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Full text of "Histoire naturelle"

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HISTOIRE. 
PASURELLE 


| EE 
MATIÈRES GÉNÉRALES. 


LTOME QUATRIEME. 


NATURELLE” 


Par BUFFON, Sr 


DEDIÉE AU CITOYEN LACEPEDE, | 


MEMBRE DE L'INSTITUT NATIONAL. 


a] 


MATIERES GÉNÉRALES. 
TOME QUATRIEME 
V, à | 


24207 


ns 
#7 ANSON AN fnstj 
A ut, 
RICHMOND 
ce COLLECTION. 
À PARN ES 2 
Ses 
À LA LIBRAIRIE STÉRÉOTYPÉ ET 
p£ P. DIDOT L’AÎNÉ, GALERIES DU LOUVRE, N°3, 
zt Frein DIDOT, RUE DE THIONVILLE, N° 116, 


AN VII. — 1500. 


- HISTOIRE 


NATURELLE 


PREUVES 
DE LA 


THÉORIE DE LA TERRE. 


ARTICLE. XV LILI. 


De l'effet des pluies, des marécages, des 
bois souterrains, des eaux souterraines. 


Nov s avons dit que les pluies et les eaux 
courantes qu'elles produisent détachent con- 
tinuellement du sommet et de la croupe des 

Mat. gén. IV. 1 


don THÉ O RTE TOP 
montagnes les sables, les terres, les gra 
viers, etc. et qu’elle les entraîne dans les 
plaines, d’où les rivières et les fleuves en 
charient une partie däns les plaines plus 
basses , et souvent jusqu’à la mer : les plaines 
se remplissent donc successivement et s’é- 
lèvent peu à peu, et les montagnes dimi- 
nuent tous les jours et s’âbaissent continuel- 
lement; et dans plusieurs endroits on s’est 
apperçu de cet abaissement. Joseph Blanca- 
nus rapporte sur cela des faits qui étoient de 
notoriété publique dans son temps, et qui 
prouvent que les montagnes s’étoient abais- 
sees au point que l’on voyoit des villages et 
des châteaux de plusieurs endroits d’où on 
ne pouvoit pas les voir autrefois: Dans la 
province de Darby en Anpgleterre, le clocher 
du village Craih m’étoit pas visible en 1572 
depuis une certaine montagne, à cause de la 
hauteur d’une autre montagne interposée , 
laquelle s'étend en Hopton et Wirksworth, 
et quatre-vingts ou cent ans après on VOyoit 
ce clocher, et même une partie de l’église. 
Le docteur Plot donne un exemple pareil 
d’une montagne entre Sibbertoft et Ashby, 
dans la province de Northampton. Les eaux 


DE LA TERRE. 3 
entraînent non seulement les parties les plus 
légères des montagnes, comme la terre, le 
sable, le gravier et les petites pierres, mais 
elles roulent même de très-gros rochers, ce 
qui en diminue considérablement la hauteur, 
En général, plus les montagnes sont hautes, 
et plus leur pente est roide , plus Les rochers 
sont coupés à pic. Les plus hautes montaynes 
du pays de Galles ont des rochers extrême- 
ment droits et fort nuds; on voit les copeaux 
de ces rochers (si on peut se servir de ce 
nom) en gros monceaux à leur pied : ce 
sont les gelées et les eaux qui les séparent et 
les entraînent. Ainsi ce ne sont pas seule- 
ment les montagnes de sable et de terre que 
les pluies rabaissent, mais, comme l’on voit, 
elles attaquent les rochers les plus durs , et 
en entraînent les fragmens jusque dans les 
vallées. Il arriva dans la vallée de Nantphran- 
con en 1685, qu'une partie d'un gros ro— 
cher qui ne portoit que sur une base étroite , 
ayant été minée par les eaux, tomba et se 
rompit en plusieurs morceaux avec plus 
d'un millier d’autres pierres , dont la plus 
grosse fit en descendant une tranchée consi= 
dérable jusque dans la plaine, où elle con= 


à THÉORIE : 
tinua à cheminer dans une petite präirie M 
et traversa une petite rivière , de l’autre côté 
de laquelle elle s'arrêta. C’est à de pareils 
accidens qu'on doit attribuer l’origine de: 
toutes les grosses pierres que l’on trouve 
ordinairement çà et là dans les vallées voi- 
_sines des montagnes: On doif se souveuir, à. 
l'occasion de cette observation , de ce que 
nous avons dit dans l’article précédent 


, Sa 
voir, qué ces rochers et ces grosses pierres 
dispersées sont bien plus communes dans les 
pays dont les montagnes sont .de sable et de 
grès , que dans ceux où elles sont de marbre 
et de glaise, parce que Le sable qui sert de 
base au rocher , est un fondement moins solide 
que la glaise. 

Pour donner une idée de la quantité de ter- 
res que les pluies détachent des montagnes , 
ét qu’elles entrainent dans les vallées , nous 
pouvons citer un fait rapporté parle docteur 
Plot : il dit, dans son Æistoire naturelle de 
Stafford , qu’on a trouvé dans la terre, à 
dix-huit pieds de profondeur , un grand nom- 


bre de pièces de monnoie abées du temps 


d'Édouard IV , c’est-à-dire ; deux cents ans 


auparavant, en sorte que ce terrain , qui est: 


2 
en 
KL. 


DELA TERRE. és 
marecageux , s’est augmenté d'environ un 
pied en onze ans, ou d'un pouce et un 

douzième par an. On peut encore faire une 
observation semblable sur des arbres enterrés. 
à dix-sept pieds de profondeur , au-dessous 
desquels on a trouvé des médailles de Jule 
César. Ainsi les terres amenées du dessus des 
montagnes dans les plaines par les eaux cou- 
rantes , ne laissent pas d'augmenter très- 
considérablement l'élévation du terrain des 
plaines. 

+ Ces graviers, ces sables et ces terres que les 
eaux détachent des montagnes , et qu’elles 
entraînent dans des plaines, y forment des 
couches qu'il ne faut pas confondre avec les: 
couches anciennes et originaires de la terre. 
On doit mettredans la classe de ces nouvelles 
couches celles de tuf, de pierre molle , de 
gravier et de sable dont les grains sont lavés 
et arrondis; on doit y rapporter aussi les cou- 
ches depierres qui sesont faites par une espèce 
de dépôt et d’incrustation : toutes ces couches 
ne doivent pas leur origine au mouvement et 
aux sédimens des eaux de la mer. On trouve 
dans ces tufs et dans ces pierres molles et 


imparfaites une infinité de végétaux , de 
3 | 


6 TTC ORAN < 
feuilles d'arbres , de coquilles terrestres of 
luviatiles, de petits os d'animaux terrestres ; 
et jamais des coquilles ni d’autres productions 
marines ; ce qui prouve évidemment , aussi 
bien que leur peu de solidité, que ces couches 
se sont formées sur la surface de la terre 
sèche , et qu’elles sout bien plus nouvelles 
que les marbres et les autres pierres qui con- 
tiennent des coquilles, et qui se sont formées 
autrefois dans la mer. Les tufs et toutes ces’ 
pierres nouvelles paroissent avoir de la durété! 
et de la solidité lorsqu'on les'tire : mais si on 
vent les employer , on trouve que l’airet les’ 
pluies les dissolvent bientôt ; leur substance 
est même si différente dela vraie pierre, que 
lorsqu'on les réduit en petites parties , et 
qu'on en veut faire du sable, elles se conver- 
tissent bientôt en une espèce de terre et de 
boue. Les stalactites et les autres concrétions 
pierreuses que M. de Tournefort prenoit pour 
des marbres qui avoient végété , ne sont pas: 
de vraies pierres , non plus que celles qui 
sont formées par des incrustations. Nous 
avons déja fait voir que les tufs ne sont pas 
de l'ancienne formation , et qu’on ne doit 
pas les ranger dans la classe des pierres. Le 


* gots, avec des plantes, des herbes et plusieurs 


DE LA TERRE. an à 
taf est une matière imparfaite, différente de 
la pierreet dela terre, et qui tire son origine 


de toutes deux par le moyen dé: l'eau des. 


pluies, comme les incrustations pierreuses 
tirent la leur du dépôt des eaux dé certaines 
fontaines : ainsi les couches &e ces matièr es ne 
sont pas anciennes, et n'ont pas ete formées ;' 


comnre lés autres , par Le sédiment des aux | 


de:la mer. Les couches de 'tourbes doivent 
être aussi regardées comme des couches nou 
velles qui ont'été produites par l'éntassement 
suecessif des arbres et des autres végétaux à 


demi pourris, et‘qui ne se sont conservés que. 
parce qu'ils se sont trouvés dans des terres 


bitumineuses ; qui les ont empêchés de se 


corrompre en’entier. On né trouve dans tou—. 


tes ces nouvelles couches de tuf, ou de pierre 
molle , ou de pierre formée par des dépôts, 
ou de tourbes , aucune production marine ; 
mais on ÿ'trouve au contraire beaucoup de 
végétaux , d'os d'animaux terrestres , de co- 
ee fluviatiles et terrestres, comme on 
péut le voir dans les prairies de la pin ce 
de Northampton auprès d’Ashby , où l’on à 
trouvé un grand nombre de coquilles d’escar- 


KR 


8 - 7H É O0 RE) | 
coquilles fluviatiles ,; bien conservées à quél ui 
ques pieds de profondeur sous terre, sans, au-! 
cune coquille marine *. Les eaux qui rou-, 
lent sur la surface de la terre, tout formé toutes: 
ces nouvelles couches en changeant souvent 
de lit et en se répandant de, tous côtés : une 
partie de ces eaux pénètre, à l'intérieur et 
coule à travers les fentes, des rochers et des. 
pierres ; et ce qui fait qu ’onne, trouve: point 
d’eau dans les pays élevés ,,nou plus. qu'au- 
dessus des collines , c’est parce que toutes les: 
hauteurs de la terre sont ordinairement com- 
posées de pierres et de rochers, sur-tout vers! 
le sommet. IL faut, pour trouver de J'eau., 
creuser dans la pierre et dans le rocher jusqu’à 
ce qu’on parvieune à la base , c’est-à-dire à 
la glaise ou à la terre ferme sur laquelle 
portent ces rochers , et on ne trouve poiné: 
d’eau tant que l'épaisseur de pierre n’est pas 
percée jusdu’au-dessous , comme,je l'ai ob-. 
serve dans plusieurs puits creuses dans les 
lieuxélevés ; et lorsque la hauteurdesrochers , 
c’est-à-dire l’épaisseur de la pierre qu'il faut 
percer , est fort considérable , comme dans 


* Voyez Trans. phil. abr, vol. IV, page 27Ta 


DE LA TERRE. 9 
les hautes montagnes, où les rochers ont 
souvent plus de mille pieds d'élévation, 1l est 
impossible d'y faire des puits , et par consé- 
quent d’avoir de l’eau. Il y a même de grandes 
étendues de terre où l’eau manque absolu- 
ment , comme dans ?’ Arabie pétrée , qui est 
un désert où il ne pleut jamais, où des sables 
brülans couvrent toute la surface de la terre, 
où il n'y a presque point de terre végetale , 
où le peu de plantes qui s’y trouvent languis- 
sent : les sources et les puits y sont si rares, 
que l’on n’en compte que cinq depuis le Caire 
jusqu’au mont Sinaï ; encore l’eau en est-elle 
amère et saumâtre, Ç 

Lorsque les eaux qui sont à la surface de la 
terre, ne peuvent trouver d'écoulement, elles 
formentdes marais et des marécages. Les plus 
fameux marais de l’Europe sont ceux de 
Moscovie à la source du Tanaïs ; ceux de Fin- 
lande , où sont les grands marais Savolax et 
Énasak : il y en a aussi en Hollande, en West- 
phalie et dans plusieurs autres pays bas. En 
Asie on a les marais de l’Euphrate , ceux de 
la Tartarie , le Palus Méotide ; cependant en 
général il y en a moins en Asie et en Afrique 
qu en Europe ;: mais l'Amérique n’est, pour: 


« 


ro THÉORIE 

ainsi dire , qu'un marais continu dans toutes 
ses plaines ; cette grande quantité de marais 
est une preuve de la nouveauté du pays et du 
petit nombre des habitans , encore plus que 
du peu d'industrie. 

Il y a de très-sgrands marécages en Angle- 
terre dans la province de Lincoln près de la 
mer , qui a perdu beaucoup de terrain d'un 
côté, et en a gagné de l’autre. On trouve 
dans l’ancien terrain une grande quantité 
d'arbres qui y sont enterrés au-dessous du 
nouveau terrain amené par les eaux ; on en 
trouve de même en grande quantitéen Écosse, 
à l'embouchure de la rivière Ness. Auprès de 
Bruges en Flaïidre , en fouillant à quarante 
ou cinquante pieds de profondeur, on trouve 
une très-grande quantité d'arbres aussi près 
les uns des autres que dans une forèt : les 
troncs , les rameaux et les feuilles sont si 
bien conserves , qu'on distingue aisément les 
différentes espèces d'arbres. Il y a cinq cents 
ans que cette terre, où l’on trouve des arbres, 
éloit une mer, et avant ce temps-là on n’a 
point-de mémoire ni de tradition que jamais 
cette terre eût existé; cependant il est néces— 
saire que celà ait été ainsi dans le temps que’ 


DE LA TERRE. 0 
ces arbres ont crû et végéte : ainsi le terrain 
qui dans les temps les plus reculés étoit une 
terre ferme couverte de bois, a éte ensuitecou- 
vert par les eaux de la mer qui y ont amené 
quarante ou cinquante pieds d'épaisseur de 
terre , et ensuite ces eaux se sont retirées. 
_ On a de même trouvé une grande quantité 
d'arbres souterrains à Youle dans la province 
d'York à douze milles au-dessous de la ville 
sur la rivière Humber : il ÿy en a qui sont si 
gros qu'on s en sert pour bâtir; et on assure, 
peut-être mal-à-propos , que ce bois est aussi 
durable et d'aussi bon service que le chêne : 
on en coupe en petites baguettes et en longs 
copeaux , que l’on envoie vendre dans les 
villes voisines ; et les gens s’en servent pour 
allumer leur pipe. Tous ces arbres paroissent 
rompus, et les troncs sont séparés de leurs 
racines , comme des arbres que la violence 
d’un ouragan ou d’une inondation auroit cas- 
sés et emportés. Ce bois ressemble beaucoup 
au sapin ; il a la même odeur lorsqu'on le 
brüle , et fait des charbons de la même es- 
pêce *. Dans l’ile de Man on trouve dans un 


* Voyez Transact. plulosoph. n° 128. 


3 THÉORIE ; 

marais qui a six milles de long et trois milles 
de large, appelé Curragh, des arbres souter- 
rains qui sont des sapins; et quoiqu'ils soient 
à dix-huit ou vingt pieds de profondeur , ils 
sont cependant fermes sur leurs racines *. On 
en trouve ordinairement dans tous Les grands 
marais, dans les fondrières et dans la plupart 
des endroits marécageux, dans Les provinces 
de Somerset , de Chester , de Lancastre,, de 
Stafford. Il y a de certains endroits où l’on 
trouve des arbres sous terre, qui ont été 
coupés , scies , équarris et travaillés par les 
hommes : on y a même trouvé des cognées 
et des sérpes ; et entre Birmingham et 
Brumley dans la province de Lincoln , iky 
a des collines élevées de sable fin et léger , 
que les pluies et les vents emportent et 
transportent en laissant à sec èt à décou- 
vert des racines de grands sapins , où l’im- 
pression de la cognée paroit encore ausst 
fraiche que si elle venoit d’être faite. Ces 
collines se seront sans doute formées, comme, 
les dunes, par des amas de sable que la mer 
a apportés et accumulés , et sur lesquels ces 


* Voyez Ray's Discourses, page 232. 


DE LA TERRE. 13 
sapins auront pu croître ; ensuite ils auront 
été recouverts par d'autres sables qui y auront 
été amenés, comme les premièrs, par des 
inondations ou par des vents violens. On 
trouve aussi une grande quautité de ces arbres 
souterrains dans les terres marécageuses de 
Hollande , dans la Frise et auprès de Gro- 
ningue, et c’est de là que viennent les tourbes 
qu'on brûle dans tout le pays. 

On trouve dans la terre une infinité d’ar- 
bres grands et petits de toute espèce, comme 
sapins , chênes, bouleaux , hêtres, ifs, aubé- 
pins, saules , frènes. Dans les marais de Lin- 
coln , le long de la rivière d'Ouse, et dans la 
province d'York en Hatfñeld-chace , ces ar- 
bres sont droits et plantés comme on les voit 
dans une forêt. Les chênes sont fort durs, et 
on en emploie dans les bäâtimens , où ils 
durent * fort long-temps; les frènes sont ten- 
dres et tombent en poussière, aussi-bien que 


* Je doute beaucoup de la vérité de ce fait : tous 
les arbres qu’on tire de la terre, au moins tous ceux 
que j'ai vus, soit chênes, soit autres, perdent, en se 
desséchant, toute la solidité qu'ils paroïssent avoir 
d’abord , et ne doivent jamais être employés dans les 
bätimens. 


2 


x4 THÉORIE 
les saules. On en trouve qui ont été équarris 
d’autres sciés, d’autres percés , avec des co- 
gnées rompues, et des haches dont la forme 
ressemble à celle:des couteaux de sacrifice. 
On y trouve aussi des noïsettes, des glands 
et des cônes de sapins en grande quantité. 
Plusieurs autres endroits marécageux de 
l'Angleterre et de l'Irlande sont remplis de 
troncs d'arbres, aussi-bien que les marais de 
France et de Suisse, de Savoie et d'Italie *. 
Dans la ville de Modène et à quatre milles 
aux environs , en quelque endroit qu'on 
fouille , lorsqu'on est parvenu à la profondeur 
de soixante-trois pieds , et qu'on a percé la 
terre à cinq pieds de profondeur de plus avec 
une tarière, l’eau jaillit avec une si grande 
force, que le puits se remplit en fort peu de 
temps presque jusqu'au-dessus : celte eau coule 
continuellement etne diminue nin'augmente 
par la pluie ou par la sécheresse. Ce qu'il y 
a de remarquable dans ce terrain, c’est que 
lorsqu'on est parvenu à quatorze pieds de 
profondeur , on trouve les décombremens et 


* Voyez Trans. phil. abr. vol, IV, page 218 
ci suive 


1 F4 OR AUOT NES 
RUE LA AE à Li | 
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DE LA TERRE. du ES 
les ruines d’une ancienne ville , des rues 
payées , des planchers, des maisons, diffe- 
rentes pièces de mosaïque , après quoi on 
trouve une terre assez solide et qu'on croiroit 
m'avoir jamais été remuée : cependant au-— 
dessous on trouve une terre humide et mêlée 
de végétaux , et, à vingt-six pieds, des arbres 
tout entiers, comme des noisetiers avec les 
noisettes dessus, et une grande quantité de 
branches et de feuilles d'arbres; à vingt-huit 
pieds on trouve une craie tendre mêlée de 
beaucoup de coquillages , et ce lit a onze 
_ pieds d'épaisseur , après quoi on retrouve 
encore des végétaux, des feuilles et des bran— 
ches; et ainsi alternativement de la craie et 
une terre mêlée de végétaux jusqu’à la pro- 
fondeur de soixante-trois pieds , à laquelle 
profondeur est un lit de sable mélé de petit 
gravier et de coquilles semblables à celles 
qu'on trouve sur les côtes de la mer d'Italie. 
Ces lits successifs de terre marécageuse rt de 
craie se trouvent toujours dans le même 
ordre , en quelque endroit qu'on fouille , et 
quelquefois la tarière trouve de gros troncs 
d'arbres qu’il faut percer ; ce qui donne 
beaucoup de peine aux ouvriers : on y trouve 


PR A 


16 THÉORIE DE LA TERRE. 
aussi des os , du charbon de terre , des cail=. 
loux et des morceaux de fer. Ramazziui, qui 
rapporte ces faits, croit que le golfe de Venise: 
s étendoitautrefois jusqu’à Modèneet au-delà, 
et que par la succession des temps les riviè-" 
res , et peut-être les inondations de la mer, : 
ont formé successivement ce terrain. he 

Je ne m'’étendrai pas davantage ici sur les 
variétés que présentent ces couches de nou- 
velle formation ; il suffit d’avoir montré 
qu'elles n’ont pas d'autres causes que les 
eaux courantes ou stagnantes qui sont à la 
surface de la terre, et qu’elles ne sont jamais 
aussi dures ni aussi solides que les couches 
anciennes qui se sont formées sous les eaux 
de la mer. 


LITRES CESSE AE NIORT ANR RES SIENS TI 
ADDITIONS 


A L'ARTICLE PRECÉDENT. 


Sur l’éboulement et le déplacement de 
quelques terrains. 


La rupture des cavernes et l’action des feux 
souterrains sont les principales causes des 
* grands éboulemens de la terre, mais souvent 
il s’en fait aussi par de plus petites causes ; la 
filtration des eaux , en délayant les argilles 
sur lesquelles portent les rochers de presque 
toutes les montagnes calcaires , a souvent fait 
pencher ces montagnes et causé des éboule- 
mens assez remarquables pour que nous de- 
vions en donner ici quelques exemples. 

« En 1757, dit M. Perronet , une partie 
« du terrain qui se trouve situé à mi-côte 
« avant d'arriver au chäteau de Croix-Fon- 


« taine , s’entr'ouvyrit en nombre d’endroits 
2 


OA TA RSR ES 


ÿ 


38 THÉORIE rs 


Écesr. = 


va 


«et s’éboula successivement par partie ; lé 


« mur de terrasse qui retenoit le pied de ces 
« terres, fut renversé, et on fut obligé de 
« transporter plus loin le chemin qui.étoit 
«établi le long du mur... Ce terrain étoit 
« porté sur une base de terre inclinée ». Ce 
savant et premier ingénieur de nos ponts et 
chaussées cite un autre accident de même 
espèce arrivé en 1733 à Pardines , près d’Is- 
soire en Auvergne : le terrain , sur envi- 
ron quatre cents toises de longueur et trois 
cents toises de largeur , descendit sur une 
prairie assez éloignée, avec les maisons, les 
arbres et ce qui étoit dessus. Il ajoute que l’on 
voit quelquefois des parties considérables de 
terrain emportées , soit par des réservoirs 
supérieurs d'eau dont les digues viennent à 
se rompre, ou par une fonte subite de neiges. 
En 1757 , au village de Guet , à dix lieues 
de Grenoble , sur la roûte de Briançon , tout 
le terrain , lequel est en pente , glissa et des- 
cendit en un instant vers le Drac, qui en est 
éloigné d'environ un tiers de lieue ; la terre 
se fendit dans le village, et la partie qui a. 
glissé se trouve de six, huit et neuf pieds plus: 
basse qu’elle n’étoit : ce terrain étoit posé sur 


DELA TERRE. +. 19 
um rocher assez uni et incliné à l'horizon 
d'environ 40 degrés. 

Je puis ajouter à ces exemples un autre fait, 
dont j'ai eu tout le temps d’être témoin, eë 
qui m'a même occasionné une dépense assez 
considérable. Le tertre isolé sur lequel sont 
situés la ville et le vieux château de Mont- 
bard , est élevé de cent quarante pieds au-des- 
sus de la rivière, et la côte la plus rapide est 
celle du nord-est : ce tertre est couronné de 
rochers calcaires dont les bancs pris ensemble 
ont cinquante-quatre pieds d'épaisseur; par- 
ioutils portent sur un massifde glaise;, qui par 
conséquent a jusqu’à la rivière soixante-six 
pieds d’épaisseur. Mon jardin, environné de 
plusieurs terrasses , est situé sur le sommet de 
ce tertre. Une partie du mur, longue de vingt- 
cinqà vingt-six toises , de la dernière terrasse 
du côté du nord-est où la pente est la plus 
rapide, a glissé tout d’une pièce en faisant 
refouler le terrain inférieur ; et il seroit des— 
cendu jusqu’au niveau du terrain voisin de la 
rivière , si l’on n’eût pas prévenu son mouve- 
ment progressif en le démolissant : ce mur 
avoit sept pieds d'épaisseur , et il étoit fondé 
sur la glaise. Ce mouvement se fit très-len- 


30: THÉ ORTE 
tement : jereconnus évidemment qu'iln’ étoilé | 
occasionné que par le suintement des eaux ;: 
toutes celles qui tombentsur la plate-formedu 
sommet de ce tertre, pénètrent par les fentes 
des rochers jusqu’à cinquante-quatre pieds sur 
le massif de glaise qui leur sert de base : om 
en est assuré par les deux puits quisont sur la 
plate-forme , et qui ont en effet cinquante-. 
quatre pieds de profondeur ; ils sont pratiqués: 
du haut en bas dans les bancs calcaires. Toutes. 
les eaux pluviales, qui tombentsur cette plate- 
forme et sur les terrasses adjacentes , se ras- 
semblent donc sur lemassif d’argille ou glaise 
auquel aboutissent les fentes perpendiculaires 
de ces rochers ; elles forment de petites sources 
en différens endroits qui sont encore claire- 
ment indiquées par plusieurs puits , tous 
abondans , et creusés au-dessous de la cou- 
ronne des rochers; et, dans tous les endroits 
où l’on tranche ce massif d’argille par des 
fossés , on voit l’eau suinter et venir d'en 
haut: il n'est donc pas étonnant que des 
murs, quelque solides qu'ils soient, glissent 
sur le prenrier banc de cette argille humide, 
s'ils ne sont pas fondés à plusieurs pieds au- 
dessous , comme je l'ai fait faire en les recons- 


DE LA TERRE. MO. 
truisant. Néanmoins la même chose est en- 
core arrivée du côte du nord-ouest de ce tertre, 
où la pente est plus douce et sans sources 
apparentes : on avoit tiré de l’argille à douze 
ou quinze pieds de distance d’un gros mur 
épais de onze pieds sur trente-cinq de hauteur 
et douze toises de longueur ; ce mur est cons- 
truit de très-bons matériaux , et il subsiste 
depuis plus de neuf cents ans : cette tranchée 
où l’on tiroit de l’argille et qui ne descendoit 
pas à plus de quatre à cinq pieds, a néan- 
moins fait faire un mouvement à ceténorme 
mur ; 1l penche d'environ quinze pouces sur 
sa hauteur perpendiculaire , et je n’ai pu le 
retenir et prévenir sachüte que par des piliers 
buttans de sept à huit pieds de saillie sur au- 
tant d'épaisseur , fondés à quatorze pieds de 
profondeur. | ti 

De ces faits particuliers, j'ai tiré une con- 
séquence générale dont aujourd’hui on ne 
fera pas autant de cas que l’on en auroit 
fait dans les siècles passés : c’est qu'il n y a 
pas un chäteau ou forteresse située sur des 
hauteurs , qu'on ne puisse aisément faire 
couler dans la plaine ou vallée , au moyen 
d’une simple tranchée de dix ou douze pieds 


NOR RE ENT 
“ta A ns Va af. ie 


Ho: 
14 


22 THÉORTE 
de profondeur sur quelques toises delargeur, | 
en pratiquant cette tranchée à à une petite dis- h | 
tance des derniers murs, et choisissant pour 
l'établir le côté où la pente est la plus rapide. 1 | 
Cette manière dont les anciens ne se sont pas 4 
doutés , leur auroit épargné bien des beliers 
etd’autres machinesde guerre, etaujourd’hui 
même on pourroit s’en servir avantageuse 
ment dans plusieurs cas: jeme suis convaincu 
par mes yeux , lorsque ces murs ont glissé, 
que si la tranchée qu’on a faite pour les re- 
construire n'eüt pas été promptement rem— 
plie de forte maçonnerie, les müirs anciens 
et les deux tours , qui subsistent encore en 
bon état depuis neuf cents ans, et dont l’une 

a cent vingt-cinq pieds de hauteur , auroient 
coulé dans le vallon avec les rochers sur les- 
quels ces tours et ces murs sont fondes ; et, 
comme toutes nos collines composées de pier- 
res calcaires portent généralement sur un 
fond d’argille, dont les premiers lits sont tou- 
jours plus ou moins humectés par les eaux 
qui filtrent dans les fentes des rochers et 
descendent jusqu’à ce premier lit d'argille, 

il me paroïit certain qu’en éventant cette 
areille, c'est-à-dire, en exposant à l'air par 


DELA TERRE. 23 
une tranchée ces premiers lits imbibés des 
eaux , la masse entière des rochers et du ter- 
rain qui porte sur ce massif d'argille, coule- 
roit en glissant sur le premier lit et descen- 
droit jusque dans la tranchée en peu de jours, 
sur-tout dans un temps de pluie. Cette ma- 
mière de démanteler une forteresse est bien 
plus simple que tout ce qu'on a pratiqué 
jusqu'ici , et l'expérience m'a démontré que 
le succès en est certain. 


A Nr 
Sur la tourbe , page 7. 


Ox peut ajouter à ce que j'ai dit sur les 
tourbes , les faits suivans : 

Dans les châtellenies et subdélégations de 
Bergues-Saint- Winox, Furnes et Bourbours, 
on trouve de la tourbe à trois ou quatre pieds 
sous terre; ordinairement ces lits de tourbes 
ont deux pieds d’épaissenr , et sont com- 
posés de bois pourris, d'arbres même entiers, 
avec leurs branches et leurs feuilles dont on 
connoit l’espèce , et particulièrement des 
coudriers, qu’on reconnoit à leurs noiseites 


24 TEHYÉ 00 ART TU OR É 
encore existantes, entremélées de différentes R 
espèces de roseaux faisant corps ensemble. 
D'où viennent ces lits de tourbes qui sé À 
tendent depuis Bruges par tout le plat pays 
de la Flandre jusqu’à la rivière d'Aa, entre 
les dunes et les terres élevées des environs de 
Bergues, etc. ? Il faut que , dans les siècles 
reculés , lorsque la Flandre n’étoit qu'une 
vaste forêt, une inondation subite de la mer 
ait submergé tout le pays, et en se retirant 
ait déposé tous les arbres , bois et roseaux 
qu’elle avoit déracinés et détruits dans cet 
espace de terrain, qui est le plus bas de la 
Flandre, et que cet événement soit arrivé 
vers le mois d'août ou septembre, puisqu'on 
trouve encore les feuilles aux arbres , ainsi 
que les noisettes aux coudriers. Cette inon- 
dation doit avoir été bien long-temps avant 
la conquête que fit Jule César de cette pro- 
vince, puisque les écrits des Romains depuis 
cette époque n’en ont pas fait mention. 
Quelquefois on trouve des végétaux dans 
le sein de la terre , qui sont dans un état 
différent de celui de la tourbe ordinaire : par 
exemple, au mont Ganelon près de Com 
pièoene , on voit, d’un côté de la montagne, 


DE LA TERRE. 25 
les carrières de belles pierres et les huîtres 
fossiles dont nous avons parlé, et, de l’autre 
côté de la montagne , on trouve à mi-côte, 
un lit de feuilles de toutes sortes d'arbres, 
et aussi des roseaux , des goémons , le tout 
mêlé ensemble et renfermé dans la vase ; 
lorsqu'on remue ces feuilles , on retrouve la 
mème odeur de marécage qu’on respire sur 
le bord de la mer , et ces feuilles conservent 
cette odeur pendant plusieurs années. Au 
reste , elles ne sont point détruites , on peut 
en reconnoitre aisément les espèces ; elles 
n'ont que Ge la sécheresse , etsont liées foible- 
ment les unes aux autres par la vase. 

« On reconnoît , dit M. Guettard , de deux 
« espèces de tourbes : les unes sont com- 
« posées de plantes marines , les autres de 
« plantes terrestres ou qui viennent dans les 
« prairies. On suppose que les premières ont 
« été formées dans le temps que la mer re- 
_« couvroit la partie de la terre qui est main- 
« tenant habitée : on veut que les secondes 
« se soient accumulées sur cellé-ci. On ima- 
« gine, suivant ce système , que les courans 
« portoient dans des bas-fonds formés par les 


« montagnes qui étoient élevées dans la mer, 
3 


26 THÉORTE 
« les plantes marines qui se détachoient des 
« rochers , et qui, ayant été ballottées par Les 
«flots, se déposoient dans les lieux pro- 
« fonds. 

« Cette production de tourbes n’est certai- 
«nement pas impossible ; la grande quantité 
« de plantes qui croisseut dans la mer, pa- 
«roit bien suffisante pour former ainsi des 
« tourbes : les Hollandois même prétendent 
«que la bonté des leurs ne vient que de ce 
« qu’elles sont ainsi produites, et qu’elles sont 
« pénétreées du bitume dont les eaux de IE 
« mer sont chargées. . ... 

« Les tourbières de Villeroy sont placées! 
« dans la vallée où coule la rivière d’Essone : 
« la partie de cette vallée peuts’etendre depuis 
« Roissy jusqu à Escharcon...... C’est même 
«vers Roissy qu'on a commencé à tirer 
« des tourbes. ..... Mais celles que l’on 
« fouille auprès d'Escharcon , sont les meil- 
« leures... 

« Les prairies où les tourbières sont ou= 
« vertes , sont assez mauvaises : elles sont 
« remplies de joncs , de roseaux, de prêles et 
« autres plantes qui croissent dans les mau- 
« vais prés : on fouille ces prés jusqu’à la pro: 


DE LATERRE. 27 
« fondeur de huit à dix pieds. . .. Après la 
« couche qui forme actuellement le sol de la 
« prairie, estplacé un lit de tourbe d'environ 
« un pied : 1l est rempli de plusieurs espèces 
« de coquilles fluviatiles et terrestres. . .. 

« Ce banc de tourbe , qui renferme les 
« coquilles, est communément terreux : ceux 
« qui le suivent sont à peu près de la même 
« épaisseur, et d'autant meilleurs qu’ils sont 
« plus profonds ; les tourbes qu'ils fournis- 
« sent sont d’un brun noir, lardées de ro- 
« seaux, de joncs4 de cypéroïdes et autres 
« plantes qui viennent dans les prés ; on ne 
« voit point de coquilles dans ces bancs.... 

« On a quelquefois rencontré dans la masse 
« des tourbes , des souches de saules et de 
« peupliers , et quelques racines de ces arbres 
« ou de quelques autres semblables. On a dé- 
« couvert du côté d'Escharcon un chêne ense- 
« veli à neuf pieds de profondeur : il étoit noir 
« et presque pourri; ils’est consomme à l'air : 
« un autre a été rencontré du côté de Roissy 
« à la profondeur de deux pieds entre la terre 
« et la tourbe. On a encore vu près d’Eschar- 
« con des bois de cerfs ; ils étoient enfouis 
« jusqu’à trois ou quatre pieds... 


28 TH Ë OR BEL 
IT y a aussi des tourbes dans les environs 


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CS 


CAR. A 
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d'Étampes , et peut-être aussi abondam- 
ment qu’auprès de Villeroy : ces tourbes ne 
sont point mousseuses, ou le sont très-peu ; 
leur couleur est d’un beau noir , elles ont 
de la pesanteur , elles brülent bien au feu 
ordinaire , et il n’y a guère lieu de douter 
qu'on n’en pût faire de très-bon charbon... 
« Les tourbières des environs d'Étampes ne 
sont, pour ainsi dire, qu’une continuité de 
celles de Villeroy ; en un mot, toutes les 
prairies qui sont renfermées entre les gor- 
ges où la rivière d'Étampes coule, sont 
probablement remplies de tourbe. On en 
doit, à ce que je crois, dire autant de 
celles qui sont arrosées par la rivière d’'Es- 
sone ; celles de ces prairies que j'ai parcou- 
rues, m’out fait voir les mêmes plantes que 
celles d'Étampes et de Villeroy. » 

Au reste , selon l’auteur , il y a en France 


encore nombre d’endroits où l’on pourroit 
tirer de la tourbe , comme à Bourneuille , à 
Croué auprès de Beauvais , à Bruneval aux 
environs de Péronne, dans le diocèse de 
Troyes en Champagne, etc. et cette matière 
combustible seroit d’un grand secours , si 


ii 


DE LA TERRE. 29 
l'on en faisoit usage dans les endroits qui 
manquent de bois. | 

IL y a aussi des tourbes près Vitry-le-Fran-— 
çois , dans des marais le loxg de la Marne : 
ces tourbes sont bonnes et contiennent une 
graude quantité de cupules de gland. Le ma- 
rais de Saint-Gon aux environs de Châlons 
n'est aussi qu'une tourbière considérable, que 
l’on sera obligé d'exploiter dans la suite par 
la disette des bois. 


LIL 


Sur les bois souterrains pétrifiés et charbon- 
nifies , page 10. 


«DAxs les terres du ducdeSaxe-Cobourg, 
« qui sont sur les frontières de la Franconie 
« et de la Saxe , à quelques lieues de la ville 
« de Cobourg même , on a trouvé , à une 
« petite profondeur , des arbres entiers pétri- 
« fiés à un tel point de perfection , qu’en les 
«travaillant on trouve que cela fait une 
« pierre aussi belle et aussi dure que l’agate. 
« Les princes de Saxe en ont donné quelques 
« morceaux à M. Schæpilin, qui en a envoyé 
« deux à M. de Buffon pour le Cabinet du roi: 


3 


30 LOT E'O AE: 7% 
«on a fait de ces bois pétrifiés des vases et! 
«autres beaux ouvrages *. » 


CA 


On trouve aussi du bois qui na point 
changé de nature , à d’assez grandes profon-, 
deurs dans la terre. M. du Verny , officier, 
d'artillerie, m’en a envoyé des échantillons, 
avec le detail suivant. «La villede la Fère ,où 
« je suis actuellement en garnison , fait tra- 
« vailler, depuis le 15 du mois d'août de cetté 
« année 1755, à chercher de l’eau parlemoyen . 
« de latarière : lorsqu'on futparvenu à trente- 
« neuf pieds au-dessous du sol, on trouva un 
« lit de marne, que l’on a continue de percer 
« jusqu'à cent vinot-un pieds : ainsi, à cent 
« soixante pieds de profondeur, on à trouve, 
« deux fois consécutives , la tarière remplie 
« d’une marne mêlée d'une très-grande quan- 
« tité de fragmens de bois, que tout lemonde 
«a reconnus pour être du chène. Je vous en 
«envoie deux echantiKons. Les jours sui- 
« vaus, on a trouvétoujours lamèmemarne, 

- « mais moins mêlée de bois , et on en a trouvé 
«jusqu'à la profondeur de deux cent dix. 
« pieds , où l’on a cessé le travail.» 


* Lettre de M. Schæpflin, Strasbourg, 24 sep 
tembre 1746. | 


DE LA TERRE. 3t 
« On trouve, dit M. Justi, des morceaux 
« de bois pétrifiés d’une prodigieuse grandeur 
« dans le pays de Cobourg , qui appartient à 
« une branche de la maison de Saxe ; et dans 
« les montagnes de Misnie, on a tiré de la 
« terre des arbres entiers , qui étoient entiè- 
« rement changés en une très-belle agate. Le 
« Cabinet impérial de Vienne renferme un 
« grandnombrede pétrifications en ce genre. 
g Un morceau destine pour ce même Cabinet 
« étoit d’une circonférence qui égaloit celle 
« d'un gros billot de boucherie. La partie qui 
« avoit été bois , étoit changée dans une très- 
« belle agate d’un gris noir; et au lieu de 
« l'écorce , on voyoit régner tout autour du 
« tronc une bande d’une très - belle agate 
« blanche. ..... 
« L'empereur aujourd’hui régnant. ... a 
« souhaité qu'on découvrit quelque moyen 
« pour fixer l’âge des pétrifications. .... Il 
« donna ordre à son ambassadeur à Cons- 
« tantinople de demander la permission de 
« faire retirer du Danube un des piliers du 
« pont de Trajan , qui est à quelques milles 
« au-dessous de Belgrade. Cette permission 
«ayant été accordée , on retira un de ces 


32 CT HE O0 RP TRES 
«piliers , que l’on présumoit devoir être 
pétrifié par les eaux du Danube ; maison 


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reconnut que la pétrification étoit très-peu 


avancée pour un espace de temps si consi- 
dérable. Quoiqu'il se fût passé plus de seize 


siècles depuis que le pilier en question étoit 
dans le Danube, elle n’y avoit pénétré 
tout au plus qu’à l’épaisseur de trois quarts 


de pouce , et même à quelque chose de 


moins : le reste du bois, peu différent de 
l'ordinaire, ne commençoit qu’à se calciner. 
« Si de ce fait seul on pouvoit tirer une 
juste conséquence pour toutes les autres pé- 
trifications , on en concluroit que la nature 
a eu besoin peut-être de cinquante mille 
ans pour changer en pierres des arbres de 
la grosseur de ceux qu’on a trouvés pétrifiés 
en différens endroits; mais il peut fort bien 
arriver qu'en d'autres lieux le concours de 


plusieurs causes opère la pétrification plus 


promptement..... 
« On a vu à Vienne une büûüche pétrifiée, 
qui étoit venue des montagnes Carpathes en 


« Hongrie , sur laquelle paroissoient distinc- 
« tement les hachures qui y avoient été faites 


« 


ayantsa pétrification; et cesmèmes hachures 


DE LA TERRE. 33 
« étoient si peu altérées par le changement 
« arrivé au bois, qu'on y remarquoit quelles 
«avoient été faites avec un tranchant qui 
«avoit une petite brèche. .... 

« Au reste , il paroît que le bois pétrifié 
«est beaucoup moins rare dans la nature 
« qu'on ne le pense communément, et qu’en. 
«bien des endroits il ne manque , pour le 
« découvrir , que l’œil d'un naturaliste cu- 
« rieux. J'ai vuauprès de Mansfeld une grande 
« quantité de bois de chène pétrifié, dans un 
« endroit où beaucoup de gens passent tousles 
« jours sans appercevoir ce phénomène. Il y 
« avoit des büches entièrement pétrifiées, dans 
« lesquelles on reconnoissoit très-distincte- 
« ment les anneaux formés par la croissance 
« annuelle du bois , l’ecorce, l’endroit de la 
«coupe, et toutes les marques du bois de 
« chêne.» 

M. Clozier , qui a trouvé différentes pièces 
de bois pétrifié sur les collines aux environs 
d'Étampes , et particulièrement sur celle de 
Saint-Symphorien , a jugé que ces différens 
morceaux de bois pouvoient provenir de quel- 
ques souches pétrifiées qui étoient dans ces. 
montagnes : en conséquence , il a fait faire 


34. TH: É1O RUE MU "'. 
des fouilles sur la montagne de Saint-Sym-— \ | 
phorien , dans un endroit qu'on lui avoit 
indiqué ; et, après avoir creusé la terre de. 
plusieurs pieds, il vit d’abord une racine de 
bois pétrifee , qui le conduisit à la souche 
d'un arbre de même nature. 


ss" 


Cette racine , depuis son commencement 
jusqu’au tronc où elle étoit attachee , avoit 
au moins, dit-il, cinq pieds de longueur ;. 
il y en avoit cinq autres qui y tenoient aussi, 
mais moins longues... He 

Les moyennes et petites racines n’ont pas 
été bien petrifiées ; ou du moins leur petri- 
fication étoit si friable, qu’elles sont restées 
dans le sable eù étoit la souche, en uneespèce 
de poussière ou de cendre. Il y a lieu de croire 
que lorsque la pétrification s’est communi- 
quée à ces racines , elles étoient presque 
pourries , et que les parties lisneuses qui les 
composoient, étant trop desunies par la pour- 
riture , n’ont pu acquérir la solidité requise. 
pour une vraie petrification..... 

La souche porte, dans son plus gros, près 
de six pieds de circonférence; à l'égard de sa 
hauteur , elle porte , dans sa partie la plus 
élevée , trois pieds huit à dix pouces ; son 


DE LA TERRE. us 
poids est au moins de cinq à six cents livres. 
La souche , ainsi que les racines , ont con- 
servé toutes les apparences du bois , comme 
écorce , aubièr , bois dur , pourriture , trous 
de petits et gros vers, excremens de ces 
mêmes vers ; toutes ces differentes parties 
pétrifiées , mais d'uue pétrification moins 
dure et moins solide que le corps ligneux, qué 
étoit bien sain lorsqu'il a été saisi par les par- 
ties pétrifiantes. Ce corps ligneux est changé 
en uu vrai caillou de différentes couleurs, 
rendant beaucoup de feu étant frappe avec le 
fer trempé, et sentaut, après qu'il a été frappé 
ou frotté , une très-forte odeur de soufre. . .. 

Ce tronc d'arbre pétrifié étoit couché pres- 
que horizontalement. . . . 1] étoit couvert de 
plus de quatre pieds de terre, et la grande 
racine étoit en dessus et n’etoit enfoncée que 
de deux pieds dans la terre. 

M. l'abbé Mazéas, qui a découvert à un 
demi-mille de Rome, au-delà de la porte du 
Peuple , une carrière de bois pétrifñié, s’ex- 
prime dans les termes suivans : 

- «Cette carrière de bois pétrifié, dit-il, 
« forme une suite de collines en face de 
à Monte-HMario, situé dé l'autré côté du 


à, V'LAVO TIME 
at TUPRE ET 


36 : THÉ O0 RUE 


d Ebnen auS PSo ER morceaux de bois 


«entassés les uns sur les autres d’une ma- 


Pa 


« nière irrégulière , les uns sont simplement 


« sous la forme d’une terre durcie, et ce sont 
« ceux qui se trouvent dans un terrain léger, 
«sec, et qui ne paroit nullement propre à la 
« nourriture des végétaux : les autres sont 


« pétrifiés, et ontla couleur, le brillant et la 


« dureté de l'espèce de résine cuite,-connue 
« dans nos boutiques sous le nom de co/o- 
« phane; ces bois pétrifiés se trouvent dans 


«un terrain de même espèce que le précé- 


«dent, mâis plus humide : les uns et les 


«autres sont parfaitement bien conservés : 
« tous se réduisent par la calcination en une 
« véritable terre, aucun ne donnant de l’alun, 
« soit en les traitant au feu, soit en les com- 
« binant avec l'acide vitriolique. » | 
M. Dumonchau, docteur en medecine et 
très-habile physicien à Douai, a bien voulu 
m'envoyer, pour le Cabinet du roi, un mor- 
ceau d’un arbre pétrifié, avec le détail histo- 
rique suivant : 
« La pièce de bois re que j'ai l’hon- 
«neur de vous envoyer, a été cassée à un 


«tronc d’arbre trouyé à plus de cent cin= 


" 


DE LA TERRE. 3% 

« quante pieds de profondeur en terre. .., 
&« En creusant l’année dernière (1754) un 
« puits pour sonder du charbon à Notre- 
« Dame-au-bois, village situé entre Condé, 
« Saint-Amand, Mortagne et Valenciennes, 
« on a trouvé à environ six cents toises de 
«lEscaut, après avoir passé trois niveaux 
«d'eau, d’abord sept pieds de rocher ou de 
« pierre dure que les charbonniers nomment 
. «en leur langage fourtia; ensuite étant par- 
«venu à une terre marécageuse, on à rén= 
«contré, comme je viens de le dire, à cent 
« cinquante pieds de profondeur, un tronc 
« d'arbre de deux pieds de diamètre, qui tra- 
« versoit le puits que l’on creusoit, ce qui fit 
«qu'on ne put pas en mesurer la longueur; 
« il étoit appuyé sur un gros grès; et bien 
« des curieux voulant ävoir de ce bois, on 
«en deétacha- plusieurs morceaux du tronc. 
« La petite pièce que j'ai l'honneur de vous 
«envoyer, fut coupée d’un morceau qu’on 
« donna à M. Laurent, savant mécanicien. 
« Ce bois paroît plutôt charbonnifié que 
« pétrifié. Comment un arbre se trouve-t-il 
« si avant dans la terre? est-ce que le terrain 
« où on l'a trouvé a été jadis aussi bas? Si 

Mat, gén, IV. ‘4 


ee 4 


38 «THE O RDE 


« cela est, comment ce terrain anroit-il pe 


«augmenter ainsi de cent cinquante pieds? 


« d’où seroit venue toute cette terre ?:+ 1: » 

« Les sept pieds de fourtia que M. Laurent 
« a observés, se trouvant répandus de même 
« dans tous les autres puits à charbon , dedix 
« lieues à la ronde, sont donc une production 
« postérieure à ce grand amas supposé de terre. 

« Je vous laisse, monsieur, la chose à dé- 
«cider; vous vous êtes familiarisé avec la 
« nature pour en comprendre:les mystères 
« les plus cachés : ainsi je ne doute. pas que 
« vous n’expliquiez ceci aisément.» 

M. Fougeroux de Boudaroy, de:l’académie 
royale des sciences, rapporte plusieurs faits 
sur les bois pétrifiés, dans un:mémoire qui 
mérite des éloges, et dont voici l'extrait. 

« Toutes les pierres fibreuses et qui ont 
« quelque ressemblance avec le bois, ne sont 
« pas du bois pétrifié; mais il y en a beau- 
« coup d’autres qu’on auroit tort de ne pas 
« regarder comme telles, sur-tout si l’on ÿ 
« remarque l'organisation propre aux végé- 
« taux... 

«On ne manque pas d’observations qui 
« prouvent que le bois peut se convertir en 


DE LA TERRE. > 
«pierre, au moins aussi aisément que plu- 
« sieurs autres substances qui éprouvent in- 
« contestablement cette transmutation ; mais 
« il n’est pas aisé d'expliquer comment elle 
« se fait: j'espère qu’on me permettra de ha- 
« sarder sur cela quelques conjéctures que je 
tächerai d'appuyer sur des observations. 

« On trouve des bois qui , étant, pour ainsi 
« dire, à demi pétrifiés, s’éloignent peu de 
« la pesanteur du bois ; ils se divisent aisé- 
« ment par feuillets ou même par filamens, 
« comme certains bois pourris: d’autres, plus 
« pétrifés, ont le poids, la durété et l’opacité 
« de la pierre de taille; d’autres, dont la pé- 
« trification est encore plus parfaite, pren- 
« nent le même poli que le marbre, perdant 
-« que d’autres acquièrent celui des belles 
« agates orientales. J'ai un très-beau mor 
« ceau qui à été envoyé de la Martinique 
« à M. du Hamel, qui est changé en une 
« trés-belle sardoine. Enfin on en trouve de 
« convertis en ardoise. Dans ces morceaux,on 
« en trouve qui ont tellement conservé lor- 
« ganisation du bois, qu’on y découvre avec 
« la loupe tout ce qu’on pourroit voir dans 
« yn morceau de bois non petrifié. 


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40 Er É O R 1E | 

« Nous en avons trouvé qui sont encroûtés F. 
« par une mine, de fer sableuse,.et d’autres : 
« sont pénétrés d’une substance qui ,-étant 
« plus. chargée de soufre et de vitriol, les 
« rapproche de l’état de pyrites.: quelques 
«uns sont, pour ainsi dire , lardes par une 
«mine de fer très-pure; d’autres sont trà- 
« versés par des veines d'agate très-noires. 

«On trouve des morceaux de bois dont 
«une partie est convertieen pierre, etl’autre 
«en agate : la partie qui n’est convertie qu'en 
« pierre est tendre, tandis que l’autre a la 
« dureté des pierres précieuses. 

« Mais comment certains morceaux, quoi- 
« que convertis en.agate très-dure , conser— 
« vent-ils des caractères d'organisation très- 
« sensible, les cercles concentriques , les in- 
« sertions , l'extrémité des tuyaux destinés 
« à porter la séve , la distinction de l'écorce, 
« de l’aubier et du bois ? Si l’on imaginoit 
«que la substance végétale fût entièrement 
« détruite ,ilsne devroient représenter qu'une 
«agate sans les caractères d'organisation 
« dont nous parlons ; si, pour conserver cettè 
« apparence d'organisation , on vouloit que 
« le bois subsistât , et qu'il n’y eût que les 


DE LA TERRE. 4t 
« pores qui fussent remplis par le suc pétri- 
« fiant , il semble que l’on pourroit extraire 
« de l’agate les parties végétales : cependant 
«je n'ai pu y parvenir en aucune manière. 
« Je pense donc que les morceaux dont il 
«s’agit ne contiennent aucune partie qui ait 
« conservé la nature du bois; et, pourrendre 
« sensible mon idée , je prie qu'on se rap- 
« pelle que si on distille à la cornue un mor- 
« ceau de bois , le charbon qui restera après 
« la distillation ne pesera pas un sixième du 
« poids du morceau de bois : si on brüle le 
« charbon , on n’en obtiendra qu’une très- 
« petite quantité de cendre , qui diminuera 
« encore quand on en aura retiré les sels lixi- 
« viels. 
« Cette petite quantité de cendre étant la 
« partie vraiment fixe, l’analyse chimique 
« dont je viens de tracer l’idée prouve assez 
« bien que les parties fixes d’un morceau de 
« bois sont réellement très-peu de chose, et 
« que la plus grande portion de matière qui 
« constitue un morceau de bois est destruc- 
« tible, et peut ètre enlevée peu à peu par l’eau, 
« à mesure que le bois se pourrit.…. 


« Maintenant si l’on conçoit que la plus 
4 


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43) THÉORIE 


« grande partie du bois est détruite, que lé 
« squelette ligneux qui reste est formé pat 


« une terre légère et perméable au suc pétri- 
« flant, sa conversion en pierre, en agâte, 
«en sardoine, ne sera pas plus difficile à 
« concevoir que celle d’une terre bolaire ; 
« crétacée, ou de toute autre nature : toute la 
« différence consistera en ce que cette terre 


« végétale ayant conservé une apparence d’or 


« ganisation, le suc pétrifiant se moulera 
« dans ses pores ; s’introduira dans ses molé- 
« cules terreuses, en conservant néanmoins 
« le même caractère. . . . » 

Voici encore quelques faits et quelques 
observations qu’on doit ajouter aux précé- 
dentes. En août 1773 ,à Montigny-sur-Braine, 
bailliage de Châlons , vicomté d’Auxonne, 
en creusant le puits de la cure, on a trouvé, 
à trente-trois pieds de profondeur , un arbre 
couché sur son flanc, dont on n’a pu décou- 
vrir l'espèce. Les terres supérieures ne pa- 


roissent avoir été touchées demain d'homme, 


d'autant que les lits semblent être intacts: 
car on trouve au-dessous du terrain un lit 
de terre glaise de huit pieds , ensuite un lit 
de sable de dix pieds ; après celd , un lit de 


DE LA TERRE. 43 
terre grasse d'environ six à sept pieds, en- 
suite un autre lit de terre grasse pierreuse de 
quatre à cinq pieds, ensuite un lit de sable 
noir de trois pieds; enfin larbre étoit dans la 
terre grasse. La rivière de Braine est au le- 
vant de cet endroit, et n’en est éloignée que 
d'une portée de fusil; elle coule dans une 
prairie de quatre-vingts pieds plus basse que 
l'emplacement de la cure. 

M. de Grignon m'a informé que, sur les 
bords de la Marne , près Saint-Dizier, l’on 
trouve un lit de bois pyriteux , dont onre- 
connoît l’organisation. Ce lit de bois est situé 
sous un banc de grès, qui est recouvert d’une 
couche dé pyrites en gâteaux, surmontée 
d'un banc de pierre calcaire, et le lit de bois 
pyriteux porte sur une glaise noirâtre. 

Il a aussi trouvé dans les fouilles qu'il a 
faites pour la découverte de la ville souter- 
raine du Châtelet , des instrumens de fer 
qui avoient eu des manches de bois, et il a 
observé que ce bois étoit devenu une véri- 
table mine de fer du genre des hématites. 
L'organisation du bois n’étoit pas détruite; 
mais 1] étoit cassant et d’un tissu aussi serré 
que celui de l'hématite dans tonte son épais- 


nd 


44 THÉORIE. 

seur. Ces instrumens de fer à manche. de 
bois avoient été enfouis dans la terre pen- 
dant seize ou dix-sept cents ans, et la con- 
version du bois en hematite s’est faite par la 
décomposition du fer , qui peu à peu a rem- 
pli tous les pores du bois. | 


I V. 


Sur les ossemens que l’on trouve quelquefois 
dans l’intérieur de la terre. 


&GDAXSs la paroisse du Haux, pays d’entre 
« deux mers, à demi-lieue du port de Lan- 
« goiran, une pointe de rocher haute de 
« onze pieds se détacha d’un côteau qui avoit 
«auparavant trente pieds de hauteur, et, 
« par sa chûte, elle répandit dans le vallon 
«une grande quantité d’ossemens ou de frag- 
« mens d’ossemens d'animaux, quelques uns 
« pétrifiés. IL est mdubitable qu'ils en sont; 
«mais il est très-difficile de déterminer à 
« quels animaux ils appartiennent : le plus 
« grand nombre sont des dents, quelques 
«unes peut-être de bœuf ou de cheval , mais 
« la plupart trop grandes ou trop grosses pour 
«en être, sans compter la différence defigure; 


DE LA TERRE. 45 
«al y a des os de cuisses ou de jambes , et 
« même un fragment de bois de cerf ou d’é- 
« lan : le tout étoit enveloppé de terre com- 
« mune , et enfermé entre deux lits de roches. 
«Il faut nécessairement concevoir que des 
« cadavres d'animaux ayant été jetés dans 
«une roche creuse, et leurs chairs s'étant 
« pourries , il s’est forme par-dessus cet amas 
“« une roche de onze pieds de haut, ce quia 
« demande une longue suite de siècles. .... 
«MM. de l'académie de Bordeaux, qui ont 
«examiné toute cette matière en habiles phy- 
« siciens.....onttrouvé qu'un grandnombre 
« de fragmens mis à un feu très-vif sont 
. « devenus d’un beau bleu de turquoise, que 
« quelques petites parties en ont pris la con- 
« sistance , et que, taillées par un lapidaire, 
«elles en ont le poli. . . . Il ne faut pas ou- 
« blier que des os qui appartenoient visible- 
«ment à différens animaux, ont également 
« bien réussi à devenir turquoises *. 
«Le 28 janvier 1760, on trouva auprès de 
« la ville d'Aix en Provence, dit M. Guettard, 
« à cent soixante toises au-dessus des bains 
« des eaux minérales, des ossemensrenfermés 


* Hist, de l'acad. des scienc. année 1719, pag. 24. 


46 THÉORIE 
« dans un rocher de pierre grise à sa superfi= 
«cie : cette pierre ne formoit point de lits, 
«et n’étoit point feuilletée ; c’étoit une masse 
« continue et entière. . . . 

« Après avoir, par le moyen de la poudre, 
« pénétré à cinq pieds de profondeur dans 
« l’intérieur de cette pierre, on y trouva une 
« grande quantité d’ossemens humains de 
« toutes les parties du corps , savoir, des 
« mâchoires et leurs dents, des os du bras, 
« de la cuisse; des jambes, des côtes, des. 
« rotules, et plusieurs autres mêlées confu- 
« sément et dans le plus grand désordre. Les 
« crânes entiers, ou divisés en pelites parties, 
« semblent ÿ dominer. 

«a Outre ces ossemens humains, on en a 


« rencontré plusieurs autres par morceaux, 
«qu'on ne peut attribuer à l’homme : ils 
« sont, dans certains endroits, ramassés par 
« pelotons; ils sont épars dans d’autres.... 

« Lorsqu'on a creusé jusqu’à la profondeur 
« de quatre pieds et demi, on a rencontré 
« six têtes humaines dans une situation in- 
« clinée. De cinq de ces têtes on a conservé 
« l’occiput avec ses adhérences , à l'exception 
a des os de la face : cet occiput étoit en par- 


/ 


| DIMNHNCERRE. 4 
« tie incruste dans la pierre; son intérieur 
«en étoit rempli, et cette pierre en avoit 
« pris la forme. La sixième tête est dans son 
« entier du côté de la face , qui n’a recu au- 
« cune altération ; elle est large à propor- 
« tion de sa longueur : on y distingue la forme 
« des joues charnues ; les yeux sont fermés, 
« assez longs, mais étroits : le front est un 
« peu large ; le nez fort applati, mais bien 
« formé, la ligne du milieu un peu marquée ; 
« la bouche bien faite et fermée, ayant la 
« lèvre supérieure un peu forte relativement 
« à l’inférieure : le menton est bien propor- 
«tionné, et les muscles du total sont très- 
«articulés. La couleur de cette tête est rou- 
« geätre, et ressemble assez bien aux tètes 
« de tritons imaginées par les peintres : sa 
« substance est semblable à celle de la pierre 
« où elle a été trouvée ; elle-n’est , à propre- 
«ment parler, que le masque de la tête 
« naturelle. . ...» 

La relation ci-dessus a été envoyée par 
M. le baron de Gaillard-Longjumeau à ma- 
dame de Boisjourdain, qui l’a ensuite fait par- 
venir à M. Guettard avec quelques morceaux 
des ossemens en question. On peut douter 


\ 


48 THÉORIE 


avec raison que ces prétendues têtes humaines | 


soient réellement des têtes d'hommes: «car . 
« tout ce qu'on voit dans cette carrière, dit | 
« M. de Longjumeau, annonce qu'elle s'est 


« formée de débris de corps qui ont été bri- 
« sés, et qui ont dû être ballottés et roulés 
« dans les flots de la mer dans le temps que 
«ces os se sont amoncelés. Ces amas ne se 
« faisant qu’à la longue, et n’étant sur-tout 
« recouverts de matière pierreuse que succes- 
« sivement, on ne Conçoit pas aisément comt- 
« ment il pourroit s'être formé un masque 
« sur la face de ces têtes, les chairs n'étant 


A 


« pas long-temps à se corrompre, lors sur- 


« tout que les corps sont ensevelis sous les. 


«eaux. On peut donc trés-raisonnablement 
« croire que ces prétendues têtes humaines 
« n’en sont réellement point... il y a même 
« tout lieu de penser que les os qu’on croit 
« appartenir à l’homme sont ceux des sque-: 
«lettes de poissons dont on a trouvé les 
« dents , et dont quelques unes étoient en- 
« clavées dans les mêmes quartiers de pierre 
«qui renfermsient les os qu’on dit ètre 
« humains. {1 

« Il paroit que les amas d'os des environs 


& : [ 


DE LA TERRE. 49 
« d'Aix sont semblables à ceux que M. Bordt 
« a fait connoître depuis quelques années , et 
« qu'ila trouvés près de Dax en Gascogne. Les 
« dents qu’on a découvertes à Aix paroissent, 
«par la description qu’on en donne, être 
« semblables à celles qui ont été trouvées à 
- « Dax, et dont une màchoire inférieure étoit 
« encore garnie : on ne peut douter que cétte 
« mâchoire ne soit celle d’un gros poisson... 
« Je pense donc que les os de la carrièred’Aix 
« sont semblables à ceux qui ont éte décou- 
d verts à Dax. . : , et que ces ossemens , quels 
« qu’ils soient, doivent être rapportés à des 
« squelettes de poissons plutôt qu’à des sque- 
« lettes humains. ... 
« Une des têtes en question avoit environ 
« sept pouces et demi de longueur sur trois 
«de largeur et quelques lignes de plus; sa 
« forme est celle d’un globe alongé, applati à 
_« sa base, plus gros à l'extrémité postérieure 
« qu’à l'extrémité antérieure, divisé suivant 
« sa largeur, et de haut en bas, par sept ou 
«huit bandes larges depuis sept jusqu’à 
« douze lignes : chaque bande est elle-même 
« divisée en deux parties ésales par un léger 
« sillon; elles s'étendent depuis la base jus- 
5 


fa : : THÉORIE ni 
« qu'au sommet : dans cet endroit, celles : 
« d’un côté sont séparées de celles du côté 
«opposé par un autre sillon plus profond, 
«et qui s’élargit insensiblement depuis là 
« partie antérieure jusqu'à la partie posté- 
« rieure. US 

« À cette description, om ne peut recon- 
« noître le noyau d’une tête humaine : les 
«_ os de la tête de l’homme ne sont pas divisés 
«en bandes comme l’est le corps dont il 
« s'agit ; une tête humaine est composée de 
« quatre os principaux, dont on ne retrouve 
« pas la forme dans le noyau dont on a donné 
« la description : elle n’a pas intérieurement 
«une crête qui s’étende longitudinalement 
« depuis sa partie antérieure jusqu'à sa par= 
« tie postérieure, qui la divise en deux par- 
«ties égales, et qui ait pu former le sillon 
« sur la partie supérieure du noyau pierreux. 

« Ces considérations me font penser que ce 
«corps est plutôt celui d’un nautile que ce- 
« lui d’une tête humaine. En effet, il y a des 
«nautiles qui sout séparés en bandes'ou 
« boucliers comme ce noyau : ils ont un 
« canal ou siphon qui règne dans la longueur 
« de leur courbure , qui les sépare en deux, 


} 


DE LA TERRE. br 

« etquien aura forme lesillon pierreux , etc. » 

Je suis trés-persuadé, ainsi que M. le baron 
de. Longjumeau , que ces prétendues têtes 

n’ont jamais appartenu à des hommes, mais 

à des animaux du genre des phoques, des 

loutres marines , et des grands lions marins 
et ours marins. Ce n'est pas seulement à Aix 

ou à Dax que l’on trouve, sur les rochers et 

dans les cavernes , des têtes et des ossemens 

de ces animaux; S. À. le prince margrave 

d'Anspach , actuellement régnant, et qui 

joint au goût des belles connoissances la plus 

grande affabilité , a eu la bonté de me don- 

ner , pour le Cabinet du roi, une collection 

d’ossemens tirés des cavernes de Gaillen- 

rente , dans son margraviat de Bareith. 

M. Daubenton a compare ces os avec ceux de 

‘Vours commun : ils en diffèrent en ce qu’ils 
sont beaucoup plus grands; la tête et les dents 

sont plus longues et plus grosses, et le mu- 

seau plus alonge et plus renflé que dans nos 

plus grands ours. Il y a aussi dans cette col- 

lection, dont ce noble prince a bien voulu 

me gratifier , une petite tête que ses natura- 
listes avoient désignée sous le nom de /éfe du 

petit phoca de M. de Buffon; mais, comme 


ARR EU, MID pr NE 4 
| 12e À AE 


5, THÉORIE DE LA TERRE. 
l’on ne connoîit pas assez la formeetlastruæ 
ture des têtes de lions marins , d'ours ma- 
rins, et de tous les grands et petits phoques, 
nous croyons devoir encore suspendre notre 
jugement sur les animaux auxquels ces osse- 
iwens fossiles ont appartenu. 


PREUVES 
DE LA 


THÉORIE DE LA TERRE. 


AR TEC-L EX L'X 


Des changemens de terres en mers, et de mers 
en terres. 


ni à paroît par ce que nous avons dit dans les 
articles I, VIT, VII et IX, qu'il est arrivé 
au globe terrestre de grands changemens 
qu’on peut regarder comme généraux ; et1l 
est certain par ce que nous avons rapporté 
dans les autres articles, que la surface de la 
terre a souffert des altérations particulières. 
Quoique l’ordre, ou plutôt la succession de 
ces altérations ou de ces changemens parti- 
, 5 


54 THÉORIE 


culiers , ne nous soit pas bien connue , nous 
en connoissons cependant les causes princi- 


pales; nous sommes même en état d’en dis- 
tinguer les différens effets ; et si nous pou- 
vions rassembler tous les indices et tous les 
faits que l’histoire naturelle et l’histoire 
civile nous fournissent au sujet des révolu- 
tions arrivées à la surface de la terre, nous 
ne doutons pas que la théorie que nous avons 
donnée n'en devint bien plus plausible. 
L'’unedes principales causes des changemens 
qui arrivent sur la terre, c'est le mouvement 
de la mer , mouvement qu’elle a éprouve de 
tout temps ; car dès la création il y a eu lesoleil, 
la lune, la terre, les eaux, l’air, etc. : dés-lors 
le tlux et le reflux , lemouvement d’orient en 
occident , celui des vents et des courans ,sesont 
fait sentir ; les eaux ont eu dès-lors les mêmes 
mouvemens que nous remarquons aujour- 


NU 


d'hui dans la mer : et quand même on sup-.. 


poseroit que l’axe du globe auroit eu une 
autre inclinaison , et que les continens ter- 
restres , aussi-bien que les mers , auroient 


eu une autre disposition, cela ne détruit point 
le mouvement du flux et du reflux , non plus 


que la cause et l’effet des vents ; il suflit que 


DE LA TERRE. 55 
j'immense quantité d’eau qui remplit le vaste 
espace des mers , se soit trouvée rassemnblée 

quelque part sur le globe de la terre, pour 
que le flux et le reflux , et les autres mou- 
vemens de la mer, aient été produits. 
Lorsqu'une fois on a commencé à soup- 
çonner qu'il se pouvoit bien que notre con- 
tinent eût autrefois été le fond d’une mer, 
on se le persuade bientôt à n'en pouvoir 
douter : d’un côté ces débris de la mer qu’on 
trouve par-tout , de l’autre la situation hori- 
zontale des couches de la terre, et enfin cette 
disposition des collines et des montagnes qui 
se correspondent , me paroissent autant de 
preuves convaincantes ; car en considérant 
les plaines , les vallées, les collines, on voit 
clairement que la surface de la terre a été 
Hgurée par leseaux ; en examinant l’intérieur 
des coquilles qui sont renfermées dans les 
pierres , ou reconnoit évidemment que ces 
pierres se sont formées par le sédiment des 
eaux , puisque les coquilles sont remplies de 
la matière même de la pierre qui les envi- 
ronne ; et enfin en réfléchissant sur la forme 
des collines , dont les angles saillans répon- 
denttoujours aux angles rentrans des collines 


SP OMAN M 10 LR AM FA 


56 THÉOR Ci DER 
opposées , on ne peut pas douter que cette 
direction ne soit l'ouvrage des courans de la 
mer. À la vérité , depuis que notre continent 
est découvert , la forme de la surface a un 
peu change , les montagnes ont diminué de 
hauteur, les plaines se sont élevées, les angles 
des collines sont devenus plus obtus , plu- 
sreurs matières entraînées par les fleuves se 
sont arrondies ; il s'est formé des couches de 
tuf , de pierre molle , de gravier, etc.: mais 
l'essentiel est demeuré, la forme ancienne se 
reconnoit encore, et je suis persuadé que tout 
le monde peut se convaincre par ses yeux de 
tout ce que nous avons dit à ce sujet , et que 
quiconque aura bien voulu suivre nos obser- 
valions et nos preuves, ne doutera pas que la 
terre n'ait été autrefois sous les eaux de la 
mer, et que ce ne soient les courans de la mer 
qui aient donné à la surface de la terre la 
forme que nous voyons. 

Le mouvement principal des eaux de la 
mer est, comme nous l’avons dit , d'orient 
en occident : aussi il nous paroit que la mer 
a gagné sur les côtes orientales, tant de l'an- 
cien que du nouveau continent , un espace 
d'environ cinq cents lieues ; on doit se sou- 


DE LA TERRE. Er. 
venir des preuves que nous en avons données 
dans l’article XI, et nous pouvons y ajouter 
que tous les détroits qui joignent les mers, 
sont dirigés d’orient en occident : le détroit 
de Magellan , les deux détroits de Forbisher, 
celui de Hudson , le détroit de l’ile deCeylan, 
ceux de la mer de Corée et de Kamtschatka, 
ont tous cette direction , et paroissent avoir 
été formés par l’irruption des eaux qui, étant 
poussées d’orient en occident, se sont ouvert 
ces passages daus la même direction , dans 
laquelle elles éprouvent aussi un mouvement 
plus considérable que dans toutes les autres 
directions ; car 1l y a dans tous ces détroits 
des marées très-violentes , au lieu que dans 
ceux qui sont situés sur les côtes occiden- 
tales , comme l’est celui de Gibraltar , celui 
du Sund , etc. , le mouvement des marées est 
presque insensible. 

Les inégalités du fond de la mer changent 
la direction du mouvement des eaux ; elles 
ont été produites successivement par les sédi- 
mens de l’eau et par les matières qu’elle a 
transportées , soit par son mouvement de flux 
et de reflux , soit par d’autres mouvemens : 
car nous ne donnons pas pour cause unique 


HTC Uudt ME -U 
EL TANT (1 F re 
Po VOLS OARLEX 


58 \«THÉO R IE | 
de ces inégalités, le mouvement du flux et à 
du reflux ; nous ayons seulement donné cettè | 
cause comme la principale et la première, 
parce qu’elle est la plus constante et qu’elle 
agit sans interruption : mais on doit aussi 
admettre conime cause l’action des veñiis 3 
ils agissent même à la surface de l’eau aveé 
une toute autre violence que les marées , et 
l'agitation qu’ils communiquent à la mer 
est bien plus considérable pour les effets exté- 
rieurs ; elle s'étend même à des profondeurs 
considérables , comme on le voit par les ma- 
tières qui se détachent , par la tempête, du 
fond des mers, et qui ne sont presque jamais 
rejetées sur les rivages que dans les nl 
d'orage. 

be avons dit qu'entre les tropiques, et 
même à quelques degrés au-delà ; il règne 
continuellement un vent d'est; ce vent, qui 
contribue au mouvement senéral de la mer 
d'orient en occident , est aussi ancien que le 
flux et le reflux, puisqu'il dépend du cours 
du soleil et de la raréfaction de l'air , pro- 
duite par la chaleur de cet astre. Voilà doné 
deux causes de mouvement réunies , et plus 
grandes sous l'équateur que par-tout ailleurs : 


| DE LA TERRE. 59 
la première, le flux et le reflux , qui, comme 
l'on sait, est plus sensible dans les climats 
méridionaux ; et la seconde, le vent d’est, qui 
souffle continuellement dans ces mêmes cli- 
mais : ces deux causes ont concouru depuis 
la formation du globe à produire les mêmes 
effets , c’est-à-dire , à faire mouvoir les eaux 
d’orient en eccident , et à les agiter avec plus 
de force dans cette partie du monde que dans 
toutes les autres; c’est pour cela que les plus 
grandes inégalités de la suriace du globe se 
trouvententre les tropiques. La partie de l’A- 
frique comprise entre ces deux cercles n’est, 
pour aiusi dire, qu'un groupe de montagnes, 
dont les différentes chaînes s’étendent pour la 
plupart d’orient en occident , comme on peut 
s'en assurer en considérant la direction des 
grands fleuves de cette partie de l’Afrique; il 
en est de même de la partie de l'Asie et de 
celle de l'Amérique qui sont comprises entre 
les tropiques , et l’on doit juger de l'inégalité 
et de la surface de ces climats par la quantité 
de hautes montagnes et d’iles qu’on y trouve. 

De la combinaison du mouvement général 
de la mer d’orient en occident, de celui du 
lux et du reflux , de celui que produisent 


6o (THÉO KI 
les couraus , et encore de celui que forment + 
les vents, il a résulté une infinité de différens 
effets tant sur le fond dela mer que sur les 
côtes et les continens. Varenius dit qu’il est 
très-probable que les golfes et les détroits ont 
été formés par l'effort réitéré de l'Océan con 
tre les terres ; que ia mer Méditerranée , les 
golfes d'Arabie, de Bengale et de Cambaye, 
ent été formés par l’irruption des eaux, aussi- 
bien que les détroits entre la Sicileet l'Italie, 
entre Ceylan et l'Inde ; entre la Grèce et 
l'Eubée , et qu’il en est de même du détroit 
des Manilles, de celui de Magellan, et de 
celui de Danemarck ; qu’une preuve des 
irruptions de l’Océan sur les continens , 
qu'une preuve qu’il a abandonné différens 
terrains, c’est qu'on ne trouve que très-peu 
d’iles dans le milieu des grandes mers ; et 
jamais un grand nombre d'iles voisines les 
unes des autres ; que dans l’espace immense 
qu'occupe la mer Pacifique, à peine trouve- 
t-on deux ou trois petites îles vers le milieu ; 
que dans le vaste Océan Atlantique entre l’A- 
frique et le Bresil, on ne trouve quelles pe- 
tites îles de Sainte-Hélène et de l’Ascension ; 
mais que toutes Les îles sont auprès des grands 


R DE LA TERRE. LT 
sontinens , comme les îles de l’Archipel au- 
près du continent de l'Europe et de l'Asie, 
les Canaries auprès de l’Afrique , toutes les 
îles de la mer des Indes auprès du continent 
oriental ; lés îles Antilles auprès de celui de 
l'Amérique , et qu’il n’y a que les Açores qui 
soient fort avancées dans la mer entre l'Eu- 
rope et l'Amérique. 

Les habitans de Ceylan disent que leur ile 
a été séparée de la presqu'ile de l'Inde par 
une irruption de l'Océan, et cette tradition 
populaire est assez vraisemblable. On croit 
aussi que l’ile de Sumatra a été séparée de 
Malaye ; le grand nombre d’écueils et de 
bancs de sable qu'on trouve entre deux, seim- 
blent le prouver. Les Malabares assurent que 
les iles Maldives faisoient partie du continent 
de l'Inde , et en général on peut croire que 
toutes les îles orientales ont été séparées des 
continens par une irruption de l'Océan *. 

Il paroît qu'autrefois l'ile de la Grande- 
Bretagne faisoit partie du continent , et que 
l'Angleterre tenoit à la France : les lits de 


* Voyez V’arenii Geograph. general. pag 203, 
217 et 220. | 


6 


FAR UT PTE ME MEN RSS TRES 
éd … RP O MIE OS 
terre et de pierre, qui sont:les mêmes des 
deux côtés du pas de Calais, le pen de profon+ 
deur de ce détroit, semblent l'indiquer. En 
supposant , dit le docteur Wallis ; comme 
tout paroît l'indiquer , que l'Angleterre com 
muniquoitautrefois à la France parun isthme 
au-dessous de Douvreset de Calais; les grandes 
mers des deux côtés battoient les côtes de cet 
isthme par un flux impétueux, deux fois en 
vingt-quatre heures ; la mer d'Allemagne ;, 
qui est entre l'Angleterre et la Hollande ; 
frappoit cet isthme du côte de l’est, et la 
mer de France, du côté dé l’ouest : cela suffit 
avec le tempspouruseret detruire une langue 
de terre étroite, telle que nous supposons 
qu'étoit autrefois cet isthine. Le flux dela mer 
de France, agissantavec grande violence non 
seulement contre l’isthme, mais aussi contre 
les côtes ce France et d'Angleterre, doit néces- 
sairement, par lemouvement des éaux, avoir 
enlevé une grande quantité desable, deterre, 
de vase , de tous les endroits contre lesquels 
la mer agissoit : mais étant arrêtée dans sou 
courant par cet isthme, elle ne doit pas avoir 
déposé, comme on pourroit le croire, des 
sédimens contre l’isthme : mais elle les aura 


DE LA TERRE. 63 
transportés dans la grande plaine qui forme 
actuellement le marécage de Romne , qui à 
quatorze milles de long sur huit de large : 
ear quiconque a vu cette plaine ne peut pas 
douter qu’elle n’ait été autrefois sous les eaux 
de la mer , puisque dans les hautes marees elle 
seroit encore en partie inoudée sans les digues 
de Dimchurcb. | CNE 

La mer d'Allemagne doit avoir agi de même 
contre l’isthme et contre les côtes d’Angle- 
terre et de Flandre , et elle aura emporté les 
sédimens en Hollande et en Zélande , dont le 
terrain , qui étoit autrefois sous leseaux ,s’est 
élevé de plus de quarante pieds. De l’autre 
côté sur la côte d'Angleterre, la mer d'Alle- : 
magne devoit occuper cette larse vallée où 
coule actuellement la rivière de Sture, à plus 
de vingt milles de distance, àcommencer par 
Sandwich, Cantorbery , Chatam , Chilham; 
jusqu’à Ashford , et peut-être plus loin; le 
terrain est actuellement beaucoup plus élevé 
qu’il ne l’étoit autrefois , puisqu’à Chatam 
on a trouve les os d’un hippopotame enterrés 
à dix-sept pieds de profondeur , des ancres 
de vaisseaux et des coquilles marines. 

Or , il est très-vraisemblable que la mer 


! A 4 


64 THÉ SORIE : 
| peut former de nouveaux terrains en Y ap. ù 

portant les sables, la terre, la vase, etc. ; ar 
nous voyons sous nos yeux que dans l'ile 
d'Orkney, qui est adjacente à la côte maré- 
cageuse de Romne , il y avoitun terrain bas | 
toujoursen danger d’être inondé par larivière | 
Rother : mais, en moins de-soixante ans , la 
mer a élevé ce terrain considérablement en y 
amenant à chaque flux et reflux une quantité 
considérable de terre et de vase; et en même 
temps ellea creusé si fort le canal par où elle 
entre, qu'en moins de cinquante ans la pro- 
fondeur de ce canal est devenue assez grande 
pour recevoir de gros vaisseaux, au lieu qu’au- 
paravant c’étoit un gué où les hommes pou- 
voient passer. 

La même chose est arrivée auprès de la 
côte de Norfolk , et c’est de cette façon que 
s’est formé le banc de sable qui s’étend obli- 
quement depuis la côte de Norfolk vers la 
côte de Zélande ; ce banc est l’endroit où les 
marées de la mer d'Allemagne et de la mer 
de France se rencontrent depuis que l’isthme 
a été rompu, et c’est là que se déposent les 
terres et les sables entrainés des côtes : on 
ne peut pas dire si ayec le temps ce banc de 


DE LA TERRE. 65 
sable ne formera pas un nouvel isthme, etc. *. 
| ya grande apparence , dit Ray , que 

l'ile de la Grande-Bretagne étoit autrefois 
_ jointe à la France, et faisoit partie du conti- 
nent ; on ne sait point si c'est par un trem— 
blement de terre , ou par une irruption de 
l'Océan , ou par le travail des hommes , à 
cause de l’utilité et de la commodité du pas- 
sage , ou par d’autres raisons : mais ce qui 
prouve que cette ile faisoit partie du conti- 
nent , c'est que les rochers et les côtes des 
deux côtés sont de même nature et composées 
des mêmes matières , à la mème hauteur, 
en sorte que l’on trouve le long des côtes de 
 Douvres les même lits de pierre et de craie 
que l’on trouve entre Calais et Boulogne ; la 
longueur de ces rochers le long de ces côtes 
est à très-peu près la même de chaque côte, 
c’est-à-dire , d'environ six milles. Le peu de 
largeur du canal , qui dans cet endroit n’a pas 
plusde vingt-quatre milles anglois de largeur, 
et le peu de profondeur , eu égard à la mer 
voisine, fontcroire que l'Angleterre a etésépa- 
rée de la France par accident. On peutajouter 


* Voyez Trans. philos. abr. vol. IV , page 227. 
; | 


66 THÉ OR PEL 
à ces preuves, qu'il y avoit autrefois des | 
loups et même des ours dans cette île ,iet 
il n’est pas à présumer qu'ils ÿ soient venus 
à la nage, ni que les hommes aient transporté 
ces animaux nuisibles ; ear en général on 
trouve les animaux nuisibles des continens 
dans toutes les iles qui en sont fort voisines, 
et jamais dans celles qui en sont fort éloi- 
guees , comme les Espagnols l'ont observé 
lorsqu'ils sont arrivés en Amérique *. 

Du temps de Henri I ; roi d'Angleterre , 
il arriva une grande inondation dans une 
partie de la Flandre par une irruption de la 
mer ; en 1446, une pareille irruption fit perte 
plus de dix mille personnes sur le territoire 
de Dordrecht , et plus de cent mrlle autour 
de Dullart, en Frise et en Zelande, et il y eut 
dans ces deux provinces plus de deux ou trois 
cents villages de suwbmergés ; on voit encore 
les sommets de leurs tours et les pointes de 
leurs clochers qui s'élèvent un peu au-dessus 
des eaux. | 

Sur les côtes de France , d'Angleterre, de 
Hollande, d'Allémagne , de Prusse , la mez 


* Voyez Raj's Discourses, page 208.” 


DE LATERRE. 67 
s’est éloignée en beaucoup d’endroits. Hubert 
Thomas dit, dans sa description du pays de 
Liége , que la mer environnoit autrefois les 
murailles de la ville de Tongres , qui main- 
tenant en est élorgnée de trente-cinq lieues , 
ce qu’il prouve par plusieurs bonnes raisons; 
et entre autres il dit qu'on voyoit encore de 
son temps les anneaux de fer dans les mu- 
railles auxquelles on attachoit les vaisseaux 
qui y arrivoient. On peut encore regarder 
comme des terres abandonnées par la mer, 
en Angleterre les grands marais de Lincoln 
et l’ile d'Ély , en France la Crau de la Pro- 
vence ; et même la mer s’est éloignée assez 
considérablement à l'embouchure du Rhône 
depuis-l'anne 1665. En Italie, il s’est formé 
de même un terrain considérable à l’embou- 
chure de l’Arne ; et Ravenne, qui autrefois 
étoit un port de mer des exarques , n’est 
plus une ville maritime. Toute la Hollande 
paroit être un terrain nouveau , où la surface 
de la terre est presque de niveau avec le fond 
de la mer , quoique le pays se soit considera- 
blement élevé et s'élève tous les jours par les 
limons et les terres que le Rhin, la Meuse, 
étc. y amènent ; car autrefois on comptoit 


68. THÉ OR 1e 


que le terrain de la Hollande étoit en. plu. k 
sieurs endroits de cinquante pieds plus bas 


que le fond de la mer. 


On prétend qu’en l’année 860, Ja mer 


dans une tempête furieuse , amena vers la 
côte une si grande quantité de sables, qu’ils 
fermèrent l'embouchure du Rhin auprès de 
Catt, et que ce fleuve inonda tout le pays, 
renversa les arbres et les maisons , et se jeta 
dans le lit de la Meuse. En 1421, il y eut 
une autre inondation qui sépara la ville de 
Dordrecht de la terre ferme, submergea 
soixante et douze villages , plusieurs chà- 
teaux , noya cent mille ames , et fit périr 
une infinité de bestiaux. La digue de l’Issel 
se rompit en 1638 par quantité de glaces que 
le Rhin entrainoit, qui, ayant bouché le 
passage de l’eau, firent une ouverture de 
quelques toises à la digue, et une partie de 
la province fut inondée avant qu’on eût pu 
réparer la brèche. En 1682, il y eut une 
pareille inondation dans la province de Zé- 
lande, qui submergea plus de trente villages, 
et causa la perte d’une infinité de monde et 
de bestiaux qui furent surpris la nuit par 


leseaux. Ce fut un bonheur pour laHollande 4 


* 


DE LA TERRE. 69 
que le vent de sud-est gagna sur celui qui lui 
étoit opposé; car la mer étoit si enflée, que 
les eaux étoient de dix-huit pieds plushautes 
que les terres les plus élevées de la province, 
à la réserve des dunes *. | e0 

Dans la province de Kent en Angleterre , 
il y avoit à Hith un port qui s’est comblé, 
malgré tous les soins que l’on.a pris pour 
Fempècher, et malgré la dépense qu’on à 
faite plusieurs fois pour le vider. On y trouve 
une multitude étonnante de galets et de co-— 
quillages apportés par la mer dans l’étendue 
de plusieurs milles, qui s’y sont amoncelés 
autrefois, et qui, de nos jours , ont été re- 
couverts par de la vase et de la terre, sur 
laquelle sont actuellement des pâturages. 
D'autre côté 1l y a des terres fermes que la 
mer, avec le temps, vient à gagner et à cou- 
vrir, comme les terres de Goodwin, qui ap- 
partenoient à un seigneur de ce nom, et qui 
à présent ne sont plus que des sables cou- 
verts par les eaux de la mer. Ainsi la mer 
gagne en plusieurs endroits du terrain , et 


* Voyez les 7’oyages hustoriques de l'Europe, 
tome V, page 0. 


$o THÉORIE à 
en perd dans'd'autres : cela dépend dé Ja 
différente situation des côtes et des. endroits 


où le mouvement des marées s ’arrête, où les 


eaux: transportent d’un endroit à l’autre les 
terres, les sables , les coquilles, etc. ! 

Sur la montagne de Stella en Portugal, 
il y a un lac: dans lequel on a trouvé des 
débris de vaisseaux, quoique cette montagne 
soit eloignée de la mer de plus de douze 
lieues 7, Sabinius , dans $es commentaires 
sur les Métamorphoses d'Ovide, dit qu'il 
paroit, parles monumens del’histoire , qu’en 
l’année 1460 on trouva dans une mine des 
Alpes un vaisseau avec ses ancres. . /: | 

Ce n’est pas seulement en Europe quenous 
trouverons des exemples de ces changemens 
de mer en terre et de terre en mer; les autres 
parties du morïde nous en fourniroient peut- 
être de plus remarquables et en:plus grand 
nombre, si on les avoit bien observées. 

Calicut a été autrefois une ville célèbre et 


“ Voyez Plul. Trans. abrig'd.vol. IV , page 
234. 

2 Voyez la Géographie de Gordon, édiion de 
Londres, 1753, page 149 


TE RE D AR + 


DE LA TERRE 7€ 
la capitale d’un royaume de même nom; ce. 
n'est aujourd'hui qu’une grandé bourgade 
mal bâtie et assez déserte : la mer, qui, 
depuis, un siècle, a beaucoup gagné sur cette 
côte ; & submérgé la meilleure partie de Fan- 
cienne villé ; avec une belle forteresse de 
pierre de taille qui y étoit. Les barques mouile 
lent aujourd'hui sur leurs ruines, et le port 
est rempli d'un grand nombre d’écueils qui 
paroissent dans les basses marées, et sur les= 
quels les vaisseaux font assez souvent nau= 
frage *. 

La province: de Jucatan , péninsule dans 
le golfe du Mexique:, a fait autrefois partie 
de la mer. Cette pièce de terre s’étend dans la 
mer à cent lieues en longueur depuis le conti- 
nent, etn'a pas plus de vingt-cinq lieues dans 
sa plus graude: largeur ; la qualité de l'air 
y est tout-a-fait chaude et humide : :quoi- 
qu'il n’y ait ni ruisseaux ni rivières dans un 
si long espace, l’eau est par-tout si proche, 
et l'on trouve, en ouvrantla terre ,unsi grand 
hombre de coquillages , qu'on est porté à 
regarder cette vaste étendue comme un lieu 
qui a fait autrefois partie de la mer. 


* Voyez Lettres édifiantes, rec. JT, page 187. 


2 THÉORIE 
Les habitans de Malabar prétendent qu’ ani | 
trefois les îles Maldives étoient attachées au : 
continent des Indes, etque la violerice de la | 
mer les en a séparées. Le nombre de ces îles 
est si grand , et quelques uns dés Canaux qui | 
lés séparent sont si étroits, que lésibeauprés . 
des vaisseaux qui-y passent font tomber les 
feuilles des arbres de l’un et de l’autre côté ; 
et en quelques endroits un hommevigoureux 
se tenant à une branche d'arbre, peut sauter 
dans une autre île*. Une preuve que le con- 
tinent des Maldives étoit autrefois une terre 
sèche, ce sont les cocotiers qui sont au fond 
de la mer; il s’en détache souvent des cocos 
qui sont rejetés sur le rivage par la tempête: 
les Indiens en font grand cas, et léur attri- 
buent les mêmes vertus qu’au bézoard: :  . 
On croit qu’autrefois l’île de Ceylan étoit 
unie au continent et en faisoit partie, mais 
que les courans, qui sont extrêmement ra- 
pides en beaucoup d’endroits des Indes , l’ont 
séparée, et en ont fait une ile. On croit la 
même chose à l'égard des îles Rammanakoïel | 


_ 


* Voyez les Foyages des Hollandois'aux T ndes 
ærtentales, page 274 


DE LA TERRE. LE 
et de plusieurs autres *. Ce qu’il y a de cer- 
tain, c’est que l'ile de Ceylan a perdu trente 
ou quarante lieues de terrain du côté du nord- 
ouest, que la mer a gagnées successivement. 

Il paroît que la mer a abandonné depuis 
peu une grande partie des terres avancées et 
des îles de l'Amérique. On vient de voir que 
le terrain de Jucatan n’est composé que de 
coquilles ; il en est de même des basses terres 
de la Martinique et des autres îles Antilles. 
Les habitans ont appelée le fond de leur ter- 
rain /a chaux , parce qu'ils font de la chaux 
avec ces coquilles, dont on trouve Les bancs 
immédiatement au-dessous de la terre végé- 
tale. Nous pouvons rapporter ici ce qui est 
dit dans les Nouveaux Voyages aux iles de 
l'Amérique. « La chaux que l’on trouve par 
«toute la grande terre de la Guadeloupe, 
« quand on fouille dans la terre, est de même 
« espèce que celle que l’on pêche à la mer : 
« il est difficile d’en rendre raison. Seroit-il 
« possible que toute l'étendue du terrain qui 
« compose cette île ne fût, dans les siècles 


* Voyez les Voyages des Hollandois aux Indes 
orsentales, tome VI, page 485, 
Mat, gén, LV: M7 


Y 


74 - : THÉORTE, É 
« passés, qu'un haut fond rempli de plantes è 
« de chaux , qui, ayant beaucoup crû et x. 
«rempli les vides qui étoient entre elles | 
«occupés par l’eau, ont enfin haussé le ter- 
rain et obligé l’eau à se retirer et à laisser 
à sec toute la superficie ? Cette conjecture , 
toute extraordinaire qu’elle paroît d’abord, 
n’a pourtant rien d’impossible, et devien- 
« dra même assez vraisemblable à ceux qui 
« l'examineront sans prévention : car enfin, 
«en suivant le commencement de ma sup- 
« position , ces plantes ayant crû et rempli 
« tout l’espace que l’eau occupoit, se sont 
«enfin étouffées l’une l'autre ; les parties 
supérieures se sont réduites en poussière et 
en terre; les oiseaux y ont laissé tomber les 
« graines de quelques arbres, qui ont germë, 
«et produit ceux que nous y voyons, et la 
«nature y en fait germer d’autres qui ne 
« sont pas d’une espèce commune aux autres 
«endroits, comme les bois marbres et vio- 
«lets. Il ne seroit pas indigne de la curiosité 
des gens qui y demeurent de faire fouiller 
«en différens endroits pour connoître quel 
« en est le sol, jusqu'à quelle profondeur ô6n 
« trouve cette pierre à chaux, en quelle situa- 


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DE LA TERRE. 75 


« tion elle est répandue sous l'épaisseur de 
« la terre, et autres circonstances qui pour- 
« roient ruiner ou fortifier ma conjecture.» 
Il y a quelques terrains qui tantôt sont 
couverts d’eau, et tantôt sont découverts , 
comme plusieurs îles en Norvége, en Écosse, 
aux Maldives, au golfe de Cambaye, etc. 
La mer Baltique a gagné peu à peu une 
grande partie de la Poméranie; elle a couvert 
et ruine le fameux port de Vineta. De même 
la mer de Norvége a formé plusieurs petites 


iles , et s’est avancée dans le continent. La 


mer d'Allemagne s’est avancée en Hollande 
auprès de Catt , en sorte que les ruines d’une 
ancienne citadelle des Romains, qui étoit 
autrefois sur la côte , sont actuellement fort 
avant dans la mer. Les marais de l'ile d'Ely 
en Angleterre, la Crau en Provence, sont 
au contraire, comme nous l’avons dit, des 
terrains que la mer a abandontiés ; les dunes 
ont été formées par des vents de mer qui ont 
jeté sur le rivage et accumulé des terres, des 


sables , des coquillages, etc. Par exemple, 
sur les côtes occidentales de France, d’Es- 


pague et d'Afrique , il règne des vents 
d'ouest durables et violens qui poussent avec 


) 76 THÉORIE | 
_ impétuosité les eaux vers le rivage, sur lé- 1 
quel il s’est formé des dunes dans quelques 
endroits. De même les vents d’est, lorsqu'ils 

durent long-temps, chassent si fort les eaux 
des côtes de la Syrie et de la Phénicie, que 
les chaînes de rochers qui sont couvertsd’eau 

pendant les vents d'ouest, demeurent alors 

à sec. Au reste, les dunes ne sont pas com- 

posées de pierres et de marbres, comme les 

montagnes qui se sont formées dans le fond 

de la mer , parce qu’elles n’ont pas été assez 

long-temps dans l’eau. Nous ferons voir dans 
le Discours sur les minéraux, que la pétrifi- 

cation s'opère au fond de la mer , et que les 

pierres qui se forment dans la terre sont bien 

différentes de celles qui se sont formées dans 

la mer. 

Comme je mettois la dernière main à ce 
traité de la théorie de la Terre, que j'ai com- 
posé en 1744, j'ai reçu de la part de M. Bar- 
rère sa Dissertation sur l’origine des prerres 
figurées, et j'ai été charme de me trouver 
d'accord avec cet habile naturaliste au sujet 
de la formation des dunes , et du séjour que 
la mer a fait autrefois sur la terre que nous 
habitons ; 1l rapporte plusieurs changemens 


DE LA TERRE. 77 
arrivés aux côtes de la mer. Aigues-mortes, 
qui est actuellement à plus d’une lieue et 
demie de la mer , étoit un port du temps de 
saint Louis; Psalmodi étoit une île en 815, 
et aujourd'hui il est dans la terre ferme, à 
plus de deux lieues de la mer : il en est de 
même de Maguelone ; la plus grande partie 
du vignoble d'Agde étoit, il y a quarante 
ans , couverte par les eaux de la mer : et en 
Espagne la mer s’est retirée considérable- 
ment depuis peh de Blanes, de Badalona, 
vers l'embouchure de la rivière Vobregat , 
vers le cap de Tortosa , le long des côtes de 
Valence, etc. 

. La mer peut former des collines et élever. 
des montagnes de plusieurs façons différentes, 
d’abord par des transports de terre, de vase, 
de coquilles , d’un lieu à un autre, soit par 
son mouvement naturel de flux et de reflux, 
soit par l'agitation des eaux causée par les 
vents ; en second lieu par des sédimens, des 
parties impalpables qu’elle aura détachées des 
côtes et de son fond, et qu’elle pourra trans- 
porter et déposer à des distances considé- 
rables ; et enfin par des sables, des coquilles, 


de la vase et des terres que les vents de mer 
7 


] / At 
( 


78 LIVE ORNE 
poussent souvent contre les côtes; ce qui pro 
duit des dunes et des collines que les eaux 
abandonnent peu à peu, et qui deviennent 
des parties du continent : nous en avons un 
exemple dans nos dunes de Flandre et dans . 
celles de Hollande , qui ne sont que des col- 
lines composées de sable et de coquilles que 
des vents de mer ont poussées vers la terre. 

M. Barrère en cite un autre exemple qui m'a 
paru mériter de trouver place ici. « L'eau de 

« la mer, par son mouvement, détache de 

« sou sein une infinité de plantes , de coquil- 
«lages , de vase , de sable, que les vagues 

« poussent continuellement vers les bords, 

« et que les vents impétueux de mer aident à 

« pousser encore. Or tous ces différens corps 


« ajoutés au premier atterrissement, y for- 
« ment plusieurs nouvelles couches ou mon- 
« ceaux qui ne peuvent servir qu’à accroitre 
« le lit de la terre, à l’élever, à former des 
« dunes , des collines, par des sables, des 
« terres, des pierres amoncelées ; en un mot, 
« à éloigner davantage le bassin de la mer, 
« et à former un nouveau continent. 

«IL est visible que des alluvions ou des 
« atterrissemens successifs ont été faits par le 


DE LA TERRE. 79 
« même mécanisme depuis plusieurs siècles , 
« c'est-à-dire, par des dépositions réitérées de 
« différentes matières ; atterrissemens quine 
« sont pas de pure convenance : j en trouve 
« les preuves dans la nature mème, c'est-à- 
« dire, dans différens lits de coquilles fossiles 
« et d’autres productions marines qu'on re- 
« marque dans le Roussillon auprès du village 
«de Naffac, éloigne de la mer d'environ 
« sept ou huit lieues. Ces lits de coquilles 
« qui sont inclines de l’ouest à l’est sous dif- 
« férens angles , sont séparés les uns des 
«autres par des bancs de sable et de terre, 
« tantôt d’un pied et demi, tantôt de deux à 
«trois pieds d'épaisseur ; 1ls sont comme 
« saupoudres de sel lorsque le temps est sec, 
« et forment ensemble des côteaux de la hau- 
« teur de plus de vingt-cinq à trente toises. 
« Or une longue chaîne de côteaux si élevés 
« n’a pu se former qu'à la longue, à diffé- 
« rentes reprises et par la succession des 
« temps ; ce qui pourroit être aussi un effet 
« du déluge et du bouleversement universel 
« qui a dû tout confondre, mais qui cepen— 


« dant n'aura pas donné uue forme réglée à 


a ces différentes couches de coquilles fossiles 


\ 


S UE TION / AA ne à 

80 THÉORIE NE 

« qui auroient dû être assemblées sans aucun 
«ordre. » 


Je pense sur cela comme M. Barrère; seu- 


lement je ne regarde pas les atterrissemens 
comme la seule manière dont les montagnes 
ont été formées , et je crois pouvoir assurer 
au contraire que la plupart des éminences 
que nous voyons à la surface de la terre ont 
été formées dans la mer même, et cela par 
plusieurs raisons qui m'ont toujours paru 
convaincantes : premièrement, parce qu’elles 
ont entre elles cétte correspondance d’angles 
saillans et rentrans qui suppose nécessaire 
ment la cause que nous avons assignée, c’est- 
à-dire le mouvement des courans de la mer; 
en second lieu , parce que les dunes et les 
collines qui se forment des matières que la 
mer amene sur ses bords, ne sont pas compo- 
sées de marbres et de pierres dures comme 
les collines ordinaires : les coquilles n'y 
sont ordinairement que fossiles , au lieu que 
dans les autres montagnes la pétrification 
estentière; d'ailleurs les bancs de coquilles, 
les couches de terre ne sont pas aussi hori- 
zontales dans les dunes que dans les collines 
composées de marbre et de pierre dure : ces 


DELA FERRE Gc 
bancs y sont plus ou moins inclinés, comme 
dans les collines de Naffac, au lieu que dans 
les collines et dans les montagnes qui se sont 
formées sous les eaux par les sédimens de la 
mer, les couches sont toujours parallèles et 
trés-souvent horizontales ; les matières y sont 
peétrifiées aussi-bien que les coquilles. J’es- 
père faire voir que les marbres et les autres 
matières calcinables, qui presque toutes sont 
composées de madrépores, d’astroïtes et de 
coquilles, ont acquis au fond de la mer le 
degré de dureté et de perfection que nous 
leur connoissons : au contraire les tufs, les 
pierres molles et toutes les matières pier- 
reuses, comme les incrustations , les stalac- 
tites , etc. qui sont aussi calcinables , et qui 
se sont formées dans la terre depuis que 
notre continent est découvert ,; ne peuvent 
acquérir ce degré de dureté et de pétrifica- 
tion des marbres ou des pierres dures. 

On peut voir dans l’Æstoire de l’aca- 
démie, année 1707 , les observations de 
M. Saulmon au sujet des galets qu'on trouve 
dans plusieurs endroits. Ces galets sont des 
cailloux ronds et plats, et toujours fort polis, 
gne la mer pousse sur les côtes. À Bayeux ei 


82 THÉ O RE, 

à Brutel, qui est à une lieue de la mer, on * 
trouve du galet en creusant des caves ou des 
puits ; les montagnes de Bonneuil, de Broie , À 
et du Quesnoy, qui sont à environ dix-huit 
lieues de la mer, sont toutes couvertes de 
galets : il y en a aussi dans la vallée de 
Clermont en Beauvoisis. M. Saulmon rap- 
porte encore qu'un trou de seize pieds de 
profondeur , percé directement et horizon- 
talement dans la falaise du Tréport, qui est 
toute de moellon, a disparu en trente ans, 
c'est-à-dire que la mer a miné dans la falaise 
cette épaisseur de seize pieds. En supposant 
qu’elle avance toujours également, elle mi- 
neroit mille toises ou une petite demi-lieue 

de moellon en douze mille ans. 

Les mouvemens de la mer sont donc les 
principales causes des changemens qui sont 
arrivés et qui arrivent sur la surface du globe : 
mais cette cause n’est pas unique ; ilyena 
beaucoup d’autres moins considérables qui 
contribuent à ces changemens : les eaux cou- 
rantes, les fleuves, les ruisseaux, la fonte 
des neiges, les torrens , les gelées , etc. ont 
changé considérablement la surface de la 
terre ; Les pluies ont diminué la hauteur des: 


DE LAOTERRE." , 85 
montagnes; les rivières et les ruisseaux ont 
élevé les plaines ; les fleuves ont rempli la 
mer à leur embouchure; la fonte des neiges 
et les torrens ont creusé des ravines dans les 
gorges et dans les vallons ; les gelées ont fait 
fendre Les rochers et les ont détachés des mon- 
tagnes. Nous pourrions citer une infinité 
d'exemples des différens changemens que 
toutes ces causes ont occasionnés. Varenius 
dit que les fleuves transportent dans la mer 
_ une grande quantité de terre qu’ils déposent 
à plus ou moins de distance des côtes, en 
raison de leur rapidité ; ces terres tombent 
au fond de la mer, et y forment d’abord de 
petits bancs , qui, s’augmentant tous les 
jours, font des écueils, et enfin forment des 
îles qui deviennent fertiles et habitées : c’est 
ainsi que se sont formées les îles du Nil, 
celles du fleuve Saint-Laurent, l’ile de Lan- 
da située à la côte d'Afrique près de l’em- 
bouchure du fleuve Coanza, les îles de Nor- 
vége , etc. !. On peut y ajouter l’ile de Tong- 
ming à la Chine, qui s’est formée peu à peu 
des terres que le fleuve de Nanquin entraine 


* Voyez V'arenii Geogr. general. page 214. 


04 THÉORIE 


et dépose à son embouchure. Cette ile est fort k 
considérable ; elle a plus de vingt lieues de 


longueur sur cinq ou six de largeur *. 

Le P6 , le Trento, l’Athésis, et les autres 
rivières de l'Italie, amènentune grande quan- 
tité de terres dans les lagunes de Venise, sur- 
tout dans le temps des inondations, en sorte 


que peu à peu elles se remplissent : elles sont 


déja sèches en plusieurs endroits dans le 
temps du reflux, et il n’y a plus que les 
canaux que l’on entretient avec une grande 
dépense qui aient un peu de profondeur. 

À l'embouchure du Nil, à celle du Gange 
et de l’Inde, à celle de la rivière de la Plata 
au Bresil, à celle de la rivière de Nanquin 
à la Chine, ef à l'embouchure de plusieurs 
autres fleuves, on trouve des terres et des 


sables accumulés. La Loubère, dans son- 


l'oyage de Siam , dit que les bancs de sable 


et de terre augmentent tous les jours à l’em- 


bouchure des grandes rivières de l’Asie par 
les limons et les sédimens qu'elles y appor- 


tent, en sorte que la navigation de ces ri- . 
vières devient tous les jours plus difficile , et . 


* Voyez Lettres édifiantes, rec. XI, page 2344 


DE LA TERRE. 85 
deviendra un jour impossible. On peut dire 
la même chose des grandes rivières de l'Eu- 
rope, et sur-tout du Wolga , qui a plus de 
soixante-dix embouchures dans la mer Cas- 
pienne; du Danube, qui en a e dans la 
mer Noire, etc. 

Comme il pleut très-rarement en Égypte, 
l’inondation régulière du Nil vient des tor- 
rens qui y tombent dans l'Éthiopie ; il charie 
une très-grande quantité de limon : et ce 
fleuve a non seulement apporté sur le terrain 
de l'Éeypte plusieurs milliers de couches 
annuelles , mais même il a jeté bien avant 
dans la mer les fondemens d’une alluvion 
qui pourra former avec le temps un nouveau 
pays ; car on trouve avec la sonde, à plus 
de vingt lieues de distance de la côte, le li- 
mon du Nil au fond de la mer, qui rues 
mente tous les ans. La basse Égypte, où est 
maintenant le Delta , n’étoit autrefois qu'un 
golfe de la mer *. Homère nous dit que l’ile 
de ue étoit éloignée de l'Égypte d’un ; jour 


* Voyez Diodore de Sicile, liv. IIT; Aristote, 
li. I des Météores, chap. XIV ; Hérodote, parage 
EV, V;,ctc. 

| 8 


36 PRÉ CPR ON 
et d’une nuit de chemin, et l’on sait qu'au- 
jourd’hui elle est presque contiguë. Le sol 
en Égypte n’a pas la même profondeur de . 
bon terrain par-tout; plus on approche de 
la mer , et moins il y a de profondeur : près 
des bords du Nil il y a quelquefois trentepieds 
et davantage de profondeur de bonne terre , 
tandis qu’à l'extrémité de l’inondation il n’y 
a pas sept pouces. Toutes les villes de la 
basse Egypte ont été bâties sur des levées et 
sur des éminences faites à la main !. La 
ville de Damiette est aujourd’hui éloignée 
de la mer de plus de dix milles; et du temps 
de saint Louis, en 1243, c’étoit un port de 
mer. La ville de Fooah , qui étoit, il y a trois 
cents ans , à l'embouchure de la branche ca- 
nopique du Nil, en est présentement à plus 
de sept milles de distance : depuis quarante 
ans la mer s’est retirée d’une demi-lieue de 
devant Roseite, etc. ?. 

Îlest aussi arrivé des changemens à l’embou- 
chure de tous les grandsfleuves de l'Amérique, 


4 Voyez le J’oyage de M. Shaw, vol. IT, pag. 
185 et 186. 


2 Jbhid. pages 173 et 168. 


DE LA TERRE. ‘|. 64 
et même de ceux qui ont été découverts nou- 
vellement. Le P. Charlevoix, en parlant du 
fleuve Mississipi, dit qu'à l'embouchure de 
ce fleuve , au-dessous de la nouvelle Orléans, 
le terrain forme une pointe de terre qui ne 
paroit pas fort ancienne, car pour peu qu’on 
y creuse, on trouve de l’eau; et que la quan- 
tite de petites îles qu'on a vues se former nou- 
vellement à toutes les embouchures de ce 
fleuve, ne laissent aucun doute que cette 
langue de terre ne soit formée de la même 
manière. [1 paroît certain, dit-il , que quand 
M. de la Salle descendit * Le Mississipi jusqu'à 
la mer, l'embouchure de ce fleuve n’etoit 
pas telle qu'on la voit aujourd'hui. 

Plus on approche de la mer, ajoute-t-il, 
, plus cela devient sensible; la barre n’a presque 
point d'eau dans la plupart des petites issues 
que lefleuve s’est ouvertes, et qui ne se sontsi 
fort multipliées que par le moyen des arbres 
qui y sont entrainés par le courant, et dont 
un seul arrêté par ses branches ou par ses 
racines dans un endroit où il y a peu de pro- 
fondeur, en arrête mille. J’en ai vu, dit-il, ) 

* Il y a des géographes qui prétendent que M. de 
la Salle n’a jamais descendu le Mississipi. 


88 * THÉORIE Fi NE 


à deux cents lieues d’ici !, des amas dont un 


seul auroit rempli tous Les chantiers de Paris: 
rien alors n’est capable de les détacher; le 
limon que charie le fleuve leur sert de ciment 
et les couvre peu à peu; chaque inondation 
en laisse une nouvelle couche, et après dix 
ans au plus les lianes et les arbrisseaux com- 
mencent à y croître: c’est ainsi que se soné . 
formées la plupart des pointes et des îles qui 
font si souvent changer de cours au fleuve ?. 
Cependant tous les changemens que les 
fleuves occasionnent, sont assez lents, et ne 
peuvent devenir considérables qu'au bout 
d'une longue suite d'années : mais il est ar- 
rive des changemens brusques et subits par 
les inondations et les tremblemens de terre. 
Les anciens prêtres égyptiens, six cents ans 
avantla naissance de Jesus-Christ, assuroient, 
au rapportde Platon dans le Tirnée,qu'autre- 
fois il y avoit une grande ile auprès des çco- 
lonnes d'Hercule, plus ere quel'Asie et la 
Libye prises ensemble, qu’on appeloit Atian- 


1 De la nouvelle Orléans. 
3 Voyez les J’oyages du P. Charleboix, tome 
III, page 440. 


= 


DE LA TERRE. 69 
ide; que cette grande ilefut inondée et abimée 
sous les eaux de la mer après un grand trem- 
 blementde terre. Traditur Atheniensis civitas 
restitisse olim innumeris hosliurmn copiis quæ, 
ex Atlantico mariprofectæ,propè jam cunctam 
Europam Asiamque obsederunt. Tunc enim 
erat fretumm illud navigabile, habens in ore et 
quasi vestibulo ejus insulam quas Herculis 
Columnas cognominant : ferturque insula 
illa Liby& simul et Asi& major fuisse, per 
quam ad alias proximas insulas patebaf adi- 
1us, atque ex insulis ad omnem Continentem 
è conspectu jacentermn vero mari vicinarn. Sed 
éntra os ipsum portus angusio sinu fuisse tra- 
ditur. Pelagus illud verum mare, terra quoque : 
illa verè erat continens, etc. Post hœc ingenri 
fcrræ molu Jugique diei unius et noctis illu- 
vione factum est, ut terra dehiscens omnes 
illos bellicosos absorberet, et Atlantis insula 
sub vasto gurgite mergeretur.(Plato ir Tinæo:) 
Cette ancienne tradition n’est pas absolu- 
ment contre toute vraisemblance : les terres 
qui ont été absorbées par les eaux, sont peut. 
être celles qui joignoient l'Irlande aux Açores, 
et celles-ci au continent de l'Amérique; car 


on trouve en Irlande les mêmes fossiles, les 
8 


90 THEORIE : 


mêmes coquillages et les mêmes productions 


marines que l’on trouve en Amérique, dont 
quelques unes sont différentes de celles qu’on 
trouve dans le reste de l'Europe, 


Eusèbe rapporte deux témoignages au sujet | 


des déluges , dont l’un est de Melon, qui dit 
que la Syrie avoit été autrefois inondée dans 
toutes les plaines ; l’autre est d'Abydenus, 
qui dit que du temps du roi Sisithrus il y 
eut un grand déluge qui avoit été prédit par 

Saturne. Plutarque de solertia animalium ; : 
Ovide et les autres mythologistes parlent du 
deluge de Deucalion, qui s’est fait, dit-on, 
en Thessalie , environ sept cents ans après 
le déluge universel. On prétend aussi qu'il y 
en a eu un plus ancien dans l’Attique, du 
temps d’Ogygès , environ deux cent trente 
ans avant celui de Deucalion. Dans l’année 
1092 il y eut un déluge en Syrie qui noya 
une infinité d'hommes !. En 1164 il y en eut 
un si considérable dans la Frise, que toutes 
les côtes maritimes furent submergées avec 
plusieurs milliers d'hommes ?. En 1218 il y 


1 Voyez Alfred, CAron. chap. XXV. 
2 Voyez Kraok , liv, V, chap. 4. 


Êe) 


DE LA TERRE. gr 
eut une autre inondation qui fit périr près 
decent mille hommes, aussi-bien qu’en 1550. 
Ily a plusieurs autres exemples de ces grandes 
inondations , comme celle de 1604 en Angle- 
terre , etc. 

Une troisième cause de changement sur la 
surface du globe sont les vents impétueux. 
Non seulement ils forment des dunes et des 
collines sur les bords de la mer et dans le 
milieu des continens , mais souvent ils arrê- 
tent et font rebrousser les rivières ; ils chan-— 
gent la direction des fleuves; ils enlèvent les 
terres cultivées , les arbres; ils renversent les : 
maisons ; ils inondent , pour ainsi dire, des 
pays tout entiers. Nous avons un exemple de 
ces inondations de sable en France , sur les 
côtes de Bretagne : l'Histoire de l'académie. 
année 1722, en fait mention dans les termes 
suivans. | 

« Aux environs de Saint-Paul de Léon en 
« basse Bretagne , il y a sur la mer un can- 
« ton qui avant l’an 1666 étoit habité et ne 
« l’est plus à cause d’un sable qui le couvre 
« jusqu’à une hauteur de plus de vingt pieds, 
« et qui d'année en année s’avance et gagne 
« du terrain. À compter de l'époque marquée, 


ge AN A l'E 
92 r. TL ÉO EDEN 4 
«ila gagné plus de six lieues, et il n'est plus 
« qu’à une demi-lieue de Saint-Paul, de sorte 
« que, selon les apparences , il faudra aban— 
« donner cette ville. Dans le pays submergé 
« on voit encore quelques pointes de clochers 
«et quelques cheminées qui sortent de cette 
« mer de sable ; les habitans des villages en- 
«terres ont eu du moins le loisir de quitter 
« leurs maisons pour aller mendier *. 
« C’est le vent d'est ou du nord qui avance 
« cette calamite : ilélève ce sable qui est très- 
« fin, et le porte en si grande quantité etavec 
« tant de vitesse , que M. Deslandes , à qui 
« l'académie doit cette observation , dit qu'en 
« se promenant en ce pays-là pendant que le 
« vent chariot , 1l étoit obligé de secouer de 
« temps en temps son chapeau et son habit, 
« parce qu'il les seutoit appesantis. De plus, 
« quand ce vent est violent, il jette ce sable 
« par-dessus un petit bras de mer jusque dans 
« Roscof, petit port assez fréquenté par les 
« vaisseaux étrangers ; le sable s'élève dans 
«les rues de cette bourgade jusqu'à deux 
« pieds , et on l’enlève par charretées. On 


* Page”. 


DE LA TERRE. "33 
« peut remarquer en passant, qu’il y a dans 
« ce sable beaucoup de parties ferrugineuses, 
« quise reconnoissent au couteau aimante. 
« L'endroit de la côte qui fournit tout ce 
« sable , estune plage qui s'étend depuis Saint- 
« Paul jusque vers Plouescat , c’est-à-dire 
«un peu plus de quatre lieues , et qui est 
« presque au niveau de la mer lorsqu'elle est 
« pleine. La disposition des lieux est telle, 
.« qu'il n'y a que le vent d'est, ou de nord-est, 
« qui ait la direction nécessaire pour porterle 
« sable dans les terres. Il est aisé de concevoir 
« LEE EN le sable porté et accumulé par le 
« vent en un endroit, est repris ensuite par 
« le même vent et porté plus loin , etqu’ainsi 
«le sable peut avancer en submergeant le 
«pays , tant que la minière qui le fournit 
« en fournira de nouveau ; car sans cela le 
« sable , en avançant, diminueroit toujours de 
« hauteur , et cesseroit de faire du ravage. 
« Or il n’est que trop possible que la mer 
« jette ou dépose long-temps de nouveau sable 
« dans cette plage d’où le vent l’enlève : il est 
« vrai qu'il faut qu’il soit toujours aussi fin 
« pour être aisément enlevé. 


« Le désastre est nouveau , parce que la 


04 THÉORIE 
« plage qui fournit le sable , n’en avoit pas 
«encore une assez grande quantité pour s'é— 
« lever au-dessus de la surface de la mer,ou 
« peut-être parce que la mer n’a abandonné 
« cet endroit et ne l’a laissé découvert que 
« depuis un temps : elle a eu quelque mou- 
« vement sur cette côte ; elle vient présente- 
« ment dans le flux une demi-lieue en deçà 
« de certaines roches qu'elle ne passoit pas 
« autrefois. 

« Ce malheureux canton inondé d’une fa- 
« çon si singulière justifie ce que les anciens 
« et les modernes rapportent des tempêtes de 
« sable excitées en Afrique, qui ont fait périr 
« des villes, et mème des armées. » 

M. Shaw nous dit que les ports de Laodicée 
et de Jébilée , de Tortose , de Rowadse , de 
Tripoli, de Tyr, d'Acre, de Jaffa , sont tous 
remplis et comblés des sables qui ont été 
chariés par les grandes vagues qu'on a sur 
cette côte de la Méditerranée lorsque le vent 
d'ouest souffle avec violence *. 

IL est inutile de donner un plus grand nom- 
bre d'exemples des altérations qui arrivent 


* Voyez les Voyages de Shaw, vol. IT. 


DE LA TERRE. 95 
sur la terre ; le feu, l’air et l’eau y produisent 
des changemens continuels , et qui devien- 
nent très-considérables avec le temps : non 
seulement il y a des causes générales dont les 
effets sont périodiques et réglés, par lesquels 
la mer prend successivement la place de la 
terre et abandonne la sienne ; mais il y a 
une grande quantité de causes particulières 
qui contribuent à ces changemens , et qui 
produisent des bouleversemens, des inonda- 
tions , des affaissemens : et la surface de la 
terre, qui est ce que nous connoissons de plus. 
solide , est sujette, comme tout le reste de la 
nature , à des vicissitudes perpeétuelles. 


À.D. DE. TT: ON 
A L'ARTICLE PRÉCÉDENT. 


Av sujet des changemens de mer en terre, 
on verra, en parcourant les côtes de France, 
qu'une partie de la Bretagne , de la Picardie, 
de la Flandre et de la basse Normandie, ont 
été abandonnées par la mer assez récemment, 
puisqu'on y trouve des amas d’huîtres et 


96 THÉORIE 

d’autres coquilles fossiles dans le même état 
qu’on les tire aujourd’hui.de la mer voisine: | 
Il est très-certain que la mer perdsur les côtes. 
de Dunkerque : on en a l'expérience depuis 
un siècle. Lorsqu'on construisit les jetées de 
ce port en 1670, le fort de Bonne-Espérance, 
qui terminoit une de ces jetées, fut bâti sur 
pilotis, bien au-delà de la laisse de la basse 
mer ; actuellement la plage s’est avancée au- 
delà de ce fort de près de trois cents toises. 
En 1714, lorsqu'on creusa le nouveau port 
de Mardik , on avoit également porte les 
jetées jusqu'au - delà de la laisse de la basse 
mer ; présentement il se trouve au-delà une. 
plage de plus de cinq cents toises à sec à 
marée basse. Si la mer continue à perdre, 
insensiblement Dunkerque, comme Aigues- 
mortes, ne sera plus un port de mer, et cela 
pourra arriver dans quelques siècles. La mer 
ayant perdu si considérablement de notre 
connoissance , combien n'a-t-elle pas dü per- 
dre depuis que le monde existe! 

Il suffit de jeter les yeux sur la Saintonge 
maritime , pour être persuadé qu'elle a été 
ensevelie sous Les eaux. L’Océan, qui la cou- 
vroit, ayant abandonnéces terres, la Charente 


LA 


UIDE LA TERRE. 97 
lé suivit à mesure qu'il faisoit retraite, et for- 
ma dès lors une rivière dans les lieux mêmes 
où elle n’étoit auparavant qu'un grand lac ou 
un marais. Le pays d’Aunis a autrefois été 
submergé par la mer et par les eaux sta- 
gnantes des marais : c’est une des terres les 
plus nouvelles de la France ; il y a lieu de 
croire que ce terrain n'étoit encore qu'un 
marais vers la fin du quatorzième siècle. 

Il paroît donc que l'Océan a baissé de plu- 
sieurs pieds, depuis quelques siècles, sur 
toutes nos côtes : et si l’on examine celles de 
la Méditerranée depuis le Roussillon jusqu’en 
Provence, on reconnoîtra que cette mer a fait 
aussi retraite à peu près dans la même pro- 
portion ; ce qui semble prouver que toutes 
les côtes d'Espagne et de Portugal se sont, 
comme celles de France, étendues en circon- 
férence. On a fait la mème remarque en 
Suède, où quelques physiciens ont prétendu, 
d’après leurs observations, que dans quatre 
mille ans, à dater de ce jour, la Baltique, 
dont la profondeur n’est guère que de trente 
brasses, sera une terre découverte et aban- 
donnée par les eaux. 

Si l’on faisoit de semblables observations 

9 


98 THÉORIE DE LA TERRE. 


dans tous les pays du monde, je suis pèr- 
suadé qu'on trouveroit généralement que la 


mer se retire de toutes parts. Les mêmes 
causes qui ont produit sa première retraite et 
son abaissement successif, ne sont pas abso— 
lument anéanties ; la mer étoit dans le com 
mencement élevée de plus de deux mille 
toises au-dessus de son niveau actuel : les 
grandes boursouïlures de la surface du globe, 
qui se sont ecroulées les premières, ont fait 
baisser les eaux, d’abord rapidement ; ensuite, 
à mesure quê d’autres cavernes moins consi- 
dérables se sont affaissées, la mer se sera pro- 
portionnellement déprimée; et, comme il 
existe encore un assez grand nombre de cavi- 
tés qui ne sont pas écroulées, et que de temps 
en temps cet effet doit arriver, soit par l’ac- 
tion des volcans, soit par la seule force de 
l'eau, soit par l’effort des tremblemens de 


terre, il me semble qu’on peut prédire, sans 


craindre de se tromper, que les mers se reti- 
reront de plus en plus avec le temps, en 
s’abaissant encore au-dessous de leur niveau 
actuel, et que par conséquent l'étendue des 
continens terrestres ne fera qu'augmenter 
avec les siècles. 


PON'C'L Ù ST ON 


Ir paroît certain par les preuves que nous 
avons données (art. VII et VIII), quelescon- 
tinens terrestres ont été autrefois couverts 
par les eaux de la mer;il paroit tout aussi 
certain (art. XII) que le flux et le reflux, et 
les autres mouvemens des eaux, détachent con- 
tinuellement des côtes et du fond de la mer, 
des matières de toute espèce, et des coquilles 
qui se déposent ensuite quelque part, et 
tombent au fond de l’eau comme des sédi- 
mens, et que c'est là l’origine des couches 
parallèles et horizontales qu'on trouve par- 
tout. Il paroiît (art. IX) que les inégalités du 
globe n'ont pas d'autre cause que celle du 
mouvement des eaux de la mer, et que les 
montagnes ont été produites par l’amas suc- 
cessif et l’entassement des sédimens dont 
nous parlons, qui ont forme les différens lits 
dont elles sont composées. Il est évident que 
les courans qui ont suivi d’abord la direction 


AQ 


100 THE ORAN | 
de ces inégalités, leur ont donné ensuite à | 
toutes la figure qu’elles conservent encore 
aujourd'hui (art. XIIT), c’est-à-dire, cette 
correspondance alternative des angles sail- 
lans toujours opposés aux angles rentrans. Il 
paroît de même (art. VII et XVIIT) que la 
plus grande partie des matières que la mer a 
détachées de son fond et de ses côtes, étoient 
en poussière lorsqu'elles se sont précipitées 
en forme de sédimens, et que cette poussière 
impalpable a rempli l’intérieur des coquilles 
absolument et parfaitement, lorsque ces ma- 
tières se sont trouvées ou de la nature même 
des coquilles, ou d’une autre nature analogue. 
Il est certain (art. XVIT) que les couches hori- 
-Zontales qui ont été produites successivement 
par le sédiment des eaux, et qui étoient d’a- 
bord dans un état de mollesse, ont acquis de 
la dureté à mesure qu’elles se sont desséchées, 


et que ce desséchement a produit des fentes 
perpendiculaires qui traversent les couches 
horizontales. 

Il n'est pas possible de douter, après avoir 
vu les faits qui sont rapportés dans les articles 


X, XI, XIV, XV, XVI, XVIE, XVIII et XIX, 


{ 

DE LA TERRE. TOT 
qu'il ne soit arrivé une iutinité de reévolu- 
tions , de bouleversemens, de changemens 
particuliers et d’altérations sur la surface de 
la terre, tant par le mouvement naturel des 
eaux de la mer, que par l’action des pluies, 
des gelées, des eaux courantes, des vents, 
des feux souterrains, des tremblemens de 
terre, des inondations, etc. et que par consé- 
quent la mer n'ait pu prendre successive- 
ment la place de la terre, sur-tout dans les 
premiers temps après la création , où les ma- 
tières terrestres étoient beaucoup plus molies 
qu’elles ne le sont aujourd’hui. 11 faut cepen- 
dant avouer que nous ne pouvons juger que 
très-imparfaitement de la succession. des 
révolutions naturelles; que nous jugeons en- 
core moins de la suite des accidens, des 
changemens et des altérations; que le défaut 
des monumens historiques nous prive de la 
counoissance des faits : 1l nous manque de 
l'expérience et du temps; nous ne faisons 
pas réflexion que ce temps qui nous manque, 
ne manque point à la nature ; nous voulons 
rapporter à l'instant de notre existence les 


siècles passés et les âges à venir, sans consi- 
9 


dans 


Br ns des faits +. Fois 


INTRODUCTION 
k | 


L'HISTOIRE DES MINERAU X. 


\ 


DES ÉLÉMENS. 


PREMIÈRE PARTIE. 


De la lumière, de la chaleur et du feu. 


L>s puissances de la nature, autant qu’elles 
nous sont connues , peuventse réduire à deux 
. forces primitives, celle qui cause la pesanteur, . 
et celle qui produit la chaleur. La force d’im- 
. pulsion leur est subordonnée; elle dépend de 
la première pour ses effets particuliers, et 
tient à‘la seconde pour l'effet général. Comme 


RU is à f | su ei 1 x nie 
104 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


l'impulsion ne peut s'exercer qu’ au Jovyca | 
du ressort, et que le ressort n agit qu ‘en vertu : 


de la force qui rapproche les parties éloi- 
gnées , il est clair que l'impulsion a besoin, 
pour opérer, du concours de l'attraction : car 
si la matière cessoit de s’attirer, si Les corps 
perdoient leur cohérence, tout ressort ne 
seroit-il pas détruit, toute communication 
de mouvement interceptée , toute impulsion 
nulle, puisque, dans le fait !, le mouvement 
ne se communique et ne peut se transmettre 
d’un corps à un autre que par l’élasticité ; 
qu'enfin on peut démontrer qu’un corps par- 
faitement dur, c’est-à-dire absolument in- 
flexible, seroit en même temps absolument 


immobile et tout-à-fait incapable de recevoir 


l’action d’un autre corps ?? 


1 Pour une plus grande intelligence, je prie mes 
lecteurs de voir la seconde partie de l’article de cet 
ouvrage, qui a pour titre : De la nature, seconde 
DULEe 

2 La communication du mouvement a toujours 
été regardée comme une vérité d'expérience, .et les 
plus grands mathématiciens se sont contentés d’en 
calculer les résultats dans les différentes circons- 
tances, et nous ont donné sur cela des règles et des 


LR 
\ 


PREMIÈRE PARTIE roi 
L’attraction étant un effet général, cons- 
lant et permanent, l'impulsion, qui, dansla 
plupart des corps, est particulière, et n’est 
ni constante ni permanente, en dépend donc 


formules, où ils ont employé beaucoup d'art: mais 
personne, ce me semble, na jusqu'ici considéré la 
nature intime du mouvement, et n’a tâché de se 
représenter et de présenter aux autres la manière phy- 
sique dont le mouvement se transmet et passe d’un 
corps à un autre corps. On a prétendu que les corps 
durs pouvoient le recevoir comme les corps à ressort ; 
et sur cette hypothèse dénuée de preuves, on a fondé 
des propositions et des calculs dont on a tiré une 
infinité de fausses conséquences : car les corps suppo- 
sés durs et parfaitement inflexibles ne pourroient 
récevoir le mouvement. Pour le prouver, soit un elobe 
parfaitement dur, c'est-à-dire inflexible dans touies 
ses partes; chacune de ces parties ne pourra par 
conséquent être rapprochée ou éloignée de la partie 
voisine , säns quoi cela seroit contre la supposition': 
donc, dans un globe parfaitement dur, les parties 
ne peuvent recevoir aucun déplacement, aucun chan- 
sement, aucune action; car si elles recevoient une 
action, elles auroïent une réaction, les corps ne pou- 
vant réagir qu’en agissant. Puis di que toutes les. 
parties prises séparément ne peuvent recevoir aucune 
action , elles ne peuvent en communiquer; la partie 
postérieure , qui est frappée la première, ne pourra 


106 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
comme un effet particulier dépend d’un effet 
général; car au contraire , Si toute impulsion 
étoit détruite, l’attraction subsisteroit et n’en 
agiroit pas moins, tandis que celle-ci venant 


pas communiquer le mouvement à Ja partie anté- 
rieure, puisque cette partie postérieure, qui à élé l 
supposée inflexible, ne peut pas changer , eu égard 
aux autres pariles: CRE il seroit impossible de com- 
muniquer aucun mouvement à un corps inflexible: 
Mis l’expérience nous apprend qu'on communique 

le mouvement à tous les corps : donc tous les corps 
sont à ressort; donc il n y a point de corps parfai- 
tement durs et mflexibles dans la nature. Un de mes 
anus (M. Gueneau de Montbeillard) , homme dan. 
excellent esprit, m'a écrit à ce sujet dans les termes 
suivans : « De la supposition de l’immobilité absolue 
« des corps absolument durs, 1l suit qu'il ne faudroit 

a peut-êt re qu'un pied cube de cette mattre pour 

« arrêter tout le mouvement de l’univers connu : et 

« si cette immobilité absolue étoit prouvée, 11 semble 

« que ce n'est point assez de dire qu’il n'existe point 

« de ces corps dans la nature, et qu’on peutlestraiter 

« d'impossibles, et dire que la supposition de leur 

« existence est absurde ; car le mouvement prove 
« nant du ressort leur ayant été refusé, ils ne peu 

« vent dès lors être capables du mouvement prove 

« nant de l'attraction , qui est, par Phypothèse, la 

« cause du ressort, » 


\ 


‘PREMIÈRE PARTIE  ro7 
à cesser, l’autre seroit non seulement sans 
exercice, mais même sans existence : C’est 


donc cette différence essentielle qui subor- 


donne l'impulsion à l'attraction dans toute 
matière brute et purement passive. | 

Mais cette impulsion, qui ne peut nis’exer- 
cer ni se transmettre daus les corps bruts 
qu'au moyen du ressort, c'est-à-dire, du 
secours de la force d'attraction, dépend en- 
core plus immediatement, plus séneralement, 
de la force qui produit la chaleur : car c’est 
principalement par le moyen de la chaleur 
que l'impulsion pénètre dans les corps orga- 
nises ; c’est par la chaleur qu'ils se forment, 
croissent et se développent. On peut rapporter 
à l'attraction seule tous les effets de la ma- 
tière brute, et à cettemème force d'attraction, 
jointe à celle de la chaleur, tous les phéno- 
mèênes de la matière vive. 

J'entends par matière vive, non seulement 
tous les êtres qui vivent ou vegètent, mais 
encore toutes les molécules organiques vi- 
vantes, dispersées et repandues dans les dé- 
trimens ou résidus des corps organisés : je 
comprends encore dans la matière vive celle 
de la lumière, du feu, de la chaleur ; eu un 


_108 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
mot, toute matière qui nous paroit être ac 
tive par elle-même. Or cette matière vive 
tend toujours du centre à la circonférence, 
au lieu que la matière brute tend au con- 
traire de la circonférence au centre; c’est une 
force expansive qui anime la matière vive, 
et c’est une force attractive à laquelle obéit 
la matière brute : quoique les directions de 
ces deux forces soient diamétralement oppo- 
sées, l’action de chacune ne s’en exerce pas 

moins; elles se balancent sans jamais se dé- 
truire, et de la combinaison de ces deux forces 
également actives résultent tous les PRRTE 
mènes de l’univers. 

Mais, dira-t-on, vous réduisez toutes les 
puissances de la nature à deux forces, l’une 
attractive et l’autre expansive, sans donner 
la cause ni de l’une ni de l’autre, et vous 
subordonnez à toutes deux l'impulsion, qui 
est la seule force dont la cause nous soit con- 
nue et démontrée par Le rapport de nos sens : 
n'est-ce pas abandonner une idée claire, 
et y substituer deux hypothèses obscures ? 

. À cela je réponds que, ne connoissant rien V1] 
que par comparaison, nous n’aurons jamais 
d’idée de ce qui produit un effet général, parce 


PREMIÈRE PARTIE: 109 
que cet effet appartenant à tout, on ne peut 
dès lors le comparer à rien. Demander quelle 
est la cause de la force attractive, c’est exiger 
qu’on nous dise la raison pourquoi toute la 
matière s’attire : or ne nous sufit-il pas de 
savoir que réellement tonte la matière s’attire, 
et n'est-il pas aisé de concevoir que cet effet 
étant général, nous n’avons nul moyen dele 
comparer, et par conséquent nulle espérance 
d’en connoître jamais la cause ou la raison? Si 
l'effet , au contraire, étoit particulier comme 
celui de l'attraction de l’aimant et du fer, on 
doit espérer d'en trouver la cause, parce 
qu’on peut le comparer à d’autres effets par- 
ticuliers , ou le ramener à l’effet général. Ceux 
qui exigent qu'on leur donne la raison d’un 
effet général, ne connoissent ni l'étendue de 
la nature ni les limites de l'esprit humain:, 
demander pourquoi la matière est étendue, 
pesante, impénétrable, sont moins des ques- 
tions que des propos mal conçus , etauxquels 
on ne doit aucune réponse. Îl en est de même 
de toute propriété particulière lorsqu'elle 
est essentielle à la chose : demander, par 
exemple , pourquoi le rouge est rouge, seroit 
uxe interrogation puérile, à laquelle on ne 

Mat. gén, 1V. 10 


110 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


doit pas répondre. Le philosophetest tout prés … 
de l’enfant lorsqu'il fait de semblables de- | 


mandes; et autant on peut les pardonner à 
la curiosité non réfléchie du dernier, autant 


Je premier doit les rejeter et les exclure de 


ses idées. 


Puis donc que da force d'attraction et la 


force d'expansion sont deux effets généraux, 
on ne doit pas nous en demander les causes; 
xl suffit qu'ils soient généraux et tous deux 
réels, tous deux bien constatés, pour que 


nous devions les prendre eux-mêmes pour 


causes des effets particuliers; et l'impulsion 
est un de ces effets qu’on ne doit pas regarder 


comme une cause générale connue ou dé- 


montrée par le rapport de nos sens, puisque 
nous avous prouvé que cette force d’impul- 
sion ne peut exister ni agir qu'au moyen de 
l'attraction qui ne tombe point sous nos sens. 
Rien n’est plus évident , disent certains phi- 
loscphes, que la communication du mouve- 
ment par l'impulsion; il suffit qu’un corps 
en choque un autre pour que cet effet suive: 
mais, dans ce sens même, la cause de l’at- 
traction n'est-elle pas encore plus évidente et 


bien plus générale, puisqu'ilsufht d'abandon | 


L" 


PREMIÈRE PARTIE rrr 
ner un corps pour qu il tombe et prenne du 
mouvement sans choc? le mouvement appar- 
tient donc, dans tous les cas, encore plus à 
l'attraction qu’à l'impulsion. | 

Cette première réduction étant faite, ilseroit 
peut-être possible d’en faire une seconde, et 
de ramener la puissance même de l'expansion 
à celle de l'attraction, en sorte que toutes les 
forces de la matière dépendroient d’une seule 
force primitive : du moins cette idée me pa- 
roitroit bien digne de la sublime simplicité 
du plan sur lequel opère la nature. Or ne 
pouvons-nous pas concevoir que cette attrac= 
tion se change en répulsion toutes les fois 
que les corps s'approchent d’assez près pour 
éprouver un frottement ou un choc des uus 
contre les autres? L’impénétrabilité, qu’on 
ne doit pas regarder comme une force, mais : 
comme une résistance essentielle à la matière, 
ne permettant pas que deux corps puissent 
occuper le même espace, que doit-il arriver 
lorsque deux molécules, qui s’attirent d’au- 
tant plus puissamment qu'elles s’approchent 
de plus près, viennent tout-à-coup à se heur- 
ter? cette résistance invincible de l’impéné- 
irabilité ne devient-elle pas alors une force 


312 MINÉRAUX.. Leo 


active, ou. plutôt réactive, qui, dans le con— 1 
iact , repousse les corps avéc autant de vitesse M 
qu'ils en avoient acquis-au moment! de se 


toucher? et dès lors la force expansive ne 
sera point une force particulière opposée à 
la force attractive, mais un effet qui en de- 
rive, et qui se manifeste toutes les fois que 


les corps se choquent ou frottent les uns 


contre les autres. 

J'avoue qu'il faut supposer dans chaque 
molécule de matière, dans chaque atome 
quelconque, un ressort parfait, pour conce- 
voir clairement comment s’opère ce change- 
ment de l'attraction en répulsion ; mais cela 
même nous est assez indiqué par les faits : 
plus la matière s’atténue, et plus elle prend 
de ressort; la terre et l’eau, qui en sont. les 
agrégats les plus grossiers, ont moins de 


ressort que l'air; et le feu, qui est le plus. 


subtil des élémens, est aussi celui qui a le 
plus de force expansive. Les plus petites mo- 
lécules de la matière, les plus petits atomes 
que nous connoissions sont ceux de la Iu- 
mière; et l’on sait qu’ils sont parfaitement 
élastiques, puisque l'angle sous lequel la 
lumière se refléchit est toujours égal à celua 


PREMIÈRE PARTIE 13 
sous lequel elle arrive : nous pouvons donc 
en inférer que toutes les parties constitutives 


_ de la matière en général sont à ressort par- 


fait, et que ce ressort produit tous les effets 
de la force expansive, toutes les fois que les 
corps se heurtent ou se frottent en se ren- 
contrant dans des directions opposées. 
L'expérience me paroit parfaitement d’ac- 
cord avec ces idées : nous ne connoissons 
d’autres moyens de produire du feu que par 
le choc ou le frottement des corps; car le 


- feu que nous produisons par la reunion des 


rayons de la lumière, ou par l’application 
du feu déja produit.à des matières combus- 
tibles, n’a-t-il pas néanmoins la même ori- 
gine à laquelle il faudra toujours remonter, 
puisqu'en supposant l’homme sans miroirs 
ardens et sans feu actuel , 1l n’aura d’autres 
moyens de produire le feu qu’en frottant ou 
choquant des corps solides les uns contre les 
autres *? 


* Le feu que produit quelquefois la fermentation 
des herbes entassées, celui quise mamifeste dans les 
effervescences, ne sont pas une exception qu’on puisse 


m'opposer, puisque cette production du feu par là 
10 


FAGTEA FOOT 


SES 
st4 MINERAUX. INTRODUCTION , REC 
La force expansive pourroit donc nt \ 
n'être, dans le réel, que la réaction de la M 
force attractive; réaction qui s opère toutes 
les fois que les molécules primitives de l& 
matière, toujours attirées les unes par les 
autres, arrivent à son toucher immeédiate- 
ment: car dès lors il est nécessaire qu’elles 1 
soient repoussées avec autant de vitesse 
qu’elles en avoient acquis en direction con- | 
traire au moment du contact *; et lorsque ces 


fermentation et par l’effervescence dépend, comme 
tout autre, de l’action ou du choc des parties de la 
matière les unes contre les autres. 


* Il est certain , me dira-t-on, que les molécules 
rejailliront après le contact, parce que leur vitesse à 
ce point, et qui leur est rendue par le ressort, est 
la somme des vitesses acquises dans tous les momens 
précédens par l'effet continuel de l'attraction , et 
par conséquent doit l’emrporter sur l'effort instantané 
de l'attraction dans le seul moment du contact. Mais 
ne sera-t-elle pas continuellement retardée, et enfin 
* détruite, lorsqu'il y aura équilibre entre la somme 
des efforts de l’attraction avant le contact, et la 
somme des efforts de l'attraction après le contact ? 
Comme cette question pourroit faire naître des doutes 
ou laisser quelques nuages sur cet objet, qui par 
Jui-même est difficile à saisir, je vais tâcher d'y 


e 


De 


« 
PREMIÈRE PARTIE #15 
= molécules sont absolument libres de toute 
_ cohérence, et qu’elles n’obéissent qu’au seul 
mouvement produit par leur attraction, cette 
_ vitesse acquise est immense dans le point du 
contact. La chaleur, la lumière, le feu, qui 
sont les grands effets de la force expansive, 
_seront produits toutes les fois qu’artificielle- 
ment ou naturellement les corps seront divi- 
sés en parties très-petites, et qu’ils se ren— 
contreront dans des directions opposées; et 


satisfaire en m'expliquant encore plus clairement. 
Je suppose deux molécules, ou, pour rendre l’image 
plus sensible, deux grosses masses de matière , telles 
que la Lune et la Terre, toutes deux. douées d’un 
ressort parfait dans toutes les parties de leur inté« 
rieur : qu'arriveroit-1l à ces deux masses isolées de 
toute autre malière, si tout leur mouvement pro- 
gressif toit tout-à-coup arrêté, et qu'il ne restât à 
chacune d'elles que leur force d’attraction réci- 
proque? Ilest clair que, dans cette supposition, la 
Luneet la Terre se précipiteroient l’une vers l’autre, 
avec une vitesse qui augmenteroit à chaque moment 
dans la même raison que diminueroit le quarré de 
leur distance. Les vitesses acquises seront donc 
immenses au point de contact, ou, si l’on veut, au 
-moment de leur choc; et dès lors ces deux corps, 
que nous avons supposés à ressort parfait, et libres 


Ds 


_xr6. MINÉRAUX. INTRODUC: ION, 7 
la chaleur sera d'autant plus sensible , a. lie 1 À 


mière d'autant plus vive, le feu d’ autantplas à 
violent, que les molécules se seront précipi- 


tées les unes contre les autres avec plus de 
vitesse par leur force d'attraction mutuelle. 


de tous autres empêchemens, c’est-à-dire, entière- 
ment isolés, rejailliront chacun, et s'éloigneront 
lun de l’autre dans la direction opposée, et avec la 
mème vitesse qu'ils avolent acquise au point du 

contact ; vitesse qui, quoique dhninuée contimuelle- 
ment par leur attraction réciproque (ne laisseroit 
pas de les porter d’abord au même lieu d où 1ls sont 
partis, mais encore infiniment plusloin, parce que 
la retardation du mouvement est 1ci en ordre inverse 
de celui de accélération, et que la vitesse acquise 
au point du choc étant immense , les efforts de l’at- 
traction ne pourront la réduire à zéro qu’à une dis- 
tance dont le quarré seroit également immense ; en 
sorte que si le contact étoit absolu , et que la dis- 
tance des deux corps qui se choquent, fût absolu- 
ment nulle , 1ls s’éloigneroient l'un de l’autre jusqu’à 
une distance infinie: et c'est à peu près ce que nous 
voyons arriver à la lumière et au feu dans le mo- 
ment de l'inflammation des matières combustibles ; 
car, dans l’instant/même , elles lancent leur lumière 
à une très-grande distance, quoique les particules 
qui se sont converties en lumière fussent auparavant 
très-voisines les unes des autres. 


- 


\ 


PREMIÈRE PARTIE. 117 
De là on doit conclure que toute matière 
peut devenir lumière, chaleur, feu; qu'il 
suffit que les molécules d’une substance quel- 
conque se trouvent dans une situation de 
liberté, c'est-à-dire, dans un état de division 
assez grande et de séparation telle, qu’elles 
puissent obéir sans obstacle à toute la force 
qui les attire les unes vers les autres; car, 
dès qu’elles se rencontreront , elles réagiront 
les unes contre les autres, et se fuiront en 
s’éloignant avec autant de vitesse qu’elles en 
avoient acquis au moment du contact , qu'on 
doit regarder comme un vrai choc, puisque 
deux molécules qui s’attirent mutuellement, 
ne peuvent se rencontrer qu’en direction con 
traire.- Ainsi la lümière, la chaleur et le feu 
ne sont pas des matières particulières, des 
matières différentes de toute autre matière : 
ce n'est toujours que la même matière qui 
n’a subi d'autre altération , d'autre modifica- 
tion, qu’une grande division de parties, et 
une direction de mouvement en sens con- 
traire par l'effet du choc et de la réaction. 
Ce qui prouve assez évidemment que cette 
matière du feu et de la lumière n’est pas une 
substance différente de toute autre matière, 


| 
… (ax8 MINÉRAUX. INTRODUCTION, à 
c'est qu’elle conserve toutes les qualités: 1) | 
sentielles, et même la plupart des attributs \i | 
de la matière commune. 1°. La lumière, 
quoique composée de particules presque in- 
finiment petites, est néanmoins encore divi- 
sible, puisqu’avec le prisme on sépare les 
uns des autres les rayons, ou, pour parler. 
plus clairement, les atomes différemment 
colorés. 2°. La lumière, quoique douée en ap- 
parence d’une qualité toute opposée à celle 
de la pesanteur, c’est-à-dire, d’une volatilité 
qu'on croiroit lui être essentielle, est néan- 
moins pesante comme toute autre matière, 
puisqu'elle iléchit toutes les fois qu’elle passe 
auprès des autres corps et qu’elle se trouve 
à portée de leur sphère d’attraction; je dois 
même dire qu'elle est fort pesante, relative- 
ment à son volume qui est d’une petitesse 
extrême, puisque la vitesse immense avec 
laquelle la lumière se meut en ligne directe, 
ne l'empêche pas d’éprouver assez d’attrac- 
tion près des autres corps, pour que sa di- 
rection s'incline et change d’une manière 
très-sensible à nos yeux. 3°. La substance de 
la lumière n’est pas plus simple que celle de 
toute autre matière, puisqu'elle est composée 


N 


PREMIÈRE PARTIE. 11) 


de parties d’ inégale pesanteur, que le rayon 
rouge est beaucoup plus pesant que le rayon 
violet, et qu'entre ces deux ‘extrêmes elle 
contient une infinité de rayons interme- 
diaires, qui approchent plus ou moins de la 
pesanteur du rayon rouge où de la légereté 
du rayon violet : toutes ces conséquences 
dérivent nécessairement des phénomènes de 
l'inflexion de la lumière, et desa réfraction*, 
qui, dans le réel, n'est qu'une inflexion qui 
s’opère lorsque la lumière passe à travers les 


* L’attraction umiverselle agit sur la lumière ; il 


ne faut, pour s’en convaincre, qu'examiner les cas 
extrèmes de la réfraction: lorsqu'un rayon de lu- 
mière passe à travers un crystal sous un certain 


angle d'obliquité, la direction change tout-à-coup , 


et, au lieu de continuer sa route, 1l rentre dans le 
crystal et se réfléchit. Si la lumière passe du verre 
dans le vide, toute: la force de cette puissance 
s'exerce, et le rayon est contraint de rentrer et 
rentre dans le verre par un effet de son attraction 
que rien ne balance; si la lumière passe du crystal 
dans l'air, En . du crystal, plus forte que 
celle de l'air, la ramène encore, mais avec moins de 
force, parce que cette attraction du verre/esten par- 
üe détruite par celle de l'air qui agit en sens COn- 
traire sur le rayon de lumière; si ce rayon passe 


/. 


r20 TRE AU | INTRODUCTION, 
corps transparens. 4°. On peut. démontrér 
que la lumière est massive, et qu’elle agit , "4 
dans quelque cas, comme agissent tous les À 
autres corps: car, indépendamment de son | 
effet ordinaire, qui est de briller à nos yeux, 
et de son action propre, toujours accompa- 
gnée d'éclat et souvent de chaleur, elle agit 
par sa masse lorsqu'on la condense en la réu- » 
nissant, et elle agitau point de mettre en mou- 
vement des corps assez pesans placésau foyer 
d'un bon miroir ardent: elle fait tourner : 


du crystal dans l’eau, l'effetest bien moins sensible, 
le rayon rentre à peine, parce que l’attraction du 
crystal est presque toute détruite par celle de l’eau, 
qui s’oppose à son action ; enfin , silalumière passe 
du crystal dans le crystal, comme les deux attrac- 
tions sont égales, l'effet s évanouit et le rayon con 
tinue sà route. D’autres expériences démontrent que 
cette puissance attractive, ou cette force réfringente, 
est toujours à très-peu près proportionnelle à la 
densité des inatières transparentes, à l'exception 
des corps onciueux et sulfureux, dont la force ré- 
fringente est plus grande, parce que la lumière.a 
"M d'analogie, plus de rapport de nalure avec | 
les matières inflammables qu'avec les autres ma- 
tières. 


Mais s’il restoit quelque doute sur cette attraction: 


\ 


PREMIÈRE PARTIE. 121 
une aiguille sur un pivot placé à son foyer; 
elle pousse, deplace et chasse les feuilles d’or 
ou d'argent qu'on lui présente avant de les 
fondre. et même avant de les échauffer sen- 
siblement. Cette action produite par sa masse 
est la première et précède celle de la chaleur; 
elle s'opère entre la lumière condensée et les 
feuilles de métal, de la même façon qu’elle 
s’opèreentre deux autres corps qui deviennent 
contigus, et par conséquent la lumière a 
encore cette propriété commune avec toute 


de la lumière vers les corps , qu’on jette les yeux sur 
les inflexions que souffre un rayon lorsqu'il passe 
fort près de la surface d’un corps : un trail de lu- 
bière ne peut entrer par un très-petit trou dans 
une chambre obscure , sans être puissamment attiré 
vers les bords du trou ; ce petit faisceau de rayons 
se divise, chaque rayon voisin de la circonférence+ 
du trou se ‘phe vers cette circonférence , et cette 
inflexion produit des franges colorées, des apparences 
constantes, qui sont l’effet.de l'attraction de la Ju- 
mière vers les corps voisins. Îl en est de même des 
rayons qui passent entre deux lames de couteaux: 
es uns se phient vers la lame supérieure, les autres 
vers la lame inférieure ; il v’y a que ceux du milieu 
qui, souffrant une égale attraction des deux côtés, 
ne sont pas détournés, et suivent leur direction. 


11 


122 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
autre matière. 5°, Enfin on sera forcé de con: 


venir que la lumière est un mixte, c'està 
dire , une matière composée , comme la ma+ 4 
tière commune, non seulement de parties 
plus grosses et plus petites , plus ou moins 
pesantes , plus ou moiris mobiles, mais en- 


core différemment figurées. Quiconque aura 
réfléchi sur les phénomènes que Newton ap- 


pelle /es accès de facile réflexion et de facile 


transmission de la: lumière jet sur les effets 
de la double réfraction du crystal de roclre et 
du spath appelé crystal d'Islande, ne pourra 
s ‘empêcher de reconnoître que les atomes de 
la lumière ont plusieurs côtés , plusieurs faces 
différentes , qui, selon qu'elles se présentent, 
produisent constamment des effets différens*. 
En voilà plus qu ‘il n’en faut pour Detrpe 
gi Chaque rayon de lbière a deux côtés opposés, 
doués origmairement d’une propriété d’où dépend la 
réfraction extraordinaire du crystal, et deux autres 
cûtés opposés, qui n'ôntpas cette propriété. (Optique 
de Newton, question XXFWT, traduction de Coste.) 
Cette propriété dont parle ici Newton , ne peut dé- 
pendre que de l’étendue ou de la figure de chacun 
des côtés des rayons, c’est-à-dire, des atomes de 
lumière. Voyez cet article en eutier dans Newton. 


PREMIÈRE PARTIE 123 
trer que la linière n’est pas une matière 
particulière ni différente de la matière com- 
mune; que son essence est la mème, ses pro- 
_priétés essentielles les mêmes ; qu’enfin elle 
n’en diffère que parce qu'elle a subi dans le 
point du contact la répulsion d’où provient 
sa volatilité. Et de la même mauière que l’ef- 
fet de la force d'attraction s’étend à l'infini, 
toujours en décroissant comme l'espace aug- 
mente , les effets de la répulsion s'étendent 
et décroissent de même, mais en ordre in- 
verse; en sorte que l’on peut appliquer à la 
force expansive tout ce que l’on sait de la 
force attractive: ce sont pour la nature deux 
instrumens de mème espèce, ou plutôt ce 
n'est que le même instrument qu'elle manie 
dans deux sens opposés. 

Toute matière deviendra lumière dès que 
toute cohérence étant détruite , elle se trou— 
vera divisée en molécules suffisamment pe- 
tites, et que ces molécules etant en liberté, 
seront déterminées par leur attraction mu-— 
tuelle à se précipiter les unes contreles autres : 
dans l'instant du choc, la force répulsive 


._ s’exercera , les molécules se fuiront en tout 


seusavec une vitesse presque infinie, laquelle 


LI 


224 MINÉRAUX. INTRODUCTION, - 
néanmoins n’est qu'égale à leurvîtesse acquise ï 
au moment du contact; car la loi de l'attrac-:- 
tion étant d'augmenter commel’espacedimi- 
nue , il est évident qu’au contact l’espace, 
toujours proportionnel au quarré de la dis- 
tance, devient nul, et que par conséquent la 
vitesse acquise en vertu de l’attraction doit 
à ce point devenir presque infinie. Cette vi- 
tesse seroit mème infinie si le contact étoit 
immediat, et par couséquent la distance 
entre les deux corps absolument nulle: mais, . 
comme nous l'avons souvent répété, iln'ya 
rien d’absolu , rien de parfait dans la nature, 
et de même rien d’absolument grand, rien 
d’absolument petit, rien d’entièrement nul, 
rien de vraiment infini; et tout ce que j'ai dit 
de la petitesse z2/finie des atomes qui consti-, 
tuent la lumière, de leur ressort parfait, de 
la distance z4/le dans le moment du contact, 
ne doit s’entendre qu'avec restriction. Si l’on 
pouvoit douter de cette vérité métaphysique, 
il seroit possible d’en donner une cemons- 
tration physique, sans même nous écarter 
de notre sujet. Tout le monde sait que la 
lumière emploie environ sept minutes et 
demie de temps à venir du soleil jusqu'à nous. 


: PREMIÈRE PARTIE. 125 
Supposant donc le soleil à trente-six millions 
de lieues, la lumière parcourt cette énorme 
distance en sept minutes et demie, ou, ce 
qui revient au même (supposant son mou- 
vement uniforme), quatre-vingt mille lieues 
en une seconde. Cette vitesse, quoique pro- 
digieuse , est néanmoins bien éloignée d’être 
infinie , puisqu'elle est déterminable par les 
nombres ; elle cessera nième de paroître pro- 
digieuse lorsqu'on réfléchira que la nature 
semble marcher en grand presque aussi vite 
qu’en petit : il ne faut pour cela que suppu- 
ter la celérité du mouvement des comètes à 
leur périhélie, ou mème celle des planètes 
qui se meuvent le plus rapidement, et l’on 
verra que la vitesse de ces masses immenses, 
quoique moindre , se peut néanmoins com 
parer d'assez près avec celle de nos atomes de 
lumière. 

Et de mème que toute mätière peut se con- 
vertir en lumière par la division et la répul- 
sion de ses parties excessivement divisées, 
lorsqu'elles éprouvent un choc des unescontre 
les autres , la lumière peut aussi se convertir 
en toute autre matière par l'addition de ses 


propres parties, accumulées par l'attraction 
. 11 


» 


( 1e SION 
_126 MINÉRAUX. INTRODUCTION , 
des autres corps. Nous verrons FE la si 
que tous les élémens sont convertibles; et si 
l'on a douté que la lumière, qui paroît être 
l'élément le plus simple, püût se convertir en 


substance solide , c’est que , d’une part, on 


n’a pas fait assez d'attention à tous les phé— 
nomènes, et que, d'autre part, on étoit dans 
le préjugé qu'étant essentiellement volatile, 
elle ne pouvoit jamais devenir fixe. Mais 
n'avons-nous pas prouvé que la fixite et la 
volatilité dependent de la même force attrac- 
tive dans le premier cas, devenue répulsive 
dans le second ? et dès lors ne sommes-nous 
pas fondés à croire que ce changement de la 
matière fixe en lumière , et de la lumière en 
matière fixe , est une des plus fréquentes opé- 
rations de la nature ? 

Après avoir montré que l'impulsion de 
pend de l'attraction , que la force expansive 
est la même que la force attractive devenue 
négative, que la lumière, et à plus forte 
raison la chaleur et le feu, ne sont que des 
manières d'être de la matière commune, 


qu’il n'existe en un mot qu'une seule force 


et une seule matière toujours prête à s’atti- 
rer ou à se repousser suivant les circons- 


D 


PREMIÈRE PARTIE. 127 
tances, recherchons comment, avec ce seul 
ressort et ce seul sujet, la nature peut varier 
ses œuvres à l'infini. Nous mettrons de la 
méthode dans cette recherche ; et nous en 
présenterons les résultats avec plus de clarté 
en nous abstenant de comparer d’abord les 
objets les plus éloignés, les plus opposés, 
comme le feu et l’eau, l’air et la terre, et 
en nous conduisant au contraire par les 
mêmes degrés, par lesmèmes nuances douces 
que suit la nature dans toutes ses démarches. 
Comparons donc les choses les plus voisines, 
et tâchons d'en saisir les differences, c’est- 
a-dire les particularités, et dé les présenter 
avec encore plus d’évidence que leurs sénéra- 
lités. Dans le point de vue général, la lu- 
mière, la chaleur et le feu, ne font qu'un 
seul objet; mais, dans le point de vue parti- 
culier, ce sont trois objets distincts, trois 
choses qui , quoique se ressemblant par un 
grand nombre de propriétés, diffèrent néan- 
moins par un petit nombre d’autres proprié- 
tés assez essentielles pour qu'on puisse les 
regarder comme trois choses différentes, et 
qu'on doive les comparer une à une. 

Quelles sont d’abord les propriétés com 


À 2 LV ME VOUS x 
+ …. à Ÿ } Fr 
En SA LL 


:28 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


DA À 


munes de la lumière et du feu ? quelles sont | 
aussi leurs propriétés différentes ? La lumière, 


dit-on, et le feu élémentaire, ne sont qu'une 
même chose , une seule substance. Cela peut 
étre ; mais comme nous n'avons pas encore 
d'idée nette du feu élémentaire , abstenons- 


nous de prononcer sur ce premier point. La 


lumière et le feu , tels que nous les connois- 
sons, ne sont-ils pas au contraire deux choses 
différentes , deux substances distinctes et 
composées différemment ? Le feu est, à la 
vérité, très-souvent lumineux; mais quelque- 
fois aussi le feu existe sans aucune appa- 
rence de lumière : le feu , soit lumineux , 
soit obscur, n'existe jamais sans une grande 


chaleur, tandis que la lumière brillesouvent 


avec éclat sans la moindre chaleur sensible. 
La lumière paroit être l’ouvrage de la nature; 
le feu n’est que le produit de l’industrie de 
l'homme : la lumière subsiste, pour ainsi 
dire, par elle-même, et se trouve répandue 
dans les espaces immenses de l'univers en- 
tier ; le feu ne peut subsister qu'avec des 
alimens , et ne se trouve qu'en quelques 
points de l’espace où l’homme le conserve, 
et dans quelques endroits de la profondeur 


ss 


dk, 
M 
"1 
? 


PREMIÈRE PARTIE. 7129 


de la terre, où il se trouve également entre- 
tenu par des alimens convenables. La lu- 

mière, à la vérité, lorsqu'elle est condenseée, 
réunie par l’art de l’homme, peut produire 
du feu ; mais ce n’est qu'autant qu’elle tombe 
sur des matières combustibles. La lumière 
n'est donc tout au plus, et dans ce seul cas, 
que le principe du feu, et non pas le feu : ce 


principe même n'est pas immédiat ; il en 


suppose un intermédiaire, et c’est celui de la 
chaleur, qui paroît tenir encore de plus près 
que la lumière à l'essence du feu. Or la cha- 
leur existe tout aussi souvent sans lumière 
que la lumière existe sans chaleur : ces deux 


principes ne paroissent donc pas nécessaire— 
ment liés ensemble ; leurs effets ne sont ni 


simultanés , ni contemporains, puisque dans 
de certaines circonstances on sent de la cha- 
leur long-temps ‘avant que la lumière pa- 
roisse , et que dans d’autres circonstances 
on voit de la lumière long-temps avant de 
sentir de la chaleur , et même sans en sentir 
aucune. 

Dès lors la chaleur n’est-elle pas une autre 
manière d’être, une modification de la ma- 
tière, qui diffère, à la vérité, moins que toute 


néanmoins considérer à part, et qu’on de- 


vroit concevoir encore plus aisément ? car la 


facilité plus ou moins grande que nous avons 
à concevoir les opérations différentes de la 


nature dépend de celle que nous avons d'y 


appliquer nos sens. Lorsqu'un effet de la 
nature tombe sous deux de nos sens , la vue 
et le toucher, nous croyons en avoir une 
pleine connoissance; un effet qui n’affecte 
que l’un ou l’autre de ces deux sens nous 
paroît plus difficile à connoître, et, dans ce 
cas, la facilité ou la difficulté d’en juger dé- 
pend du degré de supériorité qui se trouve 
entre nos sens. La lumière, que nous n’ap-+ 
percevons que par le sens de la vue ( sens le 
plus fautif et le plus incomplet), ne devroit 
pas nous être aussi bien connue que la cha- 
leur, qui frappe le toucher , et affecte par 
conséquent le plus sûr de nos sens. Cepen- 
dant il faut avouer qu'avec cet avantage on a 
fait beaucoup moins de découvertes sur la 
nature de la chaleur que sur celle de la Iu- 
mière , soit que l’homme saisisse mieux ce 


qu'il voit que ce qu'il sent, soit que la Iu— 


mière se présentant ordinairement comme 


 e 


” N 


| 

PREMIÈRE PARTIE. 13 

une substance distincte et différente de toutes 
les autres , elle a paru digne d’une considé- 
ration particulière; au lieu que la chaleur, 
dont l'effet est plus obscur , se présentant 
comme un objet moins isolé, moins simple, 
n'a pas été regardée comme une substance 
distincte , mais comme un attribut de la 
lumière et du feu. ‘} | 
Quand mème cette opinion, qui fait de la 
chaleur un pur attribut, une simple qualité, 
se trouveroit fondée ,1l seroit toujours utile de 
considérer la chaleur en elle-même et par 
les effets qu’elle produit toute seule, c’est- 
à-dire, lorsqu'elle nous paroît indépendante 
de la lumière et du feu. La première chose 
qui me frappe , et. .qui me paroit bien digne 
de remarque, c'est que le siége de la chaleur 
est tout différent de celui de la lumière : 
celle-ci occupe et parcourt les espaces vides 
de l’univers ; la chaleur, au contraire , se 
trouve généralement répandue dans toute la 
matière solide. Le globe de la terre , et toutes 
les matières dont il estcomposé, ont un degré 
de chaleur bien plus considérable qu’on ne 
pourroit l'imaginer. L'eau a son degré de 
chaleur qu elle ne perd qu’en changeant son 


132 MINÉRAUX. INTRODUCTION , j 
état, c' 'est-à-dire, en perdant sa fluidité: FE air 
a aussi sa chaleur, que nous appelonssatem- | 
pérature , qui varie beaucoup, mais qu'il ne 

perd jamais en entier, puisque son ressort 

subsiste même dans le plus grand froid. Le 

feu a aussi ses différens degrés de chaleur , 

qui paroissent moins dépendre de sa nature 

propre que de celle des alimens qui lenour- 

rissent. Ainsi toute la matière connue est 

chaude ; et dès lors la chaleur est une affec- 

tion bien plus générale que celle de la lu- 

mière. 

La chaleur pénètre tous les corps qui lui 
sont exposés, et cela sans aucune exception, 
tandis qu'il n’y-a que les corps transparens 
qui laissent passer la lumière, et qu’elle est 
arrètée et en partie repoussée par tous les 
corps opaques. La chaleur semble donc agir 
d'une manière bien plus générale et plus 
palpable que n’agit la lumière ; et quoiqu'e 
les molécules de la chaleur soient excessive 
ment petites , puisqu'elles pénètrent les corps + 
les plus compactes , il me semble néanmoins 
que l’on peut démontrer qu'elles sont bien 
plus grosses que celles de la lumière : car om 
fait de la chaleur avec la lumiëre en la réu- 


PREMIÈRE PARTIE. 133 
nissant en grande quantité. D'ailleurs la 
chaleur agissant sur le sens du toucher, il 
est nécessaire que son action soit proportion- 
née à la grossièreté de ce sens, comme la 
délicatesse des organes de la vue paroît l’être 
à l'extrême finesse des parties de la lumière: 
celles-ci se meuvent avec la plus grande vi- 
tesse, agissent dans l'instant à des distances 
immenses, tandis que celles de la chaleur 
n’ont qu'un mouvement progressifassez lent, 
qui ne paroît s'étendre qu’à de petits inter- 
valles du corps dont elles émanent. 

Le principe de toute chaleur paroît être 
l'attrition des corps : tout frottement, c’est 
à-dire tout mouvement en sens contraire 
entre des matières solides , produit de la 
chaleur ; et si ce même effet n’arrive pas dans 
les fluides , c’est parce que leurs parties ne 
se touchent pas d'assez près pour pouvoir 
être frottées les unes contre les autres, eë 
qu'ayant peu d’adherence entre elles, leur 
résistance au choc des autres corps est trop 
foible pour que la chaleur puisse naître ow 
se manifester à un degré sensible : mais, 
dans ce cas, on voit souvent de la lumière | 
produite par ce frottement d’un iluide sans 

12 


/ 


x34 MINÉRAUX.. INTRODUCTION , 
sentir de la chaleur. Tous les corps, ‘soit oh | 
petit ou en grand volume, s'échauffent a 
qu'ils se rencontrent en sens contraire: la 
chaleur est donc-produite par le mouvement 
de toute matière palpable et d'un volume 
quelconque: au lieu que la production dé la 
lumière, qui se fait aussi par le mouvement 
en sens contraire, suppose de plus la divi- 
sion de la matière en parties très-petites ;ét 
comme cette opération de la nature esi la 
mème pour la production de la chaleur et 
celle de la lumière, que c’est le mouvement 
en sens contraire, la rencontre des corps, 
qui produisent l’un et l’autre , on doit en 
conclure que les atomes de la lumière sont 
solides par eux-mêmes, et qu’ils sont chauds 
au moment de leur naissance : maison me 
peut pas également assurer qu’ils conservent 
leur chaleur au même degré que‘leur lu- 
mière, ni qu ils ne cessent pas d’être chauds 
avant de cesser d’être lumineux. Des expeé- 
riences familières paroissent indiquer que la 
chaleur de la lumière du soleil augmente 
en passant à travers une glace plane,:quoi- 
que la quantité de la lumière soit diminuée 
considérablement par la réflexion qui se fait 


CI'PREMIÈRE PARTIE. ‘ 195 


à la surface extérieure de la glace, et que la 
matière même du verre en retienne une cer- 
_taine quantité. D’autres expériences plus re. 


cherchées * semblent prouver que la lumière 


\ 


augmente de chaleur à mesure qu’elle tra- 
verse une plus grande épaisseur de notre 
atmosphère. 


* Un habile physicien (M. de Saussure, citoyen 
de Genève) a bien voulu me communiquer le résul- 
tat des expériences qu’il 4 faites dans les montagnes ; 
sur la différente chaleur des rayons du soleil, et je 
vais rapporter ici ses propres expressions. « J'ai fait 
« faire, en mars 1767, cinq caisses rectangulaires de 
« verre blanc de Bohème, chacune desquelles est la 
« moitié d’un cube coupé parallélement à sa base: 
« la première a un pied de largeur en tout sens, sur 
« six pouces de hauteur; la seconde, dix pouces sur 
« Cinq ; et ainsi de suite, jusqu’à la cinquième, qui 
« a deux pouces sur un. Toutes ces caisses sont ou- 
« vertes par le bas , et s'emboîtent les unes dans les 
« autres sur une table fort épaisse, de bois de poi- 
« rler noïrc1, à laquelle elles sont fixées. J’emploie 
« sept thermomètres à cette expérience : l’un suspen- 
« du en l’air et parfaitement isolé à côté des boîtes, et 
« à la même distance du sol; un autre posé sur la 
« caisse extérieure en dehors de cette eaïsse , et à peu 
« pres au milieu; le suivant posé de même sur la 
« seconde caisse ; et ainsi des autres, jusqu’au der- 


’ 


+: PSN NT, ERA TENNIS 
RE NP ETAT mur ARE | 


136 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
On sait de tout temps que la chaleur de- 


vient d'autant moindre, ou le froid d'autant 


‘plus grand, qu’on s’élève plus haut dans les 


montagnes. IL est vrai que la chaleur qui 


provient du globe entier de la terre doit être 
moins sensible sur ces pointes avancées qu'elle 
ne l’est dans les plaines; mais cette cause 


«nier, qui est sous la cinquièmé caisse, et à demi 
« noyé dans le bois de la table. 
« I] faut observer. que tous ces thermomètres sont 


« de mercure, et que tous, excepté le dernier, ont. 


« Ja boule nue, et ne sont pas engagés, comme les 
« thermomètres ordinaires, dans une planche ou 
« dans une boîte, dont le plus ou le moins d'aptitude 
«à prendre et à conserver la chaleur fait entière- 
« ment varier le résultat des expériences. 


« Tout cet appareil exposé au soleil, dansun lieu 


« découvert, par exemple, sur le mur de clôture 
« d’une grande terrasse ; je trouve que le thermo- 
« mètre suspendu à l'air libre monte le moins haut 
« de tous ; que celui qui est sur la caisse extérieure , 
« monte uu peu plus haut; ensuite celui qui est sur 
« la seconde caisse ; ct ainsi des autres, en obser- 
« vant cependant que le thermomètre qui est posé 
« sur la cinquième caisse, monte plus haut que celui 
« qui est sous elle et à demi noyé dans le bois dela 
« table : j'ai vu celui-là monter à 70 degrés de Réau- 
«mur (en plaçant le O à la congélation et le 8o® 


“PREMIÈRE PARTIE. 137 
n'est point du tout proportionnelle à l'effet : 
l'action de la chaleur qui émane du globe 
terrestre ne pouvant diminuer qu’en raison 
du“ quarré de la distance, il ne paroiît pas 
qu à la hauteur d'une demi-lieue, qui n’est 


.« degré à l’eau bouillante). Les fruits exposés à cette 
« chaleur s’y cuisent et y rendent leur jus. 
« Quand cet appareil est exposé au soleil dès le 
« matin , on observe communément la plus grande 
« chaleur vers les deux heures et demie après midi; 
« et lorsqu'on le retire des rayons du soleil, il em- 
« ploie plusieurs heures à son entier refroidisse- 
« ment. 

- «J'ai fait porter ce même appareil sur une mon- 
« tagne élevée d'environ cinq cents toises au-dessus 
« du lieu où se faisoient ordinairement les expé- 
« riences , et j’ai trouvé que le refroidissement causé 
« par l'élévation agissoit beaucoup plus sur les ther- 
« momètres suspendus à lair libre que sur ceux qui 
« étoient enfermés dans les caisses de verre, quoique 
« J'eusse eu soin de remplir les caisses de l'air même 
« de la montagne, par égard pour la fausse hypo= 
« thèse de ceux qui croient que le froid des mon- 
« tagnes tient de la pureté de l'air qu’on y respire. » 

Il seroit à desirer que M. de Saussure, de la 
sagacité duquel nous devons attendre d’excellentes 
choses, suivit encore plus loin ces expériences, et 


voulût bien en publier les résultats. 
12 


133 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
que la trois-millième partie du demi-dia= 
mètre du globe, dont le centre doitêtre pris 
pour le foyer de la chaleur; il ne paroît pas, 


dis-je, que cettedifférence, qui, dans cettesup- 
position, n’est que d’une unité sur neuf mil- 
lions, puisse produire une diminution de cha- 
leur aussi considérable , à beaucoup près, que 
celle qu'on éprouve en s’élevant à cette hau- 
teur: car le thermomètre y baisse dans tous les 
temps de l’année, jusqu’au pointde la congéla- 
tion de l’eau; la neige ou la glace subsistent 
aussi sur ces grandes montagnes à peu près à 
cette hauteur dans toutes les saisons. Il n’est 
donc pas probable que cette grande différence 
de chaleur provienne uniquement de la diffé- 
rence de la chaleur de la terre : l’on en sera 
pleinement convaincu si l’on fait attention 
qu'au haut des volcans , où la terre est plus 
chaude qu'en aucun autre endroit de la sur- 
face du globe, le froid de l'air est à trés-peu 
près le même que dans les autres montagnes 
à la même hauteur. 

On pourroit donc penser que les atomes 
de la lumière , quoique très-chauds au mo- 
ment de leur naissance et au sortir du soleil, 
_se refroidissent beaucoup pendant. Les sept 


LR 


PREMIÈRE PARTIE. 139 
minutes et demie de temps que dure leur 
traversée du soleil à la terre, d'autant que la 
durée de la chaleur, ou, ce qui revient au 
même , le temps du refroidissement des corps 
étant en raison de leur diamètre, 1l semble 
voit qu'il ne faut qu'un très-petit moment 
pour le refroidissement des atomes presque 
infiniment petits de la lumiere ; et cela 
seroit en effet s’ils étoient isolés : mais comme 
ils se succèdent presque immédiatement, et 
qu'ils se propagent en faisceaux d'autant plus 
serrés qu’ils sont plus près du lieu de leur 
origine, la chaleur que chaque atome perd 
tombe sur les atomes voisins ; et cette Com- 
munication réciproque de la chaleur qui s’é- 
vapore de chaque atome entretient plus long- 
temps la chaleur générale de la lumière ; et 
comme sa direction constante est toujours 
en rayons divergens, que leur éloignement 
l’un de l’autre augmente comme l’espace 
qu'ils ont parcouru, et qu’en même temps 
la chaleur qui part de chaque atome comme 
centre, diminue aussi dans la même raison, 
il s'ensuit que l’action de la lumière des 
rayons solaires décroissant en raison inverse 
du quarré de Ja distance, celle de leur cha- 


r4o MINÉRAUX: INTRODUCTION, 
leur décroit en raison inverse du querh | 
quarré de cette même distance. | 


Prenant donc pour unité le demi-diamètre 


du soleil , et supposant l’action de la lumière 
comme 1000 à la distance d’un demi-dia- 


mètre de la surface de cet astre, elle ne sera 


1000 
k 


plus que comme à la distance de deux 


demi-diamètres , que comme — à celle de 


1000 


trois demi-diamètres , comme = à la dis- 
tance de quatre demi - diamètres; et enfin. 
en arrivant à nous, qui sommes éloignés du 
soleil de trente-six millions de lieues., c’est-à- 
dire d’environ deux cent vingt-quatre de ses 
demi-diamètres , l’action de la lumière ne 
sera plus que comme 2%, c’est-à-dire plus 
de cinquante mille fois plus foible qu'au sor- 
tir du soleil; et la chaleur de chaque atome 
de lumière étant aussi supposée 1000 au sor- 


1000. 


tir du soleil, ne sera plus que comme } 


81 256 ? 


1000 


comme ess» C'est-à-dire plus de deux 
mille cinq cent millions de fois plus foible 
Li au sortir du soleil. 

Quand même on ne voudroit pas admettre 
celte diminution de la chaleur de la lumière 


< 


22, 7, à la distance successive de 1, vite 


3 demi - diamètres , et en arrivant à nous, 


‘PREMIÈRE PARTIE. 714 
en raison du quarré-quarré de la distance au 
soleil, quoique cette estimation me paroisse 
fondée sur un raisonnement assez clair, il 
sera toujours vrai que la chaleur , dans sa 
propagation, diminue beaucoup plus que la 
lumière , au moins quant à l'impression 
qu'elles font l’une et l’autre sur nos sensz 
Qu'on excite une très- forte chaleur , qu’on. 
allume un grand feu dans un point de l’es-. 
pace, on ne le sentira qu'à une distance mé- 
diocre, au lieu qu’on en voit la lumière à de 
très-grandes distances. Qu'on approche peu 
à peu la main d’un corpsexcessivementchaud, 
on s’appercevra , par la seule sensation, que 
la chaleur augmente beaucoup plus que l’es- 
pace ne diminue ; car on se chauffe souvent, 
avec plaisir à une distance qui ne diffère que 
de quelques pouces de celle où l’on se brûle- 
roit. Tout paroit donc nous indiquer que la 
- chaleur diminue en plus grande raison que 
la lumière, à mesure que toutes deux s’é- 
loignent du foyer dont elles partent. 

Ainsi l’on peut croire que les atomes de la. 
lumière sont fort refroidis lorsqu'ils arrivent 
à la surface de notre atmosphère, maisqu’en 
traversant la grande épaisseur de cette masse 


42 MINÉRAUX. INTRODUCTION, | 


transparente , ils y reprennent par lefrotte 
ment une nouvelle chaleur. La vitesseinfinie 
avec laquelle les particules de la lumière: 


frôlent celles de l'air, doit produire une cha- 
leur d'autant plus grande que le frotiement 
est plus multiplie; et c’est probablement par 
celte raison que la chaleur des rayons solaires 


se trouve, par l'expérience , beaucoup plus 


grande dans les couches inférieures de l'at- 
mosphère, et que le froid de l’air paroît aug- 
menter si considérablement à mesure qu'on 
s'élève. Peut-être aussi que , comme la lu- 
mière ne prend de la chaleur qu’en se réu- 
nissant, il faut un grand nombre d’atomes 
de lumière pour constituer un seul atome de 
chaleur, et que c’est par cette raison que la 
lumière foible de la lune, quoique frôlée 
dans l'atmosphère comme celle du soleit, 
ne preud aucun deoré de chaleur sensible. 
Si, comme le dit M. Bouguer *, l'intensité 
de la lumière du soleil à la surface de la terre 
est trois cent mille fois plus grande que 
celle de la Iumièrede la lune, celle-ci ne 
peut qu'être presque absolument insensible , 


.* Essai d'optique sur la gradation de la lumière 


PREMIÈRE PARTIE.  r43 
mème en la réunissant au foyer des plus 
puissans miroirs ardens, qui ne peuvent la 
condenser qu'environ deux mille fois, dont 
Ôôtant;la moitié pour la perte par la réflexion 
ou la réfraction , il ne reste qu’une trois-cen- 
tième partie d'intensité au foyer du miroir. 
Or y a-t-il des thermomètres assez sensibles 
pour indiquer le degré de chaleur contenu 
dans une lumière trois cents fois pius foible 
que celle du soleil, et pourra-t-on faire des 
miroirs assez puissans pour la condenser da- 
vantage ? 

Ainsi l’on ne doit pas inférer de tout ce 
que j'ai dit que la lumière puisse exister sans 
aucune chaleur , mais seulement que les 
degrés de cette chaleur sont très-différens, 
selon les differentes circonstances, et tou- 
jours insensibles lorsque la lumière est très- 
foible *. La chaleur , au contraire, paroit 


* On pourroit même présumer que la lumière 
en elle-même est composée de parties plus ou moins 
chaudes : le rayon rouge, dont les atomes sont bien 
plus massifs et probablement plus gros que ceux du 
rayon violet, doit en toutes circonstances conserver 
beaucoup plus de chaleur, et ceite présemption me 
paroît assez fondée pour qu’on doive chercher à la : 


PAST EE MONTE à 


144 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
exister habituellement , et même se faire 
sentir vivement sans lumière; ‘ce n’est ordi 
nairement que quand elle devient exCESSIVE 


que la lumière l'accompagne. Maïs ce qui 
mettroit encore une différence bien essentielle 


entre ces deux modifications de la matière, 
c’est que la chaleur qui pénètre tous les corps 


constater par l’expérience ; il ne faut pour cela que 
recevoir au sortir du prisme une égale quantité de 
rayons rouges et de rayons violets, sur deux petits 
miroirs concaves où deux lentilles réfringentes, et 
voir au thermomètre le résultat de la chaleur des 
uns et des autres. 

Je me rappelle une autre expérience, qui semble 
démontrer que les atomes bleus-de la lumière sont 
plus petits que ceux des autres couleurs ; c’est qu’en 
recevant sur une feuille très-mince d'or battu la lu- 
‘mière du soleil, elle se réfléchit toute, à l’exception 
des rayons bleus qui passent à travers la feuille d’or, 
et peignent d’un beau bleu le papier blänc qu’on met 
à quelque distance derrière la feuille d’or. Ces atomes 
bleus sont donc plus petits que les autres, puisqu'ils 
passent où les autres ne peuvent passer. Mais je 
n'insiste pas sur les conséquences.qu’on doit tirer de 
cette expérience , parce que cette couleur bleue ,pro- 
duite en apparence par la feuille d’or, peut tenir au 
phénomène des ombres bleues, dont je parlerai dans 

un des mémoires suivans. 


PREMIÈRE PARTIE. 7:45 
ne paroît se fixer dans aucun, et ne s’y arré- 
ter que peu de temps, au lieu que la lumière 
s’incorpore, s’'amortit et s'éteint dans tous 
ceux qui ne la réfléchissent pas, ou qui ne la 
laissent pas passer librement. Faites chauffer 
à tous degrés des corps de toute sorte: tous 
perdront en assez peu de temps la chaleur 
acquise ; tous reviendront au degré de la 
température générale, et n'auront par con-— 
séquent que la mème chaleur qu’ils avoient 
auparavant. Recevez de même la lumière en 
plus ou moins grande quantité sur des corps 
noirs ou blancs , bruts ou polis: vous recon— 
noîtrez aisément que les uns l’admettent , 
les autres la repoussent , et qu'au lieu d’être 
affectés d’une manière uniforme comme ils 
le sont par la chaleur, ils ne le sont que 
d'une manière relative à leur nature, à leur 
couleur , à leur poli; les noirs absorberont 
plus la lumière que les blancs, les bruts plus 
que les polis. Cette lumière une fois absor- 
bée reste fixe et demeure dans les corps qui 
l'ont admise ; elle ne reparoît plus, elle n’en 
sort pas comme le fait la chaleur : d’où l’on 
devroit conclure que lesatomes de la iumière 
peuvent devenir parties constituantes des 

Mat, gËn, LV. a 15 


LENS OUT TRUE 0 y 
7% D UE NA k 


46 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
corps en s’unissant à la matière qui les com— 
pose ; au lieu que la chaleur, ne se fixantpas, 
semble empêcher au contraire l’union de 
toutes les parties de la matière, et nagir qe | 
pour les tenir séparées. | 

Cependant il y a des cas où la chaleur se 
fixe à demeure dans les corps, et d’autres cas 
où la lumière qu'ils ont absorbée reparoît et 
en sort comme la chaleur. Les diamans, les 
autres pierres transparentes qui s’imbibent 
de la lumière du soleil ; les pierres opaques , 
comme celles de Bologne, qui, par la calcina- 
tion , reçoivent les particules d’un feu bril= 
lant; tous les phosphores naturels rendent la 
lumière qu'ils ont absorbée, et cette restitu- 
tion ou déperdition de lumière se fait succes- 
sivement et avec letemps, à peu près comme 
se fait celle de la chaleur. Et peut-être la 
même chose arrive dans les corps opaques, 
en tout ou en partie. Quoi qu'il en soit , il 
paroit d’après tout ce quivient d’être dit, que 
l’on doit reconnoitre deux sortes de chaleur: 
l’une lumineuse, dont le soleil est le foyer 
immense ; et l’autre obscure , dont le grand 
réservoir est le globe terrestre. Notre corps, 
comme faisant partie du globe, participe à 


PREMIÈRE PARTIE. 147 
cette chaleur obscure; et c’est par cette raison 
qu'etant obscure par elle-même , c’est-à-dire 
sans lumière , elle est encore obscure pour 
nous, parce que nous nenous en appercevons 
par aucun de nos sens. Il en est de cette cha- 
leur du globe comme de son mouvement: nous 
y sommes soumis, nous y participons, sans le 
sentiretsans nousen douter. Delàilestarrivé 
que les physiciens ont porté d’abord toutes 
leurs vues , toutes leurs recherches, sur la 
chaleur du soleil, sans soupçonner qu'elle ne 
faisoit qu'une très-petite partie de celle que 
nous éprouvons réellement: mais, ayant fait 
des instrumens pour reconnoître la différence 
de chaleur immédiate des rayons du soleil en 
été , à celle de ces mêmes rayons en hiver, ils 
ont trouvé, avec étonnement, que cette cha- 
leur solaire est en été soixante-six fois plus 
grande qu’en hiver dans notre climat, et que 
néanmoins la plus grande chaleur de notre éte 
ne différoit que d’un septième du plus grand 
froid de notre hiver ; d’où ils ont conclu, 
avec grande raison, qu'indépendamment de 
la chaleur que nous recevons du soleil, il en 
émane une autre du globe même de la terre, 
bien plus considérable, et dont celle du soleil 


(La PAU CS Ca 
x48 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
n'est que le complément ; en sorte qu'il est 
aujourd’hui démontré que cette chaleur qui 
s'échappe de l’intérieur de la terre , est dans 
notre climat au moins vingt-neuf fois en été, 
et quatre cents fois en hiver , plus grande que 
la chaleur qui nous vient du soleil: je dis au 
moins; car quelque exactitude que les physi- 
ciens, et en particulier. de Mairan, aient ap- . 
portée dans ces recherches, quelque précision 
qu'ils aient pu mettre dans leurs observations 
et dans leur calcul, j'aivu, enlesexaminant, 
quelerésultatpouvoiten être porté plus haut*. 

* Les physiciens ont pris pour le degré du froid 
absolu 1000 degrés au-dessous de la congélation : il 
falloit plutôt le supposer de 10,000 que de 1000; car 
quoique je sois très- persuadé qu’il n'existe rien 
d’absolu dans la nature, et que peut-être un froid 
de 16,000 degrés n'existe que dans les espaces les 
plus éloignés de tout soleil, cependant, comme il 
s’agit ici de prendre pour unité le plus grand froid 
possible, je l’aurois au moins supposé plus grand que 
celui dont nous pouvons produire la moitié ou les 
trois cinquièmes: car on a produit artificiellement 
592 degrés de froid à Pétersbourg le 6 janvier r760, 
le froid naturel étant de 3r degrés au-dessous de la 
congélation ; et si l’on eût fait la même expérience 
en Sibérie, où le froid naturel est quelquefois de 70 
degrés, on eût produit un froid de plus de 1009 


| PREMIÈRE PARTIE. 149 
Cette grande chaleur qui réside dans l’in- 
térieur du globe , qui sans cesse en émane à 


l'extérieur, doit entrer comme élément dans 
) 


degrés, car on a observé que le froid artificiel sui- 
voit la même proportion que le froid naturel. Or 
31 : 592 :: mo: 1336 +. Il seroit donc possible de 
produire en Sibérie un froid de 1336 degrés au-des- 
sous de la congélation; donc le plus grand degré 
de froid possible doit être supposé bien au-delà de 
1000 ou même de 1336 pour en faire l’unité, à la- 
quelle on rapporte les degrés de la chaleur tant 
solaire que terrestre, ce qui ne laissera pas d’en 
rendre la différence encore plus grande. — Une autre 
remarque que j'ai faite en examinant la construction 
de Ja table dans laquelle M. de Mairan donne les 
rapports de la chaleur des émanations du globe ter- 
restre à ceux de la chaleur solaire pour tous les cli- 
mats de la terre, c’est qu’il n’a pas pensé ou qu'il a 
négligé d’y faire entrer la considération de l'épais- 
seur du globe, plus grande sous l'équateur que sous 
les poles. Cela néanmoins devroit être mis en 
compte, et auroit un peu changé les rapports qu’il 
donne pour chaque latitude. — Enfin une troisième 
remarque , et qui tient à la première, cest qu'il dit 
(page 160) qu'ayant fait construire une machine 
qui étoit comme un extrait de mes miroirs brulans ;, 
et ayant fait tomber la lumière réfléchie du soleil 
sur des thermomètres , il avoit toujours trouvé que 
si un miroir plan ayoit fait monter la liqueur, par 


:5o MINÉRAUX. INTRODUCTION, 

la combinaison de tous les autres élémens. Si 
le soleil est le père de la nature, cettechaleur 
de la terre en est la mère, et toutes deux se 


| | RE OA ein. 
‘ \ FR L = "SAN 


exemple, de 3 degrés, deux miroirs dont on réu= 
nissoit la lumière, la faisoient monter de 6 degrés, 
et trois miroirs de 9 degrés. Or ilest aisé de sentir 
que ceci ne peut pas être généralement vrai; car la 
grandeur des degrés du thermomètre n’est fondée 
que sur la division en mille parties, et sur la sup- 
position que rooo degrés au-dessous de la congéla- 
üon font le froid absolu : et comme il s’en faut bien 
que ce terme soit celui du plus grand froid possible, 
il est nécessaire qu’une augmentation de chaleur 
double ou triple par la réunion de deux ou trois mi= 
roirs , élève la liqueur à des hauteurs différentes dé 
celle des degrés du thermomètre. selon que lexpé- 
rience sera faite dans un temps plus ou moins chaud ; 
que celui où ces hauteurs s accorderont le mieux où 
différeront le moins, sera celui des jours chauds de 
l'été, et que les expériences ayant été faites sur la 
fin de mai, ce n’est que par hasard qu’elles ont donné 
le résultat des augmentations de chaleur par les mi- 
roirs , proportionnelles anx degrés de. l'échelle du 
thermomètre. Mais j'abrége cette critique en ren- 
voyant à ce que j'ai dit près de vingt ans avant ce 
mémoire de M. de Mairan , sur la construction d un 
thermomètre réel , et sa graduation par le moyen de 
mes miroirs brûlans. Voyez les Mémotrés de l’a 
cadémie des sciences, année 1747: 


/ 


PREMIÈRE PARTIE. 15 
réunissent pourproduire, entretenir, animer 
les êtres organisés, et pour travailler , assi- 
_miler , composer les substances inanimées. 
Cette chaleur intérieure du globe, qui tend 
toujours du centre à la circonférence, et qui 
s'éloigne perpendiculairement de la surface 
de la terre, est, à mon avis, un grand agent 
dans la nature; l’on ne peut guère douter 
qu'elle n'ait la principale influence sur la 
perpendicularité de la tige desplantes, sur les 
phénomènes de l'électricité , dont la princi- 
pale cause est le frottement ou mouvement 
en sens contraire , sur les effets du magné- 
tisme , etc. Mais , comme je ne prétends pas 
faire ici un traité de physique, je me borne- 
rai aux effets de cette chaleur sur les autres 
élémens. Elle suffit seule, elle est même bier 
plus grande qu’il ne faut pour maintenir la 
raréfaction de l’air au degré que nous respi- 
rons : elle est plus que suffisante pour entre- 
tenir l’eau dans son état de liquidité; car on 
a descendu des thermomètres jusqu’à cent 
vingt brasses de profondeur , et, les retirant 
promptement , on a vu que la température 
de l’eau y étoit à très-peu près la même que 
dans l’intérieur de La terre à pareille profon- 


* 


| RE 
152 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
deur, c’est-à-dire de dix degrés deux tiers; ef 
comme l’eau la plus chaude monte toujours 
à la surface, et que le sel l'empêche de geler, | 
on ne doit pas être surpris de ce qu’en général 
la mer ne gèle pas, et que les eaux douces ne 
gèlent que d’une certaine épaisseur, l’eau du 
fond restant toujours liquide , lors même 
qu'il fait le plus grand froid , et que les cou- 
ches supérieures sont en glace de dix pieds 
d'épaisseur. 

Mais la terre est celui de tous les élémens 
sur lequel cette chaleur intérieure a dü pro- 
duire et produit encore les plus grands effets. 
On ne peut pas douter , après les preuves que 
j en ai données * , que cette chaleur n’ait été 
originairement bien plus grande qu'elle ne 
l’est aujourd’hui : ainsi on doit lui rappor- 
ter , comme à la cause première , toutes les 
sublimations , précipitations , agrégations , 
séparations, en un mot tous les mouvemens 
qui se sont faits et se font chaque jour dans 
l'intérieur du globe, etsur-tout dans la couche 
extérieure où nous avons pénétré, et dont la 


* Voyez, dans cet ouvrage, l’article de la forma- 
tion des planètes, et les arucles des Epoques de la 
nalure: 


v 


PREMIÈRE PARTIE. 153 
matière a été remuée par les agens de la na- 
ture , ou par les mains de l’homme; car, à 
une ou peut-être deux lieues de profondeur , 
on ne peut guère présumer qu'il y ait eu des 
conversions de matière, ni qu'il s'y fasse 
encore des changemens réels : toute la masse 
du globe ayant été fondue, liquéfiée par le 
feu , l’intérieur n’est qu’un verre ou concret 
ou discret , dont la substance simple ne peut 
récevoir aucune altération par la chaleur 
seule ; 1l n’y a donc que la couche supérieure 
et superficielle qui, étant exposée à l’action. 
des causes extérieures , aura subi toutes les 
modifications que ces causes réunies à celle 
de la chaleur mtérieure auront pu produire 
par leur action combinée, c’est-à-dire, toutes 
les modifications , toutes les différences , 
toutes les formes, en un mot, des substances 
minérales. | 

Le feu, qui ne paroïit être, à la première 
vue, qu'un compose de chaleur et delumière, 
ne seroit-il pas encore une modification de la 
matière qu'on doive considérer à part, quoi- 
qu’elle ne diffère pas essentiellement de l’une 
ou de l’autre, etencore moins des deux prises 
ensemble ? le feu n'existe jamais sans cha- 


- 154 MINERAUX. INTRODUCTION, à 
Teur, mais il peut exister sans lumière. Om 


verra , par mes expériences, que la chaleur 
seule et dénuée de toute apparence de lu- 


mière peut produire les mêmes effets que 
le feu le plus violent. On voit aussi que la 


lumière seule, lorsqu'elle est réunie, produit 


les mêmes effets ; elle semble porter en elle- 
même une substance qui n’a pas besoin d’ali- 
ment : le feu ne peut subsister au contraire 
qu’en absorbant de l'air , et il devient d’au- 
tant plus violent qu’il.en absorbe davantage, 
tandis que la lumière concentrée et reçue 
dans un vase purgé d’air agit comme le feu 
dans l'air, et que la chaleur resserrée, retenue 
dans un espace clos , subsiste et même aug- 
mente avec une très-petite quantité d’ali- 
mens. La différence la plus genérale entre 
le feu , la chaleur et la lumière, me paroît 
donc consister dans la quantité , et peut-être 
dans la qualité de leurs alimens. 

L'air est le premier aliment du feu, les 


matières combustibles ne sont que le second : 


j'entends par premier aliment celui qui est 
toujours nécessaire et sans lequel le feu ne 
pourroit faire aucun usage des autres. Des 
expériences connues de tous les physiciens 


- 


PREMIÈRE PARTIE,  :55 

nous démontrent qu'un petit point de feu, 
tel que celui d’une bougie placée dans un 
vase bien fermé , absorbe en peu de temps 
une grande quantité d’air , et qu’elle s'éteint 
aussitôt que la quantité ou la qualité de cet 
aliment lui manque. D'autres expériences 
bien connues des chimistes prouvent que les 
matières les plus combustibles , telles que les 
charbons, ne se consument pas dans des vais- 
seaux bien clos ,; quoiqu'exposés à l’action 
du plus grand feu. L'air est donc le premier, 
le véritable aliment du feu , et les matières 
combustibles ne peuvent lui en fournir que 
par le secours et la médiation de cet élé- 
ment , dont il est nécessaire , avant d’aller 
plus loin, qué nous considérions ici quelques 
propriétés. | 
Nous avons dit-que toute fluidité avoit la 
chaleur pour cause; eten comparant quelques 
fluides ensemble , nous voyons qu’il faut beau- 
coup plus de chaleur pour tenir le fer en 
fusion que l’or , beaucoup plus pour y tenir 
l'or que l’étain , beaucoup moins pour y tenir 
la cire, beaucoup moins pour y tenir l’éau, 
encore beaucoup moins pour y tenir l’esprit- 
de-vin , et enfin excessivement moins pour 


- 
: $- 7 F "+ 
‘ i ‘ee 


| 7 
\ 
4 


156 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 

y tenir le mercure , puisqu'il ne perd sa flui- 

dité qu’au cent quatre-vingt-septième degré 
au-dessous de celui où l’eau perd la sienne. 

Cette matière, le mercure, seroit donc le. 
plus fluide des corps, si l'air ne l’étoit encore 

plus. Or, que nous indique cette fluidité 

plus grande dans l’air que dans aucune ma- 

tière ? IL me semble qu’elle suppose le moin- 
dre degré possible d’adhérence entre ses par- 

ties constituantes ; ce qu'on peut concevoir 

en les supposant de figure à ne pouvoir se 
toucher qu’en ‘un point. On pourroit croire 
aussi qu'étant douées de si peu d’énergie ap- 

parente , et de si peu d'attraction mutuelle 

des unes vers les autres, elles sont , par cette 

raison , moins massives et plus légères que 

celles de tous les autres corps : mais cela me 

paroît démenti par la comparaison du mer- 

cure , le plus fluide des corps après l’air , et 

dont néanmoins les parties constituantes pa- 

roissent être plus massives et plus pesantes 

que celles de toutes les autres matières, à 

l'exception de l'or. La plus ou moins brande 

fluidité n’indique donc pas que les parties du 

fluide soient plus ou moins pesantes , mais 

seulement que leur adhérence est d'autant 


PREMIÈRE PARTIE.  :57 
moindre, leur union d'autant moins intime, 
et leur séparation d'autant plus aisée. S'il faut 
mille degrés de chaleur pour entretenir la 
fluidité de l’eau , il n’en faudra peut-être 
qu un pour maintenir celle de l’air. 

L'air est donc de toutes les matières con- 
nues celle que la chaleur divise Le plus faci- 
lement , celle dont les parties lui obéissent 
avec. le moins de résistance, celle qu'elle met 
le plus aisément en mouvement expansif et 
_ contraire à celui de la force attractive. Ainsi 
l'air est tout près de la nature du feu, dont 
la principale propriété consiste dans ce mou- 
vement expansif; et quoique l’air ne l’ait pas 
“par lui-même , la plus petite particule de 
chaleur ou de feu suffisant pour le lui com- 
muniquer , on doit cesser d’être étonné de 
ce que l'air augmente si fort l’activité du 
feu , et de ce qu’il est si nécessaire à sa sub 
sistance : car étant de toutes les substances 
celle qui prend le plus aisément le mouve- 
ment expansif , ce sera celle aussi que le feu 
entrainera , enlevera de préférence à toute 
autre; ce sera celle qu'il s'appropriera le plus 
intimement , comme étant de la nature la 


plus voisine de la sienne ; et par conséquent 
14 


258 MINÉRAUX. INTRODUCTION, , 
l'air doit être du feu l’adminicule le plus 
puissant, l'aliment le plus convenable, l’arni 
le plus intime et le plus nécessaire.  - 

Les matières combustibles, que l’on re- 
garde vulgairement comme les vrais ali- 
mens du feu , ne lui servent néanmoins, 
ne lui profitent en rien, dès qu’elles sont pri- 
vées du secours de l'air : le feu le plus violent 
ne les consume pas, et même ne leur cause 
aucune altération sensible, au lieu qu'avec 
de l’air une seule étincelle de feu les em- 
brase, et qu’à mesure qu’on fournit de l'air 
en plus ou moins grande quantité, le feu de- 
vient dans la même proportion plus vif, plus 
étendu , plus dévorant ; de sorte qu’on peut 
mesurer la célérité ou la lenteur avec laquelle 
le feu consume les matières combustibles, par 
la quantité plus ou moins grande de l'air 
qu'on lui fouruit. Ces matières ne sont donc 
pour le feu que des alimens secondaires, 
qu'il ne peut s'approprier par lui-même, et 
dont il ne peut faire usage qu'autant que 
J'air s’y mêlant, les rapproche de la nature 
du feu en les modifiant , et leur sert d’inter- 
mède pour les y réunir. 

Qu pourra (ce me semble) concevoir clai- 


PREMIÈRE PARTIE.  :by 
rement cette opération de la nature , en con- 
sidérant que le feu ne réside pas dans les corps 

d’une manière fixe , qu'il n’y fait ordinaire- 
ment qu’un séjour instantané; qu'étant tou— 
jours en mouvement expansif , il ne peut 
subsister dans cet état qu'avec les matières 
susceptibles de ce même mouvement ; que 
l'air s’y prêtant avec toute facilité, la somme 
de ce mouvement devient plus grande , l’ac- 
tion du feu plus vive, et que dès lors les par- 
ties les plus volatiles des matières combus- 
tibles, telles que les molécules aériennes, hui- 
leuses , etc. obéissant sans effort à ce mou- 
vement expansif qui leur est communiqué, 
elles s'élèvent en vapeurs ; que ces vapeurs 
se convertissent en flamme par le même se- 
cours de l’airextérieur ; etqu’enfin ; tantqu'il 
subsiste dans les corps combustibles quelques 
parties capables de recevoir , par le secours 
de l'air, ce mouvement d'expansion, elles ne 
cessent de s’en séparer pour suivre l'air et le 
feu dans leur route, et par conséquent se 
consumer en s’évaporant avec eux. 

Il y a de certaines matières , telles que lé 
phosphore artificiel, le pyrophore, la poudre 
à canon , qui paroissent à la première vue faire 


x60o MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


une Ge on à ce que je viens de dire; car 
elles n’ont pas besoin, pour s’enflammer etse 


consumer en entier, du secours d’un air renou- 
vele : leur combustion peut s’opérer dans les 
vaisseaux les mieux fermés ; mais c’est par 
la raison que ces matières, qu'on doit regarder 
comme les plus combustibles de toutes, con- 


tiennent dans leur substance tout l’air neces- 


saire à leur combustion. Leur feu produit 
d’abord cet air et le consume à l'instant ; et 
comme il est en très-grande quantité dans 
ces matières , il sufhit à leur pleine combus- 
tion, qui dès lors n’a pas besoin , comme tou- 
tes les autres, du secours d’un air étranger. 


Cela semble nous indiquer que la difference 


la plus essentielle qu’il y ait entre les matières 
combustibles et celles quinele sont pas, c'est 
que celles-ci ne contiennent que peu ou point 
de ces matières légères, aériennes, huileuses, 
susceptibles du mouvement expansif, ou que 
si elles en contiennent , elles s’y trouvent 
fixées et retenues , en sorte que , quoique 
volatiles en elles-mêmes , elles ne peuvent 
exercer leur volatilité toutes les fois: que la 
force du feu n’est pas assez grande pour sur- 
monter la force d'adhésion qui les retient 


PREMIÈRE PARTIE. . 166. 
unies aux parties fixes de la matière. On peut 
mème dire que cette induction , qui se tire 
immédiatement de mes principes , se trouve 
confirmée par un grand nombre d'observa- 
tions bien connues des chimistes et des phy- 
siciens : mais ce qui paroit l'être moins , et 
qui cependant en est une conséquence néces- 
saire, c’est que toute matière pourra devenir 
volatile dès que l’homme pourra augmenter 
assez la force expansiye du feu pour la ren- 
dre supérieure à la force attractive qui tient 
unies les parties de la matière que nous 
appelons fixes ; car , d’une part , il s'en faut 
bien que nous ayons un feu aussi fort que 
nous pourrions l'avoir par des miroirs mieux 
conçus que ceux dont on s’est servi jusqu à 
cejour ,et,d autre côté, nous sommes assurés 
que la fixité n’est qu’une qualité relative , et 
qu'aucune matière n’est d’une fixité absolue 
ou invincible , puisque la chaleur dilate les 
corps les plus fixes. Or cette dilatation n’est- 
elle pas l’indice d’un commencement de sépa- 
ration qu'on augmenteavec le desrédechaleur 
jusqu'à la fusion , et qu'avec une chaleur 
encore plus grande on ausmenteroit jusqu'à 


la volatilisation ? 
14 


j RNA k 

x62 MINÉRAUX. INTRODUCTION, . L 

La combustion suppose quelque chose de 
plus que la volatilisation: il suffit pour celle- 
ci que les parties de la matière soient assez 
divisées , assez séparées lés unes des autres , 
pour pouvoir être enlevées par celles de la 
chaleur ; au lieu que, pour la combustion, 1l 
faut encore qu’elles soient d’une nature ana- 
logue à celle du feu ; sans cela le mercure, 
qui est le plus fluide après l'air , seroit aussi 
le plus combustible, tandis que l'expérience 
nous démontre que , quoique très-volatil, il 
est incombustible. Or, quelle est donc l’ana- 
logie ou plutôt le rapport de nature que peu- 
vent avoir les matières combustibles avec le 
feu ? La matière , en général, est composée 
de quatre substances principales , qu’on ap- 
pelle élémens : la terre, l’eau, l’air et le feu, 
entrent tous quatre en plus ou moins grande 
quantité dans la composition de toutes les 
matières particulières ; celles où la terre et 
l’eau dominent seront fixes, et ne pourront 
devenir que volatiles par l’action de la cha- 
leur ; celles au contraire qui contiennent 
beaucoup d’air et de feu , seront les seules 
vraiment combustibles. La grande difficulté 
qu'il y ait ici , c’est de concevoir nettement 


"PREMIÈRE PARTIE. +63 
eomment l’air et le feu , tous deux si vola- 
tils , peuvent se fixer et devenir parties cons- 
tituantes de tous les corps : je dis de tous les 
corps ; car nous prouverons que quoiqu 1l ÿ 
ait une plus grande quantité d'air et de feu 
fixes dans les matières combustibles , et qu’ils 
y soient combinés d’une manière différente 
que dans les autres matières, toutes néan- 
moins contiennent une quantité considérable 
de ces deux élémens ; et que les matières les 
plus fixes et les moins combustibles sont 
celles qui retiennent ces élémens fugitifs avec 
le plus de force. Le fameux phlogistique des 
chimistes ( ètre de leur méthode plutôt que 
de la nature) n’est pas un principe simple 
et identique, comme ils nous le présentent ; 
c'est un composé, un produit de l’alliage ;, 
un résultat de la combinaison des deux elé- 
mens , de l’air et du feu fixés daus les corps. 
Sans nous arrêter douc sur les idées obscures 
et incomplètes que pourroit nous fournir 
la considération de cet être précaire , tenons- 
nous en à celle de nos quatre élémens réels > 
auxquels les chimistes, avec tous leurs nou- 
veaux principes , seront toujours forcés de 
revenir ultérieurement, 


- — 


#64 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 1 
/- Nous voyons clairement que le feu en à | 
sorbant de l’air en détruit le ressort. Or il F0 
n’y a que deux manières de détruire un res= # 
sort : la première, en le comprimant assez 
pour le rompre ; la seconde, en l’étendant 
assez pour qu'il soit sans effet. Ce n’est pas 
de la première manière que le feu peut dé- 
truire le ressort de l’air, puisque le moindre 
degré de chaleur le raréfie, que cette raréfac- 
tion augmente avec elle, et que l'expérience 
nous apprend qu’à une très-forte chaleur la 


Qu 


raréfaction de l'air est si grande, qu’il occupe 
alors un espace treize fois plus étendu que 
celui de son volume ordinaire : le ressort 
dès lors en est d'autant plus foible; et c’est 
dans cet état qu’il peut devenir fixe et s’unir 
sans résistance sous cette nouvelle forme 
avec les autres corps. On entend bien quë 
cet air transformé et fixé n’est point du tout 
le même que celui qui se trouve dispersé; 
disséeminé dans’ la plupart des matières , eë 
qui conserve dans leurs pores sa nature en- 
tière : celui-ci ne leur est que melangé;et 
non pas uni ; il ne leur tient que:par une 
très—-foible adhérence , au lieu ‘que l'autre 
leur est si étroitement attaché, si intimement : 


PREMIÈRE PARTIE. 165 
incorporé, que souvent on ne peut l'en sé- 
parer. | 

Nous voyons de même que la lumière, en 
tombant sur les corps, n’est pas, à beaucoup 
près, entièrement réfléchie, qu'il en reste 
en grande quantité dans la petite épaisseur 
de la surface qu’elle frappe ; que par consé- 
quent elle y perd son mouvement, s’y éteint, 
s’y fixe, et devient dès lors partie consti- 
tuante de tout ce qu’elle pénètre. Ajoutez à 
cet air , à cette lumière, transformes et fixés 
dans les corps, et qui peuvent être en quan- 
tité variable; ajoutez-y , dis-je, la quantité 
constante du feu que toutes les matières, de 
quelque espèce que ce soit, possèdent égale- 
ment : cette quantité constante de feu ou de 
chaleur actuelle du globe de la terre , dont 
la somme est bien plus grande que celle de 
la chaleur qui nous vient du soleil , me pa- 
roit ètre non seulement un des grands res- 
sorts du mécanisme de la natüre, mais en 
même temps un élément dont toute la ma- 
tière du globe est pénétrée ; c’est le feu élé- 
mentaire, qui, quoique toujours en Imouve- 
ment expansif, doit, par sa longue résidence 
dans la matiere ; et par son choc contre ses 


“ NE LRANT GA 


566" MINÉRAUX. INTRODUCTION , 


parties fixes, s’unir, s’incorporer avec. elles, k 
et s’éteindre par parties comme le fait la {u- 4 
mière *. | 

Si nous considérons plus partiouliBee nt 
Ja nature des matières combustibles, nous 
verrons que toutes proviennent originaire- 
ment des végétaux, des animaux, des êtres 
en un mot qui sont placés à la surface du 
globe que le soleil éclaire , échauffe et vivi- 
fie : les bois, les charbons, les tourbes, les 
bitumes , les résines, les huiles, les graisses, 
les suifs, qui sont les vraies matières com— 
bustibles , puisque toutes les autres ne lesont. 
qu'autant qu'elles en contiennent , ne pro- 
viennent-ils pas tous des corps organisés ou 
de leurs deétrimens ? Le bois, et même le 


* Ceci méme pourroit, se prouver par une expé- 
rience, qui mériteroit d’être poussée plus loin. J'ai 
recueilli sut un miroir ardent par réflexion une assez 
forte chaleur sans aucune lumière , au moyen d'une 
plaque de tôle mise entre le boigier et le miroir ; 
une parte de la chaleur s’est réfléchie au foyer Ris 
miroir, tandis que tout le reste de la chaleur l’a pé- 
nétré : mais je n’ai pu im’assurer si l’augmentation 
de chaleur dans la matière du miroir n’étoit pas 
aussi grande que s’il n’en eüt pas réfléchi. 


PREMIÈRE PARTIE. 167 
charbon ordinaire, les graisses , les huiles 
par expression , la cire et le suif, ne sont que | 
des substances extraites immédiatement des 
végétaux et des animaux; les tourbes, les 
charbons fossiles, les succins, les bitumes 
liquides ou concrets, sont des produits de 
leur mélange et de leur décomposition, dont 
les détrimens ultérieurs forment les soufres 
et les parties combustibles du fer , du zinc, 
des pyrites , et de tous les minéraux que l’on 
peut enflammer. Je sens que cette dernière 
assertion ne sera pas admise, et pourra même 
être rejetée, sur - tout par ceux qui n’ont 
étudié la nature que par la voie de la chi- 
mie : mais je les prie de considérer que leur 
méthode n’est pas celle de la nature; qu’elle 
ne pourra le devenir ou mêmes’en approcher 
qu'autant qu'elle s’accordera avec la saine 
physique, autant qu'on en bannira non seu- 
lement les expressions obscureset techniques, 
mais sur-tout les principes précaires, les 
êtres fictifs auxquels on fait jouer le plus 
grand rôle. sans néanmoins les connoître. 
Le soufre , ez chimie , n'est que le composé 
de l'acide vitriolique et du phlogistique :-+ 
quelle apparence y a-t1l donc qu’il puisse, 


* RS UT 2 Lt 20" 
: " OR ELA ER 
è TEE \ 
At * al < me 
700 


r68 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


comme les autres matières combustibles ; 
tirer son origine du détriment des végétaux. 
ou des animaux ? ‘À cela je réponds, même. 


en admettant cette définition chimique "que 
l'acide vitriolique , et en général tous les 
acides , tous les alcalis, sont moins des 
substances de la nâture que des produits de 
l'art. La nature forme des sels et du soufre ; 


elle emploie à leur composition, comme à 
celle de toutes les autres substances ; les 


quatre élémens : beaucoup de terre et d’eau, 
un peu d'air et de feu, entrent en quantité 
variable dans chaque différente substance 


saline ; moins de terre et d’eau, et beaucoup 


plus d’air et de feu, semblent entrer dans la 


composition du soufre. Les sels et les soufres 


doivent donc être regardés comme des êtres 
de la nature dont on extrait, par le secours 
de l’art de la chimie, et par le moyen du 
feu , les différens acides qu'ils contiennent ;. 
et puisque nous avons employé le feu, et 
par conséquent de l'air et des matières com-— 
bustibles, pour extraire ces acides , pouvons- 
nous douter qu'ils n'aient retenu et qu’ils 
ne contiennent réellement des parties de ma- 
tière combustible qui y seront entrées pen- 
dant l'extraction ? 


PREMIÈRE PARTIE  r6g9 

Le phlogistique est encore bien moins que 
l’acide un être naturel ; ce ne seroit même 
qu’un être de raison, si on ne le regardoit pas 
comme un composé d'air et de feu devenu 
fixe et inhérent aux autres corps. Le soufre 
peut en effet contenir beaucoup de ce phlo- 
gistique, beaucoup aussi d'acide vitriolique; 
mais il a, comme toute autre matière, et 
sa terre et son eau : d’ailleurs son origine 
indique qu’il faut une grande consommation 
de matières combustibles pour sa produc- 
tion; il se trouve dans les volcans, et il 
semble que la nature ne le produise que par 
effort et par le moyen du plus grand feu. 
Tout concourt donc à nous prouver qu’il est 
de la même nature que les autres matières 
combustibles , et que par conséquent il tire, 
comme elles, sa première origine du détri- 
ment des êtres organisés. 

Mais je vais plus loin : les acides eux-mêmes 
viennent en grande partie de la décomposi- 
tion des substances animales ou végétales, et 
contiennent en conséquence des principes de 
la combustion. Prenons pour exemple le sal- 
pêtre : ne doit-il pas son origine à ces matières ? 
n'est-il pas formé par la putréfaction des 

29 


170 MINÉRAUX. INTRODUCTION , 


végétaux, ainsi que des urines et des excré- 


mens des animaux ? IL me semble que l’ex= 
périence le démontre, puisqu'on ne cherche, 
on ne trouve le salpêtre que dans les habita- 
tions où l’homme et les animaux ont long- 
temps résidé ; et puisqu'il est immédiate- 
ment formé du détriment des substances ani- 
imales et végétales , ne doit-il pas contenir 
une prodigieuse quantité d'air et de feu fixes ? 
Aussi en contient -il beaucoup, et même 
beaucoup plus que le soufre, le charbon, 
l'huile , etc. Toutes ces matières combus- 
tibles ont besoin , comme nous l'avons dit, 
du secours de l’air pour brüler , et se con- 
sument d'autant plus vite, qu’elles en re- 
coivent en plus grande quantité. Le salpètre 
n’en a pas besoin dès qu’il est mêlé avec quel- 
ques unes de ces matières combustibles ; il 
semble porter en lui-même le réservoir de 
tout l'air nécessaire à sa combustion : en le 
faisant détonner lentement , on le voit souf- 
fler son propre feu comme: le feroit un souf- 
flet étranger; en le renfermant le plus étroi- 
tement, son feu, loin de s’éteindre , n’en 
prend que plus de force, et produit les ex- 
plosions terribles sur lesquelles sont fondés 


. PREMIÈRE PARTIE.  z7r 
nos arts meurtriers. Cette combustion si 
prompte est en même temps si complète, 
qu'il ne reste presque rien après l’inflamma- 
tion , tandis que toutes les autres matières 
enflammées laissent des cendres ou d’autres 
résidus qui démontrent que leur combustion 
n'est pasentière, ou, ce qui revient au même, 
qu’elles contiennent un assez grand nombre. 
de parties fixes, quine peuvent ni se brüler, 
ni même se volatiliser. On peut de même 
démontrer que l'acide vitrioliqué contient 
aussi beaucoup d’air et de feu fixes, quoi- 
qu’en moindre quantité que l’acide nitreux ; 
et des lors il tire, comme celui-ci, son ori- 
gine de la même source, et le soufre, dans 
la composition duquel cet acide entre si abon- 
damment, tire des animaux et des végétaux 
tous les principes de sa combustibilité. 

Le phosphore artificiel, qui est le premier 
dans l’ordre des matières combustibles , et 
dont l’acide est différent de l’acide nitreux et 
de l'acide vitriolique , ne se tire aussi que du 
règne animal, ou , si l'on veut, en partie 
du règne végétal élaboré dans les animaux, 
c'est-à-dire des deux sources de toute matière 
combustible. Le phosphore s’enflamme de 


172 MINÉRAUX. INTRODUCTION , 


lui-même, c’est-à-dire, sans communication 


de matière ignée, sans frottement, sans autre 


addition que celle du contact de l’air : autre 
preuve de la nécessité de cet élément pour la 
combustion même d'une matière qui ne pa- 
roit être composée que du feu. Nous démon- 


trerons dans la suite que l’air est contenu 


dans l’eau sous une forme moyenne , entre 
l'état d’élasticité et celui de fixité. Le feu 
paroit être dans le phosphore à peu près dans 
ce mème état moyen; car de même que l'air 
se dégage de l’eau dès que l’on diminue la 
pression de l’atmosphère, le feu se dégage du 
phosphore lorsqu'on fait cesser la pression 
de l’eau, où l’on est obligé de le tenir sub- 
mergé pour pouvoir le garder et empêcher 
son feu de s’exalter. Le phosphore semble 
contenir cet élément sous une forme obscure 
et coudensée , et il paroït être pour le feu 
obscur ce qu'est le miroir ardent pour le feu 
lumineux, c’est-à-dire un moyen de conden- 
sation. 

Mais sans nous soutenir plus long-temps 
à la hauteur de ces considérations générales, 
auxquelles je pourrai revenir lorsqu'il sera 
nécessaire , suivons d’une manière plus di- 


PREMIÈRE PARTIE. 1:73 
recte et plus particulière l'examen du feu ; 
tâchons de saisir ses effets, et de Les présen- 
ter sous un point de vue plus fixe qu'on ne 
Va fait jusqu'ici. | 

L'action du feu sur les différentes subs- 
tances dépend beaucoup de la manière dont 
on l’applique ; et le produit de son action sur 
une même substance paroîtra différent selon 
la façon dont 1il est administré. Jai pensé 
qu'on devoit considérer le feu dans trois états 
différens : le premier, relatif à sa vitesse ; le 
second, à son volume; et le troisième, à sa 
masse. Sous chacun de ces points de vue, cet 
élément si simple, si uniformeen apparence, 
paroîtra, pour ainsi dire, un élément diffé- 
rent. On augmente la vitesse du feu sans en 
augmenter le volume apparent, toutes les 
fois que, dans un espace donné et rempli de 
matières combustibles , on presse l’action et 
le développement du feu en augmentant la 
vitesse de l’air par des soufflets, des trompes, 
des ventilateurs, des tuyaux d'aspiration, etc. 
qui tous accélèrent plus ou moins la rapidité 
de l'air dirigé sur le feu; ce qui comprend, 
comme l’on voit , tous les instrumens , tous 
les fourneaux à vent, depuis Les grands four- 


x74 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
neaux de forges jusqu'à la lampe des émail- 
leurs. R : LE LS 
On augmente l’action du feu par son vo- 
lume toutes les fois qu’on accumule une 
grande quantité de matières combustibles, 
et qu’on en fait rouler la chaleuretla flamme 
dans des fourneaux de réverbère; ce qui 
comprend , comme l’on sait, les fourneaux 
de nos manufactures de glaces, de crystal, 
de verre , de porcelaine, de poterie, et aussi 
ceux où l’on fond tous les métaux et les mi- 
néraux, à l'exception du fer. Le feu agit IC 
par son volume , et n’a que sa propre vitesse, 
puisqu'on n’en augmente pas la rapidité par 
des soufflets ou d’autres instrumens qui por- 
tent l’air sur le feu. Il est vrai que la forme 
des tisards, c’est-à-dire , des ouvertures prin- 
cipales par où ces fourneaux tirent l'air, 
contribue à l’attirer plus puissamment qu'il 
ne le seroit en espace libre; mais cette aug- 
mentation de vitesse est très-peu conside- 
rable en comparaison de la grande rapidité 
que lui donnent les soufflets. Par ce dernier 
procédé on accélère l’action du feu, qu'on 
aiguise par l'air autant qu'il est possible ; 
par lPautre procédé, on l’augmente en çon=- 
centrant sa flamme en graud volume. 


PREMIÈRE PARTIE. 775 

Ily a, comme l’ou voit, plusieurs moyens 
d'augmenter l’action du feu, soit qu'on 
veuille le faire agir par sa vitesse ou par son 
volume; mais iln'y en a qu'un seul par le- 
quel on puisse augmenter sa masse, c'est de 
le réunir au foyer d’un miroir ardent. Lors- 
qu'on reçoit sur un miroir réfringent ou 
réflexif les rayons du soleil , ou même ceux 
d’un feu bien allumé, on les réunit dans un 
espace d'autant moindre, que le miroir est 
plus grand et le foyer plus court. Par exem- 
ple, avec un miroir de quatre pieds de dia- 
mètre et d’un pouce de foyer, il est clair 
que la quantité de lumière ou de feu qui 
tombe sur le miroir de quatre pieds se trou- 
vant réunie dans l’espace d’un pouce, seroit 
deux mille trois cent quatre fois plus dense 
qu'elle ne l’étoit, si toute la matière inci- 
dente arrivoit sans perte à ce foyer Nous 
verrons ailleurs ce qui s’en perd effective- 
ment; mais 1l nous suffit ici de faire sentir 
que quand même cette perte seroit des deux 
tiers ou des trois quarts, la masse du feu con- 
centré au foyer de ce miroir sera toujours. 
six ou sept cents fois plus dense qu'elle ne 
V'étoit à Ia surface du miroir. Ici, comme 


… 


176 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 

dans tous les autres cas, la masse accroît par 
la contraction du volume , et le feu dont om 
augmente ainsi la densité a toutes les pro- 
priéteés d’une masse de matière; car, indé- 
pendamment de l’action de la chaleur par 
laquelle il pénètre les corps , il les pousse et 
les déplace comme le feroit un corps solide 
en mouvement qui en choqueroit un autre. 
On pourra donc augmenter par ce moyen la 
densité ou la masse du feu d'autant plus 
qu'on perfectionnera davantage la construc- 
tion des miroirs ardens. 

Or chacune de ces trois manières d’admi- 
nistrer Le feu et d’en augmenter ou la vitesse, 
ou le volume, ou la masse, produit sur les 
mêmes substances des effets souvent très-dif- 
férens : on calcine par l’un de ces moyens 
ce que l’on fond par l’autre ; on volatilise 
par le dernier ce qui paroît réfractaire au 
premier : en sorte que la même matière donne 
des résultats si peu semblables, qu'on ne 
peut compter sur rien, à moins qu'on ne la 
travaille en même temps ou successivement 
par ces trois moyens ou procédés que nous 
venons d'indiquer; ce qui est une route plus 
longue , mais la seule qui puisse nous con— 


PREMIÈRE PARTIE. 177 
duire à la connoissance exacte de tous les 
rapports que les diverses substances peuvent 
avoir avec l'élément du feu. Et de la mème 
manière que je divise en trois procédés géné- 
raux l’administration de cet élément, je di- 
vise de même en trois classes toutes les ma- 
tières que l’on peut soumettre à son action. 
Je mets à part, pour un moment, celles qui 
sont purement combustibles , et qui pro- 
viennent immédiatement des animaux et des 
végétaux , et je divise toutes les matières 
minérales en trois classes relativement à l’ac- 
tion du feu : la première est celle des matières 
que cette action long-temps continuée rend 
plus lésères, comme le fer; la seconde, celle 
des matières que cette même action du feu 
rend plus pesantes, comme le plomb; et la 
troisième classe est celle des matières sur les- 
quelles, comme sur l'or , cétte action du feu 
ne paroït produire aucun effet sensible, puis- 
qu'elle n’altère point leur pesanteur. Toutes 
les matières existantes et possibles, c’est-à- 
dire, toutes les substances simples et compo- 
sées, seront nécessairement comprises dans 
l'une de ces trois classes. Ces expériences, 
par les trois procédés, qui ne sont pas diffi- 


158 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
ciles à faire, et qui ne demandent que de | 
l'exactitude et du temps, pourroient nous 
decouvrir plusieurs choses utiles, etseroient 
très-nécessaires pour fonder sur des principes 
réels la théorie dela chimie: cette bellescience, 
jusqu’à nos jours , n’a porté que sur une no- 
menclature précaire, et sur des mots d’au- 
tant plus vagues qu’ils sont plus généraux. 


Le feu étant, pour ainsi dire, le seul ins- 


trument de cet art, et sa nature n'étant 
point connue, non plus que ses rapports avec 
les autres corps , on ne sait ni ce qu’il y met 
ni ce qu'il en ôte; on travaille donc à l’a- 
veupgle , et l’on ne peut arriver qu’à des ré- 
sultats obscurs, que l’on rend encore plus 
obscurs en les érigeant en principes. Le phlo- 
gistique , le minéralisateur , l’acide, l’alca- 
li, etc. ne sont que des termes créés par la 
méthode, dont les définitions sont adoptées 
par convention, et ne répondent à aucune 
idée claire et precise, ni même à aucun être 
réel. Tant quenous ne connoîtrons pas mieux 
la nature du feu, tant que nous ignore- 
rons ce qu’il ôte ou donne aux matières qu’on 
soumet à son action, il ne sera pas possible 
de prononcer sur la nature de ces mêmes ma 


PREMIÈRE PARTIE. 179 
tières d’après les opérations de la chimie, puis- 
que chaque matière à laquelle le feu ôte ou 
donne quelque chose n’est plus la substance 
simple que l’on voudroit connoître , mais une 
matière composée et mélangée, ou denaturée 
et changée par l'addition ou la soustraction 
d’autres matières que le feu en enlève ou y 
fait entrer. | 
Prenons pour exemple de cette addition et 
de cette soustraction le plomb et le marbre. 
Par la simple calcination l’on augmente le 
poids du plomb de près d’un quart, et l’on 
diminue celui du marbre de près de moitié : 
il y a donc un quart de matière inconnue 
que le feu donne au premier, et une moitié 
d'autre matière également inconnue qu'il 
enlève au second. Tous les raisonnemens de 
1a chimie ne nous ont pas démontré jusqu'ici 
ce que c'est que cette matière donnée ou en 
levée par le feu, et il est évident que lors= 
qu'on travaille sur le plomb etsur le marbre 
après leur calcination, ce ne sont plus ces 
matières simples que l’on traite, mais d'autres 
matières dénaturées et composées par l’action 
du feu. Ne seroit-il donc pas nécessaire, avant 
tout, de procéder d’après les vues que je viens 


189 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
d'indiquer , de voir d’abord sous un même 


coup d'œil toutes les matières que le feu ne 


change ni n’altére , ensuite celles que le feu 
détruit ou diminue, et enfin celles qu’il aug- 
mente et compose en s’incorporant avec elles? 

Mais examinons de plus près la nature du 
feu considéré en lui-même. Puisque c’est 
une substance matérielle, il doit être sujet 
à la loi générale, à laquelle toute matière 
est soumise. Il est le moins pesant de tous les 
corps, mais cependant il pèse; et quoique 
ce que nous avons dit précédemment suffise 
pour le prouver évidemment , nous le de- 
montrerons encore par des expériences pal- 
pables , et que tout le monde sera en état de 
répéter aisément. On pourroit d’abord soup- 
çonner , par la pesanteur réciproque des 


astres, que le feu en grande masse est pesant, 


ainsi que toute matière; car les astres qui 
sont lumineux comme le soleil, dont toute 
la substance paroît être de feu , n’en exercent 
pas moins leur force d'attraction à l’ésard 
des astres qui ne le sont pas : mais nous de 
montrerons que le feu même en très-petit 
volume est réellement pesant; qu’il obéit, 
comme toute autre matière, à la loi géne- 


de 


: PREMIÈRE PARTIE. 18e 
Tale de la pesanteur, et que par conséquent 
il doit avoir de même des rapports d’affinité 
avec les autres corps, en avoir plus ou moins 
avec telle ou telle substance , et n’en avoir 
que peu ou point du tout avec beaucoup 
d’autres. Toutes celles qu’il rendra plus pe 
santes, comme le plomb ; seront! celles avec 
lesquelles il'aura le plus d’affinité ; et en le 
supposant appliqué au même degré et pen= 
dant un temps. égal, celles de ces matières 
qui gagneront le plus en pesanteur seront 
aussi celles avec lesquelles cette affinité sera 
la plus grande. Un des effets de cette affinité 
dans chaque matière est de retenir la subs— 
tance même du feu et de se l’incorporer; 
et cette incorporation suppose que non seu 
lement le feu perd sa chaleur et son élastii 
cité, mais même tout son mouvement, puis- 
qu'il se fixe dans ces corps et en devient par- 
tie constituante. Il y a donc lieu de croire 
qu'il en est du feu comme de l'air, qui se 
trouve sous une forme fixe et concrète dans 
presque tous les corps; et l'on peut espérer. 
qu'à l'exemple du docteur Hales * , qui a su 


* Le phosphore, qui n’est, pour ainsidire, qu’une 
Mat, gén. LV. 10 


AUVEP TS P'OMPALORE IRL ATRRS 
VA FA MRAU TES é 
Ven # 


182 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
dégager cet air fixé dans tous les.corps et én 
évaluer la quantité, il viendra quelque jour 
un physicien habile qui trouvera les moyens 
de distraire le feu de toutes les matières où il 
se trouve sous une forme fixe: mais il faut 
auparavant faire la table de ces matières, en 
établissant par l'expérience les différens rap- 
ports dans lesquels le feu se combine avec 
toutes les substances qui-lui sont analogues, 
et se fixe en plus ou moins grande quantité, 
selon que ces substances ont plus ou moins 
de force pour le retenir. TR de 

. Car il est évident que toutes les matières 
dont la pesanteur augmente par l’action dw 
feu , sont douées d’une force attractive, telle 
que son effet est supérieur à celui de la force 
expansive dont les particules du feu sont 
animées, puisque celle-ci s’amortit et s’é- 
teint, que son mouvement cesse, et que d’é- 
lastiques et fugitives qu'étoient ces parti 
‘matière ignée, une substance qui conserve et con- 
dense le feu , seroit le premier objet des expériences 
qu'il faudroit faire pour traiter le feu comme 
M. Hales a traité l'air, et le premier instrument 
quil faudroit employer pour ce nouvel art. 


PREMIÈRE PARTIE. 183 
cules ignées, elles deviennent fixes, solides, 
et prennent une forme concrète. Ainsi les 
matières qui augmentent de poids par le feu, 
comme l’étain, leplomb, lesfleursdezine, etc. 
et toutes les autres qu’on pourra découvrir, 
sont des substances qui, par leur affinitéavec 
le feu, l’attirent et se l’incorporent. Toutes 
les matières, au contraire, qui, comine le 
fer, le cuivre, etc. deviennent plus légères 
à mesure qu'on les calcine, sont des subs- 
tances dont la force attractive , relativement 
aux particules ignées , est moindre que la 
force expansive du feu; et c’est ce qui fait 
que le feu, au lieu de se fixer dans ces ma- 
tières, en eulève au contraire et en chasse 
les parties les moins liées, qui ne peuvent 
résister à son impulsion. Enfin celles qui, 
comme l'or, la platine, l'argent, le grès, etc, 
ne perdent ni n’acquièrent par l'application 
du feu, et qu'il ne fait, pour ainsi dire, que 
traverser sans en rien enlever et sans y rien 
laisser , sont des substances qui, n’ayant 
aucune affinité avec le feu, et ne pouvant se 
joindre avec lui, ne peuvent par conséquent 
ni le retenir ni l'accompagner en se laissant 
enlever. Ïl est évident que les matières des 


« 


x84 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
deux premières classes ont avec le feu un, 


certain degré d’affinité, puisqué celles de la. 


seconde classe se chargent du feu qu’elles 

retiennent, et que le feu se charge de celles. 
de la première classe et qu’il les emporte, 

au lieu que les matières dela troisième classe, 

auxquelles il ne donne ni n’ôte rien, n’ont 

aucun rapport d’afhinité ou d'attraction avec 

lui, et sont, pour ainsi dire, indifférentes à, 

-son action, qui ne peut ni les dénaturer n4& 

mème les altérer. 

Cette division de toutes les matières en trois 
classes relatives à l’action du feu, n’exclut pas 
la division plus particulière et moins absolue 
de toutes les matières en deux autres classes, 
qu’on a jusqu'ici regardées comme relatives 
à leur propre nature, qui, dit-on, est tou- 
jours vitrescible ou calcaire, Notre nouvelle. 
division n’est qu’un point de vue plus éleve, 
sous lequel il faut les considérer pour tâcher 
d'én déduire la connoissance même de l’ar- 
gent qu'on emploie par les différens rapports 
que le feu peut avoir avec toutes les subs— 
tances auxquelles on l’applique. Faute de 
comparer ou de combiner ces rapports, ainsi 
que les moyens qu’on emploie pour appli 


e 


- PREMIÈRE PARTIE. 185 
quer le feu, je vois qu’on tombe tous les 
jours dans des contradictions apparentes, et 
même dans des erieurs très-préjudiciables *. 


* Je vais en donner un exemple récent. Deux 
habiles chimistes ( MM. Pott et d'Arcet}) ont 
soumis un grand nombre de substances à l’action du 
feu. Le premier s'est servi d’un fourneau que je suis 
étonné que le second n'ait point entendu, puisque 
rien ne m'a paru si clair dans tout l’ouvrage de 
M. Poit , et quil ne faut qu'un coup-d'œil sur la 
planche gravée de ce fourneau, pour reconnoîtré 
que, par sa construction , 1l peut, quoique sans souf= 
flets, faire à peu près autant d’effet que s’il en 
étoit garni; car au moyen des longs tuyaux qui 
sont adaptés au fourneau par le haut et par le bas, 
l'air y arrive et circule avec une rapidité d'autant 
plus grande’, que les tuyaux sont mieux propor- 
tionnés : ce sont des soufflets constans, et dont on 
peut augmenter l’effet à volonté. Cette construction 
est si bonne et si simple, que je ne puis concevoir 
que M. d’Arcet dise que ce fourneau est un pro- 
bléme pour lui. quil est persuadé que M, Pott æ& 
dà se servir de soufflets, etc. tandis qu’il est évident 
que son fourneau équivaut, par Sa Construction, à 
l'action des soufflets, et que par conséquent il n’a- 
voit pas besoin d’y avoir recours ; que d’ailleurs ce 
fourneau est encore exempt du vice que M. d’Arcet 


xeproche aux soufflets, dont 1l a raison de dire que 
16 


Gé MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
On pourroit donc dire, avec les natura, 
listes, que tout est vitrescible dans la nature, 


à l'exception de ce qui est calcaire; que les 


Paction alterne, sans cesse renaissante et expi- 
ranle, jette du trouble et de l'inégalité sur celle 
du feu ; ce qui ne peut arriver ici, puisque, par la 
coustruction du fourneau, l’on voit évidemment que 
le renouvellement de l'air est constant, et que sou 
action ne renaît ni n’expire, mais est Continue et 
toujours umiforme. Ainsi M. Pott a employé l’un 
des moyens dont on se doit servir pour appliquer 
le feu , c’est-à-dire, un moyen pat lequel, comme 
par Le soufflets , on augmente la vitesse du feu, en 
le pressant incessamment par un air toujours renou- 
velé ; et toutes les fusions qu’il a faites par ce moyen, 
et dont j’ai répété quelques unes , comme celles du 
grès, du quartz; etc. sont très-réelles, quoique. 
M. d’'Arcet les nie: car pourquoi les nie-t-il ? c’est 
que de son côté, au lieu d'employer, comme M. Pour, 
le premier de nos procédés généraux, c’est-à-dire, 
le feu par sa vitesse accélérée autant qu'il est pos- 
sible par le mouvement rapide, de l'air, maÿAd 
par lequel il eût obtenu les mêmes résultats, il s’est 
servi du second procédé, et n’a employé que le 
feu en grand volume dans un fourneau, sans souf- 
flets ou sans équivalent, dans lequel par conséquent 
le feu ne devoit pas produire les mêmes effets, mais 
devoit en donner d’autres, que, par la même raison, 


PREMIÈRE PARTIE. 187 
quartz , les crystaux , les pierres précieuses , 
les cailloux, les grès, les sranits, porphyres, 
agates, ardoises , gypses , argilles, les pierres 


le premier procédé ne pouvoit pas produire. Ainsi 
les contradictions entre les résultats de ces deux 
habiles chimistes ne sont qu’apparentes et fondées 
sur deux erreurs évidentes : la première consiste à 
croire que le feu le plus violent est celui qui est en 
plus grand volume ; et la seconde, que l’on doit 
obtenir du feu violent les mêmes résultats, de quel= 
que manière qu'on l’applique : cependant ces deux 
idées sont fausses. La considération des vérités con- 
traires est encore une des premières pierres qu'il 
faudroit poser aux fondemens de la chimie; car ne. 
seroit-1l pas très-nécessaire avant tout, et pour évie 
ter de pareilles contradictions à l’avemir, que les 
chimistes ne perdissent point de-vue qu'il y a trois 
moyens généraux , et très-différens l’un de l’autre, 
d'appliquer le feu violent? Le premier, comme je 
l'ai dit, par lequel on n’emploie qu’un petit volume 
de feu , mais que l’on agite, aiguise, exalte au plus 
haut deoré par la vîtesse de l'air, soit par des souf- 
flets, soit par un fourneau semblable à celui de 
M. Pott, qui tire l’air avec rapidité : on voit par 
l'effet de la lampe d’émailleur , qu'avec une quantité 
de feu presque infiniment petite, on fait de plus 
grands effets en petit que le fourneau de verrerie 
ne, peut en faire en grand. Le secogd moyen est. 


D: RIT ON MONTS 


1#8 MINÉRAUX"INTRODUCTION, 
ponces, les laves , les amiantés avec toes les 


métaux et autres minéraux ; sont vitrifiables 
par le feu de nos fourneaux ; où par celui des. 


d'appliquer le feu, non pas en petit, mais en très- 
grande quantité , comme on le fait dans les four- 
neaux de porcelaine et de verrerie, où le feu n’est. 


fort que par son volume, où son action est tran= 


quille , et n’est pas exaltée par un renouvellement 
très-rapide de l'air. Le troisième moyen est d’ap- 


pliquer le feu en très-petit volume, mais én aug- 


inentant sa masse et son intensité au point de le 
rendre plus fort que par le second moyen, et plus 
violent que par le premier; et ce moyen de con- 
centrer le feu et d’en augmenter la masse par les 
miroirs ardens, est encore le plus puissant de tous. 

Or chacun de ces trois moyens doit fournir un 
certain nombre de résultats différens : si, par le 
premier moyen , on fond et vitrifie telles’et telles ma- 
üères, 1l est très-possible que ; par le second moyen, 
on ne puisse vitrifier ces mêmes matières , et qu'au 
contraire on eu puisse fondre d’autres qui n’ont pu 
l'être par le premier moyen; et enfin il est tout 
aussi possible que, par le troisième moyen; on ob 
Uenne encore plusieurs résultats semblables où dif= 
férens de ceux qu'ont fournis les deux prermers 
moyens. Dès lors un chimiste qui, comme M. Pott, 
m’emploie que le premier moyen , doit sé borner à 
sonner les résultats fournis par ce moyen; fque; 


PREMIÈRE PARTIE. 189. 
miroirs ardens ; tandis que les marbres , les 
albâtres , les pierres, les craies, les marnes, 
et les autres substances qui proviennent du 


comme 1l l’a fait, l’énumération des matières qu’il 
a fondues, mais ne pas prononcer sur la non-fusi- 
biliié des autres, parce qu elles peuvent l être par 
le second ou le troisième moyen ; enfin ne pas dire 
affirmativement et LR en parlant de son 
fourneau, qu’en une heure de 1emps, ou deux au 
plus, il met en fonte tout ce qui est fusible dans la 
nature. Et, par la même raison, un autre chimuste 
qui, comme M. d’Arcet, ne s’est servi que du se- 
cond moyen, tombe dans l'erreur, s’il se croit en 
contradiction avec celui qui ne s’est servi que du 
premier moyen, et cela parce qu’il n’a pu fondre 
plusieurs matières que l’autre a fait couler , et qu’au 
contraire 1l a mis en fusion d’autres matières que le 
premier n’avoit pu fondre ; car si l’un ou l’autre se 
fût avisé d'employer successivement les deux moyens, 
il auroit bien senti qu’il n’étoit point en contradic- 
tion avec lui-même, et que Ja différence des résul- 
tats ne provenoit que de la différence des moyens 
employés. Que résulte-t-1l donc de réel de tout ceci, 
sinon qu’il faut ajouter à la liste des matières fon- 
dues par M. Poitt celles de M. d’Arcet, et se sou- 
venir seulement que, pour fondre les premières , 1l 
faut le premier moyen, et le second pour fondre 
des autres? Il n'y a par consiquent aucune contra 


xgo MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
détriment des coquilles et des madrépores , ne 
peuvent se réduire en fusion par ces moyens. 
Cependant je suis persuadé que si l’on vient 
à bout d'augmenter encore la fofce des four- 
neaux , et sur-tout la puissance des miroirs 
ardens ; on arrivera au point de faire fondre 
ces matières calcaires qui paroissent être 
d’une nature différente de celle des autres; 
puisqu'il y a mille et mille raisons de croire 
qu’au fond leur substance est la mème, et 


AA 


diction entre les expériences de M. Poit et celles de 
M. d’Arcet, que je crois également bonnes: mais 
tous deux, après cette conciliätion, auroïent encore 
tort de conclure qu’ils ont fondu par ces deux moyens 
tout ce qui est fusible dans la nature, puisque l’on 
peut démontrer que par le troisieme moyen , c’est-à- 
dire, par les miroirs ardens, on fond et vitrifie, on vo- 
Jatilise et même on brûle quelques matières qui leur 
ont également paru fixes et réfractaires au feu de 
leurs fourneaux. Je ne m’arrèlerai pas sur plusieurs 
choses de détail, qui cependant mériteroient ani- 
madversion, parce qu il est toujours utile de ne pas 
laisser germer des idées erronées ou faits mal vus, et 
dont on peut tirer de fausses conséquences. M. d’Ar: 
cet dit qu'il a remarqué constamment que la flamme 
fait plus d'effet que le feu de charbon. Oui sans 
doute, si ce feu n’est pas excité par le vent ; mais, 


"PREMIÈRE PARTIE.  ryr 
que le verre est la base commune de toutes 
les matières terrestres. | 

Par les expériences que j'ai pu faire moi- 
même pour comparer la force du feu selon 
qu'on emploie, ou sa vitesse, ou son volume, 
ou sa masse, j'ai trouvé que le feu des plus 
grands et des plus puissans fourneaux de ver- 
rerie n’est qu’un feu foible en comparaison 
de celui des fourneaux à soufflets , et que le : 


toutes les fois que le charbon ardent sera vivifié par 
un air rapide, 1l ÿ aura de la flamme qui sera plus 
active et produira de bien plus grands effets que 
la flamme tranquille. De même, lorsqu'il dit que 
les fourneaux donnent de la chaleur en raison de 
leur é épaisseur, cela ne peut être vrai que dans le seul 
cas où les fourneaux étant supposés égaux , le feu 
qu'ils contiennent seroit en même temps animé par 
deux courans d'air égaux en volume et en rapidité- 
La violence du feu dépend presque en entier de cette 
rapidité du courant de l'air qui l’anime ; je puis le 
démontrer par ma propre expérience : j’ai vu le grès, 
que M. d’Arcet croit infusible, couler et se couvrir 
d’émail par le moyen de deux bons soufflets, mais 
sans le secours d'aucun fourneau et à feu ouvert. 
L'effet des fourneaux épais n’est pas d’augmenter la 
chaleur , mais de la conserver ; et ils la conservent 


d'autant plus long-temps qu'ils sont plus épais. 


r92 MINÉRAUX. UCTION, 
feu produit au st d'un hotiemivair ardent: 
est encore plus fort que celui dés plus grands 
fourneaux de forge. J’ai tenu pendant trente- 
six heures , dans l'endroit le plus chaud du 
fourneau de Rouelle en Bourgogne , où l’on 
fait des glaces aussi grandes et aussi belles: 
qu'à Saint-Gobin en Picardie , et où le feu 
est aussi violent ; j'ai temu, dis-je; péndäné, 
itrente-six heures à ce feu, de la mine dé fer, 
ete 2 elle se soit fondue, ni agglutinée  : 
ni même altérée en aucune matière , tandis! 
qu’en moins de douze heures écre iii coule 
en fonte dans les fourneaux de ma forge 3 
ainsi ce dernier feu est bien supérieur à 
l’autre. De même j'ai fondu ou volatilisé au 
miroir ardent plusieurs matières que ni le feu, 
des fourneaux de réverbère, ni celui des plus 
puissans soufflets, n’avoient: pu fondre , et 
je me suis convaincu que ce dernier moyen 
est le plus puissant de tous. Mais jé rénvoie 
à la partie expérimentale de mon ouyrage le 
détail de.ces expériences importantes, dt 
me contente d'indiquer ici le résultat général. 
Où croit vulgairement que la flamme est 
Ja partie la plus chaude du feu : cependant 
rien n'est plus mal fondé que cette opinion ; 


PREMIÈRE PARTIE. 193 
car on peut démontrer le contraire par les 
expériences les plus aisées et les plus fami- 
 lières. Présentez à un feu de paille ou même 
à la flamme d’un fagotqu’'on vientd’allumer, 
un linge pour le sécher ou le chauffer ; il vous 
faudra le double et le triple du temps pourlui 
donner le degré de sécheresse ou de chaleur 
que vous’ lui donnerez en l’exposant à un 
brasier sans flamme , ou même à un poêle 
bien chaud. La flamme a été très-hien carac- 
térisée par Newton, lorsqu'il l’a definie une 
fumée brülante( /amma est fumuscandens), 
et cette fumée ou vapeur qui brüle n’a jamais 
la même quantité , la même intensité de cha- 
leur que le corps combustible duquel elle 
s'échappe ; seulement, en s’élevant et s’éten- 
dant au loin, elle a la propriété de commu- 
niquer le feu, et dele porter plus loin quene 
s'étend la chaleur du brasier, qui seule ne suf- 
hroit pas pour le communiquer même de près. 

Cette communication du feu mérite une 
atteution particulière. J'ai vu, après y avoir 
réfléchi, que , pour la bien entendre , il 
falloit s'aider non seulement des faits qui 
paroissent y avoir rapport, mais encore de 
quelques expériences nouvelles, dont le suc: 


17 


r94 MINÉRAUX. INTRODUCTION, | | 
cês ne me paroît laisser aucun doute sur la | 
manière dont se fait cette opération de Ja 
nature. Qu'on reçoive dans un moule deux 
ou trois milliers de fer au sortir du four- 
neau , ce métal perd en peu de temps son 
incandescence , ei cesse d’être rouge après 
une heure eu deux , suivant l’épaisseur plus’ 
ou moins grande du lingot. Si, dans ce m0 
ment qu'il cesse de nous paroître rouge, on 
le tire du moule, les parties inférieures seront 
encore rouges, mais perdront cette couleur 
en peu de temps. Or, tant que le rouge sub- 
siste , on pourra enflammer , allumer les 
matières combustibles qu’on appliquera sur 
ce lingot : mais , dès qu’il a perdu cet état 
d’incandescence, il y a des matières en grand 
nombre qu’il ne peut plus enflammer ; et 
cependant la chaleur qu’il répand , est peut- 
être cent fois plus grande que celle d’un feu 
de paille quintanmoins communiqueroitlin- - 
flammation à toutes ces matières. Cela m'a 
fait penser que la flamme étant nécessaire à 
la communication du feu , il y avoit de la 
flamme dans toute incandescence; la coùuleur 
rouge semble en effet nous l'indiquer : mais, 
par l’habitude où l’on est de ne regarder 


PREMIÈRE PARTIE. 195 
comme flamme que cette matière légère qu’a- 
gite et qu'emporte l’air , on n’a pas pensé 
qu'il pouvoit y avoir de la flamme assez dense 
pour ne pas obéir, comme la flamme com-— 
mune , à l'impulsion de l'air; et c’est ce que 
j ai voulu vérifier par quelques expériences , 
en approchant par degrés de ligne et de demi- 
ligne , des matières combustibles , près de la 
surface du métal en incandescence et dans 
l'état qui suit l’incandescence *. 

Je suis donc convaincu que les matières 
incombustibles et même les plus fixes, telles 
que l'or et l'argent, sont, dans l’état d’incan- 
descence , environnées d’une flamme dense 
qui ne s'étend qu’à une très-petite distance, 
et qui, pour ainsi dire , est attachée à leur 
surface ; et je conçois aisément que quand la 
flamme devient dense à un certain degré, elle 
cesse d’obéir à la fluctuation de l’air. Cette 
couleur blanche ou rouge qui sort de tous 
les corps en incandescence et vient frapper 
nos yeux , est l'évaporation de cette flamme 
dense quienvironnele corps en se renouvelant 


* Voyez le détail de ces expériences dans la pare, 
tie expérimentale de cet ouvrage, 


1° “ Ni 


196 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
incessamment à sa surface; et la lumiére du 
soleil même n'est-elle pas l’évaporation de 
cette flamme dense dont brille sa surface avec 
si grand éclat? cette lumière ne produit-elle 
pas , lorsqu'on la condense , les mêmes effets 
que la flamme la plus vive? necommunique- 
t-elle pas le feu avec autant de promptitude et 
d'énergie? ne résiste-t-elle pas, comme notre 
flamme dense, à l'impulsion de l'air? nesuit- 
elle pas toujours une route directe , que le 
mouvement de l’air ne peut ni contrarier ni | 
changer, puisqu’en soufflant , comme je l’af 
éprouvé, avec un fort soufflet sur le cône lu- 
mineux d'un miroir ardent , on ne diminuë 
point du tout l’action de la lumièredontilest 
compose, etqu'ondoitla regarder commeune 
vraie flamme plus pure et plus dense quetoutes 
les flammes de nos matières combustibles? 
C'est douc par la lumière que le feu se 
communique , et la chaleur seule ne peut 
produire le même effet que quand elle de- 
vient assez forte pour être lumineuse. Les 
métaux , les cailloux , les grès, les briques , 
les pierres calcaires, quel que puisse être leur 
degré différent de chaleur , ne pourront en- 
ilammer deux corps que quand ils seront 


\ 


, PREMIÈRE PARTIE 1:07 
_ devenus lumineux. L'eau elle-même, cet 
élément destructeur du feu , et par lequel seul 
nous pouvons en empêcher la communica- 
tion , le communique néanmoins , lorsque 
dans un vaisseau bien fermé, tel que celui 
de la marmite de Papin *, on la-pénètre 
d'une assez grande quantité de feu pour la 
rendre lumineuse , et capable de fondre Le 
plomb et l'étain ; tandis que, quand elle n’est 
que bouillante , loin de propager et de com- 
muniquer le feu , elle l’éteint sur-le-champ. 
Il est vrai que la chaleur seule suffit pour 
préparer et disposer les corps combustibles 
à l’'inflammation , et les autres à l’incan- 
descence ; la chaleur chasse des corps toutes 
les parties humides , c'est-à-dire , de l’eau, 
qui, de toutes les matières, est celle qui s’op- 
pose le plus à l’action du feu ; et ce qui est 
remarquable , c’est que cette même chaleur 
qui dilate tous les corps, ne laisse pas de les 
durcir en les séchant : je l’ai reconnu cent 
fois , en examinant les pierres de mes grands 


* Dans le digesteur de Papin, la chaieur de 
l’eau est portée au point de fondre le plomb et 
V’étain qu'on y a suspendu avec du fil de fer ou de 


Haiton. | 
17 


198 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
fourneaux , sur-tout les pierres calcaires; elles 
prennent une augmentation de dureté , pro- 
portionnée au temps qu’elles ont éprouvé la 
chaleur: celles, par exemple, des parois exté- 
rieures du fourneau, et qui ont reçu sans 
interruption , pendant cinq ou six mois de 
suite , quatre-vingts ou quatre-vingt-cinq 
degrés de chaleur constante , deviennent si 
dures, qu’on a de la peine à les entamer avec 
les instrumens ordinaires du tailleur.de pier- 
res; on diroit qu’elles ont changé de qualité, 
quoique néanmoins elles la conservent à tous 
autres égards ; car ces mêmes pierres n’en 
font pas moins de la chaux comme les autres, 
lorsqu'on leur applique le degré de feu néces- 
saire à cette opération. 

Ces pierres , devenues dures par la longue 
chaleur qu’elles ont éprouvée, den erL 
même temps spécifiquement plus pesantes * ; 
de là j'ai cru devoir tirer une induction qui 
prouve, et même confirme pleinement, que 
la chaleur , quoiqu'en apparence, toujours 
fugitive et jamais stable dans les corps qu’elle 


* Voyez sur cela les expériences dont Je rends 
compte dans la partie expérimentale de cet ouvrages 


PREMIÈRE PARTIE. 199 
pénètre, et dont elle semble constamment 
s’efforcer de sortir, y dépose néanmoins d’une 
manière très-stable beaucoup de parties qui 
s’y fixent, et remplacent , en quantité même 
plus grande , les parties aqueuses et autres 
qu'elle en a chassées. Mais ce qui paroît con- 
traire , ou du moins très-diMficile à concilier 
ici, c’est que cette mème pierre calcaire qui 
devient spécifiquement plus pesante par l’ac- 
tion d’une chaleur modérée, long-tempsconti- 
nuée, devient tout-à-coup plus légère de près 
d'une moitié de son poids , dès qu’on la sou- 
met au grand feu nécessaire à sa calcination, 
et qu’elle perd en même temps non seule- 
ment toute la dureté qu’elle avoit acquise par 
Jaction de la simple chaleur, mais même sa 
dureté naturelle , c’est-à-dire , la cohérence 
de ses parties constituantes ; effet singulier, 
dont je renvoie l’explication à l’article sui- 
vant , où je traiterai de l'air, de l’eau et de 
la terre , parce qu’il me paroit tenir encore 
plus à la nature de ces trois élémens qu’à 
celle de l'élément du feu. | 
Mais c’est ici le lieu de parler de la calci- 
pation : prise généralement , elle est pour 
les corps fixes et incombustibles ce qu'est ja 


ET 


200 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
combustion pour les matières volatiles a" 
inflammables ; la calcination a besoin , comme 


la combustion , du secours de l’air ; elle s’o- 


père d'autant plus vîte qu'on lui fournit une 
plus grande quantité d'air ; sans cela, le feu 
le plus violent ne peut rien calciner , rien 
enflammer que les matières qui contiennent 
en elles-mêmes, et qui fournissent, à mesure 
qu'elles brülent ou se calcinent , tout l'air 
nécessaire à la combustion ou à la calcination 
des substances avec lesquelles on les mêle. 
Cette necessite du concours de l'air dans la 
calcination , comme dans la combustion, in- 
dique qu’il y a plus de choses communes 
entre elles qu'on ne l’a soupçonné. L’applica- 
tion du feu est le principe de toutes deux; 
celle de l’air en est la cause seconde, et pres- 
que aussi nécessaire que la première : mais 
ces deux causes se combinent inégalement , 
selon qu'elles agissent en plus ou moins de 
temps, avec plus ou moins de force, sur des 
substances différentes ; il faut , pour en rai- 
sonner juste, se rappeler les effets de la calci- 
nation , et les comparer entre eux et avec 
ceux de la combustion. 

La combustion s'opère promptement , et 


» 


PREMIÈRE PARTIE.  2or 
quelquefois se fait en un instant; la calcina- 
tion est SE plus lente ; et quelquefois 
silongue, qu'on la croit impossible. À mesure 
EE les matières sont plus inflammables et 
qu’on leur fournit plus d'air , la combustion 
s’en faitavec plus de rapidité : et par la raison 
inverse, à mesure que les matières sont plus 
incombustibles , la calcination s’en fait avec 
plus de lenteur; et lorsque les parties consti- 
tuantes d'une substance telle que l’or sont 
non seulement incombustibles , mais parois- 
sent si fixes qu’on ne peut les volatiliser , la 
calcination ne produit aucun effet , quelque 
violente qu'elle puisse être. On doit donc 
considérer la calcination et la combustion 
comme des effets du même ordre, dont les 
deux extrèmes nous sont désignés par le phos- 
phore , qui est le plus ‘inflammable de tous 
les corps, et par l’or , qui de tous est le plus 
fixe et le moins combustible ? toutes les subs- 
tances comprises entre ces ‘deux extrêmes 
seront plus ou moins sujettes'aux effets de la 
combustion ou de la calcination , selon qu’elles 
s'approcheront plus ou moins de ces deux 
extrèmes : de sorte que , dans les points 
milieux , il se trouvera des substances qui 


202 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
éprouveront au feu combustion et calcination 
en degré presque égal ; d’où nous pouvons 
conclure , sans craindre de nous tromper, 
que toute calcination est toujours accom- 
pagnée d’un peu de combustion., et que de 
même toute combustion estaccompagnée d’un 
peu de calcination. Les cendres et les autres 
résidus des matières les plus combustibles 
ne démontrent-ils pas que le feu a calciné 
toutes les parties qu’il n’a pas brülées, et que 
par conséquent un peu de calcination setrouve 
ici avec beaucoup de combustion ? La petite 
flamme qui s’élève de la plupart des matières 
qu'on calcine , ne démontre-t-elle pas de 
même, qu’il s’y fait un peu de combustion? 
Ainsi nous ne devons pas séparer ces deux 
effets , si nous voulons bien saisir les résultats 
de l’action du feu surles différentes substances 
auxquelles on. l’applique. 

Mais, dira-t-on , la combustion détruit les 
corps, ou du moins en diminue toujours le 
volume ou la masse, en raison de la quantité 
de matière qu’elle enlève ou consume ; la. 
calcination fait souvent le contraire, et aug 
mente la pesanteur d’un grand nombre de 
matières : doit-on dès lors considérer ces deux 


’ 


POP TT 


PREMIÈRE PARTIE. 203 
effts , dont les résultats sont si contraires, 
comme des effets du même ordre ? L’objec- 
tion paroit fondée , et mérite réponse , d’au- 
tant que c est ici le point le plus difficile de 
la question. Je crois néanmoins pouvoir y 
satisfaire pleinement. Considérons pour cela 
une matière dans laquelle nous supposerons 
moitie de parties fixes et moitié de parties 
volatiles où combustibles : il arrivera , par 
l'application du feu que toutes ces parties 
volatiles ou combustibles seront enlevées ou 
brûlées , et par conséquent séparées de la 
masse totale; dès lors cette masse , ou quan- 
tité de matière , se trouvera diminuée de 
moitié, comme nous le voyons dans les 
pierres calcaires qui perdent au feu près de 
la moitié de leur poids. Mais si l’on continue 
à appliquer le feu pendant un très-long temps 
à cette moitié toute composée de parties 
fixes , n'est-il pas facile de concevoir que 
toute combustion, toute volatilisation étant 
cessées , cette matière , au lieu de continuer 
à perdre de sa masse, doit au contraire en 
acquérir aux dépens de l’air et du feu dont 
on ne cesse de la pénétrer ? et celles qui, 
comme le plomb , ne perdent rien , mais 


a. 
| 


204. MINÉRAUX, INTRODUCTION , Fa 
gagnent par l'application du feu , sont dés 
matières déja çcalcinées , préparées par 
nature au degré où la combustion a cessé, 
et susceptibles, par conséquent, d'augmenter: 
de pesanteur dès les premiers instans de Pap-! 
plication du feu.. Nous avons vu que la lu 
mièêre s’amortit et s'éteint à la surface dé. 
tous les corps qui ne la réfléchissent pas 3: 
nous avons vu que la chaleur , par sa longue 
résidence, se fixe en partie dans les matières) 
qu’elle pénètre; nous savons que l'air, pres 
que aussi nécessaire à la calcination qu’à la 
combustion, et toujours d'autant plus néces- 
saire à la calcination que les matières, ont 
plus de fixité , se fixe lui-même dans l’inté- 
rieur des corps, et en devient partie consti- 
tuante : dès lors n’est-il pas très-naturel.de! 
penser que cette augmentation de pesanteur 
ne vient que de l’addition des particules de 
lumière, de chaleur et d’air, qui se sont enfin, 
fixées et unies à une matière contre laquelle 
elles ont fait tant d'efforts , sans pouvoir n# 
l'enlever ni la brûler? Cela est si vrai, qué 
quand on leur présente ensuite une substance: 
combustible avec laquelle elles ont bien plus, 
d'analogie, ou plutôt de conformité denature; 


PREMIÈRE PARTIE. 205 
elles s'en saisissent avidement , quittent la 
‘ihatière fixe à laquelle elles n’étoient , pour 
ainsi dire, attachées que par force, repren- 
nent par conséquent leur mouvement, na- 
turel , leur élasticité, leur volatilité, et par- 
tent toutes avec la matière combustible , à 

laquelle elles viennent de se joindre. Dès lors. 
le métal ou la matière calcinée à laquelle: 
vous avez rendu ces parties volatiles qu’elle 
avoit perdues par sa combustion, reprend sa 
première forme, et Sa pesanteur se {trouve 
diminuée de toute la quantité des particules 
de feu et d’air qui s’étoient fixées , et qui vien- 
nent d’être enlevées par cette nouvelle com 
bustion. Tout cela s’opère par la seule lei des 
affinités ; et après ce qui vient d’être dit, il 
me semble qu’il n’y a pas plus de difficulté à. 
concevoir comment la chaux d’un métal se 
réduit , que d'entendre comment il se préci- 
pite en dissolution : la cause est la même, et 
les effets sont pareils. Un métal dissous par 
un acide se précipite lorsqu'on présente à 
cet acide une autre substance avec laquelle : 
il a plus d’affinité qu'avec le métal; l'acide 
le quitte alors et le laisse tomber. De même 


ce métal calciné , c’est-à-dire, chargé de par=. 
| 15 


206 MINÉRAUX. INTRODUCTION, h 
parties d'air, de chaleur et de feu, qui 8 étant 


fixées le tiennent sous la forme d’une chaux if 
se précipitera, ou, si l'on veut , se réduira, 
lorsqu'on présentera à ce feu età cet air fixés, 
des matières combustibles, avec lesquelles ils 


ont bien plus d’affinité qu'avec le métal, qui 
reprendra sa première forme dès qu’il sera 
débarrassé de cet air et de ce feu superflus, et 


qu'il aura de LU aux dépens des matières 
combustibles qu’on lui présente, les parties 


volatiles qu'il avoit perdues. 

Cette explication me paroît si simple < et si 
clairé, que je ne vois pas ce qu'on peut y 
opposer. L’obscurité de la chimie vient en 
grande partie de ce qu’on en a peu généralisé 
les principes, et qu'on ne les a pas réunis à 
ceux de la haute physique. Les chimistes ont 
adopté les affinités sans les comprendre, 
c'est-à-dire , sans entendre le rapport de la 
cause à l'effet, qui néanmoins n’est autre que 
celui de l'attraction universelle; ils ont créé 
leur phlogistique, sans savoir ce que c’est , et 
cependant c’est de l'air et du feu fixes ; ils 


ont forme, à mesure qu’ils en ont eu besoin, 


des êtres idéaux , des z2inéralisateurs , des 
terres mercurielles , des noms, des termes 


PREMIÈRE PARTIE.  2o7 


d'autant plus vagues que l’acception en est 
plus générale. J’ose dire que M. Macquer et 
M. de Morveau sont les premiers de nos 
chimistes qui aient commencé à parler fran- 
çois *. Cettescience vadoncnaître, puisqu'on 
commence à la parler; et on la parlera d’au- 
tant mieux, on l'entendra d'autant plus aisé— 
ment, qu'on en bannira le plus de mots 
techniques , qu'on renoncera de meilleure foi 
à tous ces petits principes secondaires tirés de 
la methode , qu'on s’occupera davantage de 
les déduire des principes généraux de la méca- 
nique rationnelle, qu’on cherchera avec plus 
de soin à les ramener aux lois de la nature, 
et qu'on sacrifera plus volontiers Ja com- 
modité d'expliquer d’une mauière précaire et 
selon l’art les phénomènes de la composition 
ou de la décomposition des substances à la 


* Dans le moment même qu'on imprime ces 
feuilles, paroît l'ouvrage de M. Baumé, quia pour 
titre, Chimie expérimentale et raisonnée. L’au- 
teür non seulement y parle une langue intelligible, 
mais 1l s y montre par-tout aussi bon physicien que 
grand chimiste, et j'ai eu la satisfaction de voir que 
quelques unes de ses idées générales s'accordent avec 
les miennes. 


208 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
difficulté de les présenter pour tels qu'ils 
sont, c’est-à-dire, pour des effets particuliers 
dépendans d’effets plus généraux , qui sont 
les seules vraies causes , les seuls principes 
réels auxquels on doive s'attacher , si l’on 
veut avancer la science de la philosophie na- 
turelle. 1 

Je crois avoir démontré * que toutes les 
petites lois des affinités chimiques, qui parois- 
sent si variables, si différentes entre elles, ne 
sont cependant-pas autres que la loi générale 
de l'attraction commune à toute la matière ; 
que cette grande loi, toujours constante, tou- 
jours la même, ne paroît varier que par son 
expression , qui ne peut pas être la même, 
lorsque la figure des corps entre comme un 
élément dans leur distance. Avec cette nou- 
velle clef, on pourra scruter les secrets les 
plus profonds de la nature , on pourra par- 
venir à connoitre la figure des parties primi- 
tives des différentes substances , assigner les 
lois et les degrés de leurs affinités, déter- 
miner les formes qu'elles prendront en se 


* Voyez, dans cet ouvrage, l’article qur a pour 
tire, De la nature, seconde vue. 


PREMIÈRE PARTIE  2o) 
réunissant , etc. Je crois de même avoir fait 
eñtendre comme l'impulsion dépend de l’at- 
traction , et que, quoiqu on puisse la consi- 
dérer comme une force différente, elle n’est 
néanmoins qu'un effet particulier de cette 
force unique et générale; j'ai présente la com- 
munication du mouvement comme impos— 
sible, autrement que par le ressort, d’où j'ai 
conclu que tous les corps de là nature sont 
plus ou moins élastiques, et qu'il n’y en a 
aucun qui soit parfaitement dur, c’est-à-dire, 
entièrement privé de ressort, puisque tous 
sont susceptibles de recevoir du mouvement; 
j ai tâché de faire connoître comment cette 
force unique pouvoit changer de direction, 
et d’attractive devenir tout-à-coup répulsive; 
et de ces grands principes, qui tous sont 
fondés sur la mécanique rationnelle , j'ai 
essayé de déduire les principales opérations 
de la nature, telles que la production de la 
lumière, de la chaleur , du feu, et de leur 
action sur les différentes substances : ce der- 
nier objet, qui nous intéresse Le plus, est un 
champ vaste , dont le défrichement suppose 
plus d’un siècle, et dont je n'ai pu cultiver 


qu’un espace médiocre , en remettant à des 
13 


VAR 


| MUNIE 
2ro MINÉRAUX. INTRODUCTION. 
mains plus habiles ou plus laborieuses les ing ‘1 
trumens dont je mesuis servi. Ces instrumens 
sont les trois moyens d'employer le feu par 
sa vitesse, par son volumeet par sa masse, en 
l’appliquant concurremmentauxtrois classes 
des substances , qui toutes , ou perdent , ou 
gagnent , ou ne perdent ni ne gagnent par 
l'application du feu. Les expériences que j’ai 
faites sur le refroidissement des corps , sur la 
pesanteur réelle du feu , sur la nature de la 
flamme , sur le progrès de la chaleur , sur sa 
communication, sa déperdition, sa concen- 
tration, sur sa violente action sans flamme, 
etc. , sont encore autant d'instrumens , qui 
épargneront beaucoup de travail à ceux qui 
voudront s’en servir, et produiront une très— 
ample moisson de connoissances utiles. 


DES ÉLÉMENS. 


SECONDE PARTIE. 


( P 
De l'air, de l’eau et de la terre. 


N OUS avons vu que l’air est l’'adminicule 
nécessaire et le premier aliment du feu, qui 
ne peut ni subsister, ni se propager, ni s’aug- 
menter, qu'autant qu’il se l'assimile, le con- 
somme ou l’emporte, tandis que de toutes 
les substances matérielles l’air est au con- 
traire celle qui paroît exister le plus indé- 
pendamment, et subsister le plus aisément, 
le plus constamment, sans le secours ou la 
présence du feu ; car, quoiqu’il ait habituelle- 
ment la même chaleur à peu près que les autres 
matières à la surface de la terre, il pourroit 
s'en passer, et il lui en faut infiniment 


3 
“A 


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# 


212 MINÉR AUX. INTRODUCTION, | 


moins qu’ à toute autre pour niet E . 
fluidité, puisque les froids les plus excessifs , "1 
soit naturels, soit artificiels , ne lui fontrien 


perdre de sa nature ; que les condensations 
les plus fortes ne sont pas capables de rompre 
son ressort; que le feu actif, ou plutôt ac- 


tuellement en exercice sur les matières com- 


bustibles , est le seul agent qui puisse altérer 
sa nature en le raréfñant, c'est-à-dire en 
affoiblissant , en étendantson ressort jusqu’au 
point de le rendre sans effet et de détruire 
ainsi son élasticité. Dans cet état de trop 
grande expansion et d’affoiblissement ex- 
trême de son ressort, et dans toutes les 
nuances qui précèdent cet état , l’air est ca- 
pable de reprendre son élasticité à mesure 
que les vapeurs des matières combustibles 
qui l’avoient affoiblie s’évaporeront et s’en 
sépareront. Mais si Le ressort a été totalement 
affoibli et si prodigieusement étendu, qu’il 


ne puissé plus se resserrer ni se restituer , 


ayant perdu toute sa puissance élastique, l'air, 
de volatil qu'il étoit auparavant, devientune 
substance fixe qui s’incorpore avec les autres 
substances, et fait dès lors partie constituante 
de toutes celles auxquelles il s’unit par le 


ne le 2 PT 


SECONDE PARTIE.  2r3 
contact, ou dans lesquelles il pénètre à l’aide 
de la chaleur. Sous cette nouvelle forme , il 
né peut plus abandonner le feu que pour s’u- 

nir comme matière fixe à d’autres matières 
fixes; et s’il en reste quelques parties inse— 
parables du feu, elles font dès Jors portion 
-de cet élément ; elles lui servent de base, et 
se déposent avec lui dans les substances qu’ils 
échauffent et pénètrent ensemble. Cet effet, 
qui se manifeste dans toutes les caicinations, 
est d'autant plus sûr et d'autant plus sen— 
sible, que la chaleur est appliquée plus long- 
temps. La combustion ne demande que peu 
de temps pour se faire, même Compléte- 
ment , au lieu que toute calcination suppose 
beaucoup de temps : il faut, pour l’accélé- 
rer, amener à la surface, c’est-à-dire présen- 
ter successivement à l'air, les matières que 
l’on veut calciner ; il faut les fondre ou les 
diviser en parties impalpables, pour qu’elles 
offrent à cet air plus de superficie ; il faut 
même se servir de soûfflets, moins pour aug- 
menter l’ardeur du feu que pour établir un 
courant d'air sur la surface des matières, si 
l'on veut presser leur calcination : et, pour 
la compléter avec tous ces moyens, il faut 


APE TEEN EN NE d CAE LM ul 
214 MINÉRAUX. INTRODUCTION, | 
souvent beaucoup de temps *; d’où l’on doit 
conclure qu'il faut aussi une assez longue 
résidence de l’air devenu fixe dans les subs- 
tances terrestres pour qu’il s’établisse à de- 
meure sous cette nouvelle forme. | 
Mais il n’est pas nécessaire que le feu soit 
violent pour faire perdre à l’air son élasti- ï 
cité; le plus petit feu, et même une chaleur $ 
très-médiocre , dès qu’elle est immédiatement 
et constamment appliquée sur une petite 
quantité d'air, suffisent pour en détruire le 
ressort : et pour que cetair sans ressort se fixe 
ensuite dans les corps, il ne faut qu'un peu 
plus ou un peu moins de temps , selon le 


* Je ne sais si l’on ne calcineroit pas l'or, non 
pas en le tenant, comme Boyle ou Kunckel, pendant 
un très-long temps, dans un fourneau de verrerie, 
où la vitesse de l'air n’est pas grande, mais en le 
mettant près de la tuyère d’un bon fourneau à vent, | 
et le tenant en fusion dans un vaisseau ouvert, où 
l'on plongeroit une petite spatule, qu’on ajusteroit 
de manière qu’elle tournefoit incessamment et re- 
mueroit continuellement l'or en fusion; car il n’y a 
_ pas de comparaison entre la force de ces feux, parce 


que l'air est ici bien plus accéléré Loue dans les 
journeaux de verrerie. 


4 
3 % 


SECONDE PARTIE. 215 
plus ou moins d’affinité qu’il peut avoir sous 
cette nouvelle forme avec les matières aux- 
quelles il s’unit. La chaleur du corps des 
animaux, et même des végétaux, est encore 
_ässez puissante pour produire cet effet : les 
degrés de chaleur sont différens dans les dif- 
férens genres d'animaux ; et à commencer 
par les oiseaux , qui sont les plus chauds de 
tous, on passe successivement aux quadru— 
pèdes, à l’homme, aux cétacés, qui le sont 
moins ; aux reptiles , aux poissons, aux in= 
sectes, qui le sont beaucoup moins; et enfin 
aux végétaux, dont la chaleur est si petite, 
qu’elle a paru nulle aux observateurs, quoi- 
qu’elle soit très-réelle et qu'elle surpasse en 
hiver celle de l'atmosphère. J'ai observé sur 
un grand nombre de gros arbres coupés dans 
un temps froid, que leur intérieur étoit très- 
sensiblement chaud, et que cette chaleur 
duroit pendant plusieurs minutes après leur 
abattage. Ce n’est pas le mouvement violent 
de la cognée, ou le frottement brusque et réi- 
téré de la scie, qui produisent seuls cette cha- 
leur ; car en fendant ensuite ce bois avec des 
coins, j'ai vu qu’il étoit chaud à deux ou 
trois pieds de distance de l'endroit eù l’on 


SR DA ne ot. 


216 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 

avoit placé les coins, et que par conséqueré 
il avoit uu degré de chaleur assez sensible 

dans tout son intérieur. Cette chaleur n’est. 

que très-médiocre tant que l'arbre est jeune 

et qu'il se porte bien : mais dès qu’il com- 
mence à vieillir, le cœur s 'échauffe par la 
fermentation de la séve, qui n’y circule plus 
avec la mème liberté ; cette partie du centre 
prend en s’échauffant une teinte rouge, qui 
est le premier indice du dépérissement de. 
l'arbre et de la désorganisation du bois. J'en. 
ai manié des morceaux dans cet état, qui 
étoient aussi chauds que si on les eût fait. 
chauffer au feu. Si les observateurs n’ont pas 
trouvé qu’il y eût aucune différence entre la 
température de l'air et la chaleur des végé- 
taux, c’est qu'ils ont fait leurs observations 
en mauvaise saison, et qu’ils n’ont pas fait 
attention qu’en été la chaleur de l'air est 
aussi grande et plus grande que celle de l’in- 
térieur d’un arbre, tandis qu’en hiver c’est 
tout le contraire ; ils ne se sont pas souve- 
nus que les racines ont constamment aw 
moins le degré de chaleur de la terre qui les 
environne, et que cette chaleur de l’intérieur 
de la terre est, pendant tout l'hiver, considé- 


{ 


SECONDE PARTIE. 217 
rablement plus grande que celle de l'air et de 
la surface de la terre refroidie par l'air : ils 
he se sont pas rappelé que les rayons du soleil, 
tombant trop vivement sur les feuilles et sur 
les autres parties délicates des végétaux, non 
seulement les échauffent , mais les brülent ; 
qu'ils échauffent de même à un très-grand 
degré l’écorce et le bois dont ils pénétrent la 
surface, dans laquelle ils s’amortissent et se 
fixent : ils n’ont pas pensé que le mouve- 
ment seul de la séve, déja chaude, est une 
cause nécessaire de chaleur , et que ce mou- 
vement venant à augmenter par l’action du 
soleil ou d’une autre chaleur extérieure, celle 
des végétaux doit être d'autant plus grande 
que le mouvement de leur séve est plus ac- 
céléré, etc. Je n’iusiste si long-temps sur ce 
point qu'à cause de son importance ; l’uni- 
formité du plan de la nature seroit violée, si, 
ayant accordé à tous les animaux un degré de 
chaleur supérieur à celui des matières brutes, 
elle l’avoit refusé aux végétaux, qui, comme 
les animaux, ont leur espèce de vie. 

Mais ici l’air contribue encore à la chaleur 
animale et vitale, comme nous avons vu 
plus haut qu’il contribuoit à l’action du feu 

Mat, gén, IV. 19 


218 MINÉRAUX. INTRODUCTION, ; Fri 
dans la combustion et la calcination FE ma 
tières combustibles et calcinables. Les ani 
maux qui ont des poumons, et qui par con- 
séquent respirent l'air, ont toujours plus de 
chaleur que ceux qui en sont privés; et plus 
la surface intérieure des poumons est éten— 
due et ramifiée en plus grand nombre de cel- 
lules où bronches, plus, en un mot, elle 
présente de superficie à l’air que l’animal tire 
par l'inspiration, plus aussi son sang devient 
chaud , et plus il communique de chaleur à 
toutes les parties du corps qu’il abreuve ou 
nourrit; et cette proportion a lieu dans tous 
les animaux counus. Les oiseaux ont, rela- 
tivement au volume de leur corps, les pou- 
mons considérablement plus étendus que 
l’homme ou les quadrupèdes ; les reptiles, 
mème ceux qui ont de la voix, comme les 
grenouilles, n'ont, au lieu de poumons, 
qu'une simple vessie; les insectes, qui n’ont 
que peu ou point de sang, ne pompent l’air 
que par quelques trachées , etc. Aussi, en 
prenant le degré de la température de la terre 
pour terme de comparaison , jai vu que 
cette chaleur étant supposée de 10 degrés, 
celle des oiseaux étoit de près de 33 degrés, 


SECONDE PARTIE 219 
celle de quelques quadrupèdes de plus de 
31 - degrés, celle de l’homme de 50 : ou 31, 


2 


tandis que celle des grenouilles n’est que de 
19 ou 16, celle des poissons et des insectes 
"de 11 ou12, c'est-à-direla moindredetoutes, 
et à très-peu près la même que celle des vé- 
gétaux *. Ainsi le degré de chaleur dans 
l'homme et dans les animaux dépend de la 
force et de l'étendue des poumons : ce sont 
les soufflets de la machine animale: ils em 
entretiennent et augmentent le feu selon 
qu'ils sont plus ou moins puissans , et que 


* Je ne sais pas s’il faut faire une exception pour 
les abeilles, comme l'ont fait la plupart de nos ob- 
servateurs, qui prétendent que ces mouches ont au- 
tant de chaleur que les animaux qui respirent, parce 
que leur ruche est aussi chaude que le corps de ces 
animaux : 1] me semble que cette chaleur de l’inté- 
rieur de la ruche n’est point du tout la chaleur de 
chaque abeille, mais la somme totale de la chaleur 
qui s’évapore des corps de neuf ou dix mille indivi- 
dus réunis dans cet espace où leur mouvement con- 
tinuel doit l’augmenter encore; et en divisant cette 
somme générale de chaleur par la quantité particu= 
bière de chaleur qui s’évapore de chaque individu, 
on trouveroit peut-être que l’abeille n’a pas plus de 
chaleur qu’une autre mouche. 


220 MINÉRAUX. INTRODU C TION, 

leur mouvement est plus ou moins LME 
La seule difficulté est de concevoir comment 
ces espèces de soufflets ( dont la construction 
est aussi supérieure à celle de nos soufflets 
d'usage que la nature est au-dessus de nos - 

arts) peuvent porter l’air sur le feu quinous 
anime; feu dont le foyer paroît assez indé- 
terminé, feu qu’on n’a pas même voulu qua: 
lifier de ce nom, parce qu’il est sans flamme, 
sans fumée apparente, et que sa chaleur n’est 
que très-médiocre et assez uniforme. Cepen- 
dant, si l’on considère que la chaleur et le feu 
sont des effets et même des élémens du même 
ordre , si l’on se rappelle que la chaleur ra- 
réfie l'air, et qu'en étendant son ressort elle 
peut l’affoiblir au point de le rendresans effet, 

on pourra penser que cet air tiré par nos 
poumons, s’y raréfiant beaucoup, doitperdre 
son ressort dans les bronches et dans les pe- 
tites vésicules, où il ne peut pénétrer qu'en 
très-petit volume, et en bulles dont Le res- 
sort, déja très-étendu, sera bientôt détruit 
par la chaleur du sang artériel et veineux; 
car ces vaisseaux du sang ne sont séparés des 
vésicules pulmonaires qui reçoivent l'air que 
par des cloisons si minces, qu'elles laissent 


SECONDE PARTIE. 23T 
aisément passer cet air dans le sang, où il ne 
peut manquer de produire le même effet que 
sur le feu commun, parce que le degré de 
chaleur de ce sang est plus que suffisant pour 
détruire en entier l’élasticité des particules 
d'air, les fixer et les entraîner sous cette nou- 
velle forme dans toutes les voies de la circula- 
tion. Le feu du corps animal ne diffère du feu 
commun que du moins au plus ; le degré de 
chaleur est moindre : dès lors il n’y a point de 
flamme, parceque les vapeurs quis élèvent, et 
qui représentent la fumée de ce feu, n’ont pas 
assez de chaleur pour s’enflammer ou devenir 
ardentes, et qu'étant d’ailleurs mêlées de beau- 
coup de parties humides qu’elles enlèvent 
avec elles, ces vapeurs ou cette fumée ne 
peuvent ni s allumer ni brûler *. Tous les 


* J'ai fait une grande expérience au sujet de l’m- 
flammation de la fumée. J’ai rempli de charbon see 
et conservé à couvert depuis plus de six mois deux 
de mes fourneaux , qui ont également quatorze pieds 
de hauteur, et qui ne diffèrent dans leur construc- 
tion que par les proportions des dimensions en lar- 
geur, le premier contenant juste un tiers de plus 
que le second. J’ai rempli l’un avec douze cents 
livres de ce charbon , et l’autre avec Buit FE livres, 


ds Er RU IST, 1e 
MAUR OMAN Fe ni 


e22 MINERAUX. INTRODUCTION À 


autres effets sont absolument les mêmes : là 
respiration d’un petit animal absorbe autant 


d'air que la lumière d’une chandelle ; dans 


et j'ai adapté au plus grand un tuyau d’aspiration, 
construit avec un châssis de fer, garni de tôle , qui 
avoit treize pouces en quarré sur dix pieds de hau- 
teur ; je lui avois donné treize pouces sur les quatre 


côtés, pour qu’il remplit exactement l’ouverture su 


périeure du fourneau, qui étoit quarrée, et qui 
avoit treize pouces et demi de toutes faces. Avant de 
remplir ces fourneaux , on avoit préparé dans le bas 
une petite cavité en forme de voûte, soutenue par 
des bois secs, sous lesquels on mit le feu au moment 
qu'on commença de charger de charbon: ce feu, qui 
d’abord étoit vif, se ralentit à mesure qu’on char- 
geoit, cependant 1l subsista toujours sans s'étendre; 
et lorsque les fourneaux furent remplis en entier, 
j en examinaile progrès et le produit, sans le remuer 
€L sans y rien ajouter: pendant les six premières 


heures, la fumée, qui avoit commencé de s'élever au 


moment qu'on avoit commencé de charger, étoit 
très-humide; ce que'je reconnoïssois aisément par 


les gouttes d’eau qui paroïssoient sur les parties EX 


térieures du tuyau d'aspiration; et ce tuyau m'étoit 
encore au bout de six heures que médiocrement 
chaud , car je pouvois le toucher aisément. On laissa 
le feu, le tuyau et les fourneaux, pendant toute la 
muit dans cet état; la fumée, continuant toujours , 


SECONDE PARTIE. 23 


des vaisseaux fermés, decapacités égales, l’a- 
nimal meurt en même temps que la chandelle 
s'éteint. Rien ne peut démontrer plus évi- 


devint si abondante, si épaisse et si noire, que le 
lendemain, en arrivant à mes forges, je crus qu’il y 
avoit un incendie. L'air étoit calme ; et comme le 
vent ne dissipoit pas la fumée, elle enveloppoit les 
bâtimens et les déroboit à ma vue: elle duroit déja 
depuis vingt-six heures. J’allai à mes fourneaux : je 
trouvai que le feu, qui n’étoit allumé qu’à la partie 
du bas, n’avoit pas augmenté, qu’il se soutenoit au 
même degré ; mais la fumée, qui avoit donné de 
l'humidité dans les six premières heures, étoit deve- 
nue plus sèche, et paroissoit néanmoins toute aussi 
noire. Le tuyau d'aspiration rie pompoit pas davan= 
tage ; 1l étoit seulement un peu plus chaud, et la 
fumée ne formoit plus de gouttes sur sa surface ex- 
térieure. La cavité des fourneaux , qui avoit quatorze 
pieds de hauteur, se trouva vide, au bout des vingt- 
six heures, d'environ trois pieds ; Je les fis remplir, 
l’un avec cinquante, et l’autre avec soixante quinze 
livres de charbon , et je fis remettre tout de suite le 
tuyau d'aspiration qu’on avoit été obligé d'enlever 
pour charger. Cette augmentation d’aliment n’aug- 
menta pas le feu ni même la fumée ; elle ne changea 
rien à l’état précédent. J’observai le tout pendant 
buit heures de suite, m’attendant à tout instant à voir 
paroître a flamme, et ne concevant pas pourquoi 


: Nr HAT 
224 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
demment que le feu de l’animal et célui de la 
chandelle, ou de toute autre matière eom- 
bustible allumée, sont des feux non seule- 


cette fumée d’un charbon si see, et si sèche elle-même, 
qu’elle ne déposoit pas la moindre humidité, ne 
s’enflammoit pas d'elle - même après trente-quatre 
heures de feu toujours subsistant au bas des four- 
neaux ; je les abandonnaï donc une seconde fois dans 
cet état, et donnai ordre de n’y pas toucher. Le jour 
suivant, douze heures après les trente - quatre, Je 
trouvai le même brouillard épais, la même fumée 
noire couvrant mes bâtimens ; et ayant visilé mes 
fourneaux, je vis que le feu d en bas étoit toujours 
le même, Ta fumée la même et sans aucune humi- 
dité, et que la cavité des fourneaux étoit vide de trois 
pieds deux pouces dans le plus petit, et de deux 
pieds neuf pouces seulement dans le plus grand, au- 
quel étoit adapté le tuyau d'aspiration : Je le rem- 
plis avec soixante-six livres de charbon, et l’autre 
avec cinquante-quatre, et je résolus d'attendre aussi 
long-temps qu’il seroit nécessaire pour savoir si cette 
fumée ne viendroit pas enfin à s’enflammer. Je passai 
neuf heures à l’examiner de temps à autre ; elle étoit 
très-sèche, très-suffocante , très-sensiblement chaude, 
mais toujours noire et sans flamme au bout de €in- 
quante-cinq heures. Dans cet état, je la laissai pour 
la troisième fois. Le) jour suivant, treize heures après 
les cinquante-cing , je Ja retrouvai encore de mème, 


fe 


SECONDE PARTIE. 225 
ment du même ordre, mais d’une seule et 
même nature, auxquels le secours de l'air 
est également nécessaire, et qui tous deux se 


le charbon de mes fourneaux baissé de mème; et, 
comme je réfléchissois sur cette consommation de 
charbon sans flamme, qui étoit d'environ moitié de 
la consommation qui s’en fait dans le même temps 
et dans les mêmes fourneaux lorsqu'il y à de la 
flamme , je commencai à croire que je pourrois bien 
user beaucoup de charbon sans avoir de flamme, 
puisque depuis trois jours on avoit chargé trois fois 
les fourneaux (car j’oubliois de dire que ce jour même 
on venoit de remplir la cavité vide du grand four- 
neau avec quatre-vingts livres de charbon, et celle 
du petit avec soixante livres); je les laissai néanmoins 
fumer encore plus de cinq heures. Après avoir perdu 
l'espérance de voir cette fumée s’enflammer d’elle= 
même , je la vis tout d’un coup prendre feu, et faire 
une espèce d’explosion dans l’instant même qu’on 
Jui présenta la flamme légère d’une poignée de paille; 
le tourbillon entier de la fumée s'enflamma jusqu’à 
huit à dix pieds de distance et autant de hauteur ; la 
flamme pénétra la masse du charbon, et descendit 
dans le même moment jusqu’au bas du fourneau , et 
conunua de brûler à la manière ordinaire ; le char 
bon se consumoit une fois plus vîte, Lo le feu 
d’en bas ne parût guère plus animé: mais je suis 
convaincu que mes fourneaux auroient éternellement 


NS L À SR TUE ST AURDOU PR, A: 

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34 

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226 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
Vapproprient de la même manière , Vab- 
sorbent comme aliment , l’entraînent dans | 
leur route, ou le déposent, sousuneformefixe, 
dans les substances qu’ils pénètrent. | 
Les végétaux et la plupart des insectes # 
n’ont, au lieu de poumons, que des tuyaux 
aspiratoires , des espèces de trachées par les— 
quelles ils ne laissent pas de pomper tout 
J'air qui leur est nécessaire ; on le voit passer 
en bulles très - sensibles dans la séve de la 
vigne : il est non seulement pompé par les 
racines, mais souvent même par les feuilles ; 
il fait partie, et partie trèsessentielle, de La 
nourriture du végétal , qui dès lors se l’assi- 
mile , le fixe et le conserve. Le petit degré de 
Ja chaleur végétale, joint à celui de la chaleur 
du soleil, suffit pour détruire le ressort de l'air 
contenu dans la séve , sur-tout lorsque cet air, 
qui n’a pu être admis dans le corps de la 
plante et arriver à la séve qu'après avoir passé 
par des tuyaux très-serrés, se trouve divisé 
en particules presque infiniment petites, que 


fumé, si l’on n’eût pas allumé la fumée ; et rien ne 
me prouva mieux que la flamme n’est que de la fu- 
mée qui brûle , et que la communication du feu ne 
peut se faire que par la flamme. 


SECONDE PARTIE 227 
le moindre degré de chaleur suffitpour rendre 
fixes. L'expérience confirme pleinement tout 
ce que je viens d'avancer : les matières ani- 
males et végétales contiennent toutes une 
très-grande quantité de cet air fixe ; et c’est 
en quoi consiste l’un des principes de leur 

“inflammabilité. Toutes les matières combus- 
tibles contiennent beaucoup d’air ; tous les 
animaux et les végétaux, toutes leurs parties, 
tous leurs détrimens, toutes les matières qui 
en proviennent, toutes les substances où ces 
détrimens se trouvent mélangés, contiennent 
plus ou moins d’air fixe, et la plupart ren- 
ferment aussi une certaine quantité d’air 
élastique. On ne peut douter de ces faits, dont 
la certitude est acquise par les belles expé- 
riences du docteur Hales , et dont les chi- 
mistes ne me paroissent pas avoir senti toute 
la valeur : car ils auroient reconnu depuis 
Jong-temps que l’air fixe doit jouer en grande 
partie le rôle de leur phlogistique ; ils n’au- 
roient pas adopté ce terme nouveau, qui ne 
répond à aucune idée précise, et ils n’en 
auroient pas fait la base de toutes leurs ex- 
plications des phénomènes chimiques; ils ne 
l'auroient pas donné pour un être identique 


RS 
228 NN RE INTRODUCTION, | 
et toujours le même, puisqu'il est composé a. 
d’air et de feu, tantôt dans un état fixe, et 
tantôt dans celui de la plus grande volatilité: 
et ceux d’entre eux qui ont regardé le phlo- 
gistique comme le produit du feu élémén- 
taire ou de la lumière, se sont moins éloignés 

de la vérité, parce que le feu ou la lumière 
produisent , par le secours de l’air, tous les 
effets du phlogistique. 

Les minéraux, qui, comme les soufres et 
les pyrites, contiennent dans leur substance 
une quantité plus ou moins grande des dé- 
trimens ultérieurs des animaux et des vé- 
gétaux , renferment dès lors des parties com- 
bustibles qui, comme toutes les autres, 
contiennent plus ou moins d’air fixe, mais 
toujours beaucoup moins que les substances 
purement animales ou végétales. On: peut 
également leur enlever cet air fixe par la 
combustion : on peut aussi le dégager par le 
moyen de l’effervescence ; et, dans les ma- 
tières animales et végétales, on le dégage par 
la simple fermentation , qui, comme la 
combustion , a toujours besoin d'air pour 
s’opérer. Ceci s’accorde si parfaitement avec 
l'expérience, que je ne crois pas devoir | 


SECONDE PARTIE. 229 
insister sur la preuve des faits : je me conten- 
terai d'observer que les soufres et Les pyrites 
ne sont pas les seuls minéraux qu'on doive 
regarder comme combustibles, qu'il y en a 
beaucoup d’autres dont je ne ferai point ici 
l’'énumération, parce qu’il sufht de dire que 
leur degré de combustibilité dépend ordinai- 
rement de la quantité de soufre qu'ils con- 
tiennent. Tous les minéraux combustibles 
tirent donc originairement cette propriété, 
ou du mélange des parties animales et végé- 
tales qui sont incorporées avec eux, ou des 
particules de lumière, de chaleur et d'air, 
qui , par le laps de temps, se sont fixées 
dans leur interieur. Rien, selon moi, n’est 
combustible que ce qui a été formé par une 
chaleur douce, c’est-à-dire, par ces mêmes 
élémens combinés dans toutes les substances 
que le soleil éclaire et vivifie*, ou dans celles 


* Voici une observation qui ssmble démontrer que 
Ja lumière a plus d’affinité avec les substances com- 
bustibles qu'avec toutes les autres matières. On sait 
que la puissance réfractive des corps transparens est 
proportionnelle à leur densité: le verre, plus dense 
que l'eau, à proportionnellement une plus grande 
force réfringente ; et en augmentant la densité du 

à rh 


230 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


que la chaleur interieure de la térre fomentk 
et réunit. ‘ | 
C’est cette chaleur intérieure iii globe de 


verre et de l'eau, l’on augmente à mesure leur force 
de réfraction. Cette proportion s’observe dans toutes 
les matières transparentes, et qui sont en même M 
temps incombustibles. Mais les matières inflam- 
mables , telles que lesprit-de-vin, les huiles trans M 
parentes, l’ambre, etc. ont une puissance réfrin= 4 
gente plus grande que les autres ; en softe que l’at- 
traction que ces matières exercent sur la lumière , et 
qui provient de leur masse ou densité, est SRE 4 
blement augmentée par l’affinité particulière qu’elles 
ont avec la lumière. Si cela n’étoit pas, leur force 
réfrimgente seroit, comme celle de toutes les autres 
matières, proportionnelle à leur densité; mais les 
matières inflammables attirent plus puissamment la 
lumière , et ce n’est que par cette räison qu’elles ont 
plus de puissance réfractive que les autres, Le dia- 
mant même ne fait pas une exception à cetteloi; on à 
doit le mettre au nombre des matières combustibles, 
on le brûle au miroir ardent. Il a avec la lumière au. 
tant d’affinité que les matières inflammables , car sa 
puissance réfringente est plus grande qu'elles de- 
vroit | être à proportion de sa densité. [la en même 
temps la propriété de s’imbiber de Ja lumière et de 
la conserver assez long- temps ;les phénomènes de sa 
réfraction doivent tenir en partie à ces propriétés, 


SECONDE PARTIE. 23r 
la terre que l’on doit regarder comme le vrai 
feu élémentaire ; et il faut Le distinguer de 
_celui du soleil, qui ne nous parvient qu'avec 
la lumière, tandis que l’autre , quoique bien 
plus considérable, n’est ordinairement que 
sous la forme d’une chaleur obscure , et que 
ce n'est que dans quelques circonstances, 
comme celles de l'électricité, qu'il prend de la 
lumière. Nous avons déja dit que cette cha- 
leur , observée pendant un grand nombre 
d'années de suite, est trois ou quatre cents 
fois plus grande en hiver, et vingt-neuf fois 
plus grande en été dans notre climat, que la 
chaleur qui nous vient du soleil. C’est une 
vérité qui peut paroître singulière, mais qui 
n'en est pas moins évidemment démontrée. 
Comme nous en avons parlé disertement , 
nous nous contenterons de remarquer ici 
que cette chaleur constante et toujours sub- 
sistante entre comme élément dans toutes 
les combinaisons des autres élémens, et 
qu'elle est plus que suffisante pour pro- 
duire sur l’air les. mêmes effets que le feu 
actuel ou la chaleur animale ; que par con- 
séquent cette chaleur intérieure de la terre 
détruira l’élasticité de l'air et Le fixera toutes 


| (RE TARA 4 
D" Ag | à: as 


232 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


les fois qu’étant divisé en parties très-petites, 
il se trouvera saisi par cette chaleur dans le 


sein de la terre; que, sous cette nouvelle 
forme , il entrera, comme partie fixe, dans 
un grand nombre de substances, lesquelles 
eontiendront dès lors des particules d'air 
fixe et de chaleur fixe , qui sont les premiers 


principes de la combustibilité : mais ils se. 


trouveront en plus ou moins grande quan- 


tité dans les différentes substances, selon le 
degré d’affinité qu’ils auront avec elles; et 


ce degré dépendra beaucoup de la quantité 
que ces substances contiendront de parties 


animales et végétales, qui paroissent être la 


base de toute matière combustible. Si elles y 
sont abondamment répandues ou foible- 
ment incorporées, on pourra toujours les dé- 
gager de ces substances par le moyen de la 


combustion. La plupart des minéraux mé- 


talliques, et même des métaux, contiennent 
une assez grande quantité de parties combus- 
tibles ; le zinc, l’antimoine , le fer, le cui- 
vre , etc. brûlent et produisent une flamme 
évidente et très-vive, tant que dure la com- 
bustion de ces parties inflammables qu ils 


ST ne bee en, ere A 


contiennent : après quoi, si on continue le 


SECONDE PARTIE. 233 
feu, la combustion finie, commence la cal- 
cination , pendant laquelle il rentre dans 
ces matières de nouvelles parties d'air et de 
- chaleur qui s’y fixent, et qu'on ne peut en 
dégager qu’en leur présentant quelque ma-— 
tière combustible avec laquelle ces parties 
d'air et de chaleur fixes ont plus d’affinité 
qu'avec celles du minéral , auxquelles en effet 
elles ne sont unies que par force, c’est-à- 
dire, par l'effort de la calcination. Il me 
semble que la conversion des substances mé- 
talliques en chaux, et leur réduction, pour- 
ront maintenant être très-clairement enten- 
dues , sans qu'il soit besoin de recourir à des 
principes secondaires, ou à des hypothèses 
arbitraires, pour leur explication. La réduc- 
tion, comme je l'ai déja insinué, n’est, dans 
le réel, qu’une seconde combustion, par la- 
quelle on dégage les parties d'air et de chaleur 
fixes que la calcination avoit forcées d’en- 
trer dans le métal et de s’unir à sa substance 
fixe , à laquelle on rend en même temps les 
parties volatiles et combustibles que la pre- 
mière action du feu lui avoit enlevées. 

Après avoir présenté le grand rôle que 
l'air fixe joue dans Les opérations les plus 
ja 1 120 


Le LOU 
En p lat ARLES i 


234 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


secrètes de la nature, considérons-le pendant 


quelques instans, lorsque, sous la forme élas- 
tique, il réside dans Les corps : ses effets sont 
alors aussi variables que les degrés de son 
élasticité ; son action, quoique toujours la 
même , semble donner des produits différens 
dans les substances différentes. Pour en rame- 
ner la considération à un point de vue géné- 
ral, nous le comparerons avec l’eau et la 
terre, comme nous l’avons déja comparé 
avec le feu ; les résultats de cette comparai= 
son entre les quatre élémens s’appliqueront 
ensuite aisément à toutes les substances, de 


quelque nature qu’elles puissent être, puisque 


toutes ne sont composées que de ces quatre 
principes réels. 

Le plus grand froid connu ne peut détruire 
le ressort de Fl’air , et la moindre chaleur 
suffit pour cet effet, sur-tout lorsque ce 
fluide est divisé en parties très-petites. Mais 
il faut observer qu'entre son état de fixité et 
celui de sa pleine élasticité, il y a toutes les 
nuances des états moyens, et que c’est pres— 
que toujours dans quelques uns de ces états 
moyens qu'il réside dans la terre et dans 
l'eau , ainsi que dans toutes les substances 


. 


SECONDE PARTIE. 235 
qui en sont composées ; par exemple, on ne 
pourra pas douter que l’eau, qui nous paroiïE 


une substance si simple, ne contienne une 


certaine quantité d'air qui n’est ni fixe ni 
élastique , mais entre la fixité et l’élasticité, 
si l’on fait attention aux différens phéno- 
mènes qu'elle nous présente dans sa congéla- 
tion, dans son ébullition, dans sa résistance 
a toute compression, etc. : car la physique 
expérimentale nous démontre que l’eau est 
incompressible ; au lieu de s’affaisser et de 
rentrer en elle-mème lorsqu'on la force-par la 
presse, elle passe à traversles vaisseaux les plus 
solides et Les plus épais. Or si l’air qu’elle con- 
tient en assez grande quantité y étoit dansson 
état de pleine élasticité, l’eau seroit compres- 
sible en raison de cette quantité d’air élastique 
qu’elle contiendroit et qui se comprimeroit. 
Donc l’air contenu dans l’eau n’y est pas sim- 
plement méléet n’y conserve pas sa forme élas- 
tique, mais y est plus intimement uni dans 
un état où son ressort ne s’exerce plus d’une 
manière sensible ; et néanmoins ce ressort 
n'y est pas entièrement détruit : car si l’on 
expose l’eau à la congélation , on voit cet 
air sortir .de son intérieur et'se réunir à Sa 


surface en bulles élastiques. Ceci seul suffiroif … 
pour prouver que l'air n’estpascontenudans 
l’eau sous sa forme ordinaire, puisqu’étant 
spécifiquement huit cent cinquante fois plus 
léger , il seroit forcé d'en sortir par la seule 
nécessité de la prépondérance de l’eau. Il est 
donc évident que l’air contenu dans l’eau n'y 
est pas dans son état ordinaire, c'est-à-dire, 
: de pleine élasticité ; et en mème temps il est 
démontré que cet état dans lequel il réside 
dans l’eau n’est pas celui de sa plus grande 
fixité , où son ressort , absolument détruit, 
ne peut se rétablir que par la combustion, 
puisque la chaleur ou le froid peuvent égale- 
ment le retablir ; il suffit de faire chauffer ou 
geler de l’eau pour que l’air qu’elle contient 
reprenne son élasticité et s’élève en bulles 
sensibles à sa surface : il s’en dégage de même 
lorsque l’eau cesse d’être pressée par le poids 
de l’atmosphère sous le récipient de la ma— 
chine pneumatique. Il n’est donc pas conte- 
nu dans l’eau sous une forme fixe, mais seu- 
lement dans un état moyen où il peut ai= 
sément reprendre son ressort : il n’est pas 
simplement mêlé dans l’eau, puisqu'il ne 
peut y résider sous sa forme élastique ; mais 


* 


SECONDE PARTIE. 237 
 anssi il ne lui est pas intimement uni sous 
sa forme fixe, puisqu'il s’en sépare plus ai- 
_sément que de toute autre matière. 

. On pourra m'’objecter avec raison que le 
Froid et le chaud n’ont jamais opéré de la 
même façon; que si l’une de ces causes rend 
à l’air son élasticité, l’autre doit la détruire; 
et j'avoue que, pour l'ordinaire, le froid et 
le chaud produisent des effets différens : mais 
dans la substance particulière que nous con- 
sidérons , ces deux causes, quoiqu'opposées, 
produisent le même effet; on pourra le con- 
cevoir aisément en faisant attention à la 
chose même et au rapport de ses circons- 
tances. L’on sait que l’eau, soit gelée, soit 
bouillie, reprend l'air qu’elle avoit perdu 
dès qu’elle se liquéfie ou qu’elle se refroidit. 
Le degré d’affinité de l’air avec l’eau dépend 
donc en grande partie de celui de sa tem- 
pérature ; ce degré, dans son état de liqui- 
dité , est à peu près le mème que celui de la 
chaleur générale à la surface de la terre: 
l'air, avec lequel elle a beaucoup d’afhinité, 
Ja pénètre aussitôt qu'il est divisé en parties 
très-ténues , et le degré de la chaleur élé- 
mentaire et générale suffit pour affoiblir ïe 


V2 PR AMC MR DICRIRES 


238 MINÉRAUX: INTRODUCTION, | 
ressort de ces petites parties, au point de le 
rendre sans effet, tant que l’eau conserve 
cette température; mais si le froid vient à la 
pénétrer, ou, pour parler plus précisément, 
si ce degré de chaleur nécessaire à cet état de 
l'air vient à diminuer, alors son ressort, qui 
n'est pas. entièrement détruit, se rétablira 
par le froid, et l’on verra les bulles élastiques 
s'élever à la surface de l’eau prête à se conge- 
ler. Si au contraire l’on augmente le degré 
-de la température de l’eau par une chaleur 
extérieure, on en divise trop les parties in- 
tégrantes, on les rend volatiles, et l'air, qui 
ne leur étoit que foiblemeut uni, s'élève et 
s'échappe avec elles : car il faut se rappeler 
que quoique l’eau prise en masse soit incom- 
pressible et sans aucun ressort, ellé est très- 
élastique dès qu’elle est divisée ou réduite en 
petites parties; et en ceci elle paroïit être 
d’une nature contraire à celle de l’air, qui 
n’est compressible qu’en masse, et qui perd 
son ressort dès qu'il est trop divisé. Néan- 
moins l'air et l’eau ont beaucoup plus de 
rapports entre eux que de propriétés oppo- 
eées ; et comme je suis très - persuadé que 
toute la matière est convertible, et que les 


SECONDE PARTIE. 239 


quatre élémens peuvent se transformer, je 
serois porté à croire que l’eau peut se chan- 
 ger en air lorsqu'elle est assez raréfiée pour 
s'élever en vapeurs ; car le ressort de la va- 
peur de l’eau est aussi et même plus puissant 
que le ressort de l'air : on voit le prodigieux 
effet de cette puissance dans les pompes à 
feu; on voit la terrible explosion qu’elle 
produit lorsqu'on laisse tomber du métal 
fondu sur quelques gouttes d’eau ; et si l’on 
ne veut pas convenir avec moi que l’eau 
puisse, dans cet état de vapeurs, se transfor- 
mer en air, on ne pourra du moins nier 
qu'elle n’en ait alors les principales pro- 
priétes. 
L'expérience m'a même appris que la va- 
peur de l’eau peut entretenir et augmenter le 
feu comme le fait l’air ordinaire; et cet air, 
que nous pourrions regarder comme pur; 
est toujours mêlé avec une très-grande quan- 
tité d'eau : mais il faut remarquer, comme 
chose importante , que la proportion du mé- 
lange n’est pas, à beaucoup près , la même 
dans ces deux élémens. L’on peut dire en 
général qu’il y a beaucoup moins d’air dans 
l'eau que d’eau dans l'air; seulement il faut 


in 41 un: 


SM 


240 MINERAUX. INTRODUCTION ; 


considérer qu'il y a deux unités très- diffé 


rentes, auxquelles on pourroit rapporter les 
termes de cette proportion : ces deux unités 
sont le volume et la masse. Si on estime la 
quantité d'air contenue dans l'eau par le 
volume , elle paroïtra nulle, puisque le vo- 
lume de l’eau n’en est point du tout aug- 
menté : et de même l'air plus ou moinshu- 
mide ne nous paroît pas changer de volume; 
cela n’arrive que quand'il est plus ou moins 
chaud. Ainsi ce n’est point au volume qu’il 


faut rapporter cette proportion ; c’est à la 


masse seule, c’est-à-dire, à la quantité réelle 
de matière dans l’un et l’autre de ces deux 
élémens, qu'on doit comparer celle de leur 
mélange; et l’on verra que l'air est beaucoup 
plus agueux que l’eau n’est aérienne, peut- 
être dans la proportion de la masse, c’est-à- 
dire, huit cent cinquante fois davantage. 
Quoi qu’il en soit de cette estimation, quE 
est peut-être ou trop forte ou trop foible, 
nous pouvons en tirer l'induction que l’eau 
doit se changer plus aisément en air, que 
l’air ne peut se transformer en eau. Les par- 
ties de l'air, quoique susceptibles d’être ex- 
trémement divisées, paroissent ètre plus 


f 


SECONDE PARTIE. 24e 


grosses que celles de l’eau , puisque celle-ci 
passe à travers plusieurs filtres que l’air ne 
peut pénétrer; puisque, quand elle est raré- 
fiée par la chaleur , son volume , quoique 
fort augmenté, n’est qu'égal, ou un peu plus 
grand que celui des parties de l'air à la sur- 
face de la terre, car les vapeurs de l’eau ne 
s'élèvent dans l'air qu’à une certaine hau- 
teur ; enfin, puisque l'air semble s’imbiber 
d'eau comme une éponge, la contenir en 
grande quantité, et que le contenant est 
nécessairement plus grand que le contenu. 
Au reste, l'air, qui s’imbibe si volontiers de 
l'eau, semble 1a rendre de même lorsqu'on 
lui présente des sels ou d’autres substances 
avec lesquelles l’eau a encore plus d’affinité 
qu'avec lui. L'effet que les chimistesappellent 
défaillance, et même celui des efforescences, 
démontrent non seulement qu'il y a une 
très - grande quantité d’eau contenue dans 
l'air, mais encore que cette eau n’y est atta- 
chée que par une simple affinité , qui cède 
aisément à une affinité plus grande, et qui 
même cesse d'agir , sans être combattue ou 
balancée par aucune autre affinité, mais par 
la seule raréfaction de l'air, puisqu'il se 
81 


\ 


243 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
dégage de l’eau dès qu’elle cesse d’être pressée 
par le poids de l'atmosphère sous Le récipient 
de la machine pueumatiqué. 
Dans l’ordre de la conversion des élémens, 
il me semble que l’eau est pour l’air ce que 
l’air est pour le feu, et que toutes les trans- 
formations de la nature dépendent de celle: 
ci. L'air, comme aliment du feu, s’assimile 
avec lui, etse transforme en ce premier elé- 
ment ; l’eau, rareñee par la chaleur, se transe 
forme en une espèce d’air capable d’alimen- 
ter le feu comme l'air ordinaire. Ainsi le 
feu a un double fonds de subsistance assurée ; 
s'il consomme beaucoup d'air, il peut aussi 
en produire beaucoup par la raréfaction de 
l’eau , et réparer ainsi dans la masse de l’at- 
mosphère toute la quantité qu'il en détruit, 
tandis qu'ultérieurement il se convértit lui- 
même avec l'air en matière fixe dans les 
substances terrestres qu’il pénètre par sa cha- 
leur ou par sa lumiere. | 
Et de mème que, d'une part, l’eau se 
convertit en air ou en vapeurs aussi volatiles 
que l'air par sa raréfaction , elle se convertit 
en une substance solide par une espèce de 
condensation différente des condeusations 


| SECONDE PARTIE, 243 
ordinaires. Tout fluide se rarefie par la cha- 
leur, et se condense par le froid; l’eau suit 
elle-même cette loi commune, et se condense 
à mesure qu’elle refroidit : qu’on en rem- 
plisse un tube de verre jusqu'aux trois quarts, 
on la verra descendre à mesure que le froid 
augmente , et se condenser comme font tous 
les autres fluides; mais quelque tempsavant 
l'instant de la congélation, on la verra re- 
monter au-dessus du point des trois quarts 
de la hauteur du tube, et s’y renfler encore 
considérablementense convertissanten glace: 
mais si le tube est bien bouché, et parfaite- 
ment en repos, l’eau continuera de baisser, 
et ne se gelera pas , quoique le degré de froid 
soit de 6, 8 ou 10 degrés au-dessous du terme 
de la glace, et l’eau ne gelera que quand on 
couvrira le tube ou qu'on le remuera. IL 
semble donc que la congélation nous présente 
d’une manière inverse les mêmes phéno- 
mènes que l’inflammation. Quelqu’intense, 
quelque grande que soit une chaleur renfer- 
mée dans un vaisseau bien clos, elle ne pro- 
duira l’inflammation que quand elle touchera 
quelque matière enflammée; et de même, à 
quelque degré qu’un fluide soit refroidi, id 


244 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


ne gelera pas sans toucher quelque substance 
déja gelée, et c’est ce qui arrive lorsqu’ on 


remue ou débouche le tube ; les particules 
de l’eau qui sont gelées dans l’air extérieur 
ou dans l’air contenu dans le tube, viennent, 
lorsqu'on le débouche ou le remue, frapper 
la surface de l’eau, et lui communiquent 
leur glace. Dans l’inflammation , l'air, d’a- 
bord très-raréfié par la chaleur, perd de son 
volume et se fixe tout-à-coup; dans la con- 
gélation, l’eau , d’abord condensée par le 
froid , reprend plus de volume et se fixe de 


même : car la glace est une substance solide, 


plus légère que l’eau , et qui conserveroit sa 
solidité si le froid étoit toujours le mème ; 
et je suis porté à croire qu’on viendroit à bout 
de fixer le mercure à un moindre degré de 
froid en le sublimant en vapeurs dans un air 
très-froid. Je suis de même très-porté à croire 
que l’eau, qui ne doit sa liquidité qu’à la 
chaleur , et qui la perd avec elle, deviendroit 
une substance d'autant plus solide et d’au- 
tant moins fusible, qu’elle éprouveroit plus 
fort et plus long-temps la rigueur du froid. 
On n’a pas fait assez d’ PÉTER surcesujet 
important. 


= 


_ SECONDE PARTIE. 245 
Mais sans nous arrêter à cette idée , c’est- 
à-dire, sans admettre ni sans exclure la possi- 
bilite de la conversion de la glace en matière 
infusible ou terre fixe et solide, passons à des 
vues plus étendues sur les moyens que la 
_ mature emploie pour la transformation de 
l’eau. Le plus puissant de tous et Le plus évi- 
dent est le filtre animal. Le corps des ani- 
maux à coquille, en se nourrissant des par- 
ticules de l’eau , en travaille en mème temps 
la substance au point de la dénaturer. La 
coquille est certainement une substance ter— 
restre, une vraie pierre, dont toutes les 
pierres que les chimistes appellent ca/caires, 
et plusieurs autres matières, tirent leur ori- 
gine. Cette coquille paroît, à la vérité, faire 
partie constitutive de l'animal qu’elle couvre, 
puisqu'elle se perpétue par la génération, et 
qu’on la voit dans les petits coquillages qui 
viennent de naître, comme dans ceux qui 
ont pris tout leur accroissement ; mais ce 
n’en est pas moins une substance terrestre, 
formée par la secrétion ou l’exsudation du 
corps de l’animal : on la voit s’agrandir, s’é- 
| paissir par anneaux et par couches à me- 


sure qu il prend de la croissance; et souvent- 
, 21 


246 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 

cette matière pierreuse excède cinquante om 
soixante fois la masse ou matière réelle du 
corps de l'animal qui la produit. Qu’on se 
représente pour un instant le nombre des 
espèces de ces animaux à coquille, ou, pour 
les tous comprendre, de cesanimaux à trans- 
sudation pierreuse; elles sont peut-être en 
plus grand nombre dans la mer que ne l’est 
sur la terre le nombre des espèces d'insectes : 
qu'on se représente ensuite leur prompt ac- 
croissement, leur prodigieusemultiplication, 
le peu de durée de leur vie, dont nous sup- 
poserons néanmoins le terme moyen à dix 
ans *; qu'ensuite on considère qu il faut mul- 
tiplier par cinquante ou soixante le nombre 
presque immense de tous les individus de ce 
genre, pour se faire une idée de toute la ma- 
tière pierreuse produite en dix ans; qu'enfin 


: 


* La plus longue vie des escargots, ou gros lima- 
cons terrestres, s'étend jusqu’à quatorze ans. On peut 
présumer que les gros coquillages de mer vivent plus 
long-temps: mais aussi les petits , et les très-petits, 
tels que ceux qui forment le corail, et tous les ma- 
drépores, vivent beaucoup moins de temps ; et c’est 
par cette raison que J'ai pris le tèrme moyen à dix 
ans. 


SECONDE PARTIE. 247 


on considère que ce bloc déja si gros de ma- 
tière pierreuse doit être augmente d'autant 
de pareils blocs qu'il y a de fois dix dans tous 
les siècles qui se sont écoulés depuis le com- 
mencement du monde, et l’on se familiari- 
sera avec cette idee, ou plutôt cette vérité 
d'abord repoussante, que toutes nos collines, 
tous nos rochers de pierre calcaire, demarbre, 
de craie , etc. ne viennent originairement 
que de la dépouille de ces petits animaux. 
On n’en pourra douter à l’inspection des ma- 
tières mêmes, qui toutes contiennent encore 
des coquilles ou des détrimens de coquilles 
très-aisément reconnoissables. 

Les pierres calcaires ne sont donc en très- 
grande partie que de l’eau et de l’air conte- 
nus dans l’eau , transformés par le filtre 
animal ; les sels, les bitumes, les huiles, les 
graisses de la mer , n’entrent que pour peu 
ou pour rien dans la composition de la co- 
quille : aussi la pierre calcaire ne contient- 
elle aucune de ces matières. Cette pierre n’est 
que de l’eau transformée, jointe à quelques 
petites portions de terre vitrifiable, et à une 
très-grande quantité d’air fixe qui s’en dé- 
gage par la calcination. Cette opération pro. 


\ 


#48 MINÉRAUX. INTRODUCTION 1 


duit les mêmes effets sur les coquilles av on 
preñd dans la mer que sur les: pierres qu on 
tire des carrières ; elles forment également 
de la chaux, dans laquelle on ne remarque 
d'autre différence que celle d’un peu plus ou 
d’un peu moins de qualité. La chaux faite 
avec des écailles d’huître ou d’autres co- 
quilles est plus foible que la chaux faite avec 
du marbre ou de la pierre dure; mais le pro- 
cédé de la nature est le même, les résultats 
de son opération les mêmes : les coquilles 
et les pierres perdent également près de moi- 
tié de leur poids par l’action du feu dans la 
calcination ; l'eau qui a conservé sa nature 
en sort la première; après quoi l’air fixe se 
dégage , et ensuite l’eau fixe dont ces subs= 
tances pierreuses sont composées, reprend sa 
première nature et s’éléve en vapeurs pous- 
sées et raréfiées par le feu ; il ne reste que les 
parties les plus fixes de cet air et de cette eau, 
qui peut-être sont si fort unies entre elles et 
à la petite quantité de terre fixe de la pierre, 
que le feu ne peut les séparer. La masse se 
trouve donc réduite de près de moitié, et se 
réduiroit peut-être encore plus si l’on don- 
noit un feu plus violent; et ce quimesemble 


| 


SECONDE PARTIE. 249 
prouver évidemment que cette matière chas= 
sée hors de la pierre par le feu n'est autre 
- chose que de l’air et de l’eau, c’est la rapi- 
dité, l’avidité avec laquelle cette pierre cal- 
cinée reprend l’eau qu’on lui donne, et la 
Force ayec laquelle elle la tire de l'atmosphère 
lorsqu'on la lui refuse. La chaux, par son 
extinction ou dans l’air ou dans l’eau, re- 
prend en grande partie la masse qu’elle avoit 
perdue par la calcination ; l’eau, avec l'air 
qu'elle contient , vient remplacer l’eau et 
l'air qu’elle contenoit précédemment : la 
_ pierre reprend dès lors sa première nature; 

car en mélant sa chaux avec des détrimens 
d’autres pierres, on fait un mortier qui se 
durcit, et devient avec le temps une subs-— 
tance solide et pierreuse, comme celle dont 
on l’a composée. | 
Après cette exposition , je ne crois pas 
qu'on puisse douter de la transformation de 
l'eau en terre ou en pierre par l’intermède 
des coquilles. Voilà donc, d’une part, toutes 
les matières calcaires dont on doit rapporter 
l'origine aux animaux , et, d'autre part, 
toutes les matières combustibles qui ne pro- 
viennent que des substances animales ou 


nn, |. 
‘ ANCIEN 
SA 


/25o MINÉRAUX. INTRODUCTION, F: 
végétales : elles occupent ensemble un assez 
grand espace à la surface de la terre ; et l'on 
peut juger, par leur volume immense, com- 
bien la nature vivante a travaillé pour la 
nature morte, car ici le brut n’est que le 
mort. 

Mais les matiëres calcaires et les substances 
combustibles , quelque grand qu'en soit le 
nombre , quelqu'immense que nous en pa- 
roisse le volume, ne font qu'une très-petite 
portion du globe de la terre, dont le fonds 
principal et la majeure et très-majeurequan- 
tité consiste en une matière de la nature du 
verre; matière qu’on doit regarder comme 
l'élément terrestre, à l’exclusion de toutes 
les autres substances auxquelles elle sert de 
base comme terre, lorsqu'elles se formentpar 

‘ le moyeu ou par le détriment des animaux, 
des végétaux , et par la transformation des 
autres elémens. Non seulement cette matière 
première, qui est la vraie terre élémentaire, 
sert de base à toutes les autres substances, et 
en constitue les parties fixes, mais elle est 
en même temps le terme ultérieur auquel on 
peut les ramener et les réduire toutes. Avant | 
de présenter les moyens que la nature et 


j 

? SECONDE PARTIE 5 
Yart peuvent employer pour opérer cette 
espèce de réduction de toute substance en 
verre, c’est-à-dire , en terre élémentaire, il 
est bon de rechercher si les moyens que nous 
avons indiqués sout les seuls par lesquels 
l’eau puisse se transformer en substance 
solide. Il me semble que le filtre animal la 
convertissant en pierre, le filtre végétal peut 
également la transformer, lorsque toutes les 
circonstances se trouvent être les mêmes : la 
chaleur propre des animaux à coquille étant 
un peu plus grande que celle des végétaux , 
et les organes de la vie plus puissans que 
ceux de la végétation, le végétal ne pourra 
produire qu'une petite quantité de pierres 
qu'on trouve assez souvent dans son fruit ; 
mais il peut convertir, et convertir reelle- 
ment en sa substance, une grande quantité 
d'air, et une quantité encore plus grande 
d’eau : la terre fixe qu’il s’'approprie, et qui 
sert de base à ces deux élémens, est en si 
petite quantité, qu'on peut assurer, sans 
craindre de se tromper, qu’elle ne fait pas 
la centième partie de sa masse; dès lors le 
végétal n’est presque entièrement composé 
que d’air et d’eau transformés en bois; subs- 


” 


252 MINÉRAUX. INTRODUCTIO 1 HER 
tance solide qui se réduit ensuite en PE 
par la combustion ou la putréfaction. | ‘4 
doit dire la même chose des animaux; ils , 
fixent et transforment non seulement l'air 
et l’eau, mais le feu, en plus grande quan- 
tité que les végétaux. Il me paroît donc que 
les fonctions des corps organisés sont l’un 
des plus puissans moyens que la nature em- 
ploie pour la conversion des élémens. On 
peut regarder chaque animal ou chaque vé- 
gétal comme un petit centre particulier de 
chaleur ou de feu qui s’approprie l'air et 
l’eau qui l’environnent, se les assimile pour 
végéter, ou pour se nourrir et vivre des pro- 
ductions de la terre, qui ne sont elles-mêmes 
que de l’air et de l’eau précédemment fixés 5 
il s’approprie en même temps une petite 
quantité de terre, et, recevant les impres= 
sions de la lumière et celles de la chaleur du 
soleil et du globe terrestre, il tourne en sa 
substance tous ces differens élémens, les tra- 
vaille, les combine , les réunit, les oppose, 
jusqu'à ce qu'ils aient subi la forme néces- 
saire à son développement, c’est-à-dire, à l’en. 
tretien de la vie et de l'accroissement de l'or- 
ganisation , dont le moule une fois donne 


"4 


SEC OND E/PARTIE. AIM 253 
+ toute.la matière qu'il adnet et; de! 
bruté.qu’elle.étoit;:la rend-organisée, :;: 01: 
L'eau ; qui s’unit si volontiers:avec l'air,r 
et qui entre avec lui.en siigrinde quantité: 
dans les corps organises, s'unitaussi.tle ‘pré. 
férence avec quélques matières solides;, telles: 
que les, sels; :et c'est souvent par leur moyen 
qu'elle entre,dans la composition des miné-- 
raux. Le sel, au premier coup d’æil, ne pa= 
roit être qu'une terre dissoluble dans l’eau , 
et d’une saveur piquante; mais les chimistes, 
en recherchant sa nature, ont tres-bien re 
connu qu’elle consiste principalement dans 
la réunion de ce qu’ils nomment le principe 
terreux et le principe aqueux. L'expérience 
de l'acide nitreux , qui ne laisse après sa 
combustion qu'un peu de terre et d’eau, leur 
a même fait penser que ce sel, et peut-être 
tous les autres sels, n’etoient absolument 
composés que de ces deux élémeus : néan— 
moins il me paroît qu'on peut démontrer 
aisément que l'air et le feu entrent dans leur. - 
composition, puisque le nitre produit une 
grande quantité d'air dans la combustion, et 
que cet air fixe suppose du feu fixe qui s’en 
dégage en mème temps; que d’ailleurs toutes 
Mar. gén, IV. 22 


Les die quo on Tant de 
tion ne peuvent selsoutenir ; à moins! qu elles 
n’adiettent’ deux forces opposées, 1” une at 


tractive:, et l’autre éxpansive ; et par consé: 


quent la présence des élémens de l'air et du 
feu, qui’ sont seuls doués de cette seconde 
force; qu’enfin céseroit contreltoute analogie 
que le sel ne se trouveroit composé que des 
deux élémens dela terre et de l’eau, tandis 


que toutes les autres substances sont Compo- | 


sées des quatre élémens. Ainsi l’on ne doit 
pas prendre à la rigueur ce que les grands 
chimistes, MM. Stahl et Macquer , ont dit à 
ce sujet ; les expériences de M. Hales démon- 
trent que le vitriol et le sel marin contiennent 
beaucoup d’air fixe , que le nitre en contient 
éncore beaucoup plus; et jusqu'à concur- 
rence du huitième de son poids , et le sel de 
tartre encore plus. On peut donc assurer que 
l'air entre comme principe dans la composi- 
tion de tous les sels, etque, comme il ne peut 
se fixer dans aucune substance qu’à l’aide de 
la chaleur ou du feu qui se fixent en même 
temps, ils doivent être comptés au nombre 
de leurs parties constitutives. Mais celan’em- 
pêche pas que le sel ne doive aussi être 


he n ee Ro “4 


LA SECONDE PARTIE: 255 
regardé comme la substance moyenne entre 
la terre et l’eau ; ces deux elemensentrent en 

proportion différente dans:les :différens sels 
ou substances salines, dont la variété et le 
nombre sont si grauds, qu’onnepeut en faire 
l'énumération, mais qui, présentées géne- 

. ralement sous les dénominations d'acides et 
d'alcalis, nous montrent qu’en genéral il y 
a plus de terre et moins d’eau daus çes der- 
niers sels, et au contraire plus d'eau etmoims 
de terre dans les premiers. 

. Néanmoins l’eau, ox intimement mé- 
lée dans les sels, n’y est ni fixée ni réunie 
par une force assez grande pour la trans- 
former en. matiere solide, comme dans la 
pierre calcaire: elle réside dans le sel ou dans 
son acide sous sa forme primitive;.et l'acide 
Je mieux concentré, le plus dépouillé d’eau, 
qu’on pourroit regarder ici comme de la terre 
liquide, ne doit cette liquidité qu’à la quan- 
tite de l’air et du feu qu’il contient : toute 

_ liquidité, et mème toute fluidité, suppose la 

présence d’une certaine quantité de feu ; et 
quand on attribueroit celle des acides à un 
reste d’eau qu'on ne peut en séparer, quand 
même on pourroit les réduire tous sous une 


256 MINÉRAËX. NrRO BU ton, 
formeéoncrète , il n'en serdirétnoh vrai 


que Téurs saveurs , ainsi que les odeurs et les 
couleuYs , ont ‘toutes également pour prin- 


cipe Célui de la force expansive, c’ést-à-dire , 
la lumière et les émanations de la chaleur et 


du feu : car il n'y a que cés principes actifs . 


qui puissent agir sur nos sens, et les‘affecter 
d'une manière différente et diversifiée selon 
les vapeurs ou particules des différentes subs- 
tances qu'ils nous apporteñt ét nous pré- 
sentent. C’est donc à ces principes qu’on doit 


rapporter non seulement la liquidité des 


acides , mais aussi leur saveur. Une expe- 
rience que j'ai eu occasion de faire un grand 
nombre de fois, m'a pleinement convaincu 
que l'alcali est produit par le feu ; la chaux 
faite à la manière ordinaire, et mise sur la 
langue, même avant d’être éteinte par Pair 
ou par l’eau , à une saveur qui indique déja 
la présence d’une certaine quantité d’alcali. 
Si l’on continue le feu , cette chaux, qui a 
subi une plus longue calcination, devient 
plus piquante sur la langue; et celle que l’on 
tire des fourneaux de forges où la calcina- 
tion dure cinq ou six mois de suite, l’est 
encore davantage. Or ce sel n’étoit pas con- 


SECONDE PARTIE. 257 
tenu dans la pierre avant sa calcination ; il 
augmente en force ou en quantité à mesure 


que le feu est appliqué plus violemment et 
plus long-tempsà la pierre;ilest donc le pro- 


duit immediat du feu et de l’air, qui se sont 
incorporés dans sa substance pendant la cal- 
cination , et qui, par ce moyen, sont deve- 
nus parties fixes de cette pierre, de laquelle 
ils ont chassé la plus grande partie des molé- 
cules d’eau liquides et solides qu’elle conte- 
noit auparavant. Cela seul me paroîtsufisant 
pour prononcer que le feu est le principe de 
la formation de l’alcali minéral, et l’on doit 
en conclure, par analogie , que les autres 
alcalis doivent egalement leur formation à la 
chaleur constante de l’animal et du végétal 
dont on les tire. 

À l'égard des acides , la démonstration de 
leur formation par le feu et l’air fixes, quoi: 
que moins immédiate que celledesalcalis, ne 
m'en paroit pas moins certaine : nous avons 
prouvé que le nitre et le phosphore tirent 
leur origine des matières végétales et ani- 
males, que le vitriol tire la sienne des py- 
xites, des soufres et des autres matières com 


bustibles ; on sait d’ailleurs que ces acides, 
22 


28 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


soit vitrioliques, ou nitreux, ou phospho*. 
riques , contiennent toujours une certaine 
quantité d’alcali : on doit donc rapporter 


leur formation et leur saveur au même prin- 
cipe, et, réduisant tous les acides à un seul 
acide , et tous les alcalis à un seul alcali, 
ramener tous les sels à une origine com— 
_mune , et ne regarder leurs différentes sa- 
veurs et leurs propriétés particulières et di- 
verses que comme le produit varié des diffé- 
rentes quantités de terre, d’eau , et sur-tout 


ï 


“ ° , { 
d'air et de feu fixes, qui sont entrées dans 


leur composition. Ceux qui contiendront le 
plus de ces principes actifs d’air et de feu , 
seront ceux qui auront le plus de puissance 
et le plus de saveur. J'entends par puissance, 
la force dont les sels nous paroissent dnimés 
pour dissoudre les autres substances : on sait 
que la dissolution suppose la fluidité; qu’elle 
ne s’opère jamais entre deux matières sèches 
ou solides, etque par conséquent elle suppose 
aussi dans le dissolvant le principe de la 
fluidite , c’est-à-dire , le feu : la puissance 
du dissolvant sera donc d'autant plus grande, 
que , d’une part, il contiendra ce principe 
actif en plus srande quantité, et que, d'autre 


\ 


10 


+" 


SECONDE PARTIE. 259 
part, ses parties aqueuses et terreuses auroné 
plus d’affinité avec les parties de même espèce 


contenues dans les substances à dissoudre ; et 


comme les degrés d’affinité dépendent absolu- 
ment de la figure des parties intégrantes des 
corps, ils doivent, comme ces figures, varier 
à l'infini: on ne doit donc pas être surpris 
de l'action plus ou moins grande ou nulle de 
certains sels sur certaines substances , ni des 
effets contraires d’autres sels sur d’autres 
substances. Leur principe actif est le même, 
leur puissañcepour dissoudre la même: mais 
elle demeure sans exercice , lorsque la subs- 
tance qu'on lui présente repousse celle du 
dissolvant , ou n'a aucun degre d’affinité avec 
Jui ; tandis qu’au contraire elle le saisit 
avidement toutes les fois qu’il se trouve assez 


de force d’affinité pour vaincre celle de la 


cohérence , c'est-à-dire, toutes les fois que 
les principes actifs contenus dans le dissol- 
vant , sous la forme de l'air et du feu , se 


trouvent plus puissamment attirés par la 


puissance à dissoudre qu'ils ne le sont par 
la terre et l'eau qu’il contient; car dès lors ces 
principes actifs s’en séparent , se dévelop- 
pent ei pénètrent la substance, qu'ils divisent 


— 


Î NE FE 


260 MINÉRAUX. INTRODUCTION; … 
et décomposent au point de la rendre suscep= | 
tible , par cette division , d'obéir en liberté 


à toutes les forces attractives de la terre et de 
l’eau contenues dans le dissolvant , et de 
s'unir avec elles assez intimement pour ne 
pouvoir en être séparées que par d’autres 
substances qui auroient avec ce même dis- 
solvant un degré encore plus grand d’af- 
finité. Newton est le premier qui ait donné 
les affinités pour causes des précipitations 
chimiques ; Stahl adoptant cette idée l’a trans- 
mise à tous les chimistes, et 1l me paroïit 
qu’elle est aujourd'hui universellement reçue 
comme une vérite dont on ne peut douter. 
Mais ni Newton ni Stahl ne se sont elevés au 
pointde voir que toutes ces affinités , en appa- 
rence si différentes entre elles, ne sont au 
fond que les effets particuliers de la force 
générale de l'attraction universelle; et, faute 
de cette vue , leur théorie ne pouvoit être ni 
lumineuse ni complète , parce qu’ils étotent 
forcés de supposer autant de petites lois 
d’affinités différentes qu'il y avoit de phé- 
nomènes différens ; au lieu qu'il n’y a réel- 
lement qu’une seule loi d’affinité, loi qui est 
exactement la même que celle de l'attraction 


SECONDE PARTIF  26r 
universelle , et que par conséquent l’expli- 
cation de tous les phénomènes doit être dé- 
duite de cette seule et même cause. 

Lessels concourent donc à plusieurs opéra- 
tions de la nature par la puissance qu'ils ont 
de dissoudre les autres substances; car, quoi- 
qu'on dise vulgairement que l'eau dissout le 
sel ; 1l est aisé de sentir que c’est une erreur 
d'expression fondée sur ce qu’on appelle com— 
munément le liquide , le dissolvant ; et le 
solide , le:corps à& dissoudre : mais dans le 
réel, lorsqu'il y a dissolution, les deux corps 
sont actifs et peuvent être également appelés 
dissolvans ; seulement regardant le sel comme 
le dissolvant, le corps dissous peut être indif- 
féremment ou liquide ou solide ; et pourvu 
que les parties du sel soient assez divisées 
pour toucher immédiatement celles des au- 
tres substances , elles agiront et produiront 
tous les effets de la dissolution. On voit par-là 
combien l’action propre des selset l’action de 
l'élément de l’eau qui les contient, doivent 
influer sur lacomposition des matières miné- 
rales. La nature peut produire par ce moyen 
tout ce que nos arts produisent par le moyen 
du feu : il ne faut que du temps pour que les 


262 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


sels et l’eau opèrent sur les substances les 


plus compactes et les plus dures, la division 
la plus complète et l’atténuation la plus grande 


de leurs parties ; ce qui les rend alors suscep- 


tibles de toutes les combinaisons possibles et 
capables de s’unir avec toutes les substances 
analogues et de se séparer de toutes les 
autres. Mais ce temps, qui n’est rien! pour 
la nature, et qui ne lui manque pas , est 
de toutes les choses nécessaires celle qui nous 
manque le plus; c’est faute de temps que nous 


ne pouvons imiter ses procédés ni suivre sa 


marche : le plus grand de nos arts seroit donc 
l'art d'abréger le temps , c’est-à-dire , de 
faire en un jour ce qu’elle fait en un siècle. 
Quelque vaine que paroisse cette prétention, 


il ne faut pas y renoncer : nous n'avons, à la. 


vérité, ui les grandes forces nile temps encore 
plus grand dela nature; maisnous avons au- 
dessus d'elle la liberté deles employer comme 
il nous plait ; notre volonté est une force qui 
commande à toutes les autres forces, lorsque 
nous la dirigeons avec intelligence. Ne som- 
mes-nous pas venus.à bout de créer à notre 
usage l'élément du feu qu’elle nous avoit 
caché? ne l’ayons-nous pas tiré des rayons 


SECONDE PARTIE. 263 
qu elle ne nous envoyoit que pour nous éclai- 
rer? n’ayons-nous pas , par ce même élé- 
ment , trouvé le moyen d'abréger le temps 
en divisant les corps par une fusion aussi 
prompte que leur. division seroit lente par 
_tout autre moyen ? etc. 

Mais cela ne doit pas nous faire perdre de 
vue que la nature ne puisse faire et ne fasse 
réellement , par le moyen de l'eau , tout ce 
que nous faisons par celui du feu. Pour le 
voir clairement , il faut considérer que la 
decomposition de toute substance ne pouvant 
se faire que par la division , plus cette divi- 
sion sera grande , et plus la décomposition 
sera complète. Le feu semble diviser, autant 
qu'il est possible , les matières qu'il met en 
fusion ; cependant on peut douter si celles 
que l’eau et les acides tiennent en dissolu- 
tion ne sont pas encore plus divisées : et 
les vapeurs que la chaleur élève, ne con- 
tiennent-elles pas des matières encore plus 
atténuées ? [1 se fait donc dans l’intérieur de 
la terre, au moyen de la chaleur qu’elle ren- 
ferme et de l’eau qui s’y insinue , une infi- 
nité de sublimations , de distillations, de 
erystallisations , d'agrégations , de disjonc- 


264 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
tions de tonte espèce. Toutes les substances 
peuvent être , avec le temps, composées et. 
décomposéés par ces moyens ; l’eau peut les 
diviser et en atténuer les parties autant et : 
plus que le feu lorsqu'il les fond ; et ces 
parties atténuées, divisées à cepoint , se join- 
dront, se réuniront de la même manière que 
celles du métal fondu se réunissent en se re- 
froidissant. Pour nous faire mieux entendre, 
arrêtonus-nous un instant sur la crystallisa- 
tion : cêt effet, dont les sels nous ont donné 
l'idée , ne s’opère jamais que quand une subs- 
tance, étant dégagée de toute autresubstance, 
se trouve très-divisée et soutenue par um 
fluide qui, n'ayant avec elle que peu ou 
point d’affinité , lui permet de se réunir et 
de former, en vertu de sa force d'attraction 
des masses d’une figure à peu près semblable 
à la figure de ses parties primitives. Cette 
opération , qui suppose toutes les circons— 
tances que je viens d’enuoncer , peut se faire 
par l’intermède du feu aussi-bien que par 
celui de l’eau , et se fait très-souvent par le 
concours des deux , parce que tout cela ne 
suppose ou n’exige qu'une division assez 
grande de la matière pour que ses parties 


l. SECONDE PARTIE. 268 
‘primitives puissent, pour ainsi dire, se trier 
et former , en se réunissant, des corps figures 
comme elles : or le feu peut tout aussi-bien, 
et mieux qu'aucun autre dissolvant, amener 
plusieurs substances à cet état , et l’observa- 
tion nous le démontre dans les régules, dans 
les amiantes , les basaltes , et autres pro- 
ductions du few, dont les figures sont regu- 
lières , et qui toutes doivent être regardées 
comme de vraies erystallisations. | 
Et ce degré de grande division, nécessaire 

à la crystallisation, n’est pas encore celui de 
la plus grande division possible ni réelle, 
puisque dans cet état les petites parties de la 
matière sont encore assez grosses pour cons— 
tituer une masse qui, comme toutes les autres 
masses, n’obéit qu'à la seule force attractive, 
et dont les volumes, ne se touchant que par. 
des points , ne peuvent acquerir, la force 
répulsive qu'une beaucoup plus grande divi- 
sion ne mauqueroit pas d'opérer par un con- 
tact plus immediat ; et c'est aussi ce que 
Von voit arriver dans les effervescences , où 
tout d’un coup la chaleur et la lumière sont 
produites par le mélange de deux liqueurs 
froides. Ce degré de division de la matière 
23 


266 MINÉRAUX. INTRODUCTION , 
est ici fort au-dessus du degré nécessaire à la 
crystallisation ; ét l'opération s’en fait aussi 
rapidement que l’autre s'exécute’ avec len- 
teur. ; ven SRE NT 
La lumière, la chaleur, le feu, l'air, 
l’eau , les sels , sont les degrés par lesquels 
nous venons de descendre du haut de l'échelle 
de la nature à sa base qui est la terre fixe; 
et ce sont en même temps les séuls prin- 
cipes qu’on doive admettre et combiner pour 
l'explication de tous les phénomènes. Ces 
principes sont réels, indépendans de: toute 
hypothèse et de toute méthode ; leur con- 
version , leur transformation est toute aussi 


réelle, puisqu'elle est démontrée par l’expé: 


rience. Il en est de même de l’élément de 
la terre : il peut se convertir en se volati- 
lisant, et prendre la forme desautres élémens, 
comme ceux-ci prennent la sienne en se 
fixant. Mais de la mème manière queles par- 
ties primitives du feu , de l'air ou de l’eau, 
ne formeront jamais seules des corps ou des 
masses qu’on puisse regarder comme du feu, 
de l'air ou de l’eau purs ; de même il me 
paroit très-inutile de chercher dans les ma- 
tières terrestres une substance de terré pure ; 


Re — 


SECONDE PARTIE. 267 
la fixité, l'homogénéité, l’éclat transparent 
du diamant a ébloui les yeux de nos chimistes 
lorsqu'ils ont donné cette pierre pour la terre 
élémentaire et pure ; on pourroit dire avec 
autant et aussi peu de fondement que c’est au 
contraire de l’eau pure, dont toutes les parties 
se sont fixées pour composer une substance 
solide diaphane comme elle. Ces idées n’au- 
roient pas été mises en avant, si l’on eût 
pensé que l'élément terreux n’a pas plus le 
privilége de la simplicité absolue que les 
autres élémens ; que même, comme il est le 
plus fixe de tous , et par conséquent le plus 
constamment passif , il reçoit comme base 
toutes les impressions des autres: illes attire, 
les admet dans son sein , s’unit , s’incorpore 
avec eux, les suit et se laisse entraîner par 
leur mouvement ; et par conséquent il n’est 
m1 plus simple ni moins convertible que les 
autres. Ce ne sont jamais que les grandes 
masses qu'il faut considérer lorsqu'on veut 
définir la nature. Les quatre élémens ont été. 
bien saisis par les philosophes, même les plus 
anciens ; le soleil, l’atmosphère , la mer et 
la terre sont les grandes masses sur lesquelles 
ils les ont établis : s’il existoit un astre de 


se. het 2” 
TN JE 


AR QNE DCE LE CR 


268 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


phlogistique, une atmosphère d’alcali, un 


océan d'acide , et des montagnes de diamant, 
on pourroit alors les regarder comme les 
principes généraux et réels de tous les corps; 
mais ce ne sont au contraire que des subs- 
tances particulières, produites, comme toutes 
les autres , par la combinaison des véritables 
élémens. ( Ù 
Dans la grande masse de matière solide 
qui nous représente l'élément de la terre , 
la couche superficielle est la terre la moins 
pure: toutes les matières déposées par la mer 
en forme de sédimens, toutes les pierres pro= 
duites par les animaux à coquille , toutes les 
substances composées par la combinaison des 
détrimens du règne animal et végétal , toutes 
celles qui ont été altérées par le feu des vol- 
cans, ou sublimées par la chaleur intérieure 
du globe , sont des substances mixtes et 
transformées ; et quoiqu'elles composent de 
très-grandes masses , elles ne nous représen- 
tent pas assez purement l'élément de la 
terre : ce sont les matières vitrifiables, dont 
la masse est mille et cent mille fois plus 
considerable que celles de toutes ces autres 
substances, qui doivent être regardées comme 


SECONDE PARTIE. 269 


le vrai fonds de cet élément; ce sont en mème 


temps celles qui sont composées de la terre la 
| plus fixe, celles qui sont les plus anciennes 
et cependant les moins altérées ; c’est de ce 
fonds commun que toutes les autres subs- 
tances ont tiré la base de leur solidité; car 
toute matièrefixe, décomposée autant qu'elle 
peut l'être, se réduit ultérieurement en verre 
par là seule action du feu; elle reprend sa 
première nature lorsqu'on la dégage des ma- 
tières fluides ou volatiles quis’yétoient unies; 
et ce verre ou matière vitrée qui compose la 
masse de notre globe , représente d'autant 
mieux l'élément de la terre, qu'iln’a ni cou- 
leur, ni odeur , ni saveur, ni liquidité, ni 


fluidité ; qualités qui toutes proviennent des 


autres elémens ou leur appartiennent. 

Si le verre n’est pas précisément l’élément 
de la terre , 1l en est au moins la substance 
Ja plus ancienne ; les métaux sont plus récens 
et moins nobles; la plupart des autres miné- 
raux se forment sous nos yeux : la nature ne 


produit plus de verre que dans les foyers 


particuliers de ses volcans, tandis que tous 
les jours elle forme d’autres substances par 


la combinaison du verre avec les autres elé- 
23 


f 


27o MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


mens. Si nous voulons nous former une idéé 


juste de ces procédés dans la formation des 
minéraux, il faut d’abord remonter à l’ori= : 


gine de la formation du globe , qui nous dé- 
montre qu’il a été fondu, liquéfié par le feu ; 


considérer ensuite que de ce degré immense … 


MR 


de chaleur il a passé successivement au degré 
de sa chaleur actuelle ; que, dans les pre- 
miers momens où sa surface à commencé de 
prendre de la consistance, il a dû s’y former 
des inégalités, telles que nous en voyons sur 
la surface des matières fondues et refroidies ; 
que les plus hautes montagnes, toutes compo- 
sées de matières vitrifables, existent et datent 
de ce moment, qui est aussi celui de la sépa- 
ration des grandes masses de l’air, de l’eau 
et de la terre; qu’ensuite pendant le long 
espace de temps que suppose le refroidisse- 
ment , ou, si l’on veut, la diminution de la 
chaleur du globe au point de la température 
actuelle , il s’est fait dans ces mêmes mon- 
tagnes , qui étoient les parties Les plus expo- 
sées à l’action des causes extérieures , une 
infinité de fusions, de sublimations , d'agré- 
gations et de transformations de toute espèce 
par le feu de la terre, combiné avec Ja cha- 


SECONDE PARTIE. - 2wr 
Jeur du soleil, et touies les autres causes que 
cette grande chaleur frendoit plus actives 
qu’elles ne le sont aujoùrd’hui ; que par con- 
séquent on doit rapporter à cette date la for- 
mation des métaux et des minéräux que nous 
trouvons en grandes masses et en filons épais 
et continus. Le feu violent de la terre em- 
brasée, après avoir élevé et réduit en vapeurs 
tout ce qui étoit volatil , après avoir chassé 
de son intérieur les matières qui composent 
l'atmosphère et les mers , a dù sublimer 
en même temps toutes les parties les moins 
fixes de la terre , les élever et les déposer! 
dans tous les espaces vides , dans toutes les 
fentes qui se formoient à la surface à mesure 
qu'elle se refroidissoit. Voilà l’origine et la 
gradation du gisement et de la formation des 
matières vitrifiables , qui toutes forment le 
noyau des plus grandes montagnes et renfer- 
ment dans leurs fentes toutes les mines des 
métaux et des autres matières que le feu a 
pu diviser , fondre et sublimer. Après ce 
premier établissement ercore subsistant des 
matières vitrifiables etdes minéraux en grande 
masse qu'on ne peut attribuer qu'à l’action 
du feu , l’eau, qui jusqu'alors ne formoit avec 


Da t N 


272 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
l'air qu’un vaste volume de vapeurs, com 
mença de prendre son état actuel dés quela 
superficie du globe fut assez refroidie pour 


ne la plus repousser et dissiper en vapeurs : 
elle se rassembla donc et couvrit la plus 
grande partie de la surface terrestre , sur 
laquelle se trouvant agitée par un mouve- 
ment continuel de flux et de reflux > par 
l'action des vents, par celle de la chaleur, 
elle commença d'agir surles ouvrages du feu ; 
elle altéra peu à peu la superficie des matières 
vitrifiables ; elle en transporta les débris, les 
déposa en forme de sédimens; elle putnourrir 
les animaux à coquille ; elle ramassa leurs 
dépouilles , produisit les pierres calcaires , 
en forma des collines et des montagnes , qui, 
se desséchant ensuite, reçurent dans leurs 
fentes toutes les matières minérales qu elle 
pouvoit dissoudre ou charier. 

Pour établir une théorie générale sur la 
formation des minéraux, 1l faut donc com- 
inmencer par distinguer avec la plus grande 
attentiou , 1.° ceux qui ont été produits par 
le feu primitif de la terre , lorsqu'elle étoit 
encore brûlante de chaleur ; 2.° ceux qui ont 
été formés du détriment des premiers par le 


je PEN s: 
ant 1 
1 RE 


SECONDE PARTIE 273 
moyen de l’eau ; et 3.° ceux qui, dans les 
volcans ou dans d’autresincendies postérieurs 
au feu primitif , ont une seconde fois subi 
l'épreuve d’une violente chaleur. Ces trois 
objets sont très-distincts , et comprennent 
tout le règne minéral : en ne les perdant pas 
de vue, et y rapportant chaque substance 
minérale, on ne pourra guère se trompér sur 
son origine et même sur les degrés de sa for- 
mation. Toutes les, mines que l’on trouve 
en masses ou gros filons dans.nos hautes 
montagnes , doivent se rapporter à la subli- 
mation du feu primitif : toutes celles au con- 
traire que l’on trouve en petites ramifica- 
tions , en filets, en végétations , n’ont été 
formées que du détriment des premières , 
entraîné par la stillation des eaux. On le voit 
évidemment en comparant , par exemple À 
la matière des mines de fer de Suède avec 
celle de nos mines de fer en grains. Celles-ci 
sont l'ouvrage immédiat de l’eau, et nous les 
voyons se former sous nos yeux ; elles ne 
sont point attirables par l’aimant ; elles ne 
contiennent point de soufre, et ne se trou- 
vent que dispersées dans les terres: les autres 
sont toutes plus ou moins sulfureuses, toutes 


274 MINÉRAUX. INTRODUCTION. 
attirables par laimant , ce qui seul Sp, 
qu’elles ont subi l’action du feu ; ellés sont | 
disposées en grandes masses diiék et solidés; 
leur substance est mêlée d’une grande quantité | 
d’asbeste , autre indice de l’action du feu. Il 
en est de mème des autres métaux: leur ancien 
fonds vient du feu, et toutes leurs grandes 
masses ont été réunies par son action; mais 
toutes leurs crystallisations , végétations , 
granulations , etc. sont dues à des causes | 
secondaires où l'eau a la plus grande part. 
Je borne ici mes reflexions sur la conversion 
des élémens, parce que ce seroit anticiper sur 
celles qu'exige en particulier chaque subs- 
tance minérale , et qu’elles seront mieux pla- 
cées dans les articles de l’histoire naturelle 
des minéraux. 


DAME NT ON. S 


SUR LA LOIDE L’ATTRACTION. 


| L: mouvement des planètes dans leurs or- 
bites est un mouvement composé de deux 
forces : la première est une force de projec- 
tion , dont l'effet s’exerceroit dans la tangente 
de l'orbite, si l'effet continu de la seconde 
cessoit un instant: cette seconde force tend 
vers le Soleil, et, par son effet, précipiteroit 
les planètes vers le Soleil, si la première 
force venoit à son tour à cesser un seul ins- 
tant. 
La première de ces forces peut être regar- 
dée comme une impulsion dout l'effet est 
uniforme et constant, et qui a été commu 
niquée aux planètes dès la formation du sys- 
tème planétaire. La seconde peut être consi- 
dérée comme une attraction vers le Soleil, 
et se doit mesurer comme toutes les qualités 
qui partent d'un centre, par la raison in- 
verse du quarré de la distance, comme en 


2%6 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
effet on mesure les quantités de lumière, | 
d’odeur , etc. et toutes les autres quantités - 
ou qualités qui se propagent en ligne droite ' 
et se rapportent à un centre. Or il est cer— 
tain que l'attraction se propage en ligne 
droite , puisqu'il n’y a rien de plus droit 
qu'un fil à plomb, et que, tombant perpen- 
diculairement à la surface de la Terre ‘il 
tend directement au centre dé la: force, et 
ne s'éloigne que très-peu de la direction du 
rayon au centre. Donc on peut dire que la . 
loi de lattraction doit être la raison inverse 
du quärré de la distance, uniquement parce 
qu’elle part d’un centre, ou qu'elle y sal 
ce qui revient au méme. 
Mais comme ce raisonnement prélimi- 
naire, quelque bien fondé que je le croie, 
pourroit être contredit par les gens qui font 
peu de cas de la force des analogies, et qui ne 
sont accoutumés à se rendre qu’à des démons- 
trations mathématiques, Newton a cru qu'il 
valoit beaucoup mieux établir la loi de l’at- 
traction par les phénomènes mêmes que 
par toute autre voie; et il a en effet démon- 
tré géométriquement que si plusieurs corps 
se meuvent dans des cercles concentriques ; 


SECONDE PARTIE 277 
et que les quarrés des temps de leurs révolu- 

tions soient comme les cubes de leurs dis- 

tances à leur centre commun:,:les forces. 
centripètes de ces corps sont réciproquement: 
comme les quarrés des distances, et que si les: 
corps se meuvent dans des orbites peu diffe- 
rentes d’un cercle, ces forces sont aussi reéci- 

proquement comme les quarrés des distances, 
pourvu que les apsides de ces orbites soient 
immobiles. Ainsi les forces par lesquelles 
les planètes tendent aux centres ou aux 
foyers de leurs orbites , suivent en effet la 
loi du quarré de la distance; et la gravitation 


étant géuérale et universelle, la loi de cette 


gravitation est constamment celle de la rai— 
son inverse du quarré de la distance; et je 
ne crois pas que personne doute de la loi de 
Kepler , et qu’on puisse nier que cela ne soit 
ainsi pour Mercure, pour Venus, pour la 
Terre, pour Mars, pour Jupiter et pour Sa- 
turne, sur-tout en les considérant à part, et 


comme ne pouvant se troubler les uns les 


autres, et en ne faisant attention qu’à leur 

mouvement autour du Soleil. ; 

Toutes les fois donc qu’on ne considérera 

qu'une planète ou qu'un satellite, se mou 
24 


PAU} PE ET 
et tue js 


Ni 


278 MINERAUX. INTRODUCTION; 
vant dans son orbite autour du Soleil où * 
d’une autre planète , ou qu'on n'aura is R 
deux corps .tous deux en mouveient , 
dont l'un est en repos et l’autre en pi te 
ment, on pourra assurer que la loi de V’at- 
traction suit exactement Ja raison inverse du 
_quarré de la distance, puisque, par toutes 
les observations, la loi de Kepler se trouve 
vraie, tant pour les planètes principales, 
que pour les satellites de Jupiter et de Sa 
turne. Cependant on pourroit dès ici faire 
une objection tirée des mouvemens de la 
Lune , qui sont irréguliers au point que 
M. Halley l'appelle sidus contumax, et prin- 
cipalement du mouvement de ses apsides,, 
qui ne sont pas immobiles, comme le de- 
mande la supposition géometrique sur la- 
quelle est fonde le résultat qu’on a trouvé de 
la raison inverse du quarré de la distance 
pour la mesure de la force d'attraction dans 
les planètes. 

À cela il y a plusieurs manières de ré- 
poudre. D'abord on pourroit dire que la loi 
s’observant généralement dans toutes les au- 
tres planètes avec exactitude, un seul phé- 
nomène où cette même exactitude ne se 


SECONDE PARTIE. 279 
trouve pas, ne doit pas détruire cette loi; on 
_ peut le regarder comme une exception dont 
on doit chercher la raison particulière. En 
second lieu, on pourroit répondre, comme 
l'a fait M. Cotes, que quand même on accor- 
deroit que la loi d'attraction n’est pas exac- 
tement dans ce cas en raison inverse du 
quarré de la distance, et que cette raison est 
un peu plus grande, cette différence peut 
s'estimer par le calcul , et qu’on trouvera 
qu elle est presque insensible, puisque la rai- 
son de la force centripète de la Lune, qui de 
toutes est celle qui doit être la plus troublée, 
approche soixante fois plus près de la raison 
du quarre que de la raison du cube de la dis- 
tance. Responderti potest, eliamsi conceda- 
mus hkunc motum tardissimun exinde pro- 
Jfectum qudd vis centripetæ proportio aberret 
aliquantulüm à duplicata, aberrationem il- 
lam per computum mathematicum inveniri 
posse, et planè insensibilem esse : ista enim 
ratio vis centripetæ Lunaris, quæ omnium 
maximéè turbari debet, paululim quidem 
duplicatam superabit ; ad hanc verd sexa- 
ginta ferè vicibus propits accedet quàäm ad 
_#riplicatam. Sed verior erit responsio , etc. 


à EMA ns 


230 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


(Editoris præf. in edit. 24" Newton. auctore 


Roger Cotes.) jy 

Et en troisième lieu , on doit répondre plis 
positivement que ce mouvement des apsides 
ne vient point-de ce que la loi d'attraction 
est un peu plus grande que dans la raison 
inverse du quarré de la distance, mais de ce 
qu'en effet le Soleil agit sur la Lune par une 
force d'attraction qui doit troubler son mou- 
vement et produire celui des apsides, et que 
par conséquent cela seul pourroit bien être 
la cause qui empêche la Lune de suivre exac- 
tement la règle de Kepler. Newton a calculé, 
dans cette vue, les effets de cette force per- 
turbatrice, et il a tiré de sa théorie les équa- 


tions et les autres mouvemens de la Lune 


avec une telle précision , qu'ils répondent 
très-exactement , et à quelques secondes près, 
aux observations faites par les meilleurs as— 
tronomes : mais, pour ne parler que du mou- 
vement des apsides, il fait sentir, dès la 
XLVme proposition du premier livre, que la 
progression de l’apogée de la Lune vient de 
l'action du Soleil ; en sorte que jusqu'ici tout 
s’accorde, et sa théorie se trouve aussi vraie 
et aussi exacte dans tous les cas les plus 


F. 
4 


SECONDE PARTIE. 28r 
compliqués, comme dans ceux qui le sont le 
‘moins. ù ' 

Cependant un de nos grands géomètres* a 
prétendu que la quantité absolue du mou- 
vement de l'apogée ne pouvoit pas se tirer 
de la théorie de la gravitation, telle qu’elle 
est établie par Newton, parce qu'en em- 
ployant les lois de cette théorie, on trouve 
que ce mouvement ne devroit s'achever qu’en 
dix-huit ans, au lieu qu’il s’achève en neuf 
ans. Malgré l'autorité de cet habile mathé- 
maticien, et les raisons qu’il a données pour 
soutenir son opinion, j ai toujours été con- 
vaincu, comme je le suis encore aujourd’hui, 
que la théorie de Newton s'accorde avec les 
observations : je n’entreprendrai pas ici de 
faire l'examen qui seroit nécessaire pour 
prouver qu’il n’est pas tombé dans l’erreur 
qu'on lui reproche; je trouve qu’il est plus 
court d'assurer la loi de Flattraction telle 
qu'elle est, et de faire voir que la loi que 
M. Clairaut a voulu substituer à celle de 
Newton, n’est qu’une supposition qui im- 
plique contradiction. 


# M. Clairaut. 
24 


Eve A A A no A 
# | ds AUTRE MR 
PEN SA VER } 


382 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 

Car admetions pour un instant ce que 
M. Clairaut prétend avoir démontré, que, 
par la théorie de l'attraction mutuelle , le 
mouvement des apsides devroit se faire en 
dix-huit ans, au lieu de se faire en neuf ans, 
et souvenons-nous en même temps qu'à l’ex- 
ception de ce phénomène, tous les autres, 
quelque compliqués qu’ils soient, s’accordent 
dans cette même théorie très-exactement avec 
les observations : à en juger d’abord par les 
probabilités , cette théorie doit subsister , 
puisqu'il y a un nombre très-considérable de 
choses où elle s’accorde parfaitement avec la 
nature; qu'il n’y a qu’un seul cas où elle en 
diffère, et qu’il est fort aisé de se tromper 
dans l’énumération des causes d’un seul phé- 
nomène particulier. Il me paroît donc que la 
première idée qui doit se présenter, est qu'il 
faut chercher la raison particulière de ce phé- 
nomène singulier ; et il me semble qu’on 
pourroit en imaginer quelqu'une : par exem- 


ple, si la force magnétique de la Terre pou-— 


voit, comme le dit Newtou, entrer dans le 
calcul, on trouveroit peut-être qu’elle influe 
sur le mouvement de la Lune,, et qu’elle 
pourroit produire cette accélération dans le 


ti 


SECONDE PARTIE. 263 
mouvement de l'apogée; et c’est dans ce cas 
où en effet il faudroit employer deux termes 
pour exprimer la mesure des forces qui pro- 
duisent le mouvement de la Lune. Le pre- 
mier terme de l'expression seroit toujours 
celui de la loi de l'attraction universelle , - 
c’est-à-dire , la raison inverse et exacte du 
quarré de la distance , et le second terme 
représenteroit la mesure de la force magné- 
tique. 

Cette supposition est sans doute mieux 
fondée que celle de M. Clairaut, qui me pa- 
roit beaucoup plus hypothétique, et sujette 
d’ailleurs à des difficultés inviucibles. Expri- 
mer la loi d'attraction par deux ou plusieurs 
termes, ajouter à la raison inverse du quarré 
de la distance une fraction du quarré-quarré, 
au lieu de — mettre —— + ct) me paroit 
n'être autre chose que d'ajuster une expres= 
‘sion de telle façon qu'elle corresponde à tous 
les cas. Ce n’est plus une loi physique que 
cette expression représente; car, en se per- 
mettant une fois de mettre un second, un 
troisième, un quatrrème terme, etc. on pour- 
roit trouver une expression qui, dans toutes 
les loistd’attraction , représenteroit les cas 


“ 


284 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


dont il s’agit, en l’ajustant en même temps 


aux mouvemens de l’apogée dela Lune etaux 
autres phénomènes; et par conséquent cette 
supposition , si elle étoit admise, non seule 
ment anéantiroit la loi de l'attraction en rai- 
son inverse du quarré de la distance, mais 
même donneroit entrée à toutes les lois pos- 
sibles et imaginables. Une loi en physique 
n’est loi que parce que sa mesure est simple, 


et que l’échelle qui la représente est non seu- 


lement toujours la même, mais encore qu’elle 
est unique, et qu’elle ne peut être représen- 
tée par une autre échelle; or, toutes les fois 
que l’échelle d’une loi ne sera pas représentée 


par un seul terme, cette simplicité et cette 


unité d'échelle, qui fait l’essence de la loi, 
ne subsiste plus, et par conséquent il n’y a 
plus aucune loi physique. 

Comme ce dernier raisonnement pourroit 
paroître n'être que de la métaphysique, et 
qu'il y a peu de gens qui la sachent appré- 
cier, je vais tâcher de le rendre sensible en 
m'expliquant davantage. Je dis donc que 
toutes les fois qu'on voudra établir une loi 
sur l'augmentation ou la diminution d’une 
qualité ou d’une quantité physique, on est 


SECONDE PARTIE. 285 
strictement assujetti à n’employer qu'un 
‘terme pour exprimer cette loi : ce terme est 
la représentation de la mesure qui doit va- 
rier, comme en effet la quantité à mesurer 
varie; eu sorte que si la quantité, n'étant 
d’abord qu’un pouce , devient ensuite um 
pied, une aune, une toise, une lieue, etc. 
le terme qui l’exprime devient successive— 
ment toutes ces choses, ou plutôt les repré- 
sente dans le même ordre de grandeur ; et il 
en est de même de toutes les autres raisons 
dans lesquelles une quantité peut varier. 

De quelque façon que nous puissions donc 
supposer qu'une qualité physique puisse va- 
rier, comme cette qualité est une, sa varia= 
tion sera simple et toujours exprimable par 
un seul terme, qui en sera la mesure; et, 
dès qu’on voudra employer deux termes, on 
détruira l’unité de la qualité physique, parce 
que ces deux termes représenteront deux va- 
riations différentes dans la même qualité, 
c'est-à-dire, deux qualités au lieu d’une. 
Deux termes sont en effet deux mesures, 
toutes deux variables et inégalement varia- 
bles; et dés lors elles ne peuvent être appli- 
quées à un sujet simple, à une seule qualité ; 


/ 

286 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 

et si on admet deux termes pour représentèr 
l'effet de la force centrale d’un astre, il est 
nécessaire d’avouer qu’au lieu d’une force 
il y en a deux, dont l’une sera relative au 
premier terme, et l’autre relative au second 
térme : d’où l’on voit évidemment qu’il faut, 
dans le cas présent , que M. Clairaut admette 
nécessairement une autre force differente de 
l'attraction, s’il emploie deux termes pour 
représenter l'effet total de la force centrale 
d'une planète. 

Je ne sais pas comment on peut imaginer 
qu’une loi physique, telle qu'est celle de 
l'attraction, puisse être exprimée par deux 
termes par rapport aux distances; car s'il y 
avoit, par exemple , une masse # dont la 


ertu attractive fût exprimée par “<< + À, 
vertu attractiv P par pes 

n’en résulteroit-il pas le mème effet que si 
cette masse éloit composée de deux matières 


différentes, comme, par exemple, de: HW, 

dont la loi d’attraction fût exprimée par ““", 
, . 2b 

et de : M, dont l'attraction fût + ? cela me 

paroit absurde. 


Mais, indépendamment de ces impossibi- 
lités qu'implique la supposition de M. Clai- 


SECONDE PARTIE 287 
raut, qui détruit aussi l’unité de loi sur 
laquelle est fondée la vérité et la belle sim 
plicité du système du monde, cette suppo- 
sition souffre bien d’autres difficultés que 
M. Clairaut devoit, ce me semble, se propo- 
ser avant que de l’admettre, et commencer 
au moins par examiner d'abord toutes Les 
causes particulières qui pourroient produire 
le même effet. Je sens que si j’eusse resolu, 
comme M. Clairaut, le problème des trois 
corps, et que j eusse trouve que la théorie 
de la gravitation ne donne en effet que la 
moitié du mouvement de l’apogée, je n’en 
aurois pas tiré la conclusion qu’il en tire 
contre la loi de l'attraction; aussi est-ce cette 
_ conclusion que je contredis, et à laquelle je 
ne crois pas qu'on soit obligé de souscrire, 
quand même M. Clairaut auroit pu demon- 
trer l'insuffisance de toutes les autres causes 
particulières. 

Newton dit (pag. 547, t. IIT) : Zz his com- 
putationibus attractionem magneticam Terræ 
non consideravi, cujus itaque quantitas per- 
parva est et ignoratur; si quando verd kæc 
atiractio investigari poterit, et mensura gra- 
duum in meridiano, ac longitudines pendu- 


AC) Je) an Res 


288 MINÉRAUX. INTRODUCTION, | 
lorum isochronorum in diversis parallelis , 
legesque motuuim maris et parallaxis Luncæ 


cum diametris appürentibus Solis et Lunæ 


ex phœænomenis accuratis detérminatæ fue- 
zint, licebit calculum hunc omnem accura- 
zius repetere. Ce passage ne prouve-t-il pas 
bien clairement que Newton n'a pas pre- 
tendu avoir fait l’'énumération de toutes les. 
causes particulières, et n ’indique-t-il pas en 
effet que, si on trouve quelques différences 
avec sa théorie et les observations, cela peut 
venir de la force magnétique de la Terre ; 
ou de quelque autre cause secondaire? et par 
conséquent, si le mouvement des apsides ne 
s'accorde pas aussi exactement avec sa théorie 
que le reste, faudra-t-1il pour cela ruiner sa 


théorie par le fondement, en changeant la loi 


générale de la gravitation ? ou plutôt ne fau- 
dra-t-il pas attribuer à d’autres causes cette 


différence, qui ne se trouve que dans ce seul 


phénomène ? M. Clairaut a proposé une dif- 
ficulté contre le système de Newton; mais ce 
n’est tout au plus qu’une difficulté qui ne 
doit ni ne peut devenir un principe : il faut, 
chercher à la résoudre, et non pas en faire 
une théorie dont toutes les conséquences ne. 


SECONDE PARTIE. 289 


sont appuyées que sur un calcul; car, comme 
je l'ai dit, on peut tout représenter avec un 
calcul, et on ne réalise rien; et si on se per- 


F4 


met de mettre un ou plusieurs termes à la 
suite de l'expression d’une loi physique, 
comme l’est celle de l’attraction , on ne nous 
donne plus que de l'arbitraire , au lieu de 
nous représenter la realite. 

Au reste, il me suffit d’avoir établi les 
raisons qui me font rejeter la supposition de 
M. Clairaut; celles que j'ai de croire que, 
bien loin qu'il ait pu donner atteinte à la 
loi de l'attraction et renverser l’astronomie 
physique, elle me paroît, au contraire, de- 
meurer dans toute sa vigueur, et avoir des 
forces pour aller encore bien loin; et cela, 
sans que je prétende avoir dit, à beaucoup 
près, tout ce qu'on peut dire sur cette ma- 
tière, à laquelle je desirerois q&'on donnût, 
sans prévention, toute l'attention qu'il faut 
pour la bien juger. 


A DDITIO N. 


JE me suis borné à démontrer que la loi 
de l’attraction , par rapport à la distance, ne 
peut être exprimée que par un terme, © 

Mat, gén. IV. 25 


# j ° : MAL 2 | pa PRE LR CES 


299 MINÉRAUX, INTRODUCTION, 
non pas deux ou plusieurs termes ; que par 


conséquent l’expression que M. Clairaut a 


voulu substituer à la loi du quarré des dis- 
tances, n'est qu'une supposition qui ren- 
ferme une contradiction ; c’est-là le seul point 
auquel je me suis attaché : mais, comme il 


paroit, par sa réponse, qu’il ne m'a pas assez 


entendu, je vais tâcher de rendre mes raisons 
plus intelligibles en les traduisant en calcul ; 
ce sera la seule réplique que je ferai à sa 
réponse. 


La loi de l'attraction, par rapport à la dis- 
tance, ne peut pas é!fe exprimée par deux 
termes. | 


PREMIÈRE DÉMONSTRATION:: 


2 I 1 , 
SuPPOSONS que—— + —— représente 
x2 xA | 


l'effet de cette force par rapport à la distance 
æ;ou, ce qui revient au même, supposons 


I 1 . , 
que — + 37 » qui représente la force ac- 


célératrice , soit égale à une quantité donnée 
A pour une certaine distance : en resolvant 
cette équation, la racine x sera ow ima- 


SECONDE PARTIE. 29€ 
ginmaire , ou bien elle aura deux valeurs 
différentes : donc, à différentes distances , 
l'attraction seroit la même, ce qui est ab- 
surde; donc la loi de l'attraction, par rap- 
port à la distance, ne peut pas être expri- 
mée par deux termes. Ce qu’il falloit dé- 
Inonéirer. 


DEUXIÈME DÉMONSTRATION. 


A . I À I = 
La même expression —— + ——, si x 
x2 = XA 


. Dot eh Mb Ur APM 
devient trés-grand, pourra se réduire à ——? 
et si x devient très-petit, elle se réduira à - 


: » l’ex- 


. I I 
ÿ de sorte que Si Si + — — 
6 


——  XA x2 
posant z doit être un nombre compris entre 
2 et 4; cependant ce mème exposant Z doit 
nécessairement renfermer x, puisque la 
quantité d'attraction doit, de façon ou d’au- 
tre, être mesurée par la distance : cette ex- 
pression prendra donc ‘alors une forme 


I I I I 
comme —— + = pm À ==" OÙ res donc 
BEUE— « xA FTLAE xtr 
une quantité, qui doit être nécessairement 
uu nombre compris entre 2 et 4, pourroit 


cependant devenir infinie, ce qui estabsurde ; 


292 MINÉRAUX. INTRODUCTION , 
donc l'attraction ne peut pas être exprimée 
par deux termes. Ce qu’il falloit démontrer. 

On voit que les demonstrations seroient les 
mêmes contre toutes les expressions possibles 
qui seroient composées de plusieurs termes : 
donc la loi d'attraction ne peut être Es CE 
que par un seul terme. 


SECONDE ADDITION. 


Jr ne voulois rien ajouter à ce que j’ai dit 
au sujet de la loi de l’attraction, ni faire au- 
cune réponse au nouvel écrit de M. Clairaut : 
mais comme je crois qu'il est utile pour les 
sciences d'établir d’une manière certaine la 
proposition que j'ai avancée, savoir, que la 
loi de l'attraction, et même toute autre loi 
physique , ne peut jamais être exprimée que 
par un seul terme, et qu’une nouvelle vérite 
de cette espèce peut prévenir un grand 
nombre d'erreurs et de fausses applications 
dans les sciences physico-mathématiques , 
j'ai cherché plusieurs moyens de la démon- 
tirer. | 

On a vu, dans mon mémoire, les raisons 
métaphysiques par lesquelles j’établis que la 
mesure d’une qualité physique et générale 


PR 


SECONDE PARTIE. 203 
dans la nature est toujours simple ; que Îa 
loi qui représente cette mesure, ne peut donc 
jamais être composée ; qu’elle n’est réelle- 
ment que l'expression de l’effet simple d’une 
qualité simple; que l’on ne peut donc expri- 
mer cette loi par deux termes, parce qu’une 
qualité qui est une, ne peut jamais avoir 
deux mesures. Ensuite, dans l'addition à ce 
Mémoire, jai prouvé démonstrativement 
cette même vérité par la réduction à l’ab- 
surde et par le calcul : ma démonstration est 
vraie; car il est certain en général que si 
l’on exprime la loi de l'attraction par une 
fonction de la distance, et que cette fonction 


soit composée de deux ou plusieurs termes, 
I 


I I 
comme —— 5 7 “A ——, etc. et que l’on 
ZT XT 


égale cette fonction à une quantité constante 
A pour une certaine distance; il est certain, 
dis-je, qu’en résolvant cette équation, la ra- 
cine x aura des valeurs imaginaires dans 
tous les cas, et aussi des valeurs réelles, dif- 
férentes dans presque tous les cas, et que ce 
n'est que dans quelques cas, comme dans 
I 


nu I 
celui de — 
x2 &s XA 


racines réelles égales , dont l’une sera posi- 
| de 


— À, où il y aura deux 


UT VOTE MP OU 2 ‘a 
1 1 MAÉ 3 Ç 
A \] 

: 


294 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 

tive et l’autre négative. Cette exception par+ 

ticulière ne détruit donc pas la vérité de ma 

demonstration , qui est pour une fonction 

quelconque ; car si en général l’expression de 
AP ë I ; 

la loi d'attraction est — + 7 Le l'expo 


sant z ne peut pas être négatif et plus grand 
que 2, puisqu alors la pesanteur deviendroit 
infinie dans le point de contact : l’exposant z 
est donc nécessairement positif, et le coefh- 
cient 2 doit ètre négatif pour faire avancer 
l'apogée de la Lune; par conséquent le cas 


articulier — Eee" eut jamais re 
iculier — re = 
P sn à Le P ] 


présenter la loi de la pesanteur; et si on se 
permet une fois d'exprimer cette loi par une 
fonction de deux termes, pourquoi le second 
de ces termes seroit-il nécessairement positif? 
Il ya, comme l’on voit, beaucoup de raisons 
pour que cela ne soit pas, et aucune raison 
pour que cela soit. 

Dès le temps que M. Clairaut proposa, 
pour la première fois, de changer la loi de 
l'attraction et d’y ajouter un terme, j'avois 
senti l’absurdité qui résultoit de cette sup- 
position , et j'avois fait mes efforts pour la 
faire sentir aux autres : mais jai depuis 


SECONDE PARTIE. 295 
trouvé une nouvelle manière de la démon- 
trer, qui ne laissera, à ce que j'espère, au- 
cun doute sur ce sujet important. Voici mon 
raisonnement , que j'ai abrégé autant qu'il 
m'a été possible. 


Si la loi de l’attraction , eu telle autre 
loi physique que l’on voudra, pouvoit être 
exprimée par deux ou plusieurs termes, le 


LI LA ï 
premier terme etant, par exemple rm 
xx 


1l seroit nécessaire que le second terme eût 
un coefficient indéterminé, et qu'il fût, par 


exemple, ; et de même, si cette loi 


étoil exprimée par trois termes, il y auroit 
deux coefficiens indeterminés , l’un au se- 
cond , et l’autre au troisième terme , etc. 
Dès lors cette loi d'attraction, qui seroit 


I 


. ’ I 
exprimée par deux termes —— , Ten- 


Im X4 


fermeroit donc une quantité 72 qui entre- 
roit nécessairement dans la mesure de la 
force. 

Or, je demande ce que c’est que ce coeffi- 
cient 727 :1l est clair qu’il ne dépend ni de 
la masse, ni de la distance; que ni l’une 
ni l’autre ne peuvent jamais donner sa 


296 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
valeur : comment peut-on donc supposer 


qu'il y ait en effet une telle quantité phy- 
sique? existe-t-il dans la nature un coeffi- 


cient comme un 4, un 5, un 6, etc. ? et 
n'y a-t-il pas de l’absurdité à supposer 
qu'un nombre puisse exister réellement , 
ou qu'un coefficient puisse être une qualité 
essentielle à la matière? Il faudroit pour 
cela qu'il y eût dans la nature des phéno- 
mènes purement numériques, et du même 
genre que ce coefficient 72; sans cela, il est 
impossible d'en déterminer la valeur , puis- 
qu'une quantité quelconque ne peut jamais 


être mesurée que par une autre quantité 


de même genre. Il faut donc que M. Clai- 
xaut commence par nous prouver que les 
nombres sont des êtres réels actuellement 
existans dans la nature, ou que les coeffi- 
ciens sont des qualités physiques, s’il veut 
que nous convenions avec lui que la loi 
d'attraction , ou toute autre loi physique, 
puisse être exprimée de deux où plusieurs 
termes. 

Si l’on veut une démonstration plus par- 
ticulière, je crois qu’on peut en donner une 
qui sera à la portée de tout le monde; c’est 


) 


{ 


( \ 
SECONDE PARTIE. 297 
que la loi de la raison inverse du quarré de 
la distance convient également à une sphère 
et à toutes les particules de matière dont 
cette sphère est composée. Le globe de la 
Terre exerce son attraction dans la raison 
inverse du quarré de la distance; et toutes 
les particules de matière dont ce globe est 
composé exercent aussi leur attraction dans 
cétte même raison, comme Newton l’a dé- 
montre : mais si l’on exprime cette loi de 
l'attraction d'une sphère par deux termes, 
la loi de l’attraction des particules qui com- 
posent cette sphère ne sera point la même 
que celle de la sphère; par conséquent cette 
loi, composée de deux termes, ne sera pas 
générale, ou plutôt ne sera jamais la loi de 
la nature. | 
Les raisons métaphysiques, mathématiques 
et physiques, s'accordent donc toutes à prou- 
ver que la loi de l'attraction ne peut être 
exprimée que par un seul terme, et jamais 
par deux ou plusieurs termes; c’est la pro- 
position que j'ai ayancée, et que j'avois à 
démontrer. | a 


4 


73 


INTRODUCTION 
À 


L'HISTOIRE DES MINÉRAUX. 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 


D EPUIS vingt-cinq ans que j'ai jeté sur le 
papier mes idées sur la théorie de la Terre, 
et sur la nature des matières minérales dont 
le globe est principalement compose, j'ai eu 
la satisfaction de voir cette théorie confirmée 
par le témoignage unanime des navigateurs, 
et par de nouvelles observations que j'ai eu 
soin de recueillir. Il m'est aussi venu, dans 
ce long espace de temps, quelques pensées 
neuves dont j'ai cherché à constater la va- 
leur et la réalité par des expériences : de 
nouveaux faits acquis par ces expériences ; 


1 


= MINÉRAUX. INTRODUCTION. 299 
des rapports plus ou moins éloignés, tirés 
de ces mêmes faits ; des rétlexions en consé- 
quence; le tout lié à mon système général, 
et dirige par une vue constante vers les grands 
objets de la nature ; voilà ce que je crois de- 
voir présenter aujourd'hui à mes lecteurs, 
sur-tout à ceux qui, m'ayant honoré de leur 
suffrage, aiment assez l’histoire naturelle 
pour chercher avec moi les moyens de l’é- 
tendre et de l’approfondir. 

Je commencerai par la partie expérimen- 
tale de mon travail, parce que c’est sur les 
résultats de mes expériences que j'ai fondé 
tous mes raisonnemens , et que les idées 
même les plus conjecturales, et qui pour- 
roient paroitre trop hasardées, ne laissent 
pas d'y tenir par des rapports qui seront 
plus ou moins sensibles à des yeux plus ou 
moins attentifs, plus ou moins exercés, mais 
qui n'échapperont pas à l'esprit de ceux qui 
savent évaluer la force des inductions, et 
apprécier la valeur des analogies, 


PREMIER MÉMOIRE. 


Expériences sur le progrès de lachaleur dans 
Les corps. 


« 


À fait faire dix boulets de fer forge et 
battu : M 


pouces. 
Le premier d’un demi-pouce de diamètre. ra 


=. 
Le second d’un pouce 4... 844,4 eg 

Le troisième d'un pouce et demi . . . .. r 4 
Le quatrième de deux pouces . . : . ,,. ‘2 


Le cinquième de deux pouces et demi .. 2 & 
Le sixième de trois pouces. . .,,.,....: 3, 
Le septi-me de trois pouces et demi. ... 3 2 
Le huitieme de quatre pouces. . . . . 4. : 14 
Le neuvième de quatre pouces et demi. . 4 à 


x 


Le dixième de cinq pouces #14. 


Ce fer venoit de la forge de Chameçon, 
près Châtillon-sur-Seine; et comme tous les 
boulets ont été faits du fer de cette même 
forge, leurs poids se sont trouvés à très-peu 
près proportionnels aux volumes. 


SES 


MINÉRAUX. INTRODUCTION. 3or 
Le boulet d’un demi-pouce pesoit rgo grains, 
ou 2 gros 46 grains. 

Le boulet d’un pouce pesoit 1522 grains, 


ou 2 onces 5 gros 10 grains. 


I 


Le boulet d’un pouce £ pesoit 5136 grains , 


2 


ou 8 OnCEs 7 gros 24 grains. 


Le boulet de 2 pouces pesoit 12r73 grains, 
ou 1 livre 5 onces 1 gros E'orains. 

Le boulet de 2 pouces + pesoit 2378r grains, 
où 2 livres g onces 2 gros 2r grains. 

Le boulet de 3 pouces pesoit 41085 orains, 
ou 4 livres 7 onces 2 gros 45 grains. 

Le boulet de 3 pouces + pesoit 65254 grains, 
ou 7 livres r once 2 gros 22 grains. 

Le boulet de 4 pouces pesoit 97388 grams, 
ou 10 livres ÿ onces 44 grains, 


I 


Le boulet de 4 pouces + pesoit 138179 grains, 
ou 14 livres 15 onces 7 gros 11 grains. 


Le boulet de 5 pouces pesoit rgo2rr grains, 
ou 20 livres ro onces 1 gros 54 grains. 


Tous ces poids ont été pris juste avec de 
très-bonnes -balances, en faisant limer peu 
à peu ceux des boulets qui se sont trouvés 


un peu trop forts. 
26 


OL AOMENTES 
Fr « 4 


302 MINÉRAUX. INTRODUCTION, | 


Avant de rapporter les expériences, j'ob- 


serveral:. Ÿ 

1°. Que, pendant tout le temps qu’on. les 
a faites , le thermomètre, exposé à l'air libre, 
étoit à la congélation ou à quelques degrés 
au-dessous *; mais qu'on a laissé refroidir 
les boulets dans une cave où le thermomètre 
étoit à peu près à dix degrés au-dessus de la 


congélation, c'est-à-dire au degré de la tem- 


pérature des caves de l'Observatoire ; et c’est 
ce degré que je prends ici pour celui de la 
température actuelle de la Terre. 

20, J'ai cherché à saisir deux instans dans 
le refroidissement : le premier où les boulets 
cessoient, de brûler, c’est-à-dire, le moment 
.où on pouvoit les toucher et les tenir avec 
la main pendant une seconde , sans se brûler; 
le second temps de ce refroidissement étoit 
celui où les boulets se sont trouvés refroidis 
jusqu'au point de la température actuelle, 
c’est-à-dire, à dix degrés au-dessus de la con- 
gélation. Et pour connoitre le moment de ce 


refroidissement jusqu'à la temperature ac 


tuelle, on s’est servi d’autres boulets de coir- 


* Division de Réaumur. 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 303 
paraison de même matière et de mêmes dia 
mètres, qui n’avoient pas été chauffés , et que 
l’on touchoit en même temps que ceux qui 
avoient ëêté chauffes. Par cet attouchement 
immédiat et simultané de la main ou des 
deux mains sur les deux boulets, on pouvoit 
juger assez bien du moment où ces boulets 
étoient également froids : cette manière 
simple est non seulement plus aisée que le 
thermomètre, qu'il eût été difficile d’appli- 
quer ici, mais elle est encore plus précise, 
parce qu'il ne s’agit que de juger de l'égalité 
et non pas de la proportion de la chaleur, 
et que nos sens sont meilleurs juges que les 
instrumens de tout ce qui est absolument 
égal ou parfaitement semblable. Au reste, il 
est plus aisé de reconnoiître l’instant où les 
boulets cessent de brûler, que celui où ils se 
sont refroidis à la température actuelle, parce 
qu une sensation vive est toujours plus pré- 
cise qu une sensation tempérée, attendu que 
la première nous affecte d’une manière plus 
forte. 

5°. Comme le plus ou le moins de poli ou 
de brut sur le même corps fait beaucoup à 
la sensation du toucher, et qu’un corps poli 


| 
! 


304 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
semble être plus froid s'il est froid, et plus 
chaud s’il est chaud, qu’un corps brut de 
même matière, quoiqu'ils le soient tous deux 
également, j'ai eu soin que les boulets froids 
fussent bruts et semblables à ceux quiavoient 
été chauffés, dont la surface étoit semée de 
petites éminences produites par l’action du 
feu. 


EXPÉRTENCESUUE 
I 


LE boulet d’un demi-pouce a été chauffé à blane 
en 2 minutes. | 
Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 
12 minutes. 
Refroïdi au point de la température actuelle en 39 
minutes. 
I L. 
LE boulet d’un pouce a été chauffé à blanc en 5 
minutes +. 
T1 s’est refroidi au point de le tenir dans la main 
en 35 minutes ?. 
Refroïdi au point de la température actuelle en 
1 heure 33 minutes. | 
TITI. 
LE boulet d’un pouce et demi a été chauffé à 
blanc en 9 minutes, 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 5305 
I] s’est refroïdi au point de le tenir dans la main en 
E8 minutes. 
—Refroidi au point de la température actuelle en 2 
heures 25 minutes. 


I V. 


LE boulet de 2 pouces a été chauffé à blanc 
en 13 minutes. 
I] s'est refroidi au point de le tenir dans la main en 
x heure 20 minutes. 
Refroïidi au point de la température actuelle en 3 
heures r6 minutes. | 


V. 
LE boulet de 2 pouces et demi a été chauffé à 
blanc en r6 minutes. 


I] s'est refroidi au point de le tenir dans la mainen 
1 heure 42 minutes. 

Refroidi au point de la température actuelle en 4 
heures 30 minutes. 


\'En 1 
LE boulet de 3 pouces a été chauffé à blanc en 


19 minutes à. 

T1 s’est refroidi au point de le tenir dans la mainen 
2 beures 7 minutes. 

Refroïdi au point de la température actuelle en 5 
heures 8 minutes. 


VrE 


LE boulet de 3 pouces et demi a été chauffé à 


blanc en 23 minutes ?, 
26 


306 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


I] s’est refroidi au point de le tenir dans lamainen 


2 heures 36 minutes. do AA 


Refroidi au point de la température actuelle en 5 


heures 56 minues. 
VIIL 
LE boulet de 4 pouces a été chauffé à blanc en 
27 minutes + 


Lu 


I] s’est re‘roidi au point de le tenir Aude ‘la main en 
3 heures 2 minutes. 
Refroidi au pcint de la température actuelle en 6 
heures 55 minutes. 
| TX 
LE boulet de 4 pouces et demi a été chauffé à 
blanc en 3r minutes. | 
I] s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 
3 heures 25 minutes. 
Refroïidi au point de la température actuelle en 7 
heures 46 minutes, 
X. 
LE boulet de b pouces a été chauffé à blanc en 34 
minutes. | 
Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 
5 beures 52 minutes. 
Refroïdi au point de la température’ actuelle en & 
heures 42 minutes. 


La différence la plus constante que l'or. 
puisse prendre entre chacun des termes qui 


K. 
(i 
* 


ne ee — me 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 307 
expriment le temps du refroidissement, de- 
puis l'instant où l’on tire les boulets du feu, 
jusqu'à celui où on peut les toucher sans $e 
brûler, se trouve être de vingt-quatre mi- 
nutes; car, en supposant chaque terme aug- 
mente de vingt-quatre, on aura 12/, 36/, 60’, 
84/, 108/, 1392/, 156/, 180/, 204/, 298/. 

Et la suite des temps réels de ces reïroi- 
dissemens, trouvés par les expériences précé- 
dentes, est 12/, 35/ =, 58/, 8o/, 102/, 197/, 
156”, 182/, 205/, 232/; ce qui approche de la 
première autant que l'expérience peut appro- 
cher du calcul. 

De même la différence la plus constante 
que l’on puisse prendre entre chacun des 
termes du refroidissement jusqu’à la tempé- 
rature actuelle, se trouve être de 54 minutes; 
car, en supposant chaque terme augmenté 
de 54, on aura 39/, 93/, 147/, 201/, 255/, 300), 
363/, 417/, 471/, 525/. 

Et la suite des temps réels de ce refroi- 
dissement , trouvés par les expériences pré- 
cédentes , est 39/, 93’, 145/, 106/, 2487, 
308/, 356/, 415/, 466/, 522/; ce qui approche 
aussi beaucoup de la première suite sup- 
posée. 


303 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 

J'ai fait une seconde et une troisième fois 
les mêmes expériencessurles mêmes boulets ; 
mais j'ai vu que je ne pouvois compter que 
sur les premières, parce que je me suis ap- 
perçu qu'à chaque fois qu’on chauffoit les 
boulets, 1ls perdoient considérablement de 
leur poids; car 

Le boulet d'un demi- pouce, apres avoir été 
chauffé trois fois, avoit perdu environ la dix-hui- 
tième partie de son poids. 

Le boulet d’un pouce, après avoir été chauffé trois 
fois, avoit perdu environ la seizième partie de son 
poids. À 

Le boulet d’un pouce et demi, après avoir été 
chauffé trois fois, avoit perdu la quinzième partie 
de son poids. 

Le boulet de deux pouces , après avoir été chaufté 
trois fois, avoit perdu à peu près la quatorzième 
partie de son poids. 

Le boulet de deux pouces et demi, après avoir 
été chauffé trois fois, avoit perdu à peu près la trei- 
zième partie de son poids. 

Le boulet de trois pouces , après avoir été chauffé 
trois fois, avoit perdu à peu près la treizième partie 
de son poids. 

Le boulet de trois pouces el demi, après avoir 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 3oy 
été chauffé trois fois, avoit perdu encore ün peu 
plus de la treizième partie de son poids. 

Le boulet de quaire pouces, après avoir été chauffé 
trois fois, avoit perdu la douzième partie et demie 
de son liste 7 

Le boulet de quatre pouces et demi, après avoir 
ÉLé chauñlé trois oïs, avoit perdu un peu plus de la 
douzième partie et denrie de son poids. 

Le boulet de cinq pouces, après avoir été chauffé 
trois fois, avoit perdu à tris-peu près la douzième 
partie de son poids ; car il pesoit, avant d’avoir été 
chauffé, vingt livres dix onces un gros cinquante-neuf 
grains * 

On voit que cette perte sur chacun des 
boulets est extrèmement considérable , et 
qu'elle paroiït aller en augmentant, à me- 
sure que les boulets sont plus gros; ce qui 
vient, à ceque je présume, deceque l’on est 
obligé d'appliquer le feu violent d'autant 
plus long-temps que les corps sont plus 


* Je n’ai pas eu occasion de faire les mêmes 
expériences sur des boulets de fonte de fer: mais 
M. de Monibeillard, lieutenant-colonel du régiment 
Roy al-Arullerie , m'a communiqué la note suivante 
qui y supplée parfaitement, On a pesé pAPIEUrE 
boulets, avant de les chauffer, qui se son! trouvés du 


poids de vingt-sept livres et plus, Après l'opération, 


3ro MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
grands : mais, en tout, cette perte de poids 
non seulement est occasionnée par le déta= 
chement des parties de la surface qui se ré- 
duisent en scories, et qui tombent dans le 
feu, mais encore par une espèce de dessé- 
chement ou de calcination intérieure qui di- 
minue la pesanteur des parties constituantes 
du fer; en sorte qu’il paroît que le feu vio- 
lent rend le fer spécifiquement plus léger à 
chaque fois qu’on le chauffe. Au reste, j'ai 
trouvé, par des expériences ultérieures, que 
cetle diminution de pesanteur varie beau- 
coup, selon la différente qualité du fer. 

Ayant donc fait faire six nouveaux boulets, 
depuis un demi-pouce jusqu'à trois pouces 
de diamètre, et du même poids que les pre- 
miers, j'ai trouvé les mêmes progressions 
tant pour l’entrée que pour la sortie de la 
chaleur, et je me suis assuré que le fer s’é- 
ils ont été réduits à vingt-quatre livres et un quart 
eu vingt-quatre livres et demie. On a vérifié sur une 
grande quantité de boulets, que plus on les a chauf- 
fés, et plus 1ls ont augmenté de volume et diminué 
de poids ; enfin sur quarante mille boulets chauffés 
et râpés pour les reduire au calibre des canons, on 
a perdu dix imille, c’est-à-dire un quart; en sorte 
qu'à tous égards cette pratique est mauvaise. 


PARTIE EXPÉRIMENTALE.  3rr 
chauffe et se refroidit en effet comme je viens 
de l’exposer. 

Un passage de Newton a donné naissance: 
à ces experiences. 

Globus ferri candentis, digitum unum la- 
tus,calorem suum omnem spatio horæ unius, 
in aëre consistens , six amilteret. Globus 
autem major calorem diutius conservaret in 
ratione diametri, propterea quûd superficies 
(ad cujus ménsuram per contactun aëris amn- 
bientis refrigeratur) in illà ratione minor est 
pro quantitate materiæ suæ calidæ inclusæ; 
ideogue globus ferri candentis huic terræ 
æqualis, id est, pedes plus minus 40000000 
latus , diebus totidem et idcirco annis 50000, 
vix refrigesceret. Suspicor tamen quod dura- 
tio caloris ob causas latentes augeatur in mi- 
nori ratione quam e@ diametri; et optarinz 
rationem veram per expertmenta investigart. 

Newton desiroit donc qu'on fit les expé- 
riences que je viens d'exposer; et je me suis 
détermine à les tenter, non seulement parce 
que j'en avois besoin pour des vues sém- 
blables aux siennes, mais encore parce que 
jai cru m'appercevoir que ce grand homme 
pouvoit s'être trompé en disant que la durée 


3:2 MINÉRAUX. INTRODUCTION, | 


de la chaleur devoitn'augmenter, par l'effet 


. A 


des causes cachées, qu’en #0indreraison qe 
celle du diamètre : il m'a paru au contraire, 
en y réfléchissant, que ces causes cachées ne 
pouvoient que rendre cette raison plus grande 
au lieu de la faire plus petite. 


IL est certain , comme dit Newton, qu'un 
globe plus grand conserveroit sa chaleur plus: 


long-temps qu'un plus petit, en raison du 
diamètre, si on supposoit ces globes compo- 
sés d’une. matière parfaitement permeable à 
la chaleur, en sorte que la sortie de la chaleur 
fût absolument libre, et que les particules 


ignées ne trouvassent aucun obstacle qui pût 


les arrêter ni changer le cours de leur direc- 
tion. Ce n’est que dans cette‘ supposition ma- 
thématique que la durée de la chaleur seroit 


en effet en raison du diamètre ; mais les. 


causes cachées dont parle Newton, et dont 
les principales sont Les obstacles qui résultent 


de la perméabilité non absolue, imparfaite 


et inégale de toute matière solide, au lieu 


dé diminuer le temps de la durée de la cha: 


leur , doivent au contraire l’augmenter. Cela 
1 à a A ° r 
m'a paru si clair, même avant d'avoir tenté 


xues expériences, que je serois porté à croire, 


N 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 313 
que Newton, qui voyoit clair aussi jusque 
dans les choses mêmes qu'il ne faisoit que 
soupçonner, n’est pas tombé dans cette er- 
reur , et que le mot 77:n07i rafione au licu 
de zzajori n'est qu'une faute de sa main ou 
de celle d’un copiste, qui s’est glissée dans 
toutes les éditions de son ouvrage , du moins 
dans toutes celles que j'ai pu consulter. Ma 
conjecture est d'autant mieux fondée, que 
Newton paroît dire ailleurs précisément le 
contraire de ce qu'il dit ici; c’est dans la 
onzième question de son Traité d’optique : 
« Les corps d’un grand volume, dit-il, ne 
« conservent-1ls pas plus long-temps (ce mot 
«plus long-temps ne peut signifier ici qu’ez 
« raison plus grande que celle du diamètre) 
« leur chaleur , parce que leurs parties s’é- 
« chauffent réciproquement ? et un corps 
« vaste, dense et fixe , étant une fois échaufflé 
« au-delà d’un certain degré , ne peut-il pas 
« jeter de la lumière en telle abondance, que 
« par l'émission et la réaction de sa lumière, 
« par les reflexions et les réfractions de ses 
« rayons au dedans de ses pores, 1l devienne 
« toujours plus chaud, jusqu’à ce qu’il par- 
« vienne à un certain degré de chaleur qui 

27. 


_ 314 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
« égale la chaleur du soleil? et le soleil et les 
« étoiles fixes, ne sont-ce pas de vastes terres 
« violémment échauffées, dont la chaleur se 
« conserve par la grosseur de ces corps, et par 
« l’action et la réaction réciproques entre eux 
«et la lumière qu'ils jettent, leurs parties 
« étant d’ailleurs empêchées de s’evaporer 
« en fumée , non seulement par leur fixité, 
« mais encore par le vaste poids et la grande 
« densité des atmosphères, qui, pesant de 
« tous côtés, Les compriment tres-fortement, 
«et condensent les vapeurs et les exhalai- 
« sons qui s elèvent de ces corps-là ? » | 
Par ce passage, on voit que Newton non 
seulement est ici de ‘mon avis sur la durée 
de la chaleur , qu'il suppose en raison plus 
grande que celle du diamètre, mais encore 
qu'il rencherit beaucoup sur cette augmen- 
tation , eu disaut qu'un grand corps, par 
cela même qu'il est grand, peut augmenter 
sa chaleur. | 
Quoi qu’il en soit , l'expérience a pleine- 
ment conlirmeé ma pensee. La duree de la 
chaleur, ou, si l’on veut, le temps employé 
au refroidissement du fer, n’est pont en 
plus petite, mais en plus g'ande raison que 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 315 
celle du diamètre; il n’y a, pour s’en assu— 
xer, qu'à comparer les progressions suivantes. 


DIAMÈTRES. 


1,2, 3,4,5,6,7,8,9, 10 demi- 
pouces. 

Temps du premier réfroidissement, sup- 
poses en raison du diamètre : 12/, 24, 36/, 
48! , 6o/, 72! , 84, 06/, 103/, 1207. 

Temps réels de ce refroidissement, trouvés 
par l'experience : 192/, 35/ +, 58/, 80/, 102’, 
127/, 16/, 182/, 205’, 232/. 


Temps du second refroidissement, suppo- 
sés en raison du diamètre : 59/, 78/, 117/, 
1567, 195, 9347, 2037, 322%, 31°. 3090". 

Temps réels de ce second refroidissement, 
trouves par l’experience : 39/, 93/, 145, 
196/, 248/, 508/, 556/ , 415/, 466”, bao7. 


On voit, en comparant ces progressions 
terme a terme , que dans tous les cas la du- 
ree de la chaleur non seulement n’est pas 
eu raison plus petite que celle du diamètre 
(comme il est ecrit dans Newton ), mais 
qu'au contraire cette durée est en raison con- 
siderabiement plus grande. 


“ x PR: 


316 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
Le docteur Martine, qui a fait un bon ou 


0 


vrage sur les thermomètres , rapporte ce pas- 


sage de Newton, et il dit qu'il avoit com- 
mencé de faire quélques expériences qu'il se 
proposoit de pousser plus loin; qu'il croit 
que l'opinion de Newton est conforme à la 
vérité, et que les corpssemblables conservent 
en effet la chaleur dans la proportion de leurs 
diamètres ; mais que quant au doute que 
Newton forme, si, dans les grands corps, 
cette proportion n’est pas moindre que celle 
des diamètres, il ne le croit pas suffisamment 
fondé. Le docteur Martine avoit raison à cet 
égard; mais en même temps 1l avoit tort de 
croire, d'après Newton, que tous les corps 
semblables , solides ou fluides, conservent 
leur chaleur en raison de leurs diamètres. Il 
rapporte , à la vérité, des expériences faites 
avec de l’eau dans des vases de porcelaine, 
par lesquelles il trouve que les temps du 
refroidissement de l’eau sont presque propor- 
tionnels aux diamètres des vases qui la con- 
tiennent : mais nous venons dé voir que c’est 
par celte raison même que, dans les corps 
solides , la chose se passe différemment ; car 


l'eau doit ètre regardée comme une matière 


PARTIE EXPÉRIMENTALE: 317 
presque entièremeut perméable à la chaleur, 
puisque c’est un fluide homogène , et qu’au- 
cune de ses parties ne peut faire obstacle 
à la circulation de la chaleur. Ainsi, quoique 
les expériences du docteur Martine donnent 
à peu près la raison du diamètre pour le re- 
froidissement de l’eau, on ne doit en rien 
conclure pour le refroidissement des corps 
solides. | | 

y Maintenant, si l’on vouloit chercher avec 
Newton combien il faudroit de temps à un 
globe gros comme la Terre pour se refroidir, 
on trouveroit , d’après les expériences précé- 
dentes , qu'au lieu de cinquante mille ans 
qu'il assigne pour le temps du refroidisse- 
ment de la Terre jusqu'à la température ac- 
tuelle, il faudroit déja quarante-deux mille 
neuf cent soixante-quatre ans et deux cent 
vingt-un jours pour la refroidir seulement 
jusqu’au point où elle cesseroit de brüler, et 
quatre-vingt-seize mille six cent soixante-dix 
ans et cent trente-deux jours pour la refroi- 
dir à la température actuelle. 

Car la suite des diamètres des globes étant 
1, 2,93, 4, 5...., N demi-pouces, celle 


des temps du refroidissement, jusqu’à pou- 
27 


318 : MINÉRAUX. INTRODUCTION, 


voir toucher les globes sans se brûler, sera 


12, 36, 60, 84, 108.40! . 24 N—12 min. 
et le diamètre de la Terre étant de 2865 lieues, 
de 25 au degré, ou de 6537930 toises de 6 
pieds. 

En faisant la lieue de 2282 toises, ou de 
39227580 pieds, ou de 941461920 demi-pou- 


ces, nous avons N—941461920 demi-pouces; 


et 24 N — 19 — 225950860068 min. c’est-à- 
dire, quarante-deux mille neuf cent soixante- 
quatre ans ét deux cent vingt-un jours pour 
le temps nécessaire au refroidissement d’un 
globe gros comme la Terre, seulement jus- 
qu’au point de pouvoir le toucher sans se 
brûler. 

Et de même la suite des temps du refroi- 
dissement jusqu’à la temperature actuelle , 
sera 39/, 03, 147/, 201/, 255/....... è 
54 N—15/. 

Et comme N est toujours 26 rie 
demi - pouces , nous aurons 54 N—15—= 
50838943662 minutes, c’est-à-dire, quatre- 
vingt-seize mille six cent soixante-dix ans 
ét cent trente-denx jours pour le temps ne- 
cessaire au refroidissement d'un globe gros 
comme la Terre, au point de la température 
actuelle. 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 39 
Seulement on pourroit croire que celui du 
refroidissement de la Terre devroit encore 
être considerablement augmenté, parce que 
l’on imagine que le refroidissement ne s’o- 
père que par le contact de l'air, et qu'il y a 
une grande difference entre le temps du re- 
froidissement dans l’air et le temps du re- 
froidissement dans le vide: et comme l'on 
doit supposer que la terre et l’air se seroient 
en même temps refroidis dans le vide, on 
dira qu'il faut faire état de ce surplus de 
temps : mais il est aise de faire voir que cette 
difference est très-peu considérable; car, quoi- 
que la densité du milieu daus lequel un corps 
se refroidit , fasse quelque chose sur la durée 
du refroidissement, cet effet est bien moindre 
qu'on ne pourroit l’imaginer, puisque dans 
le mercure, qui est onze mille fois plus dense 
que l’air , il ne faut , pour refroidir les corps 
qu'on y plonge, qu'environ neuf fois autant 
de temps qu’il en faut pour produire le même 
refroidissement dans l'air. | | 
La principale cause du refroidissement 
n’est donc pas le contact du milieu ambiant, 
mais la force expansive qui anime les parties 
de la chaleur et du feu, qui les chasse hors 


320 MINÉRAUX. INTRODUCTION, | 
des corps où elles résident , et les pousse di- | 
rectement du centre à la circonférence. | 

En comparant, dans les expériences pré- 
cédentes , les temps employés à chauffer les 
globes de fer avec Les temps nécessaires pour 
les refroidir, on verra qu’il faut environ la 
sixième partie et demie du temps pour les 
chauffer à blanc de ce qu’il en faut pour les 
refroidir au point de pouvoir les tenir à la 
main, et environ la quinzième partie et de- 
mie du temps qu'il faut pour les refroidir au 
point de la température actuelle *; en sorte 
qu'il y a encore une très - grande correction 
à faire dans le texte de Newton , sur l’estime 
qu'il fait de la chaleur que le Soleil a com- 
muniquée à la comète de 1680 ; car cette co 
mête n’ayant été exposée à la violente chaleur 


* Le boulet d’un pouce et celui d'un demi-pouce 
sur-tout ont été chauffés en bien moins de temps, 
et ne suivent point cette proportion de quinze et 
demi à un, et c’est par Ja raison qu ’étant uès-petits 
et placés A un grand feu, la chaleur les péné- 
troit, pour ainsi dire , tout-à-coup; mais, à COm- 
mencer par les boulets d'un pouce et demi de dia- 
mètre, la proportion que j’établis ici se trouve assez 
exacle pour qu'on puisse y Compter - 


PARTIE EXPÉRIMENTALE.  32r 
_ du Soleil que pendant un petit temps, elle 
n'a pu la recevoir qu’en proportion de ce 
temps, et non pas en entier , comme Newton 
paroit le supposer dans le passage que je vais 
rapporter. | 
… Est calor Solis ut radiorum densitas, hoc 
est reciprocè ut quadratum distantiæ locorurm 
à Sole ; ideogue, cûm distantia cometæ à cex- 
tro Solis decemb. 8, ubi in perihelio versaba- 
tur , esset ad distantiam Terræ à centro Solis 
ut 6 ad 1000 circiter , calor Solis apud cone- 
tam eo tempore erat ad calorem Solis œstivi 
apud nos uf 1000000 ad 36, seu 28000 ad 1. 
Sed calor aqguæ ebullientis est quasi tripld 
major guam calor quem terra arida concipit 
_ad æstivum Solem, ut expertus sum, etc. Calor 
Jferri candentis (si rectè conjector) quasi tri- 
pl vel quadrupld major guam calor aquæ 
ebullientis; ideoque calor quem terra arida 
apud cometarn in perihelio versantem ex ra- 
diis solaribus concipere posset, quasi 2000 
vicibus major quam calor ferri candentis. 
Tanto auterm calore vapores et exhalationes, 
omnisque materia volatilis, statim consumi 
ac dissipari debuissent. 

Cometa igitur in perihelio suo calorem 


| ant 3 


322 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
immensum ad Solem concepitetcalorem illum 
_ diutissimè conservare potest. ii KT 
Je remarquerai d’abord que Newton fait 
ici la chaleur du fer rougi beaucoup moindre 
qu’elle n’est en effet, et qu’il le dit lui- 
même dans un mémoire qui a pour ütre, 
Échelle de la chaleur, et qu’il a publie dans 
les Transactions philosophiques de 1701, 
c'est-a-dire , plusieurs annees après la publi- 
cation de son livre des Principes. On voit 
dans ce mémoire, qui est excellent, et qui 
renferme le germe de toutes les idees sur 
lesquelles on a depuis construit les thermo- 
mètres; on y voit, dis-je, que Newton; après 
des experiences très-exactes, fait la chaleur 
de l’eau bouillante trois fois plus grande que 
celle du Soleil d’ete; celle de l’etain fondant, 
six fois plus grande; celle du plomb fondant, 
huit fois plus grande; celle du regule fon- 
dant, douze fois plus grande; et celle d’un 
feu de cheminée ordinaire, seize ou dix-sept 
fois plus grande que celle du Soleil d’ete : 
et de la on ne peut s'empêcher de conclure 
que la chaleur du fer rougi à blanc ne soit 
encore bien plus grande, puisqu'il faut un 
feu constamment anime par le soufflet poux 


\ 


/ 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 323 
chauffer le fer à ce point. Newton paroît lui- 
mème le sentir, et donner à entendre que 
cette chaleur du fer rougi paroit être sept 
ou huit fois plus grande que celle de l’eau 
bouillante. Ainsi il faut, suivant Newton 
lui-même, changer trois mots au passage 
precedent, et lire : Calor ferri candentis est 
guasi triplo(septupld)vel quadruplo (octupld) 
Anajor quâm calor aquæ ebullientis ; ideoque 
calor apud cometam in perihelio versantem 
quasi 2000 (1000) vicibus major guûm calor 
Jerri candentis. Cela diminue de moitié la 
chaleur de cette comète, comparée à celle du 
fer roupi à blanc. 

Mais cette diminution, qui n’est que re- 
lative, n’est rien en elle-même, ni rien en 
comparaison de la diminution reelle et très 
_grande qui résulte de notre première consi- 
deration ; il faudroit, pour que la comète eût 
reçu cette chaleur mille fois plus grande que 
celle du fer rougi, qu'elle eût séjourne pen- 
dant un temps très-long dans le voisinage 
du Soleil, au lieu qu’elle n’a fait que passer 
tres-rapidement , sur-tout a la plus petite dis- 
tance, sur laquelle seule néanmoins Newton 
établit son calcul de comparaison. Elle étoit, 


— 


324 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
le 8 décembre 1680, à — de la distance de 
la Terre au centre du Soleil ; mais la veille ou 
le lendemain, c'est-à-dire vingt-quatre heures 
avant et vingt-quatre heures après, elle étoit 
déja à une distance six fois plus grande ; et 
où la chaleur étoit par conséquent trente-six 
fois moindre. | 1 the 
Si l’on vouloit donc connoître la quantité 
de cette chaleur communiquée à la comète 
par le Soleil, voici comment on pourroit faire 
cette estimation assez juste, et en faire en 
même temps la comparaison avec celle du 
fer ardent, au moyen de mes expériences. 
Nous supposerons comme un fait, que. 
cette comète a employé six cent soixante-six 
heures à descendre du point où elle étoit en- 
core éloignée du Soleil d’une distance égale à 
celle de la Terre à cet astre, auquel point la 
comète recevoit par conséquent une chaleur 
égale à celle que la Terre reçoit du Soleil , et 
que je prends ici pour l’unité : nous suppo- 
serons de mème que la comète a employé six 
cent soixante-six autres heures à remonter 
du point le plus bas de son périhélie à cette 
même distance; et, supposantaussison mou- 
vement uniforme, on verra. que la comète. 


Le 


“ 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 325. 
étant au point le plus bas de son périhélie, 
c'est-à-dire à —-{ de distance de la Terre au 
Soleil, la chaleur qu’elle a reçue dans ce mo- 
ment étoit vingt-sept mille sept cent soixante- 
seize fois plus grande que celle que reçoit la 
Terre : en donnant à ce moment une durée 
de 80 minutes, savoir, 4o minutes en descen- 
dant, et 4o minutes en montant, on aura : 

À 6 de distance, 27776 de chaleur pendant 
80 minutes; 

À 7 de distance, 20408 de chaleur aussi 
pendant 80 minutes; 

À 8 de distance, 15625 de chaleur toujours - 
pendant 80 minutes; et ainsi de suite jus- 
qu’à la distance 1000, où la chaleur est 1. 
En sommant toutes les chaleurs à chaque dis- 
tance, on trouvera 363410 pour le total de 
la chaleur que la comète a reçue du Soleil 
tant en descendant qu’en remontant, qu’il 
faut multiplier par le temps, c’est-à-dire 
par + d'heure ; on aura donc 484547, qu’on 
divisera par 2000, qui représente la chaleur 
totale que la Terre a reçue dans ce même 
temps de 1332 heures, puisque la distance est 
toujours 1000, et la chaleur toujours = 1: 
ainsi l’on aura 242 27 pour la chaleur que 


2000 


Mat, gén, IV. 28 


Rs 44 NN LR f: Va À 0 ! PEER £ a Ÿ- PT Fi 
ÿ » a : an" te, Mur: 


DU MURS 
326 MINÉRAUX." INTROI UCTION, 
la comète a reçue de plus que la Terre pen 
dant tout le temps de son périhélie, au lieu 
-de 28000, comme Newtgn le suppose, parce. 
-qu'il ne prend que le point extrême , et sd} 
fait nulle attention à la très-petite durée du 
temps. 

Et encore faudroit-il diminuer cette cha- 
leur 942 #2, parce que la comète parcouroit, 
par son accélération, d'autant plus de che- 
min dans le même temps qu’elle étoit près 
du Soleil. 

Mais, en négligeant cette diminution, et 
en admettant que la comète a en effet. reçu 
une chaleur à peu près deux cent quarante- 
deux fois plus grande que celle de notre 
Soleil d'été, et par conséquent 17 4 fois plus 
grande que celle du fer ardent, suivant l’es- 
time de Newton, ou seulement dix fois plus 
grande, suivant la correction qu'il faut faire 
à cette estime, on doit supposer que, pour 
donner une chaleur dix fois plus grande que 
celle du fer rousi, il faudroit dix fois plus 
de temps, c'est-à-dire 13320 heures au lieu 
de 1332. Par couséquent on peut comparer 
à la comète un globe de fer qu’on auroit 
chauffé à un feu de forge pendant 13320 


45179 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 327 
heures pour pouvoir le rougir à blanc. 
+ Or on voit, par mes expériences, que la 
suite des temps nécessaires pour chauffer des 
globes dont les diamètres croissent, comme 
1, 2,5, 4, 5....7n demi-pouces, est; à très- 
7:53 


2 


peu prés, 2/, 5/21, 9, 12/2, 16/... min. 
Ro ÉL 
Ta 
D'où l’on tirera 7 = 228342 demi-pouces. 
Ainsi, avec:le feu de forge, on ne pourroit 
chauffer à blanc en 799200 minutes ou 13320 
heures qu'un globe dont le diamètre seroit 
de 228342 demi-pouces, et par conséquent il 
faudroit, pour que toute la masse de la comète 
soit chauffée au point du fer rougi à blanc 
pendant le peu de temps qu’elle a été exposée 
aux ardeurs du Soleil, qu'elle n’eût eu que 
228342 demi-pouces de diamètre, et supposer 
encore qu’elle eût été frappée de tous côtés 
et en même temps par la lumière du Soleil: 
d'où il résulte que si on la suppose plus 
grande , 1l faut necessairement supposer plus 


On aura donc — 799200 minutes. 


7n--3 


L 


? 


de temps dans la même raison de z à 


en sorte, par exemple, que si l’on veut 
supposer la comète égale à la Terre, on 


328 MINÉRAUX. INTRODUCTION, | 
aura 7? — 941461920 demi-pouces, et EAN 
— 3295116718 minutes; c’est-à-direqu’au lieu. 
de 13320 heures il en faudroit 54918612, ou, 
si l’on veut, au lieu d’un an 190 jours, il 
-faudroit 6269 ans pour chauffer à blanc un 
globe gros comme la Terre; et, par la même 
raison , il faudroit que la comète, au lieu de 
n'avoir séjourné que 1332 heures ou 55 jours 
12 heures dans tout son périhélie, y ‘eût de- 
meuré pendant 392 ans. Ainsi les comètes, 
lorsqu'elles approchent du Soleil, ne reçoi- 
vent pas une chaleur imimense, ni très-long- 
temps durable, comme le dit Newton, et 
comme on seroit porté à le croire à la pre 
mière vue : leur séjour est si court dans le 
voisinage de cet astre, que leur masse n’a 
pas le temps de s’échaufler, et qu'il n’y a 
guère que la partie de la surface, exposée 
au Soleil, qui soit brûlee par ces instans de 
chaleur extrême, laqueile en calcinant et 
volatilisant la matière de cette surface, la 
chasse au dehors en vapeurs ét en poussière 
du côté opposé au Soleil; et ce qu’on appelle 
la queue d’une comète, n’est autre chose que 
la lumière même du Soleil rendue seusible, 
comme dans uue chambre obscure, par ces 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 323 
ätomes que la chaleur pousse d'autant plus 
loin qu’elle est plus violente. 

Maisuneautréconsidération bien différente 
de celle-ci et encore plus importante, c’est 
que , pour appliquer le résultat de nos expé- 
riences et de notre calcul à la comète et à la 
Terre , il faut les supposer composées de 
matières qui demanderoient autant de temps 
que le fer pour se refroidir ; tandis que, dans 
le réel , les matières principales dont le globe 
terrestre est composé , telles que les glaises, 
les grès , les pierres, etc., doivent se re- 
froidir en bien moins de temps que le fer. 

Pour me satisfaire sur cet objet, j'ai fait 
faire des globes de glaise et de grès; et les 
ayant fait chauffer à la même forge jusqu’à 
les faire rougir à blanc , j'ai trouvé que les 
boulets de plaise de deux pouces se sont re- 
froidis au point de pouvoir les tenir dans la 
main en trente-huit minutes , ceux de deux 
pouces et demi en quarante-huit minutes, 
et ceux de trois pouces en soixante minutes ; 
ce qui étant comparé avec le temps du refroi- 
dissement des boulets de fer de ces mêmes 
diamètres de deux pouces ; deux pouges et 
demi, et trois pouces, donne les rapports 


DL A D es 


33o MINÉRAUX. INTRODUCTION , 

de 38 à 80 pour deux pouces ,. 48 à 102 
pour deux pouces et demi, et 60 à 127 pour 
trois poutes , ce qui fait un peu moins de. 
1 à 2 ; en sorte que, pour le refroidissement | 
de la glaise, il ne faut pas la moitié du os À 
qu'il faut pour celui du fer. 

J'ai trouvé de même que les globes de grès 
de deux pouces se sont refroidis au point de 
les tenir dans la main en-quarante-cing, mi- 
nutes , ceux de deux pouces et deimien cin— 
quante-huit minutes, et ceux de trois pouces 
en soixante-quinze minutes ; ce qui étant 
comparé avec le tempsdu refroidissement des 
boulets de fer de ces mêmes diamètres , donne 
les rapports de 46 à 8o pour deux pouces, 
de 58 à 102 pour deux pouces et demi, et. 
de:75 à 127 pour trois pouces, ce. qui fait 
à très-peu près la raison de 9 à 5 ; en sorte: 
que, pour le refroidissement du grès, il faut 
plus de la moitié du temps: qu'il faut pour 
celui du fer. | 

J'observerai, au sujet de ces expériences, 
que les globes de glaise chauflés à feu blanc 
ont perdu de leur pesanteur encore.plus que 
les boulets de fer, et jusqu’à la neuvième ou 
dixième partie de leur poids., au lieu que le, 


Re L A ET à y ro es rt TU ent © Ir af 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 35: 
grès chauffé au mème feu ne perd presque 
rien du tout de son poids, quoique toute la 
surface se couvre d’émail et se réduise en 
verre. Comme ce petit fait m'a paru singu- 
lier , j'ai répété l'expérience plusieurs fois, 
en faisant même pousser le feu et le conti- 
nuer plus long-temps que pour le fer; et 
quoiqu’ilne fallätguère que le tiers du temps 
pour rougir le grès, de cequ'’ilen falloit pour 
rougir le fer , je l’ai tenu à ce feu le double 
et le triple du temps pour voir s’il perdroit 
davantage , et je n'ai trouvé que de très-légères 
diminutions ; car le globe de deux pouces, 
chauffé pendant huit minutes, qui pesoit 
sept onces deux gros trente grains avant 
d’être mis au feu, n’a perdu que quarante-un 
grains , ce qui ne fait pas la centième partie 
de son poids ; celui de deux pouces et demi, 
qui pesoit quatorze onces deux gros huit 
grains , ayant été chauffé pendant douze 
minutes , n'a perdu que la cent cinquante- 
quatrième partie de son poids ; et celui de 
trois pouces , qui pesoit vingt-quatre onces 
cinq gros treize grains, ayant été chauffé 
pendant dix-huit minutes , c’est-à-dire , à 
peu près autant que le fer, n'a perdu que 


NOrS 0e 2 60: M OLT ANR PET EU) DER 
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A RAT LE à EE cr à : 
5 : D 


332 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
soixante-dix-huit grains , ce qui ne fait qué 
la cent quatre-vingt-unième partie de son 
poids. Ces pertes sont si petites, qu’on pour- 
xoit les regarder comme nulles , et assurer 
en général que le grès pur ne perd rien de sa 
pesanteur au feu ; car il m’a paru que ces 
petites diminutions que je viens de rap= 
porter , ont été occasionnées par les parties 
ferrugineuses qui se sont trouvées dans ces 
grès , et qui ont été en partie détruites par 
le feu. 

Une chose plus générale et qui mérite bien 
d’être remarquée , c’est que les durées de la 
chaleur dans différentes matières exposées au 
même feu pendant un temps égal, sont tou- 
jours dans la même proportion, soit que le 
degré de chaleur soit plus grand ou plus 
petit; en sorte, par exemple , que si on. 
chauffe le fer , le grès et la glaise à un feu 
violent , et tel qu’il faille quatre-vingts mi- 
nutes pour refroidir le fer au point de pou- 
voir le toucher , quarante-six minutes pour 
refroidir le grès au même point , et trente- 
huit pour refroidir la glaise, et qu'à une 
chaleur moindre il ne faille , par exemple, 
que dix-huit minutes pour refroidir Le fer à 


ht "ff Sao. (are 279 
PT À REF" 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 353 
ée mème point de pouvoir le toucher aveé 
la main, il ne faudra proportionnellement 
qu’un peu plus de dix minutes pour refroidir 
le grès , et environ huit minutes et demie 
pour refroidir la glaise à ce même point. 

J'ai fait de semblables. expériences sur des 
globes de marbre, de pierre, de plomb et 
d'étain , à une chaleur telle seulement que 
l’étain commencçoit à fondre , et j'ai trouvé 
que le fer se refroidissant en dix-huit mi- 
nutes au point de pouvoir le tenir à la main, 
le marbre se refroidit au même point en 
douze minutes , la pierre en onze , le plomb 
en neuf , et l’etain en huit minutes. 

Ce n’est donc pas proportionnellement à 
leur densité, comme on le croit vulgaire- 
ment, que les corps reçoivent et perdent plus 
ou moins vite la chaleur, mais dans un rap- 
port bien différent et qui est en raison inverse 
de leur solidité, c’est-à-dire, de leur plus 
ou moins grande z207-fluidité;en sortequ'avec 
la même chaleur il faut moins de temps pour 
échautfer ou refroidir le fluide le plus dense 
qu'il n’en faut pour échauffer ou refroidir au 
même degré le solide le moins dense. Je 
donnerai , dans les mémoires suivans, le 


“ RQ A) Yu nor he 


334 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
développement entier de ceprincipe, duquel 
dépend toute la théorie du progrès de la cha- 
leur; mais pour que inon assértion ne paroisse 
pas vaine , voici en peu de-mots le fondement 
de cette théorie. 

J'ai trouvé , par la vue de l’esprit, que les 
corps qui s’échaufferoient en raison de leurs 
diamètres , ne pourroient être que ceux qui 
seroient parfaitement perméables à la cha- 


leur, et que ce seroient en même temps ceux 
qui s’échaufferoient ou se réfroidiroient en 


moins de temps. Dès lors j'ai pensé que les 
fluides dont toutes les parties ne se tiennent 
que par un foible lien, approchotïent plus de 
cette perméabilité parfaite que les solides dont 
les parties ont beaucoup plus de cohésion que 
celles des fluides. 

En conséquence j'ai fait des expériences 


par lesquelles j'ai trouvé qu'avec la même 


chaleur tous les fluides, quelque denses qu'ils 
soient , s’échauffent et se refroidissenit plus 


promptement qu'aucun solide, quelqueléger 


qu'il soit; en sorte, par exemple, que le 
mercure, comparé avec le bois, s’échauffe 
béaucoup plus promptement que le bois ; 
phoiqu ’il soit quinze ou seize fois plus dense. 


PARTIE EXPÉRIMENTALE, 335 

Cela m'a fait reconnoitre que le progrès 
de la chaleur :dans les corps ue devoit en 
aucun cas sé faire relativement à leur den- 
sité ; et en effet j'ai trouvé par l'expérience 
que, tant dans les solides que dans les fluides , 
ce progrès se fait plutôt en raison de leur 
fluidite , où , si l’on veut , en raison inverse 
de leur solidité. 

Comme ce mot- solidité a plusieurs accep- 
tious , il faut voir nettement le sens dans 
lequel je lemploic ici. Suéiwéc et solidité se 
disent eu géométrie relativement à la gran- 
deur , et se prennent pour le volume du 
corps ; solidité se dit souvent en physique 
relativement à la densite , c’est-à-dire, à la 
masse contenue sous un volume donne; so/i- 
dité se dit quelquefois encore relativement 
à la dureté, c'est-à-dire , à la résistance que 
font les corps lorsque nous voulons les enta- 
mer : or ce nest dans aucun de ces sens que. 
j emploie ici ce mot, mais dans une accep= 
tion qui devroit être la première , parce 
qu'elle est la plus propre. J'entends unique- 
ment par solidité la qualité opposée à la 
fluidité , et je dis que c’est en raison inverse 
de cette qualité que se fait Le progrès de la 


336 MINÉRAUX. INTRODUCTION, 
chaleur dans la plupart des corps, et qu ls 


s’'échauffent ou se refroidissent d'autant plus 
vite qu’ils sont plus fluides, et d'autant plus 


lentement qu’ils sont plus solides, toutes les 
autres circonstances étant égales d’ailleurs. 


Et pour prouver que la solidité, prise dans: 


ce sens , est tout-à-fait indépendante de la 
densité ; j’ai trouvé, par expérience, que des 
matières plus dénses ou moins denses s’é- 


chauffent et se refroidissent plus prompte- 
ment que d'autres amatièics plus ou moins 


denses ; que , par exemple, l'or et le plomb, 
qui sont beaucoup plus denses que le fer et le 
cuivre , néanmoins s’échauffent et se refroi- 
dissent beaucoup plus vite, et que l’étain et le 


marbre, qui sont au contraire moins denses, 


s’échauffent et se refroidissent aussi beaücoup 
plus vite que le fer et le cuivre , et qu'il en 
est de même de plusieurs autres matières qui, 
quoique plus ou moins denses , s’échauffent 


et se refroidissent plus promptement que. 


d’autres qui sont beaucoup moins denses ou 


plus denses ; en sorte que la densité n’est 


nullement relative à l’échelle du progrès de 


Ja chaleur dans les corps solides. 


Et, pour le prouver de même dans les 


A 


PARTIE EXPÉRIMENTALE. 337 
fluides , j'ai vu que le mercure, qui est treize 
ou quatorze fois plus dense que l’eau , néan- 
moins s'échauffe et se refroidit en moins de 
temps que l’eau ; et que l’esprit-de-vin, qui est 
moins dense que l’eau , s’échauffe et se re- 
froidit aussi plus vite que l’eau; en sorte que 
généralement le progrès de la chaleur dans 
les corps, tant pour l'entrée que pour la sor- 
tie, n’a aucun rapport à leur densité , et se 
fait principalement en raison deleur fluidité, 
en étendant la fluidité jusqu’au solide, c’est- 
à-dire , en regardant la solidité comme une 
non-fluidité plus ou moins grande. De là j’ai 
cru devoir conclure que l’on connoïtroit en 
effet le degré réel de fluidité dans les corps, 
en les faisant chauffer à la mème chaleur ; 
car leur fluidite sera dans la même raison 
que celle du temps pendant lequel ils rece- 
vront et perdront cette chaleur : et il en sera 
de même des corps solides ; ils seront d’au- 
tant plus solides , c’est-à-dire, d'autant plus 
non-fluides , qu'il leur faudra plus de temps 
pour recevoir cette même chaleur et la per- 
dre : et cela presque généralement, à ce que 

‘je présume; car j'ai déja tente ces expériences 
sur un grand nombre de matières différentes, 


338 MINÉRAUX. INTRO DUCTION. 
et j'en ai fait une table que j'ai tâché de rendre 
aussi complète et aussi exacte qu'il mra été 
possible, et qu'on trouvera dans le mémoire 
suivant. 


Pc 


Fiy du tome quatrième. 


FIN DL 


Des articles contenus dans ce volume, 


Pasvvss DE LA THÉORIE DE LA TERRE. 


— Article XVIII. De l’effet des pluies, des maré- 
cages , des bois souterrains, des eaux souter- 
raines, pPAge I. | 

— Article XIX. Des changemens de terres en mers, 
‘et de mers en terres, 53. 


INTRODUCTION A L'HIisT. DES MINÉRAUX, 
Des élèmens. 


Première partie. De la lumière , de la chaleur et du 
feu, 103. 

Seconde partie. De l’air, de l’eau et de la terre, 
2II. 

Partie expérimentale, 298. 

Premier mémoire. Expériences sur le progrès de la 
chaleur dans les corps, 300. 


DE L’'IMPRIMERIE DE PLASSAN. 


HÉNACU 
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