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HISTOIRE ET MÉMOIRES
DE
L'ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES,
INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
DE TOULOUSE.
HISTOIRE ET MÉMOIRES
DE
L'ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES,
INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
DE TOULOUSE.
ANNÉES 1837, 1838, 1839.
TOME CINQUIÈME.
I."€ PARTIE.
TOULOUSE,
IMPRIMERIE DE JEAN-MATTHIEU DOULADOURE ÿ
RUE SAINT-ROME, N.° 41.
1839.
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ÉTAT
DES MEMBRES DE L'AGADÉMIRE
AU 20 AOÛT 1859.
OFFICIERS DE L’ACADÉMIE.
M. TAJAN %#, Avocat, Conseiller de Préfecture, Président.
M. BRASSINNE, Professeur à l'Ecole d'artillerie, Drrec-
teur.
M. D'AUBUISSON %, O. #, Ingénieur en chef Directeur
au Corps royal des Mines , Secrétaire perpétuel.
M. DUCASSE #, Docteur en Chirurgie, Secrétaire adjoint.
M. LARREY , Docteur en chirurgie , Trésorier.
ASSOCIÉS HONORAIRES.
Monseigneur l’Archevèque de Toulouse.
M. le premier Président de la Cour royale de Toulouse.
M. le Préfet du département de la Haute-Garonne.
M. Araco, O. #, Secrétaire perpétuel de l’Institut de
France pour les Sciences mathématiques.
ACADÉMICIEN-NÉ.
M. le Maire de Toulouse.
ASSOCIÉS LIBRES:
M. le Baron Marcassus DE PuyMAURIN (Jean-Pierre-
Casimir ), C, #.
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ÿ] ÉTAT DES MEMBRES
M. Léon (Joseph), Professeur à la Faculté des Sciences.
M. Bécuirrer (Gabriel-Délie ), ancien Directeur des
Contributions directes.
ASSOCIÉS ORDINAIRES.
Classe i des Breiences.
1." SECTION.
SCIENCES MATHÉMATIQUES.
Mathématiques pures.
M. Sainr-GuirxEem , Ingénieur des Ponts et Chaussées.
M. Brassinne , Professeur à l'Ecole d'artillerie.
M. Borrez , Ingénieur des Ponts et chaussées.
Mathématiques appliquées.
M. p’Auguisson %, O. #, Ingénieur-Directeur des Mines.
M. Macvués (Jean-Polycarpe) #, Ingénieur en chef des
Ponts et Chaussées et du Canal du Midi.
M. Ganrier (Louis-Francois ) #, Professeur à l'Ecole
royale d’artillerie.
M. Asapte (Jean) #, Ingénieur-mécanicien.
M. Vitry (Urbain), Architecte de la ville.
Physique et Astronomie.
M. pE Sacer (Charles) # , Propriétaire.
M. Dsssozze (Jean-Gabriel) , O. # , ancien Préfet.
} M. Pnau», Professeur à la Faculté des Sciences.
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DE L’ACADÉMIE. Vi)
2.° SECTION.
SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES.
Chimie.
M. Parcués (Jean-Baptiste), Pharmacien.
M. Macxes-Lanexs (Jean-Pierre), Pharmacien , de
l’ancien Collége de pharmacie de Paris.
M. Dusarnin, Professeur à la Faculté des Lettres.
Histoire naturelle.
M. Frizac ( François) # , Conseiller de Préfecture.
M. Drarer (Etienne-François) #, ancien Conservateur
des forêts.
M. Duruy %, O. #, Colonel en retraite.
M. Moquin-Tannon , Professeur à la Faculté des Scien-
ces, Directeur du Jardin des Plantes.
M. »E Quarreraces, Professeur à la Faculté des Sciences.
Médecine et Chirurgie.
M. Viceusrte ( Charles-Guillaume) #, Docteur en chirur-
gie, Professeur à l'Ecole de Médecine.
M. Ducasse (Jean-Marie-Augustin) #, Docteur en chi-
rurgie , Professeur à l'Ecole de Chirurgie.
M. Larrey ( Auguste), Docteur en chirurgie.
M. Durrourc (Guillaume ) , Docteur en médecine.
Classe des Inscriptions et Belles-Lettres,
M. ou Mècr (Alexandre - Louis- Charles - André), ex-
Ingénieur militaire , Membre de la Société des Antiquaires de
France, l’un des Directeurs du Musée de Toulouse , Chevalier
de plusieurs Ordres.
vil) ÉTAT DES MEMBRES
M. Tarn (Bernard-Antoine) #, Avocat à la Cour royale ;
Conseiller de Préfecture.
M. l'Abbé Jamme ( Jean-Gabriel-Xavier-Auguste), Pro-
fesseur à la Faculté de Théologie.
M. le Baron ne Mararer (Joseph-François-Magdelaine) ,
O. # , ancien Députe.
M. Fceury LécLuse (Jean-Marie ) # , Professeur de lit-
térature grecque et de langue hébraïque , ancien Doyen de la
Faculté des lettres.
M. Baron De Monrez (Guillaume-Isidore ) #.
M. Pacés , Membre de la Chambre des Députés.
M. Caganrous ( Pierre) # , Professeur de littérature fran-
çaise à la Faculté des Lettres.
M. Garien-Arnouzr ( Adolphe-Félix), Professeur de
philosophie à la Faculté des Lettres.
. DE MorTariEu ( Alexandre).
. DE LAVERGNE (Louis-Gabriel-Léonce).
. CLAUSOLLES.
. Hamez , Professeur à la Faculté des lettres.
. SaAuvAcE , Professeur à la Faculté des lettres.
SR
. DE VaAcQuiÉ, ancien Magistrat.
ASSOCIÉS ÉTRANGERS.
M. le baron Larrey , C. #, Chevalier de la Couronne de
fer, à Paris, Membre de l’Institut de France, etc.
DE L'ACADÉMIE. 1x
CORRESPONDANTS.
Classe des Griences.
1.7: SECTION.
SCIENCES MATHÉMATIQUES.
Mathématiques pures.
M. Pauin, ancien Recteur de l’Académie de Cahors, à
Paris * (1).
M, Tissté , ancien Professeur de mathématiques , à Mont-
pellier *.
M. Revynarr, Professeur de mathématiques , à ce
(Pyrénées-Orientales ).
M. Francoeur #, Professeur à la Faculté des Sciences , à
Parts.
M. BoucxarLar , Secrétaire general de l’Athénce des Arts,
à Paris.
M. Vasse DE Saint-Ouen #, Inspecteur de l’Académie
de Douai *.
Mathématiques appliquées.
D
M. pe Sérieny , Officier supérieur du génie maritime ,
Nantes *.
M. Lermier #, Commissaire des poudres et salpêtres ,
Bordeaux.
M. Dussaussoy %, O. #, chef de bataillon d'artillerie,
à Douai.
M. George Binoxe , Professeur d’hydraulique , à Turin.
(1) Les Associés correspondants dont les noms sont suivis d’un
astérisque *, sont ceux qui ont été Associés ordinaires.
x ÉTAT DES MEMBRES
Physique et Astronomie.
M. Cxaumoxr #, Officier supérieur du génie maritime, à
Cherbourg *.
M. Basey , Professeur au Collège royal de Besançon.
M. Soruix , Professeur au Collège royal de Tournon.
M. 0e Puymaunis fils #.
M. le Baron D'Homeres-FrrMAs, à Saint-Hippolyte de
Caton , près Alais (Gard).
2.° SECTION.
SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES.
Chimie.
M. Resouz, Correspondant de l’Institut, à Pezenas *.
M. le Baron THénarp , O. #, Pair de France , Membre
de l’Institut, à Paris.
M. Save, Pharmacien, à Saint-Plancard ( Haute-
Garonne ). |
M. LABARRAQUE, Pharmacien , à Paris.
M. Bouis, Pharmacien, à Perpignan.
M. François , Ingénieur des Mines, à Vicdessos (Ariège).
M. Amédée Fonrax , Docteur en médecine, à Bagnères-
de-Luchon.
Histoire naturelle.
M. Jonan DE CrarPenNTiER, Ingénieur des Mines de
S. M. le Roi de Saxe } Directeur des Mines de Bex en Suisse.
M. Lorseceur ne Lonccmamrs, Docteur en médecine,
à Paris.
M. ou Trocaer, Naturaliste , à Paris.
M. Tourwar fils, à Narbonne.
M. Nérée Bougée , à Paris.
M. DE Cuesnez.
M. Fariness , à Perpignan.
M. Nour, Docteur en médecine, à Vencrque.
DE L'ACADÉMIE. x)
Médecine et Chirurgie.
M. Larour , Docteur en médecine , Membre de l’Academie
des Sciences et Arts d'Orléans.
M. HernanDès # , premier Médecin retraité de la marine,
à Toulon.
M. Scourerren , Docteur en médecine, à Metz.
M. Prerquix , Médecin de la Charite ; à Montpellier.
M. Harix (Jules), Docteur en médecine , agrégé à la
Faculié de Paris.
M. Mare , Docteur en médecine , à Sérasbourg.
M. Gawssarz, Docteur en médecine, à Verdun (Tarn-
et-Garonne ).
Classe des Inscriptions et Belles-Lettres,
M. Mazez , Avocat, à Pezenas.
M. Jonaxneau (Eloi), Membre de la Société royale des
Antiquaires , à Paris.
M. pe Roquerorr (J.-B.-B. ), Membre de la Societe
royale des Antiquaires, à Paris.
M. le Marquis pe Forrra-D’Ursax , Membre de la Société
royale des Antiquaires , à Paris.
M. Dai, à Paris.
M. Renou, O. #, Conseiller au Conseil royal de l’Ins-
truction publique, à Paris.
M. Caamprorrion-Fierac , Officier de l’Université royale ,
à Paris.
M. Weiss, bibliothécaire de la ville de Besançon.
M. Azowzo pe Vrapo , à Madrid.
M. Axprteux , Professeur de rhétorique au Collège royal
de Limoges.
M. Purccart, ex-Principal du Collège de Perpignan.
M. le Baron CHaupruc DE CRAZANNES %, Maître des
requêtes, Officier de l’Université royale , à Figeac.
Xi) ÉTAT DES MEMBRES; etc.
M. Davezac DE MacayA, à Bagnères-de- Bigorre.
M. pe Viry , Secrétaire général de la Société des Lettres,
Sciences et Arts de Mez.
M. pe Gorséry # , Conseiller à la Cour royale de Co/mar.
M. Forssr, Sous-Préfet d’Oloron.
M. CuarrenrTier DE SainT-Presr (Jean-Pierre), Pro-
fesseur au Collége de Louis-le-Grand , à Paris.
M. Bercer DE X1vrai (Jules) , à Paris.
M. le Marquis DE Pasrorer, G. # , Pair de France,
M. Rarn, Professeur royal Danois; Secrétaire de la So-
ciété des Antiquaires du Nord, à Copenhague.
M. DE Caumont , Secrétaire de la Société des Antiquaires
de Normandie , à Caen.
M. Riraup , à Marseille.
M. pe Lasouïssr-Rocmerort , à Castelnaudary.
M. Macro (Charles), à Paris.
M. le Marquis DE Viczeneuve (François) #, ancien
Préfet, à Péguilhan * ( Haute-Garonne ).
M. le Baron DE Lamorme-Laxcon (Etienne-Léon ), an-
cien Sous-Préfet , à Paris *.
M. Poxs, Inspecteur de l’Académie, à Azx.
M. Navrar, Juge de paix, à Castres.
M. Souquer , Avoué, à Saint-Girons.
M. Ozaxneaux #, Inspecteur général des études *.
M. DE SArnT-Ferix-MAUREMONT , ancien Préfet.
M. DE Mas-Larrie (Louis), de l’Ecole des chartes, à Paris.
M. Cros , Secrétaire de la Commission des Sciences et Arts
du département de l'Aude, à Carcassonne.
HISTOIRE ET MÉMOIRES
DE
L’ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES,
INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
DE TOULOUSE.
Premiere Partie.
CLASSE DES SCIENCES.
1837.
Section Première,
HISTOIRE.
SUJETS DE PRIX.
Le sujet du prix à décerner en 1837, concernait
les Inscriptions et Belles-Lettres.
Les questions relatives aux Sciences, dont l’Aca-
démie demande la solution, sont,
Pour 1838 : Fournir les renseisnements les
plus utiles ou la théorie la plus satisfaisante
TOME V. PART, Ja I
2 CLASSE DES SCIENCES.
relativement au halage des bateaux sur les ca-
naux et sur les rivières.
Pour l’année 1839, l’Académie propose le sujet
de prix suivant : En admettant les progrès ap-
portés par lanatomie pathologique dans l’étude
et la guérison des maladies en général, Déter-
miner les avantages que les Médecins peuvent en
retirer dans le diagnostic, le pronostic et le traite-
ment des affections proprement appelées NER-
VEUSES.
Le prix, pour chacune de ces deux questions,
sera de cinq cents francs.
HISTOIRE. 3
ANALYSE
DES TRAVAUX DE LA CLASSE DES SCIENCES.
ANNÉE 1837.
Mathématiques pures.
M. Sunr-Guisuen a entretenu VPAcadémie, dans Statique
diverses séances, des résultats de ses profondes aus
méditations sur différentes parties de la statique M.
et de la dynamique, ainsi que de ses nouvelles Dre
démonstrations de plusieurs de leurs théorèmes.
Il a résumé ces travaux dans une Note sur l’équi-
libre et le mouvement d’un système de points liés
entr'eux d'une manière quelconque. Ce mé-
moire, avec ses extensions et ses accessoires, a
donné lieu à la théorie nouvelle de l'équilibre et
du mouvement, que M. Saint-Guilhem à livrée à
impression. Le public en a la pleine jouis-
sance (1); et il serait contre nos usages de revenir
sur une note qui n’en est, en quelque sorte, que
l'extrait.
(1) Théorie nouvelle de l'équilibre et du mouvement , par
P. D. Saint-Guilhem , ingénieur des ponts et chaussées. Tou-
louse, chez Paya , imprimeur-libraire. 1837.
Hydrauli-
que.
M. Borne,
M. CASTEL:
A CLASSE DES SCIENCES.
Mathématiques appliquées.
La connaissance du régime du fleuve qui tra-
verse notre cité, du volume d’eau qu'il charrie
dans ses différents états de hausse et de baisse, etc.,
est d’un grand intérêt pour nous ; elle est en outre
importante pour ceux qui, dans une position
comme celle de M. Borrez., ont à diriger les tra-
vaux à exécuter sur ce grand cours d’eau. Aussi
cet ingénieur saisit-il avec empressement les occa-
sions de constater les diverses circonstances de son
régime, surtout dans leurs écarts extraordinaires.
L'automne de 1832 lui ayant présenté une baisse
telle peut-être que la génération actuelle n’en avait
pas vue, il entreprit de jauger le peu d’eau qui
coulait dans le lit, et il ne le trouva pas même de
quarante mètres cubes par seconde. Les détails de
Vopération , ainsi que les conséquences mathéma-
tiques qu'il a tirées sur le jaugeage des eaux des
rivicres, se trouvent dans l’ÆHrstoire des Travaux
de l'Académie, de 1834. Trois ans après, une crue
extraordinaire, où la Garonne roulait cent cin-
quante fois plus d’eau, lui a fourni l’exemple de
Vautre cas extrême. Les observations qu'il a re-
cueillies pendant et après cette inondation, sont
insérées en entier dans la partie des Mémoires.
L'Académie a eu à s’occuper, en 1837, des der-
nières expériences que M. Castel, ingénieur des
eaux de Toulouse, a faites sur l'écoulement des
eaux par les déversoirs. Mais pour ne pas scinder
“
HISTOIRE. 5
ce tres-beau travail, leur résultat a été joint à
celui des expériences antérieures, et le tout a été
imprimé dans les Mémoires de 1836.
M. p’Auwsuisson a communiqué à l’Académie
diverses Observations relatives à l’action de l’eau
sur les constructions faites dans les rivières, ainsi
qu’une notice sur les machines à colonne d’eau,
et en particulier sur celles que M. Juncker a
établies aux mines de Huelgoat en Bretagne. Le
fond de ces deux mémoires devant se retrouver
dans la deuxième édition que l’on fait du Traité
d’hydraulique à l’usage des ingénieurs, nous
n’en parlerons pas. Toutefois, la notice sur les
machines à colonnes d’eau renferme deux faits
trop remarquables et trop peu connus, pour qu’on
ne les rappelle pas ici.
Le célèbre ingénieur et mécanicien Reichem-
bach, de Munich, ayant eu à s'occuper des im-
portantes salines que la Bavière possède dans la
région inférieure des Alpes tyroliennes, et dont
lexploitation , devenant de plus en plus coûteuse,
était au moment d’être abandonnée , conçut et
exécuta le grand et hardi projet de prendre les
eaux salées immédiatement à la sortie des sour--
ces, et de les mener à travers un pays monta-
gneux, par des tuyaux de conduite, jusqu’à la dis-
tance de 27 lieues (109 kilomètres), dans une
contrée où l’on aurait abondamment le bois néces-
saire à leur traitement. Onze machines à colonne
d’eau , toutes faites d’après un nouveau système,
M.
D’AUBUISSON.
6 CLASSE DES SCIENCES.
furent employées à cet objet. Une d’elles, celle
d'Illsang , éleva d’un seul jet les eaux à une hau-
teur verticale de 356" ; et elle leur fit ainsi franchir
une profonde vallée. Pas une goutte d’eau ne se
perdait dans le trajet.
Quelques années après que ce bel et gigantesque
ouvrage eut été terminé, M. lingénieur Juncker,
directeur des mines de Poullaouen et de Huelgoat
(Finistère), qui s’occupait de l'établissement d’une
machine à colonne, sur cette dernière mine, pour
en épuiser les eaux, alla voir celles de Reichem-
bach ; et de retour, en 18317 , il en établit deux,
les plus grandes et plus belles machines hydrau-
liques que nous ayons en France. Il les plaça au
tiers de la profondeur d’un grand puits qui des-
cendait verticalement jusqu’à 330" au-dessous de
la surface du sol. Il jeta dans ce puits un pont en
fonte, sur lequel il posa, l’un à côté de l'autre,
les deux cylindres, espèces de corps de pompe de
1°03 de diamètre , et 2M75 de hauteur. Les pistons
qui sy mouvaient , par l'intermédiaire de lon-
gues tiges en fer, allaient mettre en jeu les pom-
pes, qui, placées presque au fond du puits, éle-
vaient les eaux de filtration qui s'y rassemblaient,
et les versaient dans la galerie d’écoulement qui
les menait au jour. M. d’Aubuisson décrit en dé-
tail ces énormes machines , et les moyens par
lesquels on les gouverne à volonté, avec une ex-
trême facilité, et il termine ainsi : « En les voyant
» comme suspendues au milieu d’un puits, à plus
» de deux cents mètres au-dessus du fond de Pa-
HISTOIRE. 7
» bîme ; en les voyant élever, sans intermédiaire
» aucun de leviers, engrenages, etc., un grand
» volume d’eau , et d’un seul jet, à 230" de hau-
» teur ; en les voyant opérer leurs grands mouve-
» ments avec une douceur et un silence surpre-
» nants, on ne peut s’empêcher de dire de ces
» machines de M. Juncker, ce que lui-même disait
» à [llsang, à la vue de celles de Reichembach :
» Tout y est admirable de hardiesse, de simplicité
et de précision. »
CA
2
Physique.
M. Praup ayant soufflé un petit tube de verre , Acoustique.
à la lampe de l’émailleur, comme on le fait lors- M: Pnau:
qu'il s’agit de faire un thermomètre, et, l’ayant
laissé refroidir, la boule étant encore rouge, l’en-
tendit émettre un son qui le frappa et attira son
attention. Il répéta et varia les expériences; il
chercha la loi qui pouvait lier les phénomènes d’un
nouveau genre qu’il venait d'observer; et 1l lut,
sur get objet, dans la séance de PAcadémie, du
17 juillet 1837, un écrit que l’on trouve en en-
tier aux Mémoires de cette année.
M. Fouque, directeur de la fabrique de porce- Dessiccation
laines à Saint-Gaudens, a adressé à l'Académie le °°"
© M. Fovour.
tableau suivant :
CLASSE DES SCIENCES.
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HISTOIRE. 9
La Commission, chargée d’examiner ce tableau
et d’en rendre compte, fit observer que les nombres
de ces tableaux représentaient le poids du mètre
cube de chaque essence, au moment de la coupe,
et que, d’après ces nombres, le chêne et le hêtre
pesaient également; que le poids du noyer, de lau-
ne, du frêne et même du peuplier, ne différaient
pas beaucoup; que le cerisier pesait un peu moins.
Mais il n’en est plus ainsi dès que ces bois per-
dent tout ou partie de l’eau interposée entre leurs
pores ; leur rang, par ordre de plus grand poids,
se modifie ainsi :
Chêne, frêne, hêtre, cerisier , noyer, aune,
peuplier.
En admettant que, dans l’étuve, après un mois
de séjour, ces bois aient perdu toute l’eau inter-
posée dans leurs pores, leur valeur, comme ma-
tière.combustible, doit être payée proportionnel-
lement aux poids réduits.
Toutes ces conséquences se trouvent représen-
tées dans le tableau suivant, déduit de celui de
M. Fouque.
Poids moyen du] cnêxe. | nêrre. | over. | aune. | PP | CERF
mètre cube en kilo- RUE NSIERe
grammes , après la[————|——) | ——
FRÊNE.
COUPE. ..s..sssovee| 11 11 56 b1 25 | 806 35
Poids réduit du 75 Hé s N À S
mètre cube , après
un mois d’étuve....| 765 | 681 | 593 | 504 G27 | 711
La Commission fit remarquer en même temps
combien il était important de ne pas faire les trans-
ports après la coupe, puisqu'on s’exposait, pour
Analyse
des matières
végétales.
M. Mornour.
10 CLASSE DES SCIENCES.
le peuplier, à porter double poids, et pour les
autres essences, plus de moitié en sus générale-
ment de la matière combustible.
La pratique d’empiler les bois après la coupe,
et de n’effectuer les transports qu'après six à sept
mois d'exposition en plein air, lui parut digne
d’être recommandée, sous tous les rapports, puis-
qu’elle diminue de plus dun tiers les poids à trans-
porter, et qu’elle recule l’époque des transports
jusqu’au moment où les routes et les chemins sont
le plus faciles à parcourir.
Après avoir voté des remerciments à M. Fouque
sur son intéressante communication , l’Académie
linvita,
1.0 À constater si les bois perdaient toute leur
eau d'interposition, après un mois d'exposition
dans létuve, ou si leur poids continuait à se ré-
duire par suite d’une exposition plus prolongée;
2.9 À déterminer au bout de quel temps d’expo-
sition dans l’étuve, les pertes de poids avaient at-
teint leur maximum ;
3. À étendre à l’orme, au tilleul, à l’acacia,
au saule , au châtaignier , et surtout au sapin, ses
utiles observations ;
4.° À donner à l'Académie la mesure du retrait
de ces bois, à chaque degré de dessiccation, en
tenant note du degré de température.
Chimie.
M. Moroup, directeur de l'Ecole vétérinaire , a
présenté à l’Académie un mémoire sur les moyens
de dessécher les matières végétales , et de leur faire
HISTOIRE. 11
perdre toute leur eau, sans atteindre le degré de
chaleur nécessaire pour opérer leur UNE
Ce moyen consistait dans emploi de deux ap-
pareils dont l'auteur a donné la description et
les dessins.
Les matières végétales sont enfermées dans des
boîtes de fer-blanc, dans lesquelles on établit un
courant continu d’air chaud et sec.
Dans un des appareils décrits, le courant d’air
chaud est produit à l’aide de la vapeur d’eau; dans
le second, il est dû à la chaleur produite par le
courant d'air que détermine la cheminée d’une
lampe ordinaire.
M. Moiroud a terminé son mémoire, en faisant
remarquer que ces appareils pourraient être d’une
grande utilité pour les préparations des pharma-
ciens et des chimistes, et seraient susceptibles de
nombreuses applications dans les usages domes-
tiques.
M Durac a lu un mémoire sur la combustion , Combustion.
où sont appliqués, à l’explication de ce phéno- M. punc.
mène , les principes scientifiques du système que ce
chimiste avait adopté.
Chimie appliquée.
M.Drazer a donnélecture de plusieurs chapitres Traité
de son Traité de la pierre à plâtre ; dont il a été on
déjà parlé dans les publications de 1836. PTE
M. Dralet a livré à la publicité cet ouvrage pra-
tique, si important pour nos contrées ; les agricul-
teurs et les constructeurs pourront puiser dans ses
12 CLASSE DES SCIENCES.
pages des notions utiles qui les éclaireront dans
leurs travaux.
Histoire naturelle.
Monstruosité M. Dupuy a présenté à l’Académie quelques
on réflexions sur un ocuf monstrueux, observé par
© M. Gabalda , de Villefranche ( Haute-Garonne ).
La monstruosité consistait dans la soudure d’un
second jaune ( dans lovaire) avec celui de l’œuf.
Ce jaune soudé ne s’était pas ‘développé pendant
que son voisin était arrivé à l’état normal.
M. Dupuy fait remarquer qu’il ne faut pas con-
fondre ce cas de monstruosité avec celui qui ré-
sulte de l'introduction de corps étrangers dans
l’intérieur de œuf. Il cite, en passant, plusieurs
cas de ce dernier genre de monstruosité, et signale
les observations qui ont été nenfes et Fe
lesquelles de petites pierres dures, des épingles,
des crins de cheval, des pois, des lentilles , et jus-
qu’à des crapauds vivants auraient été trouvés dans
l'intérieur de l’œuf.
Ces dernières anomalies ont été désignées sous .
le nom d’ova-heteryla (œufs à substances étran-
gères), dans une classification des monstruosités
des œufs des oiseaux, proposée, en 1835, par
M. Moquix-Taxon.
Botanique.
MÉROE Cet Académicien a présenté un rapport sur la
M.Duchartre première partie dun travail manuscrit de M. Du-
fils. chartre fils. Ce ; jeune naturaliste, dans ses courses
M. Moouix- Dome dé ie É
Taxwox. dans n0s montagnes, a pris à tâche d'étudier de
HISTOIRE. 13
nouveau les plantes sur lesquelles il reste encore
des doutes, malgré les beaux travaux du célèbre
Lapeyrouse. Son mémoire avait pour objet de dé-
montrer que le saxifraga stellaris de Linnée et
le saxifraga clusii de Gouan , ne doivent pas for-
mer deux espèces séparées. Il prouve que les diffé-
rences signalées entre ces deux plantes, dépendent
de la station plus ou moins élevée du végétal et
du développement plus ou moins grand dont il
est susceptible , suivant les circonstances qui favo-
risent sa venue ou qui lui sont contraires.
M. Duchartre propose de conserver à cette plante
le nom de saxifraga stellaris, comme le plus
ancien.
Adoptant les conclusions du rapporteur , l'Aca-
démie a voté des remerciments à M. Duchartre , en
encourageant à poursuivre ses études ; les pro-
grès de la science consistant autant dans la con-
naissance plus approfondie des espèces obscures ou
mal décrites , que dans la découverte d’espèces
nouvelles.
Dans un mémoire intitulé , Considérations sur
lindividualité végétale , le même Académicien,
après avoir fait connaître la divergence d’opinion
qui existe entre les botanistes qui regardent les
végétaux comme autant d'individus uniques et
distincts, et ceux qui considèrent le végétal comme
un être collectif, comme un agrégat d'individus,
se prononce pour cette dernière manière de voir,
et admet avec Darwin, de Candolle, Turpin,
Dunal et autres célèbres botanistes, que les germes
M. Moquin-
Tanon.
14 CLASSE DES SCIENCES.
ou bourgeons doivent être considérés comme #1-
dividus élémentaires.
Il distingue les bourgeons en foliacés et floraux ;
il réfute les objections que l’on a faites contre le
rapprochement du bourgeon et de la fleur, que l’on
a prétendu être forcé, en prouvant, par des exem-
ples, et entr’autres celui du camelia, qu'il existe
la plus grande analogie entre les différentes parties
des bourgeons proprement dits, et les diverses
pièces de lappareil floral ; il prouve que, dans
beaucoup de cas, la fleur ou quelques-unes de ses
parties prennent un aspect foliacé, et que, de leur
côté, les feuilles adoptent un aspect plus ou moins
pétaloide. Certaines monstruosités viennent aussi
à l'appui de cette théorie.
Il réfute également lobjection fondée sur la
continuité des branches et du tronc, et fait obser-
ver, avec M. de Candolle, que cette continuité
prouve seulement que les germes naissent à l’ex-
trémité des fibres.
Quand on dissèque une branche provenant d’un
bourgeon greffé, la continuité est bien aussi grande,
et cependant nul doute qu’il n’y ait là deux indi-
vidus.
Le fait d’ailleurs bien avéré que les plantes ne
souffrent pas de l’amputation ou de la mort de
plusieurs de leurs parties, la possibilité de faire
vivre quelques-unes de leurs parties indépendam-
ment de l’ensemble, tout concourt à démontrer
l'indépendance vitale des bourgeons, soit foliacés,
soit floraux , et confirme la théorie de leur #1di-
vidualité.
HISTOIRE. 19
Médecine et Chiruroie.
Dans la première partie de son mémoire sur le M:Ducase.
cancer, M. Ducasse avait considéré cette maladie
comme soumise à l’action d’une cause, d’un prin-
cipe intérieur dont la présence ne pouvait être
soupçonnée par aucun signe, aucune marque exté-
rieure, et qui semblait n’attendre qu’une occasion
favorable pour se développer, s'étendre et entrai-
ner la mort des malades.
L'auteur consacre la seconde partie de son mé-
moire à l’histoire de ce même cancer, mais dé-
pendant seulement d’une altération locale et
susceptible de devenir générale par la négligence
apportée par le praticien dans lapplication des
remèdes , ou par l’imprudence d’une médication
irrationnelle. Îl rapporte, à l'appui de ses précep-
tes, quatre cas remarquables où l’opération a été
suivie d’une réussite complète, et ce succès peut
être d'autant moins contesté qu'il est plus ancien,
et que les opérations ont été faites depuis longues
années ; car, dans une maladie aussi cruelle, rien
n’est plus ordinaire que les récidives, et l’altéra-
tion des tissus a souvent recommencé avec plus de
force au moment où on proclamait l'entière gué-
rison des malades. |
« J'ai mis, dit M. Ducasse, en terminant, un
» grandintervalle entre l’époque où ces opérations
» ont été pratiquées, et le récit des guérisons
» qui en ont été la suite. Je n’ai voulu laisser,
» sous ce rapport, aucun doute sur leur certitude.
» Gette affection est , en effet, exposée à des réci-
M. pe Qua-
TREFAGES,
16 CLASSE DES SCIENCES.
» dives fréquentes. On croit souvent avoir opéré
» avec bonheur ; tout semble assurer la réussite ;
» la cicatrice, obtenue avec facilité, présente les
» caractères d’une longue durée, et au bout de
» quelques mois, de quelques années même, tout
» espoir s’évanouit, les désordres locaux qui sem-
» blaïient avoir disparu pour toujours se réveillent,
» et les nombreuses végétations qui s'élèvent sur
» la partie frappée, viennent réclamer de nouveau
» usage de linstrument ou prouver la malheu-
» reuse impuissance de l’art. De semblables résul-
» tats ne sont pas à craindre pour les individus
» dont j'ai racontél’histoire. Un trop grand nombre
» d'années se sont écoulées depuis la formation de
» la cicatrice, pour avoir à en redouter la rupture.
» Plusieurs d’entr’eux ont déjà procréé des enfants
» parfaitement sains, et l'harmonie complète de
» leurs fonctions dénote bien que chez eux le mal
» n’affectait les tissus que d’une manière locale,
» que le système général en était entièrement
» exempt , et que l’opération, faite dans les circons-
» tances les plus favorables , en a détruit à la fois
» la cause et les effets. »
M. DE QuarrerAces a lu un mémoire sur l’ex-
troversion de la vessie.
Le nommé X..., âgé de vingt-sept ans, pré-
sente à la partie inférieure du bas-ventre , une
tumeur d’un rouge brunâtre, mamelonnée, offrant
à la surface des espèces de mucosités. À la partie
inférieure, et des deux côtés, on distingue, en sou-
levant légèrement la tumeur, deux petits mame-
HISTOIRE. 17
lons d’où suinte continuellement de lurine. Les
pubis, séparés lun de l'autre par un intervalle
d’un pouce, sont réunis par une espèce de fibro-
cartilage lâche. Au-dessous, un tubercule d’un
pouce et demi de large sur un pouce de long, dé-
primé et sillonné par une gouttière qui pénètre
jusque sous la tumeur, remplace la verge qui
existe pas. On distingue dans la gouttière, le
verumontanum , et, sur ses côtés, les orifices des
canaux éjaculateurs et des conduits sécréteurs de
la prostate. Le scrotum réuni en un paquet peu
volumineux, profondément ridé, ne contient pas
de testicules. Ceux-ci sont renfermés dans de larges
replis, situés dans les aînes, où on les distingue
très-aisément par le toucher. La cicatrice ombili-
cale n’occupe pas sa place ordinaire ; elle est placée
immédiatement au-dessus de la tumeur.
X..... est dune force musculaire assez prononcée ;
sa voix n'offre rien de particulier; il est couvert
de villosités d’un brun foncé ; tout annonce que,
chez lui, les fonctions viriles existent en entier,
en même temps que lPimpossibilité de satisfaire
les désirs qu’elles font naître. Aussi est-il sujet à
des pollutions nocturnes, et se livre-t-1l à la mas-
turbation. |
M. de Quatrefages rapproche cette observation
des six qu'il a publiées dans la monographie de ce
vice de conformation, et reproduit à ce sujet la
théorie qu’il a émise dans ce mémoire.
TOME V. PART. I, 2
18 CLASSE DES SCIENCES.
Philosophie générale des Sciences.
M. Bone. En donnant lecture d’une analyse des lettres de
M. Michel Chevalier, sur l'Amérique du nord ,
M. Borrel a fait précéder ce travail de quelques
considérations générales sur la marche des sciences,
depuis le moment où l'intelligence humaine cher-
che à saisir ou plutôt à deviner leurs lois, jusqu’au
moment où la masse des observations permet à
l’homme de poursuivre ses recherches d’une ma-
nière positive, par la vérification rigoureuse et
détaillée de tous les faits déduits du principe qui
leur sert de lien. Dans le premier état de la science,
c'est l'imagination , la synthèse, le génie, qui
dominent ; dans le second, c’est /a vérification ,
l'analyse, le jugement qui prennent le dessus.
Melia M. de Lavergne a été frappé de ce que la science
SE a, jusqu'à ce jour, dans ses investigations, plutôt
embrassé et étudié l’action des agents extérieurs
sur l’économie vivante , que l’action de l’économie
vivante sur les agents extérieurs.
La science de la vie et de ses effets lui a paru
une science à peu près vierge, et le moment lui a
semblé favorable d'en recommander l'étude dans
ses rapports avec le globe et avec les éléments qui
le composent.
Dans le mémoire dont il a donné lecture à lA-
cadémie , il propose un plan d'étude pour se livrer
à ces recherches avec méthode et avec succès.
Section Deuxième,
MÉMOIRES
OBSERVATIONS
RECUEFILLIES
PENDANT ET APRÈS LE DÉBORDEMENT DE LA
GARONNE DU 50 MAI 1855;
Par M. Fécrx BORREL,
INGÉNIEUR DES PONTS ET CHAUSSÉES,
Si: Paction des eaux sur la surface du globe a été Considéra-
SR par quelques auteurs, personne ne peut Sénéiales
nier qu’elles aient eu une grande influence sur, PS
l'état actuel de nos vallées : personne ne contes- des eaux
tera non plus les modifications nombreuses que js eo
leur action incessante produit , de nos jours, sur les ne
continents.
On ne saurait donc trop étudier les effets des
eaux sur les bassins qui les reçoivent, puisque de
cette étude ressortiront des faits qui nous per-
mettront de prévoir ce que deviendront nos con-
trées dans un avenir plus ou moins éloigné de nous,
ou qui jetteront quelque jour sur leur état passé.
2,
Circonstan-
ces
qui ont
précédé
le
gonflement
extraor-
dinaire
des eaux.
20 CLASSE DES SCIENCES.
Il est des moments où l’action des eaux roulées
par les fleuves devient plus sensible; c’est le mo-
ment des crues. Leur effet, en un jour , est souvent
plus prononcé qu’un effet continu pendant dix ans
de basses eaux. C’est aussi le moment des crues
qu'il convient d'observer : les résultats de cette
observation deviennent d'autant plus importants
que les crues extraordinaires sont fort rares, et
que la vie d’un homme n’est pas toujours assez
longue pour lui fournir l’occasion d’assister à un
de ces événements.
Le 30 mai 1835, la Garonne s’est élevée, dans
nos murs, à une hauteur très-grande. Depuis 1772,
elle ne s’était jamais élevée aussi haut. M. le Pré-
sident de la Compagnie crut alors utile de consi-
gner dans nos annales les principales circonstances
que présenta la Garonne dans cette crue remar-
quable, et me chargea de recueillir tous les docu-
ments qui pourraient présenter de l'intérêt ou de
l'utilité.
Ce sont ces documents que je viens soumettre
à votre jugement. Vos souvenirs pourront les com-
pléter , et suppléer à ce que les miens auraient
omis.
La crue du 30 mai 1835 fut précédée de pluies
très-abondantes. Tout le mois de mai fut en général
très-pluvieux; il y eut quatorze jours de pluie;
il n’y eut que quatre jours beaux; les eaux de la
Garonne furent troubles pendant dix-neuf jours.
La hauteur totale de la pluie tombée dans le
MÉMOIRES. 21
mois , fut de o"1299, quand la moyenne des hau-
teurs, pour les quatre mois précédents de l’année,
n'avait été que de 0"0331, c’est-à-dire, quatre
fois moindre environ. La hauteur de la pluie tom-
bée les 28 et 29 mai, fut de 00734; celle tombée
le 29 seulement, fut de 0"0480. J’ai puisé tous ces
renseignements dans l'excellent recueil d'observa-
tions tenues par M. Maguës, Ingénieur en chef du
canal du Midi, qui a bien voulu me communiquer
ses registres.
On conçoit dès lors facilement qu'une si grande
masse de pluie, tombée en si peu de temps, dut
élever outre mesure le niveau de la Garonne et de
tous les affluents qu’elle reçoit.
. On conçoit encore que le niveau de la Garonne
se fût élevé plus haut, si, à toutes les circonstances
de pluie ci-dessus signalées , se fût jointe celle des
vents chauds favorables à la fonte des neiges ac-
cumulées sur les Pyrénées.
Ces deux circonstances heureusement ne se:
trouvérent pas complètement réunies.
Quelques petits ponts entre Bagnères-de-Luchon
et Saint-Gaudens furent emportés.
Le pont suspendu de Muret fut également em-
porté dans la journée du 30 mai 1835. La pile
du milieu qui soutenait les deux travées dont se
compose le pont, fut aflouillée par l’action des
eaux et s’écroula. Les chaînes de fer tombèrent en
même temps au fond de la rivière.
Le tablier ne put longtemps résister à la force
Désastres
publics
qui
furent
la suite
de
Pinondation
du 30 mat
1835.
24 CLASSE DES SCIENCES.
du courant. Il fut détaché des chaînes et des tiges
de suspension, et entrainé en plusieurs gros lam-
beaux.
Un de ces lambeaux s'arrêta devant les trois
premières arches de gauche du pont de Pinsaguel,
fit vanne à l’amont de ces arches, occasionna des
affouillements qui amenèrent dans la nuit du 30
au 31 mai la chute de la deuxième et de la troi-
sième arche de gauche, à la suite de la chute de
la partie d’amont de la deuxième pile, qui ne put
résister à l’action affouillante de l’eau.
La première arche de gauche était lézardée,
mais tenait encore, ainsi que la première pile, le
31 mai; mais, le 1.er juin, la demi-pile d’amont,
qui soutenait cette arche , et qui avait été affouillée
comme la deuxième pile, céda au poids de la ma-
çonnerie, et fut renversée, entraînant avec elle
environ le tiers de la première arche du côté d’a-
mont, de telle sorte qu’il ne resta debout, des
trois premières arches de gauche du pont de Pin-
saguel, que les deux tiers de la première arche , et
la moitié aval de la deuxième pile.
Dans la partie inférieure de la rivière, la levée
en terre du pont suspendu de Marmande fut em-
portée par les eaux.
Les routes royales et départementales de mon
arrondissement furent submergées sur plusieurs
points.
Les eaux de la Lèze sortirent de leur lit habi-
tuel, et vinrent couper la route royale n,° 20,
près du hameau de Bezac, entre le Vernet et Pin-
MÉMOIRES. 23
saguel. La circulation fut interrompue pendant
peu de temps , des ordres prompts ayant été donnés
pour rétablir la route.
Les eaux de lAriéce inondèrent une partie de
la même route entre les deux mêmes points, près
de l’embranchement de la route départementale
nie 6.
La même route royale n.° 20 fut inondée aux
portes de Toulouse, à la sortie de la barrière de
Muret , un peu au-dessus du moulin dit de la porte
de Muret.
Un bâtardeau en terre, bois et fumier fut im-
médiatement établi par les soldats de la garnison ;
ce qui préserva le faubourg Saint-Cyprien des
effets de linondation. Cette partie de route va être
exhaussée, pour mettre le faubourg à l'abri de
nouveaux débordements.
Toute Pile de Tounis fut inondée; plusieurs rues
du Port-Garaud le furent également; les maisons
qui bordentla route royale n.° 20, du côté de la
Garonne, furent atteintes par les eaux. Onze de
ces maisons et plusieurs murs de clôture, le long
de cette avenue, s’écroulèrent. Plusieurs maisons
de Tounis ne purent échapper au désastre, et l’on
voit encore leurs ruines du côté de la prairie des
Filtres.
Le quartier du Port-Garaud n’eut pas à dé-
plorer autant de désastres, soit qu'il fût mieux
bâti, soit que le courant de la rivière y fut beau-
coup moins fort.
Toutes les grandes rivières du département et
24 CLASSE DES SCIENCES.
les petites rivières qu’elles reçoivent, la Garonne,
VPAriége, le Lhers, le Touch, la Lèze, la Louge,
la Save, etc., sortirent de leur lit et inondèrent
les plaines au milieu désquelles elles coulent.
A pan Le pont de Toulouse paraît ne pas avoir un dé-
e loulouse
parait bouché assez grand pour assurer l'écoulement de
F. para l’eau dans ces moments extraordinaires.
ns Le niveau de la rivière s’éleva à l’amont de cet
S
pour donner édifice, de manière à faire disparaître complète-
éconement ment l'effet des chaussées du moulin du Château ;
eS. qui ne produisirent plus aucune chute; l’eau se
circonstan- nivela complètement de l’amont à l'aval de ces
+ chaussées. ( Cet effet a lieu dans les petites crues.
Celle du 29 avril dernier, qui ne s’éleva au garo-
nomètre du pont de Toulouse qu'à 5"ro de hau-
teur, avait déjà presque entièrement réalisé ce ni-
vellement de l’eau au-dessus des chaussées. )
Le pont de Toulouse faisait barrage , et les eaux
débordées dans toute la plaine des Récollets, où
elle allait jusqu’à la hauteur de la tête des figures
des saints, dans le jardin du Calvaire, couvrait
les ramiers du moulin du Château, et s’étendait
jusqu’à la route royale n.° 20, sur la rive gauche
de la Garonne.
Tout ce bassin de la Garonne, au-dessus du pont
de Toulouse, formait une vaste retenue, où Peau
se trouvait à égal niveau sur les deux rives ( c’est
ce qu'ont constaté ‘des nivellements faits avec le
pius grand soin ); de telle sorte, que la dériva-
tion qui conduit les eaux de la Garonne au Port-
MÉMOIRES. 25
Garaud , et qui, en eaux basses, donne des chutes
d’eau d’environ 3"00 de hauteur, ne laissait plus
aucune trace de son existence, et avait complète-
ment disparu sous le niveau élevé du débordement,
et le sonflement produit par lobstacle que les ar-
ches trop étroites du pont opposaient au libre écou-
lement de l’eau.
J’ai fait tracer sur un plan les lignes limites de
Vinondation , sur les deux rives à atout du Sn
de A EE
Du milieu du pont, comme centre, j'ai déc
trois arcs de cercle, de manière à venir couper ces
lignes limites de linondation; le premier, à l’ex-
Circonstan-
ces
nivellement.
trémité du Cours Dillon ; le deuxième, au-dessus
du moulin de la porte de Muret; le troisième,
encore plus loin, en remontant la Garonne.
Des coups de niveau ont été donnés sur chacun
des points d’intersection de ces arcs de cercle avec
les limites de linondation, bien apparentes par
des traces laissées sur les murs.
Les points extrêmes de chacun de ces arcs ont été
respectivement trouvés à peu près au-même niveau.
M. Castel, ingénieur des eaux de la ville, a
constaté que l’eau d'inondation du 30 mai 1835
s'était élevée au-dessus du garonomètre du pont
de Toulouse , à Poe à “partir du zéro Le ce ga-
ronomètre. : k
J'ai constaté moi-même sur bd amont de
la deuxième pile, du côté de Toulouse , un niveau
à peu de chose près semblable, 8"19:.
26 CLASSE DES SCIENCES.
Au moulin du Château , sur le mur de face d’a-
mont, on a gravé, sur une pierre de taille, la trace
de l’inondation. Cette trace se trouve à 8"/or au-
dessus du zéro du garonomètre du pont de Toulouse.
Sur le mur d’aval du moulin de la porte de
Muret, où le niveau de l’eau devait se déprimer,
comme cela arrive derrière tous les obstacles, la
trace de l’inondation n’est qu’à 82267; sur le mur
latéral de ce moulin, elle est à 8*487; sur le mur
d’amont , à en juger par les traces laissées sur les
maisons voisines, elle serait à 8"6o ou 8"70; de
telle sorte que la chute de la rivière , au moment
de linondation, depuis le moulin de la porte de
Muret (côté latéral ) jusqu’au garonomètre du pont
de Toulouse, n'aurait été que de 0®380, sur une
longueur de 920 mètres environ ; ce qui ne donne
qu’une pente moyenne de 0%00033 par mètre,
lorsqu'au-dessous du pont de Toulouse, depuis
l'arête extrême du quai d’amont du Port de la
Daurade jusqu’au moulin du Bazacle, la chute de
la rivière était de 1"07, sur une longueur de
660 mètres environ; ce qui donne une pente
moyenne de 0200162 par mètre, cinq fois plus
forte environ que celle qui existait en amont du
pont.
La chute de l’eau, au passage du pont, ou la
différence de niveau de la rivière de amont à laval
de cet édifice , a été trouvée de 124 entre les têtes
d’amont et d’aval de la deuxième pile du côté de
Toulouse.
Tous ces faits de nivellement, et la profondeur
MÉMOIRES. Bjr,
très-srande de l’eau sous les arches du pont, me
confirment dans l’idée que j'ai émise déjà, qu’au
moment des grandes inondations les arches du
pont de Toulouse n'auraient pas un débouché suf-
fisant.
Ce manque de débouché ne doit pas, pour le
moment, donner des craintes pour la conservation
de cet édifice ; mais il n’en est pas moins impor-
tant de le constater , afin de s’opposer à tout tra-
vail qui aurait pour but de le restreindre encore,
et de favoriser au contraire tout projet qui aurait
pour but de faciliter le libre écoulement de leau
par toutes les arches du pont.
Ce que je viens de dire explique l’activité que
déploya l'Administration des Ponts et chaussées ,
immédiatement après la crue, pour faire déblayer
le terre-plein que la ville avait formé entre la pre-
mire pile et l'ile de Tounis, et dont l'effet, pen-
dant la crue, fut de rendre presqu’inutile, pour
l'écoulement des eaux, la première arche du côté
de Toulouse.
La chute produite par la chaussée du Bazacle,
qui, en eaux basses, est de 434 entre le niveau
des eaux d’amont et d’aval, se trouva réduite, au
moment de l’inondation, à 2"13.
Si on prenait pour le niveau d'inondation à l’a-
mont du Bazacle, la trace gravée sur une pierre
de taille, par les soins de l'administration de ce
moulin, la chute aurait été de 2m45.
J'ai préféré n'en rapporter aux repères que j’a-
vais fait placer moi-même au moment de Pinon-
Mouvement
oscillatoire
de la
surface
de l’eau
dans
les rivières.
28 CLASSE DES SCIENCES.
dation, parce que ces repères ont été placés au
milieu de la hauteur dont oscillait le flot de sur-
face, tandis que la trace gravée par ladministra-
tion du moulin du Bazacle a été mise à la ligne
supérieure de l’oscillation , qui n’était pas le niveau
réel.
Je suis conduit à parler du mouvement oscilla-
toire de la surface de l’eau dans les rivières. Ce
mouvement est très-prononcé au moment des
crues ; le niveau de la surface subit des variations
très-fortes. Sur certains points, pendant la crue
de 1835, ces variations allaient jusqu’à 50 ou 6o
centimètres. Généralement elles étaient de 30 à
35 centimètres.
Il faut remarquer encore que ces changements
de niveau, s'ils sont soumis à quelques lois, ne
sont pas soumis à une loi bien simple ; au niveau
le plus élevé ne succède pas le niveau le plus bas.
Le même niveau ne se reproduit qu'après un cer- .
tain nombre de fluctuations.
Cest même sur ce nombre de fluctuations qui
Prin la succession des niveaux les plus élevés,
qu'un de mes cantonniers de riviere, le sieur
Villary , de Fenouillet, a basé une loi fort remar-
quable et fort importante, si elle est vraie.
Me trouvant un jour en tournée avec lui, après :
une crue, je désirais savoir si la rivière était en
hausse ou en baisse.
Après avoir compté, à sa manière, le nombre
de fluctuations qui séparaient les HUE flots suc- :
MÉMOIRES. 29
cessifs les plus élevés, il me répondit avec assurance
que la rivière était en baisse (ce que je reconnus
être vrai après une ou deux heures de temps).
Intrigué par sa réponse, je le questionnai de nou-
veau , et il me répondit que toutes les fois que le
flot le plus élevé arrivait à la cinquième fluctuation
après celle qu’on avait observée, la rivière était en
hausse; qu’elle ne croïssait ni baissait quand ce
flot ne se reproduisait qu’à la sixième fluctuation,
et qu’elle était en baisse quand il ne se reprodui-
sait qu’à la septième.
Ce procédé, toutefois, mérite vérification.
Le mouvement oscillatoire de la surface de l’eau
semble avoir lieu toutes les fois que Peau se trouve
soumise à l’écoulement.
Il est sensible dans les rivières, non-seulement
pendant les crues, mais presque dans tous les états :
les limites entre lesquelles leurs niveaux se rappro-
chent sont seulement d'autant plus petites que les
eaux sont plus basses. Quand ce mouvement n’est
pas sensible à l'œil, oreille le rend manifeste. On
n’a qu’à se mettre à côté d’un rapide, et lon dis-
tingue parfaitement les renflements de sons produits
par l’eau qui s'écoule. Les renflements les plus forts
ne se reproduisent que par intervalles, et corres-
pondent aux niveaux de fluctuation les plus élevés.
Je ne serais pas éloigné de croire que les jeux de
lumière qui frappent les yeux quand on regarde
couler l’eau qui s'échappe par un orifice, ou qui se
déverse par dessus un barrage, soient düs encore
au même effet.
30 CLASSE DES SCIENCES.
Ces mouvements oscillatoires, qui sont bien
sensibles dans les rivières et sur les cours d’eau
d’une certaine étendue, sont encore bien sensibles
dans les petits canaux d’écoulement, dès qu’on a
recours à des moyens d'observation plus parfaits.
Je les ai remarqués dans le canal artificiel dont
s’est servi M. Castel dans ses belles expériences
sur les déversoirs.
IL est vrai qu’on pourrait objecter que, dans ce
canal, ces effets étaient la conséquence des coups
de piston de la machine du Château-d’eau, et que
ces fluctuations étaient de même nature que celles
qu’on observe dans la cuvette même de distribu-
tion, et qui se reproduisent à chaque borne-fon-
taine. L’objection serait fondée sans doute, en ce
qui concerne le mouvement oscillatoire; mais elle
ne le serait pas en ce qui concerne le mouvement
ondulatoire de la surface dans le sens du profil en
long. Des différences bien sensibles dans les varia-
tions successives du niveau de la surface étaient
telles, que le niveau le plus élevé ne se répétait,
pour chaque point, qu'après un certain nombre
de fluctuations : c’est ce qu’il était bien facile d’ob-
server à l’aide des tiges graduées qui servaient à
déterminer les ordonnées de la surface de l’eau,
par rapport à une règle fixe de niveau. Cette va-
riation de niveau sur chaque tige était telle, qu'il
y a eu, à mon avis, beaucoup de mérite à déter-
miner , à l’œil, comme l’a fait M. Castel, la vraie
moyenne de ces ordonnées , constamment variables
pour chaque point.
MÉMOIRES. 31
D’après cela, l’eau, quan& elle s'écoule, ne sé-
coulerait jamais d’une manière continue. Son mou-
vement serait leffet d’une suite d’ä-coups inégaux
entr'eux ; et l’on pourrait s’en faire une idée exacte
par l'écoulement que produirait le mouvement
d’une pompe dont la course du piston varierait
chaque fois et successivement dans certaines limi-
tes, et ne reviendrait la même qu'après un certain
nombre de pulsations.
Cette manière d’envisager le jeu des forces dans
l'écoulement de Veau, rend parfaitement compte
des eflets du bélier hydraulique, qui semble basé
là-dessus.
. Au pont de Pinsaguel, la crue du 30 maï Hauteur
o de la
1835 s’éleva de 5m70 au-dessus des plus bas- crue de mai
me 835
ses eaux d’étiage. Au pont de Toulouse, elle Dies
s’éleva de 6%30 environ au-dessus des plus basses dires patate
eaux. aux
Û niveaux
Au moulin du Château ,en amont du barrage, ‘des
; 2
elle s’éleva de 328 au-dessus des eaux basses ; ax Mr ri
quai de la Daurade, de 515; à l'échelle de niveaux
qui ont été
Saint-Pierre, de 412; au Bazacle, le niveau conservés
moyen s’éleva de 4"16, et le plus grand flot de à
4248 ; à l'embouchure du canal, le niveau s’éleva
de 5250 au-dessus des eaux basses.
- La crue du 21 mai 1027 s’éleva au-dessus des
eaux basses, az moulin du Château, de 20/4; au
garonomètre de Saint-Pierre, de 367 ; à Pem-
bouchure , de 5 05.
La crue du 17 septembre 1772 séleva au-
32 CLASSE DES SCIENCES:
dessus des eaux bass?s, au moulin du Château ;
de 347; au quai de la Daurade , de 5"{6.
Cette crue de 1772 est la plus élevée dont on
ait conservé le souvenir et les traces.
En les comparant aux traces récentes de la crue
du 30 mai 1835, on s'aperçoit qu’elle fut relati-
vement plus Due que cette dernière au quai de
la Daurade qu’au moulin du Château.
Au moulin du Château , elle ne dépassa celle de
1835 que de 19 centimètres, tandis qu’au quai de
la Daurade, elle la dépassa de 31 centimètres.
Quoiqu'il ne soit pas étonnant que les différences.
des hauteurs des crues ne soïent pas les mêmes à
différents points de la rivière, il est probable qu'ici
cette différence tient à ce qu’au moulin du Chä-
teau, ainsi que pour la crue du 17 septembre 1772.
au quai dela Daurade, on a marqué la plus grande.
hauteur du flot ou la bee des plus hautes eaux,
tandis que moi, j'ai pris le niveau moyen entre les
limites extrêmes de l’oscillation.
Pour la crue de 1827, comparée à celle + 1835,
nous avons également deux points où on les a
tracées d’une manière authentique, au moulin du
Château et dans l’intérieur du Château d’eau.
Au moulin du Château, la différence entre les
deux crues a été 54 centimètres. Dans l’intérieur du
Château d’eau , elle n’a été que de 36 centimètres.
Ces différences tiennent probablement encore au
mouvement oscillatoire de l’eau, qui rend très-dif-
ficile appréciation exacte du niveau réel de sa
surface.
MÉMOIRES. 33
Le lit de la Garonne, dans la partie de son cours
qui traverse notre département, se trouve tapissé
de galets roulés de même nature que les débris des
roches des Pyrénées, où prennent leur source
notre rivière et ses principaux affluents.
D'un autre côté, quand on fait des fouilles dans
la plaine de la Garonne, ou qu’on examine ses
bords, on s'aperçoit qu’au-dessous de la terre vé-
gétale qui sert de base à la culture de cette plaine
se trouve une couche d’alluvion plus ou moins
épaisse , composée de galets roulés de la même
nature que ceux qui tapissent actuellement le lit
de notre rivière.
Sans nous engager dans la question de savoir à
quelle cause est due la formation de cette vaste
couche dalluvion au-dessus de laquelle notre pays
est établi, une question secondaire et dont la solu-
tion est plus facile se présente, savoir :
D'où proviennent les galets que roule actuelle-
ment notre rivière ? Proviennent-ils des pays qui
avoisinent sa source, ou ne sont-ils dûs qu’à la
corrosion des berges près des points où on les
trouve déposés ?
Ces deux opinions se trouvent soutenues et com-
battues par les auteurs anciens qui se sont occupés
des rivières ; mais que penser de leurs débats ?
Cette question devient d’autant plus importante
à résoudre que le Gouvernement , après avoir
achevé les principaux canaux de notre beau sys-
tème de navigation intérieure, veut s’occuper avec
sollicitude de amélioration de la navigation par
TOME V, PART, I, 3
De la
marche
des galets
pendant
les crues.
34 CLASSE DES SCIENCES.
les rivières qui les unissent. Or, on sait que les amas
de gravier qui se forment dans les rivières , cons-
tituent un des principaux obstacles à la facilité et
à la continuité de la navigation.
Dans un ouvrage publié tout récemment sur la
Garonne, un auteur, dont le nom fait autorité,
donne pour cause principale de la formation de
ces bancs, l'érosion des berges plus où moins voi-
sines; et, en conséquence, il admet qu’on peut les
dissiper ou les réduire, en garantissant ces berges
contre l’action des eaux : de là des travaux consi-
dérables d’endiguement et de revêtement des
berges qui, à mon avis, n’assureraient pas le ré-
sultat qu’on en attend, l’existence des bancs de
graviers me paraissant indispensable à l’équilibre
établi sur les rivières, et d’une nécessité absolue
pour assurer le maintien de leur écoulement actuel
et de leur régime.
La formation des bancs de gravier peut être due
à trois causes que je vais successivement circons-
tancier : j
1.2 Les alluvions d’une île ou d’une berge peu-
vent être attaquées par le courant ; l’eau peut avoir
assez de force pour entraîner lé sable et les matières
terreuses, et n’en pas avoir assez pour emporter
avec elle les galets de lalluvion; de là, formation
sur place d'un banc de gravier par suite de l’action
des eaux sur la rive et du déplacement de son lit.
2.9 Le courant peut être assez fort pour entraî-
ner à une certaine distance, plus ou moins res-
trente, toutes les matières provenant de l'érosion,
MÉMOIRES. 35
graviers compris, et agolomérer ces derniers en
amas, dans le voisinage, sur le premier point où
le courant n’a plus assez de force pour les tenir en
suspension.
3.° Enfin, le courant peut être assez puissant
pour entrainer à de grandes distances, non-seule-
ment les matières provenant de l’érosion des ber-
ges, mais les galets qui tapissent le fond du lit
qu'il parcourt et les débris des roches que l’action
de la gelée et autres causes divisent, et que. les
eaux des torrents, au moment des pluies, entraî-
nent jusqu’au fond de la vallée.
Ces trois causes me paraissent exister simultané-
ment : les deux premières n'étant pas contestées et
pouvant se vérifier par l'observation de ce qui se
passe tous les jours, je vais m’attacher seulement
à démontrer lexistence de la troisième, soit en
combattant les raisons qu'on a fait valoir pour
motiver son impossibilité, soit en étayant mon
opinion par les faits nouveaux que la crue de 1835
.est venue porter à ma connaissance.
« Et d’abord, a-t-on dit, il est impossible que
» le poli des galets roulés soit dû à l’action du
» frottement dans le trajet qu'ils ont parcouru
» depuis la roche dont on prétend qu'ils sont les
»udébris, jusqu’au point où on les observe. Qu'on
» prenne en eflet des débris de roche. de même
» nature, qu’on les mette dans un tonneau ou un
» tambour à axe horizontal ; qu’on donne le mou-
» vement à ce tambour , et qu’on le fasse tourner
» assez longtemps pour que la longueur du nôm-
3:
36 CLASSE DES SCIENCES.
» bre de tours faits par le tambour, soit assez
» grande pour représenter la longueur du cours de
» la rivière , depuis les bancs de gravier qu’on
» observe jusqu'aux roches, dont on prétend qu’ils
» sont venus, et l’on s’assurera que les débris des
» roches auront conservé leur forme anguleuse , et
» que le poli qu’on remarque sur les galets roulés
» est loin d’être obtenu. »
À cela, je répondrai que les débris des roches
dans le tonneau, sont loin de se trouver dans les
mêmes circonstances qu’au fond du lit des rivières ;
que le poli artificiel des roches s'obtient toujours
par l’action de l'eau , d’une forte pression , et V'aide
d’une poussière de grains durs, comme certains
sables ; que toutes ces conditions se trouvent réu-
nies au moment des grandes crues; qu’en ce mo-
ment les eaux sont chargées de sables dont quel-
ques grains sont durs, que les pierres du fond sont
pressées les unes contre les autres par une force
égale au poids de la colonne d’eau qui les recouvre,
et que ce poids est d’autant plus fort, qu’il ne se
trouve réparti que sur les points de contact des
galets entr’eux ou avec le fond ; qu’il n’est pas dès-
lors étonnant que dans le changement continuel
des points de contact et dans toutes les oscillations
que subissent ces galets, dans le mouvement de
translation opéré par les eaux de la rivière, ils ne
se polissent absolument comme ils le feraient s'ils
étaient soumis artificiellement aux mêmes moyens
d'action.
Jai vu sur la rivière du Tarn ( M. d’Aubuisson
MÉMOIRES. 37
avait déjà observé les mêmes faits ), les pierres de
taille du couronnement des barrages usées et ravi-
nées par le passage des galets roulés dans le sens
du courant, comme elles le seraient par l’action
continue d’une corde de halage. J’ai vu également
au Saut-du-Sabo, sur la même rivière, la roche
schisteuse qui constitue le fond du lit percée de
trous ou petits puits verticaux, partout où un
fragment de silex se détachait des rognons siliceux
que présente la roche, et par une cause quelcon-
que, était retenu dans une dépression, sans être
entraîné par le courant. Soumis à la forte pression
due au poids de la colonne d’eau qui les recouvre
et au mouvement de rotation que le courant leur
donne dans la dépression qui Les retient, ces silex
forent leur trou en usant peu à peu la roche, et
en arrondissant eux-mêmes leurs aspérités. Après
l'écoulement de la crue, si l’on enfonce la main
dans ces sortes de petits puits, on en retire tou-
jours un galet roulé siliceux.
Tous ces faits répondent victorieusement à l’ob-
jection que j'ai reproduite, et prouvent, à mon
avis, que le poli des galets roulés peut très-bien
tenir, et tient en effet, à l’action de frottement à la-
quelle ils sont soumis dans les rivières , au moment
de leur translation; il n’est donc pas impossible
que les débris anguleux séparés des roches devien-
nent polis et ronds à quelque distance du point où.
ils ont été amenés par les torrents dans le lit des
rivières.
La quantité de galets roulés par les eaux, au
38 CLASSE DES SCIENCES.
moment des crues, est très-considérable. On peut
en juger à Toulouse par immense quantité des
matériaux que lon retire, tous les ans, pour les
constructions de la ville et pour l’entretien des
pavés et des routes empierrées , du banc de gravier
de la porte de Muret qui se reforme après chaque
crue, et devient aussi abondant qu'auparavant. On
a pu en juger encore par le dépôt considérable qui
se forma sur le port circulaire de Saint-Cyprien
pendant la crue du 30 mai 1835, à plus de 2 mètres
au-dessus des eaux basses; ce qui prouve en même
temps que la masse des galets roulés n’occupe pas
seulement le fond du lit, mais se trouve à presque
toutes les hauteurs sur la section du courant.
La formation de ce dépôt de gravier sur toute
Pétendue du port demi circulaire dé Saint-Cyprien
est un fait digne de remarque. Ces graviers, en
effet, ne pouvaient pas provenir des berges voisines,
puisque ces berges sont garanties par les quais de
Toulouse; ils venaient donc encore d’assez loin , et
le courant avait eu assez de force pour leur faire
traverser, sans s'arrêter , le pont de Toulouse et la
nappe d’eau comprise entre Tounis et le cours
Dillon , quoique la vitesse de l’eau fût moindre au-
dessus du pont de Toulouse que partout ailleurs
sur la rivière, à cause de l'espèce de retenue pro-
duite par lobstacle opposé par le pont de Toulouse
au libre écoulement de Peau.
Comment admettre après cela que le courant de.
la rivière, partout ailleurs plus fort, n’ait pas assez
de puissance pour faire cheminer loin les graviers
MÉMOIRES. 39
qu'il entraine, quand il a d’ailleurs assez de puis-
sance pour leur faire franchir des chaussées aussi
élevées que celle du Bazacle et les chaussées de la
rivière du Tarn ?
Voici d'ailleurs un autre fait qui lève toutes les
difficultés : Avant la crue de 1835, me trouvant
un jour sur les bords dela Garonne avec M. Emile
Capella, Ingénieur des ponts et chaussées à Saint-
Gaudens, nous cherchâmes longtemps sur ses bancs
de gravier, des galets roulés calcaires, espèces de
débris de marbre polis, provenant des bancs du
grand Lhers qui passe devant Mirepoix et Mazères,
et des bancs de la Garonne supérieure et de ses
affluents dans le voisinage des roches calcaires d’où
se séparent ces débris.
Nous cherchäâmes longtemps en vain; mais à
force de chercher, nous trouvâmes quelques-uns
de ces galets, mais réduits à la grosseur d’une
noisette et plus petits encore,
Nous en tirâmes la conclusion que la nature de
ces roches était tendre, et qu’elles ne résistaient
pas au frottement qu’occasionnait leur translation
jusqu’à Toulouse.
Je pensais que cette translation devait nécessiter
un long espace de temps pour que ces galets fussent
réduits ainsi.
Après la crue du 30 mai 1835, j’eus l’occasion
de parcourir au-dessus de Toulouse les bancs de
gravier de la Garonne. Quel fut mon étonnement
de trouver sur ces bancs une grande quantité de
galets calcaires de la nature de ceux qui s’y trou-
40 CLASSE DES SCIENCES.
valent si rares avant la crue. Plusieurs même de ces
galets étaient fort gros, et il ne me fut plus permis
de douter de leur transport à de grandes distances
pendant les crues.
Cette dernière cause de formation des bancs de
gravier me paraît donc très-puissante , au moment
des grandes crues : le revêtement des berges, très-
utile d’ailleurs sous beaucoup de rapports, ne s’op-
poserait donc pas à la formation des amas de gra-
viers, et ne parviendrait pas à les dissiper.
Dans ce J’ai déjà eu l’occasion de publier dans les Annales
monement des Ponts et chaussées les observations que j'avais
cor faites sur la fixité des barres de gravier dans le
iapissent profil en long des rivières, fixité qui rend à peu
le fond s s
des rivières, Près constant le nombre et l'emplacement des biefs
ne een entre lesquels elles divisent leur chute; mais les
Fi nr ; niveaux de ces biefs chan gent-ils par rapport à des
repères invariables? c’est ce qu’il est très-impor-
tant de savoir.
Quand on parcourt les rivières de nos contrées,
on voit sur beaucoup de points des débris de ponts
autrefois existants sur ces rivières. Toulouse,
Muret , Auterrive, Cazères et Saint-Martory, ont
possédé des ponts qui ne sont plus. Les maçonne-
ries de ces ponts ruinés sont très-bonnes , et quand
on les examine de près, il est impossible de ne pas
attribuer à l’action affouillante de l’eau la chute de
ces édifices. Les trois arches détruites du pont de
Pinsaguel, le pont suspendu de Muret, ont dû
leur chute à la même cause.
MÉMOIRES. 41
Voilà donc des points de la rivière où elle a
approfondi son lit.
Si , d’un autre côté, on remarque que sur les
bancs de roches qui barrent naturellement la
rivière, on est obligé, tous les ans, de baisser ces
seuils par des escarpements de rocher pour obtenir
le tirant d’eau que nécessite la navigation, on est
porté à conclure que sur certains points le ni-
veau de la surface baisse en même temps que celui
du fond.
Mais ces variations ne sont-elles que locales,
sont-elles périodiques ? Voilà la question.
L'observation des échelles garonométriques éta-
blies sur plusieurs points de la rivière, en donnera
plus tard la solution.
Le nombre d'années pendant lequel ces obser-
vations ont été faites, ne me parait pas encore
assez grand pour la résoudre.
Voici toutefois les résultats que l’observation de
ces échelles m'a fournis :
Jai choisi, pour établir le point de correspon-
dance de ces échelles, non pas le jour des plus
basses eaux , mais le jour des basses eaux ordinai-
res. J’ai tenu à établir cette correspondance pen-
dant les eaux basses, parce que les variations des
berses supérieures et du lit majeur des rivières
pourraient influer considérablement sur les varia-
tions du niveau de leur surface si on les prenait
dans un autre état.
42 CLASSE DES SCIENCES.
Le 28 janvier 1833,
L’échelle garonométrique de lembouchure du
Canal du Midi marquait............. 1"30
Celle du pont de Toulouse marquait. 2 10
Celle de l'entrée du Canal Saint-Pierre.
2 02
Celle du moulin Baylac. .... +... O O0
Celle-de Blagnac-:23. 40-99. Elesta 25
Celle de Grenade.......... 10408
La correspondance des échelles du pont de Tou-
louse et du moulin Baylac s’est assez bien main-
tenue depuis 1830 jusqu’en 1837, avant et après
la crue du 30 mai 1835.
D’après les registres tenus par M. Castel au
Capitole, quand le garonomètre a marqué 2.10 au
pont de Toulouse, celui du moulin de Baylac a
varié en 1830, depuis 0.80 jusqu’à 1.00; en 1831,
depuis 0.80 jusqu’à 0.90; en 1833, depuis 0.80
jusqu’à 1.10; en 1834, depuis 0.80 jusqu’à 1.00;
en 1839, depuis 0.80 jusqu’à 0.90 ; en 1836, de-
puis 0.90 jusqu'à 1.00; en 1837, il a mar-
qué 1.00.
Si lon fait observer que les garonometres du
pont de Toulouse et du moulin Baylac ne sont
gradués que de décimètre en décimètre, on en
conclura sans doute que la correspondance de ces
deux échelles n’a pas changé durant ce laps de
temps, en prenant surtout en considération la dif-
ficulté qu’il y a et l’impossibilité où l’on a été d’ob-
server les deux échelles au moment convenable,
MÉMOIRES. 43
c’est-à-dire, après un intervalle de temps néces-
saire pour que leurs indications correspondent
rigoureusement à un même état de la rivière.
Les échelles de l'Embouchure et de Blagnac ont
également donné des résultats analogues.
. D’après les registres de M. Magués du Canal du
Midi, et les observations que j'ai fait recueillir,
quand l’échelle de lEmbouchure a marqué 1.30,
l'échelle de Blagnac a marqué en 1827 de 0.22
à 0.27; en 1828, de 0.29 à 0.30 ; en 1333, 0.29.
Toutes ces cotes se correspondent donc assez
bien. -
L’échelle de l'Embouchure et celle de Grenade,
pour lesquelles je n’ai pu recueillir autant de points
d'observations, n’ont pas changé non plus dans la
correspondance de leurs indications. Eu eflet ,
l'échelle de lEmbouchure marquant 2.50, l'échelle
de Grenade marquait 1.82 le 21 mai 1833, et le
26 avril 1837, pour la même cote d’eau à l’Em-
bouchure, elle marquait 1.88 ; le lendemain, elle
ne marquait que 1.93.
Enfin l'échelle de Saint-Pierre et celle de PEm-
bouchure , pour lesquelles on possède les observa-
tions les plus complètes et les plus étendues, grâces
aux registres tenus par lIngénieur en chef du
Canal du Midi, donnent les mêmes preuves de
correspondance.
L’échelle de lEmbouchure marquant toujours
1.30, les indications de celle de Saint-Pierre ont
varié ,
44 CLASSE DES SCIENCES.
En 1809, de 1.90 à 2.00.
En 1810, de 2.00 à 2.05.
En 1820, de 2.00 à 2.05.
En 1827, de 1.98 à 2.05.
En 1833, de 2.00 à 2.02.
En 1835, de 1.80 à 1.98.
En 1837, de 2.00 à 2.10.
On peut donc conclure de l'indication de toutes
ces échelles, que le niveau relatif de la rivière, à:
chacune d’elles, n’a pas changé pendant la durée
des observations; et comme parmi ces garonomè-
tres, ceux du pont de Toulouse et de l'entrée du
canal Saint-Pierre , peuvent être considérés comme:
des repères absolument invariables, à cause de la
fixité de la chaussée du Bazacle , on peut dire que-
le niveau absolu de la rivière n’a pas changé du-
rant ce laps de temps.
Quantité Enfin, il était intéressant de connaître la quan-
d'eau roulée tité d’eau roulée par la Garonne, au moment où
ar . 0 . 4 7
la Garonne SOn niveau était le plus élevé, pendant la crue du
pores 30 mai 1835. C’est dans ce but que je fis tracer des
du ou repères indiquant les points où s'élevait l’eau dans
1 . L2
etpendant le bassin compris entre les quais, sur les arêtes
1 : _. ie
das qu’ils forment aux différents ports, et qu’assisté de
de M. Jules Capella, conducteur des ponts et chaus-
/ 8 . nm . A _7r
qu est . Sées, je constatai qu’une pièce de bois entraînée
a plus élevée R
dont CR par le plus fort du courant, au moment de la plus
1 EU grande élévation de la crue, mit 55/ à parcourir
etles traces. ]a distance de 262 metres, comprise entre le re-
MÉMOIRES. 45
verbère du quai aval du port de la Daurade et
celui du quai amont du port Saint-Pierre , ce qui
donne 476 par seconde pour la vitesse à la sur-
face du filet le plus rapide.
J'ai fait relever avec beaucoup de soins, par
M. Jules Capella, les profils de la rivière à lextré-
mité d’aval du port de la Daurade, à l'extrémité
d’amont du port Saint-Pierre, et au milieu de la
distance qui sépare ces deux points. J’ai fait rap-
porter sur ces profils la ligne du niveau de linon-
dation du 30 mai 1835, et j'ai calculé la surface
de la section de la rivière en chacun de ces points.
Comme le profil intermédiaire tombe, du côté
de Saint-Cyprien , dans l'intérieur du port demi-
circulaire , j'ai supprimé, dans le calcul de la sec-
tion mouillée, toute la partie de ce profil comprise
dans l’intérieur du port, puisque dans cette partie
du profil l’eau était évidemment sans courant utile
pour l'écoulement de la rivière. J'ai calculé la sec-
tion de ce profil, comme si le port Saint-Cyprien
n'existait pas, et que le quai se prolongeàt jusqu’à
l'hôpital Saint-Jacques. |
La section du premier profil perpendiculaire-
ment au quai, est de.......... Lou 4859.75
Idem du 2.° profil ( déduction faite
de la partie correspondante au port
Saint-Cyprien )........ inihps ia ss355.04
Idem du 3. profil. ............. 1331.07
Profil moyen..,........ 1325.30
46 CLASSE DES SCIENCES.
Si on détermine la vitesse moyenne par la for-
mule de M. de Prony , on a
DE MN 237) RCE RS7)L
EE pans — AT6tens —4"29;
et le volume roulé est de 5685.54 mètres cubes.
J’ai voulu essayer de déterminer ce volume par
les formules qui donnent la vitesse moyenne en
fonction de la pente à la surface, et des périmètres
mouillés ; je n’ai pas tardé à m’apercevoir que la
pente à la surface déterminée par les repères était
trop forte, soit parce que la fluctuation rendait
très-difficile à saisir le niveau moyen ou vrai de
Veau , soit parce que la position même des points
où étaient pris ces repères devait donner une dif-
: férence de niveau trop forte entre les deux repères :
en effet, le mur d’aval du port de la Daurade, sur
lequel le premier repère fut observé, présentait
son front au courant, et devait nécessairement
amener un gonflement dans son niveau, tandis
que les choses se passaient dans un ordre inverse
derrière le mur d’amont du port Saint-Pierre.
J’ai dû renoncer à ce moyen de vérification qui
me donnait pour la vitesse moyenne une vitesse
exagérée.
J’ai eu recours à un autre procédé de jaugeage qui
m'a donné un résultat à peu de chose près sembla-
ble à celui que jai obtenu de l'observation directe
de la marche d’un flotteur.
La chaussée du Bazacle, depuis l’arête du bâti-
ment de ce moulin jusqu’à son extrémité gauche,
MÉMOIRES. 47
attenant les murs de l’hospice de la Grave, a 270
mètres de largeur en ligne droite.
Au moment de l’inondation , toutes les vannes
du moulin étaient fermées, et il ne s’échappait par
ces vannes que des eaux de filtration.
La chaussée du Bazacle était recouverte tant
par les eaux d’amont que par les eaux d’aval , de
telle sorte, que si on suppose à la chaussée un cou-
ronnement horizontal, et qu’on choisisse pour la
hauteur de ce couronnement celle qui correspond
à la hauteur de la moise faîtière en face le point
où la chaussée du moulin Baylac vient s'appuyer
contre celle du Bazacle (cette supposition est très-
admissible), l’eau s’'écoulera par la chaussée du
Bazacle, comme elle s’écoulerait par un déversoir
incomplet qui présenterait la même section sur
270 mètres de largeur.
La différence de niveau entre les biefs d’amont
et d’aval, était de 2.13, et la hauteur du niveau
du bief d’aval au-dessus du seuil, était de 2.2r.
Appliquant les formules données par M. d’Au-
buisson dans son ouvrage d’hydraulique pour ce cas
d'écoulement, on a Q — 1.80 /HV/H+0.115#"°
+ 2.75 [(a—b) V’H + 0.051 4° faisant /— 270,
H=2.13,a—b=—2.21, et supposant w et x égaux
à la vitesse 4.76 du filet le plus rapide observée entre
les ports de la Daurade et de Saint-Pierre , on a
O—180 X 270 x 2.15 2.13 + 0.115 (4.76)°
42.75 X 270 X 2.21 V2.13-+0.05 1 (4.76) —5226.
Cette valeur est un peu trop faible, parce que
w et x sont plus forts que nous ne l’avons supposé.
48 CLASSE DES SCIENCES.
Si on calcule le volume roulé le 17 septembre
1772, en admettant que la vitesse moyenne de
Veau entre les mêmes profils était la même qu’en
1835, et qu’on se contente d'augmenter seulement
la surface respective des profils , on trouve 5985.11x
mètres cubes, en déterminant la vitesse moyenne
par la formule U =D de M. de Prony.
D’après cela’, on peut dire avec certitude que le
volume d’eau roulé par la Garonne dans ses crues
extraordinaires, est de 5 à 6 mille mètres cubes
par seconde. |
À son plus bas étiage connu, en 1832, elle ne
roulait que 35w78 cubes.
Jauge41885.etdu 17 Sept 1772
CNET
PRET
\ y
17 septembre
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MÉMOIRE
SUR UN e
NOUVEAU MODE DE PRODUCTION
DU SON;
Par M. Auc. PINAUD,
PROFESSEUR DE PHYSIQUE A LA FACULTÉ DES SCIENCES,
Les vibrations sonores des corps élastiques sont
liées d’une manière si intime avec la constitution
même de ces corps , que tous les phénomènes nou-
veaux qui en dépendent, lorsque surtout ils sont
soumis à des lois nouvelles, doivent être recueillis
avec soin , et méritent d’être étudiés avec intérêt.
Aussi dans ces derniers temps les recherches des
physiciens ont enrichi le domaine de lacousti-
que dun grand nombre de faits et de lois remar-
quables. Le hasard m'ayant fait découvrir un
mode de production du son que je crois nouveau,
bien qu'il ait déjà des analogues , je vais avoir
l'honneur de soumettre à l’Académie le résumé
des travaux encore incomplets que j'ai entrepris
pour en rechercher les lois.
Je travaillais à la lampe d’émailleur pour cons-
truire un thermomètre différentiel ; je souflais une
petite boule. à l'extrémité d’un tube de verre d’en-
TOME V. PART, I, Â
50 CLASSE DES SCIENCES.
viron deux millimètres de diamètre. La boule
était encore très-chaude quand j’abandonnai le
tube à lui-même ; aussitôt j’entendis un son d’une
faible intensité , mais très-pur , qui s’affaiblit gra-
duellement et s’éteignit par le refroidissement de
la boule. Je répétai expérience en employant des
tubes de diverses longueurs et de divers diamè-
tres, et j'obtins toujours des sons ou plus graves
ou plus aigus, suivant les dimensions du petit
appareil où ils prenaient naissance.
Ce phénomène se reproduisit avec tant de succès
et de facilité, que j’eus lieu d’être surpris que ceux
qui soufflent habituellement le verre ne l’aient pas
observé plus tôt. Cela se conçoit cependant , parce
que celui qui souffle une boule à Pextrémité d’un
tube de verre, a l’habitude de prolonger son
souffle jusqu’à ce que la boule soit refroïdie , afin
d’en éviter la déformation ; tandis que dans l'expé-
rience que je viens de décrire, il faut cesser de
souffler lorsque la boule est encore très-voisine
de la température rouge-brun.
Je cherchai d’abord à m'expliquer le fait qui
venait de s’offrir à mes observations. Je remarquaï
que l'intérieur du éwbe résonnant (cest ainsi
que je désignerai désormais mon appareil) était
tapissé d'humidité , soit que cette humidité y
existât déjà avant l’insufflation , soit qu’elle y eût
été déposée par le souffle, et je présumai dès ce
moment que la vapeur d’eau était la cause essen-
elle du phénomène. Pour m’en assurer, je pris
un tube de verre dont je desséchai l'air intérieur ;
MÉMOIRES. Ent
je fondis son extrémité , et je soufflai une boule en
y injectant de l'air sec ; il me fut impossible alors
d'obtenir aucun son. Je recommençai l’expérience
après avoir mouillé l’intérieur du tube et de la
boule, et le son se fit aussitôt entendre avec éclat:
L’explication de ce fait me parut des lors extré-
mement simple. La vapeur. d’eau contenue ow
introduite dans la boule de verre se dilate par la
chaleur , et vient se condenser sur les parois du
tube qui est froid. Par cette condensation subite,
il y a un vide formé ; de Pair humide rentre brus-
quement pour le remplir; la vapeur amenée par
cet air se dilaté aussitôt et se condense en partie
dans le tube : il y a alors un nouveau vide pro-
duit , une nouvelle rentrée brusque de lair , et
ainsi de suite ; c’est donc entre la vapeur qui rem-
plit la boule et Pair humide qui remplit le tube,
un équilibre sans cesse rompu , d’où résultent des
condensations et des dilatations alternatives ;: et
par suite des vibrations sonores et un son continu.
IL est impossible de ne pas voir une analogie
frappante entre le phénomène que je viens de dé-
crire , et celui que produit un tube de verre ou
de métal dans lequel on dirise un courant d’hy-
drogène enflammé. La génération du son dans ces
deux genres d'expérience est évidemment due à
la même cause. Seulement dans mon expérience
la vapeur d’eau existe toute formée dans le tube
résonnant qui est fermé à une de ses extrémités ;
dans Pautre la vapeur a sa source constante dans
la combustion de l'hydrogène, et le tube où le
ba CLASSE DES SCIENCES.
son se forme est ouvert à ses deux bouts. Aussi
les lois de ces deux phénomènes sont-elles très-
différentes. D'ailleurs la présence de la boule plus
ou moins volumineuse qui est soudée à mon tube
offre encore une modification importante , et exerce
sur les résultats de expérience une influence di-
gne d’être recherchée.
Je crus d’abord que le phénomène des 7ubes
résonnants serait difficile à étudier , parce que
je pensais qu'il ne pouvait se produire qu’à l’ins-
tant où la boule venait d’être soufflée. Dans ce cas
le son n’a jamais qu’une courte durée; et en outre,
il eût été presque impossible de faire des expé-
riences comparables, parce qu’en soufflant deux
fois de suite une boule à l’extrémité d’un même
tube , il est excessivement rare que ces deux boules
aient le même volume; or,.je vais faire voir que
le diamètre de la boule influe sur la nature du son.
Mais je reconnus bientôt que le son ne se pro-
duit pas seulement quand la boule vient d’être
soufflée. Si, après lavoir laissée refroidir, on la
plonge dans la flamme d’une lampe à alcool, le
son ne tarde pas à recommencer, et alors il peut
être soutenu pendant très-longtemps avec beaucoup
d'égalité. Si par hasard le son ne se produisait pas,
cela viendrait de ce que les parois intérieures du
tube ne seraient pas assez humides. Le tube est
dans les conditions les plus favorables à la produc-
tion du son, lorsque l’humidité intérieure forme
sur les parois une couche de rosée semblable à celle
que dépose, sur une surface polie et froide, un
+
MÉMOIRES. SE
souffle lent et prolongé. S'il y a trop d'humidité,
et surtout si le tube est relevé, l’eau qui tapisse
ses parois intérieures se rassemble en une goutte
terminée de part et d’autre par un ménisque con-
cave, qui intercepte la communication entre lair
intérieur et l'air extérieur, et le son s'éteint aussi-
tôt. Qu'on souffle alors fortement ou que lon
aspire pour diviser la goutte d’eau et rendre le
passage libre à l'air, le son reprend de suite.
Je supposerai dans tout ce qui va suivre que l’on
fait résonner le tube en plongeant sa boule dans
la flamme d’une lampe à alcool, puisque cette
méthode est la plus commode et la plus sûre pour
obtenir un son égal et soutenu.
La remarque précédente rend très-facile Pétude
des lois auxquelles le phénomène des tubes réson-
nants est soumis, et voici les principaux résultats
de mes recherches.
La nature du son qui se forme dans le tube
résonnant dépend évidemment de trois éléments
essentiels , savoir : la longueur du tube, le diame-
tre de la boule et le diamètre du tube. Il était
donc important d'étudier comment le son varie
avec chacun de ces éléments , et voici d’abord les
lois générales auxquelles je suis parvenu.
1e loi. — Le son produit dans un tube de
verre humide , terminé par une boule chauffée,
est d'autant plus grave que le tube est plus long,
toutes choses étant égales d’ailleurs.
Pour démontrer par expérience cette loi qu’il
était facile de prévoir , je fais sur Le tube un trait
[Sa]
ENS
CLASSE DES SCIENCES.
as
un
ez profond avec une lime triangulaire; je le
fais résonner en chauffant fortement la boule,
et pendant que le son dure, je casse le tube au
point où le trait a été fait. Aussitôt le son monte
brusquement. J’examinerai bientôt quel rapport
il y a entre les nombres de vibrations relatifs à
ces deux sons et les longueurs correspondantes
du tube de verre.
2. loi. — La longueur et le diamètre du tube res-
tant les mêmes, le son est d'autant plus grave que la
boule qui termine le tube a un plus grand volume.
Voici comment je le démontre. Si les parois de
la boule sont assez épaisses pour n’éprouver ni
fusion, ni déformation par la chaleur de la flamme
où elle est plongée, le son reste le même pendant
toute sa durée. Mais si au contraire la boule est
très-mince, la chaleur de la lampe lui fait éprou-
ver un commencement de fusion, son volume di-
minue alors graduellement, et le son augmente
d’acuité à mesure que la boule se rétrécit. La loi
énoncée se trouve démontrée par-là.
3.e loi. — Enfin, toutes choses égales d’ail-
leurs, le son produit est d'autant plus aigu que
le tube générateur a un plus grand diamètre.
Cette loi, très-remarquable, en ce qu’elle s’é-
carte de tout ce que la théorie et l'expérience
nous avaient appris jusqu'ici sur les vibrations de
Pair dans les tuyaux, se démontre très-aisément
de la manière suivante : pour vérifier cette loi
dans le sens même de son énoncé, il aurait fallu
avoir deux tubes de même longueur soudés à des
MÉMOIRES. - 55
boules de même diamètre. Mais comme il est bien
plus facile de juger de l'inégalité de deux boules
que de leur égalité parfaite, je souffle une petite
boule à l'extrémité d’un tube ééroit et court ; je
souffle ensuite une boule plus grosse à l'extrémité
d’un deuxième tube plus long mais plus large que
le premier. D’après les deux lois précédentes, le
son fourni par le second tube aurait dû être plus
grave que le premier, soit en raison du volume
de la boule, soit en raison de la longueur du tube.
Or, au contraire, j'ai obtenu un son plus aigu
qu'avec le premier tube. C'est.donc une double raï-
son pour conclure qu’à égalité de longueur dans les
tubes et à égalité de diamètre dans les boules, le son
est d'autant plus aigu que le tube est plus large,
d'autant plus grave que le tube est plus étroit.
On conçoit, d’après cette loi, que si le tube est
très-capillaire, comme ceux qui servent à la cons-
truction des thermomètres , et que la boule ait un
assez grand volume, relativement au tube, le son :
sera tellement grave qu’il cessera d’être percepti-
ble. Aussi n’ai-je jamais pu obtenir de sons appré-
ciables avec de pareils tubes,
Il n’est nullement nécessaire, pour que le son se
produise dans un tube résonnant, que le tube ait
partout le même diamètre. Ayant fait résonner
un tube qui paraissait bien calibré, je Pai fondu
près de la boule, et lai tiré légèrement pour y
former un étranglement. J’ai coupé ensuite une
partie du tube afn de le réduire à sa première lon-
gueur; en plongeant alors la boule dans la flamme
56 CLASSE DES SCIENCES.
de l'alcool , le tube a résonné de nouveau; mais le
son qui en est sorti a été plus grave que le pre-
mier. Il était facile de le prévoir, puisque l’étran-
glement avait diminué Île diamètre intérieur ; on
peut aussi considérer cette expérience comme une
confirmation de la troisième loi.
Dès le moment que j’eus démontré par expé-
rience les trois principes précédents, je me pro-
posai d'exprimer le nombre des vibrations sonores
exécutées par Pair dans l’intérieur du tube réson-
nant en fonction, 1.° de la longueur Z du tube;
2 du rayon r de ce tube; 3.° enfin du rayon R de
la boule. En appelant c un coëfficient constant, etz2
le nombre de vibrations , on devait avoir la formule
ue
LEE
æ, B, y étant des exposants inconnus qu’il s’agissait
de déterminer.
Je pensais en outre qu’il en serait du son pro-
duit par mon tube résonnant comme de celui que
rend un tube ordinaire; c’est-à-dire, qu’en rédui-
sant le tube à la moitié de sa longueur, le son ré-
sultant serait l’octave du son fondamental. Mais
lorsque je voulus en faire l’expérience, je fus d’a-
bord surpris d'obtenir un résultat tout différent.
Au lieu de loctave, j’obtins la quinte bien pro-
noncée. Une oreille tant soit peu exercée ne pou-
vait sy méprendre. Je répétai plusieurs fois avec
des tubes de diverses longueurs , de divers diamè-
tres, soudés à ‘des boules de volumes différents, et
loujours en coupant le tube au milieu de sa lon-
= 'C
MÉMOIRES. 57
gueur, à partir du col de la boule, jobtins la
quinte aiguë du son rendu par le tube entier.
Il devenait alors nécessaire de mesurer les lon-
gueurs d’un même tube, propres à donner toutes
les notes de la gamme, en ayant soin de ne faire
varier ni le diamètre du tube, ni celui de la boule
soufflée à son extrémité. J’entrepris alors la série
d'expériences dont les résultats Sont consignés dans
les tableaux qui vont suivre.
Dans ces expériences, on a eu le soin de prendre
des tubes de diamètre variables, d'y souder des
boules de diamètres variables aussi; de prendre
enfin des verres d’épaisseurs très-différentes. Mais
dans les expériences relatives à un même tube, on
ne faisait varier que la longueur de ce tube. La
boule avait toujours assez d’épaisseur pour ne pas
éprouver de déformation par la chaleur de la
lampe ; on s'assure que cette condition est remplie
en laissant longtemps la boule plongée dans la
flamme, afin de voir si le son change d’intonation
pendant sa durée. Enfin, la longueur du tube était
divisée depuis le col de la boule jusqu’à l’extrémité
ouverte, en pouces, et à chaque point de division
on faisait un trait avec une lime triangulaire ; de
manière qu’il n’y avait qu’à frapper un peu fort sur
le tube, à chaque point de division, pour casser le
. tube et diminuer sa longueur de 1, 2, 3, 4... pouces.
Les sons produits étaient rapportés aux mêmes
sons tirés d’un violon ou d’une flûte. Ainsi, dans les
expériences que je vais rapporter, je ne parlerai ni
du diamètre des tubes, ni de celui des boules ; je
58 CLASSE DES SCIENCES.
ne consionerai que leurs longueurs, qui seules ont
varié, et les sons Lt ee à FE d'elles.
au NOTES RAPPORT
LONGUEUR Te ns INTERVALLES
DU TUBE. GAMME. LONGUEURS. MUSICAUX.
rene À | :
6 pouces. | ut: I unisson,
ré douteux 5/6 seconde.
1re EXPÉRIENCE.
mi 2/3 tierce majeure.
Sol à 1/2 quinte.
Si1 1/3 septième.
; : pouces. | sol}: 1 unisson.
H|2.e EXPÉRIENCE.
Gi 3/4 tierce mineure.
: 3 a TÉE 2 1/2 quinte.
Lt 12 pouces. | rés unisson.
N|3.° EXPÉRIENCE, mi douteux seconde.
fa: tierce mineure.
10 A sol: unisson.
A|4.e ExPéRIENCE. sol, à octave.
un comma près.
6 pouces. | si: unisson.
Ù ut à douteux seconde.
5.e EXPÉRIENCE. TÉÀ » tierce majeure.
fak, quinie.
la: septième.
9 pouces. | far unisson.
| 8 fax seconde diminuée.
(fee 7 la : tierce majeure.
4 1/2 ute quinte.
Mi» septième.
On voit par le tableau qui précède, que les rap-
MÉMOIRES. 59
ports de seconde, de tierce majeure et de tierce
mineure, de quinte, de septième et d’octave, fournis
par l’expérience directe, ont eu constamment pour
valeurs ‘,, 7, et Ÿ,, 7/,, /. et ”,., en comparant
la longueur du tube qui donne le son le plus aigu,
à celle qui donne le son le plus grave.
Les rapports de tierce majeure, de quinte et de
septième ont été vérifiés sur plus de dix tubes dif-
férents, et ils n’ont jamais varié d’une quantité
appréciable. D'ailleurs, le rapport */, de la tierce
majeure peut être vérifié à posteriori par la com-
paraison du s0/ et du s£ dans la première expé-
rience, et par celle de lé, et du mi, dans la
sixième. Le rapport Ÿ, qui caractérise la tierce
mineure, peut aussi se vérifier à posteriori, 1.° par
les longueurs 4 et 3, relatives au ni et au so/ na-
turel dans la première expérience ; 2.° par les lon-
gueurs 4 et 3, relatives au ré et au fa* dans
la cinquième; 3.2 par les longueurs 6 et 4 7, dans
la sixième. Ainsi, je regarde ces intervalles comme
bien déterminés.
Quant à l’intervalle de seconde , la valeur donnée
par expérience ne m’inspire pas lamème confiance.
Cet intervalle est marqué par ”, dans la première, la
troisième et la cinquième expérience. Ce mêmeinter-
valle, pris de ré à mi, dans la première expérience,
et de u£* à ré * dans la cinquième, serait caractérisé
par “;. Or, on sait que dans la gamme naturelle
Vintervalle de z£ à ré constitue un ton majeur; et
celui de re à mi, un ton mineur ; que par consé-
quent, le premier est représenté par une fraction
6o CLASSE DES SCIENCES. |
qui diffère plus de Punité que la fraction qui carac-
térise le second intervalle. En adoptant Ÿ; pour le
premier intervalle , et 4/; pour le second, on aurait
au contraire un ton majeur pour l'intervalle ré-me,
et un ton mineur pour l'intervalle wt-ré ; ce qui est
contraire à la composition connue de la gamme.
J’ajouterai à cette première observation que la
valeur du rapport de seconde, calculé par mes
expériences, laisse un peu d'incertitude. En dimi-
nuant d’un pouce un tube de six pouces, on a sen-
siblement la deuxième note de la gamme ; mais il
faudrait retrancher du tube si peu de chose de
plus pour que le rapport devint {/, au lieu de ‘},;
et la variation de ton serait si peu appréciable,
que je ne peux pas attribuer au nombre */, la même
confiance qu'aux intervalles de tierce, quinte et
septième pour lesquels je ne crois pas que l’on
puisse avoir de doutes.
Ce qui rend encore plus difficile la détermina-
tion exacte de l'intervalle ut-ré, c’est que les in-
tervalles uf-ré et ré-mi se confondent pour lo-
reille; or, la tierce étant bien certainement carac-
térisée par ”,, il en résulte que si l’un des deux
intervalles en question est 4/;, l’autre est nécessai-
rement ”,.
Par toutes ces raisons, je crois donc pouvoir
corriger les résultats d’une expérience toujours
sujette à quelques incertitudes en adoptant la va-
leur ; au lieu de ‘/; qui en diffère très-peu du
ul , s S
reste (35) pour la valeur de lintervalle de seconde.
MÉMOIRES. Gi
Nous pouvons donc déjà former le tableau suivant :
Notes de la gamme. ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut°
2 1 ï
Longueur correspondante | 1, er ON ET ET IEL
des tubes. 3 2 9
Il reste à connaître les rapports qui caractéri-
sent les intervalles de quarte et de sixième qui
n’entrent pas dans les tableaux précédents, et
l'intervalle d’octave qui n’a été déduit que d’une
seule expérience directe. Or ce calcul est facile.
En effet : 1.° quarte. = De ré, à sol, dans le
tableau précédent il y a exactement une quarte ;
4
L
or le rapport des longueurs du tube est: Ou
Donc en appelant x la valeur de fa, qui est aussi
la quarte de u£, on aura æ:1=-<oux =+.
2.9 Sixième. — De mi, à la, il y a une quarte;
donc en Ar y la valeur de /a,, on devra
o 2 : 5 2 5
avoir Y :— + doùy=-Xx = =.
SP Dubé = Enfin pour Hs remarquons
que de sol, à ré, il y a une quinte dont le rapport
1 2
est —. Appelant donc z la valeur de ré, on aura
5 I =# 1 CR Es 1 n ? 4 CES FAP C ja
3 doùz==.Or ré =, d’où il ré-
1 A 5
sulte que le rapport d’octave est : OU. Ce
5 Me 3 r
nombre —-ne diffère du rapport trouvé par lex-
rs l 9 2 L 2
périence que de 30 ? et l’on conçoit que déterminé
par le calcul, il offre beaucoup plus de garanties
d’exactitude que le premier.
62 CLASSE DES SCIENCES.
Nous pouvons maintenant former un tableau
complet des notes de la gamme, des longueurs
des tubes propres à les produire, et des intervalles
musicaux qu’elles contiennent.
Q fa
Notes. ul, ré, Mi, fa, sol, la,, st,, ut, ré.
EE Pc
Di 8 Wir Or 286 2
réäut....... 4/5....... ton majeur.
Longueurs des tubes. 1,
miàré...,... 5/6....... ton mineur.
- ji fa à mi.......16/16...... semi-ton majeur.
men sol à fa. ..... Â/5....... ton majeur.
Ha asbl. ReCE ARR ton mineur.
CAC Pleen L co UE: 8 MT ton majeur.
ut, à S.e.:..15/16...,.. semi-ton majeur.
Ce tableau s'accorde avec la composition connue
de la gamme naturelle ; mais les longueurs des
tubes propres à produire les notes sont très-diffé-
rentes de celles des tuyaux ouverts ou fermés dans
lesquels l'air est mis en vibration par une anche
ou par un bec de flûte.
Quant aux notes diésées où bémolisées, l'inter-
valle de tierce mineure étant sans aucun doute
=, on aurait m6? — "eb) si —-— - …. etc. D’où on
HE? 1?
tre m1 naturel (ou DE = mu? ou — x <-.
Sz naturel (ou nn Ê (+) FRE
(5 9
De sorte que pour bémoliser une note il faut mul-
. . = ° 9
plier la longueur du tube qui la donne par —-,
7 + ° 0 0 8
et pour la diéser il faudrait la multiplier Par ,
MÉMOIRES. 63
Dans tout ce qui précède, je n’ai fait varier
que la longueur du tube résonnant; et je viens de
montrer suivant quelles lois le ton varie avec la
longueur du tube à partir du col de la boule. Ces
lois sont surtout dignes de remarque, en ce qu’elles
dérogent complètement aux lois ordinaires des
vibrations de Pair dans les tuyaux.
Il reste encore à examiner l'influence du rayon
de la boule et celle du rayon du tube, qui sont,
comme nous l'avons vu , inverses l’une de l’autre.
J’exposerai, dans un second mémoire, les résultats
des recherches que j'ai commencées à ce sujet.
en ce
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+ 4 1
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Année 1858.
Section Première,
HISTORRL,.
SUJETS DE PRIX.
L’Acanéane devait décerner, en 1838 , une mé-
daille d’or de la valeur de 500 francs à l’auteur
du Mémoire qui fournirait les renseignements les
plus utiles ou la théorie la plus satisfaisante rela-
tivement au halage des bateaux sur les canaux et
sur les rivières.
L'Académie n’ayant reçu aucun Mémoire sur
cette question, l’a retirée du concours.
Elle propose pour sujet du prix à accorder en
1841, celle qui suit :
Indiquer les circonstances dans lesquelles le
minerai de fer, extrait des mines de Rancié, et
traité dans les forges Catalanes des Pyrénées, y
produit une sorte d'acier naturel, dit fer cedat ou
fer fort dans le pays, par opposition au fer doux
ou fer ordinaire que l’on retire habituellement de
ces mêmes forges. Déterminer ensuite les condi-
tions qui assurent la production du fer fort, de
manière à pouvoir lobtenir à volonté.
TOME V. PART. I. 5
66 CLASSE DES SCIENCES. 4
La solution des deux parties de la question doit
être basée sur des faits observés dans les forges
Catalanes, et constatés d’une manière authentique.
Le prix sera une médaille d’or de la valeur de
50o francs.
L'Académie rappelle que le sujet du prix à don-
ner en 1839, est la question suivante :
En admettant les progrès apportés par l’ana-
tomie pathologique dans l'étude et la guérison des
maladies en général, Déterminer les avantages
que les Médecins peuvent en retirer dans le diug-
nostic, le pronostic et le traitement des affections
proprement appelées NERVEUSES.
Le prix sera également une médaille d’or de la
valeur de 500 francs.
EE ——_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—
ÉLOGES.
NOTICE HISTORIQUE
SUR M. LE BARON
Pare PICOT DE LAPEYROUSE,
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES (2);
Par M. pu MÈGE.
Masssirurs,
Lorsqu'après une interruption de quatorze
années , l’Académie reprit le cours de ses impor
tants travaux, ceux d’entre nous qui n’avaient
pas eu lhonneur de lui appartenir avant nos
troubles civils , et qui entraient pour la pre-
mière fois dans ce sanctuaire, se réunirent avec
empressement autour des hommes vénérables,
échappés , comme par un prodige, aux tempêtes
LE LEE AOC SNS AS ON CRIER PORN 10 | APP MC | EN
(1) Get éloge a été lu dans une séance publique de l’Acadé-
mie des Sciences, le 31 août 1819. Le texte n’a reçu de mo-
difications que dans quelques phrases relatives aux opinions.
émises par MM. Ramond et de Lapeyrouse , sur la formation
des montagnes du centre des Pyrénées.
5.
68 CLASSE DES SCIENCES.
publiques, et qui avaient conservé parmi nous
les traditions de nos devanciers , et leur amour si
pur et si vrai pour les sciences, pour les lettres
et pour la vénérable antiquité. Parmi ces hommes
qui nous offraient des modèles à imiter, parais-
sait, au premier rang, l’auteur de la Flore des
Pyrénées. Plein d’ardeur encore, préparant pour
nous et pour lavenir l'Histoire des plantes de nos
montagnes, il nous montrait par ses ouvrages,
par l'exemple de toute sa vie, quels sont les devoirs
que contracte celui qui aspire à l’honneur d’être
associé à vos travaux. Pourquoi faut-il que l’âge
et les chagrins nous aient enlevé, il y a peu de
mois, ce profond investigateur des merveilles de la
nature, ce professeur éloquent , cet administrateur
aussi zélé qu’habile et auquel sa ville natale doit
des établissements qui lillustreront à jamais! In-
terprète de la douleur publique, je n’aurai qu’à
redire quelles furent ses recherches et ses décou-
vertes, pour montrer combien sa vie fut remplie,
et combien il mérita l'estime de l'Europe savante
et les regrets de ses concitoyens.
Pizxppe PICOT , Baron de Bazus et de Lapey-
rouse, Avocat général des eaux et forêts au Par-
lement, Président du directoire du District, Maire
de Toulouse, Chevalier de l’ordre royal de la
légion d’honneur, Correspondant de l'Académie
des Sciences de Paris, et plus tard, de l’Institut
national de France; Inspecteur des mints, Doyen
de la Faculté des sciences et Professeur d'histoire
HISTOIRE. 69
naturelle ; Associé correspondant de la Société
royale d'Agriculture du département de la Seine,
de l’Académie des sciences de Turin, de celles de
Stockholm, des Amis de la nature de Berlin, des
Sociétés scientifiques, littéraires et agronomiques
de Paris, Toulouse , Caen , Grenoble, Montauban,
Auch, etc.; lun des quarante Mainteneurs de lAca-
démie des Jeux Floraux ; Secrétaire perpétuel de
celle des Sciences , Inscriptions et Belles-Lettres de
Toxlouse, naquit dans cette ville, le 20 octobre
1744, de Jacques Picot de Buissaizon et de Thé-
rèse-Guillemette Berdoulat. Nos Annales ont re-
cueilli le nom de Hugues de Picot, Capitoul en
1381; mais, soit que Jacques Picot descendit
de cet ancien magistrat, soit qu’il ne crût pas
pouvoir faire remonter si haut l’origine de sa fa-
mille, il rechercha et obtint la même charge qu’a-
vait occupée Hugues de Picot, et il obtint par là,
pour lui et pour ses fils, tous les priviléges atta-
chés à la noblesse. Philippe Picot de Lapeÿrouse
était l’aîné de la nombreuse famille qui venait
ainsi d’être inscrite parmi celles qui composaient
le second ordre de l'Etat. Il fit ses études dans le
collége de l’Esquille, dirigé alors par les Pères de
la Doctrine chrétienne, et il y obtint constamment
les plus brillants succès. En rhétorique, il rem-
porta les premiers prix qui étaient décernés aux deux
meilleures compositions, en prose et en vers, et
l’on n’a pas oublié que les récompenses offertes en
ces occasions aux élèves, étaient distribuées par les
magistrats de la cité, les Capitouls, exécuteurs tes-
70 CLASSE DES SCIENCES.
tamentaires d'Antoine Ortet , qui avait fondé dans
ce collége des prix d’éloquence et de poésie latines.
Après avoir terminé ses études classiques, Phi-
lippe Picot suivit les cours de l’Université, et y prit
des grades dans plusieurs facultés. Sa famille dési-
rait ardemment qu’il suivit la carrière de la magis-
trature, qui, dans Toulouse, était la plus considé-
rée. Mais, après avoir hésité pendant quelque temps,
il parait que notre confrère aurait préféré la vie
cénobitique à tout l'éclat des plus hautes places, si
ses parents n’avaient en quelque sorte forcé sa vo-
cation, Reçu licencié en droit, en 1767, il fut,
peu de temps après, pourvu, bien malgré lui, de
la charge d’Avocat général à la Chambre des Eaux
et Forêts du Parlement de Toulouse; et quoique
les fonctions qu’il devait remplir ne fussent point
d'accord avec ses goûts, il sut faïre céder ceux-ci
aux devoirs qu’il avait contractés ; et les talents
qu'il montra, autant que la justice impartiale qui
dirigea toute sa conduite, lui méritèrent l’estime
générale. La réforme opérée, en 1771, dans lor-
dre judiciaire, fournit à M. de Lapeyrouse une
liberté après laquelle il soupirait depuis son
entrée au Parlement : il ne voulut point servir
dans les cours créées par M. de Maupeou , et dé-
gagé ainsi de tout assujettissement, et tandis que
la France, humiliée au dehors, s’agitait déjà,
livrée à des factions, il se retira dans les Pyrénées.
Dès ses plus jeunes ans, il s'était senti entraîné
par un penchant irrésistible vers l'étude de lhis-
toire naturelle : souvent il se dérobait aux jeux de
HISTOIRE. 74
ses compagnons pour aller recueillir une plante,
une fleur remarquable, dont il se plaisait ensuite
à décrire le port, les formes et la couleur : pré-
sages assurés des succès qui l'attendaient un jour
dans la carrière qu’il a si glorieusement parcourue.
À l’époque où M. de Lapeyrouse entra dans nos
montagnes, celles-ci étaient peu connues sous le
rapport scientifique. Ce fut Tournefort qui explora
le premier les Pyrénées; mais ce qu'il a donné
à ce sujet était loin de répondre aux désirs des
Académies les plus célèbres , qui sentaient le be-
soin d’appeler de nouveau des regards investigateurs
sur cette chaîne immense , qui non-seulement cou-
vre l'isthme que pressent les deux mers, mais qui
s'étend aussi sur une vaste portion de la Péninsule
Hispanique. Astruc, dans ses Mémoires sur PHis-
toire naturelle du Languedoc , n'avait pas rempli
la tâche que le titre de son ouvrage semblait in-
diquer. Bordeu et Carrère n’avaient étudié que les
eaux minérales qui sourdent de nos rochers (x).
On ne pouvait guère citer les travaux de Labaig(2),
de Roussel (3) ou de Thierry (4). Plusieurs sa-
LT APCE nt ee : 2e Dia UE SE
(1) Lettres contenant des Essais sur les Eaux minérales
du Béarn, 1742, Toulouse. — Aquitaniæ minerales aqueæ ,
1954, Paris.
(2) Parallèle des Eaux-Bonnes , des Eaux-Chaudes, des
Éaux de Cauterets et de celles de Baréges, 1750 , Ams-
terdam.
(3) Observations sur les fossiles des environs de Bagnères
et de Baréges , et sur les Eaux minérales de Bagnères.
(4) Lettres contenant la relation d'un voyage fait à Ba-
règes, à Cauterets et à Bagnères, 1760.
ma CLASSE DES SCIENCES.
vants allaient bientôt étudier la contexture des
Pyrénées et en rechercher toutes les productions ;
mais Lapeyrouse fut le premier qui s’en occupa
avec le plus de succès. Ses découvertes, ses obser-
vations lui fournirent, dès l’année 1772, les sujets
de plusieurs Mémoires importants, et les Acadé-
mies des Sciences de Paris et de Toulouse, de
Stockholm et de Turin, le comptèrent bientôt au
nombre de leurs associés. Il avait tracé la voie, et
une foule d'hommes recommandables y entrèe-
rent. Il guida le célèbre Dolomieu sur les cimes
escarpées qui environnent Baréges , et il eut le
bonheur de lui sauver la vie sur le pic de Lhieris.
Monge et Darcet y suivirent Dolomieu. Leurs ob-
servations sur le baromètre , leurs nivellements et
leurs divers travaux dans cette longue suite de
montagnes, intéressèrent toute l’Europe savante(r).
Tronçon du Coudray (2) et Duhamel (3) s’occu-
pèrent des mines et des forges du Comté de Foix;
Diétrich rechercha les gîtes de minerai qui existent
(1) Observations sur le Baromètre , faites dans les Pyré-
nées , conjointement avec le nivellement d'une montagne ,
1774, Paris.— Nivellement depuis Luz jusqu’au Pic d’Ayré,
1776, Paris. — Discours en forme de Dissertation sur l’état
actuel des Montagnes des Pyrénées et sur les causes de leur
dégradation , 1976, Paris.
(2) Mémoire où sont décrits les ateliers et le travail des
Jorges du pays de Foix et du Roussillon, 1775.
(3) Description de la construction des forges du Comté de
Foix et du Roussillon, 1785.
HISTOIRE. 73
dans les Pyrénées (1); Pasumot s’attacha surtout à
la constitution géologique des environs de Barèges,
Bagnères, Cauterets et Gavarnie (2); Dussaulx
parcourut en enthousiaste nos belles montagnes (3);
Saint-Amans y traça quelques pages étincelantes
d'esprit (4); Ramond y trouva les imposants ta-
bleaux qu'il sut revêtir des couleurs d’un style ad-
mirable. Palassou (5), qui, le premier, jeta des
idées neuves sur la formation des hauteurs qui
hérissent cette portion du globe, embrassa dans
le plan qu'il sétait tracé tout le versant septen-
trional : « et lorsqu’on a parcouru ces lieux escarpés,
on à peine à comprendre qu’un seul homme ait
pu en visiter presque toutes les vallées, et jusqu’à
leurs réduits les plus profonds; que, la boussole à
la main, il ait exécuté un travail géographique
d’un côté, orthographique de l’autre , botanique en
même temps, et qu’il ait observé avec tant d’exac-
titude les gisements des bandes de roches qui cons-
tituent ces montagnes.» Cependant, malgré tant
de travaux, entrepris et exécutés avec un rare bon-
heur, il demeura une part immense à notre con-
(1) Description des gîtes de minerai , des forges et des sa-
lines des Pyrénées. Paris, 1786.
(2) Voyages physiques dans les Pyrénées.
(3) Voyages à Barëges et dans les Hautes-Pyrénées.
(4) Fragments d'un voyage sentimental et pittoresque dans
les Pyrénées.
(5) Essai sur la minéralogie des monts Pyrénées , suivi
d’un catalogue des plantes observées dans cette chaîne de
montagnes.
74 CLASSE DES SCIENCES.
frère dans la description scientifique des Pyrénées.
Connu , estimé pour ses travaux, il recevait de
toutes parts des marques non équivoques de l'estime
des hommes les plus illustres. Dans lé grand nom-
bre de ses premières publications, on distingua sa
Description de plusieurs nouvelles espèces d’ostra-
cites. Son Traité des forges et des mines du Comté
de Foix, venu après les écrits de Troncon du
Coudray et de Duhamel sur les mêmes sujets, ob-
ünt un succès incontesté. Il fut recherché par tous
ceux qui s’occupaient non-seulement de l’histoire
naturelle, mais encore de la manipulation du fer.
Traduit en allemand, et réimprimé plusieurs fois,
cet ouvrage devint classique dans la Saxe et dans
une partie des provinces Suédoises.
En commençant cette [Votice, nous avons dit
que Tournefort avait, le premier, considéré les
Pyrénées sous un point de vue scientifique, et
nous avons dû le dire, parce que lui seul avait
accompli plusieurs voyages au sein de ces mon-
tagnes, et que, dans ses Jnsëtutiones rei her-
bariæe , il avait signalé et classé les espèces qu'il
avait découvertes lui-même dans cette partie
de la France. Jehan Bauhin et Cherler (1),
Clusius (2), Lobel et Pena (3), Gaspard Bauhin
d’après Burser (4), Richier de Belleval (5) et
(1) Historia Plantarum universalis. Ebroduni, 1650.
(2) Rariorum Plantarum historia. Antuerpiæ , 1601.
(3) Stirpium adversaria nova. Antuerpiæ , 1576.
(4) Dans son Prodrome , page 42, 84, 87, 116, 132, etc.
(5) Nomencl. stirp. quæ in Horto Regio Monsp. coluntur.
HISTOIRE. 75
quelques autres , tels que Magnol , Jean Raï (1),
Barrelier (2), le Monnier (3), Quer (4), Gouan (5),
etc., avaient aussi fait connaître quelques plantes
pyrénéennes ; mais leurs travaux isolés ne pou-
vaient être comparés à ceux de Tournefort ; et
ce n’étaient que ce dernier, comme botaniste ;
Astruc , Bordeu , Roussel, Monge et Darcet,
comme physiciens ; Pasumot et Palassou , comme
géologues ; Ramond , Dussault et Saint-Amans,
comme écrivains, qui avaient fait connaître les
Pyrénées, mais, sous beaucoup de rapports, d’une
manière très-imparfaite. Pierre Barrera, auteur
de divers ouvrages imprimés, et d’une Topogra-
phia botanica Ruscinonensis , encore inédite,
conçut en faveur de la botanique de nos con-
trées un plus vaste projet que tous ceux for-
més par ses devanciers. [l voulut écrire une topo-
graphie botanique complète des Pyrénées. Il les
avait divisées en seize parties , et il devait consa-
crer une année à l’examen de chacune d'elles ;
mais il n’exécuta point ce dessein. La gloire de
donner au monde savant et la Flore de nos
montagnes et l'Histoire des plantes qui y croissent
(a) Vid. Stirpium Europæam extrà Brilannias nascentium
syllog. , fol. 367.
(2) Plantæ per Galliam, Hispaniem et Italiam observatæ.
* (3) Vid. à la suite de la Méridienne de Paris, vérifiée dans
toute l'étendue du royaume , les observations faites dans les
provinces méridionales de la France.
(4) Flore Espanola.
(5) Observationes et Illustrationes Botanicæ.
76 CLASSE DES SCIENCES.
spontanément , était réservée à notre illustre
confrère.
Les jardins de notre Académie, placés sous sa
direction , devaient déjà à ses soins et à ses voya-
ges multipliés, plus de huit cents plantes consi-
dérées comme les plus rares des Pyrénées ; cette
collection , alors unique , offrait les plus précieux
avantages aux élèves qui suivaient les cours que
l’Académie faisait faire dans ses jardins ; et en
outre, dans les mains de M. de Lapeyrouse , elle
servait puissamment au perfectionnement de la
science. En épiant avec attention les degrés d’al-
tération que la culture , variée avec intelligence,
produisait sur ces plantes , l'Académie croyait
avoir des moyens plus sûrs pour reconnaître les
limites qui séparent les espèces, et pour déter-
miner celles des variétés qui leur sont subor-
données. Les importantes discussions botaniques
qui avaient lieu alors dans les séances de cette
Société , et dont l’objet principal était , tantôt la
détermination de plusieurs genres , tantôt celle
de plusieurs espèces peu ou point connues, ajou-
taient constamment des faits nouveaux à la science.
Ces discussions, dans lesquelles M. de Lapeyrouse
faisait preuve d’une sagacité remarquable , mon-
traient d’ailleurs qu’il s’occupait sans relâche de la
Flore des Pyrénées. Ce savant pensait, avec raison,
qu’un travail de ce genre ne devait pas être un
simple catalogue , et qu’un tel travail imposait
une tâche bien autrement difficile et qui exigeait
de celui qui voulait la remplir, Pobligation
HISTOIRE. 77
d'examiner sur leur sol natal le plus d'individus
possible ; de les comparer avec les descriptions
qui en avaient été publiées ; de signaler les
erreurs de celles-ci, et d'apporter dans ce tra-
vail une critique éclairée et une érudition peu
commune. D'ailleurs c'était une nécessité de re-
présenter avec fidélité , avec élégance , toutes les
plantes qui devaient être indiquées dans cet ou-
vrage ; et il fallait que leurs images, par l’art avec
lequel elles seraient tracées, offrissent , non-seule-
ment leur port, leur aspect général , leurs cou-
leurs, mais aussi leurs caractères scientifiques et
les moyens de les reconnaître aux différentes épo-
ques de leur existence. Ce travail présentait donc
des difficultés de plus d’un genre; et s’il n’était pas
au- dessus des forces d’un seul homme , il exi-
geait du moins une assez longue suite d’années
pour atteindre à toute la perfection désirable. M. de
Lapeyrouse fit cependant hommage à l’Académie,
dès le commencement de l’année 1787, du premier
‘fascicule de son livre(r). C'était un ouvrage dans
le genre des Flores d'Autriche et de Russie, et l’au-
teur allait se placer au même rang que MM. Jaquin
et Pallas. Mille ou douze cents plantes devaient
être représentées dans ce grand ouvrage. Mais la
(1) Icones Floræ Pyrenaïcæ , cujus Plantas in natalibus
exploravit, ex vivo depingi curavit , descriptas notis et obser-
vationibus illustravit Philippus Picot de Lapeyrouse , Baro
de Bazus, etc. Reg. Scient. Acad. Tolosanæ , Holmensis
Soc. Academ. Scient. Parisiensis corresp. nec non Societ.
Reg. Agrariæ , etc. , etc. |
78 CLASSE DES SCIENCES.
révolution vint interrompre cette publication im-
portante ; la révolution ferma aussi les portes de
notre Académie, et ce ne fut qu'après quatorze
années d’un silence forcé que cette compagnie,
dont l'origine remonte au XVII.° siècle , put
reprendre le cours de ses travaux qui n'avaient
pas été sans utilité, sans retentissement et sans
gloire (1). Plus heureux qu’une partie des sa-
(x) Pour apprécier convenablement les travaux de nos de-
vanciers, il suffit de parcourir la collection , en quatre volumes
in-4.° , qu'ils ont publiée, et auxquels toutes les sciences ont
fourni un riche tribut. Il faut aussi, pour bien comprendre
la haute portée des études de cette compagnie, parcourir la
longue liste des sujets de prix donnés par elle, depuis
Pannée 1747 jusqu'à l’époque où une loi supprima tous les
corps scientifiques. Nous avons cru devoir rapporter dans
cette note la série de ces sujets de prix, qui ont fait naître des
ouvrages encore consultés , encore célèbres.
1747. Déterminer la cause physique de l’aplatissement
de la terre, tel qu’il a été déterminé par les opérations faites
au cercle polaire, en France, et à l’équateur. Le prix fut
réservé , et annoncé double pour l’année 1750.
1748. Assigner la nature et la cause de la rage , et quels
en peuvent être les préservatifs et les remèdes. Le prix fut
adjugé à M. Sauvages , professeur en médecine à Montpel-
lier.
1749. Fixer le temps où les sciences et les arts ont com-
mencé à être cultivés chez les Volces, et marquer les change-
ments qu’ils occasionnèrent dans les mœurs, les coutumes et
la religion de ces peuples. M. l’abbé de Guasco remporta le
prix.
1750. Le même sujet qu'en 1747. Le prix double fut ad-
jugé à M. Clairaut, de l'Académie des Sciences de Paris; et
tout le monde sait combien l’ouvrage couronné en cette occa-
HISTOIRE, 79
vants qui la composaient à l’époque où elle fut
bannie de son honorable asile , M. de Lapeyrouse
sion par celle de Toulouse honora ce corps scientifique , et
l'auteur qui avait été distingué par lui.
1791. La théorie dde l’ouïe. Le prix fut réservé, et annoncé
double pour l’année 1954.
17922, L'état des Sciences et des Arts, à Toulouse, sous
les rois Visigots, et quelles étaient les lois et les mœurs de
cette ville, sous le gouvernement de ces princes. Le prix
offert pour cette grande question historique, fut réserve, et
annoncé double pour 1755.
1753. Déterminer la direction et la forme la plus avanta-
geuse d’une digue, pour qu’elle résiste, avec tout l'avantage
possible, à l'effort des eaux, en ayant égard aux diverses
manières dont elles tendent à la détruire. Le prix fut réservé,
et annonce double pour 1756.
1704. Le même sujet qu'en 1751. Le prix fut encore re-
servé et annoncé triple pour 1757.
1755. Même sujet qu’en 1752. Le prix fut réservé , et an-
noncé triple pour 1758.
1726. Même sujet qu’en 1753. Le prix fut réservé, et an-
uoncé triple pour 1759.
1757. Même sujet qu’en 1751 et 1754. Le prix triple
(une médaille d’or de 1500 fr. ) fut adjugé à M. Le Cat, chi-
rurgien à Rouen.
1758. Mème sujet qu'en 1951 et 1955. Le prix fut encore
réservé, et annoncé quadruple pour 1561.
1759. Même sujet qu’en 1753 et 1756. Le prix fut réserve,
et annoncé quadruple pour 1562.
1760. Les moyens de reconnaître les contre-coups dans les
corps humains, et d’en prévenir les suites, Le prix fut réserve,
et annoncé double pour 1763.
1761. Même sujet qu’en 1752, 1755 et 1758. Le prix qua-
druple (une médaille d’or de la valeur de 2000 fr.) fut ad-
juge à M. Lagane, procureur du Roi au Sénéchal de cette
80 CLASSE DES SCIENCES.
reparut, en 1807, au milieu de ce corps rétabli
par un Gouvernement réparateur, qui avait senti
ville. Cet ouvrage n’a pas été imprimé. La copie autographe
que javais retrouvée et fait placer dans un dépôt public, n’y
existe plus.
1762. Même sujet qu’en 1953, 1756 et 1759. Le prix
quadruple (une médaille d’or de 2000 fr.) fut adjugé à
M. l'abbé Bossut , membre de l’Académie des Sciences de
Paris, età M. Viallet, de la Société littéraire de Châlons-sur-
Marne.
1763. Même sujet qu’en 1760. Le prix fut réservé, et an-
noncé triple pour 1766.
1764. Déterminer l’origine et le caractère des Tectosages,
létendue et l’état de la partie de la Celtique qu’ils occupè-
rent jusqu’à l'entrée des Romains dans leur pays, et les ex-
cursions qu'ils firent avant cette époque. Le prix fut réservé,
et annoncé double pour 1767.
1765. Donner les lois du frottement des fluides en mou-
vement. Le prix fut adjugé à M. l’abbé Bossut, membre de
l'Académie des Sciences de Paris.
1766. Même sujet qu’en 1760 et 1763. Le prix futréservé,
et annoncé quadruple pour 1769.
1767. Même sujet qu’en 1764. Le prix double fut adjugé
à M. Roudil de Berriac, de Carcassonne.
1768. Déterminer les lois du retardement qu’éprouvent les:
fluides dans les conduits de toute espèce. Le prix fut adjugé
à M. l'abbé Bossut ; cependant l’Académie voulant offrir um
travail encore plus parfait , présenta le même sujet aux médi-
tations des savants pour l’année 1771.
1769. Même sujet qu’en 1760 , 1763 et 1766. Le prix fut
réservé. ù
1770. Déterminer 1.° les révolutions qu’éprouvèrent les
Tectosages , la forme que prit leur gouvernement , et l’état
de leur pays sous la domination successive des Romains
et des V'isigoths ; 2.° leurs lois et leur caractère sous la puis-
HISTOIRE. Bi
qué les institutions de la vieille France pouvaient
jeter un grand éclat sur la France nouvelle, fati-
sance des Romains. Le prix fut réservé et annoncé double
pour 1773.
1771. Même sujet qu’en 1768. Le prix fut adjugé au Traité
dhydrodynamique , dont l’auteur , M. l'abbé Bossut , de VA-
cadémie des Sciences de Paris , avait fait hommage à la Com-
pagnie.
1772. Les avantages de l’inoculation , et la meilleure mé-
thode de l'administrer. Le prix fut adjugé à M. Camper,
Professeur d'anatomie, de chirurgie et de médecine dans
l'Université de Groningue.
1773. Même sujet qu’en 1770. Le prix fut réservé et an-
noncé triple pour 1776.
1774. Même sujet qu’en 1772. Le prix fut réservé et an-
noncé triple pour 1777.
1775. Déterminer les effets de l'air fixe du corps humain ,
des aliments et des médicaments , relativement à l’économie
animale. Le prix fut réservé et annoncé double pour 1778.
1776. Même sujet qu’en 1770 et1773. Le prix fut réservé
et annoncé quadruple pour 1780.
1777. Même sujet qu'en 1771 et 1774. Le prix fut réservé
et annoncé quadruple pour 1780.
1778. Même sujet qu'en 1775. Le prix double ( une mé-
daille d’or de mille francs ) fut adjugé à M. Thouvenel , mem-
bre de la Société royale de médecine , intendant des eaux
minérales de Contrexeville.
1779. Même sujet qu'en 1770 , 1773 et 1776. Comme il ne
fut pas traité dans ce quatrième concours d’une manière satis-
faisante , l’Académie y renonça.
1780. Même sujet qu’en 1774 et 1777. Trois concours de
suite n'ayant rien produit de satisfaisant sur cette question ,
YAcademie y renonca.
1781. Assigner les effets de l'air et des fluides aériformes,
äntroduits dans le corps humain, relativement à l’économie
TOME V. PART, I. 6
82 CLASSE DES SCIENCES.
guée par de longues commotions, et qui reportait
déja ses regards vers un passé glorieux, et y cher-
animale. Le prix fut réservé, et élevé à une valeur quadruple
pour 1784.
1782. Les avantages , en général, de l'établissement des
Etats Provinciaux, et, en particulier, de ceux dont de Langue-
doc est redevable aux Etats de cette province.
1783. 1.° L’influence de Fermat sur son siècle , relative-
ment aux progrès de la haute géométrie et du calcul, et
l'avantage que les mathématiciens ont retiré et peuvent retirer
encore de ses ouvrages. Le prix fut remporté par M. l'abbé
Genty , d'Orléans.
2.0 Déterminer les moyens les plus propres et les plus
avantageux de conduire dans la ville de Toulouse une quan-
tité d’eau suffisante, soit des sources éparses dans le terri-
toire de cette ville , soit du fleuve qui baigne ses murs, pour
Journir en tout temps, dans ses différents quartiers, aux
besoins domestiques, aux incendies et à l’arrosement des rues,
des places , des quais et des promenades.
1784. Même prix qu'en 1781.
Les autres sujets de prix proposés par l’Académie jusqu’à
l'époque de sa séparation , en 1792, coffrirent tous un grand
intérêt scientifique ou industriel. Ainsi , en 1788, ôn demanda
de Déterminer la cause et la nature du vent produit par les
chutes d’eau , principalement dans les trompes des forges à
da Catalane, et d’assigner les rapports et les différences de
ce vent avec celui quiest produit par l’éolipyle. Le prix fut
réservé et offert double pour lan 1792 : ainsi , elle demanda,
pour 1791, D’assigner les principales révolutions que le com-
-merce de Toulouse a subies, et les moyens de l’animer., de
l’étendre et de détruire les obstacles, soit moraux , soït phy-
siques s'il en est, qui s’opposent à son activité et à ses pro
grès. Le prix était triple, et consistait en une médaille d’or de
la valeur de 1500 fr. Enfin, en 1791, elle proposa pour 1792
cette question qu’elle avait déjà proposée pour 1 787, et'ensuite
pour 1790 : 1.° D’indiquer dans les environs de Toulouse et
HISTOIRE. 83
chait des exemples à suivre, des vertus à imiter.
Ainsi qu'un grand nombre de savants, de gens
de lettres, de penseurs profonds , M. de Lapey-
rouse avait, dès les premiers jours de la révolu-
tion , conçu Pespérance de voir bientôt fonder un
bonheur durable sur une Constitution imposée
au meilleur des rois. Encouragé par d’illustres
exemples, excité peut-être par le besoin impérieux
de concourir à la félicité générale, il accepta des
fonctions publiques. Ailleurs aussi, et surtout dans
la capitale , des hommes recommandables par de
grands travaux, par de nobles pensées, s’élancè-
rent, sans méfiance, dans la dangereuse carrière qui
s’ouvrait devant eux. Fascinés par de généreuses
illusions, ils n’apercevaient point Pabime qui déjà
s’entr'ouvrait sous leurs pas. Ils croyaient que leur
attachement sans bornes, et leur respect profond
pour les lois nouvelles, en assureraient la durée;
ils espéraient surtout que les vertus du monarque
désarmeraient les factions : ils se trompaient. Le
génie de l’homme peut bien surmonter une partie
des obstacles que la forte nature oppose à ses créa-
tions multipliées ; il peut bien soumettre les êtres
les plus féroces à sa volonté souveraine; mais il
ne saurait triompher, ni des passions populaires, ni
dans l'étendue de dix lieues à la ronde, une terre propre à
fabriquer une poterie légère et peu coûteuse, qui résiste au
Jeu , qui puisse servir aux divers usages du ménage , et aux
opérations de la chimie et de l’orfévrerie ; 2.° de proposer
un vernis simple, pour recouvrir la poterie destinée aux
usages domestiques , sans nul danger pour la sante.
6.
84 CLASSE DES SCIENCES.
de lentraînement des idées. Ce torrent brise et ren
verse toutes les digues qu’on oppose à ses ravages,
et il emporte et roule dans ses flots les imprudents
qui ont cru pouvoir diriger à leur gré sa course
orageuse.
Nommé Président du District de Toulouse, notre
savant confrère rencontra dans sa marche les ré-
sistances opiniâtres, les écueils sur lesquels devait
bientôt se briser le nouvel ordre de choses. Sans
doute, une partie de la France applaudissait aux lois
qui changeaient en entier et les principes et les for-
mes de l'administration. Mais, en Languedoc, en
Provence, en Bretagne, dans tous les pays qui pos-
sédaient des Etats Provinciaux, ces changements,
regardés peut-être ailleurs comme des bienfaits,
aggravaient le sort des populations. Jusqu’alors les
fonds provenant des impôts étaient demeurés et
avaient reçu leur emploi dans les lieux mêmes où
on les avait soldés. Un Don GRATUIT, purement vo-
lontaire , octroyé sans conséquence (1), et qui ne
(1) On lit dans le Compte rendu des Impositions et des Dé-
penses de la Province de Languedoc , imprimé en 1789, p. 30:
« La condition principale sous laquelle les Etats accordent
le Don gratuit, est que nulles impositions et levées de deniers
ne pourront être faites sur le général de la Province, ni sur
les villes et communautés en particulier, ni sur les habitants,
en vertu d'aucuns édits bursaux , déclarations, jussions et
autres provisions contraires à ses droits et libertés ; quand
même elles seraient faites sur le général du royaume. »
On trouve ailleurs que tout ce que le gouvernement perce-
yait était un simple octroi de la Province, qui exprimait ce
qu’elle entendait par don volontaire, dans les termes suivants :
HISTOIRE. 85
s’élevait guère qu’à la sixième partie des tributs,
était tout ce que le trésor de l'Etat percevait en
Languedoc, et il n’était pas très-facile alors de
prouver que la centralisation générale des fonds
à Paris tournerait au profit des contribuables de
cette province. D’un autre côté, les partisans des
anciennes libertés communales assuraient que les
conseils municipaux ne représentaient plus, comme
autrefois, toutes les classes de citoyens, qui y assis-
taient par des députés pris dans les diverses pro-
fessions ; et ils ajoutaient que les élections popu-
laires, nouvellement instituées, étaient moins li-
bérales, moins en rapport avec la souveraineté du
peuple, dont cependant on venait de proclamer
les droits imprescriptibles , que celles que lon
avait proscrites , et qui appelaient dans le conseil
des villes tous ceux qui avaient acquis le droit de
cité (1). Il fallait combattre ces critiques amères
« Les gens des Trois-Etats de la Province de Languedoc,
assemblés par mandement du Roi, ayant entendu la demande
à eux faite, au sujet des impositions que S. M. requiert être
faite sur ledit pays , savoir... Bien que cette Province soit
accablée par les grandes impositions qu’elle fait vo/ontaire-
ment pour le service de S. M., néanmoins pour témoigner
qu'elle a beaucoup plus de passion pour le service de S. M.
ue pour son propre soulagement , les gens des Trois-Etats ont
litéralement octroyé et accordé au Roi, leur souverain,
prince et seigneur , pour l’année... ef sans conséquence ,
lesdites sommes, et consentent qu’elles soient imposées sur
Jadite Province pour ladite année... »
(1) Voyez le Procès-verbal de l'assemblée générale de tous
les ordres et corporations formant le Tiers-État de la ville
et banlieue de Foulouse, du 6 fevrier 1789.
86 CLASSE DES SCIENCES.
du nouvel ordre de choses, surtout il fallait le
faire aimer. Toulouse perdait par la révolution
toute son importance; ce n’était plus cette an-
cienne et puissante Capitale du royaume d’Aqui-
taine , demeurée la métropole de la plus belle pro-
vince de France; ce n’était plus qu’un chef-lieu de
département. Des tribunaux dont le ressort pou-
vait être parcouru en peu d'heures, remplaçaient
un Parlement célèbre, qui comptait d’ailleurs
plus de deux millions de justiciables. Le méconten-
tement se manifestait avec éclat; il fallait en préve-
nir les conséquences ; il fallait créer de nouvelles
ressources pour cette grande ville , qui trouva dans
M. de Lapeyrouse un défenseur aussi zélé qu’ha-
bile. Elle avait successivement perdu sa couronne
royale, celle de ses comtes souverains, et la pour-
pre de ses magistrats. Notre confrère voulut lui
assurer le sceptre de la science et des arts. Dans
un écrit publié à cette époque (1), il posa en prin-
cipe que de tous les objets soumis aux délibéra-
tions de l’Assemblée nationale, l’un des plus im-
portants était celui de la réforme des études et
de l'établissement d’un bon système d'éducation
publique. Il montra ensuite que les grands centres
d'instruction ne pouvaient, sans danger, être placés
indistinctement dans tous les chefs-lieux des nou-
velles divisions territoriales. IL voulut former de
grands centres d'instruction, en prenant pour mo-
tifs de désignation des points où il plaçait les
(1) Voyez l'écrit de M. de Lapeyrouse sur les Lycées.
HISTOIRE. 87
institutions scientifiques et littéraires , la position
géographique, les anciennes habitudes , et aussi
la nécessité de fournir aux lieux que la révolution
privait de leurs éléments de prospérité, des ins-
titutions plus durables, sil était possible, que
celles qui venaient de disparaître au milieu des
tempêtes publiques. M. de Lapeyrouse distingua
surtout, dans le nombre des villes qui devaient ac-
quérir, sous le rapport de l'instruction, une grande
importance, sa ville natale, qui avait si bien mérité
l’épithète de Palladienne que les poëtes de Rome
lui avaient donnée. Notre confrère cherchait à y
fixer, pour une grande partie du midi de la France,
l’enseignement de toutes les connaissances physi-
ques, mathématiques et historiques, et aussi celles
qui se rapportent aux arts dépendants du dessin ;
et, s'il n’obtint pas le succès que méritaient ses
généreux efforts, ne l’attribuons qu’à la marche
pressée des événements, et à la coupable indiffé-
rence des farouches dominateurs qui succédèrent
à l’Assemblée nationale. Quinze ans plus tard,
M. de Lapeyrouse réalisa ses projets, et consacra
le souvenir de l'honorable magistrature dont il
fut revêtu , en dotant son pays d’une école digne
à la fois et de sa noble destination et du savant
révéré qui en fut le créateur.
Nous avons parlé de la marche pressée des évé-
nements qui désolèrent la France. Les fastes de
l'histoire n’avaient pas conservé le souvenir de
changements aussi complets, aussi prompts, dans
les lois et les attributs d’un gouvernement. La
60 CLASSE DES SCIENCES.
charte de 1791, qui avait succédé à l’ancienne
constitution française, fut détruite en 1792, et
tous ceux qui avaient embrassé de bonne foi le
nouveau système établi par l'Assemblée nationale
furent forcés, ou de violer les serments qu'ils
avaient prêtés naguères, ou d'aller chercher un
asile contre les nouveaux dominateurs de la France
épouvantée. Aux massacres du mois de septembre
succédèrent les événements à jamais déplorables du
21 janvier, du 31 mai et du 2 juin. Le parti cons-
titutionnel d’abord vaincu au 10 août, puis se rat-
tachant à la faction de la Gironde, fut entièrement
abattu lorsque les chefs de celle-ci tombèrent sous
les coups de leurs ignobles adversaires. Vainement
à Bordeaux et à Toulouse on conçut Pidée d’ap-
porter des obstacles au triomphe de la minorité de
la Convention. Ces deux villes n’opposèrent aucune
résistance sérieuse : Marseille et Toulon succombè-
rent; Lyon parvint seulement à illustrer sa défaite.
Les hommes qui avaient embrassé de bonne foi les
principes de 1789 et de 1701, furent dépassés. À
un gouvernement constitutionnel succéda un gou-
vernement révolutionnaire, et tous ceux qui avaient
servi le premier, et qui avaient cherché à compri-
mer les efforts de l’anarchie, furent désignés comme
des victimes promises aux échafauds de la terreur.
L’estime que la science, le talent ou d’honorables
souvenirs avaient méritée à un grand nombre
d'hommes , fut pour eux un titre de proscription.
Condorcet lui-même, qui avait pendant long-
temps abusé de sa haute célébrité pour propager les
HISTOIRE. 89
principes du philosophisme, monta sur l’échafaud
dressé par ses disciples. Bailly, descendant des
hauteurs où son génie s’était élevé, pour s’occu-
per uniquement des intérêts mesquins d’un parti,
mourut victime de ceux qui l'avaient le plus vanté ;
Roucher, qui appartenait à notre province, et
André Chénier, qui en était originaire , furent
livrés au supplice, seulement parce qu’ils avaient
désiré que la Révolution s’accomplit sans verser
le sang de linnocence. Lavoisier fut coupable
parce qu'il était l’homme le plus savant de son
époque; Malesherbes , parce qu'il était le plus
vertueux. Dans nos provinces , comme à Paris,
tout ce qui se distinguait au-dessus du vulgaire
était voué à la proscription ; et M. de Lapeyrouse,
constitutionnel de 1791,administrateur instruit et
surtout plein de zèle pour son pays , fut jeté dans
Vune de ces innombrables Bastilles que le génie
des tyrans avait érigées sur le sol de la France
ensanglantée. Renfermé dans la maison des Car-
mélites , il en vit arracher, réclamés par le bour-
reau , une partie de ses compagnons de captivité,
tandis que, de l’une des prisons voisines, sortaient
en longues colonnes les magistrats vénérables qui
avaient composé le second parlement du royaume;
infortunés, qu'au milieu de toutes les humiliations,
et livrés à toutes les souffrances physiques, l’on
trainait jusque dans la capitale pour y entendre
prononcer leur arrêt de mort, comme si Toulouse
m'avait pas alors assez de juges et de jurés dévoués
à la tyrannie. M. de Lapeyrouse aurait partagé
90 CLASSE DES SCIENCES.
le sort de tant de nobles victimes ; mais les jours
de la justice se levèrent enfin. L'événement du 9
Thermidor rendit notre confrère aux vœux de sa
famille. La culture des sciences avait charmé les
jours de sa captivité : comme Bailly, comme Millin,
comme Roucher, il avait trouvé des consolations
dans l'étude , et lorsqu'il fut libre, il reprit avec
une nouvelle ardeur des travaux que la certitude
d’une mort affreuse n’avait pas même interrompus.
Bientôt après, la Flore des Pyrénées, l'un des plus
grands, l’un des plus beaux ouvrages dont la
botanique française pût alors shonorer, annonça
toute l’importance des longues recherches de notre
confrère,
Les Pyrénées, par l'étendue et par la position de
leurs principales chaînes, par la diversité de leurs
sites , de leurs aspects et de leur température, of-
frent une étonnante variété dans leurs productions
végétales. Cependant , ainsi que nous l'avons dit,
les plantes qui recouvrent les flancs de ces monta-
gnes, qui en embellissent les vallées, et qui por-
tent l’image de la vie et de la fécondité jusqu’au-
près des neiges éternelles, jusqu'aux bords des
glaciers sourcilleux qui en recouvrent les cimes ;
cette histoire, que réclamaient depuis longtemps
tous les amis de la science, restait encore à faire.
Ce n’était pas trop pour l’entreprendre, pour la
terminer, que des talents et des travaux assidus
d’un homme dévoué à l'étude de ces belles mon-
tagnes, qui les avait parcourues pendant quarante
années , qui avait observé, avec un zèle toujours
HISTOIRE. 91
égal et des succès non interrompus , toutes leurs
productions naturelles ; mais il paraissait suffisant,
dans une Flore, de ne s'occuper que des plantes
qui n'étaient point connues , qui l’étaient mal, ou
qui n’avaient pas encore été figurées. C’est ce que
fit M. de Lapeyrouse, qui se promettait d'écrire
un jour l’histoire de toutes les productions végé-
tales du versant septentrional des Pyrénées. L’art
du graveur devint nécessaire à exécution de cette
belle entreprise, et, il faut l'avouer, l'art du gra-
veur avait besoin, en ce genre, de nombreuses amé-
liorations. On les dut alors au zèle, à la munificence
de M.de Lapeyrouse : de nouvelles méthodes artisti-
ques furent inventées, perfectionnées ; et quelque-
fois, pour ajouter au charme de ses dessins, M. de
Lapeyrouse emprunta le moelleux pinceau de Re-
douté. N’oublions pas que dans les descriptions sys-
tématiques notre savant confrère sut, le premier,
dit-on, donner à notre langue le laconisme que le
grand Linnée a introduit avec tant de bonheur dans
celle qu'il a créée pour l’histoire naturelle. Voulant
parvenir au même but, M. de Lapeyrouse supprima
les verbes et les articles , adopta des mots dérivés
du grec et du latin, et parvint, par ces moyens
ingénieux, à construire des phrases botaniques qui
eurent toute la précision, toute l'exactitude des
phrases latines auxquelles il les avait unies.
Peu de temps après la publication des premiers
cahiers de la Flore ; M. de Lapeyrouse fut nommé
Inspecteur des mines. Appelé à Paris , il ne dé-
mentit point l’idée avantageuse que lon avait
92 CLASSE DES SCIENCES.
conçue de ses talents. Cette ville orgueilleuse ,
riche de tous les trésors de l’observation et de la
science, de toutes les conquêtes de l'esprit humain,
applaudit aux travaux de notre illustre compa-
triote , et lorsqu’il donna, dans l’Ecole des mines,
des leçons publiques aux nombreux auditeurs
accourus pour l’entendre , on admira la noblesse
de sa diction , élégance de son style, le charme
de ses discours , la profondeur de ses connaissan-
ces. On put s’apercevoir alors qu'il n’avait pas
seulement étudié la nature dans le silence du
cabinet et dans les livres , mais que, se dirigeant
vers les plus hautes sommités , gravissant les rocs
les plus escarpés , portant partout un regard in-
vestigateur , il avait su se préserver de la fatale
manie des systèmes , et prouver par son exemple
qu’il fallait parcourir les montagnes si l’on voulait
disserter sur leur contexture, sur leur formation,
sur lépoque où elles s’élevèrent en chaînes plus
ou moins remarquables. Il inspira ainsi une juste
défiance et une réserve sévère à ceux qui, se laissant
entrainer par la fougue de leur imagination , ou
séduire par quelque observation isolée, ne craïi-
gnaient point alors de plier la nature à leur calcul,
et de soumettre à une loi imaginée par eux sa mar-
che si féconde et ses opérations si variées. Bientôt :
une mission importante rappela M. de Lapeyrouse
sur le théâtre de sa gloire ; les Pyrénées lui offri-
rent encore de nouveaux sujets de méditations ;
et lorsque , comme professeur à l'Ecole Centrale
de la Haute-Garonne, il entretint ses élèves des
HISTOIRE. 93
productions de nos montagnes, il leur commu
niqua sans réserve ses découvertes et ses obser-
tions qui allaient bientôt occuper le monde sa-
vant. Ce fut en eflet vers cette époque que com-
mença entre lui etle plus éloquent écrivain qui
ait pénétré dans les Pyrénées , une de ces longues
querelles scientifiques où souvent d'illustres ad-
versaires se trompent également , en croyant ne
s'attacher qu'à la défense de la vérité, et où
lhonneur d’une découverte réclamée par deux
rivaux , reste indécis, et s’évanouit lorsque des
découvertes nouvelles montrent que la première
navait pour base qu’une hypothèse qui ne sau-
rait plus être défendue.
Avant de raconter les causes de cette dissen-
sion qui affligea tous les vrais amis de la science ,
faisons remarquer qu'à aucune époque lhis-
toire naturelle n’avait été enseignée avec autant
d'utilité, avec autant d'éclat dans le Midi de la
France. À Tarbes, un homme, échappé comme
par un prodige aux haïines politiques , rassem-
blait près de lui des élèves qu'il n'initiait pas
seulement aux vérités de la science , mais aux-
quels il inspirait son enthousiasme ; et qu'il gui-
dait en observateur profond vers cette partie de
la chaîne des Pyrénées, où il croyait retrouver
la clef de tout le système de ces montagnes :
homme de génie , observant comme Pline ,
écrivant comme Buffon ; ou comme le trop célè-
bre philosophe de Genève, ayant dans son style
tout le charme , toute la sensibilité de l’auteur
94 CLASSE DES SCIENCES.
des Études de la nature, et qui occupa une
place honorable parmi les hommes les plus élo-
quents de son époque. À Toulouse , où la tyrannie
décemvirale avait marqué en traits de sang l’histoire
de deux années , un autre savant, soustrait , lui
aussi, aux proscriptions, débris vivant et glorieux
de notre Académie, continuait les bienfaits de
celle-ci, et enseignait toutes les parties de l’histoire
naturelle. Admirateur de Tournefort , disciple
de Linnée , homme de goût , professeur éloquent,
habile écrivain, mais plus attaché aux formules
scientifiques, à la partie technique, tel était l’homme
qui balançait alors dans lopinion la réputation co-
lossale de Ramond. Les progrès de ses élèves furent
rapides , et quelques-uns d’entr'eux reçurent l’ho-
norable mission de professer dans d’autres écoles
départementales la science qu’ils avaient acquise
dans celle de Toulouse. La zoologie avait fixé
pendant longtemps toute l'attention de notre sa-
vant collègue ; des observations assidues , des
hasards heureux lui avaient présenté des faits
piquants et des races mal connues ou qui peut-être
ne létaient point. Il rencontra surtout quelques
espèces inédites; 1l rétablit l’ordre dans la nomen-
clature et l’histoire de plusieurs, et, ce qui n’est
pas moins important dans le règne organique , il
réduisit plusieurs espèces à une seule, d'après
l'autorité des faits et observation. Une partie de
ce travail avait successivement été livrée au public.
Les Recueils des Académies de Stockholm et de
Toulouse, et l’ancien Journal de Physique, xenfer-
HISTOIRE. 9
ment plusieurs de ses mémoires sur cette matière.
Il avait fourni au Dictionnaire d’Ornithologie
un grand nombre d'articles. En même temps qu'il
recueillait des notes sur l’organisation, le carac-
tère , les moeurs , les habitudes des races alors
inconnues , il les faisait peindre sous ses yeux, et
le corps d'ouvrage qui en renfermait la descrip-
tion était depuis longtemps terminé lorsque lau-
teur fut chargé du soin important de former des
disciples. Il plaça sous leurs yeux les beaux des-
sins qu’il possédait, et avec autant d’empressement
qu'il en avait mis à leur faire connaître et son
magnifique herbier, et les richesses de son cabinet
minéralogique. Il fit plus encore : pour les faire
jouir autant que possible du fruit de ses travaux,
il publia un extrait de son grand ouvrage, et
dans cette brochure il donna la description des
espèces que le département de la Haute-Garonne
possède. Cet écrit (1) fut d’un grand secours
pour les élèves , qui y trouvèrent, non pas un ca-
talogue aride, mais une distribution méthodique
des espèces , les caractères essentiels des ordres
et des familles , et ceux des espèces elles-mêmes.
Les discussions critiques, les détails, ne pouvaient
trouver place dans un extrait; mais il suffisait
pour soulager la mémoire des auditeurs , et pour
les aider à saisir les développements que, dans ses
lecons , M. Lapeyrouse donna sur chaque espèce.
(1) Tables méthodiques des mammifères et des oiseaux du
département de la Haute-Garonne, Wn-8., Toulouse.
96 CLASSE DES SCIENCES.
Tous ces travaux utiles , attachants, augmen-
taient dans Toulouse, et malgré la haïne des partis,
qui s’agitaient encore, la vénération inspirée par les
travaux de notre confrère. Une discussion, une pré-
tendue découverte géologique, vinrent bientôt
fixer sur lui tous les regards de l’Europe savante.
C'était en 1797. Une question importante et
dont la solution ne pouvait, disait-on , se trouver
que sur la plus haute cime des Pyrénées , con-
duisit encore M. de Lapeyrouse au sein de ces
montagnes. Parmi les théories qui avaient été
émises sur la formation de ces gigantesques hau-
teurs, il en était une, assez généralement adoptée,
et selon laquelle le centre des Pyrénées et leurs
crêtes les plus élevées étaient de calcaire primi-
tif, Mais un minéralogiste célèbre ayant ramassé
dans la Oule du Marboré , un morceau de roche
calcaire contenant, à ce que l’on croyait, des débris
de corps marins pétrifés , il parut nécessaire de
s'élever jusqu'aux sommités qui dominent le Mar-
boré lui-même, pour en reconnaître la nature : ce
fut ce que, d’un commun accord, Lapeyrouse et
Ramond entreprirent. Nous ne redirons pas ce que
ces deux savants publierent ensuite. Mais, d’après
ce qu’ils avaient vu , il leur pärut démontré que
les cimes du Mont-Perdu, supérieur au Marboré,
et que Ramond croyait être la plus haute mon-
tagne de la chaîne , avaient été formées sous les
flots de l'Océan ; que la mer avait accumulé ces
masses énormes dans la partie centrale des Pyré-
nées, à une époque où diverses familles d’ani-
HISTOIRE. 97
maux vivaient dans son sein , à une époque en-
core où des continents étaient habités par de grands
quadrupèdes. Les faits nombreux que lon recueil-
lit alors, et qui parurent décisifs, semblèrent dé-
truire jusqu'aux apparences du doute. Plus tard,
les coquilles bivalves de Ramond, les ossements
prétendus découverts par lui, ceux que Lapey-
rouse cita , tous ces documents reprirent la place
que la nature leur avait assignée : mais d’abord on
conclut de ces faits qu’on ne pouvait guère douter
que les grands monceaux qui forment actuelle-
ment les plus fortes élévations des Pyrénées,
ne sont qu’une superfétation aux crêtes primor-
diales. L'imagination effrayée peignit à grands
traits cette époque où les mers couvraient, di-
sait-on , les plus hautes cimes , et où les débris
des races des animaux terrestres se mêlant aux
débris des races nombreuses qui peuplaient l’anti-
que Océan , concouraient à la formation de ces
rochers qui en auraient conservé les empreintes :
monuments bien antérieurs à toutes les époques
historiques , et qui raconteraient encore les cata-
clysmes qui ont changé la surface du globe sur
lequel nous sommes placés.
Nous avons dit que c'était en 1797 que Ramond
et Lapeyrouse avaient cru résoudre le problème re-
latif à la formation de nos montagnes. Si Lapey-
rouse se trompa, Ramond aussi s’abusa en plaçant
au Mont-Perdu le sommet de la chaîne qui nous
sépare de la Péninsule [bérique: C'était sur le Pic
Nethon, de la Maladetia, qu’il fallait le chercher.
TOME V. PART. I. 7
98 CLASSE DES SCIENCES.
D'ailleurs Ramondne voyait guèresles Pyrénéesque
dans cette chaîne qui , traversant l’isthme, aboutit
aux deux mers. Il n’avait pas assez reconnu que de
vastes ramifications et des chaînes remarquables
par leur hauteur et leur étendue, s’allongent , en
partant du fond de la vallée de Bastan , jusqu'aux
caps Finistère et Ortegal, et jusques aux embou-
chures du Douero et du Minho, et que d'immenses
appendices des Pyrénées composent les monts de
la Galice , des Asturies, de la Navarre et de la Ri-
bagorzana. Il n’avait tenu aucun compte de la dis-
position, si remarquable, qui existe au centre de la
grande chaîne, et qui en forme deux sections di-
verses, de sorte que deux lignes tirées l’une sur le
faîte de la partie occidentale , et l’autre sur celui
de la partie orientale, formeraient par leur prolon-
gement deux parallèles éloignées de près de trente-
trois mille mètres. Il n'avait pas d’ailleurs présumé
le soulèvement des masses du centre des Pyrénées,
soulèvement qui expliquerait les phénomènes qu'il
y remarquait, et même la présence des débris or-
ganiques que l’on croyait avoir rencontrés sur les
rives du lac du Mont-Perdu. Cependant Palassou
avait en quelque sorte mis les naturalistes sur la
voie de la vérité, en observant avec un soin minu-
tieux les degrés de linclinaison des couches au-
dessus de la ligne horizontale. Maïs le génie se
trompe quelquefois, et n’aperçoit pas toujours les
vérités qui frappent des regards vulgaires, et qui
sont plus tard fécondées par des talents d'un
ordre supérieur.
HISTOIRE. 99
Ceux que M. de Lapeyrouse avait déployés ne
furent perdus, ni pour sa renommée, ni pour
son pays. Lorsque le monstre de l'anarchie, ter-
rassé par une main triomphante, ne menaça plus
la France , notre confrère fut appelé à la première
magistrature de la cité. Un désordre effrayant
régnait alors dans l'administration ; des monceaux
de ruines s’élevaient de toutes parts. Les hospices
étaient sans propriétés; la ville n'avait plus de
revenus : on avait oublié tous les projets d’assai-
nissement et d’embellissement, tout ce qui pouvait
attirer les regards de l'étranger , tout ce qui pou-
vait être utile aux citoyens. M. de Lapeyrouse fit
disparaître en peu d’années les traces des erreurs
d’une longue révolution. Il créa pour la cité des
ressources jusqu'alors inconnues. Le pauvre, le
vieillard et lorphelin ne furent plus abandonnés
aux secours incertains de la pitié publique. La ville
dota richement ses hospices ; des rues, des places
nouvelles furent tracées; le goût présida aux
constructions qui commencèrent à se multiplier.
Le Jardin des plantes, ce dépôt précieux que nous
devons considérer comme un monument dédié à la
mémoire de notre confrère, fut enrichi denombreu-
ses espèces , décoré avec art, ouvert pour l’instruc-
tion de cette jeunesse nombreuse qui , ainsi qu’au-
trefois, vint chercher dans nos murs les connaissan-
ces variées qui devaient la rendre utile à son pays.
Les bibliothèques publiques furent enrichies, le
Musée posséda quelques chefs-d’œuvre de plus , et
enfin une Ecole spéciale des Sciences et des Arts
Te
100 CLASSE DES SCIENCES.
fut créée avec magnificence. Tant d'institutions
honorables auraient dû désarmer l’envie, et faire
taire les méchants. Mais la reconnaissance de la
plus saine partie de la population , récompensa
M. de Lapeyrouse, et le suivit dans sa retraite.
Content d’avoir opéré le bien, et d’avoir tracé la
route que devaient suivre ses successeurs, il saisit
la première occasion qui s’offrit pour remettre en
d’autres mains, sans doute moins habiles , les rênes
de lPadministration. Cependant son dévouement.
n’était pas demeuré sans récompense. L/Université
Vavait admis au nombre de ses oMciers; on le
comptait parmi les membres de cette Ecole spéciale
qu’il avait instituée; il portait cette marque d’hon-
neur destinée au guerrier qui a répandu avec gloire
son sang pour la patrie, au magistrat qui a veillé à
son bonheur, au savant qui lillustra par ses tra-
vaux. Îl allait bientôt acquérir de nouveaux droits
aux bienfaits du souverain et à l’estime de l’Eu-
rope savante.
Nous Pavons déjà dit, les plantes des Pyrénées
avaient fixé lattention d’un petit nombre de natu-
ralistes , mais aucun, à l'exception de Lapeyrouse,
n’avait encore fait de ces montagnes un objet spécial
d’investigations et d’études, soit que les dangers
apparents qu’offrait l'obligation de parcourir dans
toute son étendue cette longue suite de rochers, où
la nature s’est plu à disperser ses richesses végéta-
les, rebutât les savants qui auraient voulu les explo-
rer, soit que le nombre des productions qui les cou-
vre fit reconnaître l’extrême difficulté de les re-
HISTOIRE. 101
cueillir, de les distinguertoutes, d’ensaisirles rap-
ports et les caractères, d’en étudier les mœurs, de les
décrire avec précision , de les classer avec méthode.
Aucun naturaliste n’avait eu le courage d’entre-
prendre des excursions suivies et complètes dans
les Monts Pyrénéens, excursions qui exigeaient
d'ailleurs unelongue Suite d’annéesettousles genres
de sacrifices. Tournefort lui-même , comme nous
lavons dit plusieurs fois, n’aväit rassemblé dans
ses voyages qu'une portion des richesses végé-
tales cachées dans ces montagnes. Sa moisson
avait sans doute été abondante ; mais elle avait été
bornée à cette partie de la chaine que cet illustre
savant avait visitée , et l’histoire de la botanique
des Pyrénées était à peine ébauchée. Ce qu’au-
cun autre n'avait osé entreprendre , Lapey-
rouse l’exécuta avec un dévouement digne de son
amour pour la science. Il avait consacré les plus
belles années de sa vie à étudier et à parcourir
cette chaîne immense qui se prolonge de l'Océan
jusqu’à la Méditerranée , ét qui présente dans son
ensemble une surface de neuf cents lieues carrées ;
il y dépouilla de leurs productions les plus précieu-
ses les rochers les plus menaçants, jusqu'alors re-
gardés comme inaccessibles ; déjà , dans la Flore
des Pyrénées, il avait fait connaître un grand
nombre d’espèces inédites, et son beau travail sur
les saxifrages l’avait placé au nombre des maitres;
l'Histoire abrégée des Plantes des Pyrénées ,
commencée en 1807 et publiée en 1813, mit le
sceau à sa réputation. Les genres et les espèces sont
102 CLASSE DES SCIENCES.
disposés dans cet ouvrage selon les principes de
Linnée ; ce sont ceux que presque tous les bo-
tanistes suivaient alors , et qui, malgré quelques
imperfections , leur offraient, dans la pratique,
moins de difficultés que les autres méthodes. Les
caractères essentiels des genres sont encore là
ceux de Linnée et des auteurs'les plus récents qui
les ont perfectionnés , ou qui en ont augmenté le
nombre , tels que Schraber, Smith, Wildenou.…
On en trouve quatre nouveaux constitués par l’au-
teur, qui enrichit aussi plusieurs de ceux quiétaient
établis, de notes et de caractères que des observa-
tions très-soignées lui avaient fournies. Quelquefois,
ce qui n’était pas un moindre service rendu à la
science, il eut le bonheur de réunir en un seul, des
groupes qui jusqu’à lui avaient été séparés, et ce
fut là qu'il déploya le plus de sagacité. L/ana-
lyse des parties de la fructification fut son guide.
L'Histoire abrégée des Plantes des Pyrénées
présente la série de toutes les espèces trouvées ou
indiquées dans ces montagnes, jusqu’à l’époque
de la publication de l'ouvrage ; leur nombre se
portait à 2833. Les mousses, les lichens, les
champignons, étaient réservés pour un autre vo-
lume. Les variétés sont au nombre de 855; plu-
sieurs auraient pu former de belles espèces , si notre
savant botaniste en avait possédé un plus grand
nombre d'individus. Chargé de la direction du
Jardin des plantes de Toulouse, la culture, eette
pierre de touche des espèces, comme il le disait,
Jui offrit de grands secours, et il put placer avec
HISTOIRE. 103
certitude, comme variété, dans lés espèces con-
nues ,uh grand nombre de cellès que les moder-
nes avaient établies sans preuves suffisantes.
L'Histoire des Plantes des Pyrénées offrit, lors
de son apparition dans le monde savant, plus de
cent vingt espèces inédites. Les journalistes firent
la remarque qu’on trouvait trop peu de synonymies
‘dans ce livre; mais ils indiquèrent à chacune de
ses pages, des observations fines et délicates , des
descriptions d’une exactitude parfaite ; une critique
toujours judicieuse, une érüdition solide et variée.
Tous les botanistes, à l’exception d’un seul, ap-
plaudirent aux travaux, aux découvertes du savant
professeur Toulousain , ou ne hasardérent que de
légèrés remarques. Mais, quelques années plus tard,
et lorsque notre confrère fut courbé, moins sous
le poids de l’âge que sous celui des souffran-
ces, des observations, rarement justes, toujours
averbes, toujours empreintes d’une critique mal-
veillante , furent dirigées contre lui. Son étonne-
ment fut extrême; néanmoins il ne laissa point sans
réponse les assertions de celui qui se posait, non
pas seulement comme un antagoniste, mais comme
un ennemi déclaré.
Depuis la publication de son Histoire des plantes
des Pyrénées , ses loisirs avaient entièrement été
consacrés à la révision et au perfectionnement de
cet ouvrage. Il y reconnut des erreurs, il les cor-
rigea; des omissions , des négligences, il tâcha de
les réparer. Des observations nouvelles lui fourni-
rent de nouvelles lumières sur des points difficiles.
104 CLASSE DES SCIENCES.
ou contestés. Des critiques impartiales, qu'il avait
provoquées, des études prolongées dans les her-
biers de Tournefort et de ses contemporains, la
comparaison de nos plantes avec celles que les pro-
fesseurs dé Paris conservaient dans leurs collec-
tions, facilitèrent et enrichirent singulièrement ce
nouveau travail. Tous les amis, tous les corres-
pondants de notre savant confrère, recommencè-
rent, au signal qui leur fut donné par lui, leurs
recherches botaniques; et, par leurs soins, la
Flore des Pyrénées fut accrue de plus de cent
espèces qu’on n’y avait pas encore reconnues, et,
sur ce nombre, quarante-trois étaient restées jus-
qu’alors inédites; soixante-dix variétés augmentè-
rent heureux résultat de leurs travaux. Ce fut en
publiant tous ces nouveaux documents que M. de
Lapeyrouse repoussa les traits acérés qui avaient
été lancés contre lui par un écrivain qui croyait
avoir, en trois mois, opéré beaucoup plus de
découvertes que M. de Lapeyrouse en quarante
années. Le Supplément à l Histoire abrégée des
plantes des Pyrénées fut le dernier ouvrage de
notre confrère. Îl avait supporté avec résigna-
tion , avec courage , les proscriptions révolu-
tionnaires; plus tard, il avait confondu la mau-
vaise foi, la calomnie, qui attaquèrent, mais dans
l'ombre, sa carrière administrative; il fut plus
sensible à Pacharnement avec lequel on le pour-
suivit dans l'asile où il ne conversait qu’avec les
Tournefort, les Linnée, ses immortels devanciers.
Peu de mois après avoir répondu avec force, avec
HISTOIRE. 105
dignité à celui qui, sans provocation, sans motif
aucun, s'était élevé contre lui, M. de Lapeyrouse
séteignit, environné de sa nombreuse famille, de
quelques amis dévoués, et de tous ceux qui ché-
rissaient la gloire de notre cité. Le 19 octobre 1818,
son convoi funéraire s’acheminait avec lenteur vers
le champ de repos, et la ville entière se pressait
autour du cercueil de ce noble citoyen. Son nom,
inscrit dans les fastes de la botanique française,
y sera pendant long-temps honoré, et ce nom
devrait durer parmi nous autant que les rochers
pyrénéens, illustrés par ses recherches, par ses
découvertes et par ses longs et savants travaux.
106 CLASSE DES SCIENCES.
D,
ANALYSE
DES TRAVAUX DE LA CLASSE DES SCIENCES.
ANNÉE 18358.
M athématiques pures.
Calcul dif- M. BrassiNné a communiqué à l’Académie ur
férentiel etnr, : , Ê
intégral. Mémoire dans lequel l’auteur envisage une classe
M. d'équations différentielles dont il obtient des solu-
BRASSINNE. …. . où LV Da Re
tions particulières par les intégrales définies, et
où il donne l’expression d’une intégrale double de
forme très-générale, qui contient comme cas par-
ticulier une des plus remarquables intégrales d’Eu-
ler, et d’autres intégrales nouvelles.
Ce travail est imprimé en entier dans la partie
des Mémoires. à
Mathématiques appliquées.
Physique L'Académie a entendu la lecture d’un Mémoire
An NT de M. Decuix, dans lequel cet Académicien a
M. Decun. donné une démonstration nouvelle de la formule
| qui comprend et résume les lois générales de l’ac-
tion capillaire. Cet écrit est également inséré en
entier dans les Mémoires de cette année.
HISTOIRE. 107
M. »’Avsuisson a communiqué à l’Académie le
résultat remarquable des expériences faites ra
M. Castel, ingénieur des eaux de la ville de Tou-
louse, sur le produit des pompes du Château d’eau.
Ce travail se trouvant imprimé en entier dans les
Mémoires , à la suite des deux précédents , nous
nous dispenserons d’en donner l'analyse.
Un autre travail important a été souris au ju-
gement de Académie par M. Castel , dont elle a;
Es
M. CasTeL.
M. CasreL.
Panne de
D’AuBuIs—
déjà apprécié plus d’une fois le ile et le talent.
Il a pour objet des expériences d’hydraulique ,
faites au Château d’eau de Toulouse, sur l’é-
coulement de l’eau par des ajutages coniques.
M. d’Aubuisson , rapporteur de Ja Commission
nommée à l’effet d'examiner ce travail, en a pré-
senté une analyse complète, que le lecteur trou-
vera dans les Mémoires de cette année.
Une question importante pour les constructions
hydrauliques a été traitée par M. Borrez, dans
un Mémoire sur la détérioration des bois de cons-
truction.
Il est peu dé matières dont l'emploi soit plus
indispensable que le bois dans les constructions,
qu’elles soient destinées à une existence provisoire
ou à une longue durée ; et cependant le bois est
une matière délicate , susceptible de nombreuses
détériorations que les moyens de l’homme sont
souvent impuissants à prévenir.
Parmi ces causes de destruction , les unes sont
Construc-
tions hydrau-
liques.
M. Borne.
108 CLASSE DES SCIENCES.
purement locales, comme celles dues à l'existence
des vers £arets sur plusieurs points des côtes de
POcéan. Laissant de côté ces causes locales qui
toutes exigent des remèdes spéciaux, l’auteur du
mémoire signale d’abord les causes générales de
détérioration des bois dans les constructions au-
dessus de terre : elles consistent principalement
dans l’action alternative de l'air, de l’humidité et
de la chaleur, et dans la création spontanée, au
cœur et à la surface du bois, de certains vers
qui prennent naissance au milieu du produit fari-
neux de la décomposition de la fibre ligneuse. —
Il explique le rôle des matières dont on fait ou
dont on pourrait faire usage pour s'opposer à ces
altérations , la peinture , le goudron, le sublimé
corrosif : la peinture, pour garantir les fibres du
‘ bois contre humidité; le goudron , dans le même
but , et aussi dans le but d’agir, ainsi que le su-
blimé corrosif, comme corps énsecticide.
Mais tandis qu’au contact de l'air , les bois
sont soumis à une décomposition plus ou moins
rapide, suivant qu’ils sont employés dans l’inté-
rieur des édifices ou à l'air libre, les mêmes bois
employés sous terre ou sous l’eau , à abri du con-
tact de Vair atmosphérique, semblent par ce seul -
fait préservés de la décomposition.
M. Borrel cite en effet, à l'appui de ce principe
admis par les constructeurs de la conservation
presque illimitée du bois employé sous Peau ,
divers exemples de bois enfouis sous terre ou sous
l'eau , depuis des siècles, qui présentent au plus
HISTOIRE 109
haut degré ce fait d’une conservation presque ab-
solue.
Il croit pourtant devoir signaler une cause
puissante de détérioration des bois employés même
sous l’eau , cause peu étudiée jusqu'ici et à laquelle
il lui paraît très-important d’avoir égard dans les
constructions hydrauliques.
En faisant démolir d'anciens travaux de fonda-
tion du pont de Toulouse, cet ingénieur trouva
du bois de chêne, des palplanches et de gros pieux,
complètement usés, et réduits, pour ainsi dire, à
leur axe. La partie qui restait de ces vieux bois
était pourtant bien saine , et la détérioration n’était
que l'effet d’une destruction mécanique.
M. Borrel, en parcourant les devis de ces an-
ciens ouvrages, s’aperçut qu'ils ne remontaient pas
à plus de cinquante ans, et n’en fut pas médio-
crement étonné en présence du principe générale-
ment admis de la conservation illimitée du bois
sous l’eau.
Après avoir réfléchi aux causes probables de
cette détérioration , auteur du Mémoire ne peut
Vattribuer qu’à l'action des sables et graviers en-
traînés par les eaux au moment des crues. Ces
graviers et ces sables, cheminant avec une grande
vitesse et sous une forte pression, usent à leur
passage les bois qu’ils rencontrent , comme le fe-
raient de fortes limes qui les attaqueraient dans
tous les sens.
M. Borrel signale, en terminant son Mémoire ,
les précautions qu'il lui paraît important de
110 CLASSE DES SCIENCES.
prendre, dans les travaux hydrauliques, pour s’op-
poser à une cause si rapide de destruction sur
toutes les rivières à fond de gravier ; elles consis-
teraient, par exemple, à garantir les bois contre
le frottement de ces sables flottants, par de la
maçonnerie et des enrochements.
Physique.
Electro. M. Prinaun a communiqué à l’Académie un
dynamique.
M. Pinaun.
mémoire ayant pour objet la description de quel-
ques appareils propres à simplifier la démonstra-
tion des phénomènes électro-dynamiques.
La partie de lélectricité que l’on a désignée
sous le nom d’é/ectro-dynamique, et à laquelle est
attaché le nom de lillustre Ampère, est une des
conquêtes les plus brillantes et les plus fécondes de
la physique moderne. Sans parler d’un nombre
immense de faits nouveaux qu’elle a jetés dans le
domaine de la science , un de ses plus beaux résul-
tats théoriques a été d'établir une dépendance né-
cessaire entre les phénomènes magnétiques et les
phénomènes électriques ; d’expliquer les uns par
les autres , et par conséquent de présenter, comme
n'étant que des modifications d’un même principe,
deux agents considérés jusqu'alors comme distincts.
Aussi cette découverte a pris aujourd’hui un
rang tellement important dans la science, que len-
seignement de lélectro-dynamique ne saurait
être négligé, même dans les cours élémentaires.
Mais les appareils nécessaires pour reproduire les
HISTOIRE. 111
expériences qui sy rapportent , présentent deux
inconvénients, leur prix élevé et leur complication,
qui ont jusqu’à présent réduit à rien ou à fort peu
de chose l'étude de l’électro-dynamique dans la
plupart des établissements universitaires.
Les instruments que propose l’auteur du mé-
moire sont destinés à remplir cette lacune.
M. Delarive, de enève, est le premier qui ait eu
l’idée de rendre un courant mobile en faisantflotter,
sur un bain d’eau acidulée , et le couple voltaique
qui lui donne naissance , et le fil conducteur qui lui
sert de véhicule. C’est cette idée que M. Pinaud
a généralisée en Pappliquant non-seulement à
des courants pliés en cercle ou en carré et sou-
mis à l'influence magnétique du globe; mais en
outre à plusieurs systèmes de courants astatiques,
et enfin des courants pliés en hélice et connus sous
le nom de solénoïdes. Au couple voltaïque ordi-
naire, l’auteur a substitué un assemblage de deux
cylindres, l'un intérieur en zinc, l’autre en cuivre
enveloppant le premier ; et ce système, en même
temps qu’il augmente l’énergie du courant , donne
à l'appareil flotteur plus de stabilité dans son
équilibre, puisque le centre de gravité s’y trouve
enfermé dans une plus large base.
Ces appareils simples et peu coûteux suffisent
pour reproduire les expériences les plus importan-
tes relatives à l’action des courants les uns sur les
autres, des courants sur les aimants, des aimants
et de la terre sur les courants voltaïques , enfin
toutes les expériences si curieuses des solénoïdes,
112 CIASSE DES SCIENCES.
que l’on peut appeler de véritables aimants élec-
triques (x).
Chimie.
Surlachaux M. Macnes-LanEens a présenté à l’Académie
etses compo- r serre r 27! °
Fe un Mémoire intitulé : Considérations sur la chaux
es et sur quelques-uns des ses composés, qui se re-
‘commande surtout par l'importance des applica-
tions pratiques qui s’en déduisent.
Ce mémoire est divisé en trois parties.
Dans la premiere , l’auteur entretient l’Acadé-
mie d’un exemple rare de cristallisation de la
chaux pure en hexaëdres réguliers coupés perpen-
diculairement à leur axe. Ce phénomène que le
hasard a révélé, s’est produit spontanément dans
une géode de chaux vive que l’on avait éteinte
depuis quelques années pour des constructions, et
qui avait été roulée dans une masse de sable. Cette
cristallisation, dit l’auteur du Mémoire, ne s'était
jamais présentée dans la nature; on ne l'avait ob-
tenue que dans les laboratoires de chimie.
La seconde partie de ce travail a pour objet
Pextinction de la chaux, les phénomènes qui lac-
compagnent, et les précautions que cette prépara-
tion exige de larchitecte-maçon. Les principaux
faits signalés par l’auteur consistent : r.° en ce que
la proportion d’eau que lon emploie pour étein-
(1) Ce travail est inséré en entier dans les Annales de phy-
sique et de chimie, année 1834, tome 57, page 204.
HISTOIRE. 113
dre la chaux grasse ou commune ne doit pas ex-
céder beaucoup les 4/,, du poids de la chaux ; ces
proportions permettent d'employer une plus grande
quantité de sable de rivière, un des éléments les
plus essentiels, comme on sait, de la solidité des
bâtiments.
2. L'auteur a reconnu , qu’en adoptant ces pro-
portions , la quantité d’eau qui se solidifie avec le
mortier est à la partie qui se volatilise par l’action
de la chaleur développée, dans le rapport de 5x
4 0 4 4 Q 5
à 21, ou environ de 5 à 2; c’est-à-dire que les —
de l’eau dont on se sert se combinent avec la chaux,
\
et que les TS répandent en vapeurs.
3.0 M. Magnes-Lahens cherche ensuite a dé-
montrer, par des expériences directes, que la
chaux éteinte depuis longtemps et calcinée de nou-
veau perd de sa tendance à se solidifier et à faire
corps avec la brique ou avec la pierre, et par con-
séquent une de ses qualités les plus précieuses.
4.° Enfin il signale encore deux faits impor-
tants , savoir : que la chaux, par son extinction
augmente de volume dans le rapport de 340 à
1245 ou en termes plus simples d'environ 5 à 18; et
que la chaleur développée par l'extinction de cette
substance est suffisante pour enflammer des corps
combustibles et peut provoquer des incendies.
La troisième partie du Mémoire de M. Magnes-
Lahens est consacrée à l'étude des efflorescences
salines que présentent les murs composés de chaux
TOME V. PART. I, 8
114 CLASSE DES SCIENCES.
et de brique cuite. L'auteur démontre que ces ef-
florescences, dont les villes surtout offrent de si
nombreux exemples, ne sont autre chose que de
la soude carbonatée, et qu’on les attribuerait à tort
à la présence du salpêtre. IL attribue ce grave in-
convénient au défaut de précautions de la part
des tuiliers et des briquetiers qui ne font pas su-
bir à la terre qui est destinée à être mise en œu-
vre des préparations suffisantes. Ils devraient, dit
M. Magnes-Lahens, la passer d’abord à la claie
pour en sortir les petits cailloux ; la réduire ensuite
en pâte molle pour la travailler ou la corroyer sur
l'aire plusieurs fois dans le courant de l'hiver qui
doit précéder la mise au four ; on obtiendrait ainsi
un double avantage, d’abord on aurait des carre-
lages plus unis parce qu’ils s’useraient d’une ma-
nière beaucoup plus égale, ensuite on réussirait à
dissoudre peu à peu la majeure partie du sel ma-
rin qui, se trouvant mêlé avec la terre en propor-
tions variables, donne naïssance plus tard aux
efflorescences de soude. On pourrait par là appro-
cher de la perfection que présentent les briques
fabriquées dans les campagnes avec de la terre
blanche marneuse. Ces prescriptions, au surplus se
trouvent, ajoute M. Magnes-Lahens , consignées
depuis longtemps dans une ancienne ordonnance
de police des capitouls , qu’il suffirait de faire re-
vivre pour atteindre le but désiré.
M. François. Le même Académicien a présenté un rapport
Rapport de AU Sn RU
M, Macws. SUT un Mémoire de M. François, ingénieur des
HISTOIRE. 115
mines à Vicdessos (Ariéce), sur le traitement
direct du fer à la catalane.
Les mines de fer et les forges du département
de lAriége, exploitées depuis des siècles , étaient à
peine connues, il y a environ soixante ans, sous
le rapport chimique. Ce que le célèbre Réaumur
en avait dit auparavant dans ses Mémoires ne se
rapporte qu’à la minéralogie ; Tronçon-Ducoudrai
s’en occupa plus tard comme minéralogiste et
comme métallurgiste. En 1786 , notre savant na-
turaliste , Picot de Lapeyrouse, fit de cette dou-
ble étude l’objet d’un gros volume. Cet ouvrage,
remarquable pour l’époque, fut accueilli dans le
monde savant et dans les manufactures , et agréé
par les députés des états du Languedoc. Cepen-
dant les procédés de cette importante exploitation
étaient encore bien peu avancés lorsque M. d’Au-
buisson fut appelé à les régulariser, en sa qualité
d'ingénieur en chef des mines pour les départements
du Midi. Ses eflorts ont toujours tendu à augmen-
ter la prospérité de cette branche d'industrie dans
VAriége. Mais, bien qu’ils aient été couronnés de
nombreux succès , il ne s’est pas moins empressé
d'encourager les recherches de M. François, que
le ministre venait d'envoyer dans ce département
avec le titre d'ingénieur ordinaire. Ce nouveau
fonctionnaire , plein de zèle et de connaissances
acquises à l’école pratique des mines, a compris
toute l’étendue de la tâche qu'il s'était imposée.
Après avoir consacré quatre années à des épreuves
très-variées , il est parvenu à introduire dans les
8.
116 CLASSE DES SCIENCES.
travaux en grand les plus heureuses modifica-
tions.
Il résulte du rapport que M. Magnes-Lahens a
fait à l'Académie du mémoire de M. François;
que cet ingénieur serait parvenu à établir, d’une
manière méthodique d’abord, les différents carac-
teres du minerai, la maniere d’être du charbon
de bois pendant et après la combustion au four-
neau de réduction , l'influence du vent des tuyères
sous le rapport de sa direction, de sa pression et
de son état hygrométrique , ensuite état du mi-
nerai et celui des scories aux diverses phases de
la fusion. Ces ingénieuses recherches lauraient
conduit à obtenir sur la méthode routinière les
avantages suivants :
1.0 Un traitement plus facile du minerai, fusion
plus complète , rapide et soutenue ;
2.° Le gain d’un douzième de temps de Popé-
ration ;
3.° L'économie d’un dix-huitième du combus-
tible employé ;
4. L'augmentation d’un quatorzième dans le
rendement du fer forgé ;
5.° La diminution du déchet au forgeage;
6.° Enfin, fer doux , homogène, sans pailles ni
gerçures , extrêmement facile à se souder, très-
malléable à chaud, donnant à la cémentation un
acier vif et facile au travail.
HISTOIRE. 117
Histoire naturelle.
M. Moquix-Tanrox a communiqué à l’'Acadé- DPRSRS
. 5 . è à AO
mie un Mémoire sur le Genre Halimocnemis. re halimoc-
Dans lessai monographique de ce genre de #7
5 P q° L $ ; M. Moquin-
plantes que M. Moquin a présenté, ce botaniste Taxmox.
compte quatorze espèces, dont cinq de nouvelles,
toutes originaires de la Perse. Trois de ces plan-
tes ont été recueillies par M. Belangé et les deux
autres ont été envoyées à M. de Candolle par
M. Aucher-Eloy.
Ce travail est imprimé textuellement dans la
partie des Mémoires.
Le même Acadéricien a presenté, au nom , pucos.
d’une commission, un Rapport sur une proposition Rapport de
de M. Léon Ducos relative à la destruction de la MATE
chenille qui a ravagé dernièrement les vignobles
des environs de Toulouse.
Cette chenille éclot ordinairement avec le bour-
geon ; elle se cache dans les jeunes feuilles qu’elle
plie régulièrement ou irrégulièrement en deux,
et sy nourrit jusqu’à l'apparition de la fleur. A
cette époque, elle quitte la feuille et se jette dans
le raisin fleuri. Elle forme autour d’elle une sorte
de nid cotonneux, dévore les enveloppes florales,
les étamines, les pistils, et coupe le pédoncule et
les pédicelles sur plusieurs points.
Comme la chenille préfère les parties les plus
tendres et les plus succulentes, à l’époque où les.
M.Durrourc.
118 CLASSE DES SCIENCES.
enveloppes florales ne sont pas encore développées,
elle choisit les feuilles les plus jeunes, lesquelles
se trouvent généralement, comme on sait, dans les
pampres et à l’extrémité des sarments.
C’est à cette époque que M. Ducos propose d’é-
pamprer les vignes et d’en couper les sommités.
Ce remede serait infaillible si la chenille habitait
exclusivement dans les points qui viennent d’être
signalés. Quoiqu’il r’en soit pas toujours ainsi , la
Commission a reconnu par l'organe de son rappor-
teur, 1.9 Que le moyen communiqué par M. Du-
cos peut être mis en usage avec beaucoup de succès,
et que s’il ne guérit pas le mal d’une manière tout-
à-fait complète, il peut du moins le détruire en
grande partie, surtout si le remède est employé
de bonne heure et par un grand nombre de pro-
priétaires ; 2.0 que la dépense quil exige n’est pas
très-élevée et se trouve à la portée de tous les vigni-
coles ; 3.° enfin que ce moyen n’empèche pas l’em-
ploi des autres remèdes proposés par d’habiles
agronomes, et particulièrement celui des feux dont
M. Audouin a retiré encore tout récemment d’im-
menses avantages.
Medecine.
Trois mémoires relatifs à la médecine ont été
communiqués à l'Académie.
Dans Le premier, M. Durrourc a présenté un ta-
bleau des maladies qui ont régné pendant hiver
et le printemps de l’année 1837, dans les salles de
HISTOIRE. 119
l'Hôtel-Dieu Saint-Jacques. Ce tableau est précédé
de quelques observations sur l’état météorologique
de Toulouse à cette époque. Il en résulte quelhiver
a présenté des alternatives fréquentes de pluie, de
neige et de fortes et longues gelées. À cet hiver
d’une durée et d’une rigueur insolites dans les
pays méridionaux, succédèrent presque sans inter-
médiaire les fortes chaleurs de l'été; et il n’y eut
pas à proprement parler de printemps.
À cet exposé rapide des principaux traits de la
météorologie pendant les deux premiers trimestres
de 1837, M. Duflourc fait succéder une revue
succincte des maladies observées dans les salles
des fiévreux durant cette période.
Cette statistique nosologique se compose :
1. De l'épidémie connue sous le nom de grippe ;
22 Des fièvres d'accès qui cette année ont été
en grand nombre;
3.° De fluxions catarrhales inflammatoires;
4 De phthisies pulmonaires ;
5.5 Et de cachexies séreuses.
Il résulte de la discussion à laquelle se livre
M. Duffourc sur la nature de ces diverses affections
morbifiques :
1.0 Que la grippe a exercé une influence mar-
quée sur les affections chroniques de poitrine , dé-
signées communément sous le nom d’asthmes , de
catarrhes, de rhumes, etc.; que la marche aiguë
qui leur a été imprimée par l'influence épidémique
a modifié d’une manière avantageuse et a quelque-
fois fait disparaître l'affection chronique ; enfin,
M. Ducasse.
120 CLASSE DES SCIENCES.
elle a paru accélérer la terminaison funeste des
phthisies pulmonaires.
2.0 Que la division des fièvres intermittentes em
vernales et en automnales est conforme à l’obser-
vation pratique.
3.° Que les fièvres printamières, dont le nombre
pendant le cours du semestre a été considérable,
ont cédé pour la plupart aux seuls secours du
régime, et avant le septième accès. Dans quel-
que cas il a fallu recourir aux évacuants et aux
amers indigènes. Enfin on n’a observé de rechu-
tes que dans les cas rares où l’on avait été
obligé de faire usage du sulfate de quinine.
M. Ducasse a communiqué à l’Académie une
suite d'observations sur la vieillesse considérée
dans ses rapports avec l’organisation physique de
l'homme.
L'auteur trace avec rapidité le tableau des
effets produits par l’âge sur chacun des tissus qui
composent cette organisation.
La tête du vieillard se fait principalement re-
marquer par la rareté et la blancheur des cheveux.
Ils tombent et blanchissent par l'effet de la dessic-
cation du bulbe qui renferme leur racine, et les
substances alimentaires qui leur distribuaient à la
fois la couleur et la vie. — « Cette blancheur des
cheveux n’est cependant pas, dit M. Ducasse, tel-
lement inhérente à la vieillesse, qu’elle ne se soit
quelquefois manifestée dans l'enfance, sans qu’on
ait pu en déterminer la cause. On la voit se per-
HISTOIRE. 121
pétuer dans les familles par voie d’hérédité , et
dans plusieurs circonstances, à la suite de violen-
tes commotions morales , elle s’est souvent produite
tout d’un coup. Lennius cite le trait d’un jeune
homme condamné à mort par un empereur romain
pour fait d’un viol commis sur une femme qu'il
adorait, et qui éprouva une si grande frayeur que
ses cheveux blanchirent à linstant même. Combien
de prisonniers politiques ont présenté ce phéno-
mène dans différentes périodes de notre révolution!
Une tête auguste l’offrit dans son plus grand dé-
veloppement. »
M. Ducasse signale ensuite la perte des dents
comme un des maux attachés à la vieillesse, mais
qu'on pourrait le plus souvent prévenir par les
soins de propreté qu’il indique. L'auteur est alors
conduit à examiner les désordres produits dans
Pacte de la digestion en général , et conséquemment
de la nutrition par l’absence de ces puissances
masticatoires. Il explique comment les aliments,
qui ont besoin d’être broyés et pénétrés de salive,
manquant de cette double préparation chez le
vieillard, rendent chez lui la digestion stomacale
moins complète, et le résultat de lalimentation
moins parfait.
Les yeux sont aussi à cet âge le siége de chan-
gements remarquables : la vue devient en général
presbyte par laplatissement du globe de l'œil, ou
du cristallin, et le vieillard ne distingue nettement
que les objets éloignés du centre de la vision.
Les autres organes des sens, l’ouie, le goût, le
122 CLASSE DES SCIENCES.
tact s’'émoussent à leur tour, et semblent perdre de
leur sensibilité et de leur délicatesse , tandis qu’au
milieu de cette détérioration générale , l’odorat
semble braver la marche des années, et conserver
jusqu’à une vieillesse très-avancée sa finesse primi-
tive. « Chez les femmes surtout , ajoute M. Ducasse,
le sentiment des odeurs est très-difficile à éteindre,
et on en a vu de décrépites, quand déjà les autres
organes étaient fermés à toutes les sensations,
éprouver encore une véritable jouissance à respirer
des parfums. »
Passant ensuite au système musculaire de la vie
animale, M. Ducasse reconnaît, dans l’affaiblisse-
ment et l’énervation, dans une fibre molle et lâche,
la cause de cette lenteur des mouvements, de
ces contractions peu soutenues, de cette faiblesse
générale enfin qui caractérisent le vieillard. Cicé-
ron avait dit : non sunt in senectute vires , et
c’est surtout dans la démarche d’un homme avancé
en âge que cette faiblesse se laisse apercevoir : le
corps a de la peine à se maintenir dans sa position
verticale ; la tête et le tronc sont penchés en avant,
le bassin en arrière; les genoux fléchissent pour
balancer l’inclinaison du corps sur le sol, tandis
que les pieds, fortement appuyés sur toute leur
largeur , maintiennent autant que possible la sus-
tentation sur une base plus étendue. En avançant
même dans la vie, les puissances naturelles ne
suffisent plus. La main a besoin d’un point d'appui,
et le bâton, cette troisième jambe des anciens,
fortement porté en avant, rétablit l’équilibre que
HISTOIRE. 123
la moindre force extérieure menace à chaque
instant de détruire. M. Ducasse, cherchant à ex-
pliquer ces dégradations séniles , en trouve la cause
dans la situation de la colonne vertébrale ; elle est
placée constamment entre deux puissances mus-
culaires quise balancent pour la maintenir dans la
direction naturelle ; mais l'effort de celles qui agis-
sent dans la partie postérieure cède peu à peu,
s’affaiblit avec le temps, lorsqu'au contraire le
poids des organes situés dans les trois cavités du
corps grandit sans cesse, et entraîne cette mème
colonne dans cet état d’incurvation que présentent
le plus ordinairement les vieillards.
s 9 AE
_ Sous ce titre : De quelques phénomènes phy- ue
siologiques ou pathologiques considérés comine
cause de superstition, M. DE QUATREFAGES à
communiqué à l’Académie un Mémoire qu’elle
avait destiné à être lu en séance publique, et dont
nous regrettons de ne pouvoir offrir que quelques
extraits et une analyse imparfaite.
L'erreur, dit en commençant l’auteur du Mé-
moire, n’est toujours qu’une vérité mal connue.
Avant que l'imagination , l'ignorance ou la supers-
tition puissent agir , il faut qu'un fait vrai, quel
qu'il soit, leur serve de point de départ; il faut
toujours un fondement réel à leur édifice fantas-
tique. Car, s’il en était autrement, le rien aurait
conduit à quelque chose, et pas plus dans l’ordre
moral ou intellectuel que dans l'ordre physique,
le néant ne peut enfanter. Quoi de plus vrai, de
124 CLASSE DES SCIENCES.
plus positif que les phénomènes physiologiques et
pathologiques ? Et cependant ce sont eux qui,
envisagés sous un faux jour, ont causé presque
toutes les superstitions qui ont si longtemps régné
sur l’univers entier, et qui même aujourd’hui
n’ont pas encore perdu tout leur empire.
Le sommeil et les phénomènes auxquels il donne
naissance, ont de tout temps occupé les médita-
tions des hommes curieux de pénétrer les secrets
de la nature; mais, pas plus de nos jours qu'au
temps des anciens philosophes , la science ne peut
les expliquer. Les rêves ont été et sont encore
une source abondante de superstitions , surtout.
lorsque les sensations qu’ils amènent ont toute la
force de la réalité; et plus encore lorsque des faits
réels perçus, soit pendant le demi-sommeil , soit
au moment même du réveil, viennent en quelque
sorte leur donner une sanction irrécusable.
Le cauchemar , indisposition légère lorsqu'elle
n’est qu'accidentelle, et qui peut provenir d’une
tension d'esprit trop continue, d’une digestion pé-
nible, a donné naissance à une foule d'êtres ima-
ginaires. Une chose remarquable, c’est la forme
épidémique que cette affection peut revêtir. Les
soldats d’un bataillon de l’armée française campé
en Jtalie dans les ruines d’une abbaye où, disait-
on, il revenait des esprits, sont réveillés à la même
heure par un sentiment de suffocation résultant
probablement de quelques exhalaisons volcani-
ques; tous disent avoir vu le diable sous la forme
dun gros chien noir qui a failli les étouffer en
HISTOIRE. s- 406
leur passant sur la poitrine. Ce fait et plusieurs
autres rapportés par M. de Quatrefages, lui parais-
sent la source d’un grand nombre d’erreurs popu-
laires.
Le somnambulisme naturel, cet étatinexplicable,
pendant lequel un sens nouvellement développé
sémble suppléer seul à lengourdissement de tous
les autres, a dû être encore une cause fréquente
de superstition.
Ce n’est pas seulement dans le sommeil com-
plet ou imparfait que les sens peuvent être victi-
mes des plus étranges illusions. L’homme le mieux
éveillé rêve souvent, c’est-à-dire, qu’il perçoit des
sensations toutes différentes de celles que devraient
produire les objets qui l'entourent. Que sera-ce si
une conscience bourrelée par les remords vient
exalter encore l'imagination. M. de Quatrefages
rapporte à ce sujet plusieurs faits remarquables
empruntés à divers auteurs, et qui prouvent en
même temps que ces visions enfantées par l’ima-
gination, peuvent souvent affecter à la fois un
grand nombre de personnes , comme l’équipage
d'un vaisseau, les habitants d’une même ville, les
soldats d’un même corps d'armée...
Une autre croyance, qu’on a vu régner de la
même manière chez des peuples entiers, est celle
du sabbat. Des milliers d’infortunés ont péri dans
les flammes, victimes d’une imagination dépravée
par le vice et la misère, qui leur faisait regarder
comme réelles des communications avec le monde
infernal. L’irmmensité des procès criminels inten-
126 CLASSE DES SCIENCES.
tés à ces infortunés dans tous les états de l’Europe,
témoigne hautement de cette sorte de démonoma-
nie épidémique. Aujourd’hui que la sorcellerie re-
lève tout au plus du tribunal de police correction-
nelle, on a autant de peine à concevoir l’aveugle
superstition des anciens juges que celle des con-
damnés.
L’imagination ne formait pas toujours à elle
seule chez ces derniers une conviction aussi pro-
fonde , et dont la conséquence inévitable était de
les livrer au bourreau. Les ingrédiens indiqués
par la pharmacopée des sorciers comme pouvant
servir à évoquer les puissances des ténèbres, ap-
partiennent tous à une classe de substances bien
faites pour donner des visions sans qu’il soit nulle-
ment besoin d’une intervention diabolique. Ün
observateur curieux ayant simulé le désir d'aller
au sabbat avec un sorcier et deux de ses compagnes,
reçut de leur main un breuvage qu’il se garda
bien d’avaler, et dans lequel on reconnut plus
tard de l’opium. Les autres plantes consacrées aux
onctions, frictions, fumigations, etc. des sorciers,
sont entr'autres la mandragore, la belladone, la
jusquiame, l’ivraie..… plantes qui contiennent toutes
des principes narcotiques dont l’action sur le cer-
veau est des plus prononcées.
Enfin les aberrations des sens et les illusions
dont ils sont susceptibles, peuvent avoir lieu sans
que limagination soit en jeu, sans qu'aucun sti-
mulant étranger exerce sur eux une action di-
recte. Ce sont alors de véritables hallucinations
HISTOIRE. 127
quelquefois passagères , souvent aussi permanentes.
Dans l’un et l’autre cas, elles constituent un véri-
table état pathologique qui peut aller jusqu’à la
folie avec tous ses degrés.
M. de Quatrefages , examinant successivement
les cinq sens, les montre tous susceptibles d’er-
reurs perçues à froid pour ainsi dire.
Le goût, l’odorat, le sens même du toucher
que la plupart des philosophes regardent comme
devant toujours redresser les erreurs des autres
sens , sont sujets à d’étranges illusions. L’oute
est peut-être encore plus facile à tromper, soit
qu’elle grossisse les sons qui la frappent réellement,
soit que la source de ces sensations réside tout :
entière dans le cerveau. Mais de tous nos sens,
la vue est sans contredit celui qui présente au
plus haut degré les caractères de ces bizarres dé-
rangements, sources de visions ou agréables ou
terribles, qu’il est impossible de chasser de devant
nos yeux, quoique souvent notre raison qui con-
serve toute sa force les accuse infailliblement de
mensonge.
« En présence de pareils faits, dit M. de Qua-
» trefages en terminant, on cesse de s’étonner des
» nombreuses superstitions qui régnèrent d’une
» manière si générale dans les temps de barbarie.
» Dans les phénomènes physiologiques ou patho-
» logiques que nous venons d'indiquer , dans mille
» autres qui ressortent de la physique, de la chi-
» mie, de la météorologie ou de l’histoire natu-
» relle, on trouverait l'explication de tous cescontes
128 CLASSE DES SCIENCES,
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»)
»
»
»
»
»
»
funèbres ou riants qui charmaient les longues
veillées de nos aïeux, qui, encore aujourd’hui,
couvrent comme d’un réseau d'erreurs la plus
grande partie de l'univers, sans en excepter
notre intelligente Europe. Les fées , les démons,
les sorciers , toute cette mythologie du moyen-
âge s’efface graduellement, il est vrai, pour
lincrédule habitant de nos cités ; mais dans nos
campagnes, mais surtout au fond des gorges
étroites de nos grandes chaînes de montagnes,
la tradition leur conserve encore une foi plus
entière qu’on ne saurait le croire. C’est là que
devra s'adresser l’investigateur curieux des
croyances antiques; c’est là que le philosophe
pourra juger à quel degré d'erreurs peut mener
une vérité mal connue. »
Gection Deuxième.
MÉMOIRES
MÉMOIRE
me
TRANSFORMATION ET L'INTÉGRATION
| D'UNE CLASSE ,.
D'ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES SIMULTA NÉES
A PLUSIEURS VARIABLES;
Par M. BRASSINNE.
N.0 4. La transformation des coordonnées.est fré-
En employée dans l'application, de l’algèbre
à la géométrie , pour. ramener à des EE ne
ples les équations des lignes courbés et des surfaces
courbes. Des transformations et des simplifications
analogues ont lieu. pour une classé d'équations
différentielles d’une forme très-générale, dont
l'étude forme le sujet du travail que je ai l'honneur
de soumettre à l'Académie.
Considérons un système de #, équations simul-
tanées du second ordre de la forme.:
TOME V. PART. I. 9
PA ELASSE DES SCIENCES.
ds. d ©
Get MÉCAONE
ds d ;
a+ OZ r+K"p(=o (1)
Pat d (geo 9 (5)= 0
Ces équations renferment (n+ 1) variables x, y,
z3... Ut, les n premières sont regardées comme
fonctions de la dernière £; on suppose de plus que
ds=V dx +dy dr +...du",et que par consé-
quent s— f V'dx + dy +de+... +dw C (s) et
g (s) sont des fonctions quelconques de s.)
Nous allons prouver que les équations (1) peu-
vent se ramener à un groupe de même forme, mais
dans lequel les (7—1) premières équations seront
privées de leur dernier terme : pour arriver à ce
résultat, nous supposerons :
aa x +by+ci+...Lhu
y=e"a +b'y+cz4+... +R
= a" EHESS sr .….+h"u (2)
u— at) x +80) y fe +... +
Disposons de Z', X", h"!.. 7e de telle sorte que
K'=R# ,K'=R?Z/", K'"=R2"... KM —RA...il
suffira Her defareR = V'KRIERKR?E RE. KG
(r)
ethl= Ep k'= PES ; d'où il résultera
que 2°+h"4. of os a I.
MÉMOIRES. 13£
Les valeurs de #/, 2", h!! ... A) étant fixées,
il restera dans les équations (2) 2(7—1) quantités
AO 100" Pen GITE.
arbitraires ; pour les déterminer, prenons d’abord
d'autres quantités, a, , b,, c,...4,,b,,c,...4,
Pie. Cu... qui satisfassent aux = 21) condi-
tions suivantes :
a, b,+a,b,+..... C0 —0
a, Fe SA + a, Cn=0
&,c, sr sa Cn=0
a,h+a,h'+...+4a, He.
ch+c,h" ee ler re S
ss ssses.sseees.es.
. nin— 1 LA »
Les premiers termes de ces ( > D) équations
sont les produits distincts deux à deux des 7 let-
tres a,, b,, c,... h! ,etc. Les termes suivants ne
différent des premiers que par le nombre d’accents.
Les équations précédentes renfermant 2(n—1) ar-
bitraires, puisque les valeurs de k', k!, h"". fe
ont été assignées ; on pourra donc se donner 71) à ni)
de ces quantités, et si on fait un choix convenable,
les 2 (n— 1).
2
indéterminées restantes, dépendront de
* la résolution d’un système d'équations du premier
degré. Ces calculs effectués, on prendra
9:
132 CLASSE DES. SCIENCES.
a =L a, a"—La,...a®— =) Ame. -
Du ere EN GS
= Lie, c'æ=L'c,...c= Déc
en faisant
= D Bo e ae
ee 5] ——
Va + a) +aÿ +—0q@) VD HE +. bn
qui 1 :
En ae de ces hypothèses, les coefficients 4,
b'..h, a", b".. h",. a®, D... RM satisferont
aux use de condition suivantes :
ab + a" "+... Ha 40 = 0
a toire a! c! si + at? c@) — — 9
. vis. 2 95 cu ni (3)
a'h + a” h" +... a@) h@) = 0
PATES LPS 15 Dent. LG — 1,
caca cu 1... RH... RO,
qui sont au nombre de ==
Les coefficients étant ainsi déterminés, on aura
évidemment x°+y°+ 2 +. pu x + y +
z'°+... +uet dx + dy +...+du =dx'°+
dy!'°+.. hat; ou bien, ds =4d$/?, et par
suite s — 5’.
Remplaçons actuellement ER le système fe
équations (1), X, y, 2, u par leurs valeurs four-
nies par le groupe (2), et après la substitution
ajoutons les équations différentielles transformées,
en multipliant la première par a’, la deuxième
MÉMOIRES. : : 133
par &”, la troisième par a”’… la dernière par a”,
ajoutons-les de nouveau après avoir multiplié la
première par D’ , la deuxième par b''.…. la dernière
par D), on trouvera, en tenant compte des équa-
tions de condition (3), les transformées sui-
vantes :
dx ds dx
Hat Ÿ (s' ). Fr FRS
dy ds! dy
Dm (s)E = 0 (4)
&z a DIS
mleo Ve Er Trr cn
&u ; ds ; !
À NE my(s) Pr 7 tRe( )= 0.
Si on peut intégrer ÿ (s’) ds'les (n—1) pre-
mières équations du groupe (4) conduiront à des
intégrales premières de la forme :
dx —mE(s) dy —mE(s'}:...5 F(s
AE M, Y2Be a (s}
étant l'intégrale de à (s’) ds'. Pour ne pas donner
trop d’étendue à des transformations purement
apalytiques qui s’'appliqueraient, comme il serait
facile de le voir, à d’autres systèmes d'équations
différentielles d’un ordre supérieur au second , nous
nous contenterons de montrer l'utilité de notre
transformation dans deux exemples ; le second
sera choisi dans la théorie du, mouvement des
projectiles. SORTE à
134 CLASSE DES SCIENCES.
N.° 2. Considérons les trois équations;
&x ds dx 1, —RS
de + m Ta ° PE +K € =0
dy ds dy Ho RS |
ao gui gent NE) hoesoo0 0f1
dz ds dz mn , 25
A Cru a
Posons : za x+8y +cz
11! LAN (A z
=a" x +0 C
AM a” à FL CA cz
Faisons K'—Rc, K”’—Rc", K!=Re",
R étant égal à VK7EK7+K7.
Déterminons six quantités a,, b,, a,, b,,a,,b.,,
au moyen des trois conditions :
a,0,+a,b,+a;b;=0
AC; a, C, + 43 C3 —=0
bc, + b,c, Hbc; —=0o.
Si on se donne les quantités à, , a,, b,, les au-
29 390142
tres inconnues a, , b,, b, dépendront RÉ ons
du premier degré. On prendra ensuite pour a! , 4”,
p
a!" , les valeurs
Ar PiCieiGe IS Es, _SH LUS D (ei
et pour D’, b", b"",
4 b, f ë, bz
EE EN Ve En A RENE
Cela fait, on parviendra par la subtitution , après
les artifices de calcul indiqués ci-dessus, aux trois
équations :
MÉMOIRES. 135
dx s dx
DR A7 UE
dy ds dy
7 UE a =. (2)
dz! ds! —nS$
de m dé . S+Re = 0.
Les deux Lans donnent par l'intégration :
— 4 d 4 TR | x ! 2
(3) > TA Fo e TS, d'où dy=cdx"
Regardant z' comme fonction de x! seul, puis-
que FT les formules (3) y’ peut s'exprimer
au moyen de x!, on posera : 1 ou
4 ; E PH tx “dt?
dz dx dz
=? D en nommant p' le rapport Te La
substitution dans la troisième équation du groupe
(2) fournit, en ayant égard aux deux premières
équations de ce groupe : - . = —Re ect Di
visant celle-ci par iS carré de A première des équa-
(2m-n)s
tions (3)on aura (4)£ Le : ee
Var + dy + dé=dx Vi Le+p. Multipliant
les deux membres de l’équation (4) par cette va-
leur de ds’, on aura :
mais ds! =
(2m—n)$
dp! Vibes pre ds', qui, in-
tégrée, donne :
cv 14+ +lo Ceru 4 En].
KR (2m—n)s
de On y étant la consfante
136 CLASSE DES SCIENCES.
arbitraire. Éliminant, dans cette dernière , l’expo-
nentielle au moyen de l'équation (4), on trou-
vera :
dp'
(2m—n)(1+4 0)
1
vs ( Et —)]
dy! vaudra ensuite cdx' et dz vaudra p’ dx! , rem-
plaçant x’,7', 2! par leurs valeurs;
g'=0 x+a"y+a"z
J=bax+by+5"z
2 =cx+c"y + cz
: + V4 : dz
et exprimant ensuite ——,en fonction de — que l’on
dx dx
‘appellerait p, lintégration des équations (1) sera
ramenée aux quadratures.
d'i—= qui sera multiplié par
N.° 3. Supposons qu'il s’agisse de trouver le
mouvement dun projectile, soumis à la résistance
-de Pair et à l’action du vent que nous regarderons
comme une force accélératrice constante d’inten-
sité et de direction. Si cette force agit dans le
plan vertical de la trajectoire , elle se combinera
avec la gravité, et en admettant que la résistance
de Pair est proportionnelle au carré de la vitesse
que le projectile possède à chaque instant, les
HQE du mouvement auront la forme :
ds ds dy
C + "dE 7 +K=0 Re pc. dé Ti +K'=0.
Remplaçons dans ces équations , K et K’ par
MÉMOIRES. 137
m cos a et m sin «, m étant égal à VK:+K7 et
’ , ue: .
tang & étant égal à ; posons ensuite :
- G—=— x'sin æ— y COS &
et y—=xcose+y'sine,
les ‘it (ei deviendront :
2%
ds dx: dy ee
TE sin a + TE édsar el (= JT; Sinat 7 COS &
See mm Cosa— 0;
x d'y s' dx! Pay: e
ee COS a+ sin & +c. ME COS a + Sin &
+msina=0o,
puisque ds =V/ 7x + dy =VW dx +dy:= dsl:
Maultipliant la première équation par sin &, la
deuxième par cos «, et soustrayant, on trouvera :
Œx > ds dx
FER OT ae
Multipliant ensuite la première équation par
cos æ&, et la deuxième par sin &, et ajoutant, on
trouvera :
dy ARE
7, _ VUE
Ces deux dernières équations, traitées par les mé-
thodes connues (voir Poisson, mécanique, 2.m€
édition , page 402), conduisent à
dp'
2) CAL = ————— ——— — ——
@ Papi log(p'+V ip) —Y;
‘d
et c.dy'= ne MERS GED anne 7777 0
PME PRE log (PE) ve
138 CLASSE DES SCIENCES.
!
5 Ex dy. . a
Ici p’ désigne le rapport =,; mais pour expri-
mer les coordonnées primitives ou leurs différen-
2
tielles dx, dy en fonction du rapport Te =P-
Nous observerons que : dx! = dy cosa— dx sin «&
et dy'= dy sin a+ dx’ cos «, et par suite
dy __psin «cos z
dx pcose—sin &
Substituant dans la formule (2) pour p', dx’,
dy leurs valeurs, et appellant F (p) dp, f (p) dp
ce que deviennent les seconds membres , on aura
visiblement :
c. dy =cos«aF (p) dp+sinaf(p)dp
c. dx=—=cos a f (p) dp —sin «F (p) dp.
Dans ce cas, la trajectoire aura une asymptote
parallèle à Paxe des y’, et faisant par conséquent
avec l’axe de x un angle r—a—.
Ces exemples suffisent pour montrer Vutilité
de la transformation que nous avons employée.
On peut au reste, comme nous le ferons voir dans
un autre Mémoire, parvenir à un grand nombre
de résultats nouveaux, en faisant usage de trans-
formations analogues.
MÉMOIRES. 139
FRAGMENTS
D'UN MÉMOIRE
SUR L’INTÉGRATION
DES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ;
Par M. BRASSINNE.
Dans un grand nombre de cas, la fonction de
x qui satisfait à une équation différentielle entre
les variables x et y, peut être représentée par les
intégrales définies. Voici quelques transformations
des intégrales les plus utiles : considérons l’inté-
En 75 +by*)
Ô —(ax? ,
grale double : (1) “RS FA
— © — 2x
a et b, étant des quantités déterminées, réelles et
positives. Tant que x et y ne seront pas simulta-
, L4 L4 RE ax b ] Ü
nément égales à zéro, e Ut , aura une va-
leur positive plus petite que lunité. De plus, lin-
tégrale (1) peut être considérée comme le-volume
d'un solide reposant sur le plan des x, y, et
140 CLASSE: DES SCIENCES.
terminé par une surface dont l’équation serait
LEE b 2 À
ZE rt ) Posons 2=—, les sections de
cette surface par des plans horizontaux seront des
ellipses qui auront pour équation : a x°+b y°—log u;
FT log u
leur aire sera , d’après les théorèmes connus, VS
a
Décomposant le volume du solide de révolution
en une infinité de tranches par des plans parallèles
au planides x, y, on aura pour l'expression du
volume — Fafuut uL. == 6); 5
[ee]
2 b 2
ou an / fe se = (2) d'où on
ab
déduirait aisément Fran bug
e qd L” T
(o]
Ce procédé conduirait avec une feals facilité à
+o f+o
la valeur de mue Fr How ) > En SUPpo-
e %
— D —o
4 I FE Dee
sant b ee Di
= (ae) VE (a—c), on trouverait
ma tre 7 27 |
fe fu Pan Vo.
— 00 .— 00
La transformation des coordonnées dans cer-
MÉMOIRES. . 141
tains cas d’une 2 pee facile conduirait à lin-
oo
ca [TS TE (ay* che hs Ft)
(4 dx d y:
On voit même ju on pourrait ,; en observant cer-
taines conditions, remplacer lexposant de e par
l'équation complète des surfaces du second ordre.
—————
Remplaçant dans l'intégrale (3) y par K sin
et x par K cos 2 , on aurait l'expression de linté-
+ co
eu/ _K a A à cos? @- à sin @ cos @) doi
e
on déduirait plusieurs résultats remarquables.
L emploi des coordonnées polaires permettrait d’é-
valuer dans un gr rand nombre de cas :
= (+
Je+ 7 di uns
/ 1 e Id dy= e e(K:)K.4K.dp.
A0 = 00
on trouverait par on que
Ps
e (x? A ‘dx dy= 27 qui dans le cas
—œ —0o
particulier m = 2 dame Vintégrale d'Euler
(ee)
— x? V” =
€ dx = c
© 2
#42 CLASSE DES SCIENCES.
_- On peut, au moyen des intégrales doubles , dé-
montrer d’une manière très-simple la propriété
fondamentale des eulériennes de seconde espèce.
+ oo +
nr . uns n
Considérons lexpression s(1+ 2°) æ
e amids. dà= ———
- nm
O n Sn —#
n
comme il est aisé de le vérifier en intégrant d’a-
bord par rapport à s entre les limites indiquées :
; t A 1
posons Sx*=—1", d’où x = — et différentions en
Sa
regardant S comme une quantité constante, on
m—1
aura : dx 2 et gr
Sr Sn
donc, enfin;
œ fc co co s
—s(1+ x) —s —7 ee
, e ami.ds.dx=] e s ds} e t"\dt n.Sin—7
o o o 0
Cette dernière forme donne
Lis (= )- Lr (=)=——;
n—n nr mn n
. n
n. Sn 7
où,T (= Tr (2) lines qui est l’ex-
3-2
n'Sn— 7
m
pression du théorème connu.
MÉMOIRES. 143
DÉMONSTRATION
NOUVELLE
DE LA FORMULE DE L'ACTION CAPILLAIRE ;
Par M. DEGUIN.
Pruseurs géomètres se sont oc-
cupés de la théorie de la capillarité.
Clairault essaya le premier de ra-
mener les phénomènes qui en dé-
pendent , aux lois générales de
léquilibre des fluides ; mais, mal-
gré la profondeur de son génie, il
ne put déduire de ses calculs la
> loi de l'élévation et de la dépres-
sion que Jurin avait déjà trouvée. Laplace s’occupa
des phénomènes capillaires avec plus de succès;
sans faire aucune hypothèse sur la loi de lattrac-
tion moléculaire, et en admettant seulement, ce
qui est conforme à l’expérience, que cette force
décroît très-rapidement quand la distance aug-
mente pour devenir nulle à toute distance sensible,
cet habile géomètre est parvenu à une formule gé-
nérale qui représente fidèlement tous les phéno-
mènes et qui permet d'en calculer toutes les lois.
144 CLASSE DES SCIENCES.
C’est une nouvelle démonstration de cette for-
mule que j'ai l'honneur de présenter à l'Académie.
On sait que les molécules d’une même file nor-
male à la surface d’un liquide en équilibre sont
attirées dans l’intérieur de la masse par les molé-
cules environnantes; que la résultante des forces
élémentaires qui s’exercent sur chacune d’elles est
normale à la surface du liquide, et qu’elle varie
avec la distance de la molécule à cette surface. Je
me propose d’abord de calculer la résultante de ces
forces pour une molécule quelconque M située sur
la normale MN à la surface RS et à une distance
MN=c. Je rapporte, à cet effet, tous les points
de la masse liquide à trois plans rectangulaires
ZMX, ZMY, XMY dont les deux premiers
coïncident avec les sections principales au point
N de la surface , et dont le: troisième est perpen-
diculaire à la un MN et PASSE par la molé-
cule M.
Soit ZMP un plan qui fasse un angle égal à 6
avec le plan ZMX, et ZMP’ un 2. plan qui fasse
avec ZMP un Fe infiniment petit égal à :d ;
soit en oùtre, »# un point pris sur la ligne MP
à une distance Mn =, etm un 2.° point distant
du point m d’une quantité infiniment petite dc.
ns par les points » et m' les lignes m5 et
' 1! parallèles à l'axe MY, puis élevons sur le pa-
Ml uune mm u! le prisme droit mn!, et
décomposons ce prisme .en éléments infiniment
petits.par des plans parallèles au plan XM Y. Dé-
signons l’un des éléments par 727 pp', et représen-
MÉMOIRES. 145
tons par z sa distance à la base commune #1 à.
L'action de cet élément sur la molécule M est
proportionnelle à sa masse, à celle de la molécule
et à une fonction de la distance Mp=r de la mo-
lécule à élément ; elle peut être représentée par
K do udu d9 dz@(r)
en appelant K un coefficient constant pour un
même liquide, @ (r) la fonction inconnue qui re-
présente attraction à la distance r, dv le volume
de la molécule M, et en remarquant que le volume
de l’élément nn" pp' est égal au produit de sa base
udu dû par sa hauteur dz.
Comme l’action totale du liquide sur la molé-
cule M est normale à la surface RS, nous ne de-
vons considérer ici que la composante de la force
Kdo udu dû dzo (r) dirigée suivant MN; elle
s’obtient en multipliant cette force par la quan-
tité 2 qui représente le cosinus de l'angle NMP
r
ou de son égal Mpm , et devient
K do udu dé = e(r)
On peut déduire de cette expression l’action de
la colonne prismatique entière sur lélément M;
il suffit d'y regarder les quantités dv, uw, dû
comme constantes, et de l'intégrer entre les limites
r=MO=r et r =; en d’autres termes, il suffit
de calculer la formule
ca
Kdo u du def} ie (r)
dans laquelle r’ désigne la distance du point M au
TOME V, PART. I, 10
146 CLASSE DES SCIENCES.
point de la surface liquide que rencontre la colonne
prismatique. — Les deux variables. qui se trouvent
sous le signe d'intégration sont liées par la for-
mule r°=u°+2"; or, comme l'intégrale doit être
prise dans la supposition de w constant, cette
équation peut être différenciée dans la même sup-
position ; on a ainsi rdr—zdz, d’où dr. En
substituant cette valeur dans la formule précédente,
on obtient
oo
Kdoudu af, @ (r) dr
et par suite : Kdo udu d0 4 (r)
en représentant par Ÿ (r’) l'intégrale de o (r)dr
entre les limites r=7' et r = ©.
Il s'agit maintenant de déduire de la dernière
expression l’action du liquide compris entreles deux
plans ZMP , ZMP'’. On y parvient en faisant la
somme des actions de la colonne prismatique de-
puis la normale MN jusqu’à linfini, ou, si lon
conserve r/ comme variable, depuis r =MN—c
jusqu’à r' — ©. Cette action est ainsi représentée
par la formule
K do auf luau tir)
1] faut pour avoir la forme de l'intégrale exprimer
udu en fonction de r’ . Imaginons, à cet effet, un
ellipsoïde osculateur au point N de la surface, et
supposons , ce qui est toujours permis, que son
MÉMOIRES. 147
entre soit au point M de la normale MN; son
équation sera
x? y? 2?
pete
en appelant c la longueur de l’axe MN ,eto, p'
les deux rayons de courbure maximum et mini-
mum de lellipsoïde au point N, ou bien ceux de la
surface RS au même point. Cette équation peut
être transformée en coordonnées polaires au moyen
des relations x=u cosô, 7=u sin 6; elle devient
1 1 z8
u? | —— cos? 8-+- — sin? 0 | H— = 1
CP CP c?
ou bien
u? Z 2 L L
+=: en faisant 2= —— cos’ 0-4: sin°
D: Dr Cp cp
Si lon différencie cette équation dans la supposi-
tion de 0 constant, on trouve
udu , zdz
Due
or on a déjà r/°=u°+2° et par suite
r'dr =udu+-2d7
ainsi, il vient
La formule qu’il s'agissait d'intégrer prend alors
la forme Kdv af pe
a+ ) ou bien, puis-
que 6 est supposé Pas
TA ay (+) ,
C2
"(D
10.
148 CLASSE DES SCIENCES.
L'intégrale pouvant être représentée par F (c)
cette expression devient
K F(c) do d0
Ter
D:
telle est l’action du liquide renfermé entre les
plans ZMP et ZMP'.
Il est facile d'obtenir, en partant de cette for-
mule, la valeur de l’action de toute la masse li-
quide sur la molécule M; il suffit de l'intégrer
par rapport à 6 depuisé = o jusqu’à 4—27%—, c’est-à-
dire de calculer la valeur de l'expression
da
1—
ë 1
si l’on rem place 5 Par sa valeur et qu’on se serve
de la relation sin°6+ cos’ 8 = 1, on aura
% ds 7 d9
1— NE + cos64(1— + )sinre
D L ?
=/. d. tang 8
Gars c
6 + A ô
1
re
CAT NUS v4 c Ë tang P
Te) Nes tang 0—-const
( ? X-5 ) Par,
m7
MÉMOIRES. 149
L'action du liquide sur la molécule M sera donc
2rKF(c)do
VAE
Fr SETE #P
Comme la molécule M est infiniment voisine du
point N, la quantité c est infiniment petite par
rapport aux quantités p et p’, et par suite le
2
terme peut être négligé. D’après cela le radi-
cal devient A 1 (+5), et l'expression pré-
P
, KF(o d ù
cédente prend la forme Re AIS bien
GE
27KF (c) do (4) re Si l’on déve-
loppe en série la quantité entre parenthèses et si
Von néglige les puissances de c supérieures à la pre-
mière, cette quantité se réduit à (: + (£+5)}
ne x dé
et la formule devient 27KF (c) do | 1+(2+2))
Telle est l’action que tout le liquide exerce sur
la molécule M. On voit, comme nous l'avons dit
précédemment, que cette action varie avec la dis-
tance de la molécule à la surface.
On peut aisément déduire de cette formule la
valeur de l’action que tout le liquide exerce sur la
file de molécules qui composent le canal cylindri-
que MN. Prenons, à cet effet, la section perpen-
diculaire à l'axe de ce canal pour unité de surface;
le volume dv de la molécule M sera proportionnel
x50 . CLASSE DES SCIENCES.
à la hauteur dc de cette molécule, et action to-
tale du liquide sur la file de molécules sera représen-
tée par la formule. 57K se SE (c) 14 (+5) dc
: 0 1 I C9
ou bien 25Kf Pode+arK(4)f. F(c)cde
En représentant par Met N les valeurs des deux
intégrales ; cette expression devient
27 KM-+2 rKN(— +=
ou bien enfin, en posant 27KM=—A, 27KN=B
a+B(— +)
PF d
Telle est la valeur de l’action de toute la masse
liquide sur la file de molécules normale au point
N de la surface. Les quantités À et B sont des
quantités constantes pour un même liquide, mais
variables d’un liquide à un autre.
Nous avons supposé, dans la démonstration
précédente, que la surface du liquide fut convexe,
si elle était concave, on ne pourrait plus mener
un ellipsoïde osculateur ayant son centre en M;
mais On pourrait mener un hyperboloïde gauche
dont le centre serait à ce point et dont la cour-
bure serait assimilée à celle de la surface au
point N. L’équation de cet hyperboloïde se-
. x? A) ZE se bacs
Fait — TRES PNEU et l’action du liquide:
sur là file normale A—B(— +).
MÉMOIRES. 151
RAPPORT
SUR UN
TRAVAIL DE M. CASTEL
CONCERNANT L'ÉCOULEMENT DE L'EAU PAR DES
AJUTAGES CONIQUES.
(Commissaires, MM. Abadie , Saint-Guilhem , Brassinne ,
Borrel, d’Aubuisson rapporteur. )
L’Acanémre nous a chargés de lui rendre compte
d’un travail que M. Castel , ingénieur des eaux de
Toulouse, a fait, en 1837, sur l'écoulement de
Peau par les ajutages coniques.
Indiquons d’abord les circonstances qui ont
donné lieu à ce travail.
De tous les ajutages, ou courts tuyaux qu’on
adapte à un réservoir ou conduit d’eau pour avoir
un jet de grosseur et de direction voulues , ceux
de forme conique , c’est-à-dire , ayant à la sortie
un orifice plus petit qu’à l'entrée, sont les plus
usités : ce sont en outre ceux qui donnent les jets
les plus réguliers et qui les lancent à une plus
grande distance ou hauteur, ceux dont les ellets
152 CLASSE DES SCIENCES.
sont les plus variés ; et cependant ce sont ceux sur
lesquels on a le moins de documents. À mesure
que leur angle de convergence (angle que forme-
raient , par leur prolongement, deux côtés opposés
du tronc de cône constituant l’ajutage ) augmente,
ils impriment à l’eau plus de vitesse, et ils en
donnent une plus grande quantité, mais jusqu’à
un certain terme seulement : si, lors de l’établis-
sement des fontaines de notre ville, la science eût
fourni des notions précises à ce sujet, il eût fallu
beaucoup moins de tätonnements pour bien dis-
poser les gerbes d’eau qui sont sur quelques-unes
de nos places.
Un des membres de la Commission, qui s'était
vu embarrassé par suite de la lacune que l’hydrau-
lique présentait dans cette partie, projeta diverses
séries d'expériences propres à la remplir. On au-
rait eu plusieurs suites d’ajutages : dans chacune,
le diamètre de l’orifice de sortie et la longueur de-
meureraient les mêmes; mais le diametre d’entrée
et par suite l’angle de convergence augmenterait
graduellement. Les suites eussent différé, les unes
des autres, par le diamètre de l’orifice extérieur et
par la longueur. Chaque ajutage serait adapté à un
réservoir d’eau , et l’écoulement y aurait lieu sous
des charges qu’on augmenterait successivement. À
chaque expérience, on déterminerait la dépense ,
ou quantité d’eau écoulée par seconde, à l’aide
d’un jaugeage direct; pour avoir la vitesse, on
mesurerait la distance que le jet atteindrait sur
un plan horizontal établi au-dessous de l’ajutage
MÉMOIRES. 153
d’une certaine quantité ; de cette quantité et de
la distance mesurée, on conclurait la vitesse de
projection du jet, par l’équation de la parabole.
On comparerait ces dépenses et ces vitesses réelles,
avec les dépenses et les vitesses indiquées par la
théorie, et on aurait les rapports ou coefficients
de réduction des résultats de la théorie à ceux de
l'expérience, et par conséquent les moyens de cal-
culer les dépenses et les vitesses de projection
pour un ajutage quelconque (1).
La personne la plus propre à bien exécuter un
tel plan, M. Castel, voulut bien s’en charger. Les
moyens matériels lui manquaient ; l'Académie, qui
(1) Soient :
d le diamètre de l’onifice de sortie ;
h la charge ou hauteur d’eau au-dessus de cet orifice ;
Q la dépense réelle, déterminée par un jaugeage ;
» la vitesse réelle avec laquelle l’eau sort ;
m le coefficient de la dépense ;
n le coefficient de la vitesse ;
æ la distance verticale, en contrebas de l’orifice, du plan
horizontal sur lequel tombe le jet; c’est l’abscisse de la
parabole qu'il décrit ;
y la distance horizontale qu'il atteint sur le plan ; c’est l’or-
donnée ;
h! la hauteur due à la vitesse » de projection.
L’équation de la parabole est y? — 4h'x ;
De plus, » — V2gh'; d’où, puisque g — 9"809,
D = 2, 215 Ÿ VE
Comparant les dépenses et les vitesses réelles (Q et») avec
154 CLASSE DES SCIENCES.
sentait tout l'intérêt de ce travail, sadressa à PAd-
ministration municipale pour les lui procurer, en
disposant convenablement à cet effet le local si
favorable qu'on avait au Château d’eau. Cette
première fois, elle n’obtint que des promesses , et
M. Castel fut réduit à opérer dans un coin de la
cour du Capitole, avec un petit appareil qu’il pos-
sédait déjà, mais dans lequel il ne pouvait pro-
duire l'écoulement que sous les faibles charges de
0%30 au plus. Malgré cela, il n’en fit pas moins,
en 1831 et 1832, plusieurs séries d'expériences
qui répandirent beaucoup de jour sur cette ma-
tière, mais dont on ne put tirer des conséquences
positives, car on ne savait pas ce qu’il en eût été
sous de grandes charges ; ainsi le jugea l’Académie,
à laquelle ce premier travail fut communiqué par
les dépenses etles vitesses théoriques Œ dy/2ghay/ 2h),
on a
Q = md 73h = 3,479 mdY/ h, et
a,n5==nt/osh —ffignV 7,
d’où l’on déduit
m=—=0,2874 nr et
= y .
Vihx
n
C’est à l’aide de ces deux dernières formules que M. Castel
a calculé ses coefficients de la dépense et de la vitesse.
MÉMOIRES. 155
M. le Maire(1). Elle réitéra ses instances : elle fit
voir comment , avec une faible dépense, on dispo-
serait au Château d’eau un bel, appareil expéri-
mental donnant des charges dix et trente fois
plus considérables que celles qu’on avait eues au
Capitole, charges qui pouvaient aller jusqu’à près
de 10%, Sa demande fut enfin accordée, et l’appa-
reil fut établi. Il est décrit dans le tome 1v (p. 221)
de nos Mémoires.
Après que M. Castel y eut terminé ses très-belles
suites d'expériences sur les déversoirs , il reprit le
travail sur les ajutages coniques. Il disposa l’appa-
reil de manière à pouvoir le faire avec facilité et
exactitude. À la face antérieure de la caisse d’ex-
périences, il adapta successivement les vingt-cinq
ajutages de 15 1/2 millimètres de diamètre, qui
avaient été employés à ses premières expériences ;
et puis il en employa treize autres de 20 millimè-
tres de diametre à la sortie. Par chacun d’eux, il
produisit l'écoulement sous les charges successives
de 020, 050, 1"00, 1"50, 2"00 et 300.
L'eau qui en sortait était reçue, pendant un cer-
tain temps, exprimé en secondes et quarts de
seconde, dans un grand cuvier de tôle, qui avait
été étalonné avec le plus grand soin (2). De la
(1) Ges premières expériences et leurs résultats immédiats
ont été publiés dans les Annales des Mines de 1833.
(2) Ce cuvier avait o"70 de diamètre et autant de hauteur ;
au fond se trouvait une soupape de décharge. Il avait èté éta-
lonné par empotement , à l'aide d’un double décalitre dont la
156 CLASSE DES SCIENCES.
quantité d’eau écoulée dans ce temps, on concluait
la dépense, et de cette dépense on concluait son
coefficient. Pour la vitesse de projection , celle
avec laquelle eau sortait de l’ajutage, M. Castel
récevait le jet dans une rainure pratiquée sur un
plancher, bien horizontal, établi en contre-bas
capacité avait été bien constatée par diverses pesées de l’eau
qu'il pouvait contenir. A chaque versée de l’eau de ce vase,
on relevait avec soin la distance entre la surface fluide et un
point de repère pris sur le bord supérieur , le cuvier étant bien
horizontal : de sorte que lorsque l’eau coulant par un ajutage
s’y était élevée à une certaine hauteur , il suffisait, pour en
avoir très-exactement le volume , de mesurer la distance eutre
sa surface et le point de repère : cette mesure se faisait à l’aide
d’une tige terminée en pointe et disposée de manière à indi-
quer les dixièmes de millimètre. L’eau sortant de l’ajutage ctait
menée au cuvier par un tuyau dont l'extrémité supérieure ,
disposée en entonnoir , était instantanément mise sous l’orifice
au commandement donné. De cette manière il ne saurait y
avoir, dans les dépenses , une erreur assez grande pour af-
fecter les résultats obtenus.
Il en est de même en ce qui concerne la mesure des charges
ou distance entre le centre de l’orifice de l’ajutage et le niveau
de l’eau dans les tuyaux superposés à la caisse d'expérience.
Mais il n’en est pas tout-à-fait ainsi de la détermination du
diamètre des orifices intérieurs et extérieurs des ajutages.
Quoique ces ajutages faits en cuivre jaune aient été tournés et
alésés avec toute l'exactitude possible à Toulouse ; quoique
M. Castel en ait mesuré et remesuré les diamètres avec tous
les soins dont il était susceptible , il ne saurait en répondre à
un demi-dixième de millimètre. En résultat , il ne pense pas
pouvoir répondre de ses coefficients de la dépense à un demi-
centième de leur valeur : très-rarement l’erreur aura-t-elle été
aussi forte.
MÉMOIRES. 157
de lajutage d’une quantité ou distance verticale
qui était l’abscisse de la courbe décrite par le jet;
la distance horizontale qu'il atteignait sur le plan-
cher , et qu’on mesurait à aide d’une règle graduée
placée sur le bord de la rainure et d’une aiguille
en fer qu’on passait au milieu du jet, en était
l’ordonnée : à l’aide de ces deux coordonnées , on
calculait la hauteur due à la vitesse de projection,
et par suite cette vitesse, et par suite son coeff-
cient (1). Au reste , il n’a pu être fait presque au-
cune observation concernant la vitesse sous les
charges supérieures à 2; Le jet dépassait le plan-
cher , ou il se déformait avant de l’atteindre.
Cest en tenant la marche qui vient d’être ex-
posée, que M. Castel a fait les 422 expériences
dont les résultats, pour chacune, sont portés dans
le tableau joint à ce rapport; on pourrait dire les
mille expériences, car chacune des 422, a été ré-
pétée une ou deux fois, et on n’en a inscrit que la
moyenne sur le tableau.
En y voyant la marche régulière et uniforme
que suivent les coefficients conclus, quelques per-
(1) Voyez la note de la page 153.
Le coefficient de la vitesse n’a pu se déterminer avec la
même exactitude que celui de la dépense. Le milieu du jet à
son arrivée sur le plancher ne pouvait pas se prendre avec
rigueur. De plus , malgré tous les soins qu’on s’est donnés pour
placer l’axe des ajutages bien horizontal et bien dans la direc-
ton de la rainure faite sur le plancher, on ne peut répondre
d’une légère déviation , laquelle pourrait avoir donné lieu à
une erreur d’un centièmé dans le coefficient.
158 CLASSE DES SCIENCES.
sonnes pourraient penser que ce sont des chiffres
qu’on a comme imaginés , afin d'obtenir une telle
régularité. Pour nous, qui connaissons M. Castel
et sa manière d'opérer, qui savons que dans tout
ce qu'il fait il met autant de conscience que d’ex-
trême exactitude , qui l'avons vu faire peut-être
mieux encore dans son travail sur les déversoirs ,
nous ne verrons ici que la marche régulière de la
nature mise en évidence par des expériences faites
avec intelligence , avec suite et avec beaucoup de
soin : ce ne sont que de telles expériences qui font
faire des pas assurés aux sciences physiques.
Revenons à notre objet, aux résultats à déduire
des faits consignés dans le tableau des expériences.
En comparant entre eux, dans les colonnes 5,
les coefficients de la dépense obtenus avec un
même ajutage, mais sous des charges différentes,
on voit qu'ils sont sensiblement les mêmes ( peut-
être y a-t-il une très-légère augmentation sous la
charge de 3%). Ainsi, dans un ajutage, la dépense
est exactement proportionnelle à la racine carrée
de la charge et à la section de lorifice.
En suivant, dans les colonnes 6, la série des
coefficients moyens, pour des ajutages de même
diamètre et longueur, on voit le coefficient en
partant de 0,83, cas des ajutages cylindriques
dont l’angle de convergence est de o° , augmen-
ter graduellement avec cet angle, mais jusqu’à
130 1/2 seulement où il atteint 0,95 et 0,96.
Au delà, il diminue, d’abord faiblement comme
toutes les variables aux environs du maximum ,
MÉMOIRES, 159
pus de plus en plüs rapidement, et il finirait
par n'être plus que 0,64 coefficient des orifices
aux minces parois ; ces orifices étant l’autre terme
extrême des ajutages convergens, celui où l’angle
de convergence est parvenu à sa plus grande va-
leur 180°.
Les dépenses, à égalité d’orifice et de charge,
étant proportionnelles aux coefficients , l’ajutage
de la plus grande dépense sera donc celui de 13
à 14° de convergence.
Il est très-vraisemblable que les coefficients de la
vitesse, comme ceux de la dépense, pour un même
ajutage , mais sous des charges différentes, auraient
été sensiblement les mêmes, sans la résistance de
Pair; mais cette résistance diminuant la portée du jet,
après qu’il a été lancé, diminue aussi le coefficient
a , quoïqu’en réalité il n’y ait
Vh x
point eu de diminution dans la vitesse avec la-
quelle le fluide sortait ou tendait à sortir.
Les coefficients moyens de la vitesse, portés à
la colonne ro, croïissent , à partir de l’angle o°,
à peu près comme ceux de la dépense jusque vers
10°; puis ils augmentent plus rapidement qu’eux,
et, au delà de l’angle de plus grande dépense,
pendant que ceux-ci diminuent, ils continuent de
croître et de se rapprocher de la limite 1; ils en
sont déjà bien près sous les angles de 5o° et même
de 40°. Les ajutages coniques forment, par leur
convergence , une progression dont le premier
terme est l’ajutage cylindrique , et dont le dernier
calculé (n —
160 CLASSE DES SCIENCES.
est l’orifice en mince paroi : de l’un à Pautre, la
vitesse v va progressivement en augmentant , de-
puis 0,83 V’28h jusqu'à V28h; et son coefficient
croit depuis 0,83 jusqu’à 1.
En définitive, les expériences de M. Castel , don-
nant les coefficients de la dépense et de la vitesse
pour chaque espèce d’ajutage conique, lespèce
étant caractérisée par l'angle de convergence , in-
diquent quel est l’ajutage propre à assurer une
dépense et une vitesse demandées; et finalement,
elles mettent à même de résoudre ce Sbième
général des jets et gerbes d’eau : Étant donnée la
Paitcur d’un réservoir plein d’eau au-dessus
d'un point, ou plus directement la charge effec-
tive d’eau au-dessus de ce point, y établir un
ajutage fournissant un jet qui porte une quan-
lité d’eau donnée à une distance et à une éléva-
tion aussi données. Cest encore à M. Castel que
la science sera redevable de la solution de cette
importante question (1).
(x) Montrons , par un exemple , la manière d'opérer ; et
établissons d’abord les formules dans la” supposition que la
trajectoire décrite par le jet est une parabole , et presque
toujours elle le sera sensiblement.
Conservons aux lettres mentionnées ci-dessus ( pag. 153)
leurs valeurs respectives :
n° h (=) exprimera la hauteur due à la vitesse réelle de
sortie, et il représentera la force de projection.
De plus, désignons par z l’angle d’inclinaison de l’ajutage
lançant le jet.
En prenant pour axe des abscisses l’horizontale menée par
MÉMOIRES. 16i
D’après cet exposé, votre Commission doit vous
proposer de faire imprimer, dans vos Mémoires et
à la suite de ce rapport, le grand et beau travail
de M. Castel sur les ajutages coniques. Ce travail
est aussi en partie, indirectement il est vrai,
l'œuvre de l’Académie ; c’est elle qui a insisté
pour qu’il fût fait et qui a obtenu les moyens de
le faire.
Nous croyons encore, dans l'intérêt de la
science, devoir prier l'Académie d'inviter M. Castel
à poursuivre ses importantes expériences. Disons
Porifice de l’ajutage , l'équation de la courbe ( Poisson , Me-
canique , Ÿ 208) sera
x?
4 n° hcos?i
Désignons encore par À l'amplitude du jet, c'est-à-dire la
portion de horizontale comprise entre l’orifice et le point où
elle. est rejointe par le jet, et où, en conséquence y — 0,
lon a, -
y =xtangi—
A—=Ân°hsinzcosr...,..(2)
Pour la plus grande élévation, du jet, ou la plus grande
ordonnée, Ÿ , correspondant à l’abscisse qui est moitié de
l'amplitude, on aura |
Y=n2h sin ri. ...:0(3)
‘ Divisant cette égalité; par la précédente ; 1l vient :
&Y sim? jai ,
= AN ZM NE
A cos? 5 (4)
* Cela posé, supposons qu'il s’agisse d’établir une rangée
circulaire d’ajutages devant porter chacun o0®2#003 d’eau par
seconde , à 11 mètres de distance , en l’élevant à 6», dans un
lieu où la charge effective d’eau est de 8® (on se rappellera
TOME V. PART, Ie 11
162 CLASSE DES SCIENCES.
quelques mots à ce sujet. Et d’abord tout ce qui
concerne les ajutages coniques convergents n’est pas
encore terminé : 1l reste à constater l’effet de leur
longueur sur la dépense et sur la vitesse : M. Castel
a bien déjà fait plusieurs expériences à ce sujet,
ainsi qu'on le voit dans son tableau; mais elles
sont loin d’être suffisantes pour fournir une con-
clusion positive.
Il est ensuite d’autres questions qui sont d’un
—
qu’une telle charge est la hauteur du réservoir au-dessus de
ce lieu, moins la résistance que l’eau a éprouvée dans les
tuyaux qui la mènent depuis le réservoir jusqu'aux orifices de
sortie ).
On aura donc pour
La chakge + +. msnsprrmes = 8m
L’amplitude du jet.................... Ai"
La plus grande élévation à lui donner... .. V — 6=
La dépense en'eau: :.1....:..,..444, 1Q = 6,003
La formule (4) donne: .44..,..,4.4, 2,2. 2=166° 21
Le carré du sinus de cet angle mis dans l’é-
quation (3), où Ÿ et À sont.conaus, indique... n — 0,953
Le tableau de M. Castel, loue 10, mon-
tre que ce coefficient de la vitesse dnitond
à un ajutage dont l'angle de convergence est:
d'ENVATON eo ee I TANL RE PLEASE RER ORE SANTE
Pour un tel ajutage, dans le même tableau
colonne 6, on trouye..:,............::. M 0,940,
et la for AM ordinaire de la Fe ci- “dessus, à
Q—= 3,470 dy} donnçinst = d — 0%0180
Ainsi, on satisfera à la question proposée, en plaçant, aux
points indiqués, des ajutages coniques ayant 0"018 de diamètre
à Ja sortie, 11° de conyergence, et en les inclinant de
65,231.
MÉMOIRES. 163
grand intérêt pour l'établissement des fontaines de
Toulouse, telles qu'une appréciation exacte des
effets ep
De l’évasement à donner à l'entrée des tuyaux
de conduite ;
Des coudes et des étranglements que ces tuyaux
présentent , etc.
L’hydraulique offre en outre bien des lacunes,
et bien des parties sur lesquelles on ma encore
ou que des aperçus, ou que de premières ébau-
ches ; entr’autres :
L'action très-remarquable des ajutages coniques
divergents pour augmenter la dépense des con-
duites auxquelles on les adapte ;
La dépense, lorsque les orifices sont ouverts
dans des parois concaves ou convexes;
La force de percussion des veines d’eau lancées,
soit subitement soit d’une manière continue,
contre des surfaces ou des corps de diverse forme;
Les effets de la communication latérale du mou-
vement des fluides.
Toutes ces questions ne sauraient être résolues
définitivement que par des suites d’expériences
faites avec une très-grande précision; et fort diffi-
cilement, pour en avoir de telles, trouvera-t-on
un appareil aussi convenable que celui du Château
d’eau de Toulouse, et un expérimentateur aussi
exact, aussi scrupuleux , aussi exercé et aussi ha-
bile que M. Castel. C’est dans la vue de contribuer
aux progrès de la science à l’aide de ce double
moyen, que l’Académie est déjà intervenue au-
II.
164 CLASSE DES SCIENCES.
“près de l'autorité administrative; faisons encore ce
qui sera en nous pour que cette intervention porte
tous les fruits possibles.
Résumant ses conclusions, votre Commission
vous propose ,
De remercier M. Castel de la communication
qu’il a faite à l’Académie de son travail sur les
ajutages coniques ;
De décider que ce travail sera imprimé dans
ses Mémoires;
Enfin, d'inviter cet observateur à consacrer en-
core les moments que lui laissera son service, à la
continuation de ses importantes expériences, et
à les étendre aux diverses questions de l’hydrau-
lique qui peuvent être résolues à l’aide des appa-
reils mis à sa disposition. Pour lui faire connaitre
les désirs et les espérances de l’Académie à cet
égard, copie du présent rapport lui serait adressée.
MÉMOIRES.
1,4960 0,9484 0,928
165
1,139612,4440|6 236
0,8926|2 Let 0,927
»,
AJUTAGE. CHARGE | DÉPENSE COEFFICIENT COORDONNÉES COEFFIGIENT
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050, GB 610, . 3 690
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3,0304|11,2065|0,82 Î
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0,485310,5041|10,866 11306 /1,°920|0,86
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,035411,2620|0,867 0,8926|2,8580|0,865
0,2140]0,3456|0,894 1,144210,8820|0,891
AR 0, Fe 0,894 1,1396|1 34 10/0,898
001550! 3 0,9889l0,743:|0,895 1,1396/1 890 0,891
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4 1,892 0|0,892
3, ,0349{1,3050|0,897 1 8926 2 29570 0 80?
0,2164[0,3545 0,912 .|r,1442/0,9030|0,907
0,4854[0,5301|0,911 1,1396|1,3580 0,913
0,9895l0,557|0,
0,01550| 4°10/ . Liu on o,gr2| a 1 ‘9380 pts 0,910
2,0064 |1,0800|0,912 0,8926 > 4o10l 0,904
5,0330[1,3300|0,914 : 0,8926| ?,9900 0,908
L
Pa let bee à ondes déroloioe7
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0.018550! 50264 4 09954 0,7693|0,924 V 1,1396|1,9600|0,921
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er 1,0930|0,925 }: 0,8926|?,4350|0,911
,030411,3470|0,926 0,8926/2,9700|0,905
A nu bmerse bep |
0,487 110,930 |: 11596/1, 3040100
0,01550| dt 0:994410,774710,979\ 0,930| ? 1,1396/1,982010,981 Le ,932
2,0054|1,0990|0,929
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COEFFICIENT
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72.
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°:994410,7777 0,933
2,0084|1,1050 0,933
3,0310|1 23610 0,935
0,9935 |0,7813|0,938
1,4930|o 20575 0, :938
2,0084|1,1090 0,957
3,0304 123660 [0,939 /
0,2146|0,3617|9,934
0,486: |0,5434 0,955
8058
fo, 2135|0,3622|0,938
0,4823 0 5440 0,937
0,01550| 10° 20"
0,2155|o son () 9/2
0 4841 0,5471|o 1941
90 0,7856/0,941
0,01550| 12° 04
AJUTAGE.
Diamètre Angle >
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3 4
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3,0274|r e 0,943
| 0,2155|0,3687|0,944\
04834 0,5532|0,946
EU a 0,7915|0,945
0,01555| 13024 node Sue
2,0064|1,1260|0,945
3,0297|1 :3860 0,947
0,2160|0,3658|0,941
0,4821 M 5503 0,942
09939 0,7893 0,941
1,4984 |0,9682|0,940
2,0084|1,1220 0,94
3,0324|x 23800 0,942
0,01555| 14028"
0034 0,7819 0,938
1,4980|0,9578|0,935
2,0060|1,1100 0,938
3 034411. Ein 0,939
0,2150|0,3632|0,937
04806 o 15438 0,939
0,01550| 16°36'
0,934| ,”
0,939
0,942
0,946| ?
0,941
0,938| ?
Re DES SCIENCES.
COORDONNÉES
de l'arc décrit |’de la vitésse,
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Verti- | Hori- | Par
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1,1396|1,4070|0,945
1,1396|2,0140|0 1946
1,1396 2,450 0,941
0 82e 2,150 0,949
»
I »1396 2,0200|0,949
1,1396|2 24850 0,953
0 589 26/2 4e0 22907
1,1442|0,9370|0,948
1,1306|1,4150|0 954
0,991
1,1442|0,9480|0,055\
L 21396 1,4260|0,960
1,1396/2,0360|0,957
1,1396|2,4870|0,gb1
0,8926 25530 QE ds
» »
1,1442|0,9060[0,963
1,1306|1,4340|0,966
1,1396|2,0480|0,963
1,1396|2,5190|0,066
0,8926|2,5590[0,956
» »
»
ê
1,1442[0,9590|0,965
1,1396|1,4380|0,970
1,1396|2,0440|0,960
1,1396/2,5290|0,968
0,5926|2,5840|0,965
» »
»
1,1442|0,9590|0,967
1,1396 LéGro 0,974
1,1396|2,0580|0,967
1,1396 2,5430 0,973
(0) ce 4 2 to 02972
COEFFICIENT
0,955
0,963
0,971
AJUTAGE.
Diamètre | Angle
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l’orifice.
————
I
conver-
gence,
2
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0,01553| 23° 00!
0,01550| 29°58/
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0,01560| 48° bo,
——_——m |
|
| 2,0090
MÉMOIRES.
COEFFICIENT
de la dépense,
M.
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Par
expé-
rience.
DÉPENSE
en
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litres
par .
seconde.
centre
de
l’orifice.
3
met.
0,2158
‘4844
0,9931
1,4980
2,0064
3,0304
0,3567|0,925
0,5342|0,924
0,7636|0,9°3\,
0,9391|0,924
1,0870|0;924
1,3380 0,926
0,924
0,2135
,4865
:9954
1,004
,0084
3 10314
0,3548|0,919
0,535110,918
0,7650|0,718
0,939110,917
1,0800|0,919
1,3381|0,920 ‘
0,919
0,2150
0,4876
,99$0|0
»49°0
2,0044
3 ,0314
0,3553 0,914\
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7
o 19358 0,913 0,914
1,0840|0,713
1,3390|0
0,2145
0,4866
,9914|0
1,014
2,0064
3,0340
0,3462|0,895
0,5217|0,890
+749 9 ne 0 »895| ?
09178 0,896
1,0590|0 805
1,3040|0,896
0,2175|0,3433|0,870
0,4881 0,5143 0,870
9920
1,4994
0,7324|0,869
0,9003[0,868
1,0440|0, 870)
3,0340|1,2820|0 2870
0,869| ?
0,209510,3281|0,847
0,4876|0,5000[0,846
,9960|0,7155[0,845 (
1,4980l0,8780|0 858
°,0084|1,0160|0,847
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0,845
COORDONNÉES
de l’are décrit
parlejet.
sl)
Verti-
cale.
Hori-
zontale,
1,1442|0,9640
1,1306|1,4450
1,1396|2,0590
1,1306 25410
0.8926 2,910
» »
1,1442/0,9610
1,1396|1,4560
1,13096/2,0550
1,1396/2,5460
o »3926 2,3960
»
1,1442/0,9660|0
1,1396|1,4610
1,1396|2,0700
1,1396/2,5190|0
[0,8926|°,6180 10
»
»
1,1442|0,9680|0
1,1396|1,4610|0
1,1396|2,0650|0
1,1396|2,5480
0,8926|2,6020
» »
1,1442|0;9780
1,1396|[0,4710
1,1396|2,0760
1,1396|2,5630
0,8926|2,6190
» »
1,1442/0,9640
1,1396|1,4770
1,1396|2,0860
1,1306|2,5740
0,8926 2,6200
» »
COEFFICIENT
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les
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rience.
—— | ————————— |—— |—
0,972
0,968
0:972
0,978
0,965 9
0,974
0,969
0,974
0,980
0,974
0,974
0,972
»
0,978
»
0,985
0,991
0,979
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0,980
0,986
0,976
0,980
0,978
»
Moyen.
0,970
9,972 *
0,974}
0,975|4
0,980
0,984
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A] 0",030°)
0,01530
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3,0304|1,3490
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0,927
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o,2r25|0,353r
0,48u1|0,5365
0,9961 10,640
1,4960|0,9362
2,0094|1,0850
3,0314/1,3360
0,941
0,942
0,940
du
0,940
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0,943
COORDONNÉE
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0035°) 0,485310,533510,928 1,1396|1,4050|0,945
, , 0,997010,7652|0,929 1:1396/2,0130|0,044
0,01540| g°r4! HE 0 Bet 0,020 0:929| 1 1306 24490 Be 0,940
2,0074|1,0856|0,928 0,8926|2,5000|0,934
3,0304|1,3360[0,930 » ». À
0,2110/0,3652/0,945 1,144210,9330|0,949
0,486110,5532|0,944 1,1396|1,4200|0,954
n,9930[0,789710,942 1,1396/2,0410|0,059
0,01555| 10° 28’ ot 5816 0,945 0,945 1, 1306 2,4800|0,950 0,933
2,0060|1,1/60|0,945 0,8926|2,5450|0,952
3,0304|1,3860|0,947 » » »
0,2095|0,35:610,051 1,144210,9230|0,959
0,4803 Re 0:95" 08 Déro 0,964
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0,01550|12°42 Bean Det ne 0,951 | 11306 2,5050 GARD 0,961
2,0024|1,1240[0,951 0,8926|[2,5840|0,966
3,0334 1,3860 0,952 » » »
0,2042|0,3562|0,940 1,1442[0,9370|0,969
0,481310,5459|0,942 1,1396 vAtU oops |
002 )J0,992910,785210,939 1,1396|2,0570|0,967
0,01553[16° 02 PAL 0 9656 Dos 0,940 111306 2 5060 di 0,967
2,004411,115510,939 0,8926|2,5850|0,966
3,031411,3550|0,942 » » »
A casa vs) 1,144210,9520 0,971
O, 49 oO, fl 9,92
| o,01550| 19006" /0:9954]0,772410,9°7
1,1396[2,5360|0,069
0,8926|2,6240|0,981
» »
1,139611,4450|0,973
,1306/2,0:60|0,975
113061 5360[0 760 ( 02974
—_— || ——< me -
1,1442/0,9540l0,91%
11396 1,4500 0,967
1,1396/2,0680|0,970
1,1396/2,5330|0,950
0,8926/2,5700|0,960
»
0,968
MÉMOIRES.
AJUTAGE.
ES,
Diamètre | Angle
d e
e conver-
l'orifice. gence.
————
I 2
( Longueur
0",025)
0,02000| 2° bo/
0,02000| 5° 26/
0,02005| 6° 54"
0,02000|10° 30/
0,02000|12° 10’
CHARGE | DÉPENSE
sur le
centre
de
l’orifice.| seconde.
en
COEFFICIENT
de la dépense,
mm.
litres
par Par
expé-
rience.
ST,
COORDONNÉE
de l’arc décrit
par lejet.
AS A +,
COEFF
de la
Par
2
expé-
zontale. | rience.
Verti- | Hori-
cale.
— || ——— | ———— | —
1,144210,9570|0,950
1,1396|1,4510|0,970
1,1396|2,5290|0,967
0,8926|2,5830|0,965
»
» »
1,1396|2,0560 :
ICIENT
vitesse,
n.
CS
Moyen.
10
= a — mm ———
—— | —— ——— _
0,2140
0,4823
0,9964
1,024
2,0064
3,0320
0,2160
0,4857
0,994
1,4940
2,0074
3,0310
0,2145
0,4833
0,9904
1,4984
2,0064
3,0304
0,2145
0,4839
0,9984
1,4984
2,0004
3,0324
0,2077
0,4822
0,9944
1,4974
2,0010
3,0304
0,5878|0,913
0,8823|0,913
1,2680 [0,913
1,5600[0,915
1,8020|0,914
2,2180[0,916
0,600710,9°9
0,9013[0,930
1,2890 [0,930
r,5830|[0,93r
1,8330|0,930
2,2550|0,931
0,6076|0,938
0,9116[0,938
1,3040[0,937
1,6060 [0,938
1,8580|0,938
2,2855|0,939
0,602610,944
0,914610,945
1,3120|0,944
1,6100|0,945
1,8610|0,946
2,2900|0,945
0,6020|0,950
0,9170|0,949
1,3160|0,949
1,6150|0,050
1,8680|0,949
2,3020[0,951
D
D
Es:
0,91
0,930
0,938
0,94
0,990
1,1442|0,8980|0,907
1.1396|1,3490|0,910
1,1396|1,9390|0,910
1,1396|2,3660|0,904
0,8926|2,4120|0,901
» » »
1,1442|0,9200|0,925
1,1396 1,3800 0,9:-7
1,1396|1,9710]0,927
1,1396|2,4250|0,929
0,8926|2,4880|0,929
» »
»
1,1442/0,9260|0,975
1,1396|1,3940|0,939
1,1396|1,9850|0,934
1,1396/2,4610|0,94°
0,8926/2,5150|0,940
»
» »
1,1442/0,9330|0,9bt
1,1396|1,4150|0,953
1,1396|2,0100|0,953
1,1396|2,4900[0,953
0,8926,2,5580|0,957
»
» »
1,1442/0,9340|0,958
1,1306|1,4250|0,961
1,1396|2,0302|0,954
1,139612,5010|0,957
0,8926|2,5590|0,955
» »
»
0,957
170
AJUTAGE. CHARGE | DÉPENSE ! è
: a de la dépense | de l’arc décrit de la vitesse,
<<, À Sur le mr. par lejet. LA
centre | Litres | nn | —
‘ n D nn
Diamètre | Angle 4 A CO
de de par Par erti ; Par
de h 2 Verti- | Hori-
conver- | l’orifice. | seconde. | expé- | Moyen. expé- | Moyen.
l'orifice. gence. rience. cale. |zontale. | rience. Ë
mme (mme | amsn | semence ne nee | scans
I 2 3 4 5 6 7 8 9 10
10,2110|0,6109 [0,956
0,486 0,9236 [0,956
0,9954|1,3260|0,955
1.4980|1 6260 0,955
2,0084|r 8840 0,956
3,0304|2,3170|0,957
o
0,02000| 13° 40’
0,2145|0,6079 Pot
0,487: |0,9164 10,949
0,9954|1,3090|0,948
1,9024|1,6100[0,949
2,0070|1,8610|0,949
3,0324|2,2890 0,950"
0,0199D 15° 02°
,4866|0,9118|0,940
>9969|1,3040
1,4966|1,6000
2.0084|1,8510
3,0354[2,2780
0,939
0,940
0,939
0,940
0,02000|18° 10°
0,2175|0,6006
0,480 |0,8097
0,9959|1,2840
1,5044|r,5790
2 1007 1,8230|0
2450
0,930
9,929
9,930
9,930
0,929
0,931
0,01995 |23° 04"
3,0354|2
0,5927|0,921
0,8909|0,920
1,2760|0,920
1,5680|0,919
1,8130|0,920
1,2320|0,921
dar
0,484
0,9944
1,5024
2,0064
3,0320
dl 0,02000| 33052’
Se
£ ,2155 |0,6066|0,939
( Longueur
07,100)
0,6243|0,964
0,9484 10,965
1,320 |0,966
1,6600|0,966
1,9180|0,964
2,3670|0,967
—
0,02010| 11052" 14068
2,0034
0,2122
0,4891
0,9960
3,0350
|
1,144° |0,9700|0,980
1,13896|1,4580|0,982
1,1396|2,0850|0,979
0,920 11306 |2, 2,5780|o 2085
0,8926|2 5970 0,970
»
1,1442|0 Dont 0,965
ét 14440 02967
1,13096|2,0610|0,9 à
0,965 11396 2 5280 ee 1967
0,8926 |2 P090 0:967
»
D ar ns
©
COEFFICIENT
0,956|,°
0,930
CLASSE DES SCIENCES.
COORDONNÉE
1,1442|0,9490 0,966
1,1396|1,4350|0,968
1,1396|2,0550|0 ,965
1,1396/|2 5130 0,962
0,8926|2 25680 0 959
»
1,1442 |0,9580|0,967
1,1396|1,4460|0,970
1,1396|2.07:0|0,973
1,1396|2,5140|0,961
0,8926|2,5780|0,963
» » »
0,9650[0,972
1,4490|0,973
2.0710|0,972
2,5320|0,969
25920 to) 968
»
0,6720 10,974
1,4550|0,975
2,0760 0,074
2,5410|0,970
2,5740|0,962
1,1442
1,1306
1,1396
1,1396
0,6926
COEFFICIENT
0,967
9,971}
DOTE
=
MÉMOIRES.
COEFFICIENT
de la vitesse,
Ê Me
centre | litres
A,
de par
Par
l’orifice.} seconde.| expé-
rience.
COORDONNÉE COEFFICIENT
de Parc décrit | de la vitesse,
par le jet. n.
LT,
Verti-
cale.
AJUTAGE. CHARGE |DÉPENSE
sur le en
et
Diamètre Angle
de
de
l'orifice.
Par
expé-
rience.
Hori-
zontale.
conver-
gence.
Moyen.
2147|0 16107 0,997
0 4836 0,919310,958
0,019g0 14° 12° 0,9964 1,3160 0,97
0,2195|0,6220|0,957
0,4825|0 29278 0,950
0,9955/1,3320)0,950 |,
1,4994|1 6360 0,951 (°
2006! 1 8900 0,950
,3240|0
0,02010| 16°34/
1,9014|1,6170|0 2058 (°
2,0080|1,8680 0,957
3 :0334 0,2990 0,958 /
3,0274|2 0,951
1,1396|2,0620 ne
1,1396|2,5300|0,967
o Fan 2 »5990 :972
1,1442|0,9710|0,973
1,1396|2,0820|0,977 À
1,1396|/2,5360|0,969
0,8926|2,6060|0,974
» » »
172 CLASSE DES SCIENCES.
EXPÉRIENCES DE M. CASTEL
SUR LE PRODUIT DES POMPES
DU CHATEAU-D’EAU DE TOULOUSE ,
Communiquées par M. D'AUBUISSON.
Sr une pompe était parfaite, que la garniture du
piston contint entièrement l’eau, que les soupa-
pes fermassent hermétiquement et instantanément
dès que le piston aurait atteint le haut de sa course,
on obtiendrait, à chaque relevé, un volume d’eau
égal au solide engendré par la base du piston
dans son ascension. Mais il n’en est jamais ainsi ;
la garniture du piston laisse retomber au-dessous
d'elle une partie de l’eau qui était déja passée
dessus ; les soupapes sont dans le même cas, et
d'autant plus qu’elles baissent plus lentement:
Aussi l’on compte qu’il y a toujours une perte ou
un déchet dans le volume d’eau élevé, et on l’es-
time de un à deux dixièmes dans les pompes ordi-
naires : l’on admet encore qu'il est d'autant plus
grand que le piston monte plus lentement (1).
Cependant une bonne construction et un entre-
(1) Traité d’hydraulique à l'usage des Ingénieurs , p. 237.
ù MÉMOIRES. 173
tien soigné peuvent réduire considérablement la
perte sus-mentionnée : par exemple, dans les pom-
pes de la plus belle et la plus grande des machines
hydrauliques que nous ayons en France, celle qui
sert à l’épuisement des eaux dans les mines de
Huelgoat en Bretagne, M. l'ingénieur J;ncker,
auteur de cette machine, ayant comparé le pro-
duit théorique avec le produit réel, n’a trouvé
que 1/3 de différence (1).
Il était bien important de constater aussi le
produit des belles pompes du Château-d’eau ,
ouvrage de notre confrère M. Abadie, afin de
connaître et leur état et la quantité d’eau qu’elles
livraient effectivement au service des fontaines.
En conséquence, j'ai prié M. Castel, ingénieur
des eaux de la ville, de faire quelques expérien-
ces à ce sujet : le grand bassin de jauge qui avait
servi à son travail sur les déversoirs, lui don-
nait le moyen d’en mesurer très-exactement le
produit.
L'année dernière, il eut la complaisance de faire
quelques observations; cette année (1837), le 12
septembre, il les a réitérées, et avec tout le soin
dont il était capable, c'est-à-dire qu’il les a faites
à la perfection. Je vais en rendre compte.
Je rappelle avant , qu’on a, au Château-d’eau,
huit pompes aspirantes et foulantes , dont le pis-
ton est un long cylindre métallique montant et
(1) Annales des Mines, 1835, tom. vüj, pag. 268. La
vitesse du piston pourrait aller jusqu’à o®40.
174 CLASSE DES SCIENCES. 3
descendant dans une boîte à cuirs, et ayant
moyennement,
En'diametre, 1. 2e AMEL ons
En longueur de course......... 1, 144
Aiïnsile volume du solide engendré—0,066 "+?
Ces huit pompes sont divisées en deux équipages
distincts ; chacun est mu par une roue particu-
Bière, il devrait donc élever, par révolution de
roue, 264 litres d’eau.
Pour savoir ce qu’il en est réellement , M. Castel
a séparé les eaux des deux équipages, de ma-
nière que celles de lun continuassent à fournir
aux fontaines , tandis que celles de l’autre servi-
raient aux expériences. J’en présente les résultats
dans le tableau suivant : chaque produit réel est
un terme moyen entre deux observations. L'eau
est élevée à 23" environ au-dessus des soupapes.
Das VITESSE. PRODUIT
GNATION | —mmm 254) PAR MINUTE. DÉCHET.
véqui- purs Vitesse CPE TN AT Gone l
page: 7 sue Rapport MESA réel. |absolu.| sur 100.
tours. | mètres. litres. | litres. | litres.
. 5,08 | 0,194! 100 11341,411280,0] 61,4 !4,58— 1/22
3,81 | 0,145 75 |1005,8| 934,3] 71,5 |7,11—1/14
5,81 | 0,222! 100 |1533,8]1510,71| 23,1 |1,51—1/66
Nord. { 3,48. | 0,133| 60 | 918,7| 892,4] 26,3 |2,86—1/35
|
on
L'examen de ces résultats montre :
1° Que dans lun des deux équipages, celui
qui est vers le sud, le déchet est plus que double;
MÉMOIRES. 179
il a dépassé 4 !/, pour 100, tandis qu'il n’a été
dans l’autre que d'environ 1 1/,, à vitesse à peu
près égale. Au reste, on sayait déjà que dans léqui-
page sud, il y avait un petit dérangement à une des
soupapes; le mal sera facile à réparer.
2.9 Que lorsque la vitesse a diminué , le déchet
a considérablement augmenté : ainsi la vitesse
ayant décru dans le rapport de 10 à 6, la perte
a augmenté dans celui de 10 à 19; elle a presque
doublé.
Le premier de ces faits met en évidence le très-
rare degré de bonté de nos: pompes : dans celles
de Huelgoat, citées avec de grands éloges , le dé-
chet a été de 3 13 pour 100, et il na pas été de
1 1/, au Château-d’eau et avec une vitesse bien
inférieure.
Le second fait est d’un véritable intérêt pour
la science. On savait bien que la perte d’eau , dans
les pompes, est d'autant plus grande qu’elles sont
mues plus lentement; mais on pensait que c’était
une suite de leur mauvaise disposition ou tenue,
et voici que ce même fait se reproduit dans des
pompes presque parfaites.
Il est fâcheux que, dans ses expériences,
M. Castel soit demeuré presque au-dessous de la
vitesse moyenne de ses roues; généralement elles
élèvent cent pouces d’eau, et elles n’ont alors à
faire qu'environ 5 1/, tours par minute (on a été
à 5,81 seulement \: mais elles doivent aussi élever
125 pouces, ce qui exige plus de 6 1/; tours, elles
peuvent en faire 7 et 7 ?/, : on eût vu si, dans
196 CLASSE DES SCIENCES.
cés hautes vitesses, le déchet aurait été encore eñi
diminuant. Mais M. Castel a craint, en portant
une très-grande quantité d’eau dans la cuvette
placée au haut du Château-d’eau, indépendam-
ment de celle qui était nécessaire au service des
fontaines, de la faire déborder et d’inonder cet
édifice. Espérons qu’une autre année il pourra
revenir sur cet objet, et profiter d’une circons-
tance particulière, où il lui serait possible de dis-
poser de toutes les eaux élevées, d’une heure de
la nuit par exemple, pour remplir le vide que
laissent les expériences qu’il vient de faire ;, expé-
riences au sujet desquelles on lui doit toujours de
la reconnaissance, car, même dans leur état actuel,
elles éclairent un point important de l'art des
machines.
MÉMOIRES. br
MÉMOIRE
SUR
LE GENRE HALIMOCNEMIS ;
Par M. MOQUIN-TANDON.
Ox sait depuis longtemps que la plupart des plan-
tes décrites par les auteurs sous le nom de Polyc-
nemum , ne présentent pas les caractères de ce
genre.
Presque toutes les espèces de la Sibérie, de la
Russie orientale et de la Perse n’offrent pas une
semence avec un double técument. Leurs graines
sont pourvues d’une enveloppe mince, en apparence
simple et membraneuse. Leur embryon n’est pas
courbé annulairement autour dun albumen plus
ou moins copieux, mais tordu en spirale et privé
de substance albumineuse.
Ces différences suffisent pour montrer que les
plantes dont il s’agit se rapprochent beaucoup plus
des Salsola que des Polycnemum ; aussi quelques
auteurs ont-ils eu l’idée de considérer ces préten-
dus Polycnèmes comme de véritables Soudes. Mais,
TOME V, FART.I,. 12
178 CLASSE DES SCIENCES.
dans les Salsola , le calyce devient appendiculé
après la fécondation; de petites ailes ou écailles se
développent sur le dos de chaque foliole, et d’un
autre côté l'embryon paraît tordu horizontalement.
Dans nos plantes , au contraire, les sépales ne sont
pourvus d'aucune espèce d’appendice et embryon
est vertical (1).
Ces caractères différentiels ont engagé M. C. A.
Meyer à regarder ces plantes comme le type d’un
nouveau genre qu'il a désigné sous le nom de Ha-
limocnemis.
Ce savant Botaniste a décrit ou caractérisé ,
dans le Flora altaïca , 7 espèces distinctes de ce
genre. Îl en indique deux autres (le Polycnemum
sclerospermum de Pallas et le Polycnemum
malacophyllum de Bieberstein); ce qui porte le
nombre total à neuf.
Dans l’Essai monographique que je soumets à
l’Académie, je compte 15 espèces, dont cinq nou-
velles toutes originaires de la Perse; trois de ces
dernières plantes ont été recueillies par M. Be-
langé, et les deux autres envoyées à M. de Candolle
par M. Aucher-Eloy.
Je possède en herbier 14 Halimocnemis. La
seule espèce qui me manque a été signalée par
M. Lessing dans le journal le Linnæa. Faute de
renseignements suffisants, j'ai été obligé de consi-
dérer cette plante comme douteuse.
CREER ERNEST Es
(1) D’autres Botanistes en ont fait des Anabasis ; mais dans
ce genre, le calice est aussi ailé.
MÉMOIRES. 179
HALIMOCNEMIS.
C. A. Mey. in Ledeb. FI. Alt. 1, p. 381. — Polycnem.
Salsolæ aut Anabasis spec. Auct.
Flores hermaphroditi, bibracteati. — Calyx 2, 3, 4
aut 5 sepalus; sepalis demtm induratis, nunquàm appen-
diculatis. — Stamina 1-5, receptaculo inserta ; antheris
sæpiùs connectivo in appendiculum ligulare vel cucullatum
producto superatis. — Squamulæ hypogy næ nulle. Styli
2, basi pierumquè coaliti. — Fructus (utriculus) com-
pressus, subchartaceus, calyce clauso protectus; pericarpio
membranaceo. Semen verticale, suborbiculare ; integumento
simplici, membranaceo. Ælbumen nullum. Embryo co-
chleatus; radiculà dorsali.
Herbe, rarissimè suffrutices, pubescentia , subincana.
Folia alterna vel opposita , sessilia, plûs minùs cylindrica,
succulenta. Flores solitarii, axillares. Bracteæ foliis con-
formes, sed minores, cum sepalis in fructu induratis, utri-
culum siccum arctè includentes.
Ogs. Genus apprimè naturale. Præcipuë differt ab Æa-
logetone sepalis muticis ; ab Anabasi , Cornulacca et
Brachylepide defectu squammarum hypogynarum et cali-
cinorum appendiculorum ; à Salsolä et T'ragano, semine
verticali. — Halimocnemides plerasque Polycnemi species
éxistimant Pallas, Bieberstein , Wildenow , Schultes et
Sprengel. Species sola ( . monandra) habitum Polycnemi
refert. Cæteræ omnes nec faciem nec characteres hujus
generis præbent.
4.° H. JUNIPERINA. (C. A. Mey. in Ledeb. FI, Alt. 1,
p. 286.)
Fruticosa, glabra; ramis alternis, confertissimis; folis
alternis, semiamplexicaulibus, confertis, imbricatis, su-
112.
180 CLASSE DES SCIENCES.
bulatis , pungentibus ; floribus 5 sepalis, 5 andris;
appendiculis minutis , angustè ovatis , acuminatis, al-
bidis.
sin Italià? Tatarià.
Polycnemum Juniperinum. Bicb. Act. mosq. 1, p. 154,
et 4, p. 25.
P. Erinaceum. Pall. ill. pl. imp. cogn. p. 56, t. 48.
Camphorosma acuta. Linn. spec. 1787? (V. S.)
2.° H. MONANDRA. ( C. A. Mey. I. c. 1, p. 384.)
Herbacea , pubescens ; ramis alternis , infimis oppositis ;
foliis alternis, numerosissimis, brevibus, approximatis, su-
bulatis, mucronatis; floribus 3 sepalis, 1 andris; appendi-
culo minuto, albido.
© In Sibirà et As med. ,
Polyenemum Monandrum. Pal], it. in-8.°, app. n.° 265,
t. 48. — Ibid. ill. pl. imp. cogn. p. 59, t. 49. (V.S.)
3.° H. TOMENTOSA. (Moq. in Belang. F1. Pers. )
Suffruticosa, tomentosa ; ramis alternis, subpatulis; foliis
alternis, semiamplexicaulibus, oblongis, obtusiusculis, cras-
siusculis; floribus 5 sepalis, 5 andris; appeudiculis ovato-
linearibus , acutis, albidis.
5 In Persi circa Teheran. (V. S. ex itin. Belang. et in
herb. Mus. Paris.)
4.° H. SULPHUREA.:(Moq. in DC. Prodr. )
Herbacea , pilosissima ; ramis alternis, gracilibus,
diffusis; foliis alternis , semiteretibus , tenuibus, obtusius-
culis; floribus 5 sepalis, 5 andris; appendiculis valdè
exsertis, vesiculosis, ovatis vel obovatis, acutiusculis,
sulphureis.
© In Persià. (V. S. in herb. DC.)
MÉMOIRES. 181
5.° H. PILIFERA. { Moq. in Belang. F1. Pers. )
Herbacea , pilosa ; ramis alternis, patulis; foliis alternis,
semiamplexicaulibus , semiteretibus, mucronulatis, crassis,
carnosis ; floribus 4 sepalis, # andris; appendiculis exser-
tis, lanceolato-linearibus , longis , acutis, subconcavis,
albidis.
© In Persià. (Y. S. ex itin. Belang.)
6.° H. MALACOPHYLLA. (C. A. Mey. Verzeichn. Pfl.
Cauc. p. 158.)
Herbacea , pilosiuscula; ramis alternis, patulis, infimis
oppositis ; foliis alternis (infimis oppositis), semiteretibns,
longè mucronatis , crassis, carnosis; floribus 5 sepalis, 5
andris ; appendiculis valdè exsertis, angustè ovatis, obtu-
siusculis, sulphureis.
© In Caucaso.
Salsola pilosa. Pall. il. pl. imp. cogn. p. 26, t. 20?
Polyenemum Malacophyllum. Bieb. Act. mosq. 1,
Pa De S:)
7.2 H. PURPUREA. ( Moq. in D C. Prodr.)
Herbacea , tomentosiuscula; ramis alternis, crassiusculis,
patulis, inferioribus suboppositis; foliis alternis, semitcreti-
bus, mucronatis, subarcuatis; floribus 5 sepalis, 5 andris;
appendiculis valdè exsertis, maximis, vesiculosis, inflatis,
ovoïdeis, obtusissimis , petaloïdeis, purpurascentibus aut
violaceo-purpureis, imà basi sulphureis.
© In Persià. (V. S. in herb. DC.)
8.° H. GLAUCA. (C. A. Mey. in Ledeb. FI. Alt.,
2IP 585)
Herbacea , pubescens ; ramis alternis, infimis oppositis ;
folis aliernis, semiamplexicaulibus, semiteretibus, acutius-
culis, mucronulatis, crassis, carnosis; floribus à sepalis,
182 CLASSE DES SCIENCES.
5 andris; appendiculis ovatis, subcucullatis , obtusis , albi-
dis.
© In Asià med.
Polyenemum Glaucum. Bieb. Act. mosq. 4, pe 21.=—
Pall. ill. pl. imp. cogn. p. 65, t. 53 et 54. (V.S.)
9.° H. CRASSIFOLTA. (C. À. Mey. L. c. 1, p. 385.)
Herbacea , subglabra ; ramis et foliis inferioribus oppo-
sitis, superioribus alternis; folis semiteretibus, arcuatis ,
obtusis, crassis, carnosis; floribus 2 sepalis, 5 andris;
appendiculis brevissimis , tridentatis, apice coalitis.
© In Asià medià.
Polyenemum crassifolium. Bieb. Act. mosq. 1, p. 151.
— Pal. ill, pl. imp. cogn. p. 64, t. 55
P. Opposititolium. Pall. it. in-8.° app. n.° 267, t. 46,
fee
Anabasis oppositifolia. Bieb. Fl. Taur. Cauc. p. 154,
app. n.° 20. 1(N215:)
10.° H. VOLVOX. (C. À. Mey. I. c. 1, p. 383.)
Herbacea, adpressè pilosa ; ramis alternis, infimis oppo-
sitis; foliis alternis, filiformibus, acutiusculis; floribus 3
sepalis, 3 andris; appendiculis subnullis?
© In Sibirià et Rossià australi.
Polycnemum volvox. Bieb. Act. mosq. #, p. 7. — Pall.
ill. pl. imp. cogn. p. 160, t. Bo.
P. Salsum. Bieb. Act. mosq. 1, p. 153.
P. Triandrum. Pall, it, in-8.° app. n.° 266, t. 47, f. 1
et 2.
RE triandra. Bieb. FL. Taur. Cauc. p. 154, app.
+ 27. (V.S.)
MÉMOIRES. 183
44.9. SCLEROSPERMA. (C. A. Mey. L. c. 1, p. 387.)
Herbacea, glabriuscula ; ramis alternis, subpatulis, infi-
mis oppositis; foliis alternis, semiteretibus, mucronatis ,
carnosis; floribus 5 sepalis, 5 andris ; appendiculis angustè.
oblongis, longis , acutis, albidis.
© In Sibirià et Asià medià , etiam in Barbari.
Polyenemum Scleropermum. Bieb. Act. mosq. 1,p. 152.
— Pall. ill. pl. imp. cogn. p. 65, t. 56.
P. Diandrum. Willd. Spec. 1, p. 192. (V.S.)
42.° H. GAMOCARPA. (Moq. in Belang. F1. Pers.)
Herbacea , subglabra ; ramis patulis, inferioribus opposi-
tis, superioribus alternis; foliis semiamplexicaulibus, semi-
teretibus, arcuatis, mucronatis, crassis, carnosis, inferio-
ribus oppositis, connatis, superioribus alternis; floribus 5
sepalis, 5 andris; appendiculis brevibus, ovatis, subacutis,
albidis,
© In Persià. (V.S. exitin. Belang.)
43.° H. BRACHTATA. (C. A. Mey. in Ledeb. FI. Alt.
1001.)
Herbacea , adpressè pubescens ; ramis oppositis, diffusis;
foliis oppositis, semiteretibus, acutiusculis, carnosis, ar-
cuatis; floribus 5 sepalis, 5-5 andris; appendiculis minu-
tissimis, subtridentatis, albidis.
© In Sibirià , Caucaso.
Polycnemum brachiatum. Bieb. Act. mosq. 1, p. 152,
et #, p. 23. — Pall. ill. pl. imp. cogn. p. 62, t. 52.
P. Oppositifolium. Rœm. et Sch. syst. 1, p. 526, et 6,
p. 224.
Anabasis conjugata. Hoffm Hort, mosq. 1808, n.° 184.
(V.S. ex itin. Belang.)
184 CLASSE DES SCIENCES.
44.° H. SIBIRICA. (C. A. Mey. L. c. 1, p. 382.)
Herbacea, patentim pilosa ; ramis oppositis, patulis, sub-
distantibus ; foliis oppositis, elongatis, filiformibus, acu-
tusculis; floribus 5 sepalis, 5 andris; appendiculis minu-
tissimis, subnullis.
© In Sibirià.
Polycnemum sibiricum. Bieb. Act. mosq. #, p. 24. —
Pall. ill. pl. imp. cogn. p. 61, t. 51. (V. V. C. et S.)
Species non satis nota.
45.° H. CASPICA. (Moq. in DC. Prodr.)
D AE ATOS Re appendiculis subulatis, elongatis.
In montibus Uralensibus.
Nanophyton caspicum. Less. beitr. F1. sudl, Ur. Linn.
96, p. 197.
Année 1839.
Section Première.
HISNORRE,
SUJETS DE PRIX.
L'acanéme avait proposé pour sujet du prix à
donner en 1839, la question suivante :
En admettant les progrès apportés par l’ana-
tomie pathologique dans l’étude et la guérison
des maladies en général, Déterminer les avanta-
ges que les Médecins peuvent en retirer dans le
diagnostic, le pronostic et le traitement des
affections proprement appelées NERVEUSES.
Un seul Mémoire ayant été envoyé au con-
cours, l’Académie l’a jugé digne d’un encoura-
gement, et a accordé une médaille d’or de la valeur
de 120 fr., et le titre d’Associé correspondant
de l'Académie, à son auteur, M. Gavssair ,
Docteur en médecine à Verdun ( Tarn-et-
Garonne ).
L'Académie propose pour sujet du prix à accor-
der en 1841, la question suivante :
& + :
Indiquer les circonstances dans lesquelles le
minerai de fer, extrait des mines de Rancié,
186 CLASSE DES SCIENCES:
et traité dans les forges Catalanes des Pyrénées,
J produit une sorte d’acier naturel, dit fer cedat
ou fer fort dans le pays , par opposition au fer
doux ou fer ordinaire que l’on retire habituelle-
ment de ces mêmes forges. Déterminer ensuite les
conditions qui assurent la production du fer
fort, de manière à pouvoir lobtenir à volonté.
La solution des deux parties de la question
doit être basée sur des faits observés dans les
forges Catalanes, et constatés d’une manière
authentique.
Le prix sera une médaille d’or de la valeur
de 5oo francs.
L'Académie propose pour sujet du prix à accor-
der en 1842, la question suivante :
Déterminer par une suite d'expériences ,
1° Les lois de l’écoulement des fluides par des
orifices en minces parois concaves OL COnvexes ;
2.0 Les lois du choc des fluides contre des sur-
faces concaves ou convexes, en faisant varier
la charge sur Porifice et la distance des surfaces
à l’orifice.
Le prix sera une médaille d’or de la valeur
de 500 francs.
HISTOIRE. I 87
ÉLOGES.
NOTICE SUR M. MOIROUD ;
Par M. ne VACQUIÉ.
Msssieurs,
Dix années seulement avant notre première ré-
volution, un de nos Académiciens les plus célèbres,
d’Alembert, ne croyait point pouvoir trouver
matière à un éloge académique, dans les nom-
breux travaux, couronnés d’ailleurs des plus écla-
tants succès , de son confrère Bourgelat.
Malgré cette préoccupation, je ne veux pas me
servir d’une expression plus sévère : le nom de
Bourgelat est haut placé dans l'estime de la posté-
rité; et dans leur reconnaissance pour ses services,
l'agriculture et la science proprement dite, lui
élèvent des statues à la porte de ces écoles vétéri-
naires qu'il créa et qu’il semble protéger encore.
Je viens aujourd’hui, Messieurs, payer mon
tribut à un homme qui naquit dans la patrie de
Bourgelat, qui consacra sa vie aux mêmes études,
188 CLASSE DES SCIENCES.
et certes de justes sujets et d’éloges et de regrets
ne se présentent à moi qu’en trop grand nombre.
Je n’avais point, à la vérité, l'honneur d’appar-
tenir encore à l’Académie lorsque M. Moiroud lui
fut si inopinément ravi; mais, son collègue dans une
autre enceinte, j'avais pu apprécier l'agrément et
la sûreté de son commerce, et voir rendre témoi-
gnage par de bons juges à la capacité et aux
travaux qui, seuls, lui avaient fait conquérir une
position brillante. — Essayons de tracer une es-
quisse rapide d’une carrière sitôt interrompue.
M. Louis MOIROUD naquit en 1797, à Sainte-
Colombe-les-Vienne , département du Rhône. En-
tré, à quinze ans, à l’école vétérinaire de Lyon, la
mère de toutes celles qui existent et en France et
à l'étranger , il fut bientôt nommé répétiteur du
cours de chimie et de pharmacologie, deux scien-
ces qui, dès le premier moment, avaient été
l'objet favori de ses études.
Mais ce n’était qu’à l’école d’Alfort , placée pres-
que dans l’enceinte de la capitale, et par cela
même plus favorisée, qu’on pouvait obtenir le
titre de Médecin -Vétérinaire, et en acquérir
la science auprès des hommes les plus célèbres de
la capitale. M. Moiroud vient donc à Alfort :
à peine s'est-il assis parmi les disciples, qu’on
l'élève presqu’au rang des maîtres ; il est nommé
répétiteur du cours de chimie et de physique,
professé par Dulong , depuis Directeur de l’école
polytechnique, et, à la fin de l’année, les prix
HISTOIRE. 109
viennent sanctionner cette distinction si flat-
teuse.
À vingt ans, nommé Vétérinaire en chef au
premier régiment d'artillerie, à Strasbourg,
M. Moiroud fit aux nombreux officiers de cavale-
rie en garnison dans cette ville, un cours d’hip-
piatrique qui le fit connaître des professeurs de
la Faculté de médecine , et lui valut l'amitié en-
trautres du Docteur Fodéré, l’un des oracles
de la médecine légale.
Pour vous faire connaître l'importance de sem-
blables études, me permettrez-vous, Messieurs,
de rappeler qu’en 1804, plusieurs officiers de ca-
valerie ayant été envoyés à Lyon et à Alfort pour
suivre seulement un cours d’hippiatrique , quel-
ques-uns trouvèrent tant de charmes dans le cer-
cle des études vétérinaires, qu'ils le parcoururent
tout entier ; l’un d’eux est devenu depuis Préfet
du Rhône, Sous-Secrétaire d'Etat, Pair de France,
eta publié un grand nombre de bons ouvrages
sur différents sujets. ( M. de G. )
D'une chaire obtenue au concours à Lyon,
M. Moiroud passa en 1829 à une chaire à Alfort ;
trois ans après, la direction de l'École Féténitaire
de Toulouse lui était confiée, et l’état embarrassé
dans lequel il la trouva, les finances étant obé-
rées, et les liens de la subordination relachés,
ne lui fournirent que trop les occasions de dé-
ployer les talents d’un administrateur habile , et
bientôt, souslui, notre école compta plus d’élè-
ves que celle de Lyon.
190 CLASSE DES SCIENCES.
Nommé membre résidant de la Société d’A-
griculture de la Haute-Garonne, il lui paya un
tribut constant et d’assiduité et de travaux. Vous
aviez aussi, Messieurs, appelé M. Moiroud dans
votre sein; en 1337, hélas! bien près de mourir,
il vous communiquait un mémoire sur un appa-
reil de son invention, destiné au desséchement
des substances organiques à conserver pour l’ana-
lyse.
Que d’autres communications pleines d'intérêt
v’aviez-vous point à attendre de l’auteur de trai-
tés devenus classiques sur la médecine vétéri-
naire (1), si sa carrière n’eût été brusquement
coupée , lorsqu'il finissait à peine son huitième lus-
tre, ces années qui viennent, comme les appelle
le poëte, et qui sont destinées à porter tant d’a-
vantages avec elles , et au moment où les joies de
la famille semblaient ne plus lui permettre de
désirs !
D’unanimes regrets entourèrent la tombe de
M. Moiroud ; et lorsqu’après une année révolue,
Péglise offrait de nouveau pour lui ses prières, on
put aisément se convaincre que le temps.ne les
avait point effacés.
(1) Traité de matière médicale et de thérapeutique vétéri-
naire, 1 vol in-8.° de 600 pages.
HISTOIRE. 19I
NOTICE SUR M. ROMIEU;
Par M. Du MÈGE.
Misssirurs,
L'étude des lettres et celle de la législation
Romaine, ont toujours été honorées dans Toulouse ;
mais si, depuis la fondation de notre Université (1),
(1) L'article 7 du traité de paix conclu entre le roi de
France et Raymond VII, comte de Toulouse, en 1229 , porte
textuellement la condition de payer, par ce dernier, quatre
mille marcs d'argent pour entretenir pendant dix ans quatre
maîtres en théologie , deux en droit canonique , six maîtres
ès arts et deux régents de grammaire , qui professeraient à
Toulouse : telle est l’origine de l’Université de cette ville. En
1233 , le pape Grégoire IX , par une lettre écrite au même
Comte, confirma l'établissement de l’Université de Toulouse,
et lui accorda tous les privilèges dont jouissait celle de Paris. Il y
ordonne aux habitants de fournir des maisons pour la demeure
des écoliers. Il exempte les professeurs , les étudiants et leurs
domestiques de la juridiction des juges séculiers ; les met sous
la protection du Comte et de ses officiers , et ordonne à ce
prince de payer aux professeurs l’honoraire auquel il s’était
engagé par le traité conclu à Paris en 1229. Il écrivit une
autre lettre à l'Université des Maîtres et des écoliers de
Toulouse , et leur accorda le droit de professer partout.
Il commit l'exécution de ces bulles à l'archevêque de Nar-
bonne et aux évêques de Toulouse et de Carcassonne. Inno-
192 CLASSE DES SCIENCES.
ces études ont fait parmi nous des progrès qui
n’ont jamais été interrompus ; si, au seizième siècle,
dix mille jeunes hommes, accourus de toutes les
parties de l’Europe, recevaient dans nos murs
une instruction variée (1), le siècle suivant vit se
développer avec encore plus de majesté des ger-
mes plus féconds , plus en rapport avec la marche
ascendante de l'esprit humain. Ce fut alors que la
Société des sciences se forma (2), et qu’en dehors
cent IV confirma ces priviléges par une bulle datée de Lyon,
au mois de septembre 1245.
(x) Jacques de Minut, baron du Castera, atteste ce fait dans
sonlivre intitulé : De la Beauté, discours divers, pris sur deux
belles façons de parler, desquelles l Hébrieu et le Grec usent:
l'Hébrieu , Tor , et le Grec , GALAGON CAGATHON , voulant
signifier, ce qui est naturellement beau est aussi naturelle-
ment bon; avec la Paure-crAPutE , ou Description des
beautés d’une dame Tholosaine, nommée la Berze PauLre.
(2) En 1640, MM. Pelisson et Vandages de Malepeyre,
établirent à Toulouse des Conférences académiques dans la
maison de M. de Garreja. Ces conférences avaient lieu la
nuit, les académiciens s’y rendaient à pied , sans équipage,
sans suite , et portant en hiver une petite lanterne , ce qui
leur fit donner le nom de Lanternistes, qu'ils adoptèrent.
Ils choisirent même pour devise une étoile , avec ces mots :
Lucerna in nocte. Plus tard, en 1667, cette association prit
uvre marche plus active et s’assembla plusieurs fois la se-
maine. Pendant longtemps elle distribua , chaque année, un
prix au meilleur Sonnet à la louange de Louis XIV. Le
prix consitait en une médaille qui représentait d’un côté la
devise de la Société , et de l’autre , Apollon jouant de la
lyre. On lisait autour de la figure : APOLLINI TOLOSANO.
Dans la suite, MM. de Carrière consacrèrent aux réunions
de cette Académie, le plus bel appartement de leur hôtel.
HISTOIRE. 193
des écoles universitaires, on s’occupa sans relâche
de toutes les théories physiques et mathématiques.
Le grand Fermat vivait alors, et ce fut sous ses
auspices que nos devanciers s’élancérent dans la
voie qu'il leur avait ouverte. Le goût général des
habitants pour l'art de bien dire et pour la poésie ,
ce goût exquis qui avait mérité autrefois l’épithète
de Palladienne à la vieille capitale du sud-ouest
de la Gaule (1), ce goût, qui polit le langage,
————_—_—_——————————"————————.…—_—_———…—…—…——————_—————
Ce fut alors que M. Martel, Secrétaire de cette Société , publia
le premier volume de ses Mémoires , devenus très-rares au-
jourd'hui. L'Académie avait proposé un prix de discours des-
tiné à Jouer la modération du Roi. Le prix fut adjugé à
M. Compaing ; il consistait en une médaille d'or, qui offrait
d’un côté le buste du Roi avec cette inscription , Lupovico
Macxo , Semrer Invicro , EuroPæ Pacem Prè OrreRENTtI.
Le revers représentait Pallas tenant dans l'une de ses mains
une cerne d’abondance , et de l’autre un bouclier chargé des
armes de Toulouse. On lisait autour : OLIM FLORES ,
NUNC FRUCTUS , et à l’exergue étaient ces mots : Restau-
ralores cœtuum academicorum dederunt Tolosæ kalendas
julii, ann. M. DC. XCIV. Dans la suite , l'Académie se reu-
nit peudant quelque temps chez M. l'abbé Maury, poëte
latin , et l’un de ses membres , puis chez MM. de Nolet et
de Mazade. On continua de distribuer chaque année le prix
du Sonnet à la louange du Roi. Après la mort de ce
priace, les Conférences ne furent plus remplies que par
des travaux scientifiques ou de littérature savante. Cette
Compagnie prit le titre de Société des Sciences ,. et elle
le conserva jusqu'à-ce qu’elle obtint , en 1746, des lettres
patentes qui lui donnèrent celui d' Académie Royale des
Sciences, Inscriptians et Belles-Lettres.
(x) Martial est le premier auteur latin qui ait donné à Tou-
louse l'épithète de Cité Palladienne.
TOME V. PART. I. 1e 13
194 CLASSE DES SCIENCES.
qui fait naître et qui multiplie les innocentes joies
de l'esprit, se modifia sensiblement. On demanda
aux sciences naturelles et aux sciences exactes des
sujets de recherches plus profondes, des médita-
tions plus solides, des vérités incontestables. La
Société à laquelle nous avons succédé, imprima
dès lors dans les mœurs de nos pères une sorte
de gravité qui leur manquait encore, et dans cette
ville où, après cependant les succès du barreau,
le triomphe auquel aspiraient le plus toutes les
imaginations jeunes et ardentes, se bornait à la
conquête d’une fleur obtenue dans les jeux poéti-
ques institués par les Troubadours , on s’aperçut
enfin qu'il est une gloire différente de celle qu’as-
sure quelquefois la ire des lettres, et une re-
nommée plus durable que les souvenirs incertains
d’une facile éloquence. Dans le siècle suivant, la
ville contribua à la formation d’un Jardin des
plantes ; elle éleva pour nous un Observatoire. Un
membre de l’Académie en construisit un autre.
La munificence bien entendue d’un riche particu-
er en créa un troisième (r}, et ce fut dans celui-
ci que le Trismégiste Français (2) commença
(1) Ce fut M. de Bonrepos qui éleva ce monument scienti-
fique dans la terre dont il portait le nom. 1l y appela près de
Ju M. Vidal, en lui offrant une pension de quatre mille francs.
Peu de princes montraient à cette époque autant d’amour pour
Ja science , surtout autant de générosité. Jusqu’alors M. Vidal ,
Vun de nos plus grands observateurs , n’avait eu d’autres ins-
truments que ceux qu'il avait one lui-même , d’après les
figures qu’il avait vues dans les traités dsétro nome)
(2) C’est aimsi que M. de la Lande surnomma le directeur
HISTOIRE. 109
cette longue série d'observations qui ont ins-
crit son nom dans les fastes de l’astronomie. En
même temps, les Pyrénées , autrefois entre-
vues par Tournefort, furent enfin conquises par
la science. Palassou, Pasumot, Reboul, Vidal,
Lapeyrouse surtout, en explorèrent toutes les
cimes, toutes les déclivités , toutes les vallées. Les
Etats de la province de Languedoc secondèrent
ce mouvement scientifique, et l’accélérèrent même
en multipliant les moyens d'instruction, en faisant
publier les travaux de Gensanne, de ne JS 6E
en établissant des chaires EME sp pour des
enseignements que l’on pouvait considérer comme
nouveaux, tant ils avaient reculé les limites qui
de l'observatoire de Bonrepos , qui, plus tard, fut placé
dans celui de Toulouse. C’est de lui qu'il est dit dans la Con-
naïssance des temps, qu'il a fait plus d'observations sur Mer-
cure que tous lés astronomes de l’univers ensemble. Ce fut,
tant à Mirepoix , sa patrie , que dans l'Observatoire de Tou-
louse , qu'il dressa un Catalogue de huit cent quatre-vingt-
huit étoiles australes , inconnues avant lui, catalogue qu'il
adressa à M. de la Lande. Ce catalogue n'indique que des étoiles
depuis la cinquième jusqu’à la septième grandeur inclusive-
ment, qui, toutes , ont été observées jusqu’à trois fois, toutes
réduites à un lieu moyen, ayant égard à l'effet de la réfraction,
de l’aberration de la lumière et de l’axe de la terre. La posi-
tion de toutes ces étoiles fut ramenée à une époque connue
(celle du 10 nivôse an 9), après ÿ avoir appliqué l'équation
de la précession des équinoxes..…. La Lande reçut avec joie
ce beau travail, et dans plus de vingt Mémoires il a exalté
les talents de l’ancien directeur des observatoires de Bonrepos
et de Toulouse , auquel il donna le surnom de Trismégiste que
J'avenir lui conservera sans doute.
194
196 CLASSE DES SCIENCES.
resserraient naguères dans un cercle donné, les irt-
vestigations de lesprit humain.
Ce fut à l’époque même où cette ardeur pour
la science allait croissant, et devenait en quelque
sorte populaire dans nos provinces méridionales ,
que naquit le confrère dont la perte récente excite
encore nos regrets.
M. Jean-Francois ROMIEU, Doyen de Ha
Faculté des Sciences , Professeur de mathémati-
ques transcendantes, Officier de Puniversité, Mem-
bre de l’Académie royale des Sciences, Inscriptions
et Belles-Lettres de Toulouse, reçut le jour à
Muret, le 11 septembre 1767. Ilétait fils de Jean-
François Romieu , bourgeois de cette petite ville,
et de Marie de Lestang. Ses parents, que distin-
guaient une haute piété, le destinèrent à Pétat
ecclésiastique, et il entra, bien jeune. encore, dans
le séminaire diocésain de Toulouse. Reçu maïtre-
ès-arts , il justifia cette distinction par ses travaux
et par un essai qui annonça tout ce qu'il serait
un jour.
L'Académie avait proposé pour sujet de l’un de
ses prix : l’{nfluence de Fermat sur son siècle, sujet
admirable et plein d’à-propos, car il était alors des
esprits qui ne considéraient les découvertes de
notre illustre compatriote que dans leur état d’iso-
lement , et comwue ne paraissant se rattacher à au-
cune grande théorie ni à aucune application utile.
T1 fallait montrer, à ces esprits prévenus, «Fermat,
marchant d’abord sur les traces des anciens et
HISTOIRE. 197
devinant les procédés d’Euclide, étendant en-
suite les découvertes d’Archimède et perfection
nant les méthodes de Diophante ; puis créant,
en même temps que Descartes , l'application de
l'algèbre à la géométrie , jetant avec Pascal les
fondements de la doctrine des probabilités , ou-
vrant à Newton et à Leïbnitz la carrière de
l'infini, et enfin s’élevant à une telle hauteur
dans la science des nombres, que les théories qu'il
a laissées à cet égard sont encore l’objet des mé-
ditations des plus illustres géomètres (1). »
Excité par le désir de fixer les regards de VA-
cadémie , M. Romieu écrivit l’Eloge de Fermat ;
et si son ouvrage n’obtint pas la récompense
offerte, sil fut vaincu par l’abbé Genty , dont
la réputation est surtout basée sur l'ouvrage qu'il
consacra au génie de Fermat , c’est qu’il est des
travaux qui, pour être parfaits , exigent de lon-
gues élucubrations et toute la maturité de Page.
Mais lorsque l’on entre dans une arène aussi vaste,
il est toujours glorieux d’avoir combattu , et la
défaite même est encore honorable. D’ailleurs, par
d’autres essais et par son application aux études
ecclésiastiques, M. Romieu avait déjà fixé sur lui
les regards de ses supérieurs , et 1l avait obtenu,
par une faveur bien rarement accordée alors, une
dispense d’âge pour être promu aux ordres sacrés.
Notre confrère n’ignorait point que dans létat
ER ——"— ———."—"—.—————
(1) Voyez Biographie Toulousaine , 1. 1 ,. Notice sur Fer-
mat , par M. de Carney.
198 CLASSE DES SCIENCES. ‘
qu'il avait embrassé , la science de Dieu et des
choses divines était de la plus haute nécessité;
il savait qu'un auteur célèbre (1) avait, bien long-
temps avant le commencement de notre ère, donné
le nom de théologie à cette partie de la philoso-
phie qui traite de Dieu et de ses attributs, et
cette étude il la poussa très-loin. Maitre de confé-
rences dans le séminaire fondé par M. l'abbé de
Calvet, il y enseigna les saines doctrines de l’école
à un grand nombre de jeunes ecclésiastiques avides
de l'entendre. En même temps il se sentait entraîné
avec force vers la culture approfondie des mathéma-
tiques, et il les professa pendant cinq ans dans le
même séminaire. Après cette longue période de tra-
vaux, il fut pourvu de la cure de Miremont, par
M. de Fontanges , alors archevêque de Toulouse.
Ils s'étaient déjà levés sur la France ces jours
mêlés de tant de deuil et de tant de gloire, et
où se manifestérent tant de crimes odieux et tant
de sublimes vertus. Trouvant qu’ils n’avaient pas
encore assez fait en semant l’anarchie dans la
société politique , les agitateurs de eette époque
voulurent l’introduire au sein même de l’église,
et ils ne réussirent que trop dans cette œuvre
désorganisatrice. Par leurs soins , le clergé Fran-
çais fut divisé en deux grandes catégories; l’une,
soumise à un régime inusité , servit , sans le
savoir , à l’accomplissement de projets occultes
et dont les résultats devaient bientôt rendre pro-
RE ta qe D ue Lite peu en 22 cn de à 2 Gi rm 7
(1) Arist. Metaph. hb. vr.
HISTOIRE. 199
blématique son existence même ; l’autre , fidèle
à ses antécédents, était déjà dépossédée , menacée,
en attendant l'instant où, proscrite en masse,
elle devait périr sur les gabarres de Carrier, sur
les échafauds des émules de Fouquier-Tinville,
ou dans les lointains déserts de Synamary.
M. Romieu fit partie de la première catégorie.
Il n’aperçut dans sa soumission entière aux lois
de ce temps , que l’accomplissement d’un devoir ,
qu'un hommage rendu à ce que l’on nommait
alors /a volonté générale, qu’un acte qui n’a-
vait rien de coupable, rien de dangereux; et
bientôt, du modeste presbytère de Miremont , il
fut appelé à la cure de Muret. Là, voulant ap-
païser les haines , il fit de nombreux efforts
pour réunir sous la même bannière, pour rassem-
bler au pied du même autel des Français, divisés
alors, non-seulement en deux factions politiques ,
mais, ce qui était plus redoutable encore , en
deux sectes rivales. Mais ses soins ne produisirent
pas le bien qu’il en avait attendu : les plaies étaient
trop récentes , trop profondes , trop douloureu-
ses pour être cicatrisées ; et d’ailleurs , tout ce qui
se rapportait à des croyances religieuses allait
bientôt être frappé. La synagogue de lIsraélite,
le temple du Protestant, les églises constitution
pelles | les catacombes où se cachaïent les anciens
du sanctuaire, tous ces lieux de prière et de
recueillement furent interdits à la fois. Les
philosophes avaient , pendant un demi-siècle ,
réclamé le biénfait de la tolérance , et à linstant
209 CLASSE , DES . SCIENCÉS.
où leurs disciples étaient en possession du pou-
voir, l'exercice de tous les cultes était abrogé.
Conserver. les doctrines consolatrices leguées par
nos aïeux, fut un crime d'état. Transformés en
inquisiteurs ardents, les commissaires de la Con-
vention nationale exigeaient des prêtres , non-seu-
lement l’abandon des places, des bénéfices que
la révolution leur avait départis, mais ils pres-
crivaient surtout la plus honteuse, la plus avi-
lissante renonciation au caractère sacerdotal. De
nombreuses prisons devaient recevoir ceux d’en-
treux qui ne voudraient pas se mêler aux sa-
turnales de Pimpiété ; des tribunaux avaient été
créés seulement pour condamner, et un écha-
faud toujours dressé attendait les victimes. Mais,
ni cet appareil effrayant, ni les menaces, ne
purent triompher de la détermination d’un pe-
tit nombre de conformistes. Ils invoquerent les
lois , ils se placèrent sous leur égide ; ils ré-
sistèrent à la tyrannie. M. Romieu fut de ce
nombre. Il brava la colère du représentant Dar-
tigoyte; il ne voulut point, en se soumettant aux
volontés de cet homme , mentir à sa conscience
et se souiller par lapostasie. Cet acte ‘de courage
fut remarqué , mais il eut peu d’imitateurs dans
le midi de la France.
Forcé de quitter alors sa ville natale, M. Romieu
vint à Toulouse, où il ne retrouva ni ses amis,
ni ses anciens maïtres , ni les institutions scienti-
fiques qui faisaient naguère encore la gloire et la
richesse de. cette grande cité. La révolution avait
HISTOIRE. 201
étendu sa main destructrice sur l’Université , sur
les académies, sur les séminaires et les colléges.
Cependant, parmi nous , les hommes mêmes qui
paraissaient les plus dévoués au nouvel ordre de
choses , gémissaient sur l’abandon des études. À
Paris, Lavoisier demandant un sursis à l’exécu-
tion de son arrêt de mort, pour mettre à fin une
expérience importante , recevait pour toute ré
ponse ces mots, aussi cruels que stupides : La
République n’a pas besoin de savants pour triom-
pher de ses ennemis. À Toulouse ; on pensait
autrement : on croyait que cette République, qu’on
voulait établir, aurait besoin de savants dans tous
les genres , et qu'il fallait grouper toutes les gloi-
res autour de son berceau. Les autorités civiles
organisèrent alors ce que l’on nomma l'Enseigne-
ment provisoire.
Jamais, il faut l'avouer, on n'avait vu déployer
avec plus de luxe, avec plus de grandeur , un Sys-
tème général d’études. Toutes les branches de
l'arbre encyclopédique étaient représentées dans
cet institut ; et telle était la majesté de l’ensemble,
la régularité des détails, le bonheur de la pensée
générale, qu’on pouvait douter que des idées si
saines, si libérales, eussent été conçues à une époque
où les chefs de l’état voulaient courber nos popu-
lations généreuses sous le double joug de la plus
sanglante tyrannie qui ait jamais épouvanté le
monde, et de l’ignorance la plus abjecte et la plus
brutale.
M. Romieu fut nommé professeur de mathéma-
202 CLASSE DES SCIENCES.
tiques dans cette institution qui aurait dû servir
de modèle à toutes les parties de la France ; et ce
fut alors que commencèrent à se réunir autour de
lui une foule d'hommes, jeunés encore, et qui de-
puis ont rendu d'importants services à l’état.
Lorsque les Ecoles centrales furent créées,
M. Romieu forma encore de plus nombreuxélèves.
‘On allait chercher dans son cabinet, ce qu’on ne
trouvait pas toujours dans le nouvel établissement,
dont on l’avait en quelque sorte écarté. La lucidité
deses démonstrations, la simplicité de ses méthodes,
son aptitude à comprendre, à démontrer les vérités
les plus abstraites, à résoudre les questions les plus
difficiles, attiraient près de lui tous ceux qui éprou-
vaient le besoin d’une connaissance approfondie des
mathématiques. Vivement attaché à ses élèves, cher-
chant leur avantage bien plus encore que le sien,
on le voyait, alors que l’époque des examens pour
l'admission à l'Ecole Polytechnique approchaït,
redoubler de zèle pour leur instruction. Il leur pro-
diguait alors tout son temps, toutes ses facultés,
et surtout cette facilité si remarquable avec la-
quelle il expliquait ce que la science offre de plus
difficile en apparence. Ce n’était plus notre pro-
fesseur , c'était un ami dévoué qui voulait assurer,
qui assurait presque toujours nos succès. Être élève
de M. Romieu, était alors une garantie d’admis-
sion dans l’école destinée à perfectionner les jeunes
talents de ceux qui se destinaient au service pu-
blic , soit dans les armes savantes, soit dans le corps
des ponts et chaussées.
03
Tant de succès et de si utiles travaux avaient
depuis longtemps fixé l'attention sur M. Romieu;
et lors de l’organisation définitive de l'Université
impériale, il fut nommé professeur de mathéma-
tiques de première classe dans le Lycée de Tou-
louse, charge qu’il résigna bientôt, en obtenant
celle de professeur de mathématiques transcen-
dantes dans le même établissement. Lorsque len-
seignement supérieur fut créé, il posséda la même
chaire dans la Faculté des sciences.
Nous avons parlé de son attachement à ses élèves;
ajoutons ici que les intérêts généraux de la science
ne lui étaient pas moins chers, et qu'il fit naître
souvent les occasions de la mettre en honneur, de
la placer sous la protection des hommes en place,
de la glorifier en la montrant dans tout son éclat
aux masses populaires.
Autrefois, dans nos colléges, on dédiait des
thèses au Parlement, à l’Université, aux Magis-
trats municipaux, aux Académies, et alors le Par-
lement, l’Université, les Capitouls, les Académies,
assistaient à ces solennités, où de jeunes hommes,
plus ou moins habiles, venaient offrir à des auditeurs
éclairés le résultat de leurs études. M. Romieu vou-
lut rétablir ces fêtes de la science. IL n’y avait plus
ni Parlement, ni Université, ni Capitouls, ni Aca-
démies ; mais les autorités de cette époque pou-
vaient devenir les protectrices de l’enseignement , et
il leur fit dédier des thèses par ses élèves les plus
distingués. Toulouse, qi ne connaissait plus que
ce qu’on nommait des fêtes nationales, vit rétablir
HISTOIRE.
©
204 CLASSE DES SCIENCES.
avec orgueil les pompes scientifiques qui avaient
fait sa gloire, et Pespoir d’un meilleur avenir s’of-
frit à ses regards trop longtemps attristés.
Cet espoir ne fut pas entièrement déçu. Cette
ville recouvra en partie ses vieilles institutions; mais
elle acheta par le sang d’un grand nombre de ses
enfants, immolés sur de lointains champs de ba-
taille, le calme qui dans l’intérieur avait succédé aux
tempêtes publiques. La paix régnait dans le sein de
nos provinces, mais au dehors des combats éter-
nels moissonnaient l’élite de nos populations. Sous
un chef toujours victorieux, la France était de-
venue toute militaire, et le père de famille n’était
plus libre dans le choix d’un état pour ses enfants.
I fallait, dans leur intérêt le plus pressant, les faire
entrer dans les armes spéciales, et pour cela Vé-
tude des mathématiques , que rien ne pouvait rem-
placer , était devenue une indispensable nécessité.
Ce fut alors que M. Romieu vit redoubler pres de
lui lempressemenut des parents et des élèves. Il re-
doubla lui aussi de zèle et d'aptitude. Les services
qu’il rendit furent immenses, et il forma une foule
de disciples, parmi lesquels il en est beaucoup qui
honorent aujourd’hui par leurs talents le pays qui
les a vus naître, et la mémoire du professeur ha-
bile dont 1ls reçurent les leçons.
Nommé doyen dela Faculté des Sciencesen 1813,
M. Romieu se distingua par la sagesse de son ad-
ministration et par ses lumières. Sa bienveillance
envers ses collègues et une bonté expansive, qui
ne descendit cependant jamais jusqu’à la faiblesse,
Vont maintenu jusqu’à sa mort dans cette dignité,
HISTOIRE. 205
qui n’est pas toujours une sinécure, un titre qui
exempte dun travail assidu.
Nous avons vu M. Romieu aspirant, en 1783,
aux palines de l’Académie des Sciences. Lors du
rétablissement de ce corps, en 1807, il fut com-
pris au nombre de ses membres. Il lui commu-
niqua plusieurs mémoires ; il lui présenta la solu-
tion d’une foule de problèmes, offerts aux médi-
tations des géomètres, par le savant recteur de
PAcadémie de Montpellier. Dans les Commissions
chargées de présenter des rapports étendus sur des
questions scientifiques, il se plaça toujours au pre-
mier rang par la justesse de ses vues, par ses con-
naissances profondes, par la bonté de son juge-
ment, par son habitude constante de la recherche
de la vérité. Il se distingua surtout lorsque , pendant
plus de deux années , lAcadémie fut consultée sur
divers ouvrages élémentaires, et sur de nouvelles
méthodes appliquées à la pratique du jaugeage.
Ses mémoires, ses observations à ce sujet, furent
généralement appréciés, et mis, à cette époque , au
nombre des meilleurs travaux de la classe des Ma-
thématiques de cette Académie.
M. Romieu comptait quarante-cinq années de
professorat, dont plus de trente-deux dans l'Uni-
versité ; il était, comme nous l’avons vu, doyen de
la Faculté des Sciences ; 1l avait formé un nombre
considérable d'élèves distingués; et cependant aucun
des ministères sous lesquels il exerça ces impor-
tantes fonctions , avec des succès non contestés,
ne songea à lui donner cette distinction honori-
fique que le grand Capitaine institua pour récom-
206 CLASSE DES SCIENCES.
penser tous les mérites, tous les services éclatants.
. Maïs ne plaignons que ceux qui ne surent pas di-
gnement reconnaitre les longs travaux de notre
confrère. La mémoire d’un vain titre s’efface; il
n’en est pas ainsi des services éminents rendus à
l'état et aux familles. Le bien opéré par un savant
professeur ne meurt point; il est inscrit dans les
annales de la science comme dans les cœurs de ceux
qu’il a servis, qu’il a placés aussi haut , et quelque-
fois mème plus haut que lui, dans lestime publique.
Qu’il me soit permis, en terminant cette No-
tice , de me placer parmi ceux qui conserve-
ront religieusement le nom et la mémoire de
M. Romieu. Il fut mon professeur et toujours mon
ami. Pourrai-je oublier avec quelle joie il croyait
apercevoir pour moi, dans un service étranger, un
avancement honorable et rapide? Pourrai-je effacer
de mon souvenir le vif intérêt qu’il prit à ma conser-
vation, au milieu des chances aventureuses que
m'offrit quelquefois la Péninsule Hispanique ? Sa
mort, arrivée le 18 août 1838, m’a frappé dans
Pune de mes plus anciennes, de mes plus chères
affections. Maïs les regrets que j’éprouve seraient
moins amers, ma douleur moins vive, si j'avais
pu louer dignement cet homme de bien, ce savant
estimable. Le nom de ce confrère, si justement
honoré, serait à jamais conservé dans nos fastes
académiques , si ma plume avait su retracer tout
ce qu'il a fait pour instruction générale, pour le
bien de ses élèves et pour la gloire de son pays.
HISTOIRE. 207
RAPPORT
SUR LE CONCOURS DE 1859,
PAR LA COMMISSION NOMMÉE A CET EFFET.
M. DUCASSE , Rapporteur.
Mssieurs,
L’Acanémre des Sciences de Toulouse avait pro-
posé pour sujet du prix à décerner en 1839, la
question suivante :
« En admettant les progrès apportés par la-
natomie pathologique dans l'étude et la guérison
des maladies en général , déterminer les avantages
que les Médecins peuvent en retirer dans le dia-
gnostic, le pronostic et le traitement des affec-
tions proprement appelées nerveuses. »
Cette question , toute palpitante d'intérêt à l’'é-
poque surtout où elle fut posée ( 1836), était sus-
ceptible de grands développements. De sa solution
dépendait peut-être une révolution complète dans
la classification et l’histoire de ces maladies nom-
breuses qui, sous le nom de névroses, ont si
208 CLASSE DES SCIENCES.
longtemps occupé les écrivains, et qui, par leur
fréquence, par linconstance et la bizarrerie de
leurs phénomènes , lirrégularité de leur marche,
leur soudaine résolution ou leur persistance opi-
niâtre, mais surtout par l’insuccès si fréquemment
constaté de toutes les médications, ont fait et fe-
ront vraisemblablement longtemps encore, le
désespoir du Médecin rationnel et consciencieux.
L'Académie n’a cependant reçu qu’un seul Mé-
moire. Il porte une double épigraphe. La première,
empruntée à Van-Swieten , est ainsi conçue :
Tafinita certè docuit prudens cadaverum üis-
pectio, de quibus ne somniassent quidem medict.
La seconde est de M. Cruveilher.
Plus j'étudie l’homme malade, plus je suis
convaincu que tous les désordres fonctionnels
que présentert les lésions organiques les plus
graves, soit aiguës, soit chroniques , peuvent
également se rencontrer sans ces lésions.
En plaçant ces deux épigraphes en tête de son
travail, l’auteur a eu l'intention de donner une
idée de lesprit qui présidera à sa composition.
L'une, dit-il, en effet, nous présente l’anatomie
pathologique avec ses richesses immenses ; Pautre
avec son insuffisance et sa nullité. Peut-être cha-
cune de ces sentences exprime-t-elle une vérité
également incontestable! Peut-être existe-t-1l un
terme moyen entre ces deux extrêmes!
L'ouvrage dont nous sommes chargés de vous
présenter l'analyse, est divisé en deux sections
séparées. Dans Pune , l’auteur s’est proposé de
MÉMOIRES, 209
tracer quelques fragments de l’histoire philoso-
phique de lanatomie pathologique, pour appré-
cier convenablement son importance.
Dans l'autre, abordant le but principal de la
question, et se renfermant dans ses limites, il
applique la même méthode d'investigation analy-
tique, aux faits d'anatomie pathologique qui se
rattachent à l’histoire des maladies nerveuses.
La Commission, Messieurs, tout en reconnais-
sant un grand mérite dans l’exposition synthéti-
que de la première partie; en reconnaissant que
l'écrivain n’est étranger à aucune des notions ana-
tomico-pathologiques anciennes et modernes, n’a
pas pu penser que de si nombreux détails se re-
liassent directement à la question proposée. Elle
était simple et facile à comprendre. Les dévelop-
pements qu’elle exigeait, devaient être abordés
avec franchise , ou, sil est permis de le dire, sans
préambule , et c’est à regret que votre Commission
a vu sacrifier ainsi le tiers de cette composition,
d’ailleurs bien remarquable, à unesérie de faits dont
aucune indication ne semblait réclamer la présence.
Sans doute elle rend justice au talent de Pécri-
vain, à son érudition positive, à sa manière heu-
reuse et lucide d'amener les faits, d’en presser
la logique, d’en tirer l'argumentation ; mais toute
cette partie n’est pas moins une véritable superfé-
tation, qui, sans avantage pour la solution de la
question, accroît l’étendue d’un ouvrage déjà très-
volumineux par lui-même. Plusieurs propositions
d’ailleurs ne nous ont pas semblé devoir être adop-
TOME V. PART, I, I 4
210 CLASSE DES SCIENCES.
tées sans contestation. Elles s’éloignent un peu dé
cet esprit d’impartialité et de non prévention dont
l’auteur se fait avec raison un mérite; et comme
lespace nous manque pour les discuter une à une,
nous nous contenterons de choisir celle que lui
fournit l’exposition des travaux anatomico-patho-
logiques aux différentes époques de leur histoire.
En parlant des anatomo-pathologistes qui après
Morgagny continuèrent à rassembler les maté-
riaux sans les coordonner, et qui, oubliant que
Panatomie pathologique devait être constamment
subordonnée à la médecine, firent de cette partie
de nos connaissances un objet de curiosité, ül
ajoute: « De là cette quantité de faits anatomiques
bien précieux sans doute, mais incapables de
fournir la moindre donnée thérapeutique. » Ge
jugement est sans doute sévère. Nous ne concevons
pas comment un fait précieux peut perdre tous
ses avantages, parce qu'il n’est pas coordonné;
comment une altération de tissu, parce qu’elle
n’est point subordonnée à la médecine, doit être
ainsi rejetée comme inutile; enfin, nous ne pouvons
pas concilier cette pensée avec celle établie par
l’auteur lui-même, à la fin de cette première sec-
tion deson travail , et consacrée dans son troisième
corollaire, qui porte textuellement : «Les démons-
trations les plus positives fournies par les recher-
ches cadavériques, ont servi à imprimer plus de
certitude au diagnostic, et par suite à la £héra-
peutique. » Ces deux énoncés ne semblent-ils pas
contradictoires ?
MÉMOIRES. 2:E
Nous avons reproché à l’auteur, dans la première
section de son Mémoire, de s’être laissé entraîner
loin de la question proposée, en faisant un tableau
brillant et rapide de l’état de l’anatomie patholo-
gique en général, et du peu d'avantages qu’en
avaient retiré l'étude et le traitement des maladies.
Nous lui adresserons les mêmes reproches, mais un
peu moins sévères cette fois, des qu’il entrera en
matière pour traiter le sujet indiqué, et qu'il
abordera l’histoire des maladies nerveuses. Les
premières pages y sont encore consacrées à un
nouveau hors-d’œuvre ; car enfin il ne faut pas
considérer comme affections nerveuses proprement
dites, quelques phénomènes qui n’en sont qu’une
conséquence plus où moins immédiate. Ainsi les
vapeurs, les maux de nerfs, les nerfs agacés ,
le hoquet, le cauchemar, etc., ne sont-ils pas
les accidents d’une névrose, plutôt qu’une névrose
elle-même ? Devraient-ils former chacun un para-
graphe différent, et était-il possible de les faire
rentrer dans la question, lorsqu'il était démontré
que leur présence plus ou moins passagère ne
peut jamais laisser aucune trace dans la dissection
cadavérique? L'auteur a parfaitement senti linu-
tilité de cette énumération. S'il s’y est décidé, c’est,
dit-il, pour ne pas laisser de lacune, excuse peu
valable à nos yeux, car elle ne justifie pas la mesure
adoptée , et retarde encore de quelque temps la
marche du Mémoire vers le but positif qu'il doit
atteindre ; car c’est justement vers le milieu de son
étendue que l’auteur entre franchement en matière,
14.
312 CLASSE DES SCIENCES.
en exposant successivement chacune des maladies
comprises généralement parmi les névroses, et
l'influence plus ou moins marquée que les recher-
ches anatomiques ont exercées sur leur diagnostic
et sur leur traitement.
Ici nous avons eu fréquemment l’occasion de
donner des éloges à sa manière de présenter les
faits, de les analyser, d’en coordonner les cir-
constances diverses, et par une dialectique sévère,
de séparer les richesses acquises déjà à la science
par l'observation des praticiens, de celles recueil-
lies dans les amphithéâtres, au milieu des débris
de notre organisation éteinte.
Qu'importe, au milieu de ces faits si concluants,
la marche de Pécrivain , et la classification ration-
nelle ou systématique des maladies qu'il croit
devoir adopter pour létude et lexposition des
névroses ? Suivons-le seulement dans le champ
immense qu'il va parcourir, dans cette carrière
sans fin que la pathologie ouvre devant lui, et
voyons-le, toujours fidèle à ses doctrines, réclamer
à la fois dans ses jugements la double autorité de
Vobservation et des notions anatomiques, et
croyant trouver dans la majorité des circonstan-
ces, que c’est surtout aux études cliniques, aux
essais fréquemment répétés d’une expérience posi-
tive , plutôt qu'aux dissections minutieuses de nos
organes, que la thérapeutique doit ses véritables
progrès.
Ainsi l'écrivain parcourt successivement l’amau-
rose, la surdité, Vasthme convulsif, Vangine de
MÉMOIRES. D18
poitrine , la coqueluche, les palpitations nerveu-
ses , la colique spasmodique , Yhystérie , la cata-
lepsie , la danse de Saint-Guy , Vépilepsie , Vé-
clampsie des enfants et cette foule d’affections
nerveuses qui désolent notre existence, boulever-
sent nos fonctions, arrêtent le cours de notre vie,
et qui, si elles impriment après elles quelques
traces de leur passage, nous laissent encore incer-
tains de savoir si nous devons les considérer
comme la cause directe de leur développement,
ou plutôt comme le produit immédiat de leur
existence.
L'auteur n’élève ici aucun doute à cet égard.
Quelle que soit l’aflection nerveuse qu’il examine,
quel que soit son siége, sa force , sa durée , c’est
principalement dans un accroissement de la sensi-
bilité, dans une altération vitale qu’il en place la
véritable origine ; et si l’autopsie cadavérique dé-
montre d’une maniere essentielle une lésion de
tissu , cette lésion n’est le plus souvent pour lui
que secondaire , produite par cette aberration
de mouvements dont l'organe a été si souvent
affecté. La diversité de ces lésions , leur nature
quelquefois opposée , leur siége si différent , les
longs intervalles des crises morbifiques que leur
présence devrait au contraire constamment en-
tretenir, le peu de rapports qui existent souvent
entre la cause prétendue et les effets produits
par elle ; telles sont les considérations pratiques
qui le dirigent dans lappréciation des faits, et
qui n’ont pas peu servi à modifier dans sa prati-
214 CLASSE DES SCIENCES.
que médicale les erreurs nombreuses qu'il avait
jadis puisées dans des perquisitions d'anatomie
pathologique.
Dans Pimpossibilité où nous sommes de suivre
VPauteur dans chacune des affections dont il s'occupe
dans son grand travail, citons ses réflexions sur
lasthme considéré sous le point de vue de la
question , car ces réflexions s'appliquent , selon
lui, avec la même justesse aux autres sujets de
maladie.
« S'il est certain que dans bien des cas lasthme
est produit par des altérations organiques diverses
des bronches, des poumons , du cœur ou des gros
vaisseaux , des faits recueillis par des observateurs
du premier mérite, mettent hors de doute l’exis-
tence d’un asthme indépendant de ces altérations,
et auquel il convient de donner le nom de ner-
veux, convulsif , spasmodique ou essentiel , par
lesquels il se trouve désigné dans les auteurs qui
se sont occupés de sa description.
» L'observation seule conduirait à admettre
cette espèce particulière de la maladie. Ainsi on
la voit se manifester à la suite d’impressions mo-
rales vives, comme M. Ferrus en rapporte deux
exemples dans son article du grand Dictionnaire
de médecine. Ces deux cas se terminèrent par la
-guérison , et dans l’intervalle des accès , il n’exis-
tait aucun signe de lésion du cœur ou du pou-
mon. M. Lefevre, dans un mémoire fort remar-
quable couronné par la Société de Médecine de
Toulouse, a cité deux observations , dont lui-
MÉMOIRES. 215
même et un de ses confrères sont les sujets. Dans
ces deux faits bien circonstanciés, il n'existait
pas de lésion organique ; les malades étaient seu-
lement doués d’une irritabilité extrème de la mem-
brane muqueuse bronchique.
» L’anatomie pathologique elle-même , par ses
résultats négatifs, confirme l’existence de l'asthme
nerveux essentiel. MM. Blaud , Delens, Bégin ,
Bricheteau , Andral, Cruveilher, ont rapporté dans
divers ouvrages des observations dans lesquelles
VPautopsie n’a permis de constater aucune alté-
ration matérielle ; mais comme ïl serait trop
long d’en offrir successivement l’analyse , nous
mentionnerons seulement la suivante, empruntée
à M. Delens, à cause de son peu d’étendue.
» Une femme âgée de quatre-vingts ans , qui
avait toujours joui d’une bonne santé , éprouva
un violent chagrin dans les premiers jours de dé-
cembre. Dix ou douze jours après, au milieu de
la nuit, accès d'asthme d’une heure. La maladie
reparaît toutes les nuits sans laisser aucune trace
ni dans la respiration , ni dans la circulation,
après avoir cessé. L'accès se prolonge d’abord da-
vantage et finit par devenir continu. Une anasar-
que survient , et la malade meurt six mois après.
À l’ouverture du corps, on trouvele cœur et les
gros vaisseaux sains , et les poumons d’une cou-
leur jaune pâle , mais crépitants.
» Malgré ces preuves concluantes , certains au-
teurs , et M. Rostan entr’autres , ont soutenu que
Pasthme était toujours lié à des lésions organiques
216 CLASSE DES SCIENCES.
du cœur ou des gros vaisseaux. Mais d'abord ;
quel rapport peut-il exister entre ces lésions et une
maladie caractérisée par un état spasmodique ou
convulsif des muscles inspirateurs, se reprodui-
sant par accès irréguliers, mais souvent séparés
par des intervalles de plusieurs mois, pendant
lesquels on n’observe aucun dérangement fonction-
nel ? Cette assertion n’aurait pas été aussi exclu-
sive si elle avait été présentée en sens inverse ,
c’est-à-dire si l’on avait avancé que certaines alté-
rations organiques du cœur ou du poumon ont
pour effet la production de l'asthme ; et alors il se
serait seulement agi de l'asthme symptomatique ,
qui, comme l’observe Georget, serait plus conve-
nablement désigné sous le nom de dyspnée. Ce
qui a pu induire en erreur les observateurs qui
ont émis cette opinion, cest que les individus
sujets à l’asthme convulsif, présentent souvent
des palpitations entre les accès. Mais elles ne sont
pas continues ; elles ne sont accompagnées d’au-
cun signe qui révèle l'existence d’un changement
de structure. On les observe également pendant
la durée d’autres névroses sans leur attribuer
lexistence de ces dernières : ce sont en un mot
des palpitations nerveuses. Une autre circonstance
qui a pu encore favoriser cette appréciation in-
exacte, c’est que par le fait seul de la reproduc-
tion de ses paroxysmes , l'asthme essentiel en-
traîne à sa suite des altérations organiques qui
se produisent lentement , et qui, loin d’être causes,
sont au contraire des eflets secondaires , réagis-
MÉMOIRES. 217
sant à leur tour sur la maladie préexistante et
augmentant sa gravité.
» De ce qui précède , ajoute l’auteur , il résulte
que lanatomie pathologique , en signalant les
lésions incurables dont l'asthme essentiel s’ac-
compagne souvent, éclaire seulement son pro-
nostic. Quant au traitement de la maladie elle-
même , l'expérience a appris depuis longtemps
qu'il fallait surtout compter sur les modifications
hygiéniques, dans le but d’éloigner autant que
possible les paroxysmes et de prévenir ou de
retarder ainsi la manifestation des altérations or-
ganiques. Si parmi les nombreux agents médica-
menteux , il en est de réellement efficaces , c’est
à l’observation qu’on les doit et non aux induc-
tions tirées directement de l'inspection cadavé-
rique. » |
En citant textuellement ce long paragraphe, en
rapportant la discussion sur asthme, telle qu’elle
est renfermée dans le mémoire, en rappelant avec
fidélité les conclusions qui le terminent, votre Com-
mission s’est proposé un double but : le premier,
de vous montrer la manière de l’auteur , la nature
de son style, qui ne manque ni de concision ni de
clarté , et les moyens logiques dont il développe sa
discussion ; le second, c’est d'indiquer, en une seule
fois, l'esprit qui préside à la pensée fondamentale
de louvrage , et les conclusions qui, le prin-
cipe admis, en sont la conséquence rigoureuse.
Quelle que soit, en effet, la maladie placée dans
le cadre des névroses que l’écrivain examine; quelles
218 CLASSE DES SCIENCES.
que soient les variétés qu’elle est susceptible d’of-
frir dans ses nombreuses périodes , sur divers indi-
vidus, dans des circonstances différentes ; qu’il s’a-
gisse de l'asthme, de la coquelache, de l’apoplexie,
de Pépilepsie , n'importe, on voit toujours se re-
produire les mêmes inductions, les mêmes théo-
ries, relativement aux notions et aux progrès ana-
tomo-pathologiques. [L'auteur y tient peu de
compte du résultat des autopsies. Si dans ces der-
nières le praticien ne découvre aucune altération
organique, il triomphe de cette observation néga-
tive, et s’écrie que, dès lors, la maladie et la mort
de l’individu en sont complètement indépendantes,
et qu'on doit chercher la cause spéciale, essentielle,
de lune et de l’autre, dans une altération fonc-
tionnelle, dans une lésion vitale de l’innervation,
ne songeant pas que, même alors, plaçant le siége
principal des désordres , soit dans le nerf pneumo-
gastrique, soit dans le système nerveux ganglion-
naire, il ne fait que changer de tissu, sans ren-
verser le système des altérations organiques, qu'ici,
il est vrai, on n’a pas encore suffisamment appré-
ciées. Si, au contraire, les lésions de tissu appa-
raissent dans toute leur évidence, si des kystes
apoplectiques, des renflements osseux du crâne,
des épanchements énormes de sérosité, des trans-
formations organiques sont le résultat des recher-
ches cadavériques , l'écrivain ne se laisse pas abattre
par de semblablés difficultés; bien loin de trouver
dans leur existence la source des phénomènes que
les malades ont présentés pendant leur vie, il les
MÉMOIRES. 219
regarde comme purement secondaires, et comme
le produit inévitable des accidents qui ont amené
la mort, et dont la répétition, plus ou moins fré-
quente , a déterminé ainsi, plus ou moins rapide-
ment, leur formation.
Ici cependant une simple assertion ne pouvait
pas avoir assez d'autorité pour entraîner tous les
suffrages. Votre Commission n’a point été con-
vaincue par elle, dénuée qu’elle est de toute es-
pèce de preuve, et sans exagérer l’importance des
notions anatomo-pathologiques dans l’histoire des
maladies, sans penser, avec quelques enthousiastes,
que la médecine tout entière repose sur les dis-
sections des cadavres, et que c’est seulement dans
la nature morte qu’il faut aller chercher tous les
secrets de la nature vivante, votre Commission a
cru que l’auteur, par un scepticisme contraire, ne
pouvait pas échapper à son tour aux reproches
d’exagération , et qu’en niant l'importance des faits
aujourd’hui acquis à la science, il s’éloignait éga-
lement de la vérité.
Peut-être que dans cette seconde partie, qui,
tout imparfaite qu’elle est, révèle cependant un
écrivain d’un talent distingué, un praticien habile,
_accoutumé depuis longtemps à létude et à la ré-
flexion, on voudrait rencontrer plus souvent ces
considérations générales, ces vues d'ensemble qui
relient en un faisceau une multitude de faits isolés,
et les placent ainsi d’une façon plus utile, sous le
point de vue de la science. Mais ce défaut, si c’en
est un, accuse moins la puissance de l’auteur que
220 CLASSE DES SCIENCES.
la nature même du travail qu’il a entrepris, et que
l'état de la question lui faisait une obligation de
poursuivre.
En conséquence, votre Commission vous pro-
pose, non pas de couronner cet ouvrage, qui, revu
avec soin, retouché avec calme, exempt des lon-
gueurs de cette première section , qu'il serait facile
de réduire à quelques pages sans lui rien faire
perdre de son importance, serait digne cependant
de figurer parmi les travaux académiques les plus
remarquables; mais de décerner à l’auteur une
double récompense, en lui accordant,
1.0 Une médaille d’or de 120 fr. ;
2.0 Le titre de correspondant de l’Académie des
Sciences de Toulouse.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE DU TOME V.
TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
Érar des Membres de l’Académie au 20
PREMIÈRE PARTIE.
HISTOIRE ET MÉMOIRES DE LA CLASSE DES SCIENCES.
Année 1837.
HISTOIRE.
SUIESAEPTIR, aise tysaaratete là a pit séronb VE
Analyse des travaux de la Classe des Scien-
ces pendant l’année 1837..... se 3
Mathématiques pures. Sur l'équilibre et le mouve-
ment d’un système de points liés entr’eux d’une
manière quelconque; par M. Sainr-Guirmem. 3
Mathématiques appliquées. Sur les machines à
colonne d’eau ; par M. »’Ausuisson......... 5
Physique. Expériences de M. Fouque sur la des-
SECAHON ES) DOS. 0e DRAM DS q
Chimie. Moyens de dessécher les matières végéta-
ESA M Mo RoËb Ce Te 10
Sur la combustion; par M. Durac............ II
Chimie appliquée. Traité de la pierre à plâtre;
Pan NE) DRABEna EAU era ee 11
Histoire naturelle. Monstruosité d’un œuf; par
ME Dour PR nd. ee MATE
2292 TABLE DES MATIÈRES.
_ Botanique. Mémoire de M. Duchartre fils sur le
Saxifraga stellaris ; M. Moquix-Tanpo , rap-
porteur..........s.sss.sssseusssranese.
Sur l’individualité végétale; par M. Mot
LANDoNtE AR LC LERee Doc os 0000 bon CE
Médecine et Chirurgie. Sur le cancer; par
M:DUCASSE LS. 250 cad MORE LE
Sur l’extroversion de la vessie ; par M. ne Qua-
TRÉFAGES à. Le Rs ae re à LR See ee
Philosophie générale des Sciences. Considérations
sur la marche des sciences ; par M. Borrer..
Etude de la science de la vie; par M. ne La-
VERGNE. cesse AE HAMANIS AIM :... EN
MÉMOIRES.
Observations recueillies pendant et après le
débordement de la Garonne du 30 mai
1635; par MHHOREEEM. ... .. ......
Mémoire sur. un nouveau mode de produc-
tion du son; par M. Pinaun........
Amée 1858.
HISTOIRE.
DUJELS DO PTI LCI AR el EN. Er
Notice historique sur M. le Baron Philippe
Picot de Lapeyrouse; par M. nu Mèce.
Analyse des Travaux de la Classe des Scien-
ces pendant l’année 1838........ sé
Mathématiques appliquées. Constructions hydrau-
liques; par M. BorRez............... ET
12
13
15
16
18
18
10
49
107
TABLE DES MATIÈRES.
Physique. Description de quelques appareils pro-
pres à simplifier la démonstration des phéno-
mènes electro-dynamiques ; par M. Prxaup. .
Chimie. Sur la chaux et quelques-uns de ses com-
posés ; par M. Macxes-Lanexs..... Te ne tete
Traitement direct du fer à la Catalane ; rapport
de M. Macwes-Lanens........ ee ele sets
Histoire naturelle. Destruction de la chenille ;
rapport de M. Moquix-Taxpow.... .......
Médecine. Stastistique nosologique de lHôtel-
Dieu Saint-Jacques ; par M. Durrourc.....
Sur la vieillesse considérée dans ses rapports
avec l’organisation physique de l’homme;
DAPMA DECASS PTE NERE Le ÈS
De quelques phénomènes physiologiques ou pa-
thologiques considérés comme cause de su-
perstition ; par M. DE QUATREFAGES. .......,
MÉMOIRES.
Mémoire sur la transformation et lintégra-
tion d’une classe d'équations difjéren-
tielles simulianées à plusieurs varia-
bles ; par M. BrassiNNE...........,
Fragments d’un mémoire sur lintégration
des équations différentielles ; par
RM PRIS NN AUOT NL ER Re
Démonstration nouvelle de la formule de
Paction capillaire; par M. Decuis...
Rapport sur un travail de M. Castel, con-
cernant l'écoulement de l’eau par des
ajutages coniques ; M. n’AusuissoN,
rapporteur. ......... ss...
223
110
120
123
129
139
143
ROE
224 TABLE DES MATIÈRES.
Expériences de M. Castel sur le produit des
pompes du Chäteau-d’eau de Toulouse ;
communiquées par I. D’AvBuissoN.. 172
Mémoire sur le genre Halimocnemis ; par
M. Moquinx-Tanpon........ Be 77
Année 1839.
HISTOIRE.
SEL CPS ATEN DIE à Meter ei tele semae elec 00
Notice sur M. Moir nus QE M. DE VACQUIÉ. 187
Notice sur M. Romieu, par M. nu Mëce... 191
Rapport sur le concours de 1839 ; M. Dv-
CASSE, rapporteur. ........... +. 207
FIN DE LA TABLE.
HISTOIRE ET MÉMOIRES
DE
L'ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES,
INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
DE TOULOUSE.
HISTOIRE ET MÉMOIRES
DE
L'ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES,
INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
DE TOULOUSE.
ANNÉES 1837, 1838, 1839.
TOME CINQUIÈME.
2.° PARTIE.
TOULOUSE,
IMPRIMERIE DE JEAN-MATTHIEU DOULADOURE,
RUE SAINT-ROME, N.° A1.
1839.
À
Du
PRE LAN
dÉrer
4 CT
CNET
HISTOIRE ET MÉMOIRES
DE
L’'ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES,
INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
DE TOULOUSE.
Seconde Partie.
INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
1837:
HISTOIRE,
SUJETS DE PRIX.
La Classe avait proposé pour le concours de
année 1837 la question suivante : Peut-on com-
parer les différentes phases de la littérature Ro-
maine aux différentes phases de la littérature.
Française, et en tirer quelques conséquences
pour Pavenir de cette dernière ?
Une médaille d’or d'encouragement de la valeur
TOME V. PART, IT, I
2 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
de 120 francs a été décernée à M. Héliodore
Casrircon, auteur d’un Mémoire sur ce sujet.
Pour l'année 1840, la Classe a proposé les sujets
suivants :
1.° L'Histoire de la ville de Narbonne ;
2.0 L'Histoire de Lugdunum Convenarum, au-
jourd’hui Saint-Bertrand de Comminges (Haute-
Garonne ).
Le prix sera une médaille d’or de la valeur de
500 francs.
HISTOIRE
DES OUVRAGES DE LA CLASSE DES INSCRIPTIONS ET
BELLES-LETTRES PENDANT L'ANNÉE 1037.
La Classe des Inscriptions et Belles-lettres, insti-
tuée pour réunir les documents de notre histoire,
pour décrire nos monuments, pour accroître nos
connaissances en tout ce qui est relatif aux pensées,
aux systèmes , aûx habitudes et aux coutumes des
peuples anciens, s’est acquittée de ce soin impor-
tant, sans négliger les études quistiennent de plus
près à la constitution et aux besoins des Sociétés
modernes. |
À une époque où des esprits distingués s'élèvent
avec force contre les études qui nous mettent en
rapport avec les nations anciennes , il appartenait
à la Classe des Inscriptions et Belles-lettres de
défendre le passé, de montrer son influence sur
le présent, et l'empire qu'il doit exercer sur la-
venir. Cest ce que M. Tayan a fait dans un Dis-
cours sur l’utilité de l'étude des langies anciennes.
Cet ouvrage échappe à Vanalyse. Pour en sentir
tout l’à-propos, toute lutilité, il faut le lire en
entier , et le Comité de librairie et d'impression
en a ordonné la publication.
1,
M. Tasan:
4 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
DÉS La faveur avec laquelle beaucoup de personnes
” ont accueilli l'Enseignement mutuel, les craintes
d’un très-orand nombre d’autres, ont inspiré à
M.Garmex-Arnouzr le sujet d’un opuscule intitulé :
Note sur le vrai motif qui fait repousser l’Ensei-
gnement mutuel. Mais ce Mémoire ayant déjà été
imprimé dans les journaux , n’a pu occuper une
place dans les Actes de l'Académie , et elle a dû se
borner à en ordonner la mention dans l'Histoire de
ses travaux.
Mlemarquis Dans des Considérations sur la pensée et l’ex-
D’AGUILAR. . ; 11:
pression de la pensée, M. »’Acuirar s'élève aux
plus hautes considérations. « Ce n’est point, dit-il,
par le perfectionnement des arts, des sciences, de
l’industrie , que nous parviendrons à une parfaite
civilisation ; cest par la morale : et sur quelle
base la morale peut-elle être mieux établie que sur
les croyances religieuses ? Je dirai plus, je ne me
‘fais d'idée d’une entière et parfaite civilisation
que dans l’unité de ces croyances, car les croyances
religieuses qui se fractionnent et qui se mettent à
la disposition de chacun, pour en faire ce que bon
lui semble, laissent le champ libre à toutes les
erreurs , à tous les désordres , à toutes les folies,
à toutes les extravagances qui peuvent affliger la
raison humaine; je laisse aux esprits impartiaux et
éclairés, à décider où se trouve cette unité. Je
n'irai pas plus loin; je ne chercherai pas non plus
à m’élever plus haut ; il y a un point d’élévation
auquel l’homme ne peut atteindre ; malheureuse-
HISTOIRE. 5
ment il est enclin à descendre trop bas, et c’est
de là que naissent tous les crimes , tous les désor-
dres, tous les excès qui bouleversent le monde
moral. »
Continuant ses Recherches historiques sur la
ruine de l'empire de Babylone, M. V'Abbé Jaume
résume ainsi ses travaux chronologiques :
« J’avance, comme un fait incontestable, que
le commencement du règne de Cyrus sur les Perses,
Fut la 1.re année de la 55.me olympiade, c’est-à-dire,
la 560.me avant l’ere chrétienne. Cette époque coïn-
cide parfaitement avec celle que tous les anciens
chronologistes Grecs ont donnée au règne de Cyrus
sur l’empire de Babylone. Jules Africain, cité par
Eusèbe, nous assure que Diodore, Thellus, Phlé-
gon , Castor, Polybe et tous les autres historiens
et chronologistes , sont d’accord sur le commen-
cement de cette dynastie. Ainsi, la 1.7 année de
la 55.%e olympiade devient une vérité chonolopi-
que pour fixer l’année du triomphe de Cyrus : cette
année , à la vérité, comprend les six derniers mois
de lan 560 avant Jésus-Christ , et les six premiers
de Pan 559, parce que les années olympiques
duraient d’un solstice d'été à l’autre.
» S'il fallait fatiguer votre attention du résultat
des calculs astronomiques, je pourrais vous rap-
peler les dates des trois éclipses rapportées par
Ptolémée. La première éclipse de lune parut
dans la septième année du règne de Cambyse,
. successeur immédiat de Cyrus, c’est-à-dire, le 17
YTUus ; ; ]
M. l’Abhé
JANME.
6 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
du mois Phamenot, à une heure 50 minutes avant
minuit, l’année 225 de l’ère de Nabonassar, c’est-
a-dire, du 16 au 17 juillet de année 523 avant
Jésus-Christ. Je dis du 16 au 17, parce que les
jours alexandrins dont se servaient les astronomes,
commencaient d’un midi à l’autre.
» La seconde éclipse de lune arriva le 28 du
mois Epiphi, lan 245 de ère de Nabonassar, ou
du 19 au 20 novembre de l’année 502 avant Jésus-
Christ , et la 20.M€ année de Darius, successeur
du Mage qui avait régné cinq mois après Cambyse.
La troisième éclipse arriva au mois de 75bi, du
3.me au 4.me jour de lan 257 de l'ère de Nabo-
nassar, le 25 avril de l’année 497 avant l’ère vul-
gaire, et le 31."e du règne de Darius Hystaspe.
» De ces observations astronomiques , il faut
nécessairement conclure que le règne de ce Darius
ne peut être placé qu'entre le 19 novembre 522
avant Jésus-Christ, et le 25 avril 521; car ce roi
n’occupa pas le trône avant le 19 novembre 522,
lors de la seconde éclipse, puisqu'il n’aurait pas
encore atteint à cette époque la 2.%° année de
son règne. Si l’on place le commencement de sa
puissance après le 25 avril de lan 525, il serait
retardé; de manière qu’au mois d'avril 49, lors
de la troisième éclipse, Darius n’aurait pas encore
atteint 30 années de royauté, ce qui est contraire
aux observations et calculs des astronomes, Donc
le Darius fils d'Hystaspe n’a commencé de gou-
verner l’empire de Babylone que vers la fin de
l'année 522 avant Jésus-Christ, Ce retard ou cette
HISTOIRE. 7
lacune a été vraisemblablement occasionné par les
suites des bouleversements de l’état, commencés
l'année 521.
» D’après tous les historiens, entre Cyrus et
Darius Hystaspe , il n’a existé que Cambyse, qui
a régné sept ans et cinq mois, après le faux Mède,
qui occupa le trône de Perse le reste de cette
même année. Donc le terme du pouvoir de Cyrus
doit être fixé en 529 avant l'ère chrétienne, puis-
que les auteurs les plus anciens s'accordent à lui
donner trente ans de règne au moins commencés.
Ainsi ce prince monta sur le trône des Perses
vers 559 ou 560, ce qui nous autorise à placer sa
domination sur Babylone, vers lan 538, puisqu'il
ne régna que huit ans sur cet empire, suivant le
canon astronomique et les «autres monuments.
Cette époque répond à l’année 218 de Père de
Nabonassar, rapportée dans ce même canon. Ce
fat cette même année 538 avant lère chré-
tienne, que Babylone fut prise par Cyrus, et que
s’'accomplit la prophétie de Daniel sur Balthasar ,
Van du monde 3636, suivant Xénophon, Jérémie
et Hérodote.
» Mais, dira-t-on, comment , ce Darius Mède
et Cyrus s'étant emparés de Babylone, le premier
at-il été préféré au second, et peut-il être le Na-
bonide du canon de Ptolémée, ainsi que nous la-
vons avancé ; car ce Nabonide, suivant cette même
autorité, occupa letrône de Babylone dix-sept
ans, et sa domination finit l’an 209 de l’ère de
Nabonassar ?
(e] INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
» Pour vaincre cette difficulté, il me suffira de
transcrire les observations que M. Gibert, membre
de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres de
Paris , a fait sur différents exemplaires du canon
astronomique, consignés dans le 31.me volume
de ce corps savant. Je n’oublierai pas de vous faire
part des conjectures qu’il a formées à cette occa-
sion.
- » Ce célèbre critique dit avoir vu différentes
éditions de ce canon, qui variaient sur les temps
des règnes particuliers. Il y a des éditions, dit-il,
où la somme des règnes se porte à 14, 15, 18,
19, et plus courte de dix-sept ans que dans d’au-
tres. Un canon des rois de Babylone, donné par
des auteurs ecclésiastiques, fait la somme du pre-
mier et du second règne plus longue de dix-sept
ans que le canon des astronomes, et sur les règnes
14, 15, 18et 19 , il suit le canon des astronomes
qui les fait plus courts de dix-sept ans. Ainsi, ces
variations qu’on trouve dans l’intervalle de Nabo-
nassar à Cyrus, roulent sur dix-sept etwtrente-
quatre ans ; ce qu'il y a de plus remarquable,
continue le même auteur, c’est que dans le même
intervalle, il y a , immédiatement avant Cyrus, un
règne qui, dans une édition, est de dix-sept ans,
dans d’autres, de trente-quatre, et dans quelques
listes, les nombres sont totalement omis.
» La combinaison de ces observations a fait
soupçonner à ce savant Académicien , que ce règne
qui se rapporte à Nabonide, n’était pas compris
dans le corps de la liste, et qu'il y était passé,
HISTOIRE. 9
par erreur de quelque copiste, de la marge ou
d’une colonne latérale où il était placé avec cette
note de dix-sept ans ou de trente-quatre, qu'on
assignait à sa durée; que pour gagner ensuite
l’excès que ces dix-sept ou trente-quatre ans pro-
duisaient dans l’intervalle de Nabonassar à Cyrus,
on les avait retranchés sur les règnes précédents.
» D’autres observations doivent changer encore
nos soupçons en certitude, c’est que depuis le
règne de Darius le Mède à Babylone jusqu’à celui
de Darius Hystaspe, qui assiégea de nouveau Baby-
lone révoltée, il y a précisément dix-sept ans d’in-
tervalle, et que les trente-quatre exprimaient sans
doute la totalité des années du règne de ce Darius
Mède, soit à Babylone, soit à Suze. On conçoit
ainsi qu’on ne peut rien conclure du canon astro-
nomique contre mon hypothèse, et que les varia-
tions même tournent à l'avantage de mes calculs.
Ainsi, en prolongeant le règne de Darius Mède,
pour me prêter à l'hypothèse du célèbre Bougain-
ville qui distingue deux dynasties Mèdes, et les
fait cesser l’une et l’autre à l’époque du triomphe
de Cyrus à Babylone ; mais en supposant , comme
je l’ai déjà fait , que ce Darius était lallié de Cyrus,
Pextension que je donne à son système ne peut
pas affaiblir mes conjectures. L'opposition dans
laquelle je me trouve avec M. Gibert, qui prétend
que ce Darius Mède est précisément le Cyaxare
de Xénophon , oncle de Cyrus, n’entraîne avec elle
aucun inconvénient dans mes suppositions. Du
reste, personne ne doit être étonné de la différence
10 INSCRIPTIONS ET BEBLES-LETTRES.
des noms de Darius et de Nabonide ; ces différents
noms n'étaient que des titres, ou noms communs
aux rois de Babylone, tels que celui de Pharaon à
ceux d'Egypte, et de César aux empereurs Ro-
mains. De là vient que presque tous les noms des
rois de Babylone commencent par Labo ou Nabo,
parce que les Chaldéens prononçaient lun pour
Vautre , ainsi qu’on le voit dans Bérose et les au-
tres auteurs qui ont écrit chez les Chaldéens. On
voit encore que ce nom désignait une divinité de
leur contrée, et devenait patronymique dans la
race de leurs rois. Voilà pourquoi les noms
Nabopolassarus et Nabocolassarus, du canon de
Ptolémée, sont écrits dans quelques éditions ,
comme le remarque le père Petau, Labopolassarus,
Laboucolassarus ; voilà encore pourquoi Hérodote
appelle la plupart des rois de Babylone, Labynit
ou Eabynitus, parce que cet auteur fait souvent
le changement de lomicron à l’epsilon , suivant
la coutume des Grecs. Balthasar est aussi appelé
Nabon.
» Le nom de Darius était aussi un nom com-
mun aux princes, et ce vieux mot ne pourrait-il
pas venir de Dara, ancienne racine persane , qui
est encore en usage, et signifie Seigneur et domi-
nateur. Hérodote lui donne une acception moins
honorable , mais qui s’adapte encore mieux à notre
idée de la subordination de Darius Mède à Cyrus;
cet historien célèbre Va traduit par le mot
d’Epéeins Coactor, coercitor.
» J’aiencore avancé, Messieurs, que le Balthasar,
HISTOIRE. La
dernier roi des Chaldéens , mis à mort le même
jour de la prise de sa capitale par Cyrus, était fils
de Nabuchodonosor. Cette hypothèse se trouve
conforme au récit de Daniel, se concilie avec le
canon astronomique, la chronologie de Bérose et
Mégasthel , et les faits incontestables de cette
histoire consignée dans nos livres saints.
» En effet, Nabocolassar, ou Nabuchodonosor,
second fils de Nabuchodonosor I, eut dans le
cours de son règne une maladie, qui, pendant sept
années, le fit vivre parmi les animaux; il est très-
probable que pendant ce temps-là, Balthasar son
fils prit d’abord en main les rènes du gouverne-
ment; qu’au bout de deux ans, il fut déposé et en-
fermé par les menées de Nériglissoor ou Nergel-
sereser, son beau-frère, qui se mit à sa place;
que ce Nériglissoor ayant régné quatre ans, fut
lui-même détrôné et mis en prison par son propre
fils Laborosoarchod, encore tout jeune, mais dont
la méchanceté avait devancé l’âge; ses inclinations
parurent si dangereuses à ses propres amis, qu'ils
le déposèrent au bout de neuf mois, et firent re-
monter sur le trône Nabuchodonosor, dont la
pénitence était accomplie, et qui avait repris son
premier état : Eco Nabuchodonosor, dit ce prince
lui-même dans Daniel, oculos meos ad cœlum
levavi, et sensus meus redditus est mihi, et opti-
mates mei, et magistratus mei requisierunt me ;
et in regno meo restitutus sum.
» Voilà , Messieurs, la source véritable d’où
ürent leur origine les successeurs que lhistorien
12 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Bérose donne à Nabuchodonosor , dans le fragment
cité par Josephe. On y voit Evilmérodach occuper
le trône pendant deux ans. Après Nabuchodonosor,
c’est Balthasar, auquel succéda Nériglissoor, auquel
Bérose donne quatre ans de règne, lui faisant suc-
céder Laborosoarchodus pendant l’espace de neuf
mois seulement, lequel prince a été confondu par
le père Pétau , avec le Balthasar vaincu par Cyrus.
Il est bon et nécessaire de vous faire observer que
ce sont là les successeurs que Nabuchodonosor eut
pendant sa maladie, et que Bérose a cru avoir été
ses successeurs immédiats. Voyons le canon de
Ptolémée; il va nous donner la nomenclature des
successeurs de ce prince. À peine Nabuchodonosor
fut-il mort, que Nériglissoor, plus habile que Bal-
thasar, le prévint, remonta sur le trône, laissant
son frère prisonnier. Ce roi est celui que Ecriture
appelle Evilmérodach , et le canon 1/voradam.
» Après un règne de deux ans, Balthasar, au-
quel Bérose donne le nom d’Evilmérodach , re-
monte aussi sur le trône de son père, et après
avoir régné quatre ans , il est tué au siége de sa
capitale, et son royaume divisé entre les Mèdes et
les Perses, c’est-à-dire, entre Darius et Cyrus.
Rien de plus propre à établir ces conjectures sur
ces différences d’époques fixées par Bérose et Pto-
lémée, que de réfléchir un instant sur ces règnes
divers, qui donnent précisément la somme des
années écoulées dans ces intervalles. En effet, les
rois désignés dans le fragment de Bérose, réonè-
rent pendant l’espace de sept années, et c’est la
HISTOIRE. 13
précisément la durée du temps, fixée par nos livres
saints, de la maladie de Nabuchodonosor, tandis
que les rois inscrits dans les canons, ne régnèrent
que six ans, et qu’il ne reste que le même nombre
d'années à leur donner , entre la mort de Nabucho-
donosor et la prise de Babylone par Cyrus. Bien
plus, Daniel nous apprend dans plusieurs en-
droits de ses prophéties, que le dernier roi de la
Chaldée, fils de Nabuchodonosor , fut tué la même
nuit du jour auquel il avait eu le songe qui lui
annonçait sa triste destinée. Ce prophète nous fait
même reconnaître quelques événements de la troï-
sième année de ce prince, au lieu que le dernier
des trois rois de Babylone que Bérose place avant
Nabonide, et que le père Pétau confond avec
Balthasar , n’était que le petit-fils de Nabuchodo-
nosor par sa fille, qui n'avait resté sur le trône
que neuf mois , lorsqu'il fut tué par ses propres
amis. »
Dans une Dissertation intitulée : Des Péleri-
nages , M. de Mortarieu a rassemblé tout ce que
l'antiquité, tout ce que le moyen-âge et les his-
toriens modernes racontent sur ces saints voyages.
Il fait connaître les opinions des philosophes mo-
dernes à ce sujet, surtout celles de Boulanger;
mais il rapporte aussi celles de Baronius, de saint
Jérôme , et d’une foule d’autres écrivains. Il rap-
pelle que les confesseurs imposaient à leurs péni-
tents l’accomplissement d’un ou de plusieurs
pélerinages en expiation de leurs fautes , et que les
M. »E
MorTARIEU,
M. Du Méce.
14 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
juges les transformèrent en châtimens ; il recher-
che chez les chrétiens l’origine de ces pieuses visites
des lieux consacrés, et il nous montre sainte Hé-
lène accomplissant celui de Jérusalem ; empereur
Valentinien, Eudoxe sa femme, Placidie sa mère,
Pepin, Charlemagne et une foule d’autres souve-
rains, remplissant la même pratique de dévotion,
ou la faisant remplir pour eux ; enfin il recueille
tout ce qu’on a dit jusqu’à présent contre les péle-
rinages.
Le même auteur a lu à l'Académie un Mémoire
intitulé : De la Condition des étrangers dans la
monarchie française. Cet ouvrage est imprimé
en entier dans ce volume.
La destruction successive de nos grands mo-
numents religieux, ou lappropriation , plus ou
moins inconvenante , de la plupart d’entreux, a
souvent inspiré: à M. du Mège des réclamations
contre ce vandalisme de notre âge; il les a renou-
velées dans son Mémoire intitulé : Saint-Etienne
d’Agen.
DISSERTATIONS
ET
MÉMOIRES.
DISCOURS
SUR L'UTILITÉ
DE L'ÉTUDE DES LANGUES ANCIENNES,
Prononci à La seconde Séance publique 5e 1837 ;
Par M. TAJAN, Président de l’Académie.
Dspvis le commencement du 19.° siècle, l'étude
des langues anciennes a fait l’objet d’une vive con-
troverse. Des esprits très-élevés, mais peu en-
thousiastes des littératures que l'antiquité nous a
lécuées, ont accepté, avec conviction, et dans
toute son amertume, ce vers de dépit, empreint
d’une ironie dédaigneuse, et peut-être trop injuste
par sa généralité :
« Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ? »
D’autres écrivains, d’un jugement non moins
éprouvé, et certainement plus justes, pénétrés
d’un saint respect pour les magnifiques créations
qui ont fait la gloire et les délices de tant de siè-
cles, n’ont cessé d'appeler toutes les intelligences à
l'étude de ces vieilles langues, riches de tant de
merveilles.
TOME V. PARTe II 2
19 INSCRIPFIONS ET. BELLES-LETTRES.
La question est grave : elle a été sérieuse-
ment examinée dans les corps scientifiques, dans
les réunions littéraires et dans les concours pu-
blics. Elle a été, pour la presse, le sujet fécond
d'une ardente polémique. Naguëre encore elle a
été portée, avec une sorte de solennité, à la tri-
bune nationale et mêlée à des débats politiques,
comme pour ajouter à son importance; et cepen-
dantelle n’a pas reçu jusqu’à présent une solution
définitive.
Il ne faut pas s’en étonner : cette question est
une de celles dont la destinée est d’être débattues
sans cesse et de n’être jamais résolues, parce
qu’il y a trop d’exagération et de vivacité dans les
deux opinions opposées; que chacune d'elles est
trop absolue et trop exclusive; que toutes deux
ont des arguments puissants pour le combat, et
qu’il y a impossibilité réelle de concilier leurs exi-
gences.
Pour réunir les deux extrêmes, et mettre un
terme à cette lutte affligeante , il faudrait trouver
un système d’études qui püût être agréé par les deux
partis. Mais comment créer ce système, et sur-
tout comment létablir ? Le seul qui pourrait per-
mettre d'espérer une heureuse conciliation, serait
d’assigner à. létude des langues anciennes, des li-
mites telles que les maïîtres fussent obligés de se
renfermer dans le cercle qui leur aurait été tracé,
et que, de leur côté, les élèves fussent condamnés
à faire violence à leur jeune ambition, pour borner
cette étude, quelque charme d’ailleurs qu’elle pût
MÉMOIRES. 19
avoir pour eux, aux proportions restreintes qui au-
raient été déterminées.
.+On le conçoit davance : il suffit d'indiquer un
pareil système, pour reconnaître l’impossibilité de
le réaliser ; et c’est cette impossibilité qui a main-
tenu , de génération en génération, et qui main-
tiendra , longtemps encore, ces méthodes d’études
et ces traditions classiques, qui, dans les derniers
temps surtout, ont suscité des antipathies si
amères et de si violents contradicteurs.
Avons-nous donc tant à nous plaindre de cette
persévérance dans le culte des classiques ? Y a-t-1l
quelque danger à ce que nos enfants forment leur
raison et leur goût d’après les principes et les doc-
trines littéraires qui nous ont été enseignés ; que
leur jeune intelligence soit exercée sur les mo-
dèles qui ont servi à notre propre instruction ?
Est-il quelqu'un d’entre nous qui soit disposé à
désavouer ses maîtres, à rougir des leçons qu’il
en a reçues, à répudier enfin les auteurs qui ont
charmé sa jeunesse ?
Soyons justes pourtant : dans notre société,
composée de caractères si divers et si féconds en
contrastes, il est vrai que l’on trouve des hom-
mes, très-éclairés d’ailleurs, qui, par leur posi-
tion actuelle dans le monde et le genre d’exis-
tence qu’ils ont adopté, regrettent, de bonne foi,
d’avoir consacré leurs plus beaux jours à étudier
des langues dont ils ne font maintenant aucun
usage, et des auteurs qu’ils ne comprennent plus;
mais il faut reconnaître aussi, qu'à côté de ces
à:
20 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
hommes il en est un plus grand nombre qui;
fidèles à leurs premières impressions, et poussés à
la vie littéraire par les dispositions de leur esprit,
ou par la profession qu'ils ont embrassée, n’ont
jamais cessé d’être en commerce avec ces langues
et ces auteurs, dont des études approfondies leur
ont révélé les beautés; et leur enthousiasme s’est
accru par la comparaison.
Je ne blâme pas indifférence des premiers;
mais enthousiasme des autres n’a rien que de léoi-
time. Il ne blesse aucunement les priviléges de la
langue nationale ; il ne refuse à cette ne au-
cune des bre qui lui ont valu la prééminence
dont elle jouit sur la plupart des langues moder-
nes; il ne diminue en rien , surtout, le prodigieux :
éclat de la littérature française,telle que nos grands
écrivains nous l’ont faite.
En effet, Messieurs, les langues sont les instru-
ments de la pensée de l’homme; mais chaque
langue a son génie particulier. Si tous les hommes
avaient été réunis en un seul corps de nation, ils
n'auraient eu qu’une langue commune pour ex-
primer leurs idées et dass entr'eux tous les
rapports de la vie civile; et comme cette langue
unique aurait également servi à traduire toutes
les créations de l'esprit, il n’y aurait eu qu’une
seule littérature.
Mais 1l n’en est pas ainsi : le genre humain, dis-
persé sur les diverses parties du globe, s’est divisé
en plusieurs corps de nation : chaque corps de na-
tion a formé un peuple et une société indépen-
MÉMOIRES. 21
dante : chaque penple a eu sa langue , ses lois, ses
croyances, son culte, ses mœurs, ses usages; et
comme la littérature est le reflet, plus ou moins
exact, de la société où elle a puisé ses éléments,
il est évident que tous les peuples ont une littéra-
ture qui leur est propre.
Ce n’est pas, Messieurs, que j’admette comme
une vérité démontrée le principe absolu, professé
par un des écrivains les plus renommés de notre
époque, et d'apres lequel la littérature serait lex-
pression de la société. Ce principe, que d’autres
écrivains, non moins distingués, ont attaqué avec
une grande puissance de raison, manque de jus-
tesse ; car il est des peuples dont la littérature est
en contradiction avec leurs mœurs; mais, quelle
que soit la portée de la pensée de M. de Bonald,
il est certain, toutefois, que si la littérature n’est
pas lexpression de la société, dans un sens ab-
solu , elle en exprime quelquefois, d’une manière
plus ou moins parfaite, les moeurs, les besoins et
les doctrines.
Quoi qu'il en soit, il est constant au moins que
chaque peuple a sa langue et sa littérature; mais
doit-on conclure de ce fait, qu’il ne faut étudier
que la langue et la littérature de sa nation, et
qu’il faut soigneusement écarter de nos études les
langues et les littératures étrangères ? Doit-on en
conclure également qu’il faut proscrire avec mépris
toutes ces littératures anciennes qui ont traversé
les siècles pour parvenir jusqu’à nous, et se borner
strictement à l'étude des littératures. modernes ?
22 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Si de pareilles conséquences étaient admisés , il
faudrait donc rejeter d’abord tout ce que les let-
tres ont produit de bon et de beau chez toutes les
nations qui occupent aujourd'hui la scène du
monde ! Il faudrait ensuite répudier le passé, et
avec lui, toutes ces magnifiques créations de les-
prit humain, toutes ces œuvres de génie que les
siècles ont amassées depuis l’origine des sociétés,
et réserver exclusivement nos études, nos sympa-
thies et nos hommages pour la littérature na-
tionale.
Ce n’est pas, Messieurs, que notre ambition et
notre orgueil ne pussent être également satisfaits
en étudiant les monuments impérissables de cette
littérature enchantée; mais pourquoi cette pros-
cription de toutes les littératures étrangères à la
nôtre ? Sans parler ici des diverses littératures
de nos jours, qui appartiennent à d’autres peuples,
craindrait-on que notre littérature se dégradät en
puisant encore dans les trésors des littératures clas-
siques, ou en imitant quelques-unes de leurs
formes ? Mais si c'était là une dégradation , il y a
longtemps que notre littérature serait dégradée.
Pourquoi le dissimuler : il est tres-vrai que les
langues grecque et latine ont exercé une grande in-
fluence sur les lettres françaises ; mais il serait in-
juste de ne pas reconnaître que cette influence, loin
de leur avoir été funeste, leur a été, au contraire,
d’un prodigieux secours; et s’il était possible de
comparer notre littérature, telle qu’elle est au-
jourd’hui, avec ce qu’elle aurait été sans les imi-
MÉMOIRES. 23
tations qu’elle s’est permises , on conviendrait
bientôt que c’est à cette influence qu’elle est rede-
vable d’une partie de ses beautés.
Que l’on parcoure les différentes phases de sa for-
mation ; depuis le commencement de la langue fran-
caise, c’est-à-dire, depuis le 13.e siècle, signalé par
les sermons de saint Bernard, jusqu’à François Ier,
et depuis le règne de ce prince, jusqu'au siècle de
Louis XIV, et l’on verra qu’à chaque période , la
littérature française a progressivement étendu son
domaine par le secours des littératures classiques ,
sans rien perdre de sa nationalité.
Cette nationalité, du reste, en remontant à l’ori-
gine de nos plus anciens monuments littéraires ,
est assez équivoque ; car, à ces époques de confu-
sion et d’anarchie, elle n’a jamais été très-pure.
Malgré les recherches de nos savants et de nos
écrivains les plus laborieux, il a été impossible de
se former une idée exacte des idiomes dont on
faisait usage dans les Gaules, avant que ces con-
trées eussent été subjuguées par les Romains. Les
historiens sont réduits, à cet égard, à des con-
jectures d'autant plus vagues, qu'ils n’ont pu dé-
couvrir aucune trace de ces idiomes primitifs;
mais ce que l’on sait positivement, c’est que, sous
la domination romaine, les diverses races des
Gaules, divisées en provinces , adoptèrent où furent
forcées d'adopter la langue de leurs vainqueurs , et
que, dans la suite, les Francs et toutes les autres po-
pülations réunies au grand empire par la conquête,
furent également obligées de parler cette langue.
24 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Il eût été impossible, d’ailleurs, de se soustraire
à cette obligation. Indépendamment des volontés
du conquérant qui l'avait imposée, une loi, bien
plus puissante encore, en prescrivait laccomplis-
sement : c'était la loi de la nécessité. On ne pou-
vait aspirer à aucune dignité de l'empire , à aucun
emploi public, sans savoir le latin. Cette langue
était celle de l’état, du culte religieux, des tribu-
naux, des savants ; la seule qui fût honorée, pra-
tiquée par l'autorité publique, et admise, avec fa-
veur dans les usages domestiques. Aussi, à peine
eut-elle été introduite dans les Gaules, qu’elle fit
de rapides progrès ; et ces progrès furent tels, que
tous les peuples vaincus lemployèrent , après leur
incorporation à l’empire romain, dans tous les
rapports de la vie civile, et dans toutes les tran-
sactions de la vie sociale.
: Le latin fut donc la seule langue parlée dans les
Gaules, sous la domination romaine; mais lors-
qu'il fut parvenu à son apogée, il dégénéra , s’al-
téra insensiblement et finit par se corrompre
tout-à-fait, après l’invasion des barbares : ‘et ce
fut par leffet de cette invasion, et de l’état d’a-
narchie qui la suivit, que naquit et se forma pro-
gressivement cette langue romane, composée des
mots latins les plus usuels, et d’autres mots dont
la racine, également latine, était dissimulée sous
les formes de lidiome’ franc.
Ce fut donc la langue romane qui servit d’in-
troduction à la langue française; et l’on voit, par
ce rapprochement des origines de ces diverses lan-
MÉMOIRES. 25
gues , que le français a trouvé ses principales ra-
cines dans le latin. Telle fut, au surplus, lin-
fluence de la langue latine, alors même que le
français était devenu la langue vulgaire, que les
ouvrages religieux, les lois, les traités, et même
plusieurs contrats d’un intérêt privé, étaient écrits
en latin , et que Louis XIT, et après lui FrançoisL.®",
furent obligés de prescrire lusage exclusifet absolu
de la langue française dans les actes publics.
I ne faut donc pas être étonné, Messieurs, si
nos bons auteurs ont eu une prédilection particu-
lière pour la langue latine; s'ils Pont étudiée avec
amour ; s'ils se sont exercés pour en saisir tous les
genres de beautés; s'ils ont interrogé son génie;
enfin, s'ils y ont cherché des inspirations pour fé-
conder celles qui leur étaient propres, et accé-
lérer les progrès et les perfectionnements de la
langue française. Cétait là la pensée de Marot,
Malherbe, Montaigne, Vaugelas et Balzac. Cé-
tait aussi celle des principaux écrivains et des plus
grands poëtes du siècle de Louis XIV; et quoique
tous ces hommes, d’une haute intelligence, aient
cultivé la langue latine avec plus ou moins de
suite, il serait injuste de prétendre que la littéra-
ture qu'ils ont produite n’est qu’une littérature
d'imitation.
La littérature que nous possédons a, sans doute,
conservé, dans quelques-uns de ses éléments, les
empreintes de la littérature latine, sous l'influence
de laquelle ces éléments ont été créés; mais il ne
faut pas oublier que la langue française est d’ori-
26 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
gine latine, et que la littérature dont cette langue
a été l’instrument, à dû nécessairement se res-
sentir de son origine. Cela n’empêche pas qu’elle
nait son caractère distinctif, et que sa nationa-
lité, telle que je l’ai déjà signalée, ne soit entière
et parfaite.
Il en est de même relativement à l’influence que
la littérature grecque peut avoir exercée sur la
nôtre.
Observons d’abord que la langue d’Homère était
presque inconnue de nos ancêtres pendant le
moyen-âge. On trouve seulement quelques traces
de la mythologie grecque dans nos vieux auteurs.
Ce ne fut que dans le 12.° et le 13.° siècle que les
premières études du grec eurent lieu : il ne se ré-
pandit guère, en France, que pendant la seconde
moitié du 15.°, époque à laquelle s’accomplit la
dispersion de l’élite de la nation grecque, après la
prise de Constantinople.
Dès ce moment, et sous la protection spéciale de
François I.er, les modeles grecs furent étudiés, et
devinrent l’objet de quelques imitations. Bientôt
cette étude se développa, s'agrandit , s’étendit
dans la proportion la plus élevée. Plus elle fut
suivie, plus on découvrit de beautés inconnues.
La littérature grecque fut explorée dans toutes ses
parties avec cette ardeur qui s'attache aux inves-
tisations dont on attend de grandes découvertes.
Nos historiens, nos orateurs et nos poëtes puisè-
rent dans cette source féconde; ils y trouvèrent
le récit plein de charmes des événements merveil-
MÉMOIRES. 27
leux qui avaient agité la Grèce dans les temps hé-
roïques , l’histoire des guerriers et des conquérants
qui l'avaient illustrée, les écrits de tous.ces autres
grands hommes dont les œuvres sublimes ont fait
la gloire et limmortalité; et la passion des lettres
grecques devint une des passions dominantes de
Pépoque.
La littérature grecque, comme la littérature
latine, a donc fourni à nos écrivains des modèles,
des formes, des images et des sujets d'inspiration
dans tous les genres. Mais quelle qu’ait été Pin-
fluence de ces deux littératures sur la nôtre, la lit-
térature française n’en a pas moins un cachet par-
ticulier; et l'éclat dont elle brille n’est pas un
éclat d'emprunt. Assez riche de son propre fonds,
parée de tous les avantages dont la belle imagina-
tion des auteurs français et leur goût exquis l'ont
revêtue , elle n’a fait qu'augmenter ses trésors, par
l'exploration des auteurs anciens ; et tout ce qu’elle
leur a emprunté, elle a su se l’approprier avec
habileté, en l’accommodant à nos mœurs, à notre
caractère, à notre genre d'esprit, et surtout en
ajoutant aux grâces, déjà si pures, du grec et du
latin, les délicatesses infinies de la langue fran-
çaise. Il est impossible d’ailleurs de contester que
le génie de notre langue a été assez puissant pour
fournir à ceux de nos philosophes , de nos orateurs
et de nos poëtes qui ont été le mieux inspirés, des
beautés originales dont on chercherait en vain des
traces dans les vieilles littératures, et que ceux
des éléments de ces littératures admirables, que
28 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
nos écrivains ont eu la noble audace d’imiter , ont
subi cette transformation difficile, sans rien perdre
de leur éclat.
Reconnaïissons donc, Messieurs, qu'il y a eu
pour nous profit et gloire d'étudier et de cultiver
les anciens; et puisque cette étude, au lieu de
nuire à la littérature nationale , a ouvert, au con-
traire, devant elle, une carrière magnifique, qu’elle
a honorablement parcourue, puisque les langues
classiques ont contribué à lui procurer la splen-
deur dont elle jouit, sans affaiblir le caractère de
grandeur qui lui est propre, pourquoi craindrions-
nous de recommander aux jeunes disciples de nos
doctrines , le culte des littératures que ces langues
ont formées ?
Ah ! sans doute, sil fallait répudier ces œuvres
de science, d'enthousiasme et de goût, que nos
auteurs ont produites, d’après leurs propres inspi-
rations , et sans aucun secours étranger ; s’il fallait
proscrire tous les travaux sublimes dont nous
sommes redevables à leur génie, pour adopter
aveuglément , et sans partage, les modèles que les
langues d'Homère et de Virgile ont placés sous nos
yeux, je m'élèverais avec véhémence contre un
système d'exclusion si dégradant, parce qu’il au-
rait pour résultat de déshériter la patrie de la plus
pure de ses gloires, et de condamner le génie fran-
çais à la plus humiliante servilité. Alors il serait
vrai de dire que cette littérature de progrès, que
nous nous efforçons de créer, ne serait qu’un pâle
reflet des littératures classiques; qu’elle n'aurait
MÉMOIRES. 29
d'autre caractère que celui de limitation ; qu’elle
serait dépouillée de toute nationalité, et qu’elle
n'aurait aucun des charmes de la littérature que
nous aurions renlée.
Mais ce n’est pas là, Messieurs, ce que deman-
dent les partisans des études classiques, même
ceux qui sont le plus enthousiastes de ce que les
lettres grecques et latines ont produit de plus bril-
lant. Ils veulent seulement que ces deux langues
soient étudiées comme des auxiliaires puissants de
la nôtre; et lorsqu'on sait tout ce que ces belles
études ont valu d'illustration aux lettres françaises,
il serait difficile de ne pas accueillir ce vœu.
(Ici, l’orateur rend un compte sommaire du concours
de l’année.)
30 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
DE LA
CONDITION DES ÉTRANGERS
DANS
LA MONARCHIE FRANÇAISE ;
Par M. De MORTARIEU.
S: quelque trait distingue particulièrement les
peuples anciens des peuples modernes, c’est bien
sans contredit cet empressement religieux avec
lequel le voyageur était autrefois accueilli. L’hos-
pitalité, cette vertu si négligée de nos jours, était
pour ainsi dire dans tous les cœurs. Presque chez
toutes les nations un asile était ouvert aux fugitifs ;
et non-seulement ils y trouvaient une généreuse
hospitalité , ils y recevaient encore des soins com-
patissants et affectueux. Quatre siècles avant notre
ère, le prophète Ezéchiel (1) avait dit chez les
Hébreux : « Que les étrangers qui viennent à vous,
qui se sont établis au milieu de vous, soient pour
(1) Advenœ qui accesserint ad vos, et genuerint fulios in
medio vesträm, erunt vohis sicut indigenæ.
te
MÉMOIRES. 31
vous comime s’ils étaient indigènes.» Peu de temps
après, Alexandre le Grand avait proclamé à Ma-
cédoine le même principe : « Tous les hommes sont
frères, avait-il dit; il n’y a d'étrangers que les
méchants.» La Perse, que les Grecs traitaient de
barbare, offrit toujours aux fugitifs un libre accès
sur son territoire. C’est dans son sein que Thé-
mistocle , Alcibiade et tant d’autres illustres exilés,
avaient cherché un refuge; et malgré le mal qu’ils
avaient fait à cette nation , ils y trouvèrent dans
la munificence du souverain , une juste réparation
des persécutions que leur ‘avait fait éprouver leur
ingrate patrie. Les Gaulois avaient aussi, dès l’an-
tiquité la plus reculée , rendu hommage à l’hos-
pitalité (1). Du plus loin qu’ils apercevaient un
étranger, ils couraient à sa rencontre, l’entrat-
naient dans leur maison , et le comblaient d’égards
et de prévenances. Enfin, les Grecs et les Romains
ne se montrèrent pas moins généreux. Chez eux,
Phospitalité avait des temples (2), et les devoirs
qu’elle imposait, étaient si sacrés à leurs yeux,
que personne ne pouvait s’en affranchir. À Rome,
de même qu’à Athènes , dans la plupart des mai-
sons riches, il y avait des quartiers uniquement
destinés aux étrangers (3). Les plus illustres ci-
(1) Diod. Sic. — Cæs. de Bell. gall. Gb. vr. — Aristoteles.
(2) Pind. Olymp. od. virr. — Plutarq. d’Amyot. Paris,
1575, v. 11, p. 610. Voy. aussi l’abhé Banier.
(3) Vitruv. Architect. hb, 1x, c. x. — Tit. Liv. bb. 1x,
C. XIV.
32 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
toyens les admettaient à leur table, leur prodi-
guaient les soins les plus empressés, et ne les
laissaient partir qu'après leur avoir donné les mar-
ques du plus vif intérêt.
Toutefois, cette sorte de piété que manifestaient
les anciens à l’égard des étrangers , ne leur faisait
pas oublier les précautions que commandait une
sage politique. Autant ils se montraient empréssés
envers les voyageurs qui traversaient leurs foyers,
autant ils manifestaient de la méfiance envers ceux
qui formaient un établissement sur leur-territoire.
Une fois la dette de l'humanité payée, ils croyaient
avoir accompli leur tâche ; ‘et l'étranger ne devait
plus attendre d’eux aucun secours. Pour peu même
que son séjour se prolongeaät, ce n’était plus un
hôte qu’ils accueillaient , c’était un étranger dans
toute la force de l'expression , ou plutôt c'était un
ennemi, car dans la plupart des langues, ces deux
termes étaient synonymes (1); et l’on peut dire
- que s’ils l'avaient vu avec plaisir aborder sur leurs
côtes , ils n éprouvaient pas moins de satisfaction
à le voir s’éloigner.
Ces sentiments divers n'étaient pas néanmoins
dénués de fondement : un étranger se présentait
il, ce n’était d’abord que la voix de l’humanité
qu’on écoutait. Peut-être était-ce un fugitif, une
victime injustement persécutée ; peut-être était-il
dépourvu des choses les plus nécessaires à la vie :
(:) En grec, aAAaguor, æAXotÜveIS | &AAYEVELS | TporyAUXI ,
téomxoi. En latin, peregrini, exteri, advenæ , hostes.
MÉMOIRES. 33
comment lui refuser un asile? comment ne point
alléger la fatigue qui Paccable ? Mais, d’un autre
côté, devait-on négliger les soins de sa propre
conservation ? Celui qui venait ainsi s’asseoir au
banquet de l'hospitalité, ne pouvait-il pas être
guidé par des projets hostiles? ne pouvait-il pas
par ses principes, ses exemples, exercer une per-
nicieuse influence? Ce que les anciens appréciaient
par-dessus tout, c’étaient leurs lois , leurs mœurs,
leur culte , leurs coutumes (1). Toute innovation
leur paraissait dangereuse; et leur sang même
était moins pur à leurs yeux par cela seul qu’il
s'était mélangé. Cet orgueil national qui dominait
autrefois dans toutes les républiques, cet amour
de la patrie, si souvent invoqué de nos jours, et
pourtant si rare, leur faisaient regarder comme
au-dessus de toute autre nation le pays qui leur
avait donné le jour. Les traditions de leurs ancè-
tres étaient pour eux un objet de culte, et ils
craignaient surtout de les altérer.
Cest par suite de ces principes que la plupart
des républiques anciennes étaient dans lusage de
prendre vis-à-vis des étrangers des mesures de
précaution. Lacédémone s'était fait une loi de
r’entretenir avec eux ni commerce, ni rela-
tions (2); Athènes leur avait assigné un quartier
particulier dans ses murs (3); et Rome deux fois
(1) Platon , Traité des Lois, lv. 117. — Strabon, liv. xv.
(2) Hérodote. — Plutarchus.
(3) Gælius Rhodiginus. Lect. Antig. Ub. 17, cap. 9.
3
TOME V. PART, II.
34 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
les chassa de son sein (1). Enfin, privés partout de
toute participation aux affaires publiques , ils ne
pouvaient remplir aucune charge, aucune magis-
trature, ni exercer même la plupart des droits
civils (2).
Cette sorte d'incapacité dont la loi frappait les
étrangers, était d'autant plus pénible, que ce n’é-
tait qu'avec une extrême difficulté qu'on pouvait
s’en affranchir. Lacédémone , quelque service qu’on
ait pu lui rendre, ne voulut jamais conférer à un
étranger les droits de citoyen (3). Corinthe n’ac-
corda ce privilége qu’à Hercule et à Alexandre (4).
Les Athéniens, quoique moins exclusifs, se mon-
trèrent cependant fort avares de ces sortes de
concessions. Chez eux, il ne fallait pas moins de
six mille suffrages pour faire un citoyen (5). Encore
métait-ce presque toujours qu'a des tètes couron-
nées qu'on déférait ce titre glorieux.
L'histoire cite plusieurs souverains qui reçurent
des Athéniens le droit de cité, et de ce nombre
Evagoras, Denys de Syracuse, Antigonus , Démé-
trius (6) et Cotys enfin, qui pour reconnaître ce
(x) V. les lois Patronia et Papia.
(2) Arist. — Cælius Rhodiginus.
(3) Herodote. ë
(4) Plutarch.
(5) Demosth. #7 orat. contra Nœæram. — Plutarch. — Cæ-
lius Rhodiginus.
(6) Plut. &x Demetrio.
MÉMOIRES. 35
bienfait, conféra à tous les citoyens d'Athènes le
droit de bourgeoisie dans ses états (1).
Rome n'avait point à cet égard imité la Grèce.
Dès son origine , dans unique but d'augmenter sa
population , elle avait ouvert son sein à tous les
étrangers. Souvent même , adoptant les peuples
qu’elle avait soumis, elle les avait incorporés dans
ses murs; et, comme ses propres enfants , ils y
participaient à tous les priviléges attachés au nom
Romain. Mais ces principes se modifierent insen-
siblement à mesure que la république vit augmen-
ter sa population. Bientôt les étrangers ne furent
admis dans son sein qu’avec difficulté. Les vaincus
restèrent dans leurs villes ; et les plus éclatants
services purent à peine payer le titre de citoyen
Romain. Au temps de Jules-César , les Latins qui,
depuis si longtemps combattaient sous la même
bannière que les Romains , ne jouissaient pas en-
core du droit de cité; et ce ne fut que les armes
à la main que lItalie put obtenir ce privilége.
Plus Rome s'était montrée généreuse dans le prin-
cipe, plus elle se montrait alors jalouse de ses
droits (2). Les étrangers vivaient dans une sorte
d’esclavage. Ils n’avaient capacité, ni pour con-
tracter mariage (3), ni pour tester , ni pour rece-
voir par testament (4). Leurs procès étaient portés
(3) Valer. Max. lib. 111, cap. var.
(2) Sueton. in August.
(3) Alciat. Zb. dispunction. 2, c. xxt1.
(4) Dig. de Hwæred. instit. 1. 1.
36 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
devant un juge particulier (1); le costume romaïn
leur était sévèrement interdit (2); et quiconque
osait usurper le titre de citoyen, était puni de
mort (3).
Mais ces principes d’intolérance ne devaient pas
longtemps subsister sous Pempire. Les premiers
Césars avaient prodigué le droit de cité à des villes,
à des provinces, à des nations entières ; Caracalla
létendit à tous les sujets de la république (4). Dès
lors tout fut changé dans l'état; toute distinction
disparut. Il n’y eut plus d'étrangers, il n’y eut
plus de citoyens; il n’y eut plus de vainqueurs, ïl
n’y eut plus de vaincus. Tous les droits furent
égaux; l'empire ne reconnut plus qu’une seule et
même loi. Mais le prestige du nom Romain s’était
évanoui sans retour ; et ce beau titre de citoyen,
que des rois même s'étaient enorgueillis de porter
tant qu'il fut circonscrit dans un coin de FItalie,
devint un objet de mépris et de dédain, du mo-
ment qu’il fut partagé avec la moitié du genre
humain. On vit alors quels fruits amers devait
produire oubli des anciens principes. Tout esprit
national fut anéanti ; les divers peuples qui com-
posaient l’empire, n’ayant plus entr'eux ni lien
ni sympathie, se regardaient comme étrangers les
uns aux autres. Insensiblement tous les ressorts de
(1) Alciat. lib. Parergon. 1.° cap. x1v. Dig. de Jure fisci. 1. x.
(2) Suet. in Claudio Cæsare.
(3) Ibid.
(4) Ulp. L. 17. ff de Statu hominum.
MÉMOIRES. 37
Vétat se relâchèrent. Une confusion générale pa-
ralysa tous les efforts du gouvernement ; et la
république , en proie à des dissensions conti-
nuelles, ne présenta plus qu’une masse inerte et
sans vie.
L’invasion des Barbares mit le comble au dé-
sordre. Rome, dans l'impossibilité de se défendre,
semblait n’avoir d'espoir qu’en ceux qui étaient
venus pour la détruire. Des Germains, des Goths,
des Vandales furent enrôlés sous la bannière du
peuple Romain ; mais ce n'étaient pas des soldats
que la république avait pris à sa solde, c’étaient
des maîtres quelle s'était donnés. On vit bientôt des
barbares dans toutes les administrations de l’état.
Citoyens par le droit de l'épée, ils affluaient dans
les tribunaux, dans les finances, dans les magis-
tratures civiles et militaires, et jusque dans le
sein même de la cour. Inondée d'étrangers (1),
Rome ne savait plus à quelle nation elle appar-
tenait. L’idiome tudesque et la langue de Virgile
semblaient être nés sur le même sol : à côté de
la toge romaine, Le barbare étalait sa fourrure sau-
vage, et dans le même temple étaient invoqués
Jupiter et Irmensul.
Cen était fait de l’empire; et l'Occident bou-
leversé, en proie à cent peuples divers, n’était
plus qu'un monceau de ruines. Mais au sein de
(1) Omnes peregrini et advenæ liberè hospitentur ubi vo-
luerint ; et hospitali si testari voluerint de rebus suis, etc.
(Authentique, Comm. de Success.)
38 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
ces désastres, tout sentiment humain ne devait
pas périr. L’hospitalité était, chez les Barbares,
une vertu ancienne (1). Ces peuples sauvages, si
cruels dans les combats, à l’aspect d’un étranger
dépouillaient toute leur férocité. Jamais le fugitif
n'avait heurté vainement à la porte de leurs ca-
banes. Un ennemi désarmé n’était pour eux qu’un
frère; et le malheur, quel qu'il fût, trouvait tou-
jours dans leur foyer un refuge assuré.
Devenus maîtres de la Gaule, les Francs n’ou-
blièrent pas les principes d'humanité qu’ils avaient
pratiqués dans leurs forêts. Autant ils s'étaient
montrés cruels durant la guerre , autant ils se
montrèrent cléments et modérés après la victoire.
Sous leur empire, une généreuse tolérance s'établit
en tous lieux. Indigènes ou Barbares, Bourgui-
gnons ou Visigoths, Saxons, Teïfales, Allemands,
Scandinaves , tous, à quelque époque et à quelque
titre qu'ils se fussent établis dans les Gaules, trou-
verent une égale protection (2). Sous l’égide du
souverain, chacun conserva ses lois, ses coutumes,
ses biens, son indépendance; et si les vainqueurs
et les vaincus ne furent pas traités avec la même
faveur , si on laissa subsister encore quelque dis-
tinction humiliante pour les Gaulois, il ne dé-
pendit que de ces derniers de la faire cesser, et de
s’incorporer même à la nation victorieuse, en re-
(1) Nicol. Damasc.— Tac. de Morib. Germ. Voy. aussi la
loi Gombette. — Diod. Sic. — Procop.
(2) Lex Salic,
MÉMOIRES. 39
nonçant à leur loi pour se soumettre à celle du
vainqueur (1). Par la seule adoption de la loi sali-
que, ils devenaient francs; comme eux, ils étaient
admis au champ de Mars ; ils concouraient à l’ad-
ministration de l’état, à l’exercice de l'autorité
souveraine , et participaient enfin à tous les privi-
léges des Barbares.
Tels furent les principes qui présidèrent à l’éta-
blissement de la monarchie des Francs. Pendant
quelque temps, ils se maintinrent encore. Les
étrangers de toutes les nations purent librement
s'établir sur le sol de la Gaule; et, loin que
leur qualité fût un titre d'exclusion , il n’était pas
de fonctions, il n’était pas de magistrature qu'ils
ne fussent capables de remplir. Des Romains oc-
cupaient presque tous les évèchés (2); des Ro-
mains étaient à la tête de toutes les administra-
tions. Les dignités d’ambassadeurs , de patrices , de
maires du palais , leur furent prodiguées. Eusèbe,
évêque de Paris, était né en Syrie (3). S. Chellin,
qui, peu de temps après, occupa le siége d'Arras,
était écossais (4). L’irlandais saint Colomban (5),
fut abbé du célèbre monastère d'Anegrai, de Fon-
taines et de Luxeu (6). Egina, né en Saxe, était
(1) Lex salic. üt. 45.
(2) Essai sur les Mœurs, chap. xvtr.
(3) Gregor. Tur. lib. x, cap. 26.
(4) Dict. Moreri, y.° Luxeui.
(5) Fredégar. cap. xt, 6 36.
(6) Fredegar. cap. xxvir, $ zv.
40 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
un des plus puissants seigneurs du royaume de
Clotaire. La naissance n’établissait, pour ainsi
dire, aucune distinction. Tous les princes, tous
les seigneurs, à quelque nation qu’ils appartins-
sent, trouvaient à la cour de France une noble
hospitalité ; et c'était presque toujours dans un
sang étranger que nos rois choisissaient leurs com-
pagnes.
Mais les désordres qui éclatèrent sous l'empire
des rois mérovingiens, firent bientôt disparaître ce
régime de tolérance. On peut à peine se faire une
idée des fléaux qui à cette triste époque désolèrent
la Gaule. Guerres civiles, guerres étrangères,
meurtres, incendies, pillages et dévastations ; tel
est le spectacle que, pendant plus de deux siècles,
nous offrent ses annales. Pour comble de maux,
un affreux brigandage s'était organisé sur tous les
points du royaume (1); plus de voyages possibles,
plus de communications entre les provinces , tout
commerce s’éteignit, et il ne resta plus entre les
peuples voisins d'autre relation que la guerre (2).
L’hospitalité, jadis si vénérée dans les forêts de la
Germanie, l'hospitalité que les Francs et les Bour-
guignons (3)inscrivaient naguères dans leurs codes
comme une loi sacrée, ne trouve plus d'asile sur
le sol de la France. En vain de saints évêques in-
(1) Greg. Tur.
(2) Hist. de France. Présid. Henault, p. 134, t. 1. — Greg.
Turon.
(3) Loi Gombette.
MÉMOIRES. 4
terposérent leur pieux ministère; en vain recom-
mandaient-ils à la piété des seigneurs (1) ceux que
la religion , ou un motif quelconque, appelaient en
autres lieux. Leur autorité était méconnue, et leur
voix impuissante se perdait au sein du tumulte des
armes.
Alors sans doute prit naissance le droit d’au-
baine. Cest effectivement vers cette époque qu’on
commença à faire usage du mot a/banus ou al-
binus, pour désigner les étrangers. Toutefois,
les historiens ne s’accordent ni sur l’étymologie ni
sur l’acception qu’on donnait à ce mot. Suivant les
uns , le mot albanus était synonyme d’advena, et
en tirait même son origine (2). Suivant certains
autres , il dérivait de deux mots latins (alibinatus),
qui signifient, né ailleurs (3). Enfin, suivant une
troisième opinion , cette dénomination était, dans
le principe, particulière aux Ecossais ; et ce ne fut
que par extension qu’on l’appliqua dans la suite
aux étrangers de toutes les nations (4).
Quoi qu'il en soit, l'étranger se vit bientôt dé-
pouillé des droits les plus précieux (5). Comme
(1) Marcus. Mon. Formularum appendix. Form. x. —
Formulæ Bisnonianæ , 1. 1V, p. 543.
(2) Les Capitulaires de Charlemagne se servent souvent de
cette expression pour designer les étrangers. V. Cujas.
(3) Boërius 27 consuet. Bitur. tt. de Testam. — Menage.
(4) Gerardus Mercator en son Atlas. — George Buchanan.
Hist. d'Écosse, liv. v. — Ducange.
(5) Montesquieu. Esprit des Lois, liv, xxx, chap. xv.
42 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
dans l’ancienne Rome, il ne put ni recevoir ni
. donner par testament. S'il quittait le royaume,
où qu’il vint à décéder , ses biens étaient dévolus
au fisc (1); et 1l n'obtenait même le droit de con-
tracter mariage qu’en acquittant un impôt oné-
reux. « Les hommes pensèrent, dit Montesquieu ,
» que les étrangers ne leur étant unis par aucune
» communication du droit civil, ils ne leur de-
» vaient, d’un côté aucune justice, de l’autre au-
» cune pitié (2).
Mais ce ne fut pas seulement sur les étrangers
que frappa le droit d’aubaine ; les regnicoles
eux-mêmes ne purent sy soustraire. Sans cesse
divisée par le partage des princes, la France com-
posait presque toujours plusieurs royaumes, qui
n’étant plus soumis aux mêmes souverains , se con-
sidéraient mutuellement comme étrangers, et s’en
appliquaient les conséquences ; en sorte, qu’à cha-
que changement de règne, tout était remis en
question. Les seigneurs se voyaient sans cesse dé-
pouillés des bénéfices qu’ils n’avaient acquis qu’au
prix de leur sang; et de même qu’un partage de
la monarchie pouvait les élever au faite de la for-
tune, de même il suffisait d’un partage pour con-
sommer leur ruine. Le traité d’Andelau séleva
contre ce régime d’iniquité. Toutes les propriétés
(1) Jus est fisci vel domini, cui obveniunt bona peregrino-
rum et advenarum..…... Cassiodor. lib. 9. variar. ep. 14.
(2) Liv. xxr. chap. xvix.
MÉMOIRES. 43
furent restituées à leurs légitimes possesseurs (1);
il y fut même stipulé qu'à l'avenir les seigneurs,
à quelque souverain qu’ils fussent assermentés (2),
pourraient librement voyager d'un partage à l’au-
tre, sans qu’en aucune circonstance on püt attenter
à lenrs droits. Mais que pouvait un traité en ces
temps de désordre et d’anarchie ! Ouvrage de la
force, le traité d’Andelau fut bientôt anéanti par
la force.
Cependant des jours plus sereins devaient bientôt
luire sur la France. Pepin était monté sur le trône,
et avec lui avait reparu l'empire des lois et de la
justice. Sous l'égide de ce prince, les étrangers
virent s’alléger le joug qui pesait sur leurs têtes (3).
Mais c'était à Charlemagne qu'il était réservé de
compléter leur affranchissement (4). On peut voir
dans les capitulaires tout ce que ce prince ft en
leur faveur (5). L’hospitalité fut prescrite comme
une loi; partout l'étranger put se présenter sans
crainte sur les terres de l'empire. Le souverain
veillait sur lui ; et, non-seulement il y fut accueilli
avec humanité, il y trouva, sous la protection des
lois, une liberté à abri de tout outrage.
FLE EL EE EL ER
(1) Traité d’Andelau, art. x1. — Greg. Turon.
(2) Traité d’Andelau , art. x.
(3) Dom Bouquet. Capit. Pippini reg. $ Xx11, tom. v,
p: 641. — Ç xxvr.
(4) Dom Bouquet. Capit. Carol. magni. S Vx, tom. V,
pag. 677, 663, 659.
(5) Ibid. , tom. v, p. 660.
44 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Toutefois, en proclamant ces généréux prin-
cipes , Charlemagne n’avait point négligé les pré-
cautions qu’exigeait la sûreté de Pétat. Les étran-
gers étaient l’objet d’une police particulière ; l’œil
vigilant de l'autorité devait toujours être fixé sur
eux. Plusieurs capitulaires prescrivaient aux oM-
ciers royaux de prendre le nom de tous les étran-
gers qui arrivaient dans le royaume; d'informer
le souverain de leur nombre, et de lui faire con-
naître les lieux d’où ils venaient, où ils allaient,
où ils s’établissaient (1). Les fugitifs et les mal-
faiteurs devaient être reconduits dans le pays
qu’ils avaient quitté (2). Cest ainsi qu'avec les de-
voirs de humanité, Charlemagne avait su conci-
lier les principes d’une sage prévoyance : il y a
même lieu de croire que les anciennes lois qui ré-
gissaient la condition des étrangers , n’avaient pas
été abrogées, mais seulement suspendues. On voit
par divers titres que, sous les règnes suivants,
leurs successions revenaient de droit au prince; et,
selon toute apparence, si ces dispositions n'étaient
pas exécutées, c'était moins en vertu d’une règle
générale, que par l’effet d’une faveur particulière.
Les étrangers, en effet, se regardaient comme si
peu assurés de la liberté qu’ils avaient trouvée sur
les terres de France, qu'à chaque nouvel avéne-
ment ils se croyaient obligés de faire sanctionner
(1) Dom Bouquet. Cap. Car. magn. anno, 806. Ç rv.
(2) Ibid. $ vi.
MÉMOIRES: 45
par le nouveau monarque les provisions qu'ils
avaient obtenues sous le règne précédent (1).
Quoi qu’il en soit, la protection qui, sous lem-
pire de Charlemagne, accueillit les étrangers , pro-
duisit bientôt ses fruits. La France vit affluer dans
son sein des habitants de toutes les nations. Des
pélerins , guidés par la piété, des Ecossais , des Hi-
berniens , que ne pouvait plus nourrir le sol ingrat
de leur patrie, des Espagnols, que loppression
des Maures avaient chassés da sol natal, des Israé-
lites qu’attirait l’espoir du négoce, accoururent
sur nos bords. Les arts se ranimerent au sein de
nos cités; des fabriques, des manufactures s’établi-
rent; le commerce reprit son essor ; et tandis que
d’intrépides navigateurs apportaient dans nos villes
les produits de l’industrie orientale, d’autres étran-
gers fécondaient notre sol, défrichaient nos landes
à la sueur de leur front ; et sur des terres naguères
couvertes de ronces et de bruyères, on vit instan-
tanément s'élever d’abondantes moissons.
Au sein de ce concours , les beaux-arts n’étaient
pas restés en arrière. La cour de Charlemagne était
le rendez-vous des savants de tous Les pays. Pierre
de Pise, Théodulfe d'Italie, Leidrade de Nurem-
berg , et surtout le célèbre anglais Alcuin, trouvè-
rent dans ce prince un bienfaiteur et un ami. Des
(1) Voyez deux capitulaires , l’un en date 815 de Louis-le-
Débonnaire , et l’autre de Charles-le-Chauve, rendu en fa-
veur des mêmes Espagnols.
Voy. aussi Montesquieu, Esprit des Lois, lv. xxx, ch. xv.
46 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
écoles s’établirent ; les ténèbres se dissipèrent ; et
la Gaule, comme au temps de la puissance ro-
maine, se vit encore une fois le centre des arts,
des lumières et de la civilisation.
Mais tant de prospérité ne devait pas être de
longue durée. Les guerres qui, sous les successeurs
de Charlemagne, ensanglantèrent la France, les
invasions sans cesse renaissantes des Normands,
porterent bientôt le trouble au sein de la monar-
chie. L'autorité s’affaiblit ; les seigneurs étendi-
rent leurs priviléges ; et la France, morcelée, en
proie à mille tyrans, ne connut d’autre régime que
celui de la féodalité. Dès lors empire des lois fut
détruit. La loi Salique et la loi Gombette, le Droit
romain et les Capitulaires cesserent d'exister.
Quelques coutumes barbares, que la violence ou le
caprice avaient établies, formèrent le seul droit
de la France. Toute liberté disparut; et le peuple
opprimé n’eut d'autre ressource que lesclavage.
Au sein de ce bouleversement général, le sort
de l'étranger n’était pas moins déplorable. Sans
appui, sans asile, livré à la merci des tyrans qui
désolaient la France, il n’était point d’exigence
qu'il ne füt obligé de subir. Traversait-il une chä-
tellenie? il devait au seigneur le droit de tra-
vers (1). Ÿ fixait-il sa résidence ? il était assujetti
au droit annuel de chevage (2). Voulait-il con-
tracter mariage avec un habitant du pays ? ce n’é-
(1) Droits royaux. Ragneau, au mot TRAVERS, p. 714.
(2) Voy. Bacquet, tom. 17, pag. 9, 12.
MÉMOIRES. 47
tait qu'au prix du tiers, et souvent même de la
moitié de ses biens qu'il pouvait en obtenir le
droit (1). Décédait-il sans enfants ? la succession
était dévolue au seigneur (2). Mais c’était bien plus :
sa personne même n’était pas respectée; une fois
établi, il devenait la propriété du seigneur, et ne
pouvait plus quitter ses terrés sans son agrément.
Enfin, tel était le despotisme des barons, qu’il n’é-
tait plus possible de voyager. Les habitants même
du pays ne pouvaient sortir de leurs hameaux, sans
être assujettis aux droits les plus onéreux. À chaque
pont, à chaque rivière, on exigeait des péages.
Jusque sur les grandes routes, le passage était con-
tinuellement intercepté par des chaines, des bar-
rières ; et ce n’était qu’à force d'argent qu’on pou-
vait les franchir (3) : heureux encore le voyageur,
si, à ce prix, il pouvait librement poursuivre sa
course ; car, sous l'empire de certaines coutumes,
on était aubain par cela seul qu’on avait quitté les
terres de son seigneur, et, comme tel, sujet à
toutes les exactions auxquelles était en butte lé-
tranger (4).
(1) Cest ce qu’on appelait le droit de formariage. Voyez
Bacquet, tom. 2, pag. 9. Voy. aussi Ragneau, au mot ForR-
MARIAGE.
(2) Ragneau , Droits royaux , au mot AUBENAGE, p. 69.
(3) Ragneau, aux mots BARRAGE , PONTENAGE, PONTS;
PORTS et PASSAGES.
(4) «Se aucun hons estrange vient ester en aucune chatel-
lenie de aucun baron , et il ne fasse seigneur dedans l’an et
jour, il en sera exploitable au baron; et se aventure estait
48 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Mais ce n’était là qu’une faible partie des maux
qui menaçaient le voyageur. Le brigandage, qui,
sous la première race de nos rois, avait désolé la
France, s'était renouvelé avecune nouvelle énergie;
ceux même qui, par la puissance dont ils étaient
investis, devaient protéger le malheur, dépouillant
tout sentiment humain, étaient les premiers à le
persécuter. Du haut de leurs forteresses inexpug-
nables, des seigneurs se livraient impunément à
tous les excès de l’injustice et de la violence. Mal-
heur aux voyageurs qui s’aventuraient sur leurs
terres. Non-seulement ils étaient impitoyablement
dépouillés de tout ce qu'ils portaient , leur liberté
même n’était pas respectée; et jusqu’à ce qu’au
poids de l'or ils eussent payé le prix de leur ran-
çon, captifs dans le donjon d’un château, ils gé-
missaient dans la misère et l’oppression.
Mais, hâtons-nous de le dire, le temps n’était
pas éloigné où ces désordres devaient avoir un
terme. Tandis que d’injustes ravisseurs , foulant
aux pieds toutes les lois de la nature , répandaient
en tous lieux le meurtre et le ravage, des cœurs
généreux s’armaient pour défendre le malheur. La
chevalerie prit naissance ; une foule de jeunes
guerriers se répandirent sur le sol de la France,
et, sans autre mobile que la gloire et la piété,
s’arrachant aux délices des cours, parcouraient
qu’il mourust, et n’eust commande à rendre quatre deniers
au baron , tait li meuble , seroient au baron. » Etabkissem.
S, Louis , Liv. 1, chap. 87.
MÉMOIRES. 49
monts et vallées, affrontaient périls et fatisues,
trop heureux si, pour prix du sang qu’ils versaient,
ils pouvaient soulager quelque infortune ! Bientôt
ces nobles sentiments se propagèrent : les plus ri-
ches seigneurs imitèrent ces généreux guerriers ,
les châteaux devinrent autant d’asiles destinés à
secourir le malheur. Chacun pouvait s’y présenter
en toute assurance; chacun pouvait y demander
lhospitalité. On allait même au-devant des voya-
geurs et des chevaliers ; et rien n’était négligé pour
les y bien recevoir. «Tous gentilshommes et no-
» bles dames, dit l’auteur du roman de Percefo-
» rest (1), fesaient mettre au plus hault de leur
» hostel ung heaulme en signe que tous gentils-
» hommes et gentilles femmes trespassants les che-
» mins, entrassent hardyement en leur hostel
» comme au leur propre, car leurs biens estaient
» davantage à tous nobles hommes et femmes
» trespassants le royaulme. »
Au sein de cet élan général, la religion ne pou-
vait rester indifférente aux maux qui affligeaient
l'humanité. Les églises, les presbytères, furent
transformés en hospices. Sur tous les points de la
France on vit s'élever des cloîtres, des monastères,
des maladreries destinés à secourir tous les genres
d’infortune. Ce fut un enthousiasme général. Toutes
les classes de la société voulurent coopérer à la
régénération qui se préparait; et tandis que la
noblesse instituait des ordres militaires et religieux
7
(1) Vol. zx, fol. 103.
TOME V. PART, II. 4
50 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
dans unique but de protéger les pélerins qui se
rendaient en terre sainte, du haut de son rocher
inaccessible le pieux anachorète veillait pour le
soulagement de l’humanité, et dans son humble
cellule, offrait en même temps au voyageur égaré
le pain de l’hospitalité et les conseils d’une religion
sage et éclairée. Mais les femmes surtout se firent
remarquer par leur zèle et leur piété. Rien ne pou-
vait arrêter ce sexe sensible et compatissant. Pour
servir les malades, pour secourir le pauvre ou le
voyageur , elles s’arrachaient aux douceurs du toit
paternel, sacrifiaient leur patrimoine, et dans un
cloître ou une maladrerie se vouaient avec rési-
gnation à toutes les rigueurs d’une vie austère.
Dans les châteaux , c'était encore aux femmes
qu'était réservé le soin de soulager l’humanité.
Elles pansaient les blessés, elles lavaient le sang
et la poussière dont ils étaient couverts, et ver-
saient enfin sur leurs plaies le baume salutaire qui
devait les guérir : elles seules, en effet, étudiaient
en ces temps-là la propriété des plantes; et la chi-
rurgie même faisait partie de leur éducation (1).
Ainsi, sous l’empire même de l’anarchie féodale,
les voyageurs trouvèrent en France les secours
d’une généreuse hospitalité. Cependant, sous le
rapport politique, tant que dura ce régime, le
sort des étrangers n’éprouva guère d'amélioration.
Toujours soumis au caprice des seigneurs, privés
des droits les plus naturels, ils vivaient dans une
sorte d'ilotisme. Mais tout se préparait pour un
(1) Voy. le roman de Perceforest,
MÉMOIRES. 5:
changement : les idées d’ordre commençaient à
reprendre naissance ; insensiblement lautorité
royale recouvrait son empire. Dans presque toutes
les villes, des communes s'étaient formées ; partout
les chefs secouaient le joug; le peuple se reconsti-
tuait ; et les seigneurs , dépouillés de leurs plus
beaux priviléges , n’avaient pour ainsi dire plus
d'autorité que dans les villages.
Ce ne fut pas cependant sans se défendre que
les barons se laissèrent ravir des droits dont la
possession était sanctionnée par une jouissance de
plusieurs siècles. On voit que, sous le règne de
Charles VIIT, plusieurs d’entr’eux jouissaient en-
core du droit d’aubaine sur tous les étrangers qui
s’établissaient dans leurs domaines. Mais tout pous-
sait alors à la royauté, comme tout avait concouru
jadis pour la détruire. Des le règne de Saint Louis,
il était déjà de principe dans plusieurs provinces,
qu'au roi seul appartenait le droit d’aubaine :
« Mes aubains , dit ce prince dans ses Etablisse-
» ments, liv. 1, chap. 30, ne puët faire autre
» seigneur que le Roy en son obéissance, ne en
» autre seigneurie, ne en son ressort, qui veille
» ni qui soit stable selon lusage de Paris, d’Or-
» léannois et de la Soloigne. » Depuis lors, cette
prérogative de la couronne ne fit que s'étendre.
Mais Philippe-le-Bel, et Charles VI surtout , surent
reconquérir leurs anciens droits. La féodalité fut
ébranlée jusques en ses fondements, et le droit
d’aubaine dans tous les pays coutumiers ne fut
bientôt après qu’un droit régalien.
0
52 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Mais l'autorité royale ne s’arrêta pas à ce pre-
mier pas : on voulut établir le droit d’aubaine là
même où il n’avait jamais existé. Toulouse et tout
le Languedoc se glorifiaient alors d’avoir de tout
temps joui à cet égard d’une pleine exemption.
Tandis que sous la domination des Francs, le
nord de la Gaule semblait proscrire de son sein
tout ce qui n’y avait pas pris naissance, le midi,
et notamment la Septimanie, donnait l’exemple
d’une généreuse hospitalité. Malgré invasion des
Barbares , la loi romaine s’y était conservée pres-
que dans toute sa pureté , même sous le régime de
la féodalité (1). Le Code Théodosien, et plus tard
le Digeste, y étaient l’unique loi du pays; et l’on
y voyait régner encore tous les principes d’huma-
nité qu’on professait dans empire envers les étran-
gers. Comme dans l’ancienne Rome, ils avaient un
libre accès sur le territoire languedocien; et non-
seulement ils y goûtaient, sous l’égide des lois,
une heureuse sécurité, comme les naturels du pays,
ils y jouissaient d’une pleine et entière liberté.
Quel que fût le mérite de cette prétention , les
officiers du roi n’en avaient tenu aucun compte,
et, comme dans tout le reste de la France, ils vou-
lurent y exercer Le droit d’aubaine au profit de la
couronne (2). Les états généraux de la province
(1) Voy. la donation faite par Bertrand , comte de Tou-
louse, à Hela, son épouse, en 1095.
(2) Cazeneuve, le Franc-alleu du Languedoc, liv.
2
p- 151 et suiv.
MÉMOIRES. 53
réclamèrent-sous Louis XI contre cette entreprise,
et obtinrent de ce prince, en 14795, une ordon-
nañce qui exempta de tout droit les étrangers
établis sur son territoire, et les autorisa à tester ,
ordonner et disposer de leurs biens, meubles et
immeubles par testament ou autrement. Maloré
cette reconnaissance formelle , les franchises de la
province furent encore attaquées sons Charles VIIT.
Les états-cénéraux du Languedoc renouvelèrent,
en 1483, leurs réclamations, et obtinrent encore
une fois la confirmation de leurs franchises; mais
ce fut en vain , il fallut céder bientôt après. A
tort ou à raison, le droit d’aubaine fut considéré
dans toute la France comme un droit inhérent à
la couronne, imprescriptible , inaliénable de même
que le domaine dont il faisait partie, et qui enfin
ne pouvait jamais appartenir aux seigneurs, en
eussent-ils joui pendant un temps immémorial (r).
Cependant les préventions dont les étrangers
étaient l’objet, s'étaient sensiblement affaiblies.
Une sorte de révolution s'était opérée à cet égard
dans les esprits. On commençait enfin à recon-
naître que , loin d’être préjudiciable au bien de
l’état , la présence des étrangers était au contraire
un élément de prospérité. Aussi ne négligea-t-on.
rien pour les attirer. Les droits de chevage et de
formariage furent abolis ; leur liberté fut res-
pectée; et, sauf qu’ils ne pouvaient disposer de
(1) Voy. Bacquet, Droit d’Aubaine, chap. xxVIIT, xX1%
et XXX.
54 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
leurs biens qu’en faveur de leurs enfants (1), ils
furent reconnus habiles à tous les actes de la vie
civile. C’est ce qui fit dire à un ancien jurisconsulte,
qu’en France létranger vivait libre et mourait
serf (2).
Ce principe même subissait plusieurs exceptions.
Cest ainsi que de tout temps les ambassadeurs ,
les ministres des puissances étrangères en relation
avec la France, et tous ceux qui les accompa-
gnaient, avaient été reconnus propres à tester et
à succéder (3). Cette exemption avait été même
quelquefois étendue aux princes et souverains
étrangers résidant dans le royaume ou y possédant
des biens, témoin Charles IT, duc de Mantoue,
qui, par arrêt du conseil de 1645, fut déclaré hé-
ritier des biens que son aïeul avait possédés sur le
territoire français.
Les étrangers qui avaient obtenu du roi des
lettres de naturalisation , furent aussi toujours
considérés comme exempts de tout droit d’aubaine.
Par le seul fait de cette concession royale, le vice
qui résultait de leur naïssance avait été effacé. Ils
étaient devenus citoyens français , et, comme tels,
ils pouvaient exercer tous les droits dont jouissaient
les habitants même du royaume.
Cependant, quoique assimilés aux regnicoles
(x) Voy. Bacquet , Droit d’Aubaine , chap. xxxtr.
(2) Liber vivit, serous moritur. Bacquet, 2.° partie, Droit
d'Aubaine, chap. xvur.
(3) Bacquet, tom. 11, 1,re partie, chap. xxx, pag. 41.
MÉMOIRES. 55
dans tous les actes de la vie civile, les étrangers
n’exercèrent jamais en France qu’une liberté pré-
caire. Privés des garanties qui protégeaient les
citoyens, ils étaient vis-à-vis du souverain dans
une entière dépendance; et de mème que c'était
du prince qu’ils tenaient le droit de cité, de même
il dépendait du prince de le leur retirer. L’histoire
de France nous fournit plusieurs exemples de ces
révocations , comme on peut le voir par les ordon-
nances de nos rois (1). Indépendamment de cet
état d'incertitude où vivaient les étrangers, ils
étaient sans cesse exposés aux taxes les plus arbi-
traires. Toutes les fois que le trésor de l’état éprou-
vait quelque besoin , c'était à eux qu’on s’adressait ;
et les impôts les plus onéreux étaient établis sur
leurs têtes. Henri IT (2) le premier avait donné
cet exemple ; mais il fut dans la suite fréquem-
ment renouvelé, notamment sous les règnes de
Louis XIII et de Louis XIV (3).
Sous le rapport politique, les étrangers natu-
ralisés n’étaient pas plus heureux ; comme aupa-
ravant, ils restaient incapables de participer aux
affaires publiques , et toute magistrature leur était
interdite (4). Jamais défense ne fut cependant
moins exactement observée : à toutes les époques
de la monarchie française, on vit des étrangers
(1) Edit de Louis XIT, 1499.
(2) En 1587.
(3) En 1639, 1646, 1656.
(4) Edit de Charles VIT, 2 mars 1431. — Edit de Char-
les VILE, 1493.
56 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
remplir les postes les plus éminents de Pétat.
Bernard de Vinero, natif d'Aragon, fut grand-
maitre de France sous Louis-le-Débonnaire. Jac-
ques Duglas, né en Angleterre , Concini de
Florence, Gondi de Milan, le comte de Saxe de
Dresde, parvinrent à la dignité de maréchal de
France. L’Espagnol Jean de la Cerda , l'Anglais
Jacques Stuart, reçurent l’épée de connétable. Le
duc de Guise, natif de Lorraine, fut lieutenant
général du royaume; Réné Birague, chancelier de
France; Law, contrôleur général des finances , et
Mazarin , premier ministre.
La France eut à se louer sans doute des services
de plusieurs étrangers. La bataille de Fontenoi,
gagnée par le maréchal de Saxe, sera toujours à
nos yeux un des plus brillants faits d’armes qui
aient honoré la France; mais combien de fois aussi
n’avons-nous pas eu à nous repentir de notre con-
fiance ! Cest par les intrigues de quelques miséra-
bles étrangers que fut tramé le massacre de la
Saint-Barthélemi; et sans le duc de Guise, les
horreurs de la ligue n’eussent jamais souillé les
pages de notre histoire. Aussi les Français ne sup-
portèrent-ils jamais qu’avec impatience le joug de
l'étranger. Concini, Birague, Mazarin, Law, fu-
rent en butte à la haine du peuple. Mayenne,
Pidole des ligueurs , ne put parvenir à faire adopter
par les états généraux un souverain étranger.
Quelques années auparavant, sous le règne désas-
treux de l’imbécile Charles VI, la France épuisée,
trahie par ses propres enfants, trahie par le chef
même de son gouvernement, trouva encore dans
MÉMOIRES. 57
ses seules ressources, assez de force et d'énergie
pour secouer le joug de l'étranger qui la couvrait
déja de ses armes. C’est par suite de ces sentiments,
qu'en«1499 Louis XII révoqua tous les étrangers
qui, sous son prédécesseur, avaient été introduits
dans les différentes administrations de l’état ; que
le Parlement de Paris, en 1617, et la reine ré-
gente , en 1651, proclamèrent que désormais
l'entrée du conseil serait interdite à tous les
étrangers et même aux cardinaux français (1).
Mais si la France savait repousser de son gou-
vernement l'intervention de l'étranger, elle savait
aussi lui tendre une main secourable quand il
implorait sa protection. L’hospitalité depuis lons-
temps semblait une vertu innée sur la terre de
France. Là, le fugitif trouvait toujours un asile ;
là, l'étranger n’invoquait jamais en vain un géné-
reux appui. Dès que son pied avait frappé le sol
français, sa personne devenait sacrée; sa vie en-
tière était oubliée. Désormais il appartenait à la
France , et la France seule avait des droits sur lui.
Aussi ce fut presque toujours dans son sein que se
réfugièrent les princes victimes d’uné fatale destinée;
et s'ils n’y retrouvèrent point la puissance qu’ils
avaient perdue, ils y puisèrent du moins toutes
les consolations que peut offrir un généreux intérêt.
La plupart de nos rois se firent même toujours
un devoir d’attirer dans leurs états tous les étran-
gers qui s'étaient fait remarquer par un mérite
ou des talents supérieurs. Les artistes, les savants
(1) Le Prés. Henault, p. 696, t. 1x.
58 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
de tous les pays eurent part à leurs bienfaits; maïs
ce fut principalement sur le commerce et Viadies
trie qu’ils étendirent leur bienveïllante sollicitude.
Dans l'unique but de développer sur le sol fran-
çais ces deux sources de la prospérité publique, ce
n’était pas seulement quelques particuliers qu'ils
exemptaient du droit d’aubaine, c'était toute une
classe de citoyens, c'était des villes, c'était des
peuples entiers qu'ils affranchissaient. Dès les
temps les plus reculés, les négociants et les mar-
chands qui fréquentaient les foires de Champagne,
furent exempts de tout droit. Sous Charles VIT et
Louis XI, ce privilége fat étendu à la ville de
Lyon, et sous les règnes suivants, à Marseille et
à Dunkerque. En 1550 , Henri IT permit aux
Portugais de s'établir dans toute létendue du
royaume , et d’y exercer les mêmes droits que ses
propres sujets. Henri IV, voulant établir en Flan-
dre des manufactures de tapisseries, déclara, en
1607, naturels et regnicoles, tous les étrangers
qui viendraient y travailler, sans qu'ils fussent
tenus de prendre des lettres de naturalité. On voit
aussi, sous Louis XIV, plusieurs exemples de ces
concessions collectives, notamment en 1663 et en
1664, à l’occasion de plusieurs fabriques qui fu-
rent fondées par ce prince.
Les militaires au service de France furent aussi
toujours privilégiés. En 1481, Louis XI affranchit
du droit d’aubaine les Suisses entretenus à sa solde.
Semblable prérogative fut accordée sous Henri IE
aux gardes Ecossaises. Louis XIV étendit encore
cette franchise , en conférant le titre de regnicoles
MÉMOIRES. 59
à tous les marins qui auraient servi en France
pendant cinq ans. Enfin, sous diverses considé-
rations , l’exemption du droit d’aubaine se multi-
plia tellement, qu'à l’époque de la révolution
française , plusieurs peuples d'Asie, d'Afrique et
même d'Amérique, jouissaient de ce privilége ; et
qu’à l'exception de l'Angleterre et de quelques
principautés d'Allemagne, il n’existait point de
nation en Europe dont les habitants ne fussent
capables de tester et d’hériter dans toute Pétendue
des possessions françaises.
Toutefois , il faut le dire, ce m'était qu’à titre
de réciprocité que les étrangers possédaient en
France ces priviléges. Ainsi un Espagnol ne suc-
cédait dans le royaume qu’autant que les Fran-
çais jouissaient en Espagne de la même capacité.
Encore cette jouissance était-elle sans cesse envi-
ronnée de dangers. Des qu’une rupture éclatait
entre les deux peuples, toute relation demeurant
suspendue , les habitants des deux pays retom-
baïent dans le droit commun; et c’était presque
toujours par la saisie de leurs biens que commien-
çaient les hostilités (1).
Mais une ‘telle violation du droit des gens ne
pouvait subsister dans le siècle éclairé où nous
vivons. Par un édit de 1787, Louis XVI permit
aux Anglais de succéder en France, même sans
réciprocité; et quelques années plus tard, las-
semblée constituante , marchant sur les traces de
ce monarque, étendit cette franchise aux étrangers
(1) Voy. Bacquet, Droit d’Aub., chap. 1x.
Go INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
de tout pays. Le Code civil, il est vrai, suspendit
l'effet de ces sages dispositions ; mais la léoislation
française ne tarda pas à rentrer dans les voies d’hu-
manité qu'un prince philanthrope lui avait ouver-
tes. La loi du 14 juillet 1819 fut rendue, et les
étrangers de toutes les nations recouvrèrent en
France la faculté d’acquérir et de transmettre.
Rien n’est cependant encore changé pour ce
qui tient aux droits politiques. Comme autrefois,
l'étranger ne peut ni servir dans les armées de
Pétat, ni être électeur, député, pair, ni remplir
enfin aucune charge ou fonction publique, sans
avoir été naturalisé. N’est-ce point encore un pas
qu’il nous reste à faire ? Quel que soit le pays qui
nous ait donné le jour , ne devrions-nous pas tous
nous considérer comme les membres d’une seule
et même famille ? Ainsi que nous l’avons déjà vu,
trois siècles avant J. C., Alexandre le Grand avait
proclamé que tous les hommes sont frères, et que
ceux-là seuls sont étrangers, qui ont démérité de
la société. À Rome, du temps du bas empire,
tout était égal entre les citoyens et les étrangers,
et les Barbares même pouvaient exercer toutes les
dignités de l’état. Enfin, de nos jours, il suffit
d’une année de résidence aux Etats-Unis d’Amé-
rique, pour conférer à l'étranger tous les droits
de citoyen.
MÉMOIRE
SAINT-ÉTIENNE D’AGEN;
Par M. DU MÈGE, pe La Have.
Sur la rive droite de la Garonne, et au delà de
la rivière du Tarn relativement à Toulouse, ha-
bitait un peuple que les anciens écrivains désignent
sous le nom de Vitiobriges. Ce peuple appartenait
à la grande famille Celtique. La table Théodo-
sienne, ou de Peutinger, le place mal à propos
entre les Durocorturi, habitants de Reims, et
nommés, ainsi que leur ville, Remi, au déclin de
l'empire romain, et Augustobona, ou Troyes, d’a-
près Paul Merula. D’autres géographes ont fixé la
demeure de ces peuples près de Montpellier. On
leur a attribué, sur la rive gauche de la Garonne,
un territoire assez étendu : mais cette extension
doit appartenir à des temps tres-bas, ou même
au moyen-age, et l’on doit se rappeler qu’à l’épo-
que où écrivaient César (1), Strabon (2), Pompo-
(1) Comment. lib. 1.
(2) Sérab. Geogr. lb, 1v.
62 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
nius Mela (1), la Garonne séparait entièrement
les peuples de race gallique, des peuples Aquitains.
Aginnum, où Agennum , actuellement Agen,
fut, selon Strabon (2) et Ptolémée (3), le chef-
lieu des Vitiobriges. Le gouvernement de ce petit
peuple était monarchique (4). Ollovicon régnait
sur lui durant les premières campagnes de César
dans les Gaules, et il avait le titre d’Ami du peuple
Romain, qui lui avait été donné par le sénat,
soit pour récompenser ses services, soit pour le
détacher de la ligue gauloise. Teutomatus, fils et
héritier d'Ollovicon, entra dans la confédération
d’une partie des peuples de la Celtique contre les
Romains. Il leva des troupes et se joignit à Vercin-
gétorix, après que César se fut rendu maître d’4-
varicum. Il était près de Gergovia, lorsque le camp
des Gaulois fut surpris en plein jour, et il eut à
peine le temps de se sauver, à demi-nu, sur son
cheval qui avait été blessé. Après cette guerre, le
pays des Vitiobriges fut entièrement soumis aux
Romains, et n’eut plus de rois. Dans la nouvelle
division des Gaules, Auguste plaça les Mitiobriges
au nombre des Aquitains; plus tard, dans la divi-
sion de l’Aquitaine en trois provinces, Agen fit
partie de la seconde, dont Bordeaux était la mé-
tropole. La Notice de l'empire la met immédiate-
(1) Pomp. Mel. Gb. z1x, c. 2.
(2) Loc. cit.
(3) Ptolem. lib. 1v.
(4) CϾsar. de Bell. Gall. Ub. var.
MÉMOIRES. 63
ment après cette ville, dans le, dénombrement
des cités (1). Elle était traversée par des routes , ou
elle en avait de particulières qui conduisaient à
Lt
Toulouse (2), à Lugdunum Convenarum (3) , à
Bordeaux (4), à F’esuna (5), à Cahors (6).
Il ne reste que peu de traces du séjour des Ro-
mains à Æginnum. On a bien un manuscrit de
Beaumesnil, que M. de Saint-Amans nommait Du-
(1) Notit. imp. apud Sirm. 1.
(2) On connaissait une route d'Agen à Toulouse par Lec-
toure : elle est indiquée dans la Table Théodosienne de cette
sorte : LAcrorA, SarrTALrI (Sarrant ?) xvi. ToLosa xx. Dans
les Mémoires de la Société royale des Antiquaïres de France,
t. Il, p. 392, M. le baron Chaudruc de Crazannes dit qu'il
ne paraît pas qu'il existât de communication entre Agen et
Toulouse sur la rive droite de la Garonne. Ce volume a été
publié en 1820 ; je crois être fondé à dire que j'ai, l’année
suivante , retrouvé cette route, jalonnée par des monuments,
de Toulouse jusqu'aux environs d'Agen.
(3) Voici, d’après l’[tincraire d’Antonin, cette autre route :
AGiNNuM , LacruramM M. P. XV. — Crimserrum (Auch)
M. P. XV. — Bezsinum M. P. XV. — Lucouxum M. P.
XXIII.
(4) Route d’Agen à Bordeaux. — Acinnum, Fines (Aïguil-
lon?) M. P. XV. — Ussusium (Urs ?) M. P. XXIIII. —
SIR1ONE ( Port de Siron ?) M. P. XX. — Burpicara XV.
(5) La route d’Æginnum à Vesuna ou Périgueux est ainsi
tracée dans l’Itinéraire d’Antonin : AciNNum, ExcisumM
(Eysses?) M. P. XIII. — Trarecrus (passage de la Dordo-
gne , le Pontou ?) M. P. XII. — Vesuna M. P. XVIII.
(6) Voici de quelle manière la route est tracée d’Aginnum
à Divona, ou Cahors. — AcinwumM, Excrsum XIII, — Dro-
LINDUM (la Linde ?) XXI, — Divoxa XXITIT.
64 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
mesnil; mais ce, manuscrit, intitulé, Antiquités
. d'Agen, et dans lequel l’auteur a, selon sa mé-
thode, mêlé le vrai avec le faux, et pris des talis-
mans du 16.° siècle pour des monuments phéni-
ciens, offre peu de matériaux importants; son
plan de l'ancien Aginnum est une création de cet
antiquaire singulier, qui, au défaut de monu-
ments existants, envoyait à M. Turgot, intendant
de Limoges, et à l'Académie des inscriptions, des
copies des planches du Poliphile, et qui, en re-
connaissance, recevait une pension de l’état.
Il y avait dans Agen un temple consacré à Ju-
piter ; ce fait est constaté par une inscription sé-
pulcrale qui était placée dans le cloître des Pé-
nitents blancs, et qui existe encore :
pis maAnrevs
IVVENES A FANO
IOVIS
SIBI ET SVIS
Cest-à-dire : « Aux dieux Mânes, les jeunes
gens attachés au temple de Jupiter, pour eux et
pour les leurs. »
On connaissait déjà l’existence de ce temple par
la légende de saint Caprais , apôtre des Mitiobriges.
On y lit, en effet , que ce personnage apostolique
ayant refusé de sacrifier à Jupiter dans le temple
consacré à ce dieu, dans Æginnum , eut la tête
tranchée par l’ordre de Dacianus , Præses, ou
Président de l’Aquitaine. Ce martyre aurait eu
lieu de lan 287 à l'an 290.
MÉMOIRES. 65
Ce fut sous le consulat de Trajan Dèce (Lucius
Messius Quintus Trajanus Decius Augustus ),
de 249 à 250, que le pape Fabien envoya quel-
ques hommes apostoliques dans les Gaules, et que
la foi catholique ÿ fut prêchée, avec un grand
succès, malgré de nombreuses persécutions et le
meurtre de quelques-uns des missionnaires. Saint
Caprais, apôtre des Mitiobriges, fut l’un de ceux
qui périrent, comme je l’ai dit, victimes de leur zèle.
Puis une église fut construite dans Æginnum, dès
qu’il fut possible aux chrétiens de se réunir pour
les saintes pratiques de leur culte. Cette église fut
placée sous l’invocation de saint Etienne, premier
martyr. Mais les diverses invasions des barbares
du Nord, débordés comme un torrent dévastateur
sur l’empire romain, plus tard les incursions des
Sarrasins et des Normands , qui saccagèrent toutes
les cités de cette partie de la France, durent causer
la ruine de cet édifice, qui fut souvent rebâti
et souvent renversé. Vers l’an 1083, l’Evèque
Simon I.er fit tout ce que l’on pouvait attendre de
son zèle pour rétablir, avec luxe, sa basilique mé-
tropolitaine : de riches dons lui furent offerts,
afin d'en augmenter encore la splendeur. Mais
la mode, qui exerce aussi un grand empire sur
l'architecture, apporta de notables changements
dans l’art chrétien, et l’on croit qu'ayant été abat-
tue presque en entier, elle fut reconstruite dans
un autre style, vers lan 1306, par Bernard II de
Fargis, aussi évêque d'Agen.
Jean d'Arnalt parle avec enthousiasme de lé-
TOME V. PART II. 5
66 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
glise de Saint-Etienne et de celle de Saint-Ca-
prais , d'Agen. «Ces deux églises principales étant,
dit-il, bien pourvues et assorties de châsses de
saints et saintes et de reliquaires en or et en ar-
gent , aultres ornements somptueux et vases pré-
cieux en bon nombre. Simon, évesque d'Agen,
apporta beaucoup de saints reliquaires, et les dédia
à l’église de Saint-Etienne, qui lui auoient estez
donnés par Gervais, abbé Saint-Savin; outre les-
quels reliquaires, Rhégino, évesque d'Agen, fit de
grands dons et de grands présens à ladite église.
Un aultre évesque, nommé Bernard, la restaura
et la remit en son premier estat , et la maison épis-
copale aussi, qui avoit esté détruite et démolie, et
lui conféra plusieurs beaux droits spirituels et tem-
porels. Hunaud, vicomte de Brollis, à son exemple
et imitation, lui fit de grands dons et largesses,
mesmes lui donna le passage de la Fotz ; il y a des
orgues d’excellent ouvrage , des cloches d’admi-
rable grandeur, etc. »
Il paraissait encore, en 1830 , époque à laquelle
j'ai vu les ruines de Péglise de Saint-Etienne, et
par les différents styles qu’on remarquait dans cet
édifice, que, depuis l’épiscopat de Bernard de
Fargis, de grands travaux avaient été exécutés
dans cette église.
Durant la seconde moitié du 15.2 siècle, et au
commencement du 16., trois évêques, tous sortis
de la même famille, illustre en Italie, occupèrent
le siége d'Agen , et consacrèrent une partie de leur
immense fortune à reconstruire en partie, et à
MÉMOIRES. 67
orner leur cathédrale. Les décorations gracieuses,
les sculptures légères de l’époque de larenaissance,
qu’on voyait encore dans cet édifice, indiquaient
leurs travaux, et auraient dû consacrer le souvenir
de leur pieuse magnificence. Leur écu, placé sur
les piliers de l’église et du chœur, rappelait, dans
ce saint édifice, et leur souvenir et celui de leur
puissante maison. Cet écu, d’azur au chêne d’or,
ayant quatre branches, passées en sautoir, en-
glantées d’or , accompagnées de deux lettres d’or
aussi, et qui étaient les initiales de leur nom, di-
sait encore, il y a sept ans, ce que ces prélats
avaient fait pour leur église. Des anges soute-
naient cet écu, surmonté de la mitre épiscopale.
Galéas de la Rovère, en 1478, Léonard de la Ro-
vère, en 1505, Antoine de la Rovère, en 1519, se
plurent ainsi à embellir l’église de Saint-Etienne,
à en faire rebâtir le cloître et le clocher. Mais
déjà se préparait la révolution qui devait menacer
tous les monuments des arts, tous ceux de la reli-
gion, tous ceux de l’histoire. Le r.er décembre 1561,
les Huguenots, commandés par le capitaine Truelle
et le conseiller Roussannes, surprirent la ville
d'Agen, et couvrirent de cadavres les rues de cette
cité. À peine étaient-ils entrés, qu’une partie d’en-
treux accourut vers la cathédrale : les portes fu-
rent enfoncées, leurs défenseurs égorgés ; les reli-
quaires , les vases sacrés profanés et pillés, les
tombeaux brisés et les images abattues; ensuite ils
mirent le feu à l'édifice, en chantant les psaumes.
de David, et en faisant bruire leurs armes.
68 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Les toitures avaient été totalement incendiées ,
mais la masse de l'édifice avait résisté aux efforts
des destructeurs. Cependant on dut l’abandonner
pendant quelque temps ; puis des réparations per-
mirent d’y célébrer loffice divin , lorsque de nou-
veaux troubles vinrent ravager encore cet édifice.
Alors périrent ses beaux vitraux, qui représentaient
les martyrs de l’église d'Agen, saint Caprais,
sainte Foi , saint Vincent, saint Félicien et saint
Prime. Dans la chapelle de Saint-Martial, au
milieu d’un rinceau , dont le dessin indiquait le
16. siècle, on avait représenté saint Loup, avec
l'inscription sanctus Lupus et deux autres évè-
ques. La Chapelle des apôtres était revêtue d’une
brillante mosaïque en verre. Ses vitraux, admira-
bles de couleur, représentaient saint Phébade,
saint Jean-Baptiste et saint Paul. Du côté de lé-
pitre étaient saint Dulcidus, saint Jean l'Évangé-
liste et saint Paul; du côté de lévangile saint
Etienne, patron de l’église et de la ville, entouré
des images de saint Philippe et de saint Jacques.
Outre les écus des Rovères, on y voyait, surtout
aux clefs des voûtes, les armoiries de quelques
autres prélats qui avaient contribué, soit à la
construction, soit à la réparation de l'édifice. Dans
la chapelle du Purgatoire étaient celles de Bertrand
de Got; l’écu de Jean de Lorraine paraissait à la
clef de la voüte et à la porte de la sacristie. Sur
le jubé, dans le chœur , et sur d’autres points,
on voyait celui de Nicolas de Villars. Des signes
pareils indiquaient dans cette enceinte religieuse
MÉMOIRES. 69
Pépiscopat de Jules de Mascaron, de Claude Joly et
de François Hebert. Des mausolées, somptueuse-
ment décorés , s’élevaient çà et là. Janus Frégose
avait le sien dans la chapelle de Notre-Dame ; sa
statue couvrait ce tombeau. Celui de Claude Gélas
était placé près du grand autel.
Que l’on se représente au milieu de ces monu-
ments de l’art chrétien, de ces admirables moni-
teurs des temps passés , une nombreuse troupe de
fanatiques, ivres de vin et de sang, tirant des
coups d’arquebuse aux images, brisant en éclats
les vitraux resplendissants des couleurs les plus
vives, soulevant les pierres des sépulcres pour y
rechercher des trésors , foulant aux pieds les osse-
ments arrachés au cercueil, et ne s’arrêtant que
pour écouter par intervalles la voix de Denord,
chanoine apostat et devenu ministre, qui monte
dans la chaire, bénissant Dieu des succès des
armes huguenotes contre les idolâtres, et du
triomphe d'Israël sur Moab ; puis le chant rauque
et discordant des cantiques, se mêlant aux explo-
sions de l'artillerie, au pétillements de la flamme,
et l’on aura encore une faible idée de la scène qui
eut lieu dans la cathédrale d'Agen , le r.e" décem-
bre 1561. |
Les dégradations éprouvées par cette église,
n’empêchèrent pas le clergé réfugié dans celle de
Saint-Caprais , de célébrer quelquefois les offices
dans ce temple; enfin, après de nombreuses solli-
citations, M. de Bonnal , évêque d’Agen , obtint de
Louis XVI, en 1778, la somme de 4o mille écus
mo INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
ou 120 mille livres, pour réparer cet édifice : les
travaux commencèrent. Une nouvelle façade fut
construite, des piliers doriques , bâtis alors , con-
tribuërent sans doute à la restauration du monu-
ment, mais il semblait qu'un goût barbare avait
présidé à leur exécution. Ces lourds piliers contras-
taient désagréablement avec le reste de l'édifice,
oùseretrouvaient surtout le mélange du style du
14. siècle si svelte, avec celui, si gracieux, de
la renaissance.
L'assemblée du clergé demanda, le 23 mars 1789,
l'achèvement de l’église de Saint-Etienne. La révo-
lution répondit à ses instances. Trois années ensuite
l'édifice fut encore profané, les tombeaux encore
violés. Le 1.2 floréal an 7 ( 20 avril 1799), on
commença la démolition de ce temple. Les voûtes,
les murs d'enceinte jonchèrent le sol de leurs dé-
bris. Une partie de ceux-ci fut employée à la
réparation d’une digue, une autre à la construc-
tion d’une salle de spectacle.
Semblable à l’un de ces monuments antiques qui
excitent encore l'admiration, Saint-Etienne d'Agen
offrait néanmoins encore, en 1830, ses hauts pi-
liers, ses ogives élancées, ses ornements mutilés,
mais encore admirables. Sous ses ogives, contre
ses piliers , s'étaient abritées de chétives demeures.
Ainsi, dans la haute Egypte, Arabe attache sa
fragile habitation aux colonnes des temples bâtis
par les Pharaons, ou place son village sur les
corniches des palais de Ramsès. Aujourd’hui tout
disparaît. Jésus-Christ chassa les marchands du
MÉMOIRES, 71
temple, un marché va être établi sur le sol du
temple qui fut consacré au Sauveur. Sur cette
terre bénie se sont agenouillés Pepin-le-Bref, en
766; Charlemagne et Hildegarde , en 778; Clé-
ment V, en 1305; Charles VIT, ce roi victorieux
des Anglais, en 1440; Marguerite de Valois, en
1592; Louis XIII et Anne d'Autriche, en 1621.
D'ignobles étalagistes, de grossiers matelots, des
animaux immondes le fouleront désormais. Là re-
posaient des hommes célèbres; Claude IT, de Joly,
les ancêtres de Montesquieu, et le pieux et élo-
quent Mascaron, émule de Bossuet et de Fléchier,
et auquel Louis XIV disait avec tant de grandeur
et d’à-propos : « M. l’Evéque , tout passe , tout
change, il ny a que votre éloquence qui ne
vieillit pas. » On assure que sa pierre sépulcrale a
échappé aux mains des Vandales de notre âge.
Mais ses ossements brisés demeureront mêlés et
confondus, dans le désordre du commun sépulcre,
avec ceux des hommes ordinaires, et peut-être
avec ceux des méchants. Mais tel est l'arrêt des
révolutions, et ce qui se passe presque sous nos
yeux, à une petite distance de nos frontières, doit
nous rendre peut-être plus indulgents pour les
profanations qui ont attristé et qui attristent en-
core la France.
Les restes des rois d'Aragon gisaient dans des
monuments en marbre, sous des voûtes sancti-
fiées par les siècles et par la prière. Il y a peu de
temps qu’une troupe de forcenés s’est achemi-
née, en poussant d'horribles clameurs, vers ces
72 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
tombes royales. Couchés dans leurs vieux sépul-
cres, les souverains de Aragon étaient encore re-
vêtus de leurs armures; mais leurs bras étaient
desséchés , et ne pouvaient plus lever une épée. La
foule se précipite : elle s'empare de ces squelettes,
inutilement armés, elle promène dans les rues ces
trophées de la mort. Elle court tout le jour, elle
court une partie de la nuit : elle prodigue les in-
jures à ces princes qui ont fondé jadis les libertés de
la contrée, qui l'ont soustraite au joug des secta-
teurs de l’islamisme. Puis, lassée, elle jette ces
armures et ces squelettes dans un immense bü-
cher... Des traits de cette espèce doivent, je le
répète, nous rendre plus indulgents envers ceux
qui dans nos provinces ont tenté d'effacer tous les
souvenirs historiques, toutes les traces du passé.
Alors que le nombre des coupables est si grand,
alors que la démoralisation s’est emparée de tant de
cœurs , l'homme sage gémit, et n’espère pas même,
dans un avenir lointain, une amélioration civi-
lisatrice. l
Année 1858.
JE
HISTOIRE.
TOME V. PART, II,
7
jen
© ‘
|
HISTOIRE
DES OUVRAGES DE LA CLASSE DES INSCRIPTIONS ET
BELLES-LETTRES PENDANT L'ANNÉE 1838.
Ixsrrrvée pour cultiver la Littérature ancienne et
celle du moyen-âge, pour retirer de cette étude
des notions exactes sur les mœurs, les lois et les
coutumes des peuples, et aussi pour réunir, expli-
quer et conserver les monuments de l’histoire , la
Classe a continué, en 1838, les recherches , les
travaux qu’elle a entrepris depuis l’année 1746,
époque de Pétablissement légal de l'Académie.
Noûs allons analyser les Mémoires qui ne doivent
pas être imprimés dans ce volume : nous ne don-
nerons que le titre de ceux qui y sont insérés.
M. Hamec a lu une Dissertation sur les diffé- m. mur:
rences qui existent entre l’Iliade et l'Odyssée.
Suivant l’auteur, « ces différences sembleraient an-
noncer qu'on doit rapporter à des époques diver-
ses l'origine de ces deux poëmés; l’Iliade à la
jeunesse, et Odyssée à la vieillesse des temps hé-
roïques.
» Ces différences sont de deux sortes : elles por-
tent d’une part sur les mœurs et les idées dont
6.
76 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
ces poëmes offrent le tableau , et de l’autre, sut
le caractère de la poésie.
» L'Odyssée, considérée par rapport à l’Iliade,
nous présente, 1.° un sentiment plus épuré de la
perfection divine, et en même temps une sorte
de progres dans la morale;
» 2.0 L'origine d’une opposition démocratique
contre la domination des rois, ou plutôt des chefs
militaires ;
» 3.° Le commencement d’une période qui tend
à devenir pacifique, et les premiers essais d’une
civilisation où le travail succède à la guerre comme
moyen d'existence. »
Après avoir développé ces idées et apporté des
citations à l’appui, l’auteur aborde la seconde par-
tie de son Mémoire qui lui offrait un point de vue
plus neuf et plus personnel.
« Considérées d’une manière générale, l’Iliade et
POdyssée répondent à deux besoins différents de
l’homme, la première au besoin d’agir, la seconde
à celui de connaître. De ce côté encore l'Odyssée
est postérieure à PIliade.
» Examinée dans les détails, la poésie de l’Odys-
sée offre un caractère plus romanesque, suivant
encore en ceci la marche de l'esprit humain, qui,
après avoir commencé par la poésie épique, finit
par le roman. Si par hasard le poëte rappelle quel-
ques faits de la guerre de Troie, il a soin de choi-
sir ceux où des circonstances merveilleuses et inat-
tendues doivent piquer davantage la curiosité... ;
dans l’Iliade , le poëte raconte plus qu’il n’invente;.
HISTOIRE. 77
et s'il embellit ses récits, sil les exagère, c’est
presque à son insu ; il se laisse emporter naturel
Jement à l'élan de son imagination : dans l’Odys-
sée, Le poëte invente et sait qu’il invente; la fiction
pénètre ainsi davantage dans la poésie. Il y a même
certaines formules consacrées, certains cadres tout
faits, dans lesquels s’arrangent les fables suivant
leur nature. » Ici M. Hamel cite un exemple remar-
quable de ces formules dans le triple récit que fait
Ulysse à Minerve , à Eumée et à Pénélope, sur sa
naissance et sur ses parents. « Parmi les fictions
qui sont propres à l'Odyssée, il en est une d’un
genre fort curieux qui appartient à une civilisation
encore plus jeune et poétique, mais pourtant déjà
raffinée dans ses inventions. C’est une sorte de jeu
de Pesprit qui travaille soit sur des mots, soit sur
des circonstances naturelles, pour en faire le sujet
d'un développement poétique. Sous ce rapport,
Odyssée se trouve placée chronologiquement en-
tre l’Iliade et les Hymnes Homériques, comme sous
un autre rapport, entre l’fliade et les poëmes gé-
néalogiques attribués à Hésiode. »
On doit au même Académicien un Mémoire sur
Aristophane , considéré comme homme politique
et comme poëte.
Après avoir présenté quelques notions prélimi-
naires sur les origines de la comédie et les di-
verses prétentions des peuples de la Grèce à cet
égard, M. Hamel esquisse les principaux traits de
son développement à Athènes, sa véritable patrie.
78 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
« D'abord réduite aux Dionysiaques des champs,
repoussée de la ville, où régnait la tragédie seule,
imposante et majestueuse , elle sut enfin en forcer
les portes avec les progrès croissants de la démo-
cratie. Alors naquit la comédie politique , la seule
possible à une époque où tous les modèles posaient
sur la place publique ; et le plus illustre représen-
tant de cette comédie fut Aristophane.
Née du peuple, elle renia son origine et se
tourna contre lui. Aristophane se montre l’ennemi
le plus déclaré de cette démagogie, qui, de son
temps, envahissait la république ; le défenseur le
plus intrépide des anciennes moeurs, des ancien-
nes idées, des anciennes croyances ; enfin, le plus
zélé partisan de cette démocratie sage et modérée
qu’avaient créée les institutions de Solon. Cest à
ce point de vue que M. Hamel ramène les traits
si variés de la satire du poëte. À trois reprises dif-
férentes, dans les Æcharniens, la Paix et Ly-
sistrate | Aristophane s'élève contre la guerre,
parce que le but de cette guerre , toute populaire,
était d’abaisser l'aristocratie Lacédémonienne et de
livrer la Grèce à la démagogie d'Athènes. Il atta-
que la démagogie plus directement encore, lorsque,
dans Zes Chevaliers , il met sur la scène le peuple,
personnifié sous la figure d’un vieillard imbécile,
et que, de chute en chute, il fait tomber aux inf&-
mes le gouvernement de la république. Dans /es
Guépes , enfin, il attaque ces institutions ridicu-
les qui créaient six mille juges pour vingt mille
citoyens. Toute innovation, soit dans la société ,
HISTOIRE. 79
soit dans les arts, irrite sa verve et allume son in-
dignation. S'il poursuit avec acharnement Euri-
pide, c’est qu'il laccuse de dégrader la tragédie
par une morale relächée, par la subtilité d’esprit
et le raffinement du langage. C’est encore au nom
des anciennes croyances qu'il attaque la philoso-
phie dans le personnage de Socrate : aux yeux
d'Aristophane , ses doctrines étaient pernicieuses ,
elles ne tendaient à rien moins qu’à bouleverser
l'état en détruisant les fondements sur lesquels 1l
reposait. Il ne faut pas d’ailleurs perdre de vue que
les Nuées furent jouées vingt-quatre ans avant la
mort de Socrate, et alors il pouvait bien ne parai-
tre qu’un sophiste plus habile, et par cela même
plus dangereux que les autres.
Telles sont les graves questions traitées par Aris-
tophane dans ses comédies; mais autant le fond
est sérieux, autant la forme l’est peu. La gaîté la
plus folle, la plus emportée domine l’ensemble
de la composition. Le poëte s’abandonne à tous les
caprices d’une imagination tour à tour poétique ou
bouffonne, élevée ou obscène. Tout cela a été gé-
néralement peu goûté chez nous.
L'esprit français est trop sage, trop peu poé-
tique pour se laisser aller aux écarts de la bouffon-
nerie. Ce qui lui convient, c’est la plaisanterie fine
et délicate , ou une raillerie mordante , mais rete-
nue : dans sa forme, une gaîté réfléchie plutôt
qu’abandonnée. La véritable bouffonnerie n’ajamais
été bien accueillie et bien comprise que par les
peuples à imagination vive , comme les Italiens et.
80 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
les Espagnols. Cest qu'il y a en elle une sorte de
verve qui s'allie merveilleusement à la verve poé-
tique. Aussi ne faut-il pas s'étonner que la poésie
la plus brillante et la plus variée pare la comédie
d’Aristophane. Tantôt elle s’élève jusqu’au ton le
plus lyrique du chant patriotique et guerrier :
quelquefois douce et gracieuse , elle descend jus-
qu’à la simple chanson , ou bien , comme dans les
Oiseaux , c’est une poésie légère, ailée, bigarrée,
suivant l’heureuse expression de Schlegel. Elle de-
vient alors toute fantastique ; elle prend un corps
et une figure, comme encore dans {es Nuées, les
Guépes, etc., etc.
Si l’on peut justifier chez Aristophane la bouf-
fonnerie , il n’en est pas de même de l’obscénité et.
de l’indécence qu’on lui a justement reprochées.
Tout ce que l’on peut dire pour sa défense, c’est
qu'il subit en cela l'influence forcée des goûts
populaires, et qu’il fut encore le moins indécent,
le moins obscène des poëtes de son temps. «Ne
soyons pas dit en finissant l’auteur du Mémoire,
ne soyons pas plus sévères que Socrate lui-même,
et ne dédaignons pas de nous entretenir avec
cette Muse d’un esprit si varié. Puis, lorsqu’elle
nous aura introduits dans la grave et brillante
société des historiens, des poëtes et des philo-
sophes > Nous pourrons partager sa folle gaîté ,
sourire aux jeux de son imagination si riche, si
vive et quelquefois si bizarre, applaudir même
aux traits piquants de sa verve injurieuse , en
Jui défendant toutefois d'élever devant nous une
HISTOIRE. 81
voix trop libre, et de souiller nos oreilles par
des paroles indignes du Banquet de Platon. »
La Littérature latine, plus accessible que celle
des Hellènes, au commun des lecteurs, a offert
une série de Mémoires intéressants.
M. ne LAverGnE s’est occupé de l'opinion des QÆr
philosophes romains, du temps de Cicéron, sur
la vie future, telle qu’elle résulte de plusieurs pas-
sages du Songe de Scipion, dans le G.° livre de la
République. Dans ce passage, la notion de limma-
térialité de l’Ââme est encore un peu obscure, mais
celle de son immortalité ne l’est pas. La doctrine
déjà célèbre des stoïciens sur le suicide y est
combattue par les mêmes raisons que doit donner
plus tard le christianisme, et l’on y trouve en
même temps ce dégoût de la vie mortelle qui doit
être bientôt poussé si loin par les martyrs. Le trait
le plus remarquable de ce morceau , c’est que Ci-
céron ne croit pas à l'éternité des peines. Selon
lui , les âmes des justes s’envolent d'autant plus
vite au séjour céleste, qu’elles ont plus cultivé la
vertu ; les autres restent plus ou moins sur la terre,
et les plus coupables y errent des siècles entiers ;
mais tôt ou tard les unes et les autres remontent
dans le ciel. Toute la différence est dans le plus ou
moins de difficulté qu’elles trouvent à se dégager
de leurs liens matériels.
M. SauvAGE a lu un Mémoire ayant pour titre : M, sauvaex.
De la Censure politique et littéraire chez les Ro-
mains.
82 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
On doit au même Académicien un autre Mémoire
sur l’exposition des enfants chez les Romains.
Ces deux ouvrages sont imprimés en entier dans
ce volume.
M. Sauvage a fait précéder la lecture du dernier
de ces Mémoires par le Tableau des circonstances
qui accompagnaient à Rome la naissance d'un
enfant.
L'auteur établit par plusieurs textes que lavé-
nement du nouvel hôte causait une grande joie,
et qu’aussitôt les portes de la maison étaient ornées
de couronnes de fleurs. Il croit néanmoins que la
joie des parents, dans cette circonstance, doit moins
s’expliquer par les affections naturelles que par des
considérations tirées de l’ordre social. Non que les
Romains aient ignoré les douceurs de la paternité
dont il y a mille touchantes peintures, dans leurs
poëtes surtout, mais parce que la loi qui pronon-
çait des peines contre le célibat, attachait, au
contraire , de grandes immunités à la procréation
des enfants. M. Sauvage entre, à cet égard , dans
quelques détails qu'il tire particulièrement de
Pline le jeune et de Martial , et il introduit ensuite
ses auditeurs dans la chambre de la nouvelle mère.
Là se trouve, en première ligne, une sage-
femme, sous le nom fort significatif d’obstetrix
( qui se tient auprès ), et dont les attributions
sont parfaitement indiquées dans cette curieuse
synonymie de Varron : educit obstetrix , educat
nutrix, instituit pædagogus , docet magister. À
la suite de la sage-femme viennent plusieurs sui-
HISTOIRE. 83
vantes, dont chacune, selon son office, aide l’ac-
couchée à se mettre au lit. Une scène du Trucu-
lentus de Plaute, donne, sous ce rapport, les détails
les plus circonstanciés. Un passage de Pline PAn-
cien lui sert ensuite à constater, de la maniere la
plus énergique, lexistence d’un maillot, tandis
qu’il emprunte à une autre scène de la comédie
déjà citée de Plaute, tous les détails relatifs à la
layette, les langes, les coussins, le berceau , la
couchette : fasciis opus est, pulvinis, cunis, incu-
nabulis ; petits objets , dit Plutarque , que la mère
prépare d'avance pour charmer les longs ennuis de
la gestation.
Cependant , non loin d’une table qui restera
dressée pendant huit jours en honneur de Junon,
s’élève un autel où l’on a dû invoquer à grands
cris Lucine et Diane pendant les douleurs de l’en-
fantement , afin de conjurer tous les sortiléges qui
auraient pu le retarder, et retenir l’enfant sur le
seuil de la vie. Ovide et Pline font mention de
ces usages et de ces croyances puériles, contre les-
quels Tertullien s'élève avec une éloquence tout
Africaine, en s’écriant. «Eh! quel homme échap-
pera aux piéges de l'esprit de ténèbres , lorsque
vous l’invitez aux couches mêmes , par mille pra-
tiques superstitieuses ! Oui, c’est l’idolâtrie qui ac-
couche vos femmes, etc. Idololatrit obstetrice
nascuntur , etc.» À côté de ces véhémentes in-
vectives , M. Sauvage place Les excellentes plaisan-
teries de saint Augustin sur ce nombre infini de
dieux qu’on appelait, chacun avec une attribution
\ 84 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
particulière, dans la chambre des nouveaux époux,
en attendant que d’autres dieux, non moins nom-
breux, vinssent présider à la conception , au sen-
timent , à la vie, à la naissance, et ainsi de suite.
La mythologie avait tellement pourvu à toutes les
circonstances de la vie naturelle , morale et intel-
lectuelle, qu'une lacune était impossible, tandis
que les doubles emplois étaient tres-fréquents.
Enfin, lorsque, grâces à tous ces dieux, enfant
avait vu la lumière, il fallait encore que la déesse
Levana , comme l'appelle l’auteur de la Cité de
Dieu, vint à son secours, car on le déposait à terre
aussitôt qu’il était né, et on ne le relevait que
lorsque le père avait annoncé le dessein de Pélever,
tollere, mot sacramentel que M. Sauvage se con-
tente de citer, sans autre détail, se réservant de
traiter de l'exposition des enfants dans un autre
Mémoire. Il parle donc immédiatement des visiteurs
qui survenaient pour féliciter l’accouchée et le père,
et qui n’épargnaient pas, comme on pense bien,
les questions de tout genre ; par exemple : Est-ce
un garcon ou une fille?.. L'accouchement a-t-il
été laborieux ?.. La mère nourrira-t-elle?.. Au-
lugelle a oublié aucune de ces circonstances dans
le chapitre de ses Nuits attiques , où se trouve'une
célebre allocution à une mère pour l’engager à al-
laiter elle-même son enfant. Quand c'était un
garçon, il était érop beau, comme dit Plaute, r5-
mitum lepidum. Toutefois les mères , comme tou-
jours, aimaient mieux les garçons, et les pères, les
filles. Plutarque en donne la raison, que M. Sauvage
HISTOIRE. 85
trouve plus vraie pour le dernier cas que pour le
premier, parce qu’elle est plus délicate, ainsi qu’on
peut le voir dans le vieux langage de la traduction
d'Amyot. « Il semble que les mères, entre leurs
enfants , aiment plus coustumièrement les fils que
les filles, comme ceux de qui elles espèrent le plus
de secours; et les pères, au contraire, aiment plus
les filles, comme celles qui ont plus besoin de se-
cours. » Du reste, la fin du passage contient une
observation qui a encore plus de délicatesse, peut-
être , et qui nous parait rétablir l'équilibre entre les
deux époux : «et peut-être que pour l'honneur
qu'ils s’entreportent , l’un veut sembler avoir plus
d'affection et plus d’amour envers ce qui est plus
propre à l’autre. »
La question de ressemblance entre l'enfant et
le père était fort importante. Cest à des faits de
ce genre, devenus plus fréquents sous Auguste,
qu'Horace reconnaît que les mœurs se sont amé-
liorées :
Laudantur simili prole puerperæ.
Stace , Martial et Catulle sont tour-à-tour cités à
cet égard par l’auteur du Mémoire. Puis, à côté
des vœux touchants que les poëtes expriment dans
leurs épithalames, pour que cette ressemblance
vienne garantir la chasteté de l'épouse, et chatouil-
ler doucement l’orgueilleuse faiblesse de l'époux, 1l
rapporte un passage de Pline l’Ancien , et de beaux
vers de Lucrèce sur les causes présumées de ce
phénomène physiologique.
86 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
M. Sauvage cherche à compléter son tableau en
introduisant dans la chambre de Paccouchée , la
foule des esclaves et des clients qui viennent, non-
seulement présenter leurs salutations, mais aussi
offrir des cadeaux à l’accouchée. Un esclave , dans
la première scène du Phormion de Térence , dé-
plore d’une manière fort plaisante cette triste né-
cessité. De ce passage et de plusieurs autres,
M. Sauvage tire la conséquence que la mendicité
était en quelque sorte légalement organisée à Rome,
et, pour ainsi dire, échelonnée d’une classe à l’au-
tre. La société lui semble s’y résumer en mendiants
proprement dits, en parasites, classe nombreuse
à Rome , et en mendiants officiels sous le nom de
clients et de patrons qui sont tous, plus ou moins,
des coureurs de sportule, des chercheurs de diners
ou des quêteurs de cadeaux; il paraît même que
quelques patrons, par spéculation, faisaient inter-
venir leur anniversaire plus souvent que tous les
douze mois.
« Pour obtenir de moi des cadeaux, dit Martial
à un certain Clytus, tu naïs huit fois dans l’année.
Il n’y a guères que trois ou quatre mois dans les-
quels ne se trouve pas ton jour natal. À l’heure
qu'il est, tu devrais être bien vieux. Je suis sûr que
Priam et Nestor n’ont pas vu aussi souvent que toi
leur jour de naissance; si tu continues à te mo-
quer ainsi de moi, et qu'il ne te suffise pas de nai-
tre une fois par an, je finirai par me figurer que
tu nes pas hé du tout :
Natum te, Clrte, nec semel putaho.»
| HISTOIRE. 87
M. Sauvage a aussi présenté à l'Académie la
première partie d’un Mémoire dont l'ensemble a
pour objet de rechercher les causes de la passion
des Romains pour les Jeux du cirque, notamment
pour les courses de chars, qui en étaient le premier
et le plus important. Cette passion s’explique, selon
lui, par des considérations de politique, de reli-
gion, de galanterie, et enfin par l'attrait naturel-
lement attaché aux exercices olympiques : ce qui
donnera occasion à cet Académicien de décrire suc-
cessivement autant de scènes qu'il a aperçu de
causes principales.
Dans cette première partie il ne s’occupe que du
développement des causes politiques, et 1l montre
que, depuis Romulus, qui fut en quelque sorte le
fondateur de ces solennités , les rois, les consuls ,
les empereurs, ont fait des Jeux du cirque, pen-
dant près de douze siècles, un moyen de gouver-
nement : sous la république, pour délasser et en-
courager le peuple; sous l'empire, pour Pabrutir.
Le peuple préférait les Jeux du cirque à ceux
de la scène ou de lamphithéâtre, parce qu’au
dehors comme au dedans de cette vaste enceinte,
une foule de monuments lui retraçaient son his-
toire, lui présentaient les souvenirs et les témoi-
gnages de sa valeur. Là se trouvaient racontés ses
fastes civils, religieux et militaires. C’était dans
ee livre national'que les hommes qui avaient gou-
verné, avaient écrit successivement les plus belles
pages de leur règne et de leur administration.
Il les préférait encore, parce que sur les gradins
à
88 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
du cirque, au moins jusqu’à Claude, les places
étaient point distinguées : « Là, dit M. Sauvage,
aucun insolent appariteur ne venait, comme dans
les autres Jeux, chasser le peuple des quatorze
premiers rangs, le refouler ignominieusement dans
les combles, flétris du nom de popularia , et lui
reprocher sa bassesse en présence des monuments
de sa gloire. Il n’y avait là aucune honte à être
pauvre, à ne pas posséder quatre cent mille ses-
terces, à n’être ni chevalier, ni sénateur; il suffi-
sait d’être citoyen pour avoir tous les priviléges et
toutes les émotions du spectacle. » Il les préférait
encore, non-seulement parce qu'ils étaient natio-
naux , mais parce qu’ils étaient exclusivement Ro-
mains. Les provinces de l'empire n’eurent des
cirques que bien tard.
La vie publique du peuple, quand on l’eut chassé
du Forum et du Champ-de-Mars, s’était réfu-
giée dans l’enceinte du cirque. C'était là que , sous
d’autres noms, il faisait encore de lopposition à
ses maîtres, aux empereurs eux-mêmes, et quel-
quefois avec une témérité qui lui coûta souvent
bien cher. M. Sauvage en cite plusieurs exemples,
empruntés à Suétone, à Dion, à Hérodien , à Cas-
siodore.
« Ainsi, continue cet Académicien , le peuple,
privé tout-à-fait, depuis Tibère , de ses droits
politiques, n’avait cependant pas abdiqué toute
personnalité. Sous Théodose et Arcadius, comme
du temps de Juvénal, il ne demandait, il est vrai,
que du pain et les spectacles du cirque; mais les
HISTOIRE. 89
spectacles avant tout, parce que là il avait encore
des velléités ou du moins des souvenirs de domi-
nation.» M. Sauvage justifie cette dernière obser-
vation par un passage d’une lettre du préfet Sym-
maque aux empereurs que nous venons de citer,
et il termine ainsi cette première partie de son
travail :
« Peuple enfant, qui demandait d'avance l’as-
saisonnement pour le pain qu’on allait lui donner !
Peuple dégénéré et décrépit, mais qui avait encore
cependant quelque peu de mémoire et d’imagina-
tion ! Outre l'aliment du corps, il lui fallait en-
core celui de l’âme; et quand il avait obtenu tout
cela, il simaginait qu’il ne lui manquait plus rien.
Peuple travesti, qui se nourrissait d'illusions de-
puis qu'il n'avait plus de réalités! On lui avait
enlevé, il est vrai, ses franchises, ses droits, ses
priviléges ; mais on lui avait laissé ses enseignes.
Il ne se regardait pas comme tout-à-fait mort à
la vie publique, parce que, au lieu d’un tribun, il
pouvait se rallier autour d’un cocher; et les bruyan-
tes solennités du cirque, ses mêlées quelquefois
sanglantes, images de celles du Forum et du
Champ- -de-Mars, étaient pour lui comme un Ely-
sée politique, où l’ombre d’un plébéien sinsur-
geait encore contre l’ombre d’un sénateur. »
M. pe LAVERGKE a lu un perçu de l’histoire de
PEsclavage dans l'antiquité. Suivant lauteur ,
légalité des races humaines n’existe pas par elle-
même, cest une conquête de la civilisation. Les
TOME Y. PART, II. : 7
M. »e
LAVERGNE”
go INSCRIPTIONS ET. BELLES-LETTRES.
races d'hommes sont plus ou moins développées ;
ce qui établit une supériorité des unes à légard
des autres; comme, par exemple, en ce moment,
des Européens à l'égard des Papous. Or, la supério-
rité d’une race sur l’autre donne à la première un
droit de commandement sur la seconde, et c’est
ce qui justifie jusqu’à un certain point létablisse-
ment primitif de esclavage. Mais ce droit de com-
mandement n’est réellement légitime qu’autant
qu’il est exercé au profit de ceux qui servent : il
doit être entre les mains des maîtres un moyen de
perfectionnement et mon d’oppression. Cest ce
qui n’a pas eu lieu dans Pantiquité : au lieu de se
servir du puissant levier de l’esclavage pour civi-
liser les races inférieures, les anciens ont, au con-
traire, travaillé à maintenir ces races dans leur
abrutissement. Or, comme cest une loi providen-
tielle que toute race inférieure mise en communi-
cation avec une autre plus civilisée, doit néces-
sairement s'élever, les esclaves de antiquité ont
accompli leur perfectionnement, en dehors de la
société établie et contre elle. Dans les derniers
temps de la république romaine , la population
libre s'était pervertie et dégradée, tandis que la
population esclave s’était développée et améliorée.
Les plus grands poëtes et les plus grands philoso-
phes de Rome sont des esclaves ou des fils d’escla-
ves; des gladiateurs révoltés battent des soldats
romains, et la société antique s'écroule sous l’in-
vasion des affranchis : juste punition de ses cruautés
égoiïstes et de ses aveugles préjugés.
HISTOIRE. 91
M. ou Mèce a lu deux Mémoires.
Lun est intitulé : Recherches sur les Epopées
_ méridionales.
L'autre : Premier Mémoire sur les poèmes Car-
lovingiens , qui par leur ajfjabulation se ratta-
chent aux traditions populaires du Midi de la
France.
Ces deux opuscules sont imprimés dans ce
volume.
M. ne VacquiÉ a présenté à lPAcadémie une
Dissertation sur l'invasion des Maures en Espa-
gne : cet événement important par lui-même, se
rattache d’ailleurs en quelque sorte à l’histoire de
notre patrie, exposée un moment à être soumise
à l’islamisme.
Le plus grand nombre des écrivains et les plus
accrédités d’entr’eux attribuent Vlinvasion des
Maures en Espagne, à la perfidie du comte Julien,
prince du sang des Goths. Celui-ci, pour venger
Voutrage fait à sa fille, d’autres disent sa femme,
par le roi Roderic, aurait livré sa patrie aux imfi-
dèles. — Mariana , et avec lui la foule des auteurs
espagnols, racontent ainsi le fait et dans tous ses
détails, dans ses moindres circonstances; mais
leurs récits ne peuvent soutenir le plus léger exa-
men ; plusieurs traits même en sont évidemment
fabuleux ; par exemple , Pouverture téméraire du
palais enchanté de Tolède, malgré la tradition
constante qui menaçait l'Espagne des plus grands
malheurs dès qu’on aurait forcé Penceinte fatale ;
7:
M. ou Mècx,
M. ne
VAacQuiE,
92 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
les choses prodigieuses qu’on découvrit dans le
palais, telles qu’un cadavre bien conservé , ayant
les traits et le costume d’un maure, et sur son
suaire une inscription en langue arabe annonçant
Vinvasion et la conquête ; ces faits, à la vérité,
paraissent un peu hasardés au traducteur de Ma-
riana, le Père Charenton, qui vivait dans le 18.e
siècle.
Remontant aux sources, on trouve que limagi-
nation des auteurs arabes a fait tous les frais de
l'aventure ; leurs récits, mis en chansons, se répè-
tent encore dans les villes de lAndalousie.
Le premier auteur du roman est Abulcassim-
Tarriff-Aben-Tarrick , un des capitaines de lexpé-
dition; c’est le modèle d’après lequel ont travaillé
tous ceux qui l’ont suivi ; il donne à son héroïne
le nom de Florinde, mais elle est plus générale-
ment connue sous le nom de la Cava ; don Miguel
de Luna, bibliothécaire de Philippe IT, a traduit
en espagnol l’ouvrage d’Abulcassim ; la traduction
française que nous avons lue est suivie d’une an-
cienne Dissertation fort curieuse où l’on essaie de
prouver, et, à notre avis, avec succès, que les
fables des Arabes ne sont que des allégories ; que
ces féeries dont les Mille et une Nuits sont en quel-
que sorte le type, au moins pour nous, renferment,
comme les mythes des Grecs , un sens moral sous
des images tantôt riantes, tantôt sévères, et tou-
jours un peu folles.
Il faut donc tenir pour certain, et les savants
Bénédictins, auteurs de l’histoire du Languedoc,
HISTOIRE. 03
la meilleure histoire de France que nous ayons,
d’après M. de Châteaubriand , l'avaient déjà dit en
passant , que le crime de Rodrigue et la vengeance
du comte Julien, sont des événements controuvés.
Le même Académicien a lu , dans la séance du
5 juillet, une MVotice sur le Vieux de la Mon-
tagne. Suivant l’auteur , il paraît résulter des dé-
couvertes de nos orientalistes modernes, que ces
fanatiques si fameux, sous le nom d’Æssassins, que
nos langues de l’Occidènt ont emprunté, formaient
une espèce d'ordre militaire et religieux, ayant ses
croyances particulières , ses initiations , ses degrés,
et présentant, au moins dans ses formes extérieures,
des rapports marqués avec l’organisation des Che-
valiers du Temple.
Après Mahomet , les Abassides eurent longtemps
le pouvoir politique et religieux ; mais des sectes
nombreuses , aux doctrines plus ou moins corrom-
pues , leur faisaient sourdement la guerre. Vers le
commencement du 10.° siècle de notre ère, l’une:
d’elles parvint à faire monter sur le trône d'Egypte
un prince obscur qu’elle disait descendre de Fa-
time , d’où le nom de Fatimites. Maîtresse du pou-
voir, elle s’organisa au Caire; l'assemblée de ces.
fidèles eut le nom de grande Loge ; les réunions
étaient appelées Mejalis-al-Hiemet, sociétés de la.
Sagesse.
Des professeurs , revêtus de costumes qu’ils nous,
ont transmis avec leurs sciences, enseignaient les,
diverses branches des connaissances humaines ;:
94 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
mais 1l ÿ avait un enseignement caché dont la base
était une grande foi à un sens mystique du Coran,
contraire à sa lettre ; sens mystique et qui ame-
nait au plus complet scepticisme, à l'indifférence
la plus absolue.
Un ambitieux, nommé Hassan, prêcha ouverte-
ment ces doctrines déjà fort répandues ; ses parti-
sans sarmèrent; plusieurs forteresses tombèrent
en son pouvoir ; il se créa un état. Après lui ve-
naient les Dais ou missionnaires; puis les Compa-
gnons ( refékes); au-dessous de ceux-ci, les Dévoués
ou Fédavis; ils étaient chargés d’aller poignarder
_ les adversaires du Seigneur de la Montagne (de
senior nous avons fait veux ); et leur fanatisme,
exalté par les délices des jardins d’Alamont, dans
la Perse septentrionale, ne connaissait plus d’obs-
tacles. Hassan prèchait d’ailleurs d'exemple à ses
disciples ; il fit périr ses deux fils, et laissa son
pouvoir à deux de ses ministres.
Les Templiers firent une rude guerre aux 4s-
sassins et les assujettirent à un tribut. Pour s’en
affranchir, ils offrirent au roi de Jérusalem de re-
cevoir le baptème ; mais les Templiers ayant fait
massacrer les ambassadeurs à leur retour, cette
négociation n’eut pas de suite.
Les sheiks d’Alamont se succédèrent jusqu’à
Hassan IT, dont toute la gloire se borna à abolir
les abstinences du Ramadan : sous son fils , le Dai
al Kebir ou Grand Prieur, qui administrait ordre
en Syrie, prit l’engagement de faire respecter les
jours du grand Salah-Eddin et sy montra fidèle.
HISTOIRE. 9
Le Sheik Yella-Eddin s'étant rapproché des puis-
sances orthodoxes de l’islamisme, en reçut le titre
de prince; mais le mécontentement de ses sujets
qui le firent périr l'empêcha de jouir longtemps
de cet honneur.
Bientôt les Tartares, venant en aide au calife
de Bagdad, s'emparent du château fort d’Alamont,
et font un massacre général des Assassins.
Vers la même époque, les Mameluks font subir
le même sort à la branche Syrienne. Malgré cette
destruction sans appel, on retrouve encore en
Orient des débris de la grande Loge du Caire,
désignés sous le nom de Sufites. On les accuse
d’être matérialistes et athées, mais sans action
extérieure, quoiqu’appartenant aux classes élevées,
ils n’arment plus pour leurs querelles le poignard
des Fédavis.
DISSERTATIONS
ET
MÉMOIRES.
DE LA CENSURE
POLITIQUE ET LITTERAIRE
CHEZ LES ROMAINS,
Par M. SAUVAGE.
L'Hisromr Romaine s'ouvre en quelque sorte par
la lutte de deux principes, par la querelle, qui fut
depuis incessante , de l'aristocratie et de la démo-
cratie. À peine le combat est-il engagé, que la
satire commence à naître ; mais, presque en même
temps aussi, une loi terrible, punissant de mort
l'ironie plébéienne, vient couper court à toutes
les tentatives. «La loi des Douze tables, dit
» Montesquieu, est pleine de dispositions très-
» cruelles; mais celle qui découvre le mieux le
» dessein des décemvirs, est la peine capitale pro-
» noncée contre les auteurs des libelles et des poë-
» mes satiriques. Cela n’est guère du génie de la
» république, où le peuple aime à voir les grands
» humiliés; mais des gens qui voulaient renverser
100 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
» la liberté, craignaient des écrits qui pouvaient
» rappeler lesprit de la liberté. » Cette disposition
ne fut pourtant pas expressément abrogée après la
‘ courte tyrannie des décemvirs, non plus que les
autres lois pénales qu’ils avaient établies. On peut
dire seulement qu'elle ne fut point appliquée, grâce
à la loi Porcia qui parut bientôt après, et qui dé-
fendit de mettre à mort un citoyen romain. Voici,
du reste, dans quels termes la loi décemvirale était
conçue : «Si quis occentassit malum carmen ,
» sive condidissit , capital esto. Quiconque aura
» composé ou récité publiquement des vers inju-
» rieux, sera puni de mort, »
Horace raconte dans une de ses épîtres, la pre-
mière du second livre, comment cette loi était
devenue nécessaire, et dans cette narration extré-
mement remarquable , soit comme monument his-
torique, soit comme morceau de style, il ne lui
échappe pas un mot qui implique le blâme d’une
aussi excessive sévérité. La force de certaines ex-
pressions , le ton léger de quelques autres, sem-
blent, au contraire, insinuer une apologie. « Nos
» aieux, dit-il, cultivateurs robustes et sobres,
» quand leurs grains étaient serrés, passaient les
» jours de fête à se délasser des peines que l’es-
» pérance d’en voir la fin leur faisait supporter.
» On s’adressait, on se renvoyait des bons mots
» rustiques, et Fi Le liberté que ramenait cha-.
» que année, ne fut d’abord qu'un badinage
» innocent , {sit amabiliter; mais le jeu devint
» cruel et se tourna même en rage. Menaçante,
MÉMOIRES. IO1
» impunie, la satire attaqua les familles les plus
» estimées :
In rabiem verti cœpit jocus , et per honestas
Ire domos , impunè minax.
» Ceux qu'avait entamés sa dent meurtrière se
» plaignirent; ceux qu’elle épargnait encore se
» rallièrent à l'intérêt commun. Enfin une loi fut
» portée qui prononça des peines contre quiconque
» déchirerait la réputation d’un autre par des vers
» satiriques. La peur du bâton força les poëtes à
» changer de style : T’ertére modum formidine fus-
» dis ; il fallut se contenter de plaire sans médire.
» Ab benè dicendum delectandumque redacti. »
L’apologie de cette loi n’est qu'indiquée dans
Horace, mais elle est tout-à-fait explicite dans un
beau passage de la République de Cicéron que
Saint Augustin nous a conservé (liv. 2, chap. 9,
Cité de Dieu). «Nos Douze tables, dit Cicéron,
» quoique très-réservées sur les peines capitales,
» en ont cependant prononcé une contre ceux qui
réciteraient publiquement ou composeraient des
» vers injurieux ou diffamatoires. Rien de plus
» sage, præclarè , ajoute-t-il , car notre vie, sou-
» mise à l'examen légitime des juges et des magis-
» trats, ne doit point l'être aux caprices des poëtes,
et il n’est permis de nous accuser que devant un
» tribunal où nous puissions répondre (1). »
IL est à remarquer que cette liberté satirique ,
S
Ÿ
2
Ÿ
RE PE RP ut ie
(1) De la Répub. 4-10.
102 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
d’abord tolérée en Grèce , avait aussi dégénéré en
licence, et appelé la vindicte des lois. C’est encore
Horace qui nous l’apprend dans quelques vers de
VArt poétique, où 1l raconte l’histoire de la poésie
dramatique chez les Grecs. Aïnsi partout l'abus
touche de près à l’usage; telle est la loi de lesprit
humain. Environ cinquante ans après que la peine
de mort était portée à Rome contre les écrits sa-
tiriques, une loi réformait la licence du théâtre à
Athènes :
-....... Lex est accepta, chorusque
Turpiter obticuit, sublato jure nocendi.
Je suis loin assurément de blâmer cette censure
dramatique ; c’est peut-être la plus importante de
toutes, si l’on songe à l’influence que peut exercer
le poëte sur les grandes assemblées, influence si
bien marquée dans un autre passage du même
traité de la République que je citais tout à l’heure,
et qui nous a encore été conservé par l’auteur de
la Cité de Dieu. « Quand les poëtes ont pour eux
» les applaudissements et les cris du peuple, quel-
» les ténèbres ils répandent dans les esprits! de
» quelles terreurs ils les frappent ! comme ils y al-
» lument le feu des passions! Quos invehunt metus!
» quas inflammant cupiditates ! » Ces réflexions
ne sont pas moins pleines de force que de sagesse;
. mais il importe de faire remarquer, quant au sujet
qui nous occupe en ce moment , que l'établissement
des lois pénales contre les écrits , coïncide à Rome
avec le règne de Paristocratie des décemvirs , ét, à
Athènes, avec la domination des trente tyrans qui
MÉMOIRES. 103
lui furent imposés par Lysandre, après la prise de
cette ville. Quoi qu’il en soit, je n’ai trouvé nulle
part que la peine capitale, en matière décrits, ait
été appliquée sous la république, même pendant
la courte durée de la tyrannie décemvirale. Je vois
bien que Névius expia par l'exil Paudace de ses
satires, et il est probable que Lucilius, qui atta-
qua, en les nommant, les personnages les plus
considérables , aura eu quelquefois besoin de lap-
pui de Scipion et de Lælius dont il avait mérité
Vestime et Pamitié. IL faut croire que la loi Por-
cia, dont j'ai déjà parlé, cette loi qui fit plus
qu'aucune autre, dit Tite-Live, pour la liberté
romaine, servit de bouclier, sans doute, aux poëtes
comme aux autres citoyens, et les garantit du
moins de Pignominie du bâton , et de la main du
bourreau. Mais la pénalité reparut avec les ten-
dances aristocratiques de Sylla; animé du même
esprit que les décemvirs , il-augmenta comme eux
les peines contre les écrits satiriques ; sous lui, ce
fut un crime de majesté , dit Cicéron, d’attaquer
autrui par de vaines déclamations. ’erumtamen
est majestas, ut Sylla voluit ne in quemvis im-
punè declamare liceret (Cicero ad diversos, 3-XT).
Il paraît aussi que la disposition des Douze tables
était encore, du temps d'Horace, dans toute sa vi-
gueur , car il y fait manifestement allusion dans
un passage de la première satire du second livre.
Le poëte déclare à Trébatius qu'il ne peut dormir
sil ne fait des satires. Alors son interlocuteur,
après des conseils fort plaisants , qui ne produisent
104 INSCRIPTIONS ET BÊLLES-LETTRES.
aucun effet, croit devoir lui rappeler le danger de
cette profession, et en habile jurisconsulte, qui sait
parfaitement son code pénal, il lui cite la loi des
Douze tables, dont il reproduit le texte, autant que
le permet l'exigence de la mesure. -
Si mala condiderit in quem quis carmina , jus
estjudiciumque, et, en effet, histoire est ici d’ac-
cord avec le récit du poëte. Suétone et Tacite ne
laissent aucun doute à cet égard. Le premier
(Aug. 55), après avoir dit qu'Auguste ne craignit
point les libelles diffamatoires répandus contre lui,
et ne prit aucun soin de les réfuter, ne s’inquiétant
pas même de savoir quels en étaient les auteurs,
ajoute cependant qu’il ordonna pour l'avenir qu’on
poursuivit, cognoscendum posthàc, ceux qui, sous
un nom emprunté, publieraient des pamphlets ou
des vers attentatoires à la réputation de qui que ce
fût... Cependant il s’opposa à ce qu'il fût pris au-
cune mesure pour réprimer la licence du langage
employé dans les testaments : de inhibendé testa-
mentorum licentiä. Ce trait fait assez voir où en
était alors la liberté d'écrire, puisque l'esclavage de
la pensée ne cessait qu'avec la vie, et que la vérité
ne semblait pouvoir s'échapper qu’à travers les
pierres d’un tombeau. ( V. Tacite, Ann. 6-38.)
Tacite vient confirmer le récit de Suétone. Après
avoir rappelé l’ancienne loi contre les crimes de
lèse-majesté, il ajoute : « Auguste fut le premier
» qui soumit les libelles aux recherches de cette loi ;
» primus Augustus cognitionem de famosis libel-
» lis specie legis éjus tractavit. » (Annal. 1-72.)
MÉMOIRES. 105
Du reste, cette peine de mort contre les écrits sa-
tiriques assimilés aux crimes de lèse-majesté, ne
disparaîtra plus maintenant de la législation pé-
nale , et elle sy présentera quelquefois avec des
circonstances atroces qui prouveront que la liberté
d'écrire est le crime que pardonne le moins la ty-
rannie ; témoin l’horrible supplice dont parle Juvé-
nal dans sa première satire. Ce poëte ne croit pas,
comme Cicéron, que la loi suffise pour accuser,
et que la vindicte publique ne puisse et ne doive
s’exercer que par des tribunaux régulièrement
établis : il pense , au contraire , que la justice
ordinaire est trop souvent impuissante ; qu'il
est des crimes, des vices surtout plus funestes en-
core que les crimes à l'existence des sociétés, que
cette justice ne saurait atteindre; que la morale
publique appelle quelquefois à son secours la voix
d’un homme courageux qui ait pour mission de
condamner ce que le code est forcé d’absoudre, et
que le ministère de la satire doit commencer là où
s'arrête celui de la loi. — Soit, répond un ami au
courageux poëte : mais nomme seulement Tigelli-
nus, ton cadavre empalé servira de fanal , et traîné
sur l’arêne il y tracera un large sillon.
Pone Tigellinum, tæda lucebis in illé
Qué stantes ardent fixo qui gutture fumant,
Et latum medi@ sulcum diducis arend.
Tacite et Aulugelle confirment lexistence de cet
affreux, supplice, qui fut surtout appliqué aux
premiers chrétiens sous Néron; et Juvénal fait en-
tendre , avec son énergie accoutumée , que tel avait
TOME V. PART. II,
106 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
déja été, ou du moins pouvait être, le châtiment
d’un poëte qui, dans le silence des lois et de toute
justice, aurait eu le courage de traduire quelque
infame affranchi devant le tribunal de l'opinion pu-
blique. Aïnsi le supplice des verges, même jusqu’à
la mort, ne suffisait déjà plus ; il fallait que l’auteur
d’un généreux écrit, enfoui en terre jusqu’au milieu
du corps, füt entouré de feu, et qu’enduit de ré-
sine , il éclairât, en guise de flambeau, les spec-
tacles ou les orgies du prince. (Tacite, Annal.
15-44.) |
On pense bien que Tibère ne laissera point tom-
ber en désuétude cette peine capitale renouvelée
par Auguste contre de prétendus libelles; et si le
courage manque, par hasard, aux écrivains de l’é-
poque, on fouillera dans les écrits du passé, pour
y trouver des crimes dont personne encore n’avait
entendu parler : novo et tèm primüum inaudito
crimine. En effet , Crémutius Cordus fut poursuivi
sous Tibère, pour avoir loué Brutus, et appelé
Cassius /e dernier des Romains. Quand on songe
que les Annales où se trouvent ces paroles si sim-
ples et si belles, avaient été approuvées plusieurs
années auparavant, et récitées devant Auguste :
Quamvis probarentur ante aliquot annos , etiam
Augusto audiente recitata ; quand on considère
surtout qu'il y avait plus de soixante ans que
Cassius et Brutus étaient morts, il faut, pour
croire à la réalité d’une pareille accusation, que
Suétone en fasse mention (Tibère Gr ) avec sa
précision et son indifférence ordinaire, et qu’elle
ÿ
MÉMOIRES. 107
soit consignée dans quelques-unes des plus belles
pages de Tacite : pages sublimes, dont je me
sens d'autant plus entraîné à reproduire quelques
fragments, que la noble défense de Crémutius
Cordus contient, en quelque sorte, ce qu’on pour-
rait appeler chez les anciens , avec une expression
moderne, l’histoire et la philosophie de la liberté
de la presse. Voici comment l’auteur inculpé re-
poussa l’accusation intentée contre lui , résolu
d’ailleurs, pour en prévenir l'issue, à abandonner la
vie. (Annal. 4-34.)
«Pères conscrits,on accuse mes paroles, tant mes
» actions sont innocentes : adeù factorum innocens
» sum. Mais ces paroles n’attaquent ni le prince,
» ni sa mère, les seules personnes qu’embrasse la
» loi de majesté. On me reproche d’avoir loué
» Cassius et Brutus, dont aucun écrivain n’a parlé
» que dans les termes les plus honorables. Le plus
» éloquent et le plus intègre de nos historiens ,
» Tite-Live, a parlé de Pompée avec tant d’éloge,
» qu'Auguste l’appelait le Pompéien , et il ne pa-
» raît pas que leur amitié en ait été altérée. Afra-
» mius Scipion, ce même Cassius, ce même Bru-
» tus, qu'on traite aujourd’hui de brigands et de
» parricides, n’ont jamais reçu de lui ces noms
» odieux, et souvent il les qualifie de grands hom-
» mes. Les écrits de Pollion consacrent encore la
» mémoire de ces mêmes Romains ; Messala Cor-
» vinus appelait hautement Cassius son général ,
» et cependant Messala et Pollion furent comblés
» de richesses et d’honneurs. Cicéron dans un de ses
8.
108 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
» ouvrages éleva Caton jusqu'aux cieux. Que fit le
» dictateur César ? Il réfuta l’ouvrage ; il rendit le
» publicjuge entre Cicéron et lui. Les lettres d’An-
» toine, les harangues de Brutus, ne sont que des
» satires d’Auguste, assurément injustes, mais san-
» glantes; et dans les vers de Bibaculus et de Ca-
» tulle, on lit, à chaque page, des invectives contre
» les Césars. Cependant Jules et Auguste ont en-
» duré, ont dédaigné ces outrages ,et je ne sais s’il
» faut louer en cela leur modération plus que leur
» politique : kaud facilè dixerim moderatione ma-
» gis an Sapientid, car le mépris fait tomber la
» satire, et le ressentiment l’accrédite. Je ne parle
» pas des Grecs, dont la liberté, dont la licence
» même fut impunie, et chez lesquels l’on ne s’est
» vèngé d’un mot que par un mot, dictis dicta ul-
» us est. Mais certes on n’a jamais contesté nulle
» part le droit de parler librement de ceux quë
» la mort avait affranchis de la faveur ou de la
» haïne. Croit-on que mes écrits aillent rallumer
» la guerre civile, et ramener Cassius et Brutus en
» armes dans les champs de Philippe ? ou veut-on
» empêcher que, morts depuis plus de soixante ans,
» une partie de leurs traits ne soit conservée dans
» les récits de lhistoire, comme elle l’est dans
» leurs images que le vainqueur même n’a pas dé-
» truites. Oui, Pères conscrits, la postérité assigne
» à chacun sa portion de gloire, suum cuique
» decus posteritas rependit; et croyez, si je suis
» condamné, qu’on ne s’en souviendra pas moins
» de Cassius et de Brutus, et même de moi.
MÉMOIRES. 109
» Crémutius, ajoute Tacite , sortit ensuite du
» sénat, et se laissa mourir de faim. Les Pères
» condamnèérent son ouvrage à être brülé par les
» édiles , mais il fut conservé en secret, et depuis
» il a reparu. Qu'on rie donc maintenant, continue
» le même écrivain , de l’aveuglement de ceux qui
» pensent que leur pouvoir éphémère étouffera la
» voix des siècles, et la justice de lincorruptible
» avenir. Au contraire , les ouvrages opprimés en
» deviennent plus imposants : Punitis ingenüs ,
» gliscit auctoritas , et les rois , et tous ceux qui
» ont employé de pareilles persécutions , n’ont fait
» que préparer la gloire des auteurs et leur op-
» probre à eux-mêmes. Dedecus sibi, illis gloriam
» peperére. »
Permettez-moi , Messieurs, pendant que vous
êtes encore sous l’impression de ces nobles et tou-
chantes paroles, de rapprocher de ce beau passage
une autre réflexion du même écrivain sur le même
sujet. Néron ayant banni l’auteur d’un poëme sa-
tirique , et ordonné que l’ouvrage fût livré aux
flammes, on rechercha cet écrit, dit Tacite; on
le lut avidement tant qu'il y eut du péril à se le
procurer ; sitôt qu’on eut levé la défense, Pouvrage
fut oublié. Conquisiti lectitatique , donec cum pe-
riculo parabantur ; mox licentia habendi oblivio-
nem attulit.
Du reste, la belle défense que Tacite a placée
dans la bouche de Crémutius Cordus remplit une
des lacunes de ma Dissertation; elle consacre Pin-
dulgence de César en matière d’écrits ou de paroles:
110 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Il est vrai que si César, comme la dit un grand
orateur parmi nous, fut clément jusqu’à s’en re-
pentir, ce fut surtout en pareille rencontre qu’il
montra le plus de cette indulgence. Elle se trou-
vait sans doute au fond de son caractère, mais elle
fut certainement aussi un des secrets de sa politi-
que. Ni les propos injurieux, en effet, ni les écrits
satiriques ne lui furent épargnés. Ses soldats eux-
mêmes mêlaient impunément aux chants de triom-
phe les injures les plus grossières ; Catulle, dans
une épigramme célèbre, lui reprochait d’horribles
infamies, et ce même homme qui se montrait si
chatouilleux, je ne veux pas dire si délicat, sur
honneur de sa femme, retenait à diner le poëte
qui l'avait si scandaleusement outragé.
Tacite rend également justice à Auguste sous
ce rapport, et ici l'embarras de la postérité est
beaucoup plus grand qu’en ce qui touche César.
Mais il a Tacite pour lui, et il faut convenir que
cette autorité est d’un bien grand poids. « Je suis
» bien fort dans mes maximes, dit Montesquieu,
» quand jai pour moi les Romains.» Un César,
quel qu’il soit, doit être moralement bien fort,
quand il a Tacite pour lui. Or, cet écrivain qui ne
croyait pas, il est vrai, à la possibilité du gouver-
nement représentatif, qui le regarde même comme
une brillante chimère dont il est plus facile de dire
du bien que de la réaliser, Zaudari facilins quäm
evenire potest ( Ann. 4-33); cet écrivain , disons-
nous , marque le passage de la république à
Vempire , sans approbation , mais avec plus de
MÉMOIRES. ii
bienveillance que de blâme. On se lassa de discor-
des civiles, dit-il, et Auguste fut accepté pour
maître sous le nom de prince : Cuncta discordiis
civilibus fessa, nomine principis, sub imperium ac-
cepit. Tout le reste du chapitre et de cette belle in-
troduction des Annales tourne à la louange d’'Au-
guste,bien plus qu’à la censure deson gouvernement.
Vous avez pu remarquer aussi, dans le discours de
CrémutiusCordus,quelle fut la tolérance de ce prince
pour les écrits ou les paroles qui ne regardaient
que sa personne. Du moins tout semble témoigner
qu'il ne condamna jamais les regrets du passé. Ho-
race et Virgile, que l’on a si souvent qualifiés de
lâches courtisans, ont pourtant écrit leurs plus
belles pages sous l'émotion des idées républicaines
et avec le souvenir de leurs plus glorieux représen-
tants. Pour tous les deux, Caton est l’idéal de la
vertu et de la piété patriotique. Il est vrai qu'Au-
guste eut la faiblesse, ou , pour mieux dire, lingra-
titude de livrer à la vengeance d'Antoine la tête de
Cicéron; mais il paraît en avoir éprouvé de profonds
regrets, et l’histoire atteste que dans un de ces
épanchements où le cœur se trahit, il honora un
jour d’une manière non équivoque le souvenir du
célèbre orateur et de l'excellent citoyen. Les chan-
gements politiques, qui ne sont pas toujours des
lâchetés ni de honteuses capitulations, se firent
même , sous lui, avec une certaine noblesse. Mes-
sala , qui avait servi sous la république, rappelait
volontiers avec éloge, comme l’a dit encore Tacite,
le nom de Cassius son ancien général, et un mot
112 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
de lui, non moins adroit, il est vrai, que hardi,
ne fait pas moins d'honneur à l’homme qui le pro-
nonça, qu’à celui qui le laissa dire. Après la ba-
taille d’Actium, où il avait combattu pour Octave,
Messala s’avance yers le vainqueur d'Antoine, et
lui dit avec une noble liberté : « Octave, il est de
» ma destinée d’être toujours dans le meilleur
» parti.»
Sous Néron , la peine de mort fut demandée
contre l’auteur d’un poëme satirique qui attaquait
ce prince. Le consul désigné était d’avis qu’on miît
à mort le poëte, suivant l’usage des premiers temps,
necandum more majorum. Mais, grâce au courage
du célèbre Thraséas, encore impuni, qui opina
dans un sens contraire, la peine fut commuée en
celle de Pexil. (Annal. 14-48.) Ce beau nom de
Thraséas qui est venu sous ma plume, me rappelle
que les libres écrits n'étaient pas alors les seules
protestations contre le pouvoir d’un seul, ni les
seules aspirations vers le retour de l’ancienne li-
berté. Quelques beaux vers de Juvénal font allu-
sion à de patriotiques banquets où les convives,
couronnés de fleurs, buvaient du meilleur vin au
souvenir des deux Brutus et de Cassius dans les
jours de leurs glorieux anniversaires.
.….. Quale coronaii Helvidius , Thraseaque bibebant
Brutorum et Cassf natalibus.
Il faut dire cependant, non pour adoucir l’hor-
reur qu'inspirent des noms tels que ceux de Néron
(1) Voir Suétone de Pankoucke , pag. 10 des Recherches.
MÉMOIRES. 113
et de Tibère, mais pour établir cette consolante
vérité, que la tyrannie elle-même ne peut pres-
crire contre la libre émission de la pensée et de la
parole ; il faut dire que ces deux empereurs laissè-
rent quelquefois passer impunies les plus san-
glantes allusions descendues même du théâtre.
Etait-ce fatigue de punir ? était-ce un hochet que
la politique du prince laissait au peuple pour le
distraire de la servitude? Tacite, il est vrai (Ann.
6-29), parle d’une allusion dénoncée et punie; mais
Suétone nous a laissé une anecdote célèbre ( Tibère
45 ) qui confirme notre observation à l'égard de
Tibère ; et quant à Néron, indépendamment de
plusieurs autres traits, voici comment s’exprime
ce même biographe :
«Ce qui est étonnant et digne de remarque,
» c’est qu'il n’est rien que Néron supportät mieux
» que les malédictions et les reproches, et que ja-
» mais il ne se montra plus doux qu’envers ceux
» qui l'avaient attaqué dans leurs discours ou dans
» leurs vers.» (Néron, 30.) Ainsi les monstres ont
aussi quelquefois leurs moments d'humeur libérale,
et quand il leur est arrivé d’être débonnaires , ils
pourraient dire par une horrible parodie d’un mot
justement célèbre : « Et moi aussi, j'ai perdu ma
» journée. »
Je n’ai pas la prétention de tout dire dans la
recherche à laquelle je me livre en ce moment. Il
me suffira d’avoir prouvé que la peine capitale fut
établie chez les Romains, presque à l’origine de la .
république, contre la libre expression de la pensée
I1A INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
et même de la parole; que jamais, dans les plus
beaux temps de cette glorieuse période, elle ne fut
expressément abrogée ; qu’on la retrouva toujours
dans le code comme une épée dans son fourreau,
lorsqu'il fut nécessaire de Pinvoquer ; et qu’enfin
elle se montra encore à la fin de l'empire comme
elle avait apparu au comméncement et au milieu.
En effet, la peine capitale se trouve reproduite
dans un édit de libellis famosis, de Valentinien et
Valens , non-seulement contre les auteurs des li-
belles injurieux, mais contre celui qui, les ayant
trouvés par hasard, ne les aura point lacérés ou brü-
lés, ou les aura fait connaître à d’autres. Sciat se
quasi auctorem hujus delicti capitali sententiæ
subjugandum. Du reste, le même édit invite qui-
conque aura de salutaires avis à donner à l’autorité,
à s'approcher d’elle avec confiance en citoyen dé-
voué à la chose publique, au lieu de recourir à la
voie des libelles, et à compter sur un accueil bien-
veillant, même sur des récompenses. Ore proprio
dicat quæ pér famosum libellum persequenda
putaverit , elë. : il y aurait de quoi se laisser sé-
duire par le caractère de loyauté qui semble res-
pirer dans ces termes de l’édit; mais voilà que tout
à coup, et sans qu’on ait lieu de sy attendre, le
donneur d’avis est menacé de mort , s’il ne parvient
pas à établir la vérité de ses assertions. Sir verd
minime hœc vera ostenderit, capitali pœnt plec-
tetur. [n’est pas probable que, sous le règne d’une
pareïlle législation, les empereurs Valentinien et
Valens aient reçu beaucoup d’avertissements. Quel-
MÉMOIRES. 115
ques princes toutefois, vers la fin de l'empire, tels
que Théodose , Arcadius et Honorius, en main-
tenant la sévérité de la loi contre les écrits , se sont
montrés noblement indulgents pour les paroles.
Sachant combien la langue a de promptitude , /u-
bricum linguæ , et qu'il est plus difiicile, même
pour l’homme sage, d’éteindre des charbons ar-
dents dans sa bouche, que de garder un bon mot,
ils recommandent à Ruflin, préfet du prétoire, de
ne pas regarder les paroles comme un crime capi-
tal. QSi quelqu'un parle mal de notre personne ou
» de notre gouvernement, nous ne voulons point
» le punir : s’il a parlé par légereté , il faut le mé-
» priser ; si c’est par folie, il faut le plaindre; si c’est
» une injure, il faut lui pardonner. Sz id ex levi-
» tate processerit , Contemnendum ; siex insanid,
» miseratione dignissimum ; si ab injurid , ignos-
» cendum. ( Leg. unica , Cod. Si quis imperat. ma-
» led. )»
116 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
—————_
DE L’EXPOSITION
CHEZ LES ROMAINS ;
Par M. SAUVAGE.
Ox sait que la loi romaine donnait au père de
famille le droit de vie et de mort sur ses en-
fants, et que cette autorité se maintint dans
toute sa vigueur jusque vers les derniers temps
de la république, à l’époque même de sa plus
grande corruption. On sexplique aussi tout ce
que cette puissance avait d’exorbitant, quand
on songe aux avantages que la république en
retira dans plusieurs circonstances critiques , les
seules, du reste, où l’histoire ait mentionné lexer-
cice d’un droit aussi rigoureux. Mais cette au-
torité, dont la loi avait investi le père dans
l'intérêt de l’état, n’allait pas jusqu'à lui per-
mettre de rejeter loin de lui l’enfant auquel
il avait donné le jour. En le rendant juge de
ses enfants, cette loi avait prétendu , au contraire,
lui imposer l’obligation de les élever; elle avait
voulu en faire un magistrat et non pas un bour-
reau. Îl faut donc remonter jusqu'aux premiers :
MÉMOIRES. 117
temps de Rome, c’est-à-dire jusqu'à Romulus
lui-même, pour trouver lunique disposition qui
déroge à cet esprit de la loi et aux prescriptions
de la nature. « Romulus, dit Denys d’'Halicar-
» nasse, imposa à tous les citoyens lobligation
» d'élever tous les enfants mâles et les aïnées
» des filles. Si les enfants étaient difformes et
» monstrueux, il permettait de les exposer, après
» les avoir montrés à cinq des plus proches voi-
» sins, qui devaient, dans ce cas, donner leur
» approbation.» Il résulte de ce passage, que
le père avait réellement le droit d'exposer les
filles cadettes. Mais ce qui prouve que ce n’était
là qu’une concession faite, à regret, à l’usage établi
sans doute de temps immémorial, et que la loi
de Romulus avait moins pour objet d’autoriser
l'exposition que d’en réprimer Pabus, c’est la
clause pénale qui accompagne cette disposition,
et qui assigne au fisc, entr’autres peines, la moi-
tié des biens de quiconque ne se renfermerait
point dans les limites qu’elle avait fixées. In eos
verd qui contra leges istas fecissent, mulctas sta-
tuit, cùm alias, tüm etiam hanc, qué dimi-
dium bonorum, quæ ipsi possiderent, ærario
addixit. Quand on songe , d’un autre côté, que le
même législateur, en accordant au père le droit
de vie et de mort, ne lui permettait toutefois
d'en user qu'à l'égard des enfants qui avaient
trois ans accomplis, on reconnaît, avec émo-
tion, une de ces délicatesses qui n’appartiennent
qu'aux siècles polis, et qui devrait nous rendre
118: INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
bien réservés dans les jugements que nous por-
tons avec tant de légèreté sur de prétendues
époques de barbarie. Quoi qu’il en soit, cette
exclusion des filles cadettes tomba sans doute
bientôt en désuétude, car on retrouve encore dans
le même Denys d'Halicarnasse, que la loi qui ordon-
nait aux citoyens de se marier et d'élever tous
leurs enfants, était en vigueur l’an 277 de Rome.
Il ne faut donc pas s'étonner que la loi des
Douze tables, qui parut quelques années après,
c’est-à-dire l’an de Rome 307, n'ait rien statué
sur lexposition des enfants. Elle reproduisit,
il est vrai, celle de Romulus qui concerne len-
fant monstrueux ; mais chez un peuple aussi
susperstitieux, et où la rencontre d’un homme
contrefait était regardée comme un mauvais
présage, on conçoit que la loi ait dû condamner
les monstres , et que le sentiment religieux lait
emporté sur le sentiment naturel. « Félicite-toi,
» dit Juvénal à l’époux d’une femme qui se fait
» avorter pour échapper aux risques de l’enfante-
» ment, félicite-toi, malheureux; car si ta femme
» consentait à porter dans ses flancs élargis le
» fruit tressaillant de sa fécondité, tu serais peut-
» être le père d’un Ethiopien , que , malgré sa cou-
» leur, il te faudrait inscrire sur ton testament,
» et dont tous les matins tu serais forcé d'éviter
» la rencontre. »
EC ces
Æthiopis fortassé pater ; mox decolor hœæres
Impleret tabulas , nunquàm tibi manè videndus.
MÉMOIRES. 119
Il est donc vrai de dire, que depuis Romu-
lus on ne trouve dans les lois romaines aucune
disposition qui permette aux pères d’exposer
leurs enfants. On doit présumer, au contraire,
d’après un passage de Tacite, qu'il y avait, de
son temps , des lois qui le défendaient , mais qui
étaient tombées en désuétude. « Les Germains,
» dit cet auteur, ne craignent pas d’avoir trop
» d'enfants; ils ne tuent pas ceux qui dépassent
» un certain nombre; ils regardent cela comme
» une infamie, et les bonnes mœurs ont plus
» de force chez eux, qu'ailleurs les bonnes lois : »
Plusque ibi boni mores valent quüm alibi bonæ
leges. Du reste, ce qui n’est qu’une conjecture
par rapport aux temps de Tacite, se tourne plus
tard en certitude.
Les Empereurs chrétiens ne se contentèrent
pas de fonder des établissements en faveur des
enfants trouvés, sous le nom de brephotrophies ;
ils déclarèrent punissable celui qui exposerait
ses enfants. On trouve au livre 8 du Code,
titre 2, de infantibus expositis, plusieurs dis-
positions du plus haut intérêt , notamment
celle qua déclare libre, par le seul fait de son
exposition , tout enfant abandonné, nonobs-
tant les titres de propriété qui pourraient être
établis par une réclamation ultérieure, et sans
préjudice des peines encourues par les auteurs de
l'exposition , dont linhumanité, pire qu’un homi-
cide quelconque, dit Justinien, est d'autant plus
affreuse qu’elle s'exerce sur des êtres plus mal-
120 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
heureux. Enim verd hberos esse sancimus, ne
illis quidem, qui hæc faciunt, irrogandas ex
legibus nostris pœnas effugientibus, velut omni
refertis inhumanitate et crudelitate, quæ tantd
quovis homicidio pejor est, quantd miserioribus
eam inferunt. Noble et touchante réaction de la
loi, qui, en déshonorant le coupable, ennoblit la
victime, et fait de l’infortune un titre à la li-
berté ! Il y a une coutume en Espagne qui me
semble inspirée par ces belles paroles. On dit que
les enfants trouvés y sontréputés nobles. La liberté,
en effet , n’était-ce pas la noblesse de l’esclave ?
Maintenant que je crois avoir établi, Messieurs,
contre l'opinion vulgairement reçue, que posté-
rieurement à Romulus, le père qui avait droit de
vie et de mort sur ses enfants, n'avait pourtant
pas celui de les exposer ; que le second de ces droits
ne pouvait être surtout une conséquence du pre-
mier, puisque l'autorité paternelle, par son éten-
due même, impliquait au contraire le devoir de
les élever; je vais m'occuper du fait même de
exposition, soit qu’elle ait été pratiquée avec
la tolérance de la loi, soit qu’elle ait échappé à
son action. Pour le développement de ce double
point de vue, j'invoquerai successivement le té-
moignage de la philologie et celui de la littérature.
Quand nous ne saurions pas, d’après le pas-
sage de Denys d'Halicarnasse rapporté plus haut,
que du temps de Romulus, et certainement avant
lui, l'exposition libre était pratiquée dans cer-
taines limites, nous en trouverions les preuves
MÉMOIRES. 121
dans quelques-uns des termes de la langue latine.
Même quand les usages ne sont plus, les mots
qui les exprimaient subsistent encore, sinon avec
une valeur réelle et littérale, du moins avec une
valeur symbolique semblable à ces médailles qui
consacrent un souvenir. Aussi ne peut-on séparer
l'étude des mœurs de l’étude des langues ; ce sont
deux choses qui s’illuminent réciproquement. On
trouve, en effet, dans la légende mythologique,
une déesse qui s'appelait Levana, qui avait des
autels à Rome, et qu’on invoquait à l’occasion de
la naissance des enfants, /evandis de terr4 pueris,
dit saint Augustin. Il est impossible de ne pas
reconnaître que le culte de cette déesse avait dû
naître à une époque où le père pouvait délibérer
entre la reconnaissance et l'exposition, et qu’il
ne subsista que pour mémoire et comme tradi-
tion, alors que la loi ne laissant plus l’alterna-
tive au chef de la famille, lui imposait l’obliga-
tion d'élever et de nourrir tous ses enfants. Cest
ainsi que le mot tollere, primitivement employé
pour exprimer laction réelle par laquelle le
père ou son représentant relevait de terre l’en-
fant qui y avait d’abord été déposé, resta plus
tard dans la langue pour signifier, non plus ma-
tériellement , mais moralement, l’action qui con-
siste à élever des enfants. Mais , indépendamment
du témoignage des mots, il est certain que, sans
tirer à conséquence, et sans avoir désormais au-
cune signification sérieuse , l’usage s'était maintenu
de déposer l'enfant à terre aussitôt qu'il était né,
KOME V, PART, IT, 9
129 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
et d'attendre l’ordre du père ou de son représen-
tant pour le relever. Ce n’était plus sans doute
alors qu'un simple hommage rendu à lautorité
paternelle, ou à la divinité sous les auspices de
laquelle on plaçait l'enfant au début de la vie.
Quoi qu'il en soit, usage dont il s’agit est cons-
taté par plusieurs passages dont je vais rapporter
quelques-uns.
&Il résulte des actes du sénat , dit Suétone
» dans la vie d'Auguste, que C. Létorius, jeune
» patricien, cherchant à se soustraire à la peine
» sévère qui frappe l’adultère, invoqua et son
» âge et sa naissance, mais que surtout il allécua
» qu'il était le possesseur, et en quelque sorte
» le gardien du sol qu'Auguste, en naissant,
» avait touché d’abord. Ésse possessorem D
» quod”‘primüm divus Augustus "nascens atti-
» gisset..…. » Néron naquit, dit le même biogra-
phe, au lever du soleil, si bien qu'il fut frappé
de ses rayons avant que de toucher la terre.
Nero natus est exoriente sole, penè ut radis
prius quüm terr4 contingeretur. Rappelons quel-
ques mots de Pline qui peuvent faire penser que
Vusage de déposer les enfants à terre, au sortir
du sein maternel , était encore comme une signi-
fication philosophique de son misérable début
dans la vie, et de son impuissance complète sil
se trouvait jamais réduit à lui-même. « L’homme,
» dit-il, est, en naïssant, jeté nu sur une terre
» nue : Hominem tantüm nudum et in nudä humo
» natali die abjicit. »
MÉMOIRES. , 123
Ainsi la langue , l’histoire et la philosophie cons-
tatent concurremment qu'il y eut une époque, à
Rome, époque sans doute très-reculée, où la pra
tique d’un certain cérémonial était nécessaire pour
légitimer la naissance d’un enfant , et où l'absence
de cette pratique équivalait à un ordre d’exposi-
tion ; elles établissent de plus que, lorsque le droit
d'exposition fut retiré au père de famille, le cé-
rémonial subsista encore comme une lettre morte,
ou si l’on veut, pour être la vivante archive d’un
droit que le progrès de la civilisation avait anéanti.
C'était une sorte d’assaisonnement à la joie de la
famille ; et le père, rendu par la loi à toute la vé-
rité de la nature, aimait à renchérir sur le bonheur
présent par un vague souvenir du passé. Je n’insiste
pas sur ces preuves, qu'il serait facile de multiplier,
et je me hâte d’arriver aux témoignages littéraires.
Je pourrais en tirer un grand nombre de la comédie
latine, où l’on rencontre fréquemment une exposi-
tion dans l’avant-scène, et une reconnaissance au
‘dénouement. Mais comme les mœurs du théâtre de
Plauteet de Térencesont presquetoujours grecques,
ou au moins très-anciennes, jaime mieux recueillir
dans des auteurs latins plus récents , quelques dé-
tails relatifs à la fréquence des expositions, alors
qu’elles se pratiquaient en dehors de la loi, avec
audace et impunité , et venaient ajouter aux preu-
ves déjà si nombreuses de la corruption des fem-
mes chez les Romains. Elles faisaient d’abord tout
ce qui était en elles pour éviter de devenir mères.
« Livrées de préférence, dit Juvénal, au com-
9:
124 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
» merce des eunuques , elles trouvent ce commerce
» d'autant plus délicieux, qu’elles n’appréhendent
» point une barbe importune, et n’ont pas besoin
» de se faire avorter. Mais afin que la volupté n’y
» perde rien, elles ne les livrent au fer que Jors-
» que les organes, ombragés d’un poil déjà noir,
» se sont bien développés : alors Héliodore les
» opère au seul préjudice du barbier, et ils peu-
» vent braver-Priape lui-même. »
Testiculos , postquäm cœperunt esse bilibres ,
Tonsoris damno tantum rapit Heliodorus.
..... Nec dubiè custodem vitis et horti
Provocat.
Dans ce même but de stérilité, elles pratiquaient
aussi l'avortement, comme l'indique une circons-
tance de ce passage, et comme Juvénal le dit expres-
sément dans un autre de cette même satire que
jai déjà eu occasion de citer. Mais lorsque , à
leur grand regret, elles n’avaient pu SRPSERRS
leurs entrailles d’être fécondes, alors il n’y avait
qu'un moyen de se soustraire aux devoirs de la
maternité et aux ennuis de l’allaitement, de con-
server tous les plaisirs du luxe, et tous les avan-
tages de la liberté. C'était de faire exposer leurs
enfants. Pour se dédommager de cette viduité
volontaire, pour charmer leur solitude dans les
moments qu’elles ne donnaient point à des nains
à grosse tête, achetés à grand prix, et dont
elles faisaient aussi leurs délices , elles élevaient
des singes, des rossignols, des perroquets et de
petits poussins, comme dit saint Clément d’A-
MÉMOIRES. 125
_lexandrie dans son Pédagogue ; filios domi natos
exponunt, gallinarum autem pullos excipiunt.
Alors ces malheureux enfants étaient portés sur
la place du marché aux herbes, À foro olitorio ,
et déposés pendant la nuit, comme nous le ver-
rons plus bas, auprès d’une colonne appelée Lac-
taria, dont Publius Victor marque emplacement,
et dont Festus nous apprend la destination. Lac-
taria columna in foro olitorio dicta , quod ibi in-
Jantes lacte alendos deferebant.
Quelle était cependant la chance de ces enfants
abandonnés, avant l’époque où, comme je ai dit
plus haut, quelques empereurs chrétiens fondèrent
pour eux des asiles de charité ? C'était là que la for-
tune exerçait ses plus singuliers caprices , s’il faut
en croire Sénèque et Juvénal, et qu’elle se plaisait à
leur donner des rangs dans un ordre tout-à-fait op-
posé à celui de leur naïssance. Quelquefois un ba-
teleur , comme on en vit, dans de semblables cir-
constances, au moyen âge, recueillait un certain
nombre de ces enfants exposés, les mutilait, l’un
d’une façon, l’autre d’une autre, et cherchant à vain-
cre la lassitude de la pitié par la variété des
émotions, exerçait la mendicité en grand, et ne
craignait pas de décorer son industrie du nom
d'humanité. Une des controverses de Sénèque
porte pour titre : Quidam expositos educabat,
et debilitatos mendicare cogebat, ut sibi merce-
dem referrent. Accusatur læsæ reipublicæ. Je
vous épargnerai les raisonnements de laccusation
et de la défense, qui ne laissent pas que d’être fort:
126 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
singuliers, et je me borne à quelques lignes qui
sufliront pour vous donner une idée de ces sortes
. d'ouvrages qu’on a si justement appelés déclama-
tions ; cest l’accusateur qui parle. « Pénétrons
‘» dans cette officine de calamités humaines. Cha-
» cun a pour industrie une infirmité particulière.
» Celui-ci a les yeux arrachés, celui-là les pieds
» brisés. Quoi! vous êtes saisis d’un mouvement
» d'horreur? Mais ce sont des actes de sa pitié !
» Îls seraient morts, dit-il, sans lui : est-ce qu’ils
» ne sont pas plus malheureux de vivre ainsi ? Ils
» seraient morts, dis-tu ; demande à tous les pères
» s’ils ne aimeraient pas mieux. Combien d’hom-
» mes courageux, combien de tyrannicides , com-
» bien de prêtres pouvaient s'élever du milieu de
» ces enfants! Remontez plutôt au berceau de
» notre histoire ; n'est-ce pas un enfant exposé qui
» a commencé l’ouvrage de la grandeur romaine ?
» Nüm ex häc fortuné origo romanæ genus
» apparut ? ».
__ Quelquefois la chance était meilleure ; et tan-
dis que lenfant du noble, horriblement mutilé,
. servait peut-être d’instrument à un infâme trafic,
celui dun prolétaire, ou même d’un esclave, en-
trait inaperçu dans les plus nobles Po, in-
troduit cette fois par des épouses auxquelles il
‘ importait d’être mères. Cet autre jeu de la for-
tune a fourni à Juvénal l’un de ses plus éloquents
morceaux. Presque à la fin de sa célèbre satire
contre le mariage, devenu plus vigoureux à
mesure qu’il avance, comme un dense est plus
MÉMOIRES. 127
majestueux près de son embouchure, voici avec
quelle verve heureuse et féconde il retrace lune
des plus tristes déceptions du mariage, en même
temps qu'il inflige à l’orgueil humain lune de
ses plus sanglantes ironies.
«Je n'insiste ni sur les suppositions d'enfants,
» ni sur la perfidie de ces femmes, qui, se jouant
» des vœux et de la joie d’un époux, lui rappor-
» tent, des bords de l’infâme Vélabre, des héri-
» tiers dont il se croitle père. Cest là qu’elles
» ramassent ces êtres délaissés, qui seront admis
» au rang des prêtres Saliens, et porteront les
» noms des Scaurus en dépit du sang qui coule
» dans leurs veines. La fortune bizarre veille pen-
» dant la nuit sur ces enfants tout nus; elle leur
» sourit, les réchauffe dans son sein, et glisse
» dans les palais ces acteurs mystérieux réservés
» pour son théâtre.
..... Stat fortuna improba noctu ,
Arridens nudis infantibus ; hos fovet ulnis
Invoboitque sinu : domibus tunc porrigit allis,
Secretumque sibi mimum parat.
En résumant ce petit travail fait avec tout
Pempressement que je devais à la demande dun
honorable confrère, mais beaucoup trop vite pour
cette compagnie et pour limportance d’un pareil
sujet, je crois pouvoir toutefois tirer les con-
clusions suivantes des recherches auxquelles je
me suis livré:
1.0 Qu'il faut remonter bien au delà de la loë
des Douze tables , pour retrouver quelques traces
128 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
d’une législation qui aurait toléré l’exposition des
enfants; qu’à partir de l’an de Rome 277, au plus
tard , cette tolérance n’a plus existé, et qu'aucune
loi ne la depuis fait revivre;
2.0 Que plusieurs lois, au contraire, notamment
sous les empereurs , Pont formellement condamnée
dans les termes les plus explicites, et par les plus
hautes considérations de religion et d'humanité;
que le droit de vie et de mort, donné au père
sur les enfants par la loi, n'implique pas celui
de les exposer, et procède, au contraire, d un prin-
cipe diamétralement opposé ; 5
3.2 Que la cérémonie indiquée par le verbe
tollere , et pratiquée à l’occasion de la naissance
des enfants, comme le témoignent des passages
de Suétone , était purement symbolique , et n’avait
plus aucune valeur ni aucune conséquence civile;
4.2 Que toutefois les expositions furent très-
fréquentes, maloré la défense des lois, surtout
dans les temps D corruption; qu’elles vinrent
augmenter le chaos, la confusion et le pêle-mêle
d’une société composée d’ailleurs de tant d’élé-
ments hétérogènes, et que la littérature, tant
sacrée que profane, en s’emparant aussi de ce
côté des mœurs romaines , a flétri par d’éloquents
tableaux cette violation des premiers devoirs
qu'impose la société et des premières lois de la
nature. \
MÉMOIRES. F301:
RECHERCHES
SUR LES
ÉPOPÉES MÉRIDIONALES.
1. Mémotre.
Par M. ou MÈGE.
La Muse de la Poésie épique précède dans l’ordre
des temps la Muse de l'Histoire. L’épopée n’était
sans doute d’abord qu’un récit des événements
arrivés dans un autre âge. Homère ne fut point le
contemporain des héros qu’il a célébrés; mais au-
cune chronique n’avait encore redit leurs exploits
lorsqu'ils furent chantés par ce poëte. L’épopée
doit être, dans les premiers temps, l’expression
du génie des peuples qui ne sont pas encore entrés
dans les voies de la civilisation. Plus tard , elle a
moins de vérité, de vie. Sans doute , il y a plus
d'élégance dans ses formes, son langage est plus
épuré ; mais on s'aperçoit que l’art a remplacé la
nature , que le travail et l’esprit ont succédé à la
faculté créatrice.
J’ai dit que l’épopée ne fut que le récit des
événements; j'aurais pu ajouter qu’elle ne présenta
L
130 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
souvent qu’un recueil de fables , ou de traditions
populaires , tantôt n’embrassant qu’une action
unique , tantôt présentant la réunion de plusieurs
mythes, qui sont aussi des événements, si on leur
accorde quelque confiance : souvent ne s’occupant
que d’un seul héros, plus souvent encore mon-
trant toute la série des aventures, vraies ou suppo-
sées, de plusieurs. Et qu’on ne croie pas qu’une
épopée, pour être digne de ce nom, doive ressem-
bler au plus ancien poëme connu; qu’il y aitune loi
rigoureuse qui prescrive à toute composition de ce
genre d’être soumise à des règles établies d’après
des critiques qui ne sont pas poëtes. Nous n’ad-
mettrons pas non plus, avec le P. le Bossu, que le
sujet d’un poëme épique doive être constamment
une vérité morale , présentée sous le voile de
lallégorie , en sorte qu’on n’invente la fable qu’a-
près avoir trouvé la moralité, et qu’on ne choisisse
les personnages qu'après avoir inventé la fable :
ce serait rendre peut-être toute épopée impossi-
ble. Nous ne dirons pas cependant, d’une manière
absolue , comme l’abbé Terrasson, que, sans avoir
égard à la moralité, on doit seulement prendre
pour sujet d’une épopée l’exécution d’un grand des-
sein... Il nous semble que Epopée ne doit pas être
resserrée dans des bornes si étroites , et que celui
qui a redit, avec talent, un ou plusieurs faits his-
toriques , en les embellissant par le charme de la
fiction et des vers, peut avoir fait une épopée ;
nous croyons même que des récits historiques ,
mais où le merveilleux se mêle à la vérité , où
MÉMOIRES. 131
l'invention le dispute à la sévérité de l’histoire,
peut, même en prose , constituer aussi une épo-
pée. Enfin , pour nous , une légende semée de
faits surprenants , alors qu’elle n’embrasserait
que la vie d’un seul personnage , soit réel soit
mythique , pourrait former une épopée. Ainsi la
réunion des diverses romances espagnoles, dont
le Cid est le héros ,; forme un véritable poème
épique, aussi bien que l’Héracléide, PAchilléide ,
les Dionysiaques , chez les peuples de l'antiquité.
Ainsi nous reconnaîtrons encore plusieurs épopées
dans les récits, soit tronqués , soit complets , des
aventures , des combats et de l’héroïque mort de
Roland.
J'ai nommé à dessein ce paladin si fameux ,
parce que son souvenir ou sa légende a euparmi
nous toute la renommée populaire qu’Achille ,
Agamemnon , Hector et Ulysse eurent jadis chez
les Grecs , et que son nom est conservé dans les
traditions , dans les fragments épiques qui exis-
tent encore dans la bouche des habitants des
Pyrénées. Les divers poëmes dont Roland a été
le sujet appartiennent essentiellement au Midi de
la France, et sans entrer dans des discussions, au
moins inutiles, au sujet de l’origine des épopées
du cycle carlovingien , il nous paraît hors de
doute que c’est dans nos contrées qu’il faut recher-
cher le type de la plupart de ces compositions,
qui, conservées aujourd’hui en vieux français, ne
sont cependant que des traductions plus ou moins
fidèles des ouvrages écrits dans cette partie de
132 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
la Gaule qui, de embouchure de la Garonne,
s'étend jusqu'aux frontières de l'Italie.
Abandonnée par les Romains aux Visigots qui
Sy établirent, cette portion de la France actuelle
demeura tôbte Romaine , et le joug de ses nou-
veaux possesseurs ne fut pas assez fort pour y
effacer toutes les traces d’une civilisation qui du-
rait depuis près de cinq cents années. La Gaule
méridionale était encore fière de ses orateurs,
de ses avocats , de ses poëtes. Ses orateurs dé-
clamaient encore et faisaient des harangues et
des panégyriques ; ses avocats montraient toutes
les ressources de leur dialectique , toute leur
profonde connaissance des lois, laissées, avec tant
de générosité, aux vaincus : ses poëtes faisaient en-
core des vers : on chantait leurs joyeuses chansons
latines à Narbonne , à Toulouse, à Béziers. Ils
cadençaient avec grâce des distiques, des épigram-
mes, des jeux de mots même, en l’honneur des
belles épouses de leurs nouveaux maïtres.... En ce
temps Sidonius Apollinaris faisait des inscriptions
délicates pour la reine de Toulouse. Insoucieuse,
moqueuse , et galante et pieuse à la fois , la Gaule
approchait, sans peut-être trop sans apercevoir,
car la transition ne s’'accomplit qu'avec lenteur,
de l’époque où la langue Romaine, dégénérée, cor-
rompue, allait par lé mélange de does die
mes et par des transformations grammaticales ,
n'être plus que la langue Romane , langue qui
devait, avec quelques tésères différences locales,
devenir celle de presque tous les peuples de Pan-
MÉMOIRES. 133
cienne Europe latine. Nous trouvons des traces
de cette langue dès le VL.e siècle, ou plutôt des
pieuves de la corruption irréparable de la langue
des Romains. Déjà des transmutations de voyelles
changeaient le son des mots, et oubli des règles
allait chaque jour croissant. On croit trouver des
preuves (1)que vers la seconde moitié du VIL.° siè-
cle , la langue Romane était distinguée de la lan-
gue Teutonique (2). On en trouve , comme le dit
M. Raynouard, des vestiges sous le règne de Char-
lemagne (3); on croirait même en reconnaitre
des traces à une époque bien antérieure au règne
de ce grand homme, et, selon les ingénieuses
remarques de M. Raynouard , ces traces nous
rameneraient, vers la fin du VI. siecle, dans le
Nord de l'Espagne et le Midi de la France. Une
charte donnée par Alboacem , émir de Coimbre ,
en lan 734, charte qui fut rédigée en latin , ren-
ferme plusieurs mots romans. Luitprand (4), rap-
portant des faits relatifs à l’année 728 , montre
que déjà à cette époque , parmi les dix langues
parlées alors en Espagne , il fallait compter la
V'alencienne et la Catalane ; qui sont, comme on
le sait, des dialectes de la langue once Saint
Adhalard , évêque de Corbie, a été loué par un
de ses disciples , Paschase Ratbert , qui a dit de
(1) Meyer. Annal. Flandr. 6.
(2) Mabill. Analecta vetera. 170.
(3) Recherches sur l'ancienneté de la langue Romane.
(4) Luitprand. Ticin. Episcop. chronicon. 372.
134 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
ce prélat que lorsqu'il parlait la langue vuloaire ,
ses paroles coulaient avec douceur, et que lorsqu'il
parlait la /angue barbare , nommée Théotisque, il
brillait par la charité. Gerard de Corbie , qui a
écrit aussi la vie d'Adhalard , assure que lorsque
ce saint personnage parlait en langue vulgaire,
c’est-à-dire Romane , qui si vulgari , id est,
Roman lingué ; on eût dit qu'il n’en connaissait
point d'autre (1). Adhalard était né vers l'an
790.
M. Raynouard a montré que l’histoire fournit
plusieurs faits qui permettent d'assurer que , sous
_ le règne de Charlemagne , l’idiome roman avait
prévalu comme idiome vulgaire. Les serments pro-
noncés en 842, à Strasbourg, par Louis le Ger-
manique , et par les Français soumis à Charles le
Chauve, prouvent que les uns se servaient de la lan-
guethéotisque, les autres de la langue Romane, c’est-
à-dire, suivant Fauchet (2), d’une langue pareille
à celle dont se servent à présent les Provençaux ,
Catalans ou Languedociens. Cette langue était déjà
toute formée vers le milieu du IX. siècle, comme
le disent dom de Vic et dom Vaissete (3). On au-
rait une preuve bien précieuse de la culture de cette
langue au IX:° siècle , si Pépitaphe en vers du duc
Bernard, tué dans l’abbaye de Saint-Saturnin ,
(1) Bolland. Acta Sanct. januar. I. 109, 116.
(2) Recueil de l’origine de la langue et poésie françoise ,
Ryme et Romans. c. 4.
(3) Histoire générale de Languedoc. 1. 327.
MÉMOIRES. 135
en 844, par Charles-le-Chauve lui-même, n’é-
tait pas une pièce fabriquée plus tard.
Comme il est démontré qu'au VIILE et au
IX. siecle la langue Romane était la langue vul-
gaire des contrées méridionales , qu’on nomme
quelquefois Aquitaine , dans les vieux auteurs , il
semble qu’on pourrait en conclure que cette lan-
gue a eu dès lors des poëtes, et qu’ils ont pu chanter
des faits presque contemporains ou peu éloignés
de l’époque où ils vivaient. Cependant comme
Vune des premières épopées est composée sur un
personnage dont on conteste l’existence historique,
et que ce personnage est placé parmi les paladins
qui accompagnaient Charlemagne , on ne peut
croire que les épopées dont il est le héros , aïent
été écrites durant le règne de ce grand prince,
ou pendant celui de ses successeurs immédiats. Il
faudrait donc reporter vers le commencement de
la troisième race l’origine de ces poëmes, à moins
qu’on ne voulüt reconnaître dans ce héros l'amiral
Ruthland ou Roland, dont parle Egcinhart, et dont
on aura embelli la vie par des traits extraordi-
maires dont le souvenir , encore subsistant chez les
peuples , aura été emprunté à une antique mytho-
logie. Un écrivain moderne n’a pas été embarrassé
à ce sujet (1). Suivant lui, « épée était autrefois,
aux yeux du vulgaire, un vengeur , un protec-
teur , le Seigneur et le Maitre du pays, et Von
(1) M. L. de Musset. Mémoires de l’Académie celtique.
111, 367, 368.
136 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
a pu dans la langue des anciens Germains, ou des
Teutons , l'appeler Herr of land, et de cette
expression , les Français auraient fait, par con-
traction , Erovland, Rovland, Roland... Clovis,
dont nous avons fait Lous , Comes stabuli ,
dont nous avons fait Connestable , offrent rien
de plus extraordinaire. Dans le XI.‘ ou XILe siè-
cle, lorsqu'on composa sur Charlemagne et ses
douze pairs, les fables que le génie de lArioste
a rendues si aimables , on remit dans la main
d’un jeune seigneur , le plus brave entre les braves,
l'épée par laquelle le magnanime empereur com-
mandait à tant de peuples. On donna à ce jeune
seigneur un nom qui rappelle celui de épée, Sei-
gneur où Maitre du pays. On composa au paladin
une légende des plus singulières... , et sa propre
épée, à laquelle on donna un nom particulier, fut
conservée comme une relique.» Ce système sera
considéré, peut-être, comme plus ingénieux que
solide, et il serait en effet assez difficile de prouver
que ce sont les Francs qui ont imposé à l’un des
points les plus élevés des monts Pyrénéens le nom
de Brèche de Roland, et qu’on leur doit aussi la
dénomination du Pas de- Roland près d'Itzaxou
dans la Basse-Navarre , et celle des Ferradures
dell Cavall de Roland dans le Roussillon.
Cependant, comme dans plusieurs villes de Saxe
et d’autres parties de l'Allemagne, on voit dans
les marchés publics, des colonnes sur lesquelles on
a sculpté une épée , ou que quelquefois ces colonnes
sont surmontées de la statue d’un homme armé
MÉMOIRES. 137
d’une épée, et qu’en général on croit que ces co-
lonnes ornées d’une épée sont consacrées à Roland,
et que ces statues sont celles du vaillant paladin ,
on pourrait trouver là une confirmation de léty-
mologie que nous avons fait connaître. Il est vrai
qu’on a voulu y voir des symboles de la haute
justice, et l’on a dit que ce nom de colonnes de
Roland, venait de Rugen , ancien mot saxon , qui
signifie dénoncer en justice , et de land, pays. Mais
cette étymologie n’est pas aussi heureuse que celle
que nous avons rapportée. Sans rechercher néan-
moins à pénétrer dans ces ténèbres mythologiques,
nous nous bornerons à remarquer que les principales
circonstances de l’épopée de Roland se rapportent à
nos provinces, et que c’est apparemment aussi dans
nos provinces que ces circonstances si poétiques fu-
rent d’abord chantées. Ainsi les premières épopées
où le paladin a été célébré nous appartiendraient.
Plus tard, des traductions , des imitations de nos
poëmes en langue Romane auraient été faites en
Français, et, comme il est quelquefois arrivé, ces
copies , assez informes , auront contribué à faire
perdre les originaux.
Je wignore pas qu’on peut chercher à réfuter
cette origine , en montrant que le premier ouvrage
sur Roland, ou plutôt sa véritable chanson de
Gestes , est toute française, et que ce Carmen Ro-
landi a été chanté dans l’armée de Guiliaume le
Conquérant, avant le combat qu’il livra à Harold IH.
Tunc cantilena Rolandi inchoata, ut martium virt
exemplum pugnaturos accenderet. Mais, à cela ,
TOME V. PART, LI. 10
138 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
on a répondu que ce Carmen était, non pas l’his-
toire du prétendu neveu de Charlemagne, mais
plutôt un chant guerrier des anciens compagnons
d'armes de Ro! ou Rollon , premier duc de Nor-
mandie. « Qu'aurait eu de bien encourageant pour
des soldats Normands prêts à s’élancer sur leurs
ennemis, dit un critique (x), la désastreuse aven-
ture d’un Français, trahi par un autre Français, en
combattant sur les frontières d’Espagne contre les
Sarrasins? Tout ce qui concerne Charlemagne,
était encore comme étranger aux hommes du nord,
qui, devenus chrétiens, parce que la politique de
Rollon l'avait porté, en 912, à se faire bapti-
ser , étaient bien éloignés, en 1066, d’avoir ou-
blié les anciens usages de leurs aïeux. On sait
que les disciples d’Odin, les Scythes, transplan-
tés dans les contrées septentrionales de Europe,
chantaient des hymnes en allant au’ combat. »
Et comme, selon Hérodote, ces Scolotes ou Scy-
thes adoraient la Divinité sous la forme d’une
épée, le Chant de Rol aura pu bien être consacré
à célébrer l’épée comme dominatrice, mais non
pas le paladin que les légendes donnent pour
neveu à Charlemagne. Que sil y a eu une chanson
de Gestes pour celui-ci, un Carmen Rolandi, il
n’aura été qu’une traduction d’un poëme en langue
Romane, comme en grande partie ouvrage attri-
bué à PArchevèque Turpin, sous le titre de 7ita
(1) M. L. de Musset. Mémoires de la Société royale des
Antiquaires de France. 1. 166.
MÉMOIRES, 139
Caroli Magni et Rolandi. Cette chanson de Roland
maurait même été composée qu’à l’époque de la
première croisade. Il y aurait eu en eflet alors de
l’à-propos à la chanter, pour rappeler aux Français
leurs anciens combats contre les Musulmans, leurs
succès , et aussi la mort glorieuse du plus brave
des chevaliers.
J'ai, comme beaucoup d’autres, recherché en
vain la chanson de Gestes de Roland en langue
Romane ; seulement quelques indications fugitives,
recueillies en 1823, ont pu me donner des espéran-
ces qui dans la suite ont été trompées, et je n'ai
retrouvé sur ce sujet que des légendes populaires
et une chanson, assez moderne, sans doute , mais
qui, composée dans l’un des nombreux dialectes
en usage dans nos contrées, n’est peut-être que la
traduction d’une pièce bien plus ancienne et qui
aura totalement disparu. Je m’occuperai de ce
chant héroïque et élégiaque à la fin de ce Mémoire,
consacré seulement à recueillir ce qui est relatif
aux épopées relatives à Roland.
L'ouvrage en prose latine, intitulé 7/ita Caroli
Magni et Rolandi est bien, par le merveilleux qui
y règne et par la marche qui y est suivie, une
sorte de poëme épique. L'auteur des Grandes Chro-
niques de France, n’a pas moins jeté d'intérêt sur
la mort du noble guerrier, et l’on remarque que
de grands poëtes n’ont pas dédaigné d’imiter son
récit. Dans cet ouvrage, après avoir, de son épée
Durandal, pourfendu un Sarrasin , le valeureux
Roland se fait jour jusqu’au lieu où est Mar-
10.
140 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
sille et il le tue. « En ceste bataille, dit l’auteur ,
tous les compaignons de Roland furent tués , et lui
navré de quatre lances et griefvement féru de
perches et pierres; mais toutesfois par laide de
nostre Seigneur , il échappa vif d’entre les Sar-
rasins.
» Quant Belligant sçut la mort de son frere
Marsillan, s'enfuit luy et ses Sarrasins. Beaudoin
et Thierry estoient dedans le bois et se mussoient
pour la paour des Sarrasins, et Charlemaigne et ses
gens qui rien ne sçavoient de loccision des chres-
tiens, passoient les ports de Césarée. Lors com-
mença Roland, ainsi blessé qu'il estoit a aller
parmi le champ de bataille , dolent de la mort de
tant de nobles hommes qu'il voioit, et s’en alla
droict a la voye tirant aprez Charlemagne parmi
le bois. Tant alla qu'il vint jusqu’au pied de la
montaigne de Césarée , au-dessoubs de la vallée
de Roncevaulx ou il treuva ung beau preau
d'herbe vert auquel avoit ung bel arbre et grand
perron de marbre. Là descendit de cheval et s’assit
pour soy reposer, car ilestoit si las des grans
coulps qu’il avoit donnés et receus qu’il se treuva
si malade que plus ne se pouvoit soustenir , et se
mist le visaige vers Espaigne en faisant de griefves
complainctes et surtout regrettoit son oncle Char-
lemaigne et dist que, pour le reconforter , il vou-
loit qu'il le trouvast mort, le visaige devers les
ennemis, affin qu'il ne dist pas qu'il eust fuy, et
lors tira son espée Durandal toute nue, et apres
qu'il leust longuement regardée, il commença a
MÉMOIRES. 141
la recretter comme en plorant et disant : « Espée
trez-belle, claire et flamboyante, remplie de bien
et de vertus, celuy qui te portera ne sera deçeu
par fantosmes ni illusion , et aura en son ayde la
divine vertu : par toy maints Sarrasins ont esté
vaincus et la foy chrestienne exaulcée. O quantes
fois ais-je par toi vengé le sang de J. C. ! et combien
d’ennemys de la foy aie-je par toi occis, tant Sar-
rasins que Juifs! j'aurois trop grand doleur si
maulvais paresseux chevalier te possedait après
moi. Je serroye trop courroussé se Sarrasin, Juif
ou aultre ennemy de la foi de J. C. Cavoist en
sa possession. Et en ce disant, la leva contre
mont et en frappa trois coups sur le perron qui
là estoit pour la cuyder briser et rompre de
paour qu’elle ne vinst es mains des infideles, et
frappa de telle puissance, qu’il brisa ledist perron
tout au travers, et demoura son espée saine et
entiere. Quant il vist qu'il ne la peut briser, son
cor d’yvoire mist en sa bouche , et commença
a corner de si grand force comme il peust, affin
que s’il y avoit illec près aulcuns chrestiens mus-
sez qu'ils allassent a luy et que ceux qui avoient
ja passé les ports retournassent et prinssent son
espée et son cheval, et sonna son dist cor de si
grant force et vertu , qu'il se fendist par la force
du vent, et tant s’esforça de souffler qu'il se rom-
pit les nerfs et les veines du col. Le son et la
voix du cor de Roland alla miraculeusement jus-
qu'a louye de Charlemaigne , et avoit ledist
Charlemaigne ja logé son ost en une vallée deca
142 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
les ports qui encore est appelée le Vau de Charle-
maigne.
» Tantost que Charlemaigne eust entendu le
cor de Roland , il doubta bien qu'il avoit aulcun
inconvénient , et besoin d’ayde et voulut retour-
ner ; mais le traistre Gannes qui estoit cause de
cette malle adventure , et entendoit bien le cas,
dict à Charlemaigne : — Sire , il n’est ja besoing
que vous retourniez pour paour que vous ayiez
de Roland ; car il a de coustume de sonner son
cor a petite occasion , et croy qu'il va de ceste
heure chasser et corner après aulcune beste en
ce boys.
» Quand Roland eust ainsy sonné son cor et
que les nerfs et veines luy furent rompues , il
commença a affoiblir, et avoit merveilleusement
grand soif pour le grand travail qu'il avoit pris
et le sang qu'il avoit perdu par les playes qu'il
avoit reçues ; et à Beaudouin son frère qui a luy
estoit survenu au son du cor fait signe ( parce
qu'il estoit si altéré de la peine, chaleur et tra-
vail qu’il avoit soubstenu et perdu son sang qu'il
ne pouvoit plus parler), qu'il luy donnast a
boire. En grant peine se mist d’en chercher, mais
treuver n’en peut, et quant il retourna a luy, il
le treuva presque mort. Il benist lame de Luy ,
son cor, son cheval et son espée print, et s’en alla
droict a lost de Charlemaigne. Thierry sembla-
blement survint la ou Roland estoit avant qu'il
mourust. Fermement le commença a plaindre et
regretter, et luy dist qu’il garnist son corps et son
MÉMOIRES. 143
ame de confession à Dieu. Ce jour mesme , avant
la bataille, sestoit le bon Roland confessé et
reçeu le corps de Jesus-Christ , ainsi que de cous-
tume estoit lors aux vaillants batailleurs. Lors Ro-
land leva les yeux vers le ciel, a Dieu se confessa
et cria mercy, et sa henoiste ame partist de son
corps, et les anges l’emportèrent en perdurable
repos ou elle a joie sans fin, par la dignité de ses
mérites, en la compaignie des glorieux Martyrs. »
Je puis me tromper, mais il me semble que
dans les compositions antiques qui ont formé
notre goût, nous chercherions en vain un mor-
ceau plus simple , plus héroïque que cette belle
invocation de Roland à son épée, que cette crainte
qu’elle ne passe en des mains indignes de la
porter, que cette précaution de se tourner en mou-
rant vers l'Espagne , afin que le grand Empereur
ne pût concevoir la pensée que Roland avait fui
devant les ennemis. Que lun de nos meilleurs
poëtes français mette en beaux vers et cette invo-
cation et le récit si noble et si simple de la mort
de Roland, et nous aurons un chef-d’œuvre de
sentiment et de grandeur.
Antérieurement au récit en prose que je viens
de rapporter, un poëte Français, traduisant ou
imitant les poëmes en langue Romane que nous
devions posséder, a, dans un ouvrage intitulé :
Li Romans de Roncisvals , raconté longuement
les derniers exploits et la mort du neveu de Char-
lemagne. Ce poëme n’avait pas encore été publié
en entier lorsque M. Francisque Michel nous en à
144 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
donné une édition. Déjà, depuis deux années, M. Mo-
nin avait fait de l'examen de cet ouvrage le sujet
d’une dissertation. Il existe deux copies du Romans
de Roncivals ; toutes deux sont à la Bibliothèque
royale. L'une, sousle n.°7227/5, est du XIIL:° siècle,
mais elle est incomplète, le commencement n’existe
plus. La seconde n’est qu’une transcription récente
d’un ancien manuscrit. — Le nombre de vers est
de huit mille. Les quinze cents premiers forment
en quelque sorte l’exposition : le récit de la bataille
vient ensuite. On y voit d’abord le message de
Ganelon , qui, pour se venger de Roland, enseigne
à Marsille le moyen de faire périr ce Paladin et les
autres Pairs. Puis il revient , et annonce à Charle-
magne que Marsille accepte ses conditions ; aussi-
tôt le vieil Empereur, à /a barbe meslée ,
Vers doulce France à sa grant ost tornée…
Roland reste à l’arrière-garde, avec vingt mille
hommes. Il reconnaît la trahison qui le livre aux
Sarrasins; mais il a sous lui les plus braves guerriers,
Olivier, Turpin, Garnier, Baudouin, Thierry.
Le lendemain fut le jour fatal de la bataille de
Roncevaux :
Biaus es li jor , clere est la matinée.
Li solaus lieve qui abat la rousée ;
Cil ousel cantent parmi cele ramée ;
Li arcivesque bers a la messe cantée ;
Li coms Rollans la di cuer escoutée ,
D'une once d’or la li coms honorée.
Les Français prennent les armes : les Sarrasins
MÉMOIRES. 145
s’approchent : Olivier qui voit que les ennemis
sont trop nombreux pour pouvoir les vaincre,
engage Roland à sonner de son cor pour appeler
du secours. Roland sy refuse. On lui mène son
cheval :
Li cuens Rollans ne fu pas effraez ,
Devant lui fut Veillantins amenez.
Li cuens i monte com vassaux adurez ;
Dist Oliviers li preus et li senez :
« Sire compains , envers moi entendez :
Vostre olifans , se il estoit sonez,
Karles l’orroit , li fort rois coronez.
Je vous plevis ( garantis ) ja serroit retornez
Secorroit nous par vives poestez. »
Respont Rollans : « Ce seroit folletez.
Ja Dieu ne place, qui en crois fut penez
Et ou sepulcre et couchiez et posez ,
Æt au tiers jor de mort resuscitez ,
Droit a enfer fu ses chemins tornez,
Por ses amis traire de dolentez ,
Que mes parrastres soit ja par moi grevez.
Ainsi ferrai de Durandart assez ,
Ma bonne espée qui me pent à mon lez.
Tous en seront mes braus ensanglantez.
Felons paiens tous nous ont enchantez :
Miex ains morir que face tex viltez ! »
Néanmoins, après avoir longtemps résisté aux
instances d'Olivier, qui le prie de faire entendre
les sons prolongés de son cor, il cède à la prière
de PArchevèque : Charles l'entend : mais il est
bien loin, et il ne reste plus autour de Roland que
cinquante chevaliers. Il les engage à le suivre et à
se précipiter comme lui sur l'ennemi :
146 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Barons François , pensez de Dieu servir ,
Toutes nos armes ( 4mes ) , mettra en paradis,
En saintes flors nous fera tous florir…, ;
Puis se tournant vers Olivier, le frère de sa
fiancée , il lui dit :
Compains , par Deu et par sa Mere,
Ensemble certes devons morir biaux frère...
Ils s’élancent , Roland coupe le bras du roi
Marsille. Les Sarrasins sont repoussés : cent mille
d’entr'eux ont été mis en fuite par cinquante
chevaliers français. Mais bientôt de plus nom-
breux ennemis se présentent. Olivier et Garnier
tombent parmi les morts. Les adieux de Ro-
land et d’Olivier sont extrêmement touchants ,
et si pour la plupart des lecteurs le langage des
vieux poëtes n’était pas à peu près inintelligible,
il est assuré que ce morceau serait souvent ci-
té. — Enfin, les paiens triomphent; de tous
ceux qui avaient combattu , il ne reste plus que
Turpin , déjà blessé, Roland et son cheval. Mais
on entend dans le lointain les trompettes de lar-
mée de Charlemagne. Les Sarrasins sont en fuite.
Le poëte fait gémir Roland sur le sort ré-
servé à son épée. Il veut la briser sur un ro-
cher , mais le rocher est fendu et l’épée reste
entière.
Dex ! dits li cuens , sainte Marie ajue.
Hé! Durandard , de bonne convéue ,
Quand je voz laisse grans dolors m'est creue.
Toute bataille aurais de voz vaincue
MÉMOIRES. 147
Et toute terre en aurais assaillue.
Que or tient Karlles à la barbe chenue
Ja Dieu ne place qui se mist en la nue
Que mauvais hom voz ait au flanc pendue ,
À mon vivant ne me serez tolue ,
Qu’au mon vivant voz ait lons tors éue.
Tex n’iest jamais en France l’absolue.
Roland meurt. Mais on n’est encore parvenu
qu’à la moitié du poëme. Il faut venger le héros :
la guerre continue. Enfin , Saragosse est prise.
Sa citadelle et les cinquante tours qui défendent
ses murailles , se rendent. Charlemagne revient
à Roncevaux, et là, comme le dit M. Monin,
éclate de nouveau l’inconsolable douleur de l’em-
pereur et de son armée. Il veut faire ensevelir ho-
norablement les martyrs; mais comment distinguer
les corps des chrétiens parmi les horribles mon-
ceaux de cadavres qui couvrent ces lieux désolés?
Charles ordonne à son armée de prier , et le len-
demain matin , tous les paiens ont été trans-
formés en épines grossières et qui ne fleurissent
jamais ; les chrétiens sont honorablement enterrés
par leurs compagnons d'armes. Les corps d’Oli-
vier et de Roland sont transportés en France ;
une abbaye est fondée sur le lieu où ils ont cessé
de vivre ; c’est la célèbre abbaye de Roncevaux.
On croirait le poëme fini : mais Ganelon n’est
pas puni, lui, l’auteur du désastre, lui qui a, en
quelque sorte, vendu les chrétiens aux infidèles.
Il est arrêté : on l’amène, sans armes, au camp
de Charlemagne.
On est alors à Blaye, lieu fixé pour la sépulture
148 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
de Roland. L'empereur envoie quelques chevaliers
pour dire à la belle Aude que Charlemagne Pap-
pelle au camp des Français. On lui laisse ignorer
la terrible catastrophe qui lui a enlevé Roland, elle
vient. Elle croit revoir bientôt Olivier son frère,
et se marier avec son fiancé. Sa bonne tante Gui-
bor la pare de ses plus riches atours : il n’y avait
pas alors de plus belle Française :
Mot fut bele Aude quant el fu acesmée (parée)
La grands clartez li fu as vis montée.
Soz ciel n’a rose qui si soit colorée
Que sa beauté n’ait tote trespassée.
Dame Guibors l’a el palais menée
Toute la salle en fu enluminée.
Cependant de tristes pressentiments , des songes
sinistres annoncent à Aude qu'un grand malheur
Pattend. Ellearriveau près de Charlemagne. Celui-ci
veut lui persuader que Roland et Olivier sont seu-
lement absents, ou même qu'ils ont fui chez les
Sarrasins : mais elle reconnait qu'ils sont morts,
et sa douleur ne peut être décrite. Elle dit à Char-
lemagne S
Droiz empereres, por les sains Deu merci !
Car me montrez le cor de mon ami
Et d'Olivier mon frère le hardi.
Li cuens Rollans m’avoit sa fot plevi
Qu'il me penroit, cet je li atressi.
Iceste amor se départist ainsi
Ains me sera li cuers al cors parti.
Puis m'en irai avecques mon mari
Et a mon frere qui la dolor soffri.
Elle obtient la permission de voir les deux ca-
MÉMOIRES. 149
davres dans la salle où ils ont été mis, et d’y de-
meurer seule. Là, elle prie son frère de lui faire
connaître ses volontés. Un ange descend du ciel,
: lui parle par la bouche d'Olivier, et lui annonce
qu’elle jouira bientôt du bonheur promis aux jus-
tes. La voix se tait : Aude revient près de Charle-
magne et de son oncle, et elle expire entre leurs
bras.
Tel est le poème, ou Z Romans di Roncisvals ;
car je ne compte pas les quelques vers qui le ter-
minent, et qui nous font connaître le supplice de
Ganelon. Il y a cependant là un mot qu’il ne faut
pas oublier : les barons demandent à Charlemagne
la permission de se retirer ; il y consent, mais il
soupire, car il songe à Rolana :
Li Roi sospire. De Rollans s’est membrez.
Ce poëme n’est pas, nous le croyons du moins,
tiré de la chronique de Turpin. Nous sommes
portés à croire qu'il doit son origine aux tradi-
tions Pyrénéennes, traditions qui subsistent encore
dans nos montagnes, et qui n’y ont été portées n1
par cette chronique ni par ce Roman de Roncisvals.
La première rédaction, car il est bien démontré
par le texte même des deux manuscrits, qu'il a
été retouché plusieurs fois, la première rédaction
doit dater, selon M. Monin, du commence-
ment du 13.%e siècle. Il croit y reconnaître la
chanson même de Roland, si fameuse en France.
Car, par le mot chanson, il ne faut pas entendre,
comme aujourd’hui , quelques stances légères. Nous
150 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
avons des poëmes fort longs sous le nom de chan-
sons ; celui de la guerre des Albiseois, Cansos dels
Eretges d’Albèges, a plus de neuf mille vers, et on
en connaît qui en renferment plus de vingt mille.
On ne chantait pas sans doute tout un ouvrage ,
mais seulement quelques parties choisies ; et c’est
apparemment quelques-uns de ces morceaux que
répétaient les soldats de France au temps du roi
Jean, au milieu du 14.%° siècle. Pourquoi chanter
Roland ? disait ce prince ; 7 n’y a plus de Roland.
— Il y en aura plus d’un quand nous aurons un
Charlemagne, répondit un soldat. Dans nos épo-
pées Romanes on trouve, dans la forme poétique,
des indices qu’on les chantait. Celle des Eretges
d’Albèges, composée en longues stances, sur une
même rime, montre qu’on pouvait en prendre telle
partie qu’on voulait, et la chanter sur un air dé-
terminé à peu près pour tout l'ouvrage. C'était,
si l’on veut, un récitatif monotone, mais c'était
toujours une canso, une chanson.
Nous avons beaucoup insisté sur l’origine Ro-
mane de l’épopée de Roncevaux. Les traditions
relatives à Roland, et que l’on retrouve dans plu-
sieurs poëtes italiens, ne paraissent pas avoir pris
leur source dans l’ouvrage intitulé : Fita Caroli
magni et Rolandi, ni dans les Grandes Chroniques
ou dans le Roman de Roncevaux. Aussi l’auteur du
poëme de La Spagna, qui n’a pas moins de quarante
chants , et qui fut publié en 1519, à Milan, a tout
autrement conçu la marche de son ouvrage. Il y a
bien là un traîtrenommé Ganelon : on y voit bien
MÉMOIRES. 151
les diverses circonstances des derniers combats et
de la mort de Roland; mais, malgré l'autorité de
M.Ginguené(1), nous ne saurions y retrouver qu’un
récit calqué sur ceux qui se répétaient, comme ils
se répètent encore , de génération en génération,
dans les Pyrénées. Dans le Morgante maggiore,
Pulci s’est écarté de ce qu’on est convenu de nom-
mer, assez mal à propos, les sources des poésies
épiques du cycle carlovingien. Dans le Morgante,
presque tous les chevaliers français ayant péri,
Roland, après avoir sonné trois fois de son cor
d'olifant , accablé de soif et de fatigue, et dange-
reusement blessé, se traîne vers une fontaine peu
éloignée du champ de bataille. Là il voit périr son
cheval Veillantin, et il adresse de derniers adieux
à cet ancien compagnon de ses dangers et de sa
gloire. Il sent lui-même que sa fin approche; il
ne veut pas laisser son épée en trophée à ennemi ;
il essaie de briser Durandal sur les rochers, mais
ce sont les rochers qui volent en éclats. Tous
ceux qui sont échappés au carnage, et qui ont re-
poussé les Sarrasins, arrivent ; il les embrasse.
Turpin reçoit sa confession et l’absout. Roland
prie; l'ange Gabriel apparaît, et Roland enfonce
son épée en terre. La poignée est en forme de croix;
c’est le signe du salut : il le presse, il Pembrasse,
il lève les yeux vers le ciel et expire. « Cela est beau,
dit M. Ginguené, cela est pathétique et sublime.»
Ajoutons que cela est vrai; je voulais dire que la tra-
(1) Histoire littéraire d'Italie.
152 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
dition montrait encore, au temps de MM. Ramond
et de Lapeyrouse, c’est-à-dire, à l’époque où nos
montagnes furent explorées avec le plus de succès,
une cavité, non loin de la Brèche de Roland, cavité
que des pâtres faisaient voir dans ces déserts, à
plus de 1300 toises au-dessus du niveau de la mer,
et qu’ils nommaient /e trauc de l’espazo de Rol-
lant.
Aux deux extrémités, comme au centre de la
chaine, le souvenir de Roland est encore conservé,
et partout, sur les deux versants, existent encore
des légendes, qui paraissent être les débris d’une
même épopée. J'avais essayé d’en réunir les frag-
ments épars; mais, pour réussir dans cette entre-
prise, il aurait fallu ajouter, recomposer, sou-
mettre le tout à un travail uniforme; et je n’ai
pas eu le courage, le talent, oserai-je le dire, au-
dace de Mac-Pherson. Un seul morceau s’est offert
assez complet à mes recherches. Mais faut-il lui at-
tribuer une grande ancienneté, et ne voir en lui
qu'une traduction ou une imitation d’une très-
antique Ballade ? Je ne le crois pas ; et je ne puis
en faire remonter la date qu’au 14.%e ou au com-
mencement du 15. siècle. Je l'ai retrouvée dans
la vallée d’Ausson et dans celle de Lauribarhe,
près des Eaux-bonnes, et dans les vallées d’Aure et
de Barousse, ainsi qu'a Saint-Bertrand. Ce qui,
en outre du sentiment délicat et mélancolique qui
semble avoir présidé à sa composition, rend cette
pièce remarquable, c’est qu’elle n’est point écrite
dans les dialectes en usage dans les lieux que jai
MÉMOIRES. 153
nommés; on pourrait la considérer comme une
composition Béarnaise. La forme en est incorrecte,
les stances irrégulières , et les vers ne sont point
rimés. Je ne rapporterai dans ce Mémoire que les
premières stances et la traduction de toute la
pièce :
Honrats los Sans e la Verges,
Per gandir vos de pecas e malancia.
Atal seres tostems huros
Desuens este mon e dins l’aute.
Un cavallers qu’ero home de guerra
Venguec en los mons de Byren,
Le clamavan Rolant , era de gran noblessa
E se disia nebot del emperor Karles.
Que s’en volia transir en la terra d’Espagna
Per cruchir los malvats Josius e Sarrazis,
Mes no podia o far perso que los passatges
Eron gardats per tot sans les poder issir.
En aquet temps bibio üo jouineto santo
Deguens una hermila, so pay quera plan riche
E qu’era Rey, mas los infiels Sarrasis
L’abian aucit et sa filha era en Francia
On pregava tostems , on donnava lismona
On veillava malaus, on mostraba as romius
Lo camis de san Jacques e de Jerusalem,
On sanisio los cops e los blaus dels nafratz
Ê qu’era del tot mon la vergès plus gentilz.... etc.
« Honorez la Vierge et les Saints, pour vous
préserver de mal et de péchés; vous serez par là
heureux dans ce monde et dans l’autre.
» Un chevalier , homme de guerre, vint dans les
TOME V. PART, II. II
154 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
monts de Byren ; on le nommait Roland ; il était
d’une grande noblesse, et se disait neveu de l’em-
pereur Carlos.
» Il voulait passer en Espagne pour frapper les
méchants Juifs et Sarrasins ; maïs il ne pouvait le
faire, parce que les passages étaient trop bien
gardés. :
» En ce temps vivait une jeune saïnte, dans un
hermitage; son père était très-riche, et avait été
roi, mais les Sarrasins infideles avaient tué et sa
fille était venue en France,
» Où elle priait toujours, où elle donnait l’au-
mône, où elle veillait près des malades, où elle
montrait aux Pélerins le chemin de Saint-Jacques
et de Jérusalem, où elle guérissait les coups et les
meurtrissures des blessés.
» C'était bien la plus jolie vierge du monde, et
elle ne le savait pas, ne s’occupant qu’à faire du
bien à son prochain , et à prier pour son salut.
» On la nommait Angèle , et assurément c'était
bien un ange sur la terre.
» Elle était blanche comme la neige de Mendi-
gorria ; ses lèvres avaient la couleur des roses ; ses
cheveux étaient dorés et ses yeux étaient noirs.
» Roland entendit parler de la jeune sainte et du
pouvoir de ses prières. Il fut implorer sa protection
et lui demander les moyens d'entrer en Espagne;
» Et Roland était issu d’un sang illustre; il
était jeune, et c'était le plus beau chevalier de
France;
» Quand il vit Angèle, il sentit qu'il ne pourrait
MÉMOIRES. 155
jamais aimer une autre vierge, et il fut saisi par
un tremblement si fort qu’il ne pouvait parler.
» Enfin il demanda des prières et des avis à
Angèle, la jeune sainte des montagnes de Byren;
» Et elle lui dit : Confessez-vous ; ayez du re-
gret de vos fautes; demandez à la sainte Vierge
qu’elle obtienne pour vous le don de la force,
» Et que votre épée brise les épées et les cas-
ques de vos ennemis et fende les rochers , et que
votre cheval ait plus de vigueur et soit plus léger
à la course que tous ceux des Sarrasins.
» Roland obéit, et son épée brisa tous les cas-
ques , perça tous les boucliers et fracassa tous les
rochers, et il fraya de nouveaux ports pour les
soldats de France ; et Carlos le Grand l’aima
comme son fils ;
» Et Angèle one pour les MSEUE de France
et pour re le Grand leur empereur, et l’on dit
même qu'un jour elle pria pour Roland, le beau
chevalier.
» Il revenait alors Roland à la suite de Carlos et
des Français ; il passait les ports de César Auguste,
et il songeait à Angèle et à sa beauté ;
» Et le démon lui inspira en ce temps une mau-
vaise pensée, et il en fut puni, car il reçut bientôt
une blessure mortelle.
» Mais Roland sentit sa faute et s’en repentit ;
il s’endormit dans la mort et se réveilla dans le
ciel... Angèle priait alors pour Roland, le beau
chevalier.
» Un messager vint de la part de Carlos le
XF:
156 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Grand remercier la jeune sainte du secours que
ses conseils avaient donné aux Français , et aussi
pour lui annoncer la mort de Roland, le beau
chevalier.
» Angèle, la jeune sainte, ne pleura point ; mais
elle se flétrit comme la fleur arrachée de sa tige
dans la prairie d'Armendaritz. Elle aussi s’endor-
mit dans la mort, et elle se réveilla dans le ciel,
assise près de Roland , le beau chevalier.
» Honorez la Vierge et les Saints pour vous pré-
server de mal et de péchés ; par là vous serez heu-
reux dans ce monde et dans l’autre. »
Cette naïve Ballade, jointe à huit ou dix légen-
des, toutes relatives au neveu du grand Empereur,
_ auraient pu, comme je l'ai dit, reproduire tout
un poëme héroïque sur Roland, si l’on avait su
remplir les immenses lacunes que laissent entr’elles
ces compositions ignorées. Nous allons analyser
dans un autre mémoire, une autre épopée carlo-
vingienne. Celle-ci est toute nationale, c’est-à-dire,
qu’elle existe en Langue Romane, et elle est encore
inédite en cette langue. Charles le Grand en est
le héros. Philomène, qui se dit le Waëstre de la
historia , en est l’auteur. Cette composition va nous
offrir le sujet de notre second Mémoire sur les
Épopées méridionales.
MÉMOIRES. 197
RECHERCHES
SUR LES
ÉPOPÉES MÉRIDIONALES.
2,e Mémotre,
Par M. pu MÈGE.
L'époque la plus noble, la plus poétique de notre
vieille histoire, est, sans aucun doute, la grande
époque carlovingienne. Un héros lui donneson nom :
les ténèbres de la barbarie se dissipent. Dans le
centre et dans le nord du royaume, l’université,
fondée par celui qui a relevé la couronne de l’em-
pire d'Occident, répand d’heureuses clartés. Dans
le midi, où les traces du vrai beau n’ont pas été
effacées sous les pas des conquérants, la littérature
doit reprendre son éclat. Plus tard, Pierre le Vé-
nérable parlera avec estime des poëtes latins de
Toulouse; et la langue Romane perfectionnée, cul-
tivée avec succès, et enrichie par les Troubadours,
sera non-seulement la langue de ces chantres ins-
198 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
pirés, mais souvent aussi celle de la religion, de
la philosophie et de l’histoire (1).
Le cycle carlovingien devait être surtout poé-
tique. Nul ne ressemble mieux à celui d’Aga-
memnon et d'Achille. La fable y lutte presque
toujours avec la vérité. Les héros y apparaissent
le plus souvent comme des créations mythiques.
Roland, cet Achille des Français , n’est que le type
de la valeur, de la générosité, de l’esprit national
de nos pères. Le grand Charles lui-même, malgré
ses incontestables exploits, nous est quelquefois
représenté sous des formes incertaines ou mal ar-
rêtées. Les chroniqueurs, les poëtes ,lesromanciers,
ont jeté sur les actions de sa vie, le vague, le mer-
veilleux, qui caractérisent leurs compositions. La
naissance de ce monarque, qui a peu occupé son
historien Eginhard , est même enveloppée, dans
leurs écrits, de circonstances fabuleuses ; et il ne
sera pas hors de propos de les faire connaître ici.
Nous n’affirmerons pas cependant , comme M. Jo-
hanneau , que ces écrits ne sont qu’une ancienne
légende mythologique de la naissance d’un dieu
des Francs, nommé Karl, légende imaginée dans
(1) Les pièces de vers en langue Romane , envoyées ou lues
lors des concours poétiques de Toulouse , offraient toujours
une allégorie dévote. Las Flors del Gay Saber , manuscrit
conservé par l’Académie des Jeux Floraux , contient une sorte
de traité de philosophie : la chronique en prose sur la guerre
des Albigeois, les vies des Troubadours , écrites aussi en lan-
gue Romane, montrent que l’histoire et la biographie se ser-
vaient volontiers de cet idiome élégant et sonore.
MÉMOIRES. 199
des temps où il n’y avait pas d’autres annales que
des hymnes, et d’autres archives que la tradition
et la mémoire, et attribuée ensuite à Charlemagne,
comme au dernier et au plus célèbre personnage
de ce nom, mais au temps où les Germains et les
Gaulois ont connu l'écriture et lui ont confié leurs
fables et leurs chroniques. Il est probable cepen-
dant qu’une ressemblance de noms a pu faire don-
ner au grand Charles des légendes qui ne lui
appartenaient pas, et accumuler sur sa vie ces
événements si étranges qui en forment en partie
le merveilleux tissu.
Henri de Wolter , chanoine de Saint Anschaire,
à Brême , auteur d’une chronique en latin, qui
nest, suivant lui, qu’un abrégé de chroniques
plus anciennes, nous a donné une histoire de la
naissance de Charlemagne. Il vivait au 15.6 siècle,
et Meibomius a publié cet ouvrage dans le tomeIl
de ses Scriptores rerum Germanicarum. Voici,
dit-il, comment on raconte la naissance de Ghar-
.lemagne.— Un roi, nommé Pepin, m'était pas
marié, et était très-luxurieux. On lui conseilla de
prendre une femme, de peur que le royaume ne
demeurât sans héritiers. Il suivit ce conseil. La re-
nommée l'ayant entretenu de la beauté de la fille
de Théodorick, roi de Souabe, de Bavière et d’Au-
triche, il envoya une ambassade solennelle à ce
roi, pour la demander en mariage. Théodorick
donna son consentement. Les fiançailles eurent
lieu. Peu de temps après, Pepin envoya chercher,
par trois anciens, ‘et avec un grand appareil, la
100 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
jeune vierge. Ces nouveaux ambassadeurs étant
partis, formèrent le dessein de tuer la fille de
Théodorick , de lui substituer la fille de lun d’en-
treux, de la faire ainsi monter sur le trône, et
de se rendre maîtres par ce moyen de toute la puis-
sance que le roi Pepin accorderait à sa royale
compagne... Théodorick allait envoyer sa fille
avec une nombreuse suite ; mais les ambassa-
deurs dirent au Roi : « Il n’est pas nécessaire
que des personnes de votre famille: viennent
avec nous. Nous avons une suite ( fumiliam) suf-
fisante. Nous n’avons besoin pour cette fois que
de la jeune fille; lorsque le temps des noces sera
arrivé, nous vous lannoncerons, et alors vous vien-
drez. » Le roi y consentit, et la jeune vierge leur
fut livrée toute seule.
Ils s’acheminerent, et, parvenus près d’une
forêt , au lieu où s'élèvent aujourd’hui les murs de
Karlstat, ils jugèrent qu’il était temps d’accom-
plir leur dessein. Alors, s’écartant de la route, ils
. pénétrèrent dans l’intérieur de la forêt, et allaient
tuer la jeune fille, lorsqu'un d’eux, saisi d’un vio-
lent remords, s’écria : « Gardons-nous de faire
mourir la jeune vierge confiée à notre fidélité :
c’est un dépôt sacré qu'il faut rendre.» Mais les
deux autres persistaient dans leur mauvais des-
sein. Alors celui qui était si bien inspiré, dit à ses
compagnons : «Celui qui voudra la frapperme tuera
aujourd’hui avec elle; et il la prit entre ses cuisses
(inter crura), et tirant son épée, jura qu'il la
défendrait. Les autres alors se contentèrent de la
MÉMOIRES. 161
laisser seule dans la forêt. Elle y fit la rencontre
d’un meunier qui la conduisit chez lui et qui en eut
soin. Pendant ce temps, une des filles de l’un des
ambassadeurs était présentée au roi Pepin , comme
étant la fille de Théodorick ; il Pépousa , et en eut
des fils et des filles. — Il arriva dans la suite que
Pepin fut chasser dans les lieux mêmes qu’habitait
le meunier. La nuit approchant, il entra dans la
maison de celui-ci. Il y fut reçu avec respect. Sans
le connaître, la fille de Théodorick dénoua ses
éperons , attacha son cheval, et lava ses ocrées et
même ses pieds ; elle prit son épée et la serra ; elle
fit cuire pour lui un pain sous la cendre, elle le
servit à table, et lui tendit undit.
Le roi voyant deux jeunes filles près de lui, en
demanda une au meunier, lui assurant qu’il était
puissant, et qu’il ferait la fortune de son hôte,
Ce dernier lui livra la fille de Théodorick. Elle
gémit, elle pria en vain. Elle conçut du roi dans
la nuit même. Le matin, le roi se fit connaitre,
dit au meunier de prendre soin de la jeune fille, et
lui donna tout l'argent qu’il avait sur lui; il lui
commanda en outre, que si elle accouchait d’une
fille, il vint le lui annoncer en portant un fuseau
et une quenouille, et que si elle accouchait d’un
garçon , il vint avec un arc et une flèche. Le meu-
nier promit tout ce que le roi voulut, et celui-ci
retourna sur ses frontières (ad fines suos ).
Le temps de l’accouchement étant arrivé, le roi
s’assit à table avec sa femme. Le paysan vint avec
Jarc, tira une flèche contre la coupe qui était de-
162 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
vant lui sur la table, et la répandit sur les vête-
ments de cette princesse. Aussitôt la reine indi-
gnée, dit : «Faites retirer ce Karl (1), qui ne
peut porter ni profit ni bonheur.» Tempore partus
completo, sedit Rex cum conjuge sud in mens,
et rusticus venit cum arcu et sagittat Scyphum in
mensé coram Regina et fudit super vestes ejus.
Undè ipsa indignata ait : Amovete istum KARL,
nunquèm formosus est Mais l’empereur enchanté,
s’écria : il sera nommé KARL |»
Dans la suite, Karl vient à la cour, et il est
élevé avec les autres fils de Pepin. Il ménage la
reconnaissance de sa mère. L’usurpatrice du lit du
monarque est mise à mort avec ses fils. Le roi
prend la mère de Karl pour épouse, et fait celui-ci
chevalier. Ce Aarl, ajoute la chronique, fit plu-
sieurs guerres. On dit qu’il a combattu, tout ré-
cemment, avec les Danois, les Saxons, les Hon-
grois et les Espagnols. Hic Karolus multa fecit
bella : novissimè cum Danis, Saxonibus, Un-
garüs et Hispanis bellum habuisse dicitur. Ce
mot novissimè semble indiquer , qu’ainsi qu'Henri
de Wolter l'annonce, sa chronique n’était qu’un
abrégé de plus anciennes, et qu’il aurait pris dans
celles-ci le passage qui vient d’être cité.
Il existe une variante dans les récits sur la naïs-
sance de Charlemagne. Elle est tirée d’un ma-
nuscrit du XIIe siècle , de Pabbaye de Wechent,
près Fresengen , et a été publiée à Munich, en 1805,
(1) Synonyme de paysan, rustre, rusticus.
MÉMOIRES. 163
par le baron d’Aretin. Selon ce manuscrit, Pepin,
après avoir été appelé au trône par le vœu na-
tional , déclara l'intention où il était d’extirper
le paganisme de Allemagne. Il fixa ensuite sa
résidence au château de Wechent, comme étant
le centre de son empire. Peu après, Koœærling,
roi de Brittaia , lui offrit sa fille en mariage.
Pepin voulut avoir le portrait de la princesse : il
en fut enchanté. Son premier intendant conçut
aussitôt le projet de substituer sa propre fille à
celle du xoi Koœrling ; il fut trouver celui-ci,
obtint que la suite de la princesse ne l’accompa-
gnerait que jusqu’à moitié chemin , et que la prin-
cesse lui serait remise ainsi qu’à la nombreuse
compagnie à la tête de laquelle il irait la rece-
voir. À peine la jeune vierge fut en sa garde qu’il
la fit conduire dans une forêt voisine , avec ordre
de la massacrer. Mais les bourreaux furent atten-
dris par sa jeunesse et sa beauté : ils lui laissérent
la vie, abandonnant seule dans ce désert. Pour se
justifier, ils firent croire à l’intendant qu’ils avaient
exécuté ses ordres. Celui-ci présenta alors sa fille
au roi, comme étant celle de Koœrling. Pepin
l’épousa et en eut deux fils, dont lun fut pape
dans la suite et couronna Charlemagne empereur
d'Occident.
Cependant la jeune princesse, après avoir erré
quelque temps dans la forêt , trouva un asile
chez un meunier. Elle y passa sept années. Un
jour en suivant la chasse , Pepin arriva dans cette
retraite. Il n’était accompagné que de son méde-
164 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. é
cin, qui, selon l’usage du temps , était un très-
savant astrologue. Ce devin dit.au roi que cette :
maison recélait sa légitime épouse , celle qui de-
vait partager sa couronne. Mais il était difficile
de la distinguer, car le meunier avait deux de ses
filles dans la maison. Pour ne pas se tromper en
cherchant à la connaître et en attendant que quel-
que signe céleste vint à son secours, Pepin crut
devoir séduire les deux filles ; puis il demanda
au meunier sil n’en avait pas d’autres. Celui-ci
fit venir alors la princesse. Elle raconta ses mal-
heurs. Elle se nommait Berthe ; Pepin en eut un
fils, et ce fils fut Charles le Grand.
L'auteur du Poëme de Berthe aux grands
pieds (1), a sans doute puisé aux mêmes sources
(x) Li Romans de Berte aux grans piés. M. Paulin Paris a
donné en 1832 une édition de cet ouvrage. Dans sa lettre à
M. de Monmerqué , lettre qui sert de préface au poëme,
M. Paris avance que Berthe est la même princesse que celle
qu’on nomme la Reine Pédauque ; et à l'appui de cette: opi-
nion , il rapporte qu’à Toulouse , selon l’auteur des Contes
d'Eutrapel , le peuple a l'habitude de jurer pur la quenouille
de la Reine Pédauque, et que nous disons volontiers et
comme proverbe : du temps que Berthe filait , et que les Ita-
liens disent dans le même sens : 20n è più il tempo che Berta
filava. Nous ne savons pas si jadis on jurait à Toulouse par
la quenouille de la Reine Pédauque , maïs il est assuré qu’au-
jourd’hui il n’existe aucune trace de cette habitude. Rabelais,
autorité tout aussi respectable en cette matière que celle de
l'auteur des Contes d'Eutrapel , parle, non des personnes qui
ont de grands pieds , mais de personnes « largement pattées ,
comme sont les oies , et comme jadis à Tolose les portait la
MÉMOIRES. 165
que les chroniqueurs dont nous avons ana-
lysé les récits. Cet écrivain florissait vers la fin
du XIILe siècle. Il appela dans ou Adenès.
Dans son poëme, Berthe est fille du roi de Hon-
grie. Pepin, veuf d’une femme qui ne lui avait
point donné d'enfants, veut se marier de nou-
veau ; il assemble tous ses barons
Pour regarder quel feme li pourront aviser…
Premier en a parlé Engerrans de Moncler.
« Sire , je en sai une , par le cor saint Omer ,
» Fille au roi de Hongrie , moult l'ai oy locr,
» Ïl na si bele fame deça ne dela mer ;
» Berte la débonnaire ainsy l’oy nommer,
» — Seigneur , ce dist Pepins , n’i a fors du haster ,
» Car celle veuil avoir a moiller et à per. »
Une ambassade est envoyée en Hongrie pour
demander Berthe au roi son père ; celui-ci lac-
corde : on conduit la princesse en France. Elle
arrive à Paris.
Après la mi aoust, ne quiers que vous en mente,
Par un jour si tres bel qu'il ne pleut ni ne vente,
Espousa rois Pepins Berte la bele et gente.
*
Reine Pédauque. » Nous devons ajouter que les traditions
locales sur cette Reine différent entièrement de celles relatives
à Berthe. On montre encore dans les Pyrénées les emprein-
tes des longs pieds de celle-ci, et l’on raconte que ces em- :
preintes remontent à l’époque où cette princesse , destinée à
Pepin , s'enfuit non dans les bois du Mans , mais dans les
forêts de nos montagnes, où elle fut retrouvée quelques années
après par Pepin , à l'instant où il s’avancait avec son armée
contre les Sarrasins.
166 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETLRES,
Mais Margiste ayant fait croire à Berthe que
Pepin pourrait la tuer,
Quant lis rois vous devra en connuit compaigner.…
Paour ai ne vous tue , si me puist Diex aidier !
Pour la soustraire à ce danger, elle offre à Ber-
the de mettre à sa place , dans le lit nuptial,
Aliste sa fille, qui, dit le poëte,
Miex ressemble Bertain (Berthe) que ne peindroit peignière.
Berthe effrayée consent à ce qu’Aliste prenne sa
place. Margiste lui fait croire qu’elle doit s’éloigner
promptement ,
Que droit au point du jour convient qu’elle s’atire,
Et que mout sagement de lez le roi se vire.
Le matin elle est conduite par Margiste dans
la chambre nuptiale. Aliste, qui a pris sa place,
se blesse et remet à Berthe le couteau dont elle
Le. FRANS ,
s’est légèrement frappée ,
En sa senestre cuisse a tel cop asseneé
Que li clers sans enraie et de lorc et de lé.
ÂAliste pousse un grand cri, le roi s’éveille. Elle
lui dit :
« Ha! rois Pepins , dist elle , je croi por vous oï né,
» Quant on me veut meurdrir de lez vostre costé. »
Pepin s’éveille , il voit Berthe qu’il prend pour
la fille de Margiste , tenant le couteau ensan-
glanté. Tybers , cousin de Margiste, s'empare de
Berthe. On lui met un bäillon, on la place sur un
cheval ; trois sergents accompagnés de Tybers
MÉMOIRES. … 416
Pemmènent , on marche pendant cinq jours :
enfin on arrive dans la forêt du Mans. Tybers veut
tuer la princesse ;-mais Morans soppose à ce
crime. Il ôte à Berthe les liens qui la retenaient,
et lui dit :
« Belle , fuiez vous en , ni soit plus délaié ;
» Dame Dieu vous conduise par la sive amistié.
Berthe s'enfuit. Après avoir passé la nuit dans
la forêt, elle arrive chez un hermite qui lui
conseille d'aller demander un asile à Symon et à
Constance sa femme. Elle trouve Symon dans la
forêt ; il la conduit dans sa maison où elle de-
meure inconnue pendant plusieurs années. Mais
Blanchefleur , reine de Hongrie , vient à Paris
pour voir sa fille : elle trouve Aliste au lieu
d'elle ; la tromperie est reconnue. Pepin retrouve
enfin Berthe. Floïre , son père , et Blanchefleur
arrivent en France pour embrasser de nouveau
leur fille bien-aimée. Le poëte termine son ou-
vrage par cette strophe , où la naissance de Char-
lemagne est racontée.
Li premier des enfans , de ce ne doutez mie,
Que Pepins ot de Berte la blonde , l’eschevie,
Orent ils une fille sage et bien enseignie ,
Feme Milon d’Ayglent , molt ot grand seignorie ,
Et fu mere Rollant qui fut sans couardie ,
Ains fu preus et hardis , plains de chevalerie,
Après orent Constance , en qui fu courtoisie,
Et noblesse et valeur, sans nule vilonie.
Après ot Charlemaine à la chiere hardie ,
Qui puist fist sur païens mainte grande envaie ;
Por luy fust la loy Dieu levée et essaucie,
168 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES,
Maint hiaume descoupé, mainte targe percie
Maint haubert derompu, mainte teste tranchie.
Moult guerroya de cuer sur la gent paienie,
Si qu’encore s’en deulent ceux de cele lignie.….
Alors que la fable et la poésie s’attachent à la
naissance d’un homme célèbre pour la revêtir de
leurs couleurs , on ne peut s’étonner de voir tout
le reste de sa vie empreint de cette teinte roma-
nesque qui en a marqué les premiers instants. Pres-
que tous les historiens de cet homme seront des
légendaires , des chroniqueurs crédules , des ro-
manciers. Tels sont en effet la plupart de ceux
qui ont écrit sur Charlemagne , et si quelques
critiques n'avaient pas déterminé les époques des
diverses actions de ce prince, si des actes, des
diplomes authentiques , des capitulaires, et le fidèle
Eginhard n'étaient pas là, on pourrait croire
que ce héros n’est qu’un être imaginaire , et qu'il
faut le considérer comme une création poétique ,
comme un personnage dont l'existence n’a-pas eu
plus de réalité que celle d'Arthur et des chevaliers
de la table ronde. Le premier poëme que nous al-
lons examiner et qui a pour héros le grand Charles,
est en prose Romane. C’est l’un de ces écrits dans
lesquels Charlemagne accomplit des actions en-
tiérement inconnues à l’histoire , et cet écrit est
lun des plus rares de ceux qui ont été consacrés
à cet empereur. On le connaît sous le titre de
Philomena. Mais Philomène est le pseudonyme
de l’auteur qui devait être un moine. Il se nomme
dans plusieurs endroits de l'ouvrage, et prend le
MÉMOIRES. 169
titre de Maëstre de la Hystoria. Quelques exem-
plaires manuscrits de cet ouvrage sont écrits en
latin ; d’autres le sont en langage Roman. Le texte
latin a été publié en Italie ; le texte Roman , qui
doit être le plus ancien , est encore inédit.
La bibliothèque de Carcassonne possède un
exemplaire latin du Philomena. Cet exemplaire
est en mauvais état, presqu'illisible dans plu-
sieurs de ses parties , et il manque quelques
pages vers la fin. Il provient des archives de
l'abbaye de la Grasse, où lon croit que Philo-
mena, ou plutôt celui qui a pris ce nom, était
religieux.
Le seul exemplaire ancien, connu à Paris, du
Philomena , en langue Romane, est conservé dans
la bibliothèque royale, n.° 10307, fonds de Ba-
luze. Les premières et les dernières pages man-
quent ; mais cette partie du texte a été rétablie
d’après la copie que le Président Doat avait fait
faire sur un autre exemplaire Roman, trouvé à
Narbonne. Cette dernière leçon est d’ailleurs peu
estimée, parce que les expressions en ont été ra-
jeunies. Le manuscrit du fonds de Baluze, est de
tout point bien préférable ; on croit qu’il est à peu
près de la fin du 13.° siècle, ou du commence-
ment du 14.°
L’argument du poëme est placé en tête. Il indi-
que comment Charlemagne, après avoir pris la
cité de Carcassonne, partit de cette ville, dans
quels lieux il fut, comment il bâtit le monastère
de la Grasse, comment il fit avec son armée la
TOME V. PART, II, 12
170 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
conquête de la cité de Narbonne , et d’autres lieux
importants.
« Ayssi se conte en cal maniera Karles, can ac
pres Carcassona , cos partit de la ciutat ni vays,
cals parts anec, et com hedifiquec le monestier de
la Grassa : item com conqueric la ciutat de Nar-
bona , et d’autres nobles locs.… »
L'auteur entre ainsi en matière :
« Lorsque Charlemagne prit la cité de Car-
cassonne , où il souffrit de grands dommages,
où il perdit beaucoup de nobles Barons , il resta
là bien lonstemps, jusqu’à ce que, par le pou-
voir de Notre-Seigneur, il vit les tours s’incli-
ner devant l’armée , et il connut, par la grâce de
Dieu, qu’il prendrait la cité , et cela ayant eu lieu
. en son temps, il la peupla de nombreux chré-
tiens et il y construisit beaucoup d’églises, c’est à
savoir, celles de Saint-Nazaire , de Saint-Jean et
Saint-Marcel; il y plaça pour Evêque un noble
Baron et bon clerc, qui avait nom Roger, et que
le saint Pape Léon sacra.
» Can Karles magnes pres la ciudad de Carcas-
sona adonc el sofri e pres aqui grans damnages e
mots baros aqui perdec, e tant longament a qui
stec entroque per lo poder de Nostre Senhor vi
las tors enclinar en vays la ost e conog que per la
gracia de Dieu la ciutat penria , e per sos temps
pres la e poblec la de gran re de Chrestias et he-
difiquec motas glieysas aqui so es a saber de Sanct
Nazari, de Sanct Johan e de Sanct Marcel, e un
MÉMOIRES. 171
noble baro que avia nom Rogier bon clergue a
qui pausec per Auesque loqual sagrec lo Sanct Papa
Leo... »
« Cela fait, le grand Empereur Charles ne vou-
lut plus retarder le moment de confondre la
gent Sarrasine, et d’exhausser la foi catholique.
Et il fit Me dans la cité que tous vinssent à
Pechmari, que là on tiendrait conseil, et qu il
s’y rendrait. Et là tous vinrent, et là fat aussi le
Saint Baron Pape Léon , la ati partie des
Cardinaux, le Patriarche de Jérusalem , l’Arche-
vêque Turpin, d’autres Archevêques et Abbés,
Prieurs et d’autres Clercs sans nombre: là furent
Rattan, Olivier, Raynieres d’Albespine , Anselme
de Proyes, Angelier , Escout, fils d’Odon Sini-
fred, Augier d’Anes, Gayfre, Banes Sans Barbe,
qui était de Normandie, Engelier, qui était de
Gascogne, Salamon de Ba Totestan son
frere, et ie les autres , Ducs, Vicomtes , Barons,
déboires. et beaucoup d’autres Chevaliers
qu'il serait trop long d'indiquer. Et quand ils fu-
rent tous assemblés, Charlemagne prononça ce dis-
cours :
« Nobles Barons, bien que nous ayons beau-
coup souffert pour Jésus-Christ, et pour élever la
foi catholique, en confondant la gent Sarrasine,
cependant nous ne pourrions dire que nous avons
souffert, pour Dieu, la millième partie de sa sainte
passion, lorsqu'il répandit son sang divin pour nous
délivrer du pouvoir du démon , et que, suspendu
à la croix, abreuvé de vinaigre et de fiel, cou-
12.
172 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
ronné d’épines , le flanc ouvert , les pieds et les
mains douloureusement cloués, la figure salie de
crachats, les joues frappées, il souffrit tant de
supplices pour nous que c’est une chose affreuse à
entendre et plus douloureuse à raconter. Ces sup-
plices, ces tourments furent éprouvés pour nous
garder des peines de l’enfer et pour nous arracher
au pouvoir de l'ennemi de Dieu et des hommes, et
nous placer dans la sainte gloire. C’est pourquoi,
nous devons de notre côté souffrir pour Jésus-Christ,
afin d'élever la foi catholique, en confondant la
gent Sarrasine, et pour qu'il nous fasse jouir de ses
saintes délices. Et afin que nous l’aidions, nous nous
proposons d’entrer en Espagne; mais, près d'ici, est
une noble cité que l’on appelle Narbonne, et qui
nous cause beaucoup de troubles, et si nous nous
emparions de cette ville, sachez, Seigneurs, que
notre entrée en Espagne serait entièrement as-
surée.» Après ce discours, tous les avis se réu-
nissent, pour que Narbonne soit immédiatement
attaquée. On se consulte sur le chemin qu’il faut
suivre, et on marche vers le lieu où existe au-
jourd’hui la petite ville de la Grasse.
«Aysso fayt, lo sanct Emperador K. no volc
aqui pus remaner mays ad adonplir le prepau-
sament de confondre la gent Sarrasina et eshaus-
sar la fe catholical. E adonc et fe cridar per
tota la ciutat que tots venguesson a Puegmari,
e aqui auria son cosselh vays cals parts iria , e
aqui vengron tots. E fo aqui lo sanct Baro Papa
Leo é la maior partida dels Cardenals e Patriar-
MÉMOIRES. 173
cha de Jerusalem, IArsseuesque Turpi, autres
Arceuesques et Abats Priors e d’autres clergues
trops ses nombres. Fo aqui Rattan, Olivier,
Raynieres d’Albespina, Ancelmes de Proyes,
Angelier , Escouts , filh de Odon Sinifre , Augier
d'Anes, Gayfre, Bones Senes Barba, le cal fo
de Normandia, Engelier, que fo de Vascuenha,
Salamo de Bretanhia, Totestan frayre de luy e
tots los dont se parts cavaliers que seria trop
long per racontar; e can foron tots aiustats,
Karles Magnes commensec aquesta oraso :
« Baros nobles, ja sia aysso que mots aiam
suffert per Jesu Christ ad essausar la sancta Fe ca-
tholical e la gent Sarrasina a confondre no poyrian
sostenir per Dius que fos semblant à la milliena
part de la sua sancta passio local escampe lo siu
sancte sanc per so quens delivrez del poder del
diable , suspenduts en la crots e abeurat de fel e de
viagre, coronat d’espinas et costat naffrats, els pes
e las mas clauelats, escopits en la cara e batuts en
las gautas, e per mots de suplicis sufertats que
espauentabla causa es per ausir e per comtar,
donc es per amor dayso el aja tots turments per
nos sufertats per tal quens gardes de las penas
difern e qui nos ressembles del poder del diable e
quens calogara en la sua santa gloria, en per amor
daysso devem sufert tot per Jesu Christ, eysaussan
la fe catholical e confonden la gent Sarrasina per
so quen fassa parssoniers dels sieus sanctes delieyts
et ara es aysshi que el aiudan prepausam intrar
en Espanha, et es aysshi una nobla ciutat que hom
474 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
apela Narbona e autras motas de sa Espanha
quens treballo mot fort e si podiam Narbona
penre senhors sapiats que lintrament d’Espanha
seria mot ubers e las autras ciutats en la tenguda
pus leu serian vincidas e si acosselhats que vays
Narbona anem sia de part Dieu si no intran en
Espanha et si eligat so que pus ne volrets. »
Le lendemain matin, après avoir entendu la
messe, Charles fit venir ceux qui connaissaient les
chemins , et il leur demanda par quelle voie on
pourrait aller vers Narbonne, et ils lui dirent
qu’il le pourrait par la plaine; que par la montagne
il trouverait un lieu convenable pour la chasse,
et que par là il pourrait aller mieux et d’une ma-
nière plus courte... A peine est-on en marche,
que larchevèque Turpin s’avance ; il fait trois ou
quatre lieues ainsi, puis il monte sur une colline,
et il trouve là un Sarrasin qui chassait ; il lin-
terroge, et celui-ci répond qu'il est chasseur et
qu'il vit du produit de la chasse; qu’il est Sar-
rasin et qu'ilhabite à Pierre Colobra ( Escoulou-
bre ? \ lieu situé sur une hauteur où il y a beau-
coup de marbres: Cassador son, e de ma cassa
vivi, e son Sarrasis e ma estriba es a Peyra Colo-
bra, en un paty on ha marmets trop. Pendant
qu’il parlait avec cet infidèle, PArchevêque voit une
fumée s'élever dans un vallon voisin , et le Sarra-
sin lui apprend que là sont de saints solitaires ,
qui ne se nourrissent que de millet, de fèves,
de choux et d'herbes sauvages. Cette vallée , à
cause de sa pauvreté , a été appelée le 77a/ mai-
MÉMOIRES. 179
gre. L’Archevèque rend grâces à Dieu de cette
découverte. Charles ayant laissé l’armée dans
une plaine, et étant venu avec Roland , les douze
pairs , des archevêques , évêques et abbés, au
nombre de quarante, Turpin leur apprend ce qu'il
avait su du Sarrasin. Tout le monde met pied à
terre à cause des difficultés qu’offre le sol, et l’on
tire les chevaux par la bride. Turpin arrive le
premier à l’habitation , composée de deux mai-
sonnettes. Il y trouve un ermite, il entre dans l’o-
ratoire : l’ermite lui crie miséricorde , tant pour
lui que pour ses compagnons. 1’Archevèque le
somme, en vertu de la sainte obédience, de lui
dire quel est son lignage et de quelle terre 1l
est, et l’ermite répond qu’il le fera volontiers.
« Sachez, dit-il, que nous sommes sept, et qu’au-
cun n’est de la province de l’autre ; je me nomme
Thomas et suis de Normandie , de la ville qu'on
appelle Rouen, et je suis plus vieux qu'aucun de
mes compagnons. L'un d’entre nous est de Lom-
bardie, de la cité de Pavie, qui est bâtie près du
Tesin , et il est plus noble que moi de lignage, de
bonnes manières et de science , et on le nomme
Ricard, Le troisième est de Hongrie, fils du roi de
ce pays, et il porte le nom de Robert. Sa bonté et
sa courtoisie seraient longues à raconter. Le qua-
trième est d’Ecosse : on le nomme Germain. Il est
noble de parenté , et sa dilection est en Dieu et
plus noble encore, comme nous l’avons reconnu.
Le cinquième est de Flandres : on l'appelle Alayra :
son humilité est grande , et son ardeur pour le
176 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Saint-Esprit montre qu’il est plus noble qu'aucun
roi. Le sixième , The-Othoman, est natif de
Cologne , fils d’un noble baron. Le septième est
de la province d'Egypte et a nom Barthele-
mi, le plus noble entre tous, de douceur et de
patience, et d’ailleurs bon clerc. Mais pourquoi
sommes-nous venus ici? vous allez lentendre.
Nous étions écoliers à Paris, et nous avions été
compagnons près de quatre années, lorsque Dieu
nous inspira par sa grâce d'abandonner tout , en
suivant Jésus-Christ, de mépriser les terrestres et
passagères choses, et de souffrir pour lui qui a tant
souffert pour nous et jusqu’à la mort. Il voulut bien
par ses anges nous faire indiquer le lieu où nous
sommes depuis près de vingt ans occupés à le ser-
vir. Nous mangeons de l'orge, du mil, des choux
et autres herbes sauvages que nous semons, selon
que Dieu nous les donne. Les oïseaux du ciel et
toutes les autres créatures , lions , ours et autres
animaux que nous trouvons dans le bois, nous ne
les chassons point, ni elles ne nous poursuivent pas,
et elles ont vécu et vivent avec nous , et dans le
bois elles nous obéissent sans que nous leur ayons
fait aucun mal et sans qu’elles nous en aient fait. »
Voici le texte, jusqu’à présent inédit, du passage
que nous venons d'analyser. « Lendema mayti
ausidas las messas Karles apelet alscus que sabian
las carrieras e demandet lor per qual via poyran
anar vays Narbona et els disseron li que sis volia
poyria anar per via plana, o per montanha, et
trobaria un pauc loc conuinant ad plaser de cassar
MÉMOIRES. pl
e per aquesta poyrets anar miels e pus breu. E
lArsseuesque Turpi dis : Senhor , per aquesta
anam cardonarem nos solas e deport et repausa-
rem nos cassan et prenen las salvazinas dar san
gaug nostres corsses et y en meteys ab los cassa-
dors , e vos venrest suau am lo senhor Papa et
ab tota la ost en ayshi cos coue de gran ost: et
aysso dit mogro se daqui e IArsseuesque Turpi
davant els ab los cassadors. E can agro anadas
quatre legues lArsseuesque Turpi se fo partits dels
cassadors e montet sus un puey et atrobet aqui
un Sarrasi cassan et pres lo e pueys demande li
quins homs era ni de cal loc era, local li respon-
dec. — Cassador son e de ma cassa vivi, e son
Sarrazis et ma estriba es a Peyra Colobra en un
pueg on ha marmets trops. E dementre que lArs-
seuesque parlaua ambel vic fum en una valh
dauant si e demandec al Sarrazi sia nul habitador
en aycel loc on era lo fun et lo Sarrazi respondec
li que aycels valh auia nom Magra, calcus de
Narbona liu auian mes nom, may autres lape-
lauam abans Jalh Talhica per aysso , car passat
a vingt ans que sept homes an aqui estat paubra-
ment tots negres et peloses bestits et ayssi magres
que apena an figura dhomes e no manio si ne
milh e fauas e cauls e autros herbas saluaias et
ad hom no fan ni be ni mal, e cor son aytals per
so aycela valh es apelada ’ all Magra e en lors
mayso es lo fum. LArsseuesque can ausic aysso
dec se gran gaug et fec gratias a Dieu, et entre-
tant Karles layshada la ost en un pla et ambel
178 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Rollant, els dotze pars , arsseuesques , auesques,
abats en torn quaranta vengron aqui e lArsseues-
que Turpi contec lor tot lo quel Sarrazi li auia
dit, e tots agron gran gaug e feron grans gratias à
Dieu, et dis Rollant a lArsseuesque : — Senhor
pusc ayssi es anats la etciats si es en ayssi. Et el
respondec : — Li tots hi irems e commensseren a
dessendre tenan los cavals par las regnos car per
la mala carrieyra C’atrobavan los convenio anar
a pé et foron entorn cinq mil a lintran de la valh
mays lArsseuesque Turpi tots premiers sols vens a
labitacol et no vic aqui mays doas maysonetas
mot paubras e intrec pertot e vic un oratori
de costal cal atrobet un dels sept heremitas lo-
qual ac grand paor que a penas ausec gardar
lArsseuesque mays IArsseuesque demanda ad et
ad onor de qual sant era hedificats aquel oratori
e lhermita no li poc respondre mays fe li senhal
en honor de Madona Sancta Maria et intrec lArs-
seuesque am gran gaug et mentre orava girec se
al hermita e saludec lo en lati et el inclinet son
cap e respos li : —Tot Poderos Dieu, Filh de la
Vierges vos benasigua , et IArsseuesque senhet lo
et demandec li si era sols o si avia companhia ,
et el respon li : — Depus que erots fayts en vos-
tre front mi benasen et daythal senhal metteys
be puest parlar am vos dayssi enan ayssi com ab
Crestia et sirvent de Dieu. — El dis li be: O
pots far segurament sapias per cert que y en soy
Crestia, Arsseuesques, et odes veyras Karles Cres-
tias emperador am gran .montera de Crestias et
MÉMOIRES. 179
absi es Papa Leo et Patriarcha de Jerusalem ,
cardenals arsseuesques auesques abats mays de
sept cens et Rollant et tots los dotze pars dux
et comtes et baros mots et autres cauayers et mot
homes a pé que liuron lors corsses a tot trebal
per eyshausser la fe crestiana e no teimo perilh
ni mort.
» El hermita aysso ausit casec rith ni mort als
pes de lArsseuesque ploran e queric li perdo et
comenssec sas paraulas aldit senhor arsseuesque : —
Depus sirvens ests de Dieu amic misericordia
ajats daquest peccador e de mos companhos.
Sapias certanement que sept companhos ens a
depus que farent ayssi la voluntat de tots fo una.
— Hyeu dis IArsseuesque te coman en vertut de
sancta obedienssa que diguas de qual linhage ests
nadi ni de cal terra et en cal guisa venguts aysshi.
— Et el dits li que voluntiers o faria. — Sapias
que sept em et degu noes de la provincia de lautre.
Hyeu ey nom Thomas et suy de Normandia de
la villa com apela Roams, et son pus vielhs que
negun dels autras.— Lautre fo de Lombardia de la
ciutat com apela Papia queys costat flaui que a
nom Tozin et es pu noble que yeu de linhage
et de bonas costumas et de’ scientia e a nom Ri-
cart. — Lo ters fo Dongria filh del rey daquel
regne e a nom Robert. — La bonesa daquel e las
costumas long seria per contar. — Lo quart es
d’Escossia e a nom Girma nobles de parentat et
de amor et ha dilectio en Dieu segon que nos
avem conogut. — Pus nobles lo quint es de
180 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Flandres del loc de Sant Omer per nom et ha
nom ÂAlayra. La humilitat dequal es grans e en-
flamament de l’amor de Sant Esperit le demostra
esser pus nobles que nulh rey. — Lo size es The-
Othoman e nase en Coluenha filh dun noble
baro. — Lo sept es de Esypto provincia filh dun
noble rey et a nom Bertholomieu , entre lots de
pacientia et de bonesa pus nobles et es bos cler-
gues. — Mays en qual guisa em ayssi aujats ho. —
Scolars eram de Paris et forem companhos prop
‘de quatre ans peceys Dieus quens spirec de la sua
gratia desamparens totas causas e seguen Jesu
Christ las terrans causas coma vits e trespassa-
doras menespresans e que sufrisent por el car
per nos suffrit tro a la mort loqual a nos per
los sieus angels aquest loc ensenhet ayssi.— Aucus
estat prop de vingt ans aiustats a servisi de lui. —
Ordi et milh avem maniat, cauls et autras her-
bas saluaias que semenen et recuilhem seson
que Dieus nos aparelhec. — Els aucels del cel et
a totas creaturas leos orses et autras totas salua-
sinas que el bosc attrobem nos no las en cassam
ni elas nos e ans amigablement an viscut am nos
e vivon el bosc era nos obeseysson ses mal que
no lor fam ai elas a nos e en ayssi avem viscut.
Thomas so ditz lArsseuesque entro ara fazets
venir vostros frayres : — Senhor voluntiers mays
gran paor auran que salvages son com Jas bestias
del bose. — Et adoncx Thomas las campanas sonet
el ausiron las que eron a Rocaguliera et commens-
saron à deyssendre can foron costa un loc que a
MÉMOIRES. 181
nom Lo Cortal ausiron lo transpol et trincadis que
fasia la ost am las espassas et amb autres ferra-
mens trencan los aybres per far carrieus entro al
loc on ero las ermitas adoncx agron gran paor
que fos morts lor frayre Thomas per Sarrasis
quey fosson avengudi et adonex feron gratias à
Dieus pregans el quels fases morir ad aytal mort
com lor frayre Thomas era morts et quels coronés
de corona perdurable et après aysso viron la ost
e vengron tost à l’aygua d'Orbio.….
Après ce récit naïf et dans lequel on retrouve
lantique simplicité, qui ajoute, chez les Grecs,
à la grandeur épique, les religieux arrivent à
l’ermitage.
Bientôt le Pape, Charles le grand, Roland, les
douze pairs et les grands, /os Majoralhs, arrivent;
et quand cesillustres personnages eurent vu les sept
ermites , 1ls s'émerveillèrent de la noirceur de leur
teint. L'Empereur les salua humblement , et après
lui le Saint Pape Léon , ensuite les autres Barons.…
E quam elhs viron los Hermitas meravelaros
fort de los esgurodament tant eran negres e
l’Emperador quant los ac vist, commensec los
humiliamen a saludar, et en a prop elh sanct
Papa Leo e pueys tots los autres Baros.......…
L’attendrissement le plus vif se manifeste. On loue
Dieu d'avoir fait trouver des hommes si saints
dans un si saint lieu. Le Pape veut prècher , PAr-
chevèque Turpin linvite à remettre cette action
au lendemain; mais il le prie de conseiller à Char-
182 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
les d'établir un couvent de moines noirs dans ce
lieu , avec un abbé pour le service de Dieu et de la
Vierge-Marie. Le Pape approuve ce projet, et Lors-
que Charles le connaît, il répond en annonçant
que volontiers il ferait construire ce couvent et lui
donnerait de grands biens... Après ces paroles,
Charles a soif, et l’'Archevèque Turpin lui ap-
porte du vin dans un très-bel hanap. Alors qu'il
va boire, Thomas lui dit : Seigneur, si vous vouliez
de notre pain, nous vous donnerions volontiers
de celui que nous avons : et Charles dit : portez-le,
et Thomas lui présente du pain de mil dur et
moisi... [ci commence la série des miracles qui
accompagnèrent la fondation de l’abbaye de La
Grasse. Le prodige de la multiplication des pains
se renouvelle ; le Pape, les Barons et sept mille
autres en sont rassasiés, et toute Tarmée veut en
manger. Voici le texte encore inédit, en langue
Romane de ce passage intéressant :
« Elhs vengro a l’aiga d’Orbio e aqui elhs pas-
sero otra e vengro vays lor habitacol e aqui atro-
bero lor frayre T'homas.e IArsseuesque Turpi ambel
et quan intrero per Ihabitacol Thomas anec los
totz baysar e saludar e contec lor co li era pres ni
co eram aqui vengutz aquelhs crestias et elhs eysxa-
ment comtero li qualh pavor agro que elh fos
mortz in de la venguda de la ost et ploram de
gaug que avian et disxero à Thomas : — Pusque
Dieus nos a faita tanta donor que tan ondrast Baros
nos ha faits venir ayssi covitats lor e donats lor
delhs bes que Dieus nos a donats. E Thomas au-
MÉMOIRES. 183
sidas aquestas paraulos commenshec à rire et disec:
— Frayres mieus ho sabets que non avem mays for
un galh quens canta las horas si laussiama abastaria
entre tots baros — et aysso fait Karles fo aqui elh
Papa Leo e Rollant e tots los xij pars e tots los majo-
rals ayssi quo avets aussit davant.— E quant elhs
viron los hermitas meraveleros fort de lor essuroda-
ment tant eron negres. E 1IEmperador quant los hac
vists comensec los humilment a saludar. Et en aprop
elh sant Papa Leo e pueys tots los autres Baros.
Pueys IArsseuesque Turpi comensec à dire tota la
raso e a comtar de mot e mot so que Thomas li
auia dit en comtat et aysso ausit Karles elh Papa
et tots los autres escomanguts de pietat elhs plo-
reron e feron grans lausors a Dieus quar avian tro-
bats tant sans homes nilhs auian layssats venir en
tant sancte loc elh Papa quan los vic vol far ay
tantost son sermon e lArsseuesqueTurpi preguec lo
quentro lendema nol fel mais que cosselhesso à Kar-
les quey fes j.monestier de monges negres am lor
Abbat a servissi de Dieus e de la Verge Maria. —El
Papa ausida la razo delh lauset ot tota la derssia e
quant Karles hac ausit aysso dix que volentiers
lay bastiria ei faria monestier e quelhs daria rendas
e gran res de bes en talh manieyra que poguesso
estan onradament e viure quar be conoyssian que
elh lo era sant e devot elhs vij. hermitas ero sans.
homes et amats de Dieus. —— E mentre menavan
aquestas Karles ac set e l’Arsseuesque Turpi anec li
aportar de vi ambun bel enap et quant vole beure
Thomas li dicx : — Seynher ssi voliats de nostre pa
184 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
volentiers vos dariam day talh co lavem e Karles
dix quen portes e Thomas aportec li mieg pa de
mil dur e arre quar avia be xj. jorns quera queits(1)
et Thomas quant hac pres lo pa elh lo benesic
pueys presentec lo a Karles et Karles pres lo e
trenquec lo e maniec ne e lApostoli eyssament els
clergues et dautres pus de sept mille e tots forom
ayshi be sadolhats quo si aguesso manjat en cort de
rey et aysso fait tan gran plor et tan gran feriment
de pieyts ausirets aqui en la ost que tota la valh
resondia e celh que podia maniar daquel pa cresia
esser mots et nets de sos pecats et Turpi ans clara
vots cridec e dis : — Baros, payres et frayres, le
senhor creayre de tot lo mon vos a asadolhats de
la sua mana e despus que tants sans baros quem
trobats anats tots dayssi e portets vos net esta
valh e apparelhats vostras tendas e qui no a tendas
fassan de fuelhas daybres maysos on puscats re-
pausar car le senhor Karles remendra ayssi pri-
vadament am aquets sants Baros et partiron sen
tots estiers lo senhor Papa el Patriarcha e sexante
entre arsseuesques e auesques € abbats et dautres
ondrats clergues et quinze entre comtes et dux. »
Après avoir été témoin de la nouvelle multipli-
cation des pains, Charlemagne ne balance plus : il
donne des ordres pour que le monastère de la
Grasse s’élève. Roland est envoyé en avant pour
(1) Toi la copie de Doat contient quelques pages qui man-
quent au manuscrit de Baluze.
MÉMOIRES. 185
empêcher les courses des Sarrasins; puis chaque
prélat veut travailler à l’édifice de la nouvelle
abbaye et construire des chapelles. On fait venir
Je maître maçon ou tailleur de pierre, et le maître
charpentier. On avait déjà déterminé le lieu où le
couvent devait être bâti. «Elh senhor Naymes de
Bavieyra mesurec xxx. brassas ad obs delh front de
la capela. E 1Abat de sant Deuni mesurec la claus-
tra on fora aisso fayt. Karles apelec le maestre
de la peyra, Robert que avia nom, et avia ij. filhs
aqui e ssa molher, e dix ad elh : Amic Robert
aquesta obra coyta aitant que poyras e ssia tot be
fayt e covinentement. Aquo meteys mandec als
maestres de la fusta..….. »
De nouveaux miracles viennent signaler la pro-
tection divine. Des aveugles recouvrent la vue...
Mais cependant, comme on peut craindre que
l’armée manque bientôt de vivres dans ce lieu sté-
rile, le Pape Léon demande que Roland, accom-
pagné de ceux qui voudront le suivre, se jette sur
les terres ennemies, entre Barcelonne et Gironne,
afin dy ramasser des provisions. Le Pape ajoute
qu'il prie et requiert Roland, et ceux qui le sui-
vront, de donner à Dieu et à Madame sainte Marie,
la dixième partie de leur butin, pour servir à la
construction de l’abbaye de Lagrasse. Charle-
magne ordonne ensuite, pour empêcher les Sar-
rasins de venir déranger les ouvriers, de fortifier
les lieux voisins. « Vers es per sert sadix lo comte
de Flandres que yeu ley quelh rey de Narbona e
d’autres trops sso ajustats per que es bo que fas-
TOME V. PART, II. 13
186 INSCRIPTIONS ET BELLES-LEETRES.
satz estrenher cota la ost e bastir forsas alhs puegs
la ou mielhs sera fassedor per talh com no nos pes-
qua far vergonha , et fay las establir de sirvens
e pueys poyrem segurament hedifiquar le mones-
tier. E Karles dix que aquest cosselh tenia elh per
bo. Et adonx Karles mandec à sos Baros que fessan
las forsas tost e delivre. E fe far j. tor alh pueg de
Vilabersas am üj. mirandas. Et autra a Roquagui-
Iheyra ab v. mirandas fe nautra sobre sant Xristol
ab ij. mirandas, autra a Miralas, a la intrada de
la valh. À sant Deuniautra. À la rocha de Boychia
autra quey hac grans obs e pla establir.
» Quan las forsas foro faytas plac trop a Karles et
a tota la ost et dix ad elhs huey mays se cove quens
cochiem nostra obra. E Karles apelec Robert maes-
tre que era de la obra e dix li : Vet que tey donats
M. homes e ccc. bestias ad acabar la obra et ap-
portar so quey sera mestiers e piquas e palas ed
autres feramens trops e vu. M. pareilhs de gans e
pro vianda a üij. meses. E si alhs te fa mestiers ara
o demanda. Seynher, sa dix Robert, tot sso auem
quens fa mestiers. E IArsseuesque Turpi dix à Ro-
bert : Maestre vos auets à far xx. pilars de marmes
et as a far lo fonsament delh cor. E fayr xiij. fe-
nestras et j. trauc redon alh cor delhs seinhors e x.
arx alh cor v. de quada part. E pueys fayne xl).
per tota l’autra glieysa ey gardat que tots los ca-
pitols sian crus quar metrem hi relequias per
talh que aquest loc sia gardats de tota tempestat
et de tot laz per la voluntat de Dieu. E Ro-
bert dix à IArsseuesque : Seynher quens Capitols
MÉMOIRES. 187
farem ad obs d’autars ? E 1Apostoli : Robert üij. ni
fayts tan solament per la estrechura delh loc,
mays las finestras non seran a l’autar de Nostra
Dona sian grandas e sobre cascuna vos layserats j.
trauc per on pusqua intrar j. copa plena de reli-
quias et aquelh trauc pusquats clauser ab j. peyra
que iesqua de fora en maniera de clau et a qasquna
de las autras finestras tu laysseras j. trauc e ce-
chats la obra. E metets hi covinentement xx. pilars.
* E Karles dix al maestre : Robert, tot aysso ret per
eschrich per talh que res noy laychies a fayr ni re
noy mermes. Seynher, sa dix Robert, la vostra vo-
luntat e de totz los autres sera tot fait. Et aitantost
els se partiro daqui e anero manjar. E quant Karles
ni tots los autres foror riunats intrero per la valh
vij. M. bestias cargadas de vianda que venian de
Tholosa de las quals Robert et tots los autres foro
fort alegres e nagro grand plasert. E mentre elhs
salegravo daquesta venguda lo Gasc Engelier venc
ab vij. M. cavayers armats et amenec entre bueus
e vachas pu de xxx. M. e venc à Karles Magnes e
saludec lo e tots los autres Baros : Vos saludam et
tota la ost, e segon que aviam promes elhs trameto
alhs sans hermitas et alh monestier de Ma Dona
Sancta Maria la desena part de lur gasaynh e veus
quens ameni entre bueus e vaquas et entre cavalhs
e muls cecc, e xv. M. besans d’aur e xc. draps d’aur
e de ceda ad ornar elh monestier. E Karles dix ad
elhs : Es viu Roland ? Seyuher, sadix elh Gasc, sas
e salhs et alegcres es. »
Il lui raconte ensuite l'expédition en Espagne.
13
188 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
« En aprop Karles apelec Filomena, lo maestre
de la historia, et dits li que tot aysso mets en la
historia ses mesorga si volia estar en son amistat.
» Andars aquestas novas entrelhs , lo Comte de
Flandres vi que tota la valh era plena de viandas,
e daysso que mestiers era en la ost, e dix à Karles :
Seynher pusque tota vostra compaynha em ayssi
ajustats dauant vos plassia a vos que mudets lo nom
en aquesta valh, car no es causa conuinabla que
huey mays aia nom Magra. E IArsseuesque Turpi
dix à Karles : Justa causa es so que dits lo Comte.
E donc sadix Karles à IArsseuesque : Mudats li
elh nom : Seynher sadix elh volentiers. E mes li
nom de Grassa, sia apelada d’ayssi auant. E aquest
nom plac à Karles et a tota la ost et ayssi fo ape-
lada daqui en avant. E mentre que elhs estavan en
aquest parlamen de la valh vec vos un messager
a Karles »..…… |
Cet envoyé lui annonce que seize rois sarrasins,
qu'il lui nomme, viennent l’attaquer et détruire
le monastère que l’on construit. Un combat a lieu;
Charlemagne est vainqueur. Il poursuit les Sarra-
sins vers Narbonne; ils sont défaits de nouveau
par les chrétiens. Il revient à la Grasse; l’église
de cette abbaye est consacrée ; on place les reliques
dans les lieux indiqués. Thomas refuse le titre
d’abbé. Au moment de l'élection, Robert arrive de
Roussillon avec trente cavaliers; dix d’entr’eux
sont grièvement blessés. Il apprend à Charles que
le roi Marsille les a chassés du Roussillon, et a
mis à mort tous les autres chrétiens. Les Sarrasins
MÉMOIRES. 189
approchent; on combat : Roland marche contre le
roi Baldrac, et il le coupe en deux d’un coup desa
redoutable épée. On s'occupe ensuite de la conti-
nuation de la bâtisse du monastère. L'architecte,
ou maître maçon, Robert, demande à Charlemagne
un lieu propre à faire un moulin. [Empereur lui
accorde Le don de ce lieu, et lui dit que lorsqu’il aura
terminé la construction du moulin, il faut qu'il re-
vienne pour finir le monastère, et qu'il aille ensuite
rejoindre l’armée sous les murs de Narbonne. Puis,
toujours animé du désir d'accroître le nombre des
chrétiens, il envoie ses messagers vers Matran, roi
de Narbonne, pour lui dire que s’il veut recevoir le
baptème et rendre la ville, il lui donnera plus de
terres qu’il n’en possède. Matran , pour toute ré-
ponse, donne l’ordre de couper la tête aux ambassa-
deurs ; sa femme l’en empêche. Les chrétiens cou-
rent aux armes. Charlemagne assure à ses messa-
gers que tout ce que Matran a dit retombera sur
lui : « Tot aysso que elh vos ha dit li tornara su
son cap si à Dieu platz. Aprop aquestas novelhas
que hac andas elh va apelhar et ajustar sos nobles
Baros e dis lor aquestas paraulhas : Belhs seynhers,
pusquelh monestier de la Verges Maire de Dieu de
la Grassa es acabats mestiers es que pas no de-
morem aqui mais que anem asetjar Narbona e que
issxaussem la santa fe catholicalh. E Rollant dix a
Karles : Mays valria, si a vos plasia, que prumiey-
rament pressessam Menerba et Bezers et Acde
que es ciutat e totas las forsas que so entorn
Narbona pueys poyrem mielhs assetjar Narhona
190 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
estan seour en torn. E Karles dix que fort li
plasia..…. »
Charles, arrivé à Coursan, envoie des ambassa-
deurs à Matran, pour linviter à venir lui parler. Le
Prince méprise cette invitation. Roland s'approche
de la porte royale; Matran s’avance contre lui;
on combat , et la perte des Sarrasins est beaucoup
plus forte que celle des chrétiens. L’armée prend
des positions autour de la ville. Ici la narration
du siége est suspendue par un épisode. L'auteur
ramène le lecteur à la Grasse. La femme de Robert
est chassée de son moulin par l'Abbé et le Prieur.
Cette femme va, avec ses deux enfants , se plaindre
à Charlemagne, qui lui donne des lettres pour
obliger PAbbé à la réintégrer dans la possession du
moulin. Au lieu dobéir, l'Abbé maltraite cette
femme, et par le conseil du Prieur, met le jeune
fils de Robert, /o Massip, en prison, et détruit
les lettres, afin de dire plus tard qu’il ne les a pas
vues. La femme de Robert, revient vers Charle-
magne, qui, fort irrité, lui donne de nouvelles
lettres pour l'Abbé. Celui-ci rend à la femme ce qu’il
lui avait enlevé; mais ensuite, il va en reprendre
la valeur. La femme accourt de nouveau vers l’'Em-
pereur , qui bientôt arrive à la Grasse avec quatre
cents cavaliers. Il trouve l'Abbé à l'autel, et lui
coupe la tête. Il cherche le Prieur, le rencontre
dans une maison et lui arrache les yeux. Il met
ensuite un nouvel Abbé en place, rend à la femme
de Robert ce qu’on lui avait pris, et revient
sous les murs de Narbonne. Charlemagne raconte
3 Li
MÉMOIRES. 191
alors au Pape, à l’Æpostoli, ce qu'il a fait. Il veut
traiter encore avec Matran, et le baptiser. Celui-
ci vient trouver l'Empereur, et il répond à ses
pressantes sollicitations , qu’il ne peut les accepter,
et que d’ailleurs , Tamissus et Bruaventum sont
maîtres des deux portes principales. L'entretien
est rompu : Matran rentre dans Narbonne. La nuit
suivante , les deux frères amènent dans la cité
de nombreuses troupes, que le roi Marsille leur a
données pour secourir Matran. Au point du jour,
ils sortent de la ville. Bruaventum est tué par An-
gelier. Les Sarrasins perdent, en outre, onze mille
hommes. Ils rentrent dans la ville, l’effroi dans le
cœur ; ils ferment les portes. Mais l’Evêque de
Saint-Lis, nommé Grégoire, ayant fait armer
ses gens, et s'étant avancé, Tamissus sort à la
tête d’un corps considérable de troupes. Il tue
PEvèque, qui venait de renverser morts deux Sar-
rasins. Charlemagne et Roland vengent le prélat,
tuent quatre cents ennemis, et mettent le reste en
fuite; puis ils font ensevelir honorablement le
corps de l’Evèque. Mais ici Dieu opère un miracle,
en rendant tout à coup la vie et la santé à ce
martyr. « Lendema mati IAuesque de Sant Lis fe
armar sas gens et foro iij. M. en cavals e cavalguec
à Narbona e Tamisso fo dedins armatz ab xx. M.
et ay tantost isxic fora e alhs prumiers cops IAues-
que anec ausir ij. cavayers sarrasis. E aqui fo grand
batalha entrelhs e Tamisso va ssen vays lAuesque
et anec lausir loqualh Auesque auia nom Gregori.
E Karles et Rollant que viro la mort de IAuesque
192 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
foro fort dolens et iratz et ay tantost donero sobre
elhs et ausiro cccc. cavayers sarasis et elhs que viro
que malh anava intrero sen per forsa à la ciutat.
Intrats que sen foro Karles fe sebelir honradament
lo cors delh Auesque ad honor de Dieu et aqui
Nostre Seynher fe miracles per amor delh Auesque
que li randec salut e sanetat. E la ost que vic
aquest miracle jugerol per sant home. » D’autres
combats sont livrés sous les murs ou dans les en-
virons de Narbonne. Des héros chrétiens se distin-
guent dans toutes ces sanglantes luttes : du côté
des Sarrasins, c’est surtout Tamissus qui paraît le
plus redoutable. Ce héros est évidemment le type
d’autres héros célébrés par les poëtes italiens; et si
le Tasse n’avait pas rencontré ailleurs cette grande
figure, on pourrait croire qu'il a trouvé dans les
poëmes des Gestes de Charlemagne, l’idéal du terri-
ble Argant, Roland le fait appeler en champ clos.
Tamissus se présente ; il attaque Roland, il le presse,
il le frappe; mais le guerrier chrétien désire que
tant de valeur soit mieux employée. Loin de lever
le glaive contre Tamissus, il lui parle, il le prie
d’embrasser la foi chrétienne, de recevoir le bap-
tème. Mais le Sarrasin lui répond , qu’il lui adresse
ces exhortations , plus par peur, que mu par ur
doux intérêt, puisqu'il sait certainement qu'il ne
se fera point baptiser. Il se précipite ensuite sur le
noble chrétien : d’un coup d'épée il fend le bou-
clier de Roland, et blesse le cheval de celui-ci à
l'épaule. Le vaillant neveu de l'Empereur, tire alors
son épée si célebre, sa victorieuse Durandal, et le
MÉMOIRES. 193
coup qu'il porte est si fort, qu’il coupe en deux et
l’homme et son cheval. Voici le texte Roman de
ce passage :
« Tamisso isxic defora e aussic de venguda ij.
cavayers crestias, e pueys blasfemec nostra ley e
dix de grands antas à Karles et à Rollant e me-
nassec los fort et tota lor compaynha. Rollant que
aysso alc vist anec se arma et pugec sobre son ca-
valh e dix que elh se volia combattre am Tamisso
e que degu no li ajudes mays quelhs laysses com-
battre tots sols e va sen issxir de fora la ost et
Augier anec appellar Tamisso e dix li siz volia
combattre tot sol ab Rollant ni sil volia empazer ; e
Tamisso anec respondre que volontiers et ay tan-
tost elh va issxir fora e vas aissinar de lha et Rol-
lant de sa. E va venir la 1. vays l’autre e Tamisso va
ferir Rollant si que lescut li trauquet e lasta li tren-
quet desus. Rollant nol vole toquar.Mays que li pre-
guec que bateges e que so ho volia fayr que elh li
faria donar mays de terra que no navia à Karles son
oncle. Ausidas Tamisso aquestas novellas anec li
respondre que mays o dissia per paor que per amor
per que us fosaber per sert que non batejaria e
ay tantost dit que hac aquo Tamisso va trayre
laspasa e va ferir Rollant per miey lescut si que tot
lo y va fendre per miey et va nafrar lo cavalh à
lespalha et Rollant que vit quelh cavalh li hac na-
frat fo fort irats e va trayre lespasa Durendarda e
feric lo per talh poder que tot lo va fendre per
miey lome e elh cavalh..... »
Voici la traduction latine de ce passage. Nous
194 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Pempruntons au manuscrit conservé autrefois dans
Pabbaye de la Grasse, et qui est aujourd’hui sous
nos yeux:
« Tamisus exivit et interfecit duos milites chris-
tianos , postea blasphemavit legem christianam et
nunciatum fuit Karolo et Rolando eos et alios per
plurimum vilipendare , et Rolandus armatus pro-
hibuit ne aliquis eis adjuvaret quia ipse solus cum
solo volebat cum eo præliari; et exivit Rolandus
solus, et Augerius vocavit Tamissum quærenis ab
eo si expectaret Rolandum. Respondit quod ex-
pectaret libenter si veniret solus et sic fuit cons-
titutum et uterque venit apud alium prout melius
potuit, ét Rolandus noluit eum tangere. Tamisus
autem perforavit scutum Rolando. Postea dixit ei
Rolandus si vellet baptizari, quoniam si vellet, ho-
noraret eum, et Karolus daret ei plusquam de terra
quam ipse frater suus haberent. Alter dixit quod
timore hoc dicebat et quod nullo modo baptizaretur,
et evaginavit ensem et scutum Rolandi ferè per
medium fregit, atque equum Rolandi in spacula
fortiter vulneravit. Rolandus hoc videns iratus
valde percussit Tamissum cum Durandarda per
medium verticis galæe et eum scindit per medium
sicut glans dividitur. »
À ces peintures chevaleresques va succéder un
tableau , sinon d’un genre aussi sévère, du moins
plus touchant. Les Rois ou les Émirs de Catalogne
forment le dessein de détruire l’abbaye de la Grasse.
Leurs soldats arrivent à l’ermitage : Thomas et les
autres anachorètes, anciens habitants de la val-
MÉMOIRES. 105
lée, tombent sous le cimeterre des Sarrasins;
mais ils sont bientôt vengés. Les moines du cou-
vent de la Grasse, armés par Hélias, leur abbé,
et commandés par Pun de leurs frères, nommé Ras-
soles, repoussent lennemi. Il recueillent ensuite
les corps ensanglantés des ermites et les portent
dans leur église : puis Rassoles et Hélias vont ra-
conter à Charlemagne ce qui leur est arrivé.
Le puissant Empereur est encore sous les murs
de Narbonne. Dans la nuit, le roi Marsille a envoyé
des secours à Matran : on l’ignore dans le camp
chrétien; une sortie est résolue. Le Roi Sarrasin
et Borrel commandent les infideles ; ils surprennent
les Français et en font un horrible carnage, après
quoi ils rentrent dans la ville. Ici la reine, femme
de Matran , commence à avoir une place dans Pac-
tion. Un de ses écu yers est pris par Augier le Danois :
on le conduit devant l'Empereur. Roland lui donne
un bel habit, et le charge de remettre de sa part un
anneau d’or à la Reine, qu’il aimait beaucoup ; de
son côté la Reine était fort attachée aux chrétiens,
et désirait le baptême. Une autre sortie faite par
Borrel, est suivie d’un long et sanglant combat. «Œ
a qui, dit l’auteur, hac tan grand mortandat entre
dessa et delha que no poyria esser per hom albirat.»
Enfin les Sarrasins rentrent daws la cité et ferment
leurs portes. La reine les blîme beaucoup, et leur
dit qu'il vaudrait mieux rendre la ville à Charles,
que souffrir des maux si grands. S’adressant ensuite
à Borrel, elle lui dit qu’il était venu mal à propos
à Narbonne, et que les menaces qu’il avait faites en
106 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
entrant dans cette ville , se sont tournées contre lui
et à son grand dommage. Borrel n’ose répondre à la
Reine, parce qu’elle est la fille d'Almansor, souve-
rain de Cordoue. Mais Matran lui reproche amour
qu’elle porte à Roland , et lui annonce que quelque
jour elle en sera punie. Elle lui répond, et le prie de
la laisser aller. «Si j'aime, dit-elle, un si noble ba-
ron, et si expert aux armes que Roland, neveu de
Charlemagne, c’est de chaste amour; et si ce n’était
à cause de moi, Narbonne serait déjà prise, et vous
et les vôtres morts.» Le texte est digne d’être rap-
porté : « La Regina quan los vic blastomec los fort
e dix lor que mays lor valia que rendesso la ciutat
à Karles, que morir ni sostenir tant grans autas
ni tan grands vituperis. Ditas que hac aquestas
novas elha va dir à Borrelh que mal era venguts a
Narbona o so obs et las menassas que aviats faytas
à la intrada per mon cap lour son tornadas in dam-
nage e en gran vituperi. Ditas que hac la Regina
aquestas paraulhas Borrelhs sol no li volc respondre
causa que li desplagues mays que la sostenc quar
era filha delh Almassor de Cordoa et per aquo
podia dir tot so ques volia. E Matran quand lac
pro escotada elh li va dir que malh o dizia e que
per els elha ho disia mays per amor de Rollant
dont ne seria qualhque ora punida e la Regina
conoc que Matran no o disia mays per jilosya, et
dix le : Seynher entar mateus de vostra guerra e
laysxats me anar car nulha auta no y avets si jeu
ami tan noble baro ni tant espert darmas que Rol-
lant nebot de Karles maynes, e jeu que lami de
MÉMOIRES. 197
Casta amor per quens dix que si no fos per amor
de mi pessa fora presza Narbona e vos elhs vostres
forats tots morts. »
L'auteur, qui se plaît à multiplier les récits de
combats, nous montre ensuite l’archevèque Tur-
pin prenant les armes et s’avançant vers la ville.
Matran et Borrel vont à sa rencontre. Turpin ren-
verse et tue l’un des cavaliers de Borrel. L'abbé de
la Grasse demande à Turpin la permission de se
mêler avec les siens à ces sanglants débats. Il en
obtient la licence; il s’arme et vient sur le champ
de bataille avec Rasols, qui, en arrivant, frappe
Cabret, compagnon de Borrel, et le jette mort sur
le sol ensanglanté, faisant entendre pour cri de
guerre, {a Grasse ! En poussant le même cri, abbé
Hélie se précipite sur Matran, et le jette dans un
fossé. Celui-ci se relève avec peine, et, rentrant dans
la ville, il va dans la salle royale, au lieu où il ado-
rait Mahomet , et où l’on voyait une image de ce
faux prophète : il la frappe du pied, il la brise.
Ses soldats s’'irritent. Matran dit que, puisqu’il a
été vaincu par les moines de la Grasse, il ne posera
plus les armes, qu’il n’ait détruit leur couvent. La
reine lui dit : « Roi jeté de sa selle par un moine,
ne doit plus être pressé dans les bras de la fille du
roi de Cordoue, Almanzor. »
Nous rapporterons ici ce singulier passage :
« Lendema mati lArsseuesque Turpi armec se
ab los sieus e trops d’autres e per ïiij. parts elhs ca-
valquero à Narbona. Matran et Borrelh quelhs viro
van isxir am tota lor compaynha e lArsseuesque
198 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Turpi ne sent demest tots a la venguda va ausir j.
cavayer de Borrelh que elh elh cavalh dona en
terra, e adonquas hac aqui gran torneyhament et
Helias et Rasols caysso viro demandero lessensia à
Turpi et anero ay tantost armar à la tenda. Armats
que foro elhs vengro ab Îur compaynha al tor-
neyhament e Rasols de venguda va ferir Cabret
compaynho que era de Borelh. Et getec li mort
in terra cridan /a Grassa ! et evans que tires las re-
gnas vays si delh cavalh elh ausis v. cavayers Sar-
rasis. Helias que vic que tabe fasia Rasols sas fas-
sendas hac ne trop grand plasser et aytantots elh
broqua vays Matran quelh vic estar alh bruelh
cridan la Grassa ! e dec li tan gran colp que elh elh
cavalh va gitar en j. valhat. Empero la Regina lo
vic casser e toits los autres de cada part et Karles
quant ho vic dix: Pros es nostre Abbat e quar es de
noble lihnage fay a trayt et per elh lo monestier
de la Grassa sera mi lorats sesgon que apar. Matran
levec se delh valhat et tot vergoynhos et ple dira
e de tristissia que hac va sen intrar a la ciutat per
Porta Res e va sen a la salha rialh et alh loc on elh
adhorava Maometh. Un emagena que era gran tota
daurada et aquelha va penre e feric la am lo pe et
en despieyt de Maometh elh la va trenquar tota
disem que pusque j. vilh morgue lavia gitat del
cavall Maometh no era dignes dasorar in son poder
ni sa deytat res no era. Elhs Sarrasis que asso
viro van lo rejetar trop quar avia batut Maometh
e disxeroli cos podia elh pessar que Maometh po-
gues mays quelh creator ni contra la siena voluntat.
MÉMOIRES. 109
E Matran tots felhs dix e menassec que pusque elh
avia pressa ta gran anta per los monges de la Grassa
que elh no pausera ni armera entro que elh agues
destruit elh monestier si elh vivia e que no volia
ajuda nul temps mays de Maometh. E la Regina
quant ac ausidas aquestas novas las qualhs hac
ditas Matran et elha va respondre e dix li aquestas
novelhas : Rey gitat de celha per j. morgue no
devo per los brasses de la filha del Rey Almassor
de Cordoa esser abrassats ni no deu esser apelhats
daissy avant Rey. Et enans si vos me cressets ni
que pieyts, non vengra am mon vol rendriets
Narbona a Karles si no o fayts vostre prepausa-
ment sera mudats empieyts cada dia. Matran que
ausic aquelhas novelhas partic se dauant elha tor-
felh e irats. »
De nouveaux combats succèdent aux combats
déjà racontés. Dans l’un des derniers, le nombre
des morts fut si grand, il coula tant de sang, dit
Vauteur, qu’on aurait pu croire qu’il avait forte-
ment plu pendant deux jours : « Et adonc foc fayt
tan gran mortandat e tan gran trenquament de
membres e tan gran escampament de sanc que
semblec que agues plaugut fortment ij. jorns.….. »
Chacun des barons chrétiens, croyant que la prise
de Narbonne est peu éloignée, en demande l’investi-
ture à Charlemagne : ils pressent ce monarque , qui
ne croit devoir l’accorder à aucun d’eux. En ce mo-
ment arrive Aymeric de Berlanda , neveu de Gui-
raud de Vianeet deRaynier de Lausane ; il vient des
environs de Barcelone et de Lérida, et amène avec
200 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
lui sept mille cavaliers et quatre cents arbaletriers.
On l’engage à se mettre au nombre de ceux qui
demandent à Charlemagne la possesion de Nar-
bonne. Il refuse, en disant qu’il n’a rien fait pour
mériter un si magnifique don. L'Empereur l'entend,
et, satisfait de la modestie de ce guerrier, il lui
promet la seigneurie de la cité où règne encore
Matran; et Aymeric abandonne dès lors le surnom
de Berlanda, pour celui de Narbonne.
Un secours de dix mille cavaliers arrive dans la
ville assiégée; ce secours est conduit par Ame-
don, fils d'Almansor, et frère de la reine. Ayme-
ric, qui s'approche de la ville, fait entendre son
cri de guerre, Narbonne ! Matran lui demande ce
que signifie ce cri. Aymeric lui répond que Char-
lemagne lui a donné cette ville; mais que sil
veut recevoir le baptème, il lui en laissera la pos-
session, et que l’empereur lui fera en outre de
riches dons. Matran rejette avec mépris cette pro-
position, et, dans un combat singulier, Aymeric
est vainqueur de Corbelh de Tortose, lun des plus
braves chevaliers de l’Émir de Narbonne.
La reine voit Amedon son frère. Elle lui té-
moigne la peine que lui cause sa présence. Elle
craint pour lui une fin tragique. «Enfant , si
tu veux me croire, lui dit-elle , retourne à Cor-
doue. Narbonne a été donnée à Aymeric, lun
des plus nobles barons de France, et des plus
vaillants aux armes, suivant que je l’ai entendu
dire ; et si Matran, mon mari, voulait recevoir
le baptème..…. mais il ne le veut pas... Cepen- :
MÉMOIRES. 201
dant le pouvoir ni la Déité de Mahomet ne sont
rien en comparaison du Créateur ; et je vous le
dis pour certain , je veux être baptisée, embrasser
la loi chrétienne, et je l’observerai en l’honneur
de la bienheureuse Vierge mère de Dieu et de son
cher Fils, lequel est tout-puissant »….. Amedon
n'entend qu'avec colère expression des sentiments
de sa sœur... Il la quitte, et va se joindre à Matran
et à Borrel, qui marchent vers Salces, qu'Aymeric,
Roland et Olivier ont attaqué. Un violent combat
s'engage. Les Sarrasins sont repoussés ; l’abbé
Hélias et Rasols font des prodiges ; puis ils vont à
la Grasse célébrer les obsèques de Thomas et des
autres ermites. Les évêques de Paris, de Castres,
de Poitiers , d’'Angoulème et de Saintonge, accom-
paghent l'Abbé , et reviennent au camp avec lui.
En ce moment un messager , envoyé par Olivier,
annonce que la seconde nuit prochaine il doit arri-
ver à Narbonne une armée entière, composée de
soixante-dix mille soldats de la Talk Furena,
d’Almerie et de Valence. Les Chrétiens, en appre-
nant cette nouvelle, furent saisis d’une grande joie
parce qu'ils voyaient naître pour eux de nouveaux
dangers qui pouvaient leur acquérir une gloire nou-
velle. Tous vont s’armer. On prend poste à Saint-
Crescent. Un convoi est attaqué pendant la nuit , et
les Chrétiens s’en emparent. Le Roi de Valence est
au nombre des prisonniers. Il offre, pour être pré-
servé de la mort, cent mulets chargés d’or et d’ar-
gent ; mille pièces de satin , mille étendards, mille
chevaux, etc... Charles refuse ces richesses. Mais le
TOME V. PART, II. 14
202 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Roi de Valence est l'oncle de Matran ; s’il peut per-
suader à celui-ci de rendre Narbonne, on le remet-
tra en liberté. S'il n’obtient pas la capitulation dela
place, on doit lui couper et la tête et les membres,
et les jeter dans la ville, à l’aide des mangoneaux :
« No plassia a Dieu, dit Charles, que jeu laisse
escapar deou rey sarrasi que jeu aia viu reyre mi
per resensa car esperanza ey en Dieu e a siena
Mayre que ÿ a aber ni autres bes nos faliran
mentre Dieus me done vida. Empero aquest es
oncle de Matran e si vol retre Narbona ja no penra
mort e laisxarem lo anar e si no ho vol far faits
li tolre elh cap e membres e ab lo manganels gita-
rem los la ins la ciutat...… »
Matran, sommé de rendre Narbonne, refuse,
et l’ordre de Charlemagne est exécuté. Ta vue de
la tête et des restes hacniée de l’'Émir de Va-
lence, effraie les assiegés. Le découragement s’em-
pare des cœurs. Amedon dit qu’il vaudrait mieux
sortir , fuir de nuit ou de jour, que de s’exposer
à un sort pareil à celui de l'Émir. Mais Matran
lui rend le courage, qui semblait abandonner. Il
espère de puissants secours du roi Marsille. Sa fem-
me, qui la entendu, dit aux chefs des Sarrasins :
« Barons, les paroles que Matran, mon mari, vous
a adressées, sont vaines ; et puisqu'il dit qu’il est
nécessaire que vous fassiez un choix, de deux cho-
ses l’une aura lieu : ou vous recevrez le baptême,
ou assurément vous recevrez la mort, par Charles
ou par les siens, et cela en peu de temps, si vous
n’ajoutez point de foi à ce que je vous annonce. »'
MÉMOIRES. 203
Le lendemain, Matran, Borrel et Amedon font
prendre les armes au petit nombre de soldats qui
leur reste. Borrel va trouver Lambert, évêque de
Limoges , accompagné seulement de cinq cavaliers.
Il le trouve mort, et revient à la ville. Roland se
présente à la porte; il y rencontre Borrel et lui dit :
« Tu nous a causé très-souvent de grands maux.
L'heure est venue où tu dois en recevoir le prix.
Mais néanmoins, si tu voulais recevoir le baptème,
tu ferais plaisir à Charlemagne, qui te verrait,
avec peine, tant il estime ta valeur, mourir infecté
des erreurs des Sarrasins. — Roland, lui répond
Borrel, alors que tu me donnerais cent puissantes
villes, je n’accepterais point le baptême. Mais ac-
corde-moi cette courtoisie : On dit que tu es le
plus noble chevalier chrétien qui soit au monde
parmi vous. On dit aussi que je suis le plus noble
cavalier Sarrasin qui existe parmi nous; combat-
tons ensemble. » Roland accepte le défi. Ils vont sur
le champ de bataille ; mais Aymeric querelle Borrel.
Il demande à Roland la permission de tirer le glaive
contré le héros Sarrasin. Les lances de ces guer-
riers se croisent; les boucliers sont percés, et le
coup est si fort, que les deux adversaires tombent
de dessus leurs palefroïs. Alors le nombre des com-
battants s’accroit ; Amedon est tué. La Reine adresse
à son mari d'inutiles exhortations, pour que, cé-
dant à la destinée, ét tournant ses yeux vers les
clartés éternelles, il embrasse la foi des Chrétiens.
Tandis que tant de pertes remplissent Narbonne
de deuil et de regrets, les Juifs de cette ville, qui
14.
204 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
ont appris par /es sorts que Charles s’en rendra
maître, et sera seigneur de la terre et de la mer,
vont trouver Matran et l’engagent à se rendre,
Mais Matran, qui croit à un avenir plus pros-
père, répond qu’il recevra bientôt de si grands
secours de Marsille, qu’il pourra détruire et Char-
les et les siens : et je suis assuré de cela, dit-il,
par les messages d’Almansor de Cordoue. «Jeu
speri aver en breu ten gran secors e tan gran cos-
selh de Marsseli quels vensirey elhs e destruirey
Karles et totas sas gens. E daïisso so serts par
messages delh Almassor de Cordoa.» Les Juifs
qui veulent conserver et la vie et les richesses
qu'ils possèdent, déclarent à Matran que ce qu'il
leur répond n’a pas de sens, et ils ajoutent qu’ils
vont se rendre à Charles, et se conduire envers
lui comme envers leur seigneur. Matran leur com-
mande de n’en rien faire, mais les Juifs ne lui
obéissent pas. Son entière défaite est certaine, et
Israël va se prosterner devant le vainqueur. L’un
des chefs, nommé Isaac, sort de Narbonne avec
dix autres Juifs, et se présente aux tentes de
Charles, auquel il apporte en tribut soixante-dix
mille marcs d'argent. On accueille avec bienveil-
lance leur soumission, et surtout leur présent. Ils
disent à l'Empereur que sachant bien par leurs
sorts que Narbonne doit être soumise par lui,
ils viennent , au nom de tous les Juifs de la
cité, lui présenter ce trésor, en le priant de “les
Es à miséricorde. Charles, auquel leur of-
frande fit grand plaisir, dit l’auteur, leur répond :
MÉMOIRES. 205
« Barons, je vous remercie du don que vous m’avez
présenté. Celui qui demande merci, merci doit
trouver ; et dès ce moment, je vous prends sous ma
garde.» Les Juifs disent ensuite, qu’il ne faut pas
que Charles pense que ce qu'ils font soit une tra-
hison , car il est assuré qu'ils ne tiennent rien
de Matran. Ils demandent ensuite d’avoir toujours
un Roi des Juifs à Narbonne; «il doit être ici, et
c’est de sa part que nous venons vers vous. Il des-
cend de la race de David et de Baldackh , et il vous
envoie par nous ces soixante-dix mille marcs d’ar-
gent, et vous informe que si vous en voulez da-
vantage, il vous en enverra; et tout ce que nous
possédons, seigneur, vous appartient.» « [saach va
respondre e dix a Karles : Seynher no cresets pas
que nos fassam traisir quar per sert nos no tenen
res de Matran septat que li faren alcuna cantitat
dauer per emparasa per estiers. Seynher preguam
vos que tostemps aia Rey de Jusieus a Narbona de
nostra gens quar ayssi dun esser e de part de elh
em nos venguts a vos loqualh es delh linhage de
David e de Baldachi e tramet vos seynher mes-
sage que si mays ne volets mays no trametra à
tot vostra plasser, et tot seÿnher quant nos avem
es vostre.» Apres avoir ainsi, et avec toute l’a-
dresse qu’on leur attribue, fait la demande d’a-
voir à Narbonne un Roi de leur nation et du li-
gnage de David, les Juifs conseillent à Charles
d'attaquer la cité par le côté qu’ils habitent, comme
étant le moins en état de résister à ses armes. Ils
rentrent, et Charles raconte au Pape, au Patriarche
206 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
de Jérusalem et à tous ses Barons, ce que les Juifs
viennent de lui dire. On allait Here ensuite la
résolution de monter à cheval pour ensevelir lEve-
que de Limoges à la Grasse, lorsqu’un carreau, parti
de la ville, frappe le Patriarche, qui tombe aux
pieds de Charlemagne. Mais bientôt il se relève
pour demander à l'Empereur et au Pape d’être
aussi enseveli à la Grasse. Roland veut venger
aussitôt la mort du Patriarche. Il marche avec
Parmée et attaque la ville. Matran , qui se défie
des Juifs, accourt de leur côté avec des troupes si
nombreuses, que ceux-ci ne peuvent introduire
encore Charles dans la cité... Mais ils préviennent
Roland de ne pas entrer du côté qu’il attaque en
ce moment. La Reine, femme de Matran , la belle
Orionde, voyant son mari engagé dans + mêlée,
sort avec une suite de donzels et de donzelles,
et va droit à la tente de Charles, qui la reçoit avec
une grande joie. Elle lui dit : Seigneur, je suis
venue vers vous avec toute cette suite; nous quit-
tons notre loi et notre nation, et tout ce que nous
possédons, et nous demandons à être baptisés,
tous, tant que nous sommes venus devant vous,
à l'honneur de Dieu et de sa Mère bénie, et de
toute sa céleste cour du paradis, et je prie votre
noble personne, que lorsque je serai baptisée, ainsi
que ces vierges qui sont venues ici avec moi, vous
nous donniez des maris. » Cette partie de la ha-
rangue n’est pas assurément la moins remarqua-
ble; mais il est vrai que la Reine insiste pour être
préservée de toute insulte, et baptisée à la Grasse.
MÉMOIRES. 207
Charles, ému de grand’pitié, dit l’auteur, lui
promet d’accomplir tous les désirs qu’elle a formés.
Ce passage nous a paru bien digne d’être rapporté.
« La Regina que auia nom Horiunda, que era
molher de Matran Rey de Narbona, quant elha
vic que so marit fo occupat a la bregua elha ay-
tantost se va aysinar. Emeretan loqual era noble
baro Sarrasi et embelh per nombre 1. donzelhs e
gran re de donzelhas que eram am la Regina et
ambaytant daur e dargent co poyro portar la Re-
gina am tota sa compagnha sen va isxir de la
ciutat et anec sen via dreyta à la tenda de Karles
et elh com la vic reseup la am gran gaug. Cant elha
li fo davant elha li va dir aquestas novas : Seynher
en Rey a vos so venguda am tot aquesta compay-
nha e desemparam nostra ley e tota nostra gent
et tot quant auem en just et en querent e volem
esser batejats tots ayssi quo em venguts deuant
vos ad honor de Dieu et de la Mayre siuna bene-
seyta et de tota la cort celestialh de paradis don
pregui la vostra nobla persona que cant ieu serey
batejada et aquestas verges que aissi so am mi
que nos donets marits. E prec nos Seynher que en
aquest mieg nos guardets de versoynha e de penre
anta. Encara Seynher vos pregui que siam tots
aissi quo em deuant vos venguts batejats à la
Grassa. Cant Karles hoc ausidas aquestas parau-
Ihas que la Regina li hoc ditas fo escomangut de
grand pietat..….. »
Matran qui, bien qu'avec impatience, avait en-
tendu, sans se porter à aucun excès, les exhorta-
. 208 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
tions de sa femme, alors qu’elle l’engageait à se
rendre à Charlemagne, et à devenir chrétien,
éprouve une si vive colère, une rage si grande, qu’il
jure par Mahomet qu'il ne prendra aucun repos
avant de s’être vengé. Il envoie demander Orionde
à Charles ; et celui-ci répond qu’il ne lui a pas en-
levé sa femme; que c’est Dieu qui l’a appelée à sa
loi, et que sil veut recevoir lui aussi le baptème,
il lui donnera plus de terres qu'il n’en possède
ou qu'il peut en espérer pendant sa vie. Peu
après, Matran rencontre Charles, et il lui dit :
qu’il sera mauvais (aulh}, faux et traître sil ne
lui rend pas sa femme. L'Empereur retient d’abord
sa juste indignation, même lorsque Matran dit
qu’il veut se battre avec lui. Mais PÉmir Sarrasin
se précipite sur l'Empereur et perce son bouclier.
Alors celui-ci tire sa redoutable épée, si connue
sous le nom de Joyeuse : il la laisse retomber sur
le heaume de Matran ; lÉmir est coupé en deux
jusqu’à la selle, et son âme est portée dans l’enfer
par les démons.
Il paraïtrait assez naturel que, la mort de Ma-
tran devant amener la reddition de Narbonne, le
poëme finit par cet événement ; mais l’auteur pro-
longe l’action. Il montre la résistance désespérée
de ce qui reste de Sarrasins armés dans la ville ;
Roland entrant par la Porte Reg, (apparemment
la Porte Royale), et les Juifs, qui étaient là, n’op-
posant aucune résistance, La cité est enfin soumise :
Charles y fait son entrée; il empêche le pillage ;
il fait annoncer que tout ennemi qui voudra rece-
MÉMOIRES. 209
voir le baptème sera respecté. Il y avait cinq mois
que la ville était assiégée. Charles divise en trois
partsle domaine de Narbonne. La première est don-
née à l’Archevêque, la seconde aux Juifs qui en
ont livré l’entrée, et l’autre à Aymeric. Mais en
annonçant à celui-ci le partage qui vient d’être
fait, il lui demande sil le trouve bon, et Aymeric
répond avec tant d’humilité, que Charles lui donne,
en dédommagement de la première partie de Nar-
bonne, la ville de Béziers, et pour la seconde,
celle d'Agde; il y ajoute Maguelone , Usés, Nimes,
Arles , Avignon , Orange, Toulouse , Albi, Carcas-
sonne, Reguas (1), Empories, Collioure, Gironne,
Barcelonne, Tarragone , et vingt royaumes de
Sarrasins.....
Après ces dons si riches, et dont la parenté
d'Aymeric vient rendre grâce à l'Empereur , celui-
ci veut tenir ses promesses à Orionde. Elle deman-
dait un mari, alors que Matran vivait encore.
Maintenant qu’il n’est plus, on la consulte sur le
chevalier auquel elle veut donner sa main. Ce
nest point sur Roland, qu’elle aimait cependant,
comme on l’a vu plus haut, qu’elle arrête son choix;
elle ne l’aime que de chaste amour. Cest Foulques
de Montclar qu’elle désigne. Ce choix est approuvé
par l'Empereur, qui donne à Foulques la cité
“d'Albi. Mais il faut, avant de songer aux noces,
ensevelir et l’Evêque de Limoges et le Patriarche
de Jérusalem : Orionde d’ailleurs n’a pas encore
(1) Reguas ou Redas, la capitale du Rasez.
21Q INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
reçu le baptême : pour accomplir toutes ces solen-
nités on revient à la Grasse. C’est le Pape qui bap-
tise Orionde, vétue d’une robe de soie blanche, et
placée dans une cuve pleine d’eau. « Vestida d’un
drap de seda trop blanc, en una tina plena d’ay-
gua. » Au milieu des pompeuses cérémonies qui
ont lieu, on apprend que le roi Marsille et Al-
mansor assiégent Narbonne, et que les monastères
de Saint-Crescent, de Saint-Paul et de Saint-Félix
ont été détruits par les Maures. Charles donne
aussitôt l’ordre de réunir ses troupes dispersées. Il
envoie partout des messagers pour faire avancer
des forces considérables. Il fait fortifier le mo-
nastère de la Grasse, pour que les ennemis du
nom chrétien ne puissent s’en emparer. Il s’a-
vance vers Narbonne, où déjà Aymeric et Roland
étaient entrés. Un combat acharné a lieu près
dun ruisseau , entre Montlaur et Narbonne. La
guerre continue : Foulques tue, dans un combat
singulier, Tornabel, oncle d’Orionde, et par con-
séquent le sien.
Le reste du poëme offre peu d'intérêt. Charles
est vainqueur. Marsille, qui est renfermé dans le
château de Montaigu, est invité par Charles de
venir combattre avec lui; il s’excuse, en disant à
Charles qu’il n’a point de chevaux, mais qu'avant
une année, sa joie se changera en colère et en
pleurs... «ÆE Marseli anec se escusar e dix li que
no avia cavalhs, mais quelh li fasia saber que ans
que vengues j. an que son gaug tornaria en plor et
en ira ses dups. »
MÉMOIRES. 211
Le roman, ou le poëme dé Philomena, étant
surtout écrit en l’honneur du monastère de la
Grasse, on retrouve , presque à chaque page, le
nom de celui-ci. Charles, prêt à partir pour de loin-
taines conquêtes , fait ses adieux aux moines qu’il
a établis dans cette abbaye. Il leur donne toute sa
chapelle et ses livres. Ici nous copierons encore le
texte original. « Aprop elh hi va donar et ufrir
tota sa capella complida de libres e de draps de
seda. Pueys elh hi va donar sos gants en seynalh
d’amistat e de dilectio que avia al monestier pro-
meten que si Dieus li donava vida ni conqueria
Espagha que elh loc creysxiria de riquessa et de
possessios. En aprop elh hi va donar ij. libres, la j.
cubert ampost de Nori en lo cal era duna part le
Crusific entretalhat et de l’autre part de la ma-
jestat del sobiran Rey, so es un sauteri, et autres de
Cipres e doas capas de sede e donec ij. capas
daur e de seda meravelosament obradas. Pueys
donec x. draps entiers de seda preciosas. L'autre
libre que dinec fo j. sauteri am post de Cipres local
era cubert tot de peyras preciosas meravelosament
fort noblas et virtuosas….. »
Après avoir offert ces riches dons, et les avoir
déposés sur l'autel de la Mère de Dieu , le grand
Charles la prie humblement de mettre le monas-
tère de la Grasse sous sa garde. Ensuite il lui de-
mande , pour lui, que quand son âme sortira de sa
dépouille mortelle, elle daigne la présenter à son
Fils, afin qu’elle soit placée dans le paradis.
Tel est le poëme ou le roman Carlovingien , qui
212 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
porte le nom Philomena. Cet ouvrage est au moins
du milieu du douzième siècle. On y retrouve les
légendes, les fables populaires, conservées encore
dans le pays par une tradition non interrompue.
Mais ces fables ont-elles une origine plus ancienne
que l’ouvrage attribué à Philomena, ou bien, inven-
tées par l’auteur, caché sous ce nom, ne remontent
elles pas à une époque plus reculée ? Cest ce que
nous ne chercherons pas à expliquer ici. D’autres
poëmes, appartenant au midi de la France, d’autres
épopées chevaleresques, vont fixer toute notre at-
tention. Nous suivrons souvent dans nos recher-
ches , celles de M. Fauriel, qui nous a rendu avec
bonheur tant de monuments de notre vieille litté-
rature, qui a recueilli nos gloires oubliées, nos
souvenirs dédaignés. Heureux si nous pouvions,
sur ses traces, acquérir quelques droits aux sou-
venirs de la postérité.
Année 1839.
DISCOURS D'OUVERTURE
PRONONCÉ
Par M. TAJAN,
PRÉSIDENT DE L'ACADÉMIE,
À [a Bancs publique 5n 16 uit 1839.
Mzssieurs,
Dans ce siècle d’agitation et de controverse, où
les intérêts matériels et les intérêts politiques sem-
blent absorber toutes les idées, il est beau de voir
les corps savants se faire jour à travers tant de
passions exaltées, pour accomplir la mission qu’ils
ont reçue, en secondant par un zèle infatigable
les progrès de l’esprit humain. La société, avec sa
merveilleuse organisation, trouve sans doute d’im-
menses avantages dans les conquêtes de l’industrie,
dans la rapidité des communications et des rela-
tions privées, dans le développement le plus large
et le plus étendu de ces établissements commer-
ciaux qui enrichissent les deux mondes; mais le
bien-être matériel, qui résulte de ces nombreux
214 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
éléments de prospérité, ne pourrait s’accroître, ni
même se maintenir, si le génie, qui a ouvert les
sources de tant d'innovations et de richesses, res-
tait stationnaire, s’il n’était excité à de nouvelles
conceptions d’un ordre encore plus élevé.
L'action de la vapeur sur l’industrie manufac-
turière , sur la navigation et sur l’économie do-
mestique, la belle découverte des chemins de fer,
en un mot, toutes les merveilles que le génie de
l’homme est parvenu à réaliser, et qui excitent si
justement notre enthousiasme, ont exercé, il est
vrai, la plus utile influence sur l'amélioration de
la condition humaine; mais, il faut le dire, les
bienfaits qu’elles ont procurés ne pourraient nous
dédommager de ceux que nous perdrions, si Lé-
tude des sciences était” délaissée et entièrement
sacrifiée à la jouissance de ces intérêts purement
matériels.
Ce délaissement , d’ailleurs, serait à la fois une
coupable ingratitude et une imprévoyance funeste :
ingratitude! parce que c’est en cultivant son esprit
que l’homme a pu concevoir et exécuter ces éton-
nantes créations. Imprévoyance! parce que ce
nest que par d'autres études que nous pouvons
apprendre à les conserver, à les perfectionner , à
les étendre, à les appliquer à des élements, encore
plus féconds que ceux qui, jusqu’à ce jour , ont été
employés. Assurément , le génie de l’homme a
fouillé avec ardeur dans les mystères des sciences ;
mais est-1l parvenu à surprendre leurs secrets les
plus intimes? Qui pourrait se promettre de des-
MÉMOIRES. 215
cendre dans toutes les profondeurs des mgthéma-
tiques, et de résoudre tous les problèmes qu’elles
présentent à la raison humaine ? Quel est celui qui
pourrait nous expliquer maintenant tous les phé-
nomènes de la nature, que l'étude de la physique,
de la chimie et de l’histoire naturelle, peut seule
nous révéler ? |
Je puis ajouter qu’il en est de même pour les
lettres.
Les littératures anciennes ont été et sont encore
Pobjet des études les plus graves, et des travaux
les plus consciencieux de nos érudits; mais quel
est celui d’entr’eux qui, quoique familiarisé avec
le génie des langues, ait eu le bonheur de décou-
vrir dans les écrits des historiens, des orateurs et
des poëtes grecs et latins, tout ce que les œuvres
immortelles de ces auteurs renferment de bon et
de beau? On y a trouvé sans doute des pages admi-
rables, les traces profondes du génie qui les ins-
pira, et du feu sacré dont leurs auteurs étaient
animés : on a mis en relief ces pensées fortes et
hardies , ces traits vigoureux qui saisissent l’âme
et la font tressaillir , ces images empreintes de
tant de grandeurs et de majesté, en un mot,
toutes ces beautés sublimes qui font le désespoir
de notre faiblesse; mais vous le savez, Messieurs,
la mine n’est pas encore épuisée.
Il y a donc pour nous un immense intérêt à cul-
tiver les sciences et les lettres, puisqu'elles peuvent
nous porter à des inventions nouvelles et au perfec-
tionnement de celles dont nous jouissons ; mais pour
216 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
que cette étude soit plus profitable et plus fertile
en enselsnements, lexpérience a prouvé qu'il fal-
lait qu’elle fût faite en commun, c’est-à-dire, que
les hommes, entrainés vers ce genre d'étude par
les dispositions de leur esprit, se réunissent en
société pour se communiquer réciproquement le
fruit de leurs recherches et de leurs méditations.
Ce sont, Messieurs, ces communications fré-
quentes, c’est cet échange mutuel des connaissances
et des lumières acquises dans des lectures réflé-
chies, qui attachent une haute importance aux tra-
vaux des Académies, et démontrent l'utilité de
ces institutions. Dans ces réunions d'hommes
voués au culte de l'intelligence, tous animés du
même esprit, se dirigeant tous dans le même but,
chacun apporte le tribut de ses veilles. La vie du
savant est une vie de concentration et de solitude ;
mais elle aime à se répandre dans ces sociétés inti-
mes, où les amis de la science sont sûrs de trouver
des conseils éclairés et d’ardentes sympathies. La,
le savant modeste qui, dans sa retraite studieuse,
et sérieusement réfléchi sur les systèmes divers que
son imagination a créés, vient exposer ses opinions
et ses doctrines, et les soumettre à la critique,
avec une abnégation absolue de tout sentiment
personnel. Si ces doctrines et ces opinions sont
acceptées, il se réjouit d’une sanction qui flatte son
amour-propre, atteste la rectitude de son esprit,
et fait en même temps sa récompense; si, au con-
traire, il lui est démontré, par une discussion
raisonnée , dans laquelle éclatent le plus souvent
MÉMOIRES . 217
des lumières qui jettent un grand jour sur les
questions les plus ardues, sil lui est démontré,
dis-je, qu'il s’est trompé; loin de saffliger des
conseils qu’il a reçus, il sy soumet avec docilité,
en rectifiant les erreurs qui ont échappé à son juge-
ment. C’est ainsi, Messieurs, que les théories les
plus abstraites sont éclaircies, que les systèmes
les plus confus ou les plus obscurs sont claire-
ment développés, que les problèmes les plus diffi-
ciles sont résolus, que les phénomènes les plus
étonnants sont expliqués; et l’on concevra facile-
ment qu'il n’est possible d'obtenir des résultats si
heureux, et quelquefois si brillants, que dans
une agrégation d'hommes consacrés aux mêmes
études.
Aussi, il ne faut pas s'étonner si, dans tous les
temps, chez tous les peuples, et surtout, dans
notre belle France, les savants, les littérateurs et
les artistes se sont constitués en société pour pro-
pager l'amour des lettres, pour aider au perfec-
tionnement de la langue, pour assurer à notre
littérature la prépondérance qu’elle doit avoir,
pour favoriser le goût des arts et accélérer leur
progrès.
Il faut reconnaître, pourtant, que ces sortes de
sociétés ne se sont formées que lentement, parce
que lesprit d'association ne s’est introduit aussi
qu'avec lenteur dans les mœurs publiques , et que,
avant les modifications qu’a subies notre ordre so-
cial, on n’avait pas assez observé les conséquences
qui étaient résultées, déjà, pour la société civile, de
TOME V, PART, II, I 5
218 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
ces utiles réunions. Dans le siècle dernier , on ne
comptait qu’un très-petit nombre d'Académies
dans quelques villes privilégiées ; maïs depuis que
l'Europe a été agitée par la violence de nos révo-
lutions politiques , et.que l'esprit humain , exalté
par les idées nouvelles qui ont surgi du sein de tant
d’orages, a reçu un si prodigieux développement,
elles se sont multipliées dans presque toutes nos
provinces, et fleurissent à l'abri des lois qui les
protégent.
Cette amélioration rapide est due principale-
ment à ce besoin de progrès qui tourmente le
siècle, à cette impatience d’un avenir plein de
gloire et de prospérité, qui se manifeste dans les
générations qui commencent, et surtout à cet
esprit d'association dont je viens de parler, esprit
dont nos ancêtres ne comprirent pas toute la portée,
et qui déjà a réalisé parmi nous tant de prodiges.
En effet, Messieurs, ce n’est pas seulement
pour des spéculations industrielles que des asso-
ciations se sont formées sur tous les points : elles
se sont étendues avec une incroyable activité, et
presque sans limites, sur les divers objets qui
peuvent tenter l’ambition humaine, et peut-être
doit-on attribuer aux agrégations scientifiques
qui existaient dans l’ancienne société civile, l’idée
toute moderne de généraliser et d'appliquer le
principe de l'association à tout ce qui peut se rat-
tacher aux intérêts de l’homme , à ses besoins, à
sa grandeur , ou à sa dignité.
Nul doute que les corps académiques, par les
MÉMOIRES. 219
grands succès qu’ils avaient obtenus, et le bien
qu'ils avaient produit, n’aient pu donner une
idée élevée de tous les avantages qu'il était possi-
ble de retirer de la réunion de plusieurs intelli-
gences dans un seul foyer; et c’est peut-être à
cette considération puissante que lon doit attri-
buer le mouvement extraordinaire qui s’est opéré
en faveur des associations. L'on a pensé avec rai-
son que, puisque les hommes qui cultivent les
sciences avaient pu réaliser, en se réunissant,
toutes ces choses que nous admirons, il était pos-
sible d'appliquer le principe de l'association avec
Pespoir du même succès, à toutes les autres par-
ties de l’économie sociale.
Aussi , cette application a-t-elle été essayée dans
tous les genres de spéculation et d’entreprise;
et sans sortir de notre spécialité, ce n’est pas
dans un espace rétréci que expérience a été cir-
conscrite.
Il est facile, sans doute, de composer dans une
seule cité, une réunion de personnes ayant toutes
les mêmes goûts, et formant les mêmes vœux
pour étudier en commun les sciences, les lettres
et les arts, et de faire sortir de cette société. des
lumières qui doivent éclairer la population au
centre de laquelle elle est établie; mais réunir en
un seul corps les intelligences disséminées dans
plusieurs provinces, former un seul faisceau du
résultat des études, des investigations, des expé-
riences et des découvertes qui ont eu lieu dans
ces diverses directions, enfin, composer avec tous
15.
220 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
ces éléments épars un ensemble homogène, qui,
par son importance, puisse lutter sans désavan-
tage avec les institutions dont la capitale est si
jalouse, c'était là, certainement, une difficulté
qui paraissait insurmontable, et dont l’esprit
d'association est cependant parvenu à triompher.
Vous le savez, Messieurs , indépendamment des
corps savants et littéraires .qui se sont organisés
dans nos principales cités, il s’est formé , sur-
tout dans le Midi , une ligue puissante pour pro-
curer à nos provinces humiliées cette émancipa-
tion intellectuelle qui, seule, peut faciliter les
opérations du génie. Si les productions les plus
remarquables de la pensée ne pouvaient être ac-
créditées dans le monde que par la sanction de
la capitale, si les plus hardis monuments des arts,
si les découvertes les plus inespérées de la science,
si les chefs-d’œuvre de nos écrivains les plus
éloquents et de nos poëtes les mieux inspirés, ne
pouvaient avoir quelque autorité que par le juge-
ment suprême de Paris, le découragement pro-
fond qui résulterait de ce système décevant,
écarterait des études sérieuses les esprits les
plus disposés à sy livrer, et briserait tous les
ressorts de lémulation.
Cest, Messieurs, pour combattre ce désolant
abus qui, si longtemps a pesé sur la province,
sans aucune compensation pour elle, que des
hommes pleins de savoir et de zèle conçurent, il y
a quelques années, l’heureuse idée de former cette
association intellectuelle dont nous admirons tous
MÉMOIRES. 22
les jours les courageux eflorts ; et une jeunesse
enthousiaste s’est précipitée dans la lice avec
une sorte d'ivresse soutenue par lespoir dun
triomphe qui certainement sera tôt ou tard le
prix de sa persévérance.
Aussi, voyez quels glorieux résultats ont déjà
couronné ses premières agressions dans notre
Midi? De jeunes hommes jusqu’alors ignorés , et
dont le talent sétait nourri et développé dans
Vombre et le silence , se sont produits au grand
jour avec des œuvres étincelantes d’esprit et de
beautés, élaborées avec goût, disposées avec art,
écrites avec grâce, et d’autres œuvres non moins
remarquables par la profondeur et la justesse des
pensées , lexcellence des doctrines, et la rare
facilité de expression.
Chacun des membres de cette association in-
téressante a rassemblé dans un recueil commun
les produits de ses élucubrations laborieuses, ou
de ses inspirations poétiques; et la presse, puis-
sant auxiliaire du génie, a secondé ses sublimes
élans.
J'ai dit la presse! Mais ne croyez pas, Mes-
sieurs, que j'entende parler ici de cette presse
politique, si amère dans ses censures, si passionnée
dans ses jugements, si fougueuse dans ses haines,
si injuste et si ardente dans ses violences, si dé-
sordonnée dans ses écarts. J’ai voulu parler de
cette presse généreuse, qui reçoit et conserve pour
les répandre, sans les dénaturer et les corrompre,
toutes les conceptions du génie; qui verse avec
222 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
profusion au sein des populations ignorantes, les
trésors de science qu’elle a recueillis, et contri-
bue ainsi aux bienfaits de la civilisation, et à
l'éducation du genre humain. Cest cette presse
qui, par les idées qu’elle communique , les théo-
ries qu’elle enseigne, les systèmes qu’elle met en
évidence , les méthodes qu’elle indique, les saines
doctrines qu’elle répand, les enseignements de
tous les genres qu’elle prodigue , les vérités qu’elle
révèle, enflamme et grandit la pensée, forme à
la fois le cœur et l’esprit, fait éclore les ger-
mes les plus inertes de l’intelligence, parle avec
éloquence à l’imagination, et exerce sur toutes les
facultés de l’âme une influence irrésistible. Cette
presse, Messieurs , est bienfaisante et salutaire;
elle éclaire vivement, mais elle ne brüle pas.
Cest par son concours que l'émancipation in-
tellectuelle doit saccomplir ; elle s’accomplira
certainement par les soins répétés de cette jeu-
nesse studieuse, qui se livre avec une constance
si louable à l'étude des grands modeles, et qui a
déjà révélé aux provinces le secret de leur force;
secret qu’elles auraient peut-être toujours ignoré
sans le contrat d'alliance qui les a réunies. Sans
doute il sera impossible de détruire la suprématie
que la capitale exerce sur les.travaux de Pesprit ,
parce que c’est de son sein que découlent toutes
les grâces | parce que cest elle qui sanctionne
toutes les réputations, et dispense tous les genres
de gloire ; mais on parviendra du moins à éta-
blir que ce n’est pas seulement dans les institu-
MÉMOIRES. 223
tions dont elle est enrichie que sont renfermés
tous les trésors de l’intelligence , et que la pro-
vince a aussi des richesses qui contribuent avec
une égale puissance aux progrès de la raison hu-
maine et à la grandeur de la patrie.
Les Sociétés savantes ont, en ce qui les tou-
che, un moyen non moins heureux de fortifier
cette lutte, en imprimant une impulsion grande
et forte aux études scientifiques ; et ce moyen,
l'Académie des Sciences de Toulouse ne la pas
négligé, c’est celui des concours publics. Chaque
année elle ouvre la lice. Toutes les branches des
connaissances humaines deviennent tour -à -tour
Pobjet d’études particulières ; et les jeunes hom-
mes qui sont jaloux d'essayer leurs forces dans
ces nobles combats , peuvent se présenter dans
Parène avec toute l’ardeur de leur âge, certains
d'y trouver des encouragements et des récom-
penses.
Ce n’est pas, du reste, pour les jeunes disciples
des sciences et des lettres, seulement , que les
concours sont ouverts. Les hommes déjà avancés
dans les études scientifiques et littéraires, et qui
jouissent des prémices d’une réputation acquise
par des succès d'éclat, ne dédaignent pas de se
soumettre encore à ces épreuves qui leur assurent
un surcroit de gloire , et qui peuvent mettre le
sceau à leur renommée. Ne sait-on pas que la
plupart des savants et des écrivains illustres qui
font l'honneur et l’orgueil de la France , ont jeté
les premiers fondements de leur célébrité dans
224 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
ces concours publics dont ils sont sortis vain-
queurs. Plus les questions proposées à leur ému-
lation avaient été graves, plus les sujets soumis à
leur examen avaient été profonds , plus leur
triomphe a été beau ; car c’est la difficulté vaincue
qui ajoute à l'éclat de la victoire.
Entrez donc dans cette voie brillante, vous
dont le génie impatient brüle de répandre ses
éclairs ; vous qui parcourez déjà avec honneur
cette carrière des sciences et des lettres , si fertile
en illustrations ; vous surtout qui, jeunes encore,
ambitionnezces nagnifiques couronnes que la gloire
réserve pour ses plus chers favoris. Présentez-vous
avec confiance dans ces concours, source pre-
mière de cet avenir glorieux que vous avez rêvé.
Vous y trouverez de nobles émules et des rivaux
inspirés par le même enthousiasme ; et dans cette
lutte animée , qui honorera à la fois l’Académie
qui en aura donné le signal , et les athlètes qui
auront combattu , vous prouverez par vos géné-
reux efforts que si la province ne peut point as-
pirer à cette prééminence dont la capitale seule
peut s’enorgueillir, elle n’est pas au moins déshé-
ritée des talents qui pourraient la lui donner.
FIN DE LA 2.° PARTIE DU TOME V.
TABLE DES MATIÈRES.
SECONDE PARTIE.
INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Année 1857.
HISTOIRE.
ne Brie) RE EN PA LAN EEE
Analyse des AE de la Classe des Ins-
criptions et Belles - Lettres pendant
Pannéeé nee 3 cab
Sur le vrai motif qui fait repousser l'Enseignement
mutuel; par M. GATIEN-ARNOULT..........
Considérations sur la Pensée et l’expression de la
Pensée ; par M. le Marquis D»’AcuiLar......
Recherches historiques sur la ruine de l’empire de
Babylone ; par M. l'Abbé Jamme...........
Des Pélerinages ; par M, DE MorTaRIEU. ........
DISSERTATIONS ET MÉMOIRES.
Discours sur l’utilité de l’étude des Langues
anciennes ; par I. Tasan...........
Pages.
pi
©
+R
226 TABLE DES MATIÈRES.
De la Condition des Etrangers dans la Mo-
narchie française ; par M. ns Morra-
RU ve Cadre te à re NUE CR
Mémoire sur Saint-Etienne d'Agen; par
Mu Mécer Reese POSE. Gi
Année 1838.
HISTOIRE.
Analyse des Ouvrages de la Classe des Ins-
cripüons et Belles - Lettres pendant
années eteL PE PPEEES 75
Dissertation sur les différences qui existent entre
lIliade et l'Odyssée; par M. Hamez........ 75
Mémoire sur Aristophane considéré comme homme
politique et comme poëte; par M. Hamez.... 797
De l'opinion des Philosophes romains sur la vie
future ; par M. DE LAvVERGNE. . .... PAR. "OI
Tableau des circonstances qui accompagnaient , à
Rome , la naissance d’un enfant ; par M. Sau-
VO GE RNA ROUTE RP OCR colo 0 OMR)
Aperçu de l’histoire de l'esclavage dans l'antiquité;
par Mine DAVERGRE Se... PPT CNO)
Dissertation sur l’invasion des Maures en Espagne ;
PATAMPE NA CQUIES ee SE UNE docigeee CI
Notice sur le Vieux de la Montagne ; par M. DE Vac-
OUIE à ep SUR RAS MER, een cesser O0
DISSERTATIONS ET MÉMOIRES.
De la Censure politique et littéraire chez les
Romains ; par M. SAvvace.......... 09
TABLE DES MATIÈRES. 227
De l'Exposition des enfants chez les Romains;
Par UM Sihinaenee......4:.:.... 110
Recherches sur les Epopées méridionales
(1. Mémoire); par M.nu Mice.... 129
Recherches sur les Epopées méridionales
(2.° Mémoire); par le même. ....... 157
Année 1839,
Discours d’ouverture de la Séance publique
du 16 juin 1839; par M. Tasan..... 213
FIN DE LA TABLE,
6 DO600000060600000600006000600000600060060
09290
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