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COMPARATIVE ZOOLOGY
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DES PÊCHES,
DES DÉCOUVERTES
| ET DES
ÉTABLISSEMENS DES HOLLANDOIS
DANS LES MERS DU NORD.
TOME SECOND.
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HISTOIRE
DES PÈCHES,
DES DÉCOUVERTES
ET DES
ÉTABLISSEMEN S DES HOLLANDOIS
DANS LES MERS DU NORD;
OUVRAGE traduit du Hollandois par Les foins du
Gouvernement, enrichi de Notes | & orné de Cartes
€ de Figures a l'ufage des Navigateurs & des Amateurs
… de l'Hifloire Naturelle.
PAR LE C. BERNARD DE RESTE.
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Chezla Ve. NYON, Libraire, rue du Jardinet, n°, 2.
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HISTOIRE
DES PÊCHES
. DANS LES MERS DU NORD.
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À l'ISLANDE, la LAPONIE, NORDLAND,
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fervir d’Introduclion à lHifloire du
GROENLAND.
DE LCISLANDE
Ex vain chercheroit-on à dévoiler les
fecrets les plus cachés de la nature;
en vain fe flatteroit -on de découvrir
limmenfité & la variété de fesrichefles,
Tome IT. | A
2 HisToire DES PÊCHES
fans une connoiffance aflez exaête des
peuples qui confervent encore la phy-
fionomie & le caraétère de l’homme,
fortant, pour ainf dire, des mains du
Créateur. Les Iflandois & quelques
autres peuples plus. voifins du pole du
Nord, ont encore aujourd’hui dés traits
frappans avec l’homme dans fon premier
état : les recherches fur leur hiftoire
particulière , fur leurs mœurs, fur leurs
ufages, fur leur vie privée & fociale, fur
leur religion, doivent donc contribuer
à nous faire apprécier , avec quelque
certitude, les progrès des connoiffances
humaines & les avantages de l’état {o-
cial chez les peuples les plus policés.
L'Iflande n’a pas encore été aflez gé-
néralement connue, & elle ne l’eft pas
parfaitement fous le point de vue fous
lequel je vais la préfenter. Il exifte peu
de relations exactes de cette contrée ;
tous les voyageurs fe font bornés uni-
quement à décrire fes côtes, & les cimes
des montagnes de glace dont cette ifle
ft hériffée ; d’après fa pofition fur le
DANS LES MERS DU Nom. 3
globe, & l’afpect hideux de fon fol, ils
ont conclu avec raifon, que le climat y
eft exceflivement rigoureux.
Cette ifle eft fituée entre le 63" &
67" degré de latitude feptentrio-
nale (1) ; elle a cent trente milles com-
muns d'Allemagne, dans fa plus grande
longueur, fur foixante-dix de largeur,
de left à l’oueft, (124 & 80 lieues de
France) ; elle eft la diftance de 3 ; lieues
marines du Groenland : celui-ci eft ina-
bordable du côté le plus près de l'Iflande;
les rochers & les glaces y mettent un
obftacle infurmontable, ce qui rend le
trajet de l’un à l’autre beaucoup pluslong/
Onne fait où placer la véritable époque
de la découverte de l’Iflande. Quelques
écrivains ont avancé qu’elle étoit connue
avant les premières années de l’ère chré-
. tienne ; mais 1l faut les en croire fur pa-
role, car ils n’en donnent aucune preuve.
(:) Il eft plus probable que fon extrémité au Nord-
oueft entre dans le 68m degré, fi nous en jugeons par
une nouvelle carte, faite en 1771, par MM. Ærichffen
& Schonning ; cette carte pafle pour être la plus exatte.
À 2
4 HISTOIRE DES PÈCHES
L’'Hifloire de la Colonifation de l Iflande
(LaNDNAMA-Box), édition de Copen-
hague, 1774, nous apprend que cette
Ifle a été peuplée, pour la première fois,
par des Îrlandois , des Écoffois & des
Norvesiens , fous le règne d'Alfred &
d'Édouard fon fils, Rois d’Anglererre.
On lit aufi dans la Préface de cette Hif-
toire , que Bede, morten 735, a parlé
de l’fflande , fous le nom de Thule.
D’autres hiftoriens fixent la découverte
de l’Iflande à l’année 798; ils en font
l'honneur à un certain Madocus, qui lui
donna le nom de Sneeland , ( pays de
neige). Les Suédois s’en attribuent la
gloire & foutiennent qu'un de leurs
compatriotes, nommé Gardanus, eft le
premier qui ait reconnu l'Iflande, & qui
y ait abordé.
M. Troil, Suédois, Évêque de Linkoe-
ping, auteur des Lesrres fur lIflande (1),
(1) Ces Lettres ont été traduites en français, par
M. Lindblonm , Secrétaire & Interprète du Roi au Dé-
partement des Affaires étrangères ; l'édition deces Lettres
et de 1781,
DANS LES MERS DU NORD. $%
dit fimplement que cette Ifle a reçu fes
premiers habirans au [X7* fiècle ; qu’elle
fut peuplée alors par des Morvégiens &
des Suédois émigrans. Les Sagas (1)
Iflandaifes afurent que ces Norvégiens
& Suédois, trouvèrent l’Ifle déjà habitée
à leur arrivée, & qu'ils ne furent que
des ufurpateurs. Le Zandnama - Bok
attribue la caufe de cette invafion à un
certain Vaddor, fameux pirate, qui fut
jeté par le vent fur les côtes d’Iflande
en 861, en revenant de Norvège à
l'Ifle de Ferroé : après un court féjour,
il en remit à la voile, & vanta fi fort le
pays découvert pat lui, qu'il donna en-
vie à un Suédois entreprenant, ( Gardez
Suafarfon), d'aller chercher ce pays, où
il arriva en effet en 864 (2).
MM. Anderfon & Horrebow font les
(:) Saga , mot fflandois , fignifie monument de
l’ancienne Hifloire ; il y en a de purement hiftoriques ,
& d’autres qui ne font que la Fable écrite dans un ftyle
figuré. |
_ (2) Voyez les Lettres fur l’Iflande, pag. 45 & fui-
vantes, jufqu'à la page ç1,
À 3
6 HISTOIRE DES PÊCHES
premiers quiaient donné une defcription
un.peu déraillée de l’Iflande; on n’avoit,
avant eux , qu'une connoiflance très-
fuperficielle de cette Ifle : M. Kerguelen
de Tremarec a re&ifié les defcriptions
d'Anderfon & d'Horrebow, & nous lui
devons de nouveaux décails fur cette
contrée.
Toute l’Ifle eft coupée par des chaines
de montagnes & de rochers efcarpés qui
fe croifent en tous les fens, dans une
projection aflez régulière; la plupatt de
ces montagnes font couvertes de neige;
les fommets en font glacés; on les pren-
droit de loin pour d'énormes criftaux :
un voyageur ordinaire en trouve l’afpec
peu flatteur ; celui, au contraire, qui
eft entraîné par le defir d'étudier la na-
ture dans les endroits où elle paroît la
plus fauvage , y trouve abondamment
de quoi s'inftruire ; ke Naturalifte y
exerce fes talens avec avantage, fur-
tout en examinant attentivement le voi-
finage & les débris des volcans, dont
l'effet rerrible lui offre prefque dans
DANS LES MERS DU NORD. ÿ
toute l’Ifle, les traces de ces fournaifes
effroyables. L’Aecla, qui ne le cède ni
à l'Erna, ni au ’efuve, eft le volcan le
plus renommé de l’/flande (1). Les mon-
tagnes n'y font pas fufcepribles de cul-
ture; on n’yvoitpas une feule habitation;
la très-grande partie n'offre que des
volcans plus ou moins redoutables. L’in-
térieur de l’Ifle n'offre pas cependant
par-tout un vafte défert abfolument dé-
peuplé & inculte; les vallées & les petits
vallons , entre les chaînes de rochers,
donnent le fpettacle d’un aflez grand
nombre d'habitations ; & comme ces
plaines fourniflent d’abondans pâtura-
ges, on y trouve de grands propriétaires,
qui afferment leurs prairies pour un cer-
tain nombre de vaches, de chevaux &
de moutons , fixé par le bail, fous
une redevance convenue : on y trouve
(x) J'en parlerai plus amplement d’après les obfer-
vations de MM. Troi!, Banks & Solander , que l'Auteur
Hollandois a fuivi ; il n’a même fait que traduire littéra-
lement leur defcription , dans prefque tout ce que ce
voyageurs ont rapporté du fol de F’Tflande.
À 4
8 HISTOIRE DES PÊCHES
quelques collines couvertes de petits
arbrifleaux , qu'on foigne pour Le chauf-
fage ; mais on n’y cultive que très-peu
de jardins potagers ; les légumes y vien-
nent très - difficilement, & on ne voit
pas un feul arbre fruitier dans coute
l'Ifle ; les tempêtes & les ouragans ,
très-fréquens en Iflande, font un obfta-
cle infurmontable à leur croiffance : on
a effayé inutilement de planter des pins
& des fapins; parvenus à la hauteur de
deux pieds, les tiges en ont été deflé-
chées, & le petit arbre s’eft lui-même
bientôt féché fur pied.
On ne peut cependant pas révoquer
en doute, qu’il n’y aît eu anciennement
en Iflande, des bois de haute furaie, &
d’une étendue aflez confidérable ; outre
que le fait eft conftant par la tradition,
& qu'il eft attefté parle Landnama-Bok,
les gros troncs & les racines qu’onarrache
aujourd’hui dans les marais defléchés,
en forment une démonftration com-
plette. Le Sururbrand fournit aux Iflan-
dois, uncharbonexcellent pour travailler
DANS LES MERS DU NORD. 9
leur fer; ils le préfèrent à tout autre.
Le Sururbrand eft un bois qui fe conferve
par couches dans les terres humides, 1l
fe met en poudre lorfqu'il eft expofé en
plein air (1).
Le très-grand nombre des habitans fe
font ru à peu de diftance des côtes
&c fur le rivage de la mer; il n’y a ni
ville, ni village dans toute l’étendue de
lIfle ; chaque père de famille occupe
une feule habitation, & ne forme qu’un
feul ménage avec tous fes enfans, fes
domettiques & les ouvriers qu’il occupe;
fon fermier habite aufli fous le même
toit.
Un paysauffi montueux que l’Iflande,
n’eft pas fufceprible de grands chemins
& de bonnes routes; il eft très-difficile,
très-pénible, &, à certains égards, très-
dangereux d'y voyager : l’ufage des voi-
tures, descharrettes & des traineaux y eft
(1) J'aurois pu entrer dans des plus grands détails à :
ce fujet ; je les ai cru inutiles, puifque tout ce que j’au-
rois pu en dire, fe trouve dans la onzième lettre ur
Piflande, pag. 24 & fuivantes.
10 HISTOIRE DES PÊCHES
inconnu, parce qu'il y eft impraticable ;
la feule reffource pour un voyageur ,
c'eft le cheval, mais encore faut-il re-
noncer à s’en fervir dans certainsendroits
de l’Ifle, où cet animal ne fauroit fe
foutenir en marchant; il faut fe réfoudre
à voyager à pied la plupart du temps. Il
feroit inutile de pratiquer des chemins
&c des routes en Iflande; on ne feroit
pas afluré de retrouver , au bout d’un
an, ceux qu'on aufoit tracés où com-
mencés ; la gelée y fend quelquefois les
rochers les plus durs; alors leurs éclats
font fi nombreux, qu’ils entraînent des
éboulemens confidérables, & oppofent
aux voyageurs des obftacles infurmon-
tables ; d'un autre côté, la fonte des
neiges forme des torrens impétueux qui
roulent avec eux des amas de pierre &
de terre, qui vont former, dans le val-
lon, une nouvelle colline ou un banc
d’une étendue prodigieufe. On ne trouve
pas une feule auberge dans l’Ifle ; les
Églifes y font aujourd’hui le feul abri
qu’elle offre aux voyageurs.
DANS LES MERS DU NORD. 11
Le commerce des Iflandois fe borne à
‘échange de leut poiflon fec contre des
marchandifes anaiogues à leurs befoins
ordinaires, que les vaiffeaux danois leur
portent; ce peuple porte fon poiflon au
bord de la mér, avec des chevaux, ou
ille colporte lui-même; après l'échange,
il regagne fes habitations chargé de ces
marchandifes; 1l lui eft impoflible d’amé-
liorer & de fimplifier fes charrois.
La population de l’Iflande eft très-peu
confidérable, relativement à fon éten-
due ; on n’y compte’ pas au-dela de
foixante à foixante - cinq mille ames;
plufeurs caufes femblent concourir à
entretenir cette population fur un pied
aufli foible. Les tremblemens de terre y
font fréquens & violens; ils ont fouvent
caufé des explofions qui, en embrâfant
le fol même, faifoient écrouler des mon-
tagnes; les habitations étoient empor-
ées , les vallées obftruées , les marais
même defféchés , & tout ce qui refpiroit
dans toute la diretion de ces tremble-
mens défaftreux , étoit englouti dans les
12 HISTOIRE DES PÊCHES
gouffrés qu'ils ouvroient, ou enfeveli
fous les décombres & les ruines des mon-
tagnes renverfées. L’Iflande n’a pourtant
pas été toujours aufli dépeuplée qu’elle
left aujourd’hui ; les maladies conta-
gieufes, & notamment la pefte parti-
culière qui emporta tant de milliers
d'hommes dans le Nord, vers le com-
mencement du XV. fiècle, ont défolé
l’Iflande à plufñeurs reprifes; cette pefte
nommée pefte-noire (zwarte-peft), s'y
fic fentir plus rudement que par-tout
ailleurs; elle dura depuis 1402 jufqu’en
1404. Les habitans de l'intérieur de
lffle en furent fur-tout fi cruellement
atteints, que ceux qui eurent aflez de
force pour fe trainer au pied des mon-
tagnes & grimper fur leur cime, préfé-
rèrent de s’y retirer, au rifque d’y mourir
de faim. Quoiqu’en général l'air foit pur
& très-fain en Iflande, un brouillard
continuel , épais & empefté, le rend
infe@ & intolérable danslesbas-fonds : la
famine , compagne ordinaire & prefque
néceffaire de la pefte, y a aufli exercé,
ne
TT
DANS LES MERS DU NORD. 13
à différentesreprifes, toutes fes horreurs.
La petite vérole enfin emporta plus de
feize mille habitans, en 1707 & 1708 ;
ce nombre faifoit, à-peu-près alors, le
cinquième de la population.
Un pays aufli couvert de montagnes
& qui renferme dans les entrailles de fon
{ol, autant d'énormes foyers, doit néce£
fairement abonder en fources chaudes;
aufli en trouve-t-ou prefque par-tout dans
cette Jfle; ces fources ont divers degrés
de chaleur; il y a en plufieurs dont l’ébul-
litioneft au plushaut point; elles forment
toutes des jets qui s'élèvent à des hau-
teurs différentes. La plus fingulière fe
trouve aux environs de Raycum , tout
près d’une cabane de payfan; elle s’é-
lance par trois tuyaux, diftans de trente
verges l’un de l’autre, fur un terrein
parfaitement uni. Les trois réfervoirs
bouillonnent tour-à-tour : deux de ces
jets d'eau ne s'élèvent qu'a la hauteur
de cinquante-huit pouces, les baflins en
{ont d’une forme irrégulière ; le troifième
d'une forme ronde , lance fon eau à
14 HISTOIRE DES PÊCHES
cinquante pieds de hauteur; le diamètre
de celui-ci eft de huit pieds : ces trois
jets d’eau paroiflent être aflujettis à ne
s’élancer que l’un après l’autre ; le fpec-
tateur eft averti par trois forts bouillon-
nemens qui fe font entendre très-diftinc-
cement par intervalles, qu'il eft temps
de s’écaïter, pour éviter une pluie d’eau
bouillante qui lincommoderoit prodi-
gieufement. Une pierre, quelque grofle .
quelle foit, ne tarde pas à être repouflée
& jetée hors du bafin par la à force de
lébullition (1).
(1) L’Auteur Hollandois n’a pas eu fans doute con-
noïflance de la fource du Gcyfer, la plus remarquable
de toute l’Iflande, & peut-être la plus extraordinaire
de l'Univers. MM. Troil, Banks & Solznder, en ont
donné une defcription auffi favante que curieufe; j'ai
cru devoir en rapporter le précis dans cette Note, pour
inftruire le leéteur & piquer agréablement fa curiofite.
« Du côté oppofé (au mont Hécla), la plaine ef
» bordée d’une chaîne de montagnes, du pied def-
» quelles fortent, par intervalles, des’ torrens d’eau
» bouillante. Plus bas, on voit un marais d’une demi-
» lieue de circonférence, dans léquel fe trouvent qua-
» rante à cinquante fources bouillantes , d'où beaucoup
» de vapeurs s'élèvent très-haut dans les nues & s’y
» perdent.
»
»
DANS LES MERS DU NoRD. 15
La plupart de ces fources ‘donnent
» C’eft dans le centre de ces fources, qu’eft fitué le
Geyfér, la plus confidérable de toutes, & qui, par
cette raïfon, mérite une defcription plus détaillée.
» En avançant vers cet endroit, nous entendimes, à
» un quart de lieue du Æuer, encore féparé de nous
2?
»
par les montagnes , un bourdonnement tel que celui
d’un torrent qui fe précipite du haut d'énormes ro-
chers. Notre guide , à qui nous demandâmes ce que
c'étoit que ce bruit, nous répondit qu’il étoit produit
par le Geyfer. Nous fûmes bientôt convaincus de la
vérité, ayant devant nos yeux ce que nous n’aurions
jamais pu croire d’apres les relations.
» La profondeur de l'ouverture , ou tuyau par où
l’eau jaillit, ne fauroit être déterminée; l’eau qui
remplit le cratère, s’abaifloit par intervalle à la pro-
fondeur de plufieurs braffes. En y jettant une pierre,
il fe pafloit quelques fecondes avant qu’elle eût atteint
Ja furface de l’eau. L’orifice , ou le tuyau eft rond &
de dix-neuf pieds de diamètre; les parois & bords
qui forment le cratère, ont cinquante-neuf pieds de
diamètre, & font formés ainfi que le tuyau, d’une
croûte de fhalaétite travaillée ; le bord extérieur du
cratère eft de neuf pieds, il eft un pouce plus haut
que celui du tuyau.
». L'eau jaillit du Geyfer à pluñeursreprifes par jour ;
comme par élancemens & à grands flots; les habitans
des environs nous ont,affuré que l’eau monte beau-
coup plus haut dans le froid & dans le mauvais temps.
Eggert-Olafsen, & d’autres, prétendent qu’elle monte
» jufqu’à foixante brafles : il eft très-probable que cette
16 HISTOIRE DES PÈCHES
des bains très - fréquentés ; on trouve
même des étuves dans plufieurs endroits;
il y en a une renommée à Hunfevik,
dans la partie feptentrionale ; on en
trouve une autre à ZAiofaurholt, près
de Skalholr; les vapeurs quienfortentpar
plufieurs trous, font chaudes. M. Troil
rapporte ; qu'étant dans cette étuve ,
qui n'eft qu'une cabane en terre, «Il y
» fit l’obfervation du degré de chaleur
» obfervation n’a été faite qu'à vue d'œil, & que l’affer-
» tion eft un peu hafardée. Je doute fort que jamais
» l’eau ait été pouflée à cette hauteur, mais je fuis
» perfuadé qu'elle s’élève quelquefois plus haut que
» dans le moment que nous l’avons obfervée.
» Je vais joindre ici une note qui pourra vous faire
» plaifir fur la hauteur où nous vimes l’eau s’élancer.
» Voici la manière dont nous nous y fommes pris pour
» juger de l'élévation. Chacun de nous écrivit à chaque
» nouvel élancement, la hauteur où il jugeoit que l’eau
» pouvoit s'élever, & nous primes le terme moyen ».
( Ti fuit une table d'heure en heure, depuis fix heures
du matin jufqu'à fix heures du foir, avec une defcrip-
tion très - détaillée de tous les élancemens faits dans
l'intervalle de douze heures : il confte par cette table, que
Le plus fort élancement , entre fept & huit heures du matin,
porta l’eau à foixante pieds de hauteur ; cet élancement
dura fix fecondes ).
» de.
DANS LES MERS DU NORD. 17
de ces vapeurs. Le thermomètre de
» Fahrenheit étant en plein air à $7
» degrés, monta à 93 dans la cabane,
» quoique la porte en fut ouverte; &
» l'ayant placé dans un des trous d’où
» s’exhaloientces vapeurs, 1] monta juf
» qu'à 125 degrés ».
L'HÉCLA ne le cède ni au Véfuve,
ni à l'Etna, n1 à aucun autre des volcans
w
w
connus fur notre globe, par l’énormité
de fa mañle , par la violence de fes érup-
tions & par la quantité de lave qu'il
vomit; peut-être les furpañle- t-il tous
par la fréquence de fes débordemens
terribles. Cette fournaife redoutable eft
fituée au midi de PIfle, à environquatre
milles du rivage de la mer : l'Hécla a plu-
fieurs bouches ainfi que tous les volcans;
fon fommet eft divifé en trois branches;
_celle du milieu, la plus haute, s’élève
à la hauteur prodigieufe d'environ cinq
mille pieds au-deflus du niveau de la
mer. : |
Horrebow a prétendu qu’il étoit im-
poflible de monter jusqu'au haut de
Tome I]. B
18 HISTOIRE DES PÈCHES
l'Hécla ; Mefieurs Troil , Banks &
Solander , ont fait difparoître cette
prétendue impofñhbilité. Ces trois voya-
geurs franchirent courageufement tous
lesobftacles, & atreignirent les fommets
de l’'Hécla, le 24 feptembre 1772. Nous
leur devons la meilleure relation de
lIflande , & la defcriprion la plus com-
plette de l'Hécla (1).
« À 4 heures 49 minutes du foir,
» plufeurs décharges fouterraines fe
» firent entendre; elles furent extrème-
» ment fortes : elles fe firent entendre
» non-feulement près de la fource,
mais encore dans la chaîne des mon-
» tagnes voifines, & 1l fe fit un élan-
» cement. À 6 heures, l'élévation ob-
» fervée avec un quart de cercle, fut
(1) J'ai cru devoir copier fidellement la defcrip-
tion de l’Hécla dans les lettres {ur l’Iflande, traduites
en français par M. Lindblom. L’Auteur Hollandois
n’a fait que traduire littéralement le texte de M.
Troil ; en traduifant la verfion hollandoife , je
ferois tombé dans le grand inconvénient de rraduire une
Traduéion.
ww
>)
DANS LES MERS DU NORD. 79
de 92 pieds, elle dura 4 fecondes.
» Ce dernier jet, qui étoit le plus
confidérable , étant fini , l’eau def-
cendit très-profondément dans le
tuyau, où'elle refta tranquille pendant
quelques minutes, au bout defquelles
elle recommença à bouillonner, fans
monrer cependant plus haut qué
jufqu'au bord du tuyau.
» La force des vagues qui font
monter cette eau, eft très-grande;
_non-feulement elles tiennent fufpen-
dues en l'air de grofles pierres qui
s’élancent par l'ouverture ; mais elles
en jettent du fond de l’abime ; con-
jotntement avec l’eau , à une hauteur
-prodigieufe. »
: Voyez les lettres fur l'Iflande , pages
358» 3595 360, 361, 362 & 363. La
defcription du Gey/er & fa pofition géo-
graphique y font repréfentées sur deux
planches, bien propres à ajouter à l’inté-
rêt de la defcription des trois eftimables
voyageurs. :
c« La raifon pour laquelle l’Æec/a, ou
B 2
20 HISTOIRE DES PÈCHES
%
2
29
3
Hécclasjall, comme l’appellent les
Iflandais , eft plus remarqué & plus
connu que quantité de volcans tout
aufli confidérables , & qui produfenc
des phénomènes non moins extraor-
dinaires, doit en partie s’attribuer à
fes fréquentes éruptions , en partie
à fa pofition qui eft telle, qu’on le
voit de tous les vaifleaux allant au
Groenland & à l’Amérique fepten-
trionale. Comme ce volcan fixa plus
qu'aucun autre notre attention, je
donnerai quelques détails de l’état
dans lequel nous le trouvâmes en
1772, le 24 de feptembre.
» Après avoir vu plufieurs chaînes
de lave , dont le Garde & le Sarnr-
Valeyrehraun font les plus confidé-
rables, nous continuâmes notre route
jufqu’au pied de l'Hécla. Là, nous
drefsèmes une tente afin d'y pañler la
nuit , & pour que le lendemain nous
euflions toute notre vigueur pour
monter fur le volcan. Le temps étoit
des plus favorables , &, à l’'éruption
DANS LES MERS DU NoRD. 21
près , nous eùmes la facisfaction d’y
voir tout ce que nous defirions.
» L’AHécla eft fitué dans la partie
méridionale de lIfle , à quatre lieues
de la mer ; la cime en eft divifée
en trois pointes , dont celle du mi-
lieu eft la plus élevée ; elle eft,
d'après d’exactes obfervations par le
baromètre de Ram/den, cinq mille pieds
au-deffus de la mer. Nous reftämes
à cheval jufqu’à la première ouver-
ture d’où il étoit forti du feu; mais
là, il nous fallut aller à pied. Ce
cratère préfente une efplanade entou-
rée de hautes muraillescommeglacées;
le fond en eft rempli de roches glacées
crès—élevées , que je ne puis comparer
à rien de cette efpèce que j'eufle vu
avant.
» À quelque diftance plus haut, nous
trouvâmes beaucoup de gravier & de
cailloux ; plus haut encore , nous
vimes une autre ouverture peu pro-
fonde , mais qui s’élargifloit par en
bas; nous crûmes y appercevoir des
B 3
22
bb)
»
22
3
2
23
3
Y
22
>»)
23
32
29
+»)
33
23
22
32
95
29
39
23
3
2
HisToire DES PÉCHES
traces bien profondes d’ébullition
d’eau. Lai
», AfEZVprès de/hcér. endiqit | 4
montagne étoit couverte de neige,
à quelques places près. Nous n’en.
découvrimes pas d’abord la raifon,
mais en l’examinant, nous trouvâmes
que c’étoir l'effet des vapeurs chaudes
qui s’élevaient de la montagne. Plus
nous avançions vers le haut, plus les
places fans neige fe trouvaient fpa-
cieufes. À environ quatre cents pieds
du fommet , il y a une ouverture
de trois pieds de diamètre , d’où
{ortoit une efpèce de vapeurfichaude,
qu'il n’étoit pas poflible , par aucun
thermomètre , d'en connoître le degré
de chaleur.
» Le froid commençoit ici à être
crès-fort : de $4 degrés où étoit, au
bas de la montagne , le thermomètre
de Fahrenhert, il étoit ici defcendu à
24 : le vent qui fortoit du dedans des
nuages, écoit fi violent, que notis étions
fouvent obligés de nous coucher par
ww)
DANS LES MERS DU NORD. 23
terre, crainte d’être renverfés dans
d’affreux précipices.
» Nousavionsoagné un des plushauts
fommets de la montagne , lorfque
notre conducteur , qui ne prenoit pas
beaucoup de plaifir à cette promenade,
entreprit de nous perfuader que cet
endroit étoit le plus haut. Nous
venions de finir nos obfervations,
fuivant lefquelles le baromètre de
Rarnfden étoit à 24—2138 , & lether-
momètre de Fahrenheit qui lui étoit
attaché |, à 27 , lorfque tout-a-
coup les nuages fe diflipèrent, &
nous apperçumes un fommet encore
plus élevé. Sans perdre le temps à
délibérer , nous y montâmes, & nous
découvrimes de la cime, une efpace
de quarante pieds de longueur fur
feize de largeur , où il n’y avoit point
de neige; le fable y étoit cependant
mouillé , les neiges venant de fondre.
Nous éprouvâmes en cet endroit
tout-à-la- fois, l'excès du froid &
de la chaleur. Le chermomètre de
B 4
24 HisToirE DES PÈCHES
39
35
92
23
35
35
35
35
35
25
33
33
35
33
35
53
35
53
55
33
+
53
22
35
Fahrenheit , venu en l'air, étoit tou-
jours à 24 ; pofé à terre , 11 remontoit
a 153 , le baromètre étoit à 21—247,
& le chermomètre qui lui étoic atta-
ché , à 38. |
» Quelque grande envie que nous
euflions de refter un peu plus long-
temps en cet endroit, il fallut s’en
aller. Nous en defcendimes après
avoir vu la dernière ouverture; une
des parois étoit entièrement écroulée,
& l’autre étoirt revêtue de gravier
& de cendre. Nous découvrîimes, en
defcendant , trois autres cratères
confidérables ; dans l’un , tout étoit
rouge comme de la brique ; la lave
avoit coulé d’un autre, dans un efpace
de près de 100 pieds de large : nous
en trouvâmes encore un, Mais peu
confidérable ; il avoit une ouverture
circulaire : il y avoit au fond de celui-
ci, une petite éminence ex forme de
pain de fucre , comme fi la force du
feu qui la poufloir en dehors s'étant
épuifée , elle füc reftée en chemin.
DANS LES MERS. DU NORD. 215$
» La montagne n’eft point formée de
lave , mais principalement de fable,
de gravier & de cendres vomies par le
volcan avec des grofles pierres, les
unes fondues, les autres feulement
décolorées par le feu , quoique peu
endommagées ; nous y trouvämes de
la pierre-ponce de différentes efpèces ,
& une dans le nombre avec du foufre.
La pierre-ponce étoit en général fi
brülée , qu’elle étroit légère comme de
l’écoupe ; la forme & la couleur de
quelques-unes éroient belles ; mais
elles étoient fi caffantes & fi foibles,
qu’à peine pouvoit-on les tranfporter
d’un lieu en un autre. Nous trouvämes
de la lave ordinaire , tant en grandes
pièces qu’en forme de copeaux, ain
que beaucoup de jafpe noir dont les
extrémités étoient brulées; ce jafpe
reflembloit à un arbre ayant fes
branches. Nous trouvâmes aufli parmi
les pierres vomies par le volcan, &
qui avoient alimenté le feu , de
l’ardoi{e rouge ; il peut fe faire qu’elle
26 HISTOIRE DES PECHES
»5 n'avoit pris cette couleur que par
» laétion du feu. (1). »
(x} Voyez la vingt-deuxième lettre fur l’Iflande,
Be 137
On trouve dans la vingtième lettre, page 311, une
differtation hiftorique fur les volcans d’Iflande, & une
table chronologique des éruptions de ces diflérens vol-
cans. L’Auteur , fans adopter poftivement l’opinion
de ceux qui ont prétendu que la formation entière de
toute l’ifle n’eft due qu'aux éruptions des volcans ,
croit, dit-il, être autorifé à la conferver, tant par la
forme voütée qu'on voit toujours prendre aux torrens de
lave , que par la connexion probable qui s’y trouve entre
lz mer & plufieurs volcans, page 316.— La première
éruption , atteftée par les anciens documens d’Iflande,
_eft celle de T/dborger Hraun , dans la partie occidentale
de l’Ifle , au IXmME, fiècle, immédiatement après l’arri-
vée des Norvégiens. Il s’en fit une autre à Oclves l’an
1000, époque à laquelle l’évangile fut prèché pour la
première fois en Îflande : on fe doute bien que les
payens voulurent en tirer avantage contre les nouveaux
chrétiens, & qu'ils voulurent leur faire entendre que
c’étoit par cet incendie, que les Dieux manifeftoient
leur colère. Le miflionnaire Snorre les confondit, & le
chriftianifme s'établit malgré les prêtres des idoles. Les
éruptions de l’Hécla, les plus célèbres après cette épo-
que , font celles de 1004, de 1029 ; en tout vingt-trois,
en diverfes années ; la dernière arriva le $ d’Avrnil 1766
&c continua jufqu’au 7 Septembre de la même année.
L’Hécla vomit aufh œuelques flammes en Septembre
DANS LES MERS DU NORD. 27
Les éruptions font en général fuivies
de défaftres affreux, elles ravagent à
plufieurs lieues à la ronde du volcan,
tout ce qui fe trouve à la rencontre
des torrens de lave. Il y a eu des cantons
de trente à quarante lieues de long , où
les prairies ont été couvertes de cendres
à plus d’un pied d’épaiffeur. Les beftiaux,
privés par-là de leur nourriture, périf-
foient de faim , & un très-srandnombre
contractoit des maladies qui, devenant
épidémiques, emportoient la plupart des
bœufs & des moutons. Le Kartlecta
détruifit en 1755, fix paroiflés entières,
en engloutiffant les habitans & leurs
demeures ; l’Hecla fit, en 1766, un très-
grand dégât dans le pays à plufeurs
lieues au Nord-Eft. La vue feule de
1771 À 1772 , mais «elles ne furent fuivies d'aucun
défaftre particulier. @’autres volcans ont fait des ra-
vages affreux à divers temps dans l’Ifle; les annales
confervent particulièrement le fouvenir des éruptions
de Myraten, Kattlegia, Reidenaas , Trolledyngr, Jo-
kzel , Roidekamb , Oraële , Lielenhend, Hordebred ,
Tkuisvalla & Krable,
28 HisToirE pes PÊCHES
FIflande fuffit pour fe faire une idée de
horrible ravage que le feu y a fait.
Horrebow n’eft donc pas croyable, lorf-
qu'il dit que les éruptions des volcans
n'ont eu lieu en Iflande que très-
rarement & en très-peu d’endroits.
L'idée de quelques naturaliftes qui ont
avancé que les volcans d’Iflande & ceux
d'Italie avoient une communication , eft
abfurde ( 1 ).
L’Iflande,quipeut-étren’aété produite
toute entière que par le feu, & qui
cache encore dans les entrailles de fes
montagnes & de fes rochers, des brafiers
toujours ardens , toujours en action , ne
doit pas offrir un fol propre à nourrir par
fes fucs les plantes précieufes dont les
femences font la nourriture de l’homme.
On ne trouve , en effet, dans toute cette
Ifle, ni froment, ni orge, ni pois, ni
(1) Voyez les lettres fur l’'Iflande ,| aux endroits
cités dans la note ci-deflus ; elles contiennent des par-
ticularités très-intéreffantes pour l'Hifioire Naturelle &
la Phyfque.
DANS LES MERS DU NORD. 29
féves d'aucune efpèce quelconque. Ce-
pendant les Iflandois ne font pas entière-
ment dépourvus de plantes indigènes,
propres à leur fournir une efpèce de
pain ; ils cueillent dans les creux &
les crevafles des rochers, une forte de
mouffé qui, étant defléchée, fe réduit
en farine & fert à faire du pain ; cette
plante a beaucoup de rapport avec celle
que nous connoïiflons fous le nom de
Pulmonaria : ils ont encore le Fzoellproes
( Lichen 1flandicus ) , dont ils fe fervent
plus communément , & le Korn/yra
(Polygonnus-biflorta ; enfin , deux efpèces
d'orges fauvages ( Melur ) ( Arundo
arenarta 8 Arundo foliorum lateribus
convolutrs ). Ces diverfes plantes féchées
au feu ou au foleil, fe réduifent facile-
ment en farine ; les [flandois en font de
petits gâteaux & du gruau. Æorrebow
aflure avoir mangé des srofeilles rouges
ou un fruit à-peu-près femblable dans le
jardin du Gouverneur à Befeftad; M. de
K'erguelen révoque ce fait en doute , &
il prétend qu’il feroit bien plus difficile
30 HISTOIRE DES PÈCHES
de cultiver des Vavers en Iflande que des
Ananas à Paris(1).
Onnetrouvenulle part en Iflande, des
quadrupèdes voraces & carnaciers indi-
gènes; on y voit arriver fouvent, fur les
glaçons qui dérivent le long des côtes,
des ours de toute couleur ; il en eft de
noirs, de blancs, de tigrés & de gris ;
mais à peine ces animaux ont-ils gagné
la côte , qu'on leur donne la chafle, pour
ne pasleur laifferletemps de fe multiplier
& de s'établir dans l’Ifle; on a grand foin
de les détruire tous jufqu’au dernier.
Le renard eft la feule efpèce de bête
fauve qui foit indigène ; il y en a de
différentes couleurs ; on en trouve de
noirs , de bleus , de rouges & de blancs;
les [flandais s’attachent à les détruire
autant qu'ils peuvent. L’appät auquel le
(1) Cette réplique du fieur Æerguelen ne me paroit
guère concluante contre Æorrebow. Mais l’Auteur des
lettres fur l’Iflande révoque aufli en doute l’aflertion
d’AHorrebow , & nie abfolument la poflbilité du fait tel
qu'il eft énoncé.
DANS LES MERS DU NORD. 31
renard fe laifle cromper le plus facile-
ment , eft la charrogne. Les Iflandois
jettent dans un pré , un cheval mott, ou
tout autre gros animal ; les renards ne
manquent pas de s’y rendre par bandes
trèés-nombreufes ; le chafleur |, caché
dans une petite cabane, ou derrière un
rocher , à la portée du fufil, ne manque
jamais fon coup; 1l arrive très-fouvent
qu’il en couche cinq à fix par terre d’un
feul coup de fufil.
S1 les bêtes fauves font trés-rares en
lande , les animaux privés, ceux fur-
cout qui rendent des fervices fi importans
à l’homme , y font en très-srande quan-
tité. On y élève beaucoup de chevaux ;,
la race en eft très-petite, mais, en
récompenfe , le cheval Iflandois eft trés-
vif & porte de fortes charges ; les mon-
tagnes en font couvertes , plulieurs de
‘ceux-ci n’entrent jamais dans l’écurie :
ces chevaux, à certains égards fauvages,
brifent la glace avec leurs pieds, & fe
facilitent lé moyen de paître l'herbe qui
croit fous ces petites plages glacées. On
32 HISTOIRE DES PÈCHES
n’achète jamais de chevaux en [flande ;
lorfque les habitans en manquent pour
leur commerce, ils envoyent deshommes
fur les montagnes , qui vont y prendre
ces animaux dans des lacets de corde.
Les chevaux de cinq ans, pris ainfi fur
les montagnes , font les plus leftes & les
plus forts , ils valent beaucoup plus que
ceux qu'on élève dans les habitations ;
on n’a que la peine de les dompter.
On élève en Iflande , de grands trou-
peaux de moutons; chaque propriétaire
a fes troupeaux particuliers. Dans cer-
tains cantons, ces animaux ne fontjamais
retirés des montagnes où ils paiffent, pas
même dans le plus fort de l'hiver; ona
feulement l'attention, au commence-
ment de la mauvaife faifon , d'aller cher-
cher les agneaux, & de les renfermer
dans les étables. Ces petits animaux,
encore tendres & délicats, ne pourroient
pas foutenir la rigueur des frimats ; ils
périrotent par l'excès du froid. Les mou-
tons d’Iflande, comme les chevaux, font
obligés de brifer les glaces pour brouter
l'herbe
DANS LES MERS DU NORD. 33
l'herbe dont ils fe nouïiriflent fur les
montagnes. Les troupeaux de moutons
font une richefle très-précaire pour les
Iflandois ; il arrive fouvent que la plu-
part de ces troupeaux font perdus dansun
moment pour le propriétaire. Lorfqu’il
tombe beaucoup de neige par un vent
fort, ces animaux, forcés de fe raffem-
bler, font entrainés fur les bords des
côtes, un fecond ouragan les précipire
tous dans la mer. Il arrive aufli que,
lorfqu’il tombe beaucoup de neige, &
quela gelée fe fait fentirrigoureufement,
ces troupeaux fe refferrant , ayant la
toifon chargée de neige , ils fe gèlent les
uns contre les autres, au point de ne
faire qu’une feule maffe ; alors , la neige
continuant à tomber en abondance, ces
animaux fe trouvent enfevelis fous des
montagnes de dix, quinze à vingt pieds
de haut : on a quelquefois le bonheur de
les en retirer fains & faufs, maisil arrive
plus fouvent qu’on les y crouve tous ge-
és. Les renards qui, dans tous les temps,
les pourfuivent avec acharnement , en
Tome II. a de
34 HISTOIRE DES PÊCHES
font, dans ces occafions, une curée
énorme.
Anderfon rapporte un fait fingulier,
que M. de Kerguelen confirme parce
qu'il lui a été RUE par les Iflandois
même. Lorfque les troupeaux font furpris
par la neige, & qu'ils font obligés de
_refter enfevelis plufeurs jours de fuite,
Ja faim les contraint à manger la laine
les uns des autres. Les propriétaires
retrouvant leurs moutons dans cer état,
après la fonte, ont {foin de les faire
égorger tous, parce qu’alors, ces ani-
maux dépouillés de leur robe , qui eft
leur feule reflource contre le froid,
périroient infailliblement. La laine des
moutons [flandois eft très-belle ; mais,
comme par-tout ailleurs , elle diffère en
qualité, proportionnellement à la diffé-
rence du climat des diverfes contrées du
pays. | |
Les moutons Hando ne font pas à
l'abri del’ Fpilagties elle y fait desravages
cruels.;. les années 1759 & 1760 PR
tout, He époque à cet égard;
ds)
DANS LES MERS DU NORD. 3$
quantité de moutons qui moururent
cette année , eft innombrable (1).
L’Iflande fournit une quantité pro-
digieufe de bœufs & de vaches; la
race en eft petite , la chair du bœuf a
un fumet fauvage ; les vaches y donnent
beaucoup de lait qui eft d’un très-bon
goût. Lorfque le foin manque pour les
nourrir l'hiver dans les étables , on leur
donne des arrêtes de poiflon, bouillies
dans l’eau (2).
On ne trouve dans l’Ifle, d'autre BINIAE
que des bécafles & des perdrix ; celles-ci
Gi blanches & plus grofles que les
nôtres; leurs pieds font garnis d’une
(1) On trouve des détails très-curieux fur: l’éduca-
tion des moutons en [flande, & fur les différens profits
qu'ils donnent aux propriétaires , dans la neuvième
lettre fur l’{flande, pag. 110 & fuivantes.
(2) Confultez la même lettre ; l’Auteur y entre dais
‘des détails très-intéreflans. Je m’écarterois trop de mon
fujet, fi je m’attachois à rapporter toutes ces particu=
larités. Les Iflandois élèvent trois fortes de chiens de
race différente ; ils commencent à élever aufli dés
rennes qu’on y'a tran{portées de Norvège : ils n’élèvent
pas de POrss ; ; 1ls ont des chats privés (Se fquxaies
ra
36 HISTOIRE DES PÊCHES
éfpèce de duvet : les Iflandois leur
tendent des lacets, ou les tuent à coup de
fufil. ja
On y trouve des bandes d’oifeaux
de proie ; il y en a de‘différentes efpèces :
les aigles , les vautours , les épérviers ,
les faucons, les hibous , les corbeaux &
quantité d’autres oifeaux de ce genre,
y font très-communs. Les faucons , fur-
tout , y font remarquables ; il y en a de
blancs, de cendrés, de gris foncé; ils
font plus forts & meilleurs pour la chafle
que ceux des autres pays; on peut s’en
férvir pendant douze années. Le Roi de
Danemark envoie tous les ans en Iflande
pour en acheter un certain nombre.
Chaque faucon gris coûte vingt-cinq
flotins de notre monnoie ( cinquante-
trois livres de France ): les blancs coûtent
jufqu'à quarante florins.
Les oifeaux aquatiques y multiplient
prodigieufement ; les cignes , les oies,
les poules d’eau, les plongeons, &c. y
#ourmillent. Le plus utile de tous, &
celut-qui rapporte plus de profit aux
DANS LES MERS DU NORD. 37
habitans, eft le canard (l'efpèce nommée
EDREDON ); celui-ci donne un duvet
excellent , & pond ordinairement trois
fois l'an ; les œufs en font excellens. Cet
oifeau’s’atrache les plumes pour.en faire
un toit à fon nid, afin de le mettre à
l’abri du mauvais cemps. Le propriétaire
qui a un droit inconteftable à ce nid ,:en
retire le duvet, & les œufs quien font
couverts ; la femelle qui voit fa première
ponte enlevée, fe prépare danslemoment
àenfaireunefeconde,& fe dépouille pour
la feconde fois de fon duvet ; pour la
troifième fois ni le mâle fe. éponilte à fon
tour, pour mettre le nid en état de rece-
voir la troifième ponte, dont on laifle les
œufs : lorfque les pouflins fonc éclos ,
on vient enlever le duvet. On fait par
expérience que fi lon enlevoit la troi-
fième ponte comme les deux premières,
le couple infortuné déferteroit pour tou-
jours les environs de ce malheureux
endroit, & iroit chercher ailleurs un
afile plus für pour s’y reproduire en
liberté : on fait aufli-que les jeunes ne
GC 3
38 HisToiRE DES PÊCHES
s’écartent guère du lieu où ils font nés,
pour s’y multiplier à leur tour. Le duvet
des mâles eftinfiniment plus fin que celui
des femelles; c’eft le fentiment de M. de
K'erguelen qui en a tué plufieurs à coup
de fufil , & de a eu occafion par- là , de
PES l'un à l’autre.
Lapofñition de lIflande eft des plus
favorables pour la pêche : fes mers,
fes lacs , fes rivières y font très-poiflon-
neux ; mais , foit que la population de
l'Iflandé ne donne pas le nombre des
Pêcheurs néceflaires pour en tirer tout
lé’ parti poffible, foit que la pêche ne
foit pas affez encouragée , foir enfin que
le monopole infuppottable de la compa-
gnie de commerce de Danemark dégoüte
les Iflandois d’un commerce dont il leur
révient fi peu de profit, on peut dire que
la pêche de ces Infulaires n’eft, pour
ainsi dire , encore qu'à fes premiers
élémens ; que les avantages qu'ils en
retirent font infiniment au-deffous de
ce qu'ils pourroient être avec plus
HER & d activité.
DANS LES MERS DU NORD. 39
Les flandois font la pêche dans toutes
les faifons de l’année fans interruption;
le temps le plus propre pour la faire fur
les côtes, eft depuis le mois dé mars
jufqu’'en feprtembre. C'eft alors que les
habitans du centré de l’ifle, occupés
ordinairement à pêcher dans leurs lacs,
fe rendent fur les côtes pour pêcher en
mer. Les Pêcheurs ne s’éloignent jamais
de plus de huit lieues du rivage ; leurs
bacéaux font trop frêles & crop petits
pour les hafarder en haute mer. On
prend du Hateng, des Morues , du
Turbot de la plus grande efpèce , des
Plies , des Soles, des Maquereaux , des
Rayes ; tous ces poiffons & quantité
d’autres de différentes efpèces , y font
beaucoup plus grands que par-tout
ailleurs. Lorfque la pêche eft abondante,
les Iflandois coupent fur-le-champ les
têtes des gros poiflons , & les jettent à la
mer pour avoir plus d’efpace dans leurs
bateaux , & former une charge plus
confidérable. Les femmes qui fe tiennent
le long du rivage , s'occupent à évider le
C 4
49 HISTOIRE DES PÈCHES
poiflon , & à le faire fécher fur le fable
& fur les pierres, lorfque le temps eft
beau. Les Pêcheurs établis fur les côtes
de l’Ifle , ont des hangards appropriés
pour fufpendre le poiflon & le fécher
a l’air ; il faut au moins quinze jours
pour fécher fuffifamment le poiflon au
foleil fur le fable , & il faut avoir la plus
grande attention de le retourner plufieurs
fois par jour. La Morue ( XKabiljauw )
eff le poiffon dont les Iflandois font un
plus grand commerce ; c’eft la même -
que celle dont les François & les
Hollandois font la pêche. On trouve
particulièrement en été, fur les côtes
feptrentrionales de lIfle, une quantité
prodigieufe de Baleines: M. de Kerouelen
aflure en avoir vu jufqu’à dix ou douze
nageant enfemble à la diftance de quatre
lieues de la côte (1). On prend auf
(x) Les Mandois diftinguent les Baleines en deux
fortes principales, les Baleines fans dents, &les Baleines
avec des dents. La première forte fe divife en deux ; celles
qui ont le ventre life, celles qui ont le ventre ridé : on
en trouve dans celles qui ont le ventre life, de plates
DANS LES MERS DU NORD. 41
beaucoup de Saumon dans la mer ; on
pêche une quantité prodigieufe d’Alofes
dans les lacs ; les Infulaires falent &
sèchent ces poiflons,. qui font pour eux
fur le dos; ce font les plus grandes, elles ont jufqu'à
200 pieds de longueur; les autres ont une boffe fur le
dos , & n’ont que 160 pieds de longueur au plus. Celles
qui ont le ventre ridé font en général les plus grandes ;
on en trouve qui ont 240 pieds de long. Les Iflandois
mangent la chair de toutes ces Baleines , & prétendent
qu’elle a un goût fort approchant de la viande de
bœuf. |
Les Baleines qui ont des dents, font de deux fortes ;
l’une dont on mange, & l’autre dont on ne mange pas,
parce qu'on prête end que celle-ci fe nourrit de chair hu-
maine : les anciens Commandemens de l’églife d'Iflande
défendent d'en manger pour cette raifon fous peine de
damnation : la fuperftition eft éncore dans toute fa force
en Iflande. Les Iflandois prennent la plus petite forte de
Baleines avec des filets ou avec des harpons; ils n’ofent
attaquer les grandes ;. ils n’ont pas les infirumens nécef-
faires pour s’en rendre maîtres ; leurs bateaux font trop
petits & contiennent trop peu de monde pour pouvoir
en faire la chaffe avec fuccès ; ils s’expoferoient à de trop
grands dangers en les pourfuivant en haute mer. S'ils
en prennent de la grande efpèce, ce n’eft que, lorfque
furprifes fur le rivage par le reflux, elle ne trouvent
plus aflez d’eaû pour fe retirer ; alors les [flandois n'ont
d'autre peine qu’à les afflommer. Voyez la neuvième
lettre fu: l'iflande ; pag. 104, 105 & 106.
42 HISTOIRE DES PÊCHES
un aliment ordinaire pendant toute l’an-
née. Les étangs & les rivières fourmillenc
d’anguilles de route efpèce ; mais les
Hire ont pour ce poiflon une rs
hkère averfion.
La pêche du eau marin eft, pour les
Iflandois , une branche de commerce très-
Jucrative ; ils en diftinguent quatre fortes
différentes : cette pêchenefe fairque dans
certaines parties des côtes de l’Ifle,car on
n'en trouve pas fur toutes. Les Phoques
font très-gras en hiver & très-maigres
en été ; les Infulaires en mangent la
chair , ils en vendent le lard à un bon
prix; il y en a qui donnent, jufqu'à
vingt livres pefant de lard. J'ai cru devoir
faire précéder ces détails fur les produc-
tions de l’Iflande , & fur la nature du fol
de cette Ile; je vais tâcher de donner
une idée des Iflandois eux-mêmes.
T'ous les anciens peuples ont dégénéré
aupoint, qu'onferoittenté de douter s’ils
ont gagné ou perdu à lacivilifation, dont
les plus grandes Nations de l’Europe, fur-
tout , fe fonc gloire, même au centre dé
DANS LES MERS DU NORD. 43
la corruption des mœurs les plus effrénées.
Les Iflandois eux-mêmes ne reffemblent
prefque plus à leurs ancêtres ; les anciens
Sagas nous repréfentent ces anciens
Infulaires, ayant une pañlion caractérifée
pour là guerre , & la faifant avec beau-
coup de fuccès contre leurs ennemis ;
s'appliquant conftamment aux exercices
du corps , tels que la lutte , la courfe &
lefcrime , & y déployant la plus grande
dextérité & la plus grande force; aimant,
en un mot, la gloire avec paflion, &
cherchant à l’acquérir autant par les
belles - lettres , la poéfe , les fciences
d'alors , que par les armes. Leur pofition
relativement à la Norvége , les expofoit
à des continuelles invafions de la part de
leurs redoutables voifins , leurs ennemis
naturels. Les époques de l’écablifflement
de lareligion chrétienne, & de la pertede
leur liberté fous Hacan, roi de Norvége,
font celles où ces Infulaires commen-
cèrent à perdre de leur courage naturel ;
leur caractère s’abâtardic, & ils ne furent
bientôt plus que des hommes pliés
44 HISTOIRE DES PÈCHES
fuperftitieufement fous le joug de la
religion & du defpotifme. La religion les
forçoit à s’abftenir de la piraterie, &
contraignoit leur gout décidé pour les
grandes expéditions militaires. (1). Le
defpotifme des Rois de Norvége leur
avoir Ôté la force néceflaire, pour entre-
prendre de grandes expéditions. Depuis
ces deux époques , les Iflandois ne
donnèrent plusunfeulexemple d’exploits
héroïques tranfmis par leurs anciens
Sagas (2).
Leslflandaismodernesfont d'unetaille
moyenne ; ils font d’une complexion
aflez robufte jufqu’à l’âge de 40 ans;
ils font en général aflez fains : on peut
attribuer ces avantages à une éducation
mâle , à une vie fobre, & à un travail
(x) La dégradation du cara@tère des Iflandois fut
plutôt l'effet de l'ignorance &t de la fuperftition de leurs
Miffionnaires & de leurs Prêtres, que celui de la reli-
gion chrétienne elle-même; celle- - ci condamne fans
doute la férocité & l’injuftice, mais elle'ne profcrit ni
le vrai courage, ni la noble & jufte ambition des peuples.
(2) Voyez la cinquième lettre fur l’Iflande, page 66:
DANS LES MERS DU NORD. 4$
continuel & pémible : ils font leftes &
bien proportionnés ; leurs dents font
très-blanches ; 1ls ont prefque tous les
cheveux blonds. Les femmes ne font
pas à beaucoup près aufli robuftes, &
leur tempérament eft en général foible ;
leurs occupations font peu fatigantes ;
elles font aflez fédentaires ; elles pré-
parent la laine & la travaillent : ce n’eft
que dans le temps de la fenaifon qu’elles
fatiguent à un certain point. Elles ac-
couchent laborieufement , quoi qu’en
difent quelques écrivains, qui ont avancé
que leurs couches font fi heureufes, que
peu d'heures après elles vont fe baigner
&creprendreleurs occupations ordinaires.
Le témoignage de M. de Kerouelen nous
paroît au - deflus de toute exception;
voici comme ce Navigateur s'explique.
« Dans les différens voyages que j'ai
faits en [flande, mon chirurgien a
accouché plufeurs Iflandoifes avec
autant de difficulté qu'ailleurs, & je
fais qu’elles gardent le lit communé-
» ment huit jours après leur délivrance;
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46 HISTOIRE DES PÊCHES
» j'ai oui dire que plufieurs meurent en
» couches, & que ce malheur provient
» particulièrement de ce qu'il n'ya pas
» en Jflande, d'habiles fages - femmes
» 8 pas un accoucheur qui fache’ fon
» métier». Les Iflandois n’ont ni de
bons chirurgiens , n1 d’habiles méde-
cins ; 1ls y feroient cependant.de la plus
grande utilité; car à l’âge de 4säsoans,
les Iflandois commencent à reflentir
toutes les infirmités de la vieillefle ; ils
font fujets alors à diverfes maladies qui
abrègent leurs jours : rarement ces In-
fulaires atteignent la quatre-vingtième
année ; on ne trouve que très- peu de
feptuagénaites ; ils meurent prefque
tous des maladies de poitrine ; 1ls fonc
très-fujets au fcorbut & aux obftruétions
qui en emportent une très-grande quan-
cité. Une forte de lèpre héréditaire en
précipite au tombeau un très - grand
nombre : cette maladie défaftreufe-n’eft
pourtant pas contagieufe (r).: Quoique
. (r) « Les femmes ence pays, comme prefque par-
DANS LES MERS DU NORD. 47
les Iflandois foient en général bien conf-
titués & robuftes, on ne doit pas être
furpris qu'ils parviennent rarement à
une vieilleffe avancée; le travail péni-
ble & continuel des hommes, la vie
fédentaire des femmes en font les caufes
naturelles ; les uns affoibliflent leurs
forces par trop de travail, les autres
n'en acquièrent pas aflez faute d’exer-
cice. Les Iflandois ne connoiflent plus
aucun exercice de corps, qui, en les ré-
créant, leur donne de la fouplefle &
développe toutes leurs forces naturelles
ils n’ont ni jeux, ni danfe : les hommes
font la plupart du temps expofés à toutes
les intempéries de l'air, à caufe de leurs
pêches continuelles ; les habitans du
centre de l’Ifle , ne peuvent fortir de
leurs cabanes, fans marcher continuei-
- lement dans l’eau, toujours très-froide,
parce que routes leurs vallées font
| : |
» tout, vivent plus long-temps que les hommes ; mais
» on remarque que ce font celles qui ont eu beaucoup
» d’enfans qui parviennent à un plus grand âge ».
Lettres fur l’Iflande, page 274.
48 HisToiRE DES PÊCHES
coupées par une infinité de ruifleaux for-
més de l’eau de neige, qui, venant des
montagnes, charrie continuellement des
glaçons.
Les Iflandois élèventleurs enfans avec
le plus grand foin; ils ne les sèvrent pas
plus à bonne heure que chez nous; à
deux mois, ils les fortent des langes &
leur donnent une culotte & une vefte (1).
Ces infulaires confervent encore au-
jourd’hui leur ancien coftume, à quelque
petit changement près ; le climat dans
lequel ils vivent, ne leur permet guère
de fuivre le caprice des modes; & leur
habillement fans Le pn eft propre &
commode.
L’habit des hommes a beaucoup de
rapportaucoftume des matelots-pêcheurs
(x) Ceci eft en contradiétion avec ce que l’Auteur
des lettres fur l’/flande rapporte à ce fujet.
« Les enfans nouvyeaux-nés ne font nourris du lait
» de leur mère que pendant les trois premiers jours
» tout au plus: Ces trois jours révolus, on les met au
"» lait de vache, &'dans les mauvaifes années, on mêle
» ce lait avec de la farine. » page 274.
Hollandois.
DANS LES MERS DU NORD. 49
Hollandois. Les Iflandois portent aflez
généralement du linge ; leur habillement
complet confifte en un gilet de drap,
une vefte, une culotte de même étoffe,
des bas de laine & des fouliers de cuir de
bœuf, & plus généralement de peau de
mouton ; 1ls portent un grand chapeau
à trois cornes, qu'ils tabattent jufques
fur les épaules, lorfqu’ils vont à la
pèche , pour fe garantir du mauvais
temps ; ils fe eouvrent d’un manteau
Jorfqu'ils vont en voyage : la couleur du
gilet, de la vefte, de la culotte & du
manteau eft ordinairement noire.
Les Iflandois du nord de l'Ifle ont gé-
néralement adopté le blanc. L'habit de
pêche eft de peau de mouton, & plus
fouvent de peau de veau; dans la pré-
paration, cette peau doit être imprégnée
d'huile de baleine afin de la rendre aufñi
fouple que l’étoffe la plus lésère & néan-
moins impénétrable à l’eau. Cet habic
particulier ; qui fe mer par - deflus les
vêremens ordinaires, confifte en un pan-
talon qui monte trés-haut & fortement
Tome IT. Ve
so HISTOIRE DE PÊCHES
ferré fur les reins; un gilet un peu ample,
mais fermant exaétement autour du col
& bien ferré à la ceinture ; des très-
gros bas foulés jufqu’à la confiftance du
drap, & des fouliers très-épais : quel-
ques pêcheurs ont la culotte, les bas &
les fouliers tout d'une pièce; la feule
élégance que les Iflandois fe permettent,
eft de porter jufqu’à fix rangs de boutons
à leur gilet; ces boutons font de métal,
pour le commun ; les riches ont des
boutons d’or ou d'argent doré.
Les Iflandoifes font un peu plus re-
cherchées dans leur parure; leurs habits
font de drap un peu plus fin que celui
des hommes, mais fabriqué aufli dans
le pays. Leur habillement confifte en un
corfet, un jupon, un tablier & une
mante aflez ample par le fond & un
peu moins longue que le jupon : les bords
& les fonds de ces ajuftemens font bor-
dés de ruban, ou de velours; les dames
ferrent leur corfet avec des boucles d’ar-
gent , de vermeil, ou d'autre métal, à
proportion de leur richefle. Elles portent
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DANS LES MERS DU NoRp. 51
un collier de trois doigts de large monté
fur du carton; l’étoffe en eft ordinaire-
ment de velours ; il eft bordé d’un petit
cordonnet d’or ou d'argent : les Iflan-
doifes ont aufli adopté la couleur noire,
quoiqu'’elles ne s’interdifent pas abfolu-
ment les autres. Leur coëffure eft en
forme de pain de fucre, elle a deux fois
la hauteur du vifage ; elle eft formée
de plufieurs mouchoirs de toile roulés
proportionnellement à la forme conique,
l'un fur l’autre; ils font aflujettis fur la
tête par un mouchoir de foie, dont
l'ufage principal eft de garantir du froid.
Les jeunes filles ne prennent cette coëf-
fure que le jour de leurs noces. Les
femmes portent commeles hommes, des
fouliers de cuir, attachés autour de la
cheville avec des cordons.
Elles ont un habit de cérémonie
pour le jour qu’elles fe marient; cette
parure particulière les expofe à des
frais confidérables pour le pays : læ
mariée porte autour de la coëffure, une.
couronne d’argent doré , deux chaînes
D 2
52 HISTOIRE DES PÊCHES
au col, l’une pend fur le fein, l’autre
fur les épaules ; elles ont une troifième
chaîne, au bout de laquelle eft un cœur
qui renferme une caflolette remplie de
baume, ou de quelque autre parfum(x).
Les maifons des Iflandois font fans
luxe; elles font fans ornemens; les riches
même n ont que les meubles & les uften-
files abfolument néceflaires & d’un ufage
journalier. On y voit peu de vitres, ce
meuble eft trop cher pour la plupart des
Infulaires. On les remplace très-fouvent
par un parchemin très - délié &c tranfpa-
rent ; on fe fert ordinairement de veflies
de bœuf préparées. On trouve dans quel-
ques endroits de l’Ifle des maifons conf-
truites en bois; ce bois ne croît pas en
Ylande, mais la mer en charrie beaucoup
& en laifle une grande quantité fur le
rivage; le pluscommunémentles habita-
tions font conftruites avec de la lave,
mêlée de moufle dans les incerftices,
pour fermer toute iflue au froid. On
(x) Voyez la fixième lettre fur l’flande, page 79.
DANS LES MERS DU NORD. 53
n’en trouve que peu bâties en pierre;
celles-ci font conftruites aux frais du
Roi, pour la demeure des Évêques &
des Officiers de Juftice; tous les maté-
riaux de ces maifons doivent être appor-
tés de Copenhague, & coûtent très.cher :
le voit eft couvert de gazon rangé fur
les chevrons, quelquefois fur des côtes
de baleine : les murs n’ont pas plus de
fix pieds d’élévation ; la porte d'entrée
eft très-bafle ; quelques lucarnes ména-
gées fur le toit y donnent accès à la
lumière. Ces lucarnes font fermées avec
des peaux cranfparentes ; on voit quel-
quefois des petites fenêtres vitrées à la
chambre à coucher , mais jamais de
cheminée ; 1l n'y en a pas même à la
cuifine ; on allume le feu au milieu de
cette pièce, entre trois pierres, & la
fumée fort par un trou pratiqué dans le
toit. Les maifons de la partie fepten-
trionale de l’Ifle font en général mieux
bâties, plus commodes & plus propres;
c'eft aufli fur les côtes du nord - oueft ,
que le bois flotté eft en plus grande
P D 3
$4 HISTOIRE DES PÉCHES
quantité. Les granges à foin, les étables,
les ferres pour le poiflon, &c., font
conftruites proportionnellement aux
maifons. |
Les Iflandois mènent une vie fort
fobre : ils fe nourriflent pendant l'été,
de têtes de morue, qu’ils font cuire dans
de l’eau de mer; le corps de ce poiffon
falé & defléché, fait une partie confi-
dérable de leur commerce; les rêtes de
mouton & quelque peu de viande de
bœuf, cuite aufli à l’eau de mer, font
leur principale nourriture en hiver : ils
confervent les têtes de mouton dans une
forte de vinaigre fait avec du petit-lait
& du jus d’ofeille ou d’autres plantes
fauvages les plus acides : les moutons
faifant aufi une autre branche précieufe
de leur commerce, ils ne réfervent pour
eux que les têtes, parce qu’elles ne font
d'aucun débit. Tous leurs mets font
apprèêtés au beurre, fans fel & fans
aucune forte d’épiceries : en général
cependant le lairage eft le fond de ja
nourriture de ces Infulaires ; ils la
DANS LES MERS DU NoRD.. $s
diverfifient de plufieurs manières. Le
pain eft très-rare en Iflande; les pauvres
ne connoiflent guère que les gàteaux de
moufle dont nous avons parlé plus haut;
ceux-ci mangent quantité de poiffon
defléché. Les riches ne mangent du
pain que les jours de feftin, ou lorfqu'ils
font en gala; c’eft du bifcuit de Copen-
hague, fait avec de la groffe farine de
feigle ; 1l eft entièrement noir, & d’un
aflez mauvais goût; malgré cela les ri-
ches Iflandois le paient très-cher (1).
(1) L’Auteur Hollandois me paroït avoir un jeu
chargé le tableau de la modicité des alimens des [flan-
dois ; celui des lettres fur l’Iflande en fait un détail plus
avantageux. Celui-ci affure que ces Infulaires mangent
du pain de plufieurs efpèces ; 1l avance même que
quelques-uns cuifent chez eux du pain de feigle, dont
la farine eft détrempée avec du petit-lait fermenté : ils
ont auffi de la farine de Hivelgroes ( Lichen Iflandicus ),
& de celle de Xornfyra ( Polygonum Biflortum ), qui
font des plantes indigènes, &c.
Voyez d’autres détails fur la nourriture des [flandois,
lettre feizième, page 264. M. Troil avoue néanmoins
que la nourriture & la manière de vivre des Iflandois
les empêchent de devenir aufli- forts qu'on pourroit
l’attendre de la falubrité du climat, page 274.
D 4
56 . HISTOIRE DES PÊCHES
Les Iflandois font en général compa-
ciffans, humains, hofpitaliers & doux;
leurs mœurs font réglées & 1ls n’ont guère
aucune de ces pañlions violentes qui font
tant de ravages chez les peuples trop
énorgueillis de leur civilifation ; les étran-
gets font très-bien venus en Iflande &
reçoivent par-tout un accueil très-favo-
rable. Ces Infulaires font enclins à la
parefle, ou plutôt ils font en général
dominés par une forte d’infouciance qui
leur donne un air de mollefle; ils font
un peu méfñans, &c fans être ivrognes
de profeflion, ils boivent un petit coup
avec plaifir & fe laiflent furprendre quel-
quefois par lattrait des liqueurs fortes.
Les facteurs des magafins de la Compa-
gnie de Copenhague , établis fur les
côtes , font un commerce d'échange
avecce peuple, quiabeaucoup contribué
a les porter à la boiffon : ils leur livrene
des eaux-de-vie en paiement de leur
poiflon falé, de leurs laines & des autres
denrées qu’ils fourniflent à la Compa-
ge ; quoiqu'il y ait un tarif réglé entre
DANS LES MERS DU NORD. $7
les Danois & les Iflandois pour toutes
les efpèces d'échanges; ce tarif eft tou-
jours au grandavantage delaCompagnie.
Les Iflandois n’ont pas l'air guerrier ; on
aflure cependant que le Roi de Dane-
matck en a un aflez bon nombre dans
fon armée. Ils font excellens matelots ;
aufli les Hollandois qui vont pêcher tous
les ans fur leurs côtes, en engagent-ils
de temps à autre pour fervir fur leurs
vaiffeaux. Ce peuple à de l’efprit, il ne
manque pas même de génie ; 1l a un
goût décidé pour les arts, les fciences
& même pour la poélie; 1l cultive parti-
culièrement l'Hiftoire & en fait une
étude aflidue : 1l aime particulièrement à
jouer aux échecs, & y joue très-bien.
Les Iflandois envoient beaucoup de jeu-
nes gens étudier à Copenhague , & il
n’eft pas rare de trouver dans lIfle, ces
hommes qui ont bien fait leurs études
& qui parlent latin avec beaucoup de
facilité. Il y a des Colléges de latinité à
Skelholr & à Hoolum ; on y fait d’af-
fez bonnes études dans les humanités ,
53 HISTOIRE DES PÊCHES
pour que les écoliers qui en fortent pour
aller à Copenhague, puiflent faire des
progrès dans les hautes fciences.
La langue Iflandoife n'a éprouvé en-
core aucune altération ; elle eft telle
qu'onla parloit au IX". fiècle, en Suède,
en Danemark & en Norvége ; cet avan-
tage eft précieux fans doute, puifque
tous les Iflandois , fans exception ,
entendent encore aujourd’hui parfaite-
ment leurs plus anciennes Sagas; aufli
favent-ils tous très-pertinemment leur
Hiftoire ancienne; plufieurs d’entre eux
récitent par cœur leurs poëmes & leurs
poéfies fugitives , compofées dans les
premières années de leur établiflement
dans l’Ifle (1).
L'époque de la prédication de l’évan-
gile en Iflande remonte à l'an 1000:
c’eft au commencement du XI". fiècle,
que l’idolâtrie fut abfolument bannie de
(1) Voyez fur la littérature [flandoife les lettres
onzième & douzième fur l’Iflande , depuis la page 148,
jufqu’à la page 202. La lettre treizième fur les veftiges
de l’antiquité qu’on trouve en cette File,
DANS LES MERS DU NORD. 59
cettelfle. Les anciens Iflandois adoroient
Jupiter fous le nom de THOR, & Mer-
cure fous celui d'OpIN. Ce peuple ne
reconnoifloit que ces deux Divinités. La
religion catholique y fur établie fur les
ruines de l’idolâtrie ; dans la fuite ,
Chriftian IIT, Roi de Danemarck, l'y
perfécuta, & parvint enfin à la bannir
entièrement. La perfécution fut fan-
glante ; un Évêque catholique s'oppofa
courageufement aux édits du Monar-
que; 1l foutint long-temps fon troupeau
dans la foi ; il ne l’abandonna que lorf-
qu'il eut fignalé fon zèle & couronné fes
travaux apoftoliques par la palme du
martyre. Après la mort du faint Évêque,
le Lutéranifme de la confeflion d’Auf-
bourg devint la religion dominante des
Iflandois; c’eft aujourd’hui la feule qui
{oit fuivie dans l’Ifle.
Les Iflandois font un commerce direét
avec une Compagnie privilégiée à Co-
penhague , moyennant une redevance
annuelle qu’elle paie au Gouvernement,
elle eft feule autorifée à porter en Iflande
60 HISTOIRE DES PÊCHES
tous les effets commerçables pour cette
Ifle, & d’en rapporter, pour fon propre.
compte , les imarchandifes qu’elle y a
pris en échange de fes cargaifons. Cette
Compagnie, aufli nuifible aux Iflandois
qu'aux Danois, entretient des facteurs
&c des magafins fur toutes les côtes que
fes vaifleaux viennent vifiter tous les
ans ; ainfi les Infulaires font continuel-
lement à même de faire l’échange de
leurs produétions contre les marchan-
difes dont ils font une confommation
régulière. Ce débit journalier n'empêche
pourtant pas que tous les ans, 1l n'y ait
dans les ports d’Iflande, une foire gé-
nérale à l’arrivée des vaifleaux de la
Compagnie Danoife. Les marchandifes
d'exportation en Danemarck , fonc le
poiflon defléché , le mouton, le bœuf
falé, le beurre, l'huile de baleine, le
fuif, la laine grafle, le cuir, des étoftes
de laine en pièce, les gilets, les bas, les
gants, les peaux d’agneaux & de renard,
le foufre, les plumes , le duvet & quel-
ques autres articles : les marchandifes
DANS LES MERS DU NoRD. 61
d'importation en lande, fout le fer en
barre & travaillé , du bifcuit, de la
bière, des eaux-de-vie, des écoftes, de
la farine, des lignes pour la pêche, des
planches , du bois de charpente, du ta-
bac, des fers de cheval, de la cloute-
rie, &c. Comme tous ces marchés avec
la Compagnie, fe font par échange, on
ne connoît prefque pas l'argent monnoié
dans l’Ifle; les principaux échanges fe
font contre du poiflon ; une aune de
tabac eft eftimée un poiflon , & c’eft
fur ces deux termes de comparaifon que
tous les échanges fe font; on peut donc
dire en quelque façon, que le poiflon
& le tabac font la monnoie courante de
l'Iflande, ou du moins l'argent de banque
dans lIfle. T1 y a vingt-deux ports affec-
tés, en Iflande , pour tenir ces foires
anauelles.
Ce commerce eft tout au défavantage
des Infulaires ; les profits que la Com-
pagaie fait fur eux font incalculables.
Les Hollandois s’en prévalent ; ils
font, avec les Iflandois, un commerce
62 HISTOIRE DES PÊCHES
clandeftin ; ils y trouvent un bon béné-
fice, même en payant plus cher les
marchandifes qu'ils achètent, & en leur
donnant à meilleur marché celles qu’ils
leur livrent en échange; la qualité en
eft même fupérieure à celle des mar-
chandifes du Danemarck. Les Hollandois
ont fouvent été furpris en faifant la
contrebande fur les côtes d’Iflande : il
eft arrivé plus d’une fois qu’on leur a
confifqué leurs navires (1).
Il fe tient cous les ans, une foire à
Hraundal-Sretter, où ceux de l’intérieur
de l'ffle fe procurent du poiflon & de
l'huile de poiflon, pour leur provifion
paiticulière; ils donnent en échange du
beurre, des draps, du mouton, &c.(2).
Le Roi de Danemark , Souverain de
(x) La Compagnie Danoife a été fupprimée par une
ordonnance du Roi, en date du 30 Mai 1776. On a
fait un nouveau tarif plus favorable aux Iflandoïs , & le
commerce fe fait aujourd’hui pour le compte de la
Couronne , fous la direétion d’un Confeiller d’État.
Lettres fur l’Iflande, page 141, Note (4).
(2) Voyez la dixième lettre fur l'Tflande , page 141.
DANS LES MERS DU NORD. 63
Norvése, left aufi de l'{flande qui doit
en être confidérée comme une dépen-
dance. Un Gouverneur général qui fait
toujours fa réfidence à Copenhague, a
la diretion générale de l’Ifle. Elle eft
divifée en quatre grands départemens;
celuide Sud, celui du Nord, celuideÏ Eft,
& celui de lOueft. Ces quatre grandes
provinces font divifées en plufieurs bail-
liages ; ces bailliages reflortent chacun
d’un officier de juftiée placé par le Roi.
Chaque Baillia, dans fon petit départe-
ment, quinze ou feize hameaux formant
chacun une paroifle , & ayant une églife.
La Cour fouveraine fe tient à Be/feftad ,
où le grand Bailli eft le chef de la juftice.
Le Roi a placé aufli dans ce lieu un Rece-
veur général chargé de la recette des
domaines de la couronne , & des droits
royaux dans l’Ifle. Ces deux premiers
agens du Souverain font comptables au
Gouverneur général de lIfle. Deux
Évêques gouvernent le fpirituel de l’'I£-
lande ; l’un fait fa réfidence à Ska/hok,
dans la partie méridionale de l'Ifle, qui
64 HISTOIRE DES PÈCHES
forme fon diocèfe particulier ; & l’autre
à Hoolum , dans la partie feptentrionale ,
qui forme aufli l’arrondiflement de fon
évêché (1). | |
_ (x) Je penfe faire plaïfir au leéteur, en ajoutant à
cette defcription de l’intérieur de l’Iflande un partage
des terres de cette Ifle, que je trouve dans une table
inférée dans la onzième lettre fur l’Iflande, page 22.
T{ verra par-là, ce que j'ai entendu par Domaines de la
Couronne , quelles font les pofleflions territoriales de
l’Églife & du Clergé, la portion des Pauvres, celle des
Hôpitaux, &t enfin les poifeffions particulières des Infu-
Jaires propriétaires. Cette Table eft intitulée : EXTRAIT
DU CADASTRE D ISLANDE.
Il réfulte, par le dépouillement, que dans la totalité
des dix-fept grands Diftriéts de l'Ifle, |
Le Roi y pofsède . . . . .. 718 fermes ouhabitat,
Le Siége épifcopal de Skalhoit, 304
Le Siége épifcopal de Hoolum, 345
L'Églife en général . . . . . . 640
Le Clerpé... se . se «ee 140
Les Émerites dû :Clergé . . - Fi
Ebpiäuvres 1112.64 . < 16
Les Hôpitaux . ...…. . . 440
Les Fermiers ou les Propriét. 1,847
: Total des Fermes . .:... . 4,059
Il réfulte donc aufh de ce partage très-inégal & peu
favorable aux Iflandois en géneral, que le plus grand
nombre des Infulaires n'ont pour toute propriété que
Cette
DANS LES MERS DU NORD. 6%
Cette defcription fommaire de P'Tf-
lande peut être d’une utilité aflez pré-
cieufe pour l’hiftoire du globe , & fur-tout
pour l’hiftoire naturelle ; mais, la def
cription la plus intéreflante pour la navi-
gation , & pour le but particulier de cet
ouvrage, eft certainement celle descôtes,
des baies , des rades & des ports de cette
grande Ifle. C'eft celle que je vais donner,
avec un certain détail , d’après les renfei-
gnemens de M. de Kerouelen.
La baie d’Adelford eft large & pro-
fonde ; l’ancrage pour les gros navires
n’y eft pas sûr , parce que la côte en eft
très-efcarpée , & qu'il faut en approcher
de trop près pour pouvoir y jeter l’ancre;
les bateaux pêcheurs qui y mouillent, en
font fi près , que l'équipage peut facile-
ment aller à terre, au moyen d’une
leur cabane, & pour richefle, que leur pêche & leur
induftrie. Ce régime paroît très-ancien , & rien n’an-
nonce encore une infurrettion pour le renverfer & faire
rentrer les Citoyens d’Iflande dans les droits primitifs de la
Nature & de la Liberté de l'Homme ifolé & errant dans
les déferts & fur les montagnes. |
Tome II. E
66 HisToiRE DES PÊCHES
planche appuyée par un bout fur létan-
bord de l'arrière, & par l’autre, fur la
côte. |
La baie de Dizeford ne le cède nien
beauté, niengrandeuràcellé de Zusbaay ;
l'entrée n’ofreaucun écueil, & on y entre
en toute sureté ; 1l faut feulement faire
attention de s’y mettre à l'abri des vents
qui foufflent impétueufement des gorges
des montagnes. La baie de Patrixford
offre ie même inconvénient, Des navires
de guerre trouventdansla première un an-
crage excellent. Onapperçoitaufonddela
baie, deux netits caps en forme de pains
de'fucre ; qu'on prendroit de loin pour
deux Ifles très-hautes ; ces deux pointes
indiquent la baie d’aflez loin en mer.
La baie de 7eft-Noorderford eft auf
fpacieufe ; l’ancrage y eft tres-bon à l’en-
trée à gauche; mais il ne faut pas y
mouiller dans le deffein d’y faire ua long
féjour; il vaut donc mieux entrer plus
profondément dans la baie pour s’y éta-
blir plus en sureté. On trouve au milieu
de la baie, vingt-cinq braffes d'eau ; on
DANS LES MERS DU NoRD. 67
mouille fur quinze à dix-huit brafles, au
fond de la baie , & l’on y eft en sureté;
l'entrée eft bordée de chaque côté, de
rochers ; 1ls ne font pas dangereux, puif-
qu'ils tiennent à Ja côte.
La baie de P:khol eft trop ouverte, les
Pêècheurs & les petits navires peuvent
feuls y ancrer ; il faut aller mouiller vis-
a-vis le Presbyrère, & fe mettre à l’abri
fous la pointe feptentrionale : le fond eft
d'un fable très-fin ; on y trouve douze
brafles d’eau.
La baïe, ou plutôt le golfe de Bo/kbozr,
eft peu connue ; les Pècheurs y entrent
rarement ; on a afluré à M. de Kerguelen
qu'il y a un excellent mouillage au fond
de la baie , au-deflus de la maifon du
Facteur de la Compagnie Danoife; &
que c'eft le meilleur de tous les ports
_ d'Iflande pour l’hivernage des navires.
La rade de Seerrelbay elt tres-belle ;
routes fortes de navires peuvent y mouil-
ler en sureté ; on doit préférer l’ancrage
de la gauche de l'entrée derrière une
pointe; le fond de la rade offre cependant
EE
63 HisToire DES PÊCHES
le meilleur mouillage, à l'entrée d’une
petite anfe qui eft très - remarquable.
On reconnoît de loin cette rade , à une
coline de fable gris qu’on apperçoit faci-
lement de loin. On mouille dans la baie
de Rako/, à douze brafles d’eau, fur un
fond de fable ; on y eft à l’abri des vents
de fud & d’eft ; mais on y eftexpofé aux
vents de nord & d’oueft.
La rade de Rakbaay eft fpacieufe &
bonne ; cinquante navires de guerre
peuvent y mouiller fans aucun inconvé-
nient , & peuvent y être fort à l’aife. Le
meilleur mouillage eft à la partie du fud,
tout-à-fait au fond de la baie, à la dif-
tance d’un mille de la côte. On y trouve
beaucoup de bois , des arbres même en-
tiers que la mer y charrie.
Le Norpxap eft fitué à la gauche de
l'entrée de Bokbaay. On trouve à l’eft
du Cap , en tirant du côté du Golfe
d'Orsel , un torrent qui va fe jerer dans
la mer avec beaucoup de fracas ; c’eftä ce
bruit & à l’écume de ce torrent , dont la
mer eft couverte, qu'on reconnoît ce
DANS LES MERS DU NORD. 69
canton qu'on nomme vulgairement Ïu-
talope. On ne trouve dans tout le golfe
d'Orselbogt que la baie du Noorderfiord
oriental ; une frégate peut s’y refugier ;
mais on doit jeter l’ancre à la droite de
l'entrée, à deux encablures de la côte,
fous les habitations des Infulaires : les
Pêcheurs vont mouiller au fond de la
baie ; pour y arriver , il faut franchir un
banc, fut lequel il n’y a pas plus de onze
pieds d’eau à la marée bañle. La mer y
charrie beaucoup de bois; 1l s’y décharge
une rivière dans laquelle on prend beau
coup de Saumon. Il y a une chaîne de
rochers à la pointe orientale du golfe,
qui fe prolonge bien plus loin que nos
cartes hollandoifes ne l’indiquent. À l’eft
de ces rochers , eft un archipel de quatre
Îles aflez élevées, & qu'on peut appro-
cher facilement ; la quatrième eft firuée
à l'entrée de X/pbay, on peut y mouiller
près de terre , à la droite & à la gauche;
il faut feulement prendre garde à un banc
placé en travers du milieu de la baie, &
qui empêche qu’on puiile louvoyer.
E 3
70 Histoire DES PÊCHES
L'Ifle d'U/akiland eft fituée à left des
quatre dont je viens de parler ; celle-ci
eft très - grande, elle a un bon mouillage
tout près de la cote occidentale. L’Ifle de
Guirs n’en eft pas éloignée ; on peut y
jeter l’ancre à la côte méridionale ; on y
eft à l'abri du vent de nord ; mais il faut
être toujours prêt à lever l’ancre, lorfque
le vent commence à fouffler de la partie
du fud-eft ou du fud-oueft ; les marées y
font très-fortes, & leur direction eft à
l'eft & à l’oueft. Le mouillage eft très-
bon à la pointe de Roedehoek ; on y eft à
l'abri des vents du Sud; on a dix brafles
d’eau fur un fond de fable; on y rencontre
un rocher qui fort de l’eau , & qu'on peut
approcher fans danger.
L'ancrage elt très-bon aufli à Bude-
man; on y eft à couvert des vents du
fud ; mais auffirôt qu’il commence à
venter nord, il faut en faire voile, pour
n'être pas jeté fur la côte qui eft très-
bafle : on courroit rifque d'y échouer.
Telles font les baies, tels font les
mouillages de loueft & du nord de
DANS LES MERS DU NORD. %1I
fIflande, que j'ai cru devoir indiquer &
faire connoître aux Navigateurs , pour
qu'au befoin ils puiflent y trouver des
afiles , & échapper aux dangers du nau-
frage, toujours imminent dansles mers du
Nord. Je vais donner, dans la mêmevue,
une notice des mouillages & baies fur la
côte orientale de la mème Ifle : je com-
mencerai par le fud de la côte de Zanper-
nefs , & je la fuivrai jufqu’à fon extrémité.
Langernefs eft une langue de terre
très-alongée & unie; on la découvre à la
diftance de fept à huit milles en mer;
elle eft fituée direétement au-deflous du
pole arétique. On trouve au fud de cette
côte, un bon mouillage pour toute forte
de navires & un fond de fable fur dix
& quinze brafles d’eau; on v eft à l'abri
des vents du nord & de l’oueft. Lorfqu'on
y vient chercher un mouillage en arti-
vant de la partie de left , on doit direc-
tement faire voile à la côte ; fi le venteft
nord, on peut mouiller à la portée du
moufquet , de la terre , & l'on y eft en
sureté ; cet afile eft précieux pour ceux
E 4
72 HISTOIRE DES PÊCHES
qui cherchent à fe fouftraire au mauvais
temps, ou qui ont befoin de boucher une
voie d’eau confidérable. On apperçoit en
y entrant, des longues perches pofées fur
trois ou quatre maifons ; ces perches pa-
roiflent être des mâcs de navire : on peut
mouiller vis-à-vis; mais 1l eft mieux
d'avancer un peu plus loin; & aprèsavoir
laiflé à ftribord les maifons, aller jeter
l'ancre vis-à-vis d’autres qui font bâties
fur le rivage; les Pêcheurs y mouillent à
la diftance d’un quart de lieue du rivage ;
un navire de guerre pourra facilement y
mouiller à une demi-lieue de la côte. Les
vents de nord & d’oueft n’y donnent pas 3
mais auflitôt que les vents de fud & d’eft
commencent à fouffler , 1l faut fe hâter
de fortir de la plage. |
Wapenford eft aufli une excellente
baie pour les navires de toute grandeur;
on y mouille en face des maifons, à dix-
huit brafles d’eau : maïs, comme il fe
trouve au milieu de la baie deux grands
rochers , les grands navires, qu'on ne
gouverne pas comme l’on veut, à moins
DANS LES MERS DU NORD. 73
que le vent ne foit très-bon, ne fauraient
y entrer fans danger.
: Zandhoek offre un bon afile contre les
vents de fud , pourvu qu'on mouille au
fud des cabanes des lflandois établis fur
le rivage. La partie feptentrionale de la
baie eft remplie de rochers: la petite Îfle
de Bonibickeft fituée entre lesdeuxports;
on peut facilement lapprocher fans
crainte d'aucun écueil.
Les petites frégates & les corvettes
mouillent commodément à Burgerfiord :
on découvre, à la diftance de huit lieues
en mer, une montagne qui a la forme
d’une bouche de canon ; cette montagne
peur fervir à faire reconnoitre la côte;
elle eft fituée entre les deux baies dont
je viens de parler.
Lammerford eft un bon port pour des
- frégates ; il faut y mouiller à la droite de
l'entrée, vis-à-vis des huttes des Pé-
cheurs , à une encablure du rivage, fur
dix brafles d'eau. On découvre derrière
la baie, une montagne qui a quelque
reflemblance avec une couronne.
74 HISTOIRE DES PÊCHES
Zuiderford eft une petite rade pour
les Pêcheurs ou pourles petites corvettes.
Menneford , autre petite rade; elle eft
expofée aux vents d’eft. |
Buiderklipeft, fans contredit , le meil-
leur port d’Iflande ; c’eft une fuperbe
rade fermée de tous les côtés ; elle peut
recevoir aifément & commodément cin-
quante vaifleaux de guerre : tous les
vents d’eft en favorifent l'entrée; on peut
mouiller dans toute la rade, à vingt-cinq
& trente brafles d’eau ; cependant le
meilleur ancrage fe trouve au fond de la
baie, 1l faut doubler un petit cap de fable,
qui de loin paroit rouge, & qui, courant
. dans la baie, v forme une forte de coude;
c'eft dans ce coude, qui eft dans la partie
du nord , que le mouillage’ eft excellent;
il y a depuis quinze jufqu’àa dix-huit
brafles d'eau ; on peut y jeter deux
ancres, l’une en avant & l’autre en ar-
rière ; lorfque l’on en jette une à la côte,
elle prend très-bien dans le fable.
Kolhom eft une baie qui offre de bons
mouillages , mais ileft difficile d’yentrer;
DANS LES MERS DU NORD. 7s
il faut tourner le fud de l’Ifle Schorras,
fituée à l'entrée de la baie :1ly a à lacôte
feptentrionale de cét Iflot, un rocher
prefque à fleur d’eau; ils’étend aflezloin,
& rend impoflible la Navigation le long
de la côte feptentrionale de certe Tfle.
Papeifiord eft une rade ouverte ; l’Ifle
de Papei, fituée à l'entrée du port, lui
donne fon nom.
Prérfierbay & Engelf[che-Bay font deux
rades où l’on va mouiller très-rarement;
la dernière eft ainfi nommée, parce que
les Anglois y entrent très-fouvent. En
droite ligne de ces deux baies, & à la
diftance de fept à huit milles, eft une
roche fort large & plate ; on la nomme
Walsbok ; elle reffemble de loin àl’échine
d'une Baleine nageant à mi-corps. Les
Pêcheurs aflurent qu’on trouve des gouf-
fres & qu'on efluie des tempêtes affreufes
entre la roche & la côte. Il eft donc aflez
probable qu'il y a aufli une chaine de
bancs fous l’eau, qui s'étend depuis la
roche jufqu’à terre : il feroit très-dange-
reux de pafler entre les deux avec un
- |
76 HiSToiRE DES PÈCHES
gros vaifleau ; cependant les Pêcheurs y
paflent fans aucun danger.
M. de X'erouelen femble penfer que
l'Ifle d'Fnchuizen, que nos cartes placent
{ur la même ligne , n’eft autre chofe que
la Roche de Walsbok, qui paroît être,
par un temps de brume, une lIfle fépa-
rée. Cette conjecture eft d'autant plus
probable , que cette Ifle n’a été décou-
verte que par des Pècheurs peu expéri-
mentés en géographie , qui ne favent ni
lîre ni écrire, & peu capables de faire des
obfervations exactes.
Telle eft la defcription abrégée des
côtes d’Iflande que M. deKerguelen nous
a donnée pour fervir de guide à nos Pé-
cheurs & autres Navigateurs, vers l’1/-
lande ; elle m'a paru être d’une grande
utilité pour notre Navigation vers le
nord ; & je crois pouvoir aflurer qu’on
peut fe fier aux obfervations de M. de
K'erguelen,quiavoittous les talens requis
pour faire un excellent & favant Navi-
gateur. |
- DANS LES MERS DU NORD. 77
D E LA LAPONTE
Îl arrive très-fouvent que nos Naviga-
teurs, au Spztsberg & au Groenland,
font jetés par des tempêtes loin de leur
route , & qu’ils font portés vers des côtes
qu'ils ne connoiflent pas , ou dont ils
n'ont qu’une connoiffance très-impar-
faite. Je penfe qu’il n’eft pas inutile de
m'arrêter un moment fur des contrées
adjacentes aux mers du Nord, & de les
indiquer avec quelque détail , aux Navi-
gateurs expofés à y être entraînés malgré
eux-mêmes.
Les côtes de Norvége, fi fréquentées
par les Groenlandois , font très-connues
aujourd'hui ; je n’en ferai donc pas la
defcription. La Zaponie , Finmarken, &
le pays des Samojèdes, le font beaucoup
moins. Les Navigateurs, dans les mers
du Nord , font expofés à être contraints
de faire route vers ces contrées ftériles
& hideufes : je vais effayer d’en faire con-
noître la pofition avec quelque précifion,
78 HiSToiRE DES PÈCHES
& de donner une idée jufte du caraère
des habitans.
La Zaponie | qui fait partie de la
Scandinavie , eft fituée entre le 32°. &
43°. degré de longitude, & entre le 65°.
& 72°. de latitude, à la diftance d’envi-
ron $ degrés fud-eft du Spztsbers, & de 3
desrés de lIfle- aux -Ours ( Beeren-
Eyland ).Ge pays a pour limites, à left,
la Mer Blanche & la Ruflie ; au fui, la
Suède; à l’oueft & au nord, la Norvése,
où il eft borné par la Mer Glaciale & la
Mer du Nord. Les Lapons appellent leur
pays Sameland , ou Samenolmar : les an-
ciens géographes qui ne paroiïflent pas
s’en être beaucoup occupés , ont défigné
la Laponie fous les noms de pays des
Cynocéphales, Hymantopodes ; Troglo-
dues où Pygmées. Les Suédois, qui les
premiers en ont fait la conquête , au
XEI°. fiècle ,ontnommé ce pays Laponie :
il eft connu depuis ce temps-là fous cette
dénomination.
La Laponie fe divife en trois parties :
la partie orientale eft connue fous le nom
?
DANS LES MERS DU'NORD. 79
de Laponie Ruffe ;1a partie méridionale ;
{ous celui de Laponie Suédorfe, & la par-
tie occidentale, fous celui de Zaponie
Danoife ; tout ce pays’eit, eneffer, fou-
mis à ces crois couronnes. La Laponie
Danoife fait une partie du pays de
Drontheim ; la Suédoife fait partie de la
Bochnie occidentale , & la Rufle fait
partie de l’Archipel de ce nom.
La Laponie {e préfente , au premier
coup d'œil comme le pays lé plus pauvre,
le plus miférable , & le plus dépourvu de
tout : il n’en eït pas en Europe de plus
froid , & dont la terre foit moins fertile;
l'air & le fol en font affreux. On ne dé-
couvre dans le pays, que des montagnes
dont les fommets couverts de neige n’en
ont jamais été dépouillés ; on n’y trouve
que des marais qui, à peine dans la
plus belie faifon, font dégelés; des ri-
vières 87 des petitslacs, aontla jouiflance
ne donne ni profit ni agrément. On ne
connoît dans la Laponie , ni printemps,
ni automne ; l'hiver, qui y dure pendant
neuf à dix mois , fait place à l'été, dog
80 HASTOIRE DES PÈCHES
la durée ne paffe pas quelques femaines.
Si , à la fonte des neiges, on découvre
quelques efpaces de terre découverte, ce
n'eft que pour y voir une moufle bour-
beufe ; jamais l’afpett d’une plante agréa-
ble n’y flacte la vue.
Tel eft le premier coup d’œil de la La-
ponie : mais, quand on examine de près
ce pays, on découvre par luiquela nature
n’a pas abandonné l’homme à toute la
rigueur de l’indigence , & qu’elle lui a
fourni , ici comme ailleurs , de quoi
fubftanter fa vie, & pourvoir à fes pre-
miers befoins.
Ces plaines, couvertes de mouffe , pro-
duifent néanmoins des plantes & des ra-
cines qui fervent autant à la nourriture
des hommes, qu’à celle des animaux.
Quoique lété y foit très-court , il dure
cependant aflez long-temps pour faire
murir & donner le temps de récolter les
grains que ces terres fontgermer. L'hiver,
maloré fa longueur & fon âpreté , ne
laifle pas que de donner quelques jours
fereins , & de procurer aux Laponois
| quelques
DANS LES MERS DU NoRp. 81:
quelques plaifirspaifbles & agréables. Les
rivières font très-poiflonneufes , & le
gibier y eft aflez abondant ; il y a même
des bêtes fauves en aflez grande quan-
tité, dont les peaux fourniflent à l’habil-
lement des habitans. La Renne y eft,
de tous les animaux privés , le plus
utile & le moins à charge; cet animal
s'élève , fe nourrit, & pourvoit à tous fes
befoins lui-même : pendant lété, 1l pait
dans les champs de moufle , & broute
la pointe des arbriffeaux ; pendant l’hi-
ver , il découvre avec fes pieds la moufle
cachée fous la neige & fous la glace , &
fe procure ainfifa nourriture. Lorfque cet
animal a couru pendant un jour entier ,
fans s'arrêter, on l’attache pendant la
nuit à un arbre , en mettant devant lui
un peu de mouffe pour fa nourriture; plus
ordinairement on lui donne la liberté de
chercher fa pâture lui-même. La Renne,
qui reffemble affez bien au Cerf, eft cour
pour le Laponois ; elle fait toute fa ri-
cheffe ; il fe nourrit de fa chair , il boit
fon lait , 1l s’habille de fa peau, & en
Tome IT. | F
S2 HISTOIRE DES PÉCHES
fait un petit commerce qui lui procure
de quoi avoir une tente pour pañler l’été ;
le poil de Renne fe file, & fert à beau-
coup d’ufages dans le ménage ; les os &
les cornes fervent au Laponois à fe faire
des outils, des uftenfiles , &c. ; il couche
fur les peaux de cet animal, & y dort à
fon aife. On fait de bon fromage du lait
de Renne; en un mor, le Laponois eft
riche , à proportion que fon troupeau
de Rennes eft plus nombreux : quelques-
uns entretiennent jufqu’à mille Rennes :
il eft remarquable que chacun de ces
animaux , recevant un nom particulier ,
pour les diftinguer, jamais le propriétaire
ne fe trompe & ne confond ces noms; il
diftingue & appelle chacun d’eux par le
nom qu'il leur a donné. Les Laponois
voyagent & tranfportent leurs marchan-
difes dans des traineaux reflemblant par
leur forme, à des batelets; ces traineaux
font impénétrables à la pluie : le Laponois
y pratique une petite chambre où il eft à
l'abri du froid & des intempéries du cli-
mat ; il y attèle fes Rennes, qui courent
DANS LES MERS DU Norp. 83
avecune figrande vitefle, même àtravers
les bois 8 les montagnes, que l’oifeau ne
fend pas l'air avec plus de rapidité : on ne
peut fe fervir de ces traîneaux que fur la
neige ou fur la glace (1)
Les Laponois fe fervent aufli d’une
forte de patins qui font très-commodes :
le patin confifte en une planche légère,
de fept à huit pieds de long , fur un pied
de large , elle finit en pointe relevée {ur
le devant ; les pieds affujettis fur ces pa-
tins, le Laponois, un bâton à la main
pour fe donner de l'élan, court fi vite,
qu’il pañle a la courfe les loups & les ours
auxquels il donne la chafñfe.
Les Laponois ont quelque reflemblance
morale avec les habitans des autres con-
crées de l’Europe ; mais ils ont des rap-
ports plus frappans avec les Finlandois.
- La Laponie eft peu peuplée; les habitans
font tous d’une petite ftature , ils ont la
(1) Ona eflayé depuis quelques années d’élever des
Rennes en Jflande ; l'épreuve, felon M. Van- Troil,
commençoit à réuflir aflez bien en 1772.
F 2
84 HISTOIRE DES PÊCHES
mâchoire fupérieure plus faillante que
les Finlandois ; leur chevelure a plu-
fleurs nuances ; les femmes y font bien
de figure ; & , au rapport des voyageurs
les plus dignes de foi, 1l y a des Lapo-
noifes qui pafleroient ‘pour belles dans
tous les autres pays de l’Europe. On penfe
que les Laponois font originaires de la
Finlande. Quoique quelques voyageurs
aient rapporté que les Laponois fe fer-
voient de dards & de javelots pour la
chaffe , il eft certain au contraire, qu’ils
n’en connoiflent pas même l’ufage : ils
ont des fufls, & achètent leur poudre à
Kola. Ils font cuire la viande & le poif-
fon pour leur nourriture , 8 ne mangent
jamais ces alimens cruds, comme les
Samojèdes ; ils ne font pas de la farine
d'arêtes de poiflon , comme on la pré-
tendu. Les Finlandois, habitans de la
Carelie, font les feuls qui en faflent
ufage. Les Laponois font une forte de
farine , de la membrane déliée qu'ils
trouvent fous l'écorce du fapin ; ils
en font leur provifion dans le mois de
DANS LES MERS DU NorD. 8
mai ; ils la font sècher avec foin, la pul-
_vérifent , la détrempent avec du lait,
& en font des gâteaux : ils penfent que
cette forte de pain eft un excellent anti-
{corbutique ; leur boiffon ordinaire eft du
lait, & non l’huile de poiffon ,comme on
la avancé fans fondement : il eft faux
auf qu'ils foient polygames , & qu'ils
n'aient égard à aucun degré de confan-
guinité , pour fatisfaire au vœu le plus
preflant de la nature ; le reproche qu’on
leur fait d'offrir aux étrangers leurs
femmes & leurs filles, pour en jouir,
n’eft pas mieux fondé : ils ont en horreur
tous ces écarts contre la pudeur. On les
accufe de forcellerie ; tout ce qu’on en
raconte de merveilleux, eft avancé fans
preuves; 1l y a apparence qu'ils ne font
pas plus forciers que ceux qui paflent
pour tels dans les pays les plus policés de
l'Europe.
Quoique la majeure partie des Lapo-
nois ait embraflé le Ch:iftianifme, ils
n’en font aucun exercice public , & n'en
donnent d'autre marque , que le nom
F 3
86 HISTOIRE DES PÊCHES
qu'ils ont reçu au baptême ; ils font crès-
enclins à l’idolâtrie , & ont beaucoup de
peine à régler leurs mœurs fur les pré-
ceptes de l’évansile. Les Divinités qu'ils
paroiflent reconnoître , font Jubmel, le
bon Efprit, & Peckel le mauvais ; mais
ils en reconnoiffent une intermédiaire,
qui eft fon & mauvars tour-à-tour ; ils
l'honorent fous les deux noms de Thor &
d’Ajicke. Il fuit de-là , que leur religion
eltune efpèce de Manichéifme.
Du NORDLAND ET FINMARKEN.
Ces deux contrées ne diffèrent guère
pour la température du climat & pour la
nature du fol, de la Laponie, dont je
viens de donner une idée fuccinéte ; elles
s'étendent depuis le 64°. degré de lati-
tude feptentrionale, jufqu’au 72°. ; elles
font toutesles deux au nord de Drontheim.
Nordland comprend tout l’efpace entre
Normendal & Finmarken. Les habitans
vivent principalement de leur pêche , de
même que ceux de Frrmarken.
DANS LES MERS DU Norp. 87
Cette dernière contrée fe divife en
orientale & occidentale ; la partie orien-
tale touche À l'extrémité de la terre ferme,
au nord de la montagne Voordkin, qui
eft à dix lieues Danoifes de Nord-Cap &
de l’Îfle de ardoë , fituée à une très-
petite diftance du continent. La partie
occidentale comprend l’Ifle de Maperoë ;
c’eft dans certe ffle qu'eft le cap le plus
feptentrional de l'Europe, qui, pour
cette raifon, eft appelé le Nord Cap.
On trouve d’excellens ports tout le
long des côtes, & de bons mouillages
par-tout ; 1l femble que la nature fe foit
appliquée à former les afiles les plus sûrs
pour les Navigateurs , dans les contrées
les plus effroyables de l'Europe , & fous
le ciel le plus rigoureux par l’âpreté de
l'air & la fureur des tempêtes. Un navire,
battu par les flots foulevés, ou forcé, par
quelque befoin, de relàcher fur la côte,
y trouvera toujours , quelque temps qu'il
fafle , ün port qui le mettra à l'abri du
naufrage , & qui lui fournira les moyens
de fe radouber, On aborde cette côteavec
F 4
88 Histoire DES PÊCHES
d'autant plus de sûreté , que les Pêcheurs
du pays font tous excellens pilotes, &
qu'ils s'avancent jufqu’à deux milles en
mer, quelque fort que foit le vent, pour
y rencontrer des navires, & les conduire
dans un port. Quoique le coup d'œil de:
ces côtes foit effrayant , elles ne font ce-
pendant pas aufli dangereufes qu’elles le
paroiflent : tout le danger eft en pleine
mer , & on peut naviguer le long de
toute la côte, fans craindre d'accident,
par-tout où l’on n’apperçoit aucun brifan.
Tout ce que je viens de dire, relative-
mentäcesdeuxcontrées, peut s'appliquer
aux côtes voifines de Noordland & de
Finmarken, de même qu'aux peuplades
ui y habitent. Tous ces peuples com-
mercent en fuif, beurre, huiles, poif-
fons & bois; 1ls ont tous la même façon
de vivre. Quelques écrivains nous les
ont peints comme des peuples lâches
& pulñillanimes ; 1ls les ont mal jugés : ils
font au contraire vaillans & courageux ;
ils ne craignent nullement de fe mettre
aux prifes avec les ours, & de leur livrer
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COMBAT VIGOUREUX
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DANS LES MERS DU NORD. 39
des combats finguliers ; on les voit atta-
quercourageufementcetanimal, d'autant
plus redoutable , que la faim le dévore
dans ces contrées ftériles; on en voit corps
à corps avec l'ours, ouvrir le ventre de
l'animal , le cerrafler & emporter fa dé-
pouille. N'ayant pour toute arme qu’un
long couteau : ils ne le quittent jamais,
pas même pendant le fommeil. Il eft vrai
que la chaffe de l'ours a aufli fes dangers,
& que beaucoup de Chaffeurs, ou furpris
par l’animal, ou aflez peu exercés au
combat qu'ils lui livrent , fuccombent &
deviennent fa proie.
DE S:S.A MOT ED ES.
Le pays des Samojèdes eft fitué entre
le 66°. & le 70°. degré de latitude fep-
tentrionale, depuis la rivière de Morene,
jufqu’au de-là de lOby; à left, jufqu’au
fleuve de Jenifen ; il borde les côtes fep-
tentrionalesdela Mer Glaciale, & occupe
un efpace d'environ 30 degrés de lon-
gueur.
90 HISTOIRE DES PÈCHES
Ce'pays a la même latitude que la
Laponie & Finmarken ; il n'eft ni plus
fertile ni moins froid : il eft habité par
quelques hordes ambulantes qui le par-
courent d’un bout à l’autre, à mefure que
les befoins de la vie fe font fentir, fans fe
fixer irrévocablement dans aucun lieu.
La narure ne les a pas traités plus favora-
blement que leurs voifins.
Quelques écrivains ont avancé fans
fondement, que les Samojèdes & les
Lapons tiroient leur origine d’une fouche
commune, & qu'ils écoient frères; M. de
Buffon lui-même a été encore plus loin,
& ce grand naturalifte a cru que les
Lapons, les Samojèdes , les Borendiers
& les Zembliens n’étoient tous que des
Tartares du Nord, provenant d’une feule
race. ÏÎl paroïit démontré que M. de
Buffon s’eft trompé, & qu’il atropcompté
fur des rapports peu authentiques &
adoptés fans examen. Quant aux Zem-
bliens, ils n'exiftent pas ; on fait pofti-
vementquela nouvelle Zemble n’a jamais
été habitée; s’il eft vrai qu'on y ait vu
DANS LES MERS DU NORD. 91
quelques êtres humains , il eft très-vrai-
femblable que ces infortunés étoient des
matelots qui , après le naufrage fur ces
côtes défertes, avoient gagné cette terre
défaftreufe & inhabitable. Cette conjec-
ture devient d’autanc plus probable , que
les Ruffes, qui tousles ans vont ä la pêche
fur les côtes de la nouvelle Zemble,
s’habillent comme les Samojèdes, qu’ils
n'ont jamais vu fur ces côtes une feule
figure humaine , ni rien qui put leur faire
conjecturer que ce pays étoit habité.
Pour ce qui regarde les Borendiers, le
nom de ce peuple, que M. de Buffon
fuppofe exifter dans ces contrées, n’eft
pas même connu dans tout le Nord. On
place les Zembliens au-defflus de la ri-
vière de Morene ; mais cette contrée eft
inhabitable pendant la majeure partie de
l'année , à caufe de l’infalubrité de l'air;
il n’eft pas d'homme qui püc y réfifter.
Un navire, furpris fans doute dans cette
contrée par le mauvais temps, fut con-
traint d’y hiverner: l'équipage, confiftane
en vingt-quatre hommes, ayant choifi
92 HISTOIRE DES PÈCHES
fur la côte un endroit propre à y attendre
le retour de la belle faifon , y périt tout
entier; on trouva, l’année d’après, ces
vingt-quatre malheureux morts dansieur
tanière; on crut qu'ils y étoient morts de
froid , mais il eft démontré que les va-
peurs qui s’exhalent de la quantité des
plantes de mer, & de la moufle putride
qui borde la côte, infectent l'air, & lui
donnent une qualité peftilentieufe, M. de
Kerouelen , obfervateur judicieux , & le
plus digne de foi, confirme ce fâcheux
événement, & la caufe très-probable de
la mort de l’infortuné équipage dont je
viens de parler, par un événement ä-peu-
près de la même nature qu’il rapporte.
Une horde des habitans des bords du
fleuve Mérene, alla s'établir a vingtlieues
de la côte de la nouvelle Zemble ; ces
malheureux, au nombre de vingt, y
furent rous attaqués d’une maladie dou-
loureufe, caufée par l’infeétiondes brouil-
lards infectes qui, s’élevant du côté de
la mer, obfcurcifloient l’armofphère ; ils
furent tous obligés d'abandonner cet
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DANS LES MERS DU NORD. 93
établiflement nouveau : il n’en mourut
aucun, à la vérité , mais aufli 1l n'y en
eut pas un feul qui ne fut attaqué d’une
maladie dangereufe , de laquelle ils fe
reflentirent touspendanttrès-long-remps,
même aprés avoir refpiré un air & plus
vif & plus pur. Il eft probable que l’épi-
démie , connue fous le nom de Pefle-
notre , qui dépeupla lIflande, & qui fit
un ravage affreux au Groenland , au
milieu du XIV. fiècle , ne fut occafon-
née que par l’infeétion des vapeurs mé-
phitiques , plus abondantes & plus con-
tinuelles qu’elles ne le fontordinairement
dans ces contrées.
Les Samojèdes font prefque tous d’une
taille au-deffous de la médiocre ; ils font
forts & robultes ; ilsontlesépauleslarges,
les jambes courtes , le pied petit, la tête
-grofle, des grandes oreilles, le co! court,
la figure applatie, des petits yeux noirs,
le nez plac & écrafé , la bouche extraor-
dinairemernt fendue, & les lèvres très-
minces ; leurs cheveux noirs & épais leur
pendent fur les épaules, leur teint eft
04 HISTOIRE DES PÊCHES
rembruni , tirant un peu fur le jaune ; ils
n'ont prefque pas de barbe, la plupart
n'enontpasdutout.La ftaturedes femmes
eft parfaitement femblable à celle des
hommes ; leurs traits font à la vérité plus
fins , elles ont le pied plus mignon ; il
n'eft cependant guère pofñible de les dif-
tinguer des hommes, au premier abord;
outre qu'elles font deflinées de même,
elles ne mettent aucune différence dans
leur coftume ; leur habillement eft en
tout femblable à celui des hommes : les
Samojèdes des deux fexes s’habillent de
peaux de Rennes , & donnent précifé- -
ment la même forme à leur ajuftement.
On voit, par-là , combien eft peu fondée
Fopinion de ceux qui ont prétendu que
les Laponois & les Samojèdes fortent de
la même fouche & n’ont qu'une même
origine ; ces deux peuples ne fe reflem-
blentni parlaftature , ni parleurs ufages,
ni par leur façon de vivre : le feul-trait
de reflemblance qu'ils aient , c’eft l’ufage
qu'ils font l’un & l’autre des Rennes,
tant pour leur fervice que pour leur
DANS LES MERS DU NORD. 95
habillement : mais cet ufage n’eft pas une
marque carattériftique d’une même ori-
gine ; il eft néceflité par la difette d’autres
animaux propres à faire le fervice des
Rennes. La race des Samojèdes & celle
des Hottentos , femblent être les deux
extrêmes ; en exaiminant avec un œil
obfervateur ces deux peuples, on peut fe
former une idée affez juite de la grande
diverfité d’hommes qui peuplentle globe,
dont quelques-uns ne nous font que peu
OU point connus. |
Les Samojèdes, occupés uniquement
à fe procurer le pur néceffaire , font , la
plupart du temps, renfermés dans leurs
huttes pratiquées dans la terre ,nefortent
de leurs tanières , que lorfque la faim , ou
quelque autre befoinles prefle. Les Samo-
jèdes ne connoiflent ni vertus, nicrimes;
le larcin & le meurtre font abfolument
inconnus chez ce peuple ; l'extrême fim-
plicité dans laquelle le Samojède vit, le
rend inacceflible aux grandes pañlions,
autant pour le bien que pour le mal.
Cependant on peut conclure, ce femble,
96 HISTOIRE DES PÊCHES
par certains craits de leur vie privée, que
les Samojèdes font naturellement portés
à la vertu , & qu’ils aiment la juftice ; fi
quelquefois ils fe livrent à quelques
écarts, ce n’eft jamais que lorfqu’on les
irrite par de mauvais procédés, & qu’on
les force à la vengeance par des traite-
mens capables d’enflammer leur reffenti-
ment. |
Le Gouvernement de Mofcovie, en-
voya, en 1595, un Cofaque à la tête
d’une petite troupe armée, pour s'empa-
rer du pays des Samojèdes : ce conqué-
rant remporta une victoire facile ; ce
peuple ne fit pas la plus petite réfiftance ,
& le Cofaque prit poffeflion de cette con-
trée , au nom du Czar, fon maître.
Inurilement les Empereurs Mofcovites
ont eflayé d'introduire le Chriftianifme
chez les Samojèdes ; inutilement ils ont
envoyé des miflionnaires pour prêcher
l'évangile à ce peuple ; leur zèle & leurs
efforts ont toujours été fans fruit ; la
fuperftition & l’idolâtrie ont toujours fait
le fond de la religion des Samojèdes ;
comme
DANS LES MERS DU NoRD. 97
éomme leurs voifins, ils ont toujours cru
& croient encore à deux principes, l’un
bon & l’autre mauvais ; ces deux divini-
tés reçoivenc tous leurs hommages.
On parvintenfinà éterminerquelques
Samojé les À fe laifler conduire à Mo/f-
couw : arrivés dans cette capitale de
l'Empire Rufle , ces bonnes gens furent
émerveillés de cout ce qu'ils y virent ; ils
prirent l'Empereur pour un Dieu, lorf-
qu'ils le virent environné de tout l’éclat
& de toute la pompe royale ; ils fe fou-
mirent fans réhiftance à lui payer annuel-
lement un tribut de peaux de Maïtres
& de quelques autres fourrures; mais,
l'amour & le préjugé pour leur patrie,
refteront toujours dans toute leur force ;
les agrémens de la vie, le luxe , les com-
modités , les richefles, les fpeacles ,
rien, en un mot, de tout ce que Mo/couw
leur offroit d’attrayant, ne fit aflez d’im-
preflion fur ces hommes de la fimple
nature , pour les obliger à préférer le
féjour de Mofcouw à celui de leur âpre &
ftérile contrée. Ils répondirent au Czar
Tome IT. G
93 HISTOIRE DES PÊCHES
même, avec cette fimpliciré naive qu?
caractérife l’homme que les pafions n’ont
pas encore dégradé, qu’ils n’abandonne-
roient jamais leur pays, pour en habiter .
un autre : « Si votre Majefté, lui dirent-
» ils, avoit une idée des beautés, & dela
> falubrité de l'air de notre patrie, elle ne
JS
» balanceroit pasun moment avénir fixer
» fa réfidence parmi nous, & Mofcouw
>» n’auroit plus aucun attrait pour vous ».
Tel eft le cableau de l'Affande , de à
Laponie , de Finmarken & du pays des
+
Samojèdes , que j'ai cru devoir tracer
avant d'entrer dans l Hiftoire générale du:
Groénland. Cette feconde partie de l’ou-
viage que je traduis, dégagée ainfi ce
toutes les digreflions dont il m’auroit été!
impofible dela débarraffer, en fuivantla
divifion & l’ordre desmatièresdel’Auteur
Hollandois, n’en fera que plus intéref-
fante. Une narration fouvent interrom-
pue par des incidens, devient faftidieufe,.
parce que prefque toujours elle détourne
&c fatigue l'attention, & qu’elle fait per-
dte la liaifon & l’enchainement des faits.
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NOUVELLE CARTE
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GROENLAND
ET DU
DÉTROIT DE DAVIS,
10 15 à,
Mille EZZ lemagne:15 au degré. chaque
millede ctng güar tr dhure ét 5 mimutes
Premier Méridan par le Pie des Canaries :
ÆEcueil caché
L° d'une
Pan e Sauvage
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DANS LES MERS DU NORD. 99
ÉCOLE D Cod
CA PE T'ES CNE
DU GROENLAND.
L'Histoire du Groenland ne peut
êtreque très-imparfaire,ellelaiffe encore
beaucoup à cefirer ; cette contrée n'eft
pas affez connue, & il eft très-doureux
qu’ellele foit jamais mieux. Il eft bien dif-
ficile d'écrire l’hiftoire d’un pays qui n’of-
fre prefque aucun de ces monumens h1f-
toriques qu'un écrivainjudicieux emploie
avec difcernement ; la difficulté fe fait
fur-tout fentir par rapport au Groenland:
ici tout paroit manquer ; monumens ,
traditions , relations anciennes avec
d'autres peuples connus; en un mot,
. les conjeétures même ne peuvent étre
appuyées fur aucun fondement médio-
crernent folide. Que peut-on favoir de
certain, en eftet, fur l’origine & fur
l'antiquité d’un peuple, placé à l’une des’
extrémités du globe , fur un terrein dont
G 2
100 HISTOIRE DES PÊCHES
l'intérieur eft impénétrable, peut-être
inhabité aujourd’hui , dont l'étendue eft
encore indéterminée , dont les limites au
nord font abfolument ignorées , dont la
plupart des côtes font inconnues & inac-
cefhbles , dont le fol laifle encore à devi-
ner s’il forme un vafte continent, ou s’il
eft coupé par plufieurs détroits qui, le
divifant en plufieurs Iles, font du Groen-
land un archipel, moins agréable, à
la vérité , que celui du levant, mais
plus vafte que tous ceux que les Navi-
gateurs les plus habiles ont découverts
jufqu'à ce jour dans routes les mers
connues ?
On diftingue communément le Groen-
land en Jeux & Nouveau : cette diftinc-
tion ne porte que fur la différence des épo-
ques, auxquelles la côte orientale & la
côte occidentale ont été découvertes. La
côteorientale eft défignée fous la dénomi-
nation du Ÿ’zeux Groenland, parce qu’on
la croitla première connue. C’eft decette
partie, prefque abfolumentinconnue au-
jourd’hui, par l’impofñlibilité de l’aborder
DANS LES MERS DU NORD. 101
dans la majeure partie de fa longueur,
que je vais eflayer de tracer l’'Hiftoire,
dans ce chapitre : ce que je vaisendire,
.ne doit être confidéré que comme une
introduction à l'Hiftoire des Groenlan-
dois modernes.
Tous les Auteurs qui ont écrit fur la
première découverte du Groenland , fe
font fervilement copiés, & je me vois
dans la néceflité indifpenfable d'adopter :
‘leur Hiftoire , faute de guides plus surs
que ceux qu'ils ont fuivis eux-mêmes.
Deux chroniques Danoifes, l’une en ver
ê&c l’autre en profe, tels font les garants
uniques de tous ceux qui ont écrit fur le
Vieux Groenland. On fent combien il
faut fe méfier d’une Hiftoire écrite en
vers , & combien , par conféquent, doit
être fufpe“t le Poëme Danois fur Pori-
oine & les hauts faits des premiers
Groenlandois , connus & découverts par
les {flandors , ou parles Norvégiens, leurs
plus proches voifins à left. Le merveil-
leux , le héroïque , fond inépuifable des
poëmes épiques , enfeveliflent toujours
G ;
102 HISTOIRE DES PÊCHES
la vérité fous un tas de fables, qui, pour
l'ordinaire , ne laiflent qu’un efpoir bien
foible de l’en démèler & de l’en dégager,
pour la reproduire dans toute fa pureté.
S'il exifte encore fur la côte orientale du
Groenland , quelques-uns des monumens
hiftoriques dont il eft fait mention dans
les deuxchroniquesDanoifes, ils fontinac-
ceflibles, & la tradition des Groenlandois
établis fur les côtes de l’oueft , n’eft pas
unereflource bienaffurée pour fe procurer
des renfeignemens certains {ur l’origine
& les mœurs antiques de leur nation : les
Groenlandois de l’oueft font encore dans
un état de rufticité complette. L'origine
des peuples les plus policés , n’eft-elle
pas encore , dans ce fiècle de lumières,
un myftère que nos écrivains d’un mérite
le plus diftingué n’ont pu dévoiler ? Mal-
gré l'abondance des monumens antiques
& en tout genre, qui font pour ain dire
fous la main, eft-on encore parvenu à
dégager l'Hiftoire d’un feul peuple de
l'Europe , de tout le merveilleux & le
fabuleux qui nous en dérobent la vraie
DANS:LES MERS DU NoRD. 103
origine? Ils nous laiffent dans une pro-
fonie ignorance fur fes mœurs, fur fes
coutumes, & fur fa police primitives.
La rufticité du Groenland, & l'ignorance
crafle de fes habitans, ne laiflent pas
même la foible reflource des conjeétures
aux voyageurs qui voudroient acquérir
quelques connoiffances moins vagues fur
la première découverte de cette contrée,
& fur le caraëtère de fes premiers habi-
tans. Îl faut donc fe contenter des lam-
beaux de l’Hiftoire du Vieux Groenland,
que quelques Voyageurs , ou Compila-
teurs , ont puifés dans la même fource.
Il en eft des relations des voyageurs
comme des monumens hiftoriques de la
plus haute antiquité : il ne faut mi les
rejeter abfolument , parce qu'ils ne
portent pas un caradère évident d’au-
thenticité, & qu'ils ne peuvent foutenir
l'épreuve de la critique la plus févère,
ni les admettre tous indiftinétement,
& les employer fans difcernement. Je
tâcherai de marcher entre ces deux
écueils , & de les éviter tous les deux,
G 4
104 HISTOIRE DES PÊCHES
pour approcher autant que pofble de la
vérité, en efquiffant le tableau du Vieux
Groenland. |
La côte orientale de cette vafte con-
trée , n'eft plus abordable au-deflus du
Promontoire de la Diftorde ; on ignore
donc aujourd’hui l’état où elle fe trouve :
c’eft cependant celle-là qu’on aflureavoir
été découverte la première, c’eft celle-là
qui reçut les premières Colonies Norvé-
giennes ; c’eft fur celle-là que furent
conftruits les premières habitations &
les premiers édifices publics ; c'eft enfin
fur cette côte que les miflionnaires Chré-
tiens abordèrent, & qu'ils prêchèrent
l'évangile aux naturels du pays avec
afflez de fuccés | pour y fonder diverfes
égclifes , & y établir divers monaftères
pour les cénobites des deux fexes. Tous
les Auteursquiontécrit{furle Groenland,
s’accorcent fur les faits principaux : ils
conviennent tous que la côte orientale
du Groenland a confervé , pendant plu-
fieurs fiècles , des veftiges fenfibles de
population & de chriftianifme ; les ruines
DANS LES MERS DU NORD. 105$
des habitations, des églifes & des monaf-
cères ont attelté pendant long-temps ces
deux faits. En quel temps cette côte a-
t-elle été découverte ? Les écrivains va-
rient fur cette époque : en quel temps
a-t-elle été abandonnée ? quelle a été la
caufe de cet abandon ? C’eft ce qu’on
ignore abfolument.
L’Auteur Hollandois que je traduis, a
particulièrement adopté le fyftème de
M. Mallet fur la découverte du Groen-
land ; cet Auteur François l’a développé
dans fon introduétion à l’Hiftoire du Da-
nemarck. Le fyftême de M. Mallet eft
précifément le même que celui de
l’évêque Eggede ; La Peyrere n’a tra-
vaillé que d’après le même Prélar, &
David Crantz, Auteur Allemand, ne
paroît pas avoir eu de meilleurs renfei-
_gnemens. Voici à quoi fe réduit tout ce
que ces Auteurs ont écrit fur la première
découverte du Groenland.
Torwald:, Genuilhomme Norvégeois,
brilloit à la Cour du Comte avez, au-
tant par fa dépenfe, que par la faveur
106 HisTOIRE. DES PÊCHES
dont il jouifloit auprès de fon maître : il
eut le malheur de tuer, dans un combat
fingulier , un Seigneur de la même Cour,
dont les parens eurent aflez de crédit
pour le faire difgracier & l’obliger à
quitter le pays. Il y avoit à peu près un
fècle que l'Iflande avoit été découverte;
Torwald fut s’y réfugier pour fe fouf-
craire aux pourfuites de fes ennemis : il
emmena dans fon exil, Æric fon fils;
celui-ci devint fameux par la fuite , &
fut furnommé le Rouge. Torwald mou
rut bientôt après fon arrivée en [flande;
le fils en héritant des biens de fon pére,
hérita aufli de fa bravoure, peut-être de
fa barbarie ; du moins il fe vit contraint
de venger un affront perfonnel qu'un de
fes voifins lui avoit fait. Comme fon
père, 1l tua fon adverfaire, comme lui
il fut obligé de s’expatrier & de chercher
ua afile hors de l’Iflande ; il en étroit
banni pour trois ans. Eric apprit qu'un
nommé Gunbivern avoit découvert quel-
ques Jfles à l’oueft de l’J/lande, & qu'il
avoit apperçu plus loin, une côte d'une
DANS LES MERS DU NORD. 107
vafte étendue : Eric prit fon parti, &, ac-
compagné de deux ou trois Iflandois qui
s’attachèrent à fa fortune, il partit dans
le deffein d'aborder la côte que Gunb:-
vern avoit découverte. Son entreprife
lui réuflit au gré de fes defirs, &z après
une courte & heureufe navigation, 1l
découvrit le cap Herjois, le plus avancé
de la côte orientale. Il ft voile direc-
tement fur ce cap, & le doubla fans
accident; il longea la côte vers le Sud &
jera l'ancre dans la baie d’une Ifle qui
lui parut agréable ; 1l y defcendit &z s’ar-
rangea pour y pafler l'hiver; il donna
fon nom à la baie, connue encore au-
jourd'hui fous la dénomination d'Erics-
Fioerd ; elle eft fituée à l’entrée d’un
détroit, nommé auf Ercs-Sund.
Eric plus encouragé que jamais à
faire la découverte du continent qu'il
avoit cotoyé pour arriver dans fon ÎJfle,
remit à la voile au commencement du
PARTS 1l rangea la côte d’affez près
pour s’en former une idée aflez précife ; ;
elle lui parut couverte d’une agréablè
108 HISTOIRE DES PÈCHES
verdure, & lui donna le nom de Groen-
land ( Terre-verte). Toute cette vafte
contrée a retenu ce nom jufqu’à ce jour.
Eric examina le pays avec beaucoup
d'attention ; 1l le crut propre à recevoir
des Colonies, & il forma le deffein d'y
mener la première aufitôt que les trois
ans de fon bannifflement feroient expi-
rés (1). Revenu en [flande, ÆErc fitune
peinture fi agréable de fon nouveau
monde, qu'il réufit facilement à trouver
des Colons. Il exagéra la beauté de cette
contrée , la fertilité des plaines, lim-
menfe étendue des pâturages , l’abon-
dance du poiflon & la richeffe à laquelle
la Colonie parviendroit infailliblement,
par les nombreux troupeaux qu'il étoit
facile d'y élever & d'y multiplier. Il per-
fuada facilement : il employa unanafaire
(1) J'ai fuivi ici la verfion de Crantz ; M. Mallet
dit feulement qu’Eric revint en Iflande quelques années
après fon départ, & qu’il réuflit à perfuader à quelques
Tflandois de le fuivre pour aller s'établir fur le continent
qu'il venoit de découvrir. Eggede fait revenir Eric en
Iflende, une année après {on départ.
DANS LES MERS DU NORD. 109
les préparatifs de fon voyage ; il chargea
vingt-cinq navires de tranfport fur lef-
quels il mit un très-grand nombre de
Colons; il les fournit, à fes dépens, de
tous les uftenfiles de ménage , d’un
grand nombre de beftiaux de toute forte,
& de vivres fuffifans, tant pour la tra-
verfée, que pour fe fubftancer dans les
premières femaines de la colonifation.
Eric mit à la voile & conduifit lui-même
fa Colonie à la nouvelle terre promife ;
il eut le malheur de perdre onze navires
dans le trajet, & arriva feulement avec
quatorze au Groenland.
On n’eft pas d'accord far l'année de la
découverte du Groenland ; on la place
communément, fur la foi d’une chro-
nique d’Iflande, à l’année 982 de l'ère
chrétienne. Cette chronique eft de
Sonorro Sturlefen , qui vivoit en 1215,
& qui pafle pour le meilleur Hiftorien
du Noïd , 1l étoit Grand Juge d'Iflande
fous le gouvernement des Rois de Nor-
vége. Thormoder Torfaeus, naufd’Iflande
& Hiftoriographe du Roide Danemarck,
110 HISTOIRE DES PÈCHES
a fuivi cette chronologie dans fon ou-
vrage , intitulé Groenlandia antiqua.
Eggede, Cranrz, La Peyrere, & mon
Auteur Hollandois l'ont aufli adoptée.
Pontanus , dans fon Hiftoire du Dane-
marck, & Claudius Chriftopherfer , plus
communément Ly/candre , Auteur de
la Chronique Groenlandoife en vers
Danois , placent cette découverte à
l'année 770; certe différence eft confi-
dérable, puifqu'il s’en fuivroit que cette
découverte auroit été faite 212 ans plu-
toc. Ce dernier fentiment paroît appuyé
fur une autorité refpettable ; les anti-
quités de l’Iflande ne paroiflent pas le
contredire ; & une bulle du Pape Gré-
goire IV, de l’année 835, lui donne un
très - grand poids ; le fouverain Pontife
ladreffe à l’'Évêque /7/garius (Anfcher),
ommé à l'évêché de Hambourg , par
l'Empereur Lours le Pieux ; le Pape re-
commande particulièrement au Prélat
les mifions de l’{/lande 8& du Groenland,
& la propagation dé la foi dans ces deux
contrées fpécialement nommées dans la
DANS LES MERS DU NORD. rrr
bulle. Il faut, pour détruire cette opi-
nion, nier l’authenticité de la bulle du
Pape Grégoire IV. La Peyrere rapporte,
fur la foi de M. Gunter, Secrétaire du
Roi de Danemarck, avec lequel:il étoit
fort lié, qu'il exiftoit de fon temps,
dans les archives de l’archevêché de
Brême, uné vieille Chronique manuf-
crite , dans laquelle étoit une copie de
la bulle qui conftitusit l'archevêché de
Brême Métropolitain de tour le Nord,
& nommément de la Norvége & des
Ffles qui en dépendent, telles que l//-
lande & le Groenland, qui y font expref-
fément nommées. Cette bulle éroirdatée
avant l'an 900. Il y a apparence que
cetté dernière bulle dont parle Za
Peyrere eft la même dont Pontanus &
Lyfcandre s'autorifent.
_ LaColônieGroenlandoïife eut d’abord’
le même fort de routes les nouvelles:
plantations ; elle fut foible dans fa naif-
fance | & ne parvint à uh état plus
floriffant , que far les foins, la vigi-
lance & les grands moyens d'Eric, fon
112 HISTOIRE DES PÊCHES
fondateur. ZLeyfe, fils d'Eric, aufi zélé
que fon père pour l'avancement de fa
Colonie , fit un voyage en Norvége dans
le deffein d'obtenir du Roi, Olaus Try-
guefon , des fecours proportionnés à fes
befoins, pour faire fleurir & étendre fa
Colonie. Le Monaïque le reçut avec
beaucoup de bonté, & le tableau que
Leyfe fit à Olaus de la contrée qu’il vou-
loit peupler de plus en plus, détermina
le Roi à fe prêter aux defirs du Groen-
landois. Olaus avoit embraffé le Chrif-
tianifme depuis peu de temps, ilen étoit
devenu un des plus ardens apôtres; Leyfe
Jui fournifloit une trop belle occafion de
faire des profélytes à la foi, pour qu'il
la laiffât échapper. Il conçut le projet
d'établir une Mifion au Groenland & de
fe fervir de Ley/e lui-même pour faire
réuflir ce pieux deflein. Olaus le retint
pendant tout l'hiver à fa Cour; 1l vinc à
bout de lui perfuacer de fe faire inftruire,
& Leyfe reçut le baprème quelques mois
après fon arrivée en Norvége. Le Prince
lui permit de-partir au printemps pour
retourner
DANS LES MERS DU NORD, 113
retourner au Groenland ; il lui donna
un Prètre pour l'accompagner: & pour
le fortiñier dans les principes de l’évan-
gile qu'il venoit d’embraffer ; il lui re-
commanda fur-tout de favorifer de tout
fon pouvoir, l’établiflement du Chrif-
tianifme dans ce nouveau monde.
Eric ne fut pas peu furpris de voir
arriver fon fils convertit à la religion
Chrétienne ; 1l fut d’abord très-fcanda-
lifé que Leyfe eut abandonné le culte
de fes ancêtres, & qu'il eüt préféré la
Croix, aux Dieux de fon pays. Leyfe &
le Prêtre qui l’accompagnoit, réuflirent
bientôt à appaifer Eric ; le Mifionnaire
vint à bout de faire gouter les maximes
de l’évangile au chef de la Colonie ; il
lui préfenta les myftères de la foi avec
ce zèle & cette onction qui réufliflenc
prefque coujours à les faire adorer. Ærrc
demanda le baprème, & dans peu, toute
la Colonmie devint Chrétienne. Leyfe
devint lui-même le coopérateur le plus
zélé & le plus utile du Miffionnaire ;
par fes foins, le vrai Dieu reçut feul ,
Tome IL. H
114 HISTOIRE DFS PÊCHES
dans la Colonie, les hommages qui ne
font dus qu’à lui.
Le Chriftianifme fit des progrès dans
la Colonie à proportion qu’elle- même
devine plus peuplée & plus floriffante ;
avant la fin du X°°. fiècle, on comptoit
déjà plufeurs églifes dans ce nouveau
monde : un évêché fut érigé à la Garde,
petite ville nouvellement bâtie; elle fut
bientôt la capitale du Groenland, & les
Norvégiens en firent le centre du com-
merce avec les Groenlandois ; ce com-
merce a fleuri pendant longues années.
La population augmentant rapidement,
on penfa à jeter les fondemens d’une
feconde ville ; elle fut bientot peuplée ;
on lui donna le nom d’4/6e : on y érigea
un monaftère à l'honneur & fous l’invo-
cation de Saint Thomas.
La Colonie profpéra d’un jour à lau-
tre fur la côte orientale, elle fut bien-
côt en état de fournir de petits détache-
mens pour s'étendre dans l’intérieur du
côté du fud, & enfin de fe propager juf
que furla côte occidentale. Le Groenland
DANS LES MERS DU NORD. 115$
fut ainf divifé en deux grands Diftrids,
celui de left ( Offer-Biod), & celui de
loueft ( Vefler-Bigd). Selon Cranez , le
fils d'Eric le Rouge , ambitionnant de fe
rendre fameux par quelque découverte
importante, entreprit de faire celle de
la côte de l’oueft. Il découvrit une terre
à laquelle il donna le nom de Wyr/and
(pays à vin), & y fonda une Colonie.
Crantz ajoute, que le frère de Leyfe
pourfuivic la découverte & la pouffa fort
avant le long de la côte occidentale.
Quoi qu'il en foir, 1l eft conftant que les
Groenlandois s’étendirent aflez fur les
deux côtes, pour y faire un commerce
étendu avec leur mère-patrie , l’{/lande,
& avec la Norvége fur-tout, qui elle-
même avoit fournit à la population de
l'Iflande.
Les Groenlandois reconnurent la fou-
veraineté des Rois de Norvége, ils fe
foumirent à leur payer un tribut annuel;
ils voulurent s’en affranchir en 1265;
leurinfurreétion ne réuflit pas, &1ls ref-
cèrent foumis jufqu’ent 348. Cetreannée
H 2
116 HISTOIRE DES PÊCHES
fut fatale au Groenland comme à tous
les autres pays les plus feptentrionaux ;
ils furent tous dévaftés par une affreufe
épidémie, connue fous le nom de Mort-
Noire (1). C'eft à cette malheureufe
époque qu'on rapporte la décadence de la
Colonie Norvégienne fur la côte orien-
tale du Groenland ; l'interruption du
commerce achevadela dévafter au point,
que depuis le commencement du XVI®<.
fiècle, on ignore abfolument ce qu’eft
devenu cet établiflement. On a fait de-
puis d’inutiles efforts pour aborder cette
côte; elle n’eft plus acceflible, & toutes
les entreprifes des Navigateurs Danois
n’ont abouti qu’à la découverte de la
côte occidentale. Le Gouvernement du
Danemarck y a fondé quatre différentes
Colonies, depuis 1700.
Les différentes relations des voyages
entrepris pour découvrir une feconde
fois la côte orientale du Groenland (/
(1) C’eft la même dont j'ai parlé à l’article d'Iflande
fous le nom de Pefle-Noire.
DANS LES MERS DU NORD. 117
Vieux Groenland),fontfi contradiétoires,
fi peu cohérentes, fi remplies de mer-
veilleux, de contes & de fables, qu'il
feroit aufli inutile que ridicule de
s'attacher à démèêler le vrai du faux ;
aucune de fes relations ne mérite aflez de
croyance pour fournir matière à une dif-
fertation utile fur le Vieux Groenland.
Nous verrons plus bas à quoi ont abouti
les efforts des Danois, encouragés par le
Gouvernement, depuis 1578, jufqu’en
1672, pour découvrir de nouveau cette
côte perdue depuis 1402,ouenviron. Ces
efforts aboutirent enfin à perfuader qu’il
falloit perdre de vue cette découverte,
&c renoncer pour toujours au deflein de
retrouver le Vieux Groenland.
S'il faut en croire les anciennes chro-
niques, le Vieux Groenland, au temps
où on a commencé à le perdre de vue,
éroit dans l’état le plus brillant, & fa
population donnoit les plus belles efpé-
rances : on y comptoit douze églifes
patoiiliales 8 deux couvens, dix-neuf
villages 8 deux villes. Comment & par
ts
118 HISTOIRE DES PÈCHES
quel accident cette côte eft-elle devenue
inabordable ? Il cft inutile de fe perdre
dans les conjettures, lorfqu'il n’y en a
qu'une feule qui puifle fatisfaire raifon-
nablement l’obfervateur judicieux. Il eft
donc très-probable que cette cote a fubi
quelque commotion violente ; & que les
flots de la mer la battant avec plus de
fureur que ci-devant, les courans deve-
nus plus multipliés & plus rapides, en
écartent les navires & rendent la tra-
verfée impoflble. Il eft certain d’ailleurs
qu'il auroit été impoffible d'aborder cette
côte, fi, au temps de fa découverte, les
glaçons empoïtés entre le Spirsberg &
le Groeniand, avoient fuivi la direétion
qu'ils ont aujourd'hui; c’eft donc à une
de ces révolutions phyfques auxquelles
le globe eft aflujetti, qu’il faut attribuer
limpoflibilité aétuelle de la communi-
cation qui a eu lieu autrefois entre le
Vieux Groenland & l'[fiande. Les glaces
fotrantes qui viennent continuellement
du Spitsberg, fe jettent en quantité fur
la côte , & en défendent l'approche aux
DANS LES MERS DU NORD. 519
petits bateaux, comme aux gros navires.
Nousnefavons doncpasfilesanciennes
Colonies Norvégiennes fubfiftent encore
en tout ou en partie au Vieux Groen-
land ; nous ignorons s’il eft entièrement
dépeuplé, & s’il y refte encore quelques
traces de fon ancienne population. Ev-
gede rapporte deux faits auxquels 1l ne
donne pas lui-même plus de croyance
qu'ils n’en méritent; s'ils étoientauthen-
tiques, 1ls prouveroient que les Colonies
du Vieux Groenland ont fubffté long-
temps après l'abandon forcé des Norvé-
giens , fur la côte occidentale, & que
par conféquent, elles pourroient fubfifter
encore aujourd'hui dans un état quel-
conque. |
Un Évêque d'Iflande, qui fans doute
vouloit pañler fur la côte occidentale du
. Groenland | vers le milieu du XVI,
fiècle, fut jeté fur la côte orientale.
Ce Prélat, ramené par un coup de vent
fur les côtes d'Iflande d’où il étoit parti,
rapporta avoir apperçu fur le rivage du
Vieux Groenland , quelques hommes
H 4
120 HISTOIRE DES PÊCHES
conduifant & faifant paître destroupeaux
de moutons. L'Évêque ajouta qu'il n’a-
voit pu poufler fes obfervations plus loin,
attendu qu'il ne fit cette importante dé-
couverte que vers le foir, & que peu
d'heures après, un coup de vent lem-
porta loin de la côte & le força à gagner
le large. |
Un Navigateur de Hambourg, fur-
nommé le Groenlandois , pour avoir été
jeté, dans trois différens voyages, fur la
côte du Vieux Groenland, affura dans le
temps, avoir jeté une fois l'ancre tout
près d’une Ifle inhabitée, fituée fur la
côte orientale du Groenland; que delà,
1l avoit apperçu quelques autres Ifles
habitées; curieux ce s’en aflurer plus
poñtivement, il approcha de fort près
cetie Îfle; ayant mis pied à terre, il
s'arrêta à une efpèce d'habitation devant
laquelle 1l trouva les agrèêts d’un bateau
& un corps mort étendu le vifage contre
terre; ce cadavre étoit revêtu d’un ha-
billement moitié laine, moitié peau de
Phoque ; le bonnet qu'il avoit fur la tête
DANS LES MERS DU NORD. 121
éroit coufu à fon habillement; il avoit
un vieux couteau à la ceinture ; il lem-
porta en Iflande , comme une curiofité &
un témoignage certain de fa véracité (1).
Crantz a recueilli avec beaucoup de
foin tout ce que les meilleurs Auteurs
ont écrit fur le Vieux Groenland; &
comme ce qu'il en rapporte, roule par-
ticulièrement fur la defcription de la
côte orientale de cette contrée, j'ai cru
devoir fuivre cet Auteur. Quoique ces
defcriptions ne foient pas appuyées fur
des preuves bien authentiques, il m'a
paru néceflaire d'en faire ufage à tout
événement. Peut-être qu'un jour le
hafard jetera quelque Navigateur Fran-
çois fur la côte orientale du Groenland,
8 dans ce cas, je penfe qu'il n’eft pas
hors de propos, que même il pourroit
_être d’une utilité réelle, de donner dans
cet Ouvrage la defcription de la côte
orientale du Groenland, telle qu'on la
trouve dans celui de Crantz.
a
(1) Cette Relation felon Thorlak, ne peut avoir plus
de cent ans d’antiquité.
122 HISTOIRE DES PÈCHES
Torfaeus | Hiftoriographe du Roi de
Danemarck, Iflandois d’origine, a écrit
un Ouvrage intitulé Groenlandia anti-
qua. Cet Auteur eft très-eftimé & pañle,
avec raifon, pour très-exatt. Il eft vrai
que tout ce qu'il écrit fur ce fujet, ne
porte pas un caraëtère évident de véra-
cité ; mais 1l mérite quelque confiance,
jufqu’à ce que des obfervations plus sûres
aient démenti les fiennes. Torfaeus à
fuivi,dans fa defcription du Vieux Groen-
land, Fvar-Baar, grand Bailii de l'Évé-
que du Groenland,au XIV”. fiècle. Yvar-
B'aar divife le Vieux Groenland en deux
parties, & prend pour point de divifion
le cap Herjols ; ille place au 63°. degré de
latitude; Crantz l’a indiqué fur fa carte,
au 65°.:cetre côte orientale fe trouve
donc divifée en deux parties, celle du
fad & celle du nord. En remontant
véts le nord, on trouve, felon Thorlac,
Évêque d’Iflande , au XVII. fiècle , la
baie de Skaga - Fiord ; l'entrée en eft
barrée par un banc de fable qui la tra-
veife dans toute fa largeur; on peut
DANS LES MERS DU NORD. 123
néanmoins la franchir lorfque la mer eft
haute ; on croit qw’alors les navires &
les Baleines peuvent y entrer & en fortir.
Plus haut, & en face de l’Iflande , fe
trouve la baie d'Ollum-Langri ; on ne
fauroit en trouver le fond ; on croit
qu’elle n’eft que l’ouverture d’un long
détroit, qui va débouquer dans la baie de
Difco , fur la côte occidentale (1). La
baie d'Ollum-Langr: eft parfemée de
petits flots couverts de verdure : Zor-
faeus la place au 66°. degré. Au-deffus .
de cette baie, fe préfente un pays abfo-
lument ftérile & défert; on le nomme les
déferts d’ Obygder. La baie de Tunche-
buder et fituée au fud d'Osygder, &
conféquemment entre Olum-Langri &
ce défert. On découvre , derrière la baie
de T'unchebuder, deux hautes montagnes,
dont l’une fenommeB/aaferken, & l'autre
Huitferken. La glace qui couvre la
(1) Si ce fait étoit avéré , il s’enfuivroit que toute |
la partie méridionale en deçà de ce détroit , formeroit
au moins une grande JÎfle féparée au nord, du grand
Continent du Groenland par cé même détroit.
124 HISTOIRE DES PÊCHES
première, paroît de couleur bleuâtre, &
c’eft la raifon pour laquelle on la défigne
auff fous le nom de Chemife-Bleue ; la
couleur de la glace qui couvre la feconde
eft blanche; on la défigne auf fous le
nom de Chemife- Blanche. Ces deux
montagnes , qui paroiflent aflez près
lune de l’autre , font les deux dernières
qu'on peut découvrir au nord du Groen-
land. Lorfqu’on eft à moitié chemin du
cap Snocfels, au cap Herjols, fur la
côte orientale du Groenland, l’on dé-
couvre aifément lés montagnes de glace
de la partie occidentale & de la partie
méridionale du Vieux Groenland : ces
deux caps font à la diftance de cent vingt
lieues l’un de Fautre.
En defcendant du cap Æerjols, au cap
le plus méridional du Groenland, on
rencontre plufeurs Ifles aflez peu éloi-
gnées du continent : celle de Kéxl eft
une des plusrenommées;onaflure qu’elle
a été autrefois aflez peuplée, pour avoir :
deux églifes paroifliales ; on croit aufh
quil y avoit ua couvent d'Auguftins.
DANS LES MERS DU NORD. 115$
Ravens-Eiland (YIfle des Corbeaux } eft
plus méridionale, & n’eft pas éloignée de
celle X'éril: on croit aufli qu'il y a eudans
celle-ci un monaftère de filles, fous l’in-
vocation de Surnt Olafle. L'Ifle de Renfey
eft encore plus avancée vers Sraaten-
Hoek ; on y trouve de grands troupeaux
de Rennes; elle abonde auffi en une forte
de pierre qui reflemble au marbre. Les
Groenlandois en font leurs pots, leurs
lampes, &autres vafes; 1lsen font même
des cuves qui contiennent jufqu’à douze
tonnéaux d'eau. L’Îfle-Lonoue , celle
d'Érics , & quelques autres, jufqu’au
promontoire de Forbisher, font moins
connues. On croit que le Vieux Groen-
land ne s'étend pas plus loin fur la côte,
&z que par conféquent, il eft compris
entre le 61°.8 66°. degré : c’eft fur cet
efpace que les Norvégiens avoient éra-
bli leurs Colonies ; on ne les retrouve
plus aujourd’hui.
Les chroniques Iflandoifes s'accordent
toutes fur les érabliffemens qui ont été
faits par les anciens Norvésiens , à la
126 HISTOIRE DES PÊCHES
côte occidentale, peu de temps après la
fondation des premières Colonies à la
côte orientale. On a douté long-cemps
de la véracité de ces chroniques, relati-
vement aux Colones occidentales , parce
qu'on n’en découvroit aucun veftige ; on
ne peut plus aujourd’hui les fufpecter à
ce fujet. Il n’y a pas bien long-remps que
des Voyageurs Danois s’en font affurés :
ils ont rapporté avoir trouvé, fur la côte
occidentale , des ruines de grandes mai-
fons bâties en pierre; 1ls y ont mème
découvert des fondemens de quelques
églifes , & des gros morceaux de fonte,
qui étoient des débris de cloche. Ces
Voyageurs ayant interrogé les habitans
modernes de cette côte, ont trouvé
qu'ils confervoient encore la tradition
des anciens Norvégiens ; qu'ils favoient
que le pays avoit été peuplé avant
eux , & que leurs ancêtres avoient
chafté les anciens habitans, qu'ils leur
avoient fait la guerre pendant longues
années, & qu'enfin, fe trouvant les plus
forts, ils avoient exterminé ou chaflé
DANS LES MERS DU NORD. 127
entièrement les premiers Colons, de
cette côte.
Eggede confirme ce fait, & voici com-
ment cet eftimable Auteur s’explique :
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Les Norvégiens n'ont pas été les pre-
miers habitans du Groenland ; peu de
temps après leur arrivée, ils rencon-
crèrent dans la partie occidentale du
pays, un peuple fauvage qui, fans
doute, tiroit fon origine des Améri-
cains , comme on peut le préfumer du
caractère , de la manière de vivre, &
du coftume des peuples qui habitent
au nord de la baie d'Hudfon, & qui ne
diffèrent en rien des Groenlandois
d'aujourd'hui. Ces Sauvages fe feront
progreflivement avancés, du nord (du
détroit de Davis ) vers le fud ; on
rapporte qu’ils eurent de fréquences
guerres avec les Colons Norvésiens,
qu'ils trouvèrenc écablis fur la côte.
—— Les antiquités du Groenland nous
apprennent que la Colonie du ’e/£er-
Bigd fut défolée au XIV. fiècle, par
les Sauvages appelés alors Skrelingers ,
128 HISTOIRE DES PÈCHES
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& qu'elle tut tellement ruinée, que,
lorfqueles Colons del Offer-Bigd arri-
vérent pour donner du fecours à leurs
frères, & combattre avec eux les Skre-
lingers , ils trouvèrent le pays entière-
ment abandonné. Ils ne rencontrèrent
que des troupeaux aflez nombreux
encore , errans ça & la dans les prai-
ries & fur les colines ; ils leur don-
nérent la chafle , en tuèrent une
erande partie, & embarquèrent tout
ce qu'ils purent, pour emporter chez
eux. Les Groenlandois d'aujourd'hui,
defcéndans des Skrelngers , favent
encore que les maifons dont on voit les
veftiges, ont été habitées autrefois
par un peuple différent d'eux. Certe
tradition confirme ce que l’ancienne
hiftoire nous apprend ; favoir, que les
pères des Groenlandois d’aujourd’hui
firent la guerre aux premiers Colons
Groenlandois , de la côte occidentale,
& qu'ils les exterminèrent ».
Il paroît certain que la Colonie occi-
dentale a été la première détruite , &
que
DANS LES MERS DU NORD. 7129
que la Colonie orientale 2 fubfifté très-
long-temps après elle ; que, peut-être,
quoiqu’abâtardie , elle fubfifte encore
aujourd'hui. On donne pour une des
çaufes de l'abandon des Colonies Not-
végiennes du Groenland , la défenfe
faite par Marguerite, Reine de Danemark
& de Norvège , en 1389, de naviguer
vers ces côtes. Cette Reine, irritée de ce
que les Colonies avoient refufé de lui
payer le tribut ordinaire , crut les punir
févèrement en interdifant , fous les-plus
grièves peines, toute relation de com-
merce avec les Groenlandois , efpérant
de les ramener à l’obéiffance en les pri-
vañt des provifions que les vaifleaux Da-
nois & Norvégiens leur portotent tous les
ans. La guerre qui fe déclara entre. le
Danemark & la Suède , vers la fin du
XIV”. fiècle , porta le dernier coup à la
Navigation du Groenland, & les Colo-
nies furent entièrement perdues pour le
Danemark & la Norvége.
- On pourroit conjeéturer avec beau-
coup de vraifemblance, que la Colonie
Tome IT. Qi A |
130 HISTOIRE DES PÊCHES
Norvégienne de l’eft, ne fut pas à abri
des infultes des Skrelingers qui avoient
chaflé les Colons de l’oueft. Egcède,
envoyé au Groenland pour y faire des
découvertes , & qui y a habité pendant
quinze années confécutives , croit , au-
tant d’après fes propres obfervations,
que d’après les relations anciennes , qu’il
n'y a pas plus de fix jours de marche de
Tancienne poftion de la Colonie occi-
dentale , à la Colonie orientale (1). Si
fa conjeture eft fondée, 1l aura été très-
facile aux Skrelingers de vifiter la Colo-
ñie orientale, 8 d'y faire les mêmes
ravages que dans la Celonie occi-
dentale. Les Groenlandois d'aujourd'hui
y ont navigué dans certains temps
avec leurs grands bateaux ; mais ils
n'ont jamais ofé s’avancer aflez pour
découvrir l’état aétuel du pays, par la
(1) Suivant la Relation d’Ivar Beéri qu'Eggedt
cite , le trajet intérieur de la Colonie de l’oueft à
celle de left, ne devroit être par mer, que de douge
milles.
DANS LES MERS DU NORD. 531
crainte, ont-ils dit, qu'ils ont d'y êcre
dévorés par un peuple qu'ils favent l’ha-
biter, & qui fe nourrit de chair humaine.
Les Hollandois qui naviguent au Groen-
land , fe font quelquefois avancés fur la
côte orientale, jufque fousle 61°. degré,
dans des enfoncemens qu'ils ont trouvés
dépourvus de glaces ; 1ls y ont fait alors
un commerce très-avantageux avec. des
Sauvages qu'ils ont trouvé furces côtes.
À la vérité, ils ne les ont pas dépeints
comme anthropophages;:maisles Groen-
landoïs qui neles ont jamais vus, peuvent
fort bien s’en être faircetre faufle idée, &
leur appréhenfon n’en prouve pas moins
en faveur de la conjeéture. |
Crantz penfe qu’on pourroit faire une
objeétion très-forte À ceux qui croient
que les Colonies du Vieux Groenland
ont été détruites: par les: Skre/ngérs.
« Ces Sauvages , dit-il, doivent avoir
» pris la fuite devant leurs ennemis
» Américains, pour s’expatrier & venir
» chercher un nouvel établiffement fur
» lescôtes du midi du Groenland. Si les
fa
132 HISTOIRE DES PÊCHES
» Groenlandois d’aujourdhui font 1flus
» de ces mêmes S£re/ngers, ce peuple
» doit avoirété petit de ftature, foible,
» craintif & peu propre à conquérir un
» pays habité par un peuple fort, vigou-
» reux.& vaillant, tels que devoient être
» les Norvégiens , premiers Colons du
5» Groenland, defcendus des courageux
» vainqueurs de l'Europe ». Crantz ne
paroît pas avoir fait aflez d’attention
à la foiblefle de cet argument; puifqu'il
eft évident qu’on peut le rétorquer avec
avantage contre ceux qui le mertroienc
en avant. On pourroit leur demander
comment il peut fe faire que les Norvé-
giens d'aujourd'hui, s'ils font les def-
cendans des premiers: Colons , ont fi
fort dégénéré, & pourquoi ils n’ont
aucun trait de refflemblance avec leurs
valeureux ancêtres, vainqueurs de l Eu-
rope ? © |
Yvar Bir, qui vivoit au XIV”. fié-
cle, conclut la relation du Groenland
par ces termes remarquables : Toute
la côte occidentale. du Groenland eft
DANS LES MERS DU NORD. 133
actuellement habitée par les Skrelin-
gers (1).
(1) Pour entendre ce pañlage, il faut favoir que Île
détroit de Frobisher eft probablement continué juiqu’à
l'extrémité de la côte orientale, où il communique à
une autre grande baie qui eft en face du Promontoire
nommé aufli Frobisher. On en voit un autre qui eft
pon@tué fur la carte de Crantz, & qui eft un peu plus
au nord que celui-ci; il a fon entrée dans la baie dite
Barfund. Si ces détroits exiftent réellement de même
que celui d’'Ollum-Langri dont j'ai déjà parlé, ce qu’on
croit être le continent connu du Groenland n’eft effec-
tivement que trois Îfles féparées par trois détroits qui
courent tous dans la même direétion de l’oueft à l’eft.
Ces détroits, à la vérité, ne paroiffent pas navigables
dans toute leur longueur. Frobisher lui-même ne peut
parvenir à retrouver le fien, le moins long, parce qu'il
approche le plus de la pointe méridionale du Groenland;
mais on peut fuppofer , avec raïfon, qu'ils font couverts
d’une glace qui ne fond jamais, & qu'ils coulent fous
le pont indeftruétible que le froid exceflif a formé fur
toute leur longueur, par les neiges congelées qui dé-
robent à la vue lecourant , & qui mettent un obftacle in-
furmontabie à la navigation. Eggede paroït perfuadé de
la poffibilité de correfpondre avec la côte orientale par le
moyen de l’un de ces détroits. Voici comme il s’explique :
« Ainfi lorsqu'on aura trouvé qu’il eft poffible dans
» certains temps, de pouvoir arriver le long des terres
» jufqu’à la Colonie orientale, vers le 63°. ou 64°. de-
» gré, & qu'on aura eu foin d'établir ça & à, de petites
» Loges, ou Colonies, on pourra alors entretenir
1 3
134 HISTOIRE DES PÈCHES
Crantz cherche à découvrir l’origine
des Skrelingers , qui fe font établis au
Groenland , après en avoir chaflé , ou
» perpétuellement une correfpondance entre les Loges,
» & l’une pourra affifter l’autre au cas que les vaifleaux
» ne puiflent pas tous les ans approcher de toutes,
mais. feulement des plus méridionales.. C’eft donc à
> mon avis, une chofe abiolument poflible & prati-
1
ss
» cable, non-feulement d'arriver à la côte orientale du
» Groenland, mais encore de fournir tous les ans aux
» Colonies qu’on pourra établir, lès fecours dont elles
» auront beloin ». Eggede, DESCRIPTION du Groenland,
Chapitre Il.
Crantz dit avoir appris d’un Fa@teur très-intelligent ,
établi fur la côte occidentale, « que les Groenlandois
» de lOueft, qui cherchent à doubler le cap méridional
» appelé Sranten-Hoek, ont été fouvent arrêtés après
» une navigation de quelques jours, à l’entrée d’un
» golfe couvert de glaçons qui en fortoient avec
» rapidité, & étoient portés dans la mer. Ce Facteur
» étoit perfuadé que ce golfe communiquoit avec le
» détroit de Frobisher , dont il devoit être Fentrée; ce
» détroit, navigable autrefois, étoit couvert depuis plu-
» fieurs fiècies | d’une glace qui le rendoit inaccefhble ».
Je pañle fous filence beaucoup d’autres conjettures
fur la navigation ancienne de ce détroit, fur l'état où il
eft aftuellement, & fur beaucoup d’autres faits relatifs
a la population aétuelle de la côte orientale. L’Auteur
Hollandois qui a copié Crantz, en rapporte la plupart
J'ai cru devoir les fupprimer, parce que les faits fur
DANS LES MERS DU NORD. 7r3$
extermineé les Colons Norvégiens. « Les.
Norvégiens, dit-il, découvrirent à-peu-
près dans le même temps , le Groen-
land & une autre contrée qu’ils appe-
lèrent Finland : cette dernière ne peur
être que la côte de Labrador , ou FIfle
de Terre-Neuve en Amérique; c’eft,
fans doute, de là , ou du Canada,
que font venus au Groenland les Skre-
lingers. S'ils étoient venus du nord de
l'Europe, ils auroient du faire leur tra-
jet par la Mouvelle Zemble , ou par
Spitsbers : or, depuis que l’on connoît
la Mer Glaciale, on fait poñtivement
que ces deux Iftes font féparées d’elles-
mêmes & du Groenland feptentrional,
par un trajet de mer aflez confidérable
pour que le trajet n’en puiffe être fair
avec de fimples canots , tels que ceux
des Sauvages. Il eft certain, d’ailleurs,
que les Groenlandois d’aujourd’hui
n'ont pas autant de reflemblance avec
lefquels repofe leur vraifemblance, m'ont paru fort
hafardés , & que Crantz lui-même n’y ajoute pas beau
coup de foi,
m
TA
136 HISTOIRE DES PÊCHES
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>»)
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>»
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les Samojèdes & les autres peuples qui
habitent le long des côtes de la Mer
Glaciale, que ces derniers en ont avec
les Tartares Ka/mouks & les autres
hordes de Kamfchatka, au nord-oueft
de la Tartarie. Peut-être peut-on
conjeéturer avec quelque fondement,
que la fouche des Groenlandois mo-
dernes , n’eft qu’un rejeton des Tar-
tares de À amfchatka, formée par quel-
que petite émigration particulière :
l'Amérique n’eft effeivementféparée
du K'am/fchatka, que par un détroit peu
fpacieux , fous le 66°. degré ou envi-
ron ; il eft très-facile de le traverfer
avec des batelets. Ces Tartares Amé-
ricains , continue Crantz, auront pu
facilement pafler d’une Jfle à autre ;
& leur inconftance naturelle les chaf-
fant ainfi fucceflivement d’un défert à
un autre, 1ls auront pu arriver fur les
bords du Détrois de Davis, & recon-
noître le Groenland par hafard ».
Cette fuppolition de Crantz ,une fois
admife , il n’eft pas difficile d'expliquer
DANS LES MERS DU NORD. 137
comment les premiers Skrelingers ont
pu fe fixer dans un pays qu’ils trouvèrent
peuplé , & qui leur offroit un afpe bien
moins fauvage que celui d’où ils ve-
noient , & que celui des Ifles défertes
qu’ils avoient parcourues fucceflivement.
Crantz appuie fa conjecture par le té-
moignage d’un Frère Morave qui fit un
voyage, en 1764, à laterre de Zabrador.
Hugues Pallifer, Gouverneur alors de
Terre-Neuve, lui en facilita les movens,
& lui accorda toute la protettion qu'il
écoit en fon pouvoir de lui accorder.
« Ce Frère Morave, continue Crantz,
» m'aditavoir rencontré, le 2 Septembre
5 1764, une trouped’environ deuxcents
» Sauvages; 1l fut d’abord très-mal reçu
» du premier qui le joignit : celui-ci
» l'ayant confidéré pendantun moment,
5» & s'étant apperçu qu'il portoir le cof-
» tume du pays , & qu’il parloit la même
» langue , 1l fe tourna vers fa troupe, &
» lui cria * Ÿ’ozcz un de nos amis ! Les
». Sauvages s'avancèrent, entourérent
» le nouveau venu, & le conduifirent
138 HISTOIRE DES PÈCHES
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»
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dans leurs habitations , où ils le
comblèrentdecarefles, & lui firent l’ac-
cueil le plus fraternel. Les Européens
l'avaient averti avant fon départ, de
fe garder fur-tout de tomber entre les
mains des Sauvages de cette contrée,
parce qu'ils étoient cruels envers les
étrangers , autant qu'envers leurs en-
nemis; fes habits & fon langage le
fauvèrent. Peu fatisfait de ce premier
voyage , le Frère Morave en entreprit
un fecond l’année d’après, avec un
compagnon qui parloit Groenlandois
auifi facilement que lui : ils furent
reçus avec la même affabilité, & fe
convainquirent que l’idiôme de ces
Sauvages du Labrador , ne diffère de
l’idiôme Groenlandois, que par lPac-
cent & la prononciation toujours diffé-
rente entre les habitans du fui & du
nord d’un même pays ; ce qui eff frap-
pant même au Groenland : qu'au fur-
plus , la différence des deux idiômes
étoit moins fenfble, qu'entre le Haut-
Allemand & le Bas-Allemand ».
DANS LES MERS DU NORD. 139
On explique la conquête du Groenland
par les Sauvages de l'Amérique, en la
rapportant immédiatement après l’année
1350 , époque à laquelle on fixe la ter-
rible épidémie dontsnous avons parlé,
fous le nom de Morr-Noire ; cette épidé-
mie fit tant de ravages , qu’elle emporta
la majeure partie des hommes & des
animaux ; on crut même qu’elle infeéta
les arbres & les plantes, & qu'il en mou-
rut une très-grance quantité. Après un
tel ravage, il étoit facile aux Sauvages
de s'emparer d’un pays où ils ne pou-
voient rencontrer qu’une très-foible réfif-
tance. Alors, fans doute, ces Colonies fi
affoiblies , ne pouvoient que devenir la
proie du vainqueur ; les Colons , en très-
petit nombre , manquant de tout, de-
voient, ou tomber fous les coups des
Sauvages, ou s’incorporer avec eux, où
fuir dans les montagnes, pour éviter la
brutale fureur de leurs conquérans. Si
J'incorporation des Colons Norvégiens
avec les Sauvages Skrelingers a eu lieu,
il faut que les premiers aient été bien peu
ayo ‘HISTOIRE DES PÈCHES
nombreux lors du mélange ; car , les
Groenlandois d'aujourd'hui , qui en fe-
roient 1iflus , ne reffemblent guère aux
Groenlandois qui fondèrentles premières :
Colonies. Il eft plus vraifemblable que
les premiers Groenlandois périrent pref-
que tous lors de la conquête ; ou que,
s’ilenéchappa quelques-uns, ils furentfe
cacher dans les montagnes, ou dans quel-
que Îfle qu’on n’a pas encore pu décou-
vrir. Crantz rapporte deux faits qui con-
firmeroient cette idée, s'ils étoient plus
authentiques ; mais, n'étant appuyés que
fur le témoignage d’un Sauvage , on ne
peut trop s'en méfier ; ils ne portent ce-
pendant pas un caraétère aflez évident de
fauffeté, pour les rejeter & les négliger ;
j'ai cru devoir en rendre compte; il eft:
pofible qu'un Voyageur prudent en ure
parti un jour. |
« Un Groenlandois nommé X'ojake,
» habitant de ‘la côte du fud-eft , à
» foixanre lieues de Szaatent-Hoek , vint
» faire une vifite , en 1752, à quelques
» amis établis dans une Colonie des
DANS LES MERS DU NORD. 141
Frères Moraves, près de Baals-Rivier,
au fud-oueft de la côte occidentale.
Kojake raconta à fes amis, que trois
Groenlandois étoientvenuschez luien
1751, & qu'ils avotent employé trois
ans à faire un voyage le long de la
côce orientale : après des peines & des
fatisues infinies, les trois voyageurs
étoient parvenus à un point vers le
Nord, oùuenété, le foleil ne quittepas
lhorifon ; c’eft-à-dire, au 66°. degré
de longitude feptentrionale. Ils fui-
voient , autant que pofible , la côte
par terre : fouvent ils avoient été con-
traints de mettre leur tente &c leur
canot fur un traineau tiré par des
chiens ; ils préférèrent de voyager par
terre, autant que pofhble, parce qu'ils
crouvoient des places affez étendues ,
où la neige & la glace avoient été fon-
dues par le foleil. Kojake raconta à fes
amis , {ur la foi de fes crois hôtes, que
les habitans de la côte orientale fonc
d’une taille plus avantageufe que les
Groenlandois de l’ouelt ; au refke, ils
142 HISTOIRE DES PÊCHES
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ont les cheveux noirs, portent de
longues barbes , & ne diffèrent pas,
par la couleur du teint, des habitans
de l’oueft ; ils en parlent la langue, à
quelques nuances près. Ce peuple eft
nombreux, & paroit être humain. Les
Voyageurs dirent encore à Koyake,
qu’arrivés à l’entrée d’une belle baie ,
ils n’ofèrent y entrer ; 1ls prétendirent
que le rivage en eft habité par des an-
chropophages.(Ce préjugé eft commun
à tous les Groenlandois ). Kojake pré-
tendit que ces Sauvages ne commen-
cèrent à manger de la chair humaine,
qu'à la fuite d’une famine occafionnée
par un hiver des plus longs & des plus
rudes, dont leur contrée fut défolée
il y a plufieurs fiècles;il prétenditque,
lorfqu’ils en eurent goûté , ils ne per-
dirent plus l’habitude d’en faire leur
provilion , à l’égal de la viande des
chiens marins, en la faifant geler pour
la conferver & la manger crue. Îls
n'ésorgent que les vieillards & les en-
fans orphelins de leur peuplade, par
DANS LES MERS DU NORD. 143
la raifon que ces créatures leur font
inutiles , & ne peuvent rendre aucun
fervice à la fociété commune. Ils con-
ferventleurs chiens jufqu’à la plus ex-
trème vieillefle ,parcequecesanimaux
leur rendent de très-grands fervices,
& fervent à leurs amufemens. Ils vont
couverts de peaux dechiens, mais très-
mal ajuftées, parce qu’ils nefavent pas
les coudre enfemble , pour en faire un
habit plus commode ; ils n’ont point
-d’aiguilles à coudre , manquant ab{o-
lumént de fer. Ils font d’une joie
inconcevable , lorfqu’ils trouvent quel-
que clou attaché aux débris dé
quelque vaifleau que la mer jette
quelquefois fur leurs côtes. Ils n’ont
jamais vu de navire; ils ne connoiffent
pas l’ufage des voiles, & ils fontréduits
à conduire leurs canots à la rame ».
Crantz rapporte aufll qu’un Faéteur
Danois, établi au Groenland, luia raconté
« qu'un Groenlandois de la côte orien-
»
tale , arriva chez lui én 1757, & l’af-
» fura qu'il exiftoit une peuplade établie
144 HISTOIRE DES PÈCHES
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fur le bord d’une baie , entre des
hautes montagnes; que cette peu-
plade faifoit tous les ans, au printemps,
un voyage le long des côtes voifines.
Cette peuplade, très-nombreufe , pañle
pour fi cruelle , qu’à fon apparition,
les Groenlandois abandonnent leurs
habitations, & fuient dans les Ifles
voifines ; ils y font à l’abri de toute
infulte , parce que leurs ennemis ne
peuvent pas les y fuivre , faute de
canots dont ils ne connoifflent pas
l’'ufage ; ils leur jettent en mer
une nuée de flèches, s'ils arrivent
aflez à temps pour les voir fuir; ils
fe vengent en ruinant leurs habita-
tions, & emportent dans leurs mon-
tagnes tout ce qu'ils trouvent a leur
ufage ».
Ces deux traits fembleroient prouver
que ces Sauvages font les defcendans des
premiers Colons Norvégiens, fur la côte
orientale, qui, fachant par tradition le
défaftre arrivé à leurs pères ; cherchent
encore à les venger furles defcendans des
Sauvages
DANS LES MERS DU NORD. 145
Sauvages Skrelingers, qui envahirent
leurs pofleflions. Cette conjetture eft
bien foible , fans doute , maïs elle ne
renferme aucune impofñlibilité.
Les Rois de Danemarkont faitdiverfes
tentatives pour retrouver la côte orien-
tale du Vieux Groenland, & les traces de
l’ancienne Colonie Norvégienne ; toutes
ces tentatives ont échoué, & ont coûté,
à diverfes reprifes , au rapport d’'Eggede,
des fommes très-confidérables ; l’équi-
pement & l'armement des navires qu’on
y a envoyés à divers temps, ont été en
pure perte, & n'ont jamais produit
quelque découverte fatisfaifante.
FrédéricIl &fonpère,avoientfaitcher-
cher inutilementle Groenland; Chriftian
IV , fuccefleur de Frédéric Il, ne fut pas
plus heureux ; il dépenfa des fommes
énormes pour l’équipementdes vaifleaux,
êc ne put avoir aucune nouvelle pofitive
du Groenland. Zindovy , chargé de la pre-
mière expédition, n’en rapporta qu'une
relation peu digne de foi. Ce Navigateur
prétenditavoir abordé à la côte orientale,
Tome IT. | K
146 HisToirEe DES PÈCHES
& n’y avoir trouvé que des Sauvages fans
civilifation. Zindov aborda vraifembla-
blement dans quelque Ifle, où il trouva
ces Sauvages; 1l en prit deux, qu’il em-
mena avec beaucoup de peine & de diffi-
cultés. Après trois jours de féjour, illeva
l'ancre, & s’en retourna en Danemark ;
les deux vaiffeaux qui l’accompagnoient
doublèrent le cap Farevel, & s’avan-
cèrent jufqu’au Dérrort de Davis ; is y
reconnurent divers havres très-beaux,
des prairies couvertes de verdure, & des
Sauvages tels que ceux que Lindoy avoit
trouvés lui-même fur la prétendue côte
orientale du Groenland. Zindoy entre-
prit un fecond voyage en 1606, par les
ordres du même prince ; il emmena cinq
vaifleaux ; il doubla le cap Farevel , &
parvint aufli au Dérroit de Davis, d’où il
repartit après y avoir fait quelques nou-
velles découvertes; ilramena cette fois-ci
cinq Sauvages , dont un mourut en che-
min. Le Capitaine Richart, natif du
Holftein, fut envoyé par le même Chrif-
tian IV , avec deux vaifleaux feulement,
DANS LES MERS DU NORD. 147
pour une troifième expédition; Richart
tenta inutilement d'aborder à la côte
orientale, il en fut conftamment éloigné
par les glaces qui dérivoient avec une
rapidité étonnante; voyant fes efforts inu-
ules, il pritle fage parti de s’en retourner,
fans avoir pu remplir l’objet de fa miflion.
Chriftian IV, ne fe rebutant pas par fes
mauvais fuccès , fit partir, en 1616 , le
Capitaine Jean Munch : {on objet princi-
pal étoit de chercher un paflage entre le
Groenland & l'Amérique, pour aller à la
Chine. Le voyage fut des plus malheu-
reux, & la relation de ce voyage eft un
tableau de calamités, dont on a de Ia
peine à fe faire une idée. En 1636, fous
le règne du même Prince, une Compa-
gnie de quelques Négocians de Copen-
hague , entreprit un armement de deux
vaifleaux; l’objet de cet armement étoit
d'entamer un commerce régulier avec
les Sauvages du Dérrort de Davis : ces
vaifleaux y arrivèrent heureufement; un
des Capitaines de ce petit armement
avoit des vues plus étendues ; il avoit
nu
548 HISTOIRE DES PÊCHES
réfolu de ne pas fe borner à l’objet de fa
miflion : il avoit été autrefois fur cette
côte , & y avoit découvert un endroit
couvert de fable , qui, pat la couleur &
le poids, reffembloit à l'or. Il yarriva , &
en chargea les deux navires. De retour à
Copenhague , ce fable , éprouvé, ne fut
trouvé bon à rien ; le Gouvernement le
fic jetér dans la mer : on avoit pris la pré
caution d’en confervet par curiolité une
petite portion, Un Chymifte, arrivé à
Copenhague quelque temps après, opéra
fur ce fable, & en tira de très-bon or.
Le Capitaine difgracié , étoit mort de
chagrin ; lui feul pouvoit reconnoitre
l’heureufe plage qui contenoit ce riche
fable ; ainf, tout fut perdu, & on ne
penfa plus à chercher cette mine pré-
cieufe. |
David de Nelles fit un voyage inutile
pour la découverte du Vieux Groenland,
en1654, fous Frédéric III, Roi de Dane-
mark ; 1l voulut faire croire qu'il avoit
abordé & mis à terre fur la côte orien-
tale 3 il'emmena , pour appuyer fa
DANS LES MERS DU NORD. 149
fupercherie , trois femmes Sauvages ;
mais il fut prouvé qu'il les avoit prifes
à Baalf= Rivier (Rivière de Baal), fur la
côte occidentale. Chriftian V fit faire
deux autres entreprifes ; l’une, en 1670,
& l'autre , en 1674 : elles manquèrent
toutes les deux, & on parut renoncer
pour toujours à l’efpoir de retrouver le
Groenland oriental.
Æogede crut être plus heureux que
tous ceux qui lavoient précédé dans
cette entreprife ; en conféquence, 1l en-
gagea les Négocians de Bergen à former
une Compagnie du Groenland, pour éta-
blir une Colonie fous le 64°. degré de
latitude. Æsggede partit avec toute fa
famille , & fut s’y établir effeétivement ;
1l y demeura quinze ans pour acquérir
les connoiffances néceflaires , afin d’être
en état de faire la découverte qu’on avoit
tant à cœur : il découvrit effectivement
_les veftiges de l’ancienne Colonte occi-
dentale , & il en rendit compte dans un
journal particulier. Il fur chargé , en
1723, pat la Compagnie de Berven, de
K 3
150 HISTOIRE DES PÉCHES
mettre tout en œuvre pour découvrir la
Colonie orientale : Egpede voulut être
lui-même de l'expédition, & ne pouvant
recrouver le Detroit de Forbisher ; il prit
le parti de doubler le cap méridional , &
d’aller à la découverte de la côte orien-
tale, en remontant par Sraaten- Hoek.La
faifon étoit trop avancée ; 1l trouva que
les glaces commençoient à dériver avec
impétuofté ; il craignit d’être furpris par
l'hiver. Continuellement jeté loin de la
côte qu’il vouloit tenir de près , il aban-
donna l’entreprife , & s’en retourna fur
la côte occidentale d’où il étoit parti. Les
Direéteurs de cette même Compagnie
firent partir diretement un vaifleau, en
1724, pour faire cette découverte; ils
ordonnèrent au Capitaine de tenir l’an-
cienne route , entre l’flande & la côte
qu'on cherchoit; le Capitaine du vaif-
{eau de l’entreprife , trouva les mêmes
obftacles, & s’en retourna comme les
autres, fans remplir l’objet de fa miiion.
Le Roi de Danemark , renonçant au
projet de la découverte par mer, conçut
DANS LES MERS DU NORD. 151
le deffein de l’entreprendre par terre , en
traverfant le pays de l’oueft à l’eft. Il fc
partir, en 1728 , des vaifleaux fur lef-
quels 1l ft embarquer , à grands frais,
un aflez bon nombre de chevaux; fe
flattant qu'avec ce fecours, le trajet de
terre deviendtoit pofible. Un pays aufli
froid , aufli montagneux & aufi hériffé
de roches, n'étoit pas fufceptible d’un
voyage par terre; tout, dans ce climat
àpre , s'oppofe irréfiftiblement à une ca-
ravane ; l’entreprife manqua comme les
autres. MIE
Eggede penfe qu’il refte cependantun
moyen pour la découverte du Vieux
Groenland oriental : il penfe que l’im-
menfe quantité des glaces qui flotrent
entre la côte orientale & lIflande, &
qui viennent du Spirzberg , font empor-
tées avec une rapidité étonnante à quel-
que diftance de l'entrée des golfes, &
qu’elles laiffent un efpace navigable avec
de petites barques, entre elles & la côte :
il croit qu’il feroit poflible , dans la belle
faifon , de ranger ainfi de près la côte
K 4
152 HISTOIRE DES PÊCHES
orientale , depuis Sraaten-Hoek , jufqu’à
Erics-Sund, où même ÆHerjols-Cap; &
qu'infailiblement on trouveroit fur cette
côte , quelque endroit propre à mettre à
terre, duquel il feroit facile de faire la
découverte qu’on a tant à cœur. Les
Groenlandois occidentaux ont confirmé
E pgede dans cette idée, & lui ont afluré
y avoir navigué en certains temps , avec
leurs grands bateaux , fans néanmoins
s’êcre approchés d’affez près pour décou-
vrir les veftiges de l’ancienne Colonie
orientale.
Torfaeus femble favorifer cette idée.
Cet Auteur, fur lautorité d’un ancien
livre Iflandois , qu’il croit être du XI.
fiècle , affure que le froid n’eft pas auñli
rigoureux fur la côte orientale du Groen-
land, qu’il l'eft en [flande & en Norvége ;
que les orages y font plus violens , quoi-
qu'ils y foient rares & peu dangereux. La
Peyrere rapporte qu’en 1308, le Groen-
land fut défolé par un de ces orages ter-
tibles, qui font toujours époque dans
l'hifoire. Le feu du ciel tomba fur une
DANS LES MERS DU NORD. 153
églife , qui en fut réduite en cendres ; la
tempête fut fi terrible, qu'emportant la
pointe des rochers les plus haucs, il s'é-
leva des tourbillons de fable, fi nom-
breux & fi épais , que tout le pays en fut
couvert. L'hiver {uivant fut fi cruel , &
la gelée fut fi terrible, que la glace ne
fondit nulle part dans la belle faifon , &
qu’elle fubfifta pendant plus d’une année
entière.
Les defcriptions du Vieux Groenland
ne s'accordent nullement fur la fertilité
du pays, & fur le genre de fes produc-
tions. L’hiftoire particulière des Colonies
Norvégiennes dansce pays, eft embrouil-
lée & pleine d’obfcurités ; les faits les
plus remarquables n’ont aucune liaifon,
& femblent ifolés ; en un mot, les an-
nales du Vieux Groenland n’offrent que
des difficultés & des contradiétions qu'il
eft impoflible d’applanir & de concilier.
Torfaeus rapporte une chronologie de
dix Évêques qui fe feroient fuccédés au
Groenland, depuisrr21,jufqu'en 1341;
M. le Baron d'Halberg , qui a écrit une
154 HISTOIRE DE PÈCRES
hiitoire de Danemark , en compte fept,
depuis cet dernière année , jufqu'en
1408 , époque à laquelle le Vieux
Groenland femble sème échipfé. pour
toujours.
DANS LES MERS DU NORD. 155
CHA RET REX. LE
Coup d’æil général fur la côte occidentale
du Groenland.
I L n’a pas été poflible encore de véri-
fier fi le Groenland eft un continent, s’il
n'eft qu’une Îfle fituée entre l'Europe &
l'Amérique ; fi, enfin, cette Ifle, fuppo-
fée contiguë avec le Spitzberg & la nou-
velle Zemble , ne tient pas au continent
de l’Afe , par la Tartarie la plus fepten-
crionale. Les Voyageurs n'ont pu encore
s'élever aflez haut dans le nord, pour
faire cette découverte importante, &
l’on n’a jufqu’à préfent que des conjec-
tures aflez hafardées , fur l'étendue &
les limites de cette contrée au nord. La
nature femble avoir pofé une barrière
infurmonçable , aux approches du pole,
contre laquelle l’intrépidité du Navisa-
teur le plus audacieux , a été jufqu’à ce
ce jour conftamment déconcertée. Les
156 HISTOIRE DES PÊCHES
glaces , la ftérilité des côtes , & plus que
tout cela, la rigueur exceflive du froid,
ont toujours arrêté les Voyageurs, & en
ont fait repentir plus d’un d’avoirentre-
pris d’arracher à la nature, un fecretim-
portant qu'elle paroît réfolue de nous
cacher à jamais.
On fait que le Groenland s'étend du
fud au nord, dans une longueur de 35
degrés ou environ, entre la Mer Gla-
ciale , à l’eft, & le détroit de Davis, à
l'oueft ; le cap Farvel, qui eft la pointe la
plus méridionale , eft au 59°. degré; la
côte orientale arrive au moins au 80°.
degré ; & la côte occidentale , au 78°.
C’eft du moins à cette hauteur que fe
bornent jufqu’à préfent routes les dé-
couvertes relatives à la latitude & à la
longitude feptentrionale du Groenland.
Eggede & Crantz , font très-difpofés
à croire que la côte occidentale du
Groenlandeft trés-voifine ducontinentde
l'Amérique , fi elle ne lui eft pas conti-
guë : Crantz s'appuie fur quatre faits in-
conteftables. 1°. Le détroit de Davis.
DANS LES MERS DU NORD. 157
ou plutôt la baie de Baffins va roujours
en fe rétréciflant , jufqu'au 78°. degré.
1°, La côte , qui en général eft crès-éle-
vée lé long de la Mer du Groenland, va
toujours baiffant , à proportion quon
avance vets le pole , jufqu’au 78°. degré.
3°. La marée qui ne monte jamais plus
haut qu’à la pointe de Cokins , au cap
Farvel, ou à Staaten-Hoek, s’y élève à
18 pieds, dans la nouvelle & pleine lune;
&z qu’au contraire , à la baie de Difco,
fituée au 70°. degré, fur la côte occiden-
tale ,elle ne s'élève jamais qu’à 8 pieds
tout au plus. 4°. Enfin, c'eft qu’au rap-
port des Groenlandois les plus fepten-
trionaux, le détroit de Davis eft fi ref-
ferré vers leur côte, qu’en s’avançant fur
la glace , ils peuvent facilement fe faire
entendre des Sauvages ficués fut le bord
oppofé ; ils peuvent même fe jeter mu-
tuellement un poiflon avec la main,
lorfque les Sauvages, leurs voifins, s’a-
vancent de-leur côté, fur la glace , le
plus près qu’ils peuvent du torrent. Les
uns n1 les autres n’ont jamais ofé le
158 HISTOIRE DES PÊCHES
franchir; c’eft le feul obftacle qui s’op-
pofe au paflage réciproque d’une côte à
l'autre : ce torrent ef firapide,qu’iltient
le milieu du détroit, dégagé des glaces.
ÆEppede raconte le même fait d'une
manière un peu différente. « Les Groen-
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23
>>]
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>]
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»
3
3
32
33
Lb]
landois de la baie de Difco rapportent
aufli, qu'étanc d’un côté du golfe,
ils ont parlé à des gens qui étoient
de l'autre côté, que leur langage étoit
le même; mais que les animaux du
pays différoient de ceux du Groen-
land : ils ajoutent qu'il n'y a qu’un
petic détroit qui fait la féparation
entre le Groenland & l'Amérique ;
quece détroiteftfrpeularge , que ceux
qui fe tiendroient fur les deux bords,
pourroient karponer le même porfjon ;
que la terre ferme, vers Le nord , eft
entièrement couverte de glace, de
forte qu'il n’y a que les Ifles qui fotent
découvertes ; & qu’il y adans ces Ifles,
des Rennes, des Oies & des Canards.
en fi grande quantité , qu’elles en font
couvertes ».
DANS LES MERS DU NORD. 159
Le détroir de Davis fut découvert par
un Anglois ,en 1585 : cet Anglois lui
donna fon nom ; 1l cherchoit un paffage
au nord-oueft. Ce détroit a été très-fré-
quenté depuis , fur-tout parles Pêcheurs
Hollandois. On appelle proprement Dé-
trort de Davis, l'efpace de mer qui eft
entre le cap Walfingan &YIfle de James ,
une de celles de l'Amérique feptentrio-
nale. Ce bras de mer s'étend, àcommen-
cer de l’Ifle de Difto, depuis le 67°. de-
oré , jufqu'au 71°., & 1l a environ 60
lieues de large ; mais les Navigateurs
donnent le nom de Détroit de Davis , in-
diftinétement à toute la mer qui bordela
côte occidentale du Groenland. Toute
cette cote eft comme défendue par une
chaîne non interrompue d’Ifles grandes
ou petites, & par beaucoup de Pénin-
fules qui paroiflent former un très-long
archipel. De grands golfes, des rivières,
des fleuves même , entrent de toutes
parts dans les terres : Baals-Riviereft la
plus confidérable de toutes : elle eft fous
le 64°. degré ; elle entre jufqw’à 18 à 20
160 HISTOIRE DES PÊCHES
milles dans le pays : c’eft fur la rive
gauche que les Danois établirent leur
première loge , en 1721.
La côte occidentale eft hériffée , dans
toute fa longueur ,; de roches inaccef-
{bles , contre lefquelles les vaifleaux
viendroient fe brifer, fi l’on avoit la témé-
rité de les ranger de crop près. Ces rocs
font fi élevés, qu’on en découvre quel-
_ques-uns à 40 lieues en mer. La rerre,
{i l’on peut donner ce nom à des rochers
éternellement cachés fous la neige gla-
cée, eft abfolument ftérile , & ne produit
aucune efpèce de plante; les interftices
entre ces rochers, fe rempliflent, tous les
ans , d'une nouvelle neige , qui, en fe
congelant, forme une nouvelle couche
de glace ; & toutes ces couches s’accu-
mulent annuellement, & applaniffent de
plus en plus le fol, de façon qu’on peut
préfumer , qu'après une révolution de
quelques fiècles , les pointes des rochers
les plus efcarpés ne préfen--#ont plus
qu'une furface unie & contiguë , & for-
metront enfin une plate-forme de glace
d'une
DANS LES MERS DU NORD. 161
d’une élévation prodigieufe. Les rochers
les plus élevés, dont le fommet fe dé-
couvre quelquefois par la fonte de la
neige , ne préfentent de loin qu’une
ombre noire ; ils ne laiflent jamais apper-
cevoir , à une certaine diftance , rien
qui reflemble à de la cerre ou à quelque
plante : en les approchant de prés, on
diftingue ,en certains endroits, des veines
d’une forte de marbre , de petites houpes
d'herbe , de la moufle , des petites
bruyères , & d’autres plantes qui fem-
lent jetées par le hafard fur le revers de
ces rochers: on voit aufhi, par-ci par-la,
de petits atbrifleaux difperfés dans les
valons , le long d’un lac ou d’une rivière.
L'afpe& de la Norvège , & celui du
Groenland, ont beaucoup de rapports de
reflemblance ; mais il y a cette grande
différence entre les montagnes de ces
deux pays , que celles de Norvége fonc
couvertes de grands arbres , que les
valées y font fertiles, & que les mon-
tagnes n’empêchent pas qu’on ne puifle
entrer dans l’intérieur du continent; au.
Tome IL. | L
xé2 HisToiRE DES PÊCHES
Groenland , au contraire, il femblé
qu’elles aient été difpofées de façon, à
former une feconde barrière ,| pour em-
pêcher l'entrée du pays, parce qu'elles
font toutes entourées de lacs gelées &
impraticables.
Le cap FarvelouF arevel eft le premier
promontoire du Groenland qu'on dé-
couvre en arrivant par le fud; c’eft une
Ïfle féparée, par un détroit peu fpacieux ,
de Sraaten - Hoek qui eft aufli le cap le
plus méridional de ce continent, au fud-
eft. La navigation en eft pémible & péril-
leufe dans certains temps, par les vents
violens quiy foufflent; cedétroitreflemble
beaucoup, par-là , à celui de Magellan ;
il a encore un autre rapport plus frappant |
avec lui, c’eft qu'il eft placé à-peu-près à
une diftance égale du pole arétique, à
celle du détroit de Magellan , du pole
antarétique. |
L'Ifle de Staaten-Hoek (1), ou, fuivant
(1) Crantz ne dit pas que le cap de Statenhoek fafle
patié d'une Îfle dè ce nom; ce cap eft marqué fur la
DANS LES MERS DU NORD. 163
Crantz, de Nennortalik( mais toujours
celle a laquelle appartient le cap FARVEL)
eft fituée fous la latitude du 59°. degré
so minutes, & {ous la longitude du 3 30°.
degré 30 minutes : elle eft haute , le fol
en eft montagneux .& roide ; il eft com-
pofé de plufeurs petites Ifles formées
par quantité de rivières , qui le coupenc
en plufeurs fens. La partie la plus fep-
tentrionale eft continuellement couverte
de neige, & paroït être inhabitée. En
remontant la côte occidentale , après
avoir dépaflé la baie de Maurice, on
arrive au détroit de Forbisher. On doute
que jamais le Navigateur Anglois, en-
voyé , en 1576 ,; à la découverte du
carte, comme faifant la pointe du continent, & l’Ifle
qui en eft féparée par le détroit, & dont le cap Farvel
fait la pointe la plus méridionale vers l’oueft, eft nom-
mée par Crantz, Îfle de Nennortalik. L’Auteur Hollan-
dois fuppofe que le cap Farvel appartient à une Ile
différente, peu éloignée de celle-ci. On trouve fur la
carte de Crantz , une Ifle aflez grande au nord de celle
que notre Auteur nomme Stantenhoek, & qui n’en eft
féparée que par un très-petit détroit; Crantz la nomme
le de Sermenfok ; mais ce n’eft pas là qu’eft placé le
cap Farvel, +
pin
164 HISTOIRE DES PÊCHES
Groenland , par la Reine Élifabeth, y
foit entré bien avant , & fi ce n’eft pas une
invention de fa part, que l’exiftence de
ce détroit (1). On eft plus porté à croire
que ce n’eft qu’un golfe très-profond.
Cependant, Crantz rapporte à ce fujet ,
une converfation particulière qu’il eut
avec un Faéteur Danois , très-intelligent ;
je crois devoir aufli la rapporter d’après
cet excellent Voyageur ; elle contient des
faits aflez curieux , & dont on pourroirt
tirer un affez bon parti, dans le cas qu’on
fe déterminât à faire de nouvelles ten-
catives pour la découverte de l’ancien
Groenland , fur les deux côtes, & fur
lefpace qui féparoit les anciennes Colo-
mes des Norvégiens , établies à left & à
l'oueft du Groenland ( 2).
« Je ne pouvois d’abord comprendre
(1) J’avois d’abord annoncé que je n’en ferois pas
ufage; cependant l’ayant relue avec plus d’attention,
je me fuis déterminé à l’inférer ici telle que je la retrouve;
car l’Auteur en a fait ufage deux fois dans le même vo-
lume. | b 1H9q-2#:
(2) J'ai déjà fait remarquer l'opinion d’Eggede & celle
de Crantz fur l’exiftence de ce détroit; l’un doute qu'il
DANS LES MERS DU NORD. 165
( c’eft le Faéteur Danois qui raconte à
Crantz le réfulrat de fes obfervations fur
le détroit de Forbisher ) 5 comment ce
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»
détroit, ou plutôt la baie qui lui fert
d'entrée, pouvoit charrier à la mer
une fi grande quantité de glace, fans
qu’il fut poflible de remarquer la plus
petite diminution dans celle qui ef
fur la côte, derrière la baie, & quine
s’en détache jamais. Cependant la baie
chatrie conftamment , tous les ans,
depuis le mois de Juillec, jufqu’au mois
de Novembre. Lorfque le dégel, ou
plutôt le débordement de cette glace
eft confidérable , & que la mer eft
calme, cette glace détachée couvre
un efpace de mer de trente lieues
d’érendue , fur cinq à fix de large ; ces
glaçons ne dérivent avec force, & ne
fe difperfent ça & là, que lorfque
le vent impétueux les pouile avec
arrive réellement à la côte orientale oppofée; & l’autre
penfe que ce qui empêche de le découvrir aujourd’hui
dans toute fa longueur d’une côte à l’autre, c’eft la glace
qui le couvre, & qui forime une efpèce de pont.
L 3;
166 HISTOIRE DES PÉCHES
»2
39
violence, & les emporte au loin dansla
mer, où les courans les font dévier
dans tous les fens. Je demandois aux
Groenlandois d’où ils penfent que cetre
quantité immenfe de grands glaçons
defcendent dans la baie, pour en fortir
avec afuence ? Ils me répondoignt
tous , que le détroit étoit fans fin, &
qu'ils favoient par tradition, que leurs _
ancêtres y avoient navigué, jufqu'à
l'extrémité de la côte oppofée à la
baie.
» Peu fatisfait d’une folution fi laco-
nique , je réfolus de remonter fa baie,
en 1747; je m'aflociai un certain
nombre de Groenlandois qui, tous les
ans , alloient à la chafle des Rennes,
dans lintérieur du pays. J’exécutai
mon deflein , & je partis avec mes
compagnons en marchant fur la glace.
Dès que je fus à la diftance de qua-
corze milles de la baie, je gagnai le
haut d’une montagne, efpérant dé-
couvrir de ce point d’élévation , le
prolongement du détroit à travers les
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DANS. LES MERS DU NORD. :x67
cerres.: mon efpoir fur déçu, & je
.m'apperçus devant moi, dans un éloi-
gnement de quarante nulles, :qu'une
fuite.de montagnes de glace amon-
celée qui.me cachoient l'embouchure
du détroità la côte orientale, l'unique
chofe que je cherchois à découvrir.
Pendant que je faifois mon obferva-
tion , je fus diftrait tout-à-coup par un
bruit extraordinaire, qui reflembloit
parfaitement à celui d’une décharge
P FA
de plufeurs canons tirés dans le même
inftant. Ce bruit étroit produit en par-
tie parle craquement des glaces amon-
celées. devant moi, & que le courant
OTTOE
de l’eau rompoit avec force; & en
partie auffi par la chûte des cafcades
que l’eau faifoit en fe dégageant des
bancs de glaçons qui obftruoient fon
cours, & qui, étant remontée à la
hauteur de ces digues, retomboit fur
d’autres plus bafles avec un bruit
effroyable. Je reftai immobile pendant
un moment , autant par la furprife
que par l’épouvante que la nature
L 4
168 HISTOIRE DES PÊCHES
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infpire toujours à celui quiconfidère de
loin fes prodigieux effets, & qui l’en-
tend fe courroucer contre les obftacles
qu'elle a ménagés elle - même, pour
donner plus d'éclat aux prodigieux
efforts qu’elle fait pour les furmonter
dans les effets qu’elle veut produire.
Je ne fus pas long-temps à me con-
vaincre, par l'effort de l’eau contre
ces monceaux de glace , & par la
chüte des cafcades, qu'il devoit y avoir
dans toute cette direétion un canal
aflez large & très-rapide , & que
c'éroit infailliblement ce canal qui
Portoit régulièrement tous les ans dans
la baie, une fi prodigieufe quantité de
glaces mouvantes ; mais je n’en étois
pas moins en peine de deviner com-
ment ce charroi pouvoit avoir lieu,
puifque le canal n’étoit jamais vifible,
& qu’il fe déroboit conftamment à la
vue, par la glace qui le couvroit dans
route fa longueur , & dans toute fa
largeur. |
» Jj’eus enfin l'occafñon de trouver la
DANS LES MERS DU NORD. 169
folutionde ce problèmedansun voyage
que je fis, en 1751, à la montagne
d'Ysblink ; aucun Groenlandois n’a-
voit jamais pénétré fi avant que mot
dans l'intérieur du pays. Quoiqu'on
diftingue difficilement le fol d'avec
un lac, lorfque la furface de l’un &
de l’autre eft couverte d’une croûte
épaifle de glace, qu'il n'eft pas hu-
mainement pofñible de foulever ; je
découvris néanmoins qu’il pouvoit ar-
river qu'on prit facilement pour un
champ, ou pour un chemin battu, ce
qui n’eft réellement qu’un lac très-
profond, ou qu’un grand canal. Je me
convainquis aufli que les glaçons peu-
vent être emportés dans la mer par
un courant très-rapide, dont la fur-
face eft glacée à une certaine épaif-
feur; car on ignore jufqu’a préfent,
quand & comment l'entrée de la baie,
dite le Pont de Glace ( Fsbrug ),
s’obftrue & fe bouche. Il eft vraifem-
blable que les glaçons, que la mer
charrie au plus fort de hiver, ont
170 HISTOIRE DES PÊCHES
» été portés & accumulés par quelque
» courant! à la bouche de cette baie;
» que la neige qui tombe en abondance
» fur cette digue, lui prépare tous les
» ans une nouvelle couche que la gelée
» doit rendre très-compaéte; que le
» foleil, au fort de l'été, ne la fond
» qu'à la fuperficie, & que cependant
» le torrent, en fortant de la baie, doit
» agir avec force contre cette digue, la
» miner en defflous, en détacher de
» fortes pièces: de glace, les emporter
» dans la mer, & former, de cette
» forte, un pont de glace à l'entrée de
» Ja baie(r). Il eft vraifemblable que ce
» fameux pont de glace, eft ainfi con-
>» tinué jufqu’à la côte orientale, & que
» le détroit de Forbisher n’eft aufli qu’un
(1) L’Fsblink eft fitué , fur la carte de Cramiz, un
degré & quelques minutes plus haut que lé détroit de
Forbisher ; quelques milles plus haut encore, eft Barfund :
.Crantz a fait ponétuer un canal abfolument parallèle. à
celui de Forbisher, depuis le fond de cette baie jufqu’à
la côte orientale. Selon lui, ce détroit eft auffi perpé-
tuellement couvert de glace, &'il n’eft pas plus facile à
+ trouver que celui de Forbisher, |
»
>»)
>>]
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32
DANS LES MERS DU NORD. 17%
pont de glace formé de la même ma-
nière. On remarque cependant que
les pièces de glace qui arrivent dans
la baie de Barfund , ne font pas aufli
grandes ni aufli polies que celles qui
fortent de la baie de: Forbisher, &
qu'elles font plus échancrées, ce qui
prouve feulement que le détroit d'Y{-
blink :devroit. être : plus ferré que
celui de Forbisher, & que les pièces
de glace qui.en fortent, éprouvent
un brifement & un frottement plus
rudes.
» Parfaitement convaincu. de l’exif-
tence des deux détroits, & de leur
communication avec la côte orientale,
mais aufli bien afluré qu’ils n’étoient
navigables en aucun temps de l’année,
j'effayai de pañler par terre, ou plutôt
fur la glace, d’une côte à l’autre. Ma
tentative fut infrutueufe , & je fus
obligé d'abandonner mon entreprife.
IL feroit très - poñible fans doute de
faire cette traverfée fur la glace, au
moyen d'un petit canot très - léger
»
372 HISTOIRE DES PÈCHES
»
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»
22
qu'on porteroit fur fa tête, on pour-
roit traverfer toutes les flaques d’eau
qu’on trouve de diftance en diftance,
& dont les ouvertures font très-pro-
fondes ; on pourroit aufli les tourner,
mais ces détours alongeroient prodi-
gicufement le chemin. Avec un long
bâton, ou même en s'appuyant fur le
canon de fon fufil, on faute facile-
ment d’un petit monceau de glace fur
un autre : enfin, en fe laiffant glifier
du haut d’une petite colline, on arrive
facilement au pied, & rien n'empè-
chetoit qu'on ne pourfuivit fa route
en prenant quelques précautions. Mais
deux obftacles invincibles fe préfen-
tent d’abord & doivent faire aban-
donner à tout homme fenfé, un projet
qui, s’il pouvoit avoir fon exécution,
ne feroit pas d’une grande utilité gé-
nérale. Comment en effet fe pourvoir
pour ce voyage, d’une quantité fuff-
fante de vivres ? car il deviendroit
impofhble de s’en charger. Avec quoi
& comment les porter ? Comment
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DANS LES MERS DU NORD. 173
foutenir le froid fur la glace pendant
plufieurs mois de fuite, nuit & jour ?
car le voyage , à caufe de la difficulté
du terrein , devroit être fort long.
Mes compagnons & moi nous étions
munis d'excellentes pelleteries , &
nous prenions la précaution de ne
jamais nous coucher fur la glace, ou
fur la neige ; malgré cela nous éprou-
vâmes un froid horrible, quoique en-
veloppés de nos peaux d'ours , &
couchés fur un ras de peaux de Rennes
dont nous nous faifions même une
efpèce de tente. Je puis dire avec vé-
rité, que jamais, dans les hivers les
plus rudes , je n’avois éprouvé un
froid fi cuifant, même en plein air, fur
la côte occidentale du Groenland, que
celui que je reffentis dans les premiers
jours de Septembre, dans l’intérieur
du pays, à l'endroit où j’eftime que doit
être le détroit de Forbisher. » |
La montagne d’Ysblinkeft crès-haute,
les Navigateurs découvrent fon fommet
de crès-loin; ce fommet brille comme
194 HISTOIRE DES PÊCHES
du criftal : il réfléchit une lumière aflez
femblable à celle d’une aurore boréale.
Cette efpèce de fanal eft fitué au fond
d'une baie, dont l'entrée eft obftruée par
un pont de glace à plufieurs arches(r).
Ce pont merveilleux eft appuyé par fes
deux extrémités, aux deux rives oppo-
fées de l'entrée de la baie, à un éloi-
gnement de huit milles ; 1l a deux milles
de large. Les arches, portées fur des
mañfles énormes de glace , ont depuis
42 jufqu'à 120 pieds d’élévation. On
pourroit facilemententrera pleines voiles
dans la baie, gouvernant fous ces arches,
fi l’on n’avoit deux grands dangers à cou-
ir; le premier, c’eft qu'on rifqueroit
d’être écrafé par les pièces énormes de
glace qui fe détachent fouvent du cintre
des arches; le fecond, c’eft qu'on rif-
queroit de fe brifer contre les énormes
glaçons qui roulent du haut des mon-
ragnes voifines dans la baie, & que le
(1) J'en ai parlé un peu plus haut, dans la relation
du Fafteur Danois,
DANS LES MERS DU NORD. 175
teflus entraîne avec une rapidité éton-
nante dans la mer. Lorfqueles Groen-
Jandois veulent aller au port de Ysélink,
ils prennent leurs petits canots fur la
tête & s’acheminent ainfi jufqu’au bord
de la baie. On avoit bâti anciennement
quelques maifons fur la rive des deux
côtes, pour indiquer que l'entrée de lz
baie n’étoit pas toujours obftruée par
les glaces amoncelées. De grands bancs
de terre s'étendent au loin des deux
côtés du pont ; ils font formés d’un fable
fi fin & fi délié, que le vent l’enlève
facilement & en obfcurcit latmofphère.
Lorfque le vent vienc de fa mer, ce fable
eft emporté, comme un brouillard épais,
jufqu’à douze milles dans l’intérieur du
pays ; il eft crès-incommode pour ceux
qui fe trouvent dans cette direction ; il
eft impoñlible d'en garantir les yeux ;
fouvent même 1l entre dans la bouche,
quelque précaution qu'on prenne pour
n’en être pasincommodeé.
On apperçoit vers le 64°. degré de
latitude feptentrionale |, une énorme
176 HISTOIRE DES PÊCHES
montagne, la plus haute de toutes celles
du Groenland : fon fommet fe termine
par une pointe à trois branches , dont
la plus élevée s’apperçoit en mer, à plus
de foixante lieues : elle fert de fanal
aux Navigateurs, & de baromètre aux
Gioenlandois. La pointe du fommet eft
enveloppée d’un très-petit nuage, lorf-
qu'on eft menacé très - prochainement
d’un orage; le même phénomène fe fait
voir conftamment au fommet de la mon-
cagne de la Table ( Tafelberg), au cap
de Bonne-Efpérance, à la pointe méri-
dionale de l'Afrique. Au refte la pointe
de cette montagne du Groenlaud , fe
montte toujours à nud, elle n’eft jamais
couverte de neige, ni de glace; elle eft
trop aiguë pour que l’une ou l’autre
puiflent y tenir; ce n’eft que dans fes
cavités, ou fur de petits rocs faillans le
long de ce pic , que la neige tient &
qu’elle fe congèle à une certaine diftance
du fommet.
On trouve un peu plus haut vers le
Nord , le grand golfe, dit Baals-Rivier
( la
DANS LES MERS DU NORD. 177
(la rivière de Baal). Ce golfe s'étend
au nord-eft jufqu’à la diftance de vingt-
huit milles; 1l a quatre milles dans la
plus grande largeur. Une quantité in-
nombrable de petites Ifles forme à l’en-
trée de la baie, un archipel d'environ
fix lieues de circonférence. Æooede &
Crantz diffèrent un peu avec moi, fur
la véritable fituation de ce golfe : je crois
être afluré de celle que je lui donne,
d’après lArflorre générale des Voyages,
tome XIX, p. 1, cor. G; & d’après
Zorgdrager, dans fon Ouvrage fur les
progrès & les richefles de la Pêche du
Groenland, page 71.
- Affez près de Baals - Rivier , ‘font
fituées les Ifles de Napar/ok ; elles font
remarquables par leur fertilité (1); la
nature fans force & fans vigueur au
Groenland , femble revivre ici , & s’y
montre fous un afpect affez riant. On y
voit de la verdure , on y entend le chant
(1) Sans doute que cette ferrilité eft relative, & qu'il
n'eft guère poffhible de l’entendre à la rigueur, fous un
. climat aufli rude.
Tome IL. | LME
578 HISTOIRE DES PÈCHES
des oifeaux, & la mer y charrie quan-
tité de bois ; le Poiffon & les Phoques y
font en abondance. C’eft à la hauteur
de ces Ifles que font arrêtés ces innom-
brables glaçons, portés par les courans
de la partie de left, qui, après avoir
doublé la pointe de Staaren - Hoek,
y font chaflés par les vents du fud;
arrivés à la vue des Ifles de Napar-
{ok , ils s’y tiennent en équilibre par
la force réadive des courans qui y arri-
vent du nord-oueft, & qui bientôt après
les repouflent & les chaffent au loin en
pleine mer. |
Un Voyageur ne trouverien de remar-
quable entre le 65°. & le 67°. degrés de
latitude feptentrionale. Le détroit de
Davis commence vers le milieu du 67°.
degré. On découvre à cette hauteur, la
côte de l'Amérique , oppofée à la côte
occidentale du Groenland (1). |
L'objet principal des Voyageurs & des
(1) C'eft à cette hauteur qu’eft fituée lle de Jean-
mayen , &c’eft la côte de cette Ifle de l’Amérique qu'on
décore en cet endroit.
DANS LES MERS DU NoRD. 1i:9
Navigateurs, le long de la côte occiden-
tale du Groenland, dans le détroit de
Davis, eft d'atteindre la Bare de Disco :
elle eft fituée entre le 68°. & le 71°. de-
grés de latitude feprentrionale ; FIfle a
environ 160 lieues de tour ; l'entrée de
cette baie eftcommeobftruée par un très-
grand nombre d’Ifles, qu'il faut cotoyer
& tourner par les divers petits détroits
qu'elles forment. Quelques-unes de ces
Iles ont leur direction prolongée vers
left & d’autres vers l’oueft; celles-ci fe:
rapprochent de la grande Ifle de Difco.,
qui donne fon nom à la baie fur le bord
de laquelle elle eft fituée au nord-
oueft. L’Ifle de Difco pourroit facile-
ment défendre l’entrée de la baie ,: elle.
Ja domine à-peu-près comme l’Ifle de
Cuba domine le golfe du Mexique. Le
bras de mer qui pañle entre l’Ifle & le
continent , eft ce qu’on nomme le Ÿay-
Gat (la Paffe du Vent). Ce détroit a
fix lieues de lârge. Le fol au nord de la
baie eft aflez élevé; il eft prefque tou-
jours couvert de neige ; 1l eft plus bas.
M :
180 HISTOIRE DES PÊCHES
& plus uni, au fud. On fait dans cette
pafle (le Way-Gac), une pèche très-abon-
dante; .c'eft la plage la plus abondante
en poiflon fur toute la côte occidentale
du Groenland. Les habitans du pays y
prennent en hiver, une quantité pro-
digieufe de Phoques, & au printemps,
un grand nombre de petites Baleines.
Les côtes de la baie de Difco font les
plus peuplées de tout le pays; c’eft là
aufli, qu'on trouve la Colonie la plus
florifflante, parce qu’elle eft la mieux
fituée pour le commerce.
Nogfoak, ou le grand cap (de Groote
Kap jeft le port le plus feptentrional,
dans lequel on s'arrête fur toute cette
côte ; il eft marqué dans la carte de
Crantz, fous la dénomination de Jacobs-
Puch : c'eft là l'extrémité du Way-Gat,
c’eft là qu’eft la dernière Colonie Da-
noife , c’eft là enfin , qu’eft bornée
la navigation au Groenland; on ne con-
noit plus rien de cette côte , au-deflus
de cette grande baie , que celle de
Baffins. Celle-ci doit s'étendre vers le
DANS LES MERS DU NORD. 181
pole , entre le 72°. & le 78°. degrés.
Guillaume Bafins , qui le découvrit en
1716 , en naviguant dans le détroit de
Davis, ne trouva plus d’habitans fur
la côte , après avoir dépañlé le 74°. de-
gré : il y reconnut les veftiges de quel-
ques tentes , & quelques pièces de voile
qui avoient fervi à les former ; il con-
jeétura qu’elles y avoient été abandon-
nées par quelques Pêcheurs, qui, à
certaines faifons de l’année, venoient
s’y établir. Quoique les Norvégiens de
Difco aflurent que leur côte eft habitée
jufqu’au 78°. degré de latitude fepten-
trionale , il paroîït que ce n’eft de leur
part qu’une jaétance, car ils n’en donnent
pas la plus petite preuve. Îl paroît cer-
rain , au contraire , qu'aucun mortel ne
pourtoit foutenir la rigueur d’un climat
fi près du pole : les nuits d'hiver y
font , fans interruption, abfolument
obfcures , & ne Fée jamais place au
jour dans les vingt-quatre heures. Le
pays eft hérifé de rochers, & conti-
nuellement couvert d'une glace tës-
MS
182 HISTOIRE DES PÈCHES
épaifle : on n’y trouve aucune forte
d'oifeaux ; il n'y à ni Ours blancs , nt
Phoques , ni Baleines, ni rien qui puiffe
{ervir à une nourriture quelconque pour
l'homme. Comment feroit-il poflible que
l'homme , dénué de toute efpèce de
reffource , abandonné, pour ainfi dire,
du ciel & de la terre, en butte à toutes
les horreurs de la nature courroucée,
püt fe fubftanter & pourvoir à fes plus
preflans befoins fur un fol de glace éter-
nelle ?
En remontant la côte orientale, de-
puis Sraaien-Hoek , jufqu’au 66°. degré
de latitude boréale , paflé lequel la côte
ne préfente plus qu'un affreux défert,
on trouve le cap de la Drfcorde, & au-
deflus , le promontoire de Forbisher ;
c'eft-à-dire, le cap à l'entrée de la baie où
l'on fuppofe que vient aboutir l’extrémité
orientale du détroit de Forbisher; cette
baie par conféquent communiqueroit,
au moyen de ce détroit caché, avec celle
qui lui correfpond fur la côte occiden-
tale. Tout proche de ce promontorre,
DANS LES MERS DU NorD. 183
eft une Îfle aflez grande, qu’on nomme
Y Ifle-Blanche. On trouve au 63°. degré,
une baie très - profonde ; elle corref-
pond à celle de Bearfond , fur la côte
occidentale : on fuppofe encore ici,
qu'un détroit caché pañle de l’une dans
Pautre , j'en at parlé un peu plus haut.
La côte eft aflez paralléle à elle-
même , jufqu’à Erics-Fioerd, & même
un peu plus haut, jufqu’à Errcs-Sund ;
mais alors elle s’élargit prodigieufement
vers l’eft, jufqu'à la hauteur ce l'If-
lande , dont le Groenland n’eft fépare,
de ce côté-là, à Fzordum Ollum Langri,
que par un petit détroit qui, comme
je l'ai dit , n’eft plus navigable, à
caufe des glaces qui dérivent impétueu-
fement depuis Spirzberg | d’où elles
partent , pour gagner Sraaren-Hoek.
- Au deflus de Funkabuder (1), la côte,
en s'élevant vers le nord, eft abfolu-
ment inculte ; on le fuppofe du moins
ainfi , parce qu’elle eft abfolument
(x) Voyez la carte de Crantz.
M 4
184 HiSTOIRE DEs-PÈCHES |
inconnue. Funkabuder, où Findeubuder,
eft une baie très-profonde (1); il y périt
un favori du Roi Ofaüs , avec tout
l'équipage; cette baie porte le nom de
cet infortuné courtifan. |
Quoique la côte orientale foit beau-
coup moins dentelée que la côte occi-
dentale , on y trouve infiniment moins
d'Ifles, d'Iflots & de Peninfules. Après
avoir décrit ainfi les côtes connues du
Vieux Groenland, il me paroît:indif-
penfable de donner, avant tout, une
courte notice des lieux habités par les
Groenlandois , & des nouveaux établif-
femens Danois.
ee ee
(1) L’Auteur Hollandois dit que c’eft un Détroit ; il
fe trompe évidemment. Voyez la carte de Crantz & celle
d'Eggede.
DANS LES MERS DU NORD. 185$
Ge
CHAPITRE X VIT
Lieux habitées par les Groenlandois ;
Établiffemens Danois fur la côte occi-
dentale.
Lis partie du Groenland la mieux
peuplée , ou, pour ne rien exagérer ,
la feule un peu connue par les Na-
vigateurs , Pêcheurs ou Voyageurs ,
s’érend depuis le cap Farvel, jufqu'à
Frederics-Haab , fur la côte occiden-
tale ; c’eft-à-dire , dans un efpace de
cent lieues, entre le 59°: & le 62°.
degrés de latitude , & les 325°. & 330°.
de longitude feptentrionales.
Le cap Farvel, peu diftant de Staaten-
Hoek , paroit teur à deux Ifles très-
voifines, celle de Vennortalis , dont il
fait réellement la pointe méridionale à
l'oueft ; & celle de Serznefoc , au nord-
oueft de la première ; celle-ci eft plus
connue fous la dénomination d’'Ys-Erland
186 HISTOIRE DES PÊCHES
( Ile de Glace ) ; & l’autre, fous la
dénomination de Beeren - Eiland ( Ile
aux Ours ). Ces deux Jfles font au centre
d'un petit archipel; elles font féparées
du continent par un détroit. On aflure
que les Navigateurs qui rangent de
près la côte orientale, pour fe rendre
fur la côte occidentale, préfèrent d’en-
trer dans ce détroit, & de le débouquer;
ils abrégent leur route , & fe difpenfent
de doubler le cap Farvel. J'ai parlé plus
haut , de ce détroit, & je l'ai comparé
à celui de Magellan. Les Groelandois
qui habitent la côte & les environs de
Staaten-Hoek, de même que ceux qui
habitent les Ifles , fur la côte occi-
dentale, fous le 60°. degré, font, par
rapport aux autres, les Groenlandois
méridionaux, & leurs frères les regardenc
comme-tels.
L'Ifle d'Onartork eft une des plus
belles ; lafpet en eft moins fauvage
que celui de toutes les autres, fituées
fous les mêmes degrés ; on y trouve
des plantes & de la verdure; elle a un
DANS LES MERS DU NORD. 187
très-bon port; elle eft, fur-tout, très-
bien fituée pour la pêche du Hareng;
on y trouve une fource d’eau chaude ;
l'Ifle porte le nom de cette fontaine ; au
plus fort de l'hiver , l'eau en eft fi
chaude , qu’elle diffout dans un clin-
d'œil une groffe pièce de glace.
Ikerfoak | ou Groon-Bay , eft une
Ifle fituée à une petite diftance de la baie
d'Jgalik : on y trouve aufli des fources
chaudes ; on y ramafle des cailloux
tranfparens, à pointe de diamant ; ces
pierres font fi dures , qu'on peur s’en
fervir pour couper le verre, comme fi
c'étoit un diamant même. En fortant
de cette baie , on trouve celle de 7ux-
nurlzarbik ; celle-ci a aufli un très-bon
port ; elle eft très-profonde. Sur la côte
à droite de la baie, eft Kangok, ou
Kakokrok ; fur la gauche, Aglurok :
ces deux établiflemens Groenlandois
font les plus beaux de tout le pays; ils
{ont les plus peuplés, & fontles premiers
qui ont été habités; aufli font-ils les
plus fréquentés, même aujourd’hui.
188 HisToinE DES PÊCHES
Kikkertarfoak, ou lIfle-Grande , eft
un des premiers établiflemens Groen-
landois , que les Hollandois aient fré-
quentés ; ils y ont fait anciennement
un très-grand commerce; ce marché
eft tombé aujourd’hui. Un navire Hol-
Jandois y périt, en 1742, par la glace
qu'une tempête violente y accumula ;
le vent foufloit de la partie du fud , &
vraifemblablement ces gros glaçons ve-
noient de la côte orientale, & avoient
doublé le cap Farvel; l'équipage fut
fauvé, & recueilli par les Groenlandois.
Kudnarme eft une très-bonne habi-
tation fur la côte de la terre ferme ;
elle eft avoifinée par plufeurs petites
Ifles : on trouve, un peu au-deflus ,
un golfe très -enfoncé & fort étroit;
les Groenlandois le nomment Zéblik ;
ils sy réfugient lorfque la mer eft en
tourmente , & ils y font en sureté.
: Sermeliarfok ;ouYsbay (Baze Glacée),
offre une excellente plage pour pêcher
le Hareng ; on y prend aufli quantité
de Phoques : les géographes la placent
DANS LES MERS DU NORD. 189
au 61°. degré 20 minutes ; il eft à pré-
fumer qu’elle communiquoit au détroit
de Forbisher; mais la glace doit avoir
intercepté cette communication : il eft
certain, au moins, que le fond de la
baie refte continuellement bouché par
un banc de glace énorme.
Voilà les principaux établiflemens
Groenlandois dans cette partie de la
côte occidentale ; ils font aflez peuplés;
les Européens ne les connoiffent guère,
& les vifitent encore moins. Ceux qui
font la pêche au détroit de Davis, re-
montent beaucoup plus haut vers le
nord, & n’ont pas le temps de s'arrêter
à ces habitations.
Il me refte à faire connoître les Co-
lonies Danoïfes , routes fituées le long
de la même côte , entre les 62°. & 72°.
_degrés de latitude.
Le Groenland eft, comme la Norvéce,
dont 1l a fuivi le fort, fous le Gouver-
nement Danois. Les Rois de Danemark
n'ont jamais perdu de vue cette portion
ingrate de leur royaume ; ils ont
190 HISTOIRE DES PÊCHES
dépenfé , à divers temps, des fomimes
confidérables pour fonder & foutenit
des Colonies, fousunclimatdont l’âpreté
contrarie au plus haut point le vœu de
la nature. On compte aujourd’hui douze
différentes Colonies Danoifes, entre les
61°. & le 70°. desrés de latitude. Fre-
deriks-Haab , la première qui fe pré-
fente un peu au-deflus du détroit de
Forbisher , fut fondée en 1742. L’em-
placement fut choili de préférence, parce
qu'il parut être très-propre au commerce
qu'on fe promerttoit d'y établir avec Co-
penhague. Cette Colonie eft à une lieue
& demie de la mer; les objets de fon
commerce , font l'huile de Poiflon, les
peaux de Renard & de Chiens de mer.
Cette Colonie a fouffert, dans les pre-
mières années, par la glace, au point
que les navires envoyés pour l'appro-.
vifionner , étoient obligés de décharger
dans le port de Godhaab ( Bonne-Ef-
pérance ) ; on employoit enfuite de
petites allèces qui alloient porter les
approvifionnemens à la Colonie, par
DANS LES MERS DU NORD. rot
un petit canal détourné , de foixante
lieues de long ; ce détour rendoit les
approvifionnemens très- précaires. La
Colonie d'Ysélink eft à douze milles de.
Frederiks-Haab ; j'en ai déjà parlé.
À trente-fix lieues de Frederiks-Haab,
eft fituée une baie étroite; elle a fix
lieues de profondeur ; on la nomme
Fisher-Fiord ( la Baie au Poiflon ); elle
eft ainfi nommée , à caufe de la grande
quantité de poiflons de toute efpèce
qu'on y trouve. L'entrée de cette baie
eft coupée par deux Ifles qui ont envi-
ron neuf milles de contour. Une plaine
fertile & couverte de verdure , fait la
pointe méridionale deceslfles:onnomme
cette pointe Frsher-Lodge ( Loge au
Poiflon ); la Compagnie Danoïfe du
Groenland y a établi un comptoir, qui
fert de centre de correfpondance à toutes
les Colonies; cet établiflement date de
l'année 1754. Les Frères Moraves ont
établi le chef-lieu d’une miflion , à trois
lieues de diftance de cette Fattorerie ;.
çer établiffement eut lieu en 1758 ; 4l.
r92 . HISTOIRE DES PÈCHES
eftconnu fousla dénomination de Zriéten-
fels. Le commerce de la Colonie de
Freceriks-Haab, s'étend jufqu’à /aunck-
fuk, habitation des Groenlandois , à
quatre lieues de Fisher-Lodge.
La feconde Colonie des Danois -eft
à X'ingorne , ou aux lfles de Kellingeit ,
à cinq lieues de: Kznoorne : celle-ci eft
excellente pour la chafle des Phoques ;
on s'y rend facilement maître de ces
animaux , qui y font comme renfer-
més entre les deux files; il n’eft guère
pofiible qu'ils échappent aux chafleurs
qui les y attaquent toujours avec fuccés.
Buxe- Bay eft fitué à huit lieues au-
deflus ; les Hollandoïs y ont un bon
port ; 1l eft toujours ouvert pour les
Pêcheurs Groenlandoïs errans , & qui
n’ont pas d'habitation fixe ; ils hivernent
tous les ans dans cette baie. X'arrak elt
encore à fix lieues plus haut; cette baie
eft remarquable par une rivière , qui s’y
rendaprès avoir parcouru plufieurs milles
du continent. Deux lieues plus haut,
on trouve la grande baie d'Amaralk ,
ou
DANS LES MERS DU NORD. 193,
ou Baals - Rivier; la mer y donne
du poiflon en abondance , & les côtes
fourmillent, de Rennes : le fol y eft cou-
vert de verdure & d’arbrifleaux ; on
y trouve une forte de pierre , qu’on
regarde comme du marbre bâtard , à
caufe des veines de granit dons, elle
eft parfemée. |
: La baie de Kobe eft au pied de la
montagne de ÂAiorte-Tag ( Montagne
à trois fommets ); on la nomme aufi
Stag-Shorn, elle eft à fix lieues de celle
d’Amaralik ; on y prend du petit Saumon,
qui fe tient dans de-petits marais difper-
fés ça & la.
La troifième Cole eft celle de God-
Haab , au 66°. degré, 14 minutes;..elle
eft fituée au fond de la baie de Baals-
Rivier. Entre le très-grand nombre d’Ifles
qui font à l’entrée de cette baie, les
plus confidérables , font celles que les
Groenlandois nomment Kz4/:Kkfur. L’'Ifle
de Kangek (- Efpérance j eft fituée au
nord de celles-ci ; elle eft limitrophe
du Wefterland, qui eft féparé de la côte
Tome IT. N
194 HISTOIRE DES PÊCHES:
du continent par un petit détroit, où
les Groenlandois font une bonne pêché
pendant l'automne : au fud, eft un autre
courant qu'on appelle la Pafje-du-fud,
qui fépare de ée côté, les Ifles de Xzr-
likfut, d'un grand nombre d’autres Ifles
aflez grandes : c’eft entre ces dernières
qu'eft le canal dit de Hambourg ;'elles
ont, au nord-eft, un autre canal qui
fe prolonge dans le pays, jufqu'à une
prefqu’ffle ; où l’on trouve un bon port
pour les navires qui vont à la ‘pêche
dé la Baleine. A'un demi-mille du:port ,
fat la côte occidentale, eft le chef-lieu
des Frères Moraves Groenlandois > on
le nomme ÂView-Hernhut ( Nouveau
Hernüt-). La Colonie de Goede-Hoop.
(-Bonné-Efpérance ) , eft fituée à une
égale diftance des Frères Moraves (r) ;
au nord de ce chef-lieu. Cette Colonie
- (r) Cette maifon n’eft à proprement parler que le
lieu du-rendez-vous annuel des profélytes Groenlan-
dois ; c’eft-là où ils viennent recevoir. des inftruétions
plus particulières, & fe confirmer dans la cro ur
des Hernutes.
DANS LES MERS DU NORD. 19$
confifte en une maïfon habitée par le
Facteur de la Compagnie Danoife, &
par le Mifionnaire Danois ; ayant,
chacun leur ménage & leur famille : 11
y a une églife , un magafñn, une fon-
derie de fer & une brafferie.
L'Ile de Saalberg , ou Zaalberp , eft
fituée deux milles plus haut que Bonne-
Efpérance; elle prend fon nom, de la
forme des fommets de la montagne j
qui repréfente aflez bien une Selle ;
cette Îfle domine fur toutes les autres
par fon élévation. On apperçoit facile-
ment cette montagne, à la diftance de
cinquante lieues ; les oifeaux s’y refu-
gient dans les longues nuits d'hiver.
Tout proche, eft l’//le-aux-Ours , &
l’Ifle Auprllartok ; celle-ci a huit milles
de long , & eft fituée entre deux baies.
Une de ces baies fe prolonge au fud-
eft, jufqu'à Piffik-Sarbik ; la pèche
y eft bonne en cet endroit ; elle eft
coupée par üne autre baie qui s'enfonce
dans la côte. L’Ifle Aupillartok eft au
nord de Zaalbers ; elle a à l’oueft
N 2
196 HISTOIRE DES PÊCHES
Kaunnerfut; c’eft un pays très-plat, fté-
rile & pierreux ; on y trouve cependant
un marais d’eau douce , dans lequel on
pêche du Saumon. Ce marais a huit
milles d’étendue , mais il n’eft pas fort
poiflonneux. La baie du nord fe divife
en deux bras; l’un fe nomme Ujarak-
Jfoak ; on trouve fur fes bords , une
pierre blanche aufli douce que la craie ;
l’autre bras eft abfolument couvert de
glace. |
Tel eft à-peu-près l’état de la Colo-
nie de Bonne-Efpérance, qui avoit été
d’abord établie en 1715 , à l’Ifle de
Kangel, & qui fur tranfplantée en 1728,
fur la côte du continent; c’étoit l’en-
droit le plus propre & le mieux fitué
fur toute la côte occidentale, pour y
former unétablifflementde conféquence :
il étoic richement peuplé, & 1l y avoit
alors plufieurs milliers d'habitations de
Gioenlandois. Depuis le ravage que la
peste vérole y fit en 1733, la popu-
lation ne s’y eft jamais rétablie ; le plus
grand nombre des habitans fut emporté
DANS LES MERS DU NORD. 197
à cette époque, par cette épidémie défaf-
treufe. Un Facteur, qui s’attacha par-
ticulièrement à fe procurer un dénom-
brement authentique des Groenlandois
échappés au fléau deftruéteur dont nous
venons de parler, ne trouva, dans un
arrondiffement de quarante lieues, que
neuf cent cinquante-fept Groenlandois
qui habitaflent ce diftriét : cette contrée
eft cependant une des plus peuplées
de toute la côte : car , à l'exception de
la côte méridionale, & de la baie de
Difto, on peut parcourir vingt lieues
d'étendue par-tout ailleurs, fans ren-
contrer âme vivante. En fuppofant donc,
400 lieues de pays habité , & en comp-
tant mille habitans par quarante lieues ,
il s'enfuit qu'en y comprenant même
le fud & le nord de la côte, qui font
paffablement peuplés, il n’y auroit pas
en tout plus de dix mille habitans. Le
Facteur dont j'ai parlé, n’en comptoir
pas au-delà de fept mille : il aflure
cependant qu’en 1730 , le Groenland
pouvoit compter trente mulle habitans;
N 3
198 HISTOIRE DES PÈCHES
& qu'en 1746, 1l n’y en comptoit pas
lui-même au-delà de vingt mille. La
population a diminué pe deux tiers
depuis cette époque.
Zurkertop eft la quatrième Ghiarié
Danoife ; elle eft fous le 65° degré 48
minutes ; elle fut établie en 175$, à la
diftance de cinquante-fix lieues , de celle
de Bonne-Efpérance. On lui a donné
ce nom, à caufe des trois montagnes
au pied defquelles elle eft fituée, qui
cat la forme d’un pain de fucre. Ces
montagnes fervent de fare aux Naviga-
teurs qui fortent du port ; il eft un des
plus sûrs & des meilleurs de toute la
côre ; il eft à une deimi-lieue de la mer,
entre deux petits lots qui le couvrent,
& le mettent à l'abri des ouragans &
des tempêtes. Cette côte abonde en
poiflon, & on y voit quantité d’oifeaux ;
on y voit aufli, de temps à autre, quel-
ques Baleines, mais les Groenlandois ne
leur donnent pas la chafñle ; les Euro-
péens qui viennent y mouiller, n’y entre-
prennent jamais cette pêche , faute de
DANS LES MERS DU NORD. 199
nacelles & d’autres canots néceflaires
à la pêche de la Baleine.
On remonte deux baies au-deflus de
Zuikertop , dont l’une a 3$ lieues de
long ; les bords en font couverts de
verdure ; vingt milles plus loin, on
trouve une grande Jfle, au milieu d’un
grand nombre de petites qui l'entourent.
Cette Ifle eft remarquable, à caufé des
grandes Baleines & du nombre prodi-
gieux de Saumon qu’on y pêche. Le
fol eft couvert d’une forte d'argile blanc
qui a le brillant de l'argent , mais qui,
jeté au feu, ne brüle pas.
On remarque fur-rout un très-grand
rocher , au fond d’une profonde vallée,
qui. fert aux Groenlandois comme de
quartier de réferve pour la chafle des
Phoques : ces animaux y viennent en
quantité avec le flux, dans les beaux
jours d'été, pour y dormir au foleil;
le reflux les laiffant à fec, les Chafleurs
en tuent par milliers , vu que les
Phoques , pris alors comme dans une
nacelle , ne peuvent s'échapper. par
. N4
200 HISTOIRE DES PÈCHES
aucun endroit. La baie d’Amaralik eft
fituée à quarante lieues au-deflus de
Zurkertop ; on y prend quelques Ba-
leines tous les ans.
Holfleinburg eft la cinquième Colsbis
des Danois; elle fut établie en 1759 ;
c'eft une des mieux fituées pour le
commerce & pour l'agrément du lieu.
Zuibaay eft la fixième ; elle ef
fous le 67°. degré 30 minutes ; fon
établiffement date de 1756 ; mais celle
d'Aolfiernberg , établie trois ans après,
a ruiné celle-ci; à peine y entretient-on
un commis chargé de ramañler le poif-
fon que les Groenlandois pêchent dans
le voifinage.
La feptième Colonie eft celle d’ sl
des- Mernde , ainfi nommée du Capitaine
Escede,, qui fut chargé de l’établir en
1759 ; elle a recu cette dénomination
pour perpétuer la mémoire de fon fon-
dateur. Le Danemark & l’Europe lui
doivent infiniment; fans lui, le Gou-
vernement Danois auroit perdu fes Co-
lonies du Groenland, & l'Europe feroit
DANS LES MERS DU NORD. 201
privée des connoiflances précieufes d’un
pays qui enrichit l’hiftoire naturelle , &
qu'il eft fi difficile de connoître. La
pêche de la Baleine réuflit très - bien
dans ces trois dermers établifemens ,
pendant les premières années ; mais les
Groenlandois n’y viennent aétuellemenct
que très-rarement , quoique le pays foit
également propre à la pêche & à la
chafle. La caufe du dégoût des Groen-
landois ‘provient de ce que le port
d'Egoëdes - Meinde eft fermé par la
glace jufqu'au mois de Mar, & qu’alors,
la bonne faifon de la pêche de la Baleine
eft déjà pañlée : c’eft pour cette raifon
aufli que la Compagnie du Groenland
a mis en délibération, s’il ne convien-
droit pas de tranfporter cette Colonie
aux Îfles de Dunk.
… Chriflianshoop fut fondé en 1734,
fous le 69°. degré & demi ; fuivant
d’autres , cette Colonie eft au 68°. 34
minutes.
Claushaven eft la neuvième Colonie ;
elle eft plutot un fimple comptoir qu’une
202 HISTOIRE DES PÈCHES
Colonie : on trouve Yshaay , ou ce-
Baay, quatre milles plus haut ; cette
baie avoit ci-devant un port ouvert;
il eft férmé aujourd’hui par la glace;
ous les ans , cette glace augmente gra-
duellement à un tel point, qu'il s'élève,
dans la baie même, des montagnes de
glace dont la hauteur eft déjà confidé-
rable. |
La dixième Colonie, eft celle de J'acobs-
Haven ; ce port n’a été reconnu pout
la première fois , qu'en 1741. Le com-
merce de ces trois dernières Colonies
n'occupe à peine qu'un feul navire de
409 tonneaux ; chaque tonneau de 80
gallons ; 36 gallons font 12 /£eekan-
nen (1x).
La onzième Colonie eft fituée entre
le 69°. & le 70°. degré de latitude fep-
centrionale ; elle fut établie en 1755.
Enfin , la Colonie de Nog/oak , qui
fait la douzième, eft fituée au fond du
(1) Cette manière de compter la cargaifon d’un navire
pêcheur, eft particulière aux Adminiftrateurs des Co-
lonies Danoifes , relativement aux Groenlandois.
DANS LES MERS DU NoRD. 103
Way-Gai ; fon établiflement date de
1758.
On n’a rien entrepris fur la côte orien-
tale du Groenland; elle eft beaucoup
moins propre à la pêche de la Baleine
que la côte occidentale. D'ailleurs , j'ai
fait remarquer plus haut , combien la
navigation y eft dangereufe ; tous les
eflais qu’on pourroit faire pour y éta-
blir un commerce relatif à la pêche,
feroient infruétueux , & les dépenfes
feroient en pure perte.
204 HISTOIRE DES PÊCHES
CHAR LATE KV RTE
Du Climat & des Saifons du Groenland
V4 V4
en général.
Ox comprend facilement, d’après la
defcription des côtes du Groenland,
que le climat doit y être des plus rudes
_ & des plus äpres ; la pofition feule de
ce pays , depuis le 59°. degré de lati-
rude feptentrionale , jufqu’aux degrés
les plus voifins du pole , fuffiroit pour
faire conclure que le Groenland doit
être une terre ingrate, inhabitable, &
que le plus rude hiver doit y faire fencir
éternellement fes rigueurs. Le Groen-
land, en effer, eft conftamment cou-
vert de neige & de glace; & fi le fol
fe montre à nud quelquefois dans quel-
ques endroits d’une petite étendue, 1l
reprend bientôt fa parure ordinaire, la
neige & la glace. Cependant, la nature,
toujours fage & prévoyante , même
lorfqu’elle femble avoir réfervé toutes
DANS LES MERS DU NORD. 205$
fes rigueurs pour les deux zônes des
extrémités du globe, a ménagé pour les
Groenlandois une petite portion de l'in-
fluence bienfaifante de laftre qui la
vivifie elle-même. Il eft des endroits
dans le Groenland , où le froid eft très-
fupportable lorfque le foleil paroît fur
lhorifon , quoique toujours rigoureux ;
il fuffit, pour cela , qu’il fe montre deux
ou trois heures dans les vingt-quatte ,
que la terre emploie à faire fa révo-
lution journalière autour de lui. Dans
ces momens même , où le Groenlan-
dois , au plus fort de l'hiver, tapi fur
la neige , réchauffe aux rayons du fo-
leil, fes membres engourdis, les liqueurs
de toute efpèce fe gèlent dans les réduits
de fa hutte, les mieux clos, & dans
les maifons les mieux conftruites : ce
{ont celles que les Danois ont fait bârir
pour leurs Faéteurs & leurs Miffionnaires.
Dans les contrées où le foleil ne fe
montre jamais fur l’horifon, tout gêle
fans exception ; quelque feu que l’on
fafle, à quelque degré qu’on porte, par
206 HisToiRE DEs PÈCRES
l'art, l'activité de cet élément, on ne
parvient jamais à dégeler tout ce qui
renferme quelques fucs.
Eggede rapporte un fait , dans fon
journal du 7 Janvier 1738 , bien propre
à donner une idée de l’intenfité du froid
dans le Groenland. Ce Voyageur y dit :
ce
»
2
2
Lb
2
32
2
bb]
2
Que ce jour, la cheminée de la
chambre où 1l fe tenoit , fut remplie
de glace jufqu’à l'ouverture du poële,
& qu’il ne fut pas poflible de la faire
fondre de toute la journée, quel-
que feu’qu'on fit dans ce poële. L’ou-
verture extérieure de la cheminée
éroit bouchée par une couche de glace
très-épaifle , qui y formoit comme
une forte de couvercle; celui- ci
étoit parfemé de quelques petites
ouvertures , par lefquelles la fumée
avoit de la peine à s'échapper. Les
portes de la maifon, de même que
les murs, étoient recouverts d’une
forre chemife de glace, & les in-
terftices étoient calfeutrés de neige.
Tout étoir gelé dans Pintérieur des
DANS LES MERS DU NORD. 207
habitations ; le lingedansles armoires;
les bois de lit , les plumes & le duvet
des couflins & deslits, & le tout étoit
‘recouvert d’une couche de glace d’un
‘pouce d’épaifleur. On fut obligé de
couper la viande comme on brife une
pierre, pour la retirer du vafe où on
la confervoit; on eut de la peine à
enfoncer la pointe du couteau dans
la fuperficie , même après l'avoir fait
bouillir long-temps dans de leau
de neige fondue. C’eft à ce degré
qu’étoit alors le froid , à la baie de
Difco. Communément cependant ,
le froid s'adoucit par intervalles, &
-ne fe foutient que rarement à ce point
de ‘figüëur pendant plufeurs jours de
fire ; le cemps change ordinairement
tous ks quatre ou cinq jours ».
Le grand froid commence au Groen-
land , comme dans les autres parties
de l'Europe, vers le premier de Janvier;
il eft fi âpre en Février & Mars, que
les pierres fe fendent & éclatent ; la
mer fume alors comme un four à chaux,
208 HISTOIRE DES PÊCHES
particulièrement dans les baies. Cepen-
dant le froideft plus fupportable dans les
endroitsou le brouillard épais donne ,que
dans ceux où l’aireft ferein & fans nuage ;
on s’en apperçoit quand, de l'intérieur
du pays on arrive fur les cotes, ou
fur le rivage obfcurci par les vapeurs
épaifles qui s'élèvent de la mer ; on
éprouve alors une température bien plus
douce , & un froid moins rigoureux ,
quoique les vêtemens & les cheveux
foient dans un moment couverts de
givres , qui fe convertiflent en glaçons,
& qui forment une infinité de criftaux.
tranfparens. Ces brouillards , quoique.
plus fupportables que le froid fec &
piquant, font infiniment plus-dange-
reux , & agiflent avec plus de violence
fur les parties du corps : les mains &
les pieds font bientot remplis d’enge-
lures , & courent le plus grand rifque
de fe geler. C'eft dans ce temps qu’on
voit congeler l'eau fur le feu, avant
d'y prendre une forte ébullition, que la
gelée prépare une route commode fur
la
DANS LES MERS DU NORD. 209
la mer, pour aller par la glace, d’une
Ifle à l’autre; que les Groenlandois
meurent fouvent de faim, faute de
pouvoir aller à la chafle ou à la pêche;
& que , quand même ils feroient en état
de fortir de leurs huttes & de réfifter
au froid , ils n’en feroient pas plus avan-
cés, puifqu'ils ne trouveroient rien pour
fe fubftanter.
Un hiver aufli rigoureux eft toujours
long. Cependant les Groenlandois comp-
tent leur été ducommencement de Mai,
à la fin de Septembre ; car, pendant
les cinq mois qui s’écoulent de Mai en
Septembre, ils fe tiennent fous des
tentes, & abandonnent leurs tanières.
La terre n’eft parfaitement dévelée,
qu'au mois de Juin , & alors même,
elle ne left qu'à fa fuperficie , & il
neige continuellement jufqu’au folftice
d'été. . Il recommence à neiger dès le
mois d'Août, mais la terre. n’en eft
entièrement- couverte qu'au mois d'Oc-
cobre. On affure cependant qu'il tombe
moins de neige & de pluie au Groenland
Tome IL. pt |
210 HISTOIRE DES PÊCHES
qu'en Norvége : on voit rarement
que la neige s'élève à plus d’un pied
fur le rivage , excepté toutefois, aux
endroits où le vent l’accumule , mais
elle ne refte pas bien long-temps amon-
celée ; car, lorfque le foleil ne la fond
pas, le même vent la difperfe ; & alors,
l'air en eft fi rempli, que les Groen-
landois n’ofent pas fortir de leurs de-
meures, parce qu'ils en feroient pro-
digieufement incommodés. Il arrive quel-
quefois , pendant plufeurs années de
fuite , que la neige refte fur la terre,
depuis l’équinoxe de l'automne, jufqu’au
folftice d'été; elle eft même , dans cer-
tains Heux bas, tellement accumulée
& durcie par le froid , qu’on peut faci-
lement & fans danger s'y promener à
patins. Cette neige ne fond pas faci-
lement, & 1l faut plufeurs jours de
pluie continuelle pour la fondre.
L'été | moins long au Groenland
qu'ailleurs , y eft néanmoins fi chaud,
qu'on eft obligé de quitter les habits
plus pefañs, pour vaquerà fes occupations
DANS LES MERS DU NORD. 211
ordinaires , particulièrement pour fe
rendre dans les baies , ou fur les
plages abritées, parce que les rayons
du foleil y font beaucoup plus ardens, à
raifon du foyer .qui les réunit: L'eau
qui refte alors dans les cavités des ro-
chers, y eft rellement cuite par l'ardeur
du foleil, qu’elle fe criftallife au point
de donnerun feltrès-fin, & blanc comme
neige. La chaleur eft fi forte dans ces
mêmes mers qui reftent gelées pendant
fix mois de l’année , que dans certains
beaux jours d'été, le goudron fond &
coule le long des navires qui en font
enduits. Ce phénomène eff, à la vérité,
rare ; car, d'un côté , les chaleurs d’été
{ont ordinairement . tempérées, par les
vents qui foufflent deslfles qu'on nomme
Yferlanden ( les..Ifles de Glace ). Ces
vents fonc fi frais, qu'on eft obligé de
reprendre vers le foir , les habits chauds
dont on s’écoit débarraflé dans la jour-
née., D’un'autre côté aufli, la cote eft
fouvent couverte de nuages. très-fré-
quens depuis Avril jufqu’en Août; ils
O0 &
212 HISTOIRE DES PÊCHES
forment quelquefois un brouillard fi
épais , qu'on peut diftinguer à peine un
navire à une trés-petité diftance ; ce
brouillard eft fouvent fi bas, qu’à peine
on le diftingue de l’eau de la mer, de
laquelle il s'élève; alors, cependant ,
la cime des montagnes fe fait apperce-
voir dans un atmofphère clair & dégagé
de toute efpèce de nuage : enfin, le
Voyageur élevant la tête, refpire aux
rayons du foleil , un air pur, pendant
que, fes pieds enfevelis dans l'ombre ,
il femble marcher dans les ténèbres.
L'automne eft , en général, la plus
belle faifon du Groenland; car, à pro-
prement parler, il ny a pas de prin-
temps , puifqu’on ypaffe très-rapidement
de l’hiver à l'été. La durée de l’automne
eft très-courte; les nuits: très - froides
en diminuent fouvent l’agrément & les
avantages. C’eft dans cette faifon que,
fous un horizon rempli de vapeurs, &
éclairé par les rayons du foleil qui les
pénètrent , on voit des nuagés qui quél-
quefois fe congèlent , & forment dans
DANS LES MERS DU NORD. 213
l'air une forte de verglas tranfparent ;
on les voit fur la mer, comme.un tiflu
de glace aflez reflemblant à une toile
d’araignée ; on les voit auffi. fe. prome-
ner quelquefois dans l’atmofphère, fur
la côte & dans l’intérieur du pays, tiflus
de petites parties écincelantes., de la
forme de petites, aiguilles.
On a obfervé plus d’une fois , que
les faifons fuivent l’ordre inverfe de leur
température, à celui qu'elles fuivent
dans le refte de l’Europe ; de façon
que, lorfque l'hiver eft crès-rude dans
les contrées tempérées , 1l eft très-doux
au Groenland , & que le froid eft au
contraire plus piquant aux contrées les
plus feptentrionales , à proportion qu’il
eftplusradoucidanslesnôtres. Quelqu'un
a fait la remarque, que l'hiver de1739
fut doux à la baie de Difco, que les
Oies , au mois de Janvier fuivant , arri-
vèrent des contrées tempérées, à celles
qui , d'ordinaire, font couvertes de glace
& de neige, pour y chercher un air
plus chaud , tant le froid étoit piquant
O 3
214 HISTOIRE DES PÊCHES
cette année dans les autres pays de l’Eu-
rope. On remarqua aufli , qu’en 1740 ,
la baie de Difco fut abfolument fans
glace jufqu'au mois de Mars, pendant
que dans le refte de l'Europe , le plus
grand froid fe fit fentir depuis le mois
d'otobré jufqu'au mois de Mai. Cet
obfervateur ajouté que le foleil qui,
communément reparoît au Groenland,
dans les premiers jours de Janvier , ne
parut cette année qu’au mois de Février,
quoique l'ait y fur beau & fereia. Il
croit que ces deux phénomènes parti-
culiers doivent être attribués aux douces
mais infenfibles vapeurs de l’armofphère
des contrées tempérées de l'Europe , qui
furent chaffées für les côtes du Groen-
land ; par l’intenfité du froid de certe
année (1). L'hiver de r763 , qui fur
fi rigoureux en Europe , fut fi doux au
Groenland, qu’on ÿ voit des étés bien
plus froids que cet hiver. En général,
. (1). Il me femble que cette caufe eft bien hafardée,,
& que c’eft tomber dans le grand inconvénient d’ex-
pliquer ces jeux de la Nature, obfcurum per obfcurius.
DANS LES MERS DU NORD. 215
Pair eft put au Groenland, vif & très-
fain ; on peut y vivre en bonne fanté,
jufque dans une vieilleffe aflez avancée,
pourvu qu'on ait foin d’aller bien vêtu ,
de manger fobrement, & de faire un
exercice régulier. On n’y voit aucune
des maladies communes en Europe ;
on y eft fujet feulement au fcorbut,
aux inflammations des yeux, & aux
maux de poitrine : ces incommodités
proviennent de la diète longue & forcée
que les habitans y font , & du froid
exceflif, de même que de la blancheur
extraordinaire de la neige qui éblouit &
affecte prodigieufement la vue. Les pre-
miers Miffionnaires Allemands , que le
zèle le plus louable fit venir dans cette
contrée féparée , & à une très - grande
diftance du refte de l’Europe , y jouirent
- pendant trente ans, d’une fanté inalté-
rable ; ils ne furent fujets, pendant tout
ce temps, malgré leurs pénibles travaux
apoftoliques, à aucune maladie un peu
férieufe , fur-tout dans les premières
années où ils ne trouvoient qu'une
O 4
216 HISTOIRE DES PÈCHES
nouïriture, groflière , mauvaife & dé-
goütante, & encore manquoient-ils très-
fouvent de quoi fe fubftanter & appaifer
leur faim. Ces Mifionnaires moururent
dans l’âge le plus avancé & dans une
vieillefle décrépite , entre ces rochers
inacceflibles & couverts d'une glace éter-
nelle, au milieu des neiges , pendant
que leurs confrères payoientletributäla
nature , à la fleur de l’âge, dans des pays
plus chauds & abondans en tout ce qui
peut contribuer aux commodités & aux
agrémens de la vie. Les Groenlandois
eux-mêmes fe préfervent de la rigueur
du froid & réfiftent à l’âpreté de leur
climat; ils font plus incommodés des
chaleurs de l’été & des humidités de
l'hiver, lorfqu'ils fe trouvent dans nos
ports dans ces deux faifons; ils font in-
finiment mieux dans leur patrie, malgré
la rigueur & la longueur de leurs hiveïs.
Le temps eft variable pendant l'hiver;
la pluie n'eft jamais de longue durée,
particulièrement à la baie de Difco, où
l'été fe foutientfans variation. Les orages
DANS LES MERS DU NORD. 2117
fubits y-font très-rares, de même que
la grofle grèle ; le vent y eft cependant
aufli variable qu'ailleurs ; & foit qu'il
vienne des montagnes, ou de la côte, 1l
n’eft jamais aufli froid qu’on fe l’imagine
en Europe, 1l contribue même beaucoup
à ramener le beau temps. M. de Buffon
prétend que-les vents participent de la
nature des climats d’où ils viennent, &
qu'ainfi les ventsd’eft, qui font les vents
du foleil, règnent fous l'équateur, &
que les vents des deux poles doivent
fouflerdans les pays les plus froids. Crantz
démontre que ce raifonnement eft pré-
cifément démenti par l’expérience ; il
avance que plus on approche du pole
arétique ,-& plus.aufli on y trouve les
vents du fud;. ce vent même y caufe la
gelée dans les hivers les plus froids.
Ileft des remps, & particulièrement
en automne, où les vents foufllent avec
tant d'impétuofité au Groenland, que
les maifons en-font ébranlées, que même
quelquefois elles font renverfées, & les
ruines jetées au loin. Dans ces ouragans,
2183 HISTOIRE DES PÊCHES
il arrive ordinairement, que les tentes
des habirans & des pêcheurs, que les
navires même {ont enlevés & emportés ;
qu'enfin l’eau de la mer enlevée par le
vent, va inonder la côte, fous la forme
d’une pluie abondante. Les Groenlan-
dois affurent avoir vu des pierres de deux
livres enlevées par l'ouragan , à une
hauteur confidérable & retomber pour
fe brifer en éclats. Lorfqu'ils veulent
forur pendant ces tempêtes pour aller
mettre leurs canots en sureté, ils fe
traînent fur le ventre , crainte d’être
emportés par le vent. Ces ouragans
extraordinaires arrivent aufli quelquefois
pendant l'été; alors ils pouffent les vagues
de la mer dans tous les fens autour des
navires; pendant cette tourmente , ils
paroiffent être fur la furface d’un goufre
dans lequel ils tournent fur leur quille
avec une viîtefle incroyable. Les plus
fortes tempêtes viennent de la partie du
fud, & fe dirigent continuellement vers
le nord ; elles s’y calment & finiflent par
clatifier les eaux qui en avoient été
DANS LES MERS DU NORD. 219
troublées par l'agitation qu'elles avoient
éprouvée. Ces orages font annoncés par
un cercle qui paroit autour de la lune,
& par divers rayons de lümière diffé-
remment coloriés qu’on apperçoit dans
Pair.
On voit quelquefois des nuages d’où
il part des éclairs ; mais le tonnerre ne
gronde que rarement , & lorfque par
hafard il fe fait entendre , on peur difi-
cilement diftinguer fes éclats, du bruit
que la glace fait lorfqw’elle fe caffe par
violence, ou de celui que font les énor-
mes pièces de rochers, lorfqu’elles fe
détachent avec fracas des montagnes.
Les tremblemens de terre font très-rares
au Groenland ; 1l n’y a pas dans toutle
pays un feul volcan, quoiqu'il y en ait
beaucoup en Iflande, qui en eft fi voi-
fine. On n’y trouve pas même une feule
pierre à feu, de forte que la nature,
aufli avare dans les incommodités & les
maux qu'elle diftribue , que dans les fa-
veurs & les richefles qu’elle accorde,
a réfervé pour les pays chauds les orages
220 HISTOIRE DES PÈCHES
& les maladies épidémiques dont elle a
préfervé les pays qu'elle a livrés à toute
la rigueur du froid.
Ji n’y a pas de nuit au Groenland pen-
dant tout l’été, car auflitôc que le foleil
entre dans l’Écrevifle , il ne quitte
plus l'horizon au-deflus du 66°. degré.
En deflous du même degré , il ne fe
couche qu’à 10 heures ro minutes, pour
reparoître quinze minutes après : 1l eft
vrai cependant qu'il refte alors fous l'ho-
rizon, trois heures & environ quarante
minutes; mais pendant le mois de Juin,
ilréfléchitconftammentfesrayons contre
le fommet des montagnes; on peut dire
que véritablement on ne le perd pas de
vue pendant tout ce temps; & cela eft
d'autant plus vrai, que pendant Juin &
Juillet, lhorizon refte éclairé par un
crépufcule qui approche tellement, par
fa clarté, du jour vrai, qu’on peur facile-
ment écrire fans lumière & lire l'écriture
la plus menue. Les habitans profitent de
ces longs jours & en tirent un grand
parti ; ils chaflent & pèchent durant
DANS LES MERS DU NORD. 221
toute la nuit, & les Navigateurs peuvent
s'approcher fans danger des mers voi-
fines le long de la glace. Quoique le
foleil ne quite pas entièrement l’horizon
pendant l'été , fa lumière n’eft cependant
pas fi vive vers le foit qu’elle left à
. midi; fon éclat s’affoiblit infenfiblement
à mefure que fon difque s’abaïfle ; enfin
elle s’affoiblit au point qu’elle n’a pas
plus de vivacité que celle de la lune dans
fon plein ; on peut alors fixer le difque
du foleil fans que l’œil en foit affecté dé-
fagréablement.
+ Par la même raifon qu'il y a au
Groenland des jours fans nuit, il y a
aufli des nuits fans jour. On ne voit
abfolument pas le foleil à la baie de
Difco, depuis le 13 Novembre jufqu'au
12 de Janvier ; rien ne répare la perte
cotale de la lumière de l’aftre du jour,
qu'un foible crépufcule ; ce crépufcule
ne difparoit que lorfque les rayons du
foleil recommencent à fe refléchir fur
le fommet des montagnes , & qu'ils
commencent aufli à pénétrer les nuages
222 HISTOIRE DES PÊCHES
épais qui les interceptent, & qui oof-
fufquent alors l'horizon. Malgré cette
longue perte de la lumière du foleil ,
il s’en faut beaucoup que les nuits
ordinaires foient fi obfcures au pole , que
dans les autres parties du globe ; on
diroit que la lune & les étoiles cherchent
à fuppléer le foleil; car alors leur lumière
paroit briller d'un nouvel éclat. Ce phé-
noméne doit être attribué à la reflexion
des rayons de ces aftres fur la neige
qui couvre le pays, & fur la glace du
fommet des montagnes, des baies &
des marais : 1l en réfulte une lumière
fi pure & fi éclatante , pendant ces nuics
froides d'hiver, qu'on peut aller par-
tout fans lanterne & fans falot , &
qu'on peut même lire facilement dans
un livre. La lune femble avoir pris la
place du foleil, pendant labfence de
celui-ci, pour veiller fur le pays; on
ne la perd jamais de vue pendant fes
longues ténèbres; mais aufli on ne lap-
perçoit que rarément, ainfi que les
étoiles, pendant lécé, & pour bien
DANS LES MERS DU NORD. 223
dire , elle ne fe montre prefque pas:
depuis le mois de Mai jufqu'au mois
d'Août. La lune & les étoiles ne font
pas les uniques fources ou caufes de
la lumière, pendant les longues nuits
du Groenland ; on y jouit d’une lumière
continuelle qui étincelle dans la partie
du nord. Cet avantage eft précieux pour
le pays ; les rayons de certe lumière,
continuellement en mouvement dans
rous les fens , forment un des plus fingu-
liers phénomènes de la nature.
Sans entrer dans une differtation
approfondie fur la caufe de cette lu-
mière, je rapporterai une remarque de
Crantz , fur une fingularité qu'il dit
avoir obfervée au Groenland même,
« Ni moi, dit cet Auteur, ni aucun
» de ceux qui ont fait une longue réf-
». dence dans ce pays, n’avons jamais
» apperçu l'aurore boréale dans la par-
» tie du nord, ni dans celle du nord-
» oueft ; car , l'aurore boréale n'’eft
» certainement pas cette lueur bleuâtre
»# refléchie contre l'horizon , à travers
t24 HISTOIRE DES PÈcHEs
» un nuage éclairé par le foleil : mais
» la véritable aurore boréale :vient
» conftamment du fud ou de l’eft, d’où
» elle s'étend prefque toujours au nord-
» oueft, & éclaire quelquefois l’hori-
» zon ». Îl fuit de là, que l'aurore
boréale a une direétion bien différente
au Groenland , de celle qu’elle a en
Norvége , dans la Laponie, en Rue,
& dans les autres contrées de l'Europe.
Au refte , comme les glaces de l’Iflande,
&z {es volcans , font fitués à l’eft & au
fud-eft du Groenland , & que ces mé-
téores augmentent de temps à autre,
& deviennent plus fenfibles, de même
que l’aurore boréale , qui quelquefois
a plus d'éclat qu’à l'ordinaire , il ne
feroit pas impoflible qu’il y eut quelque
rapport de correfpondance entre ces lu-
mières, d’un côté, les glaces & les vol-
cans de l’Iflande, de l’autre. Une fuite
d’obfervations bien faites fur cet objet,
pourroit nous donner bien des induc-
tions fur la véritable caufe de la lumière
de l'aurore boréale, qu’on ignore jufqu’à
préfent;
DANS LES MERS DU NORD. 225
préfent ; il eft très - incertain qu'on
doive la chercher dans une /umière élec-
trique , & encore moins dans le mélange
de l’atmofphère du foleil avec celui de
la terre.
« Tout ce que j'ai obfervé , à l'égard
» de ce phénomène , continue Cranez,
» ceft que le temps fe radoucit,
» à proportion que cette lumière eft
» plus tranquille , & que fon éclat eft
» moins étincelant ; qu'à proportion
» aufli qu’elle paroït plus en mouve-
» ment & plus rougeätre , les orages
» fe montrent plus fréquemment dans
» la partie du fud ». Cette obferva-
tion de Crantz, eft abfolument con-
traire à celle qu'on fait conftamment
fur ce phénomène , dans les zônes tem-
pérées. |
. On a apperçu , depuis quelques an-
nées , des feux follets qui, du haur
du firmament, paroiflent fe plonger
dans la mer; outre les arcs-en-ciel,
les étoiles errantes , & autres lumières
phofphoriques, qui font communes à tous
Tome IT. ne
316 HISTOIRE DES PÊCHES
les pays, on voit au Groenland , plus
qu'ailleurs , de faux foleils & des cercles
lumineux autour de la lune , même lorf-
que Pair eft le plus pur & le plus dé-
barraflé de nuages. « J'ai vu, dit Crantz,
b)
92
9
3
32
3
32
23
22
2
29
92
rh]
2
3)
D
9
9
9%
33
un arc-en-ciel qui, au lieu d’avoir
fes belles couleurs , ne paroifloit
qu'une bande grisâtre fur un fond
très-blanc : l'air étoit alors obfcurci
par un nuage de grêle très-épais. De
tous ces phénomènes, aucun ne m’a
plus étonné , & n'a plus captivé mon
attention , que l’afpeét fingulier fous
lequel les Ifles de Kookernen s'of-
frirent à mes regards : ces Ifles me
‘parurent fous une forme tout-à-fait
différente de celle qu’elles ont ordi-
nairement ; c’étoit dans un jour, d’été
très-chaud ; le ciel étoit abfolument
fans nuages, & parfaitement beau. Je
crus les appercevoir d'abord beaucoup
plus grandes qu’elles ne font, & telles
qu’elles auroient dü me paroître , fi
je les avois confidérées avec une lu-
nette d'approche; je les voyois fi près
3
2
3)
2
3
2
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Pb
3
D
>»)
9
LD]
3
2
3
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3
3
29
32
DANS LES MERS DU NORD. 217
de moi, que, quoique je fufle à
Godhaab qui en eft éloigné de quatre
lieues , je pouvois facilement compter
routes les pierres & les cavités des
rochers , couvertes & remplies de
glace. La décoration changea quel-
ques momens après, & ces Jflés n'of-
frirent à ma vue qu'une étendue de
pays qui repréfentoit un bois coupé
récemment. Bientôt après, parut un
tableau mouvant , fous pluñeurs for-
mes ; tantôt c'étoit des navires qui
voguoient à pleines voiles, tantor
c'étoit des maïfons , puis de grands
châteaux, puis des ruines de tours
qui fe préfentoient dans le lointain;
des nids decigne,&nulleautresfigures
grotefques que les nuages deflinent
plus d’une fois , & qui, en fe féparant
infenfiblement les uns des autres ,
finiffent par difparoîtreentièrement ».
Au temps où ces phénomènes pa-
roiflent , le ciel eft ordinairement fe-
rein, quoique parfemé de petits nuages,
comme quand le temps eft très-chaud
P >
228 HISTOIRE DES PÈCHES
& très-pefant. Lorfque ces vapeurs s’ar-
rêtent à une certaine diftance, entre
l'œil de l’obfervateur & un objer, cel,
par exemple , que les Ifles de Kooker-
ner, elles font grofhies comme lorfqu’on
les obferve à travers une boule de verre;
deux heures après , 1l s’élève ordinai-
tement un vent doux de la partie de
l'oueft qui raflemble ces vapeurs, &
en forme un petit nuage qui met fin
à ces jeux de la nature.
Nous croyons faire plaifir à nos Lec-
teurs intelligens , nous croyons même
rendre un fervice aux Savans, en rap-
portant les divers changemens de temps
qui ont lieu au Groenland, d’un bout
de l’année à l’autre , d’après les judi-
cieufes obfervations de Crantz , qui s’eft
donné la peine d’en faire une table
féparée.
as
DANS LES MERS DU NORD. 229
OBSE RM AT T'ON S
Faites au Groenland par Crantz, depuis
9
3
le mois d’ Août inclufivement de l'année
1761, jufqu'au même mois, rnclufive-
ment aufft, de l’année 1762.
L'urver de 1761, fut extraordi-
nairement doux; le temps fut conf-
tamment variable , & 1l tomba peu
de neige.
» Le foleil parut fans nuages au mois
d’Août de la même année ; il étoit
chaud ; il gréloit de temps en temps
de la partie du fud; il y eut des
brouillards vers la fin du mois; il
gela , mais pas en mer ; malgré cela,
il faifoit chaud; enfin, il tomba de
la neige & une pluie très-froide.
» Le vent fut au nord-eft dans les
premiers jours de Septembre; le temps
ferein & chaud; la glace avoit un
pouce d’épaifleur aux endroits où le
AN
230 HISTOIRE DES PÈCHES
32
22
29
ss
32
29
33
35
22
9
23
32
foleil ne pouvoit darder fes rayons ;
le vent courut au fud ; l’air devint
tempéré , mais pefant ;leventfe porta
enfuite au fud-eft, & il tomba de la
pluie ; enfin 1l s’éleva un grand orage
qui parut d’abord dans le fud , & qui
fut bientôt au nord : alors la terre
fut gelée au point, que le foleil ne
put procurer un dégel; la glace avoit
jufqu’à trois pouces d’épaifleur dans
les eaux douces.
» Les vents du nord-eft régnèrent
en Otobre ; la neige qui continua
pendant quelques jours, fut empor-
tée par un vent violent & très-froid;
11 neigea encore à la hauteur de fix
pouces ; la neige ne cefla que par un
très - mauvais temps qui venoit de
la partie du fud.
» Au commencement de Novembre,
le vent du nord-eft étoic fi froid,
que l’eau geloit dans les maifons ;
les flaques d’eau qui font aux envi-
rons, furent gelées aufli. Les baies
fe remplirent de glace , & Ia mer
DANS LES MERS DU NORD. 231
fut gelée ; cependant , le foleil étoit
fi chaud pendant le jour, que la neige
fondoit facilement. Le vent pafla au
fud -eft, & nous donna de la petite
grêle ; il gela, 1l grêla tout de bon;
il neigea jufqu’à la fin du mois, que
le vent courut au fud.
» Tout fut couvert de neige pendant
le mois de Décembre; le froid de-
vint aufli rigoureux qu'il l'ait jamais
été après un temps Orageux , AC-
compagné d'éclairs & de foudre,
mais 1l ne dura pas long - temps;
les vents du fud-eft ramenèrent un
temps plus doux, & l'année 1761 fut
ainfi.
» Le mois de Janvier 1762 s’annonça
par les vents du nord & du nord-eft,
qui amenèrent bientôt un froid très-
piquant ; ils portèrent aufll en mer
la glace ramaflée dans les baies ; le
temps s'adoucit enfuite ; 1l tomba
un peu de neige ; le froid fut fec,
& ne dura que cinq à fix jours.
» Le temps fut aflez conflamment
P 4
232 HISTOIRE DES PÊCHES
»
9
99
LE
23
3
29
3
3
39
35
23
25
35
35
Pb)
Lp
939
35
33
25
3
D
&
le même , pendant le mois de Fé-
vrier ; 1l grêla & il gela; enfuite le
froid s’adoucit, & 1l tomba un peu
de neige ; peu de temps après , 1
commença à geler encore , & à grè-
ler par les vents de left & du fud-eft,
enfin on eut du froid & de la grêle en
même-temps.
» Tout le mois de Mars fut comme
un printemps précoce; le remps y fut
plus doux qu'il ne l’eft ordinairement
dans cette faifon en Allemagne; les
vents de fud, de nord, & nord -eft
foufflérent alternativement, mais 1ls
s’adoucifloient dans le jour.
» Le vent du nord-eft fut violent au
commencement d'Avril, & donna un
froid très-rude; il deviat fupportable
dans la fuite ; le vent du fud-eft donna
de la grêle : on commença alors À
pouvoir fe pafler de feu, mais le froid
devint fi vif vers la fin du mois, &
dura fi long - temps, qu'il fallut fe
chauffer de nouveau, quoique le vert
d’éft eût occafionné le dégel.
3
Y
3
»
2
Le.
3
3
»
2
3
2
LD)
>
3
>».
LL
5
»
2
DANS LES MERS DU NORD. 133
» Le dégel fut interrompu au mois
de Mai, par la neige qui tomba en
abondance & qui ramena la gelée ; les
jours devinrent enfuite aflez chauds,
& les nuits reftèrent froides; à la fin
du mois il tomba de la grêle.
» Le mois de Juin s’annonça par fa
chaleur ordinaire ; la terre dégela
aflez profondément, & on travailla.
les jardins pour les enfemencer. Il
tomba enfuite une neige froide , &
les vents fouflèrenr avec beaucoup
de violence de la partie du fud-oueft.
L'été parut; mais il fut tempéré par
le vent du nord-eft ; ce mois finit par
des brouillards & de la grêle, qui étoit
jetée par le vent de fud-oueft.
» Juillet donna de la grêle au com-
mencement, enfuite il donna des jours
chauds & agréables ; le vent du fud
avoit donné une chaleur exceflive qui
fut tempérée par les petits vents de
l’oueft ». ”
Crantz ajoute à la fin de ce journal,
qu'il règne un grand filence dans tout le
234 HISTOIRE DES PÊCHES
Groenland, & que ce filence augmente
à proportion qu'on s'élève vers le nord.
Il paroït , par les obfervations de
Cranez, que les vents font auf variables
dans cette contrée de glace, que partout
ailleurs : 1l arrive même fouvent que le
vent fouffle avec impétuofité entre les
Ifles & fur la côte, pendant que la mer
eft parfaitement calme; & qu'au con-
craire la mer et furieufe , lotfqu’à peine
on reflent fur la cote quelques légers
fouffles de vent : on voit fouvent auf
que les vents de terre , qui fouflent
conftamment pendant les beaux jours,
fe changent le jour d’après en vents de
la mer.
On remarque enfin, que pendant les
rudes hivers, les vents du fud adoucif-
fent le temps & donnent de la grêle;
ceci arrive particulièrement à Di/co &
fur la côte encore plus feprentrionale.
Ces vears du fud font d'autant plus agréa-
bles, qu’ils égayent les hommes & les
animaux & les foulagent en leur procu-
rant de l’eau douce à boite, parce qu'ils
DANS LES MERS DU NORD. 235
amènent le dégel : ils augmentent néan-
moins la glace, parce que la neige & la
grêle qu'ils liquéfient, fe regèlent bien
vite pendantles nuits froides, & en font
d'autant plus difpofées à la congélation ;
car l’eau qui a été chaude, fe congèle
plus facilement & plus vite, lorfqu'elle
eft expofée au grand froid.
Frederic Martens qui, en 1671, ob-
ferva à Spicsberg, la température de l'air
& des faifons, nous a laiflé un journal
de fes obfervations qui eft parfaitement
conforme à celui de Crantz, quant aux
points eflentiels.
236 HISTOIRE DES PÈCHES
CHR PULT RE RUES
Oëférvations curieufes & utiles fur les
Mers @ [ur les Glaces du Groenland.
o E n’eft feulement pas dansles contrées
les plus favorifées de la Nature, que
cette mère commune à tous les êtres, a
placé des objets dignes de l'admiration
d'un Obfervateur éclairé ; elle en a fage-
ment diftribué aufli fur toutes les parties
du globe , même dans celles dont elle
paroît avoir défendu les approches avec
la plus grande précaution. L'univers
entier attefte fa puiflance & la variété
de fes prodigieufes opérations. Dans
ces endroits même , où elle cefle de
nous offrir fes bienfaits & de nous en
faire jouir, elle attire notre attention
par la forme hideufe & gigantefque
qu’elle y donne à certains objets, plus
proptes , ce femble , à jeter, par leur
afpect, la frayeur dans nos cœurs, qu'à
à
DANS LES MERS DU NORD. 237
augmenter la mafle des lumières de
notre efprit.
Entre tous ces objets effrayans, qui ne
femblent avoir été fortis du néant, que
pour compléter la chaîne de tous ceux
qui concourent à la formation d’un tout
fi diverfifié , les énormes montagnes
de glace que le Créateur femble auñi
n'avoir placées aux deux poles que pour
y porter les deux extrémités de l'axe de
la cerre , méritent l'attention particu-
lière de l’homme, curieux d’étudier la
nature & de la connoître autant que
poflible , dans ce qu ir préfente de
plus impofant.
À voir les montagnes de glace qui
floctent fur routes les mers qui entourent
& qui entrent dans les côtes du Groen-
‘land, on diroit que ce vafte continent
n’eft lui-même qu’une mafle énorme de
glace : ce coup d'œil, quoique effroyable,
ne laifle pas d’avoir quelque agrément,
en ce que ces montagnes ambulantes,
apperçues à une très-grande diftance,
repréfentent toutes fortes d’édifices. &
238 HISTOIRE DES PÈCHES
autres grands objets qu’on fe plaît à
confdérer comme des chefs - d'œuvre
de l'art. Ici c’eft une églife qu'on croit
appercevoir , ornée de plufieurs tours
fort exhauflées ; 1à, c’eft un château
entouré de bois & de jardins fpacieux ;
quelquefois on croit voir dériver un na-
vire paré de toutes fes voiles enflées par
un vent doux & léger; 1l arrive même
aflez fouvent que le Navigateur le plus
exercé, trompé par la diftance, fait force
de voiles & dirige fon cours vers ce faux
navire pour l'approcher & l’araifonner.
Souvent ce font de grandes Ifles flottan-
tes, dont le plateau s'élève à plus de fix
cents pieds au-deflus du niveau de la
mer. Un de nos Marins, qu’on ne peut
pas taxer de crédulité puérile & qui mé-
rite toute confiance , aflure qu'on a
apperçu plufieurs années de fuite, dans
la baie de Difco, où l’eau a plus de trois
cents brafles de profondeur, des mon-
tagnes de glace fi prodigieufes, qu'on
donna à l’une de ces énormes mafñles de
glace, le nom de la ville d'Am/ferdam ,
DANS LES MERS DU NORD. 239
& à une autre celui de la ville de Harlem.
Les Navigateurs, felon lui, venoient
calfater leurs navires fur ces Ifles & y
décharger leurs cargaifons, pour pouvoir
les mettre fur le côté.
Cette glace eft, pour l’ordinaire, très-
dure ; elle eft claire & tranfparente
comme du verre; elle paroït d’un verd
pâle, ou d’un bleu de ciel; mais quand
il dégèle, ou qu’on la fait fondre, elle
eft d’une blancheur éblouiffante : on en
trouve de grisâtre, 8 même tirant fur
le noir; cela provient de ce que le vent
& la pluie y jettent des faletés & quel-
ques parties légères de terre, qui s’unif-
fent aux différentes couches & qui leur
fervent de ciment, comme la chaux en
fert aux pierres.
Ces mafles de slace, grandes & pe-
tites, donnent les unes contre les autres
dans les baies du détroit de Davis, où
elles font innombrables ; ces baies en
{ont particulièrement couvertes au prin-
temps, après une tempête quilesdérache
des côres voifines & en jette les glaçons
240 HISTOIRE DES PÊCHES
dans le détroit : elles fe heurtent conti-
nuellement, s’amoncélent les uaes fur
les autres & bouchent enfin le petit
paffage qu’elles avoient laiflé à l'entrée
de plufeurs baies & dans quelques en-
droits du détroit. Quelques-unes s’atta-
chent fortement au fol du rivage, & y
reftent inébranlables jufqu'à ce que le
foleil les ait fondues, ou que le reflux,
les ouragans & les courans les en déta-
chent pour les emporter dans la mer.
Il y a de ces mafles de glace, qui
s’accroiflent tellement entre les rochers
où elles fe forment, qu'enfin, par un
accroiflement fucceflif ou des pièces qui
tombent des rochers, où de la neige
qui, après la gelée, fait une nouvelle
couche, elles furpaflent en hauteur les
rochers les plus élevés auprès defquels
elles ont pris confiftance. Elles font de
couleur bleue, creufes en plufeurs en-
droits & comme écaillées par la pluie;
c’eft ce qui facilite leur accroiflement ,
parce que la neige qui tombe, remplit
ces cavités, & prend à la première gelée,
; ja
DANS LES MERS DU NORD. 241
la confiftance de la glace, & ainfi elles
s'élèvent progreflivement tous les ans
à une hauteur prodigieufe. Celles - ci
fonc plus folides & plus ftables que celles
qui fe forment par le cumulement des
glaçons flottans, & elles n’en font pas
moins remarquables par la diverfité des
objets qu’elles repréfentent. Il n’eft rien
dans la nature qu’elles ne paroiflent re-
préfenter de loin, pour peu qu’on donne
carrière à l'imagination : on croit voir
de grands arbres avec leurs énormes
branches; les Aocons de neige qui pen-
dent de rous côtés à ces ramifications de
glace, en repréfentent les feuilles : la
ce font des colonnades régulières , d'une
hauteur prodigieufe ; ici des arcs de
triomphe majeftueux & élevés; là des
galeries ; ici des frontifpices de maifon
avec des fenêtres, &c. &c. Les divers
traits bleuâtres de lumière, qui partent
de ces énormes glaces, fe réfléchiflent
au loin avec un éclat dont il eft impof-
fible de fe faire une idée.
On n’eft pas d'accord fur la formation
Tome IT. pr | Q
242 HISTOIRE DFS PÈCHES
des glaces dont l'amoncèlement donne
enfin ces hautes montagnes flottantes.
Certains Navigateurs prétendent qu'elles
prennent naiflance dans les baies même,
qui , felon eux , fe glacent jufqu'au
fond ; qu'enfuite elles font détachées
au printemps par la fonte de la neige,
& qu'accrues prodigieufement , par la
neige & les frimars qui les couvrent,
le vent les entraîne dans la mer. L'ex-
périence eft contraire à cette opinion,
parce que premièrement, la mer ne fe
gèle jamais jufqu'au fond, & qu'il eft
très-rare qu'elle fe gèle à plus de fix
pieds de profondeur, même dans les
baies les plus tranquilles & les moins
profondes; parce que, fecondement les
morceaux de glace qu'on en détache
pour les fondre, donnent une eau douce,
ce qui prouve évidemment que cette
congélation a eu lieu dans les rivières
& non dans la mer, & qu'ainf elles ont
commencé à fe former dans les eaux
douces des rivières & des ruifleaux. Peut-
être ne font-ellesque desmañles détachées
/
,
DANS LES MERS DU NORD. 243
des rochers qui ont roulé dans les riviè-
res ou dans les baies, où elles ont reçu
un accroiflement fucceflif par les diffé-
rentes couches de neige qui fe font con-
gelées fucceffivement auf.
Ces mafles de glace , fufpendues
aux rochers, ne dégélent prefque ja-
mais à leur fommet ; elles s’accroiffent
prodigieufement par la neige, & fe
minent infenfiblement en deflous , lorf-
que leur pefanteur eft parvenue au
point de les affaifler ; elles fe dérachent
du rocher avec un bruit effroyable , &
roulant de rocher en rocher , elles fe
précipirent enfin dans la mer : 1l arrive
quelquefois qu'elles rombent direéte-
ment du haut du rocher qui domine
la baie, dans la baie même ; alors, 1l
fe fait un mouvement fi violent, non-
feulement dans la baie |, mais même
dans la mer à une aflez grande dif-
tance, que les petits navires , qui par
hafard fe rrouvenc dans le voifinage ,
lors de ce fracas, en fonc jetés fur la
côte , & échouent trés-{ouvent.
Q 2
244 HISTOIRE DES PÊCHES
La neige fait des trous & des ca-
vités dans ces montagnes de glace, en
dégelant aux ardeurs du foleil pendant
le jour; cette neige fe gèle de nou-
veau pendant la nuit, & doit né-
ceflairement renfermer dans ces cavi-
tés , une grande quantité d'air qui
s'y trouve très-raréfié & comprimé ;
cet air intérieur doit chercher à fe
dégager , & à fe faire un chemin par
la force de réaction , en faifant des
efforts continuels contre les parois qui
le retiennent en prifon ; il doit donc
produire le même effet que lorfqu'il
eft renfermé dans une bouteille d’eau
qui s'eft gelée, & comme dans ce der-
nier cas , 1l parvient toujours à fortir
de fa prifon, en brifant la bouteille en
mille pièces ; on le voit aufli s’échap-
per avec force de la montagne de glace,
en brifant les parois, & en fendant les
couches de glace fous lefquelles il étoit
renfermé. Ces explofions de l’air com-
primé dans les cavités de ces montagnes,
font prefque toujours accompagnéesd’un
DANS LES MERS DU NORD. 724$
bruit effroyable ; elles donnent une fi
forte fecoufle, qu'on eft obligé, lorf-
qu'on eft à portée , de fe coucher ventre
à terre pour n'être pas jeté au loin:
au moment de l’explofion , la terre,
les morceaux de bois , les pierres, les
animaux , & enfin tous les autres corps
étrangers que le hafard ou le vent avoit
raflemblés dans ces cavités , font reje-
tés avec force par ce volcan de glace,
s’il eft permis de donner ce nom à
deux caufes fi différentes, le feu & le
froid , qui produifent les mêmes effets.
On ne peut difconvenir que ces mon-
tagnes flottantes ne rendent la navi-
gation du ‘nord pénible & dangereufe;
cependant , le danger n'eft pas auf
grand qu'on pourroit le croire d’après
cette defcription. On apperçoit ces mon-
tagnes de fort loin, & elles dérivenc
à une grande diftance les unes des autres;
on peut donc les éviter facilement :
cependant un brouillard épais peur les
dérober à la vue; une forte tempête
peut y jeter les navires ; la force du
st
246 HISTOIRE DES PÈCHES
courant peut y entraîner pendant le
calme , il eft certain qu'alors on court
de grands dangets, & l’on rifque d’aller
fe brifer contre ces redoutables écueils.
Jarrivetrès-rarementnéanmoins, même
dans la baie d'Hudfon | que quelque
navire faffe naufrage en donnant contre
ces montagnes de glace, car on prend
la précaution d’avoir jour & nuit un ou
deux hommes, fur l’avant dunavireou fur
lès mâts, pour veiller, & faire éviter
ces écueils. Les plages de glace mou-
vante font bien plus dangereufes que
les montagnes. Les côtes du détroit de
Davis font roujours bordées de ces
glaces détachées, au point que les Na-
vigateurs font .continuellement obligés
de les éviter & de les tourner jufqu'à
ce qu'ils trouvent une ouverture pour
pañler à travers ; il eft d’ailleurs très-
dangereux de s'y enfoncer ; le vent,
les courans , la marée, une tempête,
raflemblant quelquefois ces glaces flot-
tantes autour du navire , on cout alors
les plus grands dangers d’être renfermé,
DANS LES MERS DU NORD. 247
preflé, & enfin brifé en mille pièces.
Ces glaçons ambulans forment des
efpèces de radeaux de deux cents milles
de long, fur foixante ou quatre-vingts
de large; ils fe fuivent de fi près, que,
lorfque le vent ne les fépare pas, on
peut facilement fauter de l’un à l’autre.
L'épaifleur de ces glaces n’eft pas tou-
jours égale , mais elles ont communé-
- ment de 9 à 12 pieds; ces glaçons font
falés, puifqu'ils font formés par l’eau
de la mer; ceux qui ont été formés
dans les rivières , font doux ; quoique
mêlés avec les premiers, il eft facile
de les diftinguer.,, parce qu’ils font beau-
coup plus tranfparens ; l’épaifleur de
ceux-ci eft beaucoup plus forte, on
en trouve qui ont depuis quatre juf-
qu'à dix brafles. L’air devient plus froid
à propoïtion qu'on s’en approche; un
brouillard épais & fort bas, les annonce
toujours , ce qui fait qu'on y donne
prefque toujours fans s’en appercevoir.
Quelques Navigateurs ont cependant
obfervé au détroit de Davis, que ce
Q 4
248 HISTOIRE DES PÊCHES
brouillard fe diflipe à l'approche des
navires , & que , plus on s'avance vers
le nord, moins on trouve de cetteglace,
que même l'air y eft moins froid.
Lamercommenceàcharrier des glaçons
à Spitzberg, aux mois d'Avril & de Mai;
c'eft cette glace qui arrive en très-grande
quantité au détroit de Davis, après avoir
parcouru la côte orientale du Groen-
land & fuivi la côte occidentale pour :
entrer dans le détroit; il y en vient
aufli de la Nouvelle Zemble; on a re-
marqué que la glace fe détache beau-
coup plutôt par-tout ailleurs qu’à Spitz-
berg, d’où l’on a conclu que néceffai-
rement le bout du pole doit être une
terre ferme & non une mer, puifque
la glace y refte attachée; car, s’il en
étoit autrement , elle flotteroit comme
dans les autres mers voifines.
Un Voyageur qui a cherché depuis
peu à découvrir, avec quelque certi-
tude, d’où vient la grande quantité
de glace qui embarrafle fi fort la navi-
gation au détroit de Davis, croit pouvoir
DANS LES MERS DU NORD. 249
aflurer que certe glace ne fe forme
pas dans le détroit même , 1l appuie
fon aflertion fur deux faits : le pre-
mier , ditil, c’eft que le flux & le
reflux y font fi forts, que l’eau du
décroit eft fortement agitée fans inter-
ruption , &: que ce mouvement conti-
nuel eft un obftacle invincible à la
formation de la glace; le fecond, ré-
fulce de ce que le courant y eft très-
rapide , & que cette rapidité eft encore
augmentée par l’impécuofité du venr,
obftacle non moins infurmontable que
le premier, & qui eft fondé fur le
ême principe. Le peu de glace qui
fe forme entre les Ifles & dans les baies
qui font à l’abri des vents, celle même
qui fe forme dans la baie de Difco,
difparoiflent bientot , & les courans
qui portent fur la côte d'Amérique,
y entraînent ces glaces. Il eft donc
certain que ce font les glaces de la
côte orientäle du Groenland qui fe
rendent dans le détroit de Davis, en
cotoyant la mer occidentale qui conduit
250 HisTOiRE DE PÊCHES
au détroit : il paroït également cer-
rain que cette prodigieufe quantité de
glaces ne peut venir que de la. Mer
Glaciale, qui, s'étendant de la Tarta-
rie jufqu’au pole , eft aflez vafte pour
la fournir. Ce Voyageur fe fait une
objection qui paroit très-forte , en ad-
mettant le fyftêème de M. de Bufton.
Si l’extrémité du pole n’étoit qu’une
vafte mer, & que cette extrémité ne
fut pas une terre ferme , il eft certain
que la congélation y feroit impofhbie,
au point de donner une quantité de
glace aufli procigieufe que celle que
nous voyons arriver au détroit de Da-
vis, & que nous fuppofons y être portée
de la côte orientale du Groen'and. Cette
mer, fuppofée à l'extrémité du pole,
devroit être prodigieufement agitée par
le flux & reflux qui devroient y être
continuels ; les vents y fonc très - va-
riables & violens, & les vagues de
cette mer devroient être continuelle-
ment en fureur. Comment fuppofer ,
d'après ces faits inconteftables , qu’il
DANS LES MERS DU NORD. 25€
peut s’y former aflez de glace, pour
compofer ces immenfes radeaux dont
j'ai parlé plus haur ? il eft certain ,
d’ailleurs , qu’il ne fait pas fi froid fous
le pole , qu’on pourroit bien le croire ,
eu égard à fa pofition. Pour répondre à
cette Go ce rar ur aflure que
cette quantité énorme de glace eit four-
mie en paie par la Mer Glaciale,
en partie par les fleuves & les rivières
qui s’y jettent, par la mer de la Nou-
velle Zemble , & enfin par la mer qui
baigne tout le haut de la côte orien-
tale du Groenland, inconnue jufqu’à
préfent , 8 que toutes ces glaces por-
tées par un courant rapide fe réglé ,
dans le dérroit qui fépare l’Iflande du
Groenland , fuivent enfuirte le même
. cours , & fe rendent au détroit de Davis
après avoir doublé le cap Farvel ; que
dans leur cours, elles font encore aug-
mentées par les glaces qui foïtent des
baies & des Ifles de la côte occiden-
tale de Groenland
La providence femble s'être attachée
252 HISTOIRE DES PÊCHES
particulièrement à réparer les dégâts &
les incommodités que la mer caufe au
Groenland, par des avantages précieux
que cette même mer procure àce pays fté-
rile,inculte &fauvage. La nature a refufé
au fol du Groeland une qualité qu'elle
a prodiguée à tant d’autres pays; c’eft
celle de produire des forêts & des arbres
de différente grandeur, & d’efpèce dif-
férente. Le Groenland ne produit pas
un feul arbrifleau, mais l'océan jette
fur fes côtes une quantité immenfe de
bois ; c'eft avec ce bois, que la mer
vient dépofer fur les rivages, dans les
plages , & pour ainfi dire fous la main
des Groenlandois , qu'ils bâtiffent leurs
hutres & leurs tentes , qu'ils conf-
truifent leurs nacelles & leurs batelets,
qu'ils font leurs flèches & leurs har-
pons : ce bois fournit à leur chauf-
fase, à leur lumière, & à une infinité
d’autres befoins preflans dans leurs mé-
nages.
Cette provifion de bois eft très-abon-
dante & très-diverffiée ; la mer leur
DANS LES MERS DU NORD. 253
porte des faules, du bouleau, des aunes
&c des peupliers. Ces arbres arrivent des
baies du fud ; cependant le plus grand
nombre de ces arbres font des pins &
des fapins ; le bois de ces derniers eft
dur & rougeûtre, les veines s’y montrent
à découvert, & on les diftingue très-
facilement ; l’odeur en eft plus fuave
que celle des fapins ordinaires du Da-
nemark.
On ignore abfolument de quel pays
tout ce bois arrive fur les côtes du.
Groenland ; mais, certainement, il
doit avoir crü fur un fol fertile, fous
un climat froid, & dans un pays monta-
gneux : 1l ne peut pas venir de la terre de
Labrador , contrée de l'Amérique &
voifine du Groenland; les glaces font
portées fur les côtes de Labrador par
les courans des mers du Groenland. Il
eft donc vifble que ces courans feroient
contraires au flottage des arbres, &
qu'onne peut-pas fuppofer qu’ils viennent
du nord de l'Amérique. On pourroit
néanmoins foupçonner que ces arbres
254 HISTOIRE DES PÊCHES
feroient d’abord charriés par la mer,
des côtes du Canada à celles de Spitz-
berg , & qu'enfuite, entraînés avec les
glaces, ils artiveroient comme elles, de
Spitzberg fur la côte occidentale du
Groenland. Mais alors ces arbres de-
voient être de ceux qui croiflent au
nord de l'Amérique, & particulièrement
des chènes qui fout très-communs dans
le Canada ; cependant, parmi tous les
arbres jetés fur la côte du Groenlaïd,
on ne trouve pas un feul chêne , on
n'y trouve que quelques planches de
ce bois, qui font viñiblement des dé-
b:is de pavires qui fe perdent. M. Ef/s,
qui dit avoir trouvé beaucoup de ces
arbres dans la baie de Hudfon, rap-
porte que les Groenlandois de cette
contrée , penfent que ces bois leur vien-
nent de Norvége ; mais il remarque
que les vents du nord-oueft qui font
violens & très-fréquensdansces parages,
devroient s’oppofer à l’abordage de ces
arbres, & les chafler loin des côtes :
il remarque encore que les courans qui
DANS LES MERS DU NORD. 255
viennent du fud, & qui fe dirigent vers
le détroit de Davis & vers la baie de
Hudfon , écarteroient tout ce qui, ve-
nant d'Amérique, prendroit fon cours
vers les côtes du Groenland. M. E//s
conclut que tous ces arbres viennent
des côtes méridionales du Groenland
même ; il fonde fon opinion fur le jour-
nal d'Epgede | que certainement il n’a
pas entendu. Evgede dit feulement
que la partie méridionale du Groenland
produit des faules & des aunes de la
groffeur de la cuiffe. Or, 1l eft certain
que les arbres jetés fur la côte occi-
dentale font infiniment plus gros; que
d’ailleurs , la plus grande quantité con-
fifte en pias, dont on pourroit faire
des mâts de navires ; 1l eft certain auf
que la côte méridionale du Groenland
ne produit pas des arbres de cette qua-
lité ni de cette groffeur.
Il eft inconteïftable que les courans
{euls apportent ces arbres ; 1l eft encore
bien certain que ces courans viennent
de l’eft. D’après ces deux obfervations,
+
256 HISTOIRE DES PÈCHES
il feroit tout fimple de conclure que
c’eft l’Iflande qui fournit tout ce bois à
la côte occidentale du Groenland ; mais
1] n’en eft pas moins certain aufh qu’on
trouve une quantité prodigieufe de ces
arbres , fur la côte du fud-eft de l’Ifle
de Jeanmayen, qu’on y en trouve même
affez pour fournir à la cargaifon entière
d’un navire ; il faut donc chercher plus
haut que l’//Zande , la contrée qui fournit
ces arbres, foit fur le pole, foit plus
loin à left du pole. On ne peut pas
fuppofer que ces arbres viennent du
pole ; car, quand bien même le pole
feroit une terre ferme , les arbres qui
y croitroient, ne pourroient Jamais pat-
venir à la grandeur de ceux que la mer
jette fur la côte occidentale du Groen-
land , & fur la côte de Jeanmayen ;
ce feroit tout au plus de petits arbres,
tels que ceux qui croiflent au fud du
Groenland. Il paroït donc trés probable ,
&c à-peu-près certain, que cette quantité
de bois vient de la Szbérie, ou de la
Tartane Afiatique. Ces gros arbres,
{à qui
DANS LES MERS DU NORD. 257
qui croiflent fur les montagnes de ces
contrées, font arrachés & déracinés
par les vents impétueux qui y foufflent;
les pluies abondantes qui y tombent,
forment des torrens qui defcendent du
haut des montagnes, & qui entraînent
ces arbres dans les grandes rivières :
celles-ci les portent par leurs déborde-
mens, dans la mer. On conçoit alors
qu'il eft très-facile que ces arbres , en-
traînés avec les glaçons par les courans,
arrivent dans le voifinage de Spitzbeïg.
Une fois arrivés à cette hauteur, 1ls
doivent être entraînés le long de 1a
côte orientale du Groenland , & être
portés enfin dans le détroit Fi Davis;
& comme le courant commence à chan-
get de direétion fous le 65°. degré, ces
arbres. ne dérivent pas plus loin vers le
nord , mais prennent leur cours vers
loueft de l'Amérique : voilà pourquoi
auffi il n’en arrive pas un feul dans la
baie de Difco, ni plus haut. le
I! eft cependant vrai, qu’il arrive auf
des fapins au Kamschatka ; les habicans
Tome IT. 1e:
253 HISTOIRE DES PÊCHES
affurent qu'ils leur font portés par les
vents d'eft ; il faut donc qu'ils leur
viennent de la partie de l'Amérique,
qui eft à l’oppoltion directe du Kam/f-
chatka. On pourroit fuppofer que ces
atbres , emportés par la violence des
courans de l’eft à l'oueft , viennent effec-
tivement de l'Amérique ; mais, que
ne fuivant pas d’abord la direction la
plus courte, à caufe de ces courans
rapides, ils arrivent plutôt au nord de
Spitzberg , après avoir dépañlé la bouche
de Lena , grande rivière de la Tartarie ;
que de-là, ils font emportés comme
les autres , à la côte orientale du Groën-
land. On trouve dans cette grande quan-
té de bois qui eft jeté fur la côte
occidentale du Groenland , des arbres
fans racine & fans écorce, dontla vétufté
eft atteftée par les piquures des vers.
Ces arbres, fans doute , ont été pendant
longues années le jouet des flots & des
glaçons qui les ont jetés d’un côté &
d’autre, & quidoivent les avoir dépouillés
de leurs branches & de leur écorce.
DANS LES MERS DU NORD. 259
Les marées font régulières au Groen-
land comme par - tout ailleurs fur les
côtes de l'océan; elles fuivent les phafes
de la lune ; elles arrêtent la force &
la direétion des courans. Du fud au
nord, la marée diminue infenfiblement;
fa plus forte élévation eft à rrois-brafles ;
& à la baie de Difco, elle ne remonte
déja plus qu'à un:pied ; cependanc, il
y a‘ici de temps en temps, de hautes
marées qui s'élèvent auili jufqu’à trois
brafles ; cés-cas extraordinaires arrivent
toujours Pendant la. pléine lune. Le
vent contribue béaucoup: à haufler le
flux, & l’on prévoit le plus ou le moins
de hauteur du flux, par le plus ou le
moins de vent. Les hautes marées font
fuivies fouvent d’orages & de tempêtes ,
particulièrement dans le temps des équi-
noxes ; mais on manque fouvent sn
faire attention. |
L’aiguille dela bo s'écarte de
deux points 8: demi vers l’oueft , c’eft-
à-dire ; environ vingt-huit degrés ;
l'écart eft plus confidérable au fond
R 2
260 HISTOIRE DES PÈCHES
de la baie de Baffins, il eft de $6 de-
grés ; c'eft aufli le plus grand écart qu’on
ait obfervé jufqu'à préfent.
Les fources hauflent & baiflent Hogis
ce pays, fuivant les phafes de la lune,
& fuivent à-peu-près le cours des ma-
rées. Dans l'hiver , lorfque tout eft cou-
vert de neige & de glace , on voit jaillir
des fontaines , au temps du flux, dans
les lieux même où il n’y a pas une goutte
d'eau dans les temps ordinaires; ces
fources tariflent avec le reflux ; on en
voit même :dans des lieux beaucoup
élevés au-deflus de la fuperficie de la
met.
Le te sd n’eft pas auf Lie
pourvu d'eaux douces que les pays
chauis; les’ fources dont l’eau eft ce-
pendant très-claite & très-faine, fe font
jour dans des rerreins humeétés par la
neige , à travers laquelle elle: filtre &
fe clariñie. On trouve dans quelques
vallées, de beaux viviers ; 1is font tou-
jours pourvus d'eau par la neige & la
glace qui fondent fur les revers des
æ
DANS LES MERS DU NORD. 261
montagnes. Îl ne peut y avoir de grandes
rivières dans un pays tel que le Groen-
land ; il eft crop coupé par de petites
vallées reflerrées entre des montagnes
très-élevées , dont les fommets ne dé-
gêlent jamais , & qui, par conféquent,
ne peuvent pas fournir les grands tor-
rens qui forment les rivières. Les fources
qui donnent en été une eau aflez abon-
dante, font bientôt interceptées par les
grands froids d'hiver ; les hommes &
les animaux mourroient de foifen hiver,
fi la provicence ne faifoit tomber des
pluies abondantes dans ce pays, pendant
la plus rude faifon , & fi la neige fondue
par ces pluies, n’entretenoit les viviers
dont j'ai parlé, dans une abondance d’eau
fufifante pour pourvoir à un des pre-
miers befoins de la nature.
2
Fe
162 HISTOIRE DES PÊCHES :
CORON FL EL RUE LS
Caractère moral des Groentandois ; leurs
V'ertus & leurs Vices.
JE n'ai encore fait connoître le Groen-
and , que par la ftérilité de fon fol, la
rudefle de fon climat , les neiges &
les glaces éternelles qui couvrent fes
montagnes , qui obftruent les baies,
& qui rendent laccès de fes côtes dif-
ficile & dangereux. Je vais , dans les
chapitres fuivans, crayonner la phyfio-
nomie morale de ce peuple, qui habite
une terre qu'on diroit maudite de la
nature, tant elle éft ingrate & peu propre
à y faire fupporter la vie aux naturels
du pays ; ils femblent y avoir été jetés
par hafard, & condamnés à s’y multi-
plier. |
Peut-on dire qu'un peuple fans
religion , fans adminiftration , fans
loix divines & humaines, poflède des
DANS LES MERS DU NORD. 263
vertus ? C’eft la demande que Cranez fe
fait à lurmême dans fon voyage au
Groenland. Voici comme il cherche à
y répondre , en nous donnant le tableau
de quelques qualités morales de ce peu-
ple ; qualités qu’il eftime propres à faire
rougir, les peuples civilifés, & foumis
aux loix du Chriftianifme.
« Je fais, dit cer Écrivain, qu'on
\ .
reproche à ce peuple fimple, des vices
hideux , & que plufieurs Voyageurs
nous l'ont peint fous les couleurs les
plus noires ; mais comme tous les
objets peuvent être confidérés fous
deux faces, j'ai eu le bonheur d’être
_plus affecté de la douceur que de la
barbarie de leurs mœurs. Je vais
cependant préfenter ce peuple fous
les deux afpe@s ; j'imiterai les bons
peintres, qui, pour faire un portrait
reflemblant , ne cachent aucun des
craits qui pourroient rendre leur ta-
bleau moins agréable : telle doit être
lexaditude d'un Voyageur , s'il veut
que fon journal ait quelque mérite ».
R 4
264 HISTOIRE DES PÊCHES
On dit que les Groenlandois font
fauvages ; mais on fe formeroit une
idée très-faufle de ce peuple, fi lon
prenoit cetre expreflion dans le fens
rigoureux, & fur-cout fi l’on entendoit
par là qu'il eft cruel. Les Groenlandois
ne fonc , par rapport à nous, que ce
qu'étoient, par rapport aux Romains,
les peuples qu'ils appeloient barbares ,
quoiqu'il y en eut entre ceux-ci, dont
les mœurs & les coutumes éroient plus
propres à faire le bonheur de l’huma-
nité , que les mœurs & les loix des Grecs
& des Romains.
Les mœurs font l’appui le plus ferme
de la fociété, & les loix ne font que
les moyens de les conferver ou de les
former. Les Voyageurs ont toujours ap-
pelé Sauvages , les peuples qui font
errans , & qui parcourent par bandes
les déferts & les forêts, à l’inftar de
certaines efpèces d'animaux. On à auf
donné le nom de Payens aux peuples
idolâtres , qui ont leurs temples , non
dans des villes , mais dans des hameaux,
DANS LES MERS DU NORD. 265
ou dans les champs. Les Groenlandois,
loin d’être fauvages, barbares & incrat-
tables, font au contraire, doux, pai-
fibles & d’un caractère fociable ; ils font
très-propres à tous les arts, & parti-
culièrement à ceux qui demandent une
complexion robufte & beaucoup de pa-
tience ; ils vivent dans l’état de nature,
ou du moins ils jouiflenc entièrement
de la précieufe liberté qui en eft l’apa-
nage ; ils ne font pas réunis en com-
munauté, mais bien en fociété, par la
force de l’intempérie de Fair qu'ils ref-
pirent ; l’âpreté du climat les force donc
à fe rapprocher, & à vivre les uns au-
près des autres, fans être aflujectis à
aucun de ces actes de fervitude, fruit
déplorable & néceflaire de la proprièté
des terres : ils doivent cette liberté
particulière à la ftérilité du pays, fur
lequel ils errent plutôt qu'ils ne l’ha-
bitent. Depuis plus ce deux mille ans,
ils vivent par bandes en peuple libre,
fans avoir eu befoin de ces inftituttons
qui devinrent néceflaires aux Athéniens
266 HisTOIrE DES, PÈCHES
& aux.Spartiates, pour fecouer le joug
de leurs tyrans & de leurs voifins trop
puiflans. En un mot, les Groenlandois
n'ont pas de maître, & ne doivent pas
redouter de romber fous la puiffance
de quelque Souverain ; ils ont été crop
mal partagés par la nature, pour qu'il
entre jamais dans le fvflême de quel-
qu'un, de les foumertre au joug de la
fervitude ; ils ne peuvent être traités
plus durement qu’ils le fonc; & 1l fe-
roit abfolument ridicule d'entreprendre
de les affajettirà une puiffance fuprème,
fous prétexte de rendre leur vie plus
agréable & plus fupportabie.
Il eft certain qu'ils vivent dans la
plus grande pauvreté , fi toutefois l’in-
digence & la mifère ne font pas des
maux plus fentis par ces infortunés qui
vivent dans la privation abfolue detoutes
les chofes nécefaires à la vie , fous des
adminiftrations policées, dans des pays
cpulens, que par un peuple dont tous
les individus, fans exception , font dans
uñ dénuement égal des premiers befoins
DANS LES MERS DU NORD. 2167
de l'humanité. Rien ne rappelle à ces
derniers , comme aux premiers, l'af-
freux fouvenir de leur mifère , pas même
la faim qu'ils doivent endurer , parce
qu'on s’accoutume à trouver raifonnable
& néceffaire tout ce que la nature im-
pofe de dur , lorfqu’on eft placé à une
très-grande diftance de l’abondance , des
douceurs & des commodités de la vie,
& qu'on ne voit perfonne en jouir au-
tour de foi.
L'indépendance & la sûreté réci-
proque des Groenlandois font tout
leur bonheur; c’eft le feul qu'ils con-
noiflent , & dont ils aient une idée. À
l'abri de toute violence particulière,
& encore plus d’une oppreflion géné-
rale; ne craignant ni difputes, ni guerres,
qui font la fource trop féconde de tous
Jesmaux dela nature, & particulièrement
des féaux. qui accablent la fociété , ils
dormentauflitranquillesfousleurstentes,
que le vent peut cependant emporter,
que les Rois dans Le fond de leurs palais.
On remarque, en général , que ce
168 HISTOIRE DES PÉCHÉS
peuple, loin d’être rancuneux & mé-
chant, a au contraire beaucoup d’ex-
cellentes qualités, dont la douceur fait
la bafe ; ils font même fi étonnés lorf-
qu'ils voient les Européens qui font le
commerce avec eux , fe quereller, sin-
fulter & fe battre , qu’ils attribuent ces
violences à l’ufage des liqueurs fortes:
Lis ont perdu lefprit, fe difent-ils alors
les uns aux autres ; /4 mauvaife eau les
a rendus fous.
Ils mentent très-rarement ; & jamais
ils ne trompent un Voyageur qui leur
demande des renfeignemens pour aller
d'un lieu à un autre ; ils ont fouvent
la générofité de faire une partie du
chemin avec lui, pour le conduire juf-
qu'à ce qu'il puiffe fe guider lui-même :
mais, d'un autre côté, fi l’on accufe
un Groenlandois d’avoir fait une maur-
vaife ation, il ne l’avouera pas, crainte
de perdre , par cet aveu , l’eftime
dont il eft jaloux. Ils font enfans; &
s'ils croyotent les petits menfonges
qu'ils fe permettent quelquefois, auffi
DANS LES MERS DU NORD. 269
déshonorans que le crime, ce feroit aflez
pour leur donner la même averfon pour
le menfonge que pour le crime.
Quoique d’un caraétère doux & hu-
main , ils font cependant fujets à une
forte d’indifférence , qu’il feroit difficile
d’excufer entièrement de cruauté : lor{-
que, par exemple, ils voient une kaique
( barque }) flotter au gré des vagues,
& dont le Pêcheur eft dans le plus
grand danger de périr , faute de .{e-
cours , ils l’'abandonnent à fon malheu-
reux fort sil n'eft pas de leur com-
pagnie ; ils préfèrent alors de continuer
leur pêche , & ne l’interrompent jamais
pour voler au fecours de l’infortuné qui
va périr ; fi, cependant ils entendoient
dans cette barque , des cris de femmes
ou d’énfans , ils ne balanceroient pas
alors de fe jeter dans la mer, pour aller
les délivrer. Mais , lorfqu'ils partent
en compagnie pour la pêche , alors,
tout devient commun entre eux3 le
travail, le péril, la peine, la mifêre;
la faim même; & jamais ils ne fe
\
+0 HISTOIRE DES PÊCHES
refufent un fecours mutuel , qui s'étend
à tous les befoins.
Ils portent la tendreffe pour leurs
enfans, jufqu'à l'excès ; une mère ne
les perd jamais de vue ; fi, par hafard,
elle en voit périr un dans l'eau , elle
va fe jeter dans la mer, & y périt
avec lui. Les veuves & les orphelins
éprouvent toutes les calamités attachées
à la foiblefle du fexe & de l’âge; lorf-
que le père meurt, le fils aîné hérite
de tout, & cet héritage confiite en une
rente & une barque; mais cet héritage
eft grevé de la néceflité indifpenfable
d'entretenir fa mère & fes frères , avec
lefquels il partage le refte des meubles
& les habits du ménage. Si le défunt
ne laifle pas un fils d’un âge aflez mûr
pour PRUEE a {a fubfftance , à celle
de fa mère & de fes frères, le plus
proche parent eft héritier de droit , mais
il eft obligé aux mêmes charges ; sil
a lui-même une pofiefion, c’eft-à-dire,
une tente & une barque, il doit céder
l'héritage du défunt à un étranger,
DANS LES MERS DU NORD. 271
parce que perfonne ne peut pofléder,
au Groenland, plus d’une tente & plus
d'une barque ; l’étranger accepte l’hé-
rédité aux conditions ci-deflus énoncées.
Lorfque les enfans font devenus en état
de travailler , ils n’ont aucun droit au
retrait du bien de leur père , quand
bien même l'étranger qui en a été pour-
vu , mourroit fans enfans , ou qu'il n’en
laifleroit qu'en bas âge. Dans ce der-
nier cas, les enfans adoptés fuccèdenc
à l'héritage de ces orphelins ; ils en
font les tuteurs, aux conditions de les
nourrir. Jufque-là , il n’y a nulle 1n-
juftice; mais, Voici en quoi pèche la
coutume de ce peuple, faute de loix
fubfiftantes. Auflitôc que ces enfans font
devenus grands , & compris dans la
clafle des Pêcheurs, la veuve qui les
a nourris, peut difpofer à volonté de
tout ce qu'ils gagnent, quoiqu'elle les
eût abandonnés à eux-mêmes après la
mort du père, & qu'on n’eüt pas pu la
forcer à les élever. Il arrive fouvent
auflh que la veuve & les enfans font
272 HISTOIRE DES PÊCHES
réduits à mourir de faim, lorfque pet-
fonne ne veut s’en charger, à caufe de
leur pauvreté.
Pendant qu’une pauvre veuve étendue
par terre , pleure avec fes enfans la perte
de fon époux , les voifins qui viennent
pour la confoler ,| dérobent ordinaire-
ment en cachette les habits & les uften-
files du mort : elle n’a d'autre reffource
alors, que de mettre dans fon parti celui
qui a eu la plus grande part au larcin ;
celui-ci l’entretient d’abord pendant
quelque temps, & pendant ce temps,
elle eft obligée ‘de chercher quelque
autre homme de bonne volonté qui
veuille fe charger d'elle; mais à la fin
elle & fes enfans font-abandonnés à leur
fatal deftin , c'eft-à-dire à vivre de
moufle de Goumon (1) & de moules;
enfin le froid & la faim la délivrent bien-
tôt de cet état de fouffrance cruelle. II
n’eft pas douteux que cette coutume
(1) Plante qui croit dans l’eau ; on la nomme auf
Sareck ,.où Jareck.. |
barbare
DANS LES MERS DU NORD. 273
barbare ne foit une des premières caufes
de la diminution de la population au
Groenland; tousles anscette diminution
devient plus fenfible, particulièrement
depuis que ce peuple a porté fes befoins
beaucoup au-deflus de fes facultés & de
fes revenus.
Aucun crime n’eft puni de mort au
Groenland, à l’exception du meurtre &
du fortilège, parce que les Groenlandois
penfent que le forcier & le meurtrier
occafionnent fouvent des combats à
mort. Un homme envieux & jaloux de
la richeffe d’un autre, ou de fon atti-
vité à fe procurer les befoins de la vie,
n’attaque jamais fes pofleflions, quoique
celui-ci foit plus à fon aife ; il va l’atta-
quer en mer ; 1l renverfe fa kaïque , ou
lui lance un harpon par derrière, &
labandonne ainfi aux vagues qui l'ont
bientôt englouti : les parens de l’affaf-
finé diffimulent leur reflentiment jufque
à ce qu'ils aient trouvé l’occafon de
venger la mort de leur allié ; ils n’en
témoignent pas la plus petite colère a:
Tome IT.
274 HISTOIRE DES PÊCHES
meurtrier, duffent:ils diffimuler pendant
trente années; mais lorfqu’ils rencon-
tent l’aflaffin dans l’intérieur du pays,
quoiqu'il fe tienne continuellement fur
fes gardes, ils le failiflent, lui repro-
chent en peu de mots fon crime, & le
font mourirfous un tasdepierres ,oubien
le précipitent du kaut d’un rocher; ils
vont enfuite le jeter dans la mer. Si
quelquefois la foif de la vengeance les
porte plus loin, tls deviennent enragés
au point, qu'ils hachent le malheureux
à petits morceaux, & mangent fon cœur
& fon foie , pour ôter, difent-ils, à fes
patens le courage de venger fa mort fur
eux-mêmes. La vengeance eft hérédi-
taire chez ce peuple, & pañle d’une gé-
nération à l’autre; elle pafle même aux
voifins , excepté cependant lorfque le
premier meurtrier , qu'on pourfuit, a
été un vagabond & un fcélérat, méprifé
de fa propre parenté , alors perfonne ne
cherche à venger fa mort.
La juftice eft encore bien plus expé-
ditive au Groenland contre les foi-difant
DANS LES:MERS DU NORD. 275
forcières. Une femme qui pofsède quel-
que fecret de charlatanerie & qui a
limprudence de le Rae trop loin &
la vanité de chercher à s’en faire gloire x
eft bientôt accufée de forcellérie, &
dès-lors fa perte eft aflurée. Un Devin
eft confuité; fi cet homme dangereux
rejette fur la vieille, la perte d’un fils,
ou la mauvaife réuflite d’une chaffe ou
d'une pêche , la prétendue forcière a
beau prouver évidemment qu'elle n’y a
nulle part, elle n'en eft pas moins im-
molée : tout le voifinage fe raffemble
autour d'elle pour la lapider , la jeter
dans la mer, ou la hacher à petits mor-
ceaux. Elle n'échappe au fupplice , que
lorfque quelque allié, ou proche parent
fe préfente pour en faire fon affaire &
défendre l’accufée. La crainte des {or-
cières eft poutfée fi loin au Groenland,
& elle rend ce peuple fi cruel, que le
mari poignarde fans remords fon époufe,
& le frère fa fœur , lorfque l’une ou
l'autre font foupçonnées de fe mêler de
fortilèges : : perfonne ne fera un crime
S 2
276 HISTOIRE DES PÊCHES
au meurtrier d'une action aufli barbare.
Les malheureufes viétimes de cette fu-
perflition, vont fouvent d’elles-mêmes
fe précipiter dans la mer, pour échap-
per aux tourmens qu'on leur prépare ;
elles préviennent, par ce défefpoir dé-
plorable |, une mort cruelle que ces
monftres fanguiriaires lui feroient fouf-
frir. sisi
Tels font les principaux traits du ca-
rattère moral d'un peuple qui, privé
d’une religion bien ordonnée , ne fuit
que linftin@ de la nature , dont les
vertus & les vices font trop peu carac-
térifés par la rufticité de la vie qu'il
mène , & par le manque d’objets propres
à réveiller & à exciter les pailions, autant
qu'à les régler & à leur donner de la vie.
= Tout Voyageur qui voudra obferver
avec quelque fuccès le Groenland, doit
faire quelque attention à toutes fes par-
ticularités , autant pour éviter d'être
trompé par fa propre imprudence, en fe
formant des idées tout-à-fair oppofées à la
vérité, fur un pays quiluieftparfaitement
DANS LES:MERS DU NORD. 277
inconnu , que pour ne pas tomber dans
des plus grands embarras en y faifant
quelque féjour. Si la plupart des Pècheurs
Hollandois qui ont mis à terre fur ces
cotes, euflenteu une connoiffance moins
imparfaire des mœurs de ce peuple, ils
auroient certainement trouvé plus de
confolation & plus de fecours chez les
Groenlandois, qu’ils ont calomniés faute
de les connoître ; c’eft en faveur de ceux
qui vificeront ce pays à l'avenir, que je
me fuis un peu étendu en crayonnant à
grands traits, le tableau des vertus &
des vices de ce peuple véritablement
à plaindre, habitant d’une terre auf
ingrate.
L
278 HISTOIRE DES PÊCHES
CHAPITRE, XXI
… Religion, ou plurôt Superflitions des
Groenlandors.
Ux péuple ignorant , qui paroït re
penfer qu'aux jouifflances du moment,
qui d'ailleurs eft parfaitement libre dans
fes actions & dans toutes fes affe@ions,
un tel peuple doit néceffairement adop-
ter toutes les erreurs, routes les folies
de Pefprit humain ; il doit tout croire
en religion, ou n'avoir aucune croyance,
. pas même aucune idée épurée de la Di-
vinité. Tels font les Groenlandois. Ce
peuple n’a aucun principe de morale, &
ne profefle aucuneefpèce de culte. Quel-
ques Navigateurs, aufli ftupides que le
Groenlandois lui-même, ont penfé que
le foleil & le diable étoient les Dieux
du Groenland ; que ce peuple adoroic
le premier & facrifioit au fecond : ces
Voyageurs ignorans ont été crompés en
DANS LES MERS DU NORD. 279
voyant les Groenlandois monter tous les
foirs fur des élévations , pour confidérer
le foleil rentrant fous Phorizon :1ls ne
font dans cet ufage, que pour obferver,
& juger du,temps du lendemain ou de
la nuit, Ces. Voyageurs ont. encore été
trompés en prenaat pour des autels, des
petits emplacemens quarrés, pavés de
pierres {ur lefquelles ils ont fnppofé que
les Groenlancois faifoient leurs facri-
fices , qu'ils y brüloient des entrailles
de poiffon fur du charbon ardent. Ces
lieux ne font autre chofe que des empla-
cemens de tentes, jadis habités & aban-
donnésaujourd’hui. Ce peuple n’aaucune
cérémonie publique ou particulière de
religion , & il yeft. fi écranger que. lorf-
que les premiers Milionnaires. Danois
asrivérent au Groenland ,. ils s’apper- :
çurent bientôt qu’on n’y avoit pas la plus
petite idée de Dieu, & qu’on parloit à
ce peuple un lañgage nouveau en lui
parlant de l'Etre fuprême : 1ls n’avoient
pas même de nom dans leur langue
pour exprimer la Divinité. Quand, les
S 4
280 HISTOIRE DES PÈCHES
Miffionnaires leur demandoient qui avoit
fait le ciel & la terre ? leur réponfe
écoit celle-ci : Nous n’en [avons rien, ou
nous ne connorffons pas le faifeur, ou il a
di être certainement très-laborieux & très-
purffant. Ils difoient quelquefois, Les
chojes ont êté toujours de même, 6 refte-
ront bien dans le même étar. Les Miffion-
paires ont cru néanmoins que ce peuple
avoit une idée obfcure de l’exiftence de
Dieu , fans pouvoir en rendre compte,
mais que certe idée éroit grofhière,vague,
déplorable & ridicule. Les fentimens des
Miffionnaires à cet égard, paroît être con-
firmé par l’idée extravagante que les
Groenlancois fe font d’un lieu, où ils
croient devoir vivre en fortant de ce mon-
de. Il eft certain d’ailleurs que les Groen-
landois ontune idée quelconque dela fpi-
ritualité de l'ame, de la création , des
efprits, &c.; qu’à la vérité ces idées font
trés-vagues, mais qu'enfin ils n’en font
pas abfolument dépourvus (1).
(1) I paroït y avoir un peu de contradiftion dans
DANS LES MERS DU NORD. 281.
Crantyentredans un détail aflez curieux
fur les idées extravagantes des Groen-
landois, fur l'ame. «Il y en a, dit-1l,
» qui croient qu'il n’y a dans l’homme
» d'autre efprit que celui qui eft dans
» les animaux, & que ces efprits fur-
» vivent au corps ; mais ceux-ci font les
» plus ftupides; les autres s’en moquent
» & font les plus pervers; ils font leur
» profit de cette doétrine abfurde. D'au-
» tres penfent que l'ame eft le /écond
» principe dans l’homme, mais que cette
» ame eft matérielle & deftruétible ,
» qu’elle peut abandonner le corps à
» volonté & y rentrer quand il lui plaït :
» ils ajoutent qu’elle peut vivre feule
» & hors du corps. D’autres partifans
» du matéralifme, donnent deux ames
» à l'homme, l'ombre & V’haleine ; Yom-
» bre abandonne le corps pendant la
ce paffage de notre Auteur Hollandois ; mais cette
contradiHon prouve elle - même que ce peuple n’eft
encore connu que très = imparfaitement ; & que les
Voyageurs l’ont envifagé fous des afpets oppoiés,
foit par ignorance, foit par prévention.
282 HISTOIRE DES PÈCHES
23
>]
32
3
2)
33
33
23
5
»
p>
32
>]
2
»
329
»
32
23
33
3
nuit, elle va à la chaffe, à la pêche,
au bal, & par-cout où 1l lui plait : en
conféquence. ils regardent les rêves
comme une abfence de l’ame , foit
pendant le fommeil, foit pendant la
maladie. Cette croyance eft fortement
appuyée parles Devins, & les Sorciers
qui ne négligent rien pour la propager,
parce qu'ils s’actribuent la puiflance
de rappeler lame, lorfque la fièvre
& le délire viennent à ceffer; ils fe
vantent même de la changer dans le
corps d’un malade, & de lui fubfti-
tuer, celle d’un lièvre, d’une renne,
d’un oifeau, d’un enfant, &c. Ainfi
ces Devins font troquer d’ame auxma-
lades comme il leur plait. Que cette
fuperftition ridicule foit ancienne ou
nouvelle chez les Groenlandois , il
importe fort peu d’en rechercher l’ori-
gine ; 1l en réfulte toujours qu’elle eft
fouvent utile aux pauvres; les veuves
dans l’indigence la mettent à profit
pour procurer la fubfftance à leurs
enfans délaiflés, Lorfqau’un père de
DANS LES MERS DU NORD. 283
» famille vient à perdre fon fils, une
» veuve tâche de lui perfuader que
» l'ame de cet enfant a pañlé dans le
» corps d'un des fiens, dont elle a ac-
» couché depuis la mort de l’autre; alors
» ce père fuperftitieux fe fait un devoir
» d’adopter l'enfant qu’on lui propofe;
» il prend chez lui la mère, qui dès-lors
» eft fa proche parente ; il nourrit &
» entretient la mère & l'enfant ».
Les Groenlandois intelligens, qui,
ici comme partout ailleurs, font le
plus petit nombre , croient que l’ame
eft une fubftance fpirituelle qui ne fe
noutrit pas comme le cotps , mais qui
lui furvic après la pourriture ; ceux-là
croient à l'immortalité, & à une autre
vie qui ne finira jamais ; mais les fen-
timens de ceux-ci diffèrent extraordi-
nairement , tant fur cette immortalité,
que fur la fpiritualité de cette ame.
Les Groenlandois, retirant de la mer
la plus grande partie de leur fubfi£
tance, il n’eft pas furprenant qu'ils
aient l’idée la plus avantageufe de cet
284 HISTOIRE Des PÈCHES
élément ; c’eft en conféquence de cette
vénération pour la mer, qu'ils placent
le paradis au fond de l'océan ; quelques-
uns le placent dans les entrailles de
la terre ; & d’autres, fous les voûtes
des rochers qui féparent les eaux de
la terre ; ils fe font de ce paradis une
idée analogue à leurs affe@ions les plus
douces & les plus flatteufes. La, difent-
ils , règne un été continuel ( car les
Groenlandois ne connoiffent pas le prin-
cemps ); le foleil y luit continuellement,
& défend à la nuit d’v étendre fes fombres
voiles ; les eaux y font toujours lim-
pides & d’un goût exquis ; tout y eft
en abondance, fur-tout les Rennes ,
les Poules d’eau , le Poiflon, & par-
iculièrement les Chiens de mer, qu’on
y prend fans la moindre peine, &
qui, d'eux-mêmes , viennent fe jecer
tout vivans dans des chaudières qui
bouillent fans interruption. Les Groen-
lzndois ne penfent cependant pas que
ce paradis foit ouvert à tous les hommes
fans diftinétion ; mais ils penfent que ,
DANS LES MERS DU NORD. 285
pour y être admis, il fauc l'avoir mé-
rité pat une vie laborieufe , & par une
conftance à route épreuve. Les vertus
cardinales des Groenlandois confiftent
à une habileté confommée pour la pêche,
à exceller fur-rout dans la pourfuire
de la Baleine , & dans la chafle des
Phoques , à braver les dangers, à-en-
treprendre des voyages périlleux fur
rerre & fur mer ; la mer eft leur champ
d'honneur; la vertu la plus recomman-
dable des femmes eft de mourir en
couche. Ils croient que les ames n’en-
crent pas au paradis en danfant; ils
penfent au contraire que , pendant cinq
jours , elles errent fur un rocher ef-
carpé, pointu & couvert de fang, &
que de là, elles gliflent infenfiblement
dans la demeure des bienheureux. On
doute fi cette idée n’a pas quelque ana-
logie avec celle du purgatoire que les
Européens yontportéeanciennement(1).
(r) L’Auteur Hollandois & Crantz lui-même font
allufion ici, aux premiers établiffemens faits fur les
286 HisToIRE DES PÊCHES
Les ames qui font un voyage aufñi fca-
breux pendant l'hiver , font portées fur
les ailes des vents courroucés & ora-
geux ; elles courent rifque de mourir
une feconde fois en chemin ; cette
mort feroit fuivie d’une deftruétion ab-
folue ; & cette crainte tourmente les
Groenlandois. Pour cette raifon, les
proches parens du défunt doivent, par
commifération , s’abftenir de certains
alimens pendant cinq jours confécutifs ;
ils doivent auflh éviter tout travail pé-
nible, excepté les travaux de la Pêche,
qui ne fouffrent jamais d'interruption.
Cette abftinence & cette efpèce de re-
pos s’obfervent pour ne pas diftraire
lame pendant fon pélerinage, pour
ne pas la fatiguer , ou même pour ne
pas la faire périr dans le voyage pé-
nible qu’elle a à faire pour arriver dans
deux côtes du Groenland par les Norvégiens , qui y
portèrent le Chriftianifme, long-temps avant la réforme
ce Luther & de Calvin. Cette réflexion devoit naître
naturellement dans l’efprit de deux Écrivains peu par-
tifans du Catholicifme.
4
DANS LES MERS DU NORD. 287
lheureufé contrée vers laquelle elle
tend,
D’autres Groenlandois placent Le pa-
radis dans le firmament au-deflus des
nues : le voyage, felon eux, eft fi
facile pour les ames, & elles arrivent
fi promptement auprès des étoiles , que,
dès le premier foir elles couchent dans
la lune, où elles danfent & vont à la
chaffe avec les autres ames qui y font
de paflage. Les Groenlandois penfent
que l'aurore boréale n’eft autre chofe
que l’éclat que répandent autour d'elles
les ames qui danfent à ce bal célefte.
Ces Groenlandois habitent fur les bords
d'un grand lac rempli de poiflons &
d’oifeaux aquatiques.
Les partifans du paradis dans les en-
trailles de la terre, prétendent que le
firmament n’eft fait que pour recevoir
les ames des malfaiteurs & des forcières ;
& que les ames de ces fcélérats doivent
maigrir , &-enfin mourir de faim dans
cette ftérile région aérienne , ou bien
qu'elles y feront toujours tourmentées
288 HISTOIRE DES PÈCHES
& déchirées par les corbeaux ; tout at
moins , difent-ils, elles n’y auront ni
paix, m1 repos; elles y toutneront fans
cefle autour d'un centre commun,
comme fi elles étoient emportées par les
ailes d’un moulin à vent. Le petitnombre
des fages Groenlandois fe moquent de
ces deux fyftèmes, également fous, &
fe retranchent à dire, qu'ils ignorent
quelle fera la nourriture & l’occupa-
tion des ames après la mort; maisque,
certainement , elles habiteront une de-
meute paifñible. Ceux qui croient à un
enfer, le placent dans le fein de Ia
terre ; ils en font une demeure téné-
breufe ; la lumière n1 la chaleur n'y
pénètrent jamais ; les foins, les cha-
orins & les ennuis y règnent continuel-
lement, & rien ne peut en diftraire
les ames malheureufes qui y font ren-
fermées. |
Ce font auffi à-peu-près les idées de
la Divinité qu’on trouve chez les Sau-
vages de l'Amérique, & chez les hordes
des Tattares de l’Afie. Les Groenlandois
Ont
ET
DANS LES MERS DU NORD. 289
ont beaucoup de rapport avec ces
peuples ; leurs mœurs, leurs coutumes
& leurs fentimens font à peu de chofe
près les mêmes, quant au fond; il
femble qu’on pourroit en conclure qu'ils
font originaires de ces contrées, &
qu'ils defcendent de quelqu’une des
hordes ambulantes de ces Sauvages ;
mais il réfulte des meilleures obferva-
tions , que plus on s'approche du nord,
plus aufli les idées des peuples diffèrent
& s’éloignent de la première origine.
Cette diverfité eft auili frappante que
celle des traits de la figure de ces di-
vers peuples. Ce n’eft pas fans fonde-
ment qu'on croit retrouver chez les
Gtroenlandois , des traces de la religion
des Européens , relativement à la créa-
tion , à la fin du monde & au déluge;
il eft vraifemblable que ces idées leur
viennentdes Norvésciensqu'ilstrouvèrent
établis-lors de leur invañion , & qui fui-
voient, comine on fair, le culte de
léglife romaine. Le premier homme,
difent-ils, fortit de la terre; la première
Tome IL. ba à
290 HISTOIRE DES PÉCHES
femme fortit du pouce de l’homme,
& ces deux premiers êtres font la fouche
de rout le genre humain ; l’homme pro-
duifit tout dans le monde , à l'exception
de la mort , que la femme feuley porta ,
en difant à fes enfans : z/ eft nécefJaire
que vous mouriez, pour faire place à
vos defcendans. Un Groenlandois s’avifa
de prendre de petites branches d'arbre
& de les jeter, en les paflant entre
fes jambes, dans la mer; dès ce mo-
ment , l'Océan fourmilla de poiflons.
Dans la fuice des temps, le monde
fut enfeveli fous les eaux d’un grand
déluge ; un feul homme fut confervé,
mais 1l fut entièrement corrompu ; 1l
frappa la terre avec un bäton, & il en
fortit une femme; c’eft par ces deux
perfonnages que le monde fe peupla
de nouveau. Les Groenlandoïis portent,
en preuve du déluge univerfel , les
écailles & les arêtes des poiffons, qu’on
trouve à une très-grande profondeur
dans la terre , où jamais perfonne n’a
habité, & les offlemens des Baleines
:
[1
:
| DANS LES MERS DU NORD. 291
! qu'on trouve fur le fommet des plus
| hautes montagnes (1).
Après une révolution de plufeurs
fiècles , le genre humain difparoitra
de deffus le globe ; il fe détachera par
parties, & fe rompra enfin totalement,
mais le fang même des morts le pu-
tifiera ; ce fera comme un torrent, dans
lequel il nagera pendant quelque temps.
Cette mer de fang fera defléchée par
un vent léger qui en enlévera les parties
dans l'air; elles s’y raflembleront fous
une forme bien plus belle qu'auparavant.
(1) L’Auteur Hollandois fait ici une réflexion bien
fimple , & que tout homme fenfé ne fera pas beau-
coup de difficulté d'adopter : « il eft à craindre , ajoute-
» t-il, que Crantz ne nous ait donné fes propres idées,
» pour celles des Groenlandois dans cette partie de fa
» narration fur la création du monde. » Je crains bien
à mon tour aufh , que l’Auteur Æollandois ne foit
tombé lui-même dans cét inconvénient , fur ce que nous
allons voir , relativement aux idées des Groenlandois,
fur Pefpèce des Champs Élyfées, dont je. vais parler.
Ces idées fuppofent une connoiflance de la Mythologie
bien au-deflus de l'intelligence d’un peuple qu’on nous
repréfente dans la plus crafle ignorance & dans une
rufticité abfolue,
A':2
292 HISTOIRE DES PÊCHES
Alors , auront cifparu pour toujours
de deflus le globe, les rochers arides,
& la terre ne préfentera plus qu’une
fuperficie unie, toujours couverte de
verdure & d’autres objets agréables.
|
Les animaux paroitront alors pour re-
peupler cette terre; quantaux hommes,
l’Étre fuprème foufflera fur eux , & 1l
les reflufcitera tous par ce moyen tout
fimple. Quand on demande aux Groen-
landois quel eft cer être fi puiflant,
ils répondent qu'ils n'en favent rien.
Ce peuple , qui fe croit le premier né
de l'Univers, eft dans la croyance que
les Européens font nés de quelques
petits chiens dont une Groenlandoife
accoucha , & qu’elle jeta dans la mer,
après les avoir mis dans un fabor.
C'eft pour certe raifon , felon eux, que
les Européens font fi aconnés à la
navigation, & qu'ils donnent à leurs
navires la forme d’un foulier ou d’un
fabot. |
Ce peuple compte un certain nombre
indéterminé d'Efprits du premier ordre,
A
DANS LES MERS DU NORD. 293
qui paroiflent avoir quelque rapport de
reflemblance avec les Dieux révérés par
les peuples policés de l'antiquité. Entre
ces Efprits, ils en comptent deux prin-
cipaux; l’un /on,,& l’autre mauvais :
ils appellent le premier Torigarfuk ;
c'eft celui-ciqueleurs Angekoks(Devins)
vont confulter fur l'avenir, dans fa
demeure au fein de la terre. On n’eft
pas d'accord fur fa forme ; quelques-
uns prétendent qu’il n’en a pas, d’autres
l'afimilenc à un grand Ours, d’autres
le repréfentent fous lafigure d’un homme
wayant qu'un bras, d'autres ne lui
donnent pas plus d’un pouce de hau-
teur. Quoiqu'il foit immortel de lui-
même, on peut cependant lui donner
la mort, & c’eft en laächant un vent
dans la maifon du Devin qui l’évoque :
il n’en faut pas davantage pour chaf-
fer les Efprits, & les empêcher de
paroître , lorfqu’on fe moque du Devin
qu'on confültes Le mauvais principe
eft. un Efprit femelle qui n’a pas de
nom; celui-ci, au dire des Groenlandois,
T3
294 HISTOIRE DES PÉCHES
eft enfant d'un fameux Devin qui
fépara l'Ifle de Difco du continent par
la rivière de Baals ; il porta cette Ifle
cent milles plus loin vers le pole. Cette
Déefle fait fa demeure dans un grand
palais fous la mer; c’eft là qu’elle en-
chaine par fa magie tous les monftres
de l'Océan. Elle retient dans une chau-
dière d'huile, où elle a foin d’entre-
tenir une lampe toujours brülante , tous
les oïfeaux aquatiques ; les portes du
palais font conftamment gardées par
deux énormes Chiens de mer qui
rampent continuellement autour de
l'entrée ; la garde particulière du feuil
de la porte, eft confiée à une efpécé
de Cerbère cruel, qui ne dort jamais,
t7ne Pért pas étre léUTLE
Lorfque les Groenlandois fouffrent
la faim , & qu’ils ne peuvent rien pren-
dre à la pêche ou à la chafe , ils payent
un de ces Devins, pour appaifer cet
Ffprit malfaifant. Son Ange conduéteur
Je conduit à travers la mer, dans le
fein de la terre. Il commence par
DANS LES MERS DU NORD. 295$
parcourir les régions des ames bien heu-
reufes , qui paflent leur vie dans la joie
& le bonheur : de-là, il arrive fur le
bord d’un précipice effroyable , où il
trouve une petite poulie brillante comme
du verre , & qui tourne avec une vitefle
extraordinaire ; alors , l’Ange conduc-
eur prend le Devin par la main, &
le laifle glifler, en le tenant, le long
d’une corde qui aboutit par l’autre extré-
- mité , au fond du précipice. C’eft ainfi
que , crompant la vigilance des gar-
diens , ils entrent dans le palais de la
Divinité malfaifance : auflitôt qu’elle
apperçoit ces écrangers , elle entre dans
une fureur terrible ; elle écume de rage,
& tombe dans les convulfions de la
fureur ; elle met le feu aux ailes de
quelques oifeaux de mer ; la fumée
puante qui remplit cette fombre de-
meure , étourdyr bientôt le conducteur
& le Devin , qui fe rendent alors à
la difcrécion de la furie. Mais, peu
de temps après , ils la prennent aux
cheveux, pour l'empêcher de répandre
T4
296 HISTOIRE DES PÊCHES
tout le venin de fa fureur , & la dé-
pouillent de tous les fymboles de for-
celleïie , dont Ia force retient enchaî-
nés tous les habitans de la mer ; auflitôc
après que ce fortilége eft détruit, tous
ces animaux rentrent dans l'Océan, & le
Devin revient, fans peine & fans dan-
ger, retrouver les Pècheurs qui lavoient
envoyé pour défarmer la Déefle malfai-
fante.
Les Groenlandois n'aiment pas cet
Efprit femelle qui leur fait plus de mal
que de bien; mais aufh, ils ne le
craignent pas, parce qu'ils ne lui fup-
pofent pas aflez de méchanceté pour
leur faire du mal, uniquement par le
plaifir de le faire; ils difent que c’eft
un amour extraordinaire de la folitude ,
qui lui a fait environner de danger fon
palais, pour qu'on ne vienne pas l'y trou-
bler. Cet Efprit femme n’eft qu'abforbé
dans une profonde triftefle ; 1l fuit la
fociété des hommes, au lieu que le
mauvais Efprit les perfécute. Quoique
le bon Efprit ne les défende pas coujours,
DANS LES MERS DU NORD. 297
ils l’aiment néanmoins; & lorfque les
Européens leur parlent de leur Dieu,
ils s’imaginent entendre parler de leur
Torigarfuk , quoiqu'ils ne lui actri-
buent pas la création & la dire&tion
fuprême de toutes chofes. Du refte, ils
ne le prient jamais, & ne lui font au-
cune offrande , penfant qu'il eft trop
bon pour recevoir des prières , des pro-
meffes ou des préfens. Ils ont cependant
une coutume qui reflemble beaucoup
à un ade de religion : lorfqu'ils font
à la chafle ou à la pêche, ils dépofent
fur une pierre, un morceau de sraifle,
ou un lambeau du cuir de l'animal qu’ils
ont pris, & fur-tout une grande pièce
de la chair de Renne ; ils répondent,
lorfqu’on leur en demande la raifon,
qu'ils Pont appris de leurs pères, qui
ne manquoient jamais de le faire , pour
faciliter la réuflite de leurs entreprifes.
Ce peuple fuperftitieux a la foiblefle
qui paroît l'apanage de la plupart des
hommes, c'eft de croire que les êtres
invifibles font fans nombre ; aufli,
1298 HISTOIRE DES PÊCHES
peuplentils les élémens d’Efprits. Ils en
fuppofent dans l'air, dont l'occupation
eft d’être continuellement à la guette
des ames , pour les dévorer. Ces Ef-
prits, difent-ils, font maîgres, noirs
& hideux ; tel étoit le Saturne des
Grecs. Il y en a auf dans l'Océan,
qui tuent les Renards & les dévorent
lorfqu'ils viennent fur le rivête pour
y chafler le poiflon. Ils comptent auffi
des Efprits de feu, qu'ils croient ap-
percevoir dans les comètes & dans les
lumières phofphoriques : ceux-ci habi-
croient fur la terre avant le déluge ;
mais , lorfqu’elle fut enfevelie fous les
eaux, ils furent changés en flammes,
&c furent fe réfugier dans les antres
des rochers. On les accufe de tromper
l'homme par leurs faufles lueurs, &
de le faire errer pour l’empêcher de
retrouvet fes camarades ; ils ne font
pourtant pas autrement malfaifans. Il y
a aufli des Efprits de montagne, dont
les uns font des Géans de douze pieds,
& d’autres des Pygmées qui n'ont pas
DANS LES MERS DU NORD. 299
plus d'un pied de hauteur ; ces der-
niers fonc très-agiles & très-induftrieux ;
felon les Groenlandois, ce font eux
qui ont montré tous les arts aux Eu-
ropéens. Les eaux douces ont aufli des
Nymphes; & jorfque les Groenlandois
découvrent une nouvelle fource, le
Devin commence par boire le premier;
à fon abfence , c’eft au plus vieux de la
bande qu’eft déféré cet honneur , & par
cette cérémonie, elle fe trouve purifiée
à jamais de tous les mauvais Efprits.
is attribuent aux mauvais Efprits qui
habitent dans les alimens, les excès
contre la modeftie, auxquels les femmes
mariées & les veuves fe livrent quelque-
fois , après avoir mangé certains alimens
qui dérangent leur raifon ; ils penfent
que ces mauvais Efprits quelles onc
avâlés , les ont excitées à ces indé-
cences.
LesGroenlandois ont auf leur Afars ;
celui-ci a pour compagnons les Efprits
de la guerre, ennemis du genre hu-
main; leur réfidence ordinaire eft dans
300 HISTOIRE DES PÈCHES
la -partie orientale du Groenland. Il
eft à préfumer que cette idée extra-
vagante leur vient de ce que les Nor-
végiens abordèrent au Groenland par
la côte orientale, & qu'ils s’y établirent
avant de pañler fur la côte occidentale.
Ils reconnoiffenc aufli un £ole , qui.
règne fur la mer & fur le beau temps.
Le foleil & la lune ont auffi leurs Ef
puits, qui font comme des fatellites
deftinés à les défendre ; ces gardiens
ont été des hommes. Les Devins Groen-
Jandois racontent une infinité de fables
& de contes fur des fpectresqu’ils préten-
dent voir : ces fpeëtres ,difent-ils, fontun
tort confidérable aux hommes, parce
qu'ils épouvantent les oifeaux, & les
chaflent. Les Devins font les feuls qui
aient le privilége de les voir ; & pour
mieux les découvrir, ils vont à la chafle
les yeux bandés ; de cette manière, ils
furprennent ces fpeêtres , les mettent
en pièces & les mangent. C’eft ainfi
que la fourberie fubjugue tous les
hommes, qu'ils en font les viétimes,
DANS LES MERS DU NORD. 301
& que le fourbe fait la tourner À fon
profit.
Les Devins doivent faire un noviciat
avant de s’annoncer comme tels, & de
pouvoir exercer publiquement l’art ma-
gique ; ils doivent fe familiarifer avec
les Efprits qui habitent les élémens; 1
faut qu'un Angekok en ait au moins un
à fa difpoñition. Un Groenlandois qui
fe fent de la vocation pour ce minif-
tère, fe fépare pendant quelque temps
des hommes , & fe retire dans une
folitude impénétrable ; 1l s’y livre à la
contemplation & à la prière ; 1l con-
jure Torzsarfuk de lui envoyer, pour
l’inftruire , un de fes Efprits les plus
familiers. Affoibli par le jeune & par
l’abftinence la plus rigoureufe, le novice
a des vifions continuelles, & devient
le jouet d’une imagination exaltée. Les
extafes fuivent de près cet état, &,
dans fes rêves continuels , il croit êtré
devenu de compagnon le plus intime
des Efprits. Il en eft qui, depuis leur
tendre jeunefle , fe font attachés à un
302 HISTOIRE DES PÈCRHES
maître de l’art magique, & l'ont exac-
tement fuivi dans toutes fes fonctions :
le noviciat de ceux c1 eft bien moins
pénible ,| & 1ls font bien mieux au fait
que les autres d’un art qui , tout groflier
qu'il eft, demande pourtant aflez de
dextérité & de fouplefie. Lorfque le
novice a fait tous fes exercices pré-
paratoires , & qu'il fe croit en état de
recevoir fon inauguration , il va s’as-
seoir fur une pierre ; 1} évoque Zor:-
garfuk ; ce maitre de tous les Efprits
paroït ; le novice tombe , & refte pen-
dant trois jours dans un état de mort;
le grand Efprit le retire de fa léthar-
gie, lui donne un Efprit conduéteur ;
1l rétablit fa fanté, l’inftruit dans les
préceptes de la fagefle, lui montre toutes
les fineffes de l’art, & le tranfporte b'en-
tôt après au ciel & en enfer pour lui faire
faire connoiffance avec tous les Efprits
bons & mauvais qui habitent ces deux
régions invifibles. Ce voyage ne fe fait
jamais qu'au printemps , parce qu'on
ne peut aller au cielque parle moyen de
DANS LES MERS DU NORD. 303
larc-en-ciel , qui fert d'échelle pour
y monter. | |
Le nouveau Devin ayant reçu fa mif-
fion , reparoït dans la fociété, & s’an-
nonce en battant le tambour ; ilaffemble
tous les voifins, & leur fait voir un
échantillon de fon favoir-faire, en épui-
fant devant eux tous les tours les plus
fublimes de l’art. Il a grand foin de faire
tous fes exercices particuliers 8 myfté:
rieux de magie, dans un réduit par-
faitement obfcur, & de recommander
aux afliftans le filence Îe plus rigou-
reux & l'attitude la plus tranquille ;
deux conditions eflentielles pour que
l'Efprit qu’il évoque foit docile à fa voix.
Cet Efprit ne left pas toujours | du
moins il fe fait prier très-long-temps.
Le Devin l'annonce franchement aux
afliftans , & leur dir que fon ame va
partir pour aller le chercher. Pendant
le voyage de l'ame , le Magicien refte
étendu fans mouvement ; on eft averti
de fon retour par de petires convul-
lions qui annoncent la réfurreétion du
304 HISTOIRE DES PÊCHES
corps du Devin, & enfin par un grand cri
de joie qu’il poufle avec force.
Le Magicien découvre aux Groenlan-
dois tout ce qu'ils defirent favoir, Cet
Oracle leur répond par deux voix qui
fe font entendre en même-temps; l’une,
dans la falle où il eft confulté , &l’autre,
en dehors. La réponfe eft coujours am-
biguë ; les dévôts à l’Oracle tâchent
d'en pénétrer le vrai fens; s’ils ne peu-
vent y réufir, ils prient l'Efprit fami-
lier de l'expliquer luimême au Magi-
cien. [Il arrive quelquefois qu'un fe-
cond Oracle s’avife de parler en même-
temps que le premier qu'on confulte ;
alors, ni les dévôts, ni le Magicien
lui-même, n'y comprennent rien. Ce-
pendant, le Magicien s'arrange fi bien
dans toutes les réponfes qu'il fait, que
toujours fon honneur eft à couvert, foit
que fa prophétie s’accomplifle , ou.
non.
C'eft en ceci particulièrement, que fe
font toujours accordés trous les fourbes
qui fe font ingérés à faire des prédiétions
par
DANS LES MERS DU NoRD. 30s
par le double fens qu'ils fe font étudiés
de donner à leurs oracles.
Tous les Groenlandois ne réufliffent
pas également dans l’art de la Magie.
Un candidat fortant de fon noviciat,
qui ne peut faire venir fon Efprit,
après l'avoir évoqué dix fois de fuite
au fon du tambour, doit renoncer à
’état , & l’abandonner entièrement ,
parce que fa vocation n’a pas fans doute
été ratifiée par Zorzgarfuk. Mais , lorf-
qu'après avoir battu fur fon tambour
pendant quelques momens, l’Efprit do-
cile fe rend fur-le-champ à fon évoca-
tion, alors 1l peut efpérer de devenir
fameux, & il a des droits au premier
rang du facerdoce magique ; pour y
arriver, fa vocation fe manifeite par un
miracle. Un Ours blanc vient prendre
lé Magicien par les pieds , & le porte
au fond de la mer; un autre Ours &
un Lyon marin l'y attendent pour le
dévorer ; mais, peu de temps aprés ,
ces animaux rapportent fon corps dans
fa cellulle obfcure ; l'Efprit familier
Tome IT. ds: "i
306 HisToiRE DES PÊcHEs
du Magicién fort des entrailles de Îa
terre, & reflufcite le mort : le voilà
alors Archimagicien.
Tous les Groenlandois ne croient pas
À ces folies, trop vifibles pour faire im-
preffion fur les perfonnes de bon fens ; il
fe trouve même beaucoup de Magiciens
qui ont la franchife d’avouer qu'ils n’y
croient pas eux-mêmes. Ils s’excufent
fur ce qu'ils ont reçu cet ufage de leurs
ancètfes qui leur impofe la néceflité de
le perpétuer. Ces Magiciens fonit les fa-
vans & les fages de la Nation; ils font les
fonttions de Juges & de Médecins ; en
un mot ils font confultés en tout & jouif-
fent d’un grand crédit & d’un grand af-
cendant fur leufs concitoyens.
Appelés auprès d’un malade, ils com-
mencent par lui dire quelques mots à
l'oreille : s’il a perdu connoiflance , ils
foufflent fur fon vifage pour le guérir, &
même pour lui donner une feconde aime à
la place de celle qui s’eft envolée. Pour
favoir file malade guérira de fa maladie,
ou s’il doit en moutir, ilsl’aflujectiflenc à
DANS LES MERS DU NORD. 307
une épreuve fort fingulière; ils lui paflent
une corde autour du col; ils attachent
aux deux bouts, qu’ils tiennent dans la
main, un petit bâton ; au moyen de ce
bâton, qu'ils tirent à eux, ils élèvent
la tête du patient & la laiffent retomber
à plomb ; fi la crête eft pefante, qu’elle
oppofe une certaine force pour s'élevér
& qu’elle recombe pefamment, lemalade
doit mourir ; fi au contraire elle eft lé-
gère, ke Magicien répond du rétabliffe-
ment du malade. Pour favoir fi quelqu'un
qui eft tombé dans la mer, eft mort où
vivant ; les Magiciens emploient un
moyen trés-fingulier. Ils paffent, felon
le procédé ci-deflus, une corde au col
du plus proche parent de l’abfent , ils
placent fa tête devant un fceau d’eau,
& examinent les traits de fon vifage , ré-
fléchis fur la furface du liquide ; d’après
cette expérience , ils fe chargent de pro-
noncer fi l’abfent vit encore, ou s'il eft
mort. À l’aide de ce pouvoir imaginaire,
ils ajournent l’ame de celui dont ils veu-
lent fe fervir pour certeexpérience, dans
Mme!
308 HISTOIRE DE PÈCHES
une chambre obfcure, & là, feul à feul
avec cet infortuné, 1ls le percent avec
une lame en plufieurs endroits; l'homme
victime de cette affreufe fuperftition,
ne manque pas d’en mourir à petit feu;
ils déclarent alors qu’on attend en vain
l'homme qui s’eft jeré dans la mer. Ces
abominations & en général tousces forti-
léges ont beaucoup diminué & font rom-
bés dans un grand difcrédit depuis que
les Miffionnaires ont porté la lumière de
l'évangile au Groenland. On n’y en trou-
veroit même plus aujourd’hui aucun
veftige, fi cette magie n’avoit un attrait
particulier pour ceux qui l'exercent, à
caufe de la confidération qu’elle leur
donne auprès des foibles, & de la faci-
lité qu’elle leur procure de vivre dans
J'aifance, en menant la vie la plus oifive;
car les Devins fe font payer au Groen-
land comme par-tout ailleurs.
Se
ab
DANS LES MERS DU NORD. 309
ET]
CG HAB LTFORPE LXUX ISLE
Maœurs particulières , Mariages, Édu-
cation , Occupations domeftiques ,
Ufages & Coutumes des Groenlandois,
ant dans la vie privée, que dans
P État focial.
LA température du climat, & la na-
ture du fol, influent toujours fur le
caractère & fur les mœurs des peuples,
comme fur leur phyfique.Cetteinfluence
eft encore plus fenfible fur les peuples
que notre vanité nous fait appeler fi
gratuitement Sauvages. Un obfervateur
attentif devineroit aifément les occu-
pations &les inclinations d’une nation,
en les mefurant aux moyens de fub-
fiftance que la nature lui a donnés
fur le fol qu’elle habite. Les occupa-
tions des hommes fe dirigent principa-
lement à affujettir la terre à leur fournir
les alimens & les autres commodités
de la vie. De là naïffent naturellement la
310 HISTOIRE DES PÊCHES
fociété & le commerce On vit de ce
que l’on récolte, & l'on parle de ce
qui eft continuellement foumis à la
vue. Un homme qui penfe & qui té-
fléchit, peut donc facilement fe faire
une idée des occupations , des mœurs
particulières & de la façon de vivre
des Groenlandois, en confidérant fur
la carte la pofition du Groenland, fa
latitude & fa longitude ; & en y voyant
ce pays hériflé de montagnes, morcelé
par de profondes baies qui doivent être
couvertes de glaces, il doit en con-
clure , fans même avoir jamais lu au-
cune relation du Groenland , que cette
contrée froide doit être ftérile, peu
peuplée , & que l’homme condamné à
l'habiter , doit y être aufli froid que
le fol qui le porte : il doit conclure
encore que le Groenlandois ne peut
fe nourrir que du Poiffon qu'il pêche,
&. des animaux qu'il tue à la chafle;
qu'il doit être mal propre comme le
poiffon huileux qu'il pêche & qu'il
prépare ; que ne poflédant que peu de
DANS LES MERS DU NORD. 311
bois & de fer pour faire des outils &
des inftrumens, à raifon du manque
abfolu de mines & de forècs , fa hutté
doit être étroite & peu commode ;
qu'oblisé de paffer la moitié de l’année à
la chafle & fur-tout à la pêche , &
l'autre moitié renfermé dans fa ca-
verne. à l'abri du froid extrême de fon
climat , il ne lui refte pas un moment
pour perfectionner les arts même de
première néceflité , & encore moins
pour culriver ceux qui ne font que de
pur agrément, ou d’une utilité plus
générale ; que la vie des Groenlan-
dois doit être miférable, leur naturel
fombre, leur caraétère filencieux , &
que toute leur fociété doit participer
de l’obfcurité de: l'horizon, éclairé à
peine pendant quelques mois de l’an-
née; ce peuple étant plongé tout le
refte du temps dans une nuit continuelle,
On pourroit donc plus facilement
encore , d'après la defcription que j'ai
donnée du Groenland, fe faire une
idée de la manière particulière de vivre
V4
312 HISTOIRE DES PÊCHES
des Groenlandois. On pourroit aufli
prefque deviner en quoi confifte leur
commerce, leur manière de fe traiter
les uns & les autres, & de fe vifiter ;
quels font leurs exercices, leurs amu-
femens,leurs feftins ,& en quoi confiftent
leurs fêtes publiques. Cependant,comme
l'hiftoire des voyages n’eft pas écrite
uniquement pour les hommes qui réflé-
chiflent profondément, & qu'elle doit
inftruire aufli ceux qui lifent avec quel-
que attention , mais qui n'en font pas
une étude réfléchie, 1l me paroît né-
ceffaire d’entrer , par rapport à ces der-
niers , dans quelques détails relatifs à
quelques objets intéreflans pour une
certaine claffe d'hommes, que ce genre
d'étude amufe & inftruit en même
temps. Je mettrai Crantz à contribution ;
ce Voyageur me paroît un de ceux
qui ont mieux connu les ufages des
Groenlandois, & qui les aient décrits
avec le plus d'ordre & de clarté (1).
(1) Il y a cependant quelques précautions à prendre
DANS LES MERS DU NORD. 353
Les Groenlandois s'appliquent moins
à fe faire valoir & à furpafler en con-
noiflances & en habileté leurs conci-
toyens , qu'à fe garder de tout ce qui
peut les rendre méprifables, ou porter
quelque atteinte à l’eftime publique
dont ils font très-jaloux. Ils ne font
pas complimenteurs , & ne peuvent
s'empêcher de rire lorfqu’ils voient un
Européen qui, la tête nue, s'incline
profondément devant fon femblable ,
qu'il a la foiblefle d'appeler fon maitre.
Ïls ne favent pas la raifon de cette
fubjeétion ; ils font étonnés que cette
fupériorité de l’un fur l’autre, aille fi
loin ; qu'elle autorife l’un à frapper
l’autre, fans que celui-ci s’en venge.
Le Groenlandois s'applique moins à
plaire qu’à ne pas déplaire à fon fem-
blable ; il exige moins de politefle que
de concorde ; il eft plus porté à n’in-
fulter perfonne , qu’à fe venger d’une
en fuivant cet Auteur ; on courroit rifque de s’écarter
quelquefois de la vérité , en lui donnant une trop
grande confiance,
314 HisToirE DES PÊCHES
infuice reçue (1). Ce peuple feroit même
trés en peine pour s'infulter en paroles ;
{a langue eft prefque dénuée de termes
injurieux. Il ignore abfolument l’ufage
de ces mots indécens & injurieux , fi
communs & fi en ufage chez nous.
Les Groenlandois ne rougiffent de rien
de ce qui n’eft pas direétement inju-
rieux , ou qui ne fait pas un tort fenfble
& direét à fon femblable. Ils fe paflenc
quelques libertés que la nature nécef-
fire, comme une fuite de la digeftion
des alimens; les vents lâchés, que la
polireffe condamne chez nous , ne les
fcandalifent nullement : ils s’en abf-
tiennent, cependant en préfence des
Européens, parce qu’ils favent que ceux-
ci s’en offenfent.
(1) On a vu plus haut , que le Groenlandois confer-
voit le defir de la vengeance pendant longues années , &
que , même au bout de trente années , il fe vengeoit
à coup sûr & toujours en traitre, de fon ennemi;
qu’il étoit envieux de fa profpérité, au point d’aller
l’aflafliner en pleine mer. Sans doute que ces cas font
rares , & qu'ils font exception à la règle générale. Il eft
toujours des monftres dans la fociéié la mieux ordonnée,
DANS LES MERS DU NoRD. #15
« Nous navons jamais vu, dit le
Mifionnaire Crantz , les Groenlandois
fe livrer À quelque aétion indécente,
malhonnète ou fcandaleufe. Ces Sau-
vages fe permettent tout aufli peu des
paroles lafcives ou impudiques, &
nous ne les avons jamais entendu
en prononcer une feule. Il eft très-
rare que les femmes y mettent au
monde des enfans illégitimes , &
qu'une jeune veuve fe déshonore ;
il eft au moins certain que dans ces
cas très-rares , jamais les Groenlan-
doifes ne font périr , ni avorter le
fruit de leur libertinage. La fille trom-
pée , quoique méprifée, n’en cherche
pas moins avec ardeur à réparer la
honte & le deshonneur de l'enfant
qu’elle a mis au monde, en fe ven-
dant à un homme qui n’a pas d’en-
fans, & qui ne peut plus efpérer
d'en. avoir, ou en fe louant pour
domeftique dans la maifon de celui
qui l’a trompée , & qui ne veut pas
l’époufer. Dans un pays dont le
316 HISTOIRE DES PÈCHES
» climat n’excite à aucune pañlion défor-
» donnée , la modeftie du foible fexe
» eft pourtant pouflée au point, que
» jamais les jeunes filles n’ont de fré-
» quentationparticulière avec les jeunes
» gens ; une fiile fe croiroit déshono-
» rée fi elle préfentoit une prife de
» tabac à un jeune homme ».
Jamais un garçon ne penfe à fe ma-
tier avant fa vingtième année; lorfqu'il
fe fent de l’inclination pour le mariage,
il jette les yeux fur une fille à-peu-près
de fon âge ; il déclare à fes parens qu'il a
fixé fon choix, & il n’a pas à craindre
d'être forcé à époufer une femme
qu'il n’auroit pas choifie lui-même. Le
jeune homme n’attend ni ne cherche
une riche dot ; il n’a lui-même à porter
à fa future époufe que fes habits, fon
couteau, fa lampe, & tout au plus un
chauderon de pierre ; aufli n’exige-t-il
de fon époufe que la capacité requife
pour entretenir dans un état de pro-
preté, ce modique mobilier. La future
ne confidère de fon côté, dans le jeune
DANS LES MERS DU NORD. 317
homme qui lui offre fa main, que le
mérite d'être bon Chañfleur & bon Pè-
cheur. Les parens de l’un & de l’autre
donnent fur-le-champ leur confentement
au mariage , & couronnent avec plaïft
le vœu de ces deux jeunes gens, d’au-
tant qu'ils nont pas le plus petit inté-
rêt à traverfer leur inclination, & à
s’oppofer à leur union.
Deux vieilles femmes font chargées
par le jeune homme de faire la demande
aux parens de la fille , & elles font
autorifées par lui , de fonder avant
cout, le verrein, & de ne s'expliquer
qu'après avoir propofé l'affaire en termes
généraux. Âu premier mot de mariage
qu’elles prononcent, la fille fort, in-
dignée en apparence de cette propofi-
tion ; elle paroît ne vouloir pas même
les entendre ; elle entre dans une ef-
pèce de défefpoir ; & arrachant l'anneau
qui attache fes cheveux, elle le brife.
Une déplorable coutume , ici comme
ailleurs , fait jouer aux filles cette co-
médie ; elles feignent de s’oppofer à
318 HISTOIRE DES PÊCHES
un projet qui le plus fouvent eft l’objet
le plus cher à leur cœur. Le jeune homme
eft prefque toujours affuré d’avance de
la réuflite de fa démarche , & il eft
prefque toujours d’accord d'avance aveë
la fille qu'il fait demander en mariage.
Il eft des cas cependant , où le refus
de la jeune Groenlandoife n’eft pas une
pure grimace , il provient quelquefois
d’un éloignement réel pour le mariage.
La répugnance pour le mariage eft fou-
vent fi forte dans une Groenlandoife ,
que, lorfqu’elle fe voit recherchée ,
elle fe livre au plus fort défefpoir ; élle
quitte la maifon paternelle | & s'enfuit
dans les montagnes , où elle s'enfonce
dans quelque trou inacceffible à tous
autres qu'a elle; elle coupe fes che-
veux : c'en eft fait alors , elle eft vouée
pour toujours au célibar, & il n’eft
plus permis de lui propofer de fe ma-
rier. Il peut fe faire que cette répugnance
pour le mariage , qu’on remarque quel-
quefois dans les filles du Groenland ,
provienne uniquement du rifque qu’elles
DANS LES MERS DU NORD. 319
courent d’être chaflées par leurs maris
après quelque temps de mariage. Elles
ont des exemples bien triftes de la liberté
que les hommes fe font réfervée d’épou-
fer une feconde femme. Les patens ne
forcent jamais une fille à fe marier,
& la laiflent parfaitement libre. Si là
fille ne s’évade pas de la maifon pa-
ternelle, & continue néanmoins à refufer
le parti qu'on lui propofe, lés deux
vieilles entremettantes ufent à fon égard
de toute forte de violence pour arracher
fon confentement. Si les moyens de la
perfuafion ne fuffifent pas, ceux de la
force font employés fur-le-champ; ces
Duègnes l’accablent de coups : fi elle ne
fe rend pas & qu’elle s'échappe, elles
vont la chercher, l’entraînent de force,
&c la garottent de façon qu’elle ne peut
plus s'enfuir. Rien ne paroît plus tyran-
nique , plus injufte, plus contraire à
l'amour conjugal que cette rigueur &
cette barbarie : rien ne doit être plus
libre qu’un engagement qui doit dé-
cidér ; fur-tout au Groenland , du
320 HISTOIRE DES PÊCHES
bonheur ou du malheur de la vie d’une
femme ; cependanciln’y apasdeviolence
ou d’injuftice qui foit plutôt pardonnée
que celle-ci. On voit rarement une
Groenlandoife avoir une répugnance
décidée pour le mariage, & on n’en
voit pas une qui, après en avoir, eflayé ,
fe dérobe aux plaifirs de l'amour con-
jugal. Ce premier refus , qui paroit
obftiné, n’eft donc chez elles qu'un
préjugé , qu’une grimace , qu'une pu-
deur mal dirigée , en un mot qu'une
mode.
Les parens quelquefois arrangent eux-
mêmes le mariage de leurs enfans, &
préviennent leur vœu ; ils leur propofent
l’établiflement , & fans employer au-
cun moyen de violence , ceux-ci y
donnent leur confentement. Dès que
les futurs époux fe font donnés mutuel-
lement leur parole, le mariage eft arrêté,
on y met la dernière main , fans d’autre
cérémonie que celle de les unir & de
les établir en ménage.
On voit rarement un coufin époufer
fa
DANS LES MERS DU NORD. 321
fa coufine ; des enfans élevés enfemble
dans une même famille, & qui ont
quelque degré de parenté , ne s’uniflent
prefque jamais par le mariage. Cepen-
dant il arrive quelquefois qu’un homme
époufe les deux fœurs, ou même la
mère & la fille en même temps. Ces
exemples font rares à la vérité, & font
hautement condamnés , comme annon-
çant un libertinage pouflé à l'excès.
La Polygamie n’eft pas commune au
Groenland , quoiqu’elle y foit tolérée ;
fur vingt hommes , on en trouve à peine
un qui foit Polygame. Bien loin , néan-
moins, qu'un homme foi blâmé d’avoir
plufieurs femmes, il fe fait au contraire
honneur d’avoir de quoi les entretenir
honnêtement. Comme le plus grand
déshonneur d’un Groenlandois confifte
à n’avoir pas d’enfans, ou du moins un
fils qui puifle devenir le foutien de fa
vieillefle , celui qui eft aflez riche pour
en noufrir un grand nombre , a le droit
d’avoir plufieurs femmes pour multiplier
plus facilement fa race ; mais il ne feroit
Tome IT. n.
322 HISTOIRE DES PÊCHES
pas exempt de blâme, fi la multiplicité
des femmes n’étoit pour lui que le moyen
de fatisfaire fon incontinence. Il ne doit
avoir en vue que de fe reproduire, &
laiffer une poftérité nombreufe. On re-
garde la Polygamie comme un abus con-
damnable , lorfqu'un homme qui a à
peine de quoi entretenir une fémime ,
en époufe plufieurs. Eppede , fait à ce
fujet une fingulière réflexion : Avant
l’arrivée des Miffionnaires , dit-il , Les
femmes ne connoifjorent pas la jaloufie ;
mais , depuis qu’elles ont appris que le
Chriflianifme prohiboit la Polygamie,
elles ne fupportent pas auffi facilement
l’infidélité de leurs maris. En général
néanmoins , la fidélité conjugale eft peu
leflée chez ce peuple fimple , dont la
bonhommie fait le fond du caraétère. La
plus grande paix règne dans les mé-
nages des Groenlandois ; rarement on
y entend ces vives querelles qui fcan-
dälifent la fociété; rarement les ma-
ris. fe portent à battre leurs femmes,
& les pères leurs enfans. On n’y connoic
DANS LES MERS DU NORD. 313
pas le ferment du mariage , & en-
core moins les mariages indiflolubles.
Lorfque le’ mari n’a pas d’enfans, ou
qu’il eft mécontent de fa femme, il
lui lance un regard févère ; auflitôt elle
fort de la maifon , & n’y revient que
plufieurs jours après ; elle comprend ce
que ce regard fignifie, elle fait fon
paquet & fe retire chez fes amis, où
elle vit d’une manière irréprochable.
Par cette circonfpection, elle cherche
à rejeter {ur fon époux, tout l’odieux
de cette féparation. Quelquefois c’eft
la femme elle même qui rompt les
liens du mariage, lorfqu’elle ne peut
pas vivre en paix avec les autres femmes
qui font dans la maifon de fon mari;
cela arrive fur-tout, lorfque la belle-
mère , abufant de fon ancienneté, exige
que la belle-flle lui ferve de domef-
tique , & lorfqu’elle la traite avec trop
de rigueur & de hauteur. Dans le cas où
la femme fe fépare , fes enfans la
fuivent , & ne reviennent pas même
après la mort de leur mère, dans la
x
324 HISTOIRE DES PÊCHES
maifon paternelle, pour fervir de fou-
tien de vieilleffle à leur père. Cette
coutume eft un puiflant motif pour
les deux époux, de vivre en paix, &
de ne point s’expofer, par de mauvais
procédés, à une féparation honteufe ;
aufli voit-on très-peu de divorces.
Très-fouvent le mari , défefpéré ,
n'a pas plutôt abandonné fon époufe ,
qu’il va fe cacher dans un défert , &
qu'il fuit à jamais la fociété. [l cherche
une tanière au pied d’un rocher , & y
vit du produit de fa chafle ; quelque-
fois, s’abandonnant tout-à-fait au dé-
fefpoir, 8 devenant abfolument per-
vers , 11 détrouffe les paflans , & vit de
brigandage. Ces Sauvages errans font
pour l'ordinaire des jeunes gens mariés
fans réflexion , qui fe font repentis bien-
tot d’un choix trop précipité. On re-
marque au Groenland , que les époux
qui s’uniflent dans un äâge avancé , s’en
aiment davantage.
Immédiatement après la mort de fon
époufe , le Groenlandois penfe à la
DANS LES MERS DU NORD. 325
remplacer ; quelques jours après l'avoir
fait enterrer, il étale fes richefles à la vue
de tous fes voifins ; il affete de fe
montrer lui-même plus qu’à l’ordinaire ,
il fait parade de fes enfans ; fa maifon
eft ouverte ; il expofe fa provifion de
poiflon, fon équipage de pêche & de
chafle , en un mot tout ce qu'il pof-
fède. Loin de faire des préparatifs de
deuil , il paroît faire les apprêts d’un
fecond mariage. Il ne vole cependant
jamais en fecondes noces qu'après l’an-
née révolue de fon veuvage , à moins
qu'il wait des petits enfans dont quel-
qu’un de fes proches parens ne puifle
prendre foin. Lorfque le Groenlandois a
plus d’une époufe , la feconde en rang ,»
prend la place de la morte, & devient la
première femme. Cette promotion de
la feconde époufe, fe faitdefa part, avec
routes les marques de la plus profonde
criftefle ; mais on n'eft pas la dupe de
ces dehors affectés, & cette répugnance
n’eft que feinte : elle conduit le convoi
funèbre de fa compagne, & elle en
2
326 HISTOIRE DES PÊCHES
dirige tous les apprêts ; elle fe répand
en, larmes, & fes fanglots font pouflés
avec, d'autant plus de. force , qu’elle
a moins de raifon d’être aisée. Elle
montre plus de tendrefle aux enfans
du premier lit qu'aux fiens propres ;
elle les plaint de.fe trouver privés de
leur mère ; elle leur prodigue fes ca-
refles, & leur promet plus de foins,
de douceurs & d’attentions qu'ils n’en.
ont éprouvé jufque -là, On ne fauroit
fe faire une idée jufte de l’aftuce & de
l'adrefle avec laquelle les femmes fau-
vages {e comportent dans cette occafion.
Les Groenlandoifes ne font pas très-
fécondes; rarement elles mettent au
.monde plus de trois enfans; mais ja-
mais elles ne paflent fix ;: elles font
ordinairement deux ou trois ans avant
de, redevenir enceintes. Lorfque les
femmes du Groenland entendent parler
de la fécondité de celles des autres pays,
elles s'en moquent, & les comparent
à leurs chiens. Raremene elles accou-
chent de deux jumeaux ; plus rarement
DANS: LES MERS DU NORD. 3217
encore elles meurent en couches. Peu
de momens avant & après leur déli-
vrance, elles s'occupent des foins &
des travaux du ménage comme à l’or-
dinaire ; un jour leur fuffit pour mettre
‘ un enfant au monde, & pour être re-
levées. Le nouveau né reçoit le nom
de fon grand père ou de fon ayeule,
ou celui du dernier plus proche parent
mott ; ce nom eft ordinairement celui
d’un animal, d’une arme de chafle,
d'un outil de pèche , ou de quelqu’une
des parties du corps. Il arriveroit fou-
vent que ce nom auroit une fignifica-
tion indécente , fi leur langue & la
fimplicité de leurs mœurs attachoient
un fens indécent À certaines parties du
corps,que la nature a formées comme les
autres, pour concourir à la perfeétion du
tout , & pour l'utilité réelle de l'homme.
Lorfque quelqu'un porte le nom d’un
parent où d’un ami qui lui eft cher &
qui vient à mourir , 1l change de nom
pour un temps, afin de ne pas irriter
la douleur d’une perte qui lui eft f
4
328 HISTOIRE DES PÊCHES
_ fenfible. Les Groenlandois peuvent avoir
plufieurs noms; une belle ation, un
fervice confidérable, leur acquièrent un
furnom honorable ; une mauvaife ac-
tion, un crime public, leur en ac-
quièrent un d’infamie. Souvent ils font
de la difficulté de dire leur nom à un
étranger, parce qu'ils craignent d’être
obligés de rougir par modeftie , ou de
fe couvrir de honte.
Les Groenlandois aiment tendrement :
leurs enfans ; les mères les portent
toujours par-tout où elles vont; &, quel-
que travail qu’elles faflent, elles portent
cet agréable fardeau fur leurs épaules,
de la façon la plus commode pour elles
&: pour ces petits innocens. Les en-
fans ne font fevrés qu’à l’âge de crois ou
quatre ans , parce que ce pays ne donne
pas une nourriture aflez légère, qui
puifle être analogue aux eftomacs foibles
de ces petites créatures. Un enfant
court le plus grand rifque de péri,
lorfqu’on eft obligé de le fevrer de trop
bonne heure.
DANS LES MERS DU NORD. 329
On élève les enfans fans aucune con-
crainte & fans aucune efpèce de chà-
timent ; on n’a pas befoin d’être févère à
leur égard, car ils font doux & pai-
fibles comme des agneaux; la févériré
d’ailleurs feroit en pure perte à leur
égard, car on les tueroit plutôt que
de leur faire faire quelque chofe contre
leur gré; f1 l’on n’a pu les y engager
par des carefles, leur réponfe alors eft
laconique, mais décifive; je ne veux pas:
on ne fait pas attention à ce qu’elle
renferme de malhonnète ; on attend
que l’âge ait un peu développé la raifon ,
85 que lenfant comprenne de lui-
même l'obligation où 1l eft d’obéir à fes
parens , & de leur répondre avec le
refpect qu'il doit à ceux qui lui ont
donné le jour. Cette patience à l'égard
des enfans , concilie aux pères, dans
la vieillefle , amour, le refpe& & le
dévouement le plus entier ; & peut-
être les mœurs de ce peuple, fous ce
rappott , font-elles un reproche pour
celles des peuples qui fe vantent d’être
330 HISTOIRE DES PÈCHES
les mieux policés. Chez les peuples
où la première éducation fe fait par
la force, par les punitions & par la
févérité la plus outrée, où l’on fait
tout apprendre aux enfans, avant que
eur intelligence {oit aflez développée
pour retirer quelque fruit des exercices
auxquels on les aflujettit contre le vœu
de la nature, où l’on plie le corps à la
forme de Phabit, qui lui-même eft aflu-
jecti aux modes les plus bizarres ; où
lon commence par infpirer aux enfans
un dégout faftidieux pour des chofes
qu'ils devroient aimer avec ardeur ; où
toutes les douceurs de la nature leur
font interdites, pendant que tout ce
qu’elle a de nuifible & de pernicieux
fe multiplie pour eux par l'éducation
même, chez ces peuples, les énfans
devenus hommes, font néceflairement
infupportables, adonnés aux plaifirs,
diflipateurs, diflipés, ingrats, rudes &
vindicatifs ; 1ls doivent manquer ordi-
sairement de ce degré de bonté dans le
caraûère, qu'une mauvatfe éducarcion
DANS LES MERS DU NORD. 331
2 éxtirpée & étouffée au moment
où elle alloit prendre racine dans leur
cœur. Les Gioenlandois au contraire
proportionnent l’âge , l'éducation qu’ils
donnent à leurs enfans; ils propor-
tionnent le travail à leurs forces, &
ils ont la douce fatisfation de s’en
voir tendrement aimés & obéis avec la
plus exaëte ponctualité, lo:fque leur
raifon eft entièrement développée. Ra-
rement découvre-t-on en eux une incli-
nation décidée au vice ; ils font francs
a l'égard de leurs parens, & ils font
dociles, parce que ceux-ci les traitent
en vrais amis.
Auflirôt qu'unenfant peut faire ufage
de fes pieds & de fes mains, le père jui
donne un arc & des flêches ; on le voit
alors s'exercer continuellement à fe fer-
vir avec adrefle de cette arme : on
lui apprend auifi à jeter des pierres,
&, on place à cer effer un but fur la
côte; peu de temps après, on lui fait
préfent d'un couteau, qui, dans les
commencemens , ne lui fert que
332 HISTOIRE DES PÊCHES
d’amufement; mais ilapprendinfenfble-
ment à en faire l’ufage convenable. Dés
qu'il eft parvenu à fa dixième année, le
père lui donne un Kajak ; c’eft avec
ce petit batelet qu'il va feul faire les
prenuers exercices de pêche & de chafle ;
‘1l commence alors à affronter les plus
grands dangers de la mer. À feize ou
dix-fept ans , il fuit fon père à la chafle
des Phoques ; le premier animal qu'il
tue eft deftiné pour un feftin auquel
toute la parenté & tout le voifinage
font invités. Le jeune homme raconte
aux convives tout le détail de fon combat
avec le monftre, & de quelle manière
il eft parvenu à le terrafler ; ceux-ci
ne manquent pas de faire fon éloge
dans les termes les plus pompeux, de
vañter le mets qu'il leur donne, &
qui a été le prix de fa valeur. Ce jour de
fête eft pour lui un vrai triomphe. Dés
ce moment, on penfe à lui chercher
une époufe. Lorfqu'un jeune Groenlan-
dois n’eft pas heureux dans fes premières
chafles , & fur-tout lorfqu’il n’y donne
DANS: LES MERS DU NORD. 333
aucune preuve de valeur & d’adrefle,
il combe dans le mépris de fes cama-
rades ; il ne lui refte d'autre parti à
prendre , que de fe réduire à la con-
dition des femmes. Il eft contraintalors
d'aller avec elles pêcher des Moules,
des Coquillages , du Hareng, & de
vivre de ces alimens. Il eft des jeunes
gens qui ne parviennent jamais à ac-
quérir la capacité requife pour la grande
pêche ; ceux-ci font prefque toujours
obligés de fe louer en qualité de do-
meftiques , & de fe réduire à faire
dans les ménages le fervice des femmes.
À vingt ans , le Groenlandois doit être
en état de faire lui-même fon Kajak
& tout fon équipage de pêche; alors
il travaille avec fes propres outils, &
pour fon compte; c’eft alors aufli qu'il
commence à penfer à s’écablir : en pre-
nant une femme; s'il eft l'aîné, il ne
quitte pas la maïfon paternelle, & fa
mère conferve toujours la direction du
ménage. ?
L'éducation des filles eft encore moins
334 HISTOIRE DES PÊCHES
gènée que celle des garçons; elles ne
font rien dans le ménage avant qu’elles
aient atteint la quatorzième année;
elles paflent tout leur temps jufqu'alors,
à faire la converfation avec leurs com-
pagnes , à chanter & à danfer; quel-
quefois elles vont chercher de l’eau.
À quinze ans , elles commencent à
avoir foin d’un enfant au maillot , à
apprèter à manger , à préparer les peaux
des Phoques, à ramer fur les Kajaks,
& à fervir d'aides pour la conftruétion
des huttes.
Le père de famille ne fe mêle que
de la chafle & de la pêche; une fois
forti pour l’une ou pour l’autre, 1l ne
s'inquiète plus du ménage; 1l met même
au-deflous de lui de traîner dans fa
hutte le gibier ou le poiflon qu'il a
pris. Les femmes font chargées de tout
le détail ; ce font elles qui font les
fouliers & qui coufent les habits ; elles
n’ont pour tout outil, qu'un couteau
qui a la forme d’une ferpe, & quel-
ques autres outils tranchans ; moins
DANS LES MERS DU NORD. 335
courbes. Elles ont aufli un polifloir d’os
de Baleine, un dez à coudre , & deux ou
trois aiguilles. Elles font le métier des
maçons , & les hommes celui des char-
pentiers dans la bâtifle des maifons ;
ceux-ci ne font pas touchés de les
voir courbées fous des grofles pierres
qu'elles portent fur leurs épaules.
Les Groenlandois fupportent la faim
avec une patience & une réfignation
dont il n'y a pas d'exemple. Lorfque
toutes les provifions font confommées,
&c que tout eft mangé jufqu'aux fou-
liers, un ménage entier prend la réfo-
lution d'attendre la mort avec patience,
8 tous les individus fe promettent de
mourir enfemble. Ces miférables ne
paroiflent fenfibles alors qu'aux fouf-
frances de leurs petits enfans : cepen-
dant il eft encore des reflources pour
ces malheureux indigens ; & dans certe
calamité , il eft des Groenlandois qui
ont pitié de leurs femblables. Un mé-
nage où il n’y a pas d’enfans, s’emprefle
de retirer deux ou trois orphelins & de
336 HISTOIRE DES PÊCHES
les nourrir. La femme fe charge d’une
fille qui a perdu fes père & mère, ou
même d’une veuve. Les adoptés font
obligés de fervir au profit de ceux qui
les ont retirés ; mais auf ils ont la
liberté de renoncer à l'adoption, &
de fe retirer par-tout où ils veulent.
Un maître ne frappe jamais fes do-
meftiques; s'il fe portoit à cette ex-
crémité vis-à-vis d’une fille , il fe désho-
noreroit.
En général, les femmes ne font heu-
reufes au Groenland , qu'avant leur
mariage ; & aufli long-temps qu'elles
reftent dans la maifon paternelle , elles
y font traitées avec beaucoup de dou-
ceur. Depuis leur vingtième année juf-
qu'à leur mort, leur vie n'eft quun
enchaînement de travail, de peines &
de mifère. Aufñlitôt après la mort du
père, les filles font obligées de fortir
de la maifon, & d'aller gagner leur
vie en fervant dans une famille étran-
ère. Elles gagnent uniquement de quoi
fe fubftanter, mais elles doivent pourvoir
comme
DANS LES MERS DU NORD. 337
comme elles peuvent à leurs habille:
mens. Si elles n'ont rien d’agréable dans
leur rournure , fi elles paroiflent pei
propres ou peu habiles au travail, per-
fonne n’en veut , & elles vivent feules
comme elles peuvent. Si ellés fe ma-
rient , elles courent le danger d’être
répudiées , fur-tout fi elles ne donnene
pas d’enfans à leur mari. Dans ce cas,
elles perdent l’eftime publique , & n’ont
que la cruelle alternative de fe mettre
en fervice, ou.de fe livrer à la dé-
_bauche ; il ne leur:refte pas d’autre:
moyen de gagner leur vie. Si elles
époufent un vieillard , elles doivent
fouffrir toutes fes impatiences & fa
mauvaife humeur ; elles ont de plus , à
fouffrir les querelles continuelles d’une
belle-mère. Si le mari meurt, la veuve
n’hérite de rien ; elle reprend fimple-
ment les habits qu’elle a apportés lors
de fon mariage, & elle refte chargée
de fes enfans: Si cependant eile a un
fils , fon fort change , & elle eft mille
fois plus heureufe pendant fon veuvage,
Tome IT. :
338 HISTOIRE DES PÈCHES
qu'elle ne l’a été pendant le vivant de
{on mari. Si une femme vieillit fans
avoir eu des enfans, elle eft encore
plus miférable; toute fa reflource eft
de faire le métier de Sorcière ; mais
ce métier eft, comme je l’a di, le
plus dangereux de tous ; elle eft con-
tinuellement expofée à être lapidée ou
aflaflinée par quelqu'un qui la fufpeéte
de l'avoir enforcelé. Souvent une vieille
femme ,; à charge à elle-même, &
délaiflée par la fociété, prend la fatale
réfolution de s’enterrer vivante, ou de
fe noyer. | ie
Malgré toutes ces cruelles vicifli-
tudes, auxquelles les Groenlandoifes
font aflujetues, elles vivent en général
plus long-temps que les hommes. Ceux-ci
font continuellement expofés à route
l'intempérie du climat ; ils paflent plus
de la moitié de leur vie fur mer, dans
l'eau, dans la neige & au milieu des
glaces ; toujours travaillant & cher-
chant à échapper aux dangers continuels
de cet élément redoutable ; toujours
DANS LES MERS DU NORD. 339
placés entre la faim & le travail d’une
digeftion pénible ; ne mangeant qu’une
fois dans les vingt-quatre heures , mais
furchargeant alors leur eftomac d’ali-
mens les plus faftidieux ; & les ava-
lant avec une précipitation plus nuifible
à la fanté, que l’abftinence immodé-
rée. Rarement ces hommes paflent la
cinquantième année ; aufli font-ils bien
moins nombreux que les femmes. Cette
raifon peut feule juftifier la Polygamie
chez ce, peuple, 8: même la rendre
néceffaire à un certain point. Les femmes
parviennent fouvent à quatre-vingts, ans
& plus ;: mais elles paient bien cher
ce privilége de la nature, & elles fe
livrent , pour :BASHEF leur vie dans cet
âge avancé , à toutes fortes de fuperf-
citions qui les rendent méprifables:;
l'enfance de la vieilleffe chez les Groen-
landois , eft bien plus trifte que chez les
autres peuples. Loi
Les Groenländois font paifibles des
leurs ménages ; 1ls y font propres, autant
que peut le comporter l’érat d’un peuple
Move
340 HISTOIRE DES PÈCHES
qui nage prefque toujours dans l'huile
de poiflon & dans le fang des Chiens
de mer. On n'entend prefque jamais
de bruit dans une hutte qui fouvent
renferme un bon nombre de perfonnes,
parentes quelquefois au quatrième ou
cinquième degré, quelquefois la plu-
part étrangères les unes aux autres.
Dès qu'un Groenlandois s’apperçoit
qu'on lui fait mauvaife mine dans la
maifon qu'il habite , ou que même il
en a le plus petit foupçon , fon parti
eft pris fur-le-champ. Il fait fon paquet
fans mot dire , fans montrer même de
l'humeur, & il fort pour aller cher-
cher üne autré retraite ; mais il quitte
én ami; & bien loin . conferver le
plus: petit reflentiment, il part dans la
difpofition de rendre fervice à ceux dont
il fe fépare, fi l’occafon s'en PASSE
Les Groenlandois font toujours prêts à
foulager leurs frères , & à partager leur
travail ; ils font toujours difpofés à of-
fr une partie de leur capture & de
leur pêche à ceux qui n’ont pu s’en
DANS LES MERS DU NORD. 341
procurer, & jamais 1ls ne fe font de-
mander ce fervice important. La largefle
prévient la mendicité dans ce pays, le
plus pauvre qu’on puifle fe figurer. Sans
cette charité prévenante, la plupart des
Groenlandois périroit de faim avant d’ar-
river au terme de la chafle ou de la
pêche , qui eft fouvent éloigné de plu-
fieurs milles du lieu de leur habitation,
dans un pays dénué de toute reflource.
Les Groenlandois fe vifitent pendant
l'hiver ; ils viennent les uns chez les
autres, quelquefois de très-loin. Les
nouveaux venus portent toujours des
préfens à ceux chez lefquels ils viennent
loger ; ils font reçus & introduits avec
beaucoup de joie; on s’emprefle de dé-
charger leurs batelers , & de les re-
tirer de la mer pour les mettre à terre.
Ces préfens confiftent en provifions de
bouche , & en quelques habits de peau
de Phoque; chacun s'emprefle auñi
de recevoir des hôtes, pour recevoir
leurs préfens. La première entrevue fe
pafle dans un profond filence ; le maitre
342 HISTOIRE DES PÊCHES
de la maifon le rompt le premier, &
invite fes hôtes à quitter les habits de
_ mer , & à les fufpendre auprès de la
lampe pour les fécher; en attendant,
11 offre des vêtemens fecs & des peaux
en croc ; il cède la place d'honneur ,
& la converfation s’entame de la ma-
nière la plus affledueufe ; elle s’ouvre
toujours fur la chafle & fur la pêche;
chacun raconte avec gravité fes hauts
faits. Les femmes , féparées dans un
coin , s’entretiennent en particulier
des parens & des amis qu’elles ont
perdus. Cette converfation eft crifte,
interrompue par des gémiflemens, des
pleurs & des hurlemens. Ces grimaces
& ces petites comédies feroient très-
divertiffantes pour un fpectateur Euro-
péen. On préfente bientôt la boîte à
tabac ; chacun la prend à fon tour, &
y mettant le nez dedans, il en prend
autant qu'il veut , fans y toucher avec
fes doigts graifleux & huileux. Cette
tabatière eft de corne de Renne, dou-
blée d’étain ou de cuivre. Le repas fe
DANS LES MERS DU NORD. 343
prépare , & on invite les étrangers à
s’affeoir par terre autour des plats-qu’on
a fervis; ceux-ci affectent de l’indiffé-
rence, & fe font beaucoup prier ; ils
ont la vaine gloire de ne pañler ni
pour pauvres , ni pour affamés ; trois
ou quatre plats font tout le fervice dans
ces occafions, mais on les porte juf-
qu'a dix ou douze les jours de feftin.
Tous les mets des Groenlandois con-
fiftent en Hareng falé , chair de Chien
de mer, falée & séchée, ou cuite à
l'eau ; du Mrtriak : c'eft de la même
chair à moitié pourrie ; elle eft le gi-
bier des Groenlandois ; des #’r:llocks
cuits à l’eau; de la queue de Baleine
jeune , c’eft le plus fucculent de tous
leurs mets ; du Saumon defléché, de la
viande de Renne , des Müres fauvages
trempées dans le fang de Renne ou
dans l'huile de Baleine : ce fruit eft
très-rare , & par là mème très-pré-
cieux ; il n’y a que les Groenlandois
de la première clafle, c’eft-ä-dire les
plus riches, qui en font fervir dans
Y4
344 HISTOIRE DES PÊCHES
les jours de gala. On refte très-long-
temps à table; la converfation roule
toujours fur la chafle des Phoques ;
chacun y fait parade de fon habileté;
& comme le dîner fert de fouper , il
arrive toujours qu'on s'endort à table,
dans les grands feftins , & qu'on ne
s’éveille que pour aller achever de pañler
Ja nuit dans fon coin.
La langue des Groenlandois , très-
pauvre, comme celle de prefque tous
les Sauvages, a beaucoup d’articula-
tions aiguës & perçantes, dont lin-
flexion détermine le fens. Aufli, lorf-
qu'un Groenlandois raconte la prife d'un
Phoque qui lui a donné beaucoup de
peine , & qui s’eft défendu long-remps,
il ajoute à fes expreflions une démonf-
tration active, en fe fervant de fes deux
bras pour repréfenter l'attaque & la
défenfe ; fon bras droit repréfente le
vainqueur, & fon bras gauche lani-
mal vaincu. Ce récit eft une vraie
pantomime aflez comique. La conte-
nance des eufans préfens au récit de
DANS LES MERS DU NORD. 345
quelque combat important, eft des plus
fingulière , la crainte & l’efpérance fe
peignent tour-à-tour dans leurs yeux ;
ils exécutent en leur particulier tous
les geftes de l’Orateur; & on diroit, à
les voir, qu'ils font eux-mêmes aux
prifes avec l'animal.
Un Européen qui veut fe faire en-
rendre d’un Groenlandois, doit toujours
lui parler par des comparaifons tirées
des chofes qui font familières au Sau-
vage; 1l doit chercher à lui faire com-
prendre l’analogie qu'il y a entre les
objets qu'il a fous les yeux, ou qu'il
connoît parfaitement , & les objets
étrangers fur lefquels 1l veut l'inftruire.
Les Groenlandois admirent tout ce
qu'on leur raconte de l’Europe ; ils
montrent dans le premier moment, le
plus grand defir d’habiter un pays dont
on leur raconte tant de merveilles, &
{ur-cout dont on leur peint l'abondance
& la fertilité. Mais, lorfqu’on leur die
que le tonnerre y gronde quelquefois,
que la foudre y tombe de temps en
346 HISTOIRE DES PÈCHES
temps, & fur-tout qu'il n’y a point
de Phoques, ce defir s’évanouit auflitôt,
& fe change en répugnance ; ils re-
gardent l'Europe comme un pays maudit
du ciel & de la mer. Ils entendent
païler avec plaifir de la Divinité, mais
il ne faut leur rien dire qui foit contraire
à leurs fuperftitions. Les Groenlandois
font aufh jaloux que tout autre peuple,
des préjugés religieux ; cependant, ils
n'ont pas la manie de les étendre &
de les faire adopter par d’autres.
Le commerce n’eft chez eux qu'un
échange des chofes fuperflues avec des
chofes dont ils manquent; mais à cet
égard , ils font aufli minutieux & aufli
inconftans que les enfans ; ils n’ont
aucune connoiflance du prix intrinfèque
des effets qu’ils trafñiquent. Tout ce qui
eft nouveau a un attrait infurmontable
pour les Groenlandois ; ils troquent juf-
qu'à vingt fois dans un jour les objets
pour lefquels ils ont montré le gout
le plus décidé, lorfqu'on leur en offre
qu’ils n’ont pas encore vus ; ils perdent
DANS LES MERS DU NORD. 347
toujours à ces trocs de pure fantaifie ; 1ls
préfèrent une bagatelle à un inftrument
qui peut leur être de la plus grande
utilité, fi cette bagatelle , qui n'eft
d'aucun ufage , leur plaît. Ces Sauvages
refflemblent affez à nos femmes du
meilleur ton ; ils ne connoiflent pas
le jeu , à la vérité, mais, commeelles,
ils fe font un plaifir de tromper les
étrangers , ou même de les voler lorf-
qu'ils peuvent; ils paroiffent croire que
ces fupercheries font permifes.
Le gros du commerce fe fait, au
Groenland, dans une Foire à laquelle
le peuple fe trouve exaétement ; elle
fe tient, pendant l'hiver, au temps
de la fête du Soleil, dont je parlerai.
Les Groenlandois fe rendent à cette
fête comme à un Pélerinage , ils y
étalent leurs marchandifes, & les échan-
gent contre les effets dont 1ls peuvent
avoir befoin. Les habitans de la partie
méridionale n’ont pas de Baleines; ceux
de la côte occidentale , n’ont point de
bois. Il part des navires de la pointe
348 HISTOIRE DES PÈCHES
méridionale, & quelquefois même des
Ifles orientales, pour fe rendre à la
baie de Difco qui eft à trois ou quatre
cents lieues de ces pays. C’eft là où ces
Sauvages font leur provifion tous les
ans, de bois, de poterie & de marbre
bâtard ; ils donnent en échange, des
cornes des dents de Poiflon. Ces na-
vires font chargés aufi de fanons, de
côtes de Baleines, de boyaux, & de
queues de Poiflons. Cette forte de com-
merce fe fait tout entier entre les diffé-
rentes hordes des Sauvages Groenlan-
dois. Les Groenlandois qui partent pour
le Pélerinige de la fête du Soleil,
emméênent tout leur ménage, & em-
portent toutes leurs richefles. Soit in-
conftance, foit curiofité, foit indiffé-
ence pour les lieux particuliers qu'ils
habitent , ils font fi accoutumés à la
vie errante, que, lorfqu'ils ne peuvent
pas s'arranger fur-le-champ en un lieu,
ils partent fubitement pour en chercher
un autre ; il s'écoule fouvent des années
avant qu'ils foient de retour dans leur
DANS LES MERS DU NORD. 349
* lieu natal. S'ils font furpris quelque part
par l'hiver, ils bâtiflent à la hâte une
cabane , & y hivernent fans le plus
petit fouci, pourvu aw’ils croient avoir
des provifions fufffantes ; ils choififlenc
de préférence le voilinage d'un éta-
bliffement Danois. La terre & la mer
font leur propriété par-tout; & comme
ils changent très-fouvent de demeuré,
ils font toujours aflurés de trouver des
connoiffances & des amis par-tout.
Le commerce des peaux de Renard
& de Chien marin, & particulièrement
celui de l'huile de Poiflon , a lieu entre
les Sauvages du Groenland & les Eu-
ropéens; c'eft pour cette branche de
commerce uniquement , que ceux-ci y
ont établi divers Comptoirs. Jamais les
Groenlandois ne reçoivent des efpèces
en paiement ; la monnoie & le métal
ne font chez eux d'aucune valeur. Il
leur eft égal d’avoir un collier d’or ou
de cuivre’; des oreillettes de verre ont
pour eux la même valeur que les
diamans. Ils n’eftiment les brillans
350 HISTOIRE DES PÊCHES
d'Europe , que parce qu'ils luifent ; & ils
s’'embarraffent fort peu fi ce luifant eft
beau, s’il eft durable & folide. Plus
d'une fois on a vu les Groenlandois
donner une guinée ou une piaftre d'Ef-
pagne , qu'ils avoient volée à quelque
étranger, pour deux charges de poudre,
ou pour deux onces de tabac. Moins
avides d'or, qu’ardens à fe procurer
du fer , ils s'occupent d’abord à croquer
leurs marchandifes contre des outils de
ce métal. Ils cherchent à fe pourvoir
de harpons, de couteaux, de fcies, de
cifeaux & d’aiguilles ; ils recherchent
les grofles voiles peintes & les grofles
mouflelines ; du gros drap, des bonnets
& des bas de laine ; des mouchoirs,
des boîtes, des feaux de bois , des
tonneaux , des afliettes d'étain, des
chauderons de cuivre, des miroirs, des
peignes , des rubans , des joujoux d’en-
fant, & d’autres bagatelles femblables.
Jls achètent aufli volontiers des fufils,
de la poudre &: du plomb, mais ces
effets ne leur font pas de première
DANS LES MERS DU NoRD. 351
utilité, & ils y perdent confidérablement
en les revendant. Le tabac en poudre
fert d’une efpèce de monnoie pour fa-
ciliter les échanges ; ils donnent des
chofes de prix pouf un certain nombre
de prifes de tabac qu'ils déterminent.
Leurs tailleurs 8 leurs cordonniers fe
contentent de cette monnote pour leur
paiement. On les voit donner quelques
poignées de beau duvet, des œufs &
des oifeaux, ou même du Poiflon,
pour quelque once de tabac. Le Groen-
dois vendra fes habits & tout ce qu'il
a, aux rifques même de mourir de
faim avec toute fa famille, pour fe
procurer du tabac; il eft aufli cher
chez ces Sauvages, que la poudre d’or
chez les Européens. Cependant , cette
poudre eft aufli pernicieufe aux Groen-
Jandois , que les liqueurs fortes aux
autres peuples ; c’eft-à-dire, qu'ils font
aufi difpofés à fe rendre malheureux,
pour fe procurer du tabac , que les peu-
ples de l'Europe le font ordinairement
en s’adonnant à la boiflon.
352 HISTOIRE DES PÊCHES
Malgré leur flegme & leur triftefle,
les Groenlandois ont leurs fètes & leurs
danfes nationales. Leur grande fête an-
nuelle eft celle du Soleil; ce peuple
la célèbre au folftice d'hiver , pour ho-
norer la mémoire de cet aftre bienfai-
fant, qui , revenant lentement de fa
grande courfe, ramène avec Jui la faifon
de la chañle & de la pêche. Ce qu'il y
a de bien fingulier en ceci, c’eft que
les Groenlandois aient choifi le temps
le moins propre, ce femble , pour ho-
norer l’aftre du jour qui fe dérobe à
eux pendant plufeurs femaines confé-
cutives. C’eft au milieu des ténèbres
de leurs longues nuits , c’eft lorfque le
froid fe fait fentir chez eux avec toute
fa rigueur : c’eft lorfque la nature, cou-
veite de deuil, infpire l’effroi & la
terreur ; c'eft enfin au moment même
où tout femble annoncer le retour très-
prochain du :cahos, que ce peuple fe
livre à l’alégrefle , & célèbre le retour
prochain de la lumière & du bonheur.
Les Groenlandois alors fortent de leurs
tanières ,
DANS LES MERS DU NoRD. 353
tanières, fe vifitent mutuellement, s’ex-
citent à la joie, font des repas ; &
oubliant pour ainf dire la rigueur de la
faifon, ces Sauvages, au milieu de la
plus épaifle & de la plus longue obfcu-
rité, éclairés de leurs lampes fépul-
chrales, font le feftin le plus fomptueux
de lannée. Lorfque les convives ont
mangé jufqu'à s’incommoer , & qu'ils
fentcent le preflant befoin de faire de
l'exercice pour digérer les grofliers ali-
mens dont ils ont furchargéleur eftomac,
ils fe lèvent de table, & le bal commence.
Les Groenlandois n’ont pour tour inf-
trument qu'un tambour; c’eft un cercle
de Baleine ou de bois, qui n’a que deux
pouces de largeur ; il eft de forme ovale,
il eft recouvert d’une peau très-fine,
mais très-forte : c’eft ordinairement la
peau d’une langue de Baleine , qui eft
fufceprible d’une forte tenfon. Ce tam-
bour a un pied & demi de diamètre,
d'une pointe de l’ovale à l’autre ; on le
tient de la main gauche parune poignée
fixée à l’un de fes côrés ; on le bar avec
Tome IL. © 4
354 HISTOIRE DES PÊCHES
une baguette , de la main droite. Celui
qui le tient, fait un faut à chaque coup
de baguette, fans bouger de place; il
marque la cadence par des geftes de
tête, & fon corps eft continuellement
en activité, 1l joint àcet exercice pénible,
le chant des hymnes à l'honneur de la
pèche ces Phoques,desaétionshéroiques
de fes compatriotes, delabravoure & des
haurs faits de fes ancêtres, & du retour
du foleil fur l'horizon. L’Aflemblée
chante à grand chœur , & répéte les
ftrophes du muficien. En danfant pêle-
mêle des ballets fymmétrifés par la fimple
nature, le refrein du grand chœur eft
celui-ci: Amna Ajak , Ajak ...ak...akl!
Il n’eft guère pofhble que le même
mufcien puifle tenir plus d’un quart
d'heure, la peine qu'il fe donne eft
inconcevable ; au bout de ce temps,
épuifé , enroué, & tombant de laffi-
tude , un fecond fe préfente , & le
fecond aîte commence. Les autres actes
fe fuccèdent aufli rapidement , & s’exé-
cutent avec la même force, jufqu'à ce
DANS LES MERS DU NORD. 355$:
qu'enfin tous les acteurs, écumans. &
dégoütans de fueur , ne peuvent plus
fe foutenir , & vont fe coucher chacun
de leur côté. On ne fe relève que pour fe
mettre à table & fouper; car,.toute la
journée s’eft paflée à dormir. Après le
fouper , qui eft long, & auquel on mange
avec excès comme à diner, la mufique &
le bal commencent. Cette fête continue
plufieurs jours de fuite, & les convives
ne fe féparent, que lorfqu'ils ont en-
ièrementconfommeé toutes les provifions
de bouche , ou que , n'ayant plus de
forces , ils fuccombent à la fatigue, &
ne font plus en érat de fe foutenir : ils
perdent ordinairement leur voix, & ne
la recouvrent qu'après plufñeurs jours
de régime. Ce peuple a aufi des jeux
de paume ; cette partie fe fair au clair
de la lune, Les joueurs fe divifent en
deux bandes; un des joueurs jette la
balle à l’un du parti oppofé ; c’eft à qui
la recevra ‘& la renverra à fon tour.
Quelquefois on poufle la balle avec
coute la force qu’on peut lui donner,
#2
358 HisToiRE DES PÉCHES
& c’eft à qui courra plus fort pour la faifir;
le plus agile remporte la victoire.
La nature paroiflant avoir condamné
ce peuple au travail le plus rude &
le plus pénible, elle lui à infpiré auffi
le goùt pour les exercices violens, afin
de développer fes forces, & l'endurcir
à la peine. C’eft fans doute à cette fin
que les Groenlandois s’exercent à une
efpèce de lutte qui a quelque trait de
refflemblance au combat du cefte des
anciens Grecs. Ces Sauvages s’attaquent
deux à deux , & fe combattent à grands
coups de poing qu'ils fe portent fur
l’'échine , avec une violence qu’on diroit
tenir de la colère la plus exaltée. Celui
des deux champions qui réfifte le plus
long-temps à cette attaque dangereufe ,
eft le vainqueur, & acquiert une ré-
putation de bravoure qui lui fait beau-
coup d'honneur ; mais il doit défier
au combat fon adverfaire après l'avoir
terraflé , & être toujours prêt à lui
faire raifon, jufqu'à ce que celui-ci
déclare qu'il ne veut plus fe battre,
DANS LES MERS DU NORD. 357
& qu’il le reconnoît pour fon vainqueur.
Les Groenlandois s’exercent aufli a faire
des tours de force fur la cordé, & ne
manquent pas de foupleffe, de hardiefle
êc d’agilité dans cet exercice.
Les Groenlandois ont une façon bien
fingulière de vider toutes leurs que-
relles. Lorfqu’un Sauvage fe croit offenfé
par un autre , il garde le filence, ne
donne pas même à connoitre fon reffen-
timent ; il attend les jeux publics pour
fe. venger & pour fe faire rendre juf-
tice. Il prépare, en attendant , une
fatyre bien mordante contre fon enne-
mi ; lorfqu'elle eft faite , 1l s'exerce à
là chanter devant fa famille, & parti-
culièrement en préfence des femmes,
jufqu'à ce qu'il foit parvenu à bien la
favoir par cœur , & à en avoir meu-
blé fa mémoire. À l'ouverture des jeux,
loffenfé fe préfente dans le cirque,
défie fon ennemi au combat du chant;
il monte ke premier fur un banc, &
chante fon épigramme & fes injures,
qu'il a rendues aufli piquantes qu'il [ui
L 3
358 HISTOIRE DES PÊCHES
a été poñlible. Il eft foutenu par toute
fa parenté, qui répète à chaque vers
le refrein ordinaire :° Anna ‘Ajak !
l'Affemblée ne manque pas d’applau-
dir aux traits les plus mordans , en
poullant des éclats de rire , dont la ma-
lignité eft dirigée contre le miférable
que le poète déchire à belles dents.
Celui-ci , attaqué à l'improvifte, &
pris 'au dépourvu , monte cépendant fur
le banc à fon tour, & répoufle de fon
midux les traits de fon adverfaire, en
lui difant autant ‘d'injures que fa mé-
moire & fon imagination peuvent lui
en fournir ; il.improvife le mieux qu'il
peut, & met quelquefois les rieurs de
fon côté. L'agrefleur réplique , & ce
combat d’infultes dure aufli long-temps
que les champions fe fentent aflez de
reflources pour le foutenir ; celui qui
quitte la partie le premier , eft cenfé
vaincu. Les auditeurs prononcent fur
cette affaire, &c’eftroujours celui quieft
refté maître du champ debataille quirem-
porte la palme. Ces combats finguliers,
DANS LES MERS DU NORD. 359
peu dangereux,comme l’on voit, finiflent
toujours par une reconciliation fincère
entre les deux athlètes ; ils s’embraf-
fent, & fe promettent d'oublier tout
pour vivre déformais dans la meilleure
intelligence. Ces afflemblées fonc ordi-
nairement très-pailibles ; elles font ce-
pendant troublées quelque‘ois par l’en-
lèvement forcé de quelque fille que
quelqu'un de ces Sauvages veut épou-
fer, & qu'il n’a pu obtenir de bonne
grace ; celui-ci, aidé de fes parens &
de fes amis, s'arrange d'avance pour
enlever de force, & arracher du fein
de fa famille l'objet qu'il aime & au-
quel 1l veur s'unir. Ces enlèvemens ont
quelque rapport à celui des Sabines ,
& paroiflent excufables par le motif
qui les dicte.
Ces affemblées font cependant, en
général, une école de morale , & les
fatyres même qu'on y débite , font
propres à infpirer la vertu à ceux qui
les entendent réciter , puifqu’elles pei-
gnent le viceavec les plus fortes couleurs.
L 4
360 HISTOIRE DES PÈCHES
On y apprend à rendre à chacun ce
qui lui eft dû; on y condamne févé-
rement l'infidélité 8 le menfonge ,
fur-tout l’adultère , fuite ordinaire de
ces deux vices infâmes. Ce qui rend
ces leçons d'autant plus efficaces, c’eft
que Ja plus grande crainte d’un Groen-
landois eft celle de perdre fon honneur
& fa réputation. Cette crainte eft le
frein le plus propre à contenir fes paf-
fions ; cette manière de fe venger pu-
bliquement, coupe cours à toutes les
vengeances particulières. Le Groenlan-
dois cependant ne fe les interdit pas ab-
folument , & 1l en eft parmi eux qui
confervent le fouvenir d’une offenfe
jufqu'à la mort, & qui font aflez
diffimulés pour ne faire foupçonner
leur reflentiment, qu’au moment de
laflouvir par une cruauté. Ces cas font
rares, & 1l faut que l’offenfé ait recu
un dommage confidérable dans la pêche,
par fon adverfaire, ou que, baffement
jaloux de la profpérité de fon voifin,
1! ait la lâcheté de s’en venger en
DANS LES MERS DU NORD. 361
laffafinant ; mais aufli, 1l en eft puni
fur-le-champ , par l'exil perpétuel au-
quel il eft obligé de fe condamner.
Les Groenlandois formentune fociété
où l'égalité la plus parfaite règne d’un
bout de la vie à l’autre. Les feuls pères
de famille y jouiflent dans leur mé-
nage feulement, d’une autorité émi-
nente , mais toujours douce & fuppor-
table. La fociété ne reconnoit aucun
chef , aucune affemblée de magnats qui
exercent la fouveraine puiflance. Lorf-
que deux ou trois familles réunies
vivent fous le même toit, il arrive
fouvent qu’un chef de ces familles s’eft
fait une grande réputation de fagefle
ê&c de bravoure ; dans ce cas , il ef
refpeété & honoré comme le père com-
mun de toute l'habitation ; on lui défère
le droit de confeil, & une forte d’in-
tendance fur toute cette petite fociéré :
tous s’empreflent de le prendre pour
arbitre fuprêémedansleurs petits démêlés.
Si quelqu’une de ces familles réunies
dans la même habitation, fe refufe aux
362 HisToIRE DES 'PÈCHES
confeils & aux avis du fage vieillard,
elle eft obligée de prendre fon parti à
la fin de l'hiver , & d’aller chercher
au loin une autre demeure. La feule
punition que cette famille indocile en-
court, c'elt d’être dénoncée à l’affemblée
prochaine des jeux publics, & d'y être
chantée pour y recevoir le blâme que
fon opiniâtreté & fon indocilité lut ont
méritée. Le fage vieillard n’a aucun ordre
à donner, il n’a pour lut que la voie
de la remontrance & de la perfuafion ;
il occupe l'appartement d'honneur; ce
réduit eft le plus au nord ; c’elt cepen-
dant le plus commode , parce que Pair y
pénètre le moins, & qu'il eft le plus
éloigné de lentrée de la hutte.
Les Groenlandois n’ont point de loi
politive ; ils {e souvernent par des cou-
tumes d'autant plus facrées , qu’elles
font fondées fur une efpèce de droit
naturel, & que les mœurs générales
de cette nation fauvage rendent pref-
que toujours inviolable. Voici ce que
Crantz en rapporte d’aprèsletémoignage
DANS LES MERS DU NORD. 363
du Sieur Delager , Fadeur d'un des
établiflemens. Danois.
pb]
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22
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3
»
2
« Chaque Groenlandois va ou il veut,
fans la plus petite contrainte ; il vit
à fa guife, & perfonne na rien à
lui dire. S'il trouve le lieu où il a
réfolu d'aller s'établir, occupé par
d’autres, il poufle plus loin & va
chercher une demeure ailleurs, à
moins que les premiers occupans ne
l’invitent à refter avec eux , & qu'il
ne fe rende à leur invitation. La pêche
& la chafle fonc libres par-tout; on
prend tout ce que lon trouve &
par-tout où on le trouve, même dans
les filets d’un autre, pourvu que ceux-
ci foient furchargés, & qu'on ne coupe
ni la pêche ni la chafle Ges autres,
dans les lieux où ils l’ont commen-
cée : à cet égard, il n'y a pas de
propriété proprement dite particu-
lière , même à l’égard des étrangers.
Si ceux-ci forment des prétentions
hors d’ufage , & qu’ils entreprennenc
de faire valoir certains droits, felon
364 HISTOIRE DES PÊCHES
bb)
33
33
33
53
33
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rh)
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3
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33
27
23
23
23
33
33
+3
>:
les loix du commerce d'Europe, les
habitans naturels du Groenland, loin
d'entrer dans des difcuflions , aban-
donneroient plutôt tour leur pays aux
ufurpareurs, & laifleroient à la ri-
gueur du climat, &aux dangers innom-
brables de leurs mers, le foin de
les venger de cette injuftice. Celui
qui trouve du bois flottant fur les
côtes, le retire, le porte fur la grève,
l'y amoncelle, y met une pierre en
figne de propriété, & 1l n’a pas à
craindre que quelqu'un le lui vole,
où lui en difpute l’ufage; ce bois lui
appartient , & il peut en difpofer
comme 1l lui plaît, en quelque fieu
qu'il lait pêché. Si quelque animal
ou quelque poiflon fuyant avec le
harpon , ou la lance dans le corps,
va mourir loin de lFendroit où il a
été attaqué, celui qui le trouve mort
ne peut pas fe l'approprier, il appar-
tient à celui qui la bleflé : lorfqu'au
contraire un Phoque coupe la corde
du harpon qu’il emporte dans le corps,
DANS LES MERS DU NORD. 365
& s'échappe , celui qui achève ou
le trouve mort, fe l’approprie; il eft
obligé feulement de rendre le harpon
au propriétaire. Lor{qu'on fe met plu-
fieurs à chafler le même animal,
» on convient de le partager ; ais
»,+celui qui l’atteint le premier, & lus
79
3
3
Lb]
3
met le couteau fur le corps pour le
dépecer, a de droit pour lui la tête
&c la queue, enfuite chacun coupe
ce qu'il peut attrapper. Il n’en eft pas
ainfi de la prife d’une Baleine ; Îe
fimple fpeétateur à autant de droit
que les Chaffeurs , que le Harponneur
même. Auf voit-on quelquefois plu-
fieurs centaines de Sauvages, grimpés
fur une Baleine , & acharnés à la
dépecer avec une aétivité & un dé-
fordre étonnant; car chacun emporte
ce qu’il peut en couper. Les accidens
font inévitables; ces avides dépeceurs
fe donnent des coups de coureaux aux
doigts , aux mains, aux jambes & aux
pieds ; mais , comme on eft perfuadé
que ce font des accidens inévitables
366 HISTOIRE DES PÈCHES
32
>]
3
3
39
3
3
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3
>»)
93
9
29
3
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3
»
3
>]
3
3
& fans malice , perfonne ne s’en
plaint, & les bleflures font pour le
compte de ceux qui les reçoivent ;
rarement elles font graves & dange-
reufes. Une Renne , attaquée par
plufieutrs Sauvages à la fois , emporte
fouvent plufieurs flèches, avant de
tomber; elle appartient, lorfqu’elle
eft terraflée , à celui dent la êchel’a
atteinte le plus près du cœur ; les
autres ne reçoivent qu'une petite
portion de la proie qu'ils partagent
entre eux. Mais depuis que lesGroen-
landois fe font pourvus de fufils,
& qu'ils s'en fervent à la chañle,
il arrive fréquemment entre les Chaf-
feurs , des conteftations très-férieufes
fur la propriété de l’animal couché
par terre ; car 1l eft impofbble que
chacun reconnoifle fa balle, & tous
ont un égal droit à fourenir qu'ils
lui ont porté le coup mortel. L’ufage
des fufils , parmi ces Sauvages.
y occafonnera vraifemblement des
malheurs bien plus grands que les
DANS LES MERS DU NORD. 367
conteftations fur la propriété du si-
bier. Si quelque Sauvage tend un
piége au Renard, & qu'il le perde
de vue pendant quelque temps, le
Renard trouvé pris à ce piége par
un autre Sauvage qui aufoit racom-
modé le piége , lui appartient. Celui
qui prête fon bateler, ou quelque
autre inftrument de pêche ou de
chafle à un autre , n’a pas le droit
d'exiger qu’on le lui rende en bon
état comme 1l l'a prêté; tanc pis
pour lui s’il y a des réparations à faire,
elles font pour fon compte. Celui qui
troque quelque chofe, & qui n’eft
pas content de fon troc , peur le
rompre & reprendre fon effet fans
indemnité. Celui qui vend à crédit,
peut, après la mort de fon débiteur,
fe préfenter aux parens du défune,
& leur dénoncer {a créance ; quel-
que temps aprés 1l fe préfente encore,
& fi on m’acquitte la dette, il reprend
fes effecs fans difficulté &lesemporte,
s'ils fubfiftent encore après le pillage
368 HISTOIRE DES PÊCHES
»
»
b>
»
2
3
93
3>
3
33
»
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>]
2
L>
3
3
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9
33
»
des effets du mort. Ce pillage a
toujours lieu dans la maifon mor-
tuaire, & s'exécute par les voifins
& les amis qui viennent de cette
façon, confoler la famille affligée.
Telles fonc les mœurs privées & pu-
bliques de ces Sauvages ; toutes im-
parfaices qu'elles font , elles font
fujettes à moins d’injuftices que dans
les fociétés policées. Les Groenlandois
ne connoïflent aucun des détours de
la chicane , ni aucun de ces piéges
uficés qui alongenc les procès, les
rendent interminables, & les font
finir trop ordinairement par des injuf-
tices criantes, dont le plus foible eft
toujours la viétime. Si quelquefois
on a lieu de reprocher aux Groen-
landois quelque aétion qui ne s’ac-
corde pas avec les règles de la juftice,
ils fe contentent de répondre : Je ze
» fais qu'y faire ! c’eft la coutume ! »
»
#
à : y
!
CHAPITRE
DANS LES MERS DU NORD. 369
CRT PE RC TT
STATURE , Conformarion & Pafions
particulières des Groenlandors.
Les Groenlandois qui fe difent na-
turels du pays, pour fe diftinguer des
autres peuples qui les fréquentent &
commercent avec eux, méprifent ces
derniers , parce que, le plus fouvent,
ils ne découvrent en eux que des vices.
Ils en font à leur tour méprifés, à
caufe de la petitefle de leur taille, qui
prefque toujours eft au-deflous de cinq
pieds. Ces Sauvages font néanmoins très-
bien proportionnés, très-bien faits, &leur
tournure n’a en général rien que d’agréa-
ble & deflatteur. La tête du Groenlandois
eft un peu renfoncée; la figure eft platte
& très-ouverte , les joues rondes &
charnues ; les yeux petits, noirs &
fans feu ; ils nont:pas cet éclat étin-
celant qui annonce le génie; le nez,
Tome IT. ‘42 à
370 HISTOIRE DES PÊCHES
fans être applati , n'eft ni grand ni
trop faillant; la bouche eft commu-
nément petite & ronde; la lèvre infé-
rieure un peu plus épaifle que la fupé-
rieure ; les cheveux noirs, épais, longs
& rudes. Rarement un Groenlandois a
de la barbe, foit qu’elle ne croifle pas,
foit qu'il s'occupe à l’épiler ; il a auf
les membres très-charnus , la poitrine
haute , les épaules larges, la main petite
& potelée, le pied de mème. Les femmes
fur-tout ont la taille quarrée; la nature
femble avoir prévu qu’elles feroient
condamnées à être continuellement
chargées de leurs nourriçons, même
en travaillant ; & elle leur a donné
des larges épaules pour pouvoir les y
attacher commodément , & les porter
avec plus d’aifance. J'ai remarqué dans
le chapitre précédent, qu’elles font
pour ainfi dire les bêtes de fomme,
& qu’elles font aufli impitoyablement
condamnées à porter les plus lourds
fardeaux ; c'eft peut-être certe tâche
pénible qu’elles rempliflent depuis leur
DANS LES MERS DU NORD. 3#1
jeunefle, qui contribue beaucoup à les
affaifler ; elles portent une Renne entère
fur leurs épaules , & d’autres fardeaux,
à quatre lieues de diflance fans fe
repofer ; nos Européens les plus robuftes
en feroient découragés.
La couleur de ces Sauvages tire en
général fur le jaune verdâtre ; leur
épiderme eft d’un brun relevé par un
rouge clair. Ce qui prouve que le brun
n'eft pas leur couleur naturelle, c'eft
que leurs enfans naiflent blancs comme
la plupart des Européens ; ils n’ac-
quièrent cette couleur que par lPintem-
périe de l'air qu'ils refpirent ; ils font
d’ailleurs continuellement baignés de
graifle & d'huile. Pendant tout leur
long hiver , ils ne fortent que rare-
ment de leurs huttes que la fumée de
leurs lampes rend fales & noires; ces
Sauvages , d’ailleurs , ne fe lavent
prefque jamais. Cetre couleur doit leur
venir auill en partie de ce qu'ils
paflent fubitement du grand froid à
une chaleur exceflive, & qu'ils fonc
À a 2
372 HISTOIRE DES PÈCHES
continuellementexpofés à l’une oul’autre
de ces deux extrémités, qui néceflai-
rement doivent beaucoup influer fur
la couleur de la peau. On peut raifon-
nablement conjeéturer aufli que cette
couleur brune leur vient en partie de
la qualité de leur nourriture, dont le
fuc huileux fe mêle avec le fang , au
point que leur fueur a l’odeur de l'huile
dont ils fe nourrifient ; leurs mains &
tout leur corps fentent le Phoque qu'ils
manient journellement ; ils font gras &
fanguins; ils ne font pas frilleux, &
ils vont à l'air la tête & le col nuds;
dans leurs huttes , ils ne font couverts
que depuis la ceinture jufqu'aux ge-
noux. Ils répandent alors une odeur
infupportable aux Européens : à peine
les Mifionnaires Danois peuvent-ils
y réfifter dans les églifes , même au
milieu de l'hiver ; il y fait fi chaud,
que la refpiration eft interceptée ; les
exhalaifons de l'huile & de la graifle
dont la lampe eft garnie, ajoutent inf-
himent à cette incommodité.
DANS LES MERS:.DU NORD. 373
Les Groenlandois font agiles & adroits
de leurs mains ; ils font rarement ma-
lades; on y voit peu de tempéramens
foibles & d’enfans contrefaits ,. ou caco-.
chimes. Peu difpofés à apprendre ce:
qu'ils n’ont jamais fait, mais très-ha-
biles dans leurs travaux ordinaires,
ils montrent ordinairement beaucoup de
courage , fuite néceflaire de leur robufte
complexion. [ls ne font pas courageux
par un effet d’une colère paflagère , &
qui les enflamme , ils le font par fen-
timent. Un homme qui n'aura rien
mangé de trois jours, ou qui n'aura
pris pour toute nourriture qu'un peu
de moufle de mer, ou quelque autre
plante aquatique, ramera avec aflurance
fur fon batelet, & le conduira avecintré-
pidité à travers les flots de la mer dé-
chaînés contre lui ; les femmes porteront
avec la même aflurance leur lourd far-
deau , foit qu'elles aient pris leur nour-
riture ordinaire, foit que la faim les
dévore.
Ces Sauvages font naturellement
Aa 3
374 HISTOIRE DES PÊCHES
triftes & mélancoliques; ils font comme
enfevelis dans une profonde ftupeur. La
quantité de fang quiremplic leurs veines,
rend'leur colère terrible lorfqu’elle s’en-
flamme; mais elle doit être excitée
pat des infultes répétées & par des
outrages multipliés ; leur ame ne s’é-
meut que difficilement , on la diroit
purement pañlive ; ils ne font fenfbies
que lorfqu'ils font pouflés à bout. Con-
tens du préfent , ils ne penfent plus
au pañlé , & s’'embarraflent peu de l’ave-
nir ; ils font plus prodigues que foigneux
d'amafler pour l’avenir ; ils font igno-
rans, & cependant aflez glorieux pour
s'eftimer beaucoup ; ils tournent toute
leur attention {ur les Européens, mais
c'eft pour s'étudier à fe moquer d'eux
& à les méprifer; ils avouent cependant
que ces étrangers font plus habiles &
plus fins qu'eux, mais cet avantage eft
bien peu de chofe à leurs veux. Æ [411
quelque chofe, difent-1ls , de plus urle
que la chaffe aux Phoques ? Et, lorf-
qu’on pofféde le fécret de [avorr pourvoir
DANS LES MERS DU NORD. 37s
a fa fubfiftance , qu’a-t-on befoin de plus ?
Voilà touce la philofophie de ce peuple
fimple ; on doit avouer qu’elle n’eft
pas tout-à-fait dépourvue de bon fens.
S'ils rencontrent un étranger d’une con-
tenance pofée & d’un caraétère doux,
cet étranger leur plait. Quel dommage ;
difent-ils alors , qu’il ne foit pas ne
parmi nous , mais 1l fèra bientôt des
nôtres. Ils aiment mieux céder que
difputer; cependant, fi on les tracafle
& qu'on poufle leur patience à bout,
ils deviennent furieux comme des lions,
&z aucune crainte ne les arrête. Ils
endurent fouvent les torts qu'on leur
fait, les difgraces de la fortune & celles
de la nature , avec une indifférence qui
furpañle celle des Stoiciens , moins par
réflexion & par diflimulation, que par
Anfenfibilité ; mais, s'ils viennent à fe
fâcher pour quelque infulte reçue, il
n'eft pas poñlible de les diftraire un inf-
ant par aucun plaifir, & ils attendent
dans un morne filence , le moment
de la vengeance. Cette fenfibilité eft
Aaa
376 . HISTOIRE DES PÊCHES
alors accompagnée d’un defir de fe
venger , d'autant plus cruel , que leur
patience a été pouflée à bout, & qu'ils
ont eu à fouftrir linfulte plus long-
temps. |
Quoiqu’en général, tousles Sauvages,
comme les hommes & Îles animaux,
{oient enclins à la parefle & à la vie
oifive, le climat & la ftérilité du fol
néceflitent les Groenlandois au travail;
ils ne peuvent refter long-temps fans
occupation, & leur fubfiftance journa-
lière dépend continuellement des peines
qu'ils fe donnent pour fe la procurer.
Ils ont le grand défaut de tous les
enfans , c'eft de commencer dans leurs
huttes mille ouvrages, & de n’en finir
prefque jamais aucun ; leur inconftance
eit extrème à ce fujet. Le Groeniandois
eft curieux de faire ce qu'il n’a jamais
fair, mais il en eft bientot dégouté.
Dans les jours les plus longs de cette
contrée , le Sauvage ne dort que cinq
à fix heures ; & dans les nuits les plus
longues, il ne donne au fommeil que
DANS LES MERS DU NORD. 377
fept à huic heures; mais, foit qu'il
travaille, foit qu'il dorme toute la
nuit , 1l fe coucheroit volontiers toute
la journée. La première aétion du Groen-
landois, fortant le matin de fon lie,
eft de monter fur quelque hauteur
voifine de fa hutte, & d'y confidérer
attentivement & d’un air rêveur, Île
ciel & la mer; il s'attache à devi-
ner quel temps il fera, & à prévoir
quelles peines il aura, quels dangers
le menaceront dans la journée, & enfin
l'occupation qu'il aura; il prend un
air riant, ou fombre, felonque l'horizon
lui a paru pronoftiquer du bonheur
ou du malheur. Lorfqu'il n’a pas de
travail marqué pour fa journée , ou
qu'il revient le foir après avoir fait
une bonne pêche, il eft gai, content,
& reçoit compagnie ; 1l fe félicite de
jouir du calme & de la profpérité.
L'homme eft toujours le même quant
au fond , fur toute la furface du globe ;
par-tout il eft plus ou moins égal &
femblable à lui-même, à proportion qu
378 HISTOIRE DES PÊCHES
{es goûts font fatisfaits ou contrariés ;
il eft toujours abattu par la peine, &
le travail le tourmente toujours plus
ou moins.
DANS LES MERS DU NORD. 379
GHA PATR Fi X EN.
Nourriture des Groenlandoïrs.
@ N ne doit pas s'étonner fi les Sau-
vases du Groenland n'ont pour toute
nourriture que la chair & le fang des
animaux qu'ils tuent à la chafle, &
du poiffon qu’ils pêchent dans la mer;
ces Sauvages font donc tous & Pêcheurs
& Chafleurs. D'où tireroient-ils leur
fubfftance , d’où s’habilleroient-ils , s'ils
n'avoient des Rennes, des oifeaux de
mer 8 des Phoques ? Si le foleil fait
éclore quelques planres au Groenland,
pendant le court été dont ces Sauvages
jouiflent , ces plantes, à peine parve-
nues à un cettain degré de maturité,
font bientôt emportées par l'hiver long
& rigoureux qu'il fait dans cette con-
rrée ; & à peine ce malheureux peuple
a-c-1l le temps d'en cueillir une pe-
ute provifion qui lui fert plutôt de
380. HISTOIRE: DE PÊCHES
médicamens que d’alimens propres à le
fübftanter. Ces plantes ne paroiflent,
pour ainfi dire, qu’un moment fur ce
fol ftérile ; la neige & la glace les dé-
robent bientôt à la vue, & les Groen-
Jlancois feroient d’inutiles efforts pour
les cueillir. On peut dire que la con-
dition de ces Sauvages eft de vivre
continuellement dans la pauvreté &
le dénuement des chofes les plus né-
céfiaires à la vie.
Les Rennes, leur principale reflource,
font devenues très-rares dans un pays
où cet animal trouve à peine de quoi fe
nourrir, & où le Chafleur lui fait une
guerre cruelle ; il faut donc que ces
Sauvages fuppléent aux Rennes par le
Poifou. Les Groenlandois diffèrent des
autres Sauvages qui, comme eux, ne
vivent que de la chafle, en ce que ces
dermers mangent la chair crue des ani-
maux qu'ils tuent, & que ceux-là ne
mangent que très-rarement & en pe-
tite quantité la chair de Renne. Il ef
vrai qu'auffirôt qu'ils ontruéune Renne,
DANS LES MERS DU NORD. 381
ils enlèvent un morceau de fa chair,
& la mangent encore palpitante , &
qu'ils boivent un peu de fang encore
chaud de l'animal; mais on croit que
c'eft un acte religieux qui leur eft com-
mandé par la fuperftiion, & que ce
_n’eft nullement par un goût décidé pour
Ja viande crue. Il n'y auroit que la
faim qui pourroit les déterminer à man-
ger, jufqu'à fatiété , la chair crue des
animaux qu'ils tuent. On croit en trouver
la preuve, en ce qu'une femme qui
fe rend maïtrefle d’un Phoque, n’en
coupe fur-le-champ quelques lambeaux,
que pour les femmes fes camarades,
& que les hommes préfens à cette cé-
rémonie n’en goutent pas ; ceux-ci
rougiroient & auroient honte de rece-
voir un tel préfent.
Le Poiflon , ou plutot cet animal
amphibie qui, par fon mafque & par
quantité d’autres qualités , tient plus
à la grande famille des animaux ter-
reftres qu’à ceux qui vivent dans l'eau,
les Phoques, en un mot, font la grande
382 HISTOIRE DES PÊCHES
reflource des Sauvages du Groenland.
La tête de cet amphibie ; de: même
que fes pieds , fe confervent fous l'herbe
pendant l'été ; on conferve fon corps
{ous la neige pendant l'hiver. Les Groen-
landois fe régalent autant avec une
pièce de Chien de mer, à moitié ge-
lée & à moitié pourrie, que les plus
friands Européens avec une bonne Bé-
cafle, ou toute autre pièce de gibier
qui a acquis le fumer qu'il faut pour
la rendre délicieufe. On fait fécher à
l'air les côtes du Phoque , & ce mets
fe mange fans autre préparation. On
napprète pas autrement le Saumon, le
Merlan & le Carlet; on découpe ces
Poiffons par tranches, pour qu'ils fèchent
plus facilement. Les Groenlandois man-
gent tout l’autre Poiflon & les Oifeaux
de mer, cuits à l’eau, à lhuile, ou
dans le fang des Phoques. Tout l’affai-
fonnemenc confifte à jeter dans le chau-
.deron une petite quantité d’eau de mer
pour donner du goût. Le premier foin
de ces Sauvages, après avoir couché
DANS LES MERS DU NORD. 383
par terre un Phoque, eft de boucher
la plaie mortelle qu'il a reçue , après
l'avoir fucée un moment, pour étan-
cher le fang qui ea découle ; on le
verfe enfuite dans des pots, dans lef-
quels on le conferve précieufement, afin
de s’en fervir pour apprêter d’autres
viandes ; c’eft le feul coulis en ufage
chez les Groenlandois. Ils mangent le
ventre des jeunes animaux fans d’autre
préparation que de le prefler fortement
entre les doigts , pour en faire fortir la
fiente; celle qu’on trouve dansles boyaux
de la Renne , eft, pour les Sauvages,
aufli délicieufe que celle des Bécaffes
& des Grives pour nous; ils en font
des préfens à leurs meilleurs amis. Ils
eftiment au même degré la fiente des
perdrix du Nord, & l’huile fraîche de
Baleine. Les Groenlandois, tout grof-
fiers qu'ils font , ont aufli leurs ragouts
& leurs fauces. |
Un de léurs mets, le plus recher-
ché , eft celui qu'ils font avec des œufs
battus, dans lefquels on jette de la graine
384 HISTOIRE DES PÊCHES
de genièvre & de la racine d’Anpélique.
On met cette pâte dans un fac fait
d’une veflie de Phoque , remplie d'huile
de Poiflon; ce mets eft excellent en
hiver. En voici un autre plus fin encore,
& dont les Groenlandois riches ne font
ufage que dans les jours de galas. On
arrache avec les dents la graifle des
ailerons des Canards & des Poules d’eau,
on la mêle avec celle qui refte attachée
à la peau d’un Chien de mer lorfqu'on
lécorche; on a grand foin de la racler
avec le couteau ; on fait de ce mélange
une efpèce de pâte que les Sauvages
trouvent délicieufe ; c’eft le pla le plus
fin dans ‘un feftin Groenlandois. C’eft
à cort que quelques Voyageurs ont afluré
que ces Sauvages buvoient l'huile de
Baleine , & qu’ils en faifoient leur boif-
fon ordinaire ; ils confervent cette huile
pour leurs lampes, pour apprèter leurs
mets, & vendent le refte. Ils mangent
avec plaifir du Hareng fec, trempé dans
la graifle du Chien de mer; c'eft dans
éette graifle qu'ils fonc cuire ‘aufi
quelquefois
DANS. LES MERS DU NORD. 38$
quelquefois leur poiflon. Leur unique
boiflon eft l’eau douce qu'ils tiennent
dans leurs huttes, dans des vafes de
cuivre, ou dans des fceaux de bois ;
ils les font eux-mêmes trés-proprement ,
& ils les ornent de cercles faits d'os
de Poiflon , pliés, avec beaucoup d'art
& d'adreffe. Ils ont foin de tenir ces
vafes toujours pleins; à cer effer, ils
changent l’eau tous les jours , ils vont
la chercher dans. des outres faites de
peaux de Chien de mer. Leur eau de-
viendroit bientôt chaude dans Jeurs
hurtes, à caufe de la chaleur que la
flamme des lampes y répand. Pour parer
‘à ce grand inconvénient, ils ont foin
d'y jeter une pièce de glace ou, une
grofle boule de neige.
Ce peuple eft très-mal- -propre ; ; mais
cette mal-propreté fe, fait fur-tout re-
marquer. dans leurs repas. Raremenr
les femmes prennent la peine de laver
les plats & les marmites ; les chiens
font chargés de cette befogne , & on
n’y regarde pas après eux ; ils n’ont foin
Tome IT. _ Bb
386 HISTOIRE DES PÈCHES
que de leurs pots de marbre bâtard.
Leurs plats font des petites planches
de bois fans rebords ; ils y dreffenc
leur viande & leur poifflon, après avoir
avalé la fauce dans laquelle ces mers
ont été cuits; ils fe fervent de cuillers
d'os ou de bois. Quant au poiflon &
à la viande defféchés , ils n’y regardent
pas de fi près; 1ls les mettent fur une
nape de vieux cuir de Phoque, étendue
devant eux fur le pavé de leur hutte
ou de leur tente. Ils prennent la viande
ou le poiffon avec leur main droite,
& la déchirent à belles dents, ou avec
leurs ongles; on peut les comparer aux
Chiens dans cet exercice, & certes la
comparaifon eft très-jufte. Leur couteau
ne leur fert, dans cout le repas, qu’à la
place de ferviette ; ils en récurent leurs
dents , ils raclent léurs mains & leurs
doigts, ils en frottent même leurs lèvres
huileufes. Après s'être ainfi nétoyés,
ils fe lèvent & le repas eft fini. Lors
mème qu'ils fuent , ils raclent foigneu-
fement la fueur de leur vifage avec le
DANS LES MERS DU NORD. 387
couteau , & la dirigent toujours vers.
la bouche. Ils ont grand foin d’avaler
cette crafle gluante , fans doute pour
ne rien perdre. Lorfqu'ils veulent traiter
un Européen en grande cérémonie, ils
lèchent avec beaucoup de foin le mor-
ceau qu’on lui deftine , afin de le nétoyer
de toute la graifle & de cout le jus qui
y reftent attachés en fortant de la mar-
mite ; ils le préfentent enfuite à leur
hôte, & ce feroit leur faire un très-
grand affront, non-feulement de le re-
fufer, mais même de le recevoir avec
une efpèce de répugnance. Tous les
Sauvages fe reflemblent par cette dé-
licatefle particulière, & il n’en eft aucun
qui ne fe fcandalife d’un refus.
_ Les Groenlandois n’ont pas précifé-
ment d'heure fixe pour leurs repas ;
‘ils mangent lorfqu’ils ont faim ; cepen-
dant , dans l’été, ils ne font ieur repas
que vers le foir , au retour de la chafle
ou de la pêche ; ils ont l’attention d’in-
viter leurs voifins, lorfque ceux-ci n’ont
rien pris, ou tout au moins de leur
B b 2
388 HisToiRE DES PÉCHES
envoyer de quoi manger, lorfquelachaffe
ou la pêche n’ont pas été heureufes pour
eux. Les hommesmangenten particulier,
maisles femmesn’y perdentrien ; comme
ce font elles qui apprêtent le repas, &
que tout pañle par leurs mains, elles ne
s’oublient pas, & elles fe régalent très- :
fouvent à l’abfence des hommes, &
même au détriment de la portion de
leurs maris. Leur plus grand plaifir eft
de voir alors leurs enfans fe remplit
leftomac, au point qu'ils n’en peuvent
plus, & qu'ils font fuffoqués par la grande
quantité des alimens dont ils fe font
gorgés; ils roulent fur le pavé , fe
vautrent & preflenc leur ventre contre
terre ,afin de lui donner plus de capacité,
& pouvoir recogmencer à le remplir.
D'après cette efquifle , peut-on dire
que ce peuple eft heureux , ou qu'il
eft malheureux ? Il s'embarraffe fort peu
du lendemain ; lorfqu’il a dé quoi manger
devaut lui avec abondance, il ne fe lève
jermais que lorfque tout eft dévoré ,
dut-il refter plufeurs heures de fuite
DANS LES MERS DU NORD. 389
à table. Lorfqu'il eft bien repu, 1l fe
lève pour danfer, & il fe réjouit dans
l'efpoir que la mer lui fournira tous
les jours de quoi fatisfaire à fes befoins
les plus preflans. Le Groenlandois paie
chérement cet excès de bonne chère &
fon intempérance. À l’approche de la
mauvaife faifon , lorfque, fur-rout, les
Phoques difparoiffent pour deux ou trois
mois ; lorfque l'air fe réfroidit au point
qu'il n’eft plus poflible de fortir pour
la pêche ou pour la chaffe ; lorfqu’en-
fin quelque accident imprévu amène
la difette, le Groenlandois, crifte &
rèveur , refte quelquefois plufeurs jours
de fuite fans manger ; ou, s’il fe fubf-
tante, ce n’eft qu'avee un peu de
moufle ou de goemon qu'il trouve par
hafard. Très-fouvent fa mifère s’accroit®
au point qu'il eft obligé de manger fes
fouliers & les peaux qui lui fervent à
couvrir fes tentes pendant la belle faifon.
Pour rendre cet aliment groflier un peu
fouple , il le fait tremper dans l'huile
qu'il avoit deftinée à l'entretien de fes
‘Bb :3
390 HISTOIRE DES PÈCHES
lampes ; & , de cette manière, 1l pro-
longe une vie miférable qu'il eft con-
tinuellement en danger de perdre ,
faute de provifions de bouche.
Cependantces Sauvages mangentavec
plaifir certains mets en ufage chez les
étrangers ; ils trouvent le pain, le gruau,
les pois , les féves, le riz & le ftokvis
excellens, la plupart ne s’y accoutume
même que trop tôt. Ils ont une ré-
pugnance décidée pour le porc, & ils
en donnent pour raïfon, que cet animal
fe nourrit d’ordures. Il eft en effet fingu-
lier que les peuples les plus fales aient
eu de tout temps une averfion infur-
montable pour la chair de cet animal,
& qu’au contraire ceux qui fe piquent
d'une extrême délicarefle & d’une pro-
preté exceflives, mangent de cette chair,
& qu'ils en faflent des mets exquis.
Les Groenlandois avoient aufli un
dégoût abfolu pour toutes les liqueurs
fortes qu'ils appellent fimplement de
Peau ; le commerce avec les Européens
a fait abfolument difparoïitre cette
DANS LES MERS DU NORD. 39r
répugnance, & ceux qui font à portée
d’en faire ufage, en boivent avecplaifir,
fur-tout lorfque ces liqueurs ne leur
coûtent rien. Ils s’accoutumeroient aufli
très-facilement à fumer du tabac, s'ils
pouvoient s’en procurer abondamment
pour rien, mais ils en manquent très-
fouvent ; ils en confervent dé préfé-
rence les feuilles pour les faire fécher
au feu; lorfqu’elles font au point de
pouvoir être réduites en poudre , ils les
jettent dans un mortier, & les y pilent
pour en faire du tabac en poudre. Ils con-
tractent cette habitude dès leur plus
tendre jeunefle ; elle devient impérieufe
pour eux; il feroit peut-être dangereux
qu'ils fe privaflent du tabac. Ils font fu-
jets à jeter une quantité prodisieufe d’hu-
meuts par les yeux, & l’ufage du tabac
doitnéceffairementfacilicer l'écoulement
de ces humeurs, & foulager les yeux qui,
s’en trouvant trop furchargés, ne pour-
roient peut-être plus fuffire à cette dan-
gereufe fonéion.
Bb 4
392 HISTOIRE DES PÊCHES
CFD LT RUE" 26 DEAN
De l’Habillement des Che
Ces Sauvages ont été infiniment mieux
traités par la nature, par rapport à leurs
vêtemens, que par rapport à leur nour-
riture ; elle ne leur accorde celle-ci
qu'avec beaucoup de parcimonie , & leur
a prodigué les fourrures pour couvrir leur
nudité & pour fe garantir de l’âpreté du
climat fous lequel elle les à placés. Leur
habit de deflus eft une efpèce de robe
faite de plufeurs peaux de Chien marin,
ou de Renne, jointes énfemble par une
couture très-ferrée & en général très-
proprement faite ; ils paflent cette robe,
comme nous pañons nos chemifes. Au
col de cette robe eft attaché un capu-
chon, dont ils font ufage pendant le
plus grand froid, ou lorfque le remps eft
exceflivement humide : cet habit ne def-
cend aux hommes qu’à moitié cuifles; il
DANS LES MERS DU NORD. 393
eft très-ample ; mais comme il eft fermé
par devant & par derrière , 1l eft très-
chaud. Ils portent, en guife de chemife,
une tunique faite de peaux d'Oifeaux de
er , dont le duvet eft en-dedans ; ordi-
nairement néanmoins cette chemife eft
de peaux de Renne : lorfque cet animal
n'étoit pas rare, ils deftinoient à cet
ufage les plus belles & les plus fines four-
rures; mais depuis un certain temps, à
peine les Groenlandoifes les plus riches
peuvent-elles s’en procurer. L’étoffe or-
dinaite des habits des Groenlandois n’eft
autre chofe que de peaux de Phoques ;
ils ont l'attention de réferver les plus
rudes pour les habirs de deffus, er de
mettre toujours le côté le moins doux
en-dehors. Ils bordent ces habits de ban-
des de cuir rouge apprêté à cette fin; ils
en recouvrent auf toutes les coutures;
quelquefois ces galons font blancs. Ces
Sauvages ont le fecret d'apprèter, pour
cet ufage, lés peaux de Chien de mer:
c'eft dans ces bordures qu'ils font con-
fifter leur luxe, comme les Européens le
394 HISTOIRE DES PÈCHES
font confifter dans les galons d’or & d’ar-
gent. Depuis que les Européens fré-
quententles côtes du Groenland, l’ufage
des chemifes de toile, de coton & de.
drap s’eft introduit chez ceux de ces
Sauvages qui commercent avec eux;
mais la façon n'a pas changé & leurs
chemifes font toujours taillées felon lan-
cien ufage. Leurs culottes font de peau
de Phoque ou de Renne ; elles font très-
courtes ; 1ls font leurs bas avec la peau
des plus jeunes Phoques, & autant qu’ils
peuvent avec celle de ces animaux morts-
nés. Leurs fouliers font faits d’un cuir
noir préparé, mais très-fouple ; ils les
actachent à leurs piedsavec des courroies
qui, faifant le tour de la cheville, paf-
fent fous la plante du pied, & fe nouent
en deffus; les femelles débordent de
deux doigts devant & derrière, mais un
peu recourbées en dehors: ces fouliers
fans talons font très-proprement faits.
_ Les Groenlandois, enrichis par le com-
merce, portent des chapeaux, des bas
& des culottes de laine.
DANS LES MERS DU NORD. 395$
L’habillement que nous venons de dé-
crire eff le coftume ordinaire de ces Sau-
vages dans leur ménage; leur habit de
mer eft un peu différent: il confifte en
un manteau noir de peaux très-uuies de
Phoques ; ce manteau les garantit abfo-
lument de l’eau; ils paffent par-deflus
leur gilet ordinaire, une chemife faite
des membranes des inteftins des Chiens
de mer; cette chemife les préferve du
froid, & l’eau ne peut pas la pénétrer.
Leur habit de pêche confifte en une
vefte , culotte, bas, fouliers & capuchon
faits d’une feule pièce & qui s'ajufte
parfaitement au corps; il eft fait de peau
de Chien de mer, très-unie & fans poil;
le Groenlandois s’y enfevelit, pour ain
dire, tout vivant; il et coufu avec tant
de précaution, qu'une feule goutte d’eau
ne peut pas y entrer : on pratique une
petite ouverture à l'endroit où 1l couvre
la poitrine ; c’eit au moyen de cette ou-
verture que le Sauvage introduit dans
fon cicophante autant d’air qu’il en faut
pour le foutenir dans l’eau & ne pas
396 HISTOIRE DES PÊCHES
courir le risque de fe noyer. Après cette
opération, le trou eft fermé avec une
petite cheville de bois qui s’y adapte de
façon à ne pouvoir en fortir d’elle-même;
le plongeur defcend & remonte fur l’eau
à proportion qu'il introduit plus ou moins
d'air dans cette efpèce de veflie, dans
laquelle il fe renferme; ainfi affublé,
le Sauvage fe jette hardiement dans la
mer, & y refte aufli long-temps qu'il
veut, fans courir rifque de fe noyer.
L’habillement des femmes diffère peu
de celui des hommes. Cette différence
confifte feulement en ce que leur habit
eft plus haut par derrière & remonte juf-
qu'à la nuque; conféquemment le ca-
puchon fe trouve attaché plus haut: il
eft aufli taillé un peu différemment par
le bas , depuis la hanche jufqu’au-deflous
du genou. Les deux pièces dont il eft
compofé fe terminent infenfñblement en
pointe arrondie, & finiflent en forme de
chafuble ; ces pointes font ourlées avec
du fil rouge ; les femmes portent cale-
çon & culotte ; celle-ci, & les fouliers
DANS LES MERS DU NORD. 397
doivent être , autant qu'il eft poflible,
de peau rouge ou blanche. Ces ajufte-
mens fonc ornés d’une bordure très- -
fimple , mais bien faire, qui leur donne
beaucoup d'agrément. Les mères qui
nourriflent leurs enfans , ont encore une
efpèce de manteau très-ample, dans
lequel elles portent leur nourriflon : ce
manteau, très-chaud & très-commode,
fert de berceau & même de langes à leurs
nourriflons ; elles les y mertent vrout
nuds; pour que l'enfant y foit en sûreté,
ce manteau eft attaché à l'habillement
ordinaire, par le fond, au moyen d’une
ceinture de cuir, qui s'attache par devant
avec une boucle, ou fitnplement par un
nœud. Leurs habirs dé ménage fontfales
& puans; mais elles ont foin, aurant
qu’elles peuvent, de tenir propres leurs
habits de gala.
Les hommes portent les cheveux
courts ; quelques-uns les coupent très-
près du front, pour qu’ils ne tombent
pas fur les yeux & ne les incommodent
pas dans leur travail. Il feroit honteux
398 HISTOIRE DES PÊCHES
pour une femme de fe faire rafer-la tête.
ou même de faire couper fes cheveux ,
à moins que ce ne foit pour porter le
grand deuil de fon mari, ou en figne de
veuvage , & pour avertir qu’on ne doit
plus la rechercher en mariage, y ayant
renoncé pour toujours. Les femmes re-
trouflent leurs cheveux fur la tête, en
en faifant deux grandes boucles ; elles
donnent à lune la forme d’une houpe
très-large, fur laquelle l’autre, un peu
plus petite, vient s'attacher : cette. fri-
fure eft adroitement faire ; elle eft ornée
quelquefois de petits morceaux de verre
qui y donnent un nouvel agrément. Les
femmes Groeniandoifes n’ont pas d’au-
tres diamans ; elles en font des colliers,
des braflelets &. des boucles d'oreilles ;
elles fe croient très-richement parées
avec cet ajuftement fimple & qui ne
laifle pas de leur donner un certain relief.
Le luxe néanmoins commence à fe glifler
chez ces femmes Sauvages, & les plus
- riches ceignent leur front d’un ruban de
fil ou de foie ; mais elles le placent de
DANS LES MERS DU NORD. 399
façon que les brillans dont leur coëffure
eft enrichie , n’en foient pas cachés ; ces
morceaux de verre forment le plus pré-
cieux de leur parure.
Les Groenlandoifes les plus Évaueteés
portent, fur leur vifage , une efpèce de
broderieartificielle ; elle eft douloureufe
à la vérité, mais la vanité triomphe de
tout : on paîle une aiguille garnie d’un
fil noirci à la fumée de la lampe, entre
peau & chair, depuis la pointe du men-
ton jufqu'4 l'extrémité fupérieure des
joues, & cout autour de la main & même
du pied ; ce fil fe décharge, en paffanc,
du noir de fumée qui s’y étoit attaché,
& marque par-tout une trace noire qui
ne s’efface jamais. Les mères font cette
opération douloureufe à leurs filles dès
la plus tendre jeuneffe; elles veulent les
mettre à l'abri, par À, du malheur de
n'être pas recherchées en mariage. Crantz
aflure que les Groenlandoifes qui ont
recu le baptême; renoncent à cette
vanité du monde ; il eft un des plus puif-
fans moyens pour exciter l’incontinence
400 HISTOIRE DES PÈCHES
des hommes. Peut-être que par-tout
ailleurs ce moyen fufliroit pour en-
laidir une femme & pour la fouftraire
aux empreflemens d’un amant incon-
tinent. |
Les Groenlandois pouflent la mal-
propreté jufqu’à ne jamais fe laver; en
fortant de la mer, ils lèchent leurs doigts
& fe peignent comme les chats; 1ls frot-
tent leurs yeux pour les effuyer & pour
adoucir les cuiflons que l’eau de la mer
occafionne toujours. Les Groenlandoifes
fe lavent à la vérité , mais c’eft avec leur
urine ; elles penfent que cette ablution
eft propre à faire croître leurs cheveux,
& à leur donner un parfum agréable;
l'urine eft leur eau de fenteur , de préfé-
rence : lorfqu’une jeune Groenlandoife
s’eft ainfi parfumée, on dit d'elle : Æ7e
fent bon comme une demoifelle. Niviar fr
ac fuar necks.
CHAPITRE
DANS LES MERS DU NORD. 401
CHEPTTRE X LVL
Huites & Tentes des Groenlandoïs.
L ES huttes font les maifons d'hiver
des Groenlandois ; ils habitent fous des
rentes pendant la belle faifon qui eft leur
été. Les huttes ont deux brafles de lar-
geur , & depuis quatre jufqu’à douze de
longueur ; la hauteur eft de fix pieds.
Bien loin de’ creufer dans la terre ces
maifons d'hiver, comme l'ont faufflement
avancé quelques voyageurs, ces Sau-
vages choififlent, au contraire , des élé-
vations pour y affeoir leurs cabanes : ils
donnent même la préférence à un pla-
teau de rocher efcarpé, pour être à l'abri
de la fonte de la neige, qui, au com-
mencement de l'été, inonde les lieux
bas. Ils fe logent toujours, autant qu'ils
peuvent, au voifinage de la mer, pour
être plus à portée de leur pêche; l'entrée
\
des cabanes fait toujours face à la mer,
Tome IL. die Ev
402 HISTOIRE DES PÊCHES
qui fournit à leur fubfftance. Les murs
de ces cabanes ont une brafle d’épai-
feur ; 1ls font faits de pierres amoncelées
les unes fur les autres; les interftices font
remplis de terre & de moufle. Lorfque
les murs font élevés, on met une feule
poutre qui porte fur les deux murs de
clôture, dans toute la longueur de la
cabanne ; fi la poutre eft trop courte, on
l'alonge avec des pièces de bois qu'on
lie fortement, au moyen de longues
courroies de cuir ; ces alonges font fou-
tenues en-dedans par des étançons; cette
poutre foutient toute la charpente; des
côtes de Baleine , pofées de diftance en
diftance, en font les folives; elles portent
par un bout fur le mur, & par l’autre
fur la poutre maïtrefle ; quelquefois
elles vont d’un mur à l’autre , & portent
par leur milieu fur la poutre. On rem-
plit les interftices de lates aflez minces;
le tout eft recouvert de brouflailles où
de ronces : voilà le toit prêt à recevoir
fa couverture. On y jette de la terre
groflière à la hauteur d’un pied, &
DANS LES MERS DU NORD. 403
celle-ci eft recouverte par d'autre plus
fine & plus légère, qui remplit les interf-
tices de la première. Au moyen de cetre
précaution , le toit reflemble aflez à
une platte-forme unie que la gelée con-
folide & raffermit.
Ces maifons font aflez folides pendant
tout le temps du grand froid & de la
gelée ; mais la pluie & la fonte de
la neige les détériorent au point que,
l'automne d’après , on eft obligé de
refaire les murs à neuf. Il n’y a nf
portes , ni cheminées à ces cabanes ;
un corridor de deux ou trois brafles
de largeur , ménagé à l'entrée de la
cabane, forme une efpèce de voûte
faite de pierres & de terre ; elle fert
de courant à l’air, au moyen duquel
celui-ci fe renouvelle continuellement
- dans la cabane ; le vent , cependant,
ni le froid ne pénétrent jamais par ce
paflage : il eft terminé par une forte
d’équerre ‘donc l'ouverture eft placée à
côté ; ce paflage eft fi bas, qu'il faut
y entrer à quatre pattes , & le parcourir
Cola
404 HISTOIRE DES PÊCHES
ainfi jufqu’à l’entrée de la hutte à la-
quelle 1l fert d’avenue. Les murs font
capiflés , en dedans, de vieilles peaux de
Chien marin, qu’on emploie à cet ufage
après les avoir fait fervir pour les tentes;
elles font attachées aux murs avec de
petits clous faits avec des côtes de
Phoque ; elles préfervent de l'humidité,
& c’eft pour cette raifon qu’on en garnit
aufli le plafon de la cabane. Depuis
le milieu de la cabane jufqu'au mur
de derrière , règne un banc d’un pied
de haut au-deflus du niveau du pavé;
ce banc eft divifé en plufñeurs fec-
tions, au moyen des peaux attachées
aux étançons qui foutiennent la poutre
maïtrefle qui porte toute la toiture ;
ces cloifons donnent autant de chambres
qu'il y a de féparations ; on les prendroit
pour des loges d'animaux. Chaque mé-
nage à fon appartement féparé ; on
trouve dans chacune de ces cabanes
jufqu'a dix familles réunies fous le
même toit ; les bancs recouverts de
peaux leur fervent de lit pour la nuit,
DANS LES MERS DU NORD. 405
& de fiége pour le jour : les hommes
s’affeoient fur le bord, les jambes pen-
dantes ; les femmes s’y tiennent les
jambes croifées comme les tailleurs fur
leurs établis. L’occupation des hommes
eft de faire des uftenfiles de pêche ou
de ménage ; les femmes préparent à
manger , font les habits & les fouliers.
Le jour entre dans la partie antérieure
de la hutte, par une fenêtre de deux
pieds en quarré ; des inteftins de Poiflon,
préparés & très-tranfparens, en forment
la vitre; elle eft impénétrable au vent &
à la neige. C’eft fous cette fenêtre,
qu’on loge les étrangers ; il y a dans
cet appartement, comme dans les autres,
un banc qui fert de lit & de chaife.
Chaque ménage a fon feu particulier-
Un bloc de bois, recouvert d’une large
pierre, & appuyé au pilier de fépara-
tion, porte un trépied; fur celui-ci
eft placée la lampe qui eft de cette
efpèce de marbre bâtard; cette lampe
a la forme d’un croiflant ; elle eft in-
cruftée dans une planche de forme
VER
406 HISTOIRE DES PÊCHES
elliptique ; cette boîte reçoit l'huile qui
découle , & elle empêche qu’elle ne
foit perdue. La mèche eft faite d’une
moufle fine , qui brule fi bien , que
tout l'appartement eft éclairé de la feule
lueur de fa flamme ; cette méche , ou
plutôt cette poignée de moufle ardente,
a encore la propriété de réchauffer la
cabane entière ; la chaleur de cette
flamme eft même à un degré aflez fort,
pour faire bouillir un chauderon de mar-
bre fufpendu au plafond par quatre
cordes, un peu au-deflus de la lampe.
Cette marmite, d’un pied de haut, fur
fix pouces de diamètre , fuffit pour cuire
les alimens d’un repas ordinaire d’un
ménage entier. C’eft au feu de cette
lampe que les Sauvages sèchent tous
leur habits de chafle & de pêche; on
les accroche à un porte - manteau fuf-
pendu au plafond , à une petite diftance
de la flamme. Les lampes des Groen-
landois | continuellement allumées ,
donnent une chaleur plus uniforme que
les poëles d'Allemagne ; elles font plus
DANS LES MERS DU NORD. 407
faines , ne fument prefque pas, & il
n’y a aucun danger qu’elles mettent le
feu à la cabane. Cependant 1l feroit
bien difficile pour un Européen, de s’ac-
coutumer à ces prifons lugubres, dont
l'infection eft au-deflus de tout ce qu’on
peut en dire : l'odeur forte des lampes,
celle du poiflon & de la viande que l’on
fait cuire dans les marmites, celle des
peaux qui tapiffent les murs intérieurs
& le plafond, & fur-tout celle de l'urine
qu'on répand fans fe gêner dans la
cabane même, ou qu’on y ramafle dans
des baquets , rendent lhabitation de
ces huttes plus infupportable pour les
étrangers , que les prifons les plus in-
fetes de l'Europe. Cependant cette
mauvaife odeur ne doit pas beaucoup
nuire à la fanté, puifque les Groen-
landois y vivent plus de la moitié de
l'année fans prefque en fortir, & qu’ils
s'y portent bien. Contens dans leur
pauvreté , 1Îls fe croient heureux pourvu
qu'ils aient de quoi manger; ils le font
en effet mille fois plus que ces opulens
CC 4
408 HISTOIRE DES PÊCHES
de la terre , dont l'ambition eft infa-
tiable au fein des richefles, de la mol-
lefle & des plaifirs.
À l'entrée de la cabane eft placée une
efpèce de cuve de bois, dans laquelle
les Groenlandois renferment tous les
jours leur petite provifion de viande & .
de poiflon ; car ils tiennent leur provi-
sion d'hiver fous la neige en dehors de
leur cabane, & tous les jours ils vont
prendre ce qui leur eft néceflaire pour
la journée. Tout près de cette caifle,
font fufpendus à un pilier, les Kajaks,
ou barelets, les uftenfiles & les armes
de pêche & de chafle. Les Groenlan-
dois fe renferment dans leurs cabanes
vers Ja fin de Septembre & n’en fortent
qu'a la fin d'Avril ou au commencement
de Mai. C’eft dans ce temps que la fonte
de la neige détériore les huttes, & que
les Sauvages, forcés de les abandonner,
fe retirent fous des tentes pour y pañler
Ja belle faifon.
Voici quelles font les dimenfons des
tentes des Groenlandois. Ils choififlent
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DANS LES MERS DU NORD. 409
un terrein uni qu'ils pavent de pierres
plates dont ils forment un quartré long.
Ils y plantent dix à quatorze folives ou
côtes de baleines; elles portentune efpèce
de chaflis qui les lie & les foutient toutes
à la hauteur d’un homme, il leur fert
de ciel : cette charpente eft recouverte
de peaux de chien de mer doublées; les
plus riches Sauvagestapiflentleurs tentes
de belles peaux de rennes. Celles qui
couvrent la tente & qui tombent jufqu'a
terre, y font aflujetties par des pierres
& de la moufle , afin que le vent ne
puifle pas s’y introduire & renverfer la
rente. L'entrée eft fermée par un rideau
de boyaux de poiflon très - artiftement
faic & tranfparent; il a une bordure de
fil bleu & rouge ; les anneaux font de
peau blanche ; ce rideau fuffit pour
mettre à l'abri du vent. Ce veftibule
donne à la grande porte d’entrée ; celle-
ci fe ferme par une tapiflerie de peau
de Chien de mer. On y conferve les
provifions, on y place les baquets d’ai-
fance. Les cuifines font en dehors des
410 HISTOIRE DES PÈCHES
centes en plein air; c’eft dans la belle
faifon qu’on fait ufage de marmites de
cuivre & du bois à brüler pour apprêter
à manger. La mère de famille a fa toi-
ette dans un des coins de la tente ;
elle étale fes nipes & fes beaux ajufte-
mens à un porte - manteau fous un large
rideau de peau blanche, dont la broderie
en fil de diverfes couleurs, repréfente
diverfes figures aflez fingulières.
Chaque ménage a fa tente; mais les
riches logent jufqu’à trois ou quarre fa-
milles pauvres, auxquelles elles font
apparentées : on trouve dans ces grandes
tentes, jufqu’à vingt perfonnes. Les lits
& les autres meubles font difpofés dans
les tentes comme dans les cabanes ; il y
règne cependant plus de propreté & plus
d'ordre. On n’y éprouve pas autant de
chaleur, & on n’y eft pas autant incom-
modé par l'infection de l'air intérieur.
Les Groenlandois s'y dédommagent des
incommodités de l’hiver, & il eft vrai de
dire qu'ils y reffentent à un certain de-
gré, l'agrément de leur belle faifon.
DANS LES MERS DU NORD. 41f.
On fouffre peut-être moins fous ces
tentes & dans ces tanières infeétes au
Groenland , que dans les fables brülans
de la Lybie , ou même dans les plus belles
contrées de l’Afie; ici, il eft vrai, une
gelée prefque éternelle porte la ftérilité
jufques dans les entrailles de la terre,
& lui permet à peine de poufler quel-
ques ronces inutiles ; là, une chaleur
brülante deflêche les fources , & elle eft
prefque toujours accompagnée d’une
pefte cruelle qui emporte la moitié des
habitans. Si quelquefois la pefte femble
donner quelque relâche aux peuples
qu’elle afige , d’autres maladies épidé-
miques, non moins défaftreufes , les
emportent avec autant de violence & de
fureur : on trouve au Groenland peu de
ces plaifirs dont la jouiffance eft pénible ;
en Âfie, il s’en faut bien que les jouif-
fances foient proportionnées aux defirs
variés des cœurs paflionnés pour la mol-
leffe ; là, la peine qu’on fe donne pour
fe procurer les premières néceflités de la
vie , les feules que les Groenlandois
412 HISTOIRE DES PÊCHES
ambitionnent, eft toujours couronnée du
fuccès, & le Sauvage trouve toujours de
quoi foulager fa mifère , parce qu'il fait
fe contenter de peu ; ici, les pañlions &c
les defirs, excités par une imagination
féconde & toujours fixée fur le fan-
tome des jouiffances de la mollefle, ne
trouvent aucun aliment propre à les cai-
mer un inftant ; en un mot, les Groen-
landois poffédent peu, mais ils poffèdent
tout ce dont ils ont befoin ; & la plupart
des autres peuples vivant dans la plus
grande abondance, manquent fouvent
du pur néceffaire, & font pauvres de
leur richefle même. Quoiqu’'en général
perfonne de nous ne voulut s’expatrier,
pour aller fixer fa demeure au pied des
rochers de glace du Groenland , combien
cependant de nos pauvres ouvriers, jout-
naliers, foldats même, & habitans des
campagüues s’y trouveroient infiniment
mieux que parmi nous; combien n’en
eft-1l pas qui très-fouvent defireroient
être nés fous la zone glaciale, & y
vivre par préférence à leur malheureufe
DANS LES MERS DU NORD. 413
patrie, fi, dans l’excès de leur misère,
ils étoient en état de comparer la vie des
Sauvages du Nord à celle qu’ils traînent
eux-mêmes dans la plus douloureufe
indigence !
414 HISTOIRE DES PÈCHES
G HP: ET RES KE AE LE
Arts & Sciences des Groenlandors.
On ne s'attend pas, fans doute, de
trouver chez un peuple fauvage, tel que
celui que je viens de defliner, des arts
perfettionnés , des fciences profondes &
fublimes : les Groenlandois font peut-
être les plus ignorans , les plus bornés
& les moins fufceptibles de civilifation
de tous les Sauvages connus. Les Mif-
fionnaires même que le Dannemarck
leur envoie pour leur prêcher l'Évangile,
n’ont pu parvenir encore à développer
en eux le plus petit germe d'aptitude
pour nos arts & nos fciences; leur intel-
ligence toujours groflière, femble ce-
pendant s’être un peu dégourdie ; ils font
moins ftupides qu’ils n’étoient ; mais les
progrès de l’efprit font fi lents chez les
Groenlandois, qu’on peut conclure dés
DANS LES MERS DU NORD. 415
aujourd’hui qu'ils font tout ce qu'ils
peuvent être.
La langue de ces Sauvages eft très-
pauvre, très-imparfaite ; les mots fonc
longs & compofés en général, de beau-
coup de fyllabes ; ils parlent du gofier;
ce qui fait que, même lorfqu'ils s’ex-
priment dans une des langues des Euro-
péens , dont ils ont appris quelques ex-
preflions, 1ls font prefque inintelligibles;
ils fuppléent au défaur des expreflions de
leur propre langue, par des geftes ; on
peut dire qu’alors il eft bien plus aifé de
les comprendre que lorfqu’ils parlent.
On affure que leur dangue n’a aucun
rapport avec celle des autres peuples
du nord, excepté avec celle des Efqui-
maux , qui paroiflent être leurs frères
& la tige originaire d’où font fortis les
Groenlandois.
Ce peuple n’a pas de poffie propre-
ment dite, ou du moins elle eft auf
imparfaite que les arts & les fciences
qui lui font propres ; il a cependant
certains mots plus cadencés &une efpèce
416 HISTOIRE DES PÊCHES
de rime qu’il emploie quelquefois avec
une forte de grace.
Les Groenlandois ne comptent que
par leurs doigts, & ne comptent que
jufqu'à vingt, encore n’ont-ils pas des
mots particuliers pour s'exprimer juf-
qu'à vingt; ils n’en ont que pour dire
un, deux, trois, quatre, cinq. Ainf,
pour dire vingt, ils difent quatre fors
czng, ou plutôt 1ls montrent quatre
fois cinq doigts de la main; pour compter
jufqu’à cent, ils montrent cinq fois leurs
vingt doigts , ou ils difent czrg hommes ,
parce que cinq hommes ont cent doigts
entre eux tous; ils ont cependant des
mots pour exprimer dx , one &
Jerxe.
Ils font plus habiles dans la fcience
de la Généalogie ; ils favent par cœur,
& fans la plus petite erreur larbre
généalogique de dix races de leur fa-
mille , foit en ligne droite , foit en ligne
collatérale ; il n’eft pas furprenant qu'ils
foient toujours prêts à répondre fur leur
defcendance particulière , leur intérêt le
plus
DANS LES MERS DU NORD. 417
plus précieux eft attaché à la éonnoif-
fance exacte de leurs ancêtres. Un pauvre
Groenlandois ne périra jamais de faim,
& ne manquera jamais du néceflaire,
s’il eft en état de prouver à un Groen-
Jandois riche , qu'il fort de la même
famille que lui & qu’il eft fon parent,
ne le füt-1il qu'au dixième degré,
même par une branche collatérale. Ce
peuple ne rougit pas d’avoir des pa-
rens pauvres, & fe fair un devoir de
les aflifter.
Les Groenlandois ne favent ni lire
ni écrire ; les efforts des Miflionnaires,
pour parvenir à montrer à ces Sauvages
ces deux arts, les plus utiles dans la
fociété , ont été en pure perte. Les
Groenlandois regardent le temps qu’il
faut donner à l'étude des élémens de
l'écriture & de la leéture, comme tout-
à-fait perdu; & ils penfent pouvoir l’em-
ployer beaucoup plus utilement à la
pêche ou à la chafle. Ces Sauvages
avoient fi peu d'idée de l'écriture ,
avant l’arrivée des Miflionnaires & des
Tome IT. "5 d
418 HISTOIRE DES PÈCHES
Pêcheurs Européens, qu’ils furent épou-
vantés lorfqu'ils virént des caractères
tracés fur le papier ; 1ls ne pouvoient
comprendre que le papier fut ur être
parlant; c’eft l’expreflion donc. ils fe
fervoient, On eut beaucoup de peine
à les déterminer à toucher un papier
écrit, où un livre; ils crurent y voit
une efpèce de forcellerie ; les caractères
noirs, tracés fur du papier bianc, leur
parurent unenégromancie épouvantable.
Lorfqu'un Miniftre Luchérien leur lifoit
le Décalogue, ils étoient perfuadésqu’un
Efprit familier parloit derrière lui. Ils
font revenus de leur étonnement &
de leur peur à ce fujet ; ils fe chargent
avec plaifir de porter une lertre à plu-
fieurs milles , parce que leur comnufion
efttrès-bien payée; 1ls yattachent même
une efpèce d'honneur, en cequ'ils s’ima-
ginent être les porteurs de paroles, d’un
homme à un aurre. Quelques-uns d’entre
eux , néanmoins , & ce font ceux par-
ticulièrement qui font un commerce :
plus étendu , ont profité jufqu'à un
DANS LES MERS DU NORD. 419
certain point de l’utilité de l'écriture ;
on en trouve qui en favent aflez pour
écrire, avec du charbon noir fur une
pièce de peau blanche, leurs demandes
& la promefle d’acquitter leurs dettes.
Ils favent fpécifier la quantité des mar-
chandifes dont ils ont befoin; les jours
qui s’écouleront , jufqu’à celui du paie-
ment , & en un mot tout ce qui à
rapport à un commerce réglé; ils en-
voient ces factures de leur façon aux
Fa@eurs Danois, & ceux-ci les com
prennent aflez pour remplir exactement
les commiflions qu'ils tesntens de ces
Sauvages.
Ils comptent le temps avec fi peu
de précaution, que la plupart ignorent
leur âge; 1ls comptent les années par
les hivers, & les jours par les nuits.
La raifon qu'ils en donnent n’eft pas
fans fondement , puifque effectivement
l'hiver fait les deux tiers de l’année,
& que la nuit emporte les deux tiers
de leur vie. Ils ne comptent que juf-
qu’à vingt hivers ; arrivés à ce terme,
Dd 2
410 HISTOIRE DÉS PÊCHES
ils fe perdent dans le calcul de leurs
années. Ils ont fixé cependant, depuis
quelque temps, des époques qui leur
fervent à fixer aufli les événemens les
plus remarquables de leur vie. La fon-
dation d’un établiflement Danois, l’ar-
rivée d’un Mifionnaire font pour eux
de grands événemens; c’eft de ces deux
principales époques qu'ils partent pour
mettre quelque ordre dans leur chro-
nologie particulière. Ils divifent les fai-
fons de l’année d’une manière qui leur
eft toute particulière. Ne connoiffant
pas les équinoxes , ils fe règlent par le
folftice d'hiver , qu'ils jugent arriver
quelques jours plutôt que nous ne le
fixons. Lorfqu'ils apperçoivent à la cime
des rochers la foible lueur des rayons du
foleil prêt à quitrer leur horizon, ils
le confi‘érent un moment en filence,
& célèbrent alors leur nouvelle année.
De ce moment , ils comptent trois mois
jufqu'au printemps, & fe préparent,
après ces trois mois, à quitter leurs
cabanes pour fe loger fous leurs tentes.
DANS LES MERS DU NORD. 4121
Le quatrième mois , c’eft-à-dire celui
d'Avril , leur eft annoncé par l'apparition
de certains Oifeaux, & par la ponte
des Corbeaux ; le cinquième mois, ils
reçoivent la vifite des Phoques qui com-
mencent à reparoître avec leurs jeunes
{ur leurs côtes. Les Canards fauvages
leur annoncent le mois de juin ; alors
la lune difparoït entièrement à leur
vue, parce que l'éclat de la lumière
du foleil obfcurcit abfolument celle de
laftre de la nuit. Les Groenlandois
ne pouvant plus compter alors , comme
dans l'hiver, par les différentes phafes
de la lune , comptent par le cours de
l'ombre du foleil, qui leur eft indiqué
par le fommet des hautes montagnes
dont les pointes leur fervent d’aiguille
folaire ; c’eft par ces prolongations variées
de l'ombre, qu’ils comptent alors leurs
jours. Pendant tout le temps que le
foleil ne quitte pas leur horizon, ils
mefurent la longueur de leurs jours,
par la longueur de l'ombre qu'ils apper-
çoivent à l’eft des plus hauts rochers.
Dd ;
422 HISTOIRE DES PÈCHES
C'eft par la perpendicularité de ces
ombres , ou par leur déclinaifon, qu'ils
fonc avertis du retour des Phoques,
du départ ou de l’arrivée de certains
Poiflons & de certains Oifeaux , & du
moment enfin où ils doivent plier leurs
tentes & réparer leurs huttes pour s'y
renfermer.
Ïls divifent les parties du jour par le
flux 8 le reflux dont ils attribuent l’action
à la preflion de la lune ; ils divifent encore
plus commodément les parties de la nuit
par le lever & le coucher des étoiles.
C'’eft là que fe borne toute leur fcience
aftronomique fur la divifion du temps.
Leur fcience fur la création & le
mécanifme de l’univers , fe borne à
des fables groffières que leurs Devins
ont foin de leur inculquer comme des
vérités qui méritent toute leur croyance
& tout leur refpeët. Ils croient que la
terre eft immobile fur fes fondemens,
mais que ces fondemens tombant en
lambeaux par leur vétufté, bientôt le
globe entier difparoîtroit dans l’abyme, fi
DANS LES MERS DU NORD. 423
les Devins n’étoient continuellement à
les réparer & à les étayer. Ces jongleurs
entretiennent les Sauvages dans cette
pitoyable crédulité, en leur montrant
des gros morceaux de bois qu'ils pré-
tendent être des débris des fondemens
de la terre. Les Groenlandois prétendent
que le firmament à fon pivot particu-
lier, placé fur une haute montagne,
fur lequel 1! roule continuellement en
équihbre ; ils prétendenr aufli que tous
les corps céleftes font autant de Groen-
landois ou d'animaux enlevés au ciel
par quelque accident particulier | &
que la qualité des alimens dont ils
fe nourriflent, détermine la couleur
des étoiles qu'ils repréfentent. Les pla-
nètes en conjonétion ne font, à leur
avis , que deux femmes qui fe vifitent
en fe querellant ; les comètes ne fonc
aufli que des ames Groenlandoifes qui
voyagent dans le ciel pour voir ce qui
s’y pafle. Ils nomment la conftellation
de la Grande Ourfe, la Renne ; les
fepc étoiles dont elle eft compofée font
D d 4
414 HISTOIRE DES PÈCHES
fept Chiens de mer qui pourfuivent un
Ours. Cette conftellation fert aux Groen-
Jandois pour leur annoncer le retour de
la nuit. Ils prennent les deux Gemeaux
pour la poitrine du firmament, & la
conftellation d'Orion ; pour quelques
hommes errans & qui fe font perdus
fans pouvoir retrouver leur route , au
retour de la chafle aux Phoques , &
qui ont été enlevés dans les cieux. Le
{oleil & la lune étoient frère & fœur.
Jouant un jour avec d’autres enfans dans
le cahos, Malina fatiguée des pourfuites
de fon frère Anninga, trempa la main
dans l’huile de la lampe qui éclairoit le
cahos, & l’appliqua fur la figure d’Ax-
ninga ; ellele marqua ainf pour pouvoir
le reconnoïître lorfqu’il repafferoit de-
vant la lampe. Après cette efpiéplerie,
Malina vouloir prendre la fuite, mais
fon frète la pourfuivit, jufqu’a ce qu’elle
eût pris fon eflor vers le ciel, & elle y
fut changée en foleil ; fon frère qui refta
en chemin, parce qu’il étoit moins agile
qu’elle, fut changé en lune ; il tourne
DANS LES MERS DU NORD. 425
continuellement autour d'elle, comme
s’il fe Aattoit encore de pouvoir l’attein-
dre. Lorfque Arninga, métamorphofé
en lune, eft fatigué, qu'il n'en peut
plus de faim, & que faute de manger,
il eft devenu très-maigre, il s'arrête; 1l
pofe fes armes de pêche & de chaffe fur
un traîneau attelé de quatre Chiens, &
s’abfente quelques jours pour reprendre
de l'embonpoint; alors il reparoit gros
& gras (1). La lune fe réjouit de la mort
des femmes , & le foleil de celle des
hommes : c’eft pour cette raifon que les
hommes ferment la porte lorfqu’il y a
éclipfe de foleil, & que les femmes la
ferment pendant les éclipfes de lune.
Anninga rode alors autour des cabanes
pour enlever les peaux & les provifions,
& pour donner la mort à tous ceux qui
ne fuivent pas exactement, & avec la
plus fcrupuleufe fidélité , les règles de
(1) L’Extrême maigreur d’Anninga | repréfente le
dernier quartier de la lune ; fon embonpoint & fa
groffeur repréfentent la pleine lune,
426 HISTOIRE DES PÊCHES
conduite que les Devins prefcrivent aux
Groenlandois. On cache aufli avec le
plus grand foin les provifons ; leshommes
fur-tout s’empreffent de porter fur le toit
des cabanes, les meubles & les uftenfiles
de cuifine; ils battent fur leurs chaude-
rons pour épouvanter la lune, & pour
lobliger à prendre la fuite & à aller
reprendre fa place ordinaire dans le firma-
ment. Lorfque l’éclipfe eft de foleil, les
femmes prennent leurs Chiens par les
oreilles ; s'ils aboyent, c’eft une marque
certaine que la fin du monde n’approche
pas encore, car, difent-elles, les Chiens
créés pour l’ufage de l’homme, ont un
certain preflentiment de l'avenir; mais
fi ces animaux n’aboyoient pas , tout
feroit perdu ; le monde fe décompofe-
roit, &on n'y trouveroit plus de Groen-
landois. On a grand foin de prévenir ce
malheur en pinçantles Chiens, de façon
à les faire crier, à force de leur faire
mal. |
Lorfque par hafardle tonnerre gronde,
les Groenlandois croient que ce font
DANS LES MERS DU NORD. 427
deux vieilles femmes qui fe battent dans
leur cellule aërienne pour la peau d’un
Phoque qu'elles fe difputent. La cellule
eft renverfée , les lampes fe brifent & fe
répandent, & les éclairs ne font autre:
chofe que le feu de ceslampes qui, alors,
ferpente dans les airs. Ils font du refte
très-ignorans en aftronomie. Les Groen-
Jandois ne croient pas à l’aftrolosie, &
fe mettent peu en peine de chercher
l'avenir, en obfervant le ciel, le vol ou
le chant des oifeaux.
418 HISTOIRE DES PÈcHES
C'IFRPPTR'ES SK NPTÉE
Maladies & Remèdes des Grovale
La médecine n’a pas fait plus de progrès
au Groenland, que les autres fciences.
Voici les maladies & les incommodités
auxquelles les Groenlandois font fujets.
Les vents qui foufflent avec violence
dans les mois de Mai & de Juin, ainf
que la réflexion des rayons du foleil fur
la neige & fur la glace , leur occafionnent
une fluxion très - douloureufe fur les
yeux ; ils les ont alors très-enflammés
& très-larmoyans. Pour prévenir cette
incommodité , ils prennent un petit co-
peau de bois très-mince, large de trois
doigts & l’affujettiflent fur les yeux.
Quelquefois ils y font pluñieurs petits
trous pour fe conferver l’ufage de la vue,
& diminuer feulement la force de la
réverbération des rayons du foleil. Si
Vincommodité devient infupportable, ils
DANS LES MERS DU NORD. 419
fe font une incifion au front qui produit
l'effet d’une forte de cautère. Lorfqu'ils
font affigés de la cataracte, ils appellent
une femme qui en fait l'opération avec
une aiguille courbe & un petit couteau
deftinés à cet ufage; il arrive fouvent
que cette opération ne réuflit pas, &
que le patient s’en trouve beaucoup plus
mal. Depuis que les Groenlandois font
ufage du tabac en poudre , ils font moins
fujets aux maux d’yeux.
Les Groenlandois font fujets aux hé-
morrhagies ; elles font occafionnées par
le froid, & par une trop grande abon-
dance de fang, que l’ufage immodéré
de l'huile de Poiflon & du Poiflon même
leur donne. Pour arrêter ces pertes de
fang lorfqu’elles font trop abondantes,
ils prient quelqu'un de les fuccer fur la
nuque, ils lient fortement avec un fil
leurs doigts annulaires , ils mettent dans
leur bouche un morceau de glace, ou
enfin ils teniflenc de l’eau de mer. Ils
font fujets aufi aux autres maladies des
Européens , comme douleur de tête,
430 HISTOIRE DES PÈCHES
douleur de dents, éblouiffemens, hydro-
pifie, épilepfie , folie, &c. Mais ces
maladies font fi rares chez eux, qu'ils
ne connoiffent point de remèdes pour les
guérir. R
Ce peuple eft fujer à deux fortes de
maladies de la peau ; la première eft
une forte de gale; tout le corps, à l’ex-
ception des mains , fe couvre de puftu-
les; cette incommodité n’eft ni conta-
gieufe, ni de longue durée. La feconde
eft une forte de lèpre dégoutante ; elle
eft incurable , & même contagieule à
un certain point. Ces lépreux vivent fé-
parés de la fociété , & n’ont d'autre
confolation que celle de pouvoir fe gra-
ter à leur aife; ils fe fervent de plumes
pour faire tomber les écailles dontils font
couverts. Les habitans penfent qu’ils doi-
vent originairement cette maladie à la
trop grande quantité de Poiflon, qui fait
pour ainh dire, leur unique nourriture.
La petite vérole étoir inconnue au Groen-
land avant l’année 1733: Un jeune
homme de Copenhague y porta ce fléau;
DANS LES MERS DU NORD. 431
& dans peu de cemps, plus de trois mille
Groenlandois en furent la victime.
Les Groenlandois font auf fujets à
la gravelle , à la pierre ; mais 1ls en font
la cure au moyen d’une très-grande in-
cifion ; ils y mettent un appareil de
foin ou de moufle, qu'ils aflujettiflent
quelquefois avec une petite planche
très-mince, pour que leurs habits n’en-
veminent pas la plaie ; du refte ils
vaquent à leufs travaux fans fe plaindre
de la plus petite incommodité. L’urine
eft le remède ordinaire pour les bleflures
des mains & des pieds; parce moyenils
étanchent le fang qui découle de la plaie;
ils y mettent enfuirte un emplâtre de
graifle ; ou bien ils y appliquent un
peu de moufle trempée dans l'huile, &
bandent le pied ou la main avec une
Janière de cuir. Si la bleflure eft large,
ils en recoufent les bords enfemble ,
avant d'y mettre le bandage.
Ïls ont un remède prompt & efficace
pour guérir les luxations : ils font tirer
avec force le bras ou la jambe luxés,
432 HISTOIRE DES PÊCHES
jufqu'à ce que les os foient remis à leur
place; alors ils y font un bandage au
moyen d’une courroie très-munce ; 1l eft
furprenant qu'au moyen de cette fimple
opération, 1ls foient guéris en très-peu
de temps. Lorfqu'ils fe caflent un bras,
ou une jambe , ils ne fe fervent pas
d'autre moyen pour les remettre.
En général, les Groenlandois n’ont de
remèdes que pour les maladies extérieu-
res ; ils les guériflent en peu de temps, fi
elles ne font pas trop graves. Ils n’en ont
aucun pour les maladies internes, &
laiflent à la nature le foin de les guérir.
Ces dernières font ordinairement l’étifie
& la pulmonie : cependant ils cherchent
à en arrêter les progrès, en faifant ufage
d’une forte de moule noire qu’on trouve
fur les montagnes. Ils font fujets aufli à
la dyflenterie, principalement au prin-
temps ; il y a apparence que la quantité
de mures fauvages qu'ils mangent avant
leur parfaite maturité , leur occafñonne
cette dangereufe maladie. Enfin ce peu-
ple eft encore très-fujer aux maladies
de
DANS LES MERS DU NORD. 433
de langueur ; la refpiration devient de
plus en plus pénible jufqu'à ce que la
mort vient mettre fin à tous leurs maux.
Le Groenlanlois en général n’eft pas
fujet à la fièvre. Lorfqu'il fe fent atta-
qué d’une douleur de côté, maladie
trés fréquente au Groenland, & qui eft
occalionnée par une fueur interceptée ,
il fe fenc pris d’un friflon, fuivi d’une
grande chaleur qui occafionne des tirail-
lemens à la poitrine. C’eft la maladie la
plus ordinaire ; mais les Groenlandois
en font bientôt délivrés foit par les re-
mèdes, foit par la mort. Ils appliquent
la pierre d’aimant fur la partie doulou-
reufe; 1l paroit qu'elle atuire l’humeur
& qu’elle foulage le malade. Depuis
l'arrivée des Européens au Groenland,
ils fe font faigner dans cette maladie ;
& même quelquefois feulement par pré-
caution , & ils s’en trouvent trés-bien.
La plupart de ces maladies leur pro-
viennent de leur manière de vivre, qui
eft en général très-pénible, & de la
mauvaife nourriture que la nature leur
Tome IT. ._ Ee
434 HISTOIRE DE PÊCHES
a départie. Dans l'hiver , lors même que
le froid eft au point de leur ôter toute
fenfibilité , & que tous leurs membres
font engourdis, le Chafleur fort de fa
hutte tout fuant, fouvent À demi nud,
pour s’expofer aux rigueurs du vent du
nord, le plus froid dont on puiffe fe faire
une idée. S'il n’a rien à manger, il jeune
pendant deux ou trois jours ; lorfqu'il
refte dans fa hutte, il mange continuel-
lement & ne laiffe pas un inftant fon
éftomac vide. Il a continuellement foif,
à caufe de la chaleur exceflive qu'il
éprouve dans fa tanière ; alors l’eau
n’eft jamais aflez froide pourlui; il y jette
une pièce de glace & ne boit l’eau que
lorfque celle-ci eft prefque fondue :
aufli les maladies de la poitrine furvien-
nent-elles particulièrement dans l’hiver,
lorfque ce peuple manque de vivres :
c’eft aufñli alors, que la mort fait plus de
ravage chez ces Sauvages.
TS
DANS LES MERS DU NORD. 435
RS REA ENRE RIAUE VOECPUIRENRE ES HR PCR SEE TRAINERS RE TIGE,
GA PA EX XX EUX.
Des Funérailles des Groenlandoïrs.
Dis qu'un Groenlan£ois eft à l’agonie,
on le revêt de fes plus beaux habits &
on lui met fes bottes. Auilitôt qu'il eft
mort, on troufle fes jambes, & on
les lie fortement aux cuifles , fans doute
POUF que fon tombeau étant plus court,
il n'en coûte pas autant de peine pour
le faire. On écarte avec foin tout ce
qui a touché fon corps, pour détourner
tous les malheurs qui pourroient en être
la fuite pour fa famille. On jette tout
à la porte, ainfi que tous les meubles
& effets de tous les habitans de la
. même hutte. On laifle le tout expofé
à l’air jufqu'au foir; l'air intérieur eft
cenfé alors aflez Dee , & tour eft
remis à fa place. On pleure le mort pen-
dant une heure, & on fait les prépara-
tifs de fes funérailles; on prépare {on
£ez
436 HISTOIRE DES PÊCHES
combeau qui eft ordinairement conftruit
avec des pierres , fur une élévation
à une certaine diftance de la hutte;
on met dans le fond une légère couche
de moufle. On ne fort pas le cadavre
par la porte, on le jette par une fe-
nêtre. Si le Groenlandois meurt fous fa
tente, on ne le fort pas non plus pat
l'entrée de la hutte, mais on pratique
une ouverture dans l’une des peaux qui
couvrent la vente , & le corps mort
eft jeté par cette grande lucarne, Une
femme eft chargée de faire le tour de
la demeure du mort, avec une pièce
de bois allumé dans fa main, & de crier,
I n’y a plus rien à faire 1c1 pour vor.
Le cadavre , emmaillotté & coufu
dans fa plus belle pelifle , eft porté au
tombeau par fes plus proches parens;
ils le mettent fur leurs épaules, ou bien
ils le traînent fur la terre. On le place
dans le tombeau ; on le recouvre d’une
peau, fur laquelle on met beaucoup
de moufle, & enfuite on amoncelle
des grofles pierres pour empêcher que
DANS LES MERS DU NORD. 437
le cadavre ne devienne la proie des
Oifeaux ou des Renards. On place tout
près de ce maufolée , le kajak du défunt,
ainfi que fes flèches & tous fes autres
outils; fi c’elt une femme qui a payé le
tribut à la nature, on place à fes côtés
fon couteau & fes aiguilles. Ce peuple
penfe que la privation de ces uftenfiles ,
afigeroit leur ame dans l’autre monde,
& qu’elle porteroit obftacle à leur fub-
fiftance.
_ Quelques Groenlandois ont aban-
donné la coutume de placer ces uften-
files auprès de leurs morts; ils fe fonc
appetçus que des filoux venoient les
enlever , fans avoir peur des fpedtres
ou de la vengeance des ombres. Cepen-
dant ils n’en font pas ufage, mais ils
les vendent à d’autres qui s'en fervent
fans fcrupule. Ceci prouve qu'il y a
chez tous les peuples, des ames aflez
fortes , ou dés Philofophes aflez rai-
fonnables pour fe mettre au-deflus de
toutes ces puériles fuperftitions.
Quelques-uns mettent la têre d’un
Fes
438 HISTOIRE DES PÈCHES
Chien fur le tombeau de leurs enfans;
ils difenc que l'ame d’un Chien fait fe
conduire, & qu’elle fervira de guide
sur à celle d’un enfant (r).
Les parens & les voifins qui forment
le convoi funèbre , reviennent en filence
à la hutte mortuaire , immédiatement
après avoir rendu les derniers devoirs
au mott. Il eft quelques purifications
indifpenfables pour ceux qui l'ont porté
au tombeau , qui l’ont enfeveli, ou qui
l'ont touché. Les hommes prennent
place dans la hutte, & gardent un morne
filence ; ils fe blotifflent fur la terre,
leurs couces appuyés fur les genoux,
& la face dans les deux mains. Les
femmes fe couchent tour de leur long,
le vifage contre terre ; elles fanglottent
& gémifflent. Le plus proche parent du
mort eft chargé de l’oraifon funèbre;
l'Orateur s’en acquitte avec zèle; tous
(1) Defcription du Groenland par Escede, Évêque &
Miffionnaire, traduite en français , par M. D. R. D. P.
Édition de 1763, Chap. XIV.
DANS LES MERS DU NORD. 439
les hauts faits, les bonnes qualités &
les vertus de fon parent font récités
avec enthoufiafme. Ce difcours n'eft,
à proprement parler , qu'une ode ; le
file en eft empoulé : le Panégyrifte
fait une pofe à chaque ftrophe ; il eft
interrompu par des pleurs, des gémif-
femens & des cris de douleur qui fer-
vent de refrein ; mais à la dernière
ftrophe , les hurlemens redoublent, &
l'Orateur donne auf carrière à fa dou-
leur, 1l gémit & fanglotte avec tout
{on auditoire. Une femme eft chargée
de la conduite de ce lugubre concert;
elle bat une forte de mefure, & tous
les afliftans fe règlent pour les gémiffe-
mens , pour les cris & pour les pofes,
fur elle : les hommes ne font ordinai-
rement que fanglotter. Cette mufique,
toute bizarre qu'elle eft , eft néanmoins
touchante, & porte la trifteffle dans
l'ame. La cérémonie finit toujours par
un repas dont le mort fait les frais; la
douleur des convives difparoît tout-à-
coup à la vue des provifions que le mort
Fe 4
440 HISTOIRE DES PÊCHES
n’avoit pas confommées; ils ne penfent
qu’à fe bien régaler. Les vifites de deuil
fe répètent tous les jours, aufli long-
temps que les provifions ne font pas
épuifées ; le temps de ces vifires eft
appelé le temps du grand Deuil. La
veuve porte ce deuil , couverte de fes
plus fales habits ; elle ne fort prefque
pas de fa hurte ; elle dit à tous ceux
qui viennent la vifiter : Celur que vous
cherchez n’eft plus 1ct; 1l ne s’en eft
allé, hélas ! que trop loin. Le deuil or-
dinaire dure plus d’un an; fa durée eft
réglée fur l’âge du mort & fur le plus
ou moins de fervices qu’il pouvuoit rendre
à fa famille. Les femmes vont pleurer
fouvent fur le tombeau du chef de la
maifon Le deuil des hommes eft marqué
quelquefois par des bleflures aflez pro-
fondes qu'ils fe font, dans les premiers
accès de leur chagrin. Les Angekoks,
ou les Devins, font toujours confultés
fur la durée du deuil. Si le défunt ne
laifle pas de parens, on ne fe met
pas mêrhe en peine de lui donner la
DANS LES MERS DU NORD. 441
fépulture ; il pourrit dans fa hutte ou
en pleine campagne.
Les Groenlandois ont une coutume
barbare ; il eft furprenant que les Mif-
fionnaires n’aient pu réuflir à la détruire.
Un enfant à la mamelle, dont la mère
meurt, eft enterré tout vivant auprés
d'elle, fi le père ou les parensne peuvent
pas lui trouver une nourrice. C’eft par
excès de tendrefle pour lui, qu'ils pré-
tendent autorifer cette barbarie. Nous
n'aurions pas le cœur de le voir fouffrir
© mourir de faim , difent-ils; & ils
ont le cœur ce le condamner à ce
fupplice! Le fort des veuves avancées
en âge , eft le même; fi elle n'a plus
de parens ou d'amis qui veuillent fe
charger d’elle , elle eft enterrée vivante
à côté de fon mari. Le fort des vieil-
lards eft plus confolant en quelque
forte. Lorfqu'un homme eft en proie
à tous les malheurs de la caducité ,
& qu'il eft dans l'indigence , fi per-
_fonne ne veut lui donner afile , on
le tranfporte dans une Ifle déferte ,
422 HISTOIRE DES PÊCHES
on !’y abandonne à fon malheureux fort.
Quelle étrange commifération que
celle qui rend l’homme cruel & bar-
bare envers fon femblable , envers fes
plus proches parens ! Les Groenlandois
font fans doute violence à la nature,
lors même qu'ils croient obéir à fes loix
éternelles. Tout ce qu'on peut dire,
pour difculper ce peuple groflier, c'eft
qu'il interprête bien à contre-fens les
loix de l'humanité.
Je crois faire plaifir à mes leéteurs ,en
donnant ici la traduétion que M. Dalager
nous a laiflée d’une de ces oraifons
funèbres dont j'ai parlé plus haut. Celle-
ci eft l’ode qu’un père de famille chante
lui-même à la mort de fon fils. La
nature la plus agrefte eft roujours ex-
preflive dans fes grands élans ; & la
naïveté avec laquelle elle s'exprime,
vaut bien tout ce que l'art oratoire a
de plus brillant & de plus recherché.
« Ah que je fuis malheureux ! J'ai
» beau te chercher de mes yeux, à
» cette place où tu r'afleyois à mes
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L»
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>»
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DANS LES MERS DU NORD. 443
cotés ; hélas elle eft vide ! Il eft donc
perdu le foin que ta mère prenoit
de fécher tes habits au retour de-
ca chafle ! Ma Joie s'eft convertie
en triftefle ; ma joie s’eft enfevelie
fous les montagnes ! Avant ta mort,
je men revenois content dans ma
hutte, le foir après avoir donné toute
la journée au travail. J’ouvrois d’a-
bord mes foibles yeux pour ty voir;
ou je t’y attendois, & me réjouiflois
d'avance de t'y voir arriver bientôt
après moi. |
» Avec quelle agilité tu maniois ton
Kajak, au moment de ton départ
pour la chafle ! Les jeunes gens, les
vieillards même te portoient envie
en admirant ton adrefle. Ta mère
allumoit la lampe, fufpendoit le chau-
deron pour faire cuire le gibier que
tu avois tué de ta main; elle invi-
croit tous les voifins à venir fe régaler
de ta pêche ; elle leur fervoit ces
mets exquis, & moi j'en avois auf
Ma part,
444 HISTOIRE DES PÊCHES
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bb)
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» C’eft toi qui appercevois au loin
le pavillon écarlatte des vaifleaux
qui approchoient de nos côtes ; tu
r'écriois avec tranfport ; voila le mar-
chand qui arrive. Tu fautois alors
dans la barque qui portoit nos mar-
chandifes, le fruit de notre travail;
tu en féparois une partie que tu
donnois à ta mère; elle avoit foin
de racler la peau des animaux dont
tu t’étois rendu maître. Tu recevois
en échange des chemifes de toile &
des outils de fer; &, de cette ma-
mère, tu recevois le prix que ton
harpon & tes flèches t’avoient mérité.
» À préfent, hélas , tout eft perdu!
Quand je penfe à toi, mes entrailles
s'émeuvent; un trouble général me
met hors de moi-même ! Si, du moins,
je pouvois pleurer comme bien d’au-
tres, mes larmes foulageroient ma
douleur.
» Qu'ai-je donc plus à defirer doré-
_navant dans ce monde ? La mort feule
peut être de quelque prix pour moi!
DANS LES MERS DU NORD. 445
Je la préfère à cout ! Mais, fi je
» MmOurOis, qui auroit foin alors de mon
» époufe & des enfans qui nous reftent?
» Je confens donc à vivre encore quel-
» que temps. Hélas ! je ferai privé pen-
» dant tout le refte de mes jours, de
» tout ce qui peut réjouir & confoler
l’homme fur la terre . .
L°4
w
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e LI 2,
446 HISTOIRE DES PÊCHES
CHU PTTIR'E RO
Événemens remarquables au Groenland.
N OUS n'avons rien d’aflez certain fur
les événemens ramarquables du Groen-
land, qui remonte avant l’année 1733.
Ce peuple fans police, fans arts, fans
fciences & fans belles-lettres, a tou-
jours manqué d'Hiftoriens, d'Écrivains,
de Savans, d’Obfervateurs en état de
tranfmectre à la poftérité les événemens
dont j’enfemble fait l’hiftoire nationale
d'un pays. Cette hiftoire n’exifte ni par
les écrits des naturels du pays, ni par
les monumens d'aucune efpèce qui aient
pu guider les Voyageurs, d’une manière
aflez sûre pour ramafler des matériaux
propres à fervir de fondemenc à l'hif-
roire du Groenland.
Les événemens dont je vais rendre
compte, font tous malheureux & bien
propres à confirmer l'opinion générale
TT
DANS LES MERS DU NORD. 447
{ur la rufticité d’une contrée dont l’af-
pet eft rebutant, le climat affreux, le
{ol ingrat & ftérile.
Les Groenlandois ne connoifloient
pas la petite vérole , avant l’année 1733;
ils en éprouvèrent alors, & dans la fuite,
les plus terribles effers. Cette épidémie
y caufa les plus grands ravages, fans
que ce malheureux peuple eüt aucun
moyen d’en arrêter le cours, ou d’en
adoucir la furie. Le projet louable que
les Miffionnaires avoient formé, de jeter
dans ce pays fauvage , les fondemens
de la civilifation , & d’y propager avec
plus de fruit, les préceptes de l’évan-
oile , donna entrée à ce fléau dans un
pays, où il n’avoit pas encore pénétré.
Tant il eft vrai que le bien & le mal
fe touchent de fi prés , que très-fouvenr
lun produit l’autre.
En 1731, on avoit fait partir pour
le Danemark fix Groenlandois, quatre
hommes faits, & deux enfans, garçon
& fille , dans la vue de jeter dans
leur cœur, les femences des mœurs
448 HISTOIRE DES PÊCHES
Européennes & des préceptes de l'évan<
gile, afin de pouvoir les faire fruétifier
dans la fuite avec plus de fuccès au
Groenland. Les hommes étoient morts
à Copenhague, les deux jeunes gens
Jeur avoienc furvécu; lorfqu'on les crut
un peu inftruits, on les renvoya dans
leur pays. La fille mourut dans la tra-
verfée, & le jeune homme arriva en
bonne fanté chez fes parens. Peu de
jours après fon arrivée , le germe de
la petite vérole fe développa ; il fut
bientôt couvert de puftuies. D'abord,
l’éruption de ces boutons ne donna
aucune alarme ; cette maladie étoit 1n-
connue dans fon pays. Îl continua à
fréquenter fes camarades & à jouer avec
eux ; il leur communiqua le venin dontil
étoit atteint, & bientôt il en fuc la
première viétime ; 1l mourut au mois
de Septembre 1733. Plufeurs de fes
camarades le fuivirent de près au tom-
beau; & dans peu, l'épidémie fit de
cruels ravages dans toute la Colonie. La
contagion fit d'autant plusde progrès ,que
les
DANS LES MERS DU NORD. 449
les Groenlandois n’en connoïifloient pas
le traitement , & qu’ils s'y expofoient
fans réferve. Les malades, dévorés par
une foif brülante, l’étanchoient avec
de la glace dont, pendant la maladie,
ils faifoient leur unique boiflon. La
mortalité s’étendit au loin, comme il
arrive toujours dans un pays où l’épi-
démie fe manifefte pour la première
fois. Les malades , fouffrant des dou-
leuts inconcevables , & qu'ils n’avoient
jamais reflenties , entroient dans une
forte de rage ; plufieurs fe donnoient
la mort avec leurs couteaux, d’autres
alloient fe jeter dans la mer pour mettre
fin à leur tourment. Un de ces malheu-
reux Groenlandois , voyant fon fils prêt
à mourir de cette cruelle maladie, affaf-
fina fa belie-fœur, dans la ferme croyance
qu’elle avoit enforcelé cet enfant, &
qu'il alloit mourir de ce fortilége. Les
Danois qui fe crouvoient alors au Groen-
land, craignirent unfoulèvementgénéral
contre eux ; on les accufoit hautement
d'être la mets de ce fléau, & d’avoir
Tome IT. po 5:
459 HISTOIRE DES PÈCHES
apporté le germe de cette maladie ; la
peur de la contagion en multiplia les
ravages. Les Groenlandois, fe perfua-
dant que c’étoit la pefte, fuyoient les
infortunés malades, les laifloient fans
aucun fecours, & même fans fépulture.
Quelques-uns s’adreffèrent au commen-
cement, au Dieu que les Européens
leur avoient fait connoître ; mais,
voyant que leurs prières n’étoient pas
exaucées , ils finirent par blafphémer
contre ce Dieu, avec une rage & un
défefpoir inconcevables. Ils ne favoient
pas, fans doute, que les defleins de
ce Dieu font impénétrables | quoique
toujours fages.
M. Eggede & les autres Miffionnaires
fe portèrent par-tout avec un zèle vrai-
ment apoftolique & infatigable. Ils ta-
chèrent , par leurs exhortations, de
ramener l’idée du vrai Dieu parmi ce
peuple défefpéré , en lui citant des
exemples frappans de fa miféricorde &
de fa providence. Ils ne trouvèrent par-
tout que Ja dévaftation & la plupart
DANS LES MERS DU NORD. 451
des habitationsiabandonnées ; ils mar-
choient fur les cadavres & fur les rom-
beaux, qu’un petit tas de pierres ou'de
neige leur indiquoit. La pâleur ; la
triftefle & le deuil étoient peints fur
les phyfonomies des miférables qui
avoient furvécu à leurs parens & à leurs
amis. Îls ne trouvèrent dans une Ifle,
qu'une feule jeune fille, couverte de
puftules , avec trois petits frères qui
fe débattoient encore contre les at-
teintes de la mort. Leur malheureux
père, après avoir donné la fépulture à
tous les habitans de l’Ifle, s’'étoit fait
un tombeau pour lui-même ; il s’yéroic
renfermé avec le plus jeune de fes en-
fans , mort de la petite vérole, & avoit
ordonné à cette fille de combler ce
tombeau de pierres , pour le mettre
lui - même à l'abri d'y être dévoré
par les Renards. Les reftes de cette
famille infortunée ne vivoient plus
qu'avec le réfidu du Hareng defléché
& d’un peu de chair de Phoques , en
attendant que la faim ou la maladie
F f:2
452 HISTOIRE DES PÊCHES
vinflent terminer leur malheureureufe
vie. |
La petite vérole étendit alors fes
ravages quarante mulles au nord, &
à-peu-près autant vers le fud; elle dura
une année entière. Les Navigateuts
Danois qui arrivèrent pour faire leur
commerce ordinaire , trouvèrent la core
déferte à plus de trente milles d'étendue;
les habitations même étoient prefque
détruites. M. Egsgede porte le nombre
des morts, dans l’efpace cité , à trois
mille. Dans lefpace de trois mois,
cinq cents Groenlandois moururent dans
un feul diftri& de huit milles d’éten-
due. Dans celui de Baals-Rivier , le
plus peuplé de tous, huit ou neuf
perfonnes feulement échappèrent à la
mort.
L'hiver de 1739 fut un des plus
rudes , il eut les fuites les plus défaf-
treufes pour les naturels du pays; äl
fut f rigoureux dès les premiers jours
qu'il fe fit fentir, que les baies du
fud furent tellement fermées par les
DANS LES MERS DU NORD. 4$3
places accumulées, que les Groenlan-
dis ne purent plus y pénétrer pour
faire leur provifion de Poiflon. Plu-
fieurs moururent de froid & de faim.
Îls manquoient d'huile pour allumer
leurs lampes qui leur fervent tour-à-la-
fois à faire cuire leurs alimens , & à
échauffer leurs tanières. Dans cette
double calamité, ils prirent la réfolu-
ion de fe réfugier chez les Européens
établis dans leur contrée. Les hommes
partirent à ce deflein ; ils étoient obligés
de marcher plufeurs jours de fuice fur
la glace , en portant leur Kajak fur leurs
épaules ; à peine trouvoient-ils de loin en
loin quelque plage d’eau fuffifante pour
recevoir leur Kajak , & leur donner ,en
naviguant dans cette frèle nacelle, le
moyen de fe délafler. Ils prièrenc les
Miflionnaires de leur donner afile, &
d'envoyer chercher fur la glace leurs
enfans & leurs femmes qui n’avoient
pu les fuivre. Les Frères Moraves les
reçurent avec humanité, leur donnèrent
tous les fecours qui étoient en leur
F£ 3
454 HISTOIRE DES PÊCHES
pouvoir , & firent partir un navire pour
allerchercherlesmalheureux qui étoient
reftés dans l’ffle. Elle étoit inabordable,
à caufe de la glace qui-en défendoit
les approches. On fut obligé, pendant
une femaine , de laifler ces infortunés
à la merci de la faim ,.ne pouvant les
approcher aflez pour leur faire, pañler
des vivres. Enfin le temps s’adoucit.un
peu, l'eau commença à reprendre fon
cours , & on ptofita de ce moment
pour les enlever & les fouftraire à une
moït certaine. Jls avoient pañlé dix
jours dans la neige, fans autre reflource
que Jeurs peaux & le cuir’ de leurs
fouliers pour fe nourrit. Un Groenlän-
dois plus hardi que fes compatriotes,
ptit la réfolution défefpérée de furmon-
ter tous les. obftacles au péril de fa
vie, pour arriver à l'Ile, & enretirer
fa femme & fes enfans; il s’'étoit muni
de deux Kajaks. Il-réuflit.:il plaça dans
lun fa fémme & le plus jeune de fes
enfans qu'elle portoit fur fes épaules;
il fe mit dans le fecond avec l’autre
DANS LES MERS DU NORD. 455
enfant qu'il attacha fur fes épaules; 11
attacha fortement les deux nacelles
enfemble , & il parvint, avec des peines
incroyables , en ramant tantôt fur l’une
tantôt fur l’autre, À délivrer fa fa-
mille, & à la conduire heureufement
à bord du navire.
L'année 1756 eft une époque ble
à laquelle la famine fit des ravages
inouis au Groenland. M. Dalanger,
Facteur Danois , étant allé cette année
a Kellingeir pour y faire le commerce
de l'huile de Poiffon, y fut témoin d’un
trait qui répugne à la nature, & qui eft
horrible À raconter. La famine y avoit
fait un rayage inoui, & avoit emporté
la plus grande partie des habitans. Uñe
jeune fille , dont les parens étoient dans
limpoñibilité de l’'alimenter , avoit été
jetée par eux dans un trou, pour s’épar-
gner , difoient-ils, le chagrin de la voir
mourir de faim. Deux jours après l'avoir
enterrée vivante, ils eurent la curtofité
d'aller voir fi elle vivoit encore; ils la
trouvèrent refpirantencore. Accablés de
Ff 4
456 HISTOIRE DES PÊCHES
chagrin ne pouvant venir à fon fecours ;
& alonger une vie qu'elle étoit fur le
point de perdre , l'amour pour leur
fille leur fit prendre une réfolution
cruelle. Afin de la délivrer des angoïifles
de la famine, ils s’avisèrent de la jeter
toute nue dans la mer. Cette malheu-
reufe fe débattant contre les flots de
ce terrible élément , y rencontra un
Sauvage : celui-ci la faifitpar commiféra-
tion, & la recira de la mer. Mais cette
bonne aétion même parut devoir lui être
plus nuifible qu'avantageufe ; fon libé-
rateur ne pouvant lui donner aucun
aliment pour appaifer la faim qui la
dévoroit | il la dépofa dans un magafin
vide , & elle fut laiffée une feconde
fois en proie aux horreurs de la famine.
C'eft.dans ce trifte & déplorable état,
que M. Dalanger trouva cette infortu-
née, maigre, épuifée , n'ayant plus
qu'un fouffle de vie, il lui procura de
Ja nourriture & des habits, & l’envoya
au Comptoir de fa Fadtorerie.
En 1757, la famine fe fit encore
DANS LES MERS DU NORD. 457
fentir dans cette contrée , de la manière
la plus cruelle. C’eft le dernier trait
de ce fléau deftruéteur, que nous cité-
rons ; les Européens n’y avoient jamais
vu autant d'infortunés qu’ils en virent
cette année. La communication des Ifles
de l’une à l’autre, & avec le continent,
avoit été abfolument fermée par les
tempêtes , les neiges, les glaçons, &
tous les autres obftacles qui font la fuite
d’un atmofphère congelé. Dès les pre-
miers jours de Mars, 1l étoit impoñlible
d’aller chercher des vivres. La plus grande
partie des enfans mourut, & ces innocen-
tes créatures reftèrent fans fépulture; on
en enterra un crès-grand nombre vivans,
pour épargner les vivres par ce moyen
eruel. Les Mifionnaires furentvivement
couchés du fort déplorable de ces in-
fortunés ; ils hafardèrent de venir à
leur fecours, & de chercher à leur
procurer : des vivres. Deux d’entre eux
partirent pour Kangek. Voici le rapport
qu'ils firent fur l’étac où ils avoienttrouvé
les Groenlandois,
458 HISTOIRE DES PÊCHES
& Nous partimes le 123 Mars ; l'air
de mer étoit prodigieufement froid ;
mais les vents fouflant aflez fort,
nous. arrivèmes heureufement à Kan-
gek., En parcourant cette Ifle, nous
apperçumes une hutte abandonnée,
faute d'huile de Poiflon néceflaire
pour faire du feu. Tout près de
cette habitation , nous trouvimes
quinze individus dans une forte de
magafn pratiqué dans la terre ; nous
y encrâmes à quatre pattes ; 1l nous
fut impoñible de nous y tenir de
bout. Ces malheureux étoient tous
couchés l'un contre l’autre, pour tà-
cher de fe réchauffer mutuellement,
car ils étoient fans feu & fans lu-
_mière. Leur foiblefle éroit extrême,
au point de ne pouvoir remuer, nt
parler. Un de nos ferviteurs fortit
pour leuraller chercher deux Poiflons.
Une jeune fille, n'ayant plus qu'un
foule de vie, fe faifñir de l'un de
ces Poiflons, le dévora tout crud,
& en avala les morceaux fans les
DANS LES MERS DU NORD. 459
mâcher.Quatreenfansdecette famille
étoient déjà morts; nous laifsàmes
à ces malheureux une partie de nos
provifions ».
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Quoique cette contrée paroifle trop
peu favorifée de la nature, &, par
là , devoir être exempte de plus grands
malheurs, néamoins l'expérience prouve
qu'elle eft fujette aux tremblemens
de terré , autre fléau qui met le comble
à fes défaftres ordinaires; en voici un
exemple: La maifon de Zrichtenfels ,
quoique d'une itrès-petite : élévation ,
dont les, murs avoient quatre pieds
d'épaifleur, fut ébranlée par un trem-
blement de terre, arrivé au mois de
Septembre. de l’année:1759. Les mai-
fons. voifines. foufliirent davantage ;
les toits en volèrent en éclats. Les
navires qui étoient à fec fur le rivage,
furent renverfés & jetés au loin par
l'ouragan; huit hommes furent empor-
tés dans la mer & y périrent. Cer orage
s’étendit très au loin ; il porta fes ra-
vages -jufque dans la Mer. Baltique &
460 HISTOIRE DES PÊCHES
jufqu'au Karepat, où plufeurs navires
furent renverfés & fubmergés. Ce dé-
faftre fut précédé & fuivi par des éclairs
épouvantables. Un de ces éclairs mit le
feu à une maifon qui en fur confumée ;
un pareil événement eut lieu la veille
de Noël à midi.
Quelque rares que foientces fortes de
calamités dans ce pays, M. Crantz parle
d'un de ces phénomènes terribles qu'il
avoit obfervés lui-même deux ans au-
paravant ; 1] s’'annonça le 21 Septembre
1757, par un vent du fud, accompagné
de pluie & de neige. On vit des éclairs
f terribles, & ferpenter avec tant de
force, que, même dans les pays les
plus chauds, on en voit rarement de
femblables : on n'en avoit jamais vu
de pareils au Groenland. Ce qu'il y
a de remarquable , c’eft que , pen-
dant tout cet orage, on n’entendit pas
un feul coup de tonnerre ; le feu de
ces éclairs, quoique très-vif, ne caufa
aucun dommage.
Voilà les événemens principaux à
DANS LES MERS DU NORD. 465
remarquer dans l’hiftoire du Groenland.
Les Hernutes s'efforcent depuis long-
temps , avec un zèle & une péine 1n-
croyables , de prêcher lévaagile aux
Groenlandois ; de leur en faire gouter
les préceptes, & d'y faire fleurir la
religion chrétienne. Ils perfiftent depuis
plufieurs années dans cette mifion pé-
nible , & reftent expofés au froid excef-
if, & aux autres incommodités de ce
pays fauvage , dans l'unique vue de
faire des profélytes. L’attachement in-
croyable des Groenlandois aux maximes
de leurs pères , a toujours été un obf-
tacle au zèle défintéreflé & digne d’é-
loges de ces refpectables Prédicateurs;
is ont retiré peu de fruit de leur mif-
fion. Ils ont fait conftruire des églifes
en plufñeurs endroits, particulièrement
au canton appélé /es nouveaux Hernutes ,
& à Lichrenfels ; cependant le nombre
des Néophites, dans l’efpace de vingt-
trois ans , montoit à peine à fept cents,
parmi lefquels 1l y avoit à peine aufli cent
foixante communians à ce même temps.
462 HISTOIRE DES PÈCHES, &c.
Ce nombre eft bien petit, relative-
ment à la totalité des habitans ; on en
comptoit dix mille, qui tous, à fept
cents près , reftoient encore opiniâtre-
ment attachés aux coutumes , aux
dogmes, aux: habitudes & aux fuperfti-
tions de leurs ancêtres.
ne ne die nan men een ne ce ee
TABLE
DES CHAPITR EF
CONTENUS DANS CE VOLUME.
Disécainon HISTORIQUE fur PISLANDE ;
la LAPONIE 8 la SAMOYEDE. Page #
CHapr. XV. Du Groenland. 09
CHap. XVL Coup - d'œil général fur la côte
occidentale du Groenland. | 155
Cap. XVII. Lieux habités par les Groenlan-
dois. Établiffemens des Danois. 185
Cap. XVIIL Du Climat & des Saifons du
Groenland. 204
OBSERVATIONS faites au Groenland , depuis
le mois d'Aoët 1761, jufqu'au méme mois
1762. 229
Cap. XIX. Olfirvations curieufes & utiles
fur les Mers du Groenland. 236
CHap. XX. Caractère moral des Groenlan-
dois, leurs Vertus & leurs Vices. 262
CHapr. XXI. Religion, ou plutôt Superfhsions
des Groenlandois. 278
CHap. XXII Moœurs particulières, Mariages,
Éducation, &c. 309
CHaP. XXII. Srarure | Conformation &
Paffions particulières des Groenlandois, 369
464 TABLE DES CHAPITRES.
Car. XXIV. Nourriture des Groenlan=
dois, Page 379
Car. XXV. Del'Habillement des Groenlan-*
dois: 392
Car. XX VI. Huttes & Tentes des Groenlan-
dois, AO
Car. XXVIL Ares & Sciences des Groen-
landois. 414
CHar. XXVIIL Maladies & Remèdes des
Groenlandois. 428
Cuar, XXIX. Des Funérailles des Groen-
landeis. 435
CHar. XXX, Événemens remarquables at
Groenland, | 446
Fin du Tome fecond,
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