fe  rendroient  à  l'aflignation ,  qu'ils  n'entreroient  en 
Ville  qu'avec  une  certaine  fuite  ^  que  l'acculé  auroit  le  choix  des  ar- 
mes ,  qu'il  frapperoit  le  premier  coup  ,  &c. 

Au  tems  marqué ,  le  Magiftrat  faifoit  enfermer  &  couvrir  de  fable  ce 
qu'on  appelloit  le  Champ-clos ,  auquel  on  donnoit  ordinairement  cent 
vingt  pas  de  long  fur  quatre-vingt  de  large.  Aux  deux  extrémités  du  champ , 
on  dreffoit  pour  chaque  combattant  une  tente  oii  il  entroit  avec  fort 
Confijfiur  &  fes  Chevaliers  ,  que  nous  appellerions  aujourd'hui  les 
féconds.  A  l'entrée  de  chaque  tente ,  on  voyoit  un  cercueil,  des  cierges, 
des  draps  mortuaires  ,  pour  marquer ,  dit  -  on  ,  que  l'intention  des 
combattans  étoit  de  fe  battre  à  toute  outrance  ,  &  qu'il  falloit  que  l'un 
des  deux  y  laiflat  la  vie.  Avant  que  le  combat  commençât ,  on  faifoit 
l'échange  des  féconds  ,  qui  alloient  vlfiter  foigneufement  la  tente ,  les 
armes  ,  &  la  perfonne  même  des  tenans ,  qu'ils  faifoient  deshabiller  , 
pour  empêcher  qu'il  ne  fe  commît  de  part  ôc  d'autre  quelque  fraude  ou 
quelque  maléfice  (39). 

Lorfque  tout  étoit  prêt  pour  le  combat  ,  un  Juge  ,  nommé  pour 
cela ,  donnoit  trois  fignaux.  Quand  il  crioit ,  pour  la  première  fois  ,  les 


la  formr  des  Doels  dans  le  Burgtaviat  de  Nu- 
leinScrg.  apuJ  Linnsum  add  t.  ad  juris  Publici 
Jib.  V.  cap.  7.  p.  7  so.  7  s  I. 

(l«)  GoIJafl  R.eiClit  Satz.  T.  I.  p.  i  K. 

(l>;Cei  «alcfices  font  aaflt  dcfendus  4ani 


une  lot  de  Rotliaris  ,  A.oi  des  Lombards.  Leg. 
Longobard.  lib.  H.  tit.  5|.Leg.  II.  p.  6  $8.  Vojiz, 
«ncoie  Decict.  Taffilonis  Ducis ,  in  Leg.  Bajuai.  . 
P»g-44>- 

Zzi 


364  HISTOIRE    DES    CELTES, 

combattans  fe  levoient  de  leur  fiége  ;  quand  il  crioit ,  pour  la  féconde 
fois  ,  ils  fe  tenoient  debout  ,  chacun  devant  fa  tente.  Aiiffitôt  qu'il 
avoit  crié ,  pour  la  troifiimt,  fois ,  le  combat  commençoit  de  la  manière 
&  dans  l'ordre  prefcrit  par  les  Loix  Un  Combattant  qui  ,  après  avoir 
été  blefTc ,  fe  feroit  rendu  à  fon  ennemi ,  devenoit  infâme  pour  toute 
fa  vie  ;  il  ne  lui  étoit  plus  permis,  ni  de  fe  faire  rafer  ,  ni  de  monter  à 
cheval ,  ni  de  porter  les  armes ,  encore  moins  d'exercer  aucun  emploi. 
Mais  on  entouroit  honorablement  ceux  qui  perdoient  la  vie  ,  pendant 
que  le  Vainqueur  juftifîé  par  le  Jugement  de  Dieu  ,  s'en  retournoit 
couvert  de  lauriers  ,  &  jouiflbit ,  fans  contradidion  ,  de  ce  qui  avoit 
fait  le  fujet  du  Duel  (40). 

.  En  voilà  aflez  fur  un  abus  qui  a  û.ibfifté  pendant  une  longue  fuite  de 
ficelés  ,  à  la  honte  de  la  raifon  &  du  Chriftanifme.  Les  Lefteurs  per- 
mettront qu'on  leur  laiffe  le  foin  d'examiner  ,  fi  depuis  que  le  Ma- 
giftrat  n'ordonne  plus  les  Duels,  ils  en  font  devenus  moins  fréquens , 
&  plus  raifonnables.  On  crie  tous  les  jours  contre  l'ancienne  barbarie, 
&  on  ne  s'apperçoit  pas  que  nous  enchériffons,  à  plufieurs  égards ,  fur 
la  férocité  hi.  fur  la  barbarie  des  anciens. 

§.  VI.  Les  Aufpices  étoient  une  féconde  forte  de  Divinations  dont 
les  Peuples  Celtes  étoient  fort  entêtés.  Croyant  que  l'homme  pouvoit 
être  inftruit  de  fa  deftinée ,  par  le  vol  &  par  le  chant  des  oifeaux , 
ils  avolent  grand  foin  de  confulter  un  Oracle ,  dans  toutes  les  affaires 
qui  étoient  pour  eux  de  quelque  importance.  On  a  eu  occafion  d'indi- 
quer ,  en  plufieurs  endroits  de  cet  Ouvrage  ,  fur  quoi  cette  fuperfti- 
tion  étoit  fondée.  On  le  voit  dans  un  mot  d'Anarcharfis  que  Plutarque 
nous  a  confervé.  Il  difoit  (41  )  que  les  animaux  fuivoient  les  im- 
»  pulfions  de  la  Divinité ,  de  la  même  manière  que  l'arc  &  la  flèche  obéif- 
»  fent  à  un  habile  tireur ,  &  la  flûte  à  un  bon  Muficien  «.  Les  oifeaux 
étant  les  organes  de  la  Divinité  qui  réfide  dans  la  matière  ,  &  qui  en  di- 
rige le  mouvement ,  leur  chant  aufli-bien  que  leur  vol  ,  étoient  des  inf- 
truftions  qui  avertiffoient  l'homme  (42)  de  tout  ce  qui  l'attendoit  dans 
l'avenir. 

Les  autres  Payens  penfolent ,  fur  cet  article  ,  de  la  même  manière  que 


(40;  Du  Fiefne  a  décrit ,  fort  au  long ,  les 
foimalités  qu'anciennement  l'oii  obfervoit  en 
liance  dans  les  PucU.  Gloflar,  T.  JI.p.  21*. 


141]  Plut.  Conv,  Sep.  Sapt.  cap.  23, 
4i)  iElian.  Var.  Hi.t.  lib.  U  cap.  31,  ci-d, 
I<iv>  UI.  chap.  4.  $.  1 1.  HOC.  a. si- 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    VI.  365 

les  Celtes.   »  Il  n'y  a  point   d'homme  affez  infenfé  ,  difoit  Ammien- 
«Marcellm  (43)  ,  pour  affurer  que  les  Augures  &  les  Aufpices  dépen- 
»  dent  de  la  volonté  des  oifeaux  ,   qui  n'ont  aucune  connoiffance  de 
»  l'avenir.    Mais  Dieu  dirige  le  vol  des  oifeaux  ,  en  forte  que  leur 
»  chant ,  ou  leur  vol  ,  tantôt  lent ,  tantôt  rapide  ,  annonce  les  chofes 
»  qui  font  à  venir.  La  bonté  de  Dieu  fe  plaît  à  déclarer  aux  hommes  par 
»  cette  voie  ,  ce  qui  les  attend ,  foit  parce  qu'ils  le  méritent ,  foit  à  caufe 
•>  de  l'afFeftion  que    Dieu  porte  au  genre  humain  «.  Tout  ce  grand 
raifonnement  d'Ammnien-  Marcellin  n'a  qu'un  feul  défaut,  mais  il  eft 
capital.  11  fuppofe  ce  qui  eft  en  queftion ,  c'eft-à-dire  ,  que  Dieu  dirige 
le  vol  &  le  chant  des  oifeaux  d'une  manière  qui  avertit  les  hommes  de 
leur  deftinée.  Indépendamment  des  raifons  qui  montrent  la  folie  de  tou- 
tes les  Divinations  que  les  Payem  pratiquoient ,  Cicéron  fait  un  ré- 
flexion qui  auroit  été  capable  de  défabufer  pleinement  tous  ceux  qui  fai- 
foient  quelque  cas  des  Aufpices  ,  fi  la  fuperftition  permettoit  à  l'homme 
de  raifonner  &  de  faire  attention  à  des  vérités  qui  fe  préfentent  natu- 
rellement (44).  »  La  Science  des  Aufpices  étoit  appuyée  fur  un  fonde- 
»  ment  fi  incertain ,  &  les  régies  en  étoient  fi  différentes ,  &  fi  oppofées , 
»  que  les  Galates  regardoient  comme  un  Augure  finiftre ,  ce  qui  paiïbit 
»  chez  les  Romains  pour  un  A ufpice  favorable  «. 

Quoi  qu'il  en  foit,  il  eft  reconnu,  que  la  fcience  des  Aufpices  étoit 
l'une  des  grandes  études  des  Peuples  Celtes  (45).  Les  Efpagnols  (46) ,  les 
Gaulois  (47)  ,  les  Germains  (48) ,  les  Pannoniens  (  49  )  ,  les  Troyens 
(50),  les  Phrygiens  (51)  ,  les  Cariens  (51)  ,  les  Perfes  donnoient  tous 
dans  ces  vifions.  Cependant  les  Gaulois  &  les  Germains  paffoient 
pour  être  plus  expérimentés  (dans  cette  forte  de  Divinations  que  les 
autres ,  c'eft-à-dire  ,  qu'entre  tous  les  Barbares ,  il  n'y  en  avoit  point 
qui  pouflaflent  plus  loin  la  fuperftition  fur  cet  article. 

Les  Gaulois  (53)  avoient  une  foumiflion  aveugle  pour  leurs  Devins,' 


(  43  )  Ammian.  Maicell.   l.b.  XXI.  p. 
#vid.  fa^Aoïuin  lib.  I.  p  447. 

(44)  Ciccro  de  Divinitate.  lib.  II.  cap.  76. 

(4s)  Silius  Ital.  lib.  III.  v.   344.  Lampiid. 
Alex.  Sev.  p.  917. 

(46)  Vtiytx.  les  notes  53.  $6, 
.   (47J   Viyei.  les  notes    57-59.  Tacit.  Germ. 
cap.  10.  &  cap.  39.  AmiB.  Maiccl.  lib.  XIV. 

••p.  10,  p    50. 


(48)  To/ftlanote  7  5.Spanian.  Sever.  p.  «oS. 

49  Cicero  de  Di>init.  lib.  I.  cap.  tg.  Sef 
vius  ad  SLniid.  lib.  III.  v.  ]  59.  p.  299. 

(50J  yoyn.  la  note  prcce'dentc.  Cicero  de 
Divinac   lib.  I.  cap,  92.  94.  JulUn.  XI.  7. 

(5 1;  Cicero  de  Divinat.  lib.  i.  cap.  91.  94,   , 

(5  2)  Cicero  de  Divinat.  lib.  I.  cap.  50. 

^  5  i  ]  Diodof.  Sic  ul.  hb.  Y .  p.  a  I  j . 


365.  HISTOIRE    DES    CELTES, 

parce  qu'ils  prédifoient  l'avenir  par  les  Aiifpices  ,  &i  par  l'infpeftion  des 
victimes.  On  voyoit  fouvent  des  Peuples  entiers  (54) ,  quand  ils  en- 
treprenoient  quelque  expédition  ,  fe  laifler  conduire  par  les  oifeaux , 
&  fuivre  ces  animaux  comme  desiguides  que  la  Providence  elle-même 
Uur  donnoit.  Les  particuliers  ,  &  fur-tout,  les  grands  Seigneurs,  n'en- 
treprenoient  rien  d'important  ,  lans  avoir  premièrement  confulté  cet 
Oracle.  Nous  avons  vu,  par  exemple,  que  Divitiac ,  l'un  des  Chefs 
des  Eduens  ,  du  tems  de  Cicéron  (55),  fe  vantoit  de  prévoir  l'avenir 
par  les  Aufpices,  &  par  des  conjectures  tirées  de  la  Phyfiologie.  Dé- 
jotarus ,  Roi  des  Gallo-Grecs ,  avoit  auffi  la  foibleffe  de  déférer  beau- 
coup à  ces  préfages  ■  &  pour  montrer  qu'il  ne  le  faifoit  pas  fans  rai- 
fon  ,  il  racontoit  à  Cicéron  (56)  qu'un  Aigle  lui  avoit  fauve  la  vie. 
Il  comprit  par  la  route  que  cette  Aigle  tenoit ,  qu'il  devoit  retourner 
fur  fes  pas  ;  &  ,  effeftivement ,  la  chambre  où  il  devoit  coucher ,  s'il 
avoit  pourfulvi  fon  chemin ,  s'enfonça  la  même  nuit. 

Les  Germains  ne  différoient  pas  des  Gaulois  (  J7  )•  Ils  étoient  atta- 
chés aux  Aufpices ,  &  aux  forts  ,  autant  &  plus  qu'aucun  autre  Peu- 
ple. Audi  vante-t-on  beaucoup  l'habileté  avec  laquelle  ils  expliquoient 
tout  ce  qui  étoit  fignifié  par  le  vol  &  par  le  chant  des  oifeaux.  On  n'eft 
pas  furpris  de  trouver  de  femblables  éloges  dans  des  Auteurs  Payens ,  ils 
ajoatoient  foi  à  ces  bagatelles.  Mais  on  a  peine  à  comprendre  que  les 
Juifs  &  les  Chrétiens  aient  pu  y  foufcrire.  Par  exemple  ,  Procope 
rapporte  (58)  »  qu'Hermigifile  ,  Roi  des  Varnes,  fe  promenant  un 
»  jour  à  la  campagne ,  avec  quelques  Seigneurs  de  fa  Cour ,  apperçut 
»»  fur  un  arbre  un  oifeau  qui  croaffoit  beaucoup.  Soit  qu'il  entendît 
»  le  langage  des  oifeaux ,  foit  qu'il  en  fît  femblant ,  ou  qu'il  eût  quel- 
R  qu'autre  certitude  de  fa  mort  prochaine  ,  il  déclara  d'abord  à  ceux 
H  qui  étoient  avec  lui,  qu'il  mourroit  au  bout  de  quarante  jours «. 
Ailleurs  il  remarque  (59)  qu'Attila  étant  fur  le  point  de  lever  le  fiége 
d'Aquilée ,  apperçut  des  cigognes  ,  qui  fe  retiroient  d'une  tour  de  la  Ville, 
Un  Aufpice  fi  favorable  l'ayant  obligé  à  recommencer  le  fiége ,  la  Tour 


(j4)  Juftin  XXIV.  +.  livius  V.  34, 

(5  $   Cicero  de  Divinat.  lib.  I.  cap.  »0.  ci.d. 

Chap.  IV.  §.  s.  not.  si. 

($«  Valer   Maxim.  lib.I.  caj.  4.fine.  Ciccio 

Bivinat.  lib.  I,  cap.  iC. 


(57)  Taeit.  Germ.  ca  ■.  10. 
(si)  Frocop.  Gocth.  lib.  IV.  cap.  zo.  p.  fxi. 
f  J  ^'  Procop.  Vandal.  lib.  I.  cap.  4.  p.   ltf< 
Joinud.  Gçt.  cap.  41, 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VI.  367 

^ue  les  Cigognes  avoient  quittée  ,  s'écroula  tout  à  -  coup ,  &  ouvrit 
aux  Huns  un  libre  paffage  pour  entrer  dans  la  Ville.  Procope  qui  tenoit 
ces  faits  de  quelque  Auteur  Payen  ,  devoit-il  les  rapporter  fans  indi- 
quer ce  qu'il  penfoit  du  langage  des  bêtes,  &  de  la  fottife  des  hommes 
qui  obfervoient  le  chant  &  le  vol  des  oifeaux,  comme  autant  d'Oracles 
infaillibles. 

Jofephe  raconte  auffi  (60)  »  qu'Agrippa,  fils  d'Ariftobule ,  &  petit- 

»  fils  d'Hérode-le-Grand ,  étant  prifonnier  à  Rome  ,  fous  l'Empire  de 

»  Tibère ,   &  prenant  l'air  dans  la  cour  de  la  Prifon  ,  un  hibou  vint 

»  fe  repofer  fur  un  arbre  contre  lequel  ce  Prince  étoit  appuyé.  Un 

»  Germain  qui  étoit  prifonnier  avec  Agrippa  ,  &C  qui  remarqua  la  pofi- 

»  tion  de  l'oifeau  ,  lui  annonça  que  cet  augure  lui  préfageoit ,  non- 

»  feulement  fa  délivrance ,  mais  encore  une  gritnde  élévation.  Il  l'avertit, 

»  en  même  tems  ,  que  ,  quand  il  verroit  paroître  une  autre  fois  ce  même 

w  oifeau  ,  il  n'auroit  plus  que  cinq  jours  à  vivre  ;  ce  qui  ne  manqua  pas 

M  d'arriver  comme  le  Germain  l'avoit  prédit.  Tibère  étant  mort  quelques 

»  mois  après ,  Agrippa  fut  relâché  ,  &  renvoyé  dans  fes  Etats ,  avec  de 

»  riches  préfens.  Mais  un  jour  qu'il  célébroit  à  Céfarée  des  jeux  folem- 

»  nels  en  l'honneur  de  l'Empereur  Claude  ,  il  vit  le  hibou  &c  mourut  au 

n  bout  de  cinq  jours  «, 

Jofephe  étoit  trop  habile  homme  pour  ajouter  foi  à  un  conte  fi  ridi- 
cule. Il  a  fait  dans  d'autres  endroits  de  fon  Hifloire  ,  des  réflexions  fort 
judicieufes  fur  la  vanité  des  Aufpices.  Cependant  il  rapporte  ici-la  Fa- 
ble du  Hibou  ,  avec,  une  gravité  qui  femble  infinuer  qu'il  n'avoit  au- 
cun doute  ,  ni  fur  la  vérité  du  fait,  ni  fur  la  certitude  du  préfage  qu'on 
en  avoit  tiré.  On  en  voit  aifément  la  raifon.  Cet  Hiftorien  étoit  grand 
Courtifan.  Comme  il  vouloit  que  fes  Ouvrages  fuffent  lus  par  des  Ro- 
mains ,  il  leur  fait  fouvent  fa  cour  aux  dépens  de  la  vérité  ,  &  de  fa 
confcience.  Tantôt  il  fupprime  les  miracles  du  Vieux  Teflament ,  parce 
qu'il  appréhende  qu'ils  ne  trouvent  aucune  créance  dans  l'efprit  des 
Etrangers ,  tantôt  il  diminue  la  gloire  des  miracles  qu'il  eft  obligé  de 
rapporter ,  pour  les  rendre  moins  incroyables.  Ici  il  pafle  aux  Payens 
une  prétendue  Prophétie ,  afin  qu'on  ne  lui  contefte  pas  les  Oracles  dont 
les  Juifs  étoient  dépofitaires. 

(«o    Jofephe,  Hifl'oire  de»  Juifs.  Liv.  XVII|.  cbap.  t.  g.  »|j.  Liv.  XIX.  ebip.  7.  p.  jïo.dej» 
verflon  d'Ablancouit. 


3<58  HISTOrRE    DES    CELTES, 

§.  VÎI.  Pour  revenir  à  notre  fujet  ,  il  y  a  beaucoup  d'apparence 
que  la  fuperftition  dont  on  vient  de  parler,  tiroit  fon  origine  des  fimples 
Celtes,  qui  la  communiquèrent  enfuite  aux  autres  Payens.  Les  Grecs 
&  les  Latins  avouent  eux  -  mêmes  ,  que  la  doftrine  des  Aufpices  n'étoit 
pas  de  leur  invention.  Les  Romains  tenoient  leurs  Divinations  (6i)  des 
Etrufces.  On  a  vu  dans  le  premier  Livre  de  cet  Ouvrage  ,  les  railbns 
qu'on  a  (6i)  de  regarder  les  Etrufces  comme  un  Peuple  Celte.  Les 
Grecs  reconnoiffent  aufli  (63  )  que  les  Phrygiens  &  les  Cariens  corn, 
mencerent  les  premiers  à  faire  des  obfervations  fur  le  vol  des  oifeaux  » 
&  que  c'étoit  de-Ià  que  la  fcience  des  Augures  avoit  paffé  en  Grèce. 
On  aura  occafion  de  montrer  dans  l'un  des  Livres  fuivans  ,  que  les 
Phrygiens  &  les  Cariens  étoient  du  nombre  des  Peuples  Scythes  ,  qui 
pafferent  de  la  Thrace  dans  l'Alie  mineure ,  où  ils  établirent  les  Royau- 
mes de  Troye,  de  Lydie,  de  Bithynie,  de  Phrygie,  de  Carie,  &  plu- 
sieurs autres. 

Au  refte ,  il  en  fut  de  la  fuperftition  que  l'on  vient  de  repféfenter , 
comme  des  autres  dont  on  a  déjà  fait  mention.  Elle  fubfifta  parmi  les 
Celtes  ,  après  même  qu'ils  eurent  reçu  le  Chriftianifme.  On  peut  en 
juger  ainfi  par  les  Loix  des  Vifigoths  (64)  ,  &  des  Lombards ,  qui  défen- 
dent les  Aufpices  ,  & ,  fur-tout ,  par  la  févèrité  de  l'Edit  de  Theodoric  , 
Roi  d'Italie ,  qui  ,  faifant  profeflion  de  tolérance  (  (Î5  )  ,  ne  laifle  pas 
de  condamner  au  dernier  fupplice  ceux  qui  participeront  à  ces  fuper- 
flitions  Payennes.  S'il  faut  en  croire  Procope  ,  Genferic  ,  Roi  des  Van- 
dales ,  défèroit  auffi  aux  Aufpices ,  quoi  qu'il  fut  Chrétien  (66).  Il  re- 
lâcha Marcien ,  qui  dans  la  fuite,  fut  Empereur ,  parce  qu'il  avoit  vu  une 
Aigle  defcendre  fur  ce  prifonnier  ,  &  voltiger  au-deffus  de  fa  tête, 
pour  lui  faire  ombre  ,  pendant  qu'il  dormoit  au  fommeil.  Regardant  cet 
Aufpice  comme  un  préfage  de  la  prochaine  grandeur  de  Marcien  ,  Gen- 
feric voulut  s'en  faire  un  ami ,  en  le  mettant  en  liberté ,  &  lui  fît  prêter 


(si)  Ci-deffbus.  §.  9.  not.  71  7}. 

(«2;  Ci-d.  Liv.  I.  chap.  lo.  pag.  s<.  «i.  «1. 

(53)  Clem.  Alex.  Stiom.  lib.  I.  cap.  i<. 
pag.  3«i.  Suidas,  in  aitvUK>i  Tom.  II.  p.«;  >. 
Plin.H.  N.  VII.  j«. 

(<+)  Leg.  Vifigoth.  lib.  VI.  tit.  IX.  Leg.  I. 


pag.  IÎ4.  ii«,  Leg.  Longob.  p.  «31.  Ces  loix 
n'ont  été  rédige'es  par  e'crit ,  qu'après  que  les 
ViCgoths  &  les  Lombards  eurent  embrafle  le 
Chriftianifme. 

(«s)  Edift.  Theodorici  régis  p.  155. 

(66]  Procop.  Vandal.  lib,  l.  cap. 4.  p.  185. 

ferment  j^ 


LIVRE     IV,    CHAPITRE     VI.  ^69 

ferment ,  en  même  tems  ,  qu'il  ne  tourneroit  jamais  fes  armes  contre  les. 
Vandales. 

§.  Vlir.  Ce  que  l'on  vient  de  dire  des  obfervations  que  les  Peuples 
Celtes  faifoient  fur  le  vol  &  fur  le  chant  des  Oifeaux ,  doit  s'entendre 
encore  des  autres  animaux.  Regardant  les  Brutes  comme  les  organes 
d'une  Divinité  (67)  qui  les  animoit ,  &  qui  en  dirigeoit  toutes  les 
opérations  ,  ils  faifoient  attention  à  l'aboyement  d'un  chien ,  aux  hen- 
niflemens  d'un  cheval,  au  fifflement  d'un  ferpent  ;  ils  en  tiroient  mille 
préfages  pour  l'avenir.  Comme  on  en  a  déjà  produit  plufieurs  exem- 
ples (68)  ,  il  fuffira  de  rapporter  ici  ce  que  Tacite  difoit,  fur  cet  article, 
des  Germains  (  69  )  :  »  C'eft  une  chofe  particulière  à  cette  Nation , 
»  de  faire  attention  aux  préfages  &  aux  avertiffemens  qu'ils  tirent  des 
»  chevaux.  Ces  chevaux  qui  font  blancs  ,  &  qu'on  ne  charge  d'aucun 
»  travail  qui  regarde  les  mortels  ,  font  nourris  aux  dépens  du  Public  , 
»  dans  les  bois  &c  dans  les  forêts  facrées  dont  nous  avons  parlé.  On 
»»  les  attéle  au  Char  facré  ;  ilsifont  accompagnés  par  le  Sacrificateur ,  par 
»  le  Roi ,  ou  par  le  Chef  de  la  Cité  ,  qui  en  obfervent  le  fouffle  &  les 
M  henniffemens.  Il  n'y  a  point  d'Aufpice  auquel,  non-feulement  le  petit 
»  Peuple,  mais  même  les  Principaux  &c  les  Sacrificateurs  ajoutent  plus 
»  de  foi.  Se  regardant  comme  les  Minières  des  Dieux  ,  ils  croyent  que 
»  ces  chevaux  en  font  les  confidens  «.  On  fçait  que  les  Perfes  avoient  la 
même  fuperfiition ,  &  l'on  peut  voir,  dans  les  Commentaires  fur  cet 
endroit  de  Tacite  ,  la  parfaite  conformité  qu'il  y  avoir,  par  rapport  à  cet 
article  ,  entre  ce  Peuple  de  l'Orient ,  &  les  Germains. 

§.  IX.  Comme  les  Celtes  tiroient  des  préfages  de  toutes  les  aftions  des 
Brutes  ,  ils  en  cherchoient  aufTi  dans  la  conflitution  de  l'animal ,  &  dans 
la  dlfpofition  de  fes  parties.  C'eft  un  autre  fait  que  l'on  peut  fuppofer 
ici ,  parce  qu'on  a  fait  voir  ailleurs  que  la  plupart  de  leurs  Sacrifices 
étoient  Divinatoires,  (70).  Ils  immoloient  des  hommes  &  des  animaux  , 
pour  chercher  leur  deftinée  dans  les  entrailles  des  viûimes.  On  doit  feu- 
lement ajouter  ici  deux  réflexions. 

La  première  ,  c'eft  que  les  Celtes  poulToIent ,  à  cet  égard  ,  la  fuperfti- 
tion  beaucoup  plus  loin  que  les  autres  Payens.  Ils  tiroient  des  préfages  , 


(«7)  Ci-d.  Liv.  m.  ch.  4  §.  I  j,  &  fuiv, 

^68)  Ibidem. 

(^6g]  Tacit.  Geim.cap.  i». 

Tome  II,  A  a  » 


(70)  Ci-dcffks,  ch.  II.  §.  14.  not,  1514.  ch.  T. 
f.  6.  Se  12. 


370  HISTOIRE     DES    CELTES,      - 

auffi  bien  que  les  Grecs  &  les  Romains,  de  la  difpofition  du  cœurj 
du  foie  ,  &  des  intcftins  d'une  viftime.  Mais,  outre  cela  (71),  le  bat- 
tement des  artères ,  la  manière  dont  la  viftime  tomboit  par  terre  ,  après 
avoir  été  frappée  ,  la  forme  &  la  grandeur  de  l'ouverture  que  faifoit 
la  lance  ,  ou  l'épée ,  dont  on  fe  fervoit  pour  l'égorger ,  la  palpitation 
des  membres ,  la  manière  dont  le  fang  ruiffeloit  des  veines ,  tout  cela 
étolt  l'objet  de  l'attention  des  Devins. 

La  féconde  réflexion  ,  c'efl:  que  les  Romains  rapportoient  l'origine 
de  cette  forte  de  Divinations  (71)  aux  Etrufces ,  c'eft-à-dire,  au  Peu- 
ple Celte  le  plus  voifm  de  leur  Pays.  C'eft  de-là  qu'ils  avoient  reçu  cette 
belle  fcience  ,  qui  étoit  véritablement  née  en  Etrurie  ,  puifqu'elle  avoit 
pour  Auteur  un  Etrufce  nommé  (73)  Tages,  que  la  terre  avoit  produit 
immédiatement  (74)  ,  félon  les  uns  ,  &  félon  d'autres  (75)  ,  par  fon  ma- 
riage avec  un  Génie  qui  étoit  fils  de  Jupiter. 

§.  X.  On  a  remarqué  dans  le  Livre  précédent  (76)  ,  que  l'on  accu- 
f  oit  les  Celtes  de  déifier  les  Elémens ,  paiil  qu'ils  affignoient  à  chaque 
Elément  un  ou  plufieurs  Génies  ,  qui  en  avoient  la  conduite.  L'Elé- 
ment étoit  ,  félon  la  Doftrine  de  ces  Peuples ,  le  corps  ou  le  véhicu- 
le d'une  Divinité  fubalterne ,  qui  le  dirigeoit  d'une  manière  fage  ,  pleine 
de  vues  profondes  ,  tant  pour  le  préfent  que  pour  l'avenir.  Cette 
Doûrine  fervoit  de  fondement  aux  Divinations  qui  fe  faifoient  par  les 
Elémens,  Si  dans  lefquelles  on  confultoit,  non  le  corps  matériel,  mais 
l'intelligence  qui  y  réfidoit.  Les  Romains  ,  qui  tenoient  leurs  Divina- 
tions des  Etrufces  ,  préfageoient  l'avenir  &c  s'inftruifoient  de  leur  def- 
tinée  ,  félon  la  remarque  de  Varron  (77)  ,  par  le  moyen  de  la  terre,  de 
l'eau  ,  de  l'air  &  du  feu.  Il  en  étoit  de  même  des  Celtes.  Ils  confultoient 
par  leurs  Divinations,  tantôt  les  Intelligences  qui  réfidoient  fur  la  terre 
(78),  dans  les  arbres,  &c  dans  les  animaux;  tantôt  celles  qui,  habitant 
les  régions  de  l'air ,  préfidoient  aux  vents  &  aux  tempêtes  ,  &  dirigoient 
le  vol  ou  le  chant  des  oifeaux  ;  tantôt  celles  qui  avoient  leur  fiége  dans 


(71)  Ci-deflr.  ch.  IV.  §.  14.  not.  141.  ch.  V. 
5.  9.not.  92.§.  II. not.  I3Î- 1 3  3- Jornandèsdit 
quelque  chofe  de  fembUbledes  Huns.  Jornand. 
cap.  xxxvni.  p.  Ô65. 

{71}  Clem.  Alex.  Sttom, lib. I. cap.  16.0,3(1. 
Lucan.  I.  v.  635. 

(73)  Servius  ad  £neid.  VUI.  t.  ifi. 


(74)   Ciccro,  Divin,  lib.  II.  cap.  50.   Voja, 
auffi  Ovid.  Metam.  XV.  v.  j  5  3. 
(7s)Feftus. 

(76,  Ci-d.  Liv.  III.  ch.  4. 
{77 )  Fiagm. Varron.  p.47 z.Edit  Popni. p.47â. 
{■jtj  Ci-d.  ch.  II.  §,  ij.  not.  124. 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    VL  371 

l'eau  Se  dans  le  feu.  On  a  encore  à  parler  de  ces  deux  dernières  fortes 
de  Divinations. 

Le  feu  du  Ciel  faifoit  parmi  les  Hetrufces ,  latnatière  d'une  infimté 
de  réflexions.  On  peut  voir  dans  (75)  Pline ,  &  dans  (80)  Sénéque, 
les  étranges  fuperftitions  où  ils  donnoient  fur  cet  article.  Ayant  pour 
principe  que  la  foudre  fignifie  toujours  quelque  chofe  ,.  &   que  letf' 
Dieux  ne  lancent  le  Tonnerre  que   pour  donner  des  avertlflemens  aux; 
hommes  (8z),  ils  obfervoient  avec  un  très  -  grand  foin ,  l'heure  &  le 
moment  où  la  foudre  étoit  tombée ,  auffi  bien  que  l'endroit  du  Ciel  d'oti 
elle  étoit  partie.  Ils  difoient  qu'il  y  avoit  onze  différentes  fortes  de  fou- 
dres qui  étoient  des  préfages ,  tantôt  pour  les  Etats ,  tantôt  pour  les- 
Familles ,  tantôt  pour  les  Particuliers ,  fur-tout  pour  ceux  qui  formoient 
un  ctabliiTement ,  Se  qui  entroient  dans  l'état  du  mariage. 

On  ne  peut  guèrcs  douter  que  la  Phyfiologie  des  Celtes  n'enfeignât 
quelque  chofe  de  femblable.  Paul  Diacre  rapporte  (83)  »  que  pefi- 
»  dant  les  noces  d'Autharis ,  Roi  des  Lombards  ,  avec  Théodelinde  ,. 
"  Princeffe  de  Bavière  ,  la  Foudre  tomba  dans  le  Jardin  du  Roi  ,  & 
»  qu'un  Devin  donna  à  Agilulfe  ,  Duc  de  Turin  ,  l'interprétation  de 
>>  ce  figne.  Il  marquoit  que  la  Reine  feroit  bientôt  femme  d'Agilulfe  « 
Voilà  un  préfage  pour  des  perfonnes  qui  entroient  dans  l'état  du  ma- 
riage ;  en  voici  un  autre  qui  annonce  un  changement  dans  l'Etat. 

Suétone  rapporte  (84)  que  l'Emperaur  Domitien  interrogea  &  con- 
damna au  dernier  fupplice ,  le  jour  qu'il  fut  affafTiné  lui-même  ,  im  De- 
vin qu'on  venoit  de  lui  envoyer  d'Allemagne  ,  6c  qui  ayant  été  con- 
fulté  fur  un  coup  de  foudre  ,  avoit  prédit  qu'il  arriveroit  une  révolu- 
tion dans  le  Gouvernement.  Dion  rapporte  ce  fait  d'une  manière  plus 
étendue.  Voici  les  paroles ,  ou  plutôt  l'extrait  que  Xiphilin  nous  en  1 
donné  (85  ).  »  Larginus  Proclus  prophétifa  publiquement  en  Germa- 
»  nie  ,  que  Domitien  mouroit  le  jour  qu'il  fut  aflaflîné.  Le  Gouver- 
»  neur  de  la  Province  l'ayant  envoyé   là-deffus  à  Rome  ,  il  fut  in- 


(79]  Plin.  H\t\.  Nat.  lib.  2.  cap.  j  i-s  5. 

(>o)  Senec.  Nat.  Quxft.  lib.  II.  cap.  3  t.  39. 
41.4».  49. 

|«i)  Sente-  Nat.  Quarft.  lib.  II.  }i.  Voyiz. 
luHi  Diod.  Sic.  V.  219. 

(»i)  Silius  dit  audî  des  anciens  habîtans  de 
la  Galice  qu'ils  cnvo/ereat  une  jciuicfie  paifai- 


tcmcnt  inftruite  dans  la  Science  des  Divina- 
tions. Silius  lib.  III.  V..344. 

(%  3  ;  Faut.  Diac.  Hift.  Long.  lib.  III.  cap.  1 4. 
p.  3«9. 

(84)  Sueton.  Domit.  cap.  i<5. 

{t'i)  Xiphilinus  tx  Dion.  lib.  LYII.  p.  7«7. 

A  aa  2, 


Aatrfs  rotttj 
de  Divina- 
i?on!..  Epreu- 
TC  du  feu. 


37*  HISTOIRE    DES    CELTES, 

M  troduît  devant  Domitien ,  &  affura  en  fa  préfence  que  la  chofe  ar- 
»  riveroit  comme  il  l'avoit  prédite.  L'empereur  le  condamna  à  la  mort, 
»  &  ordonna  en  même  tems ,  que  l'on  différât  fon  fupplice  jufqu'à  ce 
»  que  le  danger  que  lui  aiinonçoit  cet  homme  fut  paffé.  Cependant  les 
»  chofes  tournèrent  tout  autrement.  Domitien  ayant  été  tué  le  même 
«jour  ,  le  Devin  échappa  au  fupplice,  &C  reçut  de  Nerva  un  prtfent 
»  de  cent  mille  drachmes  «. 

On  voit  dans  cette  hiftoriette  ,  un  Divin  Allemand  ,  ou  inftruit  en  Al- 
lemagne ,  qui  étoit  perfuadé  que  les  régies  de  fon  art  étoient  fûres  Se  in- 
faillibles. C'eft  tout  ce  qu'on  peut  conclure  des  paffages  que  l'on  vient 
de  rapporter.  Tout  homme  qui  voudra  les  comparer  exaftement,  trou- 
vera que  du  tems  de  Suétone  ,  on  ne  publloit  autre  chofe,  finon  qu'un 
Devin ,  ayant  été  confulté  en  Germanie  fur  un  coup  de  foudre  ,  prédit 
qu'il  arriveroit  un  changement  dans  l'Etat.  Une  femblable  Prophétie  ne 
pouvoit  manquer  de  s'accomplir  tôt  ou  tard.  Depuis  le  tems  de  Suétone, 
jufqu'à  celui  oîi  Dion  Caffuis  écrivoit ,  il  y  a  plus  de  cent  ans.  Dans 
cet  intervalle,  on  avoit  brodé  l'Hiftoire,  en  y  ajoutant  différentes  cir- 
conftances ,  qui  en  augmentoient  le  merveilleux. 

§.  XI.  On  voit  dans  ce  qui  vient  d'être  rapporté  ,  que  les  Celtes  i 
comme  les  Etrufces ,  tiroient  du  feu  du  Ciel  certaines  Divinations  par 
lefquelles  ils  prétendoient  dévoiler  les  fecrets  de  l'avenir.  Les  Divina- 
tions que  ces  Peuples  fondoient  fur  le  feu  naturel  &  terreftre,  avoient, 
au  contraire ,  pour  but  de  manifefter  la  vérité  de  certains  faits ,  qu'il 
n'étoit  pas  poffible  d'éclaircir  par  d'autres  voies.  Elles  étoient  du  nom- 
bre de  ces  procédures  extraordinaires  que  les  anciens  appelloient  (86) 
Ordalia ,  parce  qu'on  les  regardoit  comme  nn  Jugement  de  Dieu  (87), 
dans  lequel  la  Providence  déclaroit,  d'une  manière  immédiate,  fi  un 
homme  étoit  coupable,  ou  innocent,  des  méchantes  aûions  qu'on  lui 
imputoit. 

Quand  des  perfonnes  accufées  ou  foupçonnées  de  quelque  crime  ca- 
pital ,  n'étoient  pas  dans  le  cas  de  fe  purger  par  le  Duel ,  le  Magiftrat 
avoit  coutume  de  les  afllijettir  à  l'épreuve  du  feu.  Ainfi  la  Loi  des  an- 


(»«)  Urtheil  autrefois  Ordtl ,  eft  un  mot  Al- 
lemand qui  fignific  une  Sentence ,  un  Jugement. 

(»;)  Une  Conftitution  de  Chatles-Magne 
(oue  ,  par   exemple  ,  ^u'un  komme  accuCé  de 


meurire  doit  être  examine'  par  'e  Jugement  de 
Dieu  ,  &  toucher,  pour  cet  effet,  neuf  barrcrde 
fer  rouge.  Carol.  Mag.  addit.  ad  Leg.  Salie,  de 
anno  to].  pag.   351. 


-LIVRE    IV.     CHAPITRE    VI. 


373 


tiens  Francs  ordonne  (88)  »  que  les  Efclaves  fe  purgeront  des  cri- 
»  mes  dont  ils  font  accufés ,  en  mettant  les  mains  au  feu  «.  Celle  des 
Anglois    porte    (  89  )  »  qu'une  femme  accufée   d'avoir  empoifonné  , 
»  ou   fait  affafliner  fon  mari  ,  fournira  fon   plus  proche  parent  pour 
»»Ia  juftifier  par  la  voie  du  Duel.  Si  elle  ne  trouve. point  de  Champion, 
»  on  la  foumettra  elle-même  à  l'examen  ,  en  lui  faifant  toucher  neuf 
»  barres  de  fer  rouge  ».  On  trouve  aufli  dans  l'ancienne  Loi  des  Saxons , 
connue  fous  le  nom  de  Sachfen-Spiegd  (Spéculum  Saxonicum  (90) , 
»  qu'un  homme  qui  a  été  convaincu  de  larcin  ,  ou  de  brigandage  ,  étant 
»»  déchu  par  là  de  de  fon  droit,  (  c'eft-à -dire ,  du  droit  de  dépofer) 
♦>  ne  pourra  être  reçu  à  fe  purger  par  ferment.  Il  faudra  qu'il  choififfe 
»  entre  ces  trois  moyens  de  juflification  ,  ou  de  porter  un  fer  chaud, 
»»  ou  de  mettre  le  bras  dans  une  chaudière  d'eau  bouillante ,  &  de  l'y 
»  enfoncer  jufqu'au  coude,  ou  enfin  de  défendre  fa  caufe  par  le  Duel  «. 
Il  eft  connu  que  l'épreuve  du  feu  fe  faifoit  de  trois  manières  différen- 
tes. La  première  ,  &  la  plus  ufitée  ,  étoit  ce  qu'on  appelioit  le  Jugement 
du  fer  rouge,  Judicium  ferri  candentis  (91).  On  faifoit  rougir  au  feu,  '"•' 
félon  que  l'accufation  étoit  plus  ou  moins  grave ,  une  ,  deux ,  trois  ,  & 
jufqu'à  neuf  petites  barres  de  fer ,  du  poids  d'une  (91)  à  trois  livres. 
Après  qu'un  Prêtre  avoit  récité  certaines  Prières  fur  le  fer  ,  l'Accufé 
Je  prenoit  la  main  nue  ,  &:  alloit  le  jetter  à  neuf  pieds  de-Ià.  Enfuite  on 
enveloppoit  la  main  &  on  cachetoit  l'enveloppe  ,  pour  ne  l'ouvrir 
qu'au  bout  de  trois  nuits.  Si  la  main  fe  trouvoit  alors  malade  ,  celui  qui 
avoit  fubi  l'épreuve  étoit  regardé  comme  coupable  ,   &  puni  comme 
tel.  On  le  déclaroit  au  contraire  innocent ,  quand  la  main  ne  paroiffoit 
.  point  endommagée.  Ainfi  les  Hiftoriens  rapportent  (93)  que  Charles- 
Chauve,  difputant  aux  Enfans  de  fon  Frère  Louis  le   Germanique  , 


Manière  dont 
fc  faifoit  l'c- 
preuye  du 


(88    Lcg.  Ripuar.  Tit.  30.  p.  45^,   tom.  3 1. 

pag.  45  S- 

(l9    1  eg.  Angl.   &  Vérin.  Tir.  XIV.  p.  435. 
Vy»».  aiiûi  Dufrelne,  GlolT.  in    .•mejuramut  m 

(  90  '  Saclifen-Sp  egcl.  lib.  I.  An.  1 3.  Scliot- 
tel.  pag.  S4+. 

(91,  Vcj.  lesFot  .ulesde  Maiculphe  p.  1 306 
Schotteliusp.j4}.  5  s  i.Du  Fre(ne  GlofT.  in  voce 
i^n.  Juiic  p.  10.  Spcliuan.  Concil.  Anglic.  Dec. 
pag.  404. 


(»»>  C'ell  ce  qu'on  appelioit  Ltdtmjimflictm 
ou  irifliccm.  HajenU.  Gcrin.  Med.  DifT.  3,  §.  19. 
Gerike,  pag.  1  18.  Dufrcfne  ,  in  voce  /g».  Jui. 
pag.   20.  Lada  ,  p.  zi  8. 

(93  Annal.  Franc  Bcrtin.  ad  ann.  S/S.  Du- 
frcfne,  Glofl".  p  30».  Schottel.  pag.  Ç47,  Ce 
n'eft  pas  ici  le  lieu  d'f  xaminer  (î  le  fait  eft  vrai. 
11  eft  confiant, au  relie,  qu;  cette  e'prcuve  e'toit 
commune  ,8c  même  ordonnée  par  les  Loi.x,  du 
tems  de  Chatlcs-Magnc,    Vojet,  la  note  Jy. 


IJ4  HISTOIRE    DES     CELTES, 

une  partie  de  la  fucceffion  de  leur  père  ,  ceux-ci  foutinrent  leur  droit 
par  l'épreuve  de  trente  hommes ,  dont  dix  ful>irent  l'épreuve  de  l'eau 
froide ,  dix  ,  celle  de  l'eau  bouillante  ,  èc  les  dix  autres  touchèrent  ua 
fer  rouge  fans  fe  brûler.  Les  fers  qui  fervoient  à  cet  ufage ,  font  ordinai- 
rement appelles  Fomcres  ,  parce  qu'ils  avoient  la  forme  d'un  foc  de 
charrue  ,  &C  quelquefois  (  94  )  Chirothecœ ,  parce  qu'on  y  employoit 
une  efpèce  de  gand  de  fer,  dans  lequel  l'accufé  fourroit  le  bras  jus- 
qu'au coude. 

L'épreuve  du  feu  fe  faifoit ,  en  fécond  lieu  ,  avec  des  charbons  allu-r 
mes ,  que  l'accufé  recevoit  dans  fes  habits ,  Si  qu'il  portoit  à  une  cer- 
taine diftance  ,  en  les  ferrant  contre  fon  corps.  Grégoire  de  Tours  en 
fournit  deux  exemples.  Le  premier  eft  celui  de.  Brice  (95),  fucceffeur 
de  fâint  Martin,  Accufé  d'être  le  père  d'un  enfant  dotit  fa  Blanchiffeufe 
étoit  accouchée ,  il  fe  fit  apporter  l'enfant ,  &  lui  adrefla  ces  paroles  : 
»Je  vous  conjure  par  Jefus-Chrill ,  Fils  du  Dieu  Tout-Puiflant  ,  de 
»  déclarer  en  préfence  de  toute  cette  Aflfemblée  ,  fi  c'efl  moi  qui  vous 
.!  »  a),  engendré  «.  L'enfant  qui  n'avoit  que  trente  jours ,  ne  laifTa  pas 
4e  ^épQndre  fort  dilHnûement  :  Fous  nàes  pas  mon  père.  Mais ,  com- 
me le  Peuple  ne  fe  rendoif  pas  à  ce  miracle  ,  qu'il  attribuait  à  quelque 
Art  magique  (96)  ,  Brice  ,  pour  prouver  encore  mieux  fon  inno- 
cence ,  mit  des  charbons  allumés  dans  fa  robe  ,  les  ferra  contre  fa  poi- 
trine ,  &  les  porta  de  cette  manière  jufqu'au  tombeau  de  faint  Martin, 
devant  lequel  il  jetta,  les  charbons,  &  montrai  au  Peuple  ,  qui  l'avoit 
fuivi,  en  fovile  ,  la  robe  qui  n'avoit  fouffert  aucun  dommage  ,  non  plus 
que  fa  perfonne  (*).  L'autre  exemple  efl  celui  dcSimplicius,  Evêque  d'Au- 
tun  (c)7)  ,  qui  prouva  de  la  même  manière  ,  qu'il  n'avoit  point  touché- 
fa^femme,xlepui3  qu'il  étpit  parvenu  à  l'Epifcopat ,  quoiqu'elle  eût 
toujours  demeuré  dans  la  même  maifon.que  lui. 
^  ^Eofin  l'épreuve  du  feu  -fç;  faifoit  encore  d'une  troifième  manière.  On 


("94  )  Ki'^fz,  Ci-dertbuS  §.  I  5.  note    liz. 
(95)  Grcgoï.  Tar.  lib.  I.  pag   272     lih.  II. 
•ip.  I.  de  l'EdUion  de  Mpiel. 
(96)  Grcg  Tar.  Ibid. 

(  *  )  Voilà ,  ce  me  fcmble  ,  une  très-puifl*ante 
tai l'on  de  douter  du  pietendu  miracle.  Celui  qui 
«voit  pu  faire  parler  ua  enfant  de  30  jours  , 
ne  pouvoit-il  pas  bien  plus  facilement  garantit 


fon  corp«  &  fes  habits  de  l'aftion  du  feu  ?  Les 
Peuples  pouvoient-ils  être  plus  afleftc's  du  re'ful- 
tat  de  l'cpreuve  ,  que  d'un  fait  aulîî  marquant 
que  la  parole  dans  la  bouche  d'un  enfant  de 
cet  âge.  Grégoire  de  Tours  a  trop  fouvent  ajou- 
te foi  à  des  bruits  populaires.  Note  de  l'Editeur. 
(79)  Greg.Tuion.  de  Glot.  Confeff.  cap.  7«. 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    VI.  375 

obllgeoit  l'accufé  (98)  de  marcher ,  nuds  pieds,  fur  des  charbons  ardens , 
ou  fur  des  barres  de  fer  rouge. 

§.  XII.  Il  eft  certain  que  les  différentes  épreuves  ,  dont  on  vient  de 
parler,  font  fort  anciennes  ,  &  on  ne  peut  guères  douter  qu'elles  ne 
tirent  leur  origine  du  Paganifme.  Autant  qu'il  efc  poffible  de  le  fçavoir , 
Sophocle  eft  le  premier  qui  en  ait  fait  mention  dans  fa  Tragédie  d'^/z- 
tigone.  Après  que  cette  Princeffe  eut  enlevé  le  corps  de  Polynice  ,  fon 
frère ,  les  Gardes  dont  elle  avoit  trompé  la  vigilance ,  dirent  à  Créon  j 
Roi  de  Thèbes  (99)  :  »  Nous  fommes  prêts  de  toucher  un  fer  rouge  , 
»  &  de  palier   au  travers  du   feu  ,    en    prenant  les  Dieux  à  témoin 
»  que  nous  n'avons  point  commis  cette  aftlon ,  &  que  nous  ne  fomme» 
«  point  complices  de  celui  qui  en  a  conçu  le  deffein ,  &  qui  l'a  exécuté  «. 
Comme  les  Tyrans  ,  qui  ufurpolent  la  Souveraine  Puiflance  dans  les 
Villes  libres  de  la  Grèce  ,  confîoient  ordinairement  la  garde  de  leur  Per- 
fonne  à  des  Thraces  ,  &  à  des  Illyriens,  Sophocle  fait  tenir  aux  Gardes 
de  Créon  ,  un  langage  qui  convient  à  des  Barbares ,  &  qui  fait  allufion 
aux  moyens  de  juftification  établis  dans  leur  Pays.  Cela  étoit  fort  na- 
turel. Mais  on  fe  tromperoit  beaucoup  ,  li  on  prétendoit  conclure  de 
ce  paiïage  ,  que  l'épreuve  du  feu  fut  en  ufage  parmi  les  Grecs,  du  tems 
de  Sophocle  ,  ou  dans  le  fiécle  de  Créon  ;  les  Hiftoriens  n'en  font  abfo- 
liiment  aucune  mention.  ^ 

Plufieurs  Auteurs  Latins  ont  obfervé  (100)  que  dans  une  folemnité 
qui  fe  célébroit  tous  les  ans  fur  le  Mont-Sora£le ,  les  gens  d'une  cer- 
taine famille  que  l'on  nommoit  les  Hirpitns  ,  paflbient  nuds  pieds ,  & 
fans  fe  faire  aucun  mal ,  fur  un  grand  brafier ,  &  qu'en  cette  confidéra^ 
tion  ,  ils  étoient  exemts  de  toute  forte  de  charges.  On  ne  doutera  pas 
que  cet  ufage  ne  tirât  fon  origine  de  l'ancienne  Religion  des  Peuples  de 
l'Italie,  fi  l'on  veut  fe  rappeller  ce  qui  a  été  remarqué  ailleurs  (101)  , 
que  la  Fête  dont  il  s'agit,  étoit  confacrée  au  Père  Dis.  H  y  avoit  de 
même,  en  Cappadoce  ,  un  Temple  de  Diane  (lox),  où  les  PrêtrefTes  de 


(9S  )  Ci-deflous  ,  $.  iz.  note  lo.  Schottel. 

{99      Sophocl.   Antigon.     pag,  m.  210. 

(100  Flin.  Hift.  Nit.  lib.  VIII  cap.  2.  p.  10. 
Strabo,!  b.  V.  p.  226.,  Virg.  ^neid.  XI.  v.  7*7. 
Vtjitz.    audi  Siliut  ,    lib,  V.  v,   17s.   Solin , 


» 
cap.  t.    pdg.    184.    cap.  2  ,  pag.  11.  de  l'Edit, 
de  Sauraaife. 

(loi)  Cl  deffiu  ,  |ir.  lil.  chap  VI.   $-34. 
note  120  iif 

{loijSttibo,  Xll.  ia$H7, 


376  H  I  S  T  O  I  R  E    D  E  S    C  E  L  T  E  S, 

la  Divinité  marchoient  fur  des  charbons  allumés  fans  en  foufFrir  aucun 
dommage. 

On  prétend  que  les  Perfes  donnoient  au/îi  dans  ces  fuperftitions» 
M.  Hyde  rapporte  ,  par  exemple ,  fur  la  foi  d'un  Hiflorien  Arabe  , 
nommé  Bur«:lari  (  103  ),  »  que  Zoroaftre  fournit  fa  perfonne  &  fa 
M  Doftrine  à  l'épreuve  du  feu.  Il  fe  fit  jetter  fur  la  poitrine  deux  livres 
n  de  cuivre  fondu  ,  &  n'en  foufFrit  aucun  dommage.  Une  autre  fois , 
>»  il  toucha  un  fer  rouge  fans  fe  brûler  la  main  «.  On  trouve  encore 
»  dans  l'Ouvrage  de  M.  Hyde  (104),  que  fous  le  régne  de  Sapor,  ua 
»  Chef  des  Mages  prouva  la  vérité  de  fa  Religion  par  l'épreuve  du 
»>  feu.  Il  propofa  qu'on  verfât  fur  fon  corps  nud ,  dix-huit  livres  de 
»  cuivre  fortant  de  la  fonte  ,  &  tout  ardent ,  à  condition  que,  s'il  n'en 
»  étoit  pas  bl^é,  les  Incrédules  fe  rendroient  à  un  fi  grand  prodige. 
>♦  On  dit  que  l'épreuve  fe  fît  avec  tant  de  fuccès ,  qu'ils  furent  tous 
t)  convertis  «. 

On  ne  voudroit  pas  garantir  ces  faits  ,  qui  ne  font  atteftés  que  par 
des  Auteurs  modernes  ,  auxquels  M.  Hyde  femble  s'être  fié  trop  légè- 
rement. Mais  ,  au  moins ,  efl-il  confiant  qu'entre  tous  les  Peuples  Celtes 
de  l'Europe  ,  il  n'y  en  avoit  aucun  au  milieu  duquel  l'épreuve  du  feu 
ne  fut  ufitée  ,  &  même  prefcrlte  par  les  Loix.  Les  anciennes  Loix  (105) 
de  ces  Peuples  ,  &  l'Hiiloire  (106)  du  moyen  âge  en  fournifTent  une 
infinité  de  preuves  &  d'exemples.  Une  conflitution  du  Pays  de  Bron- 
iewig ,  (Brunfwick),  que  M.  Gerick  a  publiée,  porte  expreffément, 
qu'un  homme  accufé  de  larcin  ,  fe  purgera  en  touchant  un  fer  chaud 
(107).  »  Après  avoir  lavé  fes  mains  dans  de  l'eau  froide  ,  il  lèvera  le  fer 
>»  rouge,  &  le  portera  au  lieu  qu'on  lui  marquera  ,  à  la  diflance  de  neuf 
»  pieds  «.  Cette  Conflitution  efl  d'autant  plus  remarquable  qu'elle  eft 
du  quatorzième  fiécle  ,  &  qu'elle  fervoit  de  régie  à  un  Tribunal ,  qui 
tenoit  encore  fes  féances  en  l'an  1362. 

§.  XIII.  Quand  on  penfe  que  ces  épreuves  ont  fubfiflé  parmi  les  Peu- 
plesCehes,  pendant  une  longue  fuite  de  fiécles ,  &  qu'une  infinité  de  per- 


■' (103)  Hyde  de  Relig.  vct.  Terfar.   pag.  147, 

33».  ap.  Biucket  Hift.  Crit.  rhilofoph.  p.  3 1 1. 

.  '    (10+)    Ibidem    cap.   2  i .  Baiifobre  ,  Hift.   du 

Manich.  Liv,  II.  ch.   i.  p.    I6«. 

.(105)  Voyeï  ci-deffus  ,  §.  XI.  note  «7-^1 


(107)  Dufrefne,  Gloflat  in  voce  Anfvarcm, 
Eed,  tom.  1 .  p.  2.  in  Afirejure^menrum  ,  p.  zffj, 
Lcgendre  ,  Traite'  de  l'opinion  Liv.  VI.  p.  j  5  2. 
&  fuiv.  Schottel.  pag.  545.  Gerike,  pag.  iij, 

(107)  Gerilce  ,  pag.    127. 

fonnes 


LIVRE    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    VI.  377 

fonnes  fe  purgeoient  par  cette  voie  des  accufations  qui  leur  étolent  ia- 
tentées,  on  ne  peut  guères  fe  refufer  à  la  conjeûure  que  les  Anciens 
avoient  quelque  fecret  pour  arrêter  l'aftivité  du  feu.  Un  grand  homme 
de  l'Antiquité  ,  que  l'on  appelle  U  dîjlruclcur  de  toute  Religion  ,  parce 
qu'il  ne  perdoit  aucune  occafion  de  relever  les  fuperftitions  du  Peuple  , 
&  la  fourberie  des  Prêtres,  avoit  eu  ce  foupçon,  &  après  des  exaâes  re- 
cherches ,  il  avoit  reconnu  que  fa  conjecture  étoit  fondée.  On  veut  par- 
ler de  Varron  (  108)  qui  donnant  la  compofition  d'un  certain  onguent, 
aflliroit  que  les  Hirpiens  avoient  coutume  de  s'en  frotter  les  pieds  , 
quand  ils  paflbient  par  le  feu.  Il  ne  faut  pas  douter  que  le  Moine  Turc 
&  le  Charlatan  Vénitien  dont  parle  Busbequius,  &  qu'il  dit  (109)  avoir 
vu  fe  laver  les  mains  dans  du  plomb  fondu,  manier  le  fer  rouge  ,  &  s'en 
frotter  le  dedans  de  la  bouche ,  n'euffent  le  même  fecret.  On  entrevoit 
encore  qu'il  n'étoit  pas  inconnu  aux  Peuples  du  Nord.  La  Chronique  de 
Norvège  porte ,  par  exemple  (i  10),  «que  comme  on  difputoit  à  Haquin , 
»  Roi  de  Norvège  ,  fon  extraftion  Royale ,  il  fut  ordonné  que  la  Reine 
»  Inga  ,  mère  de  Haquin ,  toucheroit  un  fer  rouge  pour  légitimer  la  naif- 
»  fance  &  les  droits  de  fon  fils.  Un  Brabançon ,  nommé  Sigard ,  oiFrit 
»à  la  Reine  de  lui  frotter  les  mains  d'une  herbe  qui  la  mettroit  en  état 
»>de  toucher  un  fer  rouge,  fans  en  recevoir  aucun  dommage;  mais  cette 
w  Princefle  refufa  conftamment  de  fe  fervir  du  fecret  de  Sigard.  » 

Mais  quel  étoit  l'onguent  dont  on  fe  fervoit  pour  fe  munir  contre  la 
violente  adion  du  feu?  c'eft  ce  qu'il  importe  peu  de  deviner.  On  trouve, 
à  la  vérité ,  dans  un  Auteur  moderne  (  1 1 1  )  ,  que  la  mauve  &  la 
mercuriale  empêchent  l'adion  du  feu  fur  les  parties  qui  en  font  frottées. 
D'autres  attribuent  cette  vertu  (m)  au  jus  d'oignons  piles,  &  d'autres 
encore  (113)  à  un  onguent  compofé  d'un  mélange  égal  d'efprit  de 
foufFre ,  de  fel  ammoniac ,  d'effence  de  romarin  &  de  jus  d'oignon.  11  ne 
feroit  aflurément  pas  prudent  de  garantir ,  ni  d'éprouver  ces  préferva- 
tifs ,  dont  on  ne  peut  avoir  qu'une  fovt  mauvaife  opinion  ;  &  dans  le 


(10!)  Voyez  ce  que  porte  le  Commentaire  t 
dî  Servius,  fut  ces  mots  de  Virgile,  Trttifitittt, 
&c.  cites  i  1»  not,  1 09  du  paragrap.  précèdent. 
Serviiu  ad  MneiSi.  XI  ,  tom.  7 s 7.  p,  «S3.  Sal- 
maf.  ad  So'in.  p    60. 

(109;  Busbeq.  Epift.  IV,  pag.  z«5. 


'    (t  16;  chronic  Norveg.  fol.  «ïS  ,  apud  Lo- 
cen.  Hiftor.  Sueo-Goih.  pag.  «1. 
■    (11  II  Locccn,  antiq.  Sueo-Goth.p.ig.  6a«' 

("iix)  Legendtc,    Traite   de   l'Opinioil' # 
liv.  VI.     pag.  3«i.  '> 

{lit)  Ibidem.  ' 


Tome  IL  B  b  b 


37?  HISTOIRE    DES    CELTES; 

fond ,  on  ne  voit  pas  qu'un  fecret  qui  ne  fufpendroit  l'aftlvité  des  flam- 
mes que  pour  quelques  inftans  ,  pût  être  d'une  grande  utilité ,  depuis  que 
l'épreuve  du  feu  eft  abolie. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  il  eft  conftant  que  la  plupart  des  perfonnes  que 
Ton  foumettoit  à  cette  épreuve  ,  ignoroient  entièrement  le  fecret.  Il 
paroît ,  d'ailleurs  ,  par  l'exemple  de  la  Reine  Inga ,  que  les  honnêtes  gens  , 
qui  fe  repofoient  fur  leur  innocence  ,  refufoient  de  s'en  fervir.  On  ne  peut 
pas  douter,  par  conféquent,  que  ces  prétendus  jugemens  de  Dieu  ne  fîf- 
fent  périr  tous  les  jours  une  foule  d'innocens.  Agobard  ,  Evêque  de 
Lyon ,  le  repréfenta  à  Louis  le  Débonnaire ,  avec  beaucoup  de  force 
(114),  pour  obliger  ce  Prince  à  réformer  ce  qu'il  y  avoit  encore  de 
barbare  dans  les  Loix  des  Bourguignons.  Mais  il  ne  paroît  pas  que  les 
remontrances  de  cet  Evêque ,  euflent  fait  aucune  impreffion  fur  l'efprit  de 
l'Empereur  ni  de  fon  Confeil. 

Il  eft  vrai  que  Frédéric  II  abolit ,  par  une  de  fes  (i  1 5)  Conftltutions  ," 
qui  mérite  d'être  lue ,  &  que  l'on  appelloit  alors  Leges  paribiUs ,  c'eft- 
à-dire ,  les  épreuves  du  fer  rouge ,  de  l'eau  froide  ,  ou  bouillante ,  & 
du  combat  en  champ  clos.  Mais  cela  n'empêcha  pas  qu'on  ne  s'en  tînt 
toujours  à  l'ancien  ufage. 

Ce  qu'il  y  a  ici  de  furprenanî  ,  c'eft  que  le  Clergé ,  qui  étoit  tout- 
puiffant  dans  les  fiécles  du  moyen  âge ,  au  lieu  de  s'oppofer  à  l'abus , 
l'ait  au  contraire  foutenu  de  tout  fon  pouvoir,  &  qu'il  ait  même  entrepris 
de  le  fanftifier.  On  trouve ,  par  exemple ,  dans  Helmodus ,  que ,  lorfque  les 
Saxons  fe  furent  rendus  maîtres  de  Meklembourg  (116),  «il  fut  dé- 
»  fendu  aux  Sclavons  de  jurer  par  les  arbres,  les  fontaines  &  les  pierres, 
»  &  qu'on  les  obligea  à  préfenter  les  perfonnes  accufées  de  quelque 
M  crime  ,  au  Prêtre,  {>our  y  être  examinées  par  l'épreuve  du  fer  rouge.» 
Un  décret  du  Pape  Honoré  III  prouve  que  la  même  chofe  fe  pratiquoit 
en  Pruffe(ii7).  Il  défend  aux  Chevaliers  de  l'Ordre  Teutoniquc,  d'af. 
fujettir  à  cette  forte  de  procédure,  les  Livoniens ,  nouvellement  convertis 
au  Chriftianifme. 

Il  eft  vrai  que  l'épreuve  étoit  toujours  ordonnée  par  le  Magiftrat  ; 

(1 14)  Voyei  fon  Traita  «Jvfniiif^em  Gun-       futferi.   Ibid.  p.  301. 
dohtUi  Opp  tom.  j,  pag.    107.  &  celui  c.niri  (115;  Conftitut.  Sical.  lib.  II.  t,  3  i.  p.  777; 

damnabiUm   cpinionim     pumtiiium     divtnijuitcii  (i  i«)  Helmod.  Chron.  Slav.  cap.  S4.  p.  I S7. 

wii»um  ii»i ,  vcl  t^uii ,    vit  ttnfitOit  êiwMtttm  \      (117)  Jm.  Canon,  tit.  3  s.  Deciet.  cap.  ). 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VI.  37^ 

qui  avoit  feul  le  droit  de  décider  fi  le  cas  dont  il  s'aglffoit ,  étoit  affez 
grave,  &  fi  les  foupçons  ou  les  indices  que  l'on  fourniffoit  contre  i'ac- 
cufé  ,  étoient  affez  forts  pour  qu'on  pût  l'obliger  à  fe  purger  d'une  ma- 
nière auffi  dangereufe.  Mais ,  au  reûe >  (i  1 8)  l'épreuve  même  fe  faifoit  tou- 
jours dans  les  Eglifes.  Le  Clergé  y  préparoit  les  accufés  par  le  jeûne  , 
par  la  prière ,  &  en  leur  donnant  la  communion.  II  béniffoit  (  i  j  9  )  en- 
fuite  le  fer  qui  devoit  fervir  à  confondre  le  crime,  ou  à  manifefter 
l'innocence. 

Quelques-uns  ont  conclu  de-là  ,  que  les  Eccléfiaftlques ,  en  poffeflîon 
du  fecret  dont  on  a  parlé ,  il  n'y  a  qu'un  moment ,  avoient  leurs  rai- 
fons  pour  maintenir  un  abus  qui  les  mettoit  en  état  de  fervir  les  perfon- 
nes  qui  leur  étoient  dévouées ,  &  de  faire  périr  leurs  ennemis ,  fans  en 
être  recherchés.  D'autres  prétendent  ,  au  contraire  ,  que  le  Clergé 
donnoit  de  bonne  foi  dans  ces  fuperftitions  (  *  ).  Ils  allèguent  pour  raifrn 
que  les  Eccléfiaftiques  ont  fouvent  expofé  leur  Religion,  leurs  Livr.s 
facrés  &  leur  propre  perfonne  à  l'épreuve  du  feu.  Michel  Glycas  rap- 


(iit)  Spelman  in  Concil.  Décret.  Anglican, 
f  ag.  404.  Sciiotcelius  ,  p.  549.  Geiikc  ,  p   i    8. 

(119  La  formule  de  la  prière  que  l'on  re'ci- 
toit  fur  le  fer  rouge  e'.i  rapportée  par  Goldaft  , 
Antiq.  Allem.  rom.  U.  Gerike  ,  p,  i  1  8.  Vayn. 
auffi  les  formules  de  Marculphe  apud  LIndenb. 
pag.  I  3fr<  ,  &  BaUiz.   t.  U.  p.  65 1-«5  8. 

(*)  Ne  pourroit-on  pas  en  tirer  une  concIU' 
lion  moins  défavorable  pour  le  Sacerdoce  î  La 
■cannoiflance  de  l'abus  de  ces  épreuves  dont  on 
ne  pouvoir  défabufer  des  Peuples  groffiers  ,  en- 
têtés &  fuperftit'eux  ,    portèrent    les   Prêtrej 
^ui  étoient  niunif  du  fecret  en  queftion  ,  à   fe 
charger  de  prçferv.et  ceux  qui  y  étoient  fournis 
«lu  danger   qu'il    y  auroit  eu  fans  cette  précau- 
tion. Et  pourroit-on  faire  un  grand  cr;me  aux 
Prêtres  d'.ivoLr  employé,  en  certaines  occallons, 
ua  ftratagême  aulTi  efficace,  pour  faire  triom- 
pher leur  Religion  ou  pour  la  fauver,  pour  ga- 
rantir leurs  livres  &   leurs  perfonnes  du  péril 
qui  les  menajoit  i  Dans  un  temps  de  barbarie  ,  ; 
ces  pieufes  fraudes  font  excufables,  quand  leur 
but  eft  de  faire  le    b\en.  tJoie  dt  M*'*  »  qui  • 
fA^ois  iomunicjui  le  MAnufcrit   de    M.  PelUuiier,  j 
Ce  f,ftême  porte  fur  des  principes  faux  ,  8i  fur  . 
i^tt  faits  démeatii  pat  l'Hiftoire  :  i*.  £ft-il  i 


I  permis  en  aucun  cas  ,  aux  Miniftres  de  l'Evan- 
!  gile  ,  aux   Miniftres  de  celui   ijui  efl  ,  &  qui  eft 
U  vérité  même,    d'induire  le  Peuple  dans  J'cr- 
reur  ,  de  lui  annoncer  ppur  mincie  une  chofe 
qui  n'eft  que   preftige  &  meiKonge  ?   Ce  feroit 
/uftitiei  les  fraudes  qui  ont  étécommifes  dan» 
les  fauffies  religions,  8c   que  l'on  a  tcprochéei 
aux  Seftaires.  Ce   feroit  mettre  l'erreur  à  côté 
de  la  vérité,    a*.   Eft  il  toujours  vrai  que    le« 
Prêtres  qui  préiidoient  aux  didérentes  fortes  d'é- 
preuves, aient  garanti  du  péril  les  innocens.  Se 
laifle  périr  les  coupables?  L'Hiftoire dément  ce 
faic.  N'eft-ce  pas, au  eontr  ire.l'abus  des  épreu- 
ves, les  crimes  <^u'elles  autojifoient  .les  défor- 
dres  qui  en  réfultoient ,  qui  ont  été  càufe  que 
les  Peuples  pluséclairés,  ont  rejette  ce  barbare 
uf^ge  ,  cet  ufage  facrilége  &  inhumain  ;  Je  ne 
ffais  tro.i  fi  les  Prêtres  de  la  Religion  Chré;ien- 
ne  avoient  un  moyen  sûr  pour  empêcher  l'ac- 
tion du  feu.    Je  ne  vois  p  int  que  ce  foit  nn 
f»it  démontré,  de  mpnje  qu'il  ne  me  femble 
pas  facile  de  prouver  invinciblement  le  eon. 
traire   Mais   fl   ce  fecret  exiftoit ,  combien  de 
fois   n'en  a-t-on  pas  fait  un  mauvais  ufage  ? 
Qu'on  prenne  l'Hiftoire  &   qu'on  life.  Hoie  if 
l'MiittM, 

iBbbi 


3fo  HISTOIRE    DES    CELTES, 

porte,  par  exemple  (12.0) ,  que  les  Rufl'es  furent  conv€rtis  au  Chriftia- 
nifme  de  cette  manière,  fous  l'empire  de  Bafilius ,  qui  fuccéda  à  Mi- 
chel l'ivrogne.  On  jetta  le  St.  Evangile  dans  un  grand  feu ,  qui  ne  put 
le  brûler,  Mariana  raconte  auffi  (m)  que  l'office  Muzarabique  &c  le  Ro- 
main furent  éprouvés  en  Efpagne  ,  premièrement  par  le  duel ,  &  enfuite 
par  le  feu.  Le  Romain  fauta  d'abord  hors  du  feu  ,  &  le  Gothique  y  de- 
meura fans  en  être  endommagé.  En  conféquence  de  ce  double  miracle  , 
on  trouva  bon  de  çonferver  les  deux  offices.  On  lit  encore  dans  Sa- 
xon le  Grammairien  (m),  que  Poppon  ,  pour  convaincre  les  Danois 
de  la  vérité  &  de  la  divinité  de  la  Doclrine  qu'il  annonçoit  »  fit  rou- 
gir un  gand  de  fer,  ôcy  fourra  le  bras  jufqu'au  coude.  Après  l'avoir 
promené  au  milieu  de  l'Affemblée  ,  il  alla  le  jetter  aux  pieds  du  Roi ,  & 
lui  montra  fa  main  ,  qui  n'avoit  pas  feulement  changé  de  couleur.  Ce  pro- 
dige fut  caufe  qu'on  abolit,  parmi  les  Danois ,  l'uiage  du  duel,  pour 
mettre  en  fa  place  l'épreuve  du  feu.  L'Hilîoire  Eccltliaftique  de  Sozo- 
mene  fait  auffi  mention  (  il}  )  d'un  Moine  Egyptien  ,  qui  portoit  fou- 
vent  du  feu  dans  fon  léin ,  fans  que  ni  fon  corps ,  ni  fes  habits  en  fufTent 
endommagés  ,  &  celle  de  Théodore  le  Lefteur  (i  14) ,  d'un  Evêque  ortho- 
doxe ,  qui  difputant  en  la  préfence  de  l'Empereur  avec  un  autre  Evêque 
du  parti  des  Ariens ,  lui  propoia  d'entrer  dans  un  bûcher  allumé  ,  pour 
montrer  de  cette  manière  ,  lequel  des  deux  fentimens  étoit  le  plus  con- 
forme à  la  piété.  L'Arien  ayant  refufé  d'accepter  la  condition  qu'on  lui 
propofoit  ,  l'Orthodoxe  entra  dans  le  feu,  parla  au  milieu  des  flammes, 
&  en  fortit  fain  &C  iàuf. 

Il  femble  que  ces  raifons,  au  lieu  de  décharger  le  Clergé ,  ne  peuvent 
fervir  qu'à  le  rendre  plus  fufpeft  ;  à  moins  qu'on  ne  veuille  fuppofer 
ce  qu'Agobard  ne  croyoit  point,  &  qu'il  regardoit  (  125  )  comme  une 
opinion  damnable,  favoir  que  Dieu  failbit  tous  les  jours  des  miracles 
pour  diflinguer  l'innocent  du  coupable  ,  &  la  vérité  du  menfonge  ;  à 
moins  de  cela ,  il  faudra  convenir  nécelTairement  que  le  Clergé  avoit 


(lio)  Michel.  Glycas,  Ann  Eccl.  Paît.  IV. 
jag, z»t. 

(121  Mariana  de  Reb.  Hifp.  adan.  Chtifti 
1091.  lib.  IX.  cap.  18. 

(lli^  Saxo  Grammat.  lib.X.  p.  189.  Olaus 
Vorm.  Danic.  Monum.  lib  I.  cap.  II.  Eric 
d'Upfac  lappoite  cette  cvcnement  à  l'an  9  jo  , 


lib.  I,  p.  7.4-27. 

(I2j)  Sozom.  Lib.  VI.  cap.  zS.  inter  Script.' 
Hiftoria:  Ecclef.  tom.  II.  pag.  678. 

(124  Colleft.  Theodor.  Leftoris  lib.  II.  in- 
ter Scrip.Hift.  Ecc.  T.  HI.p.  s««. 

(125J  Fojfic  Ci-defTus  ,  not.  114.  Agobard 
adv.  Leg.  Gundob.  cap.  3.  Opp.  T.  I.  p.  u#. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VI.  381 

quelque  fecret  inconnu  aux  autres  ,  pour  garantir  fa  perfonne,  les  habits 
&  fes  Livres  de  l'ardeur  des  flammes. 

§.  XIV.  L'épreuve  de  l'eau  ,  tant  froide  que  bouillante,  fe  faifoit  dans    Epreuve  de 
la  même  vue  que  celle  du  feu.  Elle  étoit  un  moyen  de  juftifîcation  pour  u^t".  '° 
les  perfonnes  accufées  ou  foupçonnées  de  quelque  crime.    Il  y  avoit 
pourtant  cette  différence,  par  rapport  à  l'épreuve  de  l'eau  froide  ou 
chaude,  c'eft  qu'on  n'obligeoit  ordinairement  que  les  efclaves,  ou  les 
perfonnes  (12.6)  qui  s'étoient  déshonorées  par  quelque  crime,  à  fe  pur- 
ger de  cette  manière.  Les  anciennes  Loix  y  font  formelles.  Celle  des 
Lombards  porte,  par  exemple  (12.7),  »que  l'accufé  défendra  fa  caufe  par 
»le  duel ,  s'il  eft  de  condition  libre ,  &  par  le  jugement  de  l'eau  bouil- 
wlante,  s'il  eft  efclave.  »  On  trouve  des  conftitutions  femblables  ,  dans 
les  Capitulaires  de  (liS)  Louis-le-Débonnaire  ,  &  dans  les  Loix  des 
(119)  Frifons.  Il  falloit  d'ailleurs,  que  la  perfonne  foupçonnée  prêtât  ce 
qu'on  appelioit  h  ferment  purgatoire ,  avant  que  de  fubir  l'épreuve.  Ainfi 
la  Loi  des  Frifons  ordonne  (  130)  «  que,  pour  fe  purger  d'un  homicide, 
«l'accufé  jurera,   lui  douzième,    &  qu'enluite    il  fera   fournis  à  l'é- 
>>  preuve.  » 

Il  faut  que  la  chofe  fe.  pratiquât  de  la  même  manière  dans  les  Gaules.  Il 
femble ,  au  moins ,  qu'Eummenius  fait  manifeftement  allufion  à  cette  cou- 
tume ,  lorfqu'il  dit  dans  fon  Panégyrique  de  l'Empereur  Conftantin  (13  i)  : 
«  Notre  Apollon  dont  les  eaux  bouillantes  punifftnt  le  parjur,;...,»  Il 
S 'agit ,  dans  cet  endroit ,  du  célèbre  Temple  que  le  Dieu  Apollon  avoit 
à  Autun.  Là,  comme  par-tout  ailleurs,  l'épreuve  de  l'eau  bouillante  fe 
fâifoit  dans  les  lieux  confacrés  ,  &  celui  qui  avoit  le  malheur  d'en  rece- 
voir quelque  impreffion,  étoit  toujours  regardé  &  puni  comme  parjure. 
Cette  épreuve,  qui  étoit  auffi  en  ufage  ,  parmi  les  (  132  )  Vifigoths  , 
les  (133)  Bourguignons,  &  les  (134)  Francs ,  fe  faifoit  avec  les  mêmes 


(iztf^Ci-d    $.  II.  not  90. 

(117)  Leg.  Longob,  lib.  I,  Tit.  IX.  Leg.  39. 
pag.  $34.  Leg.  151.  p.  531.  Tit.  XXXIU.  Leg  I. 
pag  s  SI.  Kojicz.2ulTî  Dufiefne ,  Gloflar.  in  voce 
uiifu»  ferv.  T.  I.  pag.  3    3- 

(  128  )  C»pit.  Ludovic.  Pii  ,  lib.  IV.  T.  13. 
pag-  «S>3,. 

(izpJLcg.  Frif.  Tit.   HI.  Leg.  4.  p.  493. 
(  130  '  Leg.  Fiif.  T.  XIV.  Lrg.    3.  p.   497- 

(131)  Eutnenivs  Faneg/i,  Coudant,  cap.  21. 
pa  g.  zi(. 


(131    Leg    Vifig.lib.    III.  Tit.  3.  p.  121. 

(133)  yojei.  Ci-dtflT  §  m.  not.  114.  125, 
C'eft  encore  à  la  Coutume  des  Bourguignon» 
qu'Agobard  fait  allufion  ,  lorfqu'il  dit  :  »  Or- 
»  donnez  qu'on  fafle  rougir  le  ter  &  bouiUirdc 
»  l'eau  ,  afin  que  j'y  porte  la  main  ,  fans  en 
»  recevoir  aucune  imprcUion  ».  C^p.  T.  I. 
pag.    301. 

(134)  Leg.  Salie.  LIV.  p.  33*.  Tit.  LIX. 
pag,  340.  Addit.  Leg.  4.   p,  3.4», 


38i  HISTOIRE    D  E  S    C  E  L  T  E  S, 

cérémonies  que  celle  du  fer  rouge.  Le  Prêtre  qui  préfidoit  à  l'aftion 
'  (i  3  ?)  >  faifoit  chauffer  de  l'eau  dans  une  chaudièie.  Quand  elle  commen- 
çoit  à  bouillir,  il  laconfacroit(i36),  en  récitant  un  certain  formulaire  de 
prières ,  &  y  jettoit  une  bague ,  ou  une  pierre.  Enfuite  l'accufé  alloit 
(137)  tirer  de  la  chaudière  la  bague  ou  la  pierre  ,  que  le  Prêtre  y  avoit 
jettée.  Comme  on  avoit  foin  d'y  mettre  plus  ou  moins  d'eau,felon  que 
le  cas  étoit  phis  ou  moins  grave ,  les  perfonnes  qui  fubiffoient  l'épreuve  , 
étoient  quelquefois  obligées  de  mettre  dans  l'eau  ,  non -feulement  la 
main,  mais  encore  le  bras  jufqu'au  coude. 
Epreuve  is  §•  XV.  L'éprcuve  de  l'eau  froide  étoit  affurément  la  moins  dangereufe 
l'eau ticidt.  jjg  toutes.  Après  avoir  dépouillé  l'accufé  de  fes  habits,  on  lui  lioit 
en  croix  les  mains  &  les  pieds ,  de  manière  que  le  bras  droit  fut  attaché 
au  pied  gauche ,  &  le  bras  gauche  au  pied  droit.  Enfuite  on  le  jettoit 
dans  une  eau  courante ,  en  le  tenant  par  une  corde  ,  qu'on  avoit  la  pré- 
caution de  lui  mettre  autour  du  corps  (138).  S'il  alloitàfond,  on  le 
retiroit  proroptement  hors  de  l'eau  ,  &  on  le  renvoyoit  abfous.  S'il  fur- 
nageoit  ,  il  étoit  regardé  &  puni  comme  coupable. 

Il  faut  que  les  Peuples  Celtes  fuiviffent  ici  des  règles  toutes  diffé-; 
rentes  de. celles  qui  fervoient  de  fondement  à  l'épreuve  du  fer  rouge  Se 
de  l'eau  bouillante.  Là,  le  feu  &  l'eau  refpeûoient  l'innocent;  ici,  au 
contraire ,  l'eau  épargnoit  le  coupable  pour  engloutir  celui  qui  étoit 
innocent.  Cette  contradiâion  ne  doit  pas  furprendrç.  La  fuperftition  en 
digère  bien  d'autres. 

Savoir ,  après  cela ,  comment  un  homme  que  l'on  jettoit  dans  l'eau 
pieds  &:  poings  liés,  n'alloit  pas  toujours  à  fond,  c'eft  ce  qu'il  n'eft  pas 
facile  de  deviner.  Le  célèbre  M.  Hoffmann  a  cru  (139)  que  ce  miracle 
pouvoit-être  expliqué  par  des  caufes  naturelles.  La  conftitution  de  l'Em- 
pereur Frédéric  II  ,  citée  en  note  (140)  ,  l'attribue  à  la  rétention  de 
l'air  ,  lorfque  l'haleine  de  celui  qui  faifoit  l'épreuve  ,  étant  arrêtée  par 


(  ijS  )  Spclman,  Concil.  Décret.  Anglican, 
pag-  404. 

(i  3  « ,  On  peut  voir  de  ces  Foimalaiies  dans 
les  Formules  de  Matculphe ,  p.  1299.  ijoi. 
Voyrz.  celui  qui  fut  introduit  par  çidte  de  l'Em- 
fereur  Louis  le  Débonnaire  dans  Goldaft. 
^crum  AUem.  T.  III.  p.  254. 
•  (137)  Greg.  Turon.  Miracul,  lij).  I.  cap.  »i. 
p.  jo;.  edit.  Moiell.  Duiierne,  ClolT,  wAm 


feldtyhdi.    T.  1.    f.  zi 3.  in  Aqud  ferventii  Judii. 

pag.   314- 

(  138  )  Voyez,  les  Formules  de  Maiculphe  , 
pag.  130C-1301. 

(139)  Frédéric!  HoSfminni  ,  Demonfttatio- 
nes  Phyiicz  cutiofae.  Demonil.  XV.  n.  10.  Ge- 
tike  ,  p.    I  21-123. 

(140)  Ci-deflus,  $•  XIII.  aotC  !!$■  Coaftit.' 
Sic.  lib.  I|.  Tit.  J I.  p.  777. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VI.  383 

la  frayeur,  le  gonfloit  comme  une  veflîe  qui  nage  fur  l'eau  ,  quand  elle 
eft  pleine.  Peut-être  aufîi  que  le  miracle  dépendoit  beaucoup  moins  de 
l'accufé  &  de  l'état  où  il  fe  trouvoit ,  que  de  l'habileté  &  des  difpofitions 
de  ceux  qui  étoient  chargés  de  tenir  la  corde.  Ils  pouvoient  l'allonger  , 
pour  faire  emporter  par  le  torrent  l'homme  qui  y  étoit  attaché  ,  &c  la 
retenir,  pour  le  faire  aller  à  fond. 

Quoi  qu'il  en  foit,  il  eft  confiant  que  l'épreuve  de  l'eau  froide  étoit 
en  ufage  parmi  les  Peuples  Celtes ,  depuis  un  tems  immémorial.  L'Em- 
pereur Louis-le  Débonnaire  (141),  &  Lothaire,  fon  fils  &  fon  fuccef- 
feur ,  l'abohrent  par  leurs  conftitutions  ,  &  défendirent  aux  Juges 
Royaux  de  s'en  fervir  pour  examiner  les  accufés.  C'eft  une  preuve  que 
cette  manière  de  procéder  avoit  été  reçue  ,  jufqu'alors,  dans  les  Tribu- 
naux. Il  faut  même  que  Marculphe  n'ait  point  connu  ces  conftitutions, 
ou  qu'il  ait  douté  de  leur  authenticité,  puifqu'il  afllire  (141)  que  l'é- 
preuve de  l'eau  froide  fut  ordonnée  par  le  Pape  Eugène  II,  à  la  requifi- 
tion  de  l'Empereur  Louis- le-Débonnaire. 

Au  refle  ,  ces  conftitutions  ne  fiirent  point  obfervées  :  Il  paroît ,  par 
l'hiftoire  du  moyen  âge ,  que  les  Celtes  s'en  tinrent  toujours  à  leur 
ancienne  manière  de  procéder.  On  voit ,  par  exemple  ,  dans  les  Annales 
de  Suabe  (143),  que  les  Moines  du  couvent  de  Zuitfalten,  prouvèrent, 
par  l'épreuve  de  l'eau  froide ,  que  les  dixmes  qu'on  leur  difputoit ,  appar- 
tenoient  au  Monaftère. 

A  la  fin,  cependant,  on  n'employa  plus  cette  épreuve  que  pour  exami- 
ner les  personnes  qui  étoient  accufées  de  fortilége.  Quand  un  homme 
foupçonné  de  magie,  avoit  le  malheur  de  ne  pouvoir  aller  à  fond ,  on 
l'appliquoit  à  la  torture ,  jufqu'à  ce  que  les  tourmens  lui  euflent  arraché 
l'aveu  du  crime  dont  il  étoit  accufé.  S'il  avoit  le  malheur  de  l'avouer  , 
on  le  condamnoit  à  périr  dans  les  flammes  ;  s'il  ne  l'avouoit  pas,  on  le 
tourmentoit  tant  qu'il  avoit  un  foufHe  de  vie.  Cet  abus  a  fubfiflé  (144) 


(141)  Capit.  Lotharii  in  leg.  Longob,  p.  «<i. 
On  trouve  la  même  Loi  dans  les  adJitions  aux 
Capitulaires  de  Louis  le  Débonnaire  ,  tit.  io  , 
pag.  1:90.  Le  Pape  Sylveftre  II.  éciitant  à 
Lambert ,  Evêque  de  Mayence,  condamne  au'li 
l'épreuve  de  l'eau  ,  tant  chaude  que  fioide. 
Apud.  Lindenb.  inGlofl*.  f.  mS. 


(142'  Form.  Marculphi  ,  p.   tjoi. 

(  14)  Crufii  An.  Suev.  Lib.  III.  part.  2. 
cap.  »•  Schoitel.  p.  $  49.  Ko^tt  d'autres  exem- 
ples ci-deffus  5.  II.  net.  93.  Dufrefne  ,  T.  I. 
pag.  3o>.  Legendre.  Traité  de  l'Opinion  ,  Ur. 
VI.  p.  3S4-J$S- 

(14*)   Gctike,  pag,  lïi.   171. 


384  HISTOIRE    DES    CELTES,' 

en  Veftphalie  jurqiies  fur  la  fin  du  XVII.  fiécle.  Ce  n'eft  aufll  (  145  ) 
qu'au  commencement  de  ce  même  fiécle ,  qu'il  a  été  aboli  en  France. 
Encore  ne  le  fut-il  alors  que  dans  le  reffort  du  Parlement  de  Paris.  On  a 
cru,  nial-àpropos  (146),  que  cette  manière  d'examiner  les  Sorciers 
avoit  été  inventée  par  les  Chrétiens.  L'Hiftorien  Phylarque  (147)  qui 
avoit  conduit  Ibn  Hiûoire  jufqu'à  la  fin  du  régne  de  PtoloméeEvergete, 
parlant  des  Sorciers  que  l'on  voyoit  dans  le  Royaume  de  Pont ,  affuroit 
qu'ils  enforceloient  les  enfans  ,  &  même  les  hommes  faits,  en  les  regar- 
dant fixement.  Il  ajoutoit  (148)  que  ces  Sorciers  ne  pouvoient  aller  à 
fond  ,  lors  même  qu'on  les  jettoit  dans  l'eau  tout  habillés, 

§.  XVI.  On  ne  doit  pas  oublier  ici  que  les  Peuples  Celtes  fe  fer- 
voient  encore  de  l'eau  ,  pour  pratiquer  de  ces  divinations  que  les 
Grecs  défignoient  fous  le  nom  d'Hydromantie.  Le  Devin  obfervolt  at-J 
tentivement  le  mouvement  de  quelque  eau  courante ,  &  jugeoit  de  l'a- 
venir ,  tant  par  la  manière  dont  elle  couloit ,  que  par  le  murmure  des 
ondes. 

Les  Germains  avoient  cette  fuperftition  du  tems  de  Jules -Céfar 
(149).  «Comme  il  demandoit  à  des  Priibnniers  Germains,  pourquoi 
»  Ariovifte  différoit  d'en  venir  à  une  bataille ,  ils  lui  répondirent  qu'il 
»étoit  d'ufage,  parmi  eux,  que  les  mères  de  famille  confultaffent  le 
»  fort ,  &  qvi'elles  euffent  recours  à  d'autres  fortes  de  divinations ,  pour 
w  favoir  s'il  étoit  expédient,  ou  non,  de  donner  bataille;  que  ces  femmes 
»  avoient  annoncé  aux  Germains  la  perte  de  la  bataille ,  s'ils  la  hafar- 
«  doient  avant  la  nouvelle  Lune.  »  Le  fondement  de  la  prophétie  étoit 
que  ces  Dryades  (150)  ayant  examiné  les  tourbillons,  que  les  eaux 
du  Rhin  faifoient  en  coulant,  avoient  lu  dans  le  bruit  des  ondes,  &,  dans 


(.145^  Un  Arrêt  de  U  Tournellc  Criminelle 
du  Patlement  de  Paris  ,  rendu  en  i«oi.  fur  les 
Condufions  de  l'Avocat  Ge'néral  Servin,  dé- 
fend  à  tous  Juges  du  EwclTort  de  la  Cour,  de 
faire  e'prcuve  p.ir  eau  ,  en  accufation  de  (br- 
lilége  ,  êc  il  eft  ordonné  que  cet  Arrêt ,  fetvant 
de  Règlement  GeBe'ral,  foit  regiftré  dans  tous 
les  Greffes,  &  publié  dans  tous  les  Sièges  du 
^effort.  Legendre, Traité  de  TOpinion,  liv.  VI. 
pag.    3SS. 

|l4*j  DBfrefi.e,   CloC  in  A^u*  frig,  Jh^U, 


T.  I.  p.  309. 

(147)  Suidas  in  Fhylurcho. 

(i48)Plin.  VII.  1.  rlutarque  parle  des  mê- 
mes Sorciers,  &  dit  qu'ils  dcmeuroient  ■atft 
Tov  ^o'vToy  fur  les  côtes  du  Pont-Euxia  S/iU- 
pof.  lib.  V.  cap.  7. 

(t49)  Ci-deffus  ,  Chap.  IV.  ^.  xS.  not.  îio. 

fi5o)  Plutarch.  Cxfar.  T.  I.  p.  717.  Dio- 
Caff.  Lib.  XXXVII.  p.  90.  Clem.  Alex.  Strom. 
lib.  I  cap.  15.  pag.  î6o.  Polioen.  lib,  VIII. 
cap.  2j.   n.  4. 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    VI.  385 

le  tournoiement  de  l'eau,  que  le  tems  u'étoit  pa»  propre  pour  donner 
bataille. 

On  devinoit  de  la  même  manière  dans  le  célèbre  Temple  de  Dodone 
(i^  i).  Au  pied  de  l'arbre,  qui  étoit  le  fymbole  de  la  Divinité,  ilyavoit 
une  fource  vive ,  que  les  Dieux  avoient  douée  du  don  de  prophétie,  La 
Prêtreffe  ,  qui  étoit  une  bonne  vieille  ,  prêtoit  l'oreille  au  murmure 
des  eaux,  Se  l'interprêtoit  à  ceux  qui  venoient  confulter  l'Oracle.  Saint 
Auguflin  nous  a  confervé  un  paffage  de  Varron,  qui  porte  (152) «que 
»  l'Hydr  mantie  venoit  originairement  de  Perfe  ,  &c  que  le  Roi  Numa 
»♦  Pompiiius ,  auffi-bien  que  le  Philosophe  Pythagore ,  étoient  fort  ex- 
npérimentés  dans  cette  fcience.  Le  premier  voyoit  dans  l'eau  l'image 
»  des  Dieux ,  qui  lui  enfeignoit  ce  qu'il  devoit  ordonner  &  obferver 
»  lui-même,  par  rapport  aux  cérémonies  de  la  Religion.  » 

Mais,  comment  l'Hydromantie  avoit-elle  pu  paflerde  Perfe en  Italie, 
dans  le  tems  de  Numa  Pompiiius  ?  Il  n'eft  pas  facile  de  le  deviner.  Il  eft , 
peut-être ,  encore  plus  difficile  de  comprendre ,  comment  faint  Augul- 
tin  a  pu  s'imaginer  que  le  Démon  intervenoit  dans  cette  forte  de  divi- 
nations, qui,  pour  venir  de  fort  loin,  &c  pour  être  fort  anciennes,  n'ôi 
étoient  pas  moins  extravagantes. 

§.  XVII.  Paflbns  à  une  autre  manière  de  deviner,  qui  étoit  commune     tes  ceb» 
à  tous  les  Peuples  Celtes  &  Scythes;  c'eft  celle  qui  fe  faifoit  par  le  fort.  a'In'piVîe 
Perfonne  ne  conteftera  que  le  fort  ne  puiffe  être  employé  utilement  en  ^'^'^ 
plufieurs  occafions.  Mais  on  ne  peut  excufer  ces  Peuples  de  s'en  être  fer- 
vis  dans  les  deux  cas  qu'on  va  indiquer.  Premièrement ,  ils  confultoient 
le  fort  en  mille  occafions  ,  où  il  aiiroit  fallu  confulter  plutôt  la  raifon 
&  le  bon  fens.  Les  Germains  font  en  peine  de  favoir  (  i  ^  3  )  fi  le  tems  eft 
favorable  pour  livrer  bataille  aux  Romains ,  ou  s'il  ne  l'eft  point.  Ils 
ne  favent  pas  (154)  s'il  eft  à  propos  de  brûler,  fur  le  champ ,  un  homme 
de  confidération    que  Jules-Céfar  leur  a  envoyé,  ou  s'il  ne  feroit  pas 
plus  expédient  de  différer  fon  lupplice  à  un  autre  tems.  L'une  &  l'au- 
tre de  ces  queftions  font  décidées  par  le  fort.  Ce  n'étoit  affurément  pas 
le  moyen  de  trouver  le  bon  parti.  Il  eft  vrai  que  les  Germains  regardoient 

cette  décifiori  du  fort ,  comme  un  Oracle  du  Ciel.  Mais  c'eft  en  cela 

-^— — — — —  '^ 

(l  Si^Scvius  ad  £neid.  m.    v.    4<(.  Voyez  i  cap.  ]s. 
#i-deffus ,  ch.  i.  §.  xo  jnot.  131  I      {1J3)  Ci-defTus  ,  J.  XVI.  not.   150. 

(iji,  Auguftin.  de  Civitate  Dci,  lib.  VU*  j      (i{4JC3far,  I.  jj. 

Temi  II,  C  c  c 


386.  HISTOIRE    DES    CELTES, 

précifément  que  çonfiftoit  l'extravagance  de  l'impiété.  Il  faut  avoir  une 
étrange  idée  de  la  Divinité ,  pour  s'imaginer  que ,  toutes  les  fois  que 
les  hommes  jugent  à  propos  de  décider  une  queftion,  non  par  les  lu- 
mières que  Dieu  leur  a  données ,  mais  à  coups  de  dez  ,  il  faut  que  la 
Providence  faffe  un  miracle  ,  pour  faire  trouver  la  vérité  ,  qu'ils  outra- 
gent ,  en  la  cherchant  de  cette  manière. 

En  fécond  lieu ,  ces  Peuples  fe  fervoient  encore  du  fort  dans  les  caufes 
criminelles ,  pour  juger  fi  un  homme  étoit  coupable  ou  innocent  des  cri- 
mes dont  on  l'accufoit.  On  en  a  allégué  un  exemple  bien  remarquable 
dans  l'un  des  Chapitres  (155)  précédens.  Quand  le  Roi  des  Scythes  étoit 
ipalade  ,  les  Devins  confultés  fur  la  caufe  de  fa  maladie  ,  l'attribuoient  or- 
dinairement à  un  faux  ferment  que  tçlle  ou  telle  perfonne ,  qu'ils  nom- 
moient ,  avoient  fait  par  la  maifon  Royale.  On  amenoit  auffi-tôt  l'ac- 
cufé,  poyr  l'examiner  par  la  fcience  de  la  divination,  c'eft- à-dire,  parle 
fort.  Si  le  fort  lui  étoit  contraire ,  il  étoit  fur  le  champ  exécuté  ,  &  (es 
biens  confifqués.  C'étoit ,  affurément ,  la  plus  cruelle  &  la  plus  détefta- 
ble  de  toutes  les  injuftices  ,  de  condamner  un  homme  fur  de  femblables 
preuves. 
Mamète  de       Cependant  cette  procédure  étoit  reçue  dans  toute  la  Celtique ,  &  la 
fr^^^^  f*^    divination  fe  faifoit  par-tout  à  peu  près  de  la  même  manière.  On  y  em- 
,.  r,    -plQyoit  des  Jaranches  d'arbres  que  l'on  coupoit  en  rameaux,  ou  en  jet- 
'   '    tons,  avec, cette  différence  pourtant,  que  les  Scythes  préféroient  (156) 
le  faule  &  le  tilleul ,  les  Germains  (157)  une  branche  d'arbre  fruitier, 
les  Gaulois  (158)  la  verveine,  &  les  (159)  Perfes  le  tamarifc.  Les 
,Jhraces  étoient  les  feuls  (160)  qui  fe   ferviffent  dans  cette  occafion, 
^on  de  branches  d'arbres,  mais  de  petits  cailloux.  Le  Ledeur  ne  fera^pas 
fâché  qu'on  rapporte   ici  quelques  paflages  qui  fervent  à  montrer  la 
parfaite  conformité  qu'il  y  avoit  fur  cet  article,  entre  tous  les  Peuples 
de  l'Europe. 

«On  trouve  parmi  les  Scythes,  dit  Hérodote  (161),  un  grand  nom- 
>>brç  de  Devins,  qui  devinent  avec  plufieurs  verges  de  faules,  de  la 


(l  5  s)  Ci-d.  ch.  IV.   §.  10.  not.  Sj. 
,.'{lj5«)Vci  deffbus  ,  not.  i6i. 
^157)    Ci-deflbus  ,   note  16.3. 

(158)  Plin.  Li.  XXV.  cap.    9,  pag.  41t. 

(159)  Scholiaft.  Nicandri  ad  illum  verfum 
Thcriac.  Kt-l  ftvfi  K*s  Aalsio  Je'nï  ap.  Lind.  in 


Gloir.  p.   14*7.  Vûjiz,  Interpret.  Theriae.  Ni- 
candii  ap.  Scatig.  in  notis  ad  Catull.  pag.  ;;;. 

(lâo,   Stephan.de   Urb.  p.    401,   Plln.    VU. 
49.  p,  6t.  Vo^et.,  audî  Suidas  au  mot  @(i<û. 

(1*1)   Heiodot  JY.  67. 

.   iie.'iïi,.'    ,, 

,ki  y.  Vil 


LIVRE    IV.    CHAPITRE     VI.  387 

«manière  que  je  vais  rapporter.  On  apporte  de  grands  faifceauri  de 
»'  verges  ,  que  l'on  pofe  par  terre.  Le  Devin  ayant  ouvert  le  faif- 
wceau,  met  à  part  chaque  verge  &  fonde  là-deiTus  fes  divinations; 
«après  quoi  il  raffemble  les  verges,  &  les  remet  en  un  faifceau,  C'eft 
»  la  manière  de  deviner  qu'ils  ont  reçue  de  leurs  Ancêtres.  Mais  les 
»  Enaries  ,  qui  font  hermaphrodites  ,  devinent  avec  des  branches  de 
»  tilleul ,  &  prétendent  avoir  reçu  leur  art  de  la  Déeffe  Vénus.  Ils 
»  coupent  la  branche  en  trois  morceaux ,  qu'ils  font  paffer  &  repaffer 
entre  leurs  doigts ,  &  c'eft  là-deffus  qu'ils  fondent  leurs  divinations.  » 

Ammien-Marcellin  dit  quelque  chofe  de  femblable  des  Alains  (162). 
«  Leur  manière  de  deviner  efl  toute  extraordinaire.  Ils  raffemblent  des 
«verges  de  faule,  qui  foient  droites,  &  les  féparent  enfuite ,  dans  un' 
>»tems  marqué  ,  avec  des  enchantemens  fecrets  ,  »  c'eft-à-dire  ,  avec 
des  prières  qu'ils  prononcent  à  voix  baffe  ;  «  par  ce  moyen ,  ils  connoif- 
»  fent ,  très-clairement ,  tout  ce  qui  doit  arriver;  » 

Voici  ce  que  Tacite  difoit  des  divinations  qui  étoient  en  iifage  parmi 
les  Peuples  de  la  Germanie  (  163  ).  «Ils  font  attachés  aux  aufpices  & 
»>aux  forts  autant  qu'aucune  autre  Nation.  Leur  manière  de  confulter 
»  le  fort  eft  fort  fimple.  Ils  coupent  une  branche  d'arbre  fruitier ,  &  la 
«partagent  en  plufieurs  petits  rameaux.  Ils  diftinguent  ces  rameaux 
»  par  quelques  marques ,  &  les  répandent  au  hafard  fur  un  habit  blanc. 
»  Enfuite  le  Sacrificateur  de  la  Communauté ,  quand  la  confultation  eft 
«publique,  ou  le  Chef  de  la  famille,  quand  elle  eft  particulière,  après 
«avoir  invoqué  les  Dieux,  &  regardant  vers  le  Ciel,  levé  par  trois 
«  fois  chacun  de  ces  rameaux ,  &  les  interprête  félon  la  marque  qu'on  y 
«a  auparavant  imprimée.  Quand  le  fort  eft  contraire,  on  ne  confulte 
M  plus  ce  jour-là  fur  la  même  affaire.  Quand  il  eft  favorable ,  on  a  encore 
«recours  aux  Aufpices.  » 

■  Il  paroît  par  le  paffage  d'Euftathe ,  cité  en  note  (  164  )  ,  que  les  anciens 
Grecs  avoient  auffi  cette  manière  de  deviner  avec  de  petits  morceaux  de 
bois. 

Au  refte,  cette  fuperftition,  comme  les  autres  dont  on  a  fait  mention 
dans  ce  chapitre ,  fe  conferva  fort  long-tems  parmi  les  Chrétiens.  On 

. ^ —  m 

(i«i)  Ainm.    Marc.  lib.   J^XXl.  c  p.  z.  1         (  ««-l-J    iuftath.    ad    Uiid.  III.  v.    }i6ji 

pag  «II.  j  pag.  4iy. 

(i<l)  TAcit.  Gccm.  cap.  lo.  ( 

Ccc» 


3^8  HISTOIRE    DES    CELTES, 

cmployoit  le  fort  dans  les  confultations  publiques  &  particulièfes , 
tantôt  pour  découvrir  l'auteur  d'un  crime,  tantôt  le  légitime  pofieffeur 
d'un  bien  ,  &  on  appelloit  un  jugement  de  Dieu  (  165  )  la  fentence  que 
les  Juges  prononçoient,  après  avoir  jette  croix  ou  pile  fur  l'accufé.  Trois 
Evêques  qui  fe  difputoient  le  corps  de  Saint  Léger ,  convinrent  de  déci- 
der le  différent  par  le  fort  Pafle  encore  pour  cela.  Mais  le  fort  eft  ici 
une  aûion  fainte,  à  laquelle  on  fe  prépare  par  trois  jours  de  jeùiie  & 
de  prière  :  on  met  enfuite  fur  l'Autel  trois  billets  ,  fur  lefquels  on  avoit 
écrit  le  nom  des  trois  Prétendans  ;  &  l'Hiftorien  raconte  fort  gravement 
(166),  qu'un  Prêtre  ayant  tiré  au  hafard  l'un  de  ces  billets,  fit  voir  , 
par-là  ,  lequel  des  trois  Evêques  avoit  la  vérité  &  la  juflice  de  fon 
côté.  C'eft  une  réflexion  qu'on  ne  fauroit  lui  paffer. 

La  Loi  des  Frifons  ordonne  aufïï  (167)  que  pour  découvrir  l'auteur 
d'un  meurtre ,  on  fera  jetter  au  fort  les  perfonnes  que  le  vengeur  du 
fang  jugera  à  propos  d'accufer  ;  & ,  parce  que  cette  étrange  procédure 
étoit  regardée  comme  un  jugement  de  Dieu ,  la  Loi  veut  qu'elle  fe  faffe 
au  pied  des  Autels. 

Il  eft  vrai  qu'un  Concile  tenu  à  Auxerre  (168),  condamne  exprefle- 
nient  cet  abus.   Mais ,  outre  que  la  conftitution  ne  pouvoit  regarder , 
tout  au  plus,  que  les  Eglifes de  France,  il  eft  certain  ,  d'ailleurs,  qu'elle  ne 
fut  pas  obfervée ,  la  coutume  ayant  prévalu ,  dans  cette  occafion  ,  comme 
dans  plufieurs  autres  ,  fur  la  raifon  &  fur  les  bonnes  Loix. 
Autre  iDiniè-      S.  XVIII.  On  ne  pcut  pas  douter  qu'il  ne  faille  mettre  encore  au  nom- 
ïrirdcsmeur-  bre  des  divmations ,  qui  ont  une  ongme  Payenne,  la  procédure  que  les 
>!is%«iriJu  Allemands  appellent  en  leur  Langue  Baar-Recht^  &  en  Latin  ; /wi  ferew , 
Crue»tatio    Qyj^jjts  cTuentationis.  Quand  on  trouvoit  quelque  part  un  corps  mort,  & 
que  l'on  voyoit  fur  le  corps  des  indices  d'une  mort  violente ,  la  Juftice 
du  lieu  fe  tranfportoit  dans  l'endroit  où  étoit  le  cadavre,  &  y  faifoit  con- 
duire en  même  tems ,  tous  ceux  que  l'on  Ibupçonnoit  d'avoir  commis  le 
Bi^urtre.   Après  quelques  exhortations  ,  on  les  obligeoit  à  pofer ,  l'un 
après  l'autre ,  les  mains  fur  la  poitrine  &  fur  les  bleflures  du  mort ,  & 


(i«*)  PaSum  Childeberti  &  Chlotaris  in 
ieg.  Salie,  p.  3*8-  Leg.  s.  iki  fcriem  ttmhu- 
Ure.  Ibid.  Leg.  %  Dccr'tum  Childeberti.  ibid. 
p  g,  349.  Leg.  «.  Leg  Ripuar.  tit.  3  i.  Leg,  j. 
pig.   45  5- 

(i««j  Viu  s.   Leodegaili  ,  ap,  Duchcfne  , 


tom.  I.  pag.  603  &   tzi.  Duficfne  ,  GlolT.  in 

Sort.  S^nSl, 

(167;  Leg.  Fitfior.  tit.  XIV.  p.  49«' 

(i£t)  Concil.  Auc  fïïdior.  ap.  Linden  lOg. 

inGIoff".  p.  148  I.  8c  ipud  Dufrefne  ,  in  vo«e 

TttiHi,  Ce  Concile  fut  tenu  en  i7>-' 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    VI.  389 

à  réciter ,  dans  c«tte  pofture  ,  certaines  paroles  qu'on  leur  diûoit.^  S'il 
arrivoit,  pendant  cette  épreuve,  que  les  bleffures  jettaflent  de  l'écume 
ou  du  fang  ,  on  étoit  convaincu  que  celui  qui  touchoit  le  corps,  dans  ce 
moment  là ,  étoit  le  véritable  meurtrie».  C'étoit ,  difoit-on  ,  le  cri  & 
l'accufation  même  du  fang ,  contre  celui  qui  l'avoit  injuftement  répandu. 
Schottelius(i69),  qui  écrivoii  en  1671,  obferve  que  cet  ufage  fubfif- 
toit  encore  de  fon  tems,  en  plufieurs  endroits  de  la  Baffe  -  Allemagne.  II 
cite  même-  des  Jurifconfultes  célèbres  (  170  )  qui  ont  entrepris  de  le  jufti- 
fîer ,  &  qui  ont  montré  par  des  raifons  naturelles  &  philofophiques  , 
comment  il  pouvoit  arriver  que  le  corps  d'un  homme  alTafTiné ,  rendît 
du  fang  en  la  préfence  d^i  meurtrier,  c'ell-à-dire ,  que  ces  Savans  ont  cher- 
ché de  la  liaiîbn  entre  des  chofes  qui  n'en  avoient  point ,  quoiqu'elles  ar- 
rivaffent  quelquefois  enfemble.  C'cfl  le  Paralogifme  que  les  Logiciens  ap- 
pellent Pojî  hoc ,  crgo  propur  hoc, 

§.  XIX.  La  plupart  des  divinations  dont  on  vient  de  faire  men- 
tion ,  étoient  prefcrites  par  les  Loix  ,  &  ordonnées  par  le  Magiftrat ,  qui 
jugeoit  fur  de  femblables  preuves ,  (i  un  homme  étoit  coupable ,  ou  in- 
nocent des  crimes  dont  on  l'accufoit.  On  n'auroit  jamais  fait,  fi  on  vouloit 
parler  des  préfages  que  les  particuliers  tiroient  de  tout  ce  qui  leur  arri- 
voit, ou  de  tout  ce  qui  fe  paffoit  fous  leurs  yeux.  Au  lieu  que  nos  Philo- 
fophes  font  profeffion  de  chercher  la  véritable  caufe  &  la  raifon  fuffifante 
des  événemens  naturels,  ou  des  actions  humaines,  la  Philofophie  des 
Celtes  confiftoit  à  deviner  ce  qu'un  événement  ou  une  aâion  fignifioit 
pour  l'avenir. 

Les  Mages  ,  par  exemple  ,  ayant  fait  obferver  Ochus  dans  le  premier 
repas  qu'il  fit ,  après  être  monté  fur  le  trône  de  Perfe ,  prophétiferent , 
fur  ce  qu'on  leur  en  rapporta  (171),  que  la  terre  produiroit  des  fruits  en 
abondance  fous  le  régne  de  ce  Prince ,  mais  qu'il  répandroit  aufli  beaucoup 
de  fang.  Des  fourmis  (172)  ayant  charié  quelques  grains  de  froment 
dans  la  bouche  de  Midas,  qui  dormoit  au  berceau,  les  Devins  du  Pays 
déclarèrent  que  cet  enfant  feroit  un  jour  le  plus  riche  de  tous  les  hommes. 


(i<>)  Schouftius  ,  p.  «'2.  G'erlké,  p.  14.  II.      «is  miracnlis  naturz,  Lib.   II.  cap.  î.  Hyeion, 

(170  Les  Jurifconfultes  qu'il  cite ,  fort  Be-  ;  Migius  ratiar.  Left.  Lib.    III.  cap  j.Scpta- 

ibldus  in  Thef    Fraft.   B.  n.  z.  Majoluf  dicr.      Ceurs  aatrei 


Canicul  CoHoq.  i.  Hyppolit  Maifyl.  in  Praxi 
ciimin  li  nuiu.  i«i  P.iris  de  ïiiteo  Tr  Ait. 
4e  Syndicat.  cJp.  }  Levia-  Lcmnius ,  de  occul- 


(171)  ilian.  V.  H.  IL  17. 
(i7i)  Valci.  Max-I.  «, 


<^yb  H  I  s  T  O  r  R  Ë    D  E  S    C  È  L  T  E  S, 

"  -Tacite  rapporte  auffi  que  le  Capitole  ayant  été  brûlé  pendant  los 
guerres  civiles,  qui  fuivirent  la  mort  de  Néron  ,  les  Druides  publièrent 
par-tout  que  cet  accident  (173)  étoit  un  préfage  infaillible  de  la  ruine  to- 
tale de  l'Empire  Romain.  On  pourroit  alléguer  une  infinité  d'autres 
exemples,  pour  montrer  à  quel  point  on  pouffoit  la  fuperftition,  & 
la  crédulité  fur  cet  article.  Mais  on  craindroit  d'abufer  de  la  patience  du 
Lefteur  ,  û  l'on  s'arrêtolt  plus  longtems  à  ces  bagatelles. 
•  le  citrgê  §,  XX.  Avant  que  de  quitter  la  matière  que  l'on  traite ,  il  faut  cepen- 
gina  de  nou'  daut  ajouter  une  remarque.  Les  divinations  étoient  fi  fort  à  la  mode , 
tio!".^'^'"*  parmi  les  Celtes ,  que  le  Clergé  Chrétien  ,  pour  s'accommoder  au  goût  du 
Peuple  ;  trouva  bon  d'en  ajouter  de  nouvelles  ^^à  celles  qui  étoient  déjà 
en  ufage  parmi  les  Payens.  De  ce  nombre  étoient ,  /e  Jugement  de  la. 
Croix  ,  celui  Va  pain  &  du  fromage  béni,  celui  de  la  Sainte  Eucharijlie  y 
&  enfin  ce  qu'on  appelloit  Caractères  SanBorum  ,  ou  Sortes  Apojlolorum» 
Difons  un  mot  de  chacune  de  ces  divinations. 

Le  jugenrent  de  la  Croix  étbit  (174)  une  forte  d^ Examen,  ou  de 
Parution  canonique^  dans  laquelle  un  homme  foupçonné  de  quelque 
crime ,  étoit  obligé  de  fe  juftifier ,  en  fe  tenant  devant  une  Croix ,  pendant 
im  certain  efpace  de  tems  qui  étoit  déterminé  par  le  Magiftrat. 
Jugement  de  Cc  moycn  de  juftification  n'étoit  pas  auffi  facile  qu'on  pourroit  fe  l'i- 
uctou.  maginer  d'abord ,  parce  que  la  pofture  étoit  des  plus  gênantes.  II  falloit 
(*75)  ^"^  l'accufé  demeurât  debotir,  les  bras  étendus  devant  une  Croix, 
^  fans  faire  jufqu'au  moindre  mouvement ,  pendant  cinq  ou  fix  heures. 
Celui  qui  fuccomboit  à  l'épreuve  ,  perdolt  fa  caufe ,  quand  il  s'agiflbit 
«d'affaires  d'intérêts,  &  s'il  étoit  queflion  de  quelque  délit ,  il  fubiffoit  la 
peine  du  crime  dont  il  avoit  été  convaincu  par  cette  voie.  Ainfi  il  efl  or- 
ëofiné  dans  le  Teftjttnent  de  Charlemagne  (176),  &  dans  celui  de  Louis 
le  Débonnaire  fonfils,  que*  s'il  s'élevoit  quelque  conteftation  entre  it% 
héHtiers  ,  par  rapport  aii*  limites  des  terres  qui  leur  feroient  affignées , 
&  que  la  queflion  ne  pût  être  éclaircie  par  des  témoins  dignes  de  foi ,  le 
différent  feroit  décidé  par  le  jugement  de  la  Croix ,  &  non  par  le  duel. 
Les  Capitulaires  des  mêmes  Empereurs  portent  (  177)  que,  dans  \ti 


(i7})Tacït.Hift.  IV.  J4. 
(174J  Vùjti.  Dufiefne  ,  Glofl".  in  Ctm.  Jud. 
tom.  I  pa  .  139$. 

(17s)  Agobart.   Opp.  tom.  I.  p.  joz. 


(17$)   Teftam.  Car.  Magn.  ap.  Duchcfne,    cap.  125.  p.  94S 


■  Tom.  II  p.  90.-  att.  ».  Teftira.  Ludov  Pii  , 
ibid.  Tom.  II.  p.  jïS.Du  Frefnc  Glofl".  p.  lis  5. 
Tom.  I 

77)  Cap.  Cai.  Magt  $c  Lud.  fii ,  lib.  T. 


LIVRE    IV.    G  H  AjPIT  R  E    VI.  391 

caufes  civiles  ,  qui  feront  de  petite  importance ,  on  pourra  recourir  a^ 
jugement  de  la  Croix.  xMais,  toutes  les  fois  que  l'affaire  étoit  grave  &C 
importante,  il  falloit  que  (178)  les  Séculiers  fe  purgeafTent par  le  duel, 
&  dans  de  femblables  cas,  le  juge  ment  de  la  Croix  étoit  un  privilège 
alïeâé  aux  Eccléfiaftiques. 

Il  y  avoit  auffi  des  occafions  où  l'accufateur  &  l'accufé  étoient  obli- 
gés de  fubir  enfemble  le  jugement  de  là  Croix.  Celui  qui  fe  lafToit  le 
premier  étoit  le  coupable.  Ainfi  un  Canon  du  Synode  de  Vermerie,  tenu 
en  75  I  (179)  ,  porte  que ,  lorfqu'une  femme  fe  plaindra  de  fon  mari  ,  & 
l'accufera  de  n'avoir  jamais  habité  avec  elle  ,  on  les  fera  approcher 
tous  deux  d'une  Croix,  &c  que  û  la  plainte  fe  trouve  fondée,  on  les  lé* 
parera.  -  fl 

L'Empereur  Lothaire  défendit  cette  forte  d'épreuve  (180),  par  la  rair 
fon  qu'étant  téméraire  en  elle-même  ,  elle  ne  pouvoit  fervir  d'ailleurs  qu'à 
déshonorer  la  Croix  &  la  Pafîion  du  Fils  de  Dieu.  Il  ne  paroît  pas  que 
cette  Loi  de  l'Empereur  Lothaire  ait  été  généralement  obfervée.  Ou  plu- 
tôt ,  on  trouve  plufieurs  exemples  du  contraire  dans  l'Hiftoire  des  fié- 
cles  fuivans.  Au  refte,  Hagenberg  a  remarqué ,  avec  raifon  (  181  ),  qiie 
l'on  attribue  mal-à-propos  une  femblable  Conftitution  aux  Empereurs 
Charlemagne  &  Louis  le  Débonnaire.  Ces  Princes  ,  au  lieu  de  con- 
damner le  jugement  de  la  Croix  j  i'ont  autorifé  ,  &  même  ordonné 
en  différentes  occafions.  .     • 

Le  jugement  du  pain  &  du  fromage  béni  que  les  Anglo-Saxons  ap-  jugfmfr.tdu 
pelloient  en  leur  Langue  (183)  Corfned^  étoit  aufli  une  forte  de  purgation  ^romaK  té- 
canonique  ,  dans  laquelle  on  faifoit  avaler  à  l'accufé  un  morceau  de  pain  °'' 
&  de  fromage,  fur  lequel  le  Prêtre  avoit  prononcé  une  formule  d'exé- 
cration, qui  portoit  que  (,i 8.4 ).  le  morceau  pût  étrangler  le  coupable. 


(178)  lad.  Imp.  Addit.  ad  Lcj.  ii\.  p.iyî,  liqju  Idmot  Cor/nri^eft  compof<f  de  deu*  mots 

(179)  Synod.  Vermer.  Can.  17.  ap.  Duftef-   '  AUemands  ;  fçaVoir,  de  Chor ,  le'Chœut  d'une 
ne ,  GlofT.  tom.  i.  p.  139-5.  Genke  ,  p.  >»+•        --■■'■       ■■    -     •        -  ■■ 

(i  «o)  Lothar.  Imp.  in  Leg.  Longob.  lib.  U< 
tit.  j  j.   Leg.  31.  p.  662.  .r  ' 

1.1  /181)  Oeira.  Med.  Diff.    lU,  §.S}.  , 

(i8i)  La  COnllittttipn:cit«'eci-d.  note  iSo. 


fe  trouve  fous  le  nom  de.  Ctajtcs^M.igne  &  de 
.  Loais  {le  Qe^onA-ûrc  ,  Qjpit.  ,Ub..i.  «a^^  lo(. 
p.   840.  ,-,  :  .'I   ,1:   .no;  ,iiol.tJot-: 

(iJjJLeg.  CanatiRe^is,  Leg.  «-7.  On  croit 


Eglife  ,  &  Sned  ou  Snii,  coupure  ,  p.irce  qus 
le  morceau  éto  t  coupe'  par  on  Prêtre  dans  le 
<  hoeur  ^  fut  l'Autel.  Voyez  d'autres  étymolo- 
fios  dan^Dufreftie  ,  Glofl".  t.  1  ,-p.'i-jji;  Ger!- 
Ice ,  psge'2-05.  ""        '   '■•<••■? 

(184)    l'ojreï,  dans' Milrcnlphe   les  Fortnliflk 
.iquî  (c)-Wt>a*e'nt  fous  te  titre  :  Ekor'cifmui  'funit 
Htrâutti,  ^tl  tafti  »i  ftoiafitnim  vert  ,  àp.  LÎB- 
denbi.'p.  i}»l.  ■<~.^.i 


v_ 


J91  HISTOIRE    DES    CELTES, 

s'il  avoit  juré  fauffement  de  n'avoir  pas  commis  le  crime  pour  lequel  il 
,     étoit  tiré  en  caufe.  On  croyoit  bonnement  dans  les  fiécles  d'ignorance, 
qu'un  fçélérat  qui  auroit  eu  la  confcience  chargée  du  crime  dont  il  étoit 
accufé ,  fuccomberoit  infailliblement  à  l'épreuve. 

Lindenbroge  a  remarqué  dans  fon  Gloffaire  (185),  que  lesRomains,  &E 
même  les  Grecs ,  pratiquoient  quelque  chofe  de  femblable ,  à  l'égard 
des  Efclaves  qu'ils  foupçonnoient  de  larcin.  Il  ne  feroit  pas  impoffible 
que  les  Romains  n'euflent  porté  cette  fuperftition  en  Angleterre ,  ôc 
dans  les  autres  Pays  de  la  Celtique  ,  qui  étoient  fournis  à  leur  domina- 
tion. Mais,  en  le  fuppofant  ainfi  ,  il  faudra  convenir  ,  au  moins,  que  le 
Clergé  Chrétien  y  changea  quelque  chofe.  Au  lieu  que  ,  parmi  les 
Romains  ,  on  n'affujettiffoit  à  cette  épreuve  que  des  perfonnes  de  baffe 
condition  ,  les  Eccléfiaftiques  Chrétiens  jugèrent  à  propos  de  fe  l'appro- 
prier, &  de  fe  juftifier  par  cette  voie  des  crimes  qu'on  leur  imputoit.  C'é- 
toit  le  moyen  de  gagner  toutes  les  caufes  qui  fe  décidoient  de  cette  ma* 
nière.  Il  étoit  bien  difficile ,  à  moins  d'un  grand  malheur,  qu'un  Ecclc» 
fiaftique  ,  à  qui  un  autre  Eccléfiaftique  tailloit  le  morceau  ,  en  fut 
étranglé. 
jugtment  de  Le  jugement  de  l'Euchariflie  ne  différoit  de  celui  dont  on  vient  de 
parler ,  qu'en  ce  qu'on  y  employoit  les  fymboles  du  corps  &  du  fang  de 
Notre-Seigneur.  Il  confiftoit  à  recevoir  l'Hoftie  fous  la  condition  qu'elle 
pût  fe  changer  en  (l86)  un  poifon  mortel,  fuppofé  qu'on  fut  efFeftive- 
ment  coupable  du  crime  dont  on  fe  purgeoit  par  cette  voie.  C'eft  ce 
qii'exprimoit  la  formule  que  le  Communiant  étoit  obligé  de  réciter  à 
haute  voix  (187).  Corpus  Domini  jit  mihi  in  probationem  hod'u.  Si  celui 
qui  avoit  fubi  l'épreuve,  mouroit,  ou  tomboit  feulement  malade  peu 


^i»s)  Acroniu5  fur  ce  Vers  d'Horace, 
fliqut  S»ccrd«tis  fuginvHS  lihiricitfti,  Epod.  l.h.  I. 
Ode  !••  dit  »  que  ,  quand  un  efclave  eft 
V  foupçonné  de  vol  ,  on  le  mené  au  Prêtre 
»  qui  donne  à  tous  le»  efclnves  un  morceau 
»  de  pain  béni  ,  8c  qu'ils  n'en  ont  pis  plutôt 
»»  mmgé,  que  le  Prêtre  devine  qui  eft  le  cou- 
pable». Vol.  aufli  Diofcoride  ,  Uj.  V,  cap.  i«i. 
Pf.  Lindenbt  G\'.S.  p.    141  S. 

(t  88,  •^ritheme  rapp  ^rte  que  Robert ,  Abh»- 
it  Limputg  ,  confirma  li  vérité'  de  fes  révéla- 
^9n«s  p-ii  le  jugement  4e  ri:.uciia(iftic.  Qn  lit 


ces  paroles  d.ins  la  Formule  qu'il  ptononçi  i 
«  Et  fi  cel,i  n'eft  pas  comme  je  l'ai  afSrmc  , 
»  que  je  ne  puiffe  point  avaler  le  Corps  de 
»  Notre-Seigneur  jéfus.Chrift  ,  mais  qu'il  s'ai- 
»  lête  dans  mon  goCer  ,  qu'il  m'étrangle  , 
»  qu'il  me  fuffoque  ,  êj  qu'il  me  t  ffe  crever 
n  dans  le  même  moment  ».  Chr  nig.  Hicfaug. 
ad  an.    11x4.    Gerike,  pi^.   aoo. 

(  i»7)  Duftefno  ,  Gloflbr.  in  A(juii  friyi, 
Judic.  Tom.  1,  p  g  310-3 II  ,  te  in  jHdic. 
ptobabil,  tom.  II,  f.  ii|. 


LIVRE     î  V.    CHAPITRE    VI.  39) 

de  tems  après  ,  on  le  regardoit  comme  convaincu  &C  condamné  par  la 
juftice  même  d^'  Dieu. 

Cet  abus  ei\  afiurément  fès- ancien.  On  lit,  par  exemple  ,  dans 
Grégoire  de  Tours  (  ii^8  )  que  le  Comte  Eulalius  ,  qui  étoit  foup- 
çonné  d'avoir  tué  fa  propre  mère  ,  Ce  juftifia  de  cette  manière  devant 
Caiitin  ,  Evêque  de  Clermont  en  Auvergne.  Ce  qui  arriva  à  Lothaire, 
Roi  de  Lorraine,  eft  également  connu.  Dans  un  voyage  qu'il  fit  à  Rome 
en  768  pour  faire  lever  l'excommunication  que  le  Pape  Nicolas  avoit 
lancée  cofitre  lui  (189),  il  jura  au  Pape  Adrien  II,  qu'il  avoit  repris 
Teutberge,  fon  époufe,  &  renvoyé  Valdrade  ,  fœur  de  Gonthier,  Ar- 
chevêque de  Cologne,  avec  laquelle  il  avoit  vécu  publiquement  en  con- 
cubinage. Le  Pontife  qui  ne  fe  fioit  pas  aux  proteflations  de  Lothaire , 
exigea  de  lui  qu'il  confirmât  fa  déclaration  par  ferment ,  &c  l'affujettit , 
en  même  tems,  au  Jugement  (ie  l'' Euêhanjlle.  Les  Seigneurs  de  la  (uite  de 
Lothaire  confirmèrent  auïïl  fa  dépofition  ;  ils  jurèrent  &  communiè- 
rent avec  lui.  Le  Roi  mourut  avant  que  d'être  de  retour  dans  fes  Etats  , 
&  les  Seigneurs  qui  l'avoient  fuivi  à  Rome  ,  ne  lui  furvécurent  que  de 
quelques  mois  ;  dès  lors  on  ne  douta  point  qu'ils  n'euffent  tous  commu- 
nié ,  &  prêté  ferment  contre  leur  confcience. 

Parmi  les  Canons  du  Concile  de  Trebur,  il  y  en  a  un  qui  femble  or- 
donner que  l'on  ne  foumettra ,  déformais  ,  que  les  feuls  Eccléfiafti- 
ques  au  Jugement  de  l'Euchariftie  (190).  «Les  Laïques  feront  tenus  de 
»  prêter  le  Serment  purgatoire  dans  les  occafions  où  il  eft  d'ufage  de 
>»  l'exiger.  Mais  ,  au  lieu  d'ordonner  le  ferment  à  un  Prêtre  ,  on  l'in- 
M  terrogera  par  la  fainte  Confécration ,  parce  que  les  Prêtres  ne  doi- 
M  vent  pas  prêter  ferment  pour  des  (ujets  de  peu  d'importance.  Faut- 
M  11  qu'une  main  qui  fait  le  Corps  &  le  Sang  de  Notre  Seigneur,  foit 
t»  fouillée  par  le  ferment  •«  ?  Voilà  ,  certainement ,  un  étrange  fcrupule. 
On  ne  veut  pas  qu'un  Eccléfiaftique  fouille  fon  caradère ,  en  prêtant 
ferment  pour  des  fujets  peu  importans  (*),  &  on  ne  craint  pas  de 


(iî«    Grcgor   Ta. on.   Hift.   lib.  X.  cp    I. 
(1(9    B.egina  Ptum.  in  Cliton.  ad  An.   •<). 
•ciike  ,  p.  iû2. 

(  lyo  )   Loncil.   Tiibac    cap.     ii.    Gciifce, 
faf'  199 

(*)  Qu'il  ne  faiUe  pas  rendre  les  fermcns  t.cp 
•omin  ins  ,  c'tftronformc  à  l'elprit  4c  la  Re 
ligion   Qu'on  ne  doive  point  exigci  ^ue  ia 

Tomi  II, 


coupables  afouent  eurs  crimes,  ou  qu'ils  s'ex- 
pot'eni  à  fe  parjurer  po  r  é»iter  les  fuppliccs  , 
la  ralTon  Se  l'huma  ir«'  le  dlArnt.  Mais  il  eft 
bien  fingulier  d  -  voir  mettre  en  principe  qac 
les  Piètres  rou'llcroieni  leur  caraAère  en  prê- 
tant ferment  far  la  vérité  des  faits  qui  leui 
font  imputés  ,  &  qu'il  faut  les  interroger  pax, 
la    fainte    confccjation     On    ne   vouloit  pas 

Ddd 


394  HISTOIRE    DES    C  E  L  T  E  S^ 

profaner  le  Sacrement ,  en  le  donnant  à  un  homme  que  l'on  foupçon- 
ne  d'être  un  meurtrier,  un  adultère,  &  ,  en  un  mot,  un  fcélérat. 

Cependant  il  ne  paroît  pas  que  ,  depuis  la  tenue  du  Synode  de  Tre- 
bur  ,   le  privilège  de  fe  purger  en  recevant  l'Euchariftie  ,  ait  été  réfer- 
vé  aux  feuls  Eccléfiafiiques.  M.  Gérike  (191)  a  remarqué  que  les  Alle- 
mands, quand  ils  veulent  fortement  aflurer  une  chofe ,  difent  encore 
aujourd'hui  (  191)  ;  »  Je  fuis  prêt  de  recevoir  la  fainte  Gêne  ,  pour  af- 
H  furer  ce  que  j'avance  «.  C'eft  un  indice  que  l'on  affujettiffoit  les  Par- 
ticuliers à  cette  épreuve.  On  peut  imaginer ,  pour  le  remarquer  en  paf. 
fant,  que  l'épreuve  du  feu  a  donné  lieu  à  une  façon  de  parler  parfaite- 
ment femblable  ,  qui  eft  encore  en  ufage  parmi  les  François.  Pour  mar- 
quer qu'ils  font  pleinement  perfuadés  d'une  chofe  ,  ils  difent  qu'i/j  em 
mettraient  La  niain  au  feu. 
^       Divination       Enfin ,  Ce  qu'on  appelloit  CaraBeres  Sanclorum  ,  ou  Sortes  Apojlolo' 
^MoiTca-    rum ,  étoit  une  forte  de  Divination,  pour  laquelle  on  fe  fervoit  des  Li- 
'iorum  on'  yres  facrés  (19?).  On  ouvroit  au  hazard  la  Bible  ,  les  Pfeaumes  ,  l'E- 
\lia"um^°^  vangile ,  ou  quelqu'autre  Livre  de  dévotion.  Le  premier  paffage  qui  fe 
préfentoit  à  la  vvie ,  étoit  une,  efpéce  d"Oracle ,  dont  on  tiroit  un  bon  ,  ove 
un   mauvais   augure  ,   félon  qu'il  paroiffoit  favorable  ou  contraire  ait 
deffein  qu'on  avoit  dans  l'efprit,  &  qui  faifoit  le  fujet  de  la  confultation^ 
.  M.  Du  Frefne   (194),  qui  a  ramaffé  lur  cet  article  une  infinité  de 
chofes  curieufes  ,  remarque  qu'on  pratiquoit,  fur-tout,  cette  Divina- 
lion ,  quand  il  s'agiiîbit  d'élire  ou  d'ordonner  un  Evêque.  Le  premier 
paffage  que  le  hazard  offroit  à  celui  qui  étoit  chargé  d'ouvrir  la  Bible  ,. 
4toit  un  prognoftic  par  lequel  on  jugeoit ,  tant  du  caraûère  que  de  la 
conduite  de  l'Evêque ,  8c  en  général  ,  de  tout  ce  qui  devoit  lui  arri- 
ver durant  le  tems  de  fon  Pontificat.  Par  exemple,  un  jour  (195)  que 
Ton  confacroit  un  Evêque  de  Laon  ,  celui  qui  ouvrit  la  Bible ,  tomb» 


^*'une  main  qui  confacre  le  Corps  &   le  Sang 
du  Seigneur  ,  fût  fouillée    par  le  ferment  ,  8c 


(193)  Voyi.  le  Canon  du  Concile  d'Auxerre 
ei-deflus  ,  §.  17.   not.  i6J.  Capitul    Carol.  M'- 


en ne  craignoit  pas  de  profaner  le  Sacrement  ,  .  de  diverfis  re   us   an    An.    78!».  Cap.  4      Vcjex,. 


en  le  donnant  à  des  Monftres  dans  l'ordre  de 
la  Société  &  de  la  Religion  !  Ceux  qui  avoient 
de  pareils  fcrupules ,  etoient  des  Chrétiens 
fcicn  peu  inftruits.  Hott  dt  l'Editeur. 
(i»[)Gerike,  cap.  VI.  p.  197. 
■  (ifz]Jch  IVill  dos  hiiligt  AbsiiimM  dnrtuff 
1m^f*n^tn,   Ibid. 


auHi  Capitul  de  partit  Sjxon.  cap.  12.  Ai- 
mond.  Hiftor.  Francor.  lib.  II.  cap  .1».  lib.  III. 
cap.  13.  Greg. 'f  uron.  lib  IV.  cap.  I  «.  p.  177.. 
Edit.  Morell. 

(  1 94)  Du  Frefne ,  Gloffai.  in  Sartii  SanStrum^ 
totn.  III   p.  I  000. 

Uisilbid.  p.  100»» 


LIVRE    IV.    CHAPITRE     Vî.  jo; 

fur  un  endroit ,  oii  il  n'y  avoit  que  des  feuilles  de  .papier  blanc.  On  coh- 
clut  delà  que  cet  Evêque  ne  feroit  rien  qui  méritât  d'être  tranfmis  à  la 
poftérité.  L'Archevêque  (  "96)  qui  devoit  confacrer  Albert  ,  Evêque 
de  Liège  ,  ayant  aufîi  ouvert  le  Livre  qu'on  lui  préfentoit ,  félon  l'ufage 
de  ce  tems  là  ,  trouva  au  commencement  de  la  page  l'hiftoire  de  l'em- 
prifonnement  &  de  la  décapitation  de  Jean-Baptifte ,  &  fur  le  champ , 
il  avertit  Albert  qu'il  devoit  le  préparer  à  fouffrir  un  jour  le  martyre 
pour  le  fervice  de  Dieu. 

On  ne  doute  pas  que  cette  fuperftition  ne  tirât  fon  origine  des  Ro- 
mains, qui  la  communiquèrent  infenfiblement  aux  Peuples  qu'ils  avoient 
fournis.  Au  moins  jeù.  il  certain  qu'ils  pratiquoient  une  Divination  par- 
faitement femblable  ,  que  l'on  appelloit  Sortes  F'irgi/ianœ ,  ou  Horadanœ  y 
parce  qu'on  y  employoit  les  Ouvrages  de  ces  deux  Poètes.  Spartian 
rapporte  (197)  qu'Alexandre  Severe,  n'étant  encore  que  fimple  parti- 
culier, ouvrit  l'Enéïde  dans  le  deffein  de  s'inftruire  de  ce  qui  l'attendoit 
dans  l'avenir.  Le  vers  qui  s'offrit  le  premier  à  fa  vue  ,  lui  annonça  qu'il 
parviendroit  un  jour  à  l'Empire  (i9>i)  : 

Tu  regere    Impcrio  populos  ,  Romane  ,  mcnif  nto. 

On  voit  dans  faint  Auguftin  (199),  que  les  Chrétiens  couroient  déjà, 
de  fon  tems ,  après  ces  bagatelles  ,  &  c'eft ,  félon  les  apparences ,  ce 
qui  porta  le  Clergé  à  fubftituer  la  Bible  aux  Livres  Payens  que  l'on 
employoit  à  cet  ufage. 

11  ne  paroît  pas  ,  au  refte,  que  faint  Auguftin  ait  approuvé,  ni  loué, 
cette  étrange  fuperftition ,  comme  M.  Gérike  (200)  l'a  avancé.  Ce  Père 
dit,  à  la  vérité  (ici),  »  que  les  Chrétiens  ,  qui  devinent  par  les 
»>  Livres  facrés ,  femblent  être  plus  excufables  que  ceux  qui  conful- 
M  tent  les  Démons  «  ,  c'eft-à-dire ,  les  Oracles  des  Payens  ;  mais  il  ajoute 
immédiatement  après  ,  »  que  l'ufage  même  de  deviner  par  l'Evan- 
»  gile,  lui  déplaît,  la  Parole  de  Dieu  ayant  été  donnée  à  l'homme  pour 
♦)  le  conduire  à  la  vie  éternelle  ,  &  non  pour  diriger  les  vains  projets 
M  d'établiffement  &  de  fortune  que  nous  fkifons  ici  -  bas  «.  Il  efl  vrai 


(l9«)  ibid. 

(197)  Spartian. 

(198;  Vir    il.  ^neid.  VI.  v.  «51.  Vojet.  plu- 
fieurs  exemples  femblables  ,  Wiei.  de  PjallJg.  '.  cap.  ïo, 
Doetn.  Ub.  II.  cap.  ij.  p.  loi.  ;  j 

Dddx 


(199)  Cenfefl"  lib.  IV.  cap.  }. 

(200)  Gerikc,  cap.  t.  p.  21}. 

(201)  Auguftin.  Epiftol.  ad   Janaai.   i*f, 


y^6  HISTOIRE    DES    CELTES, 

encore ,  que  faint  Auguftirk  eut  recours  à  cette  forte  de  Divinations  i 
dans  le  tems  de  (a  converfion ,  pour  juger  du  parti  qu'il  auroit  à  pren- 
dre. Mais  on  feroit  affurémtnt  tort  à  ce  grand  homme  ,  fi  l'on  vouloit 
juger  de  fes  véritables  fentimens  ,  par  ce  qu'il  fit  dans  un  tems  oîi  il 
commençoit  feulement  à  entrevoir  la  vérité. 
'           Après  tout  ce  que  l'on  vient  de  dire  des  difFérentes  Divinations  qui 
étoient  en  ulage  ,  parmi  les  Peuples  Celtes  ,  on  efl  en  droit  d'en  conclu- 
re ,  que  Paufanias  ne  peut  être  excufé  d'avoir  écrit  (loz)  »  que  c'eft 
»  une   cho<e    fort  incertaine  ,    fi    les  Celtes  connoiffent  feulement    la 
»>  fcience  des  Aufpices  «.   Le  mal  n'aurolt  pas  été  grand ,   quand  ils 
l'auroient  ignorée  ;  mais  ils  en  étoient  entêtés,  autant  &  plus  qu'aucun  au- 
tre Peuple.  Paufanias  (  103  )  qui  regarde  Brennus  &  fes  Gaulois  com- 
me des  impies  ,  parce  qu'ils  étoient  allés  au  combat,  fans  avoir  aupa- 
ravant coniulté  les  Aufpices  ,  devoit  s'informer  pr'-mièrement ,  fi  le 
fait  étoit  vrai.  Il  devoit  encore  moins  leur  faire  un  crime  de  ce  qu'ils 
ne  s'étoient  pas  fervis  ,  dans  cette  occafion ,  d'un  Devin  Grec.  Il  n'eft 
pas  naturel  de  prendre  confeil  d'un  ennemi.  Les  Gaulois  déteftoient , 
d'ailleurs ,  la  Religion  des  Grecs ,  &  ils  avoient  des  régies  (104)  de  Divina- 
tions, toutes  difFérentes  de  celles  des  autres  Peuples. 
DeUMajtie      §.  XXI.  On  ne  s'arrêtera  point  à  la  Magie  des  Peuples  Celtes,  autant 
^c/."*"  "    qu'on  l'a  fait  à  leurs  Divinations ,  parce  qu'on  craindroit  de  fatiguer 
le  Leéleur  par  le  détail  de  toutes  ces  bagatelles.  D'un  côté  ,  le  monde  eft 
parfaitement  revenu  fur  le  fujet  des  Magiciens  :  on  ne  doute  plus  de  la 
Tanité  de  leur  Art.  De  l'autre  ,  on  trouve  que  ,  dans  un  tems  où  la  Ma- 
gie étoit  le  plus  en  vogue ,  l'Empereur  Néron  eut  occafion  de  recon- 
noître  la  faufleté  de  cette  prétendue  fcience  (  105  )  N'étant  pas  content 
du  pouvoir  defpotique  qu'il  exerçoit  fur  une  partie  confidérable  du 
genre  humain  ,  il  fouhaita  encore  de  commander  au  Dieux ,  &  de  dif- 
pofer  ,  à  fon  gré  t  de  leur  puiffance.  Il  raflembla  ,  pour  cet  effet ,  à  Rome, 
les  Magiciens  les  plus  célèbres  de  la  terre  ,  &  fe  fit  initier  dans  tous  les 
myftères  de  leur  Art.  Après  bien  des  expériences  ,  il  eut  le  regret  de 
•voir  que  les  Magiciens  n'étoient  que  des  charlatans  ,  &  des  impofleurs  , 
&  il  fut  lui-même  (206)  un  illuflre  exemple  de  la  vanité  de  leurs  opé- 
■ V —        ■   '      ■  ■ 

(îoi)  (  oiifeiT.  lib.  VllI.  cap.  ult.  .       (205    Plin.  Hift.Nat.  lib,  XXX.  tap.  x, 

(xoj; /«a.Ti.a.  Pauf.  Phoc.  XXI.  p,»4f.         |      {io«;  ibid. 
(104)  Supia  ,  $,  YI.  noi.  44. 


LIVRE    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    VI.  397 

rations  ,  qui  ne  fçaiiroient  ni  déranger  l'ordre  de  la  nature ,  ni  garantir 
un  icélérat  des  peines  Ô£  des  fupplices  ,  qui  font  la  peine  inévitable  du 
crime. 

D'ailleurs ,  on  a  eu  occafion  de  parler  avec  affez  d*étendue ,  non- 
feulement  de  la  Doôrine  (107) ,  ou  des  préjugés  qui  fervoient  de  fon- 
dement à  la  Magie  des  Celtes ,  mais  encore  des  chofes  grandes  &  ex- 
traordinaires que  les  Druides  (io8)  fe  vantoient  d'opérer  par  le  moyea 
de  leur  fcience  occulte.  Il  fuffira  donc  ici  de  dégager  la  promeffe 
qu'on  a  faite ,  de  donner  quelques  échantillons  des  opérations  magi- 
ques des  Druides.  Elles  ferviront  à  montrer  que  les  plus  grands  Impof- 
teurs  ,  font  bien  fouvent  ceux  qui  rencontrent  les  plus  grandes  dupes. 

On  doit  commencer  naturellement  par  le  Gui  de  Chêne ,  qui  étoit 
en  aufli  grande  réputation  parmi  les  Gaulois  ,  que  la  Mandragore  l'étoit 
parmi  les  Juifs.  Voici  ce  qu'en  dit  Pline  au  Livre  feiziéme  de  fon  Hif» 
toire  Naturelle  (109).  »  En  parlant  du  Gui  de  Chêne  ,  je  ne  dois  pas 
»  oublier  que  les  Gaulois  en  font  un  cas  tout  extraordinaire.  Leurs 
»  Mages ,  qu'ils  appellent  Druides ,  n'ont  rien  de  plus  facré ,  que  le 
»  Gui ,  &  l'arbre  fur  lequel  il  croît,  pourvu  que  ce  foit  un  chêne  (210). 
»  Indépendamment  du  Gui ,  ils  choififfent  des  bocages  de  chêne ,  pour 
»♦  y  faire  leurs  dévolions  ,  &  n'offrent  aucun  Sacrifice  ,  fans  avoir  des 
»  branches  de  cet  arbre  ;  de  forte  que  fi  l'on  vouloit  donner  au  nom 
»  de  Druides  une  Etymologie  Grecque  (111),  on  pourroit  (*)  dire 
»  aufîi  qu'ils  l'ont  reçu  du  Chêne.  Au  refle  ,  ils  regardent  le  Gui  qui 
»>  croît  fur  les  chênes ,  comme  un  préfent  du  Ciel ,  &  comme  une  preuve 


Ou  Ciii  4e 


(107    Ci-deir.  Liv.  III.  chap.   ^.  S   >e. 

(lolCi-d.  chap.  IV.  $.  9.  £c  it. 

(a0»)rlin.  H    N.  XVI.  cap.  44-  p.  |i*. 

(iio)  Rjkur  eft  proprement  le  R«i<«rf , efpècc 
4<  chêne  moins  haut  que  le  chêne  ordinaire, 
mais  gros  &c  tortu.  Son  bois  eft  fon  dur  &  ro- 
baftc  i  d'où  vient ,  dit-on  ,  que  les  Latins  l'ont 
appe'.'c  Rb'W.  DiA'Oonaire  de  Trévoux.  L'é- 
t/mologic  eft  pUifante.  Je  confo.s  bien  que 
les  mots  François  Rtuvit  &  Rikt,Jtt  viennent 
4u  Latin  Robur  i  mais  fien  ne  prouve  que  K<- 
i^r  ait  dû  deligncc  un  boi(  fort  dur  ,  privati- 
Temrnt  à  tout  autre  terme  de  convention. 
Jat41  dérivé  du  Grec  ,  de  l'.-  ébieu  ,  du  Cel- 
tique, Se  de  quelque  Lanque  que  ce  puiiTe 
iiic  (ce  ^ui  negttohsa)  «la  ittiaeic  Rt- 


hAt  fetoit  toujours  une  cxprefllon  qui  devroit 
fon  origine  i  la  paie  convention.  Les  mots 
par  lefquels  certaines  cb^fes  ont  été  délïgnées, 
viennent  ,  faas  doute  ,  du  principe  qui  a  mi» 
en  nous  une  ame  intellectuelle  ,  Ce  qui  nous  • 
doué  des  oiganes  propres  \  nons  entretenir 
enfemble  ;  m^is  c'eft  tout  ce  qu'on  peut  trou- 
ver d'eftcntiet  dansja  dénomination  des  clio- 
fes.  Le  rcûe  s'eft  formé  p.r  la  conventian  des 
hommes.  Si  nos  pères  eaffent  appelle  tel  arbre 
un  grcftillirr  ,  nous  y  aurions  attaché  la  mjme 
idée  qu'au  Rênvri.  Neie  dt  i'Eiiitur. 

(i  1  I  Sur  le  fens  de  ces  paroles  ,  voyez  ci» 
deflus  chap.  IV    $    19.  not.  a6a.  &  fuiv. 

*  V'yn,  t*-itS\u  ,t»g,  IV.  $.  19,  B«t.  a«|. 


J 


f§i  KÏ  S  f  OIR  E    DES    CELTES, 

j*>  que  (iii)  l'arbre  même  a  été  élu  par  la  Divinité.  C^  Gui  fe  trouve 
M'fcffrtar'ement  ,'&  quand  on  l'a  tfouvé  ,  on  va  le  cueillir  avec  beau- 
»>  coup  de  dévotion.  On  choifit,  fur-tout,  pour  cette  cérémonie,  le 
w  lixiéme  jour  de  la  Lune  ,  auquel  les  Gaulois  placent  le  commencement 
w  des  mois  ,  des  années  &  des  fiécles  qui  font ,  parmi  eux,  de  trente 
w  ans.  Ils  donnent  pour  raifon  de  cet  ufage ,  qu*alors  la  Lune  a  déjà 
»  aflez  de  force  ,  quoi  qu'elle  ne  foit  pas  encore  parvenue  à  la  moi- 
rttlé  de  fa  grandeur.  Le  nom  que  les  Gaulois  donnent  en  leur  langue 
jÎ  au  Gui  de  Chêne  ,  marque  qu'il  guérit  toutes  fortes  de  maladies, 
w  Voici  de  quelle  manière  on  le  cueille.  Après  avoir  préparé  fous 
M  l'arbre  tout  ce  qui  eft  néceffaire  pour  un  Sacrifice  &  un  feflin  ,  on 
»  fait  approcher  deux  taureaux  blancs ,  qui  n'ayant  jamais  été  employés 
»*  à  aucun  travail ,  font  alors  liés  pour  la  première  fois.  En  même- 
wtems,  un  Sacrificateur,  habillé  de  blanc ,  monte  fur  l'arbre,  coupe  le 
ji  Gui  avec  une  faucille  d'or  8c  le  reçoit  dans  un  faye  blanc.  Enfuite 
»  on  immole  les  vidimes  ,  &  pendant  le  Sacrifice  ,  on  prie  Dieu  ,  qui  a 
M  fait  ce  préfent  aux  hommes ,  de  Vouloir  auffi  le  leur  rendre  falutaire. 
>f  Les  Gaulois  prétendent  que  le  Gui  de  Chêne  ,  pris  en  infufion  ,  donne 
»  la  fécondité  aux  femmes  &:  aux  animaux  ftcriles  ,  &  qu'il  eft  ,  en 
»meme-tems,  un  antidote  contre  toute  forte  de  poifons  &  de  mala- 
»f  dies  vénim'eufes.  Tant  il  eft  vrai  que  les  chofes  les  plus  frivoles  font 
>f'f(!rtivent  des  points  eflemiels  de  la  Religion  des  Peuples  «. 

On  a  remarqué  ailleurs  (Hj),  que  la  Magie  confiftoit  proprement 
ici ,  dans  les  cérémonies  par  lefquelles  les  Druides  prétendoient  af- 
furer  &  augmenter  la  vertu  d'un  remède,  qui  auroit  perdu  toute  fon 
efficace  ,  s'il  n'avolt  été  préparé  &  béni  par  le  Clergé.  Le  Gui  de  Chêne 
devoit  être  cueilli  le  jour  de  l'an  ,  qui  étoit  l'une  des  grandes  Fêtes  des 
Gaulois  ,  &  par  un  Prêtre  revêtu  de  fes  habits  Pontificaux.  Il  falloit 
obferver  encore  (214)  qu'il  ne  touchât  point  la  terre,  &  qu'il  ne 
fiit  point  coupé  avec  uminftrument  de  fer.  Sur  toutes  chofes,  il  devoit 
être  confacré  par  des  Sacrifices  ,  des  Feftins  ,  des  Prières  ,  &  des  Canti- 
ques qui  lui  donnoient  une  vertu  véritablement  enchantée, 


(f.ii)  C'cfl-à-dire  que  l'arhre  qui  porte  le  .  veut  recevoir  , par  cette  laifon,  les  hommages 


Gui  a  été  choifl  ,   non  par  les  hommes  ,  mais 
par  la  Divinité  elle-nrême  ,  pour  être  un   (ym 


l»olç  ^tti  la  lepiéfenie,   &  dans  lequel  elle  J-    (»i4J  Plin.  H.  N.  XXIV.  4. 


religieux  des  hommes. 

(itj;  Ci-d.  chip    IV.  §.  10. 


t  i  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    Vf.  ^9^ 

On  ne  doit  pas  douter  que  les  Druides,  après  avoir  béni  le  Gui, 
ne  le  diflribuaffent  comme  de  précieufes  étrennes  i  ôc  c'eft  là  ,  félon 
les  apparences,  l'origine  d'une  coutume  (zi<[)  qui  s'eft  conieryée  en 
plufieurs  endroits  des  Gaules ,  où  les  enfans  courent  les  rues  la  veille 
du  nouvel  an  ,  &  demandent  leurs  étrennes  ,  en  criant  Aguïlanmuf. 
M.Keyfler  prétend  (zi6)  que  lesGermains  ,  &  même  les  Gaulois  ,  don'!*; 
noient  au  Gui  le  nom  de  Guthyl.  C'efl;  un  fait  qu'on  ne  voudroit  pas 
garantir  ;  les  preuves  fur  lefquelles  ce  Savant  fe  fonde  ,  ne  paroifl'ent 
pas  décifives.  Mais  il  efl  certain  ,  comme  cet  Auteur  l'obferve  ,  que 
dans  la  plus  grande  partie  de  l'Allemagne ,  le  commun  du  peuple  eft 
encore  fort  entêté  de  la  merveilleufe  vertu  du  Gui  de  Chcne.  On  croit, 
non-feulement  qu'il  guérit  toute  forte  de  bleffures ,  mais  encore  qu'un 
homme  qui  en  porte  fur  foi,  eft  fur  de  faire  toujours  bonne  chaffe  ,  de 
ne  perdre  amais  au  jeu  ,  &  de  réuffir  dans  tout  ce  qu'il  entreprend. 

§.  XXII.  Les  Gaulois  avoient  encore  deux  autres  Plantes  ,  auxquelles 
ils  attribuoient  une  vertu  magique.  Pline  en  parle  en  ces  termes  (217): 
»  L'herbe  qu'on  appelle  Stlago  ,  reffemble  à  la  Sabine  dont  je  viens  de 
»  faire  mention.  Au  lieu  de  la  couper  avec  un  couteau  ,  il  faut  la  cueilliiî- 
»  de  la  main  droite  ,  en  obfervant  de  tenir  la  main  cachée  fous  la  tuni- 
»  que.  Enfuite  la  main  gauche  doit  (  »i8  )  arracher  la  plante  à  la  droite  y 
j»  comme  fi  on  la  déroboit.  Il  faut,  d  ailleurs,  que  celui  qui  doit  cueillie 
■>-■  cette  herbe  foit  habillé  de  blanc, qu'il  ait  les  pieds  nuds  &  bien  lavésy 
o  &  qu'il  ait  fait  auparavant  une  oblation  de  pain  &  de  vin.  Oui 
»  conferve  la  plante  dans  un  linge  blanc,  &  les  Druides  des  Gaulois 
«prétendent  qu'il  faut  la  porter  fur  foi,  comme  un  préfervatif  contre 
»  toute  forte  de  maux  ,  &  d'accidens.  Ils  ordonnent  auffi  le  parfun» 
»  de  cette  herbe  ,  comme  le  meilleur  remède  pour  toutes  les  maladie» 
»  de  l'œil.  Les  mêmes  Druides  appellent  Samolus ,  une  herbe  qui  croît 
»  dans  les  endroits  humides.  Ils  difent  qvi'il  faut  aufli  obferve^  qu'elle 


(il  j}  Viiytt,\ei  Auteurs  citrfs  par  AI  ICeyuer 
DifT-  dt  fifco  Drtiidum  ,  p.  506.  Fwetiêic  , 
Diflion.  au  mot  A^uilunntuf. 

(316  Kcyfler  p.  307.  Les  Allemands  appel- 
lent le  Gui  Mifitl ,  les  A  glois  MiJltJioe  ,  les 
Iflandois  Miftilitirn  ,  les  habitans   du   Heltlein 


(417)  Plin.  Hi(l.  Nat.   lib.  XXIV.  cap.    il. 
P«g.  S4J- 

^218)  Il  y  a  des  E  'itions  de  Pline  qui  pcf' 

tcnt ,  ^  :*  ftnifirA  exuitur  f  6c  alor;  ces  p^iioIeS' 
fembleroient  lignifier  qu'il  falloit  cUcil'ir  la 
plante  de  la  main  droite  paffée  parla  manche 


Murtni»  tn,  c'eti^à-dire  le  rameau  des  Speftres.  ,  gauche.  Peut  être  ,  ce'pe   dant .  fe  trompe-t-on, 

ibid. 

jaand, 


p.    30!l>>92^.   Cori^'iv  lignifie  en    Aile-  1  parce  qu'an  n'entend  pas  ces  paroles  ,  qui  foi^ 
l ,  HH  l>cn  fMnt ,  HMt  tmtinc  luiri/tn,  |<«bfcures  ,  pout  être  rtop  concifet.  -^  " 


-         «(.•<!       1  «^ 


430  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  foit  cueillie  de  la  main  gauche ,  par  un  homme  qui  foit  à  jeun ,  & 
M  qui  ait  la  tête  tournée  d'un  autre  côté  «.  Moyennant  ces  précautions , 
H  ils  la  donnent  pour  un  remède  contre  les  maladies  des  pourceaux  & 
M  des  bœufs,  pourvu  qu'on  prenne  garde  encore,  de  la  porter  &  de 
H  la  piler  d'abord  dans  les  auges  ,  où  l'on  abbreuve  le  bétail ,  fans  la 
»  porter  ailleurs  «. 

On  voit  par  ces  paffages ,  que  les  Druides  fe  vantoient  d'opérer  les 
plus  grandes  merveilles  ,  de  donner  la  fécondité  aux  femmes  ftériles ,  de 
rendre  l'homme  invulnérable ,  de  le  garantir  de  toute  forte  de  maux  &C 
d'accidens  ,  par  le  moyen  de  certaines  plantes,  pourvu  qu'elles  fuffent 
cueillies  avec  des  cérémonies  &  des  opérations  magiques ,  dont  le  Clergé 
pofledoit  feul  le  fecret.  Les  Perfes  avoient ,  fur  cet  article  ,  la  même 
fuperftition  que  les  Gaulois.  Leurs  Mages  fe  vantoient  de  prédire  l'a- 
venir ,  &  d'évoquer  même  les  Dieux ,  par  le  moyen  de  deux  plantes ,  dont 
Pline  (il 9)  nous  a  confervé  le  nom.  C'eft  dans  cette  Ecole  que  Pytha- 
gore  (iio)  &  Démocrite  avoient  appris  ce  qu'ils  enfeignerent  aux 
Grecs  ,  des  guéritbns  &  des  charmes  que  l'on  pouvoit  opérer  avec 
le  fecours  de  certaines  herbes.  Il  ne  faut  pas  douter  que  les  Germains 
n'attribuaffent  aulîi  une  femblable  vertu  aux  plantes.  On  a  cité  plus 
haut  (m),  une  Loi  de  Rotharis,  Roi  des  Lombards,  par  laquelle  il 
eft  défendu  aux  champions  de  porter  fur  eux  aucunes  des  herbes  qui 
fervent  aux  maléfices  ,  c'eft-à-dire  ,  félon  l'opinion  reçue  dans  ce  tems- 
là ,  qui  avoient  la  vertu  de  rendre  l'homme  invulnérable. 

§.  XXIII.  Pour  revenir  aux  Gaulois,  voici  une  troifiéme  produflion 
naturelle ,  à  laquelle  les  Druides  attribuoient  une  vertu  toute  extraor- 
dinaire. »  Il  y  a,  dit  encore  Pline  (xn) ,  une  forte  d'œufs,  dont  les 
w  Auteurs  Grecs  ne  font  aucune  mention  ,  mais  que  l'on  vante 
M  beaucoup  dans  les  Gaules.  Une  infinité  de  ferpens  s'enlacent  ,  & 
»♦  s'enveloppent  artiftement  les  uns  fur  les  autres,  pendant  les  grandes 
M  chaleurs  ;  étant  d'ailleurs  colés  enfemble  par  le  moyen  de  la  bave 
M  qui  leur  fort  de  la  bouche ,  &  de  l'écume  dont  ils  ont  le  corps  tout 


(*»9    /ill*'l>Jli>li,Th€tfii^elid»  Flin.  ZXIV.  17. 

(zio  F.'in  XXIV.  17.  Selon  U  ieinai> 
^ue  de  Saumaife  Com.i  ent.  ad  Solin  p«g. 
4).  )  ,  Solin  i  avancé  ,  mal  -  4  -  propos  ,  que 
I>cmoc{Ue  avgit  combattu  les  p^iaioni  <lca  , 


Mages  :  Demotriium  tenumin»  totttra  Ma^ot  hé», 
knijft    Sol:n.  cap.  3.  p.  ■].  Edit.  Salmif. 

^tii)    Ci-d.  eh.  VI.  §.  5.   not.    39. 

[tiij  flin.  XXU.  cap .  j .  p.  «II. 

M  couvert; 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    VI.  401 

»  couvert  ,  ils  forment  une  efpèce  de  peloton ,  que  l'on  appelle  An- 
»  guinum  ,  c'ell-à-dire  ,  un  œuf  de  ferpent.  Les  Druides  publient  que 
w  les  ferpens  jettent  un  œuf  en  l'air,  en  faifant  des  fifflemens ,  &  qu'il 
»  faut  le  recevoir  dans  un  faye ,  avant  qu'il  tombe  fur  la  terre ,  qu'il 
»  ne  doit  pas  toucher,  (  fans  quoi  l'œuf  auroit  perdu  toute  fa  vertu  ), 
M  Ils  ajoutent  que  celui  qui  a  enlevé  l'œuf,  doit  s'enfuir  à  cheval ,  par- 
»  ce  que  les  ferpens  fe  mettent  à  fes  troufTes ,  &  le  pourfuivent  juf- 
»  q^u'à  ce  qu'il  ait  mis  une  Rivière  entr'eux  eux  ôc  lui.  On  prétend 
»  que  cet  œuf,  quand  il  eft  bon  ,  doit  nager  fur  l'eau  ,  &  la  remon- 
wter,  fut-il  même  enchâffé  dans  de  l'or.  Les  Magiciens,  qui  font  or- 
w  dinairement  des' gens  rufés  &  habiles  à  cacher  leurs  tromperies, 
>»  ordonnent  d'enlever  cet  œuf,  un  certain  jour  de  la  Lune  ,  comme 
»  s'il  dépendoit  de  l'homme  de  le  faire  produire  aux  ferpens ,  dans 
»  le  tems  qu'il  a  marqué  pour  le  recevoir.  J'ai  vu  un  de  ces  œufs  que 
w  les  Druides  vantoient  beaucoup.  Il  avoit  la  forme  d'une  pomme 
»  ronde  de  médiocre  grandeur.  Son  écaille  étoit  pleine  de  petites  ca- 
»  vités  ,  femblables  à  celles  que  l'on  remarque  fur  les  bras  du  Polype. 
»  On  affure  qu'il  eft  d'une  merveilleufe  utilité  à  ceux  qui  le  portent 
»  fur  eux  ,  tant  pour  leur  faire  gagner  les  procès  qu'ils  peuvent 
>»  avoir  ,  que  pour  leur  ouvrir  un  libre  accès  auprès  des  Rois.  Cette 
»  imagination  eft  fi  fauffe,  que  l'Empereur  Claude  fit  mourir  un  Che- 
>»  valier  Romain ,  originaire  du  Pays  des  Vocontiens  (115),  qui,  autant 
»  que  je  puis  le  fçavoir,  ne  méritoitla  mort,  que  parce  qu'en  plaidant 
»  devant  l'Empereur  ,  il  avoit  porté  dans  fon  fein  un  de  ces  œufs  «. 

§.  XXIV.  Les  Feux  Sacrilèges  que  le  Synode  tenu  (114)  à  Leptines  (*), 
en  Hainault,  défend  d'allumer,  &  que  les  Francs  défignoient  fous  le  nom 
de  Nodfyrs  ,  étoient  aufli  une  opération  magique  des  Anciens  Celtes. 
Il  eft  d'autant  plus  facile  d'expliquer  en  quoi  confiftoit  proprement  cette 
fuperftition ,  qu'elle  fubfifte  encore  en  divers  endroits  de  l'Allemagne. 
Voici  ce  qu'en  difoit  Lindinbroge  au  commencement  du  fiécle  paffé 
(iî.5^),  »  En  plufieurs  lieux  de  l'Allemagne,  les  Payfans  ont  coutume 


(il))  Le»  Tocontieat  <iemeuroienc  en  Dau- 
phin^ autoui  de  la  Ville  de  Die  ,  ^ui  cA  l'an- 
cienne D'»  Vcetniurui». 

(224)  Çan.  Synod.  Lipcina;  habicz  in  Cap. 
Kaiol.  M.  &  Lud.  Imp,  ltb>  Y.  x.  p.  yxs. 

Tome  II,  E  e  e 


(')  Aujourd'hui  Ltfiinei ,  lien  du  CambrcCs  ; 
c'efirancienne  £<;>>iii«  ,  Maifon  de  nos  Rois. 
N»  e  de   l'Eiiltur. 

(115)  Liadenbi.  GlolT.  p.  1445. 


401  HISTOIRE    DES    CELTES, 

»  d'aller  tirer  le  jour  de  la  faint  Jean  ,  un  pieu  de  quelque  haie , 
>♦  autour  duquel  ils  frifent  une  corde,  jufqu'à  ce  qu'elle  s'allume.  Ils 
»  entretiennent  le  feu  qu'ils  en  ont  tiré  ,  avec  de  la  paille  &  du  bois 
>>  fec ,  &  en  ramaflent  les  cendres ,  qu'ils  vont  répandre  fur  les  légu- 
»  mes  ,  dans  la  vaine  perfuafion  qu'elles  font  un  remède  contre  les 
«chenilles  (*).  Ils  appellent  ce  feu  Nodfever  ^  c'eil-à-dire  ,  un  feu 
»  forcé  «. 

M.  Gérike,  qui  écrivolt  en  1718  (116)  ,  affure  avoir  vu  des  Pay- 
fans  qui  faifoient  paffer  leur  bétail  au  travers  du  même  feu  ,  pour  le 
guérir  d'une  maladie  que  nous  appelions ,  fi  je  ne  me  trompe ,  le  Feu 
Saint-  Antoine.  S'il  faut  en  croire  M.  Hyde  (117),  les  Perfes  avoient 
une  fuperftition  parfaitement  femblable  ;  ils  frottoient  deux  petits  ro- 
feaux  l'un  contre  l'autre  ,  jufqu'à  ce  qu'ils  en  euffent  tiré  du  feu ,  &  ils 
faifoient  paffer  par  ce  feu ,  leurs  enfans ,  qui  n'en  fouffroient  cependant 
aucun  mal. 

§.  XXV.  On  n'en  dira  pas  davantage  de  la  Magie  des  Celtes.  Ce 
qu'on  vient  de  remarquer  fiiffit  pour  faire  voir  qu'elle  ne  confiffoit  pas 
dans  des  compofitions ,  des  philtres,  des  (ii8)  amulettes,  ni  d'autres 
chofes  femblables.  On  n'y  employoit  que  les  fimples  produôionsde  la  na- 
ture ,  mais  qui  dévoient  être  enchantées  par  les  Favoris  de  la  Divi- 
nité ,  afin  que  les  efprits  ,  qui  réfidoient  dans  ces  parties  de  la  ma- 
tière ,  leur  communiquaffent  une  vertu  furnaturelle  &  divine.  Sou- 
vent même  les  opérations  magiques  des  Celtes  ne  confiftoient  que  dans 
(229)  des  Dévotions  &  des  Cantiques,  par  lefquels  les  fuperffitieux 
prétendoient  charmer  les  mêmes  efprits ,  &  les  mettre  dans  leurs  intérêts. 
Il  faut  que  le  Peuple  Chrétien  ait  été  long-tems  infatué  de  ces  baga- 


(*)   A  l'exception    du  vain  pre'paratif  qui  i       (i2«)  Cap.    14.  p.  70. 
précédoit    cette    opération  ,   le    remède    e'toit  j       (  li?  )   Voyez.  Beaufotsre  Hiû.  du  Manich. 


Von.  Nos  Agriculteurs  in  eiligens  ont  foin  de 
répandre  des  cendres  (ur  les  légumes  8c  fm 
les  autres  plantes  attaquées  des  chenilles.  Ce 


Liv.  I.  p.  31 S-32Î. 

{iiX'  Quelques  Auteurs  ont  parlé  des  Ama- 

lettes  des  Lydiens,  Mais,  outre  que  ces  Au- 
moyei!  eft  reconnu  pour  très -efficace.  Sans  I  teurs  font  fort  modernes ,  les  Lydiens  pou- 
doute  il  étpit  aullî  néceflaiiedans  ce  tems-là  ,  '  voient,d'ailleuts,avoir  emprunté  cette  fuperfti- 


qu'en  celui-ci  ,  de  mettre  du  myftère  ,  pour 
pouvoir  faire  goûter  au  Cultivateur  imhécile  , 
les  pratques  les  plus  utiles  pour  l'amélioration 
ou  la  confecvation  de  fes  pioduOlons.  Nnt  de 
l'Editeur, 


tion  des  Grecs.  Etymol.  Mag.  p.  40:.  Euftath. 
ad  Odyir.  XIX.  p.  i«<4. 

(229)  Cideffus,  Liv.  III.    chap.  17.    $.   7. 
not.  ao.  Liv.  IV,  ch.  4.  §.  p.  not.  7».  &  lo. 


LIVRE     IV,     CHAPITRE    Vf.  46^ 

telles ,  tant  en  Efpagne  que  dans  les  Gaules  Se  en  Allemagne  On  en  peut 
juger  ainfi  par  le  grand  nombre  de  Loix  (130),  de  Capitulaires ,  & 
de  Canons  qui  condamnent  la  Magie ,  les  Magiciens ,  &  ceux  qui  ont 
recours  à  leur  Art.  Parmi  les  Loix  des  Vifigoths  ,  il  y  en  a  une  du  Roi 
Chindafvinthe  (131)  ,  dans  laquelle  les  Magiciens,  qui  font  defcendre 
la  grêle  fur  les  vignes  &  fur  les  moiffons  par  leurs  enchantemens , 
font  condamnés  au  fouet.  Le  Légiflateur  fuppofoit  donc  que  la  chofe 
étoit  poffible  ,  &  qu'elle  arrivoit  même  quelquefois.  Il  ne  faut  pas 
être  furpris  qu'il  fût  dans  ce  préjugé  ,  qui  étoit  fort  ancien  au  milieu 
de  fa  Nation.  Saint  Agobârd ,  qui  eft  poftérieur  d'environ  deuxfiécles, 
remarque  que  c'étoit  une  opinion  généralement  reçue  dans  fon  Pays , 
qu'il  y  avoit  des  gens  qui  difpofoient  à  leur  gré,  de  la  grêle  &  du 
tonnerre. 

§.  XXVI.  Les  fupcrflitions  dont  on  a  parlé  jufqu'à  préfent,  étoîent 
communes  à  tous  les  Peuples  Celtes.  Il  y  en  avoit ,  après  cela ,  qui 
étoient  particulières  à  certains  Peuples.  Voici  ,  par  exemple  ,  ce  que 
Pofidonius  difoit  des  Myliens ,  qui  étoient  un  Peuple  Thrace  ou  Géte , 
dont  le  Pays  s'étendoit  depuis  le  Danube  jufqu'au  Mont  Hœmus  (23 1). 
»  Il  y  a  des  Myfiens  qui  s'abftiennent ,  par  Un  motif  de  Religion  ,  de 
»  tout  ce  qui  a  vie  ,  &  par  conféquent  de  la  viande  de  boucherie. 
»  Ils  paffent  leur  vie  dans  une  entière  inaftion  ,  &  ne  vivent  que  de  lait, 
M  de  miel ,  &  de  fromage.  On  leur  donne  ,  par  cette  raifon  ,  le  nom  de 
«Dévots,  &  (233)  d'avaleurs  de  filmée.  Il  y  a  aufli  des  Thraces  qui 
»  paffent  leur  vie  dans  le  célibat.  Ces  gens,  que  l'on  appelle  (234)  Ctijîes , 
«font  vénérés  comme  des  Saints,  &  jouiffent  d'une  entière  immunité 
w  de  toute  charge  publique.  On  les  appelle  auffi  (235)  Abii,  parce  qu'ils 
»  n'ont  point  de  femmes  ,  &  qu'un  homme  qui  paffe  fa  vie  dans  le  veu- 
»  vage  ,  c'eft-à-dire ,  dans  le  célibat ,  ne  vit,  pour  ainli  dire ,  qu'à  demi  «. 

Strabon  fe  moque  ,  avec  raifon ,  de  cette  Etymologie ,  &  regarde , 
en  même  tems ,  comme  une  fable ,  ce  que  Pofidonius  rapportoit  du  cé- 


(a}o)  Ci-deflus  ,  chap.  III.  §■    i.    not.   tt.-, 
chap.  IV.  J.  I».  net.  23«.   139-2.^1.  chap.  V. 
$.  14.   not.    i6t.  chap.  VI.   §.  17.  not.    \6%. 
jLr'.  Vifig.  lib.   V.    tit.  II.  I.eg.    i.  p.    3».   Du 
f  lefne  Gloflar.  in  toc.  Ctra^m  &  Tcmpefltrii. 

(.ji)Leg.  Vi   g.  lib.    V.   tit.    II.  Leg.  3. 
(a(,  tz5.14deeciaml.eg.  4fic  ;. 


(z|z)  Agobaid.  ,libr.  ohit*  infulfam  opinictum 
«11/51  ie  grandioc  &  toniiruii.  Tom.  I.  p.  145, 
B  lus.  ad  Agob.  p.  «8. 

(m     Strabo,  lib.  VII.  p.  iy6. 

(234)  Sur  le  fens  de  ce  mot,  voyei.  ci-dcflut 
Liv.  II.  cap.    I».  p.    ziit. 

(zj  $1  KtiVci/  ,  vijn.  la  note  i40. 

E  e  e  z 


404  HISTOIRE    DES    CELTES, 

libat  de  quelques  Thraces.  Il  fe  fonde  fur  ces  deux  raifons  (136).  La 
première  ,  c'efl:  qu'on  ne  voyoit  rien  de  femblable  ,  ni  parmi  les  Thraces  , 
ni  parmi  les  Gétes  qui,  au  lieu  de  fe  paffer  de  femmes ,  regardoient  com- 
me un  pauvre  homme  celui  qui  n'en  avoit  que  quatre  ou  cinq.  Cette 
raifon  ell  bonne  ,  fuppofé  que  Strabon  fût  mieux  informé  que  Pofido- 
nlus  ,  Se  qu'après  d'exades  recherches  ,  il  eût  trouvé  qu'il  n'y  avoit 
point  de  Moines  dans  toute  la  Thrace. 

Au  refte ,  quoique  les  Thraces  priffent  ordinairement  dix  ou  douze 
femmes,  il  n'étoit  pas  impoffible  qu'il  n'y  eût  au  milieu  de  la  Nation , 
des  Mifogames  qui  fiflent  profeffion  de  la  vie  Monafiique.  La  polygamie 
étoit  permife  parmi  les  Juifs  ;  ils  ne  lalffoient  pas ,  cependant ,  d'avoir 
des  Moines ,  tout  comme  les  Turcs  en  ont  encore  aujourd'hui. 

L'aure  raifon  que  Strabon  (23  B)  allègue  pour  détruire  ce  que  Pofi- 
donius  avoit  dit  du  célibat  de  quelques  Thraces  ,  c'eft  que  les  Gétes 
avoient  beaucoup  de  Fêtes ,  de  Sacrifices  ,  &  de  Cérémonies ,  &  que 
les  hommes  étant  ordinairement  pouffes  à  ces  fuperftitions  par  les 
femmes  ,  il  n'eft  pas  poffible  qu'un  homme  qui  vit  dans  le  célibat ,  foit 
jamais  dévot,  ni  fuperftitieux  à  l'excès.  C'eft  une  induûion  contre  la- 
quelle les  Moines  fe  recrioient  beaucoup ,  &  qu'un  efprit  critique  ne 
fçauroit  même  paffer  à  Strabon. 

Au  refte ,  on  eft  fort  tenté  de  croire  que  Poffdonius  avoit  raifon.  On  voit 
déjà  dans  Euripide  (139),  que  ceux  qui  fuivoient  laDoûrine  d'Orphée, 
ne  fe  marioient  point,  &  qu'ils  s'abftenoient  de  tout  ce  qui  avoit  vie. 
La  Dodrine  d'Orphée  défigne  ici  les  fuperffitions  qui  avoient  paffé  de» 
Thraces  aux  Grecs. 

Indépendamment  de  cette  preuve,  qui  rie  laifll  pas  d'avoir  fa  force,  Jo- 
fephe  en  fournit  une  autre ,  qui  eft  décifive  en  faveur  de  Pofidonius. 
Après  avoir  parlé  des  Efféniens,  qui .n'avoient  ni  femmes,  ni  domeûi- 
ques,  &  qui  vivoient  enfemble  en  communauté,  il  ajoute  (240)  «que 
«leur  manière  de  vivre  eft  à  peu  près  la  même  que  ceux  que  l'on 
«appelle  Plijîes,  obfervent  parmi  les  Daces. » 


{îiS)" K&iti ,  fine  vin.  On  les  appelloit  dï 
ce  nom  ,  comme  Strabon  l'a  remarqué  ,  parce 
qu'ils  étoiciit  Nomades. 

(i37)  Strabo  VII.  ij5.  197. 

(2|8j  ibidem. 

(îjji)  Eurip.  Hippolyt.  v,  ssi.  5c  S.  ei-def- 


fcus  J.  27.  not.    255.  25<, 

(2+o)Jofeph.  Aniiquit.  lib.  XVIII.  cap.  i. 
§.  s-  p.  7S+.  Edit.  Hudfon.  Les  autres  Editi- 
tions  &  les  Manufctits  portent  lAtirwf  j  la 
coiicAion  de  ■ïïtMraXt  eft  de  Jofepli  Scaliget. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VI.  405 

Il  eft  vifible  que  les  Plips  de  Jofephe ,  &  les  Ctlfics  de  Strabon  font 
les  mêmes  ,  &  que  le  nom  eft  mal  écrit  dans  l'un  ou  dans  l'autre  de  ces 
Auteurs.  C'étoient  des  Anachorètes  qui ,  à  l'exemple  des  Thérapeutes  & 
des  Efféniens ,  fe  retiroient  du  commerce  du  monde ,  pour  vacquer  à 
ce  qu'on  appelloit  alors  la  vie  contemplative.  Scaliger ,  qui  conferve 
les  deux  noms  (141),  prétend  qu'ils  étoient  appelles  par  les  Grecs  ^ris-ai^ 
Condkores ,  ou  voKiç-ai,  Cives,  parce  qu'ils  bâtiffoient  des  maifons  ,  & 
qu'ils  faifoient  leur  demeure  dans  des  Villes  ,  ou  dans  des  Villages  , 
au  lieu  que  les  autres  Thraces  menoient  une  vie  errante,  &  n'avoient 
point  d'autre  demeure  que    leurs  chariots.  On  eft  fâché  de  ne  pou- 
voir acquiefcer  à  la  conjefture  de  ce  grand  homme.  Pofidonius  &  Jofephe 
infmuent  affez  clairement ,  que  c'étoit  dans  la  Langue  de  leur  Pays,{&  non 
pas  en  Grec ,  que  ces  Moines  étoient  appelles  Ceijîes  ou  PUfles.  Leur  véri- 
table nom  étoit  ,  fulvant  les  apparences,  celui  de  Plijies,  &  l'on  fou p- 
çonne  qu'on  leur  donnoit  ce  nom  ,  parce  qu'ils  choififî^oient  pour  leur 
retraite,  les  Sanâuaires  du    Dieu  P/ei/?,  ou /'/<;i/?er  (242),  dont  Héro- 
dote fait  mention  ,  comme  d'une  Divinité  à  laquelle  les  Thraces  im- 
moloient  des  vi£limes  humaines. 

On  ne  peut  donc  guères  douter  qu'il  n'y  eût  effeâivement  en  Thrace 
&  dans  les  Pays  voifins,  des  gens  qui  paflbient  leur  vie  dans  le  céli- 
bat ,  par  un  motif  de  Religion.  Mais  il  faut  avouer ,  en  même  tems ,  que 
l'origine  de  cette  fuperftirion  ne  doit  pas  être  cherchée  parmi  les  Peuples 
Celtes.  Particulière  aux  Thraces  ,  elle  étoit  inconnue  dans  tout  le  refte 
de  la  Celtique.  Les  Germains ,  au  lieu  d'approuver  le  célibat ,  le  re- 
gardoient  comme  im  état  puniftable ,  quand  il  étoit  volontaire.  Un  hom- 
me qui  mouroit  après  la  cinquantième  année  ,  fans  avoir  été  marié  (243), 
perdoit  le  droit  &  la  faculté  de  tefter  ;  &  s'il  avoit  difpofé  de  fes  biens 
par  un  teftament ,  on  n'y  avoit  aucun  égard.  Sts  biens  de  patrimoine 
retournoient  aux  parens,  &  fes  biens  acquis  étoient  dévolus  au  fifc. 
Cette  Loi  s'étendoit  même  aux  veufs  &  aux  veuves ,  qui  étant  encore 
en  âge  d'avoir  des  enfans,  laiffoient  pafler  un  certain  terme  fans  fe  re-; 
marier. 


(24.1)  Jof.  Sciliger  Elench.  Trihzref.  p.  454. 
Sa  conjedlure  eft  approuvée  par  Colomies  , 
Ml.   ni   Jhom.   Brunttiù    Dijfert,   de     TherMftMii  , 

,  pag    isi.  Se  par  Hudfon  »».  ttd  Uinm  Jc/eflti 
f»fr.  fit. 


(242;  Voyti.\c  paflage  d'Hérodote  ci-deflus  , 
IbiT.  III.  chap.  K.  j.  I.  not.  4:. 

(243  C'eft  ce  qu'on  appelle  t  Jui  HuftfttU 
zjaius.  Vvjei,  SChottclius  ,  cap.  i,  Geiikc  , 
cap.  I. 


4t6  histoire     des    CELTES, 

Le  Clergé  Chrétien  crut  avoir  de  bonnes  rai(ons  pour  faire  abolir  cette 
Loi ,  ou  ,  au  moins,  pour  s'en  faire  excepter,  dans  les  lieux  où  l'on  ju-< 
gea  à  propos  de  la  conferver  ;  de  forte  qu'il  ne  faut  pas  être  furpris 
qu'elle  ne  fubfifte  plus  aujourd'hui ,  que  dans  un  petit  nombre  d'endroits , 
comme  dans  le  Pays  de.  Bruns-wisk  (244)  ,  &  dans  quelques  Contrées 
du  Palatinat. 

Il  ne  paroît  pas  aufîl  qu'il  y  eût  parmi  les  anciens  Gaulois ,  des  gens 
qui  fiflent  profeffion  de  célibat.  Pomponius  Mêla  parle,  à  la  vérité  (245), 
d'un  Sanûuaire  que  l'on  voyoit  dans  l'île  de  Sayne ,  &  dont  les  (246)  Prê- 
treffes  ,  qui  étoient  au  nombre  de  neuf,  fe  confacroient  à  Dieu ,  par  le 
vœu  d'une  virginité  perpétuelle.  Mais  Strabon  ,  dont  le  témoignage 
eft  d'un  tout  autre  poids ,  afliire  (247)  qu'elles  étoient  mariées ,  &  qu'elles 
étoient  obligées  d'aller  trouver  leurs  maris  dans  le  continent  oppofé,  par- 
ce que  l'entrée  de  l'Ifle  &  du  Sanduaire  étoit  interdite  aux  hommes. 

Il  eft  vrai  encore  que  Spartien  ,  parlant  de  Pefcennius  Niger  dit  (248) 
qu'étant  dans  les  Gaules,  il  fut  chargé  par  les  fuifrages  unanimes  des 
Peuples ,  de  préfider  à  un  facrifice ,  pour  lequel  on  choififfoit  ordinai- 
rement les  perfonnes  les  plus  chaftes.  Mais ,  outre  que  les  Romains  op- 
pofoient  la  chafteté  à  l'adultère  &  à  l'impureté ,  &  non  pas  au  mariage  , 
il  faut  avouer,  d'ailleurs  ,  que  du  tems  de  Pefcennius,  les  Gaules  étoient 
déjà  remplies  de  fuperftitions  étrangères. 

Au  relie  ,  il  eft  confiant,  comme  on  a  eu  occafion  de  le  montrer ,  que 
les  Druides  étoient  mariés ,  &  que  leurs  femmes  partageoient  avec  eux 
les  fondions  du  Sacerdoce.  Autant  qu'on  peut  fe  le  rappeller,  la  Diane 
Taurique  étoit  la  feule  qui  eût  pour  PrêtrefTe ,  une  vierge  (  249). 

§.  XXVII.  A  l'égard  de  l'abftinence  de  certaines  viandes,  il  faut- 
convenir  qu'on  en  trouve  quelques  traces  parmi  les  Peuples  Celtes.  Par 
exemple ,  Jules-Céfar  affure  (  250  )  que  c'étoit  un  crime  parmi  les  Habi' 
tans  de  la  Grande-Bretagne,  de  manger  des  lièvres ,  des  poules  &  des 
oies.  Les  Scythes  qu'Hérodote  a  connus  (251),  s'abftenoient  aufli 
delà  chair  de  pourceau,  pour  laquelle  les  (252)  Gallo-Grecs  avoient 


(144)  Schottelius  ,  p.  lo. 

(145)  Ci-d.  chap.  IV.  §.  9.  not.    7» 

(Z4<)  C.-d.  Liv.  III.  chap.  t.  $.  t».  not.  iio. 
tii.  I  11. 

(i47)  I'  idem. 
'  (Z4.S)  Sputian.  Fefcen.  p.  «s  S» 


(249)  Ci'd.  Liv.  III.  ch.  8.$.  9.   not.  tî. 

(250)  CœCir  V.  li. 
(151)  Herodot.  IV.  «3. 

(252)   laufan.   Achaii,    pag.  i«},  t^î^ 
Xylandii, 


-LIVRE    IV.    CHAPITRE    VI.  407 

aviffide  l'averfion.  Strabon  ,  qui  fe  moquoit  (153)  de  ce  que  Pofidonius 
avoit  dit  du  grand  cas  que  les  Myfiens  failoient  de  la  vie  monaftique, 
avoue  qu'il  y  avoit  des  Thraces  &c  des  Myfiens,  qui  ne  mangeoient  d'au- 
cun animal.  Le  Géographe  Scymnus  de  Chics  ,  parlant  des  mêmes  Peu- 
ples (154)  ,  affure  qu'ils  pouflbient  la  piété  jufqu'à  fe  faire  un  fcrupule 
de  tuer  des  animaux.  Cette  fuperftition  trouva  auffi  des  partifans  en 
Crèce  (1^5),  où  on  la  regardoit  comme  une  partie  de  la  Doârine 
(2  5  6)  d'Orphée.  On  fait  enfin  ,  qu'il  y  avoit  en  Perfe ,  un  Ordre  de  Mages 
(257)  qtii  ne  vivoient  que  de  pain,  de  fromage  ,  &  de  légumes. 

Au  refte,  il  feroit  bien  difficile  de  trouver  dans  la  Religion  des  Peuples 
Scythes  &  Celtes  quelque  dogme  qui  favorifât  direûement  ou  indirec- 
tement lesdifférens  fcrupules  dont  on  vient  de  faire  mention.  Adorant  des 
Dieux  qui  prenoient  plaifir  au  fang  &  au  carnage ,  qui  vouloient  être 
appaifés  &  confultés  par  des  facrifices  de  toute  efpèce ,  &  qui  don- 
noient  tout  au  plus  fort  ,  comment  pouvoient .-  ils  fe  perfuader  que 
l'homme  fe  rendoit  agréable  aux  Dieux,  en  s'abftenant  de  tuer  les  ani- 
maux Se  de  manaer  de  leur  chair? 

On  ne  doute  donc  point  que  ce  ne  fuflent  ici  des  dévotions  étrangères. 
Ceux  qui  chercheront  bien ,  trouveront  qu'elles  venoient  originaire- 
ment d'Egypte.  Comme  on  prétend  que  Zamolxis  &  Dicénéus  y  avoient 
étudié  ,  il  ne  feroit  pas  impoffible  qu'ils  n'euflent  apporté  ces  dévo. 
lions  fuperftitieufes  de  là  dans  leur  Pays,  Il  eft  confiant,  d'ailleurs,  que 
les  Egyptiens  avoient  fait  des  établiffemens  fur  les  côtes  de  la  Mer  noire, 
&  jufques  dans  la  Mingrelie.  Mais  ,  comment  ces  mêmes  fuperftitions 
avoient-elles  pu  paffer ,  au  moins  en  partie ,  jufques  dans  la  Grande- 
Bretagne  ?  C'eft  ce  qu'on  ne  fçauroit  deviner. 

Dans  le  fond,  il  ne  faut  pas  toujours  conclure  qu'une  coutume  ex- 
traordinaire ,  &  fi  l'on  veut ,  extravagante ,  qui  eft  commune  à  deux 
Nations  ,  ait  paffé  de  l'une  à  l'autre.  Les  établifl"emens  raifonnables  font 
ordinairement  communs  à  plufieurs  Peuples,  parce  que  les  hommes  ayant 
tous  la  raifon  en  partage ,  il  leur  arrive  fouvent  de  la  confulter  &c  de  la 


(153)  Cid.  $.  i«.  not.  23}. 

^154)  Scymn.  Chius  ,  p.  jyS. 

(255,  Euripide  j  Cretenfi  us  p.  47*)  in- 
tioduic  le  CbŒur  ,  dif-inc  à  Minot  ,  F«3k( 
fiim  mjft*  Jiivii  U»i,  icc. 


(2S«)  Le  niém  •  Poëte  introduit  Thefe'e , 
difant  a  fou  fîU  GlorUre  timhc  ,  &  Eju  iimnimMt* 
rnm  cihii  t»nptiiare  kc.  Euiipid.  Hyppolit.  v.  s»  52. 

:2S7  ;  Hyeronim.  con  ra  Joviniaiium  lib.  II. 
Diogen.  Lacit.  Piooem.  ;.  6.  Edit.  Cafaub. 


4o8  H  r  S  T  O  I  P».  E    DES    CELTES, 

fuivre.  Mais,  comme  les  hommes  font  aiiffi  fort  f.îjets  à  faire  divorce  avec 
la  raifon,  &  à  s'en  écarter  en  mille  manières  différentes,  il  n*efl  pas  im- 
pofllble  que  ceux-là  même  qui  donnent  dans  des  viûons ,  ne  fe  rencon- 
trent quelquefois. 

On  pourroit  finir  ici  ce  Traité  de  Religion  des  Peuples  Celtes ,  fi  l'on 
n'avoir  promis  de  donner  une  hiftoire  abrégée  de  leurs  plus  célèbre* 
Philofophes,  &  de  faire  quelques  remarques  fur  la  manière  dont  ces 
Peuples  reçurent  le  Chrillianifme.  On  va  donc  traiter  ces  matières  le 
plus  fuccinûement  qu'il  fera  poflible  dans  lei  deux  Chapitres  fuivans. 


CHAPITRE      VII. 

Hidoirf  du  §.  I.  X^  K  T  R  E  les  Philofophes  Scythes  ou  Celtes  ,  qui  ont  tranfmis 
orf hée.  leurs  iioms  à  la  poilérité ,  Orphée  efl ,  fans  contredit ,  l'un  des  plus  an- 
ciens. Son  ancienneté  ne  permet  pas  qu'on  fe  flatre  de  pouvoir  en  dire 
quelque  chofe  de  vrai  &  de  fur.  Les  Grecs  (i)  reçurent  les  lettres  beau- 
coup plus  tard  qu'on  ne  le  croit  communément.  Leur  premier  Hif- 
torien  fut  Phérécide  de  Scyros,  dont  onjreporte  la  naiffançe  à  la  XLV% 
Olympiade.  En  fuppofant  qu'il  commença  à  écrire  vers  l'âge  de  36  ou 
37  ans,  il  y  aura,  de4à  ,  jufqu'au  tems  d'Orphée  (i),  650  ans  au 
moins. 

Tout  ce  que  Phérécide  &  les  Hifloriens  qui  font  venus  après  lui , 
ont  écrit  d'Orphée  ,  étàîit  donc  fondé  fur  une  tradition  orale  dont 
l'origine  remontoit  à  plus  de  fix  fiécles ,  il  ne  faut  point  être  fupris 
que  l'on  trouve  dans  l'hiftoire  de  ce  Philofophe ,  non -feulement  beau- 
coup d'obfcurité  &  d'incertitude ,  mais  encore  beaucoup  de  fables  ri- 
dicules &  de  contradidions  palpables.  C'eft  le  propre  de  ces  fortes  de 
traditions ,  de  s'ahérer  &c  de  fe  corrompre  de  plus  en  plus ,  à  mefure 
qu'elles  s'éloignent  de  leur  fource.  C'eft  un  mal  prefqu'inévitable ,  à 
çaufe  de  la  foibleffe  de  la  mémoire  ;  elle  efl  rarement  affez  fidèle  pour 


(il  Ci-deflus  ,  Liv.  II.  ch.  lo.  p.  190.  & 
fuiv.  ch.  II.  p.  199-  &  fuiv. 

(1)  Selon  ce  te  fuppofition  ,  Fkeie'cide  étant 
né  la  I.  année  de  la  XLV.  Olympiade  ,  qui  eft 
fan  411.V  <i'  lapciiode  Julieiiae  ,  il  aiuoit 


écrit  l'an  41  s  o  de  la  même  période  3  au  lieo 
qu'Orphée  fleuriffoit  Tan  de  la  P.  J.  3500, 
une  génération  avant  le  Cége  de  Tioye  ,  dont 
kpiiie  tombe  fur  l'aa  4c  (a  P.  J.  35)0. 

rapportei; 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VII.  409 

Tâpporter  des  faits  accompagnés  de  plufieurs  circonftances ,  fans  ajouter 
ou  fans  omettre  quelque  chofe. 

D'ailleurs  ,  il  ne  faut  pas  douter  que'Ies  Poëîes  ,  qui  recueilloient  ces 
traditions  pour  en  faire  le  fujet  des  cantiques  dont  on  parle  (  3  ) ,  ne 
chargeaflent  le  portrait  des  hommes  illuftres ,  dont  ils  faifoient  l'éloge. 
Cela  plaifoit  au  Peuple  qui  aime  le  grand  &  le  merveilleux ,  dût-on  of- 
fènfer  la  vérité ,  &  heurter  de  front  toutes  les  vraifemblances. 

Malgré  tout,  on  ne  fçauroit  en  conclure  ,  comme  l'ont  fait  quel- 
ques-uns (  4  )  ,  qu'Orphée  n'a  jamais  exifté.  Il  eft  certain  que  les 
Grecs  avoient  reçu  des  Thraces  un  grand  nombre  de  myftères ,  de  dé- 
votions Se  de  cérémonies  religieufes  ,  dont  on  rapportoit  conftamment 
î'inftitution  à  Orphée.  On  ne  peut  donc  guères  douter  que  les  Thraces 
n'euffent  eu  un  Philofophe  de  ce  nom ,  &  que  la  grande  réputation  qu'il 
s'étoit  acquife  au  milieu  de  fa  Nation ,  n'ait  fait  paffer  inlenfiblement  fon 
nom  &  fa  doftrine  dans  les  Pays  voilins.  Au  travers  de  cette  prodigieufe 
multitude  de  fables  que  l'on  a  débitées  au  fujet  d'Orphée ,  ne  pourroit- 
on  pas  découvrir  quelque  chofe  de  vrai ,  ou ,  tout  au  moins  ,  de  pro- 
bable ? 

§.  II.  Orphée  étoit  Thrace  d'origine.  Les  Poètes  &  les  Hiftoriens  (5)  orphée  ftoït 
en  conviennent  prefque  tous  ;  mais  ils  ne  font  pas  d'accord  fur  le  lieu  de  ginc. 
fa  naiflance ,  ni  fur  le  Peuple  dont  il  étoit"  ifTu.  Les  Odryfes  (  6  )  ,  les  Si- 
thoniens  (  7  )  ,  les  Cicons  (  ^  )  ,  les  Bifahes  (  9  )  fe  glorifioient  tous  de 
l'avoir  pour  Compatriote  ,  &  difputoient  entre  eux  fur  la  patrie  d'Or- 
phée ,  comme  les  Grecs  fur  celle  d'Homère,  Cette  différence  de  fenti- 


(})  C-delfus  ,  Lit.  II.  ch.  lo.  p.  1I3. 
Se  fuiv. 

(4;  Cicer  de  Nat.  Peoi.  lib.  I.  p.  jC^I.  S\ii- 
4*i  in  Oiphco. 

(s)  Voy.  la  not.  »7.  Diod.  fie.  HI.  p,  139. IV. 
j«2.  Clem.  Alex.  Sttom.  lib.  I.  cap.  1 5.  p.  3  54. 
Quelques-uns  ont  dit  qu'Orphc'e  ctoit  Macc'do» 
Bien  ,  parce  que  les  R.ois  de  Macédoine  con- 
quirent dans  la  fuite  la  Thrace  qui  devine 
Y»ne  des  Provinces  du  Royaume  de  Philippe 
&  de  feî  fucccfleurs.  Suidas ,  qui  rapporte  fans 
aucun  choix  Se  fans  aucun  examen  ,  tout  ce 
qu'on  avoir  écrit  d'Orphie  ,  cite  un  Auteur 
)|ui  le  faifoit  naittç  en  Aicadie.  Vojtz.  ci- 
llelTous ,  net.  17. 

'Tpme  //, 


(6)  Vojtz.  la  note  précédente  &  ci-deffus  , 
§.  i.not.  4  M>xim.  Tyr.  Diff.  XXI.  p,  iji. 
Les  Odryfes  demeutoient  le  long  de  l'Ebre. 
Plin.  Hift.  Nat.  IV.  11.  Ils  fe  rendirent  in- 
fcnliblement  maîtres  de  toute  la  Tbrace.  Leut 
Pjys  s'etendoit  du  tems  de  Thucydide  ,  depuis 
le  Bofi'hote  de  ThraCe  jurqi4"au  Str'mon  ,  pour 
la  longueur,  8c  depuis  Abdere  jufqu'au  Da- 
nube, pour  la  largeur.  Thucyd.  lii>.  II.  cap.  95. 
pag.  141.  Bocbait.  Geoi.  Saci.  lib.  III.  dp.  z. 

pag-   »73. 

(7)Plln.  Hift.  Kt.  lib.  IV.  cap.  11.  Solin, 
cap.   10.  p.  îo.  Edit.  Salreaf 

(s)  Ci-d.not.  15.   17.  Diod.  Sic.  V.  137, 

(?)  Ci-deflbus,  not.  17. 

Fff 


îjio  HÏSTOIRE    DES    CELTES, 

mens  n'eft  d'aucune  importance ,  &  l'on  verra  bientôt  ce  qui  peut  y; 
avoir  donné  occafion. 

Mais  ceux  qui  font  naître  Orphée  dans  la  ville  de  Lebahra  (  lo),  ou 
dans  le  bourg  de  PimpUa  (  1 1  )  ,  n'ont  guères  réfléchi  avant  que  d'a- 
dopter cette  opinion.  Les  Thraces  étoient  Nomades  du  tems  de  ce  Phi- 
lofophe ,  &  il  fe  pafTa  plufieurs  fiécles  avant  qu'ils  euffent  une  de- 
meure fixe  ,  avant  que  l'on  vit  chez  eux  ni  ville ,  ni  village.  Ainfi  il  efl 
plus  raifonnable  de  dire  que  les  noms  de  Lebahra  &  de  Pimplea 
défignent  une  montagne  (  ii  ),  ou  une  fontaine,  auprès  de  laquelle  ce 
grand  homme  avoit  vu  le  jour. 

Au  refle  ,  il  n'efl  pas  impoiTible  que  les  divers  Peuples  que  l'on  a 
dénommés  ,  courant  continuellement  d'un  Pays  à  l'autre ,  euffent  oc- 
cupé fuccefîivement  la  Contrée  où  Orphée  prit  naifTance  :  c'eft  peut- 
ctre  la  raifon  pour  laquelle  ils  le  faifoient  tous  naître  dans  leur  Pays. 

Le  tems  oii  Orphée  fleuriflbit ,  efl  déterminé  afTez  clairement  par  les 
Hiftoriens  &  par  les  Poètes.  Il  étoit  Dilciple  du  même  Linus  (13),  q"i 
enfeigna  la  mufique  à  Hercule.  Il  aflifta  à  l'expédition  des  Argonau- 
tes (14).  Il  vivoit ,  par  conléquent,  une  ou  deux  générations  avant  le 
fiége  de  Troye. 

Quelques  Auteurs  prétendent ,  néanmoins ,  qu'Orphée  efl  antérieur 
de  onze  générations  (  1 5  )  ,  à  cette  époque  fameufe  dans  l'Hiftoire.  Ils 
auroient  raifon ,  s'il  étoit  vrai  que  la  doârine  d'Orphée  eût  été  portée  en 
Grèce  par  le  moyen  d'Eumolpus  (  16  )  ,  du  tems  qu'Erechtée  ré- 
gnoit  à  Athènes  ,  c'eft-à  dire ,  plus  de  200  ans  avant  le  fiége  de  Troye  ; 
mais  toute  l'hifloire  Grecque  qui  remonte  au-delà  de  ce  célèbre  fiége  , 
paroît  fi  fabuleufe  (17),  qu'on  ne  croît  pas  devoir  s'y  arrêter.    On 


(;o)  Tzeta.  ad  Lycoph.  p.  49.  Suidas  in 
Oiph. 

(11.  Fragment.  Sttjbon.  lib.  VII.  p.  350. 
Vo^ex.  la  note  fuivan:e. 

(12)  Apollon  Argon.  lib.  I.  p.  3.  Schol 
ApoU.  .id  h.  1.  Maxime  de  Tyr  fai,  naître 
Orphée  fut  le  Moût  Pange'e.  Vojte.  ci-deffus  , 
not.  6- 

(i3;Ci-d.  not.  17.  Diod.  Sic  III.  p.  140. 
EufeS.  Iriparat.  Ev.  lib.  x  c:p.  z  p.  495. 
&  clem  Alex,  ex  Tatiani  orat.  .ld  Graecos 
Stiomat.  lib.  I.  p.  397-  Eufcbe  ilit  ailleurs 
^n'Oxphée  fleutilloit  du  ceins  de  Gedeon  l'«n 


'47  d'Abi.iham  ,  c'eft-à-dire  87  .ins  avant  la 
prife  de  Troye  ,  qu'il  rapporte  à  l'an  >34.  d'A- 
brahim  Eufeb.  Chronic.  Grsc.  pag.  123.  Att 
refte  ,  /  pollodore  f.i:t  Linus  frère  d'Orphée. 
ApoUod    lib.  1.  p.  «.  lib.  II.  p.   83. 

(14)  Ap  lion.  Argon,  lib.  I.  p.  î-  Diod. 
Sic.  lib    IV.  p.iCz. 

(15)  Schol.  ad  Apolton.  Argon,  p.  3.  Eu£ 
ta  h.  ad  Iliad    II.  v.    s^tf.  p.  js?- 

(i«j  Ci-deflbus  ,  §.  4.  not.  s  5-60. 

(  17  Comme  Suidas  avoit  ramaflë  ,  fans 
aucun  choix  ,  tout  ce  que  les  Anciens  avoient 
rappoicé  d'Orphée ,  il  ne  faut  point  «tiç  fut- 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VII.  411 

Verra,  d'ailleurs,  tout- à -l'heure,  que  d'autres  Hiftoriens  font  cet  Eu- 
molpus  ou  Mufée  fon  fils ,  Contemporains  d'Hercule. 

Pour  revenir  à  Orphée  ,  on  peut  dire  qu'il  étoit  fils  d'CEagre  ,  Thrace 
(18),  &  de  la  Mufe  Calliope  ,  c'eft-à-dire  ,  que  la  tradition  avoit 
bien  confervé  le  nom  de  fon  père ,  mais  non  pas  celui  de  fa  mère.  Tou- 
tes les  fois  que  les  Anciens  ne  connoiffoient  pas  le  père  ou  la  mère 
des  grands  hommes  dont  ils  faifoient  l'éloge ,  ils  ne  manquoient  jamais  d'y 
fubflituer  un  Dieu  ,  un  Génie,  un  Héros,  une  Déeffe  ,  une  Nymphe  , 
ime  Mufe.  Les  exemples  s'en  préfentent  en  foule  dans  l'hiftoire  Grecque. 

On  n'oferoit  affurer  que  le  nom  d'Orphée  fût  le  nom  propre  de  nor 
tre  Philofophe.  Comme  les  Grecs  donnèrent  le  nom  d'£w/72o//«i  (19)  , 
c'efl:-à-dire  ,  de  bon  Muficien  ,  à  divers  Philofophes  Thraces  qui 
avoient  paffé  dans  leur  Pays ,  parce  qu'ils  étoient  charmés  de  la  mélodie 
des  cantiques  dans  lefquels  ces  Philofophes  propofoient  leur  doctrine, 
il  ne  feroit  pas  impofîible  que  les  Thraces  euffent  donné  de  même  à 
Orphée ,  un  nom  pris  de  l'inftrument  dont  il  accompagnoit  fes  hymnes  , 
&  qu'ils  appelloient  ,  en  leur  langue  (20)  ,  Harf  ou  Horffi  Cette  éty- 
mologie  paroît ,  au  moins ,  plus  naturelle  que  celle  de  Voffius ,  qui 
dérive  le  nom  d'Orphée  (  21  )  du  mot  Phénicien  ou  Arabe  Ariphy  qui 
Signifie  un  Sçavant. 

On  prétend  que  le  defir  d'étendre  fes  lumières ,  infpira  à  Orphée  le 
deffein  de  voir  les  Pays  Etrangers,  &  qu'ils  paffa,  non  -  feulement  en 
Grèce  ,  mais  auffi  en  Egypte  (zz)  ,  où  toutes  les  fciences  étoient  culti- 


pt'S  que  ce  qu'il  dit  de  ce  Philofophe  ,  ne 
foit  qu'un  cahos  &  un  tiflTu  de  contradiilions. 
On  en  rapportera  quelques-unes  qui  font  frjp- 
pantes.  Orphée  étoiî  Difciple  de  Linus  ,  &  vi- 
voit  onze  générations  avant  le  fiége  de  Troye. 
Pour  lever  la  difficulté  ,  on  fait  vivre  Orphée 
neuf  à  onze  générations  :  d'où  il  réfulteroit 
qu'Orphée  alloit  à  l'Ecole  de  Linus  âgé  de 
2IS  a  275  ans.  D'un  autre  côté,  Orphée  eft 
antérieur  à  la  prife  de  Troye  ;  mais  il  n'a 
précédé  que  de  deux  générations  le  Focte  Ho- 
mère ,  qui  étoit  du  nombre  des  Grecs  Ioniens 
établis  en  Afie ,  oii  ils  ne  paflercnt  que  l'an 
de  la  r.  J.  3<7i,  t'eft-à-dire  i  +  i  ans  aprîs  la 
prife  de  Troye  Enfin  la  mort  de  Codrus,  dcr- 
«iet  Roi  des  Athéniens  ,  eft  poftérieurede  plus 
i'un  Ctclc  à  la  prife  de  T/oyc  ,  &  Offbée  ïIt 


voit  fous  les  Juges  des  Juifs  après  l'abolition 
du  Royaume  des  Athéniens. 

fis)  Apollon.  Argon,  lib.  I.  p.  }.  D'autres 
difenr  ,  cependant,  qu'il  croit  fils  de  la  Mufe 
Polymnia.  Vojti.  ci-d.  not.  1 5. 

(19;  Ci-d.  §.  4.  not.  s  s-  &  fuiv. 

(  20  )  L'i»fttament  fur  lequel  les  Bardes 
l'ouoient  leurs  airs,  étoit  une  haipç.  Fortunat. 
lib.  vit.  Carm.  8.  Voyci.  auffi  le  Clo(r-.ire  de 
Duchefne  au  mot  Harpt,  Les  Germains  l'appel- 
loient  Harf.  Le  Bas-Breton  dit  Harp.  Les  Thra- 
ces difoicnt  Hirf,  de  la  même  manière  qu'ils 
prononçoient  Tn>(eB,  au  lieu  deTi'^c»,  Xr»W  /- 
ni  au  lieu  de  Tre>^matitur, 

{it]  De  Foetis  cap,  xiii.  $.  3. 

(ti)  Diod.  Sic.  I.  p.  4+.  60.  IV,  iSti 

Fff» 


i 


'411  HISTOIRE    DES    CELTES, 

vées  de  fon  tems.  En  cela ,  il  s'écarta  de  la  coutume  des  Philofophrt 

Celtes ,  qui  ne  fortoient  point  de  leur  Pays ,  &  qui  déteftoient  toutes 

idées   étrangères  en  matière  de  Religion ,  aufli  bien  qu'en  matière  de 

Philofophie. 

II  paroît  donc  affez  difficile  de  nier  ce  que  l'on  dit  des  voyages 
d'Orphée  ,  d'autant  plus  qu'on  remarque  dans  fa  doârine  ,  diffé- 
rentes fuperftitions  qui  font  manifeftement  Egyptiennes.  Mais ,  comme 
les  Egyptiens  avoient  des  établiffemens  dans  le  Royaume  de  Colchos  , 
oîi  les  Argonautes  abordèrent ,  &  que  les  vaiffeaux  Egyptiens  paffoient 
&  repaffoient  fouvent  fur  les  côtes  du  Pays  où  ce  Philofophe  enfeignoit , 
ne  peut-il  pas  avoir  connu  la  Religion  de  ce  Peuple ,  fans  être  obligé  de 
fortir  de  fa  patrie,  ou,  au  moins,  fans  s'éloigner  du  Pont  -  Euxin  ?  On 
ne  voit  pas  trop  fur  quel  fondement ,  les  Grecs  ont  fait  entreprendre  à 
^notre  Philofophe  un  long  voyage ,  contre  l'ufage  de  fon  Pays. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  Orphée  étant  de  retour  dans  fa  patrie  ,  s'érigea  en 
Dofteur  de  fa  Nation  ,  &  fiit  en  même-temps  ,  Philofophe  ,  Poète , 
Muficien,  Prêtre  (  23  ),  Devin  &  Magicien.  Les  Druides  réuniffoient, 
effeftivement ,  dans  leur  perfonne ,  toutes  ces  différentes  qualités  ;  ainfi 
rien  n'empêche  qu'on  ne  les  accorde  toutes  à  Orphée.  Sa  manière 
d'enfeigner  reffembloit  affez  à  celle  des  Philofophes  Celtes.  Il  donnoit 
fes  leçons  à  fes  Compatriotes  (  14  )  fur  de  hautes  montagnes  &  dans  des 
forêts  oîi  les  anciens  habitans  de  la  Thrace  &  de  toute  l'Europe  avoient 
coutume  d'établir  leurs  fanftuaires.  D'ailleurs ,  il  propofoit  fa  doârine 
dans  des  vers  qu'il  chantoit  à  fes  Auditeurs,  &  qu'il  accompagnoit  de  fa 
harpe  (15) ,  félon  l'ufage  de  ce  tems-là.  C'eil:  l'origine  de  l'hyperbole  ou 
de  la  fable  qu'on  a  débitée  à  fon  fujet.  Il  fe  faifoit ,  dit-on  (16) ,  écouter  & 
fuivre ,  non-feulement  par  les  bêtes  féroces  ,  mais  encore  par  les  arbres 
&  par  les  pierres. 
otphêe  n'»      Orphée  n'a  rien  écrit.  -L'art  de  donner  de  la  confiffance  aux  penfées, 

lien  écrit  ,       ,      .  .  ,  .  .    ,        _, 

pui^uc  les     etoit  entièrement  mconnu  de  Ion  tems  ,  foit  parmi  les  Thraces ,  foit 

tokn"point  daus  toute  l'Europe.  Il  ne  faut  pas  en  conclure ,  comme  le  faifoit  An- 
connu»  de — ^— _____^^^_^______^_^^^____________„ 

fou  tems.  ^^jj  jjjijj  jç   facrifice  que   les  Argonautes  :  t.    30.  Servius  ad  h,  1.  pag.  31.  Pompon.  Mel« 

offrirent  i  Rhe'a  ,  Orphée  eft  repréfenté  comme  1  ILb,  II.  cap.  1.  p.  42. 


le    facrificateur  qui    prefidoit  à  la   folcmnite'.   j        (15)  C'eft  ponr  cela  qu'on  lui  attribuoit  l'in- 
ApoUon.  Argon.  I.  p.  118.  Il  eft  appelle  dans  |  yention  de  !a  guittare.  Plin.  VII.  s  t. 


Tirgile  Pritrt  Thrtue.  iEneid.  lib.  VI.  v.  «45 • 
(14)  Solin.  cap.  i  $ .  p.  1 1  s.  Virgil.  Eslog.  YI. 


(zs)  Maxim.  Tyr.  Diff.  XXI.  p.  »ji.  HorM^ 
e«im.  lib.  I,  Od.  1 2, 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VII.  41Î 

•Irotion  (17),  cité  parElien,  qu'Orphée  n'étoit  pas  Philofophe  ;  mais  il 
en  réfulte  ,  au  moins ,  que  les  différens  ouvrages  qui  couroient  autre- 
fois fous  fon  nom ,  étoient  tous  fuppofés.  Le  refpeft  que  les  Grecs  con- 
fervèrent  pendant  plufieurs  fiécles  ,  pour  la  mémoire  de  ce  grand  hom- 
me ,  &  l'avidité  avec  laquelle  ils  recevoient  tout  ce  qu'on  leur  don- 
noit  comme  une  dotlrine  d'Orphée,  porta  un  grand  nombre  de  Philofo- 
phes  &  de  Poètes ,  qui  vouloient  prévenir  le  Public  en  faveur  de  leurs 
opinions,  &  donner  cours  à  leur»  ouvrages,  à  les  publier  fous  le  nom 
d'Orphée.  De  ce  nombre  furent  Onomacritus  Athénien,  Ion  le  Tra- 
gique, Théognete  le  Theflalien  ,  Cercorps  le  Pythagorien,  Timocles 
de  Syracufe ,  Pergine  de  Milet  &  plufieurs  autres  dont  on  peut  voir  les 
noms  dans  Suidas  (28). 

Tout  ce  qui  nous  refte  de  ces  pièces  fuppofées ,  fous  le  nom  d'Or- 
phée, font  les  Argonautiques  (19) ,  quelques  Hymnes  &  un  Traité  de  la 
vertu  de  certaines  pierres  précieufes.  On  peut  y  ajouter  encore  les 
fragmens  des  prétendues  Hymnes  d'Orphée  ,  que  l'on  trouve  par-ci 
par-là  dans  les  Anciens,  &  qui  ont  été  recueillis,  avec  beaucoup  de 
foin  ,  par  Henry  Etienne  (30).  Ces  morceaux  font  plus  que  fuffifans 
pour  prouver  qu'on  n'a  aucun  fujet  de  regretter  les  Livres  d'où  on  les 
avoit  tirés. 

Quand  tous  ces  ouvrages  exifteroient  aujourd'hui  ,  il  ne  feudroit 
pas  y  chercher  la  dodrine  d'Orphée.  Les  Auteurs  qui  s'étoient  cachés  fous 
fon  nom ,  y  expofoient  leurs  propres  fentimens ,  &  non  pas  ceux  de 
notre  Philofophe.  On  y  trouvoit  les  dogmes  de  Pythagore ,  les  principes 
des  Stoïciens  &  même  ceux  des  Juifs  Sc  des  Chrétiens  (31),  parce 
que ,  dans  tous  ces  différens  Partis ,  on  avoit  travaillé  fous  le  nom  d'Or- 
phée. Auffi  les  hymnes  qu'on  lui  attribuoit,  contenoient-ils,  à  peu-près, 
toute  la  Mythologie  des  Grecs,  de  forte  que  Diogene  Laërce,  fuppofant 
qu'ils  étoient  effectivement  de  lui ,  avoit  raifon  d'en  conclure  (3 1)  «  qu« 
»  cet  homme  ne  méritoit  pas  d'être  mis  au  rang  des  Philofophes  ,  parce 
«qu'il  avoit  attribué  aux  Dieux  les  foibleffes  &C  les  vices  de  l'homme.  » 


(i7)  S.\\3M.  Vir.  Hift.  lib.  tiii.  c»p.  «. 

(2»)  Suidas  in  Orpheo.  Veyet.  c\-d.  not.  I J. 

(19)  On  j'eft  fetT  de  l'Edition  d'Efchcn- 
ttach.  Orfhei  ArgoniHiic» ,  Hymni ,  &  de  Ufiiili.ii, 
iurtnit  Anir.  Chrift,  Efthinitchie,  TriJ'Slt  Ȉ  Rhc- 
fium  iStf, 


()o)  Poe  lis  Philofophica,  veUaltemreliquiac 
Poëfis  Empcaoclis,  P.itmenidis,  Xenoptianis  , 
Cleantis,  T  monis,  Epichaiini  j  adjun^a  fant 
Orphci  Carmina.  is7i- 

(■j-)  Suidas  in  Otpheo. 

(1 1)  Diog.  Laeit.  Procm.  g,  u 


414  HISTOIRE    DES    CELTES; 

Le  feul  moyen  d'entrevoir  les  véritables  fentimens  d'Orphée ,  c'eft 
donc  de  confulter  l'ancienne  tradition ,  &  de  découvrir ,  s'il  eft  pof- 
fible ,  quels  étoient  les  dogmes  &  les  cultes  qui  avoient  paffé  de  Thraee 
en  Grèce ,  fous  le  nom  de  Doclrine  d'Orphée.  Voyons  donc  fi ,  en  fui- 
vant  cette  voie  ,  on  ne  pourroit  pas  dire  quelque  chofe ,  fmon  de  cer- 
tain ,  au  moins  de  très-probable  des  opinions  de  notre  Philofophe. 
Q"'''j  "°"  §•  IlL  Paufanias  ,  après  avoir  rejette  les  fables  que  l'on  débitoit  fur 
a'oi(iiéc!  Il  le  fuiet  d'Orphée,  ajoute  (t,x)  «qu'il  eftime  que  cet  homme  avoit  fur- 

ivoit  cnf.ig.  ',  ,    ',  ,      ,       ^     ^^^        ^  ,        r.     ••  ■   .,  •  '     'J' 

né  icsMyiiè  wpafie  par  la  bonté  de  fes  vers,  tous  les  Poètes  qui  1  avoient  précède  , 
chus  °  qit  »  &  qu'il  s'étoit  acquis  une  grande  autorité  pour  avoir  inventé ,  comme 
rKtct'rf'u.'r  »ori  le  croyoit  ,  les  Myftères  divins  ,  les  moyens  d'expier  les  crimes, 
«u"ic^routes  **  ^^  guérir  les  maladies  &  d'appaifer  les  Dieux.»  Mais  ,  pour  parler  plus 
choies.  exaâement ,  Paufanias  auroit  dû  dire ,  non  pas  qu'Orphée  inventa  les 
Myftères  divins ,  mais  qu'il  communiqua  aux  Grecs  les  Myftères  des 
Thraee''. 

En  effet,  les  Grecs  &  les  Thraces  n'avoient  pas  vécu  jufqu'alors  fans 
Religion  ;  mais  notre  Philofophe  &  fes  Difciples  portèrent  en  Grèce  la 
doârine  &  les  cérémonies  de  leur  Nation ,  &  ces  Myftères  furent  re-- 
çus  favorablement  par  les  Grecs  ,  parce  qu'on  leur  attribuoit  une  vertu 
toute  extraordinaire.  Le  grand  nombre  des  perfonnes  qui  s'y  faifoient 
initier,  fut  caufe  que  les  Grecs  s'accoutumèrent  infenfiblement  à  dé- 
signer le  fervice  des  Dieux  ,  &  fur-tout  les  dévotions  outrées  qui  dégé- 
néroient  en  fuperftitions ,  fous  le  nom  de  èfstn-xivnvj  (34)  comme  qui  dirolt 
imiter  les  Thraces. 

Il  eft  certain  que  les  Grecs  donnoient  le  nom  des  Myftères  à  des  cé- 
rémonies fecrettes  qui  avoient  pour  but  de  rappeller  à  ceux  qui  y  partici- 
poient ,  certaines  vérités  dont  on  ne  donnoit  une  parfaite  connoiflance 
qu'aux  initiés.  Les  Myftères  dont  il  s'agit  ici ,  font  ceux  de  Bacchus  , 
qu'Orphée  avoit  apportés  en  Grèce,  &  qu'il  avoit  célébrés,  pour  la  pre- 
mière fois ,  fur  une  montagne  de  la  Béotie  (35).  De-là  vient  qu'on  les 
appelloit  indifféremment  les  Myftères  de  Bacchus  (36)  ,  ou  d'Orphée. 
On  a  vu  dans  le  Chapitre  précédent  (3  7),  que  le  Bacchus  des  Thraces 


(îl)  Paufan.  Boet.  XXX.  p.  7«8, 
(54)  rlutarcli.  Alex.  Totn,  I.  p.  «5s.  Suida» 
T*M.  II.  p.  zoj. 
Çîj;  ?^ft»nt.  Divin.  Inftif.  ÎJb.  I.  cap,  «2. 


p.  m.  89. 

(jâ^  F«y«z,lesnotes  3  3.  !4.45. 

(37)  Ci-defTus,  Liv.  III.  ch.  i  5.  $.  i.  1.  î-  & 
çh-  6.  §.  6.  S.  Veyn  aufll ,  outic  les  pieuycs  cir 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VII.  415 

&  des  Phrygiens  étoit  le  Dieu  Suprême ,  le  Créateur  du  monde  &  de 
l'homme  ,  que  ces  Peuples  appelloient  Tis  ,  Cotis  ,  Atis  &  Saiailus, 
C'eft  le  culte  de  ce  Dieu  que  l'on  recommandoit  aux  initiés  dans  les 
Myftères  dont  il  eft  queftion ,  &  non  pas  celui  du  fils  de  Jupiter  &  de  Se- 
melé.  Orphée  (38)  afïuroit  que  celui-ci  avoit  été  déchiré  par  les 
Géants.  Cette  conjcfture  peut  acquérir  quelque  certitude  ,  fi  l'on  confi- 
dère  que  les  Myftères  de  Bacchus ,  dont  on  rapportoit  l'inftitution  à 
Orphée,  avoient  pour  but,  autant  qu'il  eft  poflîble  d'en  juger,  de  rap- 
peller  aux  initiés  l'idée  d'un  Dieu ,  Créateur  de  toutes  chofes. 

Outre  que  les  Hiftoriens  &C  les  Poètes  s'accordent  à  repréfenter  Or-  orph'e  avok 
phée  comme  un  Philofophe  (39)  ,  qui  avoit  chanté  la  naiflance  de  l'U-  là  r?";t.oûdi» 
nivers,  &  qui  avoit  enfeigné  la  doctrine  de  la  création  (40)  ,  on  entre-  """'^•* 
voit  que  les  Myftères  mêmes  de  Bacchus  propoloient  ie  dogme  de  la 
création  fous  l'emblème  de  cet  œuf  célèbre  dont  les  Poètes  ont  tant  parlé, 
&  qui  contenoit  le   germe  de  toutes  chofes.  «L'œuf,   difoit  Pluiar- 
>»que  (41),  eft  confacré  aux  faintes  cérémonies  de  Bacchus,   comme 
»»  Uiie  repréfentation  de  l'Auteur  de  la  Nature  qui  produit  &  comprend 
«en  foi  toutes  chofes.»  Un  paffage  d'Athénagore  (41^  laifte  entrevoir  la 
même  chofe. 

Il  femble  que  l'on  peut  conclure  aflcz  naturellement,  que  les  Grecs 
appelloient  Myftères  d'Orphée ,  ou  de  Bacchus  la  fête  qui  portoit  en 
Thrace  le  nom  de  Cotyttia  (43),  de  Bindidia.  C'ctoit  une  folemnité 
dans  laquelle  on  célébroit  la  mémoire  du  mariage  de  Cotis  &  de  Biji' 
dis ,  qui  étoierrt  les  deux  principes  ,  à  l'unioîi  defquels  les  anciens  Habi- 
tans  de  l'Europe  rapportoient  l'origine  de  toutes  chofes.  Mais  il  faut 
avouer,  après  cela,  qu'il  s'étoit  mêlé  dans  les  Myftères  de  Bacchus,  tels 
qti'on  les  célébroit  en  Grèce  ,  des  idées  &  des  cérémonies  qui  ve- 
noient  manifeftement  d'Egypte.  On  y  enfeignoit,  que  de  l'œuf  dont  on 

\iu  dans  ces  endroits,   Soerates  Hift.  Ecclcf.  I  ScaRg.  p.  34'  Laclant.  Div.  Inftit.  lib.  I.  cap.  ;. 


lib.  III.  cap.  z 3.  p.  23  I .  Se  Saun^aife  in  excrcit. 
f  lia  ad  Sol  n   p.  j'. 

|3t)  Servius  ad  Viigil.  Gcorjr.  lib.  I.  V.  167 


initio   JamUic  Vita  Pythagori  Sert.  i+S. 

{a    )  Plumch.  Symp.  lib.  II.  qusA.  3.  p.  4», 
de  l'Edition  d'Amyut. 


p.  77.  Ci  d.  Liv.  III.  ch.  1 5.  §.  1.2.  Vsyti.  aulfi  i       (42)  Athcnagor.  ap,  Henric.  Sttpli.  in  Carnt, 


le»  partage?  c  tes  par  Henri  Etienne  in  Carmini- 
I  Or^hn  psg.  g». 

^î9,  Ap  >Ilon.  Argon.  lib.  I.  v.  49<.  p.  50. 
(40)  Eufcb.  Ctiionic.  Grxc.  in  Thef.  Tenp. 


Orph.  p.  (7.  Voyti,  auflî  Oiodoïc  de  Sicile  lib.I, 

(43    Ci  dcffiis  ,  Liv.  III.  ch.  6.  $.  (.  net.  j^, 
$.  1 1.  not.  49.  50.  6c  cb.  15.$!. 


4i6  HISTOIRE    DES    CELTES; 

vient  de  parler,  étoit  fort!  même  (44)  le  Dieu  premier  né.  Ce  n'était  pas-là 
l'idée  des  Peuples  Scythes  §£  Celtes.  On  défendoit  aux  initiés  de  manger 
des  œufs  (45).  Quand  ils  mouroient,  il  fajloit  qu'on  les  enfevelît  (46)  dans 
de  la  toile  &C  non  dans  la  laine,  c'eftrà-dire,  qu'on  ne  vouloit  pas  que  ni 
leurs  habits ,  ni  leurs  alimens  fuffent  tirés  de  rien  de  tout  ce  qui  avoit  vie. 
Hérodote  remarque ,  avec  raifon ,  que  ces  fuperflitions  étoient  Egyptiennes 
(47);  elles  avoient  paffé  d'Egypte  en  Thrace  ,  &  de-là  en  Grèce,  foit 
quelles  y  euffent  été  portées  par  Orphée  lui-même ,  foit  qu'elles  y  euffent 
pénétré  par  le  moyen  de  quelqu'un  des  Difciples  de  ce  Philofophe. 
Orphée» en-  §.  IV.  On  ne  peut  pas  douter  qu'Orphée  n'enfeignât  auffi  le  dogme 
iWiortaUié  de  l'immortalité  de  Tame.  La  fable  de  fa  defcente  aux  enfers  le  fuppofe  né- 
^^ '■""«•  eeflairement.  Il  fe  pourroit  même  que  ce  Philofophe  eût  ufé  dans  cette 
©ccafion  ,  de  l'artifice  qu'on  attribuoit  à  Zamolxis  (48) ,  c'eft-à-dire  , 
qu'après  s'être  fouftrait  pendant  quelque  tems  au  commerce  des  vi- 
▼ans ,  il  eût  enfuite  publié  qu'il  étoit  defcendu  aux  enfers ,  pour  en  rame- 
ner fa  femme  ;  que  le  defpote  du  féjour  ténébreux  ]a  lui  avoit  efFefti- 
vement  accordée ,  &c  que  s'il  l'avoit  perdue  une  féconde  fois ,  c'étoit 
uniquement  parce  qu'un  manque  de  foi  lui  avoit  fait  vipler  la  condition 
qui  lui  avoit  été  impofée  ,  la  défenfe  de  regarder  en  arrière  jufques 
à  ce  qu'il  fîit  de  retour  dans  fa  maifon  (  49  ), 

Servius  eft  d'un  avis  différent.  Il  repréfente  Orphée  comme  un  fanatique 
qui ,  ayant  entrepris  de  tirer  fa  femme  de  l'enfer  par  des  enchantemens 
(50),  échoua  dans  fon  entreprife,  Mais  il  feroit  difficile  de  compren- 
dre que  ce  Philofophe  eût  pu  acquérir  une  û  grande  réputation ,  tant 
parmi  les  Thraces ,  que  parmi  les  Grecs,  &  perfuader  aux  uns  &  aux 
autres  qu'il  y  avoit  une  autre  vie  après  celle-ci,  fi ,  après  avoir  tenté 
d'évoquer  l'ame  d'un  mort ,  il  s'étoit  vu  réduit  à  convenir  lui  même  ,  ou 
que  fon  art.  étoit  infuffifant ,  ou  qu'il  n'avoit  pas  réuffi  dans  fon 
entreprife.  Il  étoit  affurément  trop  habile  pour  faire  une  femblable  faute. 
Outre  ce  que  la  fable  publioit  de  la  defcente  d'Orphée  aux  enfer?  ,  il 


(44)  Ci-ë.  npt.  41. 

(45]  Flutarch.  Sympof.  lit).  II.  Quxft.  3- 

(4«)  Hctodot.  II.  »i.  Jamblich.  Vil.  Pythag. 
Seft.  X49   p.  126. 

(47)  Viiyei.  la  note  préce'dente.  Eufebe  dit 
auJTî  qu'Orphee  communiqua  aux  Grecs  les 
^jril^ic;  dç$  Sgjrptiens.  £ufet)<  frspaiat.  £v, 


lib.  I.  cap.  «.  p.  17.  it.  Les  Egyptiens  foute- 
naientla  mêmechofe.  Diod.Sk.Iib.  I.  p.  13. 14. 

(48)  Htiodot.  IV.  »S.   ci-dcflbus,   $.1». 
mat.  1  i  3 . 

(49)  ApoUodsT.  lib.  I.  p.  &. 

({p}  tMtiusad  Mnsid.  YX.  v.  1 1;.  p.  411. 


LIVRE    IV.    C  HAP  I  T;RE    VIL  ^i^ 

y  a  une  autre  preuve  qui  établit  d'une  manière,  claire  &  précife  ^ 
que  le  dogme  d'une  autre  vie  étoit  un  des  points  efîentiels  de  fa  doc-» 
trine.  Les  célèbres  Myftères  d'Eleufis  avoient  été  apportés  à  Athènes 
par  un  Difciple  d'Orphée  (51),  nommé  Eumolpus  (52)  ,  &le  but  de  ces 
Myi'tcres  étoit  d'inculquer  aux  initiés  le  dogme  des  peines  &  des  réeom-» 
penfes  d'une  autre  rvie..  Ifocrate  l'affure  foraieilement.  .<«  Ceux  ,  dit-fl," 
»  qui  participent  (5  3)  â  ces  Myfleres  ',  fojit-nemplis  des  plus  douces  efpé-' 
«rances ,  tant  pour  la  mort ,  que  pourtoute l'éternité.» 

Il  efl  vrai  que  quelques  Auteurs  prétendent  qu'Eumolpus  étoit  plus 
ancien  qu'Orphée  de  près  de  deux  cens  ans.  Le  {i)remier  vivoit ,  felori 
ces  Auteurs,  (54),  du  tems  d'Erechtée-,  fixiémé  Roi 'd'Athènes ,  aU  lieii 
que  le  fécond  étoit  contemporain  de -Ttiéfée  ,'qUf'fUt  le'dixiétnè  Roi 


4e  la  même  V-jUen 


I4i|)ix«â  U 


h   «iîi  ,noîp,,iilij: 


..  Mais  c^tte  "difficulté  né  doit  point  arrêter.  Ôutrë^iVorT  rier  trouvé 
qu'obfcurité  &c  confiiilon  dans  1»  Chïonolôgie'GrecqUe,  par  rappôit 
à  tout  ce,  qiii  rçmonte  au-delà  ichifiéga  de  Troyé ,  <>U  feulement  au* 
4ielà  des  Olynvpiades  ;  otrtre  que  l'on  peut  avoir  confondu,  plufieurs  "p,e?- 
foiinés  qui  ont  porté  le  nom  (  55  )  tl'|luniolpaiSi  un  Roi  de  Thraceavec 
lin.ï'hilofopbe  du  même  nom,  Euripide; fait  d'EiiinoIpus  (  56  )'iirrconJ' 
temporain  de  Théfée ,  d'où  il  réfulte  qu'il  a  pu  être  Difciple  d'Orphéci. 
Ce  fait  efl:  encore  confirmé  par  le  témoignage  d'Eufebe  &  de  SuidaS. 
Eufebe  dit  (57)  «qu'Orphée  eut  pour  Difciple  Muféç  f,  fils  aEur 
»molpus  ,  que  quelques-uns  difent  èttc  fils  d'Orphée  m^'  Suidas  dit 
(  58  )  «que  les  ^Eumolpides  ,  quiétôîent  une  fâmin.e  .d'Athènes  , 
»>  avoient  reçu  leur  nom  du  ï'hracé  Eumolpus,  ou,  feloa  d'autres-, -de 
*>  Mufée  ,  que  l'on  appelloit  Eumolpide  ,  parce  qu'il  étoit  fils  d'Eu- 
»  molpus.  »  Un  peu  plus  bas  il  rapporte  un  autre, fentia>ept  (jp) ,  fçlon 


r.ar.i  Lit.  i!.li.Vj>i.'i. 


.-.ti  ->r-'t.vH'l 


*  ■ 


M.  rj 


■S 


(5 1)  Voyn.  \e»  not&iff.  5'».«o. 

(jzj'PIutarch.  de  Exul.  Tom.  II.  (>ag  «07. 
Luciln.  Demonaft.  p.  ai.  Suida»  1»  Eumdfii!. 

(jl)  iracrac.  Panegyr,  p.  114.  Vcyet.  en  d'au- 
trcs  pieuves  dans  la  favante  Diflerration  Je 
Warburton  que  je  n'ai  vue  qu'après  avoir  A:rït 
ceci.  C'éft  la  cinquième  de  celles  que  M.  Sil- 
louectc  a  traduites  fous  ce  titre  :  Dijjirmioitsfrr 
tHnicn  ie  U  Rtli^ion/ie  U  Uorult  &  de  U  Poli.-i- 
< IM ,  tirées  d'un  0:tvr»^t  de  M.  WM^nrun,  A  'LOBr 

Tome  II, 


;-;D 


■  fy4yApMlo^Jot.'  nkhl.'t'h.  i'vf.  4.  Dïma. 
ratus  ap.  S;oba:um'Sefm.  i  J7.pag.  552-  îchol. 
Euripid.  id  r!iOeni(r. -v.  8  !9. 

(j  j)  Hcfychius  in  Eumolpid. 

($«)  ïutipid.  Phœniir  V.  85'».'*'  '^"'  ■•'■'f'*' 

(s?)  Eafeb.  Chion.  taTWf.ift^ni'f.  fc^lgelî 
pag.  34.  i2î'.     ■■•■■' 

(58)  Ci-d.  not.  5î- 

(js)  Suidas  in'Eumofpo. 

Ggg 


4tS.  HISTOIRE    D  E  S    C  E  L  T  E  s; 

^equçl  « Eiimolpus ,  Eleufinien,  ou  Athénien,  étoit  fils  du  Poète  Mu- 
»>jréç,'&,. comme  d'autres  le  difoient,  Difciple  d'Orphée.  » 
^  On  trouve  encore  dans  Diodore  de  Sicile  un  paffage  qui  revient  à  ce 
fujet..  Il  porte  (  6o  )  «  qu'Hercule  »  ayant  achevé  dix  de  fes  travaux  , 
wEuryilhée  lui  ordonna  de  defcendre  aux  Enfers  ,  &  d'en  tirer  le  chien 
»Cerb^rf.  Hercule,  après  avoir  reçu  cet  ordre,  paffa  à  Athènes,  6c 
fBjfit  yntier ,^vii;  My:ftères:d'Eleufis^  auxquels  Mufée  ,  fils  d'Orphée, 
préfidoit  alors,  parce  qu'il  jugea  que  cela  lui  feroit  utile  pour  exécuter 
>» Ton  entreprife.  »,Ce  Mufée  eu  l'Hiérophante  (6i)  des  Myftères  d'Eleufis. 
Ç'eft  à  lui  qu'étoit  adreffée  cette,  hymne  célèbre  lur  l'unité  de  Dieu  ,  qui 
çourpit  foivs  Iç  nom  d'Orphée ,  &  dont  Juftin  martyr,  &  Clément  d'A- 
lexandrie (62);  nous  ont  confervé  d'afiez  longs  fragmens. 

Si  Mufée  étoit  fils  d'Orphée ,  il  faudra  en  conclure  que  les  noms 
d'Orphée  &  d'Eumolpus  nie  défignent  qu'une  feule  &  même  per- 
fonne;  &  cette  conjecture  ne  paroîtra  peut-être  pasdeftltuée  de  vraifem-* 
blance ,  fi  l'on  veut  fe  fouvenir  j  d'un  côté  (  63  )  ,  que  les  Grecs  rapport 


rrrr 


"     '(fo^biod.  SicJib.  IV.  p.  i«i.  ^     /"  ."., 

OO'iSipH'cyitj  HeBriciStephSwi  Poëf.  Philofoph. 
'J.  T^^S.Qrphçi  Hymn.  edciite  Elchenbach.  p.  241. 
W  ar&urton  croit  que  cette  Hym   e  efl  celle  qu'on 
«bantoic  pendant   la    célébration   des  Myllères 
4'Eleu(js.  il  ^jiant  à  CHjmne^  i\t-i\  ^  fur  l'unité 
»  Ae  Dieu  y    (hantée  par    l* Hiérophante  qui  paroijjoit 
>y  fous  ta  figure  du  Créateur  ,  je  crois  la  trouver  dans 
■»«//<   d'Orphée  dont  Eufehe  é"  Clément  d' Alexan-^ 
ï)  drie  y    nous  ont  confervé   un    Fragment.    Elle  cpm- 
»>  mcnfoit  ainjï  :   Je   vais  de'clàrer  un  fecret  aux 
»  prophmes.    O   toi,    Mufée,    defcendu  de    la 
n  brillante  Se'lene,  fois  attentif  à  mes  accens  : 
»  je  t'annoncerai  des  vérités  importantes.    Ne 
•  fouffre  pas  que  des  préjugés  ,  ni  des  affeftio'ns 
»  antérieures  t'enlèvent  le  bonheui  que  tu  fou- 
it taitede  puifer  dans  laconnoilfancedcs  vérités 
»  myftérieufes.    Confidère   la   Nature   divine, 
»  contemple-la  fans  ceiTe,  régie   ton  efprit  & 
»  ton  cœur,  &   marchant  dans  une  voye  fûre, 

*  admire  le  Maître  unique  de  l'Univers,  Il  eft 
P  un  ,  il  exifte   par  lui  même  :  c'eft  î  lui  feul 

•  que  tous  les  êtres  doivent  leur  e.<iiftence;  il 
.»  opère  en  tout  &  partout;  invifible  aux  yeux 
9  des  mortels  ,  il  voit  lui  même  toutes  chofes. 
t>  PUJieurs  raifons  fortevi  à  croire  que  e'eft  là  l'Hym- 
m  ni  mtmt  f M  l'tn  thtmtit  dam  It  dtvttfpftntim  Ak 


iffecrei  des  grandi  myfttres  ;  car  l'on  affrffdduSehc* 
n  liajîe,  d'AriJîofliAne  qu'il  y  avait  des^Hymnes  au» 
»  lion  chantait  en.eejte  'occt^un.~'Ge^  fut  Qt^Hte'^ài 
n  apporta  d'Egypte  en  Thraee'i  ta  célébration  det-Myf» 
n  teres  ;  &  il  efl  certain  que  tes  différentes  Hymnes 
)i  dont  on  le  fait  jiuteitr  ,  font  plus  anciennes  ,  an 
,>  moins  ^  que  Platon  &  qu'Hérodote,' .  ..»  DiiTcr- 
tat.V.  p.  197.  i»8.  Cette  conjefture  de^arbur- 
to"  paroîr  fort  heureufe  ;  mais  il  s'égare ,  quand 
il  veut  prouver  enfuite  que  les  Hymnes  ,  attri- 
bués a  Orphée,  étoicnt  effeftivement  de  ce  Phi- 
lofophe.  On  les  attribuoit  à  Cercops  ,  ci.deffl 
$.  I.  aot.  4-  ou  à  Onoraacrite,  §•  z.  not.  3.31 
Brontinus  &  à  plufieurs  autres  ,  ci-deflus  §.  2, 
not.  1%.  On  ne  ptétend  ici  fe  prévaloir  de 
l'Hymne  dont  il  s'agit,  que  pour  montrer  que 
l'impofteur  qui  s'eft  caché  fous  le  nom  d'Or- 
phée ,  a  fuivi  dans  cette  Hymne  ,  l'ancienne 
tradition  qai  poitoit  que  les  Myflères  d'Éleufi» 
tvoient  été  inftitués  pat  Orphée,  &  par  Mufée 
fon  fils  &  fon  difciple. 

iti")  U Hiérophante  enfeignoit  les  chofes  fa» 
'  crées  &  les  myftères  à  ceux  qu'on  initioit  ,  Se 
I  c'eft  delà  qu'il  prenoit  fon  nom.  Pour  ccla.e«>; 
I  cote  on  le  nommoit  Prophète, 

1      (<3}Ci.d.  ^.  i.noc  31. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VU.  419 

îoient  à  Orphée  l'iriftitutlon  de  tous  leurs  Myftères  ;  de  l'autre  ,  que  le 
nom  d'Eumolpus  étoit,  félon  toutes  les  apparences,  un  nom  appellatif , 
^ue  les  Grecs  donnèrent  à  Orphée ,  &  à  plufieurs  de  fes  Difciples  * 
parce  qu'ils  avoient  excellé  dans  la  Poëfie  &  dans  la  Mufique.  Aulîi , 
dans  un  autre  endroit,  Diodore  de  Sicile  (64)  attribue-t-il  clairement 
à  Orphée  l'inftitution  des  Myftères ,  tant  de  Bacchus  que  de  Cérès ,  ajou- 
tant que  les  Prêtres  Egyptiens  foutenoient  que  les  premiers  étoient  une 
imitation  des  Myftères  d'Ofiris,  &  que  les  féconds  avoient  été  formés 
à  l'inftar  des  Myftères  d'Ifis. 

§.  V.  C'étoit  encore  une  tradition  reçue  en  Grèce ,  qu'Orphée  y  avoit 
apporté  la  doftrine  (65)  des  Génies,  le  dogme  (66^  de  la  conflagration  de 
l'Univers ,  avec  différentes  fortes  de  divinations  (67)  &  d'enchanremens 
(68).  Il  pouvoit  enfeigner  tout  cela  fans  s'écarter  des  opinions  reçues  au 
milieu  des  Peuples  Scythes  &  Celtes.  11  n'en  eft  pas  de  même  de  plufieurs 
autres  fuperftitions  dont  on  a  déjà  parlé.  Orphée  ne  jugeoit  pas  favo- 
rablement du  mariage ,  &  regardolt ,  au  moins ,  le  célibat  comme  un  état 
plus  convenable  à  un  homme  qui  faifoit  profeflion  de  philofophie  ôc 
de  piété.  Il  vouloit  que  fes  Difciples  s'abftinflent  des  chofes  animées ,  & 
il  pouflbit  le  fcrupule  (  69  )  fur  cet  article,  jufqu'à  leur  défendre  de  por- 
ter des  habits  de  laine ,  &  de  manger  des  œufs.  Il  faut  donc  en  revenir 
à  ce  qu'on  en  a  déjà  dit.  La  doârine  d'Orphée ,  qui  fit  tant  de  bruit  ea 
Grèce ,  étoit  un  mélange  d'idées  &C  de  fuperftitions  Thraces  &c  Egyp- 
tiennes. 

Au  refte,  les  fuperftitions  étrangères  qu'Orphée  avoit  introduites 
dans  fon  Pays ,  furent  également  funeftes  à  fa  perfonne  &  à  fa  réputation. 
Parce  qu'il  recommandoit  le  célibat,  &  qu'il  s'étoit  fait  une  loi  de  n'ad- 
mettre à  fes  inftruôions  que  des  hommes ,  interdifant  aux  femmes  jufqu'à 
rentrée  des  Sanûuaires ,  où  il  enfeignoit ,  on  Paccufa  d'avoir  appris  à 
fes  compatriotes  (70)  les  plus  abominables  proftitutions,  &  de  lev.r  en 
avoir  même  donné  l'exemple  (71).  Auflî  les  femmes  qui  l'accufoient 
de  débaucher  leurs  maris  (*)  jurèrent  de  le  perdre  ,  &  après  l'avoir  tenté 


(£4)  Diod.  Sic.  lib.  I  p.<o. 

(tf^s)  Plutaich.<lc  Oiac.  def.  Tout.  II.  p.4is. 

(6<)  Ibid. 

(«7)  Ci-d.  ch.  6.  §.  7.  not.  «|. 

(«1)  Ci-d.  Liv.  in.  ch.  17.  J.  7.110t.  20. 

[tf')  Ci-d.  J.  }.  not.  4*'  «hap.  VI.  J.  25.  »;, 


Plutarch.  ConTiv.  Sept.  Sapient. cap.  is.p.  5IJ, 
de  l'Edit.  d'Amjrot. 

(70)  Diog.  Laert.  Prooem.  p.  s. 

(7t)  Phanocles  Lesbius  ap.  Stob.  Serra.  It'i^ 
pag.  «u.  «14.  Oïid.  Meram.  lib.  X,  T.'l^,   -'   ' 

(*)  îaufan.  Boeot.  p.  76S.  •   -■'  ii:-^    ■  t 


410.  HISTOIRE    DES    CELTES, 

mutilçment  plusieurs  fois  ,  elles  y  réuflîrent  à  la  fin.  Un  jour  (71)  que 
beaucoup  de'Thraces  &  de  Macédoniens  s'étoient  raffemblc's  au  tour  de 
kii  pour  la  célébration  des  My.ftéres ,  ils  y  furent  fuivis  par  leurs  femmes  , 
qui ,  s'étant  faifîes  des  armes  que  les  maris  avoient  laifl'ces  à  la  porte  du 
Sanduaire  où  la  fête  fe  célébroit ,  y  entrèrent  tranfportées  de  fureur, 
tuèrent  tout  ce  qui  .leur  rcfiiloit,  &  affouvirent  leur  rage  fur  le  malheu- 
reux Orphée  ,  dont  le  corps  fut  coupé  par  morceaux  &  jette  dans  la  Mer, 
D'autres  difent,  cependant,  qu'il  fut  tué  par  la  foudre  (73  ),  &  fon 
épitaphe  le  portoit  ainfi. 

L'on  croit  devoii-  omettre  plufieurs  fables  que  les  Poètes  ont  dé- 
bitées (  74  )  fur  la  manière  dont  fa  mort  fut  vengée  ,  &  fon  innocence 
reconnue,  pour  ajouter  feulement  que  les  Thraces  enfevqlirent Orphée 
à  la  manière  du  Pays.  Dans  les  obféques  des  grands  Seigneurs  ,  ils 
avoient  coutume,  félon  Hérodote  (75),  d'expofer  le  corps  mort,  d'im- 
moler des  viftimes  de  toute  efpèce ,  ôc  de  célébrer  un  feftin  funéraire; 
pendant  trois  jours  entiers.  Enfuite  le  corps  étoit  brûlé  ou  enterré.  Dans 
l*un  &  dans  l'autre  de  ces  cas,OTi  élevoit  fur  le  cadavre ,  ou  fur  l'urnq 
dans  laquelle  les  cendres  étoient  renfermées,  une  mont-joye ,  au  tour 
de  laquelle  on  célébroit  toute  forte  de  combats,  &  principalement  des 
duels. 

i  Ces  honneurs  que  l'on  rendit  à  Orphée  ,  &  les  fêtes  (76)  que  l'oa 
célébroit  au  tour  de  fon  tombeau-,  ont  fait  juger  à  quelques  Anciens 
qu'il  avoit  été  mis  au  nombre  des  Dieux  (77).  C'eft  une  erreur  dont? 
on  a  indiqué  la  fource  (  78  ).  Hérodote  la  réfute  aufli  en  remarquant , 
dans  le  paffage  qui  vient  d'être  cité  ,  que  les  Thraces  rendoient  ces  hon- 
neurs funèbres  à  tous  leurs  grands  Seigneurs.  Au  refte ,  fi  les  Thrace* 


(7))  Conon  ap  FJiottum  lib.  45.  n.  i  i£, 
-'(73)  Diogen.  Laert.  Proorin.  pag.  s.Boeot. 

(74)  On  a  dit,  par  exemple,  que  fa  tête  ■& 
fa  lyre  ,  après  avoir  e'te'  jettées  dans  l'Ebre,  con- 
tinuèrent l'une  de  clianter  Se  l'autre  de  jouer, 
jufqu'à  ce  quVne  violente  pefte  obligea  les 
gens  du  Pays  de  chercher  4e  tous  côtes  les  Re- 
liques d'Orphe'e  ,  pour  les  porter  dans  le  tom- 
beau qu'on  lui  av.oif  prépare',  ci-defl".  not.  72. 
Lacian.  ie  Sait,  p.^14.  adv.  IndoAos.ji.  I6f. 
Tirgil.  Çeorg.  IV.  y.  455.  On  a.dit  encore  que 


lorr4|irf|tj|les  tuèrent  Orphe'e  ,  &  q«e  ,  depuis  ce 
téms-là  ,  il  fut  e'tabli  que  les  hommes  s'enyvre- 
:roient   avant  que   d'aller  à  la  bataille.  Faufan. 
,Bœoc.  pag.  768.  Enfin  on  a  dit  que  les  Thraceï 
punirent   leurs   femmes  en   les  ftigmatifant  de 
la  manière  rapportée ci-d.Liv.  II. cb.  7.  not   17. 
Plutatch.  de  Sera.  Num.  Vind.  Tom   II.  p.  557-- 
Phanodes   Lesbiu.s  ap.   Stobœum.'Sctm.   itj- 
pag.  634.  Ilefycbius  in  7tAj/r«'At/ic>9i. 
(75;  Herodot.  V.  8. 
(76)  Ci-d.  nof-  «s. 
(77;  Tertullianus  de  anima  cap.  I. 


les  femmes  des  Thiaçcs  ctoient  piifes  de  vin ,        ^7  *)  Ci-d,  JUv.  lil.  cjj,  14.  J.  i}, 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    VII.  411 

«e  mirent  pas  Orphée  au  nombre  des  Dieux,  les  fêtes  qu'ils  célébroient 
au  tour  de  fon  tombeau ,  étoient  au  moins  une  bonne  preuve  du  refpeû 
&  de  la  vénération  qu'ils  conferverent  pendant  long-tems  pour  la  mé- 
moire de  ce  grand  homme. 

§.  VI.  Anacharfis  eft  un  autre  Philofophe  Scythe  ,  dont  les  Grecs  ont    nidoire  Ju 
fait  un  très-grand  cas.  Ils  ont  porté  leur  admiration  jufqu'à  le  mettre  au  AnlchTàl 
nombre  de  leurs  Sages  (79)  ;  jufqu'à  le  propofér  comme  une  preuve  (b'o) 
que  la  fageffe  n'étoit  pas  inacceffible  aux  Peuples  mêmes  qui  paflbient 
pour  les  plus  ftupides  &  les  plus  barbares.  On  peut  en  dire  quelque  chofe 
de  plus  certain  que  d'Orphée  ,  parce  qu'il  vivoit  dans  un  tems  dont  il  nous 
refte  des  monumens.  Les  Scythes  dont  il  eft  iffu,  font  appelles  (81)  No- 
mades, parce  qu'ils  n'avoient  point  de  demeure  fixe,  &  Gaîadophages 
(81)  ,  parce  qu'ils  ne  fe  nourrifloient  guères  que  de  lait  &  de  fromage." 
C'étoit ,  pour  le  remarquer  en  paflant ,  les  Gétes  mêmes  (83  )  que 
Darius  ,  fils  d'Hyftafpe  ,  vint  attaquer  en  Europe  51^  ans  avant  J.  G. 
&  ils  étoient  alors  maîtres  de  tout  le  Pays  qui  s'étend  depuis  le  Danube 
jufqu'au  Borifthène  ,  ou  jufqu'au  Tanaïs. 

-'La  naiflance  d'Anachariis  étoit  des  plus  illuftres  ,  puifqu'il  étoit 
de  la  famille  Royale  des  Gétes,  puifque  fon  frère  Cadvida  (  84  )  ,  foh 
neveu  Saulius  ,  &  fon  petit-neveu  Indathyrfus  régnèrent  fucceffive- 
ment  fur  cette  Nation.  Le  dernier  de  ces  Princes  étoit  fur  le  trône  (85)  du 
tems  de  l'invafion  de  Darius ,  &  lui  réfifta  vigoureufement.  Le  père  de 
notre  Philofophe  s'appelloit  Gnurus  (86).  Il  avoit  eu  ce  fils  d'une  femme 
Crecque  qui  prit  un  grand  foin  de  fon  éducation.  Elle  n'oublia  pas  fur- 


(  7»  )  Strabo  VII.  301.  Herodot.  IV.  4«. 
'Biogcn.  Laert.  Vtomm.  pag.  9.  Cletn.  Alex. 
Stioiii.  lib.  I.  cap    ij.  p.  3  5  9. 

(ioJEpicbatmus  vcl  Menandeiap.  Stoboeum 
Sétm.  îi8.  p.  717. 

(«i)  Scymnus  Chius  p,  jy8.  flutarch.  Sept. 
Sapicnt.  Conviycap.  14. 

(>i)  Nicol.  Dama  c.  ap.  Stobocnra  Scim. 
3 S.  p.  IIS     8c  ari.  Valefium  p.  j  1 1. 

(»3)  Stcabo  VII.  305.  Jornand.  cap.  10. 
pag.  6i4 

(»+,  On  a  cru  devoir  ranger  de  cette  ma- 
nière la  généalogie  d' Anacharfis.  Diogrne 
laërce  dit  ci-deflbus  not.  86.  )  qu'Anicharfls 
^coit  £ls  de  Cnuius  $c  fuie  de  Calvida  S^o\ 


des  Scythes.  Hérodote  dit  (  ci-d.  §.  11.  not. 
161.  qu'AnacharHs  étoic  oncle  rurfat  ,  du 
Roi  Indathytfe  ,  &  que  Saulius ,  père  d'Inda- 
thyrfc  ,  étoit  neveu  ot/î^ç.ift'oi  du  Philofophe. 
Indathyife  etoit  donc  le  petit  -  neveu  d'Ana- 
charlls.  Lucien  dit  (  ci-delT.  not.  95.  )  qu'A- 
nachariis  étoit  fils  de  Daucetus.  Mais  Hérodote 
méiite  plus  de  foi  ,  parce  qu'il  rapporte  ce 
qu'il  avoit  oui  dire  à  Timnes  .tuteur  de  Spar- 
gapithes.  Roi  des  Scythes.  Ci-deflus  ,  §.  11. 
not.  i«i.  Je  crois  qu'il  faut  lire  dans  Hérodote 
:,Kti\!^Si,friitiT y  Voy. ci-d.not. i«3.  Nat.del'Ed. 

f 85)  Herodot.  IV.  t»i-li;. 

(8$]  Diogen.  Laëit.  S.  I02,  p.  I<4.  Ff^'i^ 
ci-dcilbus  ,  §■  II.  not.  i<i. 


>*«■ 


41Z  HISTOIRE    DES    celtes; 

tout  de  lui  apprendre  la  Langue  de  fon  Pays ,  de  forte  qu'il  parloit  (87) 
le  Scythe  &  le  Grec  avec  la  même  facilité. 

Ne  pourroit-on  pas  foupçonner ,  avec  quelque  fondement ,  que  le  nom 
d'Anacharfis  fut  un  fobriquet  que  les  Scythes  donnèrent  à  ce  Philofophe , 
parce  que  (88)  fa  mère  lui  faifoit  quelquefois  couper  les  cheveux  6c 
rafer  la  tête  à  la  manière  des  Grecs  ?  Cela  paroiffoit  abfolument  extraor- 
dinaire aux  Scythes  :  ils  regardoient  de  longs  cheveux  comme  une  mar- 
que de  Noblefle. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  Anacharfis  témoigna  dès  fa  plus  tendre  jeuneffe  , 
une  forte  ^nvie  de  voir  les  Pays  étrangers ,  &  fur-tout  la  Grèce.  Il  ne 
faut  pas  en  être  furpris.  Sa  mère  n'.avoit  pas  manqué ,  fans  doute ,  de  l'en- 
tretenir fouvent ,  foit  de  la  différence  qu'il  y  avoit  entre  les  vaftes  déferts 
de  la  Scythie  ,  &  les  campagnes  fertiles  de  la  Grèce ,  foit  de  l'avantage 
qu'on  trouvoit  à  vivre  au  milieu  d'une  Nation  policée,  qui  cultivoit 
avec  fuccès  les  Sciences  &  les  Arts,  plutôt  qu'avec  des  Barbares  qui , 
n'ayant  d'autre  métier  que  celui  des  armes ,  ne  s'occupoient ,  durant  la 
paix,  que  du  foin  de  leurs  troupeaux. 

Ce  qui  montre  l'habileté  d'Anacharfis  ,  c'eft  qu'il  fut  prévoir  & 
prévenir  ,  en  homme  d'efprit ,  les  obftacles  qui  auroient  pu  l'empê- 
cher de  fuivre  fon  inclination.  Les  Scythes  avoient  (  89  )  une  grande 
averfion  pour  les  coutumes  étrangères ,  &  ne  fouffroient  pas  que  les 
jeunes  gens  fortifient  de  leur  Patrie  pour  voir  des  Pays  d'où  ils  auroient 
pu  rapporter  du  penchant  pour  des  nouveautés  qui  paflbient  toujours 
.pour  dangereufes  par  cela  même  qu'elles  venoient  du  dehors.  Cepen- 
dant Anacharfi?  trouva  le  moyen  d'obtenir  l'agrément  du  Roi  pour 
fon  voyage,  ôç  de  fe  faire  donner  une  çfpèce  de  cornmiflîon  (90)  par 
laquelle  il  étoit  chargé  de  s'informer  de  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  re- 
marquable dans  les  différens  Pays  par  lefquels  il  pafleroit. 


(ij)  Suidas   Tofii.  I.  pag.  571.  &  in  2xv9ai 
fom.  III.  p.  339. 

"  (88;  On  conjeflure  e^n' An»charJ!s  fignifioit, 
fn  Scythe  ,  un  homme  qui  n'a  point  de  che- 
ycux  ,  comme  Langurus ,  nom  de  plufieurs  Prin- 
ces Thr^ces  &  Illyricns  ,  marque  celui  qui  porte 
|Je  longs  cheveux.  Il  eft  vrai  que  Plutarqiie 
irepre'fente  Anacharfis  avec  une  Ipngue  cheve. 
Jure,  Plufàrch.  Conviy.  Sept.  Sapient.  jom.  II. 
pag.  14».  Mais  Anacharfis  pouvoir  avoir  repris 
(es  cheveux.  D'ailleurs ,  il  n'eft  pas  impoffiblc 
•l^e  Pli^tarqup  ait  ctu  4evoii  4onnei  à  notre 


philofophe  un  otnemept  affefte'  aux  Princes 
Scythes  ,  fans  examiner  s'il  portoit  effeâive- 
menf  de  longs  cheveux.  Au  furplus ,  on  ne 
donne  cette  etymologie  que  comme  une  purç 
conjefture.  Voici  une  autre  c'tymologie  Qrcc- 
que  du  nom  d'Anacharfis.  'Avaxapooix  0'  2Kt/6«« 
»afa'_T)(if  av«  iif'ifaii,  xai  t»»  x^f"  ^  "/"«•'"" 
tb'v  ;/apay,  »  TiJ»  pi^afnr.  Etymol.  Magn.p.  loi, 

(851)  IJerodot.  IV.  76-80.  JElian.  Var.  Hift, 
T.  7. 

(90)  Heiodot.  IV.  77.  «i-deffsus  ,  J.  iij 
not.  167, 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VII.  4x3 

■  En  conféquence  de  cet  ordre,  Anacharfis  commença  fes  voyages^ 
non  pas  en  jeune  homme,  pour  voir  du  Pays  ,  mais  en  Philofophe,  dans 
la  feule  vue  de  connoître  les  Loix  (91),  &  la  manière  de  vivre  des  au- 
tres Peuples,  &  de  profiter  de  ces  connoiffances,  tant  pour  fe  conduire 
lui-même  à  un  plus  haut  degré  de  vertu  &  de  pcrfe£}ion  (92),  que 
pour  fe  mettre  en  état  de  fervir  plus  utilement  fa  Nation.  Ces  vues  étoient 
également  dignes ,  &  d'un  homme  de  grande  naiffance ,  &  d'un  Philo- 
fophe. On  voyage  toujours  avec  fuccès,  lorfqu'on  fe  conduit  d'après  de 
tels  principes. 

La  grande  réputation  que  Solon  s'étoit  acquife  parmi  les  Grecs ,  attira 
d'abord  Anacharfis  à  Athènes,  où  il  arriva  (93)  la  première  année  de  la 
XLVII=.  Olympiade ,  c'eft-à-dire ,  5  92  ans  avant  J.  C.  Auffi-tôt  qu'il  fut  en- 
tré dans  la  Ville ,  il  fe  fît  montrer  (94)  la  maifon  de  Solon  ,  &  chargea 
undomeflique  qu'il  trouva  à  la  porte,  de  dire  à  fon  Maître  qu'un  Etranger 
qui  étoit  venu  à  Athènes  ,  pour  être  reçu  au  nombre  de  fes  amis ,  &  ,  s'il 
€toit  pofTible  ,  pour  loger  chez  lui ,  demandoit  à  le  voir.  Solon  ,  furpris 
de  cette  ingénuité  d  un  inconnu,  lui  fît  répondre  qu'il  convenolt  mieux 
de  fe  faire  des  amis  dans  fa  Patrie.  Un  compliment  en  apparence  fi  défobli- 
geant,  ne  rebuta  point  Anacharfis.  Il  entra  hardiment  dans  l'appartement 
où  étoit  Solon  ,  &  lui  dit  en  Tabordant:  «Puifque  vous  êtes  dans  votre 
»  Patrie  ,  il  vous  convient  donc  de  vous  y  faire  des  amis ,  &  d'y  rece- 
♦»  voir  des  Etrangers.  »  Solon ,  charmé  d'une  repartie  iî  prompte  &  fi 
iufte,  fît  mille  carefTes  à  Anacharfis ,  le  reçut  dans  fa  maifon,  &  le  mit 
bientôt  au  nombre  de  fes  plus  intimes  amis. 

C'efl  ainfi  que  Plutarque  &c  Diogêne  Laërce  rapportent  ce  trait.  Lu- 
cien le  raconte  d'une  manière  un  peu  différente.  Il  prétend  qu'Ana- 
charfîs  (95)  ayant  débarqué  au  Port  de  Pirée,  rencontra  d'abord  un 
Scythe,  nommé  Toxaris,  qui  pratiquoit  la  Médecine  dans  cette  Ville, 
&  le  conjura  au  nom  de  leurs  Dieux  communs  de  le  recevoir  dans  fa  mai- 
fon ,  qu'enfuite  Toxaris  le  recommanda  comme  un  homme  de  naif- 
fance à  Solon  qui  en  prit  grand  foin. 

On  pourroit  peut-être  accorder  ces  Auteurs, 'en  fuppofant  que  Solon 


(91    Ci-deflus,  not.  ti.  ci-deflous  ,   $.    i.  j 

not.    13. 

(92)  Ci  dclTous,  §.  II.  not.  Ko. 
(»3)  Diogcn.  Lactt.  S.  102,  p.  fij, 


(04   Flataicb.  Solone  Tom.  I.  p.    80.  Diog. 
Laert.  S.  101     ai.  p.  65. 

^9  5j  Lucian.  Scyth.  p,  340-344, 


I 


414  HISTOIRE     DES    CELTES; 

ne  confentlt  à  recevoir  Anacharfis  dans  fa  maifon  &  à  fa  table,  qu'a- 
près que  Toxaris  l'eût  inftruit  de  la  naiflance  &  des  bonnes  qualités  de 
ce  jeune  homme.  Mais ,  au  refte  ,  il  faut  avouer  que  Lucien  lemble  n'a- 
voir cherché  ni  la  vérité,  ni  la  vraifemblance  dans  ce  qu'il  rapporte 
d'Anacharfis.  Il  dit ,  par  exemple  ,  qu'Anacharfis  ne  parloit  point  Grec 
lorfqu'il  arriva  à  Athènes,  &  cependant  il  le  fait  d'abord  entrer  en  con- 
verfation  avec  Solon.  Il  dit  encore  que  Splon  étoit  vieux  &  pauvre 
lorfque  Toxaris  lui  préfenta  le  Philofophe  Scythe.  Cependant  Solon 
n'avoit  pas  cinquante  ans  au  commencent  de  la  XLVII  Olympiade  , 
&  c'étoit  alors  le  tems  de  fa  plus  grande  profpérité. 

Quoi  qu'il  en  foit,  il  eft  conflant  qu'Anacharfis  obtint ,  ou  par  luit 
même  ,  ou  par  la  recommandation  d'un  ami  ,  tout  ce  qu'il  avoit  fou- 
haité..Il  entra  dans  la  maifon  de  Solon,  Se  fut  traité  non  pas  comme  un 
difciple ,  mais  comme  un  ami  &c  un  compagnon  d'étude.  Le  Maître  con- 
fultoit  quelquefois  l'Ecolier  ,  &  recevoit  fes  avis  jufques  dans  les  cljofes 
les  plus  importantes.  On  en  trouve  un  exemple  dans  ce  qui  eft  rapporté 
par  Plutarque.  «  Anacharfis ,  dit  cet  Auteur  (96)  ,  ayant  appris  de  Sor 
»lon  qu'il  s'occupoit  à  dreffer  un  coips  de  Loix  en  faveur  des  Athé- 
M  niens,  fe  mocqua  de  fon  entreprife,  Se  lui  dit  qu'il  s'abufoit  beaucoup, 
»  s'il  croyoit  pouvoir  remédier  aux  injuftices  Se  aux  cupidités  qui  en 
»font  la  caufe,  par  des  Loix  écrites.  Ce  font,  difoit-il ,  (ies  toiles  d'arai- 
»gnée.  Les  petites  mouches  y  font prifes  :  les  groffes  brifent  la  toile (^C/j^. 
»  Solon  lui  répondit:  Comme  les  hommes  qui  ont  fait  qtielqu' accord ,  nom 
»pas  coutume  de  s'en  écarter ,  lorfqu^ils  ont  tous  le  même  intérêt  à  en  remplir 
■M  fidèlement  les  conditions ,  f  aurai  foin  de  donner  à  mes  Concitoyens  des  Loix 
v>fi  fages  &  fi  utiles  qu^ ils  feront  obligés  de  convenir  quil  ef  de  leur  propre 
ii  intérêt  de  les  obferver.  Cependant  ,  dit  Plutarque  ,  l'événement  ré- 
»  pondit  beaucoiqj  plus  au  jugement  d'Anacharfis  qu'aux  efpérances  de 
»  Solon.  ». 

La  réflexion  d'Anacharfis  étoit  afllirément  très-jufte.  Les  meilleures 
JLoix  ne  remédient  point  à  la  corruption  du  cœur  humain ,  ni  aux  defirs 
déréglés  qui  font  la  fource  de  toutes  les  injuftices.  Les  peines  que  les  Loix 
décernent  contre  les  injuftes,  ne  frappent  guère  que  les  petits  &  les  pau» 

(96)  Plutâtch.  Solon.  Tom.  I.  p.  «i.  foy.i,  j  gène  Laerct  ,  lib  I.  feft.  5g.  p.  57,  8c  ï  Zt- 
(luffi  Valer.  Max.  lib.  VII.  cap.  2.  n.  14.  I  leucus,  Legifiateui'  des  lA)exitiis  ,  p»r  Stobe'e, 

(s7)Cen}ot  eft  «tmbuç  à  SoIp«  par  Dio-i  !  Sçrm.  if>.  f.>^5|. 


L  I  V  R  E     I V.    CHAPITRE    VII.  425 

vres.  Un  Philofophe  qui  rcndroit  les  hommes  fagcs,  juiles,  vertueux, 
acquerroit  certainement  plus  de  gloire ,  &c  rcndroit  au  genre-humaiia 
un  fervice  incomparablement  plus  grand  que  tous  ceux  des  Légifla- 
teurs.  Ceux-ci  ne  font  qu'oppofer  des  digues  &  des  barrières  aux  déré- 
glemens  du  cœur  &  à  l'emportement  des  paffions.  Mais  il  faut  avouer  , 
malgré  toutes  ces  réflexions,  que  l'idée  d'Anacharfis  n'étoit  dans  le  fonds 
qu'un  fanatifme  philofophique ,  à  peu-près  femblable  à  celui  que  l'on 
remarque  dans  la  République  de  Platon.  Comme  il  y  a  des  hommes  in- 
juftes  &  fcélérats,  que  ni  la  Philofophie ,  ni  la  Religion  ne  corrigeront 
)amai"s ,  il  eft  abfohimÇnt  néceffaire  qu'on  tâche  de  les  retenir  dans  le  de- 
voir, &  d'aflurer  les  biens  èc  le  repos  des  honnêtes  gens  par  de  bonnes 
Loix.  II  eft  vrai  que  les  richefles  &  la  puiflance  font  bien  fouvent  un  rem- 
part ,  à  l'abri  duquel  on  viole  impunément  les  Loix  les  plus  juftes  &  le» 
plus  févères.  C'eft  qu'il  y  a  des  inconvéniens  attachés  à  tous  les  éta- 
bliflemens  humains.  Mais  ,  comme  l'inconvénient  feroit  encore  plus 
grand,  û  l'on  vouloit  abolir  toutes  les  Loix,  il  faut  avouer  que  Solon 
avoit  raifon ,  &  le  Difciple  en  convint  lui-même  dans  la  fuite ,  puif- 
qu'à  l'imitation  de  fon  Maître,il  écrivoit  auffi  des  Loix  (98) ,  ou  au  moins, 
des  réflexions  (  99  )  fur  les  Loix  des  Scythes  &  des  Grecs  ,  &  fur  les 
moyens  de  les  faire  fervir  à  perfeftionner  la  conduite  de  l'homme. 

§.  VII.  Après  avoir  demeuré  quelque  tems  à  Athènes  (  100)  ,  Ana- 
charfis  alla  vifiter  les  principales^  Villes  de  la  Grèce.  On  a  des  preu- 
ves qu'il  fut  à  Corinthe  (  loi  ),  à  Lacédémone  (101)  ,  &  dans  quel- 
ques autres  endroits.  Il  n'eft  pas  fans  apparence  qu'il  ait  fait  la  plu- 
part de  fes  voyages  en  accompagnant  Solon  ,  qui ,  après  avoir  fait  rece- 
voir fes  Loix  aux  Athéniens  ,  en  obtint  la  permiffion  de  s'abfenter  de 
fa  patrie  pour  dix  ans.  Sous  prétexte  (103)  d'aller  nég'otier  dans  les  Pays 
étrangers ,  il  cherchoit  à  fe  délivrer  d'une  foule  d'importuns ,  qui  Ve- 
noient,  à  tout  moment,  lui  demander  l'explication  ou  la  réformation  de 
quelque  Loi.  Anacharfis  revint  enfuite  à  Athènes  ,  &  ,  foit  qu'il  fût 
arrivé  dans  fon  Pays  quelque  révolution  qui  l'empêchât  d'y  retour- 
ner ,  foit  qu'il  ne  put  fe  réfoudre  à  quitter  fon  Maître ,  foit  enfin  que 


fsS)  Ci-d.  not.   »8.  1  (toi)  Ci  -  deffbus  ,  not.  iio. 

(»9)  Ci  deflous  ,  §.  10.  Bot.  1  jj.  1 54,  •       I  (102)  Ci-deflbus  ,  §.  1 1.  not.   i«J. 

(loojCi.d.  $.  s.aot.si.  '  {jojj  fluurcii.  Soloiie,  cap.  lï. 

T"»//!*//,  Hhh 


4i6  HISTOIREDESCELTES, 

le  féjour  d'Athènes  lui  plût  ,  11  y  fixa  fa  demeure  &  n'en  fortit  (104) 
qu'après  la  mort  de  Solon  ,  que  l'on  place  à  la  féconde  année  de  la  55% 
Olympiade  (105).  Il  réfulte  de  là  qu'Anacharfis  ne  retourna  dans  fa 
patrie  (  106)  que  trente  &  quelques  années  après  en  être  forti. 

Pendant  le  féjour  que  notre  Philofophe  fit  à  Athènes.,  il  y  obtint 
(107)  les  droits  de  Citoyen,  &  fut  initié  aux  Myftères  d'Eleufis.  Il  ne 
faut  pas  douter  que  l'étroite  amitié  où  il  vécut  toujours  avec  Solon  , 
n'eût  contribué ,  autant  que  fon  propre  mérite ,  à  lui  procurer  ces  dif- 
tinâions  que  l'on  accordolt  rarement  dans  ce  tems  là  à  des  étran- 
gers ,  &  ,  fur-tout ,  à  des  barbares.  Ce  n'eft  pas  ,•  cependant  ,  que  l'on 
prétende  diminuer  par-là  les  belles  qualités  d'Anarchafis.  Il  eft  certaitt 
qu'elles  furent  reconnues  ,  non  -  feulement  à  Athènes  ,  mais  aufîi 
dans  toute  la  Grèce  ,  où  il  étoit  chéri,  &  généralement  eftimé.  Par-tout 
on  admiroit  fa  fagcfl'e  ,  fa  probité,  fa  modeftie,  &  fur-tout  la  brièveté, 
la  franchife  &  le  fens  exquis  (108)  de  fes  réponfes;  de  forte  qu'il  avoit 
paflé  en  proverbe,  c'ey?  une  Sentence  Scythique  ,  pour  dire  cejl  un  Dif' 
cours  franc  ,  précis  &  plein  de  fens  (109). 

On  racontoit,  par  exemple,  qu'étant  à  table  avec  Solon  &  plufieurs 
autres  Sages ,  chez  Périandcr ,  Tyran  de  la  ville  de  Corinthe ,  on  fit 
entrer  à  la  fin  du  repas  une  femme  pour  jouer  de  la  flatte.  Après  qu'elle 
fe  fut  retirée,  Ardalus  (110)  demanda  à  Anacharfis  ^  les  Scythes 
Avaient  de  ces  Mujiciennes.  Celui-ci  répondit  fans  héfiter, /7o«i  n  avons 
pas  feulement  des  vignes,  c'eft- à-dire,  qu'il  lui  paroiffoit  mal  féant  qu'on 
appellât  une  femme  pour  divertir  des  hommes  qui  étoient  à  table  ,  d'au- 
tant plus  que  le  divertiflement  même  qu'elle  leur  donna ,  convenoit  moins  , 
félon  lui  ,   à  des  fages  ,  qu'à   des  hommes  qui    avoient  bu.  Ardalus 


(1041  Cidcflus  ,  §.   6,    not.  sj. 

(10s  Solon  ctoit  né  dans  le  cours  de  la 
XXXVc.  Oliyinpiade  ,  &  ve'cut  »o  ans.  On  a 
donc  r  ifon  de  placer  fa  mort  â  1 1  LVe.  Olym- 
piade. Voyez,  l'iutarch.  Solon.  in  fine  Diogcn. 
Laert.  Solonc  in  fine.  Petav.  Rat.  Temp.  p.104. 

(io«)  Anacharfis  arriva  à  Athènes  la  pre- 
mière anne'e  de  la  XLVIIe.  Olympiade  ,  qui 
tombe  fut  rans»2  avant  J.  C.  Il  fortit  d'A- 
thènes après  la  mon  de  Solon .  arrivée  la  fé- 
conde année  de  la  LVe.  Olympiade  ,  qui 
eft  la  s  5 se.  avant  Jefiis-Chrift.  En  s'en  retour- 
nant dans  fa  Fatiie  ,  il  f  aOa  à  la  Co4U  <la  Koi 


Créfus  ,  qui  fut  vaincu  par  Cyrus  iJ  première 
année  de  la  LVille.  Olympiade.  On  ne  fauro  t 
donc  placer  plus  tard  le  ictour  d'Anachâifis  ca 
Scythie. 

(107)  Ci-deffus  ,  5.  «.not.  95- 

(108)  Diog.  Laert.  Sed.  loi.  p.  «5. 

(T09J  Suidas  donne  un  autre  fens  £c  une  autre 
origine  à  ce  proverbe,  Voj,  SuicJas  in  •voce  , 
i  oTo  2xu6mv  fitii ,  &  Ménage  ad  Diog.  Laert. 
Locum  fuprsl  citât. 

(iioirl  tarch.  Conv.  5ept.  Stpient  T  IL 
pag.  148.  Max.  Tyr.  Diff.  VII.  p.  90.  Diog. 
Lacit.  ia  AnachaïC  Seâ.  104.  p.  «. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VIL  427 

ayant  encore  demandé  à  notre  Philofophe  fi  les  Scythes  reconnoijfoient 
uni  Divinité,  celui-ci  lui  fit  la  réponfe  rapportée  dans  l'un  des  Cha- 
pitres précédens  (m).  »  Oui  ,  dit-il,  nous  reconnoiffons  des  Dieux, 
»  &  nous  croyons  même  qu'ils  entendent  le  lang?ge  de  l'homme.  Nos 
»  idées  font ,  à  cet  égard  ,  toutes  différentes  des  vôtres.  Vous  prétendez 
w  nous  furpaffer  du  côté  de  l'éloquence ,  &  ,  cependant  ,  vous  vous 
♦>  imaginez  que  les  Dieux  entendent  avec  moins  de  plaifir  la  voix  de 
«l'homme  que  le  fon  des  inftrumens  «. 

Pour  fentir  le  fel  de  ces  réponfes,  il  faut  remarquer  qu'elles  avoient 
pour  but  de  rabbatre  finement  la  vanité  d'Ardalus  qui,  étant  un  excel- 
lent (i  I  z)  joueur  de  flûte ,  &  cette  raifon  ayant  porté  les  habitans  de 
fon  Pays  à  l'établir  Prêtre  des  Mufes  Ardaj-nnes  ,  vouloit  favoir  s'il 
y  avoit  en  Scythie  des  gens  de  fa  profcflion  &  de  fon  mérite.  /^v££- 
vous  ,  dit-  il  ,  au  Scythe  ,  des  Mufcins  ?  »  Nous  nous  palVons  aifé-» 
«ment  ,  répondit  Anacharfis  ,  de  mufique,  de  vin,  &  de  beaucoup 
»  d'autres  chofes  inutiles  «.  ReconnoiJJe^  vous  ,  au  moins  ,  des  Dieux  , 
dit  encore  Ardalus  ?  »  Sans  doute  ,  répliqua  Anacharfis  ;  mais  nous 
«leur  offrons  d^s  prières,  &  non  pas  des  airs  de  Mifiruj«. 

§.  VIII.  Il  paroît  par  les  différens  apophtegmes  d'Anacharfis  ,  que  les 
Anciens  nous  ont  confervés  ,  qu'il  rcfléchifloit  mûrement  fur  tout  ce 
qu'il  voyoit  &  entendoit.  Quoi  qu'il  fût  prévenu  en  faveur  des  Grecs  , 
quoiqu'il  reconnût  qu'ils  a  voient  de  grands  avantages  fur  les  Peuples 
barbares  ,  il  ne  laiffoit  pas  de  déiaprouver  ouvertement  plufieurs  cho- 
fes dans  leurs  coutumes  &  dans  leur  manière  de  vivre. 

i*'.  Les  Ecoles  (>-uuva(r/a)  où  les  jeunes  gens,  &  même  les  hommes 
faits,  alloient  s'exercer  à  la  lutte,  à  la  courfe  ,  &  à  d'autres  jeux  ,  n'é- 
toient  pas  de  fon  goût,  parce  qu'il  s'y  pafloit  des  chofes  qui  lui  paroiP- 
foient  contraires  aux  loix  de  la  bienféance.  Il  s'exprimoit  là-deflus  d'une 
manière  fort  ingénieufe.  wlly  a,  difoit-il ,  (111)  dans  chaque  ville 
>»  de  la  Grèce  ,  un  lieu  marqué  où  les  Habitans  vont  faire  les  fous  en 
«plein  jour.  Arrivés  dans  cet  endroit  ,  ils  fe  dépouillent  tous  nuds, 
«  &  fe  font  frotter  d'un  onguent  qui  a  la  vertu  de  les  rendre  furieux, 
M  Auffitôt  qu'on  les  a  frottés  ,  les  uns  fe  mettent  à  courir  ,  les  au- 


(1  II)  Ci  delTus,  ch.  5.$    j.  nnt.  i  i.  |       (1  1 3)  Dio.  Chrvfoll.  Or.  3  1   p.   a74.Di«g> 

(iizj  riataicii.  Convir.  Sept,  SapUat.  sbi  1  LKif-  $cA>  i*i-  P-   ■^<>- 

Hhhi 


428  H  I  S  T  O  I  Pv  E    D  E  S    C  E  L  T  E  S, 

»  très  s'empoignent  &  fe  terraffent.  Vous  en  voyez  qui  allongent 
»  les  bras  ,  &  qui  frappent  l'air  :  d'autres  fe  meurtriffent  le  corps  à 
»  coups  de  gantelet.  Quand  ce  manège  a  duré  quelque  tems  ,  on  les 
»  frotte  de  nouveau  pour  leur  ôter  l'onguent  qu'ils  avoient  fur  le 
»  corps  ,  après  quoi  ils  reviennent  à  eux-mêmes  ,  &  s'en  retournent 
»  amicalement  les  uns  avec  les  autres ,  ayant  pourtant  les  yeux  baif- 
»  fës  contre  terre ,  parce  qu'ils  font  honteux  de  ce  qu'ils  viennent 
»  de  faire  (114)  «. 

A  la  réferve  du  gantelet ,  Anacharfis  ne  blclmoit  aucun  des  exerci- 
ces qui  étoient  en  ufage  parmi  les  Grecs.  Mais  il  ne  pouvoit  fouffrir 
qu'on  fe  dépouillât  tout  nud  pour  courir  Sc  pour  lutter ,  &  qu'on  af- 
feftât  de  le  faire  dans  une  place  publique  (115).  Par  la  même  raifon  , 
il  ne  jugeoit  pas  favorablement  des  Jeux  Olympiques  &  des  autres  fpec- 
tacles  de  cet  ordre  ,  que  l'on  célébroit  avec  beaucoup  d'appareil  en 
divers  endroits  de  la  Grèce.  Outre  que  la  plupart  des  conibattans  y  pa- 
roiffoient  nuds  ,  il  ne  pouvoit  d'ailleurs  comprendre  (116)  que  les 
Grecs  qui  condamnoient  les  injures  &  les  querelles  ,  allaffent  voir  des 
gens  qui  fe  battoient ,  &  qu'ils  eufTent  même  des  prix  pour  ceux  des 
Athlètes  qui  pourroient  frapper  &  blefTer  leurs  camarades.  Anacharfis 
avoit  en  vue  le  jeu  du  Gantelet,  oii  les  Jouteurs  étoient  fôuvent  eftro- 
piés  pour  toute  leur  vie ,  par  les  coups  qu'ils  fe  portoient  avec  des 
gands  de  plomb  ou  de  cuir  durci.  D'ailleurs  ,  il  trcaivoit  étrange  que 
les  Athlètes,  qui  difputoient  le  prix  de  la  courfe  ou  de  la  lutte ,  fufient 
des  gens  du  métier  (117),  &  que  les  Juges  (118)  qui  diftribuoient  le 
prix ,  n'en  fuffent  point. 


(114)  Cette  fortie  d'Anacharfis  elt  bien  fin- 
^uliere.  U  y  .ivoit  fans  doute  de  la  férocité  à 
bleircr  ou  même  tuer  fes  fcmblables  de  gaieté 
de  cœur  ;  mais  cette  manie  n'etoit  pns  eflen- 
tiellemcBt  inhérente  aux  exercices  de  la  lutte 
de  la  courte,  &c.  Ces  exercices,  réduits  à 
leurs  juftes  bornes ,  ne  pouvoient  qu'être  très- 

<  propres  a  rendre  les  hommes  agiles  &  vigou- 
leux  ,  à  leur  douncr  des  corps  capables  de  fup- 
potter  toutes  fortes  de  travaux.  Or  tout  ce  qui 

■  peut  contribuer  à  rendre  le  corps  flexible  , 
ne  fauroit  être  confidéré  comme  une  chofe 
pcrnicieufe.  Ncie  de  l'Editeur. 

(i  I  s)  Les  mœurs   étoient   donc   déjà  bien 
coirompues  :  car ,  quelles  imprefiîons  peut  fair^ 

U  nudité  fur  d;$  boouucs  bieç  le^k'j  ^  fuj  4«| 


hommes  en  qui  une  imagination  dépravée  n'a 
pas  avili  les  charmes  de  la  Nature  ?  £t  combie» 
de  r,:finemcns  ne  fuppofcnt  pas  ces  bienféan- 
ces,  imaginées  pour  donner  beaucoup  de  valeur 
à  des  chofes  qui  ne  font  rien  en  elles-mêmes  ? 
Comment  ces  idées  pouvo.ent-elles  s'accordât 
avec  in  férocité  des  Scythes  ?  Ncie  de  l'Bdiitur, 

(ii«;  Diogcn.  Laert-  Sert.   roj.  p.  ««. 

(H7)  C'étoit ,  fans  doute  ,  un  grand  aba» 
qu^il  y  eût  des  hommes  exclus  de  ces  exerci- 
ces ,  &  qu'on  en  fit  un  métier  pour  la  faiis» 
faûion  du  Public.  Deftinés  à  rendre  le  copt6 
plus  robufte  ,  ils  dévoient  convenir  indiftinc^ 
tement  à  tous  les  hommes.  Nutc  dt  l'Editeur, 

(ti»)Dios«n.  Laeit.  Scft.  103.  p.  64,. 


LIVRE    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    VII.  419 

i®:  On  conduifit  Anacharfis  dans  une  Affemblée  du  Peuple  d'Athènes , 
«jui  avoit  été  convoquée  pour  juger  de  quelques  afFaires.  Il  dit  en  for- 
tant  de  l'Affemblée  (119),  qu'/7  étoit  furpris  d'une  conjluution  en  ver- 
tu dî  laquelle  les  fagis  parloient ,  &  les  ignorans  diddoient  (  120  )  ;  c'eft-à- 
dire  ,  qu'il  n'approuvoit  point  le  gouvernement- Démocratique  ;  car  il 
eft  très  -  naturel  que  dans  un  Pays  où  le  Peuple  eft  en  poffeffion  de  la 
Souveraine  autorité  ,  les  Sages  foient  chargés  d'inllruire  les  ignorans  ,  & 
de  les  mettre  au  fait  des  matières  fur  lefquellcs  ceux  -  ci  doivent  porter 
leur  décifion. 

Anacharfis  avoit  dans  fa  tête  tout  le  plan  de  la  République  de  Platon. 
Il  auroit  voulu  que  le  monde  ne  fût  gouverne  que  par  les  Sages.  Mais 
la  difficulté  confifteroit  à  les  trouver  &  à  les  faire  rcconnoître  pour 
tels  par  ceux  qui  doivent  leur  obéir.  Il  difoit,  pour  fe  fervir  de  la  verfion 
d'Amyot  (m),  »que  la  République  la  mieux  ordonnée  eft  celle  oii 
»  toutes  chofes  étant  égales  entre  les  Habitans ,  la  préfcance  fe  mefure 
»  à  la  vertu  &  le  rebut  au  vice  «.  On  ne  peut  contefter  la  beauté  du 
plan ,  mais  il  eft  facile  de  comprendre  que  l'exécution  en  eft  morale- 
ment impoflible. 

3^.  Anacharfis  blâmoit  avec  plus  de  raifon  fur  d'autres  objets  ,  la  mc^ 
nière  de  vivre  des  Athéniens  &  des  Grecs  en  général.  Il  fe  tranfportoit 
fouvent  dans  la  place  publique  (122)011  l'on  vendoit  les  denrées. 
En  voyant  tout  ce  qui  fe  paflbit  dans  cette  place ,  »  vous  condamnez 
»  le  menfonge  ,  difoit-il  (  123  )  ,  &:  vous  mentez  ouvertement  toutes 
M  les  fois  que  vous  avez  quelque  chofe  à  négocier.  Vos  Marchez  font 
.>  des  lieux  établis  pour  tromper  ,  &  pour  s'enrichir  aux  dépens  des 
»  autres  «,  Ces  réflexions  pourroient   convenir  encore  à  notre  fiécle. 


(119)  Pliitarch.  Solone  ,  Tom.  I.  p.   8i. 

(  120  )  Cette  furprife  ne  pouvoir  prove- 
nir que  d'un  zèle  extrême  pour  le  bien, 
Btis  d'un  rèlc  mal  entend».  «  Un  Peuple  , 
w  comme  le  dit  très-bien  Montefquicu  ,  Efprit 
»  des  Loi» ,  Liv.  II.  ch.  2.  un  Peuple  qui  a  la 
)>  fouvcraine  puiflance  ,  doit  faire  pat  lui- 
»  même  tout  ce  qu'il  peut  bien  faire  s  &  ce 
»■  qu'il  ne  peut  pas  bien  faire  ,  il  faut  qu'il  le 
s  fiffe  par  fes  Miniftres  «.  Tout  ce  qui  de- 
mini'.e  de  l'aftion  eft  dans  ce  dernier  cas  j 
m  is  autrement ,  il  eft  admirable  de  voir  le 
r<  jple  r«  decidci  d'après  les  inftiuctioas  d«t 


Sages ,  8e  ceux-ci  doivent  aflTez.  refpeclcr  leurs 
concitoyens  pour  ne  pas  ufurper  le  droit  de 
fouveraineté.  Tout  hcmmc  aie  droit  d'éclaiiet 
fes  femblibles  ;  mais  il  ne  lui  appartient  ptt 
de  régler  leurs  avions,  ifiote  de  l'Eiiieur. 

(i2r)Banquer  des  .<'ept  Sages,  pag.  soj. 
Conviv.  Sept.  Sapient.  Tom.  II.  p.  157. 

(122)  Cette  place  e'toit  encore  à  Athène» 
une  cfpcce  de  bourfe  ,  où  tous  ceux  qui 
avoient  à  nc'gocier  quelque  affaire  d'intcxct  , 
alloient  conclure  leur  marche'. 

(i2i)  Diog.  Laert.  Scfl.  104.  cap.  j.p.  «, 
Se  fe^. 


430  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Quoique  la  bonne  foi  foit,  pour  ainfi  dire,  l'ame  du  commerce,  il  s'y 
commet  des  fraudes  comme  par-tout  ailleurs. 

4^.  Les  feftins  des  Grecs  déplaifoient  auffi  ,  avec  raifon ,  à  notre 
Philofophe.  Accoutumé  à  uiie  vie  frugale  (114),  il  ne  pouvoit  s'ac- 
commoder de  la  proRifion  qui  y  régnoit.  Il  lui  paroiffoit  encore  plus 
étrange  ,  que  des  Peuples  qui  fe  glorifioient  de  cultiver  la  raifon  .,  don, 
naffent  avec  une  efpèce  de  fureur  dans  des  excès  qui  ôtent  à  l'homme 
l'ufage  de  la  raiion ,  &  qui  abrutiffent  entièrement  ceux  qui  y  retom- 
bent fouvent.  Anacharfis  faifoit ,  à  ce  fujet ,  mille  réflexions  pleines 
d'efprit  &  de  bon  fens.  »  Au  commencement  du  repas,  difoit  il  (115) 
«  aux  Grecs,  vous  buvez  dans  de  petits  gobelets  ;  quand  vous  avez  bu 
»au-  delà  même  de  ce  que  permet  la  raifon  ,  vous  en  faites  apporter 
»  de  plus  grands.  La  première  coupe  (1^6)  que  vous  préfentez  aux 
»>  convives,  efl  accordée  au  befoin ,  parce  qu'elle  contribue  à  i'cntre- 
»tien  de  la  fanté  :  la  féconde  eft  un  fuperflu  qui  n'eft  que  p::iur  le 
»  plaifir  :  la  troifiéme  vous  rend  qu«relleux  ,  &  la  dernière  vous  met 
»  en  fureur  «. 

Anacharfis  ne  pouvoit  foufFrir  qu'on  établît  des  prix  en  faveur  de 
ceux  qui  boiroient  le  plus  dans  un  feftin.  Un  jour  que  Périandre  avoit 
(127)  propoië  un  femblable  prix  à  les  convives  ,  Anacharfis  le  deman- 
da préférablement  à  tous  les  autres ,  fous  prétexte  qu'il  s'étoit  enivre  le 
premier.  Con  me  on  rioit  de  fa  demande  :  »>  Je  ne  vois  pas,  dit-il,  qu'en 
»  invitant  les  convives  à  boire,  vous  puifliez  vous  propofer  d'autre  but 
»  que  de  les  enivrer.  Je  l'ai  atteint  le  premier;  il  eft  jufte  que  le  prix 
H  me  foit  adjugé  de  la  même  manière  que  le  prix  de  la  courfe  appar- 
»  tient  à  celui  qui  touche  le  premier  au  but«.  Cette  réflexion  étoit 
affurément  un  fophifme  ;  mais  elle  relevoit  d'une  manière  très-ingé- 
nieufe  ,  la  brutalité  de  l'homme  ,  qui  eft  capable  de  fe  faire  honneur 
de  boire  ou  de  manger  plus  que  les  autres 

Comme  Anacharfis  penfoit  qu'une  honnête  converfation  étoit  le  plus 
bel  ornement  d'un  repas  ,  il  n'approuvoit  point  auffi  qu'on  y  intro- 


(124)  Ci-deffbu':  ,  §.  ii.not    174. 

^Iis)Diog    Laert.  ubi  fupri. 
t  :  (li«   Stobœus  Scrm.   44.  p.   1  s  ?•  *c   Serm. 
t>.   p.  302    On-  atrribuoit  auflî   à  Anacharfis 
i^avoif  dit  qu«  l*   viptt  friixifvU  trois  grapfti  , 
truxe  f H<  iiltSt  Ut  ftni,  Ctutrt  fui  njvrt ,  &  I* 


Iroifîtme  ijui  flinge  fume  d»it  U  doultur.  Diogen. 
Laert.  SeCt.  1  04.  cap.  j.  p.  «6.  &  feq.  Stobee 
attribue  cette  Sentence  à  Pythagote.  Stobœus  , 
Scrm.   S8.  p.  $02. 

I  127  '  Athen.    lib.   X.   cap.    10.    Flutarc  h. 
ConyiTi  Sept.  Sapient.  T.  II.  p.  !$<• 


LIVRE    IV.    CHAPITRE     VIL  431 

duifît  des  Muficiens  ou  des  bouiFons,  ni  qu'on  préférât  des 'récréations 
qui  étourdiflbient  les  convives  ,  ou  qui  ,  tout  au  plus ,  ne  faifolent  que 
les  amufer ,  à  d'autres  qui  pouvoient  les  inftruire  utilement.  On  fit  entrer 
un  jour  des  bouffons  (118)  dans  un  feftin  où  il  avoit  été  invité  ;  mais  il 
garda  tout  fon  férieux ,  pendant  que  les  autres  convives  rioient  à  gorge 
déployée  des  plaifanteries  de  ces  baladins.  Quelques  momens  après,  on 
produifit  un  finge  dont  les  poftiires  firent  jetter  des  éclats  de  rire  à  Ana- 
charfis.  Comme  on  lui  demandoit  la  raifon  d'une  conduite  fi  différente 
de  la  première  ,  il  répondit  «  que  le  finge  avoit  été  fiarmé  par  la  nature 
»  pour  divertir  l'homme  ,  au  lieu  qu'il  étolt  contre  la  nature  que 
»  l'homme  fe  fit  une  étude  &  un  art  de  divertir  fes  femblables  par  des 
»  poftiires  de  finge  «. 

5^*.  Enfin  les  l'hilofophes  mêmes  qu'Anacharfis  reconnoifl'oit  pour  fes 
Maîtres ,  ne  pouvoient  pas  fe  glorifier  d'avoir  fon  approbation  à  toute 
forte  d'égards.  Il  difoit  que  leur  fagefi'e  étoit  verbeufe  ,  '  &c  qu'elle 
confifioit  plutôt  dans  de  belles  paroles  qu'en  de  grandes  aâions.  Il 
avoit  afi'urément  raifon.  Comme  c'étoit  la  coutume  dans  ce  tems-là ,  de 
propofer  toutes  fortes  de  queftions  fubtiles  aux  hommes  qui  étoient  en 
réputation  de  fagefle  ,  la  grande  étude  des  fages  étoit  de  répondre  à 
ces  demandes  d'une  manière  jufte  &  ingénieufe.  Anacharfis  fut  obli- 
gé ,  comme  les  autres  ,  de  s'afiiijettir  à  cette  Loi,  &  nous  verrons  tout 
à  l'heure  qu'il  fe  tira  aflez  heureufement  des  queftions  qu'on  lui  fit; 
mais  il  ne  pou  voit  fouffrir  que  iquelques  bons  mots,  quelques  reparties 
promptes  &  heureufes  fuffent  capables  d'acquérir  à  un  homme  le 
nom  &  la  réputation  de  Sage,  i'elon  lui ,  l'effentiel  de  la  fageffe  étoit 
d'avoir  l'efpiit  jufte,  de  parler  p<.u  &  avec  fens  ,  &  fur -tout  de  bien 
régler  fa  conduite.  Ce  que  Maxime  de  Tyr  (119)  rapporte  fur  ce  fujet, 
mérite  d'être  lu.  Anacharfis  ayani  trouvé  dans  un  petit  endroit  de  la 
Grèce,  un  homme  qui  étoit  en  même  tems  bon  père,  bon  mari,  bon 
maître  &  bon  économe ,  déclara  çjue  c'étoit  là  le  fage  qu'il  cherchoit. 
»  J'ai  trouvé  ,  difolt-il,  dans  cet  hcmme-là  très-peu  de  paroles,  mais  en 
»  même  tems  une  riche  abondance  d'aftions  «. 

§.  IX.  Voici  quelques  -unts  de;;  queftions  que  l'on  fit  à  Anacharfis  ,     itntcnca 
avec  les  réponfes  qui  lui  acquirent  le  nom  de  Sage.  On  demandoit  cora- 

(lî»)  Athen.  lib.  XIV.  cap.  ». 
(iijJMm.  Tyr.  Dif.  XY.  p.  IJt, 


d'Anachsclû» 


41i  HISTOIRE     DES    CELTES, 

ment  Sc  par  quels  moyens  un  Roi  pouvoit  fe  rendre  véritablement 
illuftre.  Cejl,  répondit-il  Ç^iio)  ,  lorfquU  a  ajjiidi  modclî'u  pour  reconnoU 
trc  qu'il  Ticjl  pas  U  feul  fagz  de  fon  Royaume  ,  c'efl-è-  dire  ,  lorfqu'au 
lien  de  faire  tout  à  fa  tête,  il  eft  capable  d'écouter  &  de  fuivre  un 
bon  coife'l.  La  réponfe  étoit  afTurément  très-jufte  ,  mais  elle  étoit 
auffi  très-libre  ,  s'il  eft  vrai ,  comme  Plutarque  l'afîui-e  ,  qu'elle  fut  faite 
à  la  table  de  Périandre  ,  Roi  de  Corinthe. 

On  demandoit  encore  à.  Anacharfis  ce  qui  étoit  le  plus  contraire  à 
l'homme.  11  répendit  (131)  »  qu'ordinairement  l'homme  n'avoit  point 
»>  de  plus  grand  ennemi  que  lui-même  «.  A  la  queftion  pourquoi 
la  plupart  des  hommes  étoient  toujours  chagrins,  il  répliqua  (132): 
»  C'eft  qu'ils  s'affligent,  non-feulement  de  leurs  propres  maux,  mais 
M  encore  du  bien  &  de  la  profpérité  d'autrui  «.  Qu'y  a-t-il  de  bon 
&  de  mauvais  dans  l'homme ,  lui  difoit  quelqu'un  ?  C'ejl  la  langue  (135), 
dit  Anacharfis.  Un  autre  lui  demandoit  quel  étoit  le  véritable  moyen 
d'éloigner  les  hommes  de  l'ivrognerie  ?  »  C'eft,  répondit-il  (134),  de 
♦>  leur  faire  regarder  toutes  les  fottifcs  que  fait  im  homme  ivre«.  On 
vint  encore  lui  demander  à  quoi  l'argent  étoit  bon  aux  Grecs  ?  Il  ré- 
pondit (  135  )  j  »  l'argent  eft  bon  pour  le  conter  «.  Il  vouloit  taxer  par 
là  ,  dit  Euftathius  (136)  ,  l'avarice  d'un  grand  nombre  de  Grecs  qui  ne 
tiroient  point  d'autre  ufage  de  leur  argeut  que  de  le  compter  du  matin 
aufoir.  Cet  éclairciiTement  fauve  la  riponfe  d'Anacharfis  :  en  effet, 
l'argent  eft  bon  à  beaucoup  de  chofes,  quand  on  fçàitle  bien  employer. 

Parmi  le  grand  nombre  de  quefticjns  que  l'on  propofoit  à  Ana- 
charfis ,  il  s'en  trouvoit  quelquefois  de  ridicules ,  d'autres  dont  il  ne  con- 
venoit  pas  de  demander  ia  folution  à  un  Phiiofophe.  Un  fuffifant  vint 
im  jour  lui  demander  »  qui  des  deiix  étoient  en  plus  grand  nombre 
;»>(i37),  les  vivans  ou  les  morts  »  ?  Anacharfis  ,  au  lieu  de  répondre 
.à  une  queftion  fi  frivole  ,  demanda  lui-même  à  cet  homme  :  »  Dans 
j>quel  nombre  il  mettoit  ceux  qui    itoient  en  mer  «  ?  Un  autre  qui  fè 


fr: — — r-T ' 

(ijo)  Stobgcus  Setm.  147.  p-  4S!.  On  lit 
«lans  rlutarque  j'i/  cfl  It  ftul  fagc  dé  fmRoyaiime. 
Conv.Scpt.  Sapient.  T.  II.  p.  151.  Mais  il  cil 
vifiblf  que  la  particule  négative  manque  dans 
Je  texte  de  Plutarque.  N'y  auroit-il  pas  de 
^'extravagance  deTe  croire  le  fiulfk^e  d'un  Etat? 
Ui^l  Stobœus,  Seim.  16. ;,  st. 


(«3  1 1  Stob,  Scrm.  i-|0,  p.  40I. 
(1 33)  Di  j.  Laert.  Serm.  104.  p,  «7, 
(i  34]  Stobœus  ,  Serm.  44.  p,  1 5  5.  Serm,  tt» 
pag.   30Î.  Diog.  Lneit.  Sed.  103.  p.  ««. 
(i  3  s)   Atlicn.  lib.  IV.  cap,  i  j.  p.  i  i*j 
■(i3S)F.uftach.  adlliad.  XIV.  p.  psiS. 
1137}  Diog.Laett.  Sçcl.  I04,  p.   «7. 

préparok 


L  I  V  R  E    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    VIL  435 

préparoit  à  faire  un  voyage  ,  lui  ayant  demandé  »  fur  quelle  forte 
»  de  Vaifleau  on  pouvoit  s'embarquer  plus  fùrement  (  1 3  8  ) ,  «  il 
répondit ,  yî^r  ceux  que  l'on  a  tiré  à  terre,  c'eft-à-dire  ,  qu'alors  ,  com- 
me aujourd'hui ,  les  grands  hommes  difoient  quelquefois  des  bagatelles. 
Ce  qui  peut  excufer  ici-  Anacharfis  ,  c'eft  qu'il  vouloit  infinuer  par  fa 
réponfe  ,  qu'une  femblable  queftion  devoit  être  propofée  à  un  Mar- 
chand ,  ou  à  un  Pilote  ,  plutôt  qu'à  un  Philofophe. 

Voici  encore  quelques  autres  Sentences  d'Anacharfis.  Ils  difoit(i39) 
M  qu'il  valoit  mieux  n'avoir  qu'un  feul  ami  bien  choili ,  que  d'en  avoir 
»  plufieurs  à  la  douzaine  (140)  «.  Un  jour  qu'il  faifoit  un  voyage  par 
mer ,  il  demanda  au  Pilote  de  quelle  épaiffeur  étoient  les  planches  du 


(138)  Dioj.  Laert.  Secl.  I04.  p.  «7. 

(l39)Diog    Laert.  ScA.  105.  p.  67. 

(140  L'expérience  de  tous  les  jours  ptouve 
la  ve'tité  de  cette  Sentence.  Nous  lommes  ha- 
bitues à  la  répe'ter  à  chaque  inftant  .  &  qu'il 
eft  rare  que  quelques  hommes  (agcs  re'glent 
leur  conduire  d'après  ce  principe  qui  les  ren- 
droit  moins  malheureux  dans  le  tourbillon  du 
monde  !  t'homme  ,  volage  &  capricieux , 
cherche  à  fe  faire  illufion  à  lui-même.  Il  mc- 
Connoît  dans  la  pratique  Tes  propres  intérêts.  Il 
veut  fe  répandre  au  dehors  ,  &  ne  fait  ptcfquc 
aucune  attention  i  fa  famille. C'cft-là  où  il  pour- 
loitefpérerde  trouver  des  amis  :  c'cft-làoù  dans 
des  Jours  infortunés  ou  accablé  de  vieillcfle  , 
l'homme  trouveroit  de  la  confolation.  Quel 
«ft  l'épouT  chéri  qui  n'airaeroit  pas  fa  femme, 
quelle  eft  l'époufe  adorée  qui  pourroit  ne  pas 
chérir  fon  m^ri ,  quels  font  les  enfans  bien 
tlevés  8c  bien  aimés  de  leurs  parens  ,  qui  ne 
ttembleroient  pas  de  fe  voir  privés  de  ceux 
dont  ils  cimentent  l'union  ,  &  dont  ils  font  les 
délices  ?  O  hommes  !  prenez-vous  en  à  vous- 
mêmes  fi  vous  n'avez  aucune  confolation  dans 
ce  monde.  Vous  rcfiftez  au  vœu  de  la  Nature  , 
&  vous  vous  préparez  l'ennui  dans  l'âge  viril  , 
&  dans  la  vieillelTe  des  jours  qui  ne  vous  fe- 
ipnt  pas  moins  infupportables  qu'à  ceux  qui 
TOUS  environneront.  De  même  que  le  Labou- 
reur \tl%e  quelquefois  des  grains  qui  pctiffent 
fur  le  fable  aride,  fur  des  cailloux  ou  fur  des 
ronces  ,  l'homme  peut  quelquefois  trouver 
<}an5  fa  famille'  des  fujets  qui  ne  fcntent  pas 
^cpiix    de  l'amitié,  ou   qi;i  ne  font  pas   ca- 

Tome  II. 


pables  de  retour  après  quelques  églremens  ; 
mais  dans  une  famille  bien  ordonnée  ,  cet 
exemples  font  rares,  &  plus  rares  encore  que 
de  vrais  amis  parmi  ceux  Ju  dehors  "Tout 
dépend  du  choix  &  de  la  conduite  des  pères 
&  des  mercs.  Qu'on  ne  fe  marie  point  pat 
intérêt  ou  par  caprice,  qu'on  s'attache  à  l'objet 
que  l'on  a  choifi  ^  qu'on  é'.cve  avec  une  ten- 
drelTe  iclairce  ceux  à  qui  l'on  a  donné  le 
jour  ,  &  chaque  famille  fera  le  temple  du 
bonheur  pour  ceux  qui  la  compofcront.  Si 
dans  le  tumulte  des  paOîons  ,  une  jeunelTe 
bouillante  donne  dans  certains  écarts ,  les 
principes  qu'elle  a  reçus  ne  tarderont  pas  à 
la  ramener  au  bien  &  au  vrai.  Si  l'un 
des  deux  époux  a  eu  te  malheur  de  faire  un 
mauvais  choix ,  la  tendr-fTe  de  fes  enfans 
fera  le  bonheur  de  fes  jours ,  ?c  lui  fera  re- 
gretter la  vie  même  dans  la  plus  décrépite 
vieilleffc.  L'homme  bifarrc  ne  trouve  de  plai- 
firs  que  hors  de  fa  famille  ,  parce  qu'il  eft 
alTez  injufte  pour  tout  exiger  des  fiens  comme 
un  devoir.  C'eft  un  tyran  ,  Se  non  un  pcrc.  Il 
élève  fes  enfans  au  gré  de  fes  pàffions  ,  Sx.  ne 
veut  pas  s'en  faire  des  amis-  Que  cet  homme 
dénaturé  fréquente  les  cercles  ,  &  qu'il  y 
cherche  de  vrais  amis  ,  il  n'en  trouvera 
point ,  &  n'eft  pas  digne  d'en  avoir  L'homme 
du  monde  e(t  trompeur  II  ne  fait  la  cour  que 
par  intérêt  ou  par  caprice  ;  il  fe  dit  ami  , 
mais  il  ne  l'eft  point.  Dans  des  circonftances 
fâchcufes  ou  dans  des  démê'és  d'intérêt  ,  on 
apprend  à  le  connoicie.  Noie  de  l'Editeur. 

lii 


434  HISTOIRE    DES     CELTES, 

Vaifleau.  Celui-ci  ayant  répondu  (141)  qu'elles  avoient  quatre  doigts 
d'épaiffeur  ,  Anacharfis  répliqua  :  Nous  ne  fommes  donc  quà  quatre 
doigts  di  la  mort.  Qp  voit  par  ce  mot ,  que  les  pointes  qui  étoient  fi 
fort  à  la  mode  au  commencement  du  fiécle  pafle ,  n'étolent  pas  incon- 
nues aux  anciens  Grecs.  Quelqu'un  difoit  à  Anacharfis  qu'il  avoit  l'ac- 
cent barbare  ;  &  moi  ,  répondit -il  (142.),  je  trouve  auffî  que  tous  les 
Grecs  tiennent  quelque  chofé  des  Barbares.  Un  autre  lui  reprochoit  qu'// 
étoit  Scythe ,  &  croyoit  lui  faire  un  grand  outrage  en  l'appellant  de  ce 
nom.  »  Vous  avez  raifon ,  répliqua  Anacharfis  (143),  ma  patrie  me 
»  fait  deshonneur,  &  vous  en  faites  à  votre  patrie.  J'appartiens  aux 
»  Scythes  par  ma  naiflance ,  &  vous  en  avez  les  inclinations  &  la  fé- 
»  rocité.  »  Il  arriva  un  jour  dans  un  feflin  qu'un  jeune  homme  lui 
fit  quelque  outrage.  Anacharfis,  fans  s'émouvoir  ,  lui  dit  (144): 
»  Petit  garçon,  il  étant  jeune  vous  ne  portez  pas  le  vin,  il  faudra, 
«quand  vous  ferez  vieux,  que  vous  portiez  de  l'eau  (145)  «. 

Au  refte  ,  l'admiration  que  les  Grecs  avoient  pour  Anacharfis ,  étoit 
«^  fi  grande  qu'ils  ont  cru  devoir  tranfmettre  à  la  poftérité  jufqu'à  la  pof- 

ture  où  il  fe  trouvoit  naturellement  en  prenant  fon  repos.  S'il  faut  les  en 
croire  ,  notre  Philofophe  étoit  fage  &  donnoit  des  leçons  de  vertu 
même  en  dormant.  Phérécide  racontoit  fort  gravement  (146),  qu'A- 
nacharfis  ,  quand  il  étoit  couché  ,  avoit  coutume  de  pofer  fa  main 
gauche  fur  le  ventre  ,  &  la  droite  fur  la  bouche  ,  pour  marquer  que  ces 
deux  parties  de  l'homme  doivent  l'une  &  l'autre  être  tenues  en  bri- 
de ;  mais  que  la  langue  eft ,  cependant ,  celle  des  deux  qui  a  befoln 
.d'un  frein  plus  puiffant.  On  ne  fçait  fi  les  Peintres  peignoient  Anacharfis 
dans  cette  pofture  ,  mais  ,  au  moins  ,  il  eft  certain  que  l'excellente 
leçon  qu'elle  exprimoit ,  étoit  écrite  fur  tous  fes  Tableaux.  C'étoit , 
pour  ainli  dire  ,  la  Devife  à  laquelle  on  reconnoiffoit  (  147)  les  Images 
du  Philofophe. 
BoArire        §.  X.  Il  eft  facheuxque  les  Grecs ,  qui  rapportent  ces  bagatelles ,  di- 

ji'Anichailîs. 


(141)  Diog.  Laert.  Seft.  loj.  p.  S6.  Euftath. 
ad  Iliad.  XV.  p.  1034. 

(i42)Clem.  Alex.  Strom.  lib.  I.  cap.  ï«. 
pag.  }«4.  L'Editeur  de  Cle'ment  d'Alexandrie  , 
a  traduit  Gr*ci  ScjthUi  loquum  ;  ma  s  «yi/ti'^uj  », 
dans  la  réponfe  d'Anacharfis  ,  fignifie  imiter  ta 

Scythes ,  en  Avtir  tes  fetitimtns ,  &i  Roa  j^is  tn  avoir    Stobœus  Serm,  128.  p.  389 
i'Mitni,  I      (147J  Diog.  L»«it.  SeA,  104.  g,  67^ 


(143J  Diog.  Laert.  Sed.  104.  p.   67.    Stob, 
Serm.   101.  p.  722. 

(144;  Diog.  Laert.  Seft.    105.  p.  «7. 

(14s;  C'eft  i-dire  ,  vous  ferez  unF'oitefair, 
un  Mendiant. 

(146)  Clein.  Alex.  Strom.  Hb.  V.  p.   «72. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VU.  435 

fent  fi  peu  de  chofes  de  la  Doûrine  d'Anacharfis.  C'eft  principalement 
par  cet  endroit,  qu'on  fouhaite  de  connoître  un  Philofophe.  Peut-être, 
cependant,  n'eft-ce  point  la  faute  des  Ecrivains  Grecs.  Il  paroît  affez  parce 
qu'on  a  eu  occafion  de  rapporter ,  qu'Anacharfis  étoit  dans  les  mêmes 
principes  que  Socrate.  Faifant  confifter  la  bonne  Philofophie  ,  non 
dans  des  fpéculations  abftraites ,  qui  ne  rendent  l'homme  ni  plus  parfait , 
ni  plus  heureux ,  mais  dans  une  vie  fage  &  bien  réglée ,  il  n'a  guères 
laifle  que  des  maximes  de  Morale  ,  deflinées  à  former  la  conduite  de 
l'homme.  Et  c'étoit  là  aufli  le  grand  but  qu'il  fe  propofoit ,  d^s  le  petit 
nombre  d'Ouvrages  (148)  qu'il  avoit  compofés. 

Si  Plutarque  a  bien  rapporté  les  fentimens  de  notre  Philofophe  ,  il 
ne  s'éloignoit  pas  de  la  Doftrine  de  fa  Nation  fur  le  Dogme  de  l'exiftence 
de  Dieu  (149)»  ni  fur  celui  de  la  Providence.  Il  difoit  (150)  »  qu'il 
H  y  avoit  une  ame  dans  les  principales  parties  du  Monde;  que,  comme 
w  le  corps  eft  l'organe  de  l'ame,  l'ame  aufîi  ell:  l'organe  de  Dieu.... 
»  qui  la  manie ,  la  dreffe  ,  &  la  tourne  comme  il  lui  plaît  «.  C'étoit  , 
comme  on  l'a  montré  ailleurs  (  151  ),  la  Doftrine  des  Scythes.  Ils 
reconoiffoient  des  Divinités  fubalternes ,  unies  aux  différen.tes  parties 
de  la  matière ,  &  chargées  de  la  direftion  de  l'Elément  où  elles  réfi- 
doient ,  &  un  Dieu  fuprême  qui  étant  le  Père  &  le  Maître  des  Efprits, 
les  dirigeoit  aufli  félon  fon  bon  plaifir.  On  croit  entrevoir  dans  Plutarque 
(151),  qu'Anacharfis  ajoutolt  foi  aux  enchantemens  dont  les  Scythes 
fe  fervoient  pour  guérir  les  malades. 

Ceft  tout  ce  que  nous  favons  des  opinions  du  Philofophe  Scythe  ;  les 
Traités  qu'il  avoit  publiés,  &  qui  pourroient,  peut-être,  nous  en  ap- 
prendre davantage ,  font  tous  perdus.  Diogene  Lacrce  lui  attribue  un  Poë- 
me  de  800  Vers  (153).  C'étoit  une  comparaifon  des  Loix  &  des  Cou- 
tumes des  Scythes  avec  celles  des  Grecs ,  &  on  y  donnoit  la  préfé- 
rence aux  Grecs ,  tant  par  rapport  à  leur  manière  de  vivre ,  qu'à  l'égard 
de  l'art  militaire.  Suidas  fait  aufli  mention  de  ce  Poëme  d'Anacharfis , 
&  d'un  autre  C154)  cjui  étoit  un  éloge  de  la  frugalité.  L'Hiflorien 


(148)  Vojn.  ci-delToiis  ,  note  153.  8c  154. 
(149^  Ci-deflus  ,  §.  7.  not.  iio. 
(150}  Plutarque,  Banquet  des  Sept  Sages  , 
fhap.  23.  p.  sii.de  l'Edition  d'Amiot, 
^l$i)Ci-d.  Liv.  III.  ch.   i. 


(  I S  z)  Flutaich.  CoDV.  Sept.  Sapient,  Tom,  H. 
pag.  14». 

(153)  Diog.  Laert.  Seil.  101. p.  64. 
(154/  Suid.  T.  I.  p.  18 S. 

lii  2, 


43<5  HISTOIRE    DES    CELTES, 

Ephore  avoit  remarqué  quelque  part ,  que  le  monde  étoit  redevable 
à  Anacharfis  de  plufieurs  chofi^s  utiles  à  la  vie;  par  exemple  ,  de  l'in- 
vention des  foufflets  dont  on  fe  fert  pour  allumer  le  feu  de  la  roue 
du  Potier  ,  &  de  la  double  ancre.  Strabon  (155)  ne  convient  pas 
du  fait,  au  moins  par  rapport  à  la  roue  du  Potier,  qui  étoit  déjà  con- 
nue dutems  d'Homère  (156).  11  a  raifon.  Le  Scholialie  d'Appollonius  fe 
moque  auffi  d'Ephore  (157)}  qui  attribuoit  au  Philolophe  Scythe  l'in- 
vention de  la  double  ancre,  quoique  l'ancre  fût  déjà  connue  du  tems  des 
'Argonautes.  Mais  la  remarque  ne  paroît  pas  aufli  jufte  que  celle  de  Stra- 
bon, parce  que  Ephore  parloit  de  la  double  ancre  (  a^^/a-oxeç  ) ,  c'eft-à- 
dire,  de  l'ancre  à  plufieurs  crochets,  que  Pline  défigne  fous  le  nom  (158) 
d'harpagons  ,  &  dont  on  attribuoit  conflamment  l'invention  à  Ana- 
charfis. 

§.  XI.  Achevons  préfentement  de  donner  la  vie  de  notre  Philofophe* 
Ce  fut,  félon  les  apparences,  la  mort  de  Solon  (159),  qui  lui  fit  prendre  la 
réfolution  de  quitter  la  Grèce ,  &  de  s'en  retourner  dans  fon  Pays ,,  en-  ' 
viron  trente-deux  ou  trente-trois  ans  après  en  être  forti.  Il  alla  d'abord 
en  Lydie,  pourvoir  le  Roi  Créfus,  qui  l'avoit  invité  fort  amicalement 
de  venir  à  fa  Cour.  La  Lettre  par  laquelle  Anacharfis  répond  à  l'invita- 
tion ,  mérite  d'être  rapportée,  parce  qu'elle  renferme  une  belle  preuve  du 
défintéreflement  de  ce  Philofophe ,  &  du  but  qu'il  s'étoit  propofé  dans 
fes  voyages  (160).  «Je  fuis  venu  en  Grèce  pour  connoître  les  mœurs 
»  &  les  études  des  Grecs.  Je  n'ai  pas  befoin  de  l'or  que  vous  m'offrez  : 
»ma  fatisfadion  fera  parfaite  ,  fi  je  puis  retourner  en  Scythie  meil- 
»leur  que  je  n'en  fuis  forti.  Cela  n'empêchera  pas  que  je  ne  vous  aille 
»  trouver  à  Sardes,  parce  que  je  mets  à  fort  haut  prix  l'avantage  d'être 
»reçu  au  nombre  de  vos  amis.» 

Après  avoir  vu  le  Roi  de  Lydie ,  Anacharfis  s'embarqua  pour  s'en  re- 
tourner dans  fon  Pays ,  &  alla  prendre  terre  vers  les  embouchures  du 
Boryfthène.  Les  Hlftoriens  ne  font  pas  d'accord  fur  ce  qui  lui  arriva  , 
après  qu'il  fut  de  retour  en  Scythie.  Voici  ce  qu'^n  difoit  Hérodote  (161). 

(ijs)Strabo  VII.  203.  Dîog.  Laert.  Seft.  1  (i  57)  Appollon,  Aigon.  I.  y.  1277.  Schol. 
105.  p.  67.  Plin.  Hift.  Nât.  lib.  VII.   cap.  54,     ad   h.  I. 


/V)'<ï.  aufll  Suidas  in  voce  ajjcupa'  T.  I.  p.  50, 
Senec.  Epit.  lib.I.  p.  50.  &  la  note  piécc 
dente. 

il  S  S)  Iliad.  XVIII.  V.  «00. 


(iS«    Plin.   VII.    it. 
(i  s9}  Ci-d.  §.  7.  not.  105.  lo«. 
(i«o;  Diogen.  Laert.  Sedt.   i»s.p.  «I. 
(161)  Hewdot.  lib.  IV.  cap.  /«^ 


LIVRÉ    IV.    CHAPITRE    VIL  437 

'«  Les  Scythes  ont  une  grande  averfion  pour  les  coutumes  étrangères  , 
»&  particulièrement  pour  celles  des  Grecs.  L'exemple  d'Anacharfis  & 
»  celui  de  Scyles  ,  en  fourniflent  de  bonnes  preuves.  Le  premier  avoit  vu 
»  beaucoup  de  Pays ,  &  acquis  une  grande  fageffe  dans  (es  voyages. 
»  Comme  il  paffoit  l'Hellefpont ,   pour  s'en   retourner  en  Scythie ,  il 
»  toucha  à  la  Ville  de  Cy  fique  ,  où  l'on  célébroit  précifément  une  magni- 
»  fîque  fête  à  l'honneur  de  la  Mère  des  Dieux.  A  cette  occafion ,  il  fit  vœu 
»»que,  s'il  arrivoit  fain  &  fauf  dans  fon  Pays  ,  il  offriroit  à  la  DéefTe  , 
«  un  facrifice  parfaitement  femblable ,  &  qu'il  lui  confacreroit  une  nuit 
»  folemnelle.  Etant  donc  de  retour  en  Scythie ,  il  fe  retira  fecrettement 
dans  une  forêt  remplie  d'arbres  de  toute  efpèce.  On  l'appelle  Hylœa ,  & 
»  elle  eft  voifme  du  lieu  que  les  Grecs  appellent  en  leur  Langue ,  la 
»  courfe  ou  la  carrière  d'Achille.  Dans  cette  retraite  ,  Anacharfis  célébra 
»>la  fête  de  la  manière  qu'il  s'y  étoit  engagé,  battant  du  tambour,  & 
»  pendant  à  des  arbres  les  fimulacres  de  la  Déeffe.  Un  Scythe  l'ayant 
»  apperçu,  comme  il  étoit  occupé  à  ces  dévotions,  alla  le  rapporter  au 
wRoi  Saulius,  qui  s'étant  tranfporté  fur  les  lieux  ,  &  ayant  trouvé 
»  Anacharfis  dans  le  même  état,  le  tua  d'un  coup  de  flèche.  Aujourd'hui, 
»  quand  on  parle  aux  Scythes  d'Anacharfis ,  ils  répondent  qu'ils  ne  le 
»connoifl"ent  point,  &  ils  en  ufent  ainfi  parce  que  ce  Philofophe  s'é-« 
«toit  tranfporté  en  Grèce,  &  y  avoit  adopté  des  coutumes  étrangères.' 
«J'ai  oui  dire  à  Tymnes,  tuteur  de  Spargapithe ,  qu'Anacharlis  étoit 
»  oncle  d'Indathyrfe  ,  Roi  des  Scythes ,  &  fils  de  Gnurus ,  petit-fils  de 
»>Lycus,  6c  arrière  petit-fils  de  Spargapythe.  S'il  eft  vrai  qu'Anacharfi» 
»  fût  de  cette  maifon  ,  il  aura  été  tué  par  fon  propre  Neveu  (*),  Inda- 
»thyrfe  ayant  été  fils  de  Saulius  qui  tua  Anacharfis.  » 

Diogene  Laérce  raconte  la  chofe  d'une  manière  un  peu  différente  ; 
mais  il  convient,  cependant,  qu'Anacharfis  fut  tué  par  le  Roi  Saulius 
(161).  «On  dit  qu'étant  de  retour  en  Scythie,  il  voulut  changer  les 
»Loix  du  Pays,  &  y  introduire  les  coutumes  des  Grecs;  ce  qui  fut 
»caufe  que  fon  frère  (  163  )  étant  à  la  chaffe  avec  lui,  le  tua  d'un  coup 


(*)  A  Pmruile ,  par  fon  Coufin  germain. 
Malgré  cela  ,  il  y  a  faute  dans  Hérodote.  Si 
Anacharfis  c'toit  Oncle,  Putruui,  d'IndithyiCcj, 
il  devoit  être  frère  de  Saulius.  Stu  dt  l'Eiii. 

(ifii)  Diog.  Lacit.  ScA.  102.  p.  $£. 


(163)  Diogene  Laërce  fe  trompe;  il  paroît 
que  Saulius  étoit  neveu  d'Anacharfis.  Vojex.  ci. 
dcffus  ,  $.  6.  not.  84.  [M.  Pelloutier  n'apoint 
fait  attention  qu'il  y  a  eiieui  dans  Hwodotej 
Ko;i'JifÇi-4.  «9t.  (*). 


43?  HISTOIRE    DES    CELTES; 

*>de  flèche.  Il  mourut  en  difant  que  la  fageffe  dont  il  falfoit  profeflioni 
«l'avoit  fauve  en  Grèce,  &  que  l'envie  qu'elle  lui  avoit  attiré,  le 
»  faifoiî  périr  dans  fa  propre  Patrie.  D'autres  affurent  qu'il  fut  tué  pen- 
»dant  qu'il  offroit  un  facrifice  à  la  manière  des  Grecs.»  Ce  qu'Héro- 
dote &  Diogene-Laërce  rapportent  de  la  fin  tragique  d'Anacharfis ,  eft 
encore  confirmé  par  Clément  d'Alexandrie  (164)  qui  femble  même 
approuver  cette  exécution. 

Il  y  avoit ,  cependant,  des  Auteurs  qui  prétehdoient  qu'Anacharfis 
retourna  à  la  Cour  du  Roi  de  Scythie ,  qu'il  y  fut  bien  reçu  ,  &  qu'il 
mourut  tranquillement  au  milieu  de  fes  Compatriotes  ,  après  avoir  vécu 
(  165  )  près  de  cent  ans.  Trois  chofes  pourroient  favorifer  cette  opinion. 
Premièrement,  un  Auteur,cité  par  Suidas,  affuroit  (166)  qu'Anacharfis 
avoit  donné  des  Loix  aux  Scythes.  Ce  feroit,  fans  doute,  uneforte  preu- 
ve qu'il  fut  bien  reçu  par  fes  Compatriotes.  Mais  ces  Loix  des  Scythes, 
drefféesou  compilées  par  Anacharfis,  paroiffentêtre  une  chimère.  Les  Scyr 
thés  n'eurent  des  Loix  écrites  que  plufieurs  fiécles  après  le  tems  de  no- 
;tre  Philofophe ,  dont  l'ouvrage  étoit ,  félon  les  apparences ,  une  compa- 
raifon  des  Loix  des  Grecs  avec  celles  de  fa  Nation. 

En  fécond  lieu ,  il  eft  certain  qu'Anacharfis ,  de  retour  dans  fa  Patrie  ; 
vit  le  Roi ,  &  lui  rendit  compte  de  la  commiflîon  dont  il  avoit  été  char- 
gé. Il  lui  parla,  par  exemple  (167),  du  vin,  qui  étoit  encore  inconnu 
parmi  les  Scythes  ,  &  lui  montrant  un  farment  de  vigne  qu'il  avoit  ap- 
.porté  ,  il  lui  dit  que  cette  plante  auroit  déjà  poufle  des  jets  jufques  dans 
îla  Scythie,  fi  les  Grecs  n'avoient  foin  de  la  tailler  tous  les  ans.  Hérodote 
-avoued'ailleurs  lui-même  (i68),  que  l'on  publioit  dans  le  Péloponnèfe, 
qu'Anacharfis ,  en  faifant  au  Roi  la  relation  de  ce  qu'il  avoit  obfervé 
•dans  fes  voyages,  lui  dit,  entr'autres  chofes,  que  les  Grecs  s'appli- 
■quoient  à  toutes  les  Sciences ,  à  la  réferve  des  Lacédémoniens ,  qui , 
<omme  d'habiles  Négociateurs  ,  ne  s'occupoient  qu'à  donner  &c  à  rece- 
voir à  propos. 


(i«4)Clcin.AIex.Coh.  adGent.  p.  120.  Cyril. 
-Adv.  Jul.  lib.  IV.  p.  131.  Cafaubon  a  remar- 
que que  ,  par  l'ignorance  d'un  Copifte  ,  ces 
paroles  ijni  ati^uandj  Jlnnchxrfis  crut  ,  que 
quelqu'un  avoit  rais  à  la  marine  du  paiïkge  de 
•Clément  d'Alexandrie  ,  aroient  ctc'  foutre'es 
dians  le  texte.  Cafaub.ad  Diog.  Ii.aeit,'SeA.-io2. 


pag-  «s. 

(155)  Ci-defTus  ,  §.   10.  not.  154. 

(iS6)  Ci-d.  §.  «.  not.  8S. 

(i<î7    Athca.  lib.   X.    p.   ita.  Euftath.  «4. 
OdyiT.  V.  p.  ISÏ4, 

(i««J  Herodot.  IV.  77. 


LIVRE     IV.     CHAPITRE    VII.  439 

3^.  Enfin,  on  a  eu  occafion  de  montrer  ailleurs  (169)  ,  que  les  Scy- 
thes fervoient  la  Mère  des  Dieux  ,  &  lui  confacroient  des  fêtes  à  peu- 
près  femblables  à  celles  que  les  Phrygiens  6c  les  Myfiens  célébroient  en 
l'honneur  de  la  même  Déeffe.  On  a,  par  conféquent ,  de  la  peine  à  corn* 
prendre,  en  quoi  pourroit  confifter  le  crime  d'Anacharfis.  Il  eft  vrai 
<jue  les  Scythes  ne  vouloient  pas  qu'on  repréfentât  la  Divinité  fous  la 
forme  de  l'homme.  Mais  il  eft  fort  incertain  fi  le  fimulacre  que  notre  Phi- 
lofophe  apporta  de  Cyfique ,  avoit  cette  forme ,  puifque  celui  que  les 
Phrygiens  (  1 70)  envoyèrent  à  Rome ,  quelques  fiécles  après ,  n'étoit  qu'une 
pierre ,  ou  pour  mieux  dire  ,  un  caillou. 

Sans  rien  décider  fur  la  mort  d'Anacharfis,  il  faut  avouer,  cependant; 
que  la  narration  d'Hérodote  paroît  la  plus  vraifemblable  ,  d'autant  plus 
qu'il  rapporte  ce  qu'il  tenoit  de  la  bouche  d'un  grand  Seigneur  Scythe, 
qui  avoit  été  tuteur  du  Roi  (  171  )  Spargapithe.  On  peut  bien  croire 
qu'Anacharfis  retourna  d'abord  à  la  Cour  du  Roi  de  Scyrhie.  Hérodote 
ne  dit  pas  le  contraire.  Mais,  comme  il  fe  retira  fecrettement  dans  une  fo- 
rêt, &  qu'il  fut  découvert ,  célébrant  une  fête  Grecque,  &  à  la  manière 
des  Grecs,  il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  le  fiire  regarder  comme  un 
impie,  par  des  gens  quidéteftoient  fouverainement  toutes  les  fuperftiiions 
étrangères.  Le  faux  zèle  a  fait  périr  des  hommes  pour  des  kijets  bien  plus 
légers. 

Au  refte  ,  fi  Anacharfis  mourut  d'une  mort  naturelle,  il  faut  avouer, 
au  moins ,  qu'il  ne  fit  point  de  Difciples  au  milieu  de  fa  Nation  :  au 
lieu  qu'Orphée  &  Zamolxis  furent  écoutés ,  &  fuivis  par  leurs  Com- 
patriotes ,  &  même  par  les  Peuples  voifins.  La  raifon  de  cette  différence 
eft  fenfible  ,  &  elle  fait  honneur  à  Anacharfis.  Il  n'étoit  ni  fanatique  , 
ni  impofteur.  C'étoit  un  homme  de  bien  qui  auroit  voulu  réformer  le 
genre  humain,  &  le  ramener  à  la  vertu,  en  le  rappellant  àla  raifon.  Il 
n'y  réuflît  pas  mieux  que  Socrate ,  dont  la  fin  fut  à  peu-près  aufïï  tra- 
gique que  la  fienne.  Anacharfis  avoit  l'efprit  jufte  &  pénétrant ,  le  cœur 
bon  &c  bien  placé.  Il  étoit  vif  &  enjoué  dans  la  converfation ,  fa  con- 
duite étoit  des  plus  réglées.  Il  étoit  jufte,  défintérefTé  ,  fobre,  chafte  & 

modefte.C'eft,  affurément ,  un  grand  éloge  pour  lui,  qu'étant  d'une  Mai- 
«■  1 1 1  I         I  '  » 

(l6»;C  -d.  Liv.   m.  ch.  8. 

(170)  Ci-deir.  Liv.  III.  ch.   ».$.$. 

(171)  Ci-d.  not,  i«i. 


440        .HISTOIRE    DES    CELTES; 

fon  Royale  ,  11  ait  été  capable  de  s'expofer  aux  fatigues  &  aux  incom- 
modités d'un  long  voyage ,  dans  la  feule  vue  de  cultiver  fa  raifon  ,  8C 
d'étudier  la'Philofophie  d'une  manière  qui  put  le  rendre  plus  honnête 
homme. 

On  ne  fait  oh.  Elien  avoit  trouvé  (172)  qu'Anacharfis  s'étoit  fouvent 
enivré  à  la  table  de  Périandre  ,  Roi  de  Corinthe  ,  &  qu'il  avoit  apporté 
ce  défaut  dans  fon  Pays,  les  Scythes  étant  accoutumés  à  boire  le  vin  pur. 
Cette  accufation  paroît  deftituée  de  toute  vraifemblance.  Il  eft  vrai  (171), 
comme  on  a  eu  occafion  de  le  rapporter ,  qu'Anacharfis  fe  laiffa  liir- 
prendre  dans  un  feftin  que  Périandre  donnoit  à  plufieurs  Sages  qu'il  avoit 
raffemblés  à  Corinthe.  Mais ,  au  refte ,  notre  Philofophe  étoit  ennemi  de 
tout  excès ,  &  fa  manière  de  vivre  étoit  des  plus  fimples  &  des  plus  fru- 
gales (174).  «Je  fuis  habillé,  difoit-il  à  un  de  fes  amis ,  d'une  étoffe  corn- 
»mune,  je  marche  pieds  nuds  ,  &  je  couche  à  terre.  Je  ne  connois  point 
»  d'autre  affaifonnement  à  mes  repas  que  la  faim.  Mes  alimens  font  du 
»  lait ,  du  fromage  &C  de  la  chair.  » 

.  Les  Grecs  foufcrivent  à  ce  témoignage  qu'Anacharfis  fe  rend  à  lui-; 
.linême.  Ils  avouent  (  175  )  qu'il  leur  reprochoit  fouvent  la  diverfité  &  la 
4élicatefre  de  leurs  mets  ,  la  profufion  qui  régnoit  dans  leurs  feflins,  Sc 
fur-tout  les  excès  qu'on  y  commettoit  pour  le  vin.  Y  a-t-il  quelqu'appa- 
rence  qu'il  eùtofé  donner  aux  Grecs  de  femblables  avis,  &  publier  (176) 
un  Poëme  fur  la  frugalité  ,  s'il  avoit  donné  lui-même  dans  tous  les  excès 
de  l'intempérance  ?  Ne  fe  feroit-il  ,  d'ailleurs ,  trouvé  perfonne  qui  lui 
eCit  reproché  qu'il  démentoit  par  fa  conduite,  les  excellentes  leçons  qu'il 
donnoit  dans  fes  difcours  &  dans  fes  écrits?  On  croit  qu'Elien  fait  égale- 
ment tort  -ici  à  Anacharfis  &  aux  Scythes.  A  Anacharfis,  parce  qu'il 
juge  des  inclinations  de  ce  Philofophe  par  celles  de  fes  Compatriotes , 
ce  qui  n'efl  pas  toujours  fiir.  Aux  Scythes,  parce  qu'il  ne  diflingue  point 
les  tems,  &  qu'il  açcufe  ces  Peuples  de  boire  le  vin  pur  dans  un  tems  où 
ce  breuvage  leur  étoit  encore  inconnu. 

On  afTure ,  au  refte ,  qu'Anacharfis  mourut  fans  avoir  été  marié.  Quand 
on  lui  demandoit  (  177) ,  pourquoi  il  ne  prenolt  point  de  femme ,  il  ré- 


.    .(  T7?).^!'»!?'-y-H.  lit.  II.  cap  41,  p.  izi, 

(173)  Ci-dcflus  ,  §.  8.  not.  126, 

(174)  Cicero    Tufcul    Quïft.   lib.    V.   cap. 
jo,  pag.  jâoo,  Vojez.  aufli  ci-delTus,    §.  g. 


not.  143,  I 

^175)   Ci-(i,  §•  8.   not.  114.  1 15.  lit, 
(tysj  Ci-d.  §.  10.  not.   154. 
(t77y  Scobœus  Seim,  201.  p,  6%t, 

pondoit 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VII.  441 

pondoit  qa'il  craindroit  de  trop  aimer  fes  enfans  (178).  Si  ceux  qui  rappor- 
tent cette  particularité  ont  été  bien  informés ,  il  en  réfultera  qu'Athénée 
aura  mis  mal-à-propos  fur  le  compte  de  notre  Philofophe,  une  hiftoriette 
qui  ne  fauroit  le  regarder  (  179).  «Un  homme  qui  étoit  à  table  avec 
»>  lui  ,  ayant  regardé  fa  femme ,  lui  dit  :  vous  l'avez  prife  bien  laide. 
«  Anacharfis  répondit  :  je  le  fçais  aufli-bien  que  vous  :  mais  qu'on 
»nous  verfe  du  vin  pur,  afin  que  nous  la  trouvions  belle  (180).  » 

§.  XII.  Zamolxis  ,  fouverain  Sacrificateur  des  Gétes  ,  dont  on  va  Hidoire  du 
parler  prefentement ,  paiTe  pour  avoir  ete  Difciple  de  Pythagore.  Si  zamoUii. 
cela  cft  ,  il  doit  ôfï'e  poftérieur  à  Anacharfis ,  d'un  demi  fiécle ,  tout 
au  moins.  Voici  ce  qu'Hérodote  en  difoit  (  181  )  :  <>  Les  Gétes  que  l'on 
«appelle  Immortels,  portent  ce  nom,  parce  qu'ils  fe  croient  effedive- 
«ment  immortels.  Ils  font  dans  l'opinion  qu'un  homme  qui  meurt  va 
»  trouver  Zamolxis  (182),  que  quelques-uns  eftiment  être  le  même 
»  que  Gébeleifis.  Ils  ont  coutume  de  dépêcher  tous  les  cinq  ans  à  Za- 
»molxis  un  meflager,  qu'ils  choififlent  entr'eux  par  le  fort,  &  que 
»  chacun  charge  de  fes  commiiîions  pour  l'autre  monde  (183).  J'ai  oui 
•>  dire  aux  Grecs  établis  le  long  de  l'Hellefpont ,  &  du  Pont-Euxin  , 
»  que  ce  Zamolxis  avoit  été  efclave  de  Pythagore ,  fils  de  Mnéfarque  , 
»  à  Samos.  Etant  enfuite  forti  de  la  fervitude  ,  &  ayant  amaffé  de 
»  grands  biens ,  il  s'en  retourna  dans  fon  Pays ,  &  trouva  les  Thraces  , 
•ifes  Compatriotes,  plongés  dans  le  vice  &  dans  l'ignorance.  Comme 
»le  féjour  qu'il  avoit  fait  au  milieu  des  Grecs  Ioniens ,  &  auprès  de 
»» Pythagore,  qui  étoit  un  excellent  Philofophe,  lui  avoit  fait  connoî- 
»>tre  une  manière  de  vivre,  &  des  mœurs  plus  pollcées,il  fit  bâtir  une 
wmaifon  où  il  régaloit  fouvent  les  plus  grands  Seigneurs  de  la  Nation, 
»&  pendant  qu'ils  étoient  à  table  avec  lui,  ils  leur  enfeignoit  que  ni 
»>lui,  ni  eux,  ni  ceux  qui  naîtroient  d'eux  à  perpétuité  ,  ne  mouroient 
»> point  (184),  mais  qu'ils  pafferoient dans  un  lieu,  oiiils  jouiroient tou- 


(178)  Cette  re'ponfo  n'cft  point  digne  d'A- 
nacharfis.  Si  on  l'adinettoit  comme  véritable  , 
il  faudroit  rcjctter ,  comme  fuppofé  ,  tout  ce 
que  les  Grecs  ont  débite'  de  la  fagcfle  du  Piii- 
lolophc  Scythe.  Htii  de  t'Eiiit»r. 

(179)  Athen.  lib.  X.  cap.  ij. 

(l8o)Le  Ptvilofophe  Touloit  dire  ,  par  cette 
lepanie  ,  que  ce  n'eft  pas  un  fimple    extc'rieur 


l'yvreffe  de  l'amitic  ,  ou  de  l'amour  qui  nom 
attache  aux  pcrfonnes  qui  nous  font  les  plui 
chères.  Ce  fcntiment  eft  dans  la  Nature.  Hut 
de  t'Ediiiur. 

(i»i)  Hetodot.  IV.  94. 

(iȔ)  Quelques  exemplaires  portent  Sa/uc< 
a|iï  ■foi^ova  ,1e  Dieu  ou  le  Ge'nie  Zamolxis. 

(iSj)  Hcrodot.  IV.  9,-.ji«. 


^ui  affefte  les    pcrfonnc»  indiffe'tcntei .   mais  I      (184)   Zamolxis    enfeignoit,    comme    on 

7'omcII,  Kkk 


441  HISTOIRE    DES    CELTES, 

"jours  d'une  affluence  de  toutes  fortes  de  biens.  Pendant  qu'il  donnoit 
»  ces  inftruftions ,  il  fe  préparoit ,  en  même  tems ,  une  demeure  fourer- 
»  raine.  Lorfqu'elle  fut  prête  ,  il  difparut  tout-à-coup  ,  &  -defcendit 
»dans  cette  grotte,  où  il  pafla  trois  ans  entiers.  Les  Thraces  le  regret- 
Mterent  &  le  pleurèrent,  parce  qu'ils  le  croyoient  mort.  Lorfque  les. 
«trois  ans  furent  écoulés,  il  parut  de  nouveau  ,  &  les  Thraces  en  ajou- 
vterent  plus  de  foi  à  ce  qu'il  leur  avoit  été  dit  d'une  autre  vie.  Voilà 
»ce  qu'on  attribue  à  Zamolxis.  Je  ne  prétens  ni  affirmer,  ni  nier  ce  qu'on 
»dit  de  lui  &  de  fa  retraite  fouterraine.  Je  le  crois,  cependant,  beau- 
Mcoup  plus  ancien  que  Pythagorc.  Au  refte ,  que  Samolxis  ait  été  un 
«homme,  ou  qu'il  foit  un  Dieu  Indigéte  de  la  Nation  Gétique  (ii>5), 
M  je  prie  de  prendre  en  bonne  part,  ce  que  je  viens  de  dire  fur  fon  fujet.  » 

§.  XIII.  Ce  qu'Hérodote  donne  ici  pour  une  chofe  confiante,  c'eft 
l'opinion  des  Gétes,  qui  croient  que  les  morts  vont  trouver  Zamolxis, 
Mais  il  ne  veut  ni  garantir ,  ni  contefter  ce  que  les  Grecs  établis  le  long 
de  l'Hellefpont ,  lui  ont  rapporté,  favoir,  qu'il  y  eut  un  homme  du  nom 
de  Zamolxis ,  qui  eût  été  efclave ,  &  enfuite  difciple  de  Pithagore ,  &  qui 
fe  fût  fervi  d'une  fraude  pieufe,  pour  établir  au  milieu  de  fa  Nation,  la  Doc- 
trine d'une  autre  vie.  On  doit  tenir  compte  de  fa  bonne  foi  à  l'Hiftorien, 
qui  ayant  de  fortes  raifons  de  douter  de  la  vérité  &  de  la  certitude  de  cette 
relation,  avertit  qu'il  la  donne  pour  ce  qu'elle  vaut. 

Cependant ,  les  Auteurs  qui  font  venus  depuis,  &  quifemblent  n'avoir 
eu  ,  pour  la  plupart,  d'autre  guide  qu'Hérodote,  non  contens  de  don- 
ner pour  certain  ,  ce  qui  paroiffoit  fort  fufpeft  à  cet  Hiftorien ,  ont  ajouté 
encore  à  fon  récit  une  infinité  de  circonflances  dont  il  ne  fait  aucune 
mention.  On  a  dit ,  par  exemple  ,  que  Zamolxis ,  efclave  de  Pytha- 
gore  ,  avoit  été  mis  ,  après  fa  mort ,  au  rang  des  (  1 86)  Héros ,  des  demi- 
Dieux  (187),  &  même  des  (i88)  Dieux.  On  a  dit  encore  qu'il  fut 

Toit  ,   l'immortalité    de    l'ame    &  refpe'rance  foit  pas  digne  de  ù  grandeur. 
d'une  vie  future  après  la   mort.  Les  Grecs  im-  (i8s.   Voyez.  le  p-iilage    de  Clément    d'Ale- 

be'cilcs  s'imaginèrent  qu'il  enfcignoit    que  les  xandrie  ,  cite'  Ci-deffus  Liv.  III.  ch.    18.    §.   6. 

Scythes  ne   mxïuroicnr   jamais.    Nau  de  l'Edi-  ■>  not.   63. 


Kftr, 

(1851  Le  mjt  de  x^'f""»  exprime  ici,   fé- 
lon l'ufage  des  Payens  ,  une  efpèce   d'excufe 
que  l'Hiftoiien  fait  à  Zamolxis  ,   au    cas  qu'il 
ne   lui  rende  pas   la  juftice  qui   lui  eft  die  , 


k  qu'il  en  aye  patlç  d'une  manière  gui  ne  |  Jot.  Trag.  p.  «ss. 


{187  Entre  les  demi-Dieux  qui  font  dans 
l'ifle  des  bienheureux  ,  Lucien  place  les  deux 
Cyrus  ,  A!iach.ir.  s  &  Zamolxis.  Lucian.  V. 
Hift.  lib.  II.  p.   396. 

(188,  Lucian.  Deor.  Concll.  p.  lop8.  Lucian^ 


LIVRE    IV.    C  H  A  P  I  T  R  E    VII.  44^ 

enfin  reconnu  par  les  Gétes  (189)  pour  le  phîs  grand  de  tous  les  Dieux. 
D'autres  ont  affuré  (t  90)  qu'il  jouit,  même  avant  fa  mort ,  des  honneurs 
&  des  titres  de  la  Divinité.  Strabon  lui-même  (191),  qui  femble  avoir 
vu  ici  plus  clair  que  les  autres,  ne  laiffepas  de  dire  auffi  (192)  que  les 
Gétes  ont  mis ,  depuis  bien  long-tems,  au  nombre  des  Dieux  un  Difciple, 
de  Pythagore ,  nommé  Zamolxis. 

Pour  éclaircir  ce  qu'il  y  a  de  confus  &  d'incompatible  dans  ces  diffé- 
rentes relations ,  il  faut  rappeller  ici  unefeflexion  que  l'on  a  faite  (193) 
ailleurs. 

1°.  Les  Gétes  donnoient  le  nom  de  Zamolxis  au  Dieufuprême.  C'eft 
ce  que  l'Hiftorien  Mnafeas  affuroit  formellement.  Il  difoit  (  1 94  )  «  que 
»  les  Gétes  fervoient  le  Dieu  Saturne ,  fous  le  nom  de  Zamolxis.  »  Otx 
trouve  la  même  remarque  dans  Héfychius.  Après  avoir  rapporté  ce 
qu'Hérodote  difoit  avoir  appris  des  Grecs  établis  le  long  du  Pont-Euxin  , 
favoir,  que  Zamolxis  avoit  été  efclave  de  Pythagore,  il  ajoute  (195): 
«  D'autres  prétendent  ,  cependant ,  que  ce  nom  défigne  le  Dieu  Sa- 
Mturne.  »  On  voit  bien  que  Saturne  eft  ici  le  Teut,  ou  l'Odin  des  Peuples 
Scythes  Se  Celtes  (196),  qu'ils  appelloient  le  plus  ancien  des  Dieux, 
&  auquel  ils  offroient  des  victimes  humaines. 

Porphyre  avoit  trouvé  quelque  part,  que  le  Zamolxis  des  Gétes  pré- 
fidoit  à  la  guerre  ,  &  par  cette  raifon  ,  il  l'a  pris  pour  (197)  l'Hercule 
des  Grecs.  On  a  montré  ailleurs  que  ,  félon  la  Théologie  des  Celtes ,  c'é- 
toit  le  Dieu  fuprême  qui  préfidoit  à  la  guerre  (  198  )  ;  de  forte  qu'il  ne 
faut  pas  être  furpris  qu'entre  les  divers  noms  fous  lefquels  les  Etran- 
gers l'ont  défigné,  on  lui  ait  aufii  donné  ceux  de  Mars  &  d'Hercule. 
C'eft  à  ce  Zamolxis  que  les  Gétes  immoloient  des  hommes.  Quand  ils 
faifoient  (199)  paffer  quelqu'un  par  les  armes ,  ils  appelloient  cela  dépê- 
cher un  meflager  à  Zamolxis,  parce  qu'ils  étoient  dans  l'opinion  que 
tous  ceux  qui  mouroient  d'une  mort  violente  (  200  )  ,  alloient  trouver 


(189}  Jamblich.  Vit.  Pythag.  Sert.  173. 
(19°)     Fliavorinus     ap.    Stoboeum     Seim. 
CLXXIV.   p.  «00. 

(i»  0  Ci-d.  ch    IV.  §.  ti.  not.  117. 
(191)  Sttabo,  lib.    XVI.  p.  762. 
('9»)  Ci-deffus  ,  Liv.  HI.  ch.  14.  §.  ij. 
(19+)  Suidas  in  Zamoîxi. 
(l9Sf  Hclych.  in  Zamol.ti. 
(196)  K«/cz,  ce  ijui  a  été  dit  ci-4cir«  Liv.  III. 


chap.    s.    §•    (4.   not.    125.    chap.    7.    §.    z, 
not.  42. 

(197)   Porphyt.  Vit.  Pythag.  Sert.  14- 
i;i9«)  Ci-deff.  Liv.  III.  ch.  7.  $.   ï.  not.  31. 
cbap.  14.  $.5.  Se  §.  >. 

(19»)   Cideffus,  Liv.  III.   ch.   6.    §        6. 
not.  194. 

(loo]  ci-d.  Liv.   III.   ch.  7.   §.  2.   not.  31. 
cbap,  tt.  $.  7.  not.  <9. 

Kkki 


4H  HISTOIRE     DES    CELTES, 

Odln  dans  le  Valhalla.  On  a  rapporté ,  il  n'y  a  pas  long-tems ,  un  paflage 
de  Lucien  ,  dans  lequel  Anacharfis  eft  introduit,  priant  un  Scythe,  qu'il 
trouve  à  Athènes  ,  de  le  recevoir  dans  fa  maifon ,  &  l'en  conjurant 
(zoi)  par  Zamolxis  &  par  fon  épée.  II  eft  évident  que  ,  dans  cet  endroit , 
Zamolxis  défigne  le  Dieu  que  les  Scythes  fervoient  préférablement  à 
tous  les  autres ,  par  le  nom  duquel  ils  juroient ,  &  dont  le  fimulacre 
jétoit  une  épée. 

1°,  Les  Gétes  donnoient  encore  le  nom  de  Zamolxis  au  fouveraia 
Pontife ,  qui  préfidoit  au  culte  de  ce  Dieu.  C'eft  ce  qui  eft  clairement  ex- 
primé dans  un  paflage  de  Strabon  ,  qu'on  a  eu  occafion  de  donner  en 
entier,  &  auquel  on  renvoyé  le  Leûeur.  11  porie  (202)  «  que  Zamolxis, 
»  qui  avoit  été  efclave  de  Pythagore ,  s'étant  rendu  célèbre  au  milieu  des 
»  Gétes  par  fes  divinations,  perfuada  au  Roi  de  l'aflbcier  au  Gouverne- 
»ment  comme  un  fidèle  interprête  de  la  volonté  des  Dieux.  Qu'en 
»conféquence  ,  il  fut  d'abord  déclaré  Sacrificateur  du  Dieu  que  les 
»  Gétes  fervent  préférablement  aux  autres,  qu'enfuite  il  reçut  auffi  le 
»nom  de  Dieu,  &  que  depuis  ce  tems-là,  il  s'étoit  toujours  trouvé, 
»  au  milieu  des  Gétes ,  quelqu'homme  du  caradère  de  Zamolxis ,  qui 
wafliftoit  le  Roi  de  fes  confeils ,  &  auquel  le  Peuple  donnoit  le  nom 
»  de  Dieu.  »  Il  s'agit  manifeftement  dans  cet  endroit,d'un  fouverain  Po;i- 
tife  qui ,  portant  le  nom  du  Dieu  dont  il  étoit  le  Miniftre ,  tranfmet- 
toit  ce  titre  à  fon  Succefleur,  avec  la  charge  à  laquelle  il  étoit  attaché. 

Il  faut  dire  la  même  chofe  du  paflage  de  Platon  où  un  Médecin  Thra- 
ce  eft  introduit  ,  difant  au  Philofophe  Grec  (103)  :  «  Zamolxis ,  notre 
»  Roi ,  qui  eft  Dieu ,  dit  qu'il  ne  faut  pas  fe  promettre  de  guérir  les 
»  maladies  de  l'œil,  fi  on  ne  traite,  en  même  tems,  toute  la  tête.  »  Lç 
Pontife  qui  avoit  prononcé  cette  fentence ,  eft  appelle  Roi ,  parce  que 
le  Roi  l'aflbcioit  au  Gouvernement,  &  que  fon  nom  fe  trouvoit  âla  tête 
de  tous  les  Edits  avec  celui  du  Souverain.  Il  portoit  aufli  le  nom  de 
Dieu  ,  parce  que  ce  titre  étoit  attaché  à  fa  dignité ,  &  que  les  Gétes  re- 
cevoient  fes  réponfes  comme  les  Oracles  du  Dieu  même  dont  il  étoit 
\t  Miniftre. 

§.  XIV.  Tirons  préfentement  notre  conclufion.  Puifque  les  Gétes 

•      (îol)  Ci-deff.  §.  6.  not.  95. 

(îoi)  Ci-d.  ch.  14.  §    12.  not.  IÎ7. 
(103J  Ci-d.  ch.  IV.  §.  10.  not.  «2. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VIL  445 

donnoient  le  nom  de  Zamolxis ,  non-feulement  au  Dieu  fuprême ,  mais 
encore  au  Chef  de   leurs  Druides,  rien  n'empêche  que  nous  ne  difions 
que  le  Légiflateur  des  Gétes  étoit  \\n  Philofophe  célèbre ,  qui  reçut  le  nom 
de  Zamolxis ,  lorfqu'il  fut  revêtu  de  la  dignité  de  fouverain  Pontife  de  fa 
Nation.  C'eft  de  ce  Philofophe  qu'il  faut  entendre  le  paflage  de  Diodore 
de  Sicile,  qui  dit  (104)  que  Zamolxis  fe  vantoit  d'avoir  reçu  de  la  Déeffe 
"Vefta,  les  Loix  qu'il  donna  aux  Gétes.  Peut-être  que  ce  Légiflateur 
comprenant  que  la  doûrine  des  peines  &  des  récompenfes  d'une  autre 
vie,  étoit  le  plus  ferme  appui  des  Loix,  n'épargna  rien  pour  lui  don- 
ner cours.  Peut-être  que  pour  mieux  y  réuffir ,  il  ufa  d'une  fupercherie  , 
qui  fit   croire  à  fes  Compatriotes  qu'il  étoit  mort ,  &  reffufcité  au 
bout  de  trois  ans.  Enfin,  on  ne  voudroit  pas  nier  abfolument  que  Py- 
thagore  n'eût  eu  un  Difciple ,  qui  ayant  fait  fortune  dans  fon  Pays ,  y 
flit  établi  Sacrificateur  du  Dieu  fuprême  ,  &c  reçut ,  en  conféquence,  le 
nom  de  Zamolxis,  au  lieu  qu'il  por:oit  auparavant  celui  de  Thaïes  (105); 
Mais  les  Grecs  ont  fait  ici  deux  fautes  confijjjérables.  Premièrement, 
ils  ont  confondu  le  Dieu  Zamolxis  avec  les  Sacrificateurs  qui  portoient 
fon  nom.  Ils  ont  attribué  à  ces  Sacrificateurs,  ce  qu'il  falloit  appliquer  au 
Dieu  dont  ils  étoient  les  Miniftres.  Ils  ont  dit,  par  exemple  (106),  que 
les  Gétes  offroient  des  facrifices ,  c'eft-à-dire,  des  viftimes  humaines  à  Za- 
molxis, qui  avoit  été  efclave  de  Pythagore ,  &  le  tenolent  pour  le  Dieu 
Saturne.  Ils  ont  dit  (107)  que  cet  Efclave ,  ayant  perfuadé  aux  Gétes 
que  l'ame  eft  immortelle  ,  &  leur  ayant  donné  des  Loix ,  a  été  reconnu 
pour  le  plus  grand  de  tous  les  Dieux.  Tout  cela  eft  dit  en  l'air.  On 
a  montré  ailleurs  (108)  que  les  Gétes  ne  connoiflbient  point  cette  apo- 
théofe  ,  en  vertu  de  laquelle  un  grand  homme  eft  mis,  après  fa  mort, 
au  nombre  des  Diçux.  Ils  donnoient  à  leurs  Pontifes  le  nom  de  Dieu ,  pen. 
dant  qu'ils  étoient  en  vie ,  &  qu'ils  rempliflbient  aftuellement  les  fonc- 
tions de  leur  charge.  Le  Succefleur  du  Pontife  héritoit  auffi  de  fon  titre. 
L'autre  faute  des  Auteurs  -Grecs ,  c'eft  de  n'avoir  pas  fait  affez  atten- 


(204)  Diodor.  Sicul.  lib.  I.  p.  59.  Jornandès 
met  Zeuta  ,  Diceneus  &  Zamolxis  au  nombre 
des  rliilofophes  qui  fleurirent  parmi  les  Goths  , 
après  qu'ils  eurent  pafle  dans  U  Thrace.  Jor- 
nandès Get.  cap.  IV.  p.  «13. 

(205)  Porphyr.  Vit.  Fythag.  Sert.   14. 
(za«J  Diogcn.  LaetC,    >n    Fitbag,  lib.  VIL 


Seft.  2.  p.  48  8.  On  aver  i:  ci-dcffus  ,  Liv.  fil. 
«hap.  «.  §.  14.  not.  115.  que  Diogene  Laëree 
attribue  à  Hérodote  une  remarque  qui  e'ioit 
de  Mnafeas.  f'ojtz.  ci-do<rus  ,  $,  13.  not.  194. 
(107)  Jamblich  ,  vica  Ijîhag.  Sect.  173, 
(2&»;Ci-d.Liv,  m.  ch.  14.  §.  J3^ 


44<5  HISTOIRE    DES    CELTES, 

tion  à  ce  qu'Hérodote  avoit  remarqué,  favolr,  que  le  Philofophe  Ta* 
molxis ,  qui  avolt  enfeigné  aux  Gétes  le  dogme  de  l'immortalité  de 
l'ame ,  devoit  être  plus  ancien  que  Pythagore.  EfFeftlvement ,  fi  Za- 
molxis  eût  été  Difciple  de  Pythagore  ,  11  auroit  dû  être  à  peu-près  contem- 
porain d'Hérodote  ,  qui  étoit  né  au  commencement  de  la  LXXIV^  Olym- 
piade ,  treize  à  quatorze  ans  avant  la  mort  de  Pythagore  (109)  qu'Her- 
mippus  plaçoit  vers  le  milieu  de  la  LXXVII  Olympiade.  Au  lieu  de 
cela ,  le  Dogme  de  l'immortalité  de  l'ame  étoit  beaucoup  plus  ancien 
parmi  les  Thraces.  C'étoit  (  zio),  comme  on  l'a  montré,  l'un  des  points 
de  la  Doftrine  d'Orphée,  qui  vivoit  neuf  à  dix  fiécles  avant  Hérodote, 
& ,  puifque  (  2- 1 1  )  les  Loix  des  Gétes  exilloient  déjà  du  tems  d'Ana- 
charfis ,  11  n'étoit  pas  poffible  que  le  Légiflateur  de  ce  Peuple  eût  été  Dif- 
ciple de  Pythagore. 

Lucien  n'y  avoit  fiirement  pas  bien  penfé.  Il  prétend  (212)  que 
Zamoixis,  efclave  de  Pythagore,  fut  mis  au  nombre  des  Dieux  par  les 
Gétes,  &  il  introduit  Anacharfis  ,  conjurant  un  de  fes  Compatriotes, 
au  nom  du  Dieu  (213)  Zamoixis,  de  lui  donner  retraite.  Pythagore 
ne  naquit  que  quelques  années  après  qu'Anacharfis  fut  arrivé  à  (214) 
Athènes.  Strabon  ne  devoit  pas  dire  non  plus  (215)  que  les  Gétes  obfer- 
voient ,  de  fon  tems,  la  Loi  que  Zamoixis,  Difciple  de  Pythagore  ,  leur 
avoit  donnée ,  de  s'abftenir  de  la  chair  des  animaux.  Cette  fuperftition  s'é- 
toit  introduite  parmi  les  Gétes,  dès  le  tems  d'Orphée.  Il  faut  donc  s'en 
tenir  à  ce  que  dit  Hérodote ,  que  le  Zamoixis  des  Gétes  doit  être  beau- 
coup plus  ancien  que  Pythagore. 

A  l'égard  de  l'étymologie  du  nom  de  (216)  Zamoixis^  que  quelques- 
uns  ont  écrit  Zalmoxïs ,  ou  Salmoxïs ,  il  n'efl  pas  poffible  d'en  rien 
dire  de  certain  ,  parce  que  ce  mot  étoit  tiré  d'une  Langue  qui  nous  efl: 
à  peu-près  inconnue.   Strabon  remarque  que  l'île  de  Samos  (où  les 


(109)  Diog.  I.aert.  vita  Pythag.  lib.  VIII. 
S  40.  Bruckcr  Hift.  Crit.  Philof.  lib.  II. 
cap.  10.  p.  lozi. 

(ïio)  Ci-defl".  §.  4. 

(2ll)Ci-d.  §.    10.  not.  IS3.  Se  IJ4. 

(îli)  Ci-d.  §.13.  not.  18  8, 

(ïil)  Ci-d.  §.  «.  not.  95, 

(214)  Anacharfis  arriva  à  Athènes  la  pre- 
mière année  de  la  XLVIIe.  Olympiade,  ci-delT. 
%•  fi.  not.  Si_.   On  ni«t  U  nailTance  de  Pytha. 


gore  ,  pour  le  plutôt ,  à  la  troifiéine  année  de 
la  XLVIIIe. olympiade  ,  8c  pour  le  plus  t.ird  , 
à  la  preiliiere  anne'e  de  la  Lille.  Olympiade. 
Brucker  ,  Hift.  Crit.  Philof.  lib.  II.  cap.  lo. 
pag.  S98. 

(ils)  Ci-d.  ch.  VI.  §.    2IÎ.  not.  233, 
(216]  Quelques  Manufcrits  d'Hcrodote  por- 
tent   Z/tmolxii.   On  lit  aufli  dans    Hcfychius  , 
Sulmtxis ,  Sacuinus ,  &i  Saltatio  ,  &  Cantileua. 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VII.  447 

Thraces  avoient  un  San^uaire  fort  célèbre  ) ,  avoit  reçu  fon  nom  des 
hautes  montagnes  dont  elle  eft  couverte ,  &  que  les  gens  du  Pays  ap- 
pelloient  dans  leur  Lzngue  (lïj)  Samnos.  Il  fe  pourroit  donc  que  Za- 
/72oLx-is  défignât  ici  le  Dieu  Tis ,  qui  étoit  adoré  lur  une  de  ces  hautes 
montagnes.  Si  cette  étymologie  ne  plaît  pas  au  Leûeur ,  il  pourra  jctter 
les  yeux  fur  celles  que  Porphyre  a  indiauées  (ii8).  Les  étymologies 
reffeniblent  affez  à  ces  nuages,  où  le  Peuple  découvre  des  chevaux,  des 
chariots,  des  armées  qui  fe  battent,  avec  toutes  les  autres  figures  qu'une 
imagination  bleffée  trouve  à  propos  de  leur  donner. 

§.  XV.  Les  Gétes  ont  eu  un  autre  Philofophe  fort  célèbre.  On  n'en  dira  nifioire  a» 
qu'un  mot ,  parce  qu'il  en  a  été  fait  mention  en  plufieurs  endroits  de  ce  ukc^ucus.'' 
Livre.  Strabon  affiire  (219  )  que  ce  Diceneus  parvint  au  milieu  des  Gé- 
tesjà  la  même  dignité  dont  Zamolxis  avoit  été  revêtu  quelques  fiécles  au- 
paravant. II  fuppofe  donc  que  les  deux  Philofophes  fleurirent  dans  la 
même  Nation.  Ce  qu'il  en  dit,  n'eft  cependant  pas  fans  difficulté.  Les 
Gétes  dont  Zamolxis  avoit  été  fouverain  Sacrificateur,  demeuroient  au- 
delà  du  Danube ,  du  côté  de  la  Grèce  (  zio  ).  Darius  Hyftafpe  pafTa  dans 
leur  Pays,  &  les  foumit  avant  que  d'arriver  au  Danube.  Au  lieu  de  cela, 
Diceneus  exerça  fon  Pontificat  dans  le  Royaume  de  Bérébiftes  qui  avoit 
fes  terres  en  deçà  du  même  fleuve  ,  du  côté  de  la  Sarmatie.  On  croit, 
cependant,  que  cette  difficulté  peut  être  levée  par  une  réflexion  que 
Strabon  fait  ailleurs.  Il  dit  (m)  que  les  Gétes  étoient  un  Peuple  No- 
made, qui  paffoit  &  repafibit  le  Danube,  félon  que  le  bien  de  {es  affaires 
le  demandoit. 

Quoi  qu'il  en  foit,  le  Géographe  qui  vient  d'être  cité,  paroît  juger 
fort  fainement  de  Diceneus  (aiz).  »  C'étoit ,  dit-il ,  un  Charlatan  qui, 
»  ayant  parcouru  l'Egypte ,  y  avoit  appris  certaines  manières  de  deviner, 
»  dont  il  fe  prévalut  ,  pour  perfuader  au  Peuple  que  les  Dieux  ren- 
w  doient  des  Oracles  par  fa  bouche  <«.  Jornandès ,  qui  voyoit  Diceneus 
dans  un  plus  grand  éloignement ,  &  qui  étoit  d'ailleurs  fon  Compatriote, 
en  Juge  bien  plus  favorablement.  Selon  lui  (u.}  ,  Diceneus  étoit  un 


{217)  Strabo  lib.  X.  p.  457. 

(218  Porphyre  dit  qu'on  donna  au  Philofo- 
phe le  nom  de  Zamilxii  ,  parce  qu'on  le  cou- 
vrit d'une  peau  d'ours  auifi-tôt  qu'il  fuv  né. 
Il  njoute  que  ,  félon  d'autres ,  le  nom  de 
Zamolxis  d^ligne  un  Eirim^tr,  Poiphyt  Vit. 
rytha|.  Sc£t.  14.  J;< 


(219)    Strabo  lib.  VII,  p.    298.  r^tt  aufg 
ci-dcffr.s  ,  §.  ij.not.  IS2. 
(,2îoj  Herodot.  IV.   S3. 
(  22 1)  Strabo  lib.  VII   p.  305. 
2ï2j  Ci-d.  ch.  IV.  §.  I  2.  not.  lï  J, 
(za>j  Ci-di  ch- lY.  §■  7.  noc.  ;}, 


44*  HISTOIRE    DES    CELTES, 

excellent  Philofophe  ,  un  bon  Théologien  ,  un  fage  Légiflateur,  & ,  eQ 
un  mot ,  un  homme  univerfel. 

On  croit  qu'il  efl:  très-permis  de  douter  de  tout  cela  ,  ou  ,  au  moins  , 
de  prendre  ces  éloges  au  rabais.  Mais  on  ne  peut  difconvenir  qu'à  l'im- 
pofture  près  ,  Diceneus  n'ait  été  un  grand  homme  ,  &  qu'il  n'ait  rendu 
des  fervices  fignalés  à  fa  Nation.  Il  releva  tellement  (214)  le  courage 
des  Gétes  que  le  tems  de  fon  Pontificat  ne  fut  marqué  que  par  des 
Viûoires  continuelles  qu'ils  remportèrent  fur  les  Peuples  voifms.  La 
Loi  par  laquelle  (115)  il  défendit  aux  Gétes  l'ufage  du  vin,  femble 
infinuer  qu'il  s'appliqua  férieufement  à  corriger  les  vices  de  fes  Com- 
patriotes. Il  ne  faut  donc  pas  être  furpris  que  les  Gots  confervaffent 
encore  ,  du  tems  de  Jornandés ,  un  profond  refpecl  pour  fa  mémoire  , 
&  que  ,  pour  donner  plus  d'autorité  aux  Loix  par  lequelles  ils  fe  gou- 
vernoient ,  ils  en  rapportaffent  Tinftitution  à  ce  Pontife  (226). 

On  pourroit  donner  encore    de   longs  articles  de  plufieurs    autres 
Philofophes  Scythes ,  dont  les  Anciens  font  mention.  De  ce  nombre 
font  Zeuta,  Abaris^  Tamyris ,  Linus ,  Toxaris ,  Promcthie ,  &C  quelques 
autres.  Mais  ,  d'un  côté  ,  nous  ne  fçavons    rien   de   leur    Doftrine  ; 
de  l'autre  ,  ce  qu'on  rapporte  de  leur  perfonne  ,  eft  enveloppé  de 
tant  de  fables  ,  l'on  y  trouve  tant  de  contradiûions  ,  que  le  plus  fur 
eft  de  n'en  rien  dire.  On  ajoutera  feulement  ici  un  mot  fur  la  confor- 
mité de  la  Philofophie  Pythagoricienne  avec  celle  des  Celtes, 
conforralié      g_  XVI.  On  prétend  que  Py  thagore  avoit  connu  des  Philofophes  Celtes , 
phic  l'ychâ-    &  qu'il  avoit  adopté  plufieurs  de  leurs  idées.  Un  Auteur,  cité  par  Clément 
avec «îu des  d'Alexandrie,  afiuroit ,  par  exemple  (227),  »  que    Pythagore  avoit 
^"*^  »  eu  pour  Maître  des  Gaulois  ».  Un  autre  ,  dont  Suidas  nous  a  donné 

des    Extraits,  difoit  (228)  »  que  ce  Philofophe  étudia  d'abord  fous 
»  Phérécyde  de  Scyros ,  &  enfuite  fous  Abaris  l'Hyperboréen  «. 

Comme  Pythagore  avoit  été  en  Thrace  ,  où  il  s'étoit  fait  initier 
(229)  aux  Myftères  inftitués  par  Orphée ,  &  qu'il  paffa  les  dernières 
années  de  fa  vie  en  Italie  ,  on  ne  pe\it  pas  douter  qu'il  n*ait  eu  occa- 


(124)  Stiabon  ,  .^prcs  avoir  rapporte  les  con- 
quêtes du  Roi  Bete'biftes,  aflure  qu'il  les  de- 
voit  toutes  aux  confeils  de  Oiceneus.  Stiab.VII. 
pag.  303.  3»4- 

[lis)  Cid.  cb.  IV.  $.  u.not.  m. 


(226)  Ci-d.  ch.  IV.  §.  7.  net.  j  j. 
(117)  Clem.  Alexandr.  Strom.  hb.  I.  c  p.  i  j. 
pag.  JS«. 

(128)  Suidas  in  Pyth,  Tom.  IU.  p.  231. 
(2^9)  Ft^'tb  I4  Cote  Zj  I. 

fion 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VIT.  449 

■fion  de  connoître  la  Religion  des  Celtes.  Mais  la  queftion  efl:  de  fça- 
voir,  s'il  en  avoit  effectivement  emprunté  quelque  chofe.  Hermippus 
le  croyoit  ainfi  (130).  Il  difoit  que  Pythagore  avoit  fuivi,  en  plufieurs 
articles  ,  les  opinions  des  Juifs  ^  des  Thraces.  Jamblique  affure  la 
même  chofe  (231).»  On  prétend,  dit-il,  que  Pythagore  affeâoit  d'i- 
»  miter  le  ilyle  d'Orphée  ,  &c  de  fuivre  fes  fentimens  ,  fur-tout  par 
M  rapport  à  la  Religion.  La  Théologie  ,  qu'il  enfeignoit  à  fes  Difcipks  , 
»  &  les  préceptes  de  Religion  qu'il  leur  donnoit ,  étoient  empruntés  , 
»>  en  partie ,  de  la  Dodrine  d'Orphée  ,  &c  des  Egyptiens  ;  en  partie.,  des 
»>  Chaldéens  ,  &  d?s  Mages  ;  en  partie  ,  des  Myflères  d'Ëleufis-,  d'Imbros, 
»»  de  Samothrace,  de  Délos  ;  &  encore  des  Myftères  qui  étoient  com- 
»  muns  aux  Celtes  &  aux  Ibères  «. 

Sans  rren  décider  fur  une  queftion  qui  paroît  être  fort  probléma- 
tique ,  on  a  ,  cependant  ,  lieu  de  croire  qu'Hermippus  &  Jamblique 
«voient  raifon.  On  fçait  que  la  Doârine  de  Pythagore  contenolt  plu- 
fieurs  Dogmes  ,  qui  étoient,  à  la  vérité,  reçus  parmi  les  Celtes,  mais 
que  ce  Philofophe  pouvoit  avoir  puifés  dans  d'autres  fources.  Il  di- 
foit ,  par  exemple  (132),  »  que  la  Divinité  eft  un  Efprit  répanda 
»  dans  toutes  les  différentes  parties  de  la  matière  ,  qui  donne  la  vie 
»  aux  animaux  «.  Il  reconnoiffoit  un  Dieu  fuprême  (133)  auquel  il 
rapportoit  l'origine  de  toutes  chofes ,  &  qu'il  appelloit  (139)  le  Dieu 
des  Batailles.  Il  ne  vouloit  pas  (135)  qu'on  repréfentât  la  Divinité  fous  la 
forme  de  l'homme  ,  ou  de  quelque  animal. 

On  a  prouvé  au  long  dans  le  Livre  précédent  ,  que  les  Celtes 
avoient  les  mêmes  principes,  &  qu'ils  s'exprimoient,  à  peu  près,  dans 
les  mêmes  termes.  Mais  Pythagore  avoit  pu  emprunter  toutes  ces  idées 
des  Juifs  ,  &  même  des  Egyptiens  ,  s'il  eft  vrai  qu'elles  fiffent  partie  de 
la  Doctrine  fecrette  que  les  Egyptiens  ne  confioient  qu'aux  Initiés. 
On  peut  dire  la  même  chofe  de  l'immortalité  de  l'âme.  Pythagore 
&  les  Druides  enfeignoient  également  ce  Dogme.  Cependant  les  opi- 
nions (i}6)  qu'on  attribue  au  Philofophe  fur  cet  important  article. 


(uo''   Hermi  p.   ai  Jofeph.    contta  Appio- 
■em.  lib.  I.  cap.  S. 

(131  !    Jarnhlich.    viti  Pythagorat,  S.    151. 
yag.    :  »7    8c    feq. 

jZ3 1    Cî-dclT.  LiY.  III.  ch.  3.  §.  S.  n^t.  )S. 

(iii<  Ci-dfffjs,  Liv.  m.    chap.    5.  §,  a. 

Tome  H, 


not.  13. 

(234)  Euftath.aU  lliad.  II.  p.  1S7. 
(2351  Clem.    Alex.  Strom.  lib.  I.  cap.  1$. 
pag.  3  5». 

^ijS;  Ci-d.  Liv,  m.  ch.  17. 

LU 


45©  HISTOIRE    DES    CELTES, 

approchent  beaucoup  plus  de  la  Doûrine  des  Egyptiens  que  de  celle 
des  Celtes. 

Mais  voici  quelques  autres  points  de  la  Doftrine  de  Pythagore  ,  qu'il 
avoit  tirés  ,  félon  toutes  les  apparences  ,  des  Peuples  Celtes.  Ce  Phi- 
lofophe  faifoit  un  grand  cas  des  (137)  Divinations,  Si  de  la  (2-38) 
Magie  ;  &   ces  belles  Sciences  appartenoient  à  la  Doftrine  fecrette, 
qu'il  ne  confioit  qu'aux  plus  affidés  de  fes  Difciples.  Les  Divinations 
qu'il  pratiquoit ,  ne  diiîeroient  point  de  celles  qu'on  a  repréfentées  dans 
l'un  des  Chapitres  précédens.  Il  devinoit ,  non  -  feulement  par  le  vol 
des  oifeaux,  mais  encore  par  le  moyen  de  certaines  (2.39)  branches 
d'arbre  ,  ce  qui  étoit  une  forte  de  Divination  particulière  aux  Peuples 
(240)  Scythes  &  Celtes.  Il  faut  en  dire  autant  de   la  Magie  de  Pytha- 
gore (241).  »  Il  fe  vantoit  de  guérir  certaines  maladies  par  des  en- 
»  chantemens  «  ,  fuperftitions  dont  Platon  (141)  rapportoit  l'origine 
aux  Thraces. 

Outre  cela,  Pythagore  propofoit  fa  Doflrine  (  243  )  dans  des  Vers^ 
qu'il  n'étoit  pas  permis  de  confier  au  papier.  Il  compofoit  des  Hymnes 
(244)  à  la  louange'  de  la  Divinité  &  des  gens  de  bien  ;  il  apprehoit  à  ies 
Difciples  à  chanter  ces  Hymnes ,  &  à  les  accompagner  de  l'harmonie  de 
quelque  inftrument. 

Enfin  ,  il  fuffit  de  lire  les  Auteurs  qui  ont  écrit  la  vie  de  Pythagore  i 
pour  comprendre  que  ce  Philofophe  étoit  un  Fanatique ,  qui  donnoit 
dans  toutes  les  vifions  des  Celtes ,  par  rapport  à  ce  que  les  Anciens 
appelloient  la  Phyfiologie.  Il  faifoit  attention  au  vol  d'un  oifeau ,  à 
l'abboyement  d'un  chien  ,  parce  qu'il  étoit  dans  l'idée  que  la  voix  de 
la  nature  étoit  la  voix  même  de  la  Divinité,  qui  donnoit  à  l'homme 
mille  inftrudions  falutaires ,  par  le  miniftère  des  animaux  ,  &c  même  , 
par  les  êtres  inanimés,  qui  ne  paroiffant  agir  que  par  un  fimple  infîinft  , 
ou  par  une  détermination  aveugle  ,  ne  laiffoient  pas  d'être  les  inflru- 
jnens  ou  les  organes  d'un  Etre  intelligent  &  fage. 

Tout  cela  paroît  confirmer  l'opinion  de  ceux  qui  ont  cm  que  Py- 


(137)  Clem.  Alex.  Strom.  lib.  I.  p.  39p. 
(i3«  Plin.  Hift.  Nat.  lib.  XXX.  cap.  i. 
(239)  Suidas  in  Pythag.  T.  III.  p.  jji. 
(24o)Ci-d.  ch.  VI.  5.   17. 
(i+i)  Jamblich.  Vit.  Pythagoise,  S,    H-j. 


pag.  139. 

(141)  Ci-deir.  cap.  IV.  §.  10.  not.  91. 

(  Z43  )   Ciceie     Tufcul.    Qusft.    lib. 
pag.  3  53J. 

(243)  Suidas  Tom.  III.  p.  231. 


Vf, 


LIVRE    IV.     CHAPITRE    VIII.  451 

thagore  avoit  connu  les  Celtes ,  &  qu'il  en  avoit  emprunté  quelque 
chofe.  Ce  n'eft  ,  cependant ,  qu'une  conjeûure  ,  qui  peut  être  regardée 
comme  auffi  incertaine  que  tout  ce  qu'on  a  dit  fur  la  Vie  &  les  Dogmes 
de  ce  Philolopfie. 


C   H   A  P  I  T  R  E     VIII. 

Ç.  1. 1  L  ne  refte  plus ,  pour  finir  ce  Livre ,  que  de  faire  quelques  remaf» 
ques  fur  la  manière  dont  les  Peuples  Celtes  ont  reçu  le  Chriflianifme. 
Nous  n'avons  point  intention  de  donner  ici  l'Hiftoire  de  la  con- 
verfion  de  ces  Peuples.  Ce  feroit  un  Ouvrage  d'un  travail  infini ,  &  nous 
ne  ferons  pas  difficulté  d'avouer  que  cette  entreprife  eft  au-deffus  de  notre 
portée.  On  fe  propofe  uniquement  de  faire  ici  quelques  réflexions  gé- 
nérales qui  ont  une  liaifon  naturelle  avec  le  fujet  qu'on  a  traité  dans  ce 
Livre  &C  dans  le  précédent. 

§.  II.  Il  y  eut  de  bonne  heure  des  Eglifes  Chrétiennes  en  Efpagne  ,  riudeurspe» 
dans  les  Caules  ,  dans  la  Germanie  première  &  féconde  ,  dans  la  gran-  embuircrcnt 
de  Bretagne,  oC  dans   toutes  les  autres  parties  de  la  Celtique  ,  qui  nu  pitco» 
obéiffoient  aux  Empereurs  Romains.  Saint  Irénée  (  i  )  &  (1)  TertuUien  ^'  '°''' 
font  déjà  mention  de  ces  Eglifes  &  des  progrès  que  la  Religion  Chré- 
tienne faifoit  tous  les  jours,   dans  les  différens  Pays  que  l'on  vient  de 
nommer.  Les  converfions  qui  font  les  plus  anciennes  ,  font  aufîî  les 
plus  glorieufes  au  Chriftianifme.  Ni  la  crainte ,  ni  l'intérêt ,  ni  d'autres 
confidérations  humaines  n'y  eurent  aucune  part.  L'excellence  de  la  Re- 
ligion que  les  Miniftres  de  l'Evangile  annonçoient ,  les  Miracles  dont 
ils  appuyoient  leurs  Prédications ,  le  foin  qu'ils  prenoient  de  foutenir 
par  de  bons  exemples,  les  falutaires  inftruûions  qu'ils  donnoient  au 
genre  humain ,  la  patience  des  Confeffeurs  &  des  Martyrs ,  tout  cela 
déterminoit  les  hommes  à  embraffer  le  Chriftianifme ,  au  préjudice  même 
de  leurs  intérêts  temporels. 

Naturellement  la  Doftrine  de  l'Evangile  dut  trouver  moins  d'obfta- 
cles  au  milieu  des  Peuples  Celtes  ,  qui  retenoient  encore  leur  ancienne 
Religion  ,  que  parmi  les    autres  Payens.  Les  Celtes   reconnoiffoient 

(i)  Irenceus  ,  Adr.   Hzref.  Lib.  I.   cap,  |. 
\»)  TcitalU  adv.  Jud.  cap.  7. 

LIU 


tciec. 


451  HISTOIRE     DES    CELTES, 

un  Dieu  fuprcme  ,  Invlfible  ,  Eternel,  Créateur  du  monde  &  de  Thom- 
me ,  ou  de  l'animal.  Quoiqu'ils  reconnufient  des  Dieux  fubalternes  , 
ils  ne  vouloient  pas  ,  cependant ,  qu'on  parlât  de  leur  naiffance  ,  de 
leurs  mariages  ,  de  leur  mort  ,  ni  qu'on  étendît  la  diftinûion  des  Sexe* 
à  ces  natures  fpirituelles  ,  que  le  premier  Etre  avoit  unies  aux  Elémens, 
pour  les  diriger  aux  fins  auxquelles  ils  ctoient  deflinés.  Ils  admettoienf 
■encore  le  Dogme  àes  peines  &  des  récçmpenfcs  d'une  autre  vie.  Quoi- 
que ces  idées  fuffent  mêlées  d'erreurs  &  de  fuperftitions ,  elles  étoient  , 
cependant ,  une  avance  ,  &  un  acheminement  pour  faciliter  la  conver- 
fionpeces  Peuples.  Il  ne  s'agifToit  pas  de  les  détruire  ,  mais  feulement 
de  les  redifier  ,  &ç  de  les  épurer. 
D'autres  fe  ,§.  III.  Plufieurs  Peuples  Celtes  embrafferent  le  Chriftianifme ,  dans 
ii.iis  pai  in-  le  cours  du  quatrième  &  du  cinquième  ficcle.  De  ce  nombre  furent 
les  Goths  ,  les  Vandales ,  les  Suèves  ,  les  Gépides  ,  les  Lombards  , 
les  Bourguignons ,  les  Hérules ,  &  d'autres.  Il  eft  vifible  que  l'intérêt 
eut  beaucoup  de  part  à  la  converfion  de  ces  Peuples.  Ils  étoient  voi- 
fms  des  Provinces  de  l'Empire  ,  qui  avoit  à  fa  tête  des  Princes  Chré- 
tiens. Ils  afpiroient  tous  à  la  qualité  de  Fœderati ,  c't ft- à-dire  ,  d'Alliés, 
en  vertu  de  laquelle  on  leur  payoit  de  gros  fubfides ,  foit  pour  fournir 
des  troupes  à  l'Empire  ,  foit  pour  en  garder  les  frontières,  foit  enfin 
pour  les  obliger  de  vivre  en  paix  avec  les  Romains ,  &  de  ne  plus  faire 
d'incurfions  fur  les  terres  de  l'Empire.  Il  y  eut  même  de  ces  Peuples- 
à  qui  les  Empereurs  d'Orient  &  d'Occident  affignerent  des  demeures 
fur  les  terres  de  l'Empire,  pour  les  mettre  à  couvert  de  la  fureur  des 
Huns  ,  ou  de  quelqu'autre  puiflante  Nation ,  à  laquelle  ils  ne  pouvoient 
réfifter.  Tout  cela  obligeoit  les  Peuples  dont  on  vient  de  faire  mention, 
à  ménager  les  Empereurs ,  à  recevoir  les  Miffionnaires  qu'on  leur  en- 
voyoit,.&  quelquefois,  à  demander  eux-mêmes  l'inAruftion  &  le  Bap- 
têiïie.  Socrate  remarque  ,  par  exemple  f  5),  que  Phritigerne,  Roi  des 
VifigQths ,  ayant  obtenu  de  l'Empereur  Valens  du  fecours  contre  les 
Oftrogoths ,  embraffa  la  Religion  Chrétienne,  &  qu'il  exhorta fes  Sujets 
à  fuivre  fon  exemple.  Le  même  Hiflçrien  rapporte  aufïï  (4)  ,  que  les 
Bourguignons  étant ,  prefTés  par  les  Huns-,  pafTerent  dans  une  Province 

des  Gaules  ,  6c  dema.rtderent  le  Baptême  à  l'Evêque  du  Diocèfe. 

"         — — Il         .11  i       .1    ■ . 

(3}  Socrat.  Hift.  Ecc.  lib.  IV.  cap,  3  j. 
(4)  SocMt.  lib,  VU.  caf .  30, 


LIVRE     IV.    CHAPITRE    VIII.  453 

Quoiqu'on  ne  puifle  pas  douter  que  des  confidérations  humaines , 
&  des  intérêts  temporels ,  n'ayent  eu  beaucoup  de  part  à  la  converfion 
de  ces  Peuples ,  il  faut  avouer  qu'elle  fut ,  au  moins  ,  volontaire. 
On  ne  forçoit  perfonne  à  embraffer  le  Chriftianifme.  Ceu^  qui  demeu-  . 
roient  attachés  à  leur  ancienne  ReUgion  ,  confervoient  leurs  biens  &C 
leurs  Dignités  ,  &  l'on  voit ,  julques  dans  le  leptiéme  fiécle  ,  un  Duc 
des  Lombards  (  5  )  qui  faifoit  une  profeffion  ouverte  du  Paganifme. 

Au  reile  ^  tous  ces  Peuples  furent  convertis  par  des  Miffionnaires 
Grecs,  &  le  furent  ,  pour  la  plupart,  fous  l'Empire  de  Valens,  c'eft- 
à-dire,  dans  un  tems  où  rArianifme  avoit  le  deffus  en  Orient.  De-là 
vient  qu'ils  étoient  tous  Ariens  (  6  ).  On  prétend,  à  la  vérité ,  qu'ils 
«voient  été  Orthodoxes,  avant  que  de  tomber  dans  l'Héréfie.  Mais  le  fait 
ne  paroît  pas  certain.  Nous  abandonnerons  cette  difcuffion ,  par  ce 
qu'elle  n'eft  pas  de  notre  fujet. 

§.  IV.  Les  Peuples  qui  demeurèrent  dans  la  grande  Germanie  ; 
après  que  les  Goths  ,  les  Vandales,  les  Sucves  ,.  les  Lombards  &  le$ 
Bourguignons  l'eurent  quittée  ,  furent  convertis  infenfiblement  par  les; 
foins  des  Rois  Mérovingiens  &  Carlovingiens.  Les  Succeffeurs  de 
Clovis  commencèrent  l'ouvrage  ;  Charlcmagne  &  ks  defcendans  l'a- 
chevèrent. Les  Francs,  par  exemple,  les  Allemands  &c  les  Bavarois, 
reçurent  le  Chriftianifme  fous  les  Rois  de  la  première  Race.  Les  Fri- 
fons,  au  contraire,  les  Veftphaliens ,  les  Saxons  ne  le  reçurent  que  fous 
les  Rois  de  la  féconde  Race. 

Ici  on  ne  voit  prefque  que  des  converfions  involontaires  &  for- 
cées. Les  Miffionnaires  détruiioient  les  Forêts  confacrées  (7).  Ils  abba- 
toient  les  arbres  qui  étoient  l'objet  de  l'Idolâtrie  Payenne.,  &  met- 
loient  en  leur  place  des  croix,  qu'ils  propofoient  au  Peuple  pour  être 
l'objet  d'une  nouvelle  adoration.  Ils  pouvoient  le  faire  impunément , 
parce  qu'ils  étoient  toujours  bien  accompagnés,  &  foutenus  quelque- 
fois par  de  bonnes  armées  ,  qui  annonçoient  aux  Catéchumènes  la 
Mort  ou  le  Baptême.  Il  falloit  choifir  dans  le  moment  même.  Parmi  les 
Capitulaires  de  Chale^-Magne  ,  il  y  en  a  un  qui  propofe  cette  terrible 


(s)  Atiulfe  ,  Duc  de  Spolc'te  ,  foas  Ag'lule  , 
B-Oi  des  Lombards  ,  étoit  Payen.  Paul.  Diac. 
ÏLei.  Long.  lib.  IV.  cap.  5.    p.  39*. 

{i)  Piocof.  Vfindal.  lib.  i.  cap.  il.  p.  17». 


Paul.  Diac.  Hift.  Mifc.  lib.  XIV.  p.  i«i. 

(j)  Voyez.-en  un  exemple  ei-dcflus  ,  ch.  11. 
§.  18.  .lot,   loi. 


454  HISTOIRE    DES    CELTES; 

alternative  aux  Saxons  ,  ordonnant  (  8  )  »  que  ceux  qui  fe  cacheront 
♦>  pour  ne  pas  recevoir  le  Baptême,  foient  punis  du  dernier  fuppli'ce». 
Cette  Loi  ctoit  une  fuite  de  la  ferme  réfolution  que  Charles  -  Magne 
avoit  prife  ,  depuis  long-tems  (9) ,  de  convertir  les  Saxons ,  ou  de  les 
exterminer.  L'Hiftoire  du  moyen  âge  fournit  un  grand  nombre  d'exem- 
ples (10)  d'une  femblable  manière  de  procéder. 

Dans  le  fond,  ni  les  Saxons,  ni  les  autres  Peuples  Celtes,  n'avoient 
aucun  fujet  de  fe  plaindre  des  févérités  que  l'on  exerçoit  contre  eux. 
Quand  ils  avoient  le  deffus  ,  ils  ruinoient  les  Templçs ,  &  brifoient  les 
Idoles  des  autres  Payens.  Ils  immoloient  à  leurs  Dieux  (11)  les  prifon- 
niers  qu'ils  faifoient  à  la  Guerre.  On  fuivcit  leurs  principes  &  leur  exem- 
J)le  ,  en  leur  rendant  la  pareille.  Malgré  cela  ,  les  converfions  for» 
cées  ,  dont  il  s'agit  ici  ,  n'en  étoient  pas  moins  contraires  à  la  raifon  ,  Sc 
à  l'efprit  du  Chriftianifme  ,  &  nous  verrons  tout-à-l'heure  ,  qu'elles  fai- 
foient ordinairement  de  très  mauvais  Chrétiens.  Il  eft  certain ,  com- 
me on  l'a  remarqué  ,  il  y  a  long-tems  ,  que  la  Religion  Chrétienne 
faifoit  des  converfions  plus  glorieufes  &c  plus  fûres,  lorfqii'elle  laifToit 
répandre  le  fang  de  fes  Maryrs  ,  que  lorfque  fes  Miniflres  prirent  les  ar- 
mes ou  les  mirent  entre  les  mains  des  Fidèles  pour  égorger  les  enne- 
mis de  Jesus-Christ. 

§.  V.  Parmi  les  Peuples  Celtes ,  qui  avoient  embraffé  le  ChrilVianif- 
me  ,  il  s'en  trouva  plufieurs  qui  ne  renoncèrent  pas  pour  cela  à  l'Ido- 
lâtrie &  aux  fuperftitions  Payennes.  Procope  le  difoit  des  Francs  (12.). 
>»  Ces  Barbares  ,  quoiqu'ils  faflent  profefTion  de  la  Religion  Chré- 
»»  tienne  ,  ne  laifTent  pas  d'obferver  plufieurs  cérémonies  de  leur  aa- 
»  cienne  Religion  ,  immolant  des  viftimes  humaines,  commettant  d'autres 
M  abominations,  &  fe  montrant  fort  attachés  aux  Divinations  «.  La  même 
chofe  eft  avouée  dans  une  Préface  qui  fe  trouve  à  la  tête  des  anciennes 
Lolx  des  Bavarois  (i  3).  »Théodoric  (Roi  d'Auftrafie  )  avoit  changé  dans 
»»  les  Lolx  des  Francs ,  des  Allemands ,  des  Bavarois  ,  tout  ce  qui  tenoit 
f  encore  des  Coutumes  Payennes.  Il  avoit  réformé  ces  Loix  par  celles 
»  de  l'Evangile.  Il  y  eut,  cependant,  plufieurs  Coutumes  qu'il  ne  put 


(«    Capital,  de  Pattib.  Saxon,  cip.  7. 
(9)Eginliard.  ad  Ann.  77« 
(10;  yoyez,  Baltiz.  not.  ad  Agobard.  p. 
le  fuiv.  Kcyllerp.  i+i.  344. 


3«. 


(it    Ci-dcflus  ,  ch.  V.   §    7. 
(12)  rrocop.  Gotb.  lib.  II.  cap.  25  p.  44». 
(  13  )   Frolcgom.  »d  Icg.   Bajuai.  ap.  Lin- 
Jeinb.  p.  3S». 


LIVRE    IV.    CHAPITRE    VIII.  455 

♦)  abolir.  Childebert  entreprit  cet  ouvrage ,  Clotaire  l'acheva  ,  &  Da- 
»>  gobert  fît  enfuite  mettre  par  écrit  les  Loix  de  chaque  Peuple  «.  On  a  , 
d'ailleurs ,  eu  occafion  de  citer  un  grand  nombre  de  Loix  &  de  Canons 
(14)   qui    défendent  aux  Gaulois,  aux  Francs  ,  aux  Lombards,  aux 
Vifigoths ,  &  aux  Saxons ,  de  fe  rendre  de  nuit  dans  les  Forêts  ,  près 
des  arbres,  des  fontaines,  &  des  pierres,  d'y  allumer  des  chandelles, 
d'y  offrir  des  Sacrifices ,  d'y  faire  des  feflins ,  &  de  pratiquer ,  là ,  ou 
ailleurs ,  des  Divinations  &C  des  Enchantemens,  à  la  manière  des  Payens. 
Tout  cela  ne  permet  pas  de  douter  que   l'Idolâtrie    Payenne  n'ait 
fubfirté  long-tems  dans  une  bonne  partie  de  la  Celtique  où  le  Chriflia- 
nifme  paroiffoit  établi.  Il  n'étoit  pas  pofîible  qu'il  en  fut  autrement  par 
rapport  à  tous  ces  Peuples ,  qui  n'avoient  reçu  l'Evangile  que  par  in- 
térêt ou  par  crainte.  Ayant  toujours  l'ancienne  Religion  dans  l'efprit  Sc 
dans  le  cœur  ,  ils  retournoient  à  fon  culte  &  à  fes  cérémonies ,  toutes  les 
fois  qu'ils  pouvoient  le  faire  fans  crainte  d'être  dénoncés  aux  Perfé- 
cuteurs  Chrétiens. 

Ce  qu'il  y  a  ici  de  remarquable  ,  c'efl  que  les  Irlandois  ,  en  embraf- 
fant  la  Religion  Chrétienne  ,  eurent  afTez  de  bonne  foi  pour  fe  réferver 
la  liberté  (15),  premièrement,  de  facrifîcr  en  fecret  à  leurs  anciennes 
Divinités,  en  fécond  lieu,  d'expofer  leurs  enfans  ,  &  enfin  de  manger 
de  la  chair  de  cheval.  Le  dernier  articje  auroit  pu  leur  être  accordé 
fans  aucune  difficulté.  Mais  ces  minuties  paffoient  alors  pour  des  devoirs 
efTemiels  du  Chriflianifme.  Il  avoit  été  prononcé  (16)  que  cette  viande 
étoit  immonde  &  exécrable. 

C'efl  une  chofe  véritablement  curieufe  ,  de  voir  les  queflions  que  Bo- 
niface  ,  Apôtre  des  Germains ,  propofoit  quelquefois  au  Pape  ,  &  la 
complaifance  avec  laquelle  le  Souverain  Pontife  répondolt  à  des  de- 
mandes qui  regardoient  la  cuifine  plutôt  que  la  confcience.  Voici  ce 
que  le  Pape  Zacharie  mandoit  au  Prélat  dans  une  de  fes  Lettres  (17); 
hVous  me  demandez  encore  combien  il  faut  garder  le  lard,  avant 


(14)  Cidefl".  Liv.  III.  ch.  4.  §.  2.  not.  I. 
1 3 .  14.  chap.  1 1 .  $.  z.  not.  i  3  ■  Lir.  IV.  cbap,  2. 
§.  6.  not.  «o.  §.  is.  not.  109.  §.  1  9-  not.  125. 
$.  21.  not.  1 5«.  §.  zs-  not.  loi.  chap.  j.  §.  i. 
noi.  14-it.  ch.  4.  $.  iS.  not.  Z46.  241. chap,  5. 
$.  14.  not.  iis-169,  chap.  6.  §.  7.  not.  S4.  £5. 
$.  17.  not.  i<i.§<  24.not.  224.  $.  a;,not.  2J9. 


S3I.  232. 

{l$)Keyflerp.  334-  Î3J. 

(i(S)  Epift.  Gregor.  III.  in  Epift.  Sanfti  Bo- 
nifacii  apud  Seiarium  £p.  iiz.  p.  i<t.  Sc  apud 
Othlonem  lib.  I.  cap.  31, 

(17)  Epift.  Zachar.  Papx  in  Epift.  Bonif.  apud 
Seiat.  £f .  142.  Sc  apud  Othlon.  Ub.  I.  cap.  14. 


456  HISTOIRE    DES    CELTES, 

«  que  de  le  manger.  Les  Pères  n'ont  rien  ordonné  là-deffus.  L'avis  que 
«j'ai  à  vous  donner  liir  votre  demande,  eft  ,  cependant,  qu'il  ne 
»  faudroit  pas  le  manger  „qu'il  n'eût  été  léché  à  la  fumée  ,  ou  cuit  au 
»  feu.  Si  on  veut  pourtant  le  manger  crud  ,  il  fera  à  propos  d'atten 
»  dre  pour  cela ,  que  les  Fêtes  de  Pâques  foient  paflées  (i8)  «. 

Par  la  fuite  du  tems  ,  on  vint,  cependant,  à  bout  de  déraciner  du 
•  milieu  des  Peuples  Celtes.,  ces  reftes  de  l'idolâtrie  Payenne ,  dont  les 
anciens  Canons  font  mention.  Autant  qu'on  peut  en  juger,  le  moyen 
le  plus  efficace  dont  on  fe  fervit  pour  y  réuffir  ,  fut  de  repréfenter 
Jes  Partiians  de  l'ancienne  Religion  comme  des  Sorciers  ,  qui  avoient 
fait  pafte  avec  le  Démon.  Parce  qu'ils  alloient  faire  leurs  dévotions 
pendant  la  nuit,  fur  des  Montagnes  &c  dans  des  Forêts  ,  où  les  Payens 
avoient  eu  leurs  Sanctuaires ,  on  prit  de-là  occafion  de  les  faire  paffer 
pour  des  fcélérats  ,  qui  couroient  les  bois  &  les  champs  ,  pendant  que 
Jes  autres  dormoient ,  foit  pour  y  danfer  &  pour  s'y  réjouir  avec  le 
Diable, .foit  pour  y  pratiquer  des  maléfices  qui  tcndoient  à  la  deflruc- 
tion  du  genre  humain,  &  qui  méritoient,  par  conféquent ,  le  plus  ri- 
goureux de  tous  les  fupplices ,  c"eft-à  dire ,  la  peine  du  feu.  Depuis  ce 
tems-là,  les  Payens  prirent  le  parti  de  demeurer  chez  eux  ,  &  de  re- 
noncer à  un  culte  qui  les  rendoit ,  non-feulement  l'objet  de  l'exécra- 
tion publique  ,  mais  qui  les  expoloit  encore  à  être  brûlés  fans  auctfne 
miféricorde. 

§.  VI.  Il  y  eut  d'autres  fuperflitions  Payennes  ,  qui  fubfifîérent  beau- 
coup plus  long-tems  parmi  les  Peuples  Celtes  ,  après  qu'ils  eurent  em- 
braffé  le  Chriftianifme.  Le  Duel,  par  exemple  (19),  confidéré  comme 
une  Divination  ,  &  un  moyen  de  diflinguer  l'innocent  du  coupable  : 
les  épreuves  du  (2,0)  feu  ,  de  l'eau  froide  (21)  &  bouillante,  &  lesau- 
tjres  fortes  (21)  de  Divinations  dont  on  a  eu  occafion  de  parler.  Il  n'eft 

~- ■  ■ —a 

'      (18    Entre  les  Lettres  du  Pape  Zacharie  qui  particulier  de  re'gler  fa  cuiûne  comme  bon  lui 

fe  trouvent  au  Tome  II.   des  Conciles  ,  on  en  ferable.    «Il  eft   permis  d'ufer  de  tout  ce  que 

voit    une   écrite   à   Boniface   ,    Archevêque  de  »  Dieu  a  cre'e' ,  dit  S.  Paul ,  &  on  ne' doit  rien 

Mayencc,   où    il   eft  ordonné  aux  Chrc'ient  fur-  »  rejetter    de    ce  qui    fe  mange  avec   atlion  de 

tout  de  l'abjlenir  de  U  chair  des gtais ,  des  corncillei  ,  »  grâces,  parce  qu'il  eft  fanftifié  par  la  parole 

dei  ci^S"",  4"  lièves  ^des  Cajfers  eu  hiivrei  &  des  »  de  Dieu   &    par  la  prière  »   i.  Çor.  IV.  ^.  f, 
'  thevaux  fnuv^^is.  Cette  de'fenfe   prouve   l'igno-  |       (19    Ci  d.  ch.  Vt.  §   j. 

rancc  &  la  fuperftition  du  Pontife  Romain.  U  (20)  Ci-d.  ch.  Vf  §   11 


eft  bon  ,   fans  douté  ,    de    ne  pas  maiT^er  des 

corneilles  &.  des  cigpgnes,  1  caufc  qu'elles  font 

'tiès-de'fagteablcs  au  goût;  mais  c'eii  à  chaque' 


(11)  Ci-d,  ch   VI.  §.  ,4.  ij. 
(»î)  Ci-d.  cb.  YI.  §.  17. 


pas 


LIVRE    TV.    CHAPITRE    VIII.         ^^57 

J)as  difficile  de  deviner  pourquoi  ces  abus  fe  maintinrent  fi  long-tems. 
On  trouva  le  moyen  de  les  féparer  du  Paganifrae,  &  de  les  incorporer, 
pour  ainfi  dire  ,  dans  la  Religion  Chrétienne.  Le  Clergé  qui  préfidolt 
à  ces  différentes  Divinations ,  les  foutenoit  de  tout  fon  pouvoir ,  par- 
ce qu'elles  fervoient  à  affermir  fon  autorité  ,  &  qu'elles  étoient ,  d'ail- 
leurs ,  une  branche  confidérable  de  {es  revenus.  AufTi  ne  fut-ce  pas  par 
les  foins  du  Clergé  que  l'on  revint  à  la  fin  de  ces  fuperftitions.  Nous  en 
avons  toute  l'obligation  aux  Jurifconfultes  ,  ^  particulièrement  ,  à 
ceux  qui  enfeignoient  le  Droit  Romain ,  comme  il  feroit  facile  de  le 
montrer ,  fi  cette  difcuffion  étoit  de  notre  fujet. 

§.  VII.  Il  ne  feroit  peut-être  pas  hors  de  propos  de  montrer  encore 
ici  qu'elles  font  les  fuperftitions  Payennes  qui  fe  font  confervées  jus- 
qu'à ce  jour  parmi  les  Peuples  Cehes.  Mais  ,  d'un  côté ,  la  matière  eft 
extrèment  délicate.  Bien  des  gens  fe  fâcheroient  fi  on  leur  difoit  que  plu- 
fieurs  Peuples  Celtes  offrent  encore  à  la  Divinité  des  viftimes  humaines; 
que  ceux  qui  préfident  à  ces  barbares  Sacrifices  ^  font  les  Druides  , 
dont  l'empire  fubfifte  dans  toute  fon  étendue  ,  fans  en  excepter  l'o- 
béiffance  aveugle  ,  &  avec  cette  cette  feule  différence ,  qu'il  s'exerce 
fous  des  •noms  plus  refpedables.  D'un  autre  côté  ,  on  a  repréfenté 
avec  affez  d'étendue  les  idées  &  les  fuperftitions  des  Peuples  Celtes  , 
par  rapport  à  la  Religion,  pour  pouvoir  laifler  à  un  Leûeur  attentif  & 
judicieux  le  foin  de  juger  par  lui-même  ,  â  quel  égard  elles  fubfiftent 
encore. 

On  finit  donc  ici  ce  long  Traité  de  la  Religion  des  Celtes.  Si  ces  re- 
cherches plaifent  au  Public ,  on  continuera  de  l'entretenir ,  dans  les  Li- 
vres fuivans ,  de  différentes  chofes  qui  regardent  la  manière  de  vivre 
cesPeuples,  ôc  fur-tout  de  leurs  anciennes  migration^. 


/>'/»  du  quatrième  6*  dernier  JJyrc, 


Tome  II,  M  m  14 


458 


REMARQUES 


Sur  les  Tems  facrés  des  anciens  Gaulois  6'  des  Germains ,  par 

M.    P  E  LLOUT  I  E  R     (l). 

Je  me  propofe  de  parler  en  peu  de  mots, du  tems  où  les  anciens  Habl- 
tans  des  Gaules  &c  de  la  Germanie ,  tenoient  leurs  Affemblées  Rdigieu- 
fes.  II  faudra  bien  diftinguer  ici  ce  qui  eil:  certain  &   indubitable  ,  de 
ce  que  je  ne  pourrai  avancer  que  fur  de  fimples  conjeiSures ,  qui ,  cepen-i 
dant,  ne  font  pas  deftituées  de  vraifemblance.  Ce  qu'il  y  a  de  confiant, 
c'eft,  i^.  que  toutes  les  Affemblées  Religieufes  des  Celtes  ^fe  faifoient  dç 
nuit.  Jules-Céfar  (  z  ) ,  parlant  des  Gaulois  ,  dit  «.   qu'ils  fe   vantoient 
»  tous  d'être  iffus  du  Père  Dis  ,  &  qu'ils  diîoient  l'avoir  appris  de  leurs 
«  Druides.  C'efl  pour  cela  qu'ils  mefuroient  le  tems  par  le  nombre  des 
»  nuits,  &  non   par  celui  des  jours,  comptant  les  jours  de  leur  naif- 
»fance,  les  mois  &  les  années  d'une  telle  manière  ,  que  le  jour  fuivoit 
«toujours  la  nuit.»  Sans  examiner  ici  qui  étoit  ce  Père  Dis  y  auquel  les 
Peuples  Celtes  rapportoient    l'origine  du  Genre  -  humain ,  il  fuffira  de 
remarquer  que  les  Gaulois  confacroient  la  nuit  au  Dieu  qu'ils  regardoient 
comme  le  Créateur  de  l'homme  ,  6c  que  par  cette  raifon,  ils  mefuroient 
le  tems  par  le  nombre  des  nuits,  &  non  par  celui  des  jours.  Tacite  (3) 
dit  la  même   chofe  des  Germains  :  «  Quand  les  Germains  font  quelque 
f>  calcul,  ils  ne  comptent  pas,  comme  nous  ,  le  nombre  des  jours ,  mais 
»  celui  des  nuits.   C'efl  pour  la  nuit  qu'ils  fixent ,  &  qu'ils  indiquent 
»  les  Affemblées.  Il  femble  ,  félon  eux  ,  que  le  jour  eft  une  faite  de 
^la  nuit.»  Comme  la  nuit  étoit  confacrée  au  culte  des  Dieux,on  lui  don- 
noit  la  préférence  fur  le  jour ,   &  parce  que  les  Affemblées   civiles , 
fréquentes    parmi  des  Peuples  libres,  étoient  ordinairement  précédées 
d'un  facrifîce  ,  on  les  indiquoit  toujours  pour  la  nuit.  Ainfi  la  Loi  Sallquc 
porte  (4)  que  le  Maître  d'un  Efclave  ,  accufé  de  quelque  crime  ,  doit  le 
préfenter  dans  le  terme  de  fept  nuits.  Les  Francs  confervoient  encore 
9  ■        ■  '^^^ 

(1)  Cet  Ecrit  eft  tiré  de  ïz  Ntuvdle  Bitlioéf    I       (3)  Tacit.  Germ.  cap.  ]  i. 
ijue  Germxniijut,  Tova.  HiU,  pag.  S<)-iet.  i       (4)  Tit,  XLII.  af  ud  Lindenbi.  p.  332. 

(ïjCatûïVI.  Il;  l 


/* 


REMARQUES    SURtES    TEMS    SACRÉS.    459. 
cette  Coutume  dans  le  neuvième  fiècle.  On  le  voit  dans  les  Capitidaires  de 
Charkmagncy  &  de  Louis  le  Débonnaire,  oîi  il  efl:  ordonné  (^)  que  les 
ajournemens  perfonnels  fe  donneront  pour  comparoître  fept,  quatorze, 
ou  vingt-une  nuits  après  l'aflignation.  Cette  manière  de  compter  tiroit 
fon  origine  ,  comme  je  viens  de  le  dire ,  de  ce  que  les  Affemblées  civiles 
des  Peuples  Celtes  commençoient  par  un  facrifice ,  ou  par  quelqu'autre 
aûe  de  Religion ,  qui ,  félon  l'ufage  de  ces  Peuples ,  devoit  s'offrir  pendant 
la  nuit.  Il  paroît  effectivement  par  Tacite  (  6  )  ,  que  les  Peuples  de  la 
Germanie  choififl"oient  toujours  la  nuit  pour  célébrer  leurs  Fétesfolem- 
lîelles  &  leurs  Feftins  facrés  ,  pour  chanter  leurs  hymnes ,  pour  offrir 
leurs  prières  &  leurs  facrifices ,  ôc  pour  s'acquitter,  en  un  mot ,  de  tous 
les  devoirs  qui  appartiennent  au  culte  extérieur  &  public  de  la  Divinité. 
Loccénius  a  ÇTOViVéàsns  Çqs  Antiquités  {^j^  S  uîdoifes ,  que  cette  pratique 
s'étendoit  aufli  à  tous  les  Peuples  du  Nord ,  &  on  ne  peut  douter  qu'elle 
fle  fut  répandue  anciennement  par  toute  VEurope,  Strahon  (8)  remarque  , 
par  exemple  ,  que  «  les  Celtïbcres  &  Jes  Peuples  qui  leur  étoient  voifins 
H  du  côté  du  Septentrion ,  choififfoient  la  nuit  de  la  pleine  Lune  pour 
wrénérer  un  Diqu  fans  nom ,  &c  qu'ils  paflbient  cette  nuit  à  danfer  &  à 
»»fe  réjouir  avec  leurs  familles  hors  des  portes.  »  Les  Thraces  célébroient 
aufîl  de  nuit  (9)  la  fête  de  leur  Cotys ^  ou   de  leur  Saba^ius.  C'eft 
par  cette  raifon  que  les  Athéniens  bannirent  de  leur  Ville  le  Culte  de  ce 
Dieu  (10).  Des  Affemblées  no£h.irnes  leur  étoient  fufpeâes  à  plufieurs 
égards  ;  mais  ,  pour  agir  conféquemment ,  ils  auroient  dû  abolir  encore 
les  Myftères  ô^EleuJis  (11),  qui  ayant  été  apportés  de  Thract ,  fe  cé- 
lébroient auffi  de  nuit  avec  des  torches  ardentes.  C'eft  encore  par  la 
même  raifon  que  quelques-uns  ont  confondu  le  Saha:^ius  des  Thraces , 
avec  le  Bacchus  des  Grecs ,  que  l'on  appelloit  Phanaces  Phaiijlérius ,   le 
Dieu  des  flambeaux  (n),  ou  Nyclelius  ^  le  DieuNoûure,  parce  que 
fes  Myftères  fe  célébroient  de  nuit.  Il  y  av.oit  à  Rome  un  ancien  ufage^ 
fuivant  lequel  les  Dames  de  la  V^ille  alloient  faire  leurs  dévotions  vers  le 


(s)  Captt.  Karoli  Migni  ScLudovici  pii  lib.  j. 
Tit.  45.   p.  8»o.  Lcg,  Longob.  lib.  II.  Tit.  4). 

[6)  Tacit.  Ann.  I.  50.  «j.  Hift.  IV.  4. 
{7)  ]oh.  Locccnii,  Antiq.  Sueo-Gotbicx  c.  4. 
f  «g.  î4. 


(1)  Strabo  III.  1*4, 

(9)  Strabo  X.  470.47  t. 
(1  o)  Cicero  de  Leg.  II.  cap.  j  7. 
(il;  Suidas  in  &pi«i/(/ï. 
(12,  AuToo.  Epigr.  îj.  Tzttz.  ad  Lycophro* 
pag.  II». 

Mm  m  1 


•460  REMARQUES 

commencement  du  Printems  (13)  ,  le  jour  qu'on  appelloit  Regifuglam  J 
dans  la  Forêt  à! Aride.  La  Coutume  vouloit  qu'elles  s'y  rendirent  de 
nuit ,  &  que  chaque  Mère  de  famille  portât  à  Diane  une  torche  allumée. 
Macrobe  remarque  aufli  (  14)  que,  lorfque  \qs  Aborigines  oSioitnt  des 
facrifices  à  leurZ?/^,  ils  pofoient  fur  les  Autels  des  chandelles  allumées. 
En  effet ,  quoique  les  Celtes  tinffent  ordinairement  leurs  Afleniblées 
Religieufes  au  clair  de  la  Lune,  ils  ne  laiffoient  pas  d'y  porter  chacun  fa 
chandelle  ou  fa  torche  allumée,  qu'ils  alloient  pofer  devant  l'arbre, 
devant  la  fontaine ,  ou  devant  la  pierre  qui  étoit  l'objet  de  leur  culte. 
Il  faut  même  que  cet  abus  ait  fubfiflé  dans  les  Gaules  &  dans  la  Germanie 
après  l'établiffement  du  Chnflianifme  ,  puifqu'il  nous  refte  un  grand 
nombre  de  Canons  &  de  Capltulaires  qui  le  condamnent.  Voici  ce  que 
porte  un  Capitulaire  de  Charlemagne  (i^)  :  «  A  l'égard  des  arbres,  des 
«pierres  &  des  fontaines  ,  où  quelques  infenfés  vont  allumer  des  chan- 
»  délies  ,  Ôc  pratiquer  d'autres  fuperftitions ,  nous  ordonnons  que  cet 
M  abus  fi  criminel  &  fi  exécrable  aux  yeux  de  Dieu ,  foit  aboli  &  entié- 
«5  rement  détruit  par-tout  où  il  fe  trouvera  établi.»  En  voici  un  autre 
qui  eft  de  la  même  teneur  (16):  «S'il  fe  trouve  dans  une  Paroifle 
»  des  Infidèles  ,  qui  allument  des  flambeaux  ,  &  qui  rendent  un  fer- 
»>vice  religieux  aux  arbres,  aux  fontaines  &  aux  pierres >  le  Curé  qui 
»  négligera  de  corriger  cet  abus,  doit  favoir  qu'il  eft  coupable  d'un 
»»  véritable  facrilége.»  Il  eft  dit  auftidans  un  Canon  de  la  Colleûion  de 
Burchard  (  17)  :  «Vous  vous  êtes  rendu  à  une  fontaine,  à  un  carre- 
>»  four ,  fous  un  arbre  ,  ou  devant  une  pierre ,  &  là ,  par  vénération  pour 
»  ce  lieu,  vous  avez  allumé  une  chandelle ,  ou  un  flambeau  (18).  yfVEglife 
Chrétienne  avoit  raifon  de  condamner  cette  fuperftition ,  parce  qu'elle 
étoit  une  partie  de  l'Idolâtrie  Payenne ,  un  hommage  religieux  que  l'Ido- 
lâtre rendoit  aux  arbres,  aux  fontaines,  aux  pierres,  qu'il  regardoit 


(13)  Stat.  Sylv.  III.  I.  Ovid,  Faft.  lU.  zSg, 
Jiopert.  II.  Eleg.  32. 

{14)  Satutn.  I.  cap.  7. 

(i  s)  Capit.  Kar.  Mag.  lib.  I.  Tit.  «4.  p.  239. 

(i«)  Ubi  fuprà  lib.  VII.  Tit.  ïjS.  p.  1093. 

(17)  Burchardi  Coll.  Can.  lib.  X.  ca^.  31, 
lib  XIX.  p.   270- 

(is)Il  faut  croire  que  dans  les  premiers 
teras  où  l'^glif'  Chrttitnnt  faifoit  ces  de'fenfes , 
les  iidcles  n'allumoient  pas  des  cierges  ou  des 


bougies  dev.int  des  AuitU  ou  devant  quelque 
image  de  la  Vitrée  ou  des  Sxiim  ;  les  Fayrns  au- 
roientdit  aux  pajteun  de  l'E^lift  :  Vous  dc/endex. 
nos  cérémonies ,  ^  vous  les  prAtiqMZ.  dans  votre 
Religion  5  vous  honorez,  U  Divinité'  de  la  mémt 
minière  <fue  nous  ,  &  vous  fréiendei,  que  nous  ftm- 
mes  facrile^es  &  idolâtres  !  Donnez,  aux  Dieux  It 
nom  que  vous  voudrez.^  mais  ne  méfrifez,  f<u  l* 
Religion  de  vos  pères,  four  ^Htljuei  ntuvcttum 
jK«  VOUS  j  nvtt,  intrtdHitti, 


SUR    LES    TEMS    SACRÉ  s.  4«i 

fcomftie  le  fymbole  ,  ou  le  fiége  de  fes  Divinités.  Mais ,  au  refle  ,  il 
étoit  très-naturel  que  des  gens  qui  alloient  faire  leurs  prières  de  nuit 
dans  des  campagnes  &  dans  des  forêts ,  ne  s'y  rendirent  pas  fans  lu- 
mière. Ce  qu'il  y  a  ici  de  particulier,  c'eft  que  VEglife  Chrétienne  qwi  celé-» 
broit  fes  AfTemblées  en  plein  jour  ,  ne  laiffa  pas  de  permettre ,  &  même 
d'ordonner  (19)  aux  nouveaux  convertis  d'offrir  au  Seigneur  les  cierges 
qu'ils  avoient  coutume  de  préfenter  à  leurs  Idoles. 

Je  ne  m'écarterai  pas  beaucoup  de  mon  fujet,  en  remarquant  que  la 
coutume  qu'avoient  les  Peuples  Ce/tes  de  s'affembler  de  nuit  pour  le 
fervice  de  la  Divmité,  eft  l'origine  d'une  fable  auffi  ancienne  qu'enraci- 
née dans  l'efprit  du  vulgaire  ;  c'eft  celle  du  Sabbat ,  ou  de  l'Affeïtiblée 
nodurne   des  Sorciers.  Lorfque   la   Religion   Chrétienne  eut  été  établie 
dans  les  Gaules  &  en  Allemagne  par  autorité  publique  ,  les  perfonnes  qui 
demeuroient  attachées  à  l'ancienne  Religion  ,  fe  déroboient  fecrette- 
ment  pendant  la  nuit ,  pour  fe  rendre  aux  Aflemblées  qui  fe  tenoient 
dans  des  campagnes,  ou  dans  des  forêts.  Le  culte  même  que  l'on  offroit 
àia  Divinité  dans  ces  Affemblées  ,  confiftoit  dans  des  facrifices  ,  des 
danfes,  des  divinations  &  des  cérémonies  magiques,  (  c'eft-à-dire  ,  aux- 
quelles le  Peuple  n'entendoit  rien.  )  Les  Druides  qui  préfidoient  à  ces 
dévotions ,  fe  vantoient  d'ailleurs  d'être  des  Devins  qui  connoifToient 
le  paffé ,  le  préfent ,  l'avenir  ,  avec  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  caché  dans 
la  Nature,  &  des  Magiciens  qui  avoient  le  fecret  d'évoquer  les  âmes , 
de  changer  les  hommes  en  bêtes,  &  de  bouleverfer  toute  la  Nature  par 
leurs  enchantemens.  Tout  cela  donna  lieu  à  des  Chrétiens  peu  éclairés 
d'accufer  les  Payens  qui  reftoient  encore  dans  leur  Pays ,  d'être  des 
Sorciers ,  qui  traverfoient  l'air  montés  fur  des  balais ,  qui  célébroient 
des  Affemblées  noâurnes  avec  les  Démons ,  &  qui  danfoient  en  céré- 
monie autour  du  Diable  ,  qui  leur  apparoiffoit,  &  recevoit  leurs  hom- 
mages fous  la  forme  d'un  Bouc.  Ce  qu'il  y  a  ici  de  plus  furprenant ,  c'eft 
qu'il  n'y  eut  pas  jufqu'au  Clergé  Chrétien  ^  qui  n'ajoutât  foi  à  ces  fableirî: 
On  le  voit  dans  plufieurs  anciens  Canons  que  M.  Keyjler  a  ramaffé ,  & 
qui  défendent  très-férieufement  aux  Fidèles  (10)  de  fe  rendre  au  Sabbat, 
&  de  participer  aux  divinations  ,  aux  enchantemens  &  aux  cérémonies 

■  I!  — _ 

(ij)  Labbe  Concil.  Tom.  IX.  p.  474.  Baluz,  Capit.  Tom.  I.   p.  ,$«.  ap.  Keyller.  p.   i  j.         , 
(20)  Burchaid  lib.  I.  cap.  J4,  fol.  i«.  ^it,  Piujf,  ij^s,  Daiteûic  ia  DUnâ  Tom.  lî.  p.  >»^ 


I 


46a  11  "E  M  A  Q  U  E  S 

magiques  que  les  Sorciers  y  pratiquoient ,  dans  la  vue  d'obtenir  du  Démoft 
des  connoiffances  ou  des  richefles  que  la  Providence  leur  avoit  refufées. 

Pour  revenir  à  mon  fnjet ,  il  eft  bien  difficile  de  deviner  les  raifons 
que  les  Celtes  pouvoient  avoir  de  faire  le  fervice  pendant  la  nuit.  Des 
Affemblées  nofturnes  ont  quelque  chofe  d'étrange  &  de   dangereux  , 
&  ne  conviennent  guères  qu'à  des  Egllfes  qui  n'ont  pas  le  libie  exercice 
de  leur  Religion.  Mais  cette  coutume  de  s'affembler  de  nuit,  devolt  fur- 
tout  paroître  facheufe  à  des  Peuples  qui,  faifant  leurs  dévotions  en  plein 
air ,  &  dans  des  lieux  éloignés  de  leurs    habitations ,  étoient   obligés 
de  faire  de  longues  traites  pendant  la  miit ,  &  de  la  paffer  à  la  belle 
étoile.  J'avoue  que  j'ai  de  la  peine  à  comprendre  comment  une  coutume 
fi  extraordinaire  avoit  pu  s'introduire  6c  fe  maintenir  parmi  les  Cdtes 
pendant  une  longue  fuite  de  fiécles,  d'autant  plus  que  je  ne  trouve  rien 
dans  leur  Religion  qui  pût  fervir  de  fondement  à  cet  ufage.  Jules-Céfar 
dit ,  à  la  vérité ,  dans  le  paffage  que  j'ai  cité ,  que  les  Gaulois  fe  croyoient 
iffus  du  Dieu  Dis^  &  que  pour  cette  raifon  ils  mefuroient  le  tems  par  le 
nombre  des  nuits ,  &  non  par  celui  des  jours.  Mais  il  eft  vif^ble  que  Jules- 
Céfar  a  confondu ,  dans  cette  occafion  ,  le  Dis  des  Grecs  &  des  Latins ^ 
avec  celui  des  Gaulois.  Les  Romains  facrifioient  de  nuit  à  Pluton  Sc  aux 
autres  Divinités  qui  avoient  la  direûion  du  Royaume  des  ténèbres.  Au 
lieu  de  cela,  le  Dis  ou  Teut  des  Gaulois  étoit  l'Être  fuprême ,  l'Efprit 
iiniverlel,  le  Créateur  du  monde  &  de  l'homme.  On  le  plaçoit  dans  le 
Valhalla ,  c'eft-à-dire ,  dans  le  féjour  de  la  gloire  &  de  la  félicité.  Pourquoi 
lui  confacroit-on  la  nuit  préférablement.au  jour?  J'avoue  que  je  ne  le  fais 
pas  ,  ou  qu'au  moins  je  n'en  puis  rien  dire  de  certain  ;  &  quand  on 
confidére  qu'un  ufage  fi  extraordinaire  étoit  commun  autrefois  à  tous 
les  Peuples  de  l'Europe  ,   cette    uniformité    conduit  naturellement  à 
croire  qu'ils  le  tenoient  tous  du  même  lieu  ,  &  qu'ils  étoient  origi- 
naitement  la  même  Nation.  S'il  m'eft  permis  ,  après  cela,  de  propofer  mes 
conjeftures,  je  foupçonne  i".  que  cette  pratique  tiroit  fon  origine  de 
l'ancienne  manière  de  vivre  des  Peuples  Celtes  :  c'étoient  .des  Bergers 
qui  ne  pouvoient  guères  quitter  leurs  troupeaux ,   ni  s'affembler  que 
pendant  la  nuit.  2'',  Mais  ce  qui  contribua  le  plus  à  l'établir  &  à  la  faire 
paffer  en  coutume  ,  c'eft  ,  à  mon  avis  ,  que  les  Affemblées  noûurries 
étoient  fayorables  aux  divinations  &  aux  cérémonies  magiques  ,  qui 
jfeifoient  IVffentiel  de  la  Religion  des  Ctltes,  Ces  Peuples  auroientétéloua.-' 


SUR    L  E"S    T  E  M  S    SACRÉS.  46) 

bles ,  s'ils  euffent  cherché  la  retraite  &  le  filence  ,  pour  adorer  la  Divi- 
nité fans  aucune  diftraûion ,  &  dans  un  parfait  recueillement.  Mais,  com- 
me ils  tenoient  leurs  Affemblées  Religieufes  loin  des  Villes  Se  des  Vil- 
lages ,  dans  des  lieux  folitaires  &  incultes,  afin  que  la  Divinité,  qui,  fé- 
lon leurs  idées,  ne  rempliffoit  que  fes  propres  ouvrages ,  eût  le  paflage 
ouvert  &  libre ,  &  que  fon  adion  ne  fût  point  troublée  par  quelque 
caufe  étrangère  (n),  ils  avoient  auffi  la  fuperflition  de  choifir  la-nuit 
pour  le  culte  des  Dieux,  parce  qu'ils  s'imaginoient  que  le  tems  où  la 
Nature  eft  dans  une  efpèce  de  filence  ,  étoit  le  plus  propre  pour  en- 
tendre la  voix  de  la  Divinité  ,  &  pour  obferver  les  fignes  &  les  aver- 
tiffemens  qu'elle  donnoit  au  Genre-humain.  Les  Magiciens  ne  prati- 
quoient  guères  leurs  cérémonies  que  pendant  la  nuit ,  où  une  imagination 
•bleffée  croit  voir  des  fpeftres  &  des  phantùmes  ,  qui  difparoiffent  aufîi- 
tôt  que  le  jour  commence  à  fe  montrer. 

Il  ne  paroît  pas  que  le  Celtes  partageaffent  les  mois  &  les  années  en 
femaines  ,  ni  qu'ils  confacraffent  un  jour  de  chaque  femaine  au  culte  de 
leurs  Dieux.  Mais  une  autre  chofe  qui  eft  certaine,  c'eft  qu'ils  choifif- 
foient  ordinairement  le  clair  de  la  Lune  pour  leurs  Affemblées  publi- 
ques ôc  folemnelles  (n).  Ainfi  les  Cdtibhes  ^  &  les  Peuples  qui  leur 
étoient  voifins  du  côté  du  Septentrion  ,  s'affembloient  de  nuit  dans  le 
tems  de  la  pleine  Lune  ,  pour  vénérer  un  Dieu  fans  nom  ,  &  paflbient 
toute  la  nuit  à  danfer ,  &  à  fe  réjouir  avec  leurs  familles  hors  des  portes. 
Le  même  ufage  étoit  établi  parmi  les  Germains.  «  Ils  s'affemblent,  dit  Ta- 
cite (13),  à  moins  qu'il  n'arrive   quelque    événement   inattendu    & 
»fubit,  dans  des  jours  marqués  à  la  nouvelle  ou  à  la  pleine  Lune;  ils 
»  croyoient  que  c'eft-là  le  tems  le  plus  favorable  pour  traiter  les  af- 
wfaires.»  Confacrant  aux  Dieux  les  jours  de  la  nouvelle  &  de  la  pleine 
Lune  ,  ils  croyoient  que  ces  jours  étoient  les  plus  propres  pour  traiter 

(2ij  Cominenr  peut  on  /«rwer  tt  fejfa^c  à  Dieu  ,  c'eft  qu'ils  regardoient  l'Univers  e«icr 
l'Etre  fuprêmc  ,  au  Crimtkr  iu  munit  &  de  comme  le  Temple  d»;  la  Disinite'  ,  &  qu'ils 
l'homme^    Comment  peut-on    /roaWir  r«7if»  du   '  croyoient  que  c'c'toit  la  dé,  r'der  que   de  bitit 


Tout-ruifl"  nt  par  quilque  caufc  $ira  gert  >  Cela 
n'eft  pa>  comi.i'-henfîble-  La  Tlic'ologie  des 
Celtes  étoit,  J'«illeurs,  contrnin-à  ces  principes 
i/l..  P.lliiHucr  ilîhWtlm  mémt  ch*f.  i.d^  Livre 
m   de  {on   Hijloire  ,    que  _tt/  Peitflts   avaient  urfe 


des  édifices  pour  l'y  adorer  Taiiie  de  Mor. 
Germ.cap.  9  l'av  ue  ,  en  parlant  des  Gerra  i<i( 
qui  fuivoicnt  la  Religion  des  Gaulois  Uuts 
ayeux     Noie  de   C^diteur.  7^ 

{lî)  Strabo  III.  tâ4. 


jufte  idée   de  Dieu    &  dt   fei  ftrferHiom.    S'ils  ne  .       /ijj  T».it.   CeiIU.  cap,  i 

conracioienc  point  de  Temples  à  rboAAcat  de  | 


404  REMARQUES 

des  affaires  importantes ,  parce  que  la  Divinité  favorable  au  culte  St 
aux  prières  de  fes  adorateurs  ,  prélidoit  alors  d'une  façon  particulière  , 
à  leurs  délibérations.  Les    Gaulois   auffi  faifoient  leurs  Affemblées   au 
clair  de  la  Lune.  C'eft  la  raifon  pourquoi  ils  comptoient  leurs  mois  & 
leurs  années,  non  pas  depuis  ce  que  nous  appelions  la  nouvelle  Lune, 
mais  depuis  le  jour  où  elle  répandoit  une  lumière  fuffifante  pour  les  éclai- 
rer -pendant  qu'ils  alloient  à  leurs  Sanftuaires ,  ou  qu'ils  en  revenoient. 
«Les  Druides ,  dit  Pline  (14)  ,  cueillent  le  Gui  de  chêne  le  fixiéme  jour 
»de  la  Lune,  &  c'eft  à  ce  jour-là  qu'ils  placent  le   commencement 
♦>  des  mois  ,  des  années  Se  des  fiécles ,  qui  font  parmi  eux  de  trente  ans. 
«Ils  fondent  cet  ufage  fur  ce  qu'alors  la  Lune  a  déjà  aflez  de  force,  quoi' 
»  qu'elle  ne  foit  pas  encore  parvenue  à  la    moitié  de  fa    grandeur.  )» 
•Cette  manière  de  calculer  ne  tiroit  pas  fon  origine  de  l'ancienne  Aftro- 
nomie  ,  qui  comptoit  la  nouvelle  Lune ,  non  pas  depuis  le  moment  de 
fa  conjonâion  avec  le  Soleil ,  ou  de  fon  émerfion  des  rayons  de  cet  aftre  , 
-mais  depuis  le  jour  où  elle  commençoit  à  paroître.  La  Lune  paroît  avant 
la  fixiéme  jour.  J'approuve  encore  moins  laconjeâure  de  ceux  (15)  qui 
ont  cru  que  les  Gaulois  trou  voient  quelque  myftère  dans  Jix  ,  «  le  re* 
»  gardant  comme  le  plus  facré  de  tous  (  les   nombres  ) ,  &  pouflanC 
»  la  fuperftition  jufqu'à  renverfer,  pour  lui  faire  honneur,  l'ordre  des 
»  mois ,  des  années  &  des  fiécles,  »  Les  paroles  de  Pline  infinueroient 
plutôt  que    les   Gaulois  donnoient  dans  une  fuperftition  aflez  commune 
aux  Aftxologues  &c  aux  Magiciens ,  qui  s'imaginoient  que  le  Gui  de 
chêne  &  les  autres  plantes  avoient  plus  de  vertu ,  éta^t  cueillies  fous 
;  certaines  conftellations  &  dans  certaines  phafes  de  la  Lune.  Mais  ces 
.  paroles  ont  un  fens  beaucoup  plus  fimple  &  plus  naturel.  Les  Gaulois 
tenant  leurs  Aflemblées  au  clair  de  la  Lune,  les  commençoient  au  tems 
çù  elle  ayoit  déjà  ajje^  de  forée  ^  ç'eft-à-dire ,  où  elle  donnoit  aflez  de  lu- 
mière pour  les  éclairer.   Selon  les  appsrences  ,   ces  Aflemblées  conti- 
nuoient  enfuite  jufqu'à  la  pleine  Lune,  &  peut-être  jufqu'au  dernier 
quartier,  de  manière  pourtant  que  celle  de  la  nouvelle  &.  de  la  pleine 
Lune  étoient  les  plus  nombreufes  &  les  plus  folemnelles.  Le  fixiéme  de  la 
)Lune-étoit  dope  le  commencement  des  mois  &  des  années ,  parce  que 
c'étoit  le  jour  où  les  dévotions  publiques  commençoient.  Il  me  paroît 

(x4)Plin.  XVI,  cap.  44.- 

Ui)  Relig.  des  ÇauloU  Lir.  I.  p.  «.j^ 


SUR    LÈS    TEMS    SACRÉS.  '465 

ïbrt  vraifemblaBIe  que  cette  manière-de  compter  le  commencement  da 
■jnois  depuis  le  fixiéme  jour  de  la  Lune,  étoit  commune  aux  Gtrmains 
&  aux  Gaulois  ;  &  par  cela  même  que  ces  Peuples  confacroient  à  leurs 
Dieux  certains  jours  de  la  Lune ,  ils  regardoient  auffi  ces  jours  comme  le 
tems  le  plus  favorable  ,  non-feulement  pour  les  délibérations  impor- 
tantes ,  mais  encore  pour  toutes  ibrtes  d'entreprii'es.  Les  Druidis  (i^) ,  par 
■exemple,  vouloient  que  l'on  cueillît  dans  certains  jours  de  la  Lune  le 
■Gui  de  chêne,  &  qu'on  prît  la  même  précaution  pour  ramaffer  les  œufs 
de  Serpent^  auxquels  ils  attribuoient  une  grande  vertu.  On  voit  aulïï 
^27)  que  les  Prophêteffes  c^xj^ Arlovijle  avolt  dans  fon  Armée,  lui  décla- 
rèrent que  les  Germains  feroient  infailliblement  battus  ,  s'ils  n'atten- 
^oient  la  nouvelle  Lune  pour  livrer  bataille  aux  Romains, 

Outre  les  Affemblées  ordinaires  que  les  dites  tenoient  dans  certains 

jours  de  la  Lune ,  ils  avoient  encore  des  Fêtes  folemnelles  qui  revenoient 

tous  les  ans  dans  la  même  faifon,  La  Fête  que  les  Germains  cciébroient 

à  l'honneur  de  la  Terre,  &  qui,  félon  Tacite  (28) ,  étoit  accompagnée 

de  proceffions  &  de  réjouifTances  :  (  C'étoit  la  folemnité  de  fon  mariage 

«avec  Odin  ,  c'efl-à-dire  ,  de  la  produftion  de  l'Univers  :)  la  fête  que  les 

7%r<ï«j  appelloient  Cotitia  (29)  &  Bendidia,  du  nom  des  Dieux  au*- 

xjuels  elle  étoit  confacrée  :  (  elle  reffembloit  aux  Bacchanales  des  Grecs , 

6c  ne  différoit  point  de   celle  que  d'autres  Tkraces  célébroient  fous  le 

.«ora  de  (30)  Sabazia  )  :  la  fête  annuelle  que  les  Habitans  du  Géyaudan 

(3  i)  alloient  célébrer  pendant  trois  jours  fur  le  Mont  Helénus  :  celle 

encore  que  les  Anglo-Saxons  (32)  faifoient  au  mois  d'Avril ,  à  l'hon- 

ticur  de  la  Déeffe  Eojiar  ou  Eoflre. 

La  plus  folemnelle  de  toutes  ces  fêtes  étoit  celle  que  Ton  célébrait 
au  commencement  de  chaque  Printems  ,  &  dans  laquelle  les  Nations 
entières  fe  réuniflbient  par  leurs  Députés,  pour  délibérer  for  les  befoins 
de  l'Etat.  Elle  étoit  généralement  obfervée  par  tous  les  Peuples  Scy- 
thes &  Celtes.  Les  Etrangers  l'ont  appellée ,  avec  raifon  (3  3)  ,  ^<î  Champ  de 
Mars ,  foit  parce  qu'elle  étoit  confacrée  au  Dieu  Teut ,  ou  Odin ,  qui 


(i«)  Flin.  XXIX.  13. 
(27;Ca:fai.  I.  so.Plut.    C«f.   I.  717.    Dio, 

caf.  xxxvnr.  p.  90, 

(2»)  Tacit.  Germ.  cap.  40« 
(ij)  Straljo  X.  470,  «te.  j  j»ag.  515.  JCeyfici  p.  S7 

Torne  //,  N  n  a 


(30I  HeTych.  in Sibaz. 

(}i~i  Gregor.  Tut.  de  glotli  Conf.  câp.  af 
(31)  Beda  dï  T?.  Rat.  cap.  13.    '  .y  ' 

33)  Vit.  S.  Rcmig.  ap,  Duchcih.  Tom  K 


46^  REMARQUES 

préfidoit  à  la  guerre ,  fulvant  la  doctrine  de  ces  Peuples ,  foît  parce  qitt 
le  fujet  le  plus  ordinaire  de  l'Aflemblée  étoit  de  déterminer  de  quel  côté 
on  porteroit  la  guerre  pendant  le  cours  de  l'année.  D'autres  l'ont  ap- 
pellée  (  34  )  /e  Champ  de  Mai ,  parce  qu'elle  fe  tenoit  dans  ce  mois.  Trois 
chofes  diftinguoient  fur-tout  cette  folemnité.  Premièrement ,  c'étoit  la 
fête  des  Nations   entières ,  &  non  pas  celle  des  Cantons ,  qui  vraifem- 
blablement  s'affembloient  quelque  tems  auparavant,  pour  donner  leurs 
ihflruftions  aux  Députés  qu'ils  envoyoient  à  l'Aflertiblée  générale.  En 
fécond  lieu ,  on  immoloit  des  viftimes  humaines  pour  la  profpérité  de 
l'Etat ,  &  pour  le  bon  fuccès  de  la  guerre  que  l'on  alloit  commencer. 
«Entre  les  Dieux,  difoit  Tacite  (  3^  )  ,  les  Germains   ervent  principale- 
»ment  Mercure  ;  ils  croient  même  qu'il  cft  permis  de  lui  immoler  dans 
»  certains  Jours  des  victimes  humaines.  »  Le  tems  où  il  étoit  permis  & 
même  ordonné  d'offrir  ces  cruels  facrifices ,  étoit  celui  de  l'Aflemblée 
générale.  On  le  voit  dans  un  paflage  du  même  Tacite  (36)  :  «  Les  Peuples 
»  Semnons  s'affemblent  par  leurs  Ambafladeurs  dans  un  jour  marqué  , 
»au  milieu  d'une  forêt  facrée  ,  &  là  ils  commencent  leurs  dévotions 
«barbares  par  le  facrifice  d'un  homme  qui  efl  immolé  publiquement.  » 
Peut-être  qu'il  faut  rapporter  au  même  ufage,  ce  que  Jules  Céfar  àHioit 
des  Gaulois  (37)  :  Public^  ejus  generis  habent  injiituta  facrificia  y  c'eft-à- 
dire ,  que  ces  facrifices ,  autorifés  par  les  Loix ,  s'offroient  publique- 
ment dans  l'AfTemblée  du  Peuple  ;  &  c'efl ,  pour  le  dire  en  pafl"ant ,  la 
raifon  pourquoi  leurs  Magiftratsétoient  annuels  (38).  On  les  renouvelloit 
au  commencement  de  chaque  année.  Hérodote  rapporte  aufîl  (3  9)  que 
«  dans  une  Fête  annuelle  que  les  Scythes  célébroient  à  l'honneur  de  leur 
y>A<ars^  ils  immololent,  entr'autres  viftimes,  le  centième  des  Prifonniers 
»♦  qu'ils  avoient  fait  à    la  guerre.  »  Je  ne  doute  point  du  tout  que  cette 
Fête  ne  fut  celle  de  l'Aflemblée  générale.  Enfin  ,  le  Champ  de  Mars  étoit , 
préférablement  à  toutes  les  autres  fêtes  des  Celtes ,  un  tems  de  réjouifTance 
&  de  bonne  chère.  Comme  les  dignités  &  les  commandemens  fe  diftri- 
buoient  dans  l'Affemblée ,  &  que  toute»  les  affaires  s''y  décidoient  à  la 


(î4)  Vita  S.  Remigii  ap.  Duchefn.  Tom.  I. 
pag.  jis-Sigeb.  ad  An.  66x.  Eginh.  cap.  i. 
pag.  9.  Paul.  Diac.  Ker.  Longob.  lib.  III. 
cap.  18.  p.  392.  Hotoman  Fianco-Gall.  f  •  IJS- 

(j  s)  Tacic.  Geim.  cap.  9, 


{i6)  Tacit.  Germ.  cap.  39. 
(j7)  Cifar  VI.  i«. 
(38)  Herodot.  IV.  tfi. 
(3 s)  Cïfar  VII.  il. 


SURtESTEMSSACRÊS.  467 

pluralité  des  voix  ,  les  grands  Seigneurs  n'y  épargnoient  ni  careffes  , 
ni  dépenfes  pour  gagner  les  fuftrages,  &  pour  augmenter  le  nombre  de 
leurs  Cliens  ;  & ,  parce  que  le  grand  moyen  de  gagner  un  Cdtt ,  étoit  de 
le  régaler  &  de  le  faire  boire ,  la  Nobleffe  &  les  Chefs  de  Parti  tenoient 
table  ouverte  auffi  long-tems  que  la  folemnité  duroit.  On  ne  fe  trompera 
pas  affurément ,  en  rapportant  à  cet  ufage  ce  que  dit  Hérodote  (^/[o^  que 
«chaque  Chef  de  Province  donnoit  tous  les  ans  un  feftin,  auquel  affif- 
Mtoient  tous  les  Braves  qui  avoient  tué  un  ou  plufieurs  ennemis  à  la 
»>  guerre.  »  Les  Braves  étoient ,  fur-tout ,  flattés  &  careflés ,  parce  qu'au 
milieu  de  ces  Peuples  belliqueux ,  le  fuffrage  d'un  guerrier  entraînoit  or- 
dinairement après  foi  celui  de  toute  l'Affembiée.  Les  Romains  célébroient 
au  commencement  de  chaque  Printems  une  ancienne  Fête ,  qui  pourroit 
bien  être  la  même  que  celle  dont  je  viens  de  parler.  Elle  étoit  confacrée 
au  Père  Dis ,  qui  étoit  le  Teut  ou  le  Mars  des  Celtes  (41).  On  y  otfroit  à 
ce  Dis  des  viftimes  humaines  ;  &  ,  après  que  ces  barbares  facrifices 
^curent  été  abolis ,  on  en  conferva  cependant  une  image ,  en  jettant  dans 
le  Tibre  des  hommes  de  paille.  Cette  Fête  tomboit  à  peu-près  fur  le  jour 
de  la  Lune  où  les  Celtes  tenoient  leurs  Affemblées.  Denis  d'HalicarnaJfe  (41) 
l'a  remarqué.  «On  précipite  ces  figures  d'homme  dans  le  Tibre  peu 
»> après  l'équinoxe  du  Printems,  au  jour  que  les  Romains  appellent  les 
»  Ides  de  Mai ,  &  oii  ils  difent  que  la  Lune ,  parvenue  à  la  moitié  de  fa 
»  grandeur,  partage  les  mois  en  deux  parties  égales.» 

Il  n'eft  pas  néceffaire  d'avertir  qu'outre  les  Fêtes  qui  étoient  obfer- 
vées  dans  toute  la  Celtique  ^'A  y  en  avoit  d'autres  qui  ne  l'étoient  que 
dans  certaines  Contrées.  Il  en  étoit,  à  cet  égard,  des  Celtes  comme  de 
toutes  les  autres  Nations ,  où  chaque  Pïovince ,  chaque  Ville  trouve 
dans  des  événemens  qui  lui  font  particuliers ,  le  motif  de  quelque  folem- 
nité. Ainft  les  Habitans  de  l'île  de  ThuléÇj^i),  qui  eft  ïljlande,  célé- 
broient tous  les  ans ,  au  mois  de  Janvier,  une  grande  Fête  dans  laquelle  ils 
fe  réjouiffoient  du  retour  du  Soleil ,  qui  devoit  reparoître  fur  leur  horifon 
au  bout  de  quelques  jours.  Je  trouve  encore  qu'il  y  avoit  des  Fêtes  qui 
ne  revenoient  qu'au  bout  de  quelques  années.  Celle,  par  exemple, 
où  les  Gétes  dépêchoient  des  Meffagers  à  Zamolxis,  les  jettant  en  l'air, 


(40)  Heiodot.  IV.  «i.  66,  I       (+z)  Dion.  Halic.  lib,  I.  p.  30, 

(41}  Heiodot.  III.  â.  $.  z.  l      (4jjPi;ocop.  Goth.  II.  cap.  15.  p.  42}. 

N  nn  z 


-468      REMARQUES  S^R  LES  TEMS   SACRÉS. 

&  les  rccievàilt  fur  des  halebardes  ,  fe  célébroit  dprès .  une  révolution 
de  cinq  ans-  (44).  Les  Peuples  du  A^or^avoient  auffi  leur  grand /w//, 
c'efi-à-dire ,  leur  grande  Fête,  qui  fe  célcbroit  (  45  )  de  neuf  en  neuf 
ans,  èc  pendant  laquelle  on  immoloit  aux  Dieux  quatre-vingt-dix- 
neuf  hommes ,  avec  un  pareil  nombre  de  chevaux  ,  de  chiens  &  de 
coqs,  En  voilà  affez  fur  les  tems  facrés  ,  &  fur  les  Fêtes  des  Peuples 
Celtes.  Je  n'ajouterai  qu'une  feule  remarque.  C'eft  que  les  Peuples  des 
Gaules  &c  de  la  Gcrmanit,  en  embraffant  le  CliriJUamJ'me ,  tranlporte- 
rent  aux  Fêtes  des  Chrétiens,  les  divinations,  les  danfes  avec  toutes  les 
fuperftitions  qu'ils  avoient  pratiquées  dans  le  Paganifme.  On  le  voit 
dans  une  Conftitution  du  Roi  Chiliebert  (46)  :  <«  Il  ell  parvenu  jufqu'à 
»  nous  que,  dans  les  Affeniblées  Religieules,  il  fe  commet  des  facriléges 
»qui  offenfent  Dieu  ,  &C  qui  font  tomber  le  Peuple  dans  le  péché 
«mortel  :  on  pafie  les  nuits  à  s'enivrer  ,  à  faire  des  bouffonneries, 
»  &  à  chanter  des  chanfons ,  même  les  faints  jours  de  Pâques  &  de 
»Noël,  Ôç  les  autres  jours  de  folemnité.  Quand  le  Dimanche  vient^ 
M  des  danfeufes  courent  les  Bourgs  &  {&$  Bourgades.* 
■i ■ -     ■      I      i— ■      I     i^ 

(44";  Hcrod.  IV.  94. 

(4s j  Diim.lrus  LeiSnitzii   Tom.  I.  p.  317. 

(4«;  Labbc  Concil.  Tom.  V.  p.  i  «s  i  Balae.  Tom.  1.  f .  i. 


'^.je» 


4^9 


OBSERVATIONS 

HISTORIQUES    ET    CRITIQUES 

Sur  VaboUdon   des  Druides   &  des  Sacrifices  humains  dans  les 
Gaules  y  par  M.  P ellout  1ER   (i). 

J  L  y  a  dans  VHijloire  Naturelle  de  Pline ,  im  pafîage  fur  lequel  je  me 
propofe  de  faire  quelques  réflexions.  Parlant  des  Druides  ,  des  viclimes  hu- 
maines qu'ils  ofFroient  aux  Dieux,  des  divinations  qu'ils  pratiquoient , 
des  guérifons  qu'ils  prétendoient  opérer  par  le  moyen  de  la  Magie ,  il 
dit  (i)  :  «  Les  Gaulois  ont  été  entêtés  de  ces  fupcrftitions  jufqu'à  notre 
j»fiécle,  où  VEmpereurTlB^RV.  a  exterminé  leurs  Druides  avec  toute  cette 
M  forte  de  Devins  &  de  Médecins.  »  Suctone  &c  Aurèlius  Victor  difent  quel* 
que  chofe  d'approchant.  Le  premier,  dans  la  vie  de  l'Empereur  Claude , 
aflTure  qu'il  abolit  entièrement  la  Religion^  des  Druides  (  3  ).  Dntidarum 
'Religionem  apud  G  allas  dirce  Immanitatis  ,6*  tantùm  civibns  fuh  Augujlo  in- 
terdiclam, penitùs  abfoLvit.  Le  fécond,  parlant  du  même  Empereur,  dit  (4): 
Comprejfa  per  eum  vitia ,  ac  per  Gallium  Druïdarumfamofce  fuperjlitiones.  Ces 
Auteurs  différent  de  Pline  fur  deux  articles.  D'un  côté,  ils  attribuent  à 
l'Empereur  Claude  les  Edits  qui  furent  publiés  contre  les  Druides.  De 
l'autre ,  ils  prétendent  que  cet  Empereur  fe  contenta  d'abolir  la  Reli- 
gion ,  ou  les  fameufes  fuperftitions  des  Druides.  Je  ne  prétends  pas  con- 
tefter  les  faits  que  ces  Hiftoriens  afTurent  fi  pofitivement;  &  il  me  pa- 
roît  même  bien  facile  de  les  concilier  par  rapport  aux  autres  articles 
fur  lefquels  ils  ne  font  pas  d'accord.  Mais  les  régies  d'une  bonne  critique 
demandent  affurément,  que  l'on  donne  aux  paffages  de  ces  trois  Auteurs 
im  fens  qui  ne  choque  ni  la  vérité ,  ni  la  vraifemblance.  Les  Druides  ont 
fubfifté,  &  paroifTentdans  l'Hiftoire ,  long-tems  après  le  régne  des  Empe- 
reurs Tibère  &  Claude.  C'eft ,  d'ailleurs ,  une  choie  fans  exemple  ,  que 
les  Romains,  en  fubjuguant  une  Nation  ,  aient  penfé  à  lui  ôter  fa  Reli- 
~" • "'Il    II  II   ^  «< 

(1)  On  iioure   cet  Ecrit  djns  U  2<'«i«f «//«£<-.       (3)  Sueton.  cap.  XXV. 
ilMi'qut  Gctmani^iu, Tota.^%.%,\l.  1,  ^il-é^jl,     |     -(4)  Am.  V.    C«Ûf'   C.11'.  4> 

(2)  Plin.  XXX.  I. 


470  OBSERVATIONS 

gion  &  fes  Sacrificateurs.  Il  me  paroît  donc  à  propos  de  faire  ici  une 
réflexion ,  qui  fervira  à  déterminer  le  véritable  fens  du  paffage  que  j'exa- 
mine. 

Quoique  les  Romains  aient  fouvent  immolé  à  leurs  Dieux  des  vic- 
times humaines,  non-feulement  fous  les  Confuls ,  mais  encore  fous  les 
Empereurs  ,  il  faut  avouer ,  cependant ,  qu'ils  ne  le  faifoient  que  dans 
des  cas  extraordinaires  ,  où  le  Sénat  étoit  obligé  ,  malgré  lui,  de  condef- 
cendre  aux  infiances  des  Pontifes  &c  d'une  foule  de  Superftitieux  qui  ne 
cefToient  de  crier  que  le  feul  moyen  de  fauver  la  République  du  danger 
éminent  dont  elle  paroiflToit  menacée  ,  c'étoit  de  confulter  les  Livres 
de  la Sy bille,  &  d'offrir  les  facrifices  qui  étoient  ordonnés  dans  ces  Li- 
vres. Ces  cas  ,  tout  extraordinaires,  n'empêchoient  pas  que  le  Sénat  ne 
défapprouvât  la  cruelle  fuperflition  d'immoler  des  hommes ,  &  qu'il  ne 
fît  de  fages  réglemens  pour  l'abolir,  non-feulement  à  Rome,  mais  aufU 
dans  toutes  les  Provinces  qui  dépendoient  de  la  République.  On  en  voit 
une  preuve  dans  la  Fête  que  les  Romains  célebroient  tous  les  ans  à 
l'honneur  du  Père  Dis ,  &  pendant  laquelle  ils  jettoient  dans  le  Tibre 
trente  hommes  de  paille  en  la  place  de  trente  vieillards  qu'on  précipi- 
toit  autrefois  tout  vivans.  Pline  fait  aufîi  mention  d'un  Arrêt  du  Sénat, 
publié  Tan  657  de  Rome  (  5  )  ,  par  lequel  il  étoit  défendu  d'immoler 
des  hommes  à  la  Divinité.  Comme  cet  Edit  fut  donné  dans  un  tems  ok 
la  pofTeffion  de  la  Gaule  NarbonnoifTe  venoit  d'être  affurée  à  la  Ré» 
pubUque  par  les  vidoires  de  Marius ,  &  par  la  défaite  des  Barbares  qui 
avoient  ravagé  cette  Province  pendant  plufieurs  années ,  il  y  a  toute 
apparence  qu'il  regardoit  fur-tout  les  Gaulois,  qui  offroient  publiquement 
à  leurs  Dieux  de  femblables  facrifices.  Quoi  qu'il  çn  foit ,  il  paroît , 
par  un  paffage  de  Plutarque ,  que  le  Sénat  avoit  grand  foin  de  recher- 
cher &  de  punir  ceux  qui  contrevenoient  à  l'Edit  dont  je  viens  de  par- 
ler. Le  paffage  porte  (6)  que  «les  Romains  ayant  été  informés  que 
i>les  Blétonnéfiens ,  qui  étoient  des  Barbares  ,    avoient   immolé    un 
»  homme  aux  Dieux  ,  firent  venir  à  Rome  les  Magiftrats  de  ces  Bar» 
«bares  pour  les  en  punir.  Ceux-ci  ayant  prouvé  qu'ils  avoient  fuivi 
»  en  cela  une  ancienne  coutume ,  furent  renvoyés  abfous  ,  mais  il  leur 
»  fut  défendu  de  pratiquer  la  même  chofe  dans  la  fuite,  » 
"  — ^ ' -— — * 

(s)  Plin.  ubi  fuptà. 

(«)  Pl^t.  Quœfl,  Cent.  Tora.  II.  p.  »«j. 


D  Ë    M.  P  E  L  L  C  U  T  I  E  R.  471 

Je  ne  m'éloignerai  pas  beaucoup  de  mon  fujet ,  en  faîfant  ici  une 
courte  digreffion  fur  les  BUtonéJiens  dont  parle  Plutarque.  Ce  mot  femble 
indiquer  les  Habitans  d'une  île  nommée  Bltton.  Mais ,  comme  dans  aucun 
des  anciens  Géographes ,  on  ne  trouve  point  d'île  de  ce  nom  ,  je  ferois 
fort  tenté  de  fubftituer  ici  le  met  de  Bntannefii ,  qui  défigneroit  les  Infu- 
laires  ou  les  Habitans  de  la  Grande-Bretagne.  EiFeâivement ,  il  eft  conf- 
tant  que  les  Bretons ,  ayant  été  mal  foumis  par  Jules-Céiar ,  continuèrent 
toujours  d'ofFrir  à  leurs  Dieux  des  viûimes  humaines  ,  comme  ils  l'a- 
voient  fait  par  le  paffé.  Mais  il  eft ,  en  même  tems ,  très-vraifemblable  qu'a- 
près que  l'Empereur  Claude  eût  fubjugué  l'Angleterre  ,  &  mis  de 
bonnes  garnifons  dans  le  Pays ,  le  Sénat  jugea  à  propos  de  foumëttre 
cette  nouvelle  Province  au  Sénatus-Confulte  dont  je  viens  de  faire  men- 
tion. Quelque  vraifemblable  que  foit  cet  conjeûure ,  je  fuis  pourtant 
obligé  d'y  renoncer ,  parce  je  ne  faurois  la  foutenlr  ,  fans  tomber  , 
avec  le  P.  Hardouin ,  dans  un  anachronifme  de  près  de  deux  fiécles. 

Plutarque  ,  après  avoir  parlé  de  la  défenfe  faite  aux  Blétonnéjîens , 
ajoute  (7)  que  «  peu  d'années  auparavant ,  les  Romains  eux-mêmes 
H  n'avoient  pas  laifl'é  d'enterrer  vivans  deux  Grecs  &  deux  Gaulois , 
«favoir  un  homme  &  une  femme  de  chaque  Nation  ,  &  cela  après 
»  avoir  confulté  les  Livres  de  laSybille,  à  l'occafion  de  la  mort  d'une 
w  Veftale ,  nommée  Hdoca ,  qui  avoit  été  tuée'par  la  foudre ,  &  de  l'in- 
»  cefte  commis  par  trois  autres  Vefttales ,  Emylïa ,  Licinia  &  Mania  , 
w  qui  avoient  été  corrompues  par  un  Chevalier  étranger ,  nommé  Buté" 
»  rius.'^  Le  P.  Hardouin  prétend  (8)  que  tout  cela  s'étoit  paffé  du  tems  de 
Néron.  Mais  les  raifonsfur  lefquelles  il  appuyé  fon  fentiment  ne  font  d'au- 
cun poids  ,  ou  plutôt  elles  font  renverfées  par  une  preuve  démonftrative. 

i''.  Il  fait  dire  à  Plutarque  que  ces  chofes  s'étoient  paffées  peu  d'années 
avant  le  tems  où  il  écrivoit ,  aulieu  que  Plutarque  dit  clairement  &  for- 
mellement que  les  Romains  qui  défendirent  aux  Blétonnéjîens  d'immoler 
des  viftimes  humaines ,  n'avoient  pas  laiiTé  de  pratiquer  la  même  chofe  peu 
d'années  auparavant. 

1".  Le  Père  fe  fonde  (9)  fur  un  paffage  de  Pline  ,  qui  porte  «quil 
.w  n'y  avoit  pas  long-tems  que  l'on  avoit  enterré  un  Grec  &  une  Grecque 

{^)  Plut,  ubi  fupti. 

(I)  Harduin.  ad  Plin,  XXYIII.  cap.  ».  pig.  >J7» 

(9)  ubi  faptà. 


47i  OBSERVATIONS 

»  dans  le  marché  aux  bœufs,  &c  que  ces  facrifîces  étoîent  en  quelque 
»  manière  autorifés  par  les  bons  fuccès  que  les  Romains  avoient  eus 
»  pendant  830  ans.  »  Il  eft  vrai  que  l'an  S30  de  Rome ,  qui  eft  l'année  où 
Pline  écrivoit ,  tombe  fur  la  fin  du  régne  de  Vefpafien,  mort  l'an  832  de 
Rome ,  &  de  notre  Ere  79.  Mais  Pline  ne  parle  ici  que  d'un  Grec  &  d'une 
Grecque.  Il  ne  dit  pas  que  ce  facrifice  eût  été  offert  à  i'occafion  d'un 
incefte  commis  par  des  Veflales,  &  Suétone  (10)  remarque  même  ex- 
preffément  que  Vefpafien  &  Tite  négligèrent  de  punir  l'impudicité  de 
ces  Vierges. 

3^.  Enfin ,  ce  qui  eft  décifif,  Tite-Live ,  dans  l'un  de  fes  Livres,  qui  efl 
perdu ,  &  dont  nous  n'avons  plus  que  les  Sommaires ,  rapporte  la  con- 
damnation  des  Veftales  Emyl'm ,  Llcinia  6c  Mania  ,  au  Confulat  de  C. 
JPorùus  ,  qui  tombe  fur  l'an  640  de  P^ome,  Les  Eiétonnéjuns  ne  fauroient 
donc  être  les  Habitans  de  la  Grande-Bretagne ,  dans  laquelle  les  Romains 
ne  pafferent  qu'environ  foixante  ans  après»,  favoir  l'an  699  de  Rome.  Le 
P.  Hardouin  s'eft  aufll  trompé ,  en  plaçant  fous  le  régne  de  Vefpafien 
des  événemens  antérieurs  de  près  de  200  ans.  Les  trois  Veftales  qu'on 
vient  de  nommer ,  furent  convaincues  &  condamnées  l'an  de  Rome 
640.  Les  Romains ,  pour  expier  ce  facrilége  ,  firent  enterrer  vivans  dans 
le  Marché  aux  Bœufs ,  un  Gaulois  ôc  une  Gauloife ,  &  en  même  tems  un 
Grec  ôc  une  Grecque.  Ce  fut  quelques  années  après  que  l'on  manda  à  Rome 
les  Magiftrats  des  Blkonnèfitns  qui  avoient  immolé  un  homme  à  leurs 
Pieux ,  &  qu'on  leur  défendit  d'offrir  à  l'avenir  de  femblables  facri- 
fices.  Comme  l'Edit  du  Sénat  qui  interdifoit  ces  barbares  facrifices ,  fut 
publié  l'an  657  de  Rome ,  je  fuis  bien  trompé  s'il  ne  fût  pas  donné  à  i'occa- 
fion de  CQsBUtonnéJiens<\\n  étoient ,  félon  les  apparences,  un  Peuple  de  la 
Gaule  Narbonnoife ,  pu  fi  l'on  veut ,  les  Habitans  d'une  ile  voifine  de 
cette  Province, 

Pour  revenir  à  mon  fujet ,  j'efpere  qu'on  ne  me  conteftera  pas  que  les 
Romains  abolirent  peu  à  peu  les  facrifices  humains  dans  toute  l'étendue 
de  leur  domination.  Lorfque  Jules-Céfar  (i  i)  commandoit  en  Elpagne, 
où  il  avoit  été  envoyé  en  qualité  de  Prêteur,  il  abolit  cette  cruelle 
fuperftition  àGades,  où  elle  avoit  été  apportée  par  les  Phéniciens  j  6C 

• — - —  .    ^ 

(10)  Sueton.  Domir.  cap.  8. 
^ii)  Cicci.  fco  Salbo  cap.  9, 


D  E    M.    P  E  L  L  O  U  T  I  E  R.  473 

oïl  elle  s'étoit  confervée  jufqu'à  fon  tems.  Il  ne  faut  pas  douter  qu'il  n'ait 
donné  dans  la  fuite  de  femblables  ordres  dans  les  Gaules  qu'il  avoit 
conquifes,  .&  dont  il  garda  le  Gouvernement  près  de  dix  ans.  Lucain 
(iz)  l'infinue  affez  clairement,  puifqu'il  dit  aux  Druides  qu'ils  avoient 
renouvelle  pendant  les  guerres  civiles  des  Romains ,  les  barbares  céré- 
monies qu'ils  avoient  été  obligés  d'interrompre  après  la  conquête  des 
Gaules.  Il  eft  vrai  qu'Augufte  n'avoit  d'abord  défendu  qu'aux  feuls 
bourgeois  (13)  Romains  de  prendre  part  aux  cruelles  cérémonies  que  les 
Gaulois  pratiquoient  (14)  >  mais  il  me  paroît  très-vraifemblable  qu'il 
rendit  enfuite  cette  défenfe  générale  ,  &  qu'il  abolit  les  facrifices  humains 
dans  toute  l'étendue  de  l'Empire.  Sans  cela ,  il  feroit  difficile  de  compren- 
dre que  des  Hiftoriens  qui  ont  écrit  peu  après  la  mort  d'Augufte,  euffent 
pu  parler  de  ces  facrifices  comme  d'une  fuperftition  qui  étoit  abolie  dans 
les  Gaules  ,  ou  qui  ne  s'y  pratiquoit  au  moins  que  fort.fecrettement. 
Strabon  (15),  par  exemple,  qui  publia  fa  Géographie  vers  le  commence- 
ment du  régne  de  Tibère  ,  après  avoir  parlé  de  la  coutume  qu'avoient 
les  Gaulois  de  clouer  aux  portes  des  Villes  les  têtes  des  ennemis  qu'ils 
avoient  tués  à  la  guerre,  ajoute  :  «  Les  Romains  ont  cependant  fait  quitter 
»  aux  Gaulois  cette  barbarie ,  &  les  ont  défabufés  des  facrifices  &  des 
»  divinations  qui  ne  s'accordent  pas  avec  nos  coutumes.  >=  Pomponius 
Mêla  (16),  qui  vivoit  fous  Tibère,  ou  pour  le  plus  tard  fous  Néron, 
dit  aufli  que  «  les  Gaulois  font  des  Peuples  fiers  qui  ont  autrefois  pouffé 
«  la  férocité  jufqu'à  fe  perfuader  que  l'homme  eft  la  plus  excellente 
«  viGime  que  l'on  puiffe  offrir  aux  Dieux.  »  Il  ajoute  que ,  «  quoique  cette 
«barbare  fuperftition  foit  abolie ,  il  en  refte  pourtant  quelque  traces.  lis  ne 
»  font  pas  mourir ,  à  la  vérité ,  les  hommes  ,  mais  ils  les  font  au  moins 
»  approcher  de  l'Autel ,  &  leur  verfent  du  vin  fur  la  tête.»  Pline  (i7)qui 
écrivoit  fur  la  fin  de  l'Empire  de  Vefpafien,  reconnoit  aufli  que  l'on  n'of- 
froit  plus  dans  les  Gaules  des  vidimes  humaines.  «  Il  n'y  a  pas  long-tems, 
*' dit-il,  que  les  Peuples  qui  font  au-delà  des  Alpes,  avoient  encore  la 
«coutume  d'immoler  des  hommes.  Les  Romains,  dit-il  ailleurs  (18), 


(11]  Lucan.  I.  t.  450.  4SI• 
(I3)  Il  falloit  dire    *ux    Ciioyim  Rcmaini.  II 

y  a  une    gtande   différence  entre    le    Citoyen 

proprement  dit  ,  &  le  Bour^roii. 
(14]  Sueton.  in   Claud.  cap.  Z{. 

Tome  IL 


fis)  Stab.  IV.  158. 

(i(i)  Pompon.  Mêla  lib.  III   cap.   2.  p.  jt. 

(17)  Plin.  VII.  c  p.  p.  6. 

(is^  Id.  lib.  XXX.  cap.  i.  p.  71». 

Ooo 


474  OBSERVATIONS 

»  ont  rendu  aux  Genre-humain  un  fervice  ineftimable  ,  en  aboliffant 
»  cette  horrible  fuperftition ,  qui  faifoit  regarder  le  facrifice  d'un  homme 
»  comme  la  chofe  du  monde  la  plus  facrée.  »  Enfin  ,  Solin  (19)  ,  qui  a 
écrit  après  le  régne  d'Alexandre  Mammée  ,  reconnoît,  à  la  vérité ,  qu'on 
accufoit  les  Gaulois  d'offrir  à  leurs  Dieux  des  vlâimes  humaines  ,  mais  il 
avertit ,  en  même  tems ,  qu'il  n'oferoit  garantir  la  vérité  du  fait. 

Voici  donc  qu'elle  eft  ma  conclufion.  Les  Romains  n'eurent  jamais 
kpenfée  d'ôter  aux  Gaulois,  ni  leur  Religion  ,  ni  leurs  Druides.  S'il  en 
étoit  autrement ,  les  Druides  &c  les  Dryades  ne  paroîtroient  pas  dans 
l'Hiftoire  jusqu'au  tems  de  Dioclétien  &c  de  Conftantin  le  Grand  (20). 
Mais  le  Sénat  &  enfuite  les  Empereurs  défendirent ,  fous  des  peines 
févères ,   les  divinations  &  les  facrifices  humains ,  parce  que  les  Loix 
d'une  bonne  politique  le  vouloient  ainfi ,  &  que  de  pareils  abus  ne  doi- 
vent  pas  être  tolérés  dans  une   Sotîv'^  bien  réglée.  Les  divinations 
étoient  une  impofture  dont  les  Prêtres  abufoient  fort  fouvent  pour  trou- 
bler le  rjpos  de  l'Etat,  &  elle  ne  fervoient  ordinairement  qu'à  remplir 
les  Particuliers  qui  y  ajoutoient  foi ,  de  fauffes  craintes,  ou  de  vaines  efptr 
rances.  Les  facrifices  humains  étoient  une  fuperftition  barbare ,  &C  cette 
fuperftition  fa'loit  perdre  fort  inutilement  à  l'Etat  une  partie  de  fes  Su- 
jets. Par  cette  railon  ,  l'an  657  de  Rome,  le  Sénat  avoit  aboli  dans  la 
Gaule  Narbonnoiie  les  facrifices  dont  il  eft  queftion.  Ils  furent  auffi  abolis 
infenfiblement  dans  la  Gaule ,  que  l'on  appelloit  barbare  ,  &  qui  avoit 
été  conquife  par  Jules- Céfar.  Mais,  comme  les  Gaulois  étoient  fort  atta- 
chés à  leurs  iuperllitions ,  &  qu'ils  continuèrent  long-tems  d'offrir  en 
fecret  des  viftimes  qu'il  ne  leur  étoit  plus  permis  d'immoler  publique- 
ment, on  fut  obligé  de  renouveller  fouvent  les  Edits  qui  avoient  été 
donnés  fur  ce  fujet.  Augufte  n'avoit  d'abord  défendu  qu'aux  feuls  Bour- 
geois Romains  de  participer  aux  barbares  cérémonies  des  Gaulois.  J'ai 
expofé  les  raifons  qui  me  font  juger  que ,  fur  la  fin  de  fon  régne ,  il  abolit 
les  facrifices  humains  dans  toute  l'étendue  de  fon  Empire.  Quoi  qu'il  en 
foit,  Tibère  ,  fucceffeur  d'Auguffe  ,  n'épargna  rien  pour  bannir  cette  fu- 

(19)  Solin.  cap.  34.  prophétie  s'accomplit  lorfqu'il  eût  tue'  Aniut 

(i»)  On  fyaii,  par  exemple ,  que  Diocle'ticn  ;  Aper ,  Pie'fct  du  Prétoire,  qui  ,  pour  parvenir 

ne  fe  lalTot  point  d'aller  à  la  chaffe   du  fan-     à  l'Empire  ,  avoit  aflalline'  l'Empereui  Nume- 

glier,  p.lrce  qu'une  ProphetcffeDraiif  lui  avoit     rien   Ion  gendie.   Vt[iffui    in   Numeriano ,  cap. 

prédit  qu'il  deviendroit    Empereur  quand    il  ;  Xl\,  v.  793, 

auioit  tue  un  Tangiier  :  aim  A(rHm  eççtimi,  La  1 


D  E    M.    P  E  L  L  O  U  T  I  E  R.  4.^  ^ 

perdition ,  tant  des  Gaules  que  de  cette  partie  de  l'Afrique ,  qui  étoit 
foumife  à  fa  domination  (ii).  L'Empereur  Claude  prit  auffi  la  chofe  fort 
à  cœur.  II  abolit,  félon  la  remarque  d'Aurélius  Vidor  ,  les  fameufes  fu- 
perftitions  des  Druides  ,  ou  ,  comme  le  dit  Suétone,  la  cruelle  Religion 
des  Gaulois,  c'eft-à-dire,  la  coutume  d'offrir  des  viftimes  humaines.  Mal- 
gré tous  ces  foins,  cène  fut,  dit  Eufebe  (21)  ,  que  fous  l'Empereur 
Hadrien,  que  l'on  cefla  d'immoler  des  hommes. 

Tous  les  Auteurs  que  je  viens  de  citer ,  s'accordent  à  confirmer  ma 
Thèfe.  Ils  parlent  de  l'abolition  des  facrifices  humains  ,  mais  ils  ne  font 
aucune  mention  de  l'extirpation  de  la  Sede  des  Druides.  La  feule  diffi- 
culté qui  refte ,  eft  celle  qui  fe  tire  du  paffage  de  Pline ,  que  j'ai  cité  au 
commencement  de  ce  Difcours.  «Les  Gaulois,  dit  cet  Hiftorien ,  ont  été 
w entêtés   de   la  fuperftition  d'immoler   des  hommes,  jufqu'à  un  tems 
«dont  nos  vieillards  peuvent  encore  fe  fouvenir.  Car  on  fait,  au  refte, 
»  que  l'Empereur  Tibère  a  exterminé  leurs  Druides,  6c  en  général ,  toute 
»  cette  forte  de  Devins  &  de  Médecins.»  Cependant  le  même  Auteur, 
rapportant  la  manière  dont  on  cueilloit   le  Gui  de  chêne  ,  parle  des 
Druides  ,    comme  de   gens  qui  exiftoient  aftuellement ,   &  qui  préfi- 
doient  au  culte  divin  parmi  les  Gaulois  (13)-  Un  paffage  de  Dion  (  24) 
Chryfoftome  prouve  qu'ils  confervoient  encore  leur  autorité  du  tems 
de  l'Empereur  Trajan.  Enfin,  Aufone  (25),  qui  a  écrit  depuis  l'établif. 
fement    du  Chriftianifme    dans  les  Gaules,  parlant  des  Profeffeurs  qui 
enfeignoient    dans  l'école  de  Bordeaux ,  dit  qu'  4ttius  Paiera  étoit  de 
la  race  des  Druides^  qu'il  tiroit  fon  origine  du  Temple  de  Bélénus ,  & 
qu'il  portoit  le  nom  de  Paiera,  parce  qu'il  avoit  été  Miniftre  de  ce  Dieu. 
Il  dit  encore  (26)  que  Phébitius  avoit  été  Marguillier  de  Bdlmis ,  Se  qu'il 
étoit  de  la  famille  des  Druides  ;  ce  qui  prouve  que  les  Druides  avoient 
confervé  jufqu'alors  l'intendance  des  Sanduaires.    Il  faut  donc  nécef- 
fairement    expliquer  le   paffage  de  Pline  dont  il  s'agit,  d'une  manière 
qui  puiffe  concilier  cet  Auteur  avec  lui-même ,  &  qui  s'accorde  d'ail- 
leurs avec  la  vérité  de  l'Hiftoire.  Voffius  a  cru  réfoudre  la  difficulté , 
en  difant  (27)  qu'il  n'eft  queftion  dans  ce  paffage  que  de  la  Ville  de 


(zt)  Teriuil.  Apol.  cap   4. 
(12)  Eufeb.  Prxpar.  Evaiig.  lib.  IV.  cap.  15. 
pïg.   154- 

(îj)  Plin.  lib.  XVI.  cap  44.  p.    312, 
(24}Dio.   lib.  XLX.  p.  5  3  3. 


(is)  Anfon.  rrofelT.  IV.  p.  jo. 
(2«)  Ibid.   Catm.  X.  p     S4- 
(27)  Voflius  de  Orig.  &  Ptogr.  Idololatriac , 
lib.  I.  cap.  }f.  p.  13$. 

O  O  o  z 


• 


476  O  B  S  E  R  V  A  T  I  O  N  S ,  &c; 

Rome ,  dont  Tibère  fit  chaffer  les  Druides  ,  les  Devins  &  les  Méde- 
cins. Mais  (y  avoit-il  des  Druides  à  Rome  ?  Au  iiirplus  )  ,  cette  explica- 
tion eft  combattue  par  les  paroles  mêmes  de  Pline  ,  qui  dit  que  les  Gau- 
lois ont  été  entêtés  des  divinations,  de  la  magie  &  des  lacrifices  humains 
jufqu'aux  fiécle  où  il  vivoit  ,  &  qu'ils  en  font  revenus  depuis  que 
l'Empereur  Tibère  a  exterminé  leurs  Druides ,  &  en  général  cette  forte 
de  Devins  &  de  Médecins.  Un  pafTage  de  Tertullien  (  i*>  )  explique 
clairement  la  chofe.  «Tibère,  dit-il,  faifoit  crucifier  les  Prêtres  qui  im- 
»  moloient  des  viûimes  humaines.  »  Voilà  le  fait  que  Pline  rapporte.  Ti-; 
bère  n'abolit  pas  l'Ordre  des  Druides ,  mais  il  puniflbit  du  dernier  fup- 
plice  les  Druides  ^  &  en  général,  les  Sacrificateurs  &  les  Devins  qui,  con- 
tre la  teneur  des  Edits ,  offroient  des  viftimes  humaines ,  le  mêloient  de 
divinations  &  de  magie ,  fe  vantoient  de  prédire  l'avenir ,  &  de  guérir  les 
maladies  par  le  moyen  de  ces  belles  Sciences. 

Les  Druides  fubfifterent  donc  dans  les  Gaules  aufîi  long-tems  que  le  Pa- 
ganifme.  Mais  les  chofes  changèrent  defacelorque  la  Religion  Chrétienne 
commença  à  s'y  établir.  Le  Peuple ,  inflruit  par  de  meilleurs  Maîtres , 
abandonna  ks  Druides  ^  &  ne  leur  apporta  plus  les  préfens  &  les  of- 
frandes ,  d'oïl  ils  tiroient  une  partie  de  leur  fubfiflance.  Bientôt  l'Eglife , 
foutenue  du  bras  féculier,  alla  ruiner  les  Forêts  confacrées,  &  les  au- 
tres Sanûuaires  des  Gaulois.  On  publia  des  Edits  rigoureux  contre  ceux 
qui  alloient  faire  leurs  prières  dans  les  campagnes  &  dans  les  bois.  On 
fit  pafTer  les  Druides  pour  des  Sorciers  ,  qui  tenoient  des  Aflemblées 
nodurnes  à  l'honneur  du  Diable  ;  on  fournit ,  de  cette  manière ,  au  faux 
zèle  un  prétexte  pour  les  perfécuter  à  toute  outrance  ;  &  à  la  fin ,  la  ruine 
du  Paganifme  dans  les  Gaules  entraîna  néeefTairement  celles  des  Druides, 

-  ,11 .!■  ■!         I  III  I 

(î  »)  Tcitoll.  Apol,  cap.  4. 


vasj 


477 


DISSERTATION 

Sur  le  tems  où  la  Religion  Chrétienne  fut  établie  dans  les  Gaules  , 
par  M.  DE    C H I N I A  C . 

J.  LUSIEURS  Ecrivains  ont  travaillé  fur  une  matière  fi  digne  d'être 
approfondie  ;  mais  quelques  favans  que  foient  leurs  ouvrages ,  11  faut 
convenir  qu'il  refte  bien  des  difficultés  que  je  dois  éclaircir,  pour  prou- 
ver le  pomt  le  plus  intéreffant  de  l'Hiftoireque  j'écris  ('),  favoir,  que 
la  foi  en  J.  C.  n'a  été  annoncée  dans  les  Gaules  qu'au  milieu  du  Ih.Jîécle. 

Ceux  qui  ont  entrepris  de  montrer  que  le  Chriftianifme  a  été  établi 
dans  les  Gaules  par  les  Difciples  des  Apôtres  ,  dès  le  premier  fiécle  ,  fe 
font  engagés  à  défendre  un  grand  nombre  de  traditions  populaires,  & 
à  loutenir  comme  authentiques  les  pièces  les  plus  méprifables  &  les 
moins  dignes  de  foi.  C'eft  fur  ce  fondement  ruineux  que  quelques-uns 
ont  prétendu  que  faint  Paul ,  allant  en  Efpagne  ,  pafla  dans  les  Gaules, 
&  laiffa  faint  Crefcent  à  Vienne  ,  que  faint  Trophime  fut  envoyé  à 
Arles  par  faint  Pierre,  que  faint  Philippe ,  Apôtre,  &  faint  Luc,  Evan- 
gélifle,  nous  ont  prêché  la  foi,  que  faint  Denis ,  faint  Martial,  faint 
Sixte ,  &c.  ont  reçu  leur  miflion  pour  les  Gaules  de  faint  Pierre  ou  de  faint 
Clément,  &  y  ont  établi,  dès  le  premier  fiécle,  des  Eglifes  florlffantes. 
Je  vais  difcuter  toutes  ces  traditions ,  &  je  me  flatte  de  prouver  que  l'éta- 
bliffement  de  toutes  ces  Eglifes  dans  le  premier  fiécle ,  n'efl  pas  mieux 
fondé  que  l'origine  de  nos  Rois  de  la  première  race  qu'on  a  fait  remon- 
ter jufqu'à  Francien  ,  fils  de  Priam  ,  ou  félon  d'autres,  fils  à' Hector,  dortt 
ôn  a  produit  la  filiation  jufqu'aux  derniers  Rois  de  la  féconde  race.  Si 
l'on  m'ijccufe  de  combattre  la  gloire  de  la  Patrie,  je  réponds  ingénuement 
que  l'Eglife  Gallicane  n'a  pas  befoin  de  faux  titres  de  noblefTe  &  d'anti- 
quité. Les  traditions  ne  font  honorables  qu'autant  qu'elles  font  ap- 
puyées fur  la  vérité  ,  «•  contre  laquelle  ,  félon  la  remarque  de  Ter- 
*>  tuUien ,  ni  l'efpace  des  tems ,  ni  l'autorité  des  perfonnes ,  ni  les  pri- 
»viléges  des  Pays  ne  peuvent  prefcrire.  »>  De  vel.  virg.  init.  Je  fais  qu'il 
y  a  des  Chrétiens  fincères,  mais  trop  crédules  ,  à  qui  cet  examen  pourr^ 

(  *  )  L'HtJlairt  di  l'î^lifc  G»lH(»nc.  Voye»  le  Journal  SnejelpfidijHc  ,  Année  1 770.  JatiTiet  i  paît, 


47«  DISSERTATION 

ne  pas  plaire,  mais,  comme  l'obferve  M.  Fleury,  «la  vraie  piété  con" 
M  fifle  à  aimer  la  vérité  &  la  pureté  de  la  Religion ,  &  à  obferver ,  avant 
»  toutes  chofes ,  les  préceptes  marqués  expreffément  dans  l'Ecriture. 
«Or,  ajoute  le  même  Hiftorien,  je  vois  que  faint  Paul  recommande 
»>  plufieurs  fois  à  Tite  &  à  Timothée  d'éviter  les  fables  ;  &  qu'entre  les 
»  défordres  des  derniers  tems ,  il  prédit  que  l'on  fe  détournera  de  la  vé- 
»  rite  pour  s'appliquer  à  des  fables  :  je  vois  que  les  doftes  fables  ne  font 
»  pas  moins  rejettées  par  St.  Pierre,  que  les  contes  de  vieilles  par  faint 
»j  Paul  ;  &,  comme  il  condamne  les  fables  Judaïques,  je  crois  qu'il  au- 
H  roit  condamné  les  fables  Chrétiennes ,  s'il  y  en  eût  eu  dèslors.  Que 
«diront  à  cela  ceux  que  la  timidité  rend  û  crédules?  N'auront-ils  point 
«  de  fcrupule  de  méprifer  une  telle  autorité  ?  Diront-ils  que  jamais  il 
»n'y  a  eu  des  fables  chez  les  Chrétiens  ?  Il  faudroit  démentir  toute 
>»  l'antiquité  ;  &  quand  nous  n'aurions  que  la  légende  Dorée  de  Jac- 
»ques  Voragine,  elle  n'eft  que  trop  fuffifante.  La  donation  de  Conflan- 
»tin  n'eft  pas  crue  même  à  Rome.  La  Papeffe  Jeanne,  crue  autrefois 
»par  les  Catholiques,  eft  abandonnée  &  réfutée  par  les  Proteftans. 
>>  Baronius  ,  fans  doute  ,  bon  Catholique ,  a  rejette  quantité  d'écrits 
»  apocryphes ,  &  de  fables  avancées  par  Métaphrafte ,  &  par  plufieurs 
>>  autres....  Les  fables ,  dit  encore  l'illuftre  Hiftorien ,  fe  découvrent  tôt 
»ou  tard;  &  alors  elles  donnent  occafion  de  fe  défier  de  tout,  &  de 
>>  combattre  les  vérités  les  mieux  établies.  »  J.  Difc.  fur  fHijl,  Ecd, 
Art.  y. 

Première  Proposition. 

Les  Gaules  n^ont  point  reçu  la  foi  dh  le  premier  flécle, 

L'Auteur  des  Aftes  nous  apprend  que  les  Apôtres  ne  portoiertt  le  flam- 
beau de  l'Evangile  que  dans  les  Pays  oii  l'Efprit  de  Dieu  les  envoyoit. 
Voici  ce  que  nous  lifons  au  Chapitre  XVI  :  <«  Paul  étant  arrivé  à  Derbe  &  à 
«Liftre,  rencontra  un  Difciple  nommé  Timothée ...  Paul  voulut  qu'il 
»  vînt  avec  lui. . . .  Lorfqu'ils  eurent  traverfé  la  Phrygie  &  la  Galatie , 
»le  Saint-Efprit  leur  défendit  d'annoncer  la  parole  de  Dieu  en  Afie. 
«Etant  venus  en  Mifie,  ils  fe  difpojoient  à  pafler  en  Bithinie  :  mais 
«  l'Efprit  de  Jesus  ne  le  leur  permit  pas.  »  (  ^.  i ,  3  ,  6  &  7.  )  Saint  Paul 
hous  apprend  la  même  vérité,  lorfqu'il  écrit  aux  Romains:  «  Dieu  que 
*>;e  fers  par  le  culte  intérieur  de  mon  efprit  dans  l'Evangile  de  fou  Fils, 


D  E    M.    D  E    C  H  I  N  I  A  C.  479 

»  m'eft  témoin  que  je  me  fouviens  fans  cefle  de  vous ,  lui  demandant 
»>  continuellement  dans  mes  prières,  que  y?  c'ejlfa  volonté,  il  m'ouvre 
»  enfin  quelque  voie  favorable  pour  aller  vers  vous  ;  car  j'ai  grand  de- 

»fir  de  vous  voir Je  fuis  bien  aife  que  vous  fâchiez  que  ]' avals  J'ou- 

a^vent  propoji  de  vous  aller  voir. .  .  mais  j'e«  ai  été  empêché  jufqu' à  cette 
»  heure ....  Ainfi  pour  ce  qui  eji  de  moi ,  je  fuis  prêt  de  vous  annoncer  aulîi 
w l'Evangile,  à  vous  qui  êtes  à  Rome.  (  Rom.  I.  9  ,  1 1  ,  13  ,  15.)»  Il  ne 
faut  donc  pas  juger  fur  de  fimples  raifons  de  convenance,  que  St.  Pierre 
&  St.  Paul  étant  à  Rome  uniquement  occupés  à  la  propagation  de 
l'Evangile  ,  ayent  fait  annoncer  la  foi  de  J.  C.  aux  Gaulois.  Le  zèle  de 
ces  faints' Apôtres  étoit  grand  ;  mais  il  n'eft  pas  une  raifon  fuffifante  pour 
conclure  avec  le  P.  Longueval ,  qu'ils  l'ont  fait.  Hijî.  de  CEgl.  Gai. 
tom.  I.  DiJJèrt.  pag.  43.  Examinons  donc  les  preuves  pofitives  qu'on  al- 
lègue pour  établir  ce  fentiment. 

I.  Le  Traité  de  la  vie  &  de  la  mort  des  Saints ,  attribué  à  faint  Ifidore  de  i.  s.  phiiîpp 
Séville,  porte  que  faint  Philippe  eft  venu  prêcher  l'Evangile  dans  les  cn*/u"'ior* 
Gaules.  On  ne  voit  pas  que  cela  ait  été  connu  dans  les  Gaules  par  ceux  j'*'"'"^»*- 
qui  pouvoient  mieux  le  favoir.  Les  Hiftoires  Grecques  &  Latines  que 
Collandus  nous  a  données  de  faint  Philippe,  telles  qu'elles  foient,  ne 
difent  point  qu'il  ait  jamais  voyagé  en  Occident.  Aufïï  Baronius  croit 
que  ,  dans  le  Traité  attribué  à  faint  Ifidore,  il  faut  lire  la  Galatie,  &  non 
les  Gaules.  Mais  ,  fans  s'arrêter  à  la  conjeûure  de  Baronius ,  qui  n'eft  pas 
folide  (i),  il  eft  certain  que  le  Traité  de  la  vie  &  de  la  mort  eft  trop  plein  de 
fautes  &  de  menfonges,  pour  croire  qu'il  foit  de  faint  Ifidore  de  Séville; 
Se ,  quand  même  il  feroit  de  lui ,  cela  ne  feroit  pas  une  autorité  confidé- 
rable,  ce  Saint  étant  mort  en  636.  En  effet ,  de  qui  faint  Ifidore  auroit- 
il  appris  que  faint  Philippe  avoit  prêché  dans  les  Gaules,  puifque  Sul- 
pice  Sévère,  Grégoire  de  Tours,  &  nos  autres  Ecrivains,  plus  anciens 
que  lui ,  n'en  avoient  jamais  riea  fçu  ? 

Saint  Epiphane  affure  que  «le  miniftère  de  la  parole  de  Dieu  ayant  n.Nis.i.u^ 
»été   confié  à  faint  Luc  ,  cet  Evangélifte  l'exerça  dans  la  Dalmatie  , 
»  dans  la  Gaule ,  dans  l'Italie  &C  dans  la  Macédoine  ,  mais  particuliére- 
»  ment  dans  la  Gaule ,  ainfi  que  faint  Paul  l'attefte  dans  fes  Epitres ,  de 
«quelques-uns  de  {es  Difciples.  Car,  ajoute  le  faint  Doûeur,  il  ne 

(1)  I/Auteur  du  Tr»iit  z  certainement  voulu  parler  des  Gnules  qui  font  borne'es  par  l'OcUn  oa 
la  Mei  du  f  onant ,  Se  non  de  la  (/ol»iit  ^ui  cil  boin^c  |>ai  le  Fm-Sunin  ou  la  Met  noitc 


48o  DISSERTATION 

»  faut  pas  lire  m  Galat'u ,  comme  quelques-uns  l'ont  cru  fauflement ,' 
»  mais  en  Gaule,  »  Hxref.  5 1 ,  />.  43  3 .  Il  efl  évident  que  le  lentiment  de  ce 
Père  n'eft  fondé  que  fur  la  leçon  d'un  texte  de  faint  Paul ,  &  qu'il  n'avoit 
point  d'autre  connoiflance  de  la  prédication  de  faint  Luc  dans  les  Gaules. 
li  n'allègue ,  en  effet ,  aucune  raifon  pour  fon  fentiment ,  &  dit  feulement 
qu'il  faut  lire  dans  St.  Paul  en  Gaule ,  &  non  en  Galade.  Je  ferai  voir  bien- 
tôt qu'il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  cette  dernière  leçon  eft  la  véritable. 
Et  certes ,  le  filence  de  tous  les  Hiûoriens  &  de  toutes  les  Eglifes ,  foit 
des  Gaules ,  foit  d'ailleurs  ,  efl:  plus  que  fuiEfant  pour  ne  pas  ajouter  foi 
à  faint  Epiphane ,  qui ,  en  matière  d'Hiftoire ,  n'efl:  point  exa£l.  Sulpice 
Sévère,  &  fept  illufl:res  Evêques  de  France  ,  dans  le  IVe.  fiécle  ,  difent 
que  Dieu  avoit  envoyé  faint  Martin  dans  les  Gaules  ,  afin  qu'elles  ne 
fufl'ent  pas  inférieures  aux  Pays  où  les  Apôtres  avoient  prêché  ;  ce  qui 
fuppofe  vifiblement  que  ni  St.  Paul ,  ni  faint  Philippe  ,  ni  faint  Luc  ,  ni 
aucun  Apôtre,  n'y  ont  point  porté  la  Foi.  «Car,  pour  ce  quequelques- 
»uns  objeûent,  dit  M.  de  Tillemont,  que,  félon  l'Ecriture  &  la  Tradi- 
»  tion ,  l'Evangile  avoit  été  porté  par  les  Apôtres  dans  tome  la  terre , 
«dès  devant  la  ruine  de  Jérufalem  ;  tout  ce  qu'ils  peuvent  alléguer  n'a 
»•  pas  empêché  St.  Augufl;in  de  croire  qu'elle  n'avoit  été  portée  que,  de 
«fontems,  dans  diverfes  Nations  de  l'Afrique,  ou  qu'elle  n'avoit  pas 
»même  encore  été  prêchée  (dans  quelques-unes.)  Saint  Frumence 
»  l'établit  dans  l'Ethiopie  au  IV^.  fiécle. . . .  L'hiftoire  nous  affure  que 
«les  Goths  &  les  autres  Barbares  du  Nord  n'ont  eu  la  Foi  que  du 
»  tems  de  Valérien ,  &c  que  l'Iberie  la  reçut  fous  Conftantin ,  par  le 
»  moyen  d'une  fervante.  »  Mém,  Eccl.  tom.  IV.  pag.  440.  Saint  Paul ,  dans 
fon  Epitre  aux  Romains ,  écrite  vers  l'an  58  ,  dit  auflî  que  <■<■  la  voix  des 
»  Prédicateurs  de  l'Evangile  a  retenti  par  toute  la  terre ,  &  leur  parole 
Ms'eftfait  entendre  jufqu'aux  extrémités  du  monde.»  Rom.  X.  18.  Mais 
il  faut ,  fans  doute  ,  l'expliquer  des  Pays  où  Dieu  avoit  ordonné  que  les 
Apôtres  prêcheroient  l'Evangile  ;  car  depuis  ils  parcoururent  différentes 
Contrées  où  ils  n'avoient  pas  pénétré  jufqu'alors ,  parce  qu'ils  n'avoient 
point  encore  reçu  l'ordre  d'y  aller.  Aci.  XI ,  12.  XFI.  6,  7. 
'  ni.  Ni  s.  IIÎ-  Saint  Chryfoflome,  faint  Epiphane,  faint  Jérôme  &  quelques-au- 
'*"'■  très  Pères  difent  que  faint  Paul  a  été  prêcher  en  Efpagne.  Delà  on  con- 

clut que  l'Apôtre  pafTa  par  les  Gaules ,  &  qu'il  laiflâ  faint  Trophime  à  Arles , 
Sergins  Paulus  à  Narbonne ,  6c  faint  Crefcent  à  Vienne.  Il  efl  affez  pro- 
bable 


D  E    M.    D  E    C  H  I  N  I  A  C.  481 

bable  que  faint  Paul  n'a  iamais  été  en  Efpagne,  Le  Pape  Gélafe  l'affure 
formellement  (  i  );  &  c'eft,  fans  doute ,  une  chofe  confidérable ,  qu'on 
ne  trouve  en  Efpagne  aucun  vertige  un  peu  fondé  de  la  prédication  de 
faint  Paul  (  1  )  :  car  ce  qu'en  difent  quelques  nouveaux  Efpagnols  ne 
mérite  pas  qu'on  y  faffe  attention.  Et ,  en  effet ,  nous  voyons  bien  que 
faint  Paul  fe  propofe  d'aller  en  Efpagne  (  3  )  ;  mais  nous  n'avons  au- 
cune preuve  qu'il  ait  fuivi  ce  deffein.  Qui  nous  affurera  que  dans  cette 
occafion ,  comme  dans  plufieurs  autres ,  l'Efprit  de  Dieu  (4)  nt  le  fit  pas 
changer  de  fendmtnt  ?  Ce  qui  paroît  certain  ,  c'eft  que  dans  les  Epîtres 
écrites  de  Rome ,  oii  faint  Paul  ne  devoit  d'abord  faire  aucun  féjour  : 
Prxteriens  videam  vos. . .  ,  l'Apôtre  ne  parle  plus  d'aller  en  Efpagne,  mais 
il  dit  toujours  qu'il  defire ,  &  qu'il  efpère  de  retourner  promptement  en 
Orient ,  attendant  feulement  que  faint  Timothée  le  fût  venu  joindre , 
pourvu  même  ^u'H  vint  bientôt  (5)  J  ce  qui  fuppofe  qu'il  partiroit  avant  fon 
arrivée  ,  s'il  tardoit  à  venir.  Saint  Athanafe  qu'on  allègue,  pour  prou- 
ver que  faint  Paul  a  prêché  en  Efpagne ,  dit  feulement  que  l'Apôtre  étoit 
tout  prêt  d'y  aller,  ,u»  cr.tjtï{6).  Il  en  eft  de  même  de  faint  Cyrille  de  Jérufa- 
lem.  Il  y  a  toute  apparence  que  les  autres  Pères  n'en  favoient  pas  davan- 
tage ,  &  que ,  quoiqu'ils  en  parlent  plus  affirmativement ,  ils  ne  l'ont 
fait  que  fur  ce  que  faint  Paul  dit  lui-même  aux  Romains.  Au  furplus  , 
quand  même  on  accorderoit  que  St.  Paul  a  annoncé  la  foi  en  Efpagne  ,  il 
ne  s'en  fuivroit  point  du  tout  qu'il  eût  paffé  par  les  Gaules.  Saint  Paul 
dit  aux  Romains  qu'zV  les  ajfifiera  en  allant  i.n  Efpagne ,  mais  il  ne  fait  point 
connoître  la  route  qu'il  fe  propofe  de  prendre ,  il  ne  témoigne  point 
d'envie  d'aller  dans  les  Gaules.  Le  P.  Longueval  a  donc  avancé  ,  fans 
fondement,  «  qu'il  ejl  vraifernblal'le  qu'il  y  a\la  par  le  grand  chemin  qui 
»  conduit  d'Italie  en  Efpagne  ,  c'eft-à-dire ,  par  la  Gaule.  »  Hijl.  Gai. 
tom.  I.  Disert,  p.  45.  On  fait  combien  les  voyages  de  terre  étoient 
autrefois  pénibles  &  longs.  D'ailleurs ,  faint  Paul  en  allant  de  Rome 
en  Efpagne  par  les  Gaules,  auroit  fait  deux  fois  plus  de  cliemin  ,  que  s'il 
s'étoit  embarqué  direftement  pour  l'Efpagne.  Je  penfe  donc  qu'il  fau- 
droit  des  témoignages  pofitifs  pour  fe  perfuader  que  faint  Paul  ait  pris 
le  chemin  des  Gaules  pour  aller  en  Efpagne. 

r 

(ilConcil.  Lab.  Tom.  IV.  p.  isj.         '         I      {4)  Act.  XVI.  6.  7. 
(2)  Eftius  inRom.  XV.  28.  p.  17J.  I       (s)  Hebr.  XIII    u- 

\l]  Rom.  XV.  2l.  I     («^  Athan.  ad  Dracont.  p.  95*. 

Totne  II,  P  P  P 


CrcfccuE. 


4S2  DISSETATION 

IV.  Ni  S.        IV.  Saint  Paul  écrivant  fa  féconde  Epitre  à  Timothée  ,  en  l'an  6'j  î 
lui   mande   entre    autres  chofes  ,  que   Crefcent  étoit  allé  e'/ç  fa^aTiav 
L'ambiguité   de  ce  mot ,  que  l'on  peut  expliquer  de  nos  Gaules  ,  ou 
de  la  Galatii  ,  Province  de  l'Afie  Mineure  (1)  ,  caufe  de  la  difficulté 
parmi  les    Interprètes.  Les    Grecs  l'ont  entendu  affez  univerfellement 
des   Gaules.   Eufébe  dans    fon   Hiftoire  Eccléfiaftique  ,  dit  que  par  ce 
pafTage ,  faint  Paul  témoigne  avoir  envoyé  S.  Crefcent  dans  les  Gaules  (z), 
e/ç  Taç  Tt7^xictc.  On  a  vu  que  faint  Epiphane  afliire   même   que  ceux 
qui  l'entendent    de     la    Galatie  fe  trompent.  Mais  faint  Irenée ,  plus 
ancien  qu'eux  y  &  mieux   inftruit  de  l'ancienne  Tradition  de  l'Eglife 
des  Gaules  ,  lit  Galatiam  ,  la  Galatie  (  3  ).  Théodoret  ,  faint  Chry- 
foflôme  &  l'Ambrofiafter  lifent  conftamment  h;  faXartuv.  On  ne  trouve 
point  que  notre  Vulgate  Latine  ait  jamais  lu  autrement.  Le  Nouveau 
Teftament  d'Oxfort  ,  qui  a  épuifé  les  recherches  fur  cette  matière  , 
ne  marque  point  qu'aucun  Manufcrit   porte  iiç  juhxictv.  »  Il  y  a  donc 
»  tout  lieu  de  croire  ,  obferve  M.  de  Tillemont ,  que  c'eft  le  véritable 
w  Texte  de  faint  Paul  ,  comme  le  foutient  le  Père  Petau  contre  faint 
»  Epiphane  ,   &    par  conséquent   que  e'i;    ra.hXiu(;  eft  une  pure   faute 
»(deCopifte,)  laquelle  aura  jette  Eufebe   dans  l'erreur,  &  l'autorité 
»)  d'Eufebe  y  aura  enfuite  entraîné  les  autres  (4  )  «.  Il  eft ,  en  effet,  affez 
naturel  de  l'entendre  de  la  Galatie  ,  qui  étoit  bien  plus  connue  que  les 
Gaules  de  faint  Timothée.  D'ailleurs  ,  û  faint  Paul  avoit  voulu  marquer 
les  Gaules  ,  il  auroit  fans  doute  ajouté  txV  <^utik»v  ,  ou  il  auroit  mis  t«V 
KeXT«x»V  ,  ou  T«?  fotAXi'ceç,  ou  quelqu'autre  terme  qui  les  diftinguât  de /a 
Galatie  :  car  cette  contrée  de  l'Afie  Mineure  n'avoit  point  d'autre  nom 

eue    s/ç  faXaiTiuv, 

I  I  )  La  GaUtie  etoit  anciennement  une  l'altérer ,  &  donneren:  aux  Celtes  le  nnm  de 
glande  contrée  de  l'Afie  Mineure.  Ce  Pays  ;  G««'o",8c  à  leur  Pays  le  nom  de  Gxulei.  cé- 
piit  fon  n'im  des  GauUù  ,  qui  ,  après  avoir  j  far  aitefte  au  commencement  de  fcs  Coramen- 
brùlé  la  Ville  de  Rome  ,  allèrent  s'y  établir  :  taires,  que  ceux  que  les  Romiins  appelloient 
parmi  les  Grecs  qui  i'habitoient  &  qui  por-  Gaulois,  le  nommoientCtZ/fj  dans  eut  Langue, 
toient  le  nom  de  Phrygiens  &  de  PuphUgonnns.  Les  Grecs,  pour  donner  au  mot  Gdller  une  ter- 
Le  nom  de  Gtulois  vient  du   mot  Galler  ,  que     «linaifon  conforme  au  génie  de  leur  Langue  , 


ouclques  Celtes  qui  s'étoient  détachés  du  gros 
«le  leur  Nation  ,  pour  palfer  les  Alpes  du  côté 
ii:  l'Italie,  prirent  pour  marquer  qu'ils avoient 
^té  chartes  de  leurs  anciennes  demeures,  ou 
qu'ils  s'en  étoient  exilés  volontairement.  Guller 
en  Tudefque  ,  gnifie  un  Voyageur  ,  un  Etran- 
|e{.  L«$  ^omaîut  coaleiveient  le  mot  Ci«//;r  ions 


le  changèrent  en  celui  de  GaUits.  Ainû  ils  don- 
nèrent le  nom  de -GaUtie  à  la  contrée  d*a 
Phrygiens  &  des  Paphiagoniens  que  les  Celtn 
ou  Gtulois  étoient  venus  hauiter. 

(»,  Lib.   3.  cap.  4  p.  74. 

[i/  tib.  m.  cap.  14.  p.  171, 


'        '  çy-^    DE    M.    D  E    C  H  I  N  I  N  I  A  C.  48J 

Le  Père  Longueval  a  lui-même  fenti  la  difficulté  de  foutenir  le  iU 
faxxUç  d'Eufebe  ,  &  même  de  prétendre  qu'il  faut  lire  dans  faint  Paul 
les  Gaules  au  lieu  de  /a  Galatie.  »  Il  ne  s'agit  pas  de  fçavoir  ,  dit  cet 
»>  Hiftorien ,  fi  faint  Epiphane  a  eu  raifon  de  lire  dans  le  texte  de  faint 
«  Paul ,   en  Gaule  ,   au  lieu   àHen   Galatie  :  il   nous  fufRt  qu'il  ait  cru 
»  qu'on  devoit  lire  de  la  forte ,  pour  être  en  droit  d'en  conclure  qu'il 
»  pafToit  alors  pour  confiant  que  faint  Crefcent  avoit  prêché  la  Foi 
»  dans  la  Gaule ....  Nous  croyons  devoir  nous  rendre  à  l'autorité  de 
»  faint  Epiphane.  Il  fiéroit  mal  à  des  Ecrivains  François  de  combattre 
»  ce  que  des  Auteurs  Grecs  ,  des  Saints  Pères  refpetlables  par  leur 
w  antiquité  &  leur  érudition  ,  ont  avancé  de  glorieux  à  l'Eglife  Gal- 
w  licane  (  i  )  «  On  n'admirera  pas  fans  doute  dans  ce  raifonnement  la 
Logique  du  Père  Longueval.  Si  le  fentiment  de  faint  Epiphane  fur  un 
fait  de  cette  nature,  n'a  d'autre  fondement  qu'une  erreur  de  Copifle, 
quelle  créance  y  devons-nous  donner  ?   Le  Père   Longueval  avoit-il 
oublié  qu'il  venoit  d'avouer  »  qu'une  Eglife  fi  illuftre  (  que  la  nôtre  ) 
»  n'avoit  pas  befoin  de  faux  Titres  de  NoblefTe  «  ?  Je  voudrois  volontiers 
qu'il  me  fut  permis  de  me  rendre  à  l'autorité  de  faint  Epiphane  ;  je 
defirerois  que  la  tradition  de  l'Eglife  de  France  ne  fût  pas  contraire  »  à 
»  ce  que  des  Auteurs  Grecs,  des  Saints  Pères  refpeûables  par  leur  anti- 
»quité  &  leur  érudition  ,  ont  avancé  de  glorieux  à  l'Eglife  Gal'icaneiw. 
Mais,  comme  le  remarque  M.  Fleury,  »  fans  manquer  de  refpedl  pour 
»  les  traditions  ,  on  peut  examiner  celles  qui  font  dignes  de  créance  : 
»  on  le  doit  même ,  fous  peine  de  manquer  de  refpeft  aux  vraies ,  en  y 
»  en  mêlant  de  faufTes  (i)«.  Or  nos  Hifloriens  les  plus  anciens  ,  mieux 
inftruits  que  les  Grecs  de  la  Tradition  des  Eglifes  des  Gaules ,  ne  font 
aucune  mention  de  faint  Crefcent.  Adon ,  Archevêque  de  Vienne  au 
IX'.  fiécle ,  eft  le  premier  qui  en  parle  ,  &  l'expofé  du  fyftême  de 
cet  Ecrivain  fuffit  feul  pour  le  détruire.  D'un  côté  il  avoue  que  faint 
Crefcent  avoit  été  ordonné  Evêque  de  la  Galatie^  &  par-là  il  ruine 
l'interprétation  qu'Eufebe  &  faint  Epiphane  donnent  au  mot  fccXurî»  : 
d'un  autre  côté  ,  il  veut  ,  fans  aucune  preuve  ,  que  faint  Crefcent 
eut  quitté  fon  Eglife  pour  aller  planter  la  Foi  à  Vienne.  Ce  fyftême 


(4)  Mémoir.  Eccle'f.  Tom.  I.  p.  «15. 

(  I  )   Hiftoire  Gallic.  Tom.  I.   Diflert.  pag.  43,  4^, 

(»]  I.  Difc.  fux  l'Hiftoiie  EcckT.  art.  V. 


PppZ 


PiUl. 


484  DISSERTATION 

étoit  nouveau  ;  aufli  Adon  ne  put  perfuader  fon  opinion  à  fon  Eglife  i 
qui ,  il  y  a  deux  fiécles  ,  ne  mettoit  point  encore  faint  &  efcent  dans  fes 
Litanies,  n'en  faifoit  qu'une  fimple  Mémoire  dans  fon  Office;  ajoutons 
qu'il  ne  fe  trouvoit ,  dans  le  Diocèfe  de  Vienne ,  aucune  Eglife  ni  au- 
cun ancien  monument  de  ce  Saint.  Dans  le  nouveau  Bréviaire  de  Vien- 
ne ,  on  n'en  fait  qu'un  fimple  Office ,  fans  Leçon  ;  &  on  lui  donne  le 
titre  d'Apôtre  ,  mais  non  celui  (TEvêque  de  Vienne  ,  comme  l'on  fait  à 
tous  ceux  qui  font  reconnus  pour  Fondateurs  des  Eglifes.  Il  eft ,  en  ef- 
fet, certain  que  dans  le  Ve.  fiécle  ,  on  n'avoit  aucune  connoifTance 
que  faint  Crefcent,  Difciple  de  faint  Paul ,  eiit  fondé  l'Eglife  de  Vienne, 
puifqu'il  n'en  eft  point  parlé  dans  la  difpute  qui   s'éleva  entre  cette 
Eglife  &  celle  d'Arles  touchant  le  droit  de  Métropole. 
V  Nis.Tro-       V.  Saint  Trophime ,  étoit  Gentil,  natif  d'Ephèfe.  Il  fuivit  faint  Paul 
dp'ie'Ve  s.    dans  le  voyage  qu'il  fit  de  Corinthe  à  Jérufalem  en  l'an  5  8  (  ^cl.  xxi. 
19.)  Long-tems  après  ,  &  environ  l'an  ^4  ,  faint  Paul  paflant  à  Milet;, 
y  laifla  faint  Trophime  malade  ,  ce  qu'il  manda  à  S.  Timothée  vers  1:î 
milieu  de  l'an  65  ,  peu  de  tems  avant  fa  mort  (11.  Timoth.  iv.  20  ).  Cel;^ 
fuffit  pour  montrer  que  faint  Paul ,  fuppofé  qu'il  dit  fait  le  voyage  d'Ef  » 
pagne  &  qu'il  ait  paffé  par  les  Gaules,  n'a  pu  le  laifl"er  à  Arles  en  6}  > 
comme  Adon  l'a  avancé ,  &  même  que  faint  Trophime  n'a  pu  être  at- 
taché à  l'Eglife  d'Arles  du  vivant  de  faint  Pierre  ôc   de  faint  Paul.  Il 
faudroit  donc ,  pour  prétendre  qu'il  y  eût  eu  im  faint  Trophime  envoyé 
à  Arles  par  faint  Pierre  ,  qu'on  pût  diftinguer  un  autre  faint  Trophime  , 
Difciple  de  faint  Pierre  &  de  faint  Paul,  de  celui  que  faint  Paul  avoi; 
laiffé  à  Milet  :  c'eft  ce  que  perfonne  n'a  encore  prétemKi.  Cependant  le 
Père  Longueval  foutient  la  Miffion  de  faint  Trophime  à  Arles  ,  &  afîiire 
que  »  nous  avons  pour  garant  de  ce  fait,  une  Tradition  fi  ancienne, 
»  6c  fi  imiverfellement  reçue ,  qu'on  ne  pourroit  la  contredire  fans  té- 
»  mérité  (  i  )  «•  Pour  prouver  cette  Tradition ,  le  Père  Longueval  allè- 
gue 1°.  Que  c'eft  fur  ce  principe  que  le  Pape  faint  Zofime  fonde  les 
Privilèges  qu'il  accorde  à  l'Eglife  d'Arles.  z°.  Que  c'eft  le  motif  de  la 
Requête  que  les  Evêques  de  la  Province  d'Arles  préfenterent  à  faint 
Léon ,  pour  le  fupplier  de  rendre  à  cette  Métropole  les  privilèges  qu'il 
lui  avoit  ôtés.  »  Si  S.Trophime  d'Arles  n'avoit  reçu  fa  miffion  qu'att 

(i)  Hifi.  de  l'fgl.  eall.  Tom.  I.  Piiftit.  pag.  44. 


D  E    M.    DE    C  H  I  N  I  A  C.  4S5 

»>milieii  au  troifiéme  fiécle,  obferve  cette  Hiftorien,  auroit-on  pu  igno- 
»  rer  ce  fait  à  Rome  &  clans  la  Gaule  vers  le  milieu  du  V  .  fiécle  ?  Oii 
*>  ces  Evêques  aurolent-ils  pu  s'exprimer  comme  ils  font  ?  Peut-  on 
>»  flippofer  qu'ils^gnoraffent  qu'il  y  avoit  à  Lyon  &  à  Vienne  ,  dès  le 
»>  fécond  fiécle  ,  une  Chrétienté  nombreufe,  qui  avoit  donné  à  l'E- 
»  glife  de  fi  ilUuftres  Martyrs  ?  Ainfi  foutenant  que  l'Eglife  d'Arles  efl 
»  plus  ancienne  (i),  ils  prétendent  qu'elle  a  été  fondée  dès  le  premier 
»>  fiécle  «. 

Il  feroit  trop  long  de  prouver  que  la  tradition  de  l'ApoftoIat  de  faint 
Trophime  ,  fondé  fur  la  Lettre  du  Pape  Zofime ,  &  fur  la  Requête  des 
Evêques  de  Provence  ,  ne  mérite  aucune  attention.  Je  renvoyé  à  M. 
de  Tillemont  (i)  qui  l'a  prouvé  démonflrativement.  »   Ce  que  nous 
»  concluons  de  tout  ceci  ,   dit  ce   judicieux  Ecrivain  ,   c'eft  que  la 
»  Miffion  de  faint  Trophime  par  les  Apôtres  ôc  par  faint  Pierre ,  n'é- 
»  tant  fondée  que  fur  des  Auteurs  qui  ne  l'avancent  que  pour  foute- 
tt  nir  une  prétention  que  l'on  peut  affurer  être  infoutenable  ,  &  dans 
«  laquelle  M.  de  Marca  avoue  que  Patrocle  (  3  )  avoit  furpris  Zofime 
»  par  fes  menfonges  ,  obreptum  Zojtmo  per  falfam  PatrocU  fuggejîionem , 
»  il  n'y  a  gucres  lieu  de  s'y  vouloir  arrêter  contre   le  témoignage  de 
»  faint  Grégoire  de  Tours ,  qui  n'avoit  nul  intérêt  en  ceci ,  que  celui 
»de  la  vérité  ,  &  contre  l'honneur  de  l'Eglife  Gallicane,  qui  feroit 
»  coupable  d'une  très  grande  ingratitude  envers  faint  Trophime  de  ne 
»  le  pas  honorer  comme  fon  Apôtre ,  s'il  eft  vrai  qu'elle  ait  reçu  la 
»  Foi  par  fon  moyen.  Le  Père  Quefnel  (4)  ne  regarde  cette  antiquité 
«attribuée  à  faint  Trophime ,  que  comme  une  chofe  très-fauffe«.  Auffi 
faint  Léon  répondant  à  la  Requête  des  Evêques  de  Provence  les  con- 


/■ 


(1)  SiîeP  Loirgueraleutétéconfequent  dans 
•fon  fyftêrac  ,  il  (e  feroit  convaincu  que  la 
prétention  «les  Evêques  de  Provence  e'toit 
vjfiblement  faulTe,  puifqu'ils  difoient  quêteur 
Eglifc  e'to't  plus  ancienne  que  celle  d'Arles  : 
car  il  y  avoit  à  Vienne  ,  félon  le  P.  Longueval , 
oneEglife  fonde'e  par  Crefcent  ,  dans  le  même 
tems  que  S.  Trophime  avoit  e'tabli  celle 
d'Arles. 

(i)  Me'moit.  Ecclêf.  Tom.  IV.  p.  704-70». 

(3)  Patrocle  avoit  fait  chaflcr  du  Siège  d'Ar- 
les Eros  ,  qui  en  étoit  le  le'gitime  Evêque  , 
pour  fe  faite  meute  «n  fa  place  par  la  faveiu 


du  Ge'né'ral  Confiance.  Sa  conduite  dsns  l'E- 
pifcopat  répondit  à  fon  inftrufion  ,  puifqu'il 
vendit  même  des  Evêchés.  Dieu  le  punit  de 
fes  fourberies  &  de  fes  attentats  ,  en  permet- 
tant qu'il  fàc  matracré. 

(4,  On  verra  par  la  fuite  de  cette  Hiftoire ,' 
que  le  P.  Longueval  fe  glorifie  de  n'être  /amais 
du  fentiment  du  P.  Quefnel.  Pour  moi,  je 
penfe,  avec  M.  de  Tillemont ,  qu'il  eft  du  de- 
voir d'un  Hiftorien  de  prendre  la  vérité  pac 
tout  où  elle  fe  trouve.  Un  Chrétien  ne  doit 
jamais  haïr  les  homme» ,  mais  fc  gaiintil  de 
leuis  CHCuis, 


48d  DISSERTATION 

tredit  en  ce  qu'ils  avoient  fuppofé  fauflement  que  »  l'Evêque  d'Arles  i 
»  en  confidération  de  faint  Trophime  avoie  toujours  regardé  comme  une 
»  partie  de  fa  follicitude  Paftorale ,  les  Ordinations  de  la  Province  de 
»  Vienne ,  auffi-bien  que  celles  des  trois  Provinces  (  les  deux  Narbon- 
»  noifes  &  les  Alpes  maritimes)  «.  C'eft  pourquoi  ce  Pape  déclare  qu'il 
a  bien  examiné  toutes  chofes  de  part  &  d'autre  ,  qu'il  a  trouvé  que  les 
Villes  de  Vienne  &  à^ Arles  ayant  toutes  deux  été  très-célébres  dans  la 
même  Province,  l'avoient  alternativement  emporté  Tune  fur  l'autre  (5) 
pour  la  prééminence  Eccléfiaftique ,  félon  les  tems  &  les  rencontres 
différentes  ;  &  qu'ainfi  il  eft  raifonnable  de  partager  la  Province ,  & 
de  laifTer  à  Vienne  les  Evêchés  de  Valence ,  de  Tarentaife ,  de  Genève 
&  de  Grenoble.  Les  efforts  qu'ont  fait  dans  la  fuite  les  Evêques  d'Arles 
pour  fe  relever  de  cette  Sentence ,  n'ont  fervi  qu'à  la  faire  confirmer  de 
plus  en  plus ,  fi  ce  n'eft  qu'on  a  encore  retranché  Die  &  Viviers  de 
la  Province  d'Arles  pour  les  ajouter  à  celle  de  Vienne. 
,  Il  efl  (pourtant)  difficile,  obferve  le  Père  Longueval,  de  fe  per- 
fuader  que  iaint  Pierre  6c  faint  Paul  ►>  étant  à  Rome  uniquement  occu- 
»  pés  à  la  propagation  de  l'Evangile  ,  aient  négligé  de  le  faire  annoncer 
»  à  une  Nation  aufîi  illuftre  &  aufîi  voifine  de  l'Italie  que  l'étoient  ks 
»  Gaulois.  Le  zèle  de  ces  faints  Apôtres  efl  une  raifon  fufHfante  de  fe 
»  perfuader  qu'ils  l'auront  fait  «. 

J'ai  déjà  repondu  à  cette  objeftion.  Les  Apôtres  n'ont  fans  doute 
pas  négligé  d'annoncer  l'Evangile  dans  les  difFérens  pays  où  Dieu  leur 
a  permis  d'entrer  ;  mais  nous  n'avons  point  de  preuves  que  Dieu  ait 
voulu  que  les  Apôtres  portafTent  eux-mêmes  le  flambeau  de  la  Foi 
dans  les  Gaules.  Saint  Marc  prêche  Jefus-Chrift  aux  environs  d'Alexan- 
drie ;  mais  il  attend  un  ordre  de  Dieu  pour  entrer  dans  cette  grande  Ville , 
la  première  de  l'Empire  après  Rome,  &  où  perfonne  n'avoit  prêché  avant 
lui.  Les  Apôtres  n'ont  donc  envoyé  des  Ouvriers  Evangéliques  que  dans 
les  lieux  qui  leur  étoient  n:arqués  par  le  Saint-Efprit ,  &  jufqu'à  ce 
qu'on  nous  faffe  connoître  la  volonté  divine ,  à  l'égard  des  Gaules  , 
il  ne  nous  efl  point  permis  d'ajouter  foi  à  des  conjectures  humaines,  qui 
peuvent  fe  trouver  oppofées  aux  décrets  de  l'Eternel  qui  fait  miféri- 


(s)  s.  Léon  bien  perfuadé  que  la  miflion  de 
Trophime  pat  S.  Pierre  ,  étoit  une  pure  inven- 
tion des  Evêijues  d'Arles,  c'caite  cette  chimère    . 


&  n'en  fait  point  le  focdeiuent  de  leurs  pi«« 
ro^jativei. 


CJ 


D  E    M.    D  E    C  H  I  N  I  A  C.  487 

torde  à  qui  il  lui  plaît  :  Cujus  vult  miferetur  ,  6*  quem  vult  indurat  (  Rom. 
IX.  18.)  «Si  l'Eglife  Gallicane,  obferve  M.  de  Tillemont  (i),  n'a  of- 
wfert  des  Martyrs  à  J.  C.  qu'après  quelques  autres,  elle  a  réparé  ce 
«défaut  par  le  nombre  &  la  qualité  de  ceux  qu'elle  lui  a  rendus,  après 
«  les  avoir  reçus  de  lui.  »  Nous  pouvons  certainement  dire  la  même 
chofe  des  premiers  Apôtres  de  notre  Eglife  :  ils  lui  ont  acquis  une  gloire 
qui  ne  peut  périr  qu'avec  les  fiécles. 

VI.  Le  Médecin  Chifflet,  dans  fon  Hijloire  deBcfançon,  veut  que  St.  Lin  vi.Nis.LîK 
ait  apporté  la  Foi  à  Befaftçon  (  2  ).  Nous  apprenons  ,  au  contraire  ,  de 
faint  Irenée  que  faint  Pierre  &  faint  Paul  ayant  fondé  l'Eglife  de  Rome  , 
en  confièrent  le  gouvernement  à  St.  Lin  (3).  Ce  Pontife  auroit-i!  quitté 
l'adminiftration  de  l'Eglife  de  Rome  pour  venir  prêcher  la  foi  aux  Francs- 
Comtois?  Chifflet  donne  pour  toute  preuve  de  fon  fentiment,  que  l'E- 
glife de  Befançon  rChonort  point  cCautn  faint  Lin.  Cela  eft  certain  ;  mais 
id  eft  vrai  encore  qu'elle  ne  l'honore  que   comme  beaucoup  d'autres 
Eglifes ,  &  qu'elle  ne  dit  pas  feulement  dans  fon  office  qu'il  ait  été  fon 
Apôtre.   D'ailleurs  ,    le  même  Ecrivain  met  pour  fécond  Evêque  de 
Befançon  un  faint  Maximien ,  ordonné  vers  l'an  185  ,  par  le  Pape  Caïus. 
Il  auroit  donc  dû  prouver  que  faint  Lin  avoit  gouverné  l'Eglife  de  Be- 
fançon pendant  près  de  deux  fiécles    &  demi,  ou  nous  dire  pourquoi 
il  ne  s'eft  point  donné  de  SuccefTeur,  pourquoi  il  n'y  a  point  eu  d'Evêque 
à  Befançon  jufques  vers  l'an  185. 

Vil.   Le  Calendrier  de  Limoges  place  la  mifîion  de  faint  Martial  dès  V-  ^  ï^*'- 
le  premier  fiécle.  Nous  avons  une  grande  vie  de  cet  Apôtre  du  Limou-  poi'>t  venu  , 
fm  ,  fous  le  nom  de  faint  Auftriclinien  ,  fon  Compagnon  ,  qui  dit  la  mUt  fi'édéV 
même  chofe  ;  elle  eft  appuyée  par  les  deux  Lettres  qu'on  a  données  ui^Gauie'l!"' 
fous  le  nom  du  Saint.  Il  eft  certain  que  la  Vie  &  les  Lettres  ont  été  fa- 
briquées par  des  Ecrivains  qui  ont  cherché  à  en  impofer  ;  la  vie  a  été 
écrite  fur  la  fin  du  X  .  fiécle ,  &  les  Lettres  environ  cent  ans  après  (  i  ). 
Ce  n'eft,  en  effet,  que  fous  le  régne  de  Philippe  I ,  qu'on  a  commencé  à 
prétendre  que  St.  Martial  étoit  venu  dans  les  Gaules  fur  la  fin  du  I .  fié- 
cle. On  peut  voir  ce  que  dit  fur  ce  fujet  M.  des  Cordes  ,  Chanoine  de  * 
Limoges  (i).  Ce  Savant  étoit  cerainement  très-zèlé  pour  la  gloire  d» 


(i)  Memoir.  Eccle'f,  Tom.  III.  p.  x. 

(2    Vefontio  ,  Tom.  II.  p.   ii-ij. 

(3,  Iren   lib.  III.  cap.  3.  p.  232. 

(i)  K»;ffc  Dubof^uet ,  HJÛ.  Gallic   lib.  I. 


cap.  23.  p    44.  45. 


(  2  )    Vcytz.    Dubofquet  ,    Hiftoi,     GMi<^ 
pag.  5  0.««, 


VIII.  Ni  S. 
Sixte  de 
R.cims« 


IX  Ni  S 
Taurin    d'£- 
vrcux. 


X.  Ni  S.  !i;- 
licnduMan.'» 


4Î8-  DISSERTATION 

Limoufin  fa  Patrie  :  je  ne  le  fuis  pas  moins  que  lui;  mais  au  lieu  dTiono* 
rer  une  Eglife,  c'eft  la  dégrader,  que  de  lui  donner  une  origine  fabuleufef 

VIII.  Flodoard,  Hiftorien  du  X  ,  fiécle,  dans  fon  Hijloire  des  Evêques 
de  Reims  ,  Liv.  /,  c,  t,.  p.  1 1.  dit  que  faint  Pierre  envoya  exprès  St.  Sixte 
à  Reims  pour  y  enfeigner  la  parole  de  Dieu.  Cependant  les  Aûes  mêmes 
de  faint  Sixte  de  Reims  difent  qu'il  ne  vint  dans  les  Gaules  que  fous 
Dioclétien  &  Maximien,  c'eft-à-dire,  vers  l'an  187.  Hincmar,  célèbre 
Archevêque  de  Reims ,  plus  ancien  que  Flodoard,  dit  (3)  que  St.  Sixte 
de  Reims  fut  envoyé  en  France  par  le  Pape  Sivte,  fans  exprimer  fi  c'eft 
par  le  premier ,  vers  120,  ou  par  le  fécond,  vers  258.  M.  du  Bofquet 
l'entend  du  fécond  (4).  Cela  eft  conforme  aux  Aftes  du  Saint ,  &  il  y  a 
peu  d'exemples  que  les  propres  hiftoires  des  Saints  les  mettent  dans  ua 
tems  poftérieur  à  celui  où  ils  ont  vécu. 

IX.  Les  Aftes  de  St.  Taurin  difent  qu'il  a  été  envoyé  en  France  avec 
faint  Denis  ,  par  faint  Clément.  Mais  cette  pièce  eft  toute  compofée  d'é- 
vénemens  fabuleux  &  mal  confus.  On  y  lit  que  faint  Taurin  informa  le 
Pape  Sixte  du  jour  de  fa  mort ,  fans  dire  quel  étoit  ce  Sixte.  On  y  voit 
encore  que  ce  Saint  étoit  frère  de  faint  Gaugeric,  Evêque  de  Cambrai, 
&  celui-ci  n'a  vécu  que  fur  la  fin  du  VF.  fiécle  (  5  ). 

X.  Une  vie  de  faint  Julien ,  qu'on  croit  avoir  été  compofée  fous  l'E- 
vêque  Aldric  ,  vers  l'an  850 ,  dit  qu'il  a  été  envoyé  par  Saint  Clé- 
ment avec  St.  Denis  de  Paris.  Cette  Hlftoire  eft ,  comme  prefque  toutes 
les  vies  de  Saints ,  remplie  de  fables.  On  y  voit  que  faint  Julien  n 'étoit 
mort  que  fix  cens  ans  auparavant  (6).  Il  ne  mourut  donc ,  félon  cette 
Hiftoire,  que  vers  l'an  290,  &  par  conféquent  il  n'avoit  point  été  en- 
voyé dans  les  Gaules  par  faint  Clément.  D'ailleurs ,  je  ferai  voir  que 
faint  Denis,  avec  qui  l'on  prétend  que  faint  Julien  étoit  venu,  ne  prê- 
cha dans  les  Gaules  que  vers  l'an  250.  Enfin,  à  la  tête  même  de  la 
méchante  hiftoire  de  faint  Julien  ,  on  lit  ces  mots  :  Qjd  fuit  lempore  Dc' 
(u  ,  &  Nervce  ac  Trajani  Imperatorum  ^  &c.  Ce  Decii  qui  s'accorde  fi  mal 
avec  le  tems  de  Nerva  &  de  Trajan ,  pourroit  bien  être  un  refte  de  I4 
plus  ancienne  tradition  de  l'Eglife  du  Mans. 


31.    cap.    lis.  Tom.    II. 


(5)  Hincm.  Oper. 
'■  |^+)  Mift.  G»lUc.  lib,  I,  cap.  ;■  p.  55.  }«. 


(5)  G*Ilia  Chrift.  Tom.  I.  p.  ijj, 
(  «  )  yi>:ffx.  Mabillou  ,  Analeft.  Tom,    III. 
pag.   fio. 

XI.  Grégoire 


D  E    M.    D  E    C  H  I  N  I  A  C.  489 

XI.  Grégoire  de  Tours  afi"Lire(i)  que  faintEutrope  a  été  martyrifé,  &  xi  Ni  îEa- 
^û'on  tenait  qu'il  avoit  été  envoyé  par  faint  Clément.  M.  du  Bofquet  tes. 
croit  que  le  nom  de  faint  Clément  a  pu  être  ajouté  en  cet  endroit  au  . 

texte  de  Grégoire  de  Tours  (2).  Au  furplus  ,  quand  le  texte  de  cet  Hif- 
torien  n'auroit  pas  été  corrompu  ,  il  faudroit  peu  connoître  combien  le 
tems  altère  la  vérité  des  chofes  qui  ne  fe  confervent  que  dans  la  mé- 
moire du  Peuple ,  pour  donner  quelqu'autorité  à  une  opinion  du  VI-, 
fiécle  ,  dont  Grégoire  de  Tours  n'a  pas  été  affuré ,  &  qui  n'étoit  fondée 
fur  aucun  écrit.  Car  la  vie  de  faint  Eutrope  n'a  été  faite  que  depuis  ce 
tems-là,  &  fe  trouve  toute  pleine  de  fables  (3).  Auffi  Bollandus  n'a  pas 
cru  qu'il  fallût  s'arrêter  à  ce  que  rapporte  Grégoire  de  Tours ,  &  il  aima 
mieux  croire  que  faint  Eutrope  n'eft  venu  qu'au  III .  fiécle  avec  St.  De- 
nis ,  dont  ont  le  fait  Compagnon  (4). 

XII.  «  Il  y  a  peu  de  fables  dont  on  ne  fe  doive  laifler  perfuader  ,  dit     xti.  nï  s. 

.  .  .  .  .         D  nys  ^c  Pa- 

»M.  de  Tillemont  (5),  fi  l'on  croit  que  le  témoignage  de  faint  Sulpice  ris,  qu'on  a 
»  Sévère,  qui  ne  reconnoit  aucun  martyr  en  France  avant  Marc-Au-  c^n'rndr/ 
»>rele,  joint  à  l'autorité  de  faint  Grégoire  de  Tours,  qui  met  la  venue  nsVAiéo- 
»  de  faint  Denis  de  Paris  en  150,  &  appuyé  par  prefque  tous  les  Mar-  i'-^8"e> 
«tyrologes,  qui  diftinguent  les  deux  faints  Denis,  ne  fuffit  pas  pour  dé- 
»  truire  une  opinion  inouie   dans  l'Eglife  durant  huit  cens  ans ,  mife 
«au  jour    par   un  Abbé,   Miniftre    d'f.tat  ,  aflez   ignorant,- ou   affez 
«hardi,  pour  impofer  aux  Hiftoriens  les  plus  célèbres,  &c  aux  Ecrivains 
»  les  plus  facrés ,  &  qui  n'a  point  ceffé  d'être  combattue  depuis  qu'elle 
«a  commencé  à  paroître  jufques  à  préfent,  qu'on  peut  dire  qu'elle  efl 
»  détruite ,  »  &  que  l'on  convient  unanimement  que  faint  Denis ,  pre- 
mier Evêque  de  Paris,  ne  vint  dans  les  Gaules  que  vers  le  milieu  du  III". 
fiécle,  du  tems  de  l'Empereur  Dèce.  Hilduin  ,  Abbé  de  Saint-Denis  en 
France  ,  au  IX .  fiécle  ,  fut  le  premier  qui  identifia  faint  Denis  l'Aréo- 
pagite ,  &  laint  Denis  de  Paris.  C'eft  dans  fon  Jreopaguica ,  vie  pleine  de 
fables ,  venues  de   la  vanité ,  qui  tâche  d'approcher  fes  premiers  Evê- 
ques  du  tems  des  Apôtres,  en  préférant  l'impofture  à  une  vérité  folide 
&  inconteftable  (6)  ;  c'eft  dans  cette  vie  que  l'Abbé  Hilduin  publia  foa 


(ij  De  Glorià  Irlart.  cap    s<-P-i29- 
(z]   Hift.  Galtic.  lib.  I.  cap.  30.  p.  54. 


(  3)  Vùjtt.  P.  de  Natal,  lib.  lY.  cap.  I05. 
Jf»g'   74- 

Tome  II.  Q  9  SI 


(4)  Boland,  jo.  Ap   {*•  73}. 
(s)  M  cm.  Kccle'f.  Tom.  IV   p.  710, 
(6J  Vi>jii.lc%  Yalefiana  ,  p.  163. 


490  DISSERTATION 

opinion  étrange.  Pour  la  prouver ,  il  cita  l'autorité  d'un  Ariftarque  & 
d'unVisbius,  dont  perfonne  n'avoit  jamais  entendu  parler,  mais  il  pré- 
tendit que  les  écrits  de  ces  deux  perfonnages ,  qu'on  n'a  pas  plus  connus 
depuis  ce  tems  qu'auparavant ,  avoient  été  trouvés  dans  la  Biblio- 
thèque de  l'Eglife  de  Paris.  Le  crédit  d'Hilduin ,  &  l'efpèce  d'enthou- 
iiafme  où  les  Peuples  étoient  alors  de  vouloir  que  leurs  Apôtres  fuffent 
venus  dans  les  Gaules  dès  le  I.  fiécle  (7)",  affurerent  à  l'opinion  de 
l'Abbé  Hilduin  un  prompt  fuccès.  Elle  s'accrut  fi  fort ,  Si  fît  difparoître 
avec  tant  de  facilité  d'ancienne  tradition ,  qu'au  Xlle.  fiécle,  le  fameux 
Abelardfut  perfécuté  parles  Moines  de  Saint-Denis,  pour  avoir  avancé 
que  VEvéqtti  de  Paris  n'étoït  point  V Ariopaaite.    Ce  Religieux  préten- 
doit  que  le  célèbre  Bede ,  tant  approuvé  par  notre  Eglife ,  devoit  être 
cru   préférablement  à  l'Abbé  Hilduin ,  qui  n'étoit  venu  que  deux  fié- 
cles  après  lui.  Les  Moines,  trop  entêtés  de  leur  opinion,  pour  fe  rendre 
à  la  raifon,  firent  grand  bruit,  comme  fi  Abelard  avoit  voulu  perdre 
l'honneur  de  leur  Monaftcre  &  celui  de  notre  France.  Ils  ne  s'en  tinrent 
pas  aux  paroles  &  aux  injures  ;  ils  le  maltraitèrent ,  &  l'obligèrent ,  une 
féconde  fois ,  de  quitter  leur  Abbaye ,  &  de  fe  retirer  dans  le  Diocèfe  de 
Troyps.  L'aveuglement  de  ces  Religieux  ne  fe  borna  pas  à  ce  fait  pour 
la  gloire  d'avoit  &  pofféder  le  Chef  de  faint  Denis  l'Aréopagite.  Ils  plai- 
dèrent avec  le  Chapitre  de  N.  D.  de  Paris  ,  fur  la  queftion  de  favoir  où 
rijidoit  le  Chef  de  ce  SatK^.  Le  Parlement ,  follicité  par  les  Parties,  voulut 
bien  rendre  en  Mai  1401  un  Arrêt,  fans  garantie,  par  lequel  il  décida 
<^  ue  le   Chef  de  Se.  Denis  le  Corinthien  ttoit  en  l'Eglife  de  N.  D.  ce  qui 
étc'^it  dire  que  celui  de  VAriopag^u  étoit  dans  l'Eglife  de  Saint-Denis  de 
France  ;  car  l'on  ne  fe  doutoit  pas  alors  que  l'Evêque  de  Paris  eût  été 
«n  Dtnis  différent  de  l'Aréopagite  &  du  Corinthien.  L'Arrêt  efl  rap- 
porté pa:r  du  Luc  ,  titre  3. 

A  la  vérité ,  il  feroit  fort  difficile  de  deviner  quel  fut  le  motif  de  cet 
Arrêt,  fi  l'on  ne  penfe  que  le  Parlement  voulut  appaifer  ime  querelle, 
que  l'entêtement  des  Bénédiâins  rendoit  de  jour  à  autre  plus  férieufe  , 
&  qui  pouvoit  avoir  des  fuites  fâcheufes.  Il  n'y  a ,  en  effet ,  aucune 

(7     Avant    que  de   faire   S.    Denis    de  Paris      tention  n'avoit  d'autre  fondement  cjue  de  s'e'- 

Ariafaiite  ,  On  avoit  déjà   prétendu   que   Saint  ,  Kver  au-deflus  des  autres  Eglifes  ,  par  le   vain 

Cle'ment  l'avoit   envoyé  dans    les  Gaules.  On  '  honneur  d'une  faufle  antiquité.  Ce  fut  le  mên>c 

le  voit  dans  une   Charte  du  Roi   Thierri   en  (  motif  qui  porta  l'Abbé  Hilduin  à  conioidte  l'E» 

-  7IJ  ,  rapportée  par  Dora  MabiHon.  Cette  pt«-  I  véquc  de  Paris ,  avec  S.  Denis  l'Atcopag'tSr 


D  E    M.    D  E    C  H  I  N  I  A  C.  491 

apparence  que ,  ni  le  corps  de  faint  Denis  l'Aréopagite ,  Evêque  d'A- 
thènes ,  ni  celui  de  faint  Denis  ,  Evêque  de  Corinthe  ,  folent  en  notre 
poffeffion.  Comment  fait-on  que  ces  Saints  font  venus  en  France ,  ou  que 
leurs  corps  y  ont  été  portés  après  leur  mort  ?  On  n'en  a  pas  même  de  pré- 
fomption  valable.  Au  furplus ,  fi  le  corps  de  St.  Denis  de  Corinthe  étoit 
quelque  part  dans  le  Royaume  ,  il  faudroit  bien  croire  que  c'eft  à  l'Abbaye 
de  St.  Denis  ;  car  l'on  produit  une  Bulle  du  Pape  Innocent  III,  de  l'an 
1215,  qui  porte  que  ce  Pape  envoya  aux  Religieux  de  cette  Abbaye ,  le 
corps  d'un  St.  Dtnis  apporté  de  Grèce  ;  &  fi  ces  Religieux  avoient  poffédé 
jufqu'alors  celui  de  l'Aréopagite  ,  celui-ci  devoit  paffer  avec  quelque 
probabilité  pour  le  corps  du  Corinthien,  ou  du  moins  cette  Bulle  étoit 
une  efpèce  de  titre  pour  croire  que  le  corps  de  ce  Saint  étoit  à  Saint-De- 
nis. Mais  nous  fommes  bien  peu  affurés  que  ni  le  corps  de  l'Aréopagite, 
ni  celui  du  Corinthien  ,  foient  à  cette  fameufe  Abbaye.  La  Bulle  at- 
tribuée au  Pape  Innocent  III ,  n'eft  pas  fans  fufpicion  de  fauffeté  (i);  &  fi 
elle  eft  véritable  ,  on  n'en  peut  rien  conclure ,  puifque  la  Bulle  n'âfTure 
ni  que  le  corps  envoyé  par  le  Pape  foit ,  ou  de  St.  Denis  l'Aréopagite  , 
ou  de  St.  Denis ,  Evêque  de  Corinthe ,  ni  celui  d'un  St.  Denis ,  Evêque  , 
mais  celui  d'un  St.  Denis  ^  ConfiJ/eur^  (1)  apporté  dt  Grèce  ,  qu'on  ne  con- 
noit  point,  &  qui  pourroit  être  un  troifiéme  St.  Denis,  ou  Prêtre,  ou 
Laïque ,  ou  même  un  St.  Denis  luppofé  ;  car  ce  n'eft  pas  la  première 
fois  qu'on  a  reçu  de  faufies  Reliques. 

Il  feroit  inutile  &  ennuyeux  de  s'étendi'C  fur  tous  les  autres  Saints 
Evêques,  qu'on  prétend  être  venus,  dans  le  I.  fiéde  ,  annoncer  l'Evan-. 
gile  dans  les  Gaules.  On  les  fait  prefque  tous  Difciples  ou  Compagnons 
de  Sx.  Denis ,  Evêque  de  Paris.  Saint  Trophime  d'Arles ,  St.  Clément  de 
Metz,  St.  Memmie  de  Châlons  fur  Marne,  St.  Front  de  Périgueux,  St. 
George  du  Puy  en  Velai,  St.  Saturnin  de  Touloufe,  St.  Savinien  &  St. 
Potentien  de  Sens,  St.  Eucher.^  St.  Valère  &  St.  Materne  d.*  Trêves, 
de  Tongres  &  de  Cologne ,  St.  Manfuet  de  Toul ,  St.  A'tin  d'Orléans  , 


(i)  Voyez.  Tillcraont ,  Mem.  Ecclcf.  Tom.  II. 
pag.  71». 

(i)  Bollandus(  S  Apr.  p.  744.  74s-  )  nous 
t  donné  une  petite  Hillore  de  U  réception  du 
Corps  envoyé  pai  Innocent  III.  Elle  porte  que 
c'étoit  le  Corps  de  S.  Denis  de  Coiinthe  Ctn- 
/«/c«r ,  titre  qu'elle  répète  pluûcurs  fois;  & 


elle  aiiure  qu'en  le  icccvaot  i  Saini  Dcnii , 
on  pélébra  la  t^rande  Mefle  ic  ipf^  Confcjfire. 
On  eut  donc  grand  (o'a  toiit  d'abord  de  dif- 
tingucr  ce  Saint  de  i'Arcof' giie  ,  c'eû  à-dire 
de  ruioer  la  Bulle  que  l'on  produit  aujour- 
d'hui  

Qqq  * 


492  DISSERTATION 

St.  Catien  de  Tours  ,  St.  Lucien  de  Beauvais  ,  St.  Saintin  de  Meaux  & 
de  Verdun ,  St.  Exupere  de  Bayeux ,  St.  Rieule  de  Senlis,  St.  Paul  de  Nar- 
bonne,  St.  Eutrope  de  Saintes,  St,  Urfin  de  Bourges,  St.  Auftremoinc 
de  Clermo-nt ,  St.  Génulphe  de  Cahors ,  St.  Aventin  de  Chartres  ,  St. 
Drennule  de  Tréguier,  St.  Quentin  d'Amiens  ,  St.  Alban  de  Mayence  , 
St.  Antonin  de  Pamiers ,  St.  Afrodite  de  Bcziers ,  St.  Ruffe  d'A.vignon, 
St.  Martial  de  Limoges,  St  Peregrin  d'Auxerre  ,  St  Nicaife  &  St.  Mellon 
de  Rouen  ,  St.  Taurin  d'Evreux  ,  St.  Julien  du  Mans ,  St.  Clair  de 
Nantes,  de  Cornouailles  &  de  Vannes,  St.  Maximien  de' Rennes ,  & 
plufieurs  que  je  ne  citerai  pas  ,  furent  ,  ielon  leurs  Aâes ,  les  uns , 
Compagnons  de  St.  Denis  de  Paris,  les  autres-,  fes  Dilciples  (i)  ,  les  au- 
tres ,  ei-icore  ,  les  Difciples  de  fes  Compagnons.  Il  doit  donc  demeurer 
pour  confiant  que  tous  ces  Saints  ne  font  vernis  en  France  avec  St.  Denis 
qu'au  milieu  du  IIU.  fiécle  ,  oit  il  fant  rejetter  leurs  Aûts  dans  les 
points  les  plus  effentiels ,  &  dire  que  ces  premiers  Apôtres  des  Gaules 
n'ont  été  ni  Compagnons,  ni  Difciples  de  St.  Denis  ,  ou  de  les  Com- 
pagnons ;  &  pour  lors  dans  quel  tems  faudra-t-il  placer  leur  miffion  , 
&  fur  quelles  pièces  pourra-t-on  l'établir  ? 

Au  furplus  ,  les  AQ.es  de  ces  premiers  Apôtres  des  Gaules  n'ont  été 
compofés  qu'après  le  IXe.  fiécle  ,  pour  appuyer  l'opinion  qui  com- 
mençoit  à  s'établir  de  l'ancienneté  de  plufieurs  Eglifes ,  &  pour  l'attri- 
buer  à  quelques  autres.  Ces  mêmes  Aâes  ne  font  naître  que  des  incerti- 
tudes &  des  contradiftions  ,  qu'il  coûte  de  relever ,  parce  qu'on  pour- 
roit  bleffer  la  délicateffe  de  la  multitude  qui  a  toujours  plus  de  zèle  pous 
la  gloire  des  Saints ,  qu'elle  n'a  de  lumière  pour  difcerner  le  vrai  d'a- 
vec le  faux ,  qui  ne  peut  que  les  déshonorer.  Enfin ,  il  paroît  évident 
que  ces  AQ.es  fe  font  modelés  les  uns  fur  les  autres  ,  &  même  qu'ils  fe 
font  copiés  en  plufieurs  chofes.  Par  exemple ,  St.  Martial  refTufcite  faint 
Aurélien ,  ou  faint  Auftriclinien  avec  le  bâton  qu'il  avoit  reçu  de  Saint 
Pierre  ;  Sî.  Eucher ,  avec  le  même  bâton ,  reflufcite  aulîi  fon  Compa- 
gnon St.  Materne,  St.  Clément  de  Metz  opère  le  même  miracle,  par  la 
vertu  du  bâton  de  St.  Pierre;  faint  Front  de  Périgueux  rend  aufîilavie 


(i)  Il  n'eft  pas  fort  affûte  que  tous  ceux 
qu'on  donne  à  S.  Denis  pour  Compagnons  de 
de  fa  miffion  ou  pour  fes  Difciples  ,  l'ayent  c'te' 
Tcellcment  :  car  il  femble  qu'on  ait  cru  faire 
honneui  l  pluficuis  Saints  de  les  diie  Com- 


pa^rrons  ou  Difciples  de  Saint  Denis.  L'obfcu- 
rire'  de  l'Hiftoire  ne  permet  pas  de  fe  livrer  i 
cette  difcuflion  ,  &  il  n'y  a  aucun  inconvé- 
nient de  fuppofci  ce  que  veulent  les  Aftes.    ^ 


D  E    M.    D  E     C  H  I  N  I  A  C.  495 

Rvec  un  femblable  bâton ,  à  St.  George ,  fon  Compagnon  (  2  ). . .  .  Quel 
fond  peut-on  faire  après  cela  fur  de  pareilles  pièces  ?  Il  y  a  plus  :  dans  un 
Concilede  Limoges  en  103  1 ,  l'Abbé  de  Salomniac,  près  de  Limoges  ,  re- 
jetta  )  avec  indignation ,  les  Aftes  de  St.  Front  de  Pcrigueux ,  comme  une 
fable,  compolée  depuis  peu  de  tems,  par  un  certain  GEUsbert,Co-Evêque 
de  Limoges  ,  qui  l'a  voit  même  faite  pour  en  tirer  de  l'argent  (3).  On  in- 
venta, depuis  ce  tems,  une  autre  vie  de  St.  Front,  fous  le  nom  de  fes  Sac- 
ceffeurs  ;  mais  cette  nouvelle  Pièce  eft  encore  plus  ridicule  que  la  pre- 
mière (  4  ). 

Seconde     Proposition. 

La  Religion  Chrétienne  na  pris  naiffance  dans  les  Gaules  quau  milieu  du 

fécond  fikle. 

Sulpice  Sévère  ,  le  plus  ancien  Hiftorien  que  nous  ayons  ,  parlant  de 
•la  cinquième  perfkution ,  qui  eft  celle  de  Marc- Aurele ,  dit  «  qu'alors  l'on 
«vit  dans  les  Gaules  les  premiers  Martyrs,  la  Religion  ayant  été  reçue 
*>plus  tard  au-delà  des  Alpes  (à  l'égard  de  l'Italie).»  L'Auteur  des  Ac- 
tes de  St.  Saturnin  dit  aufli  que  la  lumière  de  la  prédication  des  Apôtres 
ne  fe  répandit  dans  nos  Provinces  que  lentement  &  peu  à  peu  (  i  ).  II 
n'eft  pas  poflible  de  rejetter ,  avec  décence,  le  témoignage  de  ces  deux  Au- 
teurs ,  dont  l'un  a  vécu  certainement  dans  les  IVe.  &  Vc  fiécle ,  &  l'autre 
paroît  l'avoir  fuivi  d'aflez  près  (z),  félon  ceux  mêmes  qui  ne  veulent  pas 
tomber  d'accord  de  ce  qu'il  nous  dit  (3).  Le  premier  ,  indépendamment 
même  de  fon  antiquité ,  a  été  illuftre  dans  le  fiécle  par  fa  Nobleffe  &  par 
les  richeffes  ,  ôc  dans  l'Eglife  par  fa  fcience  &  par  fa  piété.  On  affure  que 
Bellarmin  a  cru  qu'on   devoit  tellement  déférer  à  fon  autorité,   que 


(2)  Le  bâton  du  Prophète  Elifce  n'avoit  point 
autant  de  vcitu  dans  la  main  de  Gieli  fon 
Difciple,  puifqu'il  ne  put  refTafciter  l'en- 
fant de  la  Sunamite  (  IV.  des  Rois  ,  IV.  31.) 
Mais,  d'où  nos  faifeurs  d'Aftcs  ont. ils  tiré 
que  Saint  Pierre  avoit  un  ceiiain  nombre  de 
bâtons  ,  pour  en  donner  ainfi  i  prcfque  tous 
ceux  de  Tes  Oifciples  qu'il  envoyoic  dans  les 
Gaules  > 

(i)  yoyez,  Dubofquet,  Hilior.  Gallic.  lib.  V. 

(4j  Vojet.  Dubofquec,  Gallic.  Ijb.  I.  cap.  i  s. 


pag.  3  5- 

(i)  Viyex.  Sutius  ,  içi.  Nov.  p.  «jo.  $.  i.' 
(ï)  Grégoire  de  Tours  fait  mention  de  ces 
Acies,  8c  les  appelle  l'Hiftoire  du  martyre  de 
de  S.  Saturnin.  Cette  Hiftoite  paroît  être  d'un 
homme  de  Touloufe  ,  Difciple  de  S-  Exupcre  , 
qui  vivoit  fur  la  fia  du  IVe.  fie'cle  ,  Sx.  au 
commencement  du  Vc.  L'Auteur  cite  iiiic  date 
de  Confuls  ,  d'oii  l'on  ^e^it  l'uger  qu'il  fUivoit 
même  des  pièces  originales. 

{})  l'oyez.  Chiaiet ,   de   uno  DioniCojpaj. 
US.    12  0. 


494  DISSERTATION 

quand  on  parloit  de  quelque  Hifloire  qui  ne  s'y  accordoit  pas ,  ou  il  la  re* 
jettoit  comme  fauffe,  ou  il  la  rapportoit  aux  tems  poftérieurs  (4). 

Et  en  efFet ,  il  faudroit  recevoir  tout  ce  que  des  hommes  de  mauyaife 
foi,  ou  des  efprits  fuperftitieux  nous  ont  débité  de  fables  &  de  contes  ridi- 
cules, fi  l'on  ne  vouloit  point  admettre  ce  qu'un  Hiftorien  François,' 
du  mérite  de  Sulpice  Sévère ,  raconte  au  IVe.  fiécle ,  touchant  la  propaga- 
tion de  la  Foi  dans  les  Gaules.  Joignons  au  témoignage  de  cet  illuftre 
Ecrivain  ,  celui  de  Grégoire  de  Tours,  qu'on  nomme,  avec  raifon, 
le  Père  de  l'Hiftoire  de  France.  Ce  célèbre  Hiftorien  qui  vivoit  dans  le 
Vie.  fiécle,  dit  que  St.  Pothin  fut  le  premier  Evêque  de  l'Eglifede  Lyon  , 
auquel  fuccéda  St.  Irenée  ,  quefaint  Poly  carpe  avait  envoyé  dans  cette  VilU» 
enfuite  il  ajoute  que,  «  ce  fut  foils  Dèce  que  fept  Evêques  furent  or- 
»  donnés,  &  envoyés  dans  les  Gaules  pour  y  prêcher  la  Foi,  ainfl  que 
»  le  marque  V Hifloire  du  martyre  de  St,  Saturnin.  Car  on  y  lit  :  Sous  le 
»  Confulat  de  Dèce  &  de  Gratus ,  comme  on  le  fait  par  une  tradition  fidèle  jj. 
»  la  Ville  de  Touloufe  eutSt,  Saturnin  pour  fon  premier  Evêque.  Voici  donc 
»les  Evêques  qui  furent  envoyés  ,  Catien  à  Tours,  Trophime  à  Arles, 
»Paul  à  Narbonne,  Saturnin  à  Touloufe ,  Denis  à  Paris,  Auftremoine 
»  en  Auvergne ,  6c  Martial  à  Limoges  (5).»  Saint  Grégoire,  qui  étoit 
Evêque  de  Tours,  qui  avoit  été  élevé  dans  l'Eglife  d'Auvergne,  Pro- 
vince limitrophe  du  Limofin,  &  qui  avoit  fait  de  frcquens  voyages  à  Pa- 
ris ,  ne  pouvoit  ignorer  la  tradition  de  ces  quatre  Eglifes  fur  l'époque  de 
leur  fondation  ;  &  fi  cet  Hiftorien  joint  enfemble  la  miflion  des  fept 
Evêques,  il  ne  l'a  fait  que  fur  la  tradition  qui  étoit  alors  reçue  en  France , 
c'eft-à-dire,  que  la  tradition  du  VI<-.  fiécle  étoit  que  St.  Catien,  St. 
Trophime ,  St.  Paul ,  St.  Saturnin ,  St.  Denis  ,  St.  Auftremoine  &  Saint 
Martial ,  avoient  été  envoyés  dans  les  Gaules  à  peu-près  en  même-» 
tems  (  1  ). 

Ç'eft  au  fujet  de  ceux  qui  furent  martyrifés  à  Lyon  en  l'an  177,  que 
Sulpice  Sévère  dit  que  la  Religion  a  été  reçue  plus  tard  dans  les  Gaules 
que  dans  les  autres  Pays  fitu es  au-delà  des  Alpes,  par  rapport  à  nous  , 
marquant ,  affez  clairement ,  qu'elle  n'y  avoit  point  été  reçue  avant  la 
prédication  de  St.  Pothin. 

\^Voyei.  Bollandus,   30.  Apr.  p.  754. 

Jj)   Voyez.  Grégoire   de  Tours,  Hift.   Franc,  liv.  I.  chap.  30.  p.  îj. 
(1)  I^yffcDttbof^uet,  Hift.  GaUiclib.IlI.cap.  zi.  p.  113. 


D  É    M.    D  E    C  H  I  N  I  A  C.  49J 

Nous  lifons  ,  en  effet ,  dans  Eufebe ,  que  falnt  Irenée  gouvernoit 
l'Eglife  des  Gaules  iTria-Troaç,  c'efl-à-dire ,  qu'il  en  étoit  Evêque  ,  d'où  le 
P.  Quefnel  conclut  ,  avec  fondement ,  fur  Saint  Léon ,  p.  477 ,  47g, 
qu'il  n'y  a  voit  que  St.  Irenée  d'Evêque  dans  les  Gaules.  Ce  même 
Auteur  remarque,  à  cefujet,  qu'Eufebe,  après  avoir  dit  que  la  queftion 
de  la  Pâques  avoit  été  jugée  par  Us  Evéques  du  Pont ,  ajoute  auffi-tôt,  & 
par  les  Eglifes  des  Gaules  ,  changeant  le  mot  A' Evéques  en  Eglifcs.  Ce  qui 
confirme  le  fentiment  du  P.  Quefnel ,  c'eft  qu'Eufebe  dit  dans  un  autre  en- 
droit,  que  St.  Irenée  écrivit  une  Lettre  au  Pape  Viûor,  au  nom  des 
Frères  dont  il  étoit  le  Chef  dans  les  Gaules  (3),  c'eft-à-dire,  dont  il  étoit 
Evêque. 

Il  eft  vrai  qu'on  pourroit  reftraindre  ces  dernières  paroles  aux  Frères 
de  la  feule  Eglife  de  Lyon ,  ou  à  ceux  dont  Lyon  étoit  la  Métropole ,  parce 
que  le  mot  de  Frères  .^  en  cet  endroit,  n'exclut  point  abfolument  les  Evé- 
ques ;  mais  il  faudroit  qu'il  fiit  poffible  de  prouver  par  l'Hiftoire  qu'il 
y  avoit  alors  effedivement  plufieurs  Evêques  dans  les  Gaules.  On  ne 
trouve  rien  fur  quoi  l'on  puiffe  fonder  cette  conjecture  avec  quelque 
folidité  :  pourquoi  donc  l'Evêque  de  Lyon  n'auroit-il  pu  gouverner 
toutes  les  Eglifes  des  Gaules,  puifqu'il  eft  certain,  dans  l'Hiftoire,  que 
l'Evêque  de  Tomes  a  gouverné  feul,  durant  plufieurs  ficelés,  toutes 
les  Eglifes  de  la  grande  Contrée  de  Scythie  ? 

On  peut  objefter  contre  ce  que  je  viens  de  dire,  qu'il  femble  que 
Vienne  eût  un  Evêque  ;  puifque  dans  la  Lettre  des  Chrétiens  de  Vienne  & 
de  Lyon ,  il  eft  dit  qu'on  avoit  pris  tous  les  Principaux  des  deux  Eglifes 
(4).  Ce  parallèle  ,  joint  à  ce  que  les  Chrétiens  de  Vienne  font  nommés 
les  premiers  dans  l'infcription  de  la  Lettre ,  femble  obliger  de  croire 
que  Vienne  n'étoit  point  une  fimple  Paroiffe  de  l'Eglife  de  Lyon,  mais 
une  Eglife  aufll  formée  ôc  auffi  parfaite  que  l'autre.  Or  on  fait  qu'une 
Eglife  n'eft  point  parfaite ,  fi  elle  n'a  un  Evêque.  Ces  deux  Eglifes  ,  écri- 
vant donc  enfemble ,  difent  que  St.  Pothin  étoit  chargé  du  minijîhe  de  fE- 
pîfcopat  dans  Lyon.  Mais  s'il  étoit  également  Evêque  de  Lyon  &  de 
Vienne  ,  pourquoi  ne  difent- elles  pas  parmi  nous  ^  qu'il  étoit  notre 
Evêque ,  ou  quelqu'autre  chofe  de  femblable  ?  Si  fon  propre  titre  &  le 

(1)   Vcjtx.    Eufebe  ,  Hifl.   lib.    V.    cap.    23.  pag,   Iji. 
())  Llb    cap.  24.  p.  19Z. 
\    (4)  Vojti.  £ufcbe,  Hift.  lib.  V.  caf.  l.  pag.  I5<. 


4Ç)6  DISSERTATION 

lievi  de  fa  rcfidence  étoit  Lyon ,  comme  Tomes  étoit  le  Siège  Epifcopal 
de  la  Scythle  ,  pourquoi  ceux  de  Vienne ,  qui  ne  dévoient  pas  être 
moins  humbles  que  ceux  de  Lyon  ,  fouffroient-ils  qu'on  les  nommât  les 
premiers?  Saint  Irenée,  comme  Prêtre  de  la  Ville  de  Lyon,  a  pu  leur 
faire  cet  honneur  ;  mais  ,  après  qu'il  eut  drefle  la  Lettre,  elle  dut  être  re- 
vue ,  approuvée  Sc  fignée  par  ceux  de  Vienne. 

Il  n'ell  pas  difficile  de  répondre  à  cette  difficulté.  Nous  lifons  dans  la 
Lettre  des  Chrétiens  de  Vienne  Si  de  Lyon ,  qu'on  avoit  pris  tous  les 
principaux  des  deux  Eglifes.  L'Evêque  de  Vienne  auroit  donc  été  du 
nombre ,  autrement  il  eri  auroit  été  excepté.  Mais  s'il  y  eut  eu  un  Evê- 
que  à  Vienne ,  St.  Irenée  n'auroit  pas  manqué  de  faire  de  lui  une  mention 
honorable,  &  l'auroit  certainement  nommé  avant  St.  Pothin ,  puisqu'il 
met  l'Eglife  de  Vienne  avant  celle  de  Lyon.  Le  filence  de  ce  Père,  tou- 
chant l'Evêque  de  Vienne  ,  eft  une  preuve  convaincante  qu'il  n'y'  en 
avoit  point.  Joignons  à  cela  qu'on  n'a  abfolument  aucune  preuve  que 
l'Eglife  de  Vienne  eût  eu  un  Evêque  dès  le  tems  de  St.  Irenée,  c'eft-à- 
dire,  vers  la  fin  du  IK  fiécle  (i).  On  volt ,  par  l'Hiltoire,  que  dès  le  tems 
de  St.  Pothin  ,  il  y  avoit  des  Chrétiens  ,  non-feulement  à  Vienne  &  à 
Lyon,  mais  encore  à  Autun  5c  dans  d'autres  Villes;  auffi  Eufebe  recon- 
noît  que  les  Gaules  avoient  plufuurs  Eglifes  du  tems  de  St.  Irenée  (  i  ). 
Si  dans  la  Lettre  des  Chrétiens  de  Vienne  &  de  Lyon,  il  n'eft  parlé  que 
des  Principaux  de  ces  deux  Eglifes  ,  c'eft  que  les  autres  n'avoient  pas  été 
l'objet  de  la  petfécution.  On  ne  peut  donc  rien  conclure  de  ce  que  l'E- 
glife de  Vienne  eft  nommée  avant  celle  de  Lyon.  Saint  Irenée,  dont  les 
gftions  étojent  réglées  par  la  charité  la  plus  pure  ,  peut  l'avoir  fait  pouf 


(i)  On  compte  aujourd'hui  Saint  Zacarie  , 
l'un  des  Martyrs  de  Lyon,  pour  le  ptemier  ou 
le  fécond  Evéïjuc  de  Vienne.  M.lis  cela  ne  fe 
peut  foutenir,  fuifque  S.  Ir^ne'e  ne  le  diftin- 
gue  point  de  la  foule  des  Martyrs.  D'ailleurs, 
l'Eglife  de  Vienne  ne  lui  a  rendu  aucun  hon- 
neur ,  n'a  de'die'  aucun  Autel  fous  fon  nom  , 
jie  l'a  point  invoqué  d.ms  fcs  Litanies ,  & 
n'en  a  tien  fait  dans  fon  Office  jufqu'en  1578. 
Son  nom  ne  fe  trouve  dans  aucun  Martyrologe 
ayant  Galefinius  ,  non  pas  même  dans  celui 
d'Adon  ;  ce  qui  donne  grand  lieu  de  craindre 
que  ce  qu'on  en  lit  dans    fa   chronique    Ann. 


Enfin  le  Bréviaire  de  Vienne  ,  qui  en  fait  au. 
jourd'hui  la  Fête  le  27  Mai  ,  en  rapporte  quel- 
ques aftions  parriculicres  aflez  métaplirafti- 
ques  ,  qu'il  ne  fonde  que /«r  l»  fisufe  iradiiioit 
des  Fidcles.  «  Si  l'on  voyoit ,  obferve  M.  dp 
»  Tillemont  ,  que  Saint  Zacarie  eût  toujours 
»  été  honore'  à  Vienne  ,  on  auroit  (^uelqui 
»  lieu  de  croire  que  celiji  qui  fouffrit  à  Lyon 
»  c'toit  Prêtre  de  Vienne  ,  &  que  de  Prêtrp 
»  on  l'auroit  fait  Evêque  dans  ces  derniers 
»  ems  ».  (  MJmoir.  Eccléfiaftiq.  Tom.  III» 
pag.  fior.) 

(z)   Vojez.  Eufebe  ,  Hif|.  lib.    Y,   cap.   »3. 


|oi ,  n'y  ait  «te  ajoute'  pai  une  main  infidèlf.    pag.  j^i, 


D  E    M.    D  E    C  H  I  N  I  A  C.  497 

ne  pas  perfuader  aux  Fidèles  de  l'Eglife  de  Vienne,  que  celle  de  Lyon, 
dont  il  étoit  Prêtre ,  voulût  s'attribuer  un  empire  fur  elle.  Car  la  cha- 
rité des  premiers  Ecrivains  Eccléfiaftiques  les  empêchoit  de  s'arrêter  à 
l'ordre  politique  des  chofes.  Saint  Paul ,  parlant  du  fchifme  de  Corin- 
the  ,  dit ,  que  les  uns  difoient  ,  je  fuis  à  Paul,  d'autres  ,  je  fuis  à  Apol- 
lo ,  d'autres  ,  je  fuis  à  Céphas,  De  ce  que  l'Apôtre  s'efl  mis  à  la  tête  ,  & 
qu'il  a  nommé  ApoUo  le  fécond,  on  n'en  conclura  certainement ,  ni  que 
St.  Paul  &  Apollo  étoient  fupérieurs  à  Sr.  Pierre ,  ni  qu'AppoUo  étoit 
égal  à  ce  premier  Apôtre.  Ainfi ,  fuppofé  même  que  les  Fidèles  de  Vienne 
aient  revu  ,  approuvé  &  figné  la  Lettre  de  St.  Irenée,  cela  ne  prouve 
rien.  Ç'auroit  été  une  préfomption  dans  eux  de  trouver  à  redire  à  ce 
qu'un  fi  faint  &  fi  favant  perfonnage  avoit  fait.  On  ne  peut  pas  davantage 
conclure  qu'il  y  eût  un  Evêque  dans  Vienne ,  de  ce  que  la  Lettre  porte 
que  Saint  Pothin  étoit  chargé  du  minifïert  de  CEpifcopat  dans  Lyon.  Il  fau- 
droit  pour  cela  être  en  état  de  montrer  qu'il  y  avoit  d'autres  Evêques 
dans  les  Gaules  ;  car ,  autrement ,  il  eft  fenfible  que  Lyon  étant  le  titre 
de  l'Evêché ,  &  le  lieu  de  la  réfidence  de  St.  Pothin ,  les  Eglifes  de  Vienne 
&  de  Lyon  ne  fe  feroient  pas  exprimées  plus  clairement ,  quand  elles 
auroient  dit  que  St.  Pothin  étoit  leur  Evêque.  Je  crois  même  pouvoir  aflit- 
rer  que  l'Eglife  de  Vienne  ayant  été  nommée  dans  l'infcription  avant 
celle  de  Lyon ,  il  étoit  néceflaire  de  faire  connoître  que  <^ étoit  dans  la 
Ville  de  Lyon  que  St.  Pothin  exerçait  le  miniflcre  de  CEpifcopat,  pour  con- 
noître le  lieu  oh  étoit  le  Siège  Epi<copal  des  Gaules.  Tout  ce  que  je 
viens  de  dire  doit  paffer  pour  confiant,  puifqu'on  eft  dans  l'impoiTih:- 
lité  de  prouver  qu'au  Ile.  fiéde  il  y  eût  dans  les  Gaules  d'autre  Evêque 
que  celui  de  Lyon.  Car  «  tant  qu'il  ne  fe  trouvera  point  de  preuves 
»  qu'il  y  eût  d'autres  Evêques ,  obferve  M.  de  Tillemont  (  3  ) ,  nous 
«ne  devons  honorer,  comme  nos  premiers  Prédicateurs,  que  ceux 
«que  la  tradition  de  nos  Eglifes,  &  tous  les  monumens  que  nous  en 
w avons,  nous  font  regarder  comme  les  Apôtres  de  notre  Foi.  >>  On  a 
tort  de  prétendre  qu'une  Eglife  particulière  ne  foit  parfaite  que  lorfqu'il 
y  a  un  Evêque  pour  la  régir.  Saint  EfHphane  avoue  lui-même  que  les 
Apôtres  n'établiffoient ,  dans  plufieurs  lieux,  qu'un  Prêtre  avec  fon 
Diacre  :  Pnsbiteris  imprlmis  ac  Diaconis  opus  erat.  Le  même  Pcrc  dit» 

(3)  Mémoir.  Eccle'f.  Tom.  4.  p.  44}. 

Tome  //,  p.  r  r 


498  DISSERTATION 

que  le  Prêtre  &  le  Diacre  fiiffifent  pour  remplir  les  fondions  du  miriif- 
tère  Eccléfiaftiquè  :  A  quibus  viddiat  ambobus  Ecclejiajlica  negotia  adminif- 
trari  poffunt ,  ou  ,  félon  l'ancienne  verfion  Latine  :  Per  hos  enlm  duos 
EccUjîajlica  negotia  compUr'i  pnjjunt. 

L'Eglife  de  Lyon  fut  donc ,  dès  la  naiffance  du  Chriftianifme  ,  dans  les 
Gaules  ,  le  feul  Siège  Epifcopal  de  la  Nation ,  &  elle  a  été  la  Mère  de 
toutes  les  Eglifes  qui  furent  établies  dans  la  fuite.  C'eft  pour  ce  fujet ,  fans 
doute ,  que  l'Empereur  Lothaire  l'appelloit  la  première  Eglife  des  GaU' 
Us  (i).  Auffi  l'Eglife  de  Lyon  prendt-elle  cette  Devife  :  Prima  sedes 
Galliarum,  qui  lui  appartient  inconteftablement ,  tant  à  caufe  de  fa 
Primatie ,  que  pour  l'ancienneté  du  Siège.  Les  deux  premiers  Evêques 
de  cette  Ville ,  également  célèbre  dans  le  Gouvernement  Civil  &  le 
Miniftère  Eccléfiaftiquè ,  fcellerent  de  leur  fang  la  Foi  qu'ils  avoient 
prêchée.  Le  fang  de  ces  premiers  Martyrs  rendit  l'Eglife  des  Gaules 
féconde,  &  répandit  alors  dans  tout  l'Univers  l'éclat  de  fa  gloire. 

^Cependant ,  loit  que  la  perfécution  de  Sévère  eut  emporté  un  fort 
grand  nombre  de  Chrétiens ,  comme  on  le  croit ,  foit  qu'après  la  mort  de 
St.  Irenée  il  fe  trouvât  peu  de  perfonnes  dans  les  Gaules,  capables  de 
maintenir  &  d'étendre  la  Foi ,  on  n'y  voyoit  vers  le  milieu  du  IIU.  fiécle 
qu'un  affez  petit  nombre  de  Chrétiens  (i).   C'eft  ce  que  nous  lifons 
dans  les  Ades  de  St.  Saturnin,  dont  le  témoignage  doit  d'autant  moins 
nous  être  fufpeft ,  qu'il  eft  conforme  à  ce  que  St.  Germain  de  Paris ,  & 
fept  autres  des  principaux  Evêques  de  France  écrivirent  à  Sainte  Rade- 
gonde,  vers  le  milieu  du  VI<:.  fiécle.  Car  ils  difent  que  la  Foi  ayant  com- 
mencé à  être  plantée  dans  les  Gaules  des  la  naifîance  de  la  Religion  Chré- 
tienne ,  la  connoilTance  de  la  vérité  s'y  répandit  néanmoins  dans  peu  de 
perfonnes ,  julqu'à  ce  que  la  mifcricorde  Divine  y  envoya  St.  Martin  , 
afin  qu'elles  ne  fuffent  pas  inférieures  aux  Pays  où  les  Apôtres  avoient 
prêché  (3).  Sulpice  Sévère  confirme  la  même  chofe:  Felicem  quidem  Gr.- 
ciam-f  quœ  mcrult  aud'ire  Apoflolum  prcedicanttm:  Sed  nequaquam  à  Chrijlo 
G  allias  derdlclas  ,   quibus   donaveric  Iiaberc  Martinum,  cumverà .,,  in  fol» 
^artino  Europa  non  cejferit  (4). 


(i)  Kojji,  de  Marca  de  Primatib.  cap.    114. 
ag.2  3 1-234 
(2  Voytx.  Surius ,  29.  Nov.  p.  «50.  §.  i. 
(5}  Vopz.  Gie'g.  de   Tours  ,  Hiltoit,  lib,  JX. 


cap.  39.  p.  512. 

(4)  Vo^et.  Sulp.  Scvere  ,  Dial.  III.  cap.   31, 
P4g.   3JI. 


D  E     M.    D  E     C  H  I  N  I  A  C.  499 

Ainfi  la  prédication  de  St.  Martin  renoiivella  le  Chriftianifme  dans  les 
Gaules,  &  diffipa,  avec  fuccès,  les  ténèbres  du  Chriftianifme.  Alors  la 
Foi  Chrétienne  fe  répandit  infenfiblement  dans  ces  vaftes  Pays  ,  & 
leurs  principales  Villes  ne  tardèrent  pas  à  avoir  des  Evêques.  Enfin  ,  le 
jour  de  Noël  de  l'an  446  ,  Clovis  ,  Roi  des  François ,  après  avoir  re- 
noncé au  Paganifme  ,  fut  baptifé  à  Reims  par  St.  Rémi,  dans  l'EgUfe  de 
Saint  Martin.  Une  de  fes  Sœurs ,  &  trois  mille  Officiers  ou  Soldats  qui 
l'accompagnoient  ,  furent  baptifés  en  même  tems.  C'eft  alors  propre- 
ment que  commence  VHiJloire  EccléJIaJlique  de  France. 


FIN. 


ADDITIONS 


TOME    PREMIER. 

P 

■*■   yic£  4^./i^/If  2  6"  j.  Scytus  (8)  &d'Eu- 

bée  (9).  Life[  de  Scyrus,  (8)dEubée&de 
Semiios  {s). 

TOME    II. 

Page  ji.  ligne  24.  Péiiius ,  life^  Pennius, 

Pag.  y  4.  ligne  2;.  fur  ces  mots ,  Caftor  & 
Vollax  ,me!teien  note  :  Voyez  ci-après  p.  i  j  é. 
n.  *. 

F>2ge  48.  ligne  ij.  fur  ces  mots,  trente 
hommes  de  paille  ,  mette^  en  note  :  A  Nîmes  , 
ville  du  Bas-Languedoc,  &  dans  pluficurs  au- 
tres endroits  de  la  France  ,  l'on  pratique ,  â  la 
fin  du  Carnaval ,  cette  cérémonie.  On  fait  un 
homme  de  paille,  bien  diftingué  par  les  carac- 
tères du  fexe  mafculin  ,  que  l'on  jette  dans  la 
fontaine  de  Nimes.  C'eft,  peut-être,  en  mé- 
moire à'OJîris. 

Pag.  i}6.  ligne  ij.  après  ces  mots ,  où  il 
étoit  adoré  ,  ajoute^  :  Il  eft  vrai  que  ServiuJ 
donne  luie  autre  origine  au  mot  Soranus. 
Mais  il  a  fait  ici  taiit  d'autres  bévues ,  qui  ont 


été  relevées  pat  le  dofte  Saumailè,  dans  foit 
Commentaire  fur  Solin  p^ig.  fç ,  qu'il  n'eft 
pas  furprenant  qu'il  ait  commis  dans  cetts  oc- 
Cifion  une  faute  d'étymologie ,  d'auiant  plus 
que  ces  fortes  de  méprifes  lui  font  ordinaires. 
Les  Grecs  qui  avoient ,  &c. 

Pag.  6g.  ligne  18.  fur  ces  mots,  Nouveau-» 
Teftament ,  mette^  en  note  :  Ce  mot  fe  trouve 
dansunfens  approchant./? J/zieZ/JT.  2y.  XI1.4, 

Pag.  8y-  ligne  27.  après  ce  mot ,  Rome , 
ajoute^  :  c'eft  une  fable  que  S.  Jérôme  n'a 
adoptée  que  parce  qu'elle  eutroit  dans  fon  fyA 
tême.  Ce  Père  étoit  dans  l'opinion  que  les  Gau- 
lois qui  avoient  pris  &  brûlé  la  Ville  de  Rome , 
ayant  été  battus  &  chaffés  de  l'Italie  par  Ca- 
millus  ,  allèrent  s'établir  dans  l'Aiie  Mineure. 
Il  l'aiïure  pofitivement  dans  la  Préface  du  fé- 
cond Livre  de  fon  Commentaire  fur  l'Epure 
aux  Galates.  Il  eft  fuivi  en  cela  par  un  grand 
nombre  d'Hiftoriens ,  de  Géographes  &  de 
Commentateurs.  Il  eft  viiîble,  cependant,  qu'il 
s'eft  trompé.  Rome  fjt  prifc  par  Brennus  l'an 
364  ou  36'f  ds  fa  fondation.  Ce  ne  fut  que 
iio  ans  après  ,  c'a ft- à-dire ,  l'an  de  Rome 

Rr  r  X 


50O 


ADDITIONS. 


474  ou  47f  que  les  Gaulois  pafTerent  en  Afie.    la  teneur  dans  toutes  les  Contrées  VoiCiies  du 

D'ailleurs,  CCS  Gaulois  qui,  après  avoir  échoué    ^ '.  :i.  .•^._:.— .'...li:.    r^.         ■    ,^ 

du  côté  de  la  Grèce,  allèrent  chercher  fortune 
au-delà  de  la  Mer  ,  ne  defccndoient  point  de 
ceux  qui  avoient  pris  Rome.  Ceux-ci  écoient 
des  Sénons  ,  établis  près  des  embouchures  du 
Pô.  On  voit  dans  Polybe  lib.II.pag.  106.  & 
feq.  que  Camillus  ne  les  chafla  ni  de  Rome , 
ni  de  leur  Pays.  Mais ,  comme  ils  avoient  ap- 
pris que  tes  Vènétes  leurs  voifins,  avoient  pro- 
fité de  leur  abfcnce,  pour  faire  une  incurfion 
fur  leurs  teaes,  ils  iè  laifTerent  perfuader  à 
force  d'argent  de  lever  le  fiége  du  Capttole,  & 
s'en  retournèrent  dans  leur  Patrie,  dans  la- 
quelle ils  fe  maintinrent  félon  Florus  liù.  I. 
cap.  ij  ,  jufqu'à  l'an  de  Rome  471 ,  tù  ils 
4(^ent  exterminés  par  C.  Dolabella ,  près  du 
Lac  Vadimon.  Les  autres  étoient  des  Scord-f- 
ces  ,  qui  avoient  eu  de  tout  tems  leur  demeure 
le  long  du  Danube.  Voyeici-deJj~us ,L^v.  1. 
ch.  8.  p.  ç6. 

Mais  en  accordant  à  S.  Jérôme  que  les  Gau- 
lois qui  prirent  Rome  ,  fufTcnt  etttûivement 
les  mêmes  qui  paflêrent  dans  la  fuire  en  Afie  , 
ce  que  ce  Père  dit  de  l'affront  qu'on  leur  faifoir, 
n'en  fera  pas  moins  infoutenable.  Perfonne  n'i- 
gnore que  ces  Gaulois  s'emparèrent  de  laPhry- 
^c  &  de  la  Paphlagonie,  &  qu'ils  portèrent 


Pays  où  ils  s'étoient  établis.  Voye^  ci-deffus  , 
Liv.  II.  ch.  16.  p.  4yj.  Comment  les  Phry- 
giens qu'ils  avoient  fournis,  auioient-ils  donc 
ofè  mutiler  des  Gaulois ,  &  cela  pour  infulter 
&  pour  punir  toute  la  Nation? 

11  faut  donc  lallTer  là  cette  fable.  Les  Prêtres 
de  la  Mère  des  Dieux  ,  &c. 

Pag.  2/1,6.  ligne ^  I.  après  ces  mots,  du  Lec- 
teur ,  ajoute^  :  mais  qi'i  eft,au  moins,  plus 
liatuielle  que  l'aflertion  de  S.  Jérôme. 

*M.  PJiflon ,  Dcâcur  en  Médecine  à  Berlin, 
Neveu  de  M.  Pellouncr  ,  m*»  envoyé  les  qua- 
tre Libres  de  l'Hiftoire  des  Celtes,  écrits  eu 
entier  cic  la  main  de  l'Auteur.  L'impreflîon  de 
ce  Volume  ctoit  prefqiic  finie  quand  j'ai  reçu 
les  Mar.ufcrits  :  ainfi  je  n'ai  pu  conférer  que 
les  cii'q  dernier";  Cl-  apitres  de  ce  tkiifième  Livre. 

11  fout  donc  laiffcr  là  cette  Fable.  Les  Prêtre» 
de  la  Mère  des  Dieux,  &c. 

Page  1 5  8.  lig,  5.  §.  Vil.  Vifei  $.  VL 

Pag.  1551.  lig.  8.  mette[  $.  VJl. 

Pag.  40  f.  lig.  10,  après  le  mot ,  AgobarJj, 
mettei{z^i). 
.     Ibid.  lig.  1  8.  mettez  (i  3  3). 

Ibid.  lig.  13.  effacez  (133). 

Pag.  434. 1. 141. 1.  4.  lifez  loquatur- 


ÎOI 


TABLE 

DES     AUTEURS 

Cités  dans  cet  Ouvrage ,  &  des  Editions  dont  on  s^ejl  fervi. 


,ri.  D  A  MI  Bremenfis,  Hiftoria  Ecclefiaf 

tica  Gerni.  Frajicof.  in- fol. 
Claudii  ^liani,  varia  Hiftoria  .  ,  edic.  Fabr. 
Salmurii ,  ij68,  in- 16. 

Ejufdem ,  de   naturà  Animalium  ,  lib. 
XVII , . .  •  Tiguri  1 J  f  6 ,  in-£bl. 
Idem ,  Genevx  ,  1 6 1 1. 
JEfchylis  ,  Tragediae   feptem ,  graccè ,  cum 
Scholiis  graecis ,  cura  Pétri  Viftorii ,  cum 
Obfervationibus  Heurici  Stephaiii.  Patifiis, 
1557.  in-4". 

JEthici ,  Cofmographia Lugduxii-Bata- 

vorum,    158?  ,  in-ii. 
Id.  Lugd.-Batav.   1696. 
jigathias,  Scholafticus,  de  Imperio  Juftiniani , 
cum  notis  BonaventuraE  VulcaiiiL  Parifiis  , 
1660,    in-fol. 
u4gobardi ,  (  San£li  )  Opéra ,  ex  editione  S:e- 
phani  Baluzii ,  Parif.  1666  , 1  vol,  jii-S"  , 
Aimonus,  de  geftis  Francoium.  Parif.  1603. 

in-fol. 
Alimannorum  Leges  in  Cod.  anciquatum  Le- 

gum  Lindenbrogii. 
Ammiani  Marcellini,  Rerum  geftarum  libri 
xviii.  à  Conftaiitiiio  Imperio ,  aiino  Chrifti 
3^3  ,  ad  Gratianum,aiino  378  ,  cum  notis 
Henrici  Adriaiiique  Valefii...  Parifiis  i68t, 
in-fol. 
A  ndradi  Modici ,  Revelationes.  Vide  DufreC- 

ne ,  Script.  Rerum  Franc. 
Aneriorunt    Leges  iu   Cod.  aiitiquarnm  Le- 

guçn  Lindeiibrogii. 
Anonymi  Chronicon  ab  Hemico-Valefio  edi- 

tum  adcalccm  Ammiaiii-Marcellini. 
Anthologia  ....  cum  notis  Brodari.  Bafilear , 

I5;4P  ,  in-foU 
Antpnii  Itinetariura  ki  Tlieatro  Bertii. 
^oUonii  i?^o</i/ ,  Argonaoticon  Libri  iv, 


grxcè  &  latine,  ex  verfione  Jeremia:  Hoel-. 
zlini ,  cum  ejufdem  commentario  &  notis , 
Lugd.-Batav.  1 6  4 1 ,  in-  8  '^ . 
Appiani  Alexandrini ,  Romanarum  Hiftoria- 
rum Libri,  gra:cè  &  latine ,  cum  aunotatio- 
nibusHenrici-StephanijAmft.  1670,1  vol. 
in- 80. 

Excerpta  ex  Appiano.  Vide  Valefium. 
Apollodori  Bibliotheca: ,  fivede  Deoiura  ori- 
gine Libri  III.  Salmurii,  i66i,in-ii. 
Id.  Heydelb.   16$ p. 
Lucii  Apulei  Opéra  ,  cum  Commentario  PL" 
Betoaldi.  Bononia:,  1500,  in-fol. 

Id.  cum  comment.  PIi.Beroaldi&GodeC 

Stevechii.  Bafilea: ,  i  j  60. 

Ariflophanis  ,  Comedia:  xi ,  grxcè  &  latine  , 

cum  notis  Ifaaci  Cafàuboni ,  &  aliorum , 

&  indicibus  Ludovici   Kufteri.  Amftelod. 

1710,  in-fol. 

Id.  Graecè  ,  cum  Scholiafte  Grxco.  FIo- 
rentia: ,  15  tf. 
Ariftotelis  Opéra. . .  Aurclis  AUobr.  160^  j 
in-fol. 

Id.  Lugduni  IJ90. 
M.  Trogilli  Arnkidy  Cimbrifches  Heytfen- 
thuon  ,  c'eft-â-dire  ,  Traité  fur  la  manière 
de  vivre  ,  les-  exploits  &  la  converjîon  des 
anciens  Peuples  Septentrionaux  ,    Ham- 
lx)urg  ,    1703. 
Arnobius  ,  adversns  Geutes ,  in  Bibliotb,  P»- 
trum ,  tom.  15. 
Id.  Parifiis,  1580. 
Arriani  Taûica  ,  acics  coiitrà  Alanos,  Peri- 
plus  Ponti-Euxiiii,  Peiiplus  IVlaris  ErythracL, 
liber  de  Vcnatione,  &c.  graccè  &  lat.  cun» 
notis  variorum  ,  edentc  Nicol.  Blancardow 
Am^el.   168^.  in-S". 

Ejufdeai ,  de  Expediticsie  Alcxandri  Ma- 


501 


TABLE 


/ 


giiijib.  viTi.  &  Hiftoria  Indica  graccc  &        Lipfe ,   1744,  6  vol.  111-4". 
latine  ex  Bonarenturac  Vulcanii  vcrlîone  ,  Id.  Hiftoire  de  la  Philofophie  ,  en  Alle^. 

editio  emendata  &  aiiimadveifionibus  illuf-        mand,Ulme,  1731. 
trata  per  Nie.  Blancardum.  Amftel.  1668,    Budxus  ,  de  AfTe  &  paitlbus  ejus.  Pariffis, 
in- 8°.  IÎ4I  ,  in-fol. 

Q.  Afconii  Pediani ,  Comment,  in  aliquot  M.    Burgundionum  Leges.  Vide  Lindenbro<r. 
T.  Ciceronis    Orationes.    LugduniBatav.    Busbequii  (  Aug.  Gifd.  )  Legatlonis  Turcics: 
i644,in-ii.  Epift.  IV.  Fiaiicof.  155)^. 

Athenxi  ,  Deipnofophifîàrum   libri  xv  grecè       i^'î/z/i/z^e  ,  Hiftoria:  Scriptores.  PariC  1 648  , 
&  latine  ;  ex  interpretatione  &  cum  notis    Bi6i^$  ,  u\-io\. 
Jac.  Dalcchampii  ;  cum  notis  &  commen-  C 

tariis  Ifaaci  Cafauboni ,  Lugduni ,  1 6z  i  ,      '^ 
X  s'ol.  in-fol. 
Id.  Editio  gracca  ,  Bafilex  ,  15:3  j. 
Id.  Ex  verlioiie  Dalechampii ,    1^83. 
Augnflini  (Sancli  )  Opéra.  Par.  16S5  ,ia-fol. 

Sandli  Augufiini ,  de  Civitate  Dei ,  lib.  xxii,    CaUimachi  Cyrena-i,  Hymni  &  Epigrammata, 
cum  notis  L.  Vivis.  Lugduni ,  1561.  Eôit  Henr.  Stephani.  Patifiis,  1577,  in-4*', 

Auli  Geliù  Noues  Atticx  ,  cum  notis  Jac.    Calpurnius  Flaccus,  Vide  Quintilianum. 
Prouft  ,  ad  ufum  Seren.  Delpliini,  Parif.    Calvifii  (Setlii'  Opus  Cluonologicum ,  Fran» 
1680,  in-4''.  cof.  168^  ,  in-fol. 

Sexti  Aurelii  Viftorrs  ,   Hiftorix    Romanae  Id.  Francof.  1630. 

Breviarium  &  Cacfares  ,  cum  notis  Annœ    Juliiis  CapitoUnus  ,    cum    notis   variorum, 
Tanag.  Fabri  filia; ,  Pariiiis ,  1681,  in-4".        Lugdiini-Bdtav.   167  i.  Vide  Hiftori^e  Au- 
'Aufonii   Burdigalenlis  ,  Opéra    qua;   extant        gu/te  Scriptores. 

cum  commentariis  variormn  ,  ex  edit.  Jac.    Aurelii  CaJJlodori ,    Opéra  omnia  ,  notis  & 


^  MsARis  (  C.  Julii)  Commentarlorurtt 
de  Bello  Gallico,  lib.  V  ,  cum  notis  Jean. 
Goduiiii,  Parifiis,  1678.  in-4°. 

Id.  Edit  chr.  Cellarii.  Lipfiae ,   1731." 


Tollii,Amftelod.  1671  .in-S». 
Idem.    Amftelod.  1 6  3  i . 


B. 


B 


\Ajuvariorvm  Loges.  VideLinden 
brog. 
Stephanus  Balu^îus,  Capitularia  Regum  Fran 


obfèrvationibus  illuftrata  ftudio  J.  Garctii. 
Rothomagi,    1679,  i  vol  in-fol. 
M.  Porcins  Cato.  Vide  Rei  Ruftic*  Auétores. 

Ejufdem  Origiiium. 
Caii  Valerii  CatuU  Opéra ,  cum  notis  vario- 
rum ,  trajefti  ad  Rhenum  ,  1680  ,  z  voL 
in  8P. 

Id:  Francof.    ï6af. 


corumcum  veteribus  Marculfi  &  aliorum    Chryftephori  Cellarii   Differt    ationesade- 


formulis.  Parifiis  ,    1677,1  vol.  in-fol. 

Hiftoire  critique  de  Manidiée  &  du  Manichéis- 
me ,  par  Nicol.  de  Baufobre ,  Amfterd. 
i734,in-4°. 

Beda  ,  Opéra  ,  Bafileas  ,  i  J65  ,  in-fol. 

Beda  ,  de  Tempor.  ratione.  Bafilea; ,  ij^j. 

Bertii  ,  Theatrum.  Ai»ftelod.  15;  151  ,  in-fol. 


micas,  Lipfîae ,  1711  .in-S*^. 
Chiniac  ,  (  Pierre  de  )  Difcours  fur  la  Nature 

&  les  Dogmes  de  la  Religion  des  Gaulois," 

Paris,  1770  ,in-ii. 
Chorier ,    Hiftoire  du  Daupbiné.  Grenoble  , 

1661 ,  in-fol. 
Chronicon  Belgicum  apud  Piftoriuin. 


.fi/cKerie  (  de  la  )  Traduûion  de  quelques  Ou-  Chronicon   Pafchale  ,   aliter  Fafti  ficnli  ,  vel 

vrages  de  Tacite.  Paris,  i75î,  ^  vol.in-ii.  Chronicon  Alexan>!rinum  ,  edit.  C.  DufreCr 

Samuel.  Bocharti ,  Geograph.  fàcra.  Francof.  ne ,  Parifiis ,  1 6éo ,  in-fol. 

1674,  in-4''.  Idem,  Parifiis,  1688. 

M.  le  Comte  de  Boulainvilliers  ,  Etat  de  la  M.  T.  Ciceronis  Opéra.  Lugd.  Bâta v.  1651; 

France ,  tom.  I.  &  II.  Londres ,  1717.  z   vol.  in-4'^. 

Gloflarium  Boxhornii  ,  in  CoUeûaneis  Leib-  Cl.  Claudiard  Opéra ,  cum  notis  Guill.  Pyr- 

^      nitzii.  rhonis  ,  Parifiis  ,    1677  ,  in-4'*. 

J?ic.  Bruckeri,  Hiftoria  critica  Philofophiac.  Id.  Amftelod.  16 z  8. 


DES    AUTEURS. 


503 


CUmemls  AlexanJriiii  Opéra ,  grecè  &  latine. 
Parifîis  ,1641  ,in-fol. 

Id.   Cura  Joh.  Potteri  ,  Epifcopi  Oxo- 
tiien(î; ,  Oxoiiii,    1715. 


ex  verfione  Guillelmi  Xilandri ,  cum  no- 
us Joan.  Leunclavii ,  Hanovix  ,  1 606 , 
in-fol. 

Excerpta  ex  Dione,  Vide  Valefium. 


CUmentis  Roinani  Recogniciones  ,  inter  Pa-    Diogenes  Laerdus  ,  de  Vitis  Philofophorum , 


très  qui  temporibus  Apoftolicis  floruerunt  ; 
edit.  Cotelerii.  Tarif.   1671,  in  fol. 
Id,  Aiituerpix  ,   1698. 
Philippi  Cluverii  Germauia  amiqua.  Lugduni- 
Batav.   ^6^6  ,  in-fol. 
Id.  Lugd,  Batav.  1651. 
Ejufdein  ,  Italia  amiqua ,  Lugd.  Batav. 
:i6z4,  înfol. 

Id.  Guelferbiti  ,    léfS. 
E)u(Hem  ,   Sicilia  antiqua  ,  Sardinia  & 
Corfica  ,  Lugd.  Batav,  \6if  ,  in-fol. 
Id.  Guelfer  iti ,    16^5. 
Ejufdem  ,Introduâ:io  «d  Gcographiam... 
Amftelod.  16^7  ,in-4°. 

Id.em  ,  Studio  Joh.  Bunonis  ,  Guelfer- 
biti,  léey. 
L.  Columella.  Vide  Rei  Rufticx  Auftores. 
Cornélius  Nepos. .  .  Parifiis  ,  1674  ,  in-4'. 

Id.  Edit.  Cellarii.  Lipfiae,   16514. 
Q.  Curtius  Rufus  ....  Parifiis,  1674,  in-4°' 

Id.  Geneva:  ,  164^. 
Cyrilli  Alexandrini  Libri  adversûs  Julianum, 
in  operibus  Juliani. 


,1  y  Emosthenis  &   Mfchlnis  Opéra 

Balileas ,   1571,  in-fol. 

Excerpta  ex  Dexippo  ,  inter  excerpta  le- 
gationum, 


Londini ,   1 66p  ,  in-fol. 

Id.  Editio  Menagii.  Amftelod.  i^^j    ' 
DionisChryfoJJomi  Orationes  gra:cè  &  latine 
ex  recenfione  &   cum   notis  Federici  Mo- 
relli  ,  nec-non   Ifaaci  Cafauboni  diatriba. 
Parifiis,  1604,  in-fol. 
Dionyfius  Halicarnaffeus ,  edit.  erse  &  lat, 
Franco-Furti ,    iî86,in-tbl. 
Id.  Lipfiae,  16^1. 

Excerpta  ex  Dionyfio.  Vide  Valefium. 
Dïonyfû ,  Periegetis  Orbis  Defcriptio.  Londi- 
ni, 16751 ,  in-8°. 

Id.  cum  Commentario  Euilathii.  Bafi- 
lea» ,  1556,  in- 1  z . 
Id.  Paiifiis ,   I  ^  47. 
Differtations  hiftoriques  fur  divers  fujets  d'An- 
tiquité &  autres  matières  qui  la  concernent. 
A  Paris,  1706,  in-S". 
Dufrefne  du  C^/?f«  (  Caroli  )  Gloflariumme. 
dia:  &  iiifim*  Latinitatis.  Pariiiis     1632 
m-rol. 

Id.  Francof    17 10. 
Andrcae  Du  Chefne ;  Sciiptores  Hilîorix Fran- 
corum.  Parifiis,   1636  ,  in-fol. 


_iCkakt  (  Joan.  Georg. ab )  Comm.  de 
Rébus  Francia;  Orientafis  &  Epifcopatûs 
Wiccburgenfis.  Wiceburg,    17051  ,    in  fol. 


Edmundi  Dichinfoni  Delphi  phœnicifàntes ,  Edda  Iflandorum.  Haoniae  ,  166^  ,in-4'. 

five   Traûatus  in  quo  oftenditur  Grxcos ,  Epnhardi  ,    Vita   Caroli   Magni  apud   du 

quidquid  apud  Delpho<;  célèbre  erat  à  Jofue  CheCie. 

Hiftoria  ,  Scriptisque  facris  effinxillè.  Cum  Id.  Helmftadt,  1667. 

diatriba  de  Noe  in  Italiam  adventus ,  nec-  Ennodii ,  Panegyr.  ad  Theodoricum  Regem: 

)rigine  Diuidum.  Oxonii ,  1655  ,  in  Biblioth.  Patr.  Tom.  XV, 

Ce  Livre  rare  &  curieux  eft  dans  Etymolog.  magnum  ,  Opéra  Friderici  Sylbm- 


non  de  orisme 


la    Bibiwthéque    de    Sainte  Geneviève, 
fans  front! fpice.  Il  efl  coté  B  ,    1347. 
Diodori  Siculi ,  Hiftoriarum  Libri  qui  fuper 
fljnt ,  grafcè  &  latine  ,  interprète  Laurentio 
Rhodomano.  Hanovia:,   1604,  in-fol. 
Id,  Edit,  Gnca  Henr,  Stephani  t  ^  j  9. 
Excerpta  ex  Diodoro.  Vide  Valefium  & 
Hoefchelium. 
Cionis  Caffii ,  Hiftoria  Romaua  ,  gr,  &  lat. 


gu.  Typis  Commelini,  1^514,^  in-fol. 
Eumenius.  Vide  Panegerycos  veteres. 

Excerpta  exEunapio.    Vide    excerpta 

Legationum,  ' 

Euripidis  ,  Tragédie  qux  estant . .  . .  1 601 , 


«1-4" 


Id.  Cantabrigiae  ,  16514. 
Eufeb     Pamphili  ,Cefare:E  Paleftinae  Epifco- 
pi, Çiuonicou  Grxcum  ,    in    Thefauio 


P4 


TABLE 


Temporum  Jof.  Scaligeri. 

Ejufdem  ,  Hiftoris  Libri  duo  . . .  Lugd. 
Batav.  1606  ,  in  fol. 

Ejufdem  ,  Praparatio  &  Demonftiacio 
Evan^elica, . .  .  Colonie  ,   1688  ,  in-fol. 

Id.  Edit.  Franc.  Vigeri.  Parifiis  ,  i6i8. 
£utropius.  Edk.  Cellarii,  Qza; ,  1678.  Vide 
Paulum  Diaconum. 

Bxcepita  de  Lcgationib,  Edit.  G.  Hoef- 
chelii  Aug.  Vindelic.  1605. 

Verlîo  latiua  Cantoclari.  Parif.   l^i^. 

Edit.  grxc.  &  lat.  apud  Scriptores  Hif- 
toiia:  Bizantinas ,  tom.  I.  [  Les  pages  font 
tirdinairem£nt  citées  fifivant  cette  Edition. 


J.   Abricii  ,  (  Joan.  Alberti)  Bihliotheca 

latina  ,  (wè  Notitia  Autoruin  veteruni  La- 

tiuorum.. Vcnctiis ,  1718,  i   vol.  in  4''. 
Sext,  Pompei.  Feflus  ,  de  Veiborum  iignifica- 

tjone .  ex  Bibliothecà  Fulvii  Urfiiii ,  apud 

Petrum  Sautadreanum ,   1583.  Vide  Au- 
rores Liiigua:  latina:. 
feflus  Pauli  Diaconi ,  inter  Lingua;  latins 

Autores. 
J.  Firmicus  Maternas  ,  de    etrore  profan. 

Jlelig.  Lugd.  Batav.  170^,  in-S", 
L.  Annacus /"/or«^.  Hafiiias ,  1700. 

Idem  ,  inter  Scriptores  Hiftoriac  Roma- 

\-\x.  Fiancof.  1588,  in-fol. 
Stephanus  Forcatulus  ,  de  Gallorum  Imperio 

&  Pliilofophià.  Parifiis,  1579,  in-4°. 
Id.  Gencva: ,   1595. 
Catalogue  des  Ouvrages  de  M.    Fourmont. 

Amfterdam ,  1751. 
fredegarii  Epitome  Hiftorias  Francorum ,  ap. 

du  Chefne ,  tom.  I. 
Joan.  Georg.  Frickii ,  Commentatio  de  Drui- 

dis  Occidentalium  Populorum  Philolbphis. 

Ulmx,   1744  ,  in-4^, 
Sexti  Julii  Frontini  Stratagemata.  Vide  Ve- 

getiutn. 
Annales  Fuldenfes  ,  apud  DucheCie ,  tom.' II. 
Diftionnaire  Univerfel  de  la   Langue  Fraa- 

çoife ,  par  Ant.  Furretiere,  A  la  flîye  , 

i6<n,  in-fol. 


rALLiCAirus ,   (Vnlcatius)  cum  notis 
Varioiun}.  Lugd.  Batav,  1671^ 


Jofepl).  Vcrner  Gfn^ê ,  Scliottelins  ilIuftratiMI 

&  continuatus.  Lipfiaf ,   1718. 
Ge(la   Francorum  ,  apud  Duchefiie  ,  tom.  I. 
Mémoires  pour  fervir  à  l'Hiftoire  des  Gaules 

&  de  la  France  ,  par  M.  Gihert.  A  Paris[, 

chez  Bernard  Brunct,  I744,in-rî. 
Michael  Glycau  Edit.  Plùl.  Labbe.  Parifiis , 

1660  ,  in-fol. 
Gothofredus  Vitcrbicnfis  ,  ap.  Piftorium ,  tom,' 

II.   Hanov.  161  ;. 
Gothelfiï  Stuvii,   Syntagma  ,  Hiftoria:  Ger- 

manica:,  lenx  ,  1 7 1 6.  in  4'  .  \^ll  y  a  dans 

ce  Livre  uni  Difjertation  de  Diis  Germa- 

norum ,  pag.  1 9  -- ^4. 
Gregor.  Turonenfis  Epifcopi  Opéra  ,  ex  éditio- 

ne  Theodorici  Ruinard.  Parifiis  ,    169$  , 

in-fol. 

Idem  ,  ap.  Duchefnc  ,  tom,  I. 
Gronovii ,  Antiquitates  Gi«cx.  Lugd. Batar. 

1701 ,  in-fol. 
Hugonis  Grotii  Hift.  Gothorura.Vandalortun 

Longobardorum.  Amft.  1655  ,  in-8'. 
Infcriptioiies  antiqua:  totius  Orbis  Romani  9 

Joanne  Grutero  co\k£tx.  Parifiis   1616, 


in-fol. 


H 


H 


.  1 ACHENBERG  ,  (  PauliyGermauJa  m* 
dja.  lenx  ,   Té8é,in-4°. 

Idem  ,  recenfente  Guill.  Turckio ,  Hais, 

Harpocrationis  Lexlcon  ,  cum  Commentario 

&  notis  MaufTaci.  Parif  ]6i4,in-4°. 
Hegejîppus.  Vide  Biblioth.  Patrum ,  tom.  vir, 
Helmoldi  Chronicon  Slavorum.  Francofurti^ 

155:6,  in-8°. 
Herodiani ,    Hiftoriarum    Libri  VIII ,  gra:c 

&  lat,  Oxoniac,  1678,  in-80. 
Idem ,   ciim  verfione  Angeli  Politiaiiî.' 

Bafile^  ,    if49' 
Herodoti  Hiftoriarum  Libri  ix.  edit.  Henr. 

Stepliani.  Genevx ,  1618,  in-fol. 
Hefiodl  Afcrœi ,  quce  extant  Opéra.  Lipfiae  , 

Idem  ,  grxcè  &  latine,  Liigduiii  ,'1 6 1 1 1 
l'n-i  '., 
Hefichà  ,  Lexicon  Grareum ,  Lugd.  Batar; 
1746  ,  i  vol.  in-fol. 
Idem  ,  Haî^enox ,  171 1. 
S.  Hieronym,  Opéra.  Parifiis ,  1^79  >  17°^» 
iji-fol, 

Jdem  ^ 


DES    AUTEURS. 


Î05 


Hem,  Francofutti  &  Lipfîx,  1^84. 
Ejufdem,  Chronicon.  Vide  Eufebium. 
Iter  Hïerofûlymïtanum ,  in  Tiieatro  Bertii. 
Hiflorix  Auguftje  Scriptotes.  Lugd.  Bacar. 

IÎ71  ,  in-80 
Hoefchelius.  Vide  excerpta  Legationum. 
Homeri  Opéra  ,   cum  Commentariis   grscis 
Euftatii  ,  grxcè.  Romac  ,   1J41  ,  4  vol. 
iii-fol. 

Idem,  Ediu  Spondani.  Bafilex,  1606  , 
in-fol. 
Q.  Horatii  Flacci  Opéra.  Amftelod.   ï6i^', 
in-iz. 

Idem,  Edit.  Joh.   Bond.  |Lugd.  Batav. 
1606. 
Franc.  Hotomanni ,  Franco-Gallia.  Francof. 
1586 ,  in-80. 
Idem  ,  Francof.    i66<. 
Hiftoiia  Religionis  veteruni  Perfanim  eorum- 
que  Magorum',  à  Thoma  Hyde,  Oxonix  , 
1700  ,  in-4". 
C.  Jul.  Hysini ,  Fabulae.  Parif.  i  j  7  5 ,  in-  8  <>. 


J  jMBLici,Ym  Pytliagori  &  Protreptricat 
Orationes  ad  Philofopli.  Libri  duo,gra:cè 
&  latine.  TypisCommelini,  1558,  in-4°. 
liatii  Chronicon  ,  ap.  DucheCie  ,  tom.  I. 

Ejufdem  ,  Fafti  Confulares  ,  in  Tbelâu- 
ro  Temporum  Scaligeri. 
Jornandis  Hiftoria  Gothorum,  Editio  Grotii. 

Amftelod.  i6ff  ,  in-80. 
Flavii  -Jofephi  Opéra,   avec  la  Verfion  de 
d'Andilly.  Parifiis  ,  1667.  in-fol. 
Idem,.  Amfterdam  ,  1715. 
Idem  ,  gra:c.  &  lat.  cum  notis  Sigeberti 
Havcrcampi  Amftel.  1716,  1  vol.  in-fol. 
Sanfti  Ifidori  Hifpalenfis  Epifcopi  Originum , 
Lib.  XX.  inter  Lingua;  lat.  Aurores. 
Ejufdem ,  Chronicon ,  apud  Grotiiim. 
Ejufdem  ,  Gloffarium ,  inter  lat.  Lingua; 
Au  tores. 
Ifocratis  Orationes  &  Epiftola:  ,  gr.  &  lat. 
Parifiis  163  i  ,  in-^o. 
Idem,  Bafilex ,   iî4<î. 
Juliani  Iniperatoris  Opéra  ,  graecè  &  latine. 

Lipfia:,  1696  ,  in-fol. 
Juin  Honorii  Oratoris  ,  excerpta  qu.-e  ad  Cof- 
mograph.  pertinent.  Edit.  Gronovii.  Lugd. 
Batav.  1696. 

Tome  11, 


Jujlinus  ,    cura   notis   variorum.  Amftelod. 

16^9  ,in-8c. 
D.  Junii  JuvenalisSc  A.  Perfîi  Flacci  Saty- 

ra:.  Amftelod.  1648.   1650,  iu-ii. 


K> 


.ErsLERi,  (Joan.  Georg)  Antiquitates 
lèledx  Septentrionales  &  Celticae.  HanoT. 
1710  ,111-8". 

Albert!  Kriantiii  Hiftoria  Ecclefiaftica  Saxo- 
niea,  fivè  Metropol.  Francof.  15  90,  in-fol. 

W.  C.  Kriegfmann  ,  Conjeftanea  de  Germa- 
nics  Gentis  Origine  &  Conditote  Hercule 
Trimegifto.  Tubingac ,   1684.  iii-40. 


JLjAbbe  ,  (  Ph.  )  Colleftio  Condliorum 

Parifiis  ,  1 67 1  ,  16  vol.  in-fol. 
L.  C.  F.  Laâ.intii  Opéra.  Parifiis,  1748,- 

1  vol.  in-4". 

Idem,  Oxonia: ,   1648. 
^lius  Lampridius   ,    cum    notis    variorum.' 

Lugd.  Bat.  167 1.  Vide  Hiftoria:  Auguftae 

Scriptores. 
Latinet  Lingua  Autores  in  unum  rcdadi  cot~ 

pus  ,  cura  Dyonyfii  Gothofredi.  Genev«, 

1601 ,  in  4". 
Godofr.  Guill.  Làbnit{ii  Diflertatio  de  Ori- 
gine Gentium ,  in  Mifcellaneis  BerolinenC 

tom.  I.  Berolini  ,   1 6 1  o  ,  in-40. 

Ejufdem,  Colle£lanea  Etymologica.  Ha- 

nov.  1717,  in-80. 
Pétri  Z«/f <i/o/'er/i  Humaaitas  Theologica,(îve. 

Commentât,  in  Ciceronem  de  naturâ  Deo- 
rum.    Parifiis ,  ijéo  ,  in-fol. 
Joh.  Limncci ,  Jus  Publicum  Romani  Imperii 

Germani.  Argentorati ,  i6f  7  ,  111-4^". 
Idem,  Argentorati,   164J. 
Codex  Legum  antiquarum ,  feu  Leges  Vifi- 

gothorum ,  'Burguiidionum  &  aliue ,  ex  edi- 

tione  Frid.  Lindenirogii.  Fnncoi,  1^13, 

in-fol. 
Gloflarium  Lindembrogii.  ,  ad  calcem  Codi-. 

cis. 
Jufti Zi/T/Ti Epiftolac.  Avenione,  1603  ,  m-80, 

Idein,  Lugd.  Bat.  i6i2. 
Titi  Livii  Hiftoriae ,  cum  perpetuis  Joan.  Fred. 
.   Gronovii  &  variorum  notis.  Amftel.  iS6^  1 

3  vol.  in-8<>. 

Sff 


5o6 


TABLE 


IJem  ,  LugJ.  Barav.  16^4, 
Joh.  Loccenii ,  Rerum  Suevicaium  Hiftotia... 
cui  acccdunt  Antiquitates  Sueo-Gothica:, 
Holmis,  i6<i4,  hi-it, 
Longobardorumheg^es.  Vide  Lindenbrogium. 

Idem  ,  Lugd.  Batas'.  1^54,111-80. 
M.  Annii  Lucani  ,  Pharfàlia  ,  ex  edit.  Hu- 

gonls  Grotii.  Parifîis ,   1615. 
Luccani  Opéra  ,  ^r.  &  lat.  cuni  notis  Bour- 

delotiï.  Pariliis ,  161  j  ,  in-fol. 
Lucreiiiii ^  latin  &  françois.  Paris  ,    i<58j  , 
2  vol.  in-ii. 

Id.  ex  edit.'jGifijnii.  Lugd.  Batav.  iji»*;. 
Lyiophronis  Caflandra  ,  five  Alexaiidra  ,  gr. 
&  Vài.  curn  Haaci  Tzetzx ,    Commentar. 
grxcis.  Ba(ileaî,    IJjS,  in- 11. 

Idem  ,    ftudio  Joaii.    Pottcii.  Oxonii , 
16^7,  m-fol. 

M 


M. 


ACROBII  (  Aiirel.  Theod.)  Opéra  om- 


Diûionnaîre  GfograpMque ,  par  Bnixen  Je  !• 
Martiniere.  A  h  Haye  ,  1716,  10  voL 
iu-fol. 

Idem,  Pajis,  1730,  6  vol.  in-fol. 

Joh.  Jac.  Majca ,  Gechichte  der  Teutisclien 
bi(s  zu  Aiifang  der  Frankifchen  Monarchia; 
c'eft-â-dire  ,  Hiftoire  d'Allemagne  jufqu'aa 
commencement  de  la  Monarchie  des  Francs. 
Lipfic  ,   1 7 1  (S. 

Ejufdeni,Gefchichte,&c.  tom- II.  Lip- 
fic, 1737. 

Antonii  Matardli  Relponfio  ad  Francîfci  Ho- 
tonianni ,  Fnnco-Galliam.  Amftel.  i)75  , 
in-Ti. 

Idem,  Francof.  ,  l^<fy. 

Miximi  Tirii  DifTertationes  Phllofophîcœ ,  et 
recenfione  Jean.  Davifii ,  &  cum  notis  di- 
verforum.  Londini ,  1740,  in-40. 
Idem,    Oxonii,  11Î7 7. 

Meïbonius ,  Scriptores  rerum  Germaiiicarum. 
Helmftadt.  168,?,  in-fol. 


nia  qua:  extant ,  cum  notis  felcftifTimis  Ifaaci  3/e/j ,  Pomponius  de  fitu  Orbis  ,  edit.  Gro- 
Pcntani  &  variorum ,  ex  recenfione  Jaco-         novii.  Lugd.  Batav.  16^6. 
bi  Gronovii.  Londini ,  1694  ,  in-80.  Idem,    1543, in-fol. 

Idem ,  ex  recenfione  Gronovii.    Lugd.  Mezerai ,  Abrège  chronologique  de  l'Hiftoir* 


Batav  ,  1670 ,  in-80. 

Excerpta  ex  Mulcho  ,  "m  excerptis  Lega- 

tionum. 
Claudius  Mameninus  ,  inter  Panegyricos  ve- 

teres. 
JWarci  Maniiii  Aftronomicon  Libri, cum  no- 
tis Scaligeri.  Lugd.  Batav.  1 600  ,  in-4". 
Marcellini  Comitjs  Chronicon ,  ap.  Duchefl 

ne  ,  tom.  I  ,  &  in  Thefauro  Temp.  Scalig. 
Marculfi'FottDxùx  ,  apud  Lindembtogium  & 

Balueium. 
Marii  Adventicenfe   Chronieon,  apud  Du- 

chefne ,  tom.  I. 
Valerii  Af^m'a/w  Epigrammata.  Pari£  IJ351, 
.  in- 12. 


de  France.  Paris  ,  1 667  ,  3  vol.  in-4~ 
Idem,  Bruxelles,  1700. 
Ëjufdem  ,  Hiftoire  de  France  avant  CIo-* 
vis  ,  Amfterdam  ,  I701  ,  in.iz. 
Minutius  Félix  ,    ex    recenfione  Gronoviii 

Lugd.  Batav.   1 7op  ,  in-80. 
André*  Mullcri  Alpha  &  Omcga ,  five  Al- 
phabeta ,  ac  notje  diverlàrum  Ling. ,  &C. 


N. 


N 


AzARiVS,  inter  Panegyricos  vetercs. 
Nicolaus  Damafcenus.  Vide  Stobaum. 
Nonni  Panopolitae  Dionyfiaca  ,  gr,  &  lat.  ex. 
verfione  Lubini.  Hanovijc ,  1605  ,  in-80. 
Nonius  Marcellus  ;  inter  Autores  Linguae  lat. 


Idem,  Pariûis ,  1 5 3 3  ,  in-i6, 

'Maniani  Mina:i  Felicis  Capellx  Satyricon.  Notitia  vêtus ,  apud  Duchefne. 

Lugd.  Batav.   155};. 

Idem,  Lugd.  Batav.  liïpS.  O 

'Maniant  Heracleotje  Carmen  lambicum  de  •^ 

fitu  Orbis,  gr.  &    lat.   ex  verfione  Frid.  \_y  £r  jtfi'/ojoiîo,  (excerpta  ex)  intef 

Wotelli.  Parinis,  t6oé,  in-80.  Scriptores  Hiftor.  Bizant. 

Martin  ,  (  'e  P.  Dom  Jacq.  )   la  Religion  des  Origenes  contra  Celfum ,  edit.  GuilL  Speneri. 

Gaulois  tirée  des    plus  pures  fources   de  Camabrigiae  ,  1658,  in-40. 

l'Antiquité ,  par ... .  Religieux  Bénçdiftin.  Pauli  Orojii  Hiftoriarum  Libri  VII.  Moguihf 


Paijs ,  1717 ,  2   vol.  ia-^°. 


\ix  Ï^IJ  ,  Ul-Ii. 


DES    AUTEURS. 


507 


ÏJem,  Colonise,  t^+i.  Idem,  e<ljt.  Pautt  Staphsnî,  iSt\. 

Orphai  Argonautica ,  Hymni  &  de  lapidibus,    Fhurnulus ,  de  naturâ  Deorum  in  Opufculis 

'"'■"'        ^'"        Mythologicis,  Ethicis&  Piiy(icis.Catabri- 
gias ,  167 1 ,  iii-ii. 
Pindari  Olimpia ,  Pythia ,  Nemea,  &  Ifthini^ 


gr.  &   lat.  curante  Andr«a    Chiftiano  Ef- 

chenbachio.    Trajeûi  ad  Rhcnura,  168^, 

in-80. 
OrtelU  !,Tabulat  Geographicac  ,  in   Theatro 

Bertii. 
Publii  Ovidii  Opéra  omnia  qux  extant ,  cura 
notis  variorum  ,  ftudio  &   opéra  Borchardi 
Kiiippiiigii.  Lugd,  Batav,  1670.  3  vol.  Li-8". 
Idem ,  LipfiiE ,  i6$t. 


Callimachi  Hyiiuà ,  Dionyfuis  de  ficu  Or- 
bis  ,  &  Lycophroms  Alexandra ,  ha:c  omnia 
grxcè ,  cum  Scholiis  gcxcis.  Rom»,  >  {  i  f  » 
in-4". 

Idem,Edit.  Henr.  Stephani ,    i6tt. 
Idem ,  ex  recenfione  &  cum  notis  &  ver- 
fione  metricâ  Nicolai  Sudorii.     Oxonii 
Itfp7  ,  in-fol, 

Platonis  Opcra  omnia,  gr.  &  lat.  interprète 
&  notatorc  Joan.  Serrano  ,  ex  édit.  Heur. 
Stephani.  Pariliis ,  1578,3  vol.  in-fol. 

Idem  ,  Interprète  &  Commematpie  Mar- 
filio  Ficino.  Francof.   ,   iéoz,in-fbl.     - 
Panegyrici  veteres  latini  ,  in  ufum  Delphini  ,    Caii  Plinii  fecundi  iïpiftolaB  &  Panegyiicus 
cum  interpretatione  &   notis  Jacobi  de   la        Ltpfîx,   17*1,  in-! a. 
Baune.    Parifiis  1676.  in  40.  IJem  ,  Editio  Cellarii,  Lip(î<e  T700. 

Pault  Diaconi ,  de  geflis  Longobardorum  l^i-    Caii  Pimii ,  Hiftoriœ  Naturalis  Librixxxvrr, 
bri  VI  ,  apud  Grotium.  cum  notis  &  indice  Joan.  Harduini ,  ad  ufum 

Idem,  Bafiiea:,  1531  ,   in-fol.  Delphini.  Parifiis,  léSf  ,  f  vol.  iii-4i>. 

Ejufd.  Eutropius  ,  five  Hiftoria  Milcella-    Plutarchï  Opéra  omnia  ,  gr.  &  lat.  cum  notis 
■ea.  Bafileac  ,15^1.  "        _-_--_-- 

Paufania  Defcriptio  Grarciaf  ,  gr.  &  lat.  cum 


Jr  AcATt/s  (Ladnus,)  intcr  Panegyricos  ve- 
teres. 
Jac.   Palmerii  à  GenteraeCiil  Gnciar  antj- 
qusE  Defcriptio.  Lugd.  Batav.   i(?7  8  ,  in-4o. 


Annorationibus    Guill.   Xilandri  ,  &  novis 
notis  Joach.  Kunhji.  Lipfia: ,  1696,  in-fol: 
Idem,  HanoviîE,  i^ij,  in-fol. 
Dionyfii  Petavii  Opus  de  doûrinâ  Tempo- 

rum.  Franeq.    t6  8?.  5  vol.  in  tr. 
Titi  Petronii  Arbitrii  ,  Satyricon  Fragmenta 
qux  extant.  Parifiis  ,  1587,  in- ii. 
Idem  ,  Edir.  Jani  Doufx,  15  85 


Joan.  Rualdi.  Parifiis  ,T  y  pis  Regiis ,  iéî4> 

in-fol. 
Julii  /*<»//«««  Onomaftîcon.  Francof.  iéo8, 

in-4„. 
Polyoeni  Stratagemata.  Lugd.  i  j  8 j> ,  in- 1  €. 

Idem.,  Lugd.  Batav.    i6go. 
Polyb'n  ,  quae  fuperfunt  Hiftoriar  gr.  &  lat. 

ex  verfione  &  cum  emendationibus  ac  Com- 

mentariis  Ifaaci  Ca(àuboni.  Parifiis ,  1 6op  , 

in-fol. 


Ex'-erpta  ex  Petro  P^ltido ,  in  excerptjs    Porphyrius  de  abflinentiâ  ,  edit.   grjeco-lat. 


Luj^duni-Ratavorum,  Ktio  ,  in-8,]. 
Ejufdem  ,  Opéra  qui  extant. 
Hiftoirc  des  Juifs  &  des  Peuples,  voifins  depuis 
la  décadence  du  Royaume  d  Ifracl  &  de 
Juda,  jufqu'a  la  monde  Jefus-Chrift  ,  tra- 
duit de  l'Anglois  de  Humphrey  Pridtaitx, 
Amfterdam  ,    1711,    5  vol.  in- 11. 

in-fol. 


Legationum. 
Perron  ,  Lettre  fur  l'origine   des  Celtes ,  in 

Colleftan.  Lcibnitz. 
Antiquité  de  la  Nation  &  de  la  Langue  des 

Celtes  ,  par  le  R.  P.  Feiron.  Paris,   1705  , 

in-ii.  N.B.  Je  n'ai  vu  ce  Livre  plein  de 

chimères  &  de  vijîons ,  qu'après  avoir  ache- 
vé le  premier  Livre  de  mon  Ouvragç.  Ob.    Profopi  Opéra.  Parifiis  ,    irffij 

(èrvation  de  M.  Pelloutier.  Idem,    i(6i. 

Perfius.  Vide  Juvenaiem.  Sexti  Aurttii  Pw^mi  Opéra.  Lntetix,  1^04. 

Philojlorpi  Cappadocis  Opéra  ,  edit.  Jacobj    Sanfti  Frufperi  Aquitani  Opeia.  ParjC  ,i53<7, 

Gothofredi.  Geneva:,  1641  ,  in-4  .  ju-fol. 

Philo flrati  Lemni  Opéra.  Parif.  r5o8,in  fol.  Idem  ,  Colonix  ,   1540. 

Photii  Bithiotheca  ,  gr.  &  lat.  ex  verfionc  Aiid.  Ejufd.  Chrmicon  ;  ap  Duchefiic,  toqul. 

Schotti.  Rochoraagi ,  16J3  ,  in-fol.  &  in  Thefauro  Temp.  Scaligeri.    •    ■    * 

Sffi 


5o8  T  A  B 

Aurelji  Trudentïi  Opéra ,  cum  interpretatio- 
ne  &  notis  Stephani  Charaillard.  Parifiis , 
1687  ,  iii-40. 
Ptolomœus  Geographus ,  iu  Theatro  Bercii. 


QUiNTILIANI  {M.  Fabii)  Inftimtio- 
;  Oratonx,nec-noii  Calpurnii  Flaccids- 
clamationes  ,  cum  notis  variorum ,  ex  re- 
ceiifioiie  Pétri  Bartnanni.  Lugd.  Batav. 
ij  7  7.  o  ,  4  vol.  in-fol. 

Idem  ,  cum  notis  variorum,  Lugduni- 
Batav.  1665  ,  1  vol.  in-fol. 


R 


.AvENNAS  Geographus , EJit.  Gronovii. 
Lugd.  Bacav.  16 $6. 

Jean.  Rojini ,  Romanarum  antiquitatum  cor- 
pus abfolutillîmum  ,  cum  notis  variorum. 
Lugd.  Batav.  1663  ,  in-4(i. 
Idem  ,  Colonie,  161 9. 

Diftionnaire  François-Celtique  ,  par  le  R.  P. 
Grégoire  de  Roflnnen.  Rennes  ,1751,  Jn-4. 

Olavii  Rudbechii ,  Atlancica,  five  Manheim, 
vera  Japheti  pofterorum  fedes.  Upfali» , 
J67J  ,  16&P,  i6p8  &  1^5151 ,  4  vol,  in- 
fol.  &  I   vol.  in-40.  fig. 

Sexti  Rufi  Breviarium  ,  inter  ScriptoresHifto- 
ria:  Romans.  Francof.  1588,  in-fol. 
Idem  ,   Editio  Cellarii ,  Coza  ,  1 67p. 

•Rei  Ruflicx  Autores  Latini  Ceta ,  Varro  , 
Columella  &  Palladius  Rutilius.  Parifiis, 
,1  î  3  î  ,  in-fol. 

Idem  ,  Typis  Comelini  ,  i  J^J. 

CI*  Rutiiù  Numatiani ,  Itinerarium ,  cum  ani- 
madverfionibus  Jofephi  Simleri ,  &  alioruin. 
Amftelod.  1687  ,  in-ii. 
Idem,  Bafilex  ,  157 î. 

.Tlieod  /JycÀii  Différtatio  de  primis  ItalisE  In- 
coljs.  Lugd.  Batav.   1684. 


^  ÀLMASit  (  Claudii)  Exerckationes  Pli- 

nianae.  Trajan  ad  Rhen.  &  HoLijS^,  t. 

vol.  in-fol. 
Salvianus ,  de  vero  Dei  judicio  &  providen- 

ciâ ,  cum  nous  Peu!  Galezinii.  Roma?  )^56j^ 

în-fol. 


L  E 

Idem,  Vide  Bibliotheca»  Patruirt,  tom.  r; 
C.  SallufliiCr'iC^im  Opéra.  Par.  1675  >  in-4. 

Idem,  Francof.  &  Lipfiœ  ,   1706, 
Jofephi  Scaiigeri   Epillo'x.  Lugd.  BataVar, 
1  617 ,  in-80. 

Idem,  Francof.,  1618. 
Ejufd,  Thefaurus  Temp.  Amft.  1 1Î5  8, 
Schedius  (  Elias  )  de  Diis  Germanorum.  Aniift. 

1648  ,  in-8f>. 
Hiftoriar  Ecclefiafticicx  Scriptores  Gtxd ,  cura 

Henr.  Valefii.  Amft,  15^5.  in-fol. 
Scymni  Chii  Fragmenta  haftenùs  non  édita» 

Lugd,  Batav.  1683. 
Juft.  Georg.  Schotellius  de  quibufdam  fingu- 
laribus  &  antiquis  in  Germanià  juribus  ob- 
fervatis.  Francof.  &  Lipfiîc  1718, 
Sdden,  de  Diis  Syriis,  Amilel.  i($8o,  in-80, 
Annari  Seneca  Tragediœ , . .  Amftelod.  1671, 
iii-8'^'. 

Idem/ Aniftelod.  167^. 
Ej,  Opéra  ,  ,,  Genevje,  161  (  ,in-ii.' 
Idem,  edit,  Andréa;  5c/;o»i ,   1603. 
Servius,  Comméntar.  in  Virgilium,  Genevac, 

1610. 
Sidonius  Appollinaris  ,  cum  notis  Sirmondx. 

Parifiis  1614 ,  in-80. 
C.  sua  Italici  Punica .  . .  Parifiis  1 6 1 8  , in-4oi 
Socratis  Hift  ria  Ecclefiaftica  ,    cum    notis 
Henr.  Valefii.  Parifiis  ,  idjiS  ,  in-fol. 

Idem  ,  in  Hiftor.  Ecdef,  Scrip,  Graecis. 
Genevx ,  16 iz. 
Joan.  Daniel,    Schoepfitni.   Confil,  Régis  & 
Francis  Hiftoriogr.  Vindicis  Celtica;,  Ar- 
gentorati  ,1754,  in-40. 
Solini  Polyliiftor.  Bafileac,  1^45  ,  in-fol. 

Idem,  ex  edit,  Urftifii.  Bafilex,  l'jjë. 
Sophoclis  Tragedix  Septem  ,  gr,  &  lat.  Bafi- 
leœ,  1558  ,  in-8". 

Idem  ,  Parifiis,   iiSf  8  ,  in-40. 
So^omenis ,  Hiftoria  Ecdefiaflica  ,  Parifiis , 
1668  ,  in-fol. 

Idem  ,  in  Hift.  Eccl.  Script.  Grxcis  , 
Genevx,  i6iz. 
^lius  Spartianus.  Lugd.  Batav.  1671. 
Id.  inter  Scriptores  Hift.  Auguftas. 
Publii  Papirii  Statu  Opéra  ,  cum  notis  Va- 
riorum, ex  edit.  Joan.  Veeiihufèn.  Lugd, 
Batav.  1671  ,  in-8. 

Id.  Edit.  Joan.  Frid.  Gronovii.  Amftel, 
16^3. 
Stephanuslihi.nùivii  deUibibus,  cum  ooti} 


Berkelii.  LugJ.  Batav.    ié^4 
Idem  ;  Lugd.  Batav.  1688. 
Caroli   Snphani  Diftionaiium  Hiftoricum, 
Geographicum  ,  Poëticiim  ,  &c.  Londini , 
1686  ,  in-fol. 
Id.  cura  Nicolai  Loydii.  Oxonii,  1 67 1. 


DES    AUTEURS: 

in-foL 


SO? 


F. 


Alerii  Caii  Flacd  Argonauticon  Li- 
bri  VIII.  Colonix  ,  1617  ,  in-ii. 
Idem  ,  Lipfiae  ,  1650. 
Henr.  Suphani  Poëfis  Philofophica  ,  five  Re-   yaUrius   Maximus  ,   cum  notis    Varioi-uin. 


liquix  Pocfis  :  Empedoclis  ,  Parmeuidis 
&  Orpha;i ...  i  J  7  î  • 
Joan.  Siobai  Loci  communes  facri  &  ptofeni. 

Fraiicof.    ij8i  ,  in-fol. 
Strakonis  Opéra  ,  Edii.  Cafâuboni.  Farifiis  , 

i6io ,  in-fol. 
Pliil.  Jean.  Stralemberg  ,  das  Nordim ,  Oft- 
Liche  Theil  von  Euiopa  ,  und  A  fia  ,  c'eft- 
à-dire ,  Defiripùon  des  Partief  Septentrio- 
nales &  Orientales  de  l'Europe  &  de  l' Afie. 
Stockolm  ,  1730. 
Defcripdon  Hiftorique  de  l'Empire  Ruflîen , 
traduice  de  l'Ouvrage  Allemand  de  M.  le 
Baron  i.zSiralemhcTg.  hsa&ç.x.iam  ,  17^7. 
i  vol.  in-ii. 
fuetonii  Tranquilli  de  XII  Cacfàribus  Liber. 
Lugd.  Batav.  1547.  in-80. 

Idem  ,  Editio  Schidii.  Lugd.  Bat.   1 65  6. 

'fuida  Lexicon  ,  graeco  •  latinum  ,  ex  verfione 

^milii   Porti  recognita  &  notis  illuftrata 

ftudio   Ludolphi    Kufteri.    Cantabrigix  , 

'Synefîi  Opéra ,  gr.  &  1  ar.  ex  edit.  Dionyf. 
Petavii.  Parifiis,  1611,  in-fol. 


j£  AciTi  (  Cornelii  )  Opéra ,  Cum  notis  va- 
riorum.  Amftel.  1672  ,  z  vol.  in-80. 
Idem  ,  Lugd.  Batav.  1687  ,  i  voi.in-i». 
Tertuliani  Opéra,  ex  edit.  Rigaltii.  Parifiis, 

1641 ,  in-fol. 
TAeopAilaâus  Simocatta  ,  inter  Script.   Hift. 

Bizantinx. 
Thucydidis  Opéra.  Oxonix  ,  i(î5)6  ,  in-foli 
Sexti  Aurelii  Tibulli  Opéra.  Parifiis,  1604, 

in-80. 
Trebellius  PoUio  , 

Auguflx 


Lugd.  Batav.  1670  ,  in- 8°. 

Idem  ,  Editio  Vorstii.  Berolini,  1^71; 
Heni.Vale/îi  ,  excerpta  ex  Nicol.  Damafceno  , 
Polybio  ,  Dionyfio  Halicar.  Appiano  , 
Dione  ,  &c.Parifiiis,  i634,in-4o. 
M.  Terentii  Varronis  Opéra  qux  fuperfunt, 
in  Librum  de  Linguâ  latinâ  conjeûanea 
Jofephi  Scaligeri  cum  ejufdem  notis  in  Li- 
brum de  Re  Rufticâ  ,  &  trium  aliorum .... 
Parifiis,  1585  ,  in-80. 

Idem ,  Editio  Popmx.  Lugd.  Bar.  1 6^0; 
Ejufdem  de  Linguà  latinâ  mter  Lingu« 
latinx  Autores. 

EjuClem  ,  de  Re  Rufticâ,  inter  ReiRuf- 
fticx  Autores. 

Ejufdem  ,  Fragmenta  (Satyra  Menippea) 
edit  Popmx.  Francof.  1589,  in  •  r  i . 
Julius  Flavius  Vegeiiiu  de  Re  Militari...; 
Parifiis  1^35,  in-fo!. 

Idem ,  ex  Ojficinâ  Plantinianâ  Raphelea» 
gii,  1607. 
C.  Velleii  Paterculi  Hiftoria  Roitiana.  Aralt 
i6é4 ,  in-u. 
Idem  ,  Francof.  i  ^47. 
Venantii  Fortunati  Opéra.  Moguntix,  itfoj. 
Chronologie  de  l'Hiftoire  Sainte  ,  par  Alphon- 
fe  des  Fignoles.  Berlin  ,  1738,1  vol.  in-40. 
•    yidoris  Tununenfis  Chronlcon  ,  in  Thefàuro 
Tempor.  Scaligeri. 
yirgilius  cum  notis  feleûiffimîs  Servii.  Ge- 
nevx  ,  1636  ,  in-14. 

Id.  Lugd.  Batav.    t66i. 
M.  Vitruvius  ,  de  Artchiteûurâ  Libri  X,  cum 
notis  ..~Amftel.  1649  ,  in-fol. 
Idem ,  Romx,  1550,  in-40. 
Lud.  yives  ,  in  Auguftin.  de  Civirate  Dei. 
■    fol. 


Bafilex  ,  1 5  41 ,  m 
inter  Saiptores  Hiftoriae   Flavius  Vopifcus  ,  inter  Hift.  Auguftx  Script 

Id.  Lued.  Batav.  1671 


Idem.  Lugd.  Batav.  \6fi.  Getardi  Vojfîi,ie  origine  &  progreflù  Idolo- 

3oan.  T^etia  variaram  Hiftoï.  Liber....  ••        latrix  Libri  IX.  Amftelod.  i66i  ,  in-fol. 
jBafileac,,  iJ46,iû-foI.  Ifeacus  Vojfms  ,  de  Poëmatum  cantu  &  Vi- 

ribus  lithoij.  Oxoaix,  1673,  ^'^°' 


K 


|io  TABLE    DES    AUTEURS. 

Interprète    Joan.  Leunclavio  ,  «m  nous 
Xf'  ^mili  Porti.  Parifùs ,  Kii^  ,  in-fol. 

•^YT  Wem,  Verfio  latina  Heniici  Stephani, 

\y   Itichindj  ,  Chronicon-Saxon  ,  apud 
Meibonium  in  Script,  rer.  Germ.  tom.  III,  Z 

Dilrertation  fiir  runion  delà  Religion,  de  la    JuOziMVS^  cutantc  Cellatio,  CÎW 
Morale  &  de  la  Politique  ,  tirées  d'un  Ou-         1^7^  ,  ia-8°. 
vrage  de  M.  Warburton  ,  par  M.  de  Sil 
fouette.  A  Londres,  1741 .»  *'<^' i"-i*^ 


./^fjsropffoyr/sHiftoriîede  Cyrî  majo. 
lis  luftituùone ,  &  alia  Opéra ,,  gr.  &  lac. 


fin  de  la  Table  des  Auteurs; 


TABLE 

Des  Matières  contenues  dans  ce  Volume* 


jtrERTisstMEtTT  de  l'Auteurfur  le  llle.  Livre, 

l'âge  iij 

jIvts  de  l'Editeur  fur  le  IVe.  Livre.  tv 

Préface  de  l'Auteur  fur  Us  llle.  &  IVc-  Li- 

^re.  yij 


LIVRE   TROISIEME. 

T€t  principaux  Dogmes  de  la  Relifio»  des  Celui, 

m  -  m 

CHAPITRE   PREMIER. 

J_iA  Rrligion  des  Peuples  Celtes  eft  un  fiijet  très- 
iiitérciraïu.  Fag.  I.  Il  cft  difScilc  de  li.  bien  eoB- 
noître.  r  L'cloigncment  du  tenu  où  il  faut  remon- 
ter, 8c  le  fecret  des  Druides  fur  leur  Dotlrine,  en 
font  les  principales  caufes.  ibid.  Cependant  la  Loi 
du  fecret  neiegatdoit,  à  proptemeni  parler,  que  la 
Phyfiologie  &  la  Maeie.  ib  Les  Dtui  les  avoient  une 
iJoâriiie  publique,  iï.  Huficurs  Auteurs  Modernes 
«nt  écrit  fur  la  Religion  des  Celles.  }.  Ourraged'£- 
fi:nneForcadel.  ibid.  Traité  de  Philippe Cluvier  4. 
Tiiiii:  d'Elie  Sc/iedius.  j.  Traité  du  tcrc  Lefcalo- 
pier.  ib.  Ouvrage  de  l'Auteur  Anonyme  de  la  Re- 
ligion des  Gaulois.  «.  Aucun  de  ces  Auteurs  n'a 
connu  la  Religion  des  Celtes,  ibid.  Plan  de  ce  Livre 
Ce  du  fuixant.  7. 

CHAPITRE    II. 

Les  Peuples  Celtes  ont  tous  reconnu  l'exiftence  d'un 
Dieu.  7-  On  a  accufé,  fans  ïondement  ,  quekguei 
Peuples  Celles,  &  .en  patricuKer ,  les  habitans  de  la 
Galice  ,  d'être  Athées  t.  Cicéron  a  auflî  accufé  mal 
À  propot  les  Gaulois  d'AtJiéifme.  li.  Examen  d'un 
pafTage  de  Cicéron.  5.  Les  Celte»  étoient  fort  atu- 
chéi  au  Culte  de  leurs  Dieux.  10. 

CHAPITRE    III. 

les  Celtes  avoient  Bne  jufte  idée  de  Dieu  &  de  Ces 
peifeûions.  Us  adoroieiu  des  Dieux  fpirituels ,  &  leur 
attribuaient  une  fcience  infinie,  il.  Ils  leur  aitri- 
buoienc  aufli  une  puilTance  fans  bornes.  la.  Unejuf. 
.  ftice  inccTiupiible.  ij.  Ces  principes  font  communs 
à  toutes  les  Religions  ib.  ConféqueiKes  que  les  Cel- 
tes tiroient  de  ces  principes.  M.  Il  ne  laut  pas  rc- 
ftéfenter  les  Dieux  fous  une  forme  corporelle,  ib, 
ni  fe  figurer  dis  Dieux  mâles  k  femelles  14.  Autres 
confcqucnces  qu'en  peut  tirer  des  principes  des  Cel. 
tes.  ib.  Ils  n'ont  point  fetvi  les  Dieux  des  Grecs  8c 
<le$  Romains,  ibid.  On  a  mal  à  propos  accule  les  Cel- 
tes de  dcïficr  IcsElémcns.  17.  Les  Images,  les  Idoles, 
les  Statues  n'appartiennent  point  i  J'ancicjuae  RcU- 
SfioB.  a. 


CHAPITRE    IV. 

les  Celtes  vénéroient  les  ElémcnsSc  toutes  les  dif- 
férentes pairies  du  monde  vifible.  17.  Ce  culte  étoit 
établi  parmi  lesScyihes.  18,  Parmi  les  Pcrfes.  ib. 
Parmi  les  Turcs,  ib  Chez  les  Gaulois ,  chti  les  An- 
glois,  &  chee  les  Germains,  ij  Les  anciens  Grecs 
eonfervoient  le  même  culte.  10.  Les  Sarmates  véné- 
roient âurti  les  différentes  parties  du  monde,  ib.  i.ei 
Celtes  ne  regatdoicnt  pas  les  Elémens  8c  les  autres 
parties  du  monde  comme  des  Divinités,  ii.  ni  com. 
medeiîmplesim.1gc5de  la  Divinité,  ti.  Ilscrciyoicnt 
que  chaque  partie  du  monde  vilîble  étoit  le  fiége 
8c  le  temple  (Tune  intelligence  à  laquelle  ils  tcndoient 
un  culte  religieux.  25.  Confequences  que  les  Celtes 
tiroient  de  la  fpiritualité  de  TErte  Suprême,  i  ".  Il 
ne  faut  point  bâtit  des  Temples  â  la  Divinité.  x«. 
t".  L'Homme  peut  cire  infttuit  de  fa  deftinée.  }•  Il 
peut  opérer  des  chofes  extraordinaire;  par  le  moyen 
delà  Divinité  qui  réfide  dans  les  Etrescoiporels.  17. 
40.  Tout  ce  oui  fe  fait  par  les  Loix  de  la  Nature,  cft 
l'ouviAge  mEmc  de  la  Divinité,  ib, 

CHAPITRE    V. 

Les  Penples  Celtes  ont  tous  reconnu  un  Dieu  Su- 
prême. 50,  Ils  l'appelloient  le  fcul  Dieu.  ji.  lU 
adoroient ,  en  n)éinc  teins ,  un  grand  nombre  de 
Divinités  fubaltetncs.  jj.  Us  n'ont  point  reconnu 
deux  principes  éternels  8c  incclligcns  ,  l'un  boa  fc 
l'auir*  mauvais.  34. 

CAAPITRE    VI. 

Les  Peuples  Celtes  appelloicnt  le  Dieu  Suprême 
Teut.  yj.  Les  Efpagnols  fcrvoienc  le  Dieu  unique 
Teut.  ibid.  Les  Gaulois  adotoient  le  Dieu  Suprême 
fous  le  même  nom.  ;$.  Le  culte  du  Dieu  Suprême 
Teut  étoit  reçu  chez  les  Thraces  4).  Les  auties 
Peuplet  quidemeutoicnt  au  Midi  du  Danube  ,  ado- 
roient aulll  le  Dieu  Supiême  Teut.  44.  Le  Dieu  Su^ 
pcême  Tis  ,  ou  Teut ,  étoit  reconnu  par  les  Peuplet 
Celtes  qui  avoient  palTé  dans  l'Alîe  Mineure.  4(.  Il 
y  a  lieu  de  croire  que  les  Perles  adotoient  le  Dieu 
Suprême  Teut,  4S.  Les  Scythes  qui  demeutoieut 
au  Nord  du  Danube  ,  donuoient  au  Dieu  Suprême 
le  nom  de  Tau.  47.  Les  anciens  habitans  de  la  l'I- 
talie adotoient  le  Dieu  Suptêoie  Dis.  48.  lesan-- 
ciens  habitans  de  Grèce  adotoient  le  uiej  Suprême 
Teut.  49.  Pourquoi  la  pliipan  des  .^ncie.is  unt-ib 
cru  que  le  Teut  des  Celtes  étoit  le  Mercure  det 
Grecs  8c  des  Romains  >.  ^6  Quelques-uns  dei 
Anciens  ont  cru  que  le  Teut  des  Celtes  étoit  Sa^ 
turne.  58.  Ptérogatives  du  LJicu  Teut.  «o  C'étoit 
le  Dieu  Suptême.  Ib..  Le  Créateur  de  l'Univers.  1*. 
Le  Créateur  &C  le  Père  des  autres  Dieux,  «i.  Le  Créa- 
teur 8c  le  Ptrc  de  l'homme-  «x.  Ttut  avoit  tiiê 
l'homme  de  la  Terre,  ibid.  Quelques  uns  ont  cru 
OMl-à-f  ropos  qiic  le  Teut  des  Celtes  éceic  ia  Terre 


# 


»ên«.  «■?.  te  Dieu  T<!«t  étoit  regarde  comme  l'a- 
ms  du  monde.  «?•  Quelqucs-uus  ont  regardé  T«/ 
comme  le  Dieu  qui  lance  U  foudre.  6S.  D'autres 
«lit  fait  du  Dieu  du  Tonnerre  une  Divinité  fubal- 
terne.  <7,  Hiftoire  de  la  Création  ,  litéc  d'un  Livre 
fcuirement  attribué  à  un  Pbilofophe  Etruf(jHe..68. 

CHAPITRE    VII. 

Tous  les  Anciens  s'accordent  à  dire  que  les  Peu- 
ples Celtes  fervoient  le  Dieu  Mars.  70.  Le  Mars 
&.  le  Mercure  des  Celtes  étoient  la  même  Divinité. 
71,  Pourquoi  a-c-on  fait  du  Mars  &  du  Mercure 
des  Celtes  deux  Divinités  dififërentesî  7J. 

CHAPITRE  VIII. 
Des  Divinités  que  les  Peuples  Celtes  plaçoient  dans 
les  Elément.  78.  Apiès  le  Dieu  Suprême  ,  le  grand 
objet  d;  la  vénération  des  Peuples  Celtes  étoit  la 
Terre,  ibid.  Fête  de  la  Terre  parmi  les  Germains. 
79.  Culteque  les  Peuples  Scythes  de  l'Afie  Mineure 
rcndoient  à  la  Terre.  8l.  La  Diane,  dont  les  Scy- 
avoient  établi  le  culte  à  Ephefe  ,  étojt  la  Terre.  84. 
Les  Thraces  fetvoient  aufli  la  DéelVe  Opis  ,  c'eft. 
à  dire  ,  la  Terre.  8j.  La  Diane  Taurique  étoit  la 
Tetre.  >i.  La  Diane  des  Scythes  avoir  un  Temple 
célèbre  dans  le  voifinage  de  Rome.  9î.  La  Diane 
Taurique  étoit  fervie  à  Lacédémone.  9«.  Traces  du 
culte  de  la  Terre  parmi  les  gaulois.  57, 

CHAPITRE    IX. 

Les  Peuples  Celtes  rendoient  un  culte  Religieux 
aux  Fontaines  ,  aux  Lacs  ■  aux  Fleuves ,  Je  d  la  Mer. 
??.  Fonicmcut  de  ce  culte.  100.  Nature  de  ce  culte 
dans  Us  Gaules-  loi.  Les  Francs  rendoient  aullî  un 
culte  à  l'Eau.  103. 

CHAPITRE     X. 

Du  culte  que  les  Paiples  Celtes  rendoient  au  Feu. 
loj.  Nature  de  ce  culte,  no.  Ses  Fondeiuens.  iif'd. 

CHAPITRE    XI- 

Du  culte  que  les  Peuples  Celtes  rendoienr  à  l'Air 
tç  aux  Vents.  1 1 J.  Fondement  de  ce  culte,  ibid. 

CHAPITRE    XII. 

Du  culte  que  les  Peuples  Celtfs  rendoient  au  So- 
leil. 114.  Réflexion  fur  le  nom  que  les  anciens  Ha- 
bicans  de  l'Europe  donnoient  au  Soleil.  1 1  î.  Les  A«- 
ciens  parlent  »ort  au  long  du  culte  que  les  Hypcrbo- 
réens  rendoient  au  Soleil.  iit.LesHypcrboréciis  font 
les  Germains  &c  les  autres  Peuples  délîgnés  fous  le 
nom  général  de  Scythes ,  qui  fervoient  efreâivement 
le  Soleil.  117.  Les  Gaulois  le  fetvoient  aufli.  1 18.  Par- 
ticularités fur  le  culte  que  les  Peuples  Celtes  ren- 
doient au  Soleil.  119.  Culte  que  les  Perfes  rendoient 
Solei).  iio.  Conformité  du  culte  que  les  Celtes  6c  les 
Pfifes  rendoient  au  Soleil,  m. 

CHAPITRE  XUI. 
Du  culte  que  les  Peuples  Celtes  rcntloient  à  la  Lu- 
tie.  tu.  Nature  du  culte  que  les  Celtes  rendoient  à  la 
Lune.  ibid.  VHécati  des  Samothraces  n'écoit  pas  la 
Lune  I  mais  la  Terre,  m.  Récapitulation  de  ce  qui 
a  été  dit  dans  les  Chapitres  pjécédens-  ibid. 

CHAPITRE     XIV. 

On  a  prétendu  que  les  Peuples  Celtes  rendoient 
]ua  culte  religieux  aux  ames'des  Héros,    nj.  Oa 


«  aCuré  qu'Hercule  école  fetvi  Comme  un  Dieu* 

dans  conte  la  Celtique,  ib.  On  a  dit  qu'il  avoit  palli 
en  Efpagne  8c  qu'il  y  avoit  fournis  toute  la  Nation. 
ii<.  C'eft  unenâion.  L'Hercule  qui  pafla  en  Efpagne 
écoic  un  Général  Phénicien  ,  qui  avoit  établi  la  Co- 
lonie dcGades.  117.  On  adiCtfani  aucun  fondcmeut, 
qu'Hercule  le  Thébain  avoit  palTé  dans  les  Gaules. 
118.  Cet  Hercule  étoit  un  Général  des  Marfeillois. 
12».  Les  Gaulois  adoroient,  du  tems  de  Lucien,  l'Her- 
cule Ogmius.  I  jo.  L'Hercule  Ogmius  étoit  le  Dieu 
Suprèine.  151.  On  prétend  qu'Hercule  avoit  travetfc 
l'Italie.  155.  ©n  dit  «ju'Hcrculc  avoit  paift  dans  U 
Germanie,  i  J<.  Tacite  aflurc  que  les  Gctniains  rea- 
dolent  à  Hercule  un  culte  religieux.  C'ell  une  mé- 
prife. 1 57.Les  Grecs  aflurent  qu'Hercule  aveitfaitplu- 
fieurs  expédicions  en  Thrace.  i}8.  Cela  peut  avoir 
quelque  fondement,  ib.  Ce  qu'on  dit  des  expédi- 
cions d'Hercule  en  Afic  peut  aulU  être  fondé,  i  jj. 
Selon  Hérodote,  Heicule  étoit  adoré  par  les  Scy- 
thes. 140  Les  Celtes  ne  rendoient  point  de  culte  re- 
ligitux  aux  Héros.  141  Pourquoi  a-t-on  cru  que  l«s 
Celtes  rendoient  un  culte  religieux  aux  âmes  des  Hé- 
ros! 141.  Les  Hercules,  que  les  Celtes  célébroient 
daos  leurs Cantiques.étoient  leurs  propres  Héros,  14^, 

CHAPITRE    XV. 

On  attribue  aux  Celtes  le  culte  de  Bacchus.  147. 
CJuelquesuns  prétendent  que  le  Bacchus  des  Thra- 
ces étoit  leur  Jupiter ,  c'elt-à-dire,  leiii  Dieu  Suprê- 
me. 148.  D'autres  l'ont  pris  pour  le  Soleil,  ib.  D'au- 
tres en  font  un  Héros,  &  difcntqiic  c'cft  le  Bacchus 
des  Grecs,  ibid.  Le  Bacchus  des  Grecs  avoit  été  défait 
&  tué  par  les  Thraces.  149.  LesSabaiius  des  Thraces 
8c  des  Phrygiens  étoit  le  Dieu  Suprême  ,  ijue  l'oa 
a  pris  pour  Bacchus.  ib.  i'.  Parce  qu'ils  avoienc 
des  Sanûuaires  où  il  falloic  que  le  Prêtre  fût  yvte 
pour  prononcer  des  Oracles  ;  C'eft  ce  que  marque 
Saba\iusi.  ijo.  i".  Parce  que  les  Thraces  avoienc 
leur  Cotis  fur  des  Montaiires ,  ou  d.ins  des  Forêts. 
ib.  5°.  Parce  que  les  Fêtes  qui  étoient  confacrêcs  à 
Colis  fe  célébroient  de  nuit.  ibid.  4".  Parce  que  la 
Danfe  facrce  de  Cotis  tefftnibloit  à  celle  des  Bac- 
chantes, ifi.  5°.  Parce  que  les  Thraces  étoient  cou- 
ronnés de  verdure  pendant  la  fête  de  Saba[i'is.  ibid. 
On  a  piétendu  qu'Ulyfle  avoit  parcouru  la  Celti- 
que, ib. 

CHAPITRE     XVI. 

De  quelques  autres  Divinités  étrangères,  ou  Indi- 
gétes,  dont  on  a  attribué  le  culte  aux  Peuples  Cel- 
tes, 155.  Priapeéroitun  des  Dieux  étrangers  des  Peu- 
ples Celtes,  ibid.  Le  Priape  des  l'éUfges  étoit  le  même 
que  leur  Mercuteif4.  On  a  attiibué  aux  Celtes. Iç 
culte  deCaftor  &  Pollux.  Î5S  O"  prétend  que  les 
Celtes  adoroieat  Minerve.  1  jS.  Les  Celtes  avoient  le 
culte  d'Ifis.  IS7  Du  culte  de  la  Vénus-Uranie  chez 
les  Celtes.  158.  Des  pieux  Indigétes  àis  Peuple» 
Celtes.  JîJ. 

CHAPITRE    XVII. 

Des  autres  Dogmes  de  la  Religion  des  Ceires.  i6i. 
Ils  admettoient  une  foite  de  création  i(>j.  Ils 
croyoient  le  monde  incorruptible.  ji;<f.  M  is  ils  di- 
foicut  que  l'Eau  &  le  Feu  y  prévaujroient  un  jour. 
11Î4.  Ils  admertoient  un';  Providence,  ibid.  Us  lap- 
portoienc  les  devoirs  de  l'homme  i  troiî  Chefs  gé- 
néraux. !£{,  U  faut  fecyir  les  Dieux,  ibid,  U  ne  fauc 

poiac 


l3 


io!nt  faire  de  mal.  liii.  1\  faut  s'éiudicr  à  être  vail- 
Jane  &c  bravj.  i6«.  Les  Celles  avoient  l'idée  d'un 
Dieu  orteiifé  par  le  péché ,  mais  qu'il  étoic  facile 
d'appaif^r.  167.  Ils  pcnfoient  qu'il  falloir  appaifec 
'a  colère  de  Dieu  par  des  faciilîces  de  viâiincs  hu- 
niaiucs.  ihid. 

CHAPITRE    X'/III. 

le  Poume  de  l'immorcaltcé  de  l'Ame  eft  edeneiet 
i  to  ite  Keligioii.  1*9.  Ce  Dogme  étoit  nouveau 
paiiiii  !cs  Grics.  170.  La  Dodiiru-  Je  l'immorulicé 
de  »'  inie  éioïc  n(;uc-  de  toute  ancienneté  pat  les  Cel- 
tes. 171.  On  prctcnd  qu'ils  croyaient  à  la  Mcicmp- 
fycole.  171.  Et  qu'ili  avoieut  rciju  ce  Dogme  de  Py- 
tba^ote.  175.  Il  n'e::  pas  certain  que  Pychagore  ait 
cru  à  la  Métempfycole.  174.  Les  Celtes  n'oBt  em- 
prunté aucun  de  leurs  Dogmes  des  Philofophes 
ttiangers.  I7î,  Ils  n'ont  pas  cru  à  la  Mérempfycofe. 
I7«-  Fxpofiiion  de  la  Doftrine  des  Celtes.  Ils  ajniet- 
toient  des  peines  &  des  iicompenles  apte»  cette  vie. 
177.  UiHérenics  Cuutunie&  des  Celtes  >  qui  étoicut 
fondées  fur  la  perfuaûon  d'une  vie  nouvelle.  178. 
Ils  ctoyoient  que  tes  morts  reviendroienr  â  la  vie> 
181.  Mais  ils  difoient  qu'ils  ne  revicndtoirnt  qu'une 
feule  fois.  i8}.  Dans  le  lyftcme  des  Ceires ,  les  hom- 
mes revivoient  pour  être  imiiortels.  ibid.  Les  Celtes 
croyoientàla  réfurredioa.  184.  C'eft  l'efpér.ince  de 
la  réfurrtâion  qui  les  rendoit  braves,  itid.  Les  lieu 
des  ptii  es  Jk  des  récompcnfes  étoit  dans  l'île  des  lîicn- 
heuteux  ,  qui  étoit  la  Grande-Bretagne.  i8j.  Cette 
île  étoit ,  félon  l;s  Celtes ,  la  Grande  Bretagne. /cii. 
Perfonnc  n'entn  it  dans  le  Païadis  ,  que  ceux  qui 
niouroicnt  d'une  mott  violente.  187.  Ceux  qui 
moutoient  de  vicillefle  Se  de  maladie!  éioient  pré- 
cipités tlans  l'Enfer.  188.  Idée  que  les  Celtes  fe  fai- 
foient  des  plailîrs  de  l'autre  vie.  i8>.  Selon  les  Cel- 
tes ,  les  Héros  fe  battoient  dans  le  Paradis ,  mais  ils 
ne  fe  faifoi:nt  point  de  mal.  ibid.  On  y  bûvoii  de  la 
bietre.  ijo.  On  y  mangcoit  du  lard  d'un  faagliec 
qui  demeuioit  toujouts  entier,  ibid. 


LIVRE    QUATRIEME. 

De  l'extérieur  de  la  Religion  des  Celtes  ;  des 
Sacrifices  ,  des  Cérémonies  ,  &  des  Superftitions 
qui  étaient  particulières  à  ces  Peuples  .•  Hifloin 
abrégée  des  rhilofophes  Scythes  &  Celtes.  Pag.  iji. 


CHAPITRE     PREMIER. 

Jr  1 A  N  de  ce  Livre.  Toge  i jj. 

CHAPITRE    II. 

les  Celtes  n'avoient  point  de  Temples.  194.  Ils 
tenoient leurs  AlTcmblées  leligieufes  en  plein  air. 19;. 
Ceux  qui  avoient  une  demeure  fixe,  s'allembloient 
hors  du  lieu  de  leur  demeure  ,  pour  invoquer  la 
Divinité  &  lui  olFtir  des  facriS:es.  ib.  Les  Sanduai- 
rej  les  plus  célèbres  des  Celles  éioient  dans  les  Fo- 
rêts. 196.  Les  Peuples  Celtes  lenoient  plus  ancien- 
nement leurs  Affemblées  religicufcs  fut  des  Mopca- 

Teme  lU 


gnes.  ijj.  Ilsétabli'IIoîeDtordinaîremeat  leurs  Sanc» 
luaires  près  des    Fontaines ,  des  Lacs  ou  de  quelque 
Eau  coûtante.  101.  Ils  avoient  auifi  des  Sanduaire» 
dans  des  Carrefours.  101.  Les  Temples  n'appartien- 
nent point  à  la  Religion  des  Celtes,  ib.  Ces  Peu- 
ples n'avoient  ni   Images ,  ni  Statues  qui  repréfen- 
taffent  la  Divinité  ,  fous  la  forme  de  l'homme  , 
ou  de  quelque  animal-  104    Ils  avoient  cependant 
leurs  Simulacres  ,  qui  dirf'éroient  cntièrcmenf  de 
ceux  des  autres  Peuples,  los.  Le  Simulacre  des  Peu- 
ples Nomades  étoit  une  Epée.  ib.  Quelques  Peuple» 
Celtes  avoient  poBi  Simulacre  une  Lance.  108.   Le» 
Simulactes  des  Peuples  ,  qui  avoient  une   demeure 
fixe,  étoient  le  plus  fouvcnt  un  Aibre.  iio.  Nature 
du  culte  que  l'on  rendoit  aux  Arbies  coufacrés  m. 
Temples  &  Simulactes  des  anciens  Peuples  de  l'Ita. 
lie.  ii<.  Quand  les  Arbres  confactés  roouroient ,  let 
Cel:cs  en   faifoient  des  Colonnes  pout  être  le  Sym» 
bolc  Je  la  Divinité.  117.  Les  Celtes  avoieut  quelque- 
fois une  pierre  pour  le  Symbole  de  la  Divinité,  i  1  g. 
Fabif  (ijr   la  formation  de  l'homme.  '.19    Les  Ro- 
mains n'ont  rcpréfcnté  la  Divinité ,  fous  la  forme  de 
l'homme  ,  qu'après  le  tems  de  Numa  Pompilius. 
ib.   Les  Perles  n'eurent  ni  Images,   ni  Statues,  ui 
Auttls  jufqu'au  règne  d'Artaxcrxès   Mnemon.  ixei 
Les  Gaulois  ne  firent  des  Images  &  n'érigèrent  dei 
StatUis  que  depuis  le  teins  de  Lucain  ;  les  Getmains, 
depuis  le  tems  de  Tacite,  lit,  Képonfe  à  quelque» 
objeftions.  »ii.  Errent  de  l'Auteur  de  la  Religion 
des  Gaulois,  iij.  Le  Taureau  d'Airain  des  ancien» 
Gaulois  n'étoit  point  un  Dieu,  C'étoit  un  vailTeau 
confacré  pour  recevoir  le  fang  des  Viilimes  humai- 
nes, 8c    fut  lequel  ils  confitmoicnt  les  Traités  de 
paix  &  d'alliance- 114.  Explication  d'un  partage  de 
Plutarque  ,   fut  le<iuel  l'Auteut   de  la  Religion  des 
Gaulois  a  fondé  fa  conjeilure.  ib.  Les  Sanânaire» 
cioient  ,  parmi  les  Celtes,  des  lieux  fort  refpcâés. 
itf    On  confetvoit  dans  les  Sanftuaires  de  grande» 
richcfles.  J27.  Le  Cleigé  faifoit  fa  demeure  dans  le» 
Sanduaires  iji.  Les  aUemblces  civiles  &  religieufc» 
fe  tenoient  dans  les  Sanctuaires.  131.  Le»  alTemblée» 
générales  de  tous  les  Cantons  d'un  même  Peuple  fe 
tenoient  dans  le  Sanûuaire  oii  réfidoit  le  Soiivcrain 
Pontife  de  la  Nation,  lî 4-  L'excommunication  de» 
Druides  emportoit  avec  foi  l'cxclulîon  de  tcutesles 
ancmblces  ■  tant  civiles ,  que  religicufes.  ibid.  Caufe» 
des  etFet»  funeltes  de  l'exconimunication  chez  Ie( 
Celtes,  ijf-   On  faifoit  aurti  dans  les  Sanéluaites  , 
les  fellinspat  lefqucls  les  affemblces  civiles  8c   reli- 
gicufes des  Celtes  finilfoient  ordinaitemcnt,  ibid. 

CHAPITRE    III, 

les  Peuples  Celtes  tenoient  Iciirs  alTeniMécs  rell» 
gicufes  denuit  jaulli  compioicnt-ils  le  tems  par  Jtj 
nuits,  &  non  par  les  )outs.  ii<>.  C'eft  l'orii'.inc  de 
la  Fable  des  Sorciers  qui  vont  au  Sabbat-  159.  On 
ignore  pourquoi  les  Celtes  faifoient  de  nuit  leur» 
alTembleei  ,  tant  civiles ,  que  religieufes.  140.  Er- 
reur de  Jules-Céfar ,  qui  aconfondu  le  Dis  des  Cel- 
tes avec  le  Dis ,  Ad'es  ou  Pluton  des  Grecs  &  dej 
Latins.  141.  Conicftjre  fur  l'origine  des  alîemMées 
nocturnes  parmi  les  Celtes.  iWd  Ces  Peuples  tenoient 
leursaflemhlcesau  clair  de  la  Lune  141  Faulîecon- 
jeéiure  de  l'Auteur  de /a  Religion  des  Gaulois  tou- 
ckant  cet  ufage.  I43.  Explication  du  palT.ieedc  Pli- 
BC  ibid,  Lc$  Celtes  «voient  auifi  des  Fêtes  .'blemneUc} 

Ttt 


^ui  teveiioient  tégiilicrement  tous  les  ans.  144.  I.1 
piincipile  des  folemuitcs  Celtiques  étoic  celle  qu'on 
appcUoic  le  Champ  de  Mars  ou  de  May,  ibid.  Cha- 
que Canton  des  Nations  Celtiques  avoit  fes  Fêtes  lo- 
cales, i4«.  Obfervation  de  Jofeph  Scaliget  fur  'es 
mois  &  les  années  des  Gaulois.  147.  Critique  iQjulle 
«lu  P.  Petau  fur  l'obfetvation  de  Scaliger.  148. 

CHAPITRE    IV. 

'  Des  Miniftres  d«  la  Religio»  des  Celtes,  de  leurs 
fonâions ,  de  leurs  privilèges  &  de  la  conlidératioii 
<}ii'oi:  avoir  pour  eux.  14?.  Tous  Ici  Peuples  Celtes 
avoieiu  leurs  facriticaceurs.  Erreur  de  Jules-Céfar. 
ibid.  Mauvaile  interprétation  du  texte  de  Jules-cé- 
far.  150.  Fondions  du  Clergé  parmi  les  Celtes,  ibid. 
Les  Druides  étoienr  les  Miniltres  du  Culte,  ibid.  Les 
Gaulois  croyoient  que  les  facrificesétoient  illégitimes 
&  les  prières  inefficaces ,  s'ils  n'éioienc  oiFeris  par 
le  miniftére  des  Druides  ;  ils  Ce  recommandoient  aux 
Saillis  qui  vivoient  encore  fut  la  terre  ,  prcfctable- 
nicnt  à  ceux  qui  l'avoient  quittée  pour  aller  jouir 
de  la  lélicité  éternelle  dans  le  Valhalla,  n:.  Cette 
opinion  avoic  été  inculquée  par  les  Druides  qui  cher- 
choient  à  fe  rendre  nécelTaites.  L'artifice  leur  avoic 
très- bien  réufli.  ibid.  Les  Prêtres  des  Celtes  ctoicnt 
les  Maîtres  de  la  Doflrine.  Leurs  décifions  étoient 
prifcs  pour  des  oracles,  tçt.  Ilsenl'tignoient  la  Théo- 
logie &  la  Morale,  ibid.  Ils  inftruifoient  la  jcuncire. 
ihid.  Ils  apprenoicnr  à  leurs  Difciples  la  Philofophie. 
Xjj.  Les  Prêtres  Celtes  avoient  été  les  Maîtres  des 
l'biloforophes  Grecs,  ibid.  Les  Dtuïdes  doanoient  à 
leurs  Elèves  àei  préceptes  de  Rhétorique.  i)4.  Us 
leur  enfeignoient  la  Jurifprudeace  &  leur  appre- 
Boient  l'Hiftoire.  ibid.  Us  les  inftruifoient  aufli  dans 
l'art  de  la  Poëlîe.  15^.  Les  Prêtres  Celtes  avoient 
tous  une  Doftrine  octulte  ,  qu'ils  n'enfeignoient  q'i'à 
ceux  de  leuis  l'ifciples  qui  vouloien:  entrer  dans  le 
Sacerdoce,  ib.  La  Doârine  occulte  des  Prêtres  Cel- 
tes donnoit  les  piincipes  ie  la  divination  &  de  la  ma- 
gie. 15<.  Manière  d'enfeigner  des  Prêtres  Celtes,  ib. 
Examen  d'un  paffage  de  Jules-Céfar.  15  S.  Le  Clergé 
ptéfidoit  aux  Divinations.  160.  Les  Prêties  des  Celtes 
tailoient  profeflion  de  Magie,  i^s.  Us  exerçoient  la 
Médecine,  &  prétendoient  guérir  les  malades  parla 
Divination,  ifij.  \\s  guéridoient  suffi  par  des  en- 
chantemcns.  iSé-  Le  Cierge  s'attrihuoit,  en  plufieurs 
occafions  ,  l'autorité  du  Magidrat  Civil.  X69,  Auto- 
rité du  Clergé  parmi  les  Peuples  Celtes,  zyj.  Conf- 
titution  du  Clergé  des  Celtes  iSi.  Le  Cletgé 
des  Gaules  étoit  partage  en  trois  parties.  185.  Les 
Devins  étaient  proprement  les  Pontifes  des  Celtes , 
ceux  qui  préfidoient  leur  Clergé.  2;!4.Lcs  Druides 
croient  les  Ecclélîaftiques  des  Celtes.  iS  J-  Les  Bardes, 
fans  participer  au  miniftére  Sacré ,  appartenoienc 
au  corps  des  Druides ,  parce  qu'ils  étoient  de  famille 
Sacerdotale.  ii6.  U  y  avoir ,  au  milieu  de  chaque 
Peuple,  un  Pape,  Primat,  ou  Souverain  Pon'ife.  î88. 
Piivilégesdont  jouiffoit  le  Clergé  des  Peuples  Celtes. 
J.SO.  Ip  Cotps  entier  du  Clergé  avoir  le  pas  fur  la 
Noblellc.zsi.  La  famille Sacerdoralc  étoit  exempte 
de  toutes  fortes  de  taxes.  151.  Elle  éroit  difpenfce 
d'aller  à  la  guerre  ;  mais  cette  exemption  étoit  nou- 
velle daiM  les  Gaules,  ib.  Les  femmes  des  Sacrifi- 
cateurs partagenienr  avec  eux  les  fonûions  du  Sa- 
(çtdocc.  Elles  oii'roieni  des  façtiHccs.  2^;.  Elles  s'at- 


tribuoient  le  don  de  deviner.  i6t.  les  PtêtrelTes  Gâu^* 
loifes  .fur-tout,  étoient  célèbres.  501.  Les  femme» 
dts  Druides  fe  mêloicnt  de  Magie,  ^0i.  Les  Gaulois 
&  la  plupart  des  Peuples  Celtes  domioient  à  leurs 
Prêtres  &  même  aux  Miniftres  inférieurs  ,  le  nom 
de  'Druides.  J05.  Origine  du  nom  de  Druïdei.  U 
ne  dérive  pas  du  Grec.  30s.  Du  nom  de  liâtes  310. 
De  celui  de  Semnothées.  311.  Le  Clergé  des  Celtet 
étoit  habillé  de  blanc.  311.  De  l'abolition  des  Drui- 
des dans  les  Gaules.  314-  Les  Romains  n'abolirent 
proprement  dans  les  Gaules,  que  les  facritices  des 
Viûimes  humaines  &  les  divinations.  31 J.  Erreur  & 
anachrouifme  du  P.  Hardouin.  ;i£. 


CHAPITRE    V. 


D 


E  S  perfonnes  qui  aflîftoient  aux  AITemMèes 
Rcligieufft.  313.  Les  excommuniés  en  croient  ex- 
clus. (4.  Les  Etrangers  n'y  étoient  point  admis,  iiii/. 
Les  Celtes  fe  rcndoient  à  leurs  Aflemblécs  en  ar. 
mes  •;  mais  ils  y  paroilloient  avec  une  vénération  pr«- 
fo.ide.  124.  Le  culte  que  ces  Peuples  rendoient  à  I4 
Divinité,  confiftoit  j".  dans  la  prière.  32J,  Us  réci- 
toient  leufs  prières  en  chintant.  jifi.  Ils  faifoicntua 
rour  à  gauche  pendant  leurs  prières  5:7.  Conjcèiurei 
fur  cet  ufagc.  318.  Le  culte  des  Celtes  conGftoii  i*. 
dans  les  Sacrifices,  ii.  Des  viûimes  humaines.  32», 
Tous  les  Peuples  Scythes  &  Celtes  oftroient  des 
vièlimes  humaines  9  leurs  Dieux.  331.  Tous  les  an- 
ciens Habitans  de  l'Europe  factifioient  des  viâimcs 
humaines,  ib.  Pourquoi  ,  8c  dans  quelles  vues  let 
Peuples  Celtes  olFroient  à  leurs  Dieux  des  Viftimes 
humaines,  533.  Us  choifilloient  pour  viiSime  IcsPri- 
fonniers  de  guerre.  336.  Quelques  Peuples  Celtes  im- 
molsient  les  Errangers  qu'une  tempête  ou  quelqu'au- 
tra  accident  faifoit  tomber  entre  leurs  mains  537. 
D'aurres  immolaient  les  Vieillards  infirmes  &  décré. 
pits.  3  3*.  Plufieurs  Peuples  Celtes  fubftituerent  au  d' 
crifice  des  .Vieillards  celui  des  malfaiteurs.  341  Ou 
inimoloir  des  Efclaves.  541  Quelques  Peuples  Celtes 
choilïHoient  les  Viainies  par  le  fort.  ib.  A  quelle 
Divinité  ofFroiton  des  Viaimes  humaines  î  343.  On 
ofFioir  les  facrifices  des  Vidimes  huinaines  ,  fur. 
tout,  dans  le  tcms  de  l'Aflcmblée  générale.  34,-. 
Diftéremes  manières  d'immoler  les  Vidimes  hu- 
maines 34^.  Les  Ccltesoffroient  encoreàlcurs  Dieux 
des  animaux  de  route  efpèce.  347.  Us  imraoloieuc 
des  chevaux.  .  348  Ils  facrifioieut  des  chiens,  ibid. 
Les  autres  parries  du  culte  des  Celtes  étoienr  le  chant 
des  Hymnes  &  les  Danfcs  facrées.  349.  Les  feftins  fa- 
ciès n'étoient  point  particuliers  au  culte  des  Celtes. 
ib, 

CHAPITRE      VI. 

Des  fuperftitions  des  Peuples  Celtes.  3  { 1 .  Elles  cou^ 
fiftoient  1°.  dans  les  Divinations,  ji.  U  y  avoir  plu» 
ficurs  fortes  de  Divinations  >  la  plus  accréJitée  étoic 
le  duel.  3!4.  Autres  fortes  de  Divinations.  Epreu- 
ve du  feu.  372.  Manière  dont  fe  faifoit  l'épreuve  du 
feu.  375 .  Epreuve  de  l'eau  bouillante.  375.  Epreuve 
de  l'eau  fioidc.  j8i.  l.es  Celtes  devinoientaulli  pat 
le  fort.  38c.  Manière  de  deviner  par  le  fort.  58s. 
Autre  manière  de  découvrir  des  meurtriers,  appelles 
jus  Feretri ouCruentationis.  j88.  le  Clergé  Chrr- 
tien  imagina  de  nouvelles  Divinations.  ;?»  Jug  r 
nient  de  la  Croix,  ihid.  Jugement  du  Pain  &  du 
fromage  béni.  J?r.  Jugement  de  l'£ucliatiftie.  Jji. 


Dîvînât'on  que  l'on  appelloit  CamSerts  SanËorttm 
ou  Sortes  Apo/iolorum,  i9n-  De  la  Magic  Jes  Peu- 
ples CeUes,  ift.  Du  Gui  de  Chêne.  397' 

CHAPITRE    VII, 

Hiftoire  clu  Philofoplie  Orphée.  408  Orphée  étoit 
Tlirace  (i'originc.  409.  Il  n'a  lien  écrit,  puiftiue  les 
lettres  n'éioient  point  connues  de  fon  tenis.  411. 
Quelle  étoit  la  Doitriiie  d'Otphée  >  Il  avoit  enfci- 
gné  les  MylUrcs  dcBacchus,  i^ui  rappelloient  l'idée 
d'un  Dieu,  Créateur  de  toutes chofes.  414-  Havoic 
auiC  cnfeigné  la  création  du  monde.  415.  llcnfci- 
gnoit  encore  rimmortalitcderanie.4iS  Hiftoire  du 
Philofophe  Anacharlîs.411.  Sentences  de  ce  l'hilo- 
fophe.  45  r.  SaDoûiine  454.  HITloiredu  Philofophe 
Zamolxis.  44t.  Hiftoire  du  l'hilofophe  Dlceneus. 
447.  Conforniiié  «le  la  Philofophie  Pythagoricienne 
arec  celle  des  Celtes.  448. 

CHAPITRE    VIII, 

FlwHeuts  Peuples  Celtes  embraSeienc  le  Chriftia- 


nîfmc  par  eolivlûion.  4ji.  D'autres  fe  firent  Chtc. 
tiens  pat  intérêt.  451 . 

REMAiiQyEsfurUs  Temsfacrés  des'ancicns  Gau- 
lois &■  des  Germains  ,  par  M.  Pelloutier     45 S, 

Observations  fur  l'atcUtion  dei  Druides  & 
facrifices  humains  dans  les  Gaules  ,  par  M.  PML- 
LOUTIER.  4«9. 

Dissertation  fur  le  tems  où  la  Religion 
Chrétienne  fut  établie  dans  les  Gaules  ,par  M,  DE 
Chiniac.  ^-j-j. 

I.  S.  Philipp  n*a  point  prêché  la  ïoi  dans  les  Gau- 
les, 479.  II.NiS.Luc  ib.  IH  Ni  S.  Paul.  460.  IV.  Ni 
S.  Crcfcent.  481.  V  Ki  S.  Trophime  ,  Difciple  de  S. 
Paul.  484.  VI.  Ni  S.  Lin.  487.  VU,  S  Ma.tial  n'eft 
point  venu  ,  dans  le  pvi-mier  liécle ,  pcèciier  dans  lef 
Gaules,  ii- Vin.  Ni  S.  Sixte  de  Reims  îS8.  IX  Ni 
S  Taurin  d'Evreux.  ib.  X.  Ni  S  julien  du  Macs.  ib. 
XI  Ni  S.  Eutrope  de  Saintes.  489.  XII.  Ni  S.  Deny» 
de  Paris ,  qu'on  a  eu  rort  de  confondre  avec  S,  Dc- 
nys  l'Aicopagiie  ib. 

Table  des  Auteurs  cités  dans  cet  Ouvrage ,  O 
des  Editions  dont  m  s'ejlferyi,  foii 


Fin  9c  la  Table  du  Tome  huitième. 


[ 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


DC  Pelloutier,   Simon 

62  Histoire  des  Celtes. 

VU  Nouv.  éd.  rev.,  cor.  et  augm. 

1771  ^ 

t.2