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Full text of "Histoire des progrès des sciences naturelles : depuis 1789 jusqu'à ce jour"

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OEUVRES 


COMPLETES 


DE  BUFFON. 


COMPLEMENT. 

TOME    I. 


IMPRIMERIE   DE  JULES  DIDOT  l'aINK, 
IMPhlMKtlR  DU  noi, 

rue  du  Ponl-clc-Lotli,  n"  (i. 


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HISTOIRE 


DES  PROGRÉS 


DES  SCIENCES  NATURELLES, 

DEPUIS   1789  jusqu'à  CE  JOUR, 


PAR 


M.  LE  BARON  G.  GUVIER, 

CONSEILLER   d'ÉTAT  , 

SECRÉTAIRE  PERPETUEL  DE  l'aCADÉMIE  ROYALE  DES   SCIENCES, 

MEMBRE    DE    l'aCADÉMIE    FRANÇOISE, 


PROFESSEUR  AU  JARDIN  DU  ROI,  CtC. 


/ 


A  PARIS 


CHEZ  BAUDOUIN  FRÈRES,  ÉDITEURS, 

RDE  DE  VAUGIRARD,  N"    I  7  ; 

ET  CHEZ  N.  DELANGLE,  ÉDITEUR, 

RUE  DD  BATTOIR,  N°  I9. 

M.  DCCC  XXVI. 


AVERTISSEMENT 

DES  ÉDITEURS. 

Cette  première  partie  de  VHistoire  des  progrès 
des  Sciences  naturelles ,  qui  comprend  la  période 
de  1 789  à  1 808 ,  a  été  composée  vers  cette  dernière 
époque.  C'est  un  point  qu'il  est  important  de  ne 
pas  perdre  de  vue;  car  plusieurs  des  faits  ou  des 
principes  ,  annoncés  alors  comme  nouveaux  ou 
incontestables  ,  ont  depuis  éprouvé  de  notables 
changements.  Aussi  ce  tableau  ne  présente-t-il  que 
l'état  de  la  science  à  l'époque  où  il  a  été  composé. 
Dans  une  seconde  partie,  chacune  des  branches 
des  sciences  physiques  sera  reprise  à  l'époque  et 
dans  l'état  ou  elle  a  été  laissée  dans  ce  volume, 
pour  faire  connoître  tous  les  faits  nouveaux  qui 
les  ont  enrichies  et  portées  à  l'état  de  perfection 
où  nous  les  voyons  aujourd'hui. 


HISTOIRE 

DES  PROGRÈS 

DES  SCIENCES  NATURELLES. 


PREMIÈRE  PÉRIODE. 

1789  à  1808. 

Placées  entre  les  sciences  mathématiques  et  les 
sciences  morales ,  les  sciences  naturelles  commen- 
cent où  les  phénomènes  ne  sont  plus  susceptibles 
d  être  mesurés  avec  précision ,  ni  les  résultats  d  être 
calculés  avec  exactitude  ;  elles  finissent  lorsqu'il 
n  y  a  plus  à  considérer  que  les  opérations  de  l'esprit 
et  leur  influence  sur  la  volonté. 

L'espace  entre  ces  deux  limites  est  aussi  vaste 
que  fertile,  et  appelle  de  toute  part  les  travailleurs 
par  les  riches  et  faciles  moissons  qu'il  promet. 

Dans  les  sciences  mathématiques,  même  lors- 
quelles  quittent  leurs  abstractions  pour  s'occuper 
des  phénomènes  réels ,  un  seul  fait  bien  constaté 
et  mesuré  avec  précision  sert  de  principe  et  de 
point  de  départ;  tout  le  reste  est  l'ouvrage  du  cal- 
cul :  mais  les  bornes  du  calcul  sont  aussi  celles  de 


KUFFON.  COMPLEM.  T.   1. 


2  SCIENCES    PHYSIQUES. 

la  science.  La  théorie  des  affections  morales  et  de 
leurs  ressorts  s'arrête  plus  promptement  encore 
devant  cette  continuelle  et  incompréhensible  mo- 
bilité du  cœur,  qui  met  sans  cesse  toute  régie  et 
toute  prévoyance  en  défaut,  et  que  le  g;énie  seul , 
comme  par  une  inspiration  divine,  sait  diriger  et 
fixer.  Les  sciences  naturelles ,  qui  n'ont  que  le  se- 
cond rang  pour  la  certitude  de  leurs  résultats,  mé- 
ritent donc,  sans  contredit,  le  premier  par  leur 
étendue;  et  môme,  si  les  sciences  mathématiques 
ont  l'avantage  d'une  certitude  presque  indépen- 
dante de  l'observation,  les  sciences  naturelles  ont 
celui  de  pouvoir  étendre  à  tout  le  genre  de  certi- 
tude dont  elles  sont  susceptibles. 

Une  fois  sortis  des  phénomènes  du  choc,  nous 
n'avons  plus  d'idée  nette  des  rapports  de  cause  et 
d'effet.  Tout  se  réduit  à  recueillir  des  faits  particu- 
liers ,  et  à  chercher  des  propositions  générales  qui 
en  embrassent  le  plus  grand  nombre  possible.  C'est 
en  cela  que  consistent  toutes  les  théories  physiques  ; 
et,  à  quelque  généralité  qu'on  ait  conduit  chacune 
d'elles ,  il  s'en  faut  encore  beaucoup  qu'elles  aient 
été  ramenées  aux  lois  du  choc ,  qui  seules  pour- 
roient  les  changer  en  véritables  explications. 

Il  existe  cependant  quelques  uns  de  ces  principes 
ou  de  ces  phénomènes  élevés ,  déduits  de  l'expé- 
rience généralisée,  qui ,  sans  être  eux-mêmes  encore 


INTRODUCTION.  3 

expliqués  rationnellement ,  semblent  donner  une 
explication  assez  générale  et  assez  plausible  des 
phénomènes  inférieurs  pour  contenter  Tesprit , 
tant  qu'il  ne  cherche  pas  une  précision  rigoureuse 
dans  les  relations  qu'il  saisit.  Telles  sont  sur -tout 
l'attraction  et  la  chaleur  combinées  avec  les  figures 
primitives  que  l'on  peut  admettre  dans  les  molé- 
cules des  corps ,  et  que  Ion  peut  y  considérer  comme 
constantes  et  uniques  pour  chaque  substance. 

L'attraction  générale,  si  bien  établie  entre  les 
grands  corps  de  l'univers  par  les  phénomènes  as- 
tronomiques, paroit,  en  effet,  régner  aussi  entre 
les  particules  rapprochées  de  matière  qui  compo- 
sent les  différentes  substances  terrestres  ;  mais,  aux 
distances  énormes  où  les  astres  sont  les  uns  des  au- 
tres, chacun  d'eux  peut  être  considéré  comme  si 
toute  sa  matière  étoit  concentrée  en  un  point,  tan- 
dis que,  dans  l'état  de  rapprochement  des  molé- 
cules des  corps  terrestres ,  leur  figure  influe  sur 
leur  manière  d'agir,  et  modifie  puissamment  le  ré- 
sultat total  de  leur  attraction.  De  là  les  particulari- 
tés de  l'attraction  moléculaire ,  et  la  possibilité  d'at- 
tribuer d'une  manière  générale  à  son  action ,  limitée 
par  celle  de  la  chaleur  et  par  quelques  autres  causes 
analogues,  les  phénomènes  de  la  cohésion  et  ceux 
des  affinités  chimiques.  Ces  derniers  expliquent  à 
leur  tour  la  formation  des  minéraux  et  toutes  W 


4  SCIENCES    PHYSIQUES. 

altérations  de  l'atmosphère,  les  mouvements  des 
eaux  et  leur  composition.  Les  corps  vivants  eux- 
mêmes  laissent  apercevoir  clairement,  dans  une 
multitude  de  leurs  phénomènes ,  l'influence  de  l'af- 
finité qu'ont  entre  eux ,  et  avec  les  substances  exté- 
rieures, les  éléments  qui  les  composent;  et  beau- 
coup de  ces  phénomènes  n'écha])pent  peut-être 
encore  aux  explications  déduites  de  l'affinité  que 
parcequ'il  nous  échappe  aussi  plusieurs  des  sub- 
stances qui  prennent  part  aux  mouvements  multi- 
pliés delà  vie. 

Toujours  voit-on  que  ,  dans  ces  cas  compliqués, 
les  principes  dont  nous  parlons  sont  plus  propres 
à  reposer  l'imagination  qu'à  donner  une  raison 
précise  des  phénomènes,  et  que  même,  dans  les 
cas  plus  simples  où  nul  ne  peut  méconnoître  leur 
influence ,  on  est  bien  éloigné  encore  d'en  avoir  ré- 
duit l'appréciation  à  la  rigueur  des  lois  mathéma- 
tiques. 

Nous  sommes  dans  lignorance  la  plus  absolue  de 
la  figure  des  molécules  élémentaires  des  corps  ;  et 
quand  nous  la  connoîtrions,  il  seroit  impossible  à 
l'analyse  d'en  calculer  les  effets  dans  les  attractions 
à  petites  distances  qui  déterminent  les  affinités  di- 
verses de  ces  molécules. 

Par  conséquent  les  seuls  principes  généraux  qui 
paroissent  dominer  dans  les  sciences  physiques 


INTRODUCTION.  5 

sont  aussi  ce  qui  les  rend  rebelles  au  calcul ,  et  ce 
qui  les  réduira  long-temps  à  l'observation  des  faits 
et  à  leur  classement.  En  d'autres  mots ,  nos  sciences 
naturelles  ne  sont  que  des  faits  rapprochés,  nos 
théories  que  des  formules  qui  en  embrassent  un 
grand  nombre;  et,  par  une  suite  nécessaire,  le 
moindre  fait  bien  observé  doit  être  accueilU,  s'il 
est  nouveau,  puisqu'il  peut  modifier  nos  théories 
les  mieux  accréditées ,  puisque  l'observation  la  plus 
simple  peut  renverser  le  système  le  plus  ingénieux , 
et  ouvrir  les  yeux  sur  une  immense  série  de  dé- 
couvertes dont  nous  séparoit  le  voile  des  formules 
reçues. 

C'est  là  ce  qui  donne  aux  sciences  naturelles  leur 
caractère  particulier,  et  ce  qui,  ôtant  du  champ 
qu'elles  parcourent  tout  obstacle  et  toute  limite,  y 
promet  des  succès  certains  à  tout  observateur  rai- 
sonnable qui ,  ne  s'élevant  point  à  des  suppositions 
téméraires ,  se  borne  aux  seules  routes  ouvertes  à 
l'esprit  humain  dans  son  état  actuel  ;  mais  c'est  aussi 
là  ce  qui  multiplie,  comme  nous  l'avons  dit,  au- 
delà  de  toute  mesure,  les  travaux  particuliers  qui 
méritent  d'entrer  dans  cette  histoire. 

Le  genre  de  certitude  qui  résulte  de  l'observation 
bien  faite  s'applique ,  en  effet ,  à  tout  ce  qui  est  ob- 
servable ;  et  comme  les  tables  astronomiques ,  rédi- 
gées seulement  d'après  les  remarques  long- temps 


6  SCIENCES    PHYSIQUES. 

continuées  des  astronomes ,  constitueroient  déjà 
une  science  très  importante,  quand  même  New- 
ton n'auroit  pas  créé  l'astronomie  physique,  nous 
avons  aussi,  sur  tous  les  objets  naturels,  depuis  la 
simple  agrégation  des  molécules  d'un  sel,  jusqu'aux 
mouvements  les  plus  compliqués  des  animaux  ,  jus- 
qu'à leurs  sensations  les  plus  délicates,  des  espèces 
de  tables  moins  précises  à  la  vérité,  et  dont  sur-tout 
les  principes  rationnels  sont  encore  loin  d'être  dé- 
couverts, mais  dont  la  partie  empirique,  ou  pure- 
ment expérimentale,  ne  s'en  perfectionne  et  ne 
s'en  étend  pas  moins  chaque  jour. 

Au  reste,  si  nous  continuons  à  rapporter  ainsi 
toutes  nos  sciences  physiques  à  l'expérience  géné- 
ralisée ,  ce  n'est  pas  que  nous  ignorions  les  nou- 
veaux essais  de  quelques  métaphysiciens  étrangers 
pour  lier  les  phénomènes  naturels  aux  principes  ra- 
tionnels, pour  les  démontrer  à  priori,  ou,  comme 
ces  métaphysiciens  s'expriment,  pour  les  soustraire 
à  la  conditionnalité. 

Il  n'entre  pas  dans  notre  plan  de  nous  occuper 
de  cette  partie  générale  et  purement  métaphy- 
sique; nous  n'avons  à  parler  ici  que  des  applica- 
tions particulières  que  Ton  en  a  faites  aux  divers 
ordres  de  phénomènes,  depuis  le  galvanisme  et 
l'affinité  chimique  jusqu'à  la  production  des  êtres 
oiganisés  et  aux  lois  qui  les  régissent  :  nous  ne  pou- 


INTRODUCTION.  -y 

vons  lions  empêcher  de  déclarer  que  nous  n'y  avons 
vu  qu'un  jeu  trompeur  de  Fesprit,  où  Ton  ne  sem- 
ble faire  quelques  pas  qu'à  l'aide  d'expressions  figu- 
rées prises  tantôt  dai\s  un  sens  et  tantôt  dans  un 
autre,  et  où  l'incertitude  de  la  route  se  décèle  bien 
vite,  quand  ceux  qui  s'y  donnent  pour  guides  ne 
connoissent  pas  d'avance  le  but  où  ils  prétendent 
qu'elle  conduit.  En  effet  la  plupart  de  ceux  qui  se 
sont  livrés  à  ces  recherches  spéculatives,  ignorant 
les  faits  positifs,  et  ne  sachant  pas  bien  ce  qu'il  fal- 
loit  démontrer,  sont  arrivés  à  des  résultats  si  éloi- 
gnés du  vrai  qu'ils  suffiroient  pour  faire  soupçon- 
ner leur  méthode  de  démonstration  d'être  bien 
fautive. 

Nous  n'ignorons  pas  non  plus  que  la  plupart  de 
ces  métaphysiciens ,  faisant  abstraction  de  toute 
idée  de  matière,  se  bornent  à  considérer  les  forces 
qui  agissent  dans  les  phénomènes ,  et  que  les  corps 
eux-mêmes  ne  sont  à  leurs  yeux  que  les  produits 
de  ces  forces  :  mais  ce  n'est  au  fond  qu'une  diffé- 
rence d'expression  qui  n'apporte  aucun  change- 
ment dans  les  théories  spéciales  ;  et  ceux  même  qui 
croient  ces  subtilités  métaphysiques  utiles  pour  ac- 
coutumer à  l'abstraction  l'esprit  des  jeunes  gens, 
et  pour  l'exercer  à  tous  les  artifices  de  la  dialectique , 
conviennent  qu'elles  n'ont  point  d'influence  dans 
l'histoire  et  l'explication  des  phénomènes  positifs, 


8  SCIENCES    PHYSIQUES. 

et  que  l'emploi  du  lang^age  ordinaire  y  est  sans  in- 
convénient. 

Laissant  donc  de  côté  les  vains  efforts  que  Ton  a 
faits,  dans  tous  les  siècles,  pour  procurer  aux  ob- 
jets qui  nous  entourent  et  aux  apparences  qu'ils 
manifestent  un  autre  genre  de  certitude  que  celui 
qui  peut  résulter  de  l'expérience,  et  nous  en  tenant 
à  celle-ci,  autant  qu'elle  est  gouvernée  par  les  lois 
d'une  saine  logique ,  qui  seules  lui  sont  supérieures, 
nous  allons  parcourir  son  vaste  domaine  dans  l'or- 
dre de  simplicité  et  de  généralité  des  faits  qu  elle 
nous  présente. 

Prenant  pour  guide  celui  de  tous  les  phénomènes 
que  nous  avons  dit  être  le  plus  général  et  exercer 
sur  les  autres  l'influence  la  plus  universelle,  nous 
considérerons  d'abord  l'attraction  moléculaire  dans 
ses  effets  les  plus  simples,  dans  les  lois  auxquelles 
elle  est  soumise,  et  dans  les  modifications  qu'elle 
éprouve  de  la  part  des  autres  principes  généraux. 
La  théorie  des  cristaux  et  celle  des  affinités  com- 
menceront donc  cette  histoire,  et  avec  d'autant  plus 
d'avantage  que  ce  sont  deux  sciences  entièrement 
nouvelles ,  et  nées  dans  la  période  dont  nous  avons 
à  rendre  compte. 

Passant  ensuite  aux  combinaisons  et  décompo- 
sitions que  les  affinités  produisent  entre  les  diverses 
substances  simples,  soit  dans  nos  laboratoires,  soit 


INTRODUCTION.  9 

au-dehors,  nous  tracerons  l'histoire  de  la  chimie, 
dont  la  météorologie,  l'hydrologie,  et  la  minéralo- 
gie sont  en  quelque  sorte  des  dépendances. 

Mais  il  faudra  bientôt  après  considérer  le  jeu 
des  affinités  dans  ces  corps  d'une  forme  plus  ou 
moins  compliquée ,  dont  l'origine  n'est  point  con- 
nue, et  dont  la  composition  est  loin  encore  de  l'être  ; 
dans  les  corps  organisés,  en  un  mot,  où  l'action 
simultanée  de  tant  de  substances  entretient,  au 
milieu  d'un  mouvement  continuel,  une  constance 
d'état,  objet  éternel  de  notre  étonnement,  et  borne 
peut-être  à  jamais  insurmontable  pour  toutes  les 
forces  de  notre  esprit. 

L'anatomie,  la  physiologie,  la  botanique,  et  la 
zoologie  s'occupent  de  ces  êtres  merveilleux ,  et 
forment  des  sciences  tellement  unies  par  des  rap- 
ports nombreux  que  leurs  histoires  seront  presque 
inséparables. 

Les  circonstances  les  plus  favorables  au  dévelop- 
pement, à  la  propagation,  et  à  la  vie  des  espèces 
utiles,  et  les  altérations  de  l'ordre  de  leurs  fonc- 
tions ,  c'est-à-dire  les  maladies ,  qui  elles-mêmes 
sont  soumises  à  un  certain  ordre  dont  on  peut  sai- 
sir les  lois,  forment,  à  cause  de  leur  importance 
pour  la  société,  l'objet  de  deux  sciences  particu- 
lières, bases  de  l'agriculture  et  de  l'art  de  guérir. 

C'est  par  leur  histoire  et  par  celle  des  arts  qui  en 


lO  SCIENCES    PHYSIQUES. 

dépendent  que  nous  terminerons  cet  exposé  des 
progrès  des  sciences  naturelles.^  ajoutant  seule- 
ment en  quelques  mots  l'indication  des  principaux 
avantages  qu'ont  retirés  de  ces  progrès  les  arts  plus 
matériels. 

La  plupart  des  gouvernements  se  croient  le  droit 
de  ne  voir  et  de  n'encourager  dans  les  sciences  que 
leur  emploi  journalier  aux  besoins  de  la  société  ;  et 
sans  doute  le  vaste  tableau  que  nous  avons  à  tracer 
pourroit  ne  leur  paroître,  comme  au  vulgaire, 
qu'une  suite  de  spéculations  plus  curieuses  qu'u- 
tiles. 

Mais  les  bommes  instruits,  que  n'aveuglent  pas 
de  vains  préjugés,  savent  parfaitement  que  toutes 
ces  opérations  de  pratique,  sources  des  commodités 
de  la  vie,  ne  sont  que  des  applications  bien  faciles 
des  théories  générales,  et  qu'il  ne  se  découvre  dans 
les  sciences  aucune  proposition  qui  ne  puisse  être 
le  fferme  de  mille  inventions  usuelles. 

CT 

On  peut  dire  aussi  que  nulle  vérité  physique 
n'est  indifférente  aux  agréments  de  la  société, 
comme  nulle  vérité  morale  ne  l'est  à  l'ordre  qui 
doit  la  régir.  Les  premières  ne  sont  pas  même  étran- 
gères aux  bases  sur  lesquelles  reposent  Fétat  des 
peuples  et  les  rapports  politiques  des  nations:  l'a- 
narchie féodale  subsisteroit  peut-être  encore,  si  la 
poudre  à  canon  n'eût  changé  l'art  de  la  guerre  ;  les 


IINTRODUCTION.  I  I 

deux  mondes  seroient  encore  séparés  sans  Tait^uille 
aimantée;  et  nul  ne  peut  prévoir  ce  que  devien- 
droient  leurs  rapports  actuels,  si  l'on  parvenoit  à 
suppléer  aux  denrées  coloniales  par  des  plantes  in- 
digènes. 

Mais ,  sans  nous  jeter  dans  ces  hautes  conjec- 
tures, en  parcourant  un  moment  les  procédés  des 
arts,  nous  verrons  aisément  qu'il  n'en  est  aucun 
qui  n'ait  ressenti  jusque  dans  ses  moindres  détails 
l'influence  Jjienfaisante  des  découvertes  scientifi- 
ques qui  ont  illustré  notre  période. 

Puissions-nous  donc  peindre  dignement  ce  grand 
ensemble  d'efforts  et  de  succès  !  puissions-nous  pré- 
senter dans  leur  véritable  jour  à  l'autorité  suprême 
ces  hommes  respectables  sans  cesse  occupés  d'é- 
clairer leurs  semblables  et  d'élever  l'espèce  humaine 
à  ces  vérités  générales  qui  forment  son  noble  apa- 
nage, et  d'où  découlent  tant  d'applications  utiles! 
Cet  espoir  seul  nous  soutiendra  dans  la  longue  et 
pénible  carrière  où  nous  nous  trouvons  engagé. 


PREMIÈRE  PARTIE. 


CHIMIE  GÉNÉRALE. 

Théorie  de  la  Cristallisation. 

De  tous  les  phénomènes  que  rattraction  molé- 
culaire produit,  le  plus  immédiat,  le  plus  sensible, 
et  celui  qui  se  rapproche  le  plus,  à  quelques  égards, 
de  cette  simplicité  qu'exigent  les  applications  des 
mathématiques,  c'est  la  cristallisation  des  substances 
homogènes,  ou  Tunion  de  leurs  molécules  selon  cer- 
taines lois,  pour  constituer  ces  corps  d'une  figure 
polyèdre  déterminée,  que  Ton  nomme  des  cristaux. 

La  partie  de  ce  phénomène  qui  tient  aux  divers 
arrangements  que  ces  molécules  prennent  entre 
elles  est  devenue,  dans  les  mains  de  l'un  de  nos  con- 
frères, M.  Haiiy,  l'objet  d'une  science  tout  entière. 

Depuis  long-temps  on  savoit  que  plusieurs  sels, 
plusieurs  pierres,  affectent,  jusqu'à  un  certain 
point,  des  formes  constantes  dans  chaque  espèce. 
On  avoit  même  observé  qu'un  cube  de  sel  marin, 
par  exemple,  se  compose  de  la  réunion  d'une  infi- 
nité de  cubes  plus  petits. 

Néanmoins  un  premier  embarras  naissoit  de  ce 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  l3 


que  d'autres  sels,  d autres  pierres,  se  présentent 
aussi  sous  des  formes  infiniment  variées,  et  qui  ne 
paroissoient  pas  faciles  à  ramener  à  une  origine 
unique. 

Un  minéralogiste  françois,  Rome  de  Tlsle  %  fit  en 
I  "7^2  un  premier  pas,  mais  bien  foible  encore,  vers 
la  vérité. 

Ayant  rassemblé  et  décrit  un  grand  nombre  de 
cristaux  différents  de  cliaque  substance,  il  recon- 
nut dans  presque  tous  une  forme  générale  propre 
à  chaque  espèce,  et  dont  il  est  aisé  de  déduire 
toutes  les  autres  formes,  en  supposant  que  ses  an- 
gles ou  ses  arêtes  sont  tronquées  plus  ou  moins 
profondément. 

Mais  les  cristaux,  comme  tous  les  minéraux, 
croissent  parceque  de  nouvelles  couches  les  enve- 
loppent: on  ne  peut  donc  supposer  que  la  nature, 
après  leur  avoir  donné  leur  forme  primitive,  leur 
enlève  ensuite  leurs  parties  saillantes ,  pour  les 
tailler  en  quelque  sorte  en  cristaux  secondaires. 

I^e  célèbre  chimiste  suédois  Bergman ,  de  son 
côté,  avoit  fait  un  pas  de  plus,  et  l'avoit  dû  au  ha- 
sard \  Un  de  ses  élèves,  M.  Gahn,  s'aperçut  qu'un 
cristal  secondaire,  le  spath  à  double  pyramide  par 

'  Essai  de  Cristallographie,  etc.;  i"  édit. ,  Paris,  1772,  i  vol. 
m-8''  ;  2*  édit.,  1783,  4  vol. 

^  De  la  forme  des  cristaux  ;  Mém.  d'Upsal,  1773. 


l4  SCIENCES    PHYSIQUES. 

exemple,  se  laisse  aisément  casser  en  lames  régu- 
lièrement posées  les  unes  sur  les  autres,  et  que,  si 
Ton  enlève  successivement  les  lames  extérieures,  on 
finit  par  arriver  à  un  noyau  central,  qui  est  préci- 
sément la  forme  générale  et  primitive  conimune  à 
tous  les  spaths  calcaires. 

Cette  remarque  étoit  applicable  à  tous  les  cris- 
taux :  la  pratique ,  nommée  clivage  par  les  joailliers , 
montroit  qu  en  effet  tous  les  cristaux  pierreux  sont 
composés  de  lames,  et  une  expérience  aisée  en  ap- 
prenoit  autant  pour  les  sels. 

Mais  Bergman  se  trompa  dès  qu'il  voulut  éten- 
dre la  découverte  de  Gahn.  Au  lieu  d'observer  im- 
médiatement la  disposition  des  lames  dans  les 
cristaux  des  autres  espèces,  il  voulut  l'imaginer,  et 
n'arriva  à  rien  de  précis. 

M.  Haûy  est  donc  le  seul  véritable  auteur  de  la 
science  mathématique  des  cristaux.  Le  hasard  lui 
fit  faire  un  jour  la  même  remarque  qu'à  Gahn, 
sans  qu'il  eût  été  informé  de  celle  du  Suédois,  et  il 
sut  en  tirer  un  tout  autre  parti  '.  Un  cristal  secon- 
daire, dit-il ,  ne  diffère  donc  de  son  noyau  que  par- 
ceque  les  lames  qui  enveloppent  celui-ci  diminuent 
de  largeur,  selon  certaines  proportions  régulières; 
et  les  divers  cristaux  d'une  même  espèce,  formés 

'  Essai  d'une  théorie  de  la  structure  des  cristaux;  Paris,  1784, 
1  vol.  in-8". 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  l5 

tous  sur  un  noyau  semblable,  diffèrent  les  uns  des 
autres,  parceque  le  décroissement  des  lames  s'est 
fait  dans  chacun  d  eux  selon  des  proportions  et  des 
directions  différentes. 

Mais  chaque  lame,  supposée  la  plus  mince  pos- 
sible, peut  être  considérée  comme  une  couche  des 
molécules  de  la  substance  placée  côte  à  côte  et  for- 
mant des  compartiments  réguliers. 

Chaque  lame  nouvelle  sera  donc  moindre  que  la 
précédente,  si  elle  a  une  ou  plusieurs  ranjjées  de 
molécules  de  moins,  soit  sur  ses  bords,  soit  sur  ses 
angles  ;  et  en  supposant  que  toutes  les  lames  suc- 
cessives diminuent  suivant  la  même  loi,  il  doit  ré- 
sulter des  espèces  d'escaliers  représentant  pour 
l'œil  des  surfaces  nouvelles  qui  modifient  la  forme 
primitive,  et  qui  sont  précisément  ce  que  Rome 
de  risle  appeloit  des  troncatures. 

Mais,  toute  lumineuse  que  cette  théorie  parois- 
soit,  M.  Hatiy  ne  s'est  point  contenté  de  ces  généra- 
lités: suivant  l'exemple  de  tous  ceux  qui  ont  vérita- 
blement servi  les  sciences,  il  a  confirmé  sa  théorie 
en  montrant  qu'elle  explique  réellement  d'une  ma- 
nière rigoureuse  les  phénomènes  connus,  et  quelle 
prévoit  avec  précision  les  phénomènes  possibles. 

Pour  cet  effet  il  a  déterminé ,  par  l'analyse  ou 
cassure  mécanique,  et  par  une  mesure  exacte  des 
angles,  les  formes  des  noyaux  et  des  molécules  élé- 


r6  SCIENCES    PHYSIQUES. 

jiientaires  de  tous  les  cristaux  connus  ;  puis ,  au 
moyen  d'un  calcul  trigonométrique,  il  a  montré 
qu'en  admettant  un  nombre  assez  borné  de  lois  de 
décroissement,  et  en  les  combinant  ensemble  de 
diverses  manières,  on  peut  en  faire  dériver  un 
nombre  déterminé ,  mais  très  considérable ,  de 
formes  secondaires  possibles.  Examinant  enfin  les 
formes  secondaires  découvertes  jusqu'à  présent 
dans  la  nature,  il  a  fait  voir  qu'elles  rentrent  toutes 
dans  celles  que  les  éléments  précédents  démontrent 
possibles  pour  cbaque  espèce. 

C'est  ainsi  que  M.  Hatiy ^  a  créé  lensemble  et 
les  détails  d'une  science  nouvelle,  qui  appartient 
presque  tout  entière  à  l'époque  dont  nous  devons 
tracer  l'histoire,  et  qui  est  d'autant  plus  satisfai- 
sante ,  d'autant  plus  honorable  pour  l'esprit  hu- 
main, qu'elle  n'a  rien  d'hypothétique  ni  de  vague, 
et  que  tout  y  est  déterminé  par  une  heureuse  réu- 
nion du  calcul  et  de  l'observation  immédiate. 

Deux  cas  seulement  offrent  quelque  chose  d'arbi- 
traire. Le  premier  est  celui  des  cristaux  à  noyau 
prismatique  :  la  division  mécanique  n'y  donne 
point  par  elle-même  la  proportion  de  la  hauteur 
du  prisme  à  la  largeur  de  sa  base;  mais  on  admet 
alors  celle  qui  satisfait  aux  formes  secondaires  con- 

'   Traite  de  Minéralogie,  par  M.  Haiiy;  Paris,  i8oi,  4  "vol.  in-8"  et 
atlas  in-'4°- 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  17 

nues,  au  moyen  des  lois  de  décroisseraent  les  plus 
simples. 

Le  second  est  celui  où  les  joints  naturels  des 
lames  se  multiplient  assez  pour  intercepter  des 
espaces  de  diverses  figures  :  probablement  alors  les 
uns  sont  seuls  occupés  par  des  molécules  solides; 
les  autres  sont  des  vides  ou  des  pores  :  mais  on  ne 
sait  auxquels  attribuer  cette  qualité.  Au  reste  c'est 
une  cbose  indifférente,  pourvu  qu'il  y  ait  toujours 
un  noyau  constant. 

Quant  à  la  cause  qui  détermine  dans  chaque 
variété  telle  loi  de  décroissement  plutôt  que  telle 
autre,  elle  est  encore  couverte  d'un  voile  épais. 

Feu  Leblanc  étoit  bien  parvenu  à  faire  cristalli- 
ser à  volonté  l'alun  sous  la  forme  primitive  d'oc- 
taèdre, ou  sous  la  forme  secondaire  de  cube,  en 
saturant  plus  ou  moins  '. 

Mais  il  ne  paroît  point  que  les  formes  secondaires 
des  autres  sels  dépendent  ainsi  des  proportions  de 
leurs  composants,  et  les  innombrables  variétés  de 
spath  calcaire  n'ont  donné  aucune  différence  sen- 
sible à  l'analyse  qu'en  a  faite  M.  Vauquelin. 

Indépendamment  de  cet  intérêt  général  que  la 
science  des  cristaux  offre  à  l'esprit  en  sa  qualité  de 
doctrine  précise  et  démontrée,  son  utilité  directe 

'    Essai  sur  quelques  phénomènes  relatifs  à  la  cristallisation  des 
i,e\s;'Journ.  de  Phjs.,  t.  XXVIII,  p.  34i- 

BUFFON.  COrvîPLÉM.    T.  I.  2 


l8  SCIENCES    PHYSIQUES. 

pour  la  connoissaiice  des  minéraux  est  très  grande  : 
elie  leur  fournit  des  caractères  faciles  à  saisir  ;  elle  a 
souvent  aidé  à  en  distinguer  que  Ton  confondoit, 
et  plusieurs  fois  elle  a  précédé  à  cet  égard  l'analyse 
chimique.  Nous  verrons,  à  Farticle  de  la  minéra- 
logie ,  l'heureux  emploi  qu'en  a  fait  M.  Haûy  pour 
éclairer  cette  science  importante. 

On  a  élevé  dans  ces  derniers  temps  la  question 
si  une  même  substance  doit  avoir  constamment  la 
même  molécule  primitive  et  le  même  noyau  ;  et 
l'on  a  cité  l'exemple  de  l'arragonite,  qui  cristallise 
tout  différemment  du  spath  calcaire,  quoique  la 
chimie  trouve  les  mêmes  principes  dans  l'un  et 
dans  l'autre,  malgré  tous  les  soins  que  M.  Vauque- 
lin  et  plus  récemment  encore  MM.  Biot  etThenard 
ont  donnés  à  leur  comparaison  analytique  et  à  celle 
de  leur  force  réfractive. 

Mais  peut-être  cette  difficulté  se  résoudra-t-elle 
ou  par  la  découverte  de  quelque  nouveau  principe 
chimique,  ou  parceque  l'on  s'apercevra  que  des 
circonstances  passagères  ont  influé  sur  la  cristalli- 
sation ,  comme  il  y  en  a  qui  influent  sur  les  combi- 
naisons, ainsi  que  nous  le  dirons  bientôt  d'après 
M.  BerthoUet,  ou  parcequ'enfin  le  parallélipipéde 
rhomboïde,  regardé  jusqu'à  présent  comme  la  mo- 
lécule primitive  du  spath,  doit  lui-même  être  sub- 
divisé en  molécules  d'une  autre  forme.  On  conçoit 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  I9 

en  effet  que,  lorsqu'on  trouve  de  nouveaux  joints 
dans  un  cristal ,  on  est  obligé  d'en  conclure  une 
autre  forme  pour  ses  molécules,  et  qu'alors  celles-ci 
peuvent  constituer  des  noyaux  ou  formes  primitives 
qu'on  n'avoit  pas  calculées  d'abord. 

Ce  sont  là,  comme  on  voit,  des  difficultés  qui 
tiennent  à  l'imperfection  momentanée  de  l'obser- 
vation ,  et  qui  n'affectent  en  rien  les  principes  fon- 
damentaux de  la  science. 

Théorie  des  affinités. 

Les  combinaisons  des  substances  diverses  et 
leurs  séparations,  ou  ce  que  l'on  nomme  le  jeu  des 
affinités,  sont  un  autre  effet  de  l'attraction  molé- 
culaire beaucoup  plus  varié  et  jusqu'à  présent 
beaucoup  plus  obscur  que  la  cristallisation,  quoi- 
qu'on fait  étudié  beaucoup  plus  tôt. 

On  s'en  faisoit  il  y  a  très  peu  d'années  encore 
des  idées  extrêmement  simples.  Deux  substances 
différentes,  dissoutes  et  mélangées,  s'unissent  en 
un  composé  binaire,  mais  homogène,  qui  mani- 
feste des  qualités  différentes  de  celles  des  substances 
composantes  :  voilà  ce  que  l'on  nommoit  affinité. 
Une  troisième  substance  mise  dans  cette  dissolution 
s'empare  de  l'une  des  deux  premières ,  et  laisse  pré- 
cipiter l'autre  :  c'est,  disoit-on ,  qu'elle  a  avec  la  pre- 


20  SCIENCES    PHYSIQUES. 

mière  plus  d'affinité  que  n'en  avoit  la  seconde. 
Essayant  ainsi  toutes  les  substances  par  rapport  à 
une  seule,  on  les  avoit  rangées  d'après  leur  plus  ou 
moins  d'affinité  pour  celle-ci  :  c'étoit  la  table  des 
affinités.  Chaque  substance  choisiroit  dans  un 
grand  nombre  celle  pour  qui  elle  auroit  le  plus 
d'affinité,  et  l'attireroit  de  préférence  :  de  là  le  nom 
d'affinités  électives.  On  ne  peut  détruire  une  combi- 
naison binaire  que  par  une  substance  qui  ait  avec 
l'un  de  ses  deux  éléments  une  affinité  plus  forte 
qu'ils  n'en  ont  ensemble  ;  mais ,  si  cette  affinité  pour 
le  premier  est  trop  foible,  on  peut  l'aider  en  don- 
nant à  la  substance  décomposante,  pour  auxiliaire, 
une  quatrième  substance  qui  agisse  sur  la  seconde 
du  premier  composé.  Alors  les  deux  composés  bi- 
naires ,  tirés  en  quelque  sorte  chacun  en  deux  sens , 
se  décomposent  à-la-fois  pour  en  reformer  deux 
nouveaux,  ou,  en  d'autres  termes,  ils  font  un 
échange  de  leurs  bases;  ce  qui  se  reconnoît  quand 
l'un  de  ces  deux  composés  nouveaux  se  précipite  ou 
se  dégage  en  vapeur:  voilà  ce  qu'on  appeloit  affi- 
nités doubles.  Il  pouvoit  y  en  avoir  de  triples,  etc. 

Ces  idées,  ainsi  vaguement  énoncées,  n'avoient 
pu  échapper  long- temps  aux  anciens  chimistes, 
puisqu'elles  résultent  plus  ou  moins  immédiatement 
de  tous  les  phénomènes  de  la  chimie,  et  qu'elles  en 
donnent  à-peu-près  la  solution  générale. 


CHIMIE  GÉNÉRALE.  21 

Le  François  Geoffroy  ^  imagina  le  premier  de 
réduire  les  affinités  en  tables;  et  celte  heureuse 
idée,  éclaircie  et  développée  par  Senac  et  par  Mac- 
quer,  devint  le  principe  fondamental  de  tous  les 
travaux  des  chimistes. 

Bergman  sur-tout,  par  des  recherches  assidues 
que  guidoit  un  génie  élevé,  avoit  fait  des  affinités 
un  corps  de  doctrine  extrêmement  séduisant,  et 
qui  sembloit  démêler  et  représenter  clairement  la 
marche  des  phénomènes  les  plus  compliqués. 

Cependant  on  négligeoit  une  foule  de  considé- 
rations importantes  ;  on  admettoit  au  moins  taci- 
tement plusieurs  suppositions  évidemment  erro- 
nées, et  Ton  confondoit  sous  un  même  nom  plu- 
sieurs effets  très  différents.  Ainsi ,  quoique  Ion 
connût  l'influence  de  la  chaleur  et  de  quelques 
autres  circonstances  extérieures  pour  altérer  l'ordre 
des  affinités,  on  n'en  avoit  point  fait  d'application 
générale  ni  à  cet  ordre  même  ni  à  la  proportion  des 
éléments  de  chaque  combinaison  ;  Ton  regardoit 
à-peu-près  celles-ci  comme  constantes;  dans  les 
décompositions  par  affinité  simple  on  supposoit 
que  la  substance  intervenante  s'empare  entière- 
ment de  l'élément  qu'elle  attire,  pour  laisser  l'autre 
entièrement  libre;  enfin,  dans  les  décompositions 
par  affinités  doubles,  on  croyoit  pouvoir  toujours 

'   Mémoires  Je  l'Académie  des  Sciences  pour  1718. 


22  SCIENCES    PHYSIQUES. 

déterminer  la  formation  des  deux  nouveaux  com- 
posés et  leur  séparation  par  un  calcul  rigoureuse- 
ment appréciable  des  affinités  prises  deux  à  deux. 

C'est  contre  cette  doctrine  trop  absolue  que  s'est 
élevé  M.  Bertbollet  dans  plusieurs  mémoires  et  dans 
son  f^rand  ouvrage  de  la  Statique  cliimique,  où  il  a 
en  quelque  sorte  imposé  des  lois  toutes  nouvelles  aux 
affinités  en  leur  créant  une  véritable  théorie'. 

Il  a  commencé  par  faire  voir  que  les  précipita- 
tions ne  fournissent  que  des  indices  très  équivoques 
de  la  supériorité  d'affinité,  et  ne  tiennent,  dans 
le  cas  des  affinités  simples  comme  dans  celui  des 
affinités  doubles,  qu'à  la  moindre  dissolubilité  de 
l'une  des  combinaisons  définitives.  Cette  remarque 
a  conduit  M.  Bertbollet  à  examiner  la  force  par  la- 
quelle les  molécules  des  solides  tiennent  ensemble 
et  résistent  à  leur  dissolution.  C'est  ïajfinité  de  co- 
hésion qui  unit  les  molécules  de  même  nature  et 
qui  opère  la  cristallisation  :  loin  d'être  identique 
avec  \ affinité  de  combinaison ^  qui  tend  à  former  un 
composé  homogène  des  molécules  de  nature  diffé- 
rente, elle  s'oppose  à  son  action  et  la  contre-balance; 
elle  paroîtagirau  contact  des  molécules  seulement 
et  dépendre  de  leurs  surfices  et  de  leur  figure,  tan- 
dis que  l'affinité  de  combinaison,  s'exerçant  à  quel- 

'    Essai  lie  .Siatiquc  rliiniiqne,  par  C  1j    Bertholîet  ;  Paris,  j8o3, 
2  vol.  in-8". 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  23 

que  distance,  laisse  moins  d'influence  à  ces  modifi- 
cations pour  en  donner  davantage  à  la  masse.  G  est 
ainsi,  selon  Tingénieuse  comparaison  de  M.  de 
Laplace,  que  dans  les  phénomènes  astronomiques 
les  corps  très  éloignés  n'agissent  les  uns  sur  les 
autres  que  par  leur  masse,  que  l'on  peut  considérer 
comme  réduite  en  un  point,  tandis  qu'il  faut  avoir 
égard  à  la  figure  dans  les  attractions  des  corps  plus 
rapprochés. 

Passant  ensuite  à  l'examen  de  l'affinité  de  com- 
binaison elle-même,  qui  ne  s'exerce,  comme  on 
sait,  qu'entre  des  substances  dissoutes  ou  au  moins 
broyées  ensemble,  M.  Berthollet  a  vu  dans  cette 
propriété  d'agir  à  distance  la  source  d'une  foule  de 
variations  dans  sa  force. 

Ainsi  la  quantité  relative  d'une  substance  qui  ne 
change  point  la  cohésion  influe  sur  les  affinités. 
Les  molécules  semblent  s'aider  mutuellement;  et 
telle  matière  qui  n'agiroit  point  sur  une  autre,  si 
elle  ne  lui  étoit  présentée  que  dans  une  certaine 
quantité,  exerce  de  l'action  quand  elle  devient  plus 
abondante.  La  quantité  influe  sur  le  pouvoir  de 
décomposer  comme  sur  celui  de  dissoudre. 

Tout  ce  qui  peut  écarter  ou  rapprocher  les  mo- 
lécules peut  changer  les  affinités  de  combinaison  : 
de  là  l'influence  de  la  chaleur,  de  la  pression,  du 
choc ,  de  la  tendance  à  l'élasticité  ou  à  l'efflores- 


24  SCIENCES    PHYSIQUES. 

cence,  pour  opérer  des  unions  ou  des  séparations. 

Il  faudroit  donc  autant  de  tables  d'affinité  diffé- 
rentes qu'il  pourroit  y  avoir  de  changements  dans 
ces  diverses  circonstances;  et  il  n'y  a  peut-être  pas 
de  variation  imaginable  dans  les  affinités  que  l'on 
ne  parvînt  à  effectuer,  si  l'on  étoit  le  maître  de  faire 
varier  à  son  gré  ces  circonstances  accessoires.  Cha- 
que substance  pourroit  devenir  susceptible  de  se 
combiner  à  toute  autre  dans  une  multitude  de  pro-  ' 
portions  différentes.  M.  Berthollet,  par  exemple, 
a  réussi  à  saturer  complètement  les  alcalis  d'acide 
carbonique  en  s'aidant  de  la  pression. 

Il  n'y  a  non  plus  presque  jamais  de  séparation 
absolue  dans  les  décompositions  quand  elles  ré- 
sultent du  contact  d'une  troisième  substance;  mais 
il  s'y  fait  ordinairement  un  partage  de  l'une  des 
trois  avec  les  deux  autres,  selon  la  force  des  affi- 
nités que  donnent  respectivement  à  celles-ci  tant 
leur  propre  nature  que  l'ensemble  des  circonstances 
étrangères  que  nous  venons  d'énoncer.  Ainsi  les 
précipités  sont  des  combinaisons  variables  qui 
exigent  une  analyse  particulière:  aussi  verrons- 
nous  que  la  plupart  des  analyses  ont  besoin  d'être 
revues. 

Pour  remplacer  à  quelques  égards  cet  ancien 
ordre  des  affinités,  M.  Berthollet  considère  les  rap- 
ports des  substances  entre  elles  sous  un  point  de 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  25 

vue  nouveau  qu'il  nomme  capacité  de  saUiratlon  :  il 
entend  par  ces  mots  la  quantité  qu'il  faut  de  l'une 
à  l'autre  pour  être  complètement  saturée,  c'est-à- 
dire  pour  que  ses  propriétés  soient  entièrement 
masquées  dans  la  combinaison.  lia  reconnu  avec 
MM.  Richter  '  et  Guyton''  que  c'est  une  force  con- 
stante, et  que  s'il  faut,  par  exemple,  à  une  base 
deux  fois  plus  d'un  certain  acide  qu'à  une  autre 
pour  être  saturée ,  il  lui  faudra  aussi  pour  cela 
deux  fois  plus  de  tout  autre  acide,  et  réciproque- 
ment. 

Ainsi,  selon  M.  Berthollet,  il  n'y  a  point  d'affi- 
nité élective  absolue  ;  l'affinité  n'est  qu'une  ten- 
dance [générale  d'un  corps  à  s'unir  à  d'autres,  dont 
la  force,  par  rapport  à  chacun  de  ceux-ci,  se  me- 
sure par  la  quantité  qu'il  peut  en  saisir,  et  augmente 
avec  sa  propre  quantité  :  cette  force  continueroit 
d'agir,  lorsqu'on  mêle  trois  ou  plusieurs  corps,  si 
elle  n'étoit  contre-balancée  par  des  forces  opposées , 
comme  l'indissolubilité  de  l'une  des  combinaisons 
résultantes,  ou  sa  plus  grande  tendance  à  cristalli- 
ser ou  à  se  vaporiser,  ou  enfin  à  effleurir;  ce  sont 
ces  dernières  causes  qui  produisent  les  séparations 
ou  décompositions,  et  celles-ci  ne  sont  point  des 

'   Stéchiométrie  de  Richter,  sect.  i,  p.  12^. 

^  Mémoire  sur  les  Tables  de  composition  des  sels,  etc.;  Mémoires 
de  l'Institut,  sciences  mathématiques  et  physiques,  t.  II,  p.  326. 


26  '  SCIENCES    PHYSIQUES. 

effets  inimëcliats  de  iaffinité:  enfin  la  chaleur  et  la 
pression  sont  à  leur  tour  deux  causes  opposées  entre 
elles,  qui  font  varier  dans  différents  sens  Iaffinité 
elle-même ,  aussi  bien  que  les  tendances  qui  lui 
sont  contraires,  et  qui  influent  par  ce  moyen  sur 
les  résultats  définitifs. 

On  ju(}e  aisément  que  M.  Berthollet  n'a  pu  s'é- 
lever à  des  idées  si  générales  et  si  neuves  sans  por- 
ter son  attention  sur  une  foule  de  phénomènes 
chimiques,  et  sans  y  faire  une  multitude  de  décou- 
vertes de  détail.  Nous  en  verrons  une  partie  dans 
la  suite  de  ce  rapport. 

Indépendamment  de  leur  vérité  intrinsèque  ces 
vues  ont  l'avantage  d'expliquer  beaucoup  de  phé- 
nomènes qui  échappoient  à  la  théorie  reçue;  elles 
ont  sur-tout  celui  de  rattacher  plus  étroitement  la 
chimie  au  grand  système  des  sciences  physiques, 
tandis  que  la  simple  considération  de  l'affinité  et 
l'exclusion  donnée  tacitement  aux  forces  ordinaires 
de  la  nature  sembloient  laisser  cette  science  dans 
l'état  d'isolement  où  ses  créateurs  lavoient  mise. 
Le  chimiste,  obligé  désormais  d'avoir  égard  à  tant 
de  circonstances  accessoires  et  d'en  mesurer  la 
force  pour  en  calculer  les  effets,  ne  pourra  plus  se 
dispenser  detre  physicien  et  géomètre.  C'est  une 
garantie  de  plus  de  la  certitude  des  découvertes 
futures. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  -27 

agents  cliimiques  impondérables. 

Parmi  ces  circonstances,  dont  les  diverses  inten- 
sités font  varier  les  affinités  chimiques,  il  en  est 
qui  paroissent  tenir  à  des  principes  d'une  nature 
tellement  particulière  que  l'on  n'a  point  encore 
décidé  généralement  s'ils  sont  vraiment  matériels  et 
s'ils  ne  consistent  pas  dans  un  mouvement  intestin 
des  corps.  Toujours  est-il  sûr  que  nous  n'avons  au- 
cun moyen  de  les  peser  et  d'en  apprécier  la  masse  ; 
nous  ne  pouvons  pas  même  les  contenir,  les  diri- 
(jer  ou  les  transporter  entièrement  à  notre  gré  : 
mais  chacun  d'eux  est  assujetti  dans  ses  mouve- 
ments à  des  lois  invariables,  auxquelles  il  faut  que 
nous  nous  soumettions  nous-mêmes  quand  nous 
voulons  en  faire  usage. 

Peut-être  le  nombre  de  ces  agents  chimiques  im- 
pondérables est-il  plus  grand  qu'on  ne  croit;  peut- 
être  même  est-ce  de  ceux  qui  nous  sont  encore 
cachés  que  dépendra  un  jour  l'exphcation  d'une 
multitude  de  phénomènes  de  la  nature,  sur-tout 
de  la  nature  vivante,  aujourd'hui  incompréhen- 
sibles pour  nous:  mais  jusqu'à  présent  on  n'est 
parvenu  à  en  distinguer  que  trois;  la  lumière  et  la 
chaleur,  qui  sont  connues  de  toute  antiquité,  et 
l'électricité,  qu'on  n'a  bien  caractérisée  que  dans  le 
dix-huitième  siècle. 


28  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Le  principe  de  l'aimant  ressemble  à  beaucoup 
d'ég;ards  aux  trois  autres;  mais  on  ne  lui  a  encore 
reconnu  aucune  action  cbimique  distincte. 

Que  la  lumière  soit  un  simple  mouvement  de 
lether,  ou  un  corps  particulier,  ou  l'un  des  élé- 
ments de  la  matière  de  la  cbaleur,  ou  enfin  un 
certain  état  de  cette  matière,  car  toutes  ces  opi- 
nions ont  été  avancées,  les  lois  de  sa  transmission 
sont  depuis  lon^r-temps  déterminées  par  les  mathé- 
maticiens, et  il  ne  reste  de  découvertes  à  faire  que 
dans  leur  application  aux  arts. 

Mais  son  action  chimique  est  beaucoup  moins 
connue,  quoique  l'on  sache  positivement  qu'elle 
en  exerce  une  assez  forte  non  seulement  sur  les 
corps  vivants,  comme  nous  le  dirons  ailleurs,  mais 
encore  sur  les  substances  mortes,  et  en  particulier 
sur  les  couleurs  et  sur  quelques  acides  ou  oxydes 
métalliques  qu'elle  aide  à  dépouiller  de  leur  oxy- 
gène. Elle  dégage  même  l'acide  muriatique  du  mu- 
riate  d'argent. 

La  nature  du  lien  qui  unit  la  lumière  et  la  cha- 
leur dans  les  rayons  solaires  a  été  l'objet  de  grandes 
disputes  et  de  longues  recherches. 

M.  Herschel  a  remarqué  que  les  différents  rayons 
ne  donnent  ni  la  même  clarté  ni  la  même  chaleur, 
et  que  ces  deux  actions  ne  suivent  pas  le  même 
ordre.  Ceux  du  milieu  du  spectre  éclairent  davan- 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  29 

tage;  mais  leur  force  échauffante  va  en  augmentant 
du  violet  au  rouge.  Ce  célèbre  astronome  assure 
même  qu'il  se  produit  encore  une  chaleur  plus 
forte  au-delà  du  rouge  et  en-dehors  des  limites  du 
spectre. 

D'un  autre  côté  MM.  Piitter ,  Bœckmann ,  et 
Wollaston  vont  jusqu'à  avancer  qu'il  y  a  encore 
une  troisième  sorte  de  rayons  auxquels  appartient 
la  propriété  de  désoxygéner,  et  qu'ils  suivent  un 
ordre  inverse,  augmentant  de  force  du  côté  du 
violet  et  s'étendant  au-delà  et  hors  du  spectre 
comme  les  rayons  échauffants  du  côté  opposé.  Mais 
ces  expériences  sont  encore  contestées  par  d'ha- 
biles physiciens. 

Enfin  il  est  plusieurs  hommes  de  mérite  qui 
pensent  que  les  rayons  solaires  ne  produisent  de  la 
chaleur  que  par  quelque  influence  chimique  qu'ils 
exercent  en  traversant  l'atmosphère,  et  qui  croient 
avoir  besoin  de  cette  hypothèse  pour  expliquer  le 
grand  froid  des  hautes  montagnes. 

Quant  à  la  chaleur  en  elle-même ,  on  conçoit 
qu'elle  a  dû  être  étudiée  de  bonne  heure,  puisque 
son  pouvoir  de  changer  les  affinités  des  substances 
entre  elles,  ainsi  que  celui  de  dilater  tous  les  corps 
et  d'en  écarter  les  molécules,  sont  les  moyens  les 
plus  actifs  de  la  nature  pour  entretenir  à  la  surface 
de  notre  globe  le  mouvement  et  la  vie. 


3o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

ïi  est  vrai  que  tous  les  travaux  dont  elle  a  été 
l'objet  n'ont  pas  encore  établi ,  d'une  manière  plus 
démonstrative  que  pour  la  lumière,  sa  qualité 
d'être  matérielle  ;  mais  ils  n'en  ont  pas  moins  fait 
connoître  dans  ces  derniers  temps,  relativement  à 
ses  diverses  sources,  aux  lois  de  sa  propagation, 
aux  différentes  modifications  qu  elle  fait  subir  aux 
corps,  et  à  celles  qu'elle  subit  elle-même,  une  foule 
de  faits  de  première  importance  qui  constituent  une 
science  pour  ainsi  dire  entièrement  nouvelle,  et 
dont  les  physiciens  de  la  première  moitié  du  dix- 
buitième  siècle  se  faisoient  à  peine  une  idée. 

Nous  venons  de  parler  de  sa  source  principale, 
les  rayons  du  soleil;  nous  traiterons  ailleurs  de  la 
combustion  et  des  diverses  décompositions  chimi- 
ques qui  en  produisent  aussi  une  grande  quantité. 
Il  ne  nous  reste  donc  à  rappeler  ici  que  sa  naissance 
par  le  frottement. 

M.  le  comte  de  Rumford  a  montré  que  c'en  est 
une  source  pour  ainsi  dire  intarissable;  et  ses  expé- 
riences à  cet  égard  sont  au  nombre  des  plus  fortes 
preuves  que  l'on  puisse  alléguer  en  faveur  de  l'opi- 
nion qui  ne  fait  de  la  chaleur  qu'un  mouvement 
vibratile  des  molécules  des  corps  '. 

La  propriété  la  plus  apparente  de  la  chaleur  une 

'   Essais  politiques,  économiques,  et  philosophiques  ;  Genève,  1 799, 
2  vol.  in-8". 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  3l 

lois  manifestée  consiste  à  se  distribuer  entre  les 
corps  jusqu'à  ce  qu'ils  exercent  tous  une  action 
éj^ale  sur  le  thermomètre  :  c'est  ce  qu'on  appelle 
propagation  de  la  c/ialeur  libre.  Prise  ainsi  en  géné- 
ral ,  elle  est  connue  de  tous  les  temps  ;  mais ,  en  exa- 
minant de  près  sa  direction  et  son  plus  ou  moins 
de  facilité  de  transmission ,  l'on  a  découvert  des  lois 
de  détail  extrêmement  intéressantes. 

Mariotte  avoit  indiqué  depuis  îon[j-temps  la  dis- 
tinction de  la  chaleur  rayonnante,  qui  se  transmet 
en  li.o^ne  droite  au  travers  de  l'air  ou  du  vide,  et  de 
la  chaleur  engagée,  qui  pénètre  plus  irrégulière- 
ment et  plus  lentement  dans  la  substance  des  corps, 
à-peu-près  comme  l'eau  pénètre  dans  une  matière 
spongieuse.  Il  avoit  fait  voir  que  la  chaleur  rayon- 
nante, même  obscure,  se  réfléchit  comme  la  lu- 
mière, en  frappant  les  corps  polis,  mais  qu'elle  ne 
traverse  pas  le  verre. 

Scheele  a  développé  plus  nouvellement  le  même 
ordre  de  faits  '  ;  il  a  remarqué  que  si  l'on  noircit  les 
surfaces  qui  repoussoient  la  chaleur,  ou  qu'on  les 
rende  sombres  ou  rudes,  elles  la  reçoivent  promp- 
tement  et  la  changent  en  chaleur  engagée. 

Les  expériences  de  ces  deux  physiciens  ont  été 
confirmées  par  celles  de  M.  Pictet  '. 

'   Traité  chimique  de  l'air  et  tlu  feu,  traduct.  franc.,   i  vol.  in-i2. 
*   Essai  de  Physique,  par  M.  A.  Pictet  ;  Genève,  1790,  i  vol.  in-8". 


32  SCIENCES    PHYSIQUES. 

M.  le  comte  de  Rumforcî  '  en  a  fait  récemment 
qui  prouvent  que  ces  qualités  de  surface  qui  aident 
les  corps  à  prendre  de  la  chaleur  les  aident  aussi 
à  perdre  celle  qu'ils  ont,  et  qu'en  général  la  facilité 
de  donner,  comme  celle  de  recevoir,  est  inverse  du 
pouvoir  de  réfléchir.  On  devoit  s'y  attendre  en  ef- 
fet, puisque  autrement  l'équilibre  de  la  chaleur  ne 
pourroit  s'établir  entre  les  corps. 

M.  de  Rumford  a  imaginé  pour  ces  expériences 
un  instrument  qu'il  a  nommé  t/iermoscope ,  et  qui 
est  propre  à  faire  apercevoir  les  moindres  diffé- 
rences de  chaleur.  C'est  un  tube  de  verre  horizon- 
tal ,  dont  les  deux  extrémités  sont  redressées  et 
terminées  par  des  boules.  Tout  l'appareil  est  plein 
d'air,  et  le  milieu  du  tube  horizontal  contient  une 
bulle  de  liquide  coloré.  On  ne  peut  échauffer  Fair 
de  l'une  des  boules  sans  que  la  bulle  soit  chassée 
vers  l'autre,  et  elle  est  si  sensible  que  l'approche 
de  la  main  suffit  pour  la  faire  marcher. 

M.  Leslie  obtenoit  de  son  côté  les  mêmes  résul- 
tats en  Angleterre  avec  un  instrument  à-peu-près 
semblable,  qu'il  nomme  thermomètre  différentiel. 
Ces  expériences  nous  apprennent  que  beaucoup 
d'enveloppes  et  d'enduits  accélèrent  le  refroidisse- 
ment, au  lieu  de  le  retarder. 

Un  corps  plus  échauffé  que  l'air  où  il  se  trouve 

'   Mémoires  sur  la  Chaleur;  Paris,  i8o4,  ï  vol.  in-8". 


CHIMIE    GKINÉRALE.  33 

perd,  par  le  rayonnement,  une  partie  déterminée 
de  chaleur  dans  chaque  portion  de  temps. 

C'est  une  ancienne  loi  fixée  par  Newton ,  et  con- 
firmée par  Lambert,  que  dans  des  intervalles  égaux 
le  refroidissement  se  fait  en  progression  géomé- 
trique. 

La  chaleur  engagée  dans  un  corps  s'y  répand 
plus  ou  moins  facilement,  et  en  sort  plus  ou  moins 
promptement,  selon  la  nature  intime  du  corps. 
Une  barre  de  métal,  échauffée  par  un  bout,  l'est 
bien  vite  à  l'autre;  on  peut  au  contraire  tenir 
impunément  l'extrémité  d'un  bâton  qui  brûle  par 
l'extrémité  opposée.  C'est  ce  que  l'on  nomme  des 
corps  bons  et  mauvais  conducteurs  de  la  chaleur; 
distinction  fort  ancienne ,  dont  Richman  s'étoit 
occupé,  que  Frankfin  et  Ingenhouz  ont  dévelop- 
pée, et  d'après  laquelle  ils  ont  cherché  les  premiers 
à  comparer  les  corps  entre  eux  avec  quelque  pré- 
cision. 

En  supposant  une  barre,  bonne  conductrice, 
plongée  par  un  bout  dans  un  foyer  d'une  chaleur 
constante,  et  suspendue  dans  de  l'air  plus  froid, 
la  chaleur  se  distribuera  sur  sa  longueur  suivant 
une  certaine  loi  que  M.  Biot  '  a  calculée  et  vérifiée 
par  l'expérience.  Des  thermomètres  dont  les  dis- 
tances étoient  en   progression  arithmétique  sont 

'   Bulletin  des  Sciences,  nriessidor  an  i2,  n''  88. 

BUFFOX.    COMPLÉM.   T.   l.  3 


34  SCIENCES    PHYSIQUES. 

montés  suivant  une  progression  géométrique  dé- 
croissante. Cette  régie  donne  un  moyen  de  cal- 
culer la  chaleur  du  foyer,  quelque  violente  qu'elle 
soit,  d'après  celle  de  quelque  endroit  de  la  barre 
où  elle  diminue  assez  pour  être  mesurable.  Lam- 
bert s'étoit  aussi  occupé  de  cette  question;  mais  il 
l'avoit  envisagée  sous  d'autres  rapports,  et  il  na- 
voit  pas  mis  la  même  exactitude  dans  ses  expé- 
riences. 

La  distribution  de  la  cbaleur  dans  les  liquides 
et  les  fluides  n'a  pas  lieu  de  la  même  manière  que 
dans  les  solides. 

M.  de  Rumfort  a  fait  voir,  par  des  expériences 
multipliées,  que  leurs  molécules  ne  se  transmettent 
entre  elles  que  très  difficilement  la  chaleur  qu  elles 
ont  acquise,  et  qu'une  masse  liquide  ou  fluide  ne 
prend  une  température  uniforme  qu'autant  que 
chacune  de  ses  molécules,  après  s'être  échauffée 
par  le  contact  immédiat  du  foyer,  se  déplace  pour 
en  laisser  venir  d'autres  s'échauffer  à  leur  tour; 
c'est  ordinairement  leur  dilatation  qui  les  déplace, 
en  les  rendant  plus  légères  et  en  les  élevant. 

Les  conséquences  de  ce  fait  dans  tous  les  arts  qui 
emploient  la  chaleur,  dans  l'économie  domestique, 
l'architecture,  les  vêtements,  sont  très  grandes;  et 
M.  de  Puimford  les  a  poursuivies  avec  une  patience 
et  une  sagacité  qui  ne  le  sont  pas  moins. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  35 

Notre  projn^e  corps  prend  part,  comme  les  au- 
tres, à  cette  distribution  gcQérale  de  la  chaleur 
libre,  en  même  temps  qu'il  dégage  constamment 
de  la  chaleur  nouvelle;  mais  les  impressions  qui 
résultent  poiir  nos  sens  des  changements  qui  lui 
arrivent  en  ce  genre  sont  très  infidèles.  En  général 
la  sensation  que  nous  appelons  le  chaud  n'indique 
pas  toujours  que  nous  recevons  de  la  chaleur  du 
dehors ,  mais  seulement  que  nous  en  perdons  moins 
dans  un  instant  donné  que  dans  l'instant  immédia- 
tement précédent:  la  sensation  du  froid  indique  le 
contraire.  De  là  les  impressions  différentes  que  nous 
donnent  les  corps  de  diverses  capacités,  ou  plus  ou 
moins  conducteurs,  ou  enfin  l'air  libre  comparé  à 
l'air  en  mouvement,  quoique  échauffés  tous  au 
même  degré  ;  de  là  aussi  l'inlluence  des  diverses 
sortes  de  vêtements.  M.  Seguin  a  le  premier  bien 
développé  cette  idée  '. 

L'effet  le  plus  anciennement  connu  de  la  cha- 
leur libre  sur  les  corps  qu'elle  pénètre  est  de  les 
dilater  par  degrés  en  s'y  accumulant  jusqu'à  ce 
qu'elle  leur  fasse  changer  d'état,  et  de  les  dilater 
indéfiniment  lorsqu'ils  sont  une  fois  à  l'état  élas- 
tique, bien  entendu  tant  qu'elle  ne  les  décompose 
pas.  En  effet,  quoique  nous  n'ayons  pas  les  moyens 
de  faire  changer  d'état  à  tous  les  corps,  il  est  pro- 

'   Annales  de  Chimie,  l.  VIII,  p.  183. 

3. 


36  SCIENCES    PHYSIQUES. 

bable  que  c'est  faute  de  pouvoir  augmenter  ou 
diminuer  la  chaleur  à  notre  gré.  Déjà  Buffon  a 
volatilisé  par  le  miroir  ardent  For  et  l'argent,  qui 
restent  fixes  aux  feux  ordinaires  de  nos  fourneaux  ; 
et  M.  Fourcroy  assure  avoir  fait  cristalliser  par  un 
froid  de  4o°  lammoniaque,  Falcohol ,  et  lether, que 
Ton  navoit  point  vus  geler  jusque-là. 

En  ne  considérant  que  la  simple  dilatation,  on 
trouve  à  établir  encore  des  lois  particulières  d'au- 
tant plus  importantes  que  la  justesse  des  mesures 
thermométriques  en  dépend. 

On  peut  faire  en  effet  des  thermomètres  solides, 
liquides  ou  élastiques.  On  a  observé  que  les  liquides 
ne  se  dilatent  pas  tous  à  proportion  des  quantités 
de  chaleur  qu'ils  reçoivent.  Plus  ils  approchent  de 
l'instant  de  la  vaporisation,  plus  leur  dilatation 
croît  rapidement.  Ceux  qui  y  arrivent  le  plus  tard 
sont  donc  les  meilleurs  thermomètres  pour  les  de- 
grés élevés.  De  là  la  qualité  précieuse  du  mercure. 
M.  Deluc  l'a  constatée  le  premier  '  par  des  mélanges 
d'eau  de  chaleur  différente.  M.  Gay-Lussac  vient 
de  la  confirmer  en  comparant  les  dilatations  du 
mercure  à  celles  de  l'air. 

Les  liquides  éprouvent  aussi  de  l'irrégularité 
lorsqu'ils  approchent  de  leur  congélation.  L'eau, 

'   Recherches  sur  les  modifications  de  l'atmosphère;  Paris,   1762, 
et  seconde  édition,  lyS.j-  4  ^^^-  in-S". 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  87 

par  exemple,  que  la  gelée  dilate,  commence  à 
éprouver  cette  dilatation  un  peu  avant  le  moment 
où  elle  se  gèle  :  ainsi  ce  n'est  pas  à  o  du  thermo- 
mètre, mais  à  quelques  degrés  au-dessus,  que  l'eau 
est  à  son  maximum  de  densité.  L  académie  de  Flo- 
rence lavoit  remarqué  il  y  a  long-temps.  M.  Le- 
fèvre-Gineau  a  constaté,  lorsqu'il  s'est  agi  de  fixer 
l'étalon  des  poids,  que  ce  maximum  est  à  quatre 
degrés  quatre  dixièmes  (centigrades);  et  M.  de 
Rumford  l'a  confirmé  depuis  par  des  expériences 
d'un  autre  genre. 

D'autres  liquides,  et  sur-tout  le  mercure,  éprou- 
vent un  effet  contraire;  ils  se  contractent  forte- 
ment à  l'approche  de  la  congélation,  ainsi  que  l'a 
fait  voir  M.  Gavendish.  Ceux  qui  gèlent  le  plus 
tard,  comme  l'esprit- de-vin,  sont  donc  à  préférer 
pour  la  mesure  du  froid. 

Les  thermomètres  solides  prennent  le  nom  de 
pyromètres  quand  ils  sont  employés  à  mesurer  de 
très  hauts  degrés  de  chaleur.  La  difficulté  n'est  que 
de  les  placer  sur  une  échelle  qui  ne  se  dilate  point; 
car  autrement  on  ne  pourroit  savoir  de  combien  ils 
ont  varié.  C'est  ce  qu'on  cherche  à  faire  en  réunis- 
sant une  harre  de  métal  à  une  échelle  d'argile  cuite: 
MM.  Guyton  et  Brongniart  s'occupent  de  cet  in- 
strument, qui  seroit  bien  important  pour  les  arts 
qui  emploient  le  feu.  En  attendant  le  succès  de 


38  SCIENCES    PHYSIQUES. 

leurs  expériences,  on  y  supplée  imparfaitement  en 
comparant,  comme  Ta  imaginé  Wedgwood,  le  re- 
trait que  prennent  des  morceaux  d'argile  homogène 
exposés  aux  divers  degrés  de  feu. 

Depuis  long-temps  on  a  voit  essayé  des  thermo- 
mètres d'air:  il  avoitdonc  fallu  faire  des  recherches 
sur  la  dilatabilité  de  ce  fluide;  et  Amontons  l'avoit 
anciennement  portée  à  un  tiers  de  son  volume, 
pour  l'intervalle  de  la  glace  à  l'eau  bouillante.  On 
avoit  depuis  fait  des  expériences  semblables  sur  les 
autres  gaz;  mais  les  parcelles  d'humidité  qu'on 
avoit  négligé  d'enlever  avoient  occasion é  de  fortes 
erreurs.  M.  Dalton,  en  Angleterre',  et  M.  Gay- 
Lussac,  à  Paris  %  viennent  de  les  répéter  sur  tous 
les  fluides  élastiques,  en  empêchant  l'humidité  de 
s'introduire  dans  les  vaisseaux;  et  ils  sont  arrivés 
l'un  et  l'autre  à  ce  résultat  inattendu,  que,  quelle 
(jue  soit  la  nature  du  fluide,  il  se  dilate  d'une  quan- 
tité totale,  égale,  pendant  (ju'il  monte  de  la  tem- 
pérature de  la  glace  à  celle  de  l'eau  bouillante,  et 
(ju'il  acquiert  un  peu  plus  du  tiers,  ou  plus  exac- 
tement 0,375  de  son  volume  primitif.  M.  Gay-Lus- 
sac  a  prouvé  de  plus  que  les  vapeurs  sont  soumises 
à  la  même  loi. 

Coumic  l'abondance  de  la  chaleur,  ou  sa  priva- 

'    Bulletin  des  Science»,  ventôse  an  11,  n"  72. 
"^    Ibifl.,  thermidor  an  10,  n"  65. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  3g 

tion,  dilate  les  corps  ou  les  resserre,  on  peut  réci- 
proquement, en  les  dilatant  ou  en  les  comprimant 
par  des  moyens  mécaniques,  leur  faire  absorber 
ou  restituer  une  quantité  de  chaleur  plus  ou  moins 
considérable.  Tout  récemment  encore,  M.  Berthol- 
let  a  fait  voir  que,  pour  les  solides,  la  chaleur  pro- 
duite est,  pour  ainsi  dire,  proportionnelle  à  la 
compression.  Beaucoup  plus  anciennement,  Gul- 
len,  Wilke,  avoient  montré  qu'on  refroidit  en  fai- 
sant le  vide;  Darwin,  que  la  même  chose  a  lien  si 
on  laisse  dilater  de  Fair  comprimé  :  il  étoit  à  croire 
que  le  contraire  arriveroit,  si  l'on  comprimoit  de 
l'air  qui  ne  le  fût  point.  En  effet  on  produit  même 
de  la  lumière  quand  la  compression  est  subite.  Un 
ouvrier  de  Saint-Étienne  en  a  fait  l'observation  avec 
un  fusil  à  vent.  M.  Mollet,  de  Lyon,  s'est  servi  de 
ce  moyen  pour  allumer  de  l'amadou  '  ;  et  M.  Biot, 
pour  faire  détonner  un  mélange  d'hydrogène  et 
d'oxygène  ^  Cette  dernière  expérience  a  de  l'intérêt 
pour  la  chimie,  en  ce  qu'elle  opère  la  formation  de 
l'eau  sans  le  concours  de  l'électricité. 

Mais,  de  tous  les  phénomènes  relatifs  à  la  cha- 
leur, que  l'âge  présent  a  fait  connoître,  il  n'en  est 
point  de  plus  intéressants,  ni  qui  aient  plus  influé 
sur  tout  l'ensemble  des  sciences  physiques,  que  ces 

'    Hulletin  des  Sciences,  prairial  an  i  2,  n"  87. 
^   Ibid.,  frimaire  an  r3,  n"  93. 


4o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

apparitions  et  ces  disparitions  subites  cle  clialeur 
qui  arrivent  quand  les  corps  se  fondent  ou  se  va- 
porisent, ou  quand  ils  reviennent  de  ietat  de 
fusion  ou  de  celui  de  vapeur  à  leur  solidité  pri- 
mitive. 

On  croyoit  autrefois,  avec  Boerhaave  et  tous 
ceux  qui  s'étoient  occupés  de  la  mesure  de  la  cha- 
leur, qu'à  même  volume  et  à  même  pesanteur  tous 
les  corps  qui  marquent  le  même  degré  au  thermo- 
mètre en  ont  la  même  quantité. 

Piichman  et  Kraft,  académiciens  de  Pétersbourg, 
commencèrent,  vers  le  milieu  du  dix -huitième 
siècle,  à  proposer  les  motifs  qu'ils  avaient  de  dou- 
ter de  cette  opinion  ;  et  c'est  peut  -  être  à  cette 
époque  qu'il  faut  placer  la  première  origine  du 
grand  système  des  nouvelles  découvertes  sur  la 
chaleur. 

Black,  qui  conçut  des  idées  semblables  à-peu- 
près  vers  le  même  temps ,  démontra ,  dans  ses  le- 
çons particulières,  à  Glascow,  cette  proposition 
capitale,  que,  chaque  fois  qu'un  corps  se  fond  ou 
se  vaporise,  il  disparoît  subitement  une  portion 
considérable  de  chaleur,  qui  devient  ce  qu'il  nomma 
latente,  comme  si  elle  se  cachoit,  en  s'unissant  plus 
intimement  avec  les  molécules  du  corps,  au  lieu 
de  rester  entre  elles  libre  et  active  sur  le  thermo- 
mètre. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  ^l 

Quand  le  corps  reprend  son  état  primitif,  cette 
chaleur  se  reproduit;  et  ces  effets  ont  lieu  lorsque 
la  fusion,  la  vaporisation  ou  la  fixation,  s'opèrent 
en  vertu  d'affinités  chimiques ,  tout  comme  lors- 
qu'elles sont  immédiatement  dues  à  l'accumulation 
ou  à  la  déperdition  de  la  chaleur. 

Par-là  se  trouvèrent  expliqués  non  seulement 
la  constance  du  degré  de  la  glace  fondante  et  de 
l'eau  bouillante,  mais  encore  les  froids  artificiels 
et  quelquefois  excessifs  qui  résultent  de  la  disso- 
lution de  certains  sels. 

Fahrenheit  avoit  essayé  il  y  avoit  long-temps  de 
ces  mélanges  frigorifiques. 

MM.  Lowitz  et  Walker  en  ont  fait  nouvellement 
un  grand  nombre,  et  ont  observé  que  le  plus  re- 
froidissé-mt  de  tous  est  celui  de  muriate  de  chaux 
avec  de  la  neige. 

Black  ne  s'arrêta  point  à  ces  premières  décou- 
vertes ,  toutes  brillantes  qu'elles  étoient  :  mêlant 
ensemble  deux  liquides  différents  diversement 
échauffés,  ou  plongeant  un  solide  dans  un  liquide, 
il  vit  que  le  superflu  du  plus  chaud  ne  se  partage 
ni  selon  le  volume  ni  selon  la  masse,  et  que  le 
degré  définitif  est  tantôt  plus  haut  tantôt  plus  bas 
qu'on  n'auroit  dû  s'y  attendre,  d'après  ce  qui  se 
passe  dans  des  mélanges  de  même  espèce;  ou,  en 
d'autres  termes,  qu'il  faut,  pour  élever  des  corps 


42  SCIENCES    PHYSIQUES. 

diFléreiits  lVuu  mênie  nombre  de  degrés,  des  quan- 
tités de  chaleur  plus  ou  moins  fortes  selon  leurs 
espèces,  propriété  qu'il  appela  capacité  plus  ou 
moins  grande  pour  la  chaleur. 

Il  résulte ,  en  effet ,  de  ces  expériences ,  que 
chaque  corps  retient,  selon  son  espèce,  une  cer- 
taine proportion  de  chaleur  qui  n'agit  point  sur  le 
thermomètre;  par  conséquent  que,  dans  tous  les 
états,  les  corps  d'espèce  différente  qui  marquent  le 
même  degré  peuvent  différer  beaucoup  par  leur 
chaleur  totale. 

Mais,  pendant  que  les  découvertes  de  Black  res- 
toient  concentrées  dans  son  école,  le  Suédois  AVilke 
travailloit  avec  succès  sur  le  même  sujet,  d'après 
une  méthode  un  peu  différente:  il  nommoit  cha- 
leurs spécifiques  les  quantités  respectivement  néces- 
saires aux  divers  corps,  pour  les  élever  tous  d'un 
même  nombre  de  degrés  '. 

Ces  différences  de  capacité  ou  de  chaleur  spéci- 
fique expliquant  un  grand  nomlire  de  productions 
de  chaleur  ou  de  froid  qui  ont  lieu  lors  des  com- 
binaisons chimiques,  celles  qui  résultent  des  chan- 
gements d'état  n'étant  elles-mêmes  que  des  cas 
particuliers  de  cette  loi  générale,  on  conçut  promp- 
tement  combien  il  devenoit  important  d'en  avoir 
une  mesure  exacte  pour  tous  les  corps. 

'   Académie  des  Sciences  de  Stockholm,  1781,  quatrième  trimestre; 
et  Journal  de  Physique,  1786,  t.  XXV^I,  p.  2.56. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  4^ 

Black  et  son  disciple  ïrwine  y  procédoient, 
comme  nous  venons  de  le  dire,  en  mêlant  des  corps 
différents,  et  en  calculant  d'après  la  chaleur  défini- 
tive. Leur  méthode  est  embarrassante,  et  ne  peut 
servir  pour  les  corps  qui  ont  une  action  chimique 
les  uns  sur  les  autres. 

Wilke  employoit  un  moyen  plus  simple  et  plus 
(jénéral,qui  consiste  à  mesurer  la  quantité  de  neige 
que  chaque  corps  fond  en  se  refroidissant  d'un  de- 
gré à  un  autre;  mais  son  appareil  étoit  inexact  et 
incommode. 

M.  Delaplace  '  en  a  imaginé  un  beaucoup  plus 
parfait,  où  la  glace  dont  la  fusion  doit  servir  de 
mesure  est  enveloppée  par  d'autre  glace  qui  arrête 
la  chaleur  extérieure.  Il  est  devenu,  sous  le  nom 
de  calorimètre,  l'un  des  plus  essentiels  de  la  nou- 
velle chimie. 

On  est  arrivé  ainsi  à  avoir  des  tables  de  plus  en 
plus  exactes  de  ces  capacités  :  Kirwan,  Grawford, 
Bergman,  Lavoisier  et  M.  Delaplace,  y  ont  succes- 
sivement travaillé. 

On  a  même  cherché  à  déterminer  le  zéro  réel, 
c'est-à-dire  à  combien  de  degrés  un  thermomètre 
baisseroit  s'il  n'y  avoit  point  de  chaleur  du  tout: 
mais  on  a  besoin ,  pour  ce  calcul ,  de  supposer  qu'un 
corps  conserve  la  même  capacité  proportionnelle, 

'•Mémoires  de   rAcaclémie  des  Sciences  de   l'ari.s  ,   annc'e    1780, 

p.  ?55. 


44  SCIENCES    PHYSIQUES. 

tant  qu'il  ne  change  point  d'état  ;  et  cette  proposi- 
tion, qui  affecte  plusieurs  autres  théories,  et  no- 
tamment toute  celle  des  thermomètres,  n'est  point 
prouvée,  et  ne  peut  (^uère  l'être. 

Ces  recherches  sur  les  capacités  ont  fait  décou- 
vrir encore  un  nouveau  mode  de  combinaison  de 
la  chaleur.  Il  arrive,  dans  quelques  cas,  qu'un  gaz 
se  combine  et  se  fixe  avec  presque  toute  ia  chaleur 
qui  le  maintenoit  à  letat  élastique,  et  sans  en  laisser 
échapper  à  beaucoup  près  autant  qu'on  devoit  lui 
en  supposer.  La  théorie  de  la  chaleur  latente  semble 
alors,  au  premier  coup  d'œil ,  se  trouver  en  défaut, 
puisqu'il  se  fait  un  changement  d'état  sans  manifes- 
tation proportionnelle  de  chaleur;  mais  aussi  cette 
chaleur  contrainte  se  reproduit  avec  violence, 
quand  la  combinaison  se  détruit.  L'acide  nitrique 
est  un  exemple  de  ce  genre  d'union  de  la  chaleur, 
et  l'explosion  de  la  poudre  est  un  de  ses  effets.  Nous 
en  verrons  d'autres  dans  l'histoire  de  la  chimie  par- 
ticulière. C'est  aux  travaux  communs  de  Lavoisier 
et  de  M.  Delaplace  que  l'on  doit  la  connoissance  de 
ces  faits  importants. 

Enfin  la  dernière  des  propriétés  de  la  chaleur, 
celle  qui  lie  le  plus  son  histoire  à  la  chimie,  et  par 
où  elle  exerce  le  plus  de  pouvoir  dans  la  nature, 
c'est  la  faculté  de  modifier  les  effets  des  affinités 
mutuelles  des  corps.  C'est  ainsi  qu'elle  combine  des 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  45 

substances  qui,  sans  elle,  seroient  toujours  restées 
étrangères  l'une  à  l'autre ,  et  qu'elle  en  sépare  qui 
seroient  demeurées  unies;  c'est  par-là  qu'elle  s'en- 
gendre et  se  multiplie  sans  cesse  elle-même,  en  se 
dégageant  des  combinaisons  où  elle  étoit  entrée. 

Il  y  a  de  l'apparence  que  ces  cliangements  tien- 
nent à  ceux  qu'elle  occasione  dans  la  densité;  mais 
cette  idée  générale  ne  peut  s'appliquer  encore  aux 
phénomènes  d'une  manière  détaillée  :  ce  qui  est 
certain  c'est  que  leur  exposition  fait  peut-être  la 
moitié  de  la  chimie. 

Parmi  les  circonstances  étrangères  qui  modi- 
fient les  affinités,  nous  avons  nommé  ci-dessus  la 
pression  :  comme  son  influence  s'exerce  principa- 
lement dans  les  effets  auxquels  la  chaleur  prend 
part,  c'est  ici  le  lieu  d'en  dire  un  mot. 

On  sait  depuis  long-temps  qu'elle  arrête  la  vapo- 
risation; et  personne  n'ignore,  par  exemple,  que 
de  l'eau  bout  dans  le  vide,  lorsqu'elle  est  à  peine 
tiède,  tandis  qu'on  peut  la  faire  rougir  en  la  tenant 
comprimée  dans  la  marmite  de  Papin. 

On  peut  aussi  ramener  la  vapeur  à  l'état  liquide 
sans  la  refroidir,  par  la  simple  compression.  Cha- 
que fois  que  l'on  réduit  un  espace  rempli  de  vapeur, 
il  y  en  a  une  partie  qui  retombe  en  eau  ;  c'est  une 
expérience  de  M.  Watt  :  il  s'en  dégage  alors  une 
énorme  quantité  de  chaleur. 


46  SCIEINCES    PHYSIQUES. 

Des  liquides  différents  de  i  eau  ])ouilieiit  quel- 
(|uefois  sans  être  écbauffés,  pour  peu  que  la  pres- 
sion de  Tair  diminue. 

C'est  ce  que  Lavoisier  a  fait  voir  pour  lether. 

En  pénéral,  suivant  M.  Robison,  le  poids  ordi- 
naire de  Fatmosphère  augmente  de  62*^  centigrades 
la  chaleur  nécessaire  pour  faire  bouillir  un  liquide 
quelconque;  ils  bouillent  donc  tous  dans  le  vide  à 
62°  au-dessous  de  leur  point  d  ebuUition  dans  lair. 

Cette  même  pression,  quand  elle  est  absolue, 
arrête  et  modifie  beaucoup  d'autres  effets  de  la 
chaleur.  Le  chevalier  Jacques  Hall,  d'Edimbourg, 
a  soumis  un  grand  nombre  de  corps  aux  feux  les 
plus  violents  dans  des  vaisseaux  qui  ne  pouvoient 
se  rompre.  Leurs  éléments  n'ayant  alors  aucun 
moyen  de  se  séparer,  ces  corps  ont  pris  des  formes 
et  des  consistances  toutes  différentes  de  celles  sous 
lesquelles  ils  paroissent  ordinairement  :  la  craie, 
au  lieu  de  se  calciner  en  laissant  échapper  son 
acide  carbonique ,  est  entrée  en  fusion  et  a  pris 
l'apparence  cristalline  du  marbre  blanc;  le  bois, 
la  corne,  au  lieu  de  se  brûler,  se  sont  changés  en 
une  sorte  de  houille,  etc.  Nous  verrons  ailleurs 
quelle  application  M.  Hall  a  cru  pouvoir  faire  de 
ces  expériences  à  la  théorie  de  la  terre  :  mais  nous 
devons  les  citer  ici  comme  une  confirmation  inté- 
ressante des  vues  de  M.  Berthollet. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  47 

r/eau  ne  se  vaporise  pas  seulement  à  la  tempé- 
rature qui  la  fait  bouillir;  chacun  sait  qu'elle  se 
dissipe  aussi,  quoique  plus  lentement,  à  des  degrés 
bien  inférieurs  :  les  physiciens  ont  reconnu  que  la 
glace  même  s'évapore.  Quelques  uns  ont  pensé, 
avec  feu  Leroy  de  Montpellier,  qu'il  se  lait  alors 
une  dissolution  de  l'eau  par  l'air.  D'autres,  comme 
MM.  Deluc  et  de  Saussure ,  n'y  ont  vu  q  u'une  action 
ordinaire  de  la  chaleur,  qui  ne  diffère  de  l'ébullition 
que  par  sa  lenteur  et  la  moindredensitéde  la  vapeur 
produite.  M.  Dalton  vient  en  effet  de  prouver  qu'un 
espace  donné  dans  lequel  on  laisse  des  vapeurs  se 
former  en  admet  toujours  la  même  quantité,  tant 
que  la  chaleur  reste  la  même,  qu'il  soit  vide  ou  plein 
d'air,  et  quelle  que  soit  l'espèce  d'air  qui  le  remplit. 
Saussure  et  M.  Volta  l'avoient  déjà  fait  voir  pour 
l'air  atmosphérique  en  particulier,  et  MM.  Deluc 
et  Watt  avoient  montré  de  leur  côté  que  cette  éva- 
poration  lente  absorbe  au  moins  autant  de  chaleur 
que  l'ébullition. 

M.  Dalton  a  aussi  reconnu  ce  fait  important,  que 
la  pression  exercée  par  les  vapeurs  est  la  même, 
qu'il  y  ait  de  l'air  ou  qu'il  n'y  en  ait  point  dans  l'es- 
pace où  elles  sont.  Dans  le  premier  cas,  cette  pres- 
sion s'ajoute  simplement  à  celle  de  l'air.  A  tension 
égale,  cette  vapeur  d'eau  est  plus  légère  que  l'air, 
dans  le  rapport  de  lo  à  i4°;  par  conséquent,  à 


48  SCIENCES    PHYSIQUES. 

pression  et  à  chaleur  égales,  l'air  devient  plus  léger 
en  devenant  humide.  Cetoit  aussi  une  ancienne 
découverte  de  Saussure.  Enfin  M.  Dalton  a  déter- 
miné la  quantité  de  vapeur  produite  et  la  pression 
exercée  par  chaque  degré  de  chaleur,  et  est  arrivé 
à  un  rapport  remarquable  entre  Je  degré  d  ebulli- 
tion  de  chaque  fluide  et  la  force  élastique  de  sa  va- 
peur à  une  température  donnée  :  c'est  que,  à  par- 
tir du  terme  où  les  forces  élastiques  des  vapeurs 
seroient  égales  (par  exemple,  de  celui  de  Tébulli- 
tiôn  sous  une  pression  déterminée,  comme  celle 
de  l'atmosphère),  les  accroissements  ou  les  dimi- 
nutions de  ces  forces  élastiques  sont  aussi  les  mê- 
mes pour  chaque  fluide,  par  des  variations  égales 
de  température  '. 

La  régie  de  M.  Robison  pour  le  degré  d'ébulli- 
tion  dans  le  vide  est  un  cas  particulier  de  celle  de 
M.  Dalton. 

Toute  cette  théorie  des  vapeurs  sera  un  jour, 
comme  il  est  aisé  de  le  voir,  la  base  fondamentale 
de  la  météorologie  :  mais  elle  ne  borne  pas  là  son 
utilité;  ainsi  que  tout  le  grand  corps  de  doctrine 
que  nous  venons  d'exposer,  et  qui  appartient  pres- 
que en  entier  à  l'âge  présent,  elle  est  aussi  profi- 

'  Bibliothèque  Britannique,  tome  XX,  page  338;  et  Bulletin  des 
Sciences ,  ventôse  an  1 1 .  Voyez  aussi  les  Essais  d'Hygrométrie  de 
Saussure. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  /\g 

tabîe  poui^  ia  société  qu'honorable  pour  l'esprit 
humain. 

M.  de  Rumfort  l'a  appliquée  à  l'art  de  chauffer, 
soit  les  appartements,  soit  les  liquides^,  et  il  est 
arrivé  à  des  économies  qui ,  dans  certains  cas ,  sur- 
passent tout  ce  que  l'on  auroit  osé  espérer. 

On  sait  assez  l'heureux  emploi  que  l'on  fait  de  la 
vapeur  comme  force  mouvante.  Les  recherches 
délicates  dont  nous  venons  de  parler  ont  prodi^^ieu- 
sement  au^^menté  le  parti  qu'on  tire  de  cet  a^^ent 
puissant;  la  multiplication  des  pompes  à  feu,  les 
emplois  infinis  auxquels  on  les  applique ,  la  force 
incroyable  que  Ton  est  parvenu  à  leur  donner, 
doivent  être  mis  au  nombre  des  preuves  les  plus 
frappantes  de  l'influence  que  le  perfectionnement 
des  sciences  peut  avoir  sur  la  prospérité  des  na- 
tions'. 

L'électricité  est  encore  un  de  ces  principes  im- 
pondérables qui  jouissent  du  pouvoir  de  modifier 
les  affinités.  Sa  production  par  le  frottement,  sa 
transmission  au  travers  des  différents  corps ,  sa  dis- 
tribution le  long^  de  leur  surface,  la  répulsion  mu- 

'  Nous  regi^ettons  que  notre  plan  ne  nous  ait  pas  permis  d'exposer 
les  hypothèses  théorétiques.  Celle  de  l'équilibre  mobile  du  calorique, 
par  M.  Prévost,  eût  tenu  ,  dans  l'article  de  notre  rapport  qui  concerne 
la  chaleur,  une  place  distinguée.  Voyez  le  Journal  de  Physique  de 
1791,  et  la  Bibliothèque  Britannique ,  tomes  XXI  et  XXVI. 

BUFFON.  COMPLÉM.  T.   I.  4 


5o  SCIEINGES    PHYSIQUES. 

tuelle  de  ses  molécules,  les  deux  fluides  que  l'on 
croit  y  pouvoir  admettre ,  sou  analogie  avec  la  fou- 
dre, sont  déjà  des  découvertes  un  peu  anciennes. 
Les  lois  mathématiques  qui  la  gouvernent  ne  sont 
point  de  notre  ressort;  mais  son  action  chimique, 
sa  production  par  le  contact  de  divers  corps,  c'est- 
à-dire  le  galvanisme  et  la  nature  différente  de  ses 
effets  dans  cette  circonstance ,  rentrent  complète- 
ment dans  le  cercle  de  notre  rapport. 

Non  seulement  l'étincelle  électrique  brûle  les 
corps  combustibles  ordinaires,  tels  que  l'hydro- 
gène, parcequ'elle  produit  delà  chaleur,  peut-être 
en  comprimant  l'air;  elle  en  brûle  encore  qui  ré- 
sistent à  toute  autre  flamme  :  tel  est  l'azote,  qu  elle 
combine  avec  l'oxygène  pour  former  l'acide  nitreux, 
selon  la  belle  découverte  de  M.  Cavendish  ;  et  de- 
puis que  l'on  connoît  l'action  chimi(£ue  de  la  pile 
galvanique  pour  décomposer  l'eau  et  les  sels,  on 
est  parvenu  à  opérer  les  mêmes  effets  par  l'électri- 
cité ordinaire,  en  la  faisant  arriver  en  grande  masse 
par  des  conducteurs  très  déliés. 

MM.  Pfaff  et  Van-Marum  '  ont  fait  cette  expé- 
rience d'une  manière ,  et  M.  Wollaston  l'a  faite 
d'une  autre. 

L'électricité  galvanique  est  peut-être  de  toutes 

'   Extrait  d'une  lettre  de  M.  Van-Marum  au  citoyen  BerthoIIet  ; 
Annales  de  Chimie,  t.  XLI ,  p.  jy. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  5l 

les  branches  de  la  physique  celle  qui  a  excité  le  plus 
vivement  la  curiosité,  qui  a  donné  le  plus  d'espoir, 
et  qui  a  occasioné  le  plus  de  travaux  et  d'efforts 
dans  ces  dernières  années. 

L'intérêt  que  le  ^gouvernement  a  pris  à  ces  re- 
cherches, et  rhonorable  récompense  qu'il  a  pro- 
mise à  ceux  qui  s'y  distin^u croient,  ont  réveillé  le 
zèle  ;  et  chaque  jour  semble  faire  entrevoir  quelque 
influence  nouvelle  de  ces  phénomènes  dans  leurs 
liaisons  étendues  à  presque  toute  la  nature. 

On  peut  diviser  l'histoire  du  galvanisme  en  trois 
époques  principales,  d'après  les  trois  grandes  pro- 
priétés qui  le  caractérisent  et  qui  n'ont  été  décou- 
vertes que  successivement. 

La  première  est  son  effet  sur  leconomie  ani- 
male, aperçu  par  Gotugno  et  développé  par  son 
maître  Galvani  '  ;  la  seconde,  sa  nature  et  son  ori- 
gine démontrées  par  M.  Volta;  la  troisième,  son 
action  chimique  si  particulière ,  reconnue  par 
MM.  Ritter,  Garlisle,  Davy,  et  ISicholson. 

Si  Ton  réunit  quelques  nerfs  du  corps  d'un  ani- 
mal avec  quelque  partie  de  ses  muscles  par  un  con- 
ducteur formé  de  métaux  différents,  les  muscles 
éprouveront  des  convulsions.  Galvani  en  fît  d'a- 

'  Journal  encyclopédique  de  Bologne,  1786,  n"  8;  De  viribus 
electncitatis  in  motu  inusculari  Commentarius.  Me'moires  de  l'Institut 
de  Bologne,  t.  VII. 

4. 


52  SCIENCES    PHYSIQUES. 

bord  l'essai  sur  des  grenouilles,  dont  les  muscles 
sont  fort  irritables.  Divers  physiciens,  et  princi- 
palement M.  Aldini ,  neveu  de  Galvani  ' ,  M.  de 
Humboldt%  M.  Rossi^,  M.  Nysten^,  etc.,  l'ont 
étendu  dejiuis  à  tous  les  animaux  et  à  toutes  leurs 
parties,  sur-tout  par  le  moyen  de  l'énergfie  de  la 
pile.  •  . 

On  a  vu  des  grenouilles  mortes  sauter  à  plu- 
sieurs pieds;  des  membres  séparés  du  corps  se  flé- 
chir et  s'étendre  avec  violence;  des  têtes  décollées 
grincer  les  dents,  remuer  les  yeux  d'une  manière 
effrayante  :  les  vivants  ont  éprouvé  des  sensations 
fortes,  quelquefois  même  très  douloureuses.  Mais, 
en  dernière  analyse ,  tout  se  réduit  à  avoir  trouvé 
un  excitant  d'un  nouveau  genre,  plus  subtil  et  plus 
actif  à-la-fois  que  ceux  qu'on  avoit  possédés  jus- 
que-là :  aussi  dit-on  en  avoir  tiré  quelque  parti 
dans  certaines  paralysies.  M.  de  Humboldt  l'a  em- 
ployé pour  distinguer  dans  les  animaux  quelques 
parties  d'une  nature  douteuse  ;  et  MM.  Tourde 
et  Gircaud  croient  avoir  produit  par  son  moyen, 
dans  cette  partie  du  sang  qu'on  nomme  la  fibrine, 

'  Essai  sur  le  Galvanisme,  par  J.  Aldini;  Paris,  i8o4,  i  vol.  111-4". 

*  Essai  sur  l'irritation  musculaire,  en  allemand;  Berlin,  1797, 
i  vol.  in-8°. 

^  Mémoires  de  l'Académie  de  Turin,  t.  VI,  de  1792  à  1800. 

^  Nouvelles  Expériences  galvaniques  ,  par  P.  H.  Nysten  ;  Paris , 
an  II. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  53 

des  mouvements  assez  analogues  à  rirritaLilité  des 
fibres  vivantes  '. 

On  soupçonna  de  bonne  heure  que  l'électricité 
entroit  pour  quelque  chose  dans  ces  singuliers 
phénomènes;  mais  on  ne  voyoit  point  clairement 
la  cause  qui  la  produisoit  :  les  uns  la  cherchoient 
dans  les  nerfs,  d'autres  dans  les  muscles;  d'autres 
enfin  supposoient  quelque  nouveau  fluide.  M.Volta 
le  premier  dit  :  L'électricité  naît  du  seul  contact  des 
deux  métaux;  les  convulsions  ne  sont  que  des  ef- 
fets ordinaires  de  ce  fluide;  c'est  dans  sa  manière 
de  naître ,  ou  plutôt  d  être  mis  en  mouvement,  que 
consiste  tout  ce  que  vos  expériences  ont  de  parti- 
culier. 

Pour  mieux  convaincre  les  physiciens  de  cette 
production  d'électricité  par  le  simple  contact  de 
substances  diverses  ,  il  importoit  de  la  rendre 
tellement  intense  qu'elle  ne  pût  rester  soumise  à 
aucune  de  ces  conjectures  vagues  qui  servent  tou- 
jours d'auxiliaires  au  doute.  La  découverte  que 
M.  Volta  avoit  faite  quelque  temps  auparavant  de 
l'influence  des  matières  demi-conductrices,  pour 
faire  accumuler  l'électricité  dans  l'instrument  nom- 
mé condensateur,  lui  indiqua  le  moyen  qu'il  cher- 
choit.  Multipliant  un  grand  nombre  de  fois  les 
plaques  des  deux  métaux,  et  les  séparant  par  des 

'    lîulletii)  des  Sciences,  pluviôse  an  1 1,  n"  7  i. 


54  SCIENCES    PHYSIQUES. 

plaques  de  carton  mouillé,  il  vit  se  manifester  à 
l'instant,  à  l'une  des  extrémités  de  cette  pile,  lelec- 
tricité  vitrée,  à  l'autre  la  résineuse;  il  obtint  des 
attractions ,  des  répulsions ,  et  des  commotions 
toutes  semblables  à  celles  de  la  bouteille  de  Leyde  ; 
en  un  mot  il  eut  un  instrument  qui  s'électrise  con- 
stamment lui-même,  et  qui,  par  cette  action  conti- 
nuée, exerce  les  effets  les  plus  inattendus  et  les 
plus  importants  pour  la  chimie  et  pour  la  physio- 
logie \  et  deviendra  peut-être,  pour  l'une  et  pour 
l'autre,  ce  que  le  microscope  a  été  pour  l'histoire 
naturelle,  et  le  télescope  pOur  l'astronomie.  Aussi 
les  sciences  compteront-elles  parmi  leurs  époques 
les  plus  brillantes  celle  où  ce  grand  physicien  fut 
couronné  dans  l'Institut. 

Divers  physiciens ,  comme  feu  Gautherot  et 
MM.  Pfaff  et  Davy,  ont  varié  les  substances  des 
piles ,  et  reconnu  que  les  métaux  n'y  sont  pas  né- 
cessaires. Il  suffit  de  combiner  des  plaques  de  deux 
natures;  observation  qui  peut  devenir  de  la  plus 
grande  importance  pour  expliquer  plusieurs  phé- 
nomènes physiologiques. 

M.  Aldini,  dans  ses  expériences  sur  les  animaux, 
a  aussi  remplacé  l'arc  métalUque  par  des  parties 
animales  ou  par  des  corps  vivants.  MM.  Biot  et 

'   Transactions  philosophi(|ues,  i  790  ;  et  Bibliothèque  Britannique, 
t.  XV,  p.  3. 


CHIMIE    GÉr^ÉRALE.  55 

Frédéric  Guvier  '  ont  montré  que  loxydation  des 
plaques  métalliques  n'est  point  la  cause  essentielle 
de  l  electrisation ,  quoiqu'elle  la  favorise  ;  mais  c'est 
par  cette  oxydation  que  la  pile  altère  l'air  où  on  la 
renferme. 

MM.  Fourcroy,  Thénard,  et  Hachette^,  ayant 
fort  agrandi  le  diamètre  des  plaques ,  ont  enflammé 
des  conducteurs  de  fil  de  fer  :  c'est  un  effet  de  la 
(jrande  masse  d'électricité  dans  un  conducteur 
mince.  Mais  les  commotions  qui  tiennent  à  la  vi- 
tesse de  l'électricité  dépendent  du  nombre  des 
plaques,  et  sont  en  raison  inverse  de  leur  largeur, 
ainsi  que  M.  Biot  l'a  fait  sentir.  M.  Van-Maruna  a 
bien  comparé  et  constaté  ces  divers  effets. 

On  remplace  aussi  la  pile  par  des  tasses  pleines 
d'eau  que  réunissent,  en  y  plongeant,  des  lames 
recourbées  de  deux  métaux.  Cet  appareil  commode 
est  également  de  M.  Volta,  qui  l'a  imaginé  par  imi- 
tation de  l'appareil  électrique  de  la  torpille. 

C'est  encore  une  belle  expérience  que  celle  de 
la  pile  secondaire  imaginée  par  M.  Ritter  :  formée 
d'un  seul  métal  et  de  cartons  mouillés,  elle  n'en- 
gendre point  l'électricité  par  elle-même;  mais  si 
l'on  fait  communiquer  ses  deux  bouts  avec  ceux  de 
la  pile  ordinaire,  ils  prennent  leurs  électricités  op- 

IJulIeliu  des  Sciences,  par  la  Société  philomatique,  thermitl.  an  9. 
"    Journal  do  Pliysi(|ue ,  messidor  an  g. 


56  SCIENCES    PHYSIQUES. 

posées,  et  les  conservent  à  cause  de  la  difficulté 
qu'oppose  le  carton  mouillé  à  la  communication. 

M.  Volta  avoit  reconnu  une  distribution  sem- 
blable dans  un  simple  ruban;  Gautherot,  dans  des 
fils  conducteurs  qui  venoient  d'être  séparés  de  la 
pile  primitive;  et  il  paroît  qu'elle  se  fait  de  même 
dans  beaucoup  de  conducteurs  imparfaits. 

L'Institut  vient  d'admettre  d'autres  expériences 
de  M.  Erman ,  desquelles  il  résulte  que  quelques 
uns  de  ces  conducteurs ,  quand  on  les  fait  commu- 
niquer à-la-fois  avec  les  deux  pôles  de  la  pile,  ne 
transmettent  que  l'une  des  deux  électricités  seule- 
ment, encore  quand  on  lui  donne  une  issue  vers 
le  sol'. 

Mais  de  toutes  les  propriétés  de  la  pile,  son  ac- 
tion cbimique  est  certainement  la  plus  importante. 
M.  Ritter,  en  Allemajjfne,  et  MM.  Garlisle  et  Nichol- 
son^,  en  Anjjleterre,  ayant  plongé  dans  Feau  deux 
fils  métalliques,  qui  communiquoient  chacun  avec 
l'un  des  pôles  de  la  pile,  remarquèrent  qu'il  se  ma- 
nifestoit  à  l'un  et  à  l'autre  beaucoup  de  bulles  d'air; 
et  ayant  examiné  la  nature  des  gaz  qui  les  for- 
moient,  ils  trouvèrent  que  celles  du  pôle  positif 
étoient  de  l'oxygène ,  et  celles  du  fil  opposé  de  Fby- 
drogène. 

'   Nouveau  Bulletin  des  Sciences,  n"  4  ^^  suiv. 
■     ^   Bibliothèque  Britannique,  t.  XV,  p.  i  i. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  Sy 

MM.  Davy  et  Ritter  virent  chacun  de  leur  côté 
ces  gaz  naître  dans  deux  vases  séparés  ,  pourvu 
qu'ils  communiquassent  ensemble  par  le  corps  hu- 
main, par  une  fibre  animale,  par  de  l'acide  sulfu- 
rique  ou  tel  autre  conducteur.  Nous  exposerons 
ailleurs  ce  que  l'on  a  cru  pouvoir  conclure  de  ce 
phénomène  contre  la  théorie  de  la  composition  de 
l'eau.  Quelques  personnes  vouloient  également  en 
déduire  une  différence  de  nature  entre  le  fluide 
galvanique  et  Télectricité;  mais  cette  opinion  est 
réfutée  depuis  que  MM.  Pfaff,  Van-Marum  et 
Wollaston,  ont  aussi  décomposé  l'eau  par  Félectri- 
cité  ordinaire. 

M.  Cruikshank  aperçut,  dès  les  premières  expé- 
riences, des  traces  d'acidité  et  d'alcalinité.  M.  Pac- 
chiani  '  crut  voir  qu'il  se  formoit  de  l'acide  muria- 
tique  du  côté  positif,  et  en  conclut  que  cet  acide 
est  de  l'hydrogène  moins  oxygéné  que  l'eau.  On 
trouvoit  ordinairement  aussi  de  la  soude  du  côté 
opposé.  Mais  MM.  Thénard,  Biot,  Simon,  Pfaff, 
et  plusieurs  autres  physiciens,  constatèrent  bien- 
tôt qu'il  n'y  a  point  d'acide  ni  d'alcali  quand  on 

'  Histoire  du  Galvanisme,  t.  IV,  p.  282.  Extrait  d'une  nouvelle 
Lettre  du  docteur  Pacchiani  à  M.  Fabroni,  par  M.  Darcet  ;  Annales 
de  Chimie  y  t.  LVI,  p.  1 1  r.  Cette  Histoire  du  Galvanisme,  par  M.  Sue, 
Paris,  4  vol.  in-S",  peut  en  géne'ral  être  consultée  avec  beaucoup  de 
fruit  pour  tout  ce  qui  tient  aux  progrès  de  cette  nouvelle  branche  de 
la  physique. 


58  SCIENCES    PHYSIQUES. 

emploie  de  l'eau  bien  pure,  et  quand  on  éloigne 
soipneusement  de  l'appareil  tout  ce  qui  poiirroit 
fournir  du  sel  marin;  précaution  très  difficile  à 
prendre  complètement,  car  il  n'est  pas  jusqu'à  la 
peau  des  doigts  qui  n'exhale  de  ce  sel. 

Enfin  MM.  Davy  et  Berzelius,  ainsi  que  MM,  Rif- 
fault  et  Chompré,  de  la  société  galvanique  de  Pa- 
ris, viennent  de  montrer  que  tous  ces  phénomènes 
tiennent  à  la  propriété  qu'a  la  pile  de  décomposer 
les  sels  de  la  même  manière  que  l'eau;  semblant 
entraîner  aussi  l'un  de  leurs  principes  d'un  vase 
dans  l'autre,  au  travers  de  la  fibre  ou  du  siphon 
qui  unit  ces  vases ,  et  cela  de  manière  que  l'oxygène 
ou  les  substances  oxygénées  sont  attirées  vers  le  pôle 
positif,  et  l'hydrogène  et  les  alcalis  vers  le  négatif. 

Dans  la  plupart  des  expériences  qui  avoient  fait 
d'abord  illusion,  il  se  trouvoit  un  peu  de  sel  marin , 
fourni  par  les  fibres  animales,  ou  par  les  autres 
moyens  de  communication  que  l'on  établissoit  entre 
les  deux  vases  ;  souvent  c'étoit  le  verre  qui  avoit 
fourni  la  soude;  le  tube  même  de  l'alambic  où  l'on 
distille  l'eau  peut  lui  communiquer  quelque  prin- 
cipe propre  à  induire  en  erreur. 

Cette  action  sur  les  sels  étoit  reconnue  depuis 
quelque  temps  par  M.  Ritter  :  M.  Vassali-Eandi  en 
avoit  trouvé  une  sur  Falcohol  et  les  acides  ;  M.  Rla- 
proth  ,  sur  l'alcah  volatil.  On  s'explique  ces  phéno- 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  69 

mènes  en  supposant  que  ,  dans  tous  ces  cas,  l'un 
des  éléments  de  la  substance  qui  se  décompose  est 
repoussé  par  l'un  des  pôles  de  la  pile,  pendant  que 
l'autre  élément  se  dégage,  et  que  le  contraire  ar- 
rive au  pôle  opposé  ;  enfin  que  la  décomposition 
se  continue  de  molécule  à  molécule,  jusqu'à  un 
point  intermédiaire  où  ces  éléments,  repoussés  de 
part  et  d'autre,  se  combinent  entre  eux  de  manière 
que  le  résidu  reprend  toujours  sa  composition  pri- 
mitive. Mais  il  faut  admettre  aussi  que  ce  transport 
d'un  élément  d'un  vase  dans  l'autre  a  lieu  avec  tant 
de  force  qu'un  acide  traverse,  par  exemple,  une 
dissolution  alcaline  sans  y  laisser  la  moindre  trace 
de  combinaison,  et  réciproquement. 

Il  résulte  toujours  de  cette  grande  découverte 
cette  vérité  aussi  nouvelle  qu'importante,  que  le 
simple  contact  des  substances  hétérogènes  a  le  pou- 
voir d'altérer  l'équilibre  électrique,  et  que  cette  al- 
tération peut  en  occasioner  dans  les  affinités  chi- 
miques de  tous  les  corps  environnants.  Il  est  aisé 
de  concevoir  à  quel  point  cette  action  tranquille  et 
continue  peut  influer  sur  ce  qui  se  passe  à  la  sur- 
face du  globe  et  dans  son  intérieur,  et  contribue 
peut-être  aux  mouvements  les  plus  compliqués  de 
la  vie,  et  quelle  abondante  source  de  lumière  ce 
nouveau  corps  de  doctrine  doit  ouvrir  à  toute  la 
philosophie  naturelle. 


6o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Aussi  l'Institut  n  a-t-il  cru  pouvoir  mieux  placer 
en  180-7  le  prix  annuel  fondé  par  le  gouvernement 
pour  le  galvanisme  qu'en  le  décernant  à  M.  Davy, 
qui  a  su  apprécier  avec  le  plus  d'exactitude  les  lois 
de  cette  puissance  singulière  \ 

C'est  ici  que  viendroit  se  placer  l'action  cachée 
que  l'on  attribue  aux  métaux ,  au  charbon  ,  et  à 
l'eau ,  sur  le  corps  humain,  action  par  laquelle  on 
cherche  à  expliquer  et  à  remettre  en  crédit  la  ba- 
guette divinatoire  :  mais  nous  ne  pouvons  nous 
permettre  de  ranger  parmi  les  progrès  réels  et  con- 
statés des  sciences  des  expériences  équivoques,  et 
que  l'on  avoue  ne  réussir  que  sur  quelques  per- 
sonnes privilégiées.  Le  pendule  métallique  de  For- 
tis,  auquel  on  a  prétendu  trouver  de  l'analogie 
avec  la  baguette,  et  dont  on  assure  qu'il  vibre  en 
des  sens  différents ,  selon  les  substances  sur  les- 
quelles on  le  suspend,  n'a  point  donné  à  nos  phy- 
siciens les  résultats  que  des  étrangers,  d'ailleurs 
gens  de  mérite,  assurent  en  avoir  obtenus  \ 

'  Lorsque  ce  Rapport  a  été  rédigé,  les  expériences  qui  paroissent 
annoncer  la  décomposition  des  alcalis  par  la  pile  n'étoient  pas  encore 
connues  à  Paris. 

^   On  ne  peut  en  général  trop  recommander,  sur  toutes  les  ques- 
tions physiques  mentionnées  jusqu'à  cet  endroit,  la  lecture  du  Traité 
élémentaire  de  Physique  de  M.  Haiiy  ;  Paris,   1806,   2  vol.  in-8°  ;  et 
celle  de  la  Physique  mécanique  de  Fischer,  traduite  par  madame  Biot  ; 
Paris,  ï8o6,  i  vol.  in-8". 


CHIMIE    GÉNÉRALE.-  6l 

Théorie  de  la  combustion. 

De  tous  les  effets  qui  peuvent  résulter,  soit  des 
affinités  immédiates,  soit  de  ces  modifications  in- 
stantanées qu'y  apportent  la  chaleur,  lelectricité, 
ou  d'autres  circonstances,  la  combustion  est  non 
seulement  le  plus  important  pour  nous,  en  ce  que 
nous  en  tirons  toute  la  chaleur  artificielle  dont 
nous  avons  besoin  dans  la  vie  commune  et  dans 
les  arts  ;  mais  c'est  encore  celui  dont  l'influence  est 
la  plus  générale  dans  tous  les  phénomènes  de  la 
nature  comme  dans  ceux  de  nos  laboratoires. 

Nous  ne  lui  donnons  guère  le  nom  de  combus- 
tion que  quand  c'est  la  chaleur  qui  l'occasione,  et 
qu'elle  est  accompagnée  de  flamme;  mais  elle  peut 
aussi  être  amenée  par  une  foule  d'autres  causes,  ou 
n  aller  point  jusqu'à  cet  excès  :  et  lorsqu'on  la  prend 
ainsi  dans  son  acception  la  plus  étendue,  on  peut 
dire  qu'elle  précède,  qu'elle  accompagne  ou  qu'elle 
constitue  la  plupart  des  opérations  chimiques  et 
des  fonctions  vitales;  il  n'en  est  presque  aucune  où 
quelque  corps  ne  se  trouve,  soit  brûlé,  soit  dé- 
brûlé, si  l'on  peut  employer  ce  terme  expressif:  en 
un  mot  c'est  presque  de  la  manière  de  concevoir 
ce  qui  se  passe  dans  la  combustion  que  dépendent 
toutes  les  diversités  des  explications  que  l'on  peut 
donner  en  chimie;  et  par  les  mots  de  théorie  chi- 


02  SCIENCES    PHYSIQUES. 

inique,  on  n'entend  guère  autre  chose  que  théorie 
de  la  comhustion. 

Aussi  tout  le  monde  sait-il  que  la  nouvelle  théo- 
rie de  la  combustion  est  la  plus  importante  des  ré- 
volutions que  les  sciences  naturelles  aient  éprouvées 
dans  le  dix-huitième  siècle. 

Elle  coïncide  à-peu-près  avec  le  commencement 
de  l'époque  dont  nous  avons  à  rendre  compte; 
mais  ce  n'est  guère  que  pendant  le  cours  de  cette 
époque  même  qu'elle  a  obtenu  l'assentiment  uni- 
versel des  savants.  D'ailleurs  elle  a  eu  trop  d'in- 
fluence sur  les  découvertes  postérieures,  elle  est 
trop  honorable  à  la  nation  Françoise,  pour  que 
nous  n'en  rappelions  pas  l'histoire  en  peu  de  mots  ; 
histoire  bien  singulière,  et  qui  remonteroit  bien 
haut  si  la  tradition  des  idées  n'avoit  pas  été  inter- 
rompue pendant  un  siècle  et  demi. 

Un  médecin  du  Périgord,  nommé  Jean  Rey  ', 
avoit  eu,  dès  i63o,  sur  la  calcination  de  Tétain  et 
du  plomb,  qui  n'est  qu'une  sorte  de  combustion, 
des  idées  toutes  semblables  à  celles  de  la  nouvelle 
chimie  ;  mais  son  écrit  étoit  tombé  dans  l'oubli  le 
plus  profond.  L'un  des  créateurs  de  la  physique 
expérimentale,  l'illustre  Robert  Royle,  avoit  aussi 

'  Essais  de  Jean  Rcy,  docteur  en  médecine,  sur  la  recherche  de  la 
cause  pour  laquelle  l'dtain  et  le  plomb  augmentent  de  poids  quand 
on  les  calcine;  nouvelle  édition;  Paris,  1777,  i  vol.  in-8°. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  63 

reconnu,  dès  le  milieu  du  dix-septième  siècle,  une 
grande  partie  des  faits  qui  servent  aujourd'hui  de 
hase  à  cette  chimie  nouvelle;  il  savoit  que  la  com~ 
hustion  et  la  respiration  diminuent  le  volume  de 
Tair  et  le  rendent  insalubre,  et  il  n'ignoroit  point 
l'augmentation  de  poids  que  les  métaux  acquièrent 
par  la  calcination.  Son  disciple  Mayow  avoit  appli- 
qué ces  faits  à  la  respiration  et  à  la  production  de 
la  chaleur  animale,  presque  comme  nous  le  ferions 
aujourd'hui.  L'appareil  que  nous  appelons  pneu- 
mato-cliimique  étoit  connu  de  l'un  et  de  l'autre;  ils 
avoient  déjà  distingué  différentes  sortes  d'air. 

Mais,  par  une  fatalité  inconcevable,  ces  hommes 
célèbres  n'avoient  point  saisi  les  conséquences  immé- 
diates de  leurs  expériences.  Boyle  sur-tout  n'a  voit 
vu  dans  cette  augmentation  de  poids  que  la  fixation 
du  feu ,  et  depuis  eux  les  chimistes  proprement  dits 
avoient  presque  perdu  de  vue  les  fluides  élastiques. 

Beccher  et  Stahl,  ne  donnant  d'attention  qu'à  la 
facilité  de  ramener  toutes  les  chaux  métalliques  à 
l'état  de  régule  par  une  matière  grasse  ou  combus- 
tible quelconque,  imaginèrent,  l'un  sa  terre  sul- 
fureuse, l'autre  son  phlogistique,  principe  com- 
mun, selon  eux,  à  tous  les  corps  combustibles, 
qu'ils  perdent  en  se  brûlant  et  reprennent  en  se 
réduisant  :  cette  hypothèse,  développée  et  appliquée 
à  presque  tous  les  phénomènes  par  les  travaux  suc- 


64  SCIENCES    PHYSIQUES. 

cessifs  crun  grand  nombre  d'habiles  gens,  sembloit 
avoir  reçu  ses  derniers  perfectionnements  par  les 
travaux  brillants  de  Scheele  et  de  Bergman  ;  elle 
avoit  acquis  un  tel  crédit  qu'elle  domina  constam- 
ment ceux  même  des  physiciens  de  la  Grande-Bre- 
tagne dont  les  expériences  ont  le  plus  contribué  à 
lebranler. 

En  effet  les  recherches  sur  les  fluides  élastiques 
furent  continuées  dans  cette  île  presque  sans  in- 
terruption depuis  Boyle.  Haies  '  montra  dans  com- 
bien d'occasions  de  l'air  fixé  et  retenu  dans  les  corps 
recouvre  son  volume  et  son  élasticité.  Black ^  recon- 
nut l'identité  de  celui  qui  s'élève  des  liqueurs  fer- 
mentées,  avec  la  vapeur  qui  se  manifeste  lors  de 
l'effervescence  de  la  pierre  calcaire  et  des  alcalis, 
vapeur  dont  la  privation  les  met  dans  l'état  apoelé 
caustique.  M.  Gavendish^  détermina  la  pesanteur 
spécifique  respective  de  l'air  fixe  et  de  l'air  inflam- 
mable; il  montra  l'identité  du  premier  avec  la  vapeur 
du  charbon  et  sa  nature  acide.  Priestley  ^  sur-tout, 

'  La  Statique  des  végétaux  et  l'Analyse  de  l'air,  par  M.  Haies;  tra- 
duites de  l'anglois  par  M.  de  Buffon;  Paris,  1735  ,  i  vol.  in-4°. 

*   Transactions  philosophiques,  années  1766  et  1767. 

^  Expériences  sur  l'Air,  mémoires  lus  à  la  Société  royale  de  Lon- 
dres les  i5  janvier  1783  et  2  juin  1785,  traduits  par  Pelletier,  et 
insérés  dans  le  Journal  de  Physique,  t.  XXV,  p.  417  ;  t.  XXVI,  p.  38, 
ett.XXVJI,  p.  107. 

^  Expériences  et  observations  sur  différentes  espèces  d'air,  tra- 
duites de  l'anglois;  Berlin,  1775,  i  vol.  in-8".  —  Expériences  et  ob- 


CHIMIE    GÉINÉRALE.  65 

par  des  expériences  multipliées  avec  une  patience 
admirable,  étudia  toutes  les  circonstances  où  ces 
deux  airs  se  forment,  fixa  les  caractères  de  celui 
qui  reste  après  la  combustion  dans  l'air  commun, 
et  qu'il  nomma  phlogistiqué,  découvrit  l'air  nitreux 
et  sa  propriété  de  mesurer  la  salubrité  de  l'air 
commun  en  absorbant  toute  sa  partie  respirable, 
obtint  enfin  séparément  cette  partie  respirable,  cet 
air  pur,  le  seul  qui  entretienne  la  combustion  et  la 
vie. 

Cependant  nos  François  n'étoient  j^as  restés  en- 
tièrement inactifs. 

Bayen  %  entre  autres,  avoit  remarqué  que  plu- 
sieurs chaux  de  mercure  se  réduisent  sans  addition 
d'aucune  matière  combustible,  et  en  dégageant 
beaucoup  d'air.  On  peut  même  dire  que  c'étoit  lui 
qui  avoit  donnéà  Priestley  l'idée  d'examiner  cet  air, 
et  par  conséquent  l'occasion  de  découvrir  l'air  pur. 

Mais  ces  expériences,  tout  en  faisant  sentir  l'in- 
suffisance de  la  théorie  du  phlogistique,  n'en  don- 
noient  pas  immédiatement  une  meilleure. 

Celle-ci  fut  due  tout  entière  au  génie  d'un  Fran- 
çois. Lavoisier,  après  avoir  Ion  g- temps  examiné  les 

servations  sur  différentes  branches  de  ia  physique,  avec  une  conti- 
nuation des  observations  sur  l'air,  ouvrage  traduit  de  l'anglois  par 
M.  Gibelin;  Paris,  1782,  3  vol.  in-S". 

'    Mémoires  de  l'Académie  des  Sciences,  année  1774* 

HUFFON.   COMPLÉM.  T.  1.  5 


66  SCIENCES    PHYSIQUES. 

phénomènes  relatifs  aux  airs  dégagés  et  fixés,  après 
avoir  vu,  comme  beaucoup  d'autres,  que  Faug- 
mentation  de  poids  des  métaux  calcinés  est  due  à 
la  fixation  d'une  portion  quelconque  de  l'air,  eut 
enfin  le  bonheur  particulier  de  reconnoître  et  de 
démontrer  par  une  suite  d'expériences  aussi  claires 
que  rigoureuses  que  non  seulement  les  métaux, 
mais  encore  le  soufre,  le  phosphore,  en  un  mot 
tous  les  corps  combustibles,  absorbent,  en  brû- 
lant, seulement  de  lair  pur  %  c'est-à-dire  cette  por- 
tion uniquement  respirable  de  Fair ,  et  cela  en 
quantité  précisément  égale  à  l'augmentation  de 
poids  des  chaux  ou  des  acides  produits;  qu'ils 
rendent  cet  air  en  se  réduisant,  et  que  Fair  ainsi 
restitué  se  change  en  air  fixe,  quand  c'est  par  le 
charbon  qu'on  les  réduit  \ 

Le  phlogistique  est  donc  un  être  de  raison,  se 
dit-il  ;  la  combustion  n'est  qu'une  combinaison  de 
l'air  pur  avec  les  corps.  La  lumière  et  la  flamme  qui 
s'y  développent  étoient  cette  chaleur  latente  em- 
ployée auparavant  à  maintenir  l'air  pur  à  l'état 
élastique.  Le  fluide  qui  reste  après  que  la  portion 

'  C'est  en  ce  point  que  consiste  ce  qu'il  y  a  de  propre  à  Lavoisier 
dans  sa  découverte:  ainsi  déterminée,  elle  fut  soupçonnée  seulement 
en  1774?  et  nettement  énoncée  en  1775. 

^  Opuscules  physiques  et  chimiques,  par  A.  h.  Lavoisier;  Paris^ 
iyy3.  —  Mémoires  de  l'Académie  des  Sciences,  années  1777,  p.  i86^ 
et  1781,  p.  448- 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  67 

pure  de  l'atmosphère  est  coDSommée  est  un  fluide 
particulier  dans  son  espèce.  L'air  noïnmé  fixe  est 
le  produit  spécial  de  la  combustion  du  charbon. 

Il  est  évident  que  dès-lors  la  nouvelle  théorie  fut 
découverte. 

On  devoit  naturellement  chercher  aussi  à  savoir 
ce  que  donne  la  combustion  de  lair  inflammable; 
il  étoit  d'ailleurs  nécessaire  qu'on  le  sût,  pour  ex- 
pliquer plusieurs  phénomènes  dans  lesquels  cet 
air  se  montre  ou  disparoît.  M.  Gavendish  observa 
le  premier  qu'il  se  manifestoit  de  l'eau  dans  cette 
combustion  '.  M.  Monge  fit  cette  expérience  de  son 
côté,  sans  connoître  celle  de  M.  Gavendish.  Lavoi- 
sier.  Meunier,  M.  Delaplace,  la  répétèrent  avec  les 
précautions  les  plus  rigoureuses  ^  ;  ils  obtinrent  de 
l'eau  qui  égaloit  en  poids  l'air  inflammable  brûlé  et 
l'air  pur  consommé.  On  fit  passer  à  son  tour  de 
Feau  sur  des  corps  qui  pouvoient  lui  enlever  son 
air  pur  ;  il  resta  de  l'air  inflammable.  La  composi- 
tion de  l'eau  fut  donc  connue.  Les  nombreuses  cal- 
cina tions  qu'elle  opère  sans  le  concours  de  l'air,  les 
productions  d'air  inflammable  par  ces  calcinations, 

'  L'expérience  de  M.  Gavendish  date  de  1781  ;  la  lecture  de  son 
Mémoire  est  de  janvier  1 783  ;  l'expérience  de  Lavoisier  de  juillet  1 783  : 
mais  M.  Gavendish,  dans  son  Mémoire,  conserve  l'hypothèse  du  phlo- 
gistique. 

'■  Développement  des  dernières  expériences  sur  la  décomposition 
et  la  recomposition  de  l'eau.  Journal  polytype  du  76  juillet  1786. 

5. 


68  SCIENCES    PHYSIQUES. 

furent  expliquées ,  et  les  principes  particuliers  à  la 
nouvelle  théorie  absolument  complétés. 

Ils  furent  en  quelque  sorte  démontrés,  lorsque 
Lavoisier  et  M.  Delaplace  eurent  imaginé  le  calori- 
mètre, et  que  la  quantité  de  chaleur  dégagée  dans 
chaque  combustion  se  trouva  constamment  ré- 
pondre à  la  quantité  d'air  pur  employée,  comme 
celle-ci  répondoit  à  l'augmentation  de  poids  du 
produit. 

On  put  alors  se  faire  des  idées  de  la  composition 
des  substances  combustibles  végétales,  formées  es- 
sentiellement de  la  réunion  de  Fair  pur,  du  char- 
bon, et  de  l'air  inflammable.  Les  quantités  respec- 
tives d'air  fixe  et  d'eau  qu'elles  fournissoient  en  brû- 
lant indiquèrent  les  proportions  de  leurs  principes. 
Les  fermentations  de  toute  espèce ,  ces  mouvements 
intestins  des  sucs  et  des  substances  végétales,  jus- 
que-là rebelles  à  toute  explication  précise,  ne  furent 
plus  que  l'effet  des  changements  d'affinités  qu'a- 
mène l'accès  de  l'air  et  de  la  chaleur.  Les  éléments 
de  ces  substances  une  fois  connus  et  mesurés,  on 
put  calculer  les  détails  et  les  résultats  de  leurs  nou- 
velles combinaisons;  on  put  confirmer  ce  calcul 
par  l'analyse  de  leurs  produits,  tels  que  l'alcohol  et 
le  vinaigre.  Ce  fut  encore  entièrement  là  l'ouvrage 
de  Lavoisier. 

Pendant  ce  temps  M.  Berthollet  faisoit  une  dé- 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  69 

couverte  particulière  destinée  à  tenir  une  grande 
place  dans  l'explication  de  phénomènes  plus  com- 
pliqués encore  '  ;  il  reconnoissoit  que  l'alcali  volatil 
est  formé  de  l'air  inflammable,  combiné  avec  cet 
air  nommé  jusque-là  phlogistiqué ,  qui  reste  de  l'air 
commun  après  la  combustion,  et  que  toutes  les 
matières  animales,  toutes  celles  des  végétales  qui 
donnent  cet  alcali  en  se  brûlant  ou  en  pourrissant, 
contiennent  de  l'air  phlogistiqué  :  c'étoit  à  ce  nou- 
vel élément  qu'étoient  dues  les  fermentations  pu- 
trides et  les  modifications  si  désagréables  de  leurs 
produits. 

Les  expériences  du  même  chimiste,  jointes  à 
celles  de  Priestley,  pouvoient  encore  faire  présumer 
un  emploi  important  de  cet  air,  celui  de  former 
l'acide  du  nitre  en  se  combinant  avec  l'air  pur  plus 
intimement  qu'ils  ne  le  font  dans  latmosphère;  et 
M.  Cavendish  ne  tarda  pas  à  changer  ces  soupçons 
en  certitude,  en  composant  cet  acide  immédiate- 
ment par  l'étincelle  électrique  \ 

On  peut  dire  qu'alors  la  théorie  nouvelle  s'é- 
tendit sur  toutes  les  branches  importantes  de  la 
science. 

Elle  n'est,  comme  on  voit,  qu'un  lien  qui  rap- 

'   Mémoire  sur   l'analyse   de   l'alcali   volatil,  lu  à  l'Académie  des 
Sciences  le  1 1  juin  1785.  Journal  de  Physique,  t.  XXIX,  p.  176. 
*  Voyez  les  Mémoires  cités  plus  haut. 


70  SCIENCES    PHYSIQUES. 

proche  heureusement  des  faits  particuliers  recon- 
nus en  des  temps  et  par  des  hommes  très  différents. 
La  découverte  de  la  chaleur  latente  par  Black; 
celle  du  dégagement  de  l'air  des  chaux  de  mercure 
.  réduites  sans  addition  par  Bayen  ;  celle  de  la  pro- 
duction de  Fair  fixe  dans  la  combustion  du  char- 
bon, et  de  Feau  dans  celle  de  Fair  inflammable,  par 
Cavendish ,  sont  des  portions  intégrantes  de  la  nou- 
velle chimie,  tout  comme  l'augmentation  de  poids 
des  métaux  calcinés,  déjà  annoncée  parLibavius, 
et  l'absorption  de  Fair  dans  les  calcinations,  re- 
connue dès  le  temps  de  Boyle. 

Mais  c'est  précisément  la  création  de  ce  lien  qui 
constitue  la  gloire  incontestable  de  Lavoisier.  Jus- 
qu'à lui,  les  phénomènes  particuliers  de  la  chimie 
pouvoient  se  comparer  à  une  espèce  de  labyrinthe 
dont  les  allées  profondes  et  tortueuses  avoient  pres- 
que toutes  été  parcourues  par  beaucoup  d'hommes 
laborieux;  mais  leurs  points  de  réunion,  leurs 
rapports  entre  elles  et  avec  l'ensemble,  ne  pou- 
voient être  aperçus  que  par  le  génie  qui  sauroit 
s'élever  au-dessus  de  Fédifice  et  en  saisiroit  le  plan 
d'un  œil  d'aipfe. 

C'est  ce  qu'a  fait  Lavoisier  dans  cette  science; 
c'est  ce  qu'ont  fait,  chacun. dans  la  leur,  tous  ceux 
dont  les  grandes  théories  ont  éclairé  la  nature.  Ici, 
comme  dans  toutes  les  autres  branches  ,  c'est  à 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  7I 

l'expression  la  plus  générale  des  faits  que  se  recon- 
noît  la  force  du  génie. 

L'Europe  fut  témoin,  à  cette  époque,  d'un  spec- 
tacle touchant,  dont  l'histoire  des  sciences  offre 
bien  peu  d'exemples.  Les  chimistes  françois  les 
plus  distingués,  les  contemporains  de  Lavoisier, 
ceux  qui  avoient  le  plus  de  droits  à  se  regarder 
comme  ses  émules ,  et  particulièrement  MM.  Four- 
croy,  BerthoUet,  et  Guy  ton ,  passèrent  franchement 
sous  ses  drapeaux,  proclamèrent  sa  doctrine  dans 
leurs  livres  et  dans  leurs  chaires,  travaillèrent  avec 
lui  à  l'étendre  à  tous  les  phénomènes  et  à  l'incul- 
quer dans  tous  les  esprits. 

C'est  par  cette  conduite  noble,  autant  que  par 
l'importance  de  leurs  propres  découvertes,  qu'ils 
méritèrent  de  partager  la  gloire  de  cet  heureux 
génie,  et  qu'ils  firent  donner  à  la  nouvelle  théorie 
le  nom  de  chimie françoise ,  sous  lequel  elle  est  adop- 
tée aujourd'hui  de  toute  l'Europe. 

Ce  n'est  pas  sans  combats  qu'elle  y  est  parvenue. 

Les  partisans  de  l'ancienne  doctrine  recoururent 
à  mille  ressources  pour  défendre  le  phlogistique  : 
les  uns  lui  attribuèrent  une  pesanteur  négative;  les 
autres  le  regardèrent  comme  identique  avec  l'air 
inflammable.  M.  Kirwan,  le  plus  habile  de  ceux 
qui  soutinrent  cette  dernière  modification  de  la 
théorie  de  Stahl,  fut  cependant  si  complètement 


72  SCIENCES    PHYSIQUES. 

réfuté  par  les  chimistes  François,  qu'il  s'avoua  vain- 
cu, et  qu'il  passa  solennellement  dans  leur  parti  '. 

On  peut  dire,  en  effet,  que  les  objections  que  la 
nouvelle  théorie  chimique  excita  dans  son  origine 
ont  toutes  été  combattues  avec  succès  :  elles  te- 
noient  ou  à  l'imperfection  des  expériences  que  Ton 
alléguoit,  ou  à  quelque  élément  que  l'on  négligeoit 
d'apprécier.  C'est  à  l'une  ou  à  l'autre  de  ces  deux 
classes  que  l'on  peut  rapporter  celles  de  Priestley  % 
de  Wiegleb,  de  Goettling. 

On  en  a  fait  nouvellement  quelques  autres,  ti- 
rées de  la  météorologie  ou  des  découvertes  du  gal- 
vanisme :  c'est  ici  le  lieu  d'en  dire  un  mot,  et  de 
faire  voir  qu'elles  ne  méritent  pas  véritablement  le 
nom  d'objections,  mais  qu'elles  indiquent  seule- 
ment des  développements  ultérieurs  dont  la  théo- 
rie est  peut-être  susceptible,  et  auxquels  on  doit 
donner  une  grande  attention. 

M.  Deluc  est  celui  qui  a  le  plus  insisté  sur  les  pre- 
mières. Il  arrive  très  souvent,  quand  on  est  sur  des 
montagnes,  qu'on  voit  naître  des  nuages  à  des  hau- 

'  Essai  sur  le  phlogistique  et  sur  la  constitution  des  acides,  traduit 
de  l'anglois  de  M.  Kirwan,  avec  des  notes  de  MM.  de  Morveau,  La- 
voisier,  Delaplace,'Monge,  Berthollet,  et  de  Fourcroy  ;  Paris,  1788, 
I  vol.  in-8". 

'  Réflexions  sur  la  doctrine  du  phlogistique  et  la  décomposition 
de  l'eau,  ouvrage  traduit  de  l'anglois  par  P.  A.  Adet  ;  Paris,  1798, 
1  vol  ia-8'^;  et  plusieurs  Mémoires  particuliers. 


CHIMIE    GENERALE.  7J 

teurs  OÙ  Fhygrométre  n'annonce  point  d'eau  dis- 
soute ni  suspendue,  et  où  d'ailleurs  il  ne  peut  y 
avoir  dair  inflammable.  D'où  vient  donc  l'eau  qui 
forme  ces  nuages,  à  moins  qu'elle  n'ait  fait  partie 
intégrante  des  gaz  qui  composent  l'atmosphère  '  ? 

Les  objections  tirées  du  galvanisme  tiennent  à  la 
décomposition  de  l'eau  par  la  pile  de  Vol  ta ,  décou- 
verte par  MM.  Ritter,  Carlisle,  et  Nicholson.  Deux 
fils  métalliques  communiquant  avec  les  deux  bouts 
de  la  pile,  et  plongés  dans  de  l'eau,  en  tirent  conti- 
nuellement, ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut, 
l'un  de  l'oxygène ,  l'autre  de  l'hydrogène ,  et  cela 
même  quand  ils  plongent  dans  deux  vases  séparés, 
pourvu  que  ceux-ci  soient  joints  par  une.  fibre  ani- 
male, le  corps  humain,  ou  tel  autre  conducteur. 
L'eau  d'un  vase  semble  devoir  se  changer  tout  en- 
tière en  oxygène,  celle  de  l'autre  en  hydrogène.  Ces 
deux  gaz  ne  seroient-ils  donc  pas  chacun  une  com- 
binaison de  l'eau  avec  l'un  des  principes  électriques 
excités  par  la  pile?  On  répond  que,  dans  toutes  les 
expériences ,  il  y  a  de  l'eau  intermédiaire,  et  qu'elles 
s'expliquent  par  ce  que  nous  avons  dit  ci-dessus, 
d'après  M.  Davy.  Même  lorsque  M.  Ritter  a  obtenu 
de  l'oxygène  sans  hydrogène,  en  mettant,  d'un  côté, 

'  Introduction  à  la  Physique  terrestre  par  les  fluides  expansibles  , 
précédée  de  deux  Mémoires  sur  la  nouvelle  théorie  chimique  consi- 
dérée sous  différents  points  de  vue;  Paris,  i8o3,  2  vol.  in-8°. 


74  SCIENCES    PHYSIQUES. 

de  l'acide  suliïnique,  il  s'est  précipité  du  soufre; 
ce  qui  prouve  que  l'hydrogène  de  l'eau  alloit  enle- 
ver l'oxygène  de  l'acide. 

îi  est  d'ailleurs  évident  que,  si  ces  conjectures 
venoient  à  se  vérifier,  la  nouvelle  théorie,  loin 
d'être  renversée,  auroit  fait  un  pas  de  plus,  et  que, 
quelle  que  soit  la  composition  de  l'oxygène,  il  n'en 
renipliroit  pas  moins,  dans  les  comhustions  de  tout 
genre,  le  rôle  que  cette  théorie  lui  assigne;  mais  il 
est  évident  aussi  que  l'on  ne  peut  regarder  ce  nou- 
veau pas  comme  entièrement  fait,  qu'autant  que 
les  propositions  qui  en  résulteroient  seroient  éta- 
blies sur  des  expériences  aussi  exactes  et  sur  des 
conclusions  aussi  rigoureuses  que  celles  des  créa- 
teurs de  la  chimie  françoise,  et  que  des  su  ppositions 
tirées  des  phénomènes  de  la  science  jusqu'à  présent 
les  plus  obscurs ,  non  seulement  à  l'égard  des  points 
en  question ,  mais  encore  par  rapport  à  toutes  les 
circonstances  qui  peuvent  les  précéder,  les  accom- 
pagner ou  les  suivre,  ne  peuvent  être  mises  au 
même  rang  que  des  faits  circonstanciés,  faciles  à 
reproduire  à  volonté,  et  dont  on  mesure  avec  pré- 
cision tous  les  détails. 

Nous  devons  en  dire  autant  des  développements 
d'un  autre  genre  que  des  savants  étrangers ,  et  sur- 
tout des  Allemands,  ont  cherché  récemment  à  don- 
ner à  la  théorie  chimique. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  76 

M.  Winterî,  professeur  à  Pesth,  en  est  le  princi- 
pal auteur  Ml  se  fonde  d'abord  sur  un  point  incon- 
testable; c'est  que  Toxygène  n'est  pas  le  principe 
général  de  l'acidité,  puisqu'on  ne  Fa  point  encore 
extrait  de  plusieurs  acides,  et  que  des  combinaisons 
où  il  n'entre  certainement  point  agissent  à  la  ma- 
nière des  acides,  ainsi  que  cela  est  reconnu  de  tout 
le  monde  pour  l'hydrogène  sulfuré,  tandis  que 
plusieurs  de  celles  où  il  entre,  comme  les  oxydes 
métalliques,  se  composent  à  la  manière  des  alcalis. 

Rangeant  alors,  d'un  côté,  avec  les  acides,  toutes 
les  substances  qui  agissent  comme  eux,  et  parmi 
lesquelles  il  compte  jusqu'au  soufre  et  à  la  silice,  et 
de  l'autre,  sous  le  nom  de  base,  toutes  celles  sur 
lesquelles  les  acides  réagissent,  comme  alcalis ,  ter- 
res, oxydes,  etc. ,  il  attribue  les  qualités  respectives 
de  ces  deux  ordres  de  corps  à  deux  principes  qu'il 
nomme  d'acide  et  de  basicité,  et  dont  la  tendance 
mutuelle  à  s'unir  occasione,  selon  lui,  toutes  les 
combinaisons  chimiques.  Les  corps  sont  tous  ori- 
ginairement composés  d'atomes  semblables,  et  les 
caractères  particuliers  à  chacun  dépendent  de  son 
degré  d'adhérence  au  principe  de  basicité  ou  d'aci- 

'  Prolusiones  in  chemiam  seculi  Jecimi  noni ,  auclore  Fr.  Jos.  Wm- 
terl  ;  1800,  i  vol.  in-8°.  —  Matériaux  d'une  chimie  du  dix-neuvième 
siècle,  en  allemand,  par  OErstedt;  Ratisbonne,  i8o5. — -Exposé  des 
quatre  éléments  de  la  nature  inorfjanique,  en  allemand,  par  Schuster; 
Berlin  ,  1806. 


76  SCIENCES    PHYSIQUES. 

dite;  adhérence  dont  M.  Winterl  fait  encore  un 
troisième  principe  immatériel,  qui  peut  se  perdre, 
se  reprendre,  et  se  transmettre  d'un  corps  à  l'autre. 

Une  matière  douée  du  principe  d'adhérence,  et 
qui  ne  demande  que  l'un  des  deux  autres  pour  de- 
venir active,  s'appelle  un  substrattim. 

Pour  ne  rien  dire  des  difficultés  métaphysiques 
qui  résulteroient  de  cette  admission  des  principes 
immatériels,  principalement  de  celle  du  dernier, 
qu'il  est  bien  difficile  de  se  représenter  autrement 
que  comme  une  relation,  et  pour  nous  en  tenir  au 
pur  examen  physique,  il  est  clair  qu'une  simple 
ressemblance  des  quahtés  des  corps  nautoriseroit 
pas  à  leur  attribuer  des  principes  communs.  Aussi 
M.  Winterl  cherche-t-il  à  prouver,  par  des  expé- 
riences, l'existence  de  ceux  qu'il  établit;  il  assure 
que  si  l'on  fait  sortir  d'une  combinaison  par  la  sim- 
ple chaleur  non  rouge,  soit  lacide,  soit  la  base,  le 
premier  n'en  ressort  pas  aussi  acide,  ni  la  seconde 
aussi  alcaline,  ou,  comme  il  s'exprime,  aussi  base 
qu'ils  y  sont  entrés.  C'est  qu'une  partie  des  deux 
principes  s'étoit  détachée  au  moment  de  la  combi- 
naison, pour  produire  la  chaleur,  qui  se  manifeste 
presque  toujours  lorsqu'on  iniit  un  acide  à  une 
base;  et  toute  chaleur  résulte, selon  lui,  de  l'union 
du  principe  de  Facidité  et  de  celui  de  la  basicité. 

Cet  affoiblissement  n'est  pas  sensible,  quand  on 


CHIMIE    GENERALE.  77 

décompose  par  un  acide  ou  par  une  base ,  parceque 
la  substance  qui  entre  en  combinaison  cède  le  su- 
perflu de  son  principe  à  celle  qui  s'en  va. 

L'oxygène  est  lui-même  un  acide,  et  1  bydrogène 
une  base,  qui  ont  l'eau  pour  substratum  commun  : 
c'est-à-dire  que  i'eau  acidifiée,  ou  saisie,  et,  comme 
M.  Winterl  s'exprime,  animée  par  le  principe  d'a- 
cidité, est  de  l'oxygène;  et  l'eau  basifiée,  ou  animée 
par  le  principe  de  basicité,  de  Fliydrogène.  On  ne 
s'étonne  donc  plus  que  ces  deux  gaz  donnent  de 
l'eau  en  brûlant,  et  l'on  devine  déjà  que  les  deux 
électricités  contiennent  les  deux  principes,  ou  plu- 
tôt sont  ces  principes  eux-mêmes ,  et  que  c'est  ainsi 
que  la  pile  a  l'air  de  décomposer  l'eau  et  les  sels. 
Aussi  faut-il  avouer  que  M.  Winterl  avoit,  en  quel- 
que sorte,  prévu  ses  effets  chimiques,  avant  que 
MM.  Ritter  et  Davy  les  eussent  découverts.  La  diffé- 
rence du  galvanisme  à  l'électricité  vient  de  la  faculté 
qu'a  le  premier  de  communiquer  aux  corps  le  prin- 
ciped'adhérence  et  deleur  faire  retenir  par-là  les  deux 
principes  actifs.  Le  maximum  possible  de  chaleur 
naît  delà  combustion  de  l'hydrogène  par  l'oxygène 
tiré  des  oxydes  au  moyen  de  la  chaleur,  i''  parceque 
celui-ci  est  le  plus  acidifié  possible,  beaucoup  plus 
que  celui  qu'on  tire  de  l'air  commun;  2°  parceque 
les  deux  gaz  sont  entièrement  désanimés  dans  l'o- 
pération ;  3° parceque  la  diminution  de  capacité  du. 


-jS  SCIENCES    PHYSIQUES. 

produit  vient  se  joindre  aux  deux  autres  causes. 

Mais,  comme  à  la  longue  une  réunion  complète 
de  toutes  les  portions  des  deux  seuls  principes  actifs 
réduiroit  toute  la  matière  à  son  inertie  naturelle, 
M.  Winterl  fait  intervenir  la  lumière  pour  les  sépa- 
rer en  certaines  occasions  et  les  rendre  aux  divers 
siibstratum  dont  elle  les  dégage  aussi  quelquefois. 

On  entrevoit  sans  doute,  dans  ce  court  exposé, 
qu  en  alliant  ces  vues  avec  les  nouvelles  lois  de  l'af- 
finité et  avec  celles  des  combinaisons  de  la  chaleur, 
on  doit  arriver  à  une  explication  assez  plausible  de 
la  plupart  des  phénomènes  chimiques,  et  même 
que  l'on  pourroit  en  éclaircir  quelques  uns  de  ceux 
qui  restent  encore  obscurs  pour  la  théorie  reçue  : 
cet  avantage,  et  le  rapport  qu'on  a  cru  apercevoir 
entre  les  deux  principes  actifs  de  M.  Winterl  et  le 
système  métaphysique  du  dualisme  aujourd'hui  fort 
en  vogue  dans  rAllemagnc,  ont  donné  du  crédit  en 
ce  pays-là  aux  idées  du  chimiste  hongrois. 

Mais  le  système  le  plus  séduisant,  l'édifice  le 
plus  ingénieux,  ne  peut  subsister  s'il  n'est  fondé 
sur  l'expérience.  Tant  que  les  pertes  de  force,  que 
M.  Winterl  prétend  causées  aux  acides  et  aux  bases 
par  leur  simple  passage  à  l'état  de  combinaison, 
n'auront  pas  été  généralement  démontrées,  ses  deux 
principes  ne  pourront  être  reconnus.  Or  M.  Ber- 
thollet  vient  de  répéter  les  principales  expériences 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  -79 

sur  lesquelles  M.  Winterl  s'appuie  pour  établir  ce 
point  capital,  et  il  les  a  trouvées  fausses.  Ce  qui  les 
rendoit  suspectes  d'avance  c'est  que  quelques  autres 
que  M.  Winterl  a  mises  en  avant  sur  des  sujets  plus 
particuliers  n'ont  également  pu  encore  être  vérifiées 
par  ceux  qui  les  ont  tentées  et  spécialement  par 
MM.  Guyton  de  Morveau  et  Bucholz  '. 

Nous  voulons  sur-tout  parler  de  Vandronia  et  de 
la  t/ieljka,  deux  substances  auxquelles  M.  Winterl 
fait  jouer  un  grand  rôle  dans  les  pbénoménes  par- 
ticuliers, et  qu'il  ne  paroît  pas  qu'on  ait  pu  repro- 
duire en  suivant  des  procédés  qu'il  indique. 

Nouvelle  nomenclature  chimique. 

Pour  reprendre  le  fil  de  l'histoire  de  la  chimie, 
nous  dirons  que  l'un  des  moyens  qui  ont  le  plus 
puissamment  contribué  à  faciliter  l'enseignement 
de  la  science  en  général,  et  à  préparer  l'adoption 
universelle  de  la  théorie  nouvelle,  c'est  la  nomen- 
clature créée  par  une  société  de  chimistes  françois 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 

Les  termes  de  la  chimie  se  ressentoient  encore, 
à  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  des  temps  déplo- 
rables où  cette  science  a  commencé  à  naître;  plu- 
sieurs étoient  entièrement   barbares  ;  la  plupart 

'   Annales  de  Chimie  de  1807. 


8o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

coiiservoient  cet  air  mystique  ou  merveilleux  qui 
leur  avoit  été  donné  par  des  charlatans  ;  presque 
aucun  n  avoit  le  moindre  rapport  d'étymologie  avec 
Fobjet  qu'il  dési^noit,  ni  avec  les  noms  des  objets 
analogues:  si  quelque  chose  en  justifioit  Fusage, 
c  etoit  Timpossibilité  de  faire  mieux ,  tant  qu'on 
n'avoit  point  d'idée  nette  de  la  composition  de  la 
plupart  des  substances. 

Donner  aux  éléments  des  noms  simples  ;  en  dé- 
river, pour  les  combinaisons ,  des  noms  qui  expri- 
massent l'espèce  et  la  proportion  des  éléments  qui 
les  constituent,  c'étoit  offrir  d'avance  à  l'esprit  le 
tableau  abrégé  des  résultats  de  la  science,  c'étoit 
fournir  à  la  mémoire  le  moyen  de  rappeler  par 
les  noms  la  nature  même  des  objets.  C'est  ce  que 
M.  Guyton  de  Morveau  proposa  le  premier  dès 
1-781,  et  ce  qui  fut  complètement  exécuté  par  lui 
et  par  ses  collègues  en  i  -y  8  7  ' . 

Il  falloit  s'attendre  que  la  plupart  des  anciens 
chimistes  ne  se  résoudroient  qu'à  regret  à  étudier 
un  système  entier  de  dénominations  nouvelles  ; 
mais  il  falloit  espérer  que  les  jeunes  gens  se  trou- 
veroient  heureux  de  recevoir  une  instruction  sim- 
plifiée par  la  fusion  des  noms  et  des  définitions.  La 

'  Méthode  de  nomenclature  chimique  proposée  par  MM.  de  Mor- 
veau, Lavoisier,  Berthollet,  et  de  Fourcroy  ;  Paris,  1787,  i  volume 
in-8°. 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  8l 

nouvelle  nomenclature  n'est  en  effet  que  cela  :  il 
seroit  ridicule  de  vouloir  en  faire  un  instrument 
de  découvertes,  puisqu'elle  n'est  que  l'expression 
des  découvertes  faites;  mais  il  est  juste  de  voir  en 
elle  un  excellent  instrument  d'enseignement.  Sans 
doute  elle  ne  peut ,  comme  toute  définition,  rendre 
que  ce  que  l'on  savoit  à  l'époque  où  on  l'a  faite  : 
ainsi  les  acides  dont  on  ignore  le  radical,  ceux  dont 
on  n'a  point  déterminé  le  degré  d'oxygénation,  n'y 
portent  encore  que  des  noms  provisoires;  peut-être 
aussi  auroit-on  dû  donner  à  l'acide  nitrique  son 
véritable  nom,  puisqu'on  savoit  dès -lors  de  quoi 
il  est  formé;  l'ammoniaque  ne  devoit  pas  non  plus 
y  porter  un  nom  simple,  dès  que  l'on  connoissoit 
sa  composition. 

Mais  une  partie  de  ces  défauts  tient  à  l'état  de  la 
science  ;  les  autres  peuvent  aisément  être  corrigés , 
et  ils  notent  rien  à  l'utilité  de  la  nomenclature  mé- 
thodique ni  au  mérite  de  ses  inventeurs. 

On  se  tromperoit  cependant  si  l'on  attribuoit  en- 
tièrement à  la  nouvelle  nomenclature,  ou  même  à 
la  nouvelle  théorie  de  la  combustion,  l'état  brillant 
où  la  chimie  est  arrivée  de  nos  jours. 

Il  en  est  une  cause  encore  plus  essentielle,  à  la- 
quelle même  on  doit,  à  proprement  parler,  et  cette 
théorie  nouvelle ,  et  les  découvertes  qui  l'ont  fait 
naître,  aussi  bien  que  celles  qui  l'ont  suivie.  Nous 


nOFFON.   COMPLEM.  T.   I. 


82  SCIENCES    PHYSIQUES. 

l'avons  déjà  indiquée  en  général;  mais  il  est  bon 
d'en  parler  encore  dans  cette  occasion  où  son  im- 
portance est  si  frappante.  C'est  l'esprit  mathéma- 
tique qui  s'est  introduit  dans  la  science,  et  la  ri- 
goureuse précision  qu'on  a  portée  dans  l'examen 
de  toutes  ses  opérations. 

Bergman  en  avoit  donné  l'exemple  dans  ses  mé- 
thodes d'analyse  minérale  ;  Priestley  s'y  étoit  fort  at- 
taché dans  ses  expériences  sur  les  airs  ;  M.  Gavendish 
sur-tout,  que  nous  avons  déjà  nommé  tant  de  fois, 
avoit  procédé  constamment  en  géomètre  profond, 
autant  qu'en  chimiste  ingénieux. 

Les  nouveaux  chimistes  françois  se  sont  plus 
rigoureusement  encore  astreints  à  cette  marche 
sévère  qui  pouvoit  seule  donner  à  leur  doctrine  le 
caractère  de  la  démonstration;  et  c'est  sur -tout 
dans  cette  partie  qu'ils  ont  eu  à  se  louer  du  con- 
cours de  quelques  uns  de  nos  géomètres  les  plus 
distingués,  et  que  Ton  a  pu  juger  de  l'heureux  effet 
de  cette  association  des  divers  genres  d'études. 

Nous  avons  déjà  parlé  du  calorimètre  imaginé 
par  Lavoisier  et  par  M.  Delaplace.  Le  gazomètre 
dû  aux  recherches  de  Lavoisier  et  de  Meunier  n'est 
pas  moins  important.  Déjà  auparavant  l'appareil 
pneumato- chimique  de  Mayow,  de  Haies  et  dv. 
Priestley,  et  l'appareil  de  Woulf  pour  la  sépara- 
tion  des  différents   gaz,   avoient  rendu   les   plus 


CHIMIE    GÉNÉRALE.  83 

[i^rands  services  :  ce  dernier  a  été  depuis  extrême- 
ment perfectionné  par  M.  Welther. 

C'est  dans  le  Traité  élémentaire  de  Lavoisier  '  que 
l'Europe  vit  pour  la  première  fois  avec  étonnement 
le  système  entier  de  la  nouvelle  ch  imie,  et  cette  belle 
réunion  d'instrumentsingfénieux, d'expériences  pré- 
cises, et  d'explications  heureuses,  présentées  avec 
une  clarté  et  dans  un  enchaînement  qui  n'étoient 
guère  moins  admirables  que  leur  découverte. 

Ce  livre  ayant  paru  précisément  en  1789,  on 
peut  dire  que  tous  les  travaux  de  chimie  particu- 
lière dont  nous  avons  maintenant  à  rendre  compte 
se  sont  exécutés  sous  son  influence;  et  c'est  le  point 
de  départ  le  plus  convenable  que  nous  puissions 
choisir,  puisqu'il  fait  véritablement  l'une  des  plus 
grandes  époques  de  l'histoire  des  sciences. 


CHIMIE   PARTICULIERE. 

Nouveaux  éléments  métalliques. 

Nous  sommes  loin  aujourd'hui  de  la  doctrine 
bizarre  des  anciens,  qui  prétendoient  composer 
tous  les  corps  avec  quatre  éléments  ou  modifica- 

'  Traité  élémentaire  de  Chimie,  présenté  dans  un  ordre  nouveau, 
et  d'après  les  découvertes  modernes,  par  M.  Lavoisier;  Paris,  1789, 
2  vol.  in-8°. 

C. 


84  SCIENCES    PHYSIQUES. 

lions  primitives  de  la  matière  :  celle  des  chimistes 
du  moyen  âge,  avec  leurs  terres,  leurs  soufres, 
leurs  sels,  et  leurs  mercures,  s'est  écroulée  aussi 
devant  l'expérience  et  une  saine  logique.  Tout  ce 
que  nous  ne  pouvons  décomposer  est  un  élément 
pour  nous;  et  chaque  fois  que  nous  rencontrons 
une  nouvelle  matière  rebelle  à  notre  analvse,  nous 
nous  croyons  en  droit  de  l'inscrire  sur  la  liste  des 
substances  simples,  bien  entendu  que  nous  ne  les 
considérons  comme  telles  que  relativement  à  l'état 
actuel  de  nos  connoissanccs.  Ces  substances  non 
encore  décomposées  vont  aujourd'hui  à  près  de 
cinquante ,  et  les  métaux  de  toute  espèce  y  occu- 
pent un  rang  considérable. 

Les  anciens,  comme  on  sait,  n'en  possédoient 
que  sept;  et  l'identité  de  ce  nombre  avec  celui  de 
leurs  planètes  et  avec  celui  des  notes  de  la  gamme 
et  des  couleurs  de  l'iris ,  avoit  donné  lieu  à  une 
foule  d'idées  superstitieuses  ou  ridicules.  On  dé- 
couvrit, pendant  le  moyen  âge,  quelques  demi- 
métaux,  l'antimoine,  le  bismuth,  le  zinc,  le  cobalt, 
le  nickel',  dont  les  noms  tudesques  attestent  en- 
core aujourd'hui  l'origine.  Les  chimistes  de  l'école 
Je  Stahl  constatèrent  la  nature  métallique  et  parti- 
culière des  deux  derniers,  ainsi  que  celle  de  l'arse- 

'   Découvert    depuis   long- temps,  mais  reconnu  pour  un    métal 
particulier,  en  1762,  par  Cronstedt. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  8!) 

nie,  du  molybdène  ',  du  tungstène  %  et  du  man- 
ganèse^. 

Leurs  longues  recherches  parvinrent  à  purifier 
le  platine,  et  à  nous  montrer  en  lui  un  nouveau 
métal  noble,  le  plus  pesant  et  le  plus  inaltérable  de 
tous. 

On  comptoit  donc  en  1789  dix-sept  métaux, 
soit  cassants,  soit  ductiles:  dès  cette  année  M.  Kla- 
proth  en  découvrit  un  dix-huitième,  Turane^. 

Il  y  en  ajouta,  en  1795,  un  dix -neuvième,  le 
titane,  que  M.  Gregor  avoit  soupçonné  dans  une 
substance  du  pays  de  Gornouailles.  et  qui  s'est  re- 
trouvé dans  une  foule  de  minéraux.  Son  oxyde  com- 
j^ose  seul  ce  que  l'on  nommoit  sc/iorl  rouge  et  scliorl 
octaèdre. 

Muller,  Bergman,  et  Kirwan  avoient  aussi  soup- 
çonné un  métal  dans  quelques  mines  d'or  de  Hon- 
grie; M.  Klaproth  l'y  a  démontré  en  1798,  et  Ta 
nommé  tellure^. 

M.  Vauquelin  a  fait  en  ce  genre,  en  1797,  une 

'  Scheele  en  détermina  l'acide  en  1778;  Hielm,  disciple  de  Berg- 
man, le  métal. 

^  L'acide  en  fut  reconnu  par  Scheele  en  1781  ;  Bergman  saupçon- 
noit  sa  nature  métallique;  JVOI.  d'Elhuyar  l'ont  réduit  les  premiers. 

^  Gahn  l'a  réduit  le  premier  ;  Bergman  et  Scheele  en  soupçonnoicnt 
la  nature. 

^^  Annales  de  Chimie,  t.  IV,  p.  162. 

'  Annales  de  Chimie,  t,  XXV,  p.  278;  mémoire  lu  à  l'Académie 
de  Berlin  le  25  janvier  1798. 


86  SCIENCES    PHYSIQUES. 

découverte  qui  efface,  pour  ainsi  dire,  toutes  les 
autres  par  le  rôle  brillant  que  son  métal  joue  dans 
la  nature,  et  par  son  utilité  dans  les  arts:  c'est  le 
chrome.  Son  oxyde  est  d'un  beau  vert,  et  son  acide 
d'un  beau  rouge;  il  sert  de  minéralisateur  au  plomb 
rouge  de  Sibérie,  et  de  principe  colorant  à  l'énie- 
raude  et  au  rubis.  Il  y  en  a  en  abondance  de  com- 
biné avec  du  fer,  et  on  le  retrouve  jusque  dans  les 
pierres  météoriques.  La  porcelaine,  pour  laquelle 
on  n  avoit  point  jusqu'ici  de  vert  qui  pût  soutenir 
le  grand  feu,  en  reçoit  un  de  l'oxyde  du  chrome, 
aussi  beau  dans  son  genre  que  le  bleu  qu'elle  tire 
du  cobalt;  on  s'en  sert  pour  imiter  parfaitement 
la  couleur  des  émeraudes;  et  l'acide  du  chrome, 
combiné  avec  le  plomb,  donne  un  rouge  inalté- 
rable aussi  beau  que  le  minium  '. 

Les  travaux  presque  simultanés  de  MM.  Four- 
croy,  Vauquelin,  Descotils,  Wollaston,  et  Smith- 
son-Tennant,  viennent  de  mettre  au  jour  (en  1 8o5 
et  1 806)  quatre  métaux  distincts  et  très  remarqua- 
bles, qui  se  trouvent  mélangés  avec  le  platine  brut. 
L'un  d'eux,  le  palladium,  ressemble  à  l'argent  par 
l'éclat,  la  couleur,  et  la  ductilité;  mais  il  est  plus 
pesant  et  plus  inaltérable  :  un  autre,  \osmium,  a  la 
propriété  singulière  de  se  dissoudre  dans  l'eau ,  de 

'  Annales  de  Chimie,  t.  XXV,  p.  21;  mémoire  lu  à  l'Institut  le  11 
brumaire  au  6. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  87 

lui  donner  une  saveur  et  une  odeur  fortes,  et  de 
s'élever  avec  elle  en  vapeurs;  le  troisième,  Yiridium, 
est  remarquable  par  les  couleurs  vives  qu'il  com- 
munique à  ses  dissolutions;  le  quatrième  enfin,  le 
rhodium,  les  colore  toutes  en  rose  '. 

Cette  découverte  presque  subite  de  quatre  sub- 
stances métalliques  dans  un  minéral  où  on  les 
soupçonnoit  si  peu,  et  où  elles  sont  accompag^nées 
de  sept  autres  déjà  connues,  peut  faire  croire  qu'il 
en  reste  encore  beaucoup  à  distinguer  dans  la  na- 
ture: une  foule  de  différences  pbysiques  des  miné- 
raux exigent  en  quelque  sorte,  pour  être  expliquées, 
que  l'on  y  découvre  de  nouveaux  principes. 

Déjà  M.  Hatchett  a  retiré,  en  1802,  d'un  mi- 
nerai des  États-Unis,  un  métal  particulier  qu'il  a 
nommé  columbiiim.  MM.  Hisinger  et  Berzelius  eu 
ont  trouvé  un  autre,  le  cerium,  dans  un  minerai 
de  Suéde^;  et  M.  Ekeberg  un  troisième  en  1801, 
le  tantale,  dans  deux  minerais  du  même  pays ^.  Mais 
ces  trois  métaux  ont  des  propriétés  moins  saillantes 
que  les  précédents;  et  l'on  annonce  que  le  tantale 
n'est  qu'une  combinaison  de  letain. 

La  liste  des  substances  métalliques  iroit  donc 

'    Bulletin  des  Sciences,  florëal  et  fructidor  an    11,  germinal  et 
fructidor  an  12,  et  vende'miaire  an  i3. 

^  Journal  de  Physique,  t.  LIV,  pages  85,  1G8,  36i. 
^  Journal  de  Physique,  t.  LV,  [)ages  238  et  281. 


88  SCIENCES    PHYSIQUES. 

aujourd'hui  à  vingt-huit,  ou  vingt-sept  en  retran- 
chant le  tantale. 

Nouveaux  éléments  terreux. 

Celle  des  éléments  terreux  n'est  pas  aussi  consi- 
dérable. Les  anciens  et  les  chimistes  du  moyen  âge 
n'en  admettoient  qu'une  seule  espèce,  qu'ils  dési- 
gnoient  par  les  noms  vagues  de  terre  et  de  caput 
îïiortuum. 

C'est  dans  l'école  de  Stahl  seulement  qu'on  a 
commencé  à  distinguer  la  terre  calcaire,  la  sili- 
ceuse, et  l'argileuse;  encore  beaucoup  de  minéra- 
logistes les  regardoient-ils  en  ce  temps-là  comme 
des  modifications  d'une  substance  commune. 

Les  travaux  de  Black  et  de  Margraf  y  ajoutèrent 
la  magnésie;  et  ceux  de  Scheele  et  de  Gahn,  la  ba- 
ryte ou  terre  pesante.  Ainsi  l'on  connoissoit  cinq 
terres  en  1^89. 

M.  Klaproth  se  présente  encore  le  premier  parmi 
ceux  qui  ont  augmenté  cette  liste.  Il  découvrit  la 
zircone  en  i  7  89  dans  la  pierre  dite  jargon  de  Cejlan\ 
et  la  retrouva  ensuite  dans  une  variété  d'hyacinthe. 
M.  deMorveau  prouva  qu'elle  entre  essentiellement 
dans  toutes  les  véritables  gemmes  de  ce  noni\ 

'  Mémoires  de  la  Société  des  amis  scrutateurs  de  !a  nature,  de  Berlin. 
'   Annales  de  Chimie,  t.  XXI,  p,  72. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  89 

M.  Klaproth  distingua  en  1793  la  strontiane, 
que  l'on  avoit  confondue  jusqu'à  lui  avec  la  baryte. 
M.  Fourcroy  a  fait  voir  que  l'une  et  l'autre  jouissent 
éminemment  des  propriétés  alcalines'. 

M.  Vauquelin  se  montra  aussi  bientôt  un  digne 
émule  de  M.  Klaproth  dans  ce  genre  de  recherches, 
en  découvrant  en  1798  la  glucine,  qui  fait  la  base 
du  beril  et  de  l'émeraude  :  son  nom  vient  de  la  sa- 
veur sucrée  des  sels  qu'elle  forme  avec  les  acides^. 

Enfin  M.  Gadolin  a  reconnu  encore  en  1794 7 
dans  une  pierre  de  Suéde,  une  terre  particulière 
qu'il  a  nommée  jifn'a. 

x\insi  la  chimie  possède  aujourd'hui  neuf  terres 
distinctes  qu'il  n'a  pas  été  possible  de  convertir  les 
unes  dans  les  autres^  et  dont  aucune  n'a  pu  être 
réduite  à  l'état  métallique,  quoi  que  l'on  ait  fait 
pour  cela,  et  malgré  la  ressemblance  frappante 
qu'a  la  baryte  avec  les  oxydes  ;  il  faut  donc  les  con- 
server dans  la  liste  des  substances  simples  pour  nos 
instruments. 

L'heureuse  détermination  des  principes  de  l'al- 
cali volatil  par  M.  Berthollet  pouvoit  faire  espérer 
que  l'on  parviendroit  à  décomposer  également  les 
deux  alcalis  fixes;  mais  toutes  les  tentatives  faites 

'   Journal  de  Physique,  t.  XLV,  p.  56. 

^  Analyse  de  l'aiguemarine,  etc.,  lue   à   l'Institut  le  26  pluviôse 
an  6  ;  Annales  de  Chimie,  t.  XXVI,  p.  1 55. 


go  SCIENCES    PHYSIQUES. 

jusqu'à  présent  pour  cela  ont  été  vaines,  et  Ton 
doit  aussi  les  laisser  dans  la  liste  des  éléments  ^ 

Les  chimistes  dévoient  de  même  être  encoura- 
ntes, par  la  découverte  du  radical  de  l'acide  nitri- 
que, à  la  recherche  de  ceux  des  trois  autres  acides 
minéraux  non  décomposés,  savoir,  du  fluorique, 
du  boracique,  et  du  muriatique:  mais  ils  n'y  ont 
pas  eu  plus  de  succès  que  dans  l'analyse  des  alcalis 
fixes;  et  si  Ton  ne  place  pas  également  ces  acides 
dans  la  série  des  principes  élémentaires,  c'est  que 
l'analogie  n'a  guère  permis  jusqu'à  présent  de  dou- 
ter qu'ils  ne  soient,  comme  les  autres,  formés  de 
la  combinaison  d'un  radical  quelconque  avec  l'oxy- 


gène. 


Nouveaux  acides. 


On  a  été  plus  heureux  à  découvrir  des  acides 
nouveaux;  l'école  de  Stabl  en  avoit  déjà  obtenu 
plusieurs  \ 

On  sait  en  effet  que  l'acide  sulfurique,  le  ni- 
trique, et  le  muriatique,  étoient  seuls  connus  des 

'  Nous  avons  dëja  remarqué  que  les  expériences  de  M.  Davy  n'é- 
toient  pas  connues  lors  de  la  rédaction  de  ce  rapport  :  au  reste  on 
est  encore  en  doute  si  le  produit  d'apparence  métallique  qu'elles  don- 
nent résulte  de  la  décomposition  des  alcalis,  ou  de  leur  combinaison 
avec  le  charbon. 

*  Voyez  en  général  l'excellent  article  Acide,  dans  V Encyclopédie 
méthodique ,  par  M.  de  Morveau;  et  les  chapitres  sur  le  même  sujet, 
dans  les  Systèmes  de  Chimie  de  M.  Fourcroy  et  de  M.  Thomson. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  9I 

chimistes  du  moyen  âge  :  le  sulfureux  fut  distin- 
j]ué  par  Stalil  lui-même;  le  boracique,  par  Hom- 
Ler(};  le  phosphorique,  par  Margraf  ;  le  carbonique, 
par  Black,  Cavendish,  et  Bergman;  le  fluorique, 
par  Scheele. 

Ce  dernier  fit  connoître  deux  acides  à  base  mé- 
tallique, ceux  du  molybdène  et  du  tungstène,  et 
éclaircit  la  nature  de  celui  de  Faisenic. 

Ce  même  Scheele,  dont  les  découvertes  en  ont 
tant  préparé  à  ses  successeurs,  ayant  oxygéné,  ou, 
comme  on  sexprimoitalors,  déphlogistiqué  Facide 
muriatique,  produisit  Facide  muriatique  oxygéné, 
dont  les  propriétés  étonnantes  ont  été  pour  les  chi- 
mistes une  source  si  féconde  de  vérités  nouvelles, 
qui  tiennent  presque  toutes  à  la  facilité  avec  laquelle 
cet  acide  abandonne  son  oxygène  surabondant. 

La  période  dont  nous  avons  à  rendre  compte  n'a 
fourni  que  deux  nouveaux  acides  à  base  métalli- 
que; le  chromique,  trouvé  en  même  temps  que  le 
chrome  par  M.  Vauquelin  ,  et  le  columbique  ,  par 
M.  Hatchett:  on  n'y  a  reconnu  aucun  acide  nou- 
veau qui  soit  indécomposable;  mais  les  acides  à 
bases  compliquées,  binaires,  ou  ternaires,  se  sont 
multipliés  davantage,  soit  qu'on  les  ait  découverts 
déjà  tout  formés  dans  les  végétaux  ou  dans  les  ani- 
maux, soit  qu'on  les  y  ait  produits  par  l'oxygénation. 

Les  anciens  possédoient  au  fond  presque  tous  les 


92  SCIENCES    PHYSIQUES. 

acides  animaux  et  végétaux  naturels,  tels  que  celui 
du  vinaigre,  celui  du  citron,  et  celui  du  sel  d'o- 
seille; mais  ils  étoient  loin  de  les  distinguer  nette- 
ment, et  plus  loin  encore  d'avoir  des  idées  justes  de 
leur  composition. 

Bergman^  fit  faire  un  grand  pas  à  leur  théorie, 
et  même  à  toute  la  chimie  des  corps  organisés ,  en 
montrant  qu'il  étoit  possible  d'en  préparer  artifi- 
ciellement. En  traitant  le  sucre  par  l'acide  nitri- 
que, il  obtint  un  acide  végétal,  que  Scheele  re- 
connut pour  le  même  que  celui  du  sel  d'oseille. 
Scheele  en  produisit  à  son  tour  un  nouveau ,  en 
traitant  de  la  même  manière  le  sucre  de  lait;  c'est 
l'acide  saccolactique  ou  muqueux.  Ce  même  chi- 
miste enseigna  à  obtenir  purs  les  acides  du  ben- 
join et  du  tartre,  que  Ion  connoissoit  depuis  long- 
temps^; il  découvrit  la  nature  acide  du  calcul  de 
la  vessie  et  celle  du  principe  astringent  de  la  noix 
de  galle.  Hermstaedt^  caractérisa  l'acide  des  pom- 
mes, qui  s'est  retrouvé  dans  presque  tous  les  fruits 
rouges,  et  que  M.  Vauquelin  a  montré  à  fabriquer, 
en  traitant  les  gommes  par  facide  nitrique.  Kose- 

'  Voyez  en  général  les  Opuscules  physiques  et  chimiques  de  Berg- 
man :  il  y  en  a  une  traduction  par  M.  de  Morveau;  Dijon,  1780, 
2  vol.  in~8°. 

^   Voyez  le  Journal  de  Physique,  1783,  t.  I,  pages  67  et  170. 

^  Journal  de  Physique,  t.  XXXII,  p.  5"]. 


CHIMIE    PAKTICULIÈRE.  ()3 

garten'  fit  connoître  celui  qu  on  retire  de  l'oxygé- 
nation du  camphre.  Georgii  et  Bergman  déter- 
minèrent les  propriétés  distinctives  de  celui  des 
citrons.  On  s'est  assuré  en  général  que  presque 
toutes  les  matières  végétales  et  même  animales 
peuvent  s'acidifier  par  divers  procédés  d'oxygéna- 
tion: ainsi  les  matières  animales  donnent,  par  l'a- 
cide nitrique,  des  acides  en  tout  semblables  à  ceux 
des  pommes  et  de  l'oseille. 

L'acide  du  vinaigre  sur-tout  se  forme  dans  toutes 
les  matières  vineuses  exposées  à  l'air ,  et  dans  une 
multitude  d'autres  opérations  naturelles  ou  artifi- 
cielles, dont  M.  Fourcroy  a,  îe  premier,  bien  spé- 
cifié les  effets.  On  le  supposoit  susceptible  de  divers 
degrés  d'oxygénation,  et  on  luidonnoit,  d'après  les 
régies  de  la  nouvelle  nomenclature,  tantôt  le  nom 
d'acide  acétique,  tantôt  celui  d'acide  acéteux:  M.  Adet 
a  montré  récemment  qu'il  n  y  a  que  divers  degrés 
de  concentration  ^ 

Cet  acide  acétique,  en  se  mêlant  à  diverses  sub- 
stances, se  montre  sous  des  apparences  qui  l'ont 
quelquefois  fait  prendre  pour  des  acides  particu- 
liers. Par  exemple  ceux  qu'on  obtient  eu  distillant 
le  bois  et  les  gommes  avoient  requ  les  noms  de 

'   Journal  de  Physique,  t.  XXXV,  p.  291. 

*   Annales  de  Chimie,  t.  XXVI,  p.  291;  lu  à  l'Institut  le  ii  ther- 
midor an  6. 


94  SCIENCES   PHYSIQUES. 

pyroligneux  et  de  pyromuqueux  :  MM.  Fourcroy  et 
Vauquelin  ont  fait  voir  qu'ils  ne  consistent  qu'en 
acide  acétique,  altéré  par  une  portion  d'huile  em- 
pyreumatique  qui  s'élève  avec  lui.  L'acide  que 
Scheele  pensoit  avoir  trouvé  dans  le  petit-lait  n'est 
encore,  suivant  ces  chimistes  célèbres,  que  de  l'a- 
cide acétique  mêlé  à  la  partie  caséeuse  du  lait\ 

On  croyoit  également  obtenir  un  acide  particu- 
lier en  distillant  le  suif.  M.  Thenard  a  montré  que 
c'est  de  l'acétique  mêlé  de  graisse  ^ 

Il  y  a  aussi  des  combinaisons  de  deux  acides  que 
l'on  jugeoit  former  des  espèces  simples,  et  dont  les 
éléments  ont  été  démêlés  par  des  recherches  ré- 
centes. 

L'acide  des  fourm  is ,  par  exemple ,  ne  s'est  trouvé , 
selon  MM.  Fourcroy  et  Vauquelin,  qu'un  mélange 
d'acide  phosphorique,  de  malique  et  d'acétique^. 
Ces  chimistes  soupçonnent  qu'il  en  est  de  même  de 
celui  des  vers-à-soie. 

Il  ne  reste  donc  des  anciens  acides  animaux  que 
celui  du  calcul  de  la  vessie,  auquel  M.  Fourcroy  a 
donné  le  nom  d'urique ,  et  l'acide  prussique,  qui  se 
prépare  artificiellement,  et  qui  estsiutileà  la  chimie 
pour  reconnoîtredans  ses  analyses  lesmoindres par- 

'   Bulletin  des  Sciences,  vendémiaire  an  9. 

^  Ibid.,  prairial  an  9. 

^  Annales  du  Muse'um  d'histoire  naturelle,  t.  I,  p.  333. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  gS 

celles  de  fer,  et  aux  arts,  comme  l'un  des  ing^rédients 
du  bleu  de  Prusse.  Scheele  est  encore  celui  qui  en  a 
reconnu  le  premier  la  nature  acide.  Il  a  été  trouvé 
tout  formé  dans  les  amandes  amères,  et  M.  Ber- 
thollet  a  réussi  à  le  suroxygéner.  Dans  ce  dernier 
état  il  est  plus  volatil  et  colore  le  fer  en  vert. 

Mais  la  période  actuelle  a  produit  six  nouveaux 
acides  à  base  composée,  dont  quatre  ont  été  retirés 
des  corps  organisés,  et  les  deux  autres  fabriqués  de 
toutes  pièces. 

Les  naturels  sont  celui  que  M.  Klaproth  a  retiré 
de  Vhonigstein  ou  pierre  de  miel  *  (il  y  étoit  combiné 
avec  de  laluniineet  du  charbon),  celui  que  le  même 
chimiste  a  trouvé  dans  la  sève  du  mûrier  blanc,  celui 
qui  a  été  extrait  du  quinquina  par  M.  Deschamps, 
enfin  celui  que  MM.  Vauquelin  et  Buniva  ont  dé- 
couvert dans  les  eaux  de  lamnios  des  vaches. 

Des  deux  artificiels,  Tun  (le  subérique)  a  été  pré- 
paré en  traitant  le  liège  par  Tacide  nitrique.  C'est 
M.  Brugnatelli  qui  en  est  l'auteur.  M.  Bouillon-La- 
grange  en  a  étudié  les  combinaisons. 

L'autre  se  produit  en  distillant  le  suif.  M.  The- 
nard,  qui  avoit  réfuté  l'existence  de  l'ancien  acide 
sébacique,  en  a  transporté  le  nom  à  celui-ci,  qu'il  a 
découvert,  et  qui  est  plus  réel. 

Il  ne  faut  pas  voir,  dans  toutes  ces  découvertes, 

'   Jonrnal  de  Physique,  novembre  1791. 


96  SCIENCES    PHYSIQUES. 

seulement  la  possession  de  quelques  principes  de 
plus  ou  de  moins  :  il  n'est  aucune  de  ces  substances 
dont  la  chimie  ne  puisse  tirer  parti  dans  ses  analyses 
en  les  employant  comme  réactifs.  Ainsi  l'acide  gal- 
lique  fait  reconnoître  les  métaux  ;  lacide  oxalique , 
la  chaux;  l'acide  succinique  sépare  le  fer  du  man- 
ganèse, etc.  Gomme  parties  constituantes  des  corps, 
leur  connoissance  est  indispensable  à  l'histoire  na- 
turelle; enfin  les  arts  utiles  profitent  de  quelques 
unes.  Mais  l'utilité  théorique  la  plus  immédiate  de 
cette  liste  des  principes  chimiques  c'est  de  nous 
donner  des  idées  plus  étendues  sur  la  multitude  des 
combinaisons  possibles. 

Il  est  aisé  de  sentir,  en  effet,  que  les  cinq  com- 
bustibles non  métalliques,  les  vingt-huit  métaux, 
leurs  oxydes  des  divers  degrés,  les  neuf  terres,  les 
trois  alcalis  et  les  acides  de  toute  espèce,  réunis  deux 
à  deux  seulement,  donneroient  déjà  plusieurs  cen- 
taines et  même  plusieurs  milliers  de  combinaisons, 
dont  un  grand  nombre  existe  réellement  dans  la 
nature,  et  dont  un  nombre  plus  considérable  en- 
core peut  être  réalisé  par  les  moyens  de  l'art. 

Elles  sont  autant  d'objets  d'étude  pour  les  chi- 
mistes :  plusieurs  étoient  connues  depuis  long- 
temps; d'autres  n'ont  été  bien  observées  que  dans 
la  période  actuelle,  et  il  en  reste  beaucoup  encore 
à  soumettre  à  l'examen. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  9*7 

Un  exposé  complet  de  ce  qui  a  été  fait  en  ce  genre 
depuis  1789  seroit  infini;  bornons-nous  aux  résul- 
tats les  plus  utiles,  ou  à  ceux  qui  répandent  une 
lumière  plus  générale. 

La  seule  détermination  des  quantités  respectives 
de lacide et  de  la  base  dans  les  différents  sels  a  été 
l'objet  de  recherches  très  longues,  parcequelle  se 
complique  de  la  détermination  de  la  portion  d'eau , 
toujours  plus  ou  moins  forte  dans  les  acides  liqui- 
des, et  de  cette  autre  portion  qui  entre  nécessaire- 
ment dans  tous  les  cristaux  salins. 

Kirwan  s'en  est  fort  occupé';  MM.  Bucholz, 
Wensel  et  Vauquelin  ont  beaucoup  ajouté  à  ses  re- 
cherches :  mais  il  s'en  faut  encore  que  les  résultats 
de  ces  chimistes  soient  uniformes. 

L'une  des  plus  utiles  de  leurs  découvertes  en 
ce  genre  a  été  celle  de  la  composition  de  l'alun. 
MM.  Vauquelin,  Ghaptal  et  Descroisilles  ont  trouvé 
presque  simultanémentquela  potasse  est  nécessaire 
à  la  composition  de  ce  sel^. 

M.  Vauquelin,  en  particulier,  a  fait  une  autre  dé- 
couverte qui  n'est  pas  moins  importante:  c'est  qu'il 
n'y  a  de  différence  entre  l'alun  de  Rome  et  l'alun  or- 

'  De  ia  force  des  acides  et  de  la  proportion  des  substances  qui 
composent  les  sels  neutres  ;  ouvrage  traduit  de  l'anglois  de  M.  Kirwan , 
par  madame  L.  Voyez  aussi,  sur  tous  les  sels,  le  Système  des  connois- 
sances  chimiques  de  M.  Fourcroy,  et  la  Chimie  de  M.  Thomson. 

"   Annales  de  Chimie,  t.  XXII,  p.  268;  t.  L,  p.  i54- 

1!UI>'0N.  COMPLÉM.  T.  l.  7 


98  SCIENCES    PHYSIQUES. 

dinaire  qu'un  peu  plus  de  fer  dans  celui-ci.  On  a 
fait  l'application  de  cette  découverte  en  grand  à  la 
teinture,  et  la  France  a  été  délivrée  par-là  d'un  im- 
pôt considérable  qu'elle  payoit  à  l'étranger. 

L'alun  est  donc  un  sel  triple,  puisque  sa  base  est 
double.  La  chimie  en  possède  encore  quelques  au- 
tres :  on  doit  remarquer  dans  ce  genre  divers  sels 
à  base  d'ammoniaque  et  de  magnésie,  sur  lesquels 
M.  Fourcroy  a  beaucoup  travaillé'. 

La  difficulté  de  ces  sortes  d'analyses  augmente 
quand  il  s'agit  des  sels  métalliques,  et  qu'il  faut 
estimer  à  quel  degré  d'oxydation  le  métal  s'est  uni 
à  l'acide. 

Parmi  les  recherches  de  ce  genre  on  doit  citer 
principalement  l'histoire  des  sels  de  mercure,  que 
M.  Fourcroy  a  commencée  en  i  -79 1 ,  et  qu'il  a  ter- 
minée presque  complètement  en  1 804,  avec  M.  The- 
nard^.  M.  Proust,  chimiste  françois,  établi  en  Es- 
pagne, a  fait  des  travaux  analogues  sur  les  sels  de 
fer  et  de  cuivre,  principalement  sur  les  sulfates  à 
divers  degrés  d'oxydation^. 

M.  Thenard  s'est  aussi  occupé  des  sulfates  de 
fer4. 

'   Annales  de  Chimie,  t.  IV,  p.  210. 

"  Ibid.,  t.  X,  p.  29^;  t.  XIV,  p.  34;  Bulletin  des  Sciences,  bru- 
maire an  1 1 . 

^  Annales  de  Chimie,  t.  XXXII,  p.  26. 
*  Bulletin  des  Sciences,  thermidor  an  12. 


CHIMIE   PARTICULIÈRE.  99 

M.  Ghenevix  a  travaillé  sur  les  arseniates  de 
cuivre,  de  plomb,  sur  les  muriates  d'argent,  et  a 
découvert  le  muriate  suroxygéné  de  ce  dernier  mé- 
tal '.  Les  muriates  d'argent  ont  aussi  été  étudiés  par 
MM.  Proust  et  Klaproth. 

Mais,  parmi  les  sels  métalliques  nouvellement 
connus,  on  doit  éminemment  distinguer  le  phos- 
phate de  cobalt,  dont  M.  Thenard  a  découvert  la 
préparation,  et  qui,  combiné  avec  de  l'alumine, 
remplace,  à  peu  de  chose  près,  l'outremer  en  pein- 
ture \ 

Le  plomb,  combiné  avec  l'acide  du  chrome  dé- 
couvert par  M.  Vauquelin,  donne,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit,  un  rouge  éclatant  qui  ne  noircit  point 
comme  le  minium  :  on  en  prépare  aujourd'hui  une 
quantité  immense. 

La  décomposition  des  sels  est  aussi  quelquefois 
d'une  très  grande  utilité. 

Ainsi  l'art  de  retirer  la  soude  du  sel  marin  est  de 
première  importance  pour  tous  les  arts  qui  em- 
ploient cet  alcali,  et  spécialement  pour  les  savon- 
neries et  pour  les  verreries;  mais  il  n'en  a  pas  moins 
pour  la  chimie  générale,  parcequ'il  a  été  la  première 
exception  reconnue  aux  lois  anciennement  établies 
pour  les  affinités,  et  qu'il  a  peut-être  occasioné  la 

'    Journal  de  Physique,  t.  LV,  p.  85. 
Bulletin  des  Sciences,  brumaire  an  12. 


lOO  SCIENCES    PHYSIQUES. 

plupart  des  nouvelles  idées  de  M.  Berthollet  sur  ce 
.o^rand  sujet. 

Scheele  a  encore  ici  fourni  le  premier  germe  et 
de  l'art  et  de  la  doctrine,  en  remarquant  que  d'un 
mélange  de  sel  marin  et  de  chaux  vive  légèrement 
humecté  et  placé  dans  une  cave,  il  effleurit  conti- 
nuellement du  carbonate  de  soude ,  quoique"  la 
chaux  n'ait  pas  par  elle-même  le  pouvoir  d'enlever 
l'acide  muriatique  à  la  soude. 

Mais  la  nature  opère  cette  décomposition  en 
grand  dans  les  plantes  du  bord  de  la  mer,  dans 
beaucoup  de  vieux  murs  des  pays  chauds,  et  de  la 
manière  la  plus  marquée  dans  les  fameux  lacs  de 
natron  de  FÉgypte,  où  elle  n'a  point  de  chaux 
vive,  mais  seulement  du  carbonate  de  chaux'.  Là 
théorie  de  M.  Berthollet  explique  seule  ces  ano- 
malies apparentes. 

M.  de  Morveau  est  celui  qui  a  le  plus  contribué  à 
tirer  de  ces  expériences  des  procédés  usuels  ;  ils  ont 
un  tel  succès  que,  sans  l'impôt  sur  le  sel,  on  se 
passeroit  de  la  soude  d'Alicante  pour  nos  manufac- 
tures. 

Les  oxydes  isolés  présentent  encore  leurs  diffi- 
cultés. MM.  Berthollet  père  et  fds  ont  fait  voir  qu'ils 
entraînent  souvent  quelques  portions  d'acide  qui 
les  modifient;  tel  est  l'oxyde  blanc  de  plomb;  c'est 

'   Journal  de  Physique,  t.  L,  p.  5. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  lOI 

seulement  par  un  peu  d'acide  carbonique  qu'il  dif- 
fère du  jaune. 

D'autres  changements  de  couleur  sont  attribués 
à  l'eau  par  M.  Proust'. 

Il  y  en  a  qui  sont  dus  à  diverses  proportions 
d'oxygène,  et  l'on  en  a  reconnu  plusieurs  de  ce 
genre.  M.  Proust  a  décrit  un  oxyde  puce  de  plomb, 
un  jaune  de  cuivre;  M.  Thenard,  un  blanc  de  fer, 
un  noir  et  un  vert  de  cobalt^. 

L'oxyde  puce  de  plomb  contient  tant  d'oxygène , 
qu'il  brûle  les  corps  combustibles  que  Ton  broie 
avec  lui. 

Cette  diversité  de  proportion  ne  change  pas  tou- 
jours la  couleur.  Il  y  a  trois  oxydes  d'antimoine,  se- 
lon M.  Thenard^,  et  deux  d'étain,  selon  Pelletier, 
tous  également  blancs. 

Les  oxydes  et  les  acides  se  combinent  quelquefois 
à  des  substances  combustibles  non  métalliques. 

Pelletier  a  montré  que  la  préparation  d'étain 
qu'on  appelle  or  mussif  est  une  combinaison  de 
l'oxyde  de  ce  métal  avec  le  soufre^. 

M.  Berthollet  fils  a  travaillé  sur  une  combinaison 
intéressante  de  ce  genre,  que  M.  Thomson  avoit 

'   Journal  de  Physique,  t.  LXV,  p.  80.  /Vi^  -    '  *  C     >^ 

*  Nouveau  Bulletin  des  Sciences,  février  1808.  /c^C^    C^^'  ^^  ^  ■•\ 
^  Annales  de  Chimie,  t.  XXXII,  p.  257.  A'>>r  «^    •*«>  <5'-i. 

*  IbiiL,  t.  XIII,  p.  280.  !>  »  1  '  L  I  T 


I02  SCIENCES    PHYSIQUES. 

découverte;  c'est  le  soufre  uni  à  de  l'acide  muria- 
tique  et  à  de  Foxygène  ' . 

Les  oxydes  métalliques  n'offrent  guère  de  com- 
binaisons plus  curieuses  que  celles  que  l'on  nomme 
vul(]fairement  poudres  fulminantes. 

On  ne  connoissoit  autrefois  que  celle  d'or:  c'est 
de  l'oxyde  d'or  mêlé  d'ammoniaque.  M.  Berthollet 
en  a  donné  la  théorie;  il  a  formé  d'une  manière  sem- 
blable un  argent  fulminant.  On  a  aujourd'hui  trois 
sortes  de  mercure  fulminant  :  l'un  de  Bayen ,  com- 
posé d'oxyde  rouge  de  mercure  et  de  soufre^;  le 
second,  de  MM.  Fourcroy  et  Thenard,  formé  du 
même  oxyde  et  d'ammoniaque,  c'est-à-dire  sur  les 
mêmes  principes  que  For  et  l'argent  fidminants  ;  le 
troisième,  de  M.  Howard,  qui  joint  à  Foxyde  de  mer- 
cure de  l'ammoniaque  et  une  matière  végétale^. 

La  plus  terrible  des  poudres  fulminantes  est  celle 
qu'a  découverte  M.  Chenevix,  et  qui  résulte  de 
Funion  du  soufre  avec  le  muriate  suroxygéné  d'ar- 
gent^. 

MM.  Fourcroy  et  Vauquelin  ont  remarqué  que 
beaucoup  de  muriates  suroxygénés,  joints  à  quel- 
que matière  combustible,  fulminent  parle  choc^ 

'  Société  d'Arcueil,  t.  I,  p.  16 1. 

^  Opuscules  chimiques  de  Pierre  Bayen;  Paris,  an  6,  2  vol.  in-8'*. 

^  Bulletin  des  Sciences,  brumaire  an  10. 

"•  Journal  de  Physique,  t.  LV,  p.  85. 

*  Annales  de  Chimie,  t.  XXI,  p.  236. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  Io3 

La  poudre  à  canon ,  cette  composition  chimique 
qui  a  exercé  une  influence  si  notable  sur  la  civili- 
sation, n'est  au  fond  qu'une  combinaison  analof][ue 
aux  précédentes.  L'acide  nitrique  retient  tant  de 
calorique  avec  son  oxygène  qu'on  peut  le  compa- 
rer, à  beaucoup  d'égards,  à  l'acide  muriatique  sur- 
oxygéné; mais  celui-ci  produit  des  effets  beaucoup 
plus  violents:  l'essai  d'une  nouvelle  poudre  où  l'on 
vouloit  le  faire  entrer  a  occasioné  une  explosion 
funeste  à  plusieurs  personnes. 

Les  diverses  substances  combustibles  peuvent 
aussi  se  réunir  sans  être  oxydées  et  sans  l'intermède 
d'aucun  acide:  quand  il  n  yaque  des  métaux  dans 
le  mélange,  on  l'appelle  alliage,  et  l'opération  qui  les 
isole  se  nomme  dépari.  Depuis  long-temps  lintérêt 
a  perfectionné  ce  genre  de  travail  pour  les  métaux 
précieux;  la  révolution  en  a  occasioné  une  extension 
particulière,  quand  il  a  fallu  séparer  le  cuivre  et 
l'était!  mêlés  dans  les  cloches.  M.  Fourcroy  en  a  le 
premier  indiqué  le  véritable  moyen  ',  qui  consiste 
à  oxyder  une  portion  de  l'alliage  et  à  la  mêler  avec 
une  autre  portion  non  oxydée  :  l'oxyde  de  cuivre  de 
la  première  portion  donne  tout  son  oxygène  à  l'étain 
de  la  seconde,  et  la  fusion  livre  le  cuivre  pur.  C'est 
ce  procédé  qu'on  a  employé  en  ajoutant  un  peu  de 
sel  pour  faciliter  l'oxydation.  On  perdoit  les  scories; 

'   Annales  de  Chimie,  t.  IX,  p.  365;  t.  X,  p.  1 55;  t.  XXII,  p.  i. 


Io4  SCIENCES    PHYSIQUES. 

mais  MM.  Lecourt  et  Amfry  ont  trouvé  moyen  de 
les  réduire  et  d'en  retirer  encore  Fétain  par  des 
.grillages  répétés. 

Des  substances  combustibles  non  métalliques 
peuvent  aussi  s'unir  aux  métaux.  Un  peu  de  cbar- 
bon,  par  exemple,  combiné  avec  le  fer,  donne  l'a- 
cier, cette   substance  si  utile  dans  tous  les  arts; 
connue  et  fabriquée  depuis  long -temps,  ce  n'est 
que  depuis  peu  que  sa  variable  nature  a  été  plei- 
nement éclaircie.  Bergman  Fa  indiquée  le  premier; 
MM.  BertboUet,  Monge,  et  Vandermonde,  Font  dé- 
montrée en  détail  dans  un  travail  digne  de  servir 
de  modèle^;  et  M.  Vauqueiin  Fa  confirmée  par  ses 
analyses.  Feu  Glouet  avoit  indiqué  un  moyen  sim- 
ple de  fabriquer  immédiatement  l'acier  fondu  avec 
du  fer  doux^:  quelques  difficultés  de  pratique  en 
ont  retardé  l'adoption;  mais  ces  entraves  ne  peu- 
vent manquer  d'être  détruites,  et  la  France  exercera 
bientôt  ce  genre  d'industrie  jusqu'à  présent  ré- 
servé à  l'Angleterre. 

Nous  en  avons  déjà  conquis  un  autre  dans  cette 
classe  de  combinaisons;  beaucoup  de  cbarbon  et 
peu  de  fer  donnent  la  plombagine,  ou  le  crayon 
vulgairement  appelé  mute  de  plomb.  L'Angleterre 

Avis  aux  ouvriers  en  fer,  publie  par  ordre  du  comité  de  salut 
public  au  commencement  de  l'an  2  ;  Annales  de  Chimie,  t.  XIX,  p.  1. 
^   Annales  de  Chimie,  t.  XXVIII,  p.  19. 


CHIMIE   PARTICULIÈRE.  Io5 

seule  en  possédoitde  belle,  qu'elle  retiroit  des  en- 
trailles de  la  terre  ;  etlescrayons  anglois  se  vend  oient 
chèrement  dans  toute  l'Europe.  La  chimie  nous  a 
appris  à  en  préparer  d'artificiels  qui  ne  leur  cèdent 
point.  Les  crayons  de  Conté  fournissent  aux  arts 
du  dessin  un  instrument  commode  et  peu  coûteux, 
et  à  notre  patrie  une  branche  intéressante  de  com- 
merce ^ . 

On  n'a  réussi  encore  à  combiner  aucun  des  autres 
métaux  avec  le  charbon  d'une  manière  utile,  quoi- 
que l'on  ait  la  preuve  que  l'étain  en  absorbe  dans  di- 
verses opérations ,  et  devient  par-là  dur  et  cassant^. 

Quant  au  phosphore,  Pelletier  l'a  uni  à  divers 
métaux ,  mais  sans  rien  obtenir  d'important  ni  d\i- 
tiie  ;  seulement  on  facilite  ainsi  la  fusion ,  comme  on 
le  fait  aussi  par  l'intermède  du  soufre^. 

L'union  de  ce  dernier  avec  les  métaux  est  connue 
depuis  des  siècles,  et  s'observe  en  abondance  dans 
la  nature  et  dans  les  arts  ;  il  y  a  cependant  aussi ,  à 
cet  égard,  des  remarques  nouvelles  et  importantes. 
L'éthiops  et  le  cinabre  sont  des  sulfures  de  mercure 
qui  ne  diffèrent  Tun  de  l'autre,  selon  MM.  Four- 
croy  et  Thenard ,  que  par  la  proportion  du  soufre. 

'    Annales  de  Chimie,  t.  XX,  p.  Sjo. 

^  M.  Descotils  vient  de  s'assurer  que  le  carbone  s'unit  au  platine, 
et  produit  avec  lui  un  composé  fusible  qui  peut  avoir  son  utilité  dans 
les  arts. 

^  Annales  de  Chimie,  t.  XIII,  p.  loi. 


Io6  SCIENCES    PHYSIQUES. 

M.  Tlienard  a  prouvé  la  même  chose  pour  les  sul- 
fures jaunes  et  rouges  d'arsenic,  nommés  orpiment 
et  réalcjar:  on  croyoit  auparavant  que  le  métal  étoit 
oxydé,  et  que  la  proportion  de  loxygène  influoit 
sur  la  couleur. 

Le  soufre  se  combine  également  avec  les  alcalis, 
et  donne  ce  que  l'on  nomme  vulgairement  /o/e  de 
soufre,  préparation  très  anciennement  connue  et 
sur  laquelle  on  n'a  point  d'expérience  nouvelle  à 
citer. 

Quelques  substances  inflammables  se  dissolvent 
dans  des  gaz,  ou  les  gaz  inflammables  s'unissent  en- 
tre eux  et  avec  plus  ou  moins  d'oxygène:  il  en  ré- 
sulte des  airs  nouveaux  dont  les  effets  offrent  des 
singularités  piquantes,  mais  dont  l'analyse  est  très 
difficile ,  non  seulement  parceque  les  fluides  élasti- 
ques sont  moins  aisés  à  nianier  que  les  autres  corps , 
mais  encore  parceque  tous  les  caractères  physiques 
qui  résultent  de  la  couleur,  de  la  figure,  et  de  la 
consistance,  nous  abandonnent  dans  leur  étude.  On 
s  est  beaucoup  occupé,  dans  la  période  actuelle,  de 
cette  partie  vraiment  transcendante  de  la  chimie. 

L'hydrogène  a  la  propriété  singulière  de  dissou- 
dre quelques  parcelles  de  fer,  d'arsenic,  et  de  zinc, 
et  de  les  maintenir  à  l'état  gazeux  :  on  le  savoit  de- 
puis assez  long- temps  pour  les  deux  premiers  j 
M.  Vauquelin  l'a  découvert  pour  le  troisième. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  107 

Ce  même  hydrof]^ène  dissout  du  soufre,  et  prend 
une  odeur  détestable  d'excréments  et  d'œufs  pour- 
ris: c'est  en  effet  ce  mélange  que  ces  matières  ex- 
halent. Scheele  en  a  connu  le  premier  la  composi- 
tion; mais  M.  Berthollet  a  fait  une  découverte  im- 
portante, en  montrant  qu'il  possède  la  plupart  des 
propriétés  des  acides,  quoiqu'il  ne  contienne  point 
d'oxygène  :  il  s'unit  en  effet  aux  alcalis,  aux  terres, 
aux  oxydes  ;  l'hydrosulfure  de  baryte  cristallise 
comme  un  sel,  etc.  '. 

La  combinaison  dn  phosphore  avec  l'hydrogène 
est  encore  plus  désagréable  ;  elle  a  l'odeur  du  pois- 
son pourri  :  c'est  M.  Gengembre  qui  Fa  formée  le 
premier \  Il  a  montré  en  même  temps  que,  lors- 
qu'on obtient  ces  deux  gaz  des  sulfures  ou  des  phos- 
phures  alcalins,  l'hydrogène  est  fourni  par  l'eau, 
dont  l'oxygène  aide  à  former,  avec  une  autre  partie 
du  soufre  et  dn  phosphore,  des  acides  sulfuriques 
ou  phosphoriques.  Les  sulfures  bien  secs  ne  don- 
nent point  de  gaz,  selon  les  expériences  de  M.  Four- 
croy;  mais  lorsqu'ils  se  dissolvent  dans  l'eau,  c'est 
toujours  à  l'aide  de  l'hydrogène  qui  s'y  forme  et  s'y 
unit  aussitôt.  Si  le  soufre  est  très  abondant,  il  se 
produit  un  corps  semblable  à  de  l'huile,  qui  est  un 
soufre  bydrogéné.  Lampadiusl'avoit  observé  le  pre- 

'   Annales  de  Chimie,  t.  XXV,  p.  233. 

^   Journal  de  Physique,  lyBfî,  t.  Il,  ji.  276. 


Io8  SCIENCES    PHYSIQUES. 

mier,  en  traitant  du  soufre  par  le  charbon.  M.  Ber- 
thollet  fils  a  montré  qu'il  est  dû  à  l'iiydrog^ène  que 
le  charbon  contient  toujours'. 

L'hydrogène  phosphore  n'ayant  point  les  pro- 
jiriétés  acides  ne  reste  point  uni  à  l'eau  et  à  l'alcali  ; 
mais  il  s'élève  à  mesure  qu'il  nait. 

M.  Fourcroy  a  fait  voir  que  l'hydrogène  sulfuré 
est  le  meilleur  de  tous  Jes  moyens  pour  reconnoître 
le  plomb  dont  on  altère  le  vin. 

En  général  il  doit  être  placé ,  ainsi  que  les  hydro- 
sulfures alcalins,  au  nombre  des  réactifs  les  plus  dé- 
licats de  la  chimie  pour  la  précipitation  de  certains 
métaux. 

L'azote  dissout  aussi  le  phosphore  et  le  dispose  à 
brûler;  c'est  pourquoi  il  brûle  plus  facilement  dans 
Tair  commun  que  dans  Foxygène,  circonstance  que 
l'on  avoit  un  moment  voulu  opposer  à  la  nouvelle 
théorie. 

L'hydrogène  mêlé  de  carbone  dans  une  certaine 
proportion  offre  la  base  de  l'huile,  et  en  donne  en 
effet,  quand  on  le  mêle  au  gaz  acide  muriatique  oxy- 
géné. C'est  le  gaz  oléfiant,  découvert  par  MM.  Bondt, 
Deyman,  Van-Troostwyk,  etLauwerenburg,  chi- 
mistes d'Amsterdam,  qui  ont  long-temps  travaillé 
en  société  ^ .  Ils  l'obtinrent  de  la  distillation  de  l'éther 

'   Société  d'Arcueil,  t.  I,  p.  3o4- 

*  Annales  de  Chimie,  t.  XXI,  p.  4^^;  t-  XXIII,  p.  2o5. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  109 

et  de  Tacide  sulfurique  par  une  foible  tempéra- 
ture. 

Quand  on  réduit  l'oxyde  de  zinc  par  le  charbon , 
on  ne  devroit,  à  ce  qu'il  semble,  recueillir  que  de 
Tacide  carbonique  :  Priestley  remarqua  qu'il  se 
forme  au  contraire  un  gaz  combustible,  et  voulut 
faire  de  cette  expérience  une  objection  contre  la 
nouvelle  théorie  de  la  combustion.  Nos  chimistes 
ont  examiné  ce  gaz  avec  soin  :  ils  l'ont  trouvé  com- 
bustible en  effet  ;  mais  ,  à  force  de  recherches ,  ils 
sont  parvenus  à  montrer  que  c'est  une  combinai- 
son d'oxygène  avec  un  excès  de  carbone  et  une 
foible  portion  d'hydrogène.  Le  charbon  de  bois 
ordinaire  contient  toujours  assez  d'hydrogène  pour 
en  fournir  à  ce  gaz ,  qui  ne  diffèreroit  ainsi  de  l'o- 
léfiant  que  par  les  proportions.  MM.  Gruikshank, 
Guyton ,  et  Berthollet ,  se  sont  principalement  oc- 
cupés de  cette  question  difficile.  MM.  Austin ,  Hig- 
gins,  Henry,  et  d'autres  chimistes  anglois,  y  ont 
aussi  travaillé.  Il  paroît  que  ce  qui  l'embrouille 
c'est  qu'il  peut  se  former  de  ces  gaz  dans  plusieurs 
proportions  différentes  de  leurs  trois  éléments  \ 

Un  peu  plus  d'un  cinquième  d'oxygène  mélangé 
avec  de  l'azote  constitue  la  portion  gazeuse  de  l'at- 
mosphère. En  augmentant  l'oxygène  par  degrés,  et 
en  le  combinant  plus  intimement,  on  produit  suc- 

'   Rulletin  des  Sciences,  brumaire ,  ventôse,  et  fructidor,  an  10. 


IIO  SCIENCES    PHYSIQUES. 

cessivement  le  gaz  iiitreux  ,  l'acide  nitreux ,  l'acide 
nitrique.  Nous  avons  vu  précédemment  que  ces 
faits  sont  au  nombre  des  vérités  fondamentales  de 
la  nouvelle  chimie.  Dans  le  gaz  nitreux,  l'oxygène 
fait  déjà  près  de  moitié.  Si  on  le  lui  enlève  par  le 
moyen  du  fer  ou  autrement,  au  point  de  l'y  ré- 
duire à-peu-près  au  tiers,  on  le  change  en  un  vé- 
ritable oxyde  d'azote,  qui  montre  des  propriétés 
bien  singulières  :  les  corps  y  brûlent,  tandis  qu'ils 
s'éteignent  dans  le  gaz  nitreux ,  quoique  celui-ci  ait 
pi  us  d'oxygène;  et  il  asphyxie  ceux  qui  le  respirent, 
quoiqu'il  ait  plus  d'oxygène  que  l'air  commun. 

Priestley  l'avoit  produit  le  premier.  M.  Berthol- 
let  en  avoit  indiqué  la  nature.  Elle  a  été  confirmée 
par  l'analyse  de  M.  Davy,  dont  le  travail  à  cet  égard 
est  extrêmement  remarquable ,  et  par  celle  de 
MM.  Fourcroy,  Vauquelin,  et  Thenard. 

M.  Davy  a  vu  quelques  unes  des  asphyxies  mo- 
mentanées produites  par  ce  gaz,  accompagnées  de 
sensations  voluptueuses,  mais  qui  n'arrivent  pas 
constamment  ^ . 

Nous  parlerons  ailleurs  des  moyens  de  mesurer 
particulièrement  la  quantité  de  l'oxygène  dissous 
ou  mélangé  dans  un  gaz,  et  de  l'application  qu'on 
en  a  faite  pour  déterminer  la  composition  de  l'at- 
mosphère. 

'   Bulletin  des  Sciences,  frimaire  an  1 1 . 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  III 

On  voit,  par  tous  ces  détails,  que  cette  estima- 
tion de  la  portion  des  éléments  gazeux  est  ce  qu'il 
y  a  de  plus  difficile  en  chimie. 

M.  Biot  a  imaginé,  pour  y  parvenir,  une  mé- 
thode entièrement  nouvelle,  qui  s  applique  égale- 
ment à  tous  les  corps  transparents  dont  on  connoît 
les  principes  quant  à  leur  nature.  Chacun  de  ces 
principes  ayant  une  force  de  réfraction  propre  et 
toujours  la  même,  tant  que  la  densité  ne  change 
point,  quand  on  connoît  la  réfraction  totale  d'un 
mélange  de  principes  connus  ,  on  peut  calculer 
leur  proportion.  On  emploie  pour  cela  des  prismes 
remplis  ou  formés  des  substances  qu'on  veut  ana- 
lyser; on  mesure  Tangle  de  réfraction  avec  le  cercle 
répétiteur  ;  la  pression  et  la  température  sont  prises, 
en  considération;  et  toutes  ces  circonstances  étant 
susceptibles  d'être  appréciées  avec  une  exactitude 
mathématique ,  cette  analyse  surpasseroit  de  beau- 
coup celles  que  la  chimie  peut  donner  par  ses 
moyens  ordinaires ,  si  elle  ne  se  compliquoit  de 
la  difficulté  d'avoir  les  principes  bien  purs,  et  si, 
dans  quelques  cas ,  la  condensation  trop  grande 
qu'éprouve  leur  combinaison  n'altéroit  les  résul- 
tats. 

L'analyse  du  diamant  tient  de  près  à  celle  des 
substances  gazeuses  ;  elle  a  été  reprise  plusieurs 
fois  dans  cette  période    M.  de  Morveau  n'a  pu  ob- 


112  SCIENCES    PHYSIQUES. 

tenir  en  le  brûlant  que  de  l'acide  carbonique  '  ;  et 
Clouet  a  en  effet  fabriqué  de  l'acier  bien  pur  avec 
du  diamant  seul^  Mais  pourquoi  diffère-t-il  donc 
tant  du  charbon  ordinaire?  M.  de  Morveau  jug^e 
que  celui-ci  contient  déjà  un  peu  d'oxygène;  M.  Ber- 
thollet ,  que  c'est  de  l'hydrogène  qu'il  a  de  plus  : 
M.  Biot,  au  contraire,  appliquant  au  diamant  son 
analyse  dioptrique,  et  lui  trouvant  une  force  ré- 
fringente supérieure  à  celle  qu'indique  pour  le 
charbon  l'analyse  des  substances  où  il  entre,  croit 
que  cest  le  diamant  qui  doit  avoir  au  moins  un 
quart  d'hydrogène  dans  sa  composition.  Cepen- 
dant des  expériences  toutes  récentes,  faites  en  An- 
gleterre, n'ont  encore  donné,  nous  dit-on,  que  de 
l'acide  carbonique. 

Ces  difficultés  dans  l'analyse  des  substances  ga- 
zeuses, et  de  celles  qui  le  deviennent  aisément, 
peuvent  déjà  donner  une  idée  des  difficultés  beau- 
coup plus  grandes  que  la  chimie  rencontre,  quand 
elle  étudie  les  produits  des  corps  organisés. 

Les  substances  dont  nous  venons  de  parler  les 
composent  presque  en  entier  :  du  carbone,  de  Ihy- 
drogène,  de  l'oxygène,  plus  ou  moins  d'azote,  voilà 
leurs  matériaux  fondamentaux;  un  peu  de  terre, 
quelques  atomes  de  soufre,  du  phosphore,  divers 

'   Décade  philosophique,  3o  fructidor  an  4;  Bulletin  des  Sciences, 
messidor  an  7.  —  ^   Bulletin  des  Sciences,  brumaire  an  8. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  li3 

sels  entrés  petite  quantité,  s'ajoutent  à  ce  fonds 
principal.  Tous  ces  éléments  semblent  se  jouer 
dans  leurs  diverses  réactions;  ils  s'unissent,  se  sé- 
parent, se  retrouvent  de  mille  manières;  et  tous 
ces  mouvements  nous  échappent  presque  aussi 
souvent  dans  les  laboratoires  où  nous  croyons  être 
maîtres  de  ces  produits  de  la  vie  que  dans  les  fonc- 
tions de  la  vie  elle-même. 

On  crut  d'abord  pouvoir  séparer  les  principes 
des  corps  organisés  par  le  moyen  du  feu  ;  mais  ils 
ne  faisoient  que  changer  d'affinités ,  pour  entrer 
dans  des  combinaisons  nouvelles  :  de  là  ces  phleg- 
mes ,  ces  huiles ,  ces  sels,  dont  les  anciens  chimistes 
prétendoient  composer  tous  les  mixtes. 

Bientôt  on  imagina  d'employer  des  moyens  plus 
tranquilles,  et  d'obtenir  par  le  repos,  par  des  la- 
vages simples  ou  par  certains  menstrues ,  non  pas 
les  principes  élémentaires  des  corps  vivants,  mais 
les  composés  divers  qui  s'y  trouvent  tout  formés, 
ou  ce  que  l'on  nomme  leurs  principes  immédiats. 

Ils  offrent  une  foule  de  caractères  et  de  proprié- 
tés singulières  ou  utiles  ;  ils  donnent  une  sorte  d'a- 
nalyse ébauchée;  chacun  d'eux  peut  se  décomposer 
à  son  tour,  et  fournit  alors  les  principes  généraux 
et  élémentaires,  cet  hydrogène,  ce  carbone,  ces 
autres  substances  simples  dont  nous  avons  parlé  si 
souvent. 

BUFFON.   COAIPLÉM.  T.   I.  8 


Il4  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Ce  sont  probablement  les  diverses  proportions 
de  ces  substances  simples  qui  déterminent  la  na- 
ture et  les  propriétés  des  principes  immédiats.  Mais 
nous  sommes  loin  encore  de  pouvoir  démontrer 
ce  que  nous  supposons  ici  :  l'analyse  de  ces  prin- 
cipes est  trop  imparfaite  ;  et  nous  avons  beau  réu- 
nir les  éléments  que  nous  en  tirons,  nous  ne  les 
reproduisons  pas.  Peut-être  laissons-nous  échap- 
per une  foule  d'éléments  impondérables  et  incoer- 
cibles, nécessaires  à  leur  composition. 

Il  faut  donc,  en  attendant  une  analyse  plus  par- 
faite, recueillir  ces  principes  immédiats  et  les  ca- 
ractériser; plusieurs  d'entre  eux  sont  d'ailleurs  de 
première  importance  dans  l'explication  des  fonc- 
tions vitales  et  dans  les  arts  utiles. 

Boerhaave  a  donné  de  beaux  exemples  de  ce 
genre  de  recherches:  sa  méthode  a  été  employée 
avec  succès,  et  perfectionnée  par  Rouelle  en  France, 
etparScheeleenSuéde;  et,  dans  ces  derniers  temps, 
la  détermination  des  principes  immédiats  des  végé- 
taux et  des  animaux  n'a  guère  moins  contribué  à  la 
gloire  des  chimistes  françois  que  les  découvertes 
plus  générales  dont  nous  avons  parlé  jusqu'ici. 

Déjà  dans  l'école  de  Stahl ,  et  sur-tout  dans  celles 
de  Boerhaave  et  de  Rouelle,  on  avoit  distingué 
dans  les  végétaux  les  gommes  ou  mucilages,  les 
résines,  les  gommes  résines,  les  extraits,  les  huiles 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  Il5 

fixes  et  volatiles;  ou  possécloit  et  on  caractérisoit, 
comme  nous  l'avons  vu  plus  haut,  divers  acides  vé- 
gétaux; le  sucre,  l'amidon,  le  camphre,  le  baume, 
la  sève,  les  diverses  matières  colorantes,  étoient 
connus  et  employés,  quoiqu'on  n  eût  pas  des  idées 
nettes  sur  leur  nature  intime.  On  étoit  moins  avancé 
sur  les  produits  des  animaux;  et  quoique  les  ana- 
tomistes  en  eussent  décrit  les  liquides  et  les  solides, 
quoique  l'on  sût  déjà  en  partie  comment  les  pre- 
miers se  décomposent  en  des  fluides  plus  simples 
par  le  repos;  que  le  saug,  par  exemple,  donne 
alors  son  sérum ,  son  caillot,  sa  matière  colorante; 
le  lait,  sa  crème,  son  beurre,  son  fromage,  son 
petit-lait,  etc.,  on  n'avoit  encore  rien  de  précis  sur 
la  classification  et  les  caractères  de  la  plus  grande 
partie  de  ces  principes  immédiats. 

Produits  nouvellement  découverts. 

C'est  sur-tout  M.  Fourcroy  que  nous  aurons  à 
nommer  ici  '  ;  il  a  le  premier  nettement  distingué 
les  trois  principaux  principe^s  des  solides  animaux, 
qui  se  retrouvent  aussi  diversement  combinés  dans 
la  plupart  des  liquides  du  même  régne  :  la  gélatine, 
qui,  dissoute  dans  Teau  bouillante,  donne  le  boûil- 

'  Voyez  les  tomes  VII ,  VIII ,  IX  et  X  du  Système  des  contio{ssance<; 
chimiques  de  M.  Fourcroy. 


Il6  SCIENCES   PHYSIQUES. 

Ion  et  la  colle-forte ,  et  qui  fait  la  base  des  os ,  des 
membranes ,  et  en  général  de  toutes  les  parties 
blanches;  la  fibrine,  qui  se  dépose  dans  le  caillot 
du  sang  et  constitue  le  tissu  essentiel  de  la  chair; 
c'est  en  elle  que  s'opère,  dans  l'état  de  vie,  la  con- 
traction musculaire  ;  l'albumine ,  qui  se  coagule 
dans  Teau  bouillante  et  forme  le  blanc  d  œuf.  Il  a 
découvert  dans  l'urine  un  principe  très  particulier, 
qu'il  a  nommé  turée\  matière  excessivement  ani- 
malisée,  susceptible  de  se  changer  presque  tout 
entière  en  carbonate  d'ammoniaque,  et  dont  l'ex- 
crétion est  des  plus  indispensables  au  maintien  de 
la  composition  animale. 

M.  Fourcroy  est  aussi  le  premier  qui  ait  reconnu 
que  l'albumine  se  rencontre  plus  ou  moins  abon- 
damment dans  beaucoup  de  végétaux^. 

Ce  n'est  pas  le  seul  lien  des  deux  régnes.  Le  glu- 
ten ,  découvert  par  Bechari  dans  la  farine  du  fro- 
ment, ressemble  beaucoup  à  l'albumine ,  et  possède 
en  général  tous  les  caractères  des  principes  parti- 
culiers aux  animaux. 

Il  y  a  sans  doute  encore  beaucoup  de  ces  prin- 
cipes immédiats  à  découvrir  dans  les  corps  organi- 
sés, et  chaque  jour  en  découvre  en  effet. 

M.  Thenard  a  trouvé  dans  la  bile  une  matière 

'    Système  des  connoissances  chimiques,  t.  X,  p.  i53. 
^   Annales  de  Chimie  de  1807. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  II7 

sucrée  qu'il  nomme  picromel\  et  dans  la  chair  un 
principe  odorant  qui  donne  au  bouillon  son  goût 
agfrëable,  et  qu'il  appelle  osmazome.  Cette  même 
chair  a  donné  à  M.  Welther  une  matière  amère, 
dont  l'analoj^ue  a  été  retrouvé  et,  mieux  déterminé, 
non  seulement  dans  la  chair,  mais  encore  dans 
rindi{>o  et  dans  d'autres  substances  végétales,  par 
M.  Fourcroy  :  elle  *a  le  caractère  de  brûler  en  ful- 
minant^. 

L'adipocire,  ou  blanc  de  baleine,  est  encore  un 
principe  particulier  bien  déterminé  par  M.  Four- 
croy :  on  en  retrouve  dans  les  calculs  biliaires;  le 
cerveau  en  dépose  dans  Talcohol;  certains  cadavres 
s'y  convertissent  presque  en  entier^. 

Les  végétaux  n'ont  pas  été  moins  féconds  en 
principes  nouveaux. 

MM.  Vauquelin  et  Robiquet  en  ont  trouvé  un 
dans  le  suc  d'asperge,  qui,  sans  avoir  rien  de  salin, 
se  dissout  dans  Teau  et  cristallise  comme  les  sels"^. 
M.  Derone  en  a  découvert  un  autre  dans  l'opium, 
qui  est  peut-être  sa  partie  narcotique;  il  cristallise 
en  lames  blanches  et  brillantes.  M.  Thenard  a 
montré  les  caractères  qui  séparent  la  manne  du 

•   Bulletin   des  Sciences,  pluviôse   an  i3;  Mémoires  delà  Société 
d'Arcueil. 

^   Bulletin  des  Sciences,  frimaire  an  i3. 

^  Annales  de  Chimie,  t.  V,  p.  164,  et  t.  VIII,  p.  17. 

'^  Ibid.,t.L\H,  p.  88. 


Il8  SCIENCES    PHYSIQUES. 

sucre,  et  ceux  qui  distinguent  les  diverses  sortes 
de  sucre  entre  elles. 

Mais  parmi  les  principes  propres  aux  végétaux , 
il  n'en  est  guère  de  plus  important  que  celui  que 
l'on  connoissoit  vaguement  sous  le  nom  de  matière 
astringente,  et  que  M.  Seguin  a  déterminé  plus  pré- 
cisément sous  celui  de  tannin'.  On  le  tire  d'un 
grand  nombre  de  plantes,  mais 'sur-tout  de  Técorce 
du  chêne,  par  l'infusion;  le  cacbou  en  est  presque 
entièrement  composé,  selon  M.  Davy\  Son  prin- 
cipal caractère  est  de  se  combiner  avec  la  gélatine 
animale  en  un  composé  indissoluble.  C'est  à  cette 
propriété  qu'est  dû  le  tannage  des  cuirs;  car  les 
peaux  ne  sont  presque  que  de  la  gélatine.  M.  Hat- 
cliett  est  parvenu  à  produire  artificiellement  une 
sorte  de  tannin,  en  traitant  le  charbon  par  Facide 
nitrique^. 

Transformation  des  produits  les  uns  dans  les  autres. 

En  général  la  chimie  en  est  venue  à  transfor- 
mer à  son  gré  une  foule  de  ces  principes  immédiats 
les  uns  dans  les  autres,  et  il  n'en  est  presque  au- 
cun qui  ne  puisse  résulter  d'une  modification  de 
quelque  autre. 

'   Annales  de  Chimie,  t.  XX,  p.  53. 

^   Bulletin  des  Sciences  ,  floréal  an  1 1 . 

3  Transact.  philos.,  i8o5;  Annal.  deChim.,  t.  LVIII,  p.  si  i  et  225. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE,  II9 

Nous  avons  déjà  vu  comment  on  forme  à  volonté 
une  partie  de  ces  mêmes  acides  animaux  et  végé- 
taux, qui  résultent  aussi  du  concours  des  forces 
vitales.  La  chimie  offre  beaucoup  d'exemples  plus 
ou  moins  semblables  pour  les  autres  principes. 
MM.  Fourcroy  et  Vauquelin  changent  les  muscles 
en  graisse  par  l'acide  nitrique  ;  l'indigo  leur  donne 
du  benjoin  et  une  résine  par  le  même  procédé.  Le 
liège,  qui  ne  contient  point  de  résine,  en  fournit 
en  abondance  quand  on  le  soumet  à  cet  agent.  Il  se 
forme  de  l'huile  à  chaque  instant,  soit  par  la  com- 
bustion, soit  par  les  acides.  La  fonte  du  fer  elle- 
même  en  donne ,  à  cause  de  son  charbon ,  quand 
on  la  traite  par  l'acide  sulfurique,  ainsi  que  l'a  fait 
connoître  M.  Vauquelin.  Le  même  chimiste  vient 
de  remarquer  qu'il  se  forme  une  véritable  manne 
dans  la  fermentation  acétique  du  jus  d'ognon'. 
Enfin  il  n'est  pas  jusqu'au  camphre  que  l'on  ne 
puisse  fabriquer,  suivant  la  découverte  de  M.  Kind, 
en  appliquant  l'acide  muriatique  à  l'essence  de  té- 
rébenthine :  on  vend  même  déjà  beaucoup  de  ce 
camphre  artificiel'. 

Il  est  aisé  de  concevoir  combien  ces  métamor- 
phoses de  matières  communes  en  matières  rares 
et  précieuses  peuvent  favoriser  les  arts  et  changer 

'   Mémoires  de  l'Institut,  1807,  deuxième  semestie,  p.  204. 
'  Annales  de  Chimie,  t.  LI,  p.  270. 


120  SCIENCES    PHYSIQUES. 

la  marche  du  commerce;  mais  il  ressort  de  tous  ces 
faits  des  résultats  plus  importants  encore ,  qui  nous 
élèvent  à  une  théorie  générale  des  êtres  organisés, 
et  qui  nous  montrent  l'essence  même  de  la  vie  dans 
une  variation  perpétuelle  de  proportions  entre  des 
substances  peu  nombreuses  par  elles-mêmes.  Un 
peu  d'oxygène  ou  d'azote  de  plus  ou  de  moins; 
voilà,  dans  l'état  actuel  de  la  science,  la  seule  cause 
apparente  de  ces  innombrables  produits  des  corps 


organises. 


Analyse  des  mixtes  des  corps  organisés. 

Les  mixtes  qui  résultent  de  ces  variations,  et 
que  nous  venons  d'indiquer  sous  le  titre  de  prin- 
cipes immédiats,  constituent,  par  leurs  diverses 
réunions,  les  liquides  et  les  solides  des  corps  orga- 
nisés; et  c'est  seulement  dans  la  détermination  du 
nombre  et  de  la  proportion  de  ces  principes  que 
consistent,  jusqu'à  présent,  les  analyses  de  ces  li- 
quides et  de  ces  solides.  C'est  de  cette  manière  que 
MM.  Parmentier  et  Deyeux  ont  examiné  le  sang  '  et 
le  lait";  MM.  Fourcroy  et  Vauquelin,  le  lait,  les 
larmes^,  la  salive,   le  sperme^,  la  laite  des  pois- 

'    Journal  de  Physique,  t.  XLIV,  pages  872  et  435. 

^  Ibid.,  t. XXXVII,  p.  461  et3i5  ;  Annal,  de  Chim.,  t.  XXXII,  p.  55. 

^   Annales  de  Chimie,  t.  X,  p.  11  3.  —  '*  Ibid.,  t.  IX,  p.  64- 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  12  1 

sons\  lïirine;  M.  Thenard,  le  lait  et  la  bile; 
M.  Vauquelin,  la  sève ^;  MM.  Bunivaet  Vauqueliii, 
les  eaux  de  Fainnios^:  il  n'est  pas  jusqu'aux  ma- 
tières fécales  que  M.  Berzelius  a  eu  le  courage  de 
soumettre  à  l'analyse  la  plus  exacte. 

Tous  ces  examens  ont  donné  des  faits  neufs  et 
intéressants.  La  substance  colorante  du  sang  a  été 
reconnue  par  MM.  Fourcroy  et  Vauquelin  pour 
un  phosphate  de  ter  avec  excès  d'oxyde.  La  laite 
des  poissons  leur  a  donné  du  phosphore  à  nu.  La 
soude  a  été  trouvée  dans  le  sang  par  MM.  Parmen- 
tier  et  Deyeux,  dans  le  sperme,  par  M.  Vauque- 
lin. Le  pollen  des  végétaux  a  donné  récemment  à 
MM.  Fourcroy  et  Vauquelin  des  principes  singu- 
lièrement analogues  à  ceux  du  sperme^. 

On  a  fait  même  l'analyse  comparée  de  ces  li- 
quides dans  divers  ordres  d'animaux  et  dans  leurs 
altérations  maladives.  Ainsi  l'urine  des  herbivores 
a  offert  à  MM.  Fourcroy  et  Vauquelin  de  Facide 
benzoïque,  qui  n'est  dans  celle  de  l'homme  que 
pendant  son  enfance  \  etc.  La  maladie  nommée 
diabètes  sucrée  offre  l'une  des  altérations  les  plus  sin- 
gulières qu'un  liquide  animai  puisse  éprouver  dans 

'   Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  t.  X,  p.  169. 

="  Annal.  deChim.,  t.  XXXI,  p.  20.  —  ^  Ibid.,i.  XXXIII,  p.  269. 

''  Annales  du  Muse'um  d'histoire  naturelle,  t.  I,  p.  4*7- 

*  Mcni.  de  l'Institut;  Mathématii^ues  et  Physique^  t.  II,  p.  43i- 


122  SCIENCES    PHYSIQUES. 

l'état  de  vie:  ruiine,  au  lieu  de  ses  principes  ordi- 
naires, ne  contient  plus  qu'une  sorte  de  sucre  et 
un  peu  de  sel  marin.  Cauly  en  a  fait  la  découverte; 
MM.  Nicolas  et  Queudeville ,  de  Gaen ,  l'ont  consta- 
tée j)ar  les  moyens  de  la  chimie  moderne'  .MM.  The- 
nard  et  Dupuytren  ont  reconnu  que  ce  sucre  dif- 
fère, par  plusieurs  caractères,  de  celui  delà  canne. 

Quant  aux  solides ,  les  os  ont  été  soumis  à  une 
analyse  nouvelle  par  MM.  Fourcroy  et  Vauquelin. 
Outre  le  phosphate  de  chaux  dont  Scheele  a  voit  re- 
connu que  leur  partie  terreuse  est  formée,  ils  y  ont 
découvert  un  phosphate  ammoniaco- magnésien^. 
On  y  trouve  aussi  du  fluate  de  chaux.  M.  Mori- 
chini  Fa  découvert  le  premier  dans  certaines  dents ^: 
M.  Berzelius  a  confirmé  le  fait,  et  Fa  étendu  à  tout 
le  système  osseux. 

Les  cheveux  et  les  poils  ont  été  examinés  par 
M.  Vauquelin ,  et  lui  ont  fourni  jusqu'à  neuf  suh- 
stances  différentes;  une  matière  animale  semblable 
au  mucilage,  deux  sortes  d'huile,  du  fer,  quelques 
atomes  d'oxyde  de  manganèse,  du  phosphate  de 
chaux,  et  très  peu  de  carbonate,  assez  de  silice  et 
beaucoup  desoufre^. 

'   Annales  de  Chimie,  t.  XLIV,  p.  45;  Recherches  et  expériences 
me'dicinales  sur  le  diabètes  sucré;  Paris,  l  vol.  in-8". 

Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  t.  VI,  p.  397. 
^   Annales  de  Chimie,  t.  LV,  p.  258. 
*  Annales  de  Chimie,  t.  LVIII,  p.  4'  ;  t^t  Mém.  de  l'Instit. ,  180G. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  123 

Les  cheveux  noirs  ont  une  huile  de  cette  couleur  ; 
les  roux  en  ont  une  rougeâtre,  et  les  blancs  une  in- 
colore. Les  deux  derniers  ont  toujours  un  excès  de 
soufre;  et  les  blancs  en  particulier  du  phosphate 
de  nia-cjnésie. 

Les  bois,  les  écorces ,  sur-tout  les  écorces  aroma- 
tiques ou  médicinales,  se  prêtent  au  même  genre 
de  décomposition.  La  belle  analyse  du  quinquina 
de  Saint-Domingue,  par  M.  Fourcroy,  a  servi  de 
modèle  pour  ce  genre  de  recherches  '. 

Les  diverses  excrétions  des  corps  organisés,  et 
principalement  les  sucs  végétaux  ou  animaux  qui 
s'emploient  en  médecine  ou  dans  les  arts,  ont  aussi 
été  examinés  de  cette  manière.  Si  les  principes  im- 
médiats que  l'on  y  découvre  n'expliquent  pas  en- 
tièrement l'action  quelquefois  si  énergique  de  ces 
matières  sur  l'économie  animale,  ils  servent  du 
moins  à  établir  entre  elles  des  analogies  qui  peu- 
vent guider  dans  leur  emploi. 

Il  se  dépose  quelquefois  dans  les  liquides  des 
corps  organisés  des  sédiments  à  diverses  sortes, 
dont  l'analyse  étoit  importante,  parcequ'une  partie 
d'entre  eux  occasione  dans  les  animaux  des  mala- 
dies affreuses,  et  que,  leur  composition  une  fois 
connue,  on  pouvoit  espérer  d'en  trouver  les  dis- 
solvants. Tel  est  sur-tout  le  calcul  de  la  vessie  : 

'   Annales  de  Cliimie,  t.  VIII,  p.  1 13  ;  t.  IX  ,  p.  7. 


124  SCIENCES    PHYSIQUES. 

nous  avons  vu  que  Scheele  y  a  découvert  un  acide,  . 
l'acide  lithifjue,  nommé  depuis  uriquepar  M.  Four- 
croy.  C'est  l'inp^rédientle  plus  ordinaire  du  calcul; 
mais  on  y  trouve  aussi  de  l'urate  d'ammoniaque, 
de  Foxalate  de  chaux,  du  phosphate  ammoniaco- 
magnésien.  Ces  divers  sels  peuvent  former  chacun 
des  calculs  d'espèce  particulière  ;  ceux  d'oxalate  de 
chaux ,  connus  sous  le  nom  de  pierres  murales,  sont 
les  plus  affreux  de  tous ,  à  cause  de  leur  surface  hé- 
rissée, qui  déchire  la  vessie  et  cause  des  douleurs 
inexprimables. 

Toutes  ces  découvertes  sont  le  résultat  d'un  ^jrand 
travail  de  MM.  Fourcroy  et  Vauquelin*.  Ils  ont 
trouvé  dans  certains  animaux  herbivores  d'autres 
calculs  entièrement  formés  de  carbonate  de  chaux; 
mais  il  n'y  en  a  point  de  tels  dans  l'homme.  En  re- 
vanche les  carnivores  et  les  omnivores  en  offrent 
souvent  de  phosphate  terreux  et  d'oxalate  de 
chaux. 

Il  se  forme  aussi  des  pierres  dans  la  vésicule  du 
fiel  et  dans  les  canaux  biliaires.  MM.  Poulletier  de 
La  Salle  et  Fourcroy  y  ont  reconnu  de  l'adipocire 
et  une  matière  résineuse. 

Les  bézoards  sont  des  concrétions  intestinales. 
On  vantoit  autrefois  en  médecine,  sous  le  nom  de 
bézoards  dOri&sit,  ceux  de  quelques  animaux  étran- 

'   Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  lomes  I  et  II. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  «  125 

gers,  et  spécialement  de  la  chèvre  sauvage  de  Perse. 
MM.  Fourcroy  et  Vauqueliii  les  ont  trouvés  formés 
d'une  sorte  de  résine  qui  paroît  avoir  été  prise  au 
dehors  par  Fanimal  '.  Les  bézoards  communs  sont 
tantôt  des  phosphates  de  chaux  ou  de  magnésie, 
tantôt  des  concrétions  de  la  matière  résineuse  de  la 
bile.  Le  dépôt  qui  se  fait  dans  les  articulations  des 
goutteux  a  été  reconnu ,  par  M.  Tennant,  pour  de 
l'urate  de  soude. 

Les  végétaux  ont  aussi  leurs  concrétions.  L'une 
des  plus  singulières  est  le  tabasiieer  ou  tabacliir  qui 
se  forme  dans  le  bambou  :  ce  n'est  que  de  la  silice 
pure.  M.  Macie  Ta  dit  le  premier^  ;  MM.  Fourcroy 
et  Vauquelin  l'ont  confirmé:  mais  comment  de  la 
silice  est-elle  transportée  dans  l'intérieur  du  roseau, 
elle  qui  est  indissoluble,  et  que  d'ailleurs  rien  ne 
nous  autorise  à  regarder  comme  un  composé? 

Les  végétaux  en  contiennent  beaucoup;  et  quand 
on  brûle  des  matières  de  ce  régne  traitées  plusieurs 
fois  par  l'eau,  du  papier,  par  exemple,  la  cendre  est 
de  la  silice  presque  pure. 

Les  chimistes  que  nous  venons  de  citer  attri- 
buent l'ascension  de  la  silice  à  une  ténuité  extrême 
de  ses  molécules,  et  à  une  suspension  qui  équivaut 
presque  à  une  dissolution. 

'   Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  t.  II. 
^   Annales  de  Chimie,  t.  XI. 


120  SCIENCES    PHYSIQUES. 

En  général  la  chimie  n'a  encore  rien  découvert 
qui  oblige  absolument  de  croire,  comme  quelques 
savants  le  soutenoient  autrefois,  que  les  terres,  les 
alcalis,  les  métaux  qui  se  trouvent  dans  les  animaux 
et  les  végétaux,  s'y  soient  formés  par  l'action  de  la 
vie:  au  contraire  les  recherches  récentes  de  M.  de 
Saussure  le  fils  ont  montré,  au  moins  pour  plu- 
sieurs de  ces  éléments,  que  les  végétaux  n'en  con- 
tiennent qu'autant  qu'ils  ont  pu  en  recevoir  du  de- 
hors '  ;  et  les  motifs  de  Fopinion  contraire,  que  l'on 
prétendoit  tirer  de  la  géologie,  sont  tombés,  au- 
jourd'hui que  l'on  a  découvert  toutes  ces  substances 
dans  les  montagnes  les  plus  anciennes ,  qui  ne  re- 
cèlent pas  la  moindre  trace  d'organisation.  Ainsi 
les  granits  contiennent  non  seulement  de  la  chaux, 
de  la  magnésie,  de  la  baryte;  ils  ont  jusqu'aux  alcalis 
fixes  dans  quelques  unes  des  pierres  dont  l'agréga- 
tion forme  leurs  énormes  masses  :  le  feldspath ,  par 
exemple,  contient  toujours  de  la  potasse. 

Fermentation, 

Tels  sont  les  principaux  résultats  de  l'analyse 
chimique  des  produits  de  la  vie,  pris  immédiate- 
ment à  leur  sortie  du  corps:  mais  une  partie  de 

'  Recherches  sur  la  végétation,  par  Théodore  de  Saussure;  Paris, 
1804,  I  vol.  in-8°. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  127 

ces  produits  est  susceptible  d'éprouver  des  mouve- 
ments intestins  qui  en  modifient  les  proportions 
intérieures,  et  qui  donnent  encore  des  produits 
nouveaux;  c'est  ce  qu'on  a  nommé  fer  mentalion.  Il 
en  arrive  inévitablement  une  dans  tous  les  liquides 
extraits  des  corps  vivants,  et  dans  tous  ceux  de 
leurs  solides  qui  ne  sont  pas  entièrement  dessé- 
chés ,  ou  qui  l'étant  reprennent  de  l'humidité  du 
dehors.  Sitôt  qu'ils  sont  soustraits  au  tourbillon  de 
la  vie ,  et  livrés  en  quelque  sorte  sans  défense  à  l'ac- 
tion de  lair  et  de  la  chaleur,  leurs  éléments  chan- 
gent de  rapports,  et,  après  des  mouvements  inté- 
rieurs plus  ou  moins  continués,  se  séparent  et  se 
dissipent  pour  rentrer  dans  le  domaine  de  la  na- 
ture brute:  mais  l'homme  a  appris  à  les  saisir  dans 
les  divers  degrés  de  ces  changements  successifs,  et 
à  les  y  arrêter,  pour  les  employer  à  ses  divers  be- 
soins. 

De  toutes  les  fermentations  celle  qu'on  a  nom- 
mée vineuse  est  la  plus  féconde  en  produits  utiles. 
Lavoisier  a  le  premier  bien  démêlé  ce  qui  s'y  passe. 
Elle  ne  s'établit  que  dans  la  matière  sucrée  étendue 
d'eau.  Le  sucre,  en  qualité  d'oxyde  végétal  à  deux 
bases,  contient  une  certaine  proportion  d'oxygène, 
d'hydrogène,  et  de  carbone.  L'essence  de  la  fer- 
mentation vineuse  consiste  à  le  séparer  en  deux 
portions,  dont  Tune  enlève  une  grande  partie  du 


128  SCIEINCES    PHYSIQUES. 

carbone  et  presque  tout  loxy^^ène,  sous  forme  de 
gaz  acide  carbonique,  et  dont  l'autre,  composée 
principalement  du  reste  du  carbone  et  de  tout  l'hy- 
drogène, est  ce  liquide  combustible  que  l'on  élève 
aisément  par  la  distillation,  et  que  l'on  nomme  al- 
cohol  ou  esprit-de-vin. 

Mais  ce  partage  ne  se  feroit  point  dans  la  matière 
sucrée  pure  par  le  seul  concours  de  l'air  et  d'une 
température  douce;  il  faut  encore  un  agent  qui 
rompe  l'équilibre  et  fasse  commencer  le  mouve- 
ment :  on  l'a  nommé  le  ferment  ou  la  levure. 
MM.  Fabroni%  Thenard^,  et  Seguin,  sont  ceux 
qui  ont  fait  le  plus  de  recherches  sur  sa  nature  et 
sa  manière  d'agir.  Le  premier  a  reconnu  que  c'est 
un  pîincipe  végéto- animal,  semblable  au  gluten 
du  froment,  qui  fait  l'essence  de  la  levure;  il  est 
contenu  dans  la  pellicule  des  grains  de  raisin ,  et  se 
mêle  à  leur  jus  dans  le  pressoir.  Le  second  est  ar- 
rivé de  son  côté  à  un  résultat  peu  différent,  quoi- 
qu'il trouve  encore  une  nuance  très  sensible  entre 
la  levure  et  le  gluten ,  et  qu'il  ne  regarde  pas  la 
première  comme  simplement  mêlée,  mais  bien 
comme  dissoute  dans  le  moût;  il  lui  a  sur-tout  re- 
connu ce  caractère  particulier,  qu'elle  perd  sa  pro- 
priété par  l'eau  bouillante.  Le  troisième  convient 

'   Arte  di  far  il  vino  ;  Fiorenza,  1788. 
^    Annales  de  Chimie,  t.  XLVIIl,  p.  294. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE,  I  29 

bien  que  c'est  un  principe  analogue  à  ceux  des  ani- 
maux ;  mais  il  le  croit  plutôt  de  Falbumine  dans  un 
certain  état  de  dissolubilité. 

Quant  à  l'action  de  la  levure  sur  la  liqueur  sucrée 
pour  y  déterminer  de  si  grands  changements,  elle 
estproduite,suivantM.Thenard,  par  la  plus  grande 
affinité  de  cette  levure  pour  l'oxygène. 

Il  n'y  a  donc  que  les  liquides  sucrés  qui  puissent 
donner  des  vins  quelconques  ;  les  graines  céréales 
y  deviennent  propres  par  la  germination  qui  change 
leur  amidon  en  sucre;  lorsqu'il  n'y  a  point  assez  de 
sucre ,  comme  dans  les  moûts  des  pays  froids ,  on 
peut  y  en  ajouter,  ainsi  que  l'a  proposé  M.  Ghaptal  ; 
ceux  de  ces  liquides  qui  contiennent  naturellement 
un  principe  végéto-animal,  comme  lejus  de  raisin, 
qui  fait  le  vin  ordinaire ,  celui  des  pommes ,  qui  fait 
le  cidre ,  apportent  leur  levure  avec  eux  et  fermen- 
tent d'eux-mêmes.  Il  faut  en  fournir  à  ceux  qui  n'en 
ont  point.  Quelquefois  aussi  les  opérations  prélimi- 
naires font  perdre  la  propriété  de  la  levure,  et  il 
faut  en  rendre  de  nouvelle  ;  c'est  le  cas  de  la  décoc- 
tion d'orge  gerniée  qui  produit  la  bière  ;  c'est  aussi 
celui  des  vins  et  des  autres  sucs  végétaux  qu'on  a 
fait  bouillir  :  on  emploie  même  l'ébullition  pour  les 
conserver  sans  qu'ils  fermentent.  Au  reste  comme 
les  divers  sucs  fermentescibles  contiennent,  indé- 
pendamment du  sucre,  une  foule  d'autres  ingré- 

BUFFON.  COVPLÉM.  T.   I.  y 


l3o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

clients ,  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  y  ait  tant  de  vins 
différents. 

On  conçoit  aisément  que  ces  idées  ont  dû  jeter 
beaucoup  de  lumière  sur  la  théorie  de  la  vinifica- 
tion et  en  diriger  infiniment  mieux  la  pratique.  On 
en  retrouve  la  preuve  à  chaque  pag^e  dans  l'excel- 
lent ouvrage  de  M.  Ghaptal  sur  l'art  de  faire  le 
vin  '. 

La  fermentation  acéteuse  semble  n'être  qu'une 
continuation  de  la  vineuse.  Du  vin  exposé  à  l'air 
s'aigrit,  non  pas  peut-être  en  reprenant  de  l'oxy- 
gène, mais  en  perdant,  par  le  moyen  de  celui  de 
l'atmosphère,  à  coup  sûr  du  carbone,  et  très  pro- 
bablement de  l'hydrogène:  ainsi  se  forment  tous 
les  vinaigres,  selon  M.  Thenard;  il  s'en  forme  dès 
la  première  fermentation ,  et  peu  de  vins  en  sont 
exempts. 

A  ce  jeu  compliqué  des  éléments  qui  a  déter- 
miné la  formation  de  falcohol,  ou  du  moins  qui  a 
préparé  la  liqueur  fermentée  à  donner  de  l'alcohol 
par  la  distillation,  succède  un  jeu  nouveau  et  plus 
compliqué  encore  quand  on  traite  l'alcohol  par  les 
acides. 

Il  en  résulte  les  différents  éthers,  qui  prennent 
chacun  le  nom  de  l'acide  qui  le  produit.  L'éther  sul- 

'   Traité  thëoi'ique  et  pratique  de  la  culture  de  la  vi(>ne,  avec  l'art 
lie  faire  le  vin  ;  Paris,  deuxième  édition,  1801 ,  2  vol.  in-8°. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  l3l 

lurique  est  connu  et  employé  depuis  long-temps 
en  pharmacie;  mais  ce  n'est  que  depuis  peu  d'an- 
nées que  MM.  Fourcroy  et  Vauquelin  ont  expliqué 
ce  qui  se  passe  dans  sa  fabrication  \  J.a  présence  de 
l'acide  et  sa  tendance  à  absorber  de  1  eau  excitent  les 
éléments  de  l'alcohol  à  réagir  les  uns  sur  les  autres. 
Son  hydrogène  et  son  oxygène  forment  d'abord  de 
l'eau  que  l'acide  prend  sans  se  décomposer  lui- 
même  :  Féther  ne  diffèreroit  donc,  selon  ces  chi- 
mistes ,  de  l'alcohol  que  par  plus  de  carbone.  Si  l'on 
chauffe  davantage,  l'acide  même  donne  son  oxy- 
gène; il  s'élève  alors  de  l'acide  sulfureux;  et  l'éther, 
sedésoxygénant  de  plus  en  plus,  donne  un  liquide 
jaune  qu'on  appelle  liuile  douce  de  vin. 

M.  Théodore  de  Saussure,  dans  un  travail  sur 
l'analyse  de  l'alcohol  et  de  l'éther  su  Ifurique^,  remar- 
quable par  une  extrême  exactitude  et  par  les  moyens 
nouveaux  dont  il  enrichit  la  chimie,  vient  de  don- 
ner une  grande  précision  à  la  comparaison  des  par- 
ties constituantes  de  ces  deux  substances.  L'éther  a 
moitié  moins  d'oxygène  que  l'alcohol  :  l'augmen- 
tation de  proportion  de  l'hydrogène  avoit  déjà  été 
annoncée  par  M.  Berthollet. 

La  théorie  de  l'éther  nitrique  étoit  beaucoup 
moins  parfaite;  et  ce  qu'on  prenoit  pour  tel  dans  les 

'   Annales  de  Chimie,  t.  XXIII,  p.  2o3. 
^   Journal  Je  Physique,  t.  LXIV,  p.  'di6. 


l32  SCIENCES    PHYSIQUES. 

pharmacies,  d'après  les  procédés  de  Navier,  n'en 
étoit  même  pas.  M.  Thenard  s'en  est  occupe  récem- 
ment avec  le  plus  grand  succès  '.  Les  quatre  sub- 
stances élémentaires  qui  se  trouvent  dans  l'alcohol 
et  dans  i'acide  en  forment  par  leur  rapprochement 
jusqu'à  dix,  qu'on  peut  séparer:  l'éther  presque 
tout  entier  passe  sous  forme  gazeuse,  et  ne  s'ob- 
tient séparément  qu'en  refroidissant  beaucoup. 
Gomme  il  reforme  de  l'acide  nitreux  par  le  repos ^ 
même  lorsqu'il  en  a  été  le  mieux  purgé,  M.  The- 
nard  pense  que  les  deux  principes  de  cet  acide  y 
existent  combinés  avec  l'alcohol  déshydrogéné  et 
légèrement  carbonisé. 

Le  même  chimiste  a  préparé  l'éther  muriatique, 
qui  devient  encore  gazeux  plus  aisément  que  le  ni- 
trique ;  il  a  constaté  q ue  tous  les  éléments  de  l'alcohol 
et  tous  ceux  de  l'acide  y  entrent:  cependant,  bien 
purifié,  cet  éther  ne  donne  aucune  trace  d'acidité, 
et  ne  se  laisse  point  décomposer  par  les  alcalis  dans 
les  premières  heures;  mais,  si  on  le  brûle,  l'acide 
muriatique  se  reproduit  à  l'instant.  Yétoit-il  décom- 
posé ou  seulement  masqué  par  la  simple  combinai- 
son avec  l'alcohol?  si  c'étoit  le  premier  cas,  cette 
expérience  nous  mettroit  sur  la  voie  du  radical  de 
cet  acide,  l'une  des  choses  les  plus  à  désirer  dans  Ja 
chimie  moderne,  mais  dont  on  approche  de  tant 

'   Société  d' A rcueil,  t.  I;  plusieurs  Mémoires. 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  l33 

de  côtés  qu'il  est  difficile  qu  elle  échappe  encore 
long-temps.  M.  Gehlen,  chimiste  de  Halle,  avoit 
observé  de  son  côté  les  mêmes  propriétés  dans 
l'éther  muriatique. 

M.  Thenard ,  s'occupant  ensuite  de  l'éther  acé- 
tique, l'a  aussi  regardé  comme  formé  de  la  réunion 
de  tous  les  principes  de  l'alcohol  et  de  l'acide,  sans 
réaction  ni  séparation.  ïl  redonne  néanmoins  aussi 
cet  acide  par  la  combustion,  comme  Scheele  l'avoit 
déjà  observé. 

Cependant  M.  Boulay  soutient  encore  une  opi- 
nion contraire  à  celle  de  M.  Thenard  sur  les  éthers 
formés  par  des  acides  volatils;  il  les  regarde  comme 
des  combinaisons  neutres,  où  l'alcohol  tient  lieu  de 
base  :  mais  comment  l'alcohol  surmonte-t-il  l'affinité 
des  alcalis? 

Le  même  chimiste  a  réussi  à  faire  de  l'éther  phos- 
phorique,  dont  la  théorie  revient  à  celle  de  l'éther 
ordinaire. 

La  fermentation  des  matières  qui  contiennent  de 
l'azote  est  bien  plus  compliquée,  et  donne  des  ré- 
sultats bien  plus  variés  que  les  fermentations 
vineuse  et  acéteuse.  On  lui  donne  le  nom  de  fer- 
mentation putride,  et  son  dernier  terme  est  aussi 
principalement  la  répartition  des  éléments  en  deux 
su])stances  volatiles;  de  l'acide  carbonique,  d'une 
part,  et  de  l'ammoniaque,  de  l'autre,  qui,  comme 


l34  SCIEINCES    PHYSIQUES. 

nous  l'avons  dit,  résulte  de  la  combinaison  de  l'hy- 
dropène  et  de  l'azote.  Il  s'exhale  en  même  temps 
une  foule  d'autres  vapeurs  plus  ou  moins  désagréa- 
bles, et  qui  sont  toutes  des  combinaisons  variées 
d'hydrogène,  de  carbone,  d'azote,  de  phosphore, 
et  des  autres  éléments  de  la  substance  qui  pourrit. 
Mais,  avant  d'arriver  à  leur  décomposition  totale, 
les  matières  azotées  parcourent  une  infinité  de  de- 
grés différents,  auxquels  on  cherche  à  les  arrêter 
selon  les  emplois  qu'on  peut  en  faire. 

L'attendrissement  de  la  chair,  qui  la  rend  plus 
facile  à  digérer,  n'est  qu'un  de  ces  degrés;  au- 
delà  elle  seroit  insupportable  pour  nous ,  quoi- 
qu'elle paroisse  alors  plus  agréable  à  certains  ani- 
maux. 

Le  lait,  qui  contient  à-la-fois  des  substances 
sucrées  et  des  substances  azotées,  donne,  par  ses 
diverses  parties,  de  l'acide,  de  l'eau-de-vie,  ou  du 
fromage;  et  les  diverses  altérations  de  celui-ci  ne 
sont  aussi  que  divers  degrés  de  fermentation  pu- 
tride que  rhomme  sait  diriger  et  arrêter.  Le  garum 
des  anciens,  le  c«i'/«r  des  Russes,  et  plusieurs  autres 
comestibles,  sont  dans  le  même  cas. 

On  découvre  de  temps  en  temps  de  ces  stations 
singulièresoù  la  putréfaction  s'arrête ,  ou  des  modi- 
fications qu'elle  prend  dans  certaines  circonstances. 
Ainsi  la  chair  des  muscles,  qui,  à  l'air  libre,  se  dé- 


CHIMIE    PARTICULIÈRE.  l35 

truiroit  tout  entière  avec  une  infection  insuppor- 
table, lorsqu'elle  est  entassée  et  recouverte  d'une 
terre  humide  se  change  en  une  matière  très  sem- 
blable au  blanc  de  baleine.  C'est  une  observation 
intéressante  de  M.  Fourcroy,  faite  lorsque  l'on  net- 
toya le  cimetière  des  Innocents,  pour  le  changer  en 
marché.  On  dit  que  l'on  a  tiré  parti  en  Angleterre 
de  cette  découverte,  en  transformant  en  substance 
combustible  les  chairs  des  chevaux  et  des  autres 
animaux  qui  ne  se  mangent  point. 

De  tous  les  procédés  capables  d'arrêter  la  fermen- 
tation putride  et  d'en  faire  disparoître  les  effets  dés- 
agréables le  plus  utile  est  l'emploi  de  la  poussière 
de  charbon,  découvert  par  Lowitz  *  :  elle  rétablit  le 
bon  goût  de  la  chair  gâtée;  les  filtres  qu'on  en  fait 
rendent  à  l'eau  corrompue  sa  fraîcheur  et  sa  pureté; 
le  poisson,  le  gibier,  se  transportent  très  loin  dans 
le  charbon  pilé,  et  des  tonneaux  charbonnés  à 
l'intérieur  conservent  l'eau  douce  en  mer  plus  long- 
temps quaucun  autre  moyen. 

•   Annales  de  Chimie,  t.  XIV,  p.  327;  t.  XVIII,  p.  88. 


FIN    DE    LA    PREMIERE    PARTIE. 


SECONDE  PARTIE. 


HISTOIRE  NATURELLE. 

Nous  venons  de  tracer  une  légère  esquisse  des 
vérités  que  les  sciences  expérimentales  nous  ont 
révélées  dans  cette  période,  touchant  les  propriétés 
des  corps  qu  elles  peuvent  isoler  et  maîtriser  dans 
nos  laboratoires.  Mais  elles  n'ont  pas  borné  leurs 
efforts  à  ces  recherches  de  cabinet  ;  elles  se  sont  ré- 
pandues dans  un  champ  plus  vaste  :  armées  de  ces 
nombreuses  découvertes,  elles  en  ont  fait  l'appli- 
cation aux  divers  phénomènes  qui  nous  entourent, 
et  ont  jeté  sur  l'histoire  naturelle  une  lumière  que 
l'on  auroit  à  peine  soup(^onnée  possible  il  y  a  un 
demi-siècle. 

En  effet  Fhistoire  naturelle,  qui  va  faire  l'objet 
de  la  seconde  partie  de  cette  histoire,  et  dont  le 
public ,  et  même  quelques  savants ,  se  font  encore 
des  idées  assez  vagues,  commence  à  être  reconnue 
pour  ce  qu'elle  est  réellement,  c'est-à-dire  pour  une 
science  dont  l'objet  est  d'employer  les  lois  géné- 
rales de  la  mécanique,  de  la  physi([ue,  et  de  la 
chimie,  à  l'explication  des  phénomènes  particu- 


l38  SCIENCES    PHYSIQUES. 

liers  que  manifestent  les  divers  corps  de  la  na- 
ture. 

Dans  ce  sens  étendu  elle  embrasseroit  aussi  Tas- 
tronomie;  mais  cette  science,  éclairée  aujourd'hui 
d'une  lumière  suffisante  par  les  seules  lois  de  la 
mécanique,  et  soumise  aux  calculs  les  plus  rigou- 
reux, rentre  complètement  dans  les  mathéma- 
tiques ,  dont  elle  est  la  plus  belle  comme  la  plus 
étonnante  application. 

Le  champ  de  l'histoire  naturelle  n'est  encore  que 
trop  vaste,  en  le  restreignant  aux  objets  qui  n'ad- 
mettent point  de  calcul  ni  de  mesures  précises  dans 
toutes  leurs  parties. 

L'atmosphère  et  sa  composition,  les  météores; 
les  eaux,  leurs  mouvements,  et  ce  qu'elles  contien- 
nent ;  les  divers  minéraux  ,  leur  position  réci- 
proque, leur  origine;  les  formes  extérieures  et 
intérieures  des  végétaux  et  des  animaux,  leurs  pro- 
priétés, les  mouvements  qui  constituent  les  fonc- 
tions de  leur  vie,  leur  action  mutuelle  pour  main- 
tenir l'ordre  et  l'harmonie  à  la  surface  du  globe  : 
voilà  ce  que  le  naturaliste  doit  raconter  et  expli- 
quer. Quand  il  caractérise  ou  analyse  les  minéraux, 
on  le  nomme  minéralogiste  ;  s'il  expose  leur  position 
et  leur  formation,  il  devient  géologiste;  s'il  décrit 
et  classe  les  végétaux  ou  les  animaux ,  il  prend  le 
titre  de  botaniste  ou  de  zoologiste;  s'il  les  dissèque, 


HISTOIRE    NATURELLE.  1  89 

celui  d'anatomiste  ;  il  devient  physiologiste  quand 
il  cherche  à  déterminer  les  phénomènes  de  la  vie  et 
à  en  fixer  les  lois. 

Mais  tous  ces  travaux,  partagés  d'ordinaire  entre 
diverses  personnes,  à  cause  de  leur  immensité  et 
des  bornes  de  l'esprit  humain ,  tendent  au  même 
but  et  suivent  la  même  marche,  qui  consiste  à  four- 
nir à  la  physique  et  à  la  chimie  des  objets  d'appli- 
cation bien  déterminés,  ou  à  circonscrire  rigou- 
reusement les  phénomènes  qui  échappent  encore  à 
ces  deux  sciences,  et  à  les  rapporter  à  quelques 
faits  généraux  qu'on  adopte  comme  principes,  et 
dont  on  part  pour  des  explications  particulières. 

D'ailleurs  aucune  des  branches  de  l'histoire  na- 
turelle ne  peut  plus  se  passer  entièrement  des 
autres,  et  moins  encore  des  deux  sciences  plus  gé- 
nérales que  nous  venons  de  nommer.  En  vain  vou- 
droit-on  maintenant  classer  les  minéraux  sans  les 
analyser  chimiquement  et  mécaniquement,  ou  les 
animaux  sans  connoître  leur  structure  intime  et 
les  fonctions  de  leurs  organes:  le  physiologiste  qui 
n'embrasseroit  pas  dans  ses  méditations  les  phéno- 
mènes de  la  vie  des  plantes  et  de  celle  de  tous  les 
animaux  se  perdroit  bien  vite  en  conjectures  illu- 
soires, tout  comme  il  fermeroit  volontairement  les 
yeux  à  la  lumière ,  s'il  refusoit  d'admettre  l'influence 
des  lois  physiques  dans  les  fonctions  vitales. 


l4o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Il  est  donc  visible  que  la  différence  essentielle  en- 
tre les  sciences  générales  et  l'histoire  naturelle  c'est 
que  dans  les  premières  on  n'examine,  ainsi  que  nous 
venons  de  le  faire  entendre,  que  des  phénomènes 
dont  on  détermine  en  maître  toutes  les  circon- 
stances ,  et  que  dans  l'autre  les  phénomènes  se  pas- 
sent sous  des  conditions  qui  ne  dépendent  pas  de 
l'observateur.  Dans  la  chimie  ordinaire,  par  exem- 
ple ,  nous  fabriquons  nos  vaisseaux  de  matières 
inaltérables;  nous  les  formons,  les  courbons,  les 
dirigeons  comme  il  nous  plaît;  nous  n'y  plaçons 
que  ce  qu'il  faut  pour  avoir  des  idées  claires  du  ré- 
sultat.  Dans   la  chimie  vitale    les   matières   sont 
innombrables;  à  peine  le  chimiste  nous  en  a-t-il  ca- 
ractérisé quelques  unes  :  les  vaisseaux  sont  d'une 
complication  infinie  ;  à  peine  l'anatomiste  nous  a-t-il 
décrit  une  partie  de  leurs  contours  :    leurs  pa- 
rois agissent  sur  ce  qu'ils  contiennent;  elles  en  su- 
bissent faction  :  il  vient  sans  cesse  des  éléments  du 
dehors  en  dedans  ;  il  s'en  échappe  du  dedans  au  de- 
hors :  toutes  les  parties  sont  dans  un  tourbillon 
continuel ,  qui  est  une  condition  essentielle  du  phé- 
nomène, et  que  nous  ne  pouvons  suspendre  long- 
temps sans  l'arrêter  pour  jamais,  et  sans  que  les 
éléments  et  leur  mélange  forment  aussitôt  des  com- 
î)inaisoris  nouvelles.  Nous  ne  sommes  pas  même  les 
maîtres  de  retrancher  à  notre  gré  quelque  partie 


HISTOIRE    NATURELLE.  l4ï 

pour  juger  de  son  emploi  spécial  :  le  corps  vivant 
tout  entier  périt  quelquefois  par  cette  suppression. 
Les  branches  les  plus  simples  de  l'histoire  natu- 
relle participent  déjà  à  cette  complication  et  à  ce 
mouvement  perpétuel ,  qui  rendent  si  difficile  l'ap- 
plication des  sciences  générales. 

Histoire  naturelle  de  [atmosphère. 

La  météorologie,  par  exemple,  n'a  pour  objet 
que  les  variations  de  l'atmosphère;  et  il  semble  que 
les  éléments  qui  composent  celle-ci  ne  sont  pas 
bien  nombreux.  On  sait  même  aujourd'hui,  parles 
expériences  de  plusieurs  physiciens,  et  sur-tout  de 
MM.  de  Humboldt,  Biot,  et  Gay-Lussac  %  que  ceux 
de  ses  éléments  gazeux  que  nous  pouvons  saisir 
sont  à-peu-près  en  même  proportion  à  toutes  les 
hauteurs  où  Ton  a  pu  s'élever;  et  par  celles  de 
MM.  Berthollet ,  Beddoes ,  etc. ,  que  les  pays  les 
plus  éloignés  ne  diffèrent  pas  non  plus  à  cet  égard 
d'une  manière  sensible  :  mais  sa  masse  est  immense, 
sa  mobilité  infinie;  la  moindre  variation  de  chaleur 
y  cause  des  mouvements  étendus  ;  ces  mouvements 
divers  se  croisent  et  se  contrarient  d'une  manière 
que  les  mathématiques  ne  peuvent  apprécier.  L'eau 
qui  s'évapore  rend  plus  légère  la  portion  d'air  qui 

»  Annales  du  Muséum  d  histoire  naturelle,  t.  II,  p.  170  et  322. 


l/[2  SCIENCES    PHYSIQUES. 

la  contient  :  de  là  des  mouvements  nouveaux  qui 
varient  en  raison  composée  des  deux  causes  essen- 
tielles de  la  vaporisation ,  c'est-à-dire  de  la  chaleur 
et  de  la  surface  aqueuse  sur  laquelle  elle  frappe. 
Enfin  l  électricité  vient  encore  se  joindre  à  toutes 
ces  causes,  pour  multiplier  les  altérations  du  fluide 
qui  nous  environne. 

Il  est  aisé  de  voir  qu'il  y  a  déjà  assez  de  ces  divers 
ressorts  pour  rendre  presque  infini  le  nombre  des 
combinaisons  possibles  :  que  sera-ce  ci  si  Ton  décou- 
vre un  jour  des  agents  nouveaux,  comme  de  orands 
physiciens  le  soupçonnent  déjà,  et  si  le  soleil  lui- 
même  varie  par  l'intensité  de  sa  chaleur  et  de  sa  lu- 
mière, comme  M.  Herschel  se  croit  en  droit  de  le 
soutenir'  !  On  peut  donc  se  faire  des  théories  plus 
ou  moins  [générales ,  plus  ou  moins  vafjues,  sur  les 
causes  des  divers  météores;  mais  la  preuve  de  l'im- 
perfection de  toutes  ces  théories  c'est  qu'elles  ne 
conduisent  point  encore  à  prévoir  ces  météores  avec 
la  moindre  précision. 

L'air  qui  passe  sur  de  l'eau  se  charj^e  d'une  vapeur 
d'autant  plus  abondante  qu'il  est  plus  chaud;  il  la 
laisse  retomber,  s'il  se  refroidit:  de  là  le  brouillard 
ou  la  pluie.  Si  le  refroidissement  est  assez  grand, 
l'eau  tombera  en  neige;  si  elle  ne  gèle  qu'en  tom- 
bant, elle  deviendra  de  ia  grêle.  Le  baromètre 

'    Bibliothèque  Britannique. 


MÉTÉOROLOGIE.  I/p 

baisse  quand  quelque  partie  de  l'air  devient  hu- 
mide; il  a  donc  des  rapports  assez  constants  avec  le 
temps  futur:  le  vent  qui  vient  de  la  mer  apporte 
plus  d'humidité;  il  est  donc  aussi  pour  chaque  lieu 
un  indice  du  temps.  Le  vent  lui-même  dépend  en 
grande  partie  de  la  chaleur  ;  et  il  est  d'autant  plus 
réguher  que  les  circonstances  qui  déterminent  la 
chaleur  sont  plus  constantes.  L'air  chaud  quiseléve 
des  plaines  échauffées  redissout  les  nuages  qui  s'y 
rendent ,  et  y  maintient  la  sérénité  :  la  fraîcheur 
des  montagnes  produit  un  effet  contraire,  etsemhle 
attirer  les  nuages.  On  sait  tout  cela  en  gros  '  ;  mais 
c'est  à-peu-près  tout  ce  qu'on  sait  sur  les  météores 
simplement  aqueux.  Les  autres  sont  bien  plus  irré- 
guliers encore,  et  nous  n'apercevons  pas  même 
d'une  manière  générale  leurs  causes  originaires. 

Ainsi  l'on  en  est  réduit  à  de  simples  descriptions 
historiques,  ou  tout  au  plus  à  des  conjectures,  sur 
les  causes  immédiates  des  trombes ,  des  tourbillons , 
des  ouragans,  ainsi  que  de  la  plupart  des  météores 
lumineux:  mais  ce  qui  les  amène  précisément  en 
tel  temps  et  en  tels  lieux  nous  échappe  presque 
entièrement. 

Nous  devons  cependant  beaucoup  de  reconnois- 
sance  aux  hommes  laborieux  qui  observent  les  va- 
riations de  l'atmosphère ,  et  cherchent  à  saisir  quel- 

'   Voyez  le  Mémoire  de  M.  Moiige,  Annales  de  Chimie,  t.  V,  p.  i. 


l44  SCIENCES    PHYSIQUES. 

que  rapport  entre  elles  et  des  phénomènes  plus 
constants. 

Les  mouvements  des  astres  étoient  ceux  de  ces 
phénomènes  auxquels  il  étoit  le  plus  naturel  de 
penser;  et  la  lune,  comme  plus  voisine  de  nous, 
devoit  la  première  attirer  l'attention.  Le  peuple  at- 
tribuedès  long-temps  à  ses  phases  quelque  influence 
sur  le  temps  :  Toaldo  '  et  M.  Cotte  ^  ont  réfuté  cette 
opinion.  M.  deLamarck  cherche,  depuis  plusieurs 
années,  si  le  lieu  de  la  lune,  sa  distance  et  ses  rap- 
ports de  position  avec  le  soleil ,  n  en  auroient  pas 
davantage.  La  méthode  qu'il  emploie  de  former 
d'avance  des  espèces  de  calendriers  ne  peut  man- 
quer d'exciter  les  observateurs  à  noter  avec  soin  tout 
ce  qui  arrive;  et  c'est  ainsi  qu'on  obtiendra  tout  ce 
qu'il  sera  possible  d'obtenir  de  certain^. 

Nous  devons  une  reconnoissance  non  moins 
grande  à  ceux  qui  imaginent  et  qui  emploient  avec 
constance  les  instruments  propres  à  mesurer  avec 
quelque  précision  tous  ces  genres  de  variations , 
et  à  en  donner  au  moins  une  histoire  exacte^. 

'  Journal  de  physique,  t.  XXXIX,  p.  43  ;  Essai  météorologique,  tra- 
duit de  l'italien  de  Toaldo  par  Daquin  ;  Chambéry,  1784;  in-4". 

^  Ibid.,  depuis  1787  jusqu'à  présent.  Voyez  aussi  son  Traité  et  ses 
Mémoires  de  Météorologie;  Paris,  1774-1788;  3  vol.  in-4°. 

^   Voyez  les  Annuaires  météorologiques  de  M.  de  Lamarck. 

^  Voyez,  sur  tous  ces  genres  d'observations,  l'Atmosphérologic 
de  Lampadius,  en  allemand;  Freyberg,  180C;  i  vol.  in-8°. 


MÉTÉOROLOGIE.  l45 

Le  baromètre  et  le  thermomètre  sont  déjà  an- 
ciens. On  sait  aujourcriiui ,  par  des  observations 
répétées  presque  à  l'infini ,  tout  ce  que  leurs  mou- 
vements peuvent  avoir  de  relatif  à  la  saison,  aux 
heures  du  jour,  à  la  latitude,  à  l'élévation  verticale, 
au  voisinage  des  eaux  ou  des  montag^nes ,  à  la  posi- 
tion dans  des  lieux  ouverts  ou  enfoncés,  enfin  aux 
météores  des  diverses  sortes. 

On  n'a  pas  observé  l'électromètre  atmosphérique 
avec  moins  de  patience  ,  pour  déterminer  les  rap- 
ports de  l'électricité  naturelle  avec  toutes  ces  circon- 
stances ;  mais  ses  accumulations  subites  dans  les 
orages  échappent  à  toutes  les  régies. 

L'état  du  magnétisme  lui-même  a  été  observé 
sous  ce  rapport:  il  y  a  des  variations  diurnes  de  l'ai- 
guille ;  il  y  en  a  d'annuelles  ;  il  y  en  a  qui  corres- 
pondent avec  certains  météores.  Les  remarques  de 
M.  Gassini  sur  ce  sujet  sont  très  précieuses  ;  mais  on 
n'entrevoit  encore  rien  de  positif  qui  explique  les 
liaisons  de  ces  différents  phénomènes. 

On  connoît  aussi  maintenant  par  des  instru- 
ments fort  exacts  la  quantité  d'eau  qui  tombe  dans 
chaque  pays  et  celle  qui  s'en  évapore,  ainsi  que  la 
direction  ordinaire  et  la  force  des  principaux  vents. 

L'hygromètre,  qui  doit  nous  faire  connoître  Thu- 
midité  de  l'air,  étoit  le  plus  important  de  tous  ces 
instruments,  parcequ'il  a  les  rapports  les  plus  étroits 

BUFKON.  COAIPLÉM.  T.   I.  lO 


l46  SCIENCES    PHYSIQUES. 

avec  les  météores  aqueux,  qui  sont  ceux  qui  nous 
intéressent  le  plus  ;  chacun  sait  à  quel  point  il  a 
occupé  MM.  cle  Saussure  et  Deluc.  On  y  emploie  , 
en  général,  une  fibre  organique,  cheveu,  filet 
d'ivoire,  de  plume,  tranche  d'un  fanon  de  baleine 
ou  autre;  l'humidité  alonge  ces  corps,  la  sécheresse 
les  raccourcit  :  on  peut  aussi  employer  des  sels  dé- 
liquescents ,  et  peser  l'humidité  qu'ils  ont  attirée 
dans  un  temps  donné;  mais  aucun  de  ces  moyens 
ne  donne  la  quantité  absolue  de  l'eau ,  et,  malgré 
tous  les  soins  de  ceux  qui  ont  inventé  ou  perfec- 
tionné ces  instruments  ,  ils  n'ont  pu  encore  les 
rendre  comparables. 

Le  cyanoniétre  doit  mesurer  la  transparence  de 
l'air  :  c'est  une  bande  colorée  de  diverses  nuances 
de  bleu ,  que  l'on  compare  de  l'œil  avec  le  bleu  de 
ciel,  M.  de  Saussure  l'a  imaginé  ;  mais  son  emploi 
n'est  pas  très  fréquent. 

L'eudiométre,  qui  mesure  la  pureté  de  l'air  ou  la 
quantité  de  son  oxygène,  est  au  contraire  d'un  usage 
journalier,  non  seulement  en  météorologie,  mais  en- 
core dans  toutes  les  opérations  relatives  à  l'analyse 
des  gaz.  On  peut  y  employer  toutes  les  substances 
qui  absorbent  l'oxygène;  mais  il  y  a  de  grandes  dif- 
férences dans  la  perfection  de  cette  absorption. 

Le  gaz  nitreux  fut  d'abord  proposé  par  Priestley  ; 
il  fait  la  base  de  l'eudiométre  de  Fontana.  M.  Volta 


MÉTÉOROLOGIE.  l/j-y 

emploie  dans  le  sien  la  combustion  du  gaz  hydro- 
gène ;  M.  Achard  et  M.  Seguin  se  servent  du  phos- 
phore ,  dont  l'action  est  prompte  ,  mais  tumul- 
tueuse; M.  Berthollet  préfère  les  sulfures  alcalins, 
qui  paroissent  absorber  le  plus  complètement,  mais 
qui  agissent  avec  lenteur:  il  semble  cependant  que 
les  physiciens  s'arrêtent  à  Teud  iomètre  de  Volta ,  qui 
a  d'ailleurs  par-dessus  tous  les  autres  l'avantage  de 
faire  reconnoître  la  présence  et  la  quantité  de  l'hy- 
drogène. C'est  par  ces  divers  moyens ,  et  par  les  tra- 
vaux successifs  et  pénibles  de  MM.  Cavendish ,  Bed- 
does, Berthollet, Humboldt,  Gay-Lussac,  etc.,  que 
l'on  est  arrivé  à  ce  résultat  singulier,  que  la  compo- 
sition gazeuse  de  l'atmosphère  est  la  même  sur  tout 
le  globe  et  à  toutes  les  hauteurs. 

M.  Cavendish  a  montré  que  les  odeurs  qui  affec- 
tent si  vivement  nos  sens,  et  les  miasmes  qui  atta- 
quent si  cruellement  notre  économie,  ne  peuvent 
être  saisis  par  aucuns  moyens  chimiques,  quoiqu'il 
soit  bien  certain  que  ces  moyens  les  détruisent. 
C'est  encore  une  preuve  entre  mille  de  cette  multi- 
tude de  substances  qui  agissent  à  notre  insu  dans 
les  opérations  de  la  nature. 

11  est  bien  à  regretter  que  l'on  n'ait  pas  des  ob- 
servations à-la-fois  assez  anciennes  et  assez  sûres 
pour  constater  s'il  n'y  a  point  dans  toutes  ces  vr»- 
riations  des  périodes  plus  longues  que  celles  qu'on 


lO. 


l48  SCIENCES    PHYSIQUES. 

a  soupçonnées  jusqua  ce  jour.  Le  magnétisme  est 
peut-être  de  tous  les  phénomènes  celui  pour  lequel 
cette  recherche  auroit  le  plus  d'intérêt. 

Le  plus  remarquable  des  faits  relatifs  à  l'atmo- 
sphère, sur  lesquels  l'époque  actuelle  a  donné  des 
lumières  nouvelles,  n'appartient peut-êtrepas  même 
véritablement  à  la  classe  des  météores  aériens.  Il 
est  bien  certain  aujourd'hui  qu'il  tombe  quelque- 
fois des  pierres  de  Tatmosphère  sur  la  terre  ;  que 
ces  pierres ,  dans  quelque  lieu  qu'elles  tombent , 
sont  semblables  entre  elles  ,  et  qu'elles  ne  ressem- 
blent à  aucune  de  celles  que  la  terre  produit  natu- 
rellement. 

L'antiquité  et  le  moyen  âge  n'ont  point  ignoré  ces 
chutes  de  pierres  ;  Plutarque  et  Albert -le -Grand 
cherchent  même  à  les  expHquer  chacun  à  la  ma- 
nière de  son  temps.  M.  Ghladny,  physicien  alle- 
mand ,  est  parmi  les  modernes  le  premier  qui  ait  osé 
en  soutenir  la  réalité:  M.Howard,  chimiste  anglois, 
a  le  premier  montré  l'identité  de  composition  des 
pierres  tombées  en  des  lieux  très  différents,  et  a  di- 
rigé ainsi  l'attention  générale  sur  un  objet  si  cu- 
rieux. Cette  attention  a  rendu  les  observations  plus 
fréquentes.  Il  est  tombé  de  ces  pierres  en  divers 
lieux  de  France.  M.  Biot  a  fait  à  l'Institut  un  rap- 
port très  circonstancié  sur  celles  qui  sont  tombées 
à  FAiglc,  département  de  l'Orne,  rapport  qui  ne 


MÉTÉOROLOGIE.  l/jQ 

peut  laisser  de  doute  qu'aux  ])ersonnes  prévenues  ' . 
On  en  a  encore  recueilli  dans  le  département  de 
Vaucluse  et  dans  celui  du  Gard.  Les  analyses  faites 
par  MM.  Fourcroy,  Vauqueîin,  Thenard,  et  Lau- 
rier, ont  confirmé  celles  de  M.  Howard.  M.  Laugier 
en  particulier  a  reconnu  le  premier  dans  ces  pierres 
l'existence  du  chrome  ^. 

Mais  d'où  viennent-elles?  M.  Cliladny  les  croit 
des  corps  flottants  dans  l'espace ,  des  espèces  de  pe- 
tites planètes;  M.  Delaplace  et  M.  Poisson  ont  mon- 
tré qu'il  est  mathématiquement  possible  qu  elles 
soient  lancées  par  les  volcans  de  la  lune.  Des  chi- 
mistes, et  spécialement  M.  Vauqueîin,  ont  bien 
fait  voir  aussi  qu'une  partie  des  éléments  de  ces 
pierres peutêtresuspenduedansfatmosphère  ;  mais 
onneconçoit  guère  comment  il  pourroit  s'en  réunir 
assez  pour  former,  avant  la  chute ,  des  masses  aussi 
considérables^. 

Histoire  naturelle  des  Eaux. 

L'hydrolof^ie,  ou  l'histoire  naturelle  des  eaux,  a 
déjà  quelque  chose  de  plus  facile  à  saisir  que  celle 

'   Mémoires  de  l'Institut,  année  1806,  p.  224. 

*  Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  t.  VII,  p.  392. 

*  On  trouvera  dans  la  Lithologie  atmosphérique  de  M.  Isarn  l'ex- 
posé de  la  plupart  des  observations  et  l'indic^atioii  des  Mémoires  où 
elles  sont  consignées  j  Paris,  i8o3,  1  voL  in-S". 


l5o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

de  ratmosphcre.  On  ne  désire  plus  rien  sur  l'origine 
des  fontaines  et  des  rivières  ;  il  est  prouvé  que  la 
pluie  et  les  autres  météores  aqueux  en  sont  les  seules 
causes.  L'analyse  des  diverses  matières  qu'elles  tien- 
nent en  dissolution ,  ou  qui  s'en  précipitent,  est  faite 
avec  toute  la  rigueur  de  la  chimie  moderne.  Celle 
des  eaux  minérales  sur -tout  possède  aujourd'hui 
des  méthodes  aussi  exactes  qu'ingénieuses.  Leur  im- 
portance en  médecine  y  avoit  fait  songer  dès  long- 
temps. Bergman  s'en  étoit occupé  avec  beaucoup  de 
fruit.  M.  Fourcroy  leur  a  donné  une  perfection  nou- 
velle dans  son  livre  sur  l'analyse  de  l'eau  d'En- 
ghien*. 

La  composition  de  l'eau  de  la  mer,  la  force  de  sa 
salure,  qui  augmente  vers  le  midi  et  diminue  vers 
le  nord ,  ont  également  été  examinées.  On  s'est 
occupé  même  de  la  température  de  l'eau  à  diffé- 
rentes profondeurs ,  et  de  la  quantité  ainsi  que  de 
la  qualité  de  Fair  qu'elle  contient.  Les  expériences 
de  M.  Pérou  dans  les  mers  des  pays  chauds  ,  com- 
parées avec  celles  de  Forster  vers  le  pôle  sud,  et 
d'Irwingvers  le  pôle  nord,  paroissent  prouver  que 
l'eau  diminue  de  chaleur  à  mesure  que  Ton  descend  ; 
et  M.  Pérou  pense  que  cette  diminution  pourroit 
bien  aller  par-tout  jusqu'à  la  congélation.  Sa  surface 
est  échauffée  par  le  soleil  ;  elle  varie  moins  que  l'at- 

•    Un  vol.  in-8°;  Paris,  1788. 


liYDUOLOGIE.  l5£ 

lîiosphère  :  elle  s'échauffe  davantage  près  des  côtes 
dans  les  pays  chauds  ;  elle  doit  s'y  refroidir  vers  les 
pôles. 

Ces  expériences  intéressent  sur-tout  par  rapport 
à  la  grande  question  des  sources  de  la  chaleur  du 
globe  ;  question  importante  elle-même  pour  toutes 
les  branches  de  l'histoire  naturelle.  On  en  attribuoit 
autrefois  une  partie  à  quelque  feu  central,  ou  à  telle 
autre  cause  intérieure;  mais  la  composition  du  de- 
gré de  la  chaleur  des  caves,  aux  diverses  latitudes, 
semble  se  joindre  à  toutes  les  autres  observations 
pour  attester  que  le  soleil  seul  échauffe  la  terre. 

Histoire  naturelle  des  Minéraux. 

Aucune  partie  de  l'histoire  naturelle  ne  semble 
offrir  plus  de  facilité  que  la  minéralogie  ,  puisque 
les  corps  qu'elle  étudie,  immobiles  et  à-peu-près  in- 
altérables par  le  temps ,  se  laissent  aisément,  recueil- 
lir, conserver,  et  soumettre  à  volonté  à  tous  les 
genres  d'expériences. 

Elle  a  cependant  aussi  des  difficultés  particu- 
lières, dont  la  plus  grande  est  peut-être  l'absence 
d'un  principe  rationnel ,  pour  y  établir  cette  pre- 
mière sorte  de  division  que  l'on  appelle  espèce  dans 
les  corps  organisés. 

Dans  ceux-ci  c'est  la  génération  qui  est  ce  prin- 


l52  SCIEKGES    PHYSIQUES. 

cipe  :  mais  elle  n'a  pas  lieu  pour  les  minéraux  ;  à  son 
défaut  on  s  y  contente  d'une  certaine  ressemblance 
dans  les  propriétés.  Jusque  vers  le  milieu  du  dix- 
huitième  siècle  on  n'eut  guère  d'égard  qu'aux  pro- 
priétés physiques  et  extérieu  res ,  prises  assezarbitrai- 
rement  pour  caractères  distinctifs.  Aussi  tous  les  ef- 
forts de  Wallerius,  et  même  du  grand  Linnaeus ,  qui 
joignoit  encore  la  figure  cristalline  aux  propriétés 
employées  jusqu'à  lui,  ne  parvinrent-ils  à  rien  de 
précis  dans  cette  détermination  des  espèces  miné- 
rales. Gronstedt  ouvrit  une  route  nouvelle,  en  em- 
ployant le  premier  la  composition  chimique  comme 
caractère  dominant. 

C'est  d'après  cette  idée  que  Gronstedt,  Bergman, 
Kirwan,  Klaproth ,  Vauquelin,  et  d'autres  chimis- 
tes ,  ont  commencé  à  mettre  dans  la  minéralogie 
une  partie  du  bel  ordre  qui  s'y  introduit  ;  et  en  effet, 
si  la  composition  étoit  la  seule  cause  efficiente  de 
toutes  les  propriétés  minérales ,  puisqu'elle  les  pro- 
duiroit,  il  faudroit  bien  la  mettre  à  leur  tête:  mais 
il  est  bon  de  se  rappeler  ici  l'influence  que  des  cirr 
constances  passagères  peuvent  avoir  sur  la  forma- 
tion et  sur  les  qualités  physiques  des  composés, 
d'après  la  théorie  de  M.  BerthoUet  ;  elle  peut  être 
telle,  qu'à  composition  égale  toutes  les  qualités  sen- 
sibles soient  changées. 

Par  conséquent  les  caractères  physiques ,  bien 


MIJNÉRALOGIE.  l53 

appréciés ,  ne  peuvent  ni  ne  doivent  être  bannis  des 
déterminations  minéralogiques;  mais  il  n'est  pas 
permis  de  les  employer  indistinctement.  Il  y  en  a , 
comme  la  couleur  et  la  transparence,  qui  sont  trop 
variables  pour  obtenir  un  rang  élevé  dans  la  mé- 
thode ;  mais  ceux  qui  tiennent  de  près  à  la  com- 
position intime,  comme  la  pesanteur  spécifique,  et 
sur-tout  le  clivage,  ou  cette  disposition  des  lames 
qui  détermine  la  forme  du  noyau  et  la  molécule 
primitive ,  sont  d'un  autre  intérêt.  Ils  restent  en  gé- 
néral les  mêmes ,  tant  que  la  composition  ne  change 
point  :  ainsi ,  considérés  uniquement  sous  ce  rap- 
port, ils  seroient  déjà  d'excellents  indices  propres 
à  suppléer  à  cette  composition  quand  elle  est  in- 
connue. 

La  forme  cristalline,  sur-tout,  a  précédé  plu- 
sieurs fois  l'analyse,  et  a  fait  prévoir  une  composi- 
tion différente  dans  plusieurs  cas  où  l'on  n'en  soup- 
çonnoit  point.  C'est  par  elle  seulement  que  M.  Haùy 
a  distingué  les  diverses  pierres  que  Ton  confondoit 
sous  le  titre  de  schorl\  et  celles  qu'embrassoit  le 
nom  commun  de  zéolithe  '.  Bien  avant  que  la  stron- 
tiane  fût  reconnue  pour  une  terre  particulière, 

*  Journal  de  Physique,  t.  XXVIII,  p.  63;  Académie  des  Sciences, 
1787,  p.  92. 

*  Observations  sur  les  Zéolitlxes  ;  Journal  des  Mines ,  brumaire 
an  4,  p.  86. 


l54  SCIENCES    PHYSIQUES. 

M.  Haiiy  avoit  remarqué  que  les  cristaux  de  sa 
combinaison  avec  l'acide  sulfurique  diffèrent  de 
ceux  de  la  baryte  unie  au  même  acide  \ 

Dans  d'autres  cas  l'identité  de  forme  a  fait  pré- 
voir l'identité  de  composition  entre  des  minéraux 
qu'on  croyoit  différents.  Il  y  en  a  un  exemple  no- 
table ;  celui  du  beril  et  de  l'émeraude.  Ce  n'est  qu Câ- 
pres un  examen  réitéré  que  M.  Yauquelin  s'est 
convaincu  de  la  ressemblance  chimique  de  ces  deux 
pierres ,  que  la  cristallographie  annonçoit  d'avance. 
Les  réunions  opérées  par  la  cristallographie  entre  le 
jargon,  l'hyacinthe,  et  la  prétendue  vésuvienne  de 
Norw^ége,  entre  la  chrysolithe,  l'apatite,  et  le  mo- 
roxite ,  entre  le  cori ndon  et  la  télésie ,  ont  également 
été  confirmées  par  la  chimie;  et  il  est  à  croire  qu'elle 
confirmera  de  même  celles  de  la  sibérite  avec  la 
tourmaline  et  d'autres  semblables,  que  la  cristallo- 
graphie prévoit  dès  aujourd  hui. 

Il  est  arrivé  aussi  que  l'analyse  chimique  a  rap- 
proché ou  écarté  des  minéraux,  contre  ce  qu'une 
étude  superficielle  de  leur  forme  indiquoit,  mais 
un  nouvel  examen  cristallographique  a  bientôt  tout 
remis  d'accord ,  en  découvrant  des  différences  ou 
des  rapports  de  forme  qui  avoient  échappé. 

Il  y  a  cependant  certains  minéraux  où  il  n'est 
pas  possible  encore  de  mettre  les  deux  méthodes  en 

'   Annales  de  Chimie,  t.  XII,  p.  i. 


MIINÉUALOGIE.  1  55 

harmonie.  Nous  avons  déjà  diî  qu'on  en  trouve  dont 
la  forme  varie,  quoique  l'analyse  en  soit  la  même  : 
l'arragonite  et  le  spath  calcaire  en  sont  l'exemple  le 
plus  célèbre.  Il  y  en  a  bien  davantage  où  c'est  l'in- 
verse qui  a  lieu.  Une  seule  et  même  forme  passe  par 
nuances  insensibles  d'une  composition  à  une  autre 
presque  opposée  :  tel  est  le  fer  spathique.  Mais  il 
faut  considérer  que  certains  minéraux  peuvent  être 
plus  ou  moins  pénétrés  par  des  substances  étran- 
gères sans  varier  de  forme.  Quoique  ces  substances 
accessoires  changent  beaucoup  le  résultat  de  l'ana- 
lyse chimique,  elles  ne  doivent  point  faire  établir 
d'espèces  nouvelles,  car  il  est  naturel  de  supposer 
que  la  substance  principale  les  a  entraînées  dans 
son  tissu  en  se  cristallisant,  et  il  arrive  souvent 
que,  dans  un  même  morceau ,  la  substance  princi- 
pale pure  à  une  extrémité  se  change  par  degrés  en 
se  pénétrant  de  la  substance  accessoire.  Celle-ci  peut 
même,  en  quelque  cas,  remplacer  entièrement  la 
première,  en  prenant  exactement  son  tissu  le  plus 
intime,  comme  on  le  voit  dans  les  bois  changés  en 
agate,  qui  montrent  encore  leurs  fibres,  leurs 
rayons  médullaires,  et  leurs  trachées.  Il  faut  con- 
sidérer encore  que,  dans  plusieurs  circonstances, 
l'état  actuel  de  l'art  des  analyses  est  insuffisant  pour 
reconnoître  tous  les  principes  ;  nous  avons  des 
exemples  récents  de  découvertes  tout-à-fait  im- 


l56  SCIENCES   PHYSIQUES. 

prévues  sur  la  composition  des  minéraux  qu'on 
croyoit  les  mieux  analysés ,  et  rien  n  empêche  que 
ces  exemples  ne  puissent  se  reproduire.  Telles  sont 
les  causes  probables  de  cette  opposition  apparente 
entre  les  caractères  extérieurs  et  les  caractères  chi- 
miques. 

Ces  remarques  prouvent  qu'il  est  nécessaire  d'é- 
tudier avec  le  plus  grand  soin  les  minéraux  sous 
toutes  leurs  faces ,  et  de  comparer  sans  cesse  les  ré- 
sultats de  ces  diverses  sortes  d'études.  C'est  ce  qui 
se  fait  aujourd'hui  de  toute  part  avec  d'autant  plus 
de  zèle  qu'il  existe  une  sorte  de  rivalité  entre  les 
méthodes ,  chaque  minéralogiste  attachant  plus 
d'importance  à  la  face  qu'il  envisage  le  plus;  mais 
on  ne  doit  voir  dans  leurs  discussions  à  cet  égard 
que  des  motifs  d'émulation  qui  rendront  la  mi- 
néralogie plus  parfaite.  La  vraie  philosophie  des 
sciences  demande  qu'aucun  genre  d'observation  ne 
soit  négligé. 

Ainsi  M.  Werner  de  Freyberg  et  toute  son  école 
examinent  avec  une  attention  extrême  l'ensemble 
des  caractères  extérieurs;  et  leurs  observations, 
saisissant  les  nuances  délicates  négligées  par  d'au- 
tres minéralogistes,  leur  ont  souvent  fait  recon- 
noître  des  espèces  nouvelles  :  mais  quelquefois 
aussi  des  distinctions  trop  scrupuleuses  de  pro- 
priétés  peu    importantes  leur  ont  fait  regarder 


MINÉRALOGIE.  iSj 

comme  espèces  de  simples  variétés.  Nous  avons 
en  fran<^ois  un  bon  ouvrage^  rédigé  d'après  les 
principes  de  M.  Werner,  par  M.  Brochant,  ingé- 
nieur des  mines'. 

M.  Hauy,  M.  Tonnellier, M.  Gillet,M.  Leiièvre, 
M.  de  Bournon,  et  en  général  ceux  qui  appliquent 
la  méthode  cristallographique  du  minéralogiste 
fran(^ois,  s  attachant  plus  exclusivement  à  la  pro- 
priété qui  tient  de  plus  près  à  la  nature  intime,  ra- 
mènent d'ordinaire  ces  variétés  à  leurs  espèces,  et 
leurs  résultats  sont  le  plus  souvent  confirmés  par 
l'analyse. 

C'est  celle-ci  qui  couronne  l'œuvre  quand  elle  le 
peut;  et  elle  y  a  très  souvent  réussi  dans  les  combi- 
naisons métalliques  et  dans  les  substances  acidi- 
fères,  à  quelques  nuances  près,  qui  se  trouvent 
dans  les  proportions  de  certaines  espèces.  Aussi  a- 
t-on  pu  disposer  ces  sortes  de  minéraux  en  ordres, 
en  genres,  et  en  espèces  rigoureusement  définies, 
et  leur  appliquer  une  nomenclature  analogue  à 
celle  des  chimistes  et  indicative  de  leur  composi- 
tion. 

Mais  les  pierres  dures,  communément  dites  sili- 
ceuses, les  magnésiennes,  la  plupart  aussi  de  celles 

'  Paris,  ans  9  et  11,  2  vol.  in-S".  — L'Allemagne  a  produit  un 
très  grand  nombre  d'ouvrages  sur  le  même  sujet,  tels  que  ceux  de 
MM.  Karsten,  Emmerling,  Reuss,  etc. 


l58  SCIENCES    PHYSIQUES. 

qui  sont  réunies  clans  ies  roches,  sont  encore  loin 
d'être  si  bien  connues.  Leurs  analyses,  faites  par 
différents  auteurs,  ne  se  ressemblent  pas;  et  c'est 
sur-tout  dans  cette  classe  que  le  même  chimiste 
trouve  quelquefois,  comme  nous  l'avons  dit,  dans 
une  seconde  analyse,  un  principe  important  qui 
lui  avoit  échappé  dans  la  première.  C'est  ainsi  que 
M.  Klaproth  vient  de  découvrir  l'acide  fluorique 
dans  la  topaze,  où  il  ne  Favoit  pas  trouvé  d'abord, 
et  que  M.  Vauquelin,  répétant  cette  expérience, 
l'y  a  trouvé  encore  en  beaucoup  plus  grande  quan- 
tité'. 

En  attendant  donc  qu'on  en  soit  venu  pour  ces 
sortes  d'analyses  à  des  méthodes  plus  sûres,  on 
laisse  ces  pierres  ensemble  sans  en  former  des  gen- 
res proprement  dits,  les  isolant  d'après  leurs  pro- 
priétés physiques  les  plus  essentielles,  et  leur  don- 
nant des  noms  arbitraires  tirés  de  quelques  unes  de 
ces  propriétés. 

Telle  est  la  marche  actuelle  de  la  minéralogie , 
marche  qui  n'a  été  entièrement  adoptée] que  dans 
la  période  dont  nous  rendons  compte,  et  d'après 
laquelle  le  catalogue  des  minéraux  a  été  non  seule- 
ment mieux  ordonné,  mais  encore  singulièrement 
enrichi''. 

'   Annales  de  Chimie  de  1807. 

^  Voyez  lënumération  de  toutes  ies  découvertes,  avec  l'indication 


MINÉRALOGIE.  l59 

Il  a  fallu  y  insérer  d'abord  tous  les  nouveaux  élé- 
ments métalliques  et  terreux  reconnus  par  la  chi- 
mie, ainsi  que  leurs  diverses  combinaisons.  Comme 
nous  en  avons  parlé  précédemment,  il  est  inutile 
que  nous  revenions  sur  ce  sujet. 

On  y  a  ajouté  un  grand  nombre  de  combinai- 
sons dont  les  éléments  étoient  connus,  mais  dont 
on  ne  savoit  pas  auparavant  qu'ils  existassent  réu- 
nis dans  la  nature.  Ainsi  le  phosphate  de  chaux, 
que  l'on  savoit  depuis  long-temps  être  la  matière 
terreuse  des  os,  s'est  trouvé  formant  des  montagnes 
entières  en  Espagne  et  en  Hongrie,  et  des  cristaux 
isolés  dans  beaucoup  d'endroits.  MM.  Proust,  Rla- 
protli,  et  Vauquelin,  Fy  ont  reconnu  successive- 
ment. Cette  même  chaux  a  été  découverte,  par 
M.  Seîb ,  unie  à  l'acide  de  l'arsenic  et  formant  une 
pierre  empoisonnée. 

Parmi  les  gypses  ou  sulfates  de  chaux  on  en  a 
reconnu  un  quinianque  d'eau  de  cristallisation  et 
dont  les  qualités  phvsiques  diffèrent  du  gypse  com- 
mun. Tj'abbé  Poda  l'avoit  indiqué;  M.  Klaproth  en 
a  commencé  l'analyse,  et  M.  Vauquelin  l'a  ter- 
minée. 

de  leurs  auteurs  et  des  Mémoires  où  ils  les  ont  consignées,  dans  le 
Traité  de  Minéralogie  de  M.  Haiiy,  Paris,  1800;  4  ^'o^-  in-8"  et  un 
atlas;  et  dans  les  suppléments  joints  par  M.  Lucas  fds  à  l'abrégé  (ju'il 
a  donné  de  cet  ouvrage  :  consultez  aussi  les  différents  volumes  du 
Journal  des  Mines. 


l6o  SCIENCES   PHYSIQUES. 

La  baryte  unie  à  Tacide  carbonique  est  une  autre 
pierre  qui  empoisonne;  le  docteur  Withering  l'a 
découverte  dans  le  Lancasbire  en  Angleterre. 

Certains  cristaux  presque  cubiques,  assez  durs  , 
des  environs  de  Lunebourg ,  ont  été  reconnus,  par 
MM.  Westrurab  et  Vauquelin ,  pour  un  composé 
de  magnésie  et  d'acide  boracique.  La  combinaison 
de  la  cbaux  et  de  la  silice  avec  le  même  acide  a  été 
découverte  en  Norwége  par  M.  Esmark ,  et  analysée 
par  M.  Klaprotb.  On  a  trouvé  au  Groenland  l'alu- 
mine combinée  à  Tacide  fluorique;  M.  Abildgaard 
Fa  fait  connoître. 

Parmi  les  combinaisons  métalliques,  le  cuivre, 
uni  à  l'acide  arsenique,  forme  des  mines  très  ricbes 
en  Angleterre.  Il  y  en  a,  dans  le  pays  de  Nassau , 
d'uni  à  l'acide  pbospborique. 

M.  Leliévre  a  fait  connoître  un  manganèse  car- 
bonate ,  et  a  découvert  à  l'île  d'Elbe  un  oxyde  de  fer 
combiné  à  celui  du  manganèse,  à  la  silice,  et  à  la 
chaux,  et  formant  un  minéral  que  ce  savant  a 
nommé  yénite. 

Le  fer  et  l'acide  du  chrome  constituent  un 
autre  minéral  récemment  découvert  en  France 
par  M.  Pontier,  et  qui  fournit  en  abondance  le 
chrome  devenu  nécessaire  à  nos  manufactures  d'é- 
maux et  de  couleurs.  On  a  encore  trouvé  des  com- 
binaisons du  fer  avec  le  titane  et  avec  les  acides  de 


MINÉRALOGIE.  l6l 

larseriic  et  du  phosphore.  M.  Fourcroy  a  fait  l'a- 
nalyse de  cette  dernière. 

On  a  mis  ensuite  à  leur  véritable  place  dans  le 
cata!o[fue  plusieurs  minéraux  que  Ton  possédoit  à 
la  vérité  depuis  long-temps,  mais  sur  la  composi- 
tion desquels  on  n'avoit  point  d'idées  justes.  La 
chimie  a  même  offert  à  cet  égard  les  résultats  les 
plus  inattendus.  iVinsi  le  corindon  et  la  télésie,  qui 
comprend  les  rubis ,  les  saphirs,  et  les  topazes  d'O- 
rient, ne  se  sont  trouvés  que  des  cristalHsations 
d'alumine  presque  pure;  à  peine  Témeril  en  diffère- 
t-il,  selon  M.  Tennant.  La  diaspore,  dont  on  doit 
la  connoissance  à  M.  Lelièvre  et  l'analyse  à  M.  Vau- 
quelin,  et  la  wavellite,  découverte  par  le  docteur 
Wavel  en  Devonshire,  et  analysée  par  M.  Davy, 
sont  des  pierres  très  différentes  des  précédentes,  et 
ne  contiennent  cependant  que  de  l'alumine  et  de 
l'eau  ;  et,  en  général,  l'eau  a  été  reconnue  dans  cette 
période  pour  un  principe  souvent  très  influent  de 
la  composition  minérale.  Le  spinelle,  ou  rubis  oc- 
taèdre, est  seulement  de  l'alumine  unie  à  un  peu 
de  magnésie  et  colorée  par  l'acide  chrômique.  L'é- 
meraude,  le  béryl,  se  distinguent  par  la  présence 
de  la  glucine;  les  topazes  de  Saxe  et  du  Brésil,  par 
celle  de  l'acide   fluor ique.  L'antimoine  a  été  re- 
connu pour  un  des  principes  de  l'argent  rouge.  Le 
nickel  s'est  trouvé  être  le  principe  colorant  de  la 

BUFFON.  COMPLÉiM.  T.  I.  II 


l62  SCIENCES    PHYSIQUES. 

prase;  le  chrome,  celui  de  l'é^neraude,  de  la  dial- 
lage,  et  de  la  plupart  des  serpentines. 

MM.  Kiaproth  et  Vauquelin  sont  les  auteurs  de 
la  plupart  de  ces  découvertes  importantes  '. 

Enfin  l'on  a  déterminé  les  caractères  de  plusieurs 
minéraux  dont  les  propriétés  physiques  ou  la  pré- 
sence de  quelque  élément  particulier  exi(^ent  la  sé- 
paration, quoiqu'ils  soient  de  la  classe  de  ceux 
dont  l'analyse  chimique  n'est  point  encore  entiè- 
rement satisfaisante.  Nous  n'en  citerons  qu'un  pe- 
tit nombre:  ieuclase,  rapportée  du  Pérou  par 
Dombey,  est  une  gemme  analogue  à  l'énieraude 
en  couleur  et  en  composition  ,  mais  qui  se  brise 
trop  facilement  pour  pouvoir  être  taillée.  La  ga- 
dolinite  se  trouve  dans  certaines  roches  de  Suéde; 
c'est  elle  qui  a  fourni  la  terre  nouvelle  appelée 
ytlria,  etc. 

C'est  par  ces  additions  successives  que  le  nombre 
des  espèces  minérales ,  dont  Gronstedt  et  Bergman 
ne  comptoient  guère  qu'une  centaine,  a  été  porté 
à  près  de  cent  soixante,  sans  parler  des  innombra- 
bles variétés,  des  mélanges,  et  des  espèces  encore 
incertaines  : ,  et  ici  les  variétés  sont   très    souvent 

'  Les  différents  Me'moires  ;inalytiques  de  M.  Vauquelin  remplissent 
le  Journal  des  Mines  et  les  Annales  de  Chimie.  Ceux  de  M.  Kiaproth 
ont  été  recueillis  en  allemand;  Berlin,  1807;  4  vol.  in-8°;  et  M.  Tas- 
saert  vient  d'en  commencer  une  traduction  Françoise;  Paris,  1807; 
in-8^ 


MIINÉRALOGIE.  l63 

(l'une  grande  importance,  et  l'on  est  obligé  de  les 
énumérer  tontes  dans  le  catalogue  ;  car  c'est  par 
elles  que  se  détermine  l'usage  des  substances  pier- 
reuses. La  craie,  la  pierre  à  bâtir,  les  marbres  de 
toute  sorte,  l'albâtre,  les  spatbs  calcaires,  par 
exemple,  ne  sont  que  des  variétés  du  carbonate 
calcaire  :  et  à  combien  d'emplois  différents  cha- 
cune de  ces  variétés  n'est -elle  pas  exclusivement 
propre! 

Il  n'est  pas  moins  nécessaire  de  connoître,  de 
classer  et  de  caractériser  les  divers  mélanges.  C'est 
d'après  eux  que  telle  argile  n'est  bonne  qu'à  mar- 
ner; telle  autre  qu'à  faire  des  briques  ou  des  po- 
teries communes,  tandis  qu'une  sorte  plus  pure 
donne  la  plus  belle  porcelaine.  Qui  voudroit  em- 
ployer indifféremment  les  variétés  de  schistes  s'ex- 
poseroit  à  de  terribles  mécomptes.  Il  faut  donc 
qu  elles  soient  toutes  bien  déterminées  dans  les 
livres. 

Les  variétés  de  forme,  de  leur  côté,  ont  un 
grand  intérêt  scientifique  :  il  y  a  quelque  chose 
d'admirable  dans  cette  prodigieuse  multitude  de 
combinaisons  d'où  résultent  toutes  ces  facettes  dis- 
posées avec  tant  de  symétrie.  M.  Haûy  a  donc 
rendu  un  vrai  service  à  la  philosophie  naturelle, 
en  tenant  compte  de  toutes  ces  différences ,  et  en 
les  analysant  d'après  les  lois  de  sa  théorie.  Il  a 


1 1 . 


l6/\  SCIENCES    PHYSIQUES. 

donné  ainsi  à  la  minéralogie  nn  caractère  tout  nou- 
veau qui  la  rapproche  beaucoup  cle  l'exactitude  des 
sciences  mathématiques. 

C'est  ce  que  Ton  admire  sur-tout  dans  son  grand 
traité  sur  cette  science,  magnifique  monument  des 
progrès  faits  dans  ces  dernières  années,  et  auxquels 
l'auteur  a  contribué  plus  que  tout  autre  ' . 

L'ouvrage  que  M.  Brongniart  a  rédigé  par  ordre 
du  gouvernement  pour  l'usage  des  lycées  a  donné 
de  son  côté  une  attention  plus  suivie  aux  variétés 
non  cristallines  qui  fixent  les  usages,  et,  sous  ce 
rapport,  il  est  aussi  utile  aux  arts  qu'à  l'instruction 
publique  \ 

Géologie. 

Mais  la  formation  et  l'ordonnance  de  ce  grand 
catalogue  des  minéraux,  et  même  l'exposé  le  plus 
complet  des  propriétés  de  chacun  d'eux,  ne  sont  en- 
core ([u'une  partie  de  leur  histoire  :  il  faut  y  ajouter 
la  connoissance  de  leur  position  respective,  et  de 
leur  distribution  dans  celles  des  couches  du  globe 
que  nous  pouvons  percer. 

C'est  là  l'objet  de  la  géologie  positive  et  de  la  géo- 
graphie physique.  Celle-ci  est  une  sorte  de  géolo- 
gie particulière,  base  de  la  géologie  générale.  On  y 

'    Paris,  1800;  4  vol-  i'^-8°,  t:t  un  atlas. 

^  Traité  élémentaire  de  Minéralogie;  Paris,  1807;  2  vol.  in-S*. 


GÉOLOGIE.  l65 

examine  à  fond  la  structure  minérale  d'un  pays  dé- 
terminé, et  la  nature  des  pierres  ou  des  autres  mi- 
néraux qui  composent  ses  montagnes,  ses  collines 
et  ses  plaines,  ainsi  que  leur  position  relative; 
c'est  une  science  pour  ainsi  dire  toute  moderne. 
Pallas  en  a  donné  de  beaux  exemples  pour  la 
Russie',  Saussure  pour  les  Alpes',  M.  Deluc 
pour  certaines  régions  de  la  Hollande  et  de  la 
Westphalie^.  L'école  de  Werner  a  fait  à  cet  égard 
les  plus  belles  recherches  en  Saxe  et  dans  plu- 
sieurs autres  contrées  de  l'Allemagne  et  des  pays 
voisins"^.  Les  cantons  des  mines  ont  été,  comme 
on  devoit  s'y  attendre,  examinés  avec  encore  plus 
de  soin  que  les  autres:  Tintérôt  immédiat  le  deman- 
doit;  et  ceux  de  Saxe  et  de  Hongrie,  où  l'art  des 

'  Dans  ses  observations  sur  la  formation  des  montajijnes,  Académie 
de  Pétersbourn ,  1777,  et  clans  ses  Voyages. 

'  Voyages  dans  les  Alpes;  Neufchâtel,  1779-96;  4^0!.  in-4''. 

^  Lettres  à  la  reine  d'Angleterre  sur  l'histoire  de  la  terre  et  de 
l'homme  ;  La  Haye,  1768  ;  6  vol.  in-8". 

^  Les  ouvrages  géologiques  particuliers  sortis  de  l'ëcole  de  M.  Wer- 
ner sont  aussi  nombreux  qu'importants  :  leur  énumëiation,  et  l'exposé 
le  plus  complet  qu'il  y  ait  encore  de  leurs  résultats,  se  trouvent  dans 
la  Géognosie  de  lleuss;  Leipsick,  i8o5;  2  vol.  in-8",  en  allemand.  On 
distingue  dans  le  nombre  ceux  de  MM.  de  Buch,  Sturl,  Leonhard, 
Lazius,  Noze,  Voigt,  Freisleben,  Wrede,  etc.  Nous  n'avons  pas  be- 
soin de  citer  le  plus  célèbre  des  élèves  de  Werner,  l'illustre  et  coura- 
geux M.  de  Humboldt.  Il  est  bon  de  consulter  aussi  les  ouvrages  j»his 
anciens  de  Charpentier,  de  Born,  etc. 


l66  SCIENCES    PHYSIQUES. 

mines  est  exercé  depuis   un  temps  injmémorial, 
ont  eu  les  plus  excellents  bisto riens. 

I^a  géographie  physique  delà  Fiance  n'a  pas  été 
cultivée  dans  ces  derniers  temps  avec  moins  d'ar- 
deur que  celle  des  pays  étrangers;  les  cours  de 
Rouelle,  ceux  de  Valmont  de  Bomare,  de  Dau- 
benton,  et  de  M.  Sage,  ainsi  que  leurs  ouvrages 
élémentaires,  ont  commencé  à  répandre  dans  notre 
nation  le  goût  de  la  minéralogie,  long-temps  con- 
centré en  Allemagne  et  en  Suéde. 

Des  cabinets  ont  été  formés  dans  nos  principales 
villes,  et  des  voyages  minéralogiques  entrepris  dans 
presque  toutes  nos  provinces.  Dès  avant  l'époque 
dontnous  rendons  compte,  de  GensanneetSoula vie 
avoient  décrit  le  Languedoc,  Besson  les  Vosges: 
nos  mines  de  fer,  principale  richesse  de  la  France 
en  ce  genre,  avoient  été  examinées  par  Dietrich  '  ; 
et  Picot-la-Peyrouse  avoit  décrit  celles  du  comté  de 
Foix^  ;  Polassou  ,  et  plus  récemment  M.  Ramond, 
ont  fait  connoître  en  détail  les  Pyrénées^. 

Le  conseil  des  mines,  établi  en  lygS,  lorsque 
l'interruption  de  tout  rapport  avec  l'étranger  fit 

'  Description  des  gîtes  de  minerai  des  forges  et  des  salines  des 
Pyrcne'es,  par  le  B.  de  Dietrich;  Paris,  1786;  4  vol.  in-8°. 

^  Traité  sur  les  mines  de  fer  et  les  forges  du  comté  de  Foix  par  de 
La  Peyrouse;  Toulouse,  1786;  i  vol.  in-8°. 

•^  Essai  sur  la  Minéralogie  des  Pyrénées  ;  Paris ,  1781.  Observations 
faites  dans  les  Pyrénées,  par  Ramond;  Paris,  1789;  i  vol.  in-8". 


GÉOLOGIE.  167 

sentir  le  besoin  de  tirer  parti  de  notre  territoire, 
a  donné  à  ces  sortes  de  recherches  une  iînpulsion 
toute  nouvelle.  Des  ing^énieurs,  envoyés  par  ses 
ordres  dans  les  divers  départements ,  en  ont  étudié 
la  minéralogie;  et  les  descriptions  exactes  d'un  as- 
sez grand  nombre,  faites  sur-tout  par  MM.  Dolo- 
mieu,  de  Gensanne,  Lefiebvre ,  Duhamel  fils, 
Baillet  du  Belioy,  Héron  de  Villetosse,  Cordier, 
Rosière,  Héricartde  Thury,  ont  déjà  été  recueillies 
dans  le  Journal  des  Mines'.  Nos  mines  de  houiiîe 
ont  excité  une  vive  attention,  e^t  MM.  Duhamel 
père,  Lefebvre,  Gillet-Laumont,  de  Gensanne,  se 
sont  occupés  avec  succès  de  leur  gisement,  de 
leurs  inflexions,  des  failles  ou  filons  pierreux  qui 
les  interrompent,  et  de  tous  les  détails  de  leur  ex- 
ploitation et  de  leur  emploi.  Les  riches  mines  ([ue 
le  sort  des  armes  a  fait  tomber  au  pouvoir  de  la 
France  dans  les  départements  conquis  ont  été 
examinées  et  décrites  avec  soin,  et  ont  enrichi  la 
science  en  même  temps  que  lempire.  Dans  les  an- 
ciennes provinces  on  a  découvert  ou  décrit  diverses 
mines  de  métaux  utiles  aux  arts,  depuis  lemercuie 
et  le  cuivre  jusqu'au  chrome  et  au  manganèse,  et 
de  nombreuses  carrières  de  pierres  propres  à  tous 

'  Cette  collection  a  commencé  en  vendémiaire  an  3,  et  elle  con- 
tinue avec  succès.  L'Allema^rne  en  a  plusieurs  d'analo{i;ues,  telles  que 
celles  de  M.  de  Moll,  de  M.  de  Hof,  etc. 


l68  SCIENCES    PHYSIQUES. 

les  genres  de  constructions,  depuis  les  marbres  et 
les  porphyres  qui  enrichissent  nos  palais ,  jusqu'aux 
briques  insubmersibles  dont  en  fabrique  les  fours 
des  vaisseaux;  et  parmi  toutes  ces  recherches  il 
s  est  rencontré  une  foule  de  minéraux  qui,  sans 
avoir  encore  d'utilité  immédiate,  appartiennent 
cependant  au  grand  système  de  notre  géographie 
physique,  et  fournissent  des  matériaux  précieux 
aux  recherches  de  la  chimie. 

Ainsi  fémeraude  a  été  trouvée  près  de  Limoges 
par  M.  Leliévre;  la  pinite,  au  Puy-de-Dôme,  par 
M.  Cocq;  l'antimoine  natif  et  oxydé,  à  Allemont, 
par  M.  Schreiber;  furane  oxydé,  à  Sémur,  par 
M.  Ghampeaux.)  et  à  Ghanteloup  près  Limoges. 
L'une  des  plus  intéressantes  de  ces  découvertes  est 
celle  d'une  mine  de  fer  chromaté  faite  dans  le  dé- 
partement du  Var  par  M.  Pontier,  et  dont  nous 
avons  parlé  il  n'y  a  qu'un  moment  ^ 

Ces  descriptions  minéralogiquesdes  diverses  con- 
trées, rapprochées  et  comparées,  offrent  plusieurs 
points  de  conformité,  qui  doivent,  par  leur  confor- 
mité même,  tenir  essentiellement  à  la  structure 
de  la  croûte  du  globe.  La  série  de  ces  résultats 
communs,  qui  se  retrouvent  à-peu-près  les  mêmes 
par  toute  la  terre,  est  ce  qui  constitue  proprement 

'  On  trouvera  ces  Mémoires  et,'plusieurs  autres  dans  le  Journal 
des  Mines. 


GÉOLOGIE.  169 

la  science  de  la  géologie  positive  ou  générale  ,  la- 
quelle ,  assignant  les  lois  de  la  position  respective 
des  divers  minéraux,  est  de  la  plus  haute  impor- 
tance pour  guider  dans  leur  recherche. 

Gomme  à  l'ordinaire  c'est  lintérct  qui  a  fourni 
les  premiers  traits  du  tableau  ;  on  a  d'abord  étudié 
les  montagnes  riches  en  filons  métalliques,  et  on  les 
a  distinguées  de  celles  dont  les  couches  horizontales 
sont  le  plus  souvent  pauvres  en  métaux  ;  c'est  là 
qu'on  en  étoit  venu  vers  le  milieu  du  dix-huitième 
siècle  :  bientôt  on  s'aperçut  que  les  roches  à  filons 
tiennent  toujours  de  près  aux  roches  plus  compactes 
encore  qui  composent  les  chaînes  de  montagnes  les 
plus  élevées  ;  que  les  unes  et  les  autres  sont  dépour- 
vues de  ces  débris  de  corps  organisés  qui  remplis- 
sent les  couches  ordinaires  ;  enfin  que  celles-ci, 
posées  sur  les  flancs  des  premières,  doivent  avoir 
été  formées  après  elles. 

De  là  cette  distinction  fondamentale  ,  en  géolo- 
gie, des  terrains  primitifs  que  l'on  suppose  anté- 
rieurs à  l'onoanisation ,  et  des  terrains  secondaires 
déposés  sur  les  autres  par  les  eaux,  et  fourmillant 
des  débris  de  leurs  productions  organi(|ues. 

Il  paroît  que  Lehman  et  Rouelle  sont  les  premiers 
qui  aient  classé  nettement  les  terrains  d'après  ces 
idées  '. 

'    On  peut  consulter  sur  l'histoire  tle  la  géologie,  principalement 


I-yo  SCIENCES   PHYSIQUES. 

Mais  il  restoit  encore  beaucoup  de  développe- 
ments à  leur  donner  :  les  terrains  j)rimitifs  sont,  eux- 
mêmes  de  plusieurs  sortes,  et  probalDlement  de  plu- 
sieurs âges  ;  et  ion  peut  encore  moins  méconnoître 
une  longue  succession  parmi  les  secondaires. 

Le  granit  et  les  roches  analogues  forment  le  massif 
qui  porte  tous  les  autres  terrains,  et  qui  les  perce 
pour  s  élever  en  aiguilles ,  en  crêtes  ou  en  plateaux, 
dans  la  ligne  moyenne  des  chaînes  les  plus  hautes  : 
sur  leurs  flancs  sont  coucbés  les  gneiss ,  les  schistes, 
et  autres  roches  feuilletées ,  réceptacles  ordinaires 
des  filons  métalliques  ,  que  recouvrent  à  leur  tour 
ou  parmi  lesquels  se  mêlent  les  divers  marbres  sa- 
lins. Les  couches  de  toutes  ces  substances  sont  bri- 
sées, relevées,  désordonnées  de  mille  manières. 

Voilà  ce  que  M.  Pallas  a  annoncé  pour  les  mon- 
tagnes de  Russie  ;  ce  que  MM.  de  Saussure  et  Dolo- 
mieu  ont  confirmé  pour  celles  d'Europe  ;  ce  ([ue 
M.  Deluc  a  développé. 

ÏjCS  Pyrénées  paroissoient  faire  une  exception  à 
la  régie  ;  mais  M.  Ramond  a  montré  que  cette  ex- 
ception  n'est  qu'apparente ,  et  tient  seulement  à  ce 
que  les  schistes  et  les  calcaires,  du  côté  de  l'Espagne, 
sont  plus  élevés  que  la  crête  granitique  mitoyenne' . 

dans  le  dix-huitième  siècle,  différents  articles  du  Dictionnaire  de  Géo- 
j^raphie  physique  de  l'Encyclope'die  méthodique,  de  M.  Desmarets. 
'    Voyage  au  Mont-Perdu;  Paris,  1801;  i  vol.  in-8". 


GÉOLOGIE.  171 

M.  Weriier  et  ses  élèves  ont  donné  de  bien  plus 
fjrands  détails  touchant  la  superposition  de  ces  ter- 
rains primitifs;  mais  peut-être  ont-ils  trop  multiplié 
les  classes,  pour  que  leurs  observations  soient  ap- 
plicables dans  leur  entier  à  d'autres  pays  qu'à  ceux 
qu'ils  ont  observés.  M.  Werner  a  donné  aussi  dans 
sa  Théorie  des  fdons  un  recueil  intéressant  d'obser- 
vations sur  la  marche  de  ces  fissures  sinoulières, 
et  a  cherché  à  déterminer  d'une  manière  précise 
l'âge  des  métaux  ,  par  la  manière  dont  les  filons  se 
coupent;  car  si,  comme  il  le  paroît,  les  filous  ne 
sont  que  des  fentes  remplies  après  coup ,  ceux 
qui  traversent  les  autres  doivent  leur  être  posté- 


rieurs '. 


Les  terrains  secondaires  sont  moins  faciles  à  ob- 
server que  les  primitifs  :  plus  généralement  hori- 
zontaux ,  il  est  plus  rare  d'en  trouver  des  coupes 
verticales  un  peu  considérables ,  et  leurs  divers  ar- 
rangements n  ont  pas  ,  à  beaucoup  près  ,  autant 
d'uniformité.  On  remarque  cependant  aussi  dans 
ce  qu'on  en  connoit  un  certain  ordre  de  superpo- 
sition. Les  calcaires  durs,  remplis  de  cornes  dam- 
mon ,  les  schistes ,  et  les  charbons  de  terre  marqués 
d  empreintes  de  fougères  ou  de  palmiers  ;  les  craies 
pleines  de  silex  moulés  en  oursins  ou  de  bélemnites 

'   Nouvelle  Théorie  de  la  forniation  des  filons,  etc.,  traduite  de 
l'allemand,  par  M.  Dauhuisson;  Paris,  1802. 


1-72  SCIENCES    PHYSIQUES. 

spathiques,  les  calcaires  grossiers,  composés  de  co- 
quilles plus  semblables  à  celles  de  nos  mers,  se  suc- 
cèdent suivant  de  certaines  lois.  Des  marnes,  des 
sables  ,  des  gypses ,  les  recouvrent  çà  et  là,  et  recè- 
lent pêle-mêle  des  coquilles  roulées  et  des  os  de 
quadrupèdes,  ou  des  empreintes  de  poissons. 

Ces  immenses  dépôts ,  sillonnés  par  les  fleuves  et 
par  les  rivières,  interrompus  par  des  traînées  de 
laves  ou  d  autres  produits  volcaniques  ,  complétés 
ou  bordés  par  des  terrains  d  alluvion  ,  couverts  en 
beaucoup  d'endroits  d'une  abondance  de  cailloux 
roulés,  portant  çà  et  là  des  débris  évidents  de  ter- 
rains plus  anciens ,  marques  infaillibles  de  .grandes 
révolutions,  constituent  la  partie  la  plus  considé- 
rable de  nos  continents. 

Une  foule  de  détails  attirent  dans  ce  grand  en- 
semble les  regards  et  les  réflexions  de  l'observa- 
teur. 

D'énormes  blocs  de  pierres  primitives,  telles  que 
des  granits,  sont  éparssur  les  terrains  secondaires, 
comme  s'ils  y  eussent  été  lancés,  et  semblent  indi- 
quer de  grandes  éruptions.  M.  Deluc  a  beaucoup 
appuyé  sur  ce  fait:  M.  de  Bucb  a  observé  récem- 
ment que  les  blocs  du  nord  de  l'Allemagne  ressem- 
blent aux  roches  de  la  Suède  et  de  la  Laponie,  et 
paroissent  venir  de  cette  région. 

Des  amas  de  cailloux  roulés  occupent  l'issue  des 


GEOLOGIE.  17J 

grandes  vallées ,  et  pai  oissent  annoncer  de  grandes 
débâcles.  M.  de  Saussure  a  pris  soin  d'en  citer  plu- 
sieurs exemples. 

Quelquefois  des  couches  de  ces  cailloux  liés  en 
poudingues  sont  relevées  ;  preuve  de  bouleverse- 
ments postérieurs  à  quelques  unes  de  ces  débâcles. 
On  en  voit  des  exemples  jusqu'en  Sibérie  :  M.  Pa- 
trin  en  a  décrit;  M.  de  Humboldt  en  a  trouvé  en 
abondance  dans  la  vaste  plaine  qu  arrose  le  fleuve 
des  Amazones. 

En  général  les  terrains  secondaires  que  l'on  est 
obligé  de  supposer  formés  tranquillement  et  par 
voie  de  dépôt  ou  de  précipitation  n'ont  pas  tous 
conservé  leur  position  originaire  :  on  en  voit  d'in- 
clinés, de  redressés,  de  déchirés,  de  bouleversés. 
M.  Deluc  a  aussi  le  mérite  d'avoir  bien  montré  tous 
ces  désordres  ' . 

Les  volcans  sont  une  cause  encore  active  de  chan- 
gements en  certains  points  de  la  surface  du  globe; 
il  étoit  intéressant  d'étudier  leur  manière  d'agir,  la 
nature  et  les  caractères  de  leurs  produits,  le  degré 
de  chaleur  avec  lequel  ces  produits  sortent  du  cra- 
tère, de  chercher  même  à  conjecturer  la  profon- 

'  Les  lettres  de  M.  Deluc  à  M.  de  La  Metherie,  recueillies  dans  le 
Journal  de  Physique,  anne'es  1789,  1790,  1791  ,  et  les  Lettres  géolo- 
giques du  même  auteur  à  M.  Blumenbach;  Paris,  1798;  i  vol.  in-S", 
contiennent  l'exposé  de  ses  idées  particulières  sur  la  théorie  de  la 


terre. 


I';4  SCIENCES    PHYSIQUES. 

cleur  du  foyer  d'où  ils  émanent ,  les  causes  qui  peu- 
vent y  occasioner  et  y  nourrir  l'inflanimation ,  et 
celles  qui  entretiennent  la  fusion  des  laves. 

Dolomieu  ^  et  Spallanzani  sont  ceux  qui  ont  mis 
dans  ces  derniers  temps  le  plus  de  suite  à  ce  genre 
de  recherches;  ils  ont  recueiîU  l'un  et  l'autre,  et  dé- 
crit avec  beaucoup  de  soin  ,  les  produits  du  Vésuve 
et  de  l'Etna.  M.  de  Humboîdt,  en  revenant  de  gra- 
vir les  pics  les  plus  élevés  et  les  volcans  plus  terribles 
encore  qui  hérissent  la  Gordillière  des  Andes  ,  a  eu 
l'avantage  de  voir  de  près  la  dernière  éruption  du 
Vésuve.  Le  volcan  de  l'île  de  Bourbon  a  fourni  des 
observations  précieuses  à  MM.  Huber  et  Bory-Saint- 
Vincent. 

L'un  des  faits  les  plus  remarquables  qui  parois- 
sent  avoir  été  constatés  c'est  que  le  feu  des  volcans 
n'a  pas ,  à  beaucoup  près ,  le  haut  degré  de  chaleur 
qu'on  lui  attribuoit.  Dolomieu  s'en  est  assuré ,  en 
examinant  l'action  de  la  lave  sur  les  divers  objets 
qu'elle  enveloppa  en  i  ygS  ,  dans  un  village  au  pied, 
du  Vésuve;  il  a  expliqué  par-là  comment  elle  a  pu 
entraîner  sans  les  fondre  divers  cristaux  très  fusi- 
bles don  telle  est  souvent  remplie.  Cependant  la  lave 

'  Voyage  aux  îles  de  Lipari ,  1783  ;  Voyages  aux  îles  Ponces,  et 
Catalogue  raisonné  des  produits  de  l'Etna,  1788;  et  sur-tout  ses  der- 
niers Mémoires  dans  les  Journaux  de  Physique  et  des  Mines.  Ajoutez 
à  ces  ouvrages  les  Mémoires  de  M.  Fleuriau  de  Bellevue,  ceux  de 
M.  Daubuisson,  et  l'Essai  de  M.  de  Montlosier  sur  les  volcans  de 
l'Auvergne. 


GÉOLOGIE.  175 

est  très  fluide;  elle  s'insinue  jusque  dans  les  plus 
petits  interstices  des  corps  :  on  a  de  l'île  de  Bourbon 
des  troncs  de  palmiers  dont  toutes  les  fentes  en  sont 
remplies  (c*est  une  des  remarques  de  M.  Huber). 
Lorsqu'elle  coule  elle  bouillonne  et  répand  au  loin 
des  vapeurs  épaisses:  ne  s'enflammeroit-elle  C|u'au 
contact  de  l'atmosphère,  et  y  laisseroit-clle  échap- 
per quelque  substance  qui  entretenoit  la  fusion  à  ce 
degré  modéré  de  chaleur,  comme  Font  soupçonné 
Rirwan  et  Dolomieu? 

La  quantité  de  ces  laves  est  énorme,  MM.  Deluc 
ont  cherché  à  faire  voir  que  toute  la  masse  des  mon- 
tagnes volcaniques  est  formée  des  produits  mêmes 
de  leurs  éruptions  ;  et  le  nombre  des  volcans  a  été 
autrefois  bien  plus  considérable  qu'aujourd'hui. 
G'estcequ'ona  reconnu,  dèsquonaeu  surles  laves 
modernes  des  notions  suffisantes  pour  pouvoir  les 
comparer  avec  les  anciennes. 

M.  Desmarets  est  un  des  premiers  qui  se  soient 
occupés  dece  genre  de  recherches;  il  a  fait  connoître 
sur-tout  les  volcans  éteints  cle l'Auvergne;  il  est  re- 
monté à  leurs  cratères  ;  il  a  suivi  les  traînées  de 
leurs  laves;  il  les  a  vues  se  fendre  en  piliers  basal- 
tiques; et  c'est  d'après  ses  observations  que  l'on  a 
attribué  long-temps  à  tous  les  basaltes, pierres  assez 
semblables  à  certaines  laves,  une  origine  volca- 
nique. 

M.  Faujas  a  fait  des  travaux  semblables  sur  les 


176  SCIENCES    PHYSIQUES. 

volcans  éteints  du  Vivarais  '  ;  Fortis  ,  sur  ceux  du 
Vicentin%  etc. 

11  paroît  cependant  que  les  terrains  qui  ont  de 
la  ressemblance  avec  les  laves  n'ont  pas  tous  la 
mêraeorigine.Telles  senties  roches  iioniméesii'aAes; 
elles  occupent  de  grandes  étendues  dans  certaines 
contrées  de  rAllemagnc;  elles  y  sont  bien  horizon- 
tales, n'y  tiennentà  aucune  élévation  que  l'on  paisse 
regarder  comme  un  cratère,  reposent  souvent  sur 
des  houilles  très  combustibles,  qu'elles  n'ont  point 
altérées  :  elles  ne  sont  donc  point  volcaniques. 
M.  Werner  a  bien  démontré  ces  faits;  et  une  mul- 
titude de  terrains  ont  été  dépouillés,  par  suite  de 
ses  observations,  de  l'origine  qu'on  leur  attribuoit. 
Tout  au  plus  resteroit-il  l'opinion  de  Hutton  et  de 
M.  James  Hall ,  qu'ils  ont  été  fondus  en  place,  lors 
d'un  échauffement  général  et  violent  éprouvé  par 
le  globe. 

La  ressemblance  de  la  pierre  ne  suffît  donc  plus 
pour  faire  croire  à  un  volcan  éteint  ;  il  faut  encore 
des  traces  d'éruption  :  mais  lorsque  ces  traces  sont 
évidentes  on  ne  peut  refuser  de  s'y  rendre.  Aussi 
des  élèves  distingués  de  M.  Werner,  MM.  de  Buch 

'  Recherches  sur  les  volcans  éteints  du  Vivarais  et  du  Velay  ;  Paris , 
1778;  1  vol.  in-folio.  Mine'ralogie  des  volcans;  Paris,  1  vol.  in-8''. 

^  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  naturelle,  et  principalement  à 
l'oryctographie  de  l'Italie;  Paris,  1802,  1  vol.  in-8°. 


GÉOLOGIE.  I-y-y 

et  Daubiiisson  ,  ont-ils  reconnu  la  nature  volca- 
nique des  pics  de  l'Auvergne. 

C'est  en  examinant  ainsi  [es  diverses  contrées  du 
globe  que  Ton  trouve  que  les  volcans  ont  été  autre- 
fois infiniment  plus  nombreux  qu'aujourd'hui  :  il 
y  en  a  sur  toute  la  longueur  de  l'Italie;  et  les  sept 
montagnes  de  Rome  sont  les  débris  d'un  cratère, 
selon  M.  Breislak  \  Les  bords  du  Rhin  en  sont  hé- 
rissés; on  en  voit  en  Hongrie,  en  Transylvanie  >  et 
jusque  dans  le  fond  de  l'Ecosse. 

L'observation  des  volcans  éteints  a  même  donné 
des  lumières  sur  la  nature  des  volcans  en  général. 
Ainsi  Dolomieu,  en  étudiant  ceux  de  l'Auvergne, 
a  cru  s'apercevoir  que  leur  foyer  de  voit  être  sous  un 
immense  plateau  de  granit,  que  les  produits  de  leurs 
éruptions  couvrent  maintenant.  C'est  ainsi  qu'on 
expliqueroit  ces  pierres  inconnues  ailleurs,  que  tant 
de  laves  contiennent.  Il  n'est  cependant  pas  entiè- 
rement prouvé  qu'il  n'ait  pas  pu  en  cristalliser  quel- 
ques unes  pendant  que  la  lave  étoit  encore  liquide. 

Au  reste  ,  quel  qu'ait  pu  être  le  nombre  des  an- 
ciens volcans,  ce  ne  sont  pas  eux  qui  ont  bouleversé 
les  autres  couches.  Il  paroît  bien  prouvé,  d'après 
les  remarques  de  MM.  Deluc ,  qu'ils  n'ont  pu  exercer 
qu'une  influence  locale ,  en  perçant  ces  couches ,  et 
en  les  recouvrant  de  leurs  produits. 

'   Voyages  clans  la  Campanie  ;  Paris,  1801  ;  9.  vol.  in-8°. 

BUFFON.  COMPLÉM.   T.  I.  12 


lyS  SCIENCES    PHYSIQUES. 

La  haute  antiquité  de  quelques  uns  est  démon- 
trée par  les  couches  marines  qui  se  sont  formées 
dessus  ou  qui  alternent  avec  leurs  laves. 

Mais  comment  le  feu  des  volcans  peut-Il  être  en- 
tretenu à  ces  profondeurs  inaccessibles?  Pourquoi 
presque  tous  les  volcans  brûlants  sont-ils  à  peu  de 
distance  de  la  mer?  L'eau  salée  est-elle  nécessaire 
à  ces  fermentations  intérieures?  Est-ce  d'elle  que 
viennent  les  produits  salins  qui  s'accumulent  sur 
les  bords  des  cratères ,  et  dont  on  trouve  encore 
quelques  uns  dans  les  volcans  éteints  ,  comme 
M.  Vauquelin  Ta  remarqué  en  Auvergne? 

Voilà  des  questions  qui  pourront  long-temps  en- 
core occuper  les  physiciens. 

Les  eaux  courantes  sont  une  autre  cause  de  chan- 
gement moins  violente,  mais  aujourd'hui  plus  gé- 
nérale que  les  volcans.  Elles  entraînent  les  pierres , 
les  sables ,  et  les  terres  des  lieux  élevés ,  et  vont  les 
déposer  dans  les  lieux  bas ,  quand  elles  perdent  leur 
rapidité.  De  là  les  alluvions  des  bords  des  rivières , 
et  sur-tout  de  leur  embouchure;  c'est  ainsi  que  le 
Delta  de  l'Egypte  s'est  formé  et  s'accroît  encore.  I^a 
basse  Lombardie,  une  partie  de  la  Hollande,  delà 
Zélande,  n'ont  point  d'autre  origine.  Les  terres 
ainsi  formées  sont  les  plus  fertiles  du  monde  :  mais 
les  inondations  qui  les  créent  les  dévastent  aussi 
de  temps  en  temps  ;  et  si  on  les  enceint  trop  tôt  par 


GEOLOGIE.  1-79 

des  digues  ,  on  les  expose  à  rester  trop  au-dessous 
du  niveau  du  fleuve  :  c'est  le  cas  de  la  Hollande  qui, 
en  beaucoup  d'endroits,  ne  se  desséche  qu'à  force 
demachines.  L'intérêtîepîus  pressant  exi^jeoit  donc 
qu'on  étudiât  cette  branche  de  la  géologie,  pour 
trouver  à-la-fois  les  moyens  de  profiter  de  ces  terres 
nouvelles  et  ceux  d'en  éviter  les  inconvénients. 

Les  philosophes  Font  étudiée  par  une  autre  rai- 
son :  ils  ont  cru  y  trouver  le  plus  siir  indice  de 
l'époque  où  nos  continents  ont  subi  leur  dernière 
révolution.  En  effet  ces  alluvions  augmentent 
assez  rapidement;  et  comme  dans  l'origine  ils 
dévoient  aller  pins  vite  encore,  leur  étendue  ac- 
tuelle semble  s'accorder  avec,  tous  les  monuments 
de  l'histoire,  pour  faire  regarder  cette  révolution 
comme  assez  récente.  MM.  Deluc  et  Dolomieu 
sont  encore  ceux  qui  nous  paroissent  avoir  le  mieux 
développé  cet  ordre  de  faits. 

Mais  ce  que  les  études  géologiques  ont  offert  de 
plus  piquant  c'est,  sans  contredit,  ce  qui  con- 
cerne ces  innombrables  restes  de  corps  organisés 
dont  fourmillent  les  terrains  secondaires,  et  dont 
ils  semblent  même  entièrement  composés  en  quel- 
ques endroits. 

Depuis  long-temps  on  avoit  remarqué  que  les 
productions  de  la  mer  couvrent  ainsi  la  terre 
ferme  de  leurs  amas  jusqu'à  des  hauteurs  infini- 


II. 


l8o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

nient  supérieures  à  celles  qu'atteindroient  aujour- 
d'hui les  plus  terribles  inondations. 

Un  examen  plus  attentif  avoit  fait  connoître  qne 
les  productions  qui  couvrent  chaque  contrée  ne 
sont  presque  jamais  celles  des  mers  voisines,  et 
même  qu'un  grand  nombre  d'entre  elles  n'ont  pu 
encore  être  retrouvées  dans  aucune  mer.  La  même 
observation  s'appliquoit  aux  débris  de  végétaux  et 
aux  ossements  d'animaux  terrestres. 

Un  si  grand  aiguillon  pour  la  curiosité  a  pro- 
duit son  effet.  Les  fossiles,  les  pétrifications,  ont 
été  recueillis  de  toute  part;  et  leurs  descriptions 
commencent  à  former  une  grande  série  toute  par- 
ticulière, qui  ajoute,  beaucoup  d'espèces  à  celles 
des  êtres  connus  pour  vivants.  M.  de  Lamarck  est, 
dans  l'époque  actuelle,  celui  qui  s'est  occupé  des 
coquilles  fossiles  avec  le  plus  de  suite  et  de  fruit  : 
il  en  a  fait  connoître  plusieurs  centaines  d'es- 
pèces nouvelles,  seulement  dans  les  environs  de 
Paris  ' . 

Les  poissons  fossiles  des  environs  de  Vérone  ont 
été  décrits  et  gravés  avec  magnificence  par  les  soins 
de  M.  de  Gazola  \ 

'  Dans  les  différents  volumes  des  Annales  du  Muséum  d'histoire 
naturelle. 

^  Ittiologia  Veronese,  in-fol.  Il  n'en  a  encore  paru  qu'une  foible 
partie,  quoique  toutes  les  planches  soient  prêtes. 


GÉOLOGIE.  18  r 

Les  végétaux  fossiles  ont  été  moins  étudiés.  Il  y 
en  a  dans  des  couches  récentes  d'assez  semblables 
à  ceux  d'aujourd'hui.  M.  Faujas  en  a  décrit  plu- 
sieurs; mais  les  houilles  et  les  schistes  en  recèlent 
d'inconnus.  M.  le  comte  de  Sternberg  a  donné 
récemment  un  essai  à  leur  sujet*;  on  commence 
aussi  à  les  lecueillir  et  à  les  graver  en  Angleterre  et 
en  Allemagne.  On  peut  citer  dans  ce  dernier  pays 
l'ouvrage  de  M.  Schlotheim. 

Parmi  ces  étonnants  monuments  des  révolu- 
tions du  globe,  il  n'y  en  avoit  point  qui  dussent 
faire  espérer  des  renseignements  plus  lumineux 
que  les  débris  des  quadrupèdes,  parcequ'il  étoit 
plus  aisé  de  s'assurer  de  leurs  espèces,  et  des  res- 
semblances ou  des  différences  qu'elles  peuvent 
avoir  avec  celles  qui  subsistent  aujourd'hui;  mais 
comme  on  trouve  leurs  os  presque  toujours  épars, 
et  le  plus  souvent  mutilés,  il  falloit  imaginer  une 
méthode  de  reconnoître  chaque  os,  chaque  por- 
tion d'os,  et  de  les  rapporter  à  leurs  espèces.  Nous 
verrons  ailleurs  comment  M.  Guvier  y  est  parvenu. 
Il  a  examiné  les  os  en  question  d'après  cette  mé- 
thode, et  il  a  recréé  ainsi  plusieurs  grandes  es- 
pèces de  quadrupèdes  dont  il  ne  reste  plus  aucun 
individu  vivant  à  la  surface  du   globe.  Les   plâ- 

'   C'est  aussi  dans  les  Annales  du  Muséum  que  MM.  Faujas  et  de 
Sternbeig  ont  publié  leurs  Mémoires. 


l82  SCIENCES    PHYSIQUES. 

trières  des  environs  de  Paris  lui  en  ont  seules 
fourni  plus  de  dix  qui  forment  même  des  genres 
nouveaux.  Des  terrains  plus  récents  ont  des  os  de 
(genres  connus,  mais  d  espèces  qui  ne  le  sont  point. 
Ce  n'est  (jue  dans  les  alluvions  et  autres  terrains 
qui  se  forment  encore  journellement  que  Ton 
trouve  les  os  de. nos  espèces  actuelles'. 

Presque  toujours  les  os  inconnus  sont  recou- 
verts par  des  couches  pleines  de  coquilles  de  mer. 
C'est  donc  quelque  inondation  marine  qui  en  a 
anéanti  les  espèces  ;  mais  l'influence  de  cette  révo- 
lution, à  cause  de  sa  nature  même,  ne  s'est  peut- 
être  pas  exercée  sur  tous  les  animaux  marins. 

Il  est  cependant  indubitable  que  les  couches  les 
plus  profondes,  et  par  conséquent  les  plus  an- 
ciennes parmi  les  secondaires,  fourmillent  de  co- 
quilles et  d'autres  productions  qu'il  a  été  jusqu'à 
présent  impossible  de  retrouver  dans  aucun  des 
parages  de  l'Océan  ;  et  comme  les  espèces  sembla- 
]>les  à  celles  qu'on  pêche  aujourd'hui  n'existent  que 
dans  les  couches  superficielles,  on  est  autorisé  à 
croire  quil  y  en  a  eu  une  certaine  succession  dans 
les  formes  des  êtres  vivants. 

Les  houilles  ou  charbons  de  terre  paroissent 

Les  Mémoires  de  M.  Cuvier  sur  la  réinte'gration  des  espèces  per- 
dues de  quadrupèdes  ne  sont  encore  que  dans  les  Annales  du  Mu-^ 
séum  d'histoire  naturelle. 


GÉOLOGIE.  l83 

aussi  être  d'anciens  produits  de  la  vie  :  ce  sont  pro- 
bablement des  restes  de  forets  de  ces  temps  reculés 
que  la  nature  semble  avoir  mis  en  réserve  pour  les 
âfjes  présents.  Plus  utiles  qu'aucun  autre  fossile, 
elles  dévoient  naturellement  attirer  de  bonne  heure 
Fattention.  Leur  profondeur  et  la  nature  des  cou- 
ches pierreuses  qui  les  renferment  annoncent  leur 
antiquité;  et  les  espèces  toutes  étrangères  de  plantes 
qu'elles  recèlent  s'accordent  avec  les  fossiles  ani- 
maux, pour  prouver  les  variations  que  l'organisa- 
tion a  subies  sur  la  terre. 

Il  n'est  pas  jusqu'à  l'ambre  jaune  qui  ne  recèle 
des  insectes  inconnus,  et  qui  ne  se  trouve  quel- 
quefois dans  des  fentes  de  bois  fossiles  qui  ne  le 
sont  pas  moins. 

A  la  vue  d'un  spectacle  si  imposant,  si  terrible 
même,  que  celui  de  ces  débris  de  la  vie  formant 
presque  tout  le  sol  sur  lequel  portent  nos  pas,  il 
est  bien  difficile  de  retenir  son  iniagination,  et  de 
ne  point  hasarder  quelques  conjectures  sur  les 
causes  qui  ont  pu  amener  de  si  grands  effets. 

Aussi,  depuis  plus  d'un  siècle,  la  géologie  a-t-elle 
été  si  fertile  en  systèmes  de  ce  genre  que  bien  des 
gens  croient  qu'ils  la  constituent  essentiellement, 
et  la  regardent  comme  une  science  purement  hy- 
pothétique. Ce  que  nous  en  avons  dit  jusqu'à  pré- 
sent montre  qu'elle  a  une  partie  tout  aussi  |)Osi- 


l84  SCIENCES    PHYSIQUES. 

tive  qu'aucune  autre  science  cFûbservatio]!  ;  mais 
nous  croyons  avoir  montré  en  même  temps  que 
cette  partie  positive  n'est  point  encore  assez  com- 
plète, qu'elle  n'a  point  encore  assez  recueilli  de 
faits  pour  fournir  une  base  suffisante  aux  explica- 
tions. La  géologie  explicative,  dans  Fétat  actuel  des 
sciences ,  est  encore  un  problème  indéterminé  dont 
aucune  solution  ne  l'emportera  sur  les  autres,  tant 
qu'il  n'y  aura  pas  un  plus  grand  nombre  de  condi- 
tions fixées.  Les  systèmes  ont  eu  cependant  le  mé- 
rite d'exciterà  la  recherche  des  faits,  et  nous  devons, 
à  cet  égard,  de  la  reconnoissance  à  leurs  auteurs. 
On  connoît  depuis  long-temps  ceux  de  Wood- 
vvards,  de  Whiston ,  de  Burnet,  de  Leibnitz,  de 
Scheuchzer  :  conçus  avant  qu'on  etit  aucune  notion 
détaillée  delà  structure  du  globe,  ils  ne  pouvoient 
soutenir  un  examen  sérieux.  Le  premier  système 
de  Buffon  les  éclipsa  tous  parla  manière  éloquente 
dont  il  fut  présenté  :  il  excita  un  enthousiasme  gé- 
néral, et  produisit  en  quelque  sorte  des  observa- 
teurs dans  chaque  coin  de  la  terre.  On  lui  fut  donc 
réellement  redevable  des  observations  mêmes  qui  le 
détruisirent.  Ledeuxièmedu  mèmeauteur,  présenté 
avec  plus  d'art  encore  dans  ses  Epoques  de  la  nature, 
vint  trop  tard  pour  avoir  même  un  succès  momen- 
tané. Le  véritable  esprit  d'observation,  la  recherche 
des  fait  positifs,  animoient  tous  les  naturalistes;  et 


GÉOLOGIE.  l85 

Ton  peut  dire  que  dès-lors  ceux  qui  ont  proposé  leurs 
idées  sur  ces  grands  sujets  sont  plutôt  des  génies 
spéculatifs,  de  hardis  contemplateurs,  que  des  ob- 
servateurs philosophes. 

Les  conséquences  les  plus  incontestables  des  faits 
auroient  déjà  de  quoi  effrayer  les  esprits  habitués  à 
la  marche  rigoureuse,  ou  si  Ton  veut  timide,  que 
les  sciences  suivent  aujourd'hui.  La  diminution 
primitive  des  eaux ,  leurs  retours  répétés,  les  varia- 
tions des  produits  qu'elles  ont  déposés,  et  qui  for- 
ment maintenant  nos  couches  ;  celles  des  êtres 
organisés,  dont  les  dépouilles  remplissent  une  par- 
tie de  ces  couches  ;  la  première  origine  de  ces  mêmes 
êtres  :  comment  résoudre  de  pareils  problèmes  avec 
les  forces  que  nous  connoissons  maintenant  à  la 
nature?  Nos  éruptions  volcaniques,  nos  atterrisse- 
ments,  nos  courants,  sont  des  agents  bien  foibles 
pour  de  si  grands  effets  :  aussi  n'est-il  rien  de  si  vio- 
lent qu'on  n'ait  imaginé.  Selon  les  uns,  des  comètes 
ont  choqué  la  terre,  ou  Font  consumée,  ou  Font 
couverte  des  vapeurs  de  leur  queue;  d'autres  ont 
supposé  que  la  terre  est  sortie  du  soleil,  ou  en  verre 
liquide,  ou  en  vapeur;  on  a  placé  dans  son  inté- 
rieur des  abymes  qui  se  seroient  affaissés  successi- 
vement, ou  l'on  en  a  fait  sortir  des  émanations  qui 
s'en  échappoient  avec  violence  :  on  est  allé  jusqu'à 
croire  que  sa  masse  a  pu  se  former  de  la  réunion 


l86  SCIENCES    PHYSIQUES. 

cies  iVagmenls  d'autres  planètes.  Quelque  talent, 
quelque  force  d'esprit  qu'il  ait  fallu  pour  imaginer 
ces  systèmes,  et  pour  les  faire  cadrer  avec  les  faits, 
nous  ne  pouvons  les  placer  dans  ce  tableau  des  pro- 
grès des  sciences  :  ils  tendent  plutôt  à  en  contrarier 
la  véritable  marcbe,  en  laissant  croire  que  l'on  peut 
se  dispenser  de  continuer  les  observations  dans 
une  matière  si  importante,  et  cependant  à  peine 
effleurée  ^ 

Histoire  naturelle  des  corps  vivants. 

L'histoire  naturelle  des  corps  vivants  offre  en- 
core des  problèmes  bien  autrement  compliqués  que 
celle  des  minéraux,  quoique  les  objets  en  soient 
continuellement  sous  nos  yeux ,  et  que  l'esprit  n'ait 
aucune  conjecture  à  former  sur  leur  état  précé- 
dent. 

Dans  les  minéraux  il  n'existe  qu'une  donnée  de 
forme;  celle  de  la  molécule  primitive,  d'où  tout  le 
reste  se  laisse  déduire.  Dans  les  corps  vivants  il 

'  L'exposé  historique  le  plus  complet  qui  ait  paru  en  françois,  des 
systèmes  divers  imaginés  par  les  géologistes,  se  trouve  dans  la  Théorie 
de  la  terre,  de  M.  de  La  Métherie  ;  Paris ,  1 797  ,  5  vol.  in-8°  ;  ouvrage 
qui  contient  aussi  le  recueil  le  plus  méthodique  des  faits  dont  la 
Géologie  se  composoit  à  l'époque  où  il  a  été  publié.  Il  faut  y  joindre 
ceux  de  MM.  de  Marschall,  Bertrand,  Lamarck,  André  de  Gy,  Faujas, 
de  Saint-Fonds,  et  autres  qui  ont  paru  depuis  cette  époque. 


CORPS    VIVAî^TS.  187 

faut  recevoir  comme  des  données  indispensables 
la  forme  générale  de  l'ensemble  et  les  moindres  dé- 
tails des  formes  des  parties  :  rien  n'en  explique  l'o- 
rigine, et  la  génération  est  encore  un  mystère  sur 
lequel  tous  les  efforts  humains  n'ont  rien  obtenu 
de  plausible. 

Les  minéraux  n'offrent  qu'une  composition  con- 
stante et  homogène  dans  chaque  espèce,  et  des 
masses  qui  restent  en  repos  tant  qu'elles  ne  sont 
point  altérées  dans  Tordre  de  leurs  éléments.  Dans 
les  corps  vivants,  chaque  partie  a  sa  composition 
propre  et  distincte;  aucune  de  leurs  molécules  ne 
reste  en  place;  toutes  entrent  et  sortent  successi- 
vement :  la  vie  est  un  tourbillon  continuel,  dont  la 
direction,  toute  compliquée  qu'elle  est,  demeure 
constante,  ainsi  que  l'espèce  des  molécules  qui  y 
sont  entraînées,  mais  non  les  molécules  individuel- 
les elles-mêmes;  au  contraire  la  matière  actuelle  du 
corps  vivant  n'y  sera  bientôt  plus,  et  cependant  elle 
est  dépositaire  de  la  force  qui  contraindra  la  matière 
future  à  marcher  dans  le  même  sens  qu'elle.  Ainsi 
la  forme  de  ces  corps  leur  est  plus  essentielle  que 
leur  matière,  puisque  celle-ci  change  sans  cesse, 
tandis  que  fautre  se  conserve,  et  que  d'ailleurs  ce 
sont  les  formes  qui  constituent  les  différences  des 
espèces,  et  non  les  combinaisons  de  matières,  qui 
sont  presque  les  mêmes  dans  toutes. 


IbO  SCIENCES    PHYSIQUES. 

En  un  mot  la  forme,  dont  l'influence  ctoit  nulle 
dans  Fhistoire  de  l'atmosphère  et  des  eaux,  qui 
n'a  voit  qu'une  importance  accessoire  en  minéra- 
logie, devient,  dans  l'étude  des  corps  vivants,  la 
considération  dominante,  et  y  donne  à  l'anatomie 
un  rôle  tout  aussi  important  que  celui  de  la  chimie  ; 
et  ces  deux  sciences  deviennent  les  instruments  né- 
cessaires et  simultanés  de  toutes  les  recherches  dont 
il  nous  reste  à  parler. 

Histoire  générale  des  fonctions  et  de  la  structure 

des  corps  vivants. 

Le  premier  point  qui  nous  frappe  dans  l'étude 
de  la  vie  c'est  cette  force  des  corps  or.o^anisés  pour 
attirer  dans  leur  tourhillon  des  substances  étran- 
gères, pour  les  y  retenir  pendant  quelque  temps 
après  se  les  être  assimilées,  pour  distribuer  enfin 
ces  substances  devenues  les  leurs  dans  toutes  leurs 
parties,  selon  les  fonctions  qui  doivent  s'y  exercer. 

Ce  pouvoir  présente  trois  objets  d'étude.  Il  faut 
voir  quelles  matières  ces  êtres  attirent ,  et  ce  qu'ils  en 
rejettent.  Le  résidu  formera  leur  matière  propre  : 
c'est  la  partie  chimique  du  problème. 

Il  faut  décrire  ensuite  les  voies  que  ces  matières 
traversent  depuis  leur  entrée  jusqu'à  leur  sortie  : 
c'est  la  partie  anatomique. 


( 


PHYSIOLOGIE.  I(Sc) 

Il  faut  examiner  enfin  par  quelles  forces  ces  ma- 
tières sont  attirées ,  retenues ,  dirigées ,  et  expulsées  : 
on  peut  nommer  cette  reclierclie  la  partie  dynami- 
jue,  ou  pYo\)rement  pliysiologiciue. 

La  partie  chimique  na  été  résolue  que  clans 
cette  période;  mais  elle  la  été  à-peu-près  complète- 
ment. 

TjCs  végétaux,  essentiellement  composés  de  car- 
bone, d'hydropène,  et  d'oxygène,  ainsi  que  nous 
avons  vu  que  la  découvert  Lavoisier,  n'ont  besoin 
que  d'eau  et  d'acide  carbonique  pour  se  nourrir  : 
les  terreaux  et  fumiers  leur  sont  plus  ou  moins 
utiles,  mais  non  pas  nécessaires.  Les  expériences  de 
MM.  Sennebier  ',  Théodore  de  Saussure  %  et  GreiP, 
le  mettent  hors  de  doute.  Ils  ont  élevé  des  plantes 
dans  du  sable,  avec  de  leau  pure  et  l'air  atmo- 
sphérique; et  M.  Crell  a  fait  porter  graine  aux 
siennes. 

Les  plantes  décomposent  donc  l'eau  et  l'acide 
carbonique,  pour  mettre  le  carbone  et  l'hydrogène 
plus  ou  moins  à  nu,  et  former  par  leurs  diverses 
proportions  tous  leurs  principes  immédiats.  C'est 
ce  qui  arrive  en  effet  par  l'intermède  de  la  lumière , 
qui  leur  enlève  leur  oxygène  surabondant,  d'après 

'   Physiologie  végétale,  par  M.  Sennebier;  Genève,  an  8,  5  volum. 
in-8«. 

"'  Ouvrage  déjà  cité  sur  la  végétation.  —  ^  Mémoire  manuscrit. 


190  SCIENCES    PHYSIQUES. 

les  expériences  de  Priestley  et  cFlngenbouz '.  Sans 
la  lumière  elles  restent  aqueuses  et  blanches.  Voilà 
pourquoi  elles  exhalent  de  l'oxygène  pendant  le 
jour;  mais  pendant  la  nuit  elles  en  absorbent, 
ainsi  que  M.  Théodore  de  Saussure  la  fait  voir  :  il 
paroît  que  c'est  pour  réduire  en  acide  carbonique 
le  carbone  qu'elles  ont  pompé  en  nature,  et  qui  ne 
peut  contribuer  à  leur  nutrition  qu'après  avoir  subi 
cette  métamorphose. 

M.  de  Grell%  et  en  France  M.  Braconnot  ',  vont 
plus  loin  encore  dans  le  pouvoir  qu'ils  attribuent 
aux  plantes;  ils  assurent  qu'ils  en  ont  fait  croître 
sans  leur  fournir  la  moindre  parcelle  d'acide  car- 
bonique. Elles  composeroient  donc  le  carbone  de 
toutes  pièces;  ce  qui  seroit  une  des  découvertes  les 
plus  importantes  que  l'on  ptit  ajouter  à  la  théorie 
chimique  :  mais  on  est  loin  de  trouver  encore  les 
expériences  de  ces  chimistes  concluantes. 

Le  reste  des  matériaux  des  plantes,  les  terres,  les 
alcalis,  etc.,  leur  est  apporté  avec  la  sève.  M,  Théo- 
dore de  Saussure  l'a  montré  en  détail  pour  chacun 
d'eux.  Il  a  fait  voir  aussi,  par  beaucoup  de  belles 
expériences,  qu'elles  absorbent  les  substances  qui 
ne  leur  conviennent  pas ,  lorsque  celles-ci  sont  dis- 

'  Expériences  sur  les  végétaux;  Paris,  1787  et  1789,  3  vol.  in-8". 
'   Mémoire  manuscrit. 
*  Annales  de  Chimie. 


PHYSIOLOGIE.  191 

soutes  dans  leau  qui  les  nourrit,  mais  qu'elles  les 
rejettent  avec  les  parties  qui  tombent. 

r.a  marche  générale  de  la  végétation  consiste  donc 
à  reproduire  des  sulDstances  combustibles;  et  elle 
en  accumule  en  effet  par-tout  où  ni  les  animaux  ni 
le  feu  ne  viennent  les  consommer.  De  là  ces  couches 
immenses  de  terreau  qui  se  forment  dans  les  îles 
désertes  et  dans  les  forêts  non  exploitées. 

L'animalisation  suit  une  marche  opposée;  elle 
brû!e  les  substances  susceptibles  d  être  brûlées.  Le 
caractère  commun  des  principes  immédiats  des 
animaux  est  une  surabondance  d'azote.  Ils  se  nour- 
rissent tous  de  végétaux,  ou  d'animaux  qui  s'en 
étoient  nourris.  Le  composé  végétal ^st  donc  la 
base  du  leur  ;  mais  l'hydrogène  et  le  carbone  leur 
sont  en  partie  enlevés  par  la  respiration,  au  moyen 
de  l'oxygène  qui  agit  sur  leur  sang  :  leur  azote,  de 
quelque  part  qu'ils  l'aient  reçu,  leur  reste;  il  doit 
donc  prédominer  à  la  longue.  Cette  marche  a  été 
bien  développée  par  M.  Halle'. 

Ainsi  la  végétation  et  fanimalisation  sont  des 
opérations  inverses  :  dans  l'une  il  se  défait  de  leau 
et  de  l'acide  carbonique;  dans  l'autre  il  s'en  refait. 
C'est  ainsi  que  la  proportion  de  ces  deux  composés 
est  maintenue  dans  l'atmosphère  et  à  la  surface  du 
globe. 

'  Annales  de  Chimie,  t.  XI,  p.  i58. 


192  SCIENCES    PHYSIQUES. 

La  respiration  animale  est  donc  une  combustion  : 
aussi  produit-elle  de  la  chaleur,  quand  elle  est  assez 
abondante  et  assez  vive. 

Sa  théorie,  prise  ainsi  en  général,  est  le  résultat 
des  vues  successives  de  MayoAv,  de  Willis,  de  Craw- 
fort,  et  de  Lavoisier  '. 

Sa  nécessité,  même  dans  les  dernières  classes  des 
animaux ,  se  démontre  par  les  expériences  multi- 
pliées de  Spallanzani  %  de  M.  Vauquelin^,  et  de 
plusieurs  autres  physiciens. 

Elle  ne  s'exeice  pas  dans  le  poumon  seulement  : 
dans  tous  les  points  du  corps  où  des  vaisseaux  san- 
guins sont  en  contact  avec  l'air,  le  sang  respire  plus 
ou  moins,  c'est-à-dire  qu'il  produit  de  Feau  et  de 
l'acide  carbonique.  Les  dernières  expériences  de 
Spallanzani  et  de  M.  Sennebier  le  prouvent,  et  nous 
verrons  ailleurs  qu'elles  donnent  ainsi  la  clef  d'une 
foule  de  phénomènes.  Il  n'est  pas  jusqu'au  canal 
intestinal  où  M.  Erman  ^  vient  de  montrer  que  cer- 

'  Voyez  les  ouvrages  cités  à  l'article  des  Gaz ,  le  Traité  de  la  respi- 
ration de  Mayow,  le  Traité  de  aniina  hrutorum  de  Willis,  celui  de  la 
Chaleur  de  Crawford;  et  le  Mémoire  de  Lavoisier  sur  la  respiration , 
Académie  des  Sciences,  année  1777,  p.  i85,  réimpr.  dans  sa  collec- 
tion posthume. 

^  Mémoires  sur  la  respiration,  et  rapports  de  l'air  avec  les  êtres 
organisés,  par  Spallanzani,  traduit  par  Sennebier;  Genève,  i8o3-i8o7, 
4  vol.  in-8°. 

^  Annales  de  Chimie,  t.  XII,  p.  273. 

'^  Mémoire  manuscrit  adressé  à  l'Institut. 


PHYSIOLOGIE.  193 

tains  poissons  exercent  aussi  une  sorte  de  respira- 
tion. 

Le  reste  des  matériaux  élémentaires  des  animaux 
vient  de  leurs  aliments. 

Quant  à  cette  répartition  des  matériaux  élémen- 
taires des  corps  vivants  dans  leurs  diverses  parties, 
selon  certaines  proportions,  pour  former  leurs  prin- 
cipes immédiats  tels  qu'ils  doivent  se  trouver  dans 
chaque  organe  pour  que  ceux-ci  puissent  remplir 
leurs  fonctions,  c'est  ce  que  Ton  nomme  sécrétions. 

On  ne  s'est  fait  encore  de  leur  mécanisme  que  des 
idées  très  obscures  :  les  uns  supposent  pour  chaque 
sécrétion  une  sorte  de  crible;  les  autres,  quelque 
tissu  qui  attire  par  voie  d'affinité  :  il  en  est  qui ,  avec 
plus  de  raison,  y  font  coopérer  tout  l'appareil  des 
forces  vitales.  Ce  que  l'on  peut  dire  de  général  c'est 
que  la  sécrétion  tient  à  la  forme  primitive  de  chaque 
organe,  et  par  conséquent  à  celle  du  corps.  Chaque 
organe  a  pour  sa  part,  comme  le  corps  entier,  le 
pouvoir  d'attirer  et  de  rejeter  les  substances  qui 
sont  à  sa  portée,  comme  il  convient  à  sa  nature.  On 
peut  donc  faire,  pour  chaque  organe,  ce  que  l'on 
fait  pour  le  corps  entier.  On  peut  examiner ,  par 
exemple,  ce  qui  entre  dans  le  foie,  ce  qui  en  sort, 
et  ce  qui  y  reste:  mais  il  est  sensible  qn'il  faudroit 
ici  connoître  avec  rigueur,  non  seulement  la  com- 
position générale  des  principes  animaux  ,  mais  ia 


BUFFON.  CO.\IPLE>f.  T.  1. 


194  SCIENCES    PHYSIQUES. 

proportion  particulière  de  chaque  princij)e  séparé; 
et  nous  avonsvu  plus  haut  que,  dans  ces  différences 
minutieuses,  la  chimie  nous  abandonne. 

Voilà  pourcj  uoi  la  théorie  des  sécrétions  partieHes 
se  réduit  encore  à  des  généralités  un  peu  vagues, 
même  dans  sa  partie  purement  chimique.  Au  reste 
il  s'en  fait  dans  les  deux  régnes  :  les  sucs  propres  ([ui 
occupent  des  cellules  particulières  le  long  des  bran- 
ches et  des  tiges  des  végétaux,  ceux  qui  abreuvent 
le  tissu  des  fruits,  peuvent  être  comj)arés  aux  di- 
verses humeurs  locales  des  animaux;  mais  on  n'en 
connoît  pas  si  bien  l'usage. 

La  partie  anatomique  du  problème  général  de  la 
vie  est  résolue  depuis  long-temps  pour  les  animaux , 
au  moins  pour  ceux  d'entre  eux  qui  nous  intéres- 
sent le  plus.  Les  voies  que  les  substances  y  parcou- 
rent sont  connues;  les  premières,  ou  celles  de  la 
digestion,  depuis  bien  des  siècles;  les  secondes,  ou 
celles  de  l'absorption,  depuis  Pecquet,  Rudbeck,  et 
Ruysch;  les  troisièmes,  ou  celles  de  la  circulation, 
depuis Harvey.  Les  travaux  des  anatomistes  anglois 
et  italiens  sur  le  système  lymphatique,  portés  à  la 
plus  grande  perfection  dans  le  bel  ouvrage  de 
M.  Mascagni  ' ,  qui  appartient  encore  à  notre  période 
actuelle,  ont  achevé  tout  ce  qui  restoit  à  dire  à  cet 

'    l^dsorum  lymphaticoriuii  corj)oris  snnnani  Uhtoria  et  Icoiiogm- 
T)/i<V((  ;  Sienne,   '789,   i   vol.  iii-fol. 


PHYSIOLOGIE.  195 

éjjard.  Les  routes  du  chyle  et  du  sang  sont  mainte- 
nant évidentes;  Fœil  en  suit  tous  les  détours.,  et  ren- 
contre par-tout  des  valvules  ou  d  autres  indices  qui 
lui  en  marquent  la  direction  :  il  aperçoit  aussi  com- 
ment ces  routes,  si  compliquées  dans  Fliomme,  se 
simplifient  par  degrés  dans  les  animaux  inférieurs, 
et  finissent  par  se  réduire  à  une  spongiosité  uni- 
forme. Les  recherches  de  M.  Cuvier  '  ont  achevé 
d'assigner  à  chaque  animal  sa  place  dans  la  grande 
échelle  des  complications  de  structure. 

Il  n'en  est  pas  entièrement  ainsi  des  végétaux  ; 
leur  structure  anatomique  laisse  quelque  incerti- 
tude sur  les  routes  de  la  nutrition,  précisément  à 
cause  de  sa  simplicité. 

On  sait  aujourd'hui  par  les  recherches  d'Ingen- 
houz,  de  MM.  Sennehier,  Decandolle,  que  la  fonc- 
tion essentielle  des  plantes,  le  dégagement  de  l'oxy- 
gène, se  fait  dans  toutes  leurs  parties  vertes,  et 
principalement  dans  leur  cime. 

Des  recherches  plus  anciennes,  et  sur-tout  celles 
de  Bonnet,  avoient  montré  qu'indépendamment  de 
fabsoption  des  racines  il  s'en  fait  aussi  une  par  la 
cime,  et  particulièrement  dans  les  arbres  par  la  face 
inférieure  des  feuilles,  dont  la  quantité  dépend  de 
l'humidité  de  l'air  \ 

'   Dans  ses  Leçons  d'Anatonùe  comparée. 
^   Dans  son  Traité  des  usages  des  feuilles. 


igC)  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Il  se  fait  déjà  une  préparation  lors  de  cette  pre- 
mière entrée;  car  les  sèves  des  diverses  plantes 
sont  des  liquides  assez  compliqués  et  assez  diffé- 
rents entre  eux ,  comme  M.  Vauquelin  '  s'en  est  as- 
suré. M.  Théodore  de  Saussure  a  vu  ,  de  son  côté, 
que  la  plante  n'admet  point  les  parties  les  plus 
[grossières  que  contient  Feaii  dans  laquelle  on  la 
plonge  ^. 

On  sait,  par  des  expériences  assez  anciennes 
aussi,  multipliées  et  constatées  par  Duhamel,  que 
raccroissement  du  tronc  et  de  la  racine  dans  les  ar- 
bres et  les  plantes  vivaces  ordinaires  se  fait  par  des 
couches  de  fdires  li^^neuses,  qui  se  développent  et 
s'interposent  à  l'extérieur  entre  le  vieux  bois  et  l'é- 
corce.  ïlparoît,  d'après  les  observations  dcM.Link^, 
qu'il  s'en  développe  également  autour  de  la  moelle, 
du  moins  jusqu'à  ce  que  celle-ci  ait  entièrement  dis- 
paru par  la  compression  des  couches  extérieures. 

M.  Desfontaines  ^  a  fait  cette  découverte,  Tune 
des  plus  belles  et  des  |)lus  fécondes  dont  notre  pé- 
riode ait  enrichi  la  physiologie  végétale,  que,  dans 

'    Voyez  son  Mémoire  cité  plus  haut,  sur  l'anaîyse  de  la  sève. 

*  Dans  ses  Recherches  chimiques  sur  la  végétation;  Paris,  i8o4, 
1  vol.  in-8". 

^  Éléments  de  l'Anatoniie  et  de  la  Physiologie  végétales,  en  alle- 
mand; Golt.,  1807,  in-8°. 

^  Mémoires  de  l'Institut,  Sciences  mathématiques  et  physiques,  t.  î, 
P    478- 


PHYSIOLOGIE.  19-7 

les  arbres  et  plantes  nionocotylédones,  le  dévelop- 
pement des  nouvelles  fibres  ligneuses  se  fait  par 
une  interposition  générale  qui  a  lieu  sur-tout  vers 
le  centre.  Nous  verrons  ailleurs  comment  ce  fait, 
ainsi  généralisé,  est  devenu  Tune  des  bases  les  plus 
solides  de  la  division  méthodique  des  plantes. 

On  sait  ({ue  si  on  lie  un  tronc  ou  qu'on  enlève  un 
anneau  de  son  écorce,  il  grossit  au-dessus  de  la  li- 
gature, et  non  au-dessous;  ce  qui  montre  que  l'ac- 
croissenient  en  grosseur  se  fait  par  des  sucs  qui  des- 
cendent par  Técorce  et  entre  l'écorce  et  le  bois.  Une 
branche  ainsi  préparée  fleurit  plus  tôt  et  porte  de 
plus  beaux  fruits,  parceque  les  sucs  y  sont  retenus  : 
c'est  une  observation  de  Lancrit,  devenue  fort  utile 
en  agriculture. 

Il  n'en  est  pas  moins  certain  que  la  sève  monte 
avec  une  grande  force,  sur-tout  au  printemps;  et 
des  expériences  récentes  de  feu  Coulomb  ',  confir- 
mées par  d'autres  de  M.  Gotta  '"-  et  de  M.  Link,  ont 
montré  que  c'est  principalement  vers  l'axe  de  l'ar- 
bre qu'elle  monte,  entraînant  beaucoup  d'air  avec 
elle. 

Il  semble  donc  qu'elle  doit  produire,  en  mon- 

'   Journal  de  Physique,  t.  XLIX,  p.  392. 

^  Observations  sur  les  mouvements  et  les  Conclions  de  la  sève  d^ns 
lei  végétaux,  et  sur-tout  dans  les  végétaux  ligneux,  en  allemand, 
Weiuxar,  1806,  in-4"- 


198  SCIENCES    PHYSIQUES. 

tant  ainsi  vers  Taxe,  Taccroissenient  en  iong^ueiir, 
étendre  les  feuilles,  et,  après  y  avoir  subi  Faction  de 
Tair  et  de  la  lumière,  redescendre  sous  Técorce  pour 
grossirletroncen  y  développant  les  nouvelles  fibres. 

Mais,  quand  on  enlève  un  morceau  d'écorce,  le 
bois  mis  à  nu  paroit  faire  suinter  un  liquide  qu'on 
a  nommé  cambium,  et  que  Ton  croit  donner  le  nou- 
veau bois.  Il  V  auroit  donc  aussi  une  marche  des 
sucs  dans  le  sens  horizontal  en  rayonnant;  et  en 
effet  les  rayons  médullaires,  ou  ces  suites  de  cel- 
lules qui  vont  entre  les  fibres,  du  centre  vers  la  cir- 
conférence, semblent  indiquer  cette  route. 

D'un  autre  côté  on  ne  voit  point  qu'aucune 
partie  de  l'arbre  soit  nécessaire  au  maintien  du 
reste  :  il  y  a  des  troncs  don  t  les  trois  quarts  du  pour- 
tour et  tout  l'intérieur  sont  enlevés,  et  qui  n'en  pro- 
duisent pas  moins  chaque  année  des  fleurs  et  des 
fruits.  On  peut  couper  transversalement  des  por- 
tions de  la  largeur  d'un  tronc  à  différentes  hauteurs , 
de  manière  qu'aucun  vaisseau  ne  reste  entier,  et 
l'on  n'arrête  pas  pour  cela  la  végétation  :  c'est  une 
expérience  très  concluante  de  Duhamel,  répétée 
encore  récenriment  par  M.  Gotta. 

Les  recherches  intéressantes  de  M.  Mirbel  ^  sur 

'  Traite  d'Anatomie  et  de  Physiologie  végétales;  Paris,  2  vol.  in-S", 
an  10;  et  plusieurs  Mémoires  dont  les  extraits  sont  imprimés  dans 
les  Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle.  Comparez  à  ces  ouvrages 


PHYSIOLOGIE.  199 

l'anatomie  des  végétaux  éclaircissent  une  partie  de 
ces  faits;  il  a  trouvé  tout  ce  que  l'on  uoiunie  î;a/s- 
5e«/Lr  dans  les  plantes  percé  de  tious  latéraux  :  toutes 
les  parties  du  végétal  peuvent  donc  se  communiquer 
librement  leurs  sucs.  Ainsi ,  quoique  la  direction 
des  vaisseaux  de  chaque  partie  ouvre  à  ces  sucs  une 
marche  plus  facile  dans  un  certain  sens,  quoique 
les  vaisseaux  soient  plus  abondants  vers  Taxe  où  se 
fait  la  plus  forte  ascension,  quoiqu'ils  soient  plus 
nombreux  et  plus  ouverts  dans  les  parties  qui  se 
développent  plus  vite,  comme  les  fleurs,  il  est  clair 
aussi  que  les  sucs  peuvent  se  détourner  plus  ou 
moins  quand  ils  sont  arrêtés  par  quelque  obstacle; 
ou  plutôt,  à  parler  rigoureusement,  il  n'y  a  pas  de 
vaisseaux  dans  le  sens  ordinaire  de  ce  mot,  c'est-à- 
dire  parfaitement  clos,  et  qui  necomu)uni(|ueroient 
que  par  des  anastomoses:  aussi  ne  sont-ils  point  di- 
visés en  branches  et  en  rameaux  ,  mais  rassemblés 
en  faisceaux  parallèles. 

Les  végétaux ,  même  les  plus  parfaits ,  ressemble- 
roient  do  ne,  jusqu'à  un  certain  point,  aux  animaux 
zoophytes. 

de  M.  Michel  ceux  de  MM.  Link  et  Cotta,  que  nous  venons  de  citer; 
celui  de  M.  Treviranus,  intitule  De  la  Structure  Jes  végétaux;  Gott. , 
1806,  in-8";  et  celui  de  M.  Rudnlphi  sur  l'Anatomie  des  plantes; 
Berlin,  1807,  in-8°  ;  tous  deux  en  allemand;  voyez  enfin  l'Exposition 
et  Défense  de  la  Théorie  de  l'orfianisation  vé^^e'lale ,  de  M.  Mirbel ,  en 
François  et  en  allemand;  La  Haye,  1808,  i  vol.  ii.-S". 


200  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Il  y  en  a  qui  leur  ressemblent  plus  exactement 
encore,  en  ce  qu'ils  n'ont  pas  même  ces  apparences 
de  vaisseaux  tracées  dans  leur  cellulosité  ;  ce  sont 
les  al[|ues  et  certains  cliampijjnons.  MM.  Mirbel  et 
Decandolle  ont  bien  fait  connoître  cette  extrême 
simplicité  de  leur  structure. 

Gomme  il  y  a  une  recherche  chimique  particu- 
lière à  faire  sur  les  sécrétions  de  chaque  or^^ane,  on 
peut  faire  aussi  des  recherches  anatomiques  sur  les 
inflexions  particulières  qu'y  prennent  les  vaisseaux , 
ou  les  autres  éléments  généraux  du  tissu  organi- 
que; en  un  mot  sur  la  structure  propre  de  ces  or- 
ganes. 

Cette  anatomie  spéciale  des  organes  laissoit  plus 
à  faire  dans  les  deux  règnes  que  l'anatomie  géné- 
rale, et  a  fourni,  dans  la  période  actuelle,  des  dé- 
couvertes plus  nombreuses. 

Le  plus  grand  nombre  appartient  aux  animaux. 
L'homme  lui-même  en  a  offert,  quoique  l'on  dût 
peu  s'y  attendre  après  trois  siècles  de  recherches 
continues  sur  son  anatomie. 

M.  Sœmmering  ^  a  eu  le  bonheur  de  trouver  dans 
le  centre  de  la  rétine  de  l'œil  une  tache  jaune,  un 
pli  saillant  et  un  point  transparent  qui  avoient 
échappé  à  ses  prédécesseurs.  On  en  ignore  l'usage; 

'  Voyez  ses  excellentes  figures  de  l'organe  de  la  vue;  Francfort, 
in-folio. 


PHYSIOLOGIE.  20I 

mais  on  sait  déjà  que  les  seuls  quadrumanes  parmi 
les  animaux  partagent  avec  Tliomme  cette  singu- 
larité. 

M.  Procbaska'  et  M.  Reil''  ont  réussi,  par  des 
dissections  délicates  et  des  macérations  appropriées, 
à  bien  démontrer  la  structure  des  nerfs  et  l'homo- 
généité du  système  médullaire  dans  le  corps  entier, 
et  à  rendre  très  vraisemblable  la  nature  sécrétoire 
de  toutes  ses  parties. 

Le  cerveau,  qui  avoit  été  examiné  tant  de  fois, 
a  montré  encore,  peu  d'années  avant  la  période 
actuelle,  des  particularités  nouvelles  à  M.  Mala- 
carne^  et  à  Vicq-d'Azir^.  Celui-ci  en  a  donné  une 
description  plus  complète  qu'aucun  de  ses  prédé- 
cesseurs, ornée  de  plancbes  magnifiques;  mais  la 
méthode  des  coupes,  à  laquelle  il  s'en  est  tenu,  ne 
pouvoit  lui  donner  autant  de  lumières  que  celle  des 
développements. 

M.  Gall'  a  porté  très  loin  cette  dernière.  En  rap- 
pelant plusieurs  observations  éparses  dans  des  au- 

'    Opéra  minora;  Vienne,  1800,  2  vol  in-8°. 

'  Exercitatio  anatomica  de  structura  nervorum  ;  Halle,  179G, 
I  cahier  in-folio. 

^   Encephalotomia  nuova  universale  ;  Torino  ,  1680,  in-S". 

^  Voyez  le  {jraiid  Traite  d'Anatomie  que  la  mort  l'a  empêché  d'a- 
chever, et  dont  la  partie  terminée  ne  concerne  que  le  cerveau  et  le 
cervelet  de  l'homme. 

*  Mémoire  manuscrit  présenté  à  l'Institut. 


202  SCIENCES    PHYSIQUES. 

teurs  anciens,  et  en  y  ajoutant  les  siennes,  il  a  vu 
les  fibres  de  la  moelle  alon^ée  se  croiser  avant  de 
former  les  éminences  pyramidales,  il  les  a  suivies 
au  travers  du  pont,  des  couches,  et  des  corps  can- 
nelés, jusque  dans  la  voûte  des  hémisphères;  il  a 
montré  que  leurs  foisceaux  [;rossissent  à  chacun  de 
ces  passages  ,  et  cjue  la  partie  médullaire  dans  la- 
quelle ils  se  terminent  donhle  l'enveloppe  corti- 
cale du  cerveau ,  se  repliant  comme  elle  et  semblant 
suivre  tous  ses  contours.  Il  a  distingué  les  fibres 
qui  sortent  de  cette  substance  médullaire  pour  don- 
ner naissance  aux  commissures,  que  cet  anato- 
miste  appelle  ijerfs  convergents.  Plusieurs  des  nerfs 
que  Ton  regarde  comme  sortant  immédiatement 
du  cerveau  ont  été  suivis  par  lui  jusque  dans  la 
)noelle  alongée,  et  il  lui  paroît  vraisemblable  qu'ils 
en  sortent  tous.  Le  cerveau  proprement  dit,  ainsi 
que  le  cervelet,  ne  communiqueroient  donc  avec 
Je  reste  du  système  que  par  leurs  jambes;  mais  leurs 
deux  moitiés  communiquent  entre  elles  par  divers 
faisceaux  transverses,  tels  que  le  pont  de  Varole 
pour  le  cervelet,  le  corps  calleux,  la  voûte,  et  la 
commissure  antérieure  pour  le  cerveau.  M.  Gall 
pense  que  chaque  paire  de  nerfs  a  aussi  une  com- 
munication transversale  entre  ses  deux  portions, 
et  il  en  montre  dans  plusieurs. 

On  a  aujourd'hui  sur  les  diverses  d('.;»j'^datious 


PHYSIOLOGIE.  2o3 

du  système  nerveux  dans  le  régne  animal,  et  sur 
leur  correspondance  avec  les  divers  degrés  d'intel- 
ligence, des  notions  aussi  complètes  que  pour  le 
système  sanguin.  MM.  Monro',  Camper^,  Vicq- 
d'Azir^,  Sœmmering''^,  et  Guvier^,  y  ont  successi- 
vement travaillé  :  ce  dernier  en  a  fait  un  tableau 
général. 

M.  Guvier,  en  disséquant  deux  éléphants,  est 
parvenu  à  rendre  plus  sensible  la  nature  veineuse 
du  corps  caverneux  de  la  verge;  ce  qui  ajoute  quel- 
que lumière  à  la  théorie  de  Térection. 

Ces  grands  animaux  lui  ont  bien  fait  connoître 
aussi  les  organes  qui  versent  Thumeur  synoviale 
dans  les  articulations,  sur  la  nature  desquels  on 
n  etoit  point  d'accord. 

M.  Ilome^  a  découvert  un  petit  lobe  de  la  glande 
prostate,  qui  avoit  échappé  avant  lui  à  tous  les  ana- 
tomistes. 

Ou  s'étoit  beaucoup  occupé  du   labyrinthe  os- 

'  Dans  son  Traité  du  système  nerveux,  en  anglois;  Ediiiib.,  1783, 
I  vol  in- fol. 

*  Dans  plusieurs  observations  éparses  dans  ses  ouvrages. 
^  Dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des  Sciences,  1786. 

*  Dans  sou  Traité  de  Basi  encephali;  Gott.,  1778,  in-4". — Voyez, 
aussi  une  dissertation  de  M.  Ebel ,  intitulée  Observât,  nevrolog.  ex 
anat.  compar.;  Francfort-sur-l'Oder,  in-8°. 

*  Dans  ses  Leçons  d'Anatomie  comparée,  t.  II. 
^  Transactions  philosophiques. 


2o4  SCIENCES    PHYSIQUES. 

seux  cîe  roreille;  mais  on  avoit  négligé  le  laby- 
rinthe membraneux  qui  le  remplit.  M.  Scarpa'  et 
Gomparetti  ^  ont  rappelé  l'attention  sur  cette  partie 
essentielle;  c'est  également  l'anatomie  comparée 
qui  les  y  a  conduits. 

Les  nerfs  des  viscères  a  voient  été  admirable- 
ment décrits  en  i  -y 83  par  M.  Walther ,  de  Berlin^. 
M.  Scarpa,  de  Pavie,  a  fait,  en  1794^  ^^^  travail 
de  la  même  patience  sur  ceux  de  la  poitrine,  et  en 
particulier  sur  ceux  du  cœur,  qu'il  a  suivis  jusque 
dans  la  substance  de  toutes  les  parties  de  cet  or- 
gane^. 

Biciiat  a  donné  à  Fanatomie  un  grand  intérêt, 
par  l'opposition  de  structure  et  de  forme  qu'il  a  dé- 
veloppée entre  les  organes  de  la  vie  animale,  c'est- 

'  Anatomicœ  disquisitlones  de  auditu  et  olfactu;  Paris,  i  78g,  i  vol. 
in-folio. 

^    Observationes  anatomicœ  de  aure  interna;  Pad. ,  1789,  i  volume 

^  Tabulée  nervorum  thoracis  et  abdominis;  Berlin,  1788,  i  volume 
in-folio. 

^   Tabulée  nevrologicœ ;  Pavie,  1794^  format  d'atlas. 

N.  B.  Les  planches  de  ces  ouvrajjes  névrologiques  et  de  plusieurs 
autres ,  tels  que  ceux  des  élèves  de  Ilaller,  de  MM.  Neubauer,  Bœhmer, 
Schmidt,  Fischer,  Andersch,  etc.,  sont  rassemblées  avec  beaucoup  de 
soin  dans  la  grande  collection  des  planches  anatomiques  de  M.  Loder; 
Weimar,  1794?  2  vol.  in-fol.,  le  meilleur  recueil  de  ce  genre  qui 
existe.  La  plupart  des  bonnes  dissertations  névrologiques  ont  aussi  été 
recueillies  dans  les  Scriptores  nevroloqici  minores  de  Ludwig;  Leipz., 
1793  et  1794,  4  vol.  in-4". 


PHYSIOLOGIE.  2o5 

à-clire  du  sentiment  et  du  mouvement,  et  ceux  de 
la  vie  purement  véofétative '.  I^es  premiers  seuls 
sont  symétriques.  Cette  différence  s'étend  même 
jusqu'aux  nerfs  dont  il  semble  qu'il  y  ait  deux  sys- 
tèmes, M.  Reil^  a  aussi  j)résenté,  d'une  manière 
in{]fénieuse,  les  différences  de  forme  de  ces  deux 
systèmes,  et  la  nature  de  leur  union,  qui,  dans  le- 
tat  ordinaire ,  les  fait  paroître  entièrement  séparés , 
et,  dans  les  passions  ou  les  maladies,  établit  une 
influence  plus  ou  moins  funeste  de  l'un  sur  l'autre. 

L'attention  particulière  donnée  par  Bichat  au 
tissu  et  aux  fonctions  des  diverses  membranes,  et 
l'analogie  qu'il  a  établie  entre  celles  de  parties  très 
éloignées,  ont  jeté  aussi  des  lumières  nouvelles  sur 
l'anatomie,  principalement  dans  ses  rapports  avec 
la  médecine^. 

M.  Ghaussier  a  rendu  un  service  important  à 
renseignement  de  toute  cette  science,  en  cbercbant 
à  lui  donner  une  nomenclature  métbodique,  prise 
de  la  position  et  des  attacbes  des  parties^.  Lappli- 

'   Mémoires  de  la  Société  médicale  d'émulation,  t.  I. 

''■  Archives  physiologiques. 

^   Traité  des  meaibranes  ;  Paris,  au  8,  i  vol.  in-8". 

^  Exposition  sommaire  des  muscles;  Dijon,  1789,  i  vol.  in-8°. — 
MM.  Dnméril  et  Dumas  ont  aussi  publié  les  Essais  de  Nomenclature 
anatomifjue.  Celle  de  M.  Duméril  est  sur-tout  remarquable  par  les 
terminaisons  caractéristiques  qu'il  donne  aux  noms  de  chaque  yenre 
(1  organes. 


106  SCIENCES    PHYSIQUES. 

ration  qu'il  vient  don  faire  au  cerveau  est  appuyée 
d'une  bonne  description  de  ce  viscère  '. 

tly  a  aussi  plusieurs  observations  intéressantes 
sur  les  détails  de  l'anatoniie  végétale^. 

Les  petites  ouvertures  de  l'écorce,  découvertes 
])ar  Saussure  le  père,  ont  été  examinées  dans  toutes 
les  familles  par  M.  Decandolle  :  on  les  observe  aux 
parties  vertes  dans  les  plantes  qui  ne  vivent  point 
sous  l'eau;  celles  des  cryptogames  qui  n'ont  point 
de  vaisseaux  manquent  aussi  de  pores  corticaux; 
les  plantes  grasses  en  ont  moins  que  les  autres;  les 
feuilles  des  arbres  les  ont  sur-tout  en-dessous.  Ces 
pores  s'ouvrent  et  se  ferment  dans  des  circonstances 
déterminées,  et  paroissent  jouer  un  grand  rôle  dans 
l'économie  végétale;  il  est  probable  qu'ils  servent 
alternativement  à  exbaler  et  à  absorber. 


'  Exposition  sommaire  de  la  Structure  et  des  différentes  parties  de 
l'encéphale;  Paris,  1808,  1  vol.  in-8''.  —  Les  ouvrages  les  plus  récents 
où  l'anatomie  humaine  soit  exposée  dans  tout  son  ensemble  sont  celui 
de  M.  Sœmmering,  en  allemand  et  en  latin,  remarquable  par  son  élé- 
gance, son  érudition,  et  l'étendue  de  ses  vues  physiologiques;  celui 
de  M.  Boyer,  eu  françois ,  où  toutes  les  parties  sont  décrites  avec 
beaucoup  de  détails  et  d'exactitude  ;  et  l'Anatomie  générale  et  des- 
criptive de  Bichat,  ouvrage  écrit  un  peu  à  la  hâte,  mais  plein  d'idées 
originales. 

'  Voyez  sur  toutes  ces  questions  les  ouvrages  cités  plus  haut  de 
MM.  Mirbel,  Link,  Treviranus,  Rudolphi;  voyez  aussi  les  Principes 
>de  Botanique  placés  en  tête  de  la  nouvelle  édition  de  la  Flore  fran- 
jçoise  par  M.  de  Decandolle. 


PHYSIOLOGIE.  20- 


Les  tubes  qu'on  observe  dans  presque  toutes  les 
plantes,  formés  d'un  fil  spiral  et  ressemblant  eu 
cela  aux  tracbëes  qui  servent  à  la  respiration  des 
insectes,  avoient  aussi  reçu  ce  nom  de  trachées,  et 
on  leur  a  long-temps  attribué  l'emploi  de  porter 
l'air  dans  l'intérieur  du  végétal.  11  est  prouvé  au- 
jourd'hui, par  les  expériences  de  Reicbel  et  par  les 
observations  de  Link,  de  Rudolpbi,  et  de  plusieurs 
autres  botanistes,  qu'ils  conduisent  la  sève,  en  la 
prenant  et  la  rendant  au  tissu  cellulaire  qui  les  en- 
toure, et  qui  la  transmet  comme  eux,  mais  plus 
lentement. 

M.  Mirbel  a  distingué  des  trachées  parfaitement 
en  spirale,  les  fausses  trachées  qui  n'ont  que  des 
fentes  transversales  non  continues  et  les  tubes  sim- 
plement poreux  :  mais  en  même  temps  il  a  fait  voir 
que  ces  différents  vaisseaux  ont  les  mêmes  fonc- 
tions, et  que  souvent  un  seul  et  même  tube  a  ces 
diverses  structures  en  différentes  parties  de  sa  lon- 
gueur; il  paroît  môme  qu'ils  se  changent  les  uns 
dans  les  autres. 

Beaucoup  de  plantes  produisent  des  sucs  colorés 
ou  autrement  caractérisés  appelés  sucs  propres ,  que 
quelques  botanistes  ont  regardés  comme  des  ana- 
logues du  sang,  et  par  conséquent  comme  les  véri- 
lables  fluides  nourriciers,  considérant  seulement, 
la  sève  comme  l'analogue  du  chyle  non  encore  pré- 


2o8  SCIENCES    PHYSIQUES. 

paré  :  on  supposoit  que  les  vaisseaux  qui  les  con- 
tiennent s'étendent  régulièrement  d'une  extrémité 
du  vé[>étal  à  l'autre,  et  on  leur  attribucit  dans  ces 
vaisseaux  une  marche  descendante. 

MM.  Treviranus  et  Link  ont  trouvé  que  ces  sucs 
résident  dans  de  simples  cellules;  et  ils  ont  con- 
firmé par-là  l'opinion  contraire  à  la  précédente, 
qui  en  fait  des  liqueurs  particulières  produites  par 
sécrétion,  et  par  conséquent  extraites  du  suc  nour- 
ricier,  mais  ne  les  constituant  pas.  Ces  cellules  ne 
sont  môme  pas  toujours  remplies  ni  visibles  à  tous 
les  âges  de  certaines  plantes. 

La  moelle,  ou  cette  cellulosité  lâche  qu'on  ob- 
serve dans  Taxe  de  beaucoup  de  plantes,  avoit  été 
comparée  à  la  moelle  des  os  ou  à  celle  de  1  épine. 
Linnaeus  lui  faisoit  jouer  un  grand  rôle  dans  le  dé- 
veloppement du  végétal.  On  sait  aujourd'hui,  par 
les  recherches  de  Medicus,  et  plus  récemment  par 
celles  de  M.  Mirbel,  que  c'est  un  shnple  tissu  cel- 
lulaire dilaté  et  formant  ce  que  ce  dernier  botaniste 
nomme  des  lacunes,  ordinairement  remplies  d'air. 
M.  du  Petit-Thouars  l'a  considérée  comme  le  ré- 
servoir de  la  nourriture  des  bourgeons';  mais  il 

'  Dans  une  suite  de  Mémoires  qui  vont  bientôt  paroître,  et  où  l'au- 
teur établit  un  nouveau  système  sur  la  véffétation.  Son  iJe'e  principale 
consiste  à  regarder  les  fibres  ligneuses  de  chaque  couche  comme  les 
racines  des  bourgeons  :  selon  lui,  à  mesure  que  le  bourgeon  se  déve- 


PHYSIOLOGIE.  209 

pense  aussi  qu'après  leruptioa  des  feuilles  elle  n'a 
plus  de  fonction  à  remplir. 

La  structure  de  la  fleur  a  encore  été  l'objet  des 
recherches  de  M.  Mirbel  :  il  a  montré  comment 
les  vaisseaux  passent  du  pédoncule  dans  les  diffé- 
rentes enveloppes  et  jusqu'au  placenta,  c'est-à-dire 
aux  attaches  des  graines. 

M.  Turpin  '  a  cru  reconnoître  la  voie  par  la- 
quelle la  fécondation  des  graines  s'exécute.  C'est 
un  petit  canal  qui  descend  du  pistil  et  pénétre  jus- 
qu'à la  graine;  il  le  nomme  micropyle,  Nissole  avoit 
anciennement  avancé  cette  opinion  ;  mais  on  l'a- 
voit  entièrement  oubliée. 

L'anatomie  particulière  de  la  graine  a  été  faite 
avec  beaucoup  de  soin ,  et  presque  en  même  temps, 
par  feu  Gaertner  ^  et  par  M.  de  Jussieu-^;  ils  ont 
sur-tout  appelé  l'attention  sur  un  corps  que  le  pre- 
mier nomme  albumen ,  et  le  second  périsperme,  et 
qui  se  trouve  dans  beaucoup  de  graines  indépen- 

loppe,  ses  racines  descendent  et  enveloppent  le  tronc  d'une  nouvelle 
couche  de  bois. 

'   Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle. 

^  Voyez  la  Carpologie  de  Gaerlner,  ouvra{ife  éminemment  classique, 
2  vol.  in-4°,  que  le  fils  de  ce  grand  observateur  continue  avec  zèle. 

'  Dans  son  Gênera  plantarum;  Paris,  1789,  i  vol.  in-8°. — Depuis 
la  rédaction  de  ce  travail,  M.  Richard  a  publié,  sur  la  structure  du 
fruit,  un  ouvrage  où  il  y  a  des  vues  intéressantes;  Analyse  du  Fi-uit , 
Paris,  1808,  I  voJ.  in-12.  Nous  en  rendrons  compte  dans  la  seconde 
partie  de  cette  histoire. 

l;UFI-0\.   COMPI.KM.  T.  I.  l4 


2IO  SCIENCES    PHYSIQUES. 

damment  des  enveloppes  ordinaires  et  des  parties 
connues  du  germe.  Sa  nature  varie  beaucoup;  c'est 
lui,  par  exemple,  qui  est  farineux  dans  les  céréales, 
corné  dans  les  rubiacées,  et  sur-tout  dans  le  café, 
charnu  dans  les  ombeliifères ,  etc.  :  mais  on  n'a 
sur  son  usage  que  des  idées  incertaines. 

Gaertner  distinguoit  encore  une  petite  partie  qu'il 
nomnioit  vltellus,  mais  qui  n'est,  selon  M.  Gorrea, 
qu'un  appendice  dilaté  de  la  radicule. 

Il  nous  reste  à  traiter  de  la  partie  dynamique  du 
grand  problème  de  la  vie,  ou  des  forces  qui  pro- 
duisent les  mouvements  nombreux  dont  nous 
avons  dit  qu'elle  se  compose.  G'est,  en  effet,  s'en 
faire  une  idée  fausse  que  de  la  considérer  comme 
un  simple  lien  qui  retiendroit  ensemble  les  élé- 
ments du  corps  vivant,  tandis  qu'elle  est,  au  con- 
traire, un  ressort  qui  les  meut  et  les  transporte 
sans  cesse  :  ces  éléments  ne  conservent  pas  un  in- 
stant les  mêmes  rapports  et  les  mêmes  connexions, 
ou,  en  d'autres  termes,  le  corps  vivant  ne  garde 
pas  un  instant  le  même  état  ni  la  même  composi- 
tion; plus  sa  vie  est  active,  plus  ses  échanges  et  ses 
métamorphoses  sont  continuels;  et  le  moment  in- 
divisible de  repos  absolu,  que  l'on  appelle  la  mort 
complète,  n'est  que  le  précurseur  des  mouvements 
nouveaux  de  la  putréfaction. 

G'est  ici  que  commence  Temploi  raisonnable  du 


PHYSIOLOGIE.  211 

terme  de  forces  vitales  :  pour  peu  que  Ion  étudie  en 
effet  les  corps  vivants,  on  ne  tarde  point  à  s'aper- 
cevoir que  leurs  mouvements  ne  sont  pas  tous  pro- 
duits par  des  chocs  ou  des  tiraillements  mécani- 
ques, et  qu'il  faut  qu'il  y  ait  en  eux  une  source 
constante  productrice  de  force  et  de  mouvement. 

L'exemple  le  plus  évident  est  celui  des  mouve- 
ments volontaires  des  animaux  :  chaque  ordre, 
chaque  caprice  de  leur  volonté,  produit  à  l'instant 
dans  leurs  muscles  une  contraction  que  le  calcul 
prouve  être  infiniment  supérieure  à  tous  les  agents 
mécaniques  imaginables. 

Lachimiemodernenousmontre,  à  la  vérité,  beau- 
coup d'exemples  de  mouvements  spontanés  très  vio- 
lents dans  les  dégagements  de  chaleur  ou  de  fluides 
élastiques  qui  résultent  du  jeu  des  affinités;  mais 
tous  les  efforts  des  physiologistes  n'ont  point  encore 
réussi  à  faire  de  cetordre  de  phénomènes  une  appli- 
cation positive  aux  contractions  de  la  fibre.  Si , 
comme  on  est  presque  obligé  de  le  penser,  l'entrée 
ou  le  départ  de  quelque  agent  loccasione,  il  faut 
que  cet  agent  soit  non  seulement  impondérable, 
mais  encore  entièrement  insaisissable  pour  nos  in- 
struments et  imperceptible  pour  nos  sens.  L'espoir 
que  pouvoient  donner  à  cet  égard  les  expériences 
galvaniques  s'est  évanoui ,  depuis  qu'on  n'a  vu  dans 
l'électricité  qu'un  agent  d'irritation  extérieur. 


•  4 


2  12  SCIErs^CES    PHYSIQUES. 

On  peut  donc  légitimement  considérer  Firrita- 
bilité  musculaire  comme  un  fait  jusqu'à  présent 
inexplicable,  ou  qui  ne  se  laisse  réduire  encore 
ni  à  l'impulsion  ordinaire  ni  même  à  Faitraction 
moléculaire,  si  ce  n'est  d'une  manière  vague  et  gé- 
nérale. 

On  peut  donc  aussi  adopter  ce  fait  comme  prin- 
cipe, et  remployer  en  cette  qualité  pour  l'explica- 
tion des  effets  de  détail  qui  en  dérivent. 

C'est  ce  que  l'on  a  fait;  et  Ton  n'a  point  tardé  à 
reconnoître  que  cette  irritabilité  de  la  fibre  produit 
non  seulement  les  mouvements  extérieurs  et  volon- 
taires ,  mais  qu'elle  est  encore  le  principe  de  tous 
les  mouvements  intérieurs  qui  appartiennent  à  la 
vie  végétative  et  sur  lesquels  la  volonté  n'a  point 
d'empire  ,  des  contractions  des  intestins  ,  de  celles 
du  cœur  et  des  artères ,  véritables  agents  de  tout  le 
tourbillon  vital;  elle  s'étend  même  visiblement  à 
une  foule  de  vaisseaux  et  d'organes ,  où  l'on  ne  peut 
apercevoir  de  fibres  cliarnues  proprement  dites  :  la 
matrice  en  est  un  exemple  très  frappant;  et  les 
artères,  les  vaisseaux  lymphatiques .,  les  vaisseaux 
sécrétoires ,  des  exemples  très  probables. 

Il  est  cependant  resté  long-temps  des  doutes  et 
des  dissentiments  sur  la  nature  de  ces  contractions 
intérieures.  Une  école  célèbre  vouloit  y  faire  inter- 
venir cette  autre  faculté  animale  que  l'on  appelle 


PHYSIOLOGIE.  2l3 

la  sensibilité,  et  persistoit  à  défendre  ce  que  Stahl 
nommoit  le  pouvoir  de  Came  sur  les  mouvements 
communément  pris  pour  involontaires. 

On  ose  croire  que  ces  oppositions  peuvent  être 
conciliées  par  Tunion  inîime  de  la  substance  ner- 
veuse avec  la  fibre  et  les  autres  éléments  organi- 
ques contractiles,  et  par  leur  action  réciproque, 
présentées  avec  tant  de  vraisemblance  par  les  phy- 
siologistes de  lecole  écossaise,  mais  qui  ne  sont 
guère  sorties  de  la  classe  des  hypothèses  que  par 
les  observations  de  la  période  actuelle. 

Ce  n'est  point  par  elle  seule  que  la  fibre  se  con- 
tracte, mais  par  Tinfluence  des  filets  nerveux  qui 
s'y  unissent  toujours.  Le  changement  qui  produit 
la  contraction  ne  peut  avoir  lieu  sans  le  concours 
des  deux  substances;  et  il  faut  encore  qu'il  soit  oc- 
casioné  chaque  fois  par  une  cause  extérieure,^  par 
un  stimulant. 

La  volonté  est  un  de  ces  stimulants  qui  a  ce  ca- 
ractère particulier  que  son  conducteur  est  le  nerf, 
et  que  c'est  du  cerveau  qu'elle  vient,  du  moins 
dans  les  animaux  d'ordre  supérieur  :  mais  elle  ex- 
cite l'irritabilité  à  la  manière  des  agents  extérieurs, 
et  sans  la  constituer;  car,  dans  les  paralytiques  par 
apoplexie,  l'irritabilité  se  conserve,  quoique  la  vo- 
lonté n'ait  plus  d'empire'. 

'   M.  INysteti  l'a  montré  encore  rcceinni^nt  par  des  expériences. 


2l4  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Ainsi  lit  ritabilité  dépend  bien  en  partie  du  nerf, 
sans  dépendre  pour  ceia  de  la  sensibilité  :  cette 
dernière  propriété,  plus  admirable  et  plus  occulte 
encore,  s'il  est  possible,  que  l'irritabilité,  ne  fait  ' 
qu'une  petite  partie  des  fonctions  du  système  ner- 
veux; et  c'est  par  un  abus  de  mots  qu'on  en  étend 
la  dénomination  aux  fonctions  de  ce  système  qui 
ne  sont  point  accompagnées  de  perception. 

L'uniformité  de  structure  et  la  nature  sécrétoire 
de  toutes  les  parties  médullaires  ou  nerveuses ,  pré- 
sumées en  quelque  sorte  par  M.  Platner',  qui  en 
faisoit  un  emploi  ingénieux  pour  défendre  le  sys- 
tème de  Stabl,  et  maintenant,  à  ce  qu'il  semble, 
directement  prouvées  par  les  observations  anatomi- 
ques  de  MM.  Prochaska  et  Reil^,  acbévent  de  faire 
concevoir  le  jeu  des  forces  du  corps  vivant,  sans 
obliger  d'attribuer,  comme  Stabl,  à  lame  raison- 
nable les  mouvements  involontaires.  Il  n'y  a  qu'à 
se  représenter  que  toutes  ces  parties  produisent 
l'agent  nerveux,  qu'elles  en  sont  les  seuls  conduc- 
teurs; c'est-à-dire  qu'il  ne  peut  être  transmis  que 
par  elles  seules,  et  qu'il  est  altéré  ou  consommé 
dans  ses  divers  emplois.  Alors  tout  paroît  simple  : 
une  portion  de  muscle  conserve  quelque  temps  son 

'   Nouvelle  Anthropologie  à  l'usage  des  médecins  et  des  philoso- 
phes, en  allemand;  Leipsick,  1790,  in-S". 

■   Voyez  les  ouvrages  anatomiques  cite's  plus  haut. 


PHYSIOLOGIE  21  5 

iiritabilité,  à  cause  de  la  portion  tie  nerf  qu'on 
arrache  toujours  avec  elle.  La  sensibilité  et  l'irrita- 
bilité s'épuisent  réciproquement  par  trop  d'exer- 
cice, parcequ'elles consomment  ou  altèrent  le  même 
ajjent.  Tous  les  mouvements  intérieurs  de  diges- 
tion,  de  sécrétion,  d'excrétion,  participent  à  cet 
épuisement,  ou  peuvent  l'amener.  Toute  excitation 
locale  sur  les  nerfs  amène  plus  de  sang,  en  augmen- 
tant l'irritabilité  des  artères,  et  l'afflux  du  sang 
augmente  la  sensibilité  locale,  en  augmentant  la 
production  de  l'agent  nerveux.  De  là  les  plaisirs  des 
titillations ,  les  douleurs  des  inflammations.  I^es  sé- 
crétions particulières  augmentent  de  même  et  par 
les  mêmes  causes;  etlmiagination  exerce  (toujours 
par  le  moyen  des  nerfs)  sur  les  fibres  intérieures 
artérielles  ou  autres ,  et  par  elles  sur  les  sécrétions, 
une  action  analogue  à  celle  de  la  volonté  sur  les 
muscles  du  mouvement  volontaire.   L'excitation 
locale,  portée  quelquefois  à  son  comble  dans  les 
blessures  ou  dans  certaines  maladies,  et  semblant 
attirer  violemment  à  son  foyer  toutes  les  forces  de 
la  vie,  épuise  le  corps  entier  :  de  là  ces  prétendus 
efforts  de  l'ame  pour  repousser  une  attaque  funeste. 
Gomme  chaque  sens  extérieur  est  exclusivement 
disposé  pour  se  laisser  pénétrer  seulement  par  les 
substances  qu'il  doit  percevoir,  de  môme  chaque 
organe  intérieur,  sécrétoire  ou  autre ,  est  aussi  plus 


2l6  SCIENCES    PHYSIQUES. 

excitable  par  tel  agent  que  par  tel  autre  :  de  là  ce 
qu'on  a  voulu  appeler  sensibilité  ou  vie  propre  des 
organes  y  et  Tinfluence  des  spécifiques  qui,  intro- 
duits dans  la  circulation  générale,  n'affectent  ce- 
pendant que  certaines  parties.  Enfin  si  l'agent 
nerveux  ne  peut  devenir  sensible  pour  nous  c'est 
^ue  toute  sensation  exige  qu'il  soit  altéré  d'une  ma- 
nière ou  d'une  autre,  et  qu'il  ne  peut  pas  s'altérer 
lui-même. 

Telle  est  l'idée  sommaire  que  Ton  peut ,  à  ce 
qu'il  nous  semble,  se  faire  aujourd'hui  du  jeu  mu- 
tuel et  général  des  forces  vitales  dans  les  animaux  ; 
mais  il  seroit  difficile  d'assigner  avec  précision  ce 
que  l'on  doit  à  chaque  physiologiste  en  particu- 
lier dans  ces  éclaircissements  de  la  plus  difficile  de 
toutes  les  sciences. 

Reconnoissant  le  vide  des  hypothèses  tirées  d'une 
mécanique  et  d'unechimie  imparfaites,  qui  avoient 
régné  pendant  le  dix-septième  siècle,  Stahl  se  jeta 
dans  une  extrémité  opposée ,  en  exagérant  les  idées 
de  Van-Helmont,  et  en  attribuant,  non  plus  à  un 
principe  spécial  nommé  arcliée  ou  ame  végétative  ^ 
mais  à  l'âme  raisonnable,  toutes  les  actions  vitales, 
même  celles  dont  elle  s'aperçoit  le  moins. 

Son  ingénieux  rival,  Frédéric  Hofman  ,  com- 
nfiença ,  à-peu-près  vers  le  même  temps,  à  donner  la 
première  indication  de  la  route  intermédiaire  que 


PHYSIOLOGIE.  217 

Ton  suit  aujourd'hui,  en  cherchant  à  distinguer  les 
facultés  propres  de  chaque  élément  organique. 

L'immortel  Haller  procéda  plus  rigoureusement 
à  l'analyse  de  ces  facultés;  mais,  trop  occupé  de 
cette  irritabilité  de  la  fibre,  dont  il  détermina  le 
premier  les  vrais  caractères,  il  n'accorda  point  assez 
à  l'influence  nerveuse,  sur  laquelle  ses  sentiments 
approchèrent  peut-être  moins  du  vrai  que  ceux 
d'Hofman. 

Il  eut  beaucoup  d'antagonistes,  dont  les  uns  se 
bornoient  à  combattre  ses  expériences ,  et  les  autres 
prétendirent  établir  des  systèmes  nouveaux.  En 
France  sur-tout ,  les  idées  de  Stahl ,  adoptées  par 
Sauvages,  modifiées  par  Bordeu ,  par  La  Case, 
furent  reproduites  par  Barthez  '  sous  une  forme  et 
avec  des  termes  nouveaux  qui  les  rapprochoient 
davantage  de  celles  de  Van-Helmont  :  mais,  outre 
l'espèce  de  contradiction  et  l'obscurité  métaphy- 
sique où  devoit  nécessairement  entraîner  une  pré- 
tendue sensibilité  locale  sans  perception,  admise 
dans  les  organes  particuliers  par  tous  ces  méde-  ' 
cins,  et  défendue  jusqu'à  nos  jours  par  quelques 
uns,  on  peut  reprocher  à  plusieurs  d'entre  eux 
d'avoir  abusé  de  ce  qu'ils  appeloient  principe  vital, 
en  employant  cet  être  occulte  d'une  manière  vague, 

'   Nouveaux  Eléments  de  la  Science  de  Vhomme,  deuxième  édition 
de  1806,  2  vol.  in-8". 


2  1  (S  SCIENCES    PHYSIQUES. 

pour  lui  attribuer,  sans  autre  développement,  tous 
les  phénomènes  difficiles  à  expliquer. 

Cullen,  Macbride,  Gregory,  en  Ecosse,  Gri- 
maud,  en  France,  prirent  une  route  plus  heu- 
reuse, et  rendirent  aux  nerfs  leur  véritable  rôle,  en 
le  limitant  avec  précision. 

La  théorie  de  l'excitation ,  si  renommée  dans  ces 
derniers  temps  par  son  influence  sur  la  pathologie 
et  sur  la  thérapeutique ,  n'est  au  fond  qu'une  modi- 
fication du  système  écossois,  dans  laquelle,  com- 
prenant sous  un  nom  commun  la  sensibilité  et  l'ir- 
ritabilité, on  se  retranche  dans  une  abstraction 
telle  que,  si  l'on  simplifie  la  médecine,  on  semble 
anéantir  toute  physiologie  positive. 

Il  a  fallu  que  les  découvertes  de  la  chimie  sur  les 
agents  impondérables  et  sur  leur  action  physique, 
souvent  si  prodigieuse,  vinssent  se  joindre  à  celles 
de  l'anatomie  sur  la  structure  uniforme  du  système 
nerveux ,  et  sur  ses  dégradations  dans  lechelle  des 
animaux,  pour  faire  concevoir  la  possibilité  de  re- 
venir à  un  classement  plus  particulier  des  phéno- 
mènes vitaux,  et  pour  rendre  à  l'analyse  des  forces 
propres  à  chaque  élément  organique ,  si  bien  com- 
mencée par  Haller,  le  crédit  et  l'activité  d'où  dé- 
pend, selon  nous,  le  sort  de  la  physiologie. 

Il  nous  paroît  donc  que  les  véritables  progrès 
que  cette  science  a  faits  dans  ces  derniers  tem])s 


PHYSIOLOGIE.  219 

sont  dus  à  ceux  qui  ont  combiné ,  avec  la  théorie 
de  l'action  nerveuse,  les  découvertes  modernes  de 
Tanatomie  et  de  la  chimie.  C'est  ainsi  que  Pro- 
chaska,  Sœmmering,Reil,  Rielmeyer,  Autenrieth, 
en  Allemagne;  Bichat,  en  France  (pour  ne  point 
parler  des  physiologistes  vivants  de  ce  pays,  et 
n'être  point  obligé  d'assigner  les  rangs  entre  nos 
maîtres,  nos  confrères,  et  nos  amis);  Fontana, 
Moscati,  Spallanzani,  en  Italie;  Hunter,  Home, 
Garlisle,  Gruikshank,  en  Angleterre,  ont,  de  notre 
temps,  développé  des  idées  ou  publié  des  expé- 
riences qui  resteront  toujours  comme  éléments 
essentiels  de  la  physiologie  générale  des  animaux , 
et  qu'une  foule  d'autres  hommes  de  mérite  ont  en- 
richi la  physiologie  particulière  des  organes  ou  des 
diverses  espèces. 

Plusieurs  ouvrages  élémentaires  et  généraux  ex- 
posent, avec  plus  ou  moins  d'étendue,  l'état  actuel 
de  la  science  ;  nous  distinguerons,  parmi  ceux  qu'a 
vus  naître  la  période  dont  nous  traçons  l'histoire, 
en  France,  ceux  de  MM.  Dumas  '  et  Richerand  ^  ;  et 
en  iVUeraagne,  celui  de  M.  Autenrieth  ^,  et  celui  de 

'  Principes  de  Physiologie,  première  édition;  Paris,  4  vol.  iii-S"; 
deuxième  édition,  ibid.,  1806. 

*  Nouveaux  Éléments  de  Physiologie,  2  vol.  in-8°;  la  quatrième 
édition  est  de  1807. 

^  Manuel  de  Physiologie  humaine  expérimentale ,  en  allemand , 
3  vol.  in-S",  lab.  1801-1802. 


220  SCIENCES    PHYSIQUES. 

M.  Walther  de  Landsliuth,  qui  se  distingue  par 
un  emploi  fréquent  de  Fanatomie  comparée,  mais 
qui  se  livre  un  peu  trop  à  la  marche  vague  et  con- 
jecturale aujourd'hui  si  en  vogue  dans  son  pays. 

G  est  en  effet  ici  que  Ton  nous  demandera  compte 
des  nouveaux  systèmes  de  physiologie  qu'a  pro- 
duits en  Allemagne  cette  métaphysique  appelée 
piiilosophie  de  la  nature^  dont  nous  avons  déjà  dit 
«juelques  mots  en  général  ;  mais  nous  avouerons 
que,  malgré  l'étude  que  nous  avons  faite  de  cette 
manière  de  philosopher,  nous  avons  encore  peine 
à  croire  que  nous  l'ayons  hien  saisie  et  que  nous 
soyons  en  état  d'en  donner  une  idée  juste ,  tant  elle 
nous  paroît  contradictoire  avec  le  mérite  et  l'esprit 
de  plusieurs  de  ceux  qui  l'emploient. 

Partant  de  ces  anciennes  spéculations  métaphy- 
siques, où  tantôt  les  phénomènes  sont  considérés 
comme  de  simples  modifications  du  moi ,  tantôt 
les  êtres  existants  sont  regardés  comme  des  émana- 
tions de  la  substance  suprême,  tantôt  enfin  l'uni- 
vers entier  est  censé  l'être  unique  dont  tous  les 
autres  êtres  ne  sont  que  des  manifestations;  por- 
tant ces  spéculations  à  un  degré  d'abstraction  tel 
(juela  grande  et  simple  unité,  seule  existante  par 
elle-même,  ne  produit  (comme  ils  disent)  les  au- 
tres existences  qu'en  se  différenciant  en  qualités 
opposées,  qui  s'anéantissent  réciproquement,  d'où 


PHYSIOLOGIE.  221 

il  résulte  que  l'existence  suprême  ne  seroit  rien  au 
fond;  les  partisans  de  cette  méthode  ont  cherché 
à  redescendre  de  leurs  conceptions  ahstraites  aux 
faits  positifs  pour  les  en  déduire  rationnellement; 
et ,  comme  on  le  devine  aisément ,  c'est  sur  les  par- 
ties les  plus  obscures  des  sciences  naturelles  qu'ils 
ont  dû  le  plus  s'exercer. 

Aussi  est-ce  principalement  en  physiologie  et  eu 
médecine  que  cette  sorte  de  philosophie  s'est  intro- 
duite ,  cherchant  sur- tout  à  faire  considérer  les  or- 
ganisations partielles  comme  des  membres  du  grand 
tout,  de  la  grande  organisation,  et  à  les  soumettre 
aux  lois  imaginées  pour  celle-ci  :  mais  ce  projet  im- 
posant ne  s'est  exécuté  jus(|u'à  présent  qu'en  pas- 
sant continuellement  et  brusquement,  sans  règle 
ûxe^  de  la  métaphysique  à  la  physique;  qu'en  ap- 
pliquant sans  cesse  un  terme  moral  à  un  phéno- 
mène physique,  et  réciproquement;  qu'en  em- 
ployant des  métaphores  au  lieu  d'arguments  :  en 
un  mot  cette  méthode,  qui  d'ailleurs  n'a  fait  dé- 
couvrir jusqu'à  présent  aucun  fait  nouveau  auquel 
on  n'ait  pu  arriver  aussi  par  la  marche  ordinaire, 
est  telle  que  l'on  a  peine  à  concevoir  la  fortune 
qu'elle  a  faite  dans  un  pays  renommé  par  sa  raison 
et  par  sa  logique,  et  comment  elle  y  a  trouvé  des 
partisans  parmi  des  hommes  d'un  talent  réel,  et 
dont   les  expériences   ont    d'ailleurs   enrichi    les 


222  SCIENCES    PHYSIQUES. 

sciences  de  faits  précieux  que  nous  avons  cher- 
ché à  recueilHr  dans  cette  histoire,  aux  endroits  où 
il  convenoit  de  les  placer  '. 

Pour  la  physiolo^orie  comme  pour  lanatomie ,  les 
véfifétaux  sont  enveloppés  de  plus  d'obscurité  que 
les  animaux.  Les  nerfs  et  la  sensibilité  leur  man- 
quent ;  mais  n  ont-ils  point  quelque  force  contrac- 
tile plus  ou  moins  analogue  à  l'irritabilité? 

'  Les  Archives  physiologiques  de  MM.  Reil  et  Autenrieth  {^Halle 
en  Saxe,  en  allemand),  dont  il  a  paru  sept  volumes  in-^8°  depuis  lyg^^), 
sont  le  recueil  le  plus  intéressant  des  mémoires,  dissertations,  et 
autres  ouvrages  ,  relatifs  à  la  physiologie ,  sans  acception  de  système. 
Mais  pour  connoître  la  marche  ou  plutôt  les  marches  divergentes  et 
souvent  très  opposées  de  la  physiologie,  dans  l'école  appelée  de  la 
Physiologie  de  la  nature,  il  faut  lire  d'abord  l'écrit  sur  l'Orne  du 
monde,  179^;  le  premier  Essai  d'tui  système  de  Physiologie  de  la 
nature,  par  M.  Schelling  ;  Yéna  et  Leipsick ,  1799,  in-S";  et  suivre 
ensuite  les  applications  de  cette  doctrine,  faites  soit  par  l'auteur  lui- 
même  dans  divers  autres  écrits ,  dans  son  Journal  pour  la  Physique 
spéculative,  et  dans  celui  qu'il  donne  avec  M.  Marcus ,  sous  le  titre 
^ Aiinales  de  la  Médecine  ;  soit  par  ceux  qui  ont  plus  ou  moins  adopte 
ses  principes,  quoiqu'il  soit  loin  de  les  avouer  tous  comme  ses  élèves. 
Les  Physiologies  de  MM.  Domling  et  Treviranus  ,  les  idées  sur  la  Pa- 
thogénie et  sur  la  Théorie  de  l'excitation,  par  M.  Roschlaub,  appar- 
tiennent plus  ou  moins  à  ce  système.  On  peut  compter  parmi  les  plus 
récents  de  ses  sectateurs  ,  et  parmi  ceux  qui  ont  mis  la  hardiesse  la 
plus  extraordinaire  dans  leurs  conceptions ,  M.  Steffens,  dans  son 
Histoire  naturelle  intérieure  de  la  terre ,  et  dans  son  Esquisse  d'une 
Physique  philosophique  ;  M.  Oken  ,  dans  sa  Biologie  ,  dans  ses  Maté- 
riaux pour  la  Zoologie,  l'Anatomie,  et  la  Physiologie  comparées,  et 
dans  quelques  autres  petits  écrits ,  tels  que  celui  qui  porte  pour  litre 
l'Univers  continuation  du  système  sensitif  ;  Yéna,  1808. 


PHYSIOLOGIE.  22.3 

Long -temps  on  a  cru  le  mouvement  de  leurs 
fluides  suffisamment  expliqué  par  la  succion  ca- 
pillaire de  leurs  racines  et  de  leur  tissu  ,  par  l'hu- 
midité du  sol  où  s'enfonce  leur  partie  inférieure, 
et  par  Fcvaporation  plus  ou  moins  forte  qui  se  fait 
à  la  grande  surface  de  leur  cime,  au  moins  pendant 
le  jour  ;  et  il  est  certain  que  leurs  vaisseaux  peuvent 
transmettre  dans  tous  les  sens  les  liquides  qu'ils 
contiennent,  qu'on  peut  retourner  un  arbre,  et 
faire  donner  des  bourgeons  h  ses  racines  et  du  che- 
velu à  ses  branches,  etc.  Cependant  on  a  objecté 
que  la  sève  monte  avec  plus  de  force  au  printemps 
lorsque  les  feuilles  n'ont  pas  encore  épanoui  leur 
surface;  qu'elle  monte  et  jaillit  encore  en  abon- 
dance d'une  tige  dont  on  a  coupé  la  cime,  ainsi  que 
Fa  fait  remarquer  M.  Brugmans  '  ;  que  les  pleurs  de 
la  vigne  sont  un  phénomène  du  même  genre  où  ni 
la  succion  ni  l'évaporation  ne  peuvent  avoir  part. 
M.  Van-Marum  a  même  fait  voir  que  l'électricité 
arrête  les  ascensions  de  sève,  comme  elle  détruit 
l'irritabilité  animale. 

Tout  rend  donc  vraisemblable  qu'il  existe  aussi 
dans  le  tissu  végétal  une  force  particulière  em- 
ployée à  en  faire  mouvoir  les  sucs,  et  que  l'on  peut 
croire  produite  par  le  développement  de  quelque 

'   Brugmans  et  Vitringa-Coulomb,  De  niutata  humorum  indole  in 
regno  organico,  à  vi  vitali  vaaonim  derivanda ;  Leyde,  1789,  in-8". 


224  SCIEiNGES    PHYSIQUES. 

agent  imporjdérable  :  mais  elle  doit  être  foible  ;  les 
exemples  évidents  en  paroissent  rares,  et  sa  nature 
et  son  siège  sont  également  inconnus;  peut-être 
même  na-t-elle  point  de  tendance  fixe  vers  un 
point  plutôt  que  vers  un  autre,  et  la  position  du 
végétal  rompt-elle  seule  lequilibre. 

Cette  détermination  des  forces  générales  propres 
aux  corps  vivants,  de  leurs  rapports  mutuels,  de  ce 
qui  les  entretient  ou  les  affoiblit,  constitue  la  phy- 
siologie générale,  leur  application  à  chaque  fonc- 
tion, au  moyen  de  la  structure  découverte  par 
lanatomie  dans  chaque  organe,  est  l'objet  de  la 
physiologie  particulière. 

Ici  encore  Fépoque  actuelle  a  été  assez  féconde. 

La  respiration  se  présente  à  nous  la  première 
comme  la  plus  importante  des  fonctions  :  le  chan- 
gement chimique  qui  en  fait  l'essence  a  été  exposé 
ci-dessus;  le  sang  s'y  décarbonise  et  y  prend  de  la 
chaleur  et  une  couleur  vermeille. 

La  quantité  de  l'air  inspiré,  celle  de  l'oxygène 
consommé,  celle  de  l'acide  carbonique  et  de  l'eau 
produits,  ont  été  l'objet  des  recherches  longues  et 
pénibles  de  MM.  Menziez%  Seguin  %  et  autres  mé- 
decins et  chimistes  :  faction  de  l'oxygène  sur  du 
sang ,  même   au   travers  du   tissu    membraneux 

'   Annales  de  Chimie,  t.  VUI,  p.  211. 
-    Ibùl.y  t.  XX,  p.  225. 


PHYSIOLOGIE.  225 

d'une  vessie,  a  été  vérifiée  par  M.  Hassenfratz'. 

On  doutoit  du  lieu  précis  où  ce  chanpfement 
s'opère.  Des  expériences  très  ingénieuses  de  Bichat 
ont  prouvé  que  c'est  au  passage  même  des  artères 
dans  les  veines  pulmonaires  et  d'une  manière  su- 
bite que  le  sang  devient  rouge  ^. 

On  disputoit  sur  les  effets  immédiats  de  ce  chan- 
gement et  sur  la  cause  de  la  mort  par  asphyxie  :  les 
expériences  de  Godwin  ^  ont  eu  pour  objet  de  mon- 
trer que  le  sang  a  besoin  d  avoir  respiré  pour  exci- 
ter les  contractions  du  cœur.  Des  expériences  ana- 
logues de  M.  Nysten  ont  fait  voir  que  des  différents 
gaz  que  l'on  peut  injecter  dans  le  cœur,  loxygène 
est  celui  qui  en  stimule  le  plus  puissamment  les 
contractions:  l'hydrogène  sulfuré,  après  les  avoir 
excitées  d'abord  mécaniquement,  les  anéantit  bien- 
tôt. Mais  cet  effet  de  la  respiration  sur  le  cœur 
n'est  qu'un  cas  particulier  d'une  loi  générale.  Des 
expériences  nombreuses,  dont  la  plupart  sont  en- 
core de  Bichat,  ont  appris  que  c'est  la  respiration 
qui  donne  essentiellement  au  sang  le  pouvoir  d'en- 
tretenir par-tout  la  force  musculaire,  et  par  consé- 

'   Annales  de  Chimie,  t.  IX,  p.  261. 

^  Voyez  l'Anatomie  générale  de  Bichat;  Paris,  an  10-1801,  4  vol. 
in-8";  et  son  ingénieux  Traité  de  la  vie  et  de  la  mort;  Paris,  an  8, 
1  vol.  in-8°. 

^  La  Connexion  de  la  vie  avec  la  respiration,  en  anglois,  traduit 
par  M.  Halle;  Londres,  1789. 

BOFFON.    COMPLÉM.  T.   I.  ,  I  J 


226  SCIENCES    PHYSIQUES. 

(juent  l  énergie  des  mouvements  volontaires,  et  de 
tout  le  jeu  intérieur  de  la  circulation  et  des  sécré- 
tions :  mais  Bichat  pense  que  c  est  par  Tinterméde 
du  cerveau  et  du  système  nerveux  que  le  sang 
exerce  ce  pouvoir  sur  la  fibre. 

La  qualité  délétère  des  gaz  différents  de  l'oxy- 
gène ou  de  l'air  commun  a  été  en  quelque  sorte  me- 
su rée  et  comparée  par  des  expériences  faites  à  TÉcole 
de  médecine  de  Paris,  et  auxquelles  MM,  Ghaussier, 
Thénard,  et  Dupuytren  ont  principalement  con- 
tribué. Le  gaz  bydrogène  sulfuré  est  le  plus  perni- 
cieux de  tous,  soit  quant  à  1  étendue  du  mal,  soit 
quant  à  sa  promptitude,  soit  quant  à  la  difficulté 
d'y  remédier  ;  l'hydrogène  carboné  vient  après ,  en- 
suite l'acide  carbonique  :  ils  agissent  tous  les  trois 
comme  vrais  poisons,  et  non  pas  seulement  oarce- 
qu'ilsne  contiennent  point  d'oxygène  libre.  L'azote 
et  Ihydrogène  pur  au  contraire  n'ont  qu'un  effet 
négatif,  ils  se  bornent  à  ne  point  fournir  au  sang 
le  principe  que  l'oxygène  seul  peut  lui  donner. 

Ces  premiers  gaz  ont  aussi  un  effet  funeste  quand 
on  les  introduit  dans  le  corps  par  l'absorption  cuta- 
née, les  plaies  ou  les  premières  voies  ;  M.  Ghaussier 
s'en  est  assuré  par  des  expériences  très  bien  faites. 
Les  expériences  de  M.  Nysten  sur  le  cœur,  dont 
nous  venons  de  j)arîcr,  rentrent  dans  la  règle  géné- 
rale établie  par  celles-ci. 


PHYSIOLOGIE.  227 

Le  concours  des  nerfs  qui  se  distribuent  dans  le 
poumon  et  qui  animent  son  tissu,  et  particulière- 
ment ses  artères ,  est  nécessaire  pour  que  l'air  exerce 
toute  son  action  sur  le  sang  au  travers  des  tuniques 
de  ces  vaisseaux.  M.  Dupuytren  Ta  prouvé  en  cou- 
pant les  nerfs  de  la  huitième  paire  dans  des  chevaux 
et  dans  des  chiens  :  le  diaphragme  et  les  côtes  a  voient 
beau  continuer  leur  jeu,  le  sang  restoit  noir. 

La  chaleur  animale,  l'un  des  plus  importants 
résultats  de  la  respiration  ,  est  à-peu-près  constante 
pour  chaque  espèce  et  même  pour  chaque  classe , 
et  se  maintient  malgré  le  froid  extérieur,  comme 
il  étoit  naturel  de  l'attendre,  puisque  sa  source  est 
constamment  active  ;  mais  un  phénomène  plus  sin- 
gulier c'est  qu'elle  se  maintient  pendant  quelque 
temps  même  dans  un  milieu  beaucoup  plus  chaud , 
comme  si  la  respiration  devenoit  alors  subitement 
capable  de  produire  du  froid.  Cette  conclusion,  qui 
sembloit  résulter  des  expériences  de  Fordice,  de 
Grawford  ,  etc.,  a  été  soumise  à  un  nouvel  examen 
par  deux  jeunes  médecins,  MM.  Delaroche  et  Ber- 
ger ^  Ils  ont  rendu  très  vraisemblable  que  l'aug- 
mentation de  transpiration  et  d'évaporation ,  jointe 
à  la  qualité  peu  conductrice  du  corps  vivant  pour 
la  chaleur,  est  ce  qui  le  met  en  état  de  résister  ainsi 

'   Expériences  sur  les  effets  qu'une  forte  chaleur  produit  dans  l'e'- 
conomie  animale;  Paris,  1806,  in-4". 


I  ;>. 


228  SCIENCES    PHYSIQUES. 

pendant  quelque  temps  aux  causes  extérieures  de- 
chauffement. 

Au  reste  il  ne  faut  pas  voir  seulement  dans  la 
transpiration  une  évaporation  d  humidité;  eiie  est 
aussi,  à  d'autres  égards,  une  fonction  analo.^jue  à  la 
respiration,  et  qui  enlève  le  carbone  du  corps  en 
!e  combinant  à  l'oxygène  de  l'atmosphère.  Ainsi  la 
peau  tout  entière  respire  jusqu'à  un  certain  point 
et  rentre  par  conséquent  sous  la  loi  générale  de 
toutes  les  parties  vivantes  où  l'air  peut  parvenir; 
loi  que  nous  avons  exposée  ci-dessus  d'après  Spal- 
lanzani. 

M.  Gruikshank  '  Favoit  annoncé  dès  1779- 
MM.  Lavoisier  et  Seguin  l'ont  montré  plus  rigou- 
reusement par  des  expériences  pénibles  et  ingé- 
nieuses :  chacun  sait  comment  un  crime  à  jamais 
déplorable  les  a  interrompues. 

La  digestion  ,  ou  cette  première  préparation  des 
aliments  pour  les  rendre  propres  à  fournir  du 
chyle,  n'avoit  guère  commencé  à  être  bien  étudiée 
que  par  Réaumur.  Spallanzani  a  développé  les  ex- 
périences de  cet  ingénieux  physicien,  et  a  donné 
au  suc  gastrique  beaucoup  de  célébrités  Toutes  les 

'    Expériences  sur  la  transpiration  insensible,  pour  montrer  son  af- 
Hnitë  avec  la  respiration;  en  anglois  ;  Londres,  1779-1795. 

'  Expériences   sur  la  digestion,   traduit  par  Seunebier  ;   Genève, 

1783. 


PHYSIOLOGIE.  229 

substances  alimentaires  se  dissolvent  clans  ce  sin- 
gulier liquide  ;  et  les  divers  appareils  de  trituration 
que  Ton  remarque  dans  les  estomacs  de  plusieurs 
animaux  ne  lui  servent  que  d auxiliaire,  en  sup- 
pléant à  une  mastication  im])arfaite.  Les  aliments, 
ainsi  réduits  en  une  bouillie  bomogène,  passent 
dans  Tintestin  où  la  bile  paroît  opérer  une  préci- 
pitation de  la  matière  excrémentielle  et  en  séparer 
le  cbyle  propre  à  être  absorbé.  Outre  cet  emploi 
de  la  bile,  M.  Fourcroy  a  montré  qu'étant  formée 
d'une  grande  partie  des  principes  combustibles  du 
sang,  elle  donne  lieu  de  considérer,  sous  ce  rap- 
port, le  foie  comme  un  véritable  auxiliaire  du  pou- 
mon. 

La  rate  est  de  tous  les  viscères  abdominaux  celui 
dont  \vs  fonctions  paroissent  les  plus  obscures,  et 
donnent  encore  lieu  à  plus  de  rechercbes  et  de  sup- 
positions. On  ne  lui  a  vu  long-temps  d'autre  emploi 
que  de  fournir  au  foie  le  sang  qu'elle  reçoit,  et 
(qu'elle  prépare  pour  augmenter  la  matière  d'où 
doit  sortir  la  bile.  M.  Morescbi ,  de  Pavie  ',  dans  un 
ouvrage  plein  d'observations  exactes  d'anatomie 
comparée,  a  cberché  à  montrer  que  la  rate  a  des 
rapports  plus  immédiats  avec  les  fonctions  de  l'es- 
tomac ;  que  son  volume  est  proportionné  à  la  force 
digestive  de  plusieurs  animaux  ;  et  que  c'est  proba- 

'   Del  vero  e  primario  uso  délia  rnilza  ;  jMilau,  i8()3. 


23o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

blement  parceqiie  la  compression  de  la  rate,  quand 
l'estomac  est  plein,  fait  refluer  vers  ce  dernier  vis- 
cère une  partie  du  sang  destiné  au  premier,  et  aug- 
mente ainsi  la  sécrétion  du  fluide  gastrique. 

L'estimation  mathématique  des  forces  qui  pro- 
duisent la  circulation  a  beaucoup  occupé  autrefois 
les  physiologistes.  On  a  reconnu  que  c'est  un  pro- 
blème insoluble  dans  l'état  actuel  des  sciences  :  ce- 
pendant on  peut  rechercher  quels  agents  y  ont 
part.  Les  fibres  musculaires  du  cœur  sont  sans 
contredit  le  principal  ;  mais  sont-elles  aidées  par 
celles  des  artères?  On  l'a  contesté:  mais  une  foule 
de  phénomènes  le  rendent  vraisemblable,  dans  les 
animaux  voisins  de  l'homme;  et  cependant  on  en 
voit  aussi  où  des  artères  entièrement  inflexibles 
exigent  que  faction  du  cœur  s'étende  immédiate- 
ment jusqu'aux  plus  petits  rameaux  du  système 
circulatoire. 

La  nutrition  proprement  dite ,  ou  le  dépôt  que  le 
sang  fait  des  molécules  nouvelles  pour  accroître  les 
solides  ou  pour  les  entretenir,  a  aussi  été  l'objet  de 
grandes  recherches. 

M.  Scarpa  '  s'est  occupé  de  celle  des  os,  sur  la- 
quelle on  avoit  diverses  opinions  depuis  Malpighi, 
Gagliardi,  et  Duhamel.  Il  a  montré  qu'on  se  faisoit 
des  idées  fausses  de  leur  tissu ,  en  se  le  représentant 

'   De  peu  itioriossium  structura  Comtnentariusi  Leips.,  ï799i  in-4'. 


PHYSIOLOGIE.  23  I 

oomiiie  composé  de  lames  et  de  fibres  rég^iilières  ; 
ïiiais  qu'il  est  toujours  cellulaire,  et  que  ses  parties 
les  plus  évidemment  fibreuses  sont  toujours  for- 
mées de  fibres  ramifiées  et  réticulaires  :  c'est  en  se 
déposant  dans  les  cellules  des  cartilao^es  que  le  pbos- 
pliate  de  chaux  donne  ces  apparences  au  tissu  os- 
seux . 

L'accroissement  des  dents  ne  se  fait  pas  de  la 
même  manière  que  celui  des  os.  John  Hunter  '  a 
fait  voir  que  leur  substance  extérieure  est  excrétée 
par  couches  de  la  surface  de  leur  noyau  pulpeux  , 
sans  conserver  de  connexion  orfj^anique  avec  lui ,  et 
qu'en  même  temps  leur  émail  est  déposé  sur  elles 
en  fibres  perpendiculaires  par  la  capsule  membra- 
neuse qui  les  revêt.  Une  troisième  substance  qui 
enveloppe  l'émail  dans  certains  animaux  est  éfjale- 
ment  déposée  après  l'émail  et  par  la  même  mem- 
brane. Ce  dernier  point  a  été  bien  développé  par 
M.BIake\ 

M.  Cuvier^  paroît  avoir  mis  hors  de  doute  tous 
ces  phénomènes,  en  les  vérifiant  sur  les  énormes 
dents  de  l'éléphant,  où  il  est  très  aisé  de  les  suivre. 
Aussi  les  dents  peuvent-elles  être  entamées,  usées. 

Histoire  naturelle  des  Denis,  en  anglois;  i  vol.  in-4''. 

'  Essai  sur  la  structure  et  la  formation  des  Dents  dans  l'homme  et 
divers  animaux,  en  anjrlois  ,  par  Robert  Blacke  ;  Dublin,  1801,  i  vol. 
in-8°. 

*  Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  t.  VIII,  p.  pS. 


232  SCIENCES    PHYSIQUES. 

sans  éprouver  les  mêmes  accidents  que  les  os;  il  faut 
même  que  celles  des  animaux  herbivores  le  soient. 
M.  Tenon',  dans  un  grand  et  beau  travail  sur  ce 
sujet,  a  montré  jusqu'à  quel  point  va  cette  détri- 
tion ,  et  comment ,  à  mesure  qu  elle  emporte  la  cou- 
ronne de  la  dent,  celle-ci  salonge  de  nouveau  du 
côté  de  sa  racine;  jusqu'à  ce  que,  ce  supplément 
venant  à  finir,  elle  s'use  et  tombe  définitivement.  Il 
a  fixé  avec  une  précision  toute  nouvelle  les  époques 
de  l'éruption,  de  la  chute,  et  du  remplacement  de 
chaque  dent  dans  plusieurs  animaux,  et  fait  con- 
rioître  une  multitude  de  changements  singuliers 
que  Tétat  variable  des  dents  amène  successivement 
dans  l'organisation  des  mâchoires. 

Les  dents  se  trouvent  reportées  par-là  dans  la 
grande  classe  des  substances  qui  recouvrent  les 
parties  extérieures,  et  qui  croissent  toutes  par  addi- 
tion de  couches  nouvelles  sous  les  précédentes;  les 
poils, les  cheveux,  les  ongles,  les  cornes,  les  becs, 
les  écailles,  les  têts, les  coquilles,  les  corps  durs  qui 
arment  l'intérieur  de  certains  estomacs,  sont  dans 
ce  cas,  et  sont  tous  insensibles,  et  susceptibles 
d'être  mutilés  sans  douleur  et  sans  danger  :  c'est  le 
noyau  intérieur  qui  s'enflamme  et  devient  doulou- 
reux dans  la  dent,  et  non  la  dent  elle-même.  Les 
substances  pierreuses  des  coraux  croissent  aussi  par 

'  Mémoires  de  l'Institut,  Sciences  mathématiques  et  physiques,  t.  I. 


PHYSIOLOGIE.  233 

couches ,  mais  dont  les  dernières  enveloppent  les 
précédentes,  comme  dans  les  arbres. 

Les  organes  extérieurs  des  sensations  sont  de 
tout  le  corps  vivant  ceux  qui  se  prêtent  à  un  plus 
grandnombred'applicationsdes  sciences  physiques. 

Tout  ce  qui  se  passe  dans  Fœil ,  par  exemple, 
jusqu'au  moment  où  l'image  visuelle  se  peint  sur  la 
rétine,  se  réduit  à  des  opérations  d'optique,  que 
l'on  a  comparées  avec  raison  à  celles  de  la  chambre 
obscure  :  mais  Tœil  a  deux  propriétés  essentielles 
qui  manquent  à  cet  instrument;  celle  de  rétrécir  ou 
d'élargir  son  entrée,  qui  est  la  pupille ,  selon  l'abon- 
dance ou  la  rareté  de  la  lumière,  et  celle  de  rappro- 
cher ou  d'éloigner  son  foyer  suivant  la  distance  de 
l'objet  qu'il  faut  voir.  Cette  dernière  faculté  sur-tout 
est  très  étendue  dans  certaines  espèces,  et  particu- 
lièrement dans  les  oiseaux ,  obligés  de  voir  égale- 
ment bien  leur  proie  du  haut  des  nues ,  pour  diri- 
ger leur  vol  sur  elle ,  et  tout  près  de  terre ,  pour  la 
saisir. 

Les  moyens  que  la  nature  emploie  pour  arriver 
à  ce  double  but  dans  les  diverses  classes  ont  fait 
l'objet  de  longues  recherches  pour  MM.  Olbers, 
Porterfield  ,  Hunter,  Home,  et  Young '. 

On  peut  imaginer  pour  cela  ,  ou  que  la  cornée 

'   Voyez  sur-tout  le   Mémoire   sur  l'œil  par  M.  Young,  clans  les 
Transactions  philosophiques  de  1801. 


234  SCIENCES   PHYSIQUES. 

chaDge  de  convexité  ,  ou  que  c'est  le  cristallin  ,  ou 
que  Taxe  de  Fœil  change  sa  longueur,  et  par  consé- 
([uent  la  distance  de  sa  rétine ,  ou  enfin  que  le  cris- 
tallin change  sa  position.  Lequel  de  ces  moyens  est 
le  vrai?  Le  premier  et  le  troisième  seuls  peuvent 
être  les  objets  d'une  mesure  immédiate.  M.  Young 
a  montré  d'une  manière  ingénieuse  qu'ils  ne  con- 
trihuent  point  sensihlement  à  l'effet  qu'on  désire 
expliquer  ;  il  a  donc  recours  au  deuxième  ,  c'est-à- 
dire  à  la  variation  du  cristallin  :  mais  Fanatomie 
nous  paroît  y  répugner;  le  cristallin  est  souvent  dur 
comme  de  la  pierre.  Peut-être  le  quatrième  moyen 
est-il  le  principal;  et  il  nest  pas  nécessaire  de  sup- 
poser de  vrais  muscles  qui  agissent  sur  le  cristallin  : 
on  peut  penser  aussi  qu'il  est  mû  par  un  change- 
ment analogue  à  l'érection  qui  auroit  lieu ,  soit  dans 
les  procès  ciliaires ,  soit  dans  une  membrane  parti- 
culière aux  oiseaux  qui  se  nomme  le  peigne;  elle 
part  du  fond  de  l'œil ,  et  s'attache  dans  le  tissu  vitré, 
non  loin  du  cristallin.  Les  oiseaux  auroient  donc  le 
moyen  le  plus  puissant  de  changer  leur  foyer,  ainsi 
que  leur  genre  de  vie  l'exige. 

Gomme  plusieurs  paires  de  nerfs  se  distribuent 
à  la  langue,  on  n'étoit  pas  entièrement  certain  de 
celle  qui  reçoit  la  sensation  du  goût ,  quoique  la 
facilité  de  suivre  les  filets  de  la  cinquièmejusqu'aux 
papilles  de  cet  organe  semblât  prouver  beaucoup 


PHYSIOLOGIE.  235 

Cil  sa  faveur.  ï^e  galvanisme  a  démontré  à  M.  Du- 
puytren  ce  que  Fanatomie  annoncoit.  La  lan^fjue 
n'est  entrée  en  convulsion  que  par  l'excitation  de  la 
neuvième  paire  ;  la  cinquième,  ne  la  mouvant  point, 
doit  donc  être  l'organe  de  la  sensibilité.  En  effet 
quand  cette  paire  se  paralyse  la  langue  ne  savoure 
plus  rien. 

Nous  avons  déjà  annoncé  que  les  recherches  de 
Scarpa  et  de  Gomparetti  ont  placé  dans  la  pulpe  du 
labyrinthe  membraneux  le  véritable  siège  de  l'ouïe. 
On  explique  parl-à  l'effet  de  l'ébranlement  du  crâne 
par  les  corps  sonores ,  (jui  fliit  entendre  les  per- 
sonnes dont  la  surdité  ne  vient  que  de  l'obstruction 
du  canal  extérieur  de  l'oreille.  C'est  seulement  de 
cette  manière  qu'entendent  les  poissons,  attendu 
qu'ils  n'ont  point  de  canal  externe. 

Tout  le  monde  sait  (jue  la  production  d'une  jjer- 
ception  ,  ou  cette  action  des  corps  extérieurs  sur  le 
moi ,  d'où  résulte  une  sensation  ,  une  image ,  est  un 
problème  à  jamais  incompréhensible,  et  qu'il  existe 
en  ce  point,  entre  les  sciences  physiques  et  les 
sciences  morales,  un  intervalle  que  tous  les  efforts 
de  notre  esprit  ne  pourront  jamais  combler. 

IjCS  sciences  morales  commencent  au-delà  de 
cette  limite  :  elles  montrent  comment  de  ces  sensa- 
tions répétées  naissent  les  idées  particulières  ;  de  la 
comparaison  de  celles-ci ,  les  idées  générales  ;  des 


236  SCIENCES    PHYSIQUES. 

combinaisons  d'idées,  les  jupements  \  et  de  ceux-ci , 
les  rciisonnements  et  la  volonté. 

Mais  les  sciences  physiques ,  de  leur  côté ,  ne  s'ar- 
rêtent pas  à  beaucoup  près  à  l'impression  reçue  par 
le  sens  extérieur;  ce  n'est  pas  celle-là  que  perçoit  le 
moi  ;  il  faut  qu'elle  se  transmette  plus  loin,  qu'elle 
arrive  jusqu'au  cerveau  ;  et  comme  les  ju.fi^ements 
ne  s'opèrent  que  sur  les  idées  reproduites  par  la 
mémoire,  il  faut  que  cette  action  ,  une  fois  reçue 
dans  le  cerveau ,  y  laisse  des  traces  plus  ou  moins 
durables.  Le  cerveau  est  donc  à-la-fois  le  dernier 
t^rme  de  l'impression  sensible  et  le  réceptacle  des 
imagées  que  la  mémoire  et  l'imagination  soumettent 
à  l'esprit.  Il  est,  sous  ce  rapport,  l'instrument  ma- 
tériel de  l'ame;  et  le  plus  ou  moins  de  facilité  qu'il  a 
de  recevoir  les  impressions ,  de  les  reproduire 
promptement,  vivement,  régulièrement,  et  abon- 
damment, et  d'obéir  en  cela  aux  ordres  de  la  vo- 
lonté ,  influe  de  la  manière  la  plus  puissante  sur 
l'état  moral  de  chaque  être. 

On  conçoit  donc  d'abord  que  l'état  du  cerveau, 
en  sa  qualité  d'organe  lié  à  toute  l'économie,  dé- 
pend, jusqu'à  un  certain  point,  de  l'état  de  tous  les 
autres  organes  :  c'est  là  l'origine  de  Tinfluence  du 
physique  sur  le  moral ,  dont  M.  Cabanis  a  tracé 
un  tableau  brillant  et  animé  ^ 

'   Rapport  du  physique  et  du  moral  de  l'homme,  par  M.  Cabanis  ; 
Paris,  2  vol.  in-8".  La  deuxième  tklition  est  de  i8o5. 


PHYSIOLOGIE.  237 

On  conçoit  encore  qu'un  déranji^enient  partiel 
ou  total  de  l'organisation  du  cerveau  peut  altérer 
ou  suspendre  en  tout  ou  en  partie  l'ordre  des 
images,  et  par  conséquent  celui  des  idées  et  des 
opérations  intellectuelles  ;  ce  qui  explique  tous  les 
genres  d'aliénation  mentale. 

11  n'est  pas  moins  clair  que  des  cerveaux  sains 
d'ailleurs  peuvent  différer  entre  eux  par  une  orrr^- 
nisation  plus  ou  moins  heureuse,  et,  présentante! 
l'esprit  des  images  plus  ou  moins  vives,  plus  ou 
moins  abondantes,  et  plus  ou  moins  bien  ordon- 
nées, occasioner  des  différences  infinies  dans  la 
portée  de  l'intelligence  et  dans  les  ressorts  de  la  vo- 
lonté, et  les  faire  descendre  jusqu'à  un  degré  voisin 
de  rimbécillité  absolue.  L'expérience  et  la  compa- 
raison des  différents  individus  et  des  différentes 
espèces  d'animaux  montrent  qu'à  cet  égard  le  vo- 
lume ,  et  spécialement  celui  de  la  partie  supérieure 
nommée  hémisphères^  est  la  circonstance  favorable 
la  plus  apparente. 

Enfin  comme  l'expérience  fait  voir  aussi  qu'en 
beaucoup  d'occasions  Ton  peut  avoir  une  percep- 
tion j)ar  un  mouvement  immédiat  du  cerveau,  et 
sans  que  le  sens  extérieur  ait  été  frappé,  on  peut  se 
représenter  qu'il  existe  constamment  dans  certains 
êtres  de  ces  perceptions  internes  c{ui  les  détermi- 
nent à  cet  ordre  d'actions  que  l'on  appelle  instincts, 
telles  que  sont  les  diverses  industries ,  souvent  très 


238  SCIENCES    PHYSIQUES. 

compliquées,  qu'exercent  dès  leur  naissance,  sans 
les  avoir  apprises  de  leurs  parents  ni  de  l'expérience, 
et  d'une  manière  toujours  constante ,  des  espèces 
d'animaux  d'ailleurs  très  stupides  et  placées  fort  bas 
dans  réchelle. 

Quant  à  ce  que  l'on  a  voulu  appeler  instincts  «î/- 
tomai/(/Hes,  ce  sont  certains  mouvements  volontaires 
qui  dérivent  de  jugements  devenus  tellement 
prompts  par  l'habitude  et  par  l'association  plus 
constante  des  idées  qui  en  résulte  que  nous  ne 
nous  apercevons  pas  de  les  a  voir  faits.  Qui  peut  nier 
que  l'homme  qui  lit,  celui  qui  touche  de  l'orgue, 
c^lui  qui  fait  des  armes,  ne  se  souviennent,  ne 
voient,  ne  jugent,  et  ne  raisonnent,  à  chaque  con- 
traction de  muscle?  Sans  doute  c'est  là  sur-tout  que 
se  montre  la  rapidité  de  la  pensée.  Il  n'y  a  donc 
point  de  comparaison  à  faire  de  ces  actes  prétendus 
automatiques  avec  les  mouvements  intérieurs  invo- 
lontaires, et  ceux-ci  restent  exphqués  par  les  forces 
vitales  ordinaires  et  irrationnelles  ,  comme  nous 
l'avons  vu  à  l'article  Physiologie  générale. 

Les  pertes  et  les  suspensions  partielles  ou  totales 
de  mémoire ,  les  folies  fixes  qui  ne  portent  que  sur 
un  seul  objet,  et  les  visions  ou  folies  fixes  momen- 
tanées, les  songes  et  le  somnambulisme,  n'offrent 
aucune  difficulté  importante  d'après  ces  idées  sur 
l'influence  du  cerveau  ,  idées  que  les  découvertes  de 


PHYSIOLOGIE.  2J9 

ces  derniers  temps  ont  seules  pu  rendre  claires  , 
quoique  leurs  principaux  (termes  se  soient  déjà  pré- 
sentés à  plusieurs  bons  esprits,  et  se  trouvent  sur- 
tout assez  nettement  indiqués  dans  les  ouvra(];es  de 
Bonnet  et  de  Hartley. 

M.  Gall  '  a  soutenu  récemment  que  les  trafces  des 
diverses  impressions  se  répartissent  en  différents 
lieux  du  cerveau  ,  selon  leurs  espèces,  et  que  le  vo- 
lume particulier  de  chacun  de  ces  lieux  annonce  le 
degré  des  dispositions  particulières  ,  de  la  mênie 
façon  que  le  volume  général  des  hémisphères  an- 
nonce la  portée  générale  de  Tintelligence  ;  on  sait 
niêuie  qu'il  croit  ces  différences  assez  sensibles  pour 
être  aperçues  dansThomme  vivant  parle  moyen 
des  formes  du  crâne.  Mais  quoique  cette  doctrine, 
réduite  aux  termes  dans  lesquels  nous  venons  de 
l'exprimer,  n'ait  rien  de  contraire  aux  notions  géné- 
rales de  la  physiologie,  on  sent  aisément  qu'il  fau- 
droit  encore  bien  des  milliers  d'observations,  avant 
([ue  Ton  pût  la  ranger  dans  la  série  des  vérités  gé- 
néralement reconnues. 

La  théorie  générale  de  la  formation  des  êtres  or- 
ganisés reste  toujours,  comme  nous  l'avons  dit,  le 
plus  profond  mystère  des  sciences  naturelles  :  jus- 
qu'à présent  pour  nous  la  vie  ne  naît  que  de  la  vie; 

'   Pliysioiogie  intellectuelle,  par  J.  B.  Demanfjeon  ;   Paris,  i8o(), 
I  vr>).  in-8". 


24o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

îioos  la  voyons  se  transmettre,  et  jamais  se  pro- 
cUiirc  ;  et  quoique  Timpossibilité  d'une  génération 
spontanée  ne  puisse  pas  se  démontrer  absolument, 
tous  les  efforts  des  physiologistes  qui  croient  cette 
sorte  de  génération  possible  ne  sont  point  encore 
parvenus  à  en  faire  voir  une  seule.  L'esprit,  réduit 
à  choisir  entre  les  diverses  hypothèses  du  dévelop- 
pement des  germes ,  ou  les  qualités  occultes  mises 
en  avant  sous  les  titres  de  moule  intérieur,  d'instinct 
formatif,  de  vertu  plastique ,  de  polarité  ou  de  diffé- 
renciation,  ne  trouve  donc  par-tout  que  nuages  et 
qu'obscurité. 

Le  seul  point  qui  soit  certain  c'est  que  nous  ne 
voyons  autre  chose  qu'un  développement,  et  que  ce 
n'est  pas  à  l'instant  où  elles  deviennent  visibles  pour 
nous  que  les  parties  se  forment  ;  mais  qu'on  nous 
fait  remonter  à  leur  germe  toutes  les  fois  qu'on  peut 
aider  nos  sens  par  quelque  instrument  plus  parfait: 
aussi,  dans  presque  tous  les  systèmes  de  physio- 
logie ,  commence-t-on  par  supposer  Fétre  vivant 
tout  formé  au  moins  en  germe;  et  bien  peu  de  phy- 
siologistes ont-ils  été  assez  hardis  pour  vouloir  dé- 
duire d'un  même  principe  et  sa  formation  primi- 
tive ,  et  les  phénomènes  qu'il  manifeste  une  fois  qu'il 
jouit  de  l'existence  :  l'admission  tacite  de  cette  exis- 
tence est  même  si  nécessaire  que  c'est  sur  la  liaison 
réciproque  des  diverses  parties  que  repose  jusqu'à 


PHYSIOLOGIE.  2^1 

présent  pour  nous  lu  nitc  de  l'être  vivant,  du  moins 
dans  le  régne  végétal,  ori  l'on  ne  peut  admettre  de 
principe  sensitif. 

Mais  si  la  génération  en  elle-même  est  inaccessi- 
ble à  toutes  nos  recherches ,  les  circonstances  qui 
l'accompagnent  la  favorisent  ou  l'arrêtent,  et  les 
divers  organes  qui  entretiennent  dans  les  j)remiers 
temps  la  vie  de  l'embryon  et  du  fœtus  sont  suscep- 
tibles d  être  observés  avec  plus  ou  moins  d'exacti- 
tude, et  ont  donné  lieu  à  des  découvertes  intéres- 
santes dans  la  période  dont  nous  faisons  l'histoire. 

Il  y  a,  parmi  ces  organes  propres  au  fœtus,  une 
vésicule  qui  communique  avec  le  bas-ventre  au  tra- 
vers de  l'ombilic  par  un  petit  canal,  et  qui  ne  se 
voit  dans  l'homme  que  pendant  les  premières  se- 
maines de  la  gestation  :  elle  porte  ,  dans  les  ani- 
maux, le  nom  de  tunique  ëjytliroïde;  dans  Ihomme 
on  Ta  appelée  vésicule  ombilicale. 

M.  Blumenbach  '  avoit  reconnu  son  analogie 
avec  la  membrane  qui  contient  le  jaune  dans  les 
oiseaux.  M.  Oken  d'Iéna^  vient  d'annoncer  qu'elle 
n'est  qu'un  appendice  du  canal  intestinal,  placé  de 
manière  que,  quand  elle  s'en  sépare,  il  reste  une 

'  Dans  ses  Institutions  physiologiques  et  son  Manuel  d'Anatonjie 
compare'e. 

'  Dans  ses  Matériaux  pour  la  Zoologie,  la  Zootomie,  et  la  Physio- 
logie comparée. 

BUFFON.   COMPLÉM     T.  I.  l6 


^4'^  SCIENCES    PHYSIQUES. 

portion  de  son  tube  qui  forme  l'intestin  cœcuni:  la 
liqueur  qu'elle  contient  passeroit  donc  immédiate- 
ment dans  les  intestins  pour  nourrir  Fenibryon. 
Divers  anatoniistes  ont  fait  une  observation  assez 
semblable  sur  la  manière  dont  le  jaune  de  l'œuf 
entre  dans  Fintestîn  par  le  pédicule  qui  l'y  unit; 
cependant  M.  Léveillé  '  nie  que  ce  pédicule  soit 
creux:  la  nutrition  se  feroitdonc  seulemeutpar  les 
vaisseaux  qui  vont  du  mésentère  à  la  membrane  du 
jaune,  et  dont  les  analogues  se  trouvent  également 
sur  la  vésicule  ombilicale.  M.  Gbaussier  les  a  bien 
injectés  dans  l'bomme^. 

La  respiration  de  l'oiseau  dans  l'œuf  se  fait  par 
une  membrane  très  ricbe  en  vaisseaux ,  qui  pren- 
nent leur  origine,  comme  ceux  du  placenta,  dans 
les  mammifères. 

Aussi  regarde-t-on  aujourd'hui  l'oxygénation  du 
sang  du  fœtus  comme  une  des  fonctions  principales 
du  placenta,  laquelle  s'exerce  par  la  communica- 
tion que  cet  organe  établit  entre  le  fœtus  et  la  mère: 
des  observations  de  conception  extra-utérines  ont 
montré  que  cette  communication  peut  s'établir 
ailleurs  que  dans  la  matrice;  et  des  fœtus  dont  le 
placenta  n'avoit  pu  s'attacher  qu'aux  intestins  ou 
au  mésentère  n'ont  pas  laissé  de  grossir. 

'    Dissertation  sur  la  nutrition  du  fœtus;  Paris,  an  7,  in-8". 
^    Bulletin  (les  Sriences  ,  vendëm.  an  i  i . 


PHYSIOLOGIE.  243 

Les  végétaux  n'offroient  pas  tant  d'objets  de  re- 
cherches. Leurs  fonctions  particuUères  se  réduisent 
aux  sécrétions  et  à  la  génération,  qui  sont  soumises 
aux  mêmes  difficultés  générales  que  dans  les  ani- 
maux. 

La  fécondation  de  leurs  graines  et  leur  germina- 
tion pouvoient  principalement  prêter  à  des  décou- 
vertes. Dans  les  végétaux  ordinaires,  le  mode  de 
la  fécondation  est  depuis  long -temps  démontré. 
Tout  le  monde  reconnoît  que  le  pollen  des  éta- 
mines  en  est  l'organe,  ainsi  que  Ta  prouvé  autre- 
fois Vaillant,  et  comme  Ta  confirmé  Kœlhreuter 
en  produisant  des  mulets  végétaux.  Mais  les  plantes 
appelées  cryptogames  ont  leurs  fleurs  et  leurs  graines 
si  petites  et  si  cachées  que  Ton  n'est  point  encore 
du  même  avis  sur  leur  compte.  L'opinion  domi- 
nante aujourd'hui  pour  les  mousses  est  celle  de 
Hedwig',  qui  prend  pour  les  organes  mâles  cer- 
tains filets  creux  presque  imperceptibles ,  placés 
tantôt  autour  du  pédicule  de  l'urne,  tantôt  dans 
des  rosettes  de  feuilles  séparées,  et  qui  regarde 
l'urne  elle-même  comme  la  capsule  des  graines. 
M.  de  Beauvois^  au  contraire  croit  que  la  poussière 

'  Fundamenlutn  historiée  naturalis  musconim  frondosonim  ;  Lipsice, 
1782,  in-4'^  ;  et  Theoria  generationis  et  fructijicationis  plaiitnrnm 
cryptogamicarum  ;  Pétersbourg,  1784,  in-4*',  et  Leipsick,  1798. 

^   Proilrome  d'iEthéogamie ;  Paris,  i8o5,  3  cah.  in-12. 

16. 


244  SCIENCES    PHYSIQUES. 

verte  qui  remplit  l'urne  est  le  pollen  mâle,  et  que  la 
graine  est  dans  une  capsule  plus  intérieure,  que 
les  botanistes  nomment  columelle.  Il  y  a  des  discus- 
sions analogues  sur  la  fécondation  des  algues  et  des 
champignons  :  cependant  on  croit  assez  générale- 
ment que  la  poussière  qui  tombe  de  ces  derniers 
est  leur  graine.  M.  DecandoUe  '  a  remarqué  que  ce 
qu'on  appeloit  graine  dans  les  fucus  n'est  que  leur 
capsule ,  et  contient  la  véritable  graine,  beaucoup 
plus  petite.  M.  Stackbouse  l'a  fait  germer. 

TjCs  conditions  et  les  phénomènes  généraux  de  la 
germination  ont  été  étudiés  par  MM.  de  Humboldt, 
Huber^,  et  Sennebier.  Il  faut  aux  graines,  à  peu 
d'exceptions  près,  de  Toxygène,  pour  qu'elles  ger- 
ment; et  sa  fonction  paroît  être,  d'après  M.  Théo- 
dore de  Saussure,  de  leur  enlever  leur  carbone 
surabondant.  M.  de  Humboldt,  en  particulier,  a 
remarqué  que  le  gaz  acide  muriatique  oxygéné  ac- 
célère singulièrement  la  germination  ,  et  que  tous 
les  oxydes  où  l'oxygène  adhère  peu  lui  sont  plus  ou 
moins  favorables. 

Un  des  points  particuliers  les  plus  embarrassants 
de  l'économie  des  végétaux  consiste  dans  certains 

'   Mémoire  présenté  à  l'Institut. 

^  Mémoires  sur  l'influence  de  l'air  et  de  diverses  substances  gazeuses 
dan?  la  germination  des  différentes  graines  ;  Genève,  1801,  i  volume 
in-8". 


PHYSIOLOGIE.  245 

mouvements,  en  apparence  spontanés,  qu'ils  mani- 
festent dans  diverses  circonstances,  et  qui  ressem- 
blent quelquefois  si  fort  à  ceux  des  animaux  ,  qu'ils 
pourroient  faire  attribuer  aux  plantes  une  sorte  de 
sentiment  et  de  volonté,  sur-tout  par  ceux  qui 
veulent  encore  voir  quelque  chose  de  semblable 
dans  les  mouvements  intérieurs  des  viscères  ani- 
maux. 

Ainsi  les  cimes  des  arbres  cberchent  toujours  la 
direction  verticale  ,  à  moins  qu  elles  ne  se  courbent 
vers  la  lumière;  leurs  racines  tendent  vers  la  bonne 
terre  etriiumidité,  et  se  détournent  pour  les  trou- 
ver, sans  qu'aucune  influence  des  causes  extérieu- 
res puisse  expliquer  ces  directions,  si  l'on  n'admet 
pas  une  disposition  interne  propre  à  en  être  affec- 
tée ,  et  différente  de  ia  simple  inertie  des  cor[)s 
bruts. 

On  sait  depuis  lon(^~temps  comment  les  feuilles 
de  la  sensitive  se  replient  sur  elles-mêmes  quand  on 
les  touche.  On  sait  aussi  qu'une  infinité  de  plantes 
fléchissent  diversement  leurs  feuilles  ou  leurs  pé- 
tales ,  selon  l'intensité  de  la  lumière  :  c'est  ce  (|ue 
Linnœus  ,  dans  son  langap,e  figuré,  a  nommé  le 
sommeil  des  plantes.  M.  DecandoUe  a  fait  sur  ce  sujet 
des  expériences  fort  curieuses  ,  qui  lui  ont  montré 
dans  les  plantes  une  sorte  d'habitude  que  la  lumière 
artificielle  ne  parvient  à  surmonter  qu'au  bout  d'un 


246  SCIEr^CES    PHYSIQUES. 

certain  temps.  Ainsi,  pendant  les  premiers  jours  , 
des  plantes  enfermées  dans  une  cave,  et  éclairées 
continuellement  par  des  lampes  ,  ne  laissoient  pas 
de  se  fermer  quand  la  nuit  venoit ,  et  de  s'ouvrir  le 
matin'. 

îl  y  a  d'autres  sortes  d'habitudes  que  les  plantes 
peuvent  prendre  ou  perdre.  Les  fleurs  qui  se  fer- 
mentàThumidité  finissent  par  rester  ou  vertes  quand 
l'humidité  dure  trop  lon(j-temps.  M.  Desfontaines 
ayant  mené  une  sensitive  dans  une  voiture ,  les  ca- 
hots la  firent  d'abord  se  replier  ;  elle  finit  par  s'é- 
tendre comme  en  plein  repos  :  c'est  qu'encore  ici  la 
lumière,  l'humidité,  etc.,  n'agissent  qu'en  vertu 
d'une  disposition  intérieure  particulière  qui  peut 
se  perdre ,  s'altérer,  par  l'exercice  même  de  cette 
action  ,  et  que  la  force  vitale  des  plantes  est  sujette 
à  des  fatigues ,  à  des  épuisements,  comme  celle  des 
animaux. 

Vhedysarum  gyrans  est  une  plante  bien  singu- 
lière par  les  mouvements  qu'elle  donne  jour  et  nuit 
à  ses  feuilles  ,  sans  avoir  besoin  d'aucune  provoca- 
tion. S'il  y  a  dans  le  régne  végétal  quelque  phéno- 
mène propre  à  faire  illusion  et  à  rappeler  l'idée  des 
mouvements  volontaires  des  animaux ,  c'est  bien 
celui-là.  MM.  Broussonet ,  Silvestre,  Gels,  et  Halle, 

'  Mémoires  des  savants  étran^rers   présentés  à  l'Institut,  tome  J, 
page  329. 


PHYSIOLOGIE.  2/17 

Tout  décrit  en  détail ,  et  ont  montré  que  son  activité 
ne  dépend  que  du  bon  état  de  la  plante. 

C'est  en  général  dans  les  organes  de  la  fructifica- 
tion que  les  plantes  montrent  le  plus  de  ces  mouve- 
ments extérieurs.  MM.  Desfontaines  et  Descemets 
y  ont  donné  beaucoup  d'attention.  Les  étamines 
de  plusieurs  fleurs,  entre  autres  celles  des  épine- 
vinettes,  paroissent  avoir  des  inflexions  spontanées , 
ou  en  prendre  (juand  on  les  touche,  même  légère- 
ment; mais  il  faut  bien  distinguer  ces  mouvements 
de  ceux  qui  ne  dépendent  que  d'un  ressort  mis  en 
liberté,  comme  sont  ceux  des  capsules  de  la  balsa- 
mine et  des  étamines  des  orties  et  des  pariétaires. 
Nous  ne  parlerons  pas  ici  des  oscillatoires,  parce- 
que  leur  nature  est  encore  douteuse.  Adanson  en  a 
bien  fait  des  plantes  ;  mais  M.  Vaucher  les  considère 
comme  des  animaux. 

Cependant  ce  seroit  aller  trop  loin  que  de  regar- 
der même  les  mouvements  de  la  sensitive  comme 
tout-à-fait  comparables  à  ceux  que  l'irritabilité  ])ro- 
dnit  dans  les  animaux;  non  seulement  il  n'est  point 
démontré  qu'ils  tiennent  à  une  cause  parfaitement 
identique,  mais  il  Test  même  qu'ils  ne  s'exercent  pas 
dans  des  organes  semblables.  En  effet  tout  mouve- 
ment musculaire  est  une  contraction  ;  et  M.  Link  a 
fait  voir  ([ue  les  flexions  diverses  que  prennent  les 
parties  des  plantes  dépendent  autant  des  fibres  qui 


248  SCIENCES    PHYSIQUES. 

s'alonp^enl  que  de  celles  qui  se  raccourcissent  lors 
de  la  flexion,  et  qu'en  coupant  celles-ci  le  mouve- 
ment ne  laisse  pas  d avoir  lieu. 

Ces  contractions  végétales  n'en  sont  pas  moins 
encore  un  des  faits  généraux  et  non  expliqués  que 
Ion  peut  admettre  parmi  ce  qu'on  appelle  les  forces 
vitales;  et  comme  la  contraction  musculaire  entre 
pour  beaucoup  dans  les  mou  vements  intérieu rs  qui 
entretiennent  la  vie  des  animaux  ,  il  est  très  pro- 
bable, ainsi  que  nous  lavons  dit,  que  cette  autre 
sorte  de  contraction  observée  dans  quelques  parties 
extérieures  des  plantes  s'exerce  aussi  à  l'intérieur, 
et  contribue  au  mouvement  de  la  sève  et  à  l'entre- 
tien de  la  vie  végétale.  Comme  enfin ,  dans  les  ani- 
maux, le  bon  état  des  fonctions  influe  à  son  tour 
sur  la  force  qui  les  entretient,  de  même,  dans  les 
végétaux,  la  chaleur,  la  nourriture,  augmentent 
ou  diminuent  ces  contractions  apparentes  aussi 
bien  que  celles  qui  le  sont  moins.  En  un  mot  la 
vie  végétale,  comme  la  vie  animale,  est  un  cercle 
continuel  d'action  et  de  réaction;  tout  y  est  à- la- 
fois  actif  et  passif,  et  la  moindre  partie  jouit  d'une 
portion  d'influence  sur  la  marche  générale  de  l'en- 
semble. 


HISTOIRE    NATURELLE    PARTICULIÈRE.       249 

Histoire  naturelle  par  tien  Hère  des  corps  vivants. 

Une  fois  que  l'on  s'est  fait  ainsi  des  idées  nettes 
sur  les  forces  attachées  à  chaque  ordre  d'éléments 
organiques,  et  sur  les  fonctions  propres  à  chaque 
organe,  on  peut  en  quelque  façon  calculer  la  na- 
ture de  chaque  espèce  d'être  organisé,  d'après  le 
nombre  des  organes  qui  entrent  dans  sa  composi- 
tion ,  d'après  Fétendue,  la  figure ,  la  connexion ,  et 
la  direction  de  chacun  d'eux  et  de  ses  diverses  par- 
ties. 

Cette  étude  de  l'organisation  d'un  être  vivant ,  et 
des  conséquences  particulières  qui  en  résultent  dans 
son  genre  de  vie,  dans  les  phénomènes  ([u'il  mani- 
feste, et  dans  ses  rapports  avec  le  reste  de  la  nature, 
est  ce  que  l'on  nomme  l'histoire  naturelle  de  cet 
être. 

Toute  recherche  de  ce  genre  suppose  que  l'on  a 
les  moyens  de  distinguer  nettement  de  tout  autre 
l'être  dont  on  s'occupe.  Cette  distinction  est  la  pre- 
mière hase  de  toute  l'histoire  naturelle  :  les  vues  les 
plus  nouvelles,  les  phénomènes  tes  plus  curieux, 
perdent  tout  intérêt  quand  ils  sont  destitués  de  cet 
appui;  et  c'est  pour  avoir  négligé  ce  genre  de  pré- 
caution ([ue  les  ouvrages  des  anciens  naturalistes 
conservent  aujourd'hui  si  peu  d'utilité.  Ainsi  les 


25o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

savants  qui  s'occupent  cle  cette  partie  de  rhistoire 
naturelle  à  laquelle  on  a  donné  le  nom  de  nomen- 
clature niéviient  toute  sorte  de  reconnoisance.  Leur 
travail  exige  non  seulement  une  patience  et  une  sa- 
gacité peu  communes,  quand  il  s'agit  de  décrire  les 
objets  et  den  saisir  les  caractères  distinctifs;  il  leur 
faut  encore  une  érudition  vaste  et  une  critique 
profonde,  pour  démêler  dans  les  écrits  qui  les  ont 
précédés  ce  qui  appartient  aux  espèces  diverses , 
pour  ne  point  confondre  celles-ci,  ou  ne  point  les 
séparer  mai-à-propos;  et,  s'ils  ne  faisoient  un  em- 
ploi ingénieiix  de  mille  moyens  délicats,  ils  aug- 
menteroient  l'obscurité  que  leur  art  a  pour  but  de 
dissiper. 

Linnseus  a  porté  dans  cette  branche  de  la  science 
un  véritable  génie,  et  lui  a  donné  une  impulsion 
extraordinaire;  il  est  le  premier  qui  ait  étendu  la 
nomenclature  méthodique  à  tout  l'ensemble  des 
êtres  naturels;  tous  ceux  qu'il  connoissoit  bien  ont 
été  nommés,  caractérisés,  et  classés  par  lui  de  la 
manière  la  plus  précise  et  la  plus  claire  ;  il  a  déduit 
de  la  nature  de  la  chose  les  régies  qui  doivent  diri- 
ger dans  ce  genre  de  travail  ;  et  chacun  de  ceux  qui 
s'en  occupent  se  considère  comme  l'un  des  conti- 
nuateurs de  l'immense  édifice  dont  Linnaeus  avoit 
posé  les  bases. 

Nous  voulons  parler  de  ce  grand  catalogue  des 


HISTOIRE    NATURELLE    PARTICULIÈRE.       25  I 

êtres  existants,  auquel  on  a  donné  le  nom  deSjstema 
nalurœ.  Tous  les  naturalistes  s'empressent  de  le 
compléter  ;  tous  les  gouvernements  éclairés  se  sont 
fait  un  devoir  de  leur  en  procurer  les  moyens. 

Des  jardins,  des  ménageries,  ont  été  établis;  des 
collections  ont  été  rassemblées  dans  toutes  les  gran- 
des capitales  ;  de  grands  voyages  ont  été  ordonnés , 
et  c'est  un  des  caractères  de  notre  âge  que  ces  ex- 
péditions lointaines  et  périlleuses,  entreprises  uni- 
quement pour  éclairer  les  liommes  et  enricbir  les 
sciences. 

Pour  ne  parler  que  des  entreprises  et  des  établis- 
sements des  François,  nous  rappellerons  que  le 
Muséum  d'histoire  naturelle  a  plus  que  doublé  dans 
toutes  ses  parties,  depuis  Tépoque  où  commence  cet 
aperçu  historique  sur  les  sciences, et  qu'il  surpasse 
aujourd'hui  tous  les  établissements  du  même  genre 
par  l'ensemble  des  objets  qu'il  réunit,  autant  que 
par  les  facilités  qu'il  offre  pour  l'étude. 

La  belle  réunion  des  plantes  rares  formée  à  la 
Malmaison  par  rimj)ératrice  Joséphine  a  déjà  pro- 
curé à  notre  pays  d'importantes  richesses  en  ce 
genre,  que  la  munificence  de  cette  auguste  prin- 
cesse s'est  empressée  de  répandre  dans  les  établisse- 
ments publics  et  particuliers. 

Les  jardins  et  les  cabinets  des  écoles  centrales 
commençoient  à  être  fort  utiles  pour  faire  connoître 


252  SCIEÎNCES    PHYSIQUES. 

les  productions  naturelles  des  différents  départe- 
ments de  la  France.  Il  faut  espérer  que  les  ordres 
du  Gouvernement  pour  les  réunir  et  les  soigner 
dans  les  lycées  auront  été  exécutés. 

Quatre  «grandes  expéditions  lointaines  ont  été 
entreprises  par  des  François  dans  cette  même  épo- 
que. Chacun  connoîtle  malheureux  sort  de  celle  de 
LaPérouse  ' .  Les  discordes  qui  ont  mis  fin  à  celle  de 
d'Entrecasteaux  n  ont  pas  empêché  MM.  de  ï.a  Bil- 
lardière%  Laliaye ,  Riche,  d'en  rapporter  beaucoup 
de  plantes  et  d'animaux  nouveaux.  La  première  de 
Baudin,  quoique  bornée  aux  Antilles,  n'a  pas  laissé 
de  procurer  aussi  des  plantes  nouvelles  : 'mais  la  se- 
conde, ordonnée  par  le  gouvernement  consulaire, 
et  qui  s'est  portée  vers  la  Nouvelle-Hollande  et  TAr- 
cliipel  indien,  a  été  la  plus  fructueuse  qu'aucune 
nation  ait  jamais  exécutée^  ;  grâces  au  zélé  infati- 
gable de  MM.  Pérou,  Leschenault  de  La  Tour,  et 
Lesueur,  les  animaux  et  les  végétaux  inconnus  en 
ont  été  rapportés  par  milliers  ;  et  nous  pouvons 
assurer  que  nous  sommes  en  état  de  faire  connoître 
les  productions  de  ces  parages  beaucoup  plus  com- 

'  Voyage  de  La  Pérouse  autour  du  monde,  rédige'  par  Milet-Mu- 
reau;  Paris,  1797,  2  vol.  in-4°,  avec  un  atlas  in-folio. 

'  Relation  du  Voyage  à  la  recherche  de  La  Pérouse  ;  Paris,  an  8  , 
■2  vol.  in-4°,  et  un  atlas  grand  in-folio. 

^  Voyage  de  découvertes  aux  terres  australes  ;  Paris,  1807,  in-4'', 
premier  vol.  avec  un  atlas.  • 


HISTOIRE    NATURELLE    PARTICULIÈRE.       253 

plétement  que  les  nations  européennes  qui  les  ha- 
bitent depuis  tant  d'années. 

Les  naturalistes  qui  ont  suivi  rarmée  frant^oise 
en  Egypte  ne  laisseront  rien  à  désirer  sur  Tliistoire 
naturelle  de  cette  contrée  fameuse:  M.  Geoffroy  en 
décrit  les  poissons  et  les  quadrupèdes;  M.  Savi^^ny, 
les  oiseaux  et  les  insectes;  M.  Delile,  les  plantes. 
Quelques  uns  de  ces  objets,  présentés  au  public 
dans  des  mémoires  isolés,  tels  que  le  poisson  polyp- 
tère,  décrit  par  M.  Geoffroy  ',  le  palmier  doum  , 
par  M.  Delile  %  donnent  la  plus  vive  impatience  de 
jouir  de  la  totalité,  et  de  voir  bientôt  les  planches 
magnifiques  dessinées  sur  les  lieux  par  les  phis  ha- 
biles artistes. 

M.  Olivier  a  rapporté  beaucoup  de  choses  nou- 
velles de  son  voyage  au  Levant^  ;  M.  Bosc ,  de  celui 
d'Amérique;  M.  de  Beauvois,  des  deux  qu'il  a  en- 
trepris en  Guinée  et  à  Saint-Domingue.  M.  Desfon- 
taines avoit  fait  antérieurement  un  voyage  très 
fructueux  en  Barbarie  et  sur  l'Atlas  ;  M.  Poiret  avoit 
aussi  été  en  Barbarie;  M.  de  La  Billardière,  en  Sy- 
rie et  sur  le  Liban 4;  M.  Bichard,  à  Cayenne;M.  du 
Petit-Thouars,  à  l'île  de  Bourbon;  MM.  Poiteau 

•   Bulletin  des  Sciences,  germinal  an  lo. 
^   Ibid.^  pluviôse  an  lo. 

^   Voyage  dans  l'empire  Ottoman,  l'Egypte,   et  la  Perse;    Paris, 
1801-1807,  3  vol.  in~4°  avec  un  atlas. 

^  Syriœ  Plantœ  rariores,  dee.  i  et  2  ;  Paris,  1790,  in-4°. 


254  SCIENCES    PHYSIQUES. 

et  Turpin,  à  Saint-Domiiif>ue.  Les  correspondants 
du  Muséum,  à  Gharles-Town,  à  Cayenne,  à  i  Ile-de- 
France,  lui  ont  fait  de  riches  envois  :  on  doit  citer 
avec  éloge  dans  le  nombre  MM.  Michaux,  Macé, 
et  Martin. 

Tous  ces  voyages,  ajoutés  à  ceux  de  Sonnerat, 
de  Gommerson,  de  Dombey,  et  d autres,  mettent 
certainement  les  François  au  premier  ranp  de  ceux 

*  1  CJ 

qui  ont  enrichi  les  collections  européennes. 

Cependant,  quoique  nous  ne  connoissions  pas 
tous  les  voyages  des  étrangers,  nous  en  savons  assez 
pour  dire  qu'ils  ont  rivalisé  de  zélé  avec  nous.  Seu- 
lement, dans  la  période  dont  nous  rendons  compte, 
la  Gochinchine  a  été  visitée  par  Loureiro  \  le  Brésil 
par  Vellozo,  tous  deux  Portugais;  le  Pérou  et  le 
Chili  par  Ruiz  et  Pavon%  la  Terre-Ferme  par  Mu- 
tis,  le  Mexique  par  de  Sessé  et  Mocino,  tous  cinq 
Espagnols  ;  l'Inde  par  Roxburgh  \  le  Cap  par  Mas- 
son,  la  Nouvelle-Hollande  par  un  grand  nombre 
cVautres  Anglois.  M.  Smith  devoit  en  décrire  les 
plantes  ^,  et  M.  Shaw  les  animaux  \ 

'  Flora  Cochinchinensis ;  Lisbonne,  1790,  2  vol.  in-4°  ;  Berlin,  1798, 
2  vol.  in-8". 

Flora  Peruviana  et  Chilensis;  Madrid,  1799,  2  vol.  in-fol. 

^   Plants  of  the  coast  of  Coromandcl  ;  Londres,  1795,  in-fol. 

^  A  Spécimen  of  botanj  of  Neiv-Holland ;  Londres,  1793,  i  vol. 
in-4". 

*   Zoology  of  New-IIolland  ;  Lonôvea^  1794,  in-4". 


HISTOIRE    NATURELLE    PARTICULIÈRE.       255 

Le  voyage  de  MM.  de  Huniboklt  et  Bonpland 
dans  les  diverses  parties  de  l'Amérique  espa^^iiole, 
en  même  temps  qu'il  est  le  seul  de  cette  importance 
dû  au  généreux  dévouement  d'un  particulier,  s'an- 
'  nonce  comme  Fun  des  plus  instructifs  que  l'on  ait 
jamais  faits  pour  toutes  les  branches  des  sciences 
physiques. 

Botanique. 

Il  y  a  cependant  parmi  ces  voyageurs  plus  de 
botanistes  que  de  zoologistes.  Le  plus  grand  nom- 
bre ont  publié  ou  publient  en  ce  moment  les  Flores 
des  pays  qu'ils  ont  parcourus. 

Celles  du  mont  Atlas  par  M.  Desfontaines  %  de 
la  Nouvelle-Hollande  par  M.  de  La  Billardière% 
d'Oware  et  de  Bénin  par  M.  deBeauvois\  des  îles 
de  France  et  de  Bourbon  par  M.  duPetit-Thouars^, 
font  honneur  à  la  France  et  enrichissent  la  bota- 
nique. M.  Pallas  a  continué  celle  du  vaste  empire 
de  Russie,  sous  les  auspices  de  son  gouvernement  '; 
l'Espagne  a  publié  avec  magnificence  celle  du  Pé- 

'   Flora  Atlantica ;  Paris,  an  6,  2  voL  in-4°' 

'  Novœ  HoUandlœ plant,  specim. ;  Paris,  i8o4-i8o8,  2  vol.  in-4°. 

^  Flore  cl'Oware  et  de  Bénin  eu  Afrique;  Paris,  i8o4,  in-fol.  non 
terminé. 

^  Histoire  des  végétaux  recueillis  dans  les  îles  australes  d'Afrique  ; 
Paris,  i8o6,  in-4°  non  terminé. 

*    Flora  Roxsica  ;  Pétersbonrg,   1784  et  seq.,  in-fol. 


236  SCIENCES    PHYSIQUES. 

rou  et  clu  Chili;  Michaux  a  laissé  celle  des  États- 
Unis,  et  LUI  ouvrage  particulier  sur  les  nombreuses 
espèces  de  chênes  de  ce  pays-là  ' . 

Parmi  les  Flores  européennes  on  doit  remar- 
quer.^ pour  la  beauté  des  figures,  celle  du  Dane- 
marck,  commencée  par  OEder%  et  que  le  gouver- 
nement danois  prend  soin  de  faire  continuer,  ainsi 
que  la  zoologie  du  même  pays;  celle  d'Autriche, 
entreprise  et  terminée  par  M.  Jacquin  ^,  et  celle  que 
MM.  Kitaibel  et  Waldstein  ont  commencée  pour 
la  Hongrie^.  Bulliard  en  avoit  aussi  entrepris  une 
en  figures  pour  la  France^.  Nous  en  avons  du 
moins  une  excellente  quoique  dépourvue  de  cet 
ornement  :  c'est  celle  de  M.  de  Lamarck  dont 
M.  Decandolle  vient  de  soigner  une  nouvelle  édi- 
tion, et  pour  le  perfectionnement  de  laquelle  le 
Rouvernement  a  envoyé  ce  savant  botaniste  dans 
les  diverses  parties  de  Fempire  ^.  Parmi  les  Flores  de 
nos  provinces  celle  du  Dauphiné,  par  M.  Villars, 


'  Flora  Boreali-Americana ;  Paris,  i8o3,  2  vol.  in-S".  Histoire  des 
chênes  de  l'Amérique;  Paris,  1801  ,  i  vol.  in-fol. 

^   Flora  Danica  ;  Hafn.,  1764  et  seq.,  in-fol.  non  terminée 

^   Flora  Austriaca ;  Vienne,  1 773-1778,  et  Miscellanea  Austriaca. 

^  Plantœ  rariores  Hungariœ. 

'  Herbier  de  la  France;  Paris,  1784  et  seq.,  4  vol.  in-folio  non 
terminés. 

''  Flore  Françoise,  première  édition  en  trois  vol.  1778;  deuxième 
édition  en  5  vol.,  i8o5. 


BOTANIQUE.  267 

tient  un  des  premiers  ran^js  '.  Il  y  a  une  très  bonne 
Flore  d'An(;[leterre ,  par  M.  Smith  %  et  la  plupart 
des  états  de  l'Europe  ont  aussi  les  leurs.  M.  Swartz 
en  a  donné  une  des  Indes  occidentales^. 

Pendant  que  l'on  parcourt  ainsi  avec  beaucoup 
de  peine  des  pays  voisins  ou  éloignés,  les  botanistes 
sédentaires  travaillent  à  faire  connoître  les  plantes 
des  jardins  et  celles  des  herbiers.  Les  uns  s'attachent 
à  certaines  collections  particulières  ;  et  dans  ce 
genre  la  France  peut  citer  avec  orgueil  la  descrip- 
tion dujardin  delà  Malmaison^,  où  les  talents  du  bo- 
taniste, M.  Ventenat,  etceux  de  l'artiste, M.  Redouté, 
ont  rivalisé  pour  ériger  un  digne  monument  de 
la  munificence  de  l'impératrice  Joséphine,  et  de 
la  protection  éclairée  qu'elle  accorde  aux  sciences 
utiles.  Le  jardin  de  Gels,  par  M.  Ventenat",  est 
aussi  un  produit  très  honorable  d'une  entreprise 
privée. 

En  Autriche  M.  Jacquin  continue  depuis  long- 

'Histoire  des  plantes  du  Dauphiné  ;  Grenoble,  1780,  4  volumes 
in.8°. 

^  Flora  Britannica f  par  Smith;  Londres,  180G,  3  vol.  in-S";  et  Ar- 
rangement  of  British  plants,  par  Whitering,  4  vol.  in-8". 

^   Flora  Indice  occid.  ;  Erlang,  1787,  3  vol.  in-8''. 

^  Jardin  de  la  Malraaison  ;  i8o3  et  seq. ,  in-fol. 

^  Description  des  plantes  nouvelles  et  peu  connues  cultivées  dans  le 
jardin  de  M.  Gels;  Paris,  an  8  (  1802  ),  in-folio  ;  et  Ghoix  de  plantes 
dont  la  plupart  sont  tirées  du  jardin  de  Gels,  i8o3. 

BUFFON.  COMl'LÉM.  T.  1.  I7 


258  SCIENCES    PHYSIQUES. 

temps  de  décrire  les  plantes  du  jardin  de  Tempe- 
reur  '  ;  M.  Willdenow  a  commencé  la  description  de 
celui  de  Berlin^;  celui  du  roi  d'Angleterre  à  Kew' 
a  été  publié  par  M.  Alton,  et  celui  d'Hanovre  par 
M.  Schrader^. 

Parmi  ceux  qui  se  sont  bornés  à  donner  des  es- 
pèces de  suppléments  au  système  en  décrivant  des 
plantes  nouvelles,  de  quelque  part  qu'elles  leur 
vinssent,  nous  citerons  M.  Vahl,  dans  ses  Eclocjœ 
americanœ^  et  dans  ses  Sjmbolœ^;M.  Gavanilles, 
dans  SCS  plantes  rares  d'Espagne^;  M.  Smith,  dans 
ses  Icônes^.  Les  Stirpes  et  le  Serlum  Ancjlicnm  de  l'Hé- 
ritier^ méritent  aussi  detre  cités  honorablement 
dans  ce  nombre. 

D'autres  botanistes  prennent  pour  sujets  d'étude 
certaines  familles  de  végétaux.   Les  Liliacées  de 

'  Hortus  Vindohonensis ;  Vienne,  1770-1776,  in-fol.  ;  et  Hortiis 
Schœnln-u7inensiSf  ibid.  1797  et  seq. 

^   Hortus  Berolinensis  ;  Berlin. 

^  Hortus  Kewensis ;  Londres,  1789,  3  vol.  in-S". 

'*  Sertuni  Hanoveranum  ;  Gott.,  1795-1796,  in-fol. 

^  Hafn.,  1796,  in-fol. 

''  Symholce  botanicœ  ;  Hahi.^  1790,  in-fol. 

7  Icônes  et  Descriptiones  plantarum  quœ  aut  sponte  in  Hispania  cres- 
cunt,  aut  in  hortis  hospitantur;  Madrid,  1791-1801  ,  6  vol.  in-fol. 

^  Icônes,  pictœ  plant,  rar.;  1 790-1 798;  et  Plant,  icônes  hactenus 
ineditœ  ;  Londres,  17 89-1 791 ,  in-fol. 

9  Stirpes  novœ  ;  Paris,  1780-1785;  et  Sertutn  Anglicum ,  1788, 
in-fol. 


BOTANIQUE.  2^9 

M.  Decandolle,  avec  des  planches  de  M.  Redouté, 
doivent  être  mises ,  pour  la  magnificence,  à  la  tête 
de  tous  les  ouvrages  de  ce  genre'.  M.  Decandolle 
a  aussi  donné  un  Traité  sur  les  astragales  et  les 
genres  voisins^,  et  une  Histoire  des  plantes  grasses 
avec  de  belles  figures^.  La  Monographie  des  pins , 
de  M.  Lambert,  est  un  ouvrage  superbe;  celle  des 
saules  par  Hofman^,  celle  des  carex  par  M.  8chkuhr\ 
celle  des  oxalis  par  M.  Jacquin*",  celle  des  gen- 
tianes par  M.  Frœlich7^  méritent  des  éloges  pour 
leur  exactitude  :  nous  devons  aussi  remarquer 
celle  des  graminées  d'Allemagne  et  de  France,  par 
M.  Kœhler,  de  Mayence  ^.  ïl  y  a  une  foule  d'autres 
travaux  sur  des  familles  particulières  publiés  dans 
les  Mémoires  des  sociétés  savantes,  ou  séparément, 
et  qu'il  nous  est  impossible  d'énumérer  complète- 
ment. 

'  Les  Liliacées  ;  Paris,  1802  et  seq.,  (ïrand  in-fol.  Il  y  a  déjà  trois 
volumes  terminés. 

^   Astragalocjia ;  Paris,  1802,  i  vol.  in-fol. 

'  Plantarurn  Historia  succulentanim ;  Paris,  an  y  et  suiv. ,  in-fol. 

^  Hiatoria  salicum;  Leips.,  lySS-iyQi,  2  vol.  in-fol.  dont  le  second 
n'est  pas  fini. 

^  Histoire  des  carex  ou  laîches,  traduite  de  l'allemand  par  Dela- 
vigne  ;  Leipsick  ,  1 802  ,  in-8". 

^   Oxalis  Monographia;  Vienne,  1794?  ^  vol.  in-4''. 

7   Libellas  de gentiana ;Y,r\an^j.  ^  l786,in-8°. 

^  Descriptio  graminum  in  Gallia  et  Germania  sponte  cresceniium  ; 
Francfort,  1802,  in-8''. 

'7- 


26o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Les  plantes  cryptogames  ont  été  étudiées  avec 
une  attention  toute  particulière  :  des  figures  et  des 
descriptions  des  mousses  ont  été  données  par  Hed- 
wig%  des  lichens  par  Hofman"  et  par  Acharius ', 
des  champignons  par  BuUiard^.  MM.  Tode^  et  Per- 
soon^  ont  porté  très  loin  Tétude  des  petits  champi- 
gnons; M.  Decandoile  y  a  beaucoup  ajouté^.  Les 
algues  et  conferves  ont  été  observés  avec  beau- 
coup de  soin  par  MM.  Chantrans  et  Vaucher'^  :  le 
premier  croit  que   plusieurs  de  ces  êtres  appar- 
tiennent au  régne  animal.  La  Nereis  bniannïca  de 
M.  Stackhouse^  est  une  belle  monographie  des  fu- 
cus. Il  y  en  a  une  autre  faite  avec  plus  de  luxe, 
par  M.  Welley  :  celle  de  M.  Esper  est  moins  soi- 
gnée'^ 

'  Descriptio  et  adumhratio  muscoruni  fi'ondosorum  ;  Leipsick, 
1^87-1797,  4  ^'^1-  in-fol.;  et  Species  muscoruni  frondosorum  ^  Lelps. , 
1801,  in-4°-  Voyez  aussi  Muscologia  recentioiixm ,  par  M.  Britîel  ; 
Got]i. ,  1797-Ï799,  3  vol.  in-4°. 

'  Descriptio  et  adumhratio  lichenum.  ;  Leipsick,  1790,  in-fol. 

■^  Lichenographiœ  Suecicœ  Prodro7VUS;luinli.ïo\)inQ^  ^798- 

''►  Dans  l'Herbisr  de  la  France,  et  à  part  sous  le  titre  de  Cliampi- 
qnons  de  la  France. 

^  Fungi  Mecklenburgenses  selecti ;  Lunebourg,  1 790-1 791,  in-4°. 

^  Synopsis  methodica  fungorum ,  Gott.  1801 ,  in-8°;  et  icônes  pictce 
spec.  rar.  fungorum  ;  Paris,  i8o3  et  suiv. 

7  Dans  son  e'ditinn  de  la  Flore  Françoise. 

**   Histoire  des  conferves  d'eau  douce  ;  Genève,  i8o3,  in-4°. 

9  Bath,  1795,  in-fol. 

'"  /r;o«e5 /«con«n ;  Nuremberj^,  1797,  et  1798,  in-4". 


BOTANIQUE.  261 

M.  de  Beau  vois  a  travaillé  sur  toute  cette  classe  '  : 
MM.  Swartz^  et  Smith  '  se  sont  occupés  plus  parti- 
culièrement des  fougères. 

Avec  des  secours  si  abondants  il  a  été  aisé  de 
rendre  les  ouvra^^es  généraux  de  }3otanique  infi- 
niment plus  complets  que  Linnœus  ne  les  avoit 
laissés. 

Le  Dictionnaire  de  botanique  de  TEncyclopédie, 
par  M.  de  La  Marck,  continué  par  M.  Poiret^  ;  le 
Species plantarum  de  M.  Willdenow^  1  enumération 
que  M.  Vahl^  avoit  commencée,  porteront  à  près 
de  trente  mille  le  nombre  des  espèces  de  plantes 
connues  et  enregistrées  dans  ce  grand  catalogue  de 
la  nature,  et  chaque  jour  en  ajoute  de  nouvelles. 
M.  de  Jussieu  comptoit  dix-neuf  cents  genres  en 
I  "789  ;  ce  nombre  seroit  presque  doublé  par  ceux 
qu'ont  établis  MM.  Ca  vanilles,  T^oureiro,  Smith,  de 
La  Marck,  Ruiz et Pavon, Michaux, IjaBillardière, 
Thunberg,  Gaertner,  du  Petit -Thouars  ,  Decan- 
dolle,  Ventenat,  et  M.  de  Jussieu  lui-même:  mais 

'   Prodrome  d'iEthéogamie  ,  déjà  cité. 

'  Synopsis Jilicum ;  Kie\ ^  i8o6,ia-8°. 

^  Mémoires  de  l'Académie  de  Turin. 

*  Commencé  en  iy83.  On  en  est  au  huitième  et  dernier  volume; 
in-8°. 

^  Commencé  en  1797  à  Berlin.  On  en  est  au  huitième  et  dernier 
volume  :  il  y  en  aura  deux  de  supplément;  in-8°. 

^'  Enumerat.  plantar.  ;  Hafn.  ,  i8o5.  Il  n'y  en  a  cjue  deux  volumes. 


202  SCIENCES    PHYSIQUES. 

une  partie  de  ces  genres  rentreront  les  uns  dans  les 
autres,  ou  dans  les  genres  anciens;  il  en  restera 
toujours  huit  à  neuf  cents  de  nouveaux  ', 

Il  n'est  pas  possible  que  dans  un  si  grand  nombre 
de  plantes  il  n'y  en  ait  beaucoup  dont  la  société 
pourra  tirer  parti. 

Sans  vouloir,  à  l'exemple  des  anciens,  attribuer 
à  toutes  les  plantes  des  vertus  médicinales  imagi- 
naires, il  est  certain  que  la  botanique  a  fourni, 
même  dans  ces  derniers  temps,  plusieurs  médi- 
caments utiles. 

Le  telragonia  expansa,  rapporté  des  îles  des  Amis 
par  le  capitaine  Gook,  se  cultive  aujourd'hui  en 
Europe  comme  plante  alimentaire  et  comme  excel- 
lent antiscorbutique;  le  chenopodium  antlieiminilii- 
cum,  si  utile  contre  les  vers  des  enfants,  s'est  ré- 
pandu des  Etats-Unis  dans  beaucoup  de  jardins  de 
FEurope  ;  la  mousse  de  Corse  (fucus  lieiminthocor- 
ton  )  est  suppléée  maintenant  par  plusieurs  de  nos 
varecs,  suivant  les  indications  de  M.  Gérard. 

Plusieurs  plantes  médicinales  ,  anciennement 
connues,  mais  apportées  autrefois  de  l'étranger, 
sont  actuellement  communes  dans  nos  jardins;  le 

'  Consultez  aussi  sur  les  plantes  nouvelles  qui  paroissent  journelle- 
ment les  divers  recueils  périodiques  de  Botanique,  tels  que  le  Journal 
de  Botanique  d'Usteri,  celui  de  Schrader,  le  Botanist  Repository  d' An- 
drews ,  les  Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Paris,  etc. 


BOTANIQUE.  .763 

lobelia  sypiliiuica  de  Virginie,  le  jalap  du  Mexique 
(convolvulus  jalappa) ^  la  rhubarbe  de  Sibérie  (rfieinn 
paimatum)^  celle  des  Arabes  {rlieum  ribes)^  sont  de 
ce  nombre. 

L'histoire ,  jusqu'à  présent  si  obscure ,  de  nos  plus 
importants  médicaments  végétaux  a  été  singulière- 
ment éclaircie  par  les  botanistes. 

MM^Vahl,  Ruiz,etPavon,ontles  premiers  bien 
distingué  les  diverses  sortes  de  quinquina ,  dont 
plusieurs  égalent  en  vertu  le  quinquina  rouge  du 
Pérou. 

M.  Decandolle  a  montré  que  Ton  confondoit 
en  pharmacie  des  plantes  de  genres  et  même  de 
classes  différentes  ,  sous  le  nom  commun  â'ipéca- 
cuanha\ 

Sans  toutes  ces  distinctions,  sans  la  fixation  pré- 
cise du  degré  de  vertu  de  chaque  espèce,  il  est  im- 
possible à  la  médecine  de  rien  prescrire  de  certain 
sur  les  doses  et  refficacité  des  médicaments. 

Les  botanistes  n'ont  pas  mis  moins  de  zélé  à  pro- 
pager les  plantes  aromatiques  ou  alimentaires  qu'ils 
ont  découvertes. 

Tout  le  monde  est  instruit  de  leurs  succès  dans 
la  transplantation  à.  la  Guiane  des  épiceries  des 
Moluques.  Ce  monopole  a  été  arraché  à  l'Orient 
par  des  Fran(;ois,  et  la  culture  de  ces  plantes  pré- 

•   Bulletin  des  Sciences,  messidor  an  lo. 


204  SCIENCES   PHYSIQUES. 

cieuses  portée  dans  des  contrées  d'où  le  retour  en 
Europe  sera  beaucoup  moins  pénible  et  moins 
coûteux. 

Nos  îles  de  France  et  de  Bourbon ,  qui  ont  servi 
d'entrepôt  pour  cette  grande  entreprise,  en  par-^ 
tarent  le  bénéfice  :  elles  reçoivent  elles-mêmes  des 
espèces  nouvelles;  le  ravendsara  de  Madagascar, 
arbre  aromatique ,  y  est  maintenant  naturalisé  ; 
rinde  et  la  Chine  lui  ont  fourni  le  litchi ,  le  ram- 
boutan ,  et  le  mangoustan ,  dont  les  fruits  sont  très 
agréables. 

Les  professeurs  du  Muséum  d'histoire  naturelle 
sont  parvenus  à  faire  donner  à  nos  colonies  d'A- 
mérique l'arbre  à  pain  des  îles  des  Amis.  On  en 
fait  à  présent  usage  à  Cayenne.  La  canne  à  sucre 
violette  de  Batavia  remplacera  bientôt  la  canne  or- 
dinaire ;  elle  donne  plus  de  sucre  et  en  moins  de 
temps. 

La  France,  déjà  si  riche  en  excellents  fruits  ,  a 
reçu  le  mûrier  rouge  du  Canada  ,  le  néflier  du  Ja- 
pon ,  et  le  noyer  pacanier  de  l'Amérique  septentrio- 
nale. Ces  fruits  agréables  peuvent  encore  se  perfec- 
tionner par  la  culture. 

Une  variété  de  la  patate  du  Mexique,  envoyée 
récemment  de  Philadelphie,  se  répand  en  France: 
son  goût  approche  de  la  châtaigne.  Ces  plantes  ali- 
mentaires souterraines,  qui  craignent  peu  les  intem- 


BOTANIQUE.  265 

péries,  sont  une  richesse  plus  certaine  encore  que 
les  autres. 

Les  Etats-Unis  nous  ont  donné  une  foule  de 
nouveaux  bois  de  charpente  et  de  menuiserie, 
principalement  des  espèces  de  chênes,  de  frênes, 
d'érables,  de  bouleaux ,  de  pins,  et  de  noyers ,  dont 
quelques  unes  ont  encore  des  usages  accessoires  très 
importants. 

Le  tan  du  chêne  rouge  est  préféré  à  tous  les 
autres;  le  quercitron,  ou  chêne  tinctorial,  aide  à 
teindre  les  cuirs  en  un  jaune  très  solide  ;  deux  sortes 
d'érables  donnent  du  sucre;  le  tupelo  aquatique 
remplaceroit  le  liège;  le  baumier  donne  un  suc 
utile  en  médecine;  divers  sapins  et  genévriers  aro- 
matisent la  bière.  Quelques  uns  de  ces  arbres  ont 
l'avantage  de  bien  venir  dans  des  terrains  qui  n'en 
nourrissoient  pas  d'autres  de  même  genre.  Le  cy- 
près chauve  veut  des  marais ,  etc. 

La  terre  de  Diémen  nous  enverroit  de  même  des 
eucalyptus  et  des  casuarina  excellents  pour  la  ma- 
rine ,  et  dont  les  diverses  qualités  s'approprie- 
roient  aisément  à  une  foule  d'autres  usages  parti- 
culiers. Lep/iormmm  tenax  de  la  Nouvelle-Zélande 
peut  servir  la  marine  plus  promptement  encore 
par  sa  fdasse,  beaucoup  plus  robuste  que  celle  du 
chanvre;  il  viendra  aisément  dans  nos  provinces 
méridionales. 


266  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Nous  ne  parlerons  pas  de  ce  .(jrand  nombre  de 
plantes  d'aprément  qui  ornent  aujourd'hui  nos 
parterres  et  nos  bosquets,  quoique  ce  soit  aussi 
uue  utilité  que  de  multiplier  ces  sortes  de  jouis- 
sances, et  que  larchitecture  et  les  fabriques  en 
tiient  journellement  des  moyens  et  des  modèles. 

C'est  en  ^«^rande  partie  par  cette  attention  qu'ont 
toujours  eue  les  naturalistes  de  réunir  dans  leur 
patrie  les  productions  étrangères  qui  peuvent  y 
réussir,  que  les  peuples  civilisés  sont  arrivés  à  leur 
prospérité  actuelle.  Le  même  moyen  peut  l'aug- 
menter encore  :  les  pays  étrangers  nous  offrent 
bien  d'autres  plantes  utiles;  nos  colonies  sur-tout 
peuvent  en  recevoir  en  foule  des  Indes  et  des  autres 
pays  chauds.  Il  seroit  digne  d'un  gouvernement 
paternel  de  les  leur  donner,  et  de  faire  encore 
pendant  la  paix  ces  conquêtes  si  douces  et  si  peu 
dispendieuses. 

Zoologie. 

Le  nombre  des  animaux  existants  est  infiniment 
supérieur  à  celui  des  végétaux,  mais  on  a  commencé 
plus  tard  et  l'on  a  long-temps  mis  moins  d'atten- 
tion à  en  dresser  l'état.  Linnaeus  encore,  en  portant 
dans  cette  branche  de  la  science  cette  méthode  pré- 
cise qui  lui  a  donné  tant  de  succès  en  botanique, 
a  eu  l'avantage  d'y  trouver  un  champ  plus  neuf  et 


ZOOLOGIE.  2G7 

plus  fécond,  qu'il  a  effleuré  rapidement  tout  entier, 
pendant  que  Buffon  et  Pallas  en  cultivoient  quel- 
ques parties  avec  plus  de  profondeur  et  d'éclat. 

Les  efforts  réunis  de  ces  hommes  célèbres  ont 
inspiré  plus  d'intérêt  pour  l'histoire  des  animaux, 
et  l'effet  commence  à  devenir  sensible;  car  la  pé- 
riode actuelle  est  plus  riche  que  toutes  les  autres 
en  travaux  sur  ce  régne. 

Les  quadrupèdes  ont  éprouvé  peu  d'augmenta- 
tion depuis  Pallas  et  Buffon ,  si  ce  n'est  par  la  Zoo- 
logie de  la  Nouvelle-Hollande  de  M.  Shaw,  et  par  les 
espèces  que  M.  Schreber  ajoute  de  temps  en  temps 
à  la  grande  histoire  de  cette  classe,  qu'il  publie  de- 
puis plusieurs  années  '.  Cependant  l'ouvrage  d'Au- 
debert  sur  les  singes  peut  être  cité  comme  livre  de 
luxc\  La  description  de  la  ménagerie  du  Muséum, 
commencée  par  MM.  de  Lacépède ,  Guvier,  et  Geof- 
froy, offre  aussi  de  belles  figures  de  quadrupèdes 
dessinées  par  Maréchal  et  M.  de  Wailly  ^,  On  attend 
avec  intérêt  l'ouvrage  que  M.  Geoffroy  prépare  sur 
les  animaux  à  bourse,  et  dont  il  a  donné  séparé- 
ment de  beaux  échantillons.  M.  Pérou  a  rapporté 
beaucoup  de  quadrupèdes  nouveaux  delà  Nouvelle- 

'  l^ubliée  en  François  et  en  allemand,  à  Erlang,  depuis  1776;  le 
quatrième  volume  est  fort  avancé. 

*   Histoire  naturelle  des  Singes,  in-fol. 

^  Conimence'e  en  l'an  10,  in-fol.  Il  en  a  paru  dix  cahiers  de  quatre 
planches  chacun. 


268  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Hollande,  et  M.  Lescbenault,  de  l'île  de  Java.  Buf- 
fon,  qui  se  proposoit  de  terminer  ses  travaux  par 
l'histoire  des  cétacés,  fut  arrêté  par  la  mort;  M.  de 
Lacépéde  a  glorieusement  rempli  ce  besoin  de  la 
science  '  et  ce  désir  de  son  illustre  maître. 

M.  Latham  est  celui  qui  a  le  plus  ajouté  au  cata- 
logue des  oiseaux^.  La  France  a  produit  sur  cette 
classe  des  ouvrages  de  luxe  remarquables  par  la 
beauté  de  leurs  plancbes.  Les  oiseaux  d'Afrique^, 
par  M.  Le  Vaillant,  présentent  beaucoup  d'espèces 
nouvelles  et  un  grand  nombre  d'observations  inté- 
ressantes. Les  perroquets'^,  les  oiseaux  de  paradis, 
les  toucans,  etc.\  par  le  même  auteur,  avec  des 
figures  de  M.  Barraband  ;  les  coUbris  et  autres 
oiseaux  dorés  par  Audebert  et  M.  Vieillot^;  les 
tangaras  de  M.  Desmarets  fils,  avec  des  figures  de 
mademoiselle  Decourcelles^,  sont  à-la-fois  de  véri- 
tables objets  de  commerce  et  des  recueils  dont  la 
science  peut  tirer  parti.  On  en  a. aussi  commencé 
de  semblables  en  Allemagne;  les  figures  des  oiseaux 

'   Histoire  des  Cétacés;  Paris,  an  12,  in-4*. 
'■^   Index  ornithologicus ;  Londres,  1790,  2  vol.  in-4°- 
^  Paris,  in-fol.  et  in-4°.  Commencé  en  1799;  il  en  a  paru  ciuq 
volumes. 

^  Ibid,  Commencé  en  1 801;  il  en  a  paru  deux  volumes. 
'  Paris,  1806,  2  vol.  grand  in-fol. 
^  Paris,  1802,  2  vol.  grand  in-fol. 
7  I^aris  ,  1 8o5  ,  grand  in-fol. 


ZOOLOGIE.  269 

de  ce  pays,  publiées  par  MM.  Wolf  et  Meyer ', 
et  plus  encore  celles  de  MM.  Borkhausen,  Licli- 
ihanimer,  et  Becker%  méritent  des  élo(];es;  mais 
peut-être  vaudroit-il  mieux  représenter  plus  sim- 
plement des  espèces  nouvelles  que  de  reproduire 
ainsi  des  espèces  connues,  uniquement  pour  appro- 
cher davanta(}e  d'une  perfection  d'images  que  l'on 
n'atteindra  jamais  complètement,  et  qui  n'est  pas 
nécessaire  au  naturaliste.  M.  d'Azzara,  dont  on  a  en 
françois  une  excellente  Histoire  des  quadrupèdes 
du  Paraguay,  traduite  par  M.  Moreau  de  Saint- 
Merry\  vient  de  donner,  en  espagnol,  celle  des 
oiseaux,  qui  ne  sera  pas  moins  précieuse. 

Le  luxe  des  figures  a  aussi  été  porté  sur  une 
classe  qui  n'en  paroissoit  guère  susceptible.  Uau- 
din,  en  France,  a  fait  représenter  les  grenouilles, 
rainettes,  et  crapauds^,  et  Russel,  en  Angleterre, 
les  serpents  de  la  côte  de  Goromandel,  avec  beau- 
coup de  magnificence  '. 

L'Histoire  générale  des  reptiles,  par  M.  de  La- 
cépède,  qui  remonte  aux  premières  années  de 
notre  période,  a  commencé  à  porter  un  grand 
jour  dans  cette  classe  auparavant  peu  étudiée^. 

'  Nurember^T,  grand  in-fol.  —  "*  Darmstadt,  in-fol. 
^  Paris ,  1801 ,  2  vol.  in-8".  —  ^  Paris,  an  1 1 ,  in-4''. 
^  Londres,  2  vol.  grand  in-fol. 

**  Histoire  naturelle  des  quadrupèdes  oupares  et  des  serpents;  Pa- 
ris, 1788  cl  1789,  2  vol.  in-4''. 


2^0  SGIEINCES    PHYSIQUES. 

Les  travaux  de  ce  célèbre  naturaliste ,  continués 
depuis  cette  époque,  et  ceux  que  Daudin  a  faits  en 
partie  sous  ses  yeux  ,  ont  mis  ce  dernier  en  état  d'en 
publier  récemment  une  autre  '  où  le  nombre  des 
espèces  est  plus  que  doublé.  M.  Schneider,  dans 
deux  ouvrages  sur  la  même  classe,  a  publié  aussi 
des  remarques  très  intéressantes^. 

M.  de  Lacépède  est  encore  celui  qui  a  jîublié 
l'histoire  des  poissons  la  plus  récente  et  la  plus 
riche.  C'est,  par  ses  vues,  par  le  nombre  des  faits 
qui  y  sont  rassemblés,  par  Tordre  qui  y  règne,  par 
l'éclat  de  son  style,  un  digne  complément  du  ma- 
gnifique édifice  commencé  par  Buffon^. 

L'ouvrage  de  Bloch^,  qui  l'avoit  précédé  de  peu 
d'années,  est  remarquable  par  la  beauté  de  ses  fi- 
gures enluminées  et  par  le  grand  nombre  de  ses 
nouvelles  espèces.  L'abrégé  latin  ^  que  M.  Schnei- 
der vient  d'en  publier,  avec  des  additions,  contri- 
bue à  le  compléter  et  à  faire  connoître  avec  plus 

'  Histoire  naturelle  des  reptiles;  Paris,  ans  lo  et   ii,  8  volumes 

in-8^ 

=»  Amphihiorum  physiologiœ  spec.  2  et  II ;  Zullichow,  1797,  in-4°  ; 
et  Historiœ  amphibiomm  naturalis  et  litterariœ  fascic.  I  et  II;  léna, 
1799  et  1801 ,  in-S". 

^   Histoire  naturelle  des  Poissons;  Paris,  an  9  et  1 1,  5  vol,  in^"- 

^  Histoire  naturelle  des  Poissons ,  en  François  et  en  allemand  ; 
12  vol.  in-fol.  et  in-4°.  Commencée  en  1782. 

^  Systema  ichthyologiœ  iconibus  CX  illustratum  ;  Berlin,  1801, 
2  vol.  in-S". 


ZOOLOGIE.  271 

d'exactitude  un  certain  nombre  d'espèces  ;  mais  la 
méthode  bizarre  que  cet  éditeur  a  suivie,  d'après  le 
nombre  des  nageoires,  en  rend  Tusage  embarras- 
sant. 

La  classe  immense  des  insectes  est  celle  qui  a 
donné  lieu  à  plus  de  recherches  et  à  plus  d'ou- 
vrages. 11  y  en  a  de  ces  derniers  presque  autant  (|ue 
sur  les  plantes,  et  l'espace  nous  nianqueroit  pour 
en  rapporter  seulement  les  titres. 

Nous  citerons  néanmoins,  parmi  les  descrip- 
tions d'insectes  de  certains  pays,  la  Faune  étrusque, 
de  M.  Rossi  '  ;  celle  de  Suéde ,  de  M.  Paykull  '  ;  la 
gra ude  Faune  des  insectes  d'Allemagne ,  avec  de 
jolies  figures,  par  M.  Panzer^;  l'Entomologie  hel- 
vétique, de  M.  Glairville^;  celle  de  la  Grande- 
Bretagne  ,  par  M.  Marsham  ;  la  Faune  des  insectes 
des  environs  de  Paris,  par  M.  Vaickenaer ',  qui 
ajoute  beaucoup  à  celle  de  MM.  Geoffroy  et  Four- 
croy;  les  Insectes  de  Guinée  et  d'Améri(|ue,  par 
M.  dcBeauvois^. 

'  Livourne  et  Pise,  1790-1794,  4  volumes  in-4°,  dont  deux  de  sup- 
plément. 

^  Gusta\iiPaykn\\  Fauna  Suecica,  /?îsecfa  ;Upsal,  1798,  4vol.in-8". 

^  Commencée  en  1793,  par  feuilles  détachées,  et  se  continuant 
encore. 

^  Zurich,  1798,  I  vol.  in-8°,  en  François  et  en  allemand. 

^  Paris,  1802,  2  vol.  in-8". 

^  Insectes  recueillis  en  Afrique  et  eu  Amérique  ;  Paris,  in-fol.  Çjju'a .^ 
mencé  en  i8o5.  y*^0\0^^''^/\ 


ay^  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Parmi  les  descriptions  d'insectes  de  certaines 
familles  se  distinguent  éminemment ,  par  leur 
magnificence,  les  descriptions  et  les  figures  des 
papillons,  de  Cramer',  d'AngramelIe%  d'Esper^, 
et  sur-tout  celles  d'Hûbner^.  On  doit  y  ajouter 
riconograpbie  des  hémiptères  ,  de  Stoll  ^  ;  celle  des 
crustacés,  de  M.  Herbst^  ;  les  punaises,  de  Wolf; 
les  diptères ,  de  Schellenberg";  les  abeilles  d'Angle- 
terre, de  Kirby^;  enfin  l'Histoire  des  coléoptères, 
de  M.  Olivier"^,  qui  joint  au  luxe  des  figures  l'en- 
semble le  plus  complet  sur  les  mœurs ,  et  un  grand 
nombre  d'espèces  étrangères  observées  par  l'auteur 
dans  les  cabinets  de  l'Angleterre  et  de  la  Hollande. 
D'autres  ouvrages  sur  cette  classe,  quoique  dé- 
pourvus de  nombreuses  planches  enluminées, 
sont  remarquables  par  l'exactitude  des   observa- 

'  Papillons  exotiques.  Commencé  en  1779,  continué  par  Holl  jus- 
qu'en 1790. 

"^  Papillons  d'Europe;  in-4''.  Commencé  en  1779,  continué  jus- 
qu'en 1  790. 

^  Commencé  à  Erlang  en  1777,  in-4°. 

^  Huit  volumes  iu-4°- 

^  Commencée  en  1788  ;  Amsterdam,  in-4°. 

^  Commencée  en  1790  ;  Berlin  et  Stralsund,  in-4°. 

7  Genres  des  mouches  diptères ,  en  françois  et  en  allemand  ;  Zu- 
rich, i8o3,  in-8°. 

^  Monographia  apum  Angliœ^  en  anglois  ;  Ipsvvich,  1802,  2  vol. 
in-8^ 

9  Commencée  en  1789,  et  se  continuant  encore.  L'auteur  vient  de 
terminer  le  cinquième  volume  in-^". 


ZOOLOGIE.  273 

tions  qu'ils  renferment.  Telles  sont  les  Monogra- 
phies des  carabes,  des  staphylins,  et  des  charan- 
çons ,  par  M.  PaykuU  '  ;  celles  des  fourmis  et  des 
abeilles,  par  M.  Latreille''  ;  celle  des  coléoptères  à 
petits  élytres,  par  M.  Gravenhorst^. 

Pour  les  descriptions  d'insectes  nouveaux  en  gé- 
néral on  a  plusieurs  recueils  périodiques,  sur-tout 
en  Allemagne,  où  ce  genre  de  publication  est  plus 
en  usage.  Fuessly  4,  Scriba  %  M.  Illiger,  ont  suc- 
cessivement mis  leurs  noms  à  la  tête  de  semblables 
recueils. 

Quantaucntaloguegénéral  des  insectes, M.  Fabri- 
cius^  est,  depuis  long-temps,  en  quelque  sorte  en 
possession  de  le  rédiger.  Ses  éditions  successives,  de< 
puis  celle  de  i  77^,  l'ont  porté  au  nombre  effrayant 
de  près  de  vingt  mille  espèces  recueillies,  soit  dans 
les  ouvrages  que  nous  venons  de  citer,  soit  dans  les 
cabinets  que  M.  Fabricius  a  soin  de  visiter  chaque 

'  Monographia  staphylinorum  Sueciœ ;  TTpsal,  1789,  in-8".  Mono- 
graphia  caraborum  ;  ibicl.,  1790,  in-8°. 

'   Paris,  1802,  in-8''. 

^   Brunswick,  1802,  etGott.,  1806,  2  vol.  in-8°. 

^  Le  Journal  de  Fuessly  a  commencé  en  1778.  Il  a  paru  sous  diffc- 
rents  titres  jusqu'en  i  794  ,  à  Zurich  et  à  Winterthur,  in-8". 

•'  Celui  de  Scriba,  imprimé  à  Francfort,  a  paru  depuis  1790- 1798, 
in-8°  etin-4°. 

^  Ce  savant  naturaliste  n'est  mort  que  depuis  la  présentation  de  ce 
Rapport. 

BUFFON.  COMPLKM.  T.  I.  1^ 


274  SCIENCES   PHYSIQUES. 

a  nnée  dans  une  partie  de  TEurope.  La  France  est  l'un 
des  pays  qui  lui  ont  fourni  le  plus  de  matériaux  ^ 

Nous  avons  en  François  un  excellent  ouvrage  sur 
les  insectes,  c'est  celui  que  M.  La  treille  a  joint  à  l'é- 
dition de  Euffon  imprimée  chez  Duffart^  ;  et  il  y  en 
a  en  Allemagne  un  beaucoup  plus  considérable, 
commencé  par  Jablonsky  et  continué  par  Herbst  ^. 

Les  coquilles  et  les  divers  lithophytes  n'ont  pas 
manqué  de  descripteurs  ni  de  dessinateurs.  Schroe- 
ter"^,  Draparnaud  ',  MM.  Poiret*",  et  Férussac^,  ont 
traité  des  coquilles  d'eau  douce  j  le  grand  ouvrage 
de  Martini  a  été  continué  par  Chemnitz^,  etc. 

'  Systema  entomologiœ ;  Flensbourg  et  Lelpsick,  l'/'jS  ^  in-8".  Spe~ 
des  insectorum  ;  Hambourg  et  Kiel ,  1781,  2  vol.  in-S".  Mantissa  iri- 
se ctorum  ;  Hafn.,  1787,  2  vol.  in-8°.  Entomolocjia  systeniatica ;  Hafn., 
1792-17941  4  "^*^''  if^'S"-  Systema  eleuteratorum ;  Kiel,  1801,  2  vol. 
in-8°.  Systema  ulonat.  ;  et  ainsi  de  suite  pour  les  autres  classes. 

'  Paris,  ans  10  et  i3,  i4  vol.  in-8°.  Le  même  auteur  a  publié  de- 
puis, en  latin,  les  trois  premiers  volumes  de  ses  Gênera  insectorum; 
Paris  et  Strasbourg,  1806  et  1807,  in-8°. 

^  Système  de  tous  les  insectes  connus,  commencé  à  Berlin  en  1785, 
in-4°. 

^  Sur  les  coquilles  d'eau  douce ,  piincipalement  de  Thuringe  ; 
Halle,  1779,  in-4°5  ^n  allemand. 

^  Histoire  naturelle  des  mollusques  terrestres  et  fluviatiles  de  la 
France;  Paris,  i8o5,  in-4". 

^  Coquilles  fluviatiles  et  terrestres  observées  dans  le  département 
de  l'Aisne;  Paris,  an  9,  in-8°. 

"^  Essai  d'une  méthode  conchyliologique;  Paris,  1807. 

*  Nouveau  Cabinet  systématique  de  coquilles;  Nuremberg,  1769- 
1788  ,  10  vol.  in-4". 


ZOOLOGIE.  275 

Les  coquilles  fossiles  des  environs  de  Paris  ont 
trouvé  dans  M.  de  La  Marck  un  descripteur  infati- 
gable, qui  en  a  déjà  ajouté  plusieurs  centaines  à  la 
liste  de  celles  qu'on  observe  vivantes  dans  la  mer  et 
dans  les  eaux  douces  '. 

Mais  les  mollusques  nus,  ceux  qui  habitent  l'in- 
térieur des  coquillages,  les  vers,  et  les  zoopbytes, 
ont  été  trop  négligés  ;  l'intérêt  et  la  variété  de  leur 
structure  n'ont  prévalu  qu'auprès  d'un  petit  nom- 
bre de  naturalistes  sur  la  difficulté  de  les  recueillir 
et  de  les  conserver. 

M.  Poli  cependant  a  publié,  sur  les  animaux  des 
coquilles  du  royaume  de  Naples ,  un  magnifique 
ouvrage  où  il  expose  et  représente  leur  anatomie 
avec  beaucoup  d'exactitude  %  et  répand  un  jour 
tout  nouveau  sur  leur  physiologie. 

M.  Guvier  s'occupe  de  tous  ces  animaux  nus;  il 
en  a  déjà  fait  connoître  plusieurs  nouveaux,  tant 
à  l'extérieur  qu'à  l'intérieur,  et  a  rectifié  par  le 
moyen  de  l'anatomie  la  plupart  des  notions  que 
l'on  avoit  sur  les  autres  ^ 

Gœtze  ^,  Werner,  Fischer'',  Bloch,  liudolphi, 

'  Dans  les  différents  volumes  des  Annales  du  Muséum  d'hisî.  natur. 
^  Testacea  utriusquc  Siciliœ  ;  2  vol.  ffrand  in-fol. 
^  Dans  les  Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle. 
*  Essai  d'une   histoire  naturelle  des  vers  intestins  des   animaux  ; 
Blankenbour{;,  1782,  1  vol.  in-4'',  «n  allemand. 

^  Vermium  intestinalium  brevis  Expos'tio,  auct.   Werner;   Leips. , 

18. 


2^6  SCIENCES    PHYSIQUES. 

ont  donné  beaucoup  d'étendue  à  la  connoissance 
des  vers  intestinaux,  famille  si  singulière  par  la 
nécessité  qui  la  retient  dans  l'intérieur  des  ani- 
maux. 

Bru^juière  avoit  commencé,  dans  l'Encyclopé- 
die, une  histoire  générale  de  tous  ces  animaux  sans 
vertèbres,  qui  ne  sont  pas  des  insectes,  et  que 
l'on  confondoit  sous  le  nom  commun  de  vers.  Son 
voyage  et  sa  mort  l'ont  interrompue  ;  et  maintenant 
que  la  distribution  méthodique  de  cette  partie  du 
règne  est  changée  on  ne  pourra  pas  continuer  cet 
ouvrage  sur  le  même  plan. 

Il  y  a  beaucoup  moins  d'ouvrages  généraux  sur  le 
règne  animal  que  sur  la  botanique,  parcequ'il  est 
très  difficile  qu'un  seul  homme  étudie  les  espèces 
innombrables  et  les  formes  à-la-fois  si  compliquées 
et  si  diversifiées  des  animaux.  M.  Shaw  est  jusqu'à 
présent  le  seul  qui  ait  entrepris  d'en  écrire  un  dé- 
taillé '  ;  mais  il  est  encore  loin  de  l'avoir  terminé ,  et 
la  plus  grande  partie  de  ses  figures  est  empruntée 
d'autres  ouvrages.  Il  y  en  a  au  moins  plusieurs  ta- 
bleaux abrégés.  Les  Allemands,  accoutumés  depuis 
long -temps  à  enseigner  l'histoire  naturelle  dans 
leurs  universités,  ont  sur-tout  le  Manuel  de  M.  Blu- 

1782,    I  vol.  in-8°  ;  ejiiadem   Contin.  I;  ibid. ,    1782;   Contin.  II  h 
Leonh.  Fischer,  1786;  Contin.  III,  aucfore  Fischer,  1788. 
'    General  Zoology,  commencée  en  1800;  à  Londres,  in-8°. 


ZOOLOGIE.  277 

menbach  \  Le  premier  écrit  méthodique  de  ce 
[jenre  qui  ait  paru  en  France  est  le  Tableau  élémen- 
taire de  M.  Cuvier^,  qu'a  suivi  la  Zoologie  analy- 
tique de  M  Duméril ,  ouvra(^e  qui  présente  tous  les 
genres  distribués  d'après  une  analyse  rigoureuse, 
et  où  l'auteur  propose  beaucoup  de  divisions  nou- 
velles^. 

Les  animaux  nous  offrent  moins  souvent  des  ob- 
jets nouveaux  d'utilité  que  les  végétaux,  parceque 
nous  avons  moins  de  moyens  de  nous  en  rendre 
maîtres  et  de  nous  consacrer  leur  existence. 

Cependant  cette  période  a  fait  connoître  de  nou- 
velles espèces  de  gibier  que  l'on  pourroit  répandre 
dans  nos  bois,  comme  le  phascolome  de  la  Nouvelle- 
Hollande,  etc.  ;  de  nouvelles  pelleteries  propres  à 
alimenter  le  commerce  ou  à  donner  du  poil  pour 
la  chapellerie,  comme  le  couy  du  Paraguay,  etc. 

En  revanche  les  animaux  offrent  au  philosophe, 

'  La  huitième  édition  est  de  1807.  Il  y  en  a  une  traduction  Fran- 
çoise ,  par  M.  Artaud,  faite  sur  la  sixième  e'dition  ;  Metz,  1 8o3 ,  2  vol. 
in-8°. 

"  Paris,  an  6,  in-8". 

^  Paris,  1806,  in-8°. — Au  reste,  pour  se  mettre  au  courant  de 
toutes  les  découvertes  de  détail  dont  se  sont  enrichies  les  diverses 
branches  de  l'histoire  naturelle ,  il  faut  encore  parcourir  les  ouvrages 
périodiques  généraux,  tels  que  le  Naturforscher,  le  Journal  de  Voigt, 
les  Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  les  écrits  de  la  Société 
des  naturalistes  de  Berlin,  le  JVaturalist's  Misccllany  de  Shaw,  etc. 
Ce  dernier  a  le  défaut  de  reproduire  beaucoup  <le  choses  connues. 


278  SCIENCES    PHYSIQUES. 

dans  leurs  propriétés  et  dans  leurs  diverses  indus- 
tries, des  sujets  de  méditation  plus  nombreux  et 
plus  intéressants. 

Leurs  mœurs,  les  procédés  de  leur  instinct ,  mé- 
ritent sur-tout  l'attention  et  exigent  souvent  beau- 
coup de  sagacité  pour  être  bien  développés. 

L'abeille,  qui  fait  depuis  si  long-temps  l'objet 
de  l'admiration  des  naturalistes  et  des  hommes 
instruits  de  toutes  les  classes,  n'étoit  point  encore 
parfaitement  connue;  et  il  étoit  réservé  à  M.  Huber 
de  dévoiler  tout-à-fait  les  secrets  du  gouvernement 
des  ruches  ' . 

Il  y  a  peu  de  propriétés  plus  remarquables  que 
celle  que  Spallanzani  a  découverte  dans  les  chauve- 
souris,  de  pouvoir  se  diriger  dans  l'obscurité,  de 
démêler  tous  les  contours,  toutes  les  fentes  des  sou- 
terrains ,  et  d'éviter  tous  les  obstacles  sans  employer 
le  sens  de  la  vue  :  la  délicatesse  du  sens  du  toucher 
répandu  sur  l'énorme  surface  de  leurs  oreilles  et  de 
leurs  ailes,  et  l'extrême  finesse  de  leur  ouïe,  peuvent 
également  y  contribuer. 

La  faculté  de  reproduire  les  parties  coupées, 
portée  à  l'extrême  dans  le  polype  à  bras ,  si  célèbre 
par  les  expériences  de  Trembley,  ne  se  manifeste 
guère  moins  fortement  dans  les  actinies  et  dans 

'  Nouvelles  Observations  sur  les  abeilles,  par  François  Huber  ; 
Genève,  i792,in-8°. 


ZOOLOGIE.  279 

quelques  autres  zoophytes,  selon  l'abbé  Dicque- 
niare  '  :  on  l'a  connue  de  tout  temps  pour  les  écre- 
visses;  on  sait,  par  Spallanzani  et  Bonnet,  à  quel 
point  elle  va  dans  les  salamandres  aquatiques  et  les 
limaçons.  Dans  la  période  actuelle  Broussonnet  a 
constaté  qu'elle  est  presque  aussi  étendue  dans  les 
poissons^.  ^ 

Bonnet  avoit  découvert  dans  les  pucerons  la  fa- 
culté d'être  fécondés  pour  plusieurs  générations  par 
un  seul  accouplement  :  M.  Jurine  l'a  vue  portée  en- 
core plus  loin  dans  certains  monocles^. 

La  léthargie  plus  ou  moins  profonde  dans  la- 
quelle certains  animaux,  comme  les  marmottes, 
les  loirs,  etc.,  passent  la  saison  froide  est  encore 
une  propriété  bien  digne  d'attention.  L'Institut  en 
a  fait  deux  fois  le  sujet  d'un  prix;  et  sa  question  a 
produit  des  travaux  intéressants  qui  ont  bien  fait 
connoître,  sinon  les  causes  de  ce  singulier  phéno- 
mène ,  du  moins  toutes  les  circonstances  qui  l'a-  • 
mènent,  l'accompagnent,  ou  l'interrompent. 

Les  observations  de  MM.  Hérold  et  Rafn ,  qui 

'  Les  recherches  de  Dicquemare  ne  sont  encore  connues  que  par 
quelques  mémoires  épars  dans  le  Journal  de  Physique  ;  mais  le  ma- 
nuscrit existe  en  entier,  avec  beaucoup  de  planches  toutes  gravées , 
dans  les  mains  de  mademoiselle  Le  Massori  Le  Golft  :  il  est  fort  à  dé- 
sirer qu'il  soit  bientôt  publié. 

Académie  des  Sciences,  1786. 

^  Bulletin  dea  Sciences,  thermidor  an  g. 


28o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

lurent  couronnés  il  y  a  trois  ans,  et  de  M.  Saissy ', 
qui  Ta  été  cette  année,  jointes  à  celles  de  MM.  Man- 
gili^  et  Prunelle,  qui  nont  point  jugé  à  propos  de 
concourir,  et  à  cellesqueSpallanzaniavoit  faites  sur 
la  fm  de  sa  vie^  donnent  un  corps  assez  complet  de 
doctrine  sur  ce  sujet. 

La  léthargie  parfaite  est  accompagnée  d  une  sus- 
pension totale  de  la  respiration,  de  la  sensibilité, 
du  mouvement,  et  de  la  digestion.  La  circulation 
est  très  ralentie,  et  la  nutrition  et  la  transpiration 
réduites  à  très  peu  de  chose.  Le  sang  semble  quit- 
ter les  extrémités  et  engorger  les  vaisseaux  de  l'ab- 
domen. 

La  seule  condition  de  la  léthargie  est  le  froid  et 
l'absence  des  causes  irritantes.  Celles-ci  peuvent 
même  contrarier  l'action  du  froid;  et  c'est  ce  qui 
fait  que  dans  l'état  domestique  plusieurs  de  ces 
animaux  ne  tombent  jamais  en  léthargie,  et  que 
.d'autres  y  ont  besoin  pour  cela  de  plus  de  froid, 
tandis  qu'un  repos  absolu  et  un  air  renfermé  les 
endorment  plus  tôt  qu'à  rordinaire.  Un  froid  trop 
vif  devient  lui-même  un  irritant  et  les  réveille.  Pen- 
dant la  léthargie  leur  chaleur  naturelle  ne  seléve 
guère  au-dessus  de  celle  du  milieu  ;  mais  si  on  les 

'  Recherches  expérimentales  sur  la  Physique  des  animaux  mammi- 
fères hivernants,  etc.,  par  M.  Saissy;  Lyon,  1808,  i  vol.  in-8°. 

""  Essais  d'observations  pour  servir  à  l'histoire  des  mammifères 
sujets  à  une  léthargie  périodique,  en  italien;  Milan,  1807,  in-8''. 


ZOOLOGIE.  281 

réveille  ils  reviennent  promptement  à  leur  chaleur 
ordinaire,  quelque  froid  qu'il  fasse:  au  contraire 
si  on  les  abandonne  au  sommeil  à  quelques  degrés 
au-dessous  de  zéro  ,  ils  périssent  gelés. 

On  trouve  dans  ces  faits  des  preuves  bien  évi- 
dentes de  Tinfluence  des  irritants  extérieurs  pour 
entretenir  l'activité  du  tourbillon  vital  ;  mais  on  y 
en  trouve  de  non  moins  remarquables  de  la  possi- 
bilité que  la  vie  subsiste  malgré  le  ralentissement 
excessif  des  mouvements  dont  elle  se  compose. 

Quant  à  la  cause  prédisposante,  c'est-à-dire  aux 
circonstances  particulières  d'organisation  qui  font 
que  certains  animaux  dorment  l'hiver  et  que  d'au- 
tres de  même  classe  ne  dorment  point,  elles  sont 
encore  fort  obscures. 

Depuis  un  temps  immémorial  on  attribuoit  aux 
vipères  çt,  plus  qu'à  tout  autre,  aux  serpents  à 
sonnette  la  faculté  d'étourdir  et  en  quelque  sorte 
d'attirer  à  soi  les  petits  animaux  dont  ces  reptiles  se 
nourrissent.  M.  Barton  a  réduit  cette  faculté  dans 
ses  justes  bornes  en  montrant  que  le  serpent  à  son- 
nette ne  prend  ainsi  que  de  petits  oiseaux  ou  ani- 
maux qui  nichent  près  de  terre,  et  que  c'est  dans 
les  mouvements  qu'ils  se  donnent  pour  défendre 
leurs  petits  qu'ils  s'approchent  assez  de  la  gueule 
du  reptile  pour  qu'il  puisse  s'en  emparer  '. 

'   Mémoire  concernant  la  faculté  de  fasciner  attribuée  au  serpent  à 
sonnette,  en  anglois;  Philadelphie,  1796,  in-8". 


282  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Au  nombre  des  émanations  nuisibles  les  plus 
extraordinaires  doit  être  comptée  Félectricité  (gal- 
vanique que  certains  poissons  manifestent  à  vo- 
lonté. M.  de  Humboldt  a  fait  connoître  le  degré 
prodigieux  de  celle  du  gymnote  de  la  Guiaue  %  et 
M.  Geoffroy  a  décrit  les  organes  où  elle  se  produit 
dans  le  silure  électrique  du  Nil^. 

Il  y  a  aussi  des  animaux  intéressants  par  leurs 
formes  singulières,  et  la  Nouvelle-Hollande  se  fait 
remarquer  plus  que  tout  autre  pays  par  ces  formes 
extraordinaires.  En  général  elle  a  renouvelé  ce  fait 

u 

remarquable  qui  eut  déjà  lieu  lors  de  la  découverte 
de  l'Amérique  méridionale ,  c'est  que  tous  ses  êtres 
vivants,  excepté  l'iiomme  et  le  chien ,  sont  d'espèces 
et  souvent  de  genres  inconnus  au  reste  du  globe , 
comme  s'il  y  avoit  eu  pour  elle  une  création  parti- 
culière. 

Le  kanguroo,  découvert  par  le  capitaine  Cook, 
haut  de  six  pieds,  faisant  des  sauts  énormes  sur  ses 
jambes  de  derrière  disproportionnées,  portant  ses 
petits  dans  une  poche  ;  le  phascolome ,  décrit  par 
M.  Geoffroy,  et  qui  réunit  la  poche  des  didelphes, 
la  marche  lente  des  paresseux,  et  les  dents  des  ron- 

'  Dans  les  Observations  de  Zoologie  et  d'Anatomie  comparée  qui 
font  partie  de  son  voyage. 

^  Bulletin  des  Sciences,  nivôse  an  1 1  ;  Annales  du  Muséum  d'his- 
toire naturelle. 


ZOOLOGIE.  283 

«jeurs  ;  Fornithorliynque  de  M.  Blumenbach ,  dont 
les  pieds  ressemblent  à  ceux  d'un  phoque  et  le  mu- 
seau au  bec  d'un  canard;  lechidné,  qui  joint  un 
museau  tubuleux  et  une  langue  extensible  de  four- 
milier à  des  épines  de  hérisson ,  frappent  d'étonne- 
ment  les  yeux  les  plus  habitués  aux  singularités  de 
la  nature. 

Cette  géographie  des  êtres  organisés  présente 
plusieurs  autres  considérations ,  et  M.  de  Hum- 
boldt  lui  a  donné  le  plus  grand  intérêt  dans  sa  Des- 
cription physique  de  l'Amérique  équinoxiale.  C'est 
là  que  l'on  voit  avec  le  plus  de  précision  comment 
chaque  plante,  chaque  animal,  sont  limités  dans 
leurs  migrations  par  la  combinaison  du  sol, du  cli- 
mat ,  et  de  l'élévation  verticale. 

Tant  de  richesses  dans  tous  les  régnes  mérite- 
roient  bien  d'être  recueillies  dans  un  ouvrage  géné- 
ral. Il  est  sur-tout  nécessaire  pour  le  régne  animal, 
où  il  n'y  en  a  point  qui  mérite  ce  nom  :  l  édition  de 
Linnaeus,  par  Gmehn',  n'est  presque  par-tout 
qu'une  compilation  informe  ;  et  sa  refonte  seroit 
peut-être  une  des  choses  les  plus  utiles  aux  sciences 
naturelles. 

L'Europe  entière  avoueroit  sans  doute  un  ou- 
vrage de  ce  genre,  rédigé  par  les  naturalistes  fran- 

'  Leipsick,  1788-1 798,  trois  parties  faisant  10  volumes;  réimprime'e 
à  Lyon. 


284  SCIENCES    PHYSIQUES. 

cois.  La  collection  intitulée  Annales  du  Muséum 
d histoire  naturelle ,  qui  se  publie  depuis  cinq  ans', 
prouve  en  effet  que  Paris  est  peut-être  la  seule  ville 
où  les  objets  d'observation  et  les  secours  d'érudition 
s  unissent  aux  connoissarices  acquises  et  aux  vues 
élevées  au  de^orré  nécessaire  pour  y  faire  réussir  une 
entreprise  aussi  vaste. 

Perfectionnements  dans  les  méthodes. 

11  a  été  aisé  de  sentir  dès  les  premiers  moments 
que  cette  immense  quantité  d'objets  que  l'histoire 
naturelle  considère  avoit  besoin  de  quelque  ar- 
ran [Renient  pour  se  loger  sans  confusion  dans  la 
mémoire. 

On  les  a  donc  de  tout  temps  distribués  en  divi- 
sions et  subdivisions  de  divers  ordres;  et  à  mesure 
que  la  science  a  fait  des  progrès  on  a  désigné  cha- 
cun de  ces  groupes  par  des  caractères  distinctifs 
plus  précis. 

Linnaeus  sur-tout  a  porté  cet  art  des  distribu- 
tions et  des  caractères  à  un  tel  degré  de  clarté  et  de 
brièveté,  qu'il  est  aisé  à  celui  qui  s'est  rendu  son 
langage  famiiier  de  trouver  dans  son  immense  ca- 
talogue la  place  et  le  nom  d'un  être  quelconque  qu'il 
observeroit.  C'est  à  la  facilité  qui  résulte  de  cet  ar- 

'   Paris,  1802.  On  en  est  au  douzième  volume,  in-4°- 


MÉTHODES.  285 

rangement,  à  la  commodité  de  sa  nomenclature,  et 
sur-tout  au  soin  qu'il  a  pris  de  placer  dans  son  sys- 
tème tous  les  êtres  connus  de  son  temps ,  que  cet 
homme  célèbre  a  dû  l'autorité  extraordinaire  qu'il 
avoit  acquise  de  son  vivant,  autorité  qui,  toute  des- 
potique qu'elle  étoit,  avoit  l'avantage  de  réunir  les 
naturalistes  sous  les  lois  d'une  langue  commune  et 
intelligible  pour  tous. 

Il  faut  convenir  en  effet  que  depuis  la  mort  de 
Linnseus  une  sorte  d'anarchie  s'est  emparée  de  la 
partie  systématique  de  l'histoire  naturelle,  et  que 
les  distributions  de  tous  les  degrés,  et  les  noms  qui 
s'y  rattachent,  ont  varié  au  point  de  fatiguer  les  mé- 
moires les  plus  tenaces  et  d'exciter  des  plaintes  vives 
de  la  part  des  amateurs  superficiels. 

Mais  ce  désordre  apparent  ne  vient  que  de  la  ten- 
dance naturelle  aux  bons  esprits  vers  un  ordre 
meilleur,  dont  la  marche  de  Linnœus  sembloit  vou- 
loir nous  tenir  écartés  pour  jamais,  vers  cette  dis- 
tribution des  faits  dont  la  science  se  compose ,  en 
propositions  tellement  graduées  et  subordonnées 
dans  leur  généralité  que  leur  ensemble  soit  l'ex- 
pression des  rapports  réels  des  ctres. 

Il  ne  s'agit  pour  cet  effet  que  de  grouper  les  êtres 
d'après  l'ensemble  de  leurs  propriétés  ou  de  leur 
organisation,  de  manière  que  ceux  que  le  même 
groupe  réunira  se  ressemblent  plus  entre  eux  qu'ils 


286  SCIE]\CES    PHYSIQUES. 

ne  ressemblent  à  tout  autre  qui  seroit  entré  dans 
un  groupe  différent.  Cette  disposition  est  ce  qu'on 
nomme  méthode  naturelle  :  une  sorte  de  sentiment 
intérieur  dirige  vers  elle  tous  ceux  que  la  nature 
frappe  ;  mais  comme  elle  supposeroit  pour  être  par- 
faite une  connoissance  très  détaillée  de  toutes  les 
parties  des  êtres,  on  a  été  long-temps  obligé  de  s'en 
tenir  à  ces  systèmes  de  pure  nomenclature  établis, 
comme  ceux  de  Linnaeus ,  sur  quelque  organe  isolé 
et  cboisi  assez  arbitrairement. 

11  en  a  été  imaginé  avant  et  depuis  Linnaeus  un 
très  grand  nombre,  sur- tout  en  botanique;  et  ils 
ont  eu  au  moins  l'avantage  de  porter  successivement 
l'attention  sur  les  divers  organes  et  de  les  faire  étu- 
dier ;  mais  comme  ils  satisfaisoient  peu  les  esprits 
éclairés,  on  a  cherché  dans  tous  les  temps  à  leur 
substituer  la  méthode  naturelle. 

Méthode  naturelle  des  plantes. 

Morison,  Magnol,  Ray,  Haller,  Adanson ,  Ber- 
nard de  Jussieu ,  Linnaeus  même  dans  quelques 
écrits  particuliers ,  ont  cherché  à  rapprocher  les 
plantes  d'après  ces  principes  :  mais  c'est  à  la  France , 
et  sur-tout  à  l'époque  actuelle,  qu'il  étoit  réservé 
d'en  faire  une  apphcation  générale  à  tout  le  régne 
végétal  ;  et  c'est  précisément  en  1789  qu'a  paru  le 


MÉTHODES.  287 

Gênera plantarum  de  M.  de  Jussieu ,  ouvrage  fonda- 
mental en  cette  partie,  et  qui  fait  dans  les  sciences 
d'observation  une  époque  peut-être  aussi  impor- 
tante que  la  Chimie  de  Lavoisier  dans  les  sciences 
d'expérience'. 

Exposons  en  peu  de  mots  les  principes  d'où  Ton 
est  parti,  et  la  marche  que  Ton  a  suivie  pour  arriver 
à  cette  distribution  naturelle  des  plantes. 

Il  y  a  parmi  les  végétaux  quelques  familles  recon- 
nues universellement  pour  naturelles,  suivant  l'ac- 
ception donnée  précédeuiment  à  ce  terme  :  les  gra- 
minées ,  lesombellifères,  les  légumineuses,  sont  de 
ce  nombre.  Les lîotanistes,  observant  dans  chacune 
de  ces  familles  les  organes  constants  et  ceux  qui  va- 
rient, et  trouvant  que  ceux  qui  sont  constants  dans 
l'une  le  sont  aussi  dans  les  autres,  jugent  que  les 
premiers  sont  plus  importants,  et  que  l'on  doit  y 
donner  plus  d'attention  dans  la  formation  des  fa- 
milles moins  évidentes. 

Ayant  ainsi  classé  les  organes  d'après  l'impor- 
tance qu'ils  leur  ont  reconnue,  ils  mettent  d'abord 
ensemble  toutes  les  plantes  qui  s'accordent  par  les 
organes  de  première  classe;  ils  subdivisent  ensuite 
d'après  ceux  de  seconde ,  et  ainsi  du  reste. 

C'est  ce  calcul  de  l'importance  des  organes,  et 

'  Gênera  plantarum  secundum  ordines  naturales  disposita;  Paris, 
1789,  in-8°. 


288  SCIENCES    PHYSIQUES. 

son  application  aux  divers  végétaux ,  qui  ont  guidé 
M.  de  Jussieu  dans  la  formation  de  ses  cent  familles 
primitives,  et  qui  le  guident  encore  aujourd'hui, 
ainsi  que  ceux  qui  travaillent,  d'après  ses  vues,  à 
perfectionner  ce  bel  édifice. 

L'ordre  admirable  qu'il  a  en  quelque  sorte  intro- 
duit dans  le  règne  végétal  a  en  effet  changé  en 
grande  partie  la  marche  de  la  botanique.  Nos  plus 
habiles  botanistes  francois  adoptent  la  méthode 
naturelle  dans  leurs  écrits  et  travaillent  à  l'étendre. 
Une  partie  des  ouvrages  descriptifs  dont  nous 
avons  parlé  pkis  haut  sont  disposés  selon  ses  prin- 
cipes: M.  Yentenat  Ta  suivie  dans  son  Tableau  du 
réo^ne  végétal  ' ,  et  M.  Desfontaines  dans  la  plantation 
du  jardin  du  Muséum  et  dans  larrangementde  ses 
herbiers.  M.  Jaunie  Saint-Hilaire  vient  de  l'appuyer 
de  dessins  des  principales  évolutions  des  graines  \ 
Elle  a  moins  pénétré  à  l'étranger,  faute  d'un  cata- 
logue complet  des  espèces  disposé  d'après  elle;  et 
c'est  à  quoi  remédiera  sans  contredit  le  Systema  na. 
turœ,  dont  la  publication  seroit  si  importante  dans 
l'état  actuel  de  la  science. 

Déjà  Ton  s'attache  à  examiner  en  détail  chaque 

'  Tableau  du  règne  ve'gétal,  selon  la  méthode  de  Jussieu;  Paris, 
an  7,  4  vol.  in-8°. 

'  Exposition  des  familles  naturelles  et  de  la  germination  des  plantes  ; 
Paris,  i8o5,  4  vol.  in-8'\ 


MÉTHODES.  289 

famille,  et  à  mettre  de  l'ordre  dans  les  genres  qui  la 
composent ,  d'après  les  principes  qui  ont  présidé  à 
la  distribution  de  l'ensenible.  M.  de  Jussieu  en 
donne  l'exemple  dans  plusieurs  mémoires  récents 
sur,  les  passiflores  ,  les  verbénacées ,  les  lauri- 
nées',  etc.  M.  Correa  de  Serra,  en  s'occupant  de 
celle  des  orangers,  a  donné  de  belles  vues  générales 
sur  les  raisons  qui ,  liant  ensemble  certains  orp^anes , 
limitent  nécessairement  chaque  famille  dans  des 
bornes  déterminées^.  M.  Ventenat  a  établi  une  fa- 
mille nouvelle,  celle  des  ophiospermes,  qui  est  voi- 
sine des  sapotilliers.  M.  Decandolle  a  circonscrit 
celle  des  valérianes ,  et  distribué  d'une  manière 
nouvelle  celle  des  algues^;  et  parmi  les  étrangers 
M.  Smith  a  travaillé  dans  le  même  genre  sur  les  fou- 
gères et  sur  les  myrtes.  Ceux  même  des  botanistes 
françois  qui  ont  encore  conservé  le  système  sexuel 
dans  la  distribution  de  leurs  plantes ,  comme 
MM.  Desfontaines  et  La  Billardière,  ont  soin  d'indi- 
quer la  place  que  chacune  d'elles  doit  occuper  dans 
la  méthode  naturelle  ,  et  font  pour  cela  des  recher- 
ches qui  contribuent  à  la  perfectionner. 

La  méthode  naturelle  est  d'autant  plus  impor- 
tante en  botanique  qu'elle  est  le  guide  le  plus  sûr 
pour  annoncer  les  vertus  et  les  propriétés  des  plan- 

'   Dans  différents  volumes  des  Annales  du  Muséum.  —  ^  Ihiil. 
■^    Bulletin  des  Sciences,  prairial  an  9. 

BUFFON.   COMPLÉM.    T.  I.  ig 


290  SCIENCES    PHYSIQUES. 

tes.  Ces  propriétés  en  effet  dépendent  de  la  compo- 
sition des  sucs  et  des  autres  produits  végétaux,  la- 
quelle dépend  à  sou  tour  des  formes  des  organes 
sécrétoires.  Aussi  Linnaeus lui-même avoit-il  aperçu 
la  constance  de  ce  rapport  entre  l'ensemble  des  for- 
mes des  plantes  et  leurs  propriétés  de  tous  les  genres. 
M.  Decandolle  vient  de  la  développer  dans  un  ou- 
vrage où  il  fixe  avec  beaucoup  de  sagacité  les  pré- 
cautions à  prendre  pour  en  faire  l'application  ^ 

On  voit  par  ce  que  nous  avons  dit  ci -dessus  que 
cette  subordination  établie  parmi  les  caractères 
botaniques,  et  fondement  de  toute  méthode  natu- 
relle parmi  les  plantes ,  repose  presque  uniquement 
sur  l'observation  de  la  constance  de  ces  caractères. 
C'est  en  effet  à  cela  que  nous  réduisent  l'obscurité 
qui  régne  encore  dans  l'économie  végétale ,  et  l'i- 
gnorance où  nous  sommes  de  ce  qui  résulte  de 
telle  ou  telle  modification  d'organe  :  aussi  est-on 
heureux  chaque  fois  qu'il  s'introduit  dans  les  prin- 
cipes de  la  classification  des  plantes  quelque  chose 
de  rationnel. 

Telle  est  la  belle  observation  de  M.  Desfontaines, 
que  nous  avons  citée  précédemment,  sur  la  manière 
opposée  dont  se  développent  les  fibres  ligneuses 
dans  les  plantes  à  cotylédons  simples  et  doubles. 

'   Essai  sur  les  propriétés  médicales  des  plantes,  comparées  avec 
leurs  formes  extérieures;  Paris,  i8o4,  in-4°- 


MÉTHODES.  291 

Une  différence  aussi  marquée  dans  le  tissu  intime 
du  végétal  justifie  en  quelque  sorte,  en  l'expliquant, 
cette  grande  division  du  régne. 

Les  plantes  n'ayant  d'organes  ni  pour  le  mouve- 
ment ni  pour  le  sentiment,  il  faut  descendre  jus- 
qu'aux parties  de  la  fructification  pour  trouver  des 
caractères  importants  :  et  c'est  en  effet  sur  ces  par- 
ties que  se  fondentles  familles  etles  genres;  encore, 
une  fois  que  l'on  quitte  la  composition  delà  graine, 
a-t-on  bien  de  la  peine  à  donner  des  raisons  à  priori 
de  la  constance  qu'on  observe. 

M.  de  Jussieu  lui-même,  voulant  mettre  quelque 
ordre  dans  la  distribution  de  ses  familles ,  en  les  ré- 
partissant  dans  certaines  classes,  a  éprouvé  de 
l'embarras  ;  et  ses  classes  ,  fondées  sur  la  position 
réciproque  des  organes  sexuels  et  sur  la  structure 
de  la  corolle,  sont  beaucoup  moins  évidentes  que 
ses  familles  mêmes. 

La  composition  du  fruit  et  de  la  graine,  indépen- 
damment de  Fintéiêt  général  qu'elle  partage  avec 
toute  connoissance  positive,  est  donc  de  première 
importance  pour  perfectionner  la  métbode  natu- 
relle des  plantes;  c'est  la  vraie  pierre  de  toucbe  de 
la  justesse  des  rapprocbements  indiqués  par  les 
autres  organes;  et  M.  de  Jussieu  s'est  trouvé  puis- 
samment secondé  pour  ses  travaux  ultérieurs  par 
l'ouvrage  de  Gaertner,  qui  a  paru  la  même  année 


i<i 


292  SCIENCES   PHYSIQUES. 

que  le  sien.  Ce  livre  porte  l'empreinte  du  dévoue- 
ment de  près  de  cinquante  années  que  son  auteur 
a  consacrées  à  le  rendre  digne  du  public,  s'en  occu- 
pant uniquement  dans  la  retraite  la  plus  profonde, 
sans  désir  d'une  réputation  prématurée,  et  donnant 
ainsi  un  exemple  aussi  précieux  que  rare  aux  hom- 
mes qui  recherchent  la  vérité  '. 

Méthode  naturelle  des  animaux. 

Les  animaux  offroient  plus  de  facilité  que  les 
végétaux  pour  une  méthode  naturelle  fondée  sur  le 
raisonnement  :  les  ressemblances  y  sont  plus  frap- 
pantes ,  et  leurs  causes  plus  faciles  à  trouver.  Aris- 
tote  en  avoit  déjà  fort  bien  saisi  les  principales 
classes;  et  ces  classes,  introduites  depuis  dans  pres- 
que toutes  les  divisions  zoologiques ,  les  rendant 
moins  choquantes,  et  rappelant  moins  la  nécessité 
d'une  méthode  naturelle ,  en  avoient  toujours  fait 
négliger  la  recherche.  11  étoit  résulté  de  là  que  les 
classes  des  animaux  vertébrés,  assez  naturelles  en 
elles-mêmes,  étoient  subdivisées  de  la  manière  la 
plus  bizarre ,  et  que  celles  des  animaux  sans  vertè- 
bres avoient  fini  par  se  trouver  beaucoup  plus  mal 
établies  dans  Linnaeus  que  dans  Aristote. 

M.  Guvier,  en  étudiant  la  physiologie  de  ces 

•  '   La  Garpologie ,  dëja  citée. 


MÉTHODES.  V        293 

classes  naturelles  des  animaux  vertébrés^  a  trouvé 
dans  la  quantité  respective  de  leur  respiration  la 
raison  de  leur  quantité  de  mouvements ,  et  par  con- 
séquent de  l'espèce  de  ces  mouvements.  Celle-ci 
motive  les  formes  de  leurs  squelettes  et  de  leurs 
muscles  :  l'énergie  de  leurs  sens  et  la  force  de  leur 
digestion  sont  en  rapport  nécessaire  avec  elle.  Ainsi 
unedivision  qui  navoit  été  jusque-là  établie,  comme 
celle  des  végétaux ,  que  par  l'observation ,  s'est  trou- 
vée reposer  sur  des  causes  appréciables  et  appli- 
cables à  d'autres  cas*.  En  effet  M.  Guvier  ayant 
examiné  les  modifications  qu'éprouvent  dans  les 
animaux  sans  vertèbres  les  organes  de  la  circula- 
tion, de  la  respiration,  et  des  sensations,  et  ayant 
calculé  les  résultats  nécessaires  de  ces  modifications , 
en  a  déduit  une  division  nouvelle  où  ces  animaux 
sont  rangés  suivant  leurs  véritables  rapports  \  La 
classe  des  mollusques  sur-tout,  que  Linnaeus  et  ses 
successeurs  confondoient,  sous  le  nom  commun  de 

'   Leçons  d'Anatomie  comparée,  i.  IV,  leçon  xxiv. 

Cette  distribution  des  animaux  sans  vertèbres,  proposée  pour  la 
première  fois  à  la  Société  d'histoire  naturelle  de  Paris,  le  21  floréal 
an  3,  dans  un  Mémoire  imprimé  dans  la  Décade  philosophi(jne,  per- 
fectionnée dans  le  Tableau  élémentaire  et  dans  les  Leçons  d'Anatomie 
comparée  de  l'auteui,  reparoîtra  bientôt  sous  un  nouveau  jour,  et  ap- 
puyée de  grands  développements,  dans  le  Traité  anatomiquc  des 
animaux  sans  vertèbres,  qui  est  sous  presse,  avec  beaucoup  de 
planches. 


294  SCIENCES    PHYSIQUES. 

verSy  avec  les  zoophytes  et  autres  animaux  les  plus 
simples ,  est  distinguée  et  reportée  à  la  tête  des  ani- 
maux sans  vertèbres,  qu'elle  surpasse  tous  par  une 
organisation  beaucoup  plus  complète,  et  spéciale- 
ment par  l'existence  d'un  cœur  et  d'un  cerveau  plus 
ou  moins  compliqués.  M.  Cuvier  a  également  re- 
connu du  sang  rouge  et  une  circulation  particulière 
dans  une  classe  entière  que  Linnaeus  confondoit 
avec  les  vers  en  général,  et  en  particulier  avec  ceux 
des  intestins  ^  Ce  fait  j  ustifie  le  titre  d'animaux  sans 
vertèbres  proposé  par  M.  de  La  Marck  pour  cette  im- 
mense partie  du  règne  animal,  au  lieu  de  celui 
d'animaux  à  sang  blanc ,  qu'on  leur  donnoit  aupara- 
vant. M.  Cuvier  pense  que  les  insectes  n'ont  pas  de 
circulation ,  et  que  c'est  pour  cela  que  leurs  trachées 
leur  portent  l'air  par  tout  le  corps  ^.  En  général  la 
quantité  de  respiration  produit  sur  le  mouvement 
le  même  effet  dans  les  animaux  sans  vertèbres  que 
dans  les  autres.  Les  zoophytes  n'ont  ni  cœur,  ni 
vaisseaux,  ni  poumons,  ni  nerfs,  ni  cerveau.  M.  Cu- 
vier Fa  montré  en  détail  :  il  ne  reste  quelque  em- 
barras que  pour  les  oursins,  les  astéries,  et  les  ho- 
lothuries. 

M.  de  La  Marck^,  qui  a  fait  un  ouvrage  sur  les 

'   Bulletin  des  Sciences,  messidor  an  lo. 

^   Mém.  de  la  Soc.  d'hist.  natnr.  de  Paris;  Paris,  an  8,  in-4",  p.  34- 

'   Système  des  animaux  sans  vertèbres;  Paris,  i8oi,  in-8°. 


MÉTHODES.  295 

animaux  sans  vertèbres,  où  il  en  étend  immensé- 
ment la  connoissance,  sur-tout  par  une  distribu- 
tion toute  nouvelle  des  mollusques  à  coquilles ,  a 
adopté,  à  quelques  modifications  et  additions  près, 
les  classes  de  M.  Cuvier.  MM.  Duméril  ',  Roissy  ^,  et 
plusieurs  autres,  qui  traitent  de  cette  portion  im- 
portante du  règne  animal,  s'y  conforment  ég^ale- 
ment  en  grande  partie.  Il  n'y  a  pas  de  doute  que 
la  méthode  naturelle  ne  l'emporte  bientôt  sur  toutes 
les  autres,  en  zoologie  comme  en  botanique. 

La  zoologie  est  si  immense  que  chaque  classe  est 
en  quelque  sorte  le  partage  d'écrivains  particuliers, 
et  toutes  ont  éprouvé  de  grandes  améliorations 
dans  cette  période. 

MM.  Geoffroy  et  Cuvier  ^  ont  établi  une  distri- 
bution nouvelle  parmi  les  quadrupèdes  ,  dont  les 
principaux  motifs  avoient  été  pressentis  et  em- 
ployés avec  habileté  par  M.  Storr'^  :  l'anatomie  la 
confirme  et  la  perfectionne  journellement,  et  elle 
va  bientôt  trouver  des  caractères  très  précis  dans 
les  observations  de  M.  Frédéric  Cuvier^  sur  les  dents 
mâchelières. 

'   Traité  élémentaire  d'histoire  naturelle ,  et  Zoologie  analytique. 
^   Hist.  natur.  des  moUusq. ,  faisant  suite  au  Buffon  de  Duffart ,  t.  V. 
^  Tableau  élémentaire  de  l'histoire  naturelle  des  animaux  ;  Paris, 
an  6,  in-8°. 

^  Prodromus  methodi  inamvialiurti  ;  Tubingen,  1786,  in-4". 
'  Annales  du  Muséum  d'hist.  natur. ,  t.  X ,  p.  1  o5  ;  t.  XII  et  suiv. 


296  SCIENCES    PHYSIQUES. 

M.  de  Lacépéde,  considérant  cette  classe  sous 
d'autres  rapports,  en  a  fait  une  division  qui  a  sur- 
tout lavantao^e  d'être  très  régulière  et  très  rigou- 
reuse ^  Il  en  a  donné  une  sur  les  oiseaux,  fondée 
sur  des  principes  analogues,  et  également  régu- 
lière \  M.  Bechstein,  dans  son  Histoire  des  oiseaux 
d'Allemagne^,  a  fait  quelques  modifications  à  la 
méthode  de  M.  Latham-  mais  la  classe  des  oiseaux, 
en  général ,  paroît  peu  susceptible  d'être  soumise  à 
des  caractères  rigoureux. 

M.  Brongniart  a  saisi  dans  la  structure  du  cœur 
et  dans  celle  des  organes  des  sens  et  du  mouvement 
les  vrais  motifs  de  la  division  des  reptiles  en  ordres 
et  en  genres^.  Daudin  s'est  borné  à  multiplier  ceux- 
ci,  peut-être  sans  nécessité. 

M.  de  Lacépéde ,  dans  sa  grande  Histoire  des 
poissons,  est  entré  dans  les  détails  les  plus  scrupu- 
leux sur  les  téguments  des  branchies ,  sur  la  dispo- 
sition des  nageoires ,  et  sur  tous  les  autres  carac- 
tères propres  à  subdiviser  les  genres  établis  avant 
lui,  auxquels  il  en  a  ajouté  un  grand  nombre  d'en- 
tièrement inconnus,  les  distribuant  tous  dans  un 
grand  tableau  très  régulier  où  les  téguments  des 
branchies  foi^ment  un  élément  nouveau  que  l'au- 

'  Mémoires  de  l'Institut,  t.  III,  p.  469. —  ^  Ibid.,  p.  4^4- 

^  En  allemand,  t.  I,  in-8°. 

^  Me'moires  présentés  à  l'Institut,  t.  I,  p.  587. 


MÉTHODES.  297 

teur  a  très  ingénieusement  combiné  avec  ceux  que 
Linnœus  avoit  employés  avant  lui  '. 

Le  nombre  des  cœurs  et  la  disposition  générale 
des  organes  du  mouvement  ont  fourni  à  M.  Cu- 
vier  les  familles  naturelles  de  la  grande  classe  des 
mollusques^  ;  l'ordre  des  testacés  ,  fondé  autrefois 
sur  le  caractère  peu  important  de  la  coquille,  est 
proscrit  et  dispersé  dans  plusieurs  classes.  M.  de  La 
Marck  a  établi  avec  autant  de  soin  que  de  sagacité 
les  genres  de  coquilles^. 

Les  crustacés,  qu'Aristote  avoit  déjà  mis  dans 
une  classe  à  part ,  se  trouvoient  confondus  par 
Linnaeus  dans  l'immense  famille  des  insectes. 
MM.  Guvier  et  de  La  Marck  les  en  ont  distingués 
par  des  caractères  de  premier  ordre  tirés  de  leur 
circulation;  ce  dernier  sépare  même,  sous  le  nom 
d'arachnides ,  un  certain  nombre  d'insectes  sans 
ailes. 

Les  vers  à  sang  rouge,  nommés  aujourd'bui  an- 
nelides  par  M.  de  La  Marck,  forment  une  famille 
caractérisée  par  une  circulation  particulière  que 
M.  Guvier  a  fait  connoitre ,  et  par  un  système  ner- 

'   Histoire  naturelle  des  Poissons,  déjà  citée. 

'  Mémoire  lu  à  la  Société  d'histoire  naturelle  de  Paris  le  1 1  prairial 
an  3 ,  imprimé  dans  le  Magasin  encyclopédique. 

^  Dans  le  Système  des  animaux  sans  vertèbres;  Paris,  1801 ,  i  vol. 
in-8°. 


298  SCIENCES   PHYSIQUES. 

veux  dont  M.  Mangili  a  donné  ia  première  descrip- 
tion. 

De  tous  les  animaux  les  insectes  sont  ceux  qui 
occupent  le  plus  de  naturalistes ,  à  cause  de  leur 
nombre  effrayant. 

Linnaeus,  qui  les  avoit  assez  bien  circonscrits, 
les  divisoit  en  ordres  d'après  des  caractères  à-peu- 
près  indiqués  par  Aristote ,  et  tirés  principalement 
du  nombre  et  de  la  nature  des  ailes.  Une  partie  de 
ces  ordres  est  assez  naturelle  ;  et  le  perfectionne- 
ment le  plus  essentiel  qu'on  y  ait  apporté  depuis 
est  la  séparation  des  orthoptères ,  due  à  de  Geer,  à 
M.  Retzius,  et  à  M.  Olivier. 

Cependant  M.  Fabricius  imagina,  en  1775,  de 
les  subdiviser  comme  les  quadrupèdes,  d'après  les 
organes  de  la  manducation  ;  et  par  une  patience 
infatigable  il  est  parvenu  à  appliquer  ce  principe 
aux  ordres  et  aux  genres ,  en  se  bornant  à  y  joindre 
le  concours  des  antennes.  L'entomologie  a  gagné 
par-là  non  seulement  la  connoissance  positive  de 
toutes  les  modifications  d  un  organe  important , 
mais  encore  une  foule  de  genres  et  de  familles  que 
l'on  auroit  probablement  négligés,  en  ne  considé- 
rant pas  les  insectes  sous  ce  point  de  vue  '  :  cepen- 
dant il  faut  convenir  que  les  caractères  trop  minu- 

Voyez  la  liste  des  ouvrages  de  M.  Fabricius,  donne'e  à  l'article  de 
la  Zoologie. 


MÉTHODES.  299 

tieux  employés  par  M.  Fabricitis  l'ont  très  souvent 
écarté  des  vrais  rapports  naturels  des  genres,  sur- 
tout dans  ses  derniers  ouvrafjes. 

Vers  la  fin  du  dix-septième  siècle  le  célèbre 
Swammerdam  avoit  indiqué  une  Uiétliode  encore 
toute  différente  de  ces  deux-là ,  prise  de  la  méta- 
morphose, et  principalement  de  cet  état  intermé- 
diaire appelé  nymphe,  par  où  il  faut  que  le  ver  ou 
larve  passe  pour  devenir  insecte  parfait. 

La  vérité  est  qu'il  faut  combiner  ces  trois  sortes 
de  caractères  pour  arriver  à  quelque  chose  de  na- 
turel, et  que  Ton  doit  ici,  comme  dans  toutes  les 
autres  classes,  avoir  égard  non  pas  à  tout  un  or- 
gane considéré  en  masse ,  mais  à  l'influence  spé- 
ciale de  telle  ou  telle  modification  sur  rêtre  qui 
l'éprouve. 

C'est  ce  que  fait  M.  Latreille  dans  son  Système 
des  insectes,  dont  les  trois  premières  parties  vien- 
nent de  paroître.  Les  plus  petits  détails  d'organisa- 
tion propres  à  faire  distinguer  les  familles  et  les 
genres  y  sont  exposés  ,  et  l'imagination  s'étonne  à 
la  vue  de  cette  prodigieuse  suite  d'êtres  que  le  vul- 
gaire aperçoit  à  peine,  et  auxquels  la  nature  a  prodi- 
gué cependant  des  variétés  de  formes  et  de  proprié- 
tés plus  remarquables  peut-être  qu'à  tous  les  grands 
animaux  '. 

'   Voyez  de  même  l'indication  des  ouvrages  de  M.  Latreille. 


3oO  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Les  zoophytes  ont  été  établis  clans  leurs  limites 
actuelles  par  M.  Guvier;  mais  M.  de  La  Marck  en 
sépare  encore  quelques  genres  d'une  structure  plus 
compliquée  que  les  autres,  qu'il  nomme  radiaires. 

Tant  de  travaux  et  des  résultats  si  heureux  dans 
la  partie  philosophique  de  la  zoologie  autorisent 
bien  à  dire  qu'elle  est  en  quelque  sorte  aujourd'hui 
une  science  françoise.  Appliquées  un  jour  à  toutes 
les  espèces  dans  un  ouvrage  général ,  nos  méthodes 
obtiendront  bientôt  une  influence  universelle. 

Progrès  de  l'anatomie  comparée. 

C'est  sur-tout  à  l'anatomie  comparée  que  la  zoolo- 
gie doit  son  caractère  actuel. 

L'exemple  des  botanistes  a  voit  Ion  g- temps  fait 
croire  aux  zoologistes  qu'ils  dévoient  se  borner  aux 
caractères  extérieurs  :  il  avoit  déjà  fallu  du  courage 
à  Linnaeus  pour  prendre  de  ces  caractères  dans  le 
nombre  des  dents  ;  encore ,  pour  s'être  borné  aux 
dents  antérieures,  n'en  avoit-il  pas  tiré  tout  l'avan- 
tage qu'elles  offrent.  G  est  que  presque  tous  les  or- 
ganes des  végétaux  sont  en  dehors  ;  ils  n'ont  d'es- 
tomac et  d'intestins  qu'à  la  surface  de  leurs  racines, 
de  poumon  qu'à  celle  de  leurs  feuilles  ;  la  surface  de 
leur  cime  aide  beaucoup  au  mouvement  de  leurs 
fluides  et  leur  tient  lieu  de  cœur  ;  tout  leur  système 


ANATOMIE   COMPARÉE.  3oi 

génératif  est  aussi  visible  au -dehors  et  se  montre 
dans  la  fleur;  tandis  que  dans  les  animaux  presque 
tout  l'essentiel  est  en  dedans,'  cœur,  vaisseaux, 
nerfs,  cerveau  ,  intestins  ;  et  si  on  ne  les  dissèque, 
on  ne  peut  expliquer  ni  leur  digestion,  ni  leurs 
mouvements,  ni  leurs  sensations,  ni  leur  degré 
d'intelligence. 

L'anatomie  comparée,  cultivée  avec  beaucoup 
d'ardeur  jusqu'à  la  lin  du  dix-septième  siècle,  fut 
donc  un  peu  négligée  dans  les  deux  premiers  tiers 
du  dix-huitième.  Linnaeus  y  contribua  involontai- 
i^ement  en  portant  dans  l'étude  des  animaux  la 
marche  des  botanistes  ;  mais  Buffon,  Daubenton, 
et  après  eux  M.Pallas,  lui  opposèrent  leur  exemple, 
et  rappelèrent  l'importance  de  l'anatomie  compa- 
rée en  zoologie,  en  même  temps  que  Haller  prou- 
voit  combien  elle  peut  en  avoir  en  physiologie. 
John  Hunter  en  Angleterre  ,  les  deux  Monro  en 
Ecosse,  Camper  en  Hollande,  et  Vicq-d'Azyr  en 
France,  furent  ceux  qui  suivirent  les  premiers  ces 
indications.  Camper  porta,  pour  ainsi  dire  en  pas- 
sant, le  coup  d'œil  du  génie  sur  une  foule  d'objets 
intéressants;  mais  presque  tous  ses  travaux  ne  fu- 
rent que  des  ébauches;  Vicq-d'Azyr,  plus  assidu, 
fut  arrêté  par  une  mort  prématurée  au  milieu  de  la 
plus  brillante  carrière  :  mais  leurs  travaux  avoient 
inspiré  un   intérêt  général ,   et  l'Europe  compte 


3o2  SCIENCES    PHYSIQUES. 

maintenant  plusieurs  savants  qui  s'occupent  soit 
de  disséquer  les  animaux  qui  n'ont  pas  encore  été 
examinés  anatomiquement ,  soit  d'employer  l'ana- 
tomie  à  déterminer  la  nature  des  animaux  et  à  ex- 
pliquer leurs  fonctions ,  soit  enfin  de  faire  réfléchir 
les  rayons  de  l'anatomie  comparée  sur  la  physiolo- 
gie générale  \ 

M.  Everard  Home,  en  Angleterre ,  a  marché  sur 
les  traces  de  son  maître  Hunter  ;  il  nous  a  fait  con- 
noître  le  premier  l'organisation  singulière  de  ces 
quadrupèdes  de  la  INouvelle-Hollande  qui  semblent 
participer  de  la  nature  des  oiseaux  et  de  celle  des 
reptiles.  Ils  manquent  de  mamelles  et  de  matrice; 
il  sera  du  plus  grand  intérêt  de  connoître  leur  gé- 
nération. Ses  observations  sur  la  matrice  et  la  ges- 
tation du  kanguroo ,  sur  la  dentition  de  l'éléphant , 

'  Le  Traite  des  dents  et  les  autres  écrits  de  Hunter,  insérés  en  partie 
dans  les  Transactions  philosophiques  ;  les  œuvres  de  Camper,  re- 
cueillies en  allemand  par  M.  Herbell ,  et  en  François  par  M.  Jansen, 
Paris,  3  vol.  in-8"  avec  un  atlas;  l'Abrégé  d'Anatomie  comparée  de 
Monro  le  père,  traduit  par  M.  Sue  ;  l'zVnatomie  et  la  Physiologie  des 
poissons  de  Monro  le  fils,  en  anglois,  et  traduites  en  allemand  par 
M.  Schneider;  les  Mémoires  de  Vicq-d'Azyr,  insérés  parmi  ceux  de 
l'Académie  des  Sciences,  et  recueillis,  mais  incomplètement,  par 
M.  Moreau,  Paris,  3  vol.  in-8°;  son  Recueil  de  descriptions  anato- 
miques  d'animaux  ,  commencé  pour  l'Encyclopédie  méthodique,  et 
quelques  Mémoires  de  M.  Broussonnet,  sont,  en  anatomie  comparée, 
les  meilleurs  écrits  de  la  période  qui  a  précédé  imn;édiatement  celle 
dont  nous  faisons  l'histoire. 


ANATOMIE   COMPARÉE.  3o3 

sur  lanatomie  du  taret,  etc. ,  sont  pleines  d'intérêt. 

LeTraité  des  dents,  par  M.  Blaque,  contient  aussi 
plusieurs  faits  nouveaux  applicables  à  lanatomie 
comparée,  et  qui,  joints  à  ceux  qu'ont  fait  con- 
noître  MM.  Tenon,  Home,  et  Guvier,  portent,  à 
peu  de  chose  près ,  cette  branche  de  la  science  à  sa 
perfection. 

Dans  le  même  pays  M.  Garlisle  a  fait  la  remarque 
intéressante  que  dans  les  quadrupèdes  très  lents, 
tels  que  les  paresseux,  les  artères  des  membres  sont 
excessivement  subdivisées  à  leur  origine  et  se  réu- 
nissent ensuite  pour  se  distribuer  comme  à  l'ordi- 
naire. 

M.  Hatchett  a  soumis  les  os  et  les  coquilles  à  des 
opérations  chimiques  analogues  à  celles  que  Héris- 
sant leur  avoit  fait  subir,  et  qui  ont  le  mérite  d'en 
expliquer  les  apparences  en  faisant  connoître  leur 
structure  intime  '. 

M.  Townson  a  fait  des  observations  et  des  expé- 
riences curieuses  sur  le  mécanisme  de  la  respiration 
des  reptiles,  qui  ont  été  confirmées  par  celles  de 
MM.  Herold  et  Rafii ,  de  Copenhague  \ 

En  général  l'anatomie  comparée  a  été  cultivée 

'  Les  Mémoires  de  MM.  Home,  Carlisie  ,  et  Hatchelt,  sont  insérés 
dans  les  Transactions  philosophiques. 

^  Traités  et  Observations  sur  l'histoire  naturelle  et  la  physiologie , 
par  Rob.  Townson,  en  anglois;  Londres,  1799- 


3o4  SCIENCES   PHYSIQUES. 

avec  succès  en  Danemarck,  ainsi  que  la  zoologie, 
et  Ton  doit  à  MM.  Abildgaard  et  Vibor^j  de  bonnes 
remarques  dans  le  premier  genre  comme  dans  le 
second'. 

M.  Neergaard,  Danois,  résidant  à  Gottingen ,  a 
publié  d'excellentes  observations  sur  les  intestins 
des  quadrupèdes  et  des  oiseaux^. 

En  Hollande  M.  Adrien  Camper,  continuant  d'il- 
lustrer un  nom  déjà  célèbre,  a  publié  une  Anato- 
mie  de  l'élépliant^,  et  se  dispose  à  en  faire  paroître 
une  des  cétacés. 

En  Allemagne  M.  Blumenbach  a  enrichi  d'ob- 
servations piquantes  presque  toutes  les  branches 
de  la  science.  Ses  comparaisons  des  animaux  à  sang 
chaud  et  à  sang  froid ,  ovipares  et  vivipares,  en  sont 
pleines^.  Il  a  comparé  même  entre  elles  les  variétés 
de  l'espèce  humaine,  et  fixé  leurs  caractères  dis- 
tinctifs. 

'  Dans  les  Mémoires  de  la  Société  royale  et  de  la  Société  d'histoire 
naturelle  de  Copenhague. 

'  Anatomie  et  Physiologie  comparées  des  organes  de  la  digestion 
dans  les  quadrupèdes  et  les  oiseaux,  en  allemand;  Berlin,  1806,  in-8°. 

^  Paris,  1806,  grand  in-fol. 

'^  Spécimen  physiologiœ  comparatœ  animaliuin  calidi  sanguinis  ; 
Gottingen,  1789;  et  Spécimen  physiologiœ  comparatœ  animaliam  fri- 
gidi  sanguinis;  ibid.  :  Décades  craniorum ,  recueil  commencé  en  1790  ; 
et  De  generis  humani  varietate  nativa  ;  la  troisième  édition  est  de 
Gottingen,  1796,  in-12:  il  y  ea  a  une  traduction  Françoise,  Paris, 
1806,  in-8''. 


ANATOMIE    COMPARÉE.  3o5 

M.  Albert,  deBremen,  a  beaucoup  travaillé  sur 
les  poissons,  les  cétacés,  les  oiseaux,  principale- 
ment sur  leurs  orji^anes  de  la  vue,  et  a  donné  une 
bonne  anatoniie  du  plioque'.  Il  s'occupe  en  ce 
moment  de  publier,  sur  lanatomie  des  cétacés, 
un  traité  général  qui  ne  peut  être  attendu  qu'avec 
impatience. 

MM.  Hedwig  fils  et  Rudolphi^  ont  examiné  avec 
soin  les  papilles  des  intestins. 

M.  Fischer,  aujourd'hui  établi  à  Moscou,  s'est 
occupé  de  la  vessie  natatoire  des  poissons ,  et  de  Fos 
intermaxillaire  des  quadrupèdes^.  Les  bassins  de 
ces  derniers  ont  été  comparés  par  M.  Autenrieth, 
qui  en  ^oénéral  a  porté  très  loin  les  rapprochements 
comparatifs  des  parties  dans  tout  le  rèj^jne  animal. 

M.  Wiedeman,  professeur  à  Kiel ,  a  donné,  dans, 
ses  Archives  zootomiques,  des  descriptions  détail- 
lées de  l'ostéologie  de  la  tête  de  plusieurs  quadru- 
pèdes, et  divers  autres  morceaux  intéressants^. 

M.  Meckel  a  fait  des  recherches  précieuses  sur  le 

'  Matériaux  pour  l'anatomie  et  la  physiologie  des  animaux,  en 
allemand;  Bremen,  1802,  in-4". 

^  Mémoires  d'aiiatomie  et  de  physiologie,  en  allemand;  Berlin, 
1802 ,  in-8°. 

^  Sur  les  formes  de  î'os  intermaxilîaire ,  en  allemand;  Leipsick, 
1800,  in-8". 

^  Les  Archives  de  la  zoologie  et  de  la  zootoniie,  dont  il  a  paru 
4  vol.  in-8°,  sont  un  recueil  précieux  pour  l'anatomie  comparée. 

BUFFON.  COMPLÉM.  T.  1.  2"> 


3o6  SCIENCES    PHYSIQUES. 

thymus  et  les  glandes  surrénales  des  divers  ani- 
maux'. 

L'Italie,  cette  terre  si  éminemment  classique  pour 
Fanatomie,  a  produit  encore  dans  cette  période  de 
grands  travaux  en  ce  genre. 

Les  excellents  ouvrages  de  M.  Scarpa  et  de  Gom- 
paretti  sur  les  organes  de  l'ouïe ,  de  l'odorat,  et  de 
la  vue,  ont  presque  complètement  fait  connoître  les 
modifications  variées  de  ces  organes  dans  les  di- 
verses classes.  M.  Mangili  a  démontré  les  nerfs  dans 
quelques  animaux  où  on  ne  les  connoissoit  pas. 
Nous  avons  déjà  parlé  de  la  superbe  Histoire  anato- 
mique  des  cétacés  des  mers  de  Naples ,  par  M.  Poli , 
et  du  grand  travail  de  M.  Moreschi  sur  la  rate. 

En  France  M.  Cuvier  a  fait  connoître  d'une  ma- 
nière générale  la  structure  des  organes  de  la  voix  des 
oiseaux,  et  en  a  expliqué  le  mécanisme.  MM.  Bloch 
et  Latham  ont  traité  de  quelques  parties  du  même 
sujet  en  Allemagne  et  en  Angleterre. 

M.  Cuvier  a  encore  développé  le  mécanisme  des 
jets  d'eau  des  cétacés,  et  les  causes  qui  rendent  ces 
animaux  muets  :  il  a  donné  une  comparaison  des 
cerveaux  de  diverses  classes,  et  montré  les  rapports 
de  leurs  formes  avec  rintelligence  et  même  avec 
quelques  unes  des  habitudes  particulières  des  ani- 

'   Mémoires  cVanatomie  et  de  physiologie  humaine  et  comparées , 
en  allemand;  Halle,  1806,  in-S". 


ANATOMIE    COxMPARÉE.  3o^ 

maux.  Il  a  décrit  en  détail  les  orjpnes  de  la  circu- 
lation des  mollusques  et  des  vers  à  san^  rou.tje:  il  a 
cherché  à  prouver  que  les  insectes  n'ont  aucune 
circulation;  et,  pour  y  parvenir,  il  a  décrit  la  struc- 
ture de  leurs  viscères  et  celle  de  leurs  organes  sé- 
crétoires.  Ceux-ci  sont  toujours  de  lonj^s  tubes  flot- 
tant dans  le  fluide  nourricierdontils  extraient  leurs 
sucs  propres  \ 

M.  Geoffroy  a  entrepris  un  grand  travail,  pour 
montrer  l'analogie  de  toutes  les  parties  du  squelette 
dans  toutes  les  classes  d'animaux  vertébrés,  quelles 
que  soient  les  modifications  de  leurs  formes  et  de 
leurs  connexions. 

On  connoissoit  avant  lui  les  organes  électriques 
de  la  torpille  et  du  gymnote;  mais  il  a  décrit  le  pre- 
mier ceux  du  silure,  poisson  bien  supérieur  à  la 
torpille  pour  la  force  de  cette  propriété.  Ces  or- 
ganes, toujours  disposés  par  couches,  paroissent 
avoir  du  rapport  avec  la  pile  galvanique.  Il  est  pi- 
quant de  savoir  que  les  Arabes  désignent  ces  ani- 
maux par  le  même  mot  que  le  tonnerre^. 

M.  Duméril  a  fait  connoitre  le  mécanisme  de 
l'articulation  du  genou  et  du  jarret  des  oiseaux  qui 

'    Les  Mémoires  anatomiques  de  M.  Cuvier  sont  épars  dans  le  Jour 
nal  de  Physique  et  dans  le  Bulletin  des  Sciences;  mais  on  en  trouve 
le  résumé  dans  ses  Leçons  d'anatomie  comparée. 

*  Les  Mémoires  de  M.  Geoffroy  sont  dans  les  Annales  du  Mus«'um 


30. 


3o8  SCIENCES    PHYSIQUES. 

leur  permet  de  se  tenir  si  long-temps  sur  un  pied  ; 
et  il  a  rempli  de  ses  propres  observations  la  partie 
de  FAnatomie  comparée  de  M.  Cuvier  dont  il  a  été 
le  rédacteur.  M.  Duvernoy  en  a  fait  autant  pour  la 
sienne,  et  il  a  publié  séparément  des  observations 
sur  l'existence  de  l'hymen  dans  tous  les  quadru- 
pèdes, et  d'autres  sur  les  organes  de  la  déglutition, 
considérés  dans  toutes  les  classes  vertébrées. 

Il  n'existoit  point  avant  la  période  actuelle  d'ou- 
vrage général  sur  l'anatoniie  comparée.  Tous  les 
écrits  qui  portoient  ce  titre,  comme  ceux  de  Seve- 
rinus ,  deBlasius ,  de  Valentin ,  deCollins ,  deMon  ro , 
et  celui  que  Vicq-d'Azyr  a  voit  commencé  pour  TEn- 
cyclopédie  méthodique,  n'étoient  que  des  recueils 
de  descriptions  particulières.  Les  Leçons  de  M.  Cu- 
vier, publiées  par  MM.  Duméril  et  Duvernoy  ',  en 
font  aujourd'hui  un  où  chaque  organe  est  considéré 
successivement  dans  toute  la  série  des  animaux.  Il 
a  fallu  pour  cela  entreprendre  un  nombre  consi- 
dérable d'observations  et  de  dissections  nouvelles  ; 
mais  la  richesse  des  résultats,  soit  pour  la  connois- 
sance  des  animaux,  soit  pour  la  théorie  générale 
de  leurs  fonctions,  dédommage  amplement  de  ce 
travail. 

M.  Blumenbach  pubîioit  en  même  temps  en  Al- 

'   Paris,  ans  8  et  i^^  5  vol.  ïu-S". 


AINATOMIE    COMPAKlilt:.  ^09 

îemagne  un  traité  moins  étendu  \  mais  qui  aura  le 
même  genre  d'utilité,  c'est-à-dire  qu'il  servira  de 
base  à  l'enseig^nement ,  et  de  point  de  départ  pour 
des  recherches  ultérieures  ,  en  même  temps  qu'il 
fournira  d'abondants  matériaux  à  la  physiolojj;ie , 
qui  jusqu'à  ces  derniers  temps  faisoit  de  l'anatomie 
comparée  un  usage  un  peu  arbitraire  ,  en  n'em- 
ployant presque  jamais  que  des  faits  isolés. 

Peut-être  en  abuse-t-on  un  peu  aujourd'hui  dans 
un  autre  sens,  en  rapprochant  d'une  manière  té- 
méraire et  sur  des  rapports  examinés  superficielle- 
ment les  classes  et  les  organes  les  plus  éloignés. 
C'est  un  reproche  que  l'on  peut  faire  à  quelques 
physiologistes  allemands  :  mais  cette  manière  de 
voir  les  engage  toujours  à  faire  des  observations  ;  et 
les  faits  qu'ils  auront  découverts  resteront,  quand 
leurs  idées  systématiques  seront  passées. 

M.  Girard,  professeur  à  AUort",  a  publié  pour  les 
écoles  vétérinaires  un  Traité  particuher  d'anatomie 
des  animaux  domestiques,  très  utile  pour  ceux  qui 
se  livrent  à  ce  genre  de  médecine. 

Outre  son  emploi  physiologique,  l'anatomie  com- 
parée en  prend  un  très  grand  pour  la  sinqjle  dis- 
tinction des  êtres.  En  effet  cette  comparaison  des 

'   Manuel  d'anatomie  comparée^  en  allemand;  Goltingen,  ioo5, 
in-8°. 

'  Anatomie  des  animaux  domestiques;  Paris,  1807,  2  vol.  in-8°. 


3lO  SCIENCES    PHYSIQUES. 

orofanes  a  donné  pour  cbaciin  d  eux  et  pour  toutes 
leurs  parties  des  caractères  tels  qu'une  seule  de  ces 
parties  peut  faire  reconnoître  la  classe,  le  ^enre,  et 
souvent  l'espèce  de  l'animal  dont  elle  vient.  Cela 
devoit  nécessairement  être  ainsi  :  car  tous  les  orga- 
nes d'un  même  animal  forment  un  système  unique 
dont  toutes  les  parties  se  tiennent,  agissent,  et  ré- 
agissent les  unes  sur  les  autres  ;  et  il  ne  peut  y  avoir 
deniodifications  dans  l'une  d'elles  qui  n'en  amènent 
d'analogues  dans  toutes. 

C'est  sur  ce  principe  qu  est  fondée  la  méthode 
imaginée  par  M.  Cuvier,  pour  reconnoître  un  ani- 
mal par  un  seul  os,  par  une  seule  facette  d'os  ;  mé- 
thode qui  lui  a  donné  de  si  curieux  résultats  sur  les 
animaux  fossiles. 

Ainsi  l'anatomie  éclaire  jusqu'à  la  théorie  de  la 
terre;  ainsi  toutes  les  sciences  naturelles  n'en  for- 
ment qu'une  seule ,  dont  les  différentes  branches 
ont  des  connexions  plus  ou  moins  directes,  et  se- 
ciaircissent  mutuellement. 


FIN    DE    LA    SECONDE    PARTIE. 


TROISIÈME  PARTIE. 


SCIENCES  D'APPLICATION. 

Elles  se  réunissent  toutes  dans  les  deux  arts  ou 
sciences  pratiques  de  l'agriculture  et  de  la  méde- 
cine, qui  ne  sont  que  des  applications  générales 
des  connoissances  physiques  aux  plus  pressants  be- 
soins deFliomme,  et  dont  l'une  nous  apprend  à 
propager  et  à  entretenir  les  êtres  dont  nous  nous 
servons  ,  tandis  que  l'autre  nous  fait  connoître  les 
maladies  auxquelles  ils  sont  sujets,  ainsi  que  nous, 
et  les  moyens  de  les  prévenir  et  de  les  guérir. 

Les  êtres  organisés  sont  donc  le  principal  objet 
de  la  médecine  et  de  l'agriculture  ;  mais  toutes  les 
substances  naturelles  peuvent  devenir  leurs  agents  : 
la  physiologie  animale  et  végétale  est  leur  princi- 
pale doctrine  auxiliaire;  mais  il  ne  leur  est  permis 
de  négliger  aucune  des  doctrines  qui  fournissent  à 
celle-là  les  données  dont  elle  part. 

Médecine. 

La   médecine  sur-tout  s'est  fait  dans  tous   les 
temps    honneur   de   l'appui  que  lui   prêtent  les 


3l2  SCIENCES    PHYSIQUES. 

sciences  naturelles  ;  et  les  hommes  précieux  qui 
l'exercent  se  sont  toujours  livrés  avec  ardeur  à  l'é- 
tude de  ces  sciences  :  il  faut  même  reconnoître  que 
c'est  à  eux  qu'elles  doivent  sans  comparaison  le 
plus  ^rand  nombre  de  leurs  accroissements.  Peut- 
être  n'aurions-nous  encore  ni  chimie,  ni  botanique, 
ni  anatomie,  si  les  médecins  ne  les  avoient  culti- 
vées, s'ils  ne  les  avoient  enseignées  dans  leurs  écoles, 
et  si  les  souverains  ne  les  avoient  encouragées,  à 
cause  de  leurs  rapports  avec  l'art  de  guérir.  Aujour- 
d'hui même  que  ces  sciences,  sorties  du  cercle  de 
la  Faculté  ,  et  introduites  dans  la  philosophie  géné- 
rale et  dans  l'éducation  commune,  exigent,  à  cause 
de  leur  immensité,  des  hommes  qui  s'y  livrent 
presque  entièrement,  leur  influence  sur  la  méde- 
cine reste  encore  plus  sensible  que  sur  toutes  les 
autres  professions;  et  tout  ce  que  nous  avons  dit  de 
leurs  progrès  pourroit  presque  être  compté  au 
nombre  des  siens. 

Cependant,  pour  éviter  les  répétitions,  nous  ne 
considérerons  plus  les  parties  de  l'étude  médicale 
que  nous  avons  déjà  envisagées  dans  des  rapports 
plus  généraux ,  et  nous  nous  bornerons  ici  à  tracer 
les  progrès  particuliers  de  la  connoissance  des  ma- 
ladies et  de  l'art  de  les  prévenir  ou  d'y  remédier. 

L'économie  organique  est  tellement  réglée,  toutes 
les  fonctions  <|ui  concourent  à  la  maintenir  ont 


MÉDECINE.  3l3 

entre  elles  des  rapports  si  étroits  que  les  maladies 
mêmes  sont  assujetties  à  une  marche  fixe,  et  que 
chacune  d'elles  a  ses  symptômes,  ses  périodes  ,  et 
sa  durée,  sur  lesquels  l'homme  habile  se  méprend 
rarement. 

Mais  si  la  physiologie ,  qui  considère  l'être  vivant 
dans  son  état  réf^ulier  et  ordinaire ,  est  encore  si 
loin  d'être  devenue  une  science  entièrement  ration- 
nelle ,  combien  la  pathologie ,  ou  l'étude  de  ces  irré- 
gularités qui,  toutes  constantes  qu'elles  sont  dans 
leur  marche ,  n'en  troublent  pas  moins  l'ordre  com- 
mun des  fonctions,  sera-t-elle  plus  éloignée  encore 
de  cet  idéal  de  perfection  ! 

Nous  voilà  donc  revenus  à  cette  obligation  d'ob- 
server, de  réduire  nos  observations  en  histoires 
comparables,  et  d'en  tirer  quelques  régies  d'analo- 
gie qui  puissent  nous  faire  prévoir  les  phénomènes 
d'après  ceux  qui  ont  eu  lieu  dans  des  cas  sem- 
blables. 

S'il  étoit  possible  d'élever  ces  analogies  à  un  de- 
gré de  généralité  tel  qu'il  en  résultât  un  principe 
applicable  à  tous  les  cas ,  on  auroit  ce  que  l'on  en- 
tend par  les  mots  de  lliéorie  médicale;  mais,  quel- 
ques efforts  qu'aient  faits  depuis  tant  de  siècles  les 
hommes  de  génie  qui  ont  exercé  la  médecine,  au- 
cune des  doctrines  qu'ils  ont  proposées  sous  ce  titre 
napu  encore  obtenir  un  assentiment  durable.  Les 


3l4  SCIENCES    PHYSIQUES. 

jeunes  gens  les  adoptent  chaque  fois  avec  enthou- 
siasme, parcequ'elles  semblent  abréger  l'étude,  et 
donner  le  fil  d'un  labyrinthe  presque  inextricable; 
mais  la  plus  courte  expérience  ne  tarde  point  à  les 
désabuser. 

Les  conceptions  des  Stahl ,  des  Hoffman ,  des 
Boerhaave ,  des  Cullen ,  des  Brown ,  seront  toujours 
considérées  comme  des  tentatives  d'esprits  supé- 
rieurs; elles  feront  honneur  à  la  mémoire  de  leurs 
auteurs  ,  en  donnant  une  haute  idée  de  l'étendue 
des  matières  que  leur  génie  pouvoit  embrasser; 
mais  ce  seroit  en  vain  que  l'on  croiroit  y  trouver 
des  guides  assurés  dans  Texercice  de  l'art, 

La  théorie  médicale  de  Brown  avoit  des  titres 
marqués  au  genre  de  succès  dont  nous  avons  parlé, 
par  son  extrême  sim[)licité  et  par  quelques  chan- 
gements heureux  qu'elle  a  introduits  dans  la  pra- 
tique. La  vie  représentée  comme  une  sorte  de  com- 
bat entre  le  corps  vivant  et  les  agents  extérieurs; 
la  force  vitale  considérée  comme  une  quantité  dé- 
terminée dont  la  consommation,  lente  ou  rapide, 
retarde  ou  accélère  le  terme  de  la  vie ,  mais  qui  peut 
l'anéantir  par  sa  surabondance  aussi  bien  que  par 
son  épuisement  ;  l'attention  restreinte  à  l'intensité 
de  l'action  vitale,  et  détournée  des  modifications 
qu'on  est  tenté  de  lui  supposer;  la  distribution  des 
maladies  et  des  médicaments  en  deux  classes  oppo- 


MÉDECINE.  3l5 

sées  selon  que  lactioii  vitale  se  trouve  excitée  ou  ra- 
lentie ;  toutes  ces  idées  sembloient  réduire  l'art  mé- 
dical à  un  petit  nombre  de  formules  :  aussi  cette 
doctrine  a-t-elle  joui  pendant  quelque  temps  en 
Allemagne  et  en  Italie  d'une  faveur  qui  alloit  jus- 
qu'à la  passion  ;  mais  il  paroît  qu'aujourd'hui  ce 
qu'elle  a  d'ingénieux  ne  fait  plus  méconnoître  l'in- 
justice de  l'exclusion  qu  elle  donne  pour  ainsi  dire 
à  l'état  des  organes  et  à  la  grande  variété  des  causes 
extérieures  qui  peuvent  influer  sur  les  altérations 
des  fonctions. 

Il  en  a  étéà-peu-près  de  même  des  modifications 
que  quelques  médecins,  tels  que  MM.  Roschlaub, 
Joseph  Franck,  etc. ,  ont  essayé  de  lui  faire  subir, 
et  qui  ont  donné  lieu  à  autant  de  systèmes  divers , 
que  l'on  a  compris  sous  le  titre  général  de  théorie  de 
t  incitation  ' . 

Quant  aux  essais  plus  nouveaux  tentés  en  Alle- 
magne par  les  sectateurs  de  ce  qu'on  appelle  en  ce 
pays-là  pliUosophie  de  la  nature,  on  peut  déjà  en 
prendre  une  idée  par  ce  que  nous  avons  dit  de  leur 
physiologie.  Ils  se  placenta  un  point  de  vue  si  élevé 
que  les  détails  leur  échappent  nécessairement  ;  et 

■  Voyez  le  Magasin  de  l'art  de  guérir,  par  Roschlaub;  le  Dix-hui- 
tième Siècle,  ou  Histoire  des  de'couvertes,  the'ories,  et  systèmes,  par 
M.  Heoker,  avec  un  extrait  de  son  Journal,  ainsi  qu'un  ouvrage  plus 
moderne  du  même  auteur  sur  l'histoire  des  théories  et  des  systèmes 
depuis  ilippocrale. 


3l6  SCIEINCES    PHYSIQUES. 

la  pratique  de  la  médecine  n'offre  que  des  détails 
et  des  exceptions  :  aussi  ne  paroissent-ils  avoir  ob- 
tenu qu'une  influence  momentanée  sur  l'exercice 
de  Fart'. 

Au  reste  on  peut  remarquer  ici  qu'il  y  a  dans 
'  l'histoire  des  théories  médicales ,  comme  dans  celle 
de  la  physiologie,  une  sorte  d'oscillation  remar- 
quable et  tout-à-fait  correspondante  à  celle  de  la 
philosophie  générale  à  chaque  époque.  Les  idées 
chimiques,  les  idées  mécaniques,  s'étoient  succé- 
dé et  combattues  dans  le  dix-septième  siècle  ;  on 
en  étoit  revenu  pendant  le  dix-huitième  au  pouvoir 
de  l'anie  raisonnable  sur  les  mouvements  involon- 
taires, au  principe  vital,  à  l'excitabilité,  ou  à  telle 
autre  qualité  plus  ou  moins  occulte;  et  à  mesure  que 
la  métaphysique  se  reporte  vers  les  abstractions  et 
la  mysticité,  l'on  voit  la  médecine  chercher  à  la  sui- 
vre dans  ces  régions  élevées. 

C'est  ainsi  que  les  progrès  rapides  de  la  chimie 
moderne  avoient  encouragé  il  y  a  quelques  années 
plusieurs  médecins  à  envisager  ou  expliquer  les 
maladies  d'après  le  genre  d'altération  dans  la  com- 
position des  organes  qu'ils  supposoient  produire 

'  Voyez,  sur  la  médecine  des  sectateurs  de  la  philosophie  de  la 
nature,  la  Philosophie  de  la  me'decine ,  par  Wagner;  l'Essai  d'un 
système  de  médecine,  par  Kilian;  Idées  pour  servir  de  base  à  la  no- 
sologie et  à  la  thérapie,  par  Troxler;  et  les  ouvrages  déjà  cités  à  l'ar- 
ticle de  la  Physlolofjie  :  ils  sont  tous  en  allemand. 


MÉDECINE.  817 

chacune  d'elles,  et  d'où  il  leur  scmbloit  facile  de 
conclure  les  moyens  propres  à  les  guérir. 

M.  Beddoes,  M.  Darwin,  en  Angleterre  ;  M.  Reil, 
M.  Girtanner,  et  plus  rcceniment  quehjues  autres 
médecins  en  Allemagne;  et  M.  Baume  en  France, 
ont  présenté  les  plus  remarquables  de  ces  essais  : 
mais,  quelque  vraisemblance  que  puisse  avoir  le 
principe  en  général ,  et  quelque  esprit  que  ces  au- 
teurs aient  mis  dans  son  emploi ,  nous  avons  trop 
vu  ci-devant  combien  la  chimie  des  corps  organisés 
est  encore  peu  avancée  pour  que  nous  puissions  en 
espérer  une  application  détaillée. 

Ainsi ,  de  quelque  côté  qu'on  ait  envisagé  les  ana- 
logies qui  résultent  de  l'observation  médicale  sur 
les  altérations  de  l'économie  organique ,  on  ne  leur 
a  pu  adapter  ce  lien  commun  ;  les  observations  sont 
restées  fragmentaires  ;  et  la  distribution  régulière 
des  altérations  ,  d'après  certains  caractères  appa- 
rents, est  le  seul  but  que  nous  puissions  jusqu'à 
présent  espérer  d'atteindre  dans  cette  partie  de  la 
science  médicale  comme  dans  toutes  les  sciences 
naturelles  dont  les  objets  sont  un  peu  compliqués. 

Il  en  résulte  ce  qu'on  appelle  nosologie,  c'est-à- 
dire  un  catalogue  méthodique  des  maladies,  tout- 
à-fait  comparable  aux  systèmes  des  naturalistes, 
quoique  d'une  application  infiniment  plus  diffi- 
cile ,  parceque  les  caractères  des  naturalistes  res- 


3l8  SCIENCES    PHYSIQUES. 

tent  toujours  les  mêmes  ,  tandis  que  chaque  mala- 
die est  en  quelque  sorte  un  tableau  mouvant,  et 
se  compose  d'une  suite  souvent  fort  disparate  de 
métamorphoses.  Cependant  l'ordonnance  de  ce  ca- 
talogue, sa  nomenclature,  ses  caractères  distinc- 
tifs,  ses  descriptions,  sont  susceptibles  d'amélio- 
rations journalières  ;  et  Ton  a  malheureusement 
occasion  d  y  ajouter  quelquefois  des  maladies  nou- 
velles. 

L'exemple  des  naturalistes  et  les  perfectionne- 
ments introduits  dans  leurs  méthodes  distributives 
ont  beaucoup  influé  sur  cette  partie  de  la  science 
médicale.  Sauva(]es  et  Linnœus  essayèrent  il  y  a 
environ  cinquante  ans  d'y  porter  une  partie  de  la 
précision  et  de  la  netteté  qui  venoient  d'être  intro- 
duites en  botanique  ;  mais  on  sent  que  les  mala- 
dies n'étoient  pas  si  aisées  à  diviser  ni  à  caractériser 
que  les  plantes.  Le  défaut  le  plus  important ,  et  ce- 
pendant le  plus  difficile  à  éviter,  c'étoit  la  variation 
du  principe  de  distribution.  On  fa  pris  tantôt  dans 
les  symptômes ,  tantôt  dans  les  causes ,  tantôt  dans 
les  sièges  des  désordres.  Mais  les  sièges  ne  sont  pas 
toujours  faciles  à  découvrir  :  les  causes  se  compli- 
quent d  ailleurs  à  l'infini  et  ne  sont  pas  dans  nn 
rapport  direct  avec  les  symptômes  ;  on  perd  sou- 
vent de  vue  la  première  de  toutes,  et  plus  souvent 
encore  on  les  conclut  d'après  une  pathologie  hy- 


MÉDECINE.  319 

pothétique  :  aussi  ne  voit-on  que  trop  les  distribu- 
tions nosologiques  varier  avec  chaque  système  mé- 
dical. Les  symptômes  eux-mêmes  sont  exposés  aux 
variations  les  plus  bizarres;  et  Ton  ne  peut  en  un 
mot  suppléer  à  ce  défaut  de  principes  rigoureux 
de  distribution  que  par  des  descriptions  bien  com- 
plètes. 

C'est  la  voie  qu'ont  tentée  les  plus  grands  méde- 
cins de  tous  les  siècles,  ceux  que  Ton  regarde  en- 
core comme  les  guides  les  plus  sûrs  dans  l'exercice 
de  l'art  ;  et  tout  récemment  M.  Pinei  a  cherché  à  la 
suivre  fidèlement  dans  sa  Nosographie  philoso- 
phique \  ouvrage  dont  les  divers  articles  sont  re- 
gardés comme  autant  de  tableaux  ,  affligeants  sans 
doute,  mais  parfaitement  ressemblants,  des  maux 
qui  nous  assiègent.  Cependant  Fauteur  n'a  point 
négligé  la  partie  distributive;  mais  il  en  a  cherché 
les  bases  dans  ce  que  l'on  a  de  plus  certain.  Ses 
classes  sont  fondées  sur  les  modes  de  lésion  ,  ses 
ordres  sur  les  sièges  ;  et  les  considérations  qui  ont 
servi  de  fondement  à  cette  dernière  distribution 
ont  précédé  et  préparé  celles  qui  ont  guidé  Bicliat 
dans  ses  recherches  anatomiques  sur  les  mem- 
branes. 

Indépendamment  des  ouvrages  généraux  de  pa- 

'   Noso^jraplîie  philosophique,  ou  Méthode  de  l'analyse  applique'e 
à  la  médecine  :  la  troisième  édition,  en  3  vol.  in-8",  est  de  1807. 


320  SCIENCES    PHYSIQUES. 

tholop,ie  et  de  nosologie  les  médecins  ont  fait  des 
travaux  particuliers  sur  certaines  classes  ou,  comme 
on  pourroit  s'exprimer,  à  Fexempie  des  natura- 
listes, sur  certaines  familles  de  maladies,  soit  qu'ils 
aient  choisi  pour  cela  les  maux  les  plus  communs, 
soit  que  des  circonstances  malheureuses  leur  aient 
donné  sujet  d'en  observer  de  plus  rares  ^ 

Ainsi  l'expédition  d'Egypte  a  fourni  quelques 
occasions  de  mieux  connoître  la  nature  de  la  peste 
et  d'observer  plus  fréquemment  la  lèpre,  et  quel- 
ques autres  de  ces  maladies  endémiques  dans  l'O- 
rient, dont  la  police  bien  entendue  de  nos  lazarets 
a  depuis  si  long-temps  préservé  la  chrétienté^. 

Jamais  on  n'a  mieux  senti  l'importance  de  cette 
police  que  lorsqu'une  maladie  désastreuse,  concen- 
trée dans  quelques  parties  de  la  zone  torride,  après 
avoir  dévasté  les  États-Unis ,  est  venue  désoler  divers 
cantons  de  lEspagne  et,  pendant  quelque  temps, 
menacer  toute  l'Europe. 

Le  gouvernement  a  envoyé  en  Espagne  des  mé- 

'  On  trouvera  l'enumération  Jes  innombrables  observations  de 
maladies  particulières  dans  la  Bihliotheca  medicinœ  praticœ  realis  de 
M.  Ploucquet,  et  dans  les  journaux.  Il  nous  ëioit  impossible  d'entrer 
dans  ce  détail. 

'  Voyez  la  Relation  chirurgicale  de  l'expédition  d'Egypte  et  de 
Syrie,  par  M.  Larrey;  Paris,  i8o3,  i  vol.  in-8°;  et  l'Histoire  médicale 
de  l'armée  d'Orient,  par  M.  Desgenettes;  ibid. ,  an  lo.  Consultez  aussi 
les  ouvrages  de  MM.  Pugnel  et  Pouqueville. 


MÉDECINE.  32  1 


decins  chargés  de  recueillir  sur  ia  fièvre  jaune  tous 
les  renseignements  propres  à  en  faire  connoître  la 
nature  et  le  traitement,  ainsi  qu'à  indiquer  les  pré- 
cautions nécessaires  pour  s'en  préserver.  Les  méde- 
cins espagnols  et  ceux  de  Gibraltar  leur  ont  com- 
muniqué, avec  le  zélé  le  plus  louable,  toutes  leurs 
observations  qui,  rapprochées  de  celles  des  méde- 
cins de  Livourne,  des  Etats-Unis,  et  de  Saint-Do- 
mingue, donneront  un  corps  de  doctrine  aussi 
complet  qu  il  est  possible  de  l'attendre.  On  ne  peut 
fju'en  désirer  la  prompte  publication  \ 

En  général  les  Anglois  et  les  Américains  ont  par- 
ticulièrement travaillé  sur  les  maladies  des  pays 
chauds.  John  Hunter,  Gilbert,  Blane,  Ghalmer, 
et  sur-tout  Jackson  Rush,  doivent  être  cités  avec 
éloge.  Le  radsygin  des  Norvégiens ,  le  pokolwar  de 
Hongrie,  le  pelagra  des  Milanois,  ont  donné  lieu 
à  de  nouvelles  recherches;  le  crétinisme,  le  pem- 
phigus ,  ont  été  examinés  avec  plus  d'attention  ^ 

La  fameuse  plique  polonoise  a  été  étudiée,  pen- 
dant les  campagnes  de  l'armée  francoise,  par  des 

.'  Voyez,  sur  la  fièvre  jaune,  les  ouvrages  de  M.  Devèze;  Paris, 
an  12;  de  M.  Valentin;  ibid.,  i8o3;  de  M.  Berthe;  Montpellier,  i8o4; 
et  l'Histoire  médicale  de  l'armée  de  Saint-Domiugue  en  l'an  10,  par 
M.  Gilbert;  Paris,  an  11. 

-  M.  Finke  a  cherché  à  réunir  dans  sa  Géographie  médicale  ,  pu- 
bliée en  1792,  ce  qui  se  trouve  épars  dans  les  ^ivers  voyageurs  sm 
les  maladies  endémiques. 

DUFFOS.  COMPI.F.M.  T.  I.  2» 


322  SCIENCES    PHYSIQUES. 

médecins  exempts  des  préjugés  accrédités  depuis 
lon^i^-temps  dans  le  pays.  Ilparoît  constant  aujour- 
d'hui que  Ton  peut,  sans  dan^^er,  couper  les  che- 
veux mêlés;  qu'il  n'en  découle  ni  sanj^  ni  autre 
humeur  :  quelques  uns  même  vont  jusqu'à  soute- 
nir que  la  plique  n'est  pas  une  maladie  réelle,  et 
que  la  malpropreté  seule  feutre  ou  colle  les  che- 
veux ' . 

Quelques  maladies  communes  parmi  nous  ont 
aussi  donné  heu  à  des  ouvrajjes  particuliers  qui  en 
ont  plus  ou  moins  perfectionné  la  connoissance. 
Tels  sont  ceux  de  M.  Portai  sur  le  rachitis  et  la 
phthisie,  qui  ont  été  répandus  par  ordre  du  gou- 
vernement et  traduits  dans  plusieurs  langues  ;  le 
Tableau  des  névralgies,  par  M.  Chaussier,  qui  a 
remis  de  l'ordre  dans  une  famille  de  maux  mal 
distinguée.  Une  grande  partie  des  thèses  soutenues 
dans  l'Ecole  de  médecine  sont  d'excellentes  mono- 
graphies de  certaines  maladies,  et  donnent  une 
haute  idée  des  études  qui  préparent  les  jeunes  gens 
à  débuter  d'une  manière  aussi  brillante;  quelques 
unes,  développées  par  leurs  auteurs,  sont  devenues 
des  ouvrages  importants  \ 

'  Mémoires  présentés  à  l'Institut  par  MM.  Roussille-Chaniserii  et 
Larrey.  Voyez  aussi  ceux  de  M.  de  Lafontaine,  pour  l'opinion  con- 
traire. 

^  Tel  est  sur-tout  le  Traité  des  fièvres  ataxiques,  par  M.  iiliberî. 


MÉDECIINE.  323 

M.  Alibert  a  essayé  avec  succès,  à  l'exemple  de 
TAnglois  Wiilaii  et  de  quelques  Allemands,  d'ap- 
pliquer aux  maladies  de  la  peau  ce  même  luxe 
d'images  que  l'on  a  introduit  dans  la  botanique  et 
dans  la  zoologie'.  M.  Halle  avoit  proposé  depuis 
long- temps  cet  emploi  des  arts,  et  les  écoles  de 
médecine  s'en  étoient  servies  en  particulier  pour 
la  vaccine.  Cette  sorte  de  description,  qui  parle 
aux  yeux ,  surpasse  en  effet  en  vivacité  les  paroles 
les  plus  expressives  pour  tout  ce  qui  a  rapport  aux 
couleurs  et  aux  figures;  mais  comme  aucune  per- 
sonne n'est  précisément  malade  comme  une  autre, 
on  ne  peut  donner  de  nos  infirmités  que  des  por- 
traits individuels,  tandis  que  dans  les  êtres  régu- 
liers Findividu  représente  l'espèce. 

C'est  malheureusement,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  une  difficulté  générale  de  toute  la  noso- 
logie; mais  c'est  aussi  ce  qui  rend  si  nécessaires  et 
si  glorieux  les  travaux  des  hommes  qui  s'attachent 

On  a  encore  remarqué,  parmi  les  thèses  médicales,  celles  de  M.  Pal- 
lois,  sur  l'hygiène  navale;  de  M.  Rayle,  sur  les  pustules  malignes;  de 
M.  Blattin,  sur  le  catarrhe  utérin  ;  de  M.  Sclmilgué,  sur  le  croup;  de 
M.  Royer-Gollard,  sur  l'aménorrhée;  de  M.  Duvernoy,  sur  l'hystérie  ; 
de  M.  Tartra  ,  sur  les  empoisonnements  par  l'acide  nitrique  ;  de 
M.  Rouard,  sur  ceux  du  vert-de-gris,  etc.  Plus  de  détails  nous  mène- 
roient  trop  loin;  et  il  nous  a  été  impossible  seulement  de  connoître 
les  bonnes  thèses  étrangères. 

'   Description  des  maladies  de  la  peau;  Paris,  in-fol.  Cet  ouvrage 
a  été  comniencé  en  1806. 

5  I. 


3^4  SCIEÎSCES    PHYSIQUES. 

ainsi,  à  l'exemple  du  père  de  la  médecine,  à  dé- 
crire scrupuleusement  les  maladies,  à  les  caracté- 
riser avec  exactitude,  et  à  donner  plus  d'étendue 
et  de  solidité  à  cette  science,  premier  fondement 
de  l'art  de  guérir,  comme  les  systèmes  de  nomen- 
clature sont  les  premières  bases  de  Thistoire  natu- 
relle. 

Néanmoins  comme  l'histoire  naturelle  a  encore 
sa  partie  rationnelle  où  elle  calcule  l'influence  des 
formes  et  de  l'organisation  des  êtres  sur  les  phéno- 
mènes qu'ils  présentent,  on  doit  chercher  aussi  à 
ajouter  à  la  simple  description  de  chaque  maladie 
des  recherches  sur  son  siège ,  sur  les  altérations 
primitives  qui  l'ont  occasionée,  et  sur  la  nature 
intime  des  désordres  qui  l'accompagnent  et  qui  la 
suivent. 

Cette  partie  rationnelle  de  la  pathologie ,  ou  cette 
physique  des  maladies,  communément  appelée 
étiologie,  beaucoup  moins  avancée  que  leur  descrip- 
tion, est  aussi  beaucoup  plus  diflicile,  parceque 
l'examen  anatomique  des  cadavres  et  la  comparaison 
chimique  de  leurs  liquides  et  de  leurs  solides,  qui 
forment  ses  deux  principaux  éléments,  ne  peuvent 
avoir  lieu  qu'à  une  époque  où  tout  est  consommé, 
et  qu'elle  participe  d'ailleurs  de  toutes  les  difticultés 
de  la  physiologie  ordinaire. 

Nous  avons  déjà  parlé,  dans  l'histoire  de  la  chi- 


MÉDECINE.  325 

mie,  des  connoissances  acquises  dans  ces  derniers 
temps  sur  les  altérations  chimiques  de  l'urine,  du 
sang,  de  la  substance  des  os,  et  sur  la  nature  des 
concrétions  calculeuses,  biliaires,  goutteuses.  Ce 
sont  là  autant  de  vrais  progrès  pour  cette  partie  de 
la  médecine. 

L'examen  des  cadavres,  ou  ce  qu'on  appelle  ana- 
tomie  pathologique ,  n'a  pas  été  moins  fécond.  Déjà  , 
avant  l'époque  dont  nous  parlons,  cette  partie  de 
la  science  médicale  possédoit  beaucoup  de  maté- 
riaux recueillis  par  Baillie,  par  Voigtel.  Les  cabi- 
nets de  Hunter  à  Londres,  de  MM.  Sandifort  et 
Brugmans  à  Leyde,  Bonn  à  Amsterdam,  Walther  à 
Berlin,  Meckel  à  Halle,  ceux  de  Vienne,  dePavie, 
de  Florence  ,  avoient  offert  d'importants  objets 
d'étude  :  mais  nos  François  semblent  s'y  être  parti- 
culièrement livrés  dans  ces  derniers  temps. 

M.  Portai ,  qui  enseigne  publiquement  cette 
partie  de  la  médecine  au  Collège  de  France  depuis 
plusieurs  années,  a  donné,  dans  un  grand  traité 
sur  ce  sujet ,  les  résultats  de  sa  longue  expérience  ' . 
L'École  de  médecine  a  fortement  excité  l'ardeur  des 
jeunes  gens  à  cet  égard;  et  plusieurs  centaines  d'ou- 
vertures qui  ont  été  faites  dans  ses  laboratoires 
promettent  un  grand  ensemble  d  observations  sur 
la  fréquence  de  chaque  genre  de  lésions  organiques, 

'   Cours  d'Anatomie  médicale;  Paris,  iSo/f,  5  vol.  in-8*. 


320  SCIENCES    PHYSIQUES. 

sur  leur  nature,  leurs  nuances,  et  leurs  rapports 
avec  les  symptômes  observés  pendant  les  maladies 
auxquelles  elles  correspondoient '. 

Parmi  tous  ces  travaux  d  anatomie  pathologique, 
se  distinguent  éminemment  ceux  de  M.  Gorvisart 
sur  les  maladies  organiques  du  cœur,  dont  le  pré- 
cieux recueil  vient  d'être  rendu  public  par  M.  Ho- 
reau^.  Il  en  résulte  qu'elles  sont  beaucoup  plus 
communes  qu'on  ne  le  croyoit jusqu'ici,  et  que  c'est 
à  elles  qu'une  foule  de  maladies  que  l'on  regardoit 
comme  primitives ,  telles  que  beaucoup  d'hydro- 
pisies  de  poitrine  et  autres,  doivent  leur  origine. 

Cette  connoissance  intime  de  la  nature  de  nos 
maux  seroit  l'indication  la  plus  sûre  de  la  possibilité 
et  des  moyens  d'y  remédier  :  aussi  a-t-elle  fourni , 
dans  ces  derniers  temps,  plusieurs  vues  que  le 
succès  a  justifiées.  Ainsi  laltération  presque  végé- 
tale de  l'urine  dans  le  diabètes  a  indiqué  son  traite- 
ment par  l'usage  exclusif  des  matières  animales 
joint  à  l'emploi  des  alcalis  et  de  l'opium  ;  l'analyse 

'  MM.  Dupuytren,  Bayle,  Laennec,  etc. ,  se  sont  sur-tout  occupés 
de  ce  genre  de  recherches,  auquel  Birhat  avoit  aussi  donné  une 
{Grande  impulsion. 

Essai  sur  les  maladies  et  les  lésions  organiques  du  cœur;  Paris. 
1806,  I  vol.  in-8°.  Depuis  M.  Corvisart  a  encore  puhlié  un  ouvrage 
vraiment  classique;  sa  traduction  et  son  commentaire  de  la  Méthode 
d'Avenbrugger  pour  connoître  les  maladies  internes  de  la  poitrine 
parla  percussion;  Paris,  1808,  i  vol.  in-S". 


MÉDECINE.  327 

des  divers  calculs  a  donné  l'espoir  de  parvenir  à  en 
dissoudre  quelques  uns  par  des  injections  appro- 
priées :  les  notions  acquises  sur  la  fréquence  des 
maladies  organiques  et  sur  leurs  symptômes  exté- 
rieurs ont  au  moins  l'avantage  de  montrer  dans 
quels  cas  il  est  inutile  de  tourmenter  le  malade  par 
des  remèdes  impuissants. 

Cette  connoissance  physique  des  maladies  est 
cependant  encore  tellement  imparfaite  que  nous 
serions  bien  malheureux  si  la  partie  de  la  médecine 
qui  s'occupe  de  guérir  n'avoit  pas  d'autre  base  :  heu- 
reusement il  existe  une  suite  d'observations  régu- 
lières, une  tradition  transmise  par  les  siècles,  qui 
prescrit  les  méthodes  et  fournit  les  remèdes,  et  qui, 
en  sa  qualité  de  corps  de  doctrine  expérimentale, 
est  susceptible  de  perfectionnements  journaliers, 
indépendants  d'une  étiologie  encore  absolument 
nulle  dans  un  si  grand  nombre  de  cas.  Parmi  ces 
perfectionnements  dictés  par  la  simple  expérience, 
et  fondés  sur  des  essais  répétés  à  finfini,  nous 
devons  placer  sur-tout  ces  méthodes  plus  générale- 
ment excitantes,  plus  actives,  qui  se  sont  intro- 
duites dans  la  pratique,  et  fabandon  de  ces  traite- 
ments affoiblissants,  de  ces  purgations  continuelles, 
qui  seml)loient  si  bien  faire  l'essence  de  la  médecine 
(|u'c]les  s'en  étoient  approprié  le  nom  ;  nous  devons 
y  placer  aussi  l'emploi  plus  fréquent  de  (luelques 


328  SCIENCES    PHYSIQUES. 

remèdes  actifs  que  la  mollesse  des  mœurs  a  voit  trop 
ionj^^-temps  fait  négliger. 

Les  améliorations  du  traitement  des  aliénés  tien- 
nent à  des  études  d'un  ordre  plus  élevé,  à  Tobser- 
vation  suivie  de  leur  état  moral  et  des  aberrations 
de  leurs  idées ,  dont  on  a  d'abord  été  redevable  aux 
Anglois  et  aux  Allemands,  mais  qui  s'est  introduite 
en  France  avec  beaucoup  de  succès,  et  dont  M.  Fi- 
ne!' et  d  autres  médecins  ont  obtenu  d'admirables 
résultats,  en  faisant  venir  la  psycliologie  la  plus 
délicate  au  secours  de  Fart  de  guérir. 

On  a  imaginé  et  ion  commence  à  employer 
fréquemment  un  beureux  moyen  de  constater  les 
résultats  généraux  des  divers  essais,  et  d'assigner 
la  véritable  valeur  des  probabilités  sur  lesquelles 
reposent  presque  uniquement  la  plupart  de  nos 
métbodes,  en  soumettant  en  ([uelque  sorte  au  calcul 
FexjDérience  médicale:  ce  sont  les  tables  comparées 
qui  présentent  d'un  seul  coup  d'œil  le  tableau  de 
toute  une  épidémie,  ou  des  longs  résultats  de  la 
pratique  d'un  bôpital.  M.  Pinel  en  a  donné  un 
exemple  intéressant  sur  les  aliénations  mentales,  et 
le  plus  ou  moins  de  probabilité  qu'il  y  a  d'en  guérir 
cbaque  espèce^. 

'    Traité  médico-philosophique  sur  raUénation  mentale  ou  la  ma- 
nie; Paris,  an  9,in-8°. 

'   Mémoires  de  l'Institut,  1807,  premier  semestre,  p.  169. 


MÉDECINE.  329 

Mais  de  toutes  les  applications  que  Ton  a  pu  faire 
de  ces  tables ,  il  n'y  en  aura  peut-être  jamais  d'aussi 
satisfaisantes,  d'aussi  admirables  même,  que  celles 
qui  concernent  la  vertu  prcservative  de  la  vaccine, 
et  leur  comparaison  avec  celles  qui  retracent  les 
rava{]^es  delà  petite-vérole  '.  Aussi,  quand  la  décou- 
verte de  la  vaccine  seroit  la  seule  que  la  médecine 
eût  obtenue  dans  la  période  actuelle,  elle  suffiroit 
pour  illustrer  à  jamais  notre  temps  dans  f  histoire 
des  sciences ,  comme  pour  immortaliser  le  nom  de 
.Tenner,  en  lui  assignant  une  place  éminènte  parmi 
les  principaux  bienfaiteurs  de  Ihumanité. 

Il  n'est  pas  nécessaire  que  nous  rapportions  en 
détail  les  expériences  qui  ont  été  faites  pour  con- 
stater l'efficacité  de  la  vaccine.  Depuis  1798  que 
M.  Jenner  publia  les  siennes,  il  en  a  été  fait  dans 
tous  les  états  éclairés;  tous  les  gouvernements  les 
ont  ordonnées  et  surveillées;  tous  les  hommes  bien-  x 
faisants  y  ont  pris  part.  En  France,  sur-tout,  une 
souscription  volontaire,  proposée  par  M.  de  Lian- 
court,  ayant  contribué  aux  premiers  frais,  un 
comité  d'hommes  instruits;  nommés  par  les  sou- 
scripteurs a  soumis  ce  merveilleux  préservatif  aux 
épreuves  les  mieux  raisonnées;  il  a  entretenu  con- 
stamment un  foyer  de  matière  vaccine,  d'où  il  en  a 

'    Voyez  Analyse  et  Tableaux  de  l'influence  de  la  petite-vérole  sur 
la  rnoitalite-,  etc.,  par  M.  Duvillard;  Paris,   tHof),  111-4"- 


33o  SCIENCES    PHYSIQUES, 

répandu  clans  toute  l'Europe.  En  un  mot  il  n'y  a 
point,  clans  la  nature,  de  phénomène  à-la-fois  aussi 
surprenant  et  aussi  certain  que  celui-là;  et  Ion  ne 
sait  plus  de  quoi  Ton  pourroit  désespérer  mainte- 
nant, quand  on  son^e  cjue  cjuelques  atomes  de  ma- 
tière purulente ,  recueillis  sur  des  vaches  du  Devon- 
shire,  sont  devenus  un  véritable  talisman  cjui  fera 
J)ientôt  disparoître  Tun  des  plus  cruels  fléaux  qui 
aient  jamais  accablé  Fhumanité  '. 

L'action  des  acides  minéraux,  et  principalement 
de  Facicle  muriatique  oxygéné,  pour  détruire  les 
miasmes  contagieux,  est  encore  une  des  décou- 
vertes modernes  les  plus  utiles  et  les  mieux  certifiées 
pir  des  expériences  nombreuses  et  rigoureuses. 
Les  Etats-Unis,  FEspagne,  nos  hôpitaux,  nos  pri- 
sons, on  eu  mille  occasions,  de  s'en  féliciter;  et  la 
voix  publir^ue  a  applaudi  à  Fhonorable  récompense 
décernée  par  le  gouvernement  à  M.  Guy  ton  de 
Morveau,  principal  auteur  de  ce  nouveau  bienfoit 
de  la  science  ^. 

Les  trois  régnes  de  la  nature  ont  encore  fourni 

''"  Consultez  le  Rapport  du  comité  central  de  vaccine;  Paris,  i8o3, 
«  vol.  in-8°;  le  Rapport  fait  à  l'Institut  par  M.  Halle,  et  les  Recher- 
ches historiques  médicales  sur  la  vaccine,  par  M.  Husson  ;  Paris, 
i8o3,  in-8",  troisième  édition. 

'  Traité  des  moyens  de  désinfecter  l'air,  etc.  La  troisième  édition 
est  de  i8o5,  i  vol.  in-8°  ;  mais  la  dérouverte  date  <le  1773,  et  fut  an- 
noncée dans  le  Journal  de  Physique,  t.  I,  p.  4^6, 


MÉDECINE.  33 1 


à  la  médecine  d'autres  médicaments,  dont  la  plu- 
part se  bornent  à  exercer  une  action  générale  d'in- 
citation ou  d'affoiblissement ,  mais  dont  quelques 
uns  paroissent  aussi  avoir  une  vertu  tout-à-fiait 
spécifique  sur  certaines  fonctions. 

La  digitale  pourprée,  en  ralentissant  le  pouls, 
promet  d'être  utile  à  beaucoup  de  plitliisiqucs;  le 
suc  de  belladonne,  en  paralysant  momentanément 
l'iris ,  aide  à  faire  avec  plus  de  facilité  l'opération 
de  la  cataracte.  L'usage  des  topiques  arsenicaux 
contre  les  ulcères  chancreux  de  la  face,  des  pom- 
mades oxy^oénées  par  l'acide  nitrique  contre  les 
maladies  psoriques,.du  charbon  contre  les  ulcères 
fétides,  des  salivations  mercurielles  contre  les  affec- 
tions aiguës  du  foie  et  l'hydrocéphale  interne,  de 
certains  mélanges  gazeux  contre  diverses  affections 
pulmonaires,  du  sénéga  contre  le  croup,  de  la  gé- 
latine contre  les  fièvres  intermittentes,  du  nitrate 
d'argent  contre  l'épilepsie,  de  la  pensée  contre  la 
croûte  laiteuse,  de  l'élhcr  alternant  avec  les  pur- 
gatifs contre  le  ver  solitaire,  du  quinquina  contre 
plusieurs  poisons  métalliques,  du  galvanisme  contre 
quelques  paralysies,  semble  s'accréditer;  mais  leur 
action ,  comme  celle  de  presque  tous  les  médica- 
ments ,  se  complique  si  fort  avec  les  divers  états  des 
malades,  qu'une  longue  suite  d'observations  peut 
seule  parvenir  à  en  mettre  Tefficacité  au  rang  des 


332  SCIEINCES    PHYSIQUES. 

vérités  démontrées  '.  Ce  n'en  sont  pas  moins  des 
instruments  de  plus  que  Fart  possède ,  et  qui  peu- 
vent le  servir  quand  ses  moyens  anciens  l'aban- 
•  donnent. 

On  doit  mettre  aussi  dans  le  nombre  de  ces  se- 
cours que  lui  ont  procurés  les  sciences  physiques 
rétablissement  en  grand  des  eaux  minérales  artifi- 
cielles. Sans  atteindre  entièrement  le  but  des  eaux 
naturelles,  elles  en  offrent  cependant  les  principaux 
avantages,  débarrassés  de  ces  nombreux  obstacles 
qu'opposent  à  leur  emploi  les  distances  et  les  sai- 
sons. 

Un  véritable  progrès  de  l'art  est  encore  d'avoir 
banni  de  Fusage  plusieurs  drogues  exotiques  et 
rares  qui  n'avoient  point  d'avantage  particulier,  et 
la  plupart  de  ces  compositions  compliquées  si  célè- 
bres dans  les  temps  d'ignorance;  d'avoir  simplifié 
et  rendu  plus  constante,  en  vertu  des  nouvelles 
lumières  de  la  chimie,  la  préparation  d'un  grand 

'  On  conçoit  qu'il  a  été  impossible,  dans  un  ouvrage  tel  que  celui-ci, 
d'entreprendre  l'énumération  de  cette  prodigieuse  quantité  de  re- 
mèdes employés  et  vantés  dans  cette  période  aussi  bien  que  dans 
toutes  les  autîes.  On  ne  pouvoit  non  plus  analyser  toutes  les  obser- 
vations particulières  publiées  par  les  médecins;  mais  on  est  obligé  de 
renvoyer  le  lecteur  aux  journaux  estimables  que  publient,  sur  la  mé- 
decine, MM.  Leroux,  Sedillot,  Graperon,  etc.,  et  aux  Mémoires  des 
Sociétés  savantes.  H  y  a  aussi  dans  l'étranger  de  grandes  collections 
périodiques  de  ce  genre,  parmi  lesquelles  on  doit  distinguer  le  Jour- 
nal de  M.  Hufeland. 


MEDECINE.  333 

nombre  de  médicaments  connus  ;  d'avoir  appliqué, 
d'après  les  règles  de  l'histoire  naturelle,  des  carac- 
tères plus  certains  aux  substances  médicamen- 
teuses; mais  il  seroit  difficile  d  assigner  en  particu- 
lier chacun  des  faits  nouveaux  dont  se  compose  cet 
ordre  de  recherches  ,  et  de  nommer  spécialement 
tous  les  médecins  auxquels  on  les  doit;  nous  ne 
pouvons  que  renvoyer  aux  ouvrages  dont  MM.  Ali- 
bert  \  Barbier  %  Sctiwilgué  ^  et  Swediaur  ^  ont  en- 
richi en  France  cette  partie  de  l'art  qu'on  appelle 
madère  médicale  ^. 

Dans  ces  divers  ouvrages,  et  dans  ceux  que  quel- 
ques étrangers  ont  publiés  sur  le  même  sujet,  les 
substances  médicamenteuses  sont  classées  d'après 
différents  points  de  vue  :  les  uns  ont  pris  pour  prin- 
cipe de  distribution  la  famille  naturelle  d'où  chaque 
substance  est  tirée;  d'autres,  la  composition  que 
l'analyse  chimique  a  cru  y  démêler;  d'autres  en- 
core, le  système  organique  sur  lequel  elle  exerce 
sa  principale  action  ;  enfin  les  médecins  qui  se  sont 

'  Nouveaux  Eléments  de  thérapeutique  et  de  matière  médicale  ; 
Paris,  1808,  2  vol.  in- 8°. 

'  Principes  {jénéraux  de  Pharmacologie;  Paris,  i8o5,  in-S". 

^  Traité  de  matière  médicale;  180.'),  2  vol.  in- 12. 

*  Maleria  medica;  Paris,  an  8,  in- 12. 

^  Les  travaux  modernes  sur  la  matière  médicale  en  Allemagne  sont 
consignés,  ou  au  moins  rappelés,  et  les  sources  indiquées  dans  les 
ouvrages  de  M.  Burdach. 


334  SCIENCES    PHYSIQUES. 

attachés  à  la  doctrine  de  Brown  ont  principa- 
lement considéré  lexcitation  ou  laffoiblissement 
que  chaque  substance  paroît  produire.  A  force  de 
multiplier  ainsi  les  aspects  sous  lesquels  on  a  envi- 
sagé les  médicaments,  on  n'a  pu  manquer  cl  en 
étendre  la  connoissance- 

Les  changements  survenus  dans  le  langage  et  la 
théorie  chimiques  en  ont  exigé  d'analogues  dans 
les  codes  pharmaceutiques  :  la  ville  de  Nancy  a 
donné  la  première  en  France  Texemple  de  les  y  in- 
troduire; et  le  respectable  M.  Parmentier  vient  de 
le  faire  avec  autant  de  succès  que  de  zélé  pour  celle 
de  Paris.  Les  pharmacopées  des  autres  états  ont 
ép^alement  été  mises  au  niveau  des  connoissances 
actuelles  '. 

Au  reste,  il  est  une  remarque  essentielle  à  faire 
ici  ;  c'est  que  la  médecine  n'est  point ,  comme  les 
autres  sciences ,  tout  entière  dans  les  livres  :  aussi 
bien  que  tous  les  arts  pratiques,  elle  est  différente 
dans  chacun  de  ceux  qui  l'exercent;  et  tous  les 
livres  ne  seroient  rien  sans  le  génie  et  le  talent  par- 
ticulier des  individus.  Aussi,  pour  avoir  une  his- 
toire complète  des  progrès  de  la  médecine ,  fau- 
droit-il  connoître  tous  les  changements  introduits 

'  On  trouveia  dans  la  Pharmacie  de  M.  Dorfurt  l'indication  de  ce 
qui  a  été'  fait  sui'  cet  objet  en  Allema{»ne  par  MM.  Rose,  Tromsdorf, 
Bucliolz,  etc. 


MÉDECINE.  335 

dans  les  procédés  de  cette  foule  d'hommes  utiles 
occupés  de  toute  part  à  soula^jer  riiumanité  souf- 
frante ;  mais  cette  seule  i  echerclie  exigcroit  un 
temps  et  son  exposition  demanderoit  un  espace 
qu'il  nous  est  impossible  de  trouver  dans  un  travail 
comme  celui-ci  :  nous  nous  bornerons  donc  à  in- 
diquer quelques  uns  des  grands  praticiens  qui  ont 
publié  les  recueils  d'observations  les  plus  impor- 
tants ,  tels  que  les  Pierre  Franks,  les  Reil ,  les  Hufe- 
land ,  les  Quarin,  les  Forniey,  parmi  les  Allemands; 
les  Heberden,  les  Fordyce,  les  Lettsom,  les  Gre- 
gory,  les  Duncan  ,  parmi  les  Anglois;  les  Gotugno, 
les  Girillo,  parmi  les  Italiens.  Les  noms  des  ineil- 
leurs  praticiens  françois  sont  connus  universelle- 
ment; et  ce  n'est  pas  à  nous  à  donner  notre  voix 
dans  un  jugement  qui  est  plus  qu'aucun  autre  du 
ressort  du  public. 

Si  l'on  trouvoit  notre  énumération  des  principaux 
progrès  de  l'art  de  guérir  bien  sommaire  en  compa- 
raison de  la  quantité  immense  des  ouvrages  qui 
ont  paru  sur  son  ensemble  et  sur  ses  diverses  par- 
ties, nous  répondrions  qu'en  effet  nous  n'osons 
assurer  que  nous  n'ayons  pas  omis  de  rappeler 
quelque  pratique  avantageuse  consignée  dans  ces 
innombrables  écrits ,  sur-tout  dans  ceux  des  étran- 
gers :  mais  nous  avons  lieu  de  croire  que  nos  omis- 
sions ne  sont  point  proportionnées  à  la  quantité  de 


336  SCIENCES    PHYSIQUES. 

ces  ouvrages,  attendu  que  la  médecine  a  encore 
cela  de  différent  des  autres  sciences  naturelles,  que 
l'on  peut  y  être  porté  à  écrire  par  beaucoup  d'autres 
motifs  que  celui  d'annoncer  des  vérités  nouvelles. 

La  clîirurpjie  ,  ou  médecine  opératoire,  est  dans 
le  même  cas  ;  et  ce  seroit  un  travail  au-dessus  de  nos 
forces  que  d'étudier  assez  profondément  cette  mul- 
titude de  livres  chirurgicaux  qui  ont  paru  depuis 
1-789 ,  pour  être  en  état  de  dire  avec  précision  ce 
([ue  chacun  d'eux  a  ajouté  d'utile  et  de  certain  aux 
procédés  connus,  il  n'est  pas  même  aisé  d'assigner 
le  moment  où  chaque  procédé  atteint  sa  per- 
fection; l'observation  les  prépare  quelquefois  long- 
temps d'avance,  la  voix  des  hommes  accrédités  en- 
gage à  les  mettre  en  pratique,  l'expérience  et  le 
temps  seuls  les  consacrent.  La  guerre  elle-même  a 
contribué  à  augmenter  le  nombre  ou  la  certitude 
de  ces  procédés;  le  caractère  distinctif  des  plaies 
d'armes  à  feu  a  été  mieux  connu  ;  les  cas  ou  l'ampu- 
tation devient  nécessaire ,  et  l'instant  où  elle  est  le 
plus  favorable ,  mieux  déterminés  ;  l'avantage  de 
conserver  le  plus  possible  de  chairs  et  de  téguments, 
mieux  constaté:  les  instruments  pour  l'extraction 
des  corps  étrangers,  simplifiés;  la  suture  abandon- 
née dans  presque  toutes  les  plaies  simples  ;  les 
onguents  bannis  dans  les  plaies  avec  perte  de  sub- 
stance. 


MÉDECINE.  337 

On  doit  compter  sans  doute  aussi  parmi  les  pro- 
grès de  la  chirurgie  militaire  cette  discipline  active 
par  laquelle  on  est  parvenu  à  rapprocher  la  promp- 
titude des  secours  de  celle  des  moyens  de  destruc- 
tion, et  à  conserver  quelques  défenseurs  de  plus 
à  la  patrie,  en  inspirant  à  ceux  qui  les  soignent  un 
dévouement  et  un  courage  semblables  aux  leurs. 
Le  Manuel  de  chirurgie  des  armées  de  M.  Percy, 
les  Observations  de  chirurgie  laites  en  Egypte  par 
M.  Larrey,  sont  de  beaux  monuments  des  services 
rendus  par  l'art  médical  à  cette  classe  respectable 
qui  sacrifie  son  existence  à  la  gloire  et  à  la  défense 
du  prince  et  de  l'état. 

Les  chirurgiens  sédentaires  profitent  pendant  ce 
temps  de  leur  position  plus  tranquille,  pour  ima- 
giner et  donner  à  l'art  des  moyens  encore  plus  surs 
et  plus  délicats. 

L'utilité  de  la  trachéotomie  pour  enlever  les  corps 
étrangers  de  la  trachée-artère  a  été  démontrée  par 
M.  Pelletan.  M.  Deschamps  a  fait  voir  qu'on  peut 
lier  certaines  artères  au-dessus  d'un  anévrisme,  et 
les  laisser  s'oblitérer  sans  danger  et  sans  récidive. 
Dans  l'anévrisme  faux  on  est  allé  chercher  l'artère 
blessée  aux  plus  grandes  profondeurs,  et  Ion  a 
réussi  à  la  lier  avec  des  rubans  et  un  instrument 
nouvellement  imaginé.  M.  Scarpa  a  enrichi  l'art 
d'un  ouvrage  général  sur  l'anévrisme,  où  il  appré- 

l;UFFON.   COMPtfcM.  T.   l.  32 


338  SCIENCES    PHYSIQUES. 

cie  toutes  les  méthodes  de  ie  traiter'.  T/opération 
de  la  symphyse  a  été  pratiquée  heureusement  par 
M.  Giraud.  fja  création  d'une  pupille  artificielle, 
(juand  la  véritable  est  obstruée,  est  devenue  une 
opération  facile  et  sûre  pour  MM.  Demours,  Mau- 
noir,  et,  d'après  leur  exemple,  pour  la  plupart  des 
chirurgiens.    MM.  Himly  et  Gooper  ont  proposé 
même  ,   et  quelquefois   pratiqué   avec  succès  ,   la 
perforation   du   tympan   dans   certaines  surdités. 
M.  Guerin  de  Bordeaux  a  imaginé  un  instrument 
qui  donne  la  plus  grande  précision  à  l'opération 
de  la  taille,  et  un  autre  qui  facilite  celle  de  la  cata- 
racte. M.  Sabatier  a  montré  la  nécessité  du  cautère 
actuel  contre  la  rage,  et  désabusé  des  remèdes  illu- 
soires avec  lesquelson  se  flattoitde  prévenir  ce  mal 
affreux \  En  général  on  doit  dire  que  la  chirurgie 
françoise  se  maintient  dans  cette  gloire  dont  une 
longue  suite  d'hommes  de  mérite  Ta  fait  briller  de- 
puis plus  d'un  siècle,  et  que  tout  annonce  que  les 
maîtres  qu'elle  a  perdus  dans  cette  période  ne  man- 
queront point  de  successeurs  ^.  MM.  Flajani ,  Pajola , 

'  Pavie ,  i8o4,  in-fol.,  en  italien.  Il  y  a  une  traduction  allemande 
avec  des  additions,  par  M.  Harles  d'Erlang  ;  Zurich,  1808,  in-4". 
M.  Heurteloup  vient  d'en  annoncer  une  traduction  françoise. 
^  Mémoires  de  l'Institut;  Sciences  physiques,  t.  II,  p.  249- 
^  L'Allemagne  possède  dans  la  Bibliothèque  chirurgicale  de  M.  Rich- 
ler  un  excellent  recueil  d'analyses  des  ouvrages  chirurgicaux  qui  ont 
paru  depuis  vingt  ans,  et  des  principales  découvertes  dont  l'art  s'est 


MÉDECINE.  33y 

cïii  Italie;  Gliiie,  Home,  Tell,  en  Anjjleterre;  Mur- 
sinna ,  Siebolcl ,  Richter,  en  Allemagne,  et  beaucoup 
d'autres  sans  doute  soutiennent  et  étendent  cet  art 
dans  leur  pays. 

Nous  le  répétons  ,  en  effet ,  toutes  ces  décou- 
vertes, tous  ces  procédés  plus  ou  moins  ingénieux, 
tous  ces  traitements,  tous  ces  remèdes  plus  ou 
moins  efficaces,  n'existent  en  quelque  sorte  pour 
l'art  qu'autant  que  les  individus  sont  habiles  à  les 
mettre  en  pratique;  et,  sous  ce  rapport,  le  perfec- 
tionnement de  l'instruction  intéresse  plus  essentiel- 
lement la  médecine  que  les  sciences  purement 
théoriques.  La  France  peut  se  flatter  d'avoir  éprou  vé 
en  ce  genre  les  améliorations  les  plus  importantes, 
dans  l'époque  dont  nous  traçons  l'histoire.  On  a 
cherché  enfin  à  s'y  rapprocher  et  même  à  y  surpas- 
ser les  exéhiples  que  donnoient  depuis  long-temps 
les  universités  de  Pavie,  de  Halle,  d'Edimbourg,  de 
Vienne,  etc.  Trois  grandes  écoles  y  ont  été  fondées 
avec  toutes  les  chaires  et  tous  les  secours  matériels 
nécessaires  pour  l'enseignement  le  plus  complet  : 
les  différentes  parties  de  Fart  qui  peuvent  bien  être 
exercées  séparément,  mais  dont  les  principes  et  l'en- 

enrichi  dans  le  même  intervalle.  D'autres  ouvrables  périodiques  sem- 
blables ont  éié  entrepris  depuis  par  MM.  Loder,  Mursinna,  Siebold, 
et  autres.  Le  Dictionnaire  de  chirurgie  de  M.  Bemstein  s'enrichit  par 
des  suppléments  assez  complets,  qu'on  public  de  temps  en  temps. 

22. 


34o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

seij>n(  nient  sont  nécessairement  les  mêmes,  y  ont 
été  réunies;  la  clinique  sur-tout,  cette  instruction 
si  importante  qui  se  donne  au  lit  des  malades,  et 
qui  n'existoit  point  auparavant  en  France  par  auto- 
rité publique  ,  y  a  été  établie  et  organisée  sur  le 
meilleur  pied  ;  les  élèves  qui  montrent  le  plus  de 
dispositions  sont  exercés  sous  les  yeux  des  maîtres , 
et  les  secondent  dans  leurs  recbercbes  pour  les 
progrès  de  Fart;  en  un  mot  on  peut  dire,  sans  hé- 
siter, que  de  toutes  les  parties  de  Tinstruction  pu- 
blique, c'est  peut-être  à  celle-ci  qu'il  y  a  le  moins  à 
désirer:  elle  deviendra  parfaite,  si  l'on  arrive  à 
rendre  les  réceptions  des  médecins,  et  sur-tout  celles 
des  chirurgiens,  un  peu  moins  faciles;  et  le  moyen 
en  est  bien  simple  ,  car  il  suffit  pour  cela  de  ne  pas 
faire  dépendre  la  fortune  des  examinateurs  de  leur 
indulgence. 

Les  ouvrages  élémentaires  publiés  par  quelques 
uns  des  professeurs  ne  sont  pas  au  moindre  rang 
des  moyens  d'instruction  :  la  nature  de  ce  rapport  ne 
nous  permet  que  de  rappeler  en  peu  de  mots  ceux 
où  MM.  Sabatier  et  Lassus  ont  consigné  les  résul- 
tats de  leur  longue  et  heureuse  expérience  dans  la 
médecine  opératoire;  celui  que  M.  Richerand  a  in- 
titulé Nosographie  chirurgicale' ^  où  il  se  montre  un 
digne  élève  de  Tun  des  plus  grands  maîtres  que  son 

'    Paris,  i8()5,  2  vol.  in-8". 


MÉDECINE.  341 

art  ait  possédés,  Desault,  qui  a  été  enlevé  encore 
dans  sa  force  au  commencement  de  notre  période, 
mais  dont  la  nombreuse  école  perpétue  la  j^loire;  le 
jpand  Traité  de  M.  Baudelocque  sur  les  accouche- 
ments, qui  a  été  traduit  dans  toutes  les  langues,  etc. 
Nous  regrettons  beaucoup  de  n'avoir  pas  de  notions 
suffisantes  des  ouvrages  du  même  genre  publiés  par 
les  étrangers,  afin  de  leur  rendre  la  même  justice. 
En  Allemagne  sur -tout ,  où  l'usage  des  livres  élé- 
mentaires est  plus  commun  que  chez  nous,  il  n'est 
presque  aucune  université  dont  les  professeurs 
n'en  aient  publié  d'excellents. 

S'il  étoit  de  notre  sujet  de  montrer  à  quel  j)oint 
les  lumières  des  sciences,  en  se  répandant,  peuvent 
éclairer  et  diriger  utilement  l'administration  ,  c'est 
ici  sur-tout  que  nous  aurions  un  beau  champ.  La 
précision  donnée  aux  jugements  de  la  médecine 
légale  \  les  précautions  indiquées  par  la  médecine 
à  la  police  pour  prévenir  les  épidémies  et  pour  ar- 
rêter les  contagions  ,  les  secours  préparés  pour  les 

'  Les  Allemands  se  sont  occupés  avec  beaucoup  de  zèle  de  la  mé- 
decine légale  ;  plusieurs  ouvrages  de  MM  Ludwig  ,  Metzger,  Pyl  , 
Scherf,  et  autres,  en  font  foi.  Mais  la  police  médicale  est  sur-tout 
devenue  un  objet  d'étude  particulière  ,  depuis  que  M.  Frank  l'a  traitée 
dans  un  grand  ouvrage.  MM.  Fodéré  et  Maîion  ont  ajouté  aux  con- 
noissances  sur  cette  matière  en  France.  Le  Manuel  de  M.  Sclimidi- 
uiuljer,  cjui  est  le  plus  moderne,  indique  les  livres  auxquels  on  peut 
avoir  recours  pour  chaque  objet  en  particulier.  J'""^ 


342  SCIENCES    PHYSIQUES. 

noyés  et  pour  les  asphyxiés,  la  surveillance  exer- 
cée sur  la  nourriture  du  peuple,  le  perfectionne- 
ment des  hôpitaux  de  tous  les  genres ,  présente- 
roient  un  tableau  consolant  pour  l'humanité.    Il 
seroit  beau  de  montrer  les  gouvernements  euro- 
péens s  occupant  à  l'envi  d'appliquer  au  bien-être 
de  leurs  peuples  les  découvertes  des  savants  ;  mais 
ce  n'est  point  à  nous  à  tracer  ce  tableau  ,  et  les 
découvertes  elles-mêmes  ou  leur  développement 
scientifique  doivent  seuls  nous  occuper.  Nous  ne 
nous  étendrons  pas  même  sur  l'hygiène  privée,  et 
sur  Tinfluence  heureuse  que  les  lumières  générales 
de  la  physique  et  de  la  médecine  ont  exercée  pour 
rendre  plus  salubres  le  genre  de  vie,  le  vêtement, 
le  logement ,  les  aliments  des  citoyens  de  toutes  les 
classes  et  de  tous  les  âges  ;  quiconque  comparera 
avec  un  peu  de  soin  et  d'impartialité  notre  vie  pri- 
vée à  celle  que  nous  menions  il  y  a  trente  ans  n'en 
])Ourra  méconnoître  les  avantages  :  mais  ces  effets 
lieureux  des  sciences,  dont  l'action  lente  n'est  pas 
toujours  sentie  par  ceux  mêmes  qui  en  profitent  le 
plus,  ne  sont  pas  de  nature  à  être  exposés  en  détail 
dans  un  ouvrage  tel  que  celui-ci.   Qu'il  nous  soit 
seulement  permis  de  rappeler  Fimmense  et  impor- 
tant travail  de  M.  Tenon  sur  les  hôpitaux,  et  les 
améliorations  que  les  vues  de  ce  chirurgien  philan- 
thropeont  produites  dans  ces  retraites  du  malheur; 


MÉDECUNK.  343 

FHygièiie  de  M.  Halle,  rin^énieuse  Macrobiotkiue 
de  M.  Hufeland ,  et  le  grand  Code  de  la  santé  et  de 
ia  longévité  du  chevalier  John  Sinclair  ',  ouvrages 
où  toutes  les  connoissances  de  la  médecine  sont 
employées  [)our  enseigner  aux  hommes  les  moyens 
de  se  passer  des  médecins.  La  science  nous  prend 
en  quelque  sorte  au  berceau  pour  nous  prémunir 
contre  tous  les  dangers  qui  nous  attendent  ;  et  les 
leçons  données  aux  mères  par  M.  Desessarts% 
par  M.  Alphonse  Leroy  ^,  épargneront  à  beaucoup 
d'hommes  une  vie  débile  qu'une  éducation  impru- 
dente auroit  pu  leur  préparer. 

La  médecine  v^étérinaire  est  encore  une  branche 
de  Fart  de  guérir  dont  lobjet  est  moins  noble  sans 
doute  que  celui  delà  médecine  humaine,  mais  dont 
les  principes  sont  les  mêmes ,  et  qui  ne  diffère  dans 
son  apphcation  qu'à  cause  des  différences  de  struc- 
ture et  de  régime  des  animaux  et  de  ia  plus  grande 
simplicité  de  leur  genre  de  vie. 

Elle  vient  de  tirer  un  grand  parti  de  cette  analo- 
gie en  imaginant  d'inoculer  le  claveau  aux  mou- 
tons. Cette  idée,  fondée  sur  la  ressemblance  du 
claveau  et  de  la  petite-vérole,  paroît  avoir  parfai- 

'   Édiuiboury,  iboj,  4  vol.  in-8",  en  anglois. 

'  Traité  de  réducation  corporelle  des  enfants,   première  édition  , 
1759;  deuxième  édition ,  1798. 

*   Médecine  maternelle;  Paris,  tBo3,  1  vol.  in-S". 


344  SCIENCES    PHYSIQUES. 

tenient  réussi  ;  et  les  nombreuses  expériences  de 
M.  Huzard  ont  constaté  que  c'est  un  préservatif  sûr 
et  à-peu-près  sans  danger.  On  a  essayé  la  vaccine 
dans  la  même  vue,  mais  sans  avoir  encore  rien  ob- 
tenu de  décisif. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  végétaux  qui  n'aient  leurs 
maladies,  et  leur  médecine  susceptible  d'études  et 
de  vues  tout-à-fait  analogues  à  celles  qui  dirigent  la 
médecine  des  êtres  animés. 

Les  recherches  de  M.  Tessier  sur  les  maladies 
des  blés ,  celles  des  botanistes  qui  ont  constaté  que 
la  plupart  de  ces  maladies  sont  dues  à  des  champi- 
gnons parasites,  la  certitude  obtenue  par  des  ex- 
périences répétées  à  l'infini,  que  la  plus  funeste  ,  la 
carie  du  froment,  a  son  remède  infaillible  dans  l'o- 
pération du  chaulage,  sont  autant  de  résultats  dus 
aux  savants  qui  honorent  notre  période. 

Agricuilure, 

La  deuxième  de  ces  sciences  pratiques  qui  se  rat- 
tachent plus  particulièrement  aux  sciences  natu- 
relles c'est  l'agriculture.  Gomme  la  médecine,  elle 
s'occupe  des  êtres  vivants  :  mais  elle  les  considère 
principalement  dans  l'état  de  santé;  et  son  objet 
est  sur-tout  de  multiplier  autant  qu'il  est  possible 
ceux  d'entre  eux  qui  nous  sont  utiles,  ou,  en  d'au- 


AGRICULTURE.  345 

très  termes,  d'employer  la  force  de  la  vie  pour  ras- 
sembler et,  retenir  le  plus  possible  d  éléments  dans 
ces  combinaisons  que  la  vie  seule  peut  produire,  et 
(jui  sont  nécessaires  à  notre  nourriture,  à  nos  vê- 
tements ou  aux  autres  besoins  de  notre  société.  En 
sa  qualité  de  la  plus  indispensable  et  de  la  plus 
vaste  de  toutes  les  fabriques ,  elle  peut  être  considé- 
rée sous  un  double  point  de  vue,  celui  de  la  poli- 
tique et  celui  de  la  doctrine;  et  cette  dernière  elle- 
même  est  susceptible  d'un  double  aspect  :  celui  de 
l'étendue  qu'elle  a  acquise ,  ou  de  l'ensemble  des 
vérités  qui  en  général  ont  été  reconnues ,  et  celui 
du  plus  ou  moins  d'extension  que  ces  vérités  ont 
obtenue  parmi  les  cidtivateurs.  Sous  le  rapport  de 
la  politique,  l'bistoire  de  l'agriculture  devroit  ex- 
poser quel  étoit  son  état  avant  la  révolution  ,  quelle 
influence  ont  eue  sur  elle  l'abolition  des  droits  féo- 
daux, la  division  des  grandes  propriétés ,  la  guerre 
continentale  et  maritime,  et  les  variations  dans  le 
système  des  contributions  et  dans  celui  des  douanes; 
dans  quelles  provinces  il  s'est  introduit  des  procé- 
dés plus  avantageux ,  quelles  causes  y  ont  contri- 
bué; s'il  se  produit  aujourd'bui  plus  ou  moins  de 
cbaque  denrée  qu'autrefois,  et  si  on  l'emploie  avec 
plus  d'avantage  aux  besoins  du  peuple  et  de  l'éfat. 
Mais  tous  ces  objets,  qui  ne  dépendent  (|ue  des  cir- 
constances politi({ues  ou  morales,  regardent  lad- 


346  SCIENCES    PHYSIQUES. 

iiiinistratiori,et  non  pas  l'Institut;  et  quoique  notie 
compagnie  ne  soit  point  étrangère  à  la  propagation 
des  découvertes  agricoles.^  ses  Fonctions  consistent 
sur-tout  à  les  constater  ou  à  les  rendre  plus  nom- 
breuses, et  son  devoir,  en  ce  moment,  se  borne  à 
exposer  l'histoire  de  celles  qui  appartiennent  à  le- 
poque  actuelle. 

En  général  ces  découvertes  se  rapportent  à  deux 
sortes  ;  introduction  de  nouvelles  espèces  et  de 
nouvelles  variétés,  ou  procédés  nouveaux  dans 
leur  gouvernement.  On  peut,  si  l'on  veut,  en  faire 
une  troisième  sorte  des  nouvelles  combinaisons  de 
cultures  diverses  propres  à  tirer  un  meilleur  parti 
d  un  espace  donné ,  et  des  procédés  convenables 
pour  mettre  en  culture  des  terrains  auparavant 
stériles. 

Cependant  nous  ne  devons  pas  nous  en  tenir 
trop  étroitement,  en  ce  genre,  à  ce  qui  peut  être 
appelé  nouveau  dans  toute  la  rigueur  du  terme.  Si 
quelques  pratiques,  auparavant  concentrées  dans 
certains  cantons  particuliers,  ou  connues  seulement 
dans  des  pays  éloignés ,  sont  devenues  plus  géné- 
rales, il  appartient  à  cette  histoire  des  sciences  de 
montrer  comment  les  notions  tirées  de  la  chimie  et 
de  l'histoire  naturelle  ont  fait  sentir  à  nos  compa- 
triotes lavantage  de  ces  pratiques,  et  les  ont  enga- 
gés à  les  étudier  et  à  les  introduire  parmi  nous. 


AGRICULTURE.  347 

Nous  avons  lîéjn  cité,  à  l'article  du  rè[jne  vc(;é- 
tal ,  plusieurs  plantes  ctranf^èrcs  dont  l'utilité  s'est 
fait  connoîtie  dans  ces  dernières  années  :  nous  en 
pourrions  citer  beaucoup  d'autres  qui,  connues 
depuis  lon^-temps,  n'ont  été  admises  que  depuis 
peu  dans  l'agriculture  françoise. 

La  pistache  de  terre  (avachis  hypocjœd)  commence 
à  se  répandre  dans  le  midi ,  où  elle  a  été  introduite 
par  Gilbert;  sa  semence,  si  singulière  par  sa  posi- 
tion souterraine,  donne  une  huile  agréable.  lia  pa- 
tate douce  de  Malaga  a  été  introdïute,  en  1789, 
à  Montpellier  et  à  Toulouse  par  M.  Parmentier; 
celle  d'Amérique,  qui  est  plus  agréable,  a  été  cul- 
tivée depuis  à  Bordeaux  par  M.  Yillers,  et  a  réussi 
dans  nos  départements  plus  septentrionaux  par  les 
soins  de  M.  Leiieur.  Le  topinambour  (helianthus 
tuberosus)^  dont  la  racine  a  l'avantage  de  se  conser- 
ver sous  terre  sans  geler,  s'emploie  de  plus  en  plus 
pour  les  bestiaux.  Le  navet  de  Suéde,  dit  rula-baga, 
plante  qui  réunit  beaucoup  d'utilités  différentes,  se 
répand  généralement.  Tout  le  monde  se  souvient 
des  grandes  expériences  de  M.  Parmentier  sur  les 
pommes  de  terre,  et  des  services  rendus  par  ces 
racines  dans  les  disettes  dont  nous  fûmes  menacés 
deux  fois  pendant  la  révolution;  le  goût  s'en  est 
répandu  dès-lors,  et  les  meilhaires  variétés  se  sont 
introduites  par-tout.  On  s'est  assuré  delà  possibi- 


348  SCIENCES    PHYSIQUES. 

lité  de  cultiver  le  coton  herbacé  clans  quelques  par- 
ties méridionales  de  la  France,  et  de  rendre  ainsi 
nos  fabriques  un  peu  moins  dépendantes  de  nos 
relations  politiques,  he  phormium  fen^x  commence 
à  être  cultivé  dans  les  mêmes  départements,  et  four- 
nira bientôt  les  plus  puissants  de  tous  les  cordages. 
La  multiplication  du  faux  acacia  ou  robinier  a  été 
très  considérable  par-tout,  et  très  avantageuse  à 
cause  de  la  promptitude  de  son  développement  et 
de  sa  facilité  à  venir  dans  les  plus  mauvaises  situa- 
tions. Nous  avons  déjà  parlé  des  arbres  de  FAmé- 
rique  septentrionale  que  ion  peut  naturaliser 
parmi  nous.  Les  essais  en  ce  genre,  dus  aux  soins 
de  MM.  Michaux  et  exécutés  sous  les  auspices  de 
l'administration  des  forêts,  sont  déjà  nombreux  et 
promettent  beaucoup;  avec  de  Tordre  et  de  la  pa- 
tience on  enrichira  la  France  d'une  foule  de  bois 
de  qualités  diverses,  et  dont  le  plus  ou  moins  de 
rapidité  à  croître  et  de  facilité  à  vivre  dans  des  ter- 
rains variés  offre  les  plus  grands  avantages. 

De  toutes  les  opérations  de  plantation  ,  la  plus 
intéressante  et  la  plus  immédiatement  utile  est  bien 
celle  des  pins  maritimes  pour  la  fixation  des  dunes  : 
non  seulement  elle  met  en  valear  des  terrains  im- 
menses, mais  elle  assure  l'existence  de  villages ,  de 
cantous  entiers,  ([ue  les  dunes  menaçoient  d'une 
destruction  totale.  On  ne  peut  trop  célébrer  le  zèle 


AGRICULTURE.  349 

(le  M.  Bremontier,  ([ui  a  le  premier  constaté  les  vrais 
moyens  de  rendre  ce  travail  efficace,  et  qui  a  mis 
toute  son  activité  à  en  presser  l'exécution  '. 

La  plus  importante  des  races  d'animaux  que  l'on 
peut  considérer  comme  nouvelles  en  France,  celle 
dont  ia  multiplication  a  été  la  plus  générale,  c'est 
sans  contredit  celle  des  moutons  d'Espa^^ne  à  laine 
fine,  appelés  mermos;  ils  sont  aujourd'hui  répan- 
dus dans  presque  toutes  nos  provinces.  Deîja  la 
laine  qu'ils  fournissent  diminue  sensiblement  pour 
nos  fabriques  de  draps  le  besoin  des  laines  étran- 
fijcres  ;  et  les  cultivateurs  qui  tirent  un  revenu  dou- 
ble d'un  troupeau  qui  n'exi^je  pas  une  nourriture 
plus  abondante  ni  plus  chère,  bénissent  les  Dau- 
benton ,  les  Tessier,  les  Gilbert,  lesHuzard,  les 
Silvestre,  dont  les  lon[js  travaux ,  encouragés  par 
le  gouvernement,  leur  ont  procuré  cette  nouvelle 
source  de  prospérité.      » 

Les  bœufs  d'Italie,  plus  propres  que  les  autres 
au  tirage,  les  buffles,  si  utiles  pour  tirer  parti  des 
terrains  marécageux,  nous  ont  été  procurés  par 
les  conquêtes  de  la  première  armée  d'Italie.  On  com- 
mence à  multiplier  les  vaches  sans  cornes,  qui 
joignent  à  l'avantage  de  se  blesser  moins  souvent 
entre  elles  celui  de  fournir  un  lait  aussi  bon  que 
copieux. 

'   Mémoires  sur  les  dunes,  an  5. 


35o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Les  soins  donnés  aux  haras  par  ie  gouverne- 
ment, les  instructions  qui  ont  été  publiées  sous  ses 
auspices  par  M.  Huzard,  ont  déjà  un  effet  très  sen- 
sible sur  les  races  de  nos  chevaux. 

Grâce  aux  observations  des  naturaUstes,  l'art, 
presque  nouveau  en  France  ,  de  recueillir  le  miel 
sans  détruire  les  abeilles  commence  à  se  répandre, 
et  aura  de  linfluence  sur  cette  branche  importante 
d'économie. 

En  tout  genre,  les  connoissances  plus  exactes  sur 
la  manière  de  conduire  chaque  espèce,  et  sur  la 
quantité  et  la  qualité  des  produits  de  chaque  va- 
riété ,  sont  au  moins  aussi  précieuses  à  acquérir  que 
des  espèces  ou  des  races  entièrement  nouvelles.  La 
comparaison  des  différentes  céréales  par  M.  Tes- 
sier,  celle  des  diverses  variétés  de  vignes,  de  leurs 
rapports  avec  les  terrains  et  l'exposition,  et  de  leur 
influence  sur  la  qualité  du  vin,  par  M.  Bosc  ',  mé- 
ritent donc  un  rang  distingué  parmi  les  travaux 
utiles  de  cette  période. 

Mais  la  partie  la  plus  transcendante  de  l'agri- 
culture consiste  à  trouver  la  combinaison  et  la  suc- 
cession d'espèces  la  plus  avantageuse;  à  déterminer 
avec  précision,  dans  chaque  circonstance,  quelle 
partie  de  terrain  doit  être  consacrée  à  chaque  cul- 

'   rian  pour  ia  détermination  et  la  classification  des  diverses  va- 
riétés de  la  vigne  cultivée  en  France,  i  vol  in-8",  1808 


AGRICULTURE.  35  I 

ture,  et  la  proportion  relative  des  animaux  et  des 
pfiains  que  Ton  doit  chercher  à  ohtenir.  C'est  dans 
cette  proportion  ([ue  consiste  le  problème  des  assole- 
ments et  des  prairies  artificielles;  problème  dont  la 
solution,  pour  être  parfaite,  exi^j^e,  pour  ainsi  dire, 
la  réunion  de  toutes  les  sciences  naturelles  :  aussi 
est-ce  sur  ce  point  que  l'ajpiculture  a  fait,  dans 
cette  période,  les  progrès  les  plus  marqués,  [/ou- 
vrage de  Gilbert  '  avoit  déjà  montré ,  avant  le  com- 
mencement de  notre  époque,  l'avantage  d'étendre 
la  culture  des  prairies  artificielles;  et  dès-lors  \es 
expériences  ont  été  multipliées;  des  hommes  ha- 
biles ont  réussi  à  faire  entrer  ces  prairies  dans 
Tordre  de  leurs  récoltes  successives,  et  l'art  des 
assolements  a  fait  un  grand  pas  vers  sa  perfection. 
Les  bons  exemples  de  ce  genre  ont  été  particulière- 
ment donnés  par  MM.  Yvart,  Mallet,  Pictet,  Bar- 
bançois,  Fremin ,  Jumilhac,  Rosnay,  Devilliers, 
Fera-Rouville,  Sageret,  etc.  Les  principes  de  cet 
art  ont  été  établis  dans  un  ouvrage  que  M.  Yvart  "* 
a  publié  sur  ce  sujet,  après  avoir  obtenu  l'approba- 
tion  de  la  classe;  et  les  résultats  heureux  de  ces  dé- 
couvertes se  sont  principalement  répandus  par  le 
zèle  des  sociétés  d'agriculture. 

Les  jachères  ont  diminué  par-tout,  les  bestiaux 

'   Traites  des  prairies  artiiicielles,  i  vol.  in-8°,  17B9. 
^  Essai  sur  les  assolements. 


352  SCIENCES    PHYSIQUES. 

se  sont  multipliés;  l'art  des  entrais  s'est  perfec- 
tionné, la  pouclrette  en  a  fourni  un  nouveau;  le 
plâtre  a  été  mieux  employé  aux  amendements;  et 
l'usage  si  utile  d'enfouir  des  végétaux  vivants  ,  se- 
més à  cet  effet,  commence  à  être  adopté  dans  plu- 
sieurs cantons. 

Nous  devons  mettre  au  premier  ran^y  des  travaux 
utiles  qui  ont  contribué  à  répandre  le  goût  et  les 
connoissances  positives  de  l'agriculture,  les  cours 
publics  d'économie  rurale  qui  ont  été  faits  dans 
cette  période,  et  pour  la  première  fois  en  France, 
par  MM,  Silvestre  et  Coquebert-Montbret,  et  celui 
que  M.  Yvart  professe  depuis  deux  années  à  l'école 
vétérinaire  d'Alfort. 

Ce  seroit  en  vain  que  nous  essaierions  de  nom- 
mer tous  les  hommes  zélés  qui  ont  contribué  par 
leurs  écrits  et  par  leurs  exemples  à  disséminer  l'in- 
struction agricole  dans  notre  pays;  encore  moins 
ceux  qui  ont  rendu  des  services  semblables  aux 
pays  étrangers.  Qu'il  nous  suffise  de  citer  ici  les 
Mémoires  de  îa  société  d'agriculture  de  Paris', 
composés  d'observations  intéressantes  sur  toutes 
les  parties  de  l'agronomie,  et  dans  lesquels  M.  Sil- 
vestre ,  secrétaire  de  cette  société  ,  en  exposant 
chaque  année  l'état  des  progrès  de  l'agriculture 
françoise,  leur  a  donné  encore  une  nouvelle  im- 

'    II  vol.  in-8". 


AGRICULTURE.  353 

pulsion;  la  partie  d'agriculture  de  la  Bibliothèque 
britannique,  rédigée  par  M.  C.  Pictet,  de  Genève, 
et  les  Annales  de  l'agriculture  Françoise  de  M.  Tes- 
sier,  comme  les  recueils  qui  ont  le  plus  contribué 
à  cette  œuvre  si  utile  dans  la  partie  de  lagricul- 
ture.  Les  instructions  populaires  sur  divers  sujets 
spéciaux,  publiées  par  ordre  du  gouvernement, 
et  rédigées  par  MM.  Parmentier ,  Gels ,  Gilbert , 
Huzard,  Tessier,  Vilmorin,  Yvart,  Chaberl,  Nys- 
ten  ;  l'Instruction  pour  les  bergers  de  feu  Dauben- 
tori  ',  celle  de  M.  Huzard  sur  les  haras  ^  ;  l'ouvrage 
de  M.  Sylvestre  sur  les  moyens  de  perfectionner 
les  arts  économiques;  les  écrits  de  M.  Lasteyrie 
sur  les  moutons^,  les  constructions  rurales^,  le 
cotonnier^;  ceux  de  M.  Dumont-Gourset ,  sur  le 
jardinage^;  de  M.  Maurice  sur  les  engrais;  les 
Voyages  agronomiques  de  M.  François  de  Neuf- 
château^;  ceux  de  M.  Depère^;  l'ouvrage  sur  les 
dessèchements,  de  M.  Ghassiron'^;  les  Traités  des 

'   Troisième  édition,  i  vol.  in-8°,  an  lo. 

*   Un  volume  in-8°,  an  lo. 

^  Histoire  de  l'introduction  des  moutons  h  laine  fine  d'Espagne, 
i  vol.  in-8°,  an  1 1. 

^  Traduction  du  Traité  de  construction  rurale  puMié  par  le  bureau 
d'agriculture  de  Londres,  i  vol.  in-B",  an  lo. 

'  Du  cotonnier  et  de  sa  culture,  i  vol.  in-8",  i8o8. 

^  Le  Bot.iniste  cultivateur,  4  vol.  in-8",  1802. 

'   Un  vol.  in-4'',  1806. —  ^  Manuel  d'agriculture  pratique  ,  1680. 

9  Lettre  aux  cultivateurs  François  sur  les  dessèchements,  an  9. 

BUFFON.   COMPLÉ.VI.   T.  I.  23 


354  SCIENCES    PHYSIQUES. 

bois  et  des  irrigations,  par  M.  de  Pertbiiis  '  ;  la  par- 
lie  d  acjriculture  de  rEncycIopédie  méthodique  ;  la 
nouvelle  édition  du  Dictionnaire  de  Rozier,  et  celle 
du  Théâtre  d'a.griculture  d'Olivier  de  Serres  :  voilà 
les  ouvrages  qui  se  présentent  le  plus  avantageuse- 
ment à  notre  mémoire. 

Mais  de  dire  positivement,  comme  nous  l'avons 
fait  pour  les  sciences  théoriques,  ce  que  chacun  de 
ces  auteurs  a  fourni  de  nouveau  à  l'ap^riculture, 
c'est  ce  qui  nous  seroit  impossible.  Ici ,  comme  en 
médecine ,  comme  en  chirurgie ,  les  procédés  se 
propagent  lentement;  leur  utilité  se  constate  plus 
lentement  encore  :  ce  n'est  point  par  sa  nouveauté 
qu'une  découverte  se  recommande  :  faire  passer 
une  pratique  d'un  canton  dans  un  autre  est  sou- 
vent une  chose  plus  utile  que  ne  pourroient  l'être 
les  conceptions  les  plus  profondes,  les  efforts  les 
plus  soutenus  de  l'esprit;  et  dans  ces  transmigra- 
tions de  races,  d'instruments,  d'opérations,  dans 
cette  communication  qui  s'en  fait  entre  des  r^ens 
peu  instruits,  plus  désireux  de  profits  que  de 
gloire,  le  nom  du  véritable  inventeur  se  perd  et 
disparoît  le  plus  souvent.  La  même  observation 
s'applique  à  la  technologie  ,  la  troisième  de  nos 

'  Traité  de  l'aménagement  et  de  la  restauration  des  bois  et  forêts 
de  la  France,  an  ii.  Mémoire  sur  l'amélioration  des  prairies  artifi- 
cielles et  sur  leur  irrigation ,  1806. 


AGRICULTURE.  355 

sciences  pratiques,  et  celle  par  laquelle  nous  ter^ 
minerons  cette  histoire  des  sciences. 


Technologie ,  ou  connoissance  des  arts  et  métiers, 

La  technologfie  embrasse  tous  les  arts,  c'est-à- 
dire  toutes  les  modifications  que  nous  savons  don- 
ner aux  productions  naturelles, pour  les  accommo- 
der à  nos  besoins,  depuis  les  altérations  les  plus 
simples,  que  leur  facilité  et  leur  nécessité  journa- 
lière font  ranger  dans  l'économie  domestique  ou 
rurale,  jusqu'aux  fabrications  les  plus  étendues  et 
les  plus  délicates,  f ^'histoire  détaillée  de  leurs  pro- 
grès exigeroit  des  recherches  que  notre  genre  de  vie 
et  les  moyens  qui  sont  à  notre  disposition  ne  nous 
permettent  pas  de  rendre  complètes.  Ce  n'est  ni  dans 
les  livres,  quelque  nombreux  quils  soient,  ni  dans 
le  cabinet  que  l'on  peut  s'en  instruire.  Il  faudroit 
parcourir  les  ateliers,  suivre  les  manipulations  dès 
ouvriers,  s'entretenir  avec  les  chefs,  souvent  leur 
arracher  des  secrets  d'où  dépend  leur  fortune  ;  et 
môme,  après  plusieurs  années,  combien  nignore- 
roit-on  pas  encore  de  pratiques,  cachées  ou  con- 
centrées dans  quelques  atehers  particuliers,  ou  qui, 
des  pays  étrangers,  n  au roient  point  pénétré  jusque 
chez  nous  ! 

Il  faut  donc,  en  technologie,  comme  en  méde- 

2:1 


35G  SCIENCES    PFIYSIQUES. 

cine,  comme  en  ajjnculture,  nous  borner  à  une 
revue  rapide  des  principaux  objets  qui  sont  par- 
venus à  notre  connoissance,  et  ies  considérer  non 
seulement  en  tant  qu'ils  seroient  nouveaux  en  eux- 
mêmes  ,  mais  avoir  encore  égard  à  ceux  qui  sont  au 
moins  nouveaux  pour  la  France,  et  qui  n'y  ont  été 
propagés  que  dans  ces  derniers  temps.  Aussi  bien 
c'est  au  gotitdes  sciences  devenu  plus  général,  c'est 
aux  lumières  devenues  plus  communes  parmi  les 
manufacturiers ,  que  l'on  doit  cet  intérêt  qu*ils  ont 
mis  à  s'instruire,  à  se  procurer  la  connoissance  de 
ces  pratiques  étrangères  ou  peu  connues,  et  cette 
justesse  avec  laquelle  ils  ont  pu  les  apprécier. 

Cette  énumérationnousprésente  d'ailleurs  encore 
dans  sa  rapidité  un  tableau  assez  remarquable  et 
assez  digne  de  l'attention  de  ceux  qu'intéressent  la 
gloire  et  la  prospérité  de  la  France. 

Ainsi  la  physique  a  fourni  des  améliorations  . 
tout-à-fait  inattendues  dans  l'art  de  conduire  le  feu 
et  d'épargner  le  combustible.  Le  chauffage  des  ap- 
partements a  reçu  des  poêles  et  des  cheminées  de 
toutes  les  sortes  qui  ont  peut-être  réduit  d'un  tiers 
la  consommation  du  bois,  ou  multiplié  d'autant  les 
jouissances  des  individus.  La  dépense  que  la  cui- 
sine exige  est  réduite  à  moins  de  moitié  par  les  nou- 
veaux procédés  de  M.  le  comte  de  Rumford,  doîU 
l'utilité  s'étend  à  tontes  les  fabriques  qui  emploient 


TECHINOLOGIE.  35^ 

d(  S  liquides  chauds,  depuis  les  bains  et  îes  lessives 
jusqu'aux  teintures  et  aux  savonneries  '  :  les  distil- 
leries sont  arrivées  par-là  à  des  économies  presque 
incroyables.  Les  thermolampes  de  M.  Lebon,  qui 
tirent  parti  du  même  feu  pour  cbauFfer  et  poui* 
éclairer, ont  reçu  d'importantes  applications  en  A n- 
g^lcterre  et  en  Allemagne,  et  s'emploient  déjà  avec 
grand  profit  dans  diverses  manuflictures  considéra- 
bles. C'est  aux  découvertes  physiques  sur  l'influence 
de  la  pression  dans  les  combinaisons,  que  Ton  doit 
le  nouvel  art  mis  en  pratique  par  M.  Paul  pour 
composer  les  eaux  minérales  artificielles. 

Toutes  les  parties  de  l'économie  rurale  et  domes- 
tique ont  reçu  des  perfectionnements  par  l'exten- 
sion des  connoissances  chimiques  relatives  aux 
substances  qu'elles  emploient. 

La  meunerie,  la  boulangerie,  ont  été  améliorées 
par  M,  Parmentier^.  La  mouture  économicjucetles 
bons  procédés  de  panification  se  sont  généralisés. 
On  a  appris  à  faire  de  l'amidon  avec  une  infinité  de 
substances  végétales  plus  communes  (pie  le  blé,  ou 
même  auparavant  tout-à-fait  inutiles. 

X 

'  Essais  politiques  et  économiques,  etc.,  par  M.  le  comte  de  Kum- 
foitl,  ">.  vol.  in-8 ',  1799;  et  différents  Mémoires  imprimés  parmi  ceux 
de  l'Institut. 

^  Le  parfait  Boulano;er,  i  vol,  ii»-8",  '77^;  «'<  J>lusieurs  ;ujrres 
Mémoires. 


358  SCIENCES    PHYSIQUES. 

L'ouvrage  de  M.  GhajDtal  sur  le  vin  ',  dont  nous 
avons  parlé  à  l'article  de  la  chimie,  a  produit  Ja  plus 
heureuse  révolution  dans  cette  branche  si  impor- 
tante de  l'industrie  Françoise;  et  plusieurs  cantons 
dont  les  vins  étoient  de  mauvaise  qualité  ont  déjà 
réussi  à  les  perfectionner  d'après  les  préceptes  de  ce 
savant  chimiste. 

i/analyse  du  lait,  par  MM.  Parmentier  et  Deyeux, 
a  donné  des  procédés  sûrs  pour  imiter  par- tout 
toutes  les  sortes  de  fromages,  et  pour  rendre  le 
beurre  plus  agréable  et  plus  facile  à  conserver. 

Les  fdtres  de  charbon ,  suite  des  découvertes  de 
Lowitz,  de  Morozzo,  de  Rouppe,  ont  fourni  les 
moyens  de  rendre  salubres  et  agréables  les  eaux  les 
plus  corrompues  \ 

La  théorie  du  tannage,  découverte  par  M.  Se- 
guin, a  produit  cet  effet,  que  l'on  termine  mainte- 
nant en  trois  ou  quatre  mois,  dans  la  plupart  des 
ateliers,  ce  qui  en  exigeoit  auparavant  douze  ou 
quinze.  D'ailleurs  les  procédés  spéciaux  nécessaires 
pour  chaque  sorte  de  tannage,  chamoisage,  et  cor- 
royage,  sont  devenus  des  connoissances  générales. 
11  en  est  de  même  des  fabriques  de  produits  sa- 
lins, dont  la  France  manquoit  autrefois,  et  que 

'   Art  de  faire  le  vin,  i  vol.  in-S",  1807. 

^  Voyez  la  Manière  de  bonifier  parfaitement  les  eaux,  par  Barry, 
1  vol.  in-8",  an  I  2. 


TECHJNOLOGIE.  Jt)9 

la  chimie  a  multipliées  au  niveau  de  nos  besoins. 
La  céruse,  le  vert-de-j^ris ,  la  couperose,  l'alun,  le 
sel  ammoniac,  la  soude,  se  font  maintenant  chez 
nous  aussi  parfaitement  qu'en  aucun  autre  pays  : 
comme  on  les  fabrique  pour  la  plupart  de  toutes 
pièces,  on  leur  donne  un  degré  de  pureté  qu'il  étoit 
impossible  d'obtenir  auparavant;  et  si  Ton  trouve 
moyen  d'adoucir,  pour  les  deux  derniers  objets, 
l'impôt  sur  le  sel,  nous  soutiendrons  toute  espèce 
de  concurrence'. 

Nous  serons  éo^alement,  dans  tous  les  marchés  , 
les  rivaux  des  Anglois  pour  l'acide  sulfurique ,  si  le 
gouvernement  permet  à  ces  fabriques  de  s'approvi- 
sionner de  salpêtre  de  l'Inde^. 

L'emploi  de  cet  acide  pour  clarifier  les  huiles  les 
plus  troubles,  sur-tout  celle  de  colza  ,  et  les  rendre 
limpides  comme  de  l'eau,  est  encore  un  des  bien- 
faits récents  de  la  chimie. 

Tout  le  monde  se  souvient  du  service  important 
qu'elle  rendit  à  l'état  dans  des  moments  périlleux , 
en  simplifiant  et  en  rendant  populaire  l'extraction 
du  salpêtre  et  la  fabrication  de  la  poudre  ^ 

'  Depuis  la  présentation  de  ce  Rapport ,  l'exemption  a  été  accor- 
dée; et  il  s'est  formé  une  vingtaine  de  fabriques  de  soude  artificielle 
par  la  décomposition  du  sel  marin. 

^   Cette  permission  a  été  accordée. 

*  Instruction  sur  la  fabrication  du  salpêtre,  an  2. 


36o  SCIENCES    PHYSIQUES. 

Aucun  art  no  clevoit  attendre  de  cette  science  et 
n'en  a  reçu  en  effet  plus  d'amélioration  que  la  tein- 
ture. M.  Berthollet  lui  adonné  le  blanchiment  par 
l'acide  niuriatique  oxygéné,  qui  épargne  le  temps  et 
les  frais,  et  qui  a  l'avantage  inappréciable  d'enlever 
les  couleurs  mal  appliquées  '. 

L'emploi  de  Pacide  oxalique,  pour  enlèvera  vo- 
lonté l'oxyde  de  fer;  celui  de  l'acide  muriatique, 
pour  nuancer  les  couleurs,  et  des  muriates  d  étain, 
de  fer,  et  de  bismuth ,  comme  mordants,  sont  aussi 
des  sources  de  grandes  commodités  en  teinture; 
comme  la  substitution  de  l'acide  pyroligneux  au 
vinaigre,  dans  presque  tous  les  cas  où  Ton  em- 
ployoit  celui-ci ,  a  été  celle  d'une  très  grande  éco- 
nomie. La  teinture  du  coton  en  rouge  a  été  réduite 
aux  principes  les  plus  sûrs  par  les  travaux  successifs 
de  MM.  Haussman  etChaptaP  :  M.  Tingry  en  a  fait 
autant  pour  l'art  des  vernis. 

L'art  d'enlever  dans  la  juste  proportion  le  suint 
des  laines  qu'on  veut  teindre  est  une  découverte 
encore  toute  nouvelle  due  à  MM.  Vauquelin ,  Go- 
dine,  et  Roard. 

M.  Ghaptal  a  imaginé  de  remplacer  les  huiles, 
dans  la  fabrication  du  savon,  par  de  vieux  débris 

'   xlunales  de  Chimie  de  1789. 

^  Art  de  la  teinture  du  coton  en  rouge;   1807,  i  vol.  in-8°.  Voyez 
aussi  les  Éléments  de  teinture  de  M.  HerthoUet. 


TECHNOLOGIE.  36 1 

de  laine;  et  Ton  y  emploie  maintenant,  en  An.«^le- 
terre,  jusqu'aux  vieux  cadavres  de  [)oissGns. 

Le  blanchiment  à  la  vapeur  est  encore  une  dé- 
couverte importante  ,  (généralisée  par  M.  Ghaptal  '. 

Nous  avons  déjà  parlé  des  nouvelles  couleurs 
fournies  par  la  chimie  à  la  peinture  à  Thuile  et  ta  la 
peinture  en  émail,  comme  le  bleu  de  cobalt,  de 
M.  Thenard;  le  rouge  de  chrome;  le  vert  du  même 
métal,  appliqué  à  la  porcelaine,  parM.  Brongniart. 
\  jNous  aurions  pu  y  ajouter  l'introduction  en  France 
de  la  fabrication  du  bleu  de  Prusse  et  du  bleu  an- 
glois,  qui  n'est  cpiVin  bleu  de  Prusse  mêlé  cFalu- 
mine. 

L'analyse  plus  exacte  des  terres  n'a  pas  été  moins 
utile  à  la  poterie;  et  il  suffit,  pour  s'en  convaincre, 
de  comparer  nos  poteries  communes  d'aujourd'hui 
à  celles  que  nous  avions  il  y  a  vingt  ans.  Le  caillou- 
tagedeSargueminesetleshygiocéramcsdeM.  Four- 
my  méritent  d  être  distingués  dans  ce  nombre  \ 

Le  rouissage  du  chanvre  |)ar  des  moyens  chimi- 
ques est  infiniment  plus  sûr,  plus  court,  et  plus 
salnbre  qu'autrefois. 

Nous  n'avons  pas  besoin  de  traiter  des  progrès 
de  la  docimasie  et  de  la  métallurgie ,  qui  marchent 

'    Essai  sur  le  blanchiment,  par  Oreilly;  i8oi.  i  vol.  in-8" 

^   Mémoire  sur  les  ouvra(jes  en  terre  cuite ,  par  Fourmy;  brochure 

in-8",  1802. 


362  SCIENCES    PHYSIQUES. 

nécessairement  du  même  pas  que  la  chimie,  ni  de 
rappeler  la  précision  admirable  à  laquelle  est  ar- 
rivé le  monnoyap^e  ;  mais  nous  pouvons  dire  que  la 
purification  du  platine  et  l'art  de  le  travailler  ont 
donné  à  tous  les  autres  arts  les  vases  les  plus  utiles 
par  leur  inaltérabilité. 

Nous  avons  déjà  exposé  ailleurs  le  nouvel  art  de 
fabriquer  Facier  fondu,  inventé  par  Glouet;  celui 
des  crayons  de  mine  de  plomb,  par  Conté;  et  celui 
de  décomposer  le  métal  des  cloches,  par  M.  Four- 
croy.  Ce  dernier  a  pu  tenir  momentanément  lieu 
de  mines  d'étain  et  de  cuivre. 

Ij'établissement  de  fabriques  de  fer-blanc,  qui  ne 
laissent  plus  rien  à  désirer,  est  encore  une  conquête 
récente  sur  Fétranger. 

La  fabrication  des  cristaux  et  de  tous  les  genres 
de  verres  n  a  j^as  fait  de  moindres  progrès  que  les 
autres  arts  chijidques ,  pour  la  netteté ,  la  blan- 
cheur, le  volume,  et  l'économie;  on  peut  s'en  con- 
vaincre dans  les  moindres  demeures  des  particu- 
liers, aussi  bien  que  dans  l'excellent  ouvrage  de 
M.  Loysel  sur  la  verrerie  '.  M.  Pajot-Descharmes  en 
est  venu  jusqu'à  souder  les  glaces.  Le  rouge  à  polir, 
autrefois  très  cher,  se  fait  maintenant  d'une  ma- 
nière infiniment  plus  simple,  d'après  les  procédés 
de  MM.  Guyton  et  Frédéric  Cuvier. 

'   Essai  sur  l'art  de  la  verrerie;  an  8,  i  vol.  in-8". 


TECHNOLOGIE.  363 

Les  ciments  de  toute  espèce,  les  pouzzolanes  ar- 
tlHcielles,  fabriquées  selon  les  méthodes  imaginées 
par  MM.  Chaptal,  Père,  etc.,  ainsi  que  celles  de 
nos  volcans  éteints,  ont  donné  à  nos  constructeurs 
les  moyens  de  se  passer  des  produits  étrangers. 
M.  Fabroni  en  Italie,  et  d après  lui  M.  Faujas  en 
France,  ont  trouvé  des  terres  proj)res  à  Faire  des 
briques  si  lég^ères  qu'elles  flottent  sur  l'eau,  inven- 
tion précieuse  pour  construire  les  fours  des  vais- 
seaux. 

La  carbonisation  de  la  tourbe,  la  purification  du 
coak  ou  charbon  de  terre  dessoufré ,  ont  été  intro- 
duites en  France  dans  cette  période. 

L'opération  des  assi(^nats,  quels  qu'aient  été  ses 
résultats  politiques,  a  laissé  à  l'art  du  pa^ietier  des 
perfectionnements  durables,  et  sur-tout  l'emploi 
de  l'acide  muriatique  oxy^^éné  pour  le  blanchiment 
de  la  pâte.  C'est  même  à  elle  que  Ton  doit  en  grande 
partie  le  nouvel  emploi  des  caractères  stéréotypes , 
qui  augmenteront  les  bienfaits  de  l'imprimerie ,  en 
faisant  pénétrer  les  conceptions  du  génie  jusque 
dans  les  pauvres  chaumières. 

La  technologie  n'a  point  d'école  en  France  où 
l'on  en  démontre  les  principes;  et  quoique  les  arts 
et  métiers  aient  été  souvent  décrits  en  détail  dans 
de  grands  ouvrages ,  il  n'y  a  encore  d'élémentaire  et 
propre  à  l'instruction  générale  que  la  Chimie  appli- 


364  SCIENCES    PHYSIQUES. 

quée  aux  arts,  de  M.  ('baptal;  livre  excellent,  mais 
qui  n'embrasse  que  les  arts  exclusivement  cbimi-, 
ques  '.Du  moins  dans  cette  partie,  l'on  peut  être 
assuré  que  la  lumière  des  sciences  pénétrera  dans 
les  atfiliers;  et  ses  effets  sont  déjà  très  sensibles  chez 
les  manufacturiers  éclairés. 

Résumé. 

C'est  ici  que  nous  terminerons  cet  aperçu  som- 
maire des  cbangements  les  plus  avantageux  que  les 
progrès  de  la  chimie  et  de  la  physique  ont  intro- 
duits dans  la  pratique  des  arts  pendant  la  première 
période  dont  nous  avons  à  rendre  compte.  Nous 
aurions  pu  l'étendre  beaucoup,  si  le  temps  et  la 
nature  de  nos  connoissances  nous  l'avoient  permis , 
et  sur-tout  s'il  nous  avoit  été  possible  d'entrer  dans 
tous  les  perfectionnements  de  détail  qui  ont  été 
adaptés  aux  divers  procédés  particuliers;  nous  au- 
rions pu  y  ajouter  enfin  l'énumération  de  cette 
quantité  de  substances  que  la  botanique,  la  miné- 
ralogie, et  la  zoologie,  ont  découvertes  et  fournies 
aux  différents  arts,  si  nous  n'en  avions  déjà  indi- 
qué les  principales  en  parlant  de  ces  sciences  elles- 
rnêmes ,  et  si  nous  n'avions  encore  ajouté  à  cette 

'   Chimie  appliquée  aux  arts;  1807,  4  vol.  in-S". 


RÉSUMÉ.  36f) 

liste  lorsque  nous  avons  traité  de  la  médecine  et  de 
Ta^yriculture. 

Tel  qu'il  est,  ce  tableau  suffira  sans  doute  pour 
donner  une  idée  de  ce  que  les  sciences  ont  fait  et  de 
ce  qu  elles  peuvent  faire  encore  pour  l'utilité  immé- 
diate de  la  société. 

Conduire  Tesprit  humain  à  sa  noble  destination  , 
la  connoissance  de  la  vérité;  répandre  des  idées 
saines  jusque  dans  les  classes  les  moins  élevées  du 
peuple;  soustraire  les  hommes  à  l'empire  des  pré- 
jugés et  des  passions;  faire  de  la  raison  l'arbitre  et 
le  guide  suprême  de  l'opinion  publique,  voilà  l'objet 
essentiel  des  sciences;  voilà  comment  elles  concou- 
rent à  avancer  la  civilisation ,  et  ce  qui  doit  leur  mé- 
riter la  protection  des  gouvernements  qui  veulent 
rendre  leur  puissance  inébranlable,  en  la  fondant 
sur  le  bien-être  commun. 

Si  l'on  veut  donc  reporter  les  yeux  sur  ce  qui 
précède,  et  considérer,  sous  l'aspect  que  nous  ve- 
nons d'indiquer,  les  efforts  des  hommes  dont  nous 
avons  parlé,  nous  espérons  qu'on  y  trouvera  la 
preuve  dé  ce  que  nous  avons  annoncé  dès  l'abord  , 
qu'il  n'est  aucune  des  branches  des  sciences  natu- 
relles qui  ne  doive  les  augmentations  les  plus  sensi- 
bles à  ceux  qui  les  ont  cultivées  de  notre  tem|)S; 
qu'il  n'en  est  aucune  qui  n'ait  acquis  une  multitude 
de  faits  précieux,  de  vues  nouvelles,  et  que  la  plu- 


366  SCIENCES   PHYSIQUES. 

part  ont  éprouvé,  dans  leurs  théories,  des  révolu- 
tions importantes  qui  les  ont  simplifiées,  éclair- 
cies,  et  leur  ont  fait  faire  des  pas  évidents  vers  la 
vérité. 

La  marche  des  affinités  chimiques,  ressort  géné- 
ral de  tous  les  phénomènes  naturels ,  a  été  expli- 
quée; la  chaleur,  principal  de  leurs  agents,  a  reçu 
des  lois  rigoureuses  ;  l'électricité  galvanique  est 
venue  ouvrir  des  régions  toutes  nouvelles,  dont 
nul  ne  peut  encore  mesurer  l'étendue;  la  nouvelle 
théorie  de  la  combustion,  en  jetant  sur  toute  la 
chimie  la  plus  vive  lumière ,  et  la  nouvelle  nomen- 
clature, en  facilitant  son  étude,  en  ont  inspiré  le 
goût,  et  ont  occasioné  une  foule  de  travaux  aussi 
utiles  que  pénibles;  la  physiologie  des  corps  vivants, 
l'effet  et  la  marche  des  fonctions  dont  leur  vie  se 
compose,  ont  reçu  de  la  chimie  les  éclaircissements 
les  plus  inattendus  :  Tanatomie  comparée  s'est 
jointe  à  la  chimiepour  faire  pénétrer  tous  les  secrets 
comme  toutes  les  variations  des  forces  vitales;  elle 
a  réglé  l'histoire  naturelle  d'après  des  méthodes 
raisonnées,  qui  réduisent  les  propriétés  de  tous  les 
êtres  à  leur  expression  la  plus  simple;  elle  a  déterré 
et  recréé  des  espèces  inconnues,  enfouies  dans  les 
couches  du  globe  :  les  minéraux  ont  été  analysés 
et  soumis  aux  lois  de  la  géométrie  :  des  végétaux  et 
des  animaux  auparavant  inconnus  ont  été  rassem- 


RÉSUMÉ.  367 

blés  et  distingués  ;  leur  catalogue  général  a  été  aug- 
menté de  plus  du  double;  leurs  propriétés  ont  en- 
richi les  arts  d'une  foule  d'instruments  nouveaux  : 
la  vaccine  enfui  a  donné  les  moyens  de  soustraire 
riiunianité  à  l'un  des  plus  funestes  fléaux  qui  la 
tourmentoient. 

Telles  sont  les  principales  découvertes  physiques 
qui  ont  illustré  cette  époque.  Quelles  espérances 
ne  donnent-elles  pas  elles-mêmes!  Combien  n'en 
donne  pas  sur- tout  l'esprit  général  qui  les  a  occa- 
sionées,  et  qui  en  promettant  d'autres  pour  l'ave- 
nir! Toutes  ces  hypothèses,  toutes  ces  suppositions 
plus  ou  moins  ingénieuses,  qui  avoient  encore  tant 
de  vogue  dans  la  première  moitié  du  dernier  siècle , 
sont  aujourd'hui  repoussées  par  les  vrais  savants  : 
elles  ne  procurent  plus,  même  à  leurs  auteurs,  une 
gloire  passagère.  L'expérience  seule,  l'expérience 
précise,  faite  avec  poids,  mesure,  calcul  et  compa- 
raison de  toutes  les  substances  employées  et  de 
toutes  les  substances  obtenues,  voilà  aujourd'hui  la 
seule  voie  légitime  de  raisonnement  et  de  démons- 
tration.  Ainsi  ,    quoique   les   sciences    naturelles 
échappent  aux  applications  du  calcul,  elles  se  font 
gloire  d'être  soumises  à  l'esprit  mathématique;  et 
par  la  marche   sage  (qu'elles  ont  invariablement 
adoptée,  elles  ne  s'exposent  plus  a  faire  de  pas  en 
arrière  :  toutes  leurs  propositions  sont  établies  avec 


368  SCIENCES    PHYSIQUES. 

certitude ,  et  deviennent  autant  de  fondements  so- 
lides pour  ce  qui  reste  à  construire. 

Les  physiciens  et  les  naturalistes  de  notre  époque 
se  sont  donc  honorablement  placés  à  la  suite  et 
dans  les  rangs  des  hommes  qui  ont  accéléré  la 
marche  de  l'esprit  humain,  et  parmi  eux  les  phy- 
siciens et  les  naturalistes  ftançois.  Nous  pouvons, 
nous  devons  le  déclarer  en  ce  moment  solennel  où 
nous  sommes  leurs  organes,  et  nous  ne  craignons 
pas  d'être  désavoués  par  ceux  des  autres  nations, 
les  physiciens  et  les  naturalistes  François  ont  noble- 
ment soutenu  l'honneur  de  leur  patrie,  et  pendant 
ces  vingt  années,  où,  dans  une  autre  carrière ,  des 
prodiges  inouïs  de  dévouement,  de  valeur,  et  de 
génie,  portoient  avec  tant  d'éclat  dans  toutes  les 
contrées  de  l'univers  les  noms  des  héros  de  la  France, 
ceux  qui  cultivent  les  sciences  dans  cet  heureux 
pays  ne  sont  point  restés  indignes  d'avoir  aussi 
quelque  part  dans  la  gloire  de  leur  nation. 

Nous  le  répétons  ici,  ce  n'est  point  par  un  effet 
de  notre  partialité  que  les  savants  françois  se  trou- 
vent, dans  cette  histoire,  cités  au  premier  rang  dans 
presque  toutes  les  branches  des  sciences  naturelles  ; 
la  voix  des  étrangers  le  leur  décerne  comme  la 
nôtre;  et  même  dans  les  parties  où  le  hasard  n'a 
pas  voidu  qu'ils  fissent  les  découvertes  principales, 
la  manière  dont  ils  les  ont  accueillies,  examinées, 


RÉSUMÉ.  369 

développées ,  dont  ils  en  ont  suivi  toutes  les  consé- 
quences ,  place  nos  compatriotes  bien  près  des 
premiers  inventeurs,  et  leur  donne,  à  bien  des 
égards ,  le  droit  d'en  partager  l'honneur. 


FIN  DU  PREMIER  VOLUME  DE  COMPLEMEINT. 


BUFFON.  COMPl-F-M.  ï.  I.  T 4 


TABLE  ANALYTIQUE 

/ 

DES  MATIÈRES 

CONTENUES  DANS  CE  VOLUME. 


Avertissement Pap,e  v 

Introduction,  pa(je  i.  —  Idée  générale  de  l'objet  et  de  la 
marche  des  sciences,  ibid.  —  Nature  et  limites  des  sciences 
naturelles,  ibid.  —  Leurs  principes  généraux,  2.  — Vains 
efforts  pour  augmenter  leur  certitude,  S.  —  Plan  de  cet 
aperçu ,  6. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

CHIMIE  GÉNÉRALE Page  i  > 

Théorie  de  la  Cristallisation,  page  12.  —  Histoire  de 
cette  théorie,  ibid.  —  Rome  de  Tlsle,  i3.  —  Rergman  et 
Gahn,  ibid.  — ^ Idées  de  M.  Haûy,  et  leur  application  à 
tous  les  cristaux,  14. — Objections,  et  leur  réfutation,  18. 

Théorie  des  Affinités,  page  19.  —  Anciennes  idées  sur 
ce  sujet,  ibid.  — Idées  nouvelles  de  M.  Rerthollet,  22. 

Agents  chimiques  impondérables,  p.  27.  —  Lumière,  28. 
—  Action  chimique  de  la  lumière,  ibid.  —  Son  union 
avec  la  chaleur  dans  les  rayons  solaires,  ibid.  —  C/in- 
leui\)  29. —  Sources  de  la  chaleur,  3o. —  Sa  propagation  , 
ibid. —  Chaleur  rayonnante  et  chaleur  engagée,  3i.  — 


3^2  TABLE    ANALYTIQUE. 

Effet  des  surfaces  sur  le  rayonnement,  p.  32.  —  Lois 
du  rayonnement  par  rapport  au  temps,  33.  —  Faculté 
conductrice  de  la  chaleur  engagée ,  ibid. — ^  Dans  les  so- 
lides, ibid.  —  Dans  les  liquides  et  dans  les  fluides,  34- 

—  Effets  de  la  chaleur,  35.  —  Sensation  du  chaud  et  du 
froid,  ibid.  —  Dilatabilité  des  corps  par  la  chaleur,  ibid. 

—  Dilatabilité  des  liquides.  (Thermomètres.),  36.  — 
Maximum  de  densité  de  l'eau,  37.  —  Dilatabilité  des 
solides.  (Pyromètres.),  ibid.  —  Dilatabilité  des  fluides 
élastiques ,  38.  —  Restitution  de  la  chaleur  par  les  corps 
comprimés;  son  absorption  par  ceux  qu'on  dilate,  39. 

—  Combinaisons  de  la  chaleur.  (  Chaleur  latente  et  li- 
bre. ),  ibid.  —  Capacité  pour  la  chaleur,  ^i.  —  Table 
des  capacités,  4^.  —  Calorimètre,  ibid.  —  Action  chi- 
mique de  la  chaleur,  44*  —  Pression^  4^-  —  Théorie  des 
vapeurs ,  ib. — Électricité ,  49- — Son  action  chimique,  5o. 

—  Sa  production  par  le  contact  des  corps  hétérogènes. 
(  Galvanisme.  ) ,  ibid.  —  Arc  métallique  ou  excitateur  de 
Galvani,  5i.  —  Pile  de  Volta,  53.  —  Action  chimique 
de  la  pile,  56. 

Théorie  de  la  Combustion,  page  61.  Son  histoire,  62. — 
Jean  Rey,  ibid.  — Boyle,  ibid.  —  Mayow,  63.  —  Beccher 
et  Stahl ,  ibid.  —  Découvertes  sur  les  airs ,  pendant  la 
première  moitié  du  dix-huitième  siècle,  64.  —  Priestley, 
ibid.  —  Bayen,  65.  —  Lavoisier,  ibid.  —  Cavendish  et 
Monge,  67.  —  Berthollet,  68.  —  Réunion  des  chimistes 
françois,  71.  —  Objections  anciennes  et  nouvelles  con- 
tre cette  théorie,  ibid.  —  Théorie  de  Winterl,  75.  — 
Nouvelle  nomenclature ,  79.  —  Précision  mathématique 
introduite  dans  les  expériences,  81. 


TABLE    ANALYTIQUE.  3'j3 

CHIMIE  PARTICULIÈRE Page  8?» 

Nouveaux  Éléments  métalliques 84 

Nouveaux  Éléments  terreux 88 

Nouveaux  Acides go 

Nouvelle  étude  des  combinaisons  salines,  pa(ye  96.  —  Dé- 
composition du  sel  marin;  extraction  de  la  soude,  99. 
— Étude  des  oxydes  métalliques,  100. — Combinaison  des 
acides etdes  oxydes  aveedes  substances  combustibles,  101. 

—  Poudres  fulminantes,  102.  —  Recherches  sur  les  al- 
liages, io3.  —  Recherches  sur  les  carbures.  (  Crayons, 
Acier.),  104.  — Recherches  sur  les  phosphures,  les  sul- 
fures, io5.  —  Étude  des  coinbinaisons  gazeuses,  107. — 
Application  de  la  dioptrique  à  l'analyse  des  substances 
transparentes,  no.  —  Recherches  sur  le  diamant,  1 1 1. 

—  Étude  des  produits  des  corps  organises,  1 12. 

Produits  nouvellement  découverts Page  1 1 S 

Transformation  des  produits  les  uns  dans  les  autres,  p.  1 1  (S. 

—  Analyse  des  mixtes  des  corps  organisés,  120. 

Théorie  des  fermentations,  page  126.  —  Fermentation 
vineuse,  i2y.  —  Fermentation  acéteuse,  i3o.  —  Éthers 
et  élhérification,  ibid.  —  Fermentation  putride,  i33. 

SECONDE  PARTIE. 

HISTOIRE  NATURELLE Page  187 

Histoire  naturelle  de  l'Atmosphère.  (Météorologie.) 
Page  i4i-  —  Ses  difficultés,  ibid.  —  Essais  pour  déter- 
miner quelques  rapports  entre  les  météores  et  les  mou- 
vements des  astres,  f44-  —  Instruments  propres  à  me- 


374  TABLE    ANALYTIQUE. 

surer  les  variations  atmosphériques,  page  i44' —  Déter- 
mination de  la  composition  gazeuse  de  Fatmosphère,!  45. 

—  Pierres  atmosphériques,  i48. 

Histoire  naturelle  des  Eaux.  (Hydrologie.).  .  Page  149 

Histoire  naturelle  des  Minéraux,  page  i5i. —  Minéra- 
logie proprement  dite,  ibid. — Méthodes  minéralogi- 
ques,  162.  —  Perfectionnements  du  catalogue  des  mi- 
néraux, 169.  —  Combinaisons  minérales  nouvellement 
découvertes  ,  ibid.  —  Nouvelles  analyses  des  minéraux 
connus,  161.  —  Nouveaux  minéraux  déterminés  physi- 
quement, 162. 

Géologie,  page  164.  —  Géologies  particulières  des  divers 
pays,  ibid.  —  Géologie  générale  positive,  168. — Ter- 
rains primitifs,  169.  —  Terrains  secondaires,  171. — 
Volcans,  lyS.  —  Alluvions,  178.  —  Fossiles  et  pétrifica- 
tions, 180.  —  Géologie  hypothétique  ou  explicative,  i83. 

Histoire  naturelle  des  Corps  vivants Page  186 

Histoire  générale  des  fonctions  et  de  la  structure  des 
Corps  vivants,  page  188.  —  Partie  chimique,  189. — 
Chimie  générale  du  corps  vivant  considéré  dans  son 
ensemble,  ibid.  —  Dans  les  végétaux,  ibid.  —  Dans  les 
animaux,  191. —  Chimie  particulière  des  sécrétions,  19.'^, 

—  Partie  anatomique,  194.  —  Anatomie  générale,  ibid. 

—  Dans  les  animaux,  ibid. —  Dans  les  végétaux,  196. — 
Anatomie  particulière  des  divers  organes,  200.  —  Dans 
les  animaux,  ibid.  —  Dans  les  végétaux,  206.  —  Partie 
dynamique  ou  physiologie,  210.  —  Physiologie  géné- 
rale, ou  théorie  des  forces  vitales,  ibid.  —  Dans  les  ani- 
maux, 211.  —  Dans  les  végétaux,  222. —  Physiologie 
particulière  des  diverses  fonctions ,  224.  —  Dans  les  ani- 


TABLE    ANALYTIQUE.  3-^5 

maux,  page  224.  —  Respiration,  ibid.  —  Digestion,  228. 
Circulation,  23o.  —  Nutrition,  ibid.  —  Sensations,  233. 
— Vision,  ib.  —  Audition,  235.—  Fonctions  du  cerveau, 
ibid.  —  Ge'nération  ,  239.  —  Dans  les  végétaux,  243.  — 
Fécondation,  ibid.  —  Germination,  244-  —  Mouvement , 
ibid. 

Histoire  naturelle  particulière  des  Corps  vivants  , 
page  249.  —  Nomenclature  et  catalogue  des  êtres,  ibid. 

—  Voyages  entrepris;  collections  établies  ou  augmen- 
tées, 25 1.  —  Augmentation  du  nombre  des  plantes  con- 
nues, ibid. 

Botanique,  page  255.  — Nouvelles  plantes  utiles,  262. 

Zoologie,  page  266.  —  Augmentation  du  nombre  des  ani- 
maux connus,  ibid.  —  Nouveaux  animaux  utiles,  277. 

—  Observations  remarquables  sur  les  mœurs  et  l'indus* 
trie  de  quelques  animaux,  ibid.  —  Propriétés  singulières 
de  certains  animaux,  278.  —  Tact  des  chauve-souris, 
ibid.  —  Reproduction  des  parties  coupées,  ibid.  —  Fé- 
condation continuée ,  279. —  Sommeil  hivernal,  ibid. — 
Venin.  Emanations  nuisibles,  281.  —  Animaux  singu- 
liers par  leurs  formes,  282.  —  Nécessité  d'un  nouveau 
Systemanaturœ^  283. 

Perfectionnements  dans  les  Méthodes Page  284 

Méthode  naturelle  des  Plantes 286 

Méthode  naturelle  des  Animaux 292 

Progrès  de  l'Anatomie  comparée 3oo 


376  TABLE    ANALYTIQUE. 

TROISIÈME  PARTIE. 

SCIENCES  D'APPLICATION Page  3 1 1 

MÉDECINE,  page  3ii.  —  Pathologie,  ou  connaissance  des 
maladies^  3i3. — Théories  médicales,  ibid. — Nosologies, 
317.  —  Travaux  sur  des  maladies  particulières,  319. — 
Chimie  pathologique,  324-  —  Anatomie  pathologique, 
326.  —  Thérapeutique ^  ou  art  de  guérir^  326.  —  Perfec- 
tionnements dans  les  méthodes  de  traitement,  ibid. — 
Tables  médicales  comparées,  328.  —  Nouveaux  moyens 
de  guérison  ou  de  préservation,  ibid. — Vaccine,  329. 
— Action  des  acides  minéraux  contre  les  contagions,  33o. 
—  Autres  remèdes  de  vertus  diverses,  ibid.  —  Chirurgie^ 
336. — Enseignement  médical^  339. — Art  vétérinaire ^  343. 
Médecine  des  végétaux^  344- 

Agriculture  ,  page  344*  —  Nouvelles  espèces  ou  variétés 
introduites  en  agriculture,  346. — En  végétaux,  ibid. — 
En  animaux ,  349-  —  Nouveaux  soins  imaginés  pour  des 
espèces  ou  races  connues  ,  35o.  —  Perfectionnement  des 
assolements,  ibid. 

Technologie  ,  ou  connoissance  des  Arts  et  Métiers  , 
page  355. —  Tableau  des  principaux  perfectionnements 
qu'ils  ont  reçus  de  la  chimie  et  de  l'histoire  naturelle ,  ib. 

Conclusion  f,t  récapitulation  rapide Page  364 


fin    de   la   ta  RLE. 


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