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HISTOIRE
Dl'
CANADA
DKPl'IS SA DKCOUVKIITK JUSQU'A NOS JOUKS.
PAR
F. X. GARNEAU.
SECONDE ÉDITION CORRIGÉE ET AUGMENTÉE.
^••*«* »•••••••*«•••«••■•■•■••••■••■••■••■••••«• »««•«*•
TOME TROISIEME.
(filneb^c :
IMPRIMÉ PAR JOHN LOVELL, RUE LA MONTAGNE.
1852.
-^^à. -e. /^4^,
HISTOIHE
DU
CANADA
LIVKE DOUZIÈME.
CHAPITRE I.
L'ARMÉE AMÉRICAINE DEVANT QUÉBEC.
1Ô77-1776.
Situation désespérée de la cause métropolitaine en Canada; Québec seul
reconnaît la domination anglaise. — Préparatifs de défense. — Changement
graduel qui s'opère dans l'esprit des Canadiens défavorable aux républi-
cains, — Attaque de Québec le 31 décembre: Montgomery est tué. — Le
congrès envoie des secours et fait une nouvelle adresse aux Canadiens.-^
Arrivée de Franklin, Chase et CarroU, pour les inviter à se joindre à la
confédéi ation. — Conduite du peuple dans cette circonstance mémorable*
— ^Les républicains manquent de tout et sont décimés par les maladies.—
Le gouvemeiir reçoit des secours. — Le siège de Québec est levé. — Les
Américains, battus près des Trois-Rivières, évacuent le Canada. — Ils
sont plus heureux dans le sud, où la campagne se termine à leur avantage.
— ^Proclamation de leur indépendance le 4 juillet 1776. — Débats dans le
parlement britannique. — Fameuse campagne du général Burgoyne dans la
Nouvelle-Yoïk : combats de Huberton, Benington, Freeman's farm, etc.
— L'armée anglaise, cernée à Saratoga, met bas les armes. — Invitations
inutiles du congrès et du comte d'Estaing, amiral des flottes françaises,
pour engager les Canadiens à se joindre à la nouvelle république.
Uarrivêe subite du gouverneur à Québec, où bien des gens
craignaient et d'autres désiraient qu'il fût tombé au pouvoir des
Américains/ ne fit que confirmer la âtuatioa désespérée de la
cause anglaise en Canada. Le territoire renfermé dans l'en-
ceinte des murailles de la capitale était, à-peu-prés, tout ce qui
reconnaissait encore la suprématie de la métropole, sauf toujours
le clergé, les seigneurs et la plupart des hommes de loi, qui
étaient répandus dans les villes et dans les campagnes où ils
a HISTOIRE DU CANADA.
paraissaient alors perdue dans la foule, mais dont les moyens
d'inAuencp étaient assez piiissana pour diriger plus tard la volonté
populaire dans toutes les parties du pays selon leur sympathie ou
leur intérêt. Mais, pour le moment, les royalistes au dehors de
Québec étaient réduits au silence.
Cette ville ne renfermait à cette époque qu une pop lat n de
Ei,000 âmes. La garnison, composée de 1,800 ho nés dont
550 Canadiens, était un mélange de soldats, de m I c ens et de
matelots, abondamment jiourvua de munitions de guerrt. et le
bouche pour huit mois. Les fortifications avaient été considéra-
blement augmentées depuis la dernière guerre ; et depuis le com-
mencement des hostilités en n'avait pas cessé d'y travailler. Les
murailles, du c6t6 de la campiigne, étaient munies de banquettes,
de parapets et d'embrasures garnies de canon et de quelques
batteries de mortiers. En face de la rivière Si. -Charles et du
fleuve régnaient, sur le bord du cap au-dessus de lu basse.vllle,
des palissades et des murs hérissés de grosses batteries, La
basse-ville elle-même était défendue, au centre, du côté du rivage,
par des batteries placées sur les quais, et vers ses deux extré-
mités, par des barricades. Au bout de la rue Champlain, dans
lin endroit qui se trouve aujourd'hui au-dessous de la citaddle,
l'on avait placé deux barrières â quelque dietanco l'une de
l'autre avec du canon, pour fermer le sentier étroit qui courait
on Ire le pied de la falaise et le fleuve. A l'extrémité opposée,
le bout des rues St.-Pierre et Sault-au-Ma(elot avait été barricadé
à la me St.-Jacquea qui les coupe à angle droit du pied du cap
au rivage, et le quai où se terminait cette barricade était couvert
(l'artillerie. A une centaine de toises plus loin, une autre
barrière avaitété élevée dans la vieille rue Sault-au- Matelot, seul»
el étroite issue qui existait alors entre le cap et la rivière St,-
Charles pour communiquer du Palais à la baase-ville. Plus de
150 bouches à feu étaient en batterie dans la haute et dans la
basse-ville dans les premiers jours de décembre. Si les assié-
geans avaient été plus nombreux, il aurait fallu une garnison de
sept ou huit mille hommes pour défendre Québec; mais celle
qui s'était renfermée dans la vdle était plus que suffisante pour
repousser les forces de l'ennemi. En effet, celui-ci fut presque
toujours moins nombreux que la garnison : et l'on ne sait ce qui
HISTOIRE DU CANADA. 9
étonne le plus dans ce siège de la hardiesse inconsidérée du
général Montgomerj^, ou de la prudence craintive du général
Carleton.
Le colonel Arnold n'eut pas plutôt été renforcé par les troupes
de Montgomery, que, sans attendre ce général qui marchait plus
lentement, il reparut devant Québec à la tète de 900 Américains
et des Canadiens du colonel Levingston. La fidélité des classes
supérieures à la cause métropolitaine laissait sans chefs ceux-ci^
qui se trouvaient conduits dans cette occasion par des étrangers.
Le général Montgomery, en atteignant son armée, fit investir
complètement la ville et occupa Beauport, la Canardière et Ste.-
Foy où il établit son quartier-général. Il y a raison de croire
. que son dessein n'était pas de faire un siège dans les règles, et de
prendre la place après en avoir détruit les murailles, car il n'avait
ni artillerie de siège, lii ingénieurs capables de diriger une pareille
opération. Son but était plutôt de tâcher d'enlever Québec par
un coup de main, et la batterie de cinq mortiers qu'il fit élever à
St.-Roch ainsi que celle de cinq pièces de canon et d'un mortier
qu'il érigea du côté du chemin St. -Louis, à 700 verges des
murailles, n'avaient pour but probablement que de couvrir son
camp et de mieux voiler son dessein.
Toutefois une surprise n'était pas chose facile sur une ville si
bien fortifiée et défendue par une garnison vigilante. Le désir
de terminer par une action d'éclat les succès qui avaient cou-
ronné ses armes depuis qu'il était entré en Canada, et dont les
rapports avaient rempli toutes les colonies insurgées de joie, put
seul lui faire mépriser les obstacles que présentait son entreprise»
Mais il fallait du temps pour attendre l'occasion ; et outre l'in-
suffisance de ses forces, il manquait d'argent et de vivres. Les
soldats, peu accoutumés au climat rigoureux du pays, étaient
d'ailleurs mal vêtus, et furent bientôt en proie à la petite vérole,
qui continua de les décimer tout l'hiver. Le besoin d'argent, de
vivres et de vêtemens augmenta donc ses difficultés ; la division
qui se mit entre le colonel Arnold et ses officiers vint encore les
accroître. Les Canadiens qui avaient tout perdu dans la guerre
précédente par le papier-monnaie, refusaient de recevoir celui du
congrès, et les habitans de la campagne qui tenaient pour la
cause de l'indépendance, commençaient déjà à se refroidir. Il
B
HISTOIRE Dtl <
ne connaissaient rien des démurclies de deux inardiands de
Montréal, Price et Walker, qui prétendaient de leur plein gré,
les représenter au congrès américain. L'instinct populnire si
délicat en fait d'honneur nationalise trouva bientôt blessé du
rôle presqu'bumiliant que jouaient !es Canadiens. Ils s'aperce-
vaient que petit à petit les Américaina s'emparaient de l'autorité ;
qu'ils décidaient de tout aane presque les consulter î qu'ils nom-
itiaicnt les officiera pour commander les accoure envoyés à
l'armée assiégeante, convoquaient les aseembléeM, etc. (Quelques-
uns coinmencèrent même à regarder comme uno foute d'avoir
laiBsé entrer dans le paya et se répandre au milieu d'eux des
troupes en arroea à la merci desquelles ils se trouvaient sans
TDoyen de protection. C'était là en eiïet une de ces erreurs qu'on
ne tarde jamais de regretter. Toutes ces réflexions 1« remplis-
saient d'une inquiétude à laquelle se mêlait im peu de honte.
Les hommes opposés au congrès profilèrent habilement de toutes
ces circonstances pour augmenter l'éloignement qui se manifeEtait
ponr la cause de la révolution. L'apparence déguenillée des
troupes du colonel Arnold, leur petit nombre, la conduite arbi-
traire de quelques-uns de leurs officiera, le moindre fait enfin,
devenait pour eux un sujet de critique ou de sarcasme qu'ils
tournaient contre les Congré^anUtes, comme ils nommaient les
Canadiens qui partageaient les idées du congrès. La pnidence
du général Monigomery contribua beaucoup, tant qu'il vécut, à
empêcher l'explosion de ces sentiments chez le peuple, qui se
disait déjà tout bas qu'il vaut mieux obéir i des compatriotes,
quelque soit !a forme du gouvernement, que d'être redevable de
sa liberté aux étrangers. Monigomery montrait beaucoup d'a-
dresse pour ménager les diffêrentes classes, et surtout pour ne
p<nnt alarmer les intérêts les plus sensibles, ceitx qui sont basés
Rir des privilèges. Quoiqu'il connût leurs aentimens, il montrait
les plus grands égards à ceus qui en jouissaient et surtout au
clergé ; et comme s'il eût ignoré ses efforts pour nulliCer les eflTeta
de la propagande révolutionnaire, il til respecter partout la religion
et ses ministres. Il promettait que te libre exercice des cultes
serait garanti, et que les biens religieux seraient respectés. Il
assurait qu'une convention provinciale, composée de représentana
librement élus, sérail convoquée pour établir telle forme de
HISTOIRE DU CANADA. 11
gouvernement qu'elle jugerait la plus convenable pour le paysi*
Le peuple avait d'abord été séduit par cette déclaration. Mais
les hautes classes s'étaient agitées, et leur agitation finit par '
influer de la manière la plus elBcace sur les événemens, en per«
suadant aux babitans que tout cela n'était qu'une illusion à
laquelle ils se repentiraient, avant long-temps, d'avoir ajouté foi.
Pour arrêter la défection, Montgomery ne vil bientôt plus de remède
que dans la prise de Québec et dans la destruction du foyer de
royalisme qui s'y était conservé, et sans attendre plus long-temps,
il se prépara à profiter de la première nuit favorable pour tenter
l'escalade. Celle du 30 au 31 décembre parut propice ; elle était
fort obscure, et il tombait une neige épaisse poussée par un gros
vent dont le bruit empêchait de rien entendre de Idn. Les
troupes prirent les armes et furent haranguées par Montgomery
avant de marcher à l'assaut. £lles formaient à peine 13 à 14*00
hommes eflectiis. Avec une pareille disproportion de forces, oa
ne pouvait compter, pour réussir, que sur une surprise ; et déjà,
depuis plusieurs jours, le gouverneur connaissait par des déser-
teurs le projet des assiégeans, et tous les postes de Québeo
avaient redoublé d'attention. Montgomery divisa ses troupes en
quatre corpa : le premier, composé des Canadiens du colonel
Levingston, devait iisdre une fausse attaque sur la porte St.-Jean i
le deuxième corps commandé par le major Brown, était chargé
de menacer la citadelle ; tandis que les mouvemens de ces deux
divisions attireraient l'attention de la garnison à la défense de
la haute-ville, les deux autres corps chargés de la véritable atta-
que, devaient pénétrer dans la basse- ville, et de la basse-ville
dans la haute, que l'on pensait ouverte de ce côté. Le colonel
Arnold s'était chargé d'enlever à la tête d'environ 450 hommes
venus de St.-Iloch, les barricades et les batteries du Sault-au-
Matelot i le général Montgomery lui-même se réserva la dernière
colonne qui était la plus forte pour enlever la barrière de Près-
de-Ville, et entrer dans la place par la rue Champlain. A deux
heures du matin, toutes les troupes étaient réunies; les unes
avaient mis sur leurs chapeaux de petites branches de proche
pour se reconnaître au milieu de l'ennemi ; les autres des écri-
teaox avec ces mots: Idberté au la mort. Elles allèrent se
placer aux différens postes qui leur avaient été assignés. Mont-
li HISTOIRE DU CANADA.
gomery (leecendit par la côte du Foulon, et s'avança avec sa
colonne en suivant la rivage jusqu'à l'anse des Alâres. où il s'ar-
rêta pour donner le wgnal auquel toutes les autres colonnes
devaient se mettre en mouvement. Il était près de quatre heures
du matin. Deux fusées furent lancées, et auEsitôt pli
signaus que se firent les aseaillaus rendus à leurs diUârens
points d'attaque, furent aperçus de la ville par les sentinelles qui
donnèrent l'alarme. Dana le même moment, les troupes qui
défendaient les remparts du c6lé de la campagne, reçurent un
feu de mousqueterie Iris vif, qui commença vera le Cap-aux-
Diamans et fut suivi par celui des Canadiens rangés en face de la
porte St.-Jean. La garnison y répondit avec vivacité. I^
colonel Caldwell avec une parlie de la milice anglaise, fut envoyé
pour renforcer les troupes qui défendaient le rempart au-dessus
de la porte S (.-Louis.
Cependant Montgomery slétait remis en ninrclie à la tête de
sa colonne, suivi immédiatement de ses aides-de-carap et de plu-
sieurs autres officiera. Le sentier par lequel il cheminait, pratiqué
entre le fleuve et un rocher perpendiculaire, à peine assez large
pour laisser passer un homme de front, était embarrassé de gla-
çons que la marée y avait accumulés et de la neige qui tombait.
Il atteignit néanmoins avec sa colonne qui était très étendue et
qui suivait, en serpentant, les sinuosiléi du rivage, la première
barrière de Près-de-Viile, qu'd franchit sans difficulté ; mais la
seconde était défendue par une batterie masquée de sept pièces
de canon et une garde de 50 hommes dont 31 Canadiens, com-
mandée par le capitaine Chabot. * Les artilleurs rangés près de
leurs pièces, attendaient, la mèche allumée, l'apparition de l'en-
nemi. Montgomery (ût surpris en voyant ce poste si bien pré-
pare à le recevoir. Il s'arrêta un instant, i cinquante verges de
la bailerie, comme pour se consulter avec ceux qui le suivaient,
puis tous ensemble ils s'élancèrent vers la barricade. Lorsqu'ils
n'en furent qu'à quelques pas, le capitaine Chabot donna l'ordre
de faire feu aux pièces chargées à mitrailles. Des cris et des
gémissemens suivirent cette décliarge. Le poste continua quelque
temps à tirer. Ne voyant ni n'entendant plus rien, il cessa en
restant toujours sur ses gardes pour repousser toute nouvelle
HISTOIRE DU CANADA. 13
attaque qui serait faite. Le général Montgomery, ses dcu3C
aides-de-camp, plusieurs officiers et soldats étaient tombés sous
ce feu d'enfilade. Le colonel Campbell, sur qui retombait le
commandement de la colonne, voyant la confusion et la frayeur
dans laquelle étaient ses gens, sans tenter de donner Tassau! à la
barrière, sans même tirer un coup de fusil, ordonna la retraite,
qui fut une véritable fuite.
Tandis que l'attaque de Près-de-Ville échouait ainsi par suite
de la mort du commandant et de la peur panique qui s'était
emparée de ses troupes, le colonel Arnold, ayant traversé St.-Roch
et le Palais, s'avançait pour forcer la première barricade qui
barrait la vieille rue Sault-au- Matelot, lorsqu'on défilant sous le
rempart de la haute-ville, d'où on lançait une grêle de balles, il
fut atteint d'un coup de feu qui lui fracassa la jambe et l'obligea
de se retirer. Il fut aussitôt remplacé par le capitaine Morgan,
ancien perruquier de Québec, mais officier plein de bravoure, qui
marcha droit à la barrière, l'escalada avec des échelles après
avoir blessé la sentinelle, et s'empara du poste avec perte d'un
seul homme, un Canadien, qui lui servait de guide et dont la
mort l'obligea, dans l'obscurité, de suspendre sa marche jusqu'au
jour. Il fit toute la garde anglaise qu'il trouva plongée dans
l'ivresse prisonnièie avec le capitaine McLeod qui la commandait,
et bientôt après il fut rejoint par le lieutenant-colonel Green et le
restant de la colonne, au moment où une scène singulière se
passait au milieu de ses soldats. Une partie des citoyens de la
ville, réveillés par les tambours qui battaient le rappel, accouraient
au poste du Sault-au-Matelot, où ils devaient se rassembler en
cas d'attaque, lorsque rencontrant les Américains, ceux-ci leur
présentèrent la main en criant Vive la liberté! Quelques-una
s'échappèrent, les autres furent retenus prisonniers. Cependant
au point du jour la colonne ennemie occupa toutes les maisons
qu'il y avait de cette barrière à la seconde placée dans la rue
St .-Jacques, à environ deux cents pas plus loin, où une poignée
de Canadiens qui s'était jetée en avant, défendit ce terrein pied
à pied avec beaucoup d'obstination malgré la grande supériorité
des assaillans, qui crièrent plusieurs fois en nommant des citoyens
de la ville : " Amis, êtes-vous là ?" et qui, rendus près de la der-
nière barrière, plantèrent des échelles pour la franchir ; là le
U CANADA.
feu des assiégés ileveount trop vif, ils furent forcé» de reculer
8pr6s avoir peniu plusieurs hommes au pied do cctobslaclu, pour
se réfugier dans les maisona dont ils s'élaient rendus maitres, et
fuxiller par le» uuverturGM. C'est nlofd qu'un miliden de la ville,
niimmé Cliarlanil, hnnime au»<si robuste qu'intrépide, s'avança au
milieu du feu et tira les échelles posées par l'ennemi en dedans
de la barricade. Celle barrière était défendue par la compagnie
du capitaine Dumas, engagée Jana le moment avec les Américains
(|ui tiraient des maisons. Lea combaltane ainsi placés formaient
un angle, dont le côté parallèle au cap était occupé par iea
assalllans, et le cAté coupant la ligne du cap à angle droit et cou-
rant au fleuve, éluil défenilu par les as»égéa ayant une battcria
à leur droite. Le feu bc croisait dans cet angle où le capitaine
Dumas combattait, aoutenu bienl6t après par les Canadiens du
capitaine Marcoux, des artilleur» et des fantasaine anglais.
Le général Cailcton apprenant la retraite de la colonne qui
attaquait Prèa-de- Ville, et voyant par leurs mouvemens tjuc les
troupes qui avaient menacé la porte St. -Jean et le Cap-aus-
Diamans, n'avaient voulu que l'inquiéter, réunit ,es principales
forces contre l'attaque du Sault-au-Maielol. Il ordonna an
(wpilaiDe Laws de prendre 200 hommes, de sortir de la haute-
ville par la porte du Palais, el, en s'enfonçant dans la rue
3L.-Cliarles et la vieille rue Saull-au-Mate!ot, d'attaquer les enne-
mis en queue vigoureusement. 11 chargea en même temps le
capitaine McDougall de le soutenir avec sa compagnie. Laws,
en s'avançant, entra dans une Tuaisun oti se trouvaient plusieurs
officiers ennemis en délibération ; en le voyant ils mirent l'épée
à la main; mais c«lui-ci leur dit qu'il était i la tête d'un gros
détachement, et qu'ils seraient tous égorgés s'ils ne se rendaiortt
sur-le-champ, ce qu'ils firent après s'être assurés en regardant
par la fenêtre, qti'il était en effet suivi d'un grand nombre
d'hommes. Fendant ce temps là le général Carleton avait envoyé
l'ordre au major Naime et au capitaine Dambourges d'aller avec
un fort détachement soutenir les troupes qui combattaient danala
baase-ville. Ausaifôt que ce renfort fut arrivé, il fut décidé do
prendre l'offensive et d'attaquer les maisons occupées par l'en-
nemi. En conséquence, le capitaine Bambourgea avec les
Canadiens satitèrent en dehors des barricades el allèrent planter
HISTOIRE OU CANADA. 15
le8 échelles enlevées aux Américains contre la première maison
qu'ils occupaient, et qui fut prise d'assaut.* Le major Nairne en
fit autant de son côté. Ces deux olBciers se portèrent ensuite
aux maisons suivantes qu'ils enlevèrent de la même manière les
unes après les autres.
Les Américains se trouvaient alors assaillis de tous les côtés à
la fois. Refoulés en- tête, aborda s vivement en queue, cernés par
des forces supérieures et leur ligne de retraite coupée, ils conti-
nuèrent en vain la résistance quelque temps ; ils durent poser les
armes. Toute la colonne d'Arnold fut faite prisonnière ; et le
gouverneur, profitant de sa victoire, fit enlever la batterie élevée
par l'ennemi à St.-Roch et qui n'avait pas cessé de tirer sur la
ville pendant l'attaque.
Le feu avait été très vif au Sault-au-Matelot,,où l'on croyait
avoir fait de grandes pertes ; mais le compte fait, elles se trouvè-
rent heureusement réduites à peu de chose. Celles des Améri-
cains furent grandes en prisonniers ; et la mort de Montgomery
était irréparable. L'on trouva dans la journée son corps à moi-
tié enseveli dans la neige avec douze autres cadavres, à uno
petite distance de la barrière par où il voulait pénétrer dans la
ville. Les officiers de son armée qui étaient prisonniers, et qui
ignoraient ce qu'il était devenu, ayant reconnu son épée entre les
mains d'un offîder de la garnison, n'eurent plus de doute sur son
sort, et se mirent à verser des larmes. Le gouverneur le fit
enterrer décemment dans l'intérieur de la ville avec les honneurs
militaires, voulant rendre hommage au courage d'un guerrier qui
le méritait d'ailleurs par la modération et l'humanité avec les-
quelles il s'était conduit depuis qu'il commandait les troupes du
congrès.
Après cet échec, les assiégeans, quoique beaucoup afiaiblis,
osèrent encore continuer le blocus de la ville, dont ils s'éloignè-
rent de deux ou trois milles. Leur position devenait extrê-
4 II
Le Sr Dambourges monta par une fenêtre par le moyen des échelles
enlevées à l'ennemi snivi de plasieiirs Canadiens, et défonça la fenêtre du
jHgnon de la maison. U y trouva plusieurs Bostonnais. Après avoir tiré
son coup de fusil, il fonça avec sa bayonnette et entra dans la chambre c^yec
plusieurs Canadiens qui le suivaient animés d'un même courage, lesquels'
jeltèrent la frayeur parmi les Bastonnais, qui se rendirent prisonniers." —
(Joutnal dt Sanguinet.)
HISTOIRE DU CANADA.
memcnt difficile. Rongés par les maladies, manquant loujourâ
de vivres, et perdant tous les jours davantage la sympathie des
Canadiens, ils voyaient diminuer graduelleroont leur» chances de
succès.
Le gouverneur qui avait mainlenant une supériorilé numérique
l>icn décidée, résolut néanmoins de rester but Iei défensive jus-
qu'au printemps, et d'attendre pour sortir de lo ville, rarrivée des
secours qu'il avait demandés d'Angletenc, où l'on faisait do
grande liréparntifd pour étouffer la rébellion dans son berceau.
Il craignait avec raison beaucoup plus les idées que les armes
des Américains, qui restèrent maîtres du pays encore quel-
que temps, quoique leur possession (Vit plus nominale que réelle. '
La lutte allait se continuer désormais plut&t entre les militaires
des deux partis qu'entre les royalistes et le congrès. Tout lo
peuple, vers la fin de l'hiver, voulait se retirer entièrement d«
la lioe et garder k neutralité, en exigeant toutefois dans les
campagnes, que le parti royaliste restât tranquille, car Mi de
Beaujeu ayant rassemblé, en mars, 350 bommea dans les part»»-
ees de la rive droite du St.-Laurent au-dessous de Québec, pour
aller au secours de celte ville, aussitûl d'autres Canadiens mar*
chèrent contre eus avec un détachement américain, surprirent
l'avant-garde de lîeaujcu, en tuèrent et blessèrent une partie et
auraient massacré le reste sans les officiers qui les en empê-
chèrent. L'on vit dans cette escarmouche les cnfans se battre
contre leurs pères et les pères contre leurs enlans. M. de Beau-
jeu ne jugea pas à propos d'aller plus loin après cette manifeeta-
lion populaire, et il renvoya ses gens dans leurs foyers.
Cependant le général Schuyier ayant été informé de l'échec
de Québec et de la mort de Montgomery par !e colonel Arnold
qui avait succédé à ce dernier dans le commandement, demanda
de !a manière la plus pressante au congrès qu'on envoyât immé-
diatement 3,000 hommes en Canada, ajoutant qu'on ne pouvait
rien retrancher de ce nombre, si l'on voulait réparer les pertes
qu'orf avait essuyées et y soutenir la cause commune. Washing-
ton ne pouvant tirer un semblable détachement de son armée
sans s'espoaer à une ruine cerlaine, engagea lo Massachusetts, le
Connecticut et le New-Hampshire à y envoyer chacun un régi-
ment, qui se mirent aussitôt en marche. Comme le papier amé-
HISTOIRE DU CANADA. 17
ricain avait peu ou point de cours dans le pays, le congrès y
envoya aussi du numéraire, et ordonna d'y lever 1,000 Cana»
diens outre le corps du colonel Levingston, et de les placer soud
les ordres de Moses Hazen qui avait résidé longtemps au milieu
d'eux.
Le congrès saisit cette occasion pour leur adresser un nou«
veau manifeste, dans lequel il leur disait : << Tel est le sort des
choses humaines, les meilleures causes sont exposées aux vicis«
situdes ; mais le courage des âmes généreuses, éclairées et ins-
pirées par le soleil de la liberté, augmente avec les obstacles.
Huit bataillons se lèvent pour aller au secours de votre province ;
et si elle a besoin de plus de renforts^ on les fournira." Il les
priait de nouveau de s'empresser de saisir Toccasion favorable
qui s'offrait de prendre part à la glorieuse conquête de l'indépen-
dance. Il leur recommandait de former des associations dans
leurs différentes paroisses, et d'élire des députés pour former une
assemblée provinciale, et les représenter au congrès. Mais les
Canadiens, refroidis de plus en plus, et toujours soumis à l'in-
fluence sourde mais efficace du clergé et d'une bourgeoisie encore
toute monarchique, reçurent ces paroles avec une indifférence
qui marquait le changement qui s'était opéré dans leurs idées
depuis l'automne, et ne sortirent point de leur inaction.
Dans cet état de choses le congrès informé de ce qui se
passait, résolut d'envoyer en Canada, pour ranimer le zèle
expirant des populations, des commissaires distingués par leurs
lumières et par leur patriotisme. Le célèbre Franklin, M.
Chase, autre membre éminent du congrès, et M. Charles
CarroU furent choisis pour cette mission, avec prière à ce der-
nier, par une résolution spéciale, d'engager son frère, le Dr.
Carroll, jésuite mort en 1815 archevêque de Baltimore, à les
accompagner pour faire servir son influence auprès du clergé
catholique du pays. Leurs instructions qui sont du 20 mars,
les chargeaient de représenter aux Canadiens, que les armes des
colonies confédérées avaient été portées chez eux pour, faire
échouer les projets de la cour de Londres contre leurs com-
munes libertés ^ que les colonies espéraient non seulement pré-
venir les machinations hostiles du gouverneur Charleton, mais
donner encore aux Canadiens, qu'elles regardaient comme des
c
HISTOIRE DU CANADA.
frèrea, les moyens d'assurer leur indépendance et leur bonheur,
d'après les vues largea et généreuses de la liberté et de la ealno
politique ; que le congrès était d'opinion que les iulérëla des
deux paya étaient commima et inséparables; qu'il était impos-
sible que les inlérôta de l'un fussent subordonnas à ceux de la-
Grande-Bretagne sans que les intéi-êts de l'autre le fussent aussi ;
que si les confédérés obtenaient, comme ils n'en doutaient pas,
la reconnaissance entière de leurs droits, les Canadiens auraient
pleine liberté Je participer avec eux à ces bienfaits, ou de rester
soumis à tous les actes de tyrannie qu'il plairait aux ministres
anglais d'exercer sur eux; que dans le premier cas, ils pour-
raient se donner telle forme de gouvernement qu'ils croiraient la
plus propre à leur bonheur, parce que le désir du congrès était
de les faire entier dans l'Union sur le même pied que les autres
provinces, et qu'il garantissait à toutes un système de lois douces
et équitables, avec seulement les différences locales qui pour-
raient être agréables à chacune d'elles. Les commissaires étaient
chargea ensuite d'assurer que la France n'embrasserait point la
cause de la Grande-Bretagne; bien au contraire, que l'on avait
raison de croire que son intérêt comme son inclination était de
vivre en bonne inlelhgence avec les colonies confédérées; ils
devaient démontrer aux Canadiens la nécessité de prendre des
mesures immédiates et décisives pour se mettre soua la protection
delà confédération, en leur faisant part du mode que les pro-
vinces anglaises employaient pour connaître l'opinion du peuple,
et conduire les affaires d'une manière régulière par des comités
d'observation et d'inspectinn dans chaque arrondissement, et par
des conventions el des comités de sûreté dans chaque province.
Ils devaient encore leur expliquer la nature et les principes d'un
gouvernement libre, leur développer par forme de contraste, les
projets vils, cruels, insidieux de l'acte impérial de 74; leur
exposer tous ies motifs de gloire et d'intérêt qu'il y avait pour
eus d'entrer dans une lutte ijui les intéressait si profondément ;
leur inspirer en un mot le désir d'aspirer à la jouissance d'une
portion du pouvoir au lieu de se laisser exploiter comme une
proie, entre les mains de leurs conquérans ; leur déclarer que
les colonies anglaises tenaient pour sacré le principe de la liberté
de consciencej et promettre solennellement au peuple, au nom
HISTOIRE DU CANADA. 19
du congrès, le libre exercice de sa religion, et au clergé la jouis-
sance pleine et entière de ses biens ; d'assurer que la direction
de tout ce qui avait rapport à l'autel et à ses ministres serait laissé
entre les mains des habitans de cette province et de la législature
qu'ils voudraient bien se donner, pourvu que tous les autres
chrétiens pussent également remplir des charges publiques, jouir
des mêmes droits civils et politiques et exercer leur religion, sans
être tenus de payer de dîme ou de taxe pour le soutien du
clergé. Enfin les commissaires devaient presser l'assemblée
d'une convention, l'établissement d'une presse libre et l'organisa-
tion d'un nouveau gouvernement en union avec les autres colonies,
promettant aux Canadiens de les défendre contre tout ennemi
s'ils acceptaient les offres qu'on leur offrait. Ils étaient chargés
en outre de régler toutes les contestations qui pourraient s'élever
entre les troupes continentales et les habitans ; de faire construire
ou démolir les fortifications ; de suspendre les ofHciers militaires,
d'encourager la traite avec les Sauvages, et d'assurer que le com-
merce canadien serait mis sur le même pied que celui du reste
de la confédération.
Les commissaires, partis de New- York le 2 avril 75, n'arri-
vèrent à Montréal encore en possession des troupes du congrès,
que le 29. Franklin resta dans cette ville jusqu'au 11 mai, qu'il
repartit pour son pays, peu de jours après la levée du siège de
Québec, suivi le lendemain du Dr. Carroll. Franklin n'avait
pas été longtemps en Canada sans s'apercevoir que tous leurs
efforts seraient inutiles. En effet, quant à lui, les Canadiens
savaient la part qu'il avait prise pour engager l'Angleterre à faire
la conquête de leurs pays, quinze ans auparavant ; l'antipathie
nationale, fruit des longues guerres, qui existait entre les deux
peuples, avait pu dormir, mais elle était facile à réveiller ; et il
put en voir bientôt la preuve par ses yeux dans les manifestations
publiques.
La mission de ces envoyés était comme on vient de le
voir, d'engager les Canadiens à joindre la révolution. S'ils
ne pouvaient les rallier entièrement à leur cause, ils devaient
tâcher de leur faire au moins garder la neutralité ; et dans ce der-
nier cas, de faciliter l'occupation militaire de leur pays, afin que
l'on pût s'y maintenir même malgré eux si cela devenait ensuite
ao
lilSTulHE DU CANADA.
nëcessaii'e. Cette dernière alternative étant devenue impos-
sible, ils e'étaieut décidés à se retirer tout à fait.
Fendant que Franklin s'acquittait ainsi de sa mission auprès
des Canadiens laïques, le Dr Carroll, en sa qualité d'ecclésias-
tique, visitait une partie des membres du clergé de Montréal et
des campagnes ; et comme on peut facilement l'ima^ner, avec
encore moins de succès que Franklin. Aprèa avoir expliqué la
nature des diificultés survenues entre les colonies cl la métropole,
il chercha à faire valoir toutes les raisons qui pouvaient avoir
quelque poids sur les hommes au}.quels il s'adrebsait. On ne
manqua pas d'en trouver d'autres pour y répondre. On lui
observer que depuis l'acquisition du Canada par la Grande-B
lagne, * les habilans n'avaient eu à se plaindre d'aucune aggres-
sion; qu'au contraire, le gouvernement avait fidèlement rempli
toutes les stipulations des traités ; qu'il avait sanctionné et couvert
de sa protection les anciennes lois et les anciennes coutumes du
pays en laissant subsister l'organisation judiciaire française et les
formes de leurs procédures avec une attention scrupuleuse, qui
méritait leur respect et leur gratitude. A cela le Ur. Carroll
répliqua que le congrès avait expressément déclaré que si les
Canadiens voulaient se réunir aus provinces qu'il représentait
pour réclamer leurs droits constitutionnel s, leur culte et la pro-
priété des ordres religieux seraient respectés et garantis, et
que les catholiques, au lieu d'être simplement tolérés, comme
ils l'étaient par l'Angleterre, auraient des droits égaus à ceux des
membres des autres religions. Quant à ces assurances, dirent lea
prêtres canadiens, le gouvernement britannique ne nous laisse
rien à désirer ; tous les monastères jouissent de leurs biens ; les
missions fleurissent, et l'autorité va jusqu'à rendre les honneurs
militaires à nos cérémonies religieuses ; et d'après le principe que
la fidélité est due à la protection, le clergé ne peut enseigner la
• Le docteur Fenwïck, éïèiiue de Boston et ami personuel du Dr, Car-
roll, visitant le Canada, il y a qaelqaes années, rencontra nn vieux pr&tre
caoailien qui avait vu le Dr. Carroll, et qui lui racouta ce qui s'élait -passé
entre l'ofent du congrès et le clergé canadiËn, et qu'il avait lui-même
désapprouvé la conduite de Curoll, dans le temps, en cherchant à gagner le
clergé catholique à la cause ans colonies révoltées : Mémoire de Jtf. Camp~
btU. Journal of Charles Carrùll, of CarrolUen, during hU tisit to Canada,
in 1776, M W18 d/1Ac commisrioner» from congreit, tiHth a memeir and notii
bu Branl: Mayer, cori-esp^. secretary, Marylanil Hktorical Socidy.
HISTOIRE DU CANADA. 21
doctrine^ que la neutralité est compatible avec ce qui est dû au
gouvernement établi. Cette politique judicieuse et libérale, ajou-
tait-on encore, avait inspiré aux Canadiens des sentimens de
loyauté, que la conduite du peuple et des corps publics de quel-
ques-unes des provinces américaines n'avait fait qu'affermir. On
rappela alors à Carroll que dans les colonies dont il vantait tant
la libéralité, la religion catholique n'avait jamais été tolérée ; que
les prêtres en étaient exclus sous des peines très-sévères, et que
les missionnaires chez les Sauvages étaient traités avec rudesse et
cruauté ; que les Canadiens n'étaient pas persuadés que ces
mesures ngoureuses fussent imposées par le gouvernement royal ^
que lorsqu'il s'agissait de catholiques l'on n'était jamais bien
prompt à faire respecter le droit sacré de conscience, et qu'enfin
il y avait de grandes contradictions entre l'adresse du congrès au
peuple de la Grande-Bretagne du 21 octobre 74 et celle au peuple
du Canada ; que l'acte de Québec de la môme année ne iaisait
que confirmer ce droit de conscience en garantissant aux Cana-
diens le libre exercice de leur religion, la jouissance de leurs
biens religieux, et en les dispensant du serment du test; que
cependant le congrès inspiré par un esprit contraire, avait, dans
Bon adresse au peuple anglais, demandé la proscription de leur
religion, de leurs lois, de toutes leurs institutions, en un mot, leur
complet asservissement. Comment, après l'expression de senti-
mens si hostiles, le clergé canadien pouvait-il recevoir avec assu-
rance, la déclaration que le congrès faisait presque dans le même
temps dans son adresse aux Canadiens, par ces paroles : << Nous
connaissons trop bien les sentimens généreux qui distinguent
votre nation pour croire que la différence de religion vous
empêche de contracter une alliance cordiale avec nous. Vous
savez que la nature transcendante de la liberté élève ceux qui
s'unissent pour sa cause au-dessus de toutes ces faiblesses d'un
esprit étroit. Les cantons suisses fournissent une preuve mémo-
rable de cette vérité. Leur confédération est composée d'états
catholiques et d'états protestans, qui vivent ensemble en con-
corde et en paix, et depuis qu'ils ont bravement conquis leur
liberté, ils ont pu défier et battre tous les tyrans qui ont osé enva-
hir leur territoire.
La contradiction qu'il y avait entre l'adresse au peuple anglais
22 HISTOIRE DU CANADA.
et celle au peuple canaUien portait maintenant ies fruits. Lora-
qu'on lut dans une assemblée nombreuse île royalistes la partie
(le la première adresse qui avait rapport à la réorganisation du
Canada, et la peinture qu'on faisait de la religion et des usages
de ses habitans, l'assemblée ne put s'empâcber d'exprimer son
ressentiment par de» exclamations pleines de mépris. " O le
traître et perfide congrès I s'écrièrent-ils. Bénissons notre bon
prince, restons fidèle à un roi dont l'humanité est conaéquenie
et s'étend à toutes les religions ; abhorrons ceux qui veulent nous
faire manquer à notre loyauté par des actes déshonorans, et dont
les adresses comme les résolutions sont destructives de leur
propre objet."
Ainsi les propositions solennelles du congrès finissaient par
n'être plus écoutées, et le clergé et les seigneurs reprenaient leur
influence sur le peuple pour prouver encore une fois que la
bonne politique repose sur «ne franchise éclairée, et non sur des
subterfuges et des finesses diplomatiques.
Quelques hommes fontaiyourd'hui des reproches aux seigneurs,
au clergé, à la bourgeoisie, de leur d6lerminalion plus impré-
voyante encore peut-être, disent-ils, qu'intéressée. Ils regrettent
que d'injustes préjugée aient pu faire perdre à leurs compatriotes
l'occasion d'obtenir leur indépendance et leur liberté sans verser
peut-être une goutte de sang, car une fois expulsés du pays, les
Anglais n'y seraient jamais revenus; ils ne peuvent concevoir
comment on a pu fermer les yeux sur les oflres des colonies con-
tèdérécs, qui s'engageaient à recevoir les Canadiens dans leur
alliance, aux conditions qu'elles avaient acceptées elles-mêmes,
.c'est-à-dire en se réservant la faculté de se donner telle forme de
gouvernement qu'ils jugeraient convenable, pourvu qu'elle filt
républicaine et qu'elle admît la liberté de conscience, ou end'au-
trea termes de se gouverner eux-mêmes au moyen du principe
électif, comme ils l'entendraient, suivant leurs anciennes lois ou
suivant de nouvelles, s'ils jugeaient à propos de les changer, le
Canada devant former un des états de !'[Jnion, dans laquelle il
serait entré comme pays indépendant. Au lieu de cela qu'a-t-on
eu, disent-ils amèrementî Le gouvernement despotique de 74
dans lequel on a admis quelques Canadiens par politique; la
constitution de 91 avec une législature à trois branches, sur deux
HISTOIRE DU CANADA. 23
(lesquelles ils n'ont jamais eu d'influence, puisqu'elles étaient à la
nomination de la métropole, qui conserva dans la réalité tout le
pouvoir ; le projet d'Union de 1822, et sa réalisation en 184*0
avec la restriction de leurs droits politiques afin de les mettre en
minorité, et, on l'a reconnu publiquement, d'anéantir leur race ;
et dans cette longue période d'asservissement, d'injustice et d'hu-
miliation, le personnel de l'exécutif à toujours été étranger et hos-
tile aux Canadiens. Voilà ce que nous avons eu pour avoir
repoussé la liberté et l'indépendance nationale.
A ces reproches, d'autres donnent pour réponse qu'il n'y avait
pas de sûreté à prendre des engagemens avec un peuple en
insurrection et dont la cause était loin d'être gagnée ; que malgré
ses promesses^ il n'était pas prudent pour des catholiques d'ori-
gine française de se fier à un congrès anglais et protestant, qui
venait encore de faire de si vives remontrances à l'Angleterre sur
ce qu'elle avait étendu une main protectrice sur leurs lois, sur
leurs institutions et sur leurs autels; qu'enfin la loyauté leur
faisait un devoir de rester fidèles à leur prince, et que leur nationa-
lité aurait couru plus de dangers avec une république anglo-amé-
ricaine qu'avec ime monarchie européenne.
Nous nous abstiendrons d'apprécier ici la valeur de ces plaintes,
échos sourds mais significatifs des sentimens d'un peuple que sa
nationalité a fait proscrire. L'union des deux Canadas est venue
trop tôt justifier les raisons de ceux qui voulaient joindre les
républicains américains en 1775.
Nous avons dit que le gouverneur Carleton avait résolu d'at-
tendre les secours demandés d'Angleterre pour sortir de Québec.
Il se tint en conséquence tranquillement renfermé dans la ville,
quoiqu'il eût pu chasser entièrement les assiégeans loin de lui
dans le premier moment de découragement où l'échec du 31
décembre les avait jetés. Cette détermination lui donna le temps
de se rassurer et de recevoir des renforts. Le général Schuyler
qui commandait pour le congrès sur la frontière, en apprenant la
mort de Montgomery, commença à acheminer des secours sur
l'armée de Québec, dont le général Wooster vint prendre le com-
mandement. Ce général voulut établir de nouvelles batteries
contre la ville, dont une à la Pointe-Lévy et une autre sur les
buttes à Neveu ; mais elles ne firent aucun efiet. Wooster fut
24 HISTOIRE DU CANADA.
rempiscé dans 1c mois de mai par le gÉn€ral Thomnii, qui ne
trouva qu'environ 1,000 hommes capables de faire le service sur
lea 1,900 qui élaient portés sur les rôles, dont 12 à 1300 avaient
joint l'armée depuis le mois de janvier. La misère, lea fatigues
et la petite-vérole retenaient le reste â l'iiôpital. L'on avait
résolu dans im conseil de guerre tenu à Montréal, de fortifier la
rive droite de la rivière Jacques Cartier, el de bâtir des chaloupes
canonnières à Chambly ; mais dans l'état des choses ce pnijet
ne put a'exéculer. Les hommes et les munitions tout manquait ;
il ne restait plus de vivres que pour six jours, et l'éloîgnement
croissant des Canadiens rendait les approvîsionnemens très dilTi-
cile«. Dans ces circonstances, après avoir reconnu l'impossibilité
de prolonger plus longtemps le siège sans s'exposer, et sachant
d'ailleurs qu'il devait arriver des secours à ia ville d'un momenl
à l'autre, le général Thomas songea à retraiter ; mais d ne voulut
pas se retirer sans faire une seconde tentative contre la place en
usant d'un stratagème qui n'eut et qui ne devait avoir aucun
succès. Il lança un brûlot contre les navires en hivernage dans
le port, afin que l'incendie attirât l'attention des asrâègés de ce
côté ; et pendant qu'ils y courraient en toute hâte, ses troupes
ilevaient monter à l'assaut. Mais le brûlot s'étant consumé sans
atteindre les navires, l'attaque n'eut pas lieu. Au surplus, dans
le moment même arrivaient les vaisseaux anglais dont l'entrée
dans le St.-Laiirent était annoncée depuis plusieurs jours, et le
général Thomas n'eut que le temps de faire embarquer l'ar-
tillerie et les malades pour remonler le fleuve, et d'ordonner à
ses troupes d'évacuer le camp avec précipitation, que le gou-
verneur Carleton, qui s'etall hâté de faire débarquer les secours
qu'il venait de recevoir, sorlait de la ville à la tête de mille
hommes, tant réguliers que miliciens, et six pièces de canon
pour se mettre à leur poursuite. Il atteignit leur arrière-garde,
échangea quelques cflups de fusil avec elle, prit son artil-
lerie, ses munitions do guerre et de bouche, ses bagages, plus de
200 malades et quantité de fusils que les soldats jetaient pour
mieux fuir. Les Américains souifrirent cruellement dans cette
retraite. Beaucoup de leurs soldats auraient péri sans l'huma-
nité des Canadiens, qui leur donnèrent des babils et des aliment.
Us ne s'arrêtèrent qu'à Sorel, où leur général succomba lui-
UISTOntS DU CANADA. 25
même à l'épidémie régnante. Après les avoir poursuivis quelque
tempSy Carleton revint sur ses pas et rentra dans la ville^ d'où il
envoya des détachemens pour ramasser leurs trainards, arrêter
les babitans qui s'étaient joints aux rebelles et brûler leurs mai-
sons ; car les Anglais qui respectaient encore les propriétés des
insurgés dans leurs anciennes colonies, suivaient leur vieille cou-
tume dans le Canada babité par une race étrangère. En 76
comme en 59, comme en 1837 et 38, ils marchaient la torche de
l'incendie à la main comme si les Canadiens eussent mérité un
châtiment plus cruel que les Américains.
Le congrès avait fait hâter la marche des secours qu'il
envoyait au général Thomas, pour se conserver au moins un
pied dans la contrée. A la fin de mai, l'armée révolutionnaire
était de 4,000 hommes répandus dans le district de Montréal ;
mais elle manquait de tout, à tel point que les chefs furent
obligés de faire prendre de la farine de force chez les marchands,
pour sa subsistance journalière, en promettant de la payer*
Cet ordre reçut la sanction des deux commissaires, Chase et
Carroll, qui le justifièrent auprès du congrès, en déclarant que
c'était pour empêcher un pillage général, qui aurait pu se
terminer par le massacre des troupes et d'un grand nombre
d'habitans. Ces deux envoyés partirent à la fin de mai de
Montréal pour rentrer dans leur pays. Ils rencontrèrent le
général Sullivan à St. Jean, qui amenait un nouveau renfort
de 1,400 hommes à la tête duquel il s'avança jusqu'à Sorel, et
qui portait l'armée américaine à 5,400 bayonnettes. Mais elle
était hors de proportion avec celle qui arrivait d'Angleterre^ où
la nouvelle des soulèvemens en Amérique avait fait la plus
grande sensation.
L'aspect des affaires coloniales avait amené la résignation
d'une partie du ministère, quoique la grande majorité du par-
lement impérial se fût prononcée pour la soumission des rebelles
par la force des armes. Le gouvernement craignant que la cause
américaine ne trouvât trop de sympathie en Angleterre, et que
la désertion ne se mît dant} ses propres troupes, attendu que
plusieurs de leurs anciens officiers commandaient les soldats du
congrès, le gouvernement traita avec le duc de Brunswick et
quelques autres petits princes allemands, pour avoir un corps de
26 HISTOIRE DU CANADA.
15 OU 16 raille auxiliaires, c'est-à-dire un corps composé
d'homracs qui luseent .des instruraens passifs el saiiB sympathie
avec !ea rebelles. Une division de ces Ironpcs bous les ordres
des généraux Reidesell et Spechl fm embarquée pour le Canada
avec dix bataillons anglais, et des artilleurs, formant en tout 7 à
8 mille hommes. Celte armée, commandée par le général Bur-
goyne, partisan du ministère, et qui lui avait promis dans la
cliambro des communes dont il élait membre, des Iriomphea el la
deslruclion des rebelle^i, s'échelonna en arrivant à Québec Eur les
bords, du Sl.-Laurent, peut être prfile à entrer en compagne au
premier ordre. La corps le plus avancé occupait les Trois-
Rivières. Le général Sullivan, qui épiait de Sorel les mou-
vemena des royaliMes, crut qu'il aurait bon marché de «ette
petite ville s'il pouvait l'attaquer avant qu'elle fût secourue. H
fit embarquer en conséquence, à Nicolel, le général Thompson
avec 1,800 hommes pour traverser le lac St. Pierre, débarquer à
ia Pointe-du-Lac et y marcher rapidement. La nouvelle de leur
débarquement fut apportée aux Trois-Riviéres par un capitaine
de milice, le 8 juin à 4 heures du matin. Aussitôt les troupes
déjà rendues prirent les armes avec celles qui venaient d'arriver
dans le port et qui furent débarquées sur-le-champ, pour marcher
au-devant de l'ennemi. Nombre de volontaires canadiens les
rallièrent; de sorte qu'elles se trouvèrent très supérieures en
nombre aux Américains, sur lesquels elles avaient auaaj l'avan-
tage d'une bonne artillerie. Elles rencontrèrent ceux-ci près
d'une forôt, à une dorai-lieue de la ville, et après une assez
longue lutte, les repoussèrent sur un second corps qui les prit en
flanc et les dispersa dans un bois marécageux situé au nord du
lac St. Pierre. Leur général tomba entre les mains du vainqueur
avec 200 hommes. Le reste aurait été pris ou aurait péri dans
les bois si le pont de la rivière du Loup ne leur eût offert une
issue pour échapper, et encore ce ne fut qu'avec beaucoup de
peine, et grâce aux lalens du colonel St.-Clair, qu'ds parvinrent,
au bout de plusieurs jours, à rejoindre le corps d'armée du géné-
ral Sullivan.
Les troupes royales s'avancèrent, le 14, à Sorel, que Sullivan
évacua en se retirant sur Chambty. Le gouverneur chargea alors
le général Bui^yne de le poursuivre avec ime partie de l'armée
HISTOIRE DU CANADA. 27
et les royalistes canadiens qui s'offraient comme volontaires. Sul-
livan se voyant toujours pressé, mit le feu au fort Cliambly et
retraita sur St.-Jean, où le colonel Arnold arrivait avec la garni-
son de Montréal, après s'être vu lui aussi sur le point d'être
intercepté par le gouverneur, qui continuait de remonter le fleuve
par la rive gauche, et dont les troupes étaient déjà rendues à
Varennes. Ayant détruit le fort St.-Jean, l'armée révolutionnaire
reculant encore se replia sur l'île aux Noix, et enfin à St.-Frédé-
ric et à Carillon, d'où elle était partie huit mois auparavant, et où
elle revenait maintenant après une campagne dont les succès
comme les défaites avaient varié selon l'opinion elle-même des
Canadiens. Quelque temps auparavant plus de 500 rebelles, dont
31 officiers, retranchés aux Cèdres sur la rive droite de la rivière
des Outaouais, s'étaient rendus au capitaine Foster, qui les avait
attaqués à la tête de 4 à 500 hommes. Cette perte qui entraîna
le massacre de plusieurs prisonniers par les Sauvages, fut très
sensible aux Américains, qui l'attribuèrent à la lâcheté de leur
commandant. Ce poste du reste n'était pas sans importance à
cause de sa situation dans le voisinage des tribus indiennes.
Carleton après avoir rejeté les Américains hors des frontières,
jugea qu'il était de la plus grande importance d'obtenir la supré-
matie sur le lac Champlain. 11 travailla en conséquence à s'y
former une flottille. Il fit armer trois vaisseaux qui avaient été
envoyés d'Angleterre par pièces prêtes à assembler, et une
vingtaine de chaloupes canonnières, outre un grand nombre de
barges et autres embarcations. Le tout, prêt à mettre à la voile
dans les premiers jours d'octobre, fut placé sous les ordres du
capitaine, depuis l'amiral Pringle. Les Américains à l'aspect
de ces préparatifs, s'étaient empressés de leur côté d'armer
deux corvettes, deux brigantins et une douzaine de petits bâti-
mens qu'ils mirent sous le commandement du général Arnold,
pour disputer la possession du lac aux Anglais. Les deux flottilles
se rencontrèrent le 11 octobre sous l'île de Valcourt, et après un
combat très vif, le vent empêchant une partie des forces anglaises
de se mettre en ligne, le capitaine Pringle ordonna la retraite.
Arnold, quoi(|ue vainqueur, avait perdu un vaisseau qui s'était
échoué et une barque qui avait été coulée bas. Pour proportion-
ner ses forces à celles de l'ennemi, il voulut se retirer sous les
H18Tl)[Rl'; DU CANADA.
!s de la Puiiite-à-1 a-Chevelure ; mwa at(da( par k fioiiiUe
anglaise, qui à son tour profita du vent pour recommencer l'atta-
que le 13 avec, la plus grande vigueur, il fut complètement défait.
Abandonné par quatre de ses bâlimen? qui s'enfuirent et par un
cinquième qui amena son pavillon, il échoua )e reste sur le rivage,
y mit le feu, fit sauter le fort St .-Frédéric et se replia sur Carillon
vers le haut du lac.
La saison des opérations tirait à ea fin. Carleton retourna à
St.-Jean, d'où il descendit ensuite à Québec par la rivière Riche-
lieu. L'armée anglaise rentra dans ses quartiers d'hiver, qui
s'étendaient depuis l'ile aux Noix jusqu'à Québec, et fut logée
chez les habitans où elle vécut à discréUon, traitant ceux-ci,
royalislea ou républicains, militairement et sans qu'ils pussent
obtenir justice.
Les Anglais furent moina heureux dans les colonies du Sud, où
devait se conduire une des trois opérations ordonnées par le
ministère. Ils furent repoussés de Cbarleston qu'ils voulurent
assiéger, et obligés d'abandonner entièrement la Caroline. Ils
furent aussi forcés d'évacuer Boston, quoique lord Howe eut
remporté une victoire importante à Long-lsland, où les Améri-
cains firent des pertos considérables, qui les obligèrent d'évacuer
ensuite ia ville de New- York et de se retirer derrière la Delaware ;
ce qui aurait compensé l'échec des Anglais à. Boston si le général
Washington n'eut lavé la honte de la défaite de Long-Island
d'abord dans la brillante affaire de Trenton, où il fit mille prison-
niers, puis dans une seconde bataille livrée sur les hauteurs
voisines, et enfin dans la dispersion d'un corps royaliste à Stony-
Brook, où il enleva encore huit cents soldats et du canon 5 de
sorte que tout compte fait le résultat général de la campagne se
trouva à la fin de 76 favorable à la cause de l'indépendance.
Fendant que la Grande-Bretagne faisait agir ainsi ses armées,
elle envojrait des commissaires faire des propositions d'arrangement
aux rebelles, dont les chefs jugeant 'qu'd était temps de fixer
les opinions et redoutant l'eflet des oflrea sans doute sédui-
santes des Anglais, furent d'avis que le temps était venu de se
iléclarer. Le congrès commença par publier un manifeste qui
contenait tous les griefs des colons contre la métropole, et qui fit
une immense sensation. Peu de temps après il fil suivre ce
HISTOIRE DU CANADA. 29
manifeste du fameux pamphlet de Thogias Paync, intitulé
" Common Sense,^^ plaidoyer plein de sarcasmes amers contre
les institutions monarchiques et la tyrannie des métropoles, et qui,
du même coup, écrasa le parti royaliste, et fit des républicains
ardens des hommes qui s'étaient montrés jusque-là froids ou
indifiérens. Les esprits ainsi habilement préparés, Lee fit motion,
le 7 juin 76, de proclamer l'indépendance de l'Amérique. Les
voix furent d'abord également partagées ; mais le lendemain, la
majorité pencha en faveur de cette proposition, et aussitôt le
congrès se déclara chambre des représentans des Etats-Unis
d'Amérique, Le 4 juillet le congrès publia sa déclaration d'in-
dépendance et consomma complètement la séparation des treize
anciennes provinces anglaises de leur métropole. Ainsi se ter-
mina la seconde partie du drame sanglant commencé entre l'An-
cien et le Nouveau-Monde avec la guerre de Sept ans.
L'armée anglaise établie dans ses quartiers d'hiver, le général
Burgoyne passa en Angleterre pour régler avec le ministère le
plan des opérations de la prochaine campagne. C'était un
officier d'une suffisance et d'une ambition que ses talens pour la
guerre ne justifiaient point. Le parti politique auquel il appar-
tenait lui avait fait, à l'occasion de sa conduite en Portugal, où il
avait remporté quelques faciles succès, une réputation exagérée,
qui ne fit que rendre sa chute plus éclatante lorsqu'il passa, lui
et son armée, sous les fourches caudines de Saratoga.
Le projet du gouvernement était de faire pénétrer l'armée du
Canada dans la Nouvelle- York, pour lui faire opérer sa jonction
à Albany avec celle du général Howe, et pour séparer la Nou-
velle-Angleterre des provinces méridionales. Burgoyne proposa
d'ajouter que, dans le cas où le mouvement par l'Hudson serait
impraticable ou trop hasardeux, on le fît par le Connecticut, ou
bien qu'on embarquât l'armée du Canada sur le St.-Laurent, et
que l'on formât la jonction en mer. Le ministère repoussa ces
deux alternatives, et s'en tint à son premier plan. Mais il donna
le commandement de l'armée du Canada à Burgoyne, qui sollici-
tait cet honneur avec tant d'ardeur qu'il fut accusé d'avoir cherché
à supplanter dans ce poste dangereux Carleton, à qui il semblait
appartenir de plein droit, suivant l'usage.
L'on sait que George III était l'homme de son royaume le plus
30 HISTOIKE DU CANADA.
Bcharné contre les Améncains. Les diflicuItéB de celte guerre
amenèrenl encare des changeuiens dans le ministère; mais lonl
North, appuyé, dit Gibbon dons sea mémoires, d'un côl6 sur le
sens majestueux de Tturlow, si de l'outre sur l'ùloquence adroite
de Wedderliurne, garda son portefeuille, et les chambres se mon-
trèrent disposées à appuyer ea politique contre les rebelles.
Elles votèrent les vaisseaux, les soldats, les subsides qu'il voulut
bien lui demonder, malgré la véhémence de l'opposition,
" Depuis trois ans, dit Chalham.qu'avons-nous-faitT Nous avons
gagné quelques postes, et surtout nous avons appris à nos adver-
saires l'art de faire la guerre. Croyez-moi, hâtez-vous de redresser
les griefs des Américains; écoutez leurs plaintes, ri
leur le droit de disposer de leur propre argent,
tance sera un messager de paix : elle ouvrira la voie aux traités ;
car si nous continuons la guerre, si noue marchons à la conquèlo
sous le canon de la France, nous marcherons sous une batterie
masquée, qui s'ouvrira bientôt pour nous balayer du so! américain."
Si Cbnlham haïssait la France, le duc de Choiseul ne haïrait
pas moins l'Angleterre. Une seule pensée le dominait depuis
63, c'était de venger la honte du traité de Paris. Quoiqu'il ne
Tût pas dans le ministère, 11 le dominait par l'ascendant qu'il avait
BU acquérii sur la reine Marie-Antoinetle. A force de volonté
et d'elTorts, il avait donné une marine redoutable à. sa pairie, et
malgré l'opposition d'une partie des minislrea, il finit par entraîner
l'indolent Louis XVI dans le parti des insurgés américains. Dès
la fin de 75, Lee avait ouvert -une correspondance secrète avec
un M, Dumas, négociant établi à la Haye : ii avait vu aussi à
Londres l'ambassadeur français, el ensuite un agent secret envoyé
de Paris, Beaumarchais, le fameux auteur du Mariage de Figaro,
lequel avait déclaré que son gouvernement était disposé à fournir
des armes, des munitions et de l'argent jusqu'à concurrence de
de £200,500 steriing. On rapporte que M. de Vergennes voulait
profiter de celte occasion pour ee faire restituer le Cap-Breton, le
Canada et la Louisiane ; mais que le reste des ministres fiançais
n'aurait point goutè cette suggestion, ni appréhendé comme celui
qui la faisait, si vraiment elle a été faite, que les provinces révol-
tées, après avoir secoué le joug de l'Angleterre, fussent en état
de laire la loi à la France el à l'Espagne dans toute l'Amérique,
HISTOIRE DU CANADA. 3t
et d'envahir leurs possessions au moment où eMes y penseraient
le moins.* M. de Vergennes, quoiqu'anticipant l'avenir, ne pré-
voyait pas encore toute la rapidité avec laquelle les événemens
marchent dans le Nouveau-Monde. Au reste, ces premières
ouvertures ne furent pas plus tôt connues du congrès américain
qu'il s'empressa d'envoyer un de ses membres en France, M. Silas
Deane, pour entrer en négociation directe avec ce pays; et après
mille obstacles de tous genres, les secours furent embarqués pour
l'Amérique, dont la cause devint dès lors si populaire en France,
que l'on vit le jeune marquis de Lafayette et plusieurs autres
seigneurs de son âge, partir pour servir comme volontaires dans
les armées révolutionnaires du congrès. Franklin, Deane et Lee
furent nommés officiellement commissaires auprès de la cour de
France. Les dispositions bienveillantes de cette grande nation,
et l'espérance de secours plus réels encouragèrent puissamment
la jeune république dans ses efforts.
Cependant le général Burgoyne était de retour à Québec au
commencement de 73. Ce qui se passait en France alors devait
engager l'Angleterre à multiplier ses efforts pour hâter le dénoue-
ment de la lutte. Burgoyne s'occupa en arrivant des préparatifs
de sa campagne. Le gouverneur retint 3000 hommes pour la
garde de la province, et lui donna le reste des troupes, environ
8,500 soldats et 500 Indiens sous les ordres de M. de St.-Luc,
pour envahir la Nouvelle- York et aller se réunir au général Howe
à Albany. Cette armée se trouva rassemblée à la Pointe-à-la-
Chevelure, le 30 juin, avec un parc considérable d'artillerie. On
avait compté y adjoindre beaucoup de Canadiens ; mais la masse
de ce peuple qui avait si bien accueilli d'abord l'insurrection, était,
malgré son refroidissement et l'incertitude de l'avenir, peu dispo-
sée à aller la combattre. Burgoyne ne put se faire suivre que
par 150 hommes. Les habitans continuaient toujours à être
accablés de corvées ; il y eut jusqu'à 1,200 hommes employés
aux travaux des chemins, ou sur les bateaux, qu'ils furent obli-
gés, à peine d'amende, de conduire dans l'automne, au milieu des
glaces, jusqu'à cent lieues de Montréal, sans aucune espèce de
rémunération. Il n'y avait que les Anglais, royalistes ou non,
* Mémoire historique et politique sur la Louisiane, par M. de Vergennes,
ministre de Louis XVI, etc., 1802.
32
C|iii Tussent esempts de ce Iknleau. Burgoyne se mit en mouve-
ment au commenceineiit de juillet. Le 6, Carillon et le Mon l-
InJéliendance tombaient en son pouvoir avec 12S pièces de
canoa, plusieurs vaisseaux armés et une grande quantité de
bagages et de munitions de guerre et de bouche. Ce facile aucciia
le remplit de joie et accrut outre mesure sa confiance dans sa
capacité et la bravoure de ses troupes. Après avoir ordonné à
une parue de l'armée et à. ses bagages de prendre la route du lac
George, il laissa lui-même ce lac à ea droite avec le gros de ses
forces et 42 bouches à feu, et s'avança vers le Grand-Marais
(South Bay) et ScUenesborougli, le corps du général Fraser
mettant en déroule, chemin faisant, 2,000 Américains à Huber-
ton. Le lendemain, son avant-garde, sous les ordres du général
Phillips, atteignait le fort Anne et repoussait, après un combat
assez vif, les républicains, qui évacuèrent le fort après y avoir
mis le feu, brisèrent les chemins pour les rendre impralicables, et
ee replièrent anrlefort Edouard, où le général Putnam arriva
avec un renfort considérable de troupes fraîches. C'était le
point que Burgoyne avait marqué à son armée pour opérer sa
jonction. Mais il lui fallut tout le reste du mois pour relever les
ponts et réparer les routes ; de sorte qu'il ne put paraître devant
le fort Edouard, sur l'Hudson, que le 2S juillet. Fendant que le
général Burgoyne opérait ainsi sur l'Hudson, le colonel St,-
Léger devait faire une diversion à la tête d'environ 300 hommes,
réguliers et miliciens, et d'un gros parti de Sauvages, Il était
cliargè de remonter le St.-Laurent et le lac Ontario jusqu'à
Oswègo, d'enlever le fort Stanwix, bâti en 1758 sur l'emplace-
ment qu'occupe aujourd'hui la petite ville de Home dans le comté
d'Oneida, et d'aller se réunir en descendant par la rivière
Mohawk, au corps d'armée de Burgoyne, à Albany, Il n'arriva
f)ue le 3 août devant le fort Stan^vi^, qu'il investît immédiatement.
Mais après un long siège, pendant lequel un combat très vif eut
lieu à Oriskany entre une partie de ses forces, sous les ordres de
sir John Johnson, et 800 rebelles commandés par le généra!
Herkiner, qui venaient au secours de la place, et qui furent entiè-
rement défaits, il fut abandonné des Sauvages et obligé, dans une
panique qui s'empara de ses troupes, de fuir avec tant de préci-
pitation, que les Canadiens du brave capitaine Lernoult. qui
HISTOIRE DU CANADA. 31
occupaient un poste jeté en avant pour le couvrir, eurent à peine
le temps d'être rappelés.*
Cette retraite subite ne se fit pas apercevoir néanmoins sur
le champ, car le générai Scbuyler, trop faible pour résister à l'ar-
mée de Burgoyne, et craignant l'arrivée du colonel St.-Léger
sur ses derrières, après ^voir fait brûler la flottille du lac George
et évacuer le fort qui en commandait la tête, s'était retiré d'abord
à Stiilwater sur la rive droite de l'Hudson, et ensuite dans l'île
de Van Schaick au confluent de la rivière Mohawk, où il s'était
fortifié. Burgoyne, sans s'occuper de la retraite du colonel St.«
Léger, voulut poursuivre les ennemis tandis qu'ils étaient encore
dans le désordre et la terreur et détacha le colonel Baume avec
500 hommes tant réguliers. Canadiens, Sauvages que royalistes
Américains, pour s'avancer dans l'intérieur du pays vers la
gauche, ravager les campagnes, relever, par sa présence, le cou-
rage des royalistes et en recruter le corps des provinciaux,
ramasser des vivres, des voitures, des chevaux pour la cavalerie,
et des bêtes de trait, enfin pour faire prisonniers tous les fonc-
tionnaires nommés par le congrès et frapper les villes de contri-
butions. Le colonel Baume avait pénétré jusqu'à Bennington,
où les ennemis avaient rassemblé leurs magasins, lorsqu'il fut
cerné par le général Stark et les républicains très supérieurs en
nombre, le 16 août. Après un combat de deux heures, au
commenceofent duquel les Sauvages l'abandonnèrent, il fut tué
et le reste de son détachement taillé en pièces ou dispersé. Le
colonel Breynan qm avait été envoyé à son secours avec un gros
corps de troupes, n'arriva que pour recudllir quelques fuyards ;
et, attaqué à son tour par l'ennemi, qui avait reçu de nouveaux
renforts, il manqua de munitions et n'échappa qu'en laissant son
artillerie et des soldats entre les mains du vainqueur, qui fit pri-
sonnier dans les deux combats plus de 700 hommes, dont un
grand nombre d'officiers. Ce fiit le commencement des désastres
de Tarmée royale. Burgoyne se trouvait alors à la rivière
Battenkill, et conséquemment presque coupé de sa ligne d'opéra-
tion. Sur ces entrefaites les insurgés surprirent encore tous lés
postes anglais du lac George et de sa décharge jusqu'à Carillon ,
* Lettre du colonel St.-Léger au général Burgoyne. — An original and
comeUd accQunt cf Burgoifne^t campaign, 4r^.| par Charles Neilson, Esq.
£
34 HISTOIRE DU CAKADA.
enlevèrent un brig armé, des chaloupes canonnières et pliia de 200
bateaux, tandis que le général Gates à qui Schuyjer venait de
remetlrelecomraandementdea troupes de celte fronlière, se portait
de nouveau à StilKvatersurlea hauteurs de Braemer, et s'y retran-
chait. Les milices qui accouraient de toutes parts eurent bientôt
grossi ses forcea. C'est alors qu'il vit arriver à son camp le
fameux patriote polonais Kosciusko, qui venait servir la cause de
la liberté en qualité de voluntaire. Burgoyne pendant en temps
là avançant toujours, avait traversé sur la rive droite de l'Hudson,
et se dirigeait lentement vers Albany, lorsqu'il fut arrêté par les
retranchemene de Gates sur les hauteurs de Bracmer. Une par-
tic des deux armées se livra à Freeman'e Farm, le 19 septembre,
un combat longtemps disputé, dans lequel le champ de bataille
resta aux royalistes. La perte de chaque côté fui d'environ 3
ou 400 hommes, mais ce combat ne décida rien ; seulemenl il
rendit le général anglais plus circonspect ; car après avoir
examiné les ouvrages qui couvraient les rebelles, il hésita à atta-
quer. Hésiter avec, des troupes régulières devant des milices,
c'était presqu'une faute, car c'était donner à celles-ci le temps de
recevoir encore des secours et fortifier leurs ligues, c'était surtout
élever leur opinion dans leur valeur et leurs propres forces.
Burgoyne resta en position à une portée de canon de leurs
retranchemens jusqu'au 7 octobre, que le manque de vivres le
força de sortir de son camp pour tenter le sort des armes. Il fut
complètement battu, rejeté daus ses lignes, dont un quartier lut
enlevé par l'intrépide Arnold, et perdit 700 hommes. La nuit
seule mit fin au combat, et sauva les restes de l'armée anglaise,
qui aurait été écrasée par la grande supériorité numérique des
révoluUonaaires. La nouvelle de la retraite du colonel St.-Léger
arriva sur ces entrefaites et acheva d'ôter tout espoir à ses troupes.
Il dut alors songer à rétrograder, et il n'y avait pas un moment
à perdre ; car déjà sa sûreté était gravement compromise attendu,
comme ou l'a rapporté, que le lac George sur ses derrière» était
tombé aux mains de l'ennemi. Dés le lendemain au soir, aban-
donnant ses blessés et ses malades à la générosité des vainqueurs,
et laissant son camp tendu et les ieux allumés pour mieux cacher
sa fuite, il commença sa retraite au milieu de l'obscurité et du
silence. C'était humiliant pour celui qui s'était écrié dana son
HISTOIRE DU CANADA. 35
orgueil en traversant l'Hudson ,à la tête de son armée: " Les
Bretons ne reculent jamais." En effet, il ne recula pas long-
temps non plus. Atteint et complètement entouré sur les hau-
teurs de Saratoga par seize mille hommes, il fut obligé de mettre
bas les armes le 16 octobre. Les Anglais, au nombre de 5,800
hommes, furent transportés à Boston, où ils restèrent longtemps,
le congrès ayant exigé qu'avant l'embarquement la capitulation
fut ratifiée par la métropole, et celle-ci ne pouvant se résoudre à
donner une sanction qu'elle regardait comme moins humiliante
encore pour l'honneur de ses armes que pour la prétention de sa
suprématie sur des colons rebelles.
La conduite de Burgoyne, qu'on accusait d'imprévoyance et
de lâcheté, devint l'objet d'une investigation devant la chambre
des communes en 79 ; mais ses amis politiques y étaient si puis-
sans, et les témoignages lui furent si favorables, que le ministère
jugea prudent d'abandonner l'enquête, et le comité qui en était
chargé, de s'abstenir de faire rapport. L'on se contenta des rai-
sons que l'accusé voulut bien donner pour se disculper, comme
celle-ci : " Les officiers canadiens étaient des gentilshommes d'une
haute condition dans leur pays ; mais dans lesquels on ne pouvait
avoir de confiance. A l'esprit entreprenant et audacieux qui
avait distingué ce peuple sous la domination française, avait suc-
cédé un attachement pour le toit paternel qu'avaient augmenté
l'oubli de l'usage des armes et la longue habitude des jouissances
domestiques Il était difficile de garder les Canadiens sous
les drapeaux et de leur faire soutenir au feu les idées de respect
que leur conduite dans la dernière guerre avait inspirées à leurs
ennemis." En Angleterre une pareille défense pouvait paraître
satisfaisante ; mais en Amérique l'on savait qu'il y avait à peine
quinze ans que la guerre dont parle Burgoyne était finie, et que
les Canadiens ne pouvaient avoir perdu leurs vertus guerrières en
si peu de temps ; l'on savait aussi que presque tous en masse ils
avaient voulu garder la neutralité dans la lutte entre l'Angleterre
et ses anciennes colonies, et qu'enfin dans son armée de 8,000
hommes, Burgoyne n'avait que 148 combattans de leur nation,
lesquels furent presque tous tués ou pris à l'affaire de Bennington,
et que ne l'eussent-ils pas été, il ne pouvait raisonnablement
espérer avec un pareil nombre d'influer en rien sur le sort de la
'M- HISTOIRE DU CANADA.
campagne. Burgoyae se plaignit auBsi en termea peu mG3urt.'3
de la conduile de H> de SL-Luc comme commandant des Sau*
vages ; maiâ cet officier rcpotiesa facilement les attaques d'un
homme qui était meilleur parleur que capitaine.
Comme nous venona Je ie dire, le désir Lien décidé de la masse
dea Canadiens était alors de rester neutres dans la lutte dos
Etata-Unia. En vain le congcôa les pressa une seconde fois de
»i joindre à eus, en vain Waaliington lui-môrae ajouta le poids
de sa parole à ces sollicitations, le peuple resta aourJ à tous leurs
appela. Le comte d'Estaing, chargé du commandement de la
flotte française qui croisait dans les parages de l'Amérique en 78,
n'eut pas pins de succès dans l'invitation qu'il leur adressa, et dana
laquelle il leur rappelait les liens naturels qui unissaient les Cana-
diens à la France; qu'étant du même sang, parlant la même
langue, ayant les mêmes eoutuiaea, les mêmes lois, la même reli-
gion, ils devaient se joindre à leurs anciens compatriotes pour
secouer le joug d'une nation étrangère, vivant dans un autre
hémisphère, et ayant dea coutumes et une religion qui diffêraient
des leurs: qu'il était autorisé par le roi Louis XVI à offrir un
appui à tous ses compatriotes de l'Amérique septentrionale ; que
les Américains et lea Français formaient comme un seul peuple,
et qu'ils étaient également leurs amis; que se lier avec les
Etats-Unis, c'était s'assurer son bonheur; qu'enfin, tous les anciens
sujets français qui repousseraient la suprématie de l'Angleterre,
pouvaient compter sur sa protection.
lies paroles du comte d'Estaing, parties de l'Océan, n'eurent
aucun écho dana lea chaumières canadiennes, oii les souvenirs du
passé, après le premier tressaillement causé par l'inaurrection des
autres colonies, avaient jeté depuis longtemps l'indécision et con-
firmé lea habitans dans leur lésotution de laisser la métropole et lea
colons de sa race régler leurs débats ensemble, ne voyant dans les
Américains que d'anciens ennemis. Le mot de Lafayette aux
gentilshommes canadiens prisonniers à Boston : " Eh quoi ! vous
TOUS êtes battus pour rester colons, au lieu de passer à l'indépen-
dance ; restez donc esclaves," n'élaitparfailement juste que pour
une petite portion de leurs compatriotes, c'est-à-dire pour ceux
qui avaient pris les armes, mais les conséquences de leur acte
devait s'étendre à tous.
CHAPITRE II.
LE CONSEIL LÉGISLATIF.
1777-1792.
Conseil législatif; la guerre le fait ajourner jusqu'en 1777. — Composition de
ce corps, difiérence entre les membres canadiens et les membres anglais ;
ses travaux et son unanimité. — Il s'occupe de l'administration de la jus-
tice, des milices, etc. — Mécontentemens populaires. — Le général Haldi-
mand remplace le gouverneur Carleton (1778) qui s'était querellé avec le
juge-en-chef Livius. — Caractère et politique du nouveau gouverneur. —
Effrayé par les succès des Américains, il gouverne le Canada par l'inti-
midation et la terreur jusqu'en 1784 ; corruption des tribunaux et nullité
du conseil législatif, qui passe à peine quelques ordonnances peu impor-
tantes pendant cette période. — Triomphe de la révolution américaine. —
La France reconnaît les Etats-Unis (1778) et leur envoie des secours.—
Débats à ce sujet dans le parlement anglais. — L'Espagne et la Hollande
imitent la France. — Destruction des cantons iroquois et leur émigration.
— Capitulation de l'armée anglaise à Yorktown (1781). — La Grande-
Bretagne reconnaît l'indépendance des Etats-Unis (1783). — ^Perte de ter-
ritoire parle Canada. — Le général Haldimand remet les rênes du gouver-
nement au général Carleton (1784). — M. Du Calvet, qu'il avait tenu deux
ans en prison, l'accuse devant les tribunaux de Londres. — Noble caractère
et énergie de ce citoyen ; de son livre : Appel à la justice de l'Etat. — Ses
idées sur la constitution qui convient au Canada. — Agitation de cette
colonie. — Assemblées publiques. — Pétitions diverses pour et contre un
gouvernement représentatif. — Prétentions et méfiances des divers partis.
— Investigation que le gouverneur fait faire par le conseil législatif sur la
justice, la milice, les voies publiques, l'agriculture, le commerce, l'éduca-
tion, etc. — Rapports b\\t ces matières. — Tentative indirecte du juge-en-
chef Smith de substituer les lois anglaises aux lois françaises. — Abus criant
dans l'administration de la justice : enquête à ce sujet. — Nouvelle division
territoriale du Canada. — Nouvelles pétitions à l'Angleterre. — Intervention
des marchands de Londres en faveur du parti anglais. — Intrigues. — Divi-
sion des Canadiens en constitutionnels et anti-constitutionnels : les premiers
l'emportent. — Projet de constitution de M. Grenville envoyé en 1789 à
lord Dorchester, qui passe à Londres en 1791. — Pitt introduit ce projet
dans la chambre des communes la même année. — M. Lymburner, agent
des constitutionnels anglais, l'oppose. — Débats auxquels Pitt, Burke, Fox,
Grenville, prennent part. — Le projet passe sans division dans les deux
chambres. — Dispositions fondamentales de la nouvelle constitution. —
Le lieutenant-gouverneur Clark la proclame en Canada, qui est divisé
en deux provinces.— Population de ce pays. — Satisfaction des Canadiens
en recevant la nouvelle constitution, qui est fêtée à Québec et à Montréal
par des banquets.
38 HISTOIRE DU CANA.DA.
Lorsque Carleton apprit les désastres du malheureux Burgoyne,
il dut se réjouir en secret de ce qu'on lui avait préféré ce géné-
ral pour conduire l'armée dans le pays Insurgé. S'il avait eu
raison d'être blessé de l'empressement de cet officier à offirir ses
services, et de la préférence qu'on lui avait donnée, le dénoue-
ment de la campagne le vengeait complètement de l'injustice
qu'on lui avait faite. Déchargé par ce passe-droit d'un com-
mandement qu'il avait beaucoup ambitionné, il s'était livré en
Canada aux soins de l'administration intérieure qui demandait de
nombreuses réformes. La guerre avait empêché la réunion du
nouveau corps législatif, en 76. Il fut convoqué pour la seconde
fois l'année suivante.
La session fut laborieuse, mais calme comme on devait l'at-
tendre d'un corps nommé par la couronne et composé de ses
créatures les plus dociles et les plus dévouées. Le conseil légis-
latif, en présence de la guerre civile de plus en plus acharnée
qui régnait dans les autres colonies, où l'Angleterre, irritée de ses
échecs, commençait à la faire avec cette cruauté froide qui avait
marqué le passage de ses troupes en «Canada en 59, se garda bien
de montrer de l'opposition à la volonté métropolitaine, et toutes les
mesures du gouvernement passèrent presque à l'unanimité. En
effet, ce corps tenait plutôt de la nature d'un conseil d'état que
d'une chambre législative et il siégeait à huis-clos.* En 1784
plusieurs citoyens frappèrent en vain à la porte pour être admis
aux débats ; après discussion et division leur demande fut rejetée.
Les deux langues y étaient en usage- et les lois étaient rendues
en Français comme en Anglais ; mais des 23 membres qui le
composaient en 77, huit seulement étaient Canadiens. Les
autres étaient des fonctionnaires qui travaillaient avec une acti-
vité prodigieuse à accumuler les emplois sur leurs têtes et à acca-
parer les terres publiques, f ou des marchands nés hors du
* Le serment des conseillers contenait ces mots : " To keep close and
secret ail such matters as shall be treated, debated and resolved in councii,
without publishing or disclosing the same or any part thereof." Quelques
membres, comme M. Finlay, prétendirent en 1784 que ce serment n'enga-
geait les membres que comme conseillers exécutifs, et non comme conseil-
lers législatifs ; mais leur prétention ne fut pas admise.
t Les procès-verbaux du conseil exécutif sont remplis de demandes de
HISTOIRE DU CANADA. 39
Canada, et qui n'y avaient d'intérêts que ceux de leur com-
merce, et tous étaient salariés du gouvernement. Les premiers
réclamant à titre de nobles toutes sortes de privilèges, comme
l'exemption des corvées, du logement des troupes, étaient
opposés au peuple dans toutes les questions où leurs intérêts
paraissaient contraires aux siens. Elevés pour ainsi dire dans
les camps, ils entendaient le gouvernement à la façon militaire, et
embrassaient toujours avec franchise et chaleur la cause du gou-
vernement, sans en rechercher ni le but ni l'objet, dans toutes les
questions qui n'attaquaient point leurs institutions ou leur natio-
nalité ; leur maxime était : Si veut le raiy si veut la loi. Quoi-
qu'abandonnés par la plupart de leurs censitaires lors de l'inva-
sion américaine, ils ne cessèrent point de montrer une fidélité
inviolable à la métropole. Les seconds, opposés en masse aux
Canadiens pour les raisons qu'on a déjà pu apprécier bien des
fois, sortait pour la plupart, de cette classe d'émigrans dont le
général Murray a fait le tableau peu flatteur dans ses correspon-
dances. Leur éducation, sans être plus soignée que celle des
seigneurs, était accompagnée de l'expérience et de la pratique
que donne au peuple la jouissance d'institutions libres dans les
matières de gouvernement. Ce petit vernis de savoir-faire leur
faisait prendre des airs d'importance et d^orgueil, dont les sei-
gneurs se moquaient ensuite dans leurs manoirs. Ils souriaient
de voir leurs collègues, autrefois obscurs démocrates de la vieille
Angleterre, se transformer tout-à-coup en Canada en aristocratie
dédaigneuse, et prendre des airs que ne justifiaient ni leur carac-
tère, ni leur éducation. Ils voyaient aussi déjà quelques-uns de
ces hommes, nourrissant des idées ambitieuses, prendre tout-à-
coup avec la plus grande chaleur la défense des intérêts du peu-
ple, pour se tourner ensuite contre lui dès qu'ils avaient atteint
le but de leur démarche tortueuse ; d'autres, enfin, accuser les
Canadiens de rébellion auprès du gouvernement, et assurer en
même temps tout bas les amis de la cause américaine que leur
plus grand désir était de la voir triompher. Tels étaient ceux
qui étaient sortis de Québec à l'approche des républicains en 75.
terre ou de lots de grève dans les villes. Un particulier alla jusqu'à deman-
der le palais de l'Intendant. Depuis que lord Amherst avait eu la pro-
messe des bleus des Jésuites on ne croyait pas pouvoir demander assez.
40 HISTOIRE BU CANADA.
Ces deux classas d'hommes, mises en présence par le gouver-
nement, devaient lui fournir des ëlémens fertiles de division, si
elles s'avisaient de voaloir le combattre ; maïs le choix avait été
fait de manière à n'avoir rien à faire craindre de bien redoutable sur
ce point, quoique le parti anglais y eût des organes qui ne cessaient
point de se faire entendre et qui remplissaient les procès-verÎMiux
de leurs propositions et même de leurs protêts. La sympathie
des seigneurs étaient toute entière pour l'autorité royale ; le parti
anglais se trouvait en trop grande majorité dans le conseil pour
avoir des motifs raisonnables de plainte contre le partage du pou-
voir législatif. Quant aux intérêts particuliers et exclusifs du
peuple, personne ne les représentait ; et en 77 les seigneurs, par
d6pit peut-être de n'avoir pu lui Taire prendre les armes contre
les rÉpublicains, et les Anglais par antipathie nationale, passèrent
des lois qui élaient marquées au coin d'une tyrannie dont le pays
La compoeitloh de la majorité du corps législatif était donc un
gage de son obéissance el de sa soumission. Il passa seize ordon-
nances dans la session. Les deux plus lm|iorlantes avaient rap-
port à l'organisation de !a milice et surtout à l'administration de la
justice, dans laquelle on admit le système de procédure anglaise
conformément à l'ordre des ministres de considérer si les lois
d'Angleterre ne pourraient pas être adoptées, sinon totalementdu
moins partiellement, dans les affaires personnelles, commerciales
ou de doromagea, surtout lorsque l'une ou l'autre des parties serait
anglaise.
L'on confirma dans la dernière ordonnance les cours qui exis-
taient déjà, en faisant quelques changemens à leurs attributions,
et en ajoutant une cour AepriAate, ou de vériiicalion des tesla-
mens et des successions. Enfin, pour couronner l'édifice judi-
ciaire, le conseil législatif devait servir de cour d'appel, avec le
conseil privé d'Angleterre pour dernier ressort. Outre ces tribu-
naux, on accorda encore la faculté d'instituer des cours d'oyer et
termini^ selon le besoin, et les audiences trimestrielles présidées
par les magistrats, furent chargées de juger les petits délits.
Quant à l'acte des milices, il renfermait plusieurs dispositions
tyranniques, contre lesquelles le peuple ne larda pas à murniurer.
Les nouveaux conquératis avaient lea idées les plus faussée sur
HISTOIRE DU CANADA.
il
le régime
it Gubsifilé dans lo
s du II
1 temps des Français.
Ds croyaient que ce régime n'avait été qu'une tyrannie capricieuee
el sans frein, au lieu d'être basé, comme il l'était, sur des lois
écrites cl des régies qui avaient été consBcréea par un long
usage, et que le gouverneur et l'intendant étaient obligés de suivre
strictement, leurs pouvoirs étant, à cet égard, particulièrement
«tëfinia; ils ignoraient que la monarchie française était encore
pluH traditionnelle qu'absolue. Le conseil législatif crut donc sui-
vre l'exemple des temps passés on Imposant dana une loi com-
mune des obllgalïona qui n'avaicntétë exigées des miliciens que
dans des circonstancea extraordinaires et comme pour aller au-
devant du vœu public et de la Kécurité générale. Il établissait un
despotisme militaire pur en copiant dea jours et des circonstances
qui n'existaient plus. Son ordonnance assujétiesoit tous les
habitons de Pôge requis à des services militaires rigoureux,
comme à porter les armes hors de leur paya pendant un tempa
îndêâni, à faire les travaux agricoles de leurs voisins partis pour
l'armée, etc. Ces cbarges énormes et bien d'autres devaient
être remplies gratuitement, sous les peines les plus sévères.
Cette loi dea milices avec la réorganisation judiciaire et le choix
des juges, fit mal augurer de l'avenir à ceux qui suivaient de prés
la marche du nouvel ordre de choses. Les autres ordonnances
concernaient le cours monétaire, le commerce, la voierie, la
police, les postes.
Le parti qui s'était opposé au statut de 7i, se prévalut de suite
des fautes et de l'ignorance des juges, que l'on n'avait pas chan-
gés, pour attaquer le nouveau système. Les tribunaux privés
des lumières nécessaires, et marchant au gré des sympathies ou
dea préjugea de ceux qui y siégeaient, ne suivaient ni les mêmes
lois ni la même jurisprudence, de sorte qu'il en résultait tous les
jours dea irrégularités et une inf^ertîtude très inquiétante pour
ceux qui étaient obligés d'y avoir recours Des marchands ilu
Canada qui se trouvaient à Londres, présentèrent une pétition au
secrétaire des colonies, lord Germaine, pour se plaindre de ce
grief, et demander la révocation de l'acte de 7-li et la création
d'une chambre élective. I-e ministre répondit qu'il serait dan-
gereux de changer la constitution du pays lorsque l'ennemi était
eoiMire à ses poitea. Les pétitionnaires réphquèrent qu'ila ajoui-
4'2 HISTOIRE DU CANADA.
neraient leur demande jusqu'à la pacification des provinces
ré voilé es,
Cependant les cris augmentaient toujours contre la loi des mi-
lices. Le peuple des campagnes était écrasé de corvées pour le
punir de sa neutralité ; et la conduite d'une partie des seigneurs
marquait assez visiblement dans cette circonstance, que soit par
faililesae, soit parmaniÈre plus osp^essive de taire leur cour au
nouveau gouverneur, Tinfluence qu'ils avaient acquise sur lui ne
serait point employée en sa faveur, et qu'U n'avait rien à espérer
de ceux qui étaient disposés, comme ils le faisaient voir, à
séparer dans l'occasion leur cause de celle de leurs compatriotes.
Le eonseU dut s'occuper des plaintes que cette tyrannie arrachait,
et le parti anglais lui-même le premier amena ce sujet à plusieurs
reprises devant lui, surtout en 78. *
C'était à l'époque où Carleton était remplacé par le général
lialdimand, compagnon de Burgi-yne dans la dernière campagne.
Avant son départ, ce gouverneur eut des ditficultés assez graves
avec le juge-en-chef Livius, qu'il destitua de ses fonctions pour
avoir demandé communication des instructions qu'il avait reçues
des ministres touchant la législation. Ces instructions l'autori-
saient à nommer un conseil privé de cinq membres tirés du con*
Bdl législatif lui-même, pour la conduite des oITaires publiques,
celles de législation exceptées. Il en avait formé un en 7ti, du
lieutenant-gouverneur et de MM-Finlay. Dunn,CollinsetMabaiie,
tous fonctionnaires et créatures qui lui étalent pour la plupart
parfaitement soumises, afin de se dispenser de consulter le grand
conseil, comme on appelait le conseil exécutil", oi^ les anglifica-
tenas mettaient la division. Le juge Ijvius qui était un des par-
tisans de l'a nglifi cation, avait déclaré que l'acte de 74 n'établissait
que le conseil législatif; que le conseil privé dont nous venons de
parler, avait pris sur lui de discuter les affaires publiques et do
sanctionner les comptes à la place du premier, ce qui était illégal,
(levait produire des désordres. îles dilapidations do deniers, et il
avait proposé de présenter ime adresse au gouverneur pour lo
prier de remédier à ces abus.
En m6me temps Finlay s'était élevé de nouveau contre les
a loi des milices.
DU CANADA. i3
Livius destitué passa en Angleterre pour qIIot so justitier au
pied du ta'ône. Lea lords commissaires du Commerce ei dea
PlanlatioQS auxquels bod afliiire avait été renvoyée, firent rapport
qu'il avait Été destitué sans causo RulfiBante et le firent rétablir
dans sa choj'ge.
Le général Haldimand, natif de la Suisse, était depuis long-
temps au service do l'Angiclerre. Celait un vieus militaire
impérieux, sévère, bon à la lêtc des troupes, mais peu fait par
ses hatiiiudea pour le gouvernement d'un peuple accoutumé bu
régime légal. Entouré de provinces en rÉvolution, il (:rut qu'il
ne pourrai! maimcnir dans l'obéifisaiice celle qui lui était confiée
que par une rigueur inflexible. Il fit sentir bientôt toute la ditrù-
rence qu'il j avait entre son administration et celle de son pré-'
dècesscur, qui avait emporté avec lui l'estime sincèro des Cana-
diens, dont il fut le meilleur, l'unique ami peut-être, chez le peuple
anglais.
Les rigueurs d'Haldimnnd, du reste, Buivwent le progrès des
armes des autres colonies dans leur lutte acharnée avec la Grande-
Bretagne. Il y avait toujours des gens en Canada qui désiraient
leur triomphe, et le général Haldimand qui le savait, était résolu
de ne pas leur laisser lever la tête. Les corvées redoublèrent
et devinrent un vrai fléau pour les -campagnes. Les cris augmen-
tèrent. Haldimand, attribuant ces plaintes à l'esprit de révolte et
aux menées des émi^airea américains, sévit avec encore plus de
rigueur; il faisait, sur do simples soupçons, emprisonner les
citoyens par centaines, confondant souvent l'innocent aveu le cou-
jiable. Malgré cette tyraunîe, la masse du peuple s'était ralliéo
entièrement â la métropole, et no laissait plus échapper que des
ptirolea propres à rassurer la royauté.
Le corps législatif lut assemblé en 79. llaldimand lui fit un
petit discours, auquel il répondit par des cotnplimens ; puia il
s'empressa de continuer quelques ordonnances qui expiraient et
fiit prorogé au bout de quelques jours. L'année suivante il sié-
gea plus longtemps. La ^sette qui régnait fit proposer des
greniers publics. La question du gouvernement constitutionnel
fut encore soulevée par Allsopp, un des chefs de l'opposition. Il
proposa de demander copie des instructions du gouverneur sur
l'organisaiioa du paya. Sa inotiort fut écartée par l'ordre du jour.
4* HiSTOIEC DU CANADA.
AI0T8 la dJBcusaion retomba sur l'administration de la jusiice, et
amena une tidresse contre les vues 1)11 parti constitutionnel et en
faveur du maintieit des ordonnances de 70,
" Nous savons que quelques changemens peuvent et doivent se
faire dans les lois et dana les coutumes du Canada, disait la majoritû
du conseil au gouverneur ; mais noua craignons que dans la situa-
tion critique où se trouve maintenant l'empire en Amérique, les
innovations ne soient dangereuses. C'est avec regret que noire
devoir envers le roi nous oblige de signaler à votre excellence les
mauvais effets que causent à son service les rapports qui circulent
tous les étés sur les soi-disant changemens qu'on propose de faire
ilans l'administration. Ils inquiètent les espnts et fournissent des
prétextes aux émissaires des colonies révoltées et a
mis de l'état d'insinuer que rien n'est permanent s(
menC anglais ; que l'acte de Québec, inspiré par ui
et tolérant qui distingue un siècle et une r
résultat d'une politique étroite et intéressée, et qu'il si
aussitôt qu'on aura obtenu le but qui l'a fait passer."
Cette adresse fut adoptée malgré l'opposition d'AUsopp, qui
demandait toujours une autre cour d'appel et l'Établisseracnt de»
lois anglaises.
Le bruit courant alors que les Américai)
nouvelle invasion, le gouverneur ordonna a
leurs grains pour les mettre en sûreté, 1
conseils, le conseil privé auquel il fit part e
vellea, et le lendemain le conseil 16gislatif.
dernier, je vous ai assemblé comme conseil du roi, aujourd'liui je
m'adresse à vous comme législateur. L'information que je vous
ai communiquée, venant d'une source authentique, fait voir que
noua ne sommes pas dans un temps propice pour les innovations.
a des aflâires exige que lous les bons sujets travaillent
D do l'autorité royale. J'espère qu'en votre qualité
privée comme en votre qualité publique, vous employerez toute
voire influence pour faire avorter les projets que les rebelles et
leurs émissaires peuvent former pour troubler le pays et la tran-
quillité publique. J'espère que vous m'aiderez à découvrir ces
derniers pour les faire punir."
Ce discours devait avoir l'effet do réduire les opposans au
la le gouveme-
iH esprit généreux
1 éclairée, est le
a révoqué
I allaient faire une
); habitans de battre
t convoqua ses deux.
n secret de ces nou-
" Hier, dit-il, à ce
UISTOinE DU CANADA. ■tî
Bileoce. Cepenil&Dt l'infaligable Allsopp ne k laîaea paa înliniider,
et revint encore aveu 9011 projet (l'nmeudeinQnt en laveur de l'Jnlro-
ducLîon (les lois anglaises, maia celle fois il fut seul de son côté,
et le conseil fut BJoumë après cinq sËancea pour so réunir UJi
instant dans le mois traoût. Malgré l'ordre d'Haldimaiid qu'il
Ikilait do l'expédition et de l'unanimité, Allsopp de plus en plu»
oppnsé à l'administration, proposa des omeademens à toutes îea
mesures. L'opposition avait découvert quu cette tactique louniiâ-
Hait le moyen le plus simple de faire connaître ses vue» en Angle-
terre, parce que ses pro|>osi lions qui étaient eu général longuement
motivées, étaient entrées comme les autres dans le procé»- verbal
du consdi, et que copie do ce procès- verbal élail envoyée régu-
lièrement aux ministres à Loudros.
Elle croyait par là pouvoir les in^oiîder, et se faire donner le
pouvoir qu'elle ambitionnait pendant que le gouvernement était
dans les embarras plus graves de jour en jour de sa lutte avec les
£ut«-Unie.
S'il n'y avait pas grand patriotisme dans celle conduite de l'op-
position, ea supposant celle-ci vraiment attachée à la métropole,
elle n'était pas sans adresse. L'opposition conuaissait les nywpa-
tbiea méiropolitaines pour la race anglaise ut son éloignemcnt pour
toute race étrangère. Elle espérait que ses demandes rencon-
treraient les sympatlkies de cette portion du peuple anglais qui
blâmait la conduite du ministère au sujet des colonies révoltées,
et qu'elles ébranleraient celui-ci incertaiji do plus en plus sur
les évènemena de l'avenir. Ce calcul n'était que trop bien fondé.
Seulement le résultat ne devait venir que plus tard.
Les peuples librcu onl des préjugea nutionaux qui mettent
beaucoup d'entraves à leur agrandissement par conquêtes. La
liberté semble en elfel hostile à cea nombreuses agglomérations de
différentes races que l'on voit souvent réunies sous les grajides
monarchies despotiques. Le peuple est un Être à vues plus
courtes, ou plutôt à vuea plus éguïstes. Le souverain d'une mul-
titude de nations comme l'empereur de Russie, par exemple, est
moins porté à vouloir détruire les ditTérentee nationalités soumises
à son sceptre pour n'en former qu'une seule, qu'un peuple con-
quérant et libre. Pourvu que chaque naiionalilA le reconnaisse,
il lolire Icun langues, leurs lois, leurs coutumes. Il a'identiQe
m UISTOlJtC DU CANADA.
avec chacune d'elles, et souvent trouve sa force dans cctie variélâ
mfiiiie. Il fait ce qu'il faut, dit Montesquieu, dans cette sorte de
conquête, il laisse les choses comme il les a irouvëes ; les m&mes
tribunaux, les mêmes lois, les mêmes coutumes, les mêmes privi-
lèges, rien n'eat cliangé, que l'armée et le nom du souverain.
Lorsque la monarchie a étendu ses limites par la conquête de
quelques provinces voisines, il faut qu'il lea traite avec une grande
douceur.*
La monarchie paraît Jonc plus favorable aux peuples conquis.
En effet, *' il y a, dit encore Montesquieu, un inconvËnient aux
coDijuêtea faites par les démocraties. Leur gouvernement est tou-
jours odieus aux étals aBsujeltis. Il est monarchique par la ficiion ;
mais, dans la vérité, il est plus dur que le monarchique, comme
l'espérience do tous les temps et de tous les pays l'a fait voir,
" Les peuples conquis y sont dans un état triste ; ils ne jouis-
sent ni des avantages de la république, ni de ceux de la monar-
chie."
Rien n'est .plus vrai aujourd'hui pour les Canadiens français.
Quoique l'Angleterre Boit une monarchie, l'influence démocratique
de son gouvernement mixle,se fait plus sentir dans la colonie que
chez elle. On verra plus tard lorsque l'on voudra les noyer dans
une majorité anglaise, les hommes les plus hostiles à lu démocratie
élever la voix en leur faveur, et les soit-disant libéraux, les démo-
crates demander l'union de-s Canadas pour consommer plus vite
cette grande injustice.
Allsopp et l'opposition qui marchait avec lui se donnaient
pour des hommes de principes fort avancés; et lord Durtiamqui.
recommanda l'union passait pour le chef des radicaux anglais.
Les Canadiens, comme fous les peuples, ne méprisaient pas
cette lihcrié pour laquelle leurs voisins avaient pris les armes.
I^ sensation que cet événement avait faite parmi eux, comme
on l'a vu, avait été profonde ; mais bientôt la raison avait tempéré
leur enthousiasme, et le calcul les avait fait rentrer dans le repos.
Une liberté qui doit vous anéantir est plus triste qu'une monar-
chie qui doit vous laisser subsister.
La conduite des Canadiens en cette occasion n'est Ëiutive que
parce qu'ils ajoutèrent trop de foi aux paroles de la métropole.
HISTOIRE DU CANADA. 47
Il n'y a aucun fondement à faire sur un gouvernement basé
sur la volonté populaire. Les Canadiens le sentent aujourd'hui,
et ils le sentiront encore davantage plus tard ; et ce qui sera plus
douloureux pour eux, c'est qu'ils verront sans pouvoir les empêcher,
ni peut-être même les condamner, leurs anciens chefs, qui risquaient
Umt pour leur assurer la liberté, entraînés dans le tourbillon,
travaiUer malgré eux à l'accomplissement d'une destinée qui doit
les anéantir.*
Les peuples peu nombreux comme les Canadiens, ne pouvant
commander cette destinée, sont obligés de se soumettre à beaucoup
de précautions et à beaucoup de prudence ; et c'est pour cela
qu'on ne peut blâmer la conduite de nos compatriotes qui tenaient
pour l'Angleterre pendant la révolution américaine.
Cependant l'administration d'Haldimand, devenant de plus en
plus tyrannique, avait fini par rendre ce gouverneur odieux à tous
les habitans. Un despotisme sourd, contre lequel les événemens
qui se passaient dans les provinces voisines empêchaient de récla-
mer, s'étendait «ur les villes etsur les campagnes. Le gouvernement
s'enveloppait dans le mystère ; un voile épais couvrait tous ses
actes, et le rendait redoutable à ceux qui en voyaient les efiets sans
en deviner les motifs.
Le secret des correspondances privées était violé. Plusieurs
fois l'officier qui faisait les fonctions de maître-général des postes,
trouva les malles qui venaient d'arriver d'Angleterre, ouvertes
chez le gouverneur, et les lettres répandues par terre.f U était
entretenu dans ses méfiances et ses soupçons par la plupart des
seigneurs canadiens, membres du conseil, qui craignaient la pro-
pagande américaine pour leurs privilèges et leur nationalité, et qui
Bavaient, du reste, que c'était en flattant les craintes du pouvoir
qu'ils obtiendraient plus vite sa sympathie et sa protection contre
• Quant à leur langue, à leur nationalité, cette assertion nVst pas imagi-
naire. Nous avons reçu nous même plusieurs lettres officielles de M.
Morin, l'un des chefs de Tinsurrection de 1837, et actuellement secrétaire
provincial, et elles étaient toutes écrites en anglais.
t Lettre de H. Finlay à Anthony Todd, secrétaire du bureau général des
postes À Londres : " It has an appearance as if tbe govemor of Nova-Scotia
aad our govemor hère were yei permitted to take up and open the mails
from England."— Ist December, 1783,
48 HISTOmE DU CANADA.
toutes IcB espèces de novateurs. Tous les jours des citoyens
impnideriB étaient jelÉs en prison avec grand bruit pour effrayer
le public ; d'autres plus dangereux disparaissaient Becrèlement,
et ce n'èiait que longtemps après que leurs parena ou leurs amis
apprenaient dans quel cachot ils étaient renfermés. Le soupçon
démenées avec les rebelles des autres colonies, et la désobéis-
sance à la loi de milice fournissaient les deux principaux pré-
textes de ces nombreuses arrestations, qui frappaient surtout les
Canadiens, soit que les Anglais, dont le plus grand nombre avait
penché pour la révolution en 75, se fussent ravisés et diseimu-
lasseat mieux leurs sentimens, soit que le gouverneur qui leur
était étranger, redoutât leur induenco et la sympathie de l'Angle-
terre en leur faveur. Ce proconsul rusé ne sévissait contre eux
qu'avec la plus grande réserve. Cette tyrannie d'autant plus
lourde qu'elle s'exerçait au sein d'une population faible en
nombre, descendit du chef du pouvoir aux tribunaux, dont les
juges qu'elle corrompait dépendaient du bon plaisir de la cou-
ronne. Les accusés étaient atteints non seulement dans leur
liberté personnelle, mais aussi dans leur fortune ; et plusieurs
furent ruinés par des dénis de justice ou par des jugeraens
iniques rendus sans scrupule par les juges en violation manifeste
de toutes les lois et de toutes les formalités de la justice. Plu-
sieurs riches citoyens de Québec et de Montréal furent dépouil-
lés de leurs biens par ce système de persécution, qui s'appesan-
tissaient d'autant plus que les armes des royalistes éprouvaient de
défaites dans les provinces insurgées. Sans aucune forme de
procès, les soldats arrêtaient les citoyens, les uns sous accusation
de haute traiiison,les autres d'offenses moins gravesjd'autres enfin
sans cause connue. On commença par les personnes d'une
moindre importance et on remontai celles des premiers rangs
de la société, par leur naissance ou par leur fortune. Ainsi
M. M. Joutacd, Cazeau, Hay, Carignan, Du Fort, négocii
La Terrière, directeur des Forges de Sl.-Maurice, Pelliot
«ne foule d'autres notables furent détenus à bord des viusseaux
de guerre à Québec, ou jetés dans les cachots sans qu'on
leur fit connaître le crime dont ils étaient accusés. On arrêta
aussi un étranger qui fut renfermé mystérieusement dans la par-
tie la plus élevée de la prison. Le bruit public le repréeenlùt
HISTOIRE DU CANADA. 49
comme un de ces gentilshommes français qui depuis que Lafay-
ette était en Amérique, faisaient, disait-on, des apparitions
secrètes en Canada, pour y remplir des missions politiques, qui
sont restées cependant un mystère jusqu'à ce jour. La senti-
nelle avait ordre de faire feu sur cet inconnu s'il s'exposait aux
regards du peuple à travers les barreaux de sa prison. Les pri«
sons ne pouvant bientôt plus suffire, le couvent des RécoUets fut
ouvert pour recevoir les nouveaux suspects. Un nommé André
y fut détenu dix-huit mois au pain, à l'eau et sans feu, sans que
son épouse sût ce qu'il était devenu. Les prisonniers avaient
beau demander qu'on leur fitjeur procès ou qu'on leur accordât
leur liberté, on restait sourd à leurs prières ; et lorsque le gouver-
nement avait reconnu leur innocence, croyait les avoir assez punis
ou ne craignait plus leurs idées, il les faisait renvoyer en gardant
le même silence et sans leur accorder aucune satisfaction. Les
idées libérales de Du Calvet, ancien magistrat, l'avait fait soupçon-
ner depuis longtemps d'intrigues avec les Américains, auxquels
il avait fait des fournitures pendant leur occupation de Monti'éal
«t avec lesquels il paraissait continuer une correspondance secrète :
il fut arrêté tout-à-coup chez lui, le 27 septembre 80, par un
parti de soldats qui prit ses papiers et son argent et le conduisit à
Québec, où il fut détenu d'abord dans un vaisseau de la rade,
ensuite dans un cachot militaire, puis enûn dans le couvent des
HécoUets. Des amis inûuens s'oHrirent comme garans de sa fidé-
lité 3 il proposa lui-même de mettre tous ses biens en séquestre i
il demanda qu'on lui fit son procès i on lui refusa tout. Après
deux ans et huit mois de détention, il fut remis en liberté sans
qu'on lui eût même dit quel était son crime.
La signature des préliminaires de la paix à Paris, motiva son
élargissement comme celui des autres. Les hostilités cessant, il
ne restait plus en effet de prétexte pour continuer ce système
d'intimidation et les prisons et les cachots durent rendre leurs
victimes.
Tandis que le général Haldimand gouvernait ainsi par l'inti-
midation et la terreur, et qu'il croyait peut-être sincèrement que
c'était le seul moyen de conserver le Canada à l'Angleterre, le
congrès tenait tête avec succès aux armées royales. La capitu-
lation de Saratoga avait eu un immense retentissement, non seu-
o
50 HISTOIRE DU CANADA.
leraent dans les Elala-UnÎB, mais en Europe, eurtout en France.
Les Anglais n'avaient que la prise de Philadelphie sans combat à
offrir pour balancer cet important succès, Franklin envoyé à
Paris, y fut accueilli par le ministère avec bienveillance, et par
le peuple avec une sorte d'enthousiasme, comme s'il avait eu un
secret pressentiment de l'avenir. Après beaucoup de conférences
avec les envoyés américains, et d'ad se p e gager Louis
XVI à rompre le traité de 63, le duc d Ch 1 ut nSn la joie
de voir signer, en 78, un traité d'allian t d m erce avec
la nouvelle république, qui fut ainsi p 1 première
nation d'Europe. La vieille haine Jp Ch ! Il t avoir enfin
son jour de vengeance, et comme par l 11 il t voir aussi
bientôt le vieux mais alors éminemment noble Chalham, son
ancien antagoniste, proclamer l'abaissement de l'Angleterre, et
sortir pour ainsi dire du tombeau pour protester publiquement
dans la chambre des lords contre l'humiliation de sa patrie.
L'Angleterre qui n'ignorait pas ce qui se passait de l'autre côté
de la Manche, voulant prévenir les desseins de sa rivale, avait
déjà donné des ordres pour attaquer les établisseraena français
des Indes ; mais lorsque le traité lui fut signifié, elle éprouva
comme un sentiment de crainte ; elle n'a jamais eu à faire face k
des coalitions acharnées et formidables comme In France sous
Louis XIV et bous Napoléon. Protégée dans son île par les
flots de l'Océan, elle n'intervient dans les grandes guerres de l'Eu-
rope que comme, puissance auxiliaire. En Amérique au con-
traire, elle était engagée comme par^c principale, tandis que la
France à son tour n'allait figurer que comme alliée, et comme
telle n'allait trouver que des combats et des triomphes compara-
tivement faciles, et en cas d'échecs, des revers peu dangereux.
Lord North déposant la fierté de son pays, présenta et fit passer
deux bills tendant à opérer une réconciliation sincère avec les
colons. Par ces actes, l'Angleterre renonçait au droit de les
taxer, et autorisait le ministère à envoyer des commissaires en
Amérique pour traiter avec le congrès ; elle passa encore des
lois en faveur du commerce et de la religion catholique en Irlande.
La peur enfin la rendait juste. Le duc de Richmond, ayant pré-
senté une motion dans la ch:imbre des lords pour reconnaître
l'indépendance des Etats-Unis et renvoyer les ministres, lord
HiSTOtRfi DU CANADA. 51
Chatham, quoique malade, s'y rendit pour s'opposer à cette pro-
position. S'étant levé, non sans peine: '' Aujourd'hui, dit-il, j ai
vaincu la maladie, je suis venu encore une fois dans cette chambre,
la dernière fois peut-être ; mais j'avais besoin d'épancher de mon
cœur l'indignation que j'éprouve lorsque j'entends faire l'humi-
liante proposition d'abandonner la souveraineté de l'Amérique."
Il commença son discours d'une voix faible et embarrassée ; mais
à mesure qu'il parlait, sa voix prenait de l'éclat et de la force. Il
entra dans le détail des événemens, s'étendit sur les mesures
auxquelles il s'était opposé et sur le résultat funeste qu'elles
avaient eu. Je l'avais prédit ce résultat, ajoutait-il, après chacun
des faits récapitulés, je l'avais prédit, et par malheur il est arrivé."
<' Je me trouve heureux, milords, que la tombe ne se soit pas
encore ouverte sur moi, et qu'il me reste assez de force pour
ro'élever contre le démembrement de cette antique et noble
monarchie. Accablé comme je le suis sous le poids des infir-
mités, je ne puis guère servir mon pays dans ces momens de
danger ; mais tant que j'aurai l'usage de ma raison, je ne con-
sentirai jamais à ce que la noble race de Brunswick soit dépouil-
lée d'aucune portion de son héritage ; je ne souffrirai pas que la
nation se déshonore par l'ignominieux sacrifice de ses droits."
Ce dernier efibrt acheva d'épuiser les forces du grand orateur,
qui expira peu de temps après, et ne vit point la séparation qu'il
redoutait comme le plus grand malheur qui pût arriver à son pays.
La motion du duc de Richmond fut perdue.
La passation des deux actes de conciliation, l'envoi de commis-
saires en Amérique, tout fut inutile. La guerre continua avec
plus de vigueur que jamais. L'armée royale fut obligée d'évacuer
Philadelphie à peu près au moment où le comte d'Ëstaing arri-
vait sur les côtes de la Nouvelle- York avec une escadre française,
et adressait aux Canadiens la lettre dont nous avons parlé ailleurs,
pour les engager à embrasser la cause de la révolution.
Les succès de la campagne de 78 furent partagés ; mais les
dévastations des troupes royales confirmèrent davantage s'il était
possible, les Américains dans leur résolution de ne jamais se sou-
mettre à la Grande-Bretagne. Les opérations militairesde l'année
suivante sans être décisives diminuèrent encore les espérances
de l'Angleterre, qui voyait les dangers s'accroître de plus en plus
^
52 HISTOIRE DU "canada.
autour d'elle ; l'Irlande s'armait et menaçait aussi de se révolter ;
l'Espagne, entraînée par la France, se déclarait pour les Etats-
Unis ; ses flottes luttaient avec peine contre celles de France, qui
lui prenaient les îles de Saint.- Vincent et de la Grenade ; enfin
comme on l'a dit ses progrès restaient nuls dans les colonies
révoltées, où elle ne pouvait entrer dans une province sans en
perdre une autre, et où chacun de ses succès était balancé par
une défaite. Pour la décourager encore, elle eut vers ce temps-ci
la mortification de voir périr ses plus anciens alliés, les fameuses
tribus iroquoises, qui malgré l'avis que le général républicain
Gates leur avait donné à Albany de rester neutres, avaient eu
l'imprudence de se laisser entraîner à la guerre par leur surinten-
dant, le colonel Guy Johnson, et de se déclarer contre les Amé-
ricains. Battues et chassées de leur pays par le général Sullivan, ,
qui marcha contre leurs contons à la tète de 5,000 hommes, ces
tribus ne se relevèrent point de ce désastre. Elles occupaient
encore leur ancien territoire au sud du lac Ontario ; mais elles
étaient fort déchues de leur ancienne puissance. Le général
Sullivan réduisit leurs villages en cendre, détruisit leurs moissons,
ravagea leurs jardins dont il coupa les arbres, et fit un vaste désert
de la contrée. Les restes de ces guerriers jadis si redoutables et si
orgueilleux, passèrent au nord des grands lacs, suivis de leurs
femmes et de leurs enfans, et s'établirent sur un territoire que
leur donna le gouvernement britannique, où ils disputent aujour-
d'hui des lambeaux de forêts à la civilisation qui les déborde
partout. Réduits à un petit nombre, loin de la terre de leurs
pères, ces Indiens qui faisaient trembler l'Amérique septen-
trionale il y a un siècle et demi, se débattent aujourd'hui inu-
tilement contre le sort qui les attend ; affaiblis, dépouillés, ils
cherchent en vain à prolonger une agonie, à reculer la fin d'une
existence que la civilisation seule pouvait faire durer encore.
Cependant l'arrivé des 6000 auxiliaires du comte de Rocham-
beau, la coopération plus active des flottes française et espagnole,
l'adjonction de la Hollande à laquelle l'Angleterre venait de
déclarer la guerre, allaient décider la question de l'indépen-
dance américaine. La Grande-Bretagne n'éprouvait plus main-
tenant que des dé aites. Ses troupes, après avoir été battues à
Cowpens; Guildford; Eutawsprings et Williamsburg, du c6té de
HISTOIRE DU CANADA. 53
la Virginie et des Carolines, par les corps des généraux Morgan,
Green et Lafayette, furent acculées à Yorktown par l'armée de
Washington et le corps français de St.-Simon, et obligées de
mettre bas les armes au nombre de six mille hommes de troupes
réglées et de quinze cents matelots. Cette victoire assura défi-
nitivement l'indépendance des Etats-Unis. C'était la deuxième
armée anglaise qui était faite prisonnière dans cette guerre ; c'était
une chose inouïe dans les annales militaires mo Jernes. Le géné-
ral Cornwallis, qui commandait les Anglais, ne voulait rendre
son épée qu'à Rochambeau et Lafayette ; mais ceux-ci décla-
rèrent qu'ils ne pouvaient la recevoir, attendu qu'ils n'étaient là
que comme auxiliaires.
L'Angleterre fut accablée par la nouvelle de la capitulation de
Yorktown et fléchit sous les coups de l'orage. La chambre des
communes qui avait promis au roi trois mois auparavant de Taider
à soutenir énergiquement la guerre, lui présenta une adresse
presqu'à l'ui animité pour le prier de faire la paix, passant en
même temps une résolution que quiconque conseillerait de con-
tinuer les hostilités, fût déclaré ennemi du pays et de son souve-
rain. Ces votes amenèrent la dissolution du cabinet de lord
North, annoncée par lui-même à la chambre le 15 mars 82, et le
marquis de Rockingham, malgré le> répugnances du roi, fut
chargé de former une nouvelle administration dans laquelle entra
Fox.
Ce fut le général Carleton, ancien gouverneur du Canada, qui
venant prendre le commandement de l'armée anglaise du nord,
en remplacement du général Clinton, apporta à Québec la nou-
velle des résolutions de l'Angleterre. Les négociations avaient
commencé à Paris, sous la médiation de l'empereur d'Alle-
magne, et le 3 septembre 83, avait été signé le traité mémo-
rable, par lequel l'Angleterre reconnaissait l'indépendance des
Etats-Unis, et l'Europe, la première nation libre du Nouveau-
Monde. Tout ce qui, après la conquête du Canada, avait été
détaché de ce pays aussi impolitiquement qu'injustement, pour
agrandir les provinces voisines, fut réclamé par les Américains;
et le ministère britannique, qui n'avait rien de plausible à oppo-
ser à leurs prétentions, se vit contraint d'y accéder. Par ce nou-
vel abandon, les villea de Québec et de Montréal ne eetrou-
SV CANADA.
vèrent plus qn^à quelques lieues des frontières et le Canada per-
dit avec les portes ahiÙA bux Etatâ-Unia, une grande partie du
commerce proSrable qu'il Taisait avec les tribus sauvages de
i dec
outrées éloi-
d'être Fran-
nombre des
le lac Champlain
lenlé, entrecoupe de
de ta moitié des C:
gnées devinrent Américains sans nénnmoi
çais ; le Détroit, leur chef-lieu, dut être
villes britanniques.
Par cette délimitation, le Canada perdit
et les montagnes qui l'avoisinent, pays tou
lacs, de rivières, de défilés, d'obstacles enfin qui en font
excellente frontière défensive, où pendant cinq ans les eflbrta
des armées anglaises quatre et cini fois plus nombreuses que
celles de leurs adversaires, étaient venus se briser dans la guerre
de Sept ans; c'était là encore qu'on avait rencontré les difficul-
tés qui venaient d'être la cause première des désastres de Bur-
goyne. Le troitè de Paris en portant la frontière du Canada au
pied du lac Champlain, amenait les armées américaines à l'en-
imenso et riche plaine de Montréal, qui a plus de
d'étendue en tous sens, qui est située au milieu
possède à peine une position défensive naturelle
jtre rive du fleuve. Il renversa les barrières qui
côlé l'acc&a du pays, et laisse Montréal exposée
aux coups des Américains, surtout depuis la disparition des forèta
qui l'ont protégée partiellement jusqu'en 1812. Mais la Grande-
Bretagne no faisait là qu'éprouver l'un des effets du mal qu'elle
avait voulu infligerauxCanadiens en annexant une grande partie
de leur territoire à ses anciennes colonies, après le traité de 63.
Toutefois ia paix procura dans le temps deux avantages au
Canada : elle mit fin au système militaire qui y esiatail, et accé-
léra l'établissement d'un gouvernement représentatif. En atten-
dant, les prisons rendirent les nombreuses victimes que les
soupçons y avaient fait jeter sans choix et sans discernement ; et
c'est sur l'ordre du ministre, par suite probablement des pétitions
canadiennes de l'année précédente, dont l'on parlera toute à
l'heure, que la loi de l'habeas- corpus fut introduite, comme oa
l'a vu plus haut, après de longs débala, par une ordonnance du
conseil législatif, la dernière que le général Haldimand signa, avant
de remettre les rêoes du gouvernement i son succeseeur, en 8&.
trée de cette
quarante lieui
du pays, et q
fermaient de
HISTOIRE DU CANADA. 55
Ce gouverneur qui ne manquait pas de sen^bilîté, qui souffrait
de l'isolement où l'avaient jeté au milieu de la populaiion, sa
grande sévérité et un esprit 'soupçonneux et vindicatif, ce gou-
verneur haï de tout le monde, demandait son rappel depuis deux
ans. << Quoiqu'on nous l'eût peint, dit madame la baronne de
Riedesel, comme un homme d'un caractère intraitable, nous noua
conduisîmes à son égard avec sincérité et franchise ; ce qui lui
fit d'autant plus de plaisir qu'il rencontrait rarement des person-
nes qui tinsent cette conduite envers lui." En effet il serait
injuste de faire peser toute la responsabilité de ses rigueurs sur
lui seul. L'on doit reconnaître au travers des préjugés et des
préventions qui l'obsédaient ses intentions bienveillantes pour la
conservation des Canadiens. L'on doit surtout lui rendre cette
justice que c'est à ses suggestions que les vues de la métropole se
modifièrent à leur égard quoique le résultat de la révolution
américaine y eut sans doute la plus grande part. C'est lui aussi
qui recommanda, contre les directions du ministère de lord North^
de leur réserver les terres situées entre le St.-Laurent et les
frontières des Etats-Unis, et qui fit agréer ce plan par lord
Sydney en 84. L'erreur d'Haldimand était d'exagérer outre
mesure l'esprit de l'ancien système français dans la manière
d'administrer le gouvernement, car le pouvoir absolu a besoin de
plus de talent pour être manié d'une manière judicieuse, que le
pouvoir balancé. Aujourd'hui que les jours de la lourde tyrannie
d'Haldimand sont loin de nous, que l'on connaît mieux le fond de
sa pensée, peu de personnes probablement refuseront de lui par-
donner ses allures brusques et despotiques en faveur des mesures
qu'il fit adopter pour nous conserver une partie du sol découvert
et livré à la main de la civilisation par nos ancêtres.
Ses désagrémens ne finirent pas avec son administration, qui
avait duré six ans. Plusieurs de ceux qu'il avait fait arrêter en
Canada le suivirent en Angleterre, surtout Du Calvet, et le traî-
nèrent devant les tribunaux. A peine Du Calvet était-il sorti
des cachots de Québec, qu'il s'était embarqué pour Londres pour
demander justice au roi. Dans une audience qu'il eût des
ministres, il exigea le rappel d'Haldimand, afin de pouvoir l'ac-
cuser devant les tribunaux anglais: ce qui aurait été un grand
scandale. On lui fit d'abord des réponses évasives, et ensuite on
56 HISTOIRE DU CANADA.
ne l'écouta plus. Du Calvet aussi énergique qu'infatigable, publia
un volume de lettres adressées au roi, au prince de Gales, aux
ministres, aux Canadiens, qu'il intitula, " Appel à la Justice de
l'Etat," et qu'il fit répandre en Angleterre et en Canada avec
profusion. Ces lettres pleines d'emphase et écrites dans un style
souvent incorrect et emporté, portent cependant l'indice d'un
esprit fier et indépendant, étranger à la crainte comme à l'inti-
midation. Il y mêle habilement sa cause avec celle du pays, et
dit des vérités au gouvernement qu'aucun autre homme n'aurait
osé proférer même tout bas. Dans ses élans de rude éloquence,
il lui échappe des exclamations pleines d'orgueil national et d'une
noble indignation : " Qu'il est triste d'être vaincu, s'écrie-t-il !
S'il n'en coûtait encore que le sang qui arrose les champs de
bataille, la plaie serait bien profonde, bien douloureuse, elle sai-
gnerait bien des années, mais le temps la fermerait. Mais être
condamné à sentir continuellement la main d'un vainqueur qui
s'appesantit sur vous ; mais être esclave à perpétuité du souve-
rain constitutionnel du peuple le plus libre de la terre, c'en est
trop. Serait-ce que noire lâcheté à disputer la victore, en nous
dégradant dans l'esprit de nos conquérans, aurait mérité leur
colère et leur mépris 1 Mais ce furent les divisions de nos géné-
raux qui les firent battre ; mais nous, nous primes leur revanche,
et nous lavâmes l'année d'après, le 28 avril 1760, la honte de
leur défaite sur le même champ de bataille !"
C'est ainsi encnjre qu'après avoir fait un tableau livide de la
tyrannie sous laquelle gémissait le pays, il continue: " Bataille,
première bataille de Québec, nous frapperez vous toujours? Oh !
illustre Bouille," contrastant la conduite de ce général envers les
habitans des îles anglaises prises dans le golfe du Mexique, avec
celle du gouverneur anglais du Canada, " Oh ! illustre marquis
de Bouille, est-ce ainsi que votre grande âme a perverti le fruit
de la victoire ] Les vaincus sous vos mains n'ont-ils pas été les
enfans chéris 1 Leur reconnaissance n'éclatte-t-elle pas aujour-
d'hui pour exalter la grandeur de votre générosité et de votre
clémence ? l'Angleterre ne se fait-elle pas une gloire de les imi-
ter? Ah! je reconnais à ces traits le génie noble de la nation
anglaise : elle donne ici la plus belle idée de sa vertu, en rendant
hommage à celle du grand homme qui n'a été vainqueur que
HISTOIRE DU CANADA. 57
pour être bienfaiteur. Le Canada n'aura-t-il jamais lei mêmes
remercîmens à lui faire pour sa protection et ses bienfaits, au
nom du moins de ces Français qui viennent de faire envers des
Anglais un si noble usage de la victoire î"
Après avoir exposé les persécutions auxquelles il avait été en
butte, la corruption des juges, qui pendant son emprisonnement
lui avaient fait perdre une grande partie de sa fortune, en le privant,
par des dénis flagratis de justice, des moyens ordinaires de défense,
et en se laissant intimider par la présence du gouverneur lui-
même, qui, contre son usage, était venu s'asseoir sur le tribunal,
dans un procès où il s'agissait pour Du Calvet de six-mille louis,
somme considérable pour le pays, et qu'il lui avait fait perdre par
son vole ; enfin après avoir annoncé qu'un grand nombre de ses
compatriotes étaient soumis aux mêmes persécutions, il faisait le
tableau passionné des vices du gouvernement, du despotisme des
gouverneurs, de la servilité et de l'adulation des fonctionnaires,
des malversations dont ils se rendaient coupables pour satisfaire
la volonté du pouvoir ou les intérêts de leurs coteries ; des vio-
lations continuelles de l'acte de 74, de la négation aux habitans
de leurs anciennes lois, et terminait par réclamer l'établissement
d'un gouvernement constitutionnel, dont il posait ainsi les bases :
1. Conservation des lois civiles françaises.
2. Loi d'habeas-corpus.
3. Jugement par jury.
4. Inamovibilité des conseillers législatifs, des juges et même
des simples gens de loi, durant bonne conduite.
5. Gouverneur justiciable des lois de la. province.
6. Etablissement d'une chambre d'assemblée élective.
7. Nomination de six membres pour représenter le Canada
dans le parlement impérial, trois pour le district de Québec, et
trois pour le district de Montréal.
8. Liberté de conscience ; personne ne devant être disqualifié
pour cause de religion.
9. Béforme de la judicature par le rétablissement du conseil
supérieur.
10. Etablissement militaire ; création d'un régiment canadien
à deux bataillons.
11. Liberté de la presse.
H
58
HISTOIRE DU CAKADA.
13. Inâlilution des coUègea pour l'éducation de la jeunesse ;
application des biens des Jéeuitea à cet objet cnnrarmémenl à
leur destination primitive ; établissement dea écoles publiques de
paroisse.
13. Naturalisation des Canadiena dans toule l'étendue de l'em-
pire britannique-
Cette conslitulion plus complète que celle qui nous lut donnée
en 91, indique la perspicacité et la prévoyance de l'auteur. Il
allait même plus loin que les partisans de la responsabiliié minis-
térielle aujourd'hui. En proposant de rendre le gouverneur lui-
même responsable à la colonie, il otait à la métropole un pouvoir
dangereux. Ce n'est que de nos jours que les jugea sont deve-
nus inamovibles, du moins de nom s'ils ne le sont pas défait;
ce n'est que d'hier que nnus avons des écoles de paroisses qui
chancellent encore sur leur base.
Quant à la représentation des colonies dans le parlement impé-
rial, ce changement tel que proposé n'aurait pas donné dans le
commencement assez de membres aux colonies pour influencer
va ministère impérial mal disposé, et il aurait introduit un prin-
cipe fédératif dans la constitution britannique dont les suites, en
supposant que les colonies restassent toujours attachées à l'An-
gleterre, pouvaient être incalculables, car si le principe d'esploilo-
lion disparaissait à mesure que la population des coloniei) aug-
mentait, l'influence prépondérante de la mére-patrie dimi-
nuait dans la même proportion ; et l'exemple de Rome donnant le
droit de citoyenneté à tous les Italiens, auquel Montesquieu
attribue sa ruine plus lard, n'est pas fait pour encourager une
métropole moderne à embrasser ce système, à moins que les
colonies trop faibles ne présentent rien de redoutable pour l'avenir.
Le livre de Du Calvet qui parut à Londres en 17S4, gagna à la
cause constitutionnelle du Canada un grand nombre d'adeptes en
Angleterre, et contribua beaucoup à nous faire accorder un gou-
vernement électif.*
* Du Calvet était eu France ea 1T83. Il vit Franklin, niuliaEsadciir d
Paris, peur réclamer le paieraent des fournilurca que lui dcvuil le congrès,
n lui dit que son emprigoonecnent en Canada avait altéié sa santé et qu'il
était trop vieux pour passer lui-mËme aux Etats-Unis. Fronklia transmit
ses papiers au congrès: Tbe works of Benjamin Franklin, vol. X. Lettre
île Franklin au président du congrès, — Pasïy, 1er novembre 1783,
HISTOIRE DU CANADA. 59
Le général Haldimand laissa en partant les rênes du gouver-
nement entre les mains du lieutenant gouverneur Hamilton, l'un
des membres modérés du conseil législatif, lequel les remit à son
tour l'année suivante, au colonel depuis le général Hope, qui y
commmandait déjà l'arméO; et qui les tint jusqu'au mois d'octobrOi
qu'arriva la général Carleton, élevé à la pairie sous le nom de
lord Dorchester. Dorchester reprit le pouvoir en qualité de
gouverneur-général des possesâons qui restaient encore axa.
Anglais dans l'Amérique du Nord. Il trouva le pays très agité
sur la question de la constitution. Le conseil législatif était tombé
dans le discrédit le plus complet et son asservissement augmentait
tous les jours le nombre de ses ennemis* Deux de ses membres,
qui avaient voulu montrer quelqu'indépendance, comme Finlay
qui avait contrarié quelqu'une des mesures de l'exécutif et voté
contre les corvées, étaient dans les plus grandes inquiétudes, et
cherchaient à regagner les bonnes grâces du gouverneur par les
plus humiliantes professions de repentir.* Allsopp en avait été
retranché ; enfin ce corps, dont cinq membres suffisaient pour
passer une loi, avait perdu depuis longtemps toute considération*
La paix n'avait pas été plutôt conclue, que le parlement impé-
rial s'était vu inondé de pétitions du Canada. Les premières
qui étaient de 83, et qui furent signées par les nouveaux et les
anciens habitans, c'est-à-dire par les Canadiens et les émigrans
anglais, furent portées en Angleterre par trois députés, MM.
Adhémar, Poweli et Delisle ; elles demandaient d'une manière
générale la jouissance des droits et des privilèges que donne la
qualité de sujets britanniques, mais le principal but d'une partie
des signataires était à ce qu'il paraît d'obtenir surtout l'introduc-
tion de la loi de l'habea^-corpus. On y demandait aussi pour
* Finlay était député-maître général des postes en Amérique depuis
1784.
** Let me once more repeat, disait-il| that Sir Guy Carleton shall hâve no
cause to be displeased with me : my duty is to be with government ; -it is
every honest man's business to assist the ruling powers, far more a well
meanîng Councillor" — Lettre de H. Finlay au gouverneur Skene, 8 août,
1786. " Letters which I wrote to Sir Guy Carleton, in which I stated my
conjecture tonching the cause of his displeasure and expressed my sorrow
for having unintentionally ofiended His Excellency." Lettre à M. Todd,
du bureau des postes à Londres.
GO UISTOntE DU CANADA,
^
parer à tous lea événemens, d'être admis sans dislinclion de race
ou de religion, bous quelque forme de gouverneineot qu'on put choi-
sir, à la participation des grâces, des droits, dea privilèges et préro-
gatives dont joniaaaicnt lex Anglais dans toutes les parties du globe.
Cea termes ayant élé interprélts par les constitutionnels d'une
manière plus générale, le corps législatifvoululprolesler en 17&1,
contre l'introduction d'une chambre élective, et M. de St>-Luc
proposa une adresse au roi pour remercier sa Majesté de la pro-
tection qu'elle avait bien voulu accorder au paya pendant la révo-
lution américaine, et !a prier de maintenir l'acte de 71. * M.
Grant s'opposa aussitôt à cette motion, et proposa un amendement
longuement motivé, dont l'objet était de faire nommer un comité
pour dresser une pétition en faveur du principe électif; mais
après discussion l'amendemont ne se trouva jHÛnt du gobt de loua
les Anglais: " Tout considéré, disait Fiulay, il est douteux s'il
serait avantageux pour nous d'avoir une chambre d'assemblée
dans les circonstances où se trouve le pays, puisque les anciena
sujets du rot, c'est à dire les Anglais, auraient peu de chance
d'être élus par les Canadiens." Après îles débats fort animés,
l'amendement do Grant fut écarté et l'adresse adoptée à la
majorité des deux tiers, le nombre des votans étant de 17. Les
membres de la minorité au nombre desquels étaient MM. Leves-
que et de Léry, motivèrent leur dissentiment par écrit. Le gref-
fier fut chargé d'aller déposer l'adreasB au pied du trône, et de
soutenir le maintien de la constitution existante. Un jésuite
nommé E^ubaiid, qui était à Québec, à ce qu'il parait, du temps
du gouverneur Murray, et qui vivait alors à Londres, se mit en
communication avec les comités an ti- constitutionnels canadiens,
et menaça quelques fonctionnaires du ressentiment de Carlelon.
Ce personnage qui avait l'oreille des ministres ou de leurs affidés,
put modérer un peu leur ardeur. Au reste, l'adresse trouva le
ministère bien disposé à accueillir ses conclusions, chose fort natu-
relle, car le gouverneur et la majorité du conseil n'avaient rien
fait sans doute dans cette importante alFaire sans avoir pressenti
les sentimens do l'Angleterre et obtenu d'avance l'assentinient
formel ou tacite du bureau colonial. Le fait est que les ministres
étaient d'avis que le temps d'accorder une conalilulion reprèsen-
UISTOIRS DU CANADA. 61
tative n'était pas encore arrivé. Lord Sydney répondit au
gouverneur en acquiesçant à l'introduction de la loi de l'habeas-
corpus, qu'il était convaincu que toute autre restriction du pouvoir
exécutif dans l'état où se trouvait le pays, serait extrêmement
préjudiciable à ses intérêts ; et que la demande d'une chambre
d'assemblée, de l'institution du jury, de l'indépendance des juges,
avait été faite par des hommes mal-intentionnés, dont l'attache-
ment à l'Angleterre lui paraissait très suspect.
Malgré ces observations, l'on ne cessa point de discuter en
Canada la question de la forme gouvernementale. Des assemblées
publiques eurent lieu dans l'été de 84, à Québec et à Montréal ;
des comités furent nommés et de nouvelles pétitions plus expli-
cites que les premières, portant près de 2400 signatures, furent
encore adressées à Londres. L'on demandait cette fois en
termes respectueux mais formels, une chambre élective, un con-
seil législatif non rétribué, l'introduction des lois anglaises dans
les contrées mtuées en dehors des districts de Montréal et de
Québec, les deux seuls alors existans, et le procès par jury dans
les causes civiles. Ces demandes soulevèrent une opposition
formidable ; et des contrepétitions signées par près de 4000 per-
sonnes, s'acheminèrent aussitôt vers l'Angleterre, où elles étouf-
fèrent celles qui venaient de les précéder. L'on voit par ces
oppositions que déjà une partie considérable des Canadiens se
prononçait pour un gouvernement libre, tandis que l'autre per-<
sistant dans ses anciennes opinions, se déclarait formellement
contre. La demande d'une chambre élective fut renouvelée en
85. Les marchands de Londres en relation d'affaires avec le
Canada, présentèrent à son appui un mémoire au ministère, qui
allait beaucoup plus loin que le vœu manifesté par les Canadiens
libéraux, lorsqu'il disait que la généralité des habitans de la colo-
nie, tant anciens que nouveaux, désirait être gouvernée par les
lois anglaises faites et administrées suivant la constitution britan-
nique. Dans cette lutte de partis, dans ces demandes opposées,
les renseignemens privés qui parvenaient à Londres, ne faisaient
souvent qu'augmenter l'embarras des ministres. Ainsi l'un des
plus modérés des anglificateurs écrivait, qu'il serait presqu'im-
possible de trouver des hommes qualifiés pour représenter le
peuple danç une chambre d'assemblée; que les Canadiens ne
déEÏraient conserver que leur religion et leura lois de Eucceseinn,
et puis après avoir proche quelque temps en termes pleins de
douceur et de regret l'aBBervisseinent d'une race à l'autre, il finia-
sait par suggérer de faire représenter la partie anglaise de la
population dans la chambre des communes, mode préférable,
Uisait-il, en laissant connaître enfin tout le fond de sa pensée, à
une assemblée composée de Canadiens français! Le grand
motif de tous ces gens perçait toujours maljrré leurs précautions,
c'était de dominer et d'exploiter le pays à leur avantage parficu-
lier. Quant à la religion. M, Adhémar trouva les minisires tou-
jours opposés à l'introduction des prÉtres nés sous la domination
des Bourbons, et toujours bercés de l'idée de gouverner ou do
décrier l'i-giisc canadienne en choisissant des chefs propres à
réaliser aea vues. On parlait alors de lui donner le père Taylor,
dominicain, et la récollet Kilder, deux hommes déshonorés par
leurs débauches. M. Adhémar présenta un mémoire dans le
mois de mars 84 pour chercher à démontrer que les Cana-
diens pouvaient se choisir des prêtres sans qu'il en résultât rien
de dangereux pour l'état ; mais voyant agir tous les préjugés qui
animaient encore le peuple anglais contre tout ce qui était fran-
çais et catholique, il recommandait au clergé canadien de se
joindre au peuple pour demander un gouvernement représenta-
tif, ce qui fait que l'on vit en 92 M. Bedard, le supérieur du
séminaire, et M. Plessis, le curé de Québec, figurer comme
membres de l'assemblée constitutionnelle.
On avait résolu de faire faire de nouvelles enquêtes; lord
Dorchester était venu avec l'ordre de faire commencer une
grande investigation sur l'état du paya, livré depuis vingt sis ans
à trois diflérens systèmes de gouvernement, ou plulét à trois sys-
tèmes qui différant de nom, se ressemblaient par l'excès de tyran-
nie et de désordres qu'ils avaient amené à leur suite. Il convo-
qua le conseil législatif, qui fut divisé en divers comités chargés
de s'enquérir de l'administration de la justice, de la milice, des
chemins, del'agriculture,desterres, de la population, du commerce,
de la police, de l'éducation. Chaque comité reçut l'ordre de
faire rapport séparément sur la matière dont il était chargé,
après avoir fait les recherches et entendu les témoignages qu'il
jugerait nécessaires pour s'éclairer.
HISTOIRE DU CANADA. 63
Ces comités se mirent en frais de remplir leurs importantes
missions ; mais comme la majorité était composée de membres
anglais, les Canadiens n'espérèrent rien d'investigations conduites
par des hommes qu'ils savaient non moins hostiles à leurs lois
qu'à leur nationalité. Ils ne purent surtout maîtriser leurs
soupçons quand ils virent la manière avec laquelle se faisait le
choix des témoins. Ils ignoraient, du moins la masse du peuple,
que le gouverneur, le heutenant-gouverneur Hope, le président
du conseil, et les juges Mabane et Fraser fussent favorables au
maintien des anciennes lois, et que conséquemment le parti con-
traire, dirigé par le juge en chef Smith, se trouvait en minorité,
et ne pouvait suggérer avec beaucoup de poids les changemens
qu'il aurait voulu faire.
La doctrine de Smith, contraire à celle qu'avait soutenue
Masèrefi,* était que les lois anglaises avaient été introduites par
divers actes de l'Angleterre ou de ses agens, et que le statut de 74*
n'était pas suffisant pour les révoquer totalement ; qn'elles devaient
être suivies dans les litiges entre Anglais, comme les lois françai-
ses devaient l'être dans les litiges entre Canadiens ; et que lors-
qu'il s'en élevait entre Canadiens et Anglais, si la question avait
rapport à un immeuble, l'ancienne loi du pays devait être invo-
quée, et si elle avait rapport au commerce, l'on devait suivre la
loi anglaise.
Un pareil système était absurde ; mais il ne devait pas surpren-
dre de la part d'un juge assez passionné pour dire que ceux qui
soutenaient que l'acte de 74» enlevait aux Anglais l'avantage des
• Masères avait dit que la proclamation de 63 n'était pas suffisante pour
abroger les lois ; qu'il fallait un acte du parlement :
" If thèse arguments against the Kings being sîngly without the parlia-
ment, the legislator of this province are just, it vtrill foUow of course that ail
the ordinances hitherto passed in this province are null and void, as being
founded at best (for I shali endeavour to show that they hâve not even this
foundation) upon the King's single authority. And if so, then the great
ordinance of the 17th of Scptember, 1764, by which the French laws were
abolished, and the laws of England introduced in their stead, will be void
amoQgst the rest; and consequently the French laws must, by virtue of the
first mazimabove laid down, be deemed to be still legally in force." A plan
for settling the laws and the administration of justice in the Province of
Québec,
64' HlSTOmc DU CANADA.
lois britanniques, étaient des [lertiirbateiire du repos public, et que
l'ignorance et lea préjugés aveuglaient les Canadiens.
En revanche, le juge Mabane prétendait que les royalistes
américains que l'on aurait fait mieux de ne pas recevoir en
Canada, et les émigrés de la Grande-Bretagne, en venant s'établir
dans la colonie, avaient par cela même fait acte d'ailliésion volon-
taire au régime légal qui y subeislait, c'est-à-dire aux lois et aux
coutumes françaises, lesquelles étaient seules en vigueur, sauf le
code criminel. L'antagonisme qui régnait entre lea tribunaux
présidés par ces deux hommes, n'était que plus animé dans le
conseil, où l'opposition de leurs senlimens amenait des Jébata
fréquens, qui dégénéraient quelquefois en peraonnalitèa et en
menaces.
Le comité chargé de l'enquête sur l'administration de la jus-
tice, était présidé par Smitli, qui rédigea le rapport autant qu'il
put, dans le sens de ses idées, que M. de SL-Ours, autre membre
du conseil, qualifiait de zèle outré pour l'anglification. Ce rapport
fut soumis au gouverneur. Pendant la session, Smith Inlroduisit
un projet de loi conforme à l'esprit de ce document, mats qui fut
repoussé par tous les membres canadiens et par les membres
anglais mentionnés plus haut, comme tendant à sapper l'ancien
code civil contrairement à l'esprit de l'acte de 74 et aux motifa
qui l'avaient dicté. En effet par le projet, les lois anglaises
étaient indirectement substituées aux lois anciennes qui n'auraient
plus existé qu'exceptionnellement pour les Canadiens et leurs
deacendanâ, système impossible puisque chaque origine aurait
été soumise à des lois ditlërentea pour la même chose.
Le comité du commerce, d'après sa composition, ne devait
être et ne fut en effet que l'écho des marchands, qu'il consulta.
Ceux-ci s'assemblèrent à Québec et à Montréal pour s'entendre
sur leurs réponses. Ils ne bornèrent pas leurs observations au
négoce ; ils s'étendirent sur les lojs, sur la police, sur la forme du
gouvernement. Ils recommandèrent l'introduction des lois an-
glaises pour tout excepté la propriété immobilière et les succes-
sions, et le choix du jury dans toutes les causes réelles ou per-
sonnelles; ils déclarèrent, comme on l'avait déjà fwt quelques
années auparavant, que les tribunaux tels qu'ils étaient constitués,
n'avaient aucune jurisprudence uniforme ; que les uns suivaient
HISTOIRE DU CANADA. G5
ht loi française, les autres la loi anglaise ; ceux-ci la loi romaine,
ceux-là les règles de la simple équité, et que les juges et les
plaideurs invoquaient les unes ou les autres suivant leur intérêt,
leur sympathie ou leur caprice. C'étaient toujours les mêmes
plaintes. Ils finissaient par solliciter l'établissement d'une
chambre élective en se référant à leur pétition de 85.
Le comité rapporta que les marchands avaient traité la ques-
tion de l'état et des intérêts de la province avec une grande pro-
fondeur, une grande exactitude, une raison éclairée et concluait
par recommander leurs représentations à la considération très-
sérieuse du gouverneur.
Le CQinité des terres se prononça contre la tenure seigneuriale,
cause, suivant lui, du peu de progrès du pays sous le gouverne-
ment français, et suggéra pour la remplacer, le franc-aleu roturier,
ou plutôt le free and common soccage^ tenure franche anglaise,
avec le système de lois qui s'y rattache, afin de ne pas éloigner
les émigrans anglais de la colonie. Il ajouta aussi que les sei-
gneurs et les censitaires devaient avoir la faculté de commuer la
tenure de leurs terres, et que l'on devait introduire la loi de pri-
mogéniture pour obliger, en les déshéritant, les cadets de famille
à aller s'étabUr sur de nouveaux domaines.
Le comité oubliait qu'en autorisant l'introduction pure et simple
de la loi de primogéniture et la permission inconditionnelle aux
seigneurs de commuer la tenure des terres qu'ils n'avaient pas
encore concédées, on aurait beaucoup empiré la situation des
cultivateurs ; que c'aurait été les mettre à la merci de ces mêmes
seigneurs, qui auraient pu exiger après la conversion, les prix
qu'ils auraient voulus, n'étant plus tenus de vendre aux premiers
demandans à des taux fixes comme sous le régime seigneurial.
Les travaux du comité d'éducation étaient peut-être plus
importans encore que ceux de tous les autres, pour l'avenir du
pays. Il n'existait en Canada aucun système général d'instruc-
tion publique. Il n'y avait à proprement parler d'écoles que dans
les villes. Les campagnes en étaient totalement dépourvues, à
moins qu'on ne veuille donner ce nom aux leçons de quelques
moines mendians dans leurs tournées rurales, ou à la réunion de
quelques enfans par quelques curés, amis des lettres, pour leur
Eure enseigner les premiers rudimens du langage.
60
m SI
Avant 59 lea JéEuiles Taisaient Taire un bon coiira d'étude dans
leur maison de Québec ; et c'est Ue leurs classes que sont sortis
lea Canadiens les plue célèbres des premiers temps de nos annales.
Mais cet établissement n'es! stait plus; et sans les séminaires, qui
changèrent en partie le but de leur institution pour vpnir en aiilc
à l'entretien des hautes connaissances, le flambeau de la science
ae serait probablement éteint parmi nous. Le séminaire de Su-
Sulpice de Montréal, aidé de la fabrique de celte ville, ouvrit une
école où il assista jusqu'à 300 enfans ; et il y avait encore dans
cette ville un collège assez fréquenté. Le séminaire de Québec
rendit alors, comme il fait encore aujourd'hui, des services émi-
nena aux lettres en remplaçant le collège des Jésuites. A i>art
ces diverses institutions, l'on comptait à peine quelques maîtres
particuliers dans les villes. L'édupation des filles fut moins
négligée, comme nous avons déjà eu occasion de le dire. Les
sœurs de la congrégation de Montréal et de Québec la répandaient
dans les villes et dans les campagnes, où elles se multipliaient.
Les religieuses des Ursulines et de l'Hâpilal-général enseignaient
à Québec et aux Trois-Rivières. Mais toutes ces institutions,
dues au dévouement et à la munificence ecclésiastique, ne pou-
vaient répondre tout au plus qu'aux besoins des cités. Le reste
du pays demeurait toujours dépourvu de moyen d'instruction ;
ce qu'on attribuait à la dispersion des habilans et à la rigueur
du climat.
Après avoir recueilli loua se^ matériaux, le comité présenta
son rapport, et suggéra d'établir sans délai :
1. Des écoles élémentaires dans toutes les paroisses.
2. Des écoles de comté, où l'on enseignerait l'arithmétique,
les langues, !a grammaire, la tenue des livres, le jaugeage, la
navigation, Parpentage et lef> branches pratiques des mathëma-
liques. *
3. EnGn une université pour l'enseignement des sciences et
des arts libéraux, formant une corporation composée des juges,
des évoques catholiques et protestans, et de seize ou vingt autres
citoyens notables, qui se renouvelleraient à la majorité des voix.
Le comité ajoutait qu'il fallait approprier au soutien de ce
grand système les biens des Jésuites, un legs d'une rente de
£1200 par année laissé par tm M. Boyle, pour propager la rdi-
UISTOUIE DU CANADA. 67
gion protestante dans les anciennes colonies anglaises, legs dont
l'indépendance de ces colonies rendait maintenant l'exécution
légalement impossible, et une portion des terres incultes de la
couronne, que lord Dorchester avait déjà fait mettre à part pour
cet objet.
Malgré leur importance, les recommandations du comité
restèrent sans résultat ; et une partie des terres qu'on avait des-
tinées au soutien des écoles fut accordée plus tard à des créa*
tures ou à des favoris du pouvoir.
L'ordre des Jésuites avait été aboli en France en 62. Le
gouvernement anglus crut devoir laisser s'éteindre ceux qu'il y
avait en Canada, en les empêchant de se renouveler et en s'em-
parant ensuite de leurs biens, 11 ne manqua point d'hommes
pour lui conseiller cette spoliation. £n France, les jugemens qui
avaient ordonné la suppression de l'ordre, avaient en même temps
décrété que les collèges, les séminaires et les autres biens appro-
priés à l'éducation, conserveraient leur destination primitive. £n
Canada, le gouvernement parut vouloir imiter le système suivi
en Angleterre dans le temps de la réformation, alors que les
collèges, les monastères, les riches abbayes devinrent la proie
d'une foule de courtisans et le prix des apostasies. Les biens
des Jésuites canadiens avaient allumé la cupidité de lord Amhersti
qui s'en était fait donner la promesse par le roi dans un moment
de libéralité inconsidérée. Le collège venait d'être fermé par
l'administration militaire, qui avsdt renvoyé les élèves en 64 pour
convertir les salles qui servaient aux classes en salles d'audience,
en magasins de vivres, et en prisons. En 76 on prit la plus
grande partie de l'édiûce pour le logèrent des troupes, laissant le
reste avec la chapelle aux Jésuites qui vivaient encore. Mais
lorsque les officiers de la couronne à Londres deipandèrent les
renseignemens nécessaires pour dresser les lettres patentes en
iaveur.de lord Amherst, il s'éleva des difficultés sur la nature,
détendue et le caractère de ces biens, qui parurent bientôt
insurmontables. Après beaucoup de recherches, le gouverne-
ment mieux renseigné sur la \'alidité du titre qu'il s'attribuait,
accorda une indemnité à la famille Amherst, et ût prendre pos-
session des biens au nom de la couronne pour l'éducation publi-
que. L'extinction des Jésuites en Canada présente ceci de
68 I1IST0I31Ë DU CANADA.
singulier, qa'elle n'a eu lieu en vertu d'aucune loi ni réBolution de
l'autorité suprême comme dans les autres pajia ; elle s'est
faite sur un simple ordre de i'exécutir aana automalion légielative,
ce qui est absolument insuffisant dans un paj's où la propriété est
placée sous la sauve-garde du droit commun.
Du reste le procureur et le solliciteur général, Monk et Wil-
liams, disaient en 88 que les Jésuites ne pouvaient avoir d'exis-
tence civile en Canada et qu'ils étaient d'opinion que leurs biens
allaient au roi.
Les rapports.des divers comiféa furent successivement présen-
tés à lord Dorchesier, qui les adressa aux minisires on Angleterre,
pour être ajoutés à l'irameniiité des pièces de [a même nature
que les investigations sur le Canada avaient déjà produites depuis
17t)0. Pour consommer la ruine des intitulions chez un peuple,
et canséqucmmcnt la ruine de ce peuple lui-même, pour Iranquil-
tiser en même temps la conscience publique sur un pareil atten-
tat, ii faut tant de sopbismes et «l'adresse, il faut tant de làlonne-
mens, de combats, pour amener cette conscience à regarder
comme juste et raisonnable ce qui ne l'est pas, que quoique
Mirabeau disait dans la convention française que chacun faisait
la sienne, on ne parvient à la pervertir qu'après de longs èbran-
lemens, de cuisans remords et de grandes luttes.
Toutes ces nouvelles investigations ne produisirent pas en appa-
rence, pour le moment, un grand eSet sur la marche des évéue-
mens ni ici ni en Angleterre. Néanmoins un projet de loi fut
introduit dans le conseil pour continuer l'ordonnance dn lieute-
nant-gouverneur Hamilton, relative au jury en matières civiles;
mais le juge-en-chef qui l'avait dressé, toujours entraîné par ses
préjugés, y avait introduit quelques clauses qui tendaient ft
détruire une partie des anciennea lois, et qui le firent rejeter. Un
autre bill fut introduit à la place par le parti qui avait opposé le
premier. Les marchands se déclarèrent contre à leur tour et
employèrent le ministère d'un avocat pour plaider leur cause
devant le conseil, lequel porta des accusations si graves contre les
juges, que ce conseil lui-même crut devoir présenter une adresse
au gouverneur pour le supplier de taire faire une enquête publi-
que et sévère sur l'administration de la justice- Cet avocat, qui
n'était rien autre que le procureur-général Monk lui-même.
HISTOIRE DU CANADA. 69
perdit sa charge à la suite de son plaidoyer d'autant plus auda-*
cieux qu'il renfermait des vérités dites en face. Il eut beau
déclarer ensuite qu'il n'avait parlé que comme simple procureur
des opposans, qu'il n'avait fait que remplir un devoir, on savait
qu'il avait pris plaisir à exprimer des sentimens qui lui étaient
propres, et on était bien aise de le punir sur le champ d'une
manière exemplaire. L'enquête dévoila tous les désordres qui
régnaient dans les tribunaux, et confirma ce qu'on a déjà dit,
savoir ; que la plupart des juges anglais décidaient suivant les
lois anglaises, les juges canadiens suivant les lois françaises ; que
quelques-uns ne suivant aucune loi, jugeaient d'après leurs idées
d'équité naturelle ou de convenance particulière, et que la cour
d'appel elle-même violant ouvertement les dispositions expresses
de l'acte de 74, qui rétablissaient les lois canadiennes, et s'appu-
yant sur les instructions royales données aux gouverneurs et qui
avaient une tendance contraire, ne paraissait point vouloir suivre^
d'autres lois que celles de la nouvelle métropole. Au reste ceux
que ces investigations avaient compromis, attribuèrent leur dis^
grâce aux délations et aux mensonges de leurs accusateurs, de
ces mêmes marchands, qui devaient, disaient-ils, plus de 100
mille louis pour des droits de douane qu'ils avaient voulu frauder,
et qu'ils les avaient condamnés à payer très justement au trésor.
Les juges de la cour des plaidoyers communs, Mabane, Panet et
Dunn, attribuèrent aussi leur situation au juge-en-chef Smith,
l'ennemi irréconciliable des lois françaises et des Canadiens, à ce
juge auquel le Canada devait un système pernicieux, l'exemple
aux fonctionnaires de semer sans cesse des germes de division
entre les colons et la métropole, afin d'avoir occasion de se
rendre nécessaires, c'est-à dire de faire planer le soupçon sur
la fidélité des autres, et de montrer eux-mêmes un zèle qui
élevât le prix de leurs services et les fit paraître seuls dignes
de confiance. Le rejet de son bill avait tellement irrité Smith
qu'à l'ouverture de l'enquête il porta les accusations les plus
graves contre les trois juges que l'on vient de nommer,
et qui crurent devoir les repousser dans une représentation
qu'ils adressèrent au gouverneur. Ils dirent qu'immédiatement
après la conquête les cours militaires avaient suivi les lois et les
usages du pays ; mais qu'après le traité de cession il avait été
70
MIStOmE DU CANADA.
déckré que la constitution et les lois anglaises seraient introduites
aussitôt que les circonstances le permettraient, et qu'en attendant
l'on suivrait les formalités de ce code comme mesure prépara-
toire à l'introduction des lois elles-mËmcs ; que cette ilédaration
avait créé une si grande a'armc parmi le peuple, qu'il avait fallu
passer prodqu'aussitât une ordonnance pour déclarer que les lois
cl les coutumes du Canada louchant ia tenure des terres et l'hé-
rédité, seraient mnintenaes, et pour donner aux juges dans les
autres affiiirea la faculté de décider d'après les régies de l'équité
commune ; que sur les représentations du général Murray, que
les instrucUous qu'il avait reçues ne pouvaient s'appliquer à un
pays déjà établi et gouverné par des luis fixes, et que les remon-
trances des grands jurés tous proleatans dont il parlait, étaient
conçues dans un esprit d'illihéralitc et de persécution intolérable
contre les catholiques., les ministres avaient désapprouvé la con-
duite de ces jurés, et permis au gouverneur de continuer le sy»-
tème que lui avait imposé les circonstances, o'eat-à-dire de main-
tenir les lois anciennes jusqu'à nouvel ordre; chose qui avait été
faile sana esciler de plainte jusqu'après la passation de l'acte 7-i ;
que cet acte déplaisait d'aulant plus aux protestana que depnia
dix ans ils étaient h ce titre môme seuls membres du conseil,
seuls juges, seuls magiatrala ; que la plus grande partie des
membres du comité pour la révocation de l'acte de 74, avaient
joint les rebelles des Eiats-Unia, ou abandonné Québec à leur
approche; que l'acte en question était le fruit de la politique
libérale et tolérante qui distingue un siècle et une nation éclairée,
et qu'il avait en eGet puissamment contribué à la conservation do
la colonie ; qu'après la paix de 8-t, sur l'ordre transmis de faire
payer plus de :E102,000 sterling do lettres de change dues à
l'Etat par le commerce canadien, le solliciteur-général avait été
obligé de poursuivre l'agent du gouvernement lui-même, M. John
Cochrane, qui les avait négociées et qui refusait d'en rendre
compte, et de faire opérer des saisies entre les mains de divers
négocians qui lui devaient celte somme; que sans ce moyen
légal, inconnu des lois an^aises, cette créance aurait été exposée,
parce que Cochrone refusait toujours son concours pour en ame-
ner la liquidation ; que ces débiteurs, déjoués par le secoure
imprévu de la loi française, s'exclamaient maintenant contre fiUe,
HISTOIRE DU CANADA. 71
et lui altribuaient le malheur grand à leurs yeux d'être obligés de
payer ce qu'ils devaient ; que Cochrane, qui' avait voulu prendre
part à la spéculation, s'était réuni aux marchands, et avait pré-
paré une pétition que ceux-ci s'étaient empressés de signer, contre
les lois, la constitution et l'administration judiciaire du pays, péti-
tion dont la nature et la tendance avaient motivé la désapproba-
tion la plus complète du ministre des colonies en 84 ; que le sens
de l'acte de 74 était clair et précis, et que l'on ne pouvait se
tromper enr son intention ; que cependant le juge-en-chef Smith
avait maintenu en cour d'appel, qu'il n'avait pas rétabli les lois
canadiennes dans les actions où les parties étaient anglaises ; que
c'était dans oe cas la loi anglaise qui devait être la seule règle de
décision, doctrine contre laquelle ils avaient dû protester en
pleine audience ; que d^ns la session suivante du conseil législa-
tif, Smith avait inutilement introduit, ainsi qu'on l'a vu, plusieurs
projets de loi pour faire triompher sa nouvelle doctrine, et que
c'est alors que les marchands mécontens avaient adressé les
pétitions qui avaient motivé la grande enquête en question.
Cette justification des juges ne faisait que confirmer les allé-
gués que la plus -étrange confusion régnait dans l'administration
de la justice. Toutes les pièces relatives à cette nouvelle phase
de la question furent encore envoyées à Londres.
Une autre difficulté s'élevait alors. £n 64, le Canada avait été
divisé en deux grands districts, Québec et Montréal ; quatre ans
après lord Dorchester, conformément à une ordonnance du con-
seil, voulant donner une espèce de gouvernement spécial aux
émigrés royalistes des Etats-Unis qui s'étaient établis dans le golfe
St.-Laurent et dans le voisinage du lac Ontario, avait érigé le ter-
ritoire qu'ils occupaient en cinq grands départemens sous les
noms de Gaspé, Lunenbourg Mecklembourg, Nassau et Hesse.
Ces cinq divisions, auxquelles par une singularité étrange l'on
donnait des noms allemands, embrassaient une grande étendue
de pays. L'on voulut y porter les lois françaises ; mais les réfu-
giés américains n'entendant ni ces lois ni la langue dans laquelle
elles étaient écrites, ne pouvaient les comprendre ni les obsttrver ;
il fallut donc apporter des modifications au régime existant par
une autre ordonnance passée en 89. Or les anglificateurs pro-
fitèrent de cet embarras pour essayer encore une fois de faire
72 HISTOIRE DU CANADA.
mettre de côté, comme inexécutable, l'acte de 74, auquel ils vou-
laient absolument se soustraire. Ils se firent un argument de ces
difficultés pour demander l'établissement d'un système de lois
uniformes. Leurs avocats à Londres, malgré les précautions ora-
toires qu'ils prenaient pour ne pas réveiller les soupçons de la
nationalité canadienne, se trahissaient quelque fois ; et ces
diversités de sentiment donnaient de la force aux opposans du
gouvernement libre.
Cependant tous ces débats finirent par fixer sérieusement l'at-
tention de l'Angleterre. En 88 ou 9, au début du grand mouve-
ment qui se préparait en France et ailleurs, les pétitions des
partisans du gouvernement représentatif furent évoquées par le
parlement impérial des bureaux où elles dormaient depuis quatre
ans, pour devenir le sujet de ses délibérations, à la suite de nou-
velles requêtes qui venaient de lui être présentées. Une grande
agitation régnait toujours en Canada sur l'espèce de gouvernement
qu'il devait avoir, quoique suivant leur usage, les journaux gar-
dassent un silence presque absolu sur cette importante matière
comme sur tout ce qui avait rapport à la politique.*
Appréhendant probablement de la démarche des marchands
de Londres de 86 à laquelle nous avons fait allusion plus haut,
quelque décision défavorable à leurs intérêts, les Canadiens de
Québec et de Montréal opposés à l'établissement d'une chambre
d'assemblée, mirent sur pied de nouvelles suppliques à lord Dor-
* La Gazette de Québec contient à peine un article politique entre 1783
et 1792; espace de 9 ans; c'est un recueil d'annonces, de nouvelles étran-
gères et de quelques pièces officielles. Le Québec Heratd n'était guère plus
hardi. Il recevait néanmoins des correspondances anonymes ; et c'est dans
l'un de ces écrits signé Lepidus, contre l'établissement d'un gouvernement
représentatif en réponse à un autre écrit signé Junius en faveur, que se
trouve le passage suivant sur les motifs auxquels nous avons attribué Pacte
de 74. " It is of public notoriety that the Québec act was passed about the
commencement oi the late rébellion in the American colonies which issued
in an extensive and complicated war that shook the whole British Empire,
and lopt of thirteen provinces; now the obvious purport of that law was to
attach the new King's subjects more firmly to his government. For when
the olher provinces took up arms, they had in agitation to invite this colony
to accède to the gênerai confederacy ; therefore to frustrate this measure, the
British Government thought proper to pass the aforesaid act, by which his
Majesty's canadian subjects were entitled to the benefit of their own laws,
usages and customs." Herald du 9 au 16 novembre 1789, publié à Québec.
HISTOIRE DU CANADA, 73
chester, pour déclarer qu'ils persistaient à demander la conserva-
tion des lois françaises et le maintien de la constitution existante.
Es en présentèrent d'autres l'année suivante dans lesquelles ils se
prononçaient avec encore plus de force contre l'introduction des
lois anglaises et d'une chambre élective. << Nos demandes se
réduisent, disaient-ils^ à conserver nos lois municipales; mais
qu'elles soient strictement observées ; qu'il y ait dans le conseil
législatif de notre province un nombre proportionné de loyaux
sujets canadiens." Dans les pétitions de 84, ils se plaignaient
déjà qu'ils ne jouissaient de leurs lois qu'impar&itement, et que
le conseil, composé aux deux tiers d'Anglais, les changeait au
gré des désirs ou des intérêts de la majorité de ses membres.
Le parti libéral canadien, car il s'en formait un depuis long-
temps, s'était réuni au parti libéral anglais, et les deux répondi-
rent par de contre-pétions. La division des Canadiens en deux
grandes sections presqu'égales, était maintenant distincte et
tranchée, l'une en faveur d'nn gouvernement représentatif et
l'autre contre. Dans l'une et dans l'autre se trouvaient beau-
coup de citoyens notables et de grands propriétaires ; mai? moins
dans le parti libéral que dans le parti conservateur. Les requêtes
des Anglais de 88 étaient signées seulement par les membres des
comités nommés à Montréal et à Québec quatre ans auparavant.
Elles ne demandaient des lois civiles anglaises que celles qui
avaient rapport au jury et au commerce. Les pétitions des
Canadiens de la même année étaient pareillement signées par les
comités qu'ils avaient formés dans ces deux villes. Les derniers
faisaient observer qu'ils ne demandaient que des réformes et une
constitution favorable à la conservation des lois anciennes. Ils
pensaient avec raison que ces choses seraient plus sures sous la
sauve-garde d'une chambre, dont la majorité devait être cana-
dienne, que sous celle d'un conseil législatif où elle ne l'était pas.
Quant au parti anglais, il avait dû abandonner l'idée d'exclure
les catholiques de tous droits politiques. Le gouvernement, la
majorité des chambres métropolitaines étaient opposés à c^tte
exclusion, surtout depuis la perte des anciennes colonies, .^lossi
Masères, qui avait montré un fanatisme si exclusif avant 75, ne
cessa-t-il de dire au parti protestant après 83, qu'il ne devait plus
espérer obtenir de constitution libre sans le concours des Cana-
K
74.
HISTOIRE DU CAKADA.
(Jiens, et en effet c'est après une promease expresse que ceux-ci
seraient èleuleurs el èligibles,qu'ilajoignirem leurs anciens adver-
saires et abandonnèrent leur opposition de 73.
Les conaervateura n'eurent pas plutôt appris l'existence des
représenta lions des constitulionndst qu'ils se mireut en mouve-
ment pour y répondre par de conlre-pétitiona. Celle de Mont-
réal du 23 décembre 88, fut souscjite par 2,800 citoyens! mais
celle de Québec ne put obtenir que li^-l signatures, chJiTre si
petit relativement à Montréal, cjue □''était dénionlrer que Q,uéliec
voulait un changement, L'inapcciion des signatures au pied de
CCS pièces prouve du reste que toutes les classes de la société
et même les familles étaient divisées sur la grande question du
'jour, et que plusieurs seigneurs et richea propriétaires anglais,
-ËLvorables à l'établissement d'une assemblée élective en 74, y
étaient opposés en 88,
Les habilans de cette province, disaient les conservateurs île
Québec, heureux sous un gouvernemcnl modéré, presque tous
cultivateurs paisibles, étrangers à l'inlrigue et à l'esprit de parti,
sans tases directes sur leurs propriétés, doutent qu'il puisse exis-
ter pour eux un étal plus fortuné. Si quelques-uns ont prûté
l'oreille aux projets d'innovation, c'est parce qu'ils ont cru que
ces innovations étaient le^ seuls remèdes à leurs plaintes elles
seuls moyens de consen'er leurs loi
le bonheur de la province qui était
de nombre ou d'intérêt particulier i
les conservateurs de Montréal, ne
dont noua sommes redevables s
solennellement garanties, que I
droits les plus sacrés.
Si l'on a des doutes sur notre parole, ajoutaient-ils encore, que
le gouverneur prenne les moyens nécessaires pour connaître les
sentimens el les vœDx de notre nation. Nos peuples trop pau-
vres et trop endettés sont incapables de supporter les taxes qui
dmvent née 1 d sterne proposé par les cons-
titiqloniiels L x mpl m li u de l'insurrection des colo-
s de propriété, leur religiot
en question. Aucune raison
ne doit, observaient à leur tour
DUS priver d'une constitution
: faveurs du roi, et des lois si
r conservation est un de nos
HISTOIRE DU CANADA. 75
semblée nous répugne par les conséquences fatales qui en résul-
teraient. Pourrions-nous nous flatter de conserver long-temps
comme catholiques les mêmes prérogatives que les protestans.
Ne viendrait-il point un temps où la prépondérance de ces der-
niers influerait contre notre prospérité 1
Toutes ces requêtes furent* mises successivement devant le
parlement impérial entre 85 et 90 ; mais la presse des afiaires.en
fit ajourner la considération jusqu'à cette dernière année. Deux
ans auparavant la chambre des communes avait promis de s'en
occuper. L'année suivante, M. Grenville, parvenu au minis-
tère des colonies, dressa un projet de constitution et l'envoya à
lord Dorchester pour que ce gouverneur, qui connaissait parfaite-
ment le pays et ses habitans, lui transmît ses observations. La
perte de ses anciennes colonies portait la métropole à modifier
considérablement sa politique. De grandes questions s'agitaient
aussi dans son sein. Les Antilles étaient fermées aux Etats-
Unis en attendant qu'un plan général de fortifications pour leur
défense fût mûri par les chambres ; l'opposition faisait de grands
efforts pour faire rapporter l'acte du test et reconnaître en pra-
tique le grand principe de la liberté de conscience reconnu par
les républicains américains comme l'une des bases de leur cons-
titution. Le célèbre Wilberforce proposait l'abolition de la traite
des noirs, mesure dont les conséquences sont incalculables pour
l'avenir des Etats à esclaves de l'Union américaine ; enfin le
gouvernement mettant de côté ses antiques préjugés, avait éla-
boré une constitution pour le Canada dans le but avoué d'atta-
cher les populations franco-catholiques qui lui restaient fidèles.
Tous ces projets avaient pour objet, soit de paralyser les idées
libérales de la jeune république, soit de se mettre en garde contre
son ambition future, soit enfin de lui ouvrir une plaie toujours
saignante dans le flanc, en prêchant du haut des îles libres de
PArchipel du Mexique des doctrines d'affranchissement et de
liberté que le vent de la mer irait répandre dans les huttes des
esclaves américains.
- *
Aussitôt que l'agent des constitutionnels à Londres, j/ffii^^
Lymbumer, eût appris que les affaires du Canada avaient été
ajournées dans le parlement à la session suivante, il en informa
les comités de Québec et de Montréal, qui s'adressèrent à lord
l(i HISTOIRE DC CiKADA.
Dorchester pour lui réitérer qu'ils pemsiaient dans leur detuands
d'une réforme consliiutionnelle. De son côlé, le gouvernement
anglais quelque bien disposé qu'il fût eo laveur de leurs désira,
était résolu toutefois de prendre les caoyens de tenir par deti lieiw
invi^bles, maie aussi puiseans que |iossibles, les colooies enchaî-
nées i la mère-patrie, tont en leur* donnant une portion de liberté
compatible avec le nouveau svatème mais pas plus. C'est sur
ce principe que fut basé l'acle constitutif de 91. Lord Dorches-
ter après avoir examiné le projet de Gienville, le lui renvoya
avec ses observations, A l'ouverture du parlement, le roi appela
l'allenlion des chambres sur l'état de la colonie et sur la néceu-
silé d'en réoi^niser le gouvernement; et bientôt après le chan-
celier de l'échiquier, M. Pilt, invita les communes à passer un
Bcle pour diviser la province de Québec en deux provinces sépa-
rées, sons le nom de Haut et Bas-Canada, et pour leur donner âcba-
cune une chambre élective. " Sensible à l'importance du sujet,
dit ce ministre, j'aurais désiré faire à la chambre une exposition
complète de mes motifs et des principes que je veux prendre
î»onr bsise en donnant une constitution propre à faire la prospé-
rité d'une portion importante de l'empire britannique; mais
comme il n'est pas probable qu'd s'élève d'opposition à l'intro-
duction de cette mesure, et comme du reste les explications seront
plus opportunes lorsque te bil! sera devant la chambre, je vais en
donner seulement une esquiae aujourd'hui en peu de mots. Le
bill que je me propose d'introduire est fondé d'abord sur la
recommandation du message royal de diviser la province en deux
gouvernemens. Cette division mettra fin à la rivalité qui existe
cnlre les anciens habilans français et les émigrans qui vont en
Canada de la Grande-Bretagne ou de dos autres colonies, rivalité
qui occasionne des dessenlions, de l'incertitude dans les lois, et
d'autres difficultés d'une moindre importance qui troublent depuis
si longtemps cetle contrée. J'espère que l'on pourra faire cette
division de manière à donner à chaque peuple une grande majo-
rité dans la partie qui lui sera appropriée, parce qu'il n'est pas
posàble de tirer une ligne de séparation complète. Les încon-
véniens que l'on pourrait craindre de la circonstance que d'an-
ciens Canadiens seraient compris dans une division, et des émi-
I
I
HISTOIRE DU CANADA. 77
grnns britanniques dans l'autre, trouveront leur remède dans la
législature locale qui va être établie dans chacune d'elles.
C'est pour cela que je proposerai d'abord d'établir à l'instar
de la constitution de la mére-patrie, un conseil et une chambre
d'assemblée ; une chambre éligible en la manière ordinaire, et un
conseil composé de membres nommés à vie par la couronne, ou
siégeant par droit héréditaire que le roi aura le privilège d'atta-
cher à certains honneurs. Toutes les lois, toutes les ordonnances
actuelles demeureront en force jusqu'à ce qu'elles soient chan-
gées par la nouvelle législature. Le pays conservera conséquem-
ment des lois anglaises tout ce qu'il en a à présent ou tout ce
qu'il en voudra garder, et il aura les moyens d'en introduire
d'autres s'il le juge convenable. La loi de l'habeas-corpus a déjà
été introduite par une ordonnance de la province ; et cette loi qui
consacre on droit précieux, sera maintenue comme partie fonda-
mentale de la constitution. Voilà quels en sont les points les
plus iroportans ; mais il y en a d'autres sur lesquels je veux
appeler aussi l'attention de la chambre. Il doit être pourvu au
soutien du clergé protestant dans les deux divisions, en le dotant
en terres proportionnellement à celles qui ont déjà été concé-
dées; et comme dans l'une des divisions, la majorité des habi*-
tans est «catholique, il sera déclaré que la couronne ne pourra
sanctionner aucune loi des deux chambres canadiennes, octroyant
des terrée pour l'usage des cdtes, sans qu'elle aît été préalable-
ment soumise au parlement impérial. La question des tenures
qui a été un sujet de débats, sera réglée dans le Bas-Canada par
la législature locale ; dans le Haut, où les habitans sont pour la
plupart sortis de la Grande-Bretagne ou de ses anciennes colo-
nies, la tenure sera franche. Et pour prévenir le retour des dif-
ficultés qui ont amené la séparation des Etats-Unis d'avec l'An-
gleterre, il sera statué que le parlement britannique ne pourra
imposer d'autres taxes que des taxes pour régler le commerce ;
et encore, afin d'empêcher l'abus de ce pouvoir, les taxes ainsi
imposées demeureront à la disposition de la législature de chaque
province.*'
Telles sont les simples, mais mémorables paroles par lesquelles
le premier ministre de la Grande-Bretagne annonça aux Cana-
dien»; au nom de son pays, que leur nationalité, conformément
78 HISTOIRE DU CAVADA.
an droit des gens, Berait respectée ; et qne pour plus de sûreté le
Canada serait divisé en deux portions, alln qirîls pussent
jouir sans trouble de lenrs lois et de toutes leurs aulri» iiisIîiuHniis
dans la partie qu'ils occupaient. Comment la foi britannique,
engagée d'une manière bî solennelle, a éié gardée par le gouver-
nement impérial, c'est ce que la suite des événemena nous fera
Après l'introduction du projet de loi annoncé par Pitt, la por-
tion anglaise des pétitionnaires qui avaient demandé un gouver-
nement constilulionnel, et qui comptait donner le change à tout
le monde, aux ministres, à l'Angleterre et aux Canadiens, fut
fort étonnée de ses dlspositiona, surtout de celles qui donnaient les
mêmes droits électoraux aux hommes des deux races ; die brisa
son masque et se montra furieuse. Elle chargea, son agent de
protester hautement contre les principes fondamentaux du bill.
contre lequel aussi une représentation fut faîte de la part de
quelques marchands do la métropole. Ces nouveaux opposans
furent entendus à la barre des communes par leurs conseils. Ils
insistèrent principalement sur ce que l'intérêt britannique était
sacrifie, et Rur les inconvéniens que les marchands et les colons
anglais allaient éprouver si l'on mettait la législation entre les
mains des Canadiens, fortement attachés aux lois françaises sous
lesquelles disaient-ils. Ton ne pouvait recouvrer de dettes ni con-
tracter en matières foncières qu'avec beaucoup de difficultés.
Il fut en même temps présenté une requête de la part de
quelques marchanda de Québec pour prier les chambres de reje-
ter la nouvelle constitution, attendu qu'après en avoir pesé toutes
les conséquences, ils craignaient qu'elle ne fût la eource d'une
infinité d'embarras et de maux pour le commerce.
Le parti hostile aux Canadiens, le parti qui avait voulu les
faire exclure de la représentation en 74, sous prétexte qu'ils
étaient catholiques, s'élant vu obligé, après la révolution améri-
caine, d'obtenir leur concours dans la demande d'une chambre
élective pour avoir quelque cbanc« de succès, s'était rapproché
d'euK dans le but d'obtenir leurd signatures pour parvenir à son
dessein, ot ensuite de faire agir les sympathies anglaises pour les faire
écarter et se faire donner à lui-roèrae dans l'acte constitutionnel
la part du lion, c'est-à-dire la prépondérance comme il l'avait
HISTOIRE DU CAI4ADA. 79
eue jusque là partout. Lorsqu'il fut informe par le bill, de la
division du Canada en deux provinces afin que d'après le raotif
avoué du gouvernement, les deux races pussent vivre à part cha-
cune avec sa religion et ses lois, et la réserve à la nouvelle légis-
lature de statuer sur les modifications à apporter au code de
commerce, il reconnut, mais trop tard, que son but était manqué ;
que la domination qu'il avait rêvée ne serait pas complète, et
qu'enfin sa longue dissimulation était en pure perte. ** Lebill,dit
M. Powys, leur avocat dans les communes, ne satisfera pas ceux
qui désiraient une chambre, parce qu'il ne la leur donne pas."
En présence de cette conduite, les conservateurs canadiens ral-
lièrent les constitutionnels sur leur alliance avec leurs soi-disans
amis. Ceux-ci se contentèrent de répondre que c'était vrai,
qu'ils avaient montré une bonne foi par trop crédule peut-être,
mais qu'ils n'étaient pas solidaires de la mauvaise foi de leurs
alliés ; et qu'au reste ils avaient ce qu'ils désiraient.
A la troisième lecture du bill, lord Sheffield présenta contre une
nouvelle requête de Lymburner, qui se donnait toujours pour
l'agent du Canada et des Canadiens dits constitutionnels, preuve
du danger qu'il y a de charger de missions politiques des hommes
dont les sentimens et les intérêts ne sont pas parfaitement en har-
monie avec ceux de leurs commettans. Mais ces oppositions
furent vaines.
Après quelques amendemens, dont l'un fut de porter la repré-
sentation de 30 à 50 membres, le bill passa sans division dans les
deux chambres.
Cet acte reçut l'assentiment complet de l'illustre Burke, surtout
la partie relative à la division de la province. " Essayer, dit cet
homme d'état, d'unir des peuples qui diffèrent de langue, de lois,
de mœurs, c'est très absurde. C'est semer des germes de dis-
corde, chose indubitablement fatale à l'établissement d'un nou-
veau gouvernement. Que leur constitution soit prise dans la
nature de l'homme, la seule base solide de tout gouvernement."
Fox, comme membre du parti whig auquel appartenait le com-
merce, se prononça contre la division de la province ; mais dominé
par ces grands principes qui se plaisent surtout chez les esprits
élevés et généreux, il proposa que le conseil législatif fût électif,
attendu qu'il n'y avait point de noblesse ou de corps qui méritât
0.
80 HISTOIRE DU CANADA.
ce nom en Canada, et que la chambre représentative fut compo-
sée de cent membres. " Avec une colonie comme celle-là,
observa cet orateur, susceptible de liberté et susceptible de pro-
grès, il est important qu'elle n'ait rien à envier à ses voisins. Le
Canada doit rester attaché à la Grande-Bretagne par le choix de
ses habitans ; il sera impossible de le conserver autrement.
Mais pour cela il faut que les habitans sentent que leur situation
n'est pas pire que celle des Américains."
C'est dans le cours de ces débats que les digressions de Burke
sur les idées révolutionnaires de France, amenèrent une de ces
malheureuses altercations qui séparent à jamais deux anciens
amis. Burke et Fox étaient liés d'amitié depuis l'enfance \ leurs
grands talens oratoires, leur vaste intelligence n'avaient fait que
resserrer l'attachement qu'ils se portaient l'un à l'autre ; mais
malheureusement le premier avait pris en haine la révolution
française, et le second l'avait embrassée au contraire avec
ardeur, et y fit quelque allusion en discutant le bill relatif au
Canada. Par une de ces tournures imprévues que les discussions
prennent quelquefois, Burke se crut desservi par son ancien ami
sur une question d'ordre, et s'en plaignit avec amertume ; il fit
des reproches à Fox sur le refroidissement qu'il apercevait en
lui depuis long-temps, et laissa échapper ces paroles : C'est cer-
tainement une indiscrétion en tout temps et surtout à mon âge,
de provoquer des inimitiés ou de fournir à mes amis des motifs
pour m'abandonner ; néanmoins s'il en doit être ainsi en adhé-
rant à la constitution britannique, je risquerai tout, et suivant les
dictées du devoir et de la prudence publique, mes derniers mots
seront toujours, fuyez la constitution française. Fox lui ayant
répondu qu'il n'y avait point d'amis de perdu, Burke reprit, " oui
il y a des amis de perdus ; je connais le prix de ma conduite ;
j'ai rempli un devoir au prix d'un ami ; notre amitié est rompue."
Burke continua à parler avec une extrême chaleur. Fox se leva
pour s'expliquer, mais il était si ému qu'il fut plusieurs minutes
sans pouvoir proférer une parole. Il avait le visage couvert de
larmes, et il faisait en vain des efibrts pour exprimer des senti-
mens qui se manifestaient assez pour faire connaître la sensibi-
lité de son cœur.
Toute la chambre vivement impressionnée par cette scène,
'à
HISTOIRE BU CANADAt 81
observa un religieux silence jusqu^à ce qu'enfin, Fox ayant
vaincu son émotion, put donner cours aux expressions les plus
touchantes. Mais ce fut en vain, la brèche était faite, et ces
deux amis s'éloignèrent désormais de plus en plus l'un de l'autre.
Dans la chambre des lords, le bill fut poursuivi également par
des pétitions contre plusieurs de ses clauses, et deux avocats
employés par les marchands, auteurs de l'opposition dans les
communes, furent entendus à la barre ; mais avec encore moins
de succès. " On a appelé préjugé, dit lord Grenville, l'attache-
ment des Canadiens à leurs coutumes, à leurs lois, à leurs usages,
qu'ils préfèrent aux lois anglaises. Je crois qu'un pareil atta-
chement mérite un autre nom que celui de préjugé ; suivant moi,
cet attachement est fondé sur la raison, et sur quelque chose de
mieux que la raison ; il est fondé sur les sentimens les plus
nobles du cœur humain." ^
Le roi qui de tous les Anglais était celui qui montrait le plus
de sympathie pour les Canadiens, crut devoir remercier les deux
chambres de la passation de l'acte constitutionnel dans son
discours de prorogation.
Par cet acte, le Canada se trouvait à son quatrième gouverne-
ment depuis 31 ans. Loi martiale de 60 à 63 ; gouvernement mili-
taire de 63 à 74 ; gouvernement civil absolu de 74 à 91 ; et enfin
gouvernement tiers-parti électif à commencer en 92. Sous les
trois premiers régimes, le pays n'eut eu d'autres lois que le
caprice des gouverneurs et des tribunaux, qui tombèrent dans
le dernier mépris ; et le peuple ne fit que changer de tyrannie.
Quant au dernier régime, l'on doit attendre pour le juger, qu'il
soit mis en pratique et qu'on en voie les effets ; car l'expérience
seule peut en faire connaître les avantages et les défauts, d'autant
plus que le succès doit dépendre de l'esprit dans lequel chacune
des parties appelées à le mettre en œuvre, remplira sa mission,
la colonie et la métropole.
La nouvelle constitution, après la division du Canada en deux
provinces, et l'indication de la tenure et des lois qui devaient sub-
sister dans chacune d'elles, portait que tous les fonctionnaires
publics resteraient à la nomination de la couronne en commençant
par le gouverneur, et seraient amovibles à sa volonté ; que le libre
exercice de la religion catholique serait garanti ainsi que la con-
L
82 HISTOIRE 0\) CANADA.
servalion des dîmes et Jroils accoutoméa du clergé ; qus les pro-
teatana seraient passibles Ue la même dîme pour leurs minisires ;
que le roi aurait la faculté d'u-lTecter au soutien de l'église angli-
cane le septième des terres incultes de la couronne, et dénommer
aux cures et bénéfices de cette église dont il était le chef; que le
droit de tester de tous ses bieus était coulure d'une manière ab^o-
lue â tous les citoyens, et le code criminel anglais muintenu comme
loi fondamentale ; que dans chaque province seraient institués,
1'^ un conseil de quinze membres au moina dana le Bas-Canad i,
Et de sept dans le Haut; et 2° une chambre d'aEsenibléede du*
quante membres au moins dans le Bas-Canada, el de aeisse dans
le Hsut, élus par les propriétaires d'immeubles de la valeur
annuelle de deux louis sterling dans les collèges ruraux, de cinq
louis dans les villea, et par \ea locataires de ces mêmes villes
payant un loyer annuel de dix loui.s ; que la confection des lois
était défêrèe à ces deux corps et au roi ou eou rcprésemont for-
mant la troisième branche de la législature, et ayant droit de veto
sur les actes des deux chambres; que la durée des parlemeus
n'excéderait pas quatre ans ; que la législature devait être con-
voquée au moins une fols tous les ans, et enfin que loule question
serait décidée à la majorité absolue des vnix. dans les deux
chambres.
Un conseil exécutif, nommé par le roi, fut institué pour aviser
le gouverneur et remplir les attributions de cour d'appel en
matières civiles.
Tel fut l'acte constitutionnel. Malgré ses nombreuses imper-
fections dont quelques-unes étalent fondamentales, il donnait un
gouvememeni dans lequel le peuple était appelé à jiiuer un r61e,
et au moyen duquel il pouvait au moins faire connaître ses griefs,
si on ne lui donnait pas le pouvoir d'obliger absolument l'exécutif
à. les redresser. Cette nouvello charte entra eu vigueur le 26
décembre 91. Dans le mois de mai suivant le Bas-Canada fut
divisé en sis collèges électoraux urbains, et vingt et un collèges
électoraux ruraux auxquels on donna par une afleclation ridicule
et peu conforme à l'esprit de la nouvelle constituiionj des noms
anglais que les habitans ne pouvaient prononcer.
Le Uaut-Canada se trouvant de ce moment séparé du Bas,
nous n'en suivrons point l'histoire, l'objet du présent ouvmge
I
HISTOIRE DU CANADA. 83
étant de retracer principalement celle du peuple canadien-français,
dont les annales s'étendent ou se reployent, selon l'extension ou
la restriction imposée aux bornes de son territoire par la pc litique
métropolitaine.
A l'époque de l'introduction du nouveau gouvernement, la
population des deux Canadas pouvait être d'environ 135,000
âmes, dont 10,000 dans le Haut ; et sur ce chiffre la population
anglo-canadienne entrait pour 15,000 à peu-près. Il y avait I
million, 570 mille arpens de terre en culture.* En 65, la popu-
lation était d'à peu près 69,000 âmes, outre un peu plus de 7000
Sauvages, et il y avait 955,754^ arpens de terre exploitable, divi-
sés en 110 paroisses outre celles des villes. La population
ffanco-canadienne s'était doublée par trente ans depuis 1679.^
Elle était à cette dernière époque de 9400 âmes, en 1720 de
24,400, en 1734 de 37,200 ; il n'y eut qu'entre 1734 et 1765
qu'elle ne se redoubla pas en conséquence d'abord des
pertes faites dans les guerres qui remplirent la plus grande partie de
cette période, et en suite, de l'émigration en France après la con-
quête. Depuis 1763 elle avait repris une marche progressive rapide.
Le fait de celte augmentation régulière de la population sous
toutes sortes de gouvernement même sous l'incroyable tyran-
nie qui pesa sur le pays de 1760 à 1792, prouve qu'en Amé-
rique les gouvernemens n'atteignent que la surface des sociétés ;
que quelque soient leurs efforts pour les façonner à leur guise, pour
les étouffer même comme nationalité distincte et locale, il suffit
à ces peuples de s'isoler pendant un temps, de resserrer leurs
rangs, de se rapprocher autant que possible de l'esprit du gou-
vernement de soi par soi-même, de maintenir la paix et l'ordre
intérieur, le mouvement progressif continue toujours, et le droit, la
raison, l'intérêt finissent par triompher ; car dans ce continent
Pavenir est au peuple ; le peuple est un polype dont chaque par-
tie a les vertus de la totalité, et qui finit par étreindre et étouffer
dans ses vastes bras tous les corps étrangers qui veulent lui por-
ter quelque préjudice.
* Lettre du général Murray aux lords-commissaires du commerce et des
plantations. " Maisons habitées, 9,722 ; bœufs, 12,546 ; vaches, 22,724 ;
jeunes bêtes à cornes, 15,039; moutons, 27,064; cochons, 28,976 et
chevaux, 12,757."— En 1761, la population n'était que de 60,000 âmes
d'après le recensement fait par ordre de ce général.
84- filSTÙlBE nu CANADA.
Le commerce du paya avait augmenté dans la mÉms propor-
tion. C'est en 90 que l'on rétablit l'ancienne division du Eaa-
Canada en trois dêpartementi. La haine aveugle pour tout ce
qui était français avait Tait abolir sana aucun motif le gouverne-
ment des Trois-Riviérea ; il fui rétabli sous le nom de district par
ordonnance du conseil législatif, car les dineiona territoriales s'im-
posent souvent d'elles-mêmes.
L'octroi d'une couslilution libre fut fêté à Québec par un
grand banquet. Il se forma une association qui se donna, sui-
vant l'usage du temps, le nom de club consiitutionnel, dont le
principal objet, d'après son piogramme, était de répandre les
s politiques dans le pays. Il s'assemblait toutes les
i, et discutaient toutes sortes de questions potiljquos, com-
merciales, scientifiques, litléraiTes. Un résumé de l'acte de 91
fut publié sous ses auspices avec des notes explicatives pour te
rendre plus intelligible au peuple. L'éducation populaire, l'iié-
rèdilé de !o noblesse, l' a mélio ration de l'agriculture, les qualités
nécessaires à un représentant du peuple, telles furent quelques-
unes des questions qui y furent débattues. Ces discus^ons exci-
tèrent un moment d'enthousiasme; l'on vit des instituteurs
venir s'offrir d'instruire les enfars du peuple gratuitement. Mais
celte ardeur se raiendt d'elle-même peu-à-peu, et ne donna pas
d'ailleurs plus de hardiesse à la presse, qui continua de garder le
silenco sur les aifaires publiques. C'est à. peine si l'on osait
publier des opinions fort innocentes dans des correspondancea
anonymes. C'est ainsi que la Gazette de Montréal de Mesplet
rapporte sans oser mentionner les noms ni le lieu du banquoli
que dans cette ville la nouvelle constitution avait été fêtée par de
jeunes citoyens. " Nous nous réjouissons, dit leur président, de
ce que cette province, après avoir été depuis la conquête victime
de l'anarchie, de la confusion et du pouvoir .-irbitraire, prend enfin
cet équilibre heureux, dont l'harmonie générale doit être le résul-
tat. Nous nous réjouissons de ce que nous, dans l'âge de donner
des enfana à la patrie, nous aurons la douce satisfaction de lui
offrir des hommes libres. Le nouvel acte qui régie cette pro-
vince est un acheminement, j'espère, à quelque chose de plus
avantageux pour elle. La politique a mis la première main à
HISTOIRE DU CANADA. 85
cet oavrage ; la philosophie doit l'achever." Entre les toasts
qui furent portés après le toast au roi, Ton remarqua les suivans:
L'abolition du système féodal,
La liberté civile et religieuse,
La liberté de la presse,
La liberté et l'intégrité des jurés,
La révolution de France,
La révolution de Pologne,
La révocation de l'ordonnance des milices,
La révocation de toutes les ordonnances qui pouvaient être con-
traires à la liberté individuelle,
La révocation des investigations comme abusives, funestes et
productives 4es haines et des inimitiés personnelles.
D'après ces d4nu>nstrations, l'on peut se faire une idée de
l'e.<prit qui animait déjà les citoyens à cette époque.
Arrêtons-nous ici pour jeter un instant nos regards en arrière.
Nous sommes parvenu à la un du ISe siècle et à l'introduction
du régime représentatif.' Depuis 1755 tous les malheurs qui
peuvent frapper un peuple se sont réunis pour accabler les Cana-
diens. La guerre, la famine, les dévastations sans exemple, la
conquête, le despotisme civil et militaire, la privation des droits
politiques, Tabolition des institutions et des lois anciennes, tout
cela €6t arrivé simultanément ou successivement dans notre
patrie dans l'espace d'un demi-siècle. L'on devait croire que le
peuple canadien n jeune, si faible, si fragile, se fut brisé, eut
disparu au milieu de ces longues et terribles tempêtes soulevées
par les plus puissantes nations de l'Europe et de l'Amérique, et
que, comme le vaisseau qui s'engloutit dans les flots de l'océan,
il n'eut laissé aucune trace après lui. Il n'en fut rien pourtant.
Abandonné, oublié complètement par son ancienne mère-patrie,
pour laquelle son nom est peut-être un remords ; connu à peine
du reste des autres nations dont il n'a pu exciter ni l'influence ni
les sympathies, il a lutté seul contre toutes les tentatives faites
contre son existence, et il s'est maintenu à la surprise de ses
oppresseurs découragés et vaincus. Admirable de persévé-
rance, de courage et de résignation, il n'a jamais désespéré un
moment. Gonflant dans la religion de ses pères, révérant les
lois qu'ils lui ont laissées en héritage, et chérissant la langue dont
36 IIiarOIRE DU CANADA.
l'harmonie a fra]ipé son oreille cii naissant, et qui a Bervi de
véhicule aus pensées de la plupart des grands génies modernes,
pas on seul Canadien de père et de mère n'a, jusqu'à ce jour,
dans le Bas-Canada, trahi aucun de ces trois grands symboles de
sa nationalité. In langue, les lois et la religion.
Le changement de gouvernement à la conquête, amena un
changement radical dans le personnel des fonciionnaires publics.
Le commerce tout entier tomba entre les mains des vainqueurs.
Les marchanda et les fonciionnaires, étrangers, perdus au milieu
de l'ancienne population, se donnèrent la main pour se soutenir.
Il fut entendu entre eux, que la langue, les lois, les coutumes des
Canadiens, tout serait détruit parce que c'était te moyen le plus
sûr et le plus prorapt de les dominer el de les exploiter tout
à la fois. Ils pensaient que cela serait d'autant plus facile à
(aire que la religion catholique les privait de (ont droit polilique.
La proclamation de 63 sembla d'abord favoriser leur dessein ;
mais lorsque, conformément à une des clauses de celte pro-
clamation, il fallut convoquer une asisemblée représentative et
que l'on vil le parti protestant insister sur l'observation rigide de
la loi anglaise, d'après laquelle les catholiques ne pouvaient être ni
électeurs Di élrgibles, le gouvernement recula devant l'idée du
mettre le pouvoir législatif entre les mains de deux à trois cents
aventuriers, la plupart d'un caractère équivoque, et il renonça â
l'exécution de sa promesse. Les fonciionnaires se soumirent en
silence; mais le commerce plus indépendant de l'autorité, mur-
mura contre cette faiblesse. De ce moment l'union entre les
fonctionnaires el leurs compatriotes devint moins intime, el las
premiers se conformant de plus en plus à la polilique dictée par
la métropole, devinrent plus modérés en apparence, tandis que
les seconds se montrèrent plus violens afin d'en imposer à
Londres, où ils trouvaient toujours des échos à la faveur de leurs
relations commerciales. Mais la révolution américaine vînt à
son tour les éloigner du but qu'ils voulaient atteindre.
L'acte de 74 passé pour attacher les Canadiens à l'empire,
rétablit les lois françaises et mit ce peuple, quant aux droits poli-
tiques, sur le mCme pied que les autres Anglais, qui voyant leur
domination s'évanouir firent des efforts incroyables pour s'y oppo-
ser. Les fonciionnaires, séparés comme on l'a dit du resie de
HISTOIRE DU CANADA. ^7
leurs compatriotes, trouvèrent la nouvelle constitution admirable,
parce qu'elle mettait le pouvoir entre leurs mains, la plupart des
membres du conseil législatif remplissant des charges publiques;
ils furent conséquemmcnt opposés à tout changement, surtout à
l'établissement d'une chambre élective, qui aurait restreint leur
autorité, leurs privilèges et leur immense patronage. Les mar-
chands, au contraire, devenus leurs adversaires, voulaient un gou-
vernement représentatif pour les raisons que nous venons devoir,
étant d'autant plus jaloux du conseil législatif que plusieurs
Canadiens venaient d'y entrer et allaient se trouver en position
de défendre les droits de leurs compatriotes. Ils continuèrent à
demander une constitution libre. Pendant longtemps ils pensèrent
que les catholiques ne pouvant prêter le serment du test, se trou-
veraient naturellement exclus des chambres comme ils l'étaient
en Angleterre. Ce ne fut qu'après des avertissemens formels
des intentions des ministres, qu'ils abandonnèrent leurs prétentions
à cet égard, et qu'ils acceptèrent comme un pis-aller, mais en
murmurant, l'acte de 91. Encore essayèrent-ils, lors de la dis-
cussion de cet acte, de faire prévaloir leurs idées dans le parle-
ment, où il y avait un fort parti pour eux, en tâchant d'abord de
faire maintenir le serment du test tel qu'il se prêtait en Angleterre,
ensuite en essayant de faire abolir les lois françaises, et de faire ôter
au clergé catholique tous ses privilèges, enfin en tâchant de faire
répartir la franchise électorale de manière à donner la majorité
aux protestans dans la chambre représentative comme ils suppo-
saient qu'ils l'auraient dans la chambre haute laissée au choix du
roi. Battus sur tous ces points, ils durent accepter la charte de
91 telle qu'elle était présentée, et encore ne fut-elle accordée que
parce que les Canadiens la demandèrent.
L'acte de 91, donnant la majorité aux Canadiens dans la
chambre représentative, à cause de leur supériorité numérique,
réunit pour la seconde fois la population anglaise, c'est-à-dire les
fonctionnaires publics et les marchands, dans une même commu-
nauté d'intérêts et de sympathie. Les uns se réservèrent le
monopole des emplois, et les autres celui du commerce, que les
Canadiens, par l'émigration de leurs marchands en France,
avaient presque totalement perdu en perdant avec ces hommes
précieux les connaissances spéciales et l'expérience nécessaire
88 mSTOIR£ DU CANADA.
pour renouer un commerce sur de nouvelles bases conformes aux
circonstances différentes dans lesquelles on se trouvait.
Les fonctionnaires et les marchands ainsi réunis formèrent
pour la seconde fois une véritable faction, à laquelle les royalistes
américains chassés de leur pays, et arrivant dépouillés de tout
et le cœur ulcéré par leur défaite, prêtèrent l'énergie de la haine
et des passions qui les dévoraient eux-mêmes. Cette faction osa
essayer de faire proscrire la langue française dans la législature
par la majorité même de la chambre d'assemblée qui la parlait;
si elle ne réussit pas, elle sut toutefois se faire donner un pouvoir
despotique par la loi qui suspendait l'acte de VJiabeas corpus et
qui autorisait le conseil exécutif ou trois de ses membres à faire
emprisonner un citoyen pour délit pohtique; et elle eut assez
d'influence pour faire rejeter par la métropole l'acte provincial
de 99, qui aurait eu l'effet d'assurer au peuple le pouvoir de
taxer et de contrôler la perception et l'emploi du revenu public-
Eiie cria à la trahison lorsque la chambre passa cette loi, qui
mettait les fonctionnaires dans sa dépendance, en chargeant le
budget de la colonie de toute la dépense civile, dont une partie
était alors payée par la mère-patrie 5 et l'on verra par la suite
quel usage elle fit de la suspension de Vhabeas corpus pour inti-
mider la chambre en emprisonnant ses membres et en usurpant
une autorité contraire à l'esprit de la constitution.
Dès les premiers pas du gouvernement constitutionnel, les
hommes et les partis se dessinent assez pour faire connaître leur
caractère, leur tendance et leur esprit. Le parti anglais, de
rebelle qu'il était en 75 parce que la métropole ne lui laissait pas
la domination exclusive du Canada, voyant ses espérances déçues
par l'acte de 91, se rallia au gouvernement comme un pis-aller.
Mais son rôle était encore fort beau ; il régnait dans les conseils
exécutif et législatif et dans les administrations. Le parti cana-
dien dominait dans la chambre d'assemblée seule, qui fut bientôt
conséquemment en opposition ouverte avec les deux autres
branches de la législature et tous les fonctionnaires publics qui la
détestaient déjà. De là les longues querelles qui vont continuer de
remplir nos annales en dépit de l'introduction du principe électif,
querelles dans lesquelles les Canadiens vont se présenter à nous
sous un nouvel aspect. Intrépides et persévérans sur le champ
HirinrtRE nr CAtfADA. 89
de bataille dans la guerre de la conquête, et d'autant ptuB attachés
à leurs institutions que l'on avait fait de tentatives jusqu'en 91
pour les leur ravir, on va les voir montrer la même constance
dans une lutte d'un nouveau genre, et se distinguer également par
leur énergie et par des talens qu'on ne leur avait pas encore
connus.
Les deux premiera hommes qui vont fixer l'attention sur
le grand théâtre parlementaire, sont M. Bedard et M. Papi-
neau, que la tradition noua représente comme étant doués de
grands talens oratoires, mais dont malheureusement les discours
n'ont pas été conservés par Is presse. Ces deux patriotes nous
apparaissent aujourd'hui dans l'histoire comme les plus Termes
champions des droits populaires, et les partisans les plus désinté-
ressés et les plus fidèles de l'Angleterre, pour laquelle le dernier
s'était déjà distingué par son zélé pendant la révolution améri-
caine.* Us furent dans la législature tes premiers apôtres delà
liberté et les défenseurs des institutions nationales de leurs com-
patriotes, parmi lesquels leurs n n n e point d'être en
vénération. Sortis tous deux d dp pie, l'un d'une
Charles-
éducaiion qui tes
til h mmea qui cher-
cienne illustra-
redoulables et le plus
famille de Montréal, l'autre d'une fam 11
bourg, près de Québec, ils ava ç
mettait de pair avec la plupart de g
chaient en vain à conserver le p g d
lion, mais qui allaient trouver des émulea
souvent vainqueurs dans les débats de la tribune. M. Papini
fut hientât en effet le premier orateur des deux chambres. Une
stature élevée et imposante, une voix pleine et sonore, une élo-
quence plus véhémente encore qu'argumentative, telles étaient
les qualités dont il était doué et qwi sont nécessaires pour faire
* Un alficier canadien, M. Lutnotiie, avait apporté en Canailo des dépê-
ches de lord Howe, général anglais â New- York, pour le général Carleton ;
elles étaient adressées au séminaire de Montréal. M. Papîneau, alors
jeune homme, se joignit à M. Lamothe pour lesporter à Québec. Elles
furent mises dans dea Mtons creux, et ils se mirent en ehetnin pnrln rive
droite da fleuve, évitant les troupes rebeUes et les Canadiens qui avaient
embnusé leur parti, elmarolinnl de prestytéreen presbytère. Us parvinrent
â Québec te 11 mars, et après avoir délivré leurs dépèches ils entrèrent
dans la compagnie du capitaine Marcoux cùainiB voloalaires, et eervirent
jusqu'à la levée du siège.
90
DU CANADA.
de l'effet dans les- aeserablÉea publiques. Il conserva jusqu'à la
fin. de ses jours on patriotisme pur et la confiance de ses concito-
yens, qui aimaient à entourer de leur respect ce vieillard, dont
la tête droite et couverte d'une longue chevelure blanche qui
flottait sur ses larges épaules, conservait encore le caractère de
l'énergie et de la force,
M, Bedard était loin d'offrir les mêrnea avantages physiques.
A une figure dont les traits, fortement prononcés, étaient irrégu-
liers et dura, il joignait une pose peu gracieuse et une tenue très
nËgligée. Bizarre et insouciant par caractère, il prenait peu
d'inlérët à la plupart des sujets qui so discutaient dans la chambre,
et parlait ronsèqDemment assez mal en général ; malslorsqu'une
grande question attirait ?on attention et Tintéressait vivement, il
sortait de son indlQ'érence apparente avec une agitation presque
fiévreuse j ei embrassant d'un coup-d'œil toute lu profondeur de
son sujet, il l'entamait par des paroles qui sortant de Babouche
comme avec effort, jaillissaient bientôt avec abondance et avec
Éclat; il abordait alors ses adversaires avec une puissance de
logique irréaislible ei rien n'était capable d'intimider son courage
ou de faire fléchir ses convictio-ns. C'est ainsi que nous allons
le voir lutter d'abord contre les prétentions extravagantes d'une
oligarchie qui avait déjà causé tant de troubles et de maux, et
dont l'échec éprouvé en 91 dans le parlement impérial en voulant
faire exclure les catholiques de la législature, avait rendu la haine
plus profonde et plus vive ; et ensuite contre ia tyrannie du gou-
verneur air James Craig, en bravant le despotisme qu'il voulait
imposer au pays, et en se mettant au-dessus des terreurs du
public, qui admirait sa fermeté Eans imiter toujours son indépen-
dance.
Tels sont les deux hommes que les Canadiens vont prendre
pour chefs dans les premières années du régime parlementaire.
LIVRE TREIZIÈME.
CHAPITRE I.
CONSTITUTION DE 91.
1792-1800.
Etablissement d*im gouvernement représentatif.— Réunion de la législature.
—Le parti anglais veut abolir l'usage de la langue française ; vives dis-
cuasioiis À ce sujet — ^Les Canadiena Pemportent — ^La discussion est
renouvelée lom de la considération des régies pour la régie intérieure de
la chambre.-*yiolens débats ; discours de M. Bédard et autres .^ — ^Les
anglificaiteurs sont encore défaits,-^Travaux de la session ; projets de loi
îxmr les pauvres, les chemins et les écoles.— Biens des Jésuites. — Sub-
sideB« — Jttstice.-^ProTogation des chambres ; discours de sir Alured
Ciarke^— ^Lonl Bmrchester. — ^11 convoque les chambres. — Organisation de
la milice.— -Comptes publics. — Judicature. — Suspension de la loi de l'ha-
beas corpus.— Association générale pour le soutien du gouyennement. —
iVoisième session.— «Revenus et dépenses.— Fixation des charges ; rentes
Beigneuriales.*>yoies publiques. — Monnaies. — Lord Dorchester remplacé
par le général Prescott— Session de 97. — ^Défection de MM. De Bonne et
tde Lotbimère«— Traité de commerce avec les Etats-Unis. — ^Emissaires
Âaasaîs.-^Les pouvoirs de l'exécutif sont tendus presque absolus ; ses
terreurs.— Exécution de M. Law.— Sessbns de 93 et 99.— Amélioration
du régime des prisons. — Impôts, revenus publics. — Querelles entre le
gouverneur et son conseil au sujet de la régie des terres.'^B est rappelé
avecle juge Osgoode.— Sir Robert Siore Milnes convoque les chambres
en 10Oûr-«*NciweUe aUusion aux principes de la révolution française;
motif de cette politique. — ^Proposition d'exclure le nommé Bouc de l'as-
. semblée.— Le gouvernement s'empare des biens des Jésuites.
L'introduction du gouvernement représentatif forme l'mie des
époques les plus remarquables de notre histoire. La constitution
de 91, telle qu'elle allait être mise en pratique, était loin d'être
équitable, parfaite ; mais la portion de liberté qu'elle introduisait
sufiisait pour donner Pessor à l'expres«on fidèle et énergique des
besoins et des sentiraens populaires. L'opinion longtemps com-
primée se sentit soulagée en voyant enfin une voie toute res-
\
92 HISTOIRE DU CAHADA.
treinle qu'elle fut ouverte devant elle povir se faire connaître et
Be faite apprécier audelà des mers.
Cette constitution cependant promettait beaucoup plua qu'elle
ne devait tenir. L'un de aea vices essentiels, c'était de laisser
deux des trois branches de la législature à la disposition du bureau
colonial, qui allait par ce moyeu se trouver armé de deux instru-
mens qu'il ferait mouvoir à sa volonté tout en paraissant n'en
l'aire mouvoir qu'un seul. Ce défaut capital qui n'était encore
aperçu que du petit nombre d'hommes expérimentés dans
les aD'aires publiques, leur fil présager la cliute du nouveau aya-
léme dans un avenir plus ou moins éloigné. La masse dti peuple
toujours plus lente à soupçonner les motifs, les arriére-pensées,
les injustices, crut d'après les paroles de Pitt, que le Bas-Canada
serait à eux, que la législation, en tant qu'elle ne serait pas
incompatible avec l'intérêt et la suprématie de l'Angleterre, serait
fondée sur ses sentimens et sur ses intérêts, qu'elle serait en un
mot l'expression delà majorité des habitans. Vaine illusion!
Outre l'intérêt canadien, outre l'intérêt métropolitain, il y avwf.
déjà ce que lord Stanley a depuis qualifié " l'intérêt britannique "
ou l'intérêt de la portion anglaise de la population, qui ne comp'
tait alors que quelques centaines d'âmes dispersées dans les
villes et dans les arrondissemens situés sur les limites orientales
du Canada, le long des Etats de New Hamshire, du Massachusetts
et du Maine. La plupart étaient d'origine allemande ou hol-
landaise.' Us étaient venus s'établir en Canada pendant la
révolution américaine qu'ils fuyaient, La métropole en se réser-
vant la nomination du conseil législatif, s'était conservé le moyen
de donner à cette petite population un pouvoir égal à celui du
reste des habitans et ainsi de nuUifier la majorité ou en d'autres
termes de gouverner les uns par les autres.
Dans la nouvelle constitution, le roi ou plutôt le bureau colo-
nial, car le bureau colonial seul en Angleterre connaissait ce qui
se passait en Canada, formait une branche; le conseil législatif
la seconde, mais comme il était â la nomination de la couronne,
il devait être nécessairement la créature de l'exécutif, composé
• A short view of the présent atate of Ihe Eastem townahipH &c. by (he
Hoiible, and Revd, Chs. Stewart A. M, minister of St. Armand Lower
Canoiia and Chiimplain lo the Lord Bisliop of Québec, 1815.
HISTOIRE DU CANADA. 93
d'hommes dévoués à toutes ses volontés, en possession de toutes
ses sympathies et toujours prêts à lui servir de bouclier contre les
représentans du peuple.
Telle fut dès le début la mise en pratique de Pacte de 91. La
division du Canada en deux parties pour assurer à ses anciens
habitans leurs usages et leur nationalité, suivant Tintention de Fitt,
manqua son but et ne donna réellement la t)répondérahce à per*
sonne. Quant au oonsdl exécutif lui-même, qui devait être
l'image du ministère en Angleterre, il ne fut qu'un instrument
servile entre les mains des gouverneurs, et ce fut là ce qui amena
plus tard la ruine de la nouvelle constitution. En effet, qui allait
conserver rbarroonie entre les deux chambres, si le bureau colo^
niai ne le voulait pas î Tout dépendait de cette volonté, puis
qu'elle était maltresse du conseil exécutif et du conseil législatif
dont elle avait la nomination.
Les membres du conseil exécutif choisis parmi les anciens
habitans y furent toujours en petit nombre, excepté à son origine,
où les Canadiens se trouvèrent quelque temps, comme dans le
conseil législatif, dans la proportion de 4 sur 8. Mais plus tard
l'on garda les plus obéissans et l'on repoussa les autres, car dès
99 ce conseil ne contenait plus que six Canadiens sur quinze
membres.
SÂr Alured Clarke fixa les élections pour le mois de juin et la
réunion des chambres pour le mois de décembre.
Après toutes les tentatives du parti anglais depuis 64 pour es
faire proscrire, l'on aurait pu croire que les Canadiens, le cœur
encore ulcéré de l'exclusion dont on avait voulu les frap]>er,
eussent refusé leurs sufirages à tous les candidats connus pour
lui appartenir. Il n'en fut rien cependant à l'étonnement de
beaucoup de monde. Deux choses contribuèrent à cette conduite ;
d'abord le peuple en général ignorait une partie des intrigues des
Anglais qui avaient soin de se tenir dans l'ombre de ce côté-ci de
l'Océan, ou de dissimuler leur conduite par des explications
trompeuses, chose facile à faire à une époque où les journaux ne
contenaient aucune discussion polique sur les événemens du jour ;
en second lieu, ils jugèrent, non sans raison, que ceux qui avaient
éié élevés au milieu d'un pays en possession depuis longtemps
d'institutions dont ils allaient faire l'essai, devaient posséder une
y
94 HISTOIRE DU CANADA.
expérience utile au bon fonctionnement de la nouvelle constitution,
et ils les choisirent partout où ils se présentaient sans exiger
d'autre garantie que leurs déclarations verbales.
Les Anglais qui connaissaient tout le pfix de l'instniment qu'on
mettait ainsi à leur disposition, montrèrent la plus grande activité
et une audace qui doit nous étonner aujourd'hui. C'était un
spectacle nouveau que de voir le peuple assemblé pour se choi-
sir des représentans ; mais c'en était un qui l'était encore plus
que de voir tous les Anglais tant soit peu respectables de Mont-
réal et de Québec courir partout solliciter les suffrages de cette
race dont ils avaient demandé l'anéantissement politique avec
tant d'ardeur et tant de persévérance, et les obtenir pour la
plupart en opposition à ses propres enfans. Seize Anglais sur
cinquante membres furent élus, lorsque pas un seul ne l'eut été
si les électeurs eussent montré le môme esprit d'exclusion que
les pétitionnaires de 73 et les électeurs anglais d'aujourd'hui.
C'était une grande hardiesse de la part du peuple que de hasar-
der ainsi les intérêts de sa nationalité en mettant sa cause entre
les mains de ses ennemis les plus acharnés ; mais les anciens
gouverneurs ne l'avaient rendu ni défiant ni vindicatif; le vote
sur l'usage de la langue française qui eut lieu à l'ouverture de la
session, put seul réveiller des soupçons dans son cœur naturelle-
ment honnête et confiant, et lui montrer le danger de sa facile
générosité.
Les chambres se réunirent le 17 décembre dans le palais épis-
copal occupé par le gouvernement depuis la conquête. Lors-
qu'elles eurent prêté serment, le gouverneur assis sur un trône
et entouré d'une suite nombreuse, requit les communes de se
choisir un président et de le présenter le jeudi suivant à son
approbation.
Ce choix fit connaître leur caractère. Le parti anglais pro-
posa de suite l'abolition de la langue française dans les procédés
législatifs et la nomination d'un président de son origine nationale.
Cette nomination qui fournit le sujet de la première discussion,
fut ajournée au lendemain après des débats et une division pro-
voquée par le désir de chaque parti de connaître ses forces, qui
se trouvèrent dans le rapport de un à deux.
Le lendemain, M. Dunière proposa M. J. Antoine Panet. Les
HISTOIRE DU CANADA. 95
Anglais opposèrent successivement à ce candidat M. Grant, M.
McGill et un M. Jordan, trois hommes que rien ne recomman-
dait à ce poste élevé que leurs heureuses spéculations dans le
commerce. Us espéraient par cette persévérance intimider leurs
adversaires nouveaux dans les luttes parlementaires, et qu'ils
taxaient déjà de factieux dès qu'ils osaient manifester une opinion
indépendante. Les débats qui furent très animés, se prolongèrent
longtemps et annoncèrent une session orageuse. McGill qui avait
proposé Grant et qui était lui-môme proposé par un autre,
déclara pour raison de son opposition à M. Panet, que le président
devait connaître les deux langues et surtout la langue anglaise.
On lui répondit que re candidat entendait assez cette langue pour
la conduite des praires publiques. Un autre membre, M.
Richardson, avança que les Canadiens étaient tenus par tous les
motifs d'intérêt et de reconnaissance d'adopter la langue de la
métropole, et soutint sa proposition avec tant d'apparence de
conviction qu'il acquit M. P. L. Panet à son parti. " Le pays
n'était-il pas une dépendance britannique demanda ce représen-
tant? la langue anglaise n'était-elle pas celle du souverain et de la
législature? Ne devait-on pas conclure de laque, puisque l'on
parlait anglais à Londres, l'on devait le parler à Québec." Ce
raisonnement qui paraissait plus servile que logique ne convain-
quit personne. La discussion sur un pareil sujet était de nature
à exciter les passions les plus haineuses. " Est-ce parce que le
Canada fait partie de l'empire britannique, s'écria M. Papineau
dont la parole avait d'autant plus de poids qu'il s'était distingué
par son zèle et sa fidélité durant la révolution américaine, est-ce
parce que les Canadiens ne savent pas la langue des habitans des
bords de la Tamise qu'ils doivent être privés de leurs droits?"
Cette apostrophe suivie d'un discours plein de force et de logique
déconcerta l'opposition, dont les faits cités ensuite par MM.
Bedard, de Bonne et J. A. Panet achevèrent la défaite. Ce
dernier rappela que dans les îles de la Manche comme Jersey et
Guernesey, l'on parlait le français ; que ces îles étaient attachées
à l'Angleterre depuis Guillaume le conquérant, et que jamais
population n'avait montré plus de fidélité à l'Angleterre que
celle qui les habitait." Il aurait pu ajouter encore que pendant
plus de trois siècles après la conquête normande, la cour, l'église
9(i HISTOIRE DU CANADA.
la robe, les tribunaux, la noblesse, (out parlait françaÎB ea Angle-
terre ; que c'était la langue materacUe de fiichard cœur-de-Iion, du
Prince noir et même de Henii V ; que tous cca personnages
illustres étaient de bons Anglais ; qu'ils élevt^rent avec leurs arbelË-
iriera bretons et leurs chcvaliera de Guyenne la gloire de l'Angle-
terre à un point où les rois de la langue saxonne n'avaient jamais
pu h faire parvenu:;' enfin que c'était la langue île la grande
Charte, et que l'origine de la grondeur présente de l'empire élait
due à ces héros et aux barons normands qui l'avaient signée et
dont les opinions avaient toujours conservé la plus grande influ-
ence sur le pays.
La discus^on se termina après une lutte vigoureuse par Télec-
tion de M. Panet au fauteuji présidentiel, et la défaite de ses
trois concurrens ; mais pas un seul anglais ne vota pour lui, tan-
dis que deux Canadiens votèrent contre. La division lut de 28
contre 13.
L'élément anglais malgré sa falblestie cherchait à dominer sous
le prestige de l'influence métropolitaine. Le premier préâdent
«lu, sans Être un homme de talcns sopérieura, avait l'espéricncQ
des affaires comme l'avocat le plus employé de son temps, une
abondance d'élocution qui ne tarissait point, l'esprit orné et les
manières faciles et polies de la boime société.
Le 20, le gouverneur approuva le chois de l'assemblée et
adressa aux deus chambres réunies un discours dans lequel il
recommanda l'harmonie et l'adoption des mesures que pouvaient
demander l'avantage et la prospérité du paya. " Dana un jour
comme celui-ci, dit-il, remarquable par le commencement d'une
forme de gouvernement qui a porté la Grande-Bretagne au plus
haut degré d'élévation, il est imposable de ne pas éprouver une
émotion profonde, et que cette émotion ne soit pas partagée par
tous ceux qui sont en état d'apprécier la grandeur du bientàit
qui vient d'être conféré au Canada. Je me conienteroi de sug-
gérer qu'après avoir rendu des actions de grâces à l'arbitre de
l'univers, nous rendions hommage à la magnanimité du rm el du
parlement, auxquels noua le devons en leur exprimant tous nos
remercimena et toute notre reconnaissance."
* Ou sait que les lieoic tieiB de l'aimâe du Prince noir i, 1« balaiUe de
Poitiers âtttient compoaéa de GrascoriB, ite Français,
HISTOIRE DU CANADA. 97
La réponse de la chambre fut BÎmple et respectueuse ; mais le
conseil législatif crut devoir lancer un anathème contre la révo-
lution française et remercier la providence d'avoir arraché le
Canada des mains d'un pays où il se passait des scènes que Ton
pouvait reprocher à des barbares. Ce^èflexions, qui pouvaient
être bonnes en elles-mêmes, étaient ni|Mlîques et inopportunes ;
elles partaient de trop loin pour atteindre la France, et le moindre
bon sens aurait du faire apercevoir qu'elles ne pouvaient être
agréables aux Canadiens, qui devaient conserver des sentimens
de respect pour la nation d'où sortaient leurs pères. Aussi cela
fut-il regardé comme une petite malice du conseil, qui voulait se
donner le plaisir de dire quelque chose de désagréable pour la
population.
Après ces préliminaires, les chambres votèrent une adresse au
roi pour le remercier de la nouvelle constitution, et se mirent
sérieusement à l'ouvrage. La discussion des règlemens pour
leur régie inférieure les occupa une grande partie de la session.
Elles adoptèrent les règles du parlement impérial avec les modi-
fications nécessitées par la différence de circonstances. Ce
travail ramena encore les débats sur l'idiome populaire.
Sur la proposition de dresser les procès-verbaux de l'assemblée
dans les deux langues, M. Grant fit une motion d'amendement
tendant à les rédiger en anglais seulement avec liberté d'en faire
faire des traductions françaises pour les membres qui le désire-
raient. Après de violens débats, l'amendement fut rejeté. Les
discussions recommencèrent lorsque le rapport du comité fut
présenté. Grant proposa de nouveau qu'afin de conserver l'unité
de la langue légale qu'aucune législature subordonnée n'avait le
droit de changer, l'anglais fut déclaré texte pariementaire. M.
de Lotbinière prit la parole : " Le plus grand nombre de nos élec-
teurs, dit-il, étant placés dans une situation particulière, nous
sommes obligés de nous écarter des règles ordinaires et de récla-
mer l'usage d'une langue qui n'est pas celle de l'empire, mais
aussi équitables envers les autres que nous espérons qu'on le sera
envers nous, mêmes nous ne voudrions pas que notre langue vint
à bannir celle des autres sujets de sa Majesté. Nous demandons
que l'une et l'autre soient permises. Nous demandons que nos
procès-verbaux soient écrits dans les deux langues, et que lors-
98 HISTOIRE DU CANADA.
qu'il sera nécessaire d'y avoir recours, le texte soit pris dans la
langue des motions originairement présentées, et que les bills
soient passés dans la langue de la loi qui leur aura donné naissance.
Ayant eu l'honneur d'être du comité où cet objet a déjà été
débattu, et ayant entendi^ce qui vient d'être dit par les hono-
rables membres qui ont'pKlé avant moi, je crois qu'il est néces-
saire de récapituler celles de leurs raisons qui m'ont le plus
frappé, et auxquelles il est de mon devoir de répondre d'une
manière détaillée.
La première raison qui a été donnée, est, que la langue
anglaise étant celle du souverain et de la législation de la mère-
pairie, nous ne serons entendus ni des uns ni des autres si nous
n'en fesons usage, et que tous les projets de loi que nous présen-
terons en langue française seront refusés.
La seconde, que l'introduction de la langue anglaise assimilera
et unira plus promptement les Canadiens à la mère-patrie.
Ces raisons sont d'une si grande importance qu'il est indis-
pensablement nécessaire de les examiner l'une après l'autre.
Pour répondre à la première, je dirai avec cet enthousiasme
qui est le fruit d'une vérité reconnue et journellement sentie, que
notre très gracieux souverain est le centre de la bonté et de la
justice ; que l'imaginer autrement serait défigurer son image et
percer nos cœurs. Je dirai, que notre amour pour lui £st tel
que je viens de l'exprimer; qu'il nous a assuré de son attache-
ment et que nous sommes persuadés, que ses nouveaux sujets
lui sont aussi chers que les autres. Enfans du même père, nous
sommes tous égaux à ses yeux. D'après cet exposé, qui est
l'opinion générale de la province, pourra-t-on nous persuader
qu'il refusera de nous entendre, parce que nous ne savons parler
que notre langue ? De pareils discours ne seront jamais crus:
ils profanent la majesté du trône, ils le dépouillent du plus beau
de ses attributs, ils le privent d'un droit sacré, du droit de rendre
justice ! Non, M. le président, ce n'est point ainsi qu'il faut
peindre notre roi ; ce monarque équitable saura comprendre
tous ses sujets, et en quelque langue que nos hommages et nos
vœux lui s.'.ient portés, quand nos voix respectueuses frapperont
le pied de son trône, il penchera vers nous une oreille favorable
et il nous entendra quand nous lui parlerons français. D'ailleurs,
HISTOIRE DU CANADA. 99
monsieur, cette langue ne peut que lui être agréable dans la
bouche de ses nouveaux sujets, puisqu'elle lui rappelle la gloire
de son empire et qu'elle lui prouve d'une manière forte et puis-
sante, que les peuples de ce vaste continent sont attachés à leur
prince, qu'ils lui sont fidèles, et qu'ils sont anglais par le cœur
avant même d'en savoir prononcer un seul mot.
Ce que je viens de dire du meilleur des rois, rejaillit sur les
autres branches de la législature britannique. Ce parlement
auguste ne peut-être représenté sous des couleurs défavorables,
puisqu'il nous a donné des marques de sa libéralité et de ses
intentions bienfaisantes. Le statut de la 14e année de sa Majesté
est une preuve de ce que j'avance ; notre religion nous y est
conservée, nos lois de propriété nous y sont assurées, et nous
devons jouir de tous nos droits de citoyens d'une manière aussi
ample, aussi étendue et aussi avantageuse, que si aucune procla-
mation, ordonnance, commission ni autre acte public n'avaient
été faits. Après une loi aussi solennelle qui n'a pas été révo-
quée, peut-on croire que le parlement voulût retirer ce qu'il nous
a si généreusement accordé ; peut-on croire qu'en nous assurant
tous nos droits de citoyens, qu'en nous conservant toutes nos lois
de propriété, dont le texte est français, il refuserait de nous enten-
dre quand nous lui parlerons dans cette langue, qu'il refuserait de
prendre connaissance des actes que nous lui présenterons sur un
texte qu'il nous a conservé ; cela ne peut-être. Nous Voyons une
continuation de la bienveillance de ce parlement auguste dans
l'acte de la 31e année de sa Majesté. Pourquoi la divibion de la
province 1 pourquoi cette séparation du Haut et du Bas-Canada ?
Si nous lisons les débats de la chambre des communes lors de la
passation de ce bill, nous en connaîtrons les raisons, c'est pour
que les Canadiens aient le droit de faire leurs lois dans leur
langue et suivant leurs usages, leurs préjugés et la situation
actuelle de leur pays.
Est-il dit par cet acte de la 31e année de sa Majesté que nos
lois seront uniquement faites en anglais ] Non, et aucune raison ne
le donne même à l'entendre : pourquoi donc vouloir introduire un
procédé qui ne peut-être admissible en ce moment? pourquoi
regarder comme indispensable, une chose dont il n'est pas même
fait mention dans l'acte constitutionnel ? Croyons, M. le prési-
100 HISTOIRE DU CANADA.
dent, que si l'intention du parlement britannique avait été d'in-
troduire la seule langue anglaise dans notre législature, il en aurait
fait une mention expresse, et que dans sa sagesse il aurait trotivé
des moyens pour y parvenir ; croyons, monsieur, et soyons bien
convaincus, qu'il n'en aurait employé que de doux, de justes et
d'équitables. C'est donc à nous à imiter sa prudence et à atten-
dre ce beau jour dont nous n'apercevons que l'aurore .... La
tieconde raison^ qui est d'assimiler et d'attacher plus promptement
lus Canadiens à la mère-patrie, devrait faire passer par dessus
toute espèce de considérations, si nous n'étions pas certains de la
fidélité du peuple de cette province ; mais rendons justice à sa
conduite de tous les temps, et surtout rappelions-nous l'année
1775. Ces Canadiens qui ne parlaient que français, ont montré
leur attachement à leur souverain de la manière la moins équivo-
que. Ils ont aidé à défendre toute cette province. Cette ville,
ces murailles, cette chambre même où j'ai l'honneur de faire
entendre ma voix, ont été en partie sauvées par leur zèle et par
leur courage. On les a vus se joindre aux fidèles sujets de sa
Majesté, et repousser les attaques que des gens qui parlaient
bien bon anglais faisaient sur cette ville. Ce n'est donc pas, M.
le président, l'uniformité du langage qni rend les peuples plus
fidèles ni plus unis entre eux. Pour noua en convaincre, voyons
la France en ce moment et jetons les yeux sur tous les royaumes
de l'Europe. . . .
Non, je le répète encore, ce n'est point l'uniformité du langage
qui maintient et assure la fidélité d'un peuple ; c'est la certitude
de son bonheur actuel, et le nôtre en est parfaitement convaincu.
Il sait qu'il a un bon roi et le meilleur des rois ! il sait qu'il est
sous un gouvernement juste et libéral ; il sait enfin, qu'il ne pour-
rait que perdre beaucoup dans un changement ou une révolution,
et il sera toujours prêt à s'y opposer avec vigueur et courage."
M. Taschereau parla dans le même sens que M. deLotbinière
et avec beaucoup d'apropos. 11 dit qu'il avait été opposé à une
chambre d'assemblée en 88 parcequ'il craignait pour la sûreté des
droits Canadiens ; mais que les craintes qu'il avait alors avaient
disparu depuis qu'il voyait que le pays avait su se choisir une repré-
sentation qui assurait la tranquillité de tout le monde. Je me
suis levé, ajouta-t-il, armé non-seulement de l'acte de 74, mais
HISTOIRE DU CANADA. 101
aussi de celui de 91 dont les Canadiens qu'on a si souvent peints
avec des couleurs désavantageuses, sauront faire usage au grand
étonnenient de quelques individus^ mais à la satisfaction de la
Grande-Bretagne. Passant ensuite rapidement sur l'objet de la
discussion, il termina par ces paroles qui ne pouvaient être réfu-
tées:
" Mais l'on a dit et l'on dira encore, le conseil législatif, son
excellence le lieutenant gouverneur, ces deux premières puis-
sances qui doivent concourir avec nous, ne recevront pas nos bills
en français; oui, monsieur, ils les recevront, cet acte de la 31e
année m'en assure, et pour l'interpréter dans son vrai sens et dans
toute sa force, je demanderai si la représentation est libre? per-
sonne me dit que non ; étant libre, il pouvait donc se faire que
50 membres qui comme moi, n'entendent point l'anglais, auraient
composé cette chambre ; auraient-ils pu faire des lois en langue
anglaise 1 non, assurément. Eh bien ! c'aurait donc été une
impossibilité et une impossibilité ne peut exister. Je demanderai
actuellement si pour cela cet acte de la 31e année qui nous cons-
titue libres, pourrait être annulé et anéanti ; non certainement,
rien ne peut empêcher son effet, et cet acte commande aux pre-
mières puissances de la législation de concourir avec nous ; et
notre confiance en leur justice est telle, que nous sommes per-
suadés qu'elles le feront de manière à répondre aux intentions
bienfaisantes de sa Majesté et de son parlement, qui ne nous res-
traignent point à la dure nécessité de statuer, en ce moment/ nos
lois dans une langue que nous n'entendons point."
" D'ailleurs, observa un autre membre, M. de Rocheblave,
quelles circonstances choisit-on pour nous faire adopter un chan-
gement également dangereux pour la métropole et pour la pron
vince 1 Ignore-t-on que nous avons besoin de toute la confiance
du peuple pour l'engager à attendre avec patience que nous trou-
vions des remèdes aux maux et aux abus dont il a à se plaindre ?
Ne peut-on pas voir qu'il est dangereux pour la Grande-Bretagne
même à la quelle nous sommes liés par reconnaissance et par inté-
rêt, de détruire les autres barrières qui nous séparent de nos voi-
sins ; que tout espoir et toute confiance de la part du peuple dans ses
représentans sont perdus si nous n'avons qu'un accroissement de
privation à lui offrir pour résultat de nos travaux ?
o
10:i iiiSToruE du canada.
Eh ! de quoi pourraient ae plaindre quelques-uns de noE fréros
anglais en nous voyant décidée à conserver avec nos lois, usagea et
coutumes, notre langue malei'nelle, eeu! moyen qui nous reste pour
dèTendre nos propriétés? La stérile honneur lie voir dominer
leur langue pourrait-il les porter à taire perdre leur ibrce et leiir
énergie i ces mêmes lois, usages et coutumes qui l'ont la sécurité
de leur propre forluneT Maîtres sans concurrence du com-
merce qui leur livre nos productions, n'ont-iis pas infiniment à
perdre dans le bouleversement ^néral qui en serait la suite infail-
lible, et n'est-ce pas leur rendre le plus grand service que de s'y
opposer 1*
, Ces discuaslons agitaient profondÉment les Canadiens. En effet
l'abandon de la langue maternelle n'est pas dans ia nature de
l'homme, dit un savant f ; elle ne tombe qu'avec lui, si même elle no
lui survit pas. Comme cela devait être, tout l'avantage de la dis-
cussion resta à ceux qui repoussaient l'oppression, et comme la
première fois la division sur l'amendement de Grant, montra tous
les Anglais pour et tous les Canadiens contre, excepté toujours M.
P. L. Panet. L'amendement fut repoussé par les deux liera de
la chambre. Plusieurs autres dans le même sens furent encore
proposés par M, M. Lees, Pûchardson et les orateurs les plus
remarquables du parti anglais, et subirentlomêmesorl aprèstrois
jours de discussions. La résolution définitive fut, que loua les
procédés de la chambre seraient dans les deux langues ; mais que
lo fraikçais ou l'anglais serait le texte des actes législatifs selon
qu'ils auraient rapport aux lois françaises ou aux lois anglaises
existantes en Canada,
Dans cette importante question, l'on voit que les membres
anglais élus par les Canadiens, trahirent sans hésitation les inté-
rêts et les senlimens les plus intimes de leurs commctlans. lis
prouvèrent que leurs opinions de 64 n'avaient point changé, et
qu'ils étalent toujours les organes du parti qui ne cessait point
de porter contre tout ce qui était catholique et français cette haine
aveugle qui a inspiré plus tord l'un de leurs partisans dans le
passage suivant: " L'acte de H a été injudicleusement libéral
envers le clergé et les hautes classes, et celui de 91 envers la
• Gazette lie MonRéalj 14 février 1793.
i Lettres sur l'origine des sciences par Bailly.
HISTOIRE DU CANADA. 103
masse des Canadiens. Ce dernier en sanctionnant l'existence
des lois civiles françaises, en assurant le libre exercice de la reli-
gion catholique et le payement des dîmes, en modifiant le ser-
ment de fidélité, de manière que les catholiques pussent le prêter,
en confirmant aux Canadiens catholiques la propriété de leurs
biens avec leurs usages et leurs coutumes, en n'abolissant pas
leur langue maternelle et la tenure de leurs terres, en prenant pour
base de la répartition du droit électoral, le nombre et ne faisant
rien pour les Anglais et la langue anglaise, en ne stipulant pas
une liste civile pour le soutien du gouvernement et l'usage exclu-
sif de l'anglais pour la rédaction des lois, enfin en oubliant de
limiter la représentation fi:^nco-canadienne de manière à la laisser
dans la minorité, l'acte de 91 fut la plus grande faute que pouvait
faire le gouvernement britannique, puis qu'il s'agissait d'un peuple
qui différait de manières, d'habitudes, de coutumes, de religion
et de langue d'avec la nation anglaise." • La chambre d'as
semblée ayant enfin disposé de ces questions brûlantes, put
s'occuper avec plus de calme d'un grand nombre de projets de
loi; dont plusieurs ne paraissaient pas bien pressans comme celui
pour le soulagement des personnes en détresse dans les paroisses.
Une loi des pauvres peut être bonne dans un pays surchargé de
population comme l'Angleterre, mais elle est impolitique dans une
contrée dont les trois quarts du territoire sont encore à défricher
et à établir. L'acte des écoles de paroisse qui fut présenté était
d'une nature bien autrement importante pour l'avenir du pays.
Ceux pour la tolérance des quakres et l'abolition de l'esclavage
avaient de l'importance plutôt comme déclaration de principe
que comme besoin social réellement senti, car les quakres et les
esclaves étaient très rares en Canada, l'esclavage dans le fait n'y
ayant jamas été admis sous la domination français.
La question d'éduca:,ian prima donc dans cette première ses-
sion. L'on a vu (*o:T)ment le collège des jésuites avait été fermé
par ordre du gouvernement dans les premières années de la con-
quête, sans droit, sans loi, sans aucun jugement public de l'autorité
compétente ; et que le peuple avait réclamé dès 87 les biens de
cet ordre religieux pour les rendre à leur destination primitive,
l'éducation. En 93, les habitans de Québec et des environs pré-
• Fleming.
104 HISTOIRE DU CANA.DA.
sentérent une seconde pétition à la législature pour le même objet
dans laquelle ils exposaient en réponse aux représentations de
lord Amherst et des consultations des officiers de la couronne,
que la nature des titres et de la fondation du collège de Québec
avait été déguisée en Europe ; que le Canada se trouvait privé
d'écoles publiques depuis la conquête, et que la continuation de
ce malheur pouvait-être attribuée aux efforts de quelques indivi-
dus qui convoitaient les biens de cette institution. La majorité
de la chambre d'assemblée approuvant les conclusions des péti-
tionnaires, M. de Rocheblave proposa, après quelque discussion,
que leur requête fut renvoyée à un comité de 9 membres pour
vérifier l'exactitude des allégués touchant les titres de ces biens.
M. Grant s'opposa à la motion qui comportait, suivant lui, la
reconnaissance tacite du droit que le pays avait à leur propriété,
et proposa un amendement par lequel tout en déclarant que la
couronne pouvait en disposer comme bon lui semblerait, l'on
priait le roi de les affecter à l'instruction publique. L'adoption
d'un pareil amendement aurait mis, par analogie, tous les biens
des institutions religieuses à la merci d'un ordre de l'Angleterre,
et les craintes que l'on avait à ce sujet n'étaient pas imaginaires,
car le bruit courait déjà que le gouvernement allait s'emparer de
l'égjlise et du couvent des récollets pour les convertir à l'usage
du culte protestant, ce qu'il exééuta après l'incendie du cou-
vent en 96, L'on n'avait pas oublié non plus qu'il avait pris
de la même manière un terrain précieux appartenant aux ursu-
lines sans les indemniser. Après des débats prolongés jusqu'au
lendemain, l'amendement fut écarté par toute la chambre de
même que la motion principale lorsqu'elle fut soumise à son con-
cours sous forme de rapport.
Le projet de la loi d'éducation parvint à sa seconde lecture et
tomba sur la proposition qui fut faite de le prendre en considéra-
tion en comité général. L'on finit par résoudre après plusieurs
ajournemens et des discussions très vives, de présenter une
adresse au roi pour le prier simplement d'approprier les biens
des jésuites à l'instruction de la jeunesse, sans faire allusion au
titre que le pays avait pour les réclamer ; et la question des
écoles se trouva par là ajournée indéfiniment.
La chambre passa ensuite aux finances. La résolution la plus
HISTOIRE DU CANADA. 105
importante de la session fut celle par laquelle elle déclara que le
vote des subsides lui appartenait d'une manière exclusive et
incontestable, et qu'aucune loi d'appropriation ne pourrait être
amendée par le conseil législatif. Elle passa aussi un bill pour im-
poser des droits sur l'importation des boissons, dans le but de créer
un revenu sur lequel elle put affecter le payement des dépenses
de la législature, mesure nécessaire pour assurer son indépen-
dance, car le trésor anglais payait encore une forte proportion du
budjet canadien. Les droits sur la portion des boissons consom-
mées dans le Haut-Canada, devaient être remboursés à cette pro-
vince. Enfin elle porta son attention sur l'état de l'administra-
tion de la justice, et le conseil législatif lui envoya un projet de
loi sur la formation des tribunaux, dont la considération fut
remise à la session suivante après une première lecture.
Tels furent les principaux sujets qui occupèrent la session
de 92. Le résultat ne répondit point à sa longueur ; mais les
discussions qui avaient eu lieu produisirent plusieurs avantages.
Celles sur la régie intérieure mirent les membres au fait des
règles parlementaires, et la politesse française introduite par les
Canadiens dans la tenue de la chambre et dans les débats, donna
à ce corps un air de respectueuse gravité que n'avait point, par
exemple, la chambre des communes d'Angleterre avec ses
membres enveloppés de leurs manteaux, la tête couverte et la
canne ou la cravache à la main comme la foule dans une foire.
Le principal événement de la session fut le triomphe de la
langue des Canadiens ; le résultat la conviction de leur aptitude
pour la nouvelle forme de gouvernement. Le caractère subtil,
litigieux et disputeur qu'ils tenaient des Normands leurs ancêtres,
trouvait à se satisfaire dans les controverses parlementaires, et
leuc soumission caractéristique aux lois était une des conditions
I
essentielles pour les rendre propres à la jouissance d'institutions
libres.
C'est le 9 mai que furent prorogées les chambres. Le gou-
verneur sanctionna les huit bills qu'elles avaient passés, et leur
témoigna dans un discours toute la satisfaction qu'il éprouvait en
voyant l'attachement que le Canada montrait pour le roi et pour
la nouvelle constitution dans un temps où la révolution française
forçait les nations de l'Europe à prendre part à une lutte qui
106 HISTOIRE DU CANADA.
enveloppait les premiers intérêts de la société. Il se flattait que
dans la session suivante, elles régleraient les deux importans
sujets sur lesquels il avait appelé leur attention, l'administration
de la justice et la réorganisation de la milice pour la défense du
pavs en cas que la guerre ou les mauvaises dispositions des enne-
mis de toute espèce rendissent une défense nécessaire.
Les progrès de la révolution française qui attirait dans ce
moment les regards de toutes les nations, et qui, comme un
immense météore menaçait d'embraser l'Europe entière, remuait
toutes les masses et remplissait tous les gouvernemens d'une
terreur profonde. Les progrès de cette révolution dont l'influence
avait puissamment contribué à déterminer l'Angleterre à nous
accorder une extension de liberté, fixaient aussi les regards du
Canada. Le peuple et le gouvernement regardaient ce spectacle
avec des sentimens de crainte et d'étonnement. L'un ofirait,
l'autre demandait des témoignages de fidélité au roi et à l'ordre
établi, tant on avait de méfiance les uns contre les autres, et tant
l'on avait conséquemment besoin de se rassurer. L'on était
réservé dans son langage et dans ses actes, et en réclamant l'u-
sage de leur langue maternelle, les Canadiens protestaient sans
cesse dans les termes les plus forts de leur attachement à la cou-
ronne. Cette retenue dans leurs discours et cette fermeté dans
leurs principes assurèrent pour le moment deux avantages au
pays, la paix intérieure et la conservation de ses droits. Le parti
anglais abandonna ses prétentions outrées, soit qu'il vît l'inutilité
de ses efibrts, soit qu'il reçût des avertissemens en haut lieu, soit
enfin qu'il résolût de se reposer sur l'avenir; et tandis que l'an-
cien monde était en feu, le Canada jouissait de la liberté et de la
paix, deux choses nouvelles pour lui. Tel était l'état des esprits
lorsque lord Dorchester revint en Canada en 93 armé d'instruc-
tions nouvelles et fort amples, qui l'autorisaient à nommer un
nouveau conseil exécutif, qu'il composa de 9 membres dont .4
Canadiens, et qui portaient que toutes les nominations aux charges
publiques ne subsisteraient que durant le bon plaisir de la cou-
ronne ; que les terres ne seraient concédées qu'à ceux qui seraient
capables de les établir, après qu'elles auraient été divisées en
arrondissemens (tov^rnships), enfin qui permettaient aux séminai-
res de Québec et de Montréal ainsi qu'aux communautés
HISTOIRE DU CANADA. 107
religieuses de femmes de se perpétuer suivant les règles de leur
institution. Les troubles de l'Europe qui menaçaient d'em-
braser l'Amérique, et la popularité de cet ancien gouverneur
parmi les Canadiens, furent probablement les motifs qui engagè-
rent la Grande-Bretagne à lui remettre pour la troisième fois les
rênes du gouvernement. Il fut parfaitement accueilli par l'an-
cienne population, mais avec froideur par les Anglais, qui trou-
vèrent ensuite le discours qu'il prononça à l'ouverture des cham-
bres beaucoup trop flatteur pour la représentation nationale.
II appela dans ce discours leur attention sur l'organisation de
la milice, sur l'administration de la justice ; et, en leur annonçant
qu'il allait leur faire transmettre un état des comptes publics, il
les informa que les revenus étaient encore insuffisans pour cou-
vrir toutes les dépenses ; mais qu'il espérait que la métropole
continuerait de combler le déficit.
Cette session fut plus longue encore que la première et dura
depuis le mois de novembre 93 jusqu'au mois de juin suivant ou
six mois et demi. Il ne fut passé cependant que six lois dont une
pour réorganiser la milice, deux autres pour amender les lois de
judicature, et autoriser le gouverneur à suspendre la loi de
l'habeas-corpus à l'égard des étrangers soupçonnés de menées
séditieuses, acte renouvelé d'année en année jusqu'en 1812. Les
intrigues de l'ambassadeur de la république française auprès du
gouvernement des Etats-Unis, M. Genêt, et celles de ses émissai-
res en Canada, nécessitaient, disait-on, ces mesures de précau-
tions qui blessaient la liberté du sujet et dont l'abus sous l'admi-
nistration de sir James Craig devait tant agiter le pays. La
plus grande harmonie ne cessa point de régner pendant toute la
session. M. Panet, fait juge des plaidoyers communs, fut rem-
placé à la présidence de la chambre, par M. de Lotbinière qui
fut élu à l'unanimité. L'influence pacifique de lord Dorchester
se faisait déjà sentir sur l'opposition, qui se désabusait chaque jour
sur ses prétentions. C'est dans cette session que, pour la pre-
mière fois, les comptes du revenu public furent mis sous les yeux
des contribuables. Dans le message qui les accompagnait, le
gouverneur recommanda de donner des salaires fixes aux fonction-
' naires et d'abolir le système des émolumens, afin de prévenir
tout abus et que les charges imposées sur le peuple pour le
108 HISTOIRE DU CANADA.
soutien de l'état, fussent exactement connues. Le revenu annuel
n'atteignait pas le tiers des dépenses de l'administration civile,
qui s'élevaient à ^25,000, laissant ainsi un découvert de plus de
jG 17,000 qui était comblé par le budget impérial.
Les recettes provenaient des droits sur les vins, les spiritueux,
la mêlasse, de la taxe sur les aubergistes et des amendes et con-
fiscations. Dans le vrai l'on pourrait presque dire que la taxation
était inconnue en Canada.
Le gouverneur, sans demander expressément un vote de sub-
sides pour couvrir la totalité des dépenses, avait appelé l'attention
de la chambre sur les moyens d'augmenter le revenu et de pour-
voir par elle-même à tout le budget, ce qu'elle ne parut pas s'em-
presser de goûter pour le moment. Plus tard cependant lors-
qu'elle voulut y revenir pour mieux contrôler Tadminis-
tration, on lui fit un crime de son offre tant les intérêts et les
passions peuvent mettre les hommes en contradiction avec eux-
mêmes.
Tandis que l'on s'occupait ainsi avec assez d'unanimité de la
question des finances, les idées révolutionnaires faisaient toujours
des progrès et le gouvernement canadien ne paraissait pas
plus rassuré que les autres malgré la tranquillité qui régnait dans
le pays. Lord Dorchester qui se surprenait quelquefois avec xîes
craintes, saisit l'occasion de la fermeture des chambres pour
recommander la soumiî^ion à l'ordre établi. " Je n'ai aucun
doute, dit-il, aux membres, qu'en retournant dans vos foyers vous
ne répandiez avec zèle, parmi les habitans, ces principes de jus-
lice, de patriotisme et de loyauté qui ont distingué vos travaux
publics pendant le cours de cette longue session ; que vous ne
fassiez tous vos efforts pour découvrir et amener devant les tri-
bunaux les personnes mal-disposées qui, par leurs discours et
leurs conversations inflammatoires, ou la diffusion d'écrits sédi-
tieux, chercheraient à séduire ceux qui ne sont pas sur leurs
gardes, et à troubler la paix et le bon ordre de la société, et que
vous ne saisissiez toutes les occasions de persuader à vos compa-
triotes que les bienfaits dont ils jouissent sous une constitution
vraiment libre et heureuse, ne peuvent-être conservés que par
une sincère obéissance aux lois."
Le clergé catholique faisait tout en lui de son côté pour rassurer
DU CANADA. 109
le ^uvernement et mointenîr !« peuple dans l'obéissance. Le
curé de Québec, M. Ple««i8. prononçant l'oraiaon funébte de M,
Briand.évêque, dantt la caihédrale, le 27 juin, disait:
"Nos conquérans, regardés d'un œil ombrageux el jaloux, nSnB-
pinûent que de l'horreur et du saisissement. On ne pouvait se
persuader que des hommes étrangers il notre sol, à notre langage,
à nos lois, à nos usages et à notre culte, fussent jamais capables
de rendre au Canada ce qu'il venait de perdre en changeant de
aiaitres. Nation généreuse, qui nous avez fait voir avec tant
d'évidence combien ces préjugés étaient faux ; nation industrieuse,
qui avez &it germer les ricliessea que celle terre renfermait dana
son sein ; nation exemplaire, qui Aaaa ce moment de crive ensei-
gnez i l'univers attentif, en quoi conaiste cette liberté aprèi
laquelle tous les hrmimes soupirettt et dont dpeu connaissent les
j'uiles àornes ; nation compatissante, qui venea de recueillir avec
tant d'humanité les sujets les plus fidèles et les plus maltraîiéa de
ee royaume auquel nousappartiraeBOutrelbis ; nation bien faisan le,
qui donnez chaque jour au Canada de nouvel'es preuves de votre
libéralité; — non, non, voua n'Êtes pas nos ennemis, ni ceux de
nos propriétés que vos lois protègent, ni ceux de notre sainte
religion que vous respecle;!. Pardonnez donc ces premières
défiances à un peuple qui n'avait pas encore le bonheur de vous
connaître; et ai après avoir appris le bouleversement de l'Eiat
et la destruction du vrai culte en France, et après avoir goûté
pendant trento-cinq ans les douceurs de voire empire, il se trouve
encore parmi nous quelques esprits assez aveugles ou assez mal
intentionnés pour entretenir les mômes ombragea et inspirer au
peuple des désirs criminels de retourner à ses anciens maîtres;
n'impulez pas à la totalité ce qui n'est que le vice d'un petit
nombre,
" M. Briand avait pour maxime, qu'il n'y a de vrais chrétiens,
de catholiques sincères, que les sujets soumis à leur Souverain
légitime. Il avait appris de Jésus-Christ, qu'd faut rendre à
César ce qui appartient à César ; de St. -Paul, que toute &me
doit Être soumise aux autorités établies ; que celui qui réûste à
la puissance résiste à Dieu mém-e, et que par celle résistance il
mérite la damnation ; du chef des apôlrea, que !e rtu ne porte pas
le glaive sans raÎBOD, qu'il faut l'honorer par_ obéissance pour
KO HISTOIRE DU CANADA.
Dieu, propter Dùv/m, tant en ea, personne qu^en celle des ofG-
dere et magistrats qu'il députe sii» ducilius tanquam ab eo missis.
Tels Botit, chrétiens, 6ur cetio matière, les principes de notre
sainte religion; principes qua nous ne saurionH trop vous incul-
quer, ui vous remettre trop souvent devant les yens, puisqu'ils
font partie de cette morale ëvangëlique à l'observance de laquelle
est attaché votre salut. Néanmoins, lorsque noua vous exposons
quelquefois vos obligations sur cet article, vous murmurez contre
nous, vous voue plaignez avec amertume, vous nous accusez de
vues intéressées et politiques, et croyez que nous passons les
bornes de notre ministère ! Ah ! mes frères, quelle injusUce !"
On ne pouvait rassurer l'Angleterre dans un langage plus sou-
mis ni plus dévoué. Le prêtre oubliant tout le reste, remerciait
presque la providence d'avoir arraché le Canada à la nation
impie qui brisait Bes autels.
U prêchait l'obéissance la plus absolue en disant que celui qui
résiste à la puissance résiste à Dieu même, et que par cette résis-
tance il mérite la damnation.
Toutes ces maximes du reste étaient et sont encore celles de
l'église catholique. Quoique les proteslana les répudient ou du
moins ne les poussent pas si loin que Rome, ils en profitèrent en
Canada, et M. Plessis fut toute sa vie en grande considération
parmi eux.
Les recommandations du gouverneur et du clergé n'étaient pas
toutefois sans prétexte. Quelques personnes de Montréal que
les discoiua et les prétentions des Anglais choquaient ; d'autres
autant par esprit de contradiction probablement que pour exciter
les frayeurs de l'autorité, tenaient des propos qui les firent accu-
ser devant les tribunaux et condamner i de fortes amendes. A
Québec la même chose eut lieu : trois habitans de Charlesbourg
furent accusés de haute trahison ; quelques uns de menées sédi-
tieuses; leur crime était si peu considérable que le gouverneur
fit abandonner les poursuites en 95. li avait voulu seulement
frapper l'imagination populaire et mettre en garde contre les cria
des agitateurs, 4
Dans l'été, il se forma dans la capitale une grande association
pour le soutien des lois et du gouvernement, en opposition aux
. ptopa^indistea révolutionnaires ; elle couvrit bientôt tout le pays
DU CANADA. TU
et témoigna de sa fidélité i la royauté par de nombreusee adrpssei
qui durent rassurer l'inquiétude métropolitaine. Cet état de
cboaea dara plusieurs années. A chaque session, le gouveme-
iiiem demandait et obtenait de nouveaux pouvoirs pour organiser
une mitico soumise, pour maintenir la tranquillité intérieure, pour
repousser les ennemis extérieure s'ils s'en présentaient, enfin pour
continuer la suspension de l'acte d'habeas- corpus à l'égard dea
étrangère. Il est inutile de dire que pendant ce temps là la plus
grande concorde régnait entre les difiercntes branches de la légis-
lature. Pluiiieurs des membros les plus marquans avaient reçu
dea emplois, comme M. Panet et M. de Bonne. Les autres
BBiisAùts, se fèlicitaient du repos dont l'on jouissait en comparai-
8on de l'Europe et ne songeaient qu'à en profiter.
Dans la sosaion do 95 qui dura plus de quatre mois, le gouver-
neur fit mettre devant la chambre un état des revenus de l'année
écoulée et les comptes d'une partie dea dépenses du gouveme-
menl civil, en la priant d'y pourvoir. Pour répondre à cette
demande et couvrir la différence qu'il y avait entre la dépense et
le revenu, la chambre passa deux lois d'impôt, l'une augmentant
les droits sur les eaus-de-vie étrangères, les mêlasses, les sirops,
les sucres, le café, le tabac, le sel ; l'autre continuant ta taxe
annuelle sur Ica colporteurs et les aubergistes. Cette aug-
mentalion ne répondit pas immédiatement au besoin <]ui l'avait
fait décréter ; mais l'on avait reconnu le principe. La plupart
dee aolea qu'on passa dans celte seaâon continuaient d'anciennes
!cts avec de légères modifications, et ne les continuaient que pour
Dfl temps limité, car l'assemblée av^l déjà pour régie de le«r
donner la plus courte durée posâble, afin que ie gouvernement fiît
moins indépendant d'elle.
Une question incidente fort intéressante occupa un instant la
législature. Le taux des rentes et les charges seigneuriales
avaient été fixés d'une manière précise et permanente par la loi
eous l'ancien régime. Après la conquête, plusieurs Anglais qui
avaient acheté les seigneuries des Canadiens partant pour la
France, haussèrent ces taux et furent imités par quelques uns
dea anciens seigneurs. Bientôt l'abus fui poussé à tel point qu'il
arraclia des plaintes aux habjlsna, qui ne trouvaient plus dans les
juges nommés par le nouveau gouveinenient, la protection qu'il»
113 HISTOIRE DU CANADA.
avBÏentconliime de recevoir des tribunaux anciens. Les nouveaux
propriétaires qui atten JsienI depuis longtemps l'occasion de changer
la tenurc de leurs seigneuries pour en retirer de pluti^randa revenus,
voulurent proBter du moment pour accomplir leur dessein. Ils
feignirent d^être beaucoup alarmés de la propaealion des idées
révolutionnaires en Amérique, et de craindre l'aboUlion de la
tenure ieodale eana indemnité comme en France ; ils tirent sonner
bien haut l'introduction de ces idées dans le pays ; ils accusèrent
les Canadiens de rëbcUioa et transformèrent leur opposition à
l'acte des chemins en inaurreclion politique, s'imaginant qu'au
milieu du trouble et de la frayeur, ils réimairaient à engager la
chambre d'assemblée à faire faire, par voie de reforme pour satis-
faire les mËcontens, des modiBcations à la tenure surannËe et
oppressive, disaiRnt-ils, qui existait dans le pays en dépit deu
progrès du siècle. Hase croyaient si sûrs du succès, ifu'ils avaient
pris même dea arrangeroens avec des émigrans américains pour
leur concéder, aprèa commutation de toutes les autres redevances,
leurs terres à la charge de certaines rentes, préférant oea der-
niers aux Canadiens parce qu'ils tes trouvaient disposés à payer
des taux plus élevés. Mais leur plan fut déjoué aussitôt que mis au
jour. La question dont les motirsi paraissaient étrangers à toute idée
de réforme réelle et salutaire, fut portée par M. de Rochehlave
devant la chambre, qui la discuta pendant plusieurs séances, et
finit par l'abandonner sans donner satisfaction ni aux uns ni aux
autres, soit qu'elle n'osât pas attaquer lea jugea qui avaient per-
verti la loi, soit que des intérêts dlBsimuléa la paralysassent sur un
abus qui n'a fait qu'augmenter depuis dans plusieurs parties du
pays.
On était alors dans la chaleur des descussione suscitées par
l'acte des chemins auquel nous venons de faire allusion.
Cette question importante pour les campagnes, fut d'abord mal
interprétée par l'imprudence de certaines gens, qui crièrent su
fardeau des taxes et surtout des corvées détesiées par le peupli
depuis Haldimand. On croyait que celte mesure voilait ua
retour au système de ce gouverneur décrié ; mais petit k petit le»
esjiritfl mieux éclairés se calmèrent, et l'acte prit après des amen-
démens nombreux, la forme à peu près dans laquelle il est par-
venu jusqu't noa jours.
é-
HISTOmX DU CABTAOA. 113
4
Une autre question non moins importante fut encore agitée,
celle du numéraire qui ayait cours dans le pays. Il circu-
lait des monnaies de toutevica nations en rapport avec l'Amérique.
Une partie de ces espèces dépréciée par l'usure, entraînait dans
les échanges des pertes considérables. Un remède était devenu
nécessaire» M. Richardson, comme négociant, prit l'initiative et
une loi fut rendue par laquelle on donna une valeur légale fixe
aux monnaies d'or et d'argent frappées aux coins et aux titres du
Portugal, de l'Espagne, de la France et des Etats-Unis, et on con-
vertit la valeur des monnaies anglaises du sterling en cours du
pays. Dans tous les temps le système de la comptabilité a été
imparfait et vicieux en Canada, et il a toujours été fort difficile
de débrouiller le cahos des comptes publics ; delà une partie des
abus, des erreurs, des malversations des agens comptables. Toutes
les lois d'impôts furent aussi réunies en une seule, pour simplifier
les opérations de ces agens, et des mesures furent prises pour
diminuer les frais de perception. L'acte passé pour deux ans,
fut réservé à la sanction royale. Par une de ces anomalies dont
l'on vit beaucoup d'exemples dans la suite, il resta si longtemps
en Angleterre que lorsqu'il revint les deux ans étaient expirés.
Le gouverneur repassa en Europe dans l'été. 11 organisa ou donna
l'ordre avant son départ d'organiser un régiment canadien à deux
bataillons comme l'avait suggéré Du Calvet. Mais ce corps fut
licencié plus tard, peut-être par motif politique, la métropole
jugeant qu'il n'était pas prudent d'enseigner l'usage des armes
aux colons, et se rappelant que les Etats-Unis avaient préludé à
la guerrre de l'indépendance par celle du Canada dans laquelle
ils avaient fait leur apprentissage.
Lord Dorehester avait convoqué aussi avant de déposer les
rênes du pouvoir, les collèges électoraux pour procéder à une
Bouvelle élection générale. Le scrutin du peuple fut sévère, et
plus de la moitié de la représentation fut changée. On remar-
quait parmi les nouveaux membres le procureur et le solliciteur-
fénéral, MM. Sewell et Foucher. Plusieurs anciens membres
ibrent repoussés à cause de leurs tentatives pour faire proscrire
la langue française. Le général Prescott, qui remplaça lord
Dorehester d'abord comme lieutenant-gouverneur et ensuite
comme gouverneur-général, réunit la législature daas le moia de
114 HISTOIRE DU CAfiADA.
janvier. Comme au début du premier parlement, l'élection da
président de la iiranche populaire amenala séparation des deux.
pariis, avec cette différence, celte foi^ que les urganes avouée du
gouvernement firent connaître le drapeau avec lequel il préten-
dait s'identifier. Elle accusa auaai plusieurs défections soupçon-
nées depuis longtemps. Le juge de Bonne et M. de Lanaadière
passèrent dans le camp opposé. Le premier qui était fils de ce
capitaine de Bonne de Miselle attiré en Canada par le tnarquia
de la Jonquiére, descendait de l'illualre race des diica de Leadi-
guières, duni à ce titre il aurait dû glorifier l'origine. Il ne fut
plus désormais qu'un partisan hostile à ses compatriotes. Il pro-
posa pour président de !a chambre, M. Young en opposition à M.
Panet, qui fut réélu à une grande majorité. Comme la première
Ibis, pas un Anglais ne vola pour ce dernier, tandis que quatre
Canadiens volèrent contre, outre cens qui remplissaient des
charges publiques, comme le solliciteur- gêné rai qui ne vola plus
que comme un homme vendu. On n'eut plus de doute dès lors
sur les dispositions du gouvernement, auquel le traité d'amitié et
de commerce qui venait d'être signé avec les Etats-Unis, permet-
tait plus de hardiesse. A partir de cette époque, l'administration
se montra de plus en plus ouvertement opposée à la chambre
esceplè pendant la guerre de 1S12, où loutà coupelle devint affa-
ble et bienveillante et s'entourra de quelques hommes populaires
dans lesquels elle trouva des qualités qu'elle n'avait pas aperçues
auparavant et qu'elle a rarement vues depuis. Mais ce syalème
avec des institutions électives, devait linir contre les prévisions de
ses auteurs par augmenter le nombre des agitateurs et des mécon-
Le gouverneur en informant la chambre que le traité avec les
Eiats-Unia allait augmenter beaucoup les relations commerciales
du Canada, recommanda toutefois de renouveler la loi contre les
étrangers pour neutraliser les efforts que faisaient sans cesse les
émissaires français répandus partout pour troubler la tranquillité
des Etats. C'était rassurer les craintes d'un c&lé pour les exci-
ter de l'autre sans motif sérieux, car le Canada était hors de la
portée de la république française par la distance et encore plus
par les idées. Aussi pour bien des gens, feindre des craintes soub
ce rapport pour les Canadiens qui avaient pu joindre la répti-
•
HIBT0IR1S DU CANADA. 115
blique voisine et ne l'avaient pas fait, et demander des lois d^
proscription contre det; ^illilllBires français imaginaires, c'était
annoncer que le motif f^^fijjfqft^ de ces recommandations en
cachait un autre, que c-euXHl|Di les faisaient se donnaient bien
de garde de dévoiler ; c'était à leurs yeux un moyen détourné de
Êûre soupçonner la fidélité des Canadiens et d'exciter les craintes
de la métropole, et la suite des événemens montra que si ce
motif ne fut pas le véritable dans l'origine, il le fut plus tard.
Au reste cette session ne fut remarquable que par le pouvoir
presqu'absolu que se fit donner le gouvernement. La résistance
offerte à quelques unes des clauses de la loi des chemins par
quelques villageois mal conseillés avait alarmé les autorités. Non
contentes de la loi contre les étrangers, elles obtinrent de la com-
plaisance des deux chambres le pouvoir de déférer au conseil
exécutif ou à trois de ses membres le droit de faire arrêter qui
que ce fut sur une simple accusation et même sur le simple soup-
çon de haute trahison ou de pratiques séditieuses. L'acte
d'habeas-corpus en tant qu'opposé à cette loi fut suspendu.
En prorogeant les chambres, le gouverneur les remercia d'avoir
montré combien il était nécessaire dans un temps de danger
public d'augmenter les pouvoirs de l'exécutif.
Il y a lieu de croire que l'esprit du général Prescott était en
proie à de vives inquiétudes, ce que l'on aurait de la peine à con-
cevoir aujourd'hui si l'on ne savait que ceux qui avaient été
témoins de la révolution américaine et de la révolution française,
devaient penser que rien n'était impossible après le grand
démenti que ces événemens mémorables avaient donné à toutes
leurs croyances et à toutes leurs prévisions. Pour peu que le
gouverneur fût imbu de cette idée, il ne fallait pas de grands
efforts de la part de la faction qui tous les jours dominait de plus
en plus le pouvoir, pour lui faire croire que le peuple canadien
était toujours au moment de se soulever et que des agens révolu-
tionnaires l'excitaient sans cesse en circulant furtivement dans
ses rangs. A force de répéter que si les représentans du peuple
se rendaient aux vœux de l'exécutif, c'était pour parvenir plus
sûrement à leurs vues ambitieuses; s'ils s'y opposaient, c'était
par esprit de rébellion et de déloyauté, l'on devait parvenir à
ûdre croire tout ce que l'on voulait au chef que l'Angleterre pla-
\%\S KiSTOntE DU CAKADA.
çQit à la tête du gouvernement, et qui le plus souveot était com-
plètemenl étranger au pays. Auqf»44)B'qHe l'acte pour accroître
les pouvoirs de resécutjf fut pasiè^l'oDJre fut-il eiivoyé à tous les
juges de paix, à tous les capitaines- de milice, d'arrêter ceux qui
cbercheraient, par leurs intrigues ou par leurs discours, à troubler
la tranquillité publique. L'on eemblalt croire que les réfractai rea
à la loi des chemins dont plusieurs furent punis pour turbuietice
ou siidilion, avaient des cbefs dont les vues s'étendaiwjt plus loin
que cette loi, et que ces chefa correspondaient ou ae concertaient
avec des émissaires étrangers dont le pays aurait été rempli.
lie procureur-général Sewell se transporta à Montréal à
la fm de l'été de 96 pour voir ce qui s'y passait. Il fil riipport
que l'île et le distn et étaient très désaOectionnés; que la loi 6ea
cliemins avait eiigroentë le mécontentement jusqu'à soulever le
peuple contre l'exécution des ordres des tribunaux ; que le
mécontentement était excité par des émissaires étrangers j que
Tambassadeur de France aux Etats-Unis, M. Adet, avait adressé
un pamphlet aux Canadiens dans lequel il annonçait que la répu-
blique française ayant battu l'Espagne, TAutriclie et l'Italie, allait
sttDquerJ'Ânglelerre à l'on leur et commencer par ses colonies,
et len invitait à se rallier autour de son drapeau, qu'enfin son
gouvernement avait intention de lever des troupes en Canada.*
Un américain, cnihoudiasle insensé, nommé McLane, ajoutant
foi aux soupçons que l'on semait si nai contre In population, qui ne
songeait plus alors certainement à ae soustraire à la domination
britannique, ae laissa attirer à Québec par «n charpentier de
navire, nommé Elack, qui avait su acquérir assez de popularité
pour se faire élire l'année précédente à la chambre d'assemblée.
Lorsque McLai^ qui se faisait passer pour un général français
agissant d'après les ordres de M. Adet fut en son pouvoir, Black
feignit de sortir pour quelque aSiiire et alla avertir l'autorité qui
avait été prévenue d'avance. McLane fut saisi et livré aux
tribunaux sous prévention de haute- trahi son. Le choix des jurée,
les témcùgnages, le jugement et le ehâlJment, tout fut extraordi-
naire. Il fut condamné à mort et exécuté avec lui grand appa- |
reil mihtalre sur les glacis des fonlfications dans un endroit élevé
et visiWe des campagnes environnantes. Le corps après qnelciue
DU CANADA. UT
temps de suspension au gibet, fut descendu au pied de l'échafaud,
et le bourreau en ayant trancltë Itk tète, la prit par les cheveux et
la montra au peuple en dtBBnt: " Voici la tèle du traître." H
ouvrit ensuite le cadavre, en arracha les enlrailloa, Jea brûla, et Gt
des inciâons aux quatre membres, aana les eéparer du tronc.'
Jamais pareil spectacle ne s'était encore vu en Canada. L'objet
de ces barbaries était de frapper de terreur l'imagination popu-
laire. Mais co qu'il y eut de plus hideux dans cette tragédie, ce
furent les récompenses que l'on jeta aux accusateurs el aux
témoins à charge, lesquels acceptèrent sans rougir des terres con-
sidérables pour prix de leur complaisance ou de leur délation .f
Black hii-mème reçut des gratifications, qui no lui portèrent
pas bonheur, car tout le monde ne voulut plus voir en lui
qu'un traître ; repoussé par ses concitoyens, couvert du mépris
public, il finit par tomber dans une profonde misère, et on le vit
quelques années après, rongé de vermine, mendier son pain dans
la ville où il avait siégé autrefois comme législateur. Cette exé-
cution, fruit des frayeurs des autorités coloniales, toujours plus
impitoyables que cellesdes métropoles, ne fît que mettre davan-
tage au jour l'esprit de l'administration et la dépendance honteuse
des tribunaux, qui avaient fermé les yeux sur les violations les
plus flagrantes des régies imposées par la sagesse des lois pour la
protection de l'innocence.
Plus le pouvoir devenait absolu moins la représentation
nationale avait d'empire. Une grande retenue caractérisait depuis
un an ou deux toutes les démarches de l'assemblée, qu'on s'était
mis â accuser de révolte chaque fois qu'elle voulait montrer un
peu d'indépendance. Quoique l'on fût loin du théâtre de la
guerre, les gouverneurs représentaient constamment les ennemis
comme à nos portes, comme au milieu de nous. Celait la poli-
tique que le gouvernement, entre les mains de l'aristocratie, suivait
en Angleterre pour faire repousser les idées républicaines de la
France. La mission des chambres semblait devoir se borner à
passer des lois pour augmenter tes subsides et les pouvoirs de
Pexéoutif rempli d'appréhensions vraies ou simulées. Parmi ces
lois exceptionnelles, il s'échappait quelquefois des délibérations
lis HtSTOUtE DU CANADA.
législatives, des décrets d'une utilité pratique. Tels furent l'éta-
blissement pour la première fois dans lea prisons de ce pays, des
GEilles de correction ou de travail foroéfpiiiHtitution favorable à la
régénération du condamné, et le règlement des poids et mesures,
objet qui devenait de plus en plus nécessaire par l'accroissement
dn commerce.
Pendant ce temps-ià, le revenu pnblic augmentait toujours avec
les anciens impôts. De 14,000 louis qu'il était en 97, il monta
en ISOl à 27,000 louis. Mais les dépenses du gouvernement civil
qui étaient encore de 25 ou 26 mille louis en 99, furent portées
tout à coup l'année suivante à 36,000 louia sans que l'on eût même
demandé la sanction de la colonie pour cet accroissement fiûtpar
ordre du ministre, le duc de Portland.
Cette usurpation de pouvoir ne put trouliler le calme du
peuple; mais les esprits commençaient à s'agiter même là où
la concorde n'avait jamais cesser de régner, entre le gouverneur
et son conseil.
Il paraît que le bureau chargé de la régie des terrea, composé
d'une section de ce conseil, se rendait coupable d'abus et de pré-
varications dont le public ne con naissait pas encore toute Pètendue.
Le juge en chef O^oode en était le président. Les membres
BOUS divers prétextes et sous des noms emprunlés, s'étaient fait
accorder à eux-mêmes, ou avaient fait accorder à leurs amis de
vastes étendues de terres en diverses parties du pays.
les temps les plus grands abus e
itl'o
:s de l'a
s'entendre avec des officiers publi
trée des bureaux du ministère, pour s'en
S.-François, sur le chemin postal ouvert
et dans tous les endroits où ils pouvaier
allaient toujours en augmentant. Ceux qui
B départe-
il législatir
s'en faire accorder sur le lac
Québec et Halifax
avoir.' Ces abim
profitaient, mettaient
n même temps tous lea obstacles possibles à ce qu'on en accordât
aux Canadiens sous leprétexte qu'ils allaient y porter leur langue,
leurs usages et leur religion ; ce qui était alors un motif suffisant
d'exclufflon, sinon ouvertement avoué du moins tawtement '
reconnu ; mais dans la conviction secrète qu'en lea conservant,
ils obtiendraient plus tard des prix pi us élevés. Ces terrea araieni
• Correspondaa
du coniieillei Fiolay, e
HUTOIltfi DU OANADA. 119
été divisées en townships, et on avait donné aux nouvelles dlSri-
sions des noms anglais^ obcMd tndiflfôrente en elle-même en appa-
rence, et qui cependantiJllPMiibuait à en éloigner les cultivateurs
canadiens, qui n'en comprenaient pas bien la tenure avec le sys-
tème de qidt'TenU qui y était attaché. Ces entraves artificiellea
dépassèrent le but. Des Canadiens, surtout des Américains péné-
trèrent dans les forêts de la rive droite du St.-Laurent, près de la
frontière des Etats-Unis, et s'y choisirent des fermes sur lesquelles
ils s'établirent sans titre. Le gouverneur auquel ces derniers
s'étaient plaints de la conduite du bureau, transmit dès la première
année de son administration, une dépêche à Londres dans laquelle
il blâmait tout le système comme contraire à l'honneur et à l'in-
térêt de l'empire, et comme nul sous le rapport fiscal, puis qu'il
ne produisait rien. Il embrassa avec chaleur surtout la cause de
ces émigrés qu'bn nommait loyalistes dès qu'ils mettaient le pied
sur le territoire canadien. Ses représentations firent effet. Il
revint d'Angleterre en 98 des instructions fort amples pour remé-
dier au mal qu'il avait âgnalé, et qui déplurent extrêmement au
bureau des terres. De là la brouille de ce bureau avec le gou-
verneur et du gouverneur avec le conseil exécutif, l'âme et le
nerf de l'oligarchie qui commençait à peser de tout son poids sur
le pays, et qui se crut obligé de soutenir en cette circonstance un
département formé de ses principaux membres. Il s'était déjà
établi une communauté d'opinions et d'intérêts entre les fonction-
naires publics-et la majorité de ce conseil, communauté qui a fini
enamte par maîtriser complètement la marche de l'administration
en s'emparant de l'esprit des gouverneurs et en influençant
continudlement les ministres, dont cette oligarchie employait
toute son habileté à nourrir les craintes et les antipathies natio-
nales contre la masse de la population. Le conseil exécutif, qui
avait ignoré jusque là la dépêche du gouverneur, se tint pour
offensé par son silence ; il fut froid d'abord à scm égard et ensuite
îi lui fit une opposition ouverte et redoutable sous la direction de
«on président, M. Osgoode, fils naturel de George II, ditron,
'•qm avait des talens, et ce qui était mieux dans la cîrconëtance
des amis puissans à la cour. Entraîné par ses inspirations, le
conseil refusa de publier les nouvelles instructions et compléta ainâ
là rupture entre ces deu± hommes. L'Angleferre/poutéviteir
120 HIBTOIRK DU CANADA.
les conséquences de leur dëEimion dans la colonie où chacun
avait son parti, jugea nécesHalre de les rappeler touB deux, ce
dernier conservant ses appointemens.
Cette querelle fit peu de eensalion dans le public parce que la
presse étant muette et les débats s'étant passés dans les hauts
lieux de l'administration enveloppés comme à l'ordinaire dans les
nuages du mystère, le peuple n'en connaissait pas bien le sujet
ni les motifs. En outre, quoique ce gouverneur fùl en difficulté
avec les principaux fonctionnaires, il n'avait point cherché d'ap-
pui dans la population. Au contraire, il ee montrait fort hostile
à son égard, et soit mauvaise interprétation donnée à ses instruc-
tions, soit toute autre raison, il accueillit très mal la demande des
catholiques d'ériger de nouvelles paroisses pour répondre à l'aug-
mentation de leurs établisaemena qui se formaient de proche en
proche tout autour de la partie habitée du pays. Ni les récla-
mations du peuple, ni celles du clergé, ni même celles do Ta»-
aerahlée ne parurent le faire revenir du refus qu'il avait donné à
ce sujet contrairement à l'ordonnance de 91. Il fallut que les
catholiques recourussent au régime insuffisant des missions
comme aux premiers jours de la colonie.
Une pareille conduite n'était pas de nature à augmenter sa
popularité. Aussi vit-on sa relraito avec plaisir, et sir Robert
Shore Milnes prendre en 99 les rênes de l'administration en qua-
lité de lieutenant gouverneur. Celui-ci en ouvrant les chambres
dans le mois de mars remercia dans son discours le Canada des
témoignages de fidélité qu'il venait de donner au rot et aux
intérêts des sociélés civilisées en souscrivant généreusement des
sommes assez considérables pour le soutien de la guerre contre la
révolution française.
Cette Bou?cripUon avait été commencée par le parti anglais
dans le but de capter exclusivement la bienveillance du gouver-
nement en montrant un zè!e plus empressé que celui des Cana-
diens. La chose s'était faite rapidement, et les auteurs du projet
s'étaient donnés peu de peine pour la rendre générale parmi la
population. M. de Bonne voulut faire ajouter, lorsque la partie
de l'adresse relative à ce sujet, fut soumise aux. voix, que l'on
regrettait que, par le peu de moyens de la majorité des habi
les contributions eussent étà ai modiques, et par le mode adopi
J
HlSTOmS DU .CAlTADAi 121
pamr les recueilHr, m peu générales; mais son amendement fut
écarté, ia majorité ne penniAt pas qu'il fut de sa dignité de donner -
des explications à ce sujsMl*^^* Canadiens du reste- se rappe^ .
latent que le gouvecnemeol n?avait pas pris tant de précaution
centre les révcâutio&naires sflïkériGaiBS à la suite des événemens:
de 75, quoique le danger fût bien plus imminent. Mais ils ne
purent plus avoir de doute lorsqu'ils virent ceux qui n'avaient
jamais'cessé de chercher à les dominer, oubliant leurs écart» de ,
75'y commeneer à se donner le nom de ^ loyaux" par excellence
et de donner aux Canadiens celui de << rebelles." Ce maohiavé-*
lisme sur lequel l'Angleterre ferma complaisamment les yeux,
a^duré jusqu'^ànos jours qu'il a été ûétri par lord Durham et.
par lord Syd^iham. Il paraît que l'esprit de querelle qu'on
venait de voir éclater entre le dernier gouverneur et son conseil^
se répandit j dsqu'aux chambres. L'assemblée montra dans cette
session moins de calme et d'unanimité que de coutume. La
questiou des biens des jésuites et une question de privilèges
teachantua membre condamné pour escroquerie à une sentence .
emportant flétrissure^ et qu'elle voulut exclure de soi» siège, exci- ,
térent de vifs débats, dans lesquels les deux partis manifestèreat
la même ardeur que dans les discimons de 92 sur l'usage de la
longue française.
La question des biens des jésuites étaient d'une bien j^tis haute
importance. Le dernier membre de cette société religieuse, le
P. Casot, venait de mourir* Sa mort fournit une nouvelle occa<^
«on de réclamer les biens de son ordre pour les conserver à leur
destination primitive. Lorsqu'un membre, M. Planté, voulut en
faire la proposition, M. Young, l'un des conseillers, exécutifs, se
leva et annonça qu'il était chargé de déclarer que le gouverneur
avait donné les instructions nécessaires pour en faire prendre
posseeâon au nom de la couronne. On afiectait alors ce ton de
commandement absolu, et l'on aurait cru déroger en donnant les
inotifs de ses résdutioas. Celle du gouverneur pourtant était
&ndée sur des instructions récentes et sur d'autres plus anciennes
données à lord Dorchester et qui lui enjoignaient de supprimer
cette société et de prendre possession de ce qu'elle avait pour eii
faire l'usage que la couronne jugerait à propos plus tard. De
fraads débats s'élevèrent sur la prQpo^tion d^ JVÏ* Plsu^téj qui fut
122 HISTOIRE DU CANADA*
adoptée finalement par une majorité de 17. Un seul Canadien
catholique vota contre, le solliciteur-général Foucher. La
chambre passa ensuite à la majorité .^j^ deux tiers, une adresse
au gouverneur pour demander copie des titres de la fondation de
Tordre, adresse à laquelle celuî-d répondit affirmativement tout
en faisant observer que c'était sur les instructions du roi trans-
mises dans le mois d'avril précédent, qu'il avait agi, et que c'était
à la chambre à considérer b'il était compatible avec le respect
qu'elle avait toujours montré pour le trône de persister dans sa
demande.
Pendant la discusaon, M. Grant avait proposé de présenter
une adresse pour exposer au roi l'état déplorable dans lequel
était tombée l'éducation depuis la conquête, et pour le prier, tout
en reconnais>8ant la légitimité de son droit, d'approprier les biens
des jésuites à l'éducation de la jeunesse. Mais cette motion
avait été écartée sur un amendement de M. Planté portant que
l'on devait remettre à un autre temps l'examen des prétentions
de la province sur ces biens. La répugnance de reconnaître la
légitimité du droit de la couronne à leur propriété, et la crainte
de les voir {^cer sous l'administration de l'Institution royale, com*
mission protestante alors en projet et entre les mains de laquelle
on songeait à placer l'instruction publique, motivèrent le vote des
catholiques dans cette occasion. La question de l'éducation se
trouva par là ajournée à un temps indéfini*
m ■— • t^**— — •> — — méW» » ■••<■* » — ■■>»wx «■<——•—■<>
CHAPITRE II.
ADMINISTRATidfr PE SIR JAMES CRAIG.
180M8U.
Elections de 1800, — Institution royale. — Principe de la taxation. — La natio«
nalité canadienne. — Etablissement du Canadien.-^ASa.lie de la Chesa-
peake.-— Situation de nos relations avec les Etats-Unis. — Premières diffi-
cultés avec cette république. — Arrivée de sir James Craig en Canada.—
Ordre militaire. — Proclamation politique. — Ouverture des chambres.—
Projet de loi pour exclure les juges de l'assemblée. — M. Bedard et autres
officiers de milice cassés. — Ministère responsable. — Dissolution du Par-
lement. — Discours insultant de Craig. — Les idées du Canadien sur la
constitution et la responsabilité ministérielle. — Subsides. — Agent à
Londres. — 'Exclusion des juges de la chambre.— Dissolution subite du
parlement.-«Saisie du Canadien et emprisonnement de M. Bedard, Tas-
chereau et Blanchet. — Proclamation du gouverneur. — Election. — Ouver-
ture des chambres. — Elargissement des prisonniers. — Affaires religieuses.
-—Entrevues de sir James Craig et de M. Plessis au sujet de l'église
catholique.— Nomination des curés par le gouvernement. — Fin de l'ad-
ministration de Craig.
De 1800 à 1805 il y eut un instant de calme. L'élection de 1800
porta à la chambre quatre conseillers exécutifs, trois juges et trois
autres officiers du gouvernement, ou le cinquième de la repré-
sentation. C'était une garantie de sa soumission. Aussi dés
que la législature fut réunie, s'empressa-t-elle de renouveler l'acte
pour la sûreté du gouvernement et de sanctionner par une loi
l'établissement de 'M'institution royale" destinée à servir de base
dans l'esprit de ses auteurs, à l'anglification du pays par un sys-
tème général d'instruction publique en langue anglaise. Cette loi
mettait l'enseignement entre les mains de l'exécutif. Le gouver-
nement nommait les syndics et le président qui devait diriger,
BOUS son veto, cette importante administration ; il désignait les
paroisses où l'on devait ouvrir des écoles et nommait les institu-
teurs. L'évèque protestant en étant appelé à la présidence tua
le projet dès son début, malgré l'argent que l'on vota pendant
plusieurs années pour le maintenir Les Canadiens qui ne vou-
laient abjurer ni leur langue, ni leurs autels, finirent par le repous-
ser à l'unanimité ; et il ne servit pendant un quart de siècle qu'à
mettre obetade à un système plus en harmonie avec leurs vœux.
124 HISTOIRE DU C&J4ADA.
Malgré l'unanim'ilé de la législature et l'actirité que la reprise
des hostilités en 1801 entre la France et l'Angleterre, donna au
commerce et à la construction des vaisseaux qui commençait à
devenir une branche importante de l'industrie canadienne, plu-
sieurs sujets fournissaient matière à des discussions dans les avant-
gardes des partis politiques. L^usurpation des hieoa des jésuites,
les obstacles mis à l'octroi des terres, la composition du conseil
législatif de plus en plus hostile à la majorité du peuple, l'opposi-
tion à l'étabhssement légal des nouvellea paroisses, l'exclusion
systématique des Canadiens des charges publiques, les tentatives
laites pour changer la tenure des terres et le désir d'asseoir la
taxe sur la propriété foncière et conséquemment sur l'agriculture,
toutes ces questions s'agitaient leS unes après les autres ou simul-
tanément, et suivant le degré de méQance ou de jalousie, de
crainte ou d'espoir, qui régnait, elles donnaient plus ou moins
d'énei^e à l'opinion publique qui commençait à se former et qui
devait se manifester bienlûl dans la législature et parmi le peuple.
L'élection de 1804i changea peu la nature des partis. Mais
il ne fallait qu'une occasion pour amener le commencement
d'une lutte. Une question en apparence peu importante souleva
des discussions sur le principe de la tasation. Il s'a^ssait de
bâtir des prisons. La chambre imposa une taxe sur les marchan-
dises pour subvenii' à cette dépense, malgré les efforts de la
minorité composée en partie de marchands et qui voulait une
tase foncière. Elle soutenait que c'était faire tort au commerce
que de lui faire supporter les dépenses publiques, et que l'on devait
adopter un principe différent si l'on voulait avancer le dévelop-
pement du pays. On lui répondit que quelque fut le système
adopté, la taxe était payée parle consommateur, et qu'imposer
l'agriculture serait funeste dans un paya nouveau, où l'on devait
favoriser par tous !ea moyens ce premier des arts, base la plus
Bolide de la prospérité publique et du commerce lui-même.
Une fois le combat engagé, il ne manqua pas de sujets pour le
nourrir malgré la réserve que l'on gardait encore. L'augmenta-
tion du salaire du traducteur français refusée par le gouverneur,
blessa vivement la chambre qui l'avait demandée. Elle regarda
ce refus comme une marque des mauvaises dispositions de l'exé-
cutif contre la langue du peuple ; car la question d'argent en elle-
rtHiiAtii DU canada.
135
mime ne méritait pas que l'iin brisât U bonne entente qni
existait. Elle venait do nommer un corailé pour s'occuper de
cette question lorsque le pfcrlomcnt fut prorogé.
Sir Robert Shore Milnes dt'posa les rênes du gouvernement
entre les mains de M. Dunn, qui convoqua les eharabrea pour la
6n de ftvrier. L'humeur que les reprèsenlans avaient montrée
vers la fin do la session ne B''élait pas calmée dans flntervalle.
Ils voulurent sévir contre les journaux qui a v.iient critiqué leur
vote au sujet de l'impftl, et décrétèrent de prise de corps, l'édi,
tenr de la Ga::ette de Montréal. Celui du Mercury, journal
établi i Québec l'année précédente, ayant voulu prendre sa
défense, n'échappa à la prison qu'en reconnaissant ea faute.
Aucune de ces infractions de privilèges ne méritait le châtiment
qu'elles avaient provoqué et (jui frappait au cœur la sauvegarda
de* droits populaires comme l'indépendance de la chambre elle-
même en portant atteinte à la liberté de la presse. Mais à cette
époque cotte liberté était encore à naître, et ce n'était pas la
ftule du peuple s'il en était ainsi comme on aura bientùt occa-
Gion de le voir.
Cependant le parti mercantile qui connaissait nnAuenc* con-
sidérable qu'il avait exercé de tout temps sur la métropole, pria
te Toî de désavouer le bill des prisons ; <;e qu'apprenant, la cham-
bre résolut aussitôt, sur In proposition de M. Bédard, de le prier
de le maintenir, et transmit i Londres un mémoire explicatif de
«es molifà, " Elle considérait, disait-elle, qu'il n'y avait aucun
parallèle à faire entre les anciens pays de l'Europe et le Canada
quant à !a convenance de taxer les terres. Dons la mère-patrie
et les pays od l'agriculture avait rendu les terres i peu-près d'é-
gale valeur, une taxe territoriale pesait également sur toutes ;
mais en Canada où l'agriculture laissait tant d'inégalité, une taxe
par arpent comme celle qui était proposée, serai! inégale et sans
proportion, car celui dont le fonds ne vallait que six deniers l'ar-
pent payerait autant que celui dont le fonds vallait soixante livres
l'arpent. La taxe pèserait conséquemment plirs sur ceux qui
défricher que sur les autres, et par là les nou-
lient chargés de la plus forte partie du fardeau,
evaient recevoir que des encouragemens.
Uae taxe aur la valeur estimée de chaque terre serait poreil-
commençaien
veaux colons
tandis qu'ils n
136 HISTOIRE DU CANADA.
lement impraticable, Lea frais d'estimation et de perception
aeraienl plus à charge (jue la taxe elle-mÉme.
" Du reste une taxe foncière serait injuste, en ce que les habi-
tans des villes, dont les 'richesses soni en effels mobiliers, en seraient
exempts.
" L'assemblée considérait qu'un impôt sur le commerce en
général et surtout sur les articles taxés par la loi en particulier,
serait moins senti, et plus également réparti ; que le consomma-
teur payait en dernier lieu ; que bien qu'il eût éti; objecté que
les marchands étaient ici dans des circonstances plus désavanta-
geuses qu'ailleurs, parcequ'ils n'avaient pas la facilité de réex-
porter leurs marchandises, cette circonstance au lieu d'être désa-
vantageuse était favorable, parcequ'elle leur permettait de régler
le commerce et de faire payer l'impôt par !e conaonimateur, vu
qu'ils n'étaient en concurrence qu'avec lea marchands qui payaient
les mêmes droits qu'eux."
En vain l'opposition dirigée par M. Richardson, qui lit un dis-
cours de près d'une heure et demie, voulut faire tomber la propo-
«ition par un amendement, elle fut adoptée par une majorité de
plus des deux tiers. Ainsi fut confirmée aprèsde longs débats, la
décision adoptée précédemment sur la grande question du prindpe
de l'impôt, principe qui n'a pas cessé depuis de servir de base au
système financier du pays. Elle le fut conformément à l'intérêt
de ces nouvelles contrées dont le premier besoin est le change-
ment des immenses forêts qui les couvrent en champs fertiles et
bien cultivés. La loi ne fut point désavouée.
Lea discussions sur celte question augmentèrent encore l'ai-
greur des esprits, dont le chef du gouvernement lui-même
ne fut pas exempt. Elles prirent comme de coutume une teinte
de jalousie nationale. Le parti mercantile, ne pouvant se con-
tenir après le nouvel échec qu'il venait d'éprouver, éleva de
oix contre l'origine de ses adversaires et eseeya de
' la discussion sur le terrain de la nationalité. " Cette
province est déjà trop française, disait le Mei-'cury, pour une
colonie anglaise Que nous soyons en guerre ou en paix, il
est absolument nécessaire que nous fassions tous nos efforts par
tous les moyens avouablea, pour opposer l'accroissement des
Français et leur influence ■ ■ . . Après avoir possédé Québec
HirrOIRB DO CÀNADAt
127
de
q(iaranl«-sept ans, il est temps que U province soit anglaise."
Ce cri jeté par les hommes les plus violens du parti en opposi-
tiOD aux plus modérés qui a'élevéïent aussitôt contre, était excité
par le bruit qui courait que lesCaDadiensallaient établir un journal
dans leur langue pour défendre leurs intérêts nationaux et politi-
ques. Jusqu'à ce moment la presse, comme on l'a déji dit, avait
gardé un silence profond, rarement interrompu par dos débats, sur
les afiaireB intérieures, politiques ou religieuaes. Ce nilenoe n'était
pas tant pfjut-être encore le fruit du despotisme que de l'intérêt
bien entendu des gouvernans. Maîtrea du pouvoir, ils possédaient
avec lui tous les avantages qui en découlent pour les individus.
Main l'apparition d'un journal indépendant, proclamant (ju'il
venait défendre les droits politiques des Canadiens et revendiquer
en leur faveur tous les avantages de la constitution, efl'raya ceux
qui jouissaient de son patronage. Ils accueillirent le
journal avec une hostilité très prononcée. Ils s'efforcèi
fiiire croire que c'était un agent français, iVI. Turreau, alora aux
Etats-Unis, qui en était le principal auteur. " C'est un fait
incontestable, disait le Mercury qu'il a offert 900 dollars pour
établir une gazette française à New-York. N'avons nous pas
raison d'ëlre jaloux de voir établir un journal français à Québec,
lorsque nous apprenons que l'on parle déjit d'en publier un second,
et que l'on va ouvrir une nouvelle imprimerie. Si dans le temps
où nous sommes noua n'en éprouvons pas d'alarmes, c'est que
nous sommes insensibles à tous les symptômes des malheurs qui
nous menacent. Peu d'Anglais connaissent les intrigues et les
cabales qui se passent au milieu de nous."
Malgré les soupçons qu'on t&cbaît ainsi de f^re naiire, le
Canadien parut dans le mois de novembre 1806. " D y a déjà
longtemps disait Bon prospectus que des personnes qui aiment
leur pays et leur gouvernement, regrettent que le rare trésor que
noua possédons dans notre constitution, demeure si longtemps
caché, la liberté de la presse. ... Ce droit qu'à un peuple anglais,
d'exprimer librement ses sentimena sur tous les actes publics
de son gouvernement, est ce qui en fait le principal ressort
C'est cetto liberté qui rend la constitution anglaise si propre à
faire le bonheur des peuples qui sont bous sa protection. Tous
les gouvememens doivent avoir ce but, et tous déûreraient peut-
ISS HISTOIRE DU CANADA.
être l'obtenir ; mais tous n'en ont pas les moyens. Le despote
ne connaît le peuple que par !e portrait que lui en font les coiir-
tiaans, et n'a d'autres conseillers qu'eux. Sous la constitution
d'Angleterre, le peuple a le droit de se faire connaître lui-même
par le moyen de la presse ; et par l'expression libre de aea eenti-
mens, toute la nation devient pour ainsi dire le conseiller privé
du gouvernement.
" Le gouvernemeol despotique toujours mal informé, est sans
cesse exposé à heurter les aentimena et les intérêts du peuple
qu'il ne connaît pas, et à lui faire sans le vouloir des maux et des
violences dont il ne s'aperçoit qu'après qu'il n'est plus temps d'j-
remédier ; d'où vient que ces gouvernemens sont sujets à de n
terribles révolutions. Sous la constitution anglaise où rien n'est
caché, où aucune contrainte n'empêche le peuple de dire libre-
ment ce qu'il pense et où le peuple pense pour ainsi dire tout
haut, il est impossible que de pareils inconvéniens puissent avoir
lieu, et c'est là ce qui fait la force étonnante de cette consliiution
qui n'a reçu aucune atteinte, quand loiites celles de l'Europe ont
été bouleversées les unes après les autres,
" Les Canadiens comme les plus nouveaux sujets de l'Empire
ont surtout intérêt de n'être pas mal représentés.
"I! n'y a pas bien longtemps qu'on lésa vus en butte à de noirca
insinuations dans un papier publié en anglais, sans avoir la
liberté de répondre. Ils ont intérêt de dissiper les préjugés, ils
ont intérêt surtout d'eflacer les mauvaises impressions que les
coupa secrets de la malignité pourraient laisser dans l'esprit da
l'Angleterre et du roi lui-mêrae. On leur a fait on crima de se
servir de leur langue maternelle pour exprimer leurs aentimens et
se faire rendre justico ; mais les accusations n'épouvantent que lei
coupables, l'expression sincère delà loyauté est loyale dans toutes
les langues."
L'apparition de ce journal marqua l'ère de la liberté de la
presse en Canada. Avant lui aucune feuille n'avait encore 6sé
discuter les questions politiques comme on le faisait dans la métro-
pole. La polémique que souleva le Canadien fut conduite pres-
qu'cnlièrement 'sous forme de correspondance anonyme. Il
donna cependant un grand élan aux idées de liberté pratique»
U]i»BUI DU OANAPA* 129
et à ce titre son nom mérite d'être placé à la tète de Phistoire de la
presse du pays.
Ces tiiscussions malgré l'agitation momentanée qu'elles cau-
saient de temps à autre, n'interrompaient point encore les bons
rapports qui existaient entre le gouvernement et la chambre ; et
d'ailleurs la situation de nos relations avec les Etats-Unis allait
bientôt appeler pour quelque temps du moins, l'attention publique
d'uD autre côté.
Les guerres terribles occasionnées en Europe par la révolution
française, que les rois tremblant sur leurs trônes, s'étaient conju-
rés pour abattre, avaient excité de vives sympathies dans la
république américaine en faveur de la France. On avait vu
avec mécontentement la nation la plus libre de l'Europe après la
Suisse, se liguer avec les despotes les plus absolus pour écraser
la liberté qui avait tant de peine à naître et à se répandre ; et le
gouvernement des Etats-Unis avait la plus grande peine à arrêter
chez une portion très nombreuse de ses babitans l'explosion de
sentimens qui. auraient amené une guerre avec l'Angleterre, et
conséquemment une lutte sur mer, où sa marine n'était pas en
état de lutter avec aucune espèce de chance de succès. Depuis
quelque temps les rapports entre les deux nations avaient perdu
de cette cordialité que l'on essayait en vain de conserver, et qui
allait disparaître plus tard avec le parti whig de l'Union.
La rév<^ution française et les guerres qui en avaient été la
suite avaient fini par la destruction de toutes les marines des
nations continentales, incapables de lutter à la fois sur les deux
élémens. L'Angleterre était restée seule maîtresse des mers et
voulait en retirer tous les avantages. Les Etats-Unis au contraire
prétendaient à la faveur de leur neutralité, trafiquer librement avec
les difSbrentes nations belligérantes. Sans tenir compte des pré-
tentions de la nation nouvelle, la Grande-Bretagne déclara en
1806 les côtes d'une partie du continent européen depuis Brest
jusqu'à l'Elbe en état de blocus, et captura une foule de navires
américains qui s'y rendaient. Napoléon en fit autant de son
côté par représailles, et déclara les côtes de l'Angleterre bloquées.
Celle-ci pour surenchérir prohiba l'année suivante tout commerce
avec. la. France. Ces mesures extraordinaires et qui violaient
les 1<H8 des nations et les droits des neutres reconnus jusqu'à
130 UIBTOIRE DU CA.HADA.
oe moment, causèrent un grand mécontenlement dans la répii-
Llique américaine, où les marclianJa demandèrent à gronda crie la
proteulion de leur gouvernement. Dans le même temps l'Angle-
terre, en vertu iln droit de visite, qu'elle venait aussi d'introduire
dans son code marilJme, c'est-à-dire le droit de rechercher el de
prendre loua les matelots de «a nation qu'elle trouverait sur les
va K. rang s, et qui était dirigé contre les Etala-UniD, qui
e pi y b ucuup de matelots anglais, attaqua la frégate la
Ch p ke ua t blessa plusieurs hommes de son équipage et
en n a q e qu'elle réclamaient comme déserteurs. Le
g d Eiots-Unis ferma aussitôt ses ports aux vais-
eea x d g e nglais jusqu'à ce que l'Angleterre eût donné
ea sfa p l'attaque de la Chesapeake et des garanties
c e u e g ssion future. Cela fut suivi d'une part des
f m rd e conseil du gouvernement britannique défendant
t vec la France et ses alliés, et de l'autre du
àé d M lan promulgué par Napoléon prohibant tout com-
Tn a 1 A gleterre et ses colonies. Les Etats-Unis de leur
côté dans le but de se proléger, mirent un embargo qu'ils révo-
quèrent cependant Tannée suivante parce qu'il faisait plu» de
mal encore à leur commerce qu'à celui des autres nations ; mais
ils interdirent tout trafic avec la France el l'Angleterre jusqu'à
ce que ces deux nations eussent donné satisfaction pour le»
griefs dont ils se plaignaient. En même tempe, ils prenaient des
mesures pour mettre le pays en état de défense et se préparer à
la guerre.
Tels senties événemens qui se passèrent entre la république
du Nouveau-Monde et l'Angleterre entre 1S06 et 1809 ; et dans
la prévision d'une guerre, la première portait déjà les yeoz sur
le Canada.
En même temps, le bruit se répandait que les Canadiens n'at-
tendaient que l'apparition du drapeau américain pour se lever en
masse et livrer le pays à la confédération. Cette croyance assez
généralement répandue prenait sa source dans le système de
leurs ennemis de les représenter sans cesse comme des rebelles
cachés sinon ouverts: Les Américains qui voulaient bannirtoute
domination européenne du nouveau monde s'empressaient de
UI8TOIRS DU 6ANADA. 18 1
profiter de ces rumeurs et les répandaient dans le public par la
voie de leurs journaux avec la plus grande aclivité.
Le chef du gouvernement canadien, M. Dunn, jugea à propos
pour les détromper, de faire une grande démonstration militaire.
Sans Pété de 1807, il ordonna à un cinquième de la milice de se
tenir prêt à marcher au premier ordre ; l'évéque, M. Plessis,
adressa un mandement à tous les catholiques pour exciter leur
zèle* Le tirage au sort de ce contingent et son organisation se
firent avec une émulation et une promptitude qui donnaient un
démenti éclatant à toutes les insinuations répandues pour rendre
les Canadiens suspects.
Les fortifications de Québec furent aussi augmentées et mises
en état de guerre par les soins du colonel Brock, qui commandait
la garnison. Mais la guerre ne devait pas encore éclater de
fiîldt. Les Etats-Unis n'étaient pas en mesure d'entrer en lice
avec une puissance maîtresse des mers et d'une armée de terre
disponible supérieure par le nombre et par la di ci pli ne à celle de
la république. La diplomatie s'empara des sujets de difficulté
élevés entre les deux gouvernemens.
C'est alors qu'arriva le nouveau gouverneur, sir James Graig,
officier militaire de quelque réputation, mais administrateur fan-
tastique et borné, qui déploya un grand étalage militaire et parla
au peuple comme il aurait parlé à des recrues soumises au mar-
tinet» Dana son ordre général du 24 novembre, tout en expri-
mant sa satisfaction de l'état dans lequel il trouvait la milice, des
sentimens d'attachement qu'elle montrait pour le trône, de son
aèie pour la défense du pays, il observait qu'il avait vu avec
beaucoup d'inquiétude les actes de grave insubordination de la
paroisse de l'Assomption ; qu'il espérait que les lois seraient
obéies, que les habitans courraient aux armes avec ardeur pour
la défense de leurs biens, de leurs familles, de leur patrie ; qu'il
exhortait tout le monde à être en garde contre les artifices de la
trahison et les discours d'émissaires répandus partout pour les
-séduire ; que quoiqu'ils eussent sans doute peu de poids parmi un
peuple heureux, qui éprouvait à chaque instant la protection et
les bienfaits du gouvernement, il recommandait, pour prévenir
4'une manière, plus efficacef les mauvais eôets qui pourraient
accompagner leurs effi^rts, surtout parmi les jeunes gens et les
IM mSTOIBE DD CANADA.
ignorans, à lotre tea miliciens de Burveiller attentivement la coti-
iluito et le langage des ètrangerti qui psrahraienl au milieu d'eu?<,
et chaque fois que leur conduite et leur langage seraient de
nature à donner raison de Houpçoniier leurs intentions, de les
arrêter et de les conduire dovant le magisirat ou l'officier de
milice le pluâ voisin.
Cet ordre appuyait d'une manière ai spéciale sur les intngoes
des émissaires américains et sur les défedions qu'elles pouvaient
causer dans les rangs de la milice, qu'il dut faire croire au Icnn,
que le pays était sur un volcan. Rien n'autorisait un appel aussi
solennel à la fidélilé des h a bit ans. Les trnubles aignalés parle
gouverneur n'avaient aucune portée politique, et devaient leur
origine à des causes personnelles ou à des quei elles locales aux-
quelles les agens officieux de l'autorité donnèrent un autre carac-
tère pour faire valoir leurs services ; car les Canadiens ne furent
en aucun temps plus attachés à leur gouvernement qu'à celte
époque. Mais sir James Craig; s'était jeté en arrivant, corps et
âme, dans les bras de leurs ennemis et il ne voyait rien que par
leurs yeux. Il crut que les Canadiens étaient mal affectionnés ;
qu'ils déguisaient leurs pensées comme leurs adversaires ne cen-
saient dp le loi répéter, surtout leurs chefs qu'ils détestaient ; de
là ses préventions et la conduite impérieuse et violente qui ont
signalé son administration.
En ouvrant le parlement, i! fit allusion comme ses prédèces-
seurâ, aux guerres de l'Europe et à l'ambition de la France.
" J'aurais été très flatté, dit-il, si dans celte occasion j'avais Été
poiteur de quelque espoir bien fondé du retour de la paix qui,
comme base la plus sûre du bien être et du bonheur du peuple,
est l'objet continuel des efforts de sa Majesté; mais tant qu'un
ennemi implacable emploiera toutes les ressources d'une puis-
eanco sans exemple dans le monde jusqu'à ce jour, ifirigé sans
aucun principe de justice ni d'humanité, acharné à notre ruine,
tant que cet ennemi irrité du désappointement d'une ambition sans
borne, ne tendant à rien moins qu'à la conquête du monde, regar-
dera avec une malice invétérée qu'il ne cherche point à cacher,
la seule nation de l'Europe qui par la sagesse de son g(njverne-
ment, les reesources <le ses rit^hes^es, son énergie, ses vertus et
ion esprit public, a été capable de lui réelater, ce n'est qu'avec une
mSTOmE DU CANADA. 133
défiance pradenio et en mettant sa confiance dans les bienfuta de
la Divine Providence, que l'on peut espérer de voir arriver la fin
ai désirable des maus de la guerre."
Quant au3t difficultés avec les Elals-Unia, il n'avait rien à com-
muniquer qui put jeter du jour sur la quesdon ; mais it espérait
que la sagesse des deux gouvernemens préviendrait les calamités
de la guerre entre deus peuples dont les usages, la langue et l'ori-
gine étaient les m&mes. H ne fallait pas pour cela cependant
né^iger les moyens de défense ; il melt-ilt sa confiance dans la
coopération des habitans et la loyauté et le zélé de la milice qui
méritait son approbation et fournissait la plus forte raison d'ea-
pérer que à le pays Était attaqué, il serait défendu comme l'on
devait l'attendre d'un peuple brave qui combat pour tout ce qui
lui est cher.
Ce langage sur l'attitude de la milice était plus prudent que
l'ordre général et ne contenait que la vérité. La réponse de
l'assemblée dut faire croire à l'Angleterre qu'elle pouvait comp-
ter sur la fidélité des Canadiens malgré les préjugés et les
craintes que trahissaient ces appels eux-mêmes.
La question d'exclure les juges et les Juifs de la chambre
comme en Angleterre, occupa ime grande partie de la ses^on.
Les Juifs furent exclus par résolution. Quant aux juges, M.
Bourdages présenta un bill que la chambre adopta, mais que
rejeta le conseil, qui vit avec uue secrète joie le refroidissement
ou plutôt la disposition hostile qui se manifestait déjà vers la fin
de la session entre sir James Craig et l'assemblée.
Depuis quelque temps ce sentiment prenait de la consistance à
chaque fait nouveau qu'on abordait dans la discussion, et l'en-
tourage du gouverneur, aidé des fonctionnaires qui connaissaient
maintenant le caractère de leur chef, commença à exciter ses pas-
sions avec toute la liberté que semblait appeler son penchant. On
s'entendit pour calomnier les Canadiens sur tous les tons et en
toutes occurrences, et chaque fois on finissait par trouver
moyen de tourner leurs paroles les plus innocentes en paroles
séditieuses ou en pensées de trabison. Far ce système on réus-
tât à s'emparer complètement de l'esprit irritable de Craig. Les
fonctionnaires savaient qu'il n'y avait aucune chance de changer
le caractère de la représentation ; et pour détruire d'avance son
1^ HISTOIBE BU C^NJLDi..
influence ils employèrent leurs armes ordindres, la calomnie, Jla
dirigèreni surtout l'hostililÉ da l'exécutif contre le préûdent de la
chambre, et réussirent à lui faire perdre l'élection de Québec
Bans cependant lui l'aire perdre son siège, parce qu'il avait été
élu dans un comté voisin, par prévision. Ils étalent d'aulant plus
déchaînés contre lui qu'il passait pour l'un des propriétaires du
Canadien, dont lea opinions n'ét^ent pas silencieuses comme
celles des autres journaux. Peu de temps après l'élection, il fut
retranché de la liste des officiera de milice avec MM. Bédord,
Taschereau, Borgia et Blanchet. Son excellence me charge de
vous informer, disait le secrétaire du gouverneur à M. Fanet,
qu'elle a du prendre cette mesure " parce qu'elle ne peut mettre
de confiance dans les servit^es d'un homme qu'il a bonne raison
de croire l'un des propriétaires d'une publication séditieuse et
diflâmatoire répandue dans la province avec beaucoup de zèle
et qui a spécialement pour mission d'avilir le gouvernement et de
créer un esprit de mécontentement parmi ses sujets, ainû que de
diesentiou et d'animosité entre les deux partis qui les composent."
A peu prés dans le même temps le juge en chef Allcock expi-
rait et était remplacé par le procureur-général Sewell, el celui-
ci par un jeune avocat, M. Bowea, au préjudice du solliciteur-
général Stuart, qui s'était attiré lea mauvaises grâces du gouver-
fteur, qui lui ôta même sa charge pour la donner à un avocat qui
venait d'arriver dans le pays, M. Uuiaclie. Ces promotions et
cas destitutions extraordinaires faisaient prévoir des orages. A la
surprise de bien du monde cep endant^le gouverneur ratifia la réélec-
tion de M. Panet à la présidence de l'assemblée lorsque le paii&-
ment seréunit.B parla dansson discours de la situation desrelationa
de l'Angleterre avec les Etat-Unis et des luttes politiques de l'inté-
rieur. 11 observa que ce que l'on connaissait de la conduite du
gouvernement américain, n'offrait aucun signe de disposition con-
ciliatrice ; que comme l'embargo qu'il avait imposé pesîdt infini-
ment plus BUT les AméricaioB que sur ceux contre lesquels il était
dirigé, il avait Été levé poiu: Être remplacé par un acte prohibant
toute commimication avec la Grande-Bretagne et la France.
Comme marque d'hostiUté, cet acte était encore plus fortement
prononcé que l'^nbargo lui-même, et si on 7 joignait le langage
tenu par les principaux personni^eB de la nation, lea discuseioai
HISTOIRG DU CANADA.
135
ansqa'etleB on s'était abandonné chaqne fois qu'il avtài été question
de l'Angleterre, on devrtit persévérer daoe lea mesurea de vig^'-
anceet de prècaiitlonqm avaient été jugées nécessaires. II espé-
rait qne les chambres renouvelleraient les actes passés en vue de
cet objef dans le dernier parlement et qni allaient expirer avec la
sesMon actuelle.
llevenant à la polïfiqne intérieure, H dit que comme lea
membres venaient de tontes les parties da pays, ife devaient être
convaincus de la prospérité et du bonheur d'un penpie qui n'était
soumis qu'aux lois portées par aee propres représenfana ; qu«
si en raison des diffbrentçs races qtit composaient la population
quelque chose pouvait détruire l'harmonie, co seraient des soup-
çons et des jalouses mai fondées entre elles-mêmes OU des soupçons
encore plus imaginaires contre lo gouvernement.
M. Bourdages voulut feire motiver la réponse ii ce discours de
manière qu'elle exprimât assez formellement pour être compris,
les aentimens des représenlans sur les influences pernicieuses qui
dvconvenaient le pouvoir exécutif. Les débats qui suivirent
fournirent aux chefs canadiens l'occasion de laisser voir leur
pensée sans insister pour la faire adopter. Il flit observé que
l'amendement thisaït allusion à des insinuations étrangères, et sup-
posait qne c'étaient elles qui induisaient le gouverneur en erreiu";
que ces suppositions pouvaient être faites en Angleterre où il y
avait mi ministère ; maïs qu'ici où il n'y en avait point de connu;
on ne pouvait l'attaquer ouvertement ; que tous les membres con-
venaient qu'il n'y avait aucun lieU d'appliquer i la chambre deS
réflbxîonB de jalousie entre ses membres ou contre le gouverne-
ment î nrais que le discours du trône ne contenait pas de réflexion
directe et que l'on pouvait se contenter de le contredire indirec-
tement. On répliqua que si la senâbilitê des membres était
seule iméressée, il serait iâcile d'en faire !e sacrifice ; mais que le
discours' pouvait donner lieu à des réflexions plus sérieuses -•
qrfï! contenait des choses qui tendaient à exercer une influence
indue sur les votes des deux branches ; que les aentimens et les
actes dés deux chambres ne pouvaient être connus que par leurs
votes, et que si la partie du discours en question était fuite pour
tnfTuer ailleurs que sur les suffrages des membres, elle ne signi-
fierait rien ; qu'elle pouvait faire craindre que' les votes don
l36 HISTOIBE DU
nés pour un câlè plutdt que pour un autre fussent interprétéB
comme hostiles au gouvernement ; que le mot gouvernement qui
y était emploj'é pouvait en imposer aux nouveaux membres, à
ceux à qui notre constitution n'était pas encore familière.
Quand le gouvernement exerce l'autorité executive, tout doit
obéir ; tout acte contraire à celte obéissance est l'acte d'un mau-
vais sujet. Mais quand le gouvernement exerce sa portion du
pouvoir législatif, il n'est que l'une des trois branches de la lépe-
lature, la première et les deux autres en sont indépendantes.
Bien loin qu'on pût regarder l'opposition d'une de ces deux
branches à la première, comme illégale, le devoir de ces deux
branches était de s'y opposer librement toutes les fois qu'elles le
croiraient nécessaire. Q.ug les réflexions de jalousie contre le
gouvernement ne pouvaient s'appliquer à aucun des trois pou-
voirs, parce que dans le sens général du mot, lorsqu'il est appli-
qué à la législature ces trois pouvoirs forment eux-mêmes le gou-
vernement.
M. Bedard observa de son côté, qu'avant de parler de l'influ-
ence pernicieuse que cette partie du diBCours du gouverneur était
de nature à exercer, il devait déclarer qu'il n'en attribuait rien
au représentant de sa Majesté, mais aux insinuations de personnes
qui l'avaient induit en erreur ; puis prenant la question de plus
haut, il s'élendit sur le système de la responsabilité et Et voir
combien l'idée d'un ministère était essentietle à la constitution.
Le premier devoir de cette chambre, troisième branche de la
législature, dit-il, est de soutenir son indépendance, même contre
les tentatives que ferait la première pour la restreindre ; qu'en
adoptant le sentiment de ceux qui disaient qu'il n'y avait point
de ministère, il faudrait ou que cette chambre abandonnât son.
devoir et renonçât à soutenir son existence, ou qu'elle dirigeât «es
observations contre la personne même du représentant du roi, ce
qui serait une idée monstrueuse dans notre constitution, parce
qu'on devait regarder la personne de notre gouverneur comme
tenant la place de la personne sacrée de sa Majeijté et lui appli-
quer les mêmes maximes. Il lui paraissmt donc que cette idée
de ministère n'était pas un vain nom comme quelques uns sem-
blaient le regarder ; mais une idée essentielle à la conservation
de notre constitution. 11 fit observer qu'en fait et indépendamment
HISTaiRS DU CANADA. 187
de la maxime constitutionnelle^ il était bien certain que le gou-
verneur qui n'était ici que depuis si peu de temps ne pouvait
connaître les dispositions des habitans que sur les informations
qu'on lui en donnait ; que quoiqu'il ne fût pas un de ceux qui
avaient eu le plus d'occasion de le connaître, il était intimement
persuadé qu'il ne desirait rien que le bien public ; que quoiqu'il
n'y eût pas ici de ministère établi en tître d'office> il n'en était
pas moins vrai qu'il n'y eût réellement des ministres, c'est-à-dire
des personnes d'après les informations desquelles le gouverneur
se déterminait ; que lorsqu'il deviendrait nécessaire de connaître
ces ministres, la chambre en trouverait bien le moyen ; qu'il
savait bien que les ministres aiment toujours mieux se tenir
cachés ; qu'ils n'avaient pas toujours été connus en Angleterre
comme ils le s<mt aujourd'hui ; mais que c'était l'afi&ire du bon
ex&ccice des pouvoirs constitutionnels de les obliger de paraître.
L'orateur dans ce discours remarquable où il exposait un sys-
tème octroyé formellement au Canada quarante ana après, fut
regardé comme l'ap6tre d'une idée révolutionnaire, et accusé par
ceux qui formaient les entourages du château, de propager des
doctrines funestes qu'il fallait se hâter de bannir si l'on voulait
éviter les séditions. Les fonctionnaires et la classe d'où on les
tirait poussèrent les hauts cria en entendant proclamer le système
responsable.
Le juge de Bonne, l'organe du château, s'éleva contre la doc-
trine de M. Bedard, et chercha à persuader que l'admettre fierait
avilir l'autorité ro3rale et celui qui en était chargé; qu'il ne
fiiUait pas agiter de pareilles questions dans un moment où
l'attitude des Etats-Unis était menaçante ; que ce serait mon-
trer des symptômes de division; qu'il fallait se garder aussi de
manifester de la jalousie contre les autres pouvoirs parceque ce
serait justifier les allusions faites aux signes de rébellion dans le
^ discours du gouverneur ; que l'agitation de ces questions parai-
trait telle en Angleterre et qu'elle affecterait les idées qu'on avait
delà loyauté des Canadiens. L'orateur du reste ne faisait qu'ex-
primer ici des sentimens qu'il partageait en toute sincérité ; car
rejeton d'ancienne noblesse, il avait dû recueillir et conserver
comme un héritage inaliénable les anciennes traditions de ses
' pères^ et regarder l'autorité absolue des rois comme hors des
138 HISTOIRE DU CAHADA.
atteintes des représentana du peuple, et l'auterité de» chambres
comme un pouvoir dont la lègilimité était fort douteuse.
La question traitëo atn» HOtis un point de vue nouveau par M.
Bedard, Gt sensation ; mais sa proposition de responsabilité
ministérielle parut d'une trop grande hardiesse à cette époque
pour permettre de s'en occuper, et plus tard on oublia d^invoquer
un principe « salutaire. La majorité voulait d'ailleurs éviter
de commencer la session par une lutte sur une simple expression
de sentimens comme le comportent en B;énëral les réponses aux
discours du trône. Elle rejeta l'amendement de M. Bourdages
ainsi que l'addition que M. Bedard voulut faire ajouter au para-
graphe maintenu, et qui portait que l'on regrettait que le gouver-
neur eût cru devoir rappeler à l'attention de la chambre la ques-
tion des races, et l'idée qu'il fut possible qu'il existât chez elle des
soupçons et des jalousies contre le gouvernement ; que l'on était
trop assuré de la droiture et de la générosité de fon cœur pour
attribuer ces observations à d'autres qu'à des personnes qu'il ne
connaissait pas et qui n'avaient à cœur ni le bien du gouverne-
ment ni celui du peuple dont le bonheur lui était confié.
L'allusion faîte iodirectement aux diiScultés des dernières ses-
sions, n'empêcha point la chambre de revenir sur la question des
juges, relativement auxquels elle voulait absolument introduire
l'usage anglais. Les niembrea les plus décidés voulaient les
expulser de suite par une résolution comme cela parait avoir été
fait dans l'origine par le parlement impérial; mais la grande
majorité espérant toujours obtenir le consentement des deux
autres branches de la législature, désirait prendre un terme
moyen et faire admettre le principe dans le pays par les trois
pouvoirs.
Le gouverneur qui avait des idées sur une représentation colo-
niale bien différentes de celles de la chambre elle-même, avait
pu juger dès le début de ses procédés qu'il n'y avait point d'ac-
cord possible entre elle et lui ; qu'elle voulait persister dans son
ancienne politique, et qu'il était évident qu'il ftiUait ou céder ou
recourir à une seconde dissolution. D'après son caractère l'on
devait prévoir que la dernière alternative devenait chaque jotir la
seule probable. En effet, du haut de son château, il trouvait la
conduite de l'aBsemblëe pleine d'audace, ayant toujours présent &
DU CANADA. 13d
l'idée, devant les yeux, la puissance et la eitustion relative de
l'Angleterre et du Canada. Profitant de l'expulsion de M. Hart
qu'elle venait de renouveler, il résolu! de mettre fin à un parle-
ment où l'on ne paralsBait pas d'humeur à s'en laiHser ioipotier,
et iiu'il croyait avoir tous les droits de mener à sa guise. Il se
rendit au conseil législatif accompagné d'une suite nombreuse, et
manda les repr^eentans devant lui. Tout s'était passé Je manière
qu'ils n'eurent connaissance de son intention que lorsque les gre-
nadiers de »a garde arrivèrent devant leur porte. " Messieurs,
Isur dit-il, lorsque je m'adressais à vous au commencement de la
sesaion, je n'avais aucune raison Je douter de votre modération,
ni de votre prudence, et je mettais une pleine confiance en toutes
deux. J'atlondaiB de vous que guidés par ces principes, vous
feriez un généreux secrilîce de toute animosité personnelle, de
tout mécontentement particulier ; que vous porteriez une attenlioR
vigUante aux intérêts de votre pays; que vous rempliriez voa
devoirs publics avec zèle et promptitude et une persévérance
inébranlable, J'attenJaia de vous des efforts sincères pour le
rafiermissement de la concorde et une soigneuse retenue sur tout
ce qui pourrait avoir une tendance à la troubler. J'ai cru que
vous observeriez tous les égards qui sont dus, ut par cela même
indiapeotiableB aux autres branches de la légi^ature, et que vous
vous empresseriez do coopérer cordialement avec ollea dans tout
ce qui pourrait contribuer au bonheur et au bien-être Je ia colo-
nie. J'avais le droit Je m'attendre à cela de voire part, parce
que c'était votre devoir, parce que c'aurait été fournir un témoi-
gnage certain au gouvernement de la loyauté et de l'attachement
que VOUE professez avec tant d'ardeur et dont je crois que voua
être pénétrés, parce qu'enfin la conjoncture critique surtout, la
âtuation précaire dans laquelle nous noua trouvons à l'égard des
Etatï-XInia l'exigeaient d'uno manière toute par^cnhère. Je
regrette d'avoir i ajouter que j'ai été trompé dans celte attente et
dans toutes mes espérances.
" Voue avez consumé dans les débats ingrats, excités par des
animoeité» personnelles et des contestations Irivoles sur des objets
et des formalités futiles, ce temps cl ces talens que voua deviez
au publie. Vous avez préféré abuser de vos fonctions et négliger
lei àe-rwn élevés et importaua que vous étiez tenus envers votre
l4d HISTOIRE OU CANADA.
Booversin et vos constiluans de remplir. S'il fallait des preuves
de cet abu8 cinq bills Beulement ont été Boumis à ma sanction
après une session de cinq semaines, et sur ces cinq billatrmssont
do simples renouvel lemens de lois annuelles qui n'exigeaient
aucune discussion.
" La violence et le peu de mesure que vous avez montrés dans
tous vos procédés, le manque d'attention prolongé et peu respec-
tueuK que vous avez eu pour les autres branches de la législature,
font que quelque puissent être leur modération et leur indulgence
il n'y a guère lieu de s'attendre aune bonne entente à moins d'une
nouvelle assemblée."
Après d'autres observations sur le même ton, il continua par
déclarer qu'il avait une entière confiance dans les électeurs, qu'il
était persuadé que par un choix de représentons convenables on
préviendrait de nouveaux embarras à l'avenir et qu'on saurait
mieux consulter les intérêts du pays ; que la tâche qu'il venait
de remplir Im avait été pénible au plus haut degré j mais qu'Use
tournait avec une satisfaction particulière pour offrir à Messieurs
du conseil législatif, la reconnaissance que leur méritaient l'unani-
mité, le zèle et l'attention soutenus qu'ils avaient montrés. Ce
n'était pas à eux qu'il allait l'attribuer, si on avait fait si peu pour
le bien public, " Mes remercimens sont également dus, aujouta-t-
il, à une partie considérable de l'assemble. J'espère qu'ils vou-
dront croire que je leur rends justice, que je sais apprécier leurs
efforts pour arrêter ceux dont j'ai tant de droit de me plaindre.
Par là, Messieurs, vous avez vraiment manifesté votre attache-
ment au gouvernement de sa Majesté et vous avez justement
jugé les intéi'ëts réels et permanens du pays."
Il n'y a que dans une petite colonie qu'un gouverneur peut
se permettre une pareille comédie. Si le sujet n'était pas si
sérieux l'on pourrait demander quelle indépendance avait un con-
seil législatif nommé par lui et formé de créatures choisies avec
soin ? quelle indépendance avaient les membres de l'assemblée
auxquels il adressait des complimens? La liberté dans son
enfance n'est qu'un jouet entre les mwns de l'homme fort qui
tient l'épée.
Toute l'ineptie virulente de sir James Craig parut à nud dans
cetle occanon. A un langage iasultant pour \i ireprésentation
MISTOUtS DO CANADA. lil
qui ne feisaît qu'invoquer un principe parfaitement constitution-
nel, il joignait la faute plus grave de m felre partisan politique ea
approuvant une partie de cette représentation, en la remerciant,
en se tournant vers elle, de sa conduite, en lui disant qu'elle avait
montrô son affection pour le gouvernement et qu'elle lui ferait la
justice de reconnaître qu'il avait su la distinguer du reste do la
chambre. Les ennemis des Canadiens approuvèrent avec de
hautes clameurs de joie la conduite du gouverneur. Ils lui pré-
sentèrent des adresses et lui promirent leur appui pour préserver
la conalitution intacte et maintenir le gouvernement dans la plé-
niludo de ses droits. Ils l'élevérent jusqu'aux cieux, le procla-
mèrent l'homme le plus habile de l'Angleterre ; et aveuglée par
leur haine ils oublièrent les droits du pays, pour battre des mains
aux insultes prodiguées à la liberté. Les Canadiens accoutumés
aux manières de cette foule passionnée et servile, ne furent point
étonnés de ce bruit, qui n'était qwe la répétition de ce qui avait
lieu chaqusJbis que le gouverneur devenait ie chef de leurs ennemis
politiques, lia conservèrent tout leur sang froid et toutes leurs
convictions. Aux attaques grossières de journalistes à gages, le
Canadien conduit par plusieurs membres de la chambre, répon-
dit par des faits et de la froide raison politique et constitutionnelle.
Le Mercury, journal aemi-officle!, disait le 19 mars 1810 : " Qui-
conque a lu les derniers numéros du Canadien, y trouvera le
même esprit arbitraire qui anime la majorité de la dernière
chambre d'assemblée. Le langage dont l'on se sert au sujet de
l'expulsion du juge de Bonne, n'est plus celui du droit de la
chambre, mais de son pouvoir. Si le pouvoir est la chose, ce qui
veut dire en d'autres termes, la volonté de la majorité, quel
membre venant à déplaire & cette majorité pourra être sûr de son
Biégeî....
" De la part de l'exécutif, nous prendrons la liberté d'observer
que dans une dépendance comme cette colonie, lorsque l'on voit
le gouvernement journellement bravé, insulté et traité avec le
plus grand mépris dans le dessein de le rendre méprisable, nous
ne devons attendre rien moins que sa patience ne s'épuise et que
des mesures énergiques ne soient prises comme les seules efficaces.
" Le traitement que le gouvernement reçoit continuellement
d'un peuple conquis, porté de l'abime de la misère à la hauteur de
\4^ HISTOIRE DU CANADA.
la proBpérilé et livré à toutes sortes d'indulgences, n'est paa ce
qu'il devait en attendre.
" Âpréa la deniiéro mesure de conciliation proposée par le
représentant du roi à l'ouverture de la dernière session de notre
parlemeiil, noua ne pouvona voir le rcto\ir qu'on lui a fait que
Gommo l'ccuvre de laplu'^ incartigHile ingratitude. Mais il y a
dea gens dans le monde à qui les avantagea que vouiï leur faites
ne Jounenl que do l'intiolence." Sanu répondi'e à ces iiisullea, le
Cawidicn. citait les faits analogues de l'histoire de l'Angleterre
pour justifier l'opinion de la chambre sur l'indëpeudaDce dea
juges. Rapin, Blackstone, Locke el autres piibliciates anglais lui
fourniasaieul de nombreux exii-ails sur ce poini el sur l'étendue des
pouvoirs constitutionnels dea trois branches de la législature. Le
môme journal s'étendit longuement sur les limites de leurs droits.
Le représentant du roi, disait-il, a le pouvoir de dissouilre le
parleiDeiit quand il le juge à piopos, mais il n'a auciui pouvoir
de faire dea réflexions injurieuses, telles que celles contenues
dans cette harangue, sur les procédés d'une branche de la législa-
ture qui est absolument indépendante do son autorité. Le res-
pect dû i. cette branche est sussi sacré et uus^t inviolable que
celui qui est dû à sou eseellcnce ellc-niêuie ; et ces réllexione
viendraient d'autant plus mal de sa part, que c'est elle qui
est chargée de faire observer le respect qui est dû à cette branche
de la législature, ainsi qu'aux autres parties du gouvernement.
Four mettre autaat que possible le gouverneur à l'abri de sea
Qoups, le CaTiadien feignait aussi de croire, suivant l'opinion de
m. Bedard, à. l'existence d'une administration responstble, It
laquelle on attribuait le dernier diiicours du trdue. " Cette
h arangtie, observai t-il, est une vraie disgrâce dans un pays britan-
nique, et quand ou fait réflexion que ce sont les conseillers privé»
de sa majesté et surtout ses oHiciers en loi, qui sont chargés par
leur devoir du soin de dresser les harangues de ses représentans^
et qu'on a[)erçoit sur le texte de ceUe harangue un renvM à une
note qui contient le nom d'un de ces conseils en loi, et qui ie
propose comme un modèle à tous les électeurs du paye, quelle
idée doit-on avoir de l'origine d'une pareille pièce 1" Ua
correspondant écrivait plus tard: " Il paraît que la doctrine
de nos ministres est changée. On doit se rappeler que les
HISTOIllE DU CANADA. 143
gens du ministère ont toujours soutenu dans la chambre
comme ailleurs qu'il n'y avait point de ministèf^ ; que le gou-
verneur ou le représentant du roi était la personne responsable
pour toutes les actions de l'administration. Ce système des
ministres est actuellement changé. Ils prétendent qu'il y a un
ministère responsable de tout, et que le gouverneur n'est comp-
table de rien pour toutes les actions de Tadministration."
Tontes les questions constitutionnelles étaient traitées dansce
journal d'après les principes anglais les mieux établis, et c'est ce
qui irritait les partisans du château, qui redoutaient plus que toute
autre chose l'établissement d'un gouvernement vraiment constitu-
tionnel, c'est à dire qui aurait été l'expression de la majorité des
habitans représentés par leurs députés au parlement.
Le Canadien ne demandait que cela ; mais c'était trop pour
eux ; et ils crièrent à la révolte et à la trahison. Aujourd'hui
^u'il est permis de revoir froidement les événemens de ce temps
là, l'on s'étonne de la crédulité avec laquelle les autorités accueil
laient les accusations portées dans un but de parti a évident, et il
est impossible à l'esprit le moins préjugé de croire que les sym-
pathies des gouvernans n'étaient pas profondément hostiles aux
Canadiens. Nous avons parcouru attentivement page par page
le journal en question jusqu'à sa saisie par l'autorité, et nous avons
trouvé à côté d'une réclamation de droits parfaitement constitu-
tionnels, l'expression constante de la loyauté et de l'attachement
le plus illimité à la monarchie anglaise. Connaissant la tactique
eenstante de» ennemis des Canadien^i, qui avaient beaucoup plus
de fitcilités qu'eux de se faire écouter de la métropole, il appuyait
cTniie manière toute particuhère sur les sentimens d'attachement
des habitans français pour elle, et sur les motifs spéciaux qu'ils
avaient de persister dans ces sentimens, et qu'il rattachait à
leur conservation nationale. Il vantait les avantages de la cons-
titution britannique ; " elle est peut-être, disait-il, le 4 novembre
1809, la seule où les intérêts et les droite des difiérentes branches
dont la société est composée, sont tellement ménagés, si sagement
opposés et tous ensemble liés les uns aux autres, qu'elles s'éclai-
rent mutuellement et se soutiennent par la lutte même qui résulte
de l'exercice simultané des pouvoirs qui leur sont confiés." La
5^ie de sa saisie, il disait encore: "Si on veut désapprouver une
m histoire: du canada.
mesure du gouverneur, il faut le faire arec reapect et de la
manière que la constitution et la liberté britannique dous le per-
mettent."
L'élection ne changea point le caractère do la chambre. Dana
ancun paya du monde le siiSrage populaire n^eat plus indépendant
ni plus pur qu'en Canada, où la presque totalité des élocleors est
propriétaire et indépendante du pouvoir. Les membres qui
avaient montré de l'indécision ou de la faiblesse furent remplacés
par des hommes plus assurés et plus fermes. Les reprësentans
retournèrent à la législature avec les mêmes idées et les mêmes
convictions plutôt raRermies qu'ébranlées et avec la résolution de
ne point les abandonner.
Cependant l'Angleterre crut devoir réparer un peu le mauvais
effet de la vivacité de son agent ; elle lui envoya des instructionu
louchant l'éligibilité des juges, et lui ordonna de aancli on ner toute
loi passée par le» deux chambres ayant pour but de les priver d'un
droit t^spulé depuis ai longtemps.
L'ordre de la métropole et le résultat de l'élection ne durent pas
être du goût de Craig ; mais il fallut les subir en silence, se pro'
mettant bien de no pas laisser échapper la première occasion
pour déployer sa mauvaise humeur, occasion qui malheureuse-
ment dans l'état des esprits ne devait pas ee faire attendre
longtemps.
Le parlement s'assembla à la fin de janvier 1810. Les rela-
tions diplomatiques entre l'Angleterre et les Etats-Unis continuaient
toujours d'être fort indécises. Le gouverneur y fit allusion dans
Bon discours, et assura qu'en caa d'hostilités l'on recevrait assez
de troupes pour opposer avec les milices une résistance heureuse.
Quant au sujet des débats de l'intérieur, à la question des juges
enfin, il était autorisé à. sanctionner toute loi ayant pour but de les
exclure de l'assemblée.
Celle-d accueillit avec une satisfaction secrète, cette dernière
déclaration de l'Angleterre qui désapprouvait ainsi l'opposition
pour ainsi dire personnelle du gouverneur ; maïs elle voulut en
même temps repousser par une forte expres:^on de blâme, la
liberté qu'il avait prise en la prorogeant de censurer tta conduite.
Elle s'empressa, et ce fut son premier acte, de déclarer à une
{[rande majorité, que toute tentative de la part du gouvernement
HISTOIRE DU OANADA. 145
exécutif et den autres branches dé la législature contre elle, soit
en dictant ou censurant ses procédés, soit en approuvant la con-
duite d'une partie de ses membres et désapprouvant la conduite
des autres, était une violation de ses privilèges et de la loi qui la
constituait, contre laqudle elle ne pouvait se dispenser de récla-
Bier> et une atteinte dangereuse portée aux droits ^ aux libertés
du pays.
Après avoir aimû protesté contre le langage du gouverneur, elle
songea à se rabattre sur ses inférieurs.
Depuis longtemps la chambre voulait amener sou» son contrôle
les fonctionnaires publics, qui la narguaient par leur insolence et qui
se croyaient fort audessus d'elle comme le marquaient leur con-
duite et leur langage. Ce mal qui a duré jusqu'à ces derniers
temps, a puissamment contribué acEX événemens politiques qui
ont eu lieu plus tard. Les fonctionnaires se regardaient comme
indép^idans ; et \e6 gouverneurs sans expérience politique pour
la plupart, laissaient courir des remarques offensantes qui devaient
revenir par contre coup sur l'exécutif lui-même. L'assemblée
pensa que le moyen le plus efficace de porter les officiers
publics à mieux respecter l'une des sources dont ils tenaient
leurs pouvoirs, était de les amener sous son contrôle pour leur
salaire comme ils étalait en Angleterre. Elle déclara que le
pays était maintenant capable de payer toutes les dépenses civiles,
' et elle vota une adresse au parlement anglais pour l'informer que
le Canada était prêt à s'en charger et en même temps pour le
.remercier de ce qu'il avait fcût jusque là.
Les fbnctionnaires tremblèrent de tomber sous le contrôle du
eorps qu'ils avaient insulté tant de kis dans leurs propos. Ils
.s'agitèrent pour &ire repousser la mesure et communiquèrent leur
^«^ à leurs ami, qui s'efiforcèrent de gagner le gouverneur à leur
vue. Celui-ci surpris de la démarche de la chambre dans
ktqudle on voulait lui faire voir quelqi^embuche, ne putdissimu-
1er son embarras. U répondit que cette adresse lui paraissait
d'une nature si nouvdle qu'il avait besoin d'y réfléchir; que
l'usage du pariement anglais voulait que les octrois d'argent
fussent recommandés par le gouvernement avant d'être votés par
la chambre basse, où ils devaient il est vrai prendre leur origine,
•mais non sans le concours de l'autre chambra , qu'il était sans
14d HISTOIRE DU CANADA.
exemple, i sa connaissance, qu'une seule branche d'une législa-
ture coloniale eût préâenlé une adre^sse uu parlement itopénal ;
que pour ces raisons il trouvait que l'adresse était sans pré-
cédent, imparfaite dan^ sa forme ot fofldée aiir une résolution
qui devait rester sans effet tant qu'elle no recevrait pas le con-
cours du conseil législatif; qu'il ne pourrait conBéqueinraent la
transmettre aux minisires ; mais qu'il la transmettrait au roi
comme un témoignage de la gratitude et des dispositions géné-
reuses du Bas-Canada, qui voulait faire connaître qu'il était
capable de payer ses dépenses quand on le déni rerail, et qu'an
surplus l'expression ai vive et si franche de son alTection et de bb
gratitude envers l'Angleterre ne laissait point de doute sur sa sin-
cérild.
Cette réponse fort longue et mélangée de reproches et de
louanges, montrait la faiblesse de sa posifion et son inaptitude aux
affaires. Il le sentait lui-même et c'est ce qui lui fil dire en ter-
minant, qu'il regrettait excessivement d'avoir été obligé de. s'ex-
primer de manière à faire croire bien malgré 'ni qu'il voulait
empêcher l'expression des sentimens qui les animaient. Néan-
moins il était in érieurement irrité de cette offre inattendue, qui
ne pouvait manquer d'être bien accueillie de l'Angleterre, et qui
déronlaic en même temps toutes les prévisions de l'oligarchie
coloniale.
Sans perdre de temps la chambre le pria de lui faire trans-
mettre le b'.idjet de toute la dépense civile, et elle nomma, sur ta
proposition de M. Bedard, un comité de sept membres pour s'en-
quérir des ustiges parlementaires mentionnés dans la réponse du
gouverneur.
Ces mesures dénotaient l'intention de faire voir que les supposi-
tions et les doutes de l'exécutif n'avaient aucun fondement, et
qu'il avait trahi son ignorance ou sa mauvaise intention. Cette
démarche aurait été frivole en d'autres circonstanres, mais les
ennemis de la phambre avaient presque seuls l'oreille de l'Angle-
terre et par suite l'influence d p ése tant, qui les Craignait
bien plus que nos députes ne u u gardés à peu près
comme des étrangers au bu a 1 11 fallait montrer par
une expression formelle que ! 3„ es droits et que l'on
msTonuB DU canada* 147
s'appuyait dans ce que l'on faisait sur des textes que l'on tenait à
main, et qui étaient sans réplique.
L'on résolut d'aller encore plus loin. Depuis longtemps l'on
sentait le grand inconvénient qui résultait de l'ignorance récipro-
que des sentimens de l'Angleterre et du Canada l'un pour l'autre.
L'Angleterre ne connaissait les Canadiens que par les rapports
calomnieux que leurs adversaires lui en faisaient journellement ;
les Canadiens ne connaissaient l'Angleterre que par les aventu-
riers qui paraissaient au milieu d'eux pour chercher fortune, et
qui s'emparant des emplois et des autres avantages du gouverne-
menty s'y conduisaient de manière à aliéner l'affection du peuple.
Il (allait tâcher d'établir des rapports qui pussent détruire l'effet
des préjugés et des calomnies chez l'un et chez l'autre. La
nomination d'un agent résidant à Londres parut le moyen le plus
propre pour parvenir à ce but, et l'on préparait un bill à ce sujet
lorsqu'un autre incident amena une prorogation soudaine. Le
conseil ayant voulu amender le bill pour exclure les juges de la
chambre, celle-ci s'en offensa et déclara le siège du juge de Bonne
vacant à la majorité de trois contre un.
Le gouverneur qui s'était contenu à peine jusque là devant les
actes de la chambre, ne fut plus maître de lui à cette dernière
audace. Il se rend au conseil et la mande devant lui : *^ Je suis
venu, dit-il, proroger le parlement. Après mure délibération sur
les circonstances qui ont eu lieu, je dois vous informer que j'ai
pris la résolution de dissoudre la chambre et d'en appeler au
peuple. Elle a pris sur elle sans la participation des autres bran-
ches de la législature, de décider qu'un juge ne peut siéger ni
voter dans son enceinte.
^ Il m'est impossible de regarder ce que vous avez fait autrement
qqe comme ime violation directe d'un statut du parlement impé-
ricJf du parlement qui vous a donné la constitution à laquelle vous
devez, suivant votre propre aveu, votre prospérité actuelle. Je
ne puis regarder l'acte de la chambre que comme une violation
inconstitutionnelle de la franchise élective d'une grande partie des
citoyens et du droit d'éligibilité d'une autre classe assez considé-
rable de la société»
** Je me sens obligé par tous les Uens du devoir de m'opposer à
une telle prétention ... el je ne vois d'autre moyen pour sortir
d'embarras que ce'ui que je prends."
Ses partisans lui présentèrent aussitôt pour l'appuyer de Qué-
bec, de Montréal et de partout où il s'en trouvait quelques-uns,
de nouvelles adresses de fëlicitatioa et d'assurance de confiance
dans son gouvernement. Il répondit qu'il espérait toujours être sou-
tenu par eaux qui savaient apprécier les bienfaits de la constitutiou
lorsqu'il résisterait à des efforts qui tendraient à la troubler.
En même temps leurs émissaires commencèrent une grand av-
iation en se répandant dans toutes les campagnes et en y répan-
dant à leur tour partout des adresses et des écrits pour prévenir
le peuple contre les derniers actes de ses représentans. Mais le
peuple qui ne voyait au plus qu'une colère de fonctionnaires ou
qu'une joie d'antagonistes dans ces manifestations empressées,
Bortit à peine de son calme ordinaire devant tout ce bruit, et
attendit tranquillement l'urne électorale pour se prononcer sur le
débat du jour.
Mais l'exécutif était résolu d'employer tous les moyens pour
désarmer ses adversaires, neutraliser leur influence et frapper les
électeurs de terreur afin de s'assurer aux prochaines élections
d'une chambre qu'il put mener à sa guise. Le premier coup
qu'il fallait porter pour parvenir à ce but était contre le journal
lui-même qui avait défendu la chambre el ensuite contre les prin-
cipaux représentans.
Le conseil exécutif s'assembla et scruta le Canadien pour
trouver matière ou prétexte à quelque démonstration propre à
Élire un grand effet. Le gouverneur loi-même demanda l'empri-
sonnement de l'imprimeur. Deux aubergistes nommés Stilling
et Stiles, après s'être procurés les numéros du 3, du 10 et du H
mars du journal répudié, allèrent faire leur déposition le 17 devant
le juge en chef Sewell, qui donna l'ordre d'en exécuter la saisie.
Une horde de soldats conduite par un magistrat s'empara des
presses et emprisonna l'imprimeur après qu'on lui eut fait subir
mystérieusement un examen devant le conseil exécutif. Les gardes
de la ville furent en même temps augmentées et des patrouilles
parcoururent les rues comme si l'on avait été menacé d'une
inatirrection. La malle fut détenue pour saisir, disait-on, tous les
fils de la conspîratioa avant que la nouvelle de ce qiû v«iQit
HISTOIRE DU CANADA. 14!)
d'avoir lieu fît répandue. On passa trois joura à examiner les
papiers aaiais à l'imprimerie du Canadien, au bout desquels Je
cOH^eil M'assembla du nouveau. C'étaient le gouverneur, le juge
Sewell, révoque prolestanl et ]\lil. Dunn, Baby, Young,
Williams et Irvlne. On y lut les dépositions de M. Lerrançoie,
arrêté soum accusadon do haute trahison, et de quatre autres
personnes nyant dos rapporta avec l'imprimerie. Le gouver-
neur cootniuDiqua uu numéro do la feuille, tira en présence du
magistrat Mure, de la presse qu'on transporta au bure&u des juges
de paix.
Trois articles de cette feuille servaient de prétexte à ce petit
coup d'état; mais celui surtout qui portail ce titre ein^lier:
" Pretiez-voua par la bout du noa." C'était une récapitulation
abrégée de quelques faits passés dans le paye depuis la conquête,
et qui se terminait par îles observations qui n'avaient que le défaut
de reepirer un amour exagéré de la coaslitution anglaise. Dans
ces articles, comme dans tous les autres, il n'y avait ri^i qu'on
p&t traduire en Iralûson et qui fût de nature à troubler l'assiette
d'un gouverneuieot tel que celui d'Angleterre. L'on s'étonne
aujourd'hui en les lisant des frayeurs et de l'irritation qu'ils aient
pu causer, ou plutôt l'on voit trop que ce n'était qu'un prétexta.
Après avoir ordonné l'entrée au long dans son procès-verbal
de l'article dont nous venons de donner le titre, comme pour mieux
montrer à l'histoire la passion ou la bassesse de ses membres, la
conseil ordonna l'arrestalion de MM. Bedard, Taachereau et
Elanchet,*
' L'ordre fut en même tempa transmis à Montréal d'arrêter
MM. Lalbrce, Papineau (de Cliambly,) Corbeil (de l'Ile Jésus,)
«tdea manJaisfurenLdécemés ou projetés contre MM. D.B.Viger,
Joseph Blanchet et plusieurs autres citoyens notables de Montréal,
sans être mis cependant à exécution.
On ne s'arrêta pas encore là. Pour frapper davantage l'ima-
pnation populaire et foire croire que la société dormait sur un
abime prêt à s'ouvrir sous sea pas, le gouverneur adreasa une
longue proclamation au peuple, écrite dans un style qui annonçait
une intime conviction do la réalité du danger, ou une dissimulation
non moins profonde. Mais le caractère de l'homme, la faiblesse
• PtocèB-ïerbal du conseil exécutif du 19 mars 1810.
150 HISTOIRE DU
^
croissante de son înteUigence, due à l'état de sa santé qui dépéris-
sait de jour en jour, portent à croire qu'il était de bonne foi, et
que son imagination tièvrcuse changeait en danger réel, un danger
imaginaire, excité qu'il était par les gens qui l'entouraient, et qui
profitaient de son état pour lui monter la tête et lui faire croire i,
l'organisation d'une vaste conspiration couvrant le pays et prête
i prendre les armes.
Ce singulier document dressé avec une exagération de langage
propre à effrayer lea gens paisibles et crédules, portait que vu
qu'il avait été imprimé et répandu des écrits séditieux et pleins
de trahison ; que ces écrits étaient destmés à séduire lea bons
Bujela de sa Majesté, à leur remplir l'esprit de défiance et de
jalousie, t aliéner leur affection, en avançant avec audace lea
faussetés les plus grossières, il avait été impossible au gouverneur
de passer plus longtemps sous silence des pratiques qui tondaient
à directement au renversement du gouvernement, et qu'en consé-
quence il avait, de l'avis de son conseil, pris les mesures néces-
saires pour y mettre fin. Il exposait ensuite quelle avait été sa
bienveillance envers les Canadiens, les mettait en garde contre lea
lrtdtreB,leur rappelait lea prêtés qu'avait fait le paya, et la liberté
sans bornes dont il jouissait. Avaient-ils vu, observait-il, depuis
cinquante ans un seul acte d'oppression ? un emprisonnement
arbitraire î une violation du droit de propriété? ou du libre exer-
cice de leur religion 1 Comment pouvait-on espérer d'aliéner
les affections d'un peuple brave et loyal ? Il démentait le
"bruit qu'il avait dissous la chambre parcequ'elle lui avait refusé
la faculté de lever un corps de 12,000 hommes et d'imposer une
taxe sur les terres,enfin qu'il voulait opprimer les habitans. Viles
et téméraires fabricateurs de mensonges, continuait-il, sur quelle
'partie ou sur quelle action de nva vie, fondez-vous une telle
aaaertion? Que savez-voua de moi ou de mes intentions t
Canadiens, demandez à ceux que vous consultiez autrefois avec
attention et respect; demandez aux chefs de votre é^ise qui ont
occasion de me connaître. Voilà des hommes d'honneur et de
lumières. Voilà les hommes chez lesquels vous devriez aller
chercher des avis ; les chefs de faction, les démagogues ne me
▼went point et ne peuvent me connaître.
Pourquoi voua opprimerais-je T Serait-ce pour servir le roi ï
DU CANADA. 151
Serait>ce par ambition 1 Que pouvez-voua me donner t Serait-
co pour acqutirir de la puissance 1 Hélas mea bons amis, avec
une vie qui décline rapidement vers la tombe, accablé de maladies
contractées au service de mon pays, jo ne désire que de passer ca
qu'il plaira à. Dieu de m'en laisser, dans les douceurs de la retraite
avec mes amis. Je ne reste parmi vous qu'en obéissance à des
ordres supérieurs.
Sir James Craig terminait sa proclamation par les exhorter à
être «Q garde contre Isa arlifices des traitres qui cherchaient ù
aliéner leur âdélilé et & les porter à des actes da trahison, par
requérir les curés de se servir de leur influence pour prévenir
leurs menées, et les mapstrata et les officiers de milice d'user de
toute la déligence nécessaire pour en découvrir les auteurs et les
faire punir.
Le gouverneur en parlant, comme il faisait, d'oppression, d'em-
prisonnement arbitraire, de violation des droits de propriété, s'il
ne le faisait pas par ironie, oubliait l'histoire et ce qu'il venait ds
commettre lui-même.
Cette longue proclamation, sur son désir, fut lue au pcône
de la cathédrale de Québec, et dans plusieurs autres églises du
paya. L'évêque adressa en même temps de la chaire une allo-
cution aux ûdélcs, dans laquelle tout en protestant de la loyauté
des Canadiens, il rappelait l'obligation qui leur était imposée
d'être soumis aux lois et à l'autorité constituée.
A l'ouverture de la cour cinminelle, le juge Sewell l'un des
însbgateurs de ce système d'intimidation, lut la proclamation et
fit un discours politique sur i'agitaUon qui régnait et sui la ten-
dance pernicieuse des principes mis au jour par ses auteurs. Lo
grand jury, choisi par le gouvernement et formé en majorité de
ses partisans, blâma le journal abattu, qui avait mis la paix et la
sûreté du pays en danger, disait-il, et déclara qu'il avait vu aussi
avec regret certaines productions du Merctuy, propres à faire
naître de ia jalousie et de ta méfiance dans l'esprit des Cana-
diens, subterfuge adopté pour couvrir d'un semblant d'impartialité
les aifections de son cœur. £nËn.loulea les mesures avaient
été prises pour faire un grand effet. Des messagers avaient été
envoyés partout pour répandre la proclamation parmi les habi-
tana étonnés, qui apprirent pour la première fois qu'une conspira-
toS HISTOIBB OU CASAOA.
tion profonde avait été ourdie pour renrereer le gourernement.
Maintenant qu'allEÙl-il résulter d*un ai grand bruit. II fallait
prouver devant l'opitiiou publique que le gouvemeiiient avait eu
raisoa dans tout oo qu'il avait fait, et que les projeta des rebelles
et dea conspirateurs allaient être dévoilés au grand jour pour
appeler Hur la tète des coupables le châtimenl qu'ils méritaient.
Mais le public attendit en vain. Le château n'avait rien contre
les accusés. Si les lois avaient été violées, c'est l'exécutif lui-
même qui s'était rende coupable. Les prisonniers demandèrent
leur procès, et l'on recula ; ils demandèrent leur élargissement et
les cours esclaves de la volonté de l'exécutif, réfusèrent jusqu'à
ce qu'il plut enfin à celui-ci de leur faire ouvrir les portes de leur
prison. La maladie de quelques uns des accusés fournit un pré-
texte au bout de quelque temps pour les mettre dehors les uns
après les autres, en leur faisaut donner caution de comparution à
première demande pour sauver les apparences. Corbeil ne fut
élargi que pour aller mourir au sein de sa famille d'une maladie
qu'il avait contractée dans aun cacliot. Bédard, le chef du parti,
re voulut poinl profiter de la liberté doDoée aux autred ; ii refusa
de quitter sa prison avant d'avoir subi son procès et mis sa répu-
tation hors de toute atteinte par le jugement d'un jury. Il rei^ta
inflexible dans sa résolution, protestant sans cesse de l'intégrité
de sa conduite et de ses opinions politiques, et répudiant avec
hauteur toute imputation de déloyauté ou de désafection envers
le gouvernement ou la personne du souverain. Cette persistance
devint bientôt un embarras grave pour l'exécutif qu'elle ooinpro-
mettait. Sir James Craig lui-même fut obligé de reconnaître l'es-
time que méritaient la fermeté et l'indépendance do sa victirae.
Le pays n'avait pas été longtemps sans reconnaître dans ce qui
venait de se passer iin complot formé par les fonctionnaires et
les intrigans pour perdre la représentation aux yeux du peuple
lui-même et de la métropole. Partout les électeurs soutinrent
leurs mandataires, et presque tous les anciens membres furent
réélus à de vastes majorités ou sans opposition. M. de Bonne la
cause première de ces difficultés ne se présenta point aux sviffragea
des électeurs. On rapporte qu'on avait promis de le nommer au
conseil législatif et qu'on ne le fît pas. Quelque temps après il
« démit de sa charge de juge.
UISTOOE DV CANADA. 153
• Les chambrex furent convoquée)) pour le 10 décembre. On
avait hâte de voir de quelle manière le gouverneur allait exposer
la âitualion et parler des ëvènemens (|ui venaient d'avoir lieu.
Son discours détrompa tout le monde, et Bemblait venir d'un
homme qui sortait d'un long rêve. Il ne dit pas un mot de ce
c]ui venait de ee passer. 11 déclara au contraire qu'il n'avait
jamais douté de la loyauté et du zèle des diiFèrens parlemeits
qu'il avait convoqués ; qu'il espérait trouver les mâmca principes
dans celui-ci et les mêmes dispositions dans sea délibérations;
qu'il le priait de croire qu'il verrait régner l'harmonie avec une
grande satisfaction, parce qu'elle ferait le bonheur du pays etqu'd
s'empresserait de concourir à toule mesure ayant cette fin pour
objet; que la régie de sa conduite était de maintenir un juste
équilibre entre les droit» de chaque branche de !a législature.
Ce disofiura parut étrange dans la bouche d'un homme qui pré-
tendait réunir co lui et le sceptre et ie ministère, et qui après les
actes de violence qu'il venait de commettre, violences nécessaires,
disait-on, pour la sûreté du gouvernement contre les atlentals
d'une rébellion, ne disait pas un mot des dangers que ce gouverne'
ment avait courus ni des mesures qu'il avait été obligé de prendre
pour len faire échouer.
Nous concourrons, répondit la chambre, avec le plus grand
empressement dans toutes les mesures qui terniront vers la pais.
but d'autant plus difficile à atteindre en celte province que
ceux qui l'habitent ont des idées, des habitudes et des préjugés
difficiles à concilier. Nous voyons avec peine les elforts qui se
font pour représenter sous des couleurs fausses et très éloignées
de la vérité, les opinions et les sentimens des habilans du pays.
Il est difficile de dire si m J. Craig s'attendait à une allusion
Russi légère aux événemens qui venaient de se passer; mais il
devait croire qu'd en serait fait une si ia chambre n'était pas
infectée des doctrines révolutionnaires dont on l'accusait, parce-
qu'elle était tenue par respect pour elle-même et pour se dégager
de tous les soupçons que l'on voulait faire peser sur elle, de
repousser les accusations sans cesse renouvelées par ses ennemis.
Elle ne devait pas montrer la moindre crainte d'entrer en discus-
BJon avec l'exécutif sur co point ; elle devait rechercher au con-
traire cette discusNon parcequ'eUe devait savoir que son silence
IM
nisTouu: su cana.da.
aurait été aussitôt représenté en Angleterre comme un aveu tie
ea culpabilité.
La situation du gouvernaur était telle qu''il fallai: même à
cette lointaine allusion de la cbambre^ l'econnaitre sa faute ou
maintenir la position qu'il avait prise. Il se crut obligé de
justifier lea violences commises pour ne pas passer pour s'être
abandonné à une vengeance aveugle et sans but, et par conséquent
indigne d'un bomme d'état. Ain» pressé paisespenaéeSgl'agent
I métropolitain ne trouva dans une intelligence qui d'un jour â
l'autre ne pouvait voir la portée de ses paroles ni de ses actes,
que des niotiis offcnsana pour tout le monde.
Il observa que les craintes manifeatéoa par la réponse de l'as-
semblée touchant l'exécution de l'acte pour la conservation du
gouvernement, n'étaient pas justifiées par les renseigneraens qu'il
avait reçus ; qu'il n'y avait que ceux qu'il pouvait afti^cter qui le
redoutaientj et que leurs clameurs pouvaient avoir trompé la
cbambre sur leur nombre ; mais que l'acte avait apaisé les
craintes du peuple depuis qu'il était en force ; que tout simple et
tout dépourvu de lumières qu'était le peuple il s'en rapportait à
son bon sens, qui voyait le gouvernement armé du pouvoir néces-
isaire et prêt à l'exercer s'il le fallait pour écraser les artifices dos
factieux et combattre les intrigues de la trahison ; qu'il voyait
par l'adresse de la cbambre qu'il avait été mal compris, que
l'harmonie dont il parlait était celle qui devait exister entre lui et
les deux autres branches de la législature et non celle qui devait
exister dans la masse de la société.
Cette réplique voulait dire qu'il persistait dans une ligne
politique réprouvée par les faits et condamnée par le peuple à la. ,
dernière élection. Mais pour montrer de la bonne fois, il fallait , ,
non seulement faire juger les chefs du peuple, il fallait eneors
fiûre juger les principaux membres de la cbambre emprisonnèB
depuis la dernière session.
M. Bedard toujours en prison demandait qu'on lui fit son pro-
cès. Cette voix sortant des cachots était la condamnation la plua
complète de la réplique du gouverneur. Lui-même i
naissait qu'il ue pouvait punir le prisonnier. Il disait à si
seil que son incarcération était nécessaire pour arrêter le- mal dont
on était menacé, car le conseil ne devait pas oublier que la
détention de M. Bedard était une mesure de précaution non de
châtiment, et qu'il ne pouvait être puni que suivant les lois du
pays; qu'il l'aurait lait mettre en liberté comme les autres s'il
IVv^t demandé. La chambre vota une adresse pour !e Tnire
Élargir. Une copie des résolulio-ns lut transmise d'nvance au
gouverneur, qui s'attendait à voir arriver la députalion d'un
moment à l'autre, lorsque M. Papineau se présenta au château
et eut «ne longue coniference avec lui. Legouverneur qui croyait
peut-être ^ue le prisonnier commençait i chanceler daus sa
résolution, lui fit part de sa décision Anale. Aucune considf^ra-
tion, Monsieur, lui dit-11, ne pourra m'engager à consentir à la
libération de M. Bedard, à Ja demande de la chambre, soit comme
matière de droit soit comme matiè^rc de faveur ; et je ne consen-
tirai maintenant i aucune condition qu'il soit libéré pendant la
session actuelle. Je n'ai aucune hésitation à vous faire connaître
les motifs qui m'ont porté à cette résolution. Je sais que le lan-
gage général des membres a répandu l'idée qui existe partout que
la chambre d'assemblée va ouvrir les portes de la prison de M.
Bedard; et cette idée est si bien établie que l'on n'en a pas le
moindre doute dans la province. Le temps est venu où je crois
que la sécurité comme la dignité du gouvernement, commande
impérieusement que le peuple apprenne quelles sont les vraies
limites des droits des diverses parties du gouvernement ; et que
ce n'est pas celui de la chambre de gouverner le pays.
Cette réponse était flétrissante pour l'administration de la
justice : ce n'était pas la loi qui régnait puis qu'elle se taisait
devant la voix qui disait : " Je ne consentirai pas qu'il soit mis
en liberté."
Le gouverneur qui voulait forcer M, Bedard à reconnaître
l'erreiir dans laquelle il disait qu'il était tombé, et à justifier à la
fois par là les autres arrestations qu'il avait fait faire, avait envoyé
son secrétaire, M. Foy, pour avoir une entrevue avec lui, afin do
le BOnder. A la suite do ce tête à tête, le gouverneur apprenant
que M. Bedard, curé de Charlesbourg et frère du prisonnier, était
en ville, l'avait mandé au château pour le charger de faire part
à son frère des motifs de son emprisonnement, et l'informer que
le gouvernement n'avait en vue que sa sécurité et la tranquillité
publique; que s'il voulait reconnaître sa faute, il prendrait sa
L.
166 HISTOIHB DU CAHAUA,
parole comme une garantie suffisante, et quM proposerait auaaitôt
àsoncoDaeil de le faire mettre eii liberté. Le représentant détenu
répondit ea termes respectueux mais positjjà, qu'il ne pouvait
admettre une fuutc dont il ne se croyait pas coupable, parole digne
de toute la vie politique do ce noble citoyen.
M. Papineau cependant, malgré, !e langage décidé du gouver-
neur, avait pu découvrir que M. Bedard eeroit rendu à la lilrerté
après la ecssioa, et qu'il ne réâullerait aucun bien de la persis-
tance de la chambre dans les démar<^ies qu'elle avait 00 ro mène é es.
L'ajournement de celle affaire fut en coneèquencc proposé et.
agréé apréi quelques discussions.
Le reste de la session se passa avec assez d'unanimité. La
fameuse loi pour l'exclusion des juges de la chambre fut adoptée
et reçut la fianclion royale. L'Angleterre avait fait connaître ses
intentions. Le conseU législatif avait aussitôt abandonné son
opposition et s'était incliné devant ses ordres. En prorogeant
les cliarobrcs le gouverneur leur dit: " Parmi lea actes auxquels
je viens de donner l'assentiuient du roi, il y en a un que j'ai vu
avec satisfaction, c'est l'acte pour disqualifier les juges de siéger
à la chambre d'assemblée. Non seulemcjit je crois la mesure
bonne eu cUe-^même, mais j'en considère la passation comme une
reouncLation coiopli^tc d'un principe erroné, qui m'a mis pour le
suivre dans la nécessité de diasoudrc le dernier parlement.
" Maintenant, messieurs, je u'ai plus qu'à voun recommander
comme voua l'avez fait observer vou»-mémes au commencement
de la Gcaslon, d'employer tous vos eilbrts pour faire disparaître
toute défiance et tu>ule animo^ité parmi vous. Tant qu'il y ea
aura, elles paralyseront tout ce que l'on entreprendra pour kt bien
public. Il ne peut y avoir aucun obstacle à cette uuîoni II
n'existe aucunes dissensions religieusea: l'intolérance n'est point
la diepoailjon des temps actuels i vivant sous un seul goitverne-
ment, jouissant également de sa protection sous se» soins frueli-
fians dans des rapporl« mutuels de bienvdllance et de bonté, l'on
trouverait tout le reste idéal. Je euiti sérieux en vous donnasl
cet avis, messieurs. C'est probablement le dernier leg d'un
homme qui vous veut du bien sincèrement, d'un homme qui, b'II
vit assea pour atteindre la présence de son aouveraîn, se présen-
tera avec la oerûtude glorieuse d'oblenii; son approbation ..."
MltTOIRS DU CANADA. 157
De la colère et de la violence sir James Craig était passé
presque sans transition à un état de calme et de bienveillance qui
annonçait un changement dans la politique de la métropole, que
la loi des juges avait déjà fait prévoir ; et on espéra un meilleur
avenir.
Peu de temps après M. Bedard fut remis en liberté. £n
infi>rmant son conseil de ce qui avait eu lieu au sujet de ce chef
do parti canadien, le gouverneur ajouta qu'il avait jugé néces-
fttire de s'abstenir de prendre des mesures pour son élargisse-
ment jusqu'à ce que tous les membres fussent rendus chez eux,
afin qu'il fut impossible par aucune fausse interprétation de l'at-
tribuer à l'intervention de la chambre ; et maintenant qu'ils étaient
de retour, il le priait de voir s'il ne serait pas temps de mettre fin
à sa détention.
Cette prière était un ordre. Le motif qu'il donna de ne pas
lavoir fait plutôt renferme l'esprit de son administration et la con-
damnation la plus complète de sa politique. L'exécutif qui per-
siste dans un acte injuste de peur de paraître céder aux représen-
tans du peuple dans un gouvernement constitutionnel, montre
une ignorance complète des principes de ce gouvernement, et s'il
se met dans le cas de ne pouvoir éviter une pareille alternative,
^une incapacité qui en est la plus grande condamnation. M.
Bedard élargi disait à ses électeurs du comté de Surrey : '< Le
paSié ne doit pas nous décourager, ni diminuer notre admiration
pour notre constitution. Toute autre forme de gouvernement
aérait sujette aux mêmes inconvéniens et à de bien plus grands
encore ; ce que celle-ci a de particulier, c'est qu'elle fournit lea
moyens d'y remédier.
<< Toutes les difficultés que nous avions déjà éprouvées n'avaient
servi qu'à nous faire apercevoir les avantages de notre constitu-
tion. Ce chef-d'ceuvre ne peut être connu que par l'expérience.
n faut sentir une bonne fois les inconvéniens qui peuvent résulter
do défaut d'emploi de chacun de ses ressorts, pour être bien en
état d'en sentir l'utilité. H faut d'ailleurs acheter de si grands
avantages par quelques sacrifices..."
Tel était le langage de ce patriote en sortant des cachots de
l'agent de l'Angleterre. Ce n'était ni un langage imposé ni un
langage de vengeance^ c'était un langage de conviction.
v
158 HISTOIRE DU CANADA.
Craig qui avait une manière à lui de gouverner, n'avait pas seu-
lement cherché à dominer le parlement, il avait voulu aussi
mettre à ses pieds le clergé. Il s'était persuadé qu'il pourrait
conduire tout à sa guise par la violence et l'intimidation, et comme
il avait imposé sa volonté dans les choses politiques, il croyait
pouvoir aussi corrompre et intimider l'évèque catholique, tnettre
son clergé dans la dépendance de gouvernement, en lui faisïint
abandonner pour se l'arroger ensuite la nomination des curés»
La soumission de M. Plessis qui avait été jusqu'à lire ses procla-
mations et faire des allocutions politiques en chaire, lui avait feit
croire qu'il ferait de ce prélat ce qu'il voudrait ; mais il fut trompé»
L'évèque n'avait cédé en politique que pour acquéiir et non pour
perdre en religion. Il y eut trois entrevues au château St. Louis
entre ces deux hommes, dans les mois de mai et de juin 1811:»
dont l'une dura près de deux heures, dans lesquelles le gouver-
neur put se convaincre que le clergé serait aussi ferme potit
défendre ses droits que la chambre d'assemblée.
Nous avons vu les efforts qui ont été faits en différons temps
depuis la conquête pour abattre Péglise catholique et implanter
le protestantisme à sa place. Nous avons fait remarquer que \%,
révolution américaine sauva le catholicisme en Canada, ou pour
parler plus exactement, l'empêcha d'être persécuté, car on ne l'au-
rait pas plus éteint en Canada qu'en Irlande. On peut ajouter que
la dispersion du clergé français par le régime de la terreur en
1793 contribua beaucoup à apaiser aussi à Londres les préjugés
contre l'église romaine ; et que le contrecoup fut assez sensible
en Canada pour y laisser permettre l'entrée des prêtres, sujets
des Bourbons, qui en étaient spécialement exclus avant la révo-
lution.*
♦ La révolution française si déplorable en elle-même, écrivait l'évèque
de Québec, M. Hubert, à Pévêque de Léon à Londres, assure en ce moment
trois grands avantages au Canada, celui de donner retraite à 'd'illustres exi-
lés, celui de se procurer de nouveaux colons et celui d'avoir de zélés
ministres...,.
Les émigrés français ont éprouvé d'une manière bien consolante les
effets de la générosité anglaise. Ceux qui viendront en Canada ne doivent
pas naturellement s'attendre à de puissants secours pécuniaires. Mais les
deux provinces leur offrent de toutes parts des ressources.
Par rapport aux ecclésiastiques dont il paraît que le gouvernement veut
HISTOIRE DU CANADA. 159
Mais au commencement de ce «ècle, on chercha à revenir sur
ses pas ou plutôt à soumettre L'église à la volonté du bureau colo-
nial ^ pour en faire un instrument politique^ en asservissant l'autel
au trône. £n 1805 le gouvernement fit connaître à l'évêque son
intention de revendiquer auprès de la cour de Rome, le privilège
accordé aux rois de France par les concordats de nommer aux
cures et d'accorder à cette condition à l'évêque un établissement
solide et une reconnaissance complète; mais M. Denaut jugea
cette transaction trop dangereuse pour être acceptée dans des
circonstances ordinaires.
11 était même tellement opposé à cette mesure qui aurait
asservi l'église du Canada à un gouvernement protestant, que
dans l'événement où le roi aurait imposé ce régime, il était
décidé à faire d'abord des représentations avec le clergé et
le peuple, puis d'avoir recours au St. siège, si le premier moyen ne
réussissait pas.
En 1811, le gouvernement y revenait. " Vous-ètes dans une
situation désagréable dit le gouverneur à M. Plessis, je désirerais
qu'elle put s'améliorer. Vous ne tenez pas le rang qui convien-
drait à votre place, et je ne puis vous reconnaître en votre qualité
d'évêque ; mais il ne dépend que de vous d'être reconnu et auto-
risé dans vos fonctions extérieures par une commission du roi."
Il avait déjà été question de cela en 1805. Le changement arri-
vé dans le ministère avait empêché la poursuite de cette affaire.
M. Ple^is avait alors discuté plusieurs points avec sir Robert S.
Milnes, le procureur-général Sewell et M. Grant, et s'était trouvé
fort éloigné d'eux, entre autres sur la nomination aux cures qu\\a
voulaient attribuer à la couronne. Sir James Craig voulait reve-
nir sur cette affaire, et soutenir que cette nomination était une des
prérogatives royales que le roi ne céderait jamais. M. Plessis
maintint que la collation, la juridi(5tion et l'institution cannoniq^ie
bien favoriser la transmigration en ce pays, voici, Monsgr., ce que je puis
avoir l'honneur de vous répondre pour le moment. . . Il n'y a dans toute
l'étendue du diocèse de Québec qu'environ 140 prêtres. Cenombre est
évidemment trop petit pour faire face à près de 150,000 catholiq^ues que
l'on y compte. . .
Le clergé de ce diocèse secondera ma manière de penser en tout ce qui
dépendra de lui et, du côté du gouvernement, j'aperçois les intentions les
plus favorables. . •
160 HISTOIRE DU CAN-iDA.
OU !e pouvoir donné i un prêtre de gouverner spiriiuellementson
troupeau, de lui annoncer la parole de Dieu, do lui administrer le»
Bacremena, ne pouvaient veni r que de l'égliee seule ; que le roi
pourrait bien investir du temporel, mais non du spirilue! ; que du
reate l'introduction de l'ordre de chose qu'on proposait aérait
capable de mettre la provintie en feu.
" Une personne, lui dit le gouverneur, qui connaît Irèa bien et
depuis longtemps le pays, m'aesure que la religion s'y perd aeo-
wbleinent."
" Je ne crains paa d'affirmer, répondit ausailût le prélat, que
je connais encore mieux le peuple canadien. Or d'après mes
connaissances, je crois ce peuple très attaché à sa religion et très
peu disposé à souffrir que l'on y donne atteinte. 11 n'y a p«nt
d'article dont il soit aussi jaloux. Co qu'il y a de très certain,
observa alors Craig, c'est que jusqu'à présent ce pays a été gou-
verné d'une manière bien opposée à l'esprit de la cunslitulioa
d'Angleterre. Nous laissons faire ici quantité de choses que l'on
ne souETrirait dans aucune autre partie des domaines britanniques.
lie gouvernement pourrait me faire mon procès sur plusieurs
articles sur lesquels il est démontré que je ne remplis pas ses
intentions. Tant que la province a été de peu de conséquence,
on a laissé subsister tout cela. Mais enSn elle prend de l'im-
portance, sa population, ses productions, son commerce lui don-
nent une considération qu'elle n'a jamais eue. 11 est tempe
qu'elle soit mise sur le mémo pied que les autres parties de l'em-
pire. . • il est de la gloire de l'empire que la prérogative royale
soit exercée partout. . . Un curé mal choisi pourrait nuire beau-
coup au gouvernemenl." Le gouverneur voulut ensuite prendre
l'évêque par l'intérêt et par l'ambition : Les curés n'ont -pas
droit de poursuivre pour leur dîme, et voua même quel maigre
revenu avez-vous î Les revenus, dit M. Plessis, sont la dernière
chose qu'un ecclésiastique doive rechercher ; le clergé catho-
Lque a souvent prouvé qull savait faire des sacrifices en ce
genre. . . Quelque pauvre et précaire que soit ma situation,
j'aimerais mieux qu'elle le fut encore plus que de donner lieu à
mes diocésains de dire que j'ai vendu mon épiscopat. Sir James
Craig s'obstinait. La religion est l'œuvre de Dieu, répliqua
l'évêque. J'eipère qu'il la soutiendra dans ce paya. . . Le
HUTPIRS DIT €AJSfA1>Aé IGt
gouvememeot a laissé mes prèdéoeBS^m» depuis- la conquête
diriger leur église , en toute liberté. Ils eut trouvé dans cette
conduite un motifde plus.de se montrer sélés pour les intérêts
de FAn^eterre, JPat suivi, en oelakurs traces.: Pour m'ètre
prononcé hautement de vive voix et par éorit dans le même sens,
je me suis mis à dos une partie de mes compatriotes. Le gou-
vernement est. juste 9 s'il veut maftraiter les évèques de ce pays,
j^espère qu'il ne commencera pas par moi. • . Xies préjugés de
l'Angleterre, observait-il encore, contre les catholiques se'dissi-
paient^ elle s'était adoucie contre les siensi et ceux d'Iriandç ;
que de choses défendues par les statuts d^Edouard VI^d'Elizabeth
et de quelques régnes Bui vans, et qui se font maintenant en
toute libertés Que n'a-t-on pas dit dans les deux, chambres du
parlement en 1^^, en fiiveur des catholiques d'Iriande lorsqu'on
y agita leur émancipation î . . . aurait-on osé parler avec cette
l^roe et cette hardiesse il y a 100 ans? Quant à la suprématie
ëpiritueile, je veux dire à la qualité de chef de Téglise qu'il
ti plu au pai4ement d'Angleterre d'attribuer au roi, il est trèe
ceirtam qu'aucun membre de Pé^ise cathoKque ne la peut
admettre*
. N>ou8 ne reconnaissons :pK)int l'église catholiq^e^ dit en termi*
aaht Pentrevuelegouverneqr^^aux yeux duquel la nomination
aux cures était un moyen piûssant de sapper la foi du peuple, et
rd'sunener insensiblement son aposta/sieen choisissant ses pasteurs.
Mais le néde n'était pas propre au succès d'une pareille couvre.
Jjoio' de chercher à implanter une nouvelle foi, le» gouyernemens
ont assez à âûre peur maintenir l'ancienne, outre qu'il y a plus
quHl ne &ut d'autres génomes de révolution pour leaopcuper. :
. Cest peu de joum après que sir Jaines Craig déposa les rênes
du pouvmr et partit pour i'£urope. X^e penj^ désigne le
temps de son administration du règne de la terreur. Cette appel-
lation contient plus d'ironie que de vérité» . Il nei fit point répan-
dre de sang^.etdans ses emportemens il ne fut que l'instrument
,de son conseil^ qui eut l'aveugler et le menerr suivant ses. vues
; lorsqu^ii croyait av<Hr dans les membres de ce corps des serviteurs
obséquieux et obéissans. Dans le discours étrange qu'il pro-
nonça en prorogeant les chambres, après tout ce qui s'était
cpasséy il approuva complètemient l'asaeml^léfl sur la question des
162 HISTOIRE DU C AU AD A.
juges, et termina comme s'il avait laissé tous les partis dans
l'union et la concorde, confondus dans un même sentiment d'es-
time et de bienveillance, illusion d'une imagination que ne réglait
aucun jugement, et à laquelle il peut avoir ajouté foi avec
sincérité car il n'avait pas au fond un mauvais cœur: sa faiblesse
était de vouloir imiter un grand conquérant qui tenait alors un
sceptre absolu dans une autre partie du monde. 11 mourut quel-
ques mois après son retour en Angleterre. Malgré les adresses
de ses partisans à l'occasion de son départ, et le spectacle de la
population anglaise qui ôla les chevaux de son carrosse et le tira
jusqu'au rivage lorsqu'il alla s'embarquer, il fit des observations
amères sur la déception et l'ingratitude des hommes, qu'il avait
éprouvées en Canada plus que partout ailleurs, observations peu
âatteuses de quelque manière qu'on les envisage pour ceux qui
s'attelaient dans le moment même à son char au pied de son
château et qui se faisaient esclaves pour être tyrans.
Pourtant jusqu'au dernier moment de son départ ils l'avaient
poursuivi de leurs approbations et de leurs adresses complimen-
teuses.
'< Nous conserverons, disaient ses partisans de Montréal, une
reconnaissance éternelle pour la conduite habile, constitutionnelle
et tempérée de votre excellence, qui a réussi à calmer une fer-
mentation qu'avaient excité quelques esprits faux, vams et
ambitieux."
« L'expérience, ajoutaient ceux de Warwick, a confirmé notre
vénération et notre reconnaissance pour celui dont le gouverne-
ment sage et désintéressé dans un temps orageux et difficile,
a sauvé cette province des maux qui la menaçaient, a fait con-
naître à la mère-patrie les ressources de cette colonie, a fait
disparaître les jalousies et succéder aux inquiétudes une parfaite
tranquillité."
" Nous n'hésitons pas, répétaient à leur tour ceux de Québec, à
exprimer le plus profond respect et la plus haute admiration pour
les talens supérieurs, l'énergie, l'impartialité et l'intégrité de
conduite qui distinguèrent d'une manière si éminente l'administra-
tion de votre excellence."
LWEE QUATORZIÈME.
CHAPITRE I.
GUERRE DE 1812.
Sir George Prévost ; 8a politique. — Situation des rapports entre l'Angleterre
et les £tat«-Um8. — ^Premières hostilités sur mer. — Le parti de la guerre
l'emporte à Washington. — La guejre est déclarée. — L'Angleterre adopte
un système défensif. — Forces des Etats-Unis. — Organisation de la défense
du Canada. — Zèle du clergé catholique. — M. Plessis travaille à faire
Teconnattre officiellement le catholicisme par le gouvernement. — Mission
secrète de John Henry aux Etats-Unis et son résultat.— Mouvement des
forcée américaines. — La général HuU envahit le Canada et puis se retire.
— Divers escarmouches et combats. — Le général Brock fait prisonnier le
général HuU avec ses soldats, — Van Rensalaer envahit le Canada, —
Combat de Queenston ; mort du général Brock. — Défaite de l'ennemi.—
Nouvelle et inutile invasion du Canada par le général Smith. — Le général
Dearbom fait mine d'attaquer le Bas-Canada, puis se retire. — Evénemens
sur mer. — Session du parlement.—- Il élève les droits de douane pour faire
isLce aux dépenses de la guerre.
Les querelles qui avaient troublé l'administration de Craig et les
manifestations populaires qui s'étaient fait jour par la voie de
l'assemblée, avaient fait une double impression au dehors. Aux
Etats-Unis elles avaient enhardi le parti de la guerre et augmenté
866 espérances ; en Angleterre elles avaient porté le gouverne-
«ent à regarder les Canadiens d'une manière plus favorable et à
travailler à adoucir l'âpreté qui régnait dans les relations entre le
gouvernement et les représentans.
L'incapacité et la violence de Craig avaient été la cause des
troubles récens. Une conduite contraire pouvait ramener le
-calme dans les esprits. Le gouverneur de la Nouvelle-Ecosse,
Sir George Prévost, ancien militaire d'origine Suisse, offrait toutes
les conditions désirables dans la circonstance. C'était un homme
Mge, modéré, qui possédait ce bon sens et cette impartialité si
rares chez les agens métropolitains depuis quelque temps.
Voyant d'un côté la puissance énorme de l'Angleterre, et de
Pautre la faiblesse de la colonie, ces agens prenaient pour base de
161 HISTOIRE DU CANADA.
leur conduite la force relative des deux parties, et non l'esprit de
la cotiEtitulion. lia voyaient la métropole personnifiée en eux> et
se peraiiadaient que toutes les oppositions qu'éprouvaient leur
volonté, étaient des oppositions malveillantes et factieuses diri-
gées contre )a suprématie anglaise. Ce moyen de réfuter les
erreurs que leur partialiiè ou leur ignorance leur faisait commettre,
avait bien l'avantage de mettre leur responsabilité, leur dis-
crétion, leurs talens à l'abri, mais il transportait la querelle sur un
terrain dangereux pour l'avenir ; sur le terrain de l'alliance entre
ia colonie et la métropole, de la rébellion et de l'indépendance.
En prenant les rênes du pouvoir, sir George Prévost travailla
à calmer les esprits et à faire oublierles animosités que les dèmË-
lés violens avec son prédécesseur avaient pu laisser dans les cœurs.
Il montra la plus grande confiance dans la fidélité des Canadiens
qu'on ne cessait point de traiter de rebelles ; il s'étudia à prouver
en toute occaâon que ces accusations n'avaient laissé aucune
impression dans l'esprit de l'Angleterre ni dans le sien. Il nomma
le prisonnier de air James Craig, M. Bedard, juge des Trois-
Rivières; il fit M. Bourdages, adversaire non moins ardent de
cette administration, colonel de milice, et l'expérience démontra
deux clioses ; que cette conduite était prudente et sage, et que le
mensonge, la calomnie, la persécution n'avaient point affaibli le
sentiment de la fidélité dans Tame de ces deux patriotes.
Bientôt la plus grande sympathie s'établit entre lui et le peuple.
Le choix du roi avait été dicté sans doute par la situation dans
laquelle se trouvaient ses rapports avec les Etals-Unis; car on
doit remarquer que la guerre réelle ou imminente avec la répu-
blique voisine a toujours assuré aux Canadiens des gouverneurs
populaires, et qu'au contraire la paix au dehors a été générale-
ment le temps des troubles au dedans. En temps de danger
extérieur, toute agression contre les droits des Canadiens cessait ;
la danger passé, la voîx de l'Angleterre se taisait et aussitôt la con-
sanguinité de race assurait sa sympathie à ceux qui voulaient leur
anéantissement national, et en attendant leur asservissement poli-
tique. Mais " un grand peuple, dit Thierry, * ne se subjugue
pas aussi promptement que sembleraient le faire croire les actes
oBiciels de ceux qui le gouvernent par le droit de la force. La
* Uinoirs d« la conquête d'Angleteire.
IflSTOIIlE DU CANADA. 165
résurrection de la Dation grecque prouve que l'on s'abuse étran-
gement en prenant l'histoire des rois ou même des peuples con-
quérans pour celle de tout le pays sur lequel ils dominent."
Un peuple plus petit survit encore longtemps à sa chute.
En efifet pour certains peuples il y a des joun où la provi*-
dence semble venir à eux pour ranimer leurs espérances. Les
•Etats-Unis ont déjà plus d'une fois arrêté, par leur attitude, l'op*
pression des Canadiens. Le drapeau de cette république possède
cet avantage qu'en se déployant dans le cieU il en impose à la
violence et paralyse le bras qui cherche à effacer un peuple du
livre des nations.
La guerre était imminente avec cette puissance. Nous avons
exposé dans le dernier chapitre les causes des difficultés qui
s'étaient élevées entre les deux gouvernemens, et ce que l'on
avait fait jusqu'en 1809. A cette époque, M. Madison rempla-
çait M. Jefferson, ancien ami et ancien disciple de Washington,
comme président des Etats-Unis. On crut un moment à un
arrangement amical avec l'Angleterre : le ministre de Londres à
Washington annonça que les ordres en conseil qui défendaient
tout commerce avec la France et ses alliés, et qui avaient motivé
le décret de Milan promulgué par Napoléon, qui défendait à
son tour tout commerce avec l'Angleterre et ses colonies, allaient
être retirés en ce qui regardait la république ; mais ce ministre
ayant été désavoué par son gouvernement, les rapports entre les
deux puissances s'étaient envenimés depuis lors de plus en plus,
surtout après la révocation des décrets français de 1810, sans que
l'Angleterre modifiât les siens. Les vaisseaux de guerre des
deux nations en faisant la police sur les mers, entravaient de plus
en plus le commerce et précipitaient le dénouement. La frégate^
la Présidente, commandée par le commodore Rogers, prit un
sloop de guerre anglais après lui avoir tué beaucoup de monde.
Dans le même temps les Indiens de l'Ouest se montrèrent hos-
tiles, et.le général Harrison ne put les intimider qu'en leur faisant
essuyer une sanglante dèâdte sur les bords de la Wabash dans
l'Indiana. Les ennemis que l'Angleterre avait dans la république
attribuèrent les hostilités des Indiens aux intrigues de ses agens,
et demandèrent à grands cris la guerre.
Ce parti travaillait depuis longtemps à augmenter ses forces et
w
166 HISTOIRE DU CA?<ADA.
à parvenir au pouvoir. Le moment paraissait enfin arrivé où il
allait voir ses espÉrancee courunnéea de succéa et obtenir la, majo-
rité au congrès. L'Angleterre était dans le fort de la guerre en
Espagne, et Napoléon, qui était maintenant en bonne intelligence
avec la république, a'élançait dans celte campagne de Rnsâie.où
1 devait gagner ou perdre le sceptre du monde. Animés par cca
grands événemena, one ardeur toute mililaire s'empara des Aiué.
ricains et le cri aux armes retentit dans une grande partie du
paya. Le congrès d'émut ; le capitole retentit dea plaintes etdea
griefs quo l'on, reprochait à la dominatrice des cners. Des dis-
cours vébémens excitèrent la lenteur craintive de» agriculleura
et des marchanda ; des orateurs et dea journaux annoncèrent que
la guerre proclamée, le gouvernement américain n'aurait qu'à
ouvrir les bras pour recevoir le Canada retenu malgr6 lui soua le
joug d'une métropole européenne, et que les habilans attendaient
avec impatience L'heure deleur délivrance. " Le moment, disait
le message du président, M. Maddison, en 1S11 au congrès,
exige des gardiens des droits nationaux, un ensemble dâ disposi-
tions plus amples pour les soutenir. Malgré la justice scrupu-
leuse, la grande modération et tous les eiforts des Etats-Unis
pour substituer aux dangers nombreux que court la paix des deux,
pays, nous avons vu que le cabinet anglais non seulement per-
siste à refuser, toute satisfaction pour nos torts, mais veut encore
lâire exécuter jusqu'à nos portes dea mesures qui dans les cir-
constances actuelles ont le caractère et l'elfct de la guerre contre
notre commerce légitime. En présence de cette volonté évi-
dente et inflexible de fouler aux pieds les droits qu'aucune nation
indépendante ne peut abandonucr, la congrès sentira la nécessité
d'armer les Etats-Unis pour les mettre dans cette situation que la
crise commande, et pour répondre à l'esprit et aux espérances de
la nation."
Après avoir mis un embargo sur tous les vaisseaux qui se trou-
vaient dans leurs ports, les deux cliambres passèrent une loi pour
déclarer la guerre à la Grande-Iirelagne. Tous les préparatifs
de guerre étaient pour ainsi dire à faire. Il n'y avait ni armée,
ni génèi-aus, ni matériel. Il fallait tout former et tout oi^aniser
avec hâte et précipitation. Malgré l'enthousiasme apparent, les
républicains américains n'avaient point alors plus qu'aujourd'hui
B(StDtttï! Dtr C^ATTAbl. 1S7
l'ambition des victoires et de la gloire militaire. Oe grand mobile
des peuples européens manque presque totalement aux peuples
du Nouveau -Monde. Ceux-ci n'ont point acquis les contrées qu'ils
occupent par de brillantes victoires ; ils ne sont point venus s'as-
seoir en conquérans nux foyers d'une civilisation vieillie et dégéné-
rée. Leui-8 souvenirs hisloriquea ne consistent ni en conquètea,
ni en croisades, ni en châteaux forts, ni en chevalerie. Tout ce
mouvement, toute celte pompe guerrière et poétique qui caracté-
risent la naissance et la formation des nations modernes de l'Eu-
rope, sont des évÉncmcns inconnus à l'Amérique. Le Nou-
veau-Monde fut découvert et établi au moment où les formes de
il société de l'ancien ollaienl changer, et où l'homme qtii travaille
et l'homme qui souffre, formant la masse des peuples, allait com-
mencer à s'agiier pour obtenir un gouvernement fondé sur ses
besoins, et ijui ni[ capable de prendre la place d'un gouvernement
militaire caractérisé par la noblesse cl la chevalerie.
Le mobile des hommes d'aujourd'hui est un intérêt froid et
calculateur. C'est le seti! de la république américaine. La
guerre du Canadi après la première ardeur passée, parut une
spéculation chanceuse. Aussi craignant de trop s'aventurer, ce
peuple marcha-t-il avec précaution ; ce qui fit de la guerre de
1812 une guerre d'escarmouches où il se cueillit peu de lauriers
des deux côtés. Engagée comme elle l'était en Europe, l'An-
gleterre résolut dès l'abord de se tenir sur la défensive, et de
marcher en avant seulement lorsque cela serait nécessaire pour
mieux assurer le système qu'elle avait adopté. C'était le seul
du reste qu'elle pouvait suivre avec les forces qu'elle avait à sa
disposition en Amérique. L'immensité de sa frontière coloniale
rendait sa situation d'autant plus difficile que le Sl.-Laurent est
fermé «ne partie de l'annôe par les glaces, et que la partie de
son territoire que baigne l'océan à la Nouvelle-Ecosse, était sépa-
rée du Canada par des forêts et de vastes territoires inhabités.
Le courage des colons eux-mêmes appuyés des secours qu'elle
pourrait leur envoyer, devait former la principale barrière.
Le gouvernement des Etats-Unis ordonna d'enrôler 25 mille
hommes, de lever 50 mille volontaires, et d'appeler 100 mille
miliciens sous les armes pour ta garde des côtes et des frontières.
Le général Dearbom, vieil officier delà révolution, fui nommé
168 HISTOIRE Da CASADA.
commandant en chef des armées de la république. Mais ces
masses d'hom m ea étaient plus formidables sur le papier que sur
le champ de bataille. Le gouvernement américain manquait
d'espûrience pour les faire mouvoir d'une manière dangereuee
pour la sûreté des possessions anglaises, qui n'auraient pu résister
EL de pareilles forces si elles avaient été mises en mouvement
avec la science etl'unilé slralégigue de l'Europe. Les 175 mille
hommes armés des Etats-Unis eKcédaient toute la population
mfde du Canada capable de porter les armes.
Cependant le Canada se préparait à faire Ifite à l'orage avec
un zèle et une conBance qui étaient de bon augure. Sir Geoi^
Prévost en arrivant àQuébec,aHa visiter te district de Montréal et
!a frontière du lac Champlain; il examina les postes fortifiés et les
positions militaires de !a rive droite du St.-Laurenl. Partout la
population étaitanimée du meilleur esprit. li y avait liien eu un
instant quelques tergiversations parmi quelques jeunes membres
de la chambre outrés de la conduite de Cralg. Il y avait même
eu une réunion secrète à Québec chez M. Lee, où assistiûent
MM. Vigcr, L. J. Papineaii, Borgia, et plusieurs autres, pour
délibérer s'il ne conviendrait pas de rester neutres et de laisser
au parti qui dominait le pouvoir oppresseur qui nous gouvernut, à
le défendre comme il pourrait ; mais M. Bedard et ses amis s'y
étaient opposés et le projet avait été abandonné.
Le parlement se réunit deux fois en 1812. Le gouverneur lui
recommanda de renouveler les actes nécessaires à la sauve-garde
du gouvernement. C'était demander le renouvellement de la loi
odieuse des suspects, dont la dernière administration avait tant
abusé. La chambre répondit qu'elle s'en occuperait. Sir
George Prévost s'empressa de répliquer qu'd ne pouvait s'empê-
cher de regretter qu'elle eût cru devoir arrêter son attention sur
des procédés antérieurs ; qu'il l'engageait à porter ses soins sur
l'état actuel des affaires, que c'était le moyen le plus efficace de
manifester son zèle pour le bien public et d'assurer la tranquillité
de la province. La cliambre était bien disposée à accepter sa
parole, mais elle voulait se mettre en garde contre l'avenir ; elle
£t plusieurs amendemens à la loi dans lesquds ello conféra au
gouverneur seul le pouvoir confié jusque là au conseil exécutif,
d'empÙBonner les personnes soupçonnées de trahison, et statua
HISTOIRE DU CANADA. 169
qu'aucun membre des deux chambres ne pourrait être arrêté,
amendemens qui font voir assez dans quel discrédit étaient
tombés les conseillers puisqu'elle préférait s'exposer à la tyrannie
d'un seul homme étranger au pays.
Le conseil législatif refusa d'admettre l'amendement, qui com-
portait trop directement le censure de la conduite de ses principaux
membres* et malgré une conférence entre les deux chambres pour
s'entendre, la loi tomba à la satisfaction de tout le monde. La
preuve la plus convaincante qu'elle n'avait été qu'un moyen
d'oppression, c'est qu'on l'effaçait du livre des statuts à l'entrée
de la guerre, c'est-à-dire au moment du plus grand danger.
La chambre vota ensuite l'argent nécessaire, et passa une loi
pour organiser la défense de la province en levant des soldats et
en organisant et armant la milice. £lle adopta en même temps.
une résolution pour repousser les atteintes faites à sa loyauté par
le dernier gouverneur. Elle déclara qu'il était dû au bon carac-
tère des Canadiens d'adopter quelque mesure pour informer le
roi des événemens qui avaient eu lieu sous l'administration de sir
James Graig, et des causes qui les avaient amenés, afin qu'il pût
prendre les précautions nécessaires pour empêcher à l'avenir le
retour de pareils abus.
Elle résolut encore, sur la proposition de M. Lee, de faire une
investigation sur l'état de la province et sur les événemens qui
avaient signalé la dernière administration. Cette proposition fut
secondée par M. L. J. Papineau, qui montrait déjà les talens
oratoires de son père; elle passa presque à l'unanimité, deux
membres seulement votant contre. MM. Lee, Papineau père et
fils, Bedard et Viger furent nommés pour former la commission
d'enquète> auxquels on ajouta trois autres membres avec ordre
de tenir leurs procédés secrets; mais ils ne firent jamais rapport*
Partout maintenant les villes et les campagnes retentissaient du
bruit des armes; les milices s'exerçaient sous la direction de
leurs officiers ; la population française était déjà animée de cette
ardeur belliqueuse qui forme un des traits caraclérisUques de la
race.
Le grand vicaire de l'évêque catholique, M. Roux, adressa
un mandement au peuple, dans lequel il semblait n'avoir pu
170 HISTOIRE DU CANADA.
trouver d'expressions aaaea fortes pour convaincre l'Angletoi're
de Ha fidélité et de son dévouement.
En arrivant en Canada le gouverneur avait travaillé à regagner
les bonnes grâces du clergé, que l'on croyait avoir aliéné par les leii'
lalivea iniprudentea de Craig. Il eut dea entrevues avec l'évéque,
M, Plesaiâ, qui ne perdit point l'occasion, avec sa présence d'es-
prit ordinaire, de profiler de la situation des uhiwes pour faire
mettre le calholicisme sur un bon pied, et pour faire reconnaître
pleinement son existence légale avec loua les droits et privilèges
qu'il possède dans les paya catholiques. Ce fui là le but de
toute la vie de ce prélat.
Sir George Prévost en vue de !a guerre, où les catholiques
devaient combattre comme les proleslans, manifesta h, l'évéque le
désir de savoir sur quel pied il serait convenable <le mettre à
l'avenir les évéque^ catholiques du Canada. M. Plesais lui pré-
senta un mémoire,* où il lui expc^ait ce qu'étaient les évèquea
canadiens avani la conquête ; ce qu'ils avaient été depuis, ett'élat
où il serait à dùsirer qu'ils fussent à l'avenir pour le plus grand
avantage du gouvernement et de la religion.
Avant la conquête ils gouvernaient leur diocèse à l'ioalar de
ceux de France selon les canons de l'église et les ordonnances du
royaume, ils avaient un chapitre composé de cinq dignités et de
douze chanoines, qui était sous leur entière juridiction ainsi
que tout te clergé séculier et les communautés religieuses de
filles. Ils tenaient leur synode, érigeaient les paroisses, y propo-
saient des desservans, les révoquaient, visitaient les églises,
monastères et Ueux. de piété, rendaient des ordonnances touchant
la discipline et la correction des mceurs, auxquelles les ecclésias-
tiques et les laïcs étaient obbgés de se soumettre, se làisaient
rendre les comptes des fabriques, ordoanaient sur le recouvre-
ment et l'emploi de leurs deniers ; enfin ils avaient la direction
absolue de toute l'administration ecclésiastique et religieuse, et
rien ne se pouvait faire dans le clergé séculier, dans les fabriques
et dans les monastères sans leur ordre ou leur approbation.
Leur surveillance s'étendait jusque sur les écoles.
Depuis la conquête le gouvernement britannique ayant refusé
BU Canada de recevoir un évûqne de France, le chapitre chargé
HISTOIRE DU CANADA. 171
de radministratjon du diocèse pendant la vacance du siège èpis-
copal, s'était considéré comme revenu aux temps qui avaient
précédé les concordats, et où Pévêque était élu par le clergé de
son église et confirmé par le métropolitain ou par le pape sous le
bon plaisir du souverain. Far un acte cnpitulaire de 1764< M.
Briandy membre du chapitre et l'un des vicaires généraux, avait
été élu évèque de Québec* Malgré les recommandations du
gouverneur Murray, le ministère anglais n'avait point voulu
approuver sa nomination, mais Pavait informé qu'il ne serait
point troublé. La cour de Rome lui avait accordé des bulles et
il avait été consacré à Paris en 66. Revenu en Canada, il avait
exercé ses fonctions sans trouble après avoir prêté serment d'aï-
legéance.
Lie chapitre de la cathédrale réduit à un petit nombre de
membres, n'ayant plus de revenus suffisans pour subsister, s'était
éUiUitinsensiblement. Sa dernière assemblée capitulaire était du
\0 septembre 1773 ; le dernier chanoine était mort en 1796.
Du coaïientement de la cour de Rome et de sir Guy Carleton^
un coadjuteur avait été nommé en 72 à l'évèque, qui en avait
toujours eu un depuis pour le remplacer après sa mort ou sa
résignation. M. Plessis taisait ensuite observer à sir George
Prévost: que les évèques avaient fait et faisaient encore profes-
sion de la loyauté la plus scrupuleuse envers le gouvernement, et
avaient cherché en toute occasion à la graver profondément dans
l'esprit du clergé et du peuple confié à leurs soins.
, Comme l'on savait très bien, qu'ils ne prétendaient exercer
d'autorité qu'au spirituel et seulement sur les sujets catholiques
de leur diocèse, on ne leur avait contesté ni leur juridiction, ni
leur titre d'évêquej usqu'à ces dernières années, où des esprits
jaloux se couvrant du spécieux prétexte du zèle pour les inté-
rêts elles prérogatives de la couronne, a>^ent commencé à élever
des doutes sur l'exercice d'une autorité toute canonique et inof-
fensive de sa nature.
Au mois d'avril 1806, un officier de la couronne avait filé dans
une des cours, une requête tendante à troubler cette jouissance, à
mettre en force certains statuts impériaux, fruits malheureux des
animosités religieuses du 16e siècle, à anéantir l'autorité et le
titre de l'évêque catholique; à faire déclarer nulle la seule ordon-
VJ2 HISTOIRE DU CANADA,
nance qui eut reconnn celte autoritù, et à prétendre fausseiiient
que même avant la conquête, l'ëvêque de Québec n^avait pas
(Irait d'Ériger de paroisses dana son diocèse. Ces avancés
rËpètés dans lea cours avaient été artiâcïcusement répandus dans
les papiers publics.
L'évÉque concluait par demander que lui et ses successeurs
fussent civilement reconnus pour iivÊquea catboliquea de Québec
ayant sous leur juridiction épiscopate les catholiques des colonies
de l'Amérique britannique du nord; en attendant que par un
accord entre Eorae et l'Angleterre il fût érigé d'autres évèchiia
catholiques dans ces contrées, avec tous les droits qu'ils avaient
csercës jusqu'à ce jour; qu'aucune paroisse catholique ne pllt
êlre érigée sans i' intervention préalable de l'évÉque ; qu'il filt
maintenu dans la possession où il était de proposer aux cures et
BUS missions catholiques ; que la propriété du palais épisco|>al
lui fût confirmé et qu'il fût autorisé à acquérir à l'avenir. Enlin,
sans demander une assignation de revenus, il annonçait que ce
serait un avantage pour le gouvernement s'il recevait une gratifi-
cation, et m le clergé catholique était représenté dans les conseils
eicécutif et législatif par son chef.
Ces demandes appuyées par le zèle qu'il avait montré de tout
temps et qu'il inspirait à tout son clergé pour exciter le peuple à
soutenir avec vigueur la cause anglaise dans la guerre avec la
république américaine, furent accordées plus lard. Et l'on verra
que lorsqu'il passa en Europe pour les affaires de son diocèse, le
gouvernement anglais le reçut avec de grands égards, et lui
accorda presque tout ce qu'il demandait.
nécessité où l'Anglet
l'avait été en 75, de prêter u
et d'élre juste à leur égard, m
car sa situation devient de jm
les Etats-Unis et ses colonii
! trouvait alors, comme elle
ne oreille favorable aux Canadiens
B devrait pas être perdue pour elle ;
ir en jour plus difficile à mesure quo
es s'accroissent en popu'ation, en
richesses eten puissance. L'Océan qui sépare les deux mondes
est une barrière naturelle beaucoup plus forte que la limite qui
sépare le Canada de la république voisine et l'on s'en apercevra
La nationalité des Canadiens donne encore de la force à celte
limite et la guerre dont nous allons nous occuper le protiva. On
HISTOfRE DU CANADA. 17S
èh appellera à leurs institutions et à leurs autels pour exciter leui?
zèle, et cet appel du représentant de l'Angleterre à la défense de
«on empire au cri si saint pour eux de leur religion et de leurs
lois, était un engagement d'honneur d'autant plus sacré qu'il était
pris au moment du danger.
Les Canadiens ne demandèrent pas d'autre garantie, pour
courir aux armes. Ce que sir George Prévost donna à entendre
à leurs représentans et à leur clergé, fut interprêté de la manière
la plus généreuse ; tout le monde songea à faire son devoir, et
l'ennemi put se convaincre que la défeétion qu'il attendait ne se
rèaKserait point;
Le gouverneur dirigea les troupes vers les frontières et confia
la garde de Québec, la clef du pays, aux milices représentées peu
de temps auparavant comme rebelles ou comme animées de dis-
poisitions fort suspectes. Les patriotes Bedard et autres furent
rétablis dans leur grade militaire avec ostentation par un ordre du
jour.
Dans le mois de mars, le président des Etats-Unis avait
envoyé un message à la chambre des représentans pour l'infor-
mer que, pendant que le gouvernement américaiB était en paix
avec la Grande-Bretagne, cette puissance avait employé un agent
secret pour parcourir les divers états de l'Union, surtout le Massa-
chusetts, y fomenter la désobéissance aux autorités établies, intri-
guer avec les' mécontens, exciter à la révolte, détruire éventuelle-
ment la confédération et en détacher avet l'aide de ses soldats
les états de l'Ouest.
Ce message extraordinaire fit la plus grande sensation. L'es-
pion était un Irlandais, nommé John Henry, ancien capitaitie
dans l'armée américaine, et qui résidait à Montréal depuis 1806
en qualité d'étudiant en droit. Par une lettre de M. Ryland,
secrétaire de sir James Craig, Henry qui avait déjà été employé
dans quelque mission secrète à la satisfaction du secrétaire d'état
à Londres, à qui on avait transmis ses rapports, était prié de se
charger d'une nouvelle mission confidentielle aux Etats-Unis, pour
laquelle le gouverneur lui fournirait un chifire de correspondance.
Il devait lui faire parvenir les vues du parti dominant dans les
divers états de la républitiue, et mettre les mécontens qvï dési-
raient s'en détacher en communication avec le gouvernement
X
^
174 HISTOIRE OU CAKADA.
KtiglaiB. Sir James Craig donna ses instructions à Henry, en ui
recommandant de tâcher d'obtenir les renseignemens les plu^
exacts flurk ditipomtion des esprits dans le Massachusetts, l'état ijui
exerçait alors la plus grande inHuenue dans l'est; de s'insinuer
dans l'inlimité de quelques chefs de parti el de leur donner à
entendre, mais avec une grande réserve, que a'ils voulaient se
mettre en rapport avec !e gouvernement anglais, par le canal du
gouverneur canadien, il était autorisé à Être leur intermédiaire et
à leur montrer s'ils l'exigeaient ses lettres de créance. Henry
était chargé d'écrire souventà Quéhec, mais pour ne pas exciter
de soupçon, d'adresser ses^lettres au juge Sewell, à un autre Mon*
sieur qui lui était désigné, elqudquefuis à M. Ryland lui-même,
mais Tort rarement.
L'on pensait alors que les consétiuenccs des lois d'embargo
passées par le congrès, ruineuses pour les étals de l'est, pourraient
amener leur séparation du reste de la confédération. Henry
rendu i son poste écrivit une foule de lettres jusqu'à son retour à
Montréal dans le cours de la même année. Aucun effet ne parut
résulter de sa mission. Lorsqu'il demanda le prix do son salaire,
on ne se montra pas empressé d'y répondre comme il le désirait.
On ne voulut lui donner ni une place de juge-avocat, ni un con-
sulat. En ISll il s'adressa à lord Liverpool, qui lui fit répondre
par son secrétaire, que'sir James Craig ne s'était pas engagé à
lui faire avoir sa récompense en Angleterre. Se voyant rebuté
dans la colonie et dans la métropole, il alla tout déclarer au paya
qu'il avait voulu trahir.
Cette affaire, dont le gouvernement américain fit grand bruit
pour exciter le peuple à la guerre, est une nouvelle preuve
ajoutée à toutes les autres, de l'in considération de conduite de âr
Jamea Craig, et du peu de jugement dans le choix de ses insdu-
mens.
Le plan d'opérations militaires adopté pour le Canada fut par-
lâitementdéfenBif. L'Angleterre était trop engagée en Europe pour
songer à porter de grands coups en Amérique ; et d'ailleurs elle
présumait avec ndson que les entreprises des Etats-Unis dépen-
draient des vicissitudes de la guerre au delà des mers. Napo-
léon s'était jeté EUT la Russie; du succès de celte gigantesque
entreprise i 800 lieues de sa capitale, allait dépendre le plus on le
HISTOIRE DU CANADA. ITiS
moina d'énergie des républicains de l'Amériiiite. Lb gouverne-
ment de Washington après avoir formé de grands cadres d'armée,
fal comme embarrassé lorsqu'il Ikllut faire mouvoir ces masses
d'hommes. Il conduisit toute cette guerre avec l'inexpérience et
la timidité d'un état major bourgeois. Les traditions des guerres
de la révolution semblèrent être perdues, ou plutôt ces guerres
n'avaient pas appris la tactique offensive, car on n'avait Tait que
repousser des envahisseurs européens qui voulaient imposer leur
joug au colon devenu grand. Ses eSbrta se perdirent dans une
multitude de petits chocs, éparpillés sur une frontière de 3 à 400
lieues, et il «st bien difficile aujourd'hui de dire quel était le
résultat lînal que l'on voulait atteindre.
Au moment de lu déclaration de guerre, le général Hull,g0U'
vemeur du territoire du Mchigan, était parti de l'Ohio pour ie
Détroit avec deux mille hommes pour mettre fin aux hostililéa
des Sauvages sur la frontière du Nord-Ouest, et tâcher de le
gagner à la cause américaine. Il était autorisé par ses instruc-
tïons à envahir le Canada s'il pouvait le faire sans mettre en dan-
ger les postes qui lui étaient confiés. Vers la mi-juillet il tra-
versa la rivière du Détroit et alla camper à Sandwich, dans le
Haut-Canada, avec l'intention d'aller s'emparer du fort de Mal-
deii à quelques lieues de là. Etabli sur ce point, il adressa entre
autres, cea paroles aux Canadiens:
" Séparés de l'Angleterre par un océan immense et un vaste
désert, vous n'avez aucune participation dans ses conseils, aucun
intérêt dans sa conduite. Vous avez senti sa tyrannie, vous avez
vu son injustice ; mais je ne vous demande à venger ni l'une n'i
l'autre. Les Etats-Unis sont assez puissans pour vous procurer
à tous la sûreté compatible avec leurs droits et vos espérances.
Je vous olTre les avantagea inestimables de la liberté civile, poli-
tique et religieuse... C'est elle qui noiîs a conduits en sûreté
et en triomphe â travers les orages de la révolution; c'eeteUequi
nous a portes à un rang élevé parmi les nations de l'univers, et
qui nous a procurés plus de paix, plus de sécurilÉ et plus de
richesses que n'en a jamais eu aucun autre pays.
" Ne levez pas ia main contre vos frères. Plusieurs do vos
ancêtres ont combattu pour notre liberté et notre indépendance.
176 HISTOIRE DU CANADA.
Enfans de la même famille, héritiers du même héritage, vous
devez bien accueillir une armée d'amis."
Cette proclamation qui n'était pas rédigée sans quelque adresse,
ne fut point soutenue par des opérations militaires qui répondis-
sent au talent que pouvait promettre sa rédaction. Le général
HuU fut écrasé sous le poids de son commandement. Après
être resté près d'un mois sans rien entreprendre, il rentra diMM
son pays. Plusieurs de ses détachemens avaient été défaits par
des partis de nos soldats et par les Indiens. Le lieutenant
Rolette, commandant le brig armé le Hunter, avait abordé à la
tête de six hommes seulement et pris un navire américain chargé
de troupes et de bagages. Le capitaine Talion, détaché par le
colonel Proctor, avait rencontré au-dessous du Détroit, le major
Yanhorne, l'avait battu et lui avait enlevé des dépêches impor-
tantes. Dans les autres parties du pays les affaires n'allaieat
guère mieux pour les ennemis. Le capitaine Roberts, de St«-
Joseph, dans une petite île du lac Huron, avait reçu du général
Brock en son temps, la nouvelle de la déclaration de guerre et
l'ordre de tâcher de surprendre Mackinac, poste dont jl s'empara
sans coup férir à l'aide d'une trentaine de soldats soutenus par M*
Pothier et ses voyageurs canadiens; c'était l'un des plus forts des
Etats-Unis. Cette conquête eut un grand retentissement parmi
les tribus indiennes de ces contrées, qu'elle rallia presque totale-
ment à la cause de l'Angleterre, et fut le prélude des revers dé
HuU.
Cependant le gouverneur du Haut-Canada, le général Brock,
avait pris ses mesures dès les premières hostilités pour repousser
toute invasion. Ayant rassemblé ses forces, il traversa le fleuve et
parut tout-à-coup avec 13 à 14 cents hommes dont 600 Sauvagesi
devant le fort du Détroit où s'était retiré le général HuU. Le
commandant américain intimidé et hors de lui-même se rendit
prisonnier sans coup-férir, avec son armée, à l'exception des
milices et des volontaires de l'Ohio et du Michigan qui eurent la
liberté de s'en retourner chez eux après s'être engagés à ne point
servir pendant cette guerre. Le fort du Détroit et le vaste terri-
toire du Michigan tombèrent ainsi au pouvoir des vainqueurs, qui
firent un butin considérable.
Les troupes américaines furent envoyées dans le Bas-Canada^
HISTOIRE DU CANADA. 177
OÙ le général HuU rendu à Montréal, fut échangé contre 30 pri-
sonniers anglais. Il ne fut pas plutôt rentré dans son pays,
qu'il fut accusé devant un conseil de guerre. La cour refusa
de se prononcer sur l'accusation de trahison ; mais elle le trouva
coupable de lâcheté et le condamna à mort. Le président lui
accorda plus tard son pardon en mémoire des services qu'il avait
rendus pendant les guerres de la révolution.
Après l'anéantissement de l'armée américaine de l'ouest, la
partie supérieure du Haut-Canada se trouva débarrassée de la
crainte d'une invasion.
Pendant que ces événemens se passaient à la tête du lac Erié,
les forces ennemies qui devaient agir sur le lac Ontario et sur le
lac Champlain se rassemblaient. Elles se donnaient la main par
divers petits corps intermédiaires destinés à inquiéter le Canada
sur différens points de ses frontières. Les premières troupes
portaient le nom fastieux d'armée du centre ; les dernières d'ar-
mée du nord. L'armée du centre commandée par le général
Van Rensalaer, était composée principalement des milices de
l'état de la Nouvelle-York ; elle devait envahir le Canada entre
le lac Erié et le lac Ontario. L'armée du nord, forte de 10,000
hommes, sous les ordres du général Dearborn, était chargée d'y
pénétrer par le district de Montréal.
Van Rensalaer ne fut prêt à prendre l'offensive qu'à la fin de
Pété. Après avoir longtemps inquiété le général Brock, il réus-
sit malgré le feu de l'artillerie anglaise qui brisa plusieurs de ses
berges, à prendre pied, le 13 octobre au point du jour, sur les hau-
teurs de Queenston et à repousser les attaques de la milice et
d'une partie du 49e régiment. Le général Brock qui était à Nia-
gara, à quelques milles plus bas, était accouru au bruit de la cano-
nade ; il rallia les grenadiers et les conduisit lui-même à la charge.
Il aurait peut-être regagné le terrain perdu, si dans le moment
même il n'eût été atteint d'une balle dans la poitrine, dont il mou-
rut presqu'aussitôt. Ses troupes parvinrent cependant à se
remettre de leur désordre, mais elles ne purent forcer l'ennemi,
protégé par des arbres, à abandonner la place ni l'empêcher
d'achever le débarquement de sa première division. Les Anglais
suspendirent alors leur feu jusqu'à l'arrivée de leurs renforts sous
les ordres du général Sheaffe, qui résolut de reprendre aussitôt
nS HISTOIRE DM CANADA.
l'offensive. Laissant quelques hommes pour couvrir Queenston,
H fit un détour pour gravir les hauteurs voisines et attaquer les
Américains par derrière. Les Indiens plus alertes en vinrent
aux mains les premiers, maia ils furent repousses jusqu'à ce que
le corps principal arrivant, les Américains assaillis à leur tour
avec vigueur, lâchèrent le pied et se mirent à fuir dans toutes les
directions, les uns cherchant à se cacher dans les broussailles et
les autres dans leur frayeur se précipitant en bas de la falaise
dans le fleuve. Les Indiens ralliés aux troupes en massacrèrent
un grand nombre. Les autres voyant tout perdu et leur retraite
coupée, posèrent les armes au nombre de 1000 hommes, sur les
douze ou quinze cents qui avaient traversé en Canada. Il paraît
qu'après le combat du matin, !e général Van Rensalaer était
repassé à Lewieton pour accélérer le passage du fleuve par la
seconde division de son armée, et que ses soldats avaient refusé
de marcher malgré les prières et les menaces ; que dans son
embarras, il avait écrit au général Wadsworih, resté à Queen-
ston, ce qui se passait, et lui avait laissé le choix de l'oflensive ou
de la retraite, l'informant qu'il lui enverrait tons les bateaux dont
it pourrait disposer s'il se décidait pour le dernier parti. La plu-
part des troupes américaines composées de milices, avaient peu
d'ardeur belliqueuse ; elles répondirent à Van Hensalaer qu'elles
étaient prêtes à défendre leur pays s'il était attaqué, mais qti'elies
avaient des scrupules à envahir le territoire anglais.
On a déjà vu qu'un grand parti dans la république était
opposé à la guerre. Ses opinions fournissaient des motifs vrais
ou simulés à une portion des soldats pour ne point bouger. De
pareils événeinens devaient rassurer le Canada, auquel les deux
combats de la journée n'avaient pas coûté cent hommes, tués et
blessés, preuve du peu d'ardeur de la lutte.
La mort de Brock fit passer le commandement des Anglais
entre les mains du généra! Sheaffe, qui conclut une armistice avec
!e général Smith, successeur de Van Rensalaer, et qui parut
vouloir montrer plus de zèle que son prédécesseur. Il invita les
jeunes Américains à venir partager les périls et la gloire de la
conquête qui s'offrait devant eux, et parrint à ranimer un peu
l'bumeur belliqueuse de ses compatriotes et a porter son armée i
SjOOO hommes. Lorsqu'il fui prêt à agir, il fit dénoncer l'armis-
HISTOIRE DU CANADA. 179
tice et le 28 novembre de grand matin, il .se mit en mouvement.
La première division de ses troupes traversa le fleuve et mit pied
à terre à la tête de la Grande-Ile entre le fort £rié et Chippawa,
où elle prit ou mit en fuite quelques soldats qui s'y trouvaient,
tandis que le major Ormsley, sorti du fort Erié, faisait de son côté
quelques prisonniers américains qui descendaient le long du
rivage. La seconde division s'ébranla pour débarquer deux
milles plus bas. Les forces anglaises du voisinage étaient main-
tenant sur l'alerte. Le colonel Bishop sorti de Chippawa avait
formé sa jonction avec le major Ormsly, et se trouvait à la tête
de onze cents hommes, tant réguliers, miliciens que Sauvages
et une pièce de canon, quand les Américains se présentèrent
pour débarquer. Le feu très vif qu'il ouvrit sur eux du rivage,
brisa deux de leurs berges, jeta les autres en désordre et les obli-
gea de se retirer au plus vite. Le 1 décembre, ils firent mine de
renouveler leur tentative, et les troupes même s'embarquèrent
pour traverser le fleuve, mais elles reçurent contre ordre et furent
remises à terre pour prendre leurs quartiers d'hiver. Ces échecs
humilièrent beaucoup les Américains^ qui murmurèrent tout haut
contre leur chef, et le forcèrent à prendre la fuite pour se déro-
ber à leur indignation.
Ainsi se terminèrent les opérations des armée de l'ouest et du
centre. Elles avaient été repoussées partout dans leurs attaques.
Les tentatives de celle du nord n'avaient pas été plus vigoureuses
ni plus heureuses, quoiqu'elle fût la plus forte et qu'elle parût
destinée à porter les plus grands coups.
Elle s'élevait à dix mille hommes stationnés sur le lac Cham-
plain en face. Le général Dearborn la commandait. Après
avoir eu quelque temps son quartier général à Albany, il le
rapprocha de la frontière, menaçant de marcher sur Montréal
par la route de St.-Jean et d'Odelltown.
Le commandant de cette frontière plaça un cordon de voltigeurs
et de milice depuis Yamaska jusqu'à St.-Régis, point où la limite
qui sépare les deux pays aboutit au St.-Laurent. Un corps
d'élite composé de réguliers et de milices sous les ordres du colo-
nel Young fut stationné à Blairfindie ; et la route de là à la fron-
tière passant par Burton ville et Odelltown, fut coupée et embar-
xassée par des abattis d'arbres pour empêcher toute surprise. Ce
180 HISTOmE T)U CATTADA.
travail fbligant et difficile fui esèoiité avec promptitude p» lea
voltigeurs du major de Salabe^ry. Les voyageurs de la Compagnie
du nord-ouesl a'orgau itèrent en troupes légères, et d'autres Cana-
diena fornit^rent uii bataillon {le ciiasseurs.
Pendant ce temps là, lea Américains montraient sur celte
frontière comme sur celle du Haut-Canada, beaucoup d'hésitation
dans leurs mouvemena. Il n'y avait encore eu que quelques petites
escarmouches, lorsque le général Dearborn fil mine enfin de
ae mettre eu mouvement.
Le major de Salaberry qui commandait nos avant postes,
8'élait fortifié à rivière Lacolle. Le matin du i20 noverabre,
avant le jour, une de ses gardes avancées fut assaillie par 1400
fantassins et quelques cavaliers, qui avaient traversé la rivière par
deux gués à la fois ; mais en voulant la cerner, ils se fusillèrent
entre eus dans robscurilè, ce qui détermina aussitôt leur retraite.
An premier bruit de leur mouvement, le colonel Deschambaull
avait reçu ordre de traverser le St.-Laurent et de marciior sur
l'Acadie avec les milices de la Pointe-Claire, de la rivière du
Chêne, de Vandreuil et de la Longue-Pointe. Une partie de
celles de la ville de Montréal à pied et à cbeva! était passée à
Longueil et à Lsprairic, enfin toute la milice du district s'était
mise en mouvement pour marcher sur le point attaqué. Soil que
le général Dearborn fut intimidé par tous ces mouvemena, ou
quM n'entra pas dans ses plans d'envahir le Canada pour lors,
il ne songea plus qu'à se retirer dans ses quartiers d'hiver à Platt»-
burgh ei à Burlington à l'approche de l'hiver. Ce début n'était
pas brillant pour les armes des Américains,
- Sur mer ils soutinrent mieux l'honneur de leur pavillon. L'An-
gleterre n'avait rien à craindre d'eux sur cet élément, et ce fut là
précisément où elle se laissa enlever quelques lauriers. La fré-
gate américaine la Constitution, de 44 canons, commandée par
le capitaine Huit, enleva la frégate anglaise, la Gtierrière de 3S
canons après une demi-heure de combat, et lui avoir lue et
Hessé le tiers de son équipage. Le ff^arp, de 18 canons, captura
aussi un hrig de 22 eanonsaprès un choc de trois quarts d'heure,
pour tomber cependant entre les mains d'un 74,1e mfimo jour
Le Commodore Decatur montant la frégate, Xm Etats-Unit,
UISTOIIIE DU CANADA. 181
de 44 canona, força la frégaie la Macédonienne d'amener son
pavillon après une lutte acharnée de près de deux heures, et plus
lard la Constitution obtint une eeconde victoire en capturant,
devant San Salvador, sur les côtca du Brésil, la frégate la Java,
après lui avoir tué et blessé près ite 200 lionimcs, tandis qu'elle
n'en perdait que 34. Cca diverses victoires navales enorgueillirent
les Elats-TJnis et leur firent oublier les petits Échecs qu'ils avaient
éprouvés sur terre. Us avaient en cflel raison d'être contens de
leur marine, car la cause de ses succès élail fort importante.
C'était moins parle courage que par la supériorité de construction
et d'armement de leurs vaisseaux qu'ils avaient triomphé. Leura
frégates moins hautes au-dessus de l'eau oJTraient par là même
moins de prise aux coups ; leurs batteries comptaient moins de
bouches à feu mais elles étaient formées de pièces d'un plus gros
calibre et d'une plus grande portée; de sorte qu'une frégate
américaine de 32 canons lançait plus de métal qu'une fràgate
anglaise de 40 ; de là la cause de leurs victoires, dont ils avaient
d'autant plus raison d'Être fiers qu'elles étaient dues à leur intel-
ligence. La Grande-Bretagne toutefois trop occupée avec le reste
de l'Europe dans la guerre contre Napoléon, faisait peu de caa
des combats individuels et isolés des vaisseaux de la république,
et voyant que ses armes maintenaient son empire en Canada et
qu^l ne s'y était rien passé de bien inquiétant pour elle, elle
donna ses ordres pour nous envoyer quelques secours et reporta
ses regards vers l'Espagne et vers la Russie, où la grandeur des
événemens qui s'y passaient jettaît complètement dans l'ombre
ceux de l'Amérique.
Le résultat de la campagne et le zèle qu'avaient montré les
populations canadiennes justiûaicnt la politique de str George
Prévost. Les Canadiens, que leurs ennemis avaient accusés sans
cesse de nourrir des projets de rébellion, venaient de donner un
démenti éclatant à leurs accusateurs trop favorisés dans loua les
temps par les préjugés nalionnaux.
Sir Geoi^e en assemblant [es chambres le 29 décembre, leur
dit que suivant les pouvoirs que lui avait confiés la législature, il
avait appelé la milice sous les armes, et qu'il avait vu avec la
plua vive satisfaction l'e«prit public, l'ordre, la fermeté et cet
amour de son pays, de ia religion et de ses loi* qu'elle avait mon-
i^
de la perle de s
une enquête su
publicatic
avaient t
DU
très dans cette occasion, et qui, en animant et rÉunissant toutes
les dasBBB, ne pouvaient manquer avec l'aide de la divine provi-
dence de faire respecter le Canada au dehors et de le rassurer
au-dedans.
Les délibérations de la législature furent moins orageuses que
;, malgré l'agitation de plusieurs questions qui auraient
de grands débats, M. Stuart, toujours mécontent
a place de solliciteur-général, voulut faire instituer
u' le mauvais effet du retard qui survenait dans la
. lois. Sans uno émeute à Lachine les troupes
r le peuple. Il voulut faire attrliiuer cet événe-
ment à l'ignorance de la loi non encore promulguée. Quoique
son but fût moins probablement de pallier les auteurs du sang
répandu que d'embarrasser Texécutif, sa plainte était cepen-
dant bien fondée. Il proposa aussi de s'enquérir du droit des
cours de justice de faire des règles de pratique pour la conduite
des procédures judiciaires, usurpation de pouvoir qui a été pen-
dant longtemps un grave sujet de ditbcultés dans le pays. Enfin
ce fut enuore lui qui amena les résolutions touchant le sujet autre-
ment plu3 grave de la loi martiale, à laquelle l'opinion publique
était si fortement opposée, qui les fit adopter après d'aeaez vifs
débats et qui fil déclarer que les limites et l'opération de la loi
martiale établie par les statuts impériaux concernant l'armée, et
par les statuts provinciaux concernant les milices, ne pouvaient
être étendus à ce paya sans l'autorité de son parlement.
Les changemens demandés parle gouverneur dans la loi des
milices échouèrent par suite du désaccord survenu entre les deux
chambres sur la matière, ains-i que le projet de loi pour imposer
une laxe sur les salaires des officiers publics pour les frais de la
guerre, que le conseil composé de fonctionnmres ou de leurs amis,
ne voulut pas agréer.
Malgré ces divei^ences d'opinion, le gouverneur et les chambres
ne cessèrent point d'être en bonne intelligence pendant toute
la session, et l'assemblée vota pour les besoins de la guerre, une
taxe de 2\ pour cent sur les marchandises importées par les
négocians du pays et de cinq pour cent sur celles importées par
les négocians étrangers.
CHAPITRE II.
CONTINUATION DE LA GUERRE.— PAIX DE 1815.
CAMPAGNES DE 1813-1814.
Campagne de 1813. — Opérations sur les lacs Erié, Ontario et Champlain. —
Combats de French town et du fort Meigs. — Attaque de Sandusky. — Com-
bat naval de Put-in-Bay. — Bataille de Thames. — Destruction des Criques.
—Prise de Toronto. — Le colonel Harvey surprend les Américains à Bur-
lington. — Black Rock est brûlé* — Batailles de Chrystlers Farm et de Châ-
teauguay. — Retraite des armées américaines. — Surprise du fort Niagara.
Lewiston, Manchester brûlés. — Opérations sur mer. — Travaux du par-
lement à Québec. — he juge Sewell accusé va se justifier à Londres. —
n suggère l'union de toutes les colonies. — Campagne de 1814. — Combats
de Lacolle, Chippawa, Lundy's Lane. — Attaque du fort Erié. — Défaite
de Drummond. — Expédition de Plattsburgb. — Attaque des côtes des
Etats-Unis. — Washington pris et le capitole brûlé. — Bataille de la Nou-
velle Orléans. — Cessation des hostilités. — Traité de Grand. — Réunion des
chambres. — Sir G. Prévost accusé pour sa conduite à Plattsburgb, remet
les rênes du gouvernement et passe en Angleterre, — Sa mort. — Réhabili-
tation de sa mémoire.
Malgré les échecs de leur première campagne, les Américsdns
ne désespéraient pas de finir par obtenir des avantages en conti-
nuant la guerre, et ils se préparèrent à la pousser avec vigueur.
Mais ils ne changèrent point leur système d^attaque.
Ils divisèrent encore leurs principales forces en trois corps.
L'armée de l'ouest, commandée par le général Harrison, fut
chargée d'opérer sur le lac £rié ; l'armée du centre, aux ordres
du général Dearborn, sur la frontière de Niagara et du lac Onta-
rio ; l'armée du nord, commandée par le général Hampton, sur
cdie du lac Champlain. Tous ces corps qui formaient une masse
d'hommes considérable devaient envahir le Canada simultané-
ment.
L'armée de l'ouest fut la première en mouvement. Après les
désastres du général HuU dans la dernière campagne, les milices
étaient accourues pour défendre cette frontière et reconquérir le
pays perdu. Harrison réunit ses forces à ia tête du lac Erié pour
attaquer les Anglais placés au Détroit, sur la rive droite du fleuve,
au pied du lac Ste.-Claire,et à Malden un peu plus bas sur la rive
gauche. Le général Winchester se mit en marche au commen-
184 UISTOUtE DU CANADA.
cément de janvier avec 800 hommes pour la rivière desMiamis,
d'où il en détacba une partie pour Frenchtov^n, 30 millea plus
loin. Ce détachement rencontra un corps d'Anglais et de Sauvages
qu'il repoussa et prit possession du villago. En apprenant ces
mouvemens, le général FroctO'r qui était à JVIalden, résolut aussi-
tôt d'attaquer ce corpa avancé avant qu'il eût été rejoint par le
reste de l'armée américaine, qui marchait à trois ou quatre jours
de distance. E réunit 1100 hommes, dont 600 Indiens, parut
tout-à-coup devant Frenchtown le 22 janvier, et sans donner
aux ennemis le temps de se reconnaître, les attaqua au point du
jour avec la plus grande vigueur. Les Américains retirés dans
les maisons se défendirent longtemps soutenus par la peur de
tomber entre les mains des Sauvages, et d'éprouver les cruautés
que ces barbares faisaient souffrir à leurs prisonniers. Winchea-
1er était tombé dés le début du combat entre les raains du chef
des Wyandots, qui l'avait remis au général Proctor. On lui dit
que la résistance de ses soldats était inutile, que l'on allait incen-
dier le village et que s'ils ne se rendaient point, ils devien-
draient la proie des flammes ou des Sauvages. Alors leur
général leur envoya l'ordre de cesser le feu. Ils demeurèrent
prisonniers à la condition qu'ils seraient protégés contre les
Indiens. Mais celte condition ne put être esécuiée complète-
ment. Il a toujours été presqu'i m possible de retenir tout- à-fait
les Sauvages dans ces occasions. Ils trouvèrent mo^en de mas-
sacrer quantité de blessés qui ne pouvaient marcher, de se faire
donner de grosses rançons pour d'autres, et d'en réserver plusieurs
pour les mettre à la torture malgré tous les efforts des oiEciers
pour empêcher ces cruels désordres.
Les Américains reprochèrent ensuite amèrenient aux Anglais
cette violation de la capitulation. Mais ils connaissaient assez
les Sauvages pour s'attendre à ce qui arriva. Le combat de
Frenchtown coûta près de 200 tués et blessés aux vainqueurs et
plus de 300 aux vaincus.
Le général Harrison en apprit le résultat aux rapides de la
rivière des Miamis, et rétrograda aussitôt de peur d'être attaqué
par Proctor. Mais sur ia nouvelle que celui-ci était retourné à
Malden, il remarcha en avant avec 1200 hommes et établit sur
celte rivière un camp retranché, qu'il appela le fort Meigs du
MISTOIRS DU CÀNA0A. 185
nom du gouverneur de l'Ohio. Il y altendaît lès troupes qui
devaient le rejoindre, lorsque le général Proctor qui avait résolu
de l'attaquer avant cette réunion, parut à la 6n d'avril devant
ses retranchemens et les investit. Le 5 mai, le général Ciay
étant arrivé à leur secours avec 1200 hommes du Kentucky,
surprit et enleva les batteries anglaises établies du côté ouest de
la rivière pendant que la garnison du (brt faisait une sortie. Mais
Clay s'étant trop attaché à la poursuite des Sauvages, il fut pris à
dos par Proctor et coupé dans sa retraite. 500 de ses soldats
durent encore poser les armes après un combat violent.
Plusieurs prisonniers devinrent encore ici les victimes de la
cruauté des Indiens.
Malgré ce succès, ces barbares déjà fatigués du siège, aban-
donnèrent presqu'aussitôt le camp de Proctor malgré tous les efforts
du fameux Técumseh, leur chef, pour les retenir, et obligèrent ce
général à se retirer à Malden.
Proctor voulut reprendre son projet quelque temps après avec
500 hommes et 3 à 4000 Sauvages toujours conduits par Técum-
seh. Harrison était alors sur la rivière Sandusky encore occupé
de ses préparatifs pour l'envahissement du Canada, et attendant
la flotte qui s'armait sous la direction du capitaine Perry à la
Presqu'-Ile, vere le l»as du lac Erié, et qui devait seconder ses
opérations. Mais Proctor ayant trouvé le fort Meigs trop bien
défendu pour pouvoir l'attaquer avec chance de succès, leva le
siège au bout de quelques jours et se porta avec 1400 hommes,
dont 600 Sauvages, contre celui de Sandusky situé un peu plus
bas sur le lac. Après avoir fait brèche dans ses murailles, il
donna l'assaut avec 500 hommes conduits par le colonel Short.
Formés en colonne les soldats s'avancèrent sous un feu meurtrier
qui les jeta un instant en désordre ; mais s'étant ralliés, ils s'élan-
cèrent dans le fossé pour gagner la brèche, lorsque les assiégés
mirent le feu à la seule pièce d'artillerie qu'ils avaient placée de
manière à enfiler le fossé ; elle emporta la tète de la colonne et
jeta la frayeur parmi le reste des soldats qui prirent la fuite dans
la plus grande confusion. Après cet échec qui coûta une cen-
taine d'hommes, Proctor craignant le général Harrison qui arri-
rait, prit le parti de la retraite. Ces hostilités du reste étaient à
peu près inutiles; car rien d'important ne pouvait être entrepris
186
H.ISTOmC ni; CANADA.
sans le concours de la marine et aana In Buprëmatie des armes
Bur le !ac Erié. Aussi travaillait-on des deux côtés à se former
une flotte pour l'obtenir.
Les Anglais dévancèreat leurs adversaires de vitesse. Leur
gouvernement avait envoyé des oHiciers et des matelots dans
l'hiver, qui étaient venus par terre d'HaKfax à Québec, et qu'on
avait dirigés aussitôt sur Kingston au pied du lac Ontario, pour
équiper une flottille capable de lutter avec celle de l'ennemi.
Dans le printemps ils avaient été rejoints par sir James L. Yeo,
qui était arrivé avec 4 à 500 nouveaux matelots, pour prendre le
commandement supérieur de la marine canadieinie. Il donna le
commandement des forces du lac Erié au capitaine Barclay, qui
alla bloquer avec une (lollille de six voiles et 63 canons la flottille
américaine dans le havre de la Presqu'-Ile. Cette flottille
placée sous les ordres du commodore Perry, était composée de
neuf voiles et de 5i canons. Elle ne ftit prÉte à lever l'ancre
qu'au milieu de l'été ; mais comme les bas-fonds qu'il y avait à
l'entrée du havre l'obligeaient à ôler ses canons pour sortir, elle
ne pouvait songer à le faire tant qu'elle serait bloquée par la
flottille anglaise. Heureusement pour elle, Barclay fut obligé de
s'éloigner ]>sndant quelque temps ; elle en profila pour gagner le
large et forcer à son tour son adversaire à reculer. Les Améri-
cains remontèrent alors à la tête du lac et séparèrent les troupes
anglaises jetées sur la rive droite du fleuve, de leur flotte qui por*
tait leurs vivres. Barclay dut risquer le combat pour les déga-
ger. Les deux flottilles en vinrent aux mains le 10 septembre à
Put-in-Bay, Le combat dura quatre heures avec des chances
diverses dues à l'inconstance du vent. Le vaisseau du commo-
dore américain fut même si mal traité qu'il dût l'abandonner pour
passer sur un autre. Mais vers la fin de l'action le vent lui deve-
nant tout à fait favorable, Perry réussit à amener toutes ses forces
en ligne et à couper celle des Anglais, sur lesquels il gagna une
victoire complète. Tous leurs vaisseaux dorent amener l'un
après l'autre leur pavillon, Barclay lui-même tomba couvert de
blessures entre les mains du vainqueur, qui lui montm tous les
égards que méritait le courage malheureux. Cette victoire donna
le lac Erié aux Américains, et enleva aux Anglais tous les avan-
B qu'ils avaient obtenus sur la rive droite du fleuve.
HISTOIRE DU CAilADA. 187
Le général Proctor qui avsdt plus de feu que de jugement
militaire, dut reconnaître alors la faute qu'il avait commise d'a-
bandonner la guerre défensive pour la guerre offensive. En
s'élançant sur le pays ennemi sans forces suffisantes, il devait tôt
ou tard compromettre la sûreté du Haut-Canada ; car quelque
fussent ses succès, il ne pouvait faire de conquête durable.
La prise de la flottille anglaise lui enlevant les moyens de s'ap-
provisionner, il dut songer immédiatement à la retraite, et il n'avait
pas un moment à perdre. Il évacua le Détroit, Sandwich et
Amherstburgh le plutôt qu'il put après en avoir détruit les chan-
tiers et les casernes, et se retirait par la rivière Thames pour
descendre vers le lac Ontario, Técumseh couvrant la retraite avec
ses Indiens, lorsqu'il fut atteint par l'ennemi en force supérieure.
Après sa victoire, le commodore Perry avait transporté sur la
rive anglaise du St.-Laurent, l'armée américaine du général
Harrison, qui s'était mise aussitôt en marche, et qui arriva à
Sandwich au moment où Proctor en partait. Sans s'arrêter il
s'éls^ça à sa poursuite, atteignit son arrière garde le 4 octobre,
enleva ses magasins et ses munitions et l'obligea lui-même le len-
demain à tenter le sort des armes pour échapper à une ruine
totale, qu'une victoire seule pouvait lui faire éviter. Il s'arrêta à
Moravian-Town et rangea sa petite armée en bataille, sa droite à
la rivière Thames et sa gauche à un marais, le Adèle Técumseh
toujours prêt à combattre, se plaçant à côté de lui avec ses
Indiens.
Harrison disposa ses troupes sur deux lignes et fit commencer
l'attaque par sa cavalerie. Les cavaliers de Kentucky, accou-
tumés aux pays boisés et marécageux, chargèrent les troupes de
Proctor avec tant de vigueur qu'ils les rompirent et les mirent
dans une déroute complète. La plupart durent poser les armes,
et Proctor et sa suite chercher leur salut dans la fuite. Les
Indiens seuls maintinrent longtemps le combat avec beaucoup de
courage ; mais ils furent enfin obligés de céder au nombre, après
avoir vu tomber leur fameux chef sous les coups de l'ennemi.
Son corps fut trouvé parmi les morts. Sa fidélité à l'Angleterre,
son éloquence, son influence sur les tribus de ces contrées, ont
fait de Técumseh le héros de cette guerre. Six à sept cents
Anglais y compris vingt- cinq officiers^ restèrent prisonniers. Deux
1» HISTOIRE DU CANADA.
à trois cents parvinrent au bout do quelques joura dans le plus
grand désordre à A ncasler, à la tête du lac Ontario, avec le général
Proctor et dix-sept officiers.
Le résultat de la bataille de Moravian-Town rompit la grande
confédération indiennne formée par Técumseh contre la répu-
blique américaine, remit celle-ci en possession du territoire perdu
par le général Hull, dans le Michigan, et ruina la réputation
militaire de Proctor. Ce désastre ne termina pas cependant lea
opérations de la campagne sur la frontière de l'ouest. L'élo-
quence de TécumBeh avait soulevé les tribus du sud Les Criques
avaient pris la bâche et entonné l'hymne des combats. Ils
massacrèrent 300 hommes, femmes et ciifans dans l'Alabama,
pour leur début; ils allaient poursuivre le cours de leurs ravages,
lorsque le généra! Jackson s'ètant jeté sur leur pays & la têle des
milices du Tennessee, entoura une de leurs bandes de 200 hommes,
et \es tua jusqu'au dernier. Il défit ensuite le gros de la nation
dans les cumbals de Talladéga, Autossie, £mucrau, etc., et finit
enfin par en cerner les restes sur la rivière Tallapousa, à Horso
Sboo Head, où ils a'élaienl retranchés au nombre de 1000 "avec
leurs femmes et leurs enfans. Jachson donna l'assaut à leum
ouvrages qu'il emporta Lea Indiens dédaignant de se rendre,
combaltirentavec le courage du désespoir et périrent presque tous.
Ainsi tomba une nation dont la bravoure indomptable doit Illustrer
le souvenir dans l'histoire,
La destruction des Criques fut le dernier sang répandu dans
l'ouesi.
Fendant qu'on se battait de ce côté, on en faisait autant sur les
lacs, mais avec moins de résultat. Les opérations des armées
»ur la frontière de Niagara et du lac Ontario étaient marquées
par une foule de combats, d'attaques et de contre attaques dont
la relation est d'autant plus fastidieuse que l'on n'avait de part et
d'autre aucun plan arrêté, et que l'on faisait une espèce de guerre
de partisans meurtrière à la longue et accompagnée de beaucoup
de ravages, mais sans avantage important pour personne.
Le général Prévost partit de Québec au milieu de fôvrier pour
le Haut-Canada. En passant à Prescott il permit au colonel
McDonnell de faire une tentative sur Ogdensburgli, gros bourg
anjéricaÎQ situé sur la rive opposée du fleuve. Cet officier par-
J
HISTOIRE DU CANADA. 189
tit avec un corps de troupes, enleva la place, brûla les bâtimens
qui f étaient en hivernage, prit onze pièces d'artillerie et quantité
de petites armes, et s'en revint chargé de trophées.
Le général américain Dearborn préparait alors à Sacketts
Harbor une expédition contre la capitale du Haut-Canada, prin-
cipal magasin des troupes anglaises. Il a'embarqua le 25 avril
sur la flotte du coramodore Chauncey avec 1700 hommes et
débarqua deux jours après dans le voisinage de Toronto. Le
général Sheaffe voulut lui barrer le chemin à la tête de 600
hommes, et fut repoussé avec perte. Une division des troupes
américaines conduite par le général Pyke, et l'artillerie de la
flotte attaquèrent alors les ouvrages qui protégeaient la ville ;
Pyke allait les aborder lorsque la poudrière sauta et entraîna 200
hommes dans ses ruines avec ce général lui-même. Après cet
accident la ville dut se rendre.
Le vainqueur y fit un butin considérable. Cette conquête
achevée, il se prépara aussitôt à profiter du succès pour aller
assiéger le fort George situé à la tête du lac. Dearborn porta
ses troupes à Niagara, et renvoya la flotte à Sacketts Harbor
chercher des renforts. Il se concerta avec le commodore Chaun-
cey pour attaquer à la fois par eau et par terre le fort défendu
par le général Vincent. Après une canonnade de trois jours et
un combat livré sous les murailles, le général Vincent ne conser-
vant plus d'e«*pérance et ayant déjà perdu près de 400 hommes
en tués, blessés et prisonniers, démantela les fortifications, fit
sauter les magasins et se retira à Queenston. Là, il attira à lui
les troupes de Chippawa et du fort Erié, détruisit les postes
anglais qui restaient encore dans cette partie, puis reprit son
mouvement de retraite vers les hauteurs de Burlington, suivi des
troupes nombreuses des généraux américains Chandler et
Winder.
Pendant que ces événemens se passaient dans le haut du lac, le
général Prévost était au bas avec sir James L. George Yeo. Il fut
résolut entre ces deux chefis de profiter de l'absence de la flotte
ennemie, pour attaquer Sacketts Harbor. Prévost s'embarqu^
avec lOOQ hommes sur la flotte de Yeo composée de sept voiles
partant 110 canons et d'un grand nombre de bateaux, et parut le
28 mai devant la place. On enleva en arrivant une partie d'un coa-
z
190 HlSTOIItE
voi de berges chargéca de troupes ; mais on fit une laute en ajour-
nant le Uébaj-quemcnt au leodemain. On donna le temps à l'ennemi
d'appeler à lui des secours des environs et de faire ses préparatifa
pour disputer l'approche du rivage. Oo fut repoussé lorsqu'on
voulut y descendre, et il fallut aller mettre pied à terre plus loin.
On réussit à débarquer maigre un feu très vif et on obligea l'en-
nemi à se retirer dans les abattis d'arbres qu'il avait préparés.
La Hotte dont l'appui était nécessaire aux opérations de sir
George Prévost, se trouvait dans le moment très en arrière faute
de vent. Quoiqu'agir sans elle, c'était beaucoup risquer, les sol'
dats s'élancèrent à la bayonnette pour nettoyer les bols. Us
s'avancèrent jusqu'aux ouvrages qui couvraient l'ennemi et qui
étaient composés de blockhaus et de batteries que Prévost ne
voulut point attaquer sans l'artillerie de la flotte. En effet leur
conquête, quand bien même elle eut été possible, eut coûté
beaucoup plus de sang qu'elle n'eût valu si l'ennemi eut fait la
moindre résistance. II donna donc l'ordre de la retraite, qui se
fit malheureusement avec tant de précipitation que nombre de
blessés tombèrent entre les mains de l'ennemi. Les Américains
qui s'étaient crus un moment perdus, avalent mis euz-mêmes le
feu à leurs magasins de marine, à leurs hôpitaux et à leurs casernes
pour prendre la fuite. Tout fut consumé avec ies trophées faits
à Toronto-
Cet échec des armes anglaises qui en était à peine un, était
alors vengé par le colonel Harvey. Nous avons vu tout à l'heure
que le général Vincent s'était retiré sur les hauteurs de Burlington
suivi de l'armée américaine, qui vint camper près de lui. Harvey
lui proposa de la surprendre, et fit agréer son projet par son
général, qui lui donna 700 hommes pour l'esécuter. Harvey
tomba sur les Américains dans la nuit du 5 au 6 juin, les chassa
de leur position, fit prisonniers les généraux Cliandlcr et Winder,
et s'acquit beaucoup d'honneur par son audace et son sang iroid.
Les Américains éprouvèrcntencore d'autres échecs. Ala fin
de juin, un de leurs bataillons s'étant cru cerné par des forces
supérieures, se rendit & discrétion au lieutenant Fitzgjbbon à
quelques milles de Queenston. Dans le mois de juillet les Anglais
surprirent encore et brûlèrent Black-Rock où le colonel Bishop
paya cet audacieux coup de main de sa vie.
HISTOmi: DU CANADA. ISl
Mais en présence deB forces navales des deux nations qui as
balançaient sur le lac, rien de décisif ne pouvait 6tre entrepris sur
terre. Les deux flottes s'évitaient et se recherchaient alternative-
ment selon leur supériorité ou leur infériorité relative du moment.
Après plusieurs escarmouches, elles se rencontrèrent enfin le 28
septembre devant Toronto, et après un combat de deux heures sir
James L, Yeo fut obligé d'abandonner la victoire au commodore
ChauDcey, et d'aller chercher un abri sous les hauteurs de Burling-
ton. A peu près dans le même temps le général Vincent qui
investissait le fort George où s'étaient retirées les troupes sur-
prises à Burlington par Ilarvey, apprenait la déroute de Proclor
à Moravian-Town et devait se retirer sans perdre un instant.
Il recueillit les débris des troupes de Proctor et reprit la route
de Burlington suivi des généraux, américains McClure et Porter,
qui ne jugèrent pas à propoa de l'attaquer dans ces lignes.
On louchait alors à la fm de la deuxième année de la guerre.
Où en étaient les parties bclligéranles de leurs projets sur !a
frontière du Haut-Canada ? Après une multitude de combats
dont la diversité embarrasse, dont le but n'est pas bien défini,
le résultat semblait paraître favorable aux armes américaines ;
mais c'était tout. Si la flotte anglaise avait été forcée d'aban-
donner le combat sur les lacs, si les Américains s'étaient emparés
delà frontière de Niagara, leurs généraux trouvant bientôt leur
tâche audessus de leurs forces, avaient résigné le commandement.
Le secrétaire de la guerre avait été changé. Le général
Armslrong l'avait remplacé ; mais les choses n'en marchèrent
pas mieux. Au contraire le succès des armes anglaises dans le
Bas-Canada va faire perdre à l'ennemi les avantages qu'il a obte-
nus dans le Haut, et le rejeter partout sur son territoire à la fin de
la campagne avec d'assez grandes pertes.
Pour opérer contre le Bas- Canada, il avait résolu do réunir son
armée du centre à son armée du nord et de les diriger toutes les
deux sur Montréal et de Montréal sur Québec.
Le générai Wilkinson qui commandait la première, rassembla
ses troupes au nombre de B à 10,000 hommes à French Creek, à
20 milles audessous de Sackelts Harbor sur le St.-Laurent, les
embarqua sur des berges et se mit à descendre le fleuve protégé
par une flottille et un gros détachement de troupes sous les ordres
102 histoihë du canada.
du général Brown, qui le suivait parterre sur la rive anglaise
afin de la nettoyer d'eniiemia.
Le gènérid de Rottenburgli qui avait cru d'abord l'armée amé-
ricaine destinée contre Kingston, la fit suivre par le colonel Mor-
rison, avec 800 homaiea et quelques chaloupes canonnières.
WilkinBon mil pied à terre avec une partie de ses forcea audessuB
des rapides du Long Saull, d'où il continua aa route par terre
pous la protection d'une arriére-g;arde commandée par le général
Boyd. Mais arrivé à Chiysilera Parm, situé à mi-chemtn entre
Kingston et Montréal, se voyant pressé de trop près par les
truupes anglaises, il résolut de s'arrêter pour leur livrer bataille.
Le combat s'engagea le 11 novembre et dura deus heures avec
une grande vivacité. Les Américains au nombre de 3000, dont
va régiment de cavalerie, furent obligea de céder la victoire &
leurs adversaires, qui n'éiaient que le quart de ce nombre.
Ce fait d'armes qui coûta 4> à 500 tués et blessés aux deux
partia, fît beaucoup d'honneur au colonel Morrison et à ses
troupes; mais n'empêcha point l'ennemi de continuer sa route.
La plus grande partie des forces du général Wilkinson se trouva
réunie le lendemain à Cornvvall et à St. Kégis au pied du Long
Saull, où elle s'arrêta en apprenant le résultat de la bataille de
Chàteauguay et la retraite du général Hampton qui marchait sur
Montréal par le lac Champlain.
L'armée du nord commandée par Hampton était restée
immobile la plus grande partie de l'été.
Dans le mois de juillet le colonel Murray avait fait irruption i
la tôte de 1000 hommes jusque dans son voisinage. 11 étah
parti de l'Ile-aux-Noix sur une petite flottille, avait pénétré Jan»
le lac Champlain où il avait brûlé les casernes, les arsenaux el
les édifices publics de Plattsburgh, de Burlington, de Champlain
et de Swanton, et était revenu sans accident après avoir répandu
la terreur aur la fontière.
Dans le mois de septembre Hampton parut vouloir agir, mais
il fut arrêté par le colonel de Salaberry chargé de lui disputer
l'entrée de l'Acadie avec 600 hommes. Après piuaeura escar-
mouches, n'osant risquer une action générale dans les bois, les
Améribains s'étaient retirés à Four Corners, où M. de Salaberry
surprit leur camp dans une reconnaissance qu'il faillit avec 20O
MISTOIR£ DU CANADA. ]93
voltigeurs et 150 Sauvages, et les jeta un moment dans la plus
étrange confusion.
Mars l'heure était arrivée pour eux d'agir plus sérieuse-
ment, affin de former leur jonction avec le général Wilkinson qui
descendait. Hampton s'ébranla donc pour marcher en avant.
Le chemin de la frontière à l'Acadie traversait un pays maréca-
geux et borsé qui avait été coupé et rendu impraticable par des
abattis d'arbres. Hampton pour éviter ces obstacles prit une
autre route ; ilse dirigea vers la source de la rivière Châteauguay,
rapprochant ainsi davantage du corps avec lequel il devait opé.
rer sa jonction. Mais partout on avait prévu son dessein ; la
route avait été embarrassée et couverte d'ouvrages défensifs, et
le ^néral Prévost était avec un corps d'hommes à Cauknawaga
prêt à s'opposer à la réunion des deux armées ennemies.
A la première nouvelle de sa marche, ce général avait laissé
le commandement des forces du Haut^Canada au général de
Rottenburgh et était descendu à Montréal pour faire tête à l'orage
de ce côté. A son appel toute la milice armée du district s'était
ébranlée pour le point menacé, ou se tint prête à partir au pre-
mier ordre.
Le 21 octobre, l'avant-garde d'Hampton repoussa les postes
avancés des Anglais sur la route de Piper à dix lieues au dessus
de l'église de Châteauguay. Aussitôt le major Henry qui com-
mandait la milice de Beauharnois en fit informer le général de
Watteville, et ordonna aux capitaines Lévesque et Debartzch de
se porter en avant avec leurs compagnies et deux cents miliciens
lie Beauharnais. Ils s'arrêtèrent à deux lieues de là, à l'entrée
"d'un bois difficile à pénétrer et offrant par conséquent une bonne
protection. Ils y furent rejoints le lendemain matin par le colo-
nel de Salaberry avec ses voltigeurs et une compagnie de milice.
■Le colonel prit le commandement de tous ces corps et remonta la
rive gauche de la rivière Châteauguay jusqu'à l'autre extrémité
du bois, où il savait qu'il y avait une excellente position défensive
entrecoupée de ravins profonds. Il y établit quatre lignes d'abat-
tis, les trois premières à deux cents verges l'une de l'autre, et la
quatrième à un demi mille en arrière où elle défendait un ^ué
dont il fallait fermer le passage pour protéger son flanc gauche.
Toute la journée fat employée à fortifier ces lignes^ -doat la pre^
I
IBi HISTOIRE DU CANADA.
iniâre avait la furme d'un angle alongé à la droite de la roule cl
suivait les ainuosiléa du ravin.
Cette position obligeait l'ennemi à traverser un pays inbabité
et à s'éloigner de ses magasins, tandis que les troupes chargées de
la défense avaient tout ce qu'il fallait près d'elles et se trouvaient
fortement appuyées par derrière.
La rive droite de la rivière êlait couverte d'un Iwis épais. On
y jeta un fort piquet pour défendre l'approche du gué.
Le colonel de Salaberry fit ensuite détruire Cous les ponts à une
grande dislance en avant de sa position, et abattre tous les arbres
entre la rivière et un marais qui se trouvait au-delà de la plaine
qu'il y avait devant lui, pour empÉcher le passage Jo l'arfjllerie
dont il savait l'ennemi pourvu. Il fit perfectionner lous ces
ouvrages jusqu'au moment où l'ennemi parut. Les travaux
exécutés permettaient de lutter contre des forces bien supérieures
et furent approuvés par le général de Waltcville. On n'avait
que 300 Canadiens et quelques Ecossais et Sauvages à opposer
aux 7000 Américains qui arrivaient avec Hampton. Mais le
colonel de Salaberry était un officier expérimenté et doué d'un
courage à toute épreuve. Entré très jeune dans l'armèG,il avait
servi onze ans dans les Indes orientales, où il avait assisté au
fameux siège du fort Matllda par le général Prescott. Quoiqu'à
peine âgé de seize ans, il fut chargé de couvrir l'évacuation de la
place. 11 commanda encore avec distinction une compagnie de
grenadiers dans l'expédition de la Martinique en 95, Dans celle
de Walcheren en Europe, il était aide-de-camp du généra! de
Holtenburgh. Il débarqua à la tète de la brigade des troupes
légères et fut placé dans les postes avancés pendant toute la durée
du siège de Flushing,
Revenu en Canada comme oSicier d'état major de Bottenburgh
peu de temps avant la guerre avec les Etals-Unis, sir George
Prévost le choisit pour lever un corps de voltigeurs canadiens;
tâche qu'il accomplit avec un plein succès. Ce beau corps orga-
nisé et discipliné en très peu de temps, se signala par des succès
constans devant l'ennemi, qui excitèrent l'émulation des autres
milices.
Le général Hampton divisa son armée en deux corps. Le
premier composé de cavalerie et de fantassins soutenus par 2000
HISTOIRE DU CANADA. 195
hommes placés un peu plus en arrière, se présenta dans la plaine
pour attaquer de front la position des Canadiens sur la rive gau-
che de la rivière. Le second, formé de 1500 hommes sous les
ordres du colonel Purdy, fut chargé d'opérer sur la rive droite
pour prendre cette position à dos après avoir franchi le gué dont
on a parlé tout à l'heure.
Trois compagnies avec quelques miliciens et Sauvages défen-
daient le front de bataille de Salaberry en avant des abattis qui
s'appuyaient à la rivière. Trois autres avec les Ecossais avaient
été distribuées entre les lignes derrière les abattis .
Haropton porta en avant une forte colonne d'infanterie à la
tête de laquelle marchait un officier de haute stature qui s'avança
et cria en français aux voltigeurs : " Braves Canadiens, rendez-
vous, nous ne voulons pas vous faire de mal." Il reçut pour
toute réponse un coup de fusil qui le jeta par terre et qui fut le
signal du combat.. Les trompettes sonnèrent et une vive fusillade
s'engagea sur toute la ligne. Cette fusillade se prolongeait depuis
fort longtemps sans aucun résultat, lorsque le général américain
changea ses dispositions pour essayer de percer la ligne anglaise
par des charges vigoureuses. Il concentra ses forces et se mit à
attaquer tantôt le centre, tantôt une aile, tantôt l'autre des Cana-
diens, sans que ces nouveaux efforts eussent plus de^succès. Reçu
vigoureusement partout, il échoua dans toutes ses tentatives et
fut finalement obligé de se retirer avec d'assez grandes pertes.
Cependant le bruit du combat avait attiré l'attention de la
colonne du colonel Purdy qui opérait de l'autre côté de la rivière
et qui s'était é'garée. Aussitôt que le colonel se fut reconnu et
qu'il fut à portée, il commença l'attaque des troupes qui se trou-
vaient devant lui et qui, accablées sous le nombre, reculaient devant
la trop grande supériorité de son feu. C'était au moment où
celui de l'autre rive avait presque cessé par la retraite d'Hampton.
Salaberry voyant l'action devenir sérieuse sur ce point, alla se
mettre à la tête des forces placées en potence le long de la rivière,
et dirigea de la voix les mouvemens de celles qui étaient au delà.
Il fit ouvrir sur le flanc de l'ennemi qui s'avançait un feu si
meurtrier qu'il le jeta dans le plus grand désordre et l'obligea de
se retirer précipitamment.
Le combat durait depuis plusieurs heures. Hampton voyant
19Q HISTOIRE DL: canada.
que ses troui}es n'avaient pas piua de succès sur une rive que anr
l'autre, et croyant les Anglais beaucoup plus nombreux qu'ils ne
l'Étaient en eflêt, par la manière dont ila étaient disposés dans
leiira ouvrages et dans les èclaircis des bois, prit la résolution
d'abandonner la lutcc, laissant ainsi 3 à iOO hommes vainqueurs
de 7000, après une lutte de quatre heures.
LegônÉral Prévost accompagné ilu général de Watte ville arriva
sur les lieux vers la fin de Taction ; il complimenta les Canadien»
Bur leur courage, et leur commandant sur ses dispositions jo(U-
cieuaea. Telle était l'ardeur des cumbaitans, que l'on vit des
voltigeurs traverser la rivière à la nage, pendant le feu, pour
aller forcer des Américains à se rendre prisonniers.
Le général Hampton après cet échec, perdit tout espoir de
pénétrer en Canada et se retira d'abord avec confusion à Four
Corners, barasaé par les Canadiens, et ensuite à Platlsburgh uii il
prit ses quartiers d'hiver. Telle fut la victoire de Chàteauguay,
qui sans être bien sanglante, vu la petitesse dn nombre des Cana-
diens, eut toutes les suites d'une grande bataille.
La nouvelle de la retraite du général Hampton trouva, comme
nous l'avons rapporté, l'armée de Wilkinson à CornwaI! et à St.
Régis sur le Sl.-Laurent. Ce général convoqua aussitôt un con-
seil de guerre où il fut résolu que l'attaque de Montréal devait
être abandonnée après la retraite de l'aile droite défaite à Cbâ-
teauguay, et que les troupes rendues à Cornwall, devaient être
traversées sur la rive américaine pour y prendre leurs quartiers
d'hiver. Ainsi la résistance heureuse de quelques compagnies
de milice déterminait la retraite d'une armée de 15 à 16,000
hommes, et faisait échouer le plan d'invasion le mieux combiné
qu'eut encore formé la république des Etats-Unis pour la conquête
du Canada. Le colonel de Salaberry fut remercié par le général
en chef, dans un oidre du jour, par les deux chambres, et décoré
par le prince régent. Les milices reçurent des drapeaux en
témoignage de leur bonne conduite dans cette affaire.
L'inva^on du Bas-Cauada ayant été repoussée, l'oSenaive fut
reprise aussitôt dans le Haut, que les Américains se préparèrent
i évacuer. Le généra! Drumraond qui avait remplacé le géné-
ral de E-ottenbui^h, monta à la tête du lac Ontario. A son
approche, le général McClurc qui avait cru le Haut-Canada
HISTOIRE DU CANADA. 197
abandonné en voyant le général Wilkinson s'avancer vers Mont-
réal, évacua le fort George dans le mois de décembre^ et brûla le
village de Newark avant de rentrer dans son pays. Le général
Dnimmond résolut de venger cet acte de barbarie inutile. Le
colonel Murray à la tète de 5 à 600 hommes surprit le fort
Niagara, fit 300 prisonniers et enleva une quantité considérable
de canons et d'armes de toute espèce. Le général Riall le sui-
vait avec deux régimens et tous les guerriers indiens de l'ouest
pour le soutenir. Riall en représailles de l'incendie de Newark,
lAcha la bride à ses troupes et aux Sauvages. Lewiston, Man-
chester et tout le pays environnant furent brûlés et dévastés.
Les petites villes de Black-Rock et de Buffîilo furent enlevées
après un combat livré dans les rues, et abandonnées aux flammes.
Cette expédition dévastatrice termina les dernières opérations
de la campagne de 1813, qui fut défavorable en définitive aux
armes américaines sur terre comme sur mer. Après plusieurs
c(Hnbats navals particuliers, la république n'ayant pas assez de
force pour se mesurer avec son adversaire en bataille rangée sur
l'océan, vit ses principaux capitaines succomber, comme le brave
Xjawrence tué dans le célèbre combat livré entre la Chesa-
peake et la Shannon,qui prit la première à l'abordage. Les
flottes anglaises ravageaient les côtes, détruisaient tous les vaisseaux
trouvés dans la baie de Delaware, pillaient et brûlaient les villages
répandus sur la rivière Chesapeake, et étendaient leurs ravages
jusque sur les côtes de la Virginie, dont les habitans étaient soumis
à toutes sortes d'outrages. Les armées qui opéraient sur la
frontière du Canada ayant pris leurs quartiers d'hiver, le général
Prévost descendit à Québec pour rencontrer les chambres qui se
réunirent dans le mois de janvier (1814). Les dissentions entre
la branche populaire et le conseil législatif, dont la guerre avait
d'abord fait suspendre l'ardeur, reprenaient petit à petit leur
vivacité accoutumée. Elles furent plus ardentes dans cette
session que dans la précédente, malgré les efforts du gouverneur
pour calmer les esprits et pour porter toute l'énergie du côté de
la guerre. L'assemblée qui était de bonne intelligence avec lui,
vota, sur un message ^cret, une émission de billets d'armée d'un
million et demi pour pourvoir aux^dépenses militaires. Le bill
de« juges fut repris par l'assemblée et rejeté par le conseil ainsi
A*
198 HISTOIHE DV
que ceux pour imposer les oiRcea publics pendant la guerre et
nommer un agent auprès du gouvernement impérial. Stuart
ramena encore sur le tapia la question des règles de pratique.
Quoique fort importante en elle même puisqu'elle affectait l'ad-
ministration de la justice, elle n'intéressait guère que le barreau.
Le peuple y Taisait à peine attention,
Siuart accusa cette fois formellement le juge Sewell d'avoir
cherché à renverser la con'stitution pour y substituer une tyrannie
arbitraire ; d'avoir violé la loi et l'autorité du pouvoir iégistatif en
imposant ses régies de pratique, et en mettant ea volonté à la
place de la justice comme président de la cour d'appel ; d'avoir
induit le gouverneur Craig i dissoudre la chambre en 1809, et &
lui faire prononcer un discours insultant pour la représentation ;
de l'avoir fait destituer luï-mêmede sa place de solliciteur-général
pour la faire donner à son frère, M. Etienne Sewell ; d'avoir fait
retrancher du rôle des officiers de milice !e président de la
chambre, M. Panet ; d'avoir conseillé la violation de la liberté de
la presse en faisant saisir le Cariadien et emprisonner son impri-
meur ; d'avoir violé la liberté de la chambre et des élections en
faisant emprisonner MM. Bedard, Blanchel, Taschereau, trois de
ses membres, et M. Corbeil sous accusation de trahison, enfin
d'avoir employé l'aventurier John Henry pour engager une por-
tion des Etats-Unis à se soulever contrele gouvernement de cette
république et à former alliance avec le Canada afin d'en changer
la constitution et les lois.
LejugeMonk de Montréal fut accusé en même temps da
diverses malversations.
Tous ces faits graves et vrais pour la plupart, furent renfermés
d'abord dans des résolutions et ensuite dans une adresse au roi,
adoptées à de grandes majorités. Stuart lui-même lût nommé
pour aller les soutenir à la place de M. Bedard, qui avait été
choisi d'abord, mais dont !a nomination à une place de juge rendait
maintenant l'absence impossible. Le gouverneur promit de trans-
mettre les accusations à Londres, en informant en même temps
les représentans qu'il ne pouvait suspendre les juges, parcequ'ila
n'étaient accusés que par une seule chambre.
Le juge Sewell passa en Angleterre pour se défendre,
ne put y oller faute de fonda, le vote d'argent nécessaire pour
HISTOIRE DU CANADA. 190
payer ses frais ayant été rejeté pat le conseil comme on devait
s'y attendre. Le gouverneur fut alors prié d'envoyer un autre
agent à sa place, ce qu'il promit do faire aussitôt que l'on aurait
pourvuaux dépenses de sa mission. Les gravea accusations portées
contre les deux principaux jugea du paya, n'eurent aucune suite.
Le juge Sewell rendu à Londres non seulement se justifia,
mais aidé de l'influence du prince Edouard qui l'avait connu en
Canada, conquit les bonnes grâces de lord Bathurst, à tel point
que ce ministre le recommanda fortement à son retour à sir J. C.
Sherbrooke. M. Seweil, lui disait-il, a eu des rapports avec moi
sur les intérêts de la province ; je l'ai toujours trouvé très versé
dans les aSàires du Canada. Je le recommande d'une manière
toute particulière à voire attention comme un homme qui pourra
vous Être très utile, et dont le jugement et la discrétion égalent
les lumières et les lalena.*
M. Sewell était en effet un homme poli, grave, souple, capable
de jouer le rûle qui convenait h la politique du minislère.
Quoique ce fût l'ennemi le plus dangereux des Canadiens, il se
montrait très affable à leur égard, et rendait avec imc affectation
marquée le moindre salut du dernier homme de ce peuple. Il
fallait à la politique d'Angleterre un homme qui ne chargea de la
voiler en prenant la direction du parti opposé aux reprèsentans.
Il la dirigea jusqu'à la fin de sa vie dans les deux conseils, dans le
conseil législatif surtout, où vinrent échouer presque toutes les
mesures populaires.
Il n'avait pas trouvé, pendant qu'il était en Angleterre, de
moyen plus efficace pour se vengerdes accusations portées contre
lui, que de recommander l'union de toutes les provinces anglaises
de l'Amérique du nord, eous un seul gouvernement. Il pressa
fortement le prince Edouard d'engager les ministres à adopter le
projet qui devait noyer la population française ; il lui en écrivit,
«t l'on trouve à la fin du rapport de lord Durham sur les affaires
du Canada, la lettre du prince par laquelle il l'informe qu'il en
parlera au ministre à la première occasion. M. Sewell suggé-
rait d'établir une chambre de 30 membres pour les cinq ou six
provinces, et en transmettant son mémoire au prince il lui recom-
mandait de le donner à lord Bathurst sans lui dire d'où il venait.
■Iiord Bathurst iiirJ, C, Sherbrooke pattani pour le Canada, 6 mai 1810.
500 HISTOIRE DU
Xioraque l'union des deux Canadas s'est onfîn consommée, quel
plalair a dû en ressentir !a vengeance du vieillard, car alors le
juge Sewel! était bien âgé, en voyant ce peuple qu'il haïssait
tant, condamné enfin à périr sous une nationalité étrangère.
La session ne fut pas plut&t finie que le général Prévost s'oc-
cupa des préparatifs de la prochaine campagne. (Jn bataillon
d'infanterie et des matelots pour la marine des lace arrivèrent
dans l'hiver du Nouveau -Brunswick. Le gouverneur reçut avec
une grande pompe au château St.-Louis une grande ambassade
des chefs de neuf à dix nations sauvages des pays de l'ouest.
Elle protesta de la fidélité des nations qu'elle représentait malgré
leurs perles au feu. Elle demanda des armes pour combattre et
(les vètemens pour leurs femmes et leurs enfana. " Les Améri-
cain«, dirent-ils, prennent tous les jours nos terres ; ils n'ont pas
d'àme ; ils n'ont aucune pitié pour nous ; ils veulent nous chasser
vers le couchant." Le gouverneur les exhorta à persévérer dana
la lutte. Il exprima tous ses regrets de la mort de Técumaeh et
de leurs autres chefs, et les renvoya comblés de présens.
La défaite des Américains à Châteauguay ne leur avait pas fait
perdre entièrement l'espoir de s'établir dans le Bas-Canada, sur
lequel ils firent une nouvelle tentative vers la fin de l'hiver. Le
dëgel ayant été plus précoce que de coutume, le général Macomb
avec une division, partit de Platisburgh, traversa le lac Champlain
sur la glace et s'avança jusqu'à St.-Arraand, où il attendit celle du
général Wilkinson qui devait diriger une attaque sur Odeltown et
le mouhn de Lacolle. Les deux corps s'étant réunis, Wilkinson
entra à Odeltown à la tête de 5000 hommes sans coup-férir. De
là il marcha le 30 mars contre le moulin de Lacolle, défendu par
les voltigeurs, les fencibles et d'autres troupes. Mais après
l'avoir canonné deux heures et demi inutilement, voyant ses
troupes épuisées de froid et de fatigue, il prit le parti de la retraite
et retourna à Plattsburgh.
Ce nouvel échec fit changer à l'ennemi le plan de ses opéra-
tions dans la campagne qui allait s'ouvrir. Il abandonna ses atta-
ques contre le Bas-Canada, pour porter tous ses eflorts contre le
Haut, dont l'invasion offrait plus de fociUlé. Mais ce plan qui
présentait moins de danger, laissait aussi moins de résultat. Jus-
qu'à présent toutes ses entreprises n'avaient- abouti qu'à des
HISTOIRE DU CANADA. 201
défaites ou des succès éphémères, qui avaient coûté quelque fois
beaucoup de sang, entraîné beaucoup de ravages sans avancer le
but de la guerre.
Les Américains retirèrent leurs principales troupes de la fron-
tière du lac Champlain et les portèrent sur le lac Ontario, pour
les mettre en mouvement aussitôt que leur flotte de Sacketts Har-
bor pourrait opérer avec elles. Les magasins de cette flotte
étaient à Oswégo. Le général Drummond qui commandait dans
le Haut-Canada, résolut de s'en emparer pour retarder son départ.
Il s'embarqua avec un gros corps de troupes de toutes armes à
Kingston, parut devant Oswégo le 5 mai, et prit et incendia le
lendemain après un combat assez vif, le fort et les magasins.
Mais l'ennemi avait eu la précaution de transporter d'avance la
plus grande partie des objets de marine à quelques intlles plus
haut sur la rivière, de sorte que le but de l'expédition ne put
être entièrement atteint.
Après cette course il alla prendre le commandement des troupes
placées à la tête du lac. En les disposant il fit la faute de trop
les disperser, de manière qu'il fallait quelques heures pour en
réunir un nombre capable d'offrir une résistance sérieuse. Les
généraux américains Scott et Ripley, placés sur la rive opposée,
résolurent d'en profiter. Ils traversèrent le fleuve avec 3000
hommes et surprirent le fort Ërié. Le lendemain le général
Brown se mettant à la tête de cette troupe marcha sur le camp
fortifié du général Riall à Chippawa, un peu au-dessus de la chute
de Niagara. Les Anglais, quoique plus faibles en nombre, sor-
tirent de leurs lignes pour livrer bataille en rase campagne. La
lutte se prolongea longtemps ; maie après avoir vainement essayé
de rompre l'ennemi, Riall fut ramené avec de grandes pertes et
obligé d'abandonner vers le soir le terrain couvert de morts à la
supériorité du vainqueur. Il se retira d'abord dans ses retran-
chemens, qu'il abandonna ensuite après avoir jeté des détache-
mens dans les forts Greorge, Niagara et Mississaga, et rétrogada
Ters les hauteurs de Burlington.
Le général Brown suivit Riall jusqu'à Queenston, puis se retira
vers Chippawa. Riall remarcha aussitôtjen avant, ce que voyant,
le premier s'arrêta tout-à-coup à Lundy's Lane, près du dernier
champ de bataille, pour lui offirir de nouveau le combat. Siall
202 HISTOIRE DU CANADA.
qui n'était pas disposé à recotDmencer, se préparait à reculer pour
la seconde fois lorsqu'il fut rejoint par le général Drummond avec
800 hommea de renfort. Drummond prit le commandemeot et
contremanda la relraitc ; mais il fut attaqué à l'iroproviate avant
d'avoir pu faire toutes ses ilispositiona. Sa gauche après diverses
vicissitudes fut obligée de céder ; elle recula en bon ordre et alta
se former en potence le long du chemin, appuyée sur le centre
placé sur une hauteur.
Le centre tenait bon contre Brown, qui faisait en vain les plus
grands eflbrts pour s'emparer des batteries qui couronnaient oetta
hauteur. Les artilleurs anglais ee faisaient bayonnettcr sur leurs
pièces par l'ennemi, qui fit avancer ses canons jusqu'à quelques
pas seulement des canons anglais. L'obscurité de la nuit qui
était alors venue occasionna plusieurs méprises. Ainsi les deux
partis échangèrent quelques pièces de canon au miUcu de la con-
tusion, dans les charges qu'ils faisaient alternativement l'un contre
l'autre. A neuf heures le feu cessa un instant. Le reste des forces
américaines rentra en hgne dans le même temps qu'un surcroît de
1200 hommes arrivait à marche forcée pour augmenter l'armée
anglaise. Ainsi renforcé des deux côtés, l'on recommença ce
combat nocturne avec plus d'acharnement que jamais, et on le
continua jusqu'à minuit que les Américains désespérant d'empor-
ter la hauteur, abandonnèrent enfin le champ de bataille pour
se retirer dans leur camp au delà de la rivière Chippawa.
L'action avait commencé à 6 heures du soir, de sorte qu'elle
avait duré près de six heures. Dans l'obscurité le général i^all
qui avait été grièvement blessé en voulant gagner le derrière du
champ de bataille, tomba au milieu de la cavalerie ennemie et fut
fait prisonnier.
Le lendemain les américains jettèrent la plus grande partie de
leurs bagages et de leurs vivres dans la chute) mirent le feu &
Street Mills, détruisirent le fort de Chippawa et retraitèrent vers
lefortErié.
La perte des deux côtés était considérable. Le général Drum-
mond avait été gravement blessé au cou, mais il l'avait caché i
ses troupes, et était resté sur le champ de bataille jusqu'à la fin de
l'action. Le nombre des tués et des blessés s'éleva à 7 à SOO
hommes de chaque côté, outre plusieurs centaines de prisonniers
HISTOIRE DU CANADA. 203
que les Américains laissèrent entre les mains du vainqueur. Les
Anglais après avoir reçu tous leurs renforts comptaient 2800
hommes ; les ennemis 5000. La milice du Haut-Canada mon-
tra la plus grande bravoure. " Rien, dit un écrivain, ne pouvait
être plus terrible ni plus imposant que ce combat de minuit. Les
charges désespérées des troupes étaient suivies d'un silence
funèbre, interrompu seulement par le gémissement des mourans
et le bruit monotone de la cataracte de Niagara 5 c'est à peine si
l'on pouvait discerner au clair de la lune les lignes des soldats à
l'éclat de leurs armes. Ces instans d'anxiété étaient interrompus
par le feu de la mousquetterie et la répétition des charges que les
troupes britanniques, réguliers et miliciens, recevaient avec une
fermeté inébranlable."
Les généraux américains Brown et Scott ayant été blessés, le
commandement échut au général Ripley, qui se retrancha au fort
Erié, où Drummond vint ensuite l'attaquer.
Il fit d'abord canonner les retranchemens par son artillerie, et
lorsqu'il crut la brèche praticable, il forma ses troupes en trois
colonnes pour attaquer le centre et les deux extrémités à la fois.
Il les mit en mouvement dans la nuit du 14 août. La colonne
commandée par le colonel Fischer et formée des Watteville, attein-
gbit son point d'attaque deux heures avant le jour, et s'empara
des batteries ennemies malgré un échec inattendu qui jeta le
corps qui devait la soutenir dans le plus grand désordre. Les
deux autres colonnes montèrent à l'assaut en attendant le feu de
celle de Fischer, et après une vive résistance réussirent à péné-
trer dans le fort qui était au centre des retranchemens, par les
embrasures du demi bastion. L'ennemi se retira alors dans un
bâtiment en pierre d'où il continuait à se défendre avec vigueur
contre les canons du bastion retournés contre lui, lorsqu'une
explosion soudaine enveloppa dans une ruine commune tous les
soldats du fort. Au bruit de cette catastrophe une terreur pani-
que s'empara des trois colonnes assaillantes, qui posèrent les
armes ou prirent la fuite poursuivies par les Américains. Près
de 1000 Anglais furent tués, blessés ou faits prisonniers, tandis
que l'ennemi ne perdit pas 80 hommes.
Après ce désastre, Drummond se retira dans ses lignes, où il
resta jusqu'au 17 septembre que les Américains^ à la nouvelle de
SOé HISTOIHB DU CANADA.
la victoire remportée par leur flotte Kur le lac ChnmpUia et de la
relraîle du général Prévost, firent une sortie avec un gros corps
de troupes à la faveur d'un orage et détruisirent les oitvragea
avancés des Anglais. La perte fut encore ici de cinq à six cents
hommes de chaque côté, dont la plus grande partie prisonniers.
Après ce nouveau choc,la maladie commençant à se mettre parmi
les iroupeB, et le général américain Izard s'avançant de Plattburgli
avec des renforts, Drummond jugea à propos de lever son camp
et de retourner à Chippawa.
C'était dans le moment où la malheureuse issue de l'expédition
de Ptattsburgh, servait de prétexte aux accusations les plus graves
contre Prévost. Ce gouverneur que le parti anglais déteslaît
parcequ'il paraissait montrer plus d'égards aux Canadiens que ses
prédécesseurs, devait être la cause de tous les malheurs qui arri-
vaient. 11 ne voulait pas voir dans sa conduite le résultat des
instructions qu'il avait reçues des ministres, pour obtenir d'un
peuple jusque-là presque frappé d'ostracisme, le sacrifice de son
sang et de son argent. D jugea plus politique de le croire lesBul
fauteur de ces Égards odieuj:, et feignit do le haïr d'autant plus
qu'il paraissait malheureux dans ses entreprises. Forcé de sa
faire dans le bruit des armes et devant le zèle des Canadiens
qu'il avaittoujours^représeniés comme un peuple peu sûr, il ne put
se retenir plus longtemps, et saisit pour recommencer ses clameurs
l'occasion d'un événement dont il n'était pas la cause-
En effet l'expédition de Flattshurgh avait été entreprise sur
Tordre des ministres, que l'abdication de Napoléon et la paix
européenne mettaient k même d'employer de plus grandes forces
en Amérique. H,000 hommes de l'armée de Wellington avajeat
été embarqués en France et débarqués à Québec dans les mràs
de juillet et août. Ces troupes avaient été acheminées aussitàt
vers la frontière du lac Champlain et vers le Haut-Canada. La
division envoyée dans le Haut-Canada était commandée par le
général Kempt, excellent officier do ta guerre espagnole, et avait
ordre d'attaquer Sackett's Harbor si une occasion favorable se
présentait.
Le commandement de la flottille du lac Champlain fut donné au
capitaine Downie appelé du lac Ontario, Un gros renfort de
matelots fut tiré des deux vaisseaux de guerre qui étaient à Que-
mSTOIRB DU CANADA. 205
bec, pour compléter l'équipage de cette flottille. L'armée anglaise
destinée à agir contre Piattsburgh,se concentra entre Laprairie et
Chambly.
Le général Wilkinsoa qui commandait l'armée américaine du
Jac Champlain, fut remplacé par le général Izard après son échec
à Lacolle. Les événemens d'Europe obligeaient l'ennemi à chan-
ger de tactique et à se renfermer dans la défensive. Il prévoyait
déjà la nécessité de (aire une paix prochaine, pour ne pas avoir
toutes les forces de l'Angle. erre sur les bras. Le général Izard
partit dans le mois d'août avec 5000 hommes pour aller renforcer,
à la tête du lac Ontario, l'armée du fort £rié. Il laissa 1500 sol-
dats seulement à Plattsburgh. C'était inviter les Anglais à pré-
cipiter leur attaque.
Prévost mit son armée en branle. Il traversa la frontière à
Odelto\¥n, occupa Champlain le 3 septembre et le camp retran-
ché abandonné par l'ennemi sur la rivière Chazy, puis marcha
de ^à en deux colonnes sur Plattsburgh, repoussant devant lui de
nombreux corps de milice. U atteignit cette petite ville le 6.
Le colonel Beyard avec la moitié du régiment de Meuron chassa
de la partie de Plattsburgh située au nord de la rivière Saranac
les Américains qui se retirèrent sur la rive opposée, d'où ils se
mirent à tirer à boulets rouges et incendièrent plusieurs maisons.
Les Meurons firent un riche butin. La cavalerie américaine qui
était magnifique combaltait à pied. On voyait au télescope la
longue file de leurs chevaux attachés au piquet. L'infanterie
alla occuper les hauteurs que couronnaient trois fortes redoutes,
des btockaus armés de grosse artillerie et d'autres ouvrages de
campagne. La flottille ennemie du commodore MacDonough
s'éloigna hors de la portée de nos canons. La flottille anglaise du
capitaine Downie suivait à quelque distance le mouvement du
général Prévost.
Ce général fit préparer ses batteries pour l'attaque en atten-
dant l'approche de Downie, dont la coopération était nécessaire
aux troupes de terre. En arrivant Downie, profitant du vent,
engagea à la vue de toute l'armée qui était sous les armes le com-
bat avec la flottille ennemie. Mais la frégate qu'il montait s'étant
trop avancée se trouva exposée au feu de deux batteries et d'une
firégate américaines. A la première décharge^ Downie fut tué
B*
SOS HISTOIRE DU CANADA.
avec plusieurs de bcb officiera, sa frégate s'ensabla et le feu porta
la mort sur ses ponla enconibréa d'hominee. La lutte ee prolon-
gea ainsi deux heures avec le reste de la flottille, au bout desquelles
le capitaine Frlng qui avait pris le commandement, fut obligé
d'amcnei son pavillon. Les Anglais ne sauvèrent que sept à
hnit chaloupes canonnières qui avaient pris la fuite au début de
l'action.
Prévost en voyant Downie engager ie combat, avait ouvert le
feu de ses batteries et disposé ses troupes en colonnes pour mon-
ter à l'escalade. Une colonne devait forcer le pont jeté sur la
rivière qui traverse Platteburgh et attaquer les ouvrages ennemis
de front; une autre devait dèJiler derrière le camp pour c-acher
Ba marche, traverser la Saranac à un gué <ju'on avait reconnu
plus haut, et prendre les ouvrages à revers. Les colonnes
s'ébranlèrent. Bientôt l'on se battit sur terre comme sur eau.
Les chasseurs canadiens étaient à la lête et s'exposèrent sans
nécessité. Les obstacles à vaincre étaient nombreux. Lecoin-
bat ne faisait pas de progrès et les assaillans étaient repousses ou
contenus, lorsque l'armée américaine qui voyait ce qui se passait
du sommet de ses ouvrages, poussa des cris de triomphe à la vic-
toire de MacDonough, qui parvinrent jusqu'à la colonne du
général Robinaon. Cette colonne avait manqué le gué de la
rivière et s'était égarée. Robinson inquiet de ce bruif, envoya au
quartier général pour en savoir la cause et demander des ordres.
Prévost voyant l'issue du combat naval et l'inutilité d'un plus long
sacrifice d'hommes, pour s'emparer d'une position qu'il aurait
fallu abandonner après la perte de la flottille, lui &l dire de
En eflet sans la possession du lac, le but de la campagne Était
manqué. Il &t retirer partout les colonnes d'attaque, cesser le
feu, et se prépara à lever son camp pour rentrer en Canada avec
toute son armée, avant que le général IVLicomb dont les forces
augmentaient à chaque instant par l'arrivée des nombreux renforts
que les vaisseaux victorieux portaient où il était nécessaire, put
être en état de l'attaquer sérieusement dans sa retraite. On
disait même déjà que les milices de Vermont allaient traverser le
lac. Si Prevosi se fut avancé davantage, il aurait probablement
eu le sort de Burgoyne. Tout le long du lac, les Américaina
lUBTOIRi: DU CANADA. 207
aldis de leurs chaloupca canonnièrea, pouvaient détruire ses
troupes, ie chemin ùtant près du rivage et dans un état affreux.
Après avoir envo]ré les blessés en avant et Tait démonter lea
batteries, il ordonna aux troupea Ae battre en retraite. Elles
s'ébranlèrent dans la nuit au milieu d*une pluie qui n'avail pas
cessé depuis le commencement de la campagne. Lo désordre et
la confusion se mirent malheureuaemeni dans leurs rangs. Nombre
de bieasés et de traînards tombèrent entre lea mains de l'ennemi
avec presque toutes les munitions de guerre et de bouche, la
oomptnbililé générale, lea rôles des troupes, les équipages. La
perte fiit énorme, parce qu'on avait fait des pré paratifsj pour
passer l'hiver à Flattsbnrgh. Elle aurait été bien plue grande si
toute Tarmée américaine s'était ra.i8e à la poursuite des Anglais.
Plusieurs centaines de soldats désertèrent dès le début de ce
mouvement rétrograde.
Telle fut l'expédition de Pbttsburgh. Elle fut dictée par lo
cabinet de Londres et eut le succès des plans formés à mille
lieuca de distance. L'armée de Prévost était trop faible pour »
pénétrer bien avant dans les Etats-Unis et y remporter des avan-
tages réels ; elle était trop forte pour une simple excursion. Au
retite la fiolte qui devait l'appuyer et sans laquelle elle ne pouvait
agir, était trop faible. C'était une base que le moindre choc pou-
vait renverser, et c'est ce qui arriva. Le reste s'affaissa sous son
propre poida. Prévost qui en fut la victime n'en était que l'ins-
trument. Son malheur fut de s'être montré trop obéissant à des
ordres impntdens.
Cependant tandis que l'on perdait la suprématie du lac Gliani'
plain, l'on reprenait celle du lac Ontario. Un vaisseau de 100
canons venait d'y être aclieVé ; sir James L. Yeo fit voile de
Kingston pour le haut du lac avec une flotte et des renforts de
troupes. Le coraraodore Chaunocy avec la Hotte américaine fut
oliligé i son tour de se renfermer à Sackett's Harbor et de laisser
triompher les Anglais, qui allaient maintenant envahir les Etats-
Unis de tous lea côtés, du côté de l'océan surtout où leurs dépré-
dations et leurs descentes allaient rappeler les excursions des
Normands sur les côtes des Gaules et de la Bretagne dans le 9e
et le 10e siècle.
Tant que la gueire contre Napoléon amt été douteuse, l'An-
308 niSTOOtE DU CANADA.
glelerre a'f lail bornée suivant son plan, à Ib ilÉfensive en Amé-
ritiue, pour fournir à la coalition européenne se« plus grandes
forces. Le duc de Wellington que le ministère consultait sur
toutcH \es opëralionï militairea de l'empire, avait recommandé ce
syaléme. "Je suis bien aiae de voir, écrivait-il au commence-
ment de 1813, à lord Bathur-st, que vous allez renforcer sir
Geoi^e Prevoat ; j'espère que les Iroiipea arriveront â temps, que
sir George ne se laissera pas entraîner par l'espérance d'avan-
tages de peu de conséquencer et qu'il suivra un système ilêfennf
vigoureux. I! peut être sûr qu'il ne sera pas assez fort en
hommes ni en moyens pour se maintenir dans toute conqa&te
qu'il pourrait faire. La tentative ne ferait que l'aflaiblir, et ses
pertes augmenteraient l'ardeur cl l'espérance de l'ennemi, si mfime
elles n'étaient pas suivies de conséquences pires ; tandis que par
l'autre système, il jetera les dttiicullès et les risques sur les Amé-
ricains, et ils seront très probablement détails.*
Mais la fin de la crise européenne permeltail maintenant d'ex-
pédier des renforts en Canada, et d'envoyer des flottes et des
troupes pour faire des débarqiiemens sur les côtes des Eiats-Unia
le long de l'Atlanliqoe, qui les forceraient à retirer leurs troupe»
des frontières canadiennes cl à faire la pais. Leurs principaux
ports furent bloqués depuis la Nouvelle-Ecosse jusqu'au Mexique.
Des corps considérables de troupes furent mis sur les (luttes pour
attaquer les principaux centres de la république. Washington
et la Nouvelie-OHéans furent les deux points, au centre et an sud,
où l'on fit agir les plus grandes forces snus les ordres des géné-
raux Ross et Packenbam. Plattsburgh était le point au nord.
Ces entreprises par la manière dont elles étaient distribuée»
devaient faire beaucoup de mal à l'ennemi.
La baie de Chesapeake était un des principaux points d'at-
taque. On avait déjà fait de fréquentes descentes dans ces para-
ges. Dans le mois d'août le général Ross débarqua avec 3000
hommes à Benedict et s'avança vers Washington. Le comroodore
Barney brûla aa flottille à son approche dans la rivière Pautuxet,
et ayant rallié la milice à ses marins, voulut arrêter les Anglais
à Bladensburg, où il fut cuibuië et lui-même fait prisonnier.
Ross continuant son chemin, prit Washingion sans coup-férrr,
• Gurwood ; WeUingtoo's dispatches Vol. X, p. 109.
HISTOIEE DU CANADA. 209
brûla le capitole ainsi que les édi6ces publics, puis regagna ses
vaisseaux. Dans le mêoie temps une partie de la flotte entrait
dans le fort d'Alexandrie sur la rivière Potomac, et se faisait
livrer par les habitans les vaisseaux et les marchandises qui s'y
trouvaient, pour éviter le pillage et l'incendie de leur ville.
Après son expédition de Washington, le général Ross%alla
débarquer à North Point à 14 miles de Baltimore, et marchait
sur cette ville lorsqu'il fut tué dans une escarmouche. Le colonel
Brooke le remplaça, battit le général américain Stricker et
s'avança jusqu'aux ouvrages que les ennemis avaient élevés en
fece de la ville, pendant que la flotte qui le suivait bombardait inu-
tilement le fort McHenry. Le lendemain Brooke voyant les
Américains trop bien fortifiés dans leurs lignes pour être attaqués
avec avantage, prit le parti de se retirer. Pendant ce temps là
les escadres qui bloquaient les ports de New- York, New-London
et Boston, enlevaient de nombreux navires et faisaient subir des
pertes immenses au commerce américain.
Les états du Sud n'étaient pas plus exempts que ceux du cen-
tre de ces irruptions dévastatrices. Dans le mois d'août, les
Anglais prirent possession des forts espagnols de Pensacola du con-
sentement des autorités, et préparèrent une expédition pour s'em-
parer du fort de Bowger qui commandait l'entrée de la baie et du
havre de la Mobile. Le général Jackson après des remontrances
inutiles au gouverneur espagnol, marcha sur Pensacola, prit cette
ville d'assaut, et força les Anglais d'évacuer la Floride* C'est à
son retour que la Nouvelle-Orléans se trouva menacée et qu'on
se hâta d'armer la milice, de proclamer la loi martiale et d'élever
des fortifications pour protéger la ville.
L'escadre anglaise portant l'armée du général Packenham,
destinée à agir contre elle, entra dans le lac Borgne le 10 décembre
et battit ou prit une escadrille de chaloupes canonnières. Packen-
ham débarqué, livra à son tour un combat nocturne d'avant-garde,
le 22, i trois lieues de la Nouvelle-Orléans, puis s'avança vers
les retranchemens élevés à 4 miles au-dessous de la ville pour la
protéger. Ces retranchemens formés de balles de coton étaient
défendus par 6000 hommes, les meilleurs tireurs du pays, appuyés
de batteries montées sur les points les plus favorables.
Packenham forma 12,000 soldats en colonnes et se mit en mou*
210 HISTOIRE DU CANADA.
veinent. Lea colonnes marchèrent à l'assaut avec une parfaite
régularité. Lorsqu'elles furent à portée, lea ballerieaaruèricainea
ouvrirent leur feu sur elles sans les ébranler. Elles se fesseraient
à cliaque vide que les boulets faisaient dans leurs rangs comme la
garde de Napoléon à Waterloo, et continuaient toujours à avancer.
Elles arrivèrent ainsi sous le feu de la mousquetlerie. Six mille
fusils se penchèrent alors eur elles en se réunissant à l'artillerie,
et porlèrentlesravageset la mort dans leurs rangs. Les décliargos
les plus meurtrières se succédaient avec d'autant plus do préci-
sion ([ue les Américains étaient à couvert. En un instant loa
coionnea compactes des Anglais furent écrasées. Elles voulurent
en vain conserver leur ordre ; les tués et les blessés les embarras-
saient en tombant. Elles chanceilérent et dès lors tout fut
perdu ; elles tombèrent dans une confusion elTroyable.
Le général Packenham fut tué en cherchant à les rallier. Les
gËnëraux Gibbs et Keene furent blessés, le premier à mort. Le
soldat ne voulut plus écouter la voix des chefs, et toute l'armée
prit la fuite en masse laissant le terrain jonché de cadavres.
Le général Lambert à qui revenait le commaDdement, inca*
pable d'arrêter le torrent, le laissa s'écouter vers le camp où lea
troupes effrayées su remirent petit à petit de leur trouble. Elles
nvaienl laissé 700 luéa et plus de 1000 blessés sur le champ
de bataille. La perte de l'ennemi n'était que de 7 tués et 6
blessés, différence qui est la condamnation la plus complète de
Packenham en attaquant avec trop de précipitation des retran-
chemena dont il ne paraissait pas connaître la force, et qui justi-
fiait la prudence du général Prévost en ne risquant point un«
attaque inutile à Flattsburgh.
Celte victoire qui remplit les Etats-Unis de joie, et quelques
exploits sur mer, précédèrent de peu de temps le rétablissement
de la paix. Ces succès rendirent le cabinet anglais moins exi-
geant, et permirent aux Américains de négocier avec plus de
dignité, le parti opposé à la guerre pouvant maintenant lever la
(Ëie sans trop blesser Tamour propre national.
Ce parti embrassait une grande portion du parti fédéral, dont la
grande majorité appartenait aux étais de la Nouvelle-Angleterre ;
à CCS états qui avalent commencé la révolution et conquis l'mdé-
pendance. Ces anciennes provinces de tout temps plus ou moine
HISTOIRS DU CANADA. 21 I
jalouses des nouvelles, qui oubliaient souvent ce qu'elles devaient i
leurs aînées, n'avaient point cessé depuis la guerre de se plaindre
que le gouvernement général ne leur accordait point une protec-
tion proportionnée à la part qu'elles payaient des frais de la
guerre. L'Angleterre qui connaissait leurs sentimens, faisait rava-
ger leurs côtes exprès pour leur faire désirer plus vivement la
cessation des hostilités. Vers la fin de 1814 des délégués nom-
més par les législatures du Massachusetts, du Connecticut, de
Rhode-Island et par une portion du Vermont et du New
Hampshire, s'assemblèrent en convention à Hartford pour prendre
en considération l'état du pays. Cette convention fut dénoncée
dans les termes les plus sévères par les amis du gouvernement
général. Elle fut flétrie comme une trahison commise au préju-
dice de la république entière, et comme un appât aux projets de
l'ennemi. Ces querelles agitèrent profondément la nation et
influencèrent beaucoup les résolutions du gouvernement ièdéral
pour la paix. Dès le mois d'août les commissaires des deux
nations s'assemblèrent à Gand, en Belgique, pour en discuter les
conditions, et signèrent le 24 décembre un traité fort honorable
pour la Grande-Bretagne. Il stipulait la restitution réciproque de
toutes les conquêtes faites l'une sur l'autre par les deux nations,
sauf les îles de la baie de Passamaquoddy dont la propriété devait
rester in statu quo, et abandonnait la question des frontières du
Canada et du Nouveau-Brunswick à la décision des commissaires
qui seraient nommés par les deux gouvernemens. Les Etats-
Unis adoptèrent aussi dans le traité cette disposition si incompa-
tible avec l'esclavage qui règne dans une grande portion de
leur territoire, que comme la traite des esclaves est inconciliable
avec les principes de la justice et de l'humanité, et que les deux
gouvernemens désirent continuer à travailler à son abolition, ils
feront tous leurs efforts pour atteindre un but si désirable. Le
silence fut gardé sur le principe que le pavillon couvre la mar-
chandise et sur le droit de visite.
Le traité de Gand ne dut pas satisfaire l'amour propre des
républicains américains, car en n'obtenant rien de ce qu'ils
avaient voulu acquérir par la' guerre, ils se reconnaissaient inca-
pables de se le faire donner de force. Leur erreur était d'avoir
attendu trop tard pour prendre les armes. La compagne de
212 IllSTomB DU CANADA.
Russie allait cominencer la décadence de Napoléon, assurer le
triomphe final de l'Eiirogie sur lui, el laii^âer l'Angleterre libre
d'agir en Amérique. Depuis longleinpa l'empereur français
pressait les Amèricainii de prendre les arinea. Il savait que
depuiij leur révolution, ils convoitaient les provinces anglaiseis, qui
le dos au nord pèsent sur eux de tout leur poids dans toute la
largeur du coriiinent. Maieils mirentlant de lenteuràse décider,
(ju'ilii s'ébranlèrent au moment où leur gigantesque allié commen-
çait à pelletier vers sa ruine. Le vrai motif de la guerre éteil
la conquête du Canada, le prétexte le principe que le pavillon
couvre la marcliandise et le droit de visite.
Ce nrèlesle subsiste encore. L'Angleterre fil une faute de ne
pas le faire disparaître ; car sa faikileH.se en Amérique augmente
tous les jours proportionnellement avec la marche ancendanle des
Etats-Unis. DeuK choses contribuent à celle faiblesse relative,
l'inégalité numérique croissante delà population et surtout le vice
fondamental du gouvernement colonial, dont le point d'appui est
à 1000 lieues de distance, dans un autre monde, dana un autre
inonde qui a une organisation sociale et politique toialemetit diâè-
rente, et dont la population devient de jour en jour plus étrangère
â'idées et d'inlérëts à la coltmie. Aussi Atison avoue-t-il que le
traité de Gand doit-êire regardé plutôt comme une longue trêve
que comme une pacification finale. La question de la frontière
du Maine resta indécise avec la propriété d'un territoire aussi
étendu que celui de l'Angleterre. Les Etais-Unia profitant du
levain laissé dans l'esprit des colons canadiens à la suite des évè-
iiemens de 1837, insistèrent pour qu'on en finit une bonne fois, et
obtinrent presque tout ce qu'ils demandaient par le traité d'Ash-
burton. Le droit de visite fera sans doute renaître les diffi-
cultés, car il est incompatible avec la dignité d'une nation libre,
et encore moins avec les intérêts commerciaux des Etats-Unis
dont les victoires à la fin de la guerre ont satisfait l'amour propre
national et excité l'ambition future. LesIriorapbesdcPlattsburgb
et de la Nouvelle-Orléans, ont fait oublier la bataille de Château-
guay et la retraite de l'armée américaine à la suite des combats
perdus dans le Haut-Canada.
Le traité qui mil fin à la guerre de 1812 fui accueilli avec joie
dans les deux Canada;!, maid surtout dans le Haut, où la guerre
HISTOIRE DTJ CANADA. 213
avait été une suite d'invasions cruelles et ruineuses pour le pays.
Il ne fut pas moins bien reçu d'une grande partie des Etats-Unis,
surtout de ceux qui bordent la mer. La guerre avait presqu'a-
nèanti le commerce extérieur de la république, qui s'élevait
avant les hostilités à un chiffre énorme. Ses exportations étaient
de 22 millions sterling, et ses importations de 28,000,000, le tout
employant 1,300,000 tonneaux de jaugeage. Deux ans après, en
1814, elles étaient déjà tombées les premières à 1,400,000 et les
dernières à moins de trois millions. Deux ou trois mille vais-
seaux de guerre et de commerce plus ou moins gros avaient été
enlevés par les Anglais, qui malgré les grandes pertes qu'ils
avaient faites eux-mêmes, étaient sûrs de ruiner la marine amé-
ricaine avant d'épuiser la leur, dont la force était immensément
supérieure. Le trésor de la république provenant en grande
partie de droits de douane, s'était trouvé par là même épuisé en
un instant; il avait fallu recourir à des impôts directs et à des
emprunts qui s'élevèrent en 1814 à 20 millions et demi de
piastres, somme énorme pour une nation dont la totalité du
revenu montait seulement à 23 millions en temps ordinaire. Les
deux tiers des marchands étaient devenus insolvables, et les états
du Massachusetts, du Connecticut et de la Nouvelle-Angleterre
allaient prendre des mesures pour demander leur séparation de
l'union et une indépendance séparée lorsque arriva la paix.
La guerre de 1812 causa aussi de grandes pertes au commerce
anglais. Les Etats-Unis qui tiraient pour 12 millions de mar-
chandises des îles britanniques, s'arrêtant tout à coup, génèrent
ses manufactures, qui durent renvoyer leurs ouvriers dont la
misère devint excessive. Il est vrai que bientôt le nord de l'Eu-
rope et l'Italie, affranchis des armées françaises après la cam-
pagne de Russie, purent offrir une compensation dans les mar-
chés que ces pays ouvrirent à son activité. Mais la nécessité
rendit les Américains manufacturiers à leur tour, et une fois les
manufactures montées chez eux, elles restèrent et leurs produits
continuent aujourd'hui à y remplacer une partie de ceux de
l'étranger. Tel fut le premier effet permanent de la guerre. Un
second effet tout aussi important, c'est que les états du nord qui
voulaient s'en détacher pour s'unir à la Grande-Bretagne en
1814/ sont précisément ceux-là même à l'heure qu'il est, qui sont
c*
UH HlH'Xoms UU CANADA.
les ennecnis les plus naturels de cette nation, parce que c'est chez
eux que ae sont établiea lea maoufacturea et qu'existe maintenant
la véritable rivalité avec l'Angleterre, Aussi il n'y a plusaujour-
d'tiui i craindre de dissolution pour la raison commerciale, parce
qu'il s'établit tous les jours ds plus en plus entre le sud et le nord
des rapporta d'intérêt qui les rapprochent,
Au reste les Américains ne chercheront guère à acquérir le
Canada malgré le vœu de ses habitans. La dépendance cdoniate
ne parait pas à leurs yeux un état naturel qui doive toujours
durer, et la conduite des métropoles elles-mêmes indi()ue as«ez
qu'elles oui aussi le même sentiment sur l'avenir. Celte éven-
tualité préoccupe la politique et les hialoriens de l'Angleterre;
mais ni ses phUosophes, ni ses hommes d'état ne peuvent s'alTran'
ohlr assez de leurs préjugés métropolitains pour porter un juge-
ment correct et impartial sur ce qu'il faudrait faire pour conserver
l'Intégrité de l'empire. De quelque manière qu'on envisage cette
question, la solution parait difficile, car la métrojwle ne peut
consentir à permettre aux colonies d'exercer la même influence
sur son gouvernement que les provinces qui la constituent elle-
même, et à leurs députés de siéger à Westminster Hail à côté des
siens en nombre proportionné à la population, car il viendrait un
tempa où ia seule population du Canada, du Nouveau -Brunswick
et de la Nouvelle-Ecosse eKcéderait celle de l'Angleterre, et si on
y joignait la population de toutes les autres colonies, la représen-
tation coloniale deviendrait la majorité, et l'Angleterre passerait
du râle de métropole à celui de dépendance, et recevrait la loi
comme telle. Cette alternative qui arriverait indubitablement eat
supposée ici pour montrer avec plus de force les obstacles que
rencontre le système colonial à mesure qu'il vieillit et que les
populationa s'aocroiasent. La séparation doit donc paraître une
chose inévitable malgré le désir que l'on pourrait avrar des deux
cAtéa de l'éviter. Il ne reste à la politique, dans ce cas, qu'à tra-
vailler à reculer l'événement, et lorsque l'événement arrivera,
qu'à afliiiblir le plus poeaible le mal qu'il aéra de nature à causer
aux deux partiea. Mais c'est I à la prévoyance qui manque presque
toujours aux métropoles quand le temps vient de lâcher graduel-
lement les rênes des jeunes coursiers qui essaient leurs forces et
qui biûlentdee'élancer dans la carrière avec toute L'indèpendouca
L^
HISTOIRE DU CANABA'. 215
d'un tempérament jeune, indocile et vigonreux. La crainte
retient la mnin du conducteur, et la contrainte irrite l'ardeur du
couraier qui se cabre, te révolte, et brise son frein. Les métro-
poles se trompent souvent sur les causes de trouble. " Après tout
ce qui peut-filre fait, dit encore Alison, pour assurer nos possea-
eions de l'Amérique du nord par la prudence et la pfévo}-ance,
leur conservation doit toujonrB dépendre principalement de l'atta-
cbcment et de l'appui de ses habitans. Qumquo noua devions
déplorer l'effet des actea coupables et de l'ambition criminelle des
révolutionnaires du Bas-Canada en aliénant lua aficctions d'un
peuple simple et industrieux, autrefois loyal et dévoué, le mal
n'est pas encore sans remède ; et si on' y remédie dans un bon
esprit, il pourra résulter de ces maux passagers un bien durable.
Ces événemena en attirant l'attention ont fait découvrir bien des
abus qui sans cela seraient restés dana l'ombre, et ont fait voir la
nécessité de les faire disparaître," Mais l'abua est l'abime insur-
montable des gouvernemena coloniaux. Ceux qui désirent le
plus dana la métropole les réformes, eont ceux-là même qui
qualifient ta conduite des réformateurs coloniaux de criminelle ef
de révolutionnaire. Les insurrections du Haut et du Bas-Canada
en 1837 n'ont été que la conaéquence de la mauvaise administra-
tion de ces deux pays, et l'obstinBlion du pouvoir à ne pas prêter
l'oreille à temps à leum rep ré acn tarions exprimées solennellement
par leurs députés en pleine législature pendant une longue suite
d'snnéea. Le préjugé est si difficile à vaincre, que l'historien
mëtropolilain en indiquant le remède se taira sur la révolte du
Haut-Canada, parccque ce paya est peuplé d'hommes de sa race,
et notera d'infamie !e rebelle du Bas parcequ'il est d'une autre
origine, attribuant la conduite de l'un à la supériorité de lumières
cl d'énergie, et la conduite de l'autre à l'ignorance et à l'ambition.
Comment le politique tiraillé par les préjugea, par les passions,
par les intérêts qui l'entourrent, poorra-t-il éviter de se tromper si
le philosophe se laisse entraîner dans le ailence du cabinet
jusqu'à pervertir la vérité et faire de la mËme uhoae un crime à
l'un et une vertu à l'autre.
Après la campagne de 1814, sirGeorge Prévost était descendu
à Québec où il avait réuni les chambres, dans le moia de janvier
161-5. M. Panet nommé au conseil législatif avait été remplacé
I
l
HISTOIRE DU CANADA.
par M. Papineau à ia piésidence de rassemblÉe, quoique M.
PapÎDeau fût l'un de ses plue jeunee inemlirea, et eût é. peine 26
ans. Plus ardent que eon père, qui s'était distingué dans noa
premières luttes parlementai rea, il devait porter ees principes
beaucoup plus loin que lui.
Après avoir amendé l'acte des milices et augmenté les droits
sur divers articles pour pourvoir aux besoins de la guerre ai elle
continuait, la chambre ëlait revenue eurla question d'un agent en ,
Angleterre. Elle avait passé une résolution à ce xujet, qui avait,
été repouïsée comme les autres par le conseil léj^islatit'. L'An-
gleterre toujours opposée à ce système, le faisait rejeter par le
conseil, chaque fois qn'on l'amenait devant la législature, et faisait
déclarer que le gouverneur était la seule voie constitutionnelle de
correspondance entre les deux corps législatifs et la métropole.
Ce qui avait fait désirer alors plus que jamais d'avoir un agent
à Londres, c'est le bruit qui s'était répandu delà suggestion du juge
Sewell de réunir toutes les colonies sons un seul gouvernement.
L'assemblée déclara qu'elle persistait dans ses accusalinna contre
ce juge et contre le juge Monk, et nomma de nouveau M. Jame»
Sluart pour aller les soutenir auprès de la métropole. Elle était
Kicore occupée de cette question irritante lors que la conclusion
de la paix fut ofTiclellement annoncée. La milice fut renvoyée
dans ses foyers, et l'assemblée passa une résolution pour déclarer
que sir George Prévost dans les circonstances nouvelles et singu-
lièrement dilHciies dans lesquelles il s'était trouvé, s'était distingué
par son énergie, sa sagesse et sou habileté. Elle lui vota cinq
mille louis sterling pour lui aciteier un service de table en argent,
don que le conseil rejeta lorsqu'il fut soumis à son sulfrage l'année
suivante, malgré l'approbation, que le prince régent avait donnée
à l'administration et à la conduite militaire de eo gouverneur.
Lorsque le parlement fut prorogé, le président de l'assemblée en
présentant Le bill des subsides, lui adressa ces paroles :■' Les
èvénemens de la dernière guerre ont resserré les liens qui unissent
ensemble la Grande-Bretagne et les Canadas. Ces provinces lui
ont été conservées dans des circonstances extrêmement difficiles.
Lorsque la guerre a éclaté, ce paye était sans troupes et sans
argent, et votre escellence à la léte d'un peuple, en qui, disail-on,
l'habitude de plus d'uQ dcmi-siècIc de repos, avait détruit tout
;
HISTOIRE DU CANADA. 21*7
esprit militaire. Ao-dessus de ces préjugés, vous avez su trouver
dans le dévouement de ce peuple brave et ûdéle, quoiqu'injus-
tement calomnié, des ressources pour déjouer les projets de con-
quête d'un ennemi nombreux et plein de confiance dans ses
propres forces. Le sang des enfans du Canada a coulé, mêlé
avec celui des braves envoyés pour les défendre. Les preuves
multipliées de l'efficacité de la puissante protection de l'An-
gleterre et de l'inviolable fidélité de ses colons, sont devenues pour
ceux-ci de nouveaux titres en vertu desquels ils prétendent con-
server le libre exercice de tous le» avantages que leur assurent la
constitution et les lois."
Le gouverneur accueillit cette approbation avec un exirême
plaisir, et informa les chambres qu'il allait remettre les rênea
du gouvernement, pour aller répondre en Angleterre aux
accusations de sir James L. Yeo, au sujet de l'expédition de
Plattsburgh. Les habitans de Québec et de Montréal lui présen-
tèrent les adresses les plus flatteuses pour lui témoigner qu'ils
prenaient la part la plus vive à tout ce qui le concernait et qu'ils
regardaient l'insulte qu'on lui faisait comme une insulte faite à
eux mêmes.
Les Canadiens lui montraient d'autant plus d'affection qu'ils
savaient que l'espèce de disgrâce dans laquelle il était tombé, pro-
venait en grande partie de la sympathie qu'il avait paru leur por-
ter. Le résultat de l'expédition de Plattsburgh avait fourni à ses
ennemis un prétexte pour lui montrer enfin ouvertement toute leur
haine, qu'ils avaient dissimulée jusque là tant qu'ils avaient
pu. Ils s'étaien' ligués pour faire retomber sur lui la responsa-
bilité de la défaite navale de Sackett's Harbor, afin de le faire
rappeler. Sir James L. Yeo l'avait accusé d'avoir été la cause
du triomphe des Américains, et la cour martiale composée de
marins, avait cherché à faire retomber sur lui, dans la sentence
qu'elle avait portée contre les officiers de la flottille, une partie
du tort. Le département militaire en lui transmettant les accu-
sations lui avait donné jusqu'au mois de janvier 1816 pour faire
venir ses témoins du Canada et préparer sa défense. Mais il
mourut dans l'intervalle des suites des fatigues qu'il avait endurées
en faisant à pied une partie du chemin de Québec au Nouveau-
9niaswick, dans la saison la plus rigoureuse de l'année^ pour pas*
218 HtôVdlRfi 0U CANADA^
ser en Europe. Suivant l'usage des conseils de gueiïé, sa mort
mit fin à l'enquête. Après quelques démarches de sa veuve et
de son fi*ére, le colonel Prévost, auprès du buireau de la gtterre> le
gouvernement fut forcé de reconnaître d'une manière publique
les services distingués qu7il avait reçus de la victime, et de peN
mettre par une espèce de rétribution d'ajouter quelques armoiries
dans les armes de sa famille.
Les hommes compétens avaient déjà approuvé le système
de sir George Prévost et la résolution qu'il avait prise à SackettV
Harbor. Le duc de Wellington écrivait à sir George Murray:
<< J'approuve hautement, et même plus, j'admire tout ce qui a été
fait par le militaire en Amérique, d'après ce que je puis en juger
en général. Que sir George Prévost ait eu tort ou raison daos
sa décision au lac Champlain, c'est plus que je ne puis dire;
mais je suis certain d^unc chose, c'est qu'il aurait été égaler
ment obligé de retourner à Montréal après la défaite de la flotte:
Je suis porté à croire qu'il a eu raison. J'ai dit, j'ai répété nxoB.
ministres que la supériorité sur les lacs est la condition sine qua
non du succès en temps de guerre sur la frontière du Canadui
même si notre but est une guerre entièrement défensive."
*•»»»• — » ••^• w » —»>»>■ • — tw • » » »«»«»%»■•——•■
LIVRE QUINZIÈME.
CHAPITRE I.
QUESTION DES SUBSIDES.
1816-1822.
r^es dissentions entre la chambre et l'exécutif recommencent après la guerre.
— ^Union des colonies anglaises. — Le général Drummond. — Abus dans
le bureau des terres et des postes. — "Rejet des accusations contre les juges
Sewell et Monk. — Dissolution du parlement. — Sir John Coape Sherbrooke
gouverneur. — Il transmet aux ministres un tableau de l'état des esprits en
Canada.— ^Instruction qu'il reçoit. — Le clergé catholique : M. Plessis. — Le
juge Seweli. — MM. Uniacke et Marshall. —Situation des finances. — Leur
confusion. — Dépenses faites sans appropriation. — Instructions de lord
Bathurst. — Droit de voter les subsides. — Le juge Foucher accusé. —
Le duc de Richmond remplace Sherbrooke. — Reprise da la question des
finances, — ^Liste^civile augmentée demandée pour la vie du roi — Elle est
refusée. — Le juge Bedard accusé. — Mort soudaine du duc de Richmond. —
Dissolution du parlement. — Le comte de Dalhousie gouverneur. — M.
Plessis à Londres. — Ses entrevues avec lord Bathurst. — Les discussions sur
la question des finances continuent. — M. Papineau nommé au conseil
exécutif. — Refus des subsides. — Division dans le conseil législatif. — Par-
tage des droits de douane avec le Haut-Canada.
La guerre qui venait de finir avait ralenti l'ardeur des dissentions
entre l'exécutif et la chambre d'assemblée. La paix faite, sir
Greorge Prévost parti, victime de son équité envers les Canadiens
plutôt que de ses fautes, les anciennes discordes menacèrent de
recommencer. Le bureau colonial parut avoir oublié à l'instant
même le zèle de la population pour la défense de la colonie, et il
fut presqu'aussitôt question de l'union'des deux Canadas, contre
laquelle on la savait complètement opposée.
Le général Drummond qui vint remplacer temporairement sir
€reorge Prévost, s'occupa des récompenses^à donner aux soldats
et aux miliciens qui s'étaient distingués. On songea à les payer
en terre, et pour cela il fallut recourir à un département où on ne
pouvait jeter les yeux sans découvrir les énormes abus qui ne ces-
saient point de s'jt coxmuettre» lies instructioas qu'avait envoyées
220 HISTOIRE DU CANADA.
l'Angleterre sur les représentations du général Prescott, à la fin
du siècle dernier, loin de les avoir fait cesser, semblaient les avoir
accrus malgré les murmures de tout le monde. On continuait
toujours à gorger les favoris de terres. On en avait tant donné
que Drummond * manda aux ministres que tous ces octrois
empêchaient d'établir les soldats licenciés et les émigrans sur la
rivière St.-François. Chacun s'était jeté sur cette grande pâture,
et pour la dépecer on s'était réuni en bande. Un M. Young en
avait reçu 12,000 acres ; un M. Felton en avait eu 14,000 acres
pour lui-même et 10,000 pour sesenfans. De 1793 à 1811 plus
de trois millions d'acres avaient été ainsi donnés à une couple de
cents favoris, dont quelques-uns en eurent jusqu'à 60 et 80,000,
comme le gouverneur R. Shore Mil nés, qui en prit près de 70,000
pour sa part. Ces monopoleurs n'avaient aucune intention de
mettre eux-mêmes ces terres en valeur. Comme elles ne coû-
taient rien ou presque rien, ils se proposaient de les laisser dans
l'état où elles étaient jusqu'à ce que l'établissement du voisinage
en eût fait hausser le prix. Un semblant de politique paraissait
voiler ces abus. On bordait, disait-on, les frontières de loyaux
sujets pour empêcher les Canadiens de fraterniser avec les Amé-
ricains. ** Folle et imbécile politique, s'écriait un membre de la
chambre, M. Andrew Stuart, en 1823 ; on craint le contact de
deux populations qui ne s'entendent pas, et on met pour barrière
des hommes d'un même sang, d'une même langue et de mêmes
mœurs et religion que l'ennemi !"
Drummond porta encore son attention sur un autre départe-
ment, celui des postes. 11 y découvrit de tels désordres qu'il
demanda la destitution de M. Heriot qui en était le chef.
Ces diverses perquisitions qui mettaient à nu le défaut de con-
trôle à chaque pas, l'occupèrent jusqu'à l'ouverture du parle-
ment en 1816.
Rien de remarquable ne se passa dans les premiers jours de la
session, lorsque M. Loring, le secrétaire du gouverneur, vint
remettre à la chambre un message qui l'informait que les accusa-
tions contre les juges Sewell et Monk étaient repoussées, et que
les juges réunis avaient le droit de faire des règles de pratique
pour leurs tribunaux. Le gouverneur ajoutait " que le prince
* Dépêches de Drummond à lord Bathurst, 16 juin 1815.
HISTOiaS DU CANADA. S21
Régent avait vu avec peine les procédés de la chambre contre
deux hommes qui remplissaient depuis si longtemps et avec tant
d'habileté les plus hautes charges judiciaires ; que cette conduite
était d'autant plus regrettable qu'elle tendait à déprécier aux yeux
de la légèreté et de l'ignorance, leur caractère et leurs services, et
à diminuer par là même l'influence qu'ils méritaient à si juste
titre."
Cette réponse était un triomphe pour les deux juges accusés,
et une insulte à la représentation par les termes dont on se ser-
vait pour la communiquer. Elle fut regardée aussi comme un acte
de censure et de partialité de race d'un très mauvais augure pour
l'avenir. Elle détrompa tous ceux qui s'étaient laissés abuser
pendant la guerre par les menagemens de sir George Prévost, et
détruisit dans beaucoup d'esprits les espérances que l'adminis-
tration de ce gouverneur avait fait naître. La tête de l'hydre de
l'oligarchie sembla renaître plus fière et plus puissante que jamais,
après une victoire qui suivait de si près celle obtenue par le rap-
pel du général Prévost, insulté dans un libelle, avant son départ,
par le solliciteur-général Sewell, frère du juge réintégré. Le
message causa, comme on devait s'y attendre, la plus grande
sensation dans le parlement et dans la ville. La chambre ordonna
sur le champ un appel nominal, et une adresse au prince régent
allait être votée, lorsqu'elle fut soudainement dissoute, suivant
l'ordre envoyé de Londres par anticipation au gouverneur, qui
prononça un discours rempli de reproches. Le bureau colonial
qui voulait en imposer en recourant à ce moyen extrême, se
chargeait d'une grande responsabilité pour l'avenir, car il n'y
avait aucune apparence d'un revirement d'opinion parmi le
peuple, chez lequel sa décision avait réveillé l'irritation des temps
de Craig.
Le peuple répondit en réélisant presque tous les mentes mem-
bres. Dans l'intervalle Drummond fut remplacé par sir John
Coape Sherbrooke, homme plus habile et plus prudent, et qui
commença son ad ninistration par un acte de bienfaisance dont
on lui sut gré. Des gelées hâtives avaient détruit les récoltes de
la partie inférieure du district de Québec, et plusieurs paroisses
allaient se trouver dans un dénuement presqu'absolu. Il s'em-
pressa de leur envoyer des vivres^ que l'on tira des magaàns du
D*3
222 HISTOIRE DU CAJîïADA.
roi, ou qu'il fit acheter sur sa propre responsabilité et les fit dis-
tribuer aux familles menacées de la famine. Cette attention
parut indiquer un cœur qui avait quelque sympathie, et on voulut
en tirer un bon augure.
En prenant les rênes du pouvoir il s'occupa de la question qui
avait fait dissoudre le parlement, et écrivit aux ministres pour
leur faire connaître l'état des esprits et pour demander des ins-
tructions sur la conduite qu'il devait tenir avec la chambre d'as-
semblée. Il l'informa que si la dernière dissolution avait été
résolue en vue de changer le caractère de la représentation, elle
avait entièrement manqué son but ; qu'elle avait au contraire,
augmenté le mal en excitant une grande irritation parmi les
représentans et parmi le peuple 5 que presque tous les mêmes
membres avaient été réélus, et que là où il y avait eu des chan-
gemens, on avait choisi des hommes encore moins modérés que
ceux qu'ils avaient remplacés.
En Canada une pareille mesure devait dans presque toutes les
circonstances produire plus de mal que de bien. Elle ne pouvait
avoir l'efiet qu'elle avait en Angleterre, où le système de la res-
ponsabilité ministérielle obligeait le gouvernement de marcher
avec la majorité des communes.
Le bureau colonial était prêt à braver le ressentiment popu-
laire à tout hasard ; et pour parer à toutes les éventualités, il
donna les instructions nécessaires pour mettre le gouverneur en
état de marcher sans le parlement. Lord Bathurst lui manda*
que, " si la nouvelle chambre était animée du même esprit que
la dernière, ce serait en vain qu'on attendît d'elle les appropria-
tions nécessaires, et qu'il lui envoyât un état des revenus de la cou-
ronne, en s'abstenant d'agir sur l'ordre qu'il lui avait donné de
transporter les biens des jésuites aux syndics de l'institution
royale, parce qu'on en aurait besoin pour payer les dépenses
publiques. 11 approuvait entièrement sir Gordon Drummond
d'avoir dissous le parlement, et si la nouvelle assemblée conser-
vait le même esprit de résistance à l'autorité royale, Sherbrooke
pouvait en faire autant. Mais tant qu'il paraîtrait y avoir d'autres
moyens de résister à ses tentatives, il devait éviter de recourir à
cette mesure extrême. " Jusqu'ici, disait-il, le gouvernement a
» Dépêche du 31 mai, 1816.
HISTOIRE DU CANADA. 223
trouvé dans toutes les occasions ordinaires une ressource cons-
tante dans la fermeté et les dispositions du conseil législatif, et il
n'y a aucune raison de douter qu'il ne continue tant qu'il pourra
à contrecarrer les mesures les plus injudicîeuses et les plus vio-
lentes de l'assemblée. Il est donc désirable, pour toutes sortes
de raisons, que vous profitiez de son assistance pour réprimer les
actes de cette assemblée que vous pourrez trouver sujets à objec-
tion, au lieu de mettre votre autorité ou celle du gouvernement en
opposition immédiate à celle de la chambre, et ainsi de lui donner
un prétexte pour refuser à la couronne les subsides nécessaires
pour le service de la colonie."
Tels étaient les moyens qu'on employait pour gouverner. Le
juge Sewell n'avait tant d'influence dans l'administration que parce-
qu'il était l'instrument le plus habile du système. Que n'a-
t-on pas vu dernièrement au sujet des rectoreries du Haut-
Canada? Voici comme parle un ministre du gouvernement
actuel : " Leur histoire n'est pas un sujet nouveau, car je me
rappelle bien l'étonnement avec lequel le public apprit, après le
départ de sir John Col borne, à la fin de sa triste administration,
que cinquante-sept rectoreries avaient été créées à la face d'une
dépêche du ministre des colonies, dans laquelle il était formelle-
ment dit qu'il ne devait pas en être établi sans le consentement de
la législature coloniale. Je me trompe, cependant, en disant qu'il
avait été créé cinquante-sept rectoreries ; car il n'avait été
exécuté que trente-six patentes : les autres avaient été signées en
blanc au moment où sir John Colborne quittait la province.
Mais on a su depuis, grâce aux bons offices de ce ferme ami du
Canada, Joseph Hume, que la dépêche à laquelle je viens de
fidre allusion, était accompagnée d'une lettre privée du ministre
des colonies enjoignant à sir John Colborne de procéder avec
toute la célérité possible et d'assurer l'établissement des rectore-
ries par toute la province. L'histoire des gouvernemens ne
ftaroit peut-être pas un autre exemple d'une pareille perfidie et
jfvi délit m flagrant." *
ïanâÎB que le ministre indiquait d'un côté l'usage que l'on
Serait 6ire du conseil contrôla chambre d'assemblée, il cherchait
du Dr. Rolpb, commissaire des terres de la couronne à ses élec-
•&1851.
221) HISTOIRE DU CANADA.
de l'autre à se concilier le clergé catholique et son évêque qui
avail une grande inllnence siir le peuple. Le gourerneur reve-
nant sur la question, transmit à lord Balhurst un aperçu de
l'état des partis dans le pays et lui marqua l'embarras où il se
trouvait placé entre ses instructione et la situation des esprits.
11 déclara qu'il était impossible de se faire une idée de l'impo-
pularité du juge Sewell ; que d'après les informations qu'il avait
reçues et les siennes propres dans un voyage qu'il avait fait dans
la province, il trouvait que toutes les classes lui étaient hos-
tiles, même dans les coins les plus reculés du paya; que celte
hostilité filt le truit des artifices et dos calomnies des démagogues
ou de la haine personnelle, pou importait; elle existait depuis
longtemps, et elle avait acquis une nouvelle violence du triomphe
apparent de ce juge ; qu'elle était non seulement partagée par le
peuple, mais par le clergé catholique lui-môme, qui aoutenail à toute
force qu'elle était bien fondée. QuesiTiniluencedu clergé sur les
laïcs était grande sur différentes quertions, sa seigneurie pouvait
juger Je ce qu'elle était lorsqu'el le servait pour un objet dans lequel
le peuple croyait ses intûréta les plus uiiers engagés, contre un
iiomme qu'il regardait malheureusement comme ayant outragé
ses fientimens religieux et sa loyauté ; que le (lerg6 recevait
une double force dans le cas actuel de l'ciTet combiné des préju-
gés politiques et religieux et que l'on pouvait se faire raoilemonl
une idée de la haine que cet homme leur avait inspirée.
Le gouverneur assurait qu'il était persuadé que a'i! avait été
dans les vues du gouvernement d'entendre les deux parties sur
lea accusations portées contre ce juge, quand bien même la déci-
sion eùi été ce qu'elle avait été, elle aurait contribué à la paix,
parce qu'elle aurait dlé au parti hostile à l'accusé un prétexte
de plainte, prétexte qui intéresse toujours le peuple, ot que
dans le cas actuel la présence de l'accusé en Angleterre avait
rendu plus plausible, vu surtout que le gouvernement n'avait
voulu entendre que lui seul ; et il osait dire que c'était là la rai-
son qui avait fait passer les résolutions pour lesquelles l'assem-
blée avait été dissoute.
Après avoir recommandé de le mettre à la retraite, il ajoutait
qu'il lui donnerait, conformément à ses instructions, tout son
appui quelle qu'injuste que futl'hostilité du barreau et delà chaire
HISTOmS DU CANADA* 225
contre lui, dut-il pour cela sacrifier la conciliation du clergé, la
paix du Canada et l'avancement de ses intérêts les plus chers ;
qu'il tâcherait aussi d'établir de bons rapports avec l'évêque
catholique à qui il avait déjà donné des preuves de ses disposi.
tions; mais que ce serait tromper le ministre que de lui faire
espérer aucun changement dans les senti mens du clergé ou du
peuple sur le point en question. Si les raisonneraens n'avaient
pu persuader, il craignait que la coercition ne fit qu'augmenter
leur haine. Des hommes modérés et bien informés pensaient
qu'en vain y aurait-il prorogation sur prorogation, dissolution sur
dissolution, on verrait plutôt une révolution dans le pays que dans
les sentimens de ses habitans.
Après avoir ainsi passé en revue l'état des choses, Sherbrooke
indiquait les remèdes qu'il croyait nécessaires. L'un d'eux était
la Domination d'un agent auprès du gouvernement à Londres,
désirée depuis longtemps et qu'avaient presque toutes les autres
colonies. L'assemblée attribuait la perte du bill qu'elle avait
passé pour cet objet, dans le conseil, àl'infiuence du juge Seweil
qui voulait lui ôter les moyens de soutenir les accusations qu'elle
avait portées contre lui, et prévenir les autres avantages qui pour-
raient résulter d'un défenseur de ses droits dans le métropole.
Un autre était de détacher M. Stuart, le principal auteur des
résolutions de l'année précédente, du parti qui l'avait pris pour
un de ses chefs, en le prenant par le côté sensible chez bien des
hommes, l'intérêt personnel. On croyait que l'opposition privée
de ses talens, perdraKsa vigueur et tomberait dans l'insignifiance.
On lui avait dit que si on lui offrait la place de procureur-
général il abandonnerait ses amis. Il suggérait aussi de nommer
le pré^dent de l'assemblée, M. Papineau, au conseil exécutif, où
le parti dominant de la chambre n'était pas représenté. Le plus
grand mal, la source la plus fertile de dissentions, c'est, disait-il,
que l'on n'avait aucune Tonfiance dans le gouvernement, c'est-à-
dire non pas tant dans le caractère personnel du gouverneur que
dans le conseil exécutif, dont les membres étaient regardée comme
ses conseillers et dont tous les mouvemens étaient surveillés avec
une jalousie qui nuisait à tous les actes du pouvoir. Il pensait
que l'introduction de M. Papineau dissiperait cette méfiance.
Ce rapport remarquable lève un coin du rideau qui couvrait
226 HISTOIRE DU CANADA.
l'administralion, et laisse entrevcrîr les moyens qu'on employait
pour gouverner. Sir John C. Sherbrooke propose au ministre
d'acheter par des faveurs ou par des emplois les chefs du clergé
et du peuple. Stuart, ce tribun si audacieux, était singulièrement
apprécié. La charge de procureur-général parut cependant au-
dessus de ses forces. Drummond avait déjà représenté à lord
Bathurst que Uniacke qui la remplissait, était un homme sans
tnlens, à quoi le ministre avait d'abord répondu de le remplacer
ou de lui donner des aides, et plus tard de tâcher de l'engager à
résigner pour donner sa place à quelqu'homme plus compétent
qu'il lui enverrait. Mais Uniacke ne voulant pas entendre parler
de résignation, un M. Marshall vint d'Angleterre en qualité de
solliciteur-général pour suppléer à son incapacité.
Ce qui avait attiré principalement cette mauvaise réputation
à Uniacke, c'était son honnêteté et son indépendance. En 1805
le juge Sewell, alors procureur-général, avait voulu abolir les
paroisses catholiques pour leur substituer des paroisses protes-
tantes, prétendant que les statuts d'Henri VIII et d'Elizabeth
devaient être observés ici, en dépit des traités, du droit public et
des gens, et qu'il n'y avait pas d'évêque catholique* Plus tard
Uniacke et Vanfelson, avocat du roi, soutinrent que la prétention
de Sewell était mal fondée. On ne put pardonner cette opinion
à Uniacke, et il n'avait pas cessé d'être persécuté depuis.
Sherbrooke ne l'avait pas destitué parce que c'aurait été aug-
menter ses embarras. Suivant ses instructions secrètes, ce gou-
verneur faisait alors tous ses efforts pour acquérir l'évêque catho-
lique au gouvernement, et mandait qu'il était d'une grande impor-
tance d'avoir son appui et celui de son clergé. Dès 1814 ou 15
le prince régent avait envoyé des ordres pour le nommer au con-
seil ; mais on avait exigé des admissions que ce prélat n'avait
pas cru devoir faire comme chef du clergé. Sherbrooke suggéra
de le reconnaître plus formellement qu'on ne l'avait fait jusque-
là. Comme le bruit courait que le catholicisme était exposé à
perdre la tolérance dont il jouissait, lord Bathurst le chargeait de
dire que les instructions royales n'avaient pas changé depuis
1775, et que l'évêque catholique devait dissiper les fausses
impressions que l'ignorance ou la malveillance pourraient répan-
dre à ce sujet ; que cependant M. Plessis paraissait être dans l'er-
HISTOIRE DU CANADA. 22t
reur. L'explication du 4èrae article du traité de 63 ne permet-
tait pas aux Canadiens de jouir de leur religion comme avant la
cession du pays, mais en autant que les lois anglaises le permet-
taient. C'est ce qui avait été clairement compris suivant lord
Egremont. Les ministres français avaient proposé d'insérer les
mots comme ci-devant dans le traité, et avaient insisté jusqu'à ce
qu'on leur eût dit que le roi n'avait le pouvoir de tolérer cette reli-
gion qu'autant que les lois anglaises le permettaient. Comme les
lois de la Grande-Bretagne défendaient toute hiérarchie papiste, il
était clair qu'on ne devait marcher qu'avec beaucoup de circons-
pection, et que ce n'était qu'en expliquant d'une manière favo-
rable l'esprit des lois que le roi pouvait reconnaître M. Plessis
comme évèque. C'était à cause de son zèle et de sa loyauté
qu'il avait droit à une distinction dont aucun de ses prédéces-
seurs n'avait joui, celle d'un siège dans le conseil. Ni cette
distinction, ni cette reconnaissance cependant ne devaient être con-
sidérées à l'avenir comme choses qui allaient sans dire, mais bien
comme choses qui devaient dépendre des circonstances et des
avantages que le pays pourrait retirer d'une mesure de concilia-
tion. Ses successeurs ne pourraient être autorisés à prendre ce
titre qu'après avoir été reconnus.*
L'alliance formée entre le clergé et la chambre avait jeté la
frayeur dans les conseils exécutif et législatif. Lorsqu'ils apprirent
qu'on voulait porter l'évèque catholique et le président de l'as-
semblée dans le dernier, ils s'élevèrent aussitôt contre, et le juge
Sewell eut beau soulever des difficultés, leur opposition fut inutile
devant une mesure que les ministres agréaient dans l'intérêt de
leur politique. La nomination de M. Plessis fut confirmée en
1818, avec un salaire de JGIOOO, outre les JG500 qu'il recevait
déjà pour le loyer du palais épiscopal occupé par la législature.
La conduite de Sherbrooke avait beaucoup modéré l'ardeur des
partis. Lorsque le parlement s'ouvrit, la chambre parut vouloir
abandonner l'affaire des juges au grand déplaiâr de Stuart,
qui se crut trahi par ses amis. Le gouverneur employa tout son
cri^dit pour qu'il n'en fut plus question, et pria M. Plessis, sui-
vant la ligne de conduite qui lui avait tracé le ministre, de l'aider
* Dépêches de lord Bathurst à sir J. C. Sherbrooke; du 1, ô et 6 jui»,
1817.
SS8 lltSTOlRE DV CAHADA.
de son influence. " SWart, éet'ivmt plus larJ, Sherbrooke «a
bureau coloniiil. a èié abandonné. Cala pent-Être alIribuÉ an -
salairt; donné au préaiilenl mais la chambre était faliguèe ; elle
voulait se reposer. J'oltribue beaucoup de celte modération au
bon sens et aux eOurta de M. Papineaii. qui a manifestù le désir
de causer fréquemment avec moi dans les caadiSiciles, oe que je
l'ai encouragé à faire."
Cependant l'Anglebcrre s'occupait de la ntiialion financière
du Canada, ijueEtion autour de laquiille rayonnaient toutes les
aulrea. Dans les paye conaiiliitionnela, ie vuie des deniers publics
est censé appartenir aux comuiunes, c'est-à-dire aux représontans
du peuple. Ce principe avait été reconnu en Canada par lu
conslilution de 91 ; mais l'application n'en avait été ni générale,'
ni absolue. Le gouvernement avait cbioané sur les limite» de CQ
droit, Dt à certaines époques il s'était emparé de la caisse publiquB
et avait dépensé l'argent sans appropriation, ce qui faisait aire
au gouverneur que le ministre serait comme lui, d'opinion qu'it
élsit nécessaire de retirer les finances de la confusion «A elles
oiaienttombéesparladépense d'année en année des fonda ptrbRcs
sans appropriation, prévoyant probablement déjà les trouble» ef
les diseunles qui devaient en résulter plus tard. Tantôt la
chambre protestait avec force contre cette violation de son droit
le plus précieux ; tantôt elle gardait le silence, attendant quelque
ciri;onstance fai-orab!e pour le revendiquer, parceqoe sans lui la
constitution devenait en Canaila plus qn'ailleurs une lettre morte.
A celle époque !a colonie était encore hors d'état de le rnaln-
tpnir contre l'Angleterre, à itioinB de rompre son alliance avec
die et de se jeter dans les chances d'une rcbollion et dana les
bras des Etats-Unis. Personne ne pensait à une pareille tenta-
tive. Mais l'<sil clairvoyant de Sherbrooke, l'un des gouverneurs
les plus liabiles que nous ayons eus, avait prévu toutes les diflicul-
tes i^un pareil état de choses était dt; nature à faire naître, hea
agitations que la question des subsides avait dfcjà causées,
étaient un signe que le peuple lorsque ce jour serait venu pféttn-
drail exercer «on droit dans toute sa plénitude.
Lo gouverneur transmit à tord lîathurst un état du revenu et
des charges ordinaires et exiraordin aires dont ce revenu était
grevé, d'après lequel la dèpenee permanente avait excédé, pour
UISTOIRS DU CAH&DA. 229
1815,1e montant affecté à aon acquit par la législature, de près
de £19,000. Lorsqu'on voulait régler avec la caisse provinciale,
on prenait à même les extraordinaires de l'armée. Sir George
Prévost avait suivi celte pratique. En 1815 le gouvernement
redevait X60,000 à la province, dont elle pouvait demander le
remboursement d'un moment i l'autre.
A cela il fallait ajouter le dëGcit de l'année expirée le 5 jan-
vier 1S17. La balance qui était alors è la disposition de la
législature, se montait à £140,000 ; mais il manquait £7,500 au
receveur-général pour ibrcner ce total, et il parait que dan& cette
balance se trouvaient aussi incluses trois sommes formant
ensemble £35,000, qui avaient élé portées au débit de la pro-
vince comme appropriations quoiqu'elles n'eussent pas élé
dépensées, et qui ne pouvaient plus être censées faire partie de
cette balance. Ces trois sommes avec le déficit de £7,500
composaient un total de £43,000 qu'il fallait porter au déficit de
1817. Cela ajouté à l'excédant de la dépense permanente sur
le revenu approprié dans les trois années expirées en 1815, et aux
' £19,000 dépensés sans appropriation en 1816, formait un grand
' total de £1120,000 que le gouvernement devait à la caisse
I publique.
I Le gouverneur mettait à nu dans celte dépêche la manière
dont la constitution était violée. Le vote des subsides par les repré-
sentans passe pour un droit imprescriptible et essentiel à la
liberté. Sans lui le gouvernement pourrait à la rigueur se dis-
penserdes chambres. On se contentait de mettre devant la législa-
ture un état d'une partie de la dépense faite sans appropiiation.
Il y avait une liste séparée formée principalement des salaires du
clerg éet des pensions, qui s'élevait à £6000, qu'on croyait devoir
soustraire à sa vue. Le gouverneur demanda ce qu'il fallait faire
pour retirer les finances de cette confusion. Quant au passé, allait-il
rembourser la dette considérable qu'on avait laissé accumuler sur
l'extraordinaire de l'armée, ou demander i la législature de la
couvrir par un vole ) Quant à l'avenir, allait-on couvrir le défi-
cit annuel causé par l'excès de la dépense permanente sur le
montant de l'appropriation, en empruntant à l'extraordinaire de
l'armée, ou bien allait-on soumellre à la législature au commence-
ment de chaque session, comme daus la Nouvelle-£cosse et dans
K'3
^
S30 HISTOIRE DU CANAJ)A.
les autrea colonies, uoe eatîmation de la listo ulviie el lui deman-
der de voter les sommea nécesaairea?
Lord Eatthurst lui répondit qu'il aurailélésanBiloute pttrérable
que les comptes entre le gouvernemenl et la province euasent été
réglés d'une manière formelle ; mais que dane les circonstances
le point était de coQBldtirer û le silence de la chambre n'était pas
une sanction tacite de l'emploi de cet argent. Quant à une par-
tie de cette dépense, le «lence de la législature était certainement
une approba^on. Quant à l'autre portée aux comptes qui lui
avaient été soumis, il ne voyait point d'objection non plua de
regarder son ^leoce de la même manière, c'est-à-dire comme une
approbaUon et des comptes et de la façon dont ils avaient été
acquittés. Huit jourH après, craignant d'avoir fait une conce»-
aion trop large, dont les conséquencea pussent entraîner des
regrets plua tard, il adressa une nouveUe dépÈche pour y mettre
des restrictions. Dana le caa où la chambre d'assemblée vote-
rait l'allocation du clei^é catholique en omettant celle du
clergé protealanl, le gouverneiir devait employer tous les moyens
qui étaient à sa disposition pour faire rejeter cette allocation
p&rtietle par le conseil législaiii^ et dans le cas où elle passerait
là aussi, d'y refuser aa sanction. Si l'assemblée proposait de
voter l'allocation de chaque clergé séparément, il devait se mettre
en garde contre la probabilité d'une allocation partiale, en ayant
Boin qu'on ne votât rien dans le conseil pour l'ègliBe catholique
avant que l'assemblée n'eût volé l'allocation du clergé protestant.
11 recommandait de veiller attentivement à ce que l'assemblée
a'aBsumât point le pouvoir de disposer des deniers publics aansle
concours du conseil, privilège que l'aeaembiôe avait déjà réclamé,
maie qu'on lui avait jusqu'à, présent refusé avec succès; "et
comme, ajoutait le ministre, la nécessité du concours de toute la
législature pour valider un octroi d'ni^ent, est presque le seul frein
solide qu'on ait sur les procédés de l'assemblée, vous partagerez,
j'en suis sûr, mon opinion, qu'il est plus que jamais nécessaire de
ne rien abandonner ni céder sur ce polnl."
Ainsi ledroit de voter les subsides qui, dans l'esprit el l'essence
de la constitution, appartient aux représentans du peuple seule,
était par ces instructions mis en partage avec le conseil législatif,
nominé par la couronne el conséquemment sa créature.
HiSTOmE DU cahada. 231
A peu près dans !c même lempe le bruit courait qun le gou-
verneur avait reçu Jeu dépêches dans lesquelles le minietre ren-
voyait les accusations portées contre le juge Foucher au conseil
législatif. Colle dËcision équivalait à un rejet pur et simple.
Après quelques débats, le conseil qui voulait e'aasurer de la
véi-ité de ce bruit, vola une adresse au gouverneur pour lui
demander s'il était fondé, et dans le cas affirmsëf s'il voulait bien
lut communiquer la dépêche totale ou partielle du prince Urgent
i cet égard. Il transmit un message aux deux chambres pour
les informer que celte rumeur était vraie ; mMs qu'il n'avait reçu
aucune instruction sur la manière d'exécuter la sentence ; qu'il en
avait écrit à Londres el qu'il ne manquerait pas de leur commu-
niquer la réponse qu'il attendait auasit&t qu'il l'aurait reçue.
Cette réponse fut apportée par le duc de Richmond, qui la
transmit l'année suivante à l'assemblée. Il fallait que celle-ci
fournît ses preuves par écrit à l'appui dee accusations contre le
juge Foucher; que copie des accusations et des preuves fussent
transmises par le gouverneur à l'accusé pour préparer sa défense ;
qu'ensuiic la défense, envoyée au gouverneur, fût communiquée à
l'assemblée pour sa réplique, après quoi le tout serait renvoyé en
Angleterre pour faire ce qui serait convenable.
Toutes ces formalités auxquelles on voulait assujélir la repré-
sentation, tous ces va-et-vient étaient do pures moqueries et
blessèrent profondément la dignité de l'assemblée, qui se voyait
traitée comme un simple individu par un ministre placé à mille
lieues d'elle et qui dépendait lui-même d'un parlement qui ne
pouvait rien voir ni connaître de ce qui se passait en Canada.
En efiet, le ministre se réservait contre tous les principes de la
constitution, avec un superbe silence, le droit de juger en secret
d'une manière absolue el définitive. Rien n'était plus propre à
rendre plus vivaces les germes de discorde qui existaient déjà
dans le pays qu'une conduite qui paraissait si contraire à tous les
usages reçue dans les pays libres.
Le reste de la session fut rempli par les débats sur le budget.
L'estimation des dépenses publiques se montait à £74>,000.
JE33,000 étaient couverts par des appropriations permanentes.
Il restait ;Ë40,000 à voter pour l'année courante. Cette somme
fut mise à la disposition du gouverneur en attendant qu'on pourvût
233 HIBTOIEH DU CÀRADA.
à la liste civile par bill, afin de la mettre sur un pied t
coDstilutionnel.
Sherbrooke qui avait demandé Eon rappel pour cause de
mauvaise santé, s'embarqua peu de temps après la sesâion pour
l'Europe. On assure qu'il partit dégoûté de la lâche qu'il avait
eue à remplir. Il est assez dilticile de dire qu'elles étaient
VTument ses idées but la politique à suivre en Canada. Il est
probable qu'il était mécontent Je tous les partis et qu'il avait
craint surtout de 8e livrer à l'oligarchie, cause première de toulea
lea discordes. C'était un homme d'un grand sens, qui avait des
vues élevées, mais qui connaissant l'influence des officiels au
bureau colonial, n'osa pas se mettre en lutte avec eux, d'autant
plus que ses vues ne cadraient pas entièrement avec celles de
l'asE emblée.
Il fut remplacé par l'un des plus grands personnages de la
Grande-Bretagne, le duc de Richmond, qui avait gouverné l'Ir-
lande tant bien que mal, et qui était réduit à voyager ainsi d'un
pays à l'autre pour refaire une fortune qu'il avait disàpée par ses
extravagances. Le rang élevé de ce seigneur, l'influence que
son nom lui donnait en Angleterre, tout portait à croire que son
administration allait être signalée par quelque grande réforme qui
mettrait fin aux dissenlions qui commençaient i déchirer le pays
BU sujet des finances. Mais il s'était gâté au gouvernement de
l'Irlande, où le mal dessèche tout, jusqu'au sol. Il arriva i. Qué-
bec en 181S accompagné de son gendre, sir Peregrine Mailland,
nommé lieutenant gouverneur du Haut-Canada. Tous les prin-
cipaux citoyens s'empressèrent d'aller lui présenter leurs hom-
mages ou de laieser leurs noms au château. Mais cet empresse-
ment et ses CHpérances ne durèrent qu'un instant.
Après un ajournement du 12 au 22 janvier 1819, à l'occaàon
de la mort de la reine, les chambres se réunirent et le nouveau
vice-roi leur adressa un discours qui avait presque exclusivement
rapport à !a question des finances, et qui fit d'abord espérer une
heureuse solution de la question. L'assemblée répondit en fai-
sant de grands complimens, qu'elle allait s'en occuper sans délai.
Mais lorsqu'elle prit les estimations de la dépense de l'année cou-
rante et qu'elle les vit grossies du cinquième sur l'année précé-
dente, elle éprouva quelque surprise. Quoique l'on pût supposer
HISTOIRE DU CA5ADA. 283
que le gouverne ment'Bo trouvant dfesortnaia obligé d'obtenir une
liste civile pour la vie du roi, choisissait la première épreuve île
la libéralité populaire pour !b Taire mettre sur un pied qui corres-
pondit avec l'accroiasement du pays, la chambre n'était point
dajii les dispositions convenables pour accueillir une pareille pro-
portion sans de graves motifa. Loin de là, elle ne faisait tant
d'efibrta pour obtenir le contrôle du budget, que parce qu'elle
croyait qu'il régnait de grands abus, et qu'au lieu d'augmenter la
dépense il fallait la réduire. Le duc de Richmond était le der-
nier homme au monde pour régler une question financière, lui
qui avait gaspillé une immense fortune. Il prit la chose avec
batiteur, et le mécontentement de la chambre n'était pas de
nature i se taire devant l'aspect menaçant du château. Les esti-
mations furent renvoyées à un comité spécial, qui fit un rapport
fort long et fort détaillé dans lequel il recommandait avec énergie
l'économie et l'abolition de plusieurs charges inutiles ou purement
noroinaleB.
Comme dans une colonie le conirôte de la chambre sur lé gou-
vernement est nécessairement plus fictif que dans une métropole,
où i! est en dernière analyse appuyé aur la volonté générale ; et
comme dans une colonie aussi le gouvernement représente la
mère-patrie, qu'il dispose de toutes ses forces, et peut dans le
besoin se passer du concours des colons pour exister, il en résulte
que ceux-ci sont obligés de prendre pour influencer l'exécutif,
des précautions qui sont inutiles ailleurs. De plus, quoique la
liste civile soit votée pour la vie du monarque en Angleterre, la
Gomme est ai petite relativement à la totalité du budget, qu'elle
est à peine sensible, et qile sans le vote annuel de la totalité, le
gouvernement serait dans l'impossibilité absolue de marcher. Il
n'en était pas de même en Canada. Avec la liste civile obtenue
pour la vie du roi, le gouvernement pouvait facilement se passer
des chambres ou les ajourner à la première difficulté sans éprou-
ver d'embarras.
Ce sont ces considérations essentielles qui portaient la chambre
à n'abandonner aucune de ses prétentions sur la question.
S'occupant encore plus du fond que de la forme, l'assemblée
voulait obtenir par son contrôle sur l'argent, la plus grande influ-
ence possible sur l'exécutif; elle OTait obtenu le vote annuel des
L^
i
sa HISTOIAi; DU CANADA.
Gubsidea, elle voulait encore spécifier en détail les objets pour les
quela elle les accorikil, parceqn'il y avait beaucoup d'abue dans
la distribution ; mais cette nouvelle prétention quoique conforme
à son droit, parceque qui peut plus peut moins, éprouvait de l'op-
position de la part de quelques membres moins exigeans que les
autres. Il s'agissait de décider si la somme demandée par le
gouvernement serait accordée en bloc en lui en laissant la distri-
bution, ou si elle le serait en détail, c'est-à-dire en fiicant chaque
item de dépense. Les membre» les moins hostiles au gouver-
nement repoussaient ce dernier mode comme sans exemple et
portant atteinte à la prérogative royale ; le plus grand nombre au
contraire soutenaient que c'était le droit indubitable des coTn-
munea de déterminer la distribution de l'argent tel qu'elles le
jugeaient convenable ; que si les communes d'Angleterre ne le
faisaient point, c'eat qu'elles ne voulaient pas user de leur droit ;
que c'était le seul moyen do tenir en Canada le gouvernement
en échec et de s'assurer de la diligence el de l'intégrité de ses
ofiiàers.
Prenant un milieu entre ces deux extrêmes, quelques membres
auraient voulu que les subindes fussent votés par chapKres, ou en
diverses sommes rondes pour chaque département, laissant la
distribution au gouvernement; mais les partisans du vole en détail
remportèrent, et le biU de subsides passé Jane cette forme, fut
envoyé au conseil. Le salaire de chaque officier avait été fisâ
malgré l'opposition qui prétendait que c'était vouloir exercer un
contrôle direct sur tous les fonctionnaires, renverser l'autorité
executive et établir virtuellement une démocratie. On avait été
encore plus loin ; on avait approprié les fonds qui avaient déjà
élé mis à la disposition de la couronne, afin d'exercer un contrôle
continuel sur la totahté de la dépense et d'avoir une garantie que
l'argent était employé conformément à la loi. Le premier cllet
de ce système fut l'omission de plusieurs salaires pour des emplois
inutiles. Le conseil rejeta le bill avec hauteur el passa cette résolu-
tion : " Que le mode adopté pour l'octroi de la Uste civile était
inconstitutionnel, sans exemple et comportait une violation directe
des droite et des prérogatives de la couronne ; que si le bîU deve-
nait loi, il donnerait aux communes non seulement le privilège
de voter les subsides, mais aussi de prescrire à la couronne le
HlSTOl&E Di; CANADA. 235
nombre el la qualité de ses serviteurs en réglant et en récom-
^nsant leurs services comme elles le jugeraient convenable ; ce
qui les mettrait dans la dépendance des électeurs et pourrait leur
faire rejeter l'autorité de la couronne, que leur serment de fidé-
lité les obligeait de soutenir."
Tout le monde s'était attendu à ce résultat. Tandis que la
cbambre cbercbait à amener ainsi les Tonclionnaires les une après
les autres s son tribuna!,qii'itBr3isBientscmb!aiit de braver encore,
mais dont ils devaient bientôt redouter toute l'influence, M.
Ogden, l'un des membres de la chambre, porta contre le juge
Bedard des T roi s-Bivi ères, cet ancien patriote si indépendant et
fâ énergique des temps de C'raig, les plaiolee les plus graves, Il
l^accuaa de négliger ses devoirs, de prostituer l'auiorité judiciaire
pour satisfaire ses vengeances personnelles, de violer la liberté
indÎTidneUc, de dégrader la dignité de ses fonctions. Il parait
querar ses vieux jours, ce juge qui avait besoin d'un plus grand
théâtre que la petite ville où on l'avait relégué pour ses talens,
s'abandonnait à des excès d'inicmpéranccqui laissaient des traces
d'irrit&tion dans son humeur. Dana ces momena, les avocats de
BB. cour abusaient quelquefois de la latitude laissée à la parole
pour exciter le vieux lion populaire, et lui faire commettre des
actes qui compromettaient son caractère et ses hautes fonctions.
Son aocusaleur avait éié lui-mfime emprisonné par son ordre
pour libelle et mépris de cour. La chambre renvoya les accu-
sations à un comité spécial qui,apréa examen, déclara qu'elles
étaient sans fondement.
Cette guerre contre les fonctionnaires est l'indice le plus cer-
tain du malaise et de l'agitation des esprits. Les entraves, les
oppositions, les défiances, les haines, tout surgissait de la manière
avec laquelle on faisait fonctionner la constitution. Il était évi-
dent que la lutte allait avoir des suites plus graves si l'on ne pre-
nait pas les moyens d'en faire disparaître la cause. La conslilU'
tion avait trop donné et trop retenu. Entre la branche popu-
laire et l'œiécutif qui était indépendant de la colonie, il n'y avait
aucun ccH-ps indépendant pour adoucir les chocs, car le conseil
dépendait du gouvernement el lui servait d'écran, ce qui en
faisaJt un instrument de discorde plutôt que d'harmonie.
Les vices de l'oT^anisaiion judiciaire étaient un sujet de
L.
S86 HISTOIRE DU CANADA.
plaintes générales; maison n'avait encore proposé aucun remède.
C'était une de cea questlooe diDiciIes devant leequeiles l'on recule
dèa qu'on y porte une attention sérieuse. Le gouverneur y
mppela vainement celle de l'assemblée, qui étQJt aiora trop
oocnpée de la question des subsides, pour se laisser distraire
par un objet qu'elle aurait toujours la liberté de discuter, et dont
l'ajournement ne portait aucun préjudice aux droits politiques du
pays. Elle négligea de la même manière le projet d'érection
d'un tribunal judiciaire dans le district de St. François, contrée
située entre le district des T rois-Rivières et les états do Vermont
et de New-Hainpahire, malgré les messages du gouverneur et de
son prédécesseur. Elle nomma un comité de cinq membres
pour dresser, lo un état des revenus de la couronne et des
payemens faits par ie receveur général depuis l'établissement de
la constitution jusqu'au temps présent, 2o un état en détail de
toutes les appropriations de la légielalure et des payemens faits à
compte dans le même espace de temps. Le comité devait
ensuite établir la balance, compter l'argent dans la caisse publique
et faire rapport avec toute la diligence convenable. Celte réso-
lution toute sage qu'elle fut en elle-même, avait l'apparence d'un
soupçon oSensant pour le gouvernement. Elle fut considérée
comme telle, car elle n'eut aucune suite ; ce qui fut un malheur
pour tout le monde, pour les contribuables, pour l'exécutif et pour
la fonctionnaire qu'elle regardait plus particulièrement, parce que
pins tard il ae trouva un délîcit de près de j£100,000 dans ea
Bichmond à qui on avait persuadé que l'intention de la
chambre n'était que de faire de l'oppoàtion, fut irrité de l'audace
qu'elle avait d'oser douter de la fidélité des fonctionnaires, et en
allant proroger le parlement lui adressa le discours hautain qui suit :
" Je suis venu prendre les fënes du gouvernement des domai-
nes de sa Majesté dans l'Araérîijue du nord avec le désir sÎDoére
d'exécuter les intentions généreuses et les vues bienveillantes de
son alteaseroyale, le prince Régent ; d'avancer par tous les moyens
possibles, la prospérité générale, l'amélioration des icBSourccs
■mutuelles et le bonheur individuel des sujets de sa Majesté. Je
m'étais flatté de l'espoir et de l'attente raisonnable, de trouver
dans ces poursuites, l'appui de toutes les personnes instiuitee «t
HtSTOtHE DU CAHADA.
237
)lifd qui m'ont porté à accepter cotte
presBÎona avec une pleine confiance
loyauté, dans votre connaisBance
et privët) j'ai patiemment suivi vos
mseil législatif, voua n'avez
prie d'accepter mesremer-
cimenB pour le zèle et Passiduilé -que vous avez montrés dane ce
qui concernait j^us particulièrement la branche de la légîslatura
k laquelle vous appartenez. C'est avec un véritable regret que
je ne puis voua exprimer, à vous, messieurs de la chambre d'as-
Bemblëc, la même satitifaction ni la même approbation sur le
rëaultat des travaux auxquels voua avez passé un temps BÎ
précieux, «n sur les principes qui voua ont guidé et qui sont
capablea d'apprécier les
charge. Frappé de ces
dans votre zèle, dans '
locale des intérêts publi
déUbérations . . . Vous,
mpé mea eapérances,
leignés dans
les documena que j'
voté une partie des
procès- verbaux du conse
constitution nellement adi
Vous avez pria en considération
mettre devant vous, et voua avez
requises pour le eervice de 1SI9;
appropriations comme le font voir les
, sur des principes qui ne peuvent être
lis, et ce conseil les a en conséquence
rejetée» ; de aorte que le gouvernement se trouve maintenant
sans ressources néceaaairca pom" le maintien de Padminist ration
civile malgré l'offre et rengagement volontaire pris par l'assemblée
envers sa Majeaié par sa résolution du 13 février 1810."
Comme Craig, le duc prit, comme on voit, la liberté de com-
plimenter une chambre et de blELmer l'autre. Cette liberté qui
ne se prend dans lea pays indépendans que dans les temps de
trouble et de révolution, peut ae répéter dans les colonies où lea
conséquences mettent plus de temps à venir, quoiqu'elles n'en
sont pas moins inévitables.
Le duc de Richmond ne vécut pas assez longtemps pour voir
l'effet de sa conduite, et mourut convaincu que la tranquillité
publique était assurée pour longlemp». Il écrivait à lord BaUiurst
que les habitans étaient contens de leur constitution et que l'on
pouvait dépendre sur eux si les Etals-Unis nous attaquaient. En
arrivant à Québec, i! avait viiiité le Haut-Canada ; il y retourna
après la session pour examiner plus attentivement les moyeua
d'améliorer les communications intérieures et d'en fortifier lea
positions tnilitaireSj sujet qui occupait toujours l'attention de
r*3
&38 HISTOIRE DU CANADA.
rAngîeierri:. En 1816 fon projet éiaii île laisser le pays ailuè
entra le lac Cliainplain et Montréal à l'èial J^ naiure afin que
les forèla servisr^ent de protecttun contre les Américaine, et lord
Balhurst était lâché qu'on eût commencé des établiasemens à
Hemingr<ird et dans lea autres lieux do ce voisinage. Il fallait
empêcher l'ouverture des chemins dans cette direction,
Richmond descendait à Québec lorsqu'il tomba malade sur la
rivière dea Outaouais, et expira au bout de quelques heures dans
les douleurs les plus cruelles. Se» restes Turent descendus dans
la capitale et déposés avec une grande pompe dans !a cathédrale
protestante le 4 septembre 1819. Ainsi mourut celui dont la
domination menaçnil le pays de nouveaux orages.
Les rénea du gouvernement passèrent successivement par les
mains de Monk, sir Feregrine Maillatid, et du comte DalhouKte
élevé à la lête Ju gouvernement des colonies de l'Amérique du
Nord.
Les visites fréquentes des gouverneurs du Bas-Canads dsns le
Haut depuis quelque temps, firent soupçonner que quelque pro-
jet se tramait dans l'ombre contre les Canadiens français, tou-
jours vus avec froideur comme des étrangers dans la maison
paternelle. La hauteur et l'arrogance de langage du iternier
gouverneur étaient un pré^tage qui làisait mal augurer de l'avenir.
Quoiqu'on fût préparé à quelque coup d'éclat, la dissolution de
l'assemblée ordonnée par Monk, étonna, parce que l'on savait
qu'une nouvelle élection n'en changerait point le caractère, ei
que cette mesure ne paraissait pas en uniformité avec l'excellente
réception que lord Batlhursl faisait alors à Londres à l'évêque de
Québec, M. Plessia, passé en Europe pour les affaire» de son
diocèse. Il était question a Rome de changemena dans l'église
des diverses provinces anglaises de l'Amérique du Nord, rendus
néeesaairea par l'aceroissemenl de la population catholique.
Comme le projet de l'union des deux Canadas était probablement
alors ijur !e tajiis au bureau colonial, le ministre croyait devoir
faire toutes les concessions demandées par le clergé, afin de pré-
venir ses objections contre une mesure qui aurait pu lui ittspirer
des craintes, ei, suivant la poliiique suivie depuis le commencement
dusiècle, de rallier l'autel à soi pour èire plus fort contre le eénal.
Le pape avait signé des bulles au commencement de Vtï9,
HISTOIRE DU CàNAIU. 839
pour ériger l'évêché de Québec en archevêché. M. Plessis
rendu à Londres, craignant que cet arrangement, fait sans sa. con-
naissance et sans celle du gouvernennent, ne lui portât ombrage,
écrivit au préfet de la propagande, le cardinal Fontana, pour
l'informer qu'il n'avait pas voulu prendre son nouveau titr^.'
£n même temps il présentait trois mémoires à lord Bathurst,
qui s'était trouvé offensé comme il l'avait prévu, de l'expédition
des bulles. Le premier avait rapport à la division du diocèse de
Québec; le second au séminaire de Montréal, dont l'on avait
recommandé au gouvernement de prendre les biens ; et le troi-
sième au collège de Nicolet.
Il suggérait de former du diocèse de Québec une hiérarchie
consistant en un métropolitain et quatre ou ciu.^ évêques suffragaos.
Sur les objections du ministre à l'introduction d'ecclésiastiques
étrangers, il répondait: " Des prédicans de toute espèce s'intro-
duisent en Canada : méthodistes, newlights, anabaptistes. Des
renégats de toute nation, des révolutionnaires, des déserteurs, des
régicides pourraient y entrer sans blesser les lois. Pourquoi en
fermer la porte aux seuls ecclésiastiques catholiques, à des jeunes
gens élevés avec soin, étrangers à la politique et préparés par leur
éducation à soutenir et à défendre l'autorité contre les empiéte-
meos de la démocratie]"
Depuis longtemps le bureau colonial prenait ses précautions.
lies c-oncessions qu'il avait intention de faire aux catholiques
n'étaient pas dues seulement à leurs bonnes raisons. Il avait senti
que la question religieuse était la plus importante, parce que
c'était celle au moyen de laquelle on pouvait agiter le plus facile-
ment et le plus profondément les masses. Il décida de la régler
sans délai. Le prélat canadien ne fit aucune promesse à
lord Bathurst de soutenir de l'influence cléricale les mesures
politiques que l'Angleterre pourrait adopter à l'égard du Canada
quelque préjudiciables qu'elles pussent être aux intérêts de ses
compatriotes ; mais on peut présumer que le ministre en vit assez
à travers son langage pour se convaincre qu'en mettant la religion
catholique, les biens religieux et les dîmes à l'abri, on pouvait
compter sur son zèle pour le maintien de la suprématie anglaise
quelque chose qui put arriver, soit que l'on voulût changer les
lois et la constitution, ou réunir le Bas-Canada au Haut. Les
HISTOtRK DU CAHASA.
e prononcer pour ou coDtre
i les changemens opbvùa,
!t le clergé eerait le premier
240
membres du clergé pourraient bien ai
Buivant leur opinion individuelle ; y
l'union accomplie, on s'y soumettrait e
i donner l'exemple.
Lord Batliurst avait pu voir ausâ que le chef du clergé cana-
dien n'élait pas plus favorable aux institutions républicaines que
les chefs des clergés italien, espagnol ou français. Il invita M.
Plessia à son château d'OakIey grave près de Cirenceeter,
où il eût de fréquentes conférences avec lui dans les vingt quatre
heures qu'ils y passèrent ensemble. Le ministre fit d'abord beau-
coup de difficultés sur le premier mémoire, mais parut s'y rendre
par sa dépêche du 17 septembre. Quant au second, il chercha
à engager l'èvêque à entrer en composition, et finit par avouer
que si les titres du séminaire de Montréal étaient comme il le
disait, il fallait bien lui confirmer ses biens. Il fut aussi question
des écoles. Le ministre répugnait à sanctionner la loi que la
ciiambre avait passée à ce sujet, parce qu'il croyait qu'elle avait
été faite pour les paroisses catholiques seulement.
Rendu à Rome, M. Plessis présenta au pape un mémoire
semblable à celui qu'il avait donné à lord Bathursl sur la division
de son diocèse et obtint ce qu'il demandait, Ilevenu à Londres,
le ministre approuva celte division et l'érection de l'archevêché
avec siégea sulTragans, mais refusa de sanctionner le bill d'édu-
cation jusqu'à ce que l'on eût adopté d'autres mesures qui étaient
depuis longtemps en discussion.* L'èvêque lui dit que le cle:^
catholique était opposé à. l'institution royale et à l'acte des écoles
de 1801, qui les mettait sous une commission presque toute protes-
tante, et blâmait Monk, d'ailleurs peu populaire, d'avoir dissous
la chambre en 1819.
En effet cette dissolution ne fit qu'augmenter l'agitation et afiài-
blir l'influence do l'exécutif en faisant proclamer par le scrutin
électoral une nouvelle censure contre la marche do l'administra-
tion. La liste civile proposée par la chambre fut prise pour
cause de la dissolution et la plupart des membres qui avaient
voté contre furent repoussés par les électeurs. La nouvelle
chambre fut encore plus opposée aux prétentions du gouverne-
ment que l'ancienne, comme on le vit dès le début.
• Câjéchei du 20 nai 1B20 et du 10 septembre 1S21.
HISTOms DUGANADJC. 24^l
Aussitôt que le parlement fat réuni la chambre élut son prési-
dent et déclara que, comme elle n'avait pas encore reçu le rapport
de l'élection du comté de Gaspé^ elle n'était pas en nombre sui-
vant les termes de la constitution et ne pouvait procéder aux
afiaires^ Sir Peregrine Maitland revenu du Haut*Canada lui
adressa en vain un message pour lui recommander de renouveler
certaines lois qui allaient expirer, elle y répondit par son
silence et laissa même entrevoir que si elle ne pouvait siéger
dans les douze mois faute du rapport de l'élection de Gaspé,
elle pourrait être autorisée à regarder les conséquences de la der-
nière ^ssolution comme une violation de la constitution. Elle
renferma cette interprétation dans une résolution qu'elle commu-
niqua an chef de l'exécutif, qui répondit qu'il en était fâché et
qu'il ne la croyait pas fondée. Elle refusa de correspondre avec
le conseil et l'on ne sait combien de temps l'on serait resté dans
cette situation embarrassante sans l'arrivée de la nouvelle officielle
de la mort de George III, qui fournit une occasion d'en sortir en
entraînant la dissolution du parlement.
Le comte Dalhousie débarqua à Québec dans le moment même
qu'avaient lieu les élections. Il retourna visiter les districts
fHipériears, qu'il avait déjà parcourus avec le duc de Richmond.
Les élections ne changèrent point le caractère de la chambre qui
se réunit le 14» décembre. Le gouverneur fit allusion à une
multitude de sujets dans son discours. Il ajouta quelques observa-
tions qui paraissaient couler du,cœur d'un homme qui désirait ardem-
ment voir régner l'harmonie et la bienveillance, mais il gardait le
ôlence sur les grandes questions qui agitaient tous les partis et qui
devaient finir par les jeter dans les convulsions de la guerre civile.
Le bureau colonial avait repris la mesure de l'union dont la
menace fut lancée pour la première fois vers 1807, mais qu'on
n'eut pas le temps de mûrir avant la guerre américaine. La part
que les Canadiens prirent à la défense du pays, dirigés par la
politique de M. Bedard et de ses amis, contre les républicains,
malgré les persécutions qu'ils avaient éprouvés sous Craig, fit
ajourner le projet sans le faire abandonner. Malgré les tentatives
du juge Sewell pour le faire reprendre, lors de son voyage à
Londres, il dormit jusque vers le temps où nous sommes arrivé,
qu'il fut exhumé pour en faire un but vers lequel on devait plus
Sis HtSTOmS DU CANADA.
directement marcher. On ne devait en conséquence Taire aucune
ci>ni;e!tHion sur la qucetiun des Qnances ; et s^ll arrivait une crise
en profiter puur le mettre à exécution. Maia la uiétropoli: ne
Jevuit pas paraître comme actrice active dans lu politique qu'on
allait suivre pour amener ce résultat. La rivalité des deux
chambres canaiiieniiea était aufiisaiite pour cela. On n'avai.
qu'a soutenir le conseil clana son opposition à la chambre et ne
rien eéder à celle-ci, et en peu de temps la crise serait portée au
pwnt qui permettrait aux miflistrea de prouver au parlement
impérial que l'union était ie seul remède propre à meitre fin aux
disnentioiiH et à assurer le repos du peuple et l'existence du gou-
vernement.
Si le plan que noua venons de tracer ne fut pas d'abord arrêté
à la lettre au bureau colonial tel qu'on l'expose ici, il est indubi-
table que l'idée en influença de jour en jour plus fortement la
marche de* ministres, elqu'à l'époque où noua arrivons M- Ellice
les avait presque convaincus de la aécesailé de le lioumeltre au
parlement j ce qui eK|)liquait pourquoi toutes les demandes de
l'assemblée étaient reçues, quelque raisonnables qu'elles fuHseni,
par le cri éiernd de révolte ei du trahison poussé par le coused
guidé par le juge SeweU, instrument rusé et parfaiteineat éclairé
du bureau colonial.
L'assemblée pour ne pas laisser lord Dalhousie dans la pensée
qn^il audisait de manifester des intentions pacifiques et bienveil-
lantes pour rétablir la concorde, s'expliqua d'une manière pré-
cise dans sa réponse sur le grand sujet du débat, le budjel,
rédigée par un comit4 compose de MM. Cuvillier, Taschereau,
Neilaon, A. Stuart et Quesnel , citoyens sages, éclairés et jouissant
à juste titre d'une grande popularité.
Dans les estimations qui furent transmises par l'exécutif, la
dépense civile était divisée par classes correspondant aux dassee
des fond ion II aires et à la nature des dépenses, et elles se moulaient
en totalité à ^l&.OOO.
L'assemlilée les discuta article par article, fit quelques retran-
chemens, puis, pour lâcher de concilier le conseil à la doctrine du
vote annuel, abandonna la forme prise dans la dernière aeasioa,
c'esi-à-dire'le voie par article, et ailnpia la division par chapitre;
elle. vota ainsi uueliâle civile de i^lt>,QOO de sou propre juouvQ'
HISTOmS W VXVAnA. S4>3
ment sans attendre le message ordinaire du gouverneur. Mais
cette initiative empressée porta ombrage. Le conseil qui redou-
tait quelqu'embûche, s'empressa de signaler les défauts de l'ap-
propriation. Une partie du revenu puilic était déjà appropriée
d'une manière permanente par d'anciennes lois, et l'assemblée
l'avait comprise dans son vote pour soumettre ainsi sans doute la
totaHté du revenu à son contrôle. C'était une usurpation de
pouvoir et un acte d'ambition qu'il fallait s'empresser de repousser,
et de prime abord il rejeta la liste civile en déclarant : " Qu'il
avait incontestablement le droit de contiibuer au vote du bill des
subsides ; que ce droit s'étendait à l'adoption et au rejet du bill,
et qu'aucune appropriation ne pouvait être faite sans son concours.
Qu'il ne prendrait en considération aucun bill de subsides sans la
reco&manilation du représentant du roi, ou s'il était divisé par
chapitres et par articles, et si sa durée était pour moins que pour
la vie du roi ; qu'enfin i! ne considérerait aucun bill d'appropriation
d'argent dépensé sur l'adresse de la chambre, si ce n'était pour
payer les dépenses de cette chambre elle-même ou pour subvenir
à quelque besoin imprévu et pressant."
La chambre ne fit pas attendre sa réponse ; elle déclara à une
grande majorité : ^ Que le conseil ne pouvait ni lui prescrire ni
lui dicter la forme ou la manière de voter les subsides non plus
qu'aucune autre mesure, et que toute tentative à cet effet était une
infraction de ses privilèges ; que ^e droit de proposer les subsides
lui appartenait exclusivement, et que les résolutions du conseil
étaient contraires aux usages parlementaires et à la constitution."
Le conseil sans tenir compte de ce protêt, persista dans sa
détermination et rejeta le bill. La chambre pour ne pas arrêter
le gouvernement faute d'argent, mit par un vote spécial les fonds
nécessaires à sa disposition. Lord Dalhousie qui s'entendait avec
le conseil, répondit qu'il avait considéré la question avec la plus
grande attention et que ce vote était insuffisant sans le concours de
celui-ci. On en resta là, le conseil ne voulant point entendre parler
de subsides à moins que la totalité ne fût votée en bloc pour la
vie du roi, et l'assemblée persistant à les voter par chapitres et
par année afin de pouvoir contrôler l'exécutif par ce moyen
tout-puissant. Ce contrôle du reste était essentiel à son existence.
La ibcce mililaira du gouv^aement indépendante d'elie^^laissaît
UISTOUtE DU CANADA.
encore à celui-ci une prépondérance asaez forte noui se Jàire
respecter. Lu chambre voulait aasurer à tous aea actes la plus
parfaite iadépendajice. Elle De voulait se laisser ni censurer, ni
intimider. Il n'y a rien en elfet de plus humiliant dan^ l'èiat
colonial que lea inaultes prodiguées à la ré présentât! on par un
gouverneur souvent inconnu d'elle et que l'intrigue ou la basard
a fait placer à ea lète, La censure portée contre la chambre
par le duc de Ilichinond'et. la résolution qu'avait passée le conseil
pour servir d'introduction à cette censure, furent évoquées, etl'on
résolut prcsqu'a l'unaniuiiiiè sur la proposition de M. NeilsoUi
que c'était une violation des droits et des privilèges les plu»
tnconteglables de la chambre, et une usurpation de pouvoir con-
traire aux lois et tendant à renverser la constitution. Far une
autre résolution la chambre maintenait son droit d'adopter, en
votant les subsides, tel ordre ou tel mode qu'elle jugerait conforme
L'importance de celle question l'avait obligée de négliger beau-
coup de mesures, et elle en communiqua les raisons au gouver*
neur par une adresse, en proraeitant d'en faire l'objet de se»
premières délibérations à la session Buivaale. Dans une autre
adresse elle lui signahi une foule d'abus et de sinécures. Elle le
priait de suspendre le payement d'un salaire de £1500 accordé à
«n lieutenant gouverneur qui n'avait jamais mis le pied dans le
pays, déclara inutile le salaire d'un autre nommé pour Gaspé qui
no résidait point non plus; le priait de ne payer le salaire de £100
& un M. Amyot, secrétaire de la province, que lorsqu'il y rempli-
rait ses fonctions, déclara la charge d'agent de la province à
Xondres, sans avantage pour le peuple, posa pour règle qu'aucun
•olaire ne devait être accordé aux conseillers exécutifs qui ne
résidaient point dans le pays, que ta réunion d'offices de juge à
la cour d'amirauté et déjuge à la cour du banc du roi, était
incompatible sur la même tâtc ; que le cumul de ceux de juge
de celte dernière cour et de traducteur français ou d'auditeur des
comptes l'était encore plus ; enfin elle le priait de porter remède
à tous ces griefs comme à celui, le plus grave de tous pour la
pureté de la justice, dont se rendait coupable le juge de l'ami-
rauté, qui se faisait donner des honoraires par les plaideurs coo-
tniremeiat à la loi, tandis qu'il recevait un salaire de l'élat. Ces
mtraiRX su ca.hada> 315
désordres étaient si patena que le goupemeiir assura la clïambre
qo'il allait en faire rapport aux ministres. Mais en allant la pro-
roger, il !iii fit des reproclies qui ne permirent plus de douter que
la politique du bureau colonial n'av&il pin changé. Il la blâma
de perdre son temps à discuter dea questions de principes consti-
liitionnels, de laisser le gouvernement sans subsides el d'arrêter
les am^'liorailons. Les résolutions de la diambre et ce discours
n'étaient pas propres à calmer le paya ; les journaus redou-
blèrent de violence, et chaque parti parut plus résolu que jamais
de défendre à outrance !a position qu'il avait prise.
En Canada l'opinion publique soutenait les représenians ; et à
les deux partis ne voulaient point céder, l'on tombait dans une
crise. L'oligarchie n'avait aucun doute dans sa force appuyée
qu'elle était de la toule-puissanco de l'Angleterre. Le parti
populaire, maintenant physiquement trop faible, voyait néanmoins
dans un avenir plus on moins éloigné, le succès infaillible de ses
doctrines. Comme M. Pnpineau était le chef le plus avancé
des Canadiens, le bureau colonial écoutant enfin la suggestion
de Sherbrooke, chercha à se l'acquérir. Il ordonna à lord Dal-
houaie de le nomuier au consul exécutif; mais M. Papineau
convaincu que seul il ne pourrait exercer aucune influence sur
les dispoailiona de ce corps, n'y parut jamais, de sorte que le but
qu'on s'était proposé en l'y nommant fut manqué, et en 1823 on
résolut que les avantages qu'on attendait de la présence du pré-
sident de la chambre dans son sein ne s'étant pas réalisés, il en
fut retranché.
Le gouverneur visita le Haut-Canada dans le cours de l'été,
sous prétexte d'en examiner les fortifications, mais pour sonder
l'opinion publique et faire rapport à Londres sur la situation des
esprits dans les deux provinces, par anijcipation à leur union,
dont les ministres préparaient alorsle projet. A son retour il assem-
bla le pariemcnt et lui déclara que la liste civile devait Être volée
pour la vie du roi, d'après la recommandation de sa Majesté, qui
voulait que ce principe fût adopté et suivi dans le pays. Celte
nouvelle déclaration fit évanouir tout espoir d'arrangement s'il en
existait encore, La réponse de la chambre fut réservée et pleine
des expressions les plus respectueuses pour la constitution, La
gOuverneurrépliquaqu'ilavaitl'e^pairqucladtscusBianscrailcalaie
8"3
ttff UISTODtB DD CAHADA.
et sans paasîon ; maisqu'il devait déclarer d'avance que laliste cîvilQ
qu'il avait demandée èlait la condition sine qua non, et que tant
qu'elle ne serait pas votée, on ne pourrait attendre aucune har-
monie entre les trois branches de la législature, provision qu'il
pouvait faire avec d'autant plus d'assurance qu'il était maître de
deus. La chambre était décidée à ne pas abandonner la posi-
tion qu'elle avait prise, laquelle lui permettait de battre en brèche
' tout le système oligarchique qu'elle voulait è. tout prix renverser
avant de poser les armes. Cependant elle ne voulait pas accueil-
lir la demande dn gouverneur par un refus soudain et absolu et elle
cherchait à l'ajourner, lorsqu^-M. Tascbereau, devenu partisan de
l'administration, en proposa tout à coup l'acceptation pour faire
disparaitre tous les doutes. Le bureau colonial en était rendu au
point où i! lui fallait des moyens prompts et décisifs. Cinq
membres seulement votèrent pour la pi-opoaitioni trente et un contre.
Dans un goux-ernement vraiment conslitutlonnel une pareille divi-
sion sur une mntière d'argent eût réglé la question d'une manière
définitive, La chambre crut devoir expliquer les motirs de son
-vote, qui étaient fondée principalement sur les considérations que
nous avons développées plus haut, et conformes à l'olFre faite en
1810 et acceptée par le roi en 1818. Ces explications furent
incorporées dans une adresse à George IV, que lord Dalbousie
promit de transmettre en Angleterre. En même temps la
chambre nomma M. Joseph Marrj-at, membre des communes,
pour veiller aux intérêts de la colonie au siège de l'empire, et
pour communiquer avec les ministres sur toutes les questions qui
suraient rapport au Canada, sur lesquelles on lui envoya des
s très volumineuses.
seil redoutant l'effet de la démarche de l'assemblée,
Vempressa Je déclarer qu'en nommant M. Marryat sans le con-
cours des autres branches de la législature, elle s'arrogeait un pou-
voir dangereux ; que c'était nommer aux emplois en violation
directe de la prérogative royale, et renverser ou chercher à ren-
r la conslitulion. Marryat en apprenant ce qui s'était passé,
I lefusa la commission de la chambre sous prétexte que sa nomina-
' fion ne pouvait être constitutionnelle, si elle n'était pas reconnue
du gouvernement et approuvée de la seconde branche de la légis-
lature L'assemblée persiBlant dans ïm voie qu'elle B'^taît Incte]
HtSTOlRfi fit; CANADA. £47
refusa, malgré le message spécial que le gouverneur lui envoya, de
voter les subsides et passa même une résolution pour rendre le
receveur général personnellement responsable des paiemens qu'il
pourrait faire. A la tournure tranchée que prenaient enfin les
choses, lord Dalhousie vit bien que la réserve et la tactique qu'il
avait employées jusque-là pour parvenir à son but, ne produiraient
rien sur des hommes trop habiles pour s'en laisser imposer, et il prit
le parti de communiquer la réponse des ministres aux demandes de
l'assemblée de l'année précédente. Cette réponse communiquée
au début de la session eut amené une explosion ; elle refusait
ou ajournait tout. Le lieutenant gouverneur de Gaspé était des
plus nécessaires, et au lieu de retrancher son salaire il fallait
l'augmenter ; on aurait soin à la mort du présent secrétaire provin-
cial d'en nommer un qui résiderait ; l'agent colonial avait toujours
existé et il n'y avait rien contre sa conduite qui pût autoriseï^ son
déplacement. Le reste était ajourné.
La minorité du conseil, car la nature de la question avait enfin
fini par détacher une faible section de ce corps, la minorité du
conseil à l'aspect des menaces sourdes que l'on commençait à
proférer contre les Canadiens, crut devoir faire une démonstration
en faveur de l'opinion de la chambre sur la liste civile, craignant
les suitesf a'une lutte trop prolongée sur une pareille matière, et
M. Debartzch proposa de révoquer les résolutions de la session
précédente. A cette proposition rétrograde, la majorité se récria.
Des débats animés s'engagèrent et durèrent fort longtemps.
<< Comment, dit M* Richardson, pouvons-nous révoquer nos réso-
lutions en présence d'un comité secret qui siège à la chambre
d^assemblée, et qui délibère peut-être dans le moment même sur
la nomination d'un gouverneur et sur le renvoi de celui que nous
avons maintenant, pour le remplacer par un de son choix. Un
comité siège à l'insu de plusieurs des membres de la chambre,
«bose sans exemple en Angleterre excepté du temps de Charles
•premier. Ce comité est peut-être un comité de sûreté." Ce
membre crédule et violent accusa la majorité de l'assemblée de
desseins désorganisateurs et révolutionnaires, et porta les accusa-
tîona les plus graves sur ses intentions. Plusieurs membres de la
ehfambre présens à ces débats, en prirent ombrage et communi-
.ii{aèreQt leurs amtimens aux autres. L'uord'euxy M. Quirourt,
MB HISTOIRE DU OAMADt.
fit part à l'asaemblée de ce qu'il avait entendu. Là desHus un
comité de cinq membrea eut nommé, lequel présenta quelques
jours après, un rapport qui entraîna des débats dans lesquels
l'antipathie profonde qui diviesit les deux corps éclata dans toute
88 force. Le rapport fut adopté à une grande majorité, et il fut
résolu que le langage de M> Bichardmon était faux, scandaleux
et méchant ; qu'il tendait à détruire la conRance du roi dans la
fidélité et la loyauté de la chambre et du peuple j que c'était Je
plus une haute inlraclion de ses privilégeB ; que le conseil devait
BÉvir d'une manière proportionnée au mnl qu'on avait voulu lui
faire, et que le gouverneur était tenu de destituer le coupable de
toutes les places d'honneur, de confiance ou de profit qu'il pouvait
tenir de la couronne.
Deux adresses conformes furent présentées, l'une au gouver-
neur et l'autre au conseil.
Le gouverneur répondit qu'elles renfermaient les conséquences
de la plus haute importance; que les résolutions paraissaient
exprimées dans un langage qui ne convenait nullement à la dignité
réfléchie d'un corps délibératif ; qu'elles affectaient les privilèges
du conseil et la liberté des débats, et qu'il devait pour ces raisons
se refuser à la demande qu'elles contenaient. La chambre pro-
testa alora contre toutes les tentatives qui se faisaient pour détruire
la confiance dons l'honneur et la loyauté des rcprésentans du
peuple, neutraliserleursefforisen laveur du bien public, et déclara
qu'elle avait iitcontestablement te droit de les réprimer par loua
les moyens que la constitution avait mis à sa dispo^tion.
Ce conflit qui caractérise la violence de l'époque, augmenta
encore l'irritation des esprits. L'assemblée montra en celte occasion
trop de susceptibilité et parut vouloir gêner la liberté des débats.
La bonne politique indiquait une marche contraire, parceque rien
ne faisait mieux ressortir la faiblesw et le caractère du conseil,
que ces apostrophes inspirées par la douleur qu'il éprouvait à
chaque coup porté contre sa puissance artificielle. Cependant le
gouverneur en voyant la résolution de l'assemblée au sujet des sub-
wdes, l'informa qu'il allait payer les dépenses du gouvernement sur
les fonds que les anciennes lois avaient mis à sa disposition, à quoi
elle répliqua qu'aussitôt qu'elle serait mise en pleine jouissance
de ses privdéges et que son offre de voter les aubaides annuelle-
HIffrOtRS 017 CANADA i tÊ9
ment serait acceptée, elle remplirait ses cbligationsavee toute Té*
conomie que commandaient impérieusement les circonstances dans
lesquelles se trouvait le pays.
Pardlèlement à la question des subsides marcbail dans Tassem**
blée celle du partage des droits de douane avec le Haut-Canada^
Le commerce de cette province avec l'Angleterre ne pouvait se
fiiire que par le Bas-Canada. Les règles à suivre dans le partage
avaient déjà causé beaucoup de difficultés^ qui n'avaient été ter-
minées qu'après de longs débats. Par le dernier arrangement
conclu en 18 17, le Haut-Canada devait recevoir le cinquième des
droits perçus au port de Québec. Depuis quelque temps, il
rèdamait «ne plus grande proportion sous prétexte que sa popu<»
lation avait beaucoup augmenté. On nomma des commissaires
de part et d'autre^ qui eurent plusieurs entrevues à Montréal sans
pouvoir s'entendre. Le Haut-Canada poussé par les ennemis de
l'assemblée, dont le principal foyer était dans cette ville, avançait
des prétentions exagérées. Il demandait l'augmentation du cin-
quième fixé par le traité de 1817, vingt mille louis à titre d'arré-
rages sur les draw-baoks, et dix mille qu'il prétendait lui revenir
iors du dernier traité. Nos commissaires repoussèrent la pre-
mière prétention et refusèrent d'entrer en négociation sur les deux
autres, avant d'être autorisés. Le Haut-Canada résolut alors de
«'adresser à l'Angleterre elle-même vers laquelle il députa un
ngent.^ Le comte de Dalhousie ne fit' part à la législature que
dans la session suivante de ces difficultés qui étaient de nature
à fournir un nouveau motif en fiiveur de l'union, pour laquelle l'on
disait qu'il penchait secrètement. On lui fit un reproche de ce
dâai; on l'accusa de trahir les intérêts de la province que le roi
hii avait confiée ; mais il s'excusa en assurant qu'il avait reçu la
nouvdie officielle trop tard.
L'assemblée instruite de ce qui se passait par les gazettes,
s'était hâtée de protester à la dernière heure de la session contre
les demandes du Haut-Canada, et de déclarer qu'elle était prête
à agréer tout arrangement qui pourrait faciliter le passage de ses
marchandises d'outre-mer par Québec. Deux jours après, le
gouverneur prorogeait les chambres en regrettant les résolutions
de l'assemblée et faisant des complimens au conseil dont la con-
duite^ disait-il, pouvait convaincre le roi qu'il continuerait à main«
DO CANADA.
lenir fermement les vérilablsB principes de la constitution et Iob
justes prérogatives de sa couronne.
Celaient M. M, Papineaii, Neilson et Cuvillier qui avaient
dirigé la chambre dans le grand débat sur les finances avec le
bureau colonial, reprèaenit ici par le gouverneur et le conseil.
M. M. Papineau et Neilson s'étaient chargés de la discus^iiDn du
principe; M. CuvilMer dea chilTres et de la complabililë. Ils
firent preove qu'ils étaient parfaitement maîtres de leur sujet, et
que les ministres n'éiaienl pas capables de leur en imposer ni de
les trouver en défaut sur aucun point relatif à l'impôt et aux
finances ; mais celui-ci avait le oui et le non, le pouvoir et la
force, et il en avait usé largement pour diesoudre le parlement,
i A peine un seul parlement avait-il atteint son terme naturel depuis
plusieurs années Celte situation extraordinaire devait enfin finir,
!9 autres affaires étaient entravées et les esprits se montaient.
C'est cette extrémité que les partisans de l'union attendaient.
La question du partage des droits de douane avec le Haui-
Canada présentait à leurs yens dea motifs suffisans pour la justi-
fier. Le Bas-Canada y était opposé, mais suivant eux, pas jus-
qu'au point de lever l'étendart de la révolte. L'on pouvait
compter sur le clergé catholique au chef duquel on avait fait iJea
concessions aulfisanies pour le tranquilliser sur la nouvelle situation
que l'union ferait aux peuples de son église, et le clergé catholique
avait une influence toute puissante sur eux. Le» ministres pressés
toujours de plus en plus par Ëllice et ses amis, prirent enfin la
résolution d'exécuter ce grand projet et dlntroduire au pario-
ment un bill pour révoquer l'acte de 91,
CHAPITRE II.
PREMIER PROJET D'UNION.
1823-1827.
L*tJnion des deux Canadas désirée par les Anglais de Montréal. — Ellice est
leur agent.-^Histoire de la fortune de ce marchand. — Le biil d'union ame«
né secrètement deruit le parlement impérial.'— Parker donne l^alarmeJ-^
Sir James Macintosh et sir Francis Burdett avertis arrêtent le bill dans la
chambre des communes — Nature de ce bill. — I] est ajourné. — Sensation
que la nouvelle de son introduction dans le parlement fait dans les deux
Canadas. — Pétitions contre : M. M. Papineau et Neilson députés à Londres*
Hkbile mémoire qu'ils présentent au gouvernement. — Les ministres abaii*
donnent la mesure. — Paroles d'EUlice à M, Papineau. — Appréciation d'£i«
lice par sir James Macintosh. — Opinion de sir Francis fiurdett sur l'union*
— Entrevues de M. Papin«*au avec lord Bathurst. — Opinion des hommes
d'état sur la durée de l'union des Etats-Unis. — Montant de la défalcation
de Caldwell. — Aflaires religieuses. — Lord Dalhousie passe en Angleterre
et revient à Qnébeé.-^Refiis des subsides. — Discours insultant de ce gou-
verneor en prorogeant le parlement.
L'Union avait été de tout temps la pensée secrète dii parti
anglais de Montréal, dont l'hostilité contre les anciens habitans
atigmentait tous les jours avec le désir de les dominer. L'avarice
autant que l'ambition entretenait cette haine qui trouvait de la
sympathie en Angleterre à ^a faveur des préjugés 'nationaux et
des calomnies. Ce parti avait exclusivement l'oreille du peuple
anglais; le bureau colonial recevait toutes ses inspirations de
lai, et les gouverneurs se jetaient presque toujours dans ses bras
pour l'avoir pour ami et s'assurer de ses bonnes grâces à Londres,
où les Canadiens étaient regardés comme des espèces d'étrangers.
De là le motif de leur antipathie pour ces derniers et de leur
chambre d'assemblée.
On a pu voir depuis l'arrivée du comte de Dalhousie que sa
marche a été régulière et comme toute tracée d'avance. Son
dernier mot est dit dans son premier discours aux chambres;
•aucune concession n'est accordée, et les résolutions de l'assemblée
ne sont recueillies que .pour servir de pièces dans le grand procès
qu'on se propose de lui intenter devant les communes d'Angleterre
avant de la détruire. De là la situation des choses en 1822, refus
dea^subaîdea et querelles avec le Haut-Canada.
f'K2 HISTOIRE DU CA.NAI>A.
De deux points et pour des molir» diffferens partaient des accu-
sations conlre l'assemblée où. l'esprit, les eyoïpathiefl et l'intérêt
de rancienne population s'étaient réfugiés. Leparà britannique
Je plus exclusif avait toujours Voulu l'union pour noyer la popu-
lation française, et t^'csl pour ce motif que M, Lymburner pro-
texta en son nom à la barre de la chambre dea communes contre
., la division de la province en 91. Lorsque M. Papineau le vit
en 1823, en qualité d'ancien ami de eon père et d'homme instruit
et lettré comme lui, pour l'intéreBser aux requêtes des CanadienB,
sachant qu'il avait changé d'opinion, il répondit & lui et à M.
NeilaoD qui l'accompagnait : '* J'ai pliieieurs lettres de mes anciens
amis en Canada, qui s'appuyt^nt de ce que j'ai dit en leur nom
comme au mien contre la division de ce pays en deux provinces.
Celte division fut une erreur. L'amalgamation des deux pojmlo-
tions eût été plus rapide sans elle. Mais il y aurait maintenant
de l'injustice à la faire disparaître. Elle a fortifié des habitudes
Bides intérêts distinct, elles donné naissance aune légialation
séparée. J'ai répondu que loin de les appuyer, je les opposerais
et que j'emploierais mon influence auprès des hommes pablica
que je connaissais pour faire échouer leur tentative, parce que
e gouvernement se mettrait par là en coniradiclion avec lui-
mCme et se rendrait odieux en Amérique." Si M. Lymburner
était maintenant contre l'union, d'autfes l'avaient remplacé dans
eon ancienne idée. On sait que la compagnie du Nord'Ouest
jouissait d'une influence locale assez grande à Londres. Cette
compagnie était dirigée en Canada par M. M. Hichardson et
McGill, deux des chefs les p!us exagérés du parti anglais. M.
Ellice, dont le père avait fait autrefois un grand commerce dans
ce pays, et qui y avait acheté de la famille Lotbiniére, la sei-
gneurie de Beaiiharnoia, avait été commis chez eun. Parle
cliapiire des accidens, EUice était devenu un homme importantà
Londres. Du Canada, il était passé aux Iles. Là il avait
épousé une des filles du comte Groy, veuve d'un oflicier de l'ar-
mée. Quelques années plus lard, lord Grey se trouvait l'homme
le plus puissant du parti wliïg, et M. Elllce, par contre coup,
quoique d'un esprit fort ordinaire, ee trouvait par son alliance en
possession d'une grandeinfluence. Whigen Angleterre, il devint
'entremetteur des torys du Canada avec le ministère toiy à
KISTOIRB DU CANADA. 253
Londres, pour détruits l'œuvre <le Pitt, et il dÉterminit le minis-
tère à précipiter son projet et i présenter, en 1822, le bill d'union
aux communes, qui étaient sur le point de l'adopter pour ninû
dire par surprise, la chose se faisant sans bruit, lorsque par hasard
un M. Parker en eut oonnaisaance.
Parker sans être un homme de talent ni d'influence, portait une
haine mortelle à Elilce, qu'il accusait de diverses fraudes dans ses
transactions commerciales avec lui et avec d'autres marchands.
I! vivait retiré en Angleterre avec une fortune qu'il avait acquise
dans le commerce canadien, lorsqu'il apprit que le bill d'union
soumis au parlement, était plutôt l'œuvre d'EUice que du minis-
lère. Il courut aussitôt dire à Downing Street qu'ils étaient les
dupes d'un fripon sans pouvoir se faire écouter. Il fut plus heu-
reux auprès de sir James Macintosh, air Francis Burdett et do
qudqoes autres membres des communes. Une opposition se
forma et arrêta le bill à sa seconde lecture. C'est à cette occa-
sion qu'on entendit proférer ce langage singuher dans un pays
libre, par un organe du cabinet. M. Wilmot. " Je vous sup-
plie de passer ce bill immédiatement ; si vous attendez à i'an
prochain, vous recevrez tant de pétitions pour protester contre la
mesure, qu'il sera fort dillicile de l'adopter quelqu'utile qu'elle
puisse être à ceux qui s'y opposent par ignorance ou par préjugé.
D'ailleurs elle est indispensable pour faire disparaître les dilTicultés
qui existent^ entre l'exécutif et l'assemblée." Malgré cette sup-
plication pressante, sir James Macintosh et ses amis persistèrent
dans leur opposition et firent renvoyer le bill i l'année suivante.
Ce bill tranchait largement sur les hbertés coloniales en général
et sur celles du Bas-CanaUa en particulier. Il donnait à celui-ci
une représentation beaucoup plus faible qu'au Haut. Il confé-
rait à des conseillers non élus par le peuple te droit de prendre
part auxdébata de l'assemblée. Il abolissait l'usage de la langue
Irançaiae. Il affectait la liberté religieuse et les droits de l'église
catholique. Il restreignait les droits des représentans touchant
la disposition des impûts. Ce bill paiaisa^t enfin dicté par l'es-
prït le plus rétrograde et le plus hostile. Il réduisait le Canadien
irançûs presqu'à l'état de l'Irlandais catholique. Le peuple hbre
(jui se met à tyranniser est cent foie plus injuste, plus cruel, que
le despote absolu, car sa violence se porte pour ainsi dire par
H*3
S5» HtSTOIRB DU CANADA.
chaque indiïido du peuple opprimant sur chaque individu du
peuple opprimé toujours face à face avechii.
La nouvelle de l'inlroductioti (-ecrôte pour ainsi dire de ce bill
dans lea communea, fit une immense aensation en Canada. L'on
cria à la perfidie, à la trahiaon ; et il ne reeta pliis de doute sur
les motif» de ta résistance du bureau colonial dans la question des
■ubtiides. Un vit dès lors le biH qu'il voulait atteindre. Mais il
y avait encore quelque bienveillance pour noua en Angleterre.
Les journaux torys qui avaient gardé le silence jusque là,
donnèrent, ou mot d'ordre, \c: cri d'iipprohation, auquel les jour-
naux libéraux répondirent en donnant l'éveil aux habitans, dont
lee instilulionB, les lois et la langue se trouvaient oienacées
d'une manière si inattendue. Toute la population s'agita d'un
bout du pays à l'autre. On tint des assemblées publiques, on
oi^nisa des comités dans toutes les localités, pour proteslor
contre la conduite du gouvernement de la métropole, et
pour préparer des pétition') au parlement impérial et lea faire
signer par le peuple. Montréal et Québec donnaient l'exemple.
Le jour de l'assemblée de Québec, les partisans de l'union se
réunissaient â Montréal aou9 la présidence de M. Richardson.
Plusieurs assistans prononcèrent des discours dans lesquels iU
«'abandon l'èrent à tous lessenlimonB de haine qu'ils portaient aux
anciens habitans, et que plusieurs avaient dissimulés longtemps,
surtout ce môme Stnart que la chambre avait désigné tant de fois
pour être son agent en Angleterre, et qui vint donner le démenti
k tous les sentimena qu'il avait professés avec ardeur jusque-là.
" Les raisons des Canadiens, dit-il, ne peuvent être fondées qne
mir des préjugés qu'il faut extirper, ou Eur des intérêts locaux qui
ne doivent pas entrer dans la considération de la question," comme
ai la langue, les lois, les institutions d'im peuple, "observait le
Spectateur) pouvaient être inis au rang des préjugés.'* Une
partie des habitans des townsblps nouvellement établis sur
les limites des districts des Trois-E.ivières et de Montréal, mir la
frontière américaine, imitèrent leurs compatriotes de Montréal.
Mmb il n'en fut pas de même dans le Haut-Canada. La majorité
des habitans se prononça formellement contre l'union. Partout
il« déclarèrent qu'ils étaient aatisfaitsde leur constitution, qu'ils
déainiienl la traBsmeltre intacte à leur postérité, et qse le bill
UISTOIBE DU CANADA. £55
iatrodult dans les commtincB anglaises, loin de les accroître res-
treignait leurs liroitrf et leurs liberléa. Ce langage déconcerta lee
uuionnaireâ, qn! con:iii)encérent après queli)ue lemps d'attente i
perdre espérance.
Cependant les pétitions des Canadiens se couvraient de signa-
tures. Bientôt elles en [torlèrent plus do 60^(100 provenant des
cultivateurs, des seigneurs, des may^Ktrats, des eccltsiastiques, des
officiera de milice, des marchands. Au contraire de celles ds
leurs adversaires, elles n'exprimaient dans un langage digne et
modéré, qui faisait voir que l'on ne voulait s'appuyer que sur la
nooibre et sur la justice. Elles n'avaient liesoin d'aillears que
(l'exposer la vérilé avec le calme et la gravité que demandaiant
l'importance de leurs motifs, la sainteté dt; leur cause, pour
porter la conviction dans le ciBur des juges d'un peuple qu'on
voulait proscrire sans l'entendre. Toutes ces adreaaoa furent
envoyées à lA»ndrea en altendanl la réunion de la législature, qui
devait parler à »^on tour su noru de tout le pays. Elles étaient
portéœ par M. Papineau et M, Neilson, deiu; de ses membres les
fluu distingués et le^ plus populaires, qui furent chargés aussi de
celles du riant-Canada. Santi attandro le résultat des mesures
du minisliire, le gouverneur convoqua le parlement pour le comr
mencemenl de Janvier (1823,) et en l'absenei: de M. Papineau
M. Valli&res de St.-Réal fut porté a la présidence de l'assemblée,
qui ^4'occ1lpa aussitôt de l'union, i:ontre laquelle elle pas^ lea
léselutions les plus énergiques.
M. Qgden, le chef et l'orateur de l'opposition, proposa un
ajuendoment en faveur de l'union. ■' Les Canadiens, disait-il,
ne peuvent avoir aucun sentiment hostile contre des sujets d'un
même souverain, par conséquent aucune répugnance à adopter
la langue, les habitudes et le caractère de cette grande famille, et
à former dans l'intérêt commun une seule province des doux.
L'imion de l'Angleterre avec l'Ecosse avait en un résultat fort
heureux; les intérêts des habitans des deux Canada^ devaiont
être les mêmes. Il fallait détruire les préjugés mal fondés pour
aœiiref la bonne harmonie. Il n'était pas nécessaire d'expliquer
ce qui avait causé l'alarme produite par la mesure amenée devant
la chambre des communes ; elle était connue du gouvernement.
C'était la jalousie, c'étiut le manque de confiaucc dans l'honneur
356
et la droilura du pouvoir, qu'on entpetenaii malhenreuBement
Bvec trop de succès parmi lea hommes igaorans et inconsidèrèB ;
et il était quelquefois du devoir des législateurs de cliercher le
bonheur du peuple même malgré lui." Les imprudens et les
ignorans dans le langage de M. Ogden, c'étaient les Canadiens-
français qu'il voulait régénérer comme l'avaient été ses pères.
Celui qui prenait ainsi le langage de l'insulle, et qui taxait d'igno-
rance le sentiment de ia nallonalitë si profondément gravé dans le
cœur de tous les peuples, était le descendant d'un des deux Hol-
landais qui contractèrent en 1632 pour bàlir les murs d'une église
à Now-Amsierdam pour la somme de 1000 piastres. Ils ne
pensaient pas, sans doute, qu'un de leurs descendans, chassé de
leur pays, parlerait ainsi d'un peuple planté en Amérique par le
grand roi Louis XIV, le terrible voiân de leurs ancêtres. L'amen-
dement de M. Ogden, que le préaident refusa de recevoir parce-
qo'il était en opposition directe avec les résolutions qui venaient
d'élre adoptées, ne rallia que trois voix lorsque son auteur appela
à la chambro de la déciâon du fauteuil.
Fendant que partout en Canada l'on se levait et protestait
contre cette mesure, les townships de l'Est se piaign^ent que
leurs intérêts étaient négligés, excités par les aliidés du château.
lia demandèrent à être représentés dans l'assemblée, et lord
Dalhoiisie recommandait l'intervention du parlement Impérial
pour satisfaire leurs voeux. B approuvait en même temps le
conseil d'avoir rejeté le bill passé par la chambre, pour
augmenter la représentation générale.' On ne savait enfin quel
moyen prendre pour diminuer, pour neutraliser le nombre des
représentans Canadiens ot augmenter celui des Anglais, quoique la
proportion de ces derniers fùi déjà bien plus élevée que celle des
habitans de leur origine, dana la population entière.
On s'attendait que la question des subaides allait revenir sur le
tapis et amener la répétition des débats qui troublaient le pays
depuis tant d'années ; mais ttontre l'attente de bien du monde,
elle reçut une solution temporaire. Le gouvernement sépara
dans les estimations qu'il transmit i l'assemblée, la liste cinle des
autres dépenses. Cette distinction déplut aux deux partis; mua
& l'aide de termes généraux susceptibles de différentes interpré-
• Dépêche de lord Dalhousie an miniitre, 6 avril, 1825.
HISTOULS DU CANADA. 257
tidonSy on ménagea les prétentions hosliies et le bill des subsddes
passa. Le conseil à qui la main avait été forcé probablement
par quelque influence supérieure, déclara qu'il n'y donnait son
concours dans le moment qu'à cause des circonstances dans les-
quelles se trouvait le pays; mais qu'il ne le ferait pas à l'avenir.
Oé corps recevait alors un terrible choc de la grande débâcle du
receveur-général, l'un de ses che&, dont la banqueroute jeta un
«loment l'épouvante et la confusion dans leur camp. Depuis
linigtemps la chambre soupçonniût sa défalcation par les grands
travaux et le grand commerce de bois qu'il faisait, les nombreux
moulins qu'il élevait partout et qui devaient entraîner des dépenses
^itaxquelles ses propres capitaux n'auraient pu suffire. L'un des
]^rincipaux motifs de l'assemblée en persistant dans sa résolutiojn
sur les subsides, était de forcer le gouvernement à mettre au jour
hi véritable situation des finances. L'opposition qui connaissait
son but mettait tout en œuvre pour la faire échouer. Les chefs
^e cette opposition, amis intimes du receveur-général, partageant
ses festins et son opulence, sans connaître peuirètre ses vols,
étaient portés par sympathie de caste à le soutenir dans ses pré-
Jlextes et dans les raisons qu'il voulait bien donner pour refuser
• de fournir à l'assemblée les renseignemens qu'elle demandait.
Jjilais chaque chose à son terme, et Galdweli fut obligé en 1822,
jàe déclarer qu'il n'avait plus d'argent pour subvenir aux dépenses
'>du reste de l'année. La chambre ne manqua pas une occasioin
iqui venait si è propos pour justifier ses prétentions. Elle déclara
que le recevearHgénéral devait avoir au moins JC100,000 entre
: ks mains, et qu^le fte pouvait sanctionner aucun remboursement
vponr âivoriser de» opérations inconstitutionnelles. Ce refus qui
^ en toute autre occaai^i eut amené une crisoy fut reçu presque
sans mot dire par l'exécutif^ qui voulait éviter un éclat et qui
> témoigna contre son ordinaire toute sa satisiiaiction du résultat de
; la sesâon, résultat dit le gouverneur qui fiiisait honneur aux
^membres et qui serait utile au pays. Mais en même, temps, il
Jetait le titre de Gazette officielle au journal de M. iÇ^eilson fils, et
le transférait à une nouvelle feuille qu'il fesait mettre sur pied,
«fin de punir le fils des indiscrétions du père, et d'avoir un
1 4M!gane de son choix et sur la dépendance duquel il put toujours
compter^ pour communiquer ses vues ou. défendre ses mesures
ggg HISTOIRE DU CANADA.
devant le public. On voulait imiter l'Angleterre ; mais i Londres
le luinistére qui a ses journauH pour sjutenir sa politique^ est reâ-
ponsaUe ans chambres, de sorte que cee journaux nii sont après
tout que les organes d'un parti politiLiU!3 qui » la majorité et qui
possède le pouvojr pour le momeni. Kn Canada, la responsabi-
lité n'existant pas, et \e gouvernement n'étant oalenaiblentenl sou-
tenu par aucune majorité, le journal ministériel loin d'avoir de
l'influence devait la perdre du moment qu'il défendait une poli-
tique qui ne s'accordait pas avec l'opinion publique, et c'eat ce
qui arriva.
Cependant MM. Fapineau cl Neilson étaient reçus à Londres
avec tous les égards qu'une métropole peut accordera unecoloniep
L'unanimité des Canadiens avait d'abord arrêté le cabineti et
l'avait engagé ensuite i. retirer sa mesure. Dés la première
entrevue de MM. Neilson et Papioeau avec le aous-secrélaire
des colonies, M. IVilmol, à Bowning Street, ils en eurent l'aasu-
rance. Après quelques discussions, ces agens lui dirent qu'ils
allaient voir le plus grand nombre possible de membres du par-
lement pour leur faire connaître l'opposition générale du paye. ^■
Wilmot feignant de balancer, (eur dit enGn: "Kestez iranquiUeB;
se faites pari â pcisnune de ce que je vais vous annoncer ; le
gouvernement ne veut pas de iracas dans le parlement au sujet
de l'union ; elle ne sera pas amenée dans cette session." lia
b' empressèrent d'aller communiquer cette réponse à sii' James
Macintesb, qui les félicita sur la tournure que prenait leur aflaire,
et qui leur dit qu'il pouvait s'en rapporter à la parole du cabinet.
Les agens avaient déjà sollicita l'appui du chef du parti appelé
les Saints, composé de méthodistes et autres dissidens : ils n'allè-
rent pas plus loin, et sur la deniande du secrétaire colonial ils pré-
sentèrent un niémoire qui renfermait les raisons du Canada
contre la mesure et i-éfutait celles de ses partisans.*
Nous nous èlionB llattés, di&aient-ils, qu'il ne serait pas nécessaire
de faire part au g^ouvernemetiL de nos observadons sur unemeaure
que les neuf-dixièmes des babitaus et toutes les autorités consti-
tutionnelles de la colonie répudient comme remplie des plus
•Ch mémoire rédigé par M, Neilson aidé de M. Papineau, est l'un de nos
papiers d'élat les plus noblement, suvujnment et ]>hi]i>wphïquemeat petaia
que l'on trouve dans notre bûtoire.
œSTOIRE DU CANADA. 259
graves dangers. Nous prenons la liberté de remarquer, que quoique
l'on ait demandé l'approbation du Haut-Canada, il l'a refusée
comme le prouvent les requêtes de ses habitans, dont la majorité
reponsse l'union. La population du Bas-Canada est estimée à
esnq cent mille âmes, celle du Haut à cent vingt mille. Le
nombre d'hommes de seize à soixante ans dans les deux provinces
est d'environ cent mille, dont près de soixante-dix mille ont
réclamé contre la mesure. Si un petit nombre d'individus Font
appnyée par leurs requêtes, on doit l'aire attention que personne
dans l'une ni dans l'autre colonie, avant que l'on y eût appris l'ex-
istence du bill actuel, ne l'avait sollicitée, ni n'avait découvert
les maux qui la rendent nécessaire selon ses auteurs.
Les agens s'étendirent ensuite sur la fidélité des Canadiens^
qtn avaient défendu l'autorité métropolitaine lorsque toutes les
colonies anglaises de l'Amérique se révoltaient ; sur la difiî&rence
qu'il y avait entre la société en Angleterre et la société en Cana-
da; sur les dangers de faire des changemens contre le gré des
halntans. Ils exposaient qu'il était évidemment utile pour des
législatures locales et subordonnées que leurs limites ne fussent
pas trop étendues ) que la distance entre le golfe St.-Laurent et
la tête du lac Huron était de plus de 500 lieues ; que le climat
variait beaucoup dans cette vaste étendue de pays, et que par
conséquent les communications étaient très difficiles et très dis-
pendieuses surtout l'hiver, tandis que dans la même étendue de
territoire, l'Union américaine comptait sept états distincts [pour
la fticilité du gouvernement et de la législature.
Ce n'est pas seulement à cause des distances et des différences
de climats et de saisons, «joutaient-ils, que la mesure préjudicierait
aux intérêts des Canadas. C'est un (ait constant que non-seule-
ment les lois qui règlent la propriété et les droits civils dans les
deux provinces, mais les coutumes, les habitudes, la leligion et
même les préjugés différent essentiellement. Les habltans tiennent
fortement à toutes ces choses, dont la jouissance leur a été solen-
ndlement garantie par la Grande-Bretagne. Le plus sage, le
plus désintéressé, le plus savant législateur, pourrait à peine
fondre leurs codes en un seul sans danger pour les propriétés
acquises sous ces lois différentes. MM. Neilson et Papineau
fiiisaient alors une revue des différons articles du Mil d'union ; de la
BeO HISTOIRE DU CANADA.
Composition du conseil législatif et de la chambre d'assemblée, c
le Haut-Canada devait avoir une représentation trois foiaplus coi
8)<lërabte que celle du Bas, eu égard à sa population ; de la qua-
lification péci
inégale. La dat
des conseillers ex
ter mais non de \
déviation singulière d
3 trop élevée des membres ; de la taxation
aussi qui autorisait le gouverneur à nommer
ulifs qui auraient droit de siéger et de discu-
er dans l'assemblée, était à leurs yeux une
î la constitution anglaise, et ils ajoutaient
que celle qui proscrivait la langue française avait excité de vives
réclamations. La tangue d'un père, d'une mère, de sa famille,
de ses amis, de sea premiera souvenirs, eat chère à tout le monde
disaient-ils, et cette intervention inutile dans la langue du peuple
du Canada était vivement sentie dans un paj's où cette langue
avait été, sans contredit, une des causes qui avaient le plus con-
tribué à conserver cette colonie à la Grande-Bretagne à L'époque
de la révolution américaine.
Les députés protestèrent aussi contre la clause du bill qui ten-
dait à faire nommer les curés catholiques par le gouverneur et
l'évëque conjointement contre toute loi, contre tout usage
mgme dans l'église protestante, et finissaient par demander que ni
l'on se proposait plus tard de reprendre la mesure, il fui ordonné
au gouverneur de faire faire un recensement et de faire passer
une loi dans le Bas-Canada pour nommer des commissairei
chargés de venir en Angleterre eouienir la constitution canadienne.
Le gouvernement cherchait toujours, comme on voit, à usurper le
pouvoir ecclésiiastique en s'emparant de la nomination des curés^
et à mettre le clergé catholique dans sa dépendance. Mais la reU-
gion plus forte que les choses temporelles et la politique, mettait
un obstacle infranchissable à l'antbilion et aux préjugés du bureau
colonial. Cette tentative indique encore une fois la aouroe où
eir James Craig puisait ses inspirations, et qu'en religion comme
en politique, les désirs secrets de la métropole étaient toujours la
destruction de toutes les anciennes institutions canadiennes.
En présence d'une opposition aussi générale quant à l'opinion^
et aussi puissante quant à la logique et à la justice, le ministère
dut retirer sa mesure. Mais n'osant plus se fier i lui après tout
ce qui s'était passé, malgré ses assurances qu'elle aérait laissée là
pour la session, il fut convenu entre les deux ageoB que M> Fi^-
nean resterait à Londres jusqu'à ia prorogalion, de peur de quelqu*
sarprise.
C'est vera oo temps-ci, qu'un soir M. Papineau étant à tabla
chea un ami a\^c M. Eilioe et M. Stuart, l'agent îles unioanai-
rea, la convonation tainba sur ia Canada. Xllice lui dit : " Vous
avez l'aie bien tranquille ; je crois savoir de bonne source que
le «abinet vous a donné l'assurance que la mesure ne reviendrait
pas sur le tapis ; mais elle y reviendra ; je déshonorerai ies
ministres, j'ai leur parole en présence de témoins." M. Papî-
neau et M. Neîlson inquiets allèrent voir aussitôt sir James
Macintosh, qui leur répondit de ne pas s'alarmer ; " que M<
£llice était un bavard (braggadodo) sans poids ni înAueace.
Il n'osera jamais agir aussi tbilement qu'il a parlé. Par l'entre-
mise de quelques uns do mes amis, je saurai refroidir son ardeur.
Nous ne le voyons que parce qu'il est le gendre du comte Grey."
Plus tard, M. Papineau rencontra chez M. EUice sir Franoii
Bufdett. La discussion ayant été ramenée sur le tapis, M.
Papineau réus^t à faire dire à sir Francis, que si la majorité en
Canada était aussi grande et aussi hostile à l'union qu'il l'assu-
rait, c'était compromettre le parti whig que de le faire agir contM
ses professions si souvent répétées de respect pont les vœux dei
majorités, et qu'il fallait l'abandonner. " Non, dit EUico, c'est una
majorité ignorante, fanatisée par les prêtres." Il attaqua violem*
ment le séminaire de Montréal, les lods et ventes, et avoua qu'il
s'occupait avec M. Stuart d'un bill pour changer la Icnure sei>
gneurïale, espérant tirer meilleur parti de sa seigneurie de Beau*
harnais sous un nouveau régime.
M. Papineau eut deux entrevues avec lord Batburst lui-même.
Le ministre des colonies ee réjouissait de la probabilité de la
dissolution de l'Union américaine. Son opinion était partagée
par sir Francis Burdeit, sir James Macintosh et M. Hume,
mais ceux-ci pour s'en affliger; l'bistoire était là; elle prouvait
qu'un si vaste territoire n'avait jamais pu subsister en république.
Lorsque les whigs remontèrent au pouvoir après la loi ds
réforme, M. Ellice devint un homme tout puissant pour le mal-
heur du Canada. B visitait Montréal en 1837 peu de temps
avant les troubles, et avoua à M. Papineau qu'il était soUidté de
vepreadre le projet de l'union. Chaque fois, de|>uis le.comnicn-
ses KI8T0IRS DV CANADA.
cernent du siècle, que le paye demamlait une rérorme on le mena-
çait de Punion, et l'on n'accordait rien. On attendait eana doute
pour conaouiiuef ce tacte que la population anglaise du Haut-
Canada réunie à celle du Bas, eût la majorité sur les Canadiens-
français, afin de les noyer sans paraître faire d'injustice.
La dëcinon de r Angleterre sembiait devoir calmer les esprits
en Canada et ramener l'harmonie entre les difTéreates branches de
la législature ; mais rien n'était changé au fond, et la cauije des
dissensions restait toujours la même, Ausâi alIons-nouB voir
irieniôt iea mêmes diJficuliés recommencer avec plus d'ardeur
queJBmaie. L'insolvabilité du receveur-général était arrivée à
propos pour faire condamner (out le système administratif. Le
gouverneur qui prévoyait l'efiet de cette catastrophe financière,
n'avait levé qu'un coin du voile à la fuis pour diminuer la sen-
BBlioD que cette nouvelle annoncée tout A coup eût pu produire.
Ce qu'il avait fait connaître dans la dernière seaaion annonçait
que quelque chose n'était paa bien. Dana la session suivante,
il informa la chambre que le déficit de ce fonctionnaire était de
JS96,000, sterUng, somme qui égalait presque deux années du
revenu public. Dès ce moment les mesures de la chambre louchant
les Bubiaidea étaient justifiées, et l'administration restait convain-
cue de connivene* sur les abus de ses créatures. H y avait tant
de négligence dansle département de M. Caldwell, qu'on ignorait
s'il avait des cautions. On fit des recherches en Canada sans
rien trouver. Le gouverneur écrivit & lord Bathurat pour
demander des reneeignomens de la trésorerie, qui avait nommé le
défalcataire à la charge qu'il remplissait, et de laquelle on sut
enfin qu'il avait dû donner un cautionnement de 10,000 louia en
Angleterre et un pareil cautionnement en Canada, mais qu'il
n'avait point fourni le dernier pour des raisons qu'on ignorait.
Le receveur- général comme les officiers de douane étaient alors
nommés par la trésorerie. La chambre voulut rendre la métro-
pole responsable de ces détournemens, et députa un agent i
Londres pour en réclamer le payement. Dans le même temps
un autre agent comptable, M. Fcrceval, percepteur des douanes
à Québec, était accusé d'exactions par le commerce, et la
chambre qui demandait sa suspension, recevait pour réponse, que
c'était un officier hoimëte, intégre, diligent, qui se conformait uix
^
imTOmX DU CANABA* SfiSt
kH8 et à ses instructions^ et que tout ce qu'on pouvait faire, c'était
4e transmettre les plaintes en Angleterre, quoique Perceval fût
alors poursuivi devant les tribunaux et condamné à des restitutions.
.-■Les estimations transmises aux chambres contenai^it la même
distinction entre les dépenses dont le payement était assuré par
^appropriation permanente,et celles qui av&ient besoin d'un vote
pour être liquidées; et c'est à ces dernières qui s'élevaient à
£i^fiOy que le gouvernement demandait à la légiriature de pour-
voir. De quelque manière que l'on se tournât, l'on se trouvait
toiijours là où l'on était il y a deux ans. L'assemblée passa un
lûU-de subsides avec les anciennes conditions, outre le retranche-
ment d'un quart sur le salaire des fonctionnaires, ce qui le fit rejeter
do* prime abord par le conseil, auquel lord Dalhousie adressa
efteore des complimens en prorogeant le pariement. Ce gou-
verneur cherchait alors à faire revivre les querelles religieuses,
li transmettait au ministre un mémoire sur l'état du Bas-Canada,
Qiuiil remarquait que depuis la conquête l'évêque catholique avait
fS^ercé tout le patronage ecclésiastique dans son clergé ; que l'on
4evait remédier à ce mal qui enlevait à la couronne une partie
tc^. importante de son influence^le roi étant le chef de cette
é^se comme de toutes les autres. Dans une dépêche du 19
décembre 1S24, il soutenait encore la prétention que la couronne
devait jouir de toutes les prérogatives dont jouissait le roi de
franco en vertu des libertés de l'église gallicane, et demandait
L'ordre nécessaire pour mettre fin au différend élevé entre l'évêque
^ler.Sulpiciens. '^ L'évêque catholique actuel, dit-il, cherche à
]%'tcquérir une influence indépendante, mais il n'est nullement
,tn>p tard pour reprendre les rênes, et une classe très no-
ta):Ae de son clergé désire fortement que le gouvernement le
âuMe." Il finissait par appeler l'attention du ministre 'au
^mphletde M. Chaboillez, d'où l'on voit que ses sympathies
étaient pour les Sulpiciens contre l'évêque.
j Le gouverneur passa à Londres après la session pour rendre
voompte de la situation des choses et recevoir les ordres du minis-
tère. Sir Francis Burton tint les rênes du gouvernement pendant
son absence. Les élections eurent lieu dans l'été et augmentèrent
^^i^ forces du parti populaire; mais l'assemblée ne voulut point
49lltier en. quer^e. avec Burton^ Elle:conmi.iawait ge8l)onnea inten-
tM HIBTOUIE DU CANADA.
tîoDB, elle eavait que malgré les fonctionnaires élevés qui l'avaient
fortement conseillé de remettre la convocalioQ dea chambres au
dernier jour du délai légal, et Buiiout de ne paa confirmer
l'élection de M. Papineau si elle le portait encore à sa pré-
sidence, il avait fait changer l'opinion du conseil exécutif à
cet égard,* Dana les eetimationa qu'il tranemit à la chambre, les
dépenses publiques n'élaient point divisées en dépenses perma-
Beotes et en dépenses locales, de sorte que les subsides purent
Aire votés dans une forme qui obtint le concours du conseil et
l'approbation du chef du gouvernement. Tout le monde crut que
la grande question des fmances était réglée et que l'harmonie
allait renaître. Burton se berçait lui-même de cette illusio».
Mais il n'avait qu'un rôle temporaire et pour aina' dire d'entre-
acte à jouer; on lui laissait oertaine-i libertés lorsqu'il avait les
guides en main, en attendant qu'on les remit dans d'autres en qui
on avait plus de con£aDce pour atteindre le but sur lequel on
avait toujours les yeux. Lord Dalhousie était passé en Angle-
terre pour s'entendre avec les ministres sur ce qu'il y avait 1
&ire après la déconvenue de leur projet d'union. La surprise
des communes n'était plus piissible ; il fallait changer de laodque
at s'y prendre de plus loin pour assurer le succès et donner à sa
eause une forme plus soutenable devant la législature. Le gaiH
TCrneur reçut de nouvelles instructions, et de retour à QuétieOt
il rouvrit les chambres dons le mois de janvier 1826. Il leur
adressa un discours qui était de nature à continuer l'illusion
qu'avait répandue Burton. La chambra y répondit dans le
même esprit Le gouverneur manifesta une vive satisfaction en
m^ant que ses sentimcns s'accordaient si bien avec les siens, et
dédara qu'il anticipait le résultat le plus heureux po«r le bien
public. A sa suggestion, la chambre vota une adresse au roi pour
demander la révocation des lois passées par le parlement impérial
et qui changeaient la tenure des terres en Canada etintroduieai^it
llBi lois anglaises. Elle faisait observer que les motifs qui avaient
engagé la métropole à donner une législature à ce pays, devaiwit
Buflire pour cmpMier le parlement impérial de s'immiscer dans
sa législation intérieure ; qu'il y avait péril pour lui de commettre
des erreurs et des injustices graves, et que dans l'exercice de
* Lettre de àr Francis Burton à lord Bothurst, du 28 mars 1625.
HISTOIHB DU CAKAM. 265^
l'autorité snprème il devait mieux respecter scm propm ouvrage-
eft laissant les colons user des pouvoirs qu'il leiïr avait confiés
ti^ qu^ls rentendraient. Il ne s'était présenté encore aucune
circonstance qui mît la dépendance du pouvoir lé]^s!atif colonial
dans une situation plus humiliante. L'on voyait agir l'influence
d»- M. Elliee, sous le vmle des argumens du bureau colonial.
L^anoor propre du colon en était froissé, et cependant il fallait s'y
soumettre. Mais dans le moment où l'on croyait qu'il ne restait
que la question de tenure à débattre avec la ii^ropole, celle àeé
finances sui^git tout à coup plus mehiaçante que jamais. Aux
paiiolea de paix que Dalhousie avait proférées en arrivant, ceux
qjâe Papprobaticmde Burton n'avait pas^somplétetnentConvaincti^^
crurent que les difficultés financières étCKént e^ eflfet finalement
i^ées. Maie il n'en était rien, et lord Batikufst ia?ait toujours le
droit de disposer d^uné maniôi^ plrâie et e<itière de tout le
psvemi, à l'assemblée qui transmit une nouvelle adresse au roi
pM»r d[éclarer qu'elle persistait dans ses prétentions. lËti même
temps le président de cette assemblée, M. Papfiiean, écrivait une
luhgue' lettre à sir Jamea' Macintosh pour lui exposer de nonveau*
Ivaabus^de l'administralion : ^ A la deraiière séâne^ du conseil
lègiilaitif, 11 conseillers, disait-il, dont 9 officiers publics, ont
dècbré que la résolution de la chambre qui reiid le receveur*
général respousablt» des payemens faita sans autorisation de Ur
Miniature, eit us attentât contre la loi,et ont proclamé le principe
qa» cet officier est tenu d^gir s»va«t lea instructions qu'il reçoit
éo P«xéciitîf et non d'aueone dee deux chambres.^'
ivIjBB subndes iwtetA votés daus la même fortne que l'armée
ptéeééente et turent révisés. Sir Francis Burton, que l'on
avait blèmè d'avoir sanctionné un bill qui n'était pas conforme
aox'hifltnictioiM transmises à Sherbrooke et à Dalhousie, et qu'on
}m croyait entré les mains, avmt écrit à lord Bathurst pour lui dire
qu'il les ignorait et qu'elles ne s'étaient pas trouvées au secré-
tariat. Les représentans résolurent qu'ils étaient prêts à voter
les subfides comme en 1825, mais que les estimations telles
qu'elles leur avaient été iburnies^ ne leur permettaient point de le
fiâre pour cette année. C'était provoquer un dénouement subit.
Le refus des subsides était la censure la plus solennelle que le
P^ys pû$ £0i1ec contre l'administiaiion* ï^rd Palbpusie qui
S66 MIBTOIRE DU CANArA.
était l'agent de l'Angleterre dans les Vnei de laquelle il entrait
d'autant plus qu'en général les gouverneurs, étrangers aux colo-
nies, n'ont aucune sympathie pour ellea, et sont des instrumens
souvent passionnés par leur contact direct avec le colon, lord
Dalhousie prorogea les chambres dés le lendemain. Il monta
dans la salle du conseil, épcronnë et l'épée au côté suivant
l'usage militaire, accompagné d'une nombreuse suite couverte
d'écarlale et d'or : " Je suis venu, dit-il, mettre fin à celte eesâon,
convaincuii. qu'il n'y a plus lieu d'en attendre rien d'avantageux
pour les intérêts publics. A vous, messieurs du conseil législatif,
qui avez été assidus â vos devoirs,... j'offre mes remercimens de
la part de sa Majesté, en témoignage de l'intérêt que voua avez
pris au bien-Btre de votre pays, et du respect que vous avez mon-
tré pour le s)ii/t>erain dont vous tenez vos Iwnneurs. Il m'est
tàen pénible, messieurs de la chambre d'assemblée, de ne pou-
voir^vous exprimer mes sentimens en termes d'approbation et
de remerciment... Des années de discussions sur des _^ma-
îiUs et des comptes n'ont pu réussir à éclaircir et Exterminer une
dispute à laquelle la modération et la raison eussent prompte-
ment mis fin.'' C'est ainsi que l'agent colonial parle d'un
principe qui forme l'une des principales bases de la consti-
tution d'Angleterre, le vole et le contrôle des dépenses publi-
ques par les représentana du peu]>le. D adressa ensuite une
longue eérie de reproches à la chambre en forme de questions,
Kvec toute l'audace insultante qu'un agent métropolitain peut
avoir dans une colonie. Avez-voua fait ceci î avez-voua fait
cela? " Ce sont des questions, dit-il, dont il faut que vous répon-
diez à vos consciences, comme des hommes liés par des sermons
de fidélité à votre pays et i votre roi " Il n'est pas étonnant
qu'aussitôt qu'elles te peuvent, les colonies brisent le joug de
métropoles qui leur envoient des agens frappés de pareille folie.
CHAPITRE m.
CRISE DE 1827.
1827-1828.
Nouvelle crise.— ^Adresse de M. Papineau et d'une partie des membres de
la chambre à leurs commettans en réponse au discours jjrononcé par le
*' gouverneur en s^oumant la session. — Assemblées publiques. — Destitutions
■^éBùoB la milice. — Lapre8«e.-^El6ction8.— Réunion du parlement. — ^Le gou«
.Weroeur désapprouve le choix de M. Papineau comme président de l'as**
..setoblée. — ^Le parlement est prorogé.-«Adress6s des partisans de. lord Dal*
. housie au roi. — Assemblées publiques dans toutes les parties du pays.-—
Adresses au roi et aux deux chambres du parlement impérial.— M. Waller,
iiédacteur du Spectateur arrêté deux fois.— MM. Neilson,VigeretCuvil-
^lier députés à Londres avec les adresses des Canadiens. — M. Gale avec
.odles du parti opposé.— Affaires du Canada devant le parlement impériale
• Discours de MM. Huskisson^ Labouchère, sir James Macintosh, Hume,
lyUmot, Stanley dans les communes. — Les adresses sont renvoyées à uu
comité. — Rapport du comité. — M. Huskisson est remplacé dans le minis-
tère des colonies par sir George Murray. — Le rapport du comité n'est ni
V^eté ni adopté.-— Sir Creorge Murray annonce aux députés canadiens
-qu'on va prendre des mesures pour fiure cesser les difficultés.-'--âir James
. .Ikompt remplace lord Dalhousie eu Ccmada.
La. violenee des journaux et celle de lord Dalhoume dans son
âiiMH)urs de prorogation annonçaient une nouvelle crise. La
question des finances est celle qui fournit des armes ordinaire*
nent aux partis dans les grandes luttes politiques ; c'est celle qui
détermina les révolutions d'Angleterre, des Etats-Unis et de
France. Elle n'en fut pas la cause seule ; mais elle en fut le
principal prétexte et c'est elle qui les commença.
Au milieu du débordement des esprits la Gazette de Québec
fédigée par l'un des chefs du parti libéral, M. Neilson, (ïonservu
un ton de modération et dignité calme qui désespéra les adver*
saires de la chambre. Les principaux membres du district de
Montréal crurent devoir répondre aux raisonnemens du discours
du gouverneur, par une adresse à leurs commettans. Cette
adresse qui était écrite avec autant de mesure qu'en permettaient
les circonstances, fut signée par MM. Papineau, Heney, Cuvil-
11er, Quesnel et d'autres membres moins marquans, et avait pour
but d'expliquer la conduite de la majorité^ en faisant retomber la
DU CANADA.
suspeDsion des travaux légiEilatifa eur le gouvernenr lui-même et
Bur son entourage. Elle devait provoquer la réélection de tous
Ica membres de la majorilé, car une nouvelle élection était main-
tenant inévitable, et eut un grand retentissement. Elle détermina
presqu'un mouvement populaire. Les habilans des campagnes
commencèrent à s'assembler. Les résolutions d'abord fermes
mais positives, devinrent bientôt violentes et accuralrices. Les
discours subissaient la même influence. Une question nouvelle
vint augmenter l'ardeur des esprits et le feu des discordes. L'ex-
piration des lois de milices faisait revivre, suivant le procureur
général, les anciennes ordonnances, qui lurent remises eu vigueur
par un ordre du 1-t mai.
Ces vieilles réminiscences d'un temps où la liberté était
inconnue, n'étaient plus de mise avec les institutions nouvelles.
liCs journaux de l'opposition donnèrent i'éveil ; ils firent craindre
qu'elles ne fussent exécutées avec rigueur et ne servisaenl'à
influencer les élections qui allaient avoir lieu. On critiqua la
mise à la retraite des otRciera de milice et leurs remplacemens ;
îl y eut en quelques endroits refus de commander et refus d'obéir.
Grand nombre d'officiers furent destitués pour avoir refusé de
paraître aux revues, induit les miliciens à désobéir, commis des
actes d'indiscipline dignes de chàtiuient, manqué de respect à
leurs supérieurs, s'être servi d'un langage insultant en renvoyant
leur commission, avoir convoqué des assemblées publiques, excité
le mécontentement du peuple, enfin pour s'être montré les agena
actifs d'un parti hostile au gouvernement. L'un écrivait: " Après
avoir considéré la manière pou généreuse que vous employez pour
poursuivre les miliciens de ma compagnie, qui ont manqué aux
exercices, je crois devoir vous informer que je me suis refusé et
que je me refuse à me conformer à vos instructions et à exécuter
vos ordres à cet égard." Un autre repondait; " En ce jour
qu'on ne saurait être citoyen et officier de milice, que tant de
personnes mille fuis plus respectables que moi ont Été déplacées,
je me croirais souillé si je retenais une commission qui n'a plus
rien que de dégradant a mes yeux. Je ne l'acceptai qu'après
avoir BU que mon devoir serait d'agir conformément a la loi;
cette conformité ne pouvant plus être, ma commission cesse
d'exister."
HISTOIRE DU CAKABA* $69
Cesdestitutîons firent aux yeux du peuple des martyrs politiques^
mais n'empêchèrent point la grande majorité des miliciens de se
conformer à la loi en se rendant aux exercices. Dalhousie dont
la conduite aurait pu être bl&mêe en Angleterre si la désobéis-
sance eût été générale^ s'empressa d'en exprimer toute sa satis-
fâction^ et de déclarer qu'il espérait que malgré les artifices des
geqs mal intentionnés pour répandre les doutes et les soupçons
dans l'esprit du peuple^ les officiers et les miliciens continueraient
à montrer le zèle, l'obéissance et la subordination qui avaient
distingué jusque là la milice canadienne. Il est inutile de dire
qu'au milieu de ces diçsentions beaucoup d'officiers furent desti-
tués injustement ou pour des motifs que l'esprit de parti avait
fort exagérés.
Cependant la chambre avait été dissoute^ quoique les élections
frites dans des circonstances comme celles où l'on se trouvait,
eussent toujours tourné contre le gouvernement et augmenté le
parti populaire. La polémique des journaux ne cessait pas d'être
d'une virulence extrême. Les discours prononcés dans les
assemblées publiques étaient souvent empreints des passions les
plus haineuses, et les journaux de l'administration qui auraient dà
conserver au moins par politique l'apparence de la modération,
employaient le langage le plus insultant pour la population fran-
içaise, faute dont leurs adversaires se prévalaient aussitôt pour
prouver l'antipathie de l'administration contre l'ancienne popu-
l^pn. Des Canadiens fixés à Plattsburgh, état de la Nouvelle-
York, établirent une feuille, VAmi du Peuple, pour soutenir les
drmts de leurs compatriotes. << Canadiens, disaient-ils, on tra-
vaille à vous forger des chaînes ; il semble que l'on veuille vous
«néanfir ou vous gouverner avec un sceptre de fer. Vos libertés
sont envahies, vos droits violés, vos privilèges abolis, vos récla-
mations méprisées, votre existence politique menacée d'une ruine
totale. . . . Voici que le temps est amvé de déployer vos res-
sources, de montrer votre énergie, et de convaincre la mère
patrie et la horde qui depuis un demi siècle vous tyrannise dans vos
propres foyers, que si vous être sujets, vous n'êtes pas esclaves."
Le Spectateuar de Montréal en accueillant ces paroles s'écriait :
^^ La patrie trouve partout des défenseurs^ et nou/s ne devons point
encore désespérer de son salut."
K*3
270 HISTOIllE DV CANADA.
La chambre re.nporta une victoire complète. Les élections
accrurent cnonre sa force de plusieurs membres malgré l'oppcai-
tion éprouvée on plusieurs endroit?. Au quartier ouest (le Mont-
réal, à SoreJ, à St.-Euslac!ie, il y eut des rises entre les deux partis
et beaucoup de désordres ; maisleHlibérau.-s l'emportôrenl. "Les
éleclionssontpresquefinics, B^écriait le Sjicctateur,leBataiadaTo\,
delà ranalitution et du pays, ont remporté une victoire âgnalèe.
Les employés do l'administration de lord Balhoueie el l'adminie-
tration elle-même ont éprouvé une désapprobation générale et
formelle." Celte feuille était rédigée par M. Waller, ferven".
catholique et journaliste de talons distingués, qui s'était acquis par
Bes idées fibérales la haine du gouvernement, dont il était un des
plus rudes adversaires. I! était frère d'un baronnet d'Irlande, et
pour cela même entouré d'un certain prestige aux yeux de ses
compatriotes en Canada, qui avaient voté avec plusieurs Anglais
ou E(\ossaîs pour M. Papineau, au quartier ouest de Montréal.
Le gouvenieur dont la politique était si solennellement condamnée
par la voix du peuple dans une élection générale, ne vit plus
désormais de justification que dans une persistance plus opiniâtre
à voir des rebelles dans tous les chefs de l'opposition. Il prit
1 nouvel ordre général de milices pour porter une
intre elle. "Son excellonces'em[»'essQ, disait-il, de fairo
connaître aux milices ses sentimens sur des faits récens qui allec-
lenlleur fidélité el leur honneur. Les lois temporaires qui les con-
cernaient étant expirées les anciennes ont repris leur première
vigueur; des personnes mal disposées ont cherché à répandre
des doutes sur la légalité de ces ordonnances j à. ces doutes elles
ont ajouté des faussetés et dea calomnies grossières sur les inten-
tions du gouvernement, tendant à exciter au mécontentement, et
surtout à la désabéissance aux officiers de milice ; son excellence
a vu échouer leurs efforts avec la plus grande satisfaction, et sauf
l'absence de quelques officiers, les revues de juillet et d'août ont
été plus nombreuses qu'à l'ordinaire ; elle en témoigne sa plus
vive reconoEÙssance aux miliciens qui ont ainsi fait preuve de
leur fidélité et BÛ apprécier leur devoir; mais en même temps
elle se croit obligée de priver de leur commission tous les officiera
(]Ui ont négligé d'assister aux revues, ou qui dans leurs diECOurs
HISTOIRE DU CANADA. .371
aux assemblées publiques, ont manqué de respect au représentant
de leur souverain." •
Le résultat des élections et cet ordre général annonçaient la dé-
termination de chaque parti de persister dans la voie qu'il avait
prise. Mais rien n'était d'un plus dangereux exemple que ce
mélange de discours civiques et de devoirs militaires où tout
esprit politique doit disparaître.
Les chambres se réunirent le 20 novembre. Sur l'ordre de
Phuissier, l'assemblée se rendit dans la salle du conseil législatif,
où le président l'informa que le gouverneur lui ferait part des
causes de la convocation après qu'elle se serait choisi un prési-
dent, et qu'elle eût à le présenter le lendemain à deux heures à
son approbation. M. Papineau fut proposé par M. Letourneau
et M. Vallières de St. Real par le solliciteur général Ogden.
Après quelques débats la chambre se partagea. Trente neuf
membres votèrent pour M. Papineau et cinq seulement pour M.
Vallières. Cette division annonçait que la parti de l'administra-
tion était réduit à rien dans l'assemblée, parce que quelques uns
des membres qui avaient appuyé la candidature de M. Vallières,
étaient contre le gouvernement.
Le lendemain l'assemblée se rendit au conseil avec son prési-
dent qui informa le gouverneur assis sur le trône du choix
qu'elle avait fait. Le président du conseil répondit aussitôt que
son excellence le désapprouvait au nom de sa Majesté, et qu'elle
eût à retourner dans la salle de ses séances pour en faire un
autre, et le présenter à son approbation le vendredi suivant;
qu'ensuite elle lui communiquerait les dépêches qu'elle avait reçues
de Londres sur les affidres publiques. Ce résultat n'était pa3
inattendu. Le Spectateur de Montréal disait le 7 novembre :
*^ La gazette du château regarde le président de la chambre
d'assemblée comme l'organe de la conciliation.. • est-ce la con-
ciliation avec son excellence ? Quelle conciliation peutp-on espé-
rer d'une administration qui depuis sept ans viole les lois, viole
les droits constitutionnels du pays 1 Qui a travaillé à faire tour-
ner les ministres anglais contre nous, qui a juré une guerre
étemelle à nos droits, qui a déshonoré et difl&mé le lieutenant
gouverneur fiurton, qui a refusé de communiquer des documens
nécessaires sur des sujets importans, qui a insulté, calomnié,
Sn msToinii DU canada.
diffainé la représentation nationale?... Quelle espérance de con-
ciliation reisle'U avec une pareille administration, qui lait revivre
des ordonnances militaires contre les plus simples règles d'inter-
prétation légale, qui voyage pour remercier nticdemi douzaine de
flatteurs ou d'intrigane... 11 n'y a guère à douter que le gonver-
nemenl anglais ne regarde une pareille adminiatration comme nne
nuisance, dont les folies et la mauvaise conduite finiront bientôt si
le pays prend de son côté des mesures fermes et décisives.'' Le
refus du gouverneur fournit de nouveaux motifs et de nouvelles
armes à l'opposition, et la grande majorité se montra décidée &
maintenir la position qu'elle avait prise. Le fauteuil do préaideni
était resté vide. Sur la proposition de M. Cuvillier,il fut résolu:
Que le choix du président devait être f^t librement et ioitépen-
damment du gouvernement ; que M. Papineau avait été choisi,
que la loi n'exigeait pas d'approbation et qu'elle était coramc In,
présentation une simple formalité d'usage. Après cette déclara-
tion, M, Papineau fut reconduit au fauteuil et les membres de
la minorité se retirèrent. Sur la motion de M. Vnilières, une
adresse au gouverneur pour l'informer de ce qu'on avait fait, fut
adoptée à l'unanimité, et une députation fut envoyée pour savoir
quand il voudrait bien recevoir la chambre. Le gouverneur fit
répondre qu'il ne pouvait recevoir ni message ni adresse d'elle
avant qu'il eût approuvé son président, et le soir même le parle-
ment fut prorogé.
Le gouvernement dont les organes célébraient l'énei^e et
disaient que sans la fermeté du comte de Dalhoasie cette aoèoe
aurait conduit aune révolution, le gouvernement avait voulu dans
le même temps sévir contre la presse. Un grand jury de Mont-
réal avait rejeté les accusations qu'on lui avait présentées; on
on en choisit un autre plus commode qui en accueillit au com-
mencement de novembre contre le Spectateur ; mais l<rin de
modérer l'ardeur des journaux cette démonstration sembla
l'accroître. Le peup'e lui-même commença à s'agiter. Ily eut
des assemblées publiques dans les villes et dans les campagnes ;
on y organisa des comités pour rédiger des résolutions et de
nouvelles adresses au roi et au parlement impérial, que l'on ferait
ensuite signer par le peuple.
Le parti qui appuyait la politique de lord Dalhouue, très faible
HISTOIRE DCJ C&NADA, 273
«) nombre en Canada, maie puiïMM à Londres par l'influence
lie sca amis, el soutenu par le bureau colonial qui aveit donné
carte blanche pour kirs triomptier sa politique, tint ]iri aussi
nne assemblée à Montréal pour sdepter une adresse i Vex-
emple de aei adversaires, et la transmettre a l'Aneleierre, sans
cène importunée maintenant par ses colons indociles et remuans.
Il déotarail que la chambre avait retenu injustement les fonds de
douane du Haut-Canadn, passé des lois tem]wraires pour tenir
l'exécutif danï sa dÉpendance, refusé de donner des repré-
sentaos au-c cantons anglais et d'établir dc« boréaux d'hypo-
théqués afin d'entraver l'immigration j il l'aecosail aussi d'être
conduite par un esprit de domination et de mépris pour les pré-
rogatives de la couronne, et remerciait la providence d'avoir
permis que ces prérogatives fussent ms-intenues pour assurer
su pays son caractère anglais, et le gouverneur d'avoir mon-
tré nne ta noble énergie en toute occasion an milieu des
funestes divisions qui déchiraient le pays, espérant que les actes
delà diambre allaient enfin porter l'Angleterre à prendre la situa-
tion en très sérieuse considération et à corriger les défauts et les
erreurs que l'expérience du passé et les dernières préteniions des
repréflentsna avaient mis au jour. Le gouverneur répondit
suivant son r&le dans ces ilébats lorsqu'on lui remit l'adresse
pour la transmettre au roi : " Vous avez très exactement tracé la
tendance funeste des mesures que la chambre a adoptées depuis
quelques années. Quoique l'effet de ces mosores arrête depuis
longtemps les améliorations publiques, je considère cela comme
rien eu comparaison de l'alteinteijeaucoup plus audacieuse qu'elle
El o8é porter récemment à la prérogative royale. Je nepnis attri-
buer cet acte à l'ignorance ; quelques uns de cens qal se trouvent
à la lête des mesures fectieuses de oe cofps, sont des hommes
éclairés, et pour cette raison il est du devoir de louH ceux qui
«avent priser le bonheur dont ils jouissent sous la constitution
-britannique, de se montrer.
" Je regrette beaucoupde ne pouvoirdéposer moi-même efi per-
sonne votre adresse aux pieds de sa Majesté, tant je désire y
ajonter tout le poids que ma situation au milieu de vous pourrait
lui donner. De tout ce qui sera en mon pouvoir rien ne sera
tnibtîé pour recommander leB<sentimena et Im opininna qui y
93i HtBTOIRB DU CANADA.
BonI exposés, à la conûdération immëdiatQ et favorable du secré-
tajre d'État de sa Majesté . . ."
,, Cette réponse coalenait un appel à touB les partisans du chfL'
teau de s'agiter comme leurs adversaires. Il continua à a'exprl-
{ner dans le même sena à l'occasion de chaque adresse qu'on lui
présentait. Les lownsliips de l'est imitèrent leurs compatriotes
de Montréal et préparèrent aussi des pétitions à l'Angleterre.
., Les partisans de ta chambre n'étaient pas en reste. , Ils conti-
nuaient leur agitation partout avec activité. Ils tinrent encore
une grande assemblée à Montréal sous la présidence de M. Jules
Quesnel, l'un des principaux citoyens de la ville. M. D. B. Viger
et M. Cuvillier y furent les principaux orateurs. On y passa
des résolutions qui furent incorporées dans une pétition au. roi
et aux deux chambres du parlement impérial, dans lesquelles le
gouverneur fut accusé d'avoir commis des actes arbitraires
tendant à rompre les bases du gouvernement et à aliéner l'a&ec-
lion des hobilans ; tiré par warrant, ou autrement, des mains du
receveur-général, des sommes considérables sans être autorisé
par la loi; supprimé volontairement ou soustrait à la connaissance
du parlement, divers documens et papiers nécessaires à l'expé-
dition des alfaires; conservé, en violation de son devoir envers
Bon souverain et envers le Canada, M. John Caldwell dans l'ex-
ercice de ses fonctions longtemps après que ce foncllonDaire
eut avoué ea défalcation ; nommé en violation de son devoir,
John Haie, écuyer, pour le remplacer ; usé en différena temps
de son autorité, comme commandant en chef, pour in&uencer et
intimider les habltans dans Texercice de leurs droits civils et
politiques; destitué un grand nombre d'ofUcLers de milice sans
raison suffisante ainsi que plusieurs officiers civils; maintenu et
conservé en place plusieurs fonctionnaires dont la nomination et
la conduite étaient préjudiciables au service public ; multiplié
Bans nécessité les cours d'oyer et terminer ; nui aux intérêts
publics en empêchant la passation d'actes utiles par des proro-
gations et des dissolutions violentes et subites du parlement ;
porté des accusations fausses dans ses discours contre les repré-
aenlans du peuple afin de les déprécier dans l'opinion de leurs
conatituans; toléré et permis que les gazettes publiées sous son
Huloritô portassent journellement les accusations lea plus men-
i
eongères et tes plus calomnienaes contre In chombre il'assembl&e,
ainsi que contre tout le peuple de cette province; menacé, par
le même moyen, le pays d'eXercef la prérogative royale d'une
maniôre violenle cl despotitjue en dJBBolvant le corps repréacn-
latif ; puni en effet le paye en refusant sa Banctïon à cinq biits
d'appropriation; violé la rranchise élective en voulani directe-
ment et indirectement inlluencet tes électeurs; créé dans le paya
par cea divers actes d'oppression un sentiment d'alarme et de
mécontentement général ; déprécié le pouvoir judiciaire et affai-
bli la confiance du peuple dans l'administration de la justice ;
enfin d'avoir répandu dans toute la province un sentiment insur-
montable de méfiance contre son adminJalralion.
Le pouvoir qui voulait intimider les oi^anes de l'opposition et
atténuer au loin l'effet de ces grandes démonstrations pAibliques
par quelque coup d'éclat qui répandit le soupçon, choisit pour
faire arrêter une seconde fois Tédîteurdu Spectateur, M. Wailer,
le moment où il se rendait à l'assemblée. Mais ces tentatives
d'intimidation ne faisaient qu'aigrir davantage les esprila. Le
lendenaain le ^>ectateur disait: " Un autre attentat a été com-
mis au préjudice de la liberté de la presse et des droits et immu-
nités des sujets anglais. Lorsque l'on réfléchit à ta misérable
folie qui a marqué d'une manière indélébile l'administration;
lorsque l'on voit l'indiscrétion et la passion qu'elle a raontréea ;
lorsquel'on se rappelle ce que les intérêts de la société ont sonffert,
ce qu'ont enduré ses sentimens, ses droits, la constitution, la
représentation, on ne peut ëtro surpris des tentatives faites main-
tenant pour étouffer la presse, ou réduire au eilence toutes celles
qui ne sont pas payées par l'administration ou qui ne aonl pas
dans sa dépendance," Les autres villes et tous les districts ruraux
se réunissaient ou s'étaient réunis pour le même objet. On
adoptait des adresses de toutes parts dans lesquelles on s'exprimait
avec la même énergie et la même unanimité qu'à Montréal. A
Québec on en adopta une qui Bemljlable au fond à celle de Mont-
réal, était plus modérée dans les termes, 80,000 signatures cou-
vrirent bientôt ces représentations que M.M. Neilson, Viger et
Cuvillier furent chargés d'aller porter en Angleterre. Les
menaces dé la presse officielle ne fit qu'exciter le zèle des parti-
Bâns Se h c!iam1>rc. F^n vain les accnsait-ellc de trames sédi-
Wtt HISTOIIIB DU CANAUA,
tieusea el de rébellion, ils marchèrent droit à leur but, guidés par
cet instinct secret qui a été de tout temps comme la sauve-garde
et le bouclier sacré dea Canadiens. Chacun sentait que le
bureau colonial persistant dans son projet, cherchait dea motifs
pour revenir au hiU d'ujiion de 1822, car sans se» sympathies,
sans son appui au parti epposé à la chambre, prouvés parla
marche rétrograde du gouvernement depuis 1820, les difficultés
auraient été arrangées depuis longtemps. Le chef de police de
Montréal, M. Gale porta en An|leleTre les dépêches dp lord Dal-
housie et les adresses qu'il avait reçues. Le bruit oourBÎt alors
qu'il devait demander une nouvelle division dea doiix Canadas,
par laquelle l'île de Montréal et les townships de l'est auraient été
annexés au Haut-Canada. C'était un partisan violent de l'ad-
ministration. Sa haine contre les Canadiens était notoire, el on
savait qu'il avait pria une grande part dana les attentats contn
liberté de la presse, et à la rédaction de la Gazeltsûe Montréal
qui demandait l'union des Canadas, demande que le caractère
officiel do cette feuille rendait solidaire avec le gouverneur.
Le départ des agena Canadiens ne fit point diminuer les aBser
blées ni l'agitation. L'oa déclarait partout que les préteatio.
de l'administration répandait l'alarme ; que la chambre devait
avoir le contrôle sur les siihaides ; que la conduite de la majorité
était digne de toute approbation ; que le refus de eonfirraet la
nomination de son préûdent après en avoir appelé ati peuple,
était un acte d'insulte et de mépris de nature à aliéner son. affec-
tion ; que par la conduite qu'il avait tenue le gouvemeor avait
perdu la confiance publique, et que ceux qui acMptaient des ooio-
missions pour remplacer lea ofiiciers de milice destitués méritaient
la réprobation et devaient être regardés comme lea ennemis des
droitd du peuple.
Les partisans du pouvoir, quoique peu nombreux, continuaient
de leur côté à s'agiter sans relâche sur tous les points où ils pou-
vaient s'en rallier quelques-uns, et envoyaient des adresses dans
lesquelles ils manifestaient leurs sentimens avec une ardeur qui
n'en cédait point à celle de leurs adversaires. Daihousie répon-
dait à l'une, celle du comté de Warwick: "J'ai vu avec une
grande satisfaction par votre langage que la conduite dea chels
&ctieux est généialement réprouvée par tout homme loyal etiee-
i
HISTOEUK DU OAKADA. S77
peetable." A l'autre, celle des Troîa-Eàvières : "3e mo suis vu
Ibrcè de défenilrc contre des onipiétemena, les principe» les plus
évideiMi de la conalitiitlon et les jirérogaljvea len plus lûdubilables
de la couronne. Vous pouvez être assurés que je ne changerai
point (le conJuiie, car je suis certain Je recevoir finalement l'ap-
pui de tous les fidèles sujets du roi, et parmi euK je compte la
tréa grande partie du peirple qui s'est laiiseé égarer."
Un pareil langage après ce qu'il savait des projets des ministres
et de leur Jétermination de noyer les Canadiens dans une
majorité Étrangère, n'ètait-il pas la violation la plus évidante de
la sainteté de la vérité. Il rundait son administration désormais
imponsible. Ne gai'dant plus de mesures, il continua à sévir
lioutre les magistrats, contre les oOiciers de milice et contre la
presse. Plusieurs magistrats furent destitués. La Gazette de
QwéÈBC disait: "Que le paya méprise cette nouvelle insulte ; 11
peut confier sans crainte ses destinées à un roi et à un gouverne-
ment anglais." Quoique toujours plus modéré que lea autres, ce
journal était alors en butte aux poursuites du gouvernement.
Quatre actes d'accusation pour libelles avaient été portés contre
Bon rédacteur, pour avoir publié lea résolutions adoptées dans les
awemblèeB publiques.
Pendant que le Bas-Canada était ainsi livré aux di^entions
qu'amène le despotisme d'une minorité maintenue par la force,
car elle n'aurait pu rien faire sans l'appui de l'Angleterre, lai
Haut-Canada était en proie auK mêmes citations dues à la
même cause. Le parti libéral s'était soulevé contre l'oligarchie.
Cette coïncidence dans deus contrées dont la masse de la popt^r
lation était d'origine difTeronte, annonçait une cause réelle de
aouQrance et donnait par là même du poids auK représentation!
de chacune. Déjà M. Hume y avait fait allusion à I'oco&-
sion des subsides pour l'armée. " Les dépenses des colonies ren-
fermaient, suivant lui, la question de savoir de quelle manière cea
colonies étaient gouvernées. L'étaient-elles d'une manière sage
et sensée î ou le gouvernement ne metlaât-il pas plutôt tout en
usage pour les irriter et pour les porter dans leur désespoir è, tout
tenter? Pourquoi, ajoutait-il, avoir à présent 6000 soldats en
Canada î Si ce n'était pour tenir de force le peuple sous un gou-
vernement qu'il baïsïatt et méprisait ï Que dirait la chambra
L'3
BT8 HISTOIRE DU CAKADA.
des communes ai elle était traitée comme le sont les smemblèes
iÉgis!at<vea dans ce paysl Que dirait-elle si le roi refusait la
président qu'elle se sernit nommé par une majorité de 55 contre
5. Qu'on regarde les Etats-Unis. Il n'y a pas pour garder leur
immense frontière autant de soldats qu'en Canada. La mémo
aystiime erroné subsiste dans toutes les autres colonies, où le
peuple anglais connaît peu le gouvernement arbitraire qu'on
impose. Car tous les gouverneurs militaires sont arbitraires par
nature. On devrait les remplacer par des gouverneurs civils."
M. Huskisson proposa une motion lendante à faire nom-
mer un comité pour N'enquérir de l'État des deux Canadas. " La
question, dît-il, est de savoir si ces deux provinces ont été
administrées de manière à favoriser leur étabiiinsement, leur
prospérité et leur attachement à l'Angleterre. Sinon ce iera
au parlement à faire les modifications nécessaires. Bien des
défauts peuvent exister dans le système ; mais ils étaient îaé-
vitablcs à l'époque où la constitution a été établie. Le pays,
ses ressources, ses intérêts étaient alors peu connus, et il
n'y a rien de surprenant qu'il s'y trouve des imperfections, quoi-
que cette constitution ait été imaginée par les plus grands hommoa
d'état de l'Angleterre. Ils avaient à remplir les etigageraens que
nous avions pria avec les colons français tout en tâchant autant
qu'il était compatible avec oea engagemens, d'introduire les
avantages qui découlent des lois, de la jurisprudence et d'une
administration anglaise.'
« L'acte (le 91 vous permet de l'amender et d'en considérer
toutes les imperfections pour Ses corriger ; Pitl les avaient prévues.
"La France céda le Canada à l'An^sterre en 63 sans condi<
tion, sans stipuler de quelle manière il serait ad ministre, en |dràia
et entière louveraineié. Sa population n'excédait paa 65,000
àmeu. La France y avait introduit son système féodal dans toute
sa vigueur, je pourrais dire lïans toute ta diRbrrait6, Le syalèrae
fronças fut suivi non seulement dans les institutions, mais ffième
dans les édifices. Les maisons de campagne des colons avaient
tous les détauts et tout le mauvais goût qu'on voit à Versailles, la
grandeur et l'étendue exceptées. Tel était l'état du Canada
• Le Tniûirtre trOhil ici l'esprit du bureau colonial dans sa. conduite eoTei»
les Canadieua fruigaii. H ne ptut âisslmaler se
mxTQlRK DU CANADA) 279
Boua le régime français, le eyslème lèodal flotifljant ilans luule
Ea vigueur parmi une poignée d'habilans an roilimi d'un désert.
*' Ce Bj-stème avec la coiilurae de Parie arréla tout progrès. Le
miniEtre paesant enBuila à l'inteution du roi apréa la conquête do
porteur des colons en Canada en Leur promenant une assemblée
légiriative et lea lois anglaises, coutinua : L'on Gt tout ce que l'on put
pour introduire ces IoÎb elles laire observer jusqu'en 1774>. On y
envoys des jugea pour les administrer ; mais on ne donna pioint
de législature par suite de lo rév^dte dee autres provinces qui
BUtvint alora. tour ae concilier les Canadiens, on abandonna
ceB projets, on révoqua les pron^essea d'introduction des lois
anglaiteB excepté pour le code criminel, on confirma les anciennes
!oia,oR y reconnut la religion catholique et on substitua au syaté me
de taxation français le syatème anglais bien moins onéreux.
" L'acte déolaraloire de 78 abandonna ans colonies le droit de
se taxer, droit qui Tut conUrmé par la constitution de 91. Tous
ies droiu devaient éire imposés et appropriés par la législature, et
le Haut-Canada fut distrait du Bas pour iea colons anglais. On
fit la làule de diviser les collèges électoraux non suivant l'étendus
du territoire, mais suivant l'étendue de la population, ce qui a eu
Tefiet lie mettre la prépondérance de la représentation dans tes
seigneuries." L'esprit du ministre perce partout; il aurait
voulu qu'on eût donné à quelques babitans des townsliipe la
majorité sur la maaee de la population.
" Il reste, dit-il, une autre difficulté encore plus formidable,
celle du contrôle de la législature coloniale sur le revenu public.
Les taxes qui ont remplacé les taxes françaiseH, furent appropriées
p«r l'acte de 7* au payement do la liste civile et de l'adminislra-
tioii de la justice. Elles se montent à j£3&,000 ; à jë4<0,000 avec
l6 revenu dea amendes et coiilùcations. Les autres revenus qui
ont été imposés par la législature et qui sont è. sa disposilion, s'élè-
vent à jeiOO.OÛO environ. La cbarabrc d'assemblée réclame
tout ce revenu, surtout le droit de décider quelles branches du
service public et quels établisse me ne judiciaires seront payés sur
les £4<l/)00. La couronne lui nie cette prétention, qui n'est
fondée ni sur la loi ni sur l'usage, et la cbambre là-dessus refuse
tout subside pour forcer le gouvernement à lui abandonner le
contrôle sur la totalité des revenus. Tdle est la question en
débat entre Iob deux chambres.
« Mais avani de m'aaserar, je demanderai à ajouter un mot ou
deux sur un point auquel on a fait allunion dans cette ohamfare et
qu'on a diiscolé ailleurs. Je veux parler de l'abandon de nos
colonies. Ceux <|ui sont de cette opinion disent quo noua
devrions nous épargner la peine d'améliorer l'état de ces provinces,
en prenant la voie la plua Bage, qui serait de les abandonner à
eHee-mênies. Mais que ceux qui parlent ainsi considèrent que
ee eont nos compatriotes qu'on abandonnerait, qu'ils sont nés
comme noua dans l'allégeance du roi, tiu'ils remplissent tous lea
devoirs de ses sujets, qu'ils désirent le demeurer et en remplir
foutes lea oLIigaliona comme liabitana de l'empire. Tant qu'il en
sera ainsi, je dis qu'ils ont droit à la protection dont leur fidélité
et leur bonne conduite les rendent si dignes. Sur un pareil atijet.
je ne ferai pas usage d'une autre raison, l'importance de ces
provinces pour la marine, pour le commerce et pour la politique
de la Grande-Eretagne. Que ceux qui bazardent une pareille
suggestion considèrent l'bonneur de ce pays et l'impression que
ferait Bur toutes les nations un pareil abandon accompli sans
9 abandonner une
nécessité et sans être demandé. Devoni
pareillo contrée de notre seul et unique
1 Ou
i déjà eu lieu une fois louchant une autre partie de l'Amé-
rique qui a appartenu a la Franco, la Louisiane, on forons-nous
une affeira de louis, chelina et deniers'! Vendron^nous lo
Canada à une puissance étrangère 1 Non, l'Angleterre n'est pas
tomtiôe si bas. Le Canada noua appartient par les gouvenirs d'une
haute et honorable valeur tant, sur mer quo sur terre. C'est un
trophée trop glorieux pour s'en défaire par aucun de cea dons
moyens. Nous devons tout employer pour conserver le Canada
et le défendre jusqu'à la dernière extrCmitè. Ainsi la question
présentée sous ce point do vue ne peut être un seul instant dou-
teuse. Qu'on se rappelle aussi que c'est un pays où il n'y a point
de ces malheureuses distinctions qui existent dans quelques-unea
de nos autres cdonies; il n'y a aucune distinction de castes, de
maîtres et d'esclaves. Le peuple forme, pour ainsi dire, une
seule famille, qne lea liens les plus forts attachent à la métropole.
L'Angleterre est la mère de plusieurs colonies, dont quelques imea
HISTOUIB DU CANADA. ^81
foraient déjà un <1ob empires lea plus vastea et Ich plus Qorii^sans ds
l'univers ; celles-ci et beaucoup d'auires oui porté dans touales coins
du monde notre langue, nos inatitutlona, nos liberlée et nos lois.
Ce que nous ovodh planté a pris racine ; les pays que noua favo-
risons aujourd'hui comme cnlonies, deviendront lot ou lard des
nations libre», qui àleur toiireommuniquerontla liberté à d'autres
contrées. Mais me dira-t-on, l'Angleterre a Tait pour cela des
■acrifîcee immenses ; je l'avoue ; mais malgré ces sacrifices
l'Angleterre est encore par l'étendue de ses possessions la plus
puiasaute et la plus beureuse nation qui existe et qui ait jamais
existé. Je dirai de plus que nous serons bien payés de tous les
sacriScea qu'il faudra faire encore, par la moisson de glmre que
nous ajouterons à celle que nous avons déjà acquise, la gloire
d'être la mère-pairie de pays où l'on jouira dans les siècles à venir
du bonheur et de la prospérité qui distinguent de nos jours l'em-
pire britannique. Telle sera la gloire qui nous reviendra de
l'établissement de la surabondance de noire population non
eoulement en Amérique, mais dans toutes les parties du monde-
Quel noble sujet d'orgueil pour un Anglais de voir que sa patrie
a si bien rempli sa lâche, en travaillant à l'avancement du
monde. Que le Canada reste à jamais attaché à l'Angleterre, ou
qu'il acquiert son indépendance, non pas, je l'espère, par la
violence, mais par un arrangement amical, il est toujours du devoir
et de l'intérêt de ce paj's d'y répandre des sentimens anglais et
de lui donner le bienfait des lois et des insliludons anglaises."
Ce discours était rempli d'adrettse. Le ministre dissimulait ta
qu^tion des finances, qui était un terrain dangereux devant une
phambre do communes pour laquelle la votation des impôts était
un droit sacré, et appuyait principalement sur la gloire pour l'An-
gleterre de l'aire du Canada un pays vraiment anglais d'affection
comme de nationalité. Tout ce qu'avait fait jusque-là le bureau
colonial avait tendu vers ce but. Aussi Hui^kiason donna-t-il
une approbation complète à l'administra lion canadienne, eensura-
t-il les mesures de l'aascmblée et s'éleva-t-il avec force contre
l'agitation extraordinaire qui régnait dans le pays. Les gouver-
neurs n'avaient agi dans tout ce qu'ils avaient fait que par
l'ordre formel de Downing-Street, et la nomination du comte
Dalhou^e au gouvernement des Indes, était une preuve que ea
Sh histoire du Canada.
conduite en Canada était loin d'être désavouée du cabinet. H
n'est donc pas étonnant de voir le ministre élever la vmx contra
les colons, puisque leurs [Maintes étalent la censure la plus grave
de ses propres Tautee et de celles de ses prédécesseurs.
L'un des membres marquans dea communes, M. Laboucbér»
homme d'origine française comme les CaDudiefls,pritleur défense
et exposa avec force les droits de cette race en face de tous lea
préjugés qui s'élevaient contre elle : " Je considère, diL-il, l'acte
de 91 comme la grande charte des libertés canadiennes. Jecroia
que si l'intention de Piti et des lé^-islateur^ de son temps avait
été suivie d'une manière plus efficace, lo Bas-Canada aurait eu
melUeurechuice de parvenir à la prospérité qu'on lui dealinaitotde
jouir de cette concorde et do cette tranquillité que son allianca
avec la métropole devait lui assurer. II me parait Évident que
l'intention de Pitt a été de donner au Bas-Cauada une assemblée
populaire et un consed législatif, mais non pas do composer
entièrement co conseil de la plus petite portion de la population,
c'est-à-dire de la partie anglaise des habiians. Le secrétaire des
colonies ne rendait pas jusljce aux Canadiens nî à leur cbambrs
d'assemblée en disant que rexpéricnce de Fitt n'avait pas
réussi, puisqu'il était vrai que cette expérience n'avait jamais été
tentée on mise à l'épreuve do bonne foi. ... Je suis Otché que
le nom du ministre dea colonies se trouve attacbé au bîll d'aoioB
de 1822, qui a si puissamment contribué & exciter le mécontente-
ment qui existe généralement aujourd'hui. L'on ee rappelle que
vers la fin de juin, lorsqu'il n'y avait pas soixante membres pré-
■ens, il introduisit un bill pour anéantir la constitution que Pitt>
le gouvernement et la législature de ce pays avaient donnée aux
Canadas; la manière dont celle mesure fut introduite était uoe
marque évidente qu'on voulait prendre les Canadiens par sui>
prise, abn de les empêcher d'esprimer leur opinion sur la con-
duite du gouvernement." Sir James Macintosh maintint qu'ui
ne pourrait conserver longtemps le Canada sans le gouverner
avec justice. " Mes maximes en poUtique coloniale, ditjcet homme
d'état, sont simples et peu nombreuses. Protection pteine et
efficace contre t'influence étrangère ; liberté complète aux colo-
nies de conduire elle^mëmes lem^ affaires locales; obligatien
pour elles de payer les dépenses raisonnables de leur propre gou-
C&.
HISTOIRE DU CANADA. 283
vcrnement en en recevant en mfimo lemps lo parfait conlrôte, et
entier affranoliissement de toute restriction quelconque sur l'in-
duMrie du peuple. Telles sont les seulos conditions que je vuu-
(Irais imposer à l'alliance des colonies avec la mëtropote, les
ienlee conditions auxquelles je dësircrais que toutes iusi^eiit gou-
vernées. On ne peut guère douter que placées dans dételles
circonstances les colonica ne fussent aoua un gouvernement plus
doux, dans un 6tat plus heureux, que ai elles te trouvaient aaim
la protection immédiate, aous le gouvernement direct do la mére-
patrie.
*' Pour revenir sur les observollims qui ont été faites su snjet do
ia coutume de Paris, je prie la chambre de considérer que ce
code n'a tiubi aucun changement depuis 17i)0 jusqu'à 1789; et
tout en admettant que ce pui^e être un mauvais système quant
i. l'aliénation des immeubles et aux hypothèque», un système qui
eatratae de grands frais dans les poursuites judiciaires, je dois
cependant déclarer que lea Canadiens ne peuvent être si mal
partagea avec des lois formées sous les auspices du parlement de
Paria, d'un corps qui a été composé des plus granda génies qui
BO soient jamais appliqués à l'étude du droit, et qui peut mon-
trer les noms de l'Hâpital et de Montesquieu," Ici l'orateur don-
nant cours à son esprit sarcastique prit occasion de faire une
espèce de comparaison entre les lois Irançiises et les lois anglaises.
Il releva avec un esprit inimitable toutes les complications,
tontes les t^izarreriee, toutes les singularités que les lois anglaises
ont conservées des temps barbares, et en ellet le champ était
vaste et varié, puisque l'abénation des propriétés foncières est
devenue une science en Angleterre des plus compliquées, et que
l'achat d'une simple propriété cotite autant d'écriture qu'un
traité important entre deux nations.
tiqjrenant son sérieus, Macintosh continua : " Dans le vrai, !e
ministère, n'a mis devant la chambre aucune information suffi'
eanle, et il est bien loin d'avoir rendu sa cnuae parfaite. Mats
telle qu'elle est, avec la connaissance que nous avons des faits, et
sans entrer dans d'autre détail, je suis d'opinion que la chambre
Lil'asaeroblée est pleinement justîGable d'avoir agi comme elle a
tait. Indubitablement elle a le droit d'approprier l'argent qu'elle
toooide. Cela est même dans la nature de son vote. C'est le
■ lA
881 IIIBTUIKE Dtl CANADA.
droit de foute aaaemblée répréeenlative, et c'est àl'exercice île co
droit que la chambre dea communes est redevable de toute son
importance. Si la chambre d'assemblée ne possède pas ce droit,
c'est une pure îUuâoii que son prétendu contrôle Bur la dépense
publique. Ea 1S27 elle passa 31 blllala plupart pour effectuer des
réformes ; quelques uns ayant rapport à l'adml nia (ration intérieure,
d'auireâ à dea changomeaa utiles dans aca lois, d'autres enBn dans
la constitution. La chambre haute les désapprouva tous. Le
gouverneur en est-d responsable î Je réponds qu'il l'est. Le
conseil n'est autre chose que l'instrument du gouvernement. Ce
conseil n'est pas un contrepoids constitutionnel entre le gouver-
neur et la chambre élective, c'est le conseil du gouverneur. Des
27 membres qui le composent, 17 remplissent des charges qui
dépendent du bon plaisir du gouvernement. Ces 17 personnes
reçoivent entre elles £l5fi00 de l'argent public, et cette somme
n'est pas peu de chose dans un pays où ^1000 passent pour tin
revenu considérable. Je ne parle pas de l'évëque qui peut Ëlre
porté vers l'autorité, mais qui est d'un caractère pauifique. Les
9 autres, fatigués à la lin de lutter contre les 17 fonctionna ires,
ont cessé d'assister aux délibérations; et deux d'entre eux, qui
sont parmi .les plus forts propriétaires fonciers delà province,
ont signé la pétition. Les choses en étant ainsi, je demanda
si les Canadieus n'ont pas grand droit de regarder l'existence
d'un pareil conseil comme un grief.
"Le ministre des colonies s'est adressé aux senlimena de cette
chambre, pour esciter notre sympathie, non en faveur dea péti-
tionnaires, mais en faveur des Anglais du Canada, et dans plu-
sieurs parties de son discours il a fait allusion à eux. Mais je
demande qu'on me montre une seule loi passée par l'assemblée
du Bas-Canada contre les colons anglais î Une lui qui s'applique
à eux séparément 1 Et le remède qu'on propose, c'est de chan-
ger la représentation 1 et l'objet de ce^ changement, ce sont les
intérêts de ces 80,000 Anglais 1 Mais quelle influence, quel pou-
voir peuvent-ils avoir contre plus de 400,000 Canadiens, qui ont
entre leurs mains toutes les terres, toutes les propriétés du pays?
Les Anglais, à peu d'exception près, sont renfermés dans les
villes, et se composent en grande partie de marchands ou d'agens
de marchanda. Ce sont tous dea gens respectables J6 n'en doate
DU CAKADA. SB5
pBH] maîi ne serail-ce pan la piua grande injustice que de leur
donner rinflucnce que lea Caiiiuliena doivent posséder par leurs
propri6tèe. Lorsque j'entends parier d'enquête pour protéger
ks oolona anglais, je ne puis m'enipëcher d'éprouver un senti-
ment pénible. Je suis làcité qu'on tienne un pareil langage ;
et je regarderais comme un mauvais aymptôme à celle chambre
était disposée à. Traiter une classe d'hommes comme nne race
privilégiée, comme une caste dominante, placée dans nos colonies
pour surveiller le reste des habitans. Aurona-noua en Canada
une colonie anglaise s^^parée da reste de la population 1 Les
Anglais rormeront-ils un corps favonsé par excellence t Auront-
ils des privilèges exclusilàl Seront-ils unis d'intérêt et de sym-
pathie pour assurer la domination protestante 1 Et donnerons-
noua à ces colonies 600 ans de calamités comme nous avons
doniiéil'lrlande,parcequ'U se rencontre dojis cepaysunc popula-
tion sn^aiseavecdesintérêtsel des sympathies anglaises! Au nom
de Dieu I n'introduisons pas un pareil fléau dans une autre région.
Que notre pdilique soit de donner à toutes les classes des lois
équitables et une égale justice; et qu'on ne Tasse pas croire
qve les Canadiens nous sont moins cheis, qu'Us ont moins de
droit à notre considération comme eujelâ du roi, qu'ils sont moins
dignes de la protection des loia que les Anglais. La chambre
doit làire attention ; elle ne doit établir aucune distinction entre
ces deux classes d'homme:!. S'il est de la nature d'un gouver-
nement équitable de donner la plus grande portion du pouvoir
poKlique à ceux qui ont la plus grande portion de la propriété e(
qoi forment la majorité, quel droit a la minorité de se plaindre ?
Ce n'est pas ce qui découle du plan de Pitt: et ai la liberté
civile et le pouvoir politique ne suivent pas le grand nombre et
la propriété, le peuple ne peut plus les tenir que du bon plaisir
de «es gouvemans. Je regarde comme un symtôme dangereux
la distinction des races et la formation d'un peuple en deux
claeses distinctes."
M. Hume parla aussi avec force à l'appui des plaintes des
Osnadiens, et surtout de ceux du Haut-Canada qui l'avaient
chargé de leurs pètitioos. 11 blima sévèrement la politique du
bureau colonial. Si la seule colonie du Canada, dit-il, portait des
plainlas, on pourrait supposer qu'elle est plus disposée que lex
SBB tllSTOUlS DU CAHADA.
uitreB à se quereller avec le gouvernement. JVIaiti i l'excepdoft
de la Nouvelle-E cosse, il n'y en a pas une seule qui ne se plai-
gne depuia de longues années sans obtenir de sallsCâction.
. Lea diacoara des ainis des Canadiens qui paraissaient fondés
■ur la raison et sur la juatice, tirent une grande sensation.
M. Wilmot répliqua à M. Laboudière. Il prétendit que
la môlropole devait se conserver le droit do taxer lea colonies,
surtout leur commerce, en leur laissant le produit de la taxe. M-
âlauley vint apiôs ; il maintint que le conseil législatif devait être
changé, que le gouverneur s'en servait comme d'un écran pour
se mettre â couvert, qu'il était toujours opposé au peuple el
tenait la place d'une atiatocratie sans en avoir !es qualificaliona.
On ne devait point, suivant lui, accorder de privilèges à, l'égliac,
et il était important que lea Canadiens n'eurent aucune raison
de jeter lea yeux au-delà de l'étioite Irontière qui les séparait des
Etata-Unia et qu'ils n'y vissent rien à envier. M. Wai^burton et
M. Baring s'exprimèrent dans le même aena. Lea communes
renvoyèrent les affaires du Canada à un comiié spécial.
En présence de l'appui que les Canadiens trouvaient daits
cette chambre et auquel on ne s'était peut-être pas attendu^ leurs
ennemis àLondres commencèrent à se remuer de nouveau. Une
quarantaine de marchands decette ville adressèrent une pétition an
parlement en faveur de l'union des deux Cajiadas. Quoiqu'une
grande partie des signataires n'eût jamais vu ce paya, elle
fut renvoyée au comité comme lea autres ainsi que celle que l'on
reçût à peo_prÙH dans le même temps contre les deatilutions des
officiers de milice. Le comité interrogea sir Froncis Burton, M,
Grant, les agena de ia chambre d'assemblée, celui du Uaul-
Canada, M. Ryerson, M. Gale, M. Ellice, M. Wilmot et «tuelquoa
marchands. Une partie des témoignages eut rapport à la question
des subsides. Il envisagea cette question d'un |>oint de vue
élevé, et laissa percer aussi que l'horison qu'on apercevait pourrait
s'élargir encore et qu'il fallait tout préparer pour aller plus loin
lorsque le temps viendrait d'augmenter de nouveau les libertés
canadiennes ; du moins c'est ce que l'on doit conclure de queltjuea
Il rapporta que dans l'élai des esprits il n'était pas pr£t li
T l'union des deux Canadas, mais que les djtipowlîopa
i
IUBTOHn ou OilUDA.
déclaratoîrea de l'acte ilea tennrea touchant les t
franc et commun soccage, devaient être maintenues en introdui-
sant les hypothËque» Bpécîales el les iuis d'aliénation du Haut-
Canada; qnel'on devait donner aussi la faculté de changer la
tenure seigneuriale, et d'établir des cours de circuit dana les
townships pour les causes concernant les terres aoccagères. Il
était fermement d'opinion que les Canadiens devaient demeurer
dans la paisible jouissance de leur religion, de leurs lois et de
leurs privil^es tels que toutes ces -choses leur avaient été garan-
ties par le pariement, et que lorsqu'ils désireraient avoir de nou-
velles seigneuries on leur en accordât ; qu'il pourrait être avan-
tageux d'augmenter la représentation sur la base adoptée pour le
Haut-Canada ;qae le pouvoirde confiscation pourrait être exercé
pour remédier aux abus et faire remettre dans le domaine de la
GOttronne les terres restées incultes pour les vendre à d'autres ;
que l'on pourrait aussi lever une légère taxe sur les terres non
défrichées ni occupées; qu'il serait avantageux de mettre à la
dispontion de l'assemblée tous les revenus de la province, sauf le
revenu héréditaire et territorial, et de conserver à la couronne le
pouvcnr de destituer les juges.
Il regrettait qu'on n'eût pas informé le parlement impérial de
l'appropriation des revenus du Canada sans le consentement de
ses reprétcnlana. Quant à la défalcation de M. Calthvell, il
fallût prendre k l'avenir les mesures nécessaires pour se mettre
en garde contre les détournemena du receveur-général et des
sbérifis. Les biens des jésuites devaient être appropriés à l'é-
ducation. Le conedi législatif devait être rendu plus indépendant,
de manière à le lier plus intimement d'intérêts avec le peuple.
Les jugea ne devaient point prendre part aux dtscussionB politi-
ques dans le conseil législatif ni avoir de siège dans le conseU
exécutif. Enfin on devait borner les changemens à ùiie à la
constitution de 91 à l'abandon à la législature locale de toutes
les affiiires intérieures et ne faire intervenir le parlement impérial
que lorsque son autorité suprême serait nécessaire.
Quant au partage dos droits de douane entre le Haut et le
Bas-Canada, it était désirable, suivant lui, de régler cette affîûre
d'une manière amicale et permanente. Les terres de la cou-
mme et du clergé devsi^it être vendues i la condition expresse
2Sb histoire du cah&da.
du défrichement, et leur prix approprié au maintien daa
églises de toutes les aectea protestantes, eu égard à leur nombre
si le gDUvernement le jugeait convenable. La coastîtution i^
l'univertrité du Haut-Canada devait être changée et le Berment
religieux abdi. La loi du jury devait être perlectionnèe. On
devait permettre aux deux Canadas d'avoir chacun nn agent à
Londres comme les autres colonies. S'il y avait des défauts
sérieux dans les lois ou dans la constitution de ces deux provinces,
les difficultés actuelles provenaient principalement d'une mau-
vaise administration. Malgré les perfectionnemens et les sug-
gestions qu'il proposait, sans un système constitutionnel impartial
et conciliatoire on ne devait pas attendre de repos. Enfin quant
à la conduite de lord Dalhousie lul-mfme depuis le départ des
agens touchant la deetilution des officiers de milice et les pour-
suites pour libelle à l'instance ilu procureur-général, le comité ne
pouvait s'empêcher d'appeler l'attention du gouvernement sur la
pétition qui les concernait et de l'engager à faire faire une enquête
sévère en donnant les instructions que demandaient la justice
et la saine politique.
Ce document dressé avec beaucoup de précaution permettait
oo plutôt laissait entrevoir beaucoup plus de concessions qu'il
n'en accordait réellement. On y voyait évidemment un désir de
satisfaire tout le monde; mais la chose était fort difficile »non
impossible. On voulait conserver la prépondérance ou parti
anglais qutnqu'il (Ùi dans une immense minorité et satisfaire eit
même temps les plainte les plus justes des Canadiens. Le
comité se moDlraii fort libéral en parole; mais toutes faibles
qu'Étaient ses concessions, elles ne furent pas même sanctionnées
par les communes. Le rapport ne fut ni adopté ni rejeté. Le
nouveau ministre, sir George Murray, qui venait de remplacer M.
Huskisson, promit d'en suivre les recommandations quand la
chose serait possible. Ainsi tout en reconnaissant la réalité
des griefs du peupla par des paroles qui ne Uaient point le
ministère, la métropole ne prenait aucun engagement solennel
de les redresser, abandonnant ce soin à la discrétion du bureau
colonial, dont les syrapailiies allaient être, sous des parole*
plus douces et plus réservées, plus hostiles que jamais,
Duifl une entrevue des agens canadiens arec tàrGeat^
mSTOlRS nu CAViJUU ffi9
Mnrray quelques jours aprés^ ce ministre leur dit qu'il regret-
tait de voir que lord Dalhoosie eût perdu la confiance du Canada^
cdlonie sî importante pour l'Angleterre ; mais qu'il pouv^ait
les assurer que l'on allait prendre des mesures pour faire
cesser les difficultés qui troublaient le pays depuis si longtemps.
Pour rendre le rétablissement de la paix plus facile» lord Dal-
housie fut rappelé et nommé au commandement des Indes en
remplacement de lord Gombermere. Sa retraite était d^autant
plus nécessaire que sa popularité était complètement perdue. Il
n'aurait pu la reconquérir sans suivre une politique diamétrale*
ment opposée à celle qu'il avait tenue jusque-là, ce qui aurait
rendu son administration méprisable. Ses rares partisans lui
présentèrent une adresse louangeuse, et il partit chargé de l'im«
prècation des masses, imprécation due moins à son caractère
qu'au vice du système qu'il avait trouvé établi et qu'il avait suivi
avec plus de zèle que de sagesse et de justice.
Sir James Kempt, lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-
Ecosse, vint le remplacer. C'était un homme plus réservé et
plus adroit, qui dès son début voulut marcher sans faire alliance
avec aucun pard et qui, comme tous les nouveaux gouverneurs,
prit le timon de l'état entouré de l'espérance que donne toute
nouvelle administration . Ainsi se termina la nouvelle phase, la nou-
velle secousse qui vencdt d'exposer pour la seconde fois le vaisseau
mal conduit de l'état. Tandis que l'agitation et la discorde divi-
saient encore les chefs, qui débattaient sur les moyens de le gou-
verner pour l'avantage du plus grand nombre, il suivait toujours
sa route sur les flots du temps et s'élevait dans l'échelle des
peuples.
Le parlement impérial en laissant en suspend le rapport du
comité, abandonna, comme on l'a dit, la réparation des abus au
bureau colonial lui-même, c'est-à-dire que rien n'était réglé et que
les dissensions allaient bientôt reprendre leur cours. £n effet, mal-
gré les censures du comité, il y a lieu de croire que le ministère
serait sorti victorieux de la lutte si on eût été aux voix et qu'il
aurait eu pour lui une grande majorité. C'est ce résultat presque
eertain qui empêcha les amis des Canadiens d'insister davantage.
Ils préférèrent sagement de s'en tenir aux promesses des minis-
tres quelques vagues qu'elles fussent que de s'exposer à tout
290
HISTOIRB DU CAlfADA*
perdre. Oai( qji ^<li^ «leiH^éit^ pttU88^à^<MitrMioe, ^ premier
discours de 11. tfaa^s#q[ tnbQnfgcït déj|à ^sfc^ qjU'if çn| aurait ûdt
une question nationale^ une question de race, et devant les pré-
jugés anglais les Canadiens français auraient été sacrifiés sans
hésitation. ^ .^ i i i } r ^ f ^
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UYEE SEIZIÈME.
CHAPITRE I.
LES 92 RÉSOLUTIONS.
1829-1834.
Espoir trompeur que le rapport pu comité de la chambre des communes fait
naître en Canada. — Instructions de sir James Kempt. — La presse cana-
dienne devient plus modérée. — Ouverture des chambres. — Décision des
ministres sur la question des subsides et autres points mineurs. — Les
espérances de l'assemblée s'évanouissent. — ^Résolutions qu'elle adopte. —
Nouvelles adresses à l'Angleterre. — Travaux de la session. — Session de
1830. — ^Réponse des ministres aux dernières adresses. — Résolutions sur
les ordonnances de milice et les subsides. — Conseils législatif et exécutif.
— Opinion de sir James Kempt à leur sujet. — Sensation qu'elle produit. —
Assemblée de St-Charles. — Sir James Kempt, qui a demandé son rappel ,
est remplacé par lord Aylmer. — ^Le procureur-général Stuart suspendu. —
Concessions et réformes proposées par lord Goderich. — Appel nominal de
la chambre. — ^Elles sont refusées. — Faute de l'assemblée en cette occa-
sion. — ^Lord Aymer très affecté.— Les juges Kerr et Fletcher accusés. —
Le Parlement impérial change l'acte constitutionnel pour abandonner tous
les revenus du Canada au contrôle de sa législature. — Session de 1831-2.
—Nouvelles dépêches de lord Goderich. — ^Indépendance des juges. —
Terres de la couronne et réserves du clergé. — Bureau des postes. — Fin de
la session. — ^Regret de lord Aylmer de voir les toncessions de lord Grode-
rich si mal accueillies. — Emeute du 21 mai à Montréal. — Le choléra en
Canada: ses terribles ravages. — Assemblée des Canadiens à M. -Charles,
des Anglais à Montréal. — Réponse des ministres touchant le juge Kerr et
l'indépendance des juges. — Retour des ministres à une politique rétro-
grade. — Adresse au roi pour le prier de lendre le conseil législatif électif.
— Résolutions contre l'annexion de Moiitiéal au Haut-Canada. — Le pro-
cureur-général Stuart et le juge Kerr destitués. — Adresse du conseil
législatif au roi. — Double vole de son président. — Townships de l'.si. —
Session de 1834 — Dépêches de lord Stanley sur divers sujets. — Considé-
ration de l'état de la province. — Les 92 résolutions. — Lord Aylmer
accusé. — Adresse du conseil législatif. — Prorogation.
Le rapport fait à la chambre des communes sur le Canada ne
décidant rien, n'ayant pas même été adopté, l'on devait s'attendre
que les divisions allaient continuer plus vives et plus ardentes
S0S HISTOIRE DU CANADA.
que jamais. Beaucoup de personnes espéraient que la politique
Riéti'opolilaine allait changer et qu^il y aurait plus de justice et
d'impartialité pour la population française; que les abus et les
défectuosités de railministralion seraient corrigés et qu'en&n tous
les moyens seraient pris pour rétablir l'harmonie et la concorde
entre les trois grands pouvcnra de l'élat. Mais c'était une illusion.
lies ministres ne voulaient faire aucune réforme, aucune concea-
Bion réelle, La minorité anglaise conserverait toujom^ loua les
départemens àa l'exécutif et, au moyen des deux conseils, un
pouvoir législatif égal à la majorité française représentée par
l'assemblée, et entre ces deux corps en opposition, ils compilent
exercer eux-mêrneB le pouvoir comme ils l'entendaient par l'in-
termédiaire du gouverneur,
Sir James Kempt reçut des instructions parti cul iîtrea. Il devait
dissimuler son rôle et paraître conserver une parfaite impartialité
entre les deux partis, sans laisser abattre le conseil, qui servait de
barrière contre les prétentions de la branche populaire. Il
s'acquitta de Cette tâche avec une grande adresse, et ee relira
lorsqu'il vit le moment arriver où de vaines parolea ne seraient
plus sulRsantea. En prenant les rênes du pouvoir, il portâtes
yeux sur la presse, dont les emporlemens n'avaient pJua de
bornes, la presse officielle aurtoul. Plua réservée dans tous les
paya que celle de l'opposition, elle l'était d'autant moios en
Canada qu'elle paraissait inspirée et payée par le pouvoir. Sir
James Kempt donna Bcs ordres et son ton devint bientôt plua
modéré. Il fit abandonner aussi les procès politiques qu'avait
ordonnés son prédécesseur, en en faisant rapport aux ministres,
suivant ses instructions. La presse libérale écoutant les conseils
des agens revenus de Londres et les chefs de t'asserablée se
turent auaai. Le parlement anglais et le ministère, disait le
Spectal.eui-, ont montré pour les hsliitans de ce paya de la bien-
veillance, de la justice et de la conciliation, et nous devons les
imiter. Il n'y eut que la presse anglaise de Montréal qvû, »oina
soumise au contrôle immédiat de l'esècutif. et moins initiée aux
secrets du château, voulût persister dans son intempérance de
langage, dont l'excès du reste portait son contrepoison avec lui
aux yeux des hommes calmes et sensés.
Tout le monde atteadûl avec impatience l'ouvorlure des
HlSTOmE DV CAHAOA.
29S
<^Qmlires ipour voir la ilèdsion Je W métropole sur les queBtioDs
iini avsneiit tant troublû le p»ys. Les uiia crtiyaieut que pleÎDe
justice sernit rendue, \ea autres (juc les cmiceaaiunB seraient |>ure~
ment numinales. La légidalure s'assembla ù la fin de 1S2S. Le
gouverneur approuva le eiims. tîa liL Papiiteau pour la prési-
dence dtï l'assemblée, ef. adressa un ùJsoourâ aux chambres dana
lequel il chercha i les convaincre du vil' déaii- des minialrea de
faire cesser les (]illicul'.éâ exislanied, et qu'il n'était lui-même que
leur interprête dan^ Tuccasion présente. " Le gouvernemeut
de Ga Majeetë m'a déchargé, dit-ili de la rBttpoiisaliilil6 attachée
i aucune' des mesures néceBeairea pour l'ajuelement des dilTicultêa
fiscal eu qui se sont m kl heureuse ment élevées, et je saisirai une
occasion prochaine pour vous transmettre pat mésange une com-
munication de la part de sa ^lajoslé, cju'elle m'a spécialemeut
ordonné de vous faire relativement à l'appropriation du revenu
provincial. Il sera en même temps i e mon devoir de voua
exposer les vues du gouvernement de cette province tiuc lesquelles
l'attention des miniatrea de la couronne ii été appelée; vou^ v
découvrirez les preuves du désir le plus sincère qu'a le gouver-
.^ment lîe na Majesté d'ap|)liquer, autant i^u'il sera praticable,
tm remède efficace à tous les griefs réels."
Ce discourir que l'on dit avoir élé envoyé tout tàil d'Angleterre,
à part deia recom ma n dation de l'oubU des jalousies et Jes dissen-
sions passées, ne renfermai! pas grand'chose. Les deux chambres
observèrent la même réserve dans leurs réponses, excepté l'as-
Fiemblée sur tin point. Elle se crut obligée de protester contre
l'acte iliégal et arbitraire de l'exécutif qui s'Était passé l'année
précëdeJiie Je la législature et avait employé les deniers publics
fians appropriation. Sept jours après elle reçut le message
annonçant la dédsiou de la métropole sur les subsides et sur
quelques autres points mineurs. Après quelques observations
générales sur la loyauté des Canadiens et le retour de L'hariuonie,
le gouverneur l'informait que les discussions qui avaient eu lieu
au sujet de l'appropriation du revenu, avaient attiré l'attention du
roi, qui avait fait étudier la question pour la régler d'une manière
définitive en ayant égarrl aux prérogatives de sa couronne et aux
droits de son peuple. Tant que le revenu approprié par le par-
lement impérial n'aurait pas été mis par le même parlement
SH
HISTOIRE DU CANADA.
floufl le contrôle de la province, il devait rester k la disposition de
la couronne. Ce revenu ajouté à ceux provenant d'appropria-
tiotia provinciales, et aux £3 à 4000 du revenu casuel et terri-
torial, formait un grand lotai de JË3S,000 <^ui se trouvait ji la éia-
posilion permanente du gouvernement. Après le payement du
salaire du gouverneur el des ju^es, on était prêt à garder le reste
entre sea mains jusqu'à ce que l'assemblée eût fait connaître aea
vues sur la manière la plus avantageuse de l'employer. On
espérait que cette proposition serait agréée, mais en tout cas
l'Angleterre avait déjà un proje^t pour régler la question Ënanciàre
d'une manière permanente. Quant à l'insuffisance des garanties
données par le receveur-gënérel et les sbérifTs, le gouvernement
impérial se tiendrait responsable des deniers qu'ils pourraient
verser entre les mains de son commissaire de l'armée. Il
approuverait aussi avec plaisir tout plan équitable adopté par les
deux Canadas pour ie partage des dr«ls de douane perçus à Qué-
bec. Enfin il pensait que les terres incultes devaient être taxées
et que l'on devait établir des bureaux d'enregistrement.
Voilà à qucri se bornaient les réformes. Après avoir mis de
côté ce qu'il fallait pour payer le gouverneur el les [jugea, la
chambre pourrait être entendue sur la manière d'employer le reste
de cette portion du revenu mise à la dispoMtion de l'exécutif par
les actes impériaux, pourvu <ju'e!le voulût l'appliquer au service
public sans blesser les intérêls ni diminuer l'eificacilé du gouver-
nement. Or pour ne pas diminuer l'efficacité du pouvoir, c'était
une approjHÎation permanente qu'il fallait sous «ne autre forme,
et c'était justement pour rendre le pouvoir mmna indépendant
d'eux que les représentans faisaienl tant d'efforts pour fa'm
tomber ce revenu sous leur suffrage annuel. Fuis la métropole
avait un projet financier sur le métier, qu'élait-il '. C'étaient les
élus des contribuables qui devaient régler cette question et non te
bureau colonial, qui était indépendant d'eux et inspiré par dea
sentimens qu'ils oon naissaient pour leur être plus hostiles qoe
jamais. Toutes ces explications, toutes ces suggestions Étaient
parfaitement illusoires. Aussi l'assemblée après avoir renvoyé
le message à un comité spécial, vit-elle toutes ses espérances
s'évanouir successivement comme un beau rêve.
Lorque le comité prâieMa «an rapport, «tl« l'adopta presque à
HISTOIRE DU CANADA. SQ5
l'unanimité. Il tux résolu qu'elle no devait en aucun cas ab&n-
donnar son conlrôle sur la recette et la dépense de la totalité du
revenu public; que l'intervention Uu parlement impérial où le
Canada n'était pas repréaeuté, n'était admisBible que pour révo-
quer les statuts contraires aux droits des Canadiens; que t^llQ
intervention dans les atTaires intérieures ne pouvait qu'a^raver le
mal ; que la chambre pour seconder les intentions bienveillantes
du roi, prendrait en considèrulioii l'estimation des dépenses de
l'an prochain, et lorsqu'il aurait été conclu un arrangement final
elle rendrait le gouverneur, les jugea et les conseillers exécutif*
indèpendans de son vote annuel. Elle ajouta qu'eile passerait un
bl!l d'indemnité pour les dépenses faites après les avoir exami-
nées ; qu'elle n'avait reçu aucune plainte touchant le partage des
droite de douane entre les deux Canadns ■■ qu'elle conoourrait avec
plaleif à toute mesure touchant les townships, et que le règlement
des pointa suivans était essentiel à la paix et au bonheur du pays :
1. Indépendance des juges et leur isolement de la poliliquei
2. Retjponsabilité et comptabilité des fonctionnaires.
3. Conseil législatif plus indépendant du revenu et plus lié
aux intérêts du pays.
1. Biens des jéeuites appliqués 1 l'éducation.
5. Obstacles à l'établissement des terres levés.
6. Redressement des abus après investiga^on.
Ces résolutions prirent la forme d'adresses au parlement impé-
rial, que le gouverneur transmit à Londres.
lie coQMeil rescindait en môme temps, & la suggesticuL de ûr
Jamea Kempt isans doute, sa résolution de 1S21, de ne prendre
en conndératiou aucun bill s'il n'était d'une certaine façon.
Malgré la persistance de la chambre dans ses plaintes et les
investigations qu'elle continua sur les abus, elle passa une foule
de lois, dont 71 furent sanctionnées parle gouverneur et six réser-
vées pour l'être par le roi, parmi lesquelles celle qui portait la.
représentation i 8i membres. L'assemblée Tavait fixée à
89. Le conseil retrancha un membre à plusieurs comtés auxquels
elle en avaitdonné deux et en ajouta on à d'autres qui n'en avaient
qu'un. £lle préféra sanctionner ces amendemen s qui réduisaient
le chiffre de la repréuentalion que de perdre la mesure. Elle
avait dmaué un membre A cbaqae 5000 âmes à-peu-préa. Le
S9tf HISTOIRB DU
coaseil voulait en donner lieus à chaque 4000 àmee et plus,
et un à chaque comté de muine Je *000 âmes. Ainsi Jeiis comtés
de 1000 âmes aui'aient élu deux membres et un comté de 20,000
n'en aurait élu que le même nombre, Parmi ces lois il y en
avait pluaieura d'une grande importance soit par les principes
qu'elles entraînaient ou confirmaient, soit |mr l'impulsion qu'elles
devaient imprimer aux progrès du paya. Telles étaient celles
qui donnaient une existence légale aus juifs et aus niËthodistes,
qui accoi-daient des sommes considérables pour l'amélioration de
la navigation du St. -Laurent et des routes, pour l'éducation ei.
l'encouragement des lettres et des sciences. Les appropria lion s
s'élevèrent à plus de ^6200,000. Mais aucune des grandeu
questions politiques n'avait été réglée; toutes les causer de
discorde subsistaient dans toute leur force, ou n'en èlaient que
plus dangereuses pour être ajournées. Le gouvernement chercbait
tant qu'il pouvait è temporiser, espérant que le temps amènerait
le calme dans les esprits.
Al'ouverture (le la session suivante il s'empressa d'annoncer aux
chambres que le commerce progressait tous les joura, qtte le
revenu avait augmenté, que des écoles s'établissaient partout, que
les roules s'amélioraient, que l'ordre se rétablissait dans la comp-
tabilité des ileniers publics, I) suggérait, pour venir en aide à
ces progrès, de perfectionner la loi des monnaies, celles de l'édu-
cation et de la qualification des juges Je paix ; d'établir des cours
de justice dans 1m comtés populeux ainsi que des prisons et
un pénitentiaire, enfin de taxer les (erres inculte» et d'établir
des bureaux d'hypothéqués. Quant à la réponse de l'Angleterre
aux pétitions de l'assemblée, les ministres n'avaient pas eu le temps
d'amener la question des subsides devant le parlement im])ërial,
mais ils allaient s'en occuper (mmédiatement, et en attendant la
chambre était priée de voter la liste civile de l'on dernier.
La chambre revint dans le cours de la session aux anciennes
ordonnances de mibce dont lord Dalhousie avait tant abusé, et
résolut à la majorité de 31 contre 4, d'envoyer une adresse au
roi contre la légalité Je cette mesure d'autant plus dangereuse
que ces lois avaient été faites ilans un temps où un despotisme
pur couvrait le pays. La eliambre, dit M. Neilson, a décidé
unanimement que ces ordonnances ne sont pas en force. "Si
cette chambre a exprimé les opinions du pays, observa M.
Papineau, les ordonnances sont abrcfgées ; car quand tous les
citoyens d'un pays repoussent unanimement une mai^vaise loi ;
il n'y i» plus de moyen de la faire exécuter : elle est abrogée."
C'est de la rébellion s'écria M. A. Stuart.
. Quant aux subsides, la chambre déclara en passant le bill, que
l'appropriation qu'elle faisait n'était que provisoire et dans l'espé-
rance que la question financière allait être bientôt réglée ■ que
les grie& sur lesquels le comité des communes anglaises avait fait
rapport, seraient pleinement redressés et que l'on donnerait plein
effet à ses recommandations : que le conseil législatif serait réfor-
mé, que les juges cesseraient de se mêler de politique et de siégef
dans le conseil exécutif, enfin que l'on établirait un tribunal pour
juger les fonctionnaires accusés. Le conseil voyant l'acharnement
implacable de l'assemblée contre lui, voulait rejeter le bill sans
même le regarder ; mais l'influence du gouverneur retint quelques
membres, et le juge Sevvell sut^éviter ce qui aurait été un immense
embarras. Lorsque le bill fut mis aux voix, elles se trouvèrent
également partagées 7 contre 7. Alors le vieux juge toujours
trop habile pour manquer de moyens, imagina de voter deux fois ;
il vota d'abord comme membre et ensuite comme président de la
chambre. L'évêque protestant, M. Stcw^art, qui n'y avait pas
paru de la session, y vint ce jour là à la sollicitation du juge pour
donner sa voix. La minorité n'eut plus qu'à protester.
Sir James Kempt regrettait que l'assemblée n'eût pas voté la
somme nécessaire pour couvrir toutes les dépenses du service
public et les arrérages de certains salaires y mais il la remercia
en la prorogeant de ses généreuses appropriations pour l'éducation,
l'amélioration du St.-Laurent et les routes intérieures. Elle
avait accordé une somme considérable pour entourer le port de
Montréal de quais magnifiques en pierre de taille, pour encou-
rager la navigation à la vapeur entre Québec et Halifax, pour
bâtir une douane à Québec et des phares en d fférens endroits
du fleuve } elle avait donné d£20,000 pour une prison à Montréal,
dei2,000 pour un hôpital de marine à Québec, je38,000 pour
l'amélioration des chemins et l'ouverture de nouvelles routes dans
les forêts afin de faciliter l'établissement des terres ; ^8,000 pour
. ^éducation. Enfin elle s'était plu à faire voir que si elle voulait
29S
exercer plus d'influnnce Bur le gouvememeot, c'était pour l'em-
ployer i ['avants^ de la chose publiqoe, et que ses prèieniions
ëtajenl inspirées par le besoin qu'avait la société de plus de latiî-
IiiJe, de plus de liberté pour répondre à son énergie el i son acti-
viLé qui se développaient dans une proportion encore plus rapi-
de que le nombre des habitans qui la composaient. Le gouver-
neur n'ignorait pas qu'il faudrait Batïsrnlre tôt ou lard ce besoin,
et que si l'on ne l'aiRait pas de concessions maintenant des diffi-
cultés plus graves que toutes celles qu'on avait encore vues ne
tarderaient pas à éclater. Ce n'était qu'en usant de la plus
grande réserve el de la plus grande prudence qu'il les empêchait
de renaître: mais le moindre occident pouvait briser la bonne
entente qui paraissait esister entre lui et les repréaentans du
Les conseils législatif et exéeutiJ occupaient alors l'Angleterre.
Le ministre dea colonies écrivit pour demander des informations
sur ces deux corps ; s'il était à propos d'en changer la constitu-
tion, surtout s'd serait désirable d'y introduire plus d'homn^es
indépendans du gouvernement, c'est-à-dire sans emploi de Ik
couronne, et dans ce cas si le pays pourrait en fournir assez Û6
respectables pour cet honneur. Sir James Kempt répondit que
le conseil législatif était composé de S3 membres dont 12 fôn^
tionnairea, 16 protestons et ^ catholiques, et le conseil exécutif de
9 membres dont un seul indépendant du gouvernement et un seul
catholique ; qu'il n'était ]ias préparé à y recommander de chan-
gement notable ; mais que l'on devait introduire graduellement pins
d'hommes indépendans du pouvoir dans le conseil législatif, et
n'admettre à l'avenir qu'un seul juge dans les deux conseils, le
juge en chef; qu'il pensait aussi qu'il serait à propos d'introduire
dans le conseil exécutif un ou deux des membres les plus distin-
gués de l'assemblée, aSn de donner plus de confiance ila branche
populaire dans le gouvernement, chose qui lui paraissait de la
plus grande importance pour la paix et la prospérité du pays. H
croyait que l'on pourrait trouver assez de personnes qualifiées
pour remplir les vides qui arriveraient de temps à autre dans les
deux corps. Quand on voit le gouverneur qui paraissait le plus
favorable au paya s'exprimer avec tant de circonspection sur les
matériaux les plus nécessaires qu'il contenait pour faire marcher
HISTOIRE DD CAVADA. 299
un gou versement, on n'est psB eurpria de ses embarrae. Quand
un gouveroËinenl a une si iiaule opinion de lui-mJïine et une ni
petite lies peuples quUl dirige, ia sympalliie doit âtre aussi bien
faible.
AuBsilôt que la dépêche de rir James Kempt, mise devant le
parlement impérial. Ait connue en Canada, les habilans Im jilua
respectables dce comtés de llicbelieu, Vercliéres, St.-Hyacinihe,
RouvUle et Cliambly, s'assemblèrent à yt.-Cliadea eouB la prési-
dence de M. Debartzch, ci déclarèrent que quuique la conduite
de ce gouverneur eût fait disparaître les hainee et les divisions
qu'avait fait nailre la politique arbitraire et extravagante de lord
Dalhougie, celte dépêche réveillait les craintes leii plus sérieuses,
et si lee deux conseils n'étalent pos réformés, l'on devait s'at-
tendre aux conséquences les plus funestes pour le maintien de
l'ordre, parce qu'il ne restait plus d'espoir de vwr rétablir l'Lar-
monie entre les ditféreutcs branches de la législature.
Sir James K.empl qui ne voyait au moment d'être forcé de se
prononcer sur les réformes que l'on appelai! à grandscris, avait
demandé son rapfie! pour'ue pas se trouver dans les mfimes dif-
ûculiés que son prédécesseur. 11 savait que le pays était trop
avancé [wur se contenter plus longtemps de vainea tiiéuries, de
sentimens vagues ou des déclarations générales, et qu'il fallait
enfin lui accorder ou lui refuser li'une manière formelle et pré-
cise ce qu'il demandait. Quoiqu'il eût rélabU les magistrats desti-
tués par son prédécesseur, qu'il eût fait de grandes réformes
parmi les juges de paix; quoiqu'il eût aussi commencé à réor-
ganiser la milice et à rétablir dans leurs grades les olliciers qui
avaient perdu leurs commissions pour leurs opinions poUtiqucs,
les résolutions de l'assemblée de Si.-Charles lui dèmonlraienl
que sa popularité finissait avec son administration.
il fut remplacé par lord Aylmer, qui avec le même programme
à suivre allait avoir en face de lui une assemblée plus nombreuse
que celle de son prédécesseur, et par conséquent plus ditUcile
encore à contenter. Le parti de la réforme s'était beaucoup
accru. Tous les anciens membres libéraux qui avaient voulu
se présenter avaient été réélus à de grandes majorités. 60 Cana-
diens français et 24 Anglais composaient la nouvelle chambre.
Une forte partie de ces derniers avait été élue par les Canadiens,
300
ftit qui proOTe que lea principes l'emportaient aur lee préjugés
iiatjiiriaux, ;;ui iiiitpiraient beaucoup plus le gouvernement que \e
peugjle. L'anlipatlûe du bureau colonial èhtit telle qu'il {allait
des efforts répétés pour le persuader i admettre (juelque* Cana-
diens dans les Jeux conseils, et la trainle seule dos trouilles avec
lea vives recommandations do eir JameB Kempt purent l'ongager
à choisir trois Canadiens françaÎB sur les cinq membres qui y
furent ajoutés vers ce lempa-ci-
Lord Aylmer ouvrit les chambres en 1S31 et les inlbrma que In
mort du roi el le changement de ministère avaient retardé l'arran-
gement de !a question ùes finances ; mais que les nouveaux
ministres allaient s'en occupe!' et iju'il esiiérait que les instructions
qu'il allait recevoir à ce sujet nneliraient fin à toute difficulté pour
l'avenir. L'assemblée se hâta de passer un bill i>our empêcher
les juges Je siéger dans les deux conseils, afin de mettre à l'essai
les nouvelles disposiiions de l'exécutif. Le hill fut rejeté auistt&t
par le conïteil législatif, d'où la plupart des membres de l'assem-
blée conclurent que les ministres persistaient toujours dans leur
ancienne politique. Elle résolut alors de maintenir sa position
coûte que coûte. Le procureur-général Stuart fut accusé lio
fraude^dans son élection à William-Henry, de partialité, d'exao-
tion en exigeant des honoraires 'iar les commissions des notaires
sans autorité : d'avoir prêté son ministère à ta compagnie de la
baie li'Hudson contre le locataire des postes du roi qu'il devait
défendre en sa (qualité d'oBiclei' de la couronne. La chambre
qui nvait renvoyé ces accusations à un comité spécial, demanda
1b destitution de ce fonctionnaire, qui fut d'abord suspendu el plus
tard destitué après lieus ou trois ans d'investigation au bureau
colonial, auprès duquel M. Viger avait été envt^è pour soutenir
Enfin le gouverneur reçut la répo
tion des subsides. Ils abandonnaien
nus excepté le revenu casuel et
ise des ministres sur la ques-
le contrôle de tous les reve-
territoire,* pour une liste
• C'est-à-dire des bïeoa des jésuites, des postes du roi, des forges St.-Jïau-
rice, du quai du roi, des droits de qiiiul, îles lods et ventes, des terres et des
TioiB. Le tout ne se montait qu'à environ £7,000 par année et le gonveme-
ment se le réservait porte iiu'il ne pnveiinil point des taxes, mais directe-
ntent des domaines Je U c<
HISTOIRE DU CANADA. . ^01
civile de d6 19,000 votée pour la vie du roi. Cette réserve loin
d'être exorbitante paraissait assez raisonnable, et allait diminuer
d'importance de jour en jour par les progrès du pays et l'aug-
mentation de ses ricbesses. Cependant la chambre refusa de
l'accepter, grande faute due à l'entraînement d'autres questions
qui avaient déjà fait perdre la liste civile de vue. Si le gouver-
nement eût fait quelques années plutôt ce qu'il faisait maintenant,
tout se serait arrangé. Mais après tant d'années de discussioju,
les passions s'étaient échauffées, les partis avaient pris leur
terrain, -et tous les défauts des deux conseils s'étaient raontrép
avec tant de persistance et sous tant d'aspects divers que l'on ne
voulût plus croire à la possibilité d'une administration juste et
impartiale tant qu'ils seraient là pour la conseiller ou pour la
couvrir. On demanda des garanties et des réformes qui effrayèrent
l'Angleterre. On éleva de nouveau le cri de domination française,
ce cri funeste qui n'avait de signification que par l'asservissement
d'une race sur l'autre. Pour les uns, il voulait dire, nous ne vou-
lons pas être soumis à une majorité canadienne, pour les autres,
nous ne voulons pas être le jouet d'une minorité anglaise. Jusqu'ici
le gouvernement maître des deux conseils, maître de lui-même,
maître de l'armée, maître enfin de toute la puissance de l'Angle-
terre, avait pu retenir les représentans d'un ^etit peuple da^s .46^
limites assez étroites. Mais qu'arriverait-il dans l'avenir?
Le bureau colonial savait que les principe^ étaient m faveur
de ce petit peuple qu'il tenait sous l'ean jusqu'à la bouche sans le
noyer encore tout-à-fait, et qu'il serait impossible de les violer
longtemps san^ révolter la conscience publique et sans se dégrader
lui-même à ses propres yeux ; c'est pourquoi il nourrissait tou-
jours dans le silence son projet de 1822^ afin de mettre fin unç
bonne fois lorsque le moment serait arrivé, par une grande injus-
tice à mille injustices de tous les jours qui l'avilissaient. Ce but
était évident; il se manifestait par le refus de toute réforme
importsmte propre à rétablir l'harmonie dans le pays. Aussi
était-ce précisément ce qui devait mettre l'assemblée sur ses
gardes. Elle ne devait rien compromettre, profiter des circons-
tances et surtout du temps qui élève dans la république des Etats-
Unis, ime rivale à laquelle l'Angleterre sera bientôt obligée de
chercher des ennemis pour conserver la domination du Çjom-
0*3
S03 HISTOIRE DU CANADA'.
merce et des mera. Avec une polltlciue ferrno et hahile. tes
Canadiens pouvaient triompher des antipathies mélropoli laines et
mettre les intérêts éclaires à la place des préjugés aveugles. Car
on ne pouvait crniré Gëiieusemeni qu'une nation comme l'Angle-
terre lui jalouse des institutions d'un peuple de quelques centaines
de mille âmes relégué à l'extrémité de l'Amérique. Malheu-
reusement dans une petite société les passions personnelles obs-
curcissent les vues élevées, et les injuBliccs Benlies trop wtes ei
trop directement font oublier la prudence nécessaire pour atten-
dre des remèdes efficaces et souvent fort tardifs. C'est ce que va
noua faire voir la suite des évënemens que nous avons àraconter.
On oubliait aussi que dans la série d'hommes qui tenaient aucces-
sivement comme ministres le portefeuille des colonies, il pouvait
s'en trouver qui n'entrassent pas bieiï avant dans le projet do
l'union des deux Canadas, et c'est ce qui arriva. Lord Goderich,
fjfaar exemple, ne montra pas, par aes acles,.un grand désir d'en
1. accélérer la réalisation. Mieux éclairé qu'aucun de ses prédé-
I OesBCurs sur le Bas-Canada par e^s entrevues fréquentes avec M.
■ viger, il parut au contraire vouloir faire plus de concessions
jn'aucun de ses prédécesseurs. C'est lui qui venait de faire la
%rniére proposition sur les subsides, laquelle comportait la con-
ssion de presque tout ce que l'on demandait sur cette question
Néanmoins la chambre ne voulant tenir aucun compte des
Appositions que ce ministre avaitpeut-étrc à vaincre dans le milieu
ans lequel il agissait pour obtenir ces concessions de ses col-
lègues, resta en garde contre lui comme contre tous ses prédéces-
rs, et au lieu d'accepter la liste civile qu'il proposait, elle deman-
» copie desdépêchesqu'ilavailécriteaàcesujet. Lord Aylmer
répondit qu'il regrettait de ne pas avoir la liberté de les commn-
niquer. Il existe une régie générale pour tous les gouverneurs,
a'aprèa laquelle ils ne peuvent roontrer aucune dépêche des
fciniBtres sans permission du bureau colonial.' La chambre se
a blessé de ce refus et ordonna un appel nominal pour
HBIj, • Lorsque je faisais dcB recherches pour cet ouvrage, lo secrâtaiie do lord
I Elgin, le colonel Bruce, me montra cette régir? ilnua un volume imprimé qui
coalieat loutes celles qui doivent servir de guide aux gouvernenra de
«oloniM.
HISTOIRE DU CA.MADA. 803
prendre en conaiiJération l'6tat de la province. C'était annoncer
qu'elle allait élenilre le champ de ses prétentions. Elle demanda
à l'exécutif des renseigne mena sur lea dépenses du canal de
Ghambly un état détaillé de la liste civile proposée, un état du
revenu des biens des jésuites et des terres et des bois, avec l'em-
ploi que l'on proposait de faire de ces revenus; si le juge de
l'amirauté recevait un salaire ou des honoraires. Le gouverneur
ne la satisfit que sur une partie de ces pointa. Il l'informa aussi
que les ministres avaient intention d'introduire un bill dans le
parlement impérial pour révoquer la loi qui chargeait les lords de
la trésorerie de l'appropriation des revenus que l'on se proposait
d'abandonner à la chambre.
Le comilé auquel loua ces documens étaient renvoyés présenta
un premier rapport la veille du jour de l'appel nominal.
" Comme les principales recommandations du comité de la
chambre des communes n'ont pas été suivies, disait-il, par le gou-
vernement, quoiqu'il y ait plus de deux ans qu'il a été fait, et
que les demandes que l'on avance maintenant ne correspondent
point avec les recommandations de co comité au sujet des
finances, ni même avec l'annexe du bdl introduit dans la dernière
session du parlement impérial par le ministre colonial, votre
comité est d'opinion qu'il n'est pas à propos de faire d'appropria-
tion permanente pour payer les dépenses du gouvernement." Le
lendemain, il fut proposé pai- M. Bourdages de refuser les sub-
sides jusqu'à co que tous les revenus sans exception fussent mis
80U3 le contrôle de la chambre, que les juges fussent exclus du
conseil, que les conseils législatif et exécutif fussent entièrement
réformés et que les terres de la couronne fussent concédées en
franc-aleu roturier et régies par lea lois françaises. Mais cette
proposition parut prématurée et fut rejetée par 50 voix contre 19.
On procéda alors à l'appel nominal et les débats sur l'état de
la province commencèrent. lia durèrent plusieurs jours et se
terminèrent par l'adoption de nouvelles pétitions à l'Angleterre, à
laquelle on ne se fatiguait pas d'en appeler. C'est dans le cours
de cette discussion que M. Lee proposa vainement, pour rétablir
l'harmonie, de rendi'e le conseil législatif électif.* On demanda
■ Cette propDBitiaii fut écartée par uua majorité de 24 contre IS, divuiou
qui annonçait iléjà un fort parti en faveur du principe éleciif.
^^_ lui
304.
encore i l'Anglelen-e les biens des jésHites et des institutions
municipales, on réclama contre l'administration des terres, les lois
de commerce passées à Londres, l'inlroduction des lois anglaises,
l'intervention des juges dans la politiqne, l'absence de responsa-
bilité chez les fonctionnaires, l'inlerveniion du parlement impé-
rial dans nos affaires intérieures, le choix partial dee conseillers
léglslalifa, et on ae plaignait que les abus que le comité de la
chambre den communes avait recommandé de faire disparaître
existaient toujours.
Lord Alymor, qui était un homme très sensible, parut fort
alTecté de ce nouvel appel à la métropole. Lorsque la chambre
lut présenta en corps la pélition pour le roi, il lui dit qu'il pouvait
•te faire qu'il avait encore quelque choce à apprendre sur les vues
~nltèrieiiroa des membres; maïs qu'il était bien aise de voir que
4eB abus exposés dans la pétitition étaient distincts et tangibles ;
■qu'il pouvait déclarer que plusieurs étaient déjà en voie de
'Informe sinon de redressement complet. Qu'il serait néanmoins
'beaucoup plus satisfait s'il pouvait se convaincre que lu pétition
embrassât tous l<)s sujets de plainte ; qu'il Était trè^ inquiet à cet
égard, et qu'il pritût bien la chambre de lui ouvrir son cœur, de
lui donner toute sa confiance et de ne lui rien cacher ; qu'il leur
tout fait connaître, qu'il n'avait rien dissimulé ; qu'il aurait
dé toute manœiivre, toute Mupercherie de sa part comme
ilîtedigne du gouvernement et du caractère franc et loyal du peuple
'canadien ; qu'il demandait la même bonne foi de la part de l'às-
[Itemblée. La chambre avait-elle tout mis au jour, avaiti-elle
.-Tèsert'é quelque plainte, quelque grief pour amener plus tard. I!
l'implorait de lui dévoiler la vérité au nom de leur souverain qui
était la sincérité elle-même, afin que l'Angleterre pût voir d'nn
coup d'œil toute l'étendue de leurs rnaux. Après des sontimens
exprimés à la fois avec tant de naïveté et avec tant de chaleur, on
ne peut s'empêcher de reconnaître la sincérité de ce gouvemeur,car
il est impossible d'attribuer un pareil langage à la dissimulation et
à l'hypocrisie. Mais cette scène montrait la grande diver^nce
du point de départ des vues de lord Aylmer et des représentans
du peuple.
Un membre des lownsbips de l'est se rallia vers ce temps-4^ i
la majorité àe Ea chambre contre l'oligHrchie, Cest elle qni
HISTaniE DU CANADA.
30â
avait inspiré t'itJ6e au bureau colonial de faire passer l'aute des
tenures pour empêcher les lois françaises d'èfre éleiiiliies à ces
townebips. M. Peck, avocat, »e 3cva dans la chambre et fii pas-
ser nne adresse au roi p6nr le prier da faira révoquer cet acte et do
rétablir les aniricnnes lois, déclarant qu'il élail contraire aux sen-
timens des habiians, et qi)''on le leur avait imposé de force contre
leurs droits, leurs ifitérèts et leurs désira, autre preuve de l'in-
fluence funeste qui dirigeait lo bureau colonial. En mémo temps
le juge de cette localitû, M. Fletcher, était accusé d'oppression,
d^bus et de perversion de la loi, et la chambre priait lord Aylmor
de prendre les mesures nécessaires pour proléger les habitans
contre ces injustices. Le juge Kerr fut accusé à son tour. Le
public étonné devant tant de ecandnlc, perdait de plus en plus
confiance dans les autorités; et le temps allait arriver où los
réformes partielles ne seraient plus suffisantes. Le gouverneur
eut beau faire informer la chambre que deux des jugea n'avaient
point asMsIé au conseil législatif de la sessioD, et qu'il avait fait
^gnifier au troisième de se retirer, cetto nouvelle fit à peine
quelque sensation. On sepréoccupaitdéjàfortement démesures
plus radicales. On ne vota encore que des appropriations tem-
poraires pour les dépenseii du gouvernement. Ce r|iii fit dire à
lord Aylmer en prorogeant l'assemblée que la mesure de ses
remercimens aurait èiîs complète si tes circonstances lui avaient
informer l'Anglolorre qtie ses propositions toucliant lea
ivaienl été enfin favorablement accueillies,
e perdait pas espérance que cette question fini-
rait pas s'arranger. Lord Howiek, Kous secrétaire des colonies,
fit passer une loi en 1831, malgré le protêt du duc de Wellington,
pour amender l'acte consdtutionnel de manière à permettre l'a-
bandon aux chambres canadiennes de tout le revenu moyennant
une liste civile annuelle de JE19,000. Comme on l'a déjà dit,
les réformes qui se font trop attendre font naître le besoin de
beaucoup d'autres, et on put voir que cela était vrai en Canada,
où l'on voulait déjà en faire exécuter plusieurs à peine ébau-
chées quelques mois auparavant, avant de voter une liste civile.
A mesure qu'on avançait l'on apercevait mieux la véritable
cause du mal.
Les chambres rouvertes à la fin de 31, l'assemblée reçut copie
permis d
L'Anglel
30» UISTOIKB DU CAKADA.
d*une longue dépêche de lord Goderîch en réponse àses adreases.
de la dernière seeaion. fille ia renvoya aux comitéa de l'éducation,
du commerce, de radniîniatralion de la justice, des ofUctere e.
cutilâ et judiciaires, et des agena comptables en ce qui les conc
nait. Le gouverneur s'exprimait alors en toute occasion oomm
tes difficultés eussent été arrangées. Lacotifiancel'empêchaitdâ
voir audeasous de la superficie des choses, et tea moindres réformes
lui paraissaient fondamentales. Une dépêche plue importante
suivit celle-ci. £llo invitait les chambres à passer une loi pour
rendre les juges des cours supérieures indépendans de la c
ronne et inaoïoviblcB durant bonne conduite, à condition que
leurs salaires seraient votés permanemment, et les informait
qu'aucun juge ne serait à l'avenir nommé dans l'un ou l'autre
conseil, excepté le juge en chef, et encore serait'îl tenu de s'ab^
tenir de prendre part aux quesLions poliliquee. Lord Alymer
demanda en même temps le sole du reste de la liste civile, f
transmettant copie de l'acte passé à ce sujet par le parlement
impérial. La chambre se coatenla de résoudre de se former en
comité général après ud appel nominal, pour prendre en ©
dération la composition des deux conseils, et après de longues
discussions lorsque ce comité s'assembla, i a question fut ajournée.
Le bill des juges passé par l'assemblée et rendu au conseil, le
gouverneur pria la chambre de voler le salaire dit chef du gouver-
nement, des secrétaires civil et provincial et des procureur ei
solliciteur-généraux. Ces salaires avec ceux des juges formaient
en y ajoutant quelques pensions et autres petits items, la liste
civile de ^619,000. Cette demande fut discutée en comité générai,
qui se leva sans adopter de résolution, ce qui équivalait à on
rejet. Jamais la chambre n'avait fait une faute aussi grave, car
une partie de sa force consistant dans son iniluence morale, elle
devait accomplir même au-delà de la lettre iea engagemena qu'elle
avait pria ou qu'elle paraissait avoir voulu prendre,
bitable que le ministère anglais n'avmt fait une â grande conces-
eion à ses yeux que pour calmer les esprits et s'assurer une liste
civilo suffisante qui ne serait plus contestée. On devait recon-
naître cette libéralité par des marques substanlielles, et non la
repousser par de nouvelles prétentions qui ne devaient trouver
leur solution que dans un avenir plus ou moins éloigné.
Mais déjà «ne influence malheureuse emportait la chambre
au-delÀ des bornes de la prudence. Les dernières élections
avaient changé le cBraclère de ce corps. "Un grand nombre de
jeunes gens des profesaiona Ubôralea avaient été 6lua bous l'inspi-
ration de l'esprit du temps. Ils devaient porter dnns la légials/-
ture l'esagéralion do leurs idées et CKCitev encore les cliefe qui
aviiient besoin plutôt d'ôtro retcnua après la longue lutte qu'ils
venaient de soutenir. M. de Bloury, LaFontaine, Moriii,Kotlier
et autres, nouvellement élus, voulaient déjà qu'on allât beaucoup
pluB loin qu'on ne l'avait encore osé. Il fallait que le peuple
entrât enfin en possession de tous les privilèges et de tous les
droits qui sont son partage indubitable dans le Nouveau-Monde ;
et il n'y avait rien à craindre en insistant pour les avoir, car les
Etats-Unis étaient à eùlé de noua pour nous recueillir dans ses
bras fil nous étions blessés dans une lutte aussi sainte.
Ils s'opposèrent donc à toute transaction qui paraîtrait com-
porter un abandon de la moindre percelle des droits populaires.
Ils se rangèrent autour de M. Fapineau, l'excitèrent et lui pro-
mirent un appui inébranlable. Il ne fallait faire aucune conces-
son. Pleins d'ardeur, mais eaQs expérience, ne voyant les
obsiBcles ciu'à travers un prisme trompeur, ils croyaient pouvoir
amener l'Angleterre là où ils voudraient, et que la cause qu'ils
défendaient était trop juste pour succomber. Hélas! plusieurs
d'entre eux ne prévoyaient pas alors que la providence se servi-
rait d'euK plus tard en les enveloppant dans un nuage d'honneur et
d'or, pour faire marcher un gouvernement dont la fin première et
fixe serait " d'établir, suivant son auteur, dans cette province une
population anglaise,avec leslols et la langue anglaiae,et de n'en con-
fier la direction qu'à une législature décidément anglaise,"*
(jui ne laisserait plus exister que comme le phare trompeur du
pirate, cet adage inscrit sur la &ux du temps : " Nos institutions,
notre langue et nos lois."
Malgré les sentlmena chaleureux que lord Aylmer manifestait
en toute occasion, il était liicile de s'apercevoir que les refus de la
chambre commençaient â lui inspirer de la méfiance. La com-
munication qu'il dût lui faire au sujet des réserves du clergé
devait encore, taute de bonne entente, exciter les esprits.
• Rapport de lord Durhaui.
SOS UlSTÛiRS DU ÛANAUA.
Les terccd apparteiiaieat à tout le pays sana ilistinction de
sectes. Le gouvernement impérial cependanteetail emparé Bans
droit, sans justice dans un temps encore tout vicié par les préju-
gea, d'une proportion considérable de ces terrea pour le Eoulien
d'une religion dout tes adeptes comptaient à peine dans la masse
des citoyens. C'était bous une autre forme, iâire payer comme
en Irlande, la dîme des proteatanw ans catholiques et à tous les
dissidena. Lord Goderich voyant tous les dÉfauta de ce système,
fit proposer à l'aHaerablée de soumetlre ses vues à cet égard afin
de voir comment l'on pourrait régler cette question de la manière
la plus avantageuse. Celait une concession équitable et impor-
tante. £lle passa un bill pour révoquer la partie de l'acte consti-
tnlionncl qui avait rapport aux réserves du clergé. Elle en passa
un autre, appuyée par les membreâ des townsliips eus-mémes,
pour révoquer celui qu'EUice avait obtenu du parlement impérial,
lequel autorisait les propriétaires à demander les prix qu'il voulait
pour leurs terres et introduisait les lois anglaises. Il va sans dire
que ces deux lois tombèrent daus le conseil. Quant aux terres de
ia couronne, lord Goderioh pensait qu'au lieu de les donner pour
rien à ceux qui en demandaient comme le proposait la chambre,
le meilleur système aérait de les vendre à l'encan périodiquement ;
quu néanmoins si elle avait des améliorations à proposer à ce
syslË me, elles seraient bien reçues; et quant aux réserves du
clergé il concourrait entièrement avec elle; il fallait les abolir.
" Un mode vicieus, disait-il, pour lever un fonds destiné à des
fins publiques était encore plus fortement condamnable lorsque
c'était pour les ministres de la religion, puisqu'il devait tendre
directement à rendre odieux aux habitaos ceux-là même qui
avaient besoin d'une manière si particulière de leur bienvôUance
et de leur aileotion." i
La chambre ayant terminé aan enquête contre les jugea accu-
sés, demanda leur suspension au gouverneur, qui refusa bous pré-
texte que les foDotionnaires n'étaient pas dans le même cas que
M, Smart puisqu'ils allaient Être rendus indépendans de l'exécu-
tif; qu'il les suspendrait néanmoins si le conseil législatif se joi-
gnait à elle.
La session touchait à sa an. l/n des derniers actes de l'as-
semblée fut de demander la mise du bureau de» postes eous le
HISTOIRE DU OANADA. 809
contrôle de la législature. Lord Aylmer en la prorogeant expri-
ma tout son regret de voir qu'après toutes les espérances que ses
votes et ses résolutions avaient fait concevoir, elle eût accueilli la
liste civile par un refus. Il l'informa que, malgré les embarras
qui pourraient en résulter, il se trouvait dans la nécessité, sui-
vant ses ordres, de réserver^le bill de subsides à l'approbation
du roi.
Maîgré les concessions de lord Goderich, l'excitation dans les
chambres et dans le public allait toujours en augmentant. Le
parti anglais qui dominait pai^tout, excepté dans l'assemblée,
tremblait à l'aspect des réformes du ministre et était furieux. Le
parti canadien croyait tous les jours davantage que ces réformes
seraient nulles si ses sentimens ne pénétraient pas plus avant
dans le personnel de l'exécutif; que tant qu'il n'exercerait pas
une plus grande part du pouvoir, la démarcation insultante exis-
terait toujours entre le conquis et le conquérant, et que lé premier
ne cesserait pas de paraître comme étranger dans son pays.
C'est au milieu de ces querelles que l'élection d'un membre
eut lieu à Montréal, laquelle dura trois semaines avec tous les
incidens d'une lutte acharnée. Les troupes furent appelées le
21 mai, tirèrent sur le peuple, tuèrent trois hommes et en bles-
sèrent deux, sanglant épisode qui fit une trîste sensation. Tout
l'odieux en retomba sur l'exécutif. ^^ Jamais, disait-on, les gens
de son parti n'attrappe de mal ; on sait si bien distinguer les vic-
times." Le gouverneur fut en vain prié de monter à Montréal
par M. Papineau,pour assister à l'enquête avec M. Neilson et M.
Panet, il ne crut pas devoir commettre un acte qui l'eût compro-
mis aux yeux du parti opposé à la chambre, et qui aurait eu l'air
d'une intervention dans l'administration de la justice. • Le cho-
léra qui éclata cette année pour la première fois en Canada, et qui
fit des ravages épouvantables, puisqu'il enleva 3300 personnes à
Québec seulement dans l'espace de quatre mois, calma à peine
les esprits. On recommença à tenir des assemblées publiques en
difiérentes parties du pays. St.-Charles qui paraissait s'être
attribué l'initiative dans cette nouvelle manière de discuter les
questions politiques, donna encore l'exemple. On voulait imiter
PIrlande et O'Connell ; mais une fois lancé, on ne put plus s'ar-
Mter. X)aas une assemblée des noiablea de la nviàœ GliambL]p»toiH
p*3
310 HISTOtRi: DV CANAJIA.
JDura présidée par M. Debartzch, l'on résolut que tant que le
conseil législatif serai l nommé par la couroDDe, il qVa serait quç
l'iQSlrumeiil contre le peuple; que les ohscrvalioos du gouverneur
à la prorogation de la législature au sujet de la liste civile, était
une insulte faite à la chambre et une atteinte portée à ses pjivir
léges et à son indépendance ; que l'Angleterre était cespqDsable
des ravages que faisait le choléra en ayant acheminé sur le paya
une émigration immense qui en portaltles germes dans son selo.
En effet ô2,000 émigrans débarquèrent à Québec dans le cours
de l'été. On protesta contre la conduite des magistrats dana
l'affaire du 21 mai, contre le refus du gouverneur de monter à
Montréal ; on passa enfin en revue tous les griefa en aignalant
pour la centième fois l'exclusion des Canadiens des chargea
publiques.
Le parti anglais pour ne pas rester en arrière se réunît i.
INIontréal à son tour, et adopta des cësoluliona d'une tendance
contraire à celles de St.-Charles, qu'il fit appuyer d'une dénaoas-
tration par ses amis de Toronto, où le procureur et le solliciteur-
général convoquèrent une assemblée pour prier le roi d'annexer
l'ile de Montréal à leur province. Lord Aylmer tout-à-fail sou-
levé alors contre la chambre et les Canadiens, visila,it les U>wd-
shipa de l'est et la vallée de la rivièie des Oltaouais, et écrivait ^
lord Goderich que l'on pourrait établir 500,000 éraigrans dans lea
premiers, cl 100,000 dans la dernière, moyen plus etKcape pour
réglée la question des deu^c races qu'aucun autre. £niîn les sen-
ti mens secrets de tous lea partis se dessiuaient de jour en joue
avec plus de force au milieu des passions croissantes, et ne per-
mettaient plus guère de dissimulation.
Le bureau colonial depuis qu'il était dirigé par lord (ioderiçb,
travaillait tant qu'il pouvait à corriger les abus. Onxe Douveaux
membres avaient été ajoutés au conseil législaUf dont huit Cana-
diens français, pour tàclter de le populariser un peu. Mais ces
réformes n'arrivaient pas assez vite pour salis&ire des hoiomes
aigiis par une longue attente. Le gouverneur eut beau adresser.
un long discours aux chambra} en 1832, et repasser av«c mo-
dératioa les sujets qui devaient lea occuper, s'abs^cnant de toute,
remarque sur la quesliori de la Uslo civib, et donnant de juslça
louants, à I9. Goi)jdwte cpjurageuaç et di^vqff^e, d^ çlq^à et <;^
I
HtÉTOntÛ Eftf èkvkôAi ^ dli
médecine) an itlllieu des ravà^ an flêàii qui vèiiait de décimer lé
pàijrs, Pafecmbléè jaloaJie dé ^és pHviléj^eâ, protesta ëontre léS
attaques qu'elle avait cru voir dans les observations qu'il àvédt
feiteë en prorogeant là dernière seéfeîori. A peine avait-elle
âccdiiipll ce qu'elle regardait cdminé un dévoir, qu'elle reçut léÈ
meà du rriihi^të sût lé bill dé subsides de là déf hiëré sêsâioh. &
Pâvenîr le goùvërtieur né jpourrait en sahctîdtlhét aucJtin dàriâf
lequel 6û n'aurait pas sfiiècifié avec précîsioii là somme et l'objet
poiïr lequel cette éômmé était' àccoMêé ; et ëMiime lé dénouéméHI^
de la quéstîdh dé là listé civile équivalait à Qti rejet absolu, le roi
ii'amëneiait pivià cette question sur le tapis et continuéraH à
payer léë dépensés sur lë^ deniers que la loi avait mis à sa dispo-
Étttîon. Quant au biW pont' l'indépendance des jugés, il n'avait
pas été sanctionné parce qu'on n'avait pas tait d'approipriatioii
fixe et permanente pour leur salaire, suivàtit l'dsa^ë dé l'Angle-
terre d'autant plus héèéâi^iré en Canada; disait Ibrd 66derîchy
qtié la poptilàtion y était divisée eii deuil clamés, différant d'otî«
gîne, dé langue, de l^lîgîon et de coutûrôté^j et qtie' là préporidé-
tancè dé l'tmé daiis l'àssémblèè excitait là jalotisîe dé Pautrë
aîUeurê.
Le refus de là proposition des mtnistréà sttif là question deé
Stxbsidés allait tfous iàîre rétrograder au point d'où nous étioh^
j)àrtis. Il était facile de voir que lofd Godérich qui avait fait
plus qu'aucim de ses prédécésséuns, comme Aous' l'avoù'à' dit,
iiAralgré les préjugés de l'Angleterre, allait être forcé dé réc6h-
fiàître que lec^ CanacKedsf étaient insatiables et que léttiié^ adver-
saires avàietft MÉàh dé Votioif tenir datfsr l'âbais^éihènt dfési
homthes si ambitieux.
Lé rétour cîù ministre à iiné politique rétrograde ou staîfîoniiàïre,
loin d'arrêter Péïan dé' l'assemblée, l'augihèhta. Elle rè' vit inondée
de pétifiofté de Montréal, dés Déux-Motitàgûes, d'e' Flsïét, dô
Richélreu, dé' St.-Hyacînthe, de Rouvîlle, de Chàmbly et de
Verclîères, sur lés abus de l'adniii^lstratioh, liés vices de la cons-
titution et le 21 mai. Pendant ce tetnpà là, elle' faissot unie
enquêté sur les événements de cette funeste journée, interrogeait
les témoins, recevait un refus du gouverneur de lui dire sIT avait
tétàtAïtkhâè d'augmenter le nombre des membreé du coà^il
léghslàtîfi qneBër personnes il airait' recommaddè- d'y nomihéir et
312 HISTOIRE DO CANADA.
si elles allaient l'être par suite de ses recommandationa, et ordon-
nait un appel nominal pour le 10 janvier, au sujet du conseil
législatif.
II fut résolu après un mois de délibération et une division de
34 contre 26, de présenter une nouvelle adresse au roi pour le
prier de rendre le conseil législatif électif, en suggérant quelle devait
6fre ! a qualification des électeurs et qu'un sixième du conseil tut élu
tous les ans. Elle protestait contre l'annexion de l'île de Mont-
réal au Haut-Canada, cette île qui contenait, disait-elle, une
population de prés de 60j000 habitans, dont la plus grande partie
descendaient de ceux en faveur desquels avaient été signées les
capitulations de 1760 ; elle déclarait que co serait une spoliation
non provoquée et une violation de ces mêmes capilulationa, des
actes les plus solennels du parlement britannique et de la bonne
foi de la nation anglaise.
La nouvelle de la destitution du procureur-général Sluart et
du juge Kerr, annoncée quelque temps après, calma à peine
quelques inslans les esprits. Mais le conseil législatifne pouvant
plus se contenir devant les allaques de l'assemblée, et forcé d'ail-
leurs d'agir par le parti qu'il était censé représenter dans le pays,
vola à son tour une adresse à l'Angleterre en opposition à celle
des représentans du peuple. Il exposait qu'il avait pris en con-
sidéralion leurs actes aussi dangereux qu'inconstitutionnels, et la
situation alarmante du pays, pour prier sa Majesté d'y porter
remède ; que d'un état de paix et de prospérité l'on marchait
rapidement vers l'anarchie cl une confusion certaine; que les
plus grands efforts étaient faits pour diviser les babitans des deux
origines ; que les intérêts du commerce et de l'agriculture étaient
sacrifiés à l'esprit de cabale ; que le gouverneur était fauttsement
accusé de partialité et d'injustice ; que les officiers civils et mili-
taires étaient représentés comme une faction corrompue, armée
pour l'oppression du peuple, et cela dans le but de dégrader les
autorités et de les rendre complètement nulles ; que l'on diflâmaît
les juges tout en refusant au conseil la permission de s'enquérir
de leur conduite ; et que pour combler la mesure l'on deman-
dait de le rendre lui-même électif.
eil exposait ensuite que l'assemblée cherchait à aug-
I pouvoir i ses dépens et aux dépens de la couronne,
HISTOIRE DV CANADA. 313
en voulant obtenir la dispoeltion des deniers publics sans pourvoir
aux dépenses du gouvernement civil et des juges, et en voulant
conserver les terres incultes pour les Canadiens français ; que
c'était en 1831 que l'on avait commencé pour la première fois à
mettre en question l'élection du conseil, et qu'il était étonnant que
la majorité de la chambre se fut laissée entraîner à détruire la
constitution ; qu'il ne croyait pas que la majorité des Canadiens
fût pour cette mesure, mais qu'il était facile de tromper un
peuple chez lequel l'éducation avait fait si peu de progrès ; que
le conseil était essentiel à l'existence de la prérogative royale, à
l'alliance du Canada avec l'Angleterre et à la sûreté des 150,000
Anglais qu'il y avait dans le pays ; qu'un conseil électif serait
la contre-partie de l'assemblée ; que ce serait rendre les charges
électives, troubler la sécurité des Anglais dans leurs personnes et
dans leurs biens, arrêter leurs progrès, interrompre l'émigration^
briser les liens qui attachaient la colonie à la mère patrie,
amener une collision avec le Haut-Canada, inonder le pays de
sang, car le Haut-Canada ne permettrait point paisiblement l'in-
terposition d'une république française entre lui et l'Océan ; et
que le conseil n'avait point sanctionné la mission de M. Viger à
Londres.
La pasaon qui avait dicté cette adresse avait fait dépasser le but.
L'idée qu'il fallait conserver le même pouvoir à la minorité qu'à la
majorité parce que l'une, comme anglaise devait être royaliste, et
l'autre comme française, républicaine, était mise à nu trop hardi-
ment pour ne pas frapper le bureau colonial dont on brisait ainsi le
voile qu'il avait tant de peine à tenir tendu, et pour ne pas exciter
sa mauvaise humeur sur une pareille gaucherie. <^ Sa Majesté,
dit le ministre, a reçu avec satisfaction l'expression de loyauté et
d'attachement à la constitution que contient cette adresse . • • mais
elle aurait désiré que le conseil se fût abstenu relativement à
l'autre branche de la législature, d'un langage dont le ton est
•moins modéré que ne le comporte sa dignité, et moins propre à
conserver ou à rétablir la bonne entente entre les deux corps. Sa
Majesté surtout regrette l'introduction d'aucune expression qui
ait l'apparence d'attribuer à une classe de ses sujets d'une origine,
des vues qui seraient contraires à la fidélité qu'ils lui doivent.
,.l4^ roi espère que toutes les classes de ses si^ets obéissent à la
314
loi volontairement et avec ptaisif. Il étendra toujours sa protec-
tion p&ternelle i toute» les classes-, et le conseil léglelaliT pcùl-
Ëtre certain qu'il ne manquera pas d'araurer i. toutes les droite et
les libertés constilutionnellea qu'elles possèdent par leur partici-
pation aux institutions britanniques." En même temps lo gotl-
verneur fit informer le conseil que le ministre était d^opinion que
son président n'avait point de double vote ; mais que Ce n'élbit
qu'une opinion et que le parlement impérial seul avait droit de
régler la question.
La compagnie qui s'était formée i Londres pour coloniser
les townahips de l'est préoccupait les Canadiens depuis quelque
temps. Its croyaient qu'elle leur était hostile, et qu'elle allait
s'eniparer dos terres d'avance pour les en exclnre par le haut
prix qu'elle demanderait et les autres obstacles qu'elle iriHirait
dans leur chemin. Celait bien 1i en effet le hui d'une partie des
membres, mais pas de tous. La chambre passa encore uïie
adresse au roi à ce sujet, pour le prier de n'accorder ni terre», ni
charte, ni privilèges à cette asBociation. Le conseil législatif vola
aussitôt une contre adresse. Nètant plus retenu par le gonver-
nement dans les bornes de la cii'conspection comme auparavant,
ce corps faisait maintenant une opposition ouverte à la chambre
en servant de rempart à l'exécutif. L'assemblée ayant en votant
les subaides refusé ou diminué certains items et réduit la somme
demandée de i^54,000 i. £47,000, il rejeta aussitôt le biil en
motivant son refus dans une série de rèsjlutions. L'assemblée
demanda encore que le bureau des postes fut placé sous le oot>-
trôle de la législature coloniale, et déclara qu'au lieu de chercher
à tirer un revenu de ce département, l'on devait plutôt diminuer
les droits de port sur les journaux surtout, et employer le sur-
plus du revenu, s'il y en avait un, à étendre les communication»
postales.
Les chambres furent prorogées le 4 avril, après une session de
près de cinq mois. La discussion des grandes questions qu!
occupaient la chambre depuis si longtemps, se porta au dehors.
La population anglaise s'assembla en différentes parties du pays
pour désapprouver la conduite de l'assemblée et pour prier l'An-
gleterre de maintenir la constitution intacte ; c'était ce que l'on
devût attendre. Elle devait soutenir la coas^l 1
mSTOlBS DU CANADA. 3.15
représentait ses intérêts, et redouter un changement qui aurait
appelé les Canadiens au paictage du pouvoir exécutif et de toutes
ses faveurs dont ils étaient'presque totalement exclus.
Chaque jou^ prouvi^it ds^vantage leur situation exceptionnelle.
Québec et Montréal venaient d'être incorppiréB pour l'adminis*
trfition de leurs afiaires locales. Le conseil de Québec se trou-
vant composé en majorité de Canadiens, pftssa des réglemens en
frfinçais et les présenta, suivait la loi^ aux tribunaux pour les
faire confirmer. Les juges refusèrent de les recevoir, p^rce
qu'ils n'étaient pas en Anglais^ C'était renier 1^ légalité de la
langue frsinçaise. Cette proscription inattendue donna dans l'état
des esprits 4^ nouvelles arines aux partisans d'qrxe réforme radi-
cale. Qo 1^ regçirda comme v^ne viola^tion du traiié de 1763.
L'assemblée doit dédider, diraient les journ$iux, si l'on peut se
jouer ainsi de la foi engagée entre de.ux n«^tions^
Cependant M. NeiUon voyant l'entraînement de la majorité
et ne voylsint pas suivre M. Papineai^ jusqu'à l'extrémité, s'était
séparé de lui depuis quelque teip^ps. Plusieurs Canadiens,
membres marquans de la chs^ipabre, en seyaient f$iit autant,
comme MM. Quesnel, Cuvillier, Duval, et quelques autres.
Ces hommes éclairés dont l'expérience et le jugement avaient un
grand poids, reconnaissaient bien la justice des prétentions de la
OL^jorité, mais ils craignaient de risquer ce qu'on avait déjà obtenu.
lijdyxàt Goderich avait fait des concessions et des réformes dont
l'^n devait lui tenir compte ai l'on faisait attention aux préjugés
enracinés du peuple anglais contre tout ce qui était français et
catholique. Fi^s tard à mesure que l'on parviendrait à détruire
ces préjugés, l'on demanderait la continuation de ces réformes, et
la puissance crissante des Etats-Unis dont il fallait que l'Angle-
t^re peaàt les conséquences tout an^o-saxons qu'ils, étaient, aide-
rait fprtemçint à la rendre juste à notre égard. M. Bedard,
père, Af. Neilson et M. Papineau étaient les trois hommes d'état
les plus éminens qu'eussent encore eus le Canada. La séparation
d^ MM. Neilson et de M. Papineau, étajit un vrai malheur pour
le pays^ L'éloquence, l'enthousiasme de l'un étaient tempérés
par Icj s^in^ froid et les calculs de l'autrç, dont l'origine ne permet-
tait point le mên;ie emportemoAt contre l'infériorité dans laquelle
^ Y9jil%>t t^nir le%ǧn^iei^.ijr9jpijçaia< Tous^deux axaient i'àm^
3^16 HISTOIRE DU tiAàk.'Dl,
grande et élevée. Tous deux éfarent'preèqaè des àtbià d'ëiï-
fance, et avaient toujours cotnbàttu ênsénibfë pôtn* la même
cause. M. Cuvîllier, M. Quésnel ^étalent' de leur côté' dés
hommes libéraux, ttiàls niodérè^, iaimàht leur jiàyiô fet joiiifiijéftit
d*un caractère qui flulsaît honneur à leurs cômpôitri6tès^ " '' '' '''
M. Papinéàu'eii se séparant de laÀt d'Hôttimëé^^^éàigèls^dtrr t»è
lancer dans ulië liitté côrtti'ë l'Angleterre, pi'efeiàît' ttnè
responsabilité' sur lui. Sahis' doute- que ce' cj^u'ïldëflïaiWï^^^^
juste, sans douté que si ses (ioÈi'pâtriotès eussent été d'origîriè
anglaise au liëii d'être" d'origiiiè frariçài^e,' ïe tiureâu colbniafl èAît
accordé toutes leurs derinnndes'sàÂs objection.' "Maié l'équité
ne triomphé pas toujours; les préjugés nationaux font coaim'ettre
bien des injustices. C'est au patriote; c'est à Pbdhimë d'état dfe
considérer tous les obstacles, dé pTésér tôutëé^ lëib' Chances él de
régler sa conduite dé manière à obtenii' lé ]^luS grfeirtd bien piôséi-
ble pour le moment en attendant le reste de l'ià venir, sans lîtrer
ce qu'on à déj[à au risqtië dHihé' lutte désë^éréeJ ' Il n*y àiràrt
pas de honte poùrlëâ Canadiens à prendre ce pattî; ' Un petft
peuple d'un demi-million d'habitans pouvait souflfri^iirhé nijbstîèië
d'une 'puissance comme l'Angleterre sans flétrissii^ë.' Le' dés-
honneur est pour le fort qui foule et tyrannise thjustëiùèht 'le
faible. ■ ' ■' • " ■'-'-;. > ^ r.-.-
LôiÇque'M. Papînéâu fut de retour chez lui éncbhetotif ékcitê
par ses luttes pariementaires,ilcoitiniëiiça àdéposel^surie pàplîé^
les griefs de ses compatriotes contré l'Aiiglëtéin^. Màlhéùréu*
sèment là liste en était longue et îetir téiliinîëcën(îfe né fit î^à^lgrît
davantage son âme àrdehtè. lî arriva 4 là se^icfn'sùîvaiite aVëd
ce travail en ébauche. < ; ;. • . ; • i. .
Le gouverneur ihforrfia lés cbambrës', ouvertes le' 'Y janvî^
1834, que le roi avait nommé un sur-arbitrë poùV ftdrffe le pèHâge
des droits de douane entre les àedt. Gat^adas, et <*pi^ le' rapport
accordait une plus grande part qife' de bbutùmé an Haut Y qu'il
serait nécessaire de renouveler la loi d'éducation et leë-knsde
milice qui expiraient, et de rëpreftdré l'a question des finances
sans délai, afin que la métropole vît ce qu'elle aurait à'fhirô.
Plusieurs membres voulaient cesser tout rapport avec Pexéi-
cutif et passer de suite à la considéVatioh dé l'état d« la province.
M. B6ui:dageB toujo^ à ht tète dés hiominès'IéSj^fmav'ââ^^
•
mSïiilKP DU tiNADA. 317
fit une proposition daos ce sena qui fut rspouEs^e. Fn réponse
aux remarquea du gouverneur, toucUant la perte du biU de sub'
aides de la dernièce session, la djambre observa qu'élue par le
peuple, elle devait eD partager le sort, et nue eon plua grand désir
devait être de travailler pour Bon bonheur. Elle organisa sea
comités ordinaires, mais elle refusa d'en nommer un, suivant l'usage,
de bonne correspondance avec le conseil législatif. " C'est une
insulte, disait M. fiourdagcs, de correspondre avec un corps qui
a ouvertement déclaré que nou^ voulions établir une république
française." L'assemblée repritl'enquêtedu 21 mai.
Elle reçut presqu'a usai lot plusieurs messages du chàleau. Le
13, elle en reçut un sur le bîll de subsides, et un autre sur [§
siège de M. Mondelet dans son aein, qu'elle avait déclaré vacant
deux ans auparavant par suite de sa nomination au conseil exé-
cutif. Le minisire approuvait le gouverneur de n'avoir pas fait
procéder à une nouvelle élection dans un cas où la cbambre avait
outrepaaaé son pouvoir. Le lendemain on l,ui en remettait un
autre au sujet du conseil législatif en réponse à l'adresse de la
ilerDJère session.
" L'objet que l'on a en viie pat cette adresse, disait M. Stan-
ley, est de prier sa Majesté de vouloir autorît'er une convention
nationale du peuple du Bas-Canada à l'effet de mettre de côté le?
autorités législatives et de prendre en considération lequel de
deujL modes sera adopté pour détruire entiérementla constitution,
l'introduction du principe électif pu l'entière abolition du consed
JégJBlatiL Sa Majesté veut bien De voir dans le mode projeté
qije le résultat d'une extrême légèreté ; elle ne pourra jamais
être conseillée de donner son assentiment i ce projet, vu q;u'c1Ie
doit conaidéier une semblablp mesure comme incompatible avec
l'existence même des institutions monarchiques; mais elle sera
disposée volontiers à sanctionner toute mesure qui pourrait tendre
i maintenir l'indépendance et à élever Iç caractère du conseil
législatif.
" Je ne suis pas prêt à lui conseiller de reconunander au par-
lement une démarche aussi sérieuse que celle de révoquer l'acte
de 91.. .. mais si lea événemena venaient malheureusement à
forcer le parlement à exercer son autorité suprême, pour appai-
ser les diasentiona intestines dans la colonie, mon devoir serait de
«•3
Goumeltre au parlement des modlfi cation b à la charte des Canadas,
tendant non pas à introduire des instiimions incomiratîbles avec
l'existence d'un gouvernement 'monarchique, mais A maintenir et
à cimenter l'union avec la mère-patrie, en adhérant strictement i
l'eaprit de la constitution brliannique, et en maintenant dansleurt
véritables altributîona, et dana des bornes convenablea, les droits
et les privilèges mutuela de toutes les classes de aa Majestii."
B est inutile de dire quel fut l'effet de cette décision sur l'as-
Ecmblée. Elle renvoya de suite à des comités apécîaux toutes
ces communications du gouverneur, qui refusait alors de lui a van*
cer l'argent néceaaaîre pour payer ses dépenses contingentes,
Boua prétexte que la perte du dernier bill de eubsidea le laissait
chargé d'une trop grande responsabilité. L'assemblée demanda
copie des ïnslructionB royalea touchant le bi!l de subsides de 32,
et rejeta un bill paasè par te conseil, pour établir un tribunal
destiné à juger les fonctionnaires accuséa, tandis que le conseil en
rejetait un de aon cdté passé par l'assemblée pour assurer !a
dignité et Pindépendance des deux conseils, dana lequel contrai-
rement à tous les principes de la const'tution anglaise, les conseil-
lers exécutifs devaient Être hors du contrôle dea deux chambres.
Ce hîll auquel on avait fait peu d'attention, avait été introduit
par M. A. Stuartet semblait plutôt une ironie qu'une mesure
Cependant le jour pour la prise en considération de l'état du
pays arrivait. C'éait pour cette occasion que M. Papinean
avait préparé le tableau dea griefs dont nous avons parlé tout k
Pheure. En arrivant à Québec il t'avait communiqué anx
membres de aon parti. On s'était rCunî à diverses reprises chez
le membre du comté de Montmorency, M. Bedard, pour l'eïa-
raJner et y faire lea changemena jugea néceaaaires. Âpres
quelques modifications, un autre membre. M, Morin avait été
chargé de les mettre en forme de réaolutiona. Il fut décidé
que ce serait M. Bedard qui les présenterait. Ce membre avec
quelques uns de ses amis avait paru dans la dernière session vou-
loir se détacher de M. Papineau, qui pour ramener le parti de
Québec à sea vues, consentit à. faire quelques modifications dans
les résolutions, et, pour flatter l'amour propre de M. Bedard, k
les laisser propoaer par lui. Les débats durèrent pluaieun jours.
HISTOIRE DU CANADA. 3]!)
M. Papineau fil un iliscours dana lequel encore tout irrité du tont
de la dépéclie de M. Stanley, il s'abandonna à un enthouaiaame
répablicain qui devait mettra l'Angleterre sur Hea gardée, et qui
Étoi'. contraire à la partie des résolutions qui citait le fait, que dans
les anciennes coiomea anglaises, celles qui joiûssaient dea institu-
tions lea plus libérales avaient été les dernières à ee révolter,
" Des plaintes existent, dit-il, depu is longtemps ; tous conviennen
do nos maux; tous sont unanimes pour accuser; la difTicullô
est quant aux remèdes. lia s'agit d'examiner où nous les pren-
drons. Il y a des personnes, qui, occupées des systèmes éJectifa et
lies autres constitutions européennes, veulent nous entretenir de
ces idées. Ce n'est pas à noua à décider des institutions de
l'Europe; on ne peut les connaître ni en bien juger. Noua devons
examiner quel doit être notre sort, !e rendre aussi bon et aussi
durable que possible. Il est certain qu'avant un temps bien
éloigné, toute l'Amérique doit être républicaine. Dans l'inter-
v-alle, un changement dans notre constitution, s'il en faut un, doit-il
être en vue de cette considération? et est-il criminel de le
demander? Lea membres de celle chambre en sont redevables
à leurs coostituans comme d'un devoir sacré, et, quand bien
même le soldat devrait les égorger, ils ne doivent pas liésiler à
le laite, s'ils y voient le bien de leur pays. Il ne s'agit que de
savoir que nous vivons en Amérique, et de savoir comment od
y a vécu. L'Angleterre elle mêm.e y a fondé de puisantes répu-
bliques où fleurissent la liberté, la morale, le commerce et les arts.
Les colonies espagnoles et françaises, avec des institutions moins
libérales, ont été plus malheureuses, et ont dû lutter beaucoup
contre levicedeleursinsdtutiona. Maisle régime anglaia,qu'a-t-il
été dans les colonies 1 A-t-il été plus aristocratique que démo-
cratique? £t même en Angleterre est-il purement aristocra-
tique? C'est donc une grande erreur de M, Stanley, de noua
parler du gouvernement monarchique d'Angleterre en 1834<, Du
temps de la maiEon des Stuart, ceux qui ont maintenu le pouvoir
monarchique, ont perdu la tête sur les échafauda. Depuis ce
empa la constitution de L'Angleterre a été appelée mixte, et telle
ne devait pas être appelée autrement. Lui, M. Slanley, ministre
par un vote de la chambre et malgré le roi, à qui l'on a dit de
l'accepter ou de perdre sa couronne, M. Stanley, mépriaé aujour-
d'hui par le peuple, vient nous parler du gouvemcmenl iiionar-
chique de rAngletcriv, quand des chatig?m?n8 sont pârmte à Fies
habimni', HÎ grands par leur commerce, leurs insLitutiona, et lea
progrès qu'il? ont fait faire à la civilisât! on, aux aria et à la liberté
sur tout le globe; et quand celle nation vent introduire de
nouveaux étémene de bonhear, en demandantla Téfomie de l'aris-
locratie, et ea augmentant la force du principe démocratique dans
Bon gouvernement. Le système vicieus qui a régné dans les
colonies, n'a fait que donner pliia d'énergie au peuple, pour se
rendre républicain: c'est ce qui a été le caa dans ica états du
nord de l'union. Dans les colonies du milien, qui^que les instï-
luliona j fussent plus répablicaines et plus libéraléG, le peuglie y
a été le (Iernic.'r à Se révolter."
M. Nellson proposa un amendement tendant k faire décla-
rer " que comme la dépêcbe du miniélrc des colonies du 9 juillet
1831, en réponse aux adresses de la chambre du 16 marsprè-
céd en t, contenait une prohie^e solennelle de coopérer avec elle
au redressement des principans abus, c'était le devoir de la
chambre de travailler dans l'esprit de cette dépêche, à la pux, an
bien-élre et an bon gouvernement du pays suivant la canethutkm ;
que la dépêche dn boreaii colonial communiquée le 14 janvier der-
nier, confirmait les mêmes dispositions; que l'on devait s'occilper
de l'amélioration du pays, de l'occupation des terres, d« loi« de
propriété, de l'Indépendance déS jugea, de l'administration de la
justice, de la responsabilité des fonctionnaires, dee comptes
publics et de la réduction de touies 1« charges inntilés."
" Les résolutions de H. Bedard portent atteinte, dit-il, 4 l'exis-
tence du conseil législatif, d'nn corps constitué comme iiona, par
l'acte de 91 ; elles mettent en accusation le gouverneur eh chef
qni forme aussi une autre branche de la législature ; elles refiiaent
formellement d© snbvenîr bhx dépenses de la province, et com-
portent un procédé injurieux contre la mére-palrie, c'Bat-4-dît«
contre son secrétaire colonial. Il n'eSl paa nécessaire Je dire
que je ne puis voter pour elles. La constitution en bJnt pays ètt
la règle de conduite pour toutes les parties et la sauve-garde doltt
liberté de chacun. Du moment qu'on i'att^qne on ébranle le»
passions. Nous nous trouvons dans des circonstances diMrented
de celleade0 paya int il y a eu des chaAgemenE. En AngltitfRfl
HISTOIRE DU OAHADA. 321
et aux Etau Unis, qu'un a chef, de8 changeraena ont ël6 opérés
par lo peuple, non par suilo (l'un gain pour la réforme, maio
parce que les roia eua-môme» vonloicnt violer la conslilulion.
La ligne de dcntarcalioik ost bien distincte : iU combttlaienl pour
dea itroils qui esialnient, et nous, nous voulons renverser c«ux
qtn Bont établis. Le résultat iluit 6tre dillèrenlt L'histoire est
va monileiir Sdôle ; elle noua appreud qite les uonsèquences sui-
vent loB principes."
■' Je crains, ajouta M> Queenel à son tour, qu'en nous adressant
à l' An^cierre pour ileinan Jor un changement dans notre conslitu-
TioB,iKius ne l'obtenions point et que noire démarche«n traîne avec
elte dm suîtea dèssatreuses pour lo paya. En Angleterre on u'a
jamais voulu convenir iIhb vices do la constitution, ot pense-t-on
qu'aujourd'hui on y sera plus facile sur ce sujet 1 Je ne le croîs
pas. J'ignope oà coe résolutions peuvent nous conduire. Si
elles n'excitent point de trop grands troubles, il en répultera au
moins une grande rèaclion. Je souhaite sincèrement que mes
précisions ne s'accomplissent point; je souhaite oie tromper.
Qiloit)ue je dillère d'opinion avec la majorité de celte chambre,
si elle fëuesit & procurer l'avantage 'réel et permanent du pays
par lee moyens qu'elle emploie aujourd'hui, je me réjouirai de ses
succès avec les hommes éclairés qui auront formé la majorité.
Je regretterai alors de n'avoir pas eu comme eux assez d'énergie
pour bravor le péril et en ire prendre «ne chose que je regardais
comme dangereuse, ou du moins comme très inoortaine quant à ses
résultats. Si au contraire mes craintes se réalisent, si la chambre
succombe dans son entreprise, je partagerai avec les autres les
maux qui pourront peser sur ma patrie, je dirai, ca sont sans
doute les tneilleures intentions qui ont gurdé la majorité de la
chambre, et on ne me verra point m'unir a^ec ses ennemis pour
lui reprocher d'avoir eu des vues perverses. Vralà ce qui fera
ma cdnaolation."
L'amendement de M. Neîlson fui rejeté jiar 56 contre 24.
MM. Cuvillier, Quesnel, Duval, et plusieurs antres Canadiens
fusaient partie de la minorité ; et \ti résulutions qui ont porté
depuis le nom de 92 résolulioDS, fiirenl finalement adoptées.
Les administrations provinciales, disaient-elles en substance,
fotdaient aux pieds lee droits et les sentimeDS les plus chera dee
\
UIBTOntE DU CANADA.
Canadiens, qui s'étaient toujours erapresséa de recevoir ies émi-
grana des Sles britanniques comme des frères, eauB disiinction
d'origine ni de croyance; ta cliambre ne voulait inlroduire Oana
le parque les droiiadonl jouissaient les habitana de l'Angleterre;
le défaut le plus grave dans la conslitutiou était la nomination du
conseil législatif par la couronne, au lieu d'être électif commo
elle l'avait demandé l'année précédente, parce que la constitution
et la forme du gouvernement qui convenaient le mieux i cetto
colonie, ne ijevaient pas se cbcrcber uniquement dans les analo-
gies que présentaient les iastJtutions de la Grande-Bretagne, dans
un état de société tout-i-fail différent du nàtre. Ce n'était pas le
plus libre régime colonial dans les anciennes colonies, qui avait
hâté leur séparation, puisque ia Nouvelle-York dont les institulioDB
étaient les plus monarchiques dans le sens que le comportaient la
dépêche de M. Slaniey, avait été la première à refuser d'obéir i
un acte du parlement impérial, et que le Conneclicut et le ilhod^
leland avec des institutions purement démocratiques furent les der-
niers à entrer dans la confédération des Ktals-Unie. L'acte des
tenures devait être révoqué et le vote de foutes les ilépenses
publiques laissé à la chambre; la partialité dans la distribution Jee
chaires publiques était portée au comble loin dediminuer, puisque
sur une population de 600,000 habilans, dont 525,000 d'origine
française, il fonctionnaires seulement les moins rétribués
appartenaient h cette ori^ne, tandis que 157 appartenaient
A l'origine britannique ou aux 75,000 habitans qui restoienl de la
population. La négligence du bureau colonial à ivpondre aux
adresses de la chambre, la détention du collège de Québec par
le militaire, les obsiaclea opposés à l'établissement d'autres col-
lèges, le refiis de rembourser à la province les jS100,000 de La
défalcation de M. Caldwell étaient encore signalés avec la foute
4'abus déjà exposés tant de fois dans les précédentes adresses.
La chambre et le peuple, continuaient-elles, appuyés sur la justice^
devaient être assez forts pour n'ôtre exposés à l'insulte d'aucun
homme quelqu'il fUt ni tenus de le souffrir en silence. Bane
leur style, les dépêches de M. Stanley étaient insultantes et iscon-
siderées à un degré tel que nul corps constitué par la loi même
pour des fins infmiment subordonnées à celles de législation, ne
pouvait ni ne devait les tolérer . .i ces dépêches étaient incompa-
I
tiblee avec lei droits etlee privilèges de la chambre qui ne devaient
être ni mis en question, ni définis par le eecrélairo colonial.
Tuisqu'un fail qui n'était paB Ju chois de la majorité du
peuple, son origine et sa longue, était devenu un prétexte
d'injurea, d'exclnâon, d'infêriorité politique et de eéparatjon do
droitE et d'inlérèls, la chambre en appelait à la justice du
goavemement de sa Majesté et de son parlement et à Thonneuf
du peuple anglais ; la majorité des habitans du paye n'était
nullement disposée à répudier aucun des avantages qu'elle
tenait de eon origine et de sa descendance de la nation française,
qui sous le rapport des progriia qu'elle avait fait faire à la civili-
sation, aux sciences, aux lettrée ei aux arts, n'avait jamais été en
arrière de la nation britannique el était aujourd'hui dans la cause
de la liberté et la science du gouvernement sa digne émule.
EnGn elles finissaient par inetlre lord Aylmei' en accusation,
en priant les communes d'Angleterre de soutenir les plalnlea
devant la cha libre des lords, et les membres indcpendans des
deux chambres impériales de les appuyer, cntreautrea O'Connell
et Hume. V.\[ei invitaient en même temps les libéraux canadiens
à se former en comités dans toutes les parties du pays, pour cor-
respondre avec ces deux hommes d'état, avec M. Viger, et avec
les autres colonies en leur demandant leur appui dans des ques-
tions qui les intéressaient toutes également.
M. Morin fut chargé d'aller remeOre à M. Viger, toujours i
Londres, les pétitions basées sur ces résolutions et destinées aux
deux chambres du parlement impérial.
Le conseil législatif, en présence de l'atlitude de l'assemblée,
vota des adresses contraires aux sienneB,pourprierle roi de main-
tenir la constiLuiion pure et intacte. Les marchands anglais de
Québec et autres, opposés & la poU tique de l'assemblée, signèrent
aussi imc pétition à la couronne dans le sens de celle du conseil,
dans laquelle ils observaient qu'elle voulait donner aux Canadiens-
français une supériorité sur les autres habitans, qu'elle voulait
e'emparer des terres publiques et entraver l'émigration, que la
qualification en biens immeubles exigés des magistrats était faite
pour eaciure les Anglais de ce corps, que la loi des jurés avait la
même tendance, que l'assemblée avait montré une hostilité cona-
laote au commerce, que le conseil législatif était leur sauvegarde
324 HISTOIRE DU Ç4K^DA.
c-ontre les mesures arbitr^^,^ if^CB^^j^f t'H>n«^lUs (îUs F^Nr^sea-
tans du peuple, et que M, Vig^ i^^ 4ev*U p#g ^if^, çpq^déf^
comme l'agent de la population p^iiglàisç.
L'assemblée après avoir npt^ |e^ fipfurci|)rîatûins aéces^ires
pour l'éducation, les institutions ç^Arit^t>leSy \flfi ^hofnins 9\ \e§
améliorations intérieures, latcsanl ^1i$K0 1^ li^«iiri{^ji>Qqiiu^9^
à se disperser. Lie goqyerneur Qe. i$l. yçjapt |^9§. f^ j^(;i||l(^
la prorogea en observant; q^e sqs pru^n^é^s 119 \^\ avaifat j^
permis dehii eommuoiquer les déipèchas d^ soîiiistp^ soir to 4W-
cultès financières ; que pwsqti'elle «n ay^it appelé 9|u pariem«Nit
impérial, chaqae parti devait se soumettre à soia autorité siipréoiey
mais qu^il devait déclarer que Iq langage ^es dS^ r^splfitiof^s
étaiisi contraiire à l'ij^^anité et A la 9w>4ér^tiDiû bî^a piwi»ii^
des Canadiens, que «eux qui ne QO&naisQ^iettl p^ I9 vériftaUe
étaA des choses ne pourraient s'empèober d^ israîre qu^ell«s 1^
fussent le fruit d'une excit^oa es^traordinaire et g^fiéfale; qne
nèanmcMUs quelque fiissi^ les sentjmços c^ r^|;riaîe^t ^.9 V^"
ceinte de l'assembléiç la tiWfi»Ulit^ Ja i4h9 P.f#N»49 Tég^ 9Ni
Cette dernière oboervation était des plus imprudentes* C'était
inviter L&s memiires qui avaient vM pour les 9^ résolàttotis à
prouver au gouverijeur qu'ila exprimaient les s^ntimej^s ^ la
masse du peuple ; et c'esit ce qu'ils .fife^t en i^rgfiâi^apt f^f^t
me af^talâoB gêaérale mé 9b9U^ kVmfiLfsecMm^
•«M»»y ■ •■M* ■••• » — *iy y— M** ********** t*****l**^***—**^^*
CHAPITRE IL
•nHM<n-l» ZiË g TROUBLES DEtS37^
1835-1837.
Effet ûen 92 TÉBoIutions pn Angleterre.— Un P partie des townshïps dé l'eslae
rallie i lu chambre d'aBsembl^c-— 'Comité nommS dans les communes suf
noa afiaiTM. — WbaU. — Une pûrtie du minùtère anglais téâgao. — M.
âmnley est renuplRcd suz colooies jor M,, Siieeet pliuUnl parlonlAIier-
deeA< — Comités de dùuict en Canada. — Nouvelles pétitions. — Lettre de
M. Eoebuck. — Nouveaux débats dans la chambre descommunea. — Disso-
lution du parlement canadien. — Aasocîaiioiis conatitutionnoUes. — Rappro-
chement entre les liljfirtnuc du Haut et du Bai-Canada. — Le parlement
B'èasemblsi Québec.' — NoDvelle adresse à l'Angleterre— Une nouvelle
aeslion de la niajanlé se détocbe de M. Papinean. — Dépêct^es de lord
AberileeD. — Ministère di> sii. Bobert Féal . — Trois commissiures envoyés
en Canada. — Lord Gosford remplace lord Aylmer. — Chambre dca lords.
Ouverture d\i parlement canadien. — lïiscours de lord Gosibrd. — La
chambrij persiEle dans ta -roie qu'elle i prise, en vûttitttfl tTiob de stib«id(u
qui sont reftteés. — Le parlement est proroge et convoqué de nonvean.
— 4.es autrac colonîei HUJ [levatent fitire cauK commune avec le Bas-
CanadiL l'abandonnent et acceplcat les propositions de l'Angleterre.— Ra.p-
port des commissaires. — La conduite du ministère approuvée. — Lch
assemblées continuent en Canada, — langage des journatix. — Agitation
flans les campagnes, — Bondes d'homme» artnéS.— M. Papineao descend
jusqu'à Kamouraska.— <li*njon ifclle de la maiaad«h>bitau«,-;Nouv«ll«
session du parlement aussi inutile que les autres. — Nouvelle adresse au
parlement impérial. — Magistrats et olficiers ile milice destitués. — Asso-
ciation secrètes à Québec et A ïlonlréat, ail l'on résoud de prendre les
armes. — Démonstrations en faveur du gouvernement. — Assemblée deasii
comtés. — Mandement de l'évêqtie de Montréal. — Le gouvememant fait
des armeraena. — Troubles à Montréal. — Mandats d'arrestation lancés. —
Les troupes battues i St.-Denis { Tictorieuses à St-Cbarles. — La loi naar-
tiole proclamée, — Plusieurs membres invitent inutilement le gouverneur
à réunir immédiatement les chambres. — Affaire de St.-Eustache. — L'in-
surrection supprimée.— Trouilles dans le Haut-Canada. — Résignation de
loid Gosfard, — Débats dans les communes. — Les mimstres promettent de
aoumettre l'insmrection par les armes.
Les 92 résolutions et l'ajournement prématurÉ des chambres ne
laissèrent plus de doute stn* la gravité de la eituation dans l'esprit
de ceux en Angleterre qui s'intéressaient aux affàres do ces
importâmes provinces. La solution de toutes lev questions étxit
H"8
819 msTontE du canada.
laissée à la métropdc. Quoiqu'il régnU beaucoup d'incertitude
Gur ce qu'elle allait fairej il surgissait de temps à antre des faite,
des rumeurs, qui entretenaient les espérances des libéraux. Les
journaux reproduisirent une dépêche de lord Goderïch au gou-
remeur de Terreneuve sur l^s conseils législatifs, qui paraissait
leur donner gain de cause. " On ne peut nier, disait oe ministre,
qu'en pratique l'existence de ces corps n'aient été accompagnée
âe difficultés sérieuses. Ils ont mis trop sourent en collision les
différentes branches de la législature ; ils ont ôlé aux. gouver-
neurs le sentiment de leur responsabilité, et privé les assemblées
de leurs membres lea plus utiles, tout cela sans compensation.
Ils na prennent dans les colonies ni une position ni une influence
analogue à la chambre des lords en Angleterre, parce qu'ils n'ont
lien de la richesse, de l'indépendance et de l'antiquiié de cette
ïnslitulion,qui fait respecter la pairie anglaise. D'après ces circons-
tances et l'histoire des colonies de l'Amérique, je verrais avec
plaiùr tout arrangement tendant À fondre les deux chambres en
une seule, dans laquelle les reprèsentans du peuple renccsitrenuent
les serviteurs de la couronne." Ces dernières paroles annon-
çaient â la fois l'abolition du conseil et l'introduction du système
responsable. L'ile du Prince Edouard comme Terreneuve se
plaignait de son exécutif.
Une partie des iiabiians des townshipa de l'est s'assemblèreDt
à Stanstead sous !a présidence de M. Moutton, et passèrent des
résolutions à l'appui de l'assemblée. Pi;B3qne tous les com-
tés, presque toutes les paroisses les imitèrent. Les journaux
étaient remplis de ces luanifeGtations qui raffermissaient les chefs
et divisaient de plus en plus les partis. Des délégués de comtes
s'assemblèrent à Montréal pour organiser un comité central et
permanent, qui éclairerait l'opinion et donnerait l'exemple àea
mesures àprendre suivant les circonstances. Le parti anglais faisait
courir alors le bruit que les ministres avaient résolu d'unir le«
dcuxCanadaa. L'agitation dans le Haut-Canada était presqu'aussi
vive que dans le Bas, et le parti libéral y paraissait vouloir co-
ordonner ses mouvemens avec les nôtres.
Mais c'était à Londres que devaient se décider nos deatinëee.
M. Roebuck avait fait nommer un comité dana lea communes
EUT nos af&ircB^ MM. ïU)ebuck,Uiiine, O'Coandlavaientpris
HISTOIRE DU CANADA.
327
la parole en faveur des Canadiens. Le miniatre des coloniea, M,
Stanley, avait défendu aa politique appuyé de lord Howicli et de
M. P. Stewart. M. Roebuclt en plaidant la cautie du Bas-
Canada, avait plaidé celle du Haiil, dont M. McKen^iie était
l'agent & Londres, mais l'agent de la minorité d'après l'opinion
desslègialalure. M. Stanleydit que le Haut-Canada ne se plaignait
pas de aa constitution, et que c'étaient les factions qui avaient
décrié celle du fias, accordée pour conserver la langue, les usagea
et Les lois de aes habitana. Il déclara que le conseil lé^^slatif
devait être maintenu, parce qu'en le rendant électif on détrui-
rait entièrement l'influence du gouvernement et on annulerait
les droits de la minorité anglaise, pour la défense et la protec-
tion de laquelle il avait été établi dans l'origine ; qu'il était vrai
que Bur 201 fonctionnaires 47 seulement étaient Canadiens-fran-
çaie j mats qu'il ne doutait nullement que les deux Canadas ne
fussent un jour unis, qutHqu'il ne fût pas préparé à proposer pour
le moment une mesure qui lui paraissait la seule propre à y assu-
rer la permanence des principes anglais et à réduire la législature
réfractaire qui siégeait à Québec
O'Connell protesta contre !a constiluùon du conseil législatif,
vu qu'elle donnait un duuble vote au gouvernement, et déclara
que l'un dos principaux abus venmt de ce que Texéculif mettait
toute Bon influence à soutenir des étrangers contre les habitana
diipaya.
Lorsque la nouvelle de ces débats arriva à Montréal, le comité
central vota des remerclmena aux orateurs qui avaient plaidé la
cause canadienne, et des approbations à M. Bidwell, à M. Mac-
Kenzie et autres chefs réformateurs du Haut-Canada. De jour
en jour le parti libéral de cette province cherchait à se rappro-
clier de nous, pour s'appuyer de notre influence en attendant
qa'il eût la majorité vers laquelle il approchait graduellement et
qu'il devait biantât obtenir.
Le comité de la chambre dea communes ne put être retenu
dans les limites de l'enquête de celui de 1S28, et voulut étendre
son investigation au delà, malgré les efforts de M. Stanley. La
correspondance entre le bureau colonial et les gouverneurs du
Canada, lui fut soumise. On trouva dans les dépêches de lord
Aylmer depuis qu'il s'était soulevé contre la chambre, des épi-
'
3^ HIKTOIBE DU CANADA.
thétea oSèusantes pour les chefn du parti canadien, qtja IVl.
BociDg voulut faire e&ccr, parce qu'elles devaient tendre à iirilert
et que d'^Ueurs ce gouverneur était u» homme indiBaret el d'un
esprit faible. Le comité interrogea sir Jaiaes Kempt, Mli.
Viger, Moria, Etilco, J. Stuart, Gilleaple et le capt. UciKennaa.
M. Morin avait eu une conii^rence d'une heure et demi q avec
U. Staoiey et eir James Graham, dans laquelle ils avaient dia-
«uté la question îles financeaetcelle d'un conseil législatif électif.
Quant à »r James- Keiapt, il disait que le seul moyea de terminer
les dillèreas serait d'oastuer le payement des fonotionnaitee par
un acte du parlement impérial, et que quant au conseil exécutif,
il s'était dispensé de ses services lorsqu'il élût gouverneur du
Canada ; M. J. Stuart pensait qu'il Mait réorganiser la chambre
d'assemblée pour assurer une majorité anglaise, ou réunir lesdeux
Canadas et donner le pouvoir au conaeii exécutif de ae renou-
vela lui-même et de renouveler le conseil jégisiatif.
C'est pendant que ia question canadienne élait devant ce
oamité qu'une partie des ministres ré»gna sur la question des
bieua de l'Irlande. M. Stanley fut remplacé bu minîMére' des
colonies par M. Spring Bice. Cette nouvelle accuelilis avec
jtna en Canada, où M. Stanley avait perdu par sa conduite
léconte la popularité que ses discours de 1B22 lui avait acquise,
exerça peu d'ïnQuence sur noa dealiaéea. Le rapport que pré-
senta le comité ne concluait à rien et laissait les choses dans
l'état où elles étaient. li était très court et à dessein cootreûitet
fort ambigu, pour ne pas mèconlcnter trop fort aucun parti. Il
laissait la solution de toutes Les questions au bureau colonial.
Cependant il avait causé beaucoup de discussions dans le comité.
M. Stanley avait voulu y faire approuver eacondmte,etilyavmt
lait mettre des additions dans ce sens auxquelles M. Boelnick
^tait opposé et qui avaient été retranchées. Sir James Graham
et M. Robinson avaient soutenu le ministre contre MM. Roe-
btick, Howick. et Labouchére. On avait débattu quatra heures,
et obtenu une majorité de 2 voix.
Les comit<5s de district siégeaient toujouis en Canada. Us
avaient acheminé des pétitions portant plus de 60,000 eignatum
t-Londres ; ils correspondaient avec nos agens et passaient iéM>~
' lotioDs Bur réBolutioM pour tenir le peupla en , halcâ&e< On. lut
DU CANADA. 329
iktns celui de Monfrëal im(> lettre de M. Koebnck dnns laquelle
il l'infurntait qiie tant qua M. Stnittoy avait étiik lu. tëtedn bureau
colonial it n'avait conservé aucanc capèraiice de voir les atfejres
s'airraoger, mais que M. ^pring Kicc paraissait pliia traitnble et
qu'il attendait un meilleur avenir de lui: qa'il avait abandonné
le bill de M. .Stanley touchant la liste civile, et qu'on devait lui
donner un peu de délai. "Il vaut mieux j'en conviens, disBit-il,
combuttio que de perdre tou'e chance de se gouverner Boi-même ;
mois nous devons assurément essayer tons les moyens avant de
prendre la résolution d'avoir recours onx armes. ... La chambre
pourrait, comme sous l'administration de sir James Kempt, passer
un bill de subsides lecnporaire souh protêt, se réservant tous ses
drcàts et exposant qu'elle lu faisait par esprit de conciliation et
pour fournir au nouveau ministre l'oocasion de redresser lesgriefs
de son propix: mouvement." Il conseillait aussi de révdller le
peuple, de ne paa reculer d'un pna devant loa principes, etdéda-
rait que l'on n'aurait de bon gouvernement que lorsqu'on se gou-
vernerait soi-mÉrae et qu'on se serait défait du conseil législatif.
La suite des 6vénemens tara voir ei ces conseils étaient bien
sages.
Le 4 août il y eut encore quelques débats dans les communes
sur nos aiTaires à l'occasion d'une requête présentée par M.
Hume à l'appin des 92 résolutiono, M. Hice bliLina sévèrement
M. Hume d'une lettre publiée dans les jouruaux, dans laquelle il
appeliait lea Canadiens i résister à la funeste domination du gou-
vern^nent anglais. 11 dit qu'il ne convenait point à un homme
parlant sans danger dans l'enceint« des communes, de lancer des
sentimens qui pourraient faire tant de mal à l'Angleterre et au
Canada, et que si l'on avait recours à la résistance il espérait qne
les l(ûs atteindraient tous ceuï: qui y seraient concernés.
Le parlement canadien fut dissous au commencement d'octobre,
et les élections qui eurent lieit aSaiblirent encore le parti du gou-
vernement, n y eut beaucoup de troubles à Montréal, où l'élec-
tion fut discontin\iée pour cause de violence, et en d'autres loca-
lités. Un Canadien fut tué d'un coup de fusil à Sorel de propos
délibéré. Les Anglais, joints à quelques Canadiens aveu M.
Neilson à leur lête, formaient alors à Québec, à Montréal, aux
Trois-KivièTea des aaiocialiona. cooatitulioaiielleB par opposition
330
HiBTomB nu
aux comitéa permaoens îles partisans de la chambre, pour veiller
aux intérêts lie leur race. Boa nombre d'Anglais cependant par-
tageaient les aentimena de leurs adversaires, et sept à huit furent
élus par leur lafluence. Les totruships de Test, peuplés d'Anglais,
se prononçaient de plus en plus pour les réiormes. Sur leur
invitation, M. Fapineau, accompagné de plusieurs menibrea de
rassemblée, se rendit à Stanstead, où il fut reçu avec toutes sortes
d'honneurs par les comUés qui a' étaient formés dans ces localités,
Pluaenrs centaines de personnes lo visitèrent le jour de son arri-
vée, et le Vindicator annonça qu'il ne s'était pas trouvé moins
de âOO personnes à la fois pour le voir, parmi lesquclled on avait
remarqué plusieurs Américains des états de New Hampsliire et
de Vermont et entre autres le général Fletcher. Le soir on lui
donna un dîner de 200 couverts, M. Papineau, !eDr. O'Callaghan,
M. Dewitt, le général Fletcher y furent les principaux orateurs.
Ces démonstrations, les discours des uicmbrea dans les assem-
blées qui avaient lieu partout, et la polémique des journaux n'an-
nonçaient aucune intention chez les partis de rien abandonner
de leurs prétentions. M. Papineau avait recommandé dans son
adresse aux électeurs de cesser de consommer les produits anglais,
de se vôtir d'éloSes manufacturées dans lo paya et de ne faire
usage que de boissons canadiennes, pour encourager l'industrie
locale et dessécher la source du revenu public, que les ministres
employaient coname ils voulaient. Comme les banques appar-
tenaient aussi à leurs ennemis, lladevaient exiger le payement de
leurs billets en espèces afin de transférer ces élabLissemens de
mains ennemies en mains amiea, tous principes que le parti con-
traire avait commencé à mettre en pratique à Montréal; mais
qui ne furent admis du moins ouvertement par personne à Qué-
bec. 11 fut en même temps question d'établir une banque natio-
nale. A Toronto il se forma une association politique qui se mit
en rapport avec les comités permanens du Bas-Canada. Tous
les jours ie parti libéral dans les deux provinces se rapprochait
de plus en plus, et cherdiait à coordonner ses mouvemens pour
donner plus de poids à ses paroles et à ses résolutions. On en
avait besoin, car bientôt l'on apprit la résignation du ministère et
l'avènement des lorya au pouvoir avec sir Robert Peel à la tête
des afiaiiea et le comte Âberdeen pour mioUitie des colomee. Us
DU «AHADA. 331
eurent à e'occuper des nouvelles adresses du parti anglais et de la
nouvelle pétition de l'assemblée et de la minorité du conseil légis-
latif à l'sppui des 92 résolutions. Mais lee nouveaux ministres
ne pouvaient transmettre leurs inctnictiona à lord Aj^lmer avant
l'ouverture des chambres canadiennes en 1835.
La première chose que fit l'assemblée fut de protester contre
les remarques faites par le gouverneur en mettant fin à la dernière
session, touchant les requêtes qu'elle avaient adressées ou parle-
ment, et de faire biffer son discoiirs de son procès- ver bal. C'était
dénoncer les hostilités. M. Morin proposa ensuite que la
chambre se formât en comité général pour reprendre la considé-
ration de l'état de la province. M. Gugy en s'y opposant
observa qu'il préférait un gouvernement d'hommes nés dans le
paye, à tout autre. " Pour moi, répliqua M. Papineau, îe ne
veux pas cela ; j'aime autant celui de mes co-sujets, amis des
lois, de la liberté, de la justice, d'hommes qui protègent indistinc-
tement toutes les industries, et veulent accorder à lo\is les mêmes
privilèges; je les aime, je les estime tous sans distinction d'ori-
gine ; mais je n'aime pas ceux, qui, conquérans orgueilleux,
viennent nous contester nos droits, nos mœurs et notrs religion.
S'ils ne sont pas capables de s'amalgamer avec nous, ils devraient
demeurer chez eux. II n'y a pas de différence entre eux et
nous ; les mêmes droits et la même protection appartiennent à
tous. Assurément je préférerais le gouvernement de gens du
pays à celui des hommes dont je viens de parier, et mes com-
patriotes ont déjà fait preuve de capacité, d'intégrité. Geux-
mômes qui réclament ces privdéçea exclusifs les réprouvent dans
leur cœur, et ils en seront eux-mêmes les victimes. En suppo-
sant qu'ils fissent du Canada une Acadie, et qu'ils chassassent
toute la population française, la division se mettrait bientôt parmi
eus. S'ils parvenaient à former des bourgs pourris, bieniAt même
cette représentation corrompue les opprimerait. Il est dans le
cœur de tous les homnies de détester les privilèges exclusifs;
mais la haine, la passion, l'esprit de parti les aveuglent, ... On
nous dit : soyons frères- Soyons le : mais vous voulez avoir le
pouvoir, les places et les salaires. C'est cette injustice que nous
ne pouvons sonfl'rir. Nous demandons des institutions politiques
qui conviennent à notre état de sadété."
332 HI£TaIR« DU
L'exécutif n'avait nea à commuiiiquer de décieif Bur les
aâàires. L'assemblée eiégea deux fois par jour pour tenniaer la
sewûon plue vil£. Les débats furent la réfi^iition do ce qa'oa
avait déjà ^t tant de ibis. Elle continua l'agence de M. Roebudc,
ei pausa encore une nouvella adresse qui occatNanna une jongno
discussion et qui devait aeiener uae prorogation immédiate. C'est
au sujet de cetle adresse que la majorité commença à ae divisef
une eecanile fuis. Plusieurs uieinbres voulurent ^\lo l'on aoatî-
Duàt à faire marcher les affaires, et que Ton s'obstint avec soin de
toute mesure qui pût prêter à l'exécutif le plus léger prétexte
d'interrompre les travaux législolifs. M. Bedard qui ne suivait
qu'à contre cœur depiûs deux aus, la majorité, osa dire enSa que
l'adresse contenait un refus péremptoire et direct de tout oc qu«
le gouverneur demandait, et qu'lï ne pouvait l'appuyer. " Et peut-
on oublier, répli[{ua aussitàt M. Fapineau, qu'en Angleterre c'eet
la même plume qui prépare et le discours du trône et la réponse.
Les circonatances exigent que noi^ nous écartions des toraxe
ordinaires, et que nous exprioûonB hautement ce que nous sen-
tons. C'est faire injure à L'Angleterre que de dire qu'elle peut
passer un bill de coercition et nous envoyer dix à douze régi-
mens. Si c'était le cas, on devrait songer au plutôt à nous déli-
vrer d'un gouvemeinent qui serait si tyranaiqoe. Mais s'il y
avait Heu de craindre une lutte, on pourrait dire que le danger
existe déjà, et que nous avons déjà été bien plus loin que ns va
cette adresse."
M. Bedard propoita divers amendemens, aeeoadé par M.
CoFon, qui âiuent rejetès par 4S voix contre 26, dont 16 Cana-
dienB. Cette rupture devait s'agrandir de jour en jour.
KUe fut regardée dès le premier instant par les bonuiiM
aslrêmes comme nne défection de la part de la minorité, et le
bruit courut que des intrigues secrètes et des faveurs inontrées dans
le lointain avaient ébranlé les auteurs des aotendemei» snr les-
qoeis on savait que l'èvêché, qui redoutait les tronbles, avait una
grande influence. Le rédacteur du Canadien, M. Fasent, qui
était leur ami intime, et qui était bi«n supérieur à eux par SM
lumières et ses lalens, vint i leur secours et cherchaàles justifier.
Il attribua le vote de la minorité aux besoins du district de Qué-
bec, au progrès duquel la enspeonon des Iravsux législatifs faisait
«ISTOraS BU CAIfADA. 333
un grand lort ilnna un moment Biir(out où la gène commerciale
était si grande. Mais les dépôchea de lord Aberdcen, qui lui
furent communiquées, et Je refus de lord Aylmer d'avancer l'ar-
gent nécessaire pour payer lea dépenses courantes de l'aEBenibjée
avant qu'elle eût approuvé celles qu'il avait faites eana hiU de
Hubaides, amenèrent la dispersion des membres et la prorogation
des chambres.
Lord Aberdeen refusait d'assurer l'indépendance des deux con-
seila et d^ juges, jusqu'à ce que toutes lea enquêtes sur les abus
fiiBsent parvenues au point où l'on pût avoir la perspective d'un
arrangement, et le bill d'Éducation parce qu'il paraissait reconnaître
l*e:dstence légale des s ulpiciens et des jésuites, et pouvait donner
des privitégcB civils excluâfs aux catholiques au détriment de la
minorité protestante. Vigila/nte comme elle devait l'être amec
beaucoup de raison contre le moindre empiétement sur sa liberté
rdigiense, elle pouvait soupçonner que cette législation rétrograde
conférait des avantages indus à la majorité catholique. Elle
pouvait croire ausâ que la langue, la littérature française et les
institutions religieuses avaient été les objets d'une attention spé-
ciale ; que les fondations ecclésiastiques existantes avaient été
préffirées à celles qui pourraient s'élever plus lard, parce que les
premières étaient sous le contrôle du clergé catholique, et que les
»oondea,c'eat-à-dire lea protestantes, ne fleuriraient et nese mul-
tij^ieraient qu'avec l'émigration et l'accroiss^nent des capitaux
et des élablissemenB anglais.
Toutes ces raisons du ministre étaient de purs subterfuges
pour tromper. II ne voulait pas donner les mêmes avantages
aux catholiques qu'aux proteetans ; mais comme ime déclaration
ouverte et franche d'un pareil principe eût paru trop odieux,
il faisait des suppositions idéales pour faire croire que l'usage de
la liberté chez les uns aurait amené nécessairement l'esclavage
chex les autres. La question religieuse ainsi traitée fit penser i
la situation des catholiques en Canada. Les journaux publièrent
les instructions de sir George Frovost,* dans lesquelles on main-
tenait les prétentions que nous avons déjà rapportées ailleurs sur
la suprématie et la juridiction ecdéuastique da l'Angleterre. Dans
• Papiers officiels imprimés en 1814 pat ordre de la chambre des com-
334, HISTOUtS su CANADA.
lea paroissca où la majorité serait protestante, !e curé devait l'être
et percevoir les dîmes, les catholiques se servant de l'église après
les protestans. Lea prêtres pourraient contracter mariage, et les
ministres protestant devaient remplacer graduellement les mis-
sionnaires catholiques chez les Sauvages, C'était l'esprit de cei
instructions qui avait inspiré lord Abcrdeen dans le rejet de la loi
dont nous venons de parler.
Cependant la politique du minisire était de le dissimuler dans
le parlement impérial. Il y eut encore des débats dans les com-
munes k l'occasion de la présentation de la pétition des membres
du conseil législatif et de rassemblée du mois de décembre. La
veille on avait distribué un pamphlet aux membres des communes,
drossé par un ami des Canadiens à Londres, dans lequel on
exposait tous les vices du gouvernement et toutes les réformée
que demandait le peuple. On passait en revue les abus du sys-
tème judiciaire et de l'exécutif à la lêle duquel ou metl^t des milir
taires incapables de gouverner un peuple libre ; la mauvaise admi-
nistration des terres ; la multiplicité des emplois dans les mêmes
familles, la défalcation de reccveur-gènécal Caldwell, prnlegé du
pouvoir et conseiller législatif devenu riche, disait-on, depuis Bon
maUieurj nom que les gens de sa classe donnait à son péculat, et
qui lui permettait de donner des diners somptueux ; l'absence de
contrôle partout uialgré l'abus de l'intervention incessante du
parlement impérial. L'auteur tenninaii par appuyer sur la
nécessité de rappeler lord Aylmer.
A peu près dans le même temps un article écrit avec beaucoup
de verve parut dans Taits Edinburgh Magazine, sur la i^tuation
politique du Canada, qu'on attribua à M. Chapman et dont le
tué moire ci'dessus était un résumé.
M. Boebuck répéta dans les communes ses remarques ordi-
naires sur les abus de l'administration. M. Spring Eice dit,
qu'avant la retraite du ministère dont il faisait partie, il avait pré-
paré une dépÉche qui contenait im ample exposé des vues du
gouvernement. Cette retraite avait empêché de l'envoyer, D
n'avait pas confirmé la nomination du juge Gale parce qu'il
s'était irop compromis comme partisan politique, et camm£ la
juge ICcrr avait été destitué do sa place déjuge de l'amirauté
pour malversation, il n'avait pas cru convenable de lui laisser celle
HISTOIHE DU CANABA. 335
& juge de la cour du banc du roi. M. Stanley maJnlint qu'on
c'avait pu réussir à prouver une seule plainte, un seul grief arti-
culé dans les 92 résolutions, et que le miiiiBlère avait obtenu du
comité un verdict d'acquittement triomphant. Sir Robert Peel
fit part à la chambre qu'il avait cbargé lord Aylmer d'in-
former le Canada que l'on aJlait y envoyer un gouverneur étran-
ger à la politique coloniale et en possession des vues et dos inten-
tions de la métropole, pour y examiner l'état des choses et faire
rapport, après quoi le ministère proposerait les mesures néoes-
snires. Mais il devait déclarer que l'on n'entendait admettre
aucun nouveau principe dans l'organisation du gouvernement, et
que, si les grîefa n'étaient pas fondés, l'on prendrait les moyens
de fiiire cesser l'agitation. Quant aux menaces de rébellion, il
dirait aux rebelles, nous voulons vous rendre justice et vos
menaces augmentent nos forces. Quant à l'intervention des
Etats-Unis, on était en bonne intelligence avec eux, et quand
bien même ils voudraient intervenir, ils ne prendraient pas M.
Roebuck pour leur organe dans celte chambre. MM. Stanley,
Robînson, Hume, Sheil prirent la parole.
Le discours du ministre malgré son air de modération, et la con-
firmation de la nomination du juge Gale, que M. Spring Rico
avait refusée, indiquaient assez la conduite qu'on allaittenir. On
voulait seulement mettre en usage cette bienveillance de manière
et cette finesse de conduite usitées dans la diplomatie et inconnu»
juaque-Ià dans la politique coloniale, pour tâcher d'apaiser les
discordes et de faire pénétrer dans les cœurs des senliraena plus
làvorableB aux réformes qu'on pourrait juger nécessaire d'adop-
ter plus tard.
Dès le mois de fôvrîer lord Aberdeen avait écrit à lord Aylmer
pour lui dire qu'il approuvait sa conduite, mms que dans l'état
des esprits il n'y avait pas d'espoir qu'il pût employer avec succès
des paroles de paix et de conciliation, et qu'on allait le remplacer
par une personne de confiance avec le titre de commiasaira
royal.
Lord Aylmer lui avait déjà envoyé une longue dépêche
pour repousser les accusations portées contre lui dans les 92
rtsdutîons. Il disait que sur 14.2 personnes qu'il avait nom-
mées à des emplois salariés, 80 étaient d'origine française et
390 HISTOIRE DC CATTADA.
395 Bur 580 nommées i des emplœa non salariés ; que sur 330
COmmiBsalres des petites causée, 151 étaient de la même origine,
et qu'au reste l'on devaK préférer les pereonnes les plus propres
BSDS diBlinctiori d'origine ; que toutes les places dans l'église catho-
lique.comme les cures dont les appoiniemens excédaient £25,000,
étaient entre lea mains des Canadiens-français, qu'il en était de
raème des maîtres d'écoles de campagne, dont les salaires et lea
allocations s'élevaient à £18,000. Mais la partialité avait été si
grande avant lui, cl l'abus était st enraciné encore que s'il avait
donné 80 places aux Canadiens qui formaient les trois quarts de
la population, il en avait donné 62 aux Anglais qui formaient
l'antre quart, et que les salaires et les én^olumens de ces 63 escé-
daieni do beaucoup ceux des SO. D'après la liste civile, l'esli-
mntion soumise à la chambre en 18341 ot d'autres sonrces, les
fonctionnaires recevaient £71,770, distribués comme suit: Anglais
£58,000, Canadiens-français £13,600. Ceux-ci étaient excloa
de tous les dèpartemens de l'exécutif, ainrâ que du bureau des
terres, des douanes et des postes, et dans l'administration de la
justice qui coûtait £36,000, £28,000 étaient partagés par lea
Anglais ot £8,000 par les CaDadiens. Une pareille exclusion,
une pareille injustice peut-elle fitre tolérée sinon aous l'empire de
la force matérielle t C'est insulter les Bcniimens les plus noUes
que de le croire.
Cependant lea discus^ons que le Canada soulevait dans le po^
lemcnl impérial avaient leur écho ou dehors où, leB grands joor-
naux, comme le Timts, le Chrotiide, le Herald, étaient hostiles
i l'assemblée et aux Canadiens-français presque totalement
inconnui en Angleterre. VAdvertùer, le Gfoôe, prenwent leur
défense ; mais il était fadle da voir que la grande majorité des
communes comme de ta nation, n'avait aucune sympatlùe pour
eux.
Le bruit courut d'abord que le commissaire royal allait £tre
le vicomte de Csnt«rbury, ci-devant sir CharleaManneraSotUin ;
raaÎB Inentât l'on apprit qu'il refusait d'accepter cette mînon
difficiU «ous prétexte de maladie dans sa famille. Sa réputatÎMi
■vait fait concevoir des espérances. L'on paitK
Anikerai, cetut-l& ni£m« qui avut été i
vic«-roi d'IiUndc. LoidAbcfAeenaanoaçta
CANADA. 337
à lord Aylmer. Mais te miniilère ajant Été ctiangè sut ccb
cntrefailGB, le choix daa nouveaux minielreB tomba sur lord Goa-
ford, qui avait acquis quelque réputation en Irlaitde, aa patrie, par
son oppoailion aux orangialiM. L'on vantail sa fermeté et la
libéralité de ses principes j niDna on lui adjoignait deux person-
nages à peu prés inconnus, sir Charles Gray,tory de la vieille école,
et sir Jamea Gippa. I>e correspondant de Londres du Vitidica-
tor n'attendait rien de cette commission.
L'un des agens du parti anglais, M. WaJker, &sa chercher à
gagner O'Connell à Ha cause. " Comment, vous désirez être
représentés comme minorilé, lui dit le grand orateur; certes ce
serût, selon moi, un grand grief ai voua l'étiez." Le 12 juin les
a&ires du Canada furent l'objet de quciquea discussions dans la
chambre des lords. Le langnge du comte Aberdeen feiaait dire au
GaiwMen'. "La base de sa politique coloniale, ch ose remarquable,
est présisément la tiiâmc que pose le peuple du pays ... SI lord
Aberdeen et les hommes d'état de l'Angleterre, voulaient être ausaî
honnêtes et sincères qu'ils sont faiseurs de belles piirascs noB
dilËotiliés seraient bien vite arrangées." Un lord déclara qu'il ne
pouvait pas concevoir quel intérêt avait l'Angleterre à refuser des
oonceHàoni larges et libérales. On ne devait pas traiter les
assemblées coloniales comme des enfans ni les asaujélir entière-
ment aux ordres de l'Angleterre ; on devait les laisser jouir de la
plus entière liberté compatible avec le maintien de la souveraineté
métropolitaine. Une commission lui semblait non seulement
inutile, mais pire qu'inutile ; on devait envoyer un comoiissaira
pr&t à agir. Le gouvernement pouvait et devait décider sur le
champ toutes lea questions importantes. Il y avait peu de sujets
Bnr lesquels on avait besoin d'information.
Lord Gleoelg répliqua qu'il s'était cru obligé avecsescoUègues
de changer les instructions de ses prédécesseurs, et d'envoyer plu-
sieurs commissaires pour faire «ne enquête sur les lieux.
Les nouvelles instructions que lonl Aberdeen qualifiait d'inu-
tiles, mettaient la majorité et la minorité du Canada en face,
déclaraient d'avance que le conBeil législatif ne pouvait être
changé, et ordonnaient à la commission d'opposer un refus formel
à la proposition de l'assemblée de renvoyer cette question à des
conventions dn peuple. Quant aux Bubsides, les revcoua de la
338 HISTOIRB DU CANADA.
couronno ne pourraienf être abanAïnnéa qoe moyennant une liste
civile suffisante pour le soutien du gouvernement. L'administra-
tion des terFes de la couronne devait rester entre les mains de
l'exécutif. Les jugea accusés subiraient leur procès devant
le coneeil législatif ou devant le roi aidé du comité judiciaire du
conseil privé. La commission devait faire rapport sur la tenure
des terres, sur les biens du séml naire de St.-Satpice, sut l'éduca-
tion, sur la distribu^on des droits de douane entre les deux
CansklaB. Elle pouvait interroger des témoins et les documena
écrits ; elle allait au Canada ponr remplir une mission de conci-
liation et de paix et devait éviter conséquemment de paraître
mettre en force un pouvoir nouveau et odieux. En recevant les
plaintes de tous tes partis, la politesse, l'nrbanité et le respecl
devaient caractériser sa condiuite envers toutes les classes ; elle
devait entrer en relation avec elles, exprimer ses opinions arec
bienveillance, surveiller les indications des assemblées publiques
et des relations sociales ordinaires, étudier !es Écrits politiques et
la littérature périodique, transporter ses enquêtes en diRérens
endroits du pays et observer le plus grand secret snr ses conclu-
La coiBmiaaion arriva à Québec à la fin d'août. Le Conseil-
dft-Viile lui présenta une adresse de bien-venue. Lord Gœford
tint un lever quelques jours après, et s'y montra très gracieux.
Mais on était sur ses gardes. Les membres libéraux du conseil
et de l'asiemblée se réunirent su commencement de septembre
aux Trois- Rivières pour s'entendre sur la conduite à suivre
devant les commissaires. Ceux du district de Québec ne j.ugèrent
pas à propos d'y aller. La division entre ce district et ceux des
T rois-Rivières et de Montréal devenait plus grande de jour en
jour. Lord Gosford cberchait par tous les moyens à captiver la
bienveillance des Canadiens. Il invita M. Papineau et M.
Vigcr à dioer cbez lui; il visita les classes du séminaire, ei laissait
tout le monda enchanté de sa politesse. I! donna un grand bal
le jour de la Ste.-Catherine, anniversaire fêlé chez beaucoup de
Canadiens, où ses prévenances pour Madame Bedard blessèrent
quelques parvenus de l'oligarchie, enfin la place du juge Kerr
destitué, parut destinée pour le mari de cette dame, celui-là mémo
qui avut proposé les 92 résolutions. Ces faits, ces bruits portés,
DU CANADA. 339
groaeia do bouche en bouche augmentaient les espéranceB, lorsque
les chambres ^'uuvciTGul le 27 octobre. Lord GosTordleur adressa
un long discours, dans lequel il parla de beaucoup de choses, mais
finit par déclarer qTiu Bur les grandes qucstiona en débat la coni-
misaon ferait son rapport à Londres, et que du reste les Cana.
diens pouvaient Être assurés qu'on ne toucherait point à leurs
arrangemens sociaux. C'était annoncer un nouvel ajournement.
Mais comme il avait appuyé sur beaucoup de rélormes de détail
et que son discours, préparé avec soin, respirait la modération et
la justice, on é^a espérer encore. " Je dirais, observait-il, aux
Canadiens tant d'origine française que d'origine britannique,
considérez le bonheur dont voua pourrice jouir, et la situation
làvorable où, sans vos dissensions, vous pourriez vous placer.
Issus des deux premières nations du monde, vous occupez un
vaste et beau pays, un sol fertile, un climat salobre, et le plus
grand fleuve du globe amène jusqu'à, votre ville la plus éloignée
les vaisseaux de la mer."
La réponse au discours du trône provoqua quelques débats, sur
un amendement de J\I. Clapham, qui voulait qu'on reconnût
la commission ; mais la ciiambre s'y refusa, ne connaissant point
les ÎDStriictions quVUe devait suivre. Le pard tory cherchait
déjà à l'appuyer comme s'il les eut connues et s^il eut connu sa
pensée. La réponse de la chambre ne fui qu'un écho du discours,
interprété au point de vue des 9^ résolutions. Lord Gos-
ford Sdèle au système qu'on lui avait trace de tâcher de capter
la bienveillance des Canadiens par ces égards qui touchent,
répondit d'abord à, la chambre en français, puis ensuite en anglais.
La Gazette de Montréal ^e trouva DlTensée de cette courtoisie et
de l'audace qu'avait eue un gouverneur anglais do lîiire usage de
la langue du vaincu. C'était une concession coupable, le pre-
mier pas de la dégradation de la mère-patrie, qui avait eu la fai-
blesse de ne pas proscrire la langue française dès l'origîno.
Les journaux anglais qui avaient eu le »gnal, faisaient les plus
grondes menaces suivant le système qu'on leur avait indiqué, et
que faisaient marcher des ills secrets qu'on teaait à Londres.
L'association constilutionuelle de Montréal demanda à être enten-
due par la coiamiasion, qui l'informa que l'esprit de la constitution
ne serait, pas changé el que l'inlcièt commeicial serait protégé.
SiO HISTOIRE DU CANADA.
Ello voulut organiaer des comïtéa de quartier dans la ville dans le
CQs où l'union et la force seraient nécessaires. Elle organisa un
corps de carabiniers de 800 hommes au nom de Dieu sauve U
roi. Elle voulut faire sanctionner celte organisation par le gou-
verneur, qui s'y refusa et qui en onlonna quelque w.mp» après !a
dheoluiion. Les nrangiates essayèrent aussi à lever la tète avec
eux. Dè3 1827 sir Harcourt Leeu avait reconiniand6 leur orga-
nisation dans les df ux Canadas. Le district de Gore du Haut-
Canada St aussitôt offrir son appui à lord Gosford contre les ten-
tatives séditieuses des constilutionnels. Dans le Bas-Canada on
■n'en faisait de cas que par leur influence à. Londres.
Cependant l'assemblée continuait ees travaux législati&. Elle
accusait encore un autre juge, M. Thompson de Gnspé. Elle
protestait une seconde fois contre rannesion du comté de GaBpé,
BU Nouvoau-Bmnawick ; elle réclamait surtout contre le paye-
ment des olficiers publics sans appropriation, et le Dr. O'Cal-
laghan présentait un rapport sur les procédés du parlement
împérial à l'égard des 92 résolutions, dans lequel il mettait & nu
les contradictions, les erreurs du bureau colonial en faisant l'his-
torique de la question des linnnces depuis 182S. Dans le temps
même on recevait du Haut-Canada une partie des instructions
de lord Glenelg à la commission, que sir Francis Bond Head avait
communiquées à l'assemblée. Comme M. Mackenzie, disait le
CnnorfieMjl'avaitprévUjla communication de cesinstructionsapro-
diàt un vif regret et un désappointement général. Décidément ces
Instructions décèlent chez les ministres des dispositions et des vues
peu propres à inspirer de la confiance dans la libéralité de leur
politique à notre égard. Lord Glenelg fait le réformiste i Londres
et le conservateur à Québec.
" Ces instructions renferment aussi, comme le discours da
trûne, circonstance que nous n'avons pas cru devoir faire rea-
aor^r jusqu'à présent, cette mortifiante comparaison do la faction
oligarchique avec la masse de la population, en parlant comme
ayant toutes deux le même poids, un droit égal à la considération
auprès des autorités impériales. C'est là sans doute le résultat
del'éducationeL des habitudes aristocratiques du vieux monde; on
Cfoit là sans doute que la faction oligarchique est ici ce que te corpa
èuistocratiqUG est en Angleterre. Celle erreur, cette prévention,
HISTOIBS tu CAStMA. 341
si elle ne dUparail, et ne Isit place à des iiléea plus cooTonneB à
l'état Je la Bociété, fera perdre bientût à la couronne britannique
un «le ses plus beaux joyaux. Ce n'eat qu'avec des idées et des
principes d'égalité que l'on peut naaintenant gouverner en Amé-
rique. Si laa liommes d'état de l'Angleterre ne veulent pas l'ap-
prendre par la voie de remontrances respectueuses , ils l'appren-
dront avant longtemps d'une façon moins courloiae } car les
choses vont vite dans le Nouveau- Monde."
Tel était le langage d'un organe de la presse qui songeait alore
à abandonner le parti do M. Papineau pour soutenir celui de
Québec, et à recommander l'acceptation des propositions de iord
Gofiford. On peut concevoir quel put Être celui du parti
extrême. Un appel nominal fut de suite ordonné. Le parti de
Québec, qui se séparait de plus en plus de celui de M. Papineau,
voulut s'opposer à la réception de» instructions de la commission,
par son organe M. Bedard, opposition inutile, parce que l'essen-
tiel était connu, c'e^t-à-dire lex dépêches ellea-mëmes. Loin de
vouloir guerroyer sur des questions de forme, cette nouvelle oppo^
silion aurait dii lever de suite franchement son drapeau et décla-
rer clairement ses principe». Si Les réformes qu'on demandait
n'étaient pas accordées, allait-on se les faire donner de vive force,
enlevant l'étendarl do la révolte, ou allait-on négocier î On
auraât alors comparé ses forces à celles de l'Angleterre et pesé
les chances do suocé.s. Car quant à la justice de leur cause, les
Canadiens-français avaient cent fols plus de droit de renverser
tauF gouvernement que l'An^eterre dle-mëme en 1668, et les
Etala-Unis en 1775, parce que c'était contre leur nationalité
elle-Biêinc que le bureau colonial dirigeait ses coups ; j ugée sous
ce rapport, la question se modifiait et devait être envisagée non
BOUS le point de vue du droit, mais sous le point de vne de l'ex-
pédi»ice, que les peuples comme les individus ne peuvent négli-
ger lorsqu'ils en appelant i la force physique.
Mms malheureusement le chef du parti de Québec, comme
nous désignerons désorm^s cette nouvelle opposition, était alors
en pourparler, pour une cliarge de juge, avec lord Gosford, qui lais-
sait entrevoir d'autres faveurs à quelques uns de ses amis. Dans
des débats aussi graves entre l'Angleterre et l'assemblée, une
scission entre le parti extrême et le parti modéré aurait dû se
342
HISTOIRE DU CAM&DA.
faire ea tdb àa bien public seulemeDt et non sous l^influânce de
l'or et des places. Le devoir de tout représenlaot du peuple
était de refuser toute faveur jusqu'après l'arrangement des diffi-
cultéa, afin de conserver son indépendance et de ne pas paraître
iitfiuencé par l'intérêt personnel. Le moment était trop solennel
pour B'occoper de soi lorsque l'esistence politique de tous les
Canadiens était en «[uestion. Celte grande faute du parti modéré
n'échappa pas à ses adversaires, qui en profitèrent pour l'exposer
aux yeux du public, qui donna dès lors par ironie le nom de
petite famille à M. Bedard et à ses amis, pour désigner des
hommes qui servaient leurs intérêts avant ceux du paya. C'était
détruire leur influence dés le début de la nouvelle voie dana
laquelle ils enb^ent, et dans laquelle la majorité des Canadiens
eussent suivi des hommes indépendans et éoei^ques, qui n'au-
raient pas plus fléchi devant les appâts du pouvoir quedcvantles
menaces de la rébellion. Le vriû patriote tout pauvre qu'il est,
tient pluH de place dans le cœur du peuple que l'agitateur riche et
puissant dont on soupçonne toujours l'ambition.
La majorité de l'assemblée fui entraînée par l'éloquence de
M. Papineau* La nomination de M. Bedard comme juge for-
mellement annoncée, loin d'apaiser les esprits, les excita, suivie
qu'elle fut presqu'aussitôt après du refus du gouverneur de
destituer le juge Gale, dont le ministre qui avait succédé à
M. SprJDg Rice avait coaSrmé la nomination. Le conseil
plus opposé que jamais à la chambre, rejetait presque tous
les bllls qu'elle lui envoyait, ce qui la coniirmait dans l'opi-
nion que le gouvernement voulait la tromper et que le conseil
lui servait d'instrument. Sur 106 bills passés par l'assetabléâ
dans la session, 61 furent ainsi étouSes ou mutilés, et c'étaient les
principaux. En voyant ce résultat, les hommes versés dans la
politique et qui connaissaient la dépendance du conseil, étaient
convaincus que le gouvernement jouait un rôle double et qu'il
excitait par des moyens secrets et détournés une chambre contre
l'autre. La dernière lutte entre l'exécutif et l'assemblée allait se
porter sur la question lies subsides. Les débats durèrent deux
jours. On y repéta ce qui avait déjà été dit tant de fois. Une
grande partie des membres prirent la parole. M. Morin pro-
posa d'accorder six mois de subsidee. M. Vaofelsoa proposa ea
DU CANADA. 34S
amendement douze mois avec les arrérages, MM. LaFontaine,
Fapineaii, Taachereau, Drolet, Rodier, Berthelot parlèrent contre
l'amendemenl ; MM. Power, Caron, DeBleury pour, " Par
suiie de l'injonction du parlement impérial, dit M- Vanfelaon, le
secrétaire colonial a commencé n remplir sa miBaion de réforme,
et quoiqu'il n'ait pas remédié efticaccment à tous les maux, je
croia pouvoir démontrer m l'on veut discuter et juger sans passion
qu'il a déjà fait beaucoup. Plusieurs griefs ont été réparés; un
grand nombre d'autrea sont en voie de l'être. Qu'on reliae lea
92 réaolutiona et on verra que déjà 9 ou 10 des griefs énoncéa
ont ceseé d'exister, et lord Aylmer que nous avions accusé
d'avoir violé lea droits et lea privilèges de cette chambre a été
rappelé." L'orateur passant ensuite aux dlsBensions entre la
chambre et io conseil, ajouta que l'Angleterre avait envoyé la
commisaion pour constater qui avait tort et qui avait raiaon, et
que quant à la plainte faite contre le choix de militaires pour gou-
verner le paya, ou y avait fait droit, puisqiie lord Goeford ne
l'était pas. Il fallait donner le temps aux commissaires d'acbever
leur enquête, et imiter O'Gonnell qui se relâchait do ses préten-
tions dana certaines circonstances, M. LaFontaine prenant la
parole, observa que dana aa revue des griefa, le préopinant avait ét6
ohligè d'avouer que les principaux, ceux qui avaient provoqué les
92 résolutions, existaient encore ; que lord Goaford n'avait d'autre
mérite auprès de l'assemblée que ses promesses, qu'il n'avait
encore rien exécuté, et que si l'on voulait adhérer strictement aux
principes, on ne devait pas voter de subaides du tout.
M. Papineau se leva enfin et paria pendant plusieurs heures.
C'était à lui à soutenir la position prise par le ftarti populaire
dans les 92 résolutions ; il en était le véritable auteur, il y avait
résumé l'esprit et les doctrinea de l'opposition canadienne depuis
plnmeurs années. Le sort de sea compatriotes y était attaché.
Orateur énergique et persévérant, M. Papineau n'avait jamais
dévié dans sa longue carrière politique. Il était doué d'un phy-
sique impoaant et robuate, d'une voix forte et pénétrante, et de
cette éloquence pou châtiée mais mâle et animée qui agito les
masses. A l'époque où nous sommes arrivé il était au plus
haut poiut de ea puissance. Tout le monde avait les yeux tour-
nés vers lui, et c'était notre personniâcaiion chez l'étranger
HTSTOtlli: DV CANADA.
cornme disait le Canadien. Tout président de la chambre
qu'était M. Fapineaa, c'est lui qoi dirigeait la politique ie la
majorité.
« Noua sommes, dit-il, à voir s'il y ■ dans la situation politîqne
du paye des ciroodataiices nouvelles qui puissent justifier la con-
duite de ceux qui semblent déserter la caiiae de la patrie, qui se
séparent de celte immense majorité de leurs conatoyene qui ont
directement approuvé et ratifié sur les hiistings la conduite des
membres qui ont voté lea 92 résolutions. Dans cette grande
dÎBcuasion, il ne faut pas conindérer lord Gosford, maisîl fant con-
sidérer les principes. Nous sommes en linte contre un syb'tème
colonial qui, tel qu'il noua est expliqué par lord Glenelg, contient
dans son essence les germes de tous les genre" de corruption et
de désordre; nous sommée appelés à défendre la cause et les
droits de toutes les colonies anglaises. Le même génie malfaisant
qui jetait malgré elles les anciennes colonies dans les voies d'une
juste et glorieuse résistance, préside à nos destinées. B a ins-
piré les instructions de la commission, qui changent nos relations
avec le gouvernement, qui détruisent le litre qu'il avait à la con-
fiance des représentans du peuple. Elles renferment un refus
formel de faire aucune attention aux plaintes du liaut et du Bas-
Canada. La commission au lieu de puiser ses renseignemens
auprès des autorités constituées du pays, est décidée â prendre
pour b9,se de ses déterminations les opinions de la minorité, de
cette minorité turbulente ei factieuse, disait-il, dans une autre occa-
sion, qui ne cherche qu'à se gorger aux déjiens d'une population
qui lui a offert un refuge. On veut dominer là nu peu de mois
auparavant on ne cherchait qu'un asyle, qu'une patrie. Au
nùlieu de nous cette minorité ee pavane de sa Eupériorilé et de
ses prétentions exclusives. Nous n'avons pas un gouvernement
de droits égaux, mais de favoritisme. Les mignons de l'adminis-
tration accaparent au préjudice de la population entière tous les
avantages du pays. L'eSlimc et la confiance de la majorité les
font crier contre l'usurpation et la nationalité, comme s'il était
juste d'avoir versé son sang pour se voir dégradé, exploité,
dépouillé par et pour la minorité . De telles prétentions pourtant
Be font entendre journellement i un degré dont même l'Iriande
n'offre pas d'exemple, dans te temps où ceux qui trahissaient sa
HISTOIRE DU CASASA. 345
cause étaient récompensés par des emplois comme lea seule
hommes de capaciiÊ el Je lumières.
" Pouvail-on imaginer, eoniiniia l'orateur, nn plan pluK dÈfcc-
tucux qtio d'envoyer trois commiasairea qui ne s'étatesl jamais
vus, aynnl une foule d'employés nvec chacun leurs commuDica-
tions et leurs correspondances secrètes 1 Peut-on voir dans cette
combinaison q iiolquG trait de lagesse 1 Ausei les résultata ne se
sont pas Tait attendre. Quelques hetires pour ninsi dire a prou
leur arrivée 1 9 public (ut ;./eni qu'il f avait division parmi oux
Bwr tous les points. Fouvait-on espérer qu'ils ne sèmeraient pas
ici la division { qu'il y aurait entre eux unanimité sur nos difli-
cultes politiques, et que la diver^té co]mue de leurs opinions sur
la politique de leur pays, ne serait pas le prélude ù la même
diversité d'opinions sur la politique de notre paya ? Aussi les
a-l-on vus se jeter dans les sociétés les plus opposées, et la presse
anglaise a bicntAt retenti d'injures contre celni qu'elle appelait
radical, de ioiiangcs pour celui qu'elle appelait tory. On noua a
promis que de ce mélange naîtraient l'ordre et la justice. On aime
à s'endormir sur !e bord d'un préeiploe, à attendre le bonheur
qne promet un son^c Aigibret trompeur ; au lieu des jouissances
et des réalités enchsnlées, nous allons rouler dans un gouffre . , .
Il ne fallait accorder que six mois de subsides pour nous mettre
dans la même position que la Jamaïque. Ses représentons se
sont dit: Nous voici dans des circonstances es;trBordtnaireE, nous
voterons six mois de subsidespoursaiarier les troupes, maisaprâs
ce temps, nous sommes déterminés à nous ensevelir sous des
ruines plutôt que de céder nos libellés. Ces inspiralions
héroïques ont obtenu du gouvernement anglais qui a su les appré-
cier, les droits que réclamaient les colons de la Jamaïque, de
semblables inspirations nous assureront los mêmes avantages."
L'amendement de M. Vanlelson fut rejeté par 40 contre 27.
Huit Anglais, dont quelques uns des townships de l'est, votèrent
avec la majorité et liuit avec la minorité, preuve assez forte delà
justice des prétenIJona Je l'assemblée. Le conseil rejeta la liste
civile de six mois, ce qui amena presqu'aussit&t la prorogation
des chambres, n'y ayant plus de membres suflisans pour continuer
les affaires, et ùl observer par lord Gosford qu'il ne voulait pas se
S46 HISTOIBB DU C
hasarder & prédire toutes les conséquences qui résulteraient de
cette conduite.
Ce dénouement donna un nouvel élan à l'agitation. L'on
recommença à s'assembler pour approuver la majorité de la
chambre et se rallier aux associations de réforme de Québec et
de Montréal. Une adresse de sept cenia électeurs de Québec fut
J (tréscntée à M, Papineau vers la fin de la session pour approuver
I 'éa conduite, adresse qui amena la résignation d'un des représen-
tans de cette ville, M. Caron, parce qu'elle comportait une cen-
awre contre sa conduite opposée à celle de M. Papineau depuis
les 92 résolutions. Quelques-uns attribuèrent cette démarche au
mécontentement que lui causait la faveur qu'on faisait alors à M.
Bedard en le nommant juge. Dans les colonies peu d'hommes
Bont au-dessus de pareilles faiblesses, mais pour M. Caron,
ces bruits devaient être mal fondés, car ea conduite n'avait pas
cessé un moment d'être conforme et constante.
Depuis quelque temps le parti libéral dans les deux Canadas
avait des communications encore plus fréquentes qu'auparavant,
et les chefs travaillaient activement à co-ordonner leurs mouve-
mens. La majorité des membres de l'assemblée du Haut-
Canada se rallia même un instant au parti de M. MacEenzie ainsi
que le conseil exécutif de sir Francis Bond Head. A Londres
l'activité de M, Roebuck ne se lassait point. Discours dans les com-
munes, articles dans les journaux et dans les revues,' pamphlets, il
ne perdait pas une occasion de plaider notre cause.
Cependant les ministres voyant l'effet qu'avait eu la communi-
cation des instructions tronquées de la co m mission ,chargea lord Goa-
ford tout en lui recommandant d'agir de concert avec sir Francis
Bond Head, de réunir les chambres de nouveau pour leur en com-
muniquer la totalité, ce qu'il fit sans changer les opinions de l'as-
semblée, qui déclara qu'elle voyait avec regret et une vive dou-
leur que les vices de nos institutions politiques étaient demeurés
les mêmes, qu'on maintenait le^conseil législatif, qu'on ne faisait
aucune réforme administrative et que les autorités executives et
judiciaires étaient combinées en faction contre les libertés
publiques.
Après cette réponse peu satisfaisante on s'ajourna.
3*7
C'est alors que M. Marin .vînt se fixer à Qué]>ec vers la fin de
1836 aana prétexte J'y pratiquer comme avocat. Auaâtôt
les parlisana tie M. Fapineau crurent voir quelque lactique
danti cette démarche de son disdpte le plus dévoué ; ils se réu-
nirent autour de lui, ils s'organisèrent et se mirent en rapport avec
les libérauK de Montréal et d'autres parties du pays, pour contre-
carrer les résolutions de l'association constitutionnelle, qui parlant
au nom du parti anglais, priait le roi de maintenir le conseil
législatif en l'organisant de manière à tenir en échec l'influence
de l'assemblée, de diviser les comiés de façon à diminuer les
représentans fi-ançais, de rappeler lord Gosford, et de réunir les
deux Canadas. Elle s'adressait en m6me temps au Haut-
Canada pour l'engager à favoriser ses projets, et aux Cana-
dien s-fi'ançai s eux-mêmes pour leur dire qu'ils étaient trompes et
opprimés par leurs meneurs.
A celte époque leur perspective était la plus triste qu'on puisse
imaginer. Eus qui s'étaient bercés un instant de l'espoir d'avoir
de nombreux alliés, venaient de les perdre presque tous à la tbis-
Sir Francis Bond Head était sorti triomphant de la lutte à
Toronto. Il avait dissous la dernière chambre et était parvenu à
force d'adresse et d'intrigues à faire élire une majorité de torya
dans la nouvelle. Sûr maintenant d'elle, il avait convoqué
aussitôt la législature, et l'assemblée avait biffé des procès-verbaux
de la dernière session, les résolutions do celle du Bas-Cauada
que M. Papineau avait envoyées à son président. En même
temps Ilead lui avait communiqué les dépêches du bureau colo-
nial qui approuvaient sa conduite. La poUlique de Doïi'ning
Street était do briser la dangereuse alliance qui avait paru s'éta-
blir entre le Haut et le lïas-Canada, menacer le Bas où le danger
était le plus grand, et mettre la totalité de la population en lutte
une partie contre l'autre. Cette politique avait donc réussi.
Dans le Haut-Canada tout marchait à merveille ^ et il en était de
même dans les autres provinces. Le Nouveau-Brunswick avait
accepté les propositions de l'Angleterre, et !a Nouvelle-Ecosse, qui
avait d'abord été plus forme, avait révoqué les résolutions qu'elle
avait passées contre l'administration, de sorte que la commisfflon
qui achevait ses travaux, se voyait autorisée par toutes ces défec-
318
tions à adopter des concluaioDs plus hostiles contre la seule
chambre qui restait inébranlable.
Le rapport de cette commission fut mis devant le parlement
impérial dès le coramencenient de la sesaon. Il Tonnait un
volume imprimé de plus de 400 pages folio et renfermtût à p^ne
une guggcssion nouvelle. Led commisaaireii recommandaient
Héparément ou cidlectivement d'employer les deniers publics rans
le concoure des représenians ; d'user de mesures coercitives pour
forcer rassemblée à se soumettre» justifiùent le conseil législatif
d'avoir rejeté les six mois de subsides, et suggéraient de Ikire
représenter la minorité en changeant la loi d'élection de manière
à donner plus d'avantage à l'électeur anglais qu'à l'électeur cana-
dien. Il fallait persister dans la demande d'une liste ciwle da
j£19,000 pour la vie du roi ou pour un terme de sept ans aa
moins, refuser un conseil législatif électif et le système respon-
sable, maintenir la compagnie des terres et s'opposer !t l'union
des deux Canadas. Lord Gosford n'approuvait pas toutes ces si^-
gestions, et il était d'opinion qu'il fallait Ubéraliser les deux con-
seils en y faisant entrer une forte proportion d'hommes parta-
geant les opinions de la majorité de l'assemblée.
Lord John Kussell proposa une série de résolutions dans les
communes, coiifarme:^ aux suggessions les plus hostiles, et qui
suscitèrent des débats qui durèrent trois jours, le ti, le 8 et le 9
mars 1837. Lord John Eusacll lui-môme, M. Stanley, M.
Kobinson, air Grcorge Grey, M. Gladstone et lord Howïck furent
les principaux orateurs en faveur du ministère, ainsi que M.
Labouchère qui se trouva celte fois contre les Canadiens. MM,
Leader, O'Connell, Roebuck, air "William Moleaworth, le colonel
Thompson et M. Hume contre. D y eut plusieurs divisions ;
mms la minorité fut très faible chaque fois. La proposition de
M. Leader de rendre le conseil législatif électif, ne rallia que 5fi
voix contre 318, et encore cette vrai norité tomba-t-elle à 16 lors
de l'adoption finale des résolutions.
Le ministre ne manqua pas de tirer parti de la défection dea
autres colonies. Aucune de ces colonies, dit-il, n'avance des pré-
tentions semblables à celles du Bas-Canada, et tout présage un
arrangement satisfaisant avec elles. Rendre le conseil lè^slatif
électif, serait créer une seconde chambre d'assemblée et un con-
mSTOIRE DU CANADA. 349
seîl exécutif responsable, ce qui était absolument incompatible
avec les rapports qui devaient exister enfre la métropole et la colo-
nie, vain jugement d'un homme d'état qui devait être démenti si
peu de temps après.
11 était évident que les ministres pourraient entreprendre main-
tenant tout ce qu'ils voudraient contre le Bas-Canada, et qu'ilâ
seraient appuyés. Ils en avaient fait une question de race, et
avaient feint de se donner pour les protecteurs de cette minorité
anglaise qui avait été le fléau de l'Irlande, disait O'Connell. Ils
ne faisaient d'ailleurs que rester fidèles à un principe de gouver-
nement bien connu surtout dans les colonies, contenir la majorité
par la minorité. Le résultat des débats fut le même dans la
chambre des lords, lorsque lord Brougham y présenta la pétition
de l'assemblée.
Cependant le bureau colonial qui savait qu'il violait un prin-
cipe sacré de la constitution en ordonnant le payement des fonc-
tionnaires sans vote de la législatui'e, n'était pas sans inquiétude,
car lord Glenelg avait écrit à lord Gfosford dès le mois de mars
qu'il espérait qu'il n'y avait aucun danger de commotion ou de
résistance, mais que par précaution on allait probablement lui
envoyer deux régimens. Ensuite craignant que cette démons-
tration ne fit du mal, il permit à lord Gosford de tirer du Nouvèau-
Brunswick les troupes dont il pourrait avoir besoin.*
La sensation produite par le résultat des débats dans les deux
chambres impériales, ne fut pas celle de la surprise en Canada*
Les journaux qui soutenaient l'assemblée recommandèrent la
fermeté et la persévérance; soutinrent que l'oppression et la
tyrannie que voulait imposer l'Angleterre ne pouvaient être dura-
bles en Amérique, que le gouvernement des Etats-Unis serait
bientôt forcé d'intervenir, qu'en un mot l'avenir était au
peuple ; qu'il fallait rester uni, qu'il fallait agiter, qu'il fallmt ces-
ser tout rapport commercial avec la métropole, qu'il fallait manu-
facturer soi-même les marchandises nécessaires à notre consom-
mation, et ne rien acheter qui payât droit à la douane, afin
d'épuiser le trésor, et d'obliger le gouvernement à suivre la volonté
des représentans. On tint des assemblées publiques, surtout
dans le district de Montréal, pour répandre les nouvelles idées
• Dépêches de lord Glenelg à lord Gosford, 6 et 16 mars, 1837.
350 HISTOIRE DU CAI4ADA.
économiques pajiout dans lea villes et dans les campagnes. La
Minerve et le Vindicator s'iDsiirgéreat, " ï^ense-t'On, disait la
première, qu'il noua faille Buccombcr bous le poids de cette force,
courber honteusement la lËte sous le joug 1 Non, notre position
comme peuple n^eat que plus avancée, puisque les mesures de la
métropole doivent contribuer à faire poursuivre avec plua d'acti-
vité que jamais cette lutte dont l'issue sera le succès des. princi-
pes américains. .. Desprotestations nouvelles, énergiques et t^lea
qu'on ne puisse lea méprendre, noua paraissent nécessaires et
urgentes. La force d'inertie pour refuser toute coopération à un
gouvernement qui ne veut pas respecter les principes constitu-
tionnels et les droits inhérens d'un peuple, mais qui au contraire
lea rejette et lea foule aux pieds ; les nombreii:! moyens qui sont
à la disposition de nos compatriotes pour larir la source des
revenus qu'on approprie sans la contrôle de la représentation du
paya, ne peuvent noua être ûtéa môme par une loi du parleraieBt
impérial, et sont quelques unes des armes puissantes que lea
Canadiens ont en leurs mains et dont ils sauront se servir pour
assurer leurs droits, ceux de leurs descendans et des autres colons
dans quelque partie du globe qu'ils habitent."
■ Un parlement étranger, s'écriait à son tour le Yimjicator,
dans lequel le peuple de celte province n'est pas, ne peut-être
représenté, est décidé à disposer de nos déniera sans le consente'
ment et contre la volonté de ceux qui en ont l'approprialiou de
droit ; il a résolu de faire de cette province une autre L'Iande."
" Qu'allons noua faire, disait à Québec le Canadien, qui sou-
lenait la minorité de la chambre avec le Populaire^ nouveau
journal établi à Montréal et rédigé par un français arrivé à
point dans le paya pour soutenir !e gouvernement. Allons-
nous avec lea débris du naufrage, essayer de nous remettre en
mer et poursuivre notre route ; ou bien allons-nous retioncer â
notre destination en appelant La providence à notre aide, allons-
nous rassembler un reste de vigueur pour tenter les hasards d'unç
nouvelle destinée 7 . . . Noua ne conaeillona paa de prendre ce
dernier parti. I! aéra encore temps d'en venir aux extrËmes
lorsque nous aurons épuisé tous nos moyena de salut. Un peuple
faible peut se réégner à un sort malheureux sans déshonneur ; il
y a ime soumiesien honorable comme il y a une dominalion
HtSTOIRE 1>U CANADA. 351
déshonorante." Quant aux journaux de l'oligarchie, la persis-
tance de l'assemhlée dans le programme des 92 résolutions, leur
iburnissait un prétexte d'exprimer sans réserve toute leur pensée ;
l'asservissement complet des Canadiens pouvait seul les satisfaire,
et les deux Canadas devaient être réunis â cela était nécessaire
pour noyer une honne fois ce peuple français et catholique dans
une majorité anglaise et protestante.
Les partisans de M. Papineau ne se découragèrent pas devant
l'attitude hostile du parlement impérial et de l'Angleterre. Lee
aissemblées publiques continuaient dans les campagnes. Celle
du comté dé Richelieu recomnianda la réunion d'une convention
géiiérale. Les Irlandais de Québec s'assemblèrent le 15 mai,
pour lâe déclarer en feveur de la cause tsanàdienne et approuver
6e qu'avait dit CConnell de ses cortïpatrîotès qui s'étaient ligués
avec le parti anglais ; c^esl-à-dire qu'ils voulaient renouveler en
Canada les malheurs de l'Irlande. Mais ces démonstrations ne
pouvaient produire rien par elles-mêmes sur la volonté de l'An-
gleterre, et il y avait à craindre qu'une fois l'élan donné à l'agi-
tation, on ne put l'artêter loi-squ'il serait à propos de le faire.
Les esprits s'échaufliaient de plus en phis; si le PopwfeeVc parais-
sait à Montréal pour les cahner, le Libéral naissait à Québec pour
lès exciter aux mesures extrêmes. Il s'opérait un changement
singulier chez plusieurs individus. Des torys devenaient tout à
coup des hommes du parti le plus avancé comme si l'attente des
troublés eut excité leur ambition, et s'ils n'avaient vu de chance
de la satisfaire que dans le parti qui menaçait le pays d'une révo-
lution, tandis que de chauds partisans de la chambre ne voyant
pas d'issue se rapprochaient des hommes modérés.
L'agitation qui commençait à devenir sérieuse dans beaucoup
de comtés, finit par inquiéter le gouvernement, qui publia une
proclamation dans le mois de juin, qu'on fit lire à la tête des
milices, afin de mettre le peuple en garde contre les écrits et les
discours propres à le séduire. Sans se laisser intimider par cet
avertissement, M. Papineau entraîné par ses partisans descendit
jusqu'à Kamouraska, accompagné de MM. Girouard, LaFon-
taîne, Morin, et faisant des discours à l'Islet et à St.-Thomas où
le Dr. Taché, partisan zélé, avait monté quelques têtes. A
Missiskoui; à l'Assomption, à Lachehaie, à Deschambault^ à
l'Acadic, OD protestait contre ïea mesures ùo la. métropole, et le
Daily Expreu à& New-York publiait une correspondance cana-
dienne où l'on parlait d'un appel aux armes et faisait l'histoire de
la révolution américaine. Un peu plus tard, on pendait le gou-
verneur en effigie, et des bander d'iiommc^ armés rôdaiwt dans
le comté du lac des Deux-Monlagnea et obligeaient la justice dln-
icrvenir. l'artout enfin on a'agilait pour appuyer ou les 92 réso-
lutiona ou le gouvernement, dont les nmis u'assembl aient & leur
tour pour lui promettre leur appui et s'opposer au parti du mou-
vement. Leurs assemblées à Québec et à Montréal furent trè«
nombreusea, beaucoup de gensa'yélant ralliés parce qu'ils étaient
convaincus qu'il était hors de question de lutter contre l'Angle-
terre, les colonies divisées comroe elles l'étaient. DanslesEtaU-
Unia les journaux étaient bien partagés, et l'on pouvait Être C8I^
lain que le gouvernement de Washington n'interviendrait que
quand la c£iuse républicaine serait à peu près gagnée, c'est-à-dira
pour enlever ie prix de la victoire.
C'est eur ces entrefailed qu'arriva la nouvelle que lord John
Russeil avait déclaré le 23 juin dans les communes, que oonitne
il espérait que le Bas-Canada pèserait sérieui^ement les résoEu<
lions qu'elles avaient passées, il suspendrait lo projet de loi
auquel ces résolutions devaient servir de baac, espérant qu'il
verrait que ses demandes étaient incompatibles avec son état
colonial ; mais qu'il ne serait fait aucun cbangement organique à
la constitution. C'étiut annoncer une nouvelle session à Québec-
Lord Gosford répugnait, malgré son rapport avec les autres com-
missaires, aux mesures extrêmes j et quoiqu'il n'attendit aucun
bien d'une dissolution, i! espérait que les changemena qu'il suggé-
rait de faire dans les deux conseils et que les ministres allaient Ônir
par adopter, pourraient avoir un bon résultat. Il ne voulait pas
croire non plus à des troubles sérieux, et il ne fit usage de l'ordre
qu'il avait de faire venir des troupes du Nouveau-Brunswiuk que
dans les derniers momens. IL pensait qu'il y avait beaucuup
d'exagération dans les rapports des assemtilées tenues par les
partisans de M. Papineau ; que les affaires pourraient marcher si
les deux conseils étaient libéralisés, et que rien n'était plus
erroné que de supposer que la masse des Canadiens-français I&t
déloyale; qu'il avait toutes Isa raisons de penser le «ontralre.
HISITOI&K DV CANAPA. 353
Malgré les troublea qui arrivèrent cette appréciatioa était par-
faitemeat juste» Le premier vœu des Ganadieiu était de conser-r
ver leurs usages et leur nationalité ; ils ne pouvaient désirer l'an-
nexion aux ËtatSf-Unis parce que c'aurait été . sacrifier ces deux
choses qui lui sont si chères ; et c'est la conviction que l'Angle-
terre travaillait à les leur faire perdre qui entraîaa la plupart de
ceux qui prirent part ensuite à l'insurrection. Lord Gosford
sentait si bien cela qu'il recommanda d'ajouter sept Canadiens
au conseil législatif et neuf au con^il exécutif.
Les chambres furent convoquées pour ]e 18 août. X^orsqu'elles
s'assemblèrent, il leur dit qu'il voulait fournir une nouvelle occa-
sion aux représentans du peuple de reconsidérer la marche qu'ils
suivaient depuis quatre ans touchant les subsides, ^ de faire eux-
mêmes les appropriations que la métropole ferait sans doute sans
eux s'ils s'obtinaient dans leurs premières résolutions. Cette nou-
velle tentative ne put ébranler la majorité des membres^ qui
vota une adresse dans laquelle. elle protestait contre les recom-
mandations contenues dans le rapport des commissaires^
Cette adresse fut présentée au gouverneur le .26 août, et le
parlement prorogé aussitôt après par une proclamation dont Mt
Fapineau trouva une copie sur son siège à son retour dans la
salle des séances* Ce résultat avait achevé de convaincre lord
Gosford que le parti de ce chef vouls^it la république, et qu'il se
servait de l'animosité créée chez les Canadiens par les attaques
violentes et injustifiables de la minorité pour maintenii: son influ-
ence.*
La brusque clôture des travaux législatifs n'était pas de nature
à calmer les esprits. Dans le district de Montréal surtout le
peuple était en plusieurs endroits entraîné par les agitateurs. Les
assemblées, les discours se succédaient sans cesse dans les villes
et dans les campagnes. Le gouvernement se mit à sévir contre
ceux qui prenaient part à ces procédés, et destitua en grand nombre,
les magistrats et les officiers de milice. M. Fapineau qui avait ré-
pondu avec hauteur au secrétaire du gouverneur qui lui demandait
s'il avait pris part à l'assemblée de St.-Laurent, était du nombre»
Mais cela ne faisait guère que fournir des armes aux partisans du
mouvement. Les jeunes gens surtout étaient emportés. Lesasso-
^ X)épéc;he de lor4 QQsfaii i lord Glenelg du 2 septembre 1^37^
35+ HISTOIHE DU CANADA.
dations politiques élendaicnt leurs ramifications parrrtl'Ieà' ouvriers
pour les expiter à appnj-er la majorilé de la chambre. On faisait
les plus grands efforts pour soulever partout le peuple, mais on
excitait plutôt la curiosité Ju grand nombre que les passions.
Tjoin des villes, loin lîe la population anglaise et du gouvernement,
il vit tranquille comme s'il Était au milieu de la France, et ne sent
que Irèa rarement les blessures do joug étranger. La peinture
iju'on lui faisail des injustices et de l'oppression du vainqiieiit'
n'escilait que bien lentement les passions de son âme et ne
laissait aucune impression durable. DVtlIeura il n'avait pus
une confiance entière dans tous les hommes qui s'adressaient à
lui. Il en avait vu tant accuser le gouvernement d'abus et de
tyrannie et accepter les premières faveurs qn^il leur offrait, qu'il
était toujours prêt à. soupçonner leurs
et à se mettre en garde contre leur déâ(
Cependant sur quelques points il cor
dence. Le comté des De us- Mo Ma j
depuis quelque temps, A St. -Déni
endroits on i'èta les olFicters de milice (
on forma des associations' secrètes, et 1
>tifs et lei
■ bonne fol,
mençait à onblicr sa finî-
mes Était d6jà fort agile
et en plosieura autres
, les magistrats destitoéa ;
commença à parler de
léaistan ce ouverte. Déjà une association de jeunes gens s'était
formée à Montréal sous le nom de Fils do la liberté; elle publia un
manifeste menaçant pendant que Tassociation constilulionnelle
anglaise en publiait un dans un sens contraire. Ces associations
avaient leurs agena dans les campagnes,
A Québec quelques jeunes gens, avocats, notaires et aulreB,
après avoir vainement essayé de former une organisation sem-
blable à celle des Fils de la liberté, reçurent im envoyé secret du
district de Montréal, qui les informa qu'on allait prendre les armes,
et qui les détermina à en faire autant. Un d'eus, M. Cazeau,
homme facile à exciter et qui acheva de se ruiner dans ces troubles,
comptant sur les ouvriers de Sl.-Roch, prépara quelques balles
qu'on eut beaucoup de peine à cacher à la police, lorsque plbs
tard elle fit une descente chez lui. Ce clnb secret avait pris M.
Morin pour chef. Mais ses idées ne faisaient pas grand progrès.
M. Morin s'en plaignait à ses amis de comité central des Deui-
Monlagnes. Il leur écrivait !e 25 octobre, pour les remercier de
la manière dont ils appréciaient ses ofibrts pour le soutîea des
HISTOIRE DU CANADA. 35^
libertés populaires et de la cause canadienne: '^ Ces efforts ainsi
que les vôtres, auraient déjà été couronnés de succès sans l'in-
fluence que les meneurs, Tintrigue, l'ignorance et la corruption
ont exercée sur ceux qui avaient une prédisposition ou qui étaient
les plus exposés. . • Avec de la constance et du courage nous
détruirons un mal épiiemère, nous démasquerons l'avilissement
et la corruption de nos ennemis et de quelques ci-devant prétendus
amip."
M. Morin, malgré ce langage, était un homme doux, poli, d'un
goût simple et studieux, ayant plutôt la suavité de manière d'un
ecclésiastique, que l'ardeur emportée d'un conspirateur. On ne
pouvait le charger d'un rôle qui fût plus contraire à son caractère.
Ce qui faisait dire au Canadien: " Ce fut pour lui un jour bien
malheureux que celui où il se posa chef de parti dans ce district.
Tant qu'il n'eut qu'à agir sous la direction immédiate de volontés
supérieures, plus habituées que lui au commandement, il vit s'ac-
croître sa réputation d'homme habile ; mais depuis il n'a fait que
jouer de malheur, et prouver que s'il a les talens de l'exécution,
il n'a. pas encore acquis ceux de la direction."
A St.-Denis, à St.-Charles, à St.-Eustache, à Berthier, à
PAcadie, on Ht les mêmes préparatifs, malgré l'apathie de la
masse de la population, qui n'était nullement disposée à prendra
les armes pour renverser le gouvernement de vive force. Les
têtes exaltées de Montréal résolurent de s'adresser au congrès des
Etats-Unis pour demander le commerce libre. Petit à petit l'on
augmentait ainsi de hardiesse jusqu'à ce que l'on commençât à
inquiéter les hommes paisibles, qui crurent devoir faire des
démonstrations en sens contraire. Le colonel de Hertel, qui
commandait un bataillon de milice de 1500 hommes dans le comté
des Deux-Montagnes même, ce centre d'agitation, écrivait au
gouvernement que ses soldats étaient pleins de loyauté et prêts à
obéir à ses ordres au premier appel qui serait fait. Mais le grand
nombre ne voyant pas de danger réel, désirait laisser le gouver-
nement se retirer comme il pourrait de ces difficultés. Car c'est
lui qui en était la cause en voulant maintenir un ordre de chose
plein d'injustices et de distinctions nationales. Mais lorsqu'ils
virent le danger devenir réel et la résistance ouverte à St.>Denis
et à St-Charles, ils sortirent de leur neutralité pour appuyer le
35ti HISTOIRE DU CANADA.
gouvernement, et les Canadieas àQuèbec, à Montréal, àBertIiier,
à la Rivière-Ouellc, à Karaoura^àka, à Lotbinière, à Portueuf, à
Champlsdn, aux Troia-Riviéres et dans presque touf les oointtia
du pays lui préaentèretit dea adreesea et se rallièrent à lui.
Jusque'là, lit plupart dod gens de la campagne surtout pensaient
que l'agilaliuii à AiontJ'ëal finirait par s'apaiser. Mais loin de
U, elle commençait â dégénérer en scènes de troublée inoortniaes
jusqu'ici dans le pays. On donna des cliarivaris à quelque»
hommes impopulaires; on fit dea meaacoa en diffèrens endroit»,
qui fournirent un prétexte pour donner des armes aux liommes
Gables afin d'assurer le maintien de l'ordre, sans que c« pré-
cautions empêchaâsent les partisans du la chambre de tenir
à St.-Char!es, ie ÏS ofitobre, une grande assemblée dea babilans
des comtes de Richelieu, St>- Hyacinthe, RouvîIIe, Chambly et
Verchères, aiîxquela ae joignit le comté de l'Acadie et qui prirent
le nom de confètlé ration des six comtés. Il y avait une centaine
do miliciens hous les armes commandés par des otBciera ilcstituée.
On y voyait ime foule de drapeaux, avec diverses inscriptions.
" Vive Papineau et le système électif." '* Honneur à ceux qui
ont renvoyé leurs commissions ou ont été destitués." " Honte à
leurs successeurs." " Nos amis du Haut-Canada." " Honneur
aux braves Canadiens de 1S13; le pays attend encore leur
accours." " Indépendance." Le conseil législatif était repré-
senta par une télé de mort cl des oh en croix.
Le Dr. Nelson, de Sl.-Denis, fut appelé au fauteuil. Il y
assistait une douzaine de membres do la chambre. MM. Papineau,
Nelson, L. M. Viger, Lacoste, Côte, T. S. Brown et Girod
prirent la parole. On y fit «ne espèce de déclaration des droits
de l'homme. M. Papineau qui commençait à s'apercevoir
qu'on allait plus loin qu'd était prudent de le faire, prononça un
discours qui mécontenia les esprits les plus ardens, M. Chasseur
qui y asaistait, s'en revint à Québec tout désappointé de !a timi-
dité du chef canadien. Il recommanda de s'abstenir de prendre
les armes. La seule résistance constifutionneile et le meil-
leur moyen de comliallre l'Angleterre, c'était de ne rien acheter
d'elle,* opinion qui déplut au Dr. Nelson, qui s'avança et déclara
•Le Dr. O'CalIughan m'écrivait il'Albany, le 17 juillet 1852. " U jou
aie to blâme the movement, blâme then those who plotted and cootriVKl ît
UI&TOmE DU CANADA. 357
que le temps d'agir était venu. Les résolutions qu'on passa
servirent de base à un appel au peuple, qu'on répandit avec pro-
fusion et qui engagea l'évéque de Montréal, M. Lartigue, à lui
adresser un mandement pour le mettre en garde contre ces con-
seils, dans lequel il recommandait, suivant la doctrine catho-
lique^ l'obéissance au pouvoir établi. << Depuis longtemps nos
très cbers frères, nous n'attendons parler que d'agitation, de
révolte même, dans un pays toujours renommé jusqu'à présent
par sa loyauté, son esprit de paix et son amour pour la religion de
ses pères. On voit partout les frères s'élever contre leurs frères,
les amis contre leurs amis, les citoyens contre leurs concitoyens ;
et la discorde, d'un bout à l'autre de ce diocèse, semble avoir
brisé les liens de la charité qui unissaient entre eux les membres
d'un même corps, les enfans d'une même église, du catholicisme
qui est une religion d'unité.
<< Encore une fois, nous ne vous donnerons pas notre sentiment,
comme citoyen, sur cette question purement politique qui a droit
ou tort entre les diverses branches du pouvoiir souverain ; (ce
sont de ces choseâ que Dieu a laissées aux disputes des hommes :)
mais la' question morale, savoir quels sont les devoirs d'un catho-
lique à l'égard de la puissance civile établie et constituée dans
chaque état, cette question religieuse, dis-je, est de notre ressort
et de notre compétence. . .
" Ne vous laissez donc pas séduire si quelqu'un voulait vous
engager à la rébdlion contre le gouvernement établi, sous prétexte
que vous faites partie du peuple souverain : la trop i&meuse con-
vention nationale de France^ quoique forcée d'admettre la souve-
raineté du peuple puis qu'elle lui devait son existence, eut bien
soin de condamner elle même les insurrections populaires, en
insérant dans la déclaration des droits en tête de la constitution
and who are to be held in history responsible for it. We, my friend, were
the victims, not the conspirators, and were I on my death bed I could
déclare before heaven that I had no more idea oî a movement or résistance
when I left Montréal and went to the Kichelieu river with M. Papineau,
than I hâve now of being bishop of Québec. And I also know that M.
Papineau and I secreted ourselves for some time in a farmers house in the
parish of St.-Marc, lest our présence might alarm that country and be
raade a pretext for rashness. . . I saw as clearly as I now see the country
wjas not prepared."
v*3
358 HISTOIRE BU CA^JADA.
de 1793, que la Bouveraineté réside, «on dans nnc partie, ni
même dans la majorité du peuple, maie dana l'iinivcraslite des
citoyens... Or' qui oserait dire que, dana ce pays, la lotalilé
des citoyens veut la destruction de son gouvernement . . ."
Ce mandement eut un grand retenti asemen t. Dans le même
temps, le Oanadten. renouvelait ses instantes rejirésen talions sur
l'absolue nécessité de se prononcer hautement contre le parti du
mouvementet de la résistance, an nom de noire honneur national
et de nos libertés menacées ; et le clergé calboliqne de Montréal
se mettait en rapport avec celui de Québec pour solliciter l'appui
de l'esécutif dans une requête aux autorités impériales, qui aurait
pour but d'obtenir le plutôt possible en faveur du peuple canadien
tout ce qu'il pouvait atlendre de réforme, afin d'apaiser les
troubles ei l'agitation. L'exécutif prenait aussi des mesures pour
l'aire cesser cette agitation et faire respecter la loi partout. Pour
donner main forte aux troupes, il arma ima partie de la popula-
tion anglaise de Montréal, I! organisa des corps de cavalerie,
d'artillerie et d'infanterie. Il lit la même cIiogb à Québec en
excluant soigneusement, comme à Montréal, les Canadiens quelque
lussent leurs principes et malgré les oITrcs de service d'un grand
nombre de leurs notables. Il arma presquctoute la population irlan-
daise, dont une grande partie faisait cause commune peu de temps
auparavant avec les libéraux les plus exaltés, mobilité qui petit
expliquer une partie des maux de l'Irlaode. Six cents volon-
taires furent armés en quebjuea jours. Il manda enfin doa trou-
pes du Nouveau-Brun swick.
Cependant l'excitation était trop grande dans plusieurs localitÉB
pour s'apaiser fout à coup, et se terminer sans ed'u^on de eang
I présence. Déjà il y avait eu des
Le 7 novembre, les Fils de la liberté
^ membres du Doric Cluli comme
1 vinrent aux mains avec des succès
divers. La maison de M. Fapineau et celle du Dr. Robertson,
entre autres, furent attaquées et les presses du Viiidicator sacca-
gées. Les troupes furent appelées sous les armes et paradèrent
dans les rues avec de l'artillerie.
Un grand nombre de mandais d'arrestation furent lancés contre
les chefs canadiens dans les différentes localités, dont vinet-aix
w les deux partis v
troubles sérieux i Montréal.
et les constitutionnels, o
ae nommériïnt les Anglai
histoihe du canada. 359
pour haute trahison. M. Papineau, le Dr. O'Callaghan, le Dr.
Nelson étaient dans cette dernière catégorie. A Québec comme
à Montréal les arrestations se firent sans difficultés. M. Morin
fut du nombre ; mais dans les campagnes de Montréal on résolut
d'opposer de la résistance, et les officiers de la justice furent mis
en fuite. Alors on les 6t accompagner par des corps de troupes
qui furent repoussés en plusieurs endroits, mais qui triomphèrent
à la fin. Entre Chambly et Longueuil, un détachement de cava-
lerie fut jeté en déroute et quelques prisonniers qu'il emmenait
furent élargis. Un corps de troupes commandé par le colonel
Gore et composé de cinq compagnies de soldats, d'une pièce de
canon et d'un détachement de cavalerie, parti de Sorel se dirigeant
sur St.-Charles, fut arrêté à St.-Denis le 22 novembre, par le
Dr. Nelson, qui s'était retranché dans une grande maison de
pierre. Au bruit du tocsin 800 hommes se trouvèrent réunis
sous les ordres de ce chef intrépide, mais presque tous sans armes
et sans munitions. On n'avait qu'environ 120 fusils bons et
mauvais. On s'était muni de lances, de fourches ou de bâtons.
Une partie resta pour combattre et les autres s'éloignèrent. Le
succès était si incertain, que le Dr. Nelson engagea M. Papineau
qui se trouvait là avec le Dr. O'Callaghan dans le moment, à se
retirer pour ne pas compromettre sa vie, et par là même la cause
dont il était le chef. " Ce n'est pas ici, lui dit-il, que vous serez
le plus utile ; nous aurons besoin de vous plus tard." Ainsi M.
Papineau qui était opposé à la prise des armes à l'assemblée des six
comtés, était déjà entraîné par le torrent, et sans faire de réâ»-
tance se laissait promener au milieu des insurgés pour les encou-
rager par sa présence, sans qu'on lui permît cependant d'exposer
comme les autres, sa vie au feu, malgré les reproches sévères,
observa-t-il lui-même au Dr. Nelson, qu'on pourrait lui faire plus
tard s'il s'éloignait dans un pareil moment.*
Les troupes en arrivant s'emparèrent des maisons voisines et
se préparèrent au combat. Après avoir pris leur position, elles
ouvrirent un feu d'artillerie et de mousqueterie qu'elles conti-
nuèrent pendant quelque temps. Voyant son peu d'eflFet, le colo-
nel Gore ordonna au capitaine Markham de donner l'assaut à une
♦ Papineau et Nelson : Blanc et Noir. Pamphlet avec affidavits publié à
Montréal par les presses de VJivenir en 1848.
HISTOtKX: DU OABADA.
360
distillerie défendue par une quinzaine do Canadiens, qui Pincom-
modaient beaucoup tout en protégeant lea insurgés ; mais après
des efTorlB inutiles, l'attaque dut être abandonnée. JLe capitaine
Markham y fut grièvement blessé.
Vera 2 beures, les insurgea reçurent un secours qui porta le
nombre des fiiails à 200 environ. Alors Ile résolurettt sur
quelques points de prendre l'olfeneive, et ils réunirent & déloger
et à mettre en fuite un corps de troupes qui s'était embusqué der-
rière une grange. Enfin après six heures de combat, les troupes
furent partout obligées d'abandonner la victoire aus rebelles, qui
les poursuivirent quelque temps, s'emparèrent de lour canon, de
quelques blessée et d'une partie de leurs voitures «t àt letirt
munitions.
M. Ovide Perrault, membre de la chambre, fut morieUemenl
blessé par un boulet de canon, dans le moment même qu'un
autre renversait cinq hommes et jetait quelque confusion dans lea
rangs des Canadiens.
En même temps que ce combat avait lieu, un autre corps de
troupes fort de 330 hommes, 2 pièces de canon et quelques
cavaliers, coForaandépar le colonel Wetberall, venant de Cbambly,
et qui devait opérer sa jonction avec celui du colonel Gare, pour
attaquer réunis les insurgés à St.-CIiarlea, où on les disait en
force et retranchés, s'avançait lentement parce que les ponts sur
les rivières avaient été coupés. Quoiqu'il n'eût pas trouvé le
colonel Gore au lieu indiqué, il continua sa route recevant
quelques coups de fueils sur plusieurs points en arrivant à St.-
Charlcsj Û atteignit les retranche m en s des insurgés, le 25
novembre. Ces relranchemena formés d'arbres renversés, recou-
verts en terre appuyés sur la maison de M, Debartzch, qu'on
avait crénelée et percée de meurtrières, formaient un parallélo-
gramme entre la rivière et lepicd d'une petite collinequiledami-
nail par derrière. I! était défendu par plusieurs centaines
d'hommes, la plupart toujours sans armes, commandés par M, T.
S. Brown, qui prit la fuite avant l'attaque. Les insut^és avaient
pour toute artillerie doux pièces de canon dont ils tirèrent un
coup DU deux. Le colonel Wethcrall prit possession delà colline,
plaça son artillerie dans les positions les ]ilus favorables, et enve-
loppa le camp de ses tcouped, de manière i ne laiiiser aucune
HISTOIRE DU CANADA- 361
issue aux insurgés pour échapper que la rivière. Après avoir
fait ses dispositions, il donna l'ordre de l'attaque. Les rebelle»
répondirent avec vigueur au feu des troupes 5 et en jetant quelques
hommes parmi des arbres qui étaient à droite* ils obligèrent le
colonel Wetherall de faire appuyer les grenadiers qui étaient
sur ce point par une autre compagnie. Le feu de mousque-
terie durait environ depuis une heure lorsque l'artillerie ayant
renversé les fragiles retranchemens qui couvraient les rebelles,
et semé la confusion dans leurs rangs, ce commandant fit char-
ger son infanterie à la bayonnette. Elle s'empara du camp
d'emblée, et massacra un grand nombre d'insurgés qui osaient se
défendre encore. On ne fit qu'une trentaine de prisonniers.
Le nombre des tués dépassa 100, celui des blessés fut consi-
dérable.
Après cette victoire tout fut brûlé dans le camp excepté la
maison de M. Debartzch, et les insurgés qui avaient pu se sauver
s'étant dispersés, Wetherall retourna à Montréal par Chambly et
St.-Jean, dispersant encore à la Pointe-Olivier un rassemblement
qui voulut intercepter son retour.
A la suite de ces deux combats, le district de Montréal fut mis
sous la loi martiale, tandis que le peuple commençant enfin à se
remuer partout, s'assemblait dans les comtés, dans les villes et dans
les paroisses, pour protester contre l'insurrection et assurer le
gouvernement de sa fidélité. M. LaFontaine et M. Leslie s'aper-
cevant maintenant comme bien d'autres qu'on s'était trop obstiné,
descendirent à Québec pour prier lord Gosford de convoquer les
chambres, afin de prendre les mesures nécessaires dans les
circonstances ; mais il était trop tard de toute façon puisque l'as-
semblée aurait paru comme vaincue et le gouvernement comme
vainqueur. C'était aux chefs à prévoir ce résultat, et à ne pas
se mettre dans le cas de subir toutes les conséquences d'une
défaite sans avoir réellement combattu ; car les petits chocs qui
venaient d'avoir lieu n'étaient que le fruit d'une agitation locale
prolongée au-delà des bornes raisonnables, mais insuffisante pour
amener un soulèvement en masse et une véritable révolution.
Lord Gosford refusa.
Cependant l'insurrection était vaincue sur la rive droite du St.-
Laurent. Un dernier parti venant des £tat»*.Lrnis avait été pds
362 HISTOIRE DU CAI^A^DA.
OU dispersé à Four Corners^ sur l'extrême frontière près du lac
Champlain. Il ne restait plus qu'un point à soumettre sur la
rive gauche, St.-Eustache. Depuis quelques jours il y avait beau-
coup d'agitation dans le comté des Deux-Montagnes. On y avait
fait des tentatives inutiles de soulèvement. Le Dr. Chénier et Ar-
mury Girod, Suisse depuis quelques années en Canada, en étaient
les principaux chefs. Ils s'emparèrent des fusils et d'une pièce
de canon qu'il y avait au village des Sauvages puis marchè-
rent avec leurs hommes sur St.-Eustache, où ils prirent le
couvent de force et s'y retranchèrent. Le curé, M. Faquin, M.
Scott, membre de la chambre, M. Eméry Feré, voulurent vaine-
ment les persuader d'abandonner leur entreprise ; leurs discours
n'eurent d'influence que sur leurs suivans, auxquels M. Desèves,
vicaire de St.-Eustache, lut une proclamation qu'avait publiée sir
John Colborne. Vaincus par leur conseil, ils abandonnèrent tous
le camp et s'en retournèrent chez eux, ne laissant qu'un jeune
homme au couvent. D'autres, cependant, venant du Grand-
Brûlé et d'ailleurs les remplacèrent, et pendant plusieurs jours
il y eut de quatre à quinze cents hommes vivant à discrétion
dans le village, mais presque tous sans armes. C'est sur ces entre-
faites qu'arriva la nouvelle de l'affaire de St.-Charles et de la disper-
sion des rebelles dans le sud. Croyant cette occasion favorable, M.
Faquin invita le Dr. Chénier au presbytère et le pressa de nouveau
de renoncer à ses dangereux projets. Tous ceux qui étaient présens,
ecclésiastiques et séculiers, se joignirent à lui pour lui faire les
mêmes instances en lui mettant sous les yeux toute l'inutilité de son
entreprise et toutes les conséquences funestes qui devaient en
résulter ; mais ce fut en vain. Chénier prétendit que les nouvelles
de St.-Charles étaient fausses ; qu'il venait d'apprendre par un
courrier que les patriotes étaient vainqueurs dans le sud, etil ajouta
que pour lui sa résolution était inébranlable, qu'il était déterminé
à mourir les armes à la main. Malgré Fon opiniâtreté cependant
on s'aperçut qu'il ne pouvait surmonter une profonde émotion,
et que de temps en temps de grosses larmes s'échappaient de ses
yeux et coulaient sur son visage malgré ses efforts pour les rete-
nir. N'ayant pu le dissuader de son dessein, le bon curé se vit
obligé de s'éloigner et d'abandonner sa maison et l'église aux
rebelles. Beaucoup de familles étaient déjà parties ou partaient
HISTOIRE DU CANADA. 363
à tout instant pour Montréal ou pour les paroisses voisines. Le
bruit s'était répandu plusieurs fois que les troupes paraissaient,
et ceux qui étaient bien informés savaient que les insurgés
n'étaient pas assez nombreux pour résister aux forces qu'ils
allaient avoir sur les bras.
En effet sir John Colborne arrivait avec deux mille hommes,
huit pièces de canon et une pièce à rockets. A l'aspect de
cette colonne d'autant plus imposante qu'elle couvrait avec ses
bagages plus de deux milles de chemin, le plus grand nombre de
ceux qui composaient l'attroupement alors réuni et qui pouvait
s'élever à 5^ ou 600 hommes, voyant qu'ils s'étaient trompés,
s'esquivèrent et laissèrent Chénier avec environ 200 à 250
hommes seulement, qui se placèrent dans l'église, dans le couvent,
dans le presbytère et dansles maisons voisines. Plusieurs n'avaient
pas d'armes, ce dont ils se plaignirent à leur chef, qui leur répondit
froidement : " Soyez tranquilles, il y en aura de tué et vous pren-
drez leurs fusils."
Les troupes cernèrent complètement le village en arrivant,
et leur artillerie ouvrit son feu. Les insurgés y répondirent
bravement tant qu'ils eurent des munitions, et obligèrent même
une batterie à reculer. Après une canonnade de deux heures,
les volontaires du capitaine Leclerc, le 32e régiment et les
royaux s'approchèrent et ouvrirent un feu terrible, qui durait
depuis quelque temps lorsque l'ordre vint de donner l'assaut.
L'incendie se déclarait dans le même temps dans les édifices
occupés par les rebelles. La fusillade et les flammes les obli-
gèrent de tout abandonner, excepté l'église qui fut bientôt cer-
née à son tour par les troupes et par l'incendie qui approchait.
Chénier voulut en vain s'y défendre encore, les flammes marchant
comme un torrent, l'obligèrent d'en sortir. Il réunit alors quel-
ques-uns de ses gens, sauta avec eux par les fenêtres et cherhca
à se faire jour au milieu des assaillans ; mais atteint par une
balle dans le cimetière, il tomba et expira presqu'immédiatement.
Ce ne fut plus alors qu'une scène de carnage. On ne fit de
quartier à personne, et le reste du village fut abandonné au pil-
lage et aux flammes.
Lorsqu'on les enterra, on trouva sur plusieurs des tués des balles
de pierre dont ils se servaient pour tirer en guise de balles de
364; HISTOIRE DU Canada.
plomb. Girod qui avait pris la fuite avant le combat, ee voyant
sur le point d'être pris quelques jours après par des hommes
envoyés après lui, se tua d'un coup de pistolet.*
Le combat de St.-Eustache fut le dernier livré à Pinsiirrectîoii,
Les troupes marchèrent alors sur St. -Benoît, qui ne fit aucune
résistance, mais qui subit le sort de St.-Eustache et de S(.-Denîs,
où on avait renvoyé une nouvelle expédition de 1100 hommes,
qui malgré la soumission des habitans n'en détruisit pas moins le
village pour venger la défaite du 22. L'insurrection était main-
tenant abattue. Les chefs étaient en fuite ou prisonniers. M.
Papineau qui s'était montré aux insurgés avant les affaires de St.-
Charles et de St.-Eustache comme avant celle de St.-Deni8, par-
venait aux Etats-Unis avec plusieurs autres personnes compro-
mises. Les journaux de leur parti étaient saisis ou muets, et le
peuple partout soumis à l'autorité, qui continuait à recevoir de
toutes parts des adresses propres à la rassurer. Le clergé fit
entendre de nouveau sa voix sur les ruines qu'avait faites la tem-
pête qui venait de passer. Les évêques de Québec et de Mont*
réal publièrent de nouveaux mandemens, annonçant des prières
en actions de grâces pour remercier Dieu du rétablissement de
la paix. " Quelle misère, quelle désolation s'est répandue dans
plusieurs de vos campagnes, disait Pévêque de Montréal, depuis
que le fléau de la guerre civile a ravagé cet heureux et beau
pays, où régnaient l'abondance et la joie avec l'ordre et la sûreté,
avant que des brigands et des rebelles eussent à force de sophiames
et de mensonges, égaré une partie de la population de notre
diocèse ! Que vous reste-t-il de leurs beHes promesses . . . t
Est-ce le vœu de la majorité du pays, qui néanmoins selon leurs
principes doit régler tout dans un état ? Est-ce cette volonté
générale qui a dirigé les opérations militaires des insultés ? Vous
trouviez-vous libres, lorsqu'on vous menaçant de toutes sortes de
vexations, de l'incendie et de la perte de tous vos biens, de la
mort même, si vous ne vous soumettiez à leur effrayant despo-
tisme, ils forçaient plus de la moitié du petit nombre qui a pris les
* Journal historique des événemens arrivés a St.-Eustache pendant la
rébellion du comté des Deux-Montagnes, par un témoin oculaire. Publié
dans Wimi du Peuple et le Oanactienf en 1838,
HISTOIRE DU CANADA. 365
ormes contre noire auguste souveraine à marcher contre eea
armées victorieuses 1"
"Du noire cûtè, ajoutait l'èrâque de Québec, pendant les
désastres dont quelques parties de celle province ont été te
théâtre, noua avons à. l'exemple Je Moïse, conjuré le Seigneur de
ne point perdi'e son peuple et son héritage; et aujourd'hui noua
avons, ainsi quo vous, le bonheur de voir que ce Dieu de bonté
a écouté fuvocDhIement nos humbles prières."
Mais si le calme se rétablissait dans le Bas-Cauada, le Haut
était menacé à. son tour de la révolte. M. W. L. MacKenzie
avait levé l'étendard de rinsurrection à Navy-Island à deux milles
au-dessus de la chute de Niagara, où il s'était réfugié avec un
corps de uiécontens et d'Américains. Dans le district de Londres
quelques rebelles erraient çà et là ; ils ne purent tenir oependaut
longtemps la campagne ; un parti fut mis en déroute dans ce dis-
trict même; un autre Tut défait. à Amherstburgh, et M. MacKen-
zie lui-même fut obligé plus tard d'évacuer son île après avoir subi
un bombardement de plusieurs jours ; de sorte que bientôt la
pais se trouva rétablie dans le Haut comme dans le Bas- Canada.
Il rôda bien encore il est vrai une partie de l'hiver des bandes
d'Américains et de rebelles sur les frontières des deux provinces
BOUS les ordres île MacKenzie, du Dr. Robert Nelaon et autres;
mais dans l'intérieur elles restèrent tranquilles, et chaque fois
que ces bandes voulurent les envahir, elles furent repoussées
jusqu'à ce que le gouvernement des Ëtats-Unis intervint et fit
cesser ces déprédations en réunissant des forces suifiean tes sous
les ordres des généraux Scott et Brady, pourfaire observer les lois
de la neutralité partout.
Ailleurs, dans le Nouveau-Brunswick, dans la Nouvelle-
Ecosse, tout était tranquille. A la premièrB nouvelle des
troubles du Canada, le peuple s'-élait assemblé et avait rassuré le
pouvoir. L'un des chefs du parti libéral de la Nouvelle- Ecosse,
M. Howe, écrivait ; " Quoique je n'éprouve aucune sympathie
pour le faction officielle du Bas-Canada, et que je haïsse et
méprise aussi fortement que vous, les hommes et les mesures qui
dans touloa les provinces de l'Amérique Septentrionale, ont escilé
de l'opposition et des plaintes, ... je partage jusqu'à un certain
point depuis quelque temps les soupçons qui régnent, je voue
w*3
Pas^ure, irèa généralement dane les oolonies d'c
parti est délerj
mère-pairie. .
ne laisse plus
"Prenant di
du lien qui m
parti Papineai
bofl, que votre
«lutte avec la
du Vindicator
précipiter à tout hasard u
I>e langage des decsîera numèrot
eu à douter eut ce point.
ic pour établi qu^une rupture soudaine et violente
is unit à la Grande-Bretagne est désirée par le
en Canada, ou par une grande purlinn de ce parii,
je puis- dire avec assurance qu'au moina les seiitimena des sepl-
huilièioes de la population des proviocea d'en bas sont opposés à
un pareil mouvement . . ■"
Qu'allait-ii maintenant résulter de ces èvémena due à un système
de gouvernemoni qui n'était plus en harmonie avec les idées et les
progrès du pays 1 Car si la grande majorité du peuple était reelèe
étrangère à celte tentative de révolution, !e gouvernement dans
les deux Canadas n'en avait pas moins besoin de réformes. Il
ne suiHsait pas d'avoir abattu la révolte, il fallait prendre des
mesiu-es pour en prévenir le retour. Malheureusemenloe sont
ceux qui avaient le plus de droit de se plaindre qui allaient être
punis, et dès ce moment l'on peut dire que l'union des deux
Canadas fut faite.
Déjà avant les troubles, la reine en ouvrant le parlement le 20
novembre, avait appelé l'attention des chambres sur nos aSaires.
M. Hume et M. Leader avaient enterpellé les ministres
pour leur demander quelle marche ils allaient suivre maintenant
que leurs mesures avaient poussé un peuple moral, tranquille et
religieuse eur 1b bord même d''une révolution, et que le Haut-
rec le Bas? Lord John lîufisell
i refusant de dire ce qu'il allait
it accepté la résignation de lord
rappel depuis quelque teoips, et
mpiacer temporairement. Lnrs-
va, quelques marchands en rela-
tion avec les nôtres, ae présentèrent au bureau colonial avec M.
Gould à leur tête, et reçurent de lord Glenelg l'assurance que les
sujets Ëdêles seraient protégés, et les rebelles soumis par la force
des armes. Déjà les Anglais à Québec, et surtout à Montréal,
s'agitaient pour demander l'union des deux Canadas. C'était
Pstlent« de cette mesure que les minislres voyaient toujours
Canada faisait cause commune ;
avait défendu sa conduite tout t
faire. Il annonça qu'oi
Gosford, qui demandait
que sir John Colborne,aUaitIe ri
que la nouvelle des troubles a.
HISTOIRE DU CANADA. 367
comme inévitable dans un avenir plus au moins éloigné, qui les
avait empéchéa de faife de concessions réelles au Bas-Canada.
Ils ne voulaient pas laisser trop grandir celle nationalité française
(jui olfusquait leurs préjugés, et aux bruits qui transpiraient de
temps à autre, on pouvait croire que dès que le parti anglais ne
pourrait plus tenir lêle an parti canadien, tout appuyé qu'il était
de la métropole, et que la population du llaut-Canada serait assez
considérable, on réunirait les deux provinces pour mettre fin une
bonne fois i la querelle de race.
Lord Goîiford partit de Québec à la fin de février 1838, poiir',
l'Europe, par la voie dea Etals-Unis. Le gouverneur du Hàtit-
Canada, air Francis Bond Hcad, qui avait demandé aussi son
rappel, le suivit peu de temps aprèsi Plusieurs journaux d'Ân-
gleierre blâraaief.t la conduite de leur ministère au sujet de nos
aOuires ; maïs il n'y avait aucun di>ute que la grande majorité de
la nation et des chambres le soutiendrait dans tout co qu'il vou-
drait entreprendre au préjudice des Canadiens français, pour les-
quels il y avait peu d'intérêt ou de sympathie. Leasenlimens du
Nouveau-Brunswick leur étaient aussi très hostiles comme les
débals qui eurent lieu dans leur chambre le prouvèrent. Cette
province, était prêle à soutenir la métropole, pour renverser loua
leurs arrangemene sociaux. C'est une nouvelle conquête des
Canadiens qu'il faut faire, s'écriait un de ses membres influens,
M. Wilmntt, inspiré par la gazette de Montréal, Dansle Haut-
Canada, où la question de l'union avait été amenée devant les
chambres, la branche représcnlative n'en voulait qu'à la condition
que la prépondérance fût assurée aux Anglais, et que les lois et
la langue française fussent abolies dans la législature et les
Tels étaient partout les sentîmens à notre égard. Tel fut aussi
le résultat du mouvement de 37, dont celui de l'année suivante
bien moins sérieux, ne fut que le contre coup. Ce mouvement
fut prématuré et inattendu. Le peuple dans aucune partie du
paya n'y était préparé. Il n'y avait que les hommes les plus
engagea dans la politique, les journalistes, les partisans souvent
courant alternativement d'un camp à l'autre, qui ne voyaient
qu'une révolution capable de porter remède aux abus qui exis-
taient ou de salifl&ire leura vuea personnelles. Ha s'ëxcitérent
S6S HISTOIRK DU CANADA*
réciproquement les uns les autres : ils«0'monftèrent l'imagination ;
ils ne virent plus les choses sous leur véritable jour. Tout prit
à leurs yeux une grandeur ou une petitesse exagérée. Leurs
sentimens changèrent. Bientôt ceux que Hûtérèt personnel seule-
ment animait^ se crurent patriotes à force de se proclamer tels,
et de se mêler avec ceux qui Pétaient réellement. Mais le temps
devait faire connaître les uns et les autres^ ear il n?j a c^ lea
hommes sincères qui subissent la conséquence der lear entraîne-
ment avec Pindépendance qui seule donne de la noblesse' à; une
cause.
imfcmnMM«»»tmi*i««t«>ii«iir»il««ifc— M|M»«A.Hii«>l«
CHAPITRE III.
UNION DES DEUX CANADAS.
1838-1840.
Effet des troubles de 1837 en Angleterre, en France et dans les Etats-Unis.
—Mesures du parlement impérial.— Débats dans les deux chambres. —
Suspeuaion de la constitution. — Lord Durham nommé gouverneur. — Son
arrivée à Québec ; train roysd qu'il mène. — Sa proclamation au peuple.^ —
Il organise son conseil. — ^I^es accusés politiques sont amnistiés ou éloignés
temporairement. — M. Wakefield député secrètement vers M. Papineau, et
quelques autres chefs. — Attitude des partis. — Lord Durham dans le Haut-
Canada.' — Il y rallie la majorité à son plan d'union. — ^Réunion des gouver-
neurs des provinces du goUe à Québec. — L'ordonnance d'amnistie qui
exile quelques accusés à laBermude, est désavouée en Angleterre. — Lord
Durham résigne son gouvernement. — ^Adresses qu'il reçoit et ses réponses.
Il s'embarque pour l'Europe. — Sir John Colbome lui succède. — ^Une nou-
velle insurrection s'organise dans la Rivière Chambly et est abandonnée.
—Colbome y marche avec 7 à 8000 hoiilmes. — ^11 incendie le pays. —
Arrestations nombreuses.'—Procès des accusés. — 89 sont condamnés à
mort et 13 exécuté8*--47 sont exilés. — Rapport de lord Durham. — ^Le biU
d'unioa introduit dans le parlement impérial — Il est ajourné à l'année
suivante. — ^M. Poulett Thomson gouverneur. — Il arrive à Québec. — ^11
monte dans le Haut-Canada et y convoque les chambres. Il leur fait
agréer les conditions du bill d'union, qui est enfin passé malgré les péti-
tions da Bas-Canada^ et l'opposition du duc de Wellington et de lord Gos-
Ibrd.— L'union proclamée en Canada. — ^Remarques générales — Population
et autres renseignemeas statistiques du Bas-Canada, au temps de l'union,
conclusion.
Maintenaitt qu'allait^il advenir de cette résistance inattendue et
aussitôt vaincue qu'offerte 1 Ce que le gouvernement désirait
depuis si longtemps^, une occasion de réunir les deux Canadas.
Qu(Mqu'il eût échoué en 1822^ l'adresse de sa politique avait en&n
amené les choses au point où il voulait pour assurer un succès
complet. La précipitation de M. Papineau avança sana doute le
le terme; mais le bureau colonial j tendait, sans cesse, et pour un
œil dairvoyaiU, cette tendance devait amener ses fruits, c'est-àrdire
un choc plus au mdins tardif; car il est dana la nature des
choses d'ofinr de la résistance avant de cesser d'exister ou de
changer de nature. C'est une loi morale comme «ne loi pby-
370
sique. Le mensonge ne remph
la lutte constitue en morde ce
Malgré leur beau langage, les
simples pour croire que l'on pi
disaient, et ils
mal réel qu'on voulî
le preatige des maxi
Lee iruubleB
des
DU CANADA^.
pas la véjité sans combat, et
i l'on appelle la conMcience.
'étaient pasencore assez
t au pied do la lettre ce qu'ils
Canadiens s'opposeraient bu
drai
faire soua des prélestea spoi
èrsies les pli
lieu di
annales avalent été jusque là pures de toi
satlon non seulement en Angleterre, mais
France. En Angleterre ans prèmiérei
pour envoyer des renforts de tronpe:
cet
un pays dont les
■évol[«, firent seo-
[ ElaiB-Unis et en
:>iivelleis, on prit
Aux ElaiH-
Unis, le gouvernement a'
HO portaient parce
qui continuèrent ti
Trence où le Canada était e\
daitco que c'était, et or
frères autrefois. On lo
républicain parlai! déjà
pour venir à noire aide,
observait: " Là encore,
soumise au joug arbitrair
croyances, oominaleiDeni <
inégalité politique, ■
EL retenir les citoyens qui
i les draj)eau:t de MacKi;n«i«'. Pt
iui|uièter le Haut-Canada, En
ii profon dément oublié, .on »edeiuaii-
rappûia en effet qu'on y avait eu du»
i les. yeux vers nous,, et un juiinial
la forinati'in d'uiw .lésion «uniliâiw.
La galette de Krauut; pliM gravu,
I retrouvons l'Irlande oppriinée,
la conquête, opprimée dans aoa
mais B^^parée par une choquante
1 que la conquête pouvait faire
des nationalités au gré d'une diplomatie sans entrailles, que la
terre pouvait se diviser comme une pièce d'étoffe et les peuplea
se partager comme des troupeaux ; parce que l'invasion cl les
combats ont livré un territoire et une population au vainqueur,
celui-ci s'est cru en droit de se les approprier, de leur imposer aes
lois, sa religion, ses usages, son langage; de refaire par la con-
Irainlo toute l'éducation, toute Pesistence d'un peuple, et de le
forcer jusque dans ce qu'il y a de plus uacré parmi les hommes,
le sanctuaire inviolable delà conscience. . . De quoi s' agit-il en
effet à Québec et à Montréal? Du vote de l'impôt, du droit
commun, de la représentation de ces principes de nationalité que
les émigrans français au nord de l'Amérique ont transportés avec
eux, de même qu'Enée, selon la fable, emporta avec lui ses dieux,,
les mœurs d'Illion et ses pénates. . , . : ^jjui.
" Et comme pour donner
nature Je ce mouvament el
vérité, les deux hommes qut
DD CANADA. 371
r au monde une marqua visible de la
Bon accord' avec le principe de
n Voit à la télé sont un Français,
Papinean, et un Irlandais, O'Callaghan, tous deux catholiques,
tous deuï rècltiraant !a liberté teligieuae, la liberté politique, les
institutions ot les lois sohs lesquelles !ea sociétés auxquelles ils
appartiennent ae sont formées et développées."
Si la révolte eût été sérieuso, le gouvernement des Etats-Unis
eût été entraîné et plu8 tard peul-être celui de France, ce qui
aurait été plus que aufiîpnnt pour assurer l'indépendance des deux
Canadas. Mais comme les troubles qui venaient d'éclater, était
plutôt le fniit d'une lutte politique prolongée, qu'uno détermina-
lion formelle de rompre avec l'Angletcrre.lea chefs du mijuvement
ne s'étaient laissés entraîner qu'à la fin, et encore dans l'adresse
des six coniléa, si on faisait des menaces on parlai! aussi de
redressement de griefs. Cela est si vrai, que nuls préparatifs
n'avaient élâ faits pour une insurrection. On n'avait ramas6
ni armes, ni mimiliona, ni argent, ni rien de ce qui est nécessaire
à la guerre. A Si. -Denis, comme à Sl.-Charies, les trois quarts
des hommes n'avaient pas de luails, et l'attaque vînt des troupes
chargées d'appuyer des officiers ci ri la el non pas d'eus. Néan-
moins comme cela était d'un dangereux exemple, il fallait sévir
sur le champ, car eu pareil cas «ne colonie qui se révolte devient
comme une nation étrangère çui déclare la guerre. La métro-
pole entière s'arme eontro elle. Dès le jour île l'ouver-
ture do chambres impériales, 16 janvier, lord John Kussell
annonça les mesures qu'il entendait prendre au sujet du Canada,
et fit passer une adresse pour assurer !a reine que ie parlement
était prêt à l'appuyer dans la suppression des troubles qui venaient
d'y éclater, et le lendemain il présenta un bill pour en suspendre
la consiitution.
Ce bill suscita des débats qui se renouvelèrent dan^ les deux
chambres pendant plusieurs jours ; mais une parlie de l'opposl-
aion n'avait saisi l'occasion que pour &ire la guerre au ministère, et
non pour défendre les intérêts desCanadiens-français, C'étaient
deBrécriminaiinna entre les torys et les v^higa, entre sir Robert
Peel et lord John Russell, lord Howick, etc. M. aoebuck fut
entendu devant les deux chambres, comme agent du Canada, et
372 iiiSTOnti: du canada.
fit un dtEcouTB de quatre henres, devant celle des Gommunes.
Mais son influence y élait alors en liaisae ; et d'ailleurs sa con-
duite n'était pag loujoura prudente. Ainsi il avait ausisté à une
flssemWée tenue à Londres, soiis la présidence de M. Hucne, où
aprè? avoir déclarù que la possession du Canada n'Était d'aucun
avantage pour l'Angleterre, attendu qu'elle donnait un prétexie
pour maintenir le monopole commercial, on invilail le peuple à
s'assembler dans (ont le royaume, pour pÈti^onner le parlement
et engager les ministres â renoncer à leura meHured contre cette
colonie. Agiter une pardlle question pour an parûl motif à
l'époqite d'un mouvemcnl insurreofionnel, c'était paraître l'en-
courager et augmenfcr les soupçons conireles Canadiens. Néan-
moins lord Brougham, lord tllenele,le duc de Wellington .danii la
chambre des lords ; lorJ John Ilussell, M. Warturlon, M. Hume,
M. Leader, M. Stanley, dans celle des communea, bkimérent ia
conduite des ministres et leur attribuèrent les ëvénemene qui
étaient arrivés. Lord Brougham surtout fit un long et magni-
fique discours, dans lequel il recommanda la clémence envers les
insurgés, et jUHliiia le droit de révolte: " Xiorsqu'un blâme las
Canadiens avec tant de véhémence, dit-il, qui leivr a appris à se
révolter, je ledemandeî Ou, dans quel pay«, de quel peuple
ont-ils pris la leçon î Vous vous récriez contre leur révolte,
quoique vous ayez pria leur argent contre leur consentement, et
anéanti les droita que vous viiUH faisiez un mente de leur avoir
accordés. Vous énumerez leurs a
pas de taxes; ils reçoivent des seci
ils jouissent de précieux avantages
cher, et vous dites: toute la dispui
pris vingt mille louis san
Vingt mille lonis sans leur consentement !
vingt sliellings qu'Hempden résista, et acqui.
un nom immortel, pour lequel les Flantageneta et les Guelpbes
auraient donné tout le sang qui coulaient dans leurs veines ! Si
résister à l'oppression, si s'élever contre un pouvoir UBorpé et
défendre ses libertés attaquées, est un crime, qui Eent les (ius
grands criminels! Qui sont-ils, si ce n'est nous même peuple
anglais? C'est nom qui avons donné l'exemple à nos frères
avantages ; ds ne payent
lonsidérabloa de ce pays ;
que nous payons
. de ce que nous avons
de leurs repréeentase !
Certes, oe fut pour
par sa résistance.
HISTOIRE DU CANADA. S73
■méricsiDS. FrenoDs garde de les blâmer trop durement pour
l'avoir snivi !
" D'ailleurs vous puiiisaez touie une province, parce qu'elle
renferme [juelques paroisaes mè cod tentes ; vous châtiez mCme
ceus qui voua onl aidés à éloufier la révfrfle."
La minorité contre le biU îles ministres dans les communes ne
fut que de 7 ou 8, la moitié des membres étant absens. Celle
opponlion cependant fit resiroindre les pouvoirs temporaires
qu'on voulait doniier au gouverneur et au conseil spécial ausquels
on lllait abandonner l'administration du Canada pendant lasuspen-
eion de la conslitulion et la nouvelle enquête qu'on allait faire
sur \ta lieux. Lord Durham qu'on avait choisi pour cette double
(uis&ion, en homme adroit, pour disposer favorablement les Cana-
diens en sa laveur, fît un dieuours dans la chambre des lords dans
lequel après avoir annoncé qu'il ferait respecter la suprématie de
l'Angleterre jusque dans la chaumière la plus reculée, il ajoutait
qu'il ne reconnaStrait aucun parti, français, anglais ou canadien ;
qu'il les regarderait tous du mémo œil, et qu'il désirait assurer à
loua une é'gale justice et une égale proleclion.
Dans ces débats les ministres cachèrent leur but secret avec le
pins grand soin, et montrèrent jusqu'à la fin une adresse inconce*
Table, qui en imposa à beaucoup de gens. Lord John Busscll
déclara <iue la couronne userait de sa prérogative pour autoriser
lord Durham à Ikire èhre dix personnes dans le Bas-Canada, vu
qu'il était presqu'impossible de réunir l'ancienne chambre, et un
pareil nombre dans le Haut, s'il le jugeait i propos, pour lui ser-
vir de conseil sur les affaires de la colonie, afin que la nouvelle
constitution qu'on pourrait adopter ne parût pas provenir unique-
ment de l'autorité des ministres et du gouverneur, mais de per-
sonnes versées dans les aflalres de la colonie et qui y eussent des
intérêts. Lord Howick lit un long discours surtout en réponse
à sir Itotiert Peel, dans lequel Jl affecta fort d'insister sur ia néces-
sité de rendre justice aux Canadiens. Ainsi il disait: " Si je
pensais que ia grande masse de ce peuple liil entièrement sans
amour pour ce pays, je dirais que la seule question que nous
aurions à considérer, serait de voir comment une «éparation finale
pourrait s'efTectuer sans aaciilier les intérêts des Anglais. Mais
je ne pense pas que la masse des Canadiens soit hostile à l'An-
x'3
374 HteruiBG m; canatia.
gleterre, par ce queleui alliajicc avec elle leur eBtpluii néueaaaire
a eus qu'à noue ; que ki c'est pour leurs luis et leura uasges parlî-
cuDera qu'ils combattent, cnlourée qu^ila sont par une population
de race iliffé rente, si la protection de l'Angleieire leur était retirée,
ils auraient àsuhirun cb an geraent beaucoup plus violent, beaucoup
plus subit, beaucoup plus général que celui (|ui aura lieu pro>
bablement."
Il croyait que le nombre de ceux qui voulaient riadépendance
était peu considérable ; que l'on avait Été conduit pas à pas là
où l'on eii était, cliacun espérant amener ses adverxaires à ce
qu'il votilail. Il nedésespérailpointdesatisfairelcsdcux partis^
mais le système responiialile était inconciliable avec les rapporta
qui devaient subsister entre une colonie et une métropole. I40rd
Uowick répéta la même opinion et, comme tous les aulroa, éviU
avec soin de parler de l'union des deux Canadaa-
Dans tous les débats qui eurent lieu, on observa la même
réserve ; on ne voulut rien dire de ce que l'on avait ialenlion de
faire; on se renfermait dans des termes généraux. Sir W.
Rlolesworth déBapprouvait la suspension de la constitution ; mais
approuvait le choiK de lord Durbam. " Si la violation partielle
de la constitution, ajoutait M. Grote, a déterminé les Canadiens
à s'armer pour la défense de leurs droits, si lord Goeford a pro-
voqué une révolte en adoptant quelques résolutions, quelle no
devrait pas être la conséquence d'une mesure qui suspendra la
constitution et confisquera les libertés populaires ï" M. War-
burton se déclarait pour l'émancipalion. " L'Angleterre a aidé,
disait-il, à préparer la liberté en Gr^ce, en Pologne, dans l'Amé-
rique du sud, en Hanovre, pourquoi vouloir exclure de ce bîenr
fait le peuple canadien 1" . .
Ces idées avancées ne faisaient pas sortir les ministres de leur
silence. M> Silice, qui n'était pas toujours dans leur secret,
quoique leur ami, el qui n'avait pas, comme on sait, leur finesse,
approuvait le choix de lord Burbam, tout en recommandant de
gouverner le Canada comme l'Irlande.
Les lords Brougham, Ëilenborough et Manslield protestéreat
contre la suspension de la constitution, parce qu'elle était devenue
inutile depuis la suppression de la révolte. Lord Ëllenborougbi
leur reproclia de vouloir unir les deux Canadas, ot que c'était
i
HISTOtRE DU CANADA. 373
pour cela qu'ils insistriient sur celte suspension. Lord Glcnelg,
dérailë par cette aposlroplie subite, désavoua hautement une
poreilla inlontioQ, et déclara que le gouvernement voulait seule-
mcot tnodi&er la constitution exif^'.nnte, parce que l'union ne
pouvait se faire que du consenleraent des deux provinces. On
croyait pouvoir en imposer d'autant plus facilement par ce lan-
gage que Ica niinistres alîisclaient dans les débats de parler des
Canadiens comme d'hommes ignorans et simples, faciles à trom-
per, malgré les troubles récens, qui prouvaient, cependant, qu'ils
savaient dn moins apprécier lenrs droits.
Après beaucoup de petits désagrémens que l'opposition leur fit
subir dang les deux chambres, et qui étaient dûs peut-être au lan-
gage mystérieux dans leqne! i!a s'enveloppaient en ne cessant
jtoint d'invoquer les noms de la liberté, de la justice, de la conci-
liation, cl de s'appesantir sur les vices de la co nsli lu tion cana-
dienne, !e pnriement leur accorda enfin tous tes pouvoirs eaaentiels
qu'ils demandaient, et lord Diirham fit ses préparatifs pour passer
en Canada.
Lord Durhara tout radical qu'il était en politique, aimait benii-
conp le luxe et la pompe. Il avait représenté la cour de Londres
avec splendeur pendant son ambassade à St.-Petersbourg en
1S33. Il voulut éclipser en Canada par tin faste royal tous les
gouverneurs qui l'avaient précédé. Le vaisseau de guerre qui
devait l'amener, fut meublé avec magnificence. Il s'y embarqua
avec une suite nombreuse de canfidens, de secrétairM, d'aides
de camp Une musique fut mise à bord pour dissiper les
ennuis de la traversée. Déjà un grand nombre do personnes
attachées à sa mission s'était mis en route. On embarqua deux
régimens des gardes et quelques busards pour Québec. Enfin
tout annonçait une magnificence inconnue dans l'Amérique du
nord. On s'empara du parlement pour loger le sorapteus vice-
roi ; ce qui était d'un mauvais augure aux yeux des hommes
superstitueuTC pour les libertés ca-nadicnnos ; c'était comme un
vainqueur qui marchait sur les dépouilles de son ennemi abattu.
AtHBilfit que la coneliluiion avait été suspendue par le parlement
impérial, l'ordre avait éiè envoyé à âr Jolin Colborne de former
un conseil spécial pour expédier les alfaires les plus pressantes.
Ce conseil composé de 22 membres, dont 1 1 Canadiens, s'asaem-
376 HISTOIRE DU CANADA.
bla dans le moU d'avril. La tranquillité était déjà tellement
rétablie que l'on renvoysit partout duijs leure foyers les volon-
tairËB armés pendant les troubles.
Quand lord DuHiain arriva à Québec le 27 mai, tout était dans
une paix profonde. H débarqua le 29, au bruit de l'artillerie et
au milieu d'une double haie desioldalB, pour ee rendre au cbâtcau
St.-IiOulH, où il fit son in^iallation et prêta les Hermens ordinaires.
11 voulut signaler son avènement au pouvoir par un acte de grâce
en faveur des détenus pditi(]uea ; maiâ lorsqu'il demanda les
officiera de Ja couronne, aucun ne se trouva présent pour lui
répondre. Contre l'usage les conseillers exéculits ne furent
point aasermeniée. Il adressa une proclamation an peuple en se
servant du langage d'un liomme qui se méprend complètement
sur la manière avec laquelle on doit s'exprimer en ABiéritjue, et
qui veut en imposer par une afièctation recherchée au peuple dont
le sort est entre ses mains. " Ceux qui veulent sincèrement et
consciencieusement la réforme et le perfectionnement d'înitila*
lions défectueuses, recevront de moi, diaait-il, sans distinction de
parti, de race ou de politique, l'appui et l'encourogeraent que leur
patriotisme est en droit d'avoir; mai» les perturbateurs du repos
public, les violateurs des 1ms, les ennemis de la coiu'onno et de
l'empire britannique trouveront en moi un adversaire indexible."
El plus loin en pariant du rétablissement de la constitution, il
observait : " C'ei^t de voua peuple de l'Amérique bntannique,
c'est de votre conduite et de l'étendue de votre coopération avec
moi qu'il dépendra principalement que cet événement soit retardé
ou immédiat, J'appelle donc, de votre part, leacommunioBtions
les plus franches, les moins réservées. Je vous prie de ido con-
sidérer comme un ami et comme un aH>itre,toujour3 prêt à écouter
vos vœux, vos plaintes et vos griefs, et twen décidé d't^ir avec la
plus stricte impartialité. . ."
Or ce langage, comme on le verra, ne pouvait faire qn'«i
imposer an loin, car dans le pays même, il ne devait avoir aucune
signification puisque tous les pouvoirs politiques étaient éteints,
excepté ceux que lord Dnrbam réunissait en sa personne. Cela
était si vrai, qu'il renvoya immédiatement le conseil spécial de
sir John Colborne, qui avait déjà passé trop d'ordonnances plus
ou moins entachées de l'e«prit du jour ; qu'il fit informer
I
[ner lea ^H
MlSTOtHE DU CANADA.
377
membres du conaeil esëculif, cette cause première de toua lea
troubles, quM u'aurait pas besoin de leurs services pour le pré-
sent ; et qu'il se nomma, pour la forme, uu conseil exécutif et
un conseil spécial composés de son secrétaire, M. BuUer,derami.
rai Pagct qui arrivait dans le port, du général Clitberow, du ma-
jor général MacDonell, du colonel Charles Grey, et de diverses
autres personnes de sa suite, de cinq des jugea, de M. Daly,
secrétaire provincial et de M. Eotith, commissaire général, qu'il
prit dans le pays, parce qu'il y fallait quelqu'un qui en connût
quelque chose.
Il organisa ensuite diverses commissiona, pour s'enquérir de
l'administration des terres incultes, de l'émigration, des institutions
municipales, de l'éducation. La seigneurie de Montréal, les
bureaux d'hypothèques occupèrent aussi son attention. La sei-
gneurie de Montréal lui fournil une occasion de neutraliser le
clergé en lui prouvant qu'il ne lui en voulait pas à lui-nn^me.
Cette seigneurie appartenait au aéiBinairede St.-Sulpice,et le parti
anglais cliercliait depuis longtemps à la faire confisquer au profit
de la couronne comme on avait déjà confisqué lesbiena des jésuites
et des récolieis. Lonl Buriiam qui savait de quelle importance
il était pour ses desseins de ne pas esciler les craintes de l'autel,
saisit cette occasion poin' lui prouver ses bonnes dispositions en
accordant un titre inébranlable aux sulpiciens.
Cet acte était très sage et très politique. Il savait que depuis
M. Plessis surtout, le clergé avait séparé la cause de la religion
de celle de la politique, et que s'il rassurait feiautel, il pourrait faire
ensmte tout ce qu'il voudrait sans que le clergé cessât de prêcher
l'obéissance au pouvoir de la couronne quel qu'il fut. Lord
Burhara était trop éclairé pour négliger une pareille influence.
Une chose qui devait devenir extrêmement embarrassante pour
son administration, extrêmement irritante pour le public, c'était
le procès de ceux qui so trouvaient impliqués dans nos troubles
récens. Les procès politiques sont toujours vus d'un mouviûa
œil pnr le peuple, et les gouverncmens n'en sortent presque
jamais sans y laisser une partie de leur popularité et quelque fois
de leur force. Lord Durham pensant qu'il ne pourrait obtenir
de jurés qui voulussent condamner les accusés, à moins de les
choisir parmi leurs adversaires pulitiquee, résolut d'adopter une
373
UISTOlttE l)U CANADA.
grande mesure poar terminer celle question mathenreuse il*ua
seul coup e( sansdiKciission ; cette mesure fut une ammslie géné-
rale, qu'il proclama ie jour même ûxà pour le couronnement de
la reioe Yiclorm. il n'excepta que vingt-quatre prévenus, aux-
quels ou laiîwa cependant la perspective de rentrer dans leurs
loyers ausailôt que cela paraitmit compatible avec la paix et la
irBnqiûllit^' publique, elles assaaisiuE d'un Canadien etd'unoflicier
i|ui portait des dc-pècbes dans le pays insurgé, qui avaient été
lues au commencement dea troubles. Ceux sur les vingi-quaire
qui Bo trouvaient en prison, devaient cire envoyés aux ïlesde la
Berraude, et ceux qni se trouvaient à l'étranger devaient y rester
jusqu'à ce qu'on pût permettre aux uns et aux autres de revenir
dans le paye. Il ne pouvait adopter de moyen plus sage, ni plus
humain pour sortir d'un grand embarras ; mais malheureusement
en en exilant quelques una aux îlea de la Berraude sans procès, il
violait les lois, et aussitôt que cet acte Tut connu en Angleterre,
il excita un grand bruit parmi ceux qui tiennent non sans raison
aux formalités de la justice, ainsi que parmi les ennemis de ses
prèlenlions dans son pays.
En Canada cette amnistie Tut bien reçne> et comme lerd'
Qurliam se tenait toujours dana l'ombre vis-â-vis den CanH'
diena but les mesures qu'il entendait recommander à leur f gard, ils
aimaient à en tirer un bon augure et 4 se bercer d'espé-
rances qu'entretenaient avec art les émissaires du nouveau vice-
roi. Ainsi le Canadien du 8 juin contenait un article d'un
employé du gouverneur, M. Derbyshire, contre l'union des deux
Canadas en réponse aux journaux anglais de Montréal. Dans
toutes tes occasions on jjarlait dea abus crians des administration a
précédentes, de l'ignorance et de la vénalité des fonctionnaires, de
a modération des représcntans du peuple d'avoir enduré ei long-
temps un pareil état de choses. Mais tout cela n'était qoo
pour attirer la confiance, comme la proclamation dont nous avons
parlé plus haut, dans laquelle lord Durham invitait tout le monde
à venir épancher dans son sein ses griefs et ses douleurs.
M. Wakefield fut député secrètement vers quelques-uns des
meneurs canadiens. Il vit M. LaFontaine plusieurs fois à Mont-
réal ; il chercha à le persuader des bonnes intentions du gouver-
neur, qui nonobstant les ordres contraires de lord Glenelg, Scan-
HISTOIRE DU OANADA. 379
dalisé par un procès déshonorant intenté à ce serviteur zélé, avait
persisté à le retenir à son service ; il était parti, disait-il, pour aller
voir M. Papineau aux Etats-Unis, non comme envoyé de l'admi-
nistration, mais comme ami de sir William Molesworth et de M.
Leader aux noms desquels il le priait de lui donner une lettre
pour le chef canadien, espérant voir résulter beaucoup de bien de
cette entrevue. Il dit encore à M. Cartier, en passant à Burling-
ton, que lord Durham, M. Buller et M. Turton étaient tous amis
de ses compatriotes. Cet émissaire ne put voir cependant M.
Papineau. A son retour il se trouva à des entrevues entre M.
Buller et M. LaFontaine où l'on parla de l'ordonnance touchant
les exilés et de la constitution. Plus tard, après le désaveu de
l'ordonnance par les ministres, d'autres afFidés cherchèrent à
engager plusieurs Canadiens à convoquer des assemblées publiques
en sa faveur sans succès.*
Tout cela se faisait autant que possible à l'insu du parti anglais,
avec lequel on tenait un autre langage^
. On trouve peu de faits plus honteux dans l'histoire, que la
conduite de tous ces intrigans cherchant à tromper un peuple
pour qu'il aille se précipiter de lui-même dans l'abîme. Après
avoir cherché à surprendre la bonne foi des Canadiens sans suc-
cès, retournés en Angleterre, ils les calomnient pour appuyer le
rapport que lord Durham faisait sur sa mission. Après avoir
passé des heures et des jours entiers dans leur société, en se
donnant pour leurs amis, ils déclarent publiquement,! dans le»
journaux de Londres> qu'ils avaient été trompés et aveuglés ; que
les malheureux Canadiens ne méritent aucune sympathie, et
qu'ils prennent cette voie pour les désabuser sur les sentimensde
l'Angleterre à leur égard. Ceux qui les ont reçus avec bienveil-
lance comme M. LaFontaine et quelques autres, sont dépréciés
et peints comme des hommes d'une intelligence bornée, sans
éducation, sans lumières, aveuglés par d'étroits préjugés. On
rougit en exposant de pareilles bassesses.
Dans le même temps, des rapports intimes s'établissaient entre
♦Lettre de M. LaFontaine au rédacteur de PAurore. Montréal, 17
janvier 1839.
t Lettre de B. G. Wîlkefield au London Spectator. Londres, 22 novem-
bre.lS38. ... ............
380 BfSTOtBE DU CASADS.
les An^ais de Montréal, qui marchaient à la lète de tons ceux du
pays, et lord Durliam. il y avait bi«a quelque méfiance chez
(juctques uns d'eux ; mais tes hommes les phu inâucos parae-
eaicnt HUaûdela vraie pensée du chef do g<>nreniemGnt,et Popo-
jaîent de tout leur pouvoir. Hi le reçurent avec Icâ plus gmnda
bonneufit lorsqu'il passa par leur ville pour ee rendre dans le
Hant-CanaJa dans ie mms de juillet. Dans celte loumée, lord
Durliaui rallia in majoritù du Haut-Canada à sou plan d'oaion
après les explications qu'il donua aux chefs ; il fut reçu partout de
e&le
Mais il devait ta liitfr de joair de ces honneurs, car bien lot des
désa^émenB pIuB Genaibles pour lui que pour un autre, devaient
appesantir dans ses mains le sceptre de sa vice royauté. Un
mÉconteniemeni inexplîquable était resté dans Le parlement
contre sa miBsian. Le sei^ret dont on l'entourait au sujet des
Canadicaa, aeatblait causer de l'inquiétude et comme de la bonté.
Tout Était décidé d'avance dans le eocret do la pensée, et cepen-
dant on feignait d'agir comme ai on ignorait complètement ce
qu'on allall faire. La chambre des lorda surtout était Ueasëe de
ccMyMèmedo déception qui entraînaitaprès lui de» actes illégaux
de clémence et des actes légaux de tyrannie, comme l'étaient
l'smniïiie et la conMitution des deux consdle composée de aervv'
tôura Mlipendiéâ cl dépendane de la couronne. Lorsque t'oreioii-
nance du conseil spécial qui graciait les accusés politiques ou les
oxitail à la Bermude^ fut uonDue en Angleterre, eile lût auâ^tôt
déclarée illégale et i»ntraire à l'esprit de la législation anglaise.
Lord Lyndhurst dit que jamais mesure plus despotique n''avBit
déahonoré les fastes d'un paya civilisé. Les ministres eaaayôreot
de délèndre leur gouverneur, et déclarèrent que ce langage était
imprudent au plus haut degré ; que c'était trahir les intérêts du
paye et les aacrifier aux intérêts de parti et â L'envie d'aitaquer un
individa. Lord Brougham, lord Ellenborougfa dédarèretttqueie
conseil formé par lord Durbam n'était pas ce que la législature
impériale avait eu en vue en autorisant la coiistitulion d'un conseil
spécial. On blâma encore l'emploi de M. Tnrton. qui avait
gubi une condamnation en Angleterre pour crime d'adultècc.
Lord firnugUani introiiuiiiit un bill pour légaliser, autant que
possible- l'onlonnance du conseil spécial, qui eutcaina dea débats
HISTOIRE DU CANADA. 381
dans lesquels le duc de Wellington 'se prononça contre la mesure
de lord Durham* Les ministres se trouvaient dans le plus grand
embarras. Lord Melbourne ne put s'empêcher d'avouer sa vive
anxiété, vu les grands intérêts qui étaient en jeu et les consé-
quences qui pourraient résulter de ce qui allait être inter prêté
d'une manière favorable pour les rebelles* Néanmoins l'ordon-
nance était illégale et il devait conseiller à sa Majesté de la
désavouer.
La nouvelle de ce désaveu solennel arriva en Canada dans le
moment même que lord Durham était entouré des gouverneurs
et des députés de toutes les provinces anglaises de l'est^ venus à
Québec pour discuter avec lui les questions qui pouvaient con-
cerner leurs peuples. £lle le blessa au cœur et l'humilia. Il
résolut sur le champ de donner sa démission, et dès ce moment il y^
prit moins de soin à cacher ce qu'U se proposait de recommander
au sujet des Canadiens. Il parla avec plus d'abondance, et dé-
clara aux députés qui l'entouraient, qu'il était sur le point de
promulguer des lois propres à assurer protection à tous ces grands
ntèrèts britanniques qu'on avait trop négligés jusque là. A
Québec, à Toronto, les Anglais s'assemblèrent et passèrent des
adresses pour exprimer leur regret des discussions prématurées
du parlement impérial et du départ de lord Durham, et leur pleine
confiance dans ses talens et dans les mesures qu'il allait proposer
pour régler toutes les difficultés. Ceux de Montréal allant plus
loin, le prièrent de recommander l'union des deux Canadas. Un
M. Thom, l'un des plus violons ennemis des Canadiens, que lord
Durham avait d'abord voulu nommer à deux différens emplois
dans le pays, et qu'il avait été forcé par l'opinion publique de
placer dans les contrées sauvages du Nord-Ouest, voulait une con-
fédération de toutes les provinces, parce qu'il y avait trop de
républicains dans le Haut-Canada. Mais sa suggestion fut
repoussée. Le discours qu'il prononça réveilla les craintes du
Canadien. Ce journal qui avait jusque là soutenu l'administra-
tion, fnt surpris de voir l'orateur favorisé de lord Durham décla-
rer que ses mesures montraient qu'il était déterminé à faire du
Bas-Canada une province vraiment britannique.
Déjà les amis du parti anglais s'étaient assemblés à Londres
et avaient fait parvenir aux ministres l'expression de leur pleine
Y*3
3â2 HISTOIRE DU CANADA.
confiance dans la politique du chef du gouvernement canadien.
L'association coloniale leur avait fait part de son côté ainsi qu^au
duc de Wellington et à HÎr Robert Peel, de son vif regret de ce
qui s'était passé dans le parlement; et les négocians en rapport
avec les deux Canadas avaient renouvelé leur demande de
Tunion. En même temps à Montréal et à Québec, on brûlait les
lords Brougham, Glenelg et Melbourne en effigie, et les Canadiens
de cette dernière ville s'assemblaient et passaient des résolutions
pour repousser ces outrages et remercier lord Brougham et M.
Leader de la part qu'ils prenaient à la défense de leurs droit! dans
le parlement impérial. Partout cependant le parti anglais à
Londres, à Québec, à Montréal, faisait voir, par la spontanéité de
ses mouvemens et la concordance de ses vues, qu'il était sûr
'if maintenant de celles de lord Durham et que les Canadiens
allaient enfin leur être sacrifiés. Pendant que le gouverneur du
Haut-Canada était encore à Québec, où il était venu comme les
gouverneurs de l'est, pour s'entendre sur les afiaires de sa pro-
vince, lord Durham annonça sa retraite au peuple dans une lon-
gue proclamation, où tout en blâmant le mystèrer qui avait enve-
loppé jusqu'ici la marche des affaires les plus importantes aux
habitans des colonies, il commettait lui-même la même faute en
cachant soigneusement ce qu'il allait recommander à la métropole
à leur égard et en se tenant dans des termes généraux sans défi-
nition précise. Néanmoins il en dit encore plus qu'il n'avait fait
jusque là, et annonça qu'il cherchait à donner au Ba&-Caiiada
un caractère tout-à-fait anglais, à lui donner au gouvernement
libre et responsable, à noyer les misérables jalousies d'une petite
société et les odieuses animosités d'origines dans les senti mens
plus élevés d'une nationalité plus noble et plus vaste. Cela était
peu rassurant pour les Canadiens pour lesquels les mots de liberté,
de sentimens élevés, de nationalité plus noble et plus vaste vou-
laient dire anéantissement de leur langue, de leurs lois et de
leur race ou ne voulait rien dire du tout, car les troubles avaient
été précisément causés par le refus absolu de toutes ces choses
par la métropole.
Lord Durham se plaignait ensuite que sa conduite avait été
exposée à une critique incessante dans le parlement impérial,
dans un e^t qui annonçait une ignorance complète de l'état du
HISTOIUS DU CANADA. 383
pays. Le même jour il répétait ce qu'il disait dans sa pro-
clamation dans la réponse qu'il faisait aux Anglais de Qué-
bec : " Je ne retourne pas en Angleterre par aucun senti-
ment de dégoût pour le traitement que j'ai personnellement
éprouvé dans la chambre des lords. Si j'avais pu être influencé
par de pareils motifs, je me serais rembarqué dans le vaisseau
même qui m'avait amené ici 5 car le système de persécution par-
lementaire auquel je fais allusion, commença du moment que je
laissai les rives d'Angleterre.
" Je m'en retourne pour les raisons suivantes et ces raisons
seulement. Les procédés de la chambre des lords, auxquels le
ministère a acquiescé, ont privé le gouvernement de cette pro-
vince de toute considération, de toute force morale. Ils l'ont
réduit à un état de nullité executive, et l'ont assujetti à une #•
branche de la législature impériale. . . En réalité et en effet, le
gouvernement du Canada est administré maintenant par deux ou
trois pairs de leurs sièges en parlement. . .
** Dans ce nouvel état de. choses, dans cette anomalie, il ne
serait ni de votre avantage, ni du mien que je restasse ici. En
parlement, je puis défendre vos droits et vos vœux, et exposer
ce qu'il y a d'impolitique et de cruel dans des procédés qui, en
même temps qu'ils ne sont que trop attribua blés à l?animosité
personnelle et à l'esprit de parti, sont accompagnés d'un Ranger
imminent pour le bien être de ces importantes colonies et la per-
manence de leur alliance avec l'empire."
Il s'embarqua pour l'Europe avec sa famille le 1 novembre, en
laissant les rênes du gouvernement entre les mains de sir John
Colborne, et en disant aux imprimeurs anglais : *^ Je déplore
que votre exemple patriotique n'ait pas été suivi par d'autres,
(les imprimeurs canadiens). . . Engagés dans la tâche coupable
de fomenter d'anciens abus et d'anciens préjugés, et d'enflammer
des inimitiés nationales, ils paraissent oublier la ruine et le mal-
heur certains auxquels ils exposent une population crédule et
malheureusement trop disposée à prêter l'oreille à leurs conseils
insidieux. S'ils réussissent à produire ce déplorable résultat, c'est
sur eux qu'on reposera la terrible responsabilité et ils mériteront
les plus dura châtimens."
Pendant que ce langage mettait en défiance de plus en plus les
3S1 HISTOIRE DV CANADA.
mèconlens, les réfugiés aox Etats-Unis et les Atnértcains qui
sympathiEaicnt avec eux, et <^uî répandus sur la fronlière dn
Haut et du Bas-Canada, p&seérent l'été en allées et venues, en
Et un nouveau souWve-
IIb tinrent des assemblées
', où parut lo Dr. Robert
tie* insurgiisàSt.-Denis,
ins et obtenir des secoure,
dans quelques villes
lultiplin
proBlôrent pour oi^ani
ment dans les deux provinces àlafoix.
à Washington, à Philadelphie et ailleurs,
Nelson, le frère de celui qui commandait
pour exciter les sympathies des Amèricai
Ils se réunirent à New- York, à Albany
des frontières et réussirent à entraîner en
ge» quelques Canadiens du district de Monli'éal.
départ de lord Durharo, l'exécutif était informé que dans la ville
seule de Montréal plus de 30O0 hommes s'étaient liés par des
sermen 8 secrets à prendre les armes ;■ c'était une grande exagéra-
lion, mais ce rapport n'était pas complètement inexact, car au
commencement de novembre, des soûl évemens partiels eurent lieu
sur plusieurs points de la rivière Kchelieu, à Beauharnais, à
Terrebonne, à Cbaleauguaj-, à Rouville, à Yarennes, i Contee-
cœur, et dans quelques autres paroisses, tandis qu'un corps
d'Américains et de réfugiés pénétrait en Canada sous les ordres
du Dr. Nelson et prenait posgossion du village de Napierville.
Sir John Colborne qui s'y attendait, assembla aussit&t le oonsell
spécial, proclama la loi martiale, arma les volontaires, fil arrêter
toutes les personnes suspectes, puis marcha avec 7 à S mille
homme?, soldats, miliciens et Sauvages venant de diSerens points,
sur le paye insurgé où tout était déjà rentré dans l'ordre quand il
Les hommes qui devaient prendre port au soulèvement n'ayani
point de fusils ni de munitions, s'étaient armés de piques et du
bâions. Plusieurs s'élaient dirigés, un sac seulement sur le dos,
vers les points oii on leur avait dit qu'ils trouveraient tout ce qui
leur fallait ; mais n'y trouvant rien, ils étaient presque tous ren-
trés dans leurs foyers ou retournés aux Etats-l'nis d'oà ils
venaient, de sorte qu'au bout de quelques jours tout était rentré
dans l'ordre avec à peine la perle de quelques hommes.
Sir John Colborne n'eut qu'à promener la torche de l'incen-
die. Sans plus d'égard pour l'innocent que pour le coupable, il
* Letue de sir Johu Colborne au mariiuis de ^ionnauby, 6 m» 1839.
HISTOIRE DU CANADA. dS&
brûla tout et ne laissa que des ruioes et des cendres sur son
passage.
Dans le Haut-Canada les Américains et les réfugiés de cette
province qui s'étaient jcûnts à eux, débarquèrent à Prescott, et
prirent possession d'un moulin où ils furent obligés de se rendre
au bout de quelque temps aux forces considérables qui les cer*
nèrent. D'autres inquiétèrent la frontière tout l'hiver, attaquèrent
Windsor, le Détroit et quelques autres points, mais n'exécutèrent
rien de^ sérieux.
L^igarchie qui avait été furieuse l'année précédente de ce
qu'on ne s'était pas servi de l'échafaud pour punir les rebelles,
ne voulait pas être trompée cette année. Elle voulait du sang.
Elle voulait aussi faire un grand effet en Angleterre. Elle s'était
fait armer avec la police dans les villes ; elle avait fait saisir ^■
toutes les armes qu'il y avait chez les armuriers. Elle fit sus^
pendre trois juges canadiens dont deux à Québec^ parce qu'ils
ne voulaient pas violer la loi de l'habeas-corpus. Elle fit retran-*
cher un grand nombre de Canadiens de Ja magistrature. ** Pour
avoir la paix, s'écriait le Herald^ il faut que nous fassions une soli-
tude ; il faut balayer les Canadiens de la face de la terre. . •
Dimanche au soir tout le pays en arrière de Laprairie présentait
l'affreux spectacle d'une vaste nappe de flammes livides, et l'on
rapporte que pas une seule maison rebelle n'a été laissée débout.
Dieu sait ee que vont devenir les Canadiens qui n'ont pas péri,
leurs femmes et leurs familles pendant l'hiver qui approche, puis
qu'ils n'ont devant les yeux que les horreurs de la faim et du froid.
Il est triste, ajoutait ce journal hypocrite qui était dans la joie du
sang, il est triste de réfléchir sur len terribles conséquences de la
Tébellion, de la ruine irréparable d'un si grand nombre d'ôtree
humains qu'ils soient innocens ou coupables. Néanmoins il faut
que la -suprématie des lois soit maintenue et inviolable, que l'inté-
grité de l'empire soit respectée et que la paix et la prospérité
•soient assurées aux Anglais même aux dépens de la nation cana-
dienne entière.'^ Jamais Marat ne s'eât servi d'un langage
plus atroce*
Sir John Colborne revenu de sa courte campagne, organisa
sans délai des conseils de guerre, et fit commencer devant les
^officiel» ^(^ fafpiée le procès des |)nîfqnniers ^ifil TKfidieniut et
3S6 HISTOIRE DU CANADA.
des accusés qui remplissaient les prisons. Lui qui détestait les
Canadiens, il ne serait pas arrêté celte fois par lord Gosford.
Tous les Canadiens notables de Montréal et des campagnes, cou-
pables ou non, avaient été arrêtés^ un grand nombre sous accu-
sation de haute trahison. A Québec, aux Trois Rivières où tout
était parfaitement tranquille, les arrestations ne cessaient point
non plus. Pendant ce temps là les cours martiales se hâtaient
d'achever leur tâche, en procédant avec toute la rapidité possible.
Elles condamnèrent quatre-ving-ncuf accusés à mort et quarante-
sept à la déportation dans les îles de l'Océanie, et confisqnfereut
tous leurs biens. Le Herald était radieux. " Nous avons vu,
disait-il, le 19 novembre, la nouvelle potence faite par M. Brons-
don, et nous croyons qu'halle va être élevée aujourd'hui au devant
delà nouvelle prison, de sorte que les rebelles pourront jouir
d'une perspective qui ne manquera pas sans doute d'avoir l'effet
de produire un sommeil profond et des songes agréables. Six ou
sept pourront s'y trouver à l'Oise ; mais on peut y en mettre
davantage dans un cas pressé." ,,,
Treize condamnés périrent sur l'échafaud aux applaudissemens
de leurs ennemis accourus pour prendre part à un spectacle qui
passait à leurs yeux pour un triomphe. Tous subirent leur sort
avec fermeté. On ne peut lire sans être ému les dernières lettres
de l'un d'eux, M. Chevalier de Lorimier, à son épouse, à ses
parens, à ses amis, dans lesquelles il proteste de la sincérité de ses
convictions ; et il signa avant de marcher au supplice une décla-
ration de ses principes, qui témoigne de sa bonne foi et qui
prouve le danger qu'il y a de répandre des doctrines qui peu-
vent entraîner des conséquences aussi désastreuses.
Lorsque l'échafaud eut satisfait dans le Bas-Canada comme
dans le Haut, où se passait une partie des scènes du Bas, la ven-
geance du vainqueur, on tourna les yeux vers l'Angleterre pour
voir comment elle allait prendre les derniers événemens, et rece-
voir lord Durham et ses suggestions pour la pacification du pays*
Déjà le duc de Wellington avait jugé du dernier soulèvement et
blâmé, par ce jugement là même, la cruauté du pouvoir, dans les
débats sur l'adresse en réponse au discours que la reine avait pro-
noncé en ouvrant le paiiement au .commencement de 1839.
** L'insurrection du Canada n'a été, dit-il, qu'une ioâuirectioa frir
HWTOIRE DU CAKÀDA. 387
vole et liniitte à un coin du pays ; mais elle a été accompagnée
d'invaaions et d'agressions contre les personnes et contre les pro-
priétés des sujets de sa Majesté sur toutes les parties de la fron-
tière des Etat«-Unis par des habitans dos Etats-Unis." Déjà M,
Roebuck avait publié plusieurs lettres dans les journaux de
Londres pour blâmer la conduite de lord Durham,qui,en sa qua-
lité de chef du parti radical, n'allait pas manquer cependant d'amis
dans la presse pour prendre sa défense. Il s'était entouré depuis
longtemps de partisans et de créatures qui vantaient en toute
occasion son patriotisme et ses talens. Ils se mirent tous à louer
son énergie dans sa mission et le rapport qu'il venait de présenter
au gouvernement. Tous leurs coups se .dirigèrent naturellement
contre les Canadiens.
Ce rapport excessivement long, mais écrit avec beaucoup d'art |fc
et de soin, était un plaidoyer spécieux en faveur del'ang'ification,
tout en donnant gain de cause aux principes que la chambre
d'assemblée avait de tout temps défendus. Le séjour qu'il avait
fait parmi les Canadiens avait complètement changé ses idées,
disait lord Durham, sur l'influence relative des causes aux-
quelles on devait attribuer les maux existans. Il s'attendait à
trouver une lutte entre un gouvernement et un peuple, et il avait
trouvé deux nations se faisant la guerre au sein d'un seul état ; non
une guerre de principes, mais une guerre de race ; l'une éclairée,
active, entreprenante ; l'autre ignorante, inerte, et soumise aveu-
glément à des chefs que conduisaient d'étroits préjugés; celle-ci
composée de tory s déguisés qui cherchaient à cacher leur hosti-
lité à l'émigration anglaise sous l'apparence d'une guerre de prin-
cipes contre le gouvernement; l'autre de vrais démocrates,
d'hommes vraiment indépendans 5 les deux enfin toujours en pré-
sence, mais séparés en deux camps qui ne se mêlaient jamais.
** Tel est, ajoutait-il, rétat lamentable et hasardeux des choses pro-
duit par le conflit de race qui divise depuis si longtemps le Bas-
Canada, et qui a pris le caractère formidable et irréconciliable que
je viens d© dépeindre."
Après s'être étendu longuement sur cette division, sur ses
causes et sur ses effets, il passe au remède pour y mettre fin.
" Il y a deux modes, dit-il, de traiter un pays conquis. Le
premiec est de respecter les droits et la nationalité des ppsses-
3âS
HISTOIRE DU CAKADA.
seors du territoire, de reconnaître les lois existantes et de eon-
server les ioaiitutions établies, de ne donner aucun encourasement
à rùiDigraûon du penple conq^uérant, et sans entreprendre de
cimrigemens dan» les élémenB de la eociété, d'incorporer eimpJe'
ment la provinte suus l'autorité générale du gouvernement cen-
tral. Le aecond Mt de traiter io paya conquis comme a"il était
ouvert aux vainqueurs, d'encourager leur émigration, de regarder
les anciens Itabilana comme entièrement subordonnés et de a^ef-
forcer au^^ promptement que poEsible d'asi^imiler leur caractère
et leurs insiiluiiona à ceux de la grande aias^ de l'empire."
Dans un vieux pays ou doit suivre le premier ; dans un nouveau.
le second.
AlalUeureuâemcnl la. révolution américaine avait empérlié
l'Angleterre de suivre cdui-ci en Canada, ou la nationalité ded
habilans avait éiô K)nservée comme moyen d'une séparation
perpétuelle et complèle avec leurs voisina.* Aujourd'lujî que
les choses sont changées et qu'on n'a plus besoind'eux, l'on peut
reveiûr au premier. Tel est le raisonnement non pas écrit, tnais
impliqué du repréî^eatant de l'Angleterre à notre égard dans le
rapport qu'il fait à l'Angleterre.
Quant à la vériBible cause de dissensions entre le gouvernement
et la chambre d'assemblée, il justiSe complètement celle-d, en
attribuant le refus d'une liste civile à sa déterminalion de ne pas
lu seul moyen de aoumollre les fonctionnaires du gou-
t à quelque lûepousabililè. " C'était une value illu-
sion, dit-ii, de s'imaginer que de simples reslrictions dans la cons-
titution ou un système exclusif de gouvernement, indtiiraîent un
corps fort de la conscience qu^l avait avec lui l'opinion de la
majorité à ff^garder certaines parties du revenu public comme
hors de son contrôle, et à se realreiiidre à la simple fonction ds
faire des lois en rest&nt spectateur passif ou indifféreul pendant
qu'on exécuterait ou qu'on éluderait ces lois et que des homut^s
dans les intentions ou la capacité desquels il n'avait pas la plus
légère confiance conduiraient les allaires du pays. L'assemblés
pouvait passer ou rejeter des lois, accorder ou refuser les sub-
sides, mais elle n'avait aucune jnâuence sur la nomination d'ua
seul serviteur de la couronne. Le consed exécutif, les officiers
* IWpëehe de lord Satiittrst à sir J, Ë. Shetbrooko, 1 juillet 1816.
judiciaires, tous les cliers Ue département étaient nommés sans
3Dcun égard pour les vœux du peuple ou de ses représentans, et
il ne manquait pas même d'exemples que la simple hostilité à la
chamlire d'osaeinblèe fit élever les personnes les plus incompé-
tentes aux postes d'iionneur cl de confiance." C'était ainsi que
les gouverneurs venaient en lutte avec les représentât! s, que sas
coneoiliers regardaient comme leurs ennemis. Du reste l'entière
séparation des pouvoirs législatif et exécutif est l'erreur ralurel'e
des gouvernemens qtii veulent s'affranchir du contrôle des insti-
tutions représentatives. " Depuis le commencement donc, con-
tinuait-il, jusqu'à la fin des querelles qui signalent tonte Phistoire
parlementaire du Bas-Canada, je regarde la conduite de l'aseem'
blée comme une guerre constante avec l'exécutif pour obtenir les
pouvoirs inhérens à un corps représentatif d'après la nature
même du gouvernement repréeentatif."
Lord Durham ne pouvait justifier en termes plus forts la con-
duite de la chambre d'assemblée, et cependant après l'avoir jus-
tifiée il s'appuie de cette même conduite pour recommander
l'union des deux Canadas, parce que le seul pouvoir qui puisse
arrêter d'abord ia désaffection actuelle et effacer plus tard les
Canadiens-français, c'est celui d'une majorité loyale et anglaise.
H serait bien pour l'union de toutes los provinces de l'Amé-
rique du Nord; mais cette union nécessiterait une centralisation
qui répugne à l'esprit des populations du Nouveau- Mon de.
D'ailleurs il faudrait pour satisfaire ces populations, conserver les
aasemblèes provinciales avec des pouvoirs municipaux seulement,
ou encore mieux des assemblées de districts ou d'arrondissemens
plus petits. Il recommanderait bien sans hésiter l'union législa-
tive de toutes ues provinces s'il s'élevait des difficultés dans les
provinces inférieures, ou si le temps permettait de les consulter
avant de régler la question des deux Canadas ; mais si elles se
remuent plus tard on pourra les noyer dans une union qui les
mettra en minorité. En attendant il recommande l'union de»
deux Canadas seuls, en donnant -à chacun le même nombre de
membres, des municipalités électives pour les affaires locales, un
conseil législatif mieux composé, un bon système d'administration
pour les terres, l'abandon de tous les revenus de la couronne
moins celui des terres à la législature |iour lUie liste civile Bufli-
390
HISTOIfiB DU CANADA.
santé, la responeabilité de lous les officiers du gouvemenient & la
législaiure excepté le gouverneur et eon sccréiaire, l'indépen-
dancc lies jugea, et eufin des ministres reeponïfablcs placés à la
tële des dUTérens dùpaitemens de l'exécutif et tenus de comman-
der la majorité dans les chambres.
Tel est !e plan auquel lord Durham s'est arrêté, et qu'il soumet
à la métropole comme le plus propre entre tous ceux qu'on lui a
suggérés pour rétablir l'ordre, l'harmonie et la paix. Il y en a
qui voulait frapper les Canadiens en masse d'ostracisme, et Les pri-
ver comme Français du droit de vole et d'égibilité. D'autres pro-
posaient une union législative des dens. Canadas ou de toutes les
provinces avec une seule législature, en diminuant le nombre Jcs
membres canadiens à un ctiîSi'e nominal. D'autres encore pro-
posaient une union fédérole. Lord Durbam dit qu'à son arrivée à
Québec il pencbait fortement en faveur de ce dernier plan, et
que ce fut avec ce projet en vue qu'il discuta une mesure qui
embrassait toutes les colonies avec les dépulations des provinces
inférieures, avec les corps publics et avec les homincs marquant
du Canada, qu'il avait mandés à Québec ; que tout en conciliant
les Français du Bas-Canada en leur laissant le gouvernement de
leur propre province et leur propre législation intérieure, il aurait
assuré la protection des intérétâ britanniques au moyen du gou-
vernement général, et la transition gratuelle de toutes les province»
en une seule société homogène; mais qu'après quelque séjour
dans le pays et la consultation du parti anglais il avait été obligé de
changer d'opinion et de croire que l'époque de l'anglification gra-
duelle était i«issée.
Ses recommandations furent adoptées par les ministres. L'aa-
sociation coloniale do Londres n'était pas satisfaite cependant
du sacrifice des Canadiens. Elle voulait Ica priver de tout
droit politique en leur étant jusqu'à celui de voler aux élections,
et s'opposait au eysh^me responsable. Mais lord Durham et les
ministres repoussèrent ces prétendons, et lord Aïelboume. pré?
senta au parlement le i mai IHSd, un message de la reine pour
recommander l'union. Cette mesure fut retardée par la râsi-
gnation du ministère à l'occasion d'une loi qui concernait ta
Jamaïque, au sujet de laquelle il s'était trouvé dans une majorité
si &ible qu'il Ji'osa plus compter sur l'appui des chambres*
HISTOIRE DU CAKASA. 391
Néanmoins les difficultés s'arrangèrent; lord John Ruasell resta
ou pouvoir, et après quelque lîisciission dans le mois de juin, il
introduisit enfin son bill pour unir les Jeux Canadas; après sa
deuxième lecture et l'adhésion de sir Robert Peel et de M. Hume,
ce bill fut ajourné à la session suivante, afin d'avoir le temps d'a-
planir dans l'inlervatle certaines difficultés qui se présentaient.
L'existence du conseil spécial fut prolougée, etM. Poulett Thom-
son, membre des communes et réformateur radical, fut envoyé
comme gouverneur i Québec pour les (kîre disparaître. I!
arriva dans cette ville dans le mois d'octobre, et partit presqu'im-
méd'aiemenl pour Montréal et le Haut-Canada. H entra à
Toronto à la fin de novembre, et ouvrit les chambres le 3 du mois
suivant. Sa mission principale était de leur faire adopter les bases
du rapport de lord Durhara, qui ne s'accordaient pas avec les réso-
lutions de l'assemblée de cette province, qui portaient que le siège
dn gouvernement serait dans le Haut-Canada, quelea trois comtés
înfêrîeurg du district de Québec seraient annexés au Nouveau-
Brunswick, que les représentana du Bas-Canada seraient moins
nombreux que ceux du Haut, qu'après 1845, les comtés en sei-
gneuries ne fussent plus représentés au parlement, que la langue
française fut abolie, et que In dette du Haut-Canada, qui dépassait
un million, fut payée par les deux provinces réunies, le Bas-
Canada n'ayant pas de dette, et de se procurer des informations
sur lesqudlea les ministres purent soumettre au parlement une
mesure plus parfaite que le bill présenté aux communes. U
devait les convaincre que lee ministres étaient eux-mêmes per-
suadés de l'op]iorlunité de leur projet, et dissoudre l'assemblée si
elle ne recevait pas ses ouvertures dans un esprit convenable ;
faire rapport des collèges électoraux, et nommer, s'il !e jugeait à
propos, un certain nombre de personnes influentes pour préparer
les conditions de l'union.*
Dana une dépêche subséquente, lord John Russell argumentant
centre le principe du système responsable dans les colonies,
citait quelques faits survenus dans le BaB-Canada,oû s'était élevée
d'abord la demande d'un pareil système, et représentait M.
Papineau et la majorité de la chambre comme des rebelles. Les
* Ddpèche de loid John HuMell, à M. C. P. Thornson, 7 septembre
S32 HISTOIRE DU CANADA.
chambres rtu-eni saisieB de la quoslîon dés la conimen cernait de la
session. Les débota se prolongèrent, mais le gouvernement l'em-
porte à la fin, el la mesaro fut approuvée dans (a forme à peu
prés que rAnglcterre désirait. II est inutile de dire que la
conseil spécial du Baa-Car.ada, nommé par la couronne, l'appi-ou-
va dans tout son esprit. Trois membres seulement votèrent
contre, ISUVI. Neilson, Culhbert et Quesnel.* Quant atix Cana-
diens qu'on ne consulta pas, ils protoslèrentdane le district de Qué-
bec el des Trois-Riviérea avec tout le clergé calholique. iOfiOO
Bignatures couvrirent les pélitioii3 de ces deux districts an paiie-
ment impérial, contre lesquelles le gouverneur mit lord John
Russel! en garde, en lai mandant que le nombre des sîgtiatures
n'était pas si considérable <in'an s'y alleudait ; que l'assemblée
des Anglais qui avait eu lieu à Québec en faveur de l'union expri-
mait les senlimens de la très grande majorité de la population
fidèle à TAngleterre ; que îe clergé ee méprenait sur cetlemeaure,
et qu'il désirait au lunJ la continuation du conseil spécial quoi-
qu'il demandât le rétablissement de la Constitution de 91.
L'approbation donnée par les chambres du Haut-Canaila et le
conseil spécial du Bas, rassura pleinement le ministère; qui poussa
sa mesure avec toute la vitesse possible. Les communes l'a-
doptèrent presque sans débat, M. Hume votant pour et M.
O'Connell contre. La langue anglaise fut reconnuecomme seule
langue parlementaire. La mesure éprouva plus d'oppoa'rtion
dans ta chambre des lords, oùlordGosforJ, le duc de Wellington,
et plusieurs antres membres volèreni contre et protestèrent, lord
Ellenborough parce que le bitl était fondé sur une double erreur,
celle d'une défiance indue contre la population française et celle
d'une confiance indue dans toute la population d'origine britannî-
que ; parce que les cbangemens apportés à la représentation du
Bas-Canada étaient injustes dans leur caractère, ayant poar objet
• Le gouTemeur fit prier M. Neilaon fie venir !e voir pour le eonmller
Bur Ids afTairea du paya, surtout eut l'union. Sur ce dernier point, M. Keil-
Bon lui dit qnc cette mesure mécententcrait un grand nombre de cifayaw «t
en satisferait peu, poia qu'elle avait pour objet d'of^imer les Canodiena.
Le gouverneur le voja; 1 continuer eut ce Ion, lui dit : *^ Vous être donc
eonlre l'union. Otii, râpondil M. Neilson. Alors ddus ne
noua accorder, répliqua l'agentfproconHuIaire." Je tiens ceci di
lui-toSnie .
I
I
HISTOIRE DU CANADA. àBS
d'augmemler înilircciemeDt encore pins la disproportion entre la
représenlaiion <le La populadon anglaise et celle de la populaduu
française. . . ; parce que si l'on voulait priver les Canailiens-fran-
çais d'un gouvememeni représentaiif, il -vallail mieux le faire
d'une manière ouverte et franche, que de clieicber à établir un
ayslènie permanent de gouvernement liur une base (]ue le monde
entier s'accorde rail à qualifier de fraude électorale. Ce n'étoil
pas dans l'Âiuèrique du Nord qu'on pouvait en imposer aux
hommes par un faux eemblant de gonvernctnent représentatif, ou
leur faire accroire qulla n'élnienl qu'en minorité de votes lors-
qu'ib èiaicnt de fait défranchiaùe; parce qu'une union entre les
deux provincos imposée 4 l'une par défiapcc contre ea loyauté,
xanit son consenlenient et s dea cooilitions qu'elle devailjuger
uijusies, et acceptée par l'auira en conKidùralion d'avantagca
fiâCBUx et de l'accendanee légialalive.
Lord Melbourne insixla sur la nécnssilé d'apaiser l'espril de
mécontentement qui avait éclaté dans les deux Canadas ; il fit
obserrerquec'étaientdepareilsinécontenlemenïi qui avaJentame'
né autrefois l'iadépendanoe des Xlab^Uiiid, événement qui ne
aérait pas arrivé s'ils avaient été mîeus liés à In métropole. Les
divisiona intestines avaient été la principale cause qui avsàt fait
perdre à l'Angleterre en 1450, le beau territoire qu'ello possédait
en France et qu'elle tenait de ses princes normands, et dans le
dernier siècle ses aocjennee coloaies. Le ductie Wellington lui
répouiiit qu'il ne fallait pas tant se presser ; qu'il fallait attendre
de meilleures informations ; qu'il fallait attendre que le peuple eut
repria ses sens, dans une province après une insurrection, dans
l'autre après une rébellion, et que dans les Eiata-Unia il y eût
moins de disposition à, encourager l'une et l'autre. Il fallait réflé-
chir avant de former une législature de trois ou quatre dilTérenlea
nations et de gens d'une douzaine de religions. Il se plaignit de
la manière avec laquelle on avait obtenu le conseniemenl du
Haut-Canada. On s'élatt assuré du concotira du parti tory en
publiant la dépêche de lord John Russell au sujet des emplois,
ei de l'appui du parti républicain en supprimant une autre de ses
dépêches qui aurait déplu aux partisans du gouvernement res-
ponsable. LordBruugham était convaincu que lorsque le Canada
se séparerait de l'Angleterre, ce qui devait arriver tôt ou tard, ce
394i HISTOIRE DU CANADA.
serait par eaile de la manière avec laquelle la mesure tle l'uDÎan
élait emportée, et cette aéparatioii se forait Jana des circonslatices
d'autant plus regrettables que lea deux jiartiî Se quitteraient
ennemis. •
Lonl Goarord se leva ensuile ; son langage devait avoir d'au-
tant plus de poids qu'il avait résidé dans le pays, qu'il en avait
eu l'administra lion entre les mains et qu'il en connaissait les par-
s et les tendances. " Je regarde, dit-il, l'union
e une mesure
je le crois, ceux
nvaincus que la popula-
irganiaée au ri-gime bri-
ns grande erreur. Pour
me do nos colonies, sa
comme une expérience très dangereuse,
injuste et nrbitraire en elle-même. Si, et
qui l'appuyent le font parce qu'ils i
tion française est en état de céaïi
tBunique, jamais ils ne furent dans une pi'
ma pari, je ne crois pas que dans auci
Majesté ait un peuple qui, par inclination autant que par intérêt,
ait plus de désir de rester sur un pied d'amitié et d'alliance avec
l'Angleterre. Je n'ignore pas les fausses représentations que l'on
a répandues avec trop d'activité dans ce pays, maïs je ne crains
pas de déclarer, malgré tout ce que l'on peut prétendre au con-
traire, que ce que je dis ici est fonde sur la vérité et pcul-êtro
pleinement prouvé. On a beaucoup parlé de ce qu'on appelle
la révolte récente ; ce sont !à des mois qui sonnent bien haut, et
qui sont fort utiles aux intérêts de ceux qui leur donnent cours.
Mais si je suis disposé à réprouver tome espèce de soulèvement
et de troubles, je dois également reconnaître qu'il n'est que juste
de regarder de plus près au véritable état des choses avant de
stigmatiser les événemens qui ont eu lieu en termes qui doivent
produire des préjugés très forts et (rèa funestes contre ceux con-
tre qui on lea dirige. La partie du Bas-Canada agitée parles
troubles, n'embrassa jamais qu'une petite section du district de
Montréal sur la rivière Richelieu. Maintenant quel était son
état politique avunt les troubles î Elle était déchirée par les
divisions lea plus violentes et les plus hainenses, fruit d'élections
contestées avec acharnement ; l'esprit de parti, comme c'est le
cas en semblables circonstances, était monté au plus haut degré
d'exaspération, et contribua beaucoup à ce qui est arrivé. A
i'appui de mon assertion, je puis citer un fait très concluant. Le
seul endroit an nord du St.-Laurent où il y ait eu des troubles,
HISJOUIE DU CANADA.
393
est le comté des Deux-Monlagnoe. Eh bien ! ce comté se trou-
vait justement aous le rapport delà violence des luttes électorale»
dans le raiime cas que les environs de la rivière Richeticu. Il y
a, et il y a eu une certaine partie >!e la population anglaise, prin-
cipalement à Montréal et dans les environs, à laquelle tous les
hommes libéraux et indépendans ne peuvent qu'èlre hostiles, ot
dont leâ actes et la conduite onL été caractérisés par un cspill
de domination au préjudice de toute la population d'origine fran-
çaise ; elle a toujours aupiré à posséder la domination et le
patronage du pays. C'est à elle qu'il faut principalement attri-
buer les Iroubles et les animaaités qui viennent d'avoir lieu. A
l'appui de ce que j'avance, je n'ai qu'à rappeler à vos Beigneuries
une do ses premières déniarcliea peu de lemjis après mon arrivée
en Canada. A une assemblée qu'elle avait convoquée, il Ail
résolu de lever un corps militaire sous le nom de BriUsh Rilla
IiCgion, ou quelque nom semblable, et une- de ses règles était que
les membres de ce corps éliraient leurs officiers. Je pria 1b pre-
mière occasion de faire, d'une manière amicale, des remontrancea
contre un pareil procédé ; mais ce fut en vain. Je fus obligé de
les abattre par une proclamalion, après m'èlre assuré, en consul-
tant les hommes de loi de La couroano, que leur conduite était illé-
gale et inconsivlutionnelle. Une eectiou Inléressëe ot violente du
parti niercanme voulait, en persévérant dans ses fausses repré-
sentations, faire appuyer sesdesseios par se^ amis en Angleterre ;
et ce sont cei; fausses représentations, ainsi répandues, qui ont
amené les maux qui sont malheureusement arrivés. Tant qu'on
encouragera ce parti ou qu'on t'appuyera en aucune façon, la
méfiance et le mécontentement régneront. Je Buia Iieureux
cependant do pouvoir dire que ces remarques ne s'appliquent
qu'à luje petite portion de la population britannique, fixée princi-
ripalement aux environs de Montréal, et à quelques partisans à
Q.uébec. Bien des Anglais ont souvent, et dans les termes les
plus énergiques, réprouvé la violence de ceux dont je parle. Il
est aussi un ihit curieux, c'est que lorsque les Iroubles éclatèrent
aucune des populaces, car je puis presque les appeler ainsi, qui y
ont pris pari, n'était commandée par des Canadiens-français. A
St.-Denis, c'était un Anglais, M. Wolfred Nelson ; k St.-Chariefl,
un M. Brown, moitié Anglais, moitié citoyen américain ; i Su-
39â
S^A.
Benoit, un Suissej qui agissaient comme chefs. Les troubles, comme
je l'tvi Jéjà dit, idalérent dans une partie seulement du district
de Montréal. Dana ie reste de ce dlslrict. dans les quatre autres
diaicicls du Bas-Canada, Gaapé, Si. -François, Québec et les
Troia-Rivièi-es, tout demeura tranquille, et les autorités civiles y
conservèrent toute leur force. Les troubles furent complètement
Eupprimés dans l'espace de trois semaines ; il me fut envoyé des
adresses de toutes parts pour réprouver la conduite et la violence
de quelques hommes égarés, pousses par des gêna mal intention-
nés et désespérés, et pour me déclarer leur détermination d'ap-
puyer le gouvernement, La paix et la tianquillité étaient réta-
blies dans toute la province du Bas-Canada avant mon départi
Mais cela ne faisait pas le compte du parti qui voulait écraser la
population françaiee.
" Convaincu de l'exactitude de ce que je dis, je ne puis m'en-
pêcher de regarder l'union des deux provinces que comme un acte
des plus injustes cl des plus tyranniques, proposé pour priver la
province inférieure do sa constitution, sous prétexte d^actes de
quelques hommes mal intentionnés, et la livrer, en noyant la
population française, à ceux quijsanscause, lui ont montré tant de
haine ; car ce bill doit la noyer. Vous donnez à 3 ou 400,000
habitans la mémo représentation qu'au Bas-Canada, qui a une
population d'au moins 700,000 ; et cnBuitjj vous imposez la dette
de la province supérieure, qui est, dit-on, d'un million, à une pro-
vince qui n'a presque aucune dette. Peut-il y avoir rien de pluf
arbitraire et de plus déraisonnable 1 En vérité, la légalité d'un tel
procédé peut être mise en ques'ion ; car, j'apprends qu'aucune par-
lie de la dette contractée par 'a province supérieuren'a été sanc-
tionnée par le gouvernement de ce pays, je dois déclarer de m
veau que ma conviction est que tout cela vient d'uneintrigue mer-
oantile.' Je dis que la population française désire vivre soi
protection etdansl'alliaace anglaise, et que la très grande majorité
dos habitans des Jeux Canadas est opposée à l'union. . . Je ne puis
donc consentir à une mesure fondée, comme je le crois conscicn-
tieusement, sur de fausses informations et sur l'injustice. Tsint
que je vivrai, j'espère que je ne donnerai jamais ma sanction à
■ De la maison Baring, à laquelle était dus dug grande paitïe de c
L^
L
HlSTOraS DU CANADA. 397
una meeure semblable à celle qui est sous la considération de vos
seigneuries. J'ai dit ce que je cmis fermement être la. vérité, et
ce qui pourrait être appuyé du témoignage de tout esprit calme
dana les Canadas."
Noua donnons une grande partie du discours de ce gouverneur
pour faire mieux apprécier la politique du bureau colonial.
L'aristocratie anglaise ne vola pour la mesure qu'à contrecœur,
parce que le parti mercantile, qui a eu une grande influence dana
tous les temps sur la politiijue des colonies, le demandait. Le Haut-
Canada devait un million à la maison Baring ei se trouvait à la veille
d'être incapable de faire dce à ses engagemens. Celle maison
puissante ùl tous ses efforts pour engager le parlement à consentir
à l'union afin d'assurer sa créance. Beaucoup de marcbands, de
capitalistes et peul-èlre de membres du parlement y étaient inté-
ressés. Devaat tous ces motifs personnels ajoutés aux préjugés
nationaux, la cause des Canadiens-français devait succomber.
Dans l'acte d'union il est expressément stipulé qu'après les frais
de perception payé a, la première cliarge sur le revenu du Canada
sera l'inlérël de la dette publique due au moment de l'union. Le
salaire du clei^ et la liste civile ne viennent qu'après.
L'acte d'union adopté par les deux chambres mit fin, en rece-
vant la sanction royale, à l'acte de 91, passé pour soustraire à la
domination des Canadiens-français la petite population anglaise
du Haut-Canada, et révoquée plus lard pour mettre ces mêmes
.Canadiens sous la domination de la population anglaise, devenue
ou devenant plus nombreuse.
A l'époque où se consommait ce grand acte d'injustice â notre
préjudice, la population, le commerce, l'agriculture, l'induslrie
avaient faild'immenscs progrès dans le pays. La population que
nous avons estimée à 125,000 âmes à peu près lors de l'intro-
ducdon de la constitution de 91, s'était redoublée cinq fois depuis.
I^s dissensions politiques n'avaient pas empêché chacun de
remplir sa tâche avec son activité ordinaire. En Amérique le
mouvement des choses entraine toutes les théories avec lui, tous
les systèmes des métropoles. Tout s'y assied sur des bases
immenses qui n'ont pour ainsi dire de limites que les limites du
continent lui-même. En Europe le propriétaire est au sommet
de la piramide sociale ; en Amérique il est où il doit être pour
DV CANADA,
le bonheur et la paix de ceux qui la composent, à la base. En
ISii, où s'est Tait le recensement le plus rapproché de l'union,
la population du Bas-Canada étaitde 691,000 âmes, dont 524,000
Canadiens- françaia, 156,000 Anglais et étrangers, et 573,000
calholiques. Il y avait 76,000 propriétaires et 113,000 maisons,
d'où l'on peut conclure que chaque famille a sa maison et que
presque taules les famillex sont propriétaires.
Les producûons agricoles s'élevèrent à 925,000 minots de blé,
à 1,195,000 minots d'orge, à 333,000 niinotsde seigle, à7,239,000
minois d'avoine, à 1,219,000 minots de pois, à 141,000 minotsde
blé-d'inde, à 375,000 minots de blé sarrasin, à 9,918,000, de pom-
mes de terre. Les érabliéres produisirent 2,272,000 livres dé
sucre. On compiail 7,898 ruches d'abeilles, 470,000 têtes de
bétail, 147,000 chevaux, 198,000 cochons et 603,000 moiitouB
dont la toison donnait 1,211,000 livres de laine. Les animaux
devaient être en proportion de l'agriculture, mais cette proportion,
est plus petite dans les paya froids que dans les paya chauds.
L'hiver sera toujours un grand obstacle à l'élévation des bestiaux
dans îe Bas-Canada, parce qu'il faut les nourrir à l'étable près Je
Il sortit des métiers domestiques 747,000 verges de drap du
pays, 858,000 verges (le toile de fil et de coton, 655,000 verges
de (îanelle et de droguel.
L'industrie Taisait rouler 422 mouhns à farine, 153 à gruau,
911 à Bcie, 14 à l'huile de lin, 153 à fouler, 169 à carder, 469 à
battre, 8 à papier et 24> à clous, etc. 69 fonderies mêlaient' leura
noires vapeurs au bruit de ces grande élémcns de progrès
et de richesses. 11 y avait encore 36 distilleries, 30 brasseries,
540 manufactures de potasse et 86 autres de dilTérens genres,
que faisaient marcher te vent, l'eau, la vapeur on la force
animale.
Maintenant au dessus de ces puis?an(te3 physiques et maté-
rielles il y avait 64 collèges ou écoles supérieures et 1569 écoles
élémentaires, qui répandaient les lumières sur 57,000 enfahsàu'
hruit des forêts qu'on abattaitet des chanlierB qu'on ouvrait partout
pour agrandir le champ des nouvelles Sidons modernes, dans ce
continent sorti à peine du sein des ondes et des miuns de Chris-'
tophe Colomb et de Jacques Cartier. La rigueur du climat de
HISTOIHE DU CANADA.
3SS
Québec De peul rien pour dompler l'énergie productive des
enfane du St.-Laurenf. C'est au milieu des frimala qui empri-
sonneiitJes ondes qu'ils construisent ces noiutireu:^; vaisseaux qui
doivent sillonner les mers du glohe, et qu'ils préparent ces Ijoia
qui doivent servir à abriter les peuples de l'Europe et des tropi-
ques. 2090 ouvriers construisirent à Québec seul dans l'bîver
de 18-iO, 33 navires jaugeant ensemble 18,000 tonneaux; et
1175 navires jaugeant 384,000 tonneaux venant d'Europe et
d'ailleurs, étaient arrivés dans le cours de l'été précédent dans le
port de celle ville commerçante.
Enfin en 1840, la totalité du revenu du Bas-Canada monta à
jei8i,000, et la dépense à :eii3,000. Aujourd'hui à l'aide d'e
quelques modifications dans nos lois fiscales, le revenu des deux
Canadas unis a presque triplé ; il excède £300,000.
Noos allons terminer ici notre récit. L'union des deux Canadas
doit former une des grandes époques de nos annales coloniales.
Noua l'avons peut-Être amené trop près des temps pré^ens ; mais
nous y avons été forcé par l'enchaînement des événemens, qui
seraient restés sans signification bien précise eana la conclusion
qui nous les explique en expliquant la pensée de la métropole.
Si en retraçant ces événemens, noua avons pu blesser les suscep-
tibililés des hommes, des races, du pouvoir ou des partis qui ont
exercé de l'influence sur notre patrie, nous dirons comme M,
Thiera, nous l'avons fait sans haine, plaignant l'erreur, révérant
la vertu, admirant la grandeur, tâchant de saisir les profonda
desseins de la providence dans !o sort qu'elle nous réserve, et
les respectant dès que nous croyons les avoir saisis.
' ,'. CONCLUSIOK. 'i
'.Nous avons donné l'histoire de quelques émigrans français'
venus pour fixer les destinées de leur postérité à l'extrémité sep- '
tentrionale de l'Amérique du Nord. Détachés comme quelques
feuilles d'un arbre, le vent les a jetés dans un monde nouveau
pour être battus de mille tempêtes, tempôtes de la barbarie, tem-
pêtes de l'avidité du négoce, tempêtes de la décadence d'une
ancienne monarchie, tempêtes de la conquête étrangère. A peine
quelques milles âmes lorsque ce dernier désastre leur cFt arrivé, ils ■
400 HISTOIRE DU CANADA,
ne doivent paa en vouloir trop à leur ancienne mère-pairie, car
la perle de la noble colonie du Canada fui une dea causes déter-
minanlea de la révolution, et l'univers sait quelle vengeance cette
nation polie et fière a exercé axa tous ceus qui avaient la maîn
de prèa ou de loin au timon de l'état qui nous abandonnait au
moment du danger.
Malgré toutes les tourmentes passées déjà sur le Canada,
quelques centaines de colons français ; car nous craindrions d'ex-
agérer en disant quelques milliers, avaient atteint le TîhiflVe fiwt
peu important en Europe de 60,000 Smes environ au jour de la
conqu&le. Aujourd'hui après 90 ans, ce chiffre atteint 700,000,*
et cet arhro s'est accru de lui-même, sans secours étranger, dans
sa propre foi religieuse, dans sa propre nationalité. Pendant
150 ans il a lutté contre les colonies anglaises trente à quarante
fois plus nombreuses sans broncher d'un poB, et le contenu de
cette histoire nous dit comment î! s'acquittait de son devoir sur le
champ de bataille.
Quoique peu riche et pen opulent, ce peuple a montré qtall
avait conservé quelque chose de la grande nation dont il lire ion
origine. Depuis la conquête sans se laisser disTraire par les
philosophes ou les rhéteurs sur les droits de l'homme et autres
thèses qui amusent le peuple des grandes villes, il a fondé sa
" politique sur sa propre conservation, la seule base d'une politique
recevable par un peuple. Il n'était pas aasen nombreux pour
prétendre ouvrir une voie nouvelle aux sociétés, Ou se mettre à la
tête d'un mouvement quelconque à travers le monde. H s'est
resserré en lui-même, il a rallié tous ses enËms autour de lui, et a
toujours craint de perdre un usage, une pensée, un préjugé de
ses pères malgré les sarcasmes de ses voisins. Le résultat i^eat
que jusqu'à ce jour, il a conservé sa religion, «a )at|gue,>t bien
plus un pied à terre à l'Angleterre dans l'Amérique du Nord en
" 1775 et en 1812. Ce résultat quoique funeste à la république
'"'des Etats-Unis, à ce qu'il aurait paru au premier abord, n'a peut-
' êtrepaseulesraanvaisessuitesqu'onaurait pu en appréhender. Le
'" flrapeau roj'a! anglais flottant aur la citadelle de Québec a obligé
"' la jeune république d'être grave, de se conduire avec prudence,
• Le recenaeiaenl cle celte année porle la papulatioD couBdieniie ûbe-
(ùee i 695,945 âmes.
UISTOIRC Di; CANADA. 4l01
de ne marcber en nvam que gradaallemeal, et non paa de s'élan-
oer comme une cavale sauvage datia le désert. La conséqueQcc,
diaona-noua, c'est que la république Jeu Elata-Unis esl devenue
grande, puiseante et un exemple pour le monde.
Lea Canadiena sont aujourd'hui un peuple de cultivateurs dans
un climat rude et sévère, 11 n'a point en cette qualité les
manières èléganlee et faalueuâCâ des populations méridionales, et
ce langage qui semble sortir de cette nature légère et intarissable
qu'on ne connaît point dans les hautes latitudes de notre globe.
Mais il a as la gravité, du caractère et de la persévérance. Il
l'a montré depuis qu^il est en Amérique, et nous sommes convain-
eu que ceus qui liront son histoire avec justice et bonne foi,
avoueront qu'il s'est montré digne des deux: grandes nations aux
destinées desquellea son sort s'est trouvé ou se trouve encore lié.
Au reste, il n'aurait pu èlre autrement eanu démentir son ori-
gine. Normand, Breton, Tourangeau, Poitevin, il descend de
cette noble race qui marchait à la suite de Guillaume le conqué-
rant, et dont l'esprit enraciné ensuite en Angleterre, a fait de
cette petite île une des premières nations du monde ; il vient de
cette France qui marcbe à la tête de la civilisation européenne
depuis la chute de l'empire romain, et qui dans la bonne comme
dans la mauvaise fortune, se fait toujours respecter ; qui sous ses
Charlemagne comme sous ses Napoléon ose appeler toutes les
nations coalisées dans des combats de géans ; il vient surtout de
cette Vendée normande, bretonne, angevine dont 1c monde res-
pectera toujours le dévouement sans bornes pour les objets de ses
sympathies royales et religieuses, et dont le courage admirable
couvrira éternellement de gloire le drapeau qu'il avait levé au
milieu de la révolution française.
Que les Canadiens soient fidèles à eux mêmes ; qu'ils soient
nages et persévérans, qu'ils ne se lussent point emporter par le
brillant des nouveautés sociales ou politiques. Ils ne sont pas
assez forts pour se donner carrière sur ce point. C'est aux
grands peuples à essayer les nouvelles théories. Ils peuvent se
donner des libertés dans leurs orbites assez spacieuses. Pour
nous, une partie de notre force vient de nos iradiUons ; ne nous
en éloignons ou ne les changeons que graduellem^it. Nous trou-
verons dans l'histrâre de notre métropole, dans l'histoire de l'An-
404 SOMMAIRSS.
tantes pendant cette période. — ^Triomphe de la révolution améiicaîne^ —
La France reconnaît les Etats-Unis (1778) et leur envoie des secours.*»
Débats à ce sujet dans le parlement anglais. — L'Espagne et la HoUande
imitent la France.-^Destruction des cantons irpquois et leur émigration.
— Capitulation de l'armée anglaise àYorktown (1781). — La Grande-
Bretagne reconnaît l'indépendance des Etats-Unis XI 783). — ^Perte de ter-
ritoire par le Canada. — ^Le général Haldimand remet les rênes du gouver-
nement au général Carlaton (1784). — ^M. Du Oalvet, qu'il avait tenu deux
ans en prison, l'accuse devant les tribimaujc de Londres. — ^Noble caractère
et énergie de ce citoyen ; de son livre : Appel à la justice de l'Etat. — Ses
idées sur la constitution qui convient au Canada. — ^Agitation de cette
colonie « — Assemblées publiques. — Pétitions diverses pour et contre un
gouvernement représentatif. — ^Prétentions et méfiances des divers partis.
-—Investigation que le gouverneur fait faire par le conseil législatif sur la
justice, la milice, les voies publiques, l'agriculture, le commerce, l'éduca-
tion, etc.«— Rapports sur ces matières. — ^Tentatjive indirecte du juge-en-
chef Smith de substituer les lois anglaises aux lois françaises. — ^Abus crians
dans l'administration de la justice : enquête à ce sujet. — Nouvelle division
territoriale du Canada. — ^Nouvelles pétitions à l'Angleterre. — Intervention
des marchands de Londres en faveur du parti anglais. — Intrigues. — Divi-
sion des Canadiens en constitutionnels et anti-constitutionnels : les premiers
l'emportent — Projet de constitution de M. Gren ville envoyé en 1789 à
lord Dorchester, qui passe à Londres en 1791. — Pitt introduit ce projet
dans la chambre des communes la même année. — M. Lyroburner, agent
des constitutionnels anglais, l'oppose. — Débats auxquels Pitt, Burke, Fox,
Gren ville, prennent part. — Le projet passe sans division dans les deux
chambres. — Dispositions fondamentales de la nouvelle constitution. —
Le lieutenant-gouverneur Clark la proclame en Canada, qui est divisé
en deux provinces. — Population de ce pays. — Satisfaction des Canadiens
en recevant la nouvelle constitution, qui est fêtée à Québec et à Montréal
par des banquets.
LIVRE TREIZIEME.
CHAPITRE I.
CONSTITUTION DE 91. 1792-1800.
Etablissement d'un gouvernement représentatif. — Réunion de la législature.
— Le parti anglais veut abolir l'usage de la langue française ; vives dis-
cussions à ce sujet. — ^Les Canadiens l'emportent. — La discussion est
renouvelée lors de la considération deç règles pour la régie intérieure de
la chambre. — ^Violens débats ; discours de M. Bédard et autres. — Les
anglificateurrf sont encore défaits, — Travaux de la session ; projets de loi
SOHlMIIUtS. 106
pour les pauvres, lès tbexhins et les écoles.^— Biâm des Jé8iiîteft.-*Sab«
sîdes.-^ustice. — ^Prorogation des chambres ; discours de sir Alttred
Clarke. — Lord Dorchester. — ^D convoque les chambres^ — Organisation de
la milice. — Comptes publics. — Judicature. — Suspension de la loi de Pha-
beas corpus. — Association générale pour le soutien du gouvernement—
Troisième ses8ion.-*Revenus et dépenses.— -fixation des charges ; rentes
seigneuriales.-— ^Voiês publiques.— «Monnaies. — Lord Dorchester remplacé
par le général Prescott— Session de 97^— *I>éfection de MM. De Bonne et
de Lotbinière. — ^Traité de commerce avec les Etats-Unis^^-Bmissaires
firançaifi. — ^Les pouvoirs de Tezécutif sont rendus presque absolus ; ses
tireurs. — ^Exécution de M. Law. — Sessions de 98 et 99.-r>Amélio]»tion
du régime des prisons. — Impôts, revenus publics^— -QnereUes entre le
gouverneur et son conseil au sujet de la régie des terres.—!! est rappelé
. avec le juge Osgoode. — Sir Robert Shore Milnes convoque 'les chambres
en 1800. — ^Nouvelle allusion aux principes de la révolution française;
motif de cette poUtique.— rPioposition d'exclure le nommé Bouc dePas-
semblée. — Le gouvernement s'empare des biens des Jésoites.. . . .p, 91.
CHAPITRE n.
ADMINISTRATION DE SIR JAMES CRAIO, — 1801-1811.
Elections de 1800. — ^Institution royale. — Principe de la taxation. — ^La natio-
nalité canadienne. — Etablissement du Canadien, — Afikire de la Chesa-
peake. — Situation de nos relations avec les Etats-Unis*— Premières diffi-
cultés avec cette république. — Arrivée de sir James Craig en Canadas-
Ordre militaire. — ^Proclamation politique. — Ouverture des chambres.—
Projet de loi pour exclure les juges de l'assemblée.— M. Bedard et autres
officiers de milice cassés. — Ministère responsable. — Dissolution du Par-
lement.— ^Discours insultant de Craig. — Les idées du Canadien sur la
constitution et la responsabilité ministérielle. — Subsides. — Agent à
Londres. — ^Exclusion des juges de la chambré.— Dissolution subite du
parlement— Saisie du OanadUn et emprisonnement de M. Bedard, Tas-
chereau et Blanchet. — ^Proclamation du gouverneur. — ^Election. — Ouver-
ture des chambres.— -Elargissement des prisonniers. — Affidres religieuses.
-—Entrevues dâ sir Junes Craig et de M. Flessis au sujet de l'église
catholique. — ^Nomination des curés par le gouvernement. — Fin de l'ad-
ministration de Ciaig.. ,.•••• •• p. 133.
406 SOMMA1RSS.
LIVRE QUATORZIEME.
CHAPITRE I.
OUBRRB DE 1812. '
Sir George Prévost ; sa politique. — Situation des rapports entre l'Angleterre
et les Etats-Unis. — ^Premières hostilités sur mer. — Le parti de la guerre
l'emporte à "Washington, — La guerre est déclarée. — L'Angleterre adopte
un système défensif. — Forces des Etats-Unis. — Organisation de la défense
.du Canada. — Zèle du clergé catholique. — M. Plessis travaille â faire
. reconnaître officiellement le catholicisme par le gouvernement. — ^Missfon
secrète de John Henry aux Etats-Unis et son résultat. — Mouvement des
forces améncaines.^La général Hull envahit le Canada et puis se retire.
—Divers escarmouches et combats. — Le général Brock fait prisonnier le
général Hull avec ses soldats. — ^Yan ReusaJaer envahit le Canada^ —
.Combat de Queenston ; mort du général Brock. — Défaite de l'ennemi.-—
Nouvelle,et inutile invasion du Canada par le général Smith. — Le général
Dearborn fait mine d'attaquer le Bas-Canada, puis se retire. — Evénemens
sur mer. — Session du parlement.— *I1 élève les droits de douane pour faire
face aux dépenses de la guerre p. 163.
CHAPITRE If,
CONTINUATION DE LA GUERRE. ^PAIX DE 1815.
CAMPAGNES DE 1813-1814.
Campagne de 1813 — Opérations sur les lacs Erié, Ontario et Champlain. —
Combats de French town et du fort Meigs .-^Attaque de Sandusky. — Com-
bat naval de Put-in-Bay. — Bataille de Thames. — Destruction des Criques.
— Prise de Toronto. — Le colonel Harvey surprend les Américains à Bur-
lington. — Black Rock est brûlé* — Batailles de Chrystlers Farm et de ChfL-
teauguay. — Retraite des armées américaines. — Surprise du fort Niagara.
Lewiston, Manchester brûlés. — Opérations sur mer. — Travaux du par-
lement à Québec. — ^Le juge Sewell accusé va se justifier à Londres.—
Il suggère l'union de toutes les colonies.— Campagne de 1814. — Combats
de LacoUe, Chippawa, Lundy's Lane.— Attaque du fort Erié. — Défaite
de Drummond. — ^Expédition de Plattsburgh. — Attaque des côtes des
Etats-Unis. — Washington pris et le capitole brûlé.— Bataille de la Nou-
velle Orléans. — Cessation des hostilités. — Traité de Gand. — Réunion des
chambres.— Sjr G. Prévost accusé pour sa conduite à Plattsburgh, remet
les rênes du. gouvernement et passe en Angleterre, — Sa mort^-Réhabili-
tation de sa mémoire,. ........ ^ ,,.•...••••*•...•* »p* 18^
>
SOHMAIRfiS. 407
LIVRE QUINZIEME.
CHAPITRE L,
QUESTION DCS SUBSIDES. 1816-1822.
Les dissensions entre la chambre et l'exécutif recommencent après la guerre.
—Union des colonies anglaises. — Le général Drammond.— Abus dans
le bui'eau des terres et des postes. — Hejet des accusations contre les juges
Sevvell et Monk. — Dissolution du parlement — Sir John Coape Sherbrooke
gouverneur. — Il transmet aux ministres un tableau de Pétat des esprits en
Canada. — Instruction qu'il reçoit. — Le clergé catiioliqne : M. Plessis. — Le
juge Sewell.-^MM. Uniacke et Marshall»— Situation des finances. — ^Lèur
confusion. — Dépenses faites sans appropriation. — ^Instructions de lord
Balhurst. — Droit de voter les subsides. — Le juge Foucher accusé. —
Le duc de Richmond remplace Sherbrooke. — Reprise da la question des
finances. — Liste civile augmentée demandée pour la vie da roi. — Elle est
refusée. — Le juge Bedard- accusé. — Mort soudaine du duc de Richmond. —
Dissohitioti du parlement» — Le comte de Dalhouâe gouverneur. — M.
Plessis à Londres. — Ses entrevues avec lord fiathurst<— -Les discussions sur
la question des finances continuent. — M. Papineau nommé au conseil
exécutif. — Refus des subsides. — Division dans le conseil législatif.— Par-
tage des droits de douane avec le Haut-Canada p. 219.
CHAPITRE n.
PREMIER PROJET d'uNION. 1823-1837.
L'Union des deux Canadas désirée par les Anglais de Montréal.-^EIlîce est
leur agent. — Histoire de la fortune de ce marchand. — Lebill d^inion ame-
né secrètement devant le' parlement impérial. — Parker donne l'alarme. —
Sir James Macintosh et sir Francis Burdett avertis arrêtent le bill dans la
chambre des communes. — Nature de ce bill. — Il est ajourné.— Sensation
que la nouvelle de son introduction dans le parlement fait dans les deux
Canadas. — Pétitions contre : M.M. Papineau et Neilson députés à Londres.
Habile mémoire qu'ils présentent au gouvernement.— Les ministres aban-
donnent la mesure. — Paroles d'Ellice à M, Papineau.— Appréciation d'El-
lice par sir James Macintosh. — Opinion de sir Francis Burdett sur l'union.
— Entrevues de M. Papineau avec lord Bathurst. — Opinion des hommes
d'état sur la durée de l'union des Etats-Unis. — Montant de la défalcation
de Caldwell.—" Affaires religieuses. — Lord Dalhousle paMé'en Angleterre
et revient à Québec. — Refus des subsides. — Discours irmtSMt de ce gou-
verneur en prorogeant le parlement.. ^ » -..-.. /i^l .-. . .p. 251-.
SO»UAIBE9.
CHAPITRE m.
CRISE DE 1837.— 1837-1828.
Nouvelle crise, — Adresse de M. Pnpmeau et d'une partie des œamlirpsdn
la chainlire à leurs cammettiins en réponse au dùcouia prononcé par le
gouverneur en ajournant laseesion. — Assemblées publiques. — DeatltutioiiB
dana la milice. — La presse. — Elections. — Réunion du parlement. — Le gou-
verneur désapprouve le chois de M. Papineau comine président de l'as-
I «emblée. — Le parlement est prorogé. — Adresses des partisBiia de lord Dal-
roi. — Assemblées piiblitiiies dans toutes les parties dn pay^ —
luroi et aux deux chambres du parlement impérial. — M. Wajler
rédacteur du Spmlaleitr arrêté deux fois. — MM. NeilaongVigeretCovil-
lier députés à Londres avec les adresses des Canadiens. — M. Uale avec
celles du parti opposé. — ASàires àa Canada devant le parlemeot impérial.
SiaconiB de MM. Huskisson, Laboochàre, sir James Macintosb, Hume,
Wilmot, Stanley dons les communes. — Les adresses sont renvoyées à un
comité. — Rapport du comité. — M. Huskisson est remplacé dans le minis-
tère des colonies par air George Mnrray. — Le rapport du comité n'est ni
rejeté ni adopté— .Sir Geoi^ Mtirray onntnice aux déipatés canadiens
qu'on va prendre des mesures ponr l'aire cesser les dïScultés. — Sir James
LivKempt remplace lord Dalhousie en Canada p. S67.
LIVRE SEIZIEME.
CHAPITRE I.
LES 92 RÉ3or,oTioN8. — 1829-18S4.
JCipoir trompeur que le rapport dn comité de la chambre des ci
naître en Canada. — Instructions û« sir James Kempt — La prusse cwia-
dicnne devient plus modérée. — uvertuie des chamlires. — Bécision des
ministres sur la question des subsides et aulres points miovius. — Les
espérances de l'assemblée s'évaoauissenl. — Bésolutioss qu'elle adopte. —
Nouvelles adro^es il l'Angleterre, — Travaux de la b<
1830. — Réponse des ministres aux ilemiireB ^adresses. — Résolatianssnr
les ordonnances de miliceet les subsides. — Conseils législatif et exâcnliL
—Opinion de eir James Eeotpt à leur sujet- — Seasation <)u'elle produit' —
Awemblée de Sc-Cluirles. — Sir Ja.mes Eempt, qui a demandé son tappel,
est remplacé par lord Aylmer. — Le procureur-général Stuart suspendo. —
CoDcessione et réfannes proposées par lord Godericll. — Appel nominid de
laclumibre«rT£Ues sont refusées. — Faute de rassemblée en cette ooca-
sion. — LankJ^fflus tràs affiu:té< — Les jugea Kerr et FIctclicr MCtiséa. —
Le Fulcment impérial change l?acl«tonsiitutiaDnel)Hnua!iiuulonner'luas
SOMKAIBXS. 40X
les reventis du Canada au contFÔle de sa législature. — Seaaion de 1831-2.
-«Nouvelles dépèches de lord Goderich. — ^Indépendance des juges. —
Terres de la couronne et réserves du clergé. — Bureau des postes. — Fin de
la session. — Regret de tord A3riiner de voir les concessions de lord Gode-
rich si mal accueillies. — Emeute du 21 mai à Montréal. — ^Le choléra «o
Canada : ses terribles ravages. — 'Assemblée des Canadiens à St. -Chartes,
des Anglais à Montréal. — Réponse des ministres touchant le juge Kerr et
IHndépendance des juges. — ^Retour des ministres à une politique rétro-
grade. — ^Adresse au roi pour le prier de rendre le conseil législatif électif,
— Résolutions contre l'annexion de Montréal au Haut-Canada. — Le pro-
cureur-général Stuart et le juge Kerr destitués,— Adresse du conseil
législatif au roi, — Double vote- de son président. — ^Townships de l'esÇ—
Session de 1834. — ^Dépêches d^ lord Stanley sur divers sujets. — Considé-
ration de l'état de la province. — ^Les 92 résolutions. — ^Lord Aylmer
accusé. — Adresse du conseil législatif. — Prorogation p. 291.
CHAPITRE IL
LES TROUBLES DE 1837. 18S5-18ST.
Efiet des 92 résolutions en An^eterre. — ^Une partie des townships de I^estse
rallie à la chambre d'assemblée. — Comi^ nommé dans les communes sur
nos affaires. — Débats.— .Une partie du zpinistère anglais résigne. — M.
Stanley est remplacé aux colonies par M. Rice et plus tard par lord Aber-
deen. — Comités de district en Canada.— Nouvelles pétitions. — Lettre de
M. Roebuck. — Nouveaux débats dans la chambre des communes. — Disso-
lution du parlement canadien. — Associations constitutionnelles.— Rappro-
chement entre les libéraux du H^ut et do fias-Canada.-— Le parlement
s'assemble à Québec. — Nouvelle adresse à l'Angleterre. — ^Une nouvelle
Bection de la majorité se détache de M. Papineau.'-r-Dépêches de lord
Aberdeen. — Ministère de sir Robert Peel. — ^Trois commisisaires envoyés
en Canada. — Lord Gosford remplace loi'd Aylmer. — Chambre des lords.
Ouverture du parlement canadien. — ^Discours de lord Grosfonl. — La
chambre persiste dans la voie qu'elle a prise, en votant 6 mois de subsides
qui sont refusés. — ^Le parlement est prorogé et convoqué de nouveau.
•—Les autres colonies qui devaient faire cause commune avec le Bas-
Canada l'aband(»ment et acceptent les propositions de l'Angleterre. — Rap-
port des commissaires. — La conduite du ministère approuvée. — Les
assemblées continuent en Canada. — Langage des journaux. — Agitation
dans les campagnes. — ^Bandes d'hommes armés. — M. Papineau descend
jusqu'à Kamouraska. — Opinion réelle de la masse des habitans. — ^Nouvelle
session du parlement aussi inutile que les autres. — Nottrelle adresse an
parlement impérial.— Magistrats et officiers de milice 'dteÀitués. — Asso-
ciations secrètes à Québec e1|à Montréal, où l'on résoud de prendre les
410 SOMMAIRES.
annes. — Démonstrations en faveur du gouvernement. — Assemblée des six
comtés. — Mandement de l'évêque de Montréal. — Le gouvernement fait
des armemens. — Troubles à Montréal. — Mandats d'arrestation lancés. —
Les troupes battues à St. -Denis ; victorieuses d St.-Charles. — La loi mar-
tiftle proclamée. — Plusieurs membres invitent inutilement le gouverneur
à réunir immédiatement les chambres. — Affaire de St.-Eustache, — L'in-
surrection supprimée. — Troubles dans le Haut-Canada.— Résignation de
lord Gosford. — Débats dans les communes. — Les ministres promettent de
soumettic l'insurrection par les armes p. 325.
CHAPITRE m.
trjVION DES DEUX CANADAS. 1838-1840.
Effet des troubles de 1837 en Angleterre, en France et dans les Etats-Unis.
— Mesures du parlement impérial. — Dcbats dans les deux chambres. —
Suspension de la constitution. — Lord Durham nommé gouverneur. — Son
arrivée à Québec ; train royal qu'il mène. — Sa proclamation au peuple. —
Il organise son conseil. — Les accusés politique^ sont amnistiés ou éloignés
temporairement. — M. Wakefield député secrètement vers M. Papineau, et
quelques autres chefs. — Attitude des partis. — Lord Durham dans le Haut-
Canada. — Il y rallie la majorité a Sèn plan d'union. — Réunion dos gouver-
neurs des provinces du golfe à Québec, — L'ordonnance d'amnistie qui
exile quelques accusés à la Bermude, est désavouée en Angleterre. — Lord
Durham résigne son gouvernement. — Adresses qu'il reçoit et ses réponses.
Il s'embarque pour l'Europe, — Sir John Colborne lui succède. — Une nou-
velle insurrection s'organise dans la Rivière Chambly et est abandonnée.
w-Colborne y marche avec 7 à 8000 hommes. — Il incendie le pays. —
Arrestations nombreuses. — Procès des accusés. — 89 sont condamnas à
mort et 13 exécutés.— 47 sont exilés. — Rapport de lord Durham. — Le bill
d'union introduit dans le parlement impérial — Il est ajourné à l'année
suivante. — M. Poulett Thomson gouverneur. — Il arrive à Québec. — Il
monte dans le Haut-Canada et y convoque les chambres. Il leur fait
agréer les conditions du bill d'union, qui est enfin passé malgré les péti-
tions du Bas-Canada, et l'opposition du duc de Wellington et de lord Gos-
ford. — L'union proclamée en Canada. — Remarques générales — Population
et autres renseignemens statistiques du Bas-Canada au temps de l'union.
Conclusion p.369.
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des provisions
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tt
31 dissentions
tt
dissensions
ce mot qui a été imprimé par inadvertance en diâérens
endroits de cet ouvrage dissensions et dissentions doit
être écrit comme l'ortographie le dictionnaire de PAca-^
demie française avec un s quoiqu'on trouve un t dans
plusieurs dictionnaires.
tt
346
tt
11 et que cette armée
lisez et remarquant que
cette armée,
376
il
7 plaiser
" plaisir
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14 et toute-à-feit
" tout-à-fait
386
II
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" côté
389
tt
13 rênes
" rênes
II
tt
23 bons sens
" bon sens
426
II
18 le sacrifier
VOLUMX 3.
" la sacrifier
tt
7
tt
7 1577 1776
lisez 1775 1776
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Conclusion
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ramasbé
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393
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11 parce qu'une union entre les
parceque l'union entre
deux provinces impoaée
les deux provinces
était imposée
Il y a encore àHtÊttm erreurs que le lecteur pourra corriger en Usant.
Bes lettres au boat des lignes ont été transposées. Ainsi à la page 319
ligne 34 vol. 3, la première lettre du premier mot se trouve placée avant le
dernier mot de la ligne ; d'autres ont été omises entièrement conune l do
premier mot de la ligne 30, p. 378, vol. 3. Ces erreurs font le désespoir
des correcteurs d'épreuves surtout ai l'habitude et la vue leur manquent.
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