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Full text of "Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du roy Volume 16"

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HISTOIRE 

NATURELLE, 


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GENERALE    ET    PARTICULIERE 


AVEC   LA   DESCRIPTION 


DU  CABINET  DU  ROI. 


Tome  Sei:^iême, 


HISTOIRE 

NATURELLE 

DES   OISEAUX. 


1  orne  Premier. 

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A    PARIS, 

DE    L'IMPRIMERIE     ROYALE, 


M.    D  C  C  L  X  X. 


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UéHùa  CtUÂêiifm 


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TABLE 

De  ce  quî  eft  contenu  dans  ce  Volume. 

2   LA  N  de  rOuvrage pnge  j  —  xxiv 

Dif  ours  fur  la  nature  des  Oifeaux i 

Les  Oifraux  de  proie 6  i 

Les  Algies 71 

Le  grand  Aigle jô 

L'A  igle  commun ^G 

Le  petit  Aigle 91 

Le  Pygargue 99 

Le  Balbu-^ard 105 

L'Orfraie \\z 

Le  Jeande-blanc» 1 24. 

Oifeaux    étrangers    qui    ont    rapport   aux   Aigles   if 
BalbuifU'ds 1^6 

Les  Vautours 1^6 

Le  Percncptere 149 

Le  Griffon 151 

Le  Vautour  ou  grand  Vautour i  ^  8 

Le  Vautour  à  aigrettes 1^9 

Le  petit  Vautour 16^ 


TABLE. 

Cîfcaux  étrangers  qui  ont  rapport  aux  Vautours .  .  1 67 

Le  Condor. 184. 

Le  Ali/an  if  les  Bufes 197 

La  Buje 206 

La  Bondrée 208 

L'Oifeau  Saint  -Alartin 212 

La  Soubufe 215 

La  Harpaye 217 

Le  Bufard 218 

0  if  eaux  étrangers   qui    ont    rapport   au    Alilan,  aux 

Bufes  iT"  Soubufe  s zii 

L'Épervier 225 

L'Amour 230 

Oifeaux  étrangers  qui  ont  rapport  à  l'Epervier  if  à 
l  Autour 237 

Le  Gerfaut 239 

Le  Lanier 24? 

Le  Sacre 246 

Le  Faucon 249 

Oifeaux  étrangers  qui  ont  rapport  au  Gerfaut  &  aux 

Faucons 268 

Le  Hohreau zjj 

La  Crefferelle 280 

Le  Rochier 286 


TABLE. 

VEinûlllon 283 

Les  Pie  - grièches 294 

La  Pie- grue h£  grife 296 

La  Pie-grièche  roujfe ^01 

L' Ecorcheur ^04. 

Oifcaiix  étrangers  qui  ont   rapport  à  la   Pie-grièche 
grife  if  à  t Ecorcheur ^08 

I.  Le  Fiuoah Ihul 

1 1.  Rougc-qucuc joo 

III.  Lûtigraicn  &  Tiha-chcrî j  i  o 

I V.  Bccûrdes w  j 

V.  Béairdcs  à  ventre  jaune t  i  2 

V I.  Le  Vanga  ou  BccarJe  à  ventre  blanc H^'uU 

VU.  Le  Si/ict-hé. V 313 

VIII.  Le  Tcha-chcn-hc. 31^ 

IX.  Le  Gonokk //,/^. 

X.  Le  Calï-Calic  &  le  Brunu 315 

XI.  Pie-grièche  liiippcc, .  .' ^  i  (^ 

Les  0  if  eaux  de  proie  noâ  urnes 3  i  -r 

Le  Duc  ou  grand  Duc 332 

Le  Plibou  ou  moyen  Duc -.4,2 

Le  Scops  ou  petit  Duc. 3r^ 

La  Hulotte -^r^ 

Le  Chat -huant ^52 

L'Effraie  ou  la  Frefaie 355 


TABLE. 

La  Chouette  ou  la  grande  Chevêche 372 

La  Chevêche  ou  petite  Chouette r^yy 

Oifeaux  étrangers  qui  ont  rapport  aux  Hiboux  iT'  aux 

Chouettes 383 

Oifeaux  qui  ne  peuvent  voler, 394 

L'Autruche 398 

Le  Touyou 4.52 

Le  Cafoar 4-64. 

Le  Dronte 480 

Le  Solitaire  ér  IVifeau  de  Naiare 485 


Par  M.   DE   BuFFON. 


HISTOIRE 


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HISTOIRE   NATURELLE 

DES     OISEAUX. 


PLAN  DE   L'OUVRAGE. 

NOUS  n'entreprenons  pas  de  donner  ici  une  Hifloire 
des  Oifeaux  aufll  complète,  aufTi  détaillée  que 
i'eft  celle  des  Animaux  quadrupèdes  ;  cette  première 
tâche,  quoique  longue  &  difficile  à  remplir,  nVtoît 
pas  impofTible,  parce  que  le  nombre  des  quadrupèdes 
n'étant  guère  que  de  deux  cents  efpèces,  dont  plus  du 
tiers  fe  trouve  d:ins  nos  conirèes  ou  d:\ns  les  climats 
voifins,  il  étoit  pofTible  d'abord  de  donner  l'hiftoire 
de  ceux-ci  d'après  nos  propres  obfervations;  que  dans 
le  nombre  des  quadrupèdes  étrangers,  il  y  en  a  plu- 
fleurs  de  bien  connus  des  Voyageurs  d'après  lefquefs 
nous  pouvions  écrire;  qu'enfin  nous  devions  cfpérer, 
avec  des  foins  (5c  du  temps,  de  nous  les  procurer 
prefque  tous  pour  les  examiner;  &.  l'on  voit  que  nos 
elpérances  ont  été  remplies,  puilqu'à  l'exception  d'un 
Oifeaux,  Tome  L  .  a 


i)  Plan   de   l* Ouvrage. 

très -petit  nombre  d'animaux  qui   nous   font  arrivés 
depuis,  &  que  nous  d  innerons  par  fupplément,  nous 
avons  fait  l'hilloire  i3c  ia  dcfcription  de  tous  les  quadru- 
pèdes. Cet  ouvrage  ed:  le  fruit  de  près  de  vingt  ans 
detude^Sc  de  recherches;  (5c  quoique  pendant  ce  même 
temps  nous  n'ayons  rien   négligé  pour  nous  indruire 
fur  les  oifeaux,  5c  pour  nous  en  procurer  toutes  les 
efpèces  rares;  que  nous  ayons  même  réulTi  à  rendre 
cette  partie  du    Cabinet  du  Roi  plus  nombreufe  (5c 
plus  complète  qu'aucune  autre  collecflion  du   même 
genre  qui    foit  en    Europe,  nous  devons  cependant 
convenir  qu'il  nous  en  manque  encore  un  affez  grand 
nombre:  à  la  vérité,   la  plupart  des  efpèces  qui  nous 
manquent,    manquent   également   par  -  tout   ailleurs; 
mais  ce  qui  nous  prouve  que  nous  fommes  encore  bien 
loin  d'être  complets  ,    quoique  nous  ayons  rafTcmblé 
plus  de  fept  ou  huit  cents  efpèces,  c'ed  que  Ibuvent 
if  nous  arrive  de  nouveaux  oileaux  qui  ne  font  décrits 
nulle  part,  &.  rjue  d'un  autre  côté  il  y  en  a  plufieurs 
qui  ont  été  indiqués  par  nos  Ornithologillcs  modernes, 
qui  nous  manquent  encore,  (5c  que  nous  n'avons  pu 
nous  procurer.  II  cxi/le  peut-être  quinze  cents,  peut- 
être  deux  mille  efpèces  d'cifeaux,  pouvons-nous  efpérer 
de  les  raffembler  toi.-tes!  &  cela  n'eil  encore  que  l'une 
des  moindres  difficultés  que  l'on  pourra  lever  avec  le 
temps  ;    il  y   a  plufieurs  autres  cbRacIes  dont  nous 


Plan  de  l'Ouvrage.  il} 

avons  furnionté  quelques  -  uns  ,  6c  dont  les  autres 
nous  pai'oifTent  invincibles.  II  faut  qu'on  me  permette 
d'entrer  ici  dans  le  détail  de  toutes  ces  difficultés;  cette 
cxpofition  ed:  d'autant  plus  néceffaire,  que  fans  elle 
on  ne  concevroit  pas  les  raifons  du  plan  6c  de  la 
forme  de  mon  ouvrasse. 

Les  efpèces  dans  les  oifcaux,  font  non  -  feulement 
en  beaucoup  plus  grand  nombre  que  dans  les  animaux 
quadrupèdes ,  mais  elles  font  auffi  fu jettes  à  beau- 
coup plus  de  variétés;  c'efl:  une  fuite  nécefTaire  de 
ia  loi  des  combinaifons  où  le  nombre  à^s  réfultats 
augmente  en  bien  plus  grande  raifon  que  celui  des 
élémens;  c'efl  aufTi  une  règle  que  la  Nature  femble 
s'être  prefcrite  à  mefure  qu'elle  fe  multiplie,  car  les 
grands  animaux  qui  ne  produifent  que  rarement  6c  en 
petit  nombre,  n'ont  que  peu  d'efpèces  voifincs,  6c 
point  de  variétés,  tandis  que  les  petits  tiennent  à  un 
grand  nombre  d'autres  familles,  6c  font  fujets,  dans 
chaque  efpèce  ,  à  varier  beaucoup  ;  6c  les  oifeaux 
paroiffent  varier  encore  beaucoup  plus  que  les  petits 
animaux  quadrupèdes,  parce  qu'en  général  les  oifeaux 
font  plus  nombreux,  plus  petits,  6c  qu'ils  produifent 
en  plus  grand  nombre.  Indépendamment  de  cette  caufc 
générale ,  il  y  en  a  de  particulières  pour-  les  variétés 
dans  plufieurs  efpèces  d'oifeaux.  Le  mâle  6c  la  femelle 
n'ont,  dans  les  quadrupèdes,  que  des  différences  affez 

a  ij 


iv  Plan  de   l'  0  u  v  r  a  g  e. 

légères ,  elles  font  bien  plus  grandes  6c  bien  plus 
apparentes  dans  les  oifeaux;  fouvent  la  femelle  efl:  fi 
différente  dn  mâfe  par  la  grandeur  oc  les  couleurs, 
qu'on  les  croiroit  chacun  d'une  efpéce  diverfc  :  plufieurs 
de  nos  Naturalilles,  même  des  plus  habiles,  s'y  font 
mépris,  (Se  ont  donné  le  mâle  <Sc  fa  femelle  d'une 
même  cfpèce,  comme  deux  efpèces  dillindes  (3c  fé- 
parées;  auffi  le  premier  trait  de  la  dcfcripîion  ô!un 
oifeau  doit  être  l'indication  de  la  reffemblance  ou  de 
ia  différence  du  mâle  (5c  de  la  femelle. 

Ainfi,  pour  connoîrre  exactement  tous  les  oifeaux, 
un  feul  individu  de  chaque  eipèce  ne  fuffit  pas,  il  en 
faut  deux,  un  mâle  &i  une  femelle;  il  en  faudroit 
même  trois  ou  quatre,  car  \qs  jeunes  oifeaux  font 
encore  très-ditiérens  des  adultes  (5c  des  vieux.  Qu'on, 
fe  repré fente  donc  que  sil  exillc  deux  mille  efpêces 
d'oifeaux,  il  faudroit  en  raffembler  huit  mille  indi- 
vidus pour  les  bien  connoître,  (Se  l'on  jugera  facile- 
ment de  i'impoiTibilité  de  faire  une  telle  collccflion 
qui  augmenteroit  encore  de  plus  du  double,  fi  l'on 
vouloit  ia  rendre  complète,  en  y  ajoutant  les  variétés 
de  chaque  efpèce,  dont  quelques-unes,  comme  celle 
du  coq  ou  du  pigeon,  fe  font  fi  fort  multipliées, 
qu'il  eft  même  difficile  ài^n  faire  l'entière  énumé- 
ration. 

Le  grand  nombre  des  efpèces;  le  nombre  encore 


Plan  de  l'Ouvrage.  v 

plus  grand  des  variétés;  les  différences  de  forme,  dt 
grandeur,  de  couleur  entre  les  mâles  &l  les  femelles, 
entre  les  jeunes,  les  adultes  (5c  les  vieux;  les  di verfltés 
qui  réfuîtent  de  finfluence  ài\  climat  &  de  la  nour- 
riture, celles  que  produit  la  domedicité,  la  captivité, 
le  tranfport,  les  migrations  naturelles  6;  forcées;  toutes 
iescaufes,  en  un  mot,  de  changement,  d'altération,  de 
dégénération,  en  fe  réuniffant  ici  (5c  fe  multiplianf, 
multiplient  les  obilacles  &  les  difficultés  de  l'Orni- 
thologie,  à  ne  la  confidérer  même  que  du  côté  de 
la  nomenclature,  cell-à-dire,  de  la  fimple  connoif 
fance  des  objets;  <5c  combien  ces  difficultés  n  augmen- 
tent-elles pas  encore,  dès  qu'il  s'agit  d'en  donner  la 
defcription  (5c  rhifioireî  Ces  deux  parties,  bien  plus 
effcntielles  que  la  nomenclature,  <5c  que  Ton  ne  doit 
jamais  féparer  en  Hiiloire  Naturelle ,  fe  trouvent 
ici  très  -  difficiles  à  réunir,  (5c  chacune  a  de  plus  des 
difficultés  particulières  que  nous  n'avons  que  trop 
fenties,  par  le  defir  que  nous  avions  de  les  furmonter. 
L'une  des  principales  cfî  de  donner  ,  par  le  difcours, 
une  idée  des  couleurs ,  car  maiheureufement  les  diffé- 
rences les  plus  apparentes  entre  les  oifeaux ,  portent 
fur  les  couleurs  encore  plus  que  fur  les  formes;  dans 
les  animaux  quadrupèdes ,  un  bon  dcï^m  rendu  par 
ime  gravure  noire,  fuffit  pour  la  connoiffiince  difiinc^e 
de  chacun,  parce  que  les  coukurs  des  quadrupèdes 

a  iij 


yj  Plan  de  lVuv rag e. 

n'ttant  qu'en  petit  nombre  (5c  «ifrez  uniformes,  on 
peut  aifement  les  dénommer  &  les  indiquer  par  le 
difcours;  mais  cela  feroit  fmpofTible,  ou  du  moins 
fuppoferoit  une  immenfité  de  paroles,  6c  de  paroles 
très-ennuyeufes  pour  la  defcription  des  couleurs  dans 
les  oifeaux;  il  n'y  a  pas  même  de  termes  en  aucune 
langue  pour  en  exprimer  les  nuances,  les  teintes,  les 
reflets  &  les  mélanges;  &  néanmoins  les  couleurs  font 
ici  des  caradères  elTentiels,  (3c  fouvent  les  feuls  par 
lefquels  on  puide  reconnoître  un  oifeau  (5;  le  diftinguer 
de  tous  les  autres.  J'ai  donc  pris  fe  parti  de  faire 
non  -  feulement  graver ,  mais  peindre  les  oifeaux  à 
mefure  que  j'ai  pu  me  les  procurer  vivans;  (5c  ces 
portraits  d oifeaux,  repréfentés  avec  leurs  couleurs,  les 
font  connoître  mieux  d'un  feul  coup  d'œil  que  ne 
pourroit  le  faire  une  longue  defcription  auffi  fafli- 
dicufe  que  difficile,  (5c  toujours  très-imparfaite  (5c  très- 
obfcure. 

Plufieurs  perfonnes  ont  entrepris ,  prefqu'en  même 
temps ,  de  faire  graver  (5c  colorier  des  oifeaux  :  en 
An2:Ieterre  ,  on  vient  de  donner  ,  fous  le  titre  de 
Zoologie  Britannique ,  \cs  animaux  quadrupèdes  (Se  les 
oifeaux  de  la  Grande-Bretagne,  gravés  (5c  coloriés. 
M.  Edwards  avoit  de  même  donné  précédemment 
un  o;rand  nombre  d'oifeaux  étrangers;  ces  deux  ou- 
vrages  font  ce  que  nous  avons  de  mieux  dans  ce 


Plan  de  l*  0  u  v  r  a  g  e.  rij 

genre  de  mauvaife  peinture,  que  l'on  appelle  enlu- 
minure. Et  quoique  ceux  que  j'ai  fait  publier  depuis 
cinq  ans ,  &  qui  font  déjà  au  nombre  de  près  de 
cinq  cents  planches ,  foient  de  ce  même  genre  de 
mauvaife  peinture,  je  fuis  bien  certain  qu'on  ne  les 
jugera  pas  inférieurs  â  ceux  d'Angleterre ,  &.  qu'on 
les  trouvera  fupérieurs  à  ceux  que  M.  Frifch  a  fiit 
publier  en  Ailcmagne  *;  nous  pouvons  même  afTurer 
que  la  colIc<51ion  de  nos  planches  coloriées  l'emportera 
fur  toutes  les  autres  par  le  nombre  des  efpèces,  par 
la  fidélité  des  deffins ,  qui  tous  ont  été  faits  d'après 
nature ,  par  la  vérité  du  coloris ,  par  la  précifion  des 
attitudes;  on  verra  que  nous  n'avons  rien  négligé  pour 

*  Je  ne  parle  point  ici  des  planches  enluminc'es  qu'on  vient 
<Ie  faire  à  Florence  fur  une  Ornithologie  de  M.  Gerini  ;  ces 
planches,  qui  font  en  très -grand  nombre,  ne  m'ont  pas  paru 
faites  d'après  nature  ;  elles  prcfentent  ,  pour  la  plupart  ,  îles 
attitudes  forcées,  6\.  ne  femhlent  avoir  été  deflinées  cS:  peintes 
que  d'après  les  defcriptions  des  Auteurs.  Les  couleurs,  dès-lors, 
en  font  très- mal  diilribuées;  il  y  en  a  même  un  grand  nombre 
qui  ont  été  copiées  fur  les  gravures  de  diftérens  ou\ rages,  Sl 
qu'on  reconnoit  avoir  cté  calquées  fur  celles  de  M."  Edwards, 

Brin'on ,  &c On  peut  dire,  en  général,  que  cet  ouvrage 

bien  loin  d'éclaircir  iHilloire  naturelle  des  oifeaux  ,  la  rendroit 
bien  plus  confufe  par  le  grand  nombre  d'erreurs  de  nom ,  ôi.  par 
ia  multiplication  gratuite  des  efpèces ,  puifque  fou\ent  on  y 
trou\'e  quatre  ou  cinq  variétés  de  la  même  efpcce ,  qui  toutes 
font  données  pour  des  oifeaux  différens/ 


r'i'ij  Plan   de    l'Ouvrage. 

que  chaque  portrait  donnât  l'idée  nette  &  diilinde 
de  Ton  original.  L'on  reconnoîtra  par-tout  la  facilite 
du  talent  de  M.  Martinet,  qui  a  defTiné  (Se  gravé  tous 
ces  oileaux,  t?c  les  attentions  éclairées  de  M.  Dau- 
benton  le  jeune  qui ,  feul ,  a  conduit  cette  grande 
entrcprilc  ;  je  dis  grande  ,  par  fe  détail  immcnfe 
qu'elle  entraîne,  (Se  par  les  foins  continuels  qu'elle 
ruppofe  :  plus  de  quatre-vingts  artifles  (Se  ouvriers  ont 
été  employés  continuellement,  depuis  cinq  ans,  à  cet 
ouvrage ,  quoique  nous  l'ayons  reftreint  à  un  petit 
nombre  d'exemplaires  ;  vSc  c'elt  bien  à  regret  que 
nous  ne  l'avons  pas  multiplié  davantage.  L'Iiiftoire 
naturelle  des  animaux  quadrupèdes  ayant  été  tirée 
à  un  très-grand  nombre  en  France,  fans  compter  les 
éditions  étrangères,  c'eft  avec  une  forte  de  peine  que 
nous  nous  fommes  réduits  à  un  petit  nombre  d'exem- 
plaires pour  les  planches  coloriées  de  l'hifloirc  des 
oifeaux;  mais  tous  les  gens  d'art  fentiront  bien  l'im- 
poffibilité  de  faire  peindre  au  même  nombre  des 
planches,  ou  de  les  tirer  en  fim pie  gravure;  (Se  lorfque 
nous  avons  vu  qu'il  n'étoit  pas  pofTible  de  multiplier 
cette  collection  de  planches  enluminées,  autant  qu'il 
eût  été  néceffaire  pour  en  garnir  tous  les  exemplaires 
imprimés ,  nous  avons  pris  le  parti  de  ne  nous  plus 
aflreindre  au  format  des  animaux  quadrupèdes,  nous 
l'avons  agrandi  de  quelques  pouces  dans  la  vue  de 

donner 


Plan  de  l'Ouvrage.  h 

donner  à  un  plus  grand  nombre  d  oifeaiix  leur  gran- 
deur réelle  ;  tous  ceux  dont  les  dimeniions  n'excèdent 
pas  celles  du  format  des  planches  y  font  repréfentés 
de  grandeur  naturelle;  les  oifeaux  plus  grands  ont  été 
réduits  fur  une  échelle  ou  module  tracé  au-defTus  de 
la  figure  :  ce  module  eft  par-tout  la  douzième  partie 
de  la  longueur  de  Ibifeau,  mefuré  depuis  le  bout  du 
bec  jufqu  a  1  extrémité  de  la  queue  ;  fi  le  module  a 
trois  pouces  de  longueur,  Ibifeau  aura  trois  pieds;  s'ii 
n'efl  que  de  deux  pouces,  Ibifeau  fera  de  deux  pieds 
de  longueur;  (5c  lorfqubn  voudra  connoître  la  gran- 
deur des  parties  de  Ibifeau  ,  il  faudra  prendre  au 
compas  celle  du  module  entier  ou  d'une  partie  aliquote 
du  module ,  (Se  la  porter  enfuite  fur  la  partie  de 
Ibifeau  que  Ton  veut  mefurer.  Nous  avons  cru  cette 
petite  attention  néceffaire  pour  donner,  du  premier 
coup  d'œil,  une  idée  de  la  grandeur  de^  objets  réduits, 
6c  pour  qubn  puifTe  les  comparer  exacficment  avec 
ceux  qui  font  repréfentés  de  grandeur  naturelle. 

Nous  aurons  donc,  au  moyen  de  ces  gravures  en- 
luminées, non-feulement  la  repréfentation  exa(fle  d'un 
très-grand  nombre  dbifeaux,  mais  encore  les  indica- 
tions de  leur  grandeur,  (5c  de  leur  groffeur  réelle  Se 
relative;  nous  aurons,  au  moyen  des  couleurs,  une  def- 
cription  aux  yeux  plus  parfaite  (Se  plus  agréable  qu'il 
ne  feroit  poffible  de  la  faire  par  le  difcours,  (5c  nous 
Oifeaux,  Tome  I,  •       b 


K  Plan   de   l'Ouvrage. 

renverrons  fouvent  dans  tout  ie  cours  de  cet  ouvraç^e, 
à  ces  figures  coloriées  dès  qu  il  s'agira  de  defcription  , 
de  variétés  (5c  de  différences  de  grandeur,  de  couleur, 
(Sec.  Dans  le  vrai ,  les  planches  enluminées  font  faites 
pour  cet  Ouvrage,  (Se  l'ouvrage  pour  ces  planches; 
mais  comme  il  n'efl:  pas  pofîlblc  (Xnn  multiplier  afîcz 
les  exemplaires;  que  leur  nombre  ne  fuffit  pas  à  beau- 
coup près  à  ceux  qui  fe  font  procure  les  volumes 
précédcns  de  l'Hidoire  Naturelle,  nous  avons  penfé 
que  ce  plus  grand  nombre  qui  fait  proprement  ie 
Public,  nous  fauroit  gré  de  faire  auffi  graver  d'autres 
planches  noires,  qui  pourront  fe  multiplier  autant  qu'il 
fera  néceffaire;  (5c  nous  avons  choifi  pour  cela  un  ou 
deux  oifeaux  de  chaque  genre,  afin  de  donner  au 
moins  une  idée  de  leur  forme  (Se  de  leurs  principales 
différences:  j'ai  fait  faire,  autant  qu'il  a  été  polTible, 
les  deffms  de  ces  gravures  d'après  les  oifeaux  vivans  ; 
ce  ne  font  pas  les  mêmes  que  ceux  des  planches  en- 
luminées, (Se  je  fuis  perfuadé  que  le  Public  verra  avec 
piaifir,  qu'on  a  mis  autant  de  foin  à  CQS  dernières 
qu'aux  premières. 

Par  ces  moyens  (5c  ces  attentions,  nous  avons  fur- 
monté  \ts  premières  difficultés  de  la  defcription  d^s 
oifeaux;  nous  ne  comptons  pas  donner  abfolument  tous 
ceux  qui  nous  font  connus,  parce  que  le  nombre  de 
nos  planches  enluminées  eût  été  trop  confidérable  ; 


Plan  de   l' 0 uv rag e.  xJ 

nous  avons  même  fupprimé  à  deffcin  la  plupart  des 
variétés,  (ans  cela  ce  Recueil  deviendroit  immenfe. 
Nous  avons  penfé  qu'il  failoit  nous  borner  à  Gx  ou 
fept  cents  planches,  qui  contiendront  près  de  huit  ou 
neuf  cents  efpèces  d'oiieaux  différens;  ce  uqR  pas 
avoir  tout  fait,  mais c'efl déjà  beaucoup:  d'autres,  dans 
d'autres  temps  pourront  nous  compléter ,  ou  faire 
encore  plus  <Sc  peut-être  mieux. 

Après  les  difficultés  que  nous  venons  d'expofer  fur 
!a  nomenclature  ôc  fur  la  dcfcription  des  oifeaux,  if 
s'en  préfente  d'autres  encore  plus  grandes  fur  leur 
hilloire  :  nous  avons  donné  celle  de  chaque  cfpèce 
d'animal  quadrupède  dans  tout  le  détail  que  le  fujet 
exige;  il  ne  nous  eft  pas  pofTible  de  faire  ici  de  même: 
car,  quoiqu'on  ait  avant  nous  beaucoup  plus  écrit  fur 
les  oifeaux  que  fur  les  animaux  quadrupèdes,  leur  hif- 
toire  n'en  ell:  pas  plus  avancée.  La  plus  grande  partie 
des  ouvrages  de  nos  Ornitholooues,  ne  contiennent 
que  des  defcriptions,  (3c  fouvcnt  fe  réduifcnt  à  une 
fimple  nomenclature;  <5c  dans  le  très-petit  nombre  de 
ceuK  qui  ont  joint  quelques  faits  hifloriques  à  leur 
defcription,  on  ne  trouve  guère  que  des  chofes  com- 
munes, aifées  à  obferver  fur  les  oifeaux  de  chaiïe  <3c 
de  balTe-cour.  Nous  ne  connoifTons  que  très-imparfai- 
tement les  habitudes  naturelles  des  autres  oifeaux  de 
notre  pays,  6c  point  du  tout  celles  des  oifeaux  étrangers: 


xij  Plan   de   l'Ouvrage. 

à    force  cictudes    (5c    de    comparaifons,    nous  avons 
au    moins  trouvé  dans  les  animaux  quadrupèdes  des 
faits  généraux    &l  des  points  fixes,   fur  lefquels  nous 
nous  fomnies  fondés,  pour  faire  leur  hilloire  particu- 
iière:  la  divifion  des  animaux   naturels  &  propres  à 
chaque  continent,  a  fouvent  été  notre  bouflble  dans 
cette  mer  dobfcurité,  qui  fembloit  environner  cette 
belle  6c  première  partie  de  l'Hilloire  Naturelle;  enfuiie 
ies  climats  dans  chaque  continent  que  les  animaux  qua- 
drupèdes affectent  de  préférence  ou  de  nécefTité ,  iSc  les 
lieux  où  ils  paroiffent  conflamment  attachés,  nous  ont 
fourni  des  moyens  d'être  mieux  informés,  6c  des  renfei- 
gnemens  pour  être  plus  inflruits:  tout  cela  nous  manque 
dans  les  oifeaux,  ils  vovaoent  avec  tant  de  facilité  de 
provinces  en  provinces,  6c  fe  tranfportent  en  fi  peu 
de  temps  de  climats  en  climats,  qu'à  l'exception  de 
quelques  efpèces  d'oifeaux  pefans  ou  fédentaires,  il  efl 
à  croire  que  les  autres  peuvent   pafTer  d'un  continent 
à  l'autre;  de  forte  qu'il  cil  bien  difficile,  pour  ne  pas 
dire  impoffible,  de  rcconnoître  les  oifeaux  propres  6c 
naturels  à  chaque  continent,  6c  que  la  plupart  doivent 
fe  trouver   également   dans  tous  deux,  au  lieu   qu'il 
n'exide  aucun  quadrupède    des   parties   méridionales 
d'un  continent  dans  l'autre.  Le  quadrupède   efl  forcé 
de  fubir  les  loix  du  climat  fous  lequel  il  efl  né,  l'oifeau 
s'y  faudrait  ôi  en  devient  indépendant  par  la  faculté 


Plan  de   l'Ouvrage.  x'ùj 

de  pouvoir  parcourir  en  peu  de  temps  des  efpaces 
très-grands,  il  n obéit  qu'à  la  faifon;  6c  cette  faifon 
qui  lui  convient  fe  retrouvant  lliccefTivement  la 
même  dans  les  différens  climats,  il  les  parcourt  aufTi 
fuccefilvement;  en  forte  que  pour  lavoir  leur  hifloire 
entière,  il  faudroit  les  fuivre  par-tout,  (5<:  commencer 
par  s'afTurer  des  principales  circonilances  de  leurs 
voyages;  connoître  les  routes  qu'ils  pratiquent,  les  lieux 
de  repos  où  ils  gîtent,  leur  féjour  dans  chaque  climat, 
&  les  obferver  dans  tous  ces  endroits  éloignés:  ce  nell: 
donc  qu'avec  le  temps,  &  je  puis  dire  dans  la  fuite  des 
fiècles,  que  l'on  pourra  donner  Ihilloire  des  oifeaux 
auiïi  complètement,  que  nous  avons  donné  celle  d^s 
animaux  quadrupèdes.  Pour  le  prouver,  prenons  un 
feul  oifeau,  par  exemple,  ThirondcIIe,  celle  que  tout 
le  monde  connoît,  qui  paroît  au  printemps,  difparoît 
en  automne,  cSc  fait  fon  nid  avec  de  la  terre  contre  hs 
fenêtres  ou  dans  les  cheminées;  nous  pourrons,  en  les 
obfervant,  rendre  un  compte  fidèle  (Se  afTez  exacfl  de 
leurs  mœurs,  de  leurs  habitudes  naturelles,  <Sc  de  tout 
ce  quelles  font  pendant  les  cinq  ou  ilx  mois  de  leur 
féjour  dans  notre  pays;  maison  ignore  tout  ce  qui  leur 
arrive  pendant  leur  abfence,  on  ne  fait  ni  où  elles  vont 
ni  d'où  elles  viennent;  il  y  a  des  témoignages  pour  &i 
contre  au  fujet  de  leurs  migrations  ;  les  uns  affurent 
qu'elles  voyagent  6l  fe  tranfportent  dans  les  pays  chauds 

b  lij 


xiy  Plan   de   l'Ouvrage. 

pour  y  paiïer  le  temps  de  notre  hiver;  les  autres  pré- 
tendent qu'elles  fe  jettent  dans  les  marais,  &  qu'elles  y 
demeurent  engourdies  jufqu'au  retour  du  printemps;  &. 
ces  faits,  quoique  directement  oppofés,  paroifTent  néan- 
moins également  appuyés  par  des  obfervations  réitérées: 
comment  tirer  ia  vérité  du  fein  de  ces  contradictions! 
comment  la  trouver  au  milieu  de  ces  incertitudes!  j'ai 
fait  ce  que  j'ai  pu  pour  la  démêler;  &  l'on  jugera  par 
îes  foins  qu'il  faudroit  fc  donner  6c  les  recherches  qu'il 
faudroit  faire  pour  éclaircir  ce  feul  fait,  combien  il 
feroit  difficile  d'acquérir  tous  ceux  dont  on  auroit  be- 
foin  pour  faire  Thilloire  complète  d'un  fcul  oifeau  de 
pafîage,  6:  à  plus  forte  raifon  l'hilloire  générale  des 
voyages  de  tous. 

Comme  j'ai  trouvé  que  dans  \qs  quadrupèdes  il  y  a 
des  efpèces  dont  le  fan  g  fe  refroidit  (5c  prend  à  peu 
près  le  degré  de  la  température  de  l'air,  (5c  que  c'cft 
ce  rcfroidifTcment  de  leur  fang  qui  caufe  l'état  de 
torpeur  (5c  d'engoiirdiffcmcnt  où  ils  tombent  (5c  de- 
meurent pendant  fhiver;  je  n'ai  pas  eu  de  peine  à  me 
perfuadcr  qu'il  devoit  aufTi  fe  trouver  parmi  les  oifeaux, 
quelques  efpèces  fujettes  à  ce  même  état  d'engourdif- 
fement  caufé  par  le  froid,  il  me  paroiffoit  feulement 
que  cela  devoit  être  plus  rare  parmi  les  oifeaux,  parce 
qu'en  général,  le  degré  de  la  chaleur  de  leur  corps  cfl 
un  peu  plus  grand  que  celui  du  corps  de  l'homme  6c  des 


Plan   de   l'Ouv rag e.  av 

animaux  quadrupèdes;  j'ai  donc  fait  des  recherches  pour 
connoîrre  quelles  peuvent  être  ces  efpèces  fujettes  à  l'en- 
gourdi (Tement,  <5c  pour  favoir  fi  l'hirondelle  étoit  du 
nombre;  j'en  ai  fait  enfermer  quelques-unes  dans  une 
glacière  où  je  les  ai  tenues  plus  ou  moins  de  temps,  elles 
ne  s'y  font  point  engourdies,  la  plupart  y  font  mortes, 
<5c  aucune  n'a  repris  de  mouvement  aux  rayons  du  folcil  : 
les  autres  qui  n'avoient  fouffert  le  froid  de  la  glacière  que 
pendant  peu  de  temps,  ont  confcrvé  leur  mouvement 
&  en  font  forties  bien  vivantes.  J'ai  cru  devoir  con- 
clure de  ces  expériences,  que  cette  efpèce  d'hirondelle 
n'efi:  point  fujette  à  l'état  de  torpeur  ou  d'engourdilTe- 
ment,  que  fuppofe  néanmoins  tSc  très-nécefïairement 
le  fait  de  leur  féjour  au  fond  de  l'eau  pendant  l'hiver: 
d'ailleurs  m'etant  informé  auprès  de  quelques  Voya- 
geurs dignes  de  foi,  je  les  ai  trouvés  d'accord  fur  le 
paiïage  des  hirondelles  au-delà  de  la  Méditerranée;  (3c 
M.  Adanfon  m'a  pofitivement  affuré  que  pendant  le 
féjour  affez  long  qu'il  a  fait  au  Sénégal,  il  avoit  vu 
conflamment  les  hirondelles  à  longue  queue,  c'eft-à- 
dire  nos  hirondelles  de  cheminée  dont  il  eft  ici  quef- 
îion,  arriver  au  Sénégal  dans  la  faifon  même  où  elles 
partent  de  France,  6c  quitter  les  terres  du  Sénéoal  au 
printemps:  on  ne  peut  donc  guère  douter  que  cette 
efpèce  d'hirondelle  ne  paffe  en  effet  d'Europe  en 
Afrique  en   automne,   &^  d'Afrique  en   Europe  au 


A'îy  Plan   de   l'O uv rag e, 

printemps;  par  conféquent,  elle  ne  s'engourdit  pas  ni 
ne  fe  cache  dans  des  trous,  ni  ne  fe  jette  dans  Icau  à 
rapproche  de  l'hiver;  d'autant  qu'il  y  a  un  autre  fait, 
dont  je  me  fuis  aiïliré,  qui  vient  à  l'appui  des  précé- 
dens,  (Se  prouve  encore  que  cette  hirondelle  n  efl  point 
fu/ette  à  lengourdiffement  par  le  froid,  iSc  qu'elle  en 
peut  fupporter  la  rigueur  jufqu'à  un  certain  degré  au- 
delà  duquel  elle  périt;  car  fi  l'on  obfcrve  ces  oifeauK 
quelque  temps  avant  leur  départ,  on  les  voit  d'abord 
vers  la  fin  de  la  belle  faifon  voler  en  flimille,  le  père, 
ia  mère  &.  les  petits  ;  enfuite  plufieurs  familles  fe 
réunir  &  former  fucceffivement  des  troupes  d'autant 
plus  nombreufes  que  le  temps  du  départ  eft  plus  pro- 
chain, partir  enfin  prefque  toutes  enfemble  en  trois 
ou  quatre  jours  à  la  fin  de  feptembre  ou  au  commen- 
cement d'odlobre  :  mais  il  en  refle  quelques-unes ,  qui 
ne  partent  que  huit  jours,  quinze  jours,  trois  femaincs 
après  les  autres;  &.  quelques-unes  encore  qui  ne  partent 
point  (Se  meurent  aux  premiers  grands  froids;  ces  hi- 
rondelles qui  retardent  leur  voyage,  font  celles  dont 
les  petits  ne  font  pas  encore  affez  forts  pour  les  fuivre. 
Celles  dont  on  a  détruit  plufieurs  fois  les  nids  après  fa 
ponte,  (Se  qui  ont  perdu  du  temps  à  les  reconflruire  (5c 
à  pondre  une  féconde  ou  une  troifième  fois,  demeurent 
par  amour  pour  leurs  petits,  (5c  aiment  mieux  Couvrir 
i'intempérie  de  la  faifon  que  de  hs  abandonner;  ainfi 

elles 


Plan  de  l! Ouv rag ë.  xylj 

elles  ne  partent  qu'après  les  autres,  ne  pouvant  emmener 
plus  tôt  leurs  petits,  ou  même  elles  reflent  au  pays 
pour  y  mourir  avec  eux. 

II  paroît  donc  bien  démontre  par  ces  faits,  que  les 
hirondelles  de  cheminée  paffcnt  fuccelllvement  cK  alter- 
nativement de  notre  ch'mat  dans  un  ch'mat  plus  chaud; 
dans  celui-ci,  pour  y  demeurer  pendant  l'été,  6c  dans 
l'autre  pour  y  pafTcr  l'hiNcr;  (3c  que  par  conféquent 
elles  ne  s'engourdident  pas.  Mais,  d'autre  côté,  que 
peut-on  oppofer  aux  témoignages  aflez  précis  des  gens 
qui  ont  vu  des  hirondelles  s'attrouper  (5c  fe  jeter  dans 
les  eaux  à  l'approche  de  l'hiver,  qui  non-fcuIement  les 
ont  vu  s'y  jeter,  mais  en  ont  vu  tirer  de  l'eau,  (Se 
même  de  defTous  la  glace  avec  des  filets!  que  répondre 
à  ceux  qui  les  ont  vu  dans  cet  état  de  torpeur,  re- 
prendre peu  à  peu  le  mouvement  (5c  la  vie  en  les 
mettant  dans  un  lieu  chaud,  t5c  en  les  approchant  du 
feu  avec  précaution  !  je  ne  trouve  qu'un  moyen  de 
concilier  ces  faits;  c'ell  de  dire  que  l'hirondelle  qui 
s'engourdit  n'cll  pas  la  même  que  celle  qui  voyage, 
que  ce  (ont  deux  efpèces  différentes  que  Ton  n'a  pas 
diflinguées  faute  de  les  avoir  foigneufement  comparées. 
Si  les  rats  (5c  les  loirs  étoient  des  animaux  aufh  fugitifs 
(5c  audi  difficiles  à  obferver  que  les  hirondelles ,  (5c 
que  faute  de  les  avoir  regardés  d'affez  près,  l'on  prît 
ies  loirs  pour  des  rats ,  il  fc  trouveroit  la  même 
Oifeaux ,  Terne  I.  .  c 


xvii;  Plan   de   l' Ouv rag e. 

contradidion  entre  ceux  qui  afTurcroient  que  les  rats 
s'engourdifTent   6:   ceux   qui   fouliendroient  qu'ils  ne 
s'engourdiffent  pas  ;   cette  erreur  eft  afTez  naturelle , 
6c  doit  être  d'autant    p^Ius  fréquente  que  les  chofcs 
font  moins  connues,  plus  éloignées,  plus  difficiles  à 
obferver.    Je  préfume   donc  qu'il  y  a  en  effet  une 
efpèce  d'oifeau ,  voifine  de  celle  de  l'hirondelle ,  &i 
peut-être  aulTi  reffcmbiantc  à  l'hirondelle  que  le  loir 
l'eff  au  rat,  qui  s'engourdit  en  effet;  (5<.  c'cff  vraifem- 
hlabîement  le  petit  martinet  ou  peut-être  l'hirondelle 
de    rivage.    II    faudroit  donc  faire   fur    ces  efpèces, 
pour  reconnoître  fi  leur  fang  fe  refroidit,  les  mêmes 
expériences  que  j'ai  faites  fur  riiirondclle  de  cheminée; 
ces  recherches  ne   demandent ,  à  la  vérité  ,  que  des 
foins  (Se  du  temps,  mais  malheureufement  le  temps  eff 
de  toutes  les  chofcs  celle  qui  nous  appartient  le  moins 
&.  nous  manque  le  plus  :  quelqu'un  qui  s'appliqueroit 
uniquement  à  obferver  les  oifeaùx,  &  qui  fe  devoue- 
roit  même  à  ne  faire  que  fhiffoire  d'un  feul  genre, 
feroit  forcé  d'employer  plu  fleurs  années  à  cette  efpèce 
de  travail ,    dont  le  réfultat  ne  feroit  encore  qu'une 
très -petite  partie  de  l'hiffoire  générale  des  oifeaux: 
car,  pour  ne  pas  perdre  de  vue  l'exemple  que  nous 
venons  de  donner,  fuppofons  qu'il   foit  bien  certain 
que  l'hirondelle  voyageufe  paffe  d'Europe  en  Afrique; 
6c  pofons  en  même  temps  que  nous  ayons  bien  obfervé 


Plan  de   l'Ouvrage,  x'^i 

tout  ce  qu'elle  fait  pendant  Çon  iejour  dans  notre 
climat,  que  nous  en  ayons  bien  rédigé  ies  faits,  il 
nous  manquera  encore  tous  ceux  qui  fe  paflcnt  dans 
fe  climat  éloigné  ;  nous  ignorons  il  ces  oiienux  y 
nichent  <?c  pondent  comme  en  Europe  ;  nous  ne 
favons  pas  s'ils  arrivent  en  plus  ou  moins  grand  nombre 
qu'ils  en  font  partis  ;  nous  ne  connoiffons  pas  quels 
font  les  infecles  fur  lefquels  ils  vivent  dans  cette  terre 
étrangère;  ies  autres  circonAances  de  leur  voyage,  de 
leur  repos  en  route,  de  leur  féjour,  font  également 
ignorées,  en  forte  que  l'hiftoire  naturelle  des  oifeaux, 
donnée  avec  autant  de  détail  que  nous  avons  donné 
l'hirtoire  d^s  animaux  quadrupèdes,  ne  peut  être  l'ou- 
vrage d'un  feul  homme,  ni  même  celui  de  plufieurs 
hommes  dans  le  même  temps,  parce  que  non-feule- 
ment le  nombre  des  chofes  qu'on  ignore  eft  bien  plus 
gr:\nà  que  celui  d^s  choses  que  Y  on  Hiit,  mais  encore 
parce  que  ces  mêmes  chofes  qu'on  ignore  font  prefque 
impofTiblcs  ou  du  moins  très -difficiles  à  favoir;  (5c 
que,  d'ailleurs,  comme  la  plupart  font  petites,  inutiles 
ou  de  peu  de  confequence,  les  bons  efprits  ne  peu- 
vent manquer  de  les  dédaigner  ,  <5c  cherchent  à 
s'occuper  d'objets  plus  grands  ou  plus  utiles. 

C'eft  par  toutes  ces  confi dérations  que  j'ai  cru  devoir 
me  former  un  plan  différent  pour  l'hifloire  d^s  oifeaux 
de  celui  que  je  me  fuis  propofé,  (5c  que  j'ai  tâché  de 

cij 


XX  Plan   de   l'Ouvrage. 

remplir  pour  l'hiiloire  des  quadrupèdes:  au  lieu  de 
traiter  les  cifcnux  un  à  un,  c'efl-à-drre,  par  efpèces 
dillinc'les  (5c  féparées,  je  les  réunirai  plufieurs  enfemblc 
fous  ww  même  genre,  fans  cependant  (es  confondre  (Se 
renoncer  à  les  dillin^uer  lorfciueiles  pourront  letre; 
par  ce  moyen,  j'ai  beaucoup  abrégé,  (?c  j'ai  réduit  à 
une  aiïez  petite  étendue  cette  hidoire  des  oifeaux  qui 
feroit  devenue  trop  voiumineufe,  fi  d'un  côté  j'eufle 
traité  de  chaque  ef[}èce  en  particulier  en  me  livrant 
aux  difcufilons  de  la  nomenclature,  (Se  que  d'autre  côté 
je  n'euffe  pas  fupprimé,  par  le  moyen  (\^s  couleurs,  la 
plus  grande  partie  du  long  dii'cours  qui  eût  été  nécef 
faire  pour  chaque  dcfcription.  II  n'y  aura  donc  guère 
que  les  oifeaux  domefliques  (Se  quelques  efpèces  ma- 
jeures, ou  particulièrement  remarquables,  que  je  trai- 
terai par  articles  feparés.  Tous  les  autres  oifeaux,  fur-tout 
ies  plus  petits,  feront  réunis  avec  les  efpèces  voifines, 
(Se  préfentés  enfemble,  comme  étant  à  peu  près  du 
même  naturel  (Se  de  la  même  famille;  le  nombre  des 
afllnites  connue  celui  des  variétés  eil  toujours  d'autant 
plus  grand  que  \^s  efpèces  font  plus  petites.  Un  mor- 
neau ,  une  fauvette  ont  peut-être  chacun  vingt  fois 
plus  de  parens  que  n'en  ont  l'autruche  ou  le  dindon; 
j'entends  par  le  nombre  de  parens ,  le  nombre  des 
efpèces  Yoifmes  (S:  afiez  rcffemblantes  pour  pouvoir 
être  regardées  comme  des  branches  collatérales  d'une 


Plan   de   l'Ouvrage.         xx) 

inême  tige,  ou  dune  tige  fi  voifinc  d'une  autre,  qu'on 
peut  leur  fuppofer  une  louche  commune,  &  préfumer 
que  toutes  font  originairement  ifTues  de  cette  même 
Touche  à  laquelle  elles  tiennent  encore  par  ce  grand 
nombre  de  reiïemblances  communes  entr'ellcs;  &  ces 
efpèces  voifines  ne  fe  font  probablement  fcparées  les 
unes  des  autres  que  par  les  influences  du  ch'mat,  de 
la  nourriture,  vSc  par  la  fuccefîion  du  temps  qui  amène 
toutes  les  combinaifons  pofllbles  tSc  met  au  jour  tous 
les  moyens  de  variété,  de  perfedion,  d'altération  ôi. 
de  déoénération. 

Ce  n'cll  pas  que  nous  prétendions  que  chacun  de 
nos  articles  ne  contiendra  réellement  6;  exclufivement 
que  les  efpèces  qui  ont  en  eflet  le  degré  de  parenté 
dont  nous  parlons,  il  faudroit  être  plus  inflruits  que 
nous  ne  le  Ibmmes,  (?c  que  nous  ne  pouvons  l'être, 
fur  les  effets  du  mélange  des  efpèces  6c  fur  leur  pro- 
duit dans  les  oifeaux  ;  car ,  indépendamment  des 
variétés  naturelles  &  accidentelles  qui,  comme  nous 
l'avons  dit,  font  plus  nombreufes,  plus  multipliées 
dans  les  oifeaux  que  dans  les  quadrupèdes,  il  y  a 
encore  une  autre  caufe  qui  concourt  avec  ces  variétés 
pour  augmenter,  en  apparence,  la  cjuantité  des  efpèces. 
Les  oiiéaux  font,  en  général,  plus  chauds  6c  plus 
prolifiques  que  les  animaux  quadrupèdes,  ils  s'uniffent 
plus  fréquemment ,  6c  lorfqifils  manquent  de  femelles 

c  ïij 


xxij         Plan   de   l'Ouvrage. 

de  leur  efpèce,  ils  fe  mêlent  plus  volontiers  que  les 
quadrupèdes  avec  les  efpèces  voifines ,  <3c  produifent 
ordinairement  des  métis  féconds  <5c  non  pas  des  mulets 
flérilcs:  on  le  voit  par  les  exemples  du  chardonneret, 
du  tarin  &i  du  fcrin;  les  métis  qu'ils  produifent  peu- 
vent, en  s'unifTant,  produire  d'autres  individus  fem- 
blables  à  eux,  (5c  former  par  conféqucnt  de  nouvelles 
efpèces  intermédiaires  6c  pius  ou  moins  reffemblantes 
à  celles  dont  elles  tirent  leur  origine.  Or,  tout  ce 
que  nous  faifons  par  art  peut  fe  faire ,  (5c  se(ï  fait 
mille  <5c  mille  fois  par  la  Nature;  il  efl  donc  Couvent 
arrivé  des  mélanges  fortuits  (Se  volontaires  entre  les 
animaux,  (S:  fur-tout  parmi  les  oifeaux  qui,  fou  vent, 
faute  de  leur  femelle  fe  fervent  du  premier  mâle  qu'ils 
rencontrent  ou  du  premier  oifeau  qui  fe  préfente: 
Je  bcfoin  de  s'unir  d\  chez  eux  d'une  nécefîîté  fi  pref- 
faute,  que  la  plupart  font  malades  (5c  meurent  lorfqu'on 
les  em.pcche  d'y  fatisfaire.  On  voit  fouvent  dans  les 
baffe -cours  un  coq  fcvré  de  poules,  fe  fervir  d'un 
autre  coq,  d'un  chapon,  d'un  dindon,  d'un  canard; 
on  voit  le  faifan  fe  fervir  de  la  poule,  on  voit  dans 
les  volières  le  ferin  (5c  le  chardonneret,  le  tarin  (5c  le 
ferin ,  le  linot  rouoe  &  la  linotte  commune  fe  cher- 
cher  pour  s'unir  :  <5c  qui  fait  tout  ce  qui  fe  paffe  en 
amour  au  fond  des  bois  !  qui  peut  nombrer  les 
jouiflances  illégitimes  entre  gens  d'efpèces  différentes! 


Plan  de  l'Ouvrage.         xxHJ 

qui  pourra  jamais  fcparer  toutes  les  branches  bâtardes 
des  tiges  légitimes,  affigner  le  temps  de  leur  première 
origine ,  déterminer  en  un  mot  tous  les  efFets  des 
puiffances  de  la  Nature  pour  la  multiplication ,  toutes 
fes  reiïburces  dans  le  befoin,  tous  les  fupplémens  qui 
en  réfultent,  &.  qu'elle  fait  employer  pour  augmenter 
le  nombre  des  efpèces  en  rempliffant  les  intervalles  qui 
femblent  les  féparer  ! 

Notre  ouvrage  contiendra  à  peu  près  tout  ce  qu'on 
fait  des  oifeaux,  &  néanmoins  ce  ne  fera  comme  l'on 
voit  qu'un  fommafre  ou  plutôt  une  efquiiïè  de  leur 
hiltoire;  feulement  cette  efquiffe  fera  la  première  qu'on 
ait  faite  en  ce  genre,  car  les  ouvrages  anciens  &.  nou- 
veaux ,  auxquels  on  a  donné  le  titre  cY/iiJIoire  des 
Oîfcaux ,  ne  contiennent  prefque  rien  d'hillorique  ; 
toute  imparfaite  que  fera  notre  hiiloire,  elle  pourra 
fervir  à  la  poilérité  pour  en  faire  une  plus  complète  (?c 
meilleure,  je  dis  à  la  poflérité;  car  je  vois  clairement 
qu'il  fe  paffera  bien  des  années  avant  que  nous  foyons 
auiïi  inflruits  fur  les  oifeaux  que  nous  le  (bmmes  aujour- 
d'hui fur  les  quadrupèdes.  Le  feul  moyen  d'avancer 
l'Ornithologie  hillorique  feroit  de  faire  ïh'ido'ivc  parti- 
culière des  oifeaux  de  chaque  pays;  d'abord  de  ceux 
d'une  feule  province,  enfuite  de  ceux  d'une  province 
voifne,  puis  de  ceux  d'une  autre  plus  éloignée;  réunir, 
après  cela,  ces  hilloires  particulières  pour  compofer 


xxiu         Plan   de   l'Ouvrage. 

celle  de  tous  les  oifeaux  d'un  même  climat  ;  faire  Li 
même  chofe  dans  tous  les  pays  &  dans  tous  les  différcns 
climats;  comparer  enfuite  ces  hirtoires  particulières,  les 
combiner  pour  en  tirer  les  faits  &  former  un  corps  entier 
de  toutes  ces  parties  féparécs.  Or,  qui  ne  voit  que  cet 
ouvrage  ne  peut  être  que  le  produit  du  temps!  quand  y 
aura-t-il  des  Obfervateurs  qui  nous  rendront  compte  de 
ce  que  font  nos  hirondelles  au  Sénégal  (5c  nos  cailles  en 
Barbarie  !  qui  feront  ceux  qui  nous  informeront  des 
mœurs  des  .oifeaux  de  la  Chine  ou  du  Monomotapa!  & 
comme  je  l'ai  déjà  fait  fentir,  cela  ^{\-\\  afTez  important, 
affez  utile  pour  que  bien  d^s  gens  s'en  inquiètent  ou  s'en 
occupent  î  Ce  que  nous  donnons  ici  fervira  donc  long- 
temps comme  une  bafe  ou  comme  un  point  de  rallie^ 
ment  auquel  on  pourra  rapporter  les  faits  nouveaux  que 
le  temps  amènera.  Si  l'on  continue  d'étudier  &  de  cultiver 
i'hirioire  naturelle,  les  faits  fe  multiplieront,  lesconnoif- 
fances  augmenteront;  notre  efquiffe  hiftorique,  dont 
nous  n'avons  pu  tracer  que  les  premiers  traits,  fc  remplira 
peu-à-peu  &  prendra  plus  de  corps;  ceft  tout  ce  que 
nous  pouvons  attendre  du  produit  de  notre  travail ,  & 
c'ell  peut-être  trop  efpérer  encore  &  en  même  temps 
trop  nous  étendre  fur  fon  peu  de  valeur. 


HISTOIRE 


HISTOIRE 

NATURELLE. 


DISCOURS 

SUR  LA  NATURE  DES  OISEAUX. 


KmmmiaaÊmm^mmamamBgiim 


Vif  eaux,  Tome  L  .  A 


HISTOIRE 

NATURELLE. 

MKMKMMMMKKCMKMMKM)XCMMMMKCMX 

Discours  fur  la  nature  des  Oifeaiix. 

JL  E  mot  Nature  a  dans  notre  langue  6c  dans  la 
plupart  des  autres  idiomes  anciens  6c  modernes ,  deux 
acceptions  très-différentes;  l'une  fuppofe  un  fens  adif 
6c  général;  lorfqu'on  nomme  la  Nature  purement  & 
fimplement,  on  en  fait  une  efpèce  d'être  idéal ,  auquel 
on  a  coutume  de  rapporter,  comme  caufe,  tous  les 
effets  conftans,  tous  les  phénomènes  de  l'Univers; 
l'autre  acception  ne  préfente  qu'gn  fens  paffif  6c  par- 

Aij 


4  Discours 

ticulier,  en  forte  que  iorfqu'on  parle  de  la  nature  de 
l'iiomme,  de  celle  des  animaiiv,  de  celle  des  oifeaiix, 
ce  mot  fignifie,  ou  plutôt  indique  <5:  comprend  dans  fa 
fjgnification  la  quantité  totale,  la  fomme  des  qualités  dont 
îa  Nature,  prife  dans  la  première  acception,  a  doué 
l'homme,  les  animaux,  les  oifeaux,,<Scc.  Ainfi  la  nature 
aétive  ,  en  produifant  les  êtres,  leCir  imprime  wn  ca- 
ractère particulier  qui  fait  leur  ?idtiire  propre  6:  paffne, 
de  laquelle  dérive  ce  qu'on  appelle  leur  naturel ,  leur 
hifl'mél  d<.  toutes  leurs  autres  hûhhiide s  ik  facilites  naturelles. 
Nous  avons  déjà  traité  de  la  nature  de  l'homme  (a) 
&  de  celle  des  animaux  quadrupèdes  (l) ,  la  nature 
des  oifeaux  demande  des  confidérations  particulières; 
6c  quoi(ju'à  certains  égards  elle  nous  foit  moins  connue 
que  celle  des.  quadrupèdes,  nous  tâcherons  néanmoins 
A'qkx  faifir  les  principaux  attributs,  &  de  la  préfenter 
fous  fon  véritable  afpeét,  c'eft-à-dire,  avec  les  traits 
caraélériHiques  &  généraux  qui  la  confîiuicnt. 

.  Le  fentiment  ou  plutôt  la  ficulté  de  fentir,  Tindin^l 
qui  n'cft  que  le  réfultat  de  cette  faculté,  &^  le  naturel 
qui  n'efl  que  Texercice  habituel  de  l'indinél  guidé  <& 
même  produit  par  le  fentiment,  ne  font  pas»  à  beau- 
coup près,  les  mêmes  dans  les  différens  ctres,  ces 
qualités  intérieures  dépendent  de  Torganifation  er.  gé- 
néral, (Se  en  particulier  de  celle  des  fens,  <Sc  elles  font 
ïcjatives,  non-feulement  à  leur  plus  ou  moins  grand 

•     (ûj  Hift.  nat.  gen.  &  part,  tome  II ,  poge  ^^  g  ù"  Juhantes* . 
(h)  Idem ,  tom^  IV)  p^g^  i  Ù"  fuiyahUs., 


SUR   LA   NATURE   DES   OiSEAVX.  5 

cfcgré  de  pcrfc61ion ,  mais  encore  à  l'ordre  de  fupc- 
riorité  que  met  entre  les  fens  ce  degré  de  perfedion 
ou  d'imperfection.  Dans  l'homme  où  tout  doit  être 
jugement  <Sc  railbn ,  le  fcns  du  toucher  ed  plus  parfait 
que  dans  l'animal  où  il  y  a  moins  de  jugement  que 
de  feniiment,  &i  au  contraire  l'odorat  efl  plus  parfait 
dans  l'animal  que  dans  l'homme,  parce  que  le  touciur 
e[\  le  fcns  de  la  connoifTance,  &  que  l'odorat  ne  peut 
ctre  que  celui  du  lentiment.  Mais  comme  peu  de 
gens  diftingucnt  nettement  les  nuances  qui  féparent  les 
idées  Si.  les  fenfations,  la  connoifTance  &  le  fentiiaent, 
Ja  raifon  &i  l'inflind,  nous  mettrons  à  part  ce  que 
nous  appelons  chez  nous  nvfoîmcJneîn ,  difccriiemcnt , 
jugement ,  ôc  nous  nous  hornerons  à  comparer  les  diffé- 
rens  produits  du  Hmple  fentiment,  Si  à  rechercher  les 
caufes  de  la  diverfité  de  l'inflincl  qui,  quoique  varié 
à  l'infini  dans  le  nombre  immenfe  des  cfpèces  d'ani- 
maux qui  tous  en  font  pourvus,  paroit  néanmoins  être 
plus  confiant,  plus  uniforme,  pkis  régulier  ,  moins 
capricieux,  moins  fujct  à  l'erreur  que  ne  l'efl  la  raifoa 
dans  la  feule  efpèce  qui  croit  la  pofféder. 

En  comparant  les  fens  qui  font  les  premières  puif- 
fances  motrices  de  l'inflinél  dans  tous  les  animaux, 
nous  trouverons  d'abord  que  le  fens  de  la  vue  efl 
plus  étendu,  plus  vif,  plus  net  Si  plus  diflinél  dans 
Jes  oifeaux  en  général  que  dans  les  quadrupèdes; 
je  dis  en  général,  parce  qu'il  paroit  y  avoir  des 
exceptions  des  oileaux  qui,  comme  les  hibous,  voyent 

A  iij 


H 


6  Discours 

moins  qu'aucun  des  quadrupèdes;  mars  c'ell  un  efFef 
particulier  que  nous  examinerons  à  part ,  d'autant  que 
fi  ces  oifeaux  voyent  mal  pendant  le  jour,  ils  voyent 
très-bien  pendant  la  nuit,  &  que  ce  n'efl  que  par  \\ï\ 
excès  de  fenfibilité  dans  l'organe  ,  qu'ils  cefTent  de 
A'oir  à  une  grande  lumière  :  cela  même  vient  à  l'appui 
de  notre  afTertion,  car  la  perfedion  d'un  fens  dépend 
principalement  du  degré  de  fa  fenfibilité;  6c  ce  qui 
prouve  qu'en  effet  l'œil  efl  plus  parfait  dans  Toifeau  , 
c'efl  que  la  Nature  l'a  travaillé  davantage.  Il  y  a, 
comme  l'on  fait,  àcux  membranes  de  plus,  l'une 
extérieure  ôl  l'autre  intérieure,  dans  les  yeux  de  tous 
les  oifeaux,  qui  ne  fe  trouvent  pas  dans  l'homme;  la 
première  fcj ,  c'efl -à -dire,  la  plus  extérieure  de  ces 
membranes  efl  placée  dans  le  grand  angle  de  l'oeil, 
c'efl  une  féconde  paupière  plus  tranfparente  que  la 
première,  dont  les  mouvemens  obéiffent  également  à 
la  volonté,  dont  l'ufage  eu  de  nétoyer  (Se  polir  la 
cornée,  <5c  qui  leur  fert  auffi  à  tempérer  l'excès  de  la 
lumière,  <Sc  ménager  par  conféquent  la  grande  fenfi- 
bilité de  leurs  yeux;  la  féconde  fdj  efl  fituée  au  fond 

(c)  Nota.  Cette  paupière  interne  Cç.  trouve  dans  plufieurs  animaux 
quadrupèdes;  mais,  dans  la  plupart,  elle  n'eft  pas  mobile  comme  dans 
les  oifeaux. 

(d)  Dans  les  yeux  d'un  coq  Indien,  le  nerf  optique,  qui  etoit  fitué 
fort  à  côté,  après  avoir  percé  la  fclérotique  &  la  choroïde,  s'élargifloit 
éc  formoit  un  rond ,  de  la  circonférence  duquel  il  partoit  pluljcurs 
fiieis  ooirs  qui  s'unifloient  pour  former  une  membrane ,  que  nous 


SUR    LA    NATURE   DES   Ol SEAUX.  J 

de  l'œil  ,  (5c  paroît  être  un  épanouifTement  du  nerf 
optique,  qui  recevant  plus  immédiatement  les  impref- 
fions  de  la  lumière,  doit  dès-lors  être  plus  aifément 
ébranlé,  plus  fenfible  qu'il  ne  Tell  dans  les  autres 
animaux,  &  c'efl  cette  grande  fenfibilité  qui  rend  la 
vue  des  oifeaux  bien  plus  parfaite  <5c  beaucoup  plus 
étendue.  Un  épervier  voit  d'en  haut,  6c  de  vingt  fois 
plus  loin  une  alouette  fur  une  motte  de  terre  ,  qu'un 
homme  ou  un  chien  ne  peuvent  l'apercevoir.  Un 
milan  qui  s'élève  à  une  hauteur  fi  grande  que  nous  le 
perdons  de  vue,,  voit  de  -  Jà  les  petits  lézards,  les 
mulots,  les  oifeaux,  (Se  choifjt  ctw\  fur  lefqucls  il  veut 
fondre,, <S<:  cette  plus  grande  étendue  dans  le  fens  de 
la  vue,  efl  accompagnée  d'une  netteté,  d'une  pré- 
cifion  tout  auffi  grandes,  parce  que  Torgane  étant  en 
même  temps  très  -  fouple  (Se  très  -  fenfible  ,  l'œil  fe 
renfle  ou  s'aplatit  ,  fe   couvre  ou   fe  découvre  ,   fe 

avons  trouv(^e  dans-  tous  les  oifeaux.  — Dans  les  yeux  de  l'autruche, 
le  nerf  opticjue  ayant  percé  la  fclérotique  &  la  choroïde,  fe  dilatoit 
&  formoit  une  efpèce  d'entonnoir  d'une  fubftance  (einblable  à  la 
ficnne  ;  cet  entonnoir  n'crt  pas  ordinairement  rond  aux  oifeaux ,  oii 
nous  avons  prcfque  toujours  trouvé  Textrémité  du  nerf  optique 
aj)Iaiie  &  comprimée  au-dedans  de  l'œil  :  de  cet  entonnoir  fonoit  une 
membrane  pliffée ,  faifant  comme  une  bourfe  qui  aboutiffoit  en  pointe. 
Cette  bourfe  ,  qui  étoit  large  de  fix  lignes  par  le  bas ,  à  la  fortie  du 
nerf  oj^tique,  &  qui  alloit  en  pointe  vers  le  haut,  étoit  noire,  mais 
d'un  nuire  noir  que  n'efl  celui  de  la  choroïde,  qui  paroît  comme, 
enduite  d'une  couleur  détrempée  qui  s'attache  aux  doigts;  car  c'étoif 
une  membrjne  pénétrée  de  fi  couleur,  &  dont  la  furface  étoit  folidc- 
Mim.  pour fen'ir  à  l'HiJl*  des  animaux ,  pages  ly^  ^  3  ^S" 


s  Discours 

rctrccit  ou  s'élargit,  &i  prend  aifément,  promptemcnft 
<?c  alternativement  toutes  les  formes  néccfïïiires  pour 
agir  ÔL  voir  parfaitement  à  toutes  les  lumières  Sl  à 
toutes  les  diflances. 

D'ailleurs  le  fens  de  la  vue  étant  le  feul  qui  produife 
les  idées  du  mouvement,  le  feul  par  lequel  on  puifTe 
comparer  immédiatement  les  efpaces  parcourus  ;  Si  les 
oifeaux  étant  de  tous  les  animaux  les  plus  habiles,  les 
plus  propres  au  mouvement,  il  n'efl  pas  étonnant  qu'ils 
aient  en  même  temps  le  fens  qui  le  guide  plus  parfait 
&  plus  fur  ;  ils  peuvent  parcourir  dans  un  très  -  petit 
temps  un  grand  cfpace,  il  faut  donc  qu'ils  en  voyenC 
l'étendue  6i  même  les  limites.  Si  la  Nature,  en  leur 
donnant  la  rapidité  du  vol,  les  eût  rendus  myopes, 
ces  deux  qualités  euffent  été  contraires,  l'oifeau  n'au- 
roit  jamais  ofé  fe  fervir  de  fa  légèreté,  ni  prendre  \m 
effor  rapide,  il  n'auroit  fait  que  voltiger  lentement, 
dans  la  crainte  des  chocs  <Sc  des  réfiflances  imprévues. 
La  feule  vîtelTe  avec  laquelle  on  voit  voler  un  oifeau, 
peut  indiquer  la  portée  de  fa  vue,  je  ne  dis  pas  la 
portée  abfolue,  mais  relative;  un  oifeau  dont  le  vol 
ell  très-vif,  dire£l  &.  foutenu ,  voit  certainement  plus 
loin  qu'un  autre  de  même  forme,  qui  néanmoins  fe 
meut  plus  lentement  <5c  plus  obliquement;  ôl  fi  jamais 
la  Nature  a  produit  des  oifeaux  à  vue  courte  6c  à 
vol  très  -  rapide  ,  ces  efpèces  auront  péri  par  cette 
contrariété  de  qualités,  dont  l'une  non-feulement  em- 
fcche  l'exercice  de  l'autre ,  mais  expofe  l'individu  à 

des 


SUR  LA  NATUnE  DFS  OîSEAUX,  9 

des  rifques  fans  nombre,  d'où  l'on  doit  prérumer  que 
les  ojfeaux  dont  le  vol  efl  le  plus  court  &  le  plus 
ient,  font  ceux  aufTi  dont  la  vue  efl  la  moins  étendue  : 
comme  l'on  voit,  dans  les  quadrupèdes,  ceux  qu'on 
nomme  P^ireffèux  (l'unau  &.  l'aï)  qui  ne  fe  meuvent  que 
lentement,  avoir  \es  yeux  couverts  &.  la  vue  baiïe. 

L'idée  du  mouvement  &  toutes  les  autres  idées  qui 
l'accompagnent  ou  qui  en  dérivent,  telles  que  ceWes 
des  vîtefTes  relatives,  de  la  grandeur  dçs  efpaces ,  de 
la  proportion  des  hauteurs ,  des  profondeurs  <&:  des 
inégalités  des  iuvhccs  ,  font  donc  plus  nettes  ,  Se 
tiennent  plus  de  place  dans  la  tête  de  l'oifeau  que 
dans  celle  du  quadrupède;  6i  il  femble  que  la  Nature 
ait  voulu  nous  indiquer  cette  vérité  par  la  proportion 
qu'elle  a  mife  entre  la  grandeur  de  l'œil  cSc  celle  de 
la  tcte  :  car  dans  les  oifeaux  ,  les  yeux  font  pro- 
portionnellement beaucoup  plus  grands  fej  que  dans 
l'homme  &.  dans  les  animaux  quadrupèdes;  ils  font 
plus  grands,  plus  organifés ,  puifqu'il  y  a  deux  mem- 
branes de  plus,  ils  font  donc  plus  fenhbles;  <Sc  dès- 
lors   ce  fens  de  la  vue  plus   étendu ,  plus  diflin(5l  & 

^e)  Le  globe  de  l'œil,  dans  une  aigle  femelle,  avoit,  dans  la  plus 
grande  largeur ,  un  pouce  &  demi  de  diamètre  ;  celui  du  mâle  avoit 
trois  lignes  de  moins.  Aférn.  pour  fervïr  à  l'H'iJl.  des  animaux ,  partie  II, 
page  2  ^  j.  —  Le  globe  de  l'œil  de  l'ibis  avoit  fix  lignes  de  diamètre.... 
L'œil  de  la  cio-ognc  étoit  quatre  fois  plus  gros.  Jdim,  partie  III , 
page  48^.  —Le  globe  de  l'œil,  dans  le  caloar,  étoit  fort  gros  à 
proportion  de  la  cornée ,  ayant  un  pouce  &  demi  de  diamètre ,  &  U 
cornée  n'ayant  que  trois  lignes.  Idem,  partie  II,  page  jf/j. 

Oifeaux,  Tome  L  .      B 


10  Discours 

plus  vif  dans  i'oifeau  que  dans  le  quadrupède  ,  doî! 
influer  en  même  proportion  fur  l'organe  intérieur  du 
fentiment,  en  forte  que  l'inflinâ;  des  oifeaux  fera  par 
cette  première  caufe  modifié  différemment  de  celui 
des  quadrupèdes. 

Une  féconde  caufe  qui  vient  à  Tappui  de  la  pre- 
mière, c5c  qui  doit  rendre  l'inllind:  de  Toifcau  différent 
de  celui  du  quadrupède ,  c'efl  l'élément  qu'il  habite 
<5c  qu'il  peut  parcourir  fans  toucher  à  la  terre.  L'oifeau 
connoît  peut-être  mieux  que  l'homme  tous  les  degrés 
de  la  rcfiilance  de  l'air,  de  fa  température  à  différentes 
hauteurs,  de  fa  pcfnntcur  relative,  &c.  Il  prévoit  plus 
que  nous ,  il  indiqueroit  mieux  que  nos  baromètres 
&  nos  thermomètres  les  variations,  les  changemens 
qui  arrivent  à  CQi  élément  mobile;  mille  Sl  mille  fois 
il  a  éprouvé  fes  forces  contre  celles  du  vent,  <Sc  plus 
fouvent  encore  il  s'en  efl  aidé  pour  voler  plus  vite  <Sc 
plus  loin.  L'aigle  en  s'élevant  au-dcffus  des  nuages  (f), 

(f)  Noîû.  On  peut  démontrer  que  l'aigle,  &  les  autres  oifeaux  de 
haut  vol,  s'élèvent  à  une  hauteur  fupérieure  à  celle  des  nuages,  en 
panant  même  du  milieu  d'une  plaine,  &  ian5.  luppofer  qu'ils  gagnent 
les  montagnes  qui  pourroient  leur  iervir  d'échelons;  car,  on  les  voit 
s'élever  fi  haut  qu'ils  dilparoifleni  à  notre  vue.  Or,  l'on  fait  qu'un 
objet  éclairé  par  la  lumière  du  jour  ne  difparoît  à  nos  yeux  qu'à  la 
«iiilance  de  trois  mille  quatre  cents  trentc-fix  fois  fon  diamètre ,  3c 
que  par  conféquent  fi  l'on  fuppofe  l'oileau  placé  perpendiculairement 
au-defTus  de  l'homme  qui  le  regarde,  &  que  le  diamètre  du  vol  ou 
ï'envergure  de  cet  oifeau  foit  de  cinq  pieds,  il  ne  peut  dilparoître 
qu'à  la  djftauce  de  dix-fept  raille  cent  quatre  -  viiigts  pieds  ou  deuui 


SUR   LÀ    NATURE   DES   OiSEAUW         II 

peut  paffer  tout  -  à  -  coup  de  l'orage  dans  le  calme, 
jouir  d'un  ciel  ferein  <Sc  d'une  lumière  pure  ,  tandis 
que  les  autres  animaux  dans  l'ombre  font  battus  de  la 
tempête;  il  peut  en  vingt -quatre  heures  changer  de 
climat,  (5c  planant  au-defTus  des  diiïcrentes  contrées, 
s'en  former  un  tableau  dont  Tliomme  ne  peut  avoir 
d'idée.  Nos  plans  à  vue  d'oifeau,  c[u\  font  ù  \ongs ,  fi 
diffîcilesàfaire  avec  exactitude,  ne  nous  donnent  encore 
que  des  notions  imparfaites  de  l'inégahté  relative  des 
furfaces  qu'ils  repréfentent  :  l'oifeau  qui  a  la  puilfance 
de  fe  placer  dans  les  vrais  points  de  vue,  &  de  \es 
parcourir  promptement  6:  fuccefTivement  en  tout  fens, 
en  voit  pkis ,  d'un  coup  d'œil ,  que  nous  ne  pouvons 
en  eftimer,  en  juger  par  nos  raifonnemens,  même 
appuyés  de  toutes  les  combinaifons  de  notre  art;  &.  le 
quadrupède  borné  ,  pour  ainfi  dire  ,  à  la  motte  de 
terre  fur  laquelle  il  eft  né,  ne  connoît  que  fa  vallée, 
fa  montagne  ou  fa  plaine;  il  n'a  nulle  idée  de  l'en- 
femble  des  furfaces  ,  nulle  notion  des  grandes  d'iÇ" 
tances,  nul  defir  de  les  parcourir;  &  c'efl  par  cette 
raifon  que  les  grands  voyages  &  les  migrations  font 
aufTi  rares  parmi  les  quadrupèdes,  qu'elles  font  fré- 
quentes dans  les  oifeaux  ;  c'efl  ce  defir  ,  fondé  fur 
la  connoiffance  des  lieux  éloignés,  fur  la  puiffance 
qu'ils  fe  fentent  de  s'y  rendre  en  peu  de  temps ,  fur 

mille  huit  cent  foixante  -  trois  tôifes,  ce  qui  fait  une  hauteur  bien 
plus  grande  que  celle  des  nuages,  fur -tout  de  ceux  qui  produifeni 
les  orages. 

Bij 


Î2  DISCOURS 

ja  notion  anticipée  des  changemens  de  1  atmofphère,; 
êc  de  l'arrivée  des  faifons,  qui  les  détermine  à  partir 
enfcmble  &  d'un  commun  accord:  dès  que  les  vivres 
commencent  à  leur  manquer,  dès  que  ie  froid  ou  le 
chaud  les  incommodent,  ils  méditent  leur  retraite; 
d'ahord  ils  femblent  fe  ra/Tembler  de  concert  pour 
entraîner  leurs  petits,  Si  leur  communiquer  ce  même 
defir  de  changer  de  climat,  que  ceux-ci  ne  peuvent 
encore  avoir  acquis  par  aucune  notion,  aucune  con- 
noifïïince,  aucune  expérience  précédente.  Les  pères  <?c 
mères  raflemblent  leur  famille  pour  la  guider  pendant 
la  traverfée ,  &  toutes  les  familles  fe  réuni/Tent,  non- 
feulement  parce  que  tous  les  chefs  font  animés  du 
même  defir,  mais  parce  qu'en  augmentant  les  troupes, 
ils  fe  trouvent  en  force  pour  rcfifter  à  leurs  ennemis. 

Et  ce  deHr  de  changer  de  climat,  qui  communé- 
ment fe  renouvelle  deux  fois  par  an  ,  c'efl-à-dire,  en 
automne  &  au  printemps,  eft  une  efpèce  de  befoin  ii 
pre/Jant,  qu'il  femanifefte  dans  les  oifeaux  captifs  par  les 
inquiétudes  les  plus  vives.  Nous  donnerons  à  l'article 
de  la  caille  un  détail  d'obfervations  à  ce  fujet,  par  lef- 
<juelles  on  verra  que  ce  defir  eft  l'une  des  aftécftions 
les  plus  fortes  de  i'inftind:  de  l'oifeau;  qu'il  n'y  a  rien 
qu'il  ne  tente  dans  ces  deux  temps  de  l'année  pour 
fe  mettre  en  liberté,  Sl  que  fouvent  il  fe  donne  Ja 
mort  par  les  efforts  qu'il  fait  pour  fortir  de  fa  captivité; 
au  lieu  que  dans  tous  les  autres  temps  il  paroit  fa 
fupponer  tranquillement,  ôl  mcme  chérir  fa  prifoji 


SUR  LA  NATURE  DES  OiSEAUX,         13 

s'il  s'y  trouve  renfermé  avec  fa  femelle  dans  la  faifon 
des  amours:  lorfque  celle  de  Ja  migration  approche, 
on  voit  les  oifeaux  libres,  non-feulement  fe  raffembler 
en  famille,  fe  réunir  en  troupes,  mais  encore  s'exercer 
à  faire  de  longs  vols ,  de  grandes  tournées,  avant  que 
d'entreprendre  leur  plus  grand  voyage.  Au  refle  ,  les 
circonftances  de  ces  migrations  varient  dans  les  diffé- 
rentes efpèces  ;  tous  les  oifeaux  voyageurs  ne  fe 
rcuniiïent  pas  en  troupes,  il  y  en  a  qui  partent  feuls , 
d'autres  avec  leurs  femelles  Si  leur  famille,  d'autres  qui 
marchent  par  petits  détachemens  ,  <Scc.  Mais  avant 
d'entrer  dans  le  détail  que  ce  fujct  exige  (gj,  conti- 
nuons nos  recherches  fur  les  caufes  qui  conflituent 
Tindind;,  6c  modifient  la  nature  des  oifeaux. 
.  L'homme  fupérieur  à  tous  les  êtres  organifés ,  a  le 
fens  du  toucher,  <Sc  peut-être  celui  du  goût  plus  parfait 
qu'aucun  des  animaux,  mais  il  eft  inférieur  à  la  plupart 
d'cntr'eux  par  les  trois  autres  fens:  &  en  ne  comparant 
que  les  animaux  entr'eux,  il  paroît  que  la  plupart  des 
quadrupèdes  ont  l'odorat  plus  vif,  plus  étendu  que  ne 
Tont  les  oifeaux;  car  quoiqu'on  dife  de  l'odorat  du 
corbeau,  du  vautour,  <&c.  il  e(l  fort  inférieur  à  celui 
du  chien,  du  renard,  &c.  on  peut  d'abord  en  juger 
par  la  conformation  même  de  l'organe  ;  il  y  a  wn. 
grand  nombre  d'oifeaux  qui  n'ont  point  de  narines, 
c'eft-à-dire,  point  de  conduits  ouverts  au-defïïis  du 

(g)  Notd.  Nous  donnerons  dans  un  autre  Difcours  les  faits  qui 
Oiu  rapport  à  la  migrailoA  Ued  oifeaux. 

JB  il) 


74  Discours 

bec,  en  forte  qu'ils  ne  peuvent  recevoir  les  odeurs 
que  par  la  fente  intérieure  qui  eft  dans  la  bouche  ;  &: 
dans  ceux  qui  ont  des  conduits  ouverts  au-deflus  du 
bec  (h)f  6c  qui  ont  plus  d'odorat  que  les  autres,  les 
nerfs  olfadlifs  font  néanmoins  bien  plus  petits  propor- 
tionnellement ,  &  moins  nombreux  ,  moins  étendus 
que  dans  les  quadrupèdes  ;  auffi  Todorat  ne  produit 
dans  l'oifeau  que  quelques  effets  affez  rares  ,  affez 
peu  remarquables,  au  lieu  que  dans  le  chien  <5c  dans 
plufieurs  autres  quadrupèdes  ,  ce  fens  paroît  être 
la  fource  <Sc  la  caufe  principale  de  leurs  détermina- 
tions 6c  de  leurs  mouvemens.  Ainfi  le  toucher  dans 
l'homme,  l'odorat  dans  le  quadrupède  <Sc  VœW  dans 
i'oifeau,  font  les  premiers  fens,  c'eft-à-dire,  ceux  qui 
font  les  plus  parfaits ,  ceux  qui  donnent  à  ces  différens 
êtres  les  fenfations  dominantes. 

Apres  la  vue,  l'ouïe  me  paroît  être  le  fécond  fens 
de  l'oifeau  ,  c'efl-à-dire,  le  fécond  pour  la  perfedion  ; 
Touïe  eft  non -feulement  plus  parfaite  que  l'odorat, 
le  goût  Si  le  toucher  dans  l'oifeau,  mais  même  plus 
parfaite  que  l'ouïe  des  quadrupèdes;  on  le  voit  par  la 

( h )\\y  z.  ordinairement  à  la  partie  fupe'ricure  du  bec ,  deux  petites 
ouvertures ,  qui  font  les  narines  de  l'oileau  ;  quelquefois  ces  ouver- 
tures extérieures  de  l'oifeau  manquent  tout-à-faii,  en  forte  que  dans 
ce  cas  les  odeurs  ne  pénètrent  jufqu'au  fens  de  i'odorat  que  par 
la  fente  intérieure  qui  efl  dans  la  bouche  comme  dans  quelque* 
palettes ,  les  cormorans ,  i'onocrotal.  —  Dans  le  grand  vautour,  les 
nerfs  olfacîlifs  font  très-petits  à  proportion.  ////?.  de  l'Acad.  des  Se* 
tome  I,  page  ^^  9. 


SUR  LA  NATURE  DES  OiSEAUX,         i$ 

facilité  avec  laquelle  la  plupart  des  olfeaux  retiennent 
ôc  répètent  des  fons  &  des  fuites  de  fons,  <^  même 
la   parole  ;    on  le  voit  par  le   plaifir  qu'ils  trouvent 
à   chanter   continuellement,  à  gazouiller  fans   cefTe , 
fur -tout  lorfqu'ils  font  le  plus  heureux,  c'eft-à-dire, 
dans  le  temps  de  leurs  amours;  ils  ont  les  organes  de 
l'oreille  6c  de  la  voix  plusfouples  Si  plus  puiiïans,  ils 
s'en  fervent  auffi  beaucoup  plus  que  les  animaux  qua- 
drupèdes. La  plupart  de  ceux-ci  font  fort  filencieux, 
<5c  leur  voix  qu'ils  ne  font  entendre  que  rarement,  eft 
prefque  toujours  défagréable  &  rude;  dans  celle  des 
oifcaux,  on  trouve  de  la  douceur,  de  l'agrément,  de 
la  mélodie;  il  y  a  quelques  efpèces  dont,  à  la  vérité  , 
la  voix  paroit  infupportabie ,  fur-tout  en  la  comparant 
à  celle  des  autres,  mais  ces  efpèces  font  en  affez  petit 
nombre.  Se  ce  font  les  plus  gros  oifeaux  que  la  Nature 
femble  avoir  traités  comme  les  quadrupèdes,  en  ne 
leur  donnant  pour  voix  qu'un  feul  ou  plufieurs  cris  qui 
paroilTent  d'autant  plus  rauques ,  plus  perçans  Si  plus 
forts,  qu'ils  ont  moins  de  proportion  avec  la  grandeur 
de  l'animal;  un  paon,  qui  n'a  pas  la  centième  partie 
du  volume  d'un  bœuf,  fe  fait  entendre  de  plus  loin; 
un    roihgnol    peut  remplir    de  fes  fons    tout    autant 
d'efpace   qu'une  grande  voix   humaine:  cette  prodi- 
gicufe  étendue ,  cette  force  de  leur  voix  dépend  en 
entier  de  leur  conformation ,  tandis  que  la  continuité 
de  leur  chant  ou  de  leur  fdence  ne  dépend  que  de 
leurs  affeétions  intérieures;  ce  font  deux  chofes  qu'il 
faut  conûdérer  à  part, 


ft6  Discours 

L'oifcau  a  d'abord  les  mufcles  pectoraux  beaucoup 
plus  charnus  ôc  plus  forts  que  l'homme  ou  que  tout 
autre  animal  ,  <Sc  c'ell:  par  cette  raifon  qu'il  fait  agir 
fes  aiies  avec  beaucoup  plus  de  vîtefle  Se  de  force 
que  l'homme  ne  peut  remuer  fes  bras;  Se  en  même 
temps  que  les  puifTances  qui  font  mouvoir  les  ailes 
font  plus  grandes,  le  volume  des  ailes  eft  au/fi  plus 
étendu,  <Sc  la  maffe  plus  légère,  relativement  à  la  gran- 
deur Se  au  poids  du  corps  de  i'oifeau;  de  petits  os 
vides  ôi  minces,  peu  de  chair,  des  tendons  fermes  & 
des  plumes  avec  une  étendue  fouvent  double,  triple 
Se  quadruple  de  celle  du  diamètre  du  corps,  forment 
l'aile  de  Toifeau  qui  n'a  befoin  que  de  la  réadtion  de 
l'air  pour  foulever  le  corps,  Se  de  légers  mouvemens 
pour  le  foutenir  élevé.  La  plus  ou  moins  grande  facilité 
du  vol ,  fes  difFérens  degrés  de  rapidité ,  fa  diredlion 
même  de  bas  en  haut  Se  de  haut  en  bas  dépendent  de 
la  combinaifon  de  tous  les  réfultats  de  cette  confor- 
mation. Les  oifeaux  dont  l'aile  Se  la  queue  font  plus 
longues  Se  le  corps  plus  petit,  font  ceux  qui  volent  le 
plus  vite  <Sc  le  plus  long  temps;  ceux  au  contraire  qui, 
comme  l'outarde,  le  cafoar  ou  l'autruche,  ont  les  ailes 
Se  la  queue  courtes,  avec  un  grand  volume  de  corps, 
ne  s'élèvent  qu'avec  peine,  ou  même  ne  peuvent 
quitter  la  terre. 

La  force  des  mufcles,  la  conformation  des  ailes, 
l'arrangement  des  plumes  &  la  légèreté  des  os,  font 
ks  caufes  phyûques  de  l'effet  du  vol  qui  paroît  fatiguer 

fi  peu 


SUR   LA   NATURE   DES   OiSEAUX.  IJ 

fi  peu  la  poitrine  de  l'oifcau,  que  c'efl  fouvcnt  dans 
ce  temps  même  du  vol  qu'il  fait  le  plus  retentir  fa  voix 
par  des  cris  continus;  c'efl  que  dans  l'oifeau  le  thorax, 
avec  toutes  les  parties  qui  en  dépendent  ou  qu'il  con- 
tient ,  eft  plus  fort  ou  plus  étendu  à  l'intérieur  &  à  l'ex- 
térieur qu'il  ne  l'efl  dans  les  autres  animaux;  de  même 
que  les  mufcles  pectoraux  placés  à  l'extérieur  font  plus 
gros,  la  trachée -artère  eft  plus  grande  <Sc  plus  forte, 
elle  fe  termine  ordinairement  au-deffous  en  une  large 
cavité  qui  multiplie  le  volume  du  fon.  Les  poumons  plus 
grands,  plus  étendus  que  ceux  des  quadrupèdes,  ont 
-plufieurs  appendices  qui  forment  des  poches,  des 
efpèces  de  réfervoirs  d'air  qui  rendent  encore  le  corps 
de  l'oifeau  plus  léger,  en  même  temps  qu'ils  fourniffent 
aifément  ôc  abondamment  la  fubdance  aérienne  qui 
fert  d'aliment  à  la  voix.  On  a  vu  dans  l'hilloire  de 
l'ouarine  ^ij ,  qu'une  affez  légère  différence  ,  une 
cxtenfion  de  plus  dans  les  parties  folides  de  l'organe, 
donne  à  ce  quadrupède  qui  n'efl  que  d'une  gran-deur 
médiocre,  une  voix  fi  facile  &.  fi  forte  qu'il  la  fait 
retentir,  prcfque  continuellement,  à  plus  d'une  lieue 
de  diflance,  quoique  les  poumons  foient  conformes 
comme  ceux  des  autres  animaux  quadrupèdes;  à  plus 
grande  raifon,  ce  même  effet  fe  trouve  dans  l'oifeau 
où  il  y  a  un  grand  appareil  dans  les  organes  qui  doivent 
produire  les  fons,  <Sc  où  toutes  les  parties  de  la  poitrine 

('i)Voy.  Hifloire  naturelle,  gcncrale  &  particulière;  volume  XVt 
page   6  &  fuivûntcs, 

ûifeaiix ,  Tome  I,  .  C 


î8  Discours 

paroi/Tent  être  formées   pour  concourir  à  la  force  3c 
à  la  durée  de  la  voix  (kj . 

II  me  femble  qu'on  peut  démontrer,  par  des  faits, 
combinés,  que  la  voix  des  oifeaux  eft  non -feulement 
plus  forte  que  celle  des  quadrupèdes,  relativement  au 
volume  de  leur  corps,  mais  même  absolument,  <5c  fans 
y  faire  entrer  ce  rapport  de  grandeur:  communément 
les  cris  de  nos  quadrupèdes  domefliques  ou  fauvagcs  ne 
fe  font  pas  entendre  au  -<\Q\k  d'un  quart  ou  d'un  tiers 
de  lieue,  (Se  ce  cri  fe  fait  dans  la  partie  de  l'atmofphère 
la  plus  denfe,  c'eft-à-dire ,  la  plus  propre  à  propager 
le  Ion  ;  au  lieu  que  la  voix  des  oifeaux  qui  nous  parvient 

(k)  Dans  ïa  plupart  des  oiiêaiix  de  rivière,  qui  ont  h  voix  très- 
forte  ,  ia  trachte  réfonne  ;  c'efi:  que  la  glotte  efi:  placée  au  bas  de  la 
trachée ,  &  non  pas  au  haut  comme  dans  l'homme.  Coll.  Acad. 
Pûrî.  Fr.  tome  I,  page  ^j?  6.  — Il  en  efl  de  même  dans  le  coq.  H\fi. . 
de  L'Acad.  tome  II,  page  7.  —Dans  les  oircaux  ,  &.  fpécLiIement 
dans  les  canards  &  autres  oifeouK  de  rivière,  bs  organes  de  ia  voix 
confident  en  un  larynx  interne,  à  rendroit  de  la  bifiarcation  de  la  trachée- 
artère;  en  deux  anches  membraneule^ ,  riui  communiquent  par  Le  bas 
à  l'origine  des  deux  premières  branchés  de  la  trachée  ;  en  pluficurs 
membranes  fémilunaires  ,  dii'poft^s  les  «nés  au-dedus  des  autres,  dans 
les  principales  branches  du  poumon  charnu,  &  qui  ne  rempljiïejtj 
^i\t  la  moitié  de  leur  cavité,  laLûTant  à  l'aix  wi  libre  partage  par  l'autre 
demi-cavité;  en  d'autres  njcmbranes  diipoiées  en  différens  fens ,  foit 
dans  la  partie  moyenne,  foit  dans  la  partie  inférieure  de  la  trachée; 
enfin  ,  en  une  membrane  plus  ou  moins  folide  ,  fituéc  prefque 
tranlverfalement  entre  les  deux  branches  de  la  lunette,  Ltquelle  termine 
«ne  cavité  qui  (è  rencontre  conftammcnt  à  la  partie  Aipérieurc  & 
interne  de  la  poitrine.  Além»  de  l'Acad.  des  Sciences,  année  tJSS» 
page  2^  e. 


SUR   LA   NATURE  DES   OiSEAUX.  I9 

tîii  haut  des  airs,  fe  fait  dans  un  milieu  plus  rare,  Se 
•où  il  faut  une  plus  grande  force  pour  produire  le  même 
effet.  On  fait  par  des   expériences  faites  avec   la   ma- 
chine pneumatique,  que  le  fon  diminue  à  mefure  que 
i'air  devient  plus  rare;  6c  j'ai  reconnu,  par  une  obfer- 
vation  que  je  crois  nouvelle,  combien  la  différence  de 
cette  raréfadion  influe  en  plein  air.  J'ai  fouvent  pafTé 
des  jours  entiers  dans  les  forêts  où  l'on  efl  obligé  de 
^'appeler  de   loin ,  Si  d'écouter  avec  attention ,  pour 
entendre  le  fon  du  cors  &  la  voix  des  chiens  ou  des 
hommes;  j'ai   remarqué  que  dans  le  temps  de  la  plus 
grande  chaleur  du  jour,  c'efl-à-dire,  depuis  dix  heures 
jufqu'à  quatre,  on  ne  peut  entendre  que  d'affez  près  les 
mêmes  voix,   les  mêmes  fons,   que  l'on   entend  de 
ioin  le  matin,  le  foir  &  fur-tout  la  nuit  dont  le  fdencc 
ne  fait  rien  ici ,  parce  qu'à  l'exception  des   cris   de 
quelques  reptiles  ou  de  quelques  oifeaux  nod;urncs,  i[ 
n'y  avoit  pas  le  moindre  bruit  dans  ces  forêts  ;  j'ai  de 
plus  obfcrvc  qu'à  toutes  les  heures  du  jour  Se  de  la  nuit, 
on  entcndoit  plus  loin  en  hiver  par  Ja  gelée  que  par 
le  plus  beau   temps   de  toute  autre  faifon.    Tout   le 
monde  peut  s'afTurer  de  la  vérité  de  cette  obfervation, 
qui  ne  demande,  pour  être  bien  faite,  que  la  fimple 
attention  de  choifir  les  jours  fereins  Si  caJmes,  pour 
que  le  vent  ne  puifTe  déranger  le  rapport  que  nous 
venons  d'indiquer  dans  h  propagation  du  fon;  il  m'a 
fouvent  paru  que  je  ne  pouvois  entendre  à  midi  que 
de  fjx  cents  pas  de  diflance  la  même  voix  que  j'en- 


20  Discours. 

t^nJoîs  de   douze   ou  quinze  cents  à  (\x  heures  dn 
matin  ou  du  foir,  fans  pouvoir  attribuer  cette  grande 
différence  à  d'autre  caufe  qu'à  la  raréfadlion  de  l'air 
plus  grande  à  midi,  Ôi  moindre  le  foir  ou  le  matin; 
&   puifque   ce   degré   de   raréfaction    fait    une    diffé- 
rence de  plus  de  moitié  fur  la  diftance  à  laquelle  peut 
s'étendre  le  fon  à  la  furface  de  la  terre,  c'eft-à-dire, 
dans  la  partie  la  plus  baffe  (Se  la  plus  denfe  de  i'atmo- 
fphère ,  qu'on  juge  de  combien  doit  être  la  perte  dtl 
fon  dans  les  parties  fupérieures  où  l'air  devient  plus, 
rare  à  mesure  qu'on  s'élève,  &  dans  une  proportion. 
Lien  plus  grande  que  celle  de  la  raréfaction  caulée  par 
la  chaleur  du  jour  I  Les  oifeaux  dont  nous  entendons 
la  voix  à'tn  liant,  Si  fouvent  fans  les  apercevoir,  font 
alors  élevés  à  une  hauteur  égale  à  trois  mille  quatre 
cents  trente  -  fix  fois  leur  diamètre,  puifque  ce  n'efl 
qu'à  cette  diflance  que  l'œil  humain  ceffe  de  voir  les 
objets.    Suppofons   donc   que  l'oifeau   avec   fes  ailes 
étendues  faffe  un  objet  de  quatre  pieds  de  diamètre,  il 
ne  difparoîtra  qu'à  la  hauteur  de  treize  mille  fept  cents 
quarante-quatre  pieds  ou  de  plus  de  deux  mille  toifes; 
ÔL  fi   nous  fuppofons  une  troupe  de  trois  ou   quatre 
cents  gros  oifeaux,  tels  que  des  cigognes,  des  oies, 
des  canards,  dont  quelquefois  nous  entendons  la  voix 
avant  de  les  apercevoir,  l'on  ne  pourra  nier  que  la 
hauteur   à  laquelle   ils  s'élèvent   ne  foit   encore  plus 
grande,  puifque  la  troupe,  pour  peu  qu'elle  foit  ferrée, 
forme  un  objet  dont  le  diajnètre  eft  bien  plus  grand* 


SUR    LA    NATURE   DES   OiSEAUX.  2  1 

Ainfi  roifcau  en  fe  faifant  entendre  d'une  lieue  du 
haut  des  airs,  <5c  produifaot  des  fons  dans  un  milieu 
qui  en  diminue  l'intenfité  <Sc  en  raccourcit  de  plus  de 
moitié  la  propagation  ,  a  par  conféquent  la  voix  quatre 
fois  plus  forte  que  l'homme  ou  le  quadrupède,  qitt 
ne  peut  fe  faire  entendre  à  une  demi-lieue  fur  la  fur- 
face  de  la  terre;  &,  cette  efîimation  cfl  peut-être  plus 
foible  que  trop  forte  ,.  car  indépendamment  de  ce  que 
nous  venons  d'expofcr ,  il  y,  a  encore  une.  confidcrar 
tion  qui  vient  à  l'appui  de  nos  conclufions  ,  c'efl  que 
le  fon  rendu  dans  le  milieu  des  airs,  doit  en  fe  propa^ 
géant  remplir  une  fphère  dont  l'oifcau  e(l  le  centre, 
tandis  que  le  fon  produit  à  la  furface  de  la  terre,  ne 
remplit  qu'une  demi -fphère  ,  &  que  la  partie  du  fon 
qui  fe  réfléchit  contre  la  terre  ,  aide  Si  fert  à  la  pro- 
pagation de  celui  qui  s'étend  en  haut  &  à  côté;  c'eil 
par  cette  raifon  qu'on  dit. que  la  \o\x  monte,  <5c  que 
de  deux  perfonnes  qui  fe  parlent  du  haut  d'une  tour 
en  bas ,  celui  qui  efl  au  -  dciïus  efl  forcé  de  crier 
beaucoup  plus  haut  que  l'autre,  s'il  veut  s'en  faire 
également  entendre. 

Et  à  l'éîîard  de  la  douceur  de  la  voix  Si  de  ra<rré- 
ment  du  chant  des  oifeaux  ,  nous  obferverons  que 
c*e(l  une  qualité  en  partie  naturelle  &i  en  partie  acquife; 
la  grande  facilité  qu'ils  ont  à  retenir  Si  répéter  les  fons* 
fait  que  non-feulement,  ils  en  empruntent  les  uns  des 
autres,  mais  que  fouvent  ils  copient  les  inflexions,  les 
tons,  dit;  la  voix  humaine  <Sc  de  nos  inflrumens.  N'efl-il 

C  \\\ 


in.  Discours 

pas  fingulier  que  dans  tous  les  pays  peuples  âc  policés, 
la  plupart  des  oiTeaux  aient  la  voix  charmante  Si  le 
chant  mélodieux,  tandis  que  dans  l'immenfe  étendue 
des  défertsde  l'Afrique  ôi  de  l'Amérique,  où  l'on  n'a 
trouvé  que  des  hommes  fauvages,  il  n'exifte  au/Tj  que 
des   oifeaux   criards  ,    &.    qu'à  peine   on    puifTe  citer 
<juelques  efpèces  dont  la  voix  foit  douce  &  le  chant 
agréable!  doit -on  attribuer  cette  différence  à  la  feule 
influence   du  climat  !    l'excès  du  froid  Se  du  chaud 
produit ,  à  la  vérité ,  des   qualités   exceïïives  dans  la 
nature  des  animaux,  6c  fe  marque  fouvent  à  l'extérieur 
par  des  caraftères  durs  Se  par  des  couleurs  fortes.  Les 
quadrupèdes  dont  la  robe  efl  variée  Se  empreinte  de 
couleurs  oppofées,  femée  de  taches  rondes,  ou  rayée 
de  bandes  longues,  tels  que  les  panthères,  les  léopards, 
les  zèbres,  les   civettes,   font  tous  des  animaux   des 
climats  les  plus  chauds;  prefque  tous  les  oifeaux  de 
ces  mêmes  climats  brillent  à  nos  yeux  des  plus  vives 
couleurs,   au   lieu   que  dans   les   pays    tempérés,  les 
teintes  font  plus  foibles,  plus  nuancées,  plus  douces  : 
fur  trois  cents   efpèces  d'oifeaux  que   nous  pouvons 
compter  dans  notre  climat,  le  paon,  le  coq,  le  loriot, 
ie  martin- pêcheur,  le  chardonneret,  font  prefque  les 
feuls  que  l'on  puifTe  citer  pour  la  variété  des  couleurs, 
tandis  que  ia  Nature  femble  avoir  épuifé  {es  pinceaux 
fur  le  plumage  des  oifeaux  de  l'Amérique ,  de  l'Afrique 
êi.  de  rfnde.  Ces  quadrupèdes  dont  la  robe  efl  fi  belle, 
ces  oifeaux  dont  le  plumage  éclate  des  plus  vives 


SUR   LA   NATURE   DES   OiSEAUX.  2J 

couleurs,  ont  en   même  temps  la  voix  dure  6c  fans 
inflexions,  les  fons  rauques  6c  difcordans,  le  cri  dcfa- 
grcaf)le  6c   même   effrayant  ;  on  ne  peut   douter  que 
l'influence  du  climat  ne  foit  la  caufe  principale  de  ces 
effets,  mais  ne  doit-on  pas  y  joindre,  comme  caufe 
fecondaire ,  l'influence  de  l'homme!  Dans  tous   les 
animaux  retenus  en  domeflicité  ou  détenus  en  capti- 
vité,  les  couleurs  naturelles  6c  primitives  ne  s'exaltent 
jamais  ,    6c    paroifl[ent    ne    varier    que    pour   fe    dé- 
grader, fe  nuancer  6c  fe  radoucir;  on  en  a  vu  nojnLre 
d'exemples  dans  les  quadrupèdes,   il  en  efl  de  même 
dans  les  oifeaux  domefliques;  les  coqs  6c  les  picreons 
ont  encore  plus  varié  pour  les  couleurs  que  les  chiens- 
ou  les  chevaux.  L'influence  de  l'homme  fur  la  Nature 
s'étend  bien  au-delà  de  ce  qu'on  imagine;  il  influe 
diredement  6c  prefque  immédiatement  fur  le  naturel 
fur  la  grandeur  6c  la  couleur  des  animaux  qu'il  pro- 
page 6c  qu'il   s'cfl  foumis;  d  influe  mcdiatement  6c 
de  plus  loin  fur  tous  les  autres  qui,  quoique  libres, 
habitent  le  même  climat.  L'homme  a  changé,  pour 
fa  plus  grande  utilité ,  dans  chaque  pays  la  fur/âce  de 
la  terre;  les  animaux  qui  y  font  attachés,  6c  qui  font 
forcés  d'y  chercher  leur  fubfiflance,  qui  vivent,  en  ur» 
mot,  fous  ce  même  climat  6c  fur  cette  mèmt  terre 
dont  l'homme  a  changé  la  nature,  ont  dû   changer 
aufll  6c  fe  modifier;  ils  ont  pris  par  nécefllté  iphÇicms 
habitudes  qui  paroifl!ent  faire   partie  de   leur  nature; 
ils  en  ont  pris  d'autres  par  cram(e,  qui  ont  altéré ^ 


^^  Discours 

.dégradé  leurs  mœurs,  ils  en  ont  pris  par  imitation.; 
.enfin  ils  en  ont  reçu  par  l'éducation  ,  à  mefure  qu'ils 
en  étoient  plus  ou  moins  rufceptibies  ;  le  chien  s'ell 
j^rodigieufement  perfedionné   par    le   commerce   de 
l'homme,  fà   férocité   naturelle   s'efl  tempérée,  &   a 
cédé  à  la  douceur  de  la  reconnoifïïmce  &  de  l'attache- 
ment, dès  qu'en  lui  donnant  fa  fubfjftance ,  l'homme 
■a  fatisfait  à  fes  befoins:  dans  cet  anim.al,  les  appétits 
Jes  plus  véhémens  dérivent  de  l'odorat  <Sc  du  goût ,  deux 
iens  qu'on  pourroit  réunir  en  un  feul ,  qui  produit  les 
fenfations  dominantes  du  chien  &  des  autres  animaux 
carnaffiers  ,  defquels  il   ne  diffère   que  par  un  point 
de  fenfibilité  que  nous  avons  augmenté;  une   nature 
moins  forte  ,   moins  fière.,  moins  féroce  que  celle  du 
tigre,  du  léopard  ou  du  lion;  un  naturel  dès  -  lors  plus 
flexible,  quoiqu'avec  des  appétits  tout  au/fi  véhémens, 
s'efl  néanmoins  modifié,  ramolli  par  les  impreiïîons 
douces  du  commerce  des  hommes  dont  l'influence 
n'efi  pas  auiïï  grande  fur  les  autres  animaux,  parce  que 
ies   uns   ont   une   nature  revèche ,   impénétrable   aux 
afîc(5tions  douces;  que  les  autres  font  durs,  infenfibles 
ou  trop  défians  ou  trop  timides;  que  tous  jaloux  de 
leur  liberté  fuient  l'homme,  &  ne  le  voyent  que  comme 
leur  tyran  ou  leur  deflruéteur. 

L'homme  a  moins  d'influence  fur  les  oifeaux  (\\\e, 
fur  les  quadrupèdes,  parce  que  leur  nature  efl  plus 
éloignée,  <5c  qu'ils  font  moins  fufceptibles  des  fenti- 
iiiens  d'attacliement  ôi  d'obéiifance;  les  oifeaux  que 

nous 


SUR   LA    NATURE  DES   OiSEAUX.  2J 

nous  appelons  domejliqucs ,  ne  font  que  prifonniers ,  ils 
ne  nous  rendent  aucun -fervicc  pendant  leur  vie,  ils 
ne  nous  font  utiles  que  par  leur  propagation  ,  c'cfl-à- 
dire,  par  leur  mort;  ce  font  des  vi6limes  que  nous 
multiplions  fans  peine,  &  que  nous  immolons  fans 
regret  6:  avec  fruit.  Comme  leur  inflind  diffère  de 
celui  des  quadrupèdes  ,  <5c  n  a  nul  rapport  avec  le 
nôtre,  nous  ne  pouvons  leur  rien  infpirer  direcflement, 
ni  même  leur  communiquer  indircdlement  aucun  fen- 
timent  relatif,  nous  ne  pouvons  influer  que  fur  la 
machine,  &  eux  auiïi  ne  peuvent  nous  rendre  que 
machinalement  ce  qu'ils  ont  reçu  de  nous.  Un  oifcau 
dont  l'oreille  e(l  affez  délicate  ,  affcz  prècife  pour 
faifir  &  retenir  une  fuite  de  fons  (5v  même  de  paroles, 
<Sc  dont  la  voix  efl  affez  flexible  pour  les  répéter  dif- 
tindlement,  reçoit  ces  paroles  fans  les  entendre,  <Sc 
les  rend  comme  il  les  a  reçues;  quoiqu'il  articule  des 
mots,  il  ne  parle  pas,  parce  que  cette  articulation  de 
mots  n'émane  pas  du  principe  de  la  parole,  &.  n'en  efl 
qu'une  imitation  qui  n'exprime  rien  de  ce  qui  fe  paffe 
à  l'intérieur  de  l'animal,  <5<  ne  repréfentc  aucune  de 
fes  affedions.  L'homme  a  donc  modifié  dans  les 
oifcaux  ([uclques  puifÏÏinces  phyfiques,  quelques  ([Ua- 
iités  extérieures,  telles  que  celles  de  l'oreille  &.  de  la 
voix,  mais  il  a  moins  influé  fur  les  qualités  intérieures. 
On  en  inflruit  quelques-uns  à  chaffer  &.  même  à  rap- 
porter leur  gibier;  on  en  apprivoife  quelques  autres 
alfez  pour  les  rendre  familiers;  à  force  d'habitude,  oa 
Oifcaux ,  Tome  1,  .  D 


z6  Discours 

les  amène  an  point  de  s'atlaclier  à  leur  prifon  ,  de 
reconnoitre  aiifli  la  perlbnne  qui  les  foigne;  mais  tous 
ces  fentimens  font  bien  légers  ,  bien  peu  profonds 
en  comparaifon  de  ceux  que  nous  tranimettons  aux 
animaux  quadrupèdes,  &.  que  nous  leur  communiquons 
avec  plus  de  fuccès  en  moins  de  temps  &  en  plus 
grande  quantité.  Quelle  comparaifon  y  a-t-il  entre 
l'attachement  d'un  chien  <Sc  la  familiarité  d'un  ferin  , 
entre  l'intelligence  d'un  éléphant  <Sc  celle  de  l'autruche , 
qui  néanmoins  paroît  être  le  plus  grave,  le  plus  réfléchi' 
des  oifeaux ,  foit  parce  que  l'autruche  eft  en  effet 
l'éléphant  des  oifeaux  par  la  taille ,  &  que  \c  privilège  de 
l'air  fenfé  eft,  dans  les  animaux,  attaché  à  la  grandeur, 
foit  qu'étant  moins  oifeau  qu'aucun  autre,  &  ne  pou- 
vant quitter  la  terre,  elle  tienne  en  efîèt  de  la  nature 
des  quadrupèdes  l 

Maintenant,  fi  l'on  confidère  la  voix  des  oifeaux^ 
indépendamment  de  l'influence  de  l'homme;  que  l'on 
fépare  dans  le  perroquet,  le  ferin,  le  fanfonnet,  le 
merle,  les  fons  qu'ils  ont  acquis,  de  ceux  qui  leur 
font  naturels;  que  fur -tout  on  ohferve  les  oifeaux 
libres  &.  folitaires,  on  reconnoitra  que  non-feulement 
leur  voix  fe  modifie  fuivant  leurs  affeélions ,  mais 
même  qu'elle  s'étend,  fe  fortifie,  s'altère,  fe  change, 
s'éteint  ou  fe  renouvelle  félon  les  circonflances  cSc  le 
temps:  comme  la  voix  eft  de  toutes  leurs  facultés 
l'une  des  plus  faciles,  6i  dont  l'exercice  leur  coûte  le 
moins,  ils  s'en  fervent  au  point  de  paroître  en  abufcr, 


SUR   LA    NATURE  DES   OiSEAUX.  2y 

Si  ce  ne  font  pas  les  femelles  qui  (comme  on  poiirroit 
Je  croire)  abiifent  le  plus  de  cet  organe:  elles  font, 
dans  lesoifeaux,  bien  plus  filencieufes  que  les  mâles; 
elles  jettent,  comme  eux,  des  cris  de  douleur  ou  de 
crainte;  elles  ont  des  expredions  ou  des  murmures 
d'inquiétude  ou  de  foilicitude,  fur  -  tout  pour  leurs 
petits,  mais  le  chant  paroit  être  interdit  à  la  plupart 
d'entr'elles,  tandis  que  dans  le  mâle,  c'efl  Tune  des 
qualités  qui  fait  le  plus  de  fenfuion.  Le  chant  efl  le 
produit  naturel  d'une  douce  émotion  ,  c'efl  l'expre/Fion 
agréable  d'un  defir  tendre,  qui  n'eft  qu'à  demi  fatisfait: 
le  ferin  dans  fa  volière,  le  verdier  dans  les  plaines, 
le  loriot  dans  les  bois  ,  chantent  également  leurs 
amours  à  voix  éclatante ,  à  laquelle  la  femelle  ne  répond 
que  par  quelques  petits  fons  de  pur  confentement  ; 
dans  quelques  efpèces ,  la  femelle  applaudit  au  chant 
du  mâle  par  un  femblable  chant,  mais  toujours  moins 
fort  cSc  moins  plein;  le  roffignol  en  arrivant  avec  les 
premiers  jours  du  printemps,  ne  chante  point  encore, 
il  garde  le  fil  en  ce  jufqu'à  ce  qu'il  foit  apparié;  fon 
chant  efl  d'abord  affez  court,  incertain,  peu  fréquent, 
comme  s'il  n'étoit  pas  encore  fur  de  fa  conquête,  Se 
fa  voix  ne  devient  pleine,  éclatante  Si  foutenue  jour 
Si  nuit,  que  quand  il  voit  déjà  fa  femelle  chargée  du 
fruit  de  fcs  amours,  s'occuper  d'avance  des  foins  ma- 
ternels; il  s'empreffe  à  les  partager,  il  l'aide  à  conf- 
truire  le  nid,  jamais  il  ne  chante  avec  plus  de  force 
6c  de  continuité  que  quand  il  la  voit  travaillée   des 

Dij 


zS  Discours 

douleurs  de  la  ponte,  &  ennuyée  d'une  longue  5: 
continuelle  incubation;  non-feuleincnt  il  pourvoit  à  fa 
fubridance  pendant  tout  ce  temps,  mais  il  cherche  à 
le  rendre  plus  court,  en  multipliant  ïts  careiïes ,  en 
redoublant  Tes  acccns  amoureux  ;  &  ce  qui  prouve  que 
le  chant  dépend  en  effet  &  en  entier  des  amours,  c'eft 
qu'il  c-  iTe  avec  elles:  dès  que  la  femelle  couve,  elle 
ne  cliante  plus,  &  vers  la  fin  de  juin,  le  mâle  fe  tait 
aufTi ,  ou  ne  fe  fait  entendre  que  par  quelques  fons 
rauqucs,  fcmblabks  au  coaffement  d'un  reptile,  &  fi 
différcns  deS  j^remiers  ,  qu'on  a  de  la  peine  à  fe  per- 
fuader  que  ces  fons  viennent  du  ro/Iignol,  ni  même 
d'un  autre  oifeau. 

Ce  chant  qui  ceiïe  &  fe  renouvelle  tous  tes  ans,  & 
qui  ne  dure  que  deux  ou  trois  mois  ;  cette  voix  dont 
ks  beaux  fons  n'éclatent  que  dans  la  faifon  de  l'amour , 
qui  s'altère  enfuite  Sl  s'éteint  comme  la  flamme  de  ce 
feu  fatisfàit ,  indi(|ue  un  rapport  phyHque  entre  les  or- 
ganes de  la  génération  Si  ceux  de  la  voix;  rapport  (jui 
paroît  avoir  une  corrcfpondance  plus  précife,  &i  des 
effets  encore  plus  étendus  dans  l'oifeau.  On  fait  <jue 
dans  l'homme,  la  voix  ne  devient  pleine  qu'après  la 
puberté;  que  dans  les  quadruj)èdcs ,  elle  fe  renforce 
6c  devient  effrayante  dans  le  temps  du  rut.  la  rcpiélion 
des  vadfeaux  ipermatiques,  la  furabondance  de  la  nour- 
riture organique,  excitent  une  grande  irritation  daiib  les 
parties  de  la  génération  ;  celles  de  la  gorge  &.  Je  la 
voix  paroiflent  fercffenljrplus  ou  moins  de  cette  chaleur 


SUR   LA   NATURE   DES   OlSEAUX.         29 

irritante  ,  la  croifîance  de  la  barbe,  la  force  de  la  voix , 
l'extenfion  de  la  partie  génitale  dans  le  mâle  ,  i'accroif- 
fement  des  manielles ,  le  développement  des  corps 
glanduleux  dans  la  femelle,  qui  tous  arrivent  en  même 
temps  ,  indiquent  afTez  la  correfpondance  dts  parties 
de  la  génération,  avec  celles  de  la  gorge  Sl  de  la  voix. 
Dans  les  oifeaux ,  les  changemens  font  encore  plus 
grands;  non-feulement  ces  parties  font  irritées,  altérées 
ou  changées  par  ces  mêmes  caufes,  mais  elles  paroiffent 
même  fe  détruire  en  entier  pour  fe  renouveler  :  les 
tcfliculcs ,  qui,  dans  l'homme  6:  dans  la  plupart  des 
quadrupèdes ,  font  à  peu  près  les  mêmes  en  tout  temps, 
feUétriffcnt  dans  les  oifeaux,  &  fe  trouvent  pour  ainfr 
dire  réduits  à  rien,  après  la  fiifon  des  amours  au  retour 
de  la(|uelle  ils  renaiffent,  prennent  une  \ie  végétative, 
&  gro/TilTent  au-delà  de  ce  que  femble  permettre  la 
proportion  du  corps:  le  chant  qui  ceffe  <Sc  renaît  dans 
les  mêmes  temps,  nous  indique  des  altérations  relatives 
dans  le  gofier  de  l'oifeau  ;  &  il  feroit  bon  d'obferver 
s'il  ne  fe  fait  pas  alors  dans  les  organes  de  fa  voix 
quchjuc  production  nouvelle,  quelqu'extenfon  confi- 
dérable ,  qui  ne  dure  qu'autant  que  le  gonflement  des 
parties  de  la  génération. 

Au  refte,  l'homme  paroît  encore  avoir  influé  fur 
ce  fcntiment  d'amour  le  plus  profond  de  la  Nature,  il 
femble  au  moins  qu'il  en  ait  étendu  la  durée  Si  multi- 
plié les  etîets  dans  les  animaux  quadrupèdes  6^  dans 
les  oiieaux  qu'il  retient  en  domefliçiié  ;  les  oifeaux  de 

Diij 


30  Discours 

Lafle-cour  6c  les  quadrupèdes  domefîiques,  ne  fonr 
pas  bornés  comme  ceux  qui  font  libres  à  une  feule 
faifon,  à  un  feul  temps  de  rut;  le  coq,  le  pigeon,  le 
canard,  peuvent  comme  le  cheval,  le  bélier  6:  le  chien, 
s'unir  Sl  produire  prefqu'en  toute  faifon ,  au  lieu  que 
les  quadrupèdes  &  les  oifeaux  fauvages,  qui  n'ont 
reçu  que  la  feule  influence  de  la  Nature,  font  bornés 
à  une  ou  deux  faifons,  ôc  ne  cherchent  à  s'unir  que 
dans  ces  feuis  temps  de  l'année. 

Nous  venons  d'expofer  quelques-unes  des  principales 
qualités  dont  la  Nature  a  doué  les  oifeaux,  nous  avons 
tâché  de  reconnoître  les  influences  de  l'homme  fur 
leurs  facultés,  nous  avons  vu  qu'ils  l'emportent  fur  lui 
Si  fur  tous  les  animaux  quadrupèdes,  par  l'étendue   (Se 
la  vivacité  du  fens  de  la  vue  ,  par  la  précifion ,  la  fenfi- 
bililé  de    celui  de  l'oreille,  par  la  facilité   <&  la  force 
de  la  voix,  (Se  nous  verrons  bientôt  qu'ils  l'emportent 
encore  de  beaucoup  parles  puiflances  de  la  génération, 
(&  par  l'aptitude  au   mouvement  qui  paroît  leur  être 
plus  naturel  que  le  repos;  il  y  en  a,  comme  les  oifeaux 
de  paradis,  les  mouettes,  les  martin-pêcheurs,  ôlc.  qui 
femblent  être  toujours  en  mouvement,  (Se  ne  fe  repofer 
que   par  inftans;  plufieurs  fe  joignent,   fe  choquent, 
femblent  s'unir  dans  l'air;  tous  faififfent  leur  proie  en 
volant  fans  fe  détourner,  fans  s'arrêter;  au  lieu  que 
ie  quadrupède  efl  forcé  de  prendre  des  points  d'appui, 
des  momens  de  repos  pour  fe  joindre,  Si  que  l'inflant 
où  il  atteint  fa  proie  efl  la  fin  de  fa  courfe  :  l'oifeau 


SUR  LA   NATURE  DES   Ol SEAUX.  31 

peut  donc  faire  dans  l'état  de  mouvement  plufieiirs 
clîofes  qui,  dans  le  quadrupède,  exigent  l'c'tatde  repos; 
il  peut  aufli  faire  beaucoup  plus  en  moins  de  temps  ^ 
parce  qu'il  fe  meut  avec  plus  de  vîtefTe,  plus  de  con- 
tinuité ,  plus  de  durée  :  toutes  ces  caufes  réunies  influent 
fur  les  habitudes  naturelles  de  l'oifeau ,  6c  rendent 
encore  fon  inflinél  différent  de  celui  du  quadrupède. 

Pour  donner  quelque  idée  de  la  durée  <5c  de  la 
continuité  du  mouvement  des  oifeaux  ,  &  auiïi  de  la 
proportion  du  temps  (Se  des  efpaces  qu'ils  ont  coutume 
de  parcourir  dans  leurs  voyages,  nous  comparerons 
leur  vîtelfe,  avec  celle  des  quadrupèdes,  dans  leurs 
plus  grandes  courfes  naturelles  ou  forcées;  le  cerf,  le 
renne  (5c  l'élan  peuvent  faire  quarante  lieues  en  un 
jour;  le  renne,  attelé  à  un  traîneau,  en  fait  trente  fIJ, 
Si  peut  fouten'ir  ce  même  mouvement  plufieurs  jours 
de  fuite  :  le  chameau  peut  faire  trois  cents  lieues  en 
huit  jours  fmj;  le  cheval  élevé  pour  la  courfe  ôi  choifi 
parmi  les  plus  légers  &.  les  plus  vigoureux,  pourra 
faire  une  lieue  en  fix  ou  fept  minutes,  mais  bientôt  fa 
viteffe  fe  ralentit.  Si  il  feroit  incapable  de  fournir  une 
carrière  un  peu  longue  qu'il  auroit  entamée  avec  cette 
rapidité  :  nous  avons  cité  l'exemple  de  la  courfe  d'un 
Anglois  frj,  qui  fit  en  onze  heures  trente -deux  mi- 
nutes foixante-douze  lieues  en  changeant  vingt-une  fois 

^IJ  Hiftoire  naturelle,   générale  &  particulière,  tome  XII. 
(m)  Idem,  tome  //,  page  :z2^. 
(n)  Idem,  tome  IV,  page  J2_^J. 


32  Discours 

de  cheval;  ainfi  les  meilleurs  chevaux  ne  peuvent  pas 
faire  quatre  iieues  dans  une   heure,  ni  plus  de  trente 
lieues  dans  un  jour.  Or,  la  vîtefTe  des  oiieaux  efl  bien 
plus  grande,  car,  en  moins  de  trois  minutes,  on  perd 
de  vue  un   gros  oifcau ,  un    milan   qui  s'éloigne,   un 
aigle  qui  s'élève  Si.  qui  préfente  une  étendue  dont  le 
diamètre  efl  de  plus  de  quatre  pieds;  d'où   Ton  doit 
inférer  que  l'oifeau  parcourt  plus  de  fept  cents  cinquante 
toifes  par  minute,  ôi  qu'il  peut  fe   tranfporter  à  vingt 
iieues  dans  une  heure  :  il  pourra  donc  aifément  par- 
courir deux  cents  lieues   tous  les  jours  en  d\x  heures 
de  vol ,  ce   qui  fuppofe  plufieurs  intervalles   dans  le 
jour,  6i  la  nuit  entière  de  repos.  Nos  hirondelles  6c 
nos  autres  oifeaux  voyageurs,  peuvent  donc  fe  rendre 
de  notre  climat  fous  la  Ligne  en  moins  de  fept  ou 
huit  jours.  M.   Adanfon  (oj  a  vu  &  tenu,  à  la  côte 
du    Sénégal,    des  hirondelles   arrivées   le  9  oétobre, 
c'efl-à-dire   huit    ou    neuf  jours   après  leur   déparc 
d'Europe.  Pietro  délia  Valle  dit,  qu'en  Perfe  (pj ,  le 
pigeon  meffager  fait  en  un  jour  plus  de  chemin  qu'un 
homme  de  pied  ne  peut  en  faire  en  fix.  On  connoît 
i'hifloire  du  faucon  de  Henri  II,  qui  s'étant  emporté 
après  une  canepetière  à  Fontainebleau  ,  fut  pris  le  len- 
demain à  Malte,  <Sc  reconnu  à  l'anneau  qu'il  portoit; 
celle  du  faucon  des  Canaries  f^),  envoyé  au  duc  de 

(o)  Voyage  au  Sénégal,  par  M.  Adanfon. 

(p)  Voyage  de  Pietro  della  Valie,  tome  1 ,  page  ^i  ^, 

(q)  Obfery.  de  Sir  Edmund  Scoty,  Voy.  Purchajf.  pag.  785. 

Lerme  ^ 


SUR   LA    NATURE   DES   OiSEAUX.  3J 

Lerme,  qui  revint  cI'AnJaloude  à  l'île  de  TénérifFe 
en  feize  heures ,  ce  qui  fait  un  trajet  de  deux  cents 
cinquante  lieues.  Hans  Sloane  (^r)  afTure  qu'à  la  Bar- 
bade ,  les  mouettes  vont  fe  promener  en  troupes  à  plus 
de  deux  cents  milles  de  diflance,  &i  qu'elles  reviennent 
le  même  jour.  Une  promenade  de  plus  de  cent  trente 
lieues,  indique  affez  la  pofFjbilité  d'un  voyage  de  deux 
cents;  <Sc  je  crois  qu'on  peut  conclure  de  la  combi- 
naifon  de  tous  ces  faits,  qu'un  oifeau  de  haut  vol  peut 
parcourir  chaque  jour  quatre  ou  cinq  fois  plus  de 
chemin  que  le  quadrupède  le  plus  agile. 

Tout  contribue  à  cette  facilite  de  mouvement  dans 
l'oifeau,  d'abord  les  plumes  dont  la  fubllance  efl  très- 
légère ,  la  furface  très-grande ,  <Sc  dont  les  tuyaux  font 
creux;  enfuite  l'arrangement  (fj  de  ces  mêmes  plumes, 
la  forme  des  ailes  convexe  en  defTus  Si  concave  en 
deffous  ,  leur  fermeté  ,  leur  grande  étendue  <Sc  fa  force 
des  mufcles  qui  les  font  mouvoir;  enfin  la  légèreté 
même  du  corps,  dont  les  parties  les  plus  maiïives, 
telles  que  les  os ,  font  beaucoup  plus  légères  que  celles 
des  quadrupèdes  ;  car  les  cavités  dans  les  os  des  oifeaux 
font  proportionnellement  beaucoup  plus  grandes  que 

(r)  A  voyage  to  the  ijlands ....  With  the  natural  H'ijïory  ly  Sir  Hans 
Sloane.  London ,  tome  I ,  page  27. 

(f)  Voyez  fur  la  flruâure  &  l'arrangement  des  plumes,  les  re- 
marques &  oblêrvations  de  M/*  de  l'Académie  des  Sciences  dans  les 
Mémoires  pour  fervir  à  l'Hifloire  des  animaux ,  partie  11 ,  a  l'article 
d€  /'Autruche. 

Oifeaux,  Tome  L  .  E 


^ 


34  Discours 

dans  les  quadrupèdes  ,  6c  les  os  plats  qui  n'ont  point 
de  cavités  font  plus  minces  6c  ont  moins  de  poids. 
<c  Le  fqueiette  (tj  de  l'onocrotaie,  difent  les  Anato- 
«  mifles  de  l'Académie,  eft  extrêmement  léger,  il  ne 
pefoit  que  vingt-trois  onces  quoiqu'il  foit  très-grand  ». 
Cette  légèreté  des  os  diminue  confidérablcment  le 
poids  du  corps  de  l'oifeau ,  6c  l'ori  reconnoitra,  en 
peilmt  à  la  balance  liydroflatique,  le  fqueiette  d'un 
quadrupède  6c  celui  d'un  oifeau,  que  le  premier  efl 
fpécifiquement  bien  plus  pefant  que  l'autre. 

Un  fécond  eftet  très  remarquable,  6c  que  Ton  doit 
rapporter  à  la  nature  des  os  ,  eil  la  durée  de  la  vie 
des  oifeaux,  qui  en  général  eft  plus  longue  6c  ne  fuit 
pas  les  mêmes  règles,  les  mêmes  proportions  que 
dans  les  animaux  quadrupèdes.  Nous  avons  vu  que 
dans  l'homme  6c  dans  ces  animaux  ,  la  durée  de  la 
vie  efî  toujours  proportionnelle  au  temps  employé  à 
l'accroifîèment  du  corps,  6:  en  même  temps  nous 
avons  obftrvé  qu'en  général ,  ils  ne  font  en  état  d'en- 
gendrer que  lorfqu'ils  ont  pris  la  plus  grande  partie  de 
leur  accroiffement.  Dans  les  oifeaux  raccroiffement  eft 
plus  prompt,  6l  la  reproduclion  ])lus  précoce;  un  jeune 
oifeau  peut  fe  fervir  de  fes  pieds  en  fortant  de  la 
coque,  6v  de  fcs  ailes  peu  de  temps  après;  il  p(ut 
marcher  en  naiffant  &  voler  un  mois  ou  cinq  femaincs 
après  ià  naiiïance;  un  coq  eft  en    état   d'engendrer  à 

ft)  Mémoires  pour  fervir  à  i'Hiftoire  des  animaux,  j)arùe  1 1 J, 
nnlile  du  Ptiic.m. 


SUR   LA    NATURE   DES   OlSEAUX.  35 

Tage  (Je  quatre  mois,  &  ne  prend  Ton  entier  accroif- 
fement  qu'en  un  an  ;  les  oifeaux  plus  petits  le  prennent 
en   quatre   ou   cinq  mois;  ils   croifTcnt  Jonc  plus  vite 
ôi  produifent  bien  plus  tôt  que  les  animaux  quadru- 
pèdes, Sl  néanmoins  ils  vivent   bien  plus  long-temps 
proportionnellement;  car,  la    durée  totale   de  la  vie 
étant  dans   l'homme  6i  dans  les  quadrupèdes,  fix  ou 
fcpt  fois  plus  grande  que  ctWt  de  leur  entier  accroif- 
fement;  il  s'enluivroit  que  le  coq  ou  le  perroquet  qui 
ne  font  qu'un  an  à  croître  ne  devroient  vivre  que  fix 
ou  fcpt  ans ,  au  lieu  que  j'ai  vu  grand  nombre  d'exemples 
bien  diiîcrens;  des  linottes  prifonnières  <Sc  néanmoins 
âgées  de  quatorze  Si  quinze  ans ,  des  coqs  de  vingt 
ans  (Se  des  perroquets  âgés  de  plus  de  trente;  je  fuis 
même  porté  à  croire  que  leur  vie  poiirroit  s'étendre 
bien  au-delà  des  termes  que  je  viens  d'indiquer  ^u) , 
Si  je  fuis  perfuadé  qu'on  ne  peut  attribuer  cette  longue 
durée  de  la  vie   dans  des  êtres  auffi  délicats ,  &  que 
les  moindres  maladies  font  périr,   qu'à  la  texture  de 
leurs  os  dont  la  fubflance  moins  folide,  plus  légère  que 

^uj  Un  homme  digne  de  foi  m'<i  afTuré  qu'un  perroquet  âge  d'en- 
viron quarante  ans,  avoit  pondu  (Ims  le  concours  d'aucun  mâle,  au 
moins  de  Ton  efpèce.  — On  a  dit  qu'un  cygne  avoit  vécu  trois  cents 
ans;  une  oie,  quatre-vingts;  un  onocrotale  autant.  L'aigle  &  Je 
corbeau  pafTent  pour  vivre  très-long-temps.  Encyclopédie ,  à  l'article 
O'ifeau.  —  Aldrovandc  rapporte  qu'un  pigeon  avoit  vécu  vino-t-deux 
ans ,  &  qu'il  n'avoit  ceflé  d'engendrer  que  les  fix  dernières  années 
de  fa  vie.  — Willulghby  dit  que  les  linottes  vivent  quatorze  ans,  & 
fcs  chardonnerets  vingt-trois ,  &c. 


36  Discours 

celle  Jes  os  Jes  quadrupèdes,  refte  plus  long-temps 
poreufe;  en  forte  que  l'os  ne  fe  durcit,  ne  fe  remplit, 
ne  s'obflrue  pas  auffi  vite  à  beaucoup  près  que  dans 
les  quadrupèdes;  cet  endurcifTement  de  ia  fubflance  des 
os  elî,  comme  nous  l'avons  dit,  la  caufe  générale  de 
la  mort  naturelle:  le  terme  en  efl  d'autant  plus  éloigne 
que  les  os  font  moins  folides,  c'efl  par  cette  raifon 
qu'il  y  a  plus  de  femmes  que  d'hommes  qui  arrivent 
à  une  vieiliclTe  extrême;  c'eft  par  cette  même  raifon 
que  les  oifeaux  vivent  plus  long-temps  que  les  quadru- 
pèdes, &  les  poiiïons  plus  long-temps  que  les  oifeaux,. 
parce  que  les  os  des  poilîons  font  d'une  fubflance 
encore  plus  légère,  6c  ([ui  conferve  fa  duélilité  plus 
long- temps  que  celle  des  os  des  oifeaux. 

Si  nous  voulons  maintenant  comparer  un  peu  plus 
en  détail  les  oifeaux  avec  les  animaux  quadrupèdes, 
nous  y  trouverons  plufieurs  rapports  particuliers,  qui 
nous  rappelleront  l'uniformité  du  plan  général  de  la 
Nature;  il  y  a  dans  les  oifeaux,  comme  dans  les  qua- 
drupèdes ,  des  efpèces  carnaifières  ,  6c  d'autres  aux- 
quelles les  fruits,  les  grains,  les  plantes  fuffifent  pour 
fe  nourrir.  La  même  caufe  phyfique  qui  produit  dans 
J'homme  <Sc  dans  les  animaux  la  néceffité  de  vivre 
de  chair  <Sc  d'alimens  très- fubflanciels,  fe  retrouve 
dans  les  oifeaux  ;  ceux  qui  font  carnaiTiers  n'ont  qu'un  . 
eflomac  <Sc  des  inteflins  moins  étendus  que  ceus.  qui 
fe  nourriffcnt  de  grains  ou  de  fruits  fxj;  le  jabot  dans 

(x)  En  général,  aux  oifeaux  qui  fc  nourrHTent  de  chair,  les  inteflins 


SUR   LA   NATURE   DES   OiSEAUX.  37 

ceux-ci,  6c  qui  manque  ordinairement  aux  premiers, 
correfpond  à  la  panfe  des  animaux  ruminans  ;  ils  peuvent 
vivre  d  alimens  légers  ôi  maigres,  parce  qu'ils  peuvent 
en  prendre  un  grand  volume  en  rempli/Tant  leur  jabot, 
<&.  compenfer  ainfi  la  qualité  par  la  quantité;  ils  ont 
deux  cœairn  Si  un  géiier  qui  efl:  un  eflomac  très- 
mufculcux  ,  très-ferme  ,  qui  leur  fcrt  à  triturer  les  parties 
dures  des  grains  qu'ils  avalent,  au  lieu  que  les  oifeaux 
de  proie  ont  les  intedins  bien  moins  étendus,  ôi  n'ont 
ordinairement  ni  géfier,  ni  jabot,  ni  double  cœciim. 

Le  naturel  6c  les  mœurs  dépendent  beaucoup  des 
appétits,  en  comparant  donc  à  cet  égard  les  oifeaux 
aux  quadrupèdes ,  il  me  paroît  que  l'aigle  noble  (Si- 
généreux  ell  le  lion  ;  que  le  vautour,  cruel,  infatiable, 
efl  le  tigre;  le  milan,  la  bufe,  le  corbeau,  qui  ne 
cbercbcnt  que  les  vidanges  &  les  cbairs  corrompues, 
font  les  byxnes,  les  loups  &  les  cbacafs;  les  faucons, 
les  éperviers,  les  autours  (Se  les  autres  oifeaux  cliaffeurs, 
font  les  chiens,  les  renards,  les  onces  (Se  les  lynxs; 
les  chouettes  qui  ne  voient  <Sc  ne  chaffent  que  la  nuit, 
feront  les  chats;  les  hérons,  les  cormorans  qui  vivent 
de  poifTons,  feront  les  caflors  <Sc  les  loutres;  les  pies 
feront  les  fourmiliers ,  puifqu'ils  fe  nourrilTent  de 
même  en   tirant  également  la  langue  pour  la  charger 

font  courts ,  &  ils  n'ont  que  très  -  peu  <je  ccecum.  Dans  les  oifeaux 
granivores ,  les  inteflins  font  beaucoup  plus  étendus ,  lSl  ils  forment 
de  longs  replis;  il  y  a  aufli  louvent  pludeurï»  cœcum.  Voye-^  les  Aïémoires 
pourjernrà  l'H'ijioire  des  animaux,  aux  anUles  des  Oileaux. 

E  iij 


38  Discours 

cfc  fourmis.  Les  paons ,  les  coqs,  les  dindons,  touâ 
les  oifeaux  à  jabot  repréfentent  les  bœufs,  les  brebis, 
les  chèvres  Si.  les  autres  animaux  ruminans;  de  manière 
qu'en  établiffant  une  échelle  des  appétits,  &i  préfentant 
le  tableau  des  différentes  façons  de  vivre,  on  retrouvera 
dans  les  oifeaux  les    mêmes   rapports  &i  les   mêmes 
différences  que  nous  avons  obfervées  dans  les  quadru- 
pèdes, &  même  les  nuances  en  feront  peut-être  plus 
variées;  par  exemple,  les  oifeaux  paroiffent  avoir  vm 
fonds  particulier  de  fubfiftance,  la  Nature  leur  a  livré, 
pour  nourriture  ,  tous  les  infectes  que  les  quadrupèdes 
dédaignent:   la  chair,  le   poiiïbn,  les  amphibies,  les 
reptiles,  les  infeéles,  les  fruits,  les  grains,  lesfcmences, 
les  racines,  les  herbes,  tout  ce  qui  vit  ou  végète  de- 
vient  leur  pâture;   &  nous   verrons   qu'ils  font  affez 
indifférens  fur  le  choix.  Si  que  fouvent  ils  fuppléent 
à  l'une  des  nourritures  par  une  autre.  Le  fens  du  goût 
dans  la  plupart  des   oifeaux   efl   prefque  nul,  ou   du 
moins  fort  inférieur  à  celui  des  quadrupèdes;  ceux-ci, 
dont  le  palais  S:  la  langue,  font  à  la  vérité  moins  dé- 
licats que  dans  l'homme,  ont  cependant  ces   organes 
plus  fenfibles  &  moins  durs   que  les  oifeaux  dont  la 
langue  eft  prefque  cartilagineufe;  car,  de  tous  les  oi- 
feaux, il  n'y  a  guère  que  ceux  qui  fe  nourriffent  de  chair 
dont  la  langue  foit  molle  6c  affez  femblable,  pour  la 
fubilance,  à  ceWe  des  quadrupèdes.  Ces  oïi^esiux  auront 
donc  le  fens  du  goût  meilleur  que  les  autres,  d'autant 
qu'ils  paroiffent  auffi  avoir  plus  d'odorat,  Sl  que  la 


SUR   LA   NATURE  DES   OiSEAUX.         39 

finefTe  de  l'odorat  fupplée  à  la  grofTièretc  du  gcùt; 
mais ,  comme  l'odorat  efl  plus  (oihle  &  le  tacfl  du 
goût  plus  obtus  dans  tous  les  oifeaux  que  dans  les 
quadrupèdes ,  ils  ne  peuvent  guère  juger  des  faveurs  ; 
auin  voit-on  que  la  plupart  ne  font  qu'avaler  ,  uns  ja- 
mais favourer;  la  maftication  qui  fait  une  grande  partie 
de  la  jouiffance  de  ce  fens,  leur  manque;  ils  font,  par 
toutes  CCS  rai  Ton  s  ,  fi  peu  délicats  fur  les  alimens, 
que  qucl(|uefois  ils  s'empoifonncnt  en  voulant  fe 
nourrir  (yj. 

C'cll  donc  fans  connoifTance  6i  fans  réflexion,  que 
quelques  Naturalises   CiJ   ont  divifé  les  genres  des 

(y)  Nota.  Le  perfil,  le  café,  les  amandes  amcres,  &c.  font  un 
poifon  pour  les  poules,  les  perroquets  &  plufieurs  autres  oifeaux, 
qui  néanmoins  les  mangent  avec  autant  d  avidité  que  les  autres  nour- 
ritures qu'on  leur  ofire. 

(l)  Nota.  M.  Frifch,  dont  l'ouvrage  eft  d'ailleurs  très-recomman- 
dable  à  beaucoup  dVgards  *,  d\\\iQ  tous  les  oifeaux  en  douze 
claffcs ,  dont  la  première  comprend  les  petits  oifeaux  à  bec  court  dX 
épais ,  ouvrant  les  graines  en  deux  parties  égales  ;  la  féconde  contient 
les  petits  oifeaux  à  bec  menu  ,  mangeant  des  mouches  ù"  des  vers  ;  la 
troificme,  les  merles  &  les  grives  ;  la  quatrième,  les  pics ,  coucous» 
huppes  éT'  perroquets  ;  la  cinquième,  les  geais  Ù"  les  pies  ;  fa  fixièmc, 
les  corbeaux  à^  corneilles  ;  la  fcjnitme ,  les  0  féaux  de  proie  diurnes  ; 
la  huitième  ,  les  oifeaux  de  proie  noâurnes  ;  la  neuvième ,  les  puules 
àomcfiijues  &  fiuvages ;  la  dixième,  les  pigeons  domejliques  Ù'  fiuvages ; 
ia  onzième  ,  les  oies  ,  canards  &  autres  animaux  nageans ;  la  douzième. 
Us  oifeaux  qui  aiment  les  eaux  &  les  lerreins  aquatiques.    On  voit  bicri 

•HiHoiie  dci  Oileaiix ,  avec  des  pfancfics  coloriéa,   par  M.  FriTch,  en  AUcnMnd, 
^cux  vuluiscj  itt-j^olio,  imprimer  à  £crlin  en  ijjô» 


40  Discours 

oifeaijx  par  leur  manière  de  vivre;  cette  idée  eût  été 
plus  applicable  aux  quadrupèdes  ,  parce  que  leur  goût 
étant  plus  vif  <Sc  plus  fenfible  ,  leurs  appétits  font  plus 
décides,  quoique  l'on  puifTe  dire  avec  raifon  des  qua- 
drupèdes comme  des  oifeaux,  que  la  plupart  de  ceux 
qui  fe  nourrifTent  de  plantes  ou  d'autres  alimens  maigres, 
pourroient  aulTi  manger  de  la  chair.  Nous  voyons  les 
poules,  les  dindons  <Sc  les  autres  oifeaux  qu'on  appelle 
grûîîh'orcs,  rechercher  les  vers,  les  infedles,  les  par- 
celles de  viande,  encore  plus  foigneufement  qu'ils  ne 
cherchent  les  graines;  on  nourrit  avec  de  la  chair  ha- 
chée le  ro/fignol  qui  ne  vit  qued'infed;es;les  chouettes 
qui  font  naturellement  carnaffières  ,  mais  qui  ne 
peuvent  attraper  la  nuit  que  des  chauve-fouris,  fe  ra- 
battent fur  les  papillons -phalènes  qui  volent  au /fi  dans 

que  l'habitude  d'ouvrir  les  graines  en  deux  parties  égales  ne  doit  pas 
faire  un  caradère,  puifque  dans  cette  même  clafîè  il  y  a  des  oifeaux, 
comme  les  méfànges,  qui  ne  les  ouvrent  pas  en  deux,  mais  qui  les 
percent  &  les  déchirent  ;  que  d'ailleurs  tous  les  oilcaux  de  cette 
première  clafTe ,  qui  font  fuppofés  ne  fe  nourrir  que  de  graines, 
mangent  aufli  des  iniedes  &  des  vers  comme  ceux  de  la  féconde  : 
il  valoit  donc  mieux  réunir  ces  deux  claflcs  en  une,  comme  l'a  fait 
AI.  Linnoeus  *;  ou  bien,  M.  Frifch ,  qui  prend  pour  caradère  de 
la  première  clafîe  cette  manière  de  manger  les  graines ,  auroit  dû  faire 
en  conféquence  une  clafle  particulière  des  mélanges  &  des  autres 
oifeaux  qui  les  percent  ou  les  déchirent,  &  en  même  temps  il  n'au- 
roit  dû  fliire  qu'une  feule  claiïè  des  poules  &  des  pigeons  qui  les 
avalent  également  fans  les  percer  ni  les  ouvrir  en  deux  ;  &  néanmoins 
il  fait  des  poules  &  des  pigeons  deux  clafîes  féparées. 

*  Lina.  Syd.  nat.  édit.  x,  tome  1,  page  Sf» 

l'obfcijrité  : 


SUR   TA    NATURE  DES   OiSEAUX.  41 

l'ohfcLirité:  le  bec  crochu  n'efl  pas,  comme  le  difent 
les  gens  amoureux  des  caufes  finales,  un  indice,  un 
figne  certain  d'un  appétit  décidé  pour  la  chair,  ni  un 
infirument  fait  exprés  pour  la  déchirer  ,  puifquc  les 
perroquets  &  pludeurs  autres  oifeaux  dont  le  bec  eft 
croclui,  (emblent  préférer  les  fruits  &  les  graines  à  la 
cliair;  ceux  (jui  font  les  plus  voraces ,  les  plus  carnaf- 
ficrs,  niangent  du  poiffon,  des  crapauds,  des  reptiles, 
Jorf  [ue  la  chair  leur  manque.  Prefjue  tous  les  oifeaux 
qui  paroiffent  ne  vivre  que  de  graines,  ont  néanmoins 
été  nourris  dans  le  premier  âge  par  leurs  pères  <Sc 
mères  avec  des  infecftes.  Ainfi  rien  n*e(l  plus  gratuit 
êi  moins  fondé  que  celte  di\ifion  des  oifeaux,  tirée 
de  leur  manière  de  vivre,  ou  de  la  différence  de  leur 
nourriture;  jamais  on  ne  déterminera  la  nature  d'un 
ctre  par  un  feul  cara(5tère  ou  par  une  feule  hal^itude 
naturelle,  il  faut  au  moins  en  réunir  plufieurs,  car 
plus  les  cara(5lères  feront  nombreux,  Si  moins  la  mé- 
thode aura  d'imperficftion  ;  mais,  comme  nous  l'avons 
tant  dit  (5c  répété,  rit  n  ne  peut  la  rendre  complète 
que  riiifloire  ôi  la  defcription  de  chaque  efpèce  en 
^arùculitr. 

Comme  la  maflication  manque  aux  oifeaux,  que  le 
bec  ne  reprcfente  qu'à  certains  égards  la  mâchoire 
des  quadrupèdes;  que  même  il  ne  peut  fuppiéer  que 
très-imparfâitement  à  l'office  des  dents  (^iij,  qu'ils  font 

fûj  Dans  les  perroquets  &  daus  beaucoup  d'autres  oifeaux ,  la  parue 
fupérieure  du  Lee  eiï  mobile  coiiime  Jaiférieu«;  au  lieu  que  dans 

Oijtaux,  Ivme  L  .  F 


42  Discours 

forcés  d'avaler  les  graines  entières  ou  à  demi  -  con- 
cafîées ,  &:  qu'ils  ne  peuvent  les  broyer  avec  le  bec, 
ils  n'auroicnt  pu  les  digérer  ,  ni  -par  conféquent  fe 
nourrir,  fi  leur  eflomac  eut  été  conformé  comme  celui 
des  animaux  qui  ont  des  dents;  les  oifeaux  granivores 
ont  de*s  géfiers  ,  c'eft  -  à  -  dire,  des  eftomacs  d'une 
fubliance  affez  ferme  6:  affez  folide  pour  broyer  les 
alimens  ,  à  l'aide  de  quelques  petits  cailloux  qu'ils 
avalent;  c'cfl  comme  s'ils  portoient  &i  plaçoient  à 
chaque  fois  des  dents  dans  leur  eflomac  où  l'adlion 
du  broyement  <Sc  de  la  trituration  par  le  frottement  (bj 
cft  bien  plus  grande  que  dans  les  quadrupèdes  6;  même 

les  animaux  quadrupèdes  il  n'y  a  que  h  mâchoire  inférieure  qui  foit 
mobile. 

^bj  De  tous  les  animaux  il  n'y  en  a  point  dont  la  digeflion  foit  plus 
Êivorable  au  fyftème  de  la  trituration ,  que  celle  des  oifèau'x  ;  leur 
géfier  a  toute  la  force  &  la  diredion  de  fibres  néce/faires,  &:  les 
oifeaux  voraces  qui  ne  {ê  cfonnent  pas  le  loifir  de  féparer  l'écorce 
dure  des  graines  qu'ils  prennent  pour  nourriture ,  avalent  en  même 
temps  de  petites  pierres  par  le  moyen  defquelles  leur  géfier,  en  (t 
coniradant  fortement,  caffe  ces  écorces;  c'cft-là  une  vraie  trituration, 
mais  ce  n'efl:  que  celle  qui  dans  les  autres  animaux  appartient  aux 
dents  ;  feulement  elle  eft  tranfpofée  dans  ceux  -  ci  &  remife  à  leur 
eftomac ,  ce  qui  n'empêche  pas  Ces  liqueurs  de  diffoudre  les  graines 
dépouillées  de  leur  écorce  par  le  broyement  ou  frottement  des  petites 
pierres  :  avant  cet  eftomac  il  y  a  encore  une  efpècc  de  poche  qui 
doit  y  verfer  une  grande  quantité  de  fuc  blanchâtre,  puifque  même 
après  la  mort  de  l'animal  on  peut  l'en  exprimer  en  la  preffani  légè- 
rement. M.  Helvetius  ajoute  qu''on  trouve  quelquefois  dans  i'œfophage 
du  cormoran  des  poiflons  à  demi-digérés.  Hjfioïre  de  l'Acadîmk  Un 
Sciences,  annà  iyi$,  page  ^j» 


SUR   LA    NATURE    DES   OiSEAUX.  43 

dans  les  animaux  carnaiïiers  qui  n'ont  point  de  géfier, 
mais  un  eflomac  fouple  <Sc  aiïez  fembiahle  à  celui  des 
autres  animaux  :  on  a  obfervé  que  ce  feul  frottement 
dans  le  géfier,  avoit  rayé  profondément,  &  ufé  prefque 
aux  trois  quarts  plufieurs  pièces  de  monnoie  qu'on 
avoit  fait  avaler  à  une  autruche  fcj. 

De  la  même  manière  que  ia  Nature  a  donné  aux 
quadrupèdes  qui  fréquentent  les  eaux,  ou  qui  habitent 
les  pays  froids,  une  double  fourrure  6c  des  poils  plus 
ferrés,  plus  épais;  de  même  tous  les  oifcaux  aquatiques 
<Sc  ceux  des  terres  du  nord,  font  pourvus  d'une  grande 
quantité  de  plumes  Si  d\\n  duvet  très-fin,  en  forte 
qu'on  peut  juger,  par  cet  \nd\cc ,  de  leur  pays  natal,  6c 
de  l'élément  auquel  ils  donnent  la  préférence.  Dans 
tous  les  climats,  les  oileaux  d'eau  font  à  peu-près  éga- 
lement garnis  de  plumes,  &i  ils  ont  près  de  la  queue 
des  groffes  glandes ,  des  efpèces  de  réfervoirs  d'une 

fc)  On  trouva  dans  l'eftomac  d'une  autruche  julqu'à  foixante-dix 
doubles ,  la  plupart  confumés  prefque  des  trois  quarts ,  «Se  rayés  par 
le  frottement  mutuel  &  par  celui  des  cailloux ,  &  non  pas  par  aucune 
dilfolution  ,  parce  que  quelques-uns  de  ces  doubles  qui  étoicnt  creux 
à'xin  côté  &  bo/Tus  de  l'autre  étoient  tellement  ulcs  6<.  luifins  du 
côté  de  la  bofTe  ,  qu'il  n'y  paroifloit  plus  rien  de  la  figure  de  la 
monnoie  qui  étoit  demi-ufée  &  entière  de  l'autre  côté  que  la  cavité 
avoit  défendu  du  frottement  ;  il  efl:  certain  que  cette  cavité  n'eût 
pas  garanti  le  côté  où  elle  étoit  de  i'acflion  d'un  efprit  difToIvant. 
Ai ém Dires  pour  fcrv'ir  a  VH'ifloire  des  animaux,  tome  J,  page  i^^ 
àf  1 40.  — Une  piflole  d'or  d'Elpagne  avalée  par  un  canard,  avoit 
perdu  feize  grains  de  fon  poids  lorfqu'il  l'a  rendue.  Collée.  Aead. 
partie  étrangère >  tome  V,  page  i  q  j. 

Fij 


4.4.  Discours 

matière  Iniileufe  dont  ils  fe  fervent  pour  liiflrer  Se 
vernir  leurs  plumes;  ce  qui,  joint  à  leur  cpaifTeur,  les 
rend  impénétrables  à  i'eau  qui  ne  peut  que  gliiïer  fur 
leur  furface;  les  oifeaux  de  terre  manquent  de  ces 
glandes,  ou  les  ont  beaucoup  plus  petites. 

Les  oifeaux  prefque  nus,  tels  (}ue  l'autruche,  le 
cafoar,  le  dronte ,  ne  fe  trouvent  que  dans  les  pays 
chauds;  tous  ceux  des  pays  froids  font  bien  fourrés 
6c  bien  couverts;  les  oifeaux  de  haut  vol  ont  befoin 
de  toutes  leurs  plumes  pour  réfifter  au  froid  de  la 
moyenne  région  de  l'air.  Lorfqu'on  veut  empêcher 
un  aigle  de  s'élever  trop  haut,  &  de  fe  perdre  à  nos 
yeux,  il  ne  faut  que  lui  dégarnir  le  ventre,  il  devient 
dès-lors  trop  fenfible  au  froid  pour  s'élever  à  cette 
grande  hauteur. 

Tous  les  oifeaux,  en  général,  font  fujets  à  la  mue 
comme  les  quadrupèdes;  la  plus  grande  partie  de  leurs 
plumes  tombent  Si  fe  renouvellent  tous  les  ans,  <Sc 
même  les  effets  de  ce  changement  font  bien  plus 
fenfibles  que  dans  les  quadrupèdes  ;  la  plupart  àcs 
oifeaux  font  fouffrans  &  malades  dans  la  mue,  quel- 
ques -  uns  en  meurent ,  aucun  ne  produit  dans  ce 
temps;  la  poule  la  mieux  nourrie  ceffe  alors  de  pondre, 
la  nourriture  organique  qui  auparavant  étoit  employée 
à  la  reproduélion ,  fe  trouve  confommée,  abforbée 
&.  au-delà  par  la  nutrition  de  ces  plumes  nouvelles, 
6i  cette  même  nourriture  organique  ne  redevient 
furabondante  que  quand  elles  ont  pris  leur  entière 


SUR    LA   NATURE   DES   OiSEAUX,  45 

croifTance.  Communcment  c'cfl  vers  la  fin  de  Tété  6c 
en  automne  que  les  oifeaux  muent  ^<^;  les  plumes  re- 
naifTent  en  mcme  temps,  la  nourriture  abondante  qu'ils 
trouvent  dans  cette  faifon ,  eft  en  grande  partie  con- 
fommée  par  la  croifTance  de  ces  plumes  nouvelles,  <?c 
ce  n'efl  que  quand  elles  ont  pris  leur  entier  accroifTe- 
inent,  c'efl-à-dire ,  à  l'arrivée  du  printemps,  que  ia 
furabondance  de  la  nourriture,  aidée  de  la  douceur 
de  la  faifon,  les  porte  à  l'amour;  alors  toutes  les 
plantes  renaiffent,  les  infeéles  engourdis  fe  réveillent 
ou  fortent  de  leur  nymphe,  la  terre  femble  fourmiller 
de  vie  ;  cette  chère  nouvelle  qui  ne  paroît  préparée 
que  pour  eux,  leur  donne  une  nouvelle  vigueur,  un 
furcroît  de  vie,  qui  fe  répand  par  l'amour,  <Sc  fe  réalife 
par  la  rcproduél:ion. 

On  croiroit  qu'il  efl  aufTi  efTentiel  à  l'oifeau  de 
voler,  qu'au  poiffon  de  nager,  <Sc  au  quadrupède  de 
marcher;  cependant  il  y  a,  dans  tous  ces  genres,  des 
exceptions  à  ce  fiit  général;  &  de  mcme  que  dans  les 
quadrupèdes  il  y  en  a,  comme  les  rouffettes,  les  rou- 

/dj  Les  oifeaux  donielliques  ,  comme  les  poules ,  muent  ordi- 
nairement en  automne  ;  &  c'eft  avant  la  fin  de  l'été  que  les  faifans 
&  les  perdrix  entrent  dans  la  mue  :  ceux  qu'on  garde  en  parquet 
dans  les  faiianderics  muent  immédiatement  après  leur  ponte  faite.  Dans 
ia  campagne,  c'eft  vers  la  fin  de  juillet  que  les  perdrix  ôc  les  faifans 
fubilîeni  ce  changement;  leulement  les  femelles  qui  ont  des  petits 
entrent  dans  la  mue  quelques  jours  plus  tard.  Les  canards  fauvages 
muent  aufll  avant  la  fin  de  juillet.  Ces  remarques  mont  été  données 
par  M.  le  Roy ,  Lieutenant  des  Chajfes  à  Verfailles. 

1^^      • •  • 

r  iij 


;^6  Discours 

g-ettes  &  les  ciiauve-foLiris ,  qui  volent  6c  ne  marchent 
pas,  d'autres  qui,  comme  \qs  phoques,  les  morfes  (Se 
les  lamantins,  ne  peuvent  que  nager,  ou  qui  ,  comme 
les  cadors  (?c  \ts  loutres,  marchent  plus  dilîrcilemcnt 
qu'ils  ne  nagent;  d'autres  enfin  qui,  comme  les  parcf- 
feux,  peuvent  à  peine  fe  traîner.  De  même  dans  les 
oifeaux  on  trouve  l'autruche,  le  cafoar,  ledronte,  le 
thouyou ,  (5vc,  qui  ne  peuvent  voler,  <S:  font  réduits  à 
marcher;  d'autres,  comme  les  pingoins,  les  perroquets 
de  mer,  (5cc.  qui  volent  6c  nagent,  mais  ne  peuvent 
marcher;  d'autres  qui,  comme  \ts>  oifeaux  de  paradis, 
ne  marchent  ni  ne  nagent,  6c  ne  peuvent  prendre  de 
mouvement  qu'en  volant.  Seulement,  il  paroit  que 
l'élément  de  l'eau  appartient  plus  aux  oifeaux  qu'aux 
quadrupèdes;  car,  à  l'exception  d'un  petit  nombre 
d'efpèces,  tous  les  animaux  terreflres  fuient  l'eau,  6c 
ne  nagent  que  quand  ils  y  font  forcés  par  la  crainte  ou 
par  le  befoin  de  nourriture  ;  au  lieu  que  dans  les 
oifeaux,  il  y  a  une  grande  tribu  d'efpèces  qui  ne  fe 
plaifent  que  fur  l'eau,  6c  fembient  n'aller  à  terre  que 
par  néceffité  6c  pour  des  befoins  particuliers ,  comme 
celui  de  dépofer  leurs  œufs  hors  de  l'atteinte  des 
eaux,  6cc.  6c  ce  qui  démontre  que  l'élément  de  l'eau 
appartient  plus  aux  oifeaux  qu'aux  animaux  terreflres, 
c'eft  qu'il  n'y  a  que  trois  ou  quatre  quadrupèdes  qui 
aient  des  membranes  entre  les  doigts  des  pieds;  au  \\c\\ 
qu'on  peut  compter  plus  de  trois  cents  oifeaux  pourvus 
de  ces  membranes  qui  leur  donnent  la  facilité  de  nager. 


SUR    LA    NATURE   DES    OISEAUX.  47 

D'ailleurs,  la  légèreté  Je  leurs  plumes  <Sc  de  leurs  os , 
la  forme  même  de  ieur  corps ,  contribuent  prodigieufe- 
ment  à  cette  plus  grande  facilité;  l'homme  eft  peut- 
clre  de  tous  les  êtres  celui  qui  fait  le  plus  d'efforts  en 
nageant,  parce  que  la  forme  de  fon  corps  efl  abfolu- 
ment  oppofce  à  cette  efpèce  de  mouvement;  dans 
les  quadrupèdes,  ceux  qui  ont  plufieurs  cftomacs  ou 
de  gros  6l  longs  inteftins  nagent,  comme  plus  légers, 
plus  aifément  que  les  autres ,  parce  que  ces  grandes 
cavités  intérieures  rendent  leur  corps  fpécifiquement 
moins  pefant;  les  oifeaux  dont  les  pieds  font  des  ef- 
pèces  de  rames,  dont  la  forme  du  corps  e/1  obfongue, 
arrondie  comme  celle  d'un  navire,  (Se  dont  le  volume 
eft  fi  léger,  qu'il  n'enfonce  qu'autant  qu'il  faut  pour 
fe  foutenir ,  font,  par  toutes  ces  caufes,  prefqu'auffi 
propres  à  nager  qu'à  voler;  év  même  cette  faculté  de 
nager  fe  développe  la  première,  car  on  voit  les  petits 
canards  s'exercer  fur  les  eaux,  long-temps  avant  qu^ 
de  prendre  leur  effor  dans  les  airs. 

Dans  les  quadrupèdes,  fur  -  tout  dans  ceux  qui  ne 
peuvent  rien  faifir  avec  leurs  doigts,  qui  n'ont  que  des 
cornes  aux  pieds  ou  des  ongles  durs  ,  le  fcns  du 
toucher  paroît  être  réuni  avec  celui  du  goût  dans  la 
gueule;  comme  c'efl  la  feule  partie  qui  foit  divifée,  & 
par  laquelle  ils  puiiïent  faifir  les  corps  &:  en  connoitre 
la  forme,  en  appliquant  à  leur  furface  la  langue,  le  palais 
ÔL  les  dents,  cette  partie  efî  le  principal  fiége  de  leur 
toucher,  ainfi  que  de  leur  goût.   Dans  les  oifeaux. 


4-8  Discours 

[c  toucher  de  cette  partie  efl  donc  au  moins  aufTi  im* 
parfait  que  dans  les  quadrupèdes,  parce  que  leur  langue 
ÔL  leur  palais  font  moins  renfibies;  mais  il  paroit  qu'ds 
l'emportent  fur  ceux-ci  p:ir  le  toucher  des  doigts, 
6c  que  le  principal  ficge  de  ce  fens  y  rcfidc;  car,  en 
gênerai,  ils  fe  fervent  de  leurs  doigts  beaucoup  plus 
que  les  quadrupèdes,  foit  pour  faifir  fej,  fojt  pour 
palper  les  corps;  néanmoins  l'intérieur  des  doigts  étant 
dans  les  oifeaux  toujours  revêtu  d'une  peau  dure  (Se 
calleufe,  le  taél  ne  peut  en  être  délicat,  &  les  fenfalions 
qu'il  produit  doivent  être  affez  peu  diflinéles. 

Voici  donc  l'ordre  des  fens,  tels  que  la  Nature 
paroît  l'avoir  établi  pour  les  différens  êtres  que  nous 
confidérons.  Dans  l'homme,  le  toucher  efl  le  premier, 
c'e(l-à-dire,  le  plus  parfait;  le  goût  efl  le  fécond,  la 
vue  le  troifième,  l'ouïe  le  quatrième  &  l'odorat  le 
dernier  des  fens.  Dans  le  quadrupède,  l'odorat  efl 
le  premier,  le  goût  le  fécond,  ou  plutôt  ces  deux 
fens  n'en  font  qu'un,  la  vue  le  troifième,  l'ouïe  le 
quatrième,  ôi  le  touciier  le  dernier.  Dans  l'oifeau  la 
vue  efl  le  premier,  l'ouïe  efl  le  fécond,  le  toucher 

fe)  Nota.  Nous  avons  vu  dans  THiftoire  des  nniniaux  quadrupèdes, 
qu'il  n'y  en  a  pas  un  tiers  qui  fe  fervent  de  leurs  pieds  de  devant 
pour  porter  à  leur  gueule,  au  lieu  que  la  plupart  des  oifeaux  fe  fervent 
d'une  de  leurs  pattes  pour  porter  à  leur  bec  ;  quoique  cet  a<fle  doive 
leur  coûter  plus  qu'aux  quadrupèdes,  puifquc  n'ayant  que  deux  pieds 
ils  (ont  obliges  de  fe  foutenir  avec  effort  lur  un  feul  pendant  que 
l'autre  agit  ;  au  lieu  que  le  quadrupède  ell  alors  appuyé  fur  les  trois 
autres  pieds  ou  alîis  fur  les  parties  poftérieures  de  fon  corps. 

le  troifième; 


SUR   LA    NATURE   DES   OiSEAUX.         49 

îetroifième,  le  goût  &.  l'odorat  les  derniers.  Les  fen- 
fations  dominantes  ,  dans  chacun  de  ces  êtres,  fuivront 
le  même  ordre;  l'homme  fera  plus  ému  par  fes  impref- 
fions  du  toucher,  le  quadrupède  parcelles  de  l'odorat. 
Si.  Toifeau  par  celles  de  la  vue;  la  ph)S  grande  partie 
de  leurs  jugemens ,  de  leurs  déterminations,  dépen- 
dront de  ces  fenfations  dominantes;  celles  des  autres 
fens  étant  moins  fortes  6c  moins  nombreufes,  feront 
fubordonnées  aux  preiuières  ,  6c  n'influeront  qu'en 
fécond  fur  la  nature  de  l'être.  L'homme  fera  auiïr 
rértéchi  que  le  fens  du  toucher  paroît  grave  6c  pro- 
fond: le  quadrupède  aura  des  appétits  plus  véhémens 
que  ceux  de  l'homme,  Si  l'oifeau  des  fenfations  plus 
Jégères  6c  au/fi  étendues  que  l'efl  le  fens  de  la  vue. 

Mais  il  y  a  un  fixièmefens  qui ,  quoiqii'intermittenr, 
femble,  lorfqu'il  agit ,  commander  à  tous  les  autres, 
A  produire  alors  les  fenfations  dominantes,  les  mou- 
vemens  les  plus  \ioIens,  6c  les  affeélions  les  phis 
intimes;  c'efl  le  fens  de  l'amour  :  rien  n'égale  la  force 
lie  fes  impre/fions  dans  les  animaux  quadrupèdes,  rien 
n'cfl  plus  jirefTant  que  leurs  hcfoins ,  rien  de  plus 
fougueux  que  leurs  dcfirs  ;  ils  fe  recherchent  avec 
J'empreffement  le  plus  vif,  6c  s'uniffent  avec  une 
cfpèce  de  fureur.  Dans  les  oifeaux  il  y  a  plus  de  ten- 
dreffe,  plus  d'attacliement,  plus  de  morale  en  amour, 
.quoique  le  fonds  phyfjque  en  foit  peut-être  encore 
plus  grand  que  dans  les  quadrupèdes;  à  peine  peut-on 
citer,  dans  ceux-ci,  quelques   e>:emples  de  chaflcté 

OifeditXfTonjc  I.  .   G 


jo  Discours 

conjugale,  6:  encore  moins  du  foin  des  pères  pour 
leur  progéniture  ;  au  lieu  que  dans  les  oif?aux  ce  font 
les  exemples  contraires  qui  font  rares,  puifju'à  l'ex- 
ception de  ceux  de  nos  baffe  -  cours  <&  de  quelques 
autres  efpèces  ,  tous  paroiffent  s'unir  par  un  pa6te 
confiant,  ôc  qui  dure  au  moins  auffi  long-  temps  que 
l'éducation  de  leurs  petits. 

C'efl  qu'indépendamment  du  befoin  de  s'unir,  tout 
mariage  fuppofe  une  néceffité  d'arrangement  pour  foi- 
méme  Si.  pour  ce  qui  doit  en  réfuiter;  les  oifeaux  qui 
font  forcés  ,  pour  dépofer  leurs  œufs ,  de  conflruire 
im  nid   que   la  femelle  commence  par  néceffité ,    6c 
auquel  le  mâle  amoureux  travaille  par   complaifancc, 
s'occupant   enfemble  de    cet  ouvrage ,   prennent   de 
l'attachement  l'un   pour  l'autre;    les  foins  multipliés, 
les  fecours  mutuels,  les  inquiétudes  communes,  for- 
tifient ce  fcntiment  qui  augmente  encore  <5^  qui  devient 
plus  durable  par  une  féconde  néccffitc,   c'eft,  de  ne 
pas  laifîcr  refroidir  les  œufs,  ni  perdre  le  fruit  de  leurs 
amours  pour  lequel  ils  ont  déjà  pris  tant  de  foins  ;  la 
femelle  ne  pouvant  les  quitter,  le  mâle  va  chercher  <Sc 
lui  apporte  fa  fubfiflance;  quelquefois  même  il  la  rem- 
place, ou  fe  réunit  avec  elle,  pour  augmenter  la  chaleur 
du  nid,  <S^  partager  les  ennuis  de  fa  htuation;  l'attache- 
ment qui  vient  de  fuccéder  à  l'amour,  fubfifle  dans 
toute  fa  force,  pendant  le  temps  de  l'incubation.  Si  il 
parolt  s'accroître  encore  <$c  s'épanouir  davantage  à  la 
naiffance  des  petits;  c'efl  une  autre  jouiflance,  mais 


SUR   LA    NATURE  DES   OiSEAUX.  51 

en  même  temps  ce  font  de  nouveaux  Jiens  ;  leur 
éducation  eft  un  nouvel  ouvrage  auquel  le  père  &i  la 
mère  doivent  travailler  de  concert.  Les  oifeaux  nous 
repréfentcnt  donc  tout  ce  qui  fe  paiïe  dans  un  ménage 
honnête;  de  l'amour  fuivi  d'un  attachement  fans  par- 
tage, &  qui  ne  fe  répand  enfuite  que  fur  la  famille» 
Tout  cela  tient,  comme  l'on  voit,  à  la  néce/Tité  de 
s'occuper  enfemble  de  foins  inclifpcnfablcs  &.  de  tra- 
vaux communs;  &'  ne  voit -on  pas  aulTi  que  cette 
néceffitc  de  travail  ne  fe  trouvant  chez  nous  que  dans 
la  féconde  claffe,  les  hommes  de  la  première  j)Ouvant 
s'en  difpenfer,  l'indifièrence  <Sc  l'infidélité  n'ont  pu 
manquer  de  gagner  les  conditions  élevées! 

Dans  les  animaux  quadrupèdes,  il  n'y  a  que  de  l'a- 
mour phyfique  6c  point  d'attachement,  c'efl-à-dire  nul 
fcntimcnt  durable  entre  le  mâle  <Sc  la  femelle ,  parce 
que  leur  union  ne  fuppofe  aucun  arrangement  précé- 
dent. Si  n'exige  ni  travaux  communs  ni  foins  fubfé- 
quens;  dès-lors  point  de  mariage.  Le  mâle  dès  qu'il 
a  joui  ,  fe  fépare  de  la  femelle ,  foit  pour  pafTer  à 
d'autres  ,  foit  pour  fe  refaire;  il  n'efl  ni  mari ,  ni  père 
de  famille,  car  il  méconnoît  &  fa  femme  &  fes  enfans; 
elle-même  s'étant  livrée  à  plufieurs,  n'attend  de  foins 
ni  de  fecours  d'aucun  ,  elle  rcde  feule  chargée  du  poids 
de  fa  progéniture  &:  des  peines  de  l'éducation;  elle  n'a 
d'attachement  que  pour  fes  petits  ,  <S:  ce  fentiment  dure 
fouvent  plus  long  -  temps  que  dans  l'oifeau,  comme  il 
paroit  dépendre  du  bcfoin  que  les  petits  ont  de  leur 

Gij 


s  2,  Discours 

mère,  ciu'elle  les  nourrit  de  la  propre  riil)flance ,  & 
que  fcs  fccours  font  plus  long-temps  néceflaires  dans 
la  plupart  des  quadrupèdes  qui  croifTent  p!us  lentement 
que  les  oifeaux  ,   l'attachement  dure  auiTi   plus  long- 
temps; il  y  a  même  pludeurs  efpèces  d'animaux  qua- 
drupèdes, où  ce  fcntiment  n'ed  pas  détruit  par  de  nou- 
velles   amours  ,   <Sc    où    l'on   voit    la    mère    conduire 
également,  &i  foigner  fcs  petits  de  deux  ou  trois  portées. 
Il  y  a  auffi    quelques   efpèces  de    quadrupèdes   dans 
lefquelies  la  fociété  du  maie  <5i  de  la  femelle,  dure  6c 
fuhfifle  pendant    le  temps  de  l'éducation   des   petits; 
on  le  voit  dans  les  loups  &   les  renards;  le  chevreuil, 
fur -tout,  peut  être  regardé  comme  le  modèle  de  ia 
fidélité    conjugale  :   il  y    a ,    au    contraire  ,    quelques 
efpèces    d'oifeaux   dont  la  yariade  ne   dure  pas   plus 
Jong-temps  que  les  befoins  de  l'amour  (f);  mais  ces 
exceptions  n'empêchent  pas  qu'en  général,  la  Nature 
n'ait  donné  plus  de  conilance  en  amour  aux  oifeaux 
qu'aux  (quadrupèdes. 

Et  ce  qui  prouve  encore  que  ce  mariage  <?c  ce 
moral  d'ampur,  n'ed  produit  dans  les  oifeaux  que  par 
la  néceiïité  d'un  travail  commun  ,  c'cfl  que  ceux  qui 
ne  font  point  de  nid  ne  fe  marient  point,  &  fe 
mêlent    indifféremment  :    on   le    voit   par    l'exemple 

(f)  Dès  que  la  perdrix  rouge  fcme\!e  couve,  le  mîile  l'abancionne 
«5c  la  laifle  charcrcc  feule  de  l'éducation  des  petits  ;  les  mâles  qui  ont 
fervi  leurs  femelles  fe  raflemblent  eïi  compagnies  &  ne  prennent  plus 
•lucun  intérêt  à  leur  progéniture.  Cette  nmarque  ma  été  donnée  par 
M.  le  Roy ,  Lieutenant  des  Chajfes  de  Sa  Majejîé ,  à  Verfaïlles, 


SUR   LA    NATURE   DES   OiSEAUX.  ^J 

familier  de  nos  oifeaux  de  baffe-cour,  le  mâle  parort 
feulement  avoir  quelques  attentions  de  plus  pour  fes 
femelles ,  cjue  n'en  ont  les  quadrupèdes  ;  parce  qu'ici 
h  faifon  des  amours  n'efl  pas  limitée,  qu'il  peut  fe 
fervir  plus  long-temps  de  la  mémo  femelle,  que  le 
temps  des  pontes  eft  plus  long,  qu'elles  font  plus 
fréquentes,  qu'enfin,  comme  on  enlève  les  œufs,  les 
temps  d'incubation  font  moins  preffés,  <S;  que  les 
femelles  ne  demandent  à  couver  que  quand  leurs 
puifTances  pour  Ja  génération  fe  trouvent  amorties  6: 
prefque  épuifées  :  ajoutez  à  toutes  ces  caufes ,  le  peu 
de  befoin  que  ces  oifeaux  domcfliques  ont  de  conf- 
truire  un  nid  pour  fe  mettre  en  fureté  êc  fe  fouflraire 
aux  yeux  ,  l'abondance  dans  laquelle  ils  vivent  ,  la 
facilité  de  recevoir  leur  nourriture  ou  de  la  trouver 
toujours  au  même  lieu,  toutes  les  autres  commodités 
que  l'homme  leur  fournit,  qui  difpenfent  ces  oifeaux 
des  travaux,  des  foins  6c  des  inquiétudes  que  les  autres 
reffentcnt  6c  partagent  en  commun;  <k  vous  retrou- 
verez chez  eux,  les  premiers  effets  du  luxe  &.  les 
maux  de  l'opulence  ,  libcrtmûge  &. pmejje. 

Au  refle,  dans  ces  oifeaux  dont  nous  avons  gâté  les 
mœurs  en  les  fervant,  comme  dans  ceux  qui  \es  ox\i 
confervées  parce  qu'ils  font  forcés  de  travailler  en- 
femble  &>  de  fe  fervir  eux-mêmes,  le  fonds  de  l'amour 
phyfique  (  c'eft-à-dire,  l'étofîe,  la  fubflance  qui  pro- 
duit cette  fenfation  ,  6c  en  réalife  les  eflets  )  eil  bien 
plus   grand  que  dans  les  animaux  quadrupèdes.   Un 

G  iij 


54-  Discours 

coq  fiifHt  aifémcnt  a  douze  ou  quinze  poules,  <5c  fé- 
conde par  un  feui  acfle,  tous  les  œufs  que  cliacune 
peut  produire  en  vingt  jours  fgj;  il  pourroit  donc 
abfolument  parlant  devenir  chaque  jour  père  de  trois 
cents  enfins.  Une  bonne  poule  peut  produire  cent 
œufs  dans  une  feule  faifon  ,  depuis  ie  printemps  juf- 
qu'en  automne.  Quelle  différence  de  cette  grande 
multiplication  au  petit  produit  de  nos  quadrupèdes 
les  plus  féconds  !  il  femhle  que  toute  la  nourriture 
qu'on  fournit  abondamment  à  ces  oifcaux,  fe  conver- 
tiffant  en  liqueur  féminale,  ne  ferve  qu'à  leurs  plaifirs, 
&.  tourne  toute  entière  au  profit  de  la  propagation  ;  ce 
font  des  efpcces  de  machines  que  nous  montons  , 
que  nous  arrangeons  nous-mêmes  pour  la  multiplica- 
tion ;  nous  en  augmentons  prodigieufement  le  nombre 
en  les  tenant  enfemble,  en  les  nourriffant  largement 
(Se  en  les  difpenfant  de  tout  travail,  de  tous  foins,  de 
toute  in([uiétudc  pour  les  befoins  de  la  vie;  car,  le 
coq  6c  la  poule  fauvages  ne  produifent  dans  l'état  na- 
turel qu'autant  que  nos  perdrix  <Sc  nos  cailles  :  <5c 
quoique  de  tous  les  oifcaux,  les  gallinacés  foient  les 
plus  féconds  „  leur  produit  fe  réduit  à  dix  -  huit  ou 
vingt  œufs ,  &.  leurs  amours  à  une  feule  faifon  ,  lorf- 
qu'ils  font  dans  l'état  de  nature:  à  la  vérité,  il  pourroit 
y  avoir  deux  faifons  6c  deux  pontes  dans  des  climats 
plus  heureux;  comme  l'on  voit  dans  celui-ci,  plu/ieurs 
efpcces  d'oifeaux ,  pondre  deux  (Se  même  trois  fois  dans 

(g)  Hirt.  nat.  gûi.  &  part,  tome  11,  pages  j/^  ^  S7^* 


SUR   LA   NATURE   DES   OiSEAUX.  55 

lin  été,  mais  aufTi  le  nombre  des  œufs  eft  moins  grand 
dans  toutes  ces  efpèces,  &  le  temps  de  l'incubation 
eft  plus  court  dans  quelques-unes.  Ainfi,  quoique  les 
oifeaux  foient  en  puijf^ince  bien  plus  prolifiques  que  les 
quadrupèdes ,  ils  ne  le  font  j)as  beaucoup  plus  par 
l'effet;  les  pigeons,  les  tourterelles,  <S^c.  ne  pondent 
que  deux  œufs;  les  grands  oifeaux  de  proie  n'en 
pondent  que  trois  ou  quatre,  la  plupart  des  autres 
oifeaux  cinq  ou  fix;  Si  il  n'y  a  que  les  poules  &.  les 
autres  gallinacés ,  tels  que  le  paon  ,  le  dindon ,  le  faifan , 
les  perdrix  <Sc  les  cailles  qui  produifcnt  en  grand 
nombre. 

La  difette  ,  les  foins,  les  inquiétudes,  le  travail 
force  ,  diminuent  dans  tous  les  êtres  les  puiffances  (5: 
les  effets  de  la  génération.  Nous  l'avons  vu  dans  les 
animaux  quadrupèdes,  6c  on  le  voit  encore  plus  évi- 
demment dans  les  oifeaux;  ifs  produifent  d'autant  plus 
qu'ils  font  mieux  nourris,  plus  cboyés,  mieux  fervis  ; 
ôi  fi  nous  ne  confidérons  que  ceux  qui  font  livrés  à 
eux-mêmes,  <S:  expofés  à  tous  les  inconvéniens  qui 
accompagnent  l'entière  indépendance,  nous  trouverons 
qu'étant  continuellement  travaillés  de  befoins  ,  d'in- 
quiétudes Si  de  crainte,  ils  n'ufent  pas,  à  beaucoup 
près,  autant  qu'il  fc  pourroit,  de  toutes  leurs  puiffances 
pour  la  génération  ;  ils  femblent  même  en  ménager 
les  effets,  &  les  proportionner  aux  circonffances  de 
leur  fituation.  Un  oifeau  après  avoir  confiruit  fon  nid 
&.  fait  fa  ponte  que  je  fuppofe  de  cinq  œi)fs,  ceffe  de 


56  Discours 

pondre.  Si  ne  s'occupe  que  de  leur  confervation ;  touf 
le  refte  de  la  (aifon  fera  employé  à  Tincubation  6c  à 
l'éducation  des  petits  ,  Si  il   n'y   aura   point    d'autre 
ponte;  mais  fi  par  hafard  on  brife  les  oeufs,  on  rcn- 
verfe  le  nid,  il  en  conflriiit  bientôt  un  autre,  &  pond 
encore  trois  ou  quatre  œufs,  &i  fi  on  détruit  ce  fécond 
ouvrage  comme  le  premier,  l'oifeau  travaillera  ds  nou- 
veau ,   Si  pondra  encore   deux  ou  trois  œufs  ;  cette 
féconde  &i  cette  troifjcme  ponte  dépendent  donc  en 
quelque  forte  de  la   volonté  d€   l'oifeau  :  lorfque  la 
première  réuffit,  ôi  tant  qu'elle  fiibf'ftc,  il  ne  fe  livre 
pas  aux  émotions  d'amour  ôl  aux  autres  affedions  inté- 
rieures qui  peuvent  donner  à  de  nouveaux  œufs  la  vie 
véijétative    néceffaire   à   leur  accroiffcment  <5c  à   leur 
exclufion  au  dehors;  mais  fi  la  mort  a  moiffonné  fi 
famille  naiffante  ou  prête  à  naître,  il  fe  livre  bientôt  à 
ces  aifcétions,  6l  démontre  par  un  nouveau  produit, 
que  fes  puKTances  pour  la  génération   n'étoient  que 
fufpendues  6c  point  épuifées  ,   Se  qu'il    ne  fe  privoit 
des  plaifirs  qui   la  précèdent,  que   pour  fatisfaire  au 
devoir  naturel  du  foin  de  fa  famille.  Le  devoir  l'em- 
porte donc  encore  ici  fur  la  paffion ,  &  l'attachement 
fur  J'amoiir;  l'oifeau  paraît  commander  à   ce  dernier 
fentiment  bien  plus  qu'au  premier,  auquel  du  moins  il 
obéit  toujours  de  préférence;  ce  n'efl  que  par  la  force 
qu'il  fe  départ  de  l'attachement  pour  fes  petits  ,  &  c'ed 
volontairement  qu'il  renonce  aux  plaifirs  de  j'amour, 
^quoique  très  en  état  d'en  jouir. 

De 


SUR   LA   NATURE  DES   OiSEAUX.  57 

De  la  mc'ine  manière  que  dans  ies  OiTeaux  ,  les 
mœurs  font  plus  pures  en  arnour,  de  même  aufli  les 
moyens  d'y  (ailsfaice  font  plus  fimples  que  dans  les 
quadrupèdes;  ils  n'ont  qu'une  feule  façon  de  s'ac- 
coupler (^/ijf  au  lieu  que  nous  avons  vu ,  dans  les  qua- 
drupèdes ,  des  exemples  de  toutes  les  fituations  f'ij; 
feulement  il  y  a  des  efpèces,  comme  celle  de  la  poule, 
où  la  femelle  s'abaiiïe  en  pliant  les  jambes;  6c  d'autres» 
comme  celle  du  moineau  ,  où  elle  ne  change  rien 
à  fa  pofilion  ordmaire  ,  <Sc  demeure  droite  fur  fes 
pieds  (^/;J.  Dans  tous,  le  temps  de  l'accouplement  efl 
très-court  ,  6c  plus  court  encore  dans  ceux  qui  fe 
tiennent  debout  que  dans  ceux  qui  s'abaiffent.  La  forme 
extérieure  f/J  6c  la  flruflure  intérieure  des  parties  de 
la  génération  font  fort  différentes  de  celles  des  qua- 

^hj  Genus  avium  omne  eodein  i/io  ac  fimplici  more  conjungiiur ,  nempe, 
fcem'inam  mare  fupergrc dï ente.  Ariftot.  H'iji.  anim.  lib.  V,  cap.  vill. 

fij  Nota.  La  femelle  du  chameau  s'accroupit;  celle  de  l'éléphant  (c 
renverlè  fur  le  dos.  Les  hériffons  s'accouplent  flice  à  face,  debout  ou 
couchés  ;  &  les  finorcs  de  toutes  les  fliçons. 

^/<J  Coi  fus  av'tbus  duobits  modis ,  fœmïna  humï  confidente ,  ut  in  galiinâ 
eut  Jlante  ut  in  gruihus  ;  &  qux  ita  coeunt  rem  quamcekrrime  peragunt 
vt pajferes.  Aiiflot.  Hijl.  anim.  lib.  V,  cap.  11. 

( l )  Nota.  La  plupart  des  oileaux  ont  deux  verges  ou  une  vergç 
fourchue,  &  c'cft  par  l'anus  que  fort  cette  double  verge  pour  s'ciendre 
au  dehors.  Dans  quelques  elpèces  cette  partie  ell  d'une  grandeur 
très-remarquable,  &  dans  d'autres  elle  eft  à  peine  fenfible,  La  femelle 
n'a  pas  ,  comme  dans  les  quadrupèdes,  l'orifice  de  la  vulve  au-deffous 
de  l'anus ,  elle  le  porte  au-deflus;  elle  n'a  point  de  matrice  comme  les 
quadrupèdes,  mais  de  fimples  ovaires,  &c. 

Oifcaux,  Tome  L  .  H 


58  Discours 

drupcdes  ;  <Sc  la  grandeur,  la  pofition  ,  le  nombre, 
J'adion  cSc  le  mouvement  de  ces  parties  varient  même 
beaucoup  dans  les  diveries  efpèces  d'oifeaux  (înj.  AufTi 
paroît-il  qu'il  y  a  intromllfion  réelle  dans  les  uns,  <Sc 
qu'il  ne  peut  y  avoir  dans  les  autres  qu'une  forte  com- 
j)vtÇ[\on  y  ou  même  un  fimple  attouchement  ;  mais 
nous  rêfervons  ces  détails,  ainfi  que  plufieurs  autres^ 
pour  rinfloire  particulière  de  chaque  genre  d'oifeau. 

En  raffembiant  fous  un  feul  point  de  vue  les  idées 
&  les  faits  que  nous  venons  d'expofer ,  nous  trou- 
verons que  le  fcns  intérieur ,  le  y^^^/^^w/w  de  l'oifeau 
eft  principalement  rempli  d'images  produites  par  le 
iens  de  la  vue;  que  ces  images  font  fuperticiellcs , 
mais  très-étendues ,  Si  la  plupart  relatives  au  mouve- 
ment ,  aux  diftances  ,  aux  efpaces  ;  que  voyant  une 
province  entière  auffi  aifcment  que  nous  voyons  notre 
horizon  ,  il  porte  dans  fon  cerveau  une  carte  géogra- 
phique des  lieux  qu'il  a  vus;  que  la  facilité  qu'il  a  de 
les  parcourir  de  nouveau  ,  eft  l'une  des  caufes  déter- 
minantes de  fes  fréquentes  promenades  6c  de  ics 
migrations.  Nous  reconnoîtrons  qu'étant  très-fufcep- 
tible  d'être  ébranlé  par  le  fens  de  l'ouïe,  fes  bruits 
foudains  doivent  le  remuer  violemment,  lui  donner 

(m)  Voyez  fur  cela  THiftoire  de  l'Acadcmie  des  Sciences,  annéf 
jyi^  ,  page  i  i.  — Les  Mémoires  pour  (ervir  à  l'Hiftoire  des 
TiTiwvi-xviX  ,  partie  I,  page  2^0;  partie  JI,  pages  108,  13-^,  1^4', 
partie  11 J,  page  7/. — La  Colledion  Académique,  partie  étrangère, 
tome  ly,  pages  j 2  0,  j 22,  ^ 2 y,  &  tome  V,  page  4S ^, 


SUR   LA    NATURE   DES   0 /SEAUX.  59 

de  la  crainte  &.  le  faire  fuir,  tandis  qu'on  peut  le  faire 
approcher  par  des    fons   doux,  ôi  le  leurrer  par  des 
appeaux;  que  les  organes  de  la  voix   étant   tr.ès  -  forts 
Si  très-fîexibles ,  l'oifeau  ne  peut  manquer  de  s'enfcr\ir 
pour  exprimer  fes  fenfations,  tranfmeitre  fes  affecftions 
6c  fe  faire  entendre  de  très -loin;  qu'il   peut  auiïi  fe 
mieux   exprimer  que   le  quadrupède,  puifqu'il  a   plus 
de  fignes,  c'efl-à-dire ,  plus  d'inflexions  dans  la  voix; 
que  pouvant  recevoir  facilement  Si   conferver  long- 
temps les  impreiïions  des  fons,  l'organe  de  ce  fens 
fe  monte  comme  un  inflrument  qu'il  fe  plaît  à  faire 
réfonner;  mais  que  ces  fons  communiques,  Si   qu'il 
répète  mécaniquement,   n'ont  aucun  rapport  avec  fes 
affections  intérieures;   que  le  fens  du  toucher  ne  lui 
donnant  que  des  fenfations  imparfaites,  il  n'a  que  des 
notions  peu  diftindles  de  la  forme  des  corps,  quoi- 
qu'il en  voye  très -clairement  la  furface;  que  c'efl  par 
le  fens  de  la  vue  Se  non  par  celui  de  l'odorat,  qu'il  efl 
averti  de  loin  de  la  préfence  des  chofes  qui  peuvent 
lui  fervir  de   nourriture;   qu'il  a  plus   de  befoin    que 
d'appétit,  plus  de   voracité   que   de  fenfualité  ou  de 
délicateffe  de  goût.  Nous  verrons  que  pouvant  aifément 
fe  fouflraire  à  la  main  de  l'homme  ,  Si  fc  mettre  même 
hors  de  la  portée  de  fa  vue  ,  les  oifeaux  ont  dû  conferver 
im  naturel  fauvage ,  Si  trop  d'indépendance  pour  être 
réduits  en  vraie  domefticité;  qu'étant  plus  libres,  plus 
éloignés   que   les   quadrupèdes ,  plus   indépendans  de 
l'empire  de  l'homme,  ils  font  moins  troublés  dans 


6o  D  I  s  c  o  V  R  s ,   ère. 

le  cours  Je  leurs  habitudes  naturelles;  que  c'cfl  par 
cette  raifon   qu'ils  fe  raffemblent  plus  volontiers,  <Sc 
que  la  plupart  ont  un  inflincfl  décidé  pour  la  fociété; 
qu'étant  forcés  de  s'occuper  en  commun  des  foins  de 
leur  famille,  &  même  de  travailler  d'avance  à  la  conf- 
trudion  de  leur  nid,  ils  prennent  un  fort  attachement 
Yun  pour  l'autre,  qui  de\  ient  leur  affedion  dominante, 
6c  fe  répand  enfuite  fur  leurs  petits;   que  ce  fentiment 
doux  tempère   les  paffions  violentes ,  modère  même 
celle  de  l'amour,  &  fait  la  chafteté,  la  pureté  de  leurs 
mœurs  <î^  la  douceur  de  leur  naturel;  que  quoique  plus 
riches  en   fonds  d'amour  qu'aucun   des  animaux,  ils 
dépcnfent  à  proportion  beaucoup  moins,  ne  s'excèdent 
jamais,  &  favent  fubordonner  leurs  plaifirs  à  leurs  de- 
voirs; qu'enfin  cette  claffe  d'êtres  légers  que  la  Nature 
paroît  avoir  produits  dans  fa  gaieté,  peut  néanmoins  être 
regardée  comme  un  peuple  férieux,  honnête,  dont  on 
a  eu  raifon  de  tirer  des  ïàh\th  morales,  <&  d'emprunter 
des  exemples  utiles. 


6i 


LES 

OISEAUX  DE  PROIE. 

\J  N  poiirroit  dire  ,  abfolument  parlant,  que  prcfqiie 
tous  les  oifeaux  vivent  de  proie,  puifque  prefque  tous 
recherchent  6c  prennent  les  infecfles ,  les  vers  <5c  \€S 
autres  petits  animaux  vivans;  mais  je  n'entends  ici  par 
oifeaux  de  proie,  que  ceux  qui  fe  nourrifTent  de  chair 
Si  font  la  guerre  aux  autres  oifeaux  ;  <&:  en  \gs  compa- 
rant aux  quadrupèdes  carnaffiers,  je  trouve  qu'il  y  en  a 
proportionnellement  beaucoup  moins.  La  tribu  des 
Jions ,  des  tigres,  des  panthères,  onces,  léopards, 
guépards,  jaguars,  couguars,  ocelots,  fervals,  margais, 
chats  fauvages  ou  domelliques  ;  celle  des  chiens,  des 
chacals ,  loups  ,  renards  ,  ifatis  ;  celle  des  hyaenes  , 
civettes,  zibets,  genettes  &  foffanes;  les  tribus  plus 
nombreufcs  encore  des  fouines,  martes ,  putois,  mouf- 
fettes, furets,  vanfirs,  hermines,  belettes,  zibelines, 
mangouftes,  furikates,  gloutons,  pékans,  vifons,  fouf- 
liqucs;  &  dcsfarigues,  marmofes,  cayopollins,  tarfîers, 
phalangers  ;  celle  des  roufiettes  ,  rougcttes  ,  chauve- 
fouris,  à  laquelle  on  peut  encore  ajouter  toute  la 
famille  des  rats,  qui  trop  foibles  pour  attaquer  les 
autres  fe  dévorent  eux-mêmes:  tout  cela  forme  un 
nombre  bien  plus  confidérable  que  celui  des  aigles, 
des  vautours,  cperviers ,  faucons,  gerfauts,  milans, 
bufes,  creflerelles,  émerillons,  ducs,  hiboux,  chouettes, 

H  iij 


6i         Histoire   N atu relle 

pie-grièclics  <5c  corbeaux,  qui  font  les  feuls  oifeaux 
tlont  l'appétit  pour  la  chair  foit  bien  décidé;  &i  encore 
y  eii  a-t-il  plufieurs,  tels  que  les  milans,  les  bufes  <5c 
les  corbeaux  ,  qui  fe  nourriffent  plus  volontiers  de 
cadavres  que  d'animaux  vivans;  en  forte  qu'il  n'y  a  pas 
une  quinzième  partie  du  nombre  total  des  oifeaux  qui 
foicnt  carnafTiers,  tandis  que  dans  les  quadrupèdes  il  y 
en  a  plus  du  tiers. 

Les  oifeaux  de  proie  étant  moins  puifTans,  moins 
forts  &  beaucoup  moins  nombreux  que  les  quadrupèdes 
carnafTiers ,  font  auffi  beaucoup  moins  de  dégiit  fur  la 
terre;  mais  en  revanche,  comme  fi  la  tyrannie  ne 
perdoit  jamais  fes  droits,  \\  exifte  une  grande  tribu 
d'oifeaux  qui  font  une  prodigieufe  déprédation  fur  les 
eaux.  Il  n'y  a  guère  parmi  les  quadrupèdes  que  les 
caftors,  les  loutres,  les  phoques  6cles  morfes  qui  vivent 
depoi(fon;au  lieu  qu'on  peut  compter  un  très-grand 
nombre  d'oifeaux  qui  n'ont  pas  d'autre  fubfiflance.  Nous 
féparerons  ici  ces  tyrans  de  l'eau  des  tyrans  de  l'air, 
(?c  ne  parlerons  pas  dans  cet  article  de  ces  oifeaux 
qui  ne  font  que  pêcheurs  tSc  pifcivores;  ils  font  pour  la 
plupart  d'une  forme  très- différente ,  <Sc  d'une  nature 
aflez  éloignée  des  oifeaux  carnaffiers;  ceux-ci  faififfent 
leur  proie  avec  les  ferres ,  ils  ont  tous  le  bec  court 
<Sc  crochu,  les  doigts  bien  féparés  <Sc  dénués  de  mem- 
branes, les  jambes  fortes  &^  ordinairement  recouvertes 
par  les  plumes  descuiffes,  les  ongles  grands  <&.  crochus, 
tandis  que  les  autres  prennent  le  poifTon  avec  le  bec 


DES  Oiseaux   de  proie.       63 

qu'ils  ont  droit  Si  pointu,  Si  qu'ils  ont  auiïi  les  doigts 
réunis  par  des  membranes,  les  ongles  foibics  &  les 
jambes  tournées  en  arrière. 

En  ne  comptant  pour  oifeaux  de  proie  que  ceux 
que  nous  venons  d'indiquer  ,  <Sc  fcparant  encore  pour 
un  infiant  les  oifeaux  de  nuit  des  oifeaux  de  jour  , 
nous  les  préfenterons  dans  l'ordre  qui  nous  a  paru  le 
plus  naturel  ;  nous  commencerons  par  les  aigles ,  les 
vautours,  les  milans,  les  bufes  ;  nous  continuerons 
par  les  éperviers,  les  gerfauts,  les  faucons;  Si  nous 
finirons  par  les  cmerillons  &  les  pie-grièches:  pluficurs 
de  ces  articles  contiennent  un  aiïez  grand  nombre 
d'efpcces  6c  de  races  confiantes,  produites  par  l'in- 
fluence du  climat  ;  Si  nous  joindrons  à  chacun  les 
oifeaux  étrangers  qui  ont  rapport  à  ceux  de  notre 
climat.  Par  cette  méthode,  nous  donnerons  non-feule- 
ment tous  les  oifeaux  du  pays,  mais  encore  tous  les 
oifeaux  étrangers  dont  parlent  les  Auteurs,  Si  toutes 
les  efpèces  nouvelles  que  nos  correfpondances  nous 
ont  procurées,  Si  qui  ne  laiffent  pas  d'être  en  affez 
grand  nombre. 

Tous  les  oifeaux  de  proie  font  remarquables  par 
une  fingularité  dont  il  eft  difficile  de  donner  la  railbn  ; 
c'efl  que  les  mâles  font  d'environ  un  tiers  moins 
grands  6c  moins  forts  que  les  femelles  ,  tandis  que" 
dans  les  quadrupèdes  6c  dans  les  autres  oifeaux,  ce 
font,  comme  l'on  fait,  les  mâles  qui  ont  le  plus 
de    grandeur  6c   de    force:    à  la    :>érité,    dans    les 


64-         Histoire   Nature lle 

infedes  6c  même  dans  les  poifTons ,  les  femelles  font 
un  peu  plus  groiïes  que  les  mâles,  &.  l'on  en  voit  clai- 
rement la  raifon  ;  c'eft  la  prodigieufe  quantité  d'œufs 
qu'elles  contiennent  qui  rcnlîe  leur  corps;  ce  font  les 
organes  deftinés  à  cette  immenfe  produ(5tion  qui  en 
augmentent  le  volume  apparent;  mais  cela  ne  peut  en 
aucune  façon  s'appliquer  aux  oifeaux ,  d'autant  qu'il 
paroît  par  le  fait  quec'efl  tout  le  contraire;  car,  dans 
ceux  qui  produifent  des  œufs  en  grand  nombre,  les 
femelles  ne  font  pas  plus  grandes  que  les  mâles;  les 
poules,  les  canes,  les  dindes,  les  poules-faifanes,  les 
perdrix,  les  cailles  femelles,  qui  produifent  dix-huit 
ou  vingt  œufs,  font  plus  petites  que  leur  mâle;  tandis 
que  les  femelles  des  aigles,  des  vautours,  des  éper- 
viers,  des  milans  <Sc  des  bufes,  qui  n'en  produifent  que 
trois  ou  quatre,  font  d'un  tiers  plus  groiTes  que  les 
mâles;  c'eil  par  cette  raifon  qu'on  appelle  tiercelet  le 
mâle  de  toutes  les  efpèces  d'oifeaux  de  proie:  ce 
mot  ert:  un  nom  générique  <Sc  non  pas  fpécifique, 
comme  quelques  Auteurs  l'ont  écrit;  <Sc  ce  nom  gé- 
nérique indique  feulement  que  le  mâle  ou  tiercelet  efl 
d'un  tiers  environ  plus  petit  que  la  femelle. 

Ces  oifeaux  ont  tous  pour  habitude  naturelle  <5c 
commune  le  goût  de  la  chafTe  Sl  l'appétit  de  la  proie, 
le  vol  très-élevé,  l'aile  <Sc  la  jambe  fortes,  la  vue  très- 
perçante,  la  tête  groiïe,  la  langue  charnue,  l'eflomac 
iimple  (Se  membraneux,  les  inteflins  moins  amples  6c 
plus   courts  que  ies  autres  oifeaux  ;    ils  habitent  de 

préférence 


DES  Oiseaux  de  proie.       6<y 

prcfcrence  les  (iciix  fo.'itaires ,  les  montagnes  défertes ,  <Sc 
font  communément  leur  nid  d.ins  les  trous  des  rochers 
ou  fur  les  plus  hauts  arbres  ;  i'on  en  trouve  pluficurs 
efpèccs  dans  les  deux  continens,  quelques-uns  même 
ne  paroiiïent  pas  avoir  de  climat  fixe  6c  bien  déter- 
mine; enfin  ils  ont  encore  pour  caractères  généraux  <Sc 
communs  le  bec  crochu,  les  quatre  doigts  à  chaque 
pied,  tous  quatre  bien  féparés;  mais  on  diftinguera 
toujours  un  aigle  d'un  vautour  par  un  caraétère  évident; 
l'aigle  a  la  tête  couverte  de  plumes ,  au  lieu  que  le 
vautour  l'a  nue  <Sc  garnie  d'un  Hniple  duvet,  <&.  on  les 
didinguera  tous  daix  des  éperviers ,  bufcs ,  milans  6c 
faucons  par  un  autre  cara6tère  qui  n'efl  pas  difficile  à 
faifir,  c'eft  que  le  bec  de  ces  derniers  oifeaux  com- 
mence à  fe  courber  des  Ton  infertion  ,  tandis  que  le 
bec  des  aigles  Se  des  vautours  commence  par  une  partie 
droite,  6c  ne  prend  de  la  courbure  qu'à  quelque  dif- 
tance  de  fon  origine. 

Les  oifeaux  de  proie  ne  font  pas  aufTi  féconds  que 
les  autres  oifeaux;  la  plupart  ne  pondent  qu'un  petit 
nombre  d'œufs,  mais  je  trouve  que  M.  Linnaeus  a  eu 
tort  d'affirmer  qu'en  général  to\is  ces  oifeaux  produi- 
foicnt  environ  quatre  œufs  (a).  Il  y  en  a  qui ,  comme 
le  grand  aigle  6c  l'orfraie,  ne  donnent  que  ^^Qy^y.  œufs, 
6c  d'autres,  connue  la  crtfT.relle  6c  l'cmerillon,  qui  en 
font  jufqu'à  fept;  il  en  eff ,  à  cet  égard,  des  oifeaux 
connue  des  quadrupèdes,  le  nombre  de  la  multipli- 

^a)  Liim.  Syrt,  nat.  édit.  x,  tome  J,  page  8î, 

Oifeaux,  Tome  L  ,  I 


66         Histoire  Natu relle 

cation  par  la  gcnération  eft  en  raifon  inverfe  de  leur 
grandeur;  les  grands  oifeaux  produifent  moins  que  les 
petits,  &i  en  raifon  de  ce  qu'ils  font  plus  petits,  ils 
produifent  davantage.  Cette  loi  me  paroît  généralement 
établie  dans  tous  les  ordres  de  la  Nature  vivante  ; 
cependant  on  pourroit  m'oppofer  ici  les  exemples  des 
pigeons  qui,  quoique  petits,  c'efl-à-dire,  d'une  gran- 
deur médiocre,  ne  produifent  que  deux  œufs,  ôl  des 
plus  petits  oifeaux  qui  n'en  produifent  ordinairement 
que  cinq;  mais  il  faut  confidérer  le  produit  abfolu 
d'une  année,  à.  ne  pas  oublier  que  le  pigeon,  qui  ne 
pond  que  deux  ôi  quelquefois  trois  œufs  pour  une 
feule  couvée,  fait  fouvent  deux,  trois  Se  quatre  pontes 
du  printemps  à  l'automne;  Se  que  dans  les  petits 
oifeaux,  il  y  en  a  auffi  plufieurs  qui  pondent  plufieurs 
fois  pendant  le  temps  de  ces  mêmes  faifons  ;  de 
manière  qu*à  tout  prendre  âc  tout  confidérer,  il  efl 
toujours  vrai  de  dire  que  toutes  chofes  égales  d'ailleurs, 
\e  nomI)re,  dans  le  produit  de  la  génération  ,  efl  pro- 
portionnel à  la  petiteffe  de  l'animal  dans  les  oifeaux 
comme  dans  les  quadrupèdes. 

Tous  les  oifeaux  de  proie  ont  plus  de  dureté  dans 
Je  naturel  &  plus  de  férocité  que  les  autres  oifeaux; 
non  -  feulement  ils  font  les  plus  difficiles  de  tous  à 
priver,  mais  ils  ont  encore  prefque  tous,  plus  ou 
moins  ,  l'Iiabitude  dénaturée  de  chaffer  leurs  petits  hors 
du  nid  bien  plus  tôt  que  les  autres,  Si  dans  le  temps 
qu'ils  leur  deyroient  encore  des  foins  6i  des  fccours 


DES   Oiseaux  de  proie.       6j 

pour  leur  fubriflance.  Cette  cruauté,  comme  toutes  les 
autres  duretés  naturelles,  n'efl  produite  que  par  un 
fentiment  encore  plus  àm ^  qui  efl  le  befoin  pour  foi- 
niéme  oc  la  néceiïitc.  Tous  les  animaux  qui  ,  par  la 
conformation  de  leur  eflomac  <5c  de  leurs  intcHins , 
font  forcés  de  fe  nourrir  de  chair  6c  de  vivre  de  proie, 
quand  même  ils  feroicnt  nés  doux,  deviennent  bientôt 
ofïénfifs  <5c  médians  par  le  feul  ufage  de  leurs  armes , 
ÔL  prennent  enfuite  de  la  férocité  dans  l'habitude  dts 
combats  ;  conime  ce  n'efl  qu'en  détruifant  les  autres 
qu'ils  peuvent  fatisfaire  à  leurs  befoins,  &  qu'ils  ne 
peuvent  les  détruire  qu'en  leur  faifant  continuellement 
la  guerre  ,  ils  portent  une  ame  de  colère  qui  influe  fur 
toutes  leurs  adions ,  détruit  tous  les  fentimens  doux , 
Si  affoiblit  même  la  tendreiïe  maternelle  ;  trop  preffé  de 
fon  propre  befoin  jl'oifcau  de  proie  n'entend  qu'impa- 
tiemment (5c  fans  pitié  les  cris  de  fes  petits,  d'autant 
plus  afîlmiés  qu'ils  deviennent  plus  grands;  fi  la  chaffe 
fe  trouve  difficile,  6c  que  la  proie  vienne  à  manquer, 
il  les  expulfe  ,  les  frappe ,  6c  quelquefois  les  tue  dans 
un  accès  de  fureur  caufée  par  la  misère. 

Un  autre  effet  de  cette  dureté  naturelle  &.  acquife 
efl  l'infociabilité;  les  oifeaux  de  proie,  ainh  que  les 
quadrupèdes  carnaffiers,  ne  fe  réuniffent  jamais  les  uns 
avec  les  autres,  ils  mènent,  comme  les  voleurs,  une 
vie  errante  6c  folitaire;  le  befoin  de  l'amour,  appa- 
remment le  plus  puifTant  de  tous  après  celui  de  la 
néceffité  de  fubfifter,  réunit  le  mâle  6l  h  femelle  ;  6c 

1'/ 


68  Histoire    Naturelle 

comme  tous  deux  font  en  état  de  fe  pourvoir,  &  qu'ils 
peuvent  même  s'aider  à  la  guerre  qu'ils  font  aux  autres 
animaux,  ils  ne  fe  quittent  guère,  <Sc  ne  fe  fcparent 
pas,  même  après  la  faifon  des  amours.  On  trouve 
prefquc  toujours  une  paire  de  ces  oifeaux  dans  le 
même  lieu;  mais  prcfc[uc  jamais  on  ne  les  voit  s'attrouper 
ni  même  fe  réunir  en  famille,  <Sc  ceux  ([ui ,  comme 
Jes  aigles,  font  les  plus  grands,  &.  ont  par  cette  raifon 
beloin  de  plus  de  fubdftance,  ne  fouffrent  pas  même 
que  leurs  petits  devenus  leurs  rivaux,  viennent  occuj.vr 
les  lieux  voifins  de  ceux  qu'ils  habitent,  tandis  que 
tous  les  oifeaux  <Sc  tous  les  quadrupèdes,  qui  n'ont 
befoin  pour  fe  nourrir  que  des  fruits  de  la  terre,  vivent 
en  famille,  cherchent  la  fociété  de  leurs  femblables, 
«Se  fe  mettent  en  bandes  6c  en  troupes  nombreufes,  6c 
n'ont  d'autre  querelle,  d'autre  caufe  de  guerre,  que 
celles  de  l'amour  ou  de  l'attacliement  pour  leurs  petits; 
car,  dans  prefque  tous  les  animaux  même  les  plus 
doux  ,  les  mâles  deviennent  furieux  dans  le  rut,  6:  les 
femelles  prennent  de  la  férocité  pour  la  défenfe  de 
leurs  petits. 

Avant  d'entrer  dans  les  détails  bi/îoriques,  qui  ont 
rapport  à  chaque  efpèce  d'oifeaux  de  proie  ;  nous  n'C 
pouvons  nous  difpenfer  de  faire  quelques  remarques  fur 
les  méthodes  qu'on  a  employées  pour  reconnoître  ces 
cfpèccs,  6t  les  diftinguer  \t%  unes  dts  autres  :  les  cou- 
leurs ,  leur  diftribution  ,  leurs  nuances,  les  taches,  les 
bandes,  les  raies,  les  lignes,  fervent  de  fondement darts 


DES  Oiseaux   de  proie.       6g 

ces  mcthodes  à  la  diftindion  des  efpèces;  <9c  un  Mé- 
thodifte  ne  croit  avoir  fait  une  bonne  dcfcription  que 
quand  i\  a,  d'après  un  plan  donné  Si  toujours  uniforme, 
fait  l'énumcration  de  toutes  les  couleurs  du  plumage  ôi 
de  toutes  les  taches ,  bandes  ou  autres  variétés  qui  s'y 
trouvent;  iorfque  ces  variétés  font  grandes  ou  feule- 
ment alTcz  fenfibles  pour  être  aifément  remarquées,  il 
en  conclut  fans  héfi ter  que  ce  font  des  indices  certains 
de  la  différence  des  efpèces;  <Sc  en  conféqiience,  on 
conflitue  autant  d'efpèces  d'oifeaux  qu'on  rem.arque  de 
différence  dans  les  couleurs:  cependant  rien  n'elt  plus 
fautif  6:  plus  incertain  ;  nous  pourrions  faire  d'avance 
une  longue  énumération  des  doubles  &  triples  emplois 
d'efpèces  faites  par  nos  Nomenclateurs,  d'après  celte 
méthode  de  la  différence  des  couleurs.  Mais  il  nous 
fufiira  de  fiire  fenlir  ici  les  raifons  fur  kfquelles  nous 
fondons  cette  critique,  6c  de  remonter  en  même  temps 
à  la  fource  qui  produit  ces  erreurs. 

Tous  les  oifeaux  en  général  muent  dans  la  première 
année  de  leur  âge,  ôi  les  couleurs  de  leur  plumage 
fontprefque  toujours ,  après  cette  première  mue,  très- 
différentes  de  ce  qu'elles  étoient  auparav^fnt  ;  ce 
changement  de  couleur  après  le  premier  âge  e(l  affez 
général  dans  la  Nature  ,  &.  s'étend  jufqu'aux  quadrupèdes 
qui  portent  alors  ce  qu'on  appelle  la  livrée ^  Se  qui 
perdent  cette  livrée,  c'efl-à-dire  les  premières  couleurs 
de  leur  pelage  à  la  première  mue.  Dans  les  offeaux  de 
proie,  rcffèt  de  cette  première  mue  chang-e  û  fort  les- 

liij 


jo     Histoire   N atu re lle,  fc, 

couleurs,  leur  dillribution,  leur  pofition,  qu'il  n'eft  pas 
étonnant  que  les  Nomenclateurs,  qui  prefque  tous  ont 
négligé  l'hiftoire  des  oifeaux,  aient  donné  comme  des 
efpèccs  diverics  le  même  oifeau ,  dans  ces  Acwx  états 
dificrens  dont  l'un  a  précédé  &.  l'autre  fuivi  la  mue:  après 
ce  premier  changement ,  il  s'en  fait  un  iccoïxà  affez  con- 
fidérable  à  la  féconde  ,  6c  fouvent  encore  un  à  la  troi- 
fième  mue  ;  en  forte  que  par  cette  feule  première  caufe , 
i'oifeau  de  fix  mois,  celui  de  dix-huit  mois  &  celui  de 
deux  ans  (Se  demi,  quoique  le  même,  paroîc  être  trois  oi- 
feaux difFérens ,  fur-tout  à  ceux  qui  n'ont  pas  étudié  leur 
hifloire,  &  qui  n'ont  d'autre  guide,  d'autre  moyen  de  les 
connoître  que  les  méthodes  fondées  fur  les  couleurs. 

Cependant  ces  couleurs  changent  fouvent  du  tout  au 
tout,  non-feulement  par  la  caufe  générale  de  la  mue, 
mais  encore  par  un  grand  nombre  d'autres  caufcs  parti- 
culières ;  la  différence  des  fexes  eft  fouvent  accom- 
pagnée d'une  grande  différence  dans  la  couleur;  il  y  a 
d'ailleurs  des  efpèccs  qui  dans  le  même  climat,  varient 
indépendamment  même  de  f'âge  6c  du  fexe;  il  y  en  a, 
6c  en  beaucoup  plus  grand  nombre,  dont  les  couleurs 
changent  abfolument  par  l'influence  des  différens  cli- 
mats. Rien  n'cfl  donc  plus  incertain  que  la  connoifTance 
des  oifeaux,  6c  fur-tout  de  ceux  de  proie  dont  il  efl;  ici 
queflion  ,  par  les  couleurs  6c  leur  didribution  ;  rien  de 
plus  fautif  que  la  diflindion  de  leurs  efpèccs  fondée  fur 
des  caractères  auïïl  inconflans  qu'accidentels. 


71 


II^JIWtMl 


LES     AIGLES. 

1 L  y  a  pliifieurs  oifeaux  auxquels  on  donne  le  nom 
d'aigles;  nos  Nomenclateurs  en  comptent  onze  efpèces 
en  Europe,  indépendamment  de  quatre  autres  efpèces, 
dont  deux  font  du  Brefd ,  une  d'Afrique  <Sc  la  dernière 
des  grandes  Indes.  Ces  onze  efpèces  font,  \°  l'aigle 
commun,  2.°  l'aigle  à  tcte  blanche,  3.''  l'aigle  blanc, 
4.*'  l'aigle  tacheté,  5.°  l'aigle  à  queue  blanche,  6.°  le 
petit  aigle  à  queue  blanche  ,  y."  l'aigle  doré,  8."  l'aigle 
noir,  9.°  le  grand  aigle  de  mer,  10. °  l'aigle  de  mer, 
[i  i.°le  jean-le-blanc  ;  mais,  comme  nous  l'avons  déjà 
dit ,  nos  Nomenclateurs  modernes  paroiffent  s'être 
beaucoup  moins  fouciés  de  reflreindre  ôi  réduire  au 
jufle  le  nombre  des  efpèces,  ce  qui  néanmoins  efl  le 
vrai  but  du  travail  d'un  Naturalifle,  que  de  les  multi- 
plier, chofe  bien  moins  difficile,  &  par  laquelle  on 
brille  à  peu  de  frais  aux  yeux  des  ignorans:  car  la 
réduétion  des  efpèces  fuppofe  beaucoup  de  connoif- 
fances ,  de  réflexions  6c  de  comparaifons;  au  lieu  qu'il 
n'y  a  rien  de  fi  aifé  que  d'en  augmenter  la  quantité;  il 
fuffit  pour  cela  de  parcourir  les  livres  Si  les  cabinets 
d'Hifloire  Naturelle,  &.  d'admettre,  comme  caraélères 
fpécifiques,  toutes  les  dilTérences,  foit  dans  la  gran- 
deur, dans  la  forme  ou  la  couleur,  &  de  chacune  de 
ces  différences,  quelque  légère  qu'elle  foit,  faire  un^ 
efpèce  nouvelle  ôl  féparée  de  toutes  les  autres  ;  mais 


72         Histoire  Naturelle 

malheurcufement,  en  augmentant  ainfj  très-gratuitement 
le  nombre  nominal  des  efpèces,  on  n'r.  fait  qu'augmenter 
en  même  temps  les  difficultés  de  l'Hiftoire  Naturelle, 
dont  i'obrcurité  ne  vient  que  de  ces  nuages  répandus 
par  une  nomenclature  arbitraire,  fouvent  fauffe,  tou- 
jours particulière  ,  <5c  qui  ne  faifit  jamais  l'enfemble 
des  caradères;  tandis  que  c'efl  de  la  réunion  de  tous 
ces  caradtères,  <5c  fur-tout  de  la  différence  ou  de  la 
reiïemblance  de  la  forme,  de  la  grandeur,  de  la  cou- 
leur, ÔL  auffi  de  celles  du  naturel  6c  des  mœurs,  qu'on 
doit  conclure  la  diverfité  ou  l'unité  des  efpèces. 

Mettant  donc  d'abord  à  part  les  quatre  cfpcces 
d'aigles  étrangers  dont  nous  nous  réfervons  de  parler 
dans  la  fuite,  (?c  rejetant  de  la  lifte  l'oifeau  qu'on 
zi^YicWc  Jean  -  le  -  tianc ,  qui  eft  ù  différent  des  aigles, 
qu'on  ne  lui  en  a  jamais  donné  le  nom ,  il  me  paroît 
qu'on  doit  réduire  à  fix  les  onze  efpèces  d'aigles 
d'Europe  mentionnées  ci-deffus,  &  que  dans  ces  fîx 
efpèces  il  n'y  en  a  que  trois  qui  doivent  conferver  le 
nom  d'aigles,  les  trois  autres  étant  des  oifcaux  affez 
différens  des  aigles  pour  exiger  un  autre  nom.  Ces 
trois  efpèces  d'aigles  font,  i.*  l'aigle  doré,  que  j'ap- 
pellerai le  grand  aigle;  2/  J'aigle  commun  ou  moyen; 
3.°  l'aigle  tacheté  que  j'appellerai  le  petit  aigle  ;  les 
trois  autres  font  l'aigle  à  queue  blanche  que  j'appellerai 
J^ygargiie ,  de  fon  nom  ancien,  pour  le  diftinguer  dts 
aigles  des  trois  premières  efpèces  dont  \\  commence 
à  s'éloigner  par  quelques  caradères;  l'aigle  de  mer 

que 


DES    Aigles.  73 

que  j'appellerai  balbiiiard,  de  fon  nom  angiois,  parce 
que  ce  n'efl  point  un  véritable  aigle;  (Se  enfin  le  grand 
aigle  de  mer  (]ui  s'éloigne  encore  plus  de  l'elpèce  , 
à.  que  par  cette  raifon  j'appellerai  orfraie ,  de  ion 
vieux  nom  françois. 

Le  grand  (Se  le  petit  aigle,  font  chacun  d'une  efpèce 
ifolée,  mais  l'aigle  cojîimun  &i  le  pygargue  ,  font  fujets 
a  varier.  L'efpèce  de  l'aigle  commun  efl  compofce 
de  deux  variétés;  favoir,  l'aigle  brun  &.  l'aigle  noir. 
<Sc  l'efpèce  du  pygargue  en  contient  trois;  favoir,  le 
grand  aigle  à  queue  blanche  ,  le  petit  aigle  à  (\\\'^\.\f^ 
blanche  &.  Và\^c]x  xcit  blanche:  je  n'a/outcrai  pas 
à  ces  efpèccs  celle  de  l'aigle  blanc,  car  je  ne  penfe 
pas  que  ce  foit  une  efpèce  particulière,  ni  même  une 
race  confiante  (Se  qui  appartienne  à  une  efpèce  déter- 
minée; ce  n'efl  à  mon  avis  qu'une  variété  accidentelle 
produite  par  le  froid  àw  climat ,  ai  plus  fouvcnt  encore 
par  la  vieillcffe  de  l'aniirîal:  on  verra  dans  l'hifloire 
particulière  desoifeaux,  que  plufieursd'entr'eux ,  <Se  les 
aigles  fur-tout,  blanchiffent  par  la  vieillciïe  ôi  même 
par  les  maladies,  ou  par  la  trop  longue  diète. 

On  verra  de  même,  que  l'aigle  noir  n'efl  qu'une 
variété  dans  l'efpèce  de  l'aigle  brun  ou  aigle  commun: 
que  l'aigle  à  tête  blanche  cS:  le  petit  aigle  à  queue 
blanche,  ne  font  auffi  que  des  variétés  dans  l'efpèce 
^w  pygargue  ou  grand  aigle  à  queue  blanche;  (Se 
que  l'aigle  blanc  n'efl  qu'une  variété  accidentelle  ou 
individuelle  qui   peut  appartenir  à  toutes  les  efpèccs  : 

ûifcmix ,  Tome  I,  .  K 


74-        Histoire   Naturelle 

ainfi  des  onze  prétendues  efpèces  d'aigles,  il  ne  nous 
en  refle  plus  que  trois,  qui  font  le  gr.md  aigle,  l'aigle 
moyen  6:  le  petit  aigle;  les  quatre  autres;  favoir  le 
pvgargue,  le  balbuzard,  l'orfraie  ô.  le  jean- le -i)lanc  , 
étant  des  oifeaux  aiïez  dificrens  des  aigles  pour  être 
confidcrcs  chacun  fcparcmcnt,  «5^  porter  par  conicquent 
un  nom  particulier.  Je  me  fuis  déterminé  à  cette 
réduélion  d'efpèccs,  avec  d'autant  plus  de  fondement 
(^  de  raifon  ,  qu'il  étoit  connu  dès  le  temps  des 
Anciens,  que  les  aigles  de  races  différentes  te  mêlent 
volontiers  â<  produifent  enfemble ,  6i  que  d'ailleurs  cette 
divificn  ne  s'éloigne  pas  beaucoup  de  celle  d'Ariflote,. 
qui  me  paroit  avoir  mieux  connu  qu'aucun  de  nos 
Nomenclatcurs ,  les  vrais  cara6tères  Si  les  dinérences 
réelles  qui  féparent  les  efpèces  :  il  dit  qu'il  y  en  a  fix 
dans  le  genre  des  aigles;  mais  dans  ces  fix  efpèces, 
il  comprend  un  oifeau  qu'il  avoue  lui-même  être  du 
genre  des  vautours  (^^tJ^  Se  qu'il  faut  par  conféquent 
€n  fcparer,  puifque  c'cff  en  eliet  celui  que  l'on  connoit 
fous   le  nom  de  vautour  des  A/jrs  :  ainfi  refle  à  cinq 

fa)  Quartum  genus  (aquilx)  percnopterus  ah  alarum  nous  apellatum ; 
caphe  albUanie ;  corpore  majore  quam  cœlerœ  adhuc  di✠ f  PY cargos 
MORPHNOS  ET  M El\(EN A  E  TOS)  liccc  ej :  fed  ôreyioriôus  ûlis ; 
Cûudâ  long'iore.  Vul  tu  ris  fpeciem  hœc  irfert,  fuhaquilà  &  montana 
ciconia  cogncrn'matur :  incolit  lucos  degcner ,  nec  viths  (atcrûrum  caret, 
ir  bonorum  quœ  illce  obtinent  expers  ejl  ;  qmppe  quœ  a  corvo ,  cateris 
que  id  geni-s  aliiibus  verberetur ,  fugetur ,  capiatur  :  gravis  ejl  enim , 
viâu  iners  ;  exanhnata  fert  corpora  ;  jamel'i.a  Jer.per  cjt ,  é^  querula 
çLunitiil   &  cLingiC.  Arift.  Hijf.  anim.  lib.  IX,  cap.  XXXII.. 


DES    Aigles.  7j 

^pèces  qui  correfpontlent  d'abord  aux  fo  s  espèces 
d'aigles  que  je  viens  d'établir;  Si  cnfuite  à  fa  quatrième 
&  à  la  cinquième,  qui  font  le  pyg^rguc  &  Tnigle  Je 
mer  ou  biillnizard.  J'ai  cru,  malgré  l'autoritc  de  ce 
grand  PhJiofophe  ,  devoir  fcparcr  des  aigles  proprement 
dits,  ces  deux  derniers  oifeaux  ,  &i  q*q\\  en  cela  fcul 
que  ma  rédudion  diffère  de  la  Tienne;  car,  du  refle  je 
me  trouve  entièrement  d'accord  avec  fcs  idées,  &  je 
penfe  comme  lui ,  que  l'orfraie,  offlfmga  ou  grand  aigle 
<le  mer,  ne  doit  pas  être  compté  parmi  les  aigles,  non 
plus  que  Toifeau  :\^'^t\Q  jean~le-hlûuc ,  duquel  il  ne  fait 
pas  mention,  <Sc  qui  efl  (i  différent  des  aigles  qu'on 
ne  lui  en  a  jamais  donné  le  nom.  Tout  qcc\  fera  dé- 
veloppé avec  avantage  &  plus  de  clarté  pour  le  Leéleur 
dans  les  articles  fuivans  ,  où  Ton  va  voir  en  détail 
les  différences  de  chacune  des  efpèccs  que  nous 
venons  d'indiquer. 


K 


-y^i        Histoire    Naturelle 


L  E 

GRAND    AIGLE  (a). 

Vo)'c^  les  Plurielles  enluminées  ^  nf  /fio. 

L  A  première  efpèce  eft  le  grand  Aigle  (planche  i ) 
que  Bclon  ,  après  Athcnée  ,  a  nomme  Vaille  royal  ow 
le  roi  des  o'ifsaiix ;  c'efl  en  effet  l'aigle  d'efpèce  franche 
<?c  de  race  noble  ,  appelé  par  cette  raifon  Ki-vk>c,  ymoç 
par  Ariflotc  flj.  Se  connu  de  nos  Nomenciateurs  fous 

faj  En  Grec,  Aiivi  yvY,<Jio$;  Aridot.  "XfVTttircç ,  Oppian.  En 
Arabe,  Zummach,  félon  plufieurs  Auteurs;  Néfir,  félon  Léon-i'A- 
fricain.  Guiibume  Tardif,  dans  fon  petit  Traité  de  la  Fauconnerie, 
dit  qu'on  appelle  cet  aigle  Aleapan ,  en  langue  fyriaque  ;  Philadelphe , 
en  langue  grecque  ;  &  Ai'il'ion  en  langue  latine  ;  mais  cette  dernière 
dénomination  cfl:  françoife,  &  n'a  jamais  e'té  applique'e  à  l'aigle:  c'efl  le 
milan ,  que  par  corruption  quelc[ues-uns  de  nos  vieux  Ecrivains  ont 
appelé  Aiilïon.  Gefner  &  Aldrovande  difem  que  les  Hébreux  appellent 
l'aigle,  Nefer;  les  Chaldécns,  Nifra;  les  Arabes,  Nefer,  Achal gagilat 
Xummach ,  Aukch ,  Haukeb  ;  les  Syriens,  Napan  [  ce  qui  ne  s'éloigne 
pas  du  Aleapan  de  Guillaume  Tardif  ]  ;  les  Perlans ,  An  fi  muger  ; 
en  Latin,  Aquïla fulva ;  en  Efpagnol,  Açv'ila  coronada ;  en  Allemand, 
AdeUr  (juafi  Adel,  Aar;  en  Polonois,  Or^elpr^edm;  en  Anglois,  Goldm 
Eagle ;  en  François,  le  grand  Aigle,  V Aigle  royal,  ï Aigle  noble ^ 
\ Aigle  doré ,   V Aigle  roux,   V Aigle  fauve. 

(h)  Sexlum  genus  (  aquilze  )  gnefium ,  id  ejl  verum ,  germanvmçut 
appellant.  LJnum  hoc ,  ex  omni  avium  génère,  ejfe  veri  incorrupîique  orîûi 
crcditur.  Cœtera  emm  gênera  à^  aquilarum  à^  accipilrum ,  ù'  minutarum 
eùam  avium  promifçua  aduUerinaquc  inyiçem  procréant.  Ma^ima  aquilarum 


DU    GRAND    Aigle,  yy 

le  nom  (ï aigle  doré  (c) ;  c'eft  le  plus  grand  de  tous  les 
aigles,  la  femelle  a  jufqu'à  trois  pieds  <?c  demi  de  longueur 
depuis  le  bout  du  bec  Julqu'à  l'extrémité  des  pieds,  6c 
plus  de  huit  pieds  6c  demi  de  vol  ou  d'envergure;  elle 
pèfe  feize  (d)  Si  même  dix-huit  livres  (e),  le  mâle  efl 
plus  petit  &  ne  pèfe  guère  que  douze  livres.  Tous  deux 
ont  le  bec  très-fort  Se  affez  femblable  à  de  la  corne 
bleuâtre  ;  les  ongles  noirs  Si  pointus  dont  le  plus  grand , 

omnium  /lac  e(I .    major  etiam  quam  ojjtfraga.  Sed  cœteras  aquilas  vct 
fefqui-akera  portione  exccdit.    Colore  ejl  rufa,  confpeâu  tara.  Arifiot. 
HiJ}.  anim.  lib.  IX,  cap.  y.W\\. 

(c)  Voyez  la  planche  A  de  la  Zoologie  Britannique.   L'aigle  dore. 
Brinon  ,  toine  J ,  page  -^i  j»  / , 

(d)  Klein,  ordo.  avium,  pag.  40. 

(e)  Nota.  Voici  ce  que  m'a  écrit  un  de  mes  amis  (  M.  Htbert 
Receveur  général  à  Dijon  )  ,  qui  a  fait  de  très-bonnes  obfcrvations 
fur  les  oi féaux ,  qu'il  m'a  communiquées,  &  que  j'aurai  quelquefois 
occofion  de  citer  avec  reconnoiflance.  J'ai  vu,  dit-il,  dans  le  pays 
de  Bugey  de  deux  efpèces  d'aigles  :  le  premier  fut  pris  au  château 
de  Dorlau ,  dans  un  filet  à  l'appât  d'un  pigeon  viv.int  ;  il  pefoit 
dix  -  huit  livres ,  il  étoit  de  couleur  fiuve  (  c'eft  le  grand  aigle  ,  le 
même  qui  ell  reprefemé  dans  la  Zoologie  Britannique,  planche  A)- 
il  ctoit  très -fort  &  très  -  méchant ,  &  blefia  cruellement  au  fein  une 
fenune  qui  avoit  foin  de  lu  fiilànderie  :  l'autre  ètoit  prefque  noir. 
J'ai  encore  vu  l'une  &  l'autre  efpèce  de  ces  aigles  à  Gcné\c,  où 
on  les  nourrifloit  dans  des  cages  feparees;  ils  ont  tous  deux  les  jambes 
couvertes  de  plumes  julqu'à  la  naiffance  des  doigts ,  &  les  plumes  de 
leurs  cuifles  font  fi  longues  &  fi  toufiues  qu'on  croiroit,  en  voyant 
ces  oifeaux  d'un  peu  loin,  qu'ils  font  pôles  fur  quelque  petite  eminencc. 
On  croit  qu'ils  font  de  paffage  en  Bugey;  car,  on  ne  les  y  voit 
guère  qu'au  printemps  &  en  autotnne. 

K  iij 


j%        Histoire  Natu relle 

qui  eft  celui  Je   derrière  ,  a  quelquefois  jufqu'à  cinq 
pouces  de  longueur  ;  les  yeux  font  grands  ,  mais  pa- 
roifTent  enfoncés  dans  une  cavité  profonde  que  la  partie 
fupcrieure  de  l'orbite  couvre  comme  un  toit  avancé  ; 
l'iris  de  l'œil  efl  d'un  beau  jaune  clair,  <Sc  brille  d'un 
feu  très-vif;  l'humeur  vitrée  eft  de  couleur  de  topaze; 
le  cryilallin  qui  eft  fec  <&.  folide,  a  le  brillant  6i  l'éclat 
du  diamant;  l'œfopliage  fe  dilate  en  une  large  poche 
qui  peut  contenir  une  pinte  de  liqueur;  Teftomac  qui 
eft  au-deffous  n'eft  pas,  à  beaucoup  près,  aufti  grand 
que  cette  première  poche ,  mais  il  cft  à  peu-près  égale- 
ment fouple  (Se  membraneux.  Cet  oifeau  eft  gras,  fur- 
tout  en  hiver ,  fa  graifte  eft  blanche ,  (Se  fa  chair ,  quoique 
dure  ôi  fibreufe ,  ne  fent  pas  le  fauvage  comme  celle 
des  autres  oifeaux  de  proie  (fj. 

On  trouve  cette  efpèce  en  Grèce  fgj,  en  France  dans 
les  montagnes  du  Bugey,  en  Allemagne  dans  les  mon- 
ta^^nes  de  Siléfie  (h),  dans  les  forets  de  Dantzic  fij 
Si  dans  les  monts  Carpatiens  (k),  dans  les  Pyrénées  (IJ 
Si  dans  les  montagnes  d'Irlande  fm).  On  le  trouve  aufti 
dans  l'Afie  mineure  Se  en  Perfe,  car  les  anciens  Perfcs 

ffj  Schwenckfeld,  Av'i.  fil.  pag.  ^l  6. 

(g)  Arirtot.  HiJI.  an'im.  lib.  IX,  cap.  XXXII. 

(h)  Schwenckfeld,  Avi.  Jil.  pag.  214. 

/i)  Klein,  Ordo.  avium ,  pag.  40. 

^k)  Rzaczynsky,  Auâ.  Hiji.  naî.  Pol  pag.  360  &  i6\. 

(l)  Barrcre,  Ornithol.  ClafT.  III,  gen.  IV,  fp.  1. 

(mj  B  rit  if c  h  Zoology ,  pag.  6\. 


DU      GRAND      A  J  C  L  E,  79 

avoient  ,  avant  les  Romains  ,  pris  l'aigle  pour  leur  en- 
feigne  de  guerre;  &i  c'étoit  ce  grand  aigle,  cet  aigle 
doré,  aqmlafulva  qui  étoit  àîiàki  à  Jupiter  ^^A  On  voit 
auffi  par  le  témoignage  des  Voyageurs  qu'on  le  trouve 
en  Arabie  (o)r  en  Mauritanie  6c  dans  plufieurs  autres 
provinces  de  l'Afrique  &  de  i'Afie  jufques  en  Tartaric, 
mais  point  en  Sibérie  ni  dans  le  refte  du  nord  de  l'Afie. 
Il  en  efl  à  peu-prcs  de  même  en  Europe  ,  car  cette 
cfpèce ,  qui  efl  par -tout  afTez  rare,  l'cft  moins  dans 
nos  contrées  méridionales  que  dans  \q%  provinces  tem- 
pérées ,  6c  on  ne  la  trouve  plus  dans  celles  de  notre 
nord  au-delà  du  55"'''  degré  de  latitude:  auiïi  n^  l'a  ton 
pas  retrouvé  dans  l'Amérique  feptentrionale,  quoiqu'on 
y  trouve  l'aigle  commun.  Le  grand  aigle  paroit  donc 
être  demeuré  dans  les  pays  tempérés  6c  chauds  de 
l'ancien  continent  comme  tous  les  autres  animaux  aux- 
quels le  grand  froid  efl  contraire,  &  qui  par  cette  raifon 
n'ont  pu  paflèr  dans  le  nouveau. 

L'aigle  a  plufjeurs  convenances  phyfiqucs  <3^  morales 
avec  le  lion;  la  force,  6c  par  conféquent  l'empire  fur 
les  autres  oifeaux  comme  le  lion  fur  les  quadrupèdes; 

(n)  Fulvam  aquilam  Jov'is  vvnt'iam.  Cicero.  de  Legiùus ,  lib.  II, 
—  G  rata  Jovis  fitlvœ  rojïra  videbis  avis.  Ovid.  lib.  V.  —  Fulvufûue 
ionantis  arrniger.   Claudian. 

^0)  Aliijores  (aquilae)  Arabico  nomine  Nejlr  vocantur.  Aqu'das  d-^cenî 
Afri  wlpibus  &  lupis  injîdiari  quibufcum  pral'ium  ineunt  ;  verum  edvfla 
vquilœ  unguibus  dorfum  &  caput  rojlro  comprehendimt  ut  dentibus  morderî 
ncqueant.  Cattrum  fi  animal  dorfum  volvat  aquila  vcn  dejijiit  donec  ve( 
interimat  v(l  oculos  illi  rffodiat.  Lcon  Afr.  part.  11,  pag.  j6  7> 


8o  H I  STO I  RE     NATU  RELLE 

la  magnanimité,  ils  dédaignent  également  les  petits  ani- 
maux 6c  méprirent  leurs  inlultes  ;  ce  n'efl  qu'après  avoir 
été  long -temps  provoque  par  les  cris  importuns  de  la 
corneille  ou  de  la  pie  ,  que  l'aigle  fe  détermine  à  les 
punir  de  mort;  d'ailleurs,  il  ne  veut  d'autre  bien  que 
celui  qu'il  conquiert,  d'autre  proie  que  celle  qu'il  prend 
lui-même;  la  tempérance,  il  ne  mange  prefque  jamais 
fon  gibier  en  entier  ,  <Sc  il  laifTe  comme  le  lion  les 
débris  &  les  refies  aux  autres  animaux.  Quciqu'affamé 
qu'il  foit,  il  ne  fe  jette  jamais  fur  les  cadavres.  Il  efl 
encore  folitaire  comme  le  lion  ,  habitant  d'un  défert 
dont  il  défend  l'entrée  Si  l'ufage  de  la  chaiïe  à  tous  les 
autres  oifeaux  ;  car  il  ell  peut-être  plus  rare  de  voir 
deux  paires  d'aigles  dans  la  même  portion  de  montagne, 
que  deux  familles  de  lions  dans  la  même  partie  de 
forêt  ;  ils  fe  tiennent  aflez  loin  les  uns  des  autres  pour 
que  l'efpace  qu'ils  fe  font  départi  leur  fourniffe  une 
ample  fubfiflance;  ils  ne  comptent  la  valeur  ô<.  l'étendue 
de  leur  royaume  que  par  le  produit  de  la  cliafTe.  L'aigle 
a  de  plus  les  yeux  étincelans  <Sc  à  peu-près  de  la  même 
couleur  fp)  que  ceux  du  lion,  les  ongles  de  la  même 
forme  ,  l'haleine  tout  auifi  forte  ,  le  cri  également 
effrayant   (<]).  Nés  tous  deux  pour  le  combat  Ôl  h 

proie , 

fp)  Oculi  charop'i.  Charopus  color  qui  dilutam  hahet  \mditatem  igneo 
quodam  fplendore  intermicûntem  ;  qiiaUm  in  leonum  oculis  confpicimus. 
Calepin.  Didion, 

/q)  ISota.  Nous  avons  comparé  l'aigle  au  lion,  &  le  vautour  au 

tigre, 


DU      C  R  A  N  D     A  I  C  L  Ë.  8l 

proie  ,  ils  font  également  ennemis  de  toute  fociété  , 
également  féroces,  également  Hers  &.  difficiles  à  réJuire; 
on  ne  peut  les  apprivoifer  qu'en  les  prenant  tout  petits. 
Ce  n'efl  qu'avec  beaucoup  de  patience  Si  d'art  qu'on 
pcutdrefTer  à  la  chafTe  un  jeune  aigle  de  cette  efpèce; 
il  devient  même  dangereux  pour  fon  maitre  dès  qu'il 
a  pris  de  la  force  6c  de  l'àge.  Nous  voyons  par  le 
témoignage  des  Auteurs,  qu'anciennement  on  s'en 
fervoit  en  Orient  pour  la  chaffe  du  vol ,  mais  aujour- 
d'hui on  l'a  banni  de  nos  fauconneries  ;  il  eft  trop 
lourd  pour  pouvoir,  fans  grande  fatigue,  le  porter  fur 
le  poing;  jamais  affez  privé,  allez  doux  ,  affez  fur  pour 
ne  pas  faire  craindre  i^es  caprices  ou  fcs  momens  de 
colère  à  fon  maître;  il  a  le  hec  &  les  ongles  crochus 
<Sc  formidables  ;  fa  figure  répond  à  fon  naturel;  indé- 
pendamment de  Xes  armes ,  il  a  le  corps  robufle  (Se 
compadc  ,  les  jambes  éc  les  ailes  très-fortes,  les  os 
fermes  ,  la  chair  dure,  \cs  plumes  rudes  (rj,  l'attitude 
fière  (Se  droite ,  les  mouvemens  brufques  &i  le  vol 
très-rapide.  C'cft  de  tous  les  oifeaux  celui  qui  s'élève 
le  plus  haut,  ôl  c'eft  par  cette  raifon  que  les  'Anciens 

rigrc;  or,  Ton  Cm  que  le  lion  a  la  tête  &  le  cou  couverts  d'une  hcWc 
crinicre,  &  que  le  tigre  les  a,  pourainfi  dire,  nus  en  comparaifon  du 
lion;  il  en  ell  de  même  du  vautour,  il  a  la  tête  &  \c  cou  dcnucs  de 
plumes,  tandis  que  l'aigle  les  a  bien  garnis  &  couverts  de  plumes. 

(r)  On  prétend  que  les  plumes  de  l'aigle  font  fi  rudes,  que  quand 
on  les  mêle  avec  des  plumes  d'autres  oilçaux ,  elles  les  ufent  par  le 
frouemem. 

Oifcaux ,  Terne  /.  .  L 


82         Histoire  Natu relle 

ont  appelé  l'aigle,  Voifeau  cékjle ,  &.  qu'ils  le  regardoicnt 
dans  les  augures  comme  le  mefTager  de  Jupiter.  11  voit 
par  excellence  ,  mais  il  n'a  que  peu  d'odorat  en  com- 
paraifon  du  vautour;  il  ne  chafTe  donc  qu'à  vue;  Se 
lorfqu'il  a  faifi  fa  proie  il  rabat  fon  vol  comme  pour 
en  éprouver  le  poids.  Si  la  poie  à  terre  avant  de  l'em- 
porter. Quoiqu'H  ait  l'aile  très-forte,  comme  il  a  peu 
de  fouplefle  dans  les  jambes,  il  a  quelque  peine  à  s'é- 
jever  de  terre,  firr-tout  lorfqu'il  efl  chargé;  il  emporte 
aifément  les  oies,  les  grues;  il  enlève  auifi  les  lièvres 
6v  même  les  petits  agneaux,,  les  chevreaux;  ôl  lorfqu'il 
attaque  les  faons  cSc  les  veaux,  c'efl  pour  fc  rafTafier  fur 
le  lieu  de  leur  fang  <S^  de  leur  chair ,  Se  en  emporter 
enfuite  les  lambeaux  dans  fon  ûire;  c'ed  ainfi  qu'on 
appelle  fon  nid,  (jui  e(l  en  effet  tout  plat  <Sc  non  pas 
creux  comme  celui  de  la  plupart  des  autres  oifeaux  ; 
il  le  place  ordinairement  entre  deux  rochers  dans  un 
Jieu  fec  &  inacce/fible.  On  affure  que  le  même  nid  fert 
à  l'aigle  pendant  toute  fa  vie;  c'eft  réellement  un  ou- 
vrage affez  confidérable  pour  n'être  fait  qu'une  fois  , 
Si  affez  folide  pour  durer  long-temps  ;  il  efl  conflruit 
à  peu-près  comme  un  plancher  avec  des  petites  perches 
ou  bâtons  de  cinq  ou  flx  pieds  de  longueur,  appuyés 
par  les  deux  bouts  Si  traverfés  par  des  branches  fouplcs 
recouvertes  de  plufieurs  lits  de  joncs  Si.  de  bruyères  ; 
ce  plancher  ou  ce  nid  efl  large  de  plufieurs  pieds  Se 
affez  ferme,  non -feulement  pour  foutenir  i'aigle,  fa 
femelle  ôl  fes  petits ,  mais  pour  fupporter  encore  le 


DU    GRAND    Aigle,         83 

poids  d'une  grande  quantité  de  vivres:  il  n'eft  point 
couvert  par  le  haut  &  n'efl  abrité  que  par  ravancement 
des  parties  fupérieures  du  rocher.  La  femelle  dépcfe 
fes  œufs  dans  le  milieu  de  cette  aire ,  elle  n'en  pond 
que  deux  ou  trois  qu'elle  couve,  dit- on,  pendant 
trente  jours;  mais  dans  ces  œufs  il  s'en  trouve  fouvcnt 
d'inféconds,  &.  il  efl  rare  de  trouver  trois  aiglons  dans 
lin  nid  ff),  ordinairement  il  n'y  en  a  qu'un  ou  deux. 
On  prétend  même  que  dès  qu'ils  deviennent  un  peu 
grands,  la  mère  tue  le  plus  foiblc  ou  le  plus  vorace  de 
fes  petits;  la  difctte  feule  peut  produire  ce  fentimcnt 
dénaturé,  les  père  6c  mère  n'ayant  pas  affez  pour  eux- 
mêmes  cherchent  à  réduire  leur  famille,  6c  dès  que  les 
petits  commencent  à  être  affez  forts  pour  voler  6c  fe 
pourvoir  d'eux-mêmes,  ils  les  chafTent  au  loin  fans  leur 
permettre  de  jamais  revenir. 

Les  aiglons  n'ont  pas  les  couleurs  du  plumage  au/H 

(f)  Un  ami  m'a  a/Turé  avoir  trouvé  en  Auvergne  un  nid  d'aîolc, 
fufpendu  entre  deux  rochers ,  où  il  y  avoit  trois  aiglons  i\é)\  forts. 
Ornith.de  SaUrne ,  page  jf.  Nota.  M.  Salerne  ne  raj)portc  ce  fait 
<jue  pour  appuyer  l'opinion  qu'il  a  adoptée  de  M.  Linnaeus,  cjut: 
xet  aigle  produit  quatre  œufs;  mais  je  ne  trouve  pas  que  M.  Lin- 
naus  ait  affirmé  ce  ftit  particulièrement ,  &  ce  n'eft  qu'en  général 
qu'il  a  dit  que  les  oifcaux  de  proie  produifoient  environ  quatre  œuf*. 
Acàpitres ,  nldus  in  altis ,  ova  circiter  quatuor.  Linn.  Syft.  nat.  edit.  x, 
tome  J,  page  8 1.  II  eft  donc  très  -  probable  que  cet  aigle  d'Au- 
vergne qui  avoit  produit  trois  aiglons ,  n'étoit  pas  de  l'efpèce  du 
grand  aigle,  mais  de  celle  du  petit  aigle  ou  du  balbuzard,  dont  la 
ponte  eft:  en  effet  de  trois  ou  quatre  œufs. 

Lij 


84-        Histoire  N atu re l  le 

fortes  que  cjuand  ils  font  adultes  ;  ils  font  d'abord 
blancs,  enfuite  d'un  jaune  pâle,  6c  deviennent  enfin 
d'un  fauve  affcz  vif  La  vieiilefljb  ,.  ainfi  que  les  trop 
grandes  diettes,  les  maladies  6c  !a  trop  longue  captivité 
les  font  blanchir.  On  affure  q^u'ils  vivent  plus  d'un 
fiècle,  6c  l'on  prétend  que  c'eft  moins  encore  de  vieiL- 
Icffe  qu'ils  meurent,  que  de  rimpolfibilitc  de  prendre 
de  la  nourriture;  leur  bec  fe  recourbant  fi  fort  avec 
J'âge  ,  qu'il  leur  devient  inutile  :  cependant  on  a  vu 
fur  des  aigles  gardés  dans  les  ménageries  qu'ils  aiguifent 
leur  bec,  6c  que  raccroifTemcnt  n'en  étoit  pas  fenfibie 
pendant  plufieurs  années.  On  a  au/fi  obfervé  qu'on 
pouvoit  les  nourrir  avec  toute  forte  de  cliair,  même 
avec  celle  des  autres  aigles,  6c  que  fuite  de  chair  ils 
mangent  très -bien  du  pain,  des  ferpens,  des  lézards, 
6cc.  Lorfqu'ils  ne  font  point  apprivoifés  ûs  mordent 
cruellement  les  chats,  les  chiens,  les.hommesqui  veu!<^nt 
fes  approcher.  Ils  jettent  de  temps  en  temps  un  cri  aigu , 
fonore  ,  perçant  Si  lamentable,  6c  d'un  fon  fourenu. 
L'aigle  boit  très -rarement  6c  peut-être  point  du  tout 
iorfqu'il  eft  en  liberté,  parce  que  le  fangde  fes  vi(5times 
fuffit  à  fa  foif  Ses  excrémens  font  toujours  mous  6c  plus 
humides  que  ceux  des  autres  oifeaux,  même  de  ceux 
qui  boivent  fréquemment. 

C'efl  à  cette  grande  efpèce  qu'on  doit  rapporter  le 
partage  de  Léon-f  Africain  que  nous  avons  cité,  ôl 
tous  les  autres  témoignages  des  Voyageurs  en  Afrique 
&  en  Afie,  qui  s'accordent  à  dire  que  cet  oifeau  enlève 


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l.E  GRAND    .VIGLK 


DU    GRAND    Aigle.  85 

non-feulement  les  agneaux,  les  clievreaux  ,  les  jeunes 
gazelles  ,  mais  qu'il  attaque  auiïi ,  lorfqu'il  efl  drefTé  , 
ics  renards  &  les  loups  frj, 

(t)  L'Empereur  (  du  Thibet  )  a  plufieurs  aigles  privées  qui  font  fi 
âpres  &  fi  ardentes  qu'elles  arréient  &  prennent  les  lièvres  ,  chcvreuihj, 
<iaims  &  renards  ;  même  il  y  en  a  d'aucunes  de  fi  grande  hardielTc 
&  témérité  qu'elles  ofent  bien  aflailiir  &  le  ruer  impétueulêment  fur 
ïe  loup,  auquel  elles  font  tant  de  vexation  &  molcftation  qu'il  peut 
être  pris  plus  facilement.   Marc  Paul.  //y.  II,  page  j  S, 


'^; 


86        Histoire  Natu re lle 


L'AIGLE  COMMUN  (^J. 

Voje^  les  Planches  enluminées,  n.    ^o^, 

L'espèce  de  l'Aigle  commun  efl  moins  pure,  &  la 
race  en  paroît  moins  noble  que  celle  du  grand  aigle; 
elle  eft  compofée  de  <\t\\y.  variétés ,  1  aigle  hrun  (b) 
ôi  l'aigle  noir  fcj  :  Ariflote  ne  les  a  pas  diflingués 
nommément,  âc  il  paroit  les  avoir  réunis  fous  le  nom 

faj  En  grec,  AêTC?,  Mê^<vctÈT05i  en  Ef])agnoI,  Àqulla  cono- 
t'ida;  en  Allemand,  Adkr,  Arn,  Aar;  en  Suède,  Orn;  en  Anglois, 
JEûgle. 

(b)  Voyez  la  planche  enluminée  de  M.  Edwards,  tome  I ,  planche  I. 
'—L'aigle.  Brifion,  Orm'M.tom.  I,  p.  4.1  9.  —  Aquilafuha  ftu  chryfxîos 
Cûudâ  annulo  alho  c'inélâ.  Ray,  Synopf.  avi.  page  6,  n."  2. — Chryfceîos 
caudâ  annulo  albo  cinââ.  Wiilulgliby  ,  Ornithol,  page  28.  Nota.  Ces 
deux  Auteurs  Anglois  ont  donné  mal-à-propos  l'épithète  <le  fulva 
ou  de  chryfatos  à  cet  aigle  qui  eft  brun-noirâtre ,  &  non  pas  jaune 
ou  doré.  — Aigle  à  queue  blanche.  Voyage  de  la  haie  de  Hudfon , 
tome  I,  page  y ^.  — Aigle  à  la  queue  blanche.  Edwards,  tome  1, 
page  j .  Nota.  Ces  deux  Auteurs  n'auroient  pas  dû  indiquer  cet  aigfc 
par  le  caradlère  de  la  queue  blanche,  parce  que  cela  fait  confiifion 
avec  le  Pygargue,  qui  ell  le  véritable  aigle  à  queue  blanche,  ayant 
en  effet  la  queue  entièrement  blanche ,  au  lieu  que  l'aigle  dont  il 
s'agit  ici  ne  l'a  blanche  qu'en  partie.  — Aigle.  Mémoires  pour  fervîr  k 
VHïJloire  des  animaux ,   tome  III ,  page  8 ^ . 

(c)  Voyez  la  planche  enluminée  de  Frifch  ,  numéro  LXIX, 
—  L'aigle  noir.  BrifTon ,  tome  I ,  page  4^4-  —  Voyez  aufli  la  àt{- 
cription  de  cet  oifeau  dans  Schwenckfeld,  page  218.  — Aigle  noir. 
Belon,  Hijloire  des  oijeaux ,  page  ^2. 


D  E    l'A  1  g  l  e    commun.        Sj 

de  Mi?^ivâiTvç,  aigle  noir  ou  noirâtre  (d) ,  &.  il  a  eu 
raifon  de  féparer  cette  efpèce  de  la  précédente ,  parce 
qu'elle  en  diffère;  i."  par  la  grandeur,  l'aigle  com- 
mun, noir  ou  brun,  étant  toujours  plus  petit  que  le 
grand  aigle;  2.°  par  les  couleurs  qui  font  confiantes 
dans  le  grand  aigle,  &  varient  comme  l'on  voit  dans 
l'aigle  commun;  3.°  par  la  voix,  le  grand  aigle  poulfant 
fréquemment  un  cri  lamentable,  au  lieu  que  l'aigle 
commun,  noir  ou  brun,  ne  crie  que  rarement;  ^.°  enfin 
par  les  habitudes  naturelles-,  l'aigle  commun  nourrit, 
tous  fes  petits  dans  fon  nid,  les  élève  &  les  conduit 
enfuite  dans  leur  jeuncfTe  ;  au  lieu  que  le  grand  aigle 
les  chafTe  hors  du  nid,  6cles  abandonne  à  eux-mêmes 
dès  qu'ils  font  en  état  de  voler. 

Il  me  paroît  qu'il  efl  aifé  de  prouver  que  l'aigle 
brun  6c  l'aigle  noir,  que  je  réunis  tous  àt\\\  fous  une 
même  efpèce,  ne  forment  pas  en  effet  deux  efpèces 
différentes  ;  il  fuffit  pour  cela  de  les  comparer  enfemble , 
même  par  les  caraétères  donnés  par  nos  Nomenclateurs 
dans  la  vue  de  les  féparer;  ils  font  tous  deux  à  peu  près 
de  la  même  grandeur;  ils  font  de  la  même  couleur  brune, 
feulement  plus  ou  moins  foncée  :  tous  deux  ont  peu 

(d)  Tertium  genus  (  aquilae  )  colore  nigr'icans  unde  nomen  accepit ,  uî 
puUa  Ù"  fuhîa  vocetur.  Aiagnitudine  m'mima  (  niinor  )  fed  v tribus  omnium 
pira(}anti[fima  (  prœftamior  )  colit  montes  ûc  ftlvas  &  leporaria  cognomi- 
natur.  Una  hœc  fccîus  fuos  alit  alque  educit  :  pernix,  conùnna,  polita,  apta 
intrepida  ,  Jlrenua ,  liberalis ,  non  invida  ejl  ;  modejîa  eîiam  nec  petulans , 
qvippe  quœ  non  clangat  ne  que  lippiat  aut  murmure  t,  Ariilot.  Hifi» 
anim.  lib.  IX,  cap.  xxxii. 


8S         Histoire   Naturelle 

de  roux  fur  les  parties  fupérieures  de  la  tcte  ou  du 
cou,  (Se  du  blanc  à  l'origine  des  grandes  plumes;  les 
jambes  6c  les  pieds  également  couverts  ôi  garnis;  tous 
deux  ont  l'iris  des  yeux  de  couleur  de  noifctte,  la 
peau'qui  cou\Te  la  bafe  du  hcc  d'un  jaune  yi-f,  le  bec 
couleur  de  corne  bleuâtre ,  les  doigts  jaunes  <5v  les 
ongles  noirs;  en  forte  qu'il  n'y  a  de  diverfitc  que  dans 
les  teintes  Si  la  difîribution  de  la  couleur  des  plumes, 
ce  qui  ne  fufîît  pas  à  beaucoup  près  pour  conftituer 
deux  cfpèces  diverfes ,  fur-tout  lorfque  le  nombre 
des  reiïemblances  excède  au/Fi  évidemment  celui  des 
différences:  c'eft  donc  fans  aucun  fcrupule  que  j'ai 
réduit  ces  deux  cfpèces  à  une  {cu\cy  que  j'ai  appelée 
Vûigle  commun,  parce  qu'en  effet  c'eft  de  tous  les 
aigles  le  moins  rare.  Ariftote ,  comme  je  viens  de  le 
dire,  a  fait  la  même  rédudion  fans  l'intliquer;  mais  il 
me  paroît  que  fon  traduéteur,  Théodore  Gaza,  j'avoit 
fenti ,  car  ,  il  n'a  pas  traduit  le  mot  Mi?[gLivaiTvç  par 
aquïla  ivgra ,  mais  par  aquila  riigricaus ,  pulla  fnlv'm ,  ce 
qui  comprend  les  deux  variétés  de  cette  efpècc  qui 
toutes  deux  font  noirâtres,  mais  dont  l'une  eft  mêlée 
de  plus  de  jaune  que  l'autre.  Ariflote  ,  dont  j'admire 
fouvent  l'exadtitude,  donne  les  noms  Sl  les  furnoms 
des  chofes  qu'il  indique.  Le  furnom  de  cette  efpècc 
d'oifeau,  dit- il  ,  ed:  AWç  Ast^^o^^Voç  :  X aigle  aux  limrs  ; 
Ôi  en  effet,  quoique  les  autres  aigles  prennent  au/fi  des 
lièyres,,  celui-ci  en  prend  plus  qu'aucun  autre;  c'efl 
fa  chaffe  habituelle  ,  Si   la    proie  qu'il  recherche  de 

préférence  : 


D  E  l'A  I  g  l  e  c  0  m  m  u  n.        89 

préférence:  les  Latins,  avant  Pline,  ont  appe'é  cet 
afgle  Valeria,  qiiafi  valens  vir'ibus  (e) ,  à  caufe  de  fa  force 
qui  paroît  être  plus  grande  que  celle  des  autres  aigles 
relativement  à  leur  grandeur. 

L'efpèce  de  Taigle  commun  efl  plus  nomhreufe,  <5c 
plus  répandue  que  celle  du  grand  aigle  :  celui-ci  ne  fe 
trouve  que  dans  les  pays  chauds  (Se  tempérés  de 
l'ancien  continent  :  l'aigle  commun  au  contraire  , 
préfère  les  pays  froids,  (Se  fe  trouve  également  dans 
les  deux  continens.  On  le  voit  en  France  (f),  en 
Savoie,  en  Suiffe  (g),  en  Allemagne  (h),  en  Po- 
logne (ij  (Se  en  Ecoffe  (k) ;  on  le  retrouve  en  Amérique 
à  la  baie  de  Hudfon  (l). 

(e)  Melœnattos  a  grecïs  diâa,  eademque  Valeria.  Plin.  Hijf.  nat, 
lib.  X,  cap.  III. 

(f)  Dans  les  montagnes  de  Bugey,  du  Dauphiné  &  de  l'Au- 
vergne; voye-^  les  notes  cï-dejfus. 

(g)  Aejuila  alp'ina  faxaùlis.  Gazoph.  Rup.  BeJIer.  tab.  XV I. 

(h)  Aquila  nigra  melœnaeios,  aqu'ila  pulla,  fuba,  valeria,  Uporaria,,..., 
Colit  fdvas  &  montes.  Hieme  apud  nos  (  in  Silefiâ  )  maxime  appareî. 
Schwenckfcld,  Avi.  J/7.  pag.  218  &  21p.  — Voyez  aulîi  Kkin; 
Ordo.  avi.  pag.  42. 

{ij  Rzaczynsky,  Auâ.  Hijl.  nat.  Pol  pag.  42. 

(k)  Sibbald.  Scot.  illujlr.  part,  m,  pag.   14. 

(l)  Il  y  a  en  ce  pays  (  c'eft-à-dire  dans  les  terres  volfines  de  la 
baie  de  Hudfon),  plufieurs  autres  oifeaux  très-curieux  quant  à  leur 
forme  &  force  :  tel  eft ,  entr 'autres ,  l'aigle  à  queue  blanche  qui  cft 
à  peu  près  de  la  grofieur  d'un  coq  d'indc  ;  fa  couronne  eft  aplatie, 
&  il  a  le  cou  court,  l'cflomac  large,  les  cuiiTei  fortes,  &  les  ailes 

Oïfcaupi,  Tome  /.  .  M 


po       Histoire  Naturelle,  ire. 

fon  longues  &  larges  à  proportion  du  corps  ;  elles  font  noirâtres  fur 
ie  derrière ,  mais  plus  claires  aux  côtés  :  l'edomac  eft  marqueté  de 
blanc  ,  les  plumes  des  ailes  font  noires  ;  la  queue  étant  fermée  eft 
blanche  en  haut  &  en  bas,  à  l'exception  des  pointes  même  des  plumes 
qui  font  noires  ou  brunes  :  les  cuiiTes  font  couvertes  de  plumes 
bnmes- noirâtres,  par  lelquelles  on  voit  en  cenains  endroits  un  duvet 
blanc  :  les  jambes  font  couvertes  jufqu'aux  pieds  d'un  duvet  brun  un 
peu  rougeàtre  ;  chaque  pied  a  quatre  doigts  gros  &  forts,  dont  trois 
vont  en  avant  &  un  en  arrière;  ils  font  couverts  d'écailles  jaunes, 
&  garnis  d'ongles  extrêmement  forts  &  pointus  qui  font  d'un  beau 
noir  luifant.  Voyage  de  la  baie  de  HuJjon ,  par  Ellis  :  Paris,  i  j^g, 
jn-i2,  tome  1,  pages  )^  &  ^  ^  ,  avec  une  bonne  figure.  Nota.  On 
voit  bien  clairement,  par  cette  delcription  ,  que  cet  oifeau  eft  l'aiorle 
brun  commun  (Se  non  pas  le  pvgiirgue ,  &  que  par  conféqucnt 
l'Auteur  ne  devoit  pas  l'appeler  aigie  à  queue  blanche  :  au  refte  ,  je 
trouve  que  prefque  tous  les  Naiuralilles  Anglois  font  tombés  dans 
cette  petite  méprile,  en  prenant  pour  principal  caradère  de  cet  aigle 
la  blancheur  de  la  queue.  Ray  &  Willulghhy  l'ont  appelé  aquilafuha 
chryfcetos  caudâ  annule  albo  c'mââ.  Ray ,  Synopf.  avi.  p«ige  6.  Wil- 
ïulghby  ,  Ornithol.  page  28  ;  6t  ils  ont  été  fuivis  par  les  Auteurs  de 
la  Zoologie  Britannique,  qui  indiquent  cet  aigle  par  ce  mêine  ca- 
raiflère  (  Ringtail  Eagle  )  ,  tandis  qu'il  n'efl  ni  ]'AVkX\t  ( fulvus ) ,  ni 
doré  (  chryfcEîos  ) ,  &  que  le  caracftère  de  la  queue  blanche  appartient 
au  pygargue  bien  plus  légitimement  &  plus  anciennement,  &  dès 
le  temps  d'Ariftote. 


pi 


L   E 

PETIT   AIGLE  (a). 

J-j  A  troifième  cfpèce  eft  l'Aigle  tacheté,  que  j'ap- 
pelle/?^/// aigle  (b) ,  &.  dont  Ariflote  donne  une  notion 
exacfle  en  difunt  (c) ,  que  c'ed  un  oifcau  plaintif  dont 
le  plumage  eft  tacheté,  6c  qui  efl  plus  petit  <5c  moins 
fort  que  les  autres  aigles;  &  en  effet,  il  n'a  pas  deux 
pieds  (Sv.  demi  de  longueur  de  corps,  depuis  le  bout 
du  bec  jufqu'à  l'extrémité  des  pieds,  <Sc  fes  ailes  font 
encore  plus  courtes  à  proportion,  car,  elles  n'ont 
guère  que  quatre  pieds  d'envergure  :  on  l'a  appelé 
ûquild  plangû ,  aqiiila  clanga ,  aigle  plaintif,  aigle  criard; 
6c  ces   noms  ont   été   bien  applicpics ,   car   il  pouiï'e 

(a)  En  Grec,  T\-^yy>i,  y^Myyoi,  Mop:p>'05;  en  Latin,  ÀtjuUa 
tiœv'iû  ;  en  Allemaixi ,  Sccin  adler ,  Gaufe  aar  ;  en  Anglois  ,  Kough' 
footed  Eagle. 

(b)  Voyez  les  planches  enluminées  de  Frifch,  planche  LXX I, 
—  L'aigle  lachctc.  Bi iilon,  tome  1,  page  ^26.  — Morphm  Congener. 
Aldrov.  nd.  Avi.  tome  1,  page  21^.  — I^ota.  Cet  Auteur,  &  après 
lui  Jonrton ,  Wiilulghby ,  Ray  &  Charieton  ont  donné  à  cet  oileau 
la  denoininaiion  de  AiorpLno  Conginer;  &  il  me  paroît  que  c'eft  mal- 
à-propos,  puilcjue  ce  même  oileau  efl:  le  vrai  Morpiinos  des  Grecs. 

( c )  A/ie--um  genus  (  aquilae  )  magnkudine  fecundum  &  v'iribus; 
plangd  aut  clanga  nomiue ,  faltus  &  convalles  &  lacus  incolere  fol'dum , 
cognomine  ar.atann  &  morphnn  a  macula  pennœ  quafi  nœ\iam  dixeris: 
ciijus  Homerus  etiam  meminit  in  exiiu  Priami,  Ariftote,  H'ijî.  anim, 
Ub.  IX,  cap.  xxxn. 

Mi; 


92        Histoire   Naturelle 

continuellement  des  plaintes  ou  des  cris  lamentables; 
on  l'a  furnommc  ûnataria  ,  parce  qu'il  attaque  les 
canards  de  préférence  ;  <Sc  morphna ,  parce  que  fon 
plumage  qui  eil:  d'un  brun  obfcur  efl  marqueté  fur 
\ts  jambes  &  {ows  les  ailes  de  pluficurs  taches  blan- 
ches,  (5c  qu'il  a  auffi  fur  la  gorge  une  grande  zone 
tlanchâtre  :  c'efl  de  tous  les  aigles  celui  qui  s'appri- 
voife  le  plus  aifément  (d) ;  il  cft  plus  foible ,  moins 
fier  &i  moins  courageux  que  les  autres  ;  c'efl  celui 
que  les  Arabes  ont  appelé  iimicch  (e) ,  pour  le  diflin- 
guer  du  grand  aigle  qu'ils  appellent  luniûc/i.  La  grue 
eft  fa  plus  forte  proie  ;  car  \\  ne  prend  ordinairement 
que  des  canards  ,  d'autres  moindres  oifcaux  &  des 
rats  (f).  L'efpèce,  quoique  peu  nombreufe  en  chaque 
lieu,  efl  répandue  par-tout,  tant  en  Europe  (g)  qu'en 

(d)  Ultra  très  annos  m'ihi  famïliaris ,   hœc  aquUa  clanga.  Quotits 

yen'iam    dederam ,    menfœ    in    plures    horas   infidebat  mihi   a  Jînijlrâ , 

oBfervans  motum  manûs  dextrœ  htteras  perarantis  ;  permukens  ali(juando 

fuo  capite  mhram  rneûtn  fi  îitillabam  fub  mento ,   iintinnabat  clarâ  voce  : 

familiar'is  fuît  aliis  ûv'ibus  in  horto  in  fpecie  lavis ,  non  nifi  recenti  carni 

bovinœ  ajfuefada.    Klein,  Ordo.  avi.  pag.  41    &  42. 

(e)  Il  y  a  de  deux  elpèces  d'aigles  ;  l'une  efl  ablblument  appelée 
TXimmach;  l'autre  efl  nommée  ■^emiech.  .  .  ,  L'aigle  zummach  prend  le 
lièvre ,  le  renard  ,  la  gazelle  ;  l'aigle  zemicch  prend  la  grue  «Se  oifeaux 
plus  moindres.  Fauconnerie  de  Guillaume  Tardif,  iiv.  II,  cap.  11. 

(f)  Aiures  ut  gratum  cibum  devorare  folet  ;  aviculas  etiam ,  anales 
^  columbas  vcnatur.    Schwenckfeid ,  Avi.   SU.  pag.   220. 

(g)  On  trouve  ce  petit  aigle  aux  environs  de  Dantzic  :  on  le 
trouve  auiïi  ,  quoique  rarement ,  dans  les  montagnes  de  Silefie. 
V^y€\  Schii^^nclfeld ,  page  220. 


DU    PETIT    Aigle.  93 

AfiC  fh),  en  Afrique  où  on  la  trouve  jufqu'au  cap  de 
Bonne-efpcrance  fi)  dans  ce  continent  ;  mais  ii  ne  paroît 
pas  qu'elle  foit  en  Amérique:  car,  après  avoir  comparé 
Jes  indications  des  Voyageurs,  j'ai  préfumé  que  l'oiTeau 
qu'ils  appellent  Vû'igle  Je  l'Orcnoquc ,  qui  a  quelque 
rapport  avec  celui  -  ci  par  la  variété  de  iox\  plumage , 
efl  néanmoins  un  oifeau  d'efpèce  différente:  fï  ce 
petit  aigle  qui  efl  beaucoup  plus  àocW^ ,  plus  aifé  à 
apprivoifer  que  les  deux  autres,  &  qui  efl  auffi  moins 
lourd  fur  le  poing,  6c  moins  dangereux  pour  fon  maître, 
fe  fût  trouvé  également  courageux,  on  n'auroit  pas 
manqué  de  s'en  fervir  pour  la  cliaffe,  mais  \\  efl  auffi 
iciclie  que  plaintif  <Sc  criard.  Un  épervier  bien  dreflé 
fufîit  pour  le  vaincre  6;  l'abattre  (k) :  d'ailleurs  on  voit 

(h)  On  le  trouve  €11  Grèce,  puirrju'AriAote  en  fîiit  mention; 
en  Perle,  comme  on  le  voit  par  le  témoignage  de  Chardin;  &  eit 
Arabie  où  il  porte  le  nom  de  ^imiech ,  ou  aigle  foible, 

(i)  On  le  trouve  au  cap  de  Bonne-efpcrance,  car  il  me  p:\roît 
que  c'efl;  le  même  aigle  que  Kolbe  appelle  a'igk  canardière ,  qui  le 
jette  principalement  fur  les  canards.  Kolbe,  panle  lii ,  page  170. 

(k)  C'efl  à  cette  efpèce  d'aigle  lâche  qu'il  faut  rapporter  le  pafîâcrc 
fuivaiit.  «  Il  y  a  aufli  des  aigles  dans  \çi,  montagnes  voifjnes  de 
Tauris  (  en  Perfe  );  ]ti\  ai  vu  vendre  un  cinq  fous  ])ar  des  payfins.  ce 
Les  gens  de  qualité  voient  cet  oîfeau  avec  i'e'pervier  ;  ce  vol  efl  ce 
tout-à-fait  quelque  choie  de  curieux  &  de  fort  admirable  :  la  façon  c<: 
flont  l'épervier  abat  l'aigle,  c'cft  qu'il  vole  au-defius  fort  haut, 
fond  fur  lui  avec  beaucoup  de  vîtefîe,  lui  enfonce  les  ferres  dans 
les  flancs,  &  de  (qs  ailes  lui  bat  la  ikic  en  volant  toujours:  il  arrive 
pourtant  quelquefois  que  l'aigle  &  l'épervier  tombent  tous  deux 
«nfenible  w.  Voyage  de  Chardin,  Londres ,  i  6  S  6 ,  pages  2  ^  2  &  2q  ^. 

M  iij 


« 

ce 
ce 
ce 


94         Histoire   Naturelle 

par  les  témoignages  de  nos  Auteurs  de  fauconnerie, 
qu'on  n'a  jamais  drefTé,  du  moins  en  France,  que  les 
deux  premières  efpèces  d'aigles;  favoir  le  grand  aigle 
ou  aigle  fauve,  &  l'aigle  brun  ou  noirâtre,  qui  cfll 'aigle 
commun.  Pour  les  inflruire,  il  faut  les  prendre  jeunes; 
car  un  aigle  adulte  efl  non  -  feulement  indocile,  mais 
indomptable  ;  il  faut  les  nourrir  avec  la  chair  du  gibier 
qu'on  veut  leur  faire  chafTer.  Leur  éducation  exige  des 
foins  encore  plus  affidus  que  celle  des  autres  oifeaux 
de  fauconnerie;  nous  donnerons  le  précis  de  cet  art  à 
l'article  du  faucon.  Je  rapporterai  feulement  ici  quelques 
particularités  que  l'on  a  obfervées  fur  les  aigles ,  tant 
dans  leur  état  de  liberté  que  dans  celui  de  captivité. 

La  femelle  qui  dans  l'aigle,  comme  dans  toutes  les 
autres  efpèces  d'oifeaux  de  proie ,  efl  plus  grande  que 
le  mâle,  Si  femble  être  auffi  dans  l'état  de  liberté 
plus  hardie,  plus  courageufe  Si  plus  fine,  ne  paroit  pas 
conferver  ces  dernières  qualités  dans  l'état  de  captivité. 
On  préfère  d'élever  des  mâles  pour  la  chaffe  ;  Si  l'on 
remarque  qu'au  printemps  lorfque  commence  la  faifon 
des  amours  ,  ils  cherchent  à  s'enfuir  pour  trouver 
une  femelle;  en  forte  que  fi  l'on  veut  les  exercer  à  la 
chafle  dans  cette  faifon  ,  on  rifque  de  les  perdre  à 
moins  qu'on  ne  prenne  la  précaution  d'éteindre  leurs 
defirs  en  les  purgeant  allez  violemment:  on  a  aufîi 
obfervé  que  quand  l'aigle  en  partant  du  poing  vole 
contre  terre,  6c  s'élève  enfuite  en  ligne  droite,  c'efl 
fjgne   qu'il  médite  fa  fuite;  il  faut  alors  le  rappeler 


DU    PETIT    Aigle.  95 

promptement  en  lui  jetant  Ton  pafl;  mais  s'il  vole  en 
tournoyant  au  -  defTus  de  fon  maître ,  fans  fe  trop 
éloigner,  c'efl  figne  d'attachement  &  qu'il  ne  fuira 
point.  On  a  encore  remarqué  que  l'aigle  dreifé  à  la 
chafTe ,  fe  jette  fouvent  fur  les  autours  <Sc  autres 
moindres  oifeaux  de  proie,  ce  qui  ne  iui  arrive  pas 
lorfqu'il  ne  fuit  que  fon  inflincfl;  car,  alors  il  ne  les 
attaque  pas  comme  proie,  mais  feulement  pour  leur 
en  difputer  ou  enlever  wnc  autre. 

Dans  l'ctat  de  Nature,  l'aigle  ne  chafTe  feul  que 
dans  le  temps  où  la  femelle  ne  peut  quitter  fes  œufs 
ou  fes  petits  ;  comme  c'efl  la  faifon  où  le  gibier  com- 
mence à  devenir  abondant  par  le  retour  des  oifeaux, 
il  pourvoit  aifément  à  fa  propre  fubfiftance  Si  à  celle 
de  fa  femelle;  mais  dans  tous  les  autres  temps  de 
l'année  le  mâle  (Se  la  femelle  paroiffent  s'entendre 
pour  la  chaffe;  on  les  voit  prefque  toujours  enfemble 
ou  du  moins  à  peu  de  diftance  l'un  de  l'autre.  Les 
habitans  des  montagnes,  qui  font  à  portée  de  les 
obfcrver,  prétendent  que  l'un  des  deux  bat  les  buiffons, 
tandis  que  l'autre  fe  tient  fur  quelqu'arbre  ou  fur 
quelque  rocher  pour  faifir  le  gibier  au  paffage  :  ils 
s'élèvent  fouvent  à  une  hauteur  fi  grande  qu'on  les 
perd  de  vue ,  &  malgré  ce  grand  éloignement  leur 
voix  fe  fait  encore  entendre  très -diflindement,  <&: 
leur  cri  reffemble  alors  à  l'aboiement  d'un  petit  chien. 
Malgré  fi  grande  voracité,  l'aigle  peut  fe  pafTer  long- 
temps de  nourriture ,  fur-tout  dans  l'état  de  captivité 


c)6         Histoire   Naturelle 

lorfqu'il  ne  fait  point  d'exercice.  J'ai  été  informé  par 
un  homme  digne  de  foi,  qu'un  de  ces  oifeaux  de 
l'efpèce  commune,  pris  dans  un  piège  à  renard, 
avoit  pafTé  cinq  femaincs  entières  fans  aucun  aliment. 
Si  n'avoit  paru  affoibli  que  dans  les  huit  derniers  jours, 
au  bout  dcfquels  on  le  tua  pour  ne  pas  le  laifîer  languir 
plus  long-temps. 

Quoique   les    aigles   en    général    aiment    les    lieux 
dcferts    <5c  les   montagnes ,    il   ed   rare    d'en   trouver 
dans  celles  des   prefqu'îies  étroites,  ni   dans  les  îles 
qui   ne  font  pas  d'une  grande  étendue  ;  ils  habitent  la 
terre -ferme  dans  les  deux  continens,  parce   qu'ordi- 
nairement les  îles  font  moins  peuplées  d'animaux.  Les 
anciens  avoient   remarqué    qu'on    n'avoit   jamais   vu 
d'aigles  dans  l'île  de  Rhodes,  ils  regardèrent  comme 
un  prodige,  que  dans  le  temps  où  l'empereur  Tibère 
fe  trouva  dans  cette  île,  un  aigle  vint  fe  pofer  fur  le 
toit  de  la  maifon  où  il  étoit  logé.  Les  aigles  ne  font 
en  effet  que  paffer  dans  les  îles  fans  s'y  habituer,  fans 
y  faire  leur  ponte;  6c  lorfque  les  Voyageurs  ont  parlé 
d'aigles  dont  on  trouve  les  nids  fur  le  bord  des  eaux; 
ÔL  dans  les  îles,  ce  ne  font  pas  les  aigles   dont  nous 
venons  de  parler,  mais  les  balbuzards  Se  les  orfraies 
qu'on  appelle   communément  ûig/^s  de  iner ,   qui  font 
des  oifeaux  d'un  naturel  différent,  (Se  qui  vivent  plutôc 
de  poiffon  que  de  gibier. 

C'efl  ici  le  lieu  de  rapporter  les  obfervations  anato- 
miques  que  l'on  a  fuites  fijr  les  parties  intérieures  A^s 

aigles  I 


DU    PETIT    Aigle,  97 

aigles,  &  je  ne  peux  les  puifer  Jans  une  meilleure  fource 
que  dans  ies  Mémoires  de  Al."  de  l'Académie  des 
Sciences,  qiii  ont  difTcqué  deux  aigles,  i'un  mâle  <Sc 
l'aiUre  femelle  de  refpèce  commune  flj.  Après  avoir 
remarqué  (^\c  les  yeux  étoient  fort  enfoncés,  qu'ils 
avoient  une  couleur  ifabelle  avec  l'éclat  d'une  topaze, 
que  la  cornée  s'élevoit  avec  une  grande  convexité, 
que  la  conjoncftive  étoit  d'un  rouge  fort  \\ï ,  les  pau- 
pières très-grandes,  chacune  étant  capable  de  couvrir 
l'œil  entier;  ils  ont  ohfervé  fur  les  parties  intérieures, 
que  la  langue  étoit  cartilagineufe  par  le  bout  &  charnue 
par  le  milieu  ;  que  le  larynx  étoit  carré  6c  non  pas  en 
pointe,  comme  il  l'efl  à  la  plupart  des  oifeaux  qui  ont 
le  htc  droit  ;  que  i'œfophage  qui  étoit  fort  large , 
s'élargiffoit  encore  davantage  au-deffous  pour  former 
Je  ventricule  ou  eflomac  ;  que  cet  eftomac  n 'étoit 
point  un  géfier  dm*,  qu'il  étoit  fouplc  &  membraneux 
comme  rœfophage,  6c  qu'il  étoit  feulement  plus  épais 
par  le  fond;  que  ces  deux  cav'iiès  ,  tant  du  bas  de 
I'œfophage  que  d\\  ventricule,  étoient  fort  amples  & 
proportionnées  à  la  voracité  de  Tanimal;  que  les  intef- 
tins  étoient  petits  comme  dans  les  autres  animaux  qui 
fe  nourrifTent  de  chair;  qu'il  n'y  avoit  point  de  cœcum 

(l)  Nota.  Que  quoique  M."  de  TAcadémie  aient  pcnfé  que  ces 
deux  aigles  qu'ils  ont  décrits  &  diiTéqués  étoient  de  refpèce  du  grand 
aigle  (  chryfœtos ) ,  il  ell  aifé  de  reconnoître  par  leur  propre  defcriptioH 
&.  en  comparant  leurs  indications  avec  les  miennes ,  que  ces  deux 
aigles  n'étoient  pas  de  la  grande  efpècc,  mais  de  Telpèce  moyenne  ou 


commune. 


Oifeaux,  Tome  h  •    N 


98       Histoire  Naturelle,  ire. 

clans  le  mâle,  mais  que  la  femelle  en  avoit  deux  affez 
amples  6c  de  plus  de  deux  pouces  de  longueur;  que 
le  foie  étoit  grand  tSc  d'un  rouge  fort  vif,  ayant  le 
lobe  gauche  plus  grand  que  le  droit;  que  la  véficule 
du  fui  ctoit  grande,  à.  de  la  groffeur  d'une  groffe 
châtaigne  ou  marron  ;  que  les  reins  étoient  petits  à 
proportion ,  &.  en  comparaifon  de  ceux  des  autres 
G i féaux  ;  que  les  tefticuics  du  mâle  n'ctoient  que  de 
ja  groiïcur  d'un  pois  6c  de  couleur  de  chair  tirant 
fur  le  jaune,  6c  que  l'ovaire  &  le  conduit  de  To- 
vaire  dans  la  femelle  ctoient  comme  dans  les  autres 
oi  féaux  (mj. 

(m)  Mémoires  pour  fervir  à  rHiAoire  des  animaux,  partie  II, 
article  de  Xa'igk, 


99 


LE  PYGARGUE  (a). 

Vû/ei  les  planches  enluminées ,  nf  ^i  i . 

X-«*£SPÈCE  du  Pygargue  me  paroit  être  compoféc  àt 
trois  variétés;  favoir  ,  \c  grand  Pygargue  (1>J ,  \e  pah 
Pygdrgiie  (cj  <lr  le  Pygargue  à  tae  blanche  (d) .  Les  deux 
premiers  ne  différent  guère  que  par  la  grandeur  ,  (&. 
le  dernier  ne  diffère  prefqu'en  rien  du  premier,  la 
grandeur  étant  la  même,  6c  n'y  ayant  d'autre  différence 
qu'un  peu  plus  de  blanc  fur  la  tête  <Sc  le  cou.  Ariftote 
ne  fait  mention  que  de  l'efpccc  (e) ,  6^  ne  dit  rien 
des  variétés  ;  ce  n'efl:  même  que  du  grand  pygargue 
qu'il  a  entendu  parler,  puifqu'il  lui  donne  pour  furnoni 

(a)  Eu  Grec,  no}^p')p$;  en  Latin,  Aqu'ila  ûlbkilla,  h'mularîa. 

(b)  Aqu'ila  albïcïlla.  L'aigle  à  queue  blanche.  B  ri  (Ton ,  tome  1, 
pnge  ^2y.  —  Pygargus  feu  aibkilla,  quibufdam  hinularia.  Willulghby, 
Ornithol.  pag.  31.  —  La  grande  bondre'e  blanche.  OtnithoL  de  Salerne, 
pag.  8. 

{c)  Voyez  la  planche  enluriilne'e  de  Frifch,  planche  LXX.  —  Le 
petit  aigle  à  queue  blanche.  Brilloiî ,  tome  I,  page  42 p, 

(d)  Voyez  la  pL-uiche  enluminée  de  Cate/Ly ,  tome  1,  pacre  /, 
planche  J.  —  L'aigle  à  tête  blanche.  Briflon,  tome  I,  page  422. 

(e)  Aqu'darum  pliira  funt  gênera.  Unam  quod  pygargus  ab  alb'uante 
caudd  dîcitur ,  ac  fi  albïcillam  nommes.  Gaudct  hœc  plams  ^  lucis  ^ 
oppidis.  Hinularia  d  nonnullis  vocata  cognomine  efi.  Montes  etiam  Jylvaf- 
que  fijis  fréta  viribus  petit  ;  reliqua  gênera  raro  plana  &  lucos  adeunt, 
Arirtot.  ////?.  anim.  iib.  IX,  cap.  XXXII. 

N  ij 


100       Histoire   N atu relle 

Je  moi  h'mitlûriû ,  qui  indique  que  cet  oifeau  fait  fa  proie- 
des  faons  (  h'mulos ) ,  c'efl-à-dire  des  jeunes  cerfs,  des 
daims.  &  chevreuils  ;  attribut  qui  ne  peut  convenir  au» 
petit  pygargue,  trop  foible  pour  attaquer  d'auffi  grands 
animaux. 

Les  différences  entre  les  pygargues  &.  les  aigles 
font,  i."*  la  nudité  des  jambes;  les  aigles  les  ont 
couvertes  juf(ju'au  talon,  les  pygargues  les  ont  nues 
ckns  toute  la  partie  inférieure;  z^  la  couleur  du  bec  , 
ies  aigles  l'ont  d'un  noir  bleuâtre,  <5c  les  pygargues  l'ont 
Jaune  ou  blanc;  i^  la  blancheur  de  la  queue  qui  a  fait 
donner  aux  pygargues  le  nom  à' aigles  à  queue  Manche , 
parce  qu'il  a  en  effet  la  queue  blanche  en  deffus  6c: 
en  deffous  dans  toute  fon  étendue:  ils  diffèrent  encore 
des  aigles  par  quelques  habitudes  naturelles,  ils  n'ha- 
bitent pas  les  lieux  déferts  ni  les  hautes  montagnes  ; 
les  pygargues  fe  tiennent  plutôt  à  portée  dts  plaines 
Si  des  bois  qui  ne  font  pas  éloignés  des  lieux  habités. 
Il  parojt  que  le  pyg^'irgue,  comme  l'aigle  commun, 
affcéte  les  climats  froids  de  préférence:  on  le  trouve 
dans  toutes  les  provinces  du  nord  de  l'Europe  ffj. 
Le  grand  pygargue  eff  à  peu  près  de  la  mémcgroffeur 
&  de  la  même  force,  fi  même  il  n'efl  pas  plus  fort 
<]ue  1-aigle  commun:  il  eft  au  moins  plus  carnaffier, 
plus  féroce  &.  moins  attaché  à  fes  petits;  car,  il  ne  ies 

(f)  ^-    Liiinasus  dit  que  cet  oifcau  fe  trouve  dans   tomes  \es 

forêts  de  la  Suède qu'il  eft  de  la  grandeur  d'une  oie,  &  que 

Ja  femelle  cfl;  plus  blanchâtrs  que  fe  iridle. 


DU      PYGARCUE,  I0£ 

nourrit  pas  long-temps;  il  les  cliafTe  hors  du  nid  avant 
même   qu'ils   foient  en   état  de  fe  pourvoir ,   6s:  Ton 
prétend  que  fans  le  fecours  de  l'orfraie  fgj,  qui  les 
prend  alors  fous  fa  protedion  ,  la  plupart  périroient  : 
'\\  produit  ordinairement  dtux  ou  trois  petits,  &  fait 
fon  nid  fur  de  gros  arbres.   On  trouvx  la  defcription 
d'un  de  ces   nids  dans  WillugliLy  ,   <5c  dans  pliifieurs 
autres  Auteurs  qui  l'ont  traduit  ou  copié;  e'efl  une  aire 
ou    un   plancher   tout  plat  ,    comme    celui   du    grand 
aigle ,  qui  n'cft  abrité  dans  le  dellus  que  par  le  ïtxwWixgt 
des  arbres  ^  <Sc  qui  efl  compofé  de  petites  pcrcjics  6<. 
de  branches,   qui   foutienncnt  plufieurs    lits  alternatifs 
de   bruyères  6c  d'autres  herbes:   ce  fentiment  contre 
Nature,  qui  porte  ces   oifeaux  à  chaffer   leurs  petits 
avant  qu'ils  puifTent  fe   procurer  aifément  leur  fubfif- 
tance  ,  6:  qui  eft  commun  à  l'efpèce  du  pygargue,  ôl 
à    celles  du    grand   aigle  6c  du   petit    aigle    tacheté , 
indique   que    ces   trois    efpèces   font  plus  voraces  6c 
plus  parefTeufes  à  la  chafTe,  que  celle  de   l'aigle  com- 
mun qui  foigne  6c   nourrit  largement   fes  petits,  les 
conduit  enfuite,  les  inflruit  à  chaffer,  6c  ne  les  oblige 
à  s'éloigner  que    quand   ils  font   aiïcz  forts  pour   fc 

(g)  Qjiœ  ojfifraga  appellatur nu  tri  cal  b^ne  &  Juas  pullos  if. 

cqullœ  ;  cum  enim  illa  fuos  nido  ejecer'it ,  hœc  recipit  eos  ac  educat  ;  mhtït 
ruimque  fuos  aquïla  mtequam  tempus  fit ,  aàhuc  parent is  operam  defuie- 
rantes ,  nec  vo/aridi  adeptes  facultatem .....  pulli  a  parente  ejiciuntur  ^ 
pulfantur.  Dejeâi  vociferantur ,  perklitanîurque  ;  fed  ojffraga  recipit  eos 
ù-enignè  &  tuetur  &  alït  dum ,  quantum  fatis  fit ,  adolcfcant.  Aiiilot» 
Jtilijl.  ûnlm.  lib.  IX,  cap.  XXXI V. 

N  iij 


102    Histoire  N atu relle,  i/c. 

pafTer  de  tous  fecours  :  d'ailleurs  le  naturel  des  petits 
tient  de  celui  de  leurs  parens;  les  aiglons  de  i'efpèce 
commune  font  doux  &.  afTez  tranquilles;  au  lieu  que 
ceux  du  grand  aigle  Si  du  pygargue,    dès   qu'ils  font 
im  peu  grands,  ne  celîent  de  fe  hattre  6:  de  fe  dif- 
puter  la  nourriture  cv   la  place  dans  le  nid;  en  forte 
que  fouvent  le  père  6c    la  mère  en   tuent  quelqu'un 
pour  terminer  le  débat;   on   peut  encore  ajouter  que 
comme  le    grand   aigle   &i   le  pygargue   ne    cliafTent 
ordinairement    que  de  gros  animaux,  ils  fe  raffafient 
fouvent  fur  le  lieu,   fans  pouvoir  les  emporter;   que 
par  confcqucnt  les  proies   qu'ils   enlèvent  font  moins 
fréquentes ,  6c  que  ne  gardant  point  de  chair  corrompue 
dans  leur  nid  ils  font  fouvent  au  dépourvu  ;  au  lieu  que 
l'aigle  commun  qui  tous  les  jours  prend  des  lièvres  6c 
des  oifeaux  ,  fournit  plus  aifément  6c  plus  abondamment 
Ja  fubfiflance  néceffaire  à  Ces  petits.  On  a  auffi  remarqué , 
fur-tout  dans  I'efpèce  des  pygargues,  qui  fréquentent 
de  près  les  lieux  habités ,  qu'ils  ne  chafTent  que  pendant 
quelques  heures  dans  le   milieu  du  jour ,  6c  qu'ils  fe 
repofent  le  matin ,  le  foir  6c  la  nuit  ;  au  lieu  que  l'aigle 
commun  ( aqiiila  valcria )  ell  en  effet  plus   valeureux, 
plus  diligent  6c  plus  infatigable. 


lo:; 


L  E 

BALBUZARD   (^). 

Voje^  les  planches  enluminées  j  nf  4/-/. 

Le  Balbuzard  (pi.  il)  efl  i'oifeaii  que  nos  Nomcn- 
dateurs  appellent  Aigle  de  mer  (b) ,  Si  que  nous  appelons 
en  Bourgogne  Craiipt c lierai ,  mot  qui  fignitie  corbeau- 
pécheur.  Crau  ou  craw  efl  le  cri  du  corbeau  ;  c'cilaufTi 
fon  nom  dans  quelques  langues,  6:  particulièrement  en 
Anglois,  (Se  ce  mot  efl  reflé  en  Bourgogne  parmi  les 
payfans ,  comme  quantité  d'autres  termes  anglois  que 
j'ai  remarqués  dans  leur  patois,  qui  ne  peuvent  venir 
que  du  féjour  des  Anglois  dans  cette  province,  fous 
les  règnes  de  Cbarles  V,  Cbarles  VI,  <5.c.  Gefner,  qui 
Je  premier  a  dit  que  cet  oifeau  étoit  appelé  crofpef- 
chcrot  par  les  Bourguignons,  a  mal  écrit  ce  nom  faute 
d'entendre  le  jargon  de  Bourgogne  ;  le  vrai  mot  efl 
crau  é^  non  pas  cros ,  &.  la  prononciation  n'efl  ni  cros , 

(a)  En  Grec,  AA/cceTOî",  en  Latin,  Aqulla  marina;  en  Italien, 
Angu'ifa piomblna ;  en  Allemand,  Fifch-adlcr  ou  F'ifch-ahr ;  en  Polo- 
nois ,  Or:^elmaTsl<y  ;  en  Anglois,  Baldbu-:^ard  ;  en  Bourgogne,  Crau- 
pâherot. 

ib)  Voyez  la  planche  enluminée  y\  i  de  Li  Zoologie  Britan- 
nique. .  .  .  L'aigle  de  mer.  Brillon,  Wn.  J,  pag.  440,  pi.  XXX lY. 
r—  BalbuTardus  anghrum.  Willulghby,  Ornhfwl.  pag.  37. 


704        Histoire   Natu relle 

ni  cran ,  mais  crmv ,  ou  fiinpiemcnt  crâ  avec  un  //  fort 
ouvert. 

A  toutconficlcrer,  on  doit  dire  que  cet  oifeau  n'eflpns 
lin  aigle,  quoiqu'il  TefTemble  plus  aux  aigles  qu'aux  autres 
oifeaux  de  proie.  D'abord  \\  efl  bien  plus  petit  fcj, 
il  n'a  ni  le  port  ,  ni  la  figure  ,  ni  le  vol  de  l'aigle.  Ses 
habitudes  naturelles  font  auffi  très-différentes,  ainfi  que 
fes  appétits,  ne  vivant  guère  que  de  poifTon  qu'il  prend 
dans  l'eau,  mêrae  à  quelques  pieds  de  profondeur  fJ)  ; 

Si  ce 

fc)  Nota.  Qu'il  y  a  une  différence  plus  grnndc  encore  que  dans  Fcs 
aigicj  entre  la  feinelle  &.  le  mâle  balbuzard  :  celui  que  M.  Brifloii 
a  dccrit ,  6c  qui  fans  doute  étoit  mâle ,  n'avoir  qu'un  pied  fcpt 
pouces  de  longueur  jufqu'aux  ongles ,  &  cinq  pieds  trois  pouces  de 
vol  ;  &  un  autre  que  l'on  m'a  apporté  n'avoit  qu'un  pied  neuf 
pouces  de  longueur  de  corps,  &  cinq  pieds  fept  pouces  de  vol: 
au  lieu  que  la  femelle  décrite  par  M."  de  l'Acadcmie  des  Sciences, 
fous  le  nom  d'haliœtus,  à  l'article  de  l'aigle  que  nous  avons  cité, 
î^voit  deux  pieds  neuf  pouces  de  longueur  de  corps ,  y  compris  la 
queue  ,  ce  qui  fait  au  moins  deux  pieds  de  longueur  pour  le  corps 
feul  ,  &  Icpt  pieds  &  demi  de  vol  ;  cette  diffcrcnce  eft  fi  grande 
qu'on  pourroit  douter  que  cet  oilênu  décrit  par  jM."  de  l'Académie 
fin  le  balbuzard  ou  craupêcherot ,  fi  l'on  n'en  étoit  affuré  p^r  les 
autres  indications. 

(d)  Nota.  Malgré  toutes  ces  différences,  Ariflotc  a  mis  le  balbu- 
7nrd  au  nombre  des  aigles ,  &  voici  ce  cju'il  en  dit  :  Qu'inlum  (  aquilae  ) 
gmus  eji  quoi  haliatvs ,  hoc  ejl  marina  vocntur,  cervice  magna  &  crajfâ, 
alis  cwvantibus  ,  caudâ  latâ  ;  moratur  hœc  in  liîtoribus  &  oris.  Accidit 
hitic  fitpias  ut  cum  ferre  cjuod  ce/erit  nequent  in  gurgitem  demergniur. 
Arif^ot.  HiJ.  anim.  lib.  IX,  cap,  XXX II.  Mais  il  fîiwt  obferver  que 
les  Grecs  comprciioieiu  tous  les  oifeaux  de  proie  qui  volent  de  jour 

fous 


DU    Balbuzard.        105 

<^  ce  qui  prouve  que  ie  poiïTon  efl  en  effet  (:\  nour- 
riture la  plus  ordinaire  ,  c'efl  que  fa  chair  en  a  une 
très -forte  odeur.  J'ai  vu  quelquefois  cet  oilcau  de- 
meurer pendant  plus  d'une  Jieure  perché  fur  un  arbre 
à  portée  d'un  étang  jufqu'à  ce  qu'il  aperçût  un  gros 
poifTon  fur  lequel  il  pût  fondre  6c  l'emporter  cnfuitc 
dans  fes  ferres.  Il  a  les  jambes  nues  6c  ordinairement 
de  couleur  bleuâtre;  cependant  il  y  en  a  quelques-uns 
qui  ont  les  jambes  6c  les  pieds  jaunâtres ,  les  ongles 
noirs  très-grands  6c  très-aigus,  les  pieds  6c  les  doigts  fi 
roides  qu'on  ne  peut  les  fléchir;  le  ventre  tout  blanc, 
la  queue  large  ôl  la  tête  groffe  6c  épaifTc.  Il  difièrc 
donc  des  aigles  en  ce  qu'il  a  les  pieds  6:  le  bas  des 
jambes  dégarnis  de  plumes,  6c  que  l'ongle  de  derrière 

fous  les  noms  gcncriqiies  de  nétos ,  gyps  &  hierax ,  c'eft-à-dirc, 
aquila ,  vullur  ù'  accipiter  ;  aigle,  vautour  &  épervicr ,  &  que  dans 
ces  trois  genres  ils  en  diftijiguoient  peu  par  des  noms  Ipécifiques  ;  &. 
c'eft  Hms  doute  par  cette  raifon  qu'Ariftotc  a  mis  le  balbuzard  au 
Jiombre  des  aigles.  Je  ne  conçois  pas  pourquoi  M.  Ray,  qui 
d'aillfurs  cil  un  Écrivain  iavant  &  exa<fl  ,  aflurc  que  Vhal'uTtiis  3t 
Vo[pfraga  ne  loni  que  le  jiième  oileau,  puifqu'Arifloie  les  dillingue 
Ij  nettement  tous  deux  &  qu'il  en  traite  dans  deux  chapitres  icparcs; 
Jn  feule  raifon  que  Ray  dojine  de  fon  opinion,  c'efl  que  le  balbuzard 
étant  trop  petit  pour  être  mis  au  nombre  des  aigles,  il  lî'cll  pas 
Vliûliaîus  ;  mais  il  n'a  pas  hiit  attention  que  le  morphnus  ou  petit  aigle 
nuquel  on  peut  faire  le  même  reproche  ,  a  cependant  ttc  compte 
parjui  les  aigles  conmie  Vhal'iatus,  ]^ar  Ariflote;  &  qu'il  n'eft  jjns 
pofliblc  que  Yhaliœtus  foit  Yojftfroga  ,  puifqu'il  en  afîjgne  toutes 
les  différences.  Je  fais  cette  remarque,  parce  que  cette  crrcur^clc  Ray 
;i  été  adoptée  &  répétée  par  plufieurs  Auteurs,  &  fur -tout  par  les 
Anglois. 

OifcdUS ,   ToîîîC  L  .    O 


io6       Histoire  Naturelle 

efl  le  plus  court,  tandis  que  Jans  les  aigles  cet  ongle 
de  derrière  efl  le  plus  long  de  tous;  il  diffère  encore  en 
ce  qu'il  a  le  bec  plus  noir  que  les  aigles,  Sl  que  les 
pieds ,  les  doigts  5c  la  peau  qui  recouvre  la  hafe  du  bec 
font  ordinairement  bleus,  au  lieu  que  dans  les  aigles 
toutes  ces  parties  font  jaunes.  Au  refle,  il  n'a  pas  des 
demi-membranes  entre  les  doigts  du  pied  gaucbe  comme 
Je  dit  M.  Linnacus  fej,  car  les  doigts  des  deux  pieds  font 
également  féparès  &  dénués  de  membranes.  C'efl  une 
erreur  populaire  que  cetoifeau  nage  avec  un  pied ,  tandis 
qu'il  prend  le  poiiïbn  avec  l'autre,  6c  c'efl  cette  erreur 
populaire  qui  a  produit  la  méprife  de  M.  Lirmaeus.  Au- 
paravant M.  Klein  a  dit  la  même  chofe  de  l'orfraie  oir 
grand  aigle  de  mer,  6c  il  s'eft  également  trompé,  car  ni 
i'un  ni  l'autre  de  ces  oifeaux  n'a  de  membranes  entre 
aucun  doigt  du  pied  gauche.  La  fource  commune  de 
ces  erreurs  efl  dans  Albert  le  grand,  qui  a  écrit  que  cet 
oifeau  avoit  l'un  des  pieds  pareil  à  celui  d'un  épervier, 
ôi  l'autre  femblable  à  celui  d'une  oie,  ce  qui  efl  non- 
feulement  faux  ,  mais  abfurde  &  contre  toute  analogie; 
en  forte  qu'on  nepeutqu'ctre  étonné  de  voir  queGefncr, 
Aldrovande,  Klein  ôi  LinUcTus,  au  lieu  de  s'élever  contre 
cette  faufTetél'ayent  accréditée,  (Se  qu'Aldrovandc  nous 
dife  froidement  que  cela  n'efl  pas  contre  toute  vraifem- 
blance,  puifque  je  fais,  ajoute- 1- il  très-pofitivement, 
qu'il  y  a  des  poules  d'eau  moitié  palmipèdes  &  moitié 

(t)  Hûliœtvs ....  Viâïtat  pifâbus ,  wajor'ihus  anatïbus  ,  pcs  fimjîer 
fub  palmatus,  Lùin.  Syft.  nat.  edit.  x,  tome  I,  page  ^  i. 


DU    Balbuzard,         107 

li/îlpcdes,  ce   qui  efl  encore  un  autre  fait  tout  auiïi 
faux  que  le  premier. 

Au  refle,  je  ne  fuis  pas  furpris  qù'Ariflote  ait  appelé 
cet  oifeau  haliœtos ,  aigle  de  mer;  mais  je  fuis  encore 
étonne  que  tous  les  Naturalises  anciens  (Se  modernes, 
aient  copié  cette  dénomination  fans  fcrupule,  (5c  j'ofe 
dire  fans  réflexion;  car  Vha/iœnis  oi]  balhu-^ard ,  ne  fré- 
quente pas  de  préférence  les  côtes  de  la  mer  ;  on  le 
trouve  plus  fouvent  dans  les  terres  méditerranées  voifines 
des  rivières ,  des  étangs  &.  des  autres  eaux  douces  ;  il 
efl  peut-être  plus  commun  en  Bourgogne ,  qui  eft  au 
centre  de  la  France  ,  que  fur  aucune  de  nos  côtes 
maritimes.  Comme  la  Grèce  efl  un  pays  où  il  n'y  a 
pas  beaucoup  d'eaux  douces  ,  Sl  que  les  terres  en  font 
traverfées  &.  environnées  par  la  mer  à  d'affez  petites 
diflances,  Ariftote  a  obfervé  dans  fon  pays  que  ces 
oifeaux  pécheurs  cherchoient  leur  proie  fur  les  rivages 
de  la  mer  ,  (Se  par  cette  raifon  il  les  a  nommes  ailles 
éfe  mer  ;  mais  s'il  eût  habité  le  milieu  de  la  France  ou 
xle  l'Allemagne  (f),  la  Suiffe   (c,)  Si  les  autres  pays 

{'fj  Hanc  aquilav  (  halfaetum  )  nuper  accepi  a  nohili  Dom.  Nicolas 
Zedlïl^  in  fch'ildau  quam  ferv'Uor  ejus  bombardœ  globulo ,  dum  in  Bobero 
pifces  venaretur   interfecerat.    A-Iirœ  pinguedinis  avis   quœ   tôt  a  pifcium 

odorem  fpirabat non  folum  circa  mare  moratiir ,   verum  etiam  ad 

jiumina  Ù"  Jfûgna  Silefiœ  nojîrœ  degit  &  arbotïbus  infidens  pifcibus  injî- 
diatur.  Scinvenckfeld,  Avi'  SU.  pag.  217. 

(s)  Gefiier  dit  que  cet  oiTeau  ie  trouve  en  SujïTe  en  plufieurs 
cnJroits,  &  qu'il  fait  Ton  nid  dans  certains  rochers  près  des  twxx. 

Oii 


io8        Histoire   Naturelle 

éloiîjncs  Je  \^  mer  où  ils  font  très-communs,  il  les  eirt 
plutôt  appelés  ailles  des  eaux  douces.  Je  fais  cette  remar([iie 
alin  (Je  faire  fentir  que  j'ai  eu  d'autant  plus  de  raifon 
de  ne  pas  adopter  cette  dénomination  aigle  de  mer,  6c 
d')'*l'^ubllituer  le  nom  fpécifique/^/'//{;^r^,  qui  empêchera 
qu'on  ne  le  confonde  avec  les  aigles  f/ij,  Ariftote 
aiïure  que  cet  oileau  a  la  vue  très-perçante  fij;  il  force, 
dit-il ,  fes  petits  à  regarder  le  foleil ,  Si  il  tue  ceux  dont 
les  ycirx  ne  peuvent  en  fupporter  l'éclat;  ce  fait,  que 
je  n'ai  pu  vérifier,  me  paroit  difficile  à  croire,  quoiqu'il 
ait  été  rapporté  ,  ou  plutôt  répété  par  plufieurs  autres 
auteurs ,  6c  qu'on  l'ait  même  généralifé  en  l'attribuant 
à  tous  les  aigles  qui  contraignent,  dit-on,  leurs  petits 
à  regarder  fixement  le  foleil  ;  cette  obfervation  m-e 
paroit  bien  difficile  à  faire  ,.  ôi  d'ailleurs  il  me  fcmble 
qu'Ariilote  ,  fur  le  témoignage  duquel  feul  le  fait  eft 
fondé ,  n'étoit  pas  trop  bien  informé  au  fujet  des  petits 
de  cet  oifeau  ;  il  dit  qu'il  n'en  élève  que  deux,  Se  qu'il 

ou  dans  des  vallces  profondes  :   il  aioiue  qu'on  peut  I'apprivoi(er  <!'c 
s'en  lervir  dans  la  fliuconnerie. 

ffij  M.  Sulernc  a  fîiit  une  nieprKe  en  didim  que  i'oi(eau  appelé 
en  Bovirgognc  Craupêcherot ,  cft  l'o(îîfraguc  ou  le  grand  aigle  de 
mer  ;  c'eil  au  contraire  celui  cju'il  appelle  le  faucon  de  marais  qui  eft 
ie  craupêcherot.  Voye^  l'Ornk/wL  Je  AI.  de  Saltme ,  ïn-^.'  Paris, 
iy6y ,  pû^es  6  &  j ,  &  corrige-^  cette  erreur. 

(i)  At  vero  marina  illa  (  aqtiiia  )  clar/JJimâ  oculorum  acte  eji  ac  pullos 
ûdkuc  imphimçs  cogit  aJverfos  intueri  folem ,  percutit  eum  qui  renitet  if 
\ertit   ad  folem  ;    lum    cujus   oculi   lacrymârint    hune   occidit ,    reliquum 
'iàucat.  Arîflot.  Hi^.  anim.  lib.  IX;  cap.  xxxiy. 


DU    Balbuzard.         109 

tue  celui  qui  ne  peut  regarder  le  foleil.  Or  nous  Tommes 
afTurés  qu'il  pond  fouvent  quatre  œufs  6c  rarement 
moins  de  trois  ;  que  de  plus  ii  élève  tous  Tes  petitsj 
Au  lieu  d'habiter  les  rochers  efcarpcs  (Se  les  hautes 
montagnes  comme  les  aigles,  il  fe  tient  plus  volontiers 
dans  les  terres  baffes  &  marécageufes,  à  portée  des 
étangs  <Sc  des  lacs  poiiïbnneux;  <Sc  il  me  paroît  encore 
que  c'efî  à  V orfraie  ou  ojfîfrûge ,  Si  non  pas  au  balbu^ûrd 
ou  luiliœtus  qu'il  faut  attribuer  ce  que  dit  Arifîotc  de 
fa  chalTe  aux  oifeaux  de  mer  (k) ,  car  le  balbuzard 
pcclie  bien  plus  qu'il  ne  chaffe  ,  <S:  je  n'ai  pas  ouï 
dire  qu'il  s'éloignât  du  rivage  à  la  pourfuite  des  mouettes 
ou  des  autres  oifeaux  de  mer;  il  paroît  au  contraire 
qu'il  ne  vit  que  de  poiffon.  Ceux  qui  ont  ouvert  le 
corps  de  cet  oifeau  n'ont  trouvé  que  du  poiffon  dans 
fon  cflomac  ,  6c  fa  chair  qui ,  comme  je  l'ai  dit ,  a  une 
trcs-forte  odeur  de  poiffon  ,  eft  un  indice  certain  qu'il 
en  fait  au  moins  fa  nourriture  habituelle;  il  efl  ordinaire- 
ment très-gras,  <Sc  il  peut,  comme  les  aigles,  fe  paffer 
d'alimens  pendant  plufieurs  jours  fans  en  être  incom- 
modé ni  paroitre  afîoibli  (l) .  Il  eft  auffi  moins  fier  <Sc 

(k)  Viigatur  hœc  (  aquila  )  pcr  mare ,  littora  ,  un  Je  nomen  accepit. 
Vivittjue  (mum  marinarum  venatu.  Aggreditur  fingulas.  Aciftot.  \\h.  IX, 
cap.  XXXIV. 

(l)  Captus  aliquamdo  haliœtus  a  doâ/ffîmo  quodnm  medico ,   morihus 
fiitis  pldcidus  vifus  fuit  ac  troâabilis  c^  fumis  patienti(fimus,   Vixit  d'ies 

feptem  abfque  omne  c'ibo  &  qu'idem  in  alla  quiète Camem  oblatam 

recufiivit ,  pif  ces  fine   dubio    voraturus ,  fi  exhibîtœ  fuijjent ,    cum  certà 
confiaret  eum  liifce  vivere.  AIdrov.  Ornilhol.  lom.  I,  lib.  ii,  pag.  icjy. 

Oiij 


iio       Histoire  Natu relle 

moins  féroce  que  l'aigle  ou  le  pygargue  ;  6c  l'on  prétend 
qu'on  peut  afTez  aifément  le  drefTcr  pour  la  pêche, 
,  comme  l'on  dreiïe  les  autres  oifeaux  pour  la  cliafie. 

j^près  avoir  comparé  les  témoignages  des  Auteurs , 
il  m'a  paru  que  l'efpèce  du  balbuzard,  eft  Tune  des 
plus  nombreufes  des  grands  oifeaux  de  proie,  <&  qu'elle 
efl  répandue  aifez  généralement  en  FAirope,  du  nord 
au  midi,  depuis  la  Suède  jufqu'en  Grèce,  6c  que  même 
on  la  retrouve  dans  des  pa3/s  plus  chauds  comme  en 
Egypte  &  jufqu'en  Nigritie  fjnj. 

J'ai  dit  dans  une  des  notes  de  cet  article,  que  M.'* 
de  l'Académie  des  Sciences,  avoient  décrit  un  hallmiard 
ou  haliœtus  femelle  (n).  Si  qu'ils  lui  avoient  trouvé  deux 
pieds  neuf  pouces,  depuis  l'extrémité  du  bec  jufqu'à 
celle  de  la  queue;  <5c  fept  pieds  &  demi  de  vol  ou 
d'envergure ,  tandis  que  les  autres  Naturalifles  ,  ne 
donnent  au  balbuzard  que  deux  pieds  de  longueur  de 
corps  jufqu'au  bout  de  la  queue  ,  ai  cinq  pieds  6c 
demi  de  vol;  cette  grande  différence  pourroit  faire 
.croire  que  ce  n'eit  pas  le  balbuzard,  mais  un  oifeau 

fm)  II  me  paroît  que  ce(ï  au  balbuzard  qu'on  doit  rapporter  le 
paflage  fuivant  :  «  on  nous  fît  remarquer  quantité  d'oifeaux  en  Ni- 
35  aritic,  cntr'autres  des  aigles  de  deux  fortes,  dont  l'une  vit  de  proie 
3j  de  terre  &:  l'autre  de  poinon;  nous  appelons  celle-ci  nonnette ,  par.ce 
»  cju'elle  a  le  plumage  de  couleur  de  l'habit  d'une  carmélite  avec  Ton 
fcapulaire  blanc.  Leur  vue  furpafle  en  clarté  celle  de  l'homme  35. 
Melation  Je  la  Nigritie,  par  Gaby.  Paris,   16  S  p. 

(n)  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hiftoire  des  animaux, /7ûr//V  II ,  article 
de  /'Aiglç. 


r,nn .  I. 


ri    II  PdJ   ;y.' 


D.Mfr  Ml 


LF.    BALBUZARD 


DU     Balbuzard.  iii 

plus  grand  que  M/'  de  l'Académie  ont  décrit:  néan- 
moins, après  avoir  comparé  leur  defcription  avec  la 
nôtre,  on  ne  peut  guère  en  douier  :  car  de  tous  les 
oifeaux  de  ce  genre,  le  balbuzard  cfî  le  feu!  qui  puiffe 
être  mis  avec  les  aigles;  le  icul  qui  ait  le  bas  dts 
jambes  6c  les  pieds  bleus,  le  bec  tout  noir,  les  jambes 
longues  Sl  les  pieds  petits  à  proportion  du  cov^is  ;  je 
penfe  donc,  avec  M."  de  l'Académie,  que  leur  oifcau 
efl  le  vrai  haliœtus  d'Ariflote  ,  c'ed-à-dire  notre  bal- 
buzard, (Se  que  c'étoit  une  des  plus  grandes  femelles 
de  cette  efpèce  qu'ils  ont  àicùic  <5c  di/Féquée. 

Les  parties  intérieures  du  balbuzard ,  diffèrent  peu 
de  celles  des  aigles.  M/'  de  l'Académie,  n'ont  re- 
marqué de  différences  confidérables  que  dans  le  foie 
qui  efl  bien  plus  petit  dans  le  balbuzard;  dans  les  àtwx 
cœcum  de  la  femelle  qui  font  auiïi  moins  grands;  dar^s- 
la  pofition  de  la  rate  qui  efl  immédiatement  adhérente 
au  côté  droit  de  l'eflomac  dans  l'aigle;  au  lieu  que 
dans  le  balbuzard ,  elle  étoit  fituée  fous  le  lobe  àxo\t 
du  foie;  dans  la  grandeur  des  reins,  le  balbuzard  les 
ayant  à  peu  près  comme  les  autres  oifeaux,  qui  les 
ont  ordinairement  fort  grands  à  proportion  des  autres 
animaux,  <S:  l'aigle  les  ayant  au  contraire  plus  petits. 


112       Histoire  N atu r  e l  l e 


L'  0  R  F  R  A  1  E  (a), 

Vûj'e^  les pLmches  enluminées ,  n°/  112  £^  ^/j. 

L'Orfraie,  OJfîfmga  (yl.  m),  a  ctc  appelé  par  nos 
Nomcnclateurs  \t  grand  Aigle  ck  mer  (h).  Il  cft  en  cflèt 
à  peu  prèsaufîi  grand  que  le  grand  aigle  ;  il  paroit  même 
qu'il  a  le  corps  plus  long  à  proportion,  mais  il  a  les 
ailes  plus  courtes;  car,  l'orfraie  a  juiqu'à  trois  pieds 
ôc  demi  de  longueur,  depuis  le  bout  du  bec  à  l'extré- 
mité des  ongles,  <Sc  en  me/ne  temps  il  n'a  guère  que 
Icpt  ])ieds  de  vol  ou  d'envergure  ;  tandis  que  le  grand 
aigle  qui  n'a  communément  que  trois  pieds  deux  ou 
trois  pouces  de  longueur  de  corps,  a  liuit  &:  jufqu'à 
neuf  pieds  de  vol.  Cet  oifeau  eft  d'abord  très  -  remar- 
quable par  fa  grandeur,  &.  il  eft  reconnoiffable  ,  \?  par 
la  couleur  <Sc  la  figure  de  Tes  ongles  ,  qui  font  d'un  noir 
brillant  &  forment  un  demi-cercle  entier;  2.°  par  les 

(a)  En  Grec,  4>>ivvir,  en  Latin,  OJJifraga ;  en  Italien,  Aquilajlro 
anguijia  bar  bâta;  en  Allemand,  Grojfer  hafen  ahr;  en  Siiéfie ,  Skajl; 
en  Polonois ,  Or^el-Lomignal  ;  en  Anglois  ,  Ofprey;  en  vieux  Fran- 
çois, Orfraye,  Offraie,  Freneau,  Bris-os ,  Osfrague,  Orfraie.  Les  Anciens 
lui  ont  donné  le  nom  (ïojpfrague ,  parce  qu'ils  avoient  remarque  que 
cet  oilcau  calloit  avec  Ton  bec  les  os  des  animaux  dont  il  fait  fa 
proie. 

(b)  Le  grand  aigle  de  mer.  Briflon ,  tome  I ,  page  jf^ y.  —  Or- 
fraie ou  ofîîfrague.  Defcription  du  cap  de  Bonne- e/pérance  ,  par  Kolbe , 
tome  III ,  page  i ^o . 

jambes 


DE      L*  0   R   F   R   A   I  E,  ÏTJ 

jambes  qui  font  nues  à  la  partie  inférieure  ,  &.  dont  la 
peau  efl   couverte  de  petites   écailles  d'un  jaune  vif; 
3."  par  une  barbe  de  plumes  qui  pend  fous  le  menton  , 
ce  qui  lui  a  fait  donner  le  nom  à'a'igle  barbii.  L'orfraie 
fe  tient  volontiers  près  des  bords  de  la  mer,  <Sc  affez 
fouvent  dans  le  milieu  des   terres  à  portée   des  lacs, 
des  étangs  6c  Ats  rivières  poiflbnneufes;   il  n'enlève 
que  le  plus  gros  poifTon  ,  mais  cela  n'empêche  pas 
qu'il  ne  prenne  aufTi  du  gibier;  &:  comme  il  efl  très- 
grand  6c    très -fort,   il  ravit  <Sc  emporte  aifément  les 
oies  (Se  les  lièvres,  (Se  même  les  agneaux   ^   les  che- 
vreaux.  Ariftete  affure   que    non  -  feulement  l'orfraie 
femelle  foigne  fes  petits  avec  la  plus  grande  affe(5lion, 
mais  que  même  elle  en  prend  pour  les  petits  aiglons 
qui  ont  été  chaffés  par  leurs  père  6c  mère,  &  qu'elle 
\çs  nourrit  comme  s'ils  lui  appartenoient  :  je  ne  trouve 
pas  que   ce  fait  qui    eft  affez  fmgulier,  6c  qui  a  été 
répété   par  tous   les    Naturalises ,  ait  été   vérifié  par 
aucun,  6c   ce  qui   m'en  feroit   douter,  c'eft  que  cet 
oifeau  ne  pond  que  deux  œufs ,  6c  n'élève  ordinaire- 
ment qu'un  petit;  6c  que  par  conféquent  on  doit  pré- 
fumer qu'il  fe  trouveroit  très- embarraffé,  s'il  avoit  à 
foigner  6c  nourrir  une  nombreufe  famille:  cependant, 
il    n'y  a  guère    de  faits    dans  i'hiftoîre   des   animaux 
d'Ariflote    qui    ne   foient   vrais  ,    ou    du    moins   qui 
n'aient  un  fondement  de  vérité;  j'en  ai   vérifié  moi- 
même  plufieurs,  qui  me  paroiffoient  auffi  fufpecfls  que 
celui-ci,  6c  c'eft  ce  qui  me  porte  à  recommander  à 
O'ifams,  Tome  L  ,  P. 


114-       H 1 STO I RE  Naturelle 

ceux  qui  fe  trouveront  à  portée  d'obfervcr  cet  oiTeau, 
de  tcicher  de  s'aiïlirer  du  vrai  ou  du  faux  de  ce  fait. 
La  preuve  fans  aller  chercher  plus  loin  ,  qu'Ari/lote 
voyoit  bien  6l  difoit  vrai  prefqu'en  tout ,  c'cft  un 
autre  fait  qui  d'abord  paroit  encore  pkis  extraordinaire^ 
êi  qui  demandoit  également  à  être  conftaté.  L'orfraie, 
dit-il,  a  la  vue  foible,  les  yeux  léfés  (5c  obfcurcis  par 
une  efpèce  de  nuage  (cj:  en  conféquence,  il  paroit 
que  c'eft  la  principale  raifon  qui  a  déterminé  Aridote 
à  féparer  l'orfraie  des  aigles ,  <&:  à  le  mettre  avec  la 
chouette  6l  les  autres  oifeaux  qui  ne  voient  pas  pen- 
dant le  jour  :  à  juger  de  ce  fait  par  les  réfultats ,  on 
le  croiroit  non  -  feulement  fufpeél,  n>ais  faux;  car 
tous  ceux  qui  ont  oblcrvé  les  akires  de  l'orfraie,  ont 
bien  remarqué  qu'il  voyoit  aiïez  pendant  la  nuit  pour 
prendre  du  gibier  &  même  du  poilTon ,  mais  ils  ne  fe 
font  pas  aperçus  qu'il  eut  la  vue  foible,  ni  qu'il  vît 
mal  pendant  le  jour:  au  contraire,  il  vife  d'alTez  loin 
Je  poilTon  fur  lequel  il  veut  fondre;  il  pourfuit  vive- 
ment les  oifeaux  dont  il  veut  faire  fa  proie,  <5c  quoi- 
qu'il vole  moins  vite  que  les  aigles ,  c'cfl  plutôt 
parce  qu'il  a  les  ailes  plus  courtes  que  les  yeux  plus 
foibles  :  cependant  le  rcfped  qu'on  doit  à  l'autorité 
du  grand  Philofophe  que  je  viens  de  citer,  a  engagé  le 
célèbre  AIdrovande,  à  examiner  fcrupuleufement  les 
yeux  de  l'orfraie;  6c  il  a  reconnu  que  l'ouverture  de  la 

f  c )  Parum  qffiffûga  ocuVis  valet;  nuheculâ  enïm  oculos  habeî  Icefos, 
Aiîllotv  ////?.  anim.  lib.  IX,  cap.  xxxiv. 


DE      L*  0    R    F   R   A    I   E.  ÏI5 

pupille  (élj ,  qui  d'ordinaire  n'efl  recouverte  que  par  ia 
cornée ,  l'étoit  encore  dans  cet  oifeau  par  une  membrane 
extrêmement  mince,  &  qui  forme  en  effet  raj)parencc 
d'une  petite  taie  fur  le  milieu  de  l'ouverture  de  la 
pupille;  il  a  de  plus  obfervé  que  l'inconvénient  de 
cette  conformation  paroit  être  compenfé  par  la  tranf- 
parence  parfaite  de  la  partie  circulaire  qui  environne 
la  pupille ,  laquelle  partie  dans  les  autres  oifeaux  efl 
opaque  <&:  de  couleur  obfcure.  Ainfi  l'obfervation 
d'Anflote  eft  bonne,  en  ce  qu'il  a  très-bien  remarqué 
que  l'orfraie  avoit  les  yeux  coia^rts  d'un  petit  nuage; 
mais  il  ne  s'enfuit  pas  ncceiïairement  qu'elle  voie 
beaucoup  moins  que  les  autres ,  puifque  la  lumière  peut 
paffer  aifément  &  abondamment  par  le  petit  cercle, 
parfaitement  tranfparent ,  qui  environne  la  pupille.  Il 
doit  feulement  réfulter  de  cette  conformation ,  que 
cet  oifeau  porte  fur  le  milieu  de  tous  les  objets  qu'il 
regarde,  une  tache  ou  un  petit  nuage  obfcur ,  6:  qu'il 
voit  mieux  de  côté  que  de  face:  cependant,  comme 

(d)  Sed  in  oculo  dignum  obfervatiûne  ejî  quod  vœa  qu^  hom'mi  in 
pupillâ  perforatur  tcnuijjimam  quandam  membranulam  pvpillœ  pratenfûm 

habeat  :   atqui  hoc  eJÎ  quod  philofophus  dicere  voluit fubtilijjlmam 

illnm  membranam ,  nubeculam  vocans.  JJIcec  tamen  ne  prorfus  vifionem  prœ~ 
peàiret ,  quod  rcîro  &  ab  lateribus  nigro ,  ut  hcmini ,  colore  imbuta  ù' 
Jubjiûntid  paulo  crajfior  fit  ;  itaque  partem  quœ  iridis  ambilu  clauditur , 
fubtib^imam  omnijque  coloris  experlem  Ù'  exaâe  pellucidam  natura 
fabricata  ejl  ;  hoc  ipfum  vifus  detrimenium  non  nihil  refarcir e  potefl  fuper- 
ciliorum  aut  fupernœ  orbitœ  oculorum  partis  prominentia  quœ  feu  tedum 
4>culos  fpernè  opcrit.  AIdrov.  Avi.  tome  1,  page  226. 


Ti6         Histoire    Naturelle 

je  viens  de  ie  dire,  on  ne  s'aperçoit  pas  par  le  rcTiiltat 
de  fes  adions  qu'il  voie  plus  mal  que  les  autres 
oifeaiix;  il  eft  vrai  qu'il  ne  s'clève  pas  à  beaucoup 
près  à  la  Iiauteur  de  l'aigle  ,  qu'il  n'a  pas  non  plus  le 
vol  au/Ti  rapide;  qu'il  ne  vife  ni  ne  pourfuit  fa  proie 
d'au/Ti  loin  :  ainfi  il  efl  probable  qu'il  n'a  pas  la  vue  aufTt 
nette,  ni  aufîl  perçante  que  les  aigles;  mais  il  efl  fur 
en  même  temps  qu'il  ne  l'a  pas  comme  les  chouettes, 
©ffuAiuce  pendant  le  jour,  puifqu'il  cherche  &  ravit  fa 
proie  auifi-bien  le  jour  que  la  nuit  (ej ,  Si  principale- 
ment le  matin  6c  le  foir;  d'ailleurs,  en  comparant 
cette  conformation  de  l'œil  de  l'orfraie,  avec  celle 
des  yeux  de  la  chouette  ou  des  autres  oifeaux  de  nuit, 
on  verra  qu'elle  n'eft  pas  la  même;  Si.  que  les  réfultats 
doivent  en  être  difîérens.  Ces  oifeaux  ne  voient  mai 
ou  point  du  tout  pendant  le  jour,  que  parce  que  leurs 
yeux  font  trop  fenfd)les.  Si  qu'il  ne  leur  faut  qu'une 
très -petite  quantité  de  lumière  pour  bien  voir:  leur 
pupille  efl  parfaitement  ouverte,  5c  n'a  pas  la  mem- 
brane ou  petite  taie  qui  fe  trouve  dans  l'oeil  de  l'orfraie. 
La  pupille  dans  tous  les  oifeaux  de  nuit,  dans  les  chats 
Si  quelques  autres  quadrupèdes  qui  voient  dans  l'obf- 
ciirité,  eft  ronde  Si  d'un  grand   diamètre,  lorfqu'elle 

(e)  J'ai  été  informé,  par  des  témoins  oculaires,  qiie  l'orfraie  prend 
du  poiiTon  pendant  la  nuit ,  &  qu'alors  on  entend  de  fort  loin  le 
bruit  qu'elle  fait  en  s'abaiflant  fur  les  eaux.  M.  Salerne  dit  aufîi  que 
quand  l'drfraie  s'abat  fur  un  étang  pour  faifir  (:\  proie,  elle  fait  un 
kruit  qui  paroît  terrible,  fur-tout  la  nuit.  Ornilhol.  pa».  (f. 


D    £      l'  0   R   F   R   A    I   E,  l  17 

ne  reçoit  l'imprefhon  que  d'une  lumière  foible  comme 
celle  du  crépufcule  ;  cjle  devient  au  contraire,  perpen- 
diculairement longue  dans  les  chats ,  <?<  refle  ronde  en  fe 
rétréciiïant  concentriquement  dans  les  oifeaux  de  nuit, 
dès  que  Toeil  efl  frappé  d'une  forte  lumière;  cette 
contracflion  prouve  évidemment  que  ces  animaux  ne 
voient  mal  ,  que  parce  qu'ils  voient  trop  bien,  puif- 
qu'il  ne  leur  faut  qu'une  très-petite  quantité  de  lumière; 
au  lieu  que  les  autres  ont  befoin  de  tout  l'éclat  du 
jour,  ôi  voient  d'autant  mieux  qu'il  y  a  plus  de  lumière: 
à  plus  forte  raifon  l'orfraie  avec  fa  taie  fur  la  pupille 
auroit  Lcfoin  de  plus  de  lumière  qu'aucun  autre,  s'il 
n'y  avoit  pas  de  compenfation  à  ce  ^défaut;  mais  ce 
qui  excufe  entièrement  Ariftote  ,  d'avoir  placé  cet 
oifcau  avec  les  oifeaux  de  nuit;  c'efl  qu'en  effet,  il 
pèche  &.  chaiïc  la  nuit  comme  le  jour;  il  voit  plus  mal 
que  l'aigle  à  la  grande  lumière,  il  voit  peut-être  aufîi 
plus  mal  que  la  chouette  dans  l'obfcurité;  mais  il  tire 
plus  de  parti,  plus  de  produit  que  l'un  ou  l'autre  de 
cette  conformation  fmgulière  de  fcs  yeux,  qui  n'appar- 
tient qu'à  lui,  6.  qui  eil  auffi  différente  de  celle  des^ 
yeux  des  oifeaux  de  nuit,  que  des  oifeaux  de  jour. 

Autant  j'ai  trouvé  de  vérité  dans  la  plupart  des  faits 
rapportés  par  Ariilote,  dans  fon  hidoire  des  animaux, 
autant  il  m'a  paru  d'erreurs  de  fait  dans  fon  Traité  c/c 
AfnuihU'dms  ;  fou  vent  même  on  y  trouve  énoncés  àits 
faits  abfolument  contraires  à  ceux  qu'il  rapporte  dans 
fes  autres  ouvrages;  en  forte  que  je  fuis  porté  à  croire 

P  \\] 


ïi8         Histoire  Naturelle 

que  ce  Traité  de  Ai'irabilibus ,  n'cd  point  de  ce  Phi- 
lofophe  ,  6^  qu'on  ne  le  lui  auroit  pas  attribue,  {\  l'on 
fe  fût  donne  la  peine  d'en  comparer  les  opinions ,  & 
fur-tout  les  faits  avec  ceux  de  fon  hifloirc  des  animaux, 
Pline,  dont  le  fond  de  l'ouvrage  fur  l'Hifloire  Natu- 
relie ,  efl  en  entier  tiré  d'Ari Ilote  ,  n'a  donné  tant  de  faits 
équivoques  ou  faux,  que  parce  qu'il  les  a  indifférem- 
ment puifés  dans  les  dilférens  Traités  attribués  à 
Arjftote  ,  év  qu'il  a  réuni  les  opinions  des  Auteurs 
fubféquens,  la  plupart  fondées  fur  des  préjugés  po- 
pulaires: nous  pouvons  en  donner  im  exemple  fans 
fortir  du  fujet  que  nous  traitons.  L'on  voit  qu'Ariflote 
défigne  6c  fpécifie  parfaitement  l'cfpèce  de  Vlialiœtus 
ou  balbuzard ,  dans  fon  bifloire  des  animaux  ,  puifqu'il 
en  fait  la  cinquième  efpèce  de  fes  aigles,  à  laquelle  il 
donne  des  caraétéres  trés-diflinétifs;  év  l'on  trouve  en 
même  temps  dans  le  Traité  de  AlirabUibiis ,  que  V/ialiœius 
n'eff  d'aucune  efpèce,  ou  plutôt  ne  fait  pas  une  efpèce; 
&.  Pline,  amplifiant  cette  opinion,  dit  non  -feulement 
que  les  balbuzards  ( haliœii )  n'ont  point  d'efpèce, 
(S:  qu'ils  proviennent  des  mélanges  des  aigles  de 
différentes  efpèces;  mais  encore  que  ce  qui  naît  des 
balbuzards  ne  font  point  de  petits  balbuzards  ,  mais 
des  orfraies,  defquels  orfraies  na'ijfcnî ,  dit  -  il  ,  des 
fctirs  vautours  ,  lefquels ,  ajoute-t-il  encore,  podulfait 
des  grands  vautours  qui  n'ont  -plus  la  faculté  d'en- 
gendrer (f).  Que  de  faits  incroyables  font  compris 
(f)  Hal'iœti  fuum  genus  non  halcnt ,  fed  ex  dïverfo  aquilarum  co'itu 


DE      L'  0    R   F   R   A    I   E.  II9 

iTans  ce  pafTage  !  que  Je  chofes  abfurdcs  Si  contre 
toute  analogie  !  car  en  étendant  autant  qu'il  efî  permis 
ou  poiïible,  les  limites  des  variations  de  la  Nature,  &i 
en  donnant  à  ce  pafTage  l'explication  la  moins  défa- 
vorable ,  fuppofons,  pour  un  infiant,  que  les  balbuzards 
ne  foient  en  effet  que  des  métis  provenant  de  l'union 
de  deux  différentes  efpèces  d'aigles,  ils  feront  féconds, 
comme  le  font  les  métis  de  quelques  autres  oifcaux, 
<5c  produiront  entr'eux  des  fécond  métis  qui  pourront 
remonter  à  l'efpèce  de  l'orfraie,  fi  le  premier  mélange 
a  été  de  l'orfraie  avec  un  autre  aigle:  jufque  -  là  les 
loix  de  la  Nature  ne  fe  trouvent  pas  entièrement 
violées;  mais  dire  enfuite  que  de  ces  balbuzards  de- 
venus orfraies,  il  provient  des  petits  vautours  qui  en 
produifent  de  grands,  lefquels  ne  peuvent  plus  rien 
produire ,  c'eft  ajouter  trois  faits  abfolument  incroyables , 
à  deux  qui  font  déjà  difficiles  à  croire;  &  quoiqu'il  y 
ait  dans  Pline  bien  des  cliofes  écrites  légèrement,  je 
ne  puis  me  perfuader  qu'il  foit  l'auteur  de  ces  trois 
affertions,  6c  j'aime  mieux  croire  que  la  fin  de  ce 
pafTage  a  été  entièrement  altérée.  Quoi  qu'il  en  foit, 
il  efl:  très  certain  que  les  orfraies  n'ont  jamais  produit 
de  petits  vautours ,  ni  ces  petits  vautours  bâtards 
d'autres  grands  vautours  mulets  qui  ne  produifent  plus 
rien.  Chaque  efpèce ,  chaque  race  de  vautour  engendre 

nafcuntur:  id  quïdem ,  qmd  ex  iis  natum  ejt ,  in  cjfifragis  genus  habet , 
e  qiùbus  vultures  progeneranîur  minorer ,  &  ex  iis  magni  qui  omnino  non- 
générant.  Plin.  ////?•  nat.  lib.  X,  cap.  IJI> 


120         Histoire  Naturelle 

fon  femhlahle;  il  en  efl  de  incme  de  chaque  efpècc 
d'aio^le ,    Si  encore    de    même    du    balbuzard   âc    de 
l'orfraie  ;    ôi    les    efpèces    intermédiaires   qui  peuvent 
avoir  été  produites  par  le  mélange  des  aigles  entr'eux, 
ont  formé  des  races  confiantes  qui  fe  foutiennent  <Sc 
fe   perpétuent    comme   les  autres  par  la   génération. 
Nous  fommes  particulièrement  très-aifurés  que  le  mâle 
Lalbuzard  produit  avec  fa  femelle  des  petits  femblablcs 
à  lui,  6c  que  ù  les  balbuzards  produifent  des  orfraies, 
ce  ne  peut  être  par  eux-mêmes ,  mais  par  leur  mélange 
avec   l'orfraie:  il   en    fcroit  de  l'union  du  balbuzard 
mâle  avec  l'orfraie  femelle,  comme  de  celle  du  bouc 
avec  la  brebis;  il  en  réfulte  un  agneau  ,  parce  que  la 
brebis  domine  dans  la  génération,  Se  il  réfulteroit  de 
l'autre  mélange  une  orfraie  ;   parce  qu'en  général  ce 
font  les  femelles  qui  dominent,  (Se  que  d'ordinaire  les 
métis  ou  mulets  féconds  remontent  à  l'efpèce  de  la 
mère,  <Sc  que  même  les  vrais  mulets,  c'eft- à  -  dire  les 
métis  inféconds,  repréfentent  plus  l'efpèce  de  la  fe- 
melle que  celle  du  mâle. 

Ce  qui  rend  croyable  cette  poffibilité  du  mélange 
6c  du  produit  du  balbuzard  Se  de  l'orfraie,  c'efl  la 
conformité  des  appétits ,  du  naturel  &  mcme  de  la 
iigure  de  ces  oiftaux;  car,  quoiqu'ils  diffèrent  beaucoup 
par  la  grandeur,  l'orfraie  étant  de  près  d'une  moitié 
plus  groffe  que  le  balbuzard,  ils  fe  reffemblent  affez 
par  les  proportions,  ayant  tous  deux  les  ailes  &:  les 
jambes  courtes,   en  comparaifon  de  la  longueur  du 

corps , 


DE      L*  0   R   F   R   A    I  E,  rai 

corps ,  le  bas  des  jambes  <Sc  Jes  pieds  dénués  de  plumes  : 
tous  deux  ont  le  vol  moins  élevé,  moins  rapide  que 
les  aigles:  tous  deux  pèchent  beaucoup  plus  qu'ils  ne 
cha/Tent,  &.  ne  fe  tiennent  que  dans  les  lieux  voifins 
des  étangs  Si  des  eaux  abondantes  en  poidon  :  tous 
deux  font  allez  communs  en  France  <?c  dans  les  autres 
pays  tempérés;  mais  à  la  vérité  l'orfraie,  comme  plus 
grande,  ne  pond  que  deux  œufs,  &.  le  balbuzard  en 
produit  quatre  fgj;  celui-ci  a  la  peau  qui  recouvre  la 
bafe  du  bec  &  les  pieds  ordinairement  bleus;  au  lieu 
que  dans  l'orfraie,  cette  peau  de  la  bafe  du  bec  &.  les 
écailles  du  bas  des  jambes  6c  des  pieds,  font  ordi- 
nairement d'un  jaune  vif  <&.  foncé.  Il  y  a  auffi  quel- 
que diverfité  dans  la  diftribution  des  couleurs  fur  le 

fg)  LVJgle  de  mer,  dite  orfraie,  ù\t  Ton  nid  fur  les  ph:s  hniits 
chênes ,  &  un  nid  extrêmement  large ,  où  elle  ne  pond  que  deux 
ccufs  fort  gros,  tout  ronds  &  très-pelans,  d'un  blanc -Hile.  Il  y  a 
quelques  années  qu'on  en  trouva  un  dans  le  parc  de  Chambord: 
j'envoyai  les  deux  œufs  à  M.  de  Reaumur;  mais  on  ne  put  détacher 
le  nid.  L'année  dernière  on  en  déi\icha  un  nid  à  Saint-Laurent-des- 
cau\  ,  dans  le  bois  de  Briou  ,  où  il  n'y  avoit  qu'un  aiglon  ,  que  le 
maître  de  polie  du  lieu  a  fait  élever.  On  a  tué  à  Bellcgarde  ,  dans 
la  forêt  d'Orléans ,  une  orfraie  qui  pendant  la  nuit  péchoit  tous  les 
plus  gros  brochets  d'un  étang  qui  appartenoit  ci-devant  à  AI.  le  duc 
d'Antin.  Une  autre  a  été  tuée  depuis  peu  à  Seneley  en  Sologne, 
dans  le  moment  qu'elle  emporioit  une  grofle  carpe  en  plein  jour.  .  , 
Le  fuicon  de  marais  (  balbuzard  )  habite  parmi  les  rol'eaux,  le  long 
des  eaux  ;  il  pond  à  chaque  fois  quatre  œufs  blancs ,  ellir.iiques 
ou  ovalaires  ;  il  fe  nourrit  de  poiflon.  Ornithologie  ck  Salcrne  , 
pagti  s   &  7. 

Pif  eaux,  Tome  /.  .  Q 


122         Histoire  Naturelle 

plumage  ;  mais  toutes  ces  petites  différences  n*em-^ 
pèchent  pas  que  ces  oifeaux  ne  foient  d'efpèces  afTez 
voifines  pour  pouvoir  fe  mêler;  <5c  des  raifons  d'ana- 
iogie  me  perfuadent  que  le  mélange  eft  fécond ,  6c  que 
le  balbuzard  mâle  produit  avec  l'orfraie  femelle  des 
orfraies;  mais  que  la  femelle  balbuzard  avec  l'orfraie 
mâle  produit  des  balbuzards,  &  que  ces  bâtards,  foit 
orfraies,  foit  balbuzards,  tenant  prcfque  tout  de  la 
nature  de  leurs  mères,  ne  confervent  que  quelques 
caraélères  de  celle  de  leurs  pères ,  par  lefquels  carac- 
tères ils  diffèrent  des  orfraies  ou  balbuzards  légitimes. 
Par  exemple,  on  trouve  quelquefois  des  balbuzards  à 
pieds  jaunes.  Si  des  orfraies  à  pieds  bleus,  quoique 
communément  le  balbuzard  lésait  bleus,  &  l'orfraie  les 
ait  jaunes.  Cette  variation  de  couleur  peut  provenir  du 
mélange  de  ces  deux  efpèces  :  de  même  on  trouve 
des  balbuzards ,  tels  que  celui  qu'ont  décrit  M/'  de 
i'Académie ,  qui  font  beaucoup  plus  grands  Ôi  plus 
gros  que  les  autres  ;  6c  en  même  temps  on  voit 
des  orfraies  beaucoup  moins  grandes  que  les  autres,  êc 
dont  la  petiteffe  ne  peut  être  attribuée  ni  au  fexe  ni  à 
l'âge,  Se  ne  peut  dès  -  lors  provenir  que  du  mélange 
d'une  plus  petite  efpèce ,  c'eft-à-dire,  du  balbuzard 
avec  l'orfraie. 

Comme  cet  oifeau  efl  des  plus  grands,  que  par 
cette  raifon  il  produit  peu,  qu'il  ne  pond  que  deux 
œufs  une  fois  par  an ,  <Sc  que  fouvent  il  n'élève  qu'un 
petit,  l'efpèce  n'en   cft  nombreufe  nulle  part,  mais 


I.'m    I 


PI  lu  rj<}  7  11 


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DE      L'  0   R   F   n  A    I   E.  I2J 

elle  efl  afTez  répandue:  on  la  trouve  prcfque  par -tout 
en  Europe,  6c  il  paroît  même  qu'elle  efl  commune 
aux  deux  continens,  &i  que  ces  oifeaux  fréquentent 
les  lacs  de  l'Amérique  fcptentrionale  (hj. 

(h)  Nota.  II  me  paroît  que  c'efl  à  l'orrraie  qu'il  faut  rapporter  le 
paflage  fuivant  :   ce  il  y  a  encore  quantité  d'aigles  qu'ils  appellent  en 
leur  laiigue  fondâqua  ;    elles   font  ordinairement  leurs   nids  fur  le  ce 
bord  des  eaux  ou  de   quelqu'autre  précipice ,  tout  au  -  delTus  des  <c 
plus  hauts  arbres  ou  rochers ,    de  forte  qu'elles  font  fort  difiiciles  ce 
à  avoir  :  nous  en  dénichâmes  néanmoins  plufieurs  nids  ;  mais  nous  ce 
n'y  trouvâmes  pas  plus  d'un  ou  deux  aiglons  :   j'en  pcnlois  nourrir  ce 
quelques-uns  iorfque   nous  étions   fur  le   chemin   des    Hurons  à  ce 
Québec  ;   mais  tant  pour  être  trop  lourds  à  porter ,  que  pour  ne  « 
pouvoir  fournir  au  poijfon  qu'il  leur  filloit ,   n'ayant  autre  chofe  à  ce 
ïcur  donner ,  nous  en  fîmes  chaudière  &  nous  les  trouvâmes  fort  ce 
bons  ;  car  ils  étoient  encore  jeunes  &  tendres  55.  Voyage  au  pays  des 
Hurons ,  par  Sagar  Théodat ,  page  2^  y. 


Qi; 


124-      Histoire  Naturelle 


L  £ 

JEAN-LE'BLANC  (^). 

Voyei  les  planches  enluminées ,  n."  ^  i ^ ,  à^ planche  iV 

de  ce  volume. 


J 


'ai  eu  cet  oifeau  vivant,  ^  je  l'ai  fiit  nourrir  pen^ 
dant  quelque  temps.  Il  avoit  été  pris  jeune  au  mois 
d'août  1768,  <5c  il  paroifloit  au  mois  de  janvier  1769, 
avoir  acquis  toutes  Tes  dimenfions:  la  longueur  depuis 
Je  bout  du  bec  jufqu'à  l'extrémité  de  la  queue  étoit  de 
deux  pieds,  <5c  jufqu'au  bout  des  ongles  d'un  pied  huit 
pouces;  le  hcc  ,  depuis  le  crochet  juAiu'au  coin  de 
l'ouverture,  avoit  dix  fept  lignes  de  longueur;  la  queue 
etoii  longue  de  dix  pouces  ;  il  avoit  cinq  pieds  un  pouce 
de  vol  ou  d'envergure  ;  fcs  ailes  lorfqu'clles  étoient 
pliées,  s'étendoient  un  peu  au-delà  de  l'extrémité  de 

^ûj  Jean-Ic-Blnnc  ou  premier  oi(eau  Saint- Martin.  Bclon  ,  ////?. 
Tiût.  des  Oif.  pag.  103,  fig.  pag.  104..  — Le  jean-lc-bianc.  Briflon, 
Ornithol.  tom.  I,  pag.  443.  — Quelques-uns  ont  nommé  le  jean-le- 
blanc,  Chevalier  blanche-queue ,  peut-être  parce  qu'il  eft  un  j)cu  haut 
jnonié  fur  les  jambes.  Ornithol.  de  Saleme ,  page  24.  .  .  .  Le  mâle 
cfl  plus  léger  &  plus  blanc  que  la  femelle,  fur -tout  au  croupion; 
fa  queue   eit   fort  longue ,    &.  fcs  jambes  font   fines    &   d'un   jaune 

agréable.  Idem ,  ibidem,   é^c J\'ota.  Belon  &  quelques  autres 

Naturalises  après  lui  ont  cru  que  cet  oileau  étoit  le  pygargue;  mais 
ils  le  (ont  trompés,  comme  on  peut  s'en  aflurer,  en  comparant  ce 
que  nous  avons  dit  du  pyg-irgue  avec  ce  que  nous  dilons  du  jean- 
îe-bliinc. 


DU      J  EA  N  '  L  E-B  LA  N  C,  I25 

la  queue:  la  tète,  ie  dcdiis  du  cou,  le  dos  6:  le  crou- 
pion ,  étoient  d'un  brun-cendré.  Toutes  les  plumes 
qui  recouvrent  ces  parties  étoient  néanmoins  blanches 
à  leur  origine,  mais  brunes  dans  tout  le  rcfle  de  leur 
étendue;  en  forte  que  le  brun  recouvroit  le  blanc  ,  de 
manière  qu'on  ne  i'apercevoit  qu'en  relevant  les  plumes  : 
la  gorge,  la  poitrine,  le  ventre  ê^  les  côtés  étoient 
blancs,  variés  de  taches  longues,  &:  de  couleur  d'un 
brun -roux;  il  y  avoit  des  bandes  tranfverfales  plus 
brunes  fur  la  queue;  la  membrane  qui  couvre  la  bafe 
du  bec  e(l  d'un  bleu  fale;  c'efl-là  que  font  placées  les 
narines.  L'iris  des  yeux  efl  d'un  beau  jaune-citron  ou 
de  couleur  de  to])aze  d'orient  ;  les  pieds  étoient 
couleur  de  chair  livide,  &i  terne  dans  ia  jcuncfle,  <5c 
font  devenus  jaunes,  ainfi  ([ue  la  membrane  du  bec, 
en  avançant  en  âge.  L'intervalle  entre  les  écailles  qui 
recouvrent  la  peau  des  jambes ,  paroiiïbit  rougeatre;  en 
forte  que  l'apparence  du  tout,  vu  de  loin,  fembloit  être 
jaune,  même  dans  le  premier  âge.  Cet  oifeau  pefoit 
trois  livres  fept  onces  après  avoir  mangé  ;  <Sc  trois 
livres  quatre  onces,  lorfcju'il  étoit  à  jeun. 

Le  Jean- le -blanc  s'éloigne  encore  plus  des  aigles 
que  tous  les  précédens,  &^  il  n'a  de  rapport  au  pygargue 
que  par  {es  jambes  dénuées  de  plumes,  6c  par  la 
blancheur  de  celles  du  croupion  &  de  la  queue;  mais 
il  a  le  corps  tout  autrement  proportionné,  &i  beaucoup 
plus  gros  relativement  à  la  grandeur  que  ne  l'efl  ctiui 
de  l'aigle  ou  du  pygarguf  :  il  n'a,  comme  je  l'ai  dû. 


126        Histoire  Naturelle 

que  Jeux  pieds  de   longueur,  deipuls   le  bout  du  bec 
jufqu'à  rextrémité  des  pieds,  &  cinq  pieds  d'envergure, 
mais  avec  un  diamètre  de  corps  prefqu'au/ri  grand  que 
celui  de  l'aigle  commun  ,  qui  a  plus  de   deux  pieds  ôl 
demi  de  longueur ,  6c  plus  de  fept  pieds  de  vol.  Par 
ces  proportions,   le   jean -le -blanc  fe  rapproche   du 
balbuzard ,   qui    a  les   ailes   courtes  à  proportion   du 
corps,  mais  il   n'a  pas,   comme  celui-ci,  les  pieds 
bleus;  il  a  auiïî  les  jambes  bien  plus  menues  ,  (5c  plus 
longues  à  proportion  qu'aucun  des  aigles  ;  ainfi  quoiqu'il 
paroifTe  tenir  quelque  chofe  des  aigles  ,    du  pygargue 
(Se  du  balbuzard,  il  n'efl  pas  moins  d'une  efpèce  par^ 
ticulière ,  &  très  -  différente  des  uns  <Sc  des  autres.  Il 
tient  auffi  de  la  bufe  par  la  difpofition  des  couleurs 
du  plumage  ,  <Sc  par  un  caradère  qui  m'afouvent  frappé; 
c'eft  que  dans  de  certaines  attitudes,  <Sc  fur-  tout ,  vu 
de  face ,  il  refTembloit  à  l'aigle;  <Sc  que  vu  de  côté  Si 
dans  d'autres  attitudes ,  il  refTembloit  à  la  bufe.  Cette 
même  remarque  a  été  faite   par  mon  Deffinateur ,  <Sc 
par  quelques  autres  perfonnes  ;  <$c  il  eft  fingulier  que 
cette  ambiguité  de  figure,    réponde  à  Tambiguité  de 
fon  naturel,  qui  tient  en  effet  de    celui    de   VsL\g\c  6C 
de  celui  de  la  bufe  ;    en  forte  qu'on  doit  à  certains 
égards  regarder  le  jean -le- blanc,  comme  formant  U 
nuance  intermédiaire  entre  ces  deux  genres  d'oifeaux. 

Il  m'a  paru  que  cet  oifeau  voyoit  très-clair  pendant 
le  jour,  cSc  ne  craignoit  pas  la  plus  forte  lumière,  car 
il  CQurnoit  volontiers  les  yeux  du  côté  du  plus  grand 


DO     J  EA  N'L  E-  B  LA  N  C,  \1J 

;our,  <Sc  même  vis-à-vis  le  foleii:  il  couroit  afTez  vite 
Jorfqu'on  l'effrayoit,  6^  s'aidoit  de  fes  ailes  en  courant; 
quand  on  le  gardoit  dans  la  chambre,  \\  cherchoit  à 
s'approcher  du  feu,  mais  cependant  le  froid  ne  lui 
étoit  pas  abfolument  contraire  ,  parce  qu'on  l'a  fait 
coucher  pendant  piufieurs  nuits  à  l'air,  dans  un  temps 
dégelée,  fans  qu'il  en  ait  paru  incommodé.  On  le 
nourrifToit  avec  de  la  viande  crue  &  faignante;  mais 
en  le  faifant  jeûner,  il  mangeoit  aufli  de  la  viande 
cuite  :  il  déchiroit  avec  fon  bec  la  chair  qu'on  lui 
préfcntoit ,  <5c  il  en  avaloit  d'afTez  gros  morceaux;  il 
ne  buvoit  jamais  quand  on  étoit  auprès  de  lui  ,  ni 
même  tant  qu'il  apercevoit  quelqu'un  ;  mais  en  fe 
mettant  dans  un  lieu  couvert,  on  l'a  vu  boire  <Sc  prendre 
pour  cela  plus  de  précaution  qu'un  ade  au/Ti  fimple 
ne  paroit  en  exiger.  On  laifToit  à  fa  portée  un  vafe 
rempli  d'eau  :  il  commençoit  par  regarder  de  tous 
côtés  fixement  6^  long-temps,  comme  pour  s'a/Furer 
s'il  étoit  fcul  ,  enfuite  il  s'approchoit  du  vafe ,  <Sc 
rcgardoit  encore  autour  de  lui;  enfin,  après  bien  des 
héfitations,  il  piongeoit  fon  bec  jufqu'aux  yeux,  <5c  à 
piufieurs  reprifes  dans  l'eau.  Il  y  a  apparence  que  les 
autres  oifeaux  de  proie  fe  cachent  de  même  pour 
boire.  Cela  vient  vraifemblablement  de  ce  que  ces 
oifeaux  ne  peuvent  prendre  de  liquide  qu'en  enfonçant 
Jeur  tête  jufqu'au-delà  de  l'ouverture  du  bec,  &.  juf- 
qu'aux yeux,  ce  qu'ils  ne  font  jamais,  tant  qu'ils  ont 
quelque  raifon  de  crainte:  cependant,  le  jean-le-blanc 


Ï2S       Histoire  Natu relle 

ne  montroit  de  défiance  que  fur  cela  feiil,  car,  pour 
tout  le  refte ,  il  paroifToit  indifférent  <Sc  même  aflez 
flupide.  Il  n'étoit  point  méchant,  ôi  fe  lai  (Toit  toucher 
fans  s'irriter;   il  avoit  même  une  petite  exprefîlon  de 

contentement  Cô Cô ,   lorfqu'on   lui   donnoit  à 

man^^er  ;  mais  il  n'a  pas  paru  s'attacher  à  pcrfonne  de 
préférence.  Il  devient  gras  en  automne ,  (5c  prend  en 
tout  temps  plus  de  chair  &.  d'embonpoint  que  la 
plupart  des  autres  oifeaux  de  proie  (hj, 

Ilefl 

(b)  Nota.  Voici  la  note  que  m'a  donnée  fur  cet  oifcau  l'homme 
que  j'ai  chargé  du  foin  de  mes  volières.  «  Ayant  préfenté  au  jean- 
îî  le  -  blanc   diffcrens   alimens  ,   comme   du  pain ,   du  fromage ,  des 

»  rai  fins  ,   de  la  pomme,  &c il  n'a   voulu  manger  d'aucun, 

»  quoiqu'il  jeûnât  depuis  vingt  -  quatre  heures  :  j'ai  continué  à  le 
3}  faire  jeûner  trois  jours  de  plus  ,  &  au  bout  de  ce  temps  il  ^ 
»  également  refi.ifé  ces  alimens  ;  en  forte  qu'on  peiu  affurer  qu'il 
>î  ne  mange  rien  de  tout  cela ,  quelque  faim  qu'il  reflente  :  je  lui  ai 
5)  aufll  préfenté  des  vers  qu'il  a  conllamment  rcfulés;  car  lui  en  ayant 
53  mis  un  dans  le  bec,  il  l'a  rejeté,  quoiqu'il  l'eût  déjà  avale  prcfque 
»  à  moitié:  il  fe  jetoit  avec  avidité  fur  les  mulots  &  les  fouris  que  je 
î3  lui  donnois ,  il  les  avaloit  fans  leur  donner  un  feul  coup  de  bec  ; 
53  je  me  fuis  aperçu  que  lorfqu'il  en  avoit  avalé  deux  ou  trois ,  ou 
33  feulement  une  grofle,  il  paroifloit  avoir  un  air  plus  inquiet,  comme 
33  s'il  eût  refTenti  quelque  douleur  ;  il  avoit  alors  la  tête  moins  libre 
33  &  plus  entbncée  qu'à  l'ordinaire  ;  il  reftoit  cinq  ou  fix  minutes 
33  dans  cet  état ,  fans  s'occuper  d'autre  chofe  ;  car  il  ne  regardoit  pas 
33  de  tous  côtés  comme  il  fait  ordinairement ,  &  je  crois  même  qu'on 
33  auroit  pu  l'approcher  fans  qu'il  le  fût  retourné ,  tant  il  étoit  ferieu- 
33  fement  occupé  de  la  digeflion  des  fouris  qu'il  venoit  d'avaler  :  je 
33  lui  ai  préfenté  des  grenouilles  &  des  petits  poiflons  ;  il  a  toujours 
ti  refufé  les  poi/Tons  &  mangé  les  grenouilles  par  demi- douzaine?, 

j>  &.  quelquefois 


DU    JeaN'LE- Blanc.       izc) 

ÎI  efl  très  -  commun  en  France,  ôi  comme  le  dit 
Belon  ,  il  n'y  a  guère  de  villageois  qui  ne  le  connoiiïent, 
ôi  ne  le  redoutent  pour  leurs  poules.  Ce  font  eux  qui 
iui  ont  donné  le  nom  de  jcan-le-blanc  (cj ,  parce  qu'il 
cil  en  effet  remarquable  par  la  blancheur  du  ventre , 
du  defTous  des  ailes ,  du  croupion  &  de  la  queue.  Il 
efl  cependant  vrai  qu'il  n'y  a  que  le  mâle  qui  porte 
évidemment  ces  caradères  ;  car  la  femelle  efl  prcfque 
toute  grifc ,  <5<:  n'a  que  du  blanc  fale  fur  les  plumes  du 
croupion  ;  elle  efl ,  comme  dans  les  autres  oifcaux 
de  proie,  plus  grande,  plus  groffe  &.  plus  pefante  que 
le  mâle  :  elle  fait  fon  nid  prefqu'à  terre,  dans  les 
terreins  couverts  de  bruyères ,  de  fougère  ,  de  genct  & 

  quelquefois  davantage  ;  mais  il  ne  les  avale  pas  tout  entières  ce 
■comine  les  fouris,  il  les  laifit  d'abord  avec  fcs  ongles  &  les  dépèce  a. 
avant  de  les  manger  ;  je  l'ai  fait  jeûner  pendant  trois  jours ,  en  ne  a 
iui  donnant  que  du  poiflon  crud  ;  il  l'a  toujours  refufc  :  j'ai  ob-  « 
fervé  qu'il  rendoit  les  peaux  des  fouris  en  petites  pelotes  longues  ce 
d'environ  un  pouce;  &  en  les  faifuit  tremper  dans  de  l'eau  chaude,  ce 
j'ai  reconnu  qu'il  n'y  avoit  que  le  poil  &  la  peau  de  la  fouris ,  ce 
fans  qucun  os,  &  j'ai  trouvé  dans  quelques -.unes  de  ces  pelotes  c< 
des  .graiiîs  de  fer  fondu  &  quelques  autres  parcelles  de  charbon  >». 

(c)  Les  habiians  des  villages  connoiflem  un  oifcau  de  proie,  à  leur 
grand  dommage,  qu'ils  nomment  jean-  k  -  t /an  c  ;  car  il  mange  leur 
volaille  plus  hardiment  que  le  milan.  Belon,  ////?.  nat.  des  Oifiaux, 
page   103. 

Ce  Jean  -  le  -  blanc  aflaut  les  poules  des  villages  &  prend 

les  oilèaux  &  connins  ;  car  aufll  eft-il  hardi  :  il  fut  grande  deftrudioa 
des  perdrix  &  mange  les  petits  oifeaux  ;  car  il  vole  à  la  dérobée  le 
Ion»  des  haies  t'^c  de  l'orée  des  forêts,  fomme  qu'il  n'y  a  païlan  quj 
iic  le  connoiflc.  Idem ,  ibidem. 

Oifcaux ,  Tome  1.  %  R 


130        Histoire  Natu relle 

(Je  joncs;  quelquefois  auiïi  fur  des  fapins  <5c  fur  cl*autrcs 
arbres  élevés.  Elle  pond  ordinairement  trois  œufs,  qui 
font  d'un  gris  tirant  fur  l'ardoife  f^^J:  le  mâle  pourvoit 
abondamment  à  fa  fubfi fiance  pendant  tout  le  tempsde 
l'incubation ,  <Sc  même  pendant  le  temps  qu'elle  foigne 
Â.  élève  fcs  petits.  Il  fréquente  de  près  les  lieux  habités, 
&  fur-tout  les  hameaux  <3c  les  fermes:  il  faifit<Sc  enlève 
les  poules,  les  jeunes  dindons,  les  canards  privés;  6c 
lorfque  la  volaille  lui  manque  ,  il  prend  des  lapreaux , 
des  perdrix,  des  cailles  &l  d'autres  moindres  oifeaux  : 
il  ne    dédaigne   pas   mcme  les   mulots   Si  les  lézards» 
Comme  ces  oifeaux  &  fur-tout  la  femelle,  ont  les  ailes 
courtes  6c  le  corps  gros,  leur  vol  efl  pefant,  6c  ils  ne 
s'élèvent  jamais    à  une  grande  hauteur  :   on    hs  voit 
toujours  voler  bas   fej,  6c  faifir   leur   proie   plutôt  à 
terre  que  dans  l'air.  Leur  cri  efl  une  efpcce  de  fifîle- 
ment  aigu  qu'ils  ne  font   entendre  que    rarement  :  ils 
ne  chaflént  guère  que  le   matin  6c  le  foir,   6c  ils  fe 
repofent  dans  le  milieu  du  jour. 

On  pourroit  croire  qu'il  y  a  variété  dans  cette 
efpèce,  car  Belon  donne  la  defcription  d'un  fécond 
oiftau    qui  efl,    dit -il  ffj,  encore  une  autre  e/jpèce 

^J)  Ornithologie  de  Salerne ,  pûges  2^  &  24. 

(e)  Quiconque  le  regarde  \oier,  advile  en  lui  la  femblance  d'un 
ïiMon  en  l'air;  car  il  b:u  des  ailes  &  ne  s'élève  pas  en  amont  cojniîie 
plufieurs  autres  oifeaux  de  proie ,  mais  vole  le  plus  fouvent  bas  contre 
lerre,  &  principalement  foir  &  malin.  Belon,  Hïjl.  nal.  des  Oifeaux i 
page  lo^ 

(f)  Idem;  ibidem,  page  104.  ; 


DU      J  EA  N  -L  E'  B  LA  N  C.  131 

d'oifeau  faint-martin  ,  femblablemcnt  nommé  blanche-  « 
queue ,  de  même  efpcce  que  ie  fufdit  jean-le-LIanc  ,  « 
&  qui  reiïemble  au  milan  royal,  dej  fi  près,  qu'on  « 
n  y  trouveroit  aucune  différence  ,  fi  ce  n'étoit  qu'il  « 
cfl  plus  petit  (Se  plus  blanc  deiïbus  le  veotre ,  ayant  « 
les  plumes  qui  touclient  le  croupion  en  la  queue,  « 
tant  defTus  que  defTous  de  couleur  I^ianche  ».  Ces 
reiïemblances  auxquelles  on  doit  en  ajouter  encore 
une  plus  efTentielle,  qui  efl  d'avoir  les  jambes  longues, 
indiquent  feulement  que  cette  efpèce  efl:  voifine  de 
celle  du  jean- le- blanc  ;  mais  comme  elle  en  diffère 
confidérablement  par  la  grandeur  ai  par  d'autres  carac- 
tères ,  on  ne  peut  pas  dire  que  ce  foit  une  variété  du 
jean-Ie-blanc  ;  &.  nous  avons  reconnu  que  c'eft  le  même 
oifeau  que  nos  Nomenclateurs  ont  appelé  le  Lvùcr 
cendré,  duquel  nous  ferons  mention  dans  la  fuite  fous 
le  nom  d'oifeau  y^/V;/-;/;^;*//;/^  parce  qu'il  ne  rcffcmblc 
en  rien  au  lanier. 

Au  relie,  le  jean-le-blanc  qui  efl  très-commun  en 
France,  efl:  néanmoins  affez  rare  par-tout  ailleurs,  puif- 
qu'aucuns  des  Naturalifles  d'Italie  ,  d'Angleterre  , 
d'Allemagne  &  du  Nord,  n'en  ont  fait  mention  que 
d'après  Belon  ;  &  c'eft  par  cette  raifon  que  j'ai  cru 
devoir  m'étendre  fur  les  faits  particuliers  de  l'Iiifloirc 
de  cet  oifeau.  Je  dois  auffi  obfervcr  que  M.  Salerne  a 
fait  une  forte  méprife  (g),  en  difant  que  cet  oifeau 

(ê)  5-*  Jean-Ie-bLinc  , /y'^/jr^wj  ^jfr//7/V<'r  yî/^^z/ft^tf  Turneri;  Raii, 
fynopf.€\\  Anglois,  the  ringtaU ,  c'efl-à-dire^  qu(u(  blanche;  &  ie  mile 

Ri. 


Î32  Histoire  N atu relle 

étoit  le  même  que  le  ringtail  ou  queue  Manche  des 
An^jlois ,  dont  ils  appellent  le  mâle  hejiharrow  ou  lien- 
harrier  ,  c'efl  -  à-dire  ,  rav'ijfeur  de  poules  :  c'eft  ce 
eara^lère  de  la  queue  blanche,  <5c  cette  habitude  natu- 
relle de  prendre  les  poules,  communs  au  ringtail  <Sc 
au  Jean -le -blanc,  qui  ont  trompé  M.  Salerne,  6:  lui 
ont  fait  croire  que  c'étoit  le  même  oifcau;  mais  \\ 
auroit  dû  comparer  les  defcriptions  des  Auteurs  pré- 
çédens,  6c:  il  auroit  aifément  reconnu  que  ce  font  des 
oifeaux  d'efpèces  différentes:  d'autres  Naturalises  ont 
prisl'oifeau  apj)clé  par  M.  Edwards,  Blue-hawk,  épervier 
ou  faucon  bleu  pour  le  henhanier  (h) ,  ou  déchireur 
de  poules ,  quoique  ce  foient  encore  des  oifeauK 
d'efpèces  diflcrcntes.  Nous  allons  tâcher  d'éclaircir 
ce  point,  qui  eft  un  des  plus  obfcurs  de  l'Hifloire 
Naturelle  des  oifeaux  de  proie. 

lenharrow  ou  henhanier,  c'cQ  -  à  -  dire ,  rav'iffeur  de  poules  ;  il  diffère 
des  autres  oifeaux  de  ce  genre  par  (on  croupion  blanc ,  d'où  lui  vient 
le  nom  de  pygorgus  en  Grec,  &  par  un  collier  de  plumes  redreiïtes 
autour  des  oreilles,  qui  lui  ceint  la  tête  comme  une  couronne.  M.  Lin- 
naeus  ne  parle  point  de  cet  oifeau  ;  apparemment  qu'il  ne  (è  trouve 
ponu  en  Suède:  il  ell  alTez  commun  dans  ce  pays-ci,  &  fur-tout 
en  Sologne  où  il  fait  fon  nid  par  terre  entre  les  bruyères  à  balais, 
que  l'on  appelle  vulgairement  des  bréma'iUes.  Orn'ithoL  de  Salerne, 
page  23.  Nota.  Que  fi  M.  Salcrne  eût  leulement  vu  cet  oileau, 
il  n'auroit  pas  dit  qu'il  avoit  une  couronne  ou  collier  de  plumes 
rcdreflees  autour  de  h  tête  ;  car  le  jcaivle-blanc  n'a  point  ce  caradère 
qui  n'appartient  qu'à  l'oifeau  que  Turner  a  nomm<:  fubkuteo ,  &  que 
jVl.  Briflon  appelle  y^i/fc»/?  à  collier^ 
(hj  Brhifçb.  Zoology,  pag,  (^y^ 


DU      J  EA  N'L  E-  B  L  A  N  C,  133 

On  fait  qi/on  peut  les  divifer  en  deux  ordres,  dont 
le  premier  n'eft  compofé  que  des  oifeaux  guerriers , 
nobles  (Se  courageux  ,  tels  que  les  aigles,  les  faucons , 

gerfauts,   autours,   laniers  ,  éperviers ,   &c Et  le 

fécond  contient  les  oifeaux  lâches ,  ignobles  <5c  gour- 
mands,  tels  que  les  vautours,  les  milans,  les  bufes, 
&c Entre  ces  deux  ordres  fi  difTcrens  par  le  na- 
turel (Se  les  mœurs,  il  fe  trouve,  comme  par- tout 
ailleurs  ,  quelques  nuances  intermédiaires  ,  quelques 
efpèces  qui  tiennent  aux  deux  ordres  enfemble,  <Sc  qui 
participent  au  naturel  des  oifeaux  nobles  &i  des  oifeaux 
ignobles;  ces  efpèces  intermédiaires  font ,  1.°  celle  du 
jean-le-blanc ,  dont  nous  venons  de  donner  rhidoirCi 
&  qui ,  comme  nous  l'avons  dit,  tient  de  l'aigle  <Sc  de 
labufe;  2.*"  celle  de  l'oifeau  faint  -  martin  ,  que  M/' 
Briffon  di  Frifch  ont  appelé  le  Lviicr  cendré ,  &  que 
M.  Edwards  a  nommé  féH/eo/i  bleu ,  mais  qui  tient  plus 
du  jean-le-blanc  <Sc  de  la  bufe ,  que  du  faucon  ou  dii 
Janicr;  3."  celle  de  la  foubufe,  dont  les  Anglois  n'ont 
pas  bien  connu  l'efpcce ,  ayant  pris  un  autre  oifcaii 
pour  le  mâle  de  la  foubufe  dont  ils  ont  appelé  \^ 
femelle  ringtml  (  queue  annelée  de  blanc  ),  &  le  pré- 
tendu mâle  hcnharrïcr  (  déchircur  de  poules  )  ;  ce  font 
les  mêmes  oifeaux  que  M.  Briffon  a  nommés  fmicons- 
à  collier ,  mais  ils  tiennent  plus  de  la  bufe  que  du 
faucon  ou  de  l'aigle.  Ces  trois  efpèces,  &:  fur-tout  la 
dernière,  ont  donc  été  ou  méconnues  ou  confondues, 
ou  très -mal  nommées;  car  le  jcan-le-blanc  ne  doit 

R  iij 


134        Histoire  Natu relle 

point  entrer  dans  la  iide  des  aigles.  L'oifeaii  faint- 
jnartin  n'eft  ni  un  faucon,  comme  le  dit  M.  Edwards, 
ni  un  lanicr ,  comme  le  difent  M."  Frifch  cSc  BrifTon  , 
puifqu'il  eft  d'un  naturel  différent  &i  de  mœurs  oppofées. 
11  en  efl  de  même  de  la  foubufe ,  qui  n'eil  ni  \\n 
aigle  ni  un  faucon  ,  puifque  fes  habitudes  font  toutes 
différentes  de  celles  des  oifeaux  de  ces  deiix  genres: 
on  le  reconnoîtra  clairement  par  les  faits  énoncés  dans 
ies  articles  où  il  fera  queftion  de  ces  deux  oifeaux. 

Mais  il  me  paroît  qu'on  doit  joindre  à  l'efpèce  du 
jean-le-blanc  ,  qui  nous  efl;  bien  connue  ,  un  oifeau 
que  nous  ne  connoifTons  que  par  les  indications 
d'Aldrovande  fi),  fous  le  nom  de  laniarius ,  Si  de 
Schwenckfeld  fl:J ,  fous  celui  de  mi/vus  albus.  Cet 
oifeau  que  M.  BrifTon  a  auffi  appelé  lanicr ,  me  paroît 
encore  plus  éloigné  du  vrai  lanier  que  Toifeau  faint- 
martin.  AIdrovande  décrit  deux  de  ces  oifeaux,  dont 
l'un  efl;  bien  plus  grand ,  6c  a  deux  pieds  depuis  le 
bout  du  bec  jufqu'à  celui  de  la  queue,  c'ell  la  même 
grandeur  que  celle  du  jean-le-blanc;  6c  fi  l'on  compare 
la  defcription  d'Aldrovande ,  avec  celle  que  nous 
avons  donnée  du  jean-le-blanc,  je  fuis  perfuadé  qu'on 
y  trouvera  affez  de  caraétères  pour  préfumer  que  ce 
laniarius   d'Aldrovande,  pourroit  bien  être  le  jean-le- 

(î)  LaniariuS'  AIdrov.  Avi.  tom.  I,  pag.  380.  Icônes,  pag.  381 
&  3I2. 

{k)  ATilvus  albus ,  Schv/cnckfeld ,  Therlotrop.  SU.  pag.  304 — Le 
JLaiiier  bLinc.   BriiTon,  Ornhhol.  tom.  1,  pag.  ^Oj. 


Ji'm      I 


De  StvedeJiA 


Jiarr>n    /<' 


•^/<ii^ 


LK    JEAN -LE-BLANC 


DU      J  EA  N'L  E'B  LA  N  C,  135 

blanc,  d'autant  que  cet  Auteur  dont  l'ornithologie  c(l 

IC 


bonne  <Sc  très-complète,  fur -tout  pour  les  oifeaux  de 
nos  climats,  ne  paroît  pas  avoir  connu  le  jean-lc-blanr 
par  Jui-mcme     »^"'^'^"''l  "'-^  ^^^^  ^"«  r;^j;.,.,^.  j'.,,...;. 


,  puifqu'il  n'a  fait  que  l'indiquer  d'après 
uquel  il  a  emprunté  jurqu'à  ia  figure  tle 


Bel  on  flj,  duqu 
cet  oifeau. 

(l)  Py^argi  fccundum  gcnus.  AWrov.  Avl  loin.  I,  pao-.  208. 


g#   ^ 


136        Histoire  Natu relle 


OISEAUX  ETRANGERS 

Qui  ont  rapport  aux  Aigles  if  Balbujards. 
Vojei  les  planches  enluminées ,  ;/."  ^/^. 

I. 

JL 'oiseau  Jes  grandes  Indes,  dont  M.  Briiïbn  çl 
donne  une  defcription  exa6le  fa),  fous  le  nom  (ïn'igle  dg 
Pondichéri.  Nous  obferverons  feulement  que  par  fa  feule 
petitefTe,  on  auroit  dû, l'exclure  du  nombre  des  aigles, 
puif(|u'il  eil  de  moitié  moins  grand  que  le  plus  petit 
des  aigles:  il  relTemble  au  balbuzard  par  la  peau  nue 
qui  couvre  la  bafe  du  bec,  <Sc  qui  efl  d'une  couleur 
bleuâtre,  mais  il  n'a  pas  comme  lui  les  pieils  bleus,  il 
Jes  a  jaunes  comme  le  pygargue  :  /on  bec  cendré  à 
fon  origine,  6c  d'un  jaune  pâle  à  fon  bout,  femble 
participer  pour  les  couleurs  du  bec  des  aigles  <$c  des 
pygargues  ;  6:  ces  différences  indiquent  affez  que  cet 
oifcau  efl  d'une  efpèce  particulière:  c'efl  vraifembla- 
blement  l'oifeau  de  proie  le  plus  remarquable  de  cette 
contrée  des  Indes,  puifque  les  Malabares  en  ont  fait 
une  idole  ,  <5:  lui  rendent  un    culte  (h) ;   mais   c'eft 

plutôt 

(a)  L'aigle  de  Pondichtry.  Voyei  planche  XXXV.  EnHon.  Otn'ah, 
tome  I ,  png.    450. 

(h)  L'aigle  MaJ.ihare  eil  également  beau  &  rare,  (x  tête  ,  fon  cou 
&  toute  fa  poitrine,    font  couverts  de  plumes  très  -  blanches ,  plus 

longues 

o 


DES  Oiseaux  étrangers,       137 

plutôt  par  la  beauté  de  Ton  plumage ,  que  par  fa  gran- 
deur ou  fa  force  ,  qu'il  a  mérité  cet  honneur  :  on 
peut  dire  en  effet  que  c'efl  i'un  des  plus  beaux  oifeaux 
dii  genre  des  oifeaux  de  proie. 

I  I. 

L'oiseau  de  l'Amérique  méridionale  fcj,  que 
Marcgrave  a  décrit  fous  le  nom  iinitaurana  (ouroutaran) 
(d)  que  lui  donnent  les  Indiens  à\\  Brefd,  &  que  Fer- 
nandès  a  indiqué  par  le  x\ovc\ yfqumithli  (cj ,  qu'il  porte 
au  Mexique  :  c'eft  celui  que  nos  voyageurs  François 
ont  appelé  aic^le  d'Orenoque  (f):  les  Anglois  ont  adopté 

longues  que  larges ,  dont  la  tige  <5c  la  côte  font  d'un  beau  noir  de 
jais  ;  le  refte  du  corps  efl:  couleur  de  marron  luflrc ,  moins  foncé  fous 
les  ailes  que  dcfTus  ;  les  fix  premières  plumes  de  l'aile  font  noires  au 
bout,  la  peau  autour  du  bec  eft  bleuâtre,  ie  bout  du  hcc  eft  jaune, 
tirant  fur  le  vert  ;  les  pieds  font  jaunes ,  les  ongles  noirs  ;  cet  animal 
a  le  reorard  perçant ,  il  efl  de  la  groffeur  d'un  faucon  :  c'efl  une 
efpèce  de  divinité  adorée  par  les  Malabarcs  ;  on  en  trouve  aufll  dans 
le  royaume  de  Vilapotir  &  fur  les  -terre»  du  grand  Mogol.  Orn'ilh. 
de  Salerne ,  pag.  S. 

(c)  L'aigle  hupé  du  Brefil.  BrifTon ,  Ornhh.  tom.  T,  pag.  446^. 

(J)  Urutûurana  (  Brafiiienfibus  ),  &  urutarï'Cuquichu-caririrï.  Marc- 
grav.  H'ijl'  naî.  Braf.  pag.  203. 

(e)  Yfijuauthli.  Fernandès,  Hiji.  nat.  nov.  Hifp.  pag.  34. 

(fj  ^'  p^fie  ^ficz  fouvent  de  la  terre-ferme  aux  îles  Antilles  une 

fone  de  gros  oifèan ,  qui  doit  tenir  le  premier  rang  entre  les  oifeaux 

de    yiroJc    de    l'Amérique  :    les   premiers    habitans  du    Tabago   l'ont 

nommé    Vaigle  d'Orenoque ,  à  cauie  qu'il  efl  de  la  groffeur  &  de  la 

'lîofurc  d'un   aigle ,    &   qu'on   licjit   que   cet  oifcau ,    qui  n'efl  que 

Oifeaux ,  Tome  L  4  S 


138       Histoire   Natu relle 

cette  dénomination  fgj.  Se  l'appellent  orcnoko  -  eagle : 
il  efl  un  peu  plus  petit  que  l'aigle  commun  ,  <Sc 
approche  de  l'aigle  tacheté  ou  petit  aigle  par  la  variété 
de  fon  plumage  ;  mais  il  a  pour  caraclcres  propres  & 
fpécifiqucs,  les  extrémités  des  ailes  &  de  la  queue 
bordées  d'un  jaune  blanchâtre,  deux  plumes  noires, 
longues  de  plus  de  deux  pouces  ,  <?c  deux  autres 
plumes  plus  petites ,  toutes  quatre  placées  fur  le  fom- 
met  de  la  tête,  Se  qu'il  peut  baifTer  ou  relever  à  fîi 
volonté  ;  les  jambes  couvertes  jufciu'aux  pieds  de 
plumes  blanches  ik.  noires,  pofées  comme  des  écailles; 
J'iris  de  Tccil  d'un  jaune  vif,  la  peau  qui  couvre  la 
bafe  du  bec,  <Sc  les  pieds  jaunes  comme  les  aigles, 
mais  le  bec  plus  noir  &.  les  ongles  moins  noirs:  ces 
différences  font  fiiffifantcs  pour  fcparer  cet  oifeau  des 
aigles,   (^   de   tous  les  autres   dont   nous    avons    fait 

paflager  en  cette  ile  ,  fc  voit  communément  en  cette  partie  'de 
l'Amérique  méridionale  ,  qui  efl:  arrofce  de  la  grande  rivière  d'Orc'no- 
que  ;  tout  fon  plumage  efl  d'un  gris-clair  marqueté  de  taches  noires, 
hormis  que  les  extrémités  de  its  ailes  &  de  fa  (jucue  font  bordées  de 
jaune  :  il  a  les  yeux  vifs  &  perçans  ;  les  ailes  fort  longues  ,  le  vol 
rapide  &  prompt,  vu  la  pe^inteur  de  fon  corps:  il  fe  rcjiaît  d'autres 
oifeaux  fur  leiqucls  il  fond  avec  furie ,  &  après  les  avoir  atterrés ,  il 

les  déchire  en  pièces  6c  les  avale il  attaque  les  arras ,  les  per-  , 

roquets on  a  remarque  qu'il  ne    fc   jette   pas    fur  fon  gibier 

tandis  qu'il  efl  à  terre  ou  qu'il  cil  pofé  fur  quelque  branche  ,  mais 
cju'il  attend  (ju'il  ait  pris  l'efTor  pour  le  combattre  en  l'air.  Du  Tertre, 
7//y?,  nat.  des  Antilles ,  page  159.  I\'ota.  Rochefort  a  copie  ceci  mol 
pour  mot  dans  la  Relation  de  i'iJe  de  Tabacro,  p^ges  ^  0  &  ^  i» 

Ù)  Voyei  Brovvne,  Bijl.  naî.  of.  Jamdica,  page  471. 


DES  Oiseaux  étrangers.       159 

mention  dans  les  articles  précédens  ;  mais  il  me 
paroit  qu'on  doit  rapportera  cette  efpèce ,  i'oifeau  que 
Garciiaiïb  ap{)elle  aigle  du  Pérou  ( h) ,  qu'il  dit  être 
plus  petit  que  les  aigks  d'Efpagne. 

Il  en  efl  de  même  de  I'oifeau  des  côtes  occidentales 
de  l'Afrique  (i) ,  dont  M.  Edwards  nous  a  donné  une 
très  -  bonne  figure  enluminée,  avec  une  excellente 
defcription  fous  le  nom  à'eaglc-crowîied ,  aigle  hupc ,  qui 
me  paroit  être  de  la  même  efpèce ,  ou  d'une  efpèce 
irès-voifine  de  celui-ci.  Je  crois  devoir  rapporter  en 
entier  la  defcription  de  M.  Edwards,  pour  mettre  le 
Lefleur  à  portée  d'en  juger  (k). 

(h)  Hifloire  naturelle  des  Incas,  tome  II,  page  2y^. 

(i)  L'aigle  hupé  d'Afrique.  Briflon,  Ornkhol.  tom.  I,  pag.  44.8. 

(k)  Cet  oifcau ,  dit  M.  Edwards,  eft  d'environ  un  tiers  plus 
petit  que  les  plus  grands  aigles  qui  fe  voyent  en  Europe,  &  il  paraît 
fort  &:  hardi  comme  les  autres  aitrles;  le  bec  avec  la  peau  qui  couvre 
le  haut  du  bec ,  &  où  les  ouvertures  des  narines  font  placées  ,  efl 
d'un  brun  obfcur,  les  coins  de  l'ouverture  du  bec  font  fendus  aflez 
avant  jufque  fous  les  yeux  ,  &  font  jaunâtres ,  l'iris  des  yeux  efl;  d'une 
couleur  d'orange  rougcâtre  ;  le  devant  de  la  tête  ,  le  tour  des  yeux 
&  la  gorge  font  couverts  de  plumes  blanches,  parfemées  de  petites 
taches  noires  ;  le  derrière  du  cou  &  de  la  tête ,  le  dos  &  les  ailes , 
font  d'un  brun  foncé,  tirant  fur  le  noir,  mais  les  bords  exte'ricurs 
des  plumes  font  d'un  brun  clair.  Les  pennes  '*'  font  plus  foncées  que 
les  autres  plumes  des  ailes  ;  les  côtés  des  ailes  vers  le  haut ,  &  les 
extrémités  de  quelques  -  unes  des  couvertures  des  ailes  font  blancs  ; 
la  queue  efl  d'un  gris  foncé ,  croifee  de  barres  noires ,  &i  le  defTous 

*  Pennes  crt  un  terme  de  fauconnerie,  pour  exprimer  les  grandes  plumes  des  ailes  dti 
Oifeaux  de  proie. 

Si; 


140       Histoire  Naturelle 

La  diftance  entre  l'Afrique  <5c  le  Brefil ,  qui  ï\c\{ 
guère  que  de  quatre  cents  lieues ,  n'eil  pas  alTez  grande 
pour  que  des  oifeaux  de  iiaut  vol  ne  puifTent  la 
parcourir;  &^  dès -lors  il  eft  très-polfible  que  celui-ci 
fe  trouve  également  aux  côtes  du  Brefil,  6i  fur  les 
côtes  occidentales  de  l'Afrique;  &  il  fuffit  d€ comparer 
les  caradères  qu-i  leur  font  particuliers,  &i  par  Icfqucis 
ils  fe  reflcmblent,  pour  être  perfuadé  qu'ils  font  de  la 
même  efpèce;  car  tous  deux  ont  des  plumes  en  forme 
d'aigrettes  qu'ils  redrcffent  à  volonté  ,  tous  deux  font 
à  peu  près  de  ia  même  grandeur;  ils  ont  au/Ti  tous 
deux  le  plumage  varié,  (Se  marqueté  dans  les. mêmes 
endroits  ;  l'iris  des  yeux  d'un  orangé  vif,  le  bec  noirâtre  ; 

en  paroît  être  d'un  gris  de  cendre  obfcur  &  léger  ;  la  ppitrine  cft 
cFun  brun  rougcàtre  avec  de  grandes  taches  noires  tranlverfàles  fur 
les  côtés;  le  ventre  eft  blanc,  auHl-bien  que  le  deflous  de  la  queue 
qui  eft  marqueté  de  taches  noires  ;  les  cuifîes  &  les  jambes,  jufqu'aux 
ongles,  font  couvertes  de  plumes  blanches,  juliment  marquetées  de 
lâches  rondes  &  noires  ;  les  ongles  font  noirs  &  très-forts  ,  les  doigts 
font  couverts  d'écaillés  d'un  jaune  vif,  il  élève  fes  plumes  du  dcfius 
de  la  tête  en  forme  de  crête  ou  de  hupe ,  d'où  il  tire  fon  nom. 
J'ai  dcfljné  cet  oileau  vivant  à  Londres,  en  1752;  fon  maître 
m'afiura  qu'il  venok  des  côtes  d'Afrique,  &  je  le  crois  d'autant 
plus  volontiers ,  que  j'en  ai  vu  deux  autres  de  cette  même  efpèce 
cxadement  chez  une  autre  perfonne  ,  ôc  qui  vcnoient  de  la  côte  de 
Guinée;  Barbot  a  indiqué  cet  oifcau  lous  le  nom  (S' aigle  couronné , 
dans  fi  defcription  de  la  Guinée  ;  il  en  donne  une  mauvaife  figure, 
dans  laquelle  cependant  on  reconnoît  les  plumes  relevées  fur  fà  lètt 
d'une  manière  très-peu  différente  de  celle  dont  elles  font  repréfentées 
dans  ma  figure.  Edwards ,  Clanurcs ,  pan.  i  ,  pag.  j  1  &  j  2 ,  plancht 
intuminée  22jf, 


DES  Oiseaux  et  rangers,       141 

lès  jambes  jufqu'aux  pieds  ,  également  couvertes  Je 
plumes,  marquetées  de  noir  &  de  Liane;  les  doigts 
jaunes  &  les  ongles  bruns  ou  noirs,  ôi  il  n'y  a  de 
différence  que  dans  la  diflribution  (Se  dans  les  teintes 
des  couleurs  du  plumage,  ce  qui  ne  peut  être  mis  t^i 
comparaifon  ,  avec  toutes- les  refTcmblanccs  que  nous 
venons  d'indiquer;  ainfi,  je  crois  être  bien  fondé  à  re- 
garder cet  oifeau  des  cotes  d'Afrique,  comme  étant  d^ 
ja  même  efpèce  que  celui  du  Brefd;  en  forte  que  l'aigle 
hupé  du  Brefil ,  l'aigle  d'Orcnoque,  Taiglc  du  Pérou,  (Se 
l'aigle  hupé  de  Guinée,  n€  font  qu'une  feule  <Sc  même 
eipcce  d 'oifeau ,  qui  approche  plus  de  notre  aigle  tacheté 
ou  petit  aigle  d'Europe,  que  de  tout  autre. 

1:1  I. 

L'oi5EAU-  du  Brefil  (IJ,  indiqué  par  Marcgrave 
{ous  le  nom  urubh'mgd  (ru) ,  qui  vraifemblablemcnt  efl 
d'une  efpèce  différente  du  précédent,  puifqu'il  porte  un 
autre  nom  dans  le. même  pays;  6:  en  effet  il  en  difïere., 
I  .*"  par  la  grandeur,  étant  de  moitié  plus  petit;  2."  par 
ia  couleur:  celui-ci  eff  d'un  brun  noirâtre,  au  lieu  que 
l'autre  efl'd'un  beau  gris  ;  y  parce  qu'il  n'a  point  de 
plumes  droites  fur  la  tête;  4."*  parce  qu'il  a  le  bas 
des  jambes  é^  des  pieds  nus  comme  le  pygargue ,  au 
Jicu  que  le  précédent  a,  comme  l'aigle,  les  jambes 
couvertes  jufqu'au  talon. 

(l)  L'aiglç  du  Brefil.  Brlflon ,  Orn'iîh.  tom.  I,  pag.  445. 

(mj  UrubUinga  Brajiïicnjibus,  Marcgrav.  H'JÏ,  nat,.Braf.  pag.  z.i^ 

S  iij 


14-2       Histoire  Natu relle 

Voye^  les  planches  enluminées ,  nf  ^z/. 

L'oiseau  que  nous  avons  cru  devoir  appeler  le 
triit  aigle  d A^nérique ,  qui  n'a  été  indiqué  par  aucun 
NaturaiiHe  ,  éc  qui  fe  trouve  à  Cayennc  <Sc  dans  ies 
autres  parties  de  l'Amérique  méridionale.  II  n'a  guère 
que  {t\zQ,  à  dix -huit  pouces  de  longueur;  év  il  efl 
remarquable  même  au  premier  coup  d'œil ,  par  une 
large  plaque  d'un  rouge  pourpré  qu'il  a  fous  la  gorge 
6c  fous  le  cou  :  on  pourroit  croire  à  caufe  de  fa 
petiteffe  qu'il  feroit  du  genre  des  éperviers  ou  des 
faucons;  mais  la  forme  de  fon  bec,  qui  efl  droit  à 
fon  infertion  ,  <Sc  qui  ne  prend  de  la  courbure,  comme 
celui  des  aigles,  qu'à  quelque  diftance  de  fon  origine, 
nous  a  déterminé  à  le  rapporter  plutôt  aux  aigles 
qu'aux  éperviers.  Nous  n'en  donnerons  pas  une  plus 
ample  defcription ,  parce  que  la  planche  enluminée 
rcpréfente  aflez  fes  autres  caradères. 

V. 

L'oiseau  des  Antilles  appelé  le  pécheur ,  par  le  P. 
du  Tertre  (îi) ,  6c  qui  eft  très  -  vraifemblablement  le 
même  que  celui  qui  nous  c(l  indiqué  par  Catefby 
fous  le  nom  de  fishing-hawk  (o) ,  épervier-pêcheur  de 

(n)  Hifl:.  gén.  des  A  milles ,  par  le  P.  du  Tertre,  tome  II, 
page  2^S' 

(o)  Fishing-Hawk.  Catefby,  tome  J ,  page  2,  planche  ji ,  avec 
*^f  fg^^(  (oloriée. 


DES  Oiseaux  étrangers.      143 

la  Caroline;  il  eft,  dit-il,  de  la  groiïeiir  d\\r)  autour, 

avec  le  corps  plus  alongé  :  fes  aiies,  lorrqu'clles  font 

pliées ,  s'étendent  un  peu  au-delà  de  l'extrcniitc  de  la 

queue.  Il  a  plus  de  cinq  pieds  de  vol  ou  d'envergure; 

il  a  i'iris  des  yeux  jaune;  la  peau  qui  couvre  la  bafe 

du  bec  bleue,  le  bec  noir,  les  pieds  d'un  bleu  pâle, 

6c  les  ongles  noirs ,  6c  prefque  tous  auiïi  longs  les  uns 

que  les  autres  :  tout  le  defTus  du  corps ,  des  ailes  & 

de  la  queue,  eft  d'un  brun  fonce;  tout  le  dcfTous  du 

corps,  des  ailes  &i  de  la  queue  ell  blanc;  les  plumes 

des  jambes   font  blancbes,   courtes  (Se  appliquées  de 

très -près  fur  la  peau.  «  Le   pécheur,   dit  le  P.   du 

Tertre  ,  efl   tout  femblable  au   mansfeni  ,   hormis  « 

qu'il  a  les  plumes  du  ventre  blanches ,  6:  celles  du  « 

delTus  de  la  tcte  noires;  fes  griffes  font  un  peu  plus  « 

petites.  Ce  pécheur  efl  un  vrai  voleur  de  mer,  qui  « 

n'en  veut  non  plus  aux  animaux  de  la  terre  qu'aux  « 

oifeaux  de  l'air,  mais  feulement  aux  poifTons  qu'il  « 

épie  de  dcffus  une  branche  ou  une  pointe  de  roc  ;  « 

6i  les  voyant  à  fleur   d'eau,  il  fond  promptcment  « 

dclTus,  les  enlevant  avec  fes  griffes,  Si  les  va  manger  « 

fur  un  rocher:  quoiqu'il  ne  fade  pas  la  guerre  aux  « 

oifeaux,  ils  ne  laiffent  pas   de  le  pourfui\Te  6:  de  <c 

s'attrouper,  &.  de  le  bequeter  jufcju'à  ce  qu'il  change  ^c 

de  quartier.    Les  enfans    des    Sauvages  les  élèvent  « 

étant  petits ,  &.  s'en   fervent  à  la  pêche   par  ])lairir  « 

feulement ,  car  ils  ne  rapportent  jamais  leur  pèche  '>. 

Cette   indication    du   P.   du  Tertre,    n'eft  ni    affez 


14-4  H I  STO  I  RI.     NATU  RELLÉ 

prccife,  ni  afTez  détaillée ,  pour  qu'on  puifTe  être  affuré 

que  i  oifeau   dont  il   parle  cfl  le  même  que   celui   de 

CatelLy,  &  nous   ne  le  difons  que  comme  une  pré- 

fomption:  mais  ce  qu'il  y  a  ici  de  bien  plus  certain, 

c'ed    que  ce   même    oifeau    d'Amérique   donné    par 

Catclty,  refTemble  fi  fort  à  notre  balbuzard  d'Europe, 

qu'on  pourroit  croire  avec  fondement,  que  c'eft  abio- 

lument  le  même  ou  du  moins  une  fimple  variété  dans 

l'efpèce  du  balbuzard;  il   eft   de   la   même   grolTeur, 

de  la    même    forme,  à  très  -  peu   près    de   la   même 

couleur,  &  il  a,  comme  lui,  l'babitude  de  pêcber  ôc 

de   fe    nourrir   de  poiflon.    Tous    ces    caradèrcs    fe 

réHniiTent  pour  n'en  faire  qu'une  feule  Si  même  efpèce 

avec  celle  du  balbuzard. 

V  I. 

L'oiseau  <Ies  îles  Antilles,  appelé  par  nos  Vop- 
geurs  mansfeni ,  6c  qu'ils  ont  regardé  comme  une 
efpèce  de  petit  aigle  (îi'ifus)'.  le  mansfeni ,  dit  le  P.  du 
Tertre,  eft  un  puiffant  oifeau  de  proie,  qui  en  fa 
forme  <Sc  en  fon  plumage  ,  a  tant  d-e  refTemblance  avec 
l'aigle  ,  que  la  feule  petiteiïe  peut  l'en  diftinguer;  car  il 
n'cfl  guère  plus  gros  qu'un  faucon;  mais  il  a  les  griffes 
deux'  fois  plus  grandes  &i  plus  fortes;  quoiqu'il  foit 
fi  bien  armé,  il  ne  s'attaque  jamais  qu'aux  oifeaux  qui 
n'ont  point  de  défenfe,  comme  aux  grives,  alouettes 
de  mer,  <S:  tout  au  plus  aux  ramiers  <5c  tourterelles;  il 
vit  aulii  de  ferpens  <Sc  de  petits  lézards:  il  fe  pcrcbe 
ordinairement  fur  les  arbres  les  plus  élevés:  les  plumes 

font 


DES  Oiseaux  étrangers,      145 

font  fi  fortes  (5c  f\  ferrées,  que  fi  en  le  tirant  on  ne  le 
prend  à  rebours,  le  plomb  n'a  point  de  prife  pour 
pénétrer;  la  cbair  en  efl  un  peu  plus  noire,  mais  elle 
ne  ladfc  pas  d'être  excellente.  Hijloire  des  Antilles ^ 
tome  11 f  page  2J2, 


Oifcdus ,  Tonu  I. 


.  T 


146      Histoire  N atu re l  l e 

LES    VAUTOURS 

JL'oN  a  donne  aux  Aigles  k  premier  rang  parmi  {es 
oifeaux  de  proie,  non  parce  qu'ils  font  pkis  forts  <^ 
pins  grands  que  les  vautours,  mais  parce  qu'ifs  font 
pius  généreux,  c'efl-cà-dirc  moins  badcment  cruels; 
ieurs  mœurs  font  plus  litres,  leurs  démarches  plus 
hardies,  leur  courage  plus  noble,  ayant  au  moins 
autant  de  goût  pour  la  guerre  que  d'appétit  pour  la 
proie;  les  vautours  au  contraire  ,  n'ont  que  i'inflindl 
de  la  baffe  gourmandife  &  de  la  voracité;  ils  ne  com- 
hattent  guère  les  vivans  que  quand  ils  ne  peuvent 
s'a(fouvir  fur  les  morts.  L'aigle  attaque  fes. ennemis  ou 
fes  victimes  corps  à  corps;  feu!  il  les  pourfuit,  les 
combat,  les  faibt;  les  vautours  au  contniire,  pour  peu 
qu'ils  prévoient  de  réfiftance,  fe  réuniffent  en  troupes 
comme  de  lâches affîffins,  &  font  plutôt  des  voleurs  (|ue 
des  guerriers ,  des  oifeaux  de  carnage  que  des  oifeaux  de 
proie;  car  dans  ce  genre,  il  n'y  a  qu'eux  qui  fe  mettent 
en  nombre  <Sc  plufieurs  contre  un;  il  n'y  a  qu'eux 
qui  s'acharnent  fur  les  cadavres  au  point  de  les  déchi- 
queter jufqu'aux  os;  la  corruption  ,  l'infecflion  les  attire 
au  lieu  de  les  repouffer:  les  éperviers ,  les  faucons 
ôi  jufqu'aux  plus  petits  oifeaux  montrent  plus  de 
courage  ,  car  ils  chaffent  feuls  ,  <5c  prefque  tous 
dédaignent  la  chair  morte,  6c  refufent  celle  qui  efl 
corrompue:  dans  ks  oifeaux  comparés  aux  quadrupèdes. 


DES     Vautours,         147 

le  vautour  renif)le  réunir  la  force  Se  la  cruauté  du 
tigre,  avec  la  lachetc  Si  la  gourmanclife  du  cliacal, 
qui  fe  met  également  en  troupes  pour  dévorer  les 
charognes  c^  déterrer  les  cadavres;  tandis  que  l'aigle 
a,  coiiime  nous  l'avons  dit,  le  courage,  la  noblelîe, 
la  ma2:nanimité  <S:  la  munificence  du  lion. 

On  doit  donc  d'abord  diftinguer  les  vautours  des 
aigles  par  cette  différence  de  naturel ,  S<.  on  les  recon- 
noitra  à  la  fiinple  infpedion  en  ce  qu'ils  ont  les  yeux 
à  fleur  de  tête  ,  au  lieu  que  les  aigles  les  ont  enfoncés 
dans  l'orbite;  la  tête  nue,  le  cou  aufîi  prefque  nu, 
couvert  d'un  fimple  duvet  ou  mal  garni  de  quelques 
crins  épars ,  tandis  que  l'aigle  a  toutes  ces  parties 
bien  couvertes  de  plumes;  à  la  forme  des  ongles, 
ceux  des  aigles  étant  prefque  demi  -  circulaires,  parce 
qu'ils  fe  tiennent  rarement  à  terre,  Se  ceux  des  vautours 
étant  plus  courts  6s:  moins  courbés;  à  l'efpèce  de  duvet 
fin  qui  tapifTe  l'intérieur  de  leurs  ailes  ,  Se  qui  ne  fe 
trouve  pas  dans  les  autres  oifeaux  de  proie;  à  la  partie 
du  deffous  de  la  gorge  qui  efl  plutôt  garnie  de  poils 
que  de  plumc-s;  à  leur  attitude  plus  penchée  que  celle 
de  l'aigle  qui  fe  tient  fièrement  droit  ,  Si  prefque 
perpendiculairement  fur  fes  pieds  ;  au  lieu  que  le 
vautour  dont  la  fituation  efl  à  demi  horizontale,  femble 
marquer  la  bafTeffe  de  fon  caraélère  par  la  pofition 
inclinée  de  fon  corps  :  on  reconnoîtra  même  les 
vautours  de  loin  ,  en  ce  qu'ils  font  prefque  les  feuls 
oifeaux  de  proie  qui  volent  en  nombre,  c'efl- à-dire 

Tij 


'148       Histoire  Naturelle 

plus  de  deux  cnfembie;  &  aiiffi  parce  qu'ils  ont  le 
vol  pefant,  &  qu'ils  ont  même  beaucoup  de  peine  à 
s'élever  de  terre,  étant  obligés  de  s'efTayer  Si  de 
s'efforcer  à  trois  ou  quatre  reprifes ,  avant  de  pouvoir 
prendre  leur  plein  effor  ("ûJ. 

Nous  avons  compofé  le  genre  des  aigles  de  trois 
efpèces;  favoir,  le  grand  aigle,  l'aigle  moyen  ou 
commun  ,  &  ie  petit  aigle:  nous  y  avons  ajoute  les 
oifeaux  qui  en  approchent  le  plus,  tels  que  ie  pvgargue, 
je  balbuzard  ,  l'orfraie,  ie  jean-le-blanc  &.  les  fix  oifeaux 
étrangers  qui  y  ont  rapport;  favoir,  i ."  le  bel  oifeau 
de  A'ialabar;  2.°  l'oifcau  du  Brefd ,  de  l'Orénoque,  du 
Pérou  S.  de  Guinée,  appelé  parles  Indiens  du  Brefd, 
tirutainvina\  y  l'oifcau  appelé  dans  ce  même  pays. 
wubiwic,n  ;  4.°  celui    que    nous  avons  appelé   \q  pciit 

(a)  Nota.  M.  Ray ,  &  M.  Salerne  ,  qui  n'a  fiit  prefquc  par- tout  que 

le  copier  mot  pour  mot,  donnent  encore  pour  différences  caracflcriftiques 

çntrc  les  vautours  &  les  aigles ,  la  forme  du   bec  cjui  ne  le  recourbe 

pas  immédiatement  à  fà  nuiflance  &  le  maimient  droit  jufqu'à  deux 

pouces  de  diftancc  de  fon  origine  ;    jnais  je    dois   oblerver  que   ce 

çaravflèrc  n'cll  pas  bien  indique,  car  le  bec  des  aigles  ne  Iç  recourbe 

pas  non  plus  dès   fli  naiflance  ,    il   fe  maintient  d'abord   droit ,  &  la 

feule  différence  cft  que  dans  le  vautour  cette  partie  droite  du  bec  eft 

plus  longue  que  dans  l'aigle  ;  d'autres  Naturalifles  donnent  auffi  comme 

difîerence  caradérifticjue  la  proéminence  du  jabot,  plus  grand  dans  les 

vautoun.  que   dans  les  aigles  ,   maii    ce    cara^ère  eft   équivoque   & 

n'apnanieni  pas  à  toutes  les  efpèces  de  vautours  ;  le  grifîon  qui  efl 

l'une  des  principales,  bien  loin  d'avoir  le  jabot  proéminent,  l'a  fi 

rentré  e^i   dedans ,  qu'il  y  a  au  -  deffous  de  fon  cou  &  à  la  place»-  du 

jaboî.  un  creux  allez  grand  pour  y  mettre  le  poing. 


DES    Vautours.         149 

û/g/e  de  V Amérique  ;  y""  l'oifcau  pécheur  des  Antilles; 
6.°  ie  mansfeni  qui  paroît  être  une  cfpèce  de  petit 
aigle,  ce  qui  fait  en  tout  treize  efpèces ,  dont  l'une 
que  nous  avons  appelée  yeiit  aigle  de  V Amérique ,  n'a  été 
indiquée  par  aucun  Naturalise.  Nous  allons  faire  de 
même  i'énumcration  6;  la  rédu6lion  des  efpèces  de 
vautours,  &  nous  parlerons  d'abord  d'un  oifeau  qui  a 
été  mis  au  nonibre  des  aigles  par  Ariflote,  6c  après 
lui  par  la  plupart  des  Auteurs;  quoique  ce  foit  réelle- 
ment un  vautour  (&.  non  j)as  un  aigle. 

L  E 

PERCNOPTERE  (^J. 

Vn^'c^  les  planches  enluminées ,  n!  ^2â, 

J'ai  adopté  ce  nom  ,  tiré  du  Grec,  pour  difiinguer 
cet  oifeau  de  tous  les  autres;  ce  n'eft  point  du  tout 
un  aigle,  &i  ce  n'efl  certainement  qu'un  vautour,  ou 
fi  l'on  veut  fuivre  le  fentimcnt  des  Anciens,  il  fera 
le  dernier  degré  des  nuances  entre  ces  deux  genres 
d'oifeaux,  tenant  d'infiniment  plus  près  aux  vautours 
qu'aux  aigles.    Ariflote  ^ùj,   qui   Ta  placé  parmi  les 

(a)  Cet  oîfeau  s'appelle  en  Catalogne ,  Trencalos.  —  Le  V:\utour 
des  Alpes.  Briflon,  Ornithol.  tom.  I,  pag.  464. 

(b)  Nota.  Arillote  en  fait  la  quatrième  cfpèce  de  Tes  riigjcs,  fous 
ie  nom  de  nep-/cro7i?£^$;  &  il  lui  donne  enfuite  pour  furnom  TTraeTDÇ, 

Tii; 


1^0        Histoire   Naturelle 

aigles,  avoue  lui-même  qu'il  ell  plutôt  du  genre  dot 
vautours,  ayant,  Jit-il,  tous  les  vices  de  l'aigle,  fans 
avoir  aucune  de  Tes  bonnes  qualités;  fe  laifTant  chaffcr 
6c  battre  par  les  corbeaux,  étant  pareffcux  à  la  cbafTe, 
pefant  au  vol,  toujours  criant,  lamentant,  toujours 
affamé  <5c  cherchant  les  cadavres:  il  a  auiîi  les  ailes 
plus  courtes  &i  la  queue  plus  longue  que  les  aigles  ;  la 
tcte  d'un  bleu  clair,  le  cou  blanc  (?c  nu,  c'efl-à-dire, 
couvert  comme  la  tête  <i'un  fimple  duvet  blanc,  avec 
un  collier  de  petites  plumes  blanches  <Sc  roides  au- 
dedous  du  cou  en  forme  de  fraife  ;  l'iris  des  yeux 
eft  d'un  jaune  rougeatre;  le  bec  &i  la  peau  nue  qui  en 
recouvre  la  bafe  font  noirs  ,  l'extrémité  crochue  du  bec 
e(t  blanchâtre;  le  bas  des  jambes  &  les  pieds  font 
nus  (Se  de  couleur  plombée;  les  ongles  font  noirs, 
moins  longs  (Se  moins  courbés  que  ceux  des  aigles:  il 
eft  de  plus  fort  remarijuablc  par  une  tache  brune  en 
forme  de  cœur  qu'il  porte  fur  la  poitrine  au  -  deffous 
de  fa  fraife,  <Sc  cette  tache  brune  paroit  entourée  ou 
plutôt  liférée  d'une  ligne  étroite  6c  blanche  :  en 
général,  cet  oifeau  efl  d'une  vilaine  figure  <Sc  mai 
proportionnée;  il  efl  même  dégoûtant  par  l'écoule- 
ment continuel  à\\ne.  humeur  qui  fort  de  fes  narines, 

•que  Théodore  Ga/a  a  bien  rendu  \>y(  fubaqu'da ;  mais  d'autres  Au- 
teurs, &  particulièrement  Aidrovandc  ont  penfé  ■qu'on  devoir  lire 
rtiTnîêTXiç  au  lieu  de  TTnxîTî)? ,  c'eft-à-dire ,  Vultur'ma  açuila  au  lieu  de 
Jubiiquila  :  ce  qu'il  y  a  de  vrai ,  c'eft  que  l'une  &  l'autre  de  ces  deux 
«icnoniinaiioni  conviennent  également  à  cet  oileau* 


DU     Percnoptere,  15  r 

èi  àc  deux  autres  trous  qui  fe  trouvent  clans  Ton  bec 
par  Icfquels  s'écoule  la  falive  :  il  a  le  jabot  proémi- 
nent; &  lorAju'il  c(l  à  terre,  il  tient  toujours  les  ailes 
étendues  fcj:  enfin  il  ne  refTenible  à  l'aigle  que  par  la 
grandeur,  car  il  furpafTe  l'aigle  commun  ,  &i  il  approche 
du  grand  aigle  pour  la  grofTeur  du  corps,  mais  il  n'a 
pas  la  même  étendue  de  vol.  L'efpèce  du  percnoptere 
paroît  être  plus  rare  que  celles  des  autres  vautours;  on- 
la  trouve  néanmoins  dans  les  Pyrénées,  dans  les  Alpes, 
<Sc  dans  les  montagnes  de  la  Grèce,  mais  toujours  en 
aiïez  petit  nombre. 

(c)  Nota.  Cette  habitude  de  tenir  les  ailes  e'tendues  appartient  non- 
fculeiiient  à  ceae  efpèce ,  mais  encore  à  la  plupart  des  Vautours  &  à 
quelques  autres  oilcaux  de  proie. 


C 


LE    GRIFFON, 


'est  le  nom  que  M."  de  TAcadcmie  des  Sciences 
ont  donné  à  cet  oifeau  pour  le  difîinguer  des  autres 
vautours  (ûJ.  D'autres  Naturalises  l'ont  appelé  le  vûii- 
tour  rouge  (!>J,\^  vautour  jaune  (cj ,  le  vautour  fauve  (d)  ; 

(a)  Me'moires  pour  fervir  à  i'Hiftoire  des  animaux,  part,  lil ,- 
jpag.  2  0  p ,  avec  une  aje^  bonne  fgurc. 

(h)  Vuhur  ruber  feu  laieritii  coloris  ,  magnitudinis  meJ'iœ ,  interdumi 
iomparet  in  Prujfia.  Rzaczynsky,  Auâ    Hiji.  nat.   Pol.  pag.  430. 

fcJ  Vultur  fulvus  nojîer ,  Baiico  Bellonù  cotigener.  Willugh.  Ornith,^ 
pag.  36;  &  Ray,   Synoyf.  avium ,  pg.    10,  n.''  7. 

(d)  Le  Vautour  fauve.  BrJllon,  OrnithoL  lom.  I,  pag.  462,. 


152       Histoire  N atu re lle 

Si.  comme  aucune  de  ces  dénominations  n'ei}  imivoque 
ni  exacte,  nous  avons  préféré  le  nom  fimple  de  griffon. 
Cet  oifeau  ed  encore  plus  grand  que  le  percnoptcre; 
il  a  huit  pieds  de  vol  ou  d'envergure;  le  corps  plus 
gros  &:  plus  long  que  ie  grand  aigie ,  fur  -  tout  en  y 
comprenant  les  jambes  qu'il  a  longues  de  plus  d'un 
pied,  (Se  ie  cou  qui  a  fept  pouces  de  longueur;  il  a, 
comme  ie  percnoptcre,  au  bas  du  cou  un  collier  de 
plumes  blanches  ;  fa  tcte  efl  couverte  de  pareilles 
plumes  qui  font  une  petite  aigrette  par-derrière,  au 
bas  de  laquelle  on  voit  à  découvert  les  trous  des 
oreilles  ;  ie  cou  e(l  prefque  entièrement  dénué  de 
plumes  ;  il  a  les  yeux  à  Heur  de  tête  avec  de  grandes 
paupières  ,  toutes  deux  également  mobiles  6c  garnies 
de  cils,  <5c  l'iris  d'un  bel  orangé;  le  bec  long  Se 
crochu  ,  noirâtre  à  fon  extrémité  ainfi  qu'à  fon  origine. 
Si  bleuâtre  dans  fon  n)ilitu;  il  efl  encore  remarquable 
par  fon  jabot  rentré,  c'efl-à-dire  par  un  grand  creux 
qui  efl;  au  haut  de  l'eflomac,  6;  dont  toute  la  cavité 
ed;  garnie  de  poils ,  qui  tendent  de  la  circonférence  au 
centre.  Ce  creux  e([  la  place  du  jabot  qui  n'crt  ni 
proéminent  ni  pendant,  comme  celui  du  percnoptcre; 
la  peau  du  corps  qui  paroit  à  nu  fur  le  cou  Si.  autour 
des  yeux  ,  des  oreilles ,  Sic.  efl  iVun  gris  brun  Si. 
bleuâtre;  les  plus  grandes  plumes  de  l'aile  ont  jufqu'à 
deux  pieds  de  longueur.  Si  le  tuyau  plus  d'un  pouce 
de  circonférence  ;  les  ongles  font  noirâtres ,  mais 
moins  grands  Si  moins  courbés  que  ceux  des  aigles. 

Je 


DU    Griffon.  153 

Je  crois,  comme  l'ont  dit  M."  de  l'Académie  des 
Sciences,  que  le  griffon  efl  en  effet  le  grand  vautour 
d'Ariflote  fej;  mais  comme  ils  ne   donnent  aucune 
raifon  de  leur  opinion  à  cet  égard,  cS:  que  d'abord  il 
paroîtroit  qu'Arillote   ne  faifant  que  deux  erpcces  ou 
plutôt  deux  genres  de  vautours,  le  petit  plus  blanchâtre 
que  le  grand  qui  varie  pour  la  forme  ffj;  il  paroîtroit, 
dis-je,  que  ce  genre  du   grand  vautour  eft    compofé 
de  plus  d'une  cfpèce ,  que  l'on  peut  également  y  rap- 
porter; car,   il  n'y  a   que  le  pcrcnoptère  dont  il  ait 
indique  i'efpèce  en  particulier;  cS:  comme  il  ne  décrit 
aucun  des  autres  grands  vautours ,  on  pourroit  douter 
avec  raifon  ,  que  le  grifïon  fût  le  mcme  que  fon  grand 
vautour;  le  vautour  commun,   qui  efl  tout  auffi  grand 
<k  peut-être  moins  rare  que   le  griffon,  pourroit  être 
également  pris  pour  ce  grand  vautour  ;  en  forte  qu'on 
doit  penfér   que  M."   de  l'Académie   des  Sciences, 
ont  eu  tort  d'affirmer ,   comme    certaine,    une   chofe 
auffi   équivoque   &.   auffi    douteufe,  fans  avoir   même 
indiqué  la  raifon   ou  le  fondement  de  leur  affertion , 
qui    ne  peut  fe  trouver  vraie  que  par  hafard  ,  <Sc    ne 
peut  être  prouvée  que  par  des  réflexions  Si  des  com? 

(e)  Il  fc  peut  f.iire  que  i'oifeau  que  nous  décrivons ,  qui  ejl  le 
grand  vautour  cT Ar'ijlote  ,  efl:  vulgairement  appelé  griffon  ,  parce  que 
c'crt  un  oileau  ibrt  grand,  &c.  Alémoîres  pour fervlr  à  l'HiJIoire  des 
animaux  ,   partie  1 1 1  ,  page  j  p, 

(f)  Vuhurum  duo  gênera  funt  aheruw  parvum  &  alhicaniius ,  akixum, 
majus  ,  ac  multiformius,  Arifl.  Hifi,  anim.  lib.  VUI  ,  cap.  .3. 

Oifcdiix ,  Tome  I.  ,   Y 


154       Histoire  Natu relle 

paraifons  qu'ils  n'avoienC  pas  faites  :  j'ai  tâché  d  y 
liipplcer,  &  voici  les  raifons  qui  m'ont  déteiminé  à 
croire  (\\]ç  notre  gritton  eft  en  effet  ie  grand  vautour 
des  Anciens. 

Il  me  paroît  que  rcfpèce  du  griffon  efl  compofée 
de  deux  variétés;  la  première  ,  qui  a  été  appelée  )w//i?//r 
fûuve  (g) ;  &  la  féconde,  vautour  doré  par  les  Natura- 
Jifles  (11).  Les  différences  entre  ces  à^wy.  oifeaux  dont 
ie  preinier  eft  le  grifion ,  ne  font  pas  affez  grandes 
pour  en  faire  deux  efpcces  diflin6tes  &  féparées,  car, 
tous  deux  font  de  la  même  grandeur,  6w  en  général 
à  peu  près  de  la  même  couleur;  tous  deux  ont  la 
queue  courte  relativement  aux  ailes  qui  font  très- 
iongues  (ï) ,  &:  par  ce  cara6lcre  qui  leur  eft  commun  , 
ils  difièrent  des  autres  vautours  :  ces  reffemblances 
ont  même  frappé  d'autres  Naturalises  avant  moi  (kj , 
au  point  qu'ils  l'ont  appelé  le   vautour  fauve ,  coîigeuer 

(g)   Le  Vautour  fauve.   BiilTon,   tome  I ,  page  ^62. 

(h)  Vultur  aureus  Albertï  magni ,  Gefneri ,  Raii ,  WïUughbei ,  Klein, 
Ord.  avium.  pag,  43  ,  n."  i.  —  Vultur  bceticus  five  cajianeus.  Alclrov. 
Avi.  tome  I,  page  zy}.  —  Le  Vautour  dore.  BrilTon,  Ornith.  tome  I, 
page  458. 

(i)  Nota.  M.  Briflon  donne  à  Ton  vautour  dore'  une  queue  de 
deux  pieds  trois  pouces  de  longueur  ,  &  trois  pieds  à  la  plus  grande 
plume  de  l'aile,  ce  qui  me  feroit  douter  que  ce  foii  le  même  oifeau 
que  le  vautour  doré  des  autres  Auteurs ,  qui  a  la  queue  courte  C4i 
compar.'\ifon  des  ailes. 

^k)  Vultur fuhus  bœt'ico coagener.  Ray,  Synopf.  avi.  pag.  10,  n.*  /i 
&  Wiilughby,  Ornithol.  page  ^6, 


DU    Griffon.  fjj 

du  vautour  dore:  je  fuis  même  très  -  porte  à  croire 
que  i'oifeau  indiqué  par  Beion,  fous  le  nom  de  vau- 
tour noir,  efl  encore  de  la  même  efpece  que  le  griffon. 
ÔL  le  vautour  doré;  car  ce  vautour  noir  efl  de  la  même 
grandeur ,  6c  a  le  dos  6:  les  ailes  de  la  même  couleur 
que  le  vautour  doré.  Or  en  réunifTant  en  une  feule 
ei\)hc€  ces  trois  variétés,  le  griffon  fera  le  moins  rare  des 
grands  vautours,  6c  celui  par  conféqucnt  qu'Aridote 
aura  principalement  indiqué:  6c  ce  qui  rend  cette 
préfomption  encore  plus  vraifcmblable,  c'efl  que  félon 
Belon ,  ce  grand  vautour  noir  fe  trouve  fréquemment 
en  Egypte  ,  en  Arabie  6c  dans  les  îles  de  l'Archipel; 
6c  que  dcs-lors  il  doit  être  affcz  commun  en  Grèce. 
Quoi  qu'il  en  foit,  il  me  femble  qu'on  peut  réduire 
les  grands  vautours  qui  fe  trouvent  en  Europe  à  quatre 
cfpèces;  favoir,  le  pcrcnoj)tère,  le  griffon,  le  vautour 
proprement  dit,  dont  nous  parlerons  dans  l'article 
fuivant ,  6c  le  vautour  hupé ,  qui  diffèrent  affez  les  uns  deï 
autres  pour  fiirc  des  cfpèces  didinéles  6c  féparées.  ^t^ 
M."  de  l'Académie  des  Sciences,  qui  ont  difféqué 
<}Lt\\x  griffons  femelles,  ont  très -bien  obfervc  que  le 
bec  efl  plus  long  à  proportion  qu'aux  aigles  6c  moins 
recourbé;  qu'il  n'efl  noir  qu'au  commencement  6c  à 
la  pointe,  le  milieu  étant  d'un  gris  bleuâtre;  que  la 
irixandibule  du  bec  fupérieure  a  en  dedans  comme  une 
rainure  de  chaque  côté;  que  ces  rainures  retiennent 
les  bords  tranchans  de  la  mandibule  inférieure  lorfque 
le  bec  efl  fermé;  que  vers  le  bout  du  bec  il  y  a  une 


i5<5       Histoire   Naturelle 

petite  cminence  ronde  aux  côtes  de  laquelle  font  i\cu% 
petits  trous  par  où  les  canaux  lalivaircs  ie  déchargent; 
que  dans  la  hafc  du  bec  font  les  trous  des  narmes, 
iongs  de  fix  lignes  fur  deux  de  large,  en  allant  du  haut 
en  bas,  ce  qui  donne  une  grande  amplitude  aux  parties 
extérieures  de  l'organe  de  l'odorat  dans  cet  oileau; 
que  la  langue  eft  dure  <5c  cartilagineufe ,  faifant  par  le 
bout  comme  un  demi-canal ,  &i  fes  deux  côtes  étant 
relevés  en  haut;  ces  côtés  ayant  un  rebord  encore 
plus  dur  que  le  relie  de  la  langue,  qui  fait  comme  une 
fcie  compofee  de  pointes  tournées  vers  legoficr;  que 
j'œfophage  fe  dilate  vers  le  bas,  <5:  forme  une  groffc 
hoffe  qui  prend  un  peu  au  -  deffous  du  rétrccifTement 
de  l'œfophage  ;  que  cette  boffe  n'eft  différente  du 
jabot  des  poules,  qu'en  ce  qu'elle  eft  parfemée  iVunc. 
grande  quantité  de  vaiflcaux  fort  vifibies,  à  caufc  (|uc 
k  membrane  de  cette  poche  eft  fort  blanche  &i  fort 
tranfparente  (/J;  que  le  gcficr  n'cft  ni  au/îi  dur,  ni 
auffi  épais  qu'il  l'cfl  dans  les  gallinacés,  Si  que  fa 
partie  charnue  n'cd  pas  rouge  comme  aux  géficrs  des 
autres  oifcaux,  mais  blanche  comme  font  les  autres 
ventricules;  que  les  intcftins  &.  les  cœaini  font  petits 

(I)  Noîû.  Il  pnroîtro'rt  pnr  ce  que  cllfcm  icr  M."  de  l'Académie, 
que  \c  griffon  a  le  jabot  proéminent  au  dehors;  cependant  je  me 
iuis.aflWépar  nies  yeux  du  contraire,  il  n'y  a  (|u'un  grand  creux 
à  la  place  du  jabot,  à  rcxiéricur;  nwis  cela  n'empêche  pas  qu'à 
l'intérieur  il  n'y  ait  une  bofie  &  un  grand  élargincmcnt  dans  ccite 
partie  de  rœfophage  qui  fouiève  la  peau  du  creux  &  ic  remplit  lorlque 
laiiimal  cft  bicji  repu. 


DU    Griffon.  157 

comme  dans  les  antres  oifeaiix  de  proie;  qu'enfm 
l'ovaire  cfl  à  l'ordinaire,  <Sc  Voy'ulutlus  un  peu  anfrac- 
tueux  comme  celui  des  poules  ,  <S:  qu'il  ne  forme  pas 
un  conduit  droit  &  égal,  ainfi  qu'il  l'eft  dans  plufjeurs 
autres  oi féaux  (m). 

^\  nous  comparons  ces  obfcrvations  fur  \ts  parties 
intérieures  des  vautours,  avec  celles  que  les  mêmes 
Anatomiftes  de  l'Académie  ont  faites  fur  les  aigles  , 
nous  remarquerons  aifément  que  quoique  les  vautours 
fe  nourriiïent  de  chair  comme  les  aigles,  ils  n'ont  pas 
néanmoins  la  même  conformation  dans  les  parties  qui 
fervent  à  la  digeflion  ,  &.  qu'ils  font  à  cet  égard  beau- 
coup plus  près  des  poules  &.  des  autres  oifeaux  qui  fe 
nourriffent  de  grain,  puifqu'ils  ont  un  jabot  6c  \\\\ 
edomac  (ju'on  peut  regarder,  comme  un  dcmi-gcficr, 
par  fon  épaiffeur  à  la  partie  du  fond  :  en  forte  que  les 
vautours  paroiffent  être  conformés  non-feuicment  pour 
être  carnivores,  mais  granivores  6c  même  omnivores. 

(m)  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hilloirc  des  awiniaux,  j)arùe  lllj 
mtïcle  du  Griffon. 


Viij 


"15 s       Histoire   Naturelle 


LE    VAUTOUR 


o  u 


GRAND    VAUTOU R  (a), 

Vûje^  les  planches  enlumine  es ,  n.    42  j. 

JL  E  ^^autou^,  fimplement  dit,  ou  le  grand  Vautour 
('pi.  v) ,  efî  i'oifeau  que  Belon  a  improprement  appelé  le 
gwid  vautour  cendré (b) ,  Si  que  ia  plupart  des  Naturalises 
après  lui  ,  ont  aulTi  nommé  vautour  cendré  (c) ,  quoiqu'il 
foit  beaucoup  plus  noir  que  cendré:  il  cfl  plus  gros  Se 
plus  grand  que  l'aigle  commun,  mais  un  peu  moindre 
que  le  griffon  ,  duquel  il  n'cft  pas  difficile  de  le  à\Ç- 
tinguer,  1."  par  le  cou  qu'il  a  couvert  d'un  duvet 
beaucoup  plus  long  (5c  plus  fourni,  (Se  qui  eft  de  la 
même  couleur  que  celle  des  plumes  du  dos;  2.?  par 

(a)  Vautour,  en  Arabe,  Racham  ou  Rochcim ;  en  Grec,  Tj-vf/i 
en  Laiin,  Vultur ;  en  Efpngnol,  Buyetrc ;  en  Italien,  Avoliorio ;  en 
Allemand,  Gyr  ou  Geïr\  ou  Gcier;  en  Polonois ,  Sep;  en  Anglois, 
Ccir  ou  Vulture.  —  Le  Vautour.  Brinon,  tome  I ,  page  4  r  .■». 

(b)  Le  grand  Vautour  cendre.  Belon,  I1}JÎ.  nat.  des  Oifiaiix, 
page  8 ^  ,  avec  une  figure. 

(c)  Vultur  cinereus.  Aldrov.  Av'i.  tona.  I,  png.  271  &  23  j, Rav 

Sy}h->pf.  avi.  pag.  9,  n.°  i.  —  Willughby  ,  Ormthoi  pag.  35,  n."  \, 
—  Klein,  Ord.  avL  pag.  44.,  n.°  4.  —  Charleton,  Onomaet.  pna.  64, 
\\°  z.  —  Rzaczynsk) ,  AuÛ.  Hijî.  nat.  Pol.  pag.  430. 


PI  rPa^iSf 


O) 


LE    \Al  TOLK 


Hu')erl  •fcu.lb 


DU    Vautour.  159 

«ne  cTpèce  de  cravate  blanche  qui  part  des  deux  côtés 
de  Ja  tcte,  s'étend  en  deux  brandies  iufqu  au  bas  du 
cou ,  &.  borde  de  chaque  côté  un  afTcz  large  efpace 
d'une  couleur  noire,  (3c  au-deffous  duquel  il  le  trouve 
un  collier  étroit  &:  blanc;  3."*  par  les  pieds  qui  font 
dans  le  vautour  couverts  de  plumes  brunes,  tandis  que 
dans  le  griffon,  les  pieds  font  jaunâtres  ou  blanchâtres; 
6c  enlin  par  les  doigts  qui  font  jaunes,  tandis  que  ceux 
du  griffon  font  bruns  ou  cendrés. 


L  E 

VAUTOUR  A  AIGRETTES  (a). 

V->  E  Vautour  qui  cfl  moins  grand  que  les  trois  pre- 
miers, l'ed  cependant  encore  ?iïïez  pour  être  mis  au 
nombre  des  grands  vautours:  nous  ne  pouvons  en  rien 
dire  de  mieux  que  ce  qu'en  a  dit  Gcfner  (1>J,  qui  de 
tous  les  Naturalises  efl  le  feul  qui  ait  vu  plufieurs  de 
ces  oifeaux.  Le  vautour,  dit- il ,  que  les  Allemands 
appellent  liafaigeier  (  vmiiour  aux  libres  J ,  a  le  bec 
noir  Si  crochu  par  le  bout,  de  vilains  yeux,  le  corps 
grand  6c  fort,  les  ailes  larges,  la  queue  longue  Ôi. 
droite  ;  le  plumage  d'un  roux  noirâtre,  les  pieds  jaunes, 
Lorfqu'ii  efl  en  repos,  à  terre  ou  perché,  \\  redrefle 

(a)  Le  vautour  hupé.   BrifTon ,   Ormth.  tome  I ,  page  ^.(jc, 
(l)  Gcûier.  Avi  pnge  782. 


i6o        Histoire  Natu relle 

les  plumes  de  la  tcte  qui  lui  font  alors  comme  deux 
cornes,  que  l'on  n'aperçoit  plus  quand  il  \'olc.  Il  a  près 
de  fix  pieds  de  vol  ou  d'envergure;  il  marclic  bien  6c 
fait   des  pas  de  quinze  pouces  d'étendue:   il  pourfuit 
\qs  oifeaux  de  toute  efpcce,  <5c   il   en    fait  fa   proie;  ii 
chafTc  auffi  les  lièvres,  les  lapins,  les   jeunes   renards 
Si  les  petits  faons,  &.  n'épargne  pas  même  le  poifTon: 
il  e(t  d'une  telle  férocité  qu'on  ne  peut  l'apprivoifer; 
non-feulement  il  pourfuit  fa  proie  au  vol  en  sYlancant 
du  fommct   d'un  arbre  ou  de  quelque  rocher  élevé, 
mais  encore  à  la  courfe  ;  il  vole  avec  grand  bruit:  il 
niche  dans  les  forets  épaifTes  &  défertes  fur  les  arbres 
les  plus  élevés;   il  mange  la  chair,  les   entrailles  des 
animaux  vivans ,  ôi  même  les  cadavres:   quoique  très- 
vorace,  il  peut  fupporter  l'abflinence  pencLant  quatorze 
jours.    On   prit   deux   de    ces    oifeaux    en   Alface   au 
mois  de  janvier  i  p  3  ,  &  l'année  fuivante  on  en  trouva 
d'autres  dans   un   nid   qui  étoit  conflruit  fur  un  gros 
chêne  très  -  élevé,  à  quelque  diilance  de  la  ville  de 
J\Iifcn. 

Tous  les  grands  vautours  ,  c'efl-à-dire  le  percnoptèrc, 
le  griffon ,  le  vautour  proprement  dit,  6l  le  vautour  à 
aigrettes,  ne  produifcnt  qu'en  petit  nombre  6c  une 
feule  fois  l'année.  Ariflote  dit  qu'ordinairement  ils  ne 
pondent  qu'un  œuf  ou  deux  fc):  ils  font  leurs  nids 

fc)  Rupibus  inaccejjîs  par'it ,  negue  locorum  plur'ium  incola  avis  hcec 
ejl ,  edit  non  plus  quam  unum  aut  duo  cowplut'imum.  Arifl.  ////?.  anim. 
Jib.  IX  ,  cnp.   I  I. 

dans 


DU  Vautour  a  aigrette,      i6i 

dans  des  lieux  fi  hauts  6:  d'un  accès  fi  difficile,  qu'il  eft 
très-rare  d'en  trouver:  ce  n'cflque  dans  les  montagnes 
élevées  Si  défertes  que  l'on  doit  les  chtxchtr  fJJ;  les 
vautours  habitent  ces  lieux  de  préférence  pendant  toute 
Ja  belle  faifon  ,  &  ce  n'eft  que  quand  les  neiges  (Se  les 
glaces  commencent  à  couvrir  ces  fommets  de  mon- 
tagnes qu'on  les  voit  defcendre  dans  les  plaines,  <Sc 
voyager  en  hiver  du  côté  des  pays  chauds  ;  car  il 
paroît  que  les  vautours  craignent  plus  le  froid  que  la 
plupart  des  aigles;  ils  font  moins  communs  dans  le 
nord;  il  fembleroit  même  qu'il  n'y  en  a  point  du  tout 
en  Suède  ,  ni  dans  les  pays  au-delà  ;  puif(jue  M.  Lin- 
nneus,  dans  Ténumération  qu'il  fait  de  tous  les  oifeaux 
de  la  Suède  (c),  ne  fait  aucune  mention  des  vautours: 
cependant  nous  parlerons  dans  l'article  fuivant,  d'un 
vautour  qu'on  nous  a  envoyé  de  Norvège,  mais  cela 

(d)  Nota.  En  général ,  les  vautours  &  les  aigles  qui  habitent  les 
îles  &  les  autres  terres  voifines  de  la  mer ,  ne  bâtilTent  ])as  leurs 
nids  fur  des  arbres ,  mais  contre  des  rochers  efcarpcs  &  dans  des 
lieux  inacccffibles ,  de  forte  qu'on  ne  peut  les  voir  que  de  la  mer 
îorfqu'on  eft  fur  un  vaifTeau.  Voye-^  les  Obfervaùons  de  Belon  ,  depuis 
la  page  i  o  juÇquh  I ^.  —  Dapper  dit  la  même  choie,  &  ajoute  ,  que 
quand  on  veut  prendre  leurs  petits  ou  leurs  œufs  ,  on  attache  une 
longue  corde  à  un  gros  pieu  ,  profondément  enfoncé  ôt  bien  affermi 
en  terre  au  haut  de  la  montagne,  &  qu'un  homiTje  le  laifle  glijTer 
le  long  de  la  corde ,  en  defcendant  julqu'au  nid  de  l'oileau  ,  dans 
une  corbeille  où  il  met  les  petits  &  les  œufs ,  &  qu'enluite  on  le  tire 
en  haut  avec  fa  prile.  Voye-^  DefçriptiQn  des  îles  de  l'Archipd,  par 
jPapper ,  page  Jif.  6  o . 

(e)  Linn.  Fauna  Sueàca ,  pag'  i  6  &  fiq-  vfque  ad  pag.  2  ^, 

Oifciiux ,  Tome  L  »  X 


j6z       Histoire   N atu rel  le 

n'empêche  pas  qu'ils  ne  foient  plus  nombreux  dans 
les  climats  chauds,  en  Éc^^pte  (fjj  en  Aral)ic  , 
dans  les  iks  de  l'Archipel,  &i  dans  plufieurs  autres 
provinces  de  l'Afrique  6v  de  l'Ahe:  on  y  fait  même 
grand  ufage  de  la  peau  des  vautours,  le  cuir  en  eft 
prefque  au/îi  épais  que  celui  d'un  chevreau  ,  il  eft 
recouvert  d'un  duvet  très-fin  ,  très-ferré  <Sc  très-chaud  ;. 
&L  l'on  en  fait  d'excellentes  fourrures  fgj. 

(f)  Etant  en  Egypte  &  es  plaines  de  l'Arabie  dclerte,  avons 
obier vt  que  les  vautours  y  lont  frcqucns  &  grands.  Belon ,  //{/?. 
nat.  des  Otftaux ,  page  8 ^. 

(o)  Les  païuuîs  de  Crète  &  les  autres  qui  habitent  les  montagnes 
de  divers  pays,  en  Egypte  &.  dans  l'Arabie  delerie  ,  s'étudient  de 
prendre  les  vautours  en  diverles  manières  ;  ils  les  ècorchent  &  ven- 
dent \Qii  peaux  aux  pelletiers Leur  peau  ell  quali  aulîl  cpaifîê 

que    celle   d'un    chevreau Les   pelletiers   favent   tirer  les    plus 

grolîes  plumes  de  la  peau  àcs  vautours,  Liiflant  le  duvet  qui  cft  au- 
deflous ,  &  ainfi  la  conroyent  fiilant  pelices  qui  valent  crrand'lomnie 
d'argent  ;  mais  en  France  s'en  fervent  le  plus  à  faire  pièces  à  mettre 

fur  l'eflomac Qui  leroit  au  Caire  &  iroit  voir  les  marchandifes 

qui  font  expofees  en  vente ,  trouveroit  des  vêtemens  de  fine  foie 
fourres  de  peaux  de  vautours ,  tant  de  noirs  que  de  blancs.  IJ.  ib'id. 
pag.  Sj&S^.  — Ilya  une  grande  quantité  de  vautours  dans  l'île  de 
Chypre;  ces  oifeaux  font  de  la  groficur  d'un  cygne,  fort  femblables 
à  l'aigle  en  ce  que  leurs  ailes  &;  leur  dos  iont  couverts  de  mêmes 
plun>es  ;  leur  cou  eft  plein  de  duvet,  doux  comme  la  plus  fine 
fourrure ,  &  toute  leur  peau  en  efl:  fi  couverte  que  les  Infulaires  la 
portent  fur  la  poitrine  &  devant  leur  eflomac  pour  aider  à  la  iS\vf:{- 
tion  :  ces  oifeaux  ont  une  touffe  de  plumes  au-dclTous  du  cou  ;  leurs 

jambes  font  groffes  &  fortes Ils  ne  vivent  que  de  charognes 

&.  ils  s'en  rempliflem  fi  fort  qu'ils  en  dévorent  en  une  fois  auunt 


DU  Vautour  a  aigrette.       163 

An  refle ,  il  me  paroit  que  ie  vautour  noir  que 
Bclon  Jit  être  commun  en  Egypte,  efl  de  la  même 
cfpècc  que  le  vautour  proprement  dit ,  qu'il  appelle 
vautour  cendre ,  Si  qu'on  ne  doit  pas  les  féparer  comme 
l'ont  fait  quelques  Naturalises  f/ij,  puifque  Belon  lui- 
même,  qui  efl  le  feul  qui  les  ait  indiques,  ne  les 
répare  pas,  6.  parle  des  cendrés  6c  des  noirs,  comme 
faiTant  tous  deux  rcfpèce  du  grand  vautour,  ou  vautour 
proprement  dit  ;  en  forte  qu'il  efl  probable  qu'il  en 
exiflc  en  effet  de  noirs ,  tels  que  celui  qui  eft  reprê- 
fentê  dans  les  planches  enluminées,  ?if  ^2j,  6:  d'autres 
qui  font  cendrés,  mais  que  nous  n'avons  pas  vus.  Il  en 
efl  du  vautour  noir  comme  de  l'aigle  noir,  qui  tous 
deux  font  de  l'erpècc  commune  du  vautour  ou  de 
l'aigle.  Ariflote  a  eu  raifon  de  dire  que  le  genre  du 
grand  vautour  ttoit  multiforme,  puifque  ce  genre  eft 
en  effet  compofc  des  trois  efpèces  du  griffon ,  du 
grand  vautour  év  du  vautour  à  aigrette,  fans  y  com- 
prendre le  percnoptère,  qu'Ariflote  avoit  cru  devoir 
féparer  des  vautours  6c  affocier  aux  aigles.  II  n'en  efl 
pas  de  même  du  petit  vautour  dont  nous  allons  parler, 
<S:   qui    ne   me  paroît  faire    qu'une  feule   efpèce    en 

qu'il  leur  en  fiiut  pour   quinze   jours Et  lorfqu'ils  font  ainfi 

rempWs  ils  ne  peuvent  s'elcver  de  terre  facilement;  cefl  alors  qu'on 
les  tire  &  tue  tort  à  l'aile  ;  ils  font  même  alors  quelquefois  11  pelans 
qu'on  les  prend  avec  des  chiens  ou  qu'on  les  tue  à  coups  de  pierre» 
&.  de  hâtons.  Dcfcription  de  l'Archipel ,  par  Dapper ,  page  j  o. 

(h)  Le  Vautour  noir.  '^ï\Rqï\^  tome  J,  page  -f//. 

Xij 


1(54      Histoire   Naturelle 

Europe;  ainfi,  ce  Philoibphe  a  eu  encore  raiibn  de 
dire  que  le  genre  du  grand  vautour  ctoit  plus  multi- 
forme ,  c'e(l-à-dire,  contenoit  plus  d'efpèces  que  celui 
du  petit  vautour. 


L   E 

PETIT  VAUTOUR(a). 

Voje^  les  planches  enluminées ,  n!'  ^4P' 

1  L  nous  rcdc  maintenant  à  parler  des  petits  Vautours  , 
qui  me  paroi (Tent  différer  des  grands  que  nous  venons 
d'indiquer  fous  les  noms  de  percîwptt're ,  griffon,  p'ûiid 
%'iviîour ,  Si  vautour  a  nigretie ,  non  -  feulement  par  ia 
grandeur,  mais  encore  par  d'autres  caractères  parti- 
culiers. Ariflote,  comme  je  l'ai  dit,  n'en  a  fait  qu'une 
cfpèce ,  &L  nos  Nomenclatcurs  en  comptent  trois; 
favoir,  le  vautour  brun,  le  vautour  d'Egypte  6c  le 
vautour  à  tête  Idnncîic.  Ce  dernier  qui  cfl  un  des 
plus  petits  (b) ,  év  dont  nous  donnons  ici  la  rcpréfen- 
tation,  paroit  être  en  clTct  d'une  cfpcce  diticrentc 
des  deux  premiers,  car  il  en  difiêre  en  ce  qu'il  a  le 
bas  des  jambes  &  les  pieds  nus;  tandis  que  les  deux 

(a)  Nota.  Cet  oilcnu  cfl  nomme  au  bas  de  la  pîanchc,  Vautour  de 
J^on'cge ,  parce  qu'il  nous  a  été  envoyé  de  Norvège. 

(b)  Vuttur  kucocephalos.  Schwenckfcld.  Av'i.  Si/.-p^g.  375. — Le 
Vautour  à  tête  blanche.  BrilTon,  Oin'iîhol.  tome  I,  pnge  465. 


DU   PET  IT    Va  UT  OU  R.  1  6  5 

cintres  les  ont  couverts  de  piiimes.  Ce  vautour  à  tête 
blanche,  cfi:  vraifemblablemcnt  le  petit  vautour  hianc 
des  Anciens,  qui  fe  trouve  communément  en  Arabie, 
en  Egypte ,  en  Grèce  ,  en  Allemagne  <Sc  jufqu'en 
Norvège,  d'où  il  nous  a  été  envoyé:  on  peut  remar- 
quer qu'il  a  la  tète  <?c  le  defTous  du  cou  dégarnis  de 
plumes  6;  d'une  couleur  rougeâtre,  6:  qu'il  e(t  blanc 
prefqu'en  entier»  à  l'exception  des  grandes  plumes 
des  ailes  qui  font  noires  fcj:  ces  caradlères  font  plus 
que  fudifans  pour  le  faire  reconnoître. 

Des  autres  cfpèces  de  petits  vautours  indiqués  par* 
M.  BrifTon  ,  fous  les  noms  de  vautour  brun  <Si  de  vauwuf 
d'Egypte ,  il  me  paroit  qu'il  faut  en  retrancher  ou  plu- 
tôt féparcr  le  fécond,  c'eft  à-dire,  le  vautour  d'Egypte; 
qui,  par  la  defcription  que  Belon  feul  en  a  donnée  (d) , 
n'efl  point  un  vautour  ,  mais  un  oifeau  d'un  autre 
genre,  &.  auquel  il  a  cru  devoir  donner  le  nom  de  fucré 
Égypiicn  ;  il  ne  nous  refle  donc  plus  que  le  vauloui' 
Lrun  ,  au  fujet  duquel  je  remarquerai  feulement ,  que 
je  ne  vois  pas  les  raifcns  qui  ont  déterminé  M.  Briffon 
à  rapporter  cet  oifeau  à  WiquUa  hctcropodc  de  Gefner  ; 
il   me  paroit  au  contraire,   qu'au  lieu  de  faire  de  cet 

(c)  Cet  oifeau,  dit  M.  Sch^vcnckfclJ  ,  qui  fe  nomme  en  Silc'de 
Crimmcf ,  a  la  lanouc  allez  large  ,  l'cftomac  épais  &  ridé,  la  véficulc 
du  fiel  grande.  Schwcnckfdd  ,  Avi.  Si/,  pag.  37(5. 

(d)  Sacre  Égyptien.  H'ierax ,  en  Grec;  Acàpher  yEgyptms ,  en 
Latin;  Sacre  d'Egypte,  en  FraiKois.  Belon,  Bijh  nat.  des  Oifcaux, 
nacres  1  i  0  &  i  i  1  * 

A  iij 


i66       Histoire   Naturelle 

aigle  Iictéropode  un  vautour ,  on  clevoit  ie  ru]->])rlmcr 
de  la  iifle  des  oifcaiix;  car  fon  cxiflcnce  n'eil  nuiicmcnt 
pioiivce;  aucun  des  Naturalises  ne  l'a  vu;  Gefner  fe), 
qui  fcul  en  a  p.irlc ,  &i  que  tous  les  autres  n'ont  fait 
que  copier  (f),  n'en  avoit  eu  qu'un  defîin  qu'il  a  fait 
graver  ,  <5c  dont  il  a  rapporté  la  figure  au  genre  des 
aigles  ,  (Se  non  pas  a  celui  des  vautours;  &.  la  dénomi- 
nation (ï aigle  hétéropock  qu'il  lui  donne,  cft  prde  du 
delîln  dans  leqwel  l'une  des  jam{:)es  de  cet  oifeau 
étoit  bleue,  &  l'autre  d'un  brun  blanchâtre;  &.  il 
avoue  qu'il  n'a  pu  rien  apprendre  de  ct^rtain  lur  cette 
efpèce,  <?c  qu'il  n'en  parle  <S^  ne  lui  donne  ce  nom 
à\ùgle  Iictéropode ,  qu'en  fwppofant  la  vérité  de  ce  même 
de/Tm.  Or  \\w  oifeau  dciliné  par  un  homme  inconnu  , 
nommé  d'après  un  defîin  incorrcél,  &  que  la  feule 
différence  de  la  couleur  des  deux  jambes  doit  faire 
regarder  comme  infidèle;  un  oifeau  qui  n'a  jamais  été 
vu  d'aucun  de  ceux  qui  en  ont  voulu  parler,  cft-il  un 
vautour  ou  ww  aigle!  efl-il  même  wn  oifeau  réellement 
exifîant!  il  me  paroit  donc  que  c'eft  très-gratuitement 
que  l'on  a  voulu  y  rapporter  le  vautour  brun. 

Au  refle,  l'oifeau  qui  exidc  réellement,  <S:  qui  ne 
doit  point  être  rjpporté  à  l'aigle  hétéropode  qui 
n'cxifie  pas ,  efl  repréfenté  dans  les  planches  enluminées, 

(i)  Aqu'da  Hcteropode.  Gefner,  Av'i.  pag.  207. 

(f)  Aqv'ih  Hrteropos.  AIdrov.  Avi.  loin.  I,  pacr.  232.  —  Heferopos. 
Gefner.  Charicton,  Exerc.  pag.  71.  — FaUo  capïu  nudo  fufcus.  Linii. 
Syjl,  nat.  tdit.  vi,  g.n.  36,  Ip.  2. 


DU  PETIT  Vautour.  \6y 

11!  ^2-/ ;  6c  comme  il  nous  a  été  envoyé  d'Afri(|iie 
aufTi-bicn  que  cJe  file  de  Malte  (^) ,  nous  le  renvoyons 
à  l'article  luivant,  oii  nous  traiterons  des  oileaux 
étrangers  qui  ont  rapport  aux  vautours. 

(t^)  Le  Vautour  brun.  Briflon,  Om'ithol.  tome  I,  pr.ge  455. 


j*jn"':i.ir'. 


OISEAUX  ETRANGERS 

Qui  ont  rapport  aux  Vautours. 

ï. 

Voyc:i  les  plduchcs  enluminées ,  nf  ^2 y. 


L 


'oiseau  envoyé  d'Afrique  Si  de  i'ile  de  Malte, 
lous  le  nom  de  Vûuiour  hruii ,  dont  nous  avons  parlé 
dans  l'article  précédent ,  qui  c(t  une  efpèce  ou  une 
variété  particulière  dans  le  genre  des  vautours,  6;  qui, 
ne  fe  trouvant  point  en  Europe  ,  doit  être  regardée 
comme  appartenante  au  climat  de  l'Afrique,  &.  fur-tout- 
aux  terres  voifuies  de  la  mer  méditerranée. 

I  I. 

L'oiseau  appelé  par  Belon  ,  \c  facrc  d'Egypte ,  Si  que 
le  docteur  Shaw  indique  lous  le  nom  Achbobba  ;  cet 
oifcau  fe  voit  par  troupes  dans  les  terres  ftériles  Si  fà~ 
blonneufes  qui  avoifinent  les  pyrainides  d'Egypte;  il  fe 
tient  prefque  toujours  à  terre  Si  fe  repait  comme  les 
vautours  de  toute  viande  Si  de  chair  corrompue.  «   \\ 


768        Histoire  Naturelle 

y*  efl   (  Jit  Belon  )   oifeaii    fordide  6:  non  gentil ,  Se 
y  quiconque  feindra  voir  un  oifcau  ,  ayant  la  corpulence 

>  d'un  miian  ,  le  bec  entre  le  corbeau  <S:  i'oifeau  de 

>  proie  ,  croclui  par  le  fin  bout ,  ôi  les  jambes  &.  pieds, 

>  (îv   marclicr  comme  le  corbeau,  aura  l'idc'e  de  cet 

>  oifeau  ,    qui    cfl    fréquent    en    Egypte  ,    mais    rare 

>  ailleurs,    quoiqu'il  y  en  ait  quelques-uns  en  Syrie, 

>  ÔL  que  j'en  aye  (  ajoute -t -il  )  vu  quelqu'uns  dan$ 
la  Caramanie  >>.  Au  refte ,  cet  oifcau  varie  pour  les 
couleurs;  c'efl  à  ce  que  croit  Belon  ,  l'h'icrax  ou  acc'ipher 
yE^'pt'ms  d'Hérodote,  qui  comme  l'ibis,  étoit  en  vé- 
ncrntion  chez  les  anciens  Egyptiens ,  parce  que  tous 
deux  tuent  &.  mangent  les  ferpens  &  autres  bétes  im- 
mondes qui  infedent  l'Egypte  faj.  «  Auprès  du  Caire, 
»  dit  le  dodcur  Shaw,  nous  rencontrâmes  pluficurs 
i^  troupes  d'achbobbas ,  qui ,  comme  nos  corbeaux , 
V  vivent  de  charogne.  .  .  c'eft  peut-être  l'épervier 
»  d'Egypte  ,  dont  Strabon  dit  ,  que  contre  le  naturel 
3>  de  ces  fortes  d'oifeaux,  il  n'efl  pas  fort  fauyage , 
>5  car  l'achbobba  eft  un  oifeau  qui  ne  fait  point  de  mal 
i>  (5:  que  les  Mahometans  regardent  comme  facré  ; 
î)  ctH  pourquoi  le   Bâcha  donne  tous  les  jours  deiix 

(a)  BcIon,  ////?.  nat.  des  Oifeaux,  pag&s  i  i  o  &  i  1 1 ,  avec  fgure, 
^ans  laquelle  on  peut  remarquer  que  le  bec  reflenible  beaucoup  plus 
à  celui  d'un  aigle  ou  d'un  e'pervier  qu'à  celui  d'un  vautour;  mai:i  on 
doit  préfumer  que  cette  partie  efl  mal  reprclentee  dans  la  figure, 
puilque  l'Auteur  dit  dans  fa  defcription ,  que  le  bec  eft  entre  celui 
du  corbeau  &  celui  d'un  oifeau  de  proie,  ^  crochu  par  l'extrémité, 
ce  (jui  exprime  aflez  bien  la  forme  du  bec  d'un  yautoiir. 

5>  bœufs 


DES  Oiseaux  et  rangers.     169 

bœufs  pour  les  nourrir,  ce  qui  paroît  être  un  refle  « 
de  l'ancienne  fuperftition  des  Egyptiens  »  (bj.  C'eft 
de  ce  même  oifeau  dont  parle  Paul  Lucas.  «'  On  ren- 
contre encore  en  Egypte,  dit-il ,  de  ces  éperviers  à  qui  « 
onrendoit,  ainfi  qu'à  l'ibis,  un  autre  culte  religieux;  « 
c'efl  un  oifeau  de  proie  de  la  groffeur  d'un  corbeau,  « 
dont  la  tête  reffemble  à  celle  d'un  vautour  <Sc  les  « 
plumes  à  celles  d'un  faucon  ;  les  prêtres  de  ce  pays  « 
reprcfentoient  de  grands  myflères  fous  le  fymbole  de  « 
cet  oifeau  ;  ils  le  faifoient  graver  fur  leurs  obélifques  « 
&.fur  les  murailles  de  leurs  temples  pour  repréfenter  « 
Je  foleil  ;  la  vivacité  de  fes  yeux  qu'il  tourne  incef-  « 
fament  vers  cet  afire ,  la  rapidité  de  fon  vol  ,  fa  « 
Jongue  vie ,  tout  leur  parut  propre  à  marquer  la  nature  « 
du  foltil ,  <SwC  »  (c).  Au  refle,  cet  oifeau ,  qui,  comme 
l'on  voit,  n'eft  pas  affez  décrit,  pourroit  bien  être  le 
même  que  le  galinache  ou  îiiarchand ,  dont  nous  ferons 

mention  ,  art.  I  V. 

I  I  I. 

Voyei^  les  planches  enluminées,  n^  ^28, 

L'oiseau  (d)  de  l'Amérique  n\éridionale ,  que  les 

(h)  Voyage  de  M.  Shaw.  D.  M.  tome  II,  pages  p  &  $2, 

(c)  Voyage  de   Paul  Lucas,  tome  III,  page  204. 

(d)  Colquauhtli ,  ut  Aiex'icani  vocant  ;  five  aura.  De  Laët ,  H'ijf. 
nov.  orb'is ,  pag.  232. — Cofcaquauhtli.  Reg'ma  aurarum.  Hemandès, 
H'ifi'  Alex.  pag.  3  ip.  — Cofcaquauhtli,  Fernandès,  Hijl.  nov.  Hifp, 
•p.  xo.  —  Reg'ma  aurarum.  Euf.  Nieremberg,  /?.  .2.2-^.  —  Vautour 
.des  Indes.  Albin,  tojne  II,  p.  2 ,  avec  me Jigufe  coloriée ,  planche J Y. 

O  if  eaux,  Tome  I.  ,  Y 


jyo       Histoire  N atu relle 

Européens  qui  habitent  les  Colonies,  ont  appelé  Rei 
des  Vautours  fej,  Sl  qui  cfl  en  effet  le  plus  bel  oifeau 
de  ce  genre  :  c'cfl  d'après  celui  qui  cft  au  cabinet  du 
Roi  que  M.  Briffon  en  a  donné  une  bonne  Si  ample 
defcription.  M.  Edwards,  qui  a  vu  plufieurs  de  ces 
oifeaux  à  Londres,  l'a  au/Ti  très-bien  décrit  Se  defliné: 
nous  réunirons  ici  les  remarques  de  ces  deux  auteurs 
&  de  ceux  qui  les  ont  précédés ,  avec  celles  que  nous 
avons  fciitcs  nous-mcmcs  fur  la  forme  ôi  la  nature  de 
cet  oifeau  ;  c'eft  certninemcni  un  vautour ,  car  il  a  la 
tcte  Si  le  cou  dénué  de  plumes,  ce  qui  efl  le  caradère 
le  plus  diftinctif  de  ce  genre;  mais  il  n'eft  pas  des 
plus  grands ,  n'ayant  que  deux  pieds  deux  ou  trois 
pouces  de  longueur  de  corps ,  depuis  le  bout  du  bec 
jufqu'à  celui  des  pieds  ou  de  la  queue  ;  n'étant  pas 
plus  gros  qu'un  dindon  femelle  ,  &  n'ayant  pas  les 
ailes  à  proportion  fi  grandes  que  les  autres  vautours , 
quoiqu'elles  s'étendent,  lorfqu'clles  fontpliées,  jufqu'à 
j'extrémité  de  la  queue,  qui  n'a  pas  huit  pouces  de 
longueur;  le  bec  qui  eft  affez  fort  Si  épais,  efl  d'abord 
droit  6s:  direél  Si  ne  devient  crochu  qu'au  bout  ;  dans 
quelques-uns  il  efl  entièrement  rouge.  Si  dans  d'autres 
il  ne  l'efl  qu'à  fon  extrémité,  Si  noir  dans  fon  milieu; 
la  bafe  du  bec  efl  environnée  6c  couverte  d'une  peau 

ffj  Roi  des  Vautours.  Edwards,  Hift.des  Oifeaux ,  tome  I,  page  2, 
nvec  une  bonne  figure  bien  enluminée,  planche  ii.  — Le  Roi  des 
A^iutours.  Briflon,  Orniîhol,  tome  I,  page  470,  avec  une  bonne 
Égurc ,  planche  XXXyi, 


DES  Oiseaux  étrangers.     171 

de  couleur  orangée,  large,  &.  s'élevant  de  chaque  côté 
jufqu'aii  haut  de  la  tête.  Se  c'eft  dans  cette  peau  que 
font  placées  les  narines,  de  forme  oblongue,  <Sc  entre 
lefquelles  cette  peau  s'élève  comme  une  crête  dentelée 
Se  mobile,  Si.  qui  tombe  indifféremment  d'un  côté  ou 
de  l'autre,  félon  le  mouvement  de  tête  que  fait  Foi feau  ; 
les  yeux  font  entourés  d'une  peau  rouge  écarlate,  6c 
l'iris  a  la  couleur  6c  l'éclat  des  perles;  la  tête  Si  le  cou 
font  dénués  de  plumes  6c  couverts  d'une  peau  de  couleur 
de  chair  fur  le  haut  de  la  tête ,  6c  d'un  rouge  plus  vif 
fur  le  derrière  6c  plus  terne  fur  le  devant;  au-deffous 
du  derrière  de  la  tête  s'élève  une  petite  touffe  de  duvet 
noir ,  de  laquelle  fort  6c  s'étend  de  chaque  côté  fous 
la  gorge,  une  peau  ridée,  de  couleur  brunâtre,  mêlée 
de  bleu  6c  de  rouge  dans  fa  partie  poflérieure:  cette 
peau  eft  rayée  de  petites  lignes  de  duvet  noir  ;  les 
ioues  ou  côtés  de  ia  tête  font  couvertes  d'un  duvet 
noir,  6c  entre  le  bec  6c  les  yeux,  derrière  les  coins  du 
bec  ,  il  y  a  de  chaque  -côté  une  tache  d'un  pourpre 
brun  ;  à  la  partie  fupérieiire  du  haut  du  cou  il  y  a  de 
chaque  côté  une  petite  ligne  longitudinale  de  duvet 
noir  ,  6c  l'efpace  contenu  entre  ces  deux  lignes  efl 
d'un  jaune  terne  ;  les  côtés  du  haut  du  cou  font  d'une 
couleur  rouge  ,  qui  fe  change  en  defcendant  par  nuances 
en  jaune;  au-deffous  de  la  partie  nue  du  cou  efl  une 
efpèce  de  collier  ou  de  fraife,  formée  par  des  plume* 
douces ,  affez  longues,  6c  d'un  cendré  foncé;  ce  collier 
qui  entoure  le  cou  entier  ôl  defcend  fur  la  poitrine,  efl 

Yii 


172       Histoire   Natv relle 

afTez  ample  pour  que  Toifeau  puiiTc,  en  fe  relFerrant ,  y 
cacher  fon  cou  6c  partie  de  fa  tête ,  comme  dans  un 
capuchon  ,  6:  c'eft  ce  qui  a  fait  donner  à  cet  oifeau 
Je  nom  de  moine  (f)  par  quelques  Naturalises;  les 
plumes  de  ia  poitrine,  du  ventre,  des  cuifTcs  ,  des 
jambes,  6:  celles  du  deffous  de  la  queue  font  blanches 
<&:  teintes  d'un  peu  d'aurore;  celles  du  croupion  &  du 
delTus  de  ia  queue  varient,  étant  noires  dans  quelques 
individus  6c  blanches  dans  d'autres;  les  autres  plumes 
de  ia  queue  font  toujours  noires,  auffi-bien  que  les 
grandes  plumes  des  ailes,  Icfquelles  font  ordinairement 
bordées  de  gris;  la  couleur  des  pieds  6c  des  ongles 
n'efl  pas  la  même  dans  tous  ces  oifeaux  ,  les  uns  ont 
les  pieds  d'un  blanc  fale  ou  jaunâtre  6c  les  ongles 
noirâtres  ;  d'autres  ont  les  pieds  (^  les  ongles  rougeâtres , 
les  ongles  font  fort  courts  6c  peu  croclius. 

Cet  oifeau  efl  de  l'Amérique  méridionale  6c  non 
pas  des  Indes  orientales  ,  comme  quelques  auteurs  l'ont 
écrit  (g)  ;  celui  que  nous  avons  au  cabinet  du  Koi 
a  été  envoyé  de  Cayenne  :  Navarette  en  parlant  de  cet 

(f)  Vultur  monachuî,  Aionck.  Re\-  Waru-arum,  Avem  Mork-^burgi 
v'idï  cujus  JJgura  in  aviario  pido  Bareilhano.  Calvitium  ejuaji  rafum  Itabet. 
Collum  nuJum  in  vaginâ  cutaneâ ,  plumis  cinereis  lanaùs  fimbriatâ  recon- 
dere  pouji.   Klein,  Ordo  Avi.  png.  46. 

^gj  Albin  dit  que  celui  qu'il  a  deffiné  e'toit  venu  des  Indes 
orientales  par  un  vaifleau  Hollandois  appelé  le  Pallawpank,  pari.  111, 
pûge  2,  n*  ^.  M.  Edwards  dit  aulTi  que  les  gens  qui  montroient  ces 
oileaux  à  ia  foire  de  Londres  ,  alluroient  qu'ils  venoient  des  Indes 
orientales;  mais  que  nt^aiimoiiis  H  croit  qu'ils  font  de  l'Anicriquc. 


Z)£S  Oiseaux  étrangers.      173 

oifcau  dit  f/ij  «  j'ai  vu  à  Acapuico  le  roi  des  lopHotes 
ou  vautours  ;  c*efl  un  des  plus  beaux  oifeaux  qu'on  « 
puiiïevoir,  6cc.  »  Le  fieur  Perry ,  qui  fait  à  Londres 
commerce  d'animaux  étrangers,  a  afluré  à  M.  Edwards , 
que  cet  oifeau  vient  uniquement  de  l'Amérique  : 
Hernandès  ,  dans  fon  Hijloire  de  la  nouvelle  Efpagne ,  (e 
décrit  de  manière  à  ne  pouvoir  s'y  méprendre  :  Fer- 
nandès ,  Nieremberg  &  de  Laët  f  i  J  qui  tous  ont 
copié  la  defcription  de  Hernandès  ,  s'accordent  à  dire, 
que  cet  oifeau  efl  commun  dans  les  terres  du  Mexique 
ôi  de  la  nouvelle  Efpagne;  <Sc  comme  dans  le  dé- 
pouillement que  j'ai  fait  des  ouvrages  des  voyageurs, 
je  n'ai  pas  trouvé  la   plus   légère    indication   de   cet 

(h)  Voyez  le  Recueil  des  Voyages,  par  PurchafT,  page  7^ j. 

(i)  II  y  a  dans  la  nouvelle  Espagne  une  incroyable  abondance 
&  variété  de  beaux  oifeaux ,  entre  lefquels  on  eflime  exceller  le 
Cofquauhdi  ou  Aura ,  comme  les  Mexicains  le  nomment ,  de  k 
grandeur  d'une  poule  d'Egypte,  qui  a  les  plumes  noires  par-tout  le 
corps,  excepté  au  cou  &  autour  de  la  poitrine  où  elles  font  d'un 
noir  rouCTiiîant;  les  ailes  font  noires  &  mêlées  de  couleur  cendrée, 
pourpre  &  fauve  au  reftc  ;  les  ongles  font  recourbés  ;  le  bec  fem- 
blable  au  papagais ,  rouge  au  bout  ;  les  trous  des  narines  ouverts  ; 
ies  yeux  noirs,  les  prunelles  fuives;  les  paupières  de  couleur  roucre,(5i 
le  front  d'un  rouge  de  fang  &  rempli  de  plufieurs  rides ,  lefcjuelles  il 
fronce  &  ouvre  à  la  façon  des  coqs  d'inde ,  où  il  y  a  c[uelque  peu  de  poil 
crépu  comme  celui  des  Nègres;  la  queue  eft  femblabie  à  celle  d'un 

aigle,  noire  dcfTus  «Se  cendrée  dcflous Il  y  a  un  autre  oileaude 

même  elpèce,  c[ue  les  Mexicains  nomment  T^opilotl.De  Laët  ,  HiJÎ. 
du  nouveau  AI  on  de ,  liv.  V,  chap.  i  v,  p.  i  43  &  i  44..  Nota.  Ce  fécond 
oifeau,  appelé  T^opi lot/  pîir  [es  Mexicains,  eft  un  vautour;  car  celui 
qu'on  appelle  roi  des  Vautours  a  été  aufli  nommé  roi  des  ZopUotles. 

Yiij 


174-       Histoire  Naturelle 

oifeau  dans  ceux  de  l'Afrique  &  de  l'Afie,  je  penfe 
(ju'on  peut  adurer  qu'il  eft  propre  &  particulier  aux 
terres  méridionales  du  nouveau  continent,  <Sc  qu'il  ne 
le  trou'.e  pas  dans  l'ancien;  on  pourroit  m'objedler, 
que  puifque  l'ouroutaran  ou  aigle  du  Brefil  fe  trouve 
Je  mon  aveu  ,  également  en  Afrique  &  en  Amérique, 
je  ne  dois  pas  afTurer  que  le  roi  des  vautours  tie  s'y 
trouve  pas  auiïi  ;  la  diflance  entre  les  deux  continens 
efl  égale  pour  ces  deux  oifeaux  ,  mais  probablement 
la  puifTancc  du  vol  eft  inégale  (fi) ,  <Sc  \cs  aigles  en 
général  volent  beaucoup  mieux  que  les  vautours  ; 
quoi  qu'il  en  foit,  il  paroît  que  celui-ci  efl  confiné  dans 
Jes  terres  où  il  eft  né,  &  qui  s'étendent  du  Brcfil  à  Ja 
nouvelle  Efpagne,  car  on  ne  le  trouve  plus  dans  les 
•pays  moins  chauds  ,  il  craint  le  froid;  ainfi  ne  pouvant 
traverfer  la  mer  au  vol  entre  le  Brefil  &  la  Guinée,  <5c 
ne  pouvant  paffcr  par  les  terres  du  nord,  cette  cfpèce 
efl  demeurée  en  propre  nu  nouveau  monde  (5:  doit 
être  ajoutée  à  la  lifte  de  celles  qui  n'appartiennent 
point  à  l'ancien  continent. 

Au  refte,  ce  bel  oifeau  n'eft  ni  propre,  ni  noble, 
ni   généreux;    il   n'attaque    que   les  animaux    les  plus 

(k)  Hernandès  dit  néanmoins  que  cet  oifeau  s'élève  fort  haut,  en 
tenant  les  ailes  très-étendues ,  &  que  fon  vol  cfl  fi  ferme  (ju'il  réfifte 
aux  plus  grands  vents.  On  pourroit  croire  que  Nieremberg  l'a  appelé 
regina  aurariim ,  parce  qu'il  furmonte  la  force  du  vent  par  celle  de  foii 
vol;  mais  ce  nom  aura  n'efl  pas  dérivé  du  Latin,  il  vient  par  coa- 
.tradion  6'ouroua  qui  eft  le  nom  Indien  d'un  autre  vautour  dont  nous 
parlerons  d^ns  l'ui  licle  .iuivant. 


PI  n  /"..v  /  -V 


Jfve  àtim. 


\.Y.   ROI    DKS  VAUTOIKS 


Hubert  JcuZp 


DES   Oiseaux   étrangers,      175 

foibles,  6c  ne  fe  nourrit  que  de  rats,  de  lézards,  de 
fcrpens  &:  même  des  excrémens  des  animaux  &  àts 
hommes;  auiïi  a-t-il  une  très  -  mauvaife  odeur,  <5c  les 
Sauvages  même  ne  peuvent  manger  de  fa  chair. 

I  V. 

X^oye^  les  planches  enluminées ,  7/."  1  S  y  (l). 

L'oiseau  appelé  oiiroua  ou  aura  (m) ,  par  les  Indiens 
de  Cayennc,  urubu  (n)  (  ouroubou  )  par  ceux  du  Brefil , 

(l)  Nota.  Cet  oifeau  eft  nommé  au  bas  de  la  planche,  Vautour  du 
Brefil ,  parce  qu'il  nous  a  été  envoyé  de  cette  contrée. 

/m)  Cet  oifeau  a  été  nommé  urubu  (  ouroubou  )   par  les  Indiens 
du  Brefil.  Urubu  Brafilknfibus.  Marcgrav.  Hijl.  nat.  Brafil.  pag.  208'. 
, —  Ouroua,  par  les  Indiens  de  Cayenne.  Meleagr'is  Guianenfis  torqua'- 
ius;   duplki   ingluvie  foras   propendente.    Ouroua.    Barrère ,    OmithcL 
pag.  ^6.  Corvus  calvus ,   torquatus  duplki  ingluvk  foras  propendente. 
Cormoran  des  Amazones.  Barrère,    Hifl.  de  la  France  Equinoxiale , 
page  i2().  —  Aura;  gallinaça  aut  gallinaço  alïis.  Euf.  Nieremberg, 
page  22^.  — Zopibll  five  aura.  Hernandès,  ;7^^^  /i*  ■' /  Fernandès", 
page  ^7.    — Zamuro ,  Tur  les  côtes  de  l'Amérique  méridionale';   i5c 
Suyuntu  au    Pérou.    Nieremberg,  ibid.  pag.  2.2^.  — Galinache  o« 
Marchand.  Voyage  de  Difmarchcïs ,   tome  III,   page  329.  — Mar- 
chand. H'ifl.  des  Aventurkrs ,  par  Oexmelin ,  tome  II,  page  13.  —  Les 
Anglois  de  la  Jamaïque  l'ont  nommé  Canon  Croxv ,   &   les  Anglois 
ii'Europc  Turkey  Busard.   Bufe  à  figure  de  paon.  Gatelby,  tome  L, 
page  6 ,  avec  une  fgure  coloriée.  Nota.  Turkey  BuTjard,  en  Ano-Jois, 
ne  figniftc  pas   Bufe  à  fgure  de  paon  en  François  ;  c'eft  une-  faute 
«lu  Tradud^enr.  Turkey   Busard  fignifie  dindon  bufe. 

(n)  Nota.  On  a  mis  par  méprife  le  nom  (ïurubu  à  la  planche 
n."  428  du  roi  dt%  vautours;  nwis  c'eft  à  l'oifeau  dont  il  eft  ici 
^ueftion  que  ce  nom  appartient. 


ijd         Histoire  Naturelle 

Zopilon  par  ceux  du  Mexique,  &.  auquel  nos  François 
de  Saint-Domingue  (Se  nos  Voyageurs,  ont  donné  ie 
furnom  de  marchand:  c'eft  encore  une  cfpèce  qu'on 
doit  rapporter  au  genre  des  vautours  (o) ,  parce  qu'il 
efl  du  même  naturel,  &  qu'il  a,  comme  eux,  le  bec 
crochu,  6c  la  tête  &.  ie  cou  dénués  de  plumes;  quoique 
par  d'autres  caractères  il  refTcmble  au  dindon  (p) ,  ce  qui 
lui  a  fait  donner  par  les  Efpagnols  &  les  Portugais,  le 
nom  à.t  gallïnaça  o\\ gallïnaço  :  il  n'cfl  guère  que  de  la 
grandeur  d'une  oiefauvage;  il  paroit  avoir  la  tcte  petite, 
parce  qu'elle  n'efl  couverte,  ainfi  que  le  cou,  que  de  la 
peau  nue,  (Se  femée  feulement  de  quelques  poils  noirs 
afTez  rares;  cette  peau  efl  raboteufe  (Se  variée  de  bleu  ,  de 
blanc  (S:  de  rougeâtre:  \ts  ailes,  lorfqu'elles  fontpliécs, 
s'étendent  au-delà  de  la  queue ,  qui  cependant  efl;  elle- 
même  aiïez  longue:  le  bec  efl  d'un  blanc  jaunâtre  (5c 
n'cfl  crochu  qu'à  l'extrémité  ;  la  peau  nue  qui  en 
recouvre  la  bafe  s'étend  prcAju'au  milieu  du  bec,  (Se 
elle  efl  d'un  jaune  rougeâtre;  l'iris  de  l'œil  cft  orangé, 
<Sc  les  paupières  font  blanciies;  les  plumes  de  tout  le 
corps  font  brunes  ou  noirâtres,  avec  un  reflet  de 
couleur  changeante  de  vert  (Se  de  pourpre  obfcurs; 
Jes  pieds  font  d'une  couleur  livide,  (Se  les  ongles  font 

(o)  Vuhur  pullus,  cap'tte  împlumi ,  cute  crajfâ  nigofâ,  ultra  operturas 
Vûfales  laxûta ,  teâo.  Browne,  IdiJJ.  nat.  of  Jamdic.  pag.  471.  — Le 
Vautour  du  Brefil.  BriflTon,  OrnithoL  tome  I,  page  4.68, 

(p)  Vultur  gallince  Africance  facie.  Sloane,  Of  Jamdic  pag.  294, 
avec  une  figure, 

noirs  ; 


DES   Oiseaux  et  rangers.      177 

noirs:  cet  oifcau  a  les  narines  encore  plus  longues  à 
proportion  que  les  autres  vautours  f^J ;  ii  eft  auiïi  plus 
Jâche,  plus  fale  ôi  plus  vorace  qu'aucun  d'eux,  fe 
nourrifîiint  plutôt  de  chair  morte  (Se  de  vidanges,  que 
de  chair  vivante;  il  a  néanmoins  le  vol  élevé  <5:  adez 
rapide,  pour  pourfuivre  une  proie  s'il  en  avoit  le  cou- 
rage, mais  il  n'attaque  guère  que  les  cadavres;  <Sc  s'il 
chafTe  quelquefois,  c'eft,  en  fe  réuniffant  en  grandes 
troupes,  pour  tomber  en  grand  nombre  fur  quelque 
animal  endormi  ou  bleffé. 

■  Le  marchand  eft  le  même  oifeau  que  celui  qu'a 
décrit  Kolbe,  fous  le  nom  (ïnigle  du  cap;  il  fe  trouve 
donc  également  dans  le  continent  de  l'Afrique  & 
dans  celui  de  l'Amérique  méridionale,  6:  comme  on 
ne  Je  voit  pas  fréquenter  les  icxrçs  du  Nord,  il  paroit 
qu'il  a  traverfé  la  mer  entre  le  Brcfil  <&:  la  Guinée. 
Hans  Sloane  ,  qui  a  vu  &  obfcrvé  plufieurs  de  ces 
oifeaux  en  Amérique  ,  dit  qu'ils  volent  comme  les 
mhlans,  qu'ils  font  toujours  maigres.  Il  efl  donc  très- 
pofid)le  qu'étant  auffi  légers  de  vol  (Se  de  corps,  ils 
aient  franchi  l'intervalle  de  mer  qui  fépare  les  deux 
continens.  Hernandcs  dit  qu'ils  ne  fe  nourriffcnt  que 
de  cadavres  d'animaux  (Se  même  d'excrémens  humains; 

(q)  Nota.  J'ai  cru  devoir  donner  une  courte  dcfcripiion  de  cet 
oifeau ,  parce  que  j'ai  trouvé  que  celles  des  autres  Auteurs  ne  s'ac- 
cordent pas  parfaitement  avec  ce  que  j'ai  vu;  cependant  comme  il 
n'y  a  cjuc  de  légères  différences ,  il  efl  à  préfumer  que  ce  (ont  des 
variétés  individuelles ,  &  par  confcqucnt  leurs  defcriptions  peuvent 
/être  auffi  bonnes  que  la  mienne. 

P  if  eaux,  Tome  J,  .  Z 


178        Histoire  Natu relle 

qu'ils  fe  rafTcmblent  fur  de  grands  arbres  d'où  ils  def- 
cendent  en  troupes  pour  dévorer  les  charognes;  il 
ajoute  que  leur  chair  a  une  mauvaife  odeur,  plus  forte 
que  celle  de  la  chair  du  corbeau.  Nieremberg  dit  auffi 
qu'ils  volent  très -haut  6c  en  grandes  troupes;  qu'ils 
paffent  la  nuit  fur  des  arbres  ou  des  rochers  très- 
éJevés ,  d'où  ils  partent  le  matin  pour  venir  autour  des 
iieux  habités;  qu'ils  ont  la  vue  très-perçante^  6(L  qu'ils 
voient  de  haut  <Sc  de  très -loin  les  animaux  morls,  qui^ 
peuvent  leur  fervir  de  pâture;  qu'ils  font  très-fden- 
cieux,  ne  criant,  ni  ne  chantant  jamais,  ôl  qu'on  ne  les 
entend  que  par  un  murmure  peu  fréquent;  qu'ils  font 
très-communs  dans  les  terres  de  rAméxique  méri- 
dionale »  &.  que  kurs  petits  font  blancs  dans  le  premier 
âge,  <Sc  deviennent  enfuite  bruns  ou  noirâtres  en  gran- 
diffant.  Marcgrave,  dans  la  dcfcription  qu'd  donne  de 
cet  oifeau ,  dit  qu'il  a  les  pied^  blanchâtre»,  les  yeux 
beaux  &,.  pourainfi  dire»  couleur  de  rubis;  la  langue  en 
gouttière  <St  erv  fcie  fur  les  côtés.  Ximenés  adure  que 
ces  oifcaux  ne  volent  jamais  qu'en;  grandes  troupes  6t 
toujours. très-haut;  qu'ils  tombent  tous  enfemble  fur  la 
méîne  proie ,  qu'ils;  dévorent  jufqu'aux  os  ôl  fans 
aucun  débat  entr 'eux,  Se  qu'ils  fe  rempii/Tent  au.  point 
de  ne  pouvoir  reprendre  leur  vol:  ce  font  de  ces 
mêmes  oiféaux  dont  Acofta  fait  mention  fous  f© 
nom  éu£  poullû^s  (rj^,  «  qui  font,  dit-il,  d'une  admirable 

(r)  HiAoIrc  <l€S  Indes,  par  Jofeph, Acûfla >,/?^^  i-^i- 


DES  Oiseaux  étrangers,      179 

légèreté,  ont  la  vue  très -perçante,  &  qui  font  fort  « 

propres  pour  nétoyer  les  crtés ,  d'autant  qu'ils  n'y  « 

laifTent  aucunes  charognes  ni  chofes  mortes;  ilspafTent  « 

la  nuit  fur  les  arbres  ou  fur  les  rochers,  <Sc  au  matin  « 

viennent  aux  cités ,  fe  mettent  fur  le  fommet  des  plus  « 

hauts  édifices ,  d'où  ils  épient  6c  attendent  leur  prife  ;  « 

leurs  petits  ont  le  plumage  blanc,  qui  change  enfuite  <<: 
en  noir  avec  l'âge  »>.  «Je  crois,  dit  Defmarchais,  que 

ces  oifeaux  ap-pdés  gû//inûc/ies  par  les  Portugais,  &  « 

marchands  par   les   François  de   Saint  -  Domingue  ,  te 

font  une  efpèce  de  coq-d'inde  (f) ,  qui  au  lieu  de  « 

vivre  de  grains,   de  fruits  6c  d'herbes  comme  les  k 

autres ,  fe  font  accoutumés  à  être  nourris  de  corps  «« 

morts  6c  de  charognes;  ils  fuivent  les  chafFeurs,  fur-  « 

tout  ceux  qui  ne  vont  à  la  chaffe  que  pour  la  peau  « 

des  bétes  ;    ces  gens  abandonnent  les  chairs ,  qui  « 

pourriroient  fur  les  lieux  6c  ir^fedleroient  l'air  fans  le  « 

fecours   de  ces  oifeaux ,    qui  ne  voient  pas  plutôt  « 

im   corps  écorché  ,    qu'ils  s'appellent  les   uns   les  « 

autres,  6c  fondent  deiïiis  comme  des  vautours  ,  6c  « 

en  moins   de  rien  en  dévorent  la  chair  6c  laifTent  « 

les  os  auflj  nets  que  s'ils  avoient  été  raclés  avec  un  « 

couteau.  Les    Efpagnols  des  grandes  îles  6c  de  la  « 

terre-ferme  ,  auiïi-bien  que  les  Portugais,  habitans  ^ 

/f)  J^ofta.  Que  qiroique  cet  oifcaa  reflcmble  au  coq-d'inde  par  fa 
lêtc ,  le  cou  &  la  grandeur  du  corps ,  il  n'eft  pas  de  ce  genre  ;  mais 
de  celui  du  vautour  dont  il  a  non-feulement  le  naturel  &  les  mœurs, 
mais  encore  le  bec  crochu  &  les  ferres. 

Zij 


i8o        Histoire  N aturelle 

»  des  lieux  ou  l'on  fait  des  cuirs,   ont  un  foin  tout 

»  particulier  de  ces  oifeaux,  à  caufe  du  fervice  cju'ils 

j)  leur  rendent  ,  en  dévorant  les  corps  morts  ôi  em- 

)>  péchant  ainli   qu'ils  ne  corrompent  l'air;   ils  con- 

«  damnent  à  une  amende  les  cliafTcurs  qui  tombeat 

>î  dans  cette  méprife  ;  cette  proteéiion  a  extrêmement 

5>  multiplié  cette   vilaine  efpèce  de  coq-d'inde  ;   on 

»  en  trouve  en  bien  ('es  endroits  de  la  Guianc,  aulTi- 

3>  bien  que  du  Brefd  ,  de  la  nouvelle  Efpagne  6c  des 

j)  grandes  îles;  ils  ont  une  odeur  de  charogne  que  rien 

>>  ne  peut  uter  ;  on  a  beau  leur  arracher  le  croupion 

î>  dès  qu'on  les  a  tués,  leur  ôter  les  entrailles,  tous 

>i  ces  foins  font  inutiles;  leur   chair  dure,   coriace, 

»  filaffcufe,    a    contracté   une   mauvaife  odeur   infup- 
portable  ». 

<c  Ces  oifeaux  (dit  Kolbe)  fe  nourriiïcnt  d'animaux 
morts;  j'ai  moi-même  vu  pluficursfois  des  fquelettcs 
de  vaches  ,  de  bœufs  év   d'animaux  fauvagts  qu'ils 

5>  avoient  dévorés  ;  j'appelle  ces  reftes  des  fquelettcs,  <Sc 

5>  ce  n'eft  pas  fans  fondement,   puifque   ces  oifeaux 

»  féparent  avec  tant  d'art  les  chairs  d'avec  les  os  <Sc 

5^  la  peau,    que  ce  qui  refle  c/t  un   fquelettc  parfait, 

»  couvert  encore  de  la  peau,  fans  qu'il  y  ait  rien  de 

3'  dérangé  ;  on   ne  fauroit  même  s'apercevoir  que  ce 

»  cadavre  efl  vide   que  lorf(|u'on    en   tft  tout   près: 

»  pr-ur  cela,  voici  comme  ils  s'y  prennent;  d'abord 

»  ils  font  une  ouverture  au  ventre  de  l'animal,  d'où 

33  ils  arrachent  les  entrailles,  qu'ils  mangent,  &  entrant 


>■> 


îj 


ce 


te 


DES  Oiseaux  étrangers.      i8i 

dans  le  vide  qu'ils  viennent  de  faire  ils  Tcparent  les  « 

chairs  ;  les   Hollandois  du  Cap  appellent  ces  aigles  « 

Jfrout-vogels  ou  JIroîit-/agers  (t)  ,    c'efl-à-dire  ,  oi féaux  « 
{le  fiente,  ou    qui    vont  à  la  chaflTe  de  la  fiente;   il 
arrive  fouvent  qu'un  bœuf  qu'on  laiiïe  retourner  feul 

à  fon    étahie  ,    aprcs   l'avoir   ôté  de  la  charue ,   fe  « 

couche  fur  le  chemin  pour  fe  repofer;  Çi  ces  aigles  *c 

l'aperçoivent  elles  tombent  immanquablement  fur  lui  « 

&.  le  dévorent  ;  lorfqu'clles  veulent  attaquer  une  vache  <e 

ou  un  bœuf,  elles  fe  raffemblent  <Sc  viennent  fondre  « 

defTus   au    nombre   de   cent  &    quelquefois   même  « 

davantage  ;    elles    ont    i'œil    fi    excellent    qu'elles  « 

découvrent  leur    proie  à  une  extrême  hauteur,  ôc  « 

dans  le  temps  qu'elles-mêmes  échappent  à  la  vue  la  « 

plus  perçante,  <&.  auffitôt  qu'elles  voient  le  moment  « 

favorable  elles  tombent  perpendiculairement  fur  l'a-  « 

nimal  qu'elles  guettent;  ces  aigles  font  un  peu  plus  « 

grofî'es  que  les  oies  fauvages  ,  leurs  plumes  font  en  ^^ 

partie  noires,  &.  en  partie  d'un  gris  clair,  mais  la  « 

partie  noire  eft  la  plus  grande;  elles  ont  le  bec  gros,  « 

crochu  (Se   fort  pointu;  leurs  ferres  font  groiïes   cSc  « 
aiguiis  ('uj  ». 

ï>   Cet  oifeau   (  dit  Catefby  )   pèfe  quatre  livres  <Sc 

/ij  Cette  efpèce  d'aigle  efl  appelée  turkey  bu-^ard,  dindon  bnfe ,  par 
Catefby.  Hijl.  Nat.  Carol.  Tab.  vi  ;  &  par  Hans  Sloane,  HiJI.  nat. 
Jamdic.  Ù'c.  Note  de  l'Editeur  de  Kolbe. 

(u)  Defcription  du  cap  de  Bomic-elpérance,  par  Kolbe;  tome  111  ^ 
pages  J  j  S  &  J } $' 

Z  'n\ 


i82       Histoire  Naturelle 

>»»  demie,  il  a  la  tcte  6c  une  partie  du  cou  rouge,  chainrc 
*>  ôi  charnu  comme  celui  d'un  dindon  ,  clairement 
♦>  femés  de  poils  noirs;  le  bec  de  dtwi^  pouces  &  demi 
*>  de  long,  moitié  couvert  de  cliair  ,  6c  dont  le  bout 
»  qui  eft  blanc  eft  crochu  comme  celui  d'un  faucon; 
*>  mais  il  n'a  point  de  crochets  aux  côtes  de  la  man- 
-»  dibule  fupcrieure  ;  les  narines  font  très -grandes  & 
*>  très  -  ouvertes  ,  placées  en  avant  à  une  diftance 
»)  extraordinaire  des  yeux  ;  les  plumes  de  tout  le  corps 
i>  ont  un  mélange  de  pourpre  foncé  6c  de  vert;  fes 
«  jambes  font  courtes  6c  de  couleur  de  chair ,  fes 
»  doigts  longs  comme  ceux  des  coqs  domefliques, 
«  6c  fes  ongles  qui  font  noirs  ne  font  pas  fi  crochus 
♦>  que  ceux  des  faucons  :  ils  fe  nourrifTent  de  charognes 
»  6c  volent  /ans  cefTe  pour  tâcher  d'en  découvrir;  ils 
♦>  fe  tiennent  long-temps  fur  l'aile  6c  montent  6c 
»5  defcendent  d'un  vol  aifé,  fans  qu'on  puiiïe  s'aper- 
«  cevoir  du  mouvement  de  leurs  ailes;  une  charogne 
»>  attire  un  grand  nombre  de  ces  oifeaux  ,  6c  il  y  a  du 
«  plaifir  à  être  préfent  aux  difputes  qu'ils  ont  entr'cux 
en  mangeant  (xj:  un  aigle  préfide  fouventau  feftin  & 
les  fait  tenir  à  l'écart  pendant  qu'il  fe  repait  ;  ces 
»  oifeaux  ont  un  odorat  merveilleux  ;  il  n'y  a  pas 
»  plutôt  une  charogne,  qu'on  les  voit  venir  de  toutes 
»  parts  en  tournant  toujours ,  6c  defcendant  peu  à  peu 

( x)  Nota.  Ce  fait  eft  contraire  à  ce  que  difcnt  Nicreniberg, 
Marc  grave  &  Defraarchais ,  du  IHcnce  &  de  îa  concorde  de  tes 
oifeaux  en  mangeant. 


î> 


i> 


DES  Oiseaux  étran c ers.     183 

jufqu'à  ce  qu'ils  tombent  fur  leur  proie  ;   on  croit  « 

généralement  qu'ils  ne  mangent  rien  qui   ait  vie  ,  « 

mais  je  fais  qu'il  y  en  a  qui  ont  tué  des  agneaux,  « 

&   que  les  ferpens  font   leur  nourriture  ordinaire.  « 

La  coutume  de  ces  oifeaux  efl  de  fe  jucher  pluiieurs  « 

enfemble  fur  des  vieux  pins  &:  des  cyprès  ,  où  ils  « 

refient  le  matin  pendant  piufieurs  heures,  les  ailes  «. 

déployées  (yj  :  ils   ne   craignent   guère  le  danger  « 

6i  fe  laiffent  approcher  de  près ,  fur-tout  lorfqu'ils  « 


mangent  >». 


Nous  avons  cru  devoir  rapporter  au  long  tout  ce 
que  l'on  fait  d'hiflorique  au  fujet  de  cet  oifeau,  parce 
que  cqH  fouvent  des  pays  étrangers  ,  &.  fur-tout  des 
déferts ,  q,u'il  faut  tirer  les  mœurs  de  la  Nature;  nos 
animaux  ,  6l  même  nos  oifeaux  ,  continuellement 
fugitifs  devant  nous  ^  n'ont  pu  conferver  leurs  véritables 
habitudes  naturelles,  6^:  c'efl  dans  celles  de  ce  vautour 
des  déferts  de  l'Amérique,  que  nous  devons  voir  ce 
que  feraient  celles  de  nos  vautours,  s'ils  n'étoient  pas 
fans  ceffe  inquiétés  dans  nos  contrées ,.  trop  habitées 
pour  les  laifler  fe  rafîembler,  fè  multiplier  &  fe  nourrir- 
en  fi  grand  nombre;  ce  font-la  leurs  mœurs  primi- 
tives; par  -  tout  ils  font  voraces,  lâches,  dégoùtans, 
odieux,  <Sfl  comme  les  loups,  aufii  nuifibles  pendant 
leur  vie  ,  qu'inutiles  après  leur  mort. 

^)  Nûia,  Pa*  cette  habitude  des  ailes  déployées,  il  paroîi  encore 
qfie;  cci  oifeaux  Tant  du  genre  des  vautours ,  qui-  tous  licsuiem  Icurs- 
ailc6  étendues  lorfqu'ils  tâut  pofes. 


184.         Histoire  Naturelle 

V. 

LE     C  0  N  D  0  R  (i). 

Si  la  faculté  de  voler  eft  un  attribut  efTcnliel  àroifcau, 
le  Condor  doit  être  regardé  comme  le  plus  grand  de 
tous;  l'autruche,  le  cafoar,  le  dronte,  dont  les  ailes 
6c  les  plumes  ne  font  pas  conformées  pour  le  vol,  <?c 
qui  par  cette  raifon  ne  peuvent  quitter  la  terre,  ne 
doivent  pas  lui  être  comparés;  ce  font,  pour  ainfi  dire, 
des  oifeaux  imparfaits,  desefpèces  d'animaux  terrcflrcs, 
bipèdes  ,  qui  font  une  nuance  mitoyenne  entre  les 
oifeaux  <S:  les  quadrupèdes  dans  un  fens,  tandis  que 
les  rouffettes  ,  les  rougettes  ôl  les  chauve  -  fouris  font 
une  femblable  nuance  ,  mais  en  fens  contraire,  entre  les 
quadrupèdes  &  les  oifeaux.  Le  condor  pofsède  même 
à  un  plus  haut  degré  que  l'aigle  toutes  les  qualités, 

fl)  Le  Condor.  Cuntur,  au  Pérou  &  au  Chili.  Ouyrad-Ovaffbu, 
(  Ouyra-ouafîûu  ),  chez  les  peuples  du  Maragnon  ,  ce  qui  fignifiç 
grand  Ouara  ou  grand  Aura ,  grand  oileau  de  proie  ;  car  de  Lcry 
obfervc  que  le  mot  Ouara,  Ouyra ,  Aura,  chez  les  Topinamhoux, 
cft  un  nom  géne'rique  pour  tous  les  oileaux  de  proie.  —  Cuntur , 
par  les  Péruviens;  Condor,  par  les  Efpagnols;  HiJIoire  du  nouveau 
Aionde ,  par  de  Lait,  page  3 ]  Q.  — Ouyrad-Ouajfou;  idem,  page ^ ^  j . 

—  Oileau  de  proie  nommé  Condor.  Journal  des  Voyages  du  P.  Feuillée , 
page  6^0.  —  Condor.  Fréficr,  Voyage  de  la  mer  du  Sud,  page  i  i  i . 

—  La  CoixJamine ,  Voyage  de  la  rivière  des  Amazones,  page  ///. 

—  Oileau   d'une   grandeur   prodigieu(e,   appelé   Contour  ou  Condur, 
J'oya^e  de  Dej'marchais ,  tome  111 ,  page  ^20. 

toutes 


DU    Condor,  185 

tontes  les  puifÏÏinces  que  la.  Nature  a  départies  aux 
efpèces  les  plus  parfaites  tle  cexte  cfaffe  d'ctrcs;  il  a 
jufcju'à  dix-huit  pieds  de  vol  ou  d'envergure,  le  corps. 
Je  bec  6c  les  ferres  à  proportion  nulTi  grandes  &  au/Ti 
fortes,  le  courage  égal  à  la  force,  Sic.  Nous  ne  pouvons 
mieux  faire,  pour  donner  une  idée  jufle  de  la  forme  &. 
des  proportions  de  fon  corps ,  que  de  rapporter  ce 
qu'en  dit  le  P.  Feuilléc,  le  feul  de  tous  les  Naturaiiftes 
ôi  Voyageurs  qui  en  ait  donné  une  defcription  détaillée. 
«  Le  condor  cfl  un  oifeau  de  proie  de  la  vallée  d'Ylo 

au  Pérou J'en  découvris  un  qui  étoit  perché  fur 

un  grand  rocher;  je  l'approchai  à  portée  de  ï\\Ç\\  & 
le  tirai  ;  mais  comme  mon  fufd  n'étoit  chargé  que 
de  gros  plomb,  le  coup  ne  put  entièrement  percer 
ja  plume  de  fon  parement;  je  m'aperçus  cependant 
à  fon  vol  qu'il  étoit  blcffé  ,  car  s'étant  levé  fort 
lourdement,  il  eut  afTez  de  peine  à  arriver  fur  un 
autre  grand  roclier  à  cinq  cents  pas  de  jà,  fur  le  bord 
de  la  mer,  c'efl  pourquoi  je  chargeai  de  nouveau 
mon  fufil  d'une  baie  &i  perçai  l'oifcau  au-deiïbus  de 
Ja  gorge  ;  je  m'en  vis  pour  lors  le  maître  6s:  courus 
pour  l'enlever,  cependant  il  difputoit  encore  avec 
la  mort,  <&  s'étant  mis  fur  fon  dos  il  fe  défendoit 
contre  moi  avec  fes  ferres  toutes  ouvertes ,  en  forte 
que  je  nefivois  de  quel  côté  le  faifir;  je  crois  même 
que  s'il  n'eut  pas  été  bleffé  à  mort,  j'aurois  eu  beaucoup 
tle  peine  à  en  venir  à  bout;  enfin  je  le  traînai  du 
haut  du  rocher  en  bas  ,  6c  avec  le  fecours  d'un  c 
Oifcaux ,  Tome  L  .  A  a 


i86         Histoire  Naturelle 

«  matelot  je  le  portai  clans  ma  lente  pour  le  deïïiner 

»  ÔL  mettre  le  de/Tin  en  couleur. 
»       Les  ailes  du  condor ,  que  je  mefurai  fort  exacte- 

•>•>  ment,  avoient  d'une  extrémité  à  l'autre  onze  pieds 

«  quatre  pouces,  ôi  les  grandes  plumes,  qui  étoient 

»  d'un   beau   noir  luifant  ,  avoient  deux   pieds   deux 

»  pouces  de  longueur  ;  la  grofîeur  de  fon  bec  ctoit 

»  proportionnée  à  celle  de  fon  corps  ,   la  longueur 

»  du  bec  étoit  de  trois  pouces  &.  fept  lignes,  fa  partie 

»  fupérieure  étoit  pointue ,  crochue  <Sc  blanche  à  fon 

y>  extrémité,  <5c  tout  le  rcfle  étoit  noir;  un  petit  duvet 

î^  court ,  de  couleur  minime,  couvroit  toute  la  tcte  de 

»  cet  oifcau;  fes  yeux  étoient  noirs  &  entourés  d'un 

"  cercle  brun-rouge  ;  tout  fon  parement ,  <?c  le  deffous 

î»  du  ventre,   jufqu'à  l'extrémité  de  la   queue,   étoit 

"  d'un  brun-clair,  fon  manteau  de  la  même  couleur 

»  étoit  un  peu  plus  obfcur  ;  les  cuifles  étoient  couvertes 

55  jufqu'au  genou  de  plumes  brunes ,   ainfi  que  celles 

?>  du  parement;  le  fémur  avoit  dix  pouces  Si  une  ligne 

"  de  longueur,  <5c  le  tibia  cinq  pouces  &  deux  lignes; 

î>  le  pied  étoit  compofé  de  trois  ferres  antérieures  Si 

»  d'une  poftérieure;  celle-ci  avoit  un  pouce  6c  demi 

»  de  longueur  6c  une  feule   articulation  ,  cette  ferre 

»  étoit  terminée  f>ar  un  ongle  noir  6c  long  de  neuf 

5>  lignes;  la  ferre  antérieure  du  milieu  du  pied,  ou  la 

3^  grande  ferre,  avoit  cinq  pouces  huit  lignes  &  trois 

»  articulations,  6c  l'ongle   qui   la   terminoit  avoit  vm 

^^  pouce  neuf  lignes  6c  étoit  noir  comme   font  les 


DU    Condor.  187 

autres  ;  la  ferre  intérieure  avoit  trois  pouces  deux  « 
lignes  ÔL  deux  articulations ,  &  étoit  terminée  par  « 
un  ongle  de  ia  même  grandeur  que  celui  de  la  « 
grande  ferre  ;  la  ferre  extérieure  avoit  trois  pouces  « 
6i  quatre  articulations,  <Sc  l'ongle  cloit  d'un  pouce;  « 
le  tibia  étoit  couvert  de  petites  écailles  noires,  les  « 
ferres  étoient  de  même,  mais  les  écailles  en  étoient  « 
plus  grandes.  ce 

Ces  animaux  gîtent  ordinairement  fur  les  mon-  «c 
tagnes  où  ils  trouvent  de  quoi  fe  nourrir;  ils  ne  « 
defcendent  fur  le  rivage  que  dans  la  faifon  des  pluies;  « 
fenfibles  au  froid  ,  ils  y  viennent  chercher  la  chaleur.  « 
Au  rede,  quoique  ces  montagnes  foient  fituées  fous  <■<. 
la  Zone  torride ,  le  froid  ne  laiffe  pas  de  s'y  faire  « 
fentir;  elles  font  prefque  toute  l'année  couvertes  « 
de  neiges ,  mais  beaucoup  plus  en  hiver  où  nous  « 
étions  entrés  depuis  le  2  i   de  ce  mois.  « 

Le  peu  de  nourriture  que  ces  animaux  trouvent  « 
fur  le  bord  de  la  mer,  excepté  lorfque  quelques  « 
tempêtes  y  jettent  quelques  gros  poifTons,  les  oblige  ce 
à  n'y  pas  faire  de  longs  féjours  ;  ils  y  viennent  ordi-  « 
nairement  le  foir,  y  pafTent  toute  la  nuit  ôi  s'en  « 
retournent  le  matin   ». 

Fréfier,  dans  fon  voyage  de  la  mer  du  Sud,  parle 
de  cet  oifeau  dans  les  termes  fuivans  :  <«  nous  tuâmes 
un  jour  un  oifeau  de  proie,  appelé  condor ,  qui  avoit  « 
neuf  pieds  de  vol  6c  une  crête  brune  qui  n'efl  « 
point  déchiquetée  comme  celle  du  coq  ;  il  a  le  « 

Aa  ij 


i88         Histoire  Naturelle 

y>  devant  du  gofier  rouge  ,  fans  plumes  ,  comme 
»  le  coq-d'inde;  il  ed  ordinairement  gros  <5c  fort 
»  à  pouvoir  emporter  un  agneau.  Garcilaffo  dit  qu')! 
5'  s'en  eft  trouM^  au  Pérou,  qui  avoicnt  leize  pieds 
d'envergure  ». 

En  cÙct,  il  paroît  que  ces  deux  condors  indiqués 
par  Feiuilce  Si  par  Frcfier ,  étoicnt  des  plus  petits  &  des 
jeunes  de  refpèce;  car  tous  les  autres  Voyageurs  kur 
<Ionnent  plus  de  grandeur  ^aj.  Le  P.  d'Abbeville  Se 
<Ie  Laët,  afllirent  que  le  condor  efl  deux  fois  plus 
grand  que  l'aigle,  Si  qu'il  eft  d'une  telle  force,  qu'î>[ 
ravit  <Sc  dévore  une  brebis  entière,  qu'il  n'épargne 
pas  même  les  cerfs,  Si  qu'il  renverfe  aifément  un 
Jiomme  fSJ.  Il  s'en  efl  vu,  difent  Acofta  fcj  Si  Garci- 
laflo  (dj,  qui  ayant  les  ailes  étendues,  avoient  quinze 

(a)  A  l  oram  f  w-qwî  D.  StronG )  maritiwam  Chilenfem  non  pro- 
tul  a  mochâ  infulâ  alhem  hnnc  ( amiur )  ojjai.lhnui ,  flivo  mnrilimo  exitljo 
prof>e  littus  injîdenttm.  Glande  plumbta  irnje✠ ù'  occifx  fpai'ium  ù* 
magnitu'linem  Jocii  navales  atiomli ,  rnirabantur  :  çui  pe  al>  txtremo  t.d 
exlrcmum  alarum  exter.fmum  cornmenfurata  iretlcàm  pcJts  Uitiiudïue  aqui^k- 
bat.  thfpani  re^'ion'is  ijiius  inrolœ  inierrùgati  <iffirmabni  i  fe  nb  ill.s  v.Jde 
limere  ne  Itbtros  fuos  repèrent  cf  d'ihm'iartni.  R.iy  ,  Syvopf.  Ami.  p.  i  i. 

(h)  Hifl.  du  nouveau  Monde,  par  de  Laët,  page  ///. 

(c)  Les  oilenux  que  fes  hahitans  du  Pérou  appellent  Con/hres , 
font  d'une  gr.mdeur  extrême  «?t  d'une  telle  force,  que  non-ieuleincnt 
ils  ouvrent  &  djpjcent  un  mouton,  ni.iis  auiïi  un  veau  tout  enuer» 
Hijl.  dis  InJes ,  par  Jof.  A-cJIa,  pa^e  i  ()y> 

(  J)  Ceux  qui  ont  mefuré  la  grandeur  des  concurs  ,  que  les 
Efpaauols  appeileiu  Condors ,   ont  trouvé  l'eize  piedi  de  l\  poime 


D   U      C  0   N   D  0   R,  189 

6i  même  fcize  pieds  d'un  bout  de  l'aiie  à  l'autre;  ils 
ont  ic  bec  fi  fort  qu'ils  percent  la  peau  d'une  vache, 
6v  deux  de  ces  oifeaux  en  peuvent  tuer  <?c  manger  une, 
&  même  ils  ne  s'abflicnnent  pas  des  hommes;  heu- 
rcufement  il  y  en  a  peu,  car,  s'ils  étoient  en  grande 
quantité,  ils  dttruiroient  tout  le  bétail  fej .  Defmarchais 
dit  que  ces  oifeaux  ont  plus  de  dix  -  huit  pieds  de  vol 
ou  d'envergure,  qu'ils  ont  les  ferres  grofTes  ,  fortes 
ôi  crochues,  &.  que  les  Indiens  de  rAméri(|ue  afTurent, 
qu'ils  empoignent  &  emportent  une  biche  ou  une 
jeune  vache,  comme  ils  feroient  un  lapin;  qu'ils  fout 
de  la  groffeur  d'un  mouton;  que  leur  chair  efl  coriace 
&  fent  la  charogne;  qu'ils  ont  la  vue  perçante,  le 
regard  affuré  6c  même  cruel  ;  qu'ils  ne  fréquentent 
guère  les  forêts,  qu'il  leur  faut  trop  d'efpace  pour 
remuer  leurs  grandes  ailes;  mais  ([u'on  les  trouve  fur 
Ks  bords  de  la  mer  &  des  rivières,  dans  les  favanes 
ou  prairies  naturelles  ffj. 

d'une  nile  ;i  l'autre ils  ont  le  bec  fi  fort  &  fi  dur  qu'ils  percent 

aik'iiient  le  cuir  des  bœufi.  Deux  de  ces  oiieaux  att;:quent  uiîc  v.ichc 
ou  un  taureau  ,  &  en  viennent  à  bout  :  ils  ont  même  attaqué  des 
jeunes  cyar(,~ons  de  dix  ou  douze  ans ,  dent  ils  cnt  fait  leur  proie. 
Leur  plumage  eft  fcniblalle  à  celui  des  j^iifs;  ils  ont  une  crê.e  fur 
le  front,  dificrcntc  de  celle  des  coqs,  en  te  qu'e  le  n'eft  j:)oim  den- 
telée ;  leur  \ol,  au  relie,  eft  efiroyal/ie,  &  quand  ils  fondent  à  icrre 
ils  ctoinxlirTent  j)ar  leur  grand  bruit.  H'if.vïrc  des  Inccs ,  terne  JJ , 
pag  e  2  0  f . 

(()    Hi(l.  du  nouveau  Monde,  par  de  Lact,  page  ^ ^  0, 
(f)  Voyage  de  Delînarch.iis,  tome  II J,  porcs  ^21  &  ^22, 

A  a  iij 


ipo        Histoire  Naturelle 

M.  Ray  fgj,  &  prefque  tous  \es  Naturalises  après 
lui  fhj,  ont  penfé  que  le  condor  ctoit  du  genre  des 
vautours ,  à  caufe  de  (a  tête  6c  de  fon  cou  dénués  de 
plumes:  cependant  on  pourroit  en  douter  encore, 
parce  qu'il  paroît  que  fon  naturel  tient  plus  de  celui 
des  aigles;  il  efl,  difent  les  Voyageurs,  courageux  6c 
très-fier;  il  attaque  feul  un  homme,  (5c  tue  aifément 
un    enfant  de  dix    ou   douze  ans    (ij  ;  il   arrête  un 

— -  c'efl  auffi  au  condor  qu'il  faut  mpportcr  les  pafTages  fuivnns.  Nos 
matelots,  die  G.  Spilberg ,  prirent  dans  l'île  de  Loubet ,  aux  côtes 
du  Pérou  ,  deux  oifeaux  d'une  grandeur  extraordinaire  qui  avoient 
un  bec ,  des  ailes  &  ôes  griffés  comme  en  ont  les  aigles  ;  un  cou 
comme  celui  d'une  brebis  &  une  tête  comme  celle  d'un  coq ,  fi 
bien  que  leur  figure  étoit  aufll  extraordinaire  que  leur  grandeur, 
Hecucil  des  Voyages  de  la  Compagnie  des  Indes  de  Hollande  , 
tome  IV,  page  J28.  —  Il  y  avoit,  dit  Ant.  de  Solis,  dans  h 
ménagerie  de  l'empereur  du  Mexique ,  des  oi(eaux  d'une  grandeur 
&  d'une  fierté  fi  extraordinaire  ,  qu'ils  paroi/Toient  des  monfircs.  , 
d'une  taille  lurprcnante  &  d'une  prodigicufc  voracité  ,  jufque  -  là , 
qu'on  trouve  un  Auteur  qui  avance,  f[u'un  de  ces  oifeaux  mangcoit  uu 
mouton  à  chaque  reyxs.  HiJI.  de  la  Conquête  du  Mexique ,  t.I,p.j, 

(g)  Hujus  gcneris  (  vulturini  )  ejfe  videtur  avis  illa  ingens  Chilenfis 
coiiiur  dïâa  ;  avis  ijla  ex  defcriptione  rudi  qualem  txtorquere  potui ,  quin 
yuhur  fuerit  ex  aurarum  diâarum  génère  minime  duhito  ;  a  nautis  oh  caput 
calvum  feu  implume  pro  gallopavone  per  errorem  initia  habita  ejl ,  ut  & 
aura  a  primis  nojlrce  genlis  (Ânglicx)  Americœ  colonïs.  Ray,  Synop, 
Avi.  pag.    II    &    12. 

(h)  Vultur  Gryps,  Gryphus ,  Greif-Ceicr,  Klein,  Ord.  Avi, 
P^o*  4  5' —  ^^  condor.  BrifTon,  Ornith.  tome  I,  page   473. 

(i)  Il  eft  fouvent  arrivé  qu'un  feul  de  ces  oifeaux  a  tué  &  mangé 
rfes  enfins  de  dix  ou  douze  ans.  Trûnf.  Philof.  n,°  208.   Skxine, 


DU     Condor.  191 

troupeau  de  moutons,  &  choifit  à  fon  aife  cehii  qu'il 
veut  enlever;  il  emporte  les  chevreuils,  tue  les  biches 
ôi  les  vaches,  <Sc  prend  aufTi  de  gros  poiflbns:  il  vit 
donc  comme  les  aigles  du  produit  de  la  chafTe  ,  il  fc 
nourrit  de  proies  vivantes  Sl  non  pas  de  cadavres; 
toutes  ces  habitudes  font  plus  de  l'aigle  que  du  vautour. 
Quoi  qu'il  en  foit,  il  me  paroît  que  cet  oifcau  qui  eft 
encore  peu  connu,  parce  qu'il  efl  rare  par-tout,  n'eft 
cependant  pas  confiné  aux  feules  terres  méridionales 
de  l'Amérique;  je  fuis  perfuadé  qu'il  fe  trouve  égale- 
ment en  Afrique,  en  Afie  6c  peut -être  même  en 
Europe.  Garcilaiïb  a  eu  raifon  de  dire  que  le  condor 
du  Pérou  Si  du  Chili  (hj,  efl  le  même  oifeau  que  le 
rucli  ou  roc  des  Orientaux,  fi  fameux  dans  les  contes 
Arabes,  &:  dont  Marc  Paul  a  parlé;  (Se  il  a  eu  encore 
raifon  de  citer  Marc  Paul  avec  les  contes  Arabes,  parce 
qu'il  y  a  dans  fa  relation  prefque  autant  d'exagération. 

—  Le  fameux  oifeau,  appelé  au  Pérou  Cunîur ,  &  par  corruption 
condor,  que  j'ai  vu  en  plufieurs  endroits  des  inoiitagncs  de  b 
province  de  Quito,  fe  trou\e  auffi  ,  fi  ce  qu'on  m'a  affuré  efl:  vrai, 
dans  les  pays-bas  des  bords  du  Maragnon  :  j'en  ai  vu  planer  au-  deflus 
iî'un  troupeau  de  moutons  ;  il  y  a  apparence  que  la  vue  du  hercret: 
les  enipêchoit  de  rien  entreprendre  ;  c'efl  une  opinion  univerfeileinent 
répandue ,  que  cet  oileau  enlève  un  chevreuil ,  &  qu'il  a  quelquefois 
fîiit  fa  proie  d'un  enfant  :  on  prétend  que  \gs  Indiens  lui  préicntent 
pour  appât  une  figure  d'enfant  d'une  argile  très  -  vifqueufe ,  fur 
laquelle  il  fond  d'un  vol  rapide ,  &  qu'il  y  engage  fes  ferres ,  de 
manière  qu'il  ne  lui  eft  plus  poffible  de  s'en  dépêtrer.  Voyage  d4 
la  rivière  des  Amazones  ,  par  M.  de  la  Condamine ,  page  i  y 2 . 

(k)  Hift.  des  Incas,  tome  1 ,  page  2y, 


» 


2> 


192         Histoire  Naturelle 

.<  II  ie  trouve  (  dit -il  )  dans  l'île  de  Madagafcar  , 
vine  merveilleufe  efpèce  d'oifcau  qu'ils  appellent 
roc,  qui  a  la  reflemlilance  de  l'aigle,  mais  qui  eft 
»  fans  comparailon  beaucoup  plus  grand  ...  les  plumes 
5>  des  ailes  étant  de  fix  toifes  de  longueur  &  le  corps 
»  grand  à  proportion  ;  il  eft  de  telle  force  &i  puifTance, 
»  que  feul  <Sc  fans  aucune  aide,  il  prend  6c  arrête  un 
î^  éléphant  qu'il  enlève  en  l'air  /5c  laiffe  tomber  à 
terre  pour  le  tuer,  6:  fe  repaître  enfuite  de  ïa  chair  ^/^  », 
Il  n'efl  pas  néceffaire  de  faire  fur  cela  des  réflexions 
critiques,  il  fuffit  d'y  oppofcr  des  faits  plus  vrais,  tels 
que  ceux  qui  viennent  de  précéder  (5c  ceux  qui  vont 
fuivre.  IJ  meparoit  quel'oifeau,  prefque grand  comme 
«ne  autruche ,  dont  il  cfl  parlé  dans  l'hifloire  de^ 
Navigations  aux  terres  Auflrales  fmj ,  ouvrage  que 
M.  le  préfident  de  Broffes  a  rédigé,  avec  autant  de 
difcerne.ment  que  de  foin,  doit  ctre  le  même  que  le 
condor  des  Américains  6c  le  roc  des  Orientaux;  de 

(l)  Defcription  gcograpliiquc ,  &c.  par  Marc  Paul,  Ihjre  JJIi 
chapitre  ^  0 . 

(m)  Aux  hranches  de  l'arbre  qui  produit  les  fruits  appelés  Pains  dt 
Singe,  ctoient  lufpcndus  des  nids  qui  reffembloient  à  de  grands  paniers 
ovales ,  ouverts  par  en  bas  &  tifliis  confufement  de  branches  d'arbret 
a(îcz  grofîcs  ;  je  n'eus  pas  la  (aiisf.i(flion  de  voir  les  oi féaux  cjui  les 
avoient  conftruits  ;  mais  les  habitans  du  voifinage  m'afTurèrcnt  qu'ils 
avoient  niTcz  la  figure  de  cette  efpèce  d'aigle  qu'ils  appellent  Niam, 
À  juger  de  la  grandeur  de  ces  oi(caux  par  celle  de  leurs  nids,  elle  ne 
de  voit  pas  être  beaucoup  inférieure  a  celle  de  l'autruche.  Hijl.  des  ISlavir 
cations  aux  terres  Aujlralcs,  tome  II,  page  10^, 

pic  me, 


D  U      C  0   N   D   0   R.  ipj 

mcme,  il  me  paroît  que  i'oifeau  de  proie  des  environs 
de  Tarnafar  fnj,  ville  des  Indes  orientales  ,  qui  efl 
bien  plus  grand  que  i*aigle,  &  dont  le  bec  fert  à  faire 
une  poignée  d'épée,  efl  encore  le  condor,  ainfi  que 
le  vautour  du  Sénégal  (oj ,  qui  ravit  6c  enlève  des 
enfans;  que  I'oifeau  fauvage  de  Lapponie  fpj,  gros  ôc 
grand  conîme  un  mouton  ,  dont  parlent  Rcgnard  Se 
Ja  Martinière,  &  dont  Olaùs  Magnus  a  fait  graver  le 
nid,  pourroic  bien  encore  ctre  le  même.  Mais  fans 
aller  prendre  nos  comparaifons  fi  loin  ,  à  quelle  autre 
efpèce  peiit-on  rapporter  le  laemmergeier  des  Allemands  \ 

(n)  In  regione  circa  Tarnafar  urbem  Indïœ  complura  av'ium  gênera, 
funt ,  raptu  prœfertim  vivenîia,  longe  aqu'dis  proceriora ;  nam  ex  fuperiore 
rojlri  parte   enfium   capuli  fabricanîur.    Id  rojlri  fulvum  cceruleo  colore 

d'ijlmâum Alitï  vero  colos  ejl  niger  &  item  purpureus  intercurfan- 

tibus  pennis  nonnullis.  Liid.  patritius  apud  Gefnerum,  Avi.  pag.  206. 

foj  IJ  y  a  au  Scnegal  iies  vautours  aufîi  gros  que  des  aigles, 
qui  dévorent  les  petits  enfans  quand  ils  en  peuvent  attraper  à  l'écart. 
Voyage  de  le  Afaire ,  page  106, 

(p)  II  (ê  trouve  aufil  dans  la  Lapponie  Mofcovite  ,  un  oi/êau 
fauvage  de  couleur  d'un  gris-de-perle ,  gros  &  grand  comme  un 
mouton  ,  ayant  la  tête  faite  comme  un  chat ,  les  yeux  fort  étincelans 
&  rouges  ;  le  h^c  comme  un  aiole ,  les  pieds  &  les  griffes  de  même. 
Voyage  des  pays  feptentrionaux ,  par  la  Alartinkre ,  page  j6 ,  avec  une 
figure.  —  H  n'y  a  guère  moins  d'oilcaux  que  de  bêtes  à  quatre  pieds 
en  Lapponie  ;  les  aigles  s'y  rencontrent  en  abondance  ;  il  s'en  trouve 
d'ime  groflcur  fi  prodigieufc  qu'elles  peuvent ,  comme  je  l'ai  de'jà 
dit  ailleurs  ,  emporter  des  fiions  de  rennes  lorfqu'ils  font  jeunes  ,  dans 
leurs  nids  qu'ils  font  au  fommct  des  j^Ius  hauts  arbres;  ce  qui  fiît 
qu'il  y  a  toujours  quelqu'un  pour  les  garder.  Regnard,  Voyage  de 
Lapponie ,  page   181. 

Oifcaux ,  Tome  L  •  B  b 


194       Histoire  Naturelle 

ce  vautour  des  agneaux  ou  des  moutons,  qui  a  fouvcnt 
été  vu  en  Allemagne  (?v  en  SuifTe  en  ditîcrens  temps , 
ôi  qui  eft  beaucoup  plus  grand  que  l'aigle,  ne  peut 
ctrc  que  ie  condor.  Gefner  rapporte ,  d'après  \\n 
Auteur  digne  de  foi  (  George  Fabricius  )  ,  les  faits 
fuivans.  Des  pailans  d'entre  Miclén  &.  Brifa,  villes 
d'Allemagne  ,  perdant  tous  les  jours  quelques  pièces 
de  bétail  qu'ils  cherchoicnt  vainement  dans  les  forets, 
aperçurent  un  très-grand  nid  pofé  fur  trois  chênes , 
confiruit  de  perches  <Sc  de  branches  d'arbres ,  6c  fi 
étendu  qu'un  char  pouvoit  être  à  l'abri  deffous  ;  ils 
trouvèrent  dans  ce  nid  trois  jeunes  oifeaux  déjà  fi 
grands  ,  que  leurs  ailes  étendues  avoient  fept  aunes 
d'envergure;  leurs  jambes  étoient  plus  groffcs  que 
celles  d'un  lion  ,  leurs  ongles  aulTi  grands  &.  au/Ti  gros 
que  les  doigts  d'un  homme  ;  il  y  avoit  dans  ce  nid 
plufieurs  peaux  de  veaux  &  de  brebis  (qj.  M.  Valmont 
de  Bomare  (Se  Aï.  Salerne,  ont  penfé  comme  moi, 
que  le  Licmmcr  gc'icr  t\ç%  Alpes,  devoit  être  le  condor 
du  Pérou.  Il  a,  dit  M.  de  Bomare,  quatorze  pieds  de 
\ol  ,  6c  fait  une  guerre  cruelle  aux  chèvres  ,  aux 
brebis,  aux  chamois,  aux  lièvres  6c  aux  marmottes. 
M.  Salerne  rapporte  aufil  un  fait  très-pofitif  à  cefujet, 
6c  qui  efl  afTez  important  pour  le  citer  ici  tout  au  long. 
«  En  1719,  M-  Déradin,  beau-père  de  M.  du  Lac, 
jj  tua  à  fon  château  de  Mylourdin,  paroifTe  de  Saint- 

(q)  Diâion.  d'IIift.  nat.  par  M.  Valniont  de  Bomare,  article  de 


te 


<c 


DU    Condor.  195 

Martin  d'Abat,  un  oifcau  qui  pcfoit  dix-huit  livres,  « 
<5c  qui  avoit  dix -huit  pieds  de  vol  ;  il  voloit  depuis 
quelques  jours  autour  d'un  étang;  il  fut  percé  de 
deux  balles  fous  l'aile.  Il  avoit  le  dciïiis  du  corps  te 
bigarré  de  noir,  de  gris  <S:  de  blanc,  6c  le  deffus  « 
du  ventre  rouge  comme  de  l'ccarlate,  &i  fes  plumes  « 
étoient  frifées;  on  le  mangea  tant  au  château  de  « 
Mylourdin  ,  qu'à  Cliâteauneuf- fur -Loire  ;  il  fut  " 
trouvé  dur  ,  &.  fa  chair  fentoit  un  peu  le  mare-  " 
cage;  j'ai  vu  <Sc  examiné  une  des  moindres  plumes  <c 
de  fes  ailes;  elle  efl  plus  groffe  que  la  plus  groffe  « 
plume  de  cygne.  Cet  oifeau  fmgulier  fembleroit  être  « 
Je  contur  ou  condor  frj;  »  en  effet,  l'attribut  de  gran- 
deur exceffive  doit  être  regardé  comme  \m  caraélère 
décifif,  Si  quoique  \c  laemmcr  geier  dts>  Alpes,  diffère 
du  condor  du  Pérou,  par  les  couleurs  du  plumage, 
on  ne  peut  s'empêcher  de  les  rapporter  à  la  même 
cfpèce,  du  moins  jufqu'à  ce  que  l'on  ait  une  defcrip- 
tion  plus  exade  de  l'un  &  de  l'autre. 

Il  paroît  par  -les  indications  des  Voyageurs,  que  le 
condor  du  Pérou  a  le  plumage  comme  une  pie,  c'efl- 
à-dirc,  mêlé  de  blanc  6c  de  noir;  &  ce  grand  oifeau 
tué  en  France,  au  château  de  Mylourdin  , lui  reffemble 
donc,  non-feulement  par  la  grandeur,  puifqu'il  avoit 
dix -huit  pieds  d'envergure.  Si  qu'il  pefoit  dix -huit 
livres,  mais  encore  par  les  couleurs,  étant  auffi  mêlé 
de  noir  Si  de  blanc  :  on  peut  donc  croire  avec  toute 

(r)  Omithol.  de  Salerne,  page  i  o, 

Bbij 


196  Histoire  N atu relle,  ère. 

apparence  de  rai  Ton ,  que  cette  efpèce  principale,  6c 
première  dans  les  oifeaux ,  quoique  très-peu  nombreufe , 
efl  néanmoins  répandue  dans  ies  deux  contincns ,  6c 
que  pouvant  fe  nourrir  de  toute  efpèce  de  proie  ff), 
&i  n'ayant  à  craindre  que  les  hommes,  ces  oifeaux 
fuient  les  lieux  habites  <Sc  ne  fe  trouvent  que  dans  les 
grands  déferts  ou  les  hautes  montagnes, 

(f)  Les  déferts  de  la  province  de  Pachacamac ,  au  Pérou ,  Fnf- 
pirent  une  fecrète  horreur;  on  n'y  entend  le  chant  d'aucun  oifeau, 
&  dans  toutes  ces  montagnes  je  n'en  vis  qu'un  ,  nommé  condur , 
qui  efl  de  la  grofTeur  d'un  mouton,  &  qui  fe  perche  fur  les  mon- 
tagnes les  plus  arides  &  ie  nourrit  des  vers  qui  naifTent  dans  cet 
fables.  Nouy,  voyage  autour  du  monde,  par  le  Gentil ,  tome  I,  page  12^. 


^97 


LE   MILAN 

E  T 

LES     BUSES. 

L  ES  Milans  <Sc  les  Bufes,  oifeaux  ignobles,  iinmondcs 
&i  lâches  ,  doivent  fuivre  les  vautours  auxquels  ils 
refTemblent  par  le  naturel  6c  les  mœurs:  ceux-ci, 
maigre  leur  peu  de  géncrofité ,  tiennent  par  leur  gran- 
deur <&.  leur  force,  l'un  des  premiers  rangs  parmi  les 
oifeaux.  Les  milans  &:  les  bufes  qui  n'ont  pas  ce 
même  avantage,  6c  qui  leur  font  inférieurs  tn  grandeur, 
y  fuppléent  6c  les  furpaflent  par  le  nombre;  par -tout 
ils  font  beaucoup  plus  communs,  plus  incommodes 
que  les  vautours;  ils  fréquentent  plus  fouvent  6c  de 
plus  prés  les  lieux  habites;  ils  font  leur  nid  dans  des 
endroits  plus  accelfibles  ;  ils  reftent  rarement  dans  les 
déferts  ;  ils  préfèrent  les  plaines  6c  les  collines  fertiles 
aux  montagnes  flériles  :  comme  toute  proie  leur  cfl 
bonne,  que  toute  nourriture  leur  convient;  6^  que 
plus  la  terre  produit  de  végétaux ,  plus  elle  ell  en 
même  temps  peuplée  d'infedes,  de  reptiles,  d'oifeaux 
6c  de  petits  animaux;  ils  établiffent  ordinairement  leur 
domicile  au  pied  des  montagnes,  dans  les  terres  les 
plus  vivarfctes ,  les  plus  abondantes  en  gibier,  en  volaille, 
en  poiflon;  fans  être  courageux  ils  ne  font  pas  timides, 
ils  ont  une  forte  de  flupidité  féroce,  qui  leur  donne 

Bb  iij 


19S        Histoire  Naturelle 

i'air  de  l'audace  tranquille,  6l  fembic  leur  otcr  (a 
connoiiïancc  du  danger:  on  les  approche,  on  les  tue 
bien  plus  aifcment  que  les  aigles  ou  les  vautours;  dé- 
tenus en  captivité,  ils  font  encore  moins  lufceptibles 
d'éducation  :  de  tout  temps  on  les  a  profcnts,  rayés  de 
la  lille  des  oifeaux  nobles,  Si  rejetés  de  l'école  de  la 
Fauconnerie:  de  tout  temps  on  a  comparé  l'homme 
groiïièremcnt  impudent  au  milan,  év  ia  femme  trifte- 
ment  béte  à  la  bufe. 

Quoique  CCS  oifeaux  fe  refTemblcnt  par  le  naturel, 
par  la  grandeur  du  corps  fdj,  par  la  forme  du  hçc , 
<5c  par  plufieurs  autres  attributs,  le  milan  efl  néanmoins 
aifé  à  diftingucr  ,  non-feuIcment  des  bufes ,  mais  de 
tous  les  autres  oifeaux  de  proie,  par  un  feu!  caractère 
facile  à  faifir  ;  il  a  la  queue  fourchue  ,  les  plumes  du 
milieu  étant  beaucoup  plus  courtes  que  les  autres, 
lailfent  paroître  un  intervalle  qui  s'aperçoit  de  loin, 
ôi  lui  a  fait  improprement  donner  le  furnom  (ïû'/glc  à 
queue  f OUÏ  chue  :  il  a  auffi  les  ailes  proportionnellement 
plus  longues  que  les  bufes ,  <Sc  le  vol  bien  plus  aifé  : 
aufli  pafTe-t-il  fa  vie  dans  i'air;  il  ne  fe  repofe  prefque 
jamais,  &i  parcourt  cha(|ue  jour  des  efpaces  immenfes; 
&  ce  grand  mouvement  n'efl  point  un  exercice  de 
chafTe  ni  de  pourfuite  de  proie,  ni  même  de  décou- 

( a)  Afihus  regalïs  magn'itudïne  &  habïtu  huteonï  conformis  eji.  .  .  . 
(rura   illi  font   crocea   hum'diora ,    buteonïs   ultra  poplites  propendenîibus 
plumis  fimiiuer  fcrrugineis  dilatis  cbteguntur.  Schwcnckfcld.  Avi.  SiL 

pag.   303. 


DU  Milan  lt  des  Buses.       199 

verte,  car  il  ne  chafTe  pas;  mais  il  femble  que  le  vol 
foit  fon  état  naturel,  fa  fituation  favorite:  l'on  ne 
peut  s'empêcher  d'admirer  la  manière  dont  W  Vexécuic^ 
fes  ailes  longues  &.  étroites  paroifTent  immobiles;  c'efl 
la  queue  qui  femble  diriger  toutes  fes  évolutions,  (?v 
elle  agit  flins  cefTe  ;  il  s'élève  fans  effort,  il  s'abaiffe 
comme  s'il  gliffoit  fur  un  plan  incline;  il  femble  plutôt 
nager  que  voler;  il  précipite  fa  courfe,  il  la  ralentit; 
s'arrête  &  refle  comme  fufpendu  ou  fixé  à  la  même 
place  pendant  des  heures  entières  ,  fans  qu'on  puiffe 
s'apercevoir  d'aucun  mouvement  dans  fes  ailes. 

Il  n'y  a,  dans  notre  climat,  qu'une  feule  efpèce  de 
milan  fvoyei  les  pi.  enlwn'mces ,  iu  ^22,  lir  la  pi.  vu  dans 
ce  volume),  que  nos  François  ont  appelé  milan  royal  (b) , 

(h)  Milan  Royal.  En  Grec  ,  l'x.'n^;  en  Latin,  ATtlvus ;  en  Italien, 
Alilvio,  Nibh'io,  Poyana ;  en  Efpagnol,  Aî'dano ;  en  Allemand,  Weihc 
ou  Wei/ier;  en  Hollandois ,  Woiir  ;  en  Anglois,  Kiie  ou  Glead ; 
en  Polonois  ,  A'jw'rt  ;  en  Suédois,  Glada  ;  en  \ ieux  François,  Écouffle / 

Ecouffe,  Huau  ,  Alilion Milan  royal.  Bclon,  Hifi.  nat.  des  Oifeaux, 

pag.    129.  —  Milan   royal,    Albin,  tom.   I,   pag.   ^,  pi.   coloriée. 

—  The  Kke ,  Alihus  Regalis ,  Brit.  Zoology  ^  pi.  A  2  avec  unefgure 
co/oriie.  —  Le  Milan  royal.  Briflon ,  Orn'ith.  tom.  I,  pno-.  414., 
\>\.  33.  Nota.  Les  Grecs  nppeloicnt  Ixti^ ,  le  putois;  &  il  cft 
probable  qu'ils  ont  donné  au  milan  le  même  nom  ,  parce  que  le 
milan  atiac|ue  &  tue  les  volailles  ,  comme  le  putois.  —  Les  Latins 
l'ont  appelé  yVTdvus ,  quafi  mollis  avis  ,  oilcau  lâche  ;  les  noms  Hvau 
ou  Huo  en  vieux  françois,  &  Wowe  en  Hollandois,  fcmblent  être 
des  dénominations  empruntées  de  Ion  cri  hu-o.  —  Glcad  en.  Ano-lois 
&;   Glada  en  Suédois,  font  tirés  de  ce  qu'il  paroît  glifler  en  Yolarit, 

—  Alilion  cil    ua  mot  corrompu  de  Milan. 


£00        Histoire   Naturelle 

parce  qu'il  fcrvoit  aux  plaifirs  des  Princes  qui  lui  fai- 
foient  doriHcn"  la  ciiaiTc,  (Se  livrer  combat  par  le  faucon 
ou  l'épervier;  on  voit  en  effet,  avec  plaifir,  cet  oifeau 
lâche,  quoique  doue  de  toutes  les  facultés  qui  dcvroient 
lui  donner  du  courage,  ne  manquant  ni  d'armes,  ni  de 
force,  ni  de  légèreté,  refufer  de  combattre,  <Sc  fuir 
devant  l'épervier  beaucoup  plus  petit  que  lui ,  toujours 
en  tournoyant  <5c  s'élevant,  comme  pour  fe  cacher  dans 
les  nues,  jufqu'à  ce  que  celui-ci  l'atteigne,  le  rabatte  à 
coups  d'ailes,  de  ferres  év  de  hcc ,  &  le  ramène  à  terre 
moins  bleffé  que  battu.  Si  plus  vaincu  par  la  peur  que 
par  la  force  de  fon  enneni;. 

Le  milan ,  dont  le  corps  entier  ne  pèfe  guère  que 
deux  livres  ôc  demie,  qui  n'a  que  feize  ou  dix-fept 
pouces  de  longueur,  depuis  le  bout  du  bec  juf(ju'à 
l'extrémité  des  pieds ,  a  néanmoins  près  de  cinq  pieds  de 
vol  ou  d'envergure  :  la  peau  nue  qui  couvre  la  bafc  du  bec 
eft  jaune,  aufTi-bicn  que  l'iris  des  yeux  ôi  les  pieds  :  le  bec 
eft  de  couleur  de  corne  <5c  noirâtre  vers  le  bout ,  6i  les 
ongles  font  noirs  :  fa  vue  e(l  au/fi  perçante  que  fon  vol 
cft  rapide;  il  fe  tient  fouvent  à  une  fi  grande  hauteur^ 
qu'il  échappe  à  nos  yeux,  Si  c'cfl  de  -  là  qu'il  yife  6c 
découvre  fa  proie  ou  fa  pâture,  &.  fe  laiffe  tomber  fur 
tout  ce  qu'il  peut  dévorer  ou  enlever  fans  réfiftance: 
il  n'attaque  que  les  plus  petits  animaux  6i  les  oifeaux 
les  plus  foibics;  c'efl  fur -tout  aux  jeunes  pouiTms 
qu'il  en  veut;  mais  la  feule  colère  de  la  mère -poule 
fuffit  pour  le  repoufCcr  Se  l'éloigner.  «  Les  milans  font 

»  des 


DU  Milan  ët  des  Buses.      201 

de%  animaux  tout-à-fait  ijches,  m'écrit  un  de  mes  « 
amis  fcj,  je  les  ai  vu  pourfuivre  à  dtux  un  oifeau  de  et 
proie  pour  lui  dérober  celle  qu'il  tcnoit,  plutôt  que  de  « 
fondre  fur  lui ,  Sl  encore  ne  purent-ils  y  réufTir  :  les  « 
corbeaux  les  infultent  Sl  les  chafTent;  ils  font  aufîi  « 
voraces  ,  auffi  gourmands  que  lâches  :  je  les  ai  vu  « 
prendre,  à  la  fuperficie  de  l'eau  ,  des  petits  poiffons  « 
morts  <Sc  à  demi  corrompus;  j'en  ai  vu  emporter  « 
une  longue  couleuvre  dans  leurs  ferres;  d'autres  fe  « 
pofer  fur  des  cadavres  de  chevaux  ôl  de  bœufs  :  « 
j'en  ai  vu  fondre  fur  des  tripailles  que  des  femmes  « 
lavoient  le  long  d'un  petit  ruiffcau,  &  les  enlever  <c 
prefqu'à  côte  d'elles  :  je  m'avifai  une  fois  de  pré-  « 
fenter  à  un  jeune  milan  que  des  enfans  nourrifToient  « 
dans  la  maifon  que  j'habitois,  un  aflez  gros  pigeon-  « 
neau ,  il  l'avala  tout  entier  avec  les  plumes  ». 

Cette  efpèce  de  milan  efl  commune  en  France, 
fur -tout  dans  les  provinces  de  Franche  -  comté,  du 
Dauphiné,  du  Bugey ,  de  l'Auvergne,  &  dans  toutes 
les  autres  qui  font  voifmes  des  montagnes:  ce  ne 
font  pas  des  oifeaux  de  pafTage ,  car  ils  font  leur  nid 
dans  le  pays,  cScrétabliffent  dans  des  creux  de  rochers. 
Les  Auteurs  de  la  Zoologie  Britannique  fJJ,  difenc 
de  même  qu'ils   nichent  en  Angleterre,  <Sc   qu'ils  y 

(c)  M.  Hébert ,  que  j'ai  déjà  cité  comme  ayant  bien  obfervc 
plufieurs  faits  relatifs  à  l'hiftoire  des  oifeaux. 

(d)  Some,  hâve  fuppcfed  thefe  to  be  birds  ofpajfage  but  in  england  they 
tcrta'mly  continue  the  whoUyear,  Britifch  Zoology.  Species  VI,  the  kitft 

Oifcaus ,Tomc  L  -_  Ce 


202         Histoire  Naturelle 

refient  pendant  toute  l'année  :  la  femelle  pond  deux 
ou  trois  œufs  qui ,  comme  ceux  de  tous  les  oifeaux 
carnafilers ,  font  plus  ronds  que  les  oeufs  de  poule  : 
ceux  du  milan  font  blanchâtres ,  avec  des  taches  d'un 
jaune  fale.  Quelques  Auteurs  ont  dit  qu'il  faifoit  fon 
nid  dans  les  forêts  fur  de  vieux  chcnes  ou  de  vieux 
fapins;  fans  nier  abfolumcnt  le  fait,  nous  pouvons- 
affurer  que  c'eft  dans  des  trous  de  rochers  qu'on  les. 
trouve  communément. 

L'efpèce  paroît  être  répandue  dans  tout  l'ancien 
continent,  depuis  la  Suède  jufqu'au  Sénégal  fej,  mais 
je  ne  fais  fi  elle  fe  trouve  au/fi  dans  le  nouveau,  car 

(e)  Il  paroît  que  le  milan  royal  fe  trouve  dans  le  nord ,  puifque 
M.  Linnœus  l'a  compris  dans  fa  lifte  des  oifeaux  dcSucde,  fous  la 
dénomination  àç  falco  cerâ  favâ,  caudâ  forcipatâ  ;  corpore  ferrugineo, 
tûpite  albïdiort.  Faun.  Suec.  n.°  59  ;  &  l'on  voit  aufli  par  les 
témoignages  des  Voyageurs ,  qu'il  le  trouve  dans  les  provinces  les 
plus  chaudes  de  l'Afrique  ;  on  rencontre  encore  ici  {  cii  Guinée),. 
dit  Bofman ,  une  efpècc  d'oifeau  de  proie  ;  ce  font  les  milans  :  ils 
enlèvent ,  outre  les  poulets  dont  ils  tirent  leur  nom  ,  tout  ce  qu'ils 
peuvent  découvrir  &  atuaper ,  foit  viande ,  foit  poiflon ,  &  cela  avec 
tant  de  hardiefTe ,  qu'ils  arrachent  aux  femmes  nègres  les  poifTons 
qu'elles  portent  vendre  au  marché  ,  ou  qu'elles  crient  dans  les  rues. 
Voyage  de  Guinée , page  ^ y 8.  Près  du  défert ,  au  long  du  Sénégal, 
dit  un  autre  Voyageur,  on  trouve  un   oifcau  de  proie  de  l'cfpècc 

du  miJan,  auquel  les  François  ont  donné  le  nom  d'écoufîê 

toute  nourriture  convient  à  fi  faim  dévorante;  il  n'eft  point  épouvanté 
des  armes  à  feu  ;  la  chair  cuite  ou  crue  le  tente  fi  vivement ,  qu'il 
enlève  aux  matelots  leurs  morceaux  dans  le  temps  qu'ils  les  portent 
à  leur  bouche.  HiJ}.  générale  dts  Voyages ,  par  M,  l'abbé  Preyojî , 
îomt  JU ,  page  joé'. 


DU  Milan  et  des  Buses.     203 

îes  relations  d'Amérique  n'en  font  aucune  mention  : 
il  y  a  feulement  im  oifeau  qu'on  dit  être  naturel  au 
Pérou ,  ÔL  qu'on  ne  voit  dans  la  Caroline  qu'en  été , 
qui  reflemble  au  milan  à  quelques  égards,  <î^  qui  a, 
comme  lui ,  la  queue  fourchue.  M.  Catefby  en  a  donné 
la  defcription  (Se  la  figure  ff),  fous  le  nom  A'épemer 
à  queue  d hirondelle ,  &  M.  BrifTon  l'a  appelé  milan  de 
la  Caroline  fgj.  Je  ferois  affez  porté  à  croire  que  c'eft 
une  efpèce  voifme  de  celle  de  notre  milan,  ôl  qui  la 
remplace  dans  le  nouveau  continent. 

Mais  il  y  a  une  autre  efpèce  encore  plus  voifme  <5c 
qui  fe  trouve  dans  nos  climats  comme  oifeau  de  partage, 
que  l'on  a  appelé  le  îuilaîi  noir  (  Voye^  les  planches 
enluminées ,  n°  47^)-  Ariflote  di (lingue  cet  oifeau  du 
précédent,  qu'il  appelle  fimplement  milan j  <Sc  il  donne 
à  celui-ci  l'épithète  de  milan  Etolien  (h) ,  parce  que 
probablement  il  étoit  de  {on  temps  plus  commun  en 
Etolie  qu'ailleurs;  Belon  |^/V  fait  auffi  mention  de  ces 
deux  milans  ;  mais  il  fe  trompe  lorfqu'il  dit  que  le 
premier,  qui  eft  le  milan  royal,  efl  plus  noir  que  le 
fécond,  qu'il  appelle  néanmoins  milan  noir;  ce  n'efl 

(f)  Hift.  nat.  de  la  Caroline,  par  CatcHjy ,  tomi I,  page  ^,  pL  ir, 
avec  une  bonne  figure  coloriée. 

(g)  Le  milan  de  la  Caroline.  BrifTon,  Ornkh.  tome  1,  page  41  S, 

(h)  Parïunt  milvi  ova  bina  magnâ  ex  parte ,  interdum  tamen  à"  terna^ 
totidemque  excludunt  pullos  ;  fed  qui  Etolius  nuncupatur,  vel  quaternos 
<aliguandû  excludit.  Arifl:.  Hifi.  anim.  lib.  VI ,   cap.  6. 

(i)  Milan  noir.  Belon,  Hljl,  nat,  des  Oifeaux,  page  i^ r. 

Ce  ij 


;204       Histoire  Natu relle 

peut-être  qu'une  faute  d'imprcffion  ;  car  il  efl  certain 
que  le  milan  royal  eft  moins  noir  que  l'autre  ;  au  refle, 
aucun  des  Naturaliflcs ,  anciens  <Sc  modernes ,  n'a  fait 
mention  de  la  dificrence  la  plus  apparente  entre  ces 
deux  oifeaux,  6c  qui  confifle,  en  ce  que  le  milan  royal 
a  la  queue  fourchue,  &.  que  le  milan  noir  l'a  égale  ou 
prefque  égale  dans  toute  fa  largeur,  ce  qui  néanmoins 
n'empêche  pas  que  ces  deux  oifeaux  ne  foient  d'efpcce 
trcs-voifme,  puifqu'à  l'exception  de  cette  forme  de 
la  queue  ils  fe  reiïemblentpar  tous  les  autres  cara6tères, 
car  le  milan  noir ,  quoiqu'un  peu  plus  petit  <?:  plus 
noir  que  le  milan  royal,  a  néanmoins  les  couleurs  du 
plumage  difiribuées  de  même,  les  ailes  proportionnelle- 
ment au/Ti  étroites  &i  aufTi  longues,  le  bec  de  la  même 
forme  ,  les  plumes  aufTi  étroites  <Sc  aulfi  alongées ,  &i 
les  habitudes  naturelles  entièrement  conformes  à  celles 
du  milan  royal. 

Aldrovande  dit  que  les  Hollandois  appellent  ce  milan 
knkcndiif;  que  quoiqu'il  foit  plus  petit  que  le  milan 
royal,  il  efl  néanmoins  plus  fort  <Sc  plus  agile;  Schwenck- 
feld  alTure  au  contraire  qu'il  eft  plus  foible  &  encore 
plus  lâche ,  <5c  qu'il  ne  chaffe  que  \qs  mulots  ,  \t% 
fauterelles  &  \ts  petits  oifeaux  qui  fortent  de  leurs  nids; 
il  ajoute  que  l'efpèce  en  efl  très  commune  en  Allemagne; 
cela  peut  être ,  mais  nous  fommes  certains  qu'en  France 
&  en  Angleterre  elle  efl  beaucoup  plus  rare  que  ct\\Q 
du  milan  royal  ;  celui-ci  efl  un  oifeau  du  pays ,  &  qui 

y  demeure  toute  i'année;  1  autre  au  contraire  efl  un 


Tcm  I 


PI    rn   Fa^     1^4. 


/^iif'i^n  frul^^ 


LE  MILAN 


DU  Milan  et  des  Buses,      2oj 

oireau  de  pafTage,  qui  quitte  notre  climat  en  automne 
pour  fe  rendre  dans  des  pays  plus  chauds:  Belon  a 
été  témoin  oculaire  de  leur  paiïage  d'Europe  en 
Egypte  ;  ils  s'attroupent  6i  paiïent  en  files  nomhreufes 
fur  le  pont  Euxin,  en  automne,  &  repaiïent  dans  le 
inême  ordre  au  commencement  d'Avril  ;  ils  refient 
pendant  tout  l'hiver  en  Egypte ,  Si  font  fi  familiers 
qu'ils  viennent  dans  les  villes  <5c  fe  tiennent  fur  les 
fenêtres  des  maifons;  ils  ont  la  vue  6c  le  vol  fi  fûrs , 
qu'ils  faififfent  en  l'air  les  morceaux  de  viande  qu'on 
leur  jette. 


c  Jj; 


2o6       Histoire  Naturelle 


« 


LA     BUSE  (a). 

Voyc-^  les  planches  enliuninces ,  lu  ^r  p  ;  é^  pl.yi  H 

de  ce  volume. 

L  A  Bufe  efl  un  oifeau  afTez  commun  ,  aflez  connu 
pour  n'avoir  pas  befoin  d'une  ample  defcription  ;  elle 
n'a  guère  que  quatre  pieds  ôi  demi  de  vol ,  fur  vingt  ou 
vingt-un  pouces  de  longueur  de  corps;  fa  queue  n'a 
que  huit  pouces,  <Sc  fes  ailes,  lorfqu'elles  font  pliées, 
s'étendent  un  peu  au-delà  de  fon  extrémité;  l'iris  de 
fes  yeux  eft  d'un  jaune  pâle  (Se  prefque  blanchâtre;  les 
pieds  font  jaunes ,  aufli  -  bien  que  la  membrane  qui 
couvre  la  bafe  du  bec ,  &  les  ongles  font  noirs. 

Cet  oifeau  demeure  pendant  toute  l'année  dans  nos 
forets  ;  il  paroît  aflez  flupide  ,  foit  dans  l'état  de 
domcflicité,  foit  dans  celui  de  liberté  ;  il  efl:  aflez 
fédentaire  <Sc  mcme  parcfleux;  il  refle  fouvcnt  plufieurs 

(a)  En  Grec,  T6<opvi$,  parce  qu'on  a  cru  fâuflement  que 
cet  oifeau  avoit  trois  tefticuies  ;  en  Latin ,  Buteo  ;  en  Italien ,  Bujjdt 
BucQiafio ;  en  Allemand,  Bvf^-hen,  Butant,  Bu^e ,  Bushard ;  en 
Anglois,  Bujjard,  Common-Bu-^ard ,  Puttok.  — Buteo.  Gefner,  Av'u 
pag.  4.J.  — Buteo  feu  triorchis.  AlcJrov.  An.  tom.  I,  pag.  362. 
—  Buteo  vulgaris.  "Willughby ,  Ornith.  page  38.  —  Bufe  ou  Bufard, 
ou  Cûjfard.  Belon,  Hifl.  nat.  des  O  féaux ,  page  100.  —  Buzard. 
Albin,  tome  I ,  page  i,  pi.  I ,  fgure  coloriée.  — La  Bufe.  Briflon, 
Omhh.xomtl,  page  406.  —The  Common  Bu^i^ard.  Britifch  Zoology, 
pL  XLHi ,    anc  une  fgure  coloriée. 


PI  rm  j\u  ZC6 


tÛ^A. 


JLtuA\zrxj.  S,- 


LA   lirSK- 


DE    LA    Buse.  207 

heures  de  fuite  perché  fur  le  même  arbre;  fon  nid  efl 
conflruit  avec  de  petites  branches,  6c  garni  en  dedans 
de  laine  ou  d'autres  petits  matériaux  légers  &:  molJcts; 
la  bufe  pond  deux  ou  trois  œufs  qui  font  blanchâtres,, 
tachetés  de  jaune  ;  elle  élève  6i  foigne  fes  petits  plus 
long-temps  que  les  autres  oifeaux  de  proie,  qui  prefque 
tous  les  chafTent  du  nid  avant  qu'ils  foient  en  état  de 
fe  pourvoir  aifément  ;  M.  Ray  fbj  affure  même  que 
le  mâle  de  la  bufe  nourrit  (Se  foigne  fes  petits  lorfqu'on 
a  tué  la  mère. 

Cet  oifeau  de  rapine  ne  faifit  pas  fa  proie  au  voî,. 
\\  refle  fur  un  arbre  ,  un  buifTon  ou  une  motte  de  terre, 
<5c  de-là  fe  jette  fur  tout  le  petit  gibier  qui  pafTe  à  fa 
portée;  il  prend  les  levreaux  <5c  les  jeunes  lapins,  auiïi- 
bien  que  les  perdrix  &  les  cailles  ;  il  dévafle  les  nids 
de  la  plupart  des  oifeaux  ;  il  fe  nourrit  aufll  de  grenouilles, 
de  lézards,  de  ferpens,  de  fauterelles,  Ôic.  lorfque  le 
gibier  lui  manque. 

Cette  efpèce  efl  fujette  à  varier,  au  point  que  fi 
l'on  compare  cinq  ou  fix  bufes  enfemble,  on  en  trouve 
à  peine  dtux  bien  femblables.  Il  y  en  a  de  prefque  entiè-7 
rement  blanches,  d'autres  qui  n'ont  que  la  tête  blanche, 
d'autres  enfin  qui  font  mélangées  différemment  les 
imes  des  autres,  de  brun  <5c  de  blanc:  ces  différences 
dépendent  principalement  de  l'âge  ôl  du  fexe,  car  on 
les  trouve  toutes  dans  notre  climat. 

(b)  Ray' s  LcttCTS  j"^.  Voyez  aufll  Brïtifcb  Zoolcgy.  Specîes  vu. 


2o8       Histoire  Naturelle 

LA    BOND  RÉE  (a), 

Voje^  les  planches  enluminées,  ;//  ^20* 

V>OMME  la  Bondrée  diffère  peu  de  la  Bufe,  elle  n'en 
a  été  diflinguée  que  par  ceux  qui  les  ont  foigneufement 
comparées.  Elles  ont,  à  la  vérité,  beaucovip  plus  de 
caradères  communs  que  de  caradères  diffci'ens;  mais 
ces  différences  extérieures ,  jointes  à  celles  de  quelque^ 
habitudes  naturelles  ,  Aiffifent  pour  conftituer  deux 
efpèces ,  qui,  quoique  voifmes ,  font  néanmoins  dif^ 
tin6tes  <S:  féparées.  La  bondrée  efl  auffi  groffe  que  fa 
bufe  ,  &:  pèfe  environ  deux  livres  ;  elle  a  vingt-deux 
pouces  de  longueur,  depuis  le  bout  du  bec  jufqu'à 
celui  de  la  queue,  6c  dix-huit  pouces  jufqu'à  celui  des 
pieds;  fes  ailes,  lorfqu'ellcs  font  pliées,  s'étendenC 
au-delà  des  trois  quarts  de  la  queue  ;  elle  a  quatre 
pieds  deux  pouces  de  vol  ou  d'envergure  :  fon  bec 
cft  un  peu  plus  long  que  celui  de  la  bufe  ;  la  peau 
pue  qui  en  couvre  la  bafe,  efl  jaune  (b),  épaiffe  <Sc 

inégale  ; 

(a)  Goiran  ou  Bondrée.  Bclon,  H'iji.  nat.  des  Olfeauxj  page  lor* 
Jîg.  pnge  102.  — Buteo  apivorus  feu  Vefpïvorus.  "Willughby,  Ornithol. 
pag.  39,  fig.  tab.  3.  —  Bondrce.  Albin,  tome  I,  page  ^ ,  fg- 
toloriée,  pi.  II.  —  Falco  pedlhus  feminudis ,  f  avis  ;  cerâ  n'igrâ;  capite 
(inereo,  caudx  fafciâ  cinereâ,  apice  albo.  Linn.  Faun.  Suec.  n.°  66> 
h-  Buteo  apivorus.  La  Bondrée.  BrifTon,  tome  I ,  page  ^i  o. 

fh)  Quelques  NaturaliUes  ont  dit  que  cette  peau  de  la  bafe  du 

bec 


DE      LA      B  0  N  D  R  É  Ë,  209 

încgale;  les  narines  font  longues  6^  courbées;  lorf- 
qu'elle  ouvre  le  bec  ,  elle  montre  une  bouche  très- 
large  6c  de  couleur  jaune  :  l'iris  des  yeux  efl:  d'un 
beau  jaune;  les  jambes  <Sc  les  pieds  font  de  la  même 
couleur,  Si  les  ongles,  qui  ne  font  pas  fort  crochus, 
font  forts  ôi  noirâtres  :  le  fommet  de  la  tête  paroit 
Jarge  <Sc  aplati  ;  il  eft  d'un  gris  cendre.  On  trouve 
une  ample  defcription  de  cet  oifeau  dans  l'ouvrage  de 
M.  BrifTon  &  dans  celui  d*Albin  :  ce  dernier  auteur, 
après  avoir  décrit  les  parties  extérieures  de  la  bondrée, 
dit  qu'elle  a  les  boyaux  plus  courts  que  la  bufe  ;  (5c  il 
ajoute  qu'on  a  trouve  dans  l'eflomac  d'une  bondrée, 
plufieurs  chenilles  vertes ,  comme  auffi  plufieurs  che- 
nilles communes  Si  autres  infeéles. 

Ces  oifeaux ,  ainfi  que  les  bufes,  compofent  leur 
nid  avec  des  bûchettes,  Si  le  tapiiïent  de  laine  à  l'in- 
térieur, fur  laquelle  ils  dépofent  leurs  œufs,  qui  font 
d'une  couleur  cendrée  <Sc  marquetée  de  petites  taches 
brunes.  Quelquefois  ils  occupent  des  nids  étrangers  ; 
on  en  a  trouvé  dans  un  vieux  nid  de  milan.  Ils  nour- 
riffent  leurs  petits  de  chryfalides.  Si  particulièrement 
de  celles  des  guêpes.  On  a  trouvé  des  tctes  Si  des 
morceaux  de  guêpes  dans  un  nid  où  il  y  avoit  deux 
petites  bondrées  :   elles  font,  dans  ce  premier  âge, 

l?cc  étoit  noire  ;  maïs  on  peut  prefumer  que  cette  différence  vient 
de  l'âge,  puifque  cette  peau  qui  couvre  ia  bafe  du  bec  efl:  blanche 
dans  le  premier  âge  de  ces  oi(eaux:  elle  peut  pafler  par  le  jaune, 
&L  devenir  enfin  brune  &  noirâtre. 

Oifeaux,  Tome  L  .  D  d 


2  10      Histoire  Naturelle 

couvertes  d'un  duvet  blanc  ,  tacheté  de  noir  ;  elles 
ont  alors  les  pieds  d'un  jaune  pâle,  Si  h  peau  qui  eft 
fur  la  bafe  du  bec ,  blanche.  On  a  auffi  trouvé  dans 
i'eftomac  de  ces  oifeaux,  qui  efl  fort  large,  des  gre- 
nouilles év  des  lézards  entiers.  La  femelle  efl  dans 
cette  efpece,  comme  dans  toutes  celles  des  grands 
oifeaux  de  proie,  plus  greffe  que  le  mâle;  <5c  tous 
deux  piettcnt  6»:  courent,  fans  s'aider  de  leurs  ailes, 
au(fi  vite  que  nos  coqs  de  baffe-cour. 

Quoique  Belon  dife  qu'il  n'y  a  petit  berger,  dans 
la  Limagne  d'Auvergne,  qui  ne  fiche  connoître  la 
bondrce,  Si  la  prendre  par  engin  avec  des  grenouilles, 
quelquefois  auffi  aux  gluaux  ,  Si  fouvent  au  lacet ,  il  efl 
cependant  très -vrai  qu'elle  efl  aujourd'hui  beaucoup 
plus  rare  en  France  que  la  bufe  commune.  Dans  plus 
de  vingt  bufcs  qu'on  m'a  apportées  en  différens  temps, 
en  Bourgogne,  il  ne  s'efl  pas  trouvé  une  feule  bon- 
drée  ;  (^  je  ne  fais  de  quelle  province  eft  venue  celle 
que  nous  avons  au  cabinet  du  Roi.  M.  Salernc  dit 
que  dans  le  pays  d'Orléans,  c'efl  la  bufe  ordinaire 
qu'on  appelle  bondrce  ;  mais  cela  n'empêche  pas  que 
ce  ne  fuient  deux  oifeaux  dilférens. 

La  bondrée  fe  tient  ordinairement  fur  les  arbres 
en  plaine,  pcwjr  épier  fa  proie.  Elle  prend  les  mulots, 
Jes  grenouilles,  les  lézards,  \qs  chenilles  <Sc  les  autres 
infeéles.  Elle  ne  vole  guère  que  d'arbre  en  arbre  <Sc 
de  buiffons  en  buiffons,  toujours  bas  &.  fans  s'élever 
comme  le  milan,  auquel  du  reflc  elle  reffemblc  affez 


DE      LA      B  0  N  D  R  É  E.  2  II 

par  le  naturel,  mais  dont  on  pourra  toujours  la  dif- 
tinguer  de  loin  (5:  de  près,  tant  par  Ton  vol  que  par 
fa  queue  ,  qui  n'eft  pas  fourchue  comme  celle  du 
milan.  On  tend  des  picgcs  à  la  bondrce,  parce  qu'en 
hiver  elle  efl  trcs-graffe  ôi  affcz  bonne  à  manger. 


/ 


Ddij 


212       Histoire   Natu relle 


L'  O  I  S  E  A  U 

SA  I  NT- AI  A  R  TIN  M 

Voj'ci  les  jilanc/ies  enluminées ,  nf  ^/^. 


L 


ES  Naturaliflcs  modernes  ont  donné  à  cet  oifcau 
Je  nom  de  Faucon -lanicr  ou  Lanicr  cendre  ;  mais  il  nous 
paroit  être  non  -  feulement  d'une  efpèce,  mais  d'un 
genre  différent  de  ceux  du  faucon  <S:  du  lanier.  Il  cfl 
un  peu  plus  gros  qu'une  corneille  ordinaire,  &  il  a 
proportionnellement  le  corps  plus  mince  &  plus  dégagé, 
il  a  les  jambes  longues  &  menues,  en  quoi  il  diffère 
des  faucons  qui  les  ont  robufles  ^  courtes ,  cSc  encore 
du  lanier  que  Belon  dit  être  plus  court  empiété  qu'aucun 

(a)  Autre  oifcau  Saint-Martin.  Bclon  ,  H'ijl.  nat.  des  Oïfeaux  ^ 
page  I  04.  — Laniarïus  cinereus  Jive  falco  cinereo  albus.  Frifch  ,  planche 
J.XXIX ,  avec  une  figure  colonie.  — The  blue  Hawk,  Le  Faucon  bleu. 
Edwards,  Glanures ,  pi.  CCXXY ,  avec  une  figure  bien  coloriée.  — Le 
Lanier  cendre.  Brifîon  ,  Orn'uh.  tome  I,  page  ^  6 j . 

Nota.  Belon  n'iiéfite  pas  à  dire  qu'il  elt  de  la  même  efjjèce  que 
le  Jean  -  le  -  blanc  ,  &  en  même  -  temps  il  convient  qu'il  approche 
beaucoup  du  milan:  «  il  cft ,  dit -il,  encore  une  autre  efpèce  de 
»  jean-le-blanc  ou  oifenu  faini-manin  ,  lemblablement  nommée  blanche 
^^  queue ,  de  même  efpèce  que  le  fufdit  ;  mais  il  refTemble  beaucoup 
53  mieux  à  la  couleur  d'un  milan  royal ,  n'étoit  qu'il  eft  de  moindre 

5î  corpulence Il  reflemble  au  milan  royal  de  fi  près,  qu'on  n'y 

33  trouveroit  différence  ,  n'ctoit  qu'il  eft  plus  petit  &  plus  hhnc  fous 
i>  le  ventre ,  ayant  les  plumes  qui  touchent  le  croupion  en  la  queue , 
■>•>  tant  deffus  que  deflous  de  couleur  blanche  ;  anfll  eft  -  ce  de  cela 
qu'il  efl  iioninié  queue  blanche  fj,  Hifi,  nat,  des  Oifeaux,  page  j  0^ 


DE  l'oiseau  Saint-Martin.   213 

faucon ,  mais  par  ce  caraélère  des  longues  jambes ,  il 
reiïemble  au  jean  -  le -blanc  6c  à  la  Ibubufe;  il  n'a 
donc  d'autre  rapport  au  lanier  que  l'habitude  de  dé- 
ciiirer  avec  le  bec  tous  les  petits  animaux  qu'il  faifit, 
Si  qu'il  n'avale  pas  entiers,  comme  le  font  les  autres 
gros  oifcaux  de  proie:  il  faut,  dit  Aï.  Edwards,  le 
ranger  dans  la  claffe  des  faucons  à  longues  ailes  ;  ce 
feroit,  à  mon  avis,  plutôt  avec  les  bufcs  qu'avec  les 
faucons,  que  cet  oifcau  devroit  être  rangé,  ou  plutôt 
il  faut  lui  lai  (Ter  Çà  place  auprès  de  la  foubufe  ,  à 
laquelle  il  reiïemble  par  un  grand  nombre  de  caraélères, 
&  par  les  habitudes  naturelles. 

Au  relie  ,  cet  oifeau  fe  trouve  affcz  communément 
en  France,  aufTi-bien  qu'en  Allemagne  (Se  en  Angle- 
terre: celui  de  notre  planche  enluminée  a  été  tué  en 
Bourgogne.  M.  Frifch  a  donné  deux  planches  de  ce 
même  oifcau,  n!"  yc)  ir  So ,  qui  ne  diffèrent  pas  affez 
l'un  de  l'autre  pour  qu'on  doive  les  regarder  avec  lui 
comme  étant  d'efpèce  différente;  car  les  variétés  qu'il 
remarque  entre  ces  deux  oifcaux  font  trop  légères ,  pour 
ne  les  pas  attribuer  au  fexe  ou  à  l'âge.  M.  Edwards, 
qui  a  auifi  donné  la  figure  de  cet  oifeau,  dit  que  celui 
de  fa  planche  enluminée  a  été  tué  près  de  Londres  ,  <Sc 
il  ajoute  que  quand  on  l'aperçut,  il  voltigeoit  autour  du 
pied  de  quelques  vieux  arbres,  dont  il  paroiffoit  quel- 
quefois frapper  le  tronc  avec  le  bec  (Se  les  ferres,  en 
continuant  cependant  à  voltiger,  ce  dont  on  ne  put  dé-, 
couvrir  la  raifon  qu'après  l'avoir  tué  &  ouvert  ;  car  on  lui 

D  d  iij 


z 1 4.    Hi STOIRE  Na tu r elle,  ifc, 

trouva,  dans  reftomac,  une  vingtaine  de  petits  lézards, 
dcchircs  ou  coupés  en  deux  ou  trois  morceaux. 

En  comparant  cet  oifeau,  avec  ce  que  dit  Belon , 
de  Ton  fécond  oifeau  faint-martin  ,  on  ne  pourra  douter 
que  ce  ne  foit  le  même,  6c  indépendamment  fS^QS 
rapports  de  grandeur,  de  figure  &  de  couleur,  ces 
liabitudes  naturelles  de  voler  bas ,  &  de  chercher  avec 
avidité  6:  confiance  les  petits  reptiles  ,  appartiennent 
moins  aux  faucons  (Se  aux  autres  oifeaux  nobles ,  qu'à 
la  bufe,  à  la  harpaye  &:  aux  autres  oifeaux  de  ce  genre, 
dont  les  mœurs  font  plus  ignobles ,  6:  approchent  de 
celles  des  milans.  Cet  oifeau  bien  décrit  <5:  très -bien 
repréfenté  par  M.  Edwards  (planche  22J ) ,  n'cft  pas, 
comme  le  difent  les  Auteurs  de  la  Zoologie  Britan- 
ni([ue,  le  henharner ,  dont  ils  ont  donné  la  figure.  Ce 
font  des  oifeaux  différens,  dont  le  premier,  que  nous 
appelons  d'après  Belon  ,  V oifeau  fahii-marwi ,  a  ,  comme 
je  l'ai  dit,  été  indiqué  par  Al.''  Frifch  &:  BrifTon,  fous 
Je  nom  At  faucon-lanicr  Si  lan'ier  cendré  ;  le  fécond  de 
ces  oifeaux  qui  efl  W  fubbuico  de  Gefner,  (Se  que  nous 
appelons  y^//^//?^  a  été  nommé  aigle  à  queue  blanche  par 
Albin,  à.  faucon  à  collier  ^2X  M.  Briffon.  Au  rcftc  ,  les 
Fauconniers  nomment  cet  oifeau  faint-martin  ,  laharpaye- 
éperviQ'.  Harpaye  efl  parmi  eux  un  nom  générique,  qu'ils 
donnent  non -feulement  à  l'oifeau  faint-martin,  mais 
encore  à  la  foubufe  <5c  au  bufard-roux  ou  rouffeau,  dont 
nous  parlerons  dans  la  fuite. 


2IÎ 


LA    SOV  BV  SE  (a). 

Voyc^  les  -planches  enluminées ,  71  f^  /j.^^  ir  ^So  ; 
é^  -planche  IX  de  ce  volume. 

l_j  A  Soubufe  reflemble  à  l'oifeau  faint- martin  ,  par 
le  naturel  &:  les  mœurs  ;  tous  deux  volent  bas  pour 
faifir  des  mulots  <Sc  des  reptiles  ;  tous  deux  entrent 
dans  les  bafTes-cours ,  fréquentent  les  colombiers  pour 
prendre  les  jeunes  pigeons,  les  poulets;  tous  deux 
lont  oifeaux  ignobles,  qui  n'attaquent  que  les  foibles, 
&:  dès-lors  on  ne  doit  les  appeler  ni  faucons  ni  laniers 
comme  l'ont  fait  nos  Nomenclateurs.  Je  voudrois  donc 
retrancher  de  la  lifte  des  faucons,  ce  faucon  à  collier, 
6c  ne  lui  laiffer  que  le  nom  de  fouhufe ,  comme  au 
lanier  cendré,  celui  à'oifc\m  fabu-rjmrt'ni. 

Le  mâle  dans  la  foubufe,  eft,  comme  dans  les  autres 
oifeaux  de  proie,  confidérablement  plus  petit  que  la 
femelle;  mais  l'on  peut  remarquer  en  les  comparant, 

(a)  Suhhuteo.  Gefiier,  A\i.  pag.  48.  —  Pygargus  accip'itcr.  Wil- 
lughby  ,  Oïnhhol.  page  40.  — Aigle  à  queue  blanche.  Albin  ,  tome  II, 

page  ^  ,  planche  V ,  avec  une  figure  coloriée  du  mâle Perturbateur 

des  poules.  Albin,  tome  III,  page  2,  planche  III ,  avec  une  figure 
coloriée  Je  la  fiemclle.  —  Les  A  nglois  appellent  le  mâle ,  Henharrour 
ou  Henharrier ,  c'eft-à-dire,  Dechireur  de  poules,  —  Falco  torquatus: 
le  Faucon  à  collier.  Briflon ,  Ornilhol.  tome  I,  page  345.  —  The 
Henharrier;  îhe  maie ,  pi.  A  6.  The  Rmgtail ;  the  female ,  pi.  A  7. 
Briîifch  Zoology 


21 6    Histoire  Natu re lle,  ire, 

qu'il  n'a  point  comme  elle  de  collier,  c'eft-à-clîré; 
de  petites  plumes  hériiïees  autour  du  cou  :  cette  dif- 
férence qui  paroîtroit  être  un  cara(flère  fpécifique,  nous 
portoit  à  croire  que  l'oifeau  repréfenté  (planche  ^So) 
n'étoit  pas  le  mâle  de  la  foubufe  femelle,  repréfenté 
71°  ^^  ;  mais  de  très -habiles  Fauconniers  nous  ont 
aiïuré  la  chofe  comme  certaine,  <5c  en  y  regardant  de 
près,  nous  avons  en  effet  trouvé  les  mêmes  propor- 
tions entre  la  queue  &:  les  ailes,  la  même  diilribution 
dans  les  couleurs,  la  même  forme  de  cou,  de  tête  <Sc 
de  bec  ,  <5cc. ...  en  forte  que  nous  n'avons  pu  refifler 
à  leur  avis  :  ce  qui  fur  cela  nous  rendoit  plus  difficiles, 
c'efl:  que  prefque  tous  les  Naturalises  ont  donné  à 
Ja  foubufe  un  mâle  tout  différent ,  &  qui  efl  celui  que 
nous  avons  appelé  oifeau  faim  -  marthi  ;  Se  ce  n'cft 
qu'après  mille  6c  mille  comparaifons,  que  nous  avons 
cru  pouvoir  nous  déterminer  avec  fondement  contre 
leur  autorité.  Nous  obferverons  que  la  foubufe  fe 
trouve  en  France,  auffi-bien  qu'en  Angleterre;  qu'elle 
a  les  jambes  longues  <Sc  menues  comme  l'oifeau  faint- 
niartin  ;  qu'elle  pond  trois  ou  quatre  œufs  rougeâtres 
dans  des  nids  qu'elle  confiruit  fur  des  buiffons  épais; 
qu'enfin  ces  deux  oifeaux,  avec  celui  dont  nous 
parlerons  dans  l'article  fuivant,  fous  le  nom  àtharpaye , 
femblent  former  un  petit  genre  à  part  plus  voifin  de  celui 
des  milans  (5c  des  bufes ,  que  de  celui  des  faucons, 

LA  HARPAYE. 


F!    fX  Pa<>      i'^^ 


UJrUoje.JU. 


LA    SOUBUSE 


2.7 


LA    HARPAYE  (^)- 

Voye^  les  planches  enluminées j  nf  /f-do, 

dl  ARPAYE  efl  un  ancien  nom  générique  que  Ton 
donnoit  aux  oifeaux  du  genre  des  bufards  ou  bufards 
de  marais,  6c  à  quelques  autres  efpèces  voifines,  telles 
que  la  foubufe  &  l'oifeau  faint-martin ,  qu'on  appeloit 
harpaye-cperv'ier:  nous  avons  rendu  ce  nom  fpécifique, 
en  l'appliquant  à  refpèce  dont  il  efl  ici  qucftion  ,  à 
laquelle  les  Fauconniers  d'aujourd'hui  donnent  le  nom 
de  harpaye  -roiijfeau  :  nos  Nomenclateurs  l'ont  nommé 
bufard-roux ,  6c  M.  Frifcli  l'a  appelé  improprement 
Vdutour  ia?iîa' moyen ,  comme  il  a  de  même  &  tout  auiïi 
iinproprement  appelé  le  bufard  de  marais^  grand  vautour 
lanicr :  nous  avons  préféré  le  nom  fimple  de  harpaye , 
parce  qu'il  efl  certain  que  cet  oifeau  n'efl  ni  un  vautour 
ni  un  bufard:  il  a  les  mêmes  habitudes  naturelles  que 
les  deux  oifeaux  dont  nous  avons  parlé  dans  les  deux 
articles  précédens:  il  prend  le  poiflon  comme  le  jean- 
le-blanc  ,  &  le  tire  vivant  hors  de  l'eau;  il  paroît,  dit 
M.  Frifch,  avoir  la  vue  plus  perçante  que  tous  les 
autres  oifeaux  de  rapine,  ayant  les  fourcilsplus  avancés 
liir  les  yeux.  IJ  ic  trouve  en  France  comme  en 
Allemagne,  <S:  fréquente  de  préférence  les  lieux  bas  <Sc 

/'^^   Frifch,   tome  I,  planche   LXXVIII-  — Le  Bufard  roux. 
Brifloii,  tome  J,  page  40^, 

Oifeaux ,  Tome  I.  .  E  e 


2i8       HiSTOiRL  Naturelle 

les  bords  des  fleuves  Si  des  étangs;  8i  comme  pour 
le  refle  de  fes  habitudes  naturelles,  il  reffembie  aux 
précédens,  nous  n'entrerons  pas  à  Ton  fujet  dans  un 
plus  grand  détail. 

LE    B  V  S  A  R  D  (o), 

Vûje^  les  planches  enluminées ,  nf  42^;  ^7* planche  X 

de  ce  volume, 

VyN  appelle  communément  cet  oifeau,  le  ^///Or<^^^ 
viamis ;  mais  comme  il  n'exifle  réellement  dans  notre 
climat  que  celte  feule  efpèce  de  bufard ,  nous  lui 
avons  confervé  ce  nom  fimple:  on  lappcloit  autrefois 
fdu  - penlrkux ,  6c  quelques  Fauconniers  le  nomment 
auffi  liarpa)'c  à  tête  blanche  ;  cet  oifeau  efl  plus  vorace 
6c  moins  pareffcux  que  la  bufe  ,  &  c'eft  peut-être  par 
cette  feule  raifon  qu'il  paroît  moins  flupide  &:  plus 
méchant:  il  fait  une  cruelle  guerre  aux  lapins,  <Sc  il 
ell  aufîi  avide  de  poiffon  que  de  gibier  ;  au  lieu 
d'habiter  comme  la  bufe,  les  forêts  en  montagne,  il 

(a)  En  Grec,  Ktf'/j:^',  en  Latin,    C'ircus.  — Le  Fau-pcrdiicux. 
Bclon,   Hijh  Tiat.   des  O'ifenux ,   page   114.   — Circiis.  AIdrov.  Avh 

tom.  I,  png.  351 Ali/vus  œrug'inofus.  AIdrov.  tom.  1,  pûg.  j p  6, 

—  Bulard  de  marais.  Albin,  Xome  I ,  page  ^,  planche  lll ,  avec  une 
jigure  cokr'ûe.  — Vultur  fufcus ,  five  Laniarius.  Frifch,  pi.  LXXVJI, 
avec  une  bonne  figure  coloriic.  —  Le  Bufard  de  marais.  Bri/Ton ,  Orn'itk. 
tome  I,  page  401.  — The  mcor  Busard,  Britifcli  Zoohgy ,  pi.  A  5 , 
avec  une  figure  coloriée, 


DU    Busard.  219 

ne  fc  tient  que  dans  les  buiffons  ,  les  haies ,  \çs 
joncs,  6c  à.  portée  des  étangs,  des  marais  6c  des 
rivières  poifTonneiifes:  il  niclie  dans  les  terres  baffes, 
6c  fait  fon  nid  à  peu  de  hauteur  de  terre  ,  dans  des 
buiffons,  ou  môme  fur  des  mottes  couvertes  d'Jierbcs 
tpaiffes  :  il  pond  trois  œufs,  quelquefois  quatre;  6c 
quoiqu'il  paroiirc  produire  en  plus  grand  nombre  que 
la  bufc,  qu'il  foit  comme  elle,  oifeau  fédentaire  6c 
naturel  en  France,  6c  qu'il  y  demeure  toute  l'année, 
il  cfl  néanmoins  bien  plus  rare  ou  bien  plus  difficile 
à  trouver. 

On  ne  confondra  pas  le  bufard  avec  le  milan  noir, 
quoiqu'il  lui  refTcmble  à  plufieurs  égards,  parce  que 
le  bufard  a  comme  la  bufe ,  la  bondrée ,  &c.  .  . .  le 
cou  gros  6c  court;  au  lieu  que  les  milans  l'ont  beau- 
coup plus  long,  6c  on  diflingue  aifément  le  bufard 
de  la  bufe,  i .°  par  les  lieux  qu'il  habite;  2.°  par  le 
vol  qu'il  a  plus  rapide  6c  plus  ferme;  j.""  parce  qu'il 
ne  fe  perche  pas  fur  de  grands  arbres ,  6c  que  com- 
munément il  fe  tient  à  terre  ou  dans  des  buifTons  : 
4.''  on  le  reconnoît  à  la  longueur  de  fes  jambes  qui , 
comme  celles  de  l'oifeau  faint-martin  6c  de  la  foubufe, 
font  à  proportion  plus  hautes  6c  plus  menues  que 
celles  des  autres  oifeaux  de  rapine. 

Le  bufard  chafTe  de  préférence  les  poules  d'eau  y 
ks  plongeons,  les  canards  6c  les  autres  oifeaux  d'eau; 
il  prend  les  poifTons  vivans  6c  les  enlève  dans  fes 
ferres:  au  défaut  de  gibier  ou  de  poiffon,  il  fe  nourri| 

Ee  ij 


210      Hl  STO]  RE   NATU  RELLE,  i/c. 

de  reptiles,  de  crapauds,  de  grenouiHes  <5c  d'infedes 
aquatiques:  quoiqu'il  Toit  plus  petit  que  la  bufe ,  il  lui 
faut  une  plus  ample  pâture,  Si  c'efl  vraifcmblablement 
parce  qu'il  e(l  plus  vif,  ô<.  qu'il  ^c  donne  plus  de 
mouvement,  qu'il  a  plus  d'appétit;  il  eft  aulFi  bien  plus 
vaillant.  Bclon  adure  en  avoir  vu  qu'on  avoit  élevés 
à  chaffcr  &  prendre  des  lapins,  des  perdrix  <5c  des 
cailles;  il  vole  plus  pefamment  que  le  milan;  &.  lorf- 
•qu'on  veut  le  faire  cbaffer  par  des  faucons ,  il  ne 
s'élève  pas  comme  celui-ci ,  mais  fuit  horizontalement: 
un  feul  faucon  ne  fuffit  pas  pour  le  prendre,  il  fauroit 
s'en  débarrafler  &  même  l'abattre  ;  il  defcend  au  duc 
comme  le  milan,  mais  il  fe  défend  mieux,  es.  il  a  pliis 
de  force  <5c  de  courage;  en  forte  qu'au  lieu  d'un  fcuI 
faucon ,  il  en  faut  lâcher  deux  ou  trois  pour  en  venir 
à  bout.  Les  hobrcaux  &  les  crefTerelles  le  redoutent, 
évitent  fa  rencontre  ,  ë<.  même  fuient  lorfqu'il  ks 
approche. 


221 


OISEAUX  ÉTRANGERS, 

Qui  ont  rapport  au  Ail  LAN ,  aux  Bu  S  ES 

ir  Sou  BU  s  E  s. 
I. 

JL'oiSEAU  appelé  par  Caftell^y  ("dj ,  VEpery'icr  à  quelle 
d hirondelle  ;  &i  par  M.  Briiïbn ,  le  Aïilan  de  la  Cawimc. 
Cet  oifeaii ,  «  dit  CatclLy  ,  pèfe  quatorze  onces:  il  a 
le  bec  noir  <Sc  crochu;  mais  il  n'a  point  Je  crochets  « 
aux  côtés  de  la  mandibule  fupérieure  comme  les  « 
autres  éperviers  :  il  a  les  yeux  fort  grands  <?é  noirs ,  « 
&  l'iris  rouge  ;  la  tête ,  le  cou ,  la  poitrine  &  le  ventre  ce 
font  blancs,  le  haut  de  l'aile  <Sc  le  dos  d'un  pourpre  « 
foncé ,  mais  plus  brunâtre  vers  le  bas ,  avec  une  « 
teinture  de  vert;  les  ailes  font  longues  à  proportion  « 
du  corps  ,  6c  ont  quatre  pieds  ,  lorfqu'elles  font  « 
déployées  :  la  queue  efl  d'un  pourpre  foncé ,  mêlé  <«^ 
de  vert  (Se  très -fourchue;  la  plus  longue  plume  des  « 
côtés  ayant  huit  pouces  de  long  de  plus  que  la  plus  « 
courte  du  milieu:  ces  oifcaux  volent  long -temps,  « 
comme  les  hirondelles,  <5c  prennent  en  volant  les  « 
efcarbots ,  les  mouches,  <Sc  autres  infe6les  fur  les  « 
arbres<5cfur  les  buiiïons  :  on  dit  qu'ils  font  leur  proie  « 

(a)  Hift.  nat.  de  ia  Caroline,  tome  J,  P^ë'  4 y  planche  iv^  avec 
une  boiwe  figure  coioùee. 

Eeiii 


222        Histoire  Natu relle 

«  de  lézarJs  &  de  ferpens,  ce  qui  fait  que  quelques-' 
»  uns  les  ont  appelés  épemcrs  à  fo-peus.  Je  crois ,  ajoute 
>'  M.  CatelLy,  que  ce  font  des  oifeaux  de  paffage 
?j  (  en  Caroline  ) ,  n'en  ayant  jamais  vu  aucuns  pendanc 
l'hiver  ». 

Nous  remarquerons,  au  fujet  de  ce  que  dit  ici  cet 
Auteur  ,  que  l'oifeau  dont  il  cft  queflion  n'cfl  point 
un  épcrvier,  n'en  ayant  ni  la  forme  ni  les  mœurs;  il 
ap])roche  beaucoup  plus ,  par  les  deux  caracflcrcs,  de 
i'efpcce  du  milan;  (Se  fi  on  ne  veut  pas  le  regarder 
comme  une  variété  de  l'efpèce  du  milan  d'Europe, 
on  peut  au  moins  affurer  que  c'cfl  le  genre  dont  il 
approche  le  plus,  &  que  fon  efpèce  efl  infiniment  plus 
voifmc  de  celle  du  milan  que  de  celle  de  l'épervier. 

I  I. 

L'oiseau  appelé  C^rncara,  par  les  Indiens  du  Brefd, 
<5c  dont  Marcgrave  a  donné  la  ligure  &  une  aiïcz  courte 
indication  (h),  puifqu'il  fe  contente  de  dire  que  le 
caracara  du  Brefil ,  v\omx\\k,  gavion  par  les  Portugais, 
efl  une  efpèce  d'épervier  ou  de  petit  aigle  ( nifus ) 
de  la  grandeur  d'un  milan  ;  qu'il  a  la  queue  longue  de 
neuf  pouces,  les  ailes  de  quatorze,  qui  ne  s'étendent 
pas,  lorfqu'elles  font  pliées  jufqu'à  l'extrémité  de  la 
queue;  le  plumage  roux  &:  taché  de  points  blancs  6c 
jaunes;  la  queue  variée  de  blanc  6c  de  brun;  la  tête 
l^omme  celle  d'un   épervier;  le  bec  noir,  crochu  6c 

(h)  Marcgrave,  Hïjî,  nat.  Brafd,  pag.  211. 


r.'m     I 


ri  T  r,/ 


\    Sr^-,    Jr/, 


/      O    i^ttenèer^    je 


\.V.    BTSARD 


DES  Oiseaux  étrangers.      12^ 

médiocrement  grand  ;  les  pieds  jaunes  ,  les  ferres 
femblables  à  celles  des  éperviers ,  avec  des  ongles 
fémihmaires  ,  longs,  noirs  6c  très -aigus,  6c  les  yeux 
d'un  beau  jaune;  il  ajoute  que  cet  oifeau  efl  le  grand 
ennemi  des  poules ,  &  qu'il  varie  dans  fon  efpèce  ,  en 
ayant  vu  d'autres  dont  la  poitrine  <$c  le  ventre  étoienc 
blancs. 

I  I  L 

L'oiseau  des  terres  de  la  baie  de  Hudfon,  auquel 
M.  Edwards  a  donné  le  nom  de  Siife  cendrée  fcj,  6c 
qu'il  décrit  à  peu  près  dans  les  termes  fuivans.  Cet 
oifeau  efl  de  la  grandeur  d'un  coq  ou  d'une  poule  de 
moyenne  grofTcur  :  il  reflemble  par  la  figure,  <^  en 
partie  par  les  couleurs,  à  la  bufe  commune;  le  bec 
&  la  peau  qui  en  couvre  la  bafe,  font  d'une  couleur 
plombée  bleuâtre  ;  la  tête  <Sc  la  partie  fupcrieure  du 
cou,  font  couvertes  de  plumes  blanches,  tachées  de 
brun-foncé  dans  leur  milieu  :  la  poitrine  efl  blanche 
comme  la  tête,  mais  marquée  de  taches  brunes  plus 
grandes  :  le  ventre  6c  les  cotés  font  couverts  de  plumes 
brunes,  marquées  de  taches  blanches,  rondes  ou  ovales; 
les  jambes  font  couvertes  de  plumes  douces  6c  blanches, 
irrégulièrement  tachées  de  brun;  les  couvertures  du 
deffous  de  la  queue  font  rayées  tranfverfalement  de 
blanc  6c  de  noir:  toutes  les  parties  fupérieures  du  cou; 

fcJ  The  ash  coloured  Busard.  Edwards ,  H'tjl,  cf  Birds ,  tome  11^ 
ffl^c  ; ^;  pi  LUI,  ayec  m(  f^ure  bien  cohrià. 


224.     Histoire  Natu relle,  ire, 

du  dos,  des  ailes  6c  de  la  queue,  font  couvertes  de 
plumes  d'un  brun  cendré  plus  foncé  dans  leur  milieu, 
6c  plus  clair  fur  les  bords  ;  Jes  couvertures  du  deflbus 
des  ailes  font  d'un  brun  fombre  avec  des  taclies 
blanches  ;  les  plumes  de  la  queue  font  croifées  par-deffus 
de  lignes  étroites  ôc  de  couleur  obfcure,  (5c  par-deflbus 
croifées  de  lignes  blanches;  les  jambes  <5c  les  pieds 
font  d'une  couleur  cendrée  bleuâtre  ;  les  ongles  font 
noirs,  <5c  les  jambes  font  couvertes ,  jufqu'à  la  moitié 
de  leur  longueur,  de  plumes  d'une  couleur  obfcure: 
cet  oifeau  ,  ajoute  M.  Edwards  ,  qui  fe  trouve  dans 
les  terres  de  la  baie  de  Hudfon  ,  fait  principalement 
fa  proie  des  gelinotes  blanches.  Après  avoir  comparé 
cet  oifeau,  décrit  par  M.  Edwards,  avec  les  bufcs , 
foubufes,  harpayes  (5c  bufards,  il  nous  a  paru  différer 
de  tous  par  la  forme  de  fon  corps  (?c  par  fes  jambes 
courtes:  il  a  le  port  de  l'aigle  (5c  les  jambes  courtes 
comme  le  faucon  ,  (5c  bleues  comme  le  lanier;  il  femble 
donc  qu'il  vaudroit  mieux  le  rapporter  au  genre  du 
faucon  ou  à  celui  du  lanier,  qu'au  genre  de  la  bufe. 
Mais  comme  M.  Edwards  efl  im  des  hommes  du 
monde  qui  connoît  le  mieux  les  oifeaux ,  (5c  qu'il  a 
rapporté  celui-ci  aux  bufes;  nous  avons  cru  devoir 
ne  pas  tenir  à  notre  opinion  (Se  fuivre  la  fienne  :  c'eft 
par  cette  raifon  que  nous  plaçons  ici  cet  oifeau  à  fa 
fuite  des  bufes. 

VÉPER  VI EZ 


2i5 


■m 


L'ÉPERVIER  (a). 

Voje^  les  planches  enluminées,  iiT  ^  6  6  y  ^6j  (T^  12; 
voye^  ûujji  planche  X 1  de  ce  volume, 

V^uoiQUE  les  Nonienclateurs  aient  compté  plufieiirs 
efpcces  d'cperviers  ,  nous  croyons  qu'oji  doit  les 
réduire  à  une  feule.  M.  BrifTon  fait  mention  de  quatre 
cfpèces  ou  variétés;  favoir,  l'Épervier  commun,  CE- 
pervier  tacheté  ,  le  petit  Epervier  &  l'Epervier  àcs 
Alouettes;  mais  nous  avons  reconnu  que  cet  epervier 

(a)  En  Grec,  S-Tn^ictç  ;  en  Grec  moderne,  S^vTîd^;  en  Latin, 
acc'ip'iîer  fùngillarius ,  quod  fr'ingUlas  &  minores  ave  s  rapiat  ;  en  Italien, 
Spnrv'iero;  en  Ailemand,  Sperber  ou  Sperwen;  eu  Polonois ,  CroguUr; 
en  Suède,  Spacshoek  ;  en  Anglois,  Spar-hawk  ou  Sparrow-havk  ;  eit 
France ,  on  appelle  le  maie  Emouchet  ou  Alouchet.  —  Accipiierfnngïl- 

lanus.  Gcfner,  Avium ,  pag.  ^  i .  — Accipiier  minor,  idem,  pag.  ^2 

Nifus  recentiorum.  Gefner,  Icon.  Avium,  pag.  y.  Nifus  à  conatu , 
nifu,  quod  aves  multbfe  majores  rapere  nitatur.  — Epervier  ou  Eparvier. 
Bclon,  HiJÎ.  naî.  des  Oifeaux ,  page  1 2.1.  Fringillarius  accipiter  vulgà 
nifus  diâus.  AIdrov.  Avi.  îom.  I,  pag.  34^-  —Epervier.  Albin, 
tome  I ,  pûge  6 ,  planche  V ,  avec  une  figure  coloriée  de  la  femelle; 
Ù"  tome  III ,  page  2,  planche  IV,  avec  une  figure  coloriée  du  mâle. 
-^  Nifus  fdgittalus ,  five  accipiter  fringillarius.   Frifch  ,  planche  XC , 

tvec  une  figure  coloriée  de  i'épervier  hagard  ou  vieux Nifus  fagit^ 

tatus  aller  idem ,  planche  X  C 1 1 ,  avec  une  figure  coloriée  de  I'épervier- 
Tors  ou  jeune.  Nota.  Ces  deux  planches  ne  reprélentent  pas  deux 

oifeaux  différens Nifus  friatus ,  idem,  planche  XC ,  avec  uiic 

fiaure  coloriée  du  mâle.  —  L'Epervier.  Briflon ,  Ornilhol.  tome  ], 
page  310.  —  The  Sparrow-hawk.  Britifch  Zoology ,  planche  A  i  0 ; 
The  maie ,  planche  A   i  2  ,  The  female^ 

Oifeaux,  Tome  1.  •  F  f 


2i6        Histoire   Natu relle 

des  alouettes  n'efl  que  la  crefTerelIe  femelle.  Nous 
avons  trouvé  de  même,  que  le  petit  cpervier  n'cil 
que  le  tiercelet  ou  mâle  de  l'cpervicr  commun  ;  en 
forte  qu'il  ne  refle  plus  que  i'épervicr  tacheté,  qui 
n'efl  qu'une  variété  accidentelle  de  refpèce  commune 
de  l'épervier.  M.  Klein  fhj  efl  le  premier  qui  ait  indiqué 
cette  variété,  il  dit  que  cet  oifcau  lui  fut  envoyé  du 
pays  de  Marienbourg;  il  faut  donc  réduire  à  l'efpèce 
commune  le  petit  épervier,  aufli-bien  que  l'épervier 
tacheté»  (5c  féparer  de  cette  efpèce ,  l'épervier  des 
alouettes  qui  n'efl  que  la  femelle  de  la  crefTcrelIc. 

On  obfervera,  d'après  nos  planches  enluminées, 
que  le  tiercelet-fors  d'épervier ,  n."  ^f(f,  diffère  du 
tiercelet-hagard  ,  w/  ^(fy,  en  ce  que  le  fors  a  la  poitrine 
&  le  ventre  beaucoup  plus  blancs,  6c  avec  beaucoup 
moins  de  mélange  de  roux  que  le  tiercelet  liagard , 
qui  a  ces  parties  prefqu'entièrcment  rouffes  &.  tra- 
verfées  de  bandes  brunes;  au  lieu  que  l'autre  n'a  fur  la 
poitrine  que  des  taches  ou  des  bandes  beaucoup  plus 
irrégulières.  Le  tiercelet  d'épervier  s'appelle  vwuchet 
par  les  Fauconniers,  il  efl  d'autant  plus  brun  fur  le 
dos,  qu'il  efl  plus  âgé;  <^  les  bandes  tranfvcrfalcs  de 
la  poitrine  ne  font  bien  régulières  que  quand  il  a  paffé 
fa  première  ou  fa  féconde  mue:  il  en  efl  de  même  de 
Ja  femelle,  n!'  ^12 ,  qui  n'a  des  bandes  régulières  que 
lorfqu'elle  a  paffé  fa  féconde  mue  ;  <Sc  pour  donner 
une  idée  plus  détaillée  de  ces  différences  6c  de  ces 
changemens  dans  la  diflribution  des  couleurs ,  nous 
(b)  Klein,  Ordo  Amm,  pag,  j ^, 


DE     L*ÉPERVIEn,  liy 

remarquerons  que  fur  le  tiercelet-fors  ces  taches  de 
la  poitrine  6c  du  ventre,  font  prefque  toutes  fcparées 
les  unes  des  autres,  6c  qu'elles  préfcntent  plutôt  la 
figure  d'un  cœur  ou  d'un  triangle  émoufTé,  qu'une  fuite 
continue  6c  uniforme  de  couleur  brune.,  telle  qu'on 
la  voit  dans  les  bandes  tranfverfales  de  la  poitrine  6c 
du  ventre  du  tiercelet-hagard  d'cpervier,  c'efl-à-dire, 
du  tiercelet  qui  a  fubi  fes  deux  premières  mues  :  les 
mêmes  changemens  arrivent  dans  la  femelle;  ces  bandes 
tranfverfales  brunes,  telles  qu'on  les  voit  repréfentées 
dans  la  planche,  ne  font  dans  la  première  année  que 
des  taches  fcparées;  6c  l'on  verra  dans  l'article  de  l'au- 
tour, que  ce  changement  efl  encore  plus  confidérable 
que  dans  i'épervier;  rien  ne  prouve  mieux  combien 
font  fautives  les  indications  que  nos  Nomenclateurs  ont 
voulu  tirer  de  la  diflribution  des  couleurs,  que  devoir 
ie  même  oifeau  porter  la  première  année  des  taches  ou 
des  bandes  longitudinales  brunes,  defcendant  du  haut 
en  bas,  6c  préfenterau  contraire,  dans  la  féconde  année, 
des  bandes  tranfverfales  de  la  même  couleur:  ce  chan- 
gement, quoique  très-fmgulier ,  efl  plus  fcnfible  dans 
i'autour  6c  dans  les  éperviers,  mais  il  fe  trouve  auffi  plus 
ou  moins  dans  plufieurs  autres  efpèces  d'oifeaux  ;  de 
forte  que  toutes  les  méthodes  fondées  fur  renonciation 
des  diticrcnces  de  couleur  6c  de  la  diflribution  des 
taches ,  fe  trouvent  ici  entièrement  démenties. 

L'épervier   refle  toute   Tannée   dans    notre  pays  ; 
i'cfpèce  en  efl  alTcz  nombreufe:  on  m'en  a  apporté 

Ff  ij 


228       Histoire  Natu relie 

pliifieiirs  dans  la  plus  mauvaife  faifon  de  l'hiver,  qu'ort 
avoit  tués  dans  les  bois;  ils  font  alors  très  -  maigres, 
&  ne  pèfeQt  que  (îx  onces  :  le  volume  de  leur  corps 
eft  à  peu  près  ie  même  que  celui  du  corps  d'une  pie; 
la  femelle  efl  beaucoup  plus  grofle  que  ie  mâle;  elle 
fait  ion  nid  fur  les  arbres  les  plus  élevés  des  forêts; 
elle  pond  ordinairement  quatre  ou  cinq  œufs  >  qui  font 
lâchés  d'un  jaune  rougeâtre  vers  leurs  bouts.  Au  refle 
Tépervier,  tant  mâle  que  femelle,  eft  affez  docile: 
on  i'apprivoife  aifément,  <Sc  Ton  peut  le  dreller  pour 
la  cbaffc  des  perdreaux  &  des  cailles;  il  prend  aufii 
des  pigeons  féparés  de  leur  compagnie ,  6c  fait  une 
prodigieufe  dellrucftion  des  pinçons  &  des  autres 
petits  oifeaux  qui  fe  mettent  en  troupes  pendant  l'hiver; 
il  faut  que  l'efpèce  de  i'épervier  foit  encore  plus  nom- 
Lreufe  qu'elle  ne  le  paroît ,  car  indépendamment  de  ceux 
qui  rcftent  toute  l'année  dans  notre  climat,  il  paroît 
que  dans  certaines  faifons ,  il  en  palfe  en  grande  quantité 
dans  d'autres  pays  fcj,  Se  qu'en   général   Tcfpèce  fe 

fcj  Nota.  Je  crois  devoir  rapporter  ici  en  entier  un  aiïez  long  récit 
de  Belon  ,  qui  prouve  le  paflngc  de  ces  oifeaux ,  &  indique  en  même 
temps  la  manière  dont  on  les  prend,  u  Nous  étions ,  dit-il,  à  la  bouche 
»  du  Pont-Euxin,  où  commence  le  détroit  du  Propontide;  nous 
x>  étions  montés  fur  la  plus  haute  momaorne,  nous  trouvâmes  un  Oi- 
39  feleur  qui  prenoit  des  éperviers  de  belle  manière;  &  comme  c'étoit 
»  vers  la  fin  d'Avril,  lorfque  tous  oifeaux  font  empêchés  à  foire  leurs 
3»  nids ,  il  nous  fembloit  étrange  voir  tant  de  milans  &  d'éperviers  de 
3î  venir  de-là  par  de  devers  le  côté  dextre  de  la  mer  majeure:  l'Oi- 
5>  feleur  les  prennoit  avec  grande  induflrie ,  &  n'en  failloit  pas  un  ;  il 
j>  en  prennoit  plus  d'une  douzaine  à  chaque   heure ,  il  ctoit  cache 


lent    f 


/'/    .»/   /'u</    Zi.' 


S(ff  ,u: 


Hjiu\'Jrd  I 


L  EPERVIER 


DE      V  É  P   E   R   V    1  E  R.  229 

trouve  répandue  dans  l'ancien  continent  (d) ,  depuis 
la  Suède  (e)  jufqu'au  cap  de  Bonne-efpérance  (f), 

derrière  un  buifTon ,  au-devant  duquel  il  avoit  fait  une  aire  unie  &  te 
carrée,  qui  avoit  deux  pas  en  diamètre,  diflante  environ  de  deux  ou  « 
trois  pas  du  buiflon  ;  il  y  avoit  fix  bâtons  fiches  autour  de  l'aire,  ce 
qui  étoient  de  la  groHèur  d'un  pouce  &  de  la  hauteur  d'un  homme ,  <c 
trois  de  chaque  côté  ,  à  la  fummité  delquels  il  y  avoit  en  chacun  une  c« 
coche  entaillée  du  côté  de  la  place,  tenant  un  rets  de  fil  vert  fort  « 
délié ,  qui  étoit  attaché  aux  coches  des  bâtons,  tendus  à  la  hauteur  « 
d'un  homme ,  &  au  milieu  de  la  place  il  y  avoit  un  piquet  de  la  «e 
hauteur  d'ime  coudée ,  au  faîte  duquel  il  y  avoit  une  cordelette  atta-  u 
chce ,  qui  répondoit  à  l'homme  caché  derrière  le  buiffou;  il  y  avoit  ce 
aulfi  plulieurs  oileaux  attachés  à  la  cordelette,  q^ui  paifloient  le  grain  c« 
dedans  l'aire,  lelcjuels  l'Oiielcur  faifoit  voler  lorlqu'il  avoit  advife  « 
i'épervier  de  loin  venant  du  côté  de  la  mer  ;  &  l'épervier  ayant  fi  « 
bonne  vue,  dès  qu'il  les  voyoit  d'une  demi-lieue,  lors  prenoit  fon  ce 
vol  à  ailes  déployées,  &  vcnoit  fi  roidement  donner  dans  le  filer,  c* 
penlant  prendre  les  petits  oileaux  ,  qu'il  demeuroit  encré  leans  ce 
enféveli  dedans  les  rets;  alors  l'Oifelcur  le  prennoit  &  lui  fichoit  les  ce 
ailes  jufqu'au  pli  dedans  un  linge  qui  étoit  là  tout  prêt  expreflement  ce 
coufu  ,  duquel  il  lui  lioit  le  bas  des  ailes  avec  les  cuifles  &  la  queue  ,  ce 
&  l'ayant,  laifi^oit  l'épervier  contre  terre  qui  ne  pouvoir  ne  fe  remuer  ce 
ne  (ê  débattre:  Nul  ne  Cuiroit  pcnfer  de  quelle  part  vcnoient  tant  ce 
d'éperviers,  car  étant  arrêté  deux  heures,  il  en  print  plus  de  trente;  ce 
tellement  qu'en  im  jour  un  homme  feul  en  prcndroit  bien  près  c< 
d'une  centaine.  Les  milans  &  les  éperviers  venoicnt  à  la  file  qu'on  <c 
advifoit  d'auffl  loin  que  la  vue  fe  pouvoir  étendre.  Belon,  Hijl.  nat.  «e 
Ms  Oifeûux ,  page  1 2  i  >^<. 

(d)  Les  éperviers  font  communs  au  Japon  ,  de  même  que  par-tout 
ailleurs  dans  les  Indes  orientales.  Kœmpfer,  Hïjl.  du  Japon  ,  tome  I , 
fageiis. 

(e)  Linnaeus,  Faunn  Suecka ,  n.'  6  S, 

(f)  Kolbe,  Defcr'ipl.  du  çop  de  Bonne-efpér,  t.  UJ,  p.  i  6 j  &  16 S». 


230      Histoire  Natu relle 


VA  UT  O  U  R  (a). 

Vûjci  les  planches  enluminées,  nf^  ^61   cT  ^18; 
Vojei  aujjî  planche  XI I  de  ce  volume. 

L'autour  efl  un  bel  oifcaii ,  beaucoup  plus  grand 
que  l'Épcrvier,  auquel  il  reflemble  néanmoins  par  les 
habitudes  naturelles ,  &  par  un  caradère  qui  leur  efl 
commun,  &.  qui  dans  les  oifeaux  de  proie  n'appartient 
qu'à  eux  &:  aux  pie -grièches  ;  c'efl  d'avoir  les  ailes 
courtes;  en  forte  que  quand  elles  font  pliées,  elles 
ne  s'étendent  pas  à  beaucoup  près  à  l'extrémité  de  la 
queue:  il  reiïemble  encore  à  l'cpervier,  parce  qu'il  a, 
comme  lui ,  la  première  plume  de  l'aile  courte ,  arrondie 
par  fon  extrémité;  &i  que  la  quatrième  plume  de  l'aile 

(û)  En  Grec,  A'çeiiaç AcàpUer Jlellar'u ;  en  Latin  mo- 
derne, Ajlur  ;  en  Italien,  Ajfore  ;  en  Allemand,  Habïch ,  Grojfer^ 
Jlûbich  :  en  Polonois ,  Jiijlr^abwiclhi  ou  JaJIriabgo/ebiow ;  en  An- 
olois ,  Stûf-hawk  ou  Cof-hawk,  ou  Egret.  Accipiter  major  Jirmico  & 

riC(nlionbus  ajlur.  Cefner,  Icon.  Avi.  pag.  7 Gefner,  Av'ium , 

p(tcr.  ^ Accipiter  palumbarius.   Gefner,  Avi.  pag.   j  j .  —  AI- 

ilrov.  tome  1,  page  ^jf.2 AJlerins.  Aidrov.  tome  J,  page  ^^  ^. 

—  Autour.  Albin,  tome  II,  page  j ,  planche  VJII ,  avec  une  figure 

coloriée.  .  .  Milms,  five  ajïur.  Autour.  Frillh,  pL  LXXIJ,  avec  une 

6gure  coloriée.  — Ts^ota.  C'efl:  l'Autour  blond-fors....  Accipiter  Jlellarius 

fve  guttatus  Afiliin,  Frifch ,  pi.  LXXIIJ,  Noîa.C'çH  une  variété  de 

l'autour  blond- fors Fako  fagittatus.  Frifch  ,  planche  LXXXf , 

avec  la  figure  coloriée  de  la  femelle  après  fa  première  mue.  .  .  Falco. 
Frifch,  planche  LXXXii ,  avec  h  figure  de  la  même  femelle,  mai* 
plus  vieille.  —  L'Autour.  BriiTon,  tome  I ,  page  ^  i  J- 


DE    l'  A  u  T  o  V  n  231 

cfl  la  plus  longue  de  toutes.  Les  Fauconniers  dininguent 
les  oiieaux  de  chafTe  en  deux  dalles;  fa\oir,  ceux  de 
la  fauconnerie  proprement  dite,év  ceux  qu'ils  appellent 
de  X amour ferïe ;  &  dans  cette  féconde  claffe,  ils  com- 
prennent non-feulement  l'autour,  mais  encore  l'épervier, 
les  Jiarpayes,  les  bufes ,  6cc. 

L'autour  avant  fa  première  mue,  c*efl-à-dire,  pen- 
dant la  première  année  de  fon  âge,  porte  fur  la 
poitrme  ^  fur  le  ventre,  des  taches  brunes  perpendi- 
culairement longitudinales  ;  mais  lorfqu'il  a  fubi  fes 
deux  premières  mues,  ces  taches  longitudinales  difpa- 
roiffent,  &  il  s'en  forme  de  tranfverfales,  qui  durent 
enfuite  pour  tout  le  refle  de  la  vie;  en  forte  qu'il  eft 
très-facde  de  fe  tromper  fur  la  connoiffance  de  cet 
oifeau  qui  dans  A^wy.  âges  difïérens,  eft  marqué  fi 
dirtèremment;  &:  c'efl:  ce  que  nous  avons  voulu  pré- 
venir &  faire  connoître  ,  en  le  reprcfentant  dans  fes 
deux  âges  :  la  piancîie  ^Ci  eft  le  jeune  autour,  (Se  la 
flanche  ^/^^  l'autour  plus  âge. 

Au  refle,  l'autour  a  les  jambes  plus  longues  que  les 
autres  oifeaux  qu'on  pourroit  lui  comparer  &  prendre 
pour  lui  (b) ,  comme  le  gerfaut  qui  efl  à  très-peu  près 
de  fa  grandeur:  le  mâle  autour,  eft  comme  la  plupart 
des  oifeaux  de  proie,  beaucoup  plus  petit  que  la  femelle: 

(h)  Nota.  M.  Linnxus  a  pris  le  gerfaut  pour  l'autour,  Gyr.  falco. 
Linn.  Hip.  nat.  edit.  VI,  gen.  S  ^ .  Jp-  /  0.  II  efl:  néanniouis  très-aifé 
de  les  diftinguer ,  car  ordinairement  l'autour  a  les  piedî  d'un  beau, 
jaune,  &  le  gerfaut  les  a  pâles  &  bleuâtres. 


232        Histoire  Natu relle 

tous  deux  font  des  oifeaux  de  poing  6c  non  de  leurre; 
ils  ne  volent  pas  auiïî  haut  que  ceux  qui  ont  les  ailes 
plus  longues  à  proportion  du  corps  ;  ils  ont,  comme 
je  l'ai  dit,  plufieurs  habitudes  communes  avec  répcrvier; 
janTais  ils  ne  tombent  à  plomb  Air  leur  proie;  ils  la 
prennent  de  côté.  On  a  vu  par  le  récit  de  Belon ,  que 
nous  avons  cité,  comment  on  peut  prendre  les  cpcrvicrs: 
on  peut  prendre  les  autours  de  la  même  manière;  on 
met  un  pigeon  blanc,  pour  qu'il  foit  vu  de  plus  loin, 
entre  quatre  filets  de  neuf  ou  dix  pieds  de  hauteur, 
&i  qui  renferment  autour  du  pigeon  qui  eft  au  centre , 
un  efpace  de  neuf  ou  dix  pieds  de  longueur  fur  autant 
de  largeur;  l'autour  arrive  obliquement,  Si  la  manière 
dont  il  s'empêtre  dans  les  filets  ,  indique  qu'ils  ne  fe 
précipitent  point  fur  leur  proie ,  mais  qu'ils  l'attaquent  de 
côté  pour  s'en  faifir  :  les  entraves  du  filet  ne  l'empêchent 
pas  de  dévorer  le  pigeon,  <Sl  il  ne  fait  de  grands  efforts 
pour  s'en  débarraffer,  que  quand  il  efl  repu. 

L'autour  fe  trouve  dans  les  montagnes  de  Franche- 
comté  ,  du  Dauphiné,  du  Bugey,  6c  même  dans  les 
forêts  de  la  province  de  Bourgogne  <&.  aux  environs 
de  Paris  ;  mais  il  efl  encore  plus  commun  en  Allemagne 
qu'en  France,  Si  l'efpèce  paroît  s'être  répandue  dans 
les  pays  du  Nord  jufqu'en  Suède;  <5c  dans  ceux  de 
l'Orient  ôi  du  Midi,  jufqu'en  Perfe  <Sc  en  Barl)arie; 
ceux  de  Grèce  font  les  meilleurs  de  tous,  pour  la 
fauconnerie,  félon  Belon;  «  ils  ont,  dit -il,  la  tête 
»>  grande,  le  cou  gros  <5c  beaucoup  de  plutnes;  ceux 

d'Arménie, 


DE     l'  A  U  T  0  V  n,  233 

d'Arménie,  ajoute- 1- il,  ont  les  yeux  verts;  ceux  ce 
de  Perfe  les  ont  clairs,  concaves  <?c  enfonces;  ceux  « 
d'Afrique,  qui  font  \cs  moins  cflimés,  ont  les  yeux   « 
noirs  dans  le  premier  âge ,  <Sc  rouges  après  la  première  « 
mue   »;   mais   ce  caractère    n'efl  pas   particulier  aux 
autours  d'Afrique;  ceux  de  notre  climat  ont  les  yeux 
d'autant  plus  rouges  qu'ils  font  plus  agcs;  il  y  a  mcmc 
dans  les  autours  de  France,  une  différence  ou  variété 
de  plumage  Si  de  couleur  qui  a  induit  les  Naturaliflcs 
en  une  efpèce  d'erreur  fcj ;  on  a  appelé  biifard  ( royc-^ 
les  planches    cnliim'inccs   11°    ^^J ) ,   un    autour  dont    le 
plumage  efl  blond  ,  dL  dont  le  naturel   plus  lâche  que 
celui   de   J 'autour  brun  ,  <Sc   moins   fufceptible   d'une 
bonne  éducation,  l'a  fait  regarder  comme  une  efpèce 
de  bufe  ou  bufard  ,  &i  lui  en  a  fait  donner  le  nom  :  c'efl 
néanmoins  très -certainement  un  autour,  mais  que  les 
Fauconniers  rejettent  de  leur  école.  II  y  a  encore  une 
variété  affez  légère  dans  cet  autour  blond,  qui  confifte 
en  ce  qu'il  s'en  trouve  dont  les  ailes  font  tachées  de 
W:xx\c ,  <5c  ce  caracflère  lui  a  fait   donner   le  x\om  de 
hufar cl  varié  ;  mais  cet  oifeau  varié,  auffi-bien  que  celui 
qui  cfl  blond,  font  également  des  autours,  (5<  non  pas 
des  bufards. 

(c)  Nota.  -M.  Brinon  a  donné  fous  le  nom  6e gros  bufard  (tome  1 , 
page  S  9  ^)>  ^^^  autour  blond,  dont  il  fait  une  cfpcccpariiculicrc,  noii- 
fculeinent  diftcrcnic  de  celle  de  l'auiour,  mais  encore  de  toutes  les 
autres  efpcces  de  bu  lards  ;  cependant  il  cfl  très -certain  que  ce  n'eft 
qu'une  variété ,  même  légère  dans  l 'efpèce  de  l'autour,  car  il  n'en  diffère 
en  rien  que  par  la  couleur  du  plumage. 

O'ifcaus ,  Tome  L  ?  ^  S 


2J4       Histoire  Natv relle 

J'ai  fait  nourrir  long-temps  un  mâle  6c  une  femelle 
de  l'efpèce  de  l'autour  brun  ;  la  femelle  étoit  au  moins 
d'un  tiers  plus  groffe  que  le  mâle  ;  il  s'en  falloit  plus 
de  fix  pouces  que  les  ailes,  lorfqu'elles  étoient  pliécs, 
ne  s'étendidcnt  jufqu'à  l'extrémité  de  la  queue  :  elle 
étoit  plus  groffe  dès  VXge.  de  quatre  mois  ,  qui   m'a 
paru  être  le  terme  de  l'accroilTemcnt  de  ces  oifeaux , 
qu'un  gros  chapon.  Dans  le  premier  âge  jufcju  a  cinq 
ou  Çi\  femaines  ,  ces  oifeaux  font  LÏun  gris  blanc;  ils 
prennent  enfuite  du  brun  fur  tout  le  dos,  le  cou  Si  les 
ailes  ;   le  ventre  ôi.  le  deiïous  de  la  gorge   changent 
moins,  &.  font  ordinairement  blancs  ou   blancs  jau- 
nâtres ,  avec  des  taches  longitudinales  brunes  dans  la 
première  année,  6c  des  bandes  tranfverfales  brunes  dans 
les  années  fuivantes.  Le  bec  efl  (\\m  bleu  fale,  6:  la 
membrane  qui  en  couvre  la  bafe  efl  d'un  bleu  livide: 
les  jambes  font  dénuées  de  plumes,  6c  les  doigts  des 
pieds  font  d'un  jaune  foncé:  les  ongles  font  noirâtres, 
6c  les  plumes  de  la  queue  qui  font  brunes,  font  mar- 
quées par  des  raies  tranAerfales  fort  larges,  de  couleur 
d'un   gris   fale.  Le  mâle  a  fous  la  gorge,  dans  cette 
première  année  d'âge,  les  plumes  mêlées  d'une  couleur 
rouiïâtre ,    ce    que   n'a    pas   la    femelle,  à  laquelle    il 
reffemble  par  tout  le  refle,  à  l'exception  de  la  groffeur, 
qui,  comme  nous  l'avons  dit,  efl  de  plus  d'un  tiers 
au-deffous. 

On  a  remarqué  que  quoique  le  mâle  (ùi  beaucoup 
plus  petit  que  la  femelle,  W  cloit  plus  féroce  6c  plu» 


DE      L'   A    U   T   O   U   R.  255 

niccliant:  ils  font  tous  d^wx  aiïez  difficiles  à  priver; 
ils  fe  battoient  fouvent,  mais  plus  des  griffes  que  du 
bec  ,  dont  ils  ne  fe  fervent  guère  que  pour  dépecer 
\ts  oifeaux  ou  autres  petits  animaux,  ou  pour  bleffer 
<Sc  mordre  ceux  qui  les  veulent  faifu'i  ils  commencent 
par  fe  défendre  de  la  griffe,  fe  renverfent  fur  le  dos, 
en  ouvrant  le  bec  ,  6c  cherchent  beaucoup  plus  à 
déchirer  avec  les  ferres  qu'à  mordre  avec  le  bec. 
Jamais  on  ne  s'efl:  aperçu  que  ces  oifeaux,  quoique 
feuls  dans  la  même  volière,  aient  pris  de  l'affecftion 
l'un  pour  l'autre;  ils  y  ont  cependant  paffé  la  faifon 
entière  de  l'été,  depuis  le  commencement  de  mai  juf- 
qu'à  la  fin  de  novembre,  où  !a  femelle,  dans  un  accès 
de  fureur,  tua  le  mâle  dans  le  filence  delà  nuit,  à 
neuf  ou  dix  heures  du  foir,  tandis  que  tous  les  autres 
oifeaux  étoicnt  endormis:  leur  naturel  efl  fi  fanguinaire, 
que  quand  on  laiffe  un  autour  en  liberté  avec  plufieurs 
faucons  ,  il  les  égorge  tous  les  uns  après  les  autres  ; 
cependant  il  femble  manger  de  préférence  les  fouris  , 
les  mulots  &:  les  petits  oifeaux:  il  fe  jette  avidement 
fur  la  chair  faignante,  <5c  refufe  affez  conftamment  la 
viande  cuite;  mais  en  le  faifant  jeûner,  on  peut  le 
forcer  de  s*en  nourrir:  il  plume  les  oifeaux  fort  pro- 
prement, 6c  enfuite  les  dépèce  avant  de  les  manger, 
au  lieu  qu'il  avale  les  fouris  tout  entières.  Ses  excrémens 
font  blanchâtres  6:  humides  :  il  rejette  fouvent  par  le 
vomiffenient  les  peaux  roulées  des  fouris  qu'il  a  avalées. 

Gg  ij 


2^6    Histoire  Naturelle,  i^c. 

Son  cri  efl  fort  rauqiie,  <Sc  finit  toujours  par  des  fons 
aigus,  d'autant  plus  défagrcabies  qu'il  les  répète  plus 
fouvent  ;  il  marque  aufîi  une  inquiétude  continuelle 
dès  qu'on  l'approche,  <&:  femble  s'effaroucher  de  tout; 
en  forte  qu'on  ne  peut  palfer  auprès  de  la  volière  où 
il  eil  détenu  ,  fans  le  voir  s'agiter  violemment ,  6c 
i'entcndre  jeter  plufieurs  cris  répétés. 


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PI    XE  Fac  1  ^^c> 


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I,     AU  TOI   H 


237 


OISEAUX  ÉTRANGERS, 

Qui  ont  rapport  à  VEpervier  if  à  V Autour. 

I. 

L'oiseau  qui  nous  a  été  envoyé  de  Cayenne  fans 
aucun  nom  ,  &  que  nous  avons  fait  repréfentcr  dans 
nos  planclies  enluminées,  n'  ^^^f ,  fous  la  dénomina- 
tion diÉpcn'ier  à  gros  bec  de  Cayenne ,  parce  qu'en  effet 
il  a  plus  de  rapport  à  Tépervier  qu'à  tout  autre  oifeau 
de  proie;  il  e(l  feulement  un  peu  plus  gros ,  6c  d'une 
forme  de  corps  un  peu  plus  arrondie  que  l'épervier;  il 
a  audi  le  bec  plus  gros  6c  plus  long,  les  jambes  un 
peu  plus  courtes  ;  le  defTous  de  la  gorge  d'une  couleur 
uniforme  6c  vineufe;  au  lieu  que  l'épervier  a  cette 
même  partie  blanclie  ou  blanchâtre,  mais  du  refle , 
il  rciïemble  aiïez  à  l'épervier  d'Europe,  pour  qu'on 
puiffe  le  regarder  comme  étant  d'une  efpèce  voifme, 
6c  qui  peut-être  ne  doit  fon  origine  qu'à  l'influence 

du  climat. 

I  ï. 

L'oiseau  qui  nous  a  été  envoyé  de  Cayenne  fans 
nom,  6c  auquel  nous  avons  cru  devoir  donner  celui 
de  petit  nuîour  de  Cayenne,  parce  qu'il  a  été  jugé  du 
genre  de  l'autour  par  de  très -habiles  Fauconniers. 
J'avoue  qu'il  nous  a  paru  avoir  plus  de  rapport  avec 
le  lanier,  tel  qu'il  a  été  décrit  par   Belon,  qu'avec 

G  g  iij 


238    Histoire  N atv relle,  te 

l'autour;  car  il  a  les  jambes  fort  courtes  6c  de  cou- 
leur bleue,  ce  qui  fait  deux  caracftères  du  lanicr, 
mais  peut-être  n'ell-il  réellement  ni  lanicr  ni  autour. 
Il  arrive  tous  les  jours  qu'en  voulant  rapporter  des 
oifeaux  ou  des  animaux  étrangers  aux  cfpèccs  de  notre 
climat ,  on  leur  donne  des  noms  qui  ne  leur  con- 
viennent pas,  ^  il  eft  trcs-pofnble  que  cet  oifeau  de 
Cayenne  que  nous  prcfentons  ici  (ylauche  ^^J^ ) ,  foit 
d'une  efpece  particulière  6c  différente  de  celles  de 
l'autour  6:  du  lanier. 

I  I  I. 

L'oiseau  de  la  Caroline,  donné  par  CatcfLy  (a), 
fous  le  nom  à^épervïer  des  pigeons ,  qui  a  le  corps  plus 
mince  que  l'épervier  ordinaire,  l'iris  des  yeux  jaune, 
ainfi  que  la  peau  qui  couvre  la  bafc  du  bec,  les  pieds 
de  la  même  couleur;  le  bec  blanchâtre  à  fon  origine, 
Si  noir  vers  fon  crochet;  le  deffus  de  la  tcte ,  du  cou, 
du  dos,  du  croupion,  des  ailes  (5c  de  la  queue,  couvert 
de  plumes  blanches  mêlées  de  quelques  plumes  brunes; 
les  jambes  couvertes  de  longues  plumes  blanches , 
mêlées  d'une  légère  teinte  rouge ,  <5c  variées  de  taches 
longitudinales  brunes. . . .  Les  plumes  de  la  queue  brunes 
comme  celles  des  ailes,  mais  rayées  de  quatre  bandes 
tranfverfales  blanches. 

(a)  Pigeon  hawl<.  H'iji.  nat.  cf.  Carol.  ly  Marc.  Catefby,  tome  I, 
page  ^ ,  planche  III ,  avec  une  figure  coloriée. 


239 


LE   GERFAUT  (a). 

Vû}'ci  les  planches  enluminées,  71  f^  21  0 ,  ^62  ir  ^^  6; 
Vûjei  mijjî  planche  xili  de  ce  volume. 

Le  Gerfaut,  tant  par  fa  figure  que  par  le  naturel,  doit 
être  regardé  comme  le  premier  de  tous  les  oifeaux 
de  ia  fauconnerie;  car  il  les  furpaffe  de  beaucoup  en 
grandeur:  il  eft  au  moins  de  la  taille  de  l'autour;  mais 
il  en  diffère  par  des  caracflères  généraux  (Se  conftans ,  qui 
diflinguent  tous  les  oifeaux  propres  à  être  élevés  pour 
ia  fauconnerie,  de  ceux  auxquels  on  ne  peut  pas  donner 
ia  même  éducation.  Ces  oifeaux  de  chafTe  noble  font 
les  gerfauts,  les  faucons,  les  facres,  les  lanicrs,  les 
liobreaux  ,  les  émcrillons  <Sc  les  creffcrelles  :  ils  ont 
tous  les  ailes  prefqu'auffi  longues  que  la  queue  ;  la 
première  plume  de  l'aile  appelée  le  cerceau,  prcfqu'aufTi 
longue  que  celle  qui  la  fuit ,   le  bout  de  cette  plume 

(a)  En  Italien,  Zcr'ifalco  ou  Gïrïfalco  ou  Gerifalco ;  en  Alle- 
mand, Gierfiilck  ou  Girfalck  ou  Alïtld-falck  ;  en  Polonois,  Bialo-^or; 
en  Mofcovie,  Krct-^el  o\x  Kic-{ot  ;  en  Anglois,  Gyrfalcon  ou  Gerfalcoa; 
les  AntWois  appellent  le  màle  Jerk'in.  Nota.  Ce  mot  Gerfaut  ou 
Gyrfiilco,  fignifie  Faucon-vautour,  Gyr  ou  Gyer,  fi gn'\fi:xm  Vautour  en 
Allemand.  —  Gcrfîmt.  Belon  ,  i///?.  nat.  des  Oifeaux ,  page  5)4.. 
—  Gyrfako.  Aidrov.  tome  I,  page  ^7/.  —  Morphr\os  Belonii.  AIdrov. 
A\i.  tome  I,  page  Z12.  —Faucon  d'Iflande.  H'if.  d'Jfande ,  par 
jinderfon,  tome  I,  page  80.  —  Le  Gerfiuu,  planche  XXX ,  fig.  ji, 
BrilTon,  Omit/i.  tome  I,  page  ^yo;  6<.  page  ^y^  ,  planche  xxxi.. 


240       Histoire  Naturelle 

en  penne  ou  en  forme  de  tranchant  ou  de  lame  de 
couteau,  fur  une  longueur  d'environ  un  pouce  à  fon 
extrémité;  au  lieu  que  dans  les  autours,  les  épervicrs, 
les  milans  6c  les  bufes,  qui  ne  font  pas  oifcaux  auffi 
nobles  ni  propres  aux  mêmes  exercices;  la  queue  eft 
plus  longue  que  les  ailes,  (5:  cette  première  plume  de 
l'aile  cfl  beaucoup  plus  courte  6c  arrondie  par  fon 
extrémité;  &i  ils  dilfcrent  encore  en  ce  que  la  quatrième 
plume  de  l'aile  cfl  dans  ces  derniers  oifeaux  la  plus 
longue,  au  lieu  que  c'cfl  la  féconde  dans  les  premiers. 
On  peut  ajouter  que  le  gerfaut  difîère  fpécili([uement 
de  l'autour  par  le  bec  6c  les  pieds  qu'il  a  bleuâtres, 
6v  par  fon  plumage  qui  efl:  brun  fur  toutes  les  parties 
fupérieures  du  corps,  blanc  taché  de  brun  fur  toutes 
les  parties  inférieures,  avec  la  queue  grife,  traverfée  de 
lignes  brunes^  voye^  les phmches  enluminées ,  nf  210.  Cet 
oifeau  fe  trouve  affez  communément  en  Ifîande,  6c  il 
paroît  qu'il  y  a  ^ariété  dans  l'efpèce;  car  il  nous  a  été 
envoyé  de  Norvège,  un  gerfaut  qui  fe  trouve  également 
dans  les  pays  les  plus  feptentrionaux  (voyei  les plcinehes 
enluni'mées y  n."  ^â'jj,  qui  diffère  un  peu  de  l'autre  par  les 
nuances  &.  par  la  diflribution  des  couleurs,  6c  qui  efl 
plus  eflimé  des  Fauconniers  que  celui  d'Iflande,  parce 
qu'ils  lui  trouvent  plus  de  courage,  plus  d'adlivité  6c 
plus  de  docilité;  &i  indépendamment  de  cette  première 
variété,  qui  paroît  être  variété  de  l'efpèce,  il  y  en  a 
une  féconde  qu'on  pourroit  attribuer  au  climat,  f[ 
tous  n'étoient  pas  également  des  pays  froids;  cette 

féconde 


DU    Gerfaut.  2^1 

féconde  variété  efl  le  gerfaut  blanc  (voyei  les  planches 
enlum'mées ,  n."  ^(f ) ,  qui  diffère  beaucoup  des  deux 
premiers ,  &i  nous  préfumons  que  dans  c  .ux  de  Norvège 
auiïi-bien  que  dans  ceux  d'Ifîande,  il  s'en  trouve  de 
blancs  ;  en  forte  qu'il  efl  probable  (\\.\e  c'eft  une  Seconde 
variété  commune  aux  deux  premières,  &  qu'il  exirte  en 
effet  dans  l'efpèce  du  gerfaut  trois  races  confiantes  (Se 
diflindcs ,  dont  la  première  efl  le  gerfaut  d'Ifîande , 
la  féconde  le  gerfaut  de  Norvège,  Si  la  troifième  le 
gerfaut  blanc;  car  d'habiles  Fauconniers  nous  ont  affuré 
que  ces  derniers  étoient  blancs  des  la  première  année, 
éi.  confervoicnt  leur  blancheur  dans  les  années  fuivantes; 
en  forte  qu'on  ne  peut  attribuer  cette  couleur  à  la 
vieilleffe  de  l'animal  ou  au  climat  plus  froid,  les  bruns 
fe  trouvant  également  dans  le  même  climat.  Ces  oifeaux 
font  naturels  aux  pays  froids  du  Nord,  de  l'Europe 
<Sc  de  i'Afie  ;  ils  habitent  en  Ruffie,  en  Norvège,  en 
Ifîande,  en  Tartarie  ;  <Sc  ne  fc  trouvent  point  dans  les 
climats  chauds ,  ni  même  dans  nos  pays  tempérés. 
C'eft,  après  l'aigle,  le  plus  puiffant,  le  plus  vif,  le 
plus  courageux  de  tous  les  oifeaux  de  proie  :  ce  font 
au/fi  les  plus  chers  <?c  les  plus  eflimés  de  tous  ceux  de 
la  fauconnerie:  on  les  tranfporte  d'illande  (S:  de  Ruflie 
en   France   (bj,   en    Italie  &.   juiqu'en   Perfe   <Sc   en 

fb)  Nous  ne  verrions  point  le  gerfaut ,  s'il  ne  nous  étoit  apporté 
d'étrange  pays  ;  on  dit  qu'il  vient  de  RufTie  où  il  fait  Ton  aire,  &  qu'il 
ne  hante  ne  Italie  ne  France,  &  qu'il eft  oifcau  paifager  en  Allemagne.... 
C'eft  un  oifeau  bon  à  tous  vols;  car  il  ne  refufe  jamais  rien,  &  il  efk 

Oifeaux ,  Tome  I.  .  H  h 


2^1    Histoire  N atu re lle,  ire 

Turquie  (c) ;  6l  il  ne  paroit  pas  que  la  chaleur  plus 
grande  de  ces  climats  leur  ôte  rien  de  leur  force  ôc 
de  leur  vivacité;  ils  attaquent  les  plus  grands  oifeaux, 
&  font  aifément  leur  proie  de  la  cigogne  ,  du  héron 
■&  de  la  grue;  ils  tuent  les  lièvres  en  fe  lailfant  tomber 
à  plomb  deflus  :  la  femelle  efl,  comfne  dans  les  autres 
oifeaux  de  proie,  beaucoup  plus  grande  Si  plus  forte 
que  le  mâle;  on  appelle  celui-ci  ncrcelet  de  gerfaut ,  qui 
ne  fert  dans  la  fauconnerie  que  pour  voler  le  milan, 
le  héron  &  les  corneilles. 

plus  hardi  que  nul  autre  olieau  de  proie.  Belon ,  Hïjl.  nat.  des  Oifeaux^ 
pages  Ç4  âr  p  j. 

fc)  Nota.  C'efl  au  gerfaut  qu'il  faut  rapporter  le  pafHige  fuivant  : 
«  II  ne  fliut  pas  oublier  de  faire  mention  d'un  oileau  de  proie  qui  vient 
xt  de  .Molcovie ,  d'où  on  le  tranlporie  en  Perle,  &  qui  eli  prelqu'aufTi 
»  gros  qu'un  aigle;  ces  oileaux  lont  rares,  &  il  n'y  a  que  le  Roi  leul 
ï>  qui  puiOe  en  avoir.  Comme  c'eft  la  coutume  en  Perle  d'évaluer  les 
y>  prclens  que  l'on  fiit  au  Roi,  fans  en  ri^  excepter,  ces  oifeaux  font 
■>■>  mis  à  cent  tomans  la  pièce ,  qui  font  quinze  cents  écus  ;  &  s'il  en 
33  meure  quelques-uns  en  chemin,  l'Ambafladeur  en  apporte  à  Sa 
y>  Majellti  la  tête  &  les  ailes  ,  &  on  lui  tient  compte  de  l'oilcau  ,  comme 
35  s'il  étoit  vivant:  on  dit  que  cet  oifcau  fait  fon  nid  dans  la  neige, 
yy  qu'il  perce  jufqu'à  terre  par  la  chaleur  de  fon  corps,  &  quelquefois 
jufqu'à  une  toife  de  hauteur,  &c.  .  .  .  ?>  Voyage  de  Chardin,  tome  II, 
page  ^j. 


M/ 


7;w  / 


Fl  Xm  Puo     i  4  ^ 


/h  Se,u'  M 


■^/cu/f 


I,F-    GERFAUT  . 


24Î 


LE    L  A  N  I  E  R  (a). 


c 


ET  oifeaii  qu'Aldrovande  appelle  ZW^rài"^^//^r7//;;, 
<5c  que  Belon  dit  être  naturel  en  France ,  &  plus  employé 
par  les  Fauconniers  qu'aucun  autre ,  eft  devenu  fi  rare 
que  nous  n'avons  pu  nous  le  procurer;  il  n'efl  dans 
aucun  de  nos  cabinets,  ni  dans  les  fuites  d'oifcaux 
colories  par  M/'  Edwards,  Frifch  6c  les  Auteurs  de 
la  Zoologie  Britannique;  Bclon  lui-mcme,  qui  en  fait 
une  defcription  affcz  détaillée,  n'en  donne  pas  la  figure; 
il  en  eft  de  mênie  de  Gefner,  d'Aldrovande  Si  des 
autres  Naturalifles  modernes.  M/'  Briifon  <&  Salernc 
avouent  ne  l'avoir  jamais  vu  :  la  feule  repréfentation 
qu'on  en  ait  efl:  dans  Albin  ,  dont  on  fait  que  les 
planches  font  très  -  mal  coloriées.  Il  paroît  donc  que 
le  lanier  qui  efl  aujourd'hui  fi  rare  en  France ,  l'a  égale- 
ment Si  toujours  été  en  Allemagne,  en  Angleterre,  en 

(a)  En  Italien,  Lnnîero ;  en  Allemand,  Swîmere  ou  Schmeymer; 
en  Anglois  &  en  François,  on  appelle  le  mâle  Lameret.  —  Lanier. 
Belon,  H'ijl.  nat.  des  Oifeaux ,  page  123.  Nota.  Lanier  vient  du 
latin  laniare ,  déchirer,  parce  que  cet  oileau  déchire  cruellement  les 
poules  &  les  autres  aniinaux  dont  il  fait  la  proie.  Lanncrct  efl:  le 
dhninuiifde  lanier,  &  c'cft  pour  cela  qu'on  appelle  le  mâle  Lanneret , 
qui  el\  confiderablcmcnt  plus  petit  que  la  femelle.  —  Laniaiius 
gallorum.  Aldrov.  Avi.  tom.  I,  pag.  488.  —Petit  Lanier.  Albin, 
tome  II ,  page  ^,  planche  VII ,  avec  une  figure  coloriée.  —  Fako 
pcciibus  rojlroque  cœru/eis ,  maculis  albis  nigrifque  long'itudinalibus.  Linn. 
Fiiim.  Suec.  n."  61.  Le  Lanier.  B  ri  lion  ,  Ornilhologie  ,  tome  I, 
page   ^6^^. 

H  h   ij 


244-       Histoire  N aturelle 

SuiiTe,  en  Italie,  puifqu 'aucun  des  Auteurs  de  ces 
différens  pays  n'en  ont  parlé  que  d'après  Belon  :  ce- 
pendant il  fe  retrouve  en  Suède,  puifque  M.  Linnx^us 
le  met  dans  la  lifte  des  oifcaux  de  ce  pays,  mais  il 
n'en  donne  qu'une  légère  defcription,  &  point  du  tout 
l'hiftoire  :  ne  ie  connoifTant  donc  que  par  les  indica- 
tions de  Belon,  nous  ne  pouvons  rien  faire  de  plus  que 
de  les  rapporter  ici  par  extrait.  *c  Le  lanicr  ou  faucon- 
5î  Janier,  dit-il,  fait  ordinairement  fon  aire  en  France, 
î)  fur  les  plus  hauts  arbres  des  forets  ou  dans  les  rochers 
»  les  plus  élevés:  comme  il  efl  d'un  naturel  plus  doux 
>î  (?c  de  mœurs  plus  faciles  que  les  faucons  ordinaires, 
3î  on  s'en  fcrt  communément  à  tous  propos.  W  efl  de 
■»  plus  petite  corpulence  que  ie  faucon -gentil,  &  de 
î>  plus  beau  plumage  que  le  facre,  fur-tout  après  la  mue  ; 
y>  il  efl  aufTi  plus  court  empiété  que  nul  des  autres  faucons. 
»  Les  Fauconniers  choifiiïent  le  lamer  ayant  grofTetcte, 
«  les  pieds  bleus  &:  ores  ;  le  lanier  vole  tant  pour  rivière 
»  que  pour  les  champs;  il  fupporte  mieux  la  nourriture 
y^  de  grofTcs  viandes  qu'aucun  autre  faucon  ;  on  le 
î)  reconnoît  fans  pouvoir  s'y  méprendre,  car  il  a  le  bec 
?>  &.  les  pieds  bleus;  les  plumes  de  devant  mêlées  de 
î>  noir  fur  le  blanc  ,  avec  des  taches  droites  le  long  àds 
5>  plumes,  (S:  non  pas  traverfées  comme  au  faucon..... 
3»  quand  il  étend  fes  ailes,  6c  qu'on  les  regarde  par- 
»  deffous ,  les  taches  paroifTent  différentes  de  celles  Acs 
?>  autres  oifcaux  de  proie  ;  car  elles  font  femées  &  rondes 
^î  comme  petits  deniers.  Son  coy  eft  court  <&.  aflcz  gros. 


DU      L   A   N   I   E  P,  24.5 

aufTi-bien  que  fon  bec  :  on  appelle  la  femelle  Lin'ier,  « 

elle  efl  plus  grofTe  que  le  mâle  qu'on  nomme  lanneret:  « 

tous  deux  font  affez  femblables  par  les  couleurs  du  « 

plumage  ;  il  n'efl  aucun  oifeau  de  proie  qui  tienne  plus  « 

conftamment  fa  perche,  6;  il  refte  au  pays  pendant  « 

toute  l'année  ;  on  l'inftruit  aifément  à  voler  6:  prendre  « 

la  grue:  la  faifon  où  il  chaiïe  le  mieux  efl  après  la  « 

mue,  depuis  la  mi -juillet  jufqu'à  la  fin  d'o6lobre  ;  « 
mais  en  hiver  il  n'eft  pas  bon  à  l'exercice  de  la  chafTe  ». 


H  h  \\\ 


2x6       Histoire  Naturelle 


LE    s  A  C  R  E  (a). 

%]  E  crois  devoir    fcparer  cet  oifeau   de   la   Jifle  des 
faucons  ,  Si    le  mettre  à  la  fuite  du    lanicr,    quoique 
quelques-uns  de  nos  Nomenclateurs  (l>),  ne  regardent 
ie  Sacre  que  comme  une  variété  de  l'efpèce  du  faucon, 
parce  qu'en  le  confidérant  comme  variété,  elle  appar- 
ticndroit  bien  plutôt  à  l'efpèce  du  lanier  qu'à  celle  du 
faucon  :  en  effet,  le  facre  a,  comme  le  lanier,  le  bec 
Si  les  pieds  bleus,  tandis  que  les  faucons  ont  les  pieds 
jaunes.    Ce  cara6tère  qui    paroit  fpécifique ,    pourroit 
même  faire  croire  que  le  facre  ne   feroit  réellement 
qu'une  variété  du  lanier;  mais  il  en  diffère  beaucoup 
par  les  couleurs,  <5c   conflamment  par  la  grandeur;  iï 
paroît  que  ce  font  deux  efpèces  difiin6les  &  voifmes, 
qu'on  ne  doit  pas  mêler  avec  celles  des  faucons  :  ce 
qu'il  y  a  de  fmgulier  ici,  c'ed  que  Belon  cfl  encore  le 
feul  qui  nous  ait  donné  des  indications  de  cet  oifeau; 
fans  lui ,  les  Naturalifles  ne  connoîtroient  que  peu  ou 
point  du  tout   le  facre  6c   le  lanier  :  tous   (\cux  font 
devenus   également  rares  ,    &.    c'efl    ce  qui   doit  faire 
préfumer  encore  qu'ils  ont  les  mêmes  babitudes  natu- 

(a)  Sacre,  la  femelle  ;  Sacret,  le  mâle Belon,  HiJI.  nat.  des  Oifeaux, 

page  I  0  8  ,  avec  la  fgure ,  page  i  o  p .  En  latin  moderne  ,  Falco-facer; 
en  Italien,  Sacro ;  en  Allemand,  Sacker ;  en  Anglois,  Sacre^ 

(b)  Falco-facer.  Le  Sacre.  Briflon,  Ornithologie ,  tome  I,  page  3  77. 
T^ota.  Cet  Auteur  en  fait  la  douzième  variété  de  l'elpèce  du  faucon. 


DU    Sacre,  247 

relies,  6c  que  par  conféquent  ils  font  d'efpèccs  très- 
voifincs.  Mais  Belon  les  ayant  décrits,  comme  les 
ayant  vus  tous  deux,  &  les  donnant  comme  desoifeaiix 
réellement  différens  l'un  de  l'autre,  il  efl  jiifle  de  s'en 
rapporter  à  lui ,  <Sc  de  citer  ce  qu'H  dit  du  facre ,  comme 
nous  avons  cité  ce  qu'il  dit  du  lanier.  <c  Le  facre  efl 
de  plus  laid  pennage  que  nul  des  oifeaux  de  faucon-  « 
nerie  ;  car  il  efl  de  couleur  comme  entre  roux  Se  « 
enfumé,  femhiable  à  un  milan;  il  efl  court  empiété,  « 
ayant  les  jambes  Si  les  doigts  bleus,  rcffemblant  en 
ce  quelque  chofe  au  lanier:  il  fcroit  quafi  pareil  au 
faucon  en  grandeur,  n'étoit  qu'il  efl  compaffé  plus 
rond.  Il  efl  oifeau  de  moult  hardi  courage,  comparé 
en  force  au  faucon  pèlerin  :  auffi  efl  oifeau  de  pafTage, 
<Sc  efl  rare  de  trouver  homme  qui  fe  puiffe  vanter  <* 
d'avoir  oncq'vcu  l'endroit  où  il  fait  fcs  petits  :  il  c* 
y  a  quelques  Fauconniers  qui  font  d'opinion  qu'il 
vient  de  Tartarie  ôl  Ruffie,  Se  de  devers  la  mer 
inajeur,  <5;  que  faifant  fon  chemin  pour  aller  vivre  « 
certaine  partie  de  l'an  vers  la  partie  du  midi,  efl  <c 
prins  au  pafTage  par  les  Fauconniers  qui  les  aguettent 
en  diverfes  îles  de  la  mer  Egée,  Rhodes,  Chypre, 
Sic.  Et  combien  qu'on  faffe  de  hauts  vols  avec  le  «« 
facre  pour  le  milan  ,  toutes  fois  on  le  peut  au/fi  « 
dreffer  pour  le  gibier  &  pour  la  campagne  à  prendre  « 
oyes  fauvages,    oflardes,  olives,  faifends,  perdrix,  « 

lièvres  ô(  à  toute  autre   manière   de  gibier Le  « 

facret  eflie  mâle  à.  le  facre  la  femelle,  entre  lefquels  « 


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2^8     Histoire  Natu relle,  ilfc. 

il  n'y  a  d'autre  différence  finon  du  grand  au  petit  ». 

En  comparant  cette  dcfcription  du  facre,  avec  celle 
que  le  même  Auteur  a  donnée  du  ianier  ,  on  fe  per- 
fuadera  aifément ,  i ."  que  ces  deux  oifeaux  font  plus 
voifins  l'un  de  l'autre  que  d'aucune  autre  efpcce  ;  2.°  que 
tous  deux  font  oifeaux  paflagers,  quoique  Belon  dife 
que  le  Ianier  étoit  de  fon  temps  naturel  en  France,  il 
efl  prefque  fur  qu'on  ne  l'y  trouve  plus  aujourd'hui; 
3.°  que  ces  deux  oifeaux  paroifFent  différer  effentielle- 
ment  des  faucons  ,  en  ce  qu'ils  ont  le  corps  plus 
arrondi,  les  jambes  plus  courtes,  le  bec  <Sc  les  pieds 
bleus,  &  'c'efl  à  caiife  de  toutes  ces  différences  que 
nous  avons  cru  devoir  les  en  féparcr. 

Il  y  a  plufieurs  années  que  nous  avons  fait  deffiner  à 
la  ménagerie  du  Roi,  un  oifeaii  de  proie  qu'on  nous  dit 
ctre  [e  facre ,  6c  que  nous  donnons  ici  (planche  xiv 
de  ce  volume)  ;  mais  la  dcfcription  qui  en  fut  faite 
alors  ayant  été  égarée,  nous  n'en  pouvons  rien  dire 
de  plus. 


LE  FAUCON, 


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F'  W  PaJ     ii-> 


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u/^^-:      /.-jj.i- 


1,F,    SACRF. 


249 


L 


LE    F  AU  C  O  N  (a). 


iORSQu'oN  jette  les  yeux  fur  les  lides  de  nos  No- 
menclateurs  d'Hiftoire  Naturelle  (b) ,  on  feroit  porté 
à  croire  qu'il  y  a  dans   refpèce  du  Faucon  autant  de 

(a)  En  grec  moderne,  ^aJKyu^xj;  en  latin  moderne,  Falco  ;  en  Italien, 
Falcone;  en  Efpagnol,  Hûlkon;  en  Allemand,  Fakk;  en  Pol.  Sokol ;  en 
Anglois ,  Falcon. —  Fako  apud  Firnùcum,  SuiJam  &  recent'iorcs.  GeÇwer. 
Jcon  Avi.  pag.  i  i  o.  — Faucon.  Belon,  Hijl.  nat.  des  O'ifcaux ,  page 
115.  — Falco.  Aldrov.  Avi.  tom  I.pag.  42.^. — Accipiterfufcus.  Frifch. 

planche  LXXIV,  avec  une  figure  coloriée.  — Accipiter  fufcus  cris  pennarum 

rufefcentibus ,  reâncibus  fufcis  fufco  faturatiore  tranfverfmi  Jlriatis 

Falco,  le  Faucon.  Briiïon,  Ornith.  tome  I ,  pnge  ^21. 

(b)  M.  Bri/Ton  compte  treize  variétés  dans  cette  première  cfpcce  , 
iavoir;  le  fâucon-fors,  le  faucon-hagard  ou  boflu,  le  fliucon  à  tête 
blanche,  le  faucon  blanc  ,  le  faucon  noir,  le  fliucon  tacheté  ,lcfiucon 
brun,  le  fiucon  rouge,  le  fiucon  rouge  des  Indes,  lefiucon  d'Italie, 
le  fiucon  d'Iflande  &  le  facre^  &  en  même  temps  il  compte  douze 
autres  efpèces  ou  variétés  de  fîmcons ,  différentes  de  la  première  ,  (avoir  ; 
le  faucon  -  gentil ,  le  faucon  -  pèlerin  ,  dont  le  f  mcon  de  Barbarie  &  le 
fmcon  de  Tartarie  font  des  variétés;  le  faucon  à  collier,  le  faucon 
de  roche  ou  rochier  ;  le  faucon  de  montagne  ou  montagner,  dont  le 
faucon  de  montagne  cendré  eft  une  variété  ;  le  fiucon  de  la  baie  de 
Hudfon ,  le  fmcon-étoijé ,  le  faucon-hupé  des  Indes ,  le  faucon  des 
Antilles,  &  le  f lucon-pêcheur  de  la  Caroline.  M.  Linnxus  comprend 
fous  l'indication  générique  de  fmcon,  vingt-fix  efpèces  dilîérentes  ; 
mais  il  elt  vrai  qu'il  confond  Ibus  ce  même  nom  ,  comme  il  fait  en 
tout,  les  efpèces  éloignées,  aufll-bien  que  les  elpèces  voilines,  car 
on  trouve  dans  cexxe  lille  de  fiucons ,  les  aigles ,  les  pygargues ,  les 
orfraies  ,  les  crefTclles  ,  les  bufes  ,  &c.  Au  moins  la  lifte  de  M.  BrilTon  , 
quoique  d'un  tiers  trop  nombreufe  ,  cil  faite  avec  plus  de  circonfpeâion 
&  de  difcernemenr. 

Oifcaux  f  Tome  L  •  I  i 


250       Histoire   Naturelle 

variétés  que  dans  celle  du  pigeon  ,  de  la  poule  ou  des 
autres  oifeaux  domcfliques:  cependant  rien  n'efl  moins 
vrai:  l'homme  n'a  point  influé  fur  la  nature  de  ces 
animaux;  quelqu'utiles  aux  plaifirs  ,  quelqu'agrcables 
qu'ils  foient  pour  le  fade  des  Princes  chaiïeurs  , 
jamais  on  n'a  pu  en  élever,  en  multiplier  l'efpèce: 
on  dompte  à  la  vérité,  le  naturel  féroce  de  ces  oifeaux, 
par  la  force  de  l'art  &i  des  privations  fcj:  on  leur  fait 
acheter  leur  vie  par  des  mouvemens  qu'on  leur  com- 
mande; chaque  morceau  de  leur  fubfiflance  ne  leur  eft 
accordé  que  pour  un  fervice  rendu:  on  les  attache, 
on  les  garotte ,  on  les  affuble ,  on  les  prive  même  de 

(c)  Pour  cirefîèr  le  Aucon,  l'on  commence  par  l'armer  d'entraves, 
appelées  jets ,  au  bout  delquelles  on  met  un  anneau  ,  fur  lequel  eft  écrit 
le  nom  du  maître  ;  on  y  ajoute  des  fonnettes  qui  fervent  à  indiquer  le 
iieu  où  il  efl  iorfqu'il  s'écarte  de  la  chafle  ;  on  le  porte  continuellement 
fur  le  poing  ;  on  l'oblige  de  veiller  :  s'il  eft  méchant  &  qu'il  cherche  à 
fe  défendre ,  on  lui  plonge  la  tête  dans  l'eau  ;  enfin  on  le  contraint 
par  la  faim  &  par  la  laflitude  à  fe  laifler  couvrir  la  tête  d'un  chaperon 
qui  lui  enveloppe  les  yeux  ;  cet  exercice  dure  fouvent  trois  jours  ôc 
trois  nuits  de  iuite  :  il  efl  rare  qu'au  bout  de  ce  temps ,  les  befoins  qui 
le  tourmentent  &  la  privation  de  la  lumière  ne  lui  fiiflent  pas  perdre 
toute  idée  de  liberté  :  on  juge  qu'il  a  oublié  fa  fierté  naturelle ,  Iorfqu'il 
le  laifle  aifémcnt  couvrir  la  tête,  &  que  découvert  il  faifit  le  pat  ou  la 
vi;mde  qu'on  a  loin  de  lui  préfenter  de  temps  en  temps  ;  la  répétition 
de  ces  leçons  en  afTure  peu  à  peu  le  fuccès  :  les  beloins  étant  le  prin- 
cipe de  la  dépendance  ,  on  cherche  à  les  augmenter  en  lui  nétoyant 
Teftomac  par  des  cures  ;  ce  font  de  petites  pelottes  de  filaffe  qu'on  lui 
fait  avaler ,  &  qui  augmentent  fon  appétit  ;  on  le  fatisfait  après  l'avoir 
cxcué ,  &  la  reconnoiflance  attache  l'oifeau  à  celui  niême  qui  l'a  tour- 
menté. Encyclopédie ,  à  C article  de  la  fauconnerie, 


DU    Faucon.  251 

la  îumière  (Se  de  toute  nourriture,  pour  les  rendre  plus 
dépendans,  plus  dociles,  &  ajouter  à  leur  w'wàc'ilé  na- 
turelle l'impétuofitc  du  befoin   f^^J;  mais  ils  fervent 

(d)   Lorfque  les  preinicres  leçons  ont  re'ufîl ,  &  que  l'oifeau  montre 
de  la  docilité  ;  on  le  porte  fur  le  gazon  dans  un  jardin ,  là  on  le  dé- 
couvre, &  avec  l'aide  de  (a  viande,  on  le  fiiit  fauter  de  lui-même  fur 
le  poing  ;  quand  il  eft  afluré  à  cet  exercice ,  on  juge  qu'il  eft  temps 
de  lui  donner  le  vif,  &  de  lui  fiùre  connoître  le  leurre;  c'eft  une  re- 
prefentatioii   de  proie,   un  afiemblage  de  pieds    &   d'ailes,  dont  les 
fauconniers   fe  fervent  pour  réclamer  les  oileaux  ,  &  fur  lequel  on 
attache    leur    viande  ;   il  efl    important  qu'ils   foient   non  -  feulement 
accoutumés,  mais  affriandés  à  ce  leurre  ;  dès  que  l'oifeau  a  fondu  defllis 
&  qu'il  a  pris  Iculement  une   beccade  ,  quelques  fauconniers  font  dans 
i'ufage  de  retirer  le  leurre  ,  mais  par  cette  méthode  on  court  rifque  de 
rebuter  l'oifeau  ;  il  eft  plus  fur ,  lorfqu'il  a  fait  ce  qu'on  attend  de  lui ,  de  le 
paître  tout-à-fiit ,  &  ce  doit  être  la  récompenfe  de  fa  docilité  ;  le  leurre 
efl  l'appât  qui  doit  le  faire  revenir  lorfqu'il  fera  élevé  dans  \es  airs, 
mais  il  ne  feroit  pas   luffilant   fans  la  voix  du  fauconnier  qui  l'avertit 
de  (è  tourner  de  ce  c6té-là  ;  il  faut  que   ces  leçons  foient  fouvent 
répétées..  .  .  Il  fîiut  chercher  à  bien  connoître  le  caradère  de  l'oifeau  , 
parler  fouvent  à  celui  qui  paroît  moins  attentif  à  la  voix  ,  laîfîcr  jeûner 
celui  qui  revient  moins  avidement  au  leurre  ;  laifTer  aufîi  veiller  plus 
long-temps  celui  qui  n'efl  pas  affez  ftmilier;  couvrir  fouvent  du  cha- 
peron celui  cjui  craint  ce  genre  d'afTujetiifîemcnt  :  lorlque  la  familiarité 
&  la  docilité  de  l'oifeau  l'ont  fufïifamment  confirmées  dans  un  jardin , 
on  le  porte  en  pleine  campagne  ,  mais  toujours  attaché  à  la  filière , 
qui  efl  une  ficelle  longue  d'une  dixaine  de  toifês  ;  on  le  découvre ,  & 
en  l'apelant  à  quelques  pas  de  diflance,  on  lui  montre  le  leurre,  lorf^ 
qu'il  fond  defTus ,  on  fe  fert  de  la  viande  &  on  lui  en  laifTc  prendre 
bonne  gorge;  pour  continuer  de  l'afîurer,  le  lendemain  on  la  lui  montre 
d'un  pçu  plus  loin ,  &  il  parvient  enfin  à  fondre  deffus  du  bout  de  la 
filière ,  c'eft  alors  qu'il  fliut  faire  connoître  &  manier  plufieurs  fois  à 
i'oifcau  le  gibier  auquel  on  le  defline  ;  on  en  conferve  de  privés  pour 

liij 


2^2         Histoire  Naturelle 

par  nccc/Tité,  par  habitude  S.  fans  attachement;  ils 
demeurent  captifs,  fans  devenir  domcfliques;  l'individu 
feui  efl  efclave,  Fefpèce  e/l  toujours  hbre,  toujours 
également  éloignée  de  l'empire  de  l'homme:  ce  n'cfl 
même  qu'avec  des  peines  infinies  qu'on  en  fait  quel- 
ques-uns prifonniers,  Si  rien  n'efl  plus  difficile  que 
d'étudier  leurs  mœurs  dans  l'état  de  nature;  comme 
ils  habitent  les  rochers  les  plus  efcarpés  des  plus  hautes 
montagnes,  qu'ils  s'approchent  très-rarejnent  de  terre, 
qu'ils  volent  d'une  hauteur  &  d'une  rapidité  fans  égale; 
on  ne  peut  avoir  que  peu  de  faits  fur  leurs  habitudes 
naturelles:  on  a  feulement  remarqué  qu'ils  choififfent 
toujours  pour  élever  leurs  petits,  les  rochers  expofés 
au  midi  ;  qu'ils  fe  placent  dans  les  /;w/j  &  les  iinfraâures 
les  plus  inacceffibics;  qu'ils  font  ordinairement  quatre 
CEufs ,  dans  les  derniers  mois  de  l'hiver,  qu'ils  ne 
couvent  pas  long-temps;  car  les  petits  font  adultes 
vers  le  15  de  Mai  ,  qu'ils  changent  de  couleur 
fuivant  le  fcxe,  l'âge  Si  la  mue;  que  les  femelles  font 
confidérablement  plus  groffes  que  les  mTdes;  que  tous 
f\ç.\w  jettent  des  cris  perçans,  défagréablcs  &.  prefque 
continuels,  dans  le  temps  qu'ils  chaffent  leurs  petits 
pour  les  dépaïfcr,  ce  qui  fe  fait,  comme  chez  les 
aigles,  par  la  dure  néceffité,  qui  rompt  les  liens  des 

cet  ufage ,  cela  s'appelle  donner  Vefcap  ;  c'cfl  la  dernière  leçon ,  mais 
elle  doit  fe  répéter  jufqu'à  ce  qu'on  foît  parfaitement  aiïuré  de  l'oifeau: 
alors  on  le  met  hors  de  filière ,  &  on  le  vole  pour  iors.  ILncyclopédie , 
an,  dç  lafauconncrk. 


DU    Faucon,  253 

familles  6c  de  toute  fociété,  des  qu'il  n'y  a  pas  afTez 
pour  partager,  ou  qu'il  y  a  impolTibilité  de  trouver 
alTez  de  vivres  pour  fubfifler  enfemble  dans  les  mêmes 
terres. 

Le  faucon   cfl  peut-être  l'oifcau   dont   Je  courage 
eft  le   plus  franc ,  le  plus  grand  ,   relativement  à  fes 
forces  :  il  fond  fans  détour  6c  perpendiculairement  fur 
fa  proie;  au  lieu  que  Fautour  6:  la  plupart  des  autres 
arrivent  de  côte:  aufli  prend-on  l'autour  avec  des  lilets 
dans  kfquels  le  faucon  ne  s'empêtre  jamais;  \\  tombe 
à  plomb   fur  l'oifeau    vidlime  ,   expofé  au  milieu  de 
l'enceinte  des  lilets,  le  tue,  le  mange  fur  le  lieu,  s'il 
efl  gros,  ou  l'emporte,  s'il  n'efl  pas  trop  lourd,  en  fe 
relevant  à  plomb:    s'il   y   a   quelque   faifanderie   dans 
fon  voifinage  ,  il  choifit  cette  proie  de  préférence;  on 
le  voit  tout -à-coup  fondre  fur  un  troupeau  de  faifans 
comme  s'il  tomboit  des   nues,  parce  qu'il  arrive  de 
f[  haut,  ôi  en  fi  peu  de  temps,   que  fon  apparition  efl 
toujours   imprévue  <5c   fouvent    inopinée  :    on  le  voit 
fréquemment  attaquer  le  milan,  foit  pour  exercer  fon 
courage,  foit  pour  lui  enlever  une  proie;  mais  il  lui 
fait  plutôt  la  honte  que  la  guerre,  il  le  traite  comme  un 
lâche,  le  chaffe ,  Je  frappe  avec  dédain,  cS:  ne  Je  meC 
point  à  mort,  parce  que  le  milan  fe  défend  mal,  ôl 
que  probablement  fa  chair  répugne  au  faucon  encore 
plus  que  fa  lâcheté  ne  lui  déplaît. 

Les  gens   qui    habitent   dans   le  voifinage   de  nos 
grandes  montagnes,  en  Dauphiné,  Bugey,  Auvergne 

Il  ii; 


254      Histoire   Natu relle 

ôi  aux  pieds  des  Alpes,  peuvent  saflurer  de  tous  ces 
faits  fej.  On  a  envoyé  de  Genève,  à  la  fauconnerie  du 
Roi,  des  jeunes  faucons  pris  dans  les  montagnes  voi- 
fines  au  mois  d'avril ,  ôi  qui  paroifTent  avoir  acquis 
toutes  les  dimenfions  de  leur  taille  Si  toutes  leurs  forces 
avant  le  mois  de  juin.  Lorfqu'ils  font  jeunes ,  on  les 
appelle  fouconjors ,  comme  Ton  dit  harcfigs-fors ,  parce 
qu'ils  font  alors  plus  bruns  que  dans  les  années  fui- 
van  tes  (royei  les  planches  enluminées,  nf  ^yo,  lir  -planche  XV 
de  ce  volume  )  ;  61.  l'on  appelle  les  vieux  faucons,  hagards, 
qui  ont  beaucoup  plus  de  blanc  que  les  jeunes  (f), 
voyei  planche  XV i  de  ce  volume ,  à^  les  planches  enluminées 
nf  ^21 J  ;  le  faucon  qui  eil  repréfenté  dans  cette  der- 
nière planche  nous  paroît  ctre  de  la  féconde  année, 
ayant  encore  un  aflez  grand  nombre  de  taches  brunes 
fur  la  poitrine  <Sc  fur  le  ventre;  car  à  la  troifième  année 
ces  taches  diminuent,  ôi.  la  quantité  du  blanc  fur  le 
plumage  augmente,  comme  on  le  peut  voir  dans  le 
faucon  repréfenté  ,  planche  enluminée  ,  nf  ^jo ,  dans 
laquelle  on  a  gravé,  par  erreur,  le  nom  de  lanier,  au 
lieu  de  tiercelet  de  faucon  de  la  troificme  année. 

Comme  ces  oifeaux  cherchent  par- tout  les  rochers 
les  plus  hauts,  ôl  que  la  plupart  des  îles  ne  font  que 

( e)  Nota.  Ils  m'ont  été  rendus  par  des  témoins  oculaires,  &  par- 
ticulièrement par  M.  Hébert,  que  j'ai  déjà  cité  plus  d'une  fois,  &  qui 
a  chafle  pendant  cinq  ans  dans  les  montagnes  du  Bugey. 

(f)  Nota.  Puifque  le  faucon- fors  &  le  fmcon-hagar  ou  bofTu  ne 
font  que  le  même  fiiucon ,  jeune  &  vieux ,  on  ne  doit  pas  en  fiire 
des  variétés  dans  l'efpèce. 


DU    Faucon,  255 

des  groupes  6c  des  pointes  de  montagnes;  il  y  en  a 
beaucoup  à  Rhodes  ,  en  Chypre  ,  à  Malte  ,  6c  dans 
les  autres  îles  de  la  Méditerranée,  aufTi-bien  qu'aux 
Orcades  <Sc  en  Iflande;  mais  on  peut  croire  que  fuivant 
les  différens  chmats ,  ils  paroiiïent  fuhir  des  variétés 
différentes  ,  dont  il  efl  néceffaire  que  nous  faffions 
quelque  mention. 

Le  faucon  qui  efl  naturel  en  France  efl  gros  comme 
une  poule:  il  a  dix-huit  pouces  de  longueur,  depuis  le 
bout  du  bec  jufqu'à  celui  de  la  queue,  &.  autant  jufqu'à 
celui  des  pieds  :  la  queue  a  un  peu  pkis  de  cinq  pouces 
de  longueur,  (Se  il  a  près  de  trois  pieds  Sl  demi  de  voi 
ou  d'envergure:  Tes  ailes,  lorfqu'elles  font  pliées,  s'é- 
tendent prefque  jufqu'au  bout  de  la  queue  :  je  ne  dirai 
rien  des  couleurs ,  parce  qu'elles  changent  aux  diffé- 
rentes mues,  à  mefure  que  Toifeau  avance  en  âge,  Ôl 
que  d'ailleurs  elles  font  fidèlement  repréfentécs  par 
les  trois  planches  enluminées  que  nous  venons  de  citer 
ci-deffus.  J'obferverai  feulement  que  la  couleur  lapli.s 
ordinaire  des  pieds  du  faucon,  efl  verdâtre,  6i  que 
quand  il  s'en  trouve  qui  ont  les  pieds  &l  la  membrane 
du  hcc  jaunes,  comme  celui  qui  efl  repréfenté  dans 
cette  planche  enluminée,  nf  ^jo ;  les  Fauconniers  les 
appellenty^7//r^//j"  hcc  jaune,  ^  les  regardent  comme  les 
plus  laids  <5c  \ti  moins  nobles  de  tous  les  faucons  ;  en 
forte  qu'ils  les  rejettent  de  l'école  de  la  fauconnerie  : 
j'obferverai  encore  qu'ils  fe  fervent  du  tiercelet  de 
faucon,  c'efl-à-dire,  du  mâle,  lequel  e/l  d'un  tiers  plus 


256       Histoire  Naturelle 

petit  que  la  femelle,  pour  voler  les  perdrix,  pies,  geafs, 
merles  <Sc  autres  oifeaux  de  cette  efpèce;  au  lieu  qu'on 
emploie  la  femelle  au  vol  du  lièvre,  du  milan,  de  la 
grue  8i  des  autres  grands  oifeaux. 

Il  paroît  que  cette  efpèce  de  fiucon  ,  qui  eft  affcz 
commune  en  France,  fe  trouve  aufTi  en  Allemagne. 
^I.  Frifch  fgj  a  donné  la  figure  coloriée  d'un  faucon- 
fors  à  pieds  Si  à  membrane  du  bec  jaunes,  fous  le 
nom  de  eiueu-Jlojfcr  o\.\  fchwartT^branne  îmhigt ,  Si  il  s'efl 
trompé  en  lui  donnant  le  nom  A' autour  bnin  ;  car  il 
diffère  de  l'autour  par  la  grandeur  Si  par  le  naturel.  Il 
paroît  qu'on  trouve  auffi  en  Allemagne,  &.  quelquefois 
en  France,  une  efpèce  différente  de  celle-ci,  qui  efl 
le  faucon  pattu  à  tête  blanche,  que  M.  Frifch  appelle 
mal-à-propos  vautour,  ce  Ce  vautour  à  pieds  velus  ou 
«  à  culotte  de  plume,  efl,  dit-il,  de  tous  les  oifeaux 
»  de  proie  diurnes  à  bec  crochu  ,  le  fcul  qui  ait  des 
î)  plumes  jufqu'à  la  partie  inférieure  des  pieds,  auxquels 
»  elles  s'appliquent  exadlement:  l'aigle  des  rochers  a 
w  aufTi  des  plumes  femblables,  mais  qui  ne  vont  que 
»  jufqu'à  la  moitié  des  pieds:  les  oifeaux  de  proie 
»  nodurncs,  comme  les  chouettes,  en  ont  jufqu'aux 
?>  ongles,  mais  ces  plumes  font  une  efpèce  de  duvet: 

(g)  Nota.  Voici  ce  que  M.  Frifch  dit  de  cet  oifeau ,  qu'il  appelle 
Vennemî  des  canards  ou  Vautour  d'un  brun-noir.  IJ  a  etc  pourvu  par  la 
Nature  de  longues  ailes  &  de  plumes  ferrées  les  unes  furies  autres... 
C'eft  des  oifeaux  de  proie  l'un  des  plus  vigoureux,  il  pourluit  de 
préférence  les  canards,  ks  poules  d'eau  &  autres  oifeaux  d'eau,  planche 
LXXIY. 

»  ce  vautour 


DU    Faucon.  257 

ce  vautour  pourfuit  toute  forte  de  proie,  (5c  on  ne  « 
ie  trouve  jamais  auprès  des  cadavres  »  (hj,  c'efl  parce 
que  ce  n'efl  pas  un  vautour,  mais  un  faucon,  qu'il 
ne  fe  nourrit  pas  de  cadavres;  ôi  ce  faucon  a  paru  à 
quelques-uns  de  nos  Naturalises  affcz  femblable  à 
notre  faucon  de  France  (ij,  pour  n'en  faire  qu'une 
variété:  s'il  ne  différoit  en  effet  de  notre  faucon  que 
par  la  blancheur  de  la  tête,  tout  ie  refte  eft  aflez  fem- 
blable pour  qu'on  ne  dût  le  confidérer  que  comme 
variété;  mais  ie  cara6lère  des  pieds  couverts  de  plumes 
jufqu'aux  ongles,  me  paroît  être  fpécifique,  ou  tout 
au  moins  l'indice  d'une  variété  confiante,  (5c  qui  fait 
race  à  part  dans  i'efpèce  du  faucon. 

Une  féconde  variété  efl  le  faucon  blanc  ,  qui  fe 
trouve  en  Ruffie,  Si  peut-être  dans  les  autres  pays  du 
Nord;  il  y  en  a  de  tout-à-fait  blancs  <5c  fans  taciies, 
à  l'exception  de  l'extrémité  des  grandes  plumes  des 
ailes  qui  font  noirâtres:  il  y  en  a  d'autres  de  cette 
cfpèce,  qui  font  auffi  tout  blancs,  à  l'exception  de 
quelques  taches  brunes  furie  dos  <Sc  fur  les  ailes,  6l 
de  quelques  raies  brunes  fur  la  queue  (k):  comme  ce 
faucon  blanc  eft  de  la  même  grandeur  que  notre 
Éiucon,  Si  qu'il  n'en   diffère  que  par  la  blancheur, 

(h)  Frifch  ,  planche  LXXY ,  asec  une  figure  coloriée.  —  Le  Faucon 
à  tête  blanche.  Briflbn,  tome  I,  page  S^5  >  ^  ^^^^  ^^>  fupplémentt 
page  2  2  ,  planche  I, 

(i)  Voyez  r Ornithologie  de  M.  Briflbn,  page  32J. 

^k)  Briflon,  tome  I,  page  ^26» 

Oifcaiix,  Tome  L  •  K  k 


258       Histoire   N aturelle 

qui  efl  la  couleur  que  les  oifeaux,  comme  les  autres 
animaux,  prennent  aiïez  généralement  dans  les  pays  du 
Nord,  on  peut  préfumer  avec  fondement  que  ce  n'efl 
qu'une  variété  de  refpècc  commune  ,  produite  par 
l'influence  du  climat:  cependant  il  paroît  qu'en  lllande, 
il  y  a  auffi  des  faucons  de  la  même  couleur  que  les 
nôtres ,  mais  qui  font  un  peu  plus  gros ,  &  qui  ont  les 
ailes  <5c  la  queue  plus  longues;  comme  ils  reffcmblcnt 
prefqu'en  tout  à  notre  faucon,  6c  qu'ils  n'en  difierent 
que  par  ces  légers  caradèrcs,  on  ne  doit  pas  les  féparer 
de  l'efpèce  commune.  Il  en  efl  de  même  de  celui 
qu'on  Tc^^çWc  fûucongendl ,  que  prefque  tous  les  Natu- 
ralises ont  donné  comme  différent  du  fuicon  commun , 
tandis  que  c'eft  le  même,  &  que  le  nom  de  gc- mil  ne 
leur  eft  appliqué  que  lorfqu'ils  font  bien  élevés,  bien 
faits  Si  d'une  jolie  figure;  auffi  nos  anciens  Auteurs  de 
fauconnerie,  ne  comptoient  que  deux  efpèces  princi- 
pales de  faucon  ,  le  faucon-gentil  ou  faucon  de  notre 
pays,  (Se  le  faucon -pèlerin  ou  étranger,  ôc  regardoient 
tous  les  autres  coinme  de  iimples  variétés  de  l'une  ou 
de  l'autre  de  ces  deux  efpèces.  Il  arrive  en  effet  quelques 
faucons  des  pays  étrangers,  qui  ne  font  que  fe  montrer 
fans  s'arrêter ,  Si  qu'on  prend  au  paffage  :  il  en  vient 
fur -tout  du  côté  du  midi,  que  l'on  prend  à  Malte, 
&.  qui  font  beaucoup  plus  noirs  que  nos  faiicons 
d'Europe  (voyei  les  planches  eiilum'mées ,  n."  '^(^^ ) ;  on 
en  a  pris  même  quelquefois  de  cette  efpèce  en  France; 
&  celui  dont  nous  donnons  ici  la  figure  enluminée ,  a  été 


DU    Faucon.  259 

pris  en  Brie:  c'eft  par  cette  raifon  que  nous  avons  cru 

pouvoir  W^'^ç.\tr  fuiicoîi pajfager ;  il  paroît  que  ce  faucon 

noir  pafTe  en  Allemagne  comme  en  France,  car  c'eft 

Je  même  que  M.  Frifch  a  donné  fous  le  nom  dtfalca 

f u feus ,  faucon  brun  (pla?iche  LXXXIII ),  <Sc  qu'il  voyage 

beaucoup  plus  loin  ;  car  c'efi:  encore  le  même  faucon 

que  M.  Edwards  a  décrit  &  repréfenté ,  tome  I,  page  ^, 

fous  le  nom  Ao,  faucon  noir  delà  baie  de  Hudfon,  ôl  qui 

en  effet  lui  avoit  été  envoyé  de  ce  climat.  J'obferverai 

à  ce  fujet ,   que  le  faucon  pafTager  ou  pèlerin ,  décrie 

par  M.  Briiïbn  yP^g^ 34' >  ï^'efl  point  du  tout  un  faucon 

étranger  ni  pafTager ,  &:  que  c'eft  absolument  le  même 

que  notre  faucon -hagard ,  repréfenté  dans  la  planche 

enluminée,  w."  421  ;  en  forte  que  l'efpèce  du  faucon 

commun  ou  pafîàger,  ne  nous  eft  connue  jufqu'àpréfent 

^ue  par  le  faucon  d'ifîande,  qui  n'eft  qu'une  variété 

de  l'efpèce  commune,  &  parle  faucon  noir  d'Afrique, 

qui  en   diffère   affez,  fur -tout   par  la  couleur,  pour 

pouvoir    être   regardé    comme  formant    une    efpèce 

différente. 

Oï\  pourroit  peut-être  rapporter  à  cette  efpèce  ie 

faucon  Tunifien  ou  Punicien  dont  parle  Belon  (l) ,  «  & 

qu'il  dit -être  un  peu  plus  petit  que  le  faucon-pélerin,  <c 

qui  a  la  tête  plus  groffe  6c  ronde ,  <&:  qui  reffemble  par  « 

Ja  grandeur  6c  le  plumage  au  lanier  »;  peut-être  auffi  le 

faucon  de  Tartarie  (m),  qui  au  contraire,  eft  un  peu 

(l)  Bclon,  Hifi.  nat.  des  Oifeaux,  page  iiy. 
(m)  Ibidem ,  page  116. 

Kki; 


26o         Histoire  Naturelle 

plus  grand  que  le  faucon-pélerin,  6c  que  Belon  dit  en 
différer  encore,  en  ce  que  le  defTus  de  fes  ailes  ell 
roux,  &  que  fes  doigts  font  plus  alongcs. 

En  rafTemblant  <^  relTerrant  les  diffcrcns  objets  que 
nous  venons  de  préfenter  en  détail,  il  paroît  i .°  qu'il 
n'y  a  en  France  qu'une  feule  efpèce  de  faucon  Lien 
connue,  pour  y  faire  fon  aire  dans  nos  provinces  mon- 
tagneufts  ;  que  cette  même  efpèce  fe  trouve  en  SuifTe, 
en  Allemagne,  en  Pologne  6c  jufqu'en  Ifîande  vers 
le  Nord ,  en  Italie  (u),  en  Efpagne  6c  dans  les  iles  de  la 
Méditerranée,  <Sc  peut-être  jufqu'en  Egypte  (oj  vers  le 
midi  ;  2."  que  le  faucon  blanc  n'eft  dans  cette  même 
efpèce,  qu'une  variété  produite  par  Tinfînence  du  climat 
du  nord,  j.**  que  le  faucon-gentil  n'eft  pas  d'une  efpèce 
différente  de  notre  faucon  commun  (pj  ;  ^.^  que  le 

^n)  Aldrov.  Avi.  tom.  I ,  png.  42p. 

(0)  Pi'ofper  Alpin,  jEgypt.  tome  J ,  pagi  200. 

(p)  Nota.  Jean  de  Franchières,  qui  eft  l'un  des  plus  anciens  & 
peut-être  le  meilleur  de  nos  Auteurs  fur  la  iauconneric,  ne  compte 
que  lept  efpèces  d'oifeaux  auxquels  il  donne  le  nom  de  faucon  ,  favoir; 
le  iaucon  -  gentil ,  fe  fàucon-pélerin  ,  le  f;iucon-tartaret ,  le  gerfaut ,  fe 
iàcre ,  le  ianier  &  (e  faucon-tunifien  ou  tunicien  :  en  retranchant  de 
cette  lifte  le  gerfîiut ,  le  (acre  «5c  le  Ianier,  qui  ne  font  pas  proprement 
fies  faucons,  if  ne  refîe  que  fe  faucon -gentil  &  le  laucon-pélerin, 
dont  le  tartaret  &  fe  tunifien  font  deux  variétés.  Cet  Auteur  ne  con- 
noilloit  donc  qu'une  feule  efpèce  de  faucon  naturelle  en  France ,  qu'ii 
indique  fous  le  nom  àe  faucon  -  gentil ,  &  cela  prouve  encore  ce  que 
j'ai  avance,  que  le  faucon-gentif  &  fe  faucon  comroiuij  ne  font  tous 
deux,  qu'une  feule  6c  même  elpèce. 


DU    Faucon,  261 

faiicon-pclerin  ou  pafTager  eft  d'une  efpèce  différente, 
qu'on  doit  regarder  comme  étrangère,  Si  qui  peut-être 
renferme  quelques  variétés ,  telles  que  le  faucon   de 

Barbarie,  le  faucon  Tunifien,  &.c II  n'y  a  donc, 

quoiqu'en  difent  les  Nomenclateurs,  que  deux  efpèces 
réelles  de  faucons  en  Europe  ,  dont  la  première  e(l 
naturelle  à  notre  climat,  &  fe  multiplie  chez  nous,  6c 
l'autre  qui  ne  fait  qu'y  pafTcr ,  6c  qu'on  doit  regarder 
comme  étrangère  :  en  rappelant  donc  à  l'examen  la 
Jifle  la  plus  nombreufe  de  nos  Nomenclateurs  ,  au 
fujet  des  fuicons,  6c  fuivant  article  par  article  celle  de 
M.  Briffon,  nous  trouverons  i .°  que  le  faucon -fors 
n'efl  que  le  jeune  de  l'efpèce  commune;  2.°  que  le 
faucon-hagard  n'en  cfl  que  le  y\t{\\\  ^°  que  le  faucon 
à  tête  blanche  6c  à  pieds  pattus ,  efl  une  variété  ou 
race  confiante  dans  cette  même  efpèce  ;  4.''  fous  le 
nom  (\c  faucon  blanc,  M.  Briiïbn  indique  deux  diffé- 
rentes  efpèces  d'oifcaux  ,  6c  peut-être  trois  ,  car  le 
premier  6c  le  troifième  pourroient  être  ,  abfolument 
parlant,  des  faucons  qui  auroient  fubi  la  variété  com- 
mune aux  oifeaux  du  nord ,  qui  eft  le  blanc  ;  mais  pour 
le  fécond,  dont  M.  Bri/Ton  ne  paroît  parler  que  d'après 
M.  Fri fc h  ,  dont  il  cite  h  planche  LXXX,  ce  n'efl 
certainement  pas  un  faucon  ,  mais  un  oifeau  de  rapine, 
commun  en  France ,  auquel  on  donne  le  nom  dchûrpûje: 
^.°  que  le  faucon  noir  eft  le  véritable  faucon -pèlerin 
ou  pafTager,  qu'on  doit  regarder  comme  étranger; 
6!"  que  le  faucon  tacheté ,  n'efl  que  le  jeune  de  ce  même 

Kk  iij 


262        Histoire  Natu relle 

faucon  étranger;  7.°  que  le  fiuicon  brun  eft  moins  un 
faucon  qu'un  bufard  ;  M.  FriTch  efl  ie  feul  qui  en  ait 
donné  la  repréfen ration  fq ) ,  <5c  cet  Auteur  nous  dit 
que  cet  oifeau  attrape  quelquefois  en  volant  les  pigeons 
fauvages  ;  que  fon  vol  eft  très -haut,  <Sc  qu'on  ie  tire 
rarement,  mais  que  néanmoins  il  guette  les  oifeaux 
aquatiques ,  fur  les  étangs  <5c  dans  les  autres  lieux  ma- 
récageux :  ces  indices  réunis ,  nous  portent  à  croire 
que  ce  faucon  brun  de  M.  Briffon  n'eft  vraifembla- 
blement  qu'une  variété  dans  l'efpèce  des  bufards, 
quoiqu'il  n'ait  pas  la  queue  aufii  longue  que  les 
autres  bufards;  8,°  que  le  faucon  rouge  n'eft  qu'une 
variété  dans  notre  efpèce  commune  du  faucon,  que 
Belon  dit  ,  avec  quelques  anciens  Fauconniers  ,  fe 
trouver  dans  les  lieux  marécageux  qu'il  fréquente 
de  préférence;  9.°  que  le  faucon  rouge  des  Indes, 
eft  un  oifeau  étranger  ,  dont  nous  parlerons  dans  la 
fuite;  10.*'  que  le  faucon  d'Italie,  dont  M.  Briffon 
ne  parle  que  d'après  Jonfton,  peut  encore  être,  fans 
fcrupule ,  regardé  comme  une  variété  de  l'efpèce 
commune  de  notre  faucon  des  Alpes;  ii.°  que  le 
faucon  d'Iflande  eft,  comme  nous  l'avons  dit,  une  autre 
variété  de  l'efpèce  commune,  dont  il  ne  diffère  que 
par  un  peu  plus  de  grandeur;  12.°  que  le  facre  n'eft 
point ,  comme  le  dit  M.  Briftbn  ,  une  variété  du  faucon , 
mais  une  efpèce  différente  qu'il  faut  confidérer  à  part; 
13."  que  le  faucon-gentil  n'eft  point  une  efpèce  difîé- 

(q)  Frifch,  tome  1,  planche  Lxxvr, 


DU    Faucon,  26^ 

rente  de  celle  de  notre  faucon  commun,  &.  que  ce 
n*efl  que  le  faucon -fors  de  cette  efpèce  commune, 
que  M.  BrifTon  a  décrit  fous  ie  nom  At  faucon-gentil  ; 
mais  dans  un  temps  de  mue,  différent  de  celui  qu'il 
a  décrit  fous  le  fimpie  nom  Aq  faucon  ;  14.°  que  le 
faucon  appelé /'//fr//^  par  AI.  BrifTon  ,  n*efl  que  notre 
même  faucon  commun  ,  devenu  par  l'âge  faucon- 
hagard,  tel  que  nous  l'avons  repréfenté  dans  la  planche 
enluminée,  n°  ^i ,  <Çc  que  par  conféquent  ce  n'eft 
qu'une  variété  de  l'âge  ,  6c  non  pas  une  diverfité 
d'efpèce;  \Ç  que  le  faucon  de  Barbarie  n'eft  qu'une 
variété  dans  l'efpèce  du  faucon  étranger  ,  que  nous 
avons  nommé  faucon  yajfaga- ,  Si  que  nous  avons  fait 
repréfenter  ,  planche  enluminée,  nf  ^(fp  ;  16.''  qu'il 
en  efl  de  même  du  faucon  de  Tartarie;  ly.''  que  le 
faucon  à  collier  n'efl  point  un  faucon ,  mais  un  oifeaii 
d'un  tout  autre  genre,  auquel  nous  avons  donné  le 
nom  Ae  foubufe ;  i8.°  que  le  faucon  de  roche  n'efl 
point  encore  un  faucon ,  puifqu'il  approche  beaucoup 
plus  du  hobreau  <Sc  de  la  crefferelle  ;  <Sc  que  par  con- 
féquent c'efi:  un  oifeau  qu'il  faut  confidérer  à  part  ; 
19.°  que  le  fuicon  de  montagne  n'efl  qu'une  variété 
du  rochier;  20.''  que  le  faucon  de  montagne  cendré 
n'efl  qu'une  variété  de  l'efpèce  commune  du  faucon  ; 
21.°  que  le  faucon  de  la  baie  de  Hudfon  ed  un  oifeau 
étranger,  d'une  efpèce  différente  de  ccWe  d'Europe , 
&.  dont  nous  parlerons  dans  l'article  fuivant;  ii.*"  que 
le  faucon  étoile  efl  un  oifeau  d'un  autre  genre  que  le 


264      Histoire    N atu relle 

faucon  ;  23.°  que  le  faucon  huppé  des  Indes,  le  faucon 
des  Antilles,  le  faucon  -  pécheur  des  Antilies,  6c  ie 
faucon-pêcheur  de  la  Caroline,  font  encore  des  oifeaux 
étranîrers  dont  il  fera  fait  mention  dans  la  fuite.  On 
peut  voir  par  cette  longue  énumération  ,  qu'en  fcparant 
même  les  oifeaux  étrangers,  &.  qui  ne  font  pas  préci- 
fément  des  faucons;  <Sc  en  ôtant  encore  le  faucon  pattu, 
qui  n'efl  peut-être  qu'une  variété  ou  une  efpèce  très- 
voifine  de  celle  du  faucon  commun,  il  y  en  a  dix-neuf 
que  nous  réduifons  à  quatre  efpèces;  favoir,  le  faucon 
commun,  ie  faucon  pafTager ,  le  facre  6c  le  bufard,  dont  il 
n'y  en  a  plus  que  deux  qui  foicnt  en  effet  des  faucons. 

Après  cette  rédudlion  faite  de  tous  les  prétendus 
faucons  ,  aux  deux  efpèces  du  faucon  commun  ou 
gentil,  6c  du  faucon  pafTager  ou  pèlerin  ;  voici  les  diffé- 
rences que  nos  anciens  Fauconniers  trouvoient  dans 
leur  nature  6c  mettoient  dans  leur  éducation.  Le  faucon- 
gentil  mue  dès  le  mois  de  mars,  6c  même  plus  tôt;  le 
faucon  pèlerin  ne  mue  qu'au  mois  d'août  :  il  efl  plus 
plein  fur  les  épaules,  6c  il  a  les  yeux  plus  grands,  plus 
enfoncés,  le  bec  plus  gros,  les  pieds  plus  longs  6c 
mieux  fendus  que  le  faucon  -  gentil  frj:  ceux  qu'on 
prend  au  nid  s'appellent  faucons -niais  ;  lorfqu'ils  font 
pris  trop  jeunes,  ils  font  fouvent  criards  &  difficiles  à 
élever;  il  ne  faut  donc  pas  les   dénicher  avant  qu'ils 

fr)  Fauconnerie  d'Artelouche,  imprimée  à  la  fuite  de  la  Vénerie 
de  du  FoiùIIoux ,  &  des  Fauconneries  de  Jean  de  Franchières  &  de 
Guillaume  Tardjf.   Paris,  i  $  1  ^ ,  page  8ç, 

foient 


DU    Faucon.  26^ 

foient  un  peu  grands,  ou  fi  l'on  efl  ohiigé  de  les  ôter 
de   leur   nid,    il  ne   faut  point   les   manier,  mais  les 
mettre  dans  un  nid  le  plus  fcmhlable  au  leur   qu'on 
pourra,  (Se  les  nourrir   de   chair  d'ours,    qui    eft  une 
viande  afTez    commune  dans  les  montagnes  où  l'on 
prend  ces  oifeaux,  Si  au  défaut  de  cette  nourriture  on 
leur  donnera  de  la  chair  de  poulet:  û  l'on  ne  prend 
pas  ces  précautions,  les  ailes  ne  leur  croiiïent  pas  ffj, 
ÔL  leurs  jan"il)es  fe   cafîent  ou  fe  déboîtent  aifément: 
les  faucons-fors,  qui  font  les  jeunes,  (5c  qui  ont  été 
pris   en  feptembre ,   odohre  <Sc  novembre  ,    font  les 
meilleurs  <5c  les  plus  aifés  à  élever:  ceux  qui  ont  été 
pris  plus  tard  en  hiver  ou  au  printemps  fuivant,  (Se  qui 
par  conféquent  ont  neuf  ou  dix  mois  d'à^e,  font  déjà 
trop   accoutumés  à  leur   liberté   pour  fubir  aifément 
lafervitude,  Si  demeurer  en  captivité  fans  regret,  Si  l'on 
n'eft  jamais  fur  de  leur  obéifTance  <Sc  de  leur  fidélité 
dans  le  fervice:  ils  trompent  fouvent  leur  maître,  (Se 
quittent  lorfqu'il  s'y  attend  le  moins.  On   prend  tous 
les  ans  les  faucons -pèlerins  au  mois   de  feptembre, 
à  leur  paiïhge  dans  les  îles,  ou  fur  les  falaifes  de  la 
mer.  Ils  font  de  leur  naturel  prompts ,  propres  à  tout 
faire,  dociles  Si  fort  aifés  à  indruire  f^tj:   on  peut 
les  faire   voler   pendant  tout  le  mois  de  mai  (Se  celui 

ffj  Recueil  de  tous  les  oifeaux  <Je  proie  qui  fervent  à  la  faucon- 
nerie, par  G.  B.  imprimé  à  la  fuite  des  Fauconneries  citées  dans  h 
note  précédente  ,  pdge  i  i  -^ ,  verfo. 

/t)  Fauconnerie  de  Jeaii  de  Franchières ,  page  2  ,  reâo. 

Oifcdux ,  Tome  I.  :  Ll 


266         Histoire  Naturelle 

de  juin  ,  parce  qu'ils  font  tardifs  à  muer  ;  mais  aufil 
dès  que  la  nuie  commence  ,  ifs  fe  dépouillent  en  peu 
de  temps.  Les  lieux  où  l'on  prend  le  plus  de  faucons- 
pèlerins,  font  non -feulement  les  côtes  de  Barbarie, 
mais  toutes  les  îles  de  la  Méditerranée,  Se  particulière- 
ment celle  de  Candie  ,  d'oii  nous  venoient  autrefois 
les  meilleurs  faucons. 

Comme  les  Arts  n'appartiennent  point  à  l'Hilloire 
Naturelle,  nous  n'entrerons  point  ici  dans  les  détails 
de  l'art  de  la  fauconnerie;  on  les  trouvera  dans  l'En- 
cyclopédie fu),  dont  nous  avons  déjà  emprunte  deux 
notes.  <c  Un  bon  faucon,  dit  M.  le  Roi,  auteur  de 

>  l'article  Fûiicorînerie ,  doit  avoir  la  tcte  ronde,  le  hec 
•>  court  (Se  gros,  le  cou  fort  long,  la  poitrine  nerveufe, 

>  les  mahutes  larges,  les  cuifTes  longues,  les  jambes 
5   courtes ,  la  main  large,  les  doigts  déliés,  alongés  & 

>  nerveux  aux  articles,  les  ongles  fermes  Se  recourbés, 
î  les  ailes  longues;  les  fignes  de  force  &  de  courage, 

>  font  les  mêmes  pour  le  gerfaut  Se  pour  le  tiercelet, 
qui  eft  le  mâle  dans  toutes  les  efpèccs  d'oifeaux  de 
proie,  Se  qu'on  appelle  ainfi,  parce  qu'il  efl  d\m 
tiers  plus  petit  que  la  femelle  ;  une  marque  de  bonté 
moins  équivoque  dans  un  oifeau,  e(l  de  chevau- 
cber   contre  le  vent,  c'efl-à- dire,   de   fe  roidir 

fu)  Voyez  cet  nrûclc  Fauconnerie ,  au  fujet  de  l'cducaiion  des 
faucons  ,  de  Tes  maladies  &  des  foins  propres  à  les  prévenir  ,  on 
des  remèdes  nécefiaires  pour  les  guérir.  Par  AI.  U  Roy,  LieulenùM 
its  Chajj'es  de  Sa  MajeJIé ,  à  Verfailles, 


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PI  y.r  Pa.)   TOC 


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H  J>.-  /.Mt/iay  L^i'-.f.tijf. 


I.K    FALCON     SORT. 


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n  s  ri   PaJ     2rc 


2>t\i','t\-  iklm 


LE     FAUCON    HAGARD 


DU    Faucon,  26j 

contre,  6:  fe  tenir  ferme  fur  le  poing  lorfqu'on  l'y  « 
expofe  :  le  pcnnagc  d'un  fmcon  doit  ttre  Lrun  6i  « 
tout  d'une  pièce,  c'cfl-à-dire,  de  même  couleur;  la  « 
I)onnc  couleur  des  mains  efl  de  vert-d'eau;  ceux  dont  « 
les  mains  &^  le  J>ec  font  jaunes ,  ceux  dont  le  plumage  « 
cflfemc  détaches,  font  moins  cAimcs  que  les  autres:  «c 
on  fait  cas  des  faucons  noirs,  mais  quel  que  foit  leur  « 
plumage,  ce  font  toujours  les  plus  forts  en  courage  « 

qui  font  les  meilleurs Il  y  a  des  faucons  lâches  « 

6c  pareffcux,  il  y  en  a  d'autres  fi  fiers,  qu'ils  s'irritent  « 
contre  tous  les  moyens  de  les  apprivoifer;  il  faut" 
abandonner  les  uns  Si  les  autres,  ôic  », 

M.  Forget,  Capitaine  du  vol  à  Vcrfailles ,  a  Lien 
voulu  me  communiquer  la  notice  fuivante. 

«  Il  n'y  a ,  dit-il ,  de  différence  effentielle  entre  les  fau- 
cons de  difTcrens  pays,  que  par  la  groffcur  ;  ceux  qui  « 
viennent  du  Nord ,  font  ordinairement  plus  grands  que  « 
ceux  des  montagnes,  des  Alpes  &  des  Pyrénées;  ceux-ci  « 
fe  prennent,  mais  dans  leurs  nids;  les  autres  fe  prennent  « 
au  paffage ,  dans  tous  les  pays;  ils  paffcnt  cv\  odohre  év  « 
en  novembre ,  &  repaffent  en  février  &.  mars . . .  L'âge  « 
des  fiucons  fe  (\Q(\g\^c  trés-diflindement  la  féconde  « 
année,  c'eft-à-dire,  à  la  première  mue,  mais  dans  la  fuite 
Jes  connoiffances  deviennent  bien  plus  difficiles;  indé- 
pendamment des  changemens  de  couleur,  on  peut  les  « 
diftinguerjufqu'à  latroifième  mue,  c'efl-à-dire,  par  lu  « 
couleur  des  pieds  <Sc  celle  de  la  membrane  du  bec  «. 

Ll  ij 


ce 


<c 


268         Histoire   Naturelle 


OISEAUX  ETRANGERS, 

Qui  ont  rapport  au  Gerfaut  &  aux  Faucons. 

L 


L 


E  faucon  J'Idande  ,  que  nous  avons  dit  ttre  une 
variété  dans  l'efpèce  de  notre  faucon  commun  ,  6c 
qui  n'en  diffère  en  effet,  qu'en  ce  qu'il  eft  un  peu 
plus  grand  &  plus  fort. 

I  I. 

Voye^  les  planches  enluminées,  n!  ^^^> 

Le  faucon  noir  qui  fc  prend  au  paffage  à  Malte,  en 
France,  en  Allemagne,  dont  nous  avons  parlé,  6c  que 
M/'  Frifch  fû)  6c  Edwards  (l^J  ont  indiqué  &i  décrit, 
qui  nous  paroît  être  d'une  efpèce  étrangère  6c  différente 
de  celle  de  notre  faucon  commun;  j'obferverai  que  la 
defcription  qu'en  donne  M.  Edwards  eft  exadle,  mais 
que  Al.  Frifch  n'cfl  pas  fondé  à  prononcer,  que  ce 
faucon  doit  être  fans  doute  le  plus  fort  des  oifeaux 
de  proie  de  fa  grandeur,  parce  que  près  de  l'extré- 
mité du  bec  fupérieur  ,  il  y  a  une  efpèce  de  dent 
triangulaire  ou  de  pointe  tranchante ,  6c  que  les  jambes 
font  garnies  de  plus  grands  doigts  6c  ongles  qu'aux 

(a)  Frifch,  tome  J ,  planche  Lxxxui. 
(h)  Edwards  ;  tome  I,  page  ^,  planche  JV, 


DES  Oiseaux  étrangers     269 

autres  faucons  ;  car  en  comparant  les  doigts  6i  les 
ongles  de  ce  fcUicon  noir,  que  nous  avons  en  nature, 
avec  ceux  de  notre  faucon  ,  nous  n'avons  pas  trouvé 
qu'il  y  eût  de  différence,  ni  pour  la  grandeur,  ni  pour 
ia  force  de  ces  parties;  ôl  en  comparant  de  même 
le  bec  de  ce  faucon  noir  avec  le  bec  de  nos  faucons, 
nous  avons  trouvé  que  dans  ia  plupart  de  ceux-ci ,  il 
y  avoit  une  pareille  dent  triangulaire,  vers  l'extrémité 
de  ia  mandil)ule  fupérieure;  en  forte  qu'il  ne  diifère 
point  à  ces  deux  égards  du  faucon  commun  ,  comme 
M.  Frifch  femble  l'infmuer;  au  rcfte,  le  faucon  ta- 
cheté dont  M.  Edwards  donne  la  defcription  &  ia 
figure  fcj,  6c  qu'il  dit  être  du  même  climat  que  le 
faucon  noir,  c'efl-à  -  dire,  des  terres  de  la  baie  de 
Hudfon,  ne  nous  paroît  être  en  effet  que  le  faucon- 
fors  ou  jeune  de  cette  même  efpèce ,  Si  ])ar  conféqucnt 
ce  n'efl:  qu'une  variété  produite  dans  les  couleurs  par 
la  différence  de  l'âge,  &  non  pas  une  variété  réelle  ou 
variété  de  race  dans  cette  efpèce.  On  nous  a  affuré 
que  la  plupart  de  ces  faucons  noirs  arrivent  du  côté 
du  midi;  cependant  nous  en  avons  vu  un  qui  avoit  été 
pris  fur  les  côtes  de  l'Amérique  feptentrionafe,  près 
du  banc  de  Terre-neuve  ;  Si  comme  M.  Edwards  dit 
qu'il  fe  trouve  auffi  dans  les  terres  voifines  de  ia  baie 
de  Hudfon  ,  on  peut  croire  que  l'efpèce  eft  fort 
répandue,  <Sc  qu'elle  fréquente  également  les  climats 
chauds ,  tempérés  ou  froids. 

^cj  Edwards,  lome  J,  page  j»,  planche  JJI. 

Li  ii; 


270         Histoire  Natv relle 

Nous  ol)rcr\'erons  que  cet  oiTcau  que  nous  a^ons 
eu  en  nature,  avoit  les  pieds  d'un  Mcu  hicn  décide,  & 
que  ceux  que  l'on  trouve  rcprcfcntcs  dans  les  planches 
enluminées  de  M/'  Ed\\ards  &.  Frifcli  avoient  ies 
pieds  jaunes;  cependant  il  n'ed  pas  douteux  que  ce  ne 
foicnt  les  mêmes  oifeaux  :  nous  avons  déjà  reconnu 
en  examinant  les  balbuzards,  qu'il  y  en  avoit  à  pieds 
Meus,  &i  d'autres  à  pieds  jaunes;  ce  caraclère  efl  donc 
beaucoup  moins  fixe  qu'on  ne  l'imaginoit:  il  en  efl 
de  la  couleur  des  pieds  à  peu  près  comme  de  celle 
du  plumage;  elle  varie  fouvcnt  avec  l'âge  ou  par 
d'autres  circonflances. 

I  I  î. 

L'oiseau  qu'on  peut  appeler  \t  fiiucon  rouge . des 
Jndcs  orientales,  très  -  bien  décrit  par  Aldro\ande  (d) ^ 
&.  à  peu  près  dans  les  termes  fuivans.  La  femelle  qui 
cPi  d'un  tiers  plus  grofTe  que  le  mâle,  a  le  dcfîus  de  la 
tète  large  ôi  prcfcjue  plat  :  la  couleur  de  lu  tète ,  du 
cou,  de  tout  le  dos  év  du  dcfTus  des  ailes,  efl  d'un 
cendré  tirant  fur  le  brun  ;  le  bec  eft  très  -  gros  , 
quoique  le  crochet  en  foit  afTez  petit;  la  bafe  du  bec 
c(ï  jaune  ,  ôi  le  rcfle  jufqu'au  crochet  efl  de  couleur 
cendrée;  la  pupille  des  yeux  efl  très-noire,  l'iris  brune, 
Ja  poitrine  entière,  la  partie  fupérieure  du  deffous  des 
ailes,  le  ventre,  le  croupion  &.  les  cuifles,  font  d'un 

fJJ  Fako  ruheus  indïcus,  AIdrcvv.  Avl  p-'ig-  4^45  fg- 1'^^^^  4^  J 
^  4^6. 


DES  Oiseaux  étrangers.      lyi 

orangé  preTque  rouge:  il  y  a  cependant  aii-deiîus  de 
la  poitrine  fous  le  menton  ,  une  tache  longue  de  couleur 
cendrée,  6c   quelques  petites   taches  de   cette   même 
couleur  fur  la  poitrine:  la  queue  cft  rayée  de  bandes 
en  demi -cercle,  alternativement  brunes  (Se  cendrées; 
les  jambes  &  les  pieds  font  jaunes ,  <5c  les  ongles  noirs. 
Dans  le  mâle  toutes  les  parties  rouges  font  plus  rouges , 
6c  toutes  les  parties  cendrées  font  plus  brunes;  le  htc 
eft  plus  bleu ,  (Se  les  pieds  font  plus  jaunes.  Ces  faucons , 
ajoute    Aldrovande  ,   avoient  été   envoyés   des    Indes 
orientales  au  grand  duc  Ferdinand,  qui  les  fit  defiiner 
vivans  (ej.  Nous  devons  obferver  ici  (|ue  Tardif  (fj, 
Albert  (Se  Crefcent   fgj,  ont  parlé  du  faucon   rouge 
comme  d'une  efpèce  ou  d'une  variété  qu'on  connoiiïbit 
en  Europe ,  (Se  qui  fe  trouve  dans  les  pays  de  plaines 
<Se  de  marécages;  mais  ce  faucon  rouge  ntii  pas  allez 
bien  décrit,  pour  qu'on  puiffe  dire  fi  c'efl  le  même 
que  le  faucon   rouge   des    Indes,    qui   pourroit   bien 
voyager  (Se  venir  en  Europe  comme  le  faucon  pafTager. 

I  V. 

L'oiseau  indiqué  par  Willughby  f/ij,  fous  la  déno- 
mination (Itfd/co  indiens  cirmtns,  qui  eft  plus  gros  cjue 

/e)  Rouge  fluicon  efl:  (ouvent  trouvé  es  lieux  pleins  &  en  marais: 
il  eft  hardi;  mais  difficile  à  gouverner.  Fauconnerie  de  Tardif,  pnmiàc 
partie ,  chapitre  IJI. 

(f)  Albert,  verfo  2^ ,  cap.  XI T. 

(o)  ^^^^'  Grefcentius ,  lib.  X,  cnp.  ly. 

(h)  Willughby,  Orn'ilhoL  pag.  48. 


zjz       Histoire  Natu relle 

le  faucon,  (5c  prtTiiie  égal  a  l'autour;  qui  a  fur  la  tcte 
une  huppe  dont  l'extrémité  fe  clivife  en  (\c\\\  parties 
qui  pendent  fur  le  cou.  Cet  oifeau  eft  noir  fur  toutes 
les  parties  fupérieurcs  de  la  tête  &.  du  corps;  mais  fur 
la  poitrine  6^  le  ventre,  fon   plumage  efl  traverfé  de 
lignes  noires  (Se  blanches  alternativement:  les  plumes 
de  la  queue  font  auffi  rayées    de  lignes  alternativement 
noires  (?c  cendrées;  les  pieds  font  couverts  de  plumes 
jufqu'à  l'origine  des   doigts;   l'iris  des  yeux,   la  peau 
qui   couvre  la  bafe  du  hcc ,  &  les  pieds  font  jaunes; 
le  bec  cil;  d'un  bleu  noirâtre,  6i  les  ongles  font  d'un 
beau  noir. 

Au  refle,  il  paroît  par  le  témoignage  des  Voyageurs, 
que  le  genre  des  faucons  e(l  l'un  des  plus  univerfelle- 
ment  répandus;  nous  avons  dit  qu'on  en  trouve  par- 
tout en  Europe,  du  Nord  au  Midi,  qu'on  en  prend 
en  quantité  dans  les  iles  de  la  jMéditerranée  ,  qu'ils 
font  communs  fur  la  côte  de  Barbarie.  M.  Shaw  fij, 
dont  j'ai  trouvé  les  relations  prefque  toujours  fidèles, 
dit  qu'au  royaume  de  Tunis,  il  y  a  des  faucons  Si  des 
cperviers  en  affez  grande  abondance,  6c  que  la  chaffe 
à  l'oifeau  efl  un  des  plus  grands  plaifirs  des  Arabes  6c 
des  gens  un  peu  au-deffus  du  commun  :  on  les  trouve 
encore  plus  fréquemment  au  Alogol  (kj  6c  en  Perfe  (IJ, 

où  l'on 

^ï)  Voyage  de  M.  Shnw,  tome  I,  page  ^  8p. 
(k)  On  fe  fert  du  faucon,  au  Mogol ,  pour  la  chalTe  du  daim 
&  des  gazelles.    Voyage  de  Jean  Ovington  ,  tome  I ,  page  -2  y  p. 

(l)  Les  Perfans  entendent  tout-à-fait  bien  à  enfeigncr  les  oifeaux 

de  chaflc, 


DES  Oiseaux  étrangers,      273 

où  l'on   prétend   que  l'art  de  la  fauconnerie  efl  plus 

de  chafle ,  &:  ordinnirement  ils  drcffent  les  faucons  à  voler  fur  toutes 
fones  d'oifeaux ,  &  pour  cela  ils  prennent  des  grues  &  d'autres  oifeaux 
qu'ils  laiffent  aller,  après  leur  avoir  bouché  les  yeux  ;  aufîjiôt  ils  font 
voler  le  faucon,  qui  les  prend  fort  aifement.  ...  II  y  a  des  faucons 
pour  la  chafTe  de  la  gazelle,  qu'ils  inftruilcnt  de  la  manière  qui  fuit: 
ils  ont  des  gazelles  contrefaites  {  empaillées  )  ,  fur  le  nez  defquelies  ils 
donnent  toujours  à  manger  à  ces  faucons ,  «5c  jamais  ailleurs  :  après 
qu'ils  les  ont  ainfi  élevés,  ils  les  mènent  à  la  campagne;  &  lorlqu'ils 
ont  découvert  une  gazelle,  ils  lâchent  deux  de  ces  oifeaux,  dont  l'un 
va  fondre  fur  le  nez  de  la  gazelle,  &;  lui  donne  en  arrière  des  coups 
de  pieds  :  la  gazelle  s'arrête  &  fe  (ccoue  pour  s'en  délivrer  ;  l'oileau 
bat  des  ailes  pour  fc  retenir ,  ce  qui  empêche  encore  la  gazelle  de 
bien  courir ,  &  même  de  voir  devant  elle  ;  enfin ,  lorfqu'avec  bien 
de  la  peine  elle  s'en  efl  défaite ,  l'autre  fiucon  qui  eft  en  i'air  preild 
la  place  de  celui  qui  efl:  à  bas,  lequel  (è  relève  pour  fuccéder  à  fon 
compagnon  quand  il  fera  tombé;  &  de  cette  forte  ils  retardent  telle- 
ment la  courlè  de  la  gazelle,  que  les  chiens  ont  le  temps  de  l'attraper. 
Il  y  a  d'autant  plus  de  ])laifir  à  ces  chaiïes,  que  le  pays  efl:  plat  & 
découvert,  y  ayant  fort  peu  de  bois.  Relation  de  Thevenot ,  tome  II , 

page  20  Q Voyage  de  Jean  O  vingt  on ,  tome  I ,  page  ^yp- 

—  La  manière  dont  les  Perfins  dreflent  les  faucons  à -la  chafle  des 
bêtes  fauves,  efl:  d'en  écorcher  une  &  d'en  remj^Iir  la  peau  de  paille, 
&  d'attacher  toujours  la  viande  dont  on  repaît  les  faucons  fur  la  tête 
de  cette  peau  bourrée ,  que  l'on  fait  mouvoir  fur  quatre  roues  par 

une  machine,  tant  que  l'oileau  mange,  afin  de  l'y  accoutumer 

Si  la  bête  efl:  grande  ,  on  lâche  plufieurs  oifeaux  après  elle ,  qui  la 

tourmentent  l'un  après  l'autre Ils  fe  fervent  aulfi  de  ces  oifeaux 

pour  les  rivières  «Se  les  marais  ,  dans  lefquels  ils  vont ,  comme  les 
chiens,  chercher  le  gibier.  . ,,  .  .  Comme  tous  les  gens  d'épée  font 
chalfeurs ,  ils  portent  d'ordinaire  à  l'arçon  de  Li  felle  une  petite 
timbale  de  huit  à  neuf  pouces  de  diamètre,  qui  ieiu*  fert  à  rappeler 
l'oileau  en  frappant  dcfllis.   Voyage  de  Chardin,  icmc  II ,  pages  ^z 

Oifeaux ,  Tome  I.  *  M  ni 


274       Histoire  Naturelle 

cultivé  que  par-tout  ailleurs  fm);  on  en  trouve  jufqu'aii 
Japon,  où  Kœmpfer  (î?J  dit  qu'on  les  tient  plutôt  par 
fafle,  que  pour  l'utilité  de  la  cliaiTe,  ôc  ces  faucons  du 
Japon  viennent  des  parties  reptentrionales  de  cette 
île.  Kolbe  foj  fait  aufTi  mention  des  faucons  du  cap  de 
Bonne-efpérance,  Si.  Boiman  de  ceux  de  Guinée  fpj; 
en  forte  qu'il  n'y  a,  pour  ainfidire,  aucune  terre,  aucun 
climat  dans  l'ancien  continent,  où  l'on  ne  trouve 
l'efpèce  du  faucon;  &  comme  ces  oifeaux  fupportent 
très  -  bien  le  froid ,  6c  qu'ils  volent  facilement  (Se 
très  -  rapidement ,  on  ne  doit  pas  être  furpris  de  les 

Ù"  s 3  '  —  La  Perfe  ne  manque  pas  d'oifeaux  de  proie  ;  il  s'y  trouve 
quantité  de  faucons,  d'éperviers  &  de  lannerets,  &  autres  femblables 
oifeaux  de  chafle ,  dont  la  Ve'nerie  du  Roi  eft  très -bien  pourvue, 
&  on  y  en  compte  plus  de  huit  cents:  les  uns  font  pour  le  fangiier, 
l'âne  fauvage  &  la  gazelle;  les  autres  pour  voler  les  grues,  les  hérons, 
les  oies  &  les  perdrix.  Une  grande  partie  de  ces  oifeaux  de  chafle 
s'apporte  de  Ruffie  ;  mais  les  plus  grands  &  les  plus  beaux  viennent 
des  montagnes  qui  s'étendent  vers  le  Midi,  depuis  Schyras  jufqu'au 
golfe  Perfique.  Voyage  de  Dampierre ,  tome  H,  page  2^  &  fmv. 

(m)  Les  Perfans  qui  font  fort  patiens  ,  prennent  auffi  plaifir  à 
drefler  un  corbeau  de  la  même  manière  qu'ils  dreffent  un  épervicr. 
"Voyage  de  Dampierre ,  tome  II ,  page  2y. 

(n)  Kœmpfer,  H'ijl.  du  Japon,  tome  I,  page  i  J y. 

(o)  Kolbe,  Defcript'ion  du  cap  de  Bonne-efpérance,  tome  III, 
page  1^6. 

(p)  Sur  cette  côte  de  Guinée ,  on  voit  encore  un  autre  oifeau  de 
proie,  qui  reflemble  fort  à  un  faucon,  &  qui,  quoiqu'un  peu  plus 
gros  qu'un  pigeon ,  eft  fi  hardi  &  fi  fort ,  qu'il  fe  jette  fur  les  plus 
greffes  poules  &  les  emporte.  Voyage  de  Cuillaume  Bofman,  lettre  i  y' 
page  2CS> 


DES  Oiseaux  étrangers,    ly^ 

retrouver  dans  le  nouveau  continent;  il  y  en  a  dans  le 
Groenland  (^//J,  dans  les  parties  montagneufcs  de 
J'Amérique  feptentrionale  Se  inéridionalc  (^rj,  &  jufque 
dans  les  îles  de  la  mer  du  Sud  (f). 

V. 

L'oiseau  appelé  tanas  par  les  Nègres  du  Sénégal , 
6c  qui  nous  a  été  donne  par  M.  Adanfon  ,  fous  le  nom 
dt  faucon-pccheur  (voye^  les  j)lanc1i€s  cnlwn'mces,  iu  f/'S) ^ 
il  refTemhlc  prefque  en  tout  à  notre  faucon  par  les 
couleurs  du  plumage  ;  il  efl  néanmoins  un  peu  plus 
petjt,  <Sc  il  a  fur  la  tête  de  longues  plumes  éminentes 
qui  fe  rabattent  en  arrière  &:  qui  forment  une  efpèce 

(q)  On  trouve  dans  le  Groenland  des  faucons  blajics  &  gris,  en 
très-grand  nombre,  &.  plus  qu'en  autre  lieu  du  monde.  On  portoit 
anciennement  de  ces  oifeaux  pour  grande  rareté  aux  rois  de  Dane- 
marck,  à  caufe  de  leur  bonté  merveilleule ,  <Sc  les  rois  de  Danemarck 
en  fuiloient  des  préfens  aux  rois  &  princes  leurs  voillns  ou  amis, 
parce  que  la  chafle  de  i'oileau  n'cfl  du  tout  point  en  ulage  dans 
le  Danemarck,  non  plus  qu'aux  autres  endroits  du  Septenirion. 
Becue'il  des  Voyages  du  Nord,  tome  J ,  page  pp. 

/r)  On  a  envoyé  plufieurs  &  diverles  fortes  de  fliucons  de  îa 
neuve  Efpaone  &:  du  Pérou  aux  feigneurs  d'Elpagne,  d'autant  qu'on 
cji  fait  grande  eftimc.  Il  y  a  même  des  hérons  &  des  aigles  de 
diverfes  fortes,  &.  il  n'y  a  point  de  doute  que  ces  cfpcces  d'oifeaux, 
&  autres  fcml:)lablcs ,  n'y  aient  pafie  bien  plus  tôt  que  les  lions  &  les 
tigres.  Hyi.  naturelle  des  Indes  occidentales ,  par  Acojla,  page  i p j. 
> — Nota.  L'oifcau  que  les  Mexicains  appeloient  Hotli,  indiqué  par 
Fcrnandès ,  paroît  être  le  même  que  le  faucon  noir  dont  nous  avons 
parlé. 

(f)  Hift.  des  Navigations  aux  terres  AuQrales ,  tome  III ,  page  i  p  y, 

Mm  \] 


27<5     Histoire  Naturelle,  fc 

de  huppe,  par  laquelle  on  pourra  toujours  diflinguer 
cet  oifeau  des  autres  du  même  genre:  il  a  au/Ti  ie  bec 
jaune,  moins  courbé  &  plus  gros  que  le  faucon  ;  il  en 
diffère  encore  en  ce  que  les  deux  mandibules  ont  des 
dentelures  très-fenfiblcs;  (?c  Ton  naturel  efl  au/Ti  diffé- 
rent; car  il  pêche  plutôt  qu'il  ne  chaffe  :  je  crois  que 
c'cA  à  cette  efpèce  qu'on  doit  rapporter  l'oifeau  duquel 
Dampierre  (t)  fait  mention  fous  ce  même  nom  de 
fauc  oji-pc  chair  :  cr  il  reffemble,  dit-il,  à  nos  plus  petits 
r>  faucons  pour  la  couleur  <Sc  la  figure:  il  a  le  bec  6c 
»  les  ergots  faits  tout  de  même;  il  fe  perche  furies 
»  troncs  des  arbres  &.  fur  les  branches  sèches  'qui 
p  donnent  fur  l'eau  dans  les  criques,  les  rivières  ou 
»  au  bord  de  la  mer;  &  dès  que  ces  oifeaux  voient 
ï>  quelques  petits  poiiïbns  auprès  d'eux,  ils  volent  à 
»  fleur  d'eau ,  les  enfilent  avec  leurs  griffes ,  (Se  s'élèvent 
aufhtôt  en  l'air,  fans  toucher  l'eau  de  leurs  ailes»; 
il  ajoute  «  qu'ils  n'avalent  pas  le  poiffon  tout  entier, 
5>  comme  font  les  autres  oifeaux  qui  en  vivent,  mais 
»  qu'ils  le  déchirent  avec  leur  bec,  <Sc  le  mangent 
par  morceaux  ». 

(t)  Nouveau  Voyage  autour  du  monde,  par  Guillaume  Dampierre, 
tome  111,  page  ^j  S, 


7.J7 


LE    HO  B  RE  AU  (a). 

Vove^  les  planches  enluminées,   n.     ^^i  &  4^2; 


L 


ir  planche  XVII  de  ce  volwne. 


E  Hobreau  eft  bien  plus  petit  que  le  faucon ,  Se 

en  diffère  auffi  par  les  habitudes  naturelles  :  le  faucon 

cfl  plus  fier,  plus  vif  (Se  plus  courageux;  il  attaque  des 

oifcaux  beaucoup  plus  gros   que  lui.   Le  hobreau  eft 

plus  lâche  de  fon  naturel  ;   car  à  moins  qu'il  ne  foit 

drelTé,  il  ne  prend  que  les  alouettes  6c  les  cailles;  mais 

il  fait  compenfer  ce  défaut  de  courage  ôl  d'ardeur  par 

fon    induftrie  :   dès   qu'il  aperçoit  un   chafTcur  <5c  fon 

chien  ,  il  les  fuit  d'affez  près  ou  plane  au  -  deffus  de 

leur   tête,   Si    tâche   de   faifir  les    petits    oifcaux    qui 

s'élèvent  devant  eux;  fi  le  chien  fait  lever  une  alouette, 

une  caille  ,   6i   que  le    chaifcur  la    man([ue  ,   il  ne  la 

manque  pas:  il  a  Tair  de  ne  pas  craindre  le  bruit,  Se 

de  ne  pas   connoitre  l'effet  des   armes  à  feu ,  car  il 

s'approche  de  très-près  du  chaffeur  qui  le  tue,  fouvent 

/aj  En  Anglois,  Hobhy ;  en  Italien,  Bacello.  — Hobreau.  Belon, 
////?.  nat.  des  Oifcaux ,  page  i  i  8.   —SubbuUo.  AIdrov.  Av'i.  tom.  I, 

pag.  373 Fako  arborarius.  Aldrov.  Avi.  tom.  I,  png.  452. 

^Hobreau.  Albin,  tome  1,  page  y,  pi.  VI,  avec  une  figure  colorice. 
^Litho-Falco  five  œfahis ,  Rochier ,  œfalon.  Fiilch,/?/.  Lxxxvi, 
avec  une  fioure  coloriée.  —  Le  Hobreau.  Briflon ,  Orniîhol.  tome  I, 
pacre  375.    —The  Hobby,  Britikh  Zoology ,  planche  A  p,  avec 


une  figure  coloriée. 


Mm  iij 


278       Histoire  Naturelle 

Jorfqii'il  ravit  fa  proie:  il  fréquente  les  plaines  voifines 
des  bois,  &  fur-tout  celles  où  les  alouettes  abondent; 
il  en  détruit  un  très-grand  nombre,  &  elles  connoiffent 
fi  bien  ce  mortel  ennemi  ,  qu'elles  ne  l'aperçoivent 
jamais  fans  le  plus  grand  effroi,  ôi  qu'elles  fe  préci- 
pitent du  baut  des  airs,  pour  fe  caclicr  fous  l'berbe 
ou  dans  des  buiffons  :  c'efl  la  feule  manière  dont  elles 
puiffent  échapper;  car  quoique  l'alouette  s'élève  beau- 
coup, le  hobreau  vole  encore  plus  jiaut  qu'elle,  &: 
on  peut  le  dreffer  au  leurre  comme  le  faucon  &  les 
autres  oifeaux  du  plus  haut  vol  •  il  demeure  &.  niche 
dans  les  forets  où  il  fe  perche  fur  les  arbres  les  plus 
élevés.  Dans  quelques-unes  de  nos  provinces  on  donne 
le  nom  de  hohrcau  (b)  aux  petits  feigneurs  qui  tyrannifent 
leurs  païfans,  &  plus  particulièrement  au  gentilhomme  à 
lièvre,  qui  va  chaffer  chez  fes  voidns ,  fans  en  être  prié, 
&:  qui  chalTe  moins  pour  fon  plnifirque  pour  le  profit. 

On  peut  obferver  que  dans  cette  efpèce  le  plumage 
de  l'oifeau  eft  plus  noir  dans  la  première  année  qu'il 
ne  l'efl  dans  les  années  fuivantes  :  il  y  a  aufîi  dans 
notre  climat  une  variété  de  cet  oifeau ,  qui  nous  a 
paru  affcz  fingulière  pour  mériter  d'être  rcpréfenlée 
(  voyci  les  planches  enluminées ,  n!'  ^Ji  );  les  différences 
confiffent  en  ce  que  la  gorge,  le  deffous  du  cou,  la 

(b)  Ce  nom  de  Hobreau ,  nppliquc  aux  Gentilshommes  de  cam- 
pagne ,  peut  venir  aufîi  de  ce  qu'autrefois  tous  ceux  qui  n'étoient 
point  aflez  riches  pour  entretenir  une  fauconnerie,  fc  contcntoient 
d  élever  des  hobreaux  pour  la  chafle. 


Ti^t-I 


p:  xni/>,.7  x-s 


DtJeut    dtl 


LE    HOBlU.vr 


DU      H  0   B   R   E  A   U,  279 

poitrine,  une  partie  du  ventre  <Sc  les  grandes  plumes 
des  ailes  font  cendrées  <Sc  fans  taches;  tandis  que  dans 
Je  hobreau  commun,  la  gorge  &  le  deflous  du  cou 
font  blancs ,  la  poitrine  &  le  deffus  du  ventre  blancs* 
au/fi ,  avec  des  taches  longitudinales  brunes,  &  que 
Jes  grandes  plumes  des  ailes  font  prefque  noirâtres  :  il 
y  a  de  même  d'aïïez  grandes  différences  dans  les 
couleurs  de  la  queue,  qui  dans  Je  hobreau  commun 
eft  blanchâtre  par-defTous,  traverfée  de  brun,  êc  quî 
dans  l'autre  e(t  abfolument  brune.  iMais  ces  différences 
n'empêchent  pas  que  ces  deux  oifeaux  ne  puifTent  être 
regardés  comme  de  la  même  efpèce;  car  ifs  ont  la 
même  grandeur,  le  même  port,  Si  fe  trouvent  de  ■ 
même  en  France  ;  &  d'ailleurs  ils  fe  reffemblent  par 
un  cara6îère  fpécifique  très-particulier,  c'efl  qu'ils  ont 
tous  deux  le  bas  du  ventre  <Sc  les  cuiffes  garnies  de 
plumes  d'un  roux  vif,  &  qui  tranche  beaucoup  fur  les 
autres  couleurs  de  cet  oifeau;  il  n'eft  pas  même  impof- 
fible  que  cette  variété ,  dont  toutes  les  différences  fe 
réduifent  à  des  nuances  de  couleurs  ,  ne  proviennent 
de  l'âge  ou  des  différens  temps  de  la  mue  de  cet 
oifeau;  6c  c'efl  encore  une  raifon  de  plus  pour  ne  le 
pas  féparer  de  l'efpèce  commune.  Aurefle,  le  hobreau 
fe  porte  fur  le  poing,  découvert  ôl  fans  chaperon, 
comme  l'émérillon,  l'épervier  (5c  l'autour;  (Se  l'on  en 
faifoit  autrefois  un  grand  ufage  pour  îa  chaffe  des 
perdrix  ôi  des  cailles. 


aSo      Histoire  Natu relle 


L  A 

.    CRESSERELLE  (a). 

Voye^  les  planches  enluminées ,  nf    ^o  i  &*  ^Ji; 
ér  planche  XVlll  de  ce  yolnme. 

L  A  CrcfTerclle  efl  l'oifcau  de  proie  le  plus  commun 
dans  la  plupart  de  nos  provinces  de  France,  &.  fur  tout 

en  Bourgogne: 

(a)  En  Grec,  Kty^ti  ou  Ktvp-^iç',  Cenchr'is  feu  m'iliarla  dïcitur 
hœc  avis  ,  ait  Gefnerus ,  quod  pundis  nigris  milii  amulis  infignis  Jil  ;  en 
Latin,  Tinmnculus  ;  en  Italien,  Canibello  ,  Tiuinculo  ,  Tintarcllo , 
Garinello  ;  en  Efpagnol  ,  Cernicab  ou  Zernicalo  ;  en  Allemand, 
Roethel-weih  ou  Wannen-ivae/ier,  quod  alas  extendat  (  ait  Schwcnckfeld  ) 
venûktque  injlar  ventilabri  quod  vannum  nominant  ;  en  Polonois  , 
Pujlolka  ;  en  Anglois,  Ke/lril  ou  Kejïrel.  Nota.  Ce  pourroit  être  de 
ce  mot  Anglois  KeJIrcl,  qu'ell  dérivé  le  nom  Crijîel  que  les  Bour- 
guignons donnent  à  cet  oifcau  ;  en  Écoflc  ,  Stanchel  ou  Slanntl  ou 
Stonegall ;  on  l'a  aufîi  appelé  en  vieux  François ,  &  encore  aduel- 
ïcment  dans  quelques  provinces  de  France,  CerccrtUe ,  Quercerelle , 
EcrecelU,  Salerne  dit  qu'on  l'appelle  en  Sologne,  Meij  ;  à  Châlons- 
fur-Marne,  R ab aille t ;  en  Provence,  Ratier ;  en  Touraine  ,  Piiriou; 
à  Saumur,  Pilri  ;  en  Beauce ,  Preneur  de  mulots,  &c.  .  .  Crcflerclle 
ou  Cercercllc.  Bclon ,  Hijl.  nat.  des  Oifeaux ,  page  114..  —  Tinnun- 
culus  feu  Cenchris.  AIdrov.  Avi.  tom.  I,  pag.  356.  — Crécerelle. 
Albin,  tome  I,  page  S ,  planche  VU,  avec  une  figure  coloriée,  qui 

efl:  celle  de  la  femelle Coc  de  Windhover.  Albin,  îome  1 1 J, 

planche   v>  avec  une  figure  coloriée ,  qui  eft  celle  du  mâle.  —  Tin- 
mnculus verus.   F nCch ,  planche  LXXXIV,  avec  une  figure  coloriée, 

qui  eft  celle  du  maie Fako  rufus.  Y nCch,  planche  LXXXVI II, 

avec  une  figure  coloriée,  qui  efl  celle  de  la  femelle.  — La  Crefferclle. 

Briiîon , 


DE   LA   CrES  S  Enr.LLE.  281 

en  Bourgogne:  il  ny  a  point  d'ancien  château  ou  de 
tour  abandonnée  qu'elle  ne  fréquente  (f^  qu'elle  n'iia- 
Lite;  c'efl  fur -tout  le  matin  &i  le  foir  qu'on  la  \o\t 
voler  autour  de  ces  vieux  bûtimens,  6.  on  l'entend 
encore  plus  fouvent  qu'on  ne  la  \oit;  elle  a  un  en 
précipité  y//^ /'//,^'//  ou  p'I , pi ,  pn ,  qu'elle  ne  cefle 
de  répéter  en  \olant,  Si  qui  cfîraie  tous  les  petits 
oifcaux  fur  lefquels  elle  fond  comme  une  flèche,  6c 
qu'elle  faifit  avec  fes  ferres  ;  fi  par  hafard  elle  les  manque 
du  premier  coup ,  elle  les  pourfuit  fans  crainte  du  danger 
jufque  dans  les  maifons;  j'ai  \n  plus  d'une  fois  mes 
gens  ])rendre  une  creflTerelle  &.  le  petit  oifeau  qu'elle 
pourfuivoit ,  en  fermant  la  fenêtre  d'une  chambre  ou 
la  porte  d'une  galerie,  qui  étoient  éloignées  de  ])lus 
de  cent  toifcs  des  vieilles  tours  d'où  elle  étoit  partie: 
lorfqu'elle  a  faifi  6c  emporté  l'oifeau,  elle  le  tue  6c  le 
plume  très -proprement  a\ant  de  le  manger:  elle  ne 
prend  pas  tant  de  peine  pour  les  fouris6c  les  mulots; 
elle  avale  les  plus  j)etits  tout  entiers ,  6c  déjicce  les 
autres.  Toutes  les  parties  molles  du  corps  de  la  fouris 
fe  digèrent  dans  l'eftomac  de  cet  oifeau  ;  mais  la  peau 
fe  roule  6:  forme  une  petite  j^elotc  ,  qu'il  rend  jxir 
Je  bec,  6c  non  par  le  bas;  car  fes  excrcmens  font 
prefque  liquides  Si  blanchâtres:  en  mettant  ces  pelotes 
qu'elle  vomit,  dans  l'eau  chaude,  pour  les  ramollir  6c 

Briflon,  Ornhhol.  tome  I,  pnge  393.  — KeJJriL  BritUch  Zoology, 
plancfie  A  S  ,  fig.  i,  The  mak  ;  fig.  2,  The  femak  :  ces  deux 
figures  font  coloiices. 

Oifcaux ,  Tcmc  1,  .   N  n 


282        Histoire  Natu re lie 

ies  étendre ,  on  retrouve  la  peau  entière  de  !a  fouris 
comme  fi  on  Teût  écorchée.  Les  ducs,  les  chouettes, 
les  bufes,  &  peut-être  beaucoup  d'oifeaux  de  proie, 
rendent  de  pareilles  pelotes  dans  lefquelles ,  outre  la 
peau  roulée,  il  fe  trouve  quelquefois  des  portions 
les  plus  dures  des  os  :  il  en  efl  de  même  des  oifeaux 
pêcheurs  ;  les  arêtes  <Sc  les  écailles  des  poifTons  fe 
roulent  dans  leur  eflomac  ,  6c  ils  les  rejettent  par 
ie  bec. 

La  crefTerelle  eft  un  aiïez  bel  oifeau  ;  elle  a  Tccil 
vif  ÔL  la  vue  très-perçante,  le  vol  aifé  <Sc  foutenu:  elle 
efl  diligente  ôi  courageufe;  elle  approche  par  le  na- 
turel, des  oifeaux  nobles  &  généreux  ;  on  peut  même 
la  dreiïer  ,  comme  les  émérillons,  pour  la  fauconnerie. 
La  femelle  eft  plus  grande  que  le  mâle,  &  elle  en 
diffère  en  ce  qu'elle  a  la  tête  rouffe ,  le  deffus  du  dos, 
des  ailes  6c  de  la  queue  rayé  de  bandes  tranfverfales 
brunes  ;  6c  qu'en  même  temps  toutes  les  plumes  de  la 
queue  font  d'un  brun  roux  plus  ou  moins  foncé;  au 
lieu  que  dans  le  mâle,  la  tête  &  la  queue  font  grifes, 
6c  que  les  parties  fupérieures  du  dos  &  des  ailes  font 
d'un  roux  vineux  ,  femé  de  quelques  petites  taches 
noires;  on  peut  voir  les  différences  du  mâle  6c  de  la 
femelle  dans  les  planches  enluminées  que  nous  avons 
citées. 

Nous  ne  pouvons  nous  difpenfer  d'obferver  que 
quelques-uns  de  nos  Nomenclateurs  modernes  (l^J, 


(b)  Brilfon,  tome  J,  page  ^yp> 


DE    LA    CrES  S  ERE  LLH,  28j 

ont  appelé  éperyier  {les  alouettes,  la  creflereile  femelle, 
ôi  qu'ils  en  ont  fait  une  efpèce  particulière  &i  différente 
de  celle  de  la  crefTcrelle. 

Quoique  cet  oifeau  fréquente  habituellement  les 
vieux  bâtimens,  il  y  niche  plus  rarement  que  dans  \ts 
bois;  Si  lorfqu'il  ne  dépofe  pas  Ces  œufs  dans  àts 
trous  de  murailles  ou  d'arbres  creux,  il  fait  une  efpèce 
de  nid  très  -  négligé  ,  compofé  de  bûchettes  <5v  de 
racines,  6c  affcz  fcmblable  à  cc\u\  des  geais,  fur  les 
arbres  les  plus  élevés  des  forets:  quelquefois  W  occupe 
auffi  les  nids  que  les  corneilles  ont  abandonnés  ;  il 
pond  plus  fouvcnt  cinq  œufs  que  quatre  ,  (Se  quel- 
quefois fix  &  même  fept  ,  dont  les  deux  bouts 
font  teints  d'une  couleur  rougeàtre  ou  jaunâtre,  affcz 
fcmblable  à  celle  de  fon  plumage.  Ses  petits,  dans  le 
premier  âge,  ne  font  couverts  que  d'un  duvet  blanc; 
d'abord  il  les  nourrit  avec  des  infedles ,  <Sc  enfuite  il 
leur  apporte  des  mulots  en  quantité  qu'il  aperçoit  fur 
terre  du  plus  haut  des  airs  où  il  tourne  lentement,  6c 
demeure  fouvent  flationnaire  pour  épier  fon  gibier  fur 
lequel  il  fond  en  un  infiant  :  il  enlève  quelquefois  une 
perdrix  rouge  beaucoup  plus  pefmte  que  lui  ;  fouvent 
auffi  il  prend  des  pigeons  qui  s'écartent  de  leur  com- 
pagnie; mais  fa  proie  la  plus  ordinaire  après  les  mulots 
<Sc  les  reptiles ,  font  les  moineaux ,  les  pinçons  &.  les 
autres  petits  oifeaux:  comme  il  produit  en  plus  grand 
nombre  que  la  plupart  des  autres  oifeaux  de  proie , 
l'efpèce  efl  plus  nombreufe  &:  plus  répandue  ;  on  la 

Nn  ij 


2S-f        Histoire  Natu relle 

trouve  Jans  toute  l'Europe  ,  depuis  la  Suède  (c)  juf- 
qii*en  Italie  <?c  en  Efpagne  (^^/j;  en  la  retrouve  même  dans 
les  pays  tempérés  d«  l'An-iérique  feptentrionale  (cj: 
plufieurs  de  ces  oifcaux  redent  pendant  toute  l'année 
dans  nos  provinces  de  France;  cependant  j'ai  remarcjué 
qu'd  y  en  avoit  beaucoup  moins  en  hiver  qu'en  été, 
ce  qui  me  fait  croire  que  plufieurs  quittent  le  pays, 
pour  aller  paffcr  ailleurs  la  mauvaife  faifon. 

J'ai  fait  élever  plufieurs  de  ces  oifcaux  dans  de 
grandes  volières;  ils  font,  comme  je  l'ai  dit,  d'un 
très-beau  blanc  pendant  le  premier  mois  de  leur  vie, 
après  quoi  les  plumes  du  dos  deviennent  roufhltres  (5c 
brunes  en  peu  de  jours:  ils  font  robudcs  <Sc  aifés  à 
nourrir;  ils  mangent  la  viande  crue  (ju'on  leur  préfente, 
à  quinze  jours  ou  trois  femaincs  d'âge;  ils  connoiiTent 
Lientôt  la  perfonne  ({ui  les  foigne,  6:  s'apprivoifcnt 
aiïez  pour  ne  jamais  l'offenfer:  ils  font  entendre  leup 
voix  de  très  -  bonne  heure,  &  quoiqu'enfermés  ,  ils 
répètent  le  même  cri  qu'ils  font  en  liberté:  j'en  ai  vu 
s'échapper  &  revenir  d'eux-mêmes  à  la  volière,  après 
un  jour  ou  deux  d'abfence,  6c  peut-être  d'abftincncc 
forcée. 

Je  ne  connois  point  de  variétés  dans  cette  efpèce 
que  quelques   individus  qui   ont  la  tête    <Sc  \^%   deux 

(c)  Linn.  Faun.  Suec.  n."  ôy. 

(d)  AlJrov.  Av'i.  toin.  I,   pag.  3  5 5, 
(t)  Hvim  Sloane,  Jamdic.  pag.  294. 


T,in  I 


n  xrm  Pa^^  xs+ 


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P  ■  M 


J(a^d    Tker    Jl.'u.'.'cUt 


1-  A  C  K F.  S  S  E  RE L  L E  . 


DE    LA    CrES  S  E  RELLË.  285 

plumes  (îii  niilieu  de  la  queue  grifes ,  tels  qu'ils  nous 
font  reprcfentés  par  AL  Frifch  (planche  LXXXV )  ; 
mais  j\î.  Salerne  fait  mention  J'une  crefTerelîe  jaune 
qui  fe  trouve  en  Sologne,  6c  dont  les  œufs  font  de 
cette  même  couleur  jaune.  «  Celte  crelTerellc  ,  dit-il , 
efl  rare,  &  quelquefois  elle  fe  bat  gcnércufement  ^c 
contre  le  jean-le-blanc  ,  qui,  quoique  plus  fort,  c^i  « 
fouvent  obligé  de  lui  céder  :  on  les  a  vus ,  ajoute-t-il ,  ce 
s'accrocher  enfemble  en  l'air,  c^  tomber  de  la  forte  «c 
par  terre  comme  une  motte  ou  une  pierre:  »  ce  fait 
me  paroît  bien  fufpeél;  car  l'oifcau  jean-le-blanc  efl 
non -feulement  très  -  fupéricur  à  la  crcfTcrelle  par  la 
force;  mais  il  a  le  vol  (5c  toutes  les  allures  fi  différentes, 
qu'ils  ne  doivent  guère  fe  rencontrer. 


Nn  ji) 


286       Histoire  N atv r  e lle 


L 


LE    RO  C  H  I E  R  (aj. 

Voje:^  les  planches  enluminées ,  nf  44 J- 


*orsEAU  qu'on  a  notinné  faucon  de  roche  ou 
rochïcr ,  n'eft  pas  fi  gros  que  la  crefTerelIe  ,  (Se  me 
paroît  fort  femblable  à  l'émérilion  ,  dont  on  fe  fert 
clans  la  fauconnerie;  il  fait,  difent  les  Auteurs,  fa 
retraite  6c  fon  nid  dans  les  rochers.  M.  Frilch  cft 
le  fcul  avant  nous  qui  ait  donné  une  bonne  indica- 
tion de  cet  oifeau  ,  6c  Ton  peut  comparer  dans  fon 
ouvrage,  la  figure  du  rochier,  y'/^;/<://<?  ix x XV n ,  ?l\ te 
la  nôtre,  6c  aulTi  avec  les  crefTerelles  mâle  6:  femelle, 
qui ,  toutes  trois  font  afTez  bien  rendues;  leurs  rapports 
de  reilemblance  6;  de  difîérence,  font  encore  mieux 
exprimes  dans  nos  planches  enluminées  :  en  confidé- 
rant  attentivement  la  forme  6c  les  cara(5tères  de  cet 
oifeau  ,  6c  en  les  comparant  avec  la  forme  6:  les 
cara6tères  de  l'efpèce  d'émérillon  ,  dont  on  fe  fert 
dans  la   fauconnerie,    6c  que   nous  avons   fait  repré- 

(a)  Litlio-falcus.  Ccfner,  Av'i.  pag.  75.  —  Falco  hpîdarius.  Aicirov. 
Av'iAom.  I,  pag.  499-  —  Dendro-falco  five /merlus.  Emérillon.  Frifch, 
planche  LXXXVII ,  avec  la  figure  coloriée.  — Le  Faucon  de  roche 
ou  Rochier.  Briflon  ,  Ornithol.  tome  I,  page  34.9.  Nota.  Il  me  paroît 
qu'on  doit  rapporter  à  cette  cfpcce  le  faucon  de  montagne  cendre; 
Briflon,  tome  I,  page  ;?/J>  ou  le  Falconis  monîani  fecundum  genus 
d'AIdrovande,  Avi.  tom.  I,  pag.  y^;  ôc  que  ces  Auteurs  ont  fait  un 
double  emploi  en  fcparant  ces  deux  efjpèccs  d'oifeaux. 


DU      R   0    C    H    I    E   R.  287 

Tenter  ;/.*  ^(f^ ,  nous  fommes  très-portés  à  croire  que 
le  rochier  &i  cet  unérillon  font  de  la  incme  crpèce, 
ou  du  moins  d'une  cfpèce  encore  plus  voifme  l'une 
de  l'autre,  que  de  celle  de  la  creiïerelle.  On  verra  dans 
l'article  fuivant,  qu'il  y  a  deux  efpèces  d'émérilfons , 
dont  la  première  approche  beaucoup  de  celle  du  ro- 
chier, <Sc  la  féconde  de  celle  de  la  crefTerelle;  comme 
tous  ces  oifeaux  font  à  peu  près  de  la  même  taille, 
du  même  naturel,  ôl  qu'ils  varient  autant  Si  plus  par 
le  fexe  &:  par  l'âge,  que  par  la  différence  des  efpeces, 
il  eft  très-difficile  de  les  bien  reconnoître,  6i  ce  n'eft 
qu'à  force  de  comparaifons  faites  d'après  nature,  que 
nous  fommes  parvenus  à  les  diflingucr  les  uns  des  autres. 


a88         Histoire  Naturelle 


L'ÉMÉRILLO  N  (a). 

Vo)\  Icsplanclics  enluminées,  il  ^(f  S  ;  cT  planche  XIX 

de  ce  rohnnc. 


L 


'oiseau  dont  il  efl  ici  queflion  ,  n'cfl  point  l'cmc- 
riiion  des  Naturalises,  mais  l'cmcrilion  des  Fauconniers, 
fjui  n'a  été  indiqué  ni  bien  décrit  par  aucun  de  nos 
Nomcnclateurs ,  cependant  c'eft  le  véritable  émérillon 
dont  on  fe  fert  tous  les  jours  dans  la  fauconnerie,  <Sc 
c]ue  l'on  drefïe  au  vol  pour  la  chaiïe;  cet  oifeau  efl, 
à  l'exception  des  pie-gricches,  le  plus  ])ctit  de  tous 
Jes  oifcaux  de  proie,  n'étant  que  de  la  grandeur  d'une 
grofTe  grive,  néanmoins  on  doit  le  regarder  comme 
lin  oifeau  noble,  év  qui  tient  de  plus  prés  qu'un  autre 
à  l'efpéce  du  fluicon;  il  en  a  le  j)lumage  (b) ,  la  forme 
&  l'attitude;  il  a  le  même  naturel,  la  mc/ae  docilité, 
<îk  tout  autant  d'ardeur  6:  de  courage  :  on  j)eut  en 
faire  un  bon  oifçau  de  cbalTe  pour  les  alouettes,  les 
cailles,  6c  même  les  perdrix  qu'il  prend  é^  tranfporte, 

(a)  En  Grec,  A'iJK.Aa'v ,  quod  omn'i  tcrrpore  apparent;  en  Latin, 
(tfalo  ;  en  Italien,  Smerlo  ou  Smerig/io  ;  en  Allemand,  Afjirle  ou 
Sinyrltn;  en  Pologne,  Oriemhk;  en  Anglois,  AUrl'in;  en  Lcoffe  ou 
appelle  le  mâle,  Jack;  en  vieux  François,  Loyelte ;  en  quelques  })ro- 
vinces  de  France,  Pûjfetier,  Preneur  de  Pdlfe  ou  Pûjferets.  — 77r  Alm'in, 
Briiifch  Zoology  ,  planche  A  12.—  Frilch  ,   tome  1 ,  page  S  p. 

(b)  Nota.  Il  refTcmble  en  eflct  par  les  nuances  ôi  la  diftribution 
des  couleurs  :iu  laucon-iors, 

quoique 


DE     L'  É  M  É  R  I  L  L  ON.  2S9 

quoique  beaucoup  plus  pcfantcs  que  lui  ;  fouvcnt  il  \ts 
tue  d'un  feul  coup,  en  les  frappant  de  reflomac,  lur 
la  tête  ou  fur  le  cou. 

Cette  petite  efpèce,  fi  voifine  d'aiileurs  de  celle  du 
faucon  par  le  courage  6c  le  naturel  (c) ,  refTcnd^le 
néanmoins  plus  au  hobreau  par  la  figure  ,  &.  encore 
plus  au  rocliicr;  on  le  diflinguera  cependant  du  ho- 
breau, en  ce  qu'il  a  les  ailes  beaucoup  plus  courtes, 
d  qu'elles  ne  s'étendent  pas  à  beaucoup  près  jufqu'à 
l'extrémité  de  la  queue,  au  lieu  que  celles  du  bobreau 
s'étendent  un  peu  au-delà  de  cette  extrémité;  mais, 
comme  nous  l'avons  déjà  fait  fentir  dans  l'article 
précédent,  fes  reffemblances  avec  le  rochier  font  fî 
grandes,  tant  pour  la  groffeur  &:  la  longueur  du  corps; 
la  forme  du  bec,  des  pieds  &.  des  ferres;  les  cou- 
leurs du  plumage,  la  diflribution  des  taches,  &c... 
qu'on  feroit  très  -  bien  fondé  à  regarder  le  rochier 
comme  une  variété  de  Témérillon ,  ou  du  moins 
comme  une  efpèce  fi  voifme,  qu'on  Ao'w.  {\.\{]^cx\(\xt 
fon  jugement  fur  la  diverfité  de  ces  deux  efpèces: 
au  refte,  l'émérillon  s'éloigne  de  l'efpèce  du  faucon 
&  de  celle  de  tous  les  autres  oifeaux  de  proie,  par  un 
attribut  qui  le  rapproche  de  la  claffe  commune  des 
autres  oifeaux  ;  c'eil   que  le  mâle  &.  la  femelle  font 

(c)  Plufieurs  Auteurs  a)ant  fait  la  remarque  de  la  conformité  de 
rémcriUon  avec  le  faucon  ,  l'ont  appelé  pttlt  faucon ,  falco  parvus 
mediniis.  Schwenckfeld  ,  Avi.  Sil.  p.  g.  345>.  — Falcouellus.  Rzac. 
jiuâ.  Hijf.  nat.  Pol.  pag.   35^. 

Oifeaux  j  Tome  L  .  O  ck 


2^o        Histoire  Natu relle 

dans  rcmcrillon  de  ia  mérne  grandeur,  au  lieu  que 
dans  tous  les  autres  oifeaux  de  proie,  le  mâle  efl  bien 
plus  petit  que  la  femelle  :  cette  (jngularité  ne  tient 
donc  point  à  leur  manière  de  vivre,  ni  à  rien  de  tout 
ce  qui  diftingue  les  oifeaux  de  proie  des  autres  oi- 
feaux; elle  fembleroit  d'abord  appartenir  à  la  grandeur,- 
parce  que  dans  les  pie-grièches ,  qui  font  encore  p!u$ 
petites  que  les  émérillons,  le  mâle  &.  la  femelle  font 
auiïl  de  la  même  groffeur;  tandis  que  dans  les  aigles, 
jes  vautours  ,  les  gerfauts  ,  les  autours  ,  les  faucons 
Ôi  les  éperviers,  le  mâle  efl  d'un  tiers  ou  d'un  quart 
plus  petit  que  la  femelle.  Après  avoir  réfléchi  fur  cette 
fingularitc,  ôi  reconnu  qu'elle  ne  pouvoit  pas  dépendre 
des  caufes  générales,  j'ai  recherché  s'il  n'y  en  avoic 
pas  de  particulières  auxquelles  on  pût  attribuer  cet 
effet;  &  j'ai  trouvé  en  comparant  les  paflages  de  ceux 
qui  ont  difTéqué  des  oifeaux  de  proie,  qu'il  J  a  dans 
la  pluj)art  des  femelles  un  double  cœcum  aiïez  gros 
<Sc  affez  étendu  ;  tandis  que  dans  les  mâles  il  n'y  a, 
qu'un  cœcum,  êi  quelquefois  point  du  tout:  cette 
différence  de  la  conformation  intérieure,  qui  fe  trouve 
toujours  en  plus  dans  (es  femelles  que  dans  les  mâles» 
peut  être  la  vraie  caufe  pliyfique  de  leur  excès  en 
grandeur.  Je  laiffe  aux  gens  qui  s'occupent  d'anatomie 
à  vérifier  plus  exaélement  ce  fait,  qui  feul  m'a  paru 
propre  à  rendre  raifon  de  la  fupériorité  de  grandeur 
de  la  femelle  fur  le  mâle,  dans  prefque  toutes  les 
efpèces  des  grands  oifeaux  de  proie. 


È>  E     L*  É  M  É  R  1  L  L  0  N,  2<)i 

L'cmcrilion  vole  kis  ,  quoique  très  -  vite  &.  tres- 
Icgèrement;  il  fréquente  les  bois  &  les  buiiïbns  pour  y 
faifir  les  petits  oifeaux  ,  Si  ciiafTe  fcul  fins  être  accom- 
pagné de  fa  femelle;  elle  niclie  dans  les  forêts  en 
montagnes,  6c  produit  cinq  ou  fix  petits. 

Mais  indépendamment  de  cet  émcrillon  dont  nous 
venons  de  donner  i'hifîoire  &.  la  repréftntation  ,  il  exifle 
une  autre  efpèce  d'émcrillon  mieux  connue  des  Natura- 
lises, dont  M.  Frifcli  a  donne  la  figure  ff/.  Lxxxix ), 
âc  qui  a  été  décrit  d'après  nature  par  M.  Briffon  , 
tome  I ,  jmge  ^^2  :  cet  émérillon  diiière  en  effet  par 
un  affez  grand  nombre  de  caractères  de  l'émérillon  des 
Fauconniers;  il  paroît  même  approcher  beaucoup  plus 
de  i'cfpèce  de  la  crefTerclle,  du  moins  autant  qu'il 
nous  efl  permis  d'en  juger  par  la  repréfentation ,  n'ayant 
pu  nous  le  procurer  en  nature;  mais  ce  qui  fcmble 
appuyer  notre  conjedure,  c'efl  que  les  oifeaux  d'A- 
mérique qui  nous  ont  été  envoyés  fous  les  noms 
d émérillon  de  Cayeime  (  voyc^  les  p  lunch  es  enluminées , 
Ti."  -f-ffjj^  &:  émérillon  de  Saint-Domingue  f  voye^  les 
planches  enliimmées ,  nf  -^(fj),  ne  nous  paroiffent  être 
que  des  variétés  d'une  feule  efpèce ,  &.  peut-être  l'un 
de  ces  oifeaux  n'efl-il  que  le  mâle  ou  la  femelle  de 
i'autre;  mais  tous  deux  reffemblent  fi  fort  à  l'émérillon 
donné  par  M.  Frifch  ,  qu'on  doit  les  regarder  comme 
étant  d'efpèce  irès-voifine  ;  (Se  cet  émérillon  d'Europe, 
auffi  -  bien  que  ces  émérillons  d'Amérique  dont  \çs^ 
^fpèces  font  fj    voifjnes,  paroîtront  à  tous  ceux  qui 

O  o  i; 


2Ç2         Histoire  Naturelle 

les  confidèreront  attentivement  beaucoup  plus  près  cfe 
la  crefTerelle  que  de  l'cmérillon  des  Fauconniers:  ii  fe 
peut  donc  que  cette  efpèce  ait  pafTé  d'un  continent  à 
l'autre;  ai  en  effet  M.  Linnaeusfait  mention  des  crefle- 
relies  en  Suède,  Si  ne  dit  pas  que  les  émérillons  s'y 
trouvent;  ceci  fembic  contirmer. encore  notre  opinion, 
que  ce  prétendu  éménllon  des  Naturalises  n'efl  qu'une 
variété,  ou  tout  au  plus  une  efpèce  très-voifine  de 
celle  de  la  crefferelle  ;  on  pourroit  même  lui  donner 
un  nom  particulier,  û  on  vouloit  la  diflinguer,  foif  de 
l'émérillon  des  Fauconniers,  foit  de  la  crefferelle,  & 
ce  nom  feroit  celui  qu'on  lui  donne  dans  les  îles 
Antilles.  «  L'émérillon,  dit  le  P.  du  Tertre ,  que  nos 
habitans  appellent  ^/j)'  gfj ,  à  caufe  qu'en   volant  il 

>  jette  un  cri  qu'ils  expriment  par  ces  fyllabes^ry^-ry^. 
I)  eft  un    autre   petit  oifeau  de  proie  qui   n'efl  guère 

plus  gros  qu'une  grive;  i{  a  toutes  les  plumes  de 

>  deffus  le  dos  &.  des  ailes  rouffes ,  tachées  de  noir,. 

>  ai  le  dclfous  du  ventre  blanc,  moucheté  d'hermine; 

>  il  efl  armé  de  bec  Se  de  griffes  à  proportion  de  fa 
i  grandeur;  il  ne  fait  la  chaife  qu'aux  petits  lézards  6c 

aux  fauterelles,  Si  quelquefois  aux  petits  poulets  quand 
ils  font  nouvellement  éclos;  je  leur  en  ai  fait  lâcher' 

i)  plufieurs  fois ,  ajoute-t-il;  la  poule  fe  défend  contre 
lui  Si  lui  donne  la  chaffe  ;  les  habitans  en  mangent,. 

mais  il  n'efl  pas  bien  gras  f'JJ  ». 

fdj  Hift.  i-iat.  des  Antilles,  par  du  Tertrç,  tome  If,  pages  2jj 


y/    A7-V  r.i.i     -1 J- 


53^^^^?^^ 


J\  <'<>  < 


i/emertllots 


DE     L' É  M  É  R  I  L  L  0  N  293 

La  refTemblance  du  cri  de  cet  émérillon  du  P.  du 
Tertre  fej,  avec  le  cri  de  notre  crefTerelle  efl  encore 
un  autre  indice  du  voifinage  de  ces  efpèces  ;  Ôi  il 
me  paroît  qu'on  peut  conclure  afTcz  pofitivement  que 
tous  ces  oifeaux  donnés  par  les  Naturaiifles  ,  fous  les 
rîoms  (ïémér'il/on  d'Europe  ^  émérillon  de  la  Cûrolme  ou 
de  Cayenne  ;  df  émérillon  de  Saint  -  Domingue  ou  des 
'Antilles ,  ne  font  qu'une  variété  dans  i'efpèce  de  la 
crefTerelle  à  laquelle  on  pourroit  donner  le  nom  de 
§ry  gry  pour  la  djflinguer  de  la  crefTerelle  commune. 

(c)  Nota.  Le  cri  de  la  crefîerclle  efl  pri  pri ,  ce  qui  approche 
beaucoup  de  gry  gry ,  qui  e(l  le  nom  qu'on  donne  aux  Antilles  à 
cet  oiieau  à  caulê  de  Ion  cri. 


Oo  il 


"i 


29-f  HiSTOinE    N  ATU  RE  LLE 

LES 

P  I  E-G  R  I  EC  H  E  S. 


c 


ES  oifeaiix,  quoique  petits,  quoique  dclicats  Je 
corps  <S^  de  membres  ,  doivent  néanmoins  par  leur 
courage ,  par  leur  large  bec  ,  fort  (5c  crochu  ;  <Sc  par 
leur  appétit  pour  la  chair,  être  mis  au  rang  des  oifeaux 
de  proie,  même  des  plus  fiers  (Se  des  plus  fanguinaires; 
on  cfl  toujours  étonné  de  voir  l'intrépidité  avec  laquelle 
une  petite  pie-grièche  combat  contre  les  pies,  ks 
corneilles,  les  crefferelles,  tous  oifeaux  beaucoup  plus 
grands  Si  plus  forts  qu'elle;  non-feulement  elle  combat 
pour  fe  défendre,  mais  fouvent  elle  attaque,  &  tou- 
jours avec  avantage,  fur -tout  lorfque  le  couple  fe 
réunit  pour  éloigner  de  leurs  petits  les  oifeaux  de 
rapine;  elles  n'attendent  pas  qu'ils  approchent,  il  fuflit 
qu'ils  paffent  à  leur  portée  ,  pour  qu'elles  aillent  au 
devant;  elles  les  attaquent  à  grands  cris,  leur  font  des 
blefllircs  cruelles,  ôl  les  chaiïent  avec  tant  de  fureur, 
qu'ils  fuient  fouvent  fins  ofer  revenir;  Se  dans  ce 
combat  inégal  contre  d'auHl  grands  ennemis,  il  cfl 
rare  de  les  voir  fuccomber  fous  la  force,  ou  fe  laiffcr 
emporter;  il  arrive  feulement  qu'elles  tombent  quelque- 
fois avec  l'oifeau  contre  lequel  elles  fe  font  accrochées 
avec  tant  d'acharnement,  que  le  combat  ne  finit  que 
par  la  chute  (5c  la  mort  de  tous  deux  :  auiU  les  oifeaux 


DES      P  1  E-C  R  I  È  C  H  E  S.  295 

de  proie  les  plus  braves  les  refpedent;  les  milans, 
les  biifes,  les  corbeaux  paroiiïent  les  craindre  &.  les 
fuir  plutôt  que  les  clierclier;  rien  dans  la  Nature  ne 
peint  mieux  Ja  puifÏÏince  ôi  les  droits  du  convàgç  , 
que  de  voir  ce  petit  oifeau  qui  n'efl  guère  plus  gros 
qu'une  alouette,  voler  de  pair  avec  les  épcrviers,  les 
faucons  ôl  tous  les  autres  tyrans  de  Tair  ,'  fans  les 
redouter;  <Sc  chaffer  dans  leur  domaine,  fans  craindre 
d'en  être  punis  ;  car  quoique  les  pie-grièches  fe  nour- 
riffent  communément  d'infedes,  elles  aiment  la  chair 
de  préférence:  elles  pourfuivent  au  vol  tous  les  petits 
oifeaux  ;  on  en  a  vu  prendre  des  perdreaux  6i  de  jeunes 
levreaux  ;  les  grives ,  les  merles ,  6;  les  autres  oifeaux 
pris  au  lacet  ou  au  piège,  deviennent  leur  proie  la  plus 
ordinaire  ;  elles  les  faififfent  avec  les  ongles ,  leur  crèvent 
la  tête  avec  le  bec  ,  leur  ferrent  6c  déchiquètent  le  cou , 
6>L  après  les  avoir  étranglés  ou  tués,  elles  les  plument 
pour  les  manger ,  les  dépecer  à  leur  aifc ,  (Se  en  emporter 
dans  leur  nid  les  débris  en  lambeaux. 

Le  genre  de  ces  oifeaux  eft  compofé  d'un  affez 
grand  nombre  d'efpèces;  mais  nous  pouvons  réduire 
à  trois  principales  ceux  de  notre  climat,  la  première 
eft  celle  de  la  pie-grièche  grife,  la  féconde  celle  de 
ia  pie-griècbe  rouffe ,  <Sc  la  troifième  celle  de  la  pie- 
grièche  appelée  vulgairement  Vécorchnir.  Chacune  de 
ces  trois  efpèccs  mérite  une  dtlcription  particulîère, 
6c  contient  quelques  variétés  que  nous  allons  indiquer. 


296        Hi STO I RE  Naturelle 


L  A 

PIE-GRIÈCHE    GRISE  (a). 

Vojei  les  planches  enluminées j  uf  4^y;  èr  planche  XX 

de  ce  yolume. 

V_>ETTE  Pie  -gricche  grife  efl  très  -  commune  dans 
nos  provinces  de  France,  Si  paroît  être  naturelle  à 
notre  climat,  car  elle  y  pafTe  l'hiver  (5c  ne  le  quitte  en 
aucun  temps;  elle  habite  les  bois  6i  les  montagnes  en 
été,  &i  vient  dans  les  plaines  &  près  des  habitations 
en  hiver;  elle  fait  Ton  nid  fur  les  arbres  les  plus  élevés 
des  bois  ou  des  terres  en  montagnes  ;  ce  nid  efl 
compofé   au    dehors   de    mouffe   blanclie   entrelafTéc 

/a)  En  Grec  moderne,  KoA\i»d^(i)v;  en  Latin,  Lan'ius  ;  en  Italien, 
Gaip.  fperviera  ,  Fakondlo  ,  OrfJIo  ,  Cajlrica  ,  Verla  ,  Straga-^ma , 
Hûga—yia  ;  en  Savoye  ,  Alontagaffe  ,  Arncat  ;  en  Bourgogne, 
Pouchari  ou  Bouchari ,  mot  qui  vient  de  TAnglois  Butcher ,  Butchery , 
qu'on  prononce  en  François  Boutcher ,  Boutchery ,  Boucher ,  Boucherie; 
en  Allemand,  Thorn-Kret^er ,  Thorn- Tracer;  Walot-he ,  Warkengel ; 
Nun-moerder ,  Nuri-toeJer ;  en  Poionois,  d'Z'ier-^ba ,  Strokos,  Wiekfy; 
en  Suède,  Warfogel ;  en  Anglois,  Butchtr - bird ,  Adder -  bhd ^ 
Aïatagajfe.  — Lan'ius  Cinereus.  Gefner ,  Avi.  pag.  579.  Cum  icône 
maris.  —  Collurio.  Aldrov.  Avi,  tom.  I ,  pag.  389.  Cum  icône  fceminœ. 
—  Grande  Pie-grièchc.  Bclon,  Hijl.  naturelle  des  Oifcaux ,  page  126; 
fg.  page  127.  — Cajirica  pnlumbina.  Olina^  pag.  41  ,  avec  une 
ligure.  —  Grand  Ecorcheur  cendré.  Albin,  tome  II ,  page  p  ,  avec 
une  figure  coloriée,  planche  XI 11.  — Lanius  médius  feu  fecundus^ 
P'ica  mediœ  magnitudinis,  Frilcb,  tab,  LX.  Lones  maris  ù'  faminœ. 

d'iierbes 


t>E   LA   Pi  E-G  RI  ècH  E   GRISE.    297 
(J'herhcs  longues,  6c  au  dedans  il  eft  bien  double  & 
taj)inc  de  iaine;  ordinairement  ii   efl  appuyé  fur  une 
Lranche  à  double  <S:  triple  fourche  ;  la  femelle  qui  ne 
diffère  pas  du   mâle  par  ia  groffeur ,   mais  feulement 
par  la   teinte   des   couleurs  plus  claires  que  celles  du 
mâle,  pond  ordinairement  cinq  ou  fix  &  quelquefois 
fept,  ou    même  huit  œufs,   gros  comme  ceux  d'une 
grive;  elle  nourrit  fes   petits  de  chenilles   6c  d'autres 
infecftes  dans  les  premiers  jours,  <5:  bientôt  elle  leur 
fait  manger  de  petits  morceaux  de  viande  que  leur  père 
Jeur  apporte  avec  un  foin  (Se  une  diligence  admirables; 
])ien  différente  des  autres  oifeaux  de  proie  qui  chaffent 
Jeurs  petits  avant  qu'ils  foient  en   état  de  fe  pourvoir 
d'eux-mêmes,  la  pie-grièche  garde  Sl  foigne  les  ficns 
tout  le  temps  du  premier  âge  ,  &  quand  ils  font  adultes, 
elle  les  foigne  encore  ;  la  famille  ne  fe  fépare  pas ,  on  les 
voit   voler   cnfemble    pendant    l'automne   entier  ,    <5c 
encore  en  hiver,  fans  qu'ils  fe  réuniffent  en  grandes 
troupes:  chaque  famille  fait  une   petite  bande  à  part, 
ordinairement   compofée  du  père ,  de   la  mère  6c  de 
cinq  ou  fix  petits,  qui  tous  prennent  un  intérêt  com- 
mun à  ce  qui  leur  arrive,  vivent  en  paix,  &  chaffcnt 
de  concert,  juf({u'à  ce  que  le  fentiment  ou  le  befoin 
d'amour,  plus  fort  que  tout  autre  fentiment,  détruife  les 
liens  de  cet  attachement,  6c  enlève  les  cnfins  à  leurs 
parcns;  la  famille  ne  fe  fépare  que  pour  en  former  de 
nouvelles. 

Il  efl  aifé  de  rcconnoître  les  pie-grièches  de  loin, 
Oifeaux,  Tome  I,  .  Pp 


298        Histoire   Naturelle 

non-feulement  à  caufe  de  cette  petite  troupe  qu'elles 
forment  après  le  temps  des  nichées,  mais  encore  à  leur 
voi  qui  n'efl  ni  direct,  ni  oblique  à  la  même  hauteur, 
6c  qui  fefait  toujours  de  bas  en  haut,  6c  de  haut  en  bas, 
alternativement  6c  précipitamment  ;  on  peut  aulfi  les 
reconnoître,  fans  les  voir  à  leur  cri  aigu  rrûu'r  trcu'i,  qu'on 
entend  de  fort  loin,  6c  qu'elles  ne  ceiïent  de  répéter 
lorf(|u'elles  font  perchées  au  fommet  des  arbres. 

Il  y  a  dans  cette  première  cfpèce,  variété  pour  la 
grandeur,  6c  variété  pour  la  couleur:  nous  avons  au 
Cabinet  une  pie-grièche  qui  nous  a  été  envoyée 
d'Italie,  6c  qui  ne  diffère  de  la  pie-grièche  commune, 
que  par  une  teinte  de  roux  iur  la  poitrine  6c  le  ventre 
(voyt':^  les  plcinchcs  enluminées ,  nf  J2 ,  figure  i ) ,  on  en 
trouve  d'abfolument  blanches  dans  les  Alpes  (b) ,  6c 
ces  pie  -  grièches  blanches,  au/Ti-bien  que  celles  qui 
ont  une  teinte  de  roux  fur  le  ventre  ,  font  de  la  même 
grandeur  que  la  pie-grièche  grife,  qui  n'cft  elle-même 
pas  plus  groffe  que  le  rnauvis  (c) ,  autrement  la  grive- 
mmiviette  (d) ;  mais  il  s'en  trouve  d'autres  en  Allemagne 
6c  en  SuifTe  qui   font  un   peu   plus   grandes,   6c  dont 

(b)  Lanius  alhus.  Aldrov.  Av'i.  tom.  I,  png.  387.  Cum  icône. 

(c)  lanius  major.  Gehicr,  Avi.  pag.  581.  Cum  icône.  —  Pic  a  cinerea 
feu  lanius  major.  Frilch,  tab.  LIX ,  avec  des  figures  colorices  du  mâle 

&  de  h  femelle. 

/cJ)  Nota.  Elle  diffère  de  h  première  en  ce  qu'elle  eft  plus  grande 
&  plus  grofie,  &  en  ce  qu'elle  a  les  plumes  Icapubircs  &  les  petites 
couvertures  du  deflus  des  ailes  d'une  couleur  roufiâtrc;  mais  comme 


DE  LA  PjE'Cni  ÈCHE  GRISE.  299 
quelques  Natiiralifîes  ont  voulu  faire  une  crpècc  par- 
ticulière, quoik]u'il  n'y  ait  aucune  autre  différence  entre 
ces  oifcaux  que  celle  d'un  peu  plus  de  grandeur,  ce 
qui  pourroit  ])ien  provenir  de  la  nourriture,  c'cfl-à- 
d/re,  de  l'abondance  ou  de  la  difette  des  pays  qu'ils 
Jiahiteut;  ainfi  la  pie-gricche  grife  varie,  même  dans 
nos  climats  d'Europe  ,  par  la  grandeur  &  par  les  cou- 
leurs: on  ne  doit  donc  pas  être  furpris  fi  elle  varie 
encore  davantage  dans  des  climats  plus  éloignés,  tels 
que  ceux  de  l'Amérique,  de  l'Afrique  &  des  Indes; 
Ja  pie-grièche  grife  de  la  Louifinne  {rojri  les  plaîichcs 
cnhan'mccs ,  n!'  ^yô' ,  figure  2 )  ell  le  même  oifeau  que 
Ja  pie-grièche  grife  d'Europe,  de  laquelle  clic  paroît 
différer  audi  peu  que  \di  pie-grièche  d'Italie;  on  n'y 
remarqueroit  même  aucune  différence  bien  fenfd)le, 
fi  elle  n'étoit  pas  un  peu  plus  petite  év  un  peu  plus 
foncée  de  couleur  fur  les  parties  fupérieures  du  corps. 
La  pie-grièche  du  cap  de  Bonne -efjx^rance  (c) , 

elle  icflcmLlc  pnr  tout  le  reflc  à  la  pie-grièche  commune,  ces  di/Te- 
rcnces ,  qui  j^cut-ctrc  ne  (ont  j^as  géncmles  ni  bien  confiantes,  ne 
nous  paroiflcnt  pas  ruffijantcs  pour  ct..blir  une  elj)èce  tliilin<fle  & 
fej^aree  de  la  première. 

(i)  Nota.  C'eft  à  cette  efpèce  qu'on  doit  nuffi  mj^porter  Poilcau 
des  Indes  orientales,  que  les  Anglois  qui  fréquentent  les  côtes  de 
Bengale  ont  appelé  D'wl-b'ird  (  l'horloge  ou  le  cadran  ) ,  &  qui  a  été 
indiqué  par  Albiji,  /rwr  JU ,  p^ge  S,  avec  des  figures  coloriées  du 
nulle  fp/.  XVJl),  di  de  la  femciic  ('p/.  XVII j) :  «  cette  pie-gricche, 
dit-11 ,  ert  grande  à  peu  près  comme  notre  pie-grièche  griie,  avec  <x. 
le  bec  noir ,  les  coijis  de  la  Ijouchc   jauiies ,  l'iris  des  yeux  de    la  c<; 

Ppij 


300        Histoire  Naturelle 

( voyei  les  planches  enhwùnces ,  fif  ^77,  figH''^   ^ ),   ^3 
pie-grièclie  gnfc  du  Sénégal  (vû)'e^  les  ylanchcs  enbi' 
îjî'mées,  îif  2^7,  iîgire  i  )   <?c  la  pie-grièclie  bleue  de 
Madagafcar  (voye-(^    les  planches  enluminées  ,  nf  2j^Sj 
figure  /y*,  font  encore  trois  variétés  très- voifines  l'une 
de  l'autre,  (5c  appartiennent  également  à  refpèce  com- 
mune de  la  pie-grièche  grife  d'Europe;  celle  du  Cap 
ne  diffère  de  celle  d'Europe  qu'en  ce  qu'elle  a  toutes 
les  parties  fupérieures  du  corps   d'un   brun    noirâtre; 
celle  du   Sénégal  les  a  d'un  brun  plus  clair,  (Se  celle 
de  Madagafcar  a  ces  mêmes   parties  d'un  beau  bleu; 
mais  ces  diltérences  dans  la  couleur  du  plumage,  tout 
Je  rede  étant  é<ral  <Sc  femblable  d'ailleurs,   ne  fuHifenC 
pas  à  ])eaucoup  près  pour  en  faire  des  efpèccs  dilîinéles 
^  féparces  de  la  pie-grièche  commune.  Nous  donne- 
rons  plufieurs  exemples   de    cliangemens  de   couleur 
tout  aulfi  grands  dans   d'autres  oifeaux  ,   même  dans 
notre    climat  ;  à  plus   forte   raifon ,  ces    changemens 
doivent -ils  arriver  dans  des  climats  differens  6c  aufli 
éloignés  les  uns  des  autres:  l'iniiuence  de   la  tempé- 
rature fe  marque  par  des  rapports  que  des  gens  atten- 
tifs ne  doivent  pas  laifTer  échapper;  par  exemple,  nous 

>5  même  couleur,  les  jambes  &  les  pieds  bruns:  le  mâle  a  b  têie, 
»  le  cou,  le  dos,  le  croupion,  les  couvertures  du  deflus  de  la  queue^ 
»  les  plujiie:>  Icapulaiics,  la  gorge  &  la  poitrine  noires;  le  ventre,  les 
•»  côtés  ^  lei  couvertures  du  délions  de  la  queue  blanches  ;  toutes  les 
»  plumes  de  la  queue  également  longues,  noires  en  deflus  &  blanches 
»  en  defious  :  la  femelle  ne  diliife  du  mâle  qu'en  ce  <^uc  le^  couleurs 
font  moins  foiicees». 


Timi   ! 


PI  XX  Fa4f     dûo 


Je    .'-.rr    ,/,/ 


JUi/\>n     /.  Il// 


l.A   FrE-CRI^X  UK  GUISK 


DE    LA    PjE'CRI ÈCHE   CRISE.       30I 

trouvons  ici  que  la  pie-grièche  étrangère  qui  reffemble 
je  plus  à  notre  pie  -  grièche  d'Italie,  efl  celle  de  la 
Louifiane:  or  la  température  de  ces  deux  climats  n'eft 
pas  fort  inégale  ;  ôc  nous  trouvons  au  contraire  que 
celle  du  Cap  ,  du  Sénégal  Ôl  de  Aladagafcar  reiïemhle 
inoins,  parce  que  ces  climats  font  en  effet  d'une 
température  très-différente  de  celle  d'Italie. 

Il  en  eft  de  même  du  climat  de  Cayenne,  où  la  pjc- 
grièche  prend  un  plumage  varié  ou  rayé  de  longues 
taches  brunes  fvojei  les  planches  enluminées ,  nf  2p/ J ; 
mais  comme  elle  eft  de  la  même  grandeur  que  notre 
pie-grièche  grife,  <Sc  qu'elle  lui  reffembleà  tous  autres 
égards  ,  nous  avons  cru  pouvoir  la  rapporter  avec 
fondement  à  cette  efpèce  commune. 


L  A 

PIE'GRIECHE    ROUSSE  (a). 

Vove^  les  -planches  enlniniiices ,  il  j?,  J%.  2,  le  mâle; 
é^  IL    ^  I  y  fg.  I ,  la  femelle. 

V^ETTE  Pie-grièche  rouffe   efl  un   peu  plus  petite 
que  la  gnfe,   <Sc   très-aifée  à  reconnoitre  par  le  roux 

/a)  Cotlurlonis  pr'imum  genus.  AlJrov.  Àvï.  tom.  I,  pag.  389. 
Cum  icône  maru.  — tcorcheur  à  têie  rouge.  Albin,  tome  II,  pa^t  >  0, 
avec  une  tii'ure  coloriée  du  mâle,  planche  X  v  J  .  .  .  Petit  tcorcheur 
fcaiiilc.   idan  ,   iùiutin ,   avec    une   figure    colorite    de   la   femelle , 

Pp  uj 


302       Histoire  N atu r r lle 

«ju'elle  Jt  fur  U  tête  ,  qui  efl  qLiel({uefois  rouge  6z 
erdinaircment  d'un  roux  vif;  on  peut  aufli  remarquer 
qu'elle  a  les  yeux  d'un  gris  blanchâtre  ou  jaunâtre;  au 
Jieu  que  la  pie  -  grièche  grife  Jes  a  bruns  ;  elle  a  aulîi 
te  l)ec  Si  les  jambes  plus  noires:  le  naturel  de  cette 
pie  -  grièche  roufTe  eO;  à  très  -  peu  près  le  même  que 
celui  de  la  p^e  -  grièche  grife  :  toutes  deux  font  aufie 
hai'dics ,  auui  méchantes  l'une  que  l'autre;  mais  ce 
qui  prouve  que  ce  font  néanmoins  deux  cfpèces  diffé- 
rentes, c'eft  que  la  première  rcdeau  pays  toute  l'année; 
au  heu  que  celle-ci  le  (juitte  en  automne,  S^  ne  revient 
qu'au  printemps;  la  famille  qui  ne  fe  fèpare  pas  à  la 
fortie  du  nid,  &  qui  demeure  toujours  raiïemblée , 
part  vers  le  commencement  de  fcj)tcmbre  ,  fans  fe 
réunir  avec  d'autres  faniilles ,  <Sc  fans  faire  de  lon^rs 
vols:  ces  oifcaux  ne  vont  que  d'arbre  en  arbre,  (Se  ne 
voient  pas  de  fuite,  mèm«  dans  le  temps  de  leur  dé- 
part; ils  refient  pendant  l'été  dans  nos  campagnes,  <Sc 
font  leur  nid  fur  quelque  arbre  touffu;  au  lieu  que  la 
pie  -  grièche  grife  habite  les  bois  dans  cette  même 
faifon  ,  (Se  ne  vient  guèc/s  dans  nos  plaines  que  quand 
la  pie  -  grièche  roufTe  eA  partie  :  on  prétend  auffi  que 
de  toutes  les  pie-grièches  celle-ci  efl  la  meilleure, 

planche  X  V — Pica  min'ima  ;  Lon'ius  m'wor  feu  tert'ivs.  Frifch  ,  îûb.  LXI, 
avec  des  figures  coloriées  du  mâle  &  de  h  femelle.  —  Ampelis  dorfo 
gr'tfeo  macula  ad  oculos  longitudinaïi  (  fœiniiia  ).  Linn.  Faun.  Suec.  wb.  2, 
n.°  180.  — Lanius  rufus,  La  Pie-grièche  roufîe,  BrifTon,  tome  II, 
page  i^y. 


DE   LA    PlE-GkiÉCHE   ROUSSE,      30] 
OU  fi  l'on  veut,  la  feule,  qui  foit  bonne  à  mani^er  fl^J. 

Le  maie  <Sc  la  femelle  font  à  très  -  peu  près  de  la 
même  groffcur;  mais  ils  diflerent  j^ar  les  couleurs  a/Fez 
pour  paroître  des  oifeaux  de  différente  efpèce  :  nous 
renvoyons  fur  cela  aux  planches  enluminées  (|ue  nous 
venons  de  citer,  <5c  qu'il  fuffira  de  comparer  pour  le 
reconnoitre;  nous  obferverons  feulement  au  fiijet  de 
cette  efpèce  &  de  la  fuivante,  appelée  Vécorcheur,  que 
ces  oifeaux  font  leur  nid  avec  beaucoup  d'art  6c  de 
propreté  ,  à  peu  près  avec  les  mêmes  matériaux 
qu'emploie  la  pie-grièche  grife;  la  mouffe  6c  la  laine 
y  font  fi  bien  entrelaffées  avec  les  petites  racines 
foupics,  les  herbes  tines  6c  longues,  \ti  branches 
pliantes  des  petits  arbuftes  ,  que  cet  ouvrvige  paroit 
avoir  été  tiffu:  ils  produifent  ordinairement  cinq  ou 
fix  œufs,  6c  quelquefois  davantage;  6c  ces  œufs  dont 
k  fond  eft  de  couleur  ])lancluure,  font  en  tout  ou  en 
partie  tachés  de  brun  ou  de  fauve. 

(h)  Lnn'ws  m'mor  rutifus  aJ  c'ibum  aptior  rel'iquis,  dt'lkalus  àf  faluhns* 
Sehwcnckicld,  'Ihenotrûp.  Sit.  p;ig.  25)2. 


304       Histoire   Naturelle 


L'ÉCO  RCH EU R  (^)- 

Vû/e^  les  planches   cnlum'inces  ,  71  f  ^ i ,  fgure  2 ; 
ér  iu  47fjfpiy^  i  >  &  planche  XX l  de  ce  volmne. 

JLj'écorch£ur  eft  un  peu  plus  petit  que  la  pie-grièche 
roufre,ô:  lui  rclTemhle  aiïez  parles  habituclcs  naturcHes, 
comme  elle  il  arrive  au  printemps ,  fait  Ton  nid  fur  des 
arbres  ou  même  dans  des  huiifons  en  pleine  campagne 
&  non  pas  dans  les  bois,  part  avec  fa  famille  vers  le 
mois  de  fcptembre ,  fe  nourrit  communément  d'infedes, 
ai  fait  aufli  la  guerre  aux  petits  oifeaux;  en  forte  qu'on 
ne  peut  trouver  aucune  différence  efTentielle  entr'eux, 
finon  la  grandeur,  la  diflribution  &  les  nuances  des 
couleurs,  qui  paroiffcnt  être  conflamment  différentes 
dans  chacune  de  ces  efpèces,  tant  celles  du  maie  que 
celles  de  la  femelle  ;  néanmoins  comme  entre  le  mâle 
6c  la  femelle  de  chacune  de  ces  ^q,\w  efpèces  il  y  a 

(a)  Petite  Pie-grièche,  Pie-efcrayère,  Pie-ancroucllc.  Bclon,  H\Jf, 
nat.  des  Oifeaux ,  pnge  128;  &  Portraits  d'Oife aux ,  page  2  i  ,  redo, 
avec  figure.  — Collurion'is  parv'i  îert'ium  genus.  Aldrov.  Av'i.  tom.  I, 
pag.  390.  Cum  icône ,  .  ,  Aierulœ  congeneratia.  Idem,  tom.  II,  pag.  62  j, 
Cum  altéra  icône.  — Ampelis  dorfo  grifeo  macula  ad  oculos  longitudinali, 
IJnnafus ,  Faun.  Suec.  n."  160.  Cum  icône  maris  non  accuratâ.  I^ota, 
Al.  Linnxus  s'cft  trompé  en  prenant  l'crj^èce  précédente  &  celle-ci 
pour  îii  femelle  6c  le  maie  de  la  même  eTpècc.  —  Petit  Écorcheur, 
Albin,  tome  II,  page  1  0 ,  avec  une  figure  coloriée,  planche  XIV ,  •  «' 
CoHuiio.  L 'Écorcheur.  BiiiTun,  tome  II,  page  ■'/■'• 

dans 


DE      L*ÉCORCHEVR,  305 

dans  ce  même  caractère  de  Ja  couleur  encore  plus  de 
différence  que  d'une  efpèce  à  l'autre,  on  feroit  très- 
bien  fondé  à  ne  les  regarder  que  comme  des  variétés, 
ÔL  à.  réunir  fous  la  même  efpèce,  la  pie-grièche  rouiïe, 
l'écorcheur  <Sc  i'écorcheur  varié  fij,  dont  quelques 
Naturaliflcs  ont  encore  fait  une  efpèce  didinde,  (Se 
qui  cependant  pourroit  bien  être  la  femelle  de  celui 
dont  il  efl  ici  queflion;  nous  renvoyons  aux  planches 
enluminées  pour  en  juger  par  la  comparaifon. 

Au  refte,  ces  deux  cfpèces  de  pic -grièches  avec 
leurs  variétés,  nichent  dans  nos  climats,  Se  fe  trouvent 
en  Suède  comme  en  France;  en  forte  qu'elles  ont  pu 
paffer  d'un  continent  à  l'autre  :  il  efl  donc  à  préfumer 
que  les  efpèces  étrangères  de  ce  même  genre,  Se  qui 
ont  des  couleurs  roulTes,  ne  font  que  des  variétés  de 
l'écorcheur,  d'autant  qu'ayant  l'ufagc  de  paffer  tous 
les  ans  d'un  climat  à  l'autre,  elles  ont  pu  fe  naturalifer 
dans  des  climats  éloignés,  encore  plus  aifément  que  la 
pie-grièche  qui  refte  conflamment  dans  notre  pays. 

Rien  ne  prouve  mieux  le  pafïïige  de  ces  oifeaux  de 
notre  pays  dans  des  climats  plus  chauds,  pour  y  pafler 
J'hiver,  que  de  les  retrouver  au  Sénégal;  la  pie-grièche 
rouffc  des  planches  enluminées,  //."  ^jy , figure 2 ,  nous 
a  été  envoyée  par  M.  Adanfon ,  &  c'efl  abfolument 
le  même  oifeau  que  notre  pie-grièche  rouffe  d'Europe; 

(b)  Cûllur'ionts' parvî  fecundum  genus.  AIdrov.  Avi.  tom.  I,  pag.  390. 

Cum  icône Collurio  varius.  L'Écorcheur  varie.  BrifTon,  tome  II, 

j)age  1^4'   An  pr^cedcnùs fixmlna.  Idem,  Ibidem*  pag-  158. 

Oifi'cjiix ,  Tome  L  •  Q^ 


3o6       Histoire  Naturelle 

ii  y  en  a  une  autre  f  voyelles plûnches  enluminées,  n!  ^jf) 
^qui  nous  a  été  également  envoyée  du  Sénégal ,  6c  qui 
doit  n'être  regardée  que  comme  une  fmiple  variété 
dans  l'efpèce ,  puifqu'elle  ne  diffère  des  autres  que 
par  la  couleur  de  la  tête  qu'elle  a  noire,  c^  par  un  peu 
plus  de  longueur  de  queue,  ce  qui  ne  fait  pas  à  beau- 
coup près  une  adez  grande  différence  pour  en  former 
une  efpèce  diflinde  <Sc  féparée. 

Il  en   efl:   de   même   de  l'oifcau    que  nous  avons 
appelé  Xccorchcur  des  Philippines  fcj,  vûye^  les  planches 

(c)  Nota.  11  nous  paroît  que  cet  oifeau  efl  le  même  que  celui  que 
]M.   Edwnrds  a  donné  fous  le  nom  de  p'ie - gr'ièche  rouge  ou  rouffe 
huppée,  ce  Cet  oifeau  ,  dit-il ,  s'appelle  Charah  ,  dans  ie  pays  de  Ben- 
6>  gale ,  &  diffère  de  nos  pie-grièches  par  une  huppe  qu'il  porte  fur 
la  tête  »  ;  mais  cette  différence  ell  bien  légère ,  car  cette  huppe  n'en 
eft  pas  une ,   c'efl  feulement  une  dirpofnion  de  plumes  qui  paroJfTent 
hériHécs    comme   celle    du    geai    lorfqu'il   elî    en    colère  ,    &    que 
M.  Edwards  avoue  lui-même  cju'il  n'a  vue  que  dans  l'oileau  mort; 
en  forte  qu'on   ne   peut  pas  afîurer  fi   ces  plumes  n'avoient  pas  étt 
Tedrellées  par  quelque  froificment  avant  ou  après  \\\  mort  de  l'oileau , 
ce  qui  eft  bien  différent  d'une  huppe  naturelle.    La  preuve  de  ce 
que  je  viens  de  dire  ,  c'eft  qu'on  voit  une  iemblable  huppe  fur  la 
tête  de  la  pie-grièche  blanche  6c  noire  de  Surinam,  dont  le  même 
M-  Edwords  a  donné  la  figure  dans  la  première  partie  de  (es  Gla- 
nures  *:  or  nous  avons  cette  efjjèce  au  Cabinet  du   Roi,  &  il  eft 
certain  qu'elle  n'a  point  de  huppe  ;  dès-iors  nous  ne  pouvons  nous 
empêcher  de  préfumer  que  cette  apparence  de  huppe ,  ou  plutôt  de 
plumes  hériffées    fur    la  tête  ,   qui   fe  trouve    dans   ces   dçwx   pie- 
grièches  de  Al-    Edwards,  ne  foit   une  difpofuion   accidentelle  ou' 
momentanée,  &  qui  probablement  ne  fe  manifelle  que  quand  l'oileau 

*  Glanures  d'EiJwards,  partit  1,  page  j  f,  planche  CCXXVh 


Ti'm  J 


PI    XXIPj.i     .■'.-r 


.'.ic  J^  S.-ff  J,-l 


H -lie  /jtïunoy  ^^uiu<^r  S^'vir . 


L  KCOKCIU:i  II. 


DE      L'ÉCORCHEUR.  307 

enluminées ,  n.'  ^jâ',  figure  i ;  &i  encore  de  celle  que 
nous  avons  appelée  pie-griècfie  de  la  Louijïane  (voye^ 
les  planches  enluminées,  "^^^  S^J )  >  qui  nous  ont  été 
envoyées  de  ces  deux  climats  fi  éloignés  l'un  de 
l'autre,  <Sc  qui  néanmoins  fe  reflemblent  a/Tez  pour  ne 
paroitre  que  le  même  oifeau ,  &  qui  dans  le  réel  ne 
font  enfemble  qu'une  variété  de  notre  écorcheur,  à  la 
femelle  duquel  cette  variété  reiïemble  prefqu'en  tout. 

cfl  en  colère  ;  ainfi  nous  perfiftons  à  croire  que  cette  pie-grièche 
de  Bengale  n'efl  qu'une  variété  de  i'efpèce  de  la  pie-grièche  rouflc 
ou  de  i'écorcheur  d'Europe. 


Qq*i 


3o8       Histoire  Natu relle 


OISEAUX  ÉTRANGERS, 

Qui  ont  rapport  à  la  PîE-GRlÈCHE  grife 

ir  à  ÏÉCORCHEUR. 

^  I. 

LE    F  I  N  G  A  H. 

X-« 'oiseau  des  ïndes  orientales,  appelé  à  Bengale 
T'ingah ,  dont  M.  Edwards  a  donné  la  defcription  fous 
le  nom  àc pie-grièche  des  Indes,  à  queue  fourchue,  qui 
efl  certainement  une  efpèce  difîfércnte  de  toutes  les 
autres  pie-grièclies.  Voici  la  traduction  de  ce  que  dit 
M.  Edwards  à  ce  fujet  :  la  forme  du  bec ,  les  mouf- 
taches  ou  poils,  qui  en  furmontent  la  hafe ,  la  force 
des  jambes  m'ont  déterminé  à  donner  à  cet  oifeau  le 
nom  àe  pie  - grit'che ,  quoique  fa  queue  foit  faite  tout 
autrement  que  celle  des  pie-grièches  dont  les  plumes 
i\u  milieu  font  les  plus  longues;  au  lieu  que  dans 
celle-ci  elles  font  beaucoup  plus  courtes  que  les  plumes 
extérieures;  en  forte  que  la  queue  paroît  fourchue, 
c'cft-à-dire,  vide  au  milieu  vers  fon  extrémité:  il  a  le 
])ec  épais  <Sc  fort ,  voûté  en  arc  ,  à  peu  près  comme 
celui  de  l'épervier,  plus  long  à  proportion  de  fa  grof- 
feur,  &i  moins  crochu,  avec  des  narines  affez  grandes; 
la  bafe  de  la  mandibule  fupérieure  efl  environnée  de 
poils  roides....  La  tcte  entière,  le  cou,  le  dos  6c  les 


DES  Oiseaux  ÉTRANCEns.      309 

couvertures  des  ailes  font  d'un  noir  hriJlant,  avec  un 
reflet  de  bleu,  de  pourpre  6c  de  vert,  6c  qui  fe  dé- 
cide ou  varie  fuivant  l'incidence  de  la  lumière 

La  poitrine  eft  d'une  couleur  cendrée,  fombre  <Sc  noi- 
râtre: tout  le  ventre,  les  jambes  &  les  couvertures  du 
dcflous  de  la  queue  font  blanches;  les  jambes,  les 
pieds  &  les  ongles  font  d'un  brun  noirâtre:  je  doutois, 
ajoute  M.  Edwards,  fi  je  devois  ranger  cet  oifcau  avec 
les  pie-gricches  ou  avec  les  pies;  car  il  me  paroifToit 
également  voifm  de  chacun  de  ces  deux  genres,  <^  je 
penfe  que  tous  deux  pourroicnt  n'en  faire  qu'un,  les 
pies  convenant  en  beaucoup  de  chofes  avec  les  pie- 
grièches  ;  quoique  ])crfonne  en  Angleterre  ne  l'ait 
remarqué,  il  paroît  qu'en  France  on  y  a  fait  attention» 
&:  qu'on  a  obfervé  cette  conformité  de  nature  dans 
ces  deux  oifeaux,  puifqu'on  les  a  tous  iicwx  appelés 

(j)  Edwards ,  ////?.  nat.  of  b'irds ,  tome  II,  page  j  6 ,  planche  LYI, 
avec  une  figure  bien  coloriée. 

I  I. 
ROUGE-QUEUE. 

L'oiseau  des  Indes  orientales,  indiqué  <5c  décrit 
par  Albin  ,  fous  le  nom  de  Rouge-queue  de  Bengale  ; 
il  eft  de  la  même  grandeur  que  la  pie-grièche  grife 
d'Europe:  le  bec  efl  d'un  cendré  brun;  l'iris  des  yeux 
efl  blanchâtre,  le  defliis  &  le  derrière  de  la  tcte  noirs; 
il  y  a  au-dclfous  des  yeux  une  tache  d'un  rouge  vif 

Q  q  iij 


3to       Histoire  N atu relle 

terminée  de  hianc,  ôi  furie  cou  quatre  taches  noires 
en  portion  de  cercle;  le  dcffus  du  cou,  ie  dos,  le 
croupion  ,  les  couvertures  du  delTus  de  la  queue,  celles 
du  delTous  des  ailes ,  <Sc  les  plumes  fcapulaires  font 
brunes;  la  gorge,  ie  deiTus  du  cou,  la  poitrine,  le 
haut  du  ventre,  les  côtés  (Se  les  jambes  font  blanches; 
le  bas  du  ventre  Si.  les  couvertures  du  delTous  de  la 
queue  font  rouges;  la  queue  efl  d'un  brun  clair;  les 
pieds  ÔL  les  ongles  font  noirs  (hj. 

(h)  Rouge -queue  de  Bengale.  Albin,  tome  III ,  -page  2^^ 
planche  LV I ,  avec  une  figure  coloriée.  — La  Pic-gricche  de  Bengale. 
Eriflon,  tome  II,  page  ij^» 

III. 
LANGRAIEN  et  TCHA-CHERT. 

Voye^  les  planches    enluminées ,   n.    ^  ,  fgtire   i; 

ér  7if  ^2 ,  fg.  2. 

Les  oifeaux  envoyés  de  Manille  <5c  de  Madagascar , 
Je  premier  fous  le  nom  de  Langraïen ,  Se  le  fécond 
fous  celui  de  tcha-chen ,  que  l'on  a  rapportes  peut-être 
mal -à- propos  au  genre  des  pie-grièches  (cj,  parce 
qu'ils  en  diffèrent  par  un  caradère  efTentiel ,  ayant  les 
ailes,  lorfqu'elles  font  pliées,  auffi  longues  que  la 
queue;  tandis  que  toutes  les  autres  pie-griechcs ,  ain/î 
que  les  oifeaux  étrangers,  que  nous  y  rapporterons, 
ont  les  ailes  beaucoup  plus  courtes  à  proportion,  ce 

{cj  BrilTon,  tome  II,  pages  i  S o  &  j  (fj* 


DES   Oiseaux  étpancers.     311 

qui  poiirroit  faire  croire  que  ce  font  des  oifeaux  d'un 
autre  genre:  néanmoins,  comme  celui  de  Maciagafcar 
approche  afTez  de  l'cfpece  de  notre  pie-grièciie  grife, 
à  cette  différence  près  de  la  longueur  des  ailes,  on 
pourroit  le  regarder  comme  faifant  la  nuance  entre 
notre  pie-gricche  Sl  cet  oifeau  de  Manille,  auquel  il 
rciïemble  encore  plus  qu'à  notre  pie-grièche;  <Sc 
comme  nous  ne  connoilTons  aucun  genre  d'oifeaux, 
auquel  on  puifTe  rapporter  direélement  cet  oifeau  de 
Manille  ,  nous  avons  fuivi  le  fentimcnt  des  autres 
Naturalidcs  ,  en  lui  donnant  le  nom  de  pie  - grieche , 
aulTi-bien  qu'à  celui  de  Madagafcar;  mais  nous  avons 
cru  devoir  ici  marquer  nos  doutes  fur  la  jufleffe  de 
cette  dénomination. 

I  V. 

BÉCARDES. 

Vûjci  les  planches  enluminées,  71  f^  ^0^  &  377' 

Les  oifeaux  envoyés  de  Cayenne  ;  le  premier, 
n." ^o^j  fous  le  nom  de  PL'-grièchc  grife;  6:  le  fécond, 
fous  celui  de  pie-gricche  tachetée,  qui  font  d'une 
efpèce  différente  de  nos  pie-grièches  d'Europe,  (Se 
que  nous  avons  cru  devoir  appeler  bécardcs ,  à  caufe 
de  la  groffcur  &  de  la  longueur  de  leur  bec,  qu'ils  ont 
au/îi  de  couleur  rouge  ;  ces  bécardes  diffèrent  encore  de 
nos  pie  grièches  en  ce  qu'elles  ont  la  tête  toute  noire, 
(Se    l'habitude  du  corps  plus  épaiffe   <Si;  plus  longue; 


312       Histoire  Natu relle 

mais  d'ailleurs  elles  leur  refTemblent  plus  qu'à  touC 
autre  oifcau.  Au  redc ,  l'une  nous  paroît  être  le  mâle 
6c  l'autre  la  femelle  de  la  même  efpèce,  fur  laquelle 
nous  obrerverons  qu'il  fc  trouve  encore  d'autres  efpèces 
femblables  par  ia  groïïair  du  bec  dans  ce  même  climat 
de  Cayenne ,  6c  dans  d'autres  climats  très  -  éloignés, 
comme  on  le  va  voir  dans  les  articles  fuivans. 

V. 
BÉCARDE   À    VENTRE   JAUNE. 

Vûj'c^  les  planches  enluminces ,  iu    2^6, 

L'oiseau  envoyé  de  Cayenne,  fous  le  nom  (^ç, 
Pïe-^rièche  jawie ,  qui  par  fon  long  bec  nous  parojt  cire 
d'une  efpèce  affez  voifme  de  la  précédente^  6c  que, 
par  cette  raifon  ,  nous  avons  appelé  la  bccarde  à  ventre 
jaune,  car  elles  ne  diffèrent  guère  que  par  les  couleurs; 
les  plancbes  enluminées  fuffiront  pour  les  faire  recon- 
noître  6c  diflinguer  aifément  l'une  de  l'autre. 

V  I. 

Le    VANGA    ou    BÉCARDE 

À    VENTRE    BLANC. 

Vojei  les  planches  enluminées,  iu    228» 

L'oiseau  envoyé  de  Madagafcar  par  M.  Poivre, 
fous  le  nom  de  Vanga ,  6c  qui  quoique  différent  par 
i'efpèce  de  nos  pie-grièchcs  &:  de  nos   écorcheurs, 

peut-être 


DES  Oiseaux  étrangers,      31J 

peut  -  être  même  étant  d'un  autre  genre,  a  néanmoins 
plus  de  rapport  avec  ces  oifeaux  qu'avec  aucun  autre  ; 
c'efl  pour  cette  raifon  que  nous  l'avons  nommé  fur  les 
planches  enluminées,y7/>-^;7Vr//^  ou  ccorchew  de  AlaJa- 
gûfcdr.  Mais  on  pourroit  à  plus  jufle  titre  le  rapporter 
au  genre  des  bécardes  dont  nous  venons  de  parier, 
6l  l'appeler  bccarde  à  ventre  blanc. 

\   ï  ï. 

LE    S  C  H  E  T^B  É. 

Voye^  les  planches  enluminées ,  nf  ^p^jfg-  ^. 

L'oiseau  envoyé  de  Madagafcar  par  M.  Poivre, 
fous  le  nom  de  Schet-hé,  <Sc  dont  l'efpcce  nous  paroit 
fi  voifmede  la  précédente,  qu'on  pourroit  les  regarder 
toutes  dçuK  comme  n'en  faifant  qu'une,  fi  le  climat 
de  Cayenne  n'étoit  pas  auiïi  éloigné  qu'il  e(l  de  celui 
de  Madagafcar.  Nous  avons  appelé  cet  o'i{€^u  pie-gricclie 
roiijfc  de  Madagafcar ,  par  la  même  raifon  que  nous 
avons  appelé  le  \)ïéccàcni  pie-gr'ièche  jaune  de  Cayenne; 
6i  il  faut  avouer  que  cette  pie-grièclie  rouffe  de  IVIada- 
gafcar  ,  approche  un  peu  plus  que  celle  de  Cayenne 
de  nos  pic-grièches  d'Europe,  parce  qu'elle  a  le  bec 
plus  court,  Si  par  conféquent  différent  de  celui  de 
nos  pic-grièches  d'Europe;  au  refle,  ces  deux  efpèces 
étrangères  font  plus  voifmes  l'une  de  l'autre,  que  de 
nos  pie-grièches  d'Europe. 

Oifeaux f  Tome  I.  .  Rr 


314'       HiSTO I RE  Naturelle 

V  I  I  ï. 

L£   TCHA'CHERT^BÉ. 

Voye^  les  planches  enhnnïnées ,  n!  ^74- 

L'oiseau  envoyé  de  Madagafcar  par  M.  Poivre, 
fous  le  nom  de  Tcha-chen-bé,  &.  que  nous  avons  nommé 
au  bas  de  nos  planches  enluminées,  grande  pie  -  gmche 
yerdâtîe,  <Sc  qui  ne  nous  paroit  être  qu'une  efpèce 
très-voifine,  ou  même  une  variété  A'^^gt  ou  ào,  {t\t 
dans  l'tTpèce  précédente ,  dont  elle  ne  diffère  guère 
que  parce  qu'elle  a  le  bec  un  peu  plus  court  <&  moins 
crochu  ,  &  les  couleurs  un  peu  différemment  di/lribuées. 
Au  refle,  ces  cinq  oifeaux  étrangers  6c  à  gros  bec; 
favoir,  la  pie-grièche  grife  &  la  pie-grièche  jaune  de 
Cayenne  ,  la  pie-grièche  rouffe,  l'écorcheur  6c  la  pie- 
grièche  verdâtre  de  Madagafcar,  pourroient  bien  faire 
un  petit  genre  à  part  auquel  nous  avons  donné  le  nom 
de  bécardes ,  à  caufe  de  la  grandeur  6c  de  la  grofTeur 
de  leur  bec,  parce  que  dans  le  réel,  tous  ces  oifeaux 
diffèrent  aflez  (^il^s  pie-grièches  pour  devoir  en  cire 

féparés. 

I  X. 

LE    G  0  N  0  L  E  K. 

Voye^  les  planches  eidiimînées  ,  m    j  6. 

L*oiSEAU  qui  noiiS  a  été  envoyé  du  Sénégal  par 
M.  Adanfon,  fous  le  nom  de  Pie-grièche  rouge  du  Sénégal, 


DES  Oiseaux  étrangers.      51J 

êc  que  les  Nègres,  dit-il,  appellent ^^«^H^  c*efl-à-direv 
mangeur  d'infedles.  C'efl  un  oifeau  remarquable  par 
les  couleurs  vives  dont  il  eft  peint;  il  efl  à  très -peu 
près  de  la  même  grandeur  que  la  pie-grièche  d'Europe, 
&  n'en  diffère,  pour  ainfi  dire,  que  par  les  couleurs, 
qui  néanmoins  fuivent  dans  leur  diftribution  à  peu 
près  le  même  ordre  que  fur  la  pie-grièche  grife 
d'Europe;  mais  comme  les  couleurs  en  elles-mêmes 
font  très -différentes,  nous  avons  cru  devoir  regarder 
cet  oifeau  comme  étant  d'une  efpèce  différente. 

X. 

Le  CAU'CALIC  et  le  BRUIA. 

Voje^  les  planches  enluminées ,  71Î  2p ç,'jig.  I,  le  màle;^ 

&  jig»  2  ,  la  femelle. 

L'oiseau  envoyé  de  Madagafcar  par  M.  Poivre, 
tant  le  mâle  que  la  femelle,  le  premier  fous  le  nom 
de  Cdli-cdlîc,  Si  le  fécond  fous  celui  de  Bruia ,  que 
l'on  peut  rapporter  au  genre  de  notre  écorcheur  d'Eu- 
rope, à  caufe  de  fa  petitefTe  ;  mais  qui  du  refle  en 
ditîère  affez  pour  être  regardé  comme  un  oifeau 
d'efpèce  différente. 


Rr  ij 


3i6    Hi sro îRE  Naturelle,  ifc. 

X  I. 

PIE-GRIECH E    HUPPÉE. 

Vojei  les  planches  enlianinées  ,    lu    ^y^  ,  fg,  2, 

L'oiseau  envoyé  Ju  Canada  fous  le  nom  de  Pie- 
gfu'che  huppée ,  &  qui  porte  en  effet,  fur  le  fommet  de 
la  tête ,  une  huppe  molle  <Sc  de  plumes  longuettes  qui 
retombent  en  arrière;  mais  qui  du  refle  efl  une  vraie 
pie  -  gnèclie  ,  &.  affcz  femblahle  à  notre  pie-grièche 
rouiïe  par  la  difpofition  des  couleurs  ,  pour  qu'on 
pu iffe  la  regarder  comme  une  efpèce  voifme  ,  qui  n'en 
diffère  guère  que  par  les  caradères  de  cette  huppe 
6c  du  Lee  qui  efl  un  peu  plus  gros. 


î'7 

LE  S 

OISEAUX  DE  PROIE 

NOCTURNES. 

Les  yeux  de  ces  oifeaux  font  d'une  renfibilitc  fi 
grande,  qu'ils  paroifTent  être  éblouis  par  la  clarté  du 
jour,  Si  entièrement  ofîufqucs  par  les  rayons  du  foleil: 
il  leur  faut  une  lumière  plus  douce,  telle  que  celle  de 
l'aurore  naifTante  ou  du  crcpufcule  tombant;  c'ell  alors 
qu'ils  fortent  de  leurs  retraites  pour  chafTcr,  ou  plutôt 
pour  chercher  leur  proie,  6c  ils  font  celte  qucle  avec 
grand  avantage;  car  ils  trouvent  dans  ce  temps  les 
autres  oifeaux  (Se  les  petits  animaux  endormis  ,  ou 
prêts  à  l'être:  les  nuits  où  la  lune  brille  font  pour 
eux  les  beaux  jours,  les  jours  de  plaifir  ,  les  jours 
d'abondance  ,  pendant  lefqucis  ils  chafTent  pluficurs 
heures  de  fuite,  <Sc  fe  pourvoient  d'amples  provifions: 
Jes  nuits  où  la  lune  fait  défaut  font  beaucoup  moins 
heureufes  ;  ils  n'ont  guère  qu'une  heure  le  foir  <Sc  ime 
lieure  le  matin  pour  chercher  leur  fubfjflance;  car  il 
ne  faut  pas  croire  que  la  vue  de  ces  oifeaux  qui  s'exerce 
fi  parfaitement  à  une  foible  lumière,  pui/fe  fe  paffer 
de  toute  lumière  ,  <Sc  qu'elle  perce  en  effet  dans  Tobf- 
curité  la  plus  profonde;  dès  que  la  nuit  efl  bien  clofe,ils 
ceffcnt  de  voir ,  &.  ne  diffèrent  pas  à  cet  égard  des  autres 
animaux,  tels  que  Jes  lièvres,  les  loups,  les  cerfs,  qui 

R  r  iij 


3l8  H I  STOl  RE     NATU  RELLE 

fortcnt  le  foir  des  bois  pour  repaître  ou  chafTer  pen- 
dant  la  nuit:   feulement    ces  animaux  voient  encore 
mieux   le  jour    que  la  nuit  ;  au   lieu  que  la  vue   des 
oifeaux  nocflurnes  efl  fi  fort  offiifquée  pendant  le  jour, 
qu'ils  font  obligés  de  fe  tenir  dans  le  même  lieu  fans 
bouger,  &.  que  quand  on  les  force  à  en  fortir,  ils  ne  peu- 
vent faire  que  de  très-petites  courfes ,  des  vols  courts 
&:  lents,  de  peur  de  fe  beurter;  les  autres  oifeaux  qui 
s'aperçoivent  de  leur  crainte  ou  de  la  gcne  de  leur 
fîtuation,  viennent  à  l'envi  les  infulter:  les  mézanges, 
les  pinçons,  les  rouge-gorges,  les  merles,  les  geais, 
les  grives,  (5cc.  arrivent  à  la  file:  l'oifeau  de  nuit  perché 
fur  une  branche,    immobile,    étonné,    entend  leurs 
mouvemens,  leurs  cris  qui  redoublent  fans  ceiïe,  parce 
qu'il  n'y  répond  que  par  des  geftes  bas,  en   tournant 
fa  tête,  fes  yeux  6c  fon  corps   d'un  air  ridicule;  il  fe 
laifTe   même  aiïaillir  <?c  frapper,  fans  fe  défendre  ;  les 
plus  petits,  les  plus  foibles  de   fes  ennemis  font  les 
plus  ardens  à  le  tourmenter,  les  plus  opiniâtres  à  le 
huer  :   c'efl;  fur  cette  efpèce  de  jeu  de  moquerie  ou 
d'antipathie  naturelle,  qu'efl  fondé  le  petit  art  de  la 
pipée;  il  fuffit  de  placer  un  oifeau  noélurne,  ou  même 
d'en  contrefaire  la  voix  ,  pour  faire  arriver  les  oifeaux 
à  l'endroit  où  l'on  a  tendu  les  gluaux  ('aj:  il  faut  s'y 

(û)  Nota.  Cette  efpèce  de  chafTe  étoit  connue  des  Anciens  ;  car 
Ariftote  l'indique  clairement  dans  les  termes  lui  vans  :  Die  cœterct 
aviculœ  omnes  nod.uam  circumvolant ,  quod  mirar'i  vocatur ,  advolantefquc 
percutiunt.  Qua  propter  eâ  conJUtutâ  avicularum  gênera  &  varia  multa 
capiunt.  Hijl.  mim.  lib.  IX,  cap.  i. 


DES  Oiseaux  de  proie  nocturnes.  319 

prendre  une  heure  avant  la  fin  du  jour,  pour  que  cette 
cliafTe  foit  heureufe;  car  fi  l'on  attend  plus  tard,  ces 
mêmes  petits  oifieaux  qui  viennent  pendant  le  jour 
provoquer  l'oifeau  de  nuit,  avec  autant  d'audace  que 
d'opiniâtreté,  le  fijient  &  le  redoutent  (\hs  que  robfcurité 
Jui  permet  de  fe  mettre  en  mouvement,  &  de  déployer 
fes  facultés. 

Tout  cela  doit  néanmoins  s'entendre  avec  certaines 
reflridlions  qu'il  efl  bon  d'indiquer,  i .°  toutes  les 
efpèces  de  hiboux  6c  de  chouettes,  ne  font  pas  égale- 
ment offufquées  par  la  lumière  du  jour  ;  le  grand  duc 
voit  affez  clair  pour  voler  <5c  fuir  à  d'afTez  grandes 
dirtances  en  plein  jour;  la  chevêche,  ou  la  plus  petite 
efpèce  de  chouettes  chalTe,  pourfuit  6c  prend  des  petits 
oifeaux  long -temps  avant  le  coucher  6c  après  le  lever 
du  foleil.  Les  Voyageurs  nous  aiïurent  que  le  grand 
duc  ou  hibou  de  l'Amérique  feptentrionale  (ùj ,  prend 
les  gelinottes  blancbes  en  plein  jour ,  6:  même  lorfque  la 
neige  en  augmente  encore  la  lumière;  Bclon  dit  très- 
bien  dans  fon  vieux  langage  fcj ,  que  quiconque  p-endra 
carde  à  la  vue  de  ces  oifeaux ,  ne  la  trouvera  pas  fi  imbé ci  lie 
qu'on  la  crie  ;  2."  il  paroît  que  le  hibou  commun  ou 
moyen  duc  voit  plus  mal  que  le  fcops  ou  petit  duc  , 

(h)  Voyage  à  la  baie  de  H u<J fon,  tome  I,  page  jâ. 

/c)  Belon,  Hij}.  72a t.  des  Oifeaux,  page  j  53.  Nota.  C'eft  en  cHèt 
avec  cette  rellriclion  qu'on  doit  entendre  ce  que  difent  à  cet  égard 
Ja  plupart  des  Écrivains ,  &  entr'autres  Schwencklcid.  Noâu  per/pl- 
€dcij[imè  ndentes ,  diu  C(xçutientes.  Theriotrop.  SU.  pag.  308. 


320       Histoire  Naturelle 

6c  que  c'eft  de  tous  les  hiboux  celui  qui  efl  le  plus 
offufqué  par  la  lumière  du  jour,  comme  le  font  auffl 
le  chat-huant,  Teffraie  Si  la  luilotte;  car  on  voit  les 
oifeaux  s'attrouper  également  pour  les  infulter  à  la 
pipce;  mais  avant  de  donner  les  faits  qui  ont  rapport 
à  chaque  efpèce  en  particulier ,  il  faut  en  prélenter  les 
diûindions  irénéralcs. 

On  peut  divifer  en  deux  genres  principaux  les  oifeaux 
de  proie  nocturnes ,  le  genre  du  hibou  Si  celui  de  la 
chouette,  qui  contiennent  chacun  pluficurs  efpeces 
différentes;  le  cara6lère  difîindif  de  ces  deux  genres, 
c'efl  que  tous  les  hiboux  ont  deux  aigrettes  déplumes 
en  forme  d'oreilles  ,  droites  de  chaque  côté  de  la 
tcte  (^i/J,  tandis  que  les  chouettes  ont  la  tête  arrondie 
fans  aigrettes  6c  fans  aucunes  plumes  proéminentes  fej; 
nous  réduirons  à  trois  les  efpèces  contenues  dans  le 
genre  du  hibou.  Ces  trois  efpèces  font,  i .''  le  duc 
ou  grand  duc,  i."  le  hibou  ou  moyen  duc,  3."  le 
/cops  ou  petit  duc;  mais  nous  ne  pouvons  réduire  à 

ftij  Nota.  Ces  oifeaux  peuvent  remuer  &  faifc  baifler  ou  élever 
ces  aigrettes  de  plumes  à  volonté. 

(c)  Il  paroît  que  Pline  avoit  remarqué  cette  diflerence  générique, 
iorfqu'il  dit  :  Pematorum  animalium  bubcni  tantùm  é^  oîo  plumœ  velut 
cures.  Lib.  XI  ,  cap.  37.  Et  ailleurs:  Otis  bubene  m'mor  ejl ,  noélu'is 
major,  auribus  plumas  em'mentibus ,  unde  &  nomen  ilii ;  quidam  laùnè 
afionem  vacant.  Lib.  X,  cap.  23.  Nota.  Qu'il  y  a  tjois  efpèces  d» 
hiboux  qui  ont  en  effet  des  aigrettes  de  plumes  ,  &  que  ces  trois 
efpèces  font  le  grand  duc,  bubo ;  le  moyen  duc,  otus ;  &  le  petit 
duc  ,  afo,  que  Pline  confond  avec  Xotus. 

moins 


DJ^s  Oiseaux  de  proie  nocturnes.   3  z  i 

moins  de  cinq  les  efpèces  du  genre  de  la  clioiictte, 
&  cçs  efpèces  font,  i.^^la  hulotte  ou  huette,  2.°  le 
chat-iuiant,  3."  l'effraie  ou  frelDie,  4.°  la  chouette  ou 
grande  chevêche,  5.°  la  chevêche  ou  petite  chouette: 
CCS  huit  efpèces  fe  trouvent  toutes  en  Europe  (S^  même 
en  France  ;  quelques-unes  ont  des  variétés  qui  paroiffcnE 
dépendre  de  la  différence  des  climats;  d'autres  ont 
des  repréfentans  dans  le  nouveau  continent;  la  plupart 
des  hihoux  &  des  chouettes  de  l'Amérique  ne  diffèrent 
pas  affez  de  celles  de  l'Europe,  pour  qu'on  ne  puiffe 
leur  fuppofer  une  même  origine. 

Ariflote  fait  mention  de  douze  efpèces  d'oifeaux 
qui  voient  dans  l'oLfcuritc,  (Se  volent  pendant  la  nuit; 
6c  comme  tlans  ces  douze  efpèces  il  comprend  l'orfraie 
&.  le  tette-chèvrc  ou  crapaud  volant,  fous  les  noms  de 
pli'inis  ai  d'a'gûfi/ûs;  Si  trois  autres  fous  les  noms  de 
cnpnceps,  de  chnlcis  Si  de  chûrûJr'ws,  qui  font  du  nojnhre 
des  oifeaux  pécheurs  Si  hahitans  des  marais  ou  des 
rives  des  eaux  Si  des  torrens;  il  paroît  qu'il  a  réduit  à 
fept  efpèces  tous  les  hiboux  6c  toutes  les  chouettes 
qui  ctoient  connus  en  Grèce  de  fon  temps;  le  hibou 
ou  moyen  duc  qu'il  appelle  nVoj ,  otiis ,  précède  Si 
conduit,  dit -il,  les  cailles,  iorfqu'elles  partent  pour 
changer  de  climat  (f),  Si  c'efl  par  cette  raifon  qu'on 
appelle  cet  oifcau  c/ux  ou  Juc;  i'étymologie  me  paroit 

ffj  Cum  coturnices  adeunî  loca ,  fine  duc'ihus  pergunt  ;  at  cum  Iiinc 
ûhcunt ,  ducibus  lingulacn ,  oto  d/mdtrkeprofc'ifiuntur,  Ariftotc,  Hip, 
anjm.  lib.  \I1I,   c:^^.    12. 

Oifeaux,  Tome  I.  ,  Sf 


522       Histoire  Naturelle 

fûrcmais  le  fait  eft  plus  qu'incertain  :  il  ed  vrai  que 
les  cailles  qui,  lorG^u'eiles  partent  en  automne,  font 
furchargées  de  graiffe,  ne  volent  guère  que  la  nuit,  Se 
qu'elles  fe  repofent  ])endant  le  jour  à  Tombre  pour 
éviter  la  chaleur ,  &  que  par  confëquent  on  a  pu 
s'apercevoir  que  le  hibou  acconipagnoit  ou  précédoit 
quelquefois  ces  troupes  de  cailles;  mais  il  ne  paroît 
par  aucune  obfervation ,  par  aucun  témoignage  bien 
conflaté,  que  le  iiibou  foit  comme  la  caille  un  oifcau 
de  pafîiige;  le  feul  fait  que  j'aie  trouvé  dans  les  Voya- 
geurs, qui  aille  à  l'appui  de  cette  opinion  ,  eft  dans  la 
Préface  de  i'Hidoire  Naturelle  de  la  Caroline  ,  par 
Catefby;  il  dit  «  qu'à  vingt-fix  degrés  de  latitude  nord, 
5>  à  peu  près  entre  les  deux  continens  d'Afrique  <Sc 
d'Amérique,  c'eft-à-dire ,  à  hx  cents  lieues  environ 
de  l'un  Si  de  l'autre,  il  vit  en  allant  à  la  Caroline 
un  hibou  au-deffus  du  vaiiïeau  où  il  étoit ,  ce  qui 
3)  le  furprit  d'autant  plus  que  cesoifeaux  ayant  les  ailes 
»  courtes,  ne  peuvent  voler  fort  loin  ,  &.  font  aifément 
»  laffés  par  les  enfans ,  ce  qui  arrive  tout  au  plus  à  la 
3)  troifiènie  volée  ;  il  ajoute  que  ce  hibou  difparut 
3i  après  avoir  fait  des  tentatives  pour  fe  repofer  fur  le 
vaiiïeau  (gj  ». 

On  peut  dire  en  faveur  du  fait,  que  tous  les  hiboux 

êc  toutes  les  chouettes  n'ont  pas   les  ailes  courtes, 

puifque  dans  la  plupart  de  ces  oifeaux  elles  s'étendent 

au-delà  de  l'extrémité  de  la  queue,  &  qu'il  n  y  a  que 

{gj  Hiil.  nat.  de  la  Caroline,  par  M.  Catefby.  Préface ,  page  7. 


» 


}> 


3) 


DES  Oiseaux  de  proie  nocturnes,  325 

fe  grand  Jiic  6c  le  fcops  ou  petit  duc  ,  dont  les  ailes , 
lorfqu'elles  font  pliées  ,  n'arrivent  pas  jufqu'au  bout 
de  la  queue;  d'ailleurs  on  voit,  ou  plutôt  on  entend 
tous  ces  oifeaux  faire  d'afTcz  lonirs  vols  en  criant;  dès- 
iors  il  femble  que  la  puifTance  de  voler  au  loin  pendant 
la  nuit  leur  appartient  auffi  -  bien  qu'aux  autres  ;  mais 
que  n'ayant  pas  d'auffi  bons  yeux  ,  ô<.  ne  voyant  pas 
de  loin  ,  ils  ne  peuvent  Te  former  un  tableau  d'une 
grande  étendue  de  pays ,  &i  que  c'ed  par  cette  raifon 
qu'ils  n'ont  pas,  comme  la  plupart  des  autres  oifeaux, 
l'inflin(5t  des  migrations,  qui  fuppofe  ce  tableau  pour 
fe  déterminer  à  faire  de  grands  voyages;  quoi  qu'il  en 
foit ,  il  paroît  qu'en  général  nos  hiboux  6c  nos  chouettes 
font  affcz  fédentaires:  on  m'en  a  apporté  de  prefque 
toutes  les  efpèces,  non-feulement  en  été,  au  printemps, 
en  automne ,  mais  même  dans  les  temps  les  plus 
rigoureux  de  l'hiver;  il  n'y  a  que  \c  fcops  ou  petit  duc 
qui  ne  fe  trouve  pas  dans  cette  faifon  ;  6c  j'ai  été  en 
effet  informé  que  cette  petite  efpèce  de  hibou  part 
en  automne,  ôi  arri^'e  au  printemps;  ainfi  ce  feroit 
plutôt  au  petit  duc  qu'au  moyen  duc  qu'on  pourroit 
attribuer  la  fondion  de  conduire  les  cailles  ;  mais  encore 
ime  fois  ce  fait  n'cfl  pas  prouvé,  6c  de  même  je  ne  fais 
pas  fur  quoi  peut  être  fondé  un  autre  fait  avancé  par 
Ariflote  ,  (|ui  dit  que  le  chat-huant  (g/aux,  nodua ,  félon 
fon  interprète  Gaza)  (h) ,  fe  cache  pendant  quelques 

(h)  Pducis  qu'ihufdatn  dkbus  {  glaux  ]  nodua  laUt.  Arift.  Hijl.  an'im» 
lib.  vin,  cap.  I  6. 


324.         Histoire  Naturelle 

jours  de  fuite  ;  car  on  m'en  a  apporté  dans  la  plus 
mauvaife  faifon  de  l'année,  qu'on  avoit  pris  dans  les 
Lois;  &.  Ç\  l'on  prétendoit  que  le  mot  glaux ,  nodua, 
indique  ici  l'effraie ,  le  fait  feroit  encore  moins  vrai  ;  car 
à  l'exception  des  foirées  très-fombrcs  ^  pluvieufes, 
on  l'entend  tous  les  jours  de  l'année  foufiler  &.  crier 
à  l'heure  du  crépufcule. 

Les  douze  oifeaux  de  nuit,  indiqués  par  Aridote, 

font:  hyas ,  otos ,  fcofs ,  fliinis ,  œgotUas ,  elcos ,nyâicorûx , 

8  9  10  II  a 

epgol'ws ,  glaiix ,  chûradnos ,  chalc'is ;  œgocijhalos ,  traduits 
en  latin  par  Théodore  Gaza. 

Biibo  ,    otiis  ,    afw ,     ojfifiûga ,    Cûfirinmlgus  ,    alitco  , 

cicunia  «/s  9  lo^  ii_  12 

ckumâ ,  /  ulula  ,  îwâua  ,   cliaradrius  ,  chalcis  ,   capriceps  ; 
ulula ,    3 

j'ai  cru  devoir  interpréter  en  françois  les  neuf  premiers 
comme  il  fuit  : 

Le  duc  ou   grand  duc  ,   le   lûhou  ou   moyen  duc , 

]e  petit  duc ,  X orfraie ,  le  tctte-chcvrc  ou  crapaud  volant  y 

teff-aie  owfrcjjak,  la  hulotte  ,\2,  chouette  ou  grande  chevêche , 

9 
le  chat' lui aîîT. 

Tous  les  Naturalises  6^  les  Littérateurs  conviendront 

aifémcnt  avec  moi,   i  .'^  que  le  byas  des  Grecs,  huho 

des  Latins,  efl    notre    àwc   ou  grand   duc;   2.°   que 

ïotos  des   Grecs,  otus  des  Latins,  eft  notre  hibou  ou 

moyen    duc  ;   3."  que   le  feops  des  Grecs  ,    afio   des 

Latins ,   efl  notre    petit    duc  ;   4."  que  le  plunis  des 


DES  Oiseaux  de  proie  nocturnes.  325 

Grecs,  ojfîfra^u  des  Latins,  q^  notre  orfraie  ou  grand 
aigle  de  mer;  ^.''que  Vœgotilas  des  Grecs,  cavnmulgis 
des  Latins,  cft  notre  tette-chèvre  ou  crapaud  volant; 
6."  que  \! dcos  des  Grecs,  aluco  des  Latins,  cft  notre 
effraie  ou  frefTaie;  mais  ils  me  demanderont  en  même 
temps  par  quelle  raifori  je  prétends  que  le  ù,Idux  cfl 
notre  chat  -  huant  ,  le  îiydicorûx ,  notre  Iiulotte  6c 
l'a'^<^//^j-^  notre  chouette  ou  grande  chevêche  ;  tandis 
que  tous  les  Interprètes  &  tous  les  Naturaliftcs  qui 
m'ont  précédé  ont  attribué  le  nom  œgolios  à  la  hulotte» 
6c  qu'ils  font  forcés  d'avouer  qu'ils  ne  favent  à  quel 
oifeau  rapporter  celui  de  îijâicûmx ^  non  plus  que  ceux 
du  clmmcMos  ,  du  chah  h  Si  du  dipriceps  ,  ^  qu'on 
ignore  aLfolument  quels  peuvent  ctrc  les  oifcaux 
défignés  par  ces  noms;  (Se  enfin  ils  me  reprocheront 
que  c'efl  mal-à-propos  que  je  tranfporte  aujourd'hui 
Je  nom  degLmx  au  chat-liuant,  tandis  qu'il  appartient 
de  tout  temps,  c'efl -à- dire ,  du  confentement  de 
tous  ceux  qui  m'ont  précédé ,  à  la  cliouctte  ou  grande 
ciievéche  ,  Si  même  à  la  petite  chouette  ou  chevêche 
proprement  dite,  comme  à  la  grande. 

devais  leur  expofer  les  raifons  (|ui  m'ont  détermine, 
Sl  je  les  crois  afîez  fondées  pour  les  fluisfaire ,  Si  pour 
tclaircir  l'obfcurité  qui  refulte  de  leurs  doutes  6i  de 
leurs  faufles  interprétations.  De  tous  les  oifeaux  de 
nuit  dont  nous  avons  fait  l'énumération ,  le  chat-huant 
efl  le  feul  qui  ait  les  yeuK  bleuâtres  ,  Si  la  iiulotte  la 
feule  qui  les  ait  noirâtres  ;  tous  les  autres  ont  l'iris  des 

Sfiij 


326  Hl  STO  1  RE     NATU  RE  LLE 

yeux  d'un  jaune  couleur  d'or,  ou  du  moins  couleur  de 
fafran.  Or  les  Grecs  dont  j'ai  fouvent  admire  lajufteiïe 
de  difcernement  6c  la  précifion  des  idées ,  par  les  noms 
qu'ils  ont  impofés  aux  objets  de  la  Nature,  <5c  qui 
font  toujours  relatifs  à  leurs  caractères  didindifs  6c 
frappans,  n'auroicnt  eu  aucune  raifon  de  donner  le 
nom  glaitx  f glanais J  vert  de  mer  ou  bleuâtre,  à  ceux 
de  ces  oifeaux  qui  n'ont  rien  de  bleuâtre,  6c  dont  les 
yeux  font  noirs  ou  orangés  ou  jaunes;  6c  ils  auront 
avec  fondement  impofé  ce  nom  à  l'efpèce  de  ces 
oifeaux,  qui  parmi  toutes  les  autres,  efl  la  feule  en 
effet  qui  ait  les  yeux  de  cette  couleur  bleuâtre  ;  de 
même  ils  n'auront  pas  appelé  nyâicorax ,  c'cft-à-dire, 
corbeau  de  nuit,  des  oifeaux  qui  ayant  les  yeux  jaunes 
ou  bleus,  6c  le  plumage  ])lanc  ou  gris,  n'ont  aucun 
rapjiort  au  corbeau  ,  6c  ils  auront  donné  avec  jufte 
raifon  ce  nom  à  la  hulotte  ,  qui  efl  la  feule  de  tous 
ces  oifeaux  nodurnes,  qui  ait  les  yeux  noirs  6c  le 
plumage  auffi  prelque  noir ,  6c  qui  de  plus  approche 
du  corbeau  plus  qu'aucun  autre  par  fa  groffeur. 

Il  y  a  encore  une  raifon  de  convenance  qui  ajoute 
à  la  vraifemblance  de  mon  interprétation  ,  c'eft  que 
Je  ny<5licorax  chez  les  Grecs ,  6c  même  chez  les 
Hébreux,  étoit  un  oifeau  commun  6:  connu  ,  puifqu'ils 
en  empruntoient  des  comparaifons  (fient  nyâiconix  in 
domic'ilw ) ;  il  ne  faut  pas  s'imaginer,  comme  le  croient 
la  plupart  de  ces  Littérateurs,  que  ce  fut  \\n  oifeau  fi 
foliîaire  6c   fi  rare  ,    qu'on   ne  puiffe  aujourd'hui  en 


DES  Oiseaux  de  proie  nocturnes.  3  27 

retrouver  l'erpèce:  la  huiotte  eft  par- tout  afîcz  com- 
mune; c'eit  de  toutes  les  chouettes  la  p'us  groffe ,  la 
plus  noire  6c  la  plus  femblable  au  corbeau:  toutes  les 
autres  efpèces  en  font  abfolument  différentes;  je  crois 
donc  que  cette  obfervation  ,  tirée  de  la  cliofe  même, 
doit  avoir  plus  de  poids  que  l'autorité  de  ces  Com- 
mentateurs, qui  ne  connoillent  pas  affez  la  Nature, 
pour  en  bien  interpréter  i'hifloirc. 

Or  le  glûux  étant  le  chat-  huant,  ou  (\  l'on  veut,  la 
chouette  aux  yeux  bleuâtres,  &^  le  îijâicordx  étant  la 
hulotte  ou  chouette  aux  yeux  noirs,  Vœgolios  ne  peut 
être  autre  que  la  chouette  aux  yeux  jaunes  ;  ceci  mérite 
encore  quehjue  difcufTion. 

Théodore  Gaza  traduit  le  mot  îiyâiccmx ,  d'abord 
par  cicuma ,  enfuitc  par  ulula ,  ôi  entin  par  cicimia;  cette 
dernière  interprétation  n'eft  vraifemblablement  qu'une 
faute  des  Copiflcs,  qui  de  cicuma  ont  fut  c'icunïa ;  car 
Feftus  avant  Gaza  ,  avoit  également  traduit  nydicorax 
par  cicuma,  6c  Ifidore  par  cecuma,  &  quelques  autres 
par  cccua  :  c'efl  même  à  ces  noms  qu'on  pourroic 
rapporter  l'étymologie  des  mots  lueta  en  italien  , 
chouette  en  françois  :  fi  Gaza  eût  fait  attention  aux 
caractères  du  uydicoras ,  il  s'en  feroit  tenu  a  fa  féconde 
interprétation  ulula ,  6c  il  n'eût  pas  fait  double  emploi 
de  ce  terme,  car  ii  eût  alors  traduit  œgoHos  par  cicuma; 
il  me  paroît  donc  par  cet  examen  comparé  de  ces 
différens  objets  6c  par  ces  raifons  critiques,  que  le 
glaux  efl  le  chat -huant,  \e  îiyâicorax  la  hulotte;  &l 
Vœgolios  Ja  chouette  ou  grande  chevêche. 


528      Histoire   Naturelle 

Il  rede  le  charadrïos ,  le  chalcis  (5c  le  capriceps.  Gaza 
ne  leur  donne  point  de  noms  latins  particuliers ,  6c  fe 
contente  de  copier  le  mot  grec ,  Si  de  les  indiquer  par 
charajr'ius ,  chai  as  6<.  Cûpr'iccps:  comme  ces  oi  féaux  font 
d'un  genre  différent  de  ceux  dont  nous  traitons,  6c 
que  tous  trois  paroi  (lent  être  des  oifeaux  de  marais,  <5c 
habitant  le  bord  des  eaux,  nous  n'en  ferons  pas  ici 
plus  ample  mention  ;  nous  nous  rcfervons  d'en  parler 
]orf(ju'il  fera  quedion  des  oifeaux  pécheurs  ,  parmi 
lefquels  il  y  a,  comme  dans  les  oifeaux  de  proie  ,  àc^ 
efpèces  qui  ne  voient  pas  bien  pendant  le  jour,  6c  qui 
ne  pèchent  que  dans  le  temps  où  les  hiboux  6c  les 
chouettes  chaffent,  c'crt-à-dire,  lorfque  la  lumière  du 
jour  ne  les  offufque  phis:  en  nous  renfermant  donc 
dans  le  fujet  que  nous  traitons,  6:  ne  confidcrant  à 
prcfent  que  les  oifeaux  du  genre  des  hiboux  6c  des 
chouettes,  je  crois  avoir  donné  la  jude  interprétation 
des  mots  grecs  qui  les  défignent  tous;  il  n'y  a  que  h 
feule  chevêche  ou  petite  chouette  dont  je  ne  trouve 
pas  le  nom  dans  cette  langue.  Aridotc  n'en  fait  aucune 
mention  nulle  part,  6c  il  y  a  grande  apparence  qu'il 
n'a  pas  didingué  cette  petite  efpcce  de  chouette  de 
celle  àufcops  ou  petit  duc ,  parce  qu'elles  fe  reifemblcnt 
en  effet  par  la  grandeur,  la  forme,  la  couleur  des  yeux, 
«5c  qu'elles  ne  diffèrent  effentielîement  que  par  la  petite 
plume  proéminente  que  le  fcops  porte  de  chaque  côté 
de  la  tète;  6c  dont  la  chevêche  ou  petite  chouette  ed 
dénuée  :  mais  toutes  ces  différences  particulières  feront 

expofées 


DES  Oiseaux  DE  PROIE  NOCTURNES.  329 

expofces  plus  au  long  dans  les  articles  fuivans. 

Aldrovande  remarque  avec  raiTon  ,  que  la  plupart  des 
erreurs  en  Hifloire Naturelle, font  \enues  delaconfufjon 
des  noms,  ôi  que  dans  celle  des  oifeaux  nodlurncs,  on 
trouve  i'obfcurité  &.  les  ténèbres  de  la  nuit;  je  crois  que 
ce  que  nous  venons  de  dire  pourra  les  diibper  en  grande 
partie:  nous  ajouterons,  pour  ache\er  d'éclaircir  cette 
matière,  quelques  autres  remarques;  le  nom  ule ,  ciile 
en  Allemand;  owi,  houlet  en  Anglois;  hucttc ,  hulote  en 
François,  vient  du  Latin  ulula,  6l  celui-ci  vient  du  cri  de 
ces  oifeaux  nocturnes  de  la  grande  erpèce  ;  il  cfl  trcs-vrai- 
femblable  ,  comme  le  dit  M.  Frjfcb  ,  qu'on  n'a  d'abord 
nommé  ainfi  que  les  grandes  efpcces  de  cbouettcs,  mais 
que  les  petites  leur  refTemblant  par  la  forme  6k  par  le 
naturel ,  on  leur  a  donné  le  même  nom  ,  qui  dès-lors  eft 
devenu  un  nom  général  &:  commun  à  tous  ces  oifeaux^ 
de-là  \2i  confufion  à  laquelle  on  n'a  qu'imparfaitement 
remédié ,  en  ajoutant  à  ce  nom  général  wnc  épithètc  prife 
du  lieu  de  leur  demeure  ou  de  leur  forme  particulière,  ou 
de  leurs  difiérens  cris;  par  cxcmple,y7f7>/-^///(?  en  Alle- 
mand, chouette  des  rochers,  qui  cfl  notre  chouette  ou 
grande  chevêche;  kirch-eulc  en  Allemand,  churcJwwl 
en  Anglois ,  chouette  des  églifes  ou  des  clocliers  en 
François,  qui  ell  notre  efîraie,  qu'on  a  au/Ti  appelée 
fchhyer-eule ,  chouette  voilée,  pcrl-nile ,  chouette  perlée 
ou   marquée  de    petites   taches   rondes;    ohr  -  eule  en 
Allemand  , //<^r//-^ir/ en  Anglois ,  chouette  ou  hibou 
à  oreilles  en  François,  qui  eft  notre  hibou  ou  moyen 
Oifeaux ,  Tome  I,  »  T  t 


330       Histoire  N aturelle 

duc;  kuûpp  -  eule ,  chouette  qui  fait  avec  Ton  bec  le 
bruit  que  l'on  fait  en  caflant  une  noifette ,  ce  qui 
néanmoins  ne  peut  défigner  aucune  cfpèce  particulière, 
puifque  toutes  les  grofles  cfpcces  de  hiboux  <^  de 
chouettes  font  ce  même  bruit  avec  leur  hcc  ;  le  nom 
bnbo  que  les  Latins  ont  donné  à  la  plus  grande  efpèce 
de  hibou  ,  c'efl-à-dire  au  grand  duc,  v  ent  du  rapport 
de  Ion  cri  avec  le  mugiflemcnt  du  bœuf;  6c  les  Alle- 
mands ont  dcfigné  le  nom  de  l'animal  par  le  cri 
même,  ufm  ( oufwu ) , puhu  (poulwuj. 

Les  trois  efpèccs  de  hiboux  &.  les  cinq  efpèces  de 
chouettes  que  nous  \enons  d'indiquer  par  des  déno- 
minations précifcs,  6c  par  des   caradères  auiïi  précis, 
comporent  le  genre  entier  des  oifeaux  de  proie  noc* 
turncs  ;   ils    diiièrcnt    des    oifeaux   de   proie  diurnes. 
I .°  Par  le  fcnsde  la  vue,  qui  cfl  excellent  dans  ceux-ci, 
6c  qui  paroit  fort  obtus  dans  ceux-là,  parce  qu'il   eft 
trop  fenfihle  &i  trop  aOc^lc  de  l'éclat  de  la  lumière; 
on  voit  leur  pupille,  cpii  efl  très -large,  fe  rétrécir  au 
grand  jour  d'une  manière  diflcrente  de  celle  des  chats: 
ia  pupille  des  oifeaux  de  nuit  rcfle  toujours  ronde  en 
fe  rétréciffant  concentriquement ,  au  lieu  que  celle  des 
chats  devient   perpcndiculaireirscnt  étroite  6c   longue. 
2.°  Par  le  fens  de  l'ouïe,  il  j)aroit  que  ces  oifeaux  de 
proie  no(5lurnes  ont  ce  fens  fupérieur  à  tous  les  autres 
oifeaux,  6c  peut-être  même  à  tous  les  animaux;  car  ils 
ont,  toute  proportion  gardée  ,  les  conques  des  oreilles 
bien  plus  grandes  qu'aucun  des  animaux;  il  y  a  auffi' 


DES  Oiseaux  de  proie  noctupnes.  3  3 1 

plus  d'appareil  Si  de  mouvement  clans  cet  organe,  qu'ils 
font  maîtres  de  fermer  Si  d'ouvrir  à  volonté,  ce  qui 
n'efl  donne  à  aucun  animal.  3.°  Par  le  bec  dont  la 
bafe  n'efi  pas  comme  dans  les  oiieaux  de  proie  diurnes , 
couverte  d'une  peau  lifTe  &  nue,  mais  efl  au  contraire 
garnie  de  plumes  tournées  en  devant;  (5c  de  plus  ils  ont 
le  bec  court  &.  mobile  dans  fes  deux  parties  comme 
le  bec  des  perroquets  f/ij.  Si  c'ed:  par  la  facilité  de  ces 
deux  mouvcmens,  qu'ils  font  fi  fouvent  craquer  leur 
bec.  Si  qu'ils  peuvent  auffi  l'ouvrir  allez  pour  prendre 
de  très  -  gros  morceaux  que  leur  gofier  auiTi  ample, 
aulTi  large  que  l'ouverture  de  leur  hec  y  leur  permet 
d'avaler  tout  entiers.  ^..^  Par  les  ferres  dont  ils  ont 
un  doigt  antérieur  de  mol)iIe ,  &  qu'ils  peuvent  à 
volonté  retourner  en  arrière,  ce  qui  leur  donne  plus 
de  fermeté  &.  de  ficilité  qu'aux  autres  pour  le  tenir 
percbés  fur  un  fcul  pied.  ^.°  Par  leur  vol  qui  fe  fait 
en  culbutant  lorfqu'ils  fortent  de  leur  trou,  <Sc  toujours 
de  travers  <Sc  fans  aucun  bruit,  comme  fi  le  vent  les 
emportoit  :  ce  font -là  les  diTterences  générales  entre 
ces  oifeaux  de  proie  noélurnes,  ôi  les  oifeaux  de  proie 
diurnes,  qui,  comme  l'on  voit,  n'ont  pour  ainfi  dire 
rien  de  femblable  que  leurs  armes ,  rien  de  commun  que 
leur  appétit  pour  la  chair  Si  leur  goût  pour  la  rapine. 

{/tj  Utrumque  rojîrum  five  mandihulœ  amhœ  mobiles  funt  ;  iujignefque 
fuperiori  mufcuH  ab  uîrâque  parte  dati  qui  illud  temoveant  adducantque  ad 
inferius  rojlfurn  reliâus  adduâonim  aher  in  uno  laîere  ab  occipite  veni(n 
tendinosâ  expanjione  in  palato  définit.  Klein,  de  Avib.  pag.  54. 

Tt   !/ 


332        Histoire   N aturelle 


LE    D  u  C  (a) 

o  u 

GRAND     DUC. 

Vûjei  les  planches  enluminées ,  71."  ^^f  à'  ^Sj  ; 
rûjr^  aifjjî  plaîiche  XXII  dans  ce  volume. 

Les  Poètes  ont  dcdié  l'Aigle  à  Jupiter,  <5c  le  Duc 
à  Junon  ;  c'efl  en  effet  l'aigle  de  la  nuit ,  6c  le  roi 
de  cette  tribu  d'oifeaux  ,  qui  craignent  la  lumière  du 
jour,  (Se  ne  volent  que  quand  elle  s'éteint:  le  duc 
paroît  être  au  premier  coup  d'œil  auffi  gros,  aufîi  fort 
que  l'aigle  commun;  cependant  il  eft  réellement  plus 
petit  ,  (Se  les  proportions  de  Ton  corps  font  toutes 
diifcrentes  ;  il  a  les  jambes,  le  corps  &.  la  queue  plus 
courtes  que  l'aigle,  la  tcte  beaucoup  plus  grande,  les 

fa)  En  Grec,  j8w:i$;  en  Latrn ,  Bubo  ;  en  Elpngnol,  Buho  ;  en 
Portugais,  Alocho;  en  Italien,  Duco ,  Dugo;  en  Savoyard,  Chûjjeton; 
en  Alleinanci ,  Uhu,  Huhu ,  Schuffut ,  Bhu  ,  Becgliu ,  Huliuy ,  Hub , 
Huo  ,  Puhi  ;  en  Polonois  ,  Pufuic^,  Suii^û/eina  ;  en  Suédois,  Uf;  en 
Anglois,  Great  hornowl,  Eagle-owl. —  On  l'appelle  auffi  en  François, 
Grand  Hibou  cornu;  en  quelques  endroits  de  l'Italie  ,  Barhag'iani  ; 
en  quelques  endroits  de  la  France,  Barbdïan;  &  en  Provence,  Petuve, 
'—  Bubo.  Gelner,  Avium ,  pag.  233.  —  AIdrov.  Avi.  tom.  I,  pag. 
J02.  —  Grand  duc.  Belon,  H/Ji.  nat.  des  Oijeaux  ,  page  135.  —  Grajid 
chat  -  huant.  Albin  ,  tome  II ,  page  j  ,  planche  IX  ,  avec  une  figure 
coloriée.  — Bulo  noâua  max'ima.  Vnich,  planche  XCIII  ,  avec  une 
figure  colorite.— le  Grand  duc.  Briflon,  Ornità,  tome  I,page-^77. 


DU    Duc   ou   GRAMD   DUC,  333 

ailes  bien  moins  longues,  l'étendue  du  vol  ou  l'en- 
vergure n'étant  que  d'environ  cinq  pieds:  on  dillingue 
aifément  le  duc  à  fa  grofTe  ligure,  à  fon  énorme  tcte, 
aux  larges  <Sc  profondes  cavernes  de  Tes  oreilles,  aux 
deux  aigrettes  qui  furmontent  jQi  tête  ,  &.  qui  font 
élevées  de  plus  de  deux  pouces  &  demi  ;  à  fon  bec 
court  ,  noir  <Sc  crochu  ;  à  fes  grands  yeux  fixes  <Sc 
tranfparens;  à  fes  larges  prunelles  noires  &.  environnées 
d'un  cercle  de  couleur  orangée  ;  à  fa  face  entourée 
de  poils,  ou  plutôt  de  petites  plumes  blanches  6c  dé- 
compofées  qui  aboutiffent  à  une  circonférence  d'autres 
petites  plumes  frifées;  à  fes  ongles  noirs,  très-forts  & 
très-crochus  ;  à  fon  cou  très -court,  à  fon  plumage 
d'un  roux  brun  taché  de  noir  &  de  jaune  fur  le  dos, 
<Sc  de  jaune  fur  le  ventre,  marqué  de  taches  noires  <Sc 
traverfé  de  quelques  bandes  brunes  mêlées  alTcz  con- 
fufément;  à  fes  pieds  couverts  d'un  duvet  épais  (5c  de 
plumes  roufÏÏitres  jufqu'aux  ongles  (hj;  enfin  à  fon  cri 
effrayant   (cj   huïhôu ,    houhdu ,  bônhôu,  pouhou ,  qu'il 

(h)  Nota.  La  femelle  ne  diffère  du  mâle ,  qu'en  ce  que  les  plumes 
fur  le  corps ,  les  ailes  &  la  queue ,  iont  d'une  couleur  plus  fombre. 

(c)  Voici  ce  que  nipj)or(e  M.  Friich  au  iujct  des  diflerens  cris  du 
Puhu ,  Scliuffur ,  ou  Grand  Duc ,  qu'il  a  long-temps  gardé  vivant: 
Lorfqu'il  avoit  fliim  ,  dit  cet  Auteur,  il  formoit  un  Ion  aiïez  fem- 
blable  à  celui  qui  exprime  fon  nom  (en  Allemand,  Puhu)  Pouhou; 
lorfqu'il  entendoit  touller  ou  cracher  un  vieillard ,  il  commençoit 
très -haut  &  très -fort,  à  |  eu  -  près  du  ton  d'un  paylan  ivre  qui 
écla.e  en  riant ,  &  ii  faifoit  durer  fon  cri  Ouhou  ou  Pouhou ,  autant 
qu'il  pou  voit  être  de  temps  lans  reprendre  haleine;  il  m'a  paru  ;,  ajoute 

Tt  nj 


534-      Histoire    Natu relle 

fait  retentir  dans  le  filence  de  la  nuit,  lorfque  tous  les 
autres  animaux  fc  taifent;  (Se  c'ed  alors  qu'd  les  éveille, 
les  inquiète,  les  pourfuit  &  les  enlève,  ou  les  met 
à  mort  pour  les  dépecer  &  les  emporter  dans  les 
cavernes  qui  lui  fervent  de  retraite;  au/Ti  n'habite-t-il 
que  les  rochers  ou  les  vieilles  tours  abandonnées  Si 
fjtuées  au-delTus  des  montagnes  :  il  dtïccnà  rarement 
dans  les  plaines,  <S:  ne  {e  perche  pas  volontiers  fur 
les  arbres ,  mais  fur  les  égiifes  écartées  <5c  fur  les 
vieux  châteaux.  Sa  chafTe  la  plus  ordinaire  font  les 
jeunes  lièvres,  les  lapins,  les  taupes,  les  mulots,  les 
fouris  qu'il  avale  tout  entières,  ôi  dont  il  digère  la 
fubftance  charnue,  vomit  le  poil  fcJJ y  les  os  &  la  peau 

M.  Frifch ,  que  cela  arrivoitîorfqu'il  etoit  en  amour,  &  qu'il  prenoit 
ce  bruit  qu'un  homme  fait  en  touflant,  pour  le  cri  de  là  femelle  : 
mais  quand  il  crie  par  angoifîe  ou  de  peur ,  c'eft  un  cri  très- 
délào-rcable  ,  très  -  fort ,  &  cependant  afîcz  femblable  à  celui  des 
oifcaux  de  proie  diurnes.  Traduit  de  l'AlUmand  de  Frifch ,  article 
du   Buho  ou  Grand  JDuc, 

(d)  J'ai  eu  deux  fois,  dit  M.  Frifch,  des  grands  Ducs  vivans, 
&  je  les  ai  confervés  ïong-temps  ;  je  les  nourrillois  de  chair  &  de 
foie  de  bœuf ,  dont  ils  avaloient  fouvent  de  fort  gros  morceaux  ; 
îorfqu'on  jetoit  des  fouris  à  cet  oifeau,  il  leur  brifoit  les  côtes  & 
les  autres  os  avec  fon  hcCy  puis  il  les  avaloit  l'une  après  l'autre, 
quelquefois  jufqu'à  cinq  de  fuiie  ;  au  bout  de  quelques  heures ,  les 
poils  &  les  os  fe  raffembloient,  fc  pelotonnoient  dans  fon  eftomac 
par  petites  maffes ,  après  quoi  il  les  ramenoit  en  haut ,  &  les  re/etoit 
par  le  bec  ;  au  défaut  d'autre  pâture ,  il  mangeoit  toute  forte  de 
poifîons  de  rivière ,  petits  &  moyens ,  &  après  avoir  de  même  brilc 
■ai  pelotonné  les  arêtes  dans  Ion   cflomac,    il  les  ramenoit  le  long 


DU   Duc   ou    GRAND   DuC.  33J 

en  pelotes  arrondies;  i!  mange  aufTi  les  cliauve-founs, 
les  ferpcns,  les  lézards,  les  crapauds,  \ts  grenouilles, 
<5c  en  nourrit  Tes  petits  :  il  chafTe  alors  avec  tant 
d'adiviié  ,  que  Ton  nid  regorge  de  provifions;  il  en 
rafTemble  plus  qu'aucun  autre  oifeau  de  proie. 

On  garde  ces  oifeaux  dans  les  ménageries  à  caufe 
de  leur  figure  lîngulière;  i'trpèce  n'en  eH:  pas  auiïi 
noniLrcufe  en  France  que  celle  des  autres  hiboux,  6c 
il  n'cfl  pas  fur  qu'ils  refîent  au  pays  toute  Tannée,  ils 
y  nichent  cependant  quelquefois  iur  des  arbres  creux, 
6c  plus  fouvent  dans  des  cavernes  de  roclicrs,  ou  dans 
des  trous  de  hautes  (Se  vieilles  murailles;  leur  nid  a 
près  de  trois  pieds  de  diamètre,  &  eft  conipofé  de 
petites  branches  de  bois  fec  cntrelaffées  de  racines 
foupics  ,  <Sc  garni  de  feuilles  en  dedans  :  on  ne  trouve 
fouvent  qu'un  œuf  ou  (\c\\\  dans  ce  nid,  Si  rarement 
trois;  la  couleur  de  ces  œufs  tire  un  peu  fur  celle  du 
plumage  de  i'oifeau  ;  leur  groffeur  excède  celle  des 
œufs  de  poule:  les  petits  font  très  -  voraces ,  Si  les 
pères  <îv  mères  trcs-habiles  à  la  chaffe  qu'ils  font  dans 
le  filence,  <Sc  avec  beaucoup  plus  de  légèreté  que  leur 
groffc  corpulence  ne  paroît  le  permettre;  fouvent  ils  fe 
battent  avec  les  bufes,  <Sc  font  ordinairement  les  plus 

àe  Ton  cou ,  &  les  reicioit  pnr  le  bec  :  il  ne  vouloir  point  du  tout 
boire,  ce  cjue  j'ai  oblèrvé  de  même  de  quelques  oileaux  de  proie 
diurnes.  N  ta  Qu'à  h  vc'rité  ces  oifeaux  peuvent  fe  pafler  de  boire, 
niiiis  (jue  cependant,  quand  ils  lont  à  porte'e ,  ils  boivent,  en  iê 
cachant.   Voy^ifur  cela  l'ankle  du  jean-le-blanc. 


33<^  H ISTOIRE     NATU  RELLE 

forts  ôi  les  maîtres  de  la  proie  qu'ils  leur  enlèvent;  ils 
fiipportent  plus  aifément  la  lumière  du   jour  que  les 
autres  oifcaux    de    nuit  ,  car   ils  fortent  de  meilleure 
heure  le  foir  &i  rentrent   plus  tard   le  matin  :  on  voit 
quelquefois  le  duc  afTaiili  par  des  troupes  de  corneilles 
qui  le  fuivent  au  vol  6c  l'environnent  par  milliers;  il 
fouticnt  leur   choc    fcj,   poufTe    des    cris  plus   forts 
qu'elles,  Si  finit  par  les  difperfer,  <5v  fouvent  par  en 
prendre  quelqu'une  lorfque  la  lumière  du  jour  haiffe; 
quoiqu'ils  aient  les  ailes  plus  courtes  que  la  plupart  des 
oifeaux  de  haut  vol,  ils  ne  laiflent  pas  de  s'élever  afTcz 
Jiaut,  fur-tout  à  l'heure  du  crcpufcule;  mais  ordinairc- 
rnent  ils  ne  volent  que  has  <Sc  à  de   petites  diilances 
dans  les  autres  heures  du  jour  :  on  fe  fert  du  duc  dans 
\^  fauconnerie  pour  attirer  le  milan;  on  attache  au  duc 
une    queue  de   renard,   pour  rendre  fa  figure  encore 
plus  extraordinaire;  il  vole  à  fleur  de  terre,  &  fe  pofe 
dans  la  campagne,  fans  fe  percher  fur  aucun  arbre;  le 
rnilan  qui  l'aperçoit  de  loin  ,  arrive  (5c  s'approche  du 
duc,   non  pas  pour  le   combattre  ou  l'attaquer,   mais 
comme  pour  l'admirer,   &  il    fe  tient  auprès   de  lui 
afTez  long-temps  pour  fe  laiffer  tirer  par  le  chafTeur, 
ou  prendre  par  les  oifeaux  de  proie  qu'on  lâche  à  fa 
pourfuite  :  la  plupart  des  faifandiers  tiennent  aufîi  dans 
leur   faifanderie   un    duc    qu'ils    mettent   toujours   en 
cage  fur  des  juchoirs  dans   un   lieu   découvert,    afin 

(e)   Fort'iffima  avis  fœpius  valde  tumuhuatur  inter  millenarh  numeri 
çmiices.  Klein  ,   Av:-  pag.  j  4  &:  fuivantes, 

que 


DU  Duc  ou   GRAND   DUC,  357 

fjiie  les  corbeaux  6c  les  corneilles  s'afTemblent  autour 
de  lui,  Si  qu'on  puiiïe  tirer  &:  tuer  un  plus  grand 
nombre  de  ces  oifeaux  criards  qui  inquiètent  beaucoup 
les  jeunes  f^iifans  ;  (5c  pour  ne  pas  effrayer  les  faifans, 
on  tire  les  corneilles  avec  une  farbacane  ffj. 

On  a  obfervé  à  Tcgard  des  parties  intérieures  de 
cet  oifeau,  qu'il  a  la  langue  courte  (Se  allez  large, 
l'eflomac  très-ample,  Tœil  enfermé  dans  une  tunique 
cartilagineufe  en  forme  de  capfule  ,  Si  le  cerveau 
recouvert  d'une  iimple  tunique  plus  épaifle  que  celle  des 
autres  oifeaux,  qui,  comme  les  animaux  quadrupèdes, 
ont  deux  membranes  qui  recouvrent  la  cervelle  (g^. 

Il  paroît  qu'il  y  a  dans  cette  efpèce  une  première 
variété  qui  femble  en  renfermer  une  Seconde  :  toutes 
deux  fe  trouvent  en  Italie,  &i  ont  été  indiquées  par 
Aldrovande  ,  on  peut  appeler  l'un  le  ihic  aux  aUcs 
noires  (h),  Se  le  fécond  le  <r///r  ûi/x  pieds  nus  ( ij;  le 

(f)  Voyez  Frifch,  à  l'article  du  grand  Duc. 

(g)  F/^A'Schwenckteld,  Theriotrop.  S'il.  pag.  308.  Nota.  Ceux  qui 
voudront  avoir  des  connoiflances  exactes  lur  la  llrudurc  des  panies 
intérieures  des  oifeaux  de  ce  genre,  les  trouveront  dans  les  obler- 
vations  51  »S:  j  2  de  Jean  de  Muralto.  EphmâiJ.  des  curieux  de  la 
J^ûture ,  an.  i  6  S2  ;  Ù'  Coll.  Ac ad.  part,  étranghe ,  tome  III,   pages 

47+   «-"^  47  ^ 

(h)  Buho  nojler.  Aldrov.  A\'i.  tome  I,  page  508.  —  Grand  duc 
aux  ailes  noires.  Albin,  tome  III ,  page  ^.  —  Le  grand  duc  d'Italie. 
Bri/îon,  tome  I,  page  4S2.  —  Le  grand  hibou  cornu  d'Athènes. 
Edwards,    Glanures ,  page   37,  planche  CCXXVif- 

(i)  Buho  nojler.  Aldrov.  An.  tome  I,  page  508.  —Le  grand 
duc  dechaude.    Brifîon,    tome  i,  pdgc  -^S^* 

Oifeaux  j  Tome  L  .  Y  \X 


338        Histoire   Natu relle 

premier  ne  diffère  en  efiet  du  grand  duc  commun  que 
par  les  couleurs  qu'il  a  plus  brunes  ou  plus  noires  fur 
les  ailes,  le  dos  ai  la  queue;  Si  le  fécond  qui  reffemble 
en  entier  à  celui-ci  par  ces  couleurs  plus  noires,  n'en 
diffère  que  par  la  nudité  des  jambes  Si  des  pieds  qui  font 
très-peu  fournis  de  plumes  ;  ils  ont  auffi  tous  deux  les 
jambes  plus  menues  ce  moins  fortes  que  le  duc  commun. 

Indépendamment  de  ces  deux  variétés  qui  fe  trouvent 
dans  nos  climats,  il  y  en  a  d'autres  dans  des  climats 
plus  éloignés:  le  duc  blanc  de  Lapponie ,  marqué  de 
tacbes  noires,  qu'indique  Linnîtus  f/<J,  ne  paroît  être 
qu'une  variété  produite  par  le  froid  du  Nord  ;  on  fait 
que  la  plupart  des  animaux  quadrupèdes  font  naturelle- 
ment blancs  ou  le  deviennent  dans  les  pays  très-froids; 
il  en  eft  de  mcme  d'un  grand  nombre  d'oifeaux:  celui-ci 
qu'on  trouve  dans  les  montagnes  de  Lapponie  efl  blanc  , 
tacbé  de  noir,  Si  ne  diffère  que  par  cette  couleur  du 
grand  duc  commun  ;  ainfi  on  le  peut  rapporter  à  cette 
efpèce  comme  fnnple  variété. 

Comme  cet  oifeau  craint  peu  le  chaud,  <Sc  ne  craint 
pas  le  froid,  on  le  trouve  également  dans  les  deux 
continens  au  Nord  Si  au  Midi,  Si  non-feulement  on 
y  trouve  Tefpèce  même,  mais  encore  les  variétés  de 
J'efpèce  :  le  jacurutu  du  Brefil  f/J,  décrit  par  Marcgrave, 

^kj  Strix  capîte  aurîto  ,  corpore  albïdo.  Linnaeus ,  Faun.  Suec. 
numéro  46.  —  Le  grand  duc  de  Lapponie.  BriflTon ,  tome  1,  page 
486. 

(l)  Jacurutu  Brajdïenjibus ,  Bufo  LuJitanU  noâua  ejl;  magnuudmt 


DU   Duc   ou   GRAND   DUC,  339 

efl  ahfolument  le  même  oifeaii  que  notre  grand  duc 
commun;  celui  qui  e(t  reprclenté  dans  les  planches 
enluminées^  n."  ^Sj ,  Si  qui  nous  a  été  apporté  des 
terres  Magellan iques ,  ne  diffère  pas  afTez  du  grand 
duc  d'Europe  pour  en  faire  une  efpèce  féparce;  celui 
qui  eil;  indiqué  par  T Auteur  du  voyage  à  la  baie  de 
Hudfon,  fous  le  nom  de  /li/wii  coiiroîmé  (m),  Si  par 
M.  Edwards  fous  le  nom  de  d/c  de  Virginie  (n) ,  font 

(Zquat  anferes:  caput  hobet  roUmâum  injïar  fd'is:  rojlrum  nàuncvm  nîgrum , 
fuperiori  parte  longïus:  oculos  magnes,  clatos,  rotumios  &  fplendentes  injlar 
cryjialli ,  in  qui  bus  interius  circuhis  favus  verfus  exîrema  apparet  ;  lali- 
îudo  oculonim  aliquantb  major  grojfo  mifnico  ;  prope  aurium  foramina 
plumas  hahet  duos  digitos  longas ,  quœ  injlar  aurium  in  acutum  definunt 
&  attolluntur  :  cauda  lata  cjl ,  ne  que  alœ  pcrtingunt  ad  illius  extremi- 
îatem  ;  crura  pennis  vejlita  ufque  ad  pedes ,  in  quibus  quatuor  digiti , 
îres  anterius ,  imus  pojlerius  verfus  ,  al  que  in  quolibet  un  gui  s  incurvât  us , 
niger ,  plvfquani  digitum  longus  &  acutijfimus  ;  pcnnœ  totius  corporis 
variegantur  e  favo ,  albo  ù"  nigricante  pcreleganter.  iMaicg.  Hijl.  nat, 
Brafd.  pag.    \^<)- 

(m)  Le  grand  hibou  couronné  cfl  fort  commun  dans  les  terres 
voifincs  de  la  baie  de  Hudfon;  c'efl  un  oifeau  fort  fingulicr,  & 
dont  fa  tête  n'efl  guère  plus  petite  que  celle  d'un  chat  ;  ce  qu'oit 
nppcllc  fcs  cornes  lont  des  plumes  qui  s  élèvent  précifcment  au-dejfus 
du  bec ,  où  cHes  font  mêlées  de  blanc ,  devenant  peu  à  peu  d'un 
rouge  -  brun  marqueté  de  noir.  Voyage  de  la  baie  de  Hudfon ,  tome  I, 
page  jj. 

(n)  ce  Cet  oi(eau  ,  dit  M.  Edwards ,  efl  de  la  plus  grande  efpèce 
des  hiboux,  &.  très -approchant  de  la  crrandeur  du  hibou  cornu,  ce 
que  nous  appelons  hibou  aigle  (  grand  duc  )  ;  ia  tête  èft  aufll  grofle  ce 

que  celle  d'un  chat le  bec  ell  noir,  la  mandi]:)ule  fupèrieure  « 

en  cft  crochue  &  iurpaffe  la  mandibule  inférieure  comme  dans  les  ce 

\  U  ij 


340        Histoire  Naturelle 

des  variétés  qui  fe  trouvent  en  Amérique  les  mêmes 
qu'en  Europe  ;  car  ia  difîcrence  la  plus  remarquable 
qu'il  y  ait  entre  le  duc  commun  &  le  duc  de  la  baie 
de    Hudfon   ôl  de  Virginie  ,   c'eft   que  les  aigrettes 

>5  nigics  ;  il  efl  recouvert  d'une  peau  dans  laquelle  font  placées  les 
3>  narines,  &  qui  cft  recouverte  à  la  bafc  par  des  plumes  grifes  qui 
>3  environnent  le  bec  ;  les  yeux  font  grands ,  &  Kiris  en  ell  brillante 

35  &  couleur  d'or Les  plumes  qui  compofent  ks  cornes ,  prennent 

33  leur  nalfflince  immédiatement  ûu-dejfus  du  bec ,   où  elles  lont  inélangL-es 
»  d'un  peu  de  J^lanc  ;    mais  à  melure  qu'elles  s'élèvent  au-deflus  de 
>3  la  tête ,  elles  deviennent  d'un  rouge-brun   ik  le  terminent  par  du 
33  noir  au  dehors  ;  le  dc/îus  de  la  têie  ,  du  cou  ,  du  dos  ,  des  ailes 
53  &  de  la  queue  ,  ibnt  d  un  brun  oblcur  ,  taché  &  cutre-mêlé  aflez 
33  confulément  de  j)e.iies  lignes  tranlVerlalcs  rougeàtres  &  cendrées.  .  . 
33  le  haut  de  la  gorge ,  lous  le  bec ,  ell  blanc  ;  un  peu  plus  bas ,  jaune- 
33  orangé  ,  tache  de  noir  ;  le  bas  de  la  poitrine  ,  le  ventre  ,  les  jainbes 
33  &  le  dcfious  de  la  queue  cft  blanc  ou  d'un  grii-pâle,  aficz  régu- 
33  licrcment  iraverle  de  barres  brunes;  le  dedans  des  ailes  eft  varié  & 
33  coloré  de  la  tueuse  fiiçon  ;  le>  j)ieds  ioni  couverts  ,  julqu'aux  ongîcs, 
33  de  pliunes  d'ua  gris -blanc,  &  les  ongles    (ont  d'une  couleur  de 
33  corne  brune  &  foncée:  j'ai  dclhné,  ajoute  M.  Edwards,  cet  oileau 
33  vivant  à  L-  nlres,  oii  il  ét(.it  venu  de  Virginie:  j'en  ai  chez  moi  la 
»  dépouille  d'un  autre  cjui  eft  emj  aillé,  &  qui  a  été  apporté  de  la  baie 
33  de  Hudion  ;  il  m'a  p;!ru  qu'il  étoii  de  la  même  clpèce  que  le  premier, 
33  étant   de  la   même   gr<mdeiir    &    i\\i\   diifcrant   que   par   quelques 
nuances  de  couleur  »,  Je  ne  iciai  qu'une  réflexion  lur  ceue  delcripiion 
dont  je  viens  de  donner   la   traducftion  par  extrait,  c'cft  (ju'il  n'y  a 
que  le  carav^lèie  des  aigrcties  partLint  du  bec,  &  non  pas  tles  oreilles, 
qui  j.uidc  fiire  regarder  cet   oifciui   d'An.érique   comine  failant  une' 
■va  iéic  conftanie  dans  l'efpcce   du   grand  6uc  \    oc  c{uc  cefe  variété 
fe  trouvant  en   Europe   aulli  -  bien    qu'en   Amérique,  elle  eft  non- 
feulement  confiante,  mais  générale,  &  làii  une  branche  parùcuiicre, 
une  fainiUe  di*icrente  dans  ceue  efpèce. 


Ti-'m    I 


/'/        V    V//       l\!J 


II'.    GRAND    1)1  C 


DU    Duc   ou    GRAND   DUC,  34Î 

partent  du  bec  au  lieu  de  partir  des  oreilles.  Or  on 
peut  voir  àc  même  dans  les  figures  des  trois  ducs, 
données  par  Aldrovande,  qu'il  n'y  a  (jue  le  premier, 
c'e(l-à-dire,  le  duc  commun  dont  les  aigrettes  partent 
des  oreilles;  &  que  dans  les  autres,  qui  néaninoins  font 
des  variétés  (|ui  fe  trouvent  en  Italie  ,  les  plumes  des 
aigrettes  ne  partent  pas  des  oreilles,  mais  de  la  bafe 
du  bec,  comme  dans  le  duc  de  Virginie,  décrit  par 
Al.  Eduards:  il  me  paroit  donc  que  M.  Klein  a  pro- 
noncé trop  légèrement,  lorlqu'il  a  dit  que  ce  grand 
duc  de  Virginie  étoit  d'une  eipcce  toute  différente 
de  rcfpèce  d'Europe,  parce  que  les  aigrettes  partent 
du  bec  ,  au  lieu  (|ue  celles  de  notre  duc  parlent 
des  oreilles;  s'il  eût  comparé  les  hgurcs  d' Aldrovande 
6c  celles  de  M.  Edwards,  il  eût  reconnu  que  cette 
même  dillcrence,  qui  ne  fait  (ju'une  variété ,  fe  trouve 
en  lia'ie  comm.e  en  Virginie  ,  &.  qu'en  général  les 
aigrettes  dans  ces  oifeaux  ne  parlent  pas  précifcment 
du  bord  des  oreilles,  mais  plutôt  du  dtilus  des  yeux 
<Sc  des  parties  fupérieures  à  la  bafe  du  bec. 


A^i^ 


if 


Vu  iij 


342         Histoire  Naturelle 

LE   H I B  ou  (a) 

o  u 

MOYEN    DUC. 

Vûje^  les  planches  enîwninccs ,  lu^  2p   é^  473  * 
ér  la  planche  XXII  de  ce  rolnme. 

JLE  Hibou,  Otus  ou  moyen  Duc,  a,  comme  le 
grand  duc,  les  oreilles  fort  ouvertes,  &  fnrmontécs 
d'une  aigrette  compofce  de  fix  plumes  tournées  en 
avant  (b) ;  mais  ces  aigrettes  font  plus  courtes  que  celles 

(a)  En  Grec,  Q'-to;;  en  Latin,  AJio  ou  Otus;  en  Italien,  Gufo , 
Barhaginnnï;  en  Efpagnol ,  Mochuclo  ;  en  Allemand,  Orhcule  ou 
Rautieule ,  Ohrreuti ,  KautTje'm  ;  en  Polonois ,  Cluk  - nocny  ou  Soiva- 
vrfûta;  en  Suédois,  Horn-ugla ;  en  Anglols,  Horn-owl;  on  l'appelle 
en  quelques  endioits  Chat -huant  cornu;  en  Bourgogne,  Choue  Cor^ 
nerote ;  enGalcogne,  Ducquct ,  c'efl-à-dire  ,  Pelh.Duc  ;  en  Sologne, 
Chat-huant  de  bruycres ,  parce  qu'il  fe  lient  dans  les  landes  &  bruyères; 
en  Anjou  <Sc  en  Bretagne,  Chouant,  &  dans  quelques  autres  endroits 

Cloudit ,  à  caufe  de  Ton  cri  clôû ,  clôûd.  —  Afo.  Geiner ,  Avî.  pag.  223 

Otus.  Idem,  pag.  635.  — Moyen  Duc  ou  Hibou  cornu.  Beion , 
Hijl.  nat.  des  Oifeaux ,  page  137.  — Grand  Duc.  Albin,  tome  I, 
page  6 ,  -planche  j  0 ,  avec  une  figure  coloriée.  —  Noâua  m'mor  aur'ita. 
Scops.  Frifch  ,  planche  XClX ,  avec  une  figure  coloriée.  — Le  moyen 
Duc  ou  le  Hibou.  BrifTon,  Ornithol.  tome  I,  page  48(5.  —  The  long 
Eared  owl.  Le  Hibou  à  longues  oreilles.  Britilch  Zoology.  PL  B  4, 

fg-  i' 

(b)  Nota.  Aldrovande  dit  avoir  eblerve  que  chaque  plume  auri- 
culaire qui  compote  raigrctie,  peut  le  mouvoir  léparément,  &  que 


DU  Hibou  ou  moyen  Duc.       543 

Ju  grand  duc,  <5c  n'ont  guère  plus  d'un  pouce  de  lon- 
gueur; elles paroifTent  proportionnées  à  fa  taille,  car  il  ne 
pèfe  qu'environ  dix  onces,  Si  n'efl  pas  plus  gros  qu'une 
corneille;  il  forme  donc  une  efpèce  évidemment  diffé- 
rente de  celle  du  grand  duc  ,  qui  eft  gros  comme  une 
oie,  &  de  celle  du  fcops  ou  petit  duc,  qui  n'efl  pas 
plus  grand  qu'un  merle,  6c  ([ui  n'aau-deffus  des  oreilles 
que  des  aigrettes  très-courtes.  Je  fais  cette  remarque  , 
parce  qu'il  y  a  des  Naturaliflcs ,  qui  n'ont  regarde  le 
moyen  6c  le  petit  duc  ,  que  comme  de  fimples  variétés 
(ïune  feule  6c  même  efpèce:  le  moyen  duc  a  environ 
un  pied  de  longueur  de  corps,  depuis  le  bout  du  bec 
jufqu'aux  ongles,  trois  pieds  de  vol  ou  d'envergure, 
6c  cinq  ou  fix  pouces  de  longueur  de  queue;  il  a  le 
deffus  de  la  tète,  du  cou,  du  dos  6c  des  ailes  rayé 
de  gris,  de  roux  6c  de  brun;  la  poitrine  6c  le  ventre 
font  roux ,  avec  des  bandes  brunes  irrégulières  6t 
étroites;  le  bec  efl  court  6:  noirâtre,  les  yeux  font 
d'un  beau  jaune,  les  pieds  font  couverts  de  plumes 
roulfcs  jufqu'à  l'origine  des  ongles,  qui  font  affez 
grands  6c  d'un  brun  noirâtre  ;  on  peut  obferver  de 
plus  qu'il  a  la  langue  charnue  Si  un  peu  fourchue, 
les  ongles  très-aigus  6c  très-tranchans ,  le  doigt  extérieur 
mobile,  6c  pouvant  fe  tourner  en  arrière,  l'eflomac 
affez  ample  ,  la  véficule  du  liel  très-grande ,  les  boyaux 
longs  d'environ  vingt  pouces,  les  deux  cg^cum  de  deux 

la  peau  qui  recouvre  b  cavité  des  oreilles  nait  de  la  partie  intérieure  la 
plus  voifuie  de  l'œil. 


344         Histoire  Naturelle 

pouces  &.  demi  de  profondeur ,  Sl  pfus  gros  à  proportion 
que  dans  les  autres  oifeaux  de  proie.  L'efpèce  en  efl 
commune  <^  beaucoup  pfus  nomhreufe  dans  nos 
climats  fcj,  que  celle  du  grand  duc,  qu'on  n'y  rencontre 
que  rarement  en  hiver  ;  au  lieu  que  le  moyen  duc  y 
refte  toute  l'année,  6c  fe  trouve  même  plus  aifcment 
en  hiver  qu'en  été:  il  habite  ordinairement  dans  les 
anciens  batimens  ruines ,  dans  les  cavernes  des  ro- 
chers (iij ,  dans  le  creux:  des  vieux  arbres,  dans  les 
forets  en  montagne,  (Se  ne  defcend  guère  dans  les 
plaines;  lorfciue  d'autres  oifeaux  l'attaquent,  il  fe  fert 
très-bien,  &  des  griffes  Sl  du  htc\  il  fe  retourne  aufîi 
fur  le  dos,  pour  fe  défendre,  quand  il  efl  affi.lli  par 
un  ennemi  trop  fort. 

Il  paroît  que  cet  oifeau,  qui  efl  commun  dans  nos 
provinces  d'Europe,  fe  trouve  aulfi  en  Afie;  car 
Belon  dit  en  avoir  rencontre  un  dans  les  plames  de 
Ciiicie. 

ÏI  y  a  dans  cette  efpèce  pluficurs  variétés  dont  la 
première  fe  trouve  en  Italie,  Si  a  été  indiquée  par 
Aldrovande  ;  ce  hibou  d'Italie  efl  plus  gros  que  le 
hibou  commun,  Si  en  diffère  au ffi  par  les  couleurs: 

fc )  Nota.  Il  efl:  plus  commun  en  France  &  en  Italie  qu'en  An- 
gleiene.  On  le  trouve  très -fréquemment  en  Bourgogne,  en  Cham- 
pagne, en  Solofi^ne  oc  dans  les  niontacrnes  de  l'Auvergne, 

^(ij  Sta  il  Gufû  mile  grotte  ,  pcr  le  bûche  degli  alberi ,  neW antr'iagUe 
e  crepature  di  mûri  e  tetti  di  café  difdbitate ,  ne  dirupi  e  luoghi  eremi, 
Olina.  Ucceller.  fog.  56. 

voyez 


DU  Hibou  ou  moyen  Duc.       345 

voyez  6c  comparez  les  defcriptions  qu'il  a  faites  de 
l'un  ÔL  de  l'autre  (^<;^. 

Ces  oifcaux  fe  donnent  rarement  la  peine  de  faire  un 
nid,  ou  fe  l'épargnent  en  entier;  car  tous  les  œufs  <Sc 
les  petits  qu'on  m'a  apportés,  ont  toujours  été  trouvés 
dans  des  nids  étrangers ,  fouvent  dans  des  nids  de 
pies  ,  qui  ,  comme  l'on  fait  ,  abandonnent  chaque 
année  leur  nid,  pour  en  faire  un  nouveau;  quelquefois 
dans  des  nids  de  bufes,  mais  jamais  on  n'a  pu  me 
trouver  un  nid  conftruit  par  un  hil)0u  :  ils  pondent 
ordinairement  quatre  ou  cinq  œufs ,  ôi  leurs  petits  qui 
font  blancs  en  nailfant,  prennent  des  couleurs  au  houi 
de  quinze  jours. 

Comme  ce  hibou  n'efl  pas  fort  fenfd)Ie  au  froid  , 
qu'il  paffe  l'Iiivcr  dans  notre  pays,  Sl  qu'on  le  trouve 
en  Suède  comme  en  France  (fj,  il  a  pu  paffer  à\m 
continent  à  l'autre;  il  paroit  qu'on  le  retrouve  en 
Canada  Si  dans  plufieurs  autres  endroits  de  l'Amérique 
feptentrionale  ('gj ;  il  fe  pourroit  même  que  le  hibou 

fe)  Aldrov.  Av'i.  tom.  1,  png,  j  i  p. 

ff)  Sirix  capite  aurito ,  pennïs  fex.  Linn.  Faun,  Suec.  n.*  47. 

(ê)  ^^^^'  '  •"  C'eft  au  hibou  commun  ou  moyen  duc  qu'il  faut 
appliquer  le  pi  (âge  fuivant.  «On  entend  durant  la  nuit,  prefque 
dans  toutes  nos  îes,  une  (brte  de  chat- huant  qu'on  appelle  canot,  « 
qui  jctie  un  cri  lugubre,  comme  qui  criroit  au  canot,  ce  qui  lui  a  « 
fait  porter  ce  nom  ;  ces  oileaux  ne  font  pas  plus  gros  que  des  ce 
tourterelles ,  mais  ils  font  tout  femblables  en  leur  plumage  aux  hiboux  ce 
que  nous  voycns  communément  en  France  ;  ils  ont  deux  ou  trois  ce 
pcic>  pluir.cj  aux  deux  côtés  de  la  lète,  qui  fembient  être  des  « 

Oifeau,^,  Tome  1.  .  X  x 


34<^       Histoire   N atv r e lle 

de  la  Caroline  décrit  par  Catelty  fhj,  ôi  celui  de 
l*Amérique  méridionale,  indiqué  par  ie  P.  Feuillée  fij, 
ne  fufTent  que  des  variétés  de  notre  hibou,  produites 
par  la  différence  des  climats,  d'autant  qu'ils  font  à  très- 
peu  près  de  la  même  grandeur,  <Sc  qu'ils  ne  diffèrent 
que  par  les  nuances  Si.  la  diftribution  des  couleurs. 
On  fe  fert  du  hibou  Si  du  chat  -  huant  fkj,  pour 

»  oreilles  :  ils  Ce  rafTemMent  quelquefois  Cept  ou  huit  de  ces  oiieaux 
au-deflus  des  toits,  où  ils  ne  celTent  de  crier  pendant  toute  la  nuit  «. 
IVota.  2,"  Par  la  comparaiion  de  la  grandeur  de  ce  hibou  avec  une 
tourterelle,  il  leiiibleroit  que  c'eft  le  Icops  ou  petit  duc;  mais  s'il  a, 
comme  le  dit  l'Auteur ,  plufieurs  plumes  éminentes  aux  côtés  de  h 
tête,  ce  ne  peut  être  qu'une  variété  de  l'efpèce  du  moyen  duc.  Ce 
même  Auteur  ajoute  que  le  chat  -  huant  Canadien  n'a  de  différence 
<lu  François ,  qu'une  petite  fraife  blanche  autour  du  cou  &  un  cri 
particulier.  HiJIoire  de  la  nouvelle  France ,  par  Charlevoix  ,  tome  III, 
page  j  (T. 

fh)  Voyez  la  defcription  &  la  figure  coloriée  de  cet  oifeau  dans 
l'Hirtoire  Naturelle  de  la  Caroline  ,  par  CaielLy  ,  page  y,  planche  VU. 

(ï)  Bubo  ûcro  -  cinereus  peâore  maculofo.  Feuillée ,  Obfer.  Phyjiq., 
pag.  j p ,  avec  une  figure.  Nota,  Il  paroît  qu'on  peut  rapporter  à  ce 
hibou  de  l'Amérique  méridionale  >  indiqué  par  le  P.  Feuillée,  celui 
dont  Fernandès  fiit  mention  fous  le  nom  de  Tecololt ,  qwi  fe  trouve 
au  Mexique  &.  à  ia  nouvelle  Efjîngne;  mais  ceci  n'eft  qu'une  vrai- 
fèmblance  fondée  fur  les  rapports  de  grandeur  &  de  climat,  car 
Fernandès  n'a  donné  non-feulement  aucune  figure  des  oiieaux  dont 
il  parle ,  mais  même  aucune  defcription  afiez  détaillée  pour  qu'on 
puilTe  les  reconnoître. 

(kj  II  Gufo  altramente  Barbagianni  uccellaccio  notturno  in  forma  di 
civetta  (  chat- huant  )  groflo  qutnto  una  gallina,  con  le  penne  dal  lato  dtl 
capo  çhe  paioa  due  cornidne ,  di  çoior  gialio ,   meJliçatQ  çon  projilaiwa 


DU  Hibou  ou  moyen  Duc.      347 

attirer  les  oifeaux  à  la  pipce,  6c  l'on  a  remarqué  que 
les  gros  oifeaux  viennent  plus  volontiers  à  la  voix  du 
hihou ,  qui  eft  une  cfpèce  de  cri  plaintif  ou  de  gémif- 
fement  grave  &.  alongé  clow ,  cloud ,  qu'il  ne  cefl'e  de 
répéter  pendant  la  nuit ,  &  que  les  petits  oifeaux  viennent 
en  plus  grand  nombre  à  celle  du  cliat- huant,  qui  cfl 
une  voix  haute ,  une  efpèce  d'appel  holiâ ,  fiohô:  tous 
deux  font  pendant  le  jour  des  gclles  ridicules  6c  bouf- 
fons en  préfence  des  hommes  6c  des  autres  oifeaux. 
Ariftote  n'attribue  cette  efpcce  de  talent  ou  de  propriété 
qu'au  hibou  ou  moyen  duc  ,  otiis ;  Pline  la  donne  au 
fcops ,  6c  appelle  ces  geftes  bizarres,  ffwius  fnyr/cos ; 
mais  ce  fcops  de  Pline  cfl  le  même  oifcau  que  Votos 
d'Ariftote  ;  car  les  Latins  confondoient  fous  le  même 
nom  fcops,  Yoios  6^  \q  fcops  des  Grecs,  le  moyen  duc 
6c  le  petit  duc  qu'ils  rcuniiïbicnt  fous  une  feule  efpèce, 
6c  fous  le  même  nom ,  en  fc  contentant  d'avertir  qu'il 
exifloit  néanmoins  des  grands  fcops  6c  des  petits. 

C'cft  en  effet  au  hibou  ,  oius ,  ou  moyen  duc ,  qu'il 
faut  principalement  appliquer  ce  que  dilent  les  Anciens 
de  ces  gelles  bouffons  6c  mouvcmens  fatyriques;  6c 
comme  de  très-habiles  Phyficiens  6c  Naturalises  ont 
prétendu  que  ce  n'étoit  point  au  hibou,  mais  à  un  autre 
oifcau  d'un  genre  tout  différent,  qu'on  appelle  la  Je- 
moifdlc  Je  Jsjiim'hfie ,  qu'il  faut  rapporter  ces  paffages 
des  Anciens ,    nous   ne   pouvons   nous   difpenfer  de 

Ji  nero.  Cort  quejîo  fuccella  a  animali  groffi  corne  culte  cornachie  e  nïbb'ù 
fûtï  la  civctia  a  mcelletti  d'ognî  forte.  Olina.  Vcçdler.  fog.  56. 

Xx  i/ 


34S       Histoire  Naturelle 

tlifciiter  ici  cette  qiieftion ,  (S.  de  relever  cette  erreur. 

Ce  font  M/'  les  Anatoniiftes  de  l'Académie  des 
Sciences ,  qui  dans  ia  defcription  qu'ils  nous  ont  donnée 
de  la  demoiTelle  de  Numidie,  ont  voulu  établir  cette 
opinion  Si  s'expriment  dans  les  termes  fuivans.»  L'oifeau 
j)  (  difent-ils  )  que  nous  décrivons  efl  appelé  ^(fw^z/^/^^i? 
»  ISlwmdie ,  parce  qu'il  vient  de  cette  province  d'Afrique, 
5>  (Se  qu'il  a  certaines  fiçons  par  lefquelles  on  a  trouvé 
»  qu'il  fembloit  imiter  les  gefles  d'une  femme  qui 
3>  affecfte  de  la  grâce  dans  fon  port  éc  dans  fon  marcher, 
»  qui  fembie  tenir  fouvent  quelque  chofe  de  la  danfe: 
>5  il  y  a  plus  de  deux  mille  ans  que  les  Naturalifles  qui 
5>  ont  parlé  de  cet  oifeau  ,  l'ont  défjgné  par  cette 
«  particularité  de  l'imitation  des  gefles  ^  des  conte- 
>:>  nances  de  la  femme.  Ariftote  lui  a  donné  le  nom 
>î  de  bateleur,  de  danfeur  6c   de  bouffo7i ,  contrefaifant 

»  ce   qu'il  voit   faire 11  y  a  apparence   que  cet 

»  oifeau  danfeur  6:  bouifon  étoit  rare  parmi  les  Anciens, 
5>  parce  que  Pline  croit  qu'il  eft  fabuleux,  en  mettant 
x>  cet  animal  qu'il  ^^^ç\\t fatyrique  au  rang  des  pégafes, 
:>î  des  grifïons  <Sc  des  firènes  ;  il  eft  encore  croyable 
5>  qu'il  a  été  jufqu'à  préfent  inconnu  aux  Modernes, 
3>  puifquMs  n'en  ont  pomi  parlé  comme  l'ayant  vu, 
>»  mais  feulement  comme  ayant  lu  dans  les  écrits  des 
«  Anciens,  la  defcription  d'un  oifeau  appelé  y?^/^/ & 
«  dus  par  les  Grecs,  &  afio  par  les  Latins,  à  qui  ils 
»  avoient  donné  le  nom  de  danfeur ,  de  bateleur  & 
»  de  comédien f  de  forte  qu'il  s'agit  de  voir  ï\  notre 


l< 


<c 


DU  Hibou  ou  moyen  Duc.      349 

demoifelle  de  Numidic  peut  pafTer  pour  le  fcops  &  « 
pour  i  Wj"  des  Anciens  ;  la  defcription  qu'ils  nous  « 
ont  laiflee  de  Votus  ou  fcofs,  confifle  en  trois  parti- 
cularités remarquables la  première  e(l  d'imiter 

les  geftes la  féconde  efl  d'avoir  des  éminences  « 

de  plumes   aux  deux  cotés  de  la  tête  ,   en  forme  « 

d'oreilles 6c  la  troifième  efl  la  couleur  du  plu-  « 

mage,  qu'Alexandre  Myndicn  ,  dans  Athénée,  dit  « 

être  de   couleur   de  plomb  :    or   la   demoifelle  de  « 

Numidie  a  ces  trois  attributs  ,   6l  Arifîote  femble  te 

avoir   voulu  exprimer  leur  manière  de  danfer,  qui  « 

efl  de  fauter  l'une  devant  l'autre,  lorfqu'il  dit  qu'on  « 

les  prend  quand  elles  danfent  l'une  contre  l'autre.  « 

Belon  croit  néanmoins  que  Votus  d'Ariflote  efl  le  « 

hibou,  par  la  feule  raifoii  que  cetoifeau,  à  ce  qu'il  « 

dit,  fait  beaucoup  de  mines  avec  la  tête;  la  plupart  « 

des  Interprètes  d'Ariflote  ,  qui  font  auffi   de  notre  « 

opinion,  fe  fondent  fur  le  noni  à'otus,  qui  fignilie,  « 

ayant  des  oreilles;  mais  ces  efpèces  d'oreilles  dans  « 

ces  oifeaux  ne  font  pas  tout-à-fait  particulières  au  « 

liibou,  ÔL  Arifîote  fait  affcz  voir  que  Votus  n'efl  pas  « 

le  hibou,  quand  il  dit  que  Votus  reffemble  au  hibou,  « 

6;  il  y  a  apparence  que  cette  reffemblance  ne  confifle  « 

que  dans  ces  oreilles:  toutes  les  demoifellcs  de  Nu-  <c 

midie  que  nous  avons  difféquées,  avoient  aux  côtés  « 

des  oreilles ,  ces  plumes  qui  ont  donné  le  nom  à  Votus  u 

des  Anciens....  Leur  plumage  étoit  d'un  gris-cendré,  « 
le!  qu'il  efl  décrit  par  Alexandre  Myndien  dans  Votas »> 

Xx  ii) 


35^  Hl  STOI RE    NATU  RELLE 

Comparons  maintenant  ce  (jirAriftoîe  dit  Je  Votus, 

avec   ce    qu'en  difent   ici  M/'   de   l' Académie  :  onis 

fwâuœ  fimil'ts  cf[,  phinulis  c'ircuer mires  em'mcntibus prœdhiis , 

wide  nomen  accqnt,  qnafi  aiirhum  d'icas;  nonnulli  cum  nlnhim 

arpellant ,    alii   afionem,   Blatcro   hic   c(l ,  &   liai  lue  mat  or 

&  vlampes jfahanies  en'im  imitât ur.  Capititr imenius  in  altero 

miciive ,  altero  circumeimte  ut  nodiia.  \Jotus ,  c'e(l-à-dire 

ie   hibou    ou   moyen    duc    eft    femblable   au   nodua , 

c'eft-à-dire  au   chat -huant;   ils  font  en   effet  fem- 

blables,  Toit  par  la  grandeur,  Toit  par  le  pkimagc,  foit 

par  toutes  les  habitudes  naturelles  :  tous  deux  ils  font 

oifeaux  de  nuit,  tous  deux  du  même  genre  6c   d'une 

efpcce  très-voifine ,  au  lieu  que  la  demoifelle  de  Nu- 

midie  ed   fix  fois  plus  groiïe   <Sc   plus  grande,  d'une 

forme  toute  différente,  &.  d'un  genre  très-éloigné,  6l 

qu'elle  n'cfl:  point  du   nombre  des  oifeaux  de  nuit; 

l'^7///j- nedjHère,  pour  ainfi  dire,  du  nodiia ,  que  par  les 

aigrettes   de   plumes ,    qu'il    porte   fur  la   tête    auprès 

des  oreilles,  (5c  c'eft  pour  diflinguer  l'une  de  l'autre 

qu'Ariftote  ài\i , pinmilis  circiter  aiires  eminentibus prœditus , 

unde  nomen  aceepit  quaji  auritum  dicas.  Ce  font  des  petites 

plumes,  pinnidœ ,  qui  s'élèvent  droites  6c  en  aigrette 

auprès  des  oreilles,  circiter  aiires eminentibus ,  <Sc  non  pas 

de  longues  plumes  qui  fe  rabattent  &  qui  pendent  de 

chaque  côté  de  la  tête,  comme  dans  la  demoifelle  de 

Numidie  ;  ce  n'efl  donc  pas  de  cet  oifeau ,  qui  n'a  point 

d'ai<^rettes  de  plumes  relevées  &:  en  forme  d'oreilles, 

qu'a  jété  tiré  le  nom  de  oins ,  quafi  auriins ;  c'eft  au 


DU  Hibou  ou  moyen  Duc.      351 

contraire  du  hibou  qu'on  pourroit  appeler  noâua  aurita, 
que  vient  évidemment  ce  nom,  &  ce  qui  achève  de 
le  démontrer,  c'eft  ce  qui  fuit  immédiatement  dans 
Ariflote  ,  nonnulli  eum  fotumj  ululam  appellam  alnafwnem. 
C'eft  donc  un  oifeau  du  genre  des  hiboux  &  des 
chouettes,  puifque  quelques-uns  lui  donnoient  ces 
noms;  ce  n'efl;  donc  point  la  demoifeile  de  Numidie 
auiïi  différente  de  tous  ces  oifeaux ,  qu'un  dindon  peut 
l'être  d'un  épervier.  Rien,  à  mon  avis,  n'efl  donc  plus 
mal  fondé,  que  tous  ces  prétendus  rapports  que  l'on 
a  voulu  établir  entre  Votus  des  Anciens,  6c  Toifcaii 
appelé  dcmo'ifelle  de  Numidïc ,  &  Ton  voit  bien  que 
tout  cela  ne  porte  que  fur  les  geftes  &:  les  mouvemens 
ridicules,  que  fe  donne  la  demoifeile  de  Numidie; 
elle  a  en  effet  ces  geftes  bien  fupérieurementau  liibou, 
mais  cela  n'empêche  pas  que  celui-ci,  aufïi-bien  que 
la  plupart  des  oifeaux  de  nuit ,  ne  foit  blatero ,  bavard 
ou  criard  (l) ;  hnlluc'inawr ,  fe  contre£iifant  ;  y»/^7/;^^j^ 
bouffon.  Ce  n'efl  encore  qu'au  \\\how  qu'on  peut  attri- 
buer de  fe  laiffer  prendre  auffi  aifément  que  les  autres 
chouettes,  comme  le  dit  Ariflote,  &c.  Je  pourrois 
m'étendre  encore  plus  fur  cette  critique,  en  expofant 
&  comparant  ce  que  dit  Pline  à  ce  fujet;  mais  en  voilà 

(l)  M.  Frifch  ,  en  parlant  de  ce  hibou,  dit  que  fôn  cri  efl  très- 
fréquent  &  fort ,  qu'il  reflemble  aux  huées  des  enfàns  iorfqu'ils  pour- 
fuivent  quelqu'un  dont  ils  fe  moquent;  que  cependant  ce  cri  efl 
commun  à  plufieurs  e(]îéces  de  chouetiw.  Voyi\  Frifch  y  à  l'aTtkk 
ées  Oiieaux  nodurnes. 


J72    Histoire  N atv relle,  ire. 

plus  qu'il  n'en  faut  pour  mettre  ia  chofe  hors  de  doute,  & 
pour  aiïurer  que  IW^des  Grecs  n'a  jamais  pu  défigner 
ia  demoifelle  de  Numidie,  5c  ne  peut  s'appliquer  qu'à 
i'oifeau  de  nuit,  auquel  nous  donnons  le  nom  de  hibou 
ou  moyen  duc:  j'obferverai  feulement  que  tous  ces 
mouvemens  bouffons  ou  fatyr'iques  attribues  au  iiibou 
par  les  Anciens,  appartiennent  au/Ti  à  prefque  tous  les 
oifeaux  de  nuit  (m),  âc  que  dans  le  fait  ils  fe  réduifent 
à  une  contenance  étonnée,  à  de  fréquens  tournemens 
de  cou,  à  des  mouvemens  de  tête,  en  haut,  en  bas 
Si  de  tous  côtés,  à  des  craquemens  de  bec,  à  des 
trépidations  de  jambes,  <Sc  des  mouvemens  de  pieds 
dont  ils  portent  un  doigt,  tantôt  en  arrière,  Si  tantôt 
en  avant,  6c  qu'on  peut  aifément  remarquer  tout  cela 
en  gardant  quelques-uns  de  ces  oifeaux  en  captivité; 
mais  j'obferverai  encore  qu'il  faut  les  prendre  très- 
jeunes  lorfqu'on  veut  les  nourrir  ;  les  autres  refufent 
toute  la  nourriture  qu'on  leur  préfente  dès  qu'ils  foTJt 
enfermés. 

^mj  Tous  les  hiboux  peuvent  tourner  leur  tête  comme  l'oifèau 
appelé  torcoL  Si  quelque  chofe  d'extraordinaire  arrive ,  ils  ouvrent 
de  grands  yeux ,  dreHent  leurs  plumes  &  paroifTent  une  fois  plus 
gros  ;  ils  étendent  auffi  les  ailes ,  fè  baiflcnt  ou  s  accroupiffent ,  mais 
ils  fe  relèvent  promptement,  comme  étonnés;  iis  font  craquer  deux 
ou  trois  fois  leur  bec.  IJem,  ibidem. 


LE  SCOPS 


T.-m   1 


/>/  XX/7I  P.ij    J.' 


Oto\oi   J«{, 


LE    niBOl    ou  MOTIvX   IHC. 


F    Hoiert   JcuLj 


ÎS5 


LE    S  C  O  P  S  (a) 

o  u 

PETIT     DUC. 

Voy.  h  s  -planches  enluminées ,  nf  ^j  6  ;  &  la  pi  XXIV. 

de  ce  volume. 


V, 


Oici  la  iroifième  Si  dernière  efpèce  du  genre  des 
Hiboux,  c'e(l-à-dire,  des  oifeaux  de  nuit  qui  portent 

(a)  En  Grec,  2)06; v^;  en  Latin,  Afio ;  en  Italien,  Zivetta  ou 
Zuelta  ,  Alochavello  ,  Cliiv'mo  ;  en  Allemand,  Stokeule ;  en  Polonois, 
Sowka  ;  en  Anglois  ,  Little  horn  -  owl.  Scops  Aldrovandi.  Avi. 
toni.  I,  pag.  530.  — Huette  ou  Hulotte  ou  Chouette,  nommée  par 
jiucuns ,  Petit  Duc.  Bclon  ,  Hijî.  nat.  des  Oifeaux,  page  14.1.  El 
Portraits  d'oifcaux  ,  page  2  y.  —  Nodua  mimr  ,  mâua  aucupor'ia. 
Scops  Plinii.  Rzac.  Hift.  mil.  PoL  pag.  288.  Noâua  mïnor.  Scops 
Aldrovandi.  "Rit^c.  Auâ.  HiJî.  nat.  PoL  pag.  398. — Scops  Aldrovandi, 
Willulghby  ,  Omitli.  p.  6  5  ,  tab.  xil.  —  Le  petit  Duc.  PL  XX XVII, 
jig.  I .  Ornitli.  Briflon,  tome  I,  page  ^j?j.  — The  fhort  e and  owl .  Le 
Hibou  à  oreilles  courtes.  Britilch  Zoology ,  pi.  B  ^  ;  &  pi.  B  4, 
fg.  2.  Nota,  C'eft  pour  ne  rien  omettre  <5c  pour  tout  indiquer,  que 
je  cite  ici  ia  Zoologie  Britannique  ;  car  cet  ouvrage ,  dont  le  principal 
mérite  confifte  dans  les  planches ,  efl:  mêjue  à  cet  égard  encore  trcs- 
défet^iieux  :  par  exemple ,  les  aigrettes  des  hiboux  ,  qui  ne  iont  com- 
pofécs  que  de  plumes ,  y  font  rcpréfenrécs  comme  fi  c'étoit  de  vraies 

oreilles  de  chair,  &.c De  même  il  efl  dit  dans  le  texte  que  \c 

hibou  à  oreilles  courtes  n  treize  pouces  &  demi  Anglois  de  longueur, 
ce  qui  fiit  plus  de  douze  pouces  &  demi  de  France  :  or  ce  même 
oileau  n'a  que  fept  pouces  &  demi  tout  au  plus;  ainfi  c'eft  proba- 
blement le  moyen  duc ,  que.  l'Auteur  aura  pris  pour  le  petit  duc  ; 
&  ce  c[ui  prouve  encore  Ton  peu  de  connoi/Iance  &  d'exadiiudc , 

Oifeaux ,  Tome  1.  •  ^  y 


3  54-        Histoire  Natu relle 

des  plumes  élevées  au-defTus  de  la  tcte,  ôi  elle  efl  aifce 
à  diflinguer  des  deiw  autres,  d'abord  par  la  petitefTe 
même  du  corps  de  l'oifeau,  qui  n'efl  pas  plus  gros 
qu'un  merle,  (Se  enfuite  par  le  raccourciiïement  très- 
marqué  de  ces  aigrettes  qui  furmontent  les  oreilles, 
lefquelles  dans  cette  efpèce  ne  s'élèvent  pas  d'un 
demi-pouce,  <Sc  ne  font  compofées  que  d'une  feule 
petite  plume  fb);  ces  deux  caradères  fuffifent  pour 

c'eft  d'avoir  également  indiqué  ce  même  oifeau  dans  les  planches 
B  ^  &  B  ^ ,  jig.  2.  On  voit,  au  premier  coup  d'œii ,  que  ce  ne 
doit  pas  être  le  jnême  oifeau ,  puil({ue  la  figure  repréfentée  dans  la 
planche  B  4 ,  fg.  2  ,  eft  d'un  tiers  plus  petite  que  celle  qui  eft 
reprelcntée  dans  la  planche  B  ^ ,  &i  que  le  moyen  duc  qui  eft  repré- 
fenté  dans  h  planche  B  ^,  Jig.  i,  n'elt  pas  plus  grand  que  le  petit 
duc,  B  ^ ,  Jig.  2:  or  le  moyen  duc  ayant,  comme  le  dit  Wiilujghby, 
quatorze  pouces  &  demi;  fi  le  petit  duc  en  avoit  treize  &  demi, 
comme  le  dit  l'Auteur  de  la  Zoologie  Britannique ,  pourquoi  ne  pas 
appuyer  fur  ce  fait  oc  relever  l'erreur  de  ceux  qui  ne  lui  donnent  que 
fept  pouces!  ou  bien  dire  qu'en  Angleterre  les  petits  ducs  font  plus 
gros  qu'ailleurs ,  ou  bien  encore  que  c'eft  une  efpèce  particulière  à 
la  Grande-Bretagne:  cela  valoit  bien  la  peine  d'être  difcuté  ;  mais 
cet  Auteur  ne  dilcute  rien,  ne  dit  rien  de  nouveau,  ni  même  rien 
de  moderne ,  car  il  paroît  ignorer  beaucoup  de  chofes  qui  ont  été 
dites  avant  lui  fur  les  fujets  qu'il  traite.  L'ouvrage  de  M.  Edwards 
«ft  infiniment  meilleur  ;  car  indépendamment  de  ce  que  les  deiïins 
&  les  planches  coloriées  font  plus  corre<5tes,  c'eft  que  fes  dcfcriptions 
iônt  plus  exa(fles  ,  fes  comparaifons  plus  juftes ,  &  que  par -tout  il 
paroît  avoir  une  pleine  connoiifance  de  ce  qui  a  été  fait  avant  lui 
fur  les  objets  qui  ont  rapport  à  ceux  qu'il  nous  préfente. 

(h)  Aures  vel  plumula  in  aurium  modum  JurreOœ ,  m  mortuo  vix  ap- 
pât tnl ,  in  vivo  mamjefiieres ,  tx  unâ  tantùm  p'mnulâ  c&njlantes.  Aldrov» 
Avi,  tom.  I ,  pag.  ^  3  i . 


DU    SCOPS   ou    PETIT   Duc.  355 

diflingner  le  petit  duc  (^w  moyen  &  du  grand  duc  ,  & 
on  le  reconnoitra  encore  aifcment  à  la  tête  qui  eft  pro- 
portionnellement plus  petite  par  rapport  au  corps  que 
celle  des  deux  autres,  Si  encore  à  fon  plumage  plus 
élégamment  bigarré  <5c  plus  diRindement  tacheté  que 
celui  des  autres,  car  tout  fon  corps  efl;  très- joliment 
varié  de  gris,  de  roux,  de  brun  6c  de  noir;  6c  Tes 
jambes  font  couvertes  jufqu'à  l'origine  des  ongles, 
de  plumes  d'un  gris  - rouflâtre  mtlé  de  taches  brunes; 
il  diffère  auffi  des  deux  autres  par  le  naturel ,  car  il 
fe  réunit  en  troupe  en  automne  6c  au  printemps,  pour 
paffer  dans  d'autres  climats;  il  n'en  refle  que  très-peu, 
ou  point  du  iout  en  hiver  dans  nos  provinces  ,  &  on 
les  voit  partir  après  les  liirondclles,  ôl  arriver  à  peu 
près  en  mcme  temps;  quoiqu'ils  habitent  de  préfé- 
rence les  terreins  élevés ,  ils  fe  raffemblent  volontiers 
dans  ceux  où  les  mulots  fc  font  le  plus  multipliés, 
6c  y  font  un  grand  bien  par  la  deftruélion  de  ces  ani- 
maux qui  fe  multiplient  toujours  trop  ,  6c  qui  dans 
de  certaines  années  pullulent  à  un  tel  point,  qu'ils 
dévorent  toutes  les  graines  6c  toutes  les  racines  des 
plantes  les  plus  néceffaires  à  la  nourriture  6c  à  i'ufage 
de  l'homme:  on  a  fouvent  vu  dans  les  temps  de  cette 
efpèce  de  fléau,  les  petits  ducs  arriver  en  troupe,  Sl 
faire  fi  bonne  guerre  aux  mulots  qu'en  peu  de  jours 
ils  en  purgent  la  terre  (cj;  les  hiboux  ou  moyens  ducs 

(c)  Nota.  I ."  Samuel  Dale  en  cite  deux  exemples  d'après  Cliildrey, 
&  il  les   rapporte   dans   les  termes  fuivans.    In  the  year  i  j  S  0    aï 

Y  y  ij. 


35<^        Histoire   Natu relle 

fe  réiinifTent  aiiiïi  quelquefois  en  troupe  de  plus  dt 
cent;  nous  en  avons  été  informés  deux  fois  par  des 
témoins  oculaires,  mais  ces  affemblées  font  rares,  au 
iieu  que  celles  des  fcops  ou  petits  ducs  fe  font  tous 
les  ans  ;  d'ailleurs  c'eft  pour  voyager  qu'ils  femblent 
fe  raffembler,  6c  il  n'en  rcfle  point  au  pays,  au  iieu 
qu'on  y  trouve  des  hiboux  ou  moyens  ducs  en  tout 
temps;  il  efl  même  à  préfumer  que  les  petits  ducs 
font  des  voyages  de  long  cours,  &  qu'ils  paffent  d'un 
continent  à  l'autre;  l'oifeau  de  la  nouvelle  Efpagne 
indiqué  par  Nieremberg,  fous  le  nom  de  talchkuadi , 
eft  ou  de  la  même  efpèce,.ou  d'une  efpèce  trcs-voifme 
de  celle  du  fcops  ou  petit  duc  (d);2M  refle,  quoiqu'il 
voyage  par  troupes  nombreufes,  il  efl  affez  rare  par- 
tout, (Se  difficile  à  prendre;  on  n'a  jamais  pu  m'en 
procurer  ni  les  œufs  ni  les  petits ,  &  on  a  même  de 

hallonûde  an  army  ofmïces  fo  overrun  the  marshes  near  foulh-minj\er  that 

the  eat  up  the  grajf  to  the  very  roots But  at  tenght  a  great  number 

of  Strange  painiccl  owis  came  and  àevoured  ail  the  niicc.  The  lïkt 
Jwppened  again  in  EJfex  anno  1648.  Chiidrey  ,  Britanniâ  botankâ, 
pag.  I  00 — Dale's appendîx  tho  the  h'ijlory  of  Harw'ich.  London,  i  y^ 2, 
pag.  397.  JVota.  1."  Que  quoique  Dale  rapporte  ces  faits  à  Votus 
ou  moyen  duc,  je  crois  qu'il  faut  les  attribuer  au  fcops  ou  petit  duc, 
à  caufe  de  l'indication  Strange  painted  owls ,  qui  fiiffit  pour  faire  re- 
connoître  ici  le  fcops  ou  petit  duc. 

(d)  Exot'icum  oti  genus  talchicuatlî  vïdetur  :  cornu  ta  avis  ejl  fivc 
miriculata ,  parva  corpore ,  refima ,  rojlro  i/revi ,  nigra  lumine ,  luteâ  eni- 
htfccns  iride  fufca  &  cinerea  plumis  ufque  ad  crura ,  atra  &  incurva- 
iinguibus.  Cetera  fimilis  nojlrati  oto.  Eufeb.  Nieremberg,  //'//?.  nat.. 
Lib.  X,  cap.  XXXIX;  pag.  221, 


P:    XX/f-  P.K7  .-'r 


^f  t'Vt'f  ac/m 


Venu    i  '  ctUf^ 


LE  scops  ou  PKirr  d\  c 


DU   SCOPS   ou   PETIT   Duc.  357 

ia  peine  à  l'indiquer  aux  ChafTeurs  qui  Je  confondent 
toujours  avec  la  chevêche  ,  parce  c^uc  ces  deux  oifeaux 
font  à  peu  près  de  la  même  grofTcur,  6l  que  les  petites 
plumes  cminentes  qui  diilinguent  le  petit  duc  font 
très -courtes,  (Se  trop  peu  apparentes  pour  faire  \\n 
cara6lère  qu'on  puifTe  reconnoître  de  loin. 

Au  refte,  la  couleur  de  ces  oifeaux  varie  beaucoup 
fuivant  l'âge  &.  le  climat,  &  peut-être  le  fexc;  ils  font 
tous  gris  dans  le  premier  âge  ,  il  y  en  a  de  plus  bruns 
les  uns  que  les  autres  quand  ifs  font  adultes,  la  couleur 
des  yeux  paroît  fuivre  celle  du  plumage,  les  gris  n'ont 
Jes  yeux  que  d'un  jaune  très -pâle,  les  autres  les  ont 
plus  jaunes  ou  d'une  couleur  de  noifette  plus  brune  ^ 
mais  ces  légères  différences  ne  fuilifent  pas  pour  err. 
faire  des  efpèccs  diflindtes  <5:  fcparces. 


e^c^j 


Ty  iii 


3)8       Histoire  Natu relle 


L 


LA    HU  LO  TT  E  (a). 

Vûje^  les  flanches  enhimiiiées ,  n!  ^^/. 


A  Hulotte  qu'on  peut  appeler  aufTi  la  chouette  noire, 
<Sc  que  les  Grecs  appeloient  nydicorax  ou  le  corbeau  de 
nuit,  eft  la  plus  grande  de  toutes  les  chouettes;  elle  a 

(a)  En  Grec,  Nox.'ny^^^;  en  Latin,  Ulula,  &  aufTi  en  Italien 
félon  Gcfner  ;  Alocho  &  quelquefois  Lucharo  félon  Aldrovande;  en 
Portugais,  Corufa;  en  Catalogne,  Xura,  Kuta;  en  Allemand,  Huhn; 
en  Polonois,  Lelok,  Sowka,  Puf^-^ik;  en  Angîois,  Honiet  ;  on  l'ap- 
pelle en  Bourgogne  Choue  j  ce  qui  eft  un  augmentatif  de  ChoueUe. 
Salerne  dit  qu'on  l'appelle  en  Champagne  le  Trembleur ,  parce  que 
cet  oifeau  crie  comme  en  friffonnant  &  tremblant  de  froid.  Ulula. 
Gefner,  Av'i.  pag.  772.  — Aldrov.  Avi.  tom.  I,  pag.  538.  — Ulula 

Latinis.  Ray,  Syn.  Avi.  pag.  26 ,  n.°  4 U/ula  Gefneri ,  idem, 

ibidem  ,  n."  j.  —Ulula  Aldrov  andi.  Willugh.  Omit  h.  pag.  68.  —Hibou 
fans  cornes  ou  Chat -huant.  Belon  ,  Hijl.  naî.  des  Oifeaux ,  page 
139.  ..  .  Hibou,  Chat -huant,  appelé  aufTi  Dame.  Idem.  Portraits 
d'Oifeaux,  page  2  6 ,  At  Nota.  Cette  dénomination  Dame  vient  pro- 
bablement de  ce  que  cet  oileau  a  la  face  environnée  d'un  collier 
&  d'ime  elpècc  (\^  chaperon  aflez  fembbîble  à  ceux  que  portent  les 
femmes  j^ovir  le  covivrir  la  tête  ;  mais  on  peut  dire  la  même  choie 
de  l'effraie  &:  du  chat  -  huant.  — Ulula.  Aldrov.  Avi.  tom.  I,  pag. 
538.  .  .  Aluco.  Idem,  tom.  I,  pag.  534.  — Chouette  noire.  Albin, 
tome  III,  page  4,  planche  Vlli ,  avec  une  figure  mal  coloriée. 
Nota.  Albin  me  paroît  avoir  fait  une  faute,  en  difant  dans  fa  defcription, 
que  cet  oifeau  a  l'iris  àei  yeux  jaune ,  à  moins  qu'il  n'appelle  jaune 
le  brun  couleur  de  noilette ,  couleur  où  il  entre  en  effet  un  peu  de 
jaune  obfcur.  —  Noâua  major.  Frifch  ,  planche  XCI  v ,  avec  une  figure 
bien  coloriée.  —  La  Hulotte.  BrifTon,  Ornitliol.iome  I,  page  507. 


DE    LA    Hulotte.       559 

prcs  de  quinze  pouces  de  longueur,  depuis  le  bout  du 
bec  à  l'extrémité  des  ongles;  elle  a  la  tête  très-grofTe, 
bien  arrondie  6c  fans  aigrettes,  la  face  enfoncée  &, 
comme  encavée  dans  fa  plume,  les  yeux  auffi  enfonces 
&.  environnés  de  plumes  grifâtres  6c  décompofées , 
l'iris  des  yeux  noirâtre  ou  plutôt  d'un  brun  foncé,  ou 
couleur  de  noifette  obfcure,  le  bec  d'un  blanc-jaunâtre 
ou  verdâtre,  le  defïïis  du  corps  couleur  de  gris-de-fer 
foncé,  marqué  de  taches  noires  6c  de  taches  blan- 
châtres; le  dcffous  du  corps  blanc,  croifc  de  bandes 
noires  tranfvcrfales  6c  longitudinales;  la  queue  d'un  peu 
plus  de  fix  pouces ,  les  ailes  s'étendant  un  peu  au-delà 
de  fon  extrémité,  l'étendue  du  vol  de  trois  pieds,  les 
jambes  couvertes  jufqu'à  l'origine  des  doigts,  de  plumes 
blanches  tachetées  de  points  noirs  fbj;  ces  caradères 
font  plus  que  fufîifans  pour  faire  diftinguer  la  hulotte 
de  toutes  les  autres  chouettes;  elle  vole  légèrement  6c 
fans  faire  de  bruit  avec  fes  ailes,  Si  toujours  de  côté 
comme  toutes  les  autres  chouettes;  c'efl  fon   cri  fcj, 

/b)  On  peut  encore  ajouter  à  ces  caractères  un  fignc  diRirKflif, 
c'efl  que  la  plume  la  plus  extérieure  de  i'aile  eft  plus  courte  de  deux 
OU  trois  pouces  que  la  féconde ,  qui  eft  elle-même  plus  courte  d'un 
pouce  que  la  troifième ,  &  que  les  plus  longues  de  toutes  font  ia 
«[uatrième  &  h  cinquième ,  au  lieu  que  dans  l'effraie  la  féconde  & 
k  troifièine  lont  les  plus  longues,  &  l'extérieure  n'efl  plus  courte 
«jue  d'un  demi-pouce. 

^c)  Cet  oifeau  pouffe  la  nuit ,  fur-tout  quand  il  gèle ,  une  voix 
terrible,  qiii  fait  peur  aux  femmes  &  aux  enfans.  Salcrne,  OrniîlwL 
page  )y 


360  H 1  SrO  I  RE    NATV  RELLE 

Iwîi  où  oïl  oïl  où  où  oïl ,  qui  refTembie  afTez  au  hurlement 
du  loup,  qui  lui  a  fait  donner  par  les  Latins  le  nom 
A' ulula,  qui  vient  d'ululare,  heurler  ou  crier  comme 
le  loup,  Si  c'efl  par  cette  même  analogie  que  les 
Allemands  l'appellent  hû  hû  ou  plutôt  lidu  hôu  (d). 

La  hulotte  fe  tient  pendant  l'été  dans  les  bois , 
toujours  dans  des  arbres  creux;  quelquefois  elle  s'ap- 
proche en  hiver  de  nos  habitations,  elle  chaffe  &  prend 
les  petits  oifeaux ,  <Sc  plus  encore  les  mulots  &  les 
campagnols:  elle  les  avale  tout  entiers,  &  en  rend 
aufîi  par  le  bec  les  peaux  roulées  en  pelotons  ;  lorf(jue 
ia  chaffe  de  la  campagne  ne  lui  produit  rien ,  elle  vient 
dans  les  granges  pour  y  chercher  des  fouris  &.  des 
rats;  elle  retourne  au  bois  de  grand  matin  à  Theurc 
de  la  rentrée  des  lièvres,  <Sc  elle  fe  fourre  dans  les 
taillis  les  plus  épais,  ou  fur  les  arbres  les  plus  feuilles, 
&  y  pafTe  tout  le  jour,  fans  changer  de  lieu:  dans  la 
mauvaife  faifon ,  elle  demeure  dans  des  arbres  creux 
pendant  le  jour,^.  n'en  fort  qu'à  la  nuit;  ces  habitudes 

(d)  Nota.  C'efl  d'après  Gefner  que  je  dis  ici  que  les  Allemands 
appellent  cette  chouette,  hu  hu  ;  cependant  c'efl  le  grand  duc  auquel 
appartient  ce  nom  :  il  dit  aufii  qu'ils  l'appellent  ul  &  cul.  M.  Frilch 
ne  lui  donne  que  le  nom  générique  eule  ,  &  dit  (jue  les  autres 
lurnoms  qu'on  lui  donne  en  Allemand  font  (ans  fondement,  comme 
celui  de  knapp  eule ,  par  exemple  ,  qui  exprime  le  craquement  que 
cet  oileau  tait  avec  fon  bec ,  mais  que  toutes  les  el])èces  de  chouettes 
font  également  ;  &  nacht  eul  qui  fignifie  chouette  de  nuit ,  puifque 
toutes  les  chouettes  font  également  des  oifeaux  de  nuir. 

lui 


DE    LA    Hulotte.       561 

lui  font  communes  avec  le  liibou  ou  moyen  duc^  au/Ij- 
bien  que  celle  de  pondre  leurs  œufs  dans  dts  nids 
étrangers,  fur-tout  dans  ceux  dts  Lufes ,  des  crcfrerelles , 
des  corneilles  &  des  pies;  elle  fait  ordinairement  quatre 
œufs  d'un  gris  fa(e ,  de  forme  arrondie  ,  ôl  à  peu  près 
aufli  gros  que  ceux  d'une  petite  poule. 


Oifcaux ,  Tome  J, 


J.7, 


j62        Histoire  Naturelle 

L  E 

C  HA  T-HUA  NT  (a). 

Voy.  les  plaîiches  enluminées ,  ;//  4^ y;  &  la  pL  XXV 


de  ce  volume. 


A 


PRÈS  ia  hulotte,  qui  efl  la  pfus  grande  de  toutes 
Jes  chouettes,  &  qui  a  les  yeux  noirâtres,  fe  trouvent 
le  Chat-huant  qui  les  a  bleuâtres,  <Sc  l'Effraie  qui  les  a 
jaunes  :  tous  deux  font  à  peu  près  de  la  même  grandeur; 
ils  ont  environ  douze  à  treize  pouces  de  longueur, 
depuis  le  bout  du  bec  jufqu'à  Textrémité  des  pieds, 
ainfi  ils  n'ont  guère  que  deux  pouces  de  moins  que 
la  hulotte,  mais  ils  paroifTent  fenfiblement  moins  gros 
à  proportion.  On  reconnoitra  le  chat-huant  d'abord 
à  fes  yeux  bleuâtres  ,  &  enfuite  à  la  beauté  &  à  la 
variété  diflincle  de  fon   plumage  (ly);  Si  enfin  à  Ton 

^'ûj  En  Grec,  T^vc^\  en  Latin,  Noâua;  en  Catalogne,  Cabeca; 
cil  Allemand,  Aiïkhfavger ,  Kinder,  Alelcker ,  Stock  -  eule  ;  en  An- 
glois,  Common  brown-owl  ou  Leech-owl.  — Strix.  Gefner,  Avi ,  pag. 
738.  — Aldrov.  Avi,  tom.  1,  pag.  561.  — Chouette.  Albin,  tome  I, 
page  1  0  ,  planche  ix ,  avec  une  figure  mal  coloriée.  — Noiftua  major, 
Frilch ,  pi.  XCVI ,  avec  une  figure  coloriée  du  mâle;  Ù"  pi-  XCV , 
avec  une  figure  coloriée  de  la  femelle.  —  Le  Chat-huant.  Briflon  y 
Ornithol.  tome  I,  page  500.  — The  îaivny  owl.  Britifch  Zoology , 
planche  B  S-  ^°^^-  Q"^  ^•yvxf^  d'exaditude,  l'Auteur  de  la  Zoologie 
Britannique  a  marqué  du  même  numéro  B  S >  deux  planches  différentes, 
&  que  l'une  de  ces  planches  repréfente  le  hibou  ou  moyen  duc , 
&  l'autre  le  chat-huant  dont  il  efl  ici  queftion. 

(b)  Voyez -en  la  delcription  très  -  détaillée  &:  très-exade  dans 


DU    Chat- HUANT,       363 

cri  hoJiû y  hchd ,  hohôhdho ,  par  lequel  il  femble  huer, 
hôler  ou  appeler  à  haute  voix. 

Gefner,  Aldrovandc,  &:  plufieurs  autres  Naturalises 
après  eux ,  ont  employé  le  mot  Jlrix ,  pour  dcTigner 
cette  cfpèce,  mais  je  crois  qu'ils  fe  font  trompés,  & 
que  c'efl  à  l'effraie  qu'il  faut  le  rapporter  :y7r/.v^  pris 
dans  cette  acception,  c'efl-à-dire,  comme  nom  d'un 
oifcau  de  nuit ,  eft  un  mot  plutôt  latin  que  grec  ;  Ovide 
nous  en  donne  l'étymoiogie  ,  6c  indique  affez  claire- 
ment quel  efl  l'oifeau  nodurne  auquel  il  appartient, 
par  le  paiïage  fui  vaut  : 


Strigum 

Grande  caput ,  Jîantes  ocidï ,  rojîrj  npta  Yapin<x 

Canïties  pcnnis ,  iinguibus  hamus  ïnejl. 
EJi  illis  jlngïbus  mmen,  Scd  nomin'is  hujits 

Caufa  quûd  horrcnda  flndcre  nodc  Jolcnt. 

La  tête  groffe ,  les  yeux  fixes ,  le  bec  propre  à  la 
rapine,  les  ongles  en  hameçon,  font  des  cara6lères 
communs  à  tous  ces  oifcaux;  mais  la  blancheur  du 
^\\\?c\'\<^Cy  cmiïnes pcnu'is ,  appartient  plus  à  l'effraie  qu'à 
aucun  autre;  &  ce  qui  détermine  fur  cela  mon  fenti- 
ment,  c'eft  que  le  vi\o\  Jïrïdor ^  qui  fignifie  en  latin  un 

rOrniihologic  de  M.  Briffon ,  tome  I,  page  joo  &  fahantes  :  il 
fuffit  de  dire  ici  que  les  couleurs  du  chat-huant  font  bien  plus  claires 
que  celles  de  la  huk)ue  ;  le  mâle  chat-huant  eft  à  la  vérité  plus  brun 
que  la  femelle ,  mais  il  n'a  que  très-peu  de  noir  en  comparaifon  de 
la  hulotte ,  qui  de  toutes  les  cliouettes  cA  la  plus  grande  &  la  plus 
J)riinc. 

Zz  ij 


364.       Histoire   Naturelle 

craquement,  un  grincement,  un  bruit  défagrcablement 
entrecoupé  <Scfemh!able  à  celui  d'une  fcie,  eft  précifé- 
ment  le  cri  gré,  grei  de  l'effraie  ;  au  lieu  que  le  cri  du 
chat  -  huant  eft  plutôt  une  voix  haute ,  un  hôlemen: 
qu'un  grincement. 

On  ne  trouve  guère  les  chat-huans  ailleurs  que  dans 
les  bois;  en  Bourgogne  ils  font  bien  plus  communs 
que  les  hulottes,  ils  fe  tiennent  dans  des  arbres  creux, 
6c  l'on  m'en  a  apporté  quelques-uns  dans  le  temps  le 
plus  rigoureux  de  l'hiver,  ce  qui  me  fait  prcfumer 
qu'ils  refient  toujours  dans  le  pays,  &  qu'ils  ne  s'ap- 
prochent que  rarement  de  nos  habitations.  M.  Frifch 
donne  le  chat -huant  comme  une  variété  de  l'efpèce 
de  la  hulotte ,  <Sc  prend  encore  pour  une  féconde 
variété  de  cette  mcme  efpèce  le  mâle  du  chat-huant: 
fa  pldîiche  cotée  X CîV ,  efl  la  hulotte;  X-à planche  xcv , 
la  femelle  du  chat-huant;  <5c  Vàp/ûuche  xcv i  le  chat- 
Jiuant  mâle:  ainh  au  lieu  de  trois  variétés  qu'il  indique, 
ce  font  deux  efpèces  différentes,  ou  fi  l'on  vouloit  que 
le  chat-huant  ne  fût  qu'une  variété  de  l'efpèce  de  la 
hulotte ,  il  faudroitpouvoi^nier  les  différences  confiantes 
&  les  caractères  qui  les  diftinguent  l'un  de  l'autre,  6c 
qui  me  paroiffent  affez  fenfibles  6c  affcz  multipliés  pour 
confliîuer  deux  efpèces  diflincles  6c  féparécs. 

Comme  le  cliat-liuant  fe  trouve  en  Suède  6c  dans 
\çs  autres  terres  du   Nord    fcj^  il  a  pu   paffer  d'un 

(c)  Strix  cap'ite  lœn ,  corpore  fcrrugineo ,  rcmlge  terliâ  longiore.  Linn. 
Faun.  Suec,  11."  ^  5. 


Tjrn  J 


n  -VA'/ V.iT  .V^ 


.  ■iâtTrtf/-r^  J  r 


LK  CHAÏ-nrAN  l 


DU     ChAT'HUANT.         365 

continent  à  I  autre;  aufTi  le  retrouve-t-on  en  Amérique 
jufque  dans  les  pays  chauds.  Il  y  a  au  cabinet  de 
M.  Mauduyt,  un  chat -huant  qui  lui  a  été  envoyé  de 
Saint-Domingue,  qui  ne  nous  paroît  être  qu'une 
variété  de  i'efpèce  d'Europe,  dont  il  ne  diffère  que 
par  l'uniformité  des  couleurs  fur  la  poitrine  &  fur  le 
ventre  qui  font  roufTes  &  prefque  fans  taches ,  &i  encore 
par  les  couleurs  plus  foncées  des  parties  fupcrieures 
du  corps. 


Z  z  iij 


366       Histoire  N atu r  elle 

L'  E  F  F  R  A  I  E 

o  u 

LA     F  R  E  s  A  1  E  (a). 

Vûjei  les  -planches  enluminées ,  nf^  ^7^  à^  4-4-<^\> 
ir  la  flanche  xxvi  de  ce  volume. 

L'effraie  qu'on  appelle  communément  la  chouette 
des  clochers,  cfïraie  en  effet  par  Tes  foufflemens,  cliê, 
chci ,  ch'eù ,  chïoù ,  fes  cris  acres  <&.  lugubres  ^;r/\,  ^;r^ 

(a)  En  Grec,  EAeo^i  en  Latin,  Aluco ;  en  Allemand  &  en 
Flamand ,  Kirch  -  eule ,  ce  qui  fignifie  Chouette  des  églifes  ;  Schleyer- 
eule ,  Chouette  voilée,  parce  qu'elle  femblc  avoir  la  tête  encapu- 
chonnée; Perl- eule ,  parce  que  Ton  plumage  eft  parfemé  de  taches 
rondes  comme  des  perles  ou  des  gouttes  de  liqueur;  en  Anglois, 
Whîte-ou'l ,  Chouette  blanche.  Nota.  Salerne  dit  qu'on  l'appelle  dans 

l'Orlcanois,  la  Sologne,  &c Fréfaie ;  en  Poitou,  Prcfa'ie ;  en 

Gafcogne  ,  Brefague  ou  Frefaco  ;  dans  le  Vcndômois  ,  Chouan. 
—  Effraie  ou  Frelaïe.  Belon,  H'ijl.  nat.  des  Oifeaux ,  page  14.2.  .  . 
Petit  Chat-huant  plombé.  Idem.  Portraits  d'oifcaux,  page  26 ,  B» 
Nota.  Il  paroît  que  Belon  confond ,  à  quelques  égards ,  l'effraie  ou 
frefiiïe  avec  le  tette- chèvre  ou  crapaud  -  volant ,  &  Cellier  le  lui  a 
reproché  avec  jufte  raiion.  — Aluco  m'mor.  Aldrov.  Av'i.  tom.  I, 
pag.  536.  — Ululœ genus  alterum  quod  quidam fiammeatum  cognom'mant. 
Gefner,  Avî ,  pag.  774.  — Aluco  minor  Aldrovandi.  Willuloh.  Orn'nh. 
pag.  6y ,  tab.  XIII.  — Lucheran  ou  Chouette- blanche,  Albin, 
Urne  II,  page  y,  planche  XI ,  avec  une  figure  coloriée,  — Noâua 
guttata.  Frifch  ,  pi.  xcvil,  avec  une  figure  coloriée.  — Le  petit 
Chat-huant.  Briffon  ,  Ornith.  tome  I,  page  503.  — The  Whîte  owU 
Britifch  Zoology ,  planche  B» 


DE  l'Effraie  ou  la  Fresaie.      367 

crei ,  &  fa  voix  entrecoupée  qu'elle  fait  fouvcnt  retentir 
clans  le  filcnce  de  la  nuit  ;  elle  efl  ,  pour  ainfi  dire 
domeflique,  &  habite  au  milieu  des  villes  les  mieux 
peuplées;  les  tours,  les  clochers,  les  toits  des  églifes 
&  des  autres  bâtimens  élevés  lui  fervent  de  retraite 
pendant  le  jour,  6c  elle  en  fort  à  l'heure  du  crcpufcule, 
fon  foufflcment  qu'elle  réitère  fans  ceffe ,  refîémble  à 
celui  d'un  homme  qui  dort  la  bouche  ouverte;  elle 
pouffe  auffi  en  volant  &  en  fe  repofant,  dilTérens  fons 
aigres,  tous  Çi  défagréables  que  cela  joint  à  V'iàée  du 
voifinage  des  cimetières  &  des  églifes,  6c  encore  à 
l'obfcurité  de  la  nuit,  infpire  de  l'horreur  6c  de  la 
crainte  aux  enfans,  aux  femmes,  6c  même  aux  hommes 
foumis  aux  mêmes  préjugés,  6c  qui  croient  aux  reve- 
nans,  aux  forciers,  aux  augures;  ils  regardent  l'effraie 
comme  l'oifeau  funèbre,  comme  lé  melTager  de  la 
mort;  ils  croient  que  quand  il  fe  fixe  fur  une  maifon  , 
ôi  qu'il  y  fait  retentir  une  voix  différente  de  fes  cris 
ordinaires  ,  c'eft  pour  appeler  quelqu'un  au  cimetière. 

On  la  diflingue  aifcment  des  autres  chouettes  par  fa 
beauté  de  fon  plumage  ;  elle  cfl  à  peu  près  de  la 
même  grandeur  que  le  chat -huant,  plus  petite  que  la 
Juilotte  ,  Si  plus  grande  que  la  chouette  proprement 
dite ,  dont  nous  parlerons  dans  l'article  fuivant  ;  elle  a  un 
pied  ou  treize  pouces  de  longueur ,  depuis  le  bout  du 
hQC  jufqu'à  l'extrémité  de  la  queue  ,  qui  n'a  que  cinq 
pouces  de  longueur;  elle  a  le  deffus  (}i\.\  corps  jaune, 
onde  de  gris  6c  de  brun,  6c  taché  de  points  blancs;  le 


368       Histoire  Naturelle 

cleïïbus  du  corps  blanc,  marqué  de  points  noirs;  les 
yeux  environnés  très  -  régulièrement  d'un  cercle  de 
plumes  blanches  ^  fi  fines,  qu'on  les  prendroit  pour 
<Jes  poils  ;  l'iris  d'un  beau  jaune,  le  bec  blanc ,  excepté 
ie  bout  du  crochet  qui  eft  brun  ;  les  pieds  couverts 
de  duvet  blanc,  les  doigts  blancs  &  les  ongles  noi- 
râtres; il  y  en  a  d'autres  qui,  quoique  delà  même 
efpècc ,  paroifTent  au  premier  coup  d'œil  être  aflez 
différentes;  elles  font  d'un  beau  jaune  fur  la  poitrine  6l 
fur  le  ventre ,  marquées  de  même  de  points  noirs  ; 
d'autres  font  parfaitement  blanches  fur  ces  mêmes 
parties,  fans  la  plus  petite  tache  noire:  d'autres  enfin 
font  parfaitement  jaunes  6;  fans  aucune  tache,  telle  que 
Ja  planche,  îi."  ^-l-o ,  la  repréfente. 

J'ai  eu  pluficurs  de  ces  chouettes  vivantes,  il  eft: 
fort  aifé  de  les  prendre,  en  oppofant  un  petit  filet, 
une  trouble  à  poiffon  aux  trous  qu'elles  occupent  dans 
les  vieux  bâtimens;  elles  vivent  dix  ou  douze  jours 
dans  les  volières  où  elles  font  renfermées,  mais  elles 
refufent  toute  nourriture,  &:  meurent  d'inanition  au  bout 
de  ce  temps  ;  le  jour  elles  fe  tiennent  fans  bouger  au 
bas  de  la  volière,  le  foir  elles  montent  au  fommct 
des  juchoirs  où  elles  font  entendre  leur  fouffîemcnt , 
chc ,  chci ,  par  lequel  elles  femblent  appeler  les  autres: 
j'ai  vu  plufieurs  fois  en  effet,  d'autres  effraies  arriver 
au  foufirlement  de  l'effraie  prifonnière,  fe  pofer  au- 
deiïus  de  la  volière,  y  faire  ie  même  foufflement,  & 
s'y  iaiffer  prendre  au  filet.  Je  n'ai  jamais  entendu  leur 

cri 


DE  l! Effraie  ou  h  Fresaie.      5^9 

cri  acre  (jlndor),  crci ,  grci  dans  les  volières;  elles 
ne  poiiiïent  ce  cri  qu'en  volant  &.  iorfqu'elles  font 
en  pleine  liberté;  la  femelle  eft  un  peu  plus  groffe 
que  le  mâle,  <5c  a  les  couleurs  plus  claires  &  plus 
di(lin6les;  c'eft  de  tous  les  oifeaux  nocturnes  celui 
dont  le  plumage  efl  le  plus  agréablement  varié. 

L'efpèce  de  l'effraie  eft  nombreufe ,  <&  par- tout 
trèS'Commune  en  Europe;  comme  on  la  voit  en  Suède 
auffi  -  bien  qu'en  France  fbj,  elle  a  pu  paffer  d'un 
continent  à  l'autre;  auffi  la  trouve-ton  en  Amérique, 
depuis  les  terres  du  Nord  jufqu'à  celles  du  Midi. 
Marcgrave  l'a  vue  6c  reconnue  au  Brefil,  où  les  naturels 
du  pays  l'appellent  tuïJara  (ej. 

L'effraie  ne  va  pas  comme  la  hulotte  <5c  le  chat- 
huant,  pondre  dans  des  nids  étrangers;  elle  dépofe  fes 
œufs  à  crud  dans  des  trous  de  murailles,  ou  fur  des 
folives  fous  les  toits,  <?c  auffi  dans  des  creux  d'arbres; 
elle  n'y  met  ni  herbes  ni  racines ,  ni  feuilles  pour  les 
recevoir;  elle  pond  de  très-bonne  heure  au  printemps, 
c*efl-à-dire,  dès  la  fin  de  mars  ou  le  commencement 
d'avril;  elle  fait  ordinairement  cinq  œufs  <5c  quelquefois 

(b)  Str'ix  captte  lœvl ,  corpore  luteo.  Linn.  Faun.  Suec.  n.°  49.  Nota. 
M.  Salerne  s'eft  trompé  lorfqu'il  a  dit  que  Linnaeus  n'en  parle  point, 
&  qu'apparemment  la  frefaic  ne  fe  trouve  point  en  Suède.  Vo)e:^ 
Salerne,  Ornithol.  page  j  0, 

(c)  Tuulara  Brafilienfibus ;  ulula  ejl  fptcies ,  Gemanis  SCHLEIER^ 

JEU  LE  ,   Belg'is   kerkuyle Dejcjïbïlur  Ù"   a   Cefnero,   Marcgr, 

////?.  nat.  BrafiL  png.  20 j, 

Oifeaux,  Tome  L  ,  Aaa 


37^       Histoire  Naturelle 

fix  6i  même  fept,  d'une  forme  alongée,  Sl  Je  couleinr 
blanchâtre;  elle  nourrit  fes  petits  d'infectes  &.  de  mor- 
ceaux de  chair  de  fouris  ;  ils  font  tout  blancs  dans  le 
premier  âge,  <Sc  ne  font  pas  mauvais  à  manger  au  bout 
de  trois  femaines,  car  ils  font  gras  &  bien  nourris;  les 
pcres  6c  mères  purgent  les  églifes  de  fouris  ;  ils  boivent 
aulli  alTcz  fouvent  ,  ou  plutôt  mangent  l'huile  des 
Jampes ,  fur-tout  fi  elle  vient  à  fe  figer;  ils  avalent  les 
fouris  &.  les  mulots,  les  petits  oifeaux  tout  entiers,  &: 
en  rendent  par  le  bec  les  os,  les  plumes  <Sc  les  peaux 
roulées  ;  leurs  excrémens  font  blancs  <5c  liquides  comme 
ceux  de  tous  les  autres  oifeaux  de  proie  ;  dans  la  belle 
faiibn  ,  la  plupart  de  ces  oifeaux  vont  le  foir  dans  les 
bois  voifms,  mais  ils  reviennent  tous  les  matins  à  leur 
retraite  ordinaire,  où  ils  dorment  &i  ronflent  jufqu'aux 
heures  du  foir;  6-.  quand  la  nuit  arrive,  ils  fe  laiffent 
tomber  de  leur  trou,  &  volent  en  culbutant  prefque 
jufqu'à  terre:  lorfjue  le  froid  efl  rigoureux,  on  les 
trouve  quelquefois  cinq  ou  fix  dans  le  même  trou  ,  ou 
cachées  dans  les  fourrages;  elles  y  cherchent  l'abri^ 
l'air  tempéré  &.  la  nourriture;  les  fouris  font  en  effet 
alors  en  plus  grand  nombre  dans  les  granges  que  dans 
tout  autre  temps:  en  automne,  elles  vont  fouvent  vifitcr 
pendant  la  nuit  les  lieux  où  l'on  a  tendu  des  rejetto'ires  & 
des  lacets  pour  prendre  des  bécaffes  <Sc  des  grives  (^), 

(d)  Rejetîcîre ,  baguet  e  de  bois  vert  courbée,  au  bout  de  laquelle 
on  attache  un  lacet ,  &.  qui  par  Ion  rcifort  en  ferre  le  nœud  coulant 
&  enlève  i'oijeûu. 


TcmJ 


T:  .V.\77  p. 


L  EFFRAIK, 


DE  l'Effraie  ou  h  Fresaie,       371 

elles  tuent  les  bécaffcs  qu'elles  trouvent  rufpcndues  , 
<&:  les  mangent  fur  le  lieu;  mais  elles  emportent  quel- 
quefois les  grives  &i  les  autres  petits  oifeaux  qui  font 
pris  aux  lacets  ,  elles  les  avalent  fouvent  entiers  (Se 
avec  la  plume,  mais  elles  déplument  ordinairement, 
avant  de  les  manger ,  ceux  qui  font  un  peu  plus  gros  : 
ces  dernières  habitudes,  aufTi-bicn  que  celle  de  voler 
<Je  travers ,  c'efl-à-dire,  comme  fi  le  vent  les  emportoit, 
6i  fans  faire  aucun  bruit  des  ailes,  font  communes  à 
l'efîraie,  au  cbat-buant,  à  la  hulotte,  (S:  à  la  chouette 
proprement  dite  dont  nous  allons  parler. 


Aaa  V] 


372       Histoire  Natu relle 


LA    CHOUETTE 

O  U 

LA    GRANDE     CHEVECHE   (a), 

Voye:^  les  planches  enluminées  ,  7if  ^^  8  ;   ^    la 
'planche  XXV H  de  ce  yoliime. 

V>£TTE  efpèce,  qui  efl  la  Chouette  proprement  dite, 
&  qu'on  peut  appeler  la  chouette  des  rochers  ou  h  grande 
chevêche,  eft  afTez  commune,  mais  elle  n'approche  pas 
aufTi  fouvent  de  nos  habitations  que  l'effraie;  elle  fe 
tient  plus  volontiers  dans  les  carrières,  dans  les  rochers, 
dans  les  bâtimens  ruinés  Si  éloignes  des  lieux  habités: 
ii  femble  qu'elle  préfère  les  pays  de  montagne,  & 
qu'elle  cherche  les  précipices  efcarpés  &  les  endroits 
folitaires;  cependant  on  ne  la  trouve  pas  dans  les  bois, 
&  elle  ne  fe  loge  pas  dans  des  arbres  creux  (h),  on  la 

(û)  En  Grec,  AtyaXioi  ;  en  Latin ,  Cïcuma;  en  Allemand,  Stàti' 
Jcuti  ou  Ste'm-eule ;  en  Polonois,  Sowa ;  en  Anglois,  Great  Brow^n 
cwl.  —  Noâua  quam  faxatïlem  Helvetii  cognom'mant.  Noâua  faxatil'is. 
Cefner,  Avi.  pag.  622.  A\àxo\.  Avi.  tom.  I,  pag.  54J.  — Grande 
Chevêche.  Belon,  HiJI.  nat.  des  Oifeaux,  page  140.  .  .  .  Chevêche 
grimaut;  Machette.  Idem.  Portraits  d'oifeaux  ,  page  zy ,  y4.  Grande 
Chouette  brune.  Albin,  tome  I II, page  ^,  planche  VII ,  avec  une  figure 
mal  coloriée.  —  Ulula  fammeata.  Kut-^  jaune  fans  oreilles  ou  Sie'm-eule. 
Chouene  ou  Souette.  Frifch  ^planche  XCVIII ,  avec  une  bonne  figure 
coloriée.  —  La  grande  Chouette.  BrifTon,  Ornithol.  tome  I,  p^ige  3  i  !• 

(bj  Nous  laiiTeroïis  (  dit  M.  Frifch  )  à  cette  Chouette  fon  nom 


DE      LA      C  H  OU  ET  T  E,  ire,       375 

cliftinguera   aifémcnt  de  ia  iuilotte  6:   du  chat  -  huant 

par  la  couleur  des  yeux  qui  font  d'un  très -beau  jaune, 

au  lieu  que  ceux  de  la  hulotte  font  d'un  brun  prefque 

noir,  &  ceux  du  chat -huant  d'une  couleur  bleuâtre; 

on  la  diflinguera  plus  difficilement  de  l'effraie,  parce 

que  toutes  deux  ont  l'iris  des  yeux  jaunes,  environnés 

de  incme  d'un  grand  cercle  de  petites  plumes  blanches; 

que  toutes  deux  ont  du  jaune  fous  le  ventre,  <5c  qu'elles 

font  à  peu  près  de  la  même  grandeur;  mais  la  chouette 

des  rochers  efl  en  général   plus   brune,  marquée  de 

taches    plus  grandes    6c   longues    comme   de   petites 

flammes;  au  lieu  que  les  taches  de  i'cfîraie,  lorfqu'elle 

en  a,  ne  font,  pour  ainfi  dire,  qiie  des  points  ou  des 

gouttes ,  &  c'efl  par  cette  raifon  qu'on  a  appelé  l'effraie 

noâiia  guttatû ,  &.  ia  chouette  des  rochers  dont  il  efl 

ici    queflion  ,  noSlua  jïammeata  ;  elle  a  auffi   les  pieds 

bien  plus  garnis  de  plumes ,  &  le  bec  tout  brun;  tandis 

que  celui   de  l'effraie  efl  blanchâtre,  &.  n'a  de  brun 

(|u'à  fon  extrémité.  Au   refte,   la  fenielle ,  dans  cette 

cfpèce,  a  les  couleurs  plus  claires,  (Se  les  taches  plus 

petites  que  le  mâle,  comme  nous  l'avons  auffi  remarqué 

fur  la  femelle  du  chat-huant, 

Bclon    dit   que   cette    efpèce    s'appelle    la  grande 
chevêche  ;  ce  nom  n'cfl  pas  impropre,  car  cet  oifeau 

cliflin<flif  Stein  -  eule ,  parce  que  je  ne  l*ai  jamais  trouvée  dans  des 
arbres  creux  ,  mais  feulement  dans  des  bâiimens  en  ruines  ou  du 
moins  abandonnes  depuis  long- temps,  &  dans  les  rochers.  Frifch , 
article  des  Oifeaux  nodurnes^ 

Aaa  iij 


374        Histoire   N atu rel  le 

reffemble  affcz  par  Ton  plumage  6c  par  Tes  pieds  bien 
garnis  de  duvet ,  à  la  petite  chevêche  que  nous  appelons 
fimpiement  chevêche;  il  paroît  être  aufTi  du  même  na- 
turel,  ne  fe  tenant  tous  deux  que  dans  les  rochers,  les 
carrières,  &  très -peu  dans  les  bois:  ces  deux  efpèces 
ont  aulTi  un  nom  particulier,  kma^  on  kaut:^-lc'm  en 
Aiiejnand ,  (}ui  répond  au  nom  particulier,  clievêche 
en  François.  M.  Salerne  dit  que  la  chouette  (\u  pays 
d'Orléans  cH  certainement  la  grande  chevêche  de 
Belon  ;  qu'en  Sologne  on  l'appelle  chevêche,  Si  plus 
communément  <r//^jW/^  ou  caboche;  que  les  Laboureurs 
font  grand  cas  de  cet  oifeau  ,  en  ce  qu'il  détruit  quantité 
de  mulots;  que  dans  le  mois  d'avril  on  l'entend  crier 
jour  Sl  x\\^\i  ^out ,  mais  d'un  ton  affcz  doux,  Sl  que 
quand  il  doit  pleuvoir,  elle  change  de  cri  6c  fembic 
^wç,  goyon ;  qu'elle  ne  fait  point  de  nid,  ne  pond  que 
trois  œufs  tout  blancs  ,  parfaitement  ronds ,  &  gros 
comme  ceux  d'un  pigeon  ramier;  il  dit  auffi  qu'elle 
loge  dans  des  arbres  creux  ,  <?c  qu'Olina  fe  trompe 
Jourdement  quand  il  avance  qu'elle  couve  les  deux 
derniers  mois  de  l'hiver:  cependant  ce  dernier  fait 
n'cfl  pas  éloigné  du  Nrai  ;  non-feulement  cette  chouette, 
mais  même  toutes  les  autres  pondent  au  commence- 
ment de  mars ,  6:  couvent  par  conféquent  dans  ce 
même  temps;  6c  à  l'égard  de  la  demeure  habituelle 
de  la  chouette  ou  grande  chevêche  dont  il  cfl  ici 
queilion  ,  nous  avons  obfervé  qu'elle  ne  la  prend  pas 
dans  des  arbres  creux,  comme  i'affure  M.   Salerne, 


DE      LA      C  H  0  U  E  T  T  E,  i-^L\        375 

mais  clans  des  trous  de  rocliers  &  dans  les  carricres, 
Iiabitiidc  qui  lui  efl  commune  avec  la  petite  chevêche 
dont  nous  allons  parler  dans  l'article  fui\ant;  elle  efl 
aufTi  confidcrablement  plus  petite  que  la  luilotte,  6c 
même  plus  petite  que  le  chat  -  huant ,  n'ayant  guère 
que  onze  pouces  de  longueur  depuis  le  bout  du  bec 
jufqu'aux  ongles. 

Il  paroît  que  cette  grande  chevêche  qui  efl  aiïcz 
commune  en  Europe,  fur-tout  dans  les  pays  de  mon- 
tagnes, fe  retrouve  en  Amérique  dans  celles  duChiîy, 
&  que  refpcce  indiquée  par  le  P.  Fcuillée  fous  le 
nom  de  chevcche-lapin  (c) ,  <Sc  à  laquelle  il  a  donné  ce 
furnom  de  lainn ,  parce  qu'il  l'a  trouvée  dans  un  trou 
faix  dans  la  terre,  que  cette  cfpèce,  dis-je,  n'efl  qu'une 
variété  de  notre  grande  chevêche  ou  chouette  des 
rochers  d'Europe,  car  elle  efl  de  la  même  grandeur 
&  n'en  diffère  que  par  la  diflribution  à^s  couleurs  y 
ce  qui  n'efl  pas  ilifhfant  pour  en  faire  une  cfpèce 
djflinéle  6c  réparée.  Si  cet  oifeau  crcufbit  lui  -  même 
fon  trou,  comme  le  P.  Feuillée  paroit  le  croire,  ce 
feroit  une  raifon  pour  le  juger  d'une  autre  cfpcce  que 
notre  chevêche  (<]) ,  Si  même  que  toutes  nos  autres 

/cj  Efpèce  de  ciievêche-Lipin  ou  ulula  cuniculûria.  Fcuillce,  Journa. 
écs  Objerviitions  phyfiques ,  pnge  562.  — La  chouetic  de  Coquiiubo. 
Brilîon ,  Ornithol.  tome  I ,  j:)age  525,  où  l'on  ])cut  en  voir  la  def- 
cription  aufli  bien  c[ue  dans  l'ouvrage  du  P.  Fcuillte, 

(il)  Nota.  1 ."  Le  P.  i\\.\  Tertre ,  en  parlant  de  l'oifeau  nocturne 
appelé  diable  dans  nos  îicj  de  l'Amérique,  dit  qu'il  efl  gros  connue 


37^    Histoire  N atu relle,  ire, 

chouettes;  mais  il  ne  s'enfuit  pas  de  ce  qu'il  a  trouve 
cet  oifeau  au  fond  d'un  terrier,  que  ce  foit  l'oifeau 
qui  l'ait  creufé;  (Se  ce  qu'on  en  peut  feulement  induire, 
c'eft  qu'il  eft  du  même  naturel  que  nos  chevêches 
d'Europe,  qui  préfèrent  conflamment  les  trous,  foit 
dans  les  pierres ,  foit  dans  les  terres ,  à  ceux  qu'elles 
pourroient  trouver  dans  les  arbres  creux. 

«n  canard ,  qu'il  a  la  vue  affreufe ,  le  plumngc  mêle  de  blanc  &;  de 
noir ,  qu'il  repaire  fur  les  plus  hautes  montagnes ,  qu'il  fe  terr'it  comme 
le  lapin  dans  les  trous  qu'il  fait  dans  la  terre,  oij  il  pond  fes  œufs, 
les  y  couve  &  élève  lès  petits .....  qu'il  ne  defcend  jamais  de  la 
montagne  que  de  nuit,  &  qu'en  volant  il  fait  un  cri  fort  lugul;re 
&  effroyable.  HiJI.  des  Antilles,  tome  II,  page  2jy.  Nota.  2.°  Cet 
oifeau  efl  certainement  le  même  que  celui  du  P.  Feuillée ,  «5c  quel- 
ques-uns des  habitans  de  nos  îles  fc  trouvera  peut-être  à  portée  de 
vérifier  s'il  creufe  en  effet  un  terrier  pour  fe  loger  &  y  élever  (zi 
petits.  Tout  le  reflc  des  indications  que  nous  donnent  ces  deux 
Auteurs,  s'accorde  à  ce  que  cet  oifeau  foit  de  la  même  efpèce  que 
notre  chevêche  ou  chouette  des  rochers. 


LA   CHEVECHE 


177 


LA     CHEVECHE  (a) 

O  U 

PETITE    CHOUETTE. 

Voy.  les  planches  eiilumhièes,  nf  ^^  p;  &  lapL  XXV  lU 

de  ce  volume. 


L 


A  Chevcche  6c  le  Scops  ou  petit  Duc ,  font  à  peu 
près  de  la  même  grandeur:  ce  font  les  plus  petits 
oifcaux  du  genre  des  hiboux  Si  des  chouettes;  ils  ont 

(a)  Nota.  Les  Grecs  &  les  Latins  n'ont  pas  diftingué  cette  efpècc 
par  un  nom  particulier ,  &  ils  l'ont  vraifcmbiablement  confondue  avec 
celle  du  fcops  ou  petit  duc  ,  cfio.  H  en  eft  de  même  des  Italiens  qui 
les  appellent  tous  deux  Xuetta  ou  Civetta  ;  en  Efpagnol ,  Leclni^a  ; 
en  Portugais,  Ahcho  ;  en  Allemand,  Kut^  ou  plutôt  Kaut:Jtin  ; 
en  Polonois  ,  S^owa  ;  en  Anglois,  Little  owl.  Noâuœ  genus  parvum. 
Cefner,  Icon.  Àvi.  pag.  15.  —  Petite  Chevêche.  Belon  ,  ////?.  nat. 
dis  Oifeaux ,  p^ge  140.  — Noâua.  AIdrov.  Avi.  tom.  I,  pag.  543. 
—-Petite  Chouette.  Albin,  tome  II ,  page  8 ,  planche  XJJ ,  avec  une, 
ficrure  coloriée.  — Petit  Hilou.  Edwards,  Glanures ,  page  39, 
planche  CCXXV 1 1 1 ,  avec  une  bonne  figure  coloriée.  — La  petite 
Chouette  ou  la  Chevêche.  B  ri  flou  ,  Ornithol.  tome  I,  page  514. 
—  The  Little  o\i'l.  Britifch  Zoology  ,  planche  B  j .  Nota.  M.  Edwards, 
M.  Frifch  &L  l'Auteur  de  la  Zoologie  Britannique  ont  chacim  donné 
une  planche  coloriée  de  cet  oifeau  :  la  meilleure  &  la  plus  refîcm- 
Llantc  à  la  Nature  ,  eft  celle  de  M.  Edwards  ;  elle  rej.ré lente  la  femelle 
de  cette  efpèce.  La  planche  de  la  Zoologie  Britannique  &  celle  de 
M.  Frifch  repréfentent  le  mâle;  mais  ce  dernier  Auteur  a  fait  une 
faute  en  donnant  des  yeux  d'un  bleu  noirâtre  à  cet  oilêau ,  car  il  les 
a  d'un  jaune  pâle. 

P  if  eaux,  Tome  L  .  Bbb 


37?        Histoire  Natu relle 

fept  ou  huit  pouces  de  longueur,  depuis  ie  bout  du 
bec  jufqu'à  l'extrémité  des  ongles ,  <Sc  ne  font  que 
de  la  grofTeur  d'un  merle  ;  mais  on  ne  les  prendra  pas 
l'un  pour  l'autre,  fi  l'on  fe  fouvient  que  le  petit  duc 
a  des  aigrettes,  qui  font  à  la  vérité,  très  -  courtes  <& 
compofées  d'une  feule  plume,  &  que  la  chevêche  a  la 
tête  dénuée  de  ces  deux  plumes  cminentes  ;  d'ailleurs 
elle  a  l'iris  des  yeux  d'un  jaune  plus  pâle,  le  bec  brun 
à  la  baie  &.  jaune  vers  le  bout,  au  lieu  que  le  petit 
duc  a  tout  le  bec  noir;  elle  en  diffère  auiïi  beaucoup 
par  les  couleurs,  <Sc  peut  aifément  être  reconnue  par  la 
régularité  des  taches  blanches  qu'elle  a  fur  les  ailes  & 
fur  le  corps,  Si  aulTi  par  fa  queue  courte  comme  celle 
d'une  perdrix;  elle  a  encore  les  ailes  beaucoup  plus 
courtes  à  proportion  ,  plus  courtes  même  que  la  grande 
chevêche ,  elle  a  un  cri  ordinaire  poûpoû poûpoû ,  qu'elle 
pouffe  (5c  répète  en  volant ,  &  un  autre  cri  qu'elle  ne 
fait  entendre  que  quand  elle  efl  pofée ,  qui  reffemble 
beaucoup  à  la  voix  d'un  jeune  homme  qui  s'écrieroît, 
ûhné ,  hcmc ,  ifinë  plufieurs  fois  de  fuite  (h) ;  elle  fe 

(a)  Nota.  Étant  couché  dans  une  des  vieilles  tours  du  château  de 
Montbard  ,  une  chevêche  vint  (e  pofer  \\r\  peu  avant  le  jour,  à 
trois  heures  du  matin,  fur  (a  tablette  de  la  fenêtre  de  ma  chambre, 
&  m'éveilla  par  Ton  cri  hême ,  êdme  ;  comme  je  prêtois  l'oreille  à  cette 
voix ,  qui  me  parut  d'abord  d'autant  plus  fmgulicre  qu'elle  étoit  tout 
pïès  de  moi ,  j'entendis  un  de  mes  gens ,  qui  étoit  couché  dans  fa 
chambre  au-deflus  de  la  inienne ,  ouvrir  (a  fenêtre ,  &  trompé  par  la 
rellemblance  du  fon  bie.i  articulé  êJme ,  répondre  à  i'oileau  ;  qui  es-tu 
Ic-bas  ,  je  ne  m'appelle  pas  Edme,  je  m'appille  Pierre.  Ce  domel\iquc 


IhmJ 


fl.XXm  Pa^J-'S 


ULuii-ni^ri  .  ^iXiJf  i''~ 


L  A  ClIOl  KTTE 


DE      LA      C  H  EV  Ê  C  H  E,  ire.         379 

tient  rarement  dans  les  bois,  fon  domicile  ordinaire 
eft  dans  les  mafures  écartées  des  lieux  peuplés,  dans 
les  carrières ,  dans  les  ruines  des  anciens  édifices 
abandonnés;  elle  ne  s'établit  pas  dans  \çs  arbres  creux, 
Sl  refTemble  par  toutes  ces  habitudes  à  la  grande  che- 
vêche; elle  n'efl  pas  abfolument  oifeau  de  nuit,  tWt 
voit  pendant  le  jour  beaucoup  mieux  que  les  autres 
oifeaux  no6lurnes,  6c  fouvent  elle  s'exerce  à  la  chafTe 
des  hirondelles  <Sc  des  autres  petits  oifeaux  ,  quoi- 
qu'affez  infrudueufement,  car  il  eft  rare  qu'elle  en 
prenne;  elle  rcuffit  mieux  avec  les  fouris  6c  les  petits 
mulots  qu'elle  ne  peut  avaler  entiers  (Se  qu'elle  déchire 
avec  le  bec  6c  les  ongles,  elle  plume  auiïi  très-propre- 
ment les  oifeaux  avant  de  les  manger;  au  lieu  que  les 
hiboux,  la  hulotte  6c  les  autres  chouettes  les  avalent 
avec  la  plume,  qu'elles  vomiiïent  enfuite,  fans  pouvoir 
la  digérer;  elle  pond  cinq  œufs  qui  font  tachetés  de  blanc 
6c  de  jaunâtre,  6c  fait  fon  nid  prefqu'à  crud  dans  des 
trous  de  rochers  ou  de  vieilles  murailles.  M.  Frifch 
dit  que  comme  cette  petite  chouette  cherche  la  folitude, 
qu'elle  habite  communément  les  églifes,  les  voûtes, 
les  cimetières  où  l'on  conflruit  des  tombeaux,  quel- 
ques-uns l'ont  nommée  oifeau  d'églife  ou  de  cadavre , 
hjrcken-oder ,  le'ich  en-huhu ,  6c  que  comme  on  a  remarqué 
auifi  qu'elle  voltigeoit  quelquefois  autour  des  maifons 

croyoit,  en  effet,  que  c'étoit  un  homme  qui  en  appeloit  un  autre, 
tant  la  voix  de  la  chevêche  refl'emble  à  la  voix  humaine  &  arÙLuIe 
diftindement  ce  mot. 

Bbb  ij 


380       Histoire  Natu re lle 

où  il  y  avoit  des  mourans. . .  Le  peuple  fuperftitieux  Ta 
appelée  oifiau  de  mort  ou  de  cadavre ,  s'imaginant  qu'elle 
préfageoit  la  mort  des  malades.  M.  Frifch  n'a  p^'S  fait 
attention  que  c'efi  à  l'effraie  ,  (Se  non  pas  à  la  chevêche 
qu'appartiennent  toutes  ces  imputations,  car  cette  petite 
chouette  eft  très-rare  en  comparaifon  de  l'effraie;  elle 
ne  fe  tient  pas  comme  celle-ci  dans  les  clochers, 
dans  les  toits  des  églifes;  elle  n'a  pas  le  foufflement 
lugubre,  ni  le  cri  acre  (?c  effrayant  de  l'autre,  <Sc  ce 
qu'il  y  a  de  certain,  c'eff  que  fi  cette  petite  chouette 
ou  chevêche  efl  re^ardceen  Allema<::ne  comme  l'oifeau 
de  la  mort ,  en  France  c'cfl  à  l'effraie  qu'on  donne  ce 
nom  fmiflre.  Au  refle,  la  chevêche  ou  petite  chouette 
dont  M.  Frifch  a  donné  la  figure  ,  6c  qui  fe  trouve 
en  Allemagne,  paroit  être  une  variété  dans  l'efpèce 
de  notre  chevêche;  elle  efl  beaucoup  plus  noire  par 
Je  plumage,  <5c  a  auffi  l'iris  des  yeux  noir,  au  lieu  que 
notre  chevêche  efl  beaucoup  moins  brune,  6c  a  l'iris 
des  yeux  jaune:  nous  avons  aufTi  au  cabinet  une  variété 
de  l'efpèce  de  la  chevêche,  qui  nous  a  été  envoyée  de 
Saint-Domingue,  6c  qui  ne  diffère  de  notre  chevêche 
de  France,  qu'en  ce  qu'elle  a  un  peu  moins  de  blanc 
fous  la  gorge,  6c  que  la  poitrine  6c  le  ventre  font 
rayés  tranfvcrfalement  de  bandes  brunes  affez  régulières; 
au  lieu  que  dans  notre  chevêche,  il  n'y  a  que  des 
taches  brunes  femces  irrégulièrement  fur  ces  mêmes 
parties. 

Pour  prcfentcr  en  raccourci ,  &  d'yne  manière  plus 


DE    LA    Chevêche,  èfc,     381 

facile  à  faifir  les  caradlères  qui  diflinguent  les  cinq 
efpèces  de  chouettes  dont  nous  venons  de  parler , 
nous  dirons:  i.°  Que  Ja  hulotte  efl;  la  plus  grande  Se 
la  plus  groiïe ,  qu'elle  a  les  yeux  noirs ,  le  plumage 
noirâtre,  <Sc  le  bec  d'un  blanc -jaunâtre,  qu'on  peut 
Ja  nommer  la  grqfe  choucne  noire  aux  yeux  noirs:  z°  Que 
le  chat-huant  efl  moins  grand  6c  beaucoup  moins  gros 
que  la  hulotte,  qu'il  a  les  yeux  bleuâtres,  le  plumage 
roux  mêlé  de  gris -de -fer  ,  le  bec  d'un  blanc- 
verdâtre  ,  &  qu'on  peut  l'appeler  la  chouette  roujfè  &" 
gris  -  de -fer  aux  yeux  bleus:  3."  Que  l'effraie  efl  à  peu 
près  de  la  même  grandeur  que  le  chat-huant,  qu'elle  a 
les  yeux  jaunes,  le  plumage  d'un  jaune -blanchâtre , 
varié  de  taches  bien  diftindtes,  (Se  le  bec  blanc  avec 
ie  bout  du  crochet  brun ,  <Sc  qu'on  peut  l'appeler  la 
chouette  blanche  ou  jaune  aux  yeux  oranges:  4.°  Que  la 
grande  chevêche  ou  chouette  des  rochers  n'efl  pas  fi 
grande  que  le  chat -huant  ni  l'effraie,  quoiqu'elle  foit 
à  peu  près  auffi  groffe,  qu'elle  a  le  plumage  brun,  \q^ 
yeux  d'un  beau  jaune  6c  le  bec  brun  ,  6c  qu'on  peut 
l'appeler  la  chouette  brune  aux  yeux  jaunes  ir  au  bec 
brun:  y  Que  la  petite  chouette  ou  chevêche  eft 
beaucoup  plus  petite  qu'aucune  des  autres,  qu'elle  a  le 
plumage  brun,  régulièrement  taché  de  blanc  ,  les  yeux 
d'un  jaune  pâle  6c  le  bec  brun  à  la  bafe,  6c  jaune  vers 
le  bout,  6c  qu'on  peut  l'appeler  [a  petite  chouette  brune 
ûux yeux  jaunâtres ,  au  bec  brun  &"  orangé.  Ces  caradères 
le  trouveront  vrais  en  général;  les  femelles  6c  les  mâles 

Bbb  il] 


382     Histoire  Natu pelle,  ire. 

de  toutes  ces  efpèces  fe  refTemblant  aiïez  par  les  cou- 
jeurs ,  pour  que  les  différences  ne  foient  pas  fort 
fenfibles  ;  cependant  il  y  a  ici,  comme  dans  toute  la 
Nature,  des  variétés  aiïez  confidérahies,  fur-tout  dans 
les  couleurs  ;  i[  fe  trouve  des  hulottes  plus  noires  les 
unes  que  les  autres,  des  chat -huants,  plutôt  couleur 
de  plomb  que  gris -de -fer  foncé,  des  efîraies  plus 
blanches  ou  plus  jaunes  les  unes  que  les  autres,  des 
chouettes  ou  chevêches  grandes  &  petites ,  plutôt 
fauves  que  brunes  ;  mais  en  réunifïïmt  enfcmble  ôl 
comparant  les  caradlères  que  nous  venons  d'indiquer, 
je  crois  que  tout  le  monde  pourra  les  reconnoitre, 
c'eft-àdire,  les  diflinguer  les  unes  des  autres  fane  s'y 
méprendre. 


n  XX nu  Paj  3Si 


ttt/tSrr-^ 


LA  C  RFA  F.  C  HE  ou  PETITE  CHOUETTE  . 


î8î 


OISEAUX  ÉTRANGERS, 

Qui  ont  rapport  aux  H I  B  0  U  X  if  aux 

Chouettes. 
I. 

L'oiseau  appelé  Cabure  ou  Cahoure  y^^^  If  s  Indiens 
du  Brefil,  qui  a  des  aigrettes  de  plumes  fur  la  tcte , 
&  qui  n'eft  pas  plus  gros  qu'une  Jitorne  ou  ^ùvt  Aqs 
genévriers;  ces  deux  caractères  fuffifent  pour  indiquer 
qu'il  tient  de  très  ~  près  à  l'efpèce  du  fcops  ou  petit 
duc  ,  fi  mcme  il  n'eft  pas  une  variété  de  cette  efpèce. 
Marcgrave  efl  le  feul  qui  ait  décrft  cet  oifcau  (aj ,  il 
n'en  donne  pas  la  figure;  c'eft,  dit-il,  une  efpèce  de 
hibou  de  la  grandeur  d'une  litorne  (nirdela);  il  a  la 
tête  ronde,  le  bec  court,  jaune  &  crochu  avec  A^wx 
trous  pour  narines;  les  yeux  beaux,  grands,  ronds, 
jaunes  avec  la  pupille  noire;  fous  les  yeux  <S^  à  côté 
du  bec,  il  y  a  des  poils  longuets  (5c  bruns;  les  jambes 
font  courtes  &  entièrement  couvertes,  auiïi  -  bien  que 
les  pieds  ,  de  plumes  jaunes  ;  quatre  doigts  à  l'ordinaire , 
avec  des  ongles  fémilunaires,  noirs  6c  aigus;  la  (|ucue 
large,  6v  à  l'origine  de  laquelle  fe  terminent  les  ailes  ; 
le  corps,  le  dos,  les  ailes  &.  la  queue,  font  de  couleur 
d'ombre  pâle,  marquée  fur  la  tête  &  le  cou  de  très-petites 

(a)  Marcgrave ,  H'ijl,  Braf.  pag.  2 1  2. 


384       Histoire   Naturelle 

taches  blanches,  ôi.  fur  les  arles  de  plus  grandes  taches 
de  cette  même  couleur  ;  ia  queue  eft  ondée  de  blanc  ,  la 
poitrine  <&.  le  ventre  font  d'un  gris-blanchâtre,  marqué 
d'ombre  pâle  (  c'eiVà-dire  d'un  brun  clair).  Marcgrave 
ajoute  que  cet  oifeau  s'apprivoife  aifcment ,  qu'il  peut 
tourner  la  tête  Si  alonger  le  cou  ,  de  manière  que 
l'extrémité  de  fon  bec  touche  au  milieu  de  fon  dos  ; 
qu'il  joue  avec  les  hommes  comme  un  fmge,  &  fait  à 
leur  afpedl  diverfes  bouffonneries  <Sc  craquemens  de  bec; 
qu'il  peut  outre  cela  remuer  les  plumes  qui  font  des 
deux  côtés  de  la  tête,  de  manière  qu'elles. fe  drefTent 
&  repréfentent  des  petites  cornes  ou  des  oreilles;  enfin 
qu'il  vit  de  chair  crue  :  on  voit  par  cette  defcription , 
combien  ce  hibou  approche  de  notre  fcops  ou  petit 
duc  d'Europe,  Si  je  ne  ferois  pas  éloigné  de  croire 
que  cette  même  efpèce  du  Brehl  fe  retrouve  au  cap 
de  Bonne-erpérance.  Kolbe  dit  que  les  chouettes  qu'on 
trouve  en  quantité  au  Cap,  font  de  la  même  taille  que 
celles  d'Europe,  que  leurs  plumes  font  partie  rouges 
ôi  partie  noires,  avec  un  mélange  de  taches  grifes  qui 
les  rendent  très-belles,  Si  qu'il  y  a  plufieurs  Européens 
au  Cap,  qui  gardent  des  chouettes  apprivoifées,  qu'on 
voit  courir  autour  de  leurs  maifons.  Se  qu'elles  fervent 
à  nettoyer  leurs  chambres  de  fouris  (^SJ:  quoique  celte 
defcription  ne  foit  pas  aiïez  détaillée  pour  en  faire  une 
bonne  comparaifon  avec  celle  de  Marcgrave,  on  peut 

/ùj  Defcription  du  cap  de  ^onne-efpérance ,  tome  III,  pages  i  p  S 

croire 


DES  Oiseaux  étrangers,  ire.  385 

croire  que  ces   chouettes  du  Cap ,   qui  s'apprivoiicnt 

ailément,  comme  les  hiboux  du  Brefil,  font  plutôt  de 

cette    même  efpèce  que  de  celles  d'Europe ,  parce 

que  les  influences  du  climat  font  à  peu  près  les  mêmes 

au  Brefil  &  au  Cap,  6.  que  les  difîérences  &.  les  variétés 

des  efpèces  font  toujours  analogues  aux  influences  du 

climat. 

I  I. 

L'oiseau  de  la  baie  de  Hudfon,  appelé  dans  cette 
partie  de  l'Amérique,  Capamcoch ,  très -bien  décrit, 
defîiné,  gravé  <Sc  colorié  par  Ai.  Edwards,  qui  l'a  nommé 
hawk-owl  (c) ,  chouette-épervier ,  parce  qu'il  participe 
Ats,  A(i\.\\,  Si  ([u'il  femble  faire  en  effet  la  nuance  entre 
ces  deux  genres  d'oifeaux  ;  il   n'eil  guère   plus  gros 

,         ,  -ri  •         r  V        ^      fparmv-  hawk  ) 

qu  un  epervier  de  la  petite  elpece  <  .       .     ,        •  >, 

1  r  11^  epervier  des  moineaux  ^ 

la  longueur  de  fes  ailes  Si  de  fa  queue  lui  donne  l'air 
d'un  epervier  ;  mais  la  forme  de  fa  tête  Se  de  fes  pieds 
démontre  qu'il  touche  de  plus  près  au  genre  des 
chouettes:  cependant  il  vole,  chafle  <Sc  prend  fa  proie 
en  plein  jour ,  comme  les  autres  oifeaux  de  proie 
diurnes;  fon  bec  efl  femblable  à  celui  de  l'épervier, 
mais  fans  angles  fur  les  côtés  ;  il  efl  luifant  Si  de 
couleur  orangée,  couvert  prefqu'en  entier  de  poils, 
ou  plutôt  de  petites  plumes  décompofées  (5c  grifes, 
comme  dans  la  plupart  des  efpèces  de  chouettes;  i'iris 

('cj  The  Unie  Hawk'owl  Edwards,  H'ijl.  of  Birds ,  tom,  II, 
pag.  62,  planche  LXil ,  avec  une  bonne  figure  coloriée. 

û  if  eaux,  Tome  I.  ,  C  c  c 


386        Histoire  Naturelle 

des  yeux  efl  de  ia  même  couleur  que  celle  du  htc , 
c'efl-à-dire,  orangée;  ils  font  entourés  de  blanc, 
ombragés  d'un  peu  de  brun  moucheté  de  petites 
taches  longuettes  (?c  de  couleur  obfcure ,  un  cercle 
noir  environne  cet  efpace  blanchâtre,  &  s'étend  autour 
de  la  face  jufqu'auprès  des  oreilles;  au-delà  de  ce 
cercle  noir  fe  trouve  encore  un  peu  de  blanc;  le 
fommet  de  la  tcte  efl  d'un  brun  foncé,  marqueté  de 
petites  taches  blanches  (Se  rondes  ;  le  tour  du  cou  6c 
Jes  plumes  ,  jufju'au  milieu  du  dos  ,  font  d'un  brun 
obfcur  &i  bordées  de  blanc;  les  ailes  font  brunes  <Sc 
élégamment  tachées  de  blanc  ,  les  plumes  fcapulaircs 
font  rayées  tranfvcrfalemcnt  de  blanc  6c  de  brun;  les 
trois  plumes  les  plus  voi fines  du  corps  ne  font  pas 
tachées,  mais  feulement  bordées  de  blanc;  la  partie 
inférieure  du  dos,  le  croupion  &  les  couvertures  du 
deffus  de  la  queue  font  d'un  brun  foncé  ,  avec  des 
raies  tranfverfales  d'un  brun*plus  léger;  la  partie  infé- 
rieure de  la  gorge,  la  poitrine,  le  ventre,  les  côtés, 
les  jambes,  la  couverture  du  dcffous  de  la  queue  6c  les 
petites  couvertures  du  deffous  des  ailes  font  blanches, 
avec  des  raies  tranfverfales  brunes  ;  les  grandes  font  d'un 
cendré  obfcur ,  avec  des  taches  blanches  fur  les  deux 
bords  ;  la  première  des  grandes  plumes  de  l'aile  efl 
toute  brune ,  fans  tache  ni  bordure  blanche ,.  6c  il  n'y 
a  rien  de  femblable  aux  autres  plumes  de  l'aile,  comme 
on  peut  auffi  le  remarquer  dans  les  autres  chouettes; 
les  plumes  de  la  queue  font  au  nombre  de  douze. 


DES  Oiseaux  et ran cers,  i/c,  387 

d'une  couleur  cendrée  en  dcfTous,  d'un  brun  obfcur  en 
defTus,  avec  des  raies  tranfverfaics  étroites  &.  blanches; 
les  jambes  &  les  pieds  font  couverts  de  plumes  fines , 
douces  Si  blanches  comme  celles  du  ventre,  traverféfs 
delignes  brunes  plus  étroites  &  plus  courtes;  les  ongles 
font  crocJius  ,  aigus  ôl  d'un  brun  foncé. 

Un  autre  individu  de  la  même  efpèce  étoit  un  peu 
pkis  gros,  Sl  avoit  les  couleurs  plus  claires,  ce  qui  fait 
préfumer  que  celui  qu'on  vient  de  décrire  efl  le  mâle; 
<5c  ce  fecond-ci  la  femelle:  tous  Aeux  ont  été  apportés 
de  la  baie  de  Hudfon  en  Angleterre ,  par  M.  Light ,  à 

M.  Edwards. 

I  I  I. 

LE     H  A  R  F  A  N  G. 

Voyc^  les  planches  enhiiuînees  ,11.    4 s  ^• 

L'oiseau  qui  fe  trouve  dans  les  terres  feptentrionales 
des  deux  continens,  que  nous  appellerons  Harfaug,  du 
nom  fîwfdorig  (J),  qu'il  porte  en  Suède ,  <5c  qui  par  fa 
grandeur  ell  à  l'égard  des  chouettes,  ce  que  le  grand 
duc  eft  à  l'ég.îrd  des  hiboux  ;  car  ce  harfang  n'a  point 
d'aigrettes  fur  ia  tête,  6c  il  efl  encore  plus  grand  t«L 
plus  gros  que  le  grand  duc;  comme  la  plupart  ^es 
oifeaux  du  Nord,  il  eft  prefque  par-tout  d'un  t^-^s-beau 

(d)  Scnx  copïte  lœvî ,  corpore  alhïdo.  Harûp-ë-  ^'""-  ^^^"-  '^''^^' 
n:  54.  .  .  .  Nyaea.  Strïx  capite  lœvï.  --'P'^'  ^^^''^' >  '"'^^"^^  ^""^''"^ 
diftantibus  fufàs.  IJem.  Syft.  nn*-  -^^''  ^'"  ^'^"'  fcandiana  maxima 
ix  albo  ù-  cïnmo  v^r^^^aîa.  Rudbeck  cité  par  Liim^us.  Ibid. 

Ccc  ij 


388       Histoire   Naturelle 

blanc,  mais  nous  ne  pouvons  rien  faire  de  mieux  ici, 

que  Je  traduire  de  l'Anglois  la  bonne   defcription  , 

que  M.  Edwards  nous  a  donnée  de  cet   oifeau  rare  , 

ôi   que  nous  n'avons  pu   nous  procurer:  «  la  grande 

»  chouette  blanclie,  dit  cet  Auteur,  efl  de  la  première 

"  grandeur  dans  le  genre  des  oifeaux  de   proie  noc- 

>j  turnes ,  Si  c'efl  en   même -temps  i'efpèce  la  plus 

5)  belle  à  caufe  de  fon  plumage  qui  eft  blanc  comme 

«  neige;  fa  tête  n'ell;  pas  fi  grofTe,  à  proportion,,  que 

3>  celle   des  autres   chouettes;  fes   ailes,    lorfqu'elles 

>>  font  pliées,  ont  feize  pouces  (  Anglois  ) ,  depuis 

>)  l'épaule  jufqu'à  l'extrémité  de  la  plus  longue  plume, 

5î  ce  qui  peut  faire  juger  de  fa  grandeur:  on  dit  que 

5>  c'efl  un  oifeau  diurne,  6c  qu'il  prend  en  plein  jour 

55  les   perdrix   blanches  dans  les  terres  de  la   haie  de 

•*•>  Hudfon  fej,  où  il  demeure  pendant  toute  l'année; 

>  fon   bec   efl    crochu   comme   celui   d'un  épervier, 

5j  n'ayant  point  d'angles  fur  les  côtés  ;   il  efl  noir  Se 

»  percé  de  larges  ouvertures  ou  narines,  il  e(t  de  plus 

3>  prefcju'entièrement  couvert  de  plumes  roidcs,  fem- 

«  blables  à  des  poils  plantés  dans  la  bafe  du  hec ,  Se 

•»  fe  retournant  en   dehors;  la   pupille   des  yeux    efl 

5^  environnée  d'une  iris  brillante  &  jaune,  la  tête  auffi- 

55  bie«  que  le  corps,  les  ailes  6c  la   queue  font  d'un 

»  blanc  par;  je  deffus  de  la  tête  efl  feulement  marqué 

»  de   petites  tacL^s   brunes,  la   partie  fupérieure  du 

f'ej  }\oîa.  Que  ces  perdrix  bian^vips  des  terres  du  nord  de  TAmé- 
rique  ne  iont  pas  des  perdrix ,  mais  des  geJOii^tes, 


DES  Oiseaux  étrangers,  i/c.  389 

dos  efl  rayée  iranfverfalement  de  quelques  lignes  « 
brunes ,  les  côtés  fous  les  ailes  font  aufTi  rayés  de  « 
même  ,  mais  par  des  lignes  plus  étroites  6c  plus  « 
ciaires;  les  grandes  plumes  des  ailes  font  tacliées  « 
de  brun  fur  les  '.bords  extérieurs ,  il  y  a  aufu  des  « 
taches  brunes  fur  ks  couvertures  des  ailes ,  mais  « 
Jeurs  couvertures  en  deffous  font  purement  blanches,  « 
le  bas  du  dos  6c  le  croupion  font  blancs  6c  fans  « 
taches  ;  les  jambes  6c  les  pieds  font  couverts  de  « 
plumes  blanches,  les  ongles  font  longs ,  forts,  d'une  « 
couleur  noire  6c  très-aigus:  j'ai  eu  un  autre  individu  « 
de  cette  efpèce,  ajoute  M.  Edwards,  qui  ne  dilîéroit  « 
de  celui  -  ci  qu'en  ce  qu'il  avoit  des  taches  plus  << 
fréquentes  6c  d'une  couleur  plus  foncée  »  ffj.  Cet 
oifcau  qui  efl  commun  dans  les  terres  de  la  baie  de 
Hudfon  ,  eft  apparemment  confiné  dans  les  pays  du 
Nord  ,  car  il  efl  très  -  rare  en  Penfilvanie  ,  dans  le  nou- 
veau continent,  6c  en  Europe,  on  ne  le  trouve  plus 
en-deçà  de  la  Suède  6c  du  pays  de  Dantzick  ;  il  eft 
prefque  blanc  6c  fans  taches  dans  les  montagnes  de 
Lapponie.  M.  Klein  dit  que  cet  oifcau  qu'on  appelle 
Mirfan^  en  Suède,  fe  nomme  wàjfebunte  fchliâcte-eule 
en  Allemagne  ,.  qu'il  a  eu  à  Dantzick  le  mâle  6c  la 
femelle  vivans,  pendant  plufieurs  mois  (^) ,  en   174.7. 

(f)  Edwards,  H'ijl.  of  BirJs,  îom.  II,  pag.  Ci  ,  pkmhe  LXJ, 
avec  i  ne  bonne  figure  colorice. 

/gj  — Ulula  alba  maculis  tard  coloris.  Hûrfang,  Suec.  WeifTeln^nte 
Schliclcie-eulc.  Eju^modi  ayem  anrio  ij^jf  S  i^'^'   ''lf'^''ùa:n  inter 

Çcc  iij 


390       Histoire  Natu relle 

Al.  Ellis  rapporte  que  le  grand  hibou  blanc  fans  oreilles 
(  c'eft-à-clire,  cette  grande  chouette  blanche  ),  abonde 
auffi-bien  que  le  hibou  couronne  (  c'efi:- à- dire ,  le 
grand  duc  ),  dans  les  terres  qui  avoifincnt  la  baie  de 
Hudfon  :  il  eft,  dit  cet  Auteur,  d'un  blanc  cblouiiïànt, 
6c  Ton  a  peine  à  le  diflinguer  de  la  neige  ;  il  y  paroît 
pendant  toute  l'année,  il  vole  fouvent  en  plein  jour, 
6c  donne  la  chafîe  aux  perdrix  blanches  (lij:  on  voit 
par  tous  ces  témoignages,  que  le  harfang,  qui  efl  fans 
comparaifon  la  plus  grande  de  toutes  les  chouettes,  fe 
trouve  aiïcz  communément  dans  les  terres  feptentrio- 
nales  des  deux  continens  f'ij;  mais  qu'apparemment 
cet  oifcau  craint  le  chaud,  puifqu'on  ne  le  trouve 
dans  aucun  pays  du  Midi. 

eur'iûfa  fûcUtaùs  Gûar  repofui.  Pondus  cequahat  j»  { ^  pojlea  martm  & 
fœm'inam  vivos  ohtinui ,  pojl  menfes  fex  fœm'inâ  mortuâ  ,  marem  Iibertate 
donavi.  Eadcm  apud  Edwardum ,  tom.  11,  pag.  6\.  Ah  unco  rojîri  ad 
exitum  caudœ  i  -j^  ulnœ  dant  alis  expanfis  2  i,  rojlrum  &  un  gués  n'rgri; 
genœ ,  alœ  infernœ ,  uropygium  pedes  pilofa  latïea;  truncus  fupernè  fuper 
ûlbo  ex  cinereo  marmoratus.  Klein ,  Av'u  pag.  5 4, 

(h)  Voyage  de  la  baie  de  Hudfon,  tome  I,  pages  /j  &  ^6. 
Nota.  J'ai  déjà  averti  que  ces  perdrix  croient  des  gelinottes. 

(i)  Nota.  On  le  trouve,  comme  on  voit,  en  Lapponie,  en  Suède 
&  dans  le  nord  de  l'Allemagne;  on  le  trouve  à  la  baie  de  Hudfon 
&  en  Penfilvanie  ;  on  le  trouve  aufTi  en  Iflande ,  car  Anderfon  l'a 
fuit  defliner  &  graver.  Voye-^  la  Defcr'ipt'ion  de  l'IJIande,  par  Anderfon, 
tome  I,  page  8j,  planche  I  ;  Se  quoique  Horrobous,  qui  a  fait  la 
critique  de  l'ouvrage  d' Anderfon,  aflure  qu'il  n'y  a  aucun  hibou  ni 
chouette  en  Iflande ,  ce  fait  négatif  &  général  ne  doit  pas  être  admis 
fur  la  parole  d'un  feul  garant,  dont  il  paroît  que  le  but  principal 
-était  de  contredire  Anderfon. 


DES  Oiseaux  Etrangers,  c/c.    391 

IV. 

Le    CHAT^HUANT  de   Cayenne. 

Vûjei  les  plaîiches  enlnminces ,  ;/."  4^2. 

L'oiseau  que  nous  avons  cru  devoir  appeler  le  Chat- 

hiant  de  Cayenne ,  qui  n'a  été  indiqué  par  aucun  Natura- 

lide;  il  efl  en  effet  de  la  grandeur  du  chat-huant ,  dont 

cependant  il   diffère  par  la  couleur  des  yeux  qu'il  a 

jaunes,  en  forte  qu'on  pourroit  peut-être  le  rapporter 

également  à  refpèce  de  l'effraie;  mais  dans  le  vrai,  il 

nereffemble  ni  à  Tun  ni  à  l'autre, 6c  nous  paroît  être  un 

oilcau  différent  de  tous  ceux  que  nous  avons  indiqués  : 

il  efl   particulièrement  remarquable  par  fon  plumage 

roux,  rayé  tranfverfalement  de  lignes  en  ondes  brunes 

&:  très  -étroites,  non  -  feulement  fur  la  poitrine  <Sc  le 

ventre,  mais  même  fur  le  dos,  il  a  au/Ti  le  htc  couleur 

de  chair  Si  les  ongles  noirs;  cette  courte  defcription , 

avec  la  planche  enluminée,  fufiira  pour  faire  diflinguer 

cette  efpèce  nouvelle  de  toutes  les  autres  chouettes. 

V. 

La  Chouette  ou  grande  Chevêche 

de  Canada» 

Cet  oifeau  qui  a  été  indiqué  par  M.  Briffon   fkj, 
foivs  le  no  ni  de  Chat-huant  de  Canada,   nous  a  paru 

(k)  BriiTon,  OrnHhoL  tome  I,  page  j\S;  p/ûnc/ie  xxxyii, 
fgurc  2> 


392       Histoire   N atu relle 

approcher  beaucoup  plus  de  l'efpèce  de  la  grande 
chevêche,  &  c'efl  par  cette  raifon  que  nous  lui  en 
avons  donné  le  nom;  la  planche  enhimince  qui  le 
reprélente,  comparée  avec  celle  de  notre  chevêche  (Se 
de  notre  chat-liuant,  iuffit  pour  démontrer  que  cet 
oifeau  a  plus  de  rapport  avec  Ja  première  qu'avec  le 
fécond;  elle  diffère  néanmoins  de  notre  chevêche, 
en  ce  qu'elle  a  fur  la  poitrine  <5c  fur  le  ventre  des 
bandes  brunes  tranfverfales,  régulièreinent  difpofées  ; 
<Sc  c'efl  ciiofe  affez  hngulière,  qui  {t  trouve  également 
dans  la  petite  chevêche  d'Amérique  dont  nous  avons 
parlé  à  l'article  de  la  chevêche  ou  petite  chouette,  <5c 
que  nous  n'avons  confidérée  que  comme  une  variété 
de  cette  petite  efpèce. 

V  î. 

La  Chouette  ou  grande  Chevêche 

de  Saint'Dominorue. 

o 

Cet  oifeau  nous  a  été  envoyé  de  Saint-Domingue^ 
ÔL  nous  paroît  être  une  efpèce  nouvelle  différente  de 
.toutes  celles  qui  ont  été  indiquées  par  tous  les  Natu- 
ralifles  ;  nous  avons  cru  devoir  la  rapporter  par  le  nom 
à  celle  de  la  chouette  ou  grande  chevêclie  d'Europe, 
parce  qu'elle  s'en  éloigne  moins  que  d'aucune  autre; 
mais  dans  le  réel,  elle  nous  paroit  faire  une  efpèce  à 
part,  (Se  qui  mériteroit  un  nom  particulier;  cWt  a  le 
,bec  plus  grand ,  plus  fort  &.  plus  crochu   qu'aucune 

efpèce 


DES  Oiseaux  Étrangers»  ifc.  593 

efpèce  de  chouette  ,  &:  elle  diffère  encore  de  notre 
grande  chevêche  ,  en  ce  qu'elle  a  le  ventre  d'une 
couleur  rouffâtrc ,  uniforme,  &  qu'elle  n'a  fur  la  poi- 
trine que  quelques  taches  longitudinales  ;  au  lieu  que 
ia  chouette  ou  grande  chevéclie  d'Europe,  a  fur  la 
poitrine  &  fur  le  ventre  de  grandes  taches  brunes, 
oblongues  &  pointues,  qui  lui  ont  fait  àoïxntï  le  nom 
de  Chouette  flambée,  noâua  jlanwieûta. 


Oifeaux ,  Tome  I, 


.  DdJ 


394-      Histoire   Naturelle 

OISEAUX 

QUI   NE    PEUVENT  VOLER, 

xJes  Oifeaijx  les  plus  légers  &  qui  percent  les  nues, 
nous  paflons  aux  plus  pefans  qui  ne  peuvent  quitter 
la  terre;   le  pas  efl  brufque  ,  mais  la  comparaifon  efl 
la  voie   de   toutes   nos  connoiffcnces.  Si  le  conirafte 
étant  ce  qu'il  y  a  déplus  frappant  dans  la  comparailon, 
nous  ne  faifilTons  jamais  mieux  que  par  l'oppoiition, 
]es  points  principaux  de  la  nature  des  êtres  que  nous 
confidcrons.   De  même,   ce   n'eft   que   par  un  coup 
d'oeil  ferme  fur, les  extrêmes  que  nous  pouvons  juger 
les  milieux.  La  Nature  déployée  dans  toute  fon  étendue, 
nous  préfente  un  immenfe  tableau  ,  dans  lequel  tous 
les  ordres  des  êtres  font  chacun  rcpréfentés  par  une 
chaîne  qui   foutient  une  fuite  continue  d'objets  aiïez 
voifms  ,   affez  femblables  pour   que  leurs  différences 
foient  difficiles   à  fufir  ;    cette  chaîne    n'efl    pas   un 
fimple  fil    qui  ne  s'étend   qu'en  longueur  ,  c'efl  une 
large  trame   ou  plutôt  un  faifceau  ,  qui ,  d'intervalle  à 
intervalle,  jette  des  branches  de  côté   pour  fe  réunir 
avec  les  faifceaux  d'un  autre  ordre;  &  c'cft  fur- tout 
aux   deux  extrémités    que   ces  faifceaux  fe  plient,  fe 
ramifient  pour  en  atteindre   d'autres.  Nous  avons  vu 
dans  l'ordre  des  quadrupèdes,  l'une  des  extrémités  de 
la  chaîne,   s'élever  veis  l'ordre   des  oifeaux  par  les 


DES    Oiseaux,  t'c.       395 

polatoiiches,  les  roiifTettcs,   les  chauve  -  ioiiris,  qui, 
comme  eux,  ont  la  faculté  de  voler.  Nous  avons  vu 
celte  même  chaine,  par  fon  autre  extrémité  ,  fe  rahaiffer 
jufqu'à    l'ordre    des   cétacées    par   les   phoques  ,    les 
morfes ,  les  lamantins.  Nous  avons  vu  dans  le   milieu 
de  cette  chaîne,   une   branche   s'étendre   du   fmge  à 
l'homme   par  le   magot,   le   gibbon,   le   pithèque  <^ 
l'orang-outang.  Nous  l'avons  vue  dans  un  autre  point, 
jeter  uï\  double  &.  triple  rameau,  d'un  côté  vers  les 
reptiles  par  les  fourmiliers ,  \ts  phatagins ,  les  pangolins , 
dont  la  forme  approche  de  celle  des  crocodiles,  Acs 
iguanes,  des  lézards;  d  d'autre  côté  vers  les  cruflacés, 
par  les  tatous,  dont  le  corps  en  entier  eft  revêtu  d'une 
cuiraffc  ofTeufe.   Il   en  fera  de  même  du  faifceau  qui 
foutient  l'ordre  très- nombreux  des  oi féaux  ,   fi  nous 
plaçons  au  premier  point  en  haut  les  oifeaux  aériens 
les  plus  légers,  les   mieux  volans,  nous  defcendrons 
par  degrés  &  même  par  nuances  prefqu'infcnfil)les  aux 
oifeaux  les  plus  pefans,  les  moins  agiles,  6c  qui  dénués 
des    inftrumens   néceffaires  à  l'exercice   du    vol ,    ne 
peuvent  ni  s'élever  ni  fe  foutenir  dans  l'air;  6c   nous 
trouverons  que  cette  extrémité  inférieure  du  faifceau, 
fe  divife  en  deux  branches ,  dont  l'une  contient  les 
oifeaux  terreftres ,  tels  que  l'autruche,  le  touyou  ,  le 
cafoar,  le  dronte  ,  6cc.  qui  ne  peuvent  quitter  la  terre; 
&  l'autre  fe  projette  de  côté  fur  les  pingoins  6c  autres 
oifeaux  aquatiques ,  auxquels  l'ufage  ou  plutôt  le  féjour 
de  la  terre  6c  de  ^air  font  également  interdits ,  6:  qui 

Ddd  ij 


39^        Histoire  Natu relle 

ne  peuvent  s'élever  au  -  defTus  de  la  furface  de  l'eau, 
qui  paroit  être  leur  élément  particulier.  Ce  font-là  les 
deux  extrêmes  de  la  chaîne  que  nous  avons  raifon  de 
confjdcrcr  d'abord  avant  de  vouloir  faifir  les  milieux, 
qui   tous   s'éloignent   plus   ou    moins    ou   participent 
inégalement  de  la  nature  de  ces  extrêmes,  &  fur  lefqueîs 
milieux    nous   ne   pourrions    jeter    en    effet   que  des 
regards    incertains ,  fi   nous   ne   connoiïïjons   pas  les 
limites  de  la  Nature  par  la  confidération  attentive  des 
points  où  elles  font  placées:  Pour  donner  à  cette  vue 
métaphyfique  toute  fon  étendue,  &  en  réalifer  les  idées 
par  de  jafles  applications  ,   nous   aurions    du  ,  après 
avoir  donné  l'hifloire  dts  animaux  quadrupèdes,  com- 
mencer celle   des   oifcaux   par  ceux   dont  la   Nature 
approche  le  plus  de  celle  de  ces  animaux.  L'autruche 
qui  tient   d'une  part  au  chameau  par  la  forme  de  fes 
jambes,  &  au  porc-épicpar  les  tuyaux  ou  piquans  dont 
fes  ailts  font  armées,  devoit  donc  fuivrc  les  quadru- 
pèdes; mais  la  Philofophie  efl  fouvent  obligée  d'avoir 
l'air  de  céder  aux    opinions  populaires,  <Sc  le  peuple 
des  Naturalises  qui  ell  fort  nombreux,  fouffre  impa- 
tiemment   qu'on    dérange  (es    méthodes ,    ôc  n'auroit 
regardé  cette  difpofition  que  comme  une  nouveauté 
déplacée ,  produite  par   l'envie   de  contredire  ou  le 
defir  de  faire  autrement  que  les  autres:  cependant  on 
verra  qu'indépendamment  des  deux  rapports  extérieurs 
dont  je  viens  de  parler ,  indépendamment  de  l'attribut 
de  la  grandeur ,   qui   feul  fuffiroit  ,pour  faire  placer 


DES      0   I   S  E  A  U   X ,  i^c.  397 

i'aiitruche  à  la  icte  de  tons  les  oiTcaux  ;  elle  a  encore 
beaucoup  d'autres  conformités  par  l'organifation  inté- 
rieure avec  les  animaux  quadrupèdes  ,  &  que  tenant 
prefqu'autant  à  cet  ordre  qu'à  celui  des  oifeaux,  elle 
doit  être  donnée  comme  faifant  la  nuance  entre  l'un 
Si  l'autre. 

Dans  chacune  de  ces  fuites  ou  chaînes  ,  qui 
foutienncnt  un  ordre  entier  de  la  Nature  vivante,  les 
rameaux  qui  s'étendent  vers  d'autres  ordres  font  tou- 
jours afTcz  courts  Si  ne  forment  que  de  très  -  petits 
genres.  Les  oifeaux  qui  ne  peuvent  voler,  fe  réduifent 
à  fept  ou  huit  efpèces  ;  les  quadrupèdes  qui  volent,  à 
cinq  ou  fix  ;  &  il  en  efl  de  même  de  toutes  les  autres 
branches  qui  s'échappent  de  leur  ordre  ou  du  faifceau 
principal ,  elles  y  tiennent  toujours  par  le  plus  grand 
nombre  de  conformités  ,  de  reiTe  m  fiances  ,  d'analogies , 
Se  n'ont  que  quelques  ranjiorts  &  quelques  convenances 
avec  les  autres  ordres;  ce  font,  pour  ainfi  dire,  des 
traits  fugitifs  que  la  Nature  paroît  n'avoir  tracés  que  pour 
nous  indiquer  toute  l'étendue  de  fa  puifTance,  <Sc  faire 
fentir  au  Philofophe  qu'elle  ne  peut  être  contrainte 
paries  entraves  de  nos  méthodes,  ni  renfermée  dans 
les  bornes  étroites  du  cercle  de  nos  idées. 


Ddd  iij 


39B       Histoire  N  atu  re  l  le 


L' AUTRUCHE  Ov\ 

Voy,  tes  planches  enluminées ,  nf  ^jy  ;  ér  pi'  XXIX 

de  ce  volume. 

L^AUTRUCHE  cft  un  oifeau  très-anciennement  connu, 
pnifqii'il  en  efl  fait  mention  dans  le  plus  ancien  des 
Livres  ;  il  falloit  même  qu'il  fût  très-connu ,  car  il 
fournit  aux  Ecrivains  facrcs  plufîeurs  comparaifons 
tirées  de  fes  mœurs  &  de  fes  habitudes  fhj;  Si  plus 
anciennement  encore  fa  chair  étoit,  félon  toute  appa- 
rence, une  viande  commune,  au  moins  parmi  le  peuple, 
puifque  le  Lcgiflateur  des  Juifs  la  leur  interdit  comme 
une  nourriture  immonde  fcj;  €n{\n,  il  en  eft  queflion 
dans  Hérodote ,  le  plus  ancien  des  Hiftoriens  pro- 
fanes ^(^Jj  &  dans  les  Ecrits  des  premiers  Philofophes 

faj  Autruche,  en  Hébreu,.  Jacuab  ;  en  Arabe,  Neamah  ;  en 
Grec,  Stç^Stj?;  en  Latin,  Struthio  ;  en  Efpagnol  ,  Avejfru^;  en 
Italien,  Strut-^o;  en  Ailcmand,  Slrujf  ou.  Sirûujf;  en  Anglois,  Ofrich. 
—  Autruche.  Belon,  Hijl.  nat.  des  Oifemx,  page  23  i.  —  McjTvoires 
pour  ferviï  à  IHiftoire  des  Animaux ,  /?^r//f  II,  page  J  1 S  >  ^^^<^ 
une  allez  bonne  figure.  — Albin,  terne  III,  page  /j>,  planche  XX XT, 
avec  une  figure  coloriée. 

(b)  Hahitabunt  ïbï  jlrvth'wneSi  llaïe,  chûp.  XJII,  y.  21. — Fil'ta 
popuii  mei  crudelis  (juafi  JIruthio  in  deftrto.  Jéréni.  Thren.  cap.  JV, 
y.  3.  —Luâum  quafi  Jlruthionum.  Mie  h.  cap.  I,  yf .  8. 

(c)  Levitic.  cap.  XI,  y.   16.   — Deuteron.  cap.  XJV,  yf .  i  j. 
(dj  Nota.  Hérodote,  fi  l'on  en  croit  M.  de  SaJerne  (Ornitliologie, 


DE      L*  A    U   T   R   U   C   H    E.  399 

qui  ont  traité  des  chofes  naturelles  ;  en  effet ,  comment 

fiage  yp  ),  parle  de  trois  fortes  d'autruches;  \e  Jlrout/ios  aquatique  ou 

marin,  qui  eJl  le  poiflon   plat  nommé  plye ;  X aérien,   qui  efl  notre 

moineau,  &  le  terreflre  ( kataga'ios ) ,  qui  efl  notre  autruche.  De  ces 

trois  efpèccs,  la  dernière  efl  la  feule  dont  j'aie  trouvé  l'indication  dans 

Hérodote  (In  Afelpomene ,  verfus  fnem),  encore  ne  puis-je  être  de 

l'avis  de  M.  Salerne  fur  la  manière  d'entendre  le  Jfrouthos  kataga'ws 

qui,  félon  moi,  doit  être  ici  traduit  par  autruche  fe  creufant  des  trous 

dans  la  terre ,    non  que  j'admette   de   telles   autruches ,    mais  parce 

qu'Hérodote  parle    en    cet   endroit    des   produdions    fincrulières   & 

propres  à  une  certaine  région  de  l'Afrique,  &  now  de  celles  qui  lui 

étoient  communes  avec  d'autres  contrées  (  Hœ  funt  Ulic  ferœ ,  &  item. 

quœ  alibi ).  Or  l'autruche  ordinaire  étant  très-répandue  &  par  con- 

ftquent  très-connue  dans  toute  l'Afrique,  ou  bien  il  n'en  auroit  pas 

fait  mention  en  ce  lieu,  puif qu'elle  n'étoit  pas  une  produdion  propre 

au  païs  dont  il  parloit,  ou  du  moins  s'il  en  eût  fait  mention,  il  auroit 

omis  l'épiihète  de  terreflre,  qui  n'ajoutoit  rien  à  l'idée  que  tout  le 

monde  en  avoir  ;   &  en  cela  cet  Hiftorien  n'eût  fait  que  fuivre  les 

propres  principes,  puifqu'il  dit  ailleurs  f  in  Thalia  ) ,  en  parlant  du 

chameau,  Grœcis  urpotc  fcientibus  non  puto  defcribendum.  Il  fiut  donc, 

pour  donner  au  pafTàge  ci  -  deflus  un   fens  conforme  à  l'efprit  de 

l'Auteur,  rendre  le  katagaies  comme  je  l'ai  rendu,  d'autant  plus  qu'il 

exifle  réellement  des  oifeaux  qui  ont  l'inflindl  de  fè  cacher  dans  le 

fable,  &  qu'il  ell  queltion  dans  le  même  pafïage  de  chofes  encore 

plus  e'tranges ,  comme  de  fèrpens  &  d'ànes  cornus,  d'acéphales,  &c. 

&  l'on  fait  que  ce  Père  de  l'Hiftoire  n'étoit  pas  toujours  ennejni  ée% 

Cibles  ni  du  merveilleux. 

À  l'égard  des  deux  autres  efpèces  <\q  Jlrouthos ,  l'aérien  &  l'aquatique , 
je  ne  puis  non  plus  accorder  à  M.  Salerne  que  ce  l'oit  notre  moineau 
&  le  poiflon  nommé  plye,  ni  imputer  avec  lui  à  la  langue  Grecque 
fi  riche,  fi  belle,  fi  fage,  l'énorme  difparate  de  comprendre  fous  un 
même  nom  des  êtres  aufli  difTemblables  que  l'autruche,  le  moineau 
&  une  efpèce  de  poiflon.  S'il  talloit  prendre  un  parti  fur  les  deux 


4-00  H/STO  /  RE    NatU  RELLE 

un  animal  fi  confidérable  par  fa  grandeur,  fj  remarquable 
par  fà  forme,  fi  étonnant  par  fa  fécondité,  attaché 
d'ailleurs  par  fà  nature  à  un  certain  climat,  qui  eft 
rAfrique  (?c  une  partie  de  l'Afie,  auroit-il  pu  demeurer 
inconnu  dans  des  pays  fi  anciennement  peuplés,  où  il  fe 
trouve  à  la  vérité  des  déferts,  mais  où  il  ne  s'en  trouve 
point  que  l'homme  n'ait  pénétrés  <Sc  parcourus! 

La  race  de  l'autruche  efl  donc  une  race  très-ancienne, 
puifqu'elle  prouve  jufqu'aux  premiers  temps,  mais  elle 
n'eft  pas  moins  pure  qu'elle  efl  ancienne;  elle  a  fu  fe 
conferver  pendant  cette  longue  fuite  de  fiècles ,  6c 
toujours  dans  la  même  terre,  fins  altération  comme 
fans  méfalliance;  en  forte  qu'elle  efl  dans  les  oifeaux, 
comme  l'éléphant  dans  les  quadrupèdes ,  une  efpèce 
entièrement  ifolée  &.  diftinguée  de  toutes  les  autres 
efpèces  par  des  caraélères  auffi  frappans  (ju'invariables. 

L'autruche  paffe  pour  être  le  plus  grand  des  oifeaux, 
mais  elle  efl  privée,  par  fa  grandeur  même,  de  la 
principale  prérogative  des  oifeaux  ,  je  veux  dire  la 
puiffance  de  voler:  l'une  de  celles  fur  qui  Vallifnieri 
a  fait  fcs  obfervations ,  pefoit,  quoique  très-maigre, 
cinquante-cinq  livres  toute  écorchéc  &:  vidée  de  fcs 
parties  intérieures  ;  en  forte  que  paffant  vingt  à  vingt- 
dernières  fortes  de  Jîrouthos ,  l'aërien  &  Taquaiique ,  je  diroîs  que  le 
premier  eft  cette  outarde  à  lojig  cou ,  qui  porte  encore  aujourd'hui 
dans  plus  d'un  endroit  de  l'Afrique  le  nom  d'autruche  volante,  & 
que  le  lecond  eft  quelque  gros  oileau  aquatique  à  qui  fa  pcfanteur 
0]x  la  fuible(îc  de  (çi  ailes  ne  permet  pas  de  voler. 

cinq 


DE      L'  A    U    T   R   U    C    H    E.  40 1 

cinq  livres  pour  ces  parties  &:  pour  la  graifFe  qui  lui 
manquoit  fej ;  on  peut,  fans  rien  outrer,  ti>cer  le  poids 
moyen  d'une  autruche  vivante  6i  médiocrement  grafTe, 
à  foixante  &.  quinze  ou  quatre-vingts  livres:  or  quelle 
force  ne  faudroit-il  pas  dans  les  ailes  Si  dans  les  mufcles 
moteurs  de  ces  ailes  ,  pour  foulever  &l  foutenir  au 
milieu  des  airs  une  malTe  aufTi  pefante  !  Les  forces  de 
la  Nature  paroiiïent  infinies  lorfqu'on  la  contemple  en 
gros  &  d'une  vue  générale;  mais  lorfqu'on  la  confidère 
de  près  &i  en  détail,  on  trouve  que  tout  efl  limité;  Si 
c'cft  à  bien  fiifir  les  limites  que  s'eft  prefcrit  la  Nature 
par  fagtffe  &.  non  par  impuiffance  ,  que  confifte  la 
Lonne  méthode  d'étudier  <&.  fes  ouvrages  &.  fts  ope- 
rations.  Ici  un  poids  de  foixante  6c  quinze  livres,  eft 
fupérieur  par  fa  feule  réfjflance  à  tous  les  moyens  que 
la  Nature  fait  employer  pour  élever  <5s:  faire  voguer 
dans  le  (luide  de  i'atmofphère  des  corps  ,  dont  la 
gravité  fpécifique  efl  \\ï\  millier  de  fois  plus  grande 
que  celle  de  ce  lluide;  Si  c*eft  par  cette  raifon  qu'aucun 
des  ojfeaux  dont  Ja  mafle  approche  de  celle  de  l'au- 
truche ,  tels  que  le  ihouiou  ,  le  cafoar ,  le  dronte  , 
n'ont  ni  ne  peuvent  avoir  \à  faculté  de  voler;  il   efl 

(e)  Ses  deux  ventricules,  bien  nettoyés,  pcfoient  {êuîi  fix  îi\rc;;; 
le  foje  ,  une  livre  huit  onces  ;  le  cœur ,  avec  fcs  oreii!ctte:>  <Si  Icj 
troncs  des  gros  vaifieaux ,  une  livre  fept  onces  ;  les  deux  pancréas , 
une  livre  ;  &  il  fuit  remarquer  que  les  inteftins ,  qui  /ont  très-longs 
&  très-gros,  doivent  être  d'un  poids  confiderable.  Voy,  A'otomia  dello 
Stfuiio.  Tome  1  des  Œuvres  de  VtiHJiikri,  page  2?  9  &  luivantes. 

Oiffduxj  Tome  L  .  Eec 


402       Histoire  N atu re l l e 

vrai  que  îa  pefanteur  n'efl  pas  le  feul  obfîacle  qui  s'y 
oppofe;  la  force  des  mufcles  pedoraux,  la  grandeur  des 
ailes,  leur  fituation  avantageufe,  ia  fermeté  de  leurs 
pennes  (fj ,  ôic.  feroient  ici  des  conditions  d'autant 
plus  nécelTaires,  que  la  réfiflance  à  vaincre  cû  plus 
grande:  or  toutes  ces  conditions  leur  manquent  abiolu- 
ment  ;  car  pour  me  renfermer  dans  ce  qui  regarde 
l'autruche,  cet  oifeau,  à  vrai  dire,  n'a  point  d'ailes, 
puifque  les  plumes  qui  lortent  de  ics  ailerons  font 
toutes  ciliées,  décoiiipofées,  ôc  que  leurs  barbes  font 
Je  longues  foies  détachées  les  unes  des  autres,  6c  ne 
peuvent  faire  corps  enfemble  pour  frapper  l'air  avec 
avantage  ,  ce  qui  eïï  h  principale  fonélion  des  pennes 
de  l'aile  ;  celles  de  la  queue  font  auiïi  de  la  même 
flruclure,  Si  ne  peu\ent  par  conféquent  oppofer  à  l'air 
une  réfiftance  convenable;  elles  ne  font  pas  même 
difpofées  pour  pouvoir  gouverner  le  vol  en  s'étalant 
ou  fe  refferrant  à  propos  ,  Si  en  prenant  différentes 
inclinaifons;  <Sc  ce  qu'il  y  a  de  remarquable,  c'efl  que 
toutes  les  plumes  qui  recouvrent  le  corps  font  encore 
faites  de  même;  l'autruche  n'a  pas,  comme  la  plupart 
des  autres  oifcaux ,  des  plumes  de  plufieurs  fortes,  les 

^fj  Nota.  J'appelle  &  dans  îa  fuite  j'appellerai  toujours  ainfi  les 
grandes  plumes  de  l'aile  &  de  la  queue  qui  fervent ,  foit  à  l'adion 
du  vol  ,  foit  à  fa  direction  ,  me  conformant  en  cela  à  l'analogie  de  la 
langue  latine  &  à  l'ufige  des  Ecrivains  des  bons  fiècles,  lefquels  n'ont 
jamais  employé  le  xxiox.  p^nna  dans  un  autre  fens.  Rapidis  fecat  permis  * 
Virgil. 


D   E      L'A    U    T   R   U   C    H    E.  405 

unes  laniigineures  Si  duvetces,  qui  font  imniéiliatenicnt 
fur  la  peau  ,  les  autres  d'une  confiilance  plus  fcriiic  Si 
plus  ferrée  qui  recouvrent  les  premières,  Si  d'autres 
encore  plus  fortes  &  plus  longues  qui  fervent  au  mouve- 
ment ,  6c  répondent  à  ce  qu'on  appelle  les  œuvres  vives 
dans  un  vaifTcau:  toutes  les  plumes  de  l'autruche  font 
de  la  même  efpèce,  toutes  ont  pour  barbes  àcs  iilets 
détachés,  fans  confiflance,  fins  adhérence  réciproque, 
en  un  mot ,  toutes  font  inutdes  pour  voler  ou  pour 
diriger  le  vol;  auffi  l'autruche  cfl  attachée  à  la  terre 
comme  par  une  double  chaîne,  fon  exceffive  pefanteur 
<&.  la  conformation  de  fes  ailes  ;  Si  elle  eit  condamnée 
à  en  parcourir  laborieufement  la  furface,  comme  les 
quadrupèdes,  fans  pouvoir  jamais  s'élever  dans  l'air; 
auffi  a-t-clle,  foit  au  dedans,  foitau  dehors ,  beaucoup 
de  traits  de  refTemblancc  avec  ces  animaux:  comme 
eux,  elle  a  fur  la  plus  grande  partie  du  corps,  du  poil 
plutôt  que  des  plumes  ;  fa  tête  Si  fes  flancs  n'ont 
même  que  peu  ou  point  de  poil ,  non  plus  ojue  ies 
cuiffes  qui  font  très  -  groffes  ,  très-mufculeufcs.  Si  où 
réfide  fa  principale  force  ;  fes  grands  pieds  nerveux  Se 
charnus  qui  n'ont  que  (Scux  doigts,  ont  beaucoup  de 
rapport  avec  les  pieds  du  chameau  qui,  lui-même,  eH:  un 
animal  fmgulier  entre  les  quadrupèdes  par  la  forme  de 
fes  pieds;  fes  ailes  armées  de  deux  pi(|uans  femblables 
à  ceux  du  porc -épie  ,  font  moins  des  ailes  que  des 
efpèces  de  bras,  (jui  lui  ontétc  donnés  pour  fe  défendre; 
l'orifice   des  oreilles  eit  à  découvert  ,  6c   feulement 

Eec  ij 


404.         Histoire  Naturelle 

garni  cîe  poil  dans  la  partie  intérieure  où  efl  ie  canaf 
auditif;  fa  paupière  fupérieure  cft  mobile  comme  dans 
prefque  tous  les  quadrupèdes,  &  bordée  de  longs  cils 
comme  dans  l'homme  &.  l'éléphant;  la  forme  totale 
de  fes  yeux  a  plus  de  rapport  avec  les  yeux  humains 
qu'avec  ceux  des  oifeaux ,  6c  ils  font  dif{3ofés  de 
manière  qu'ils  peuvent  voir  tous  deux  à  la  fois  le 
même  objet  (gj;  enfin  les  efpaces  calleux  <5c  dénués 
de  plumes  <Sc  de  poils  qu'elle  a,  comme  le  chameau, 
au  bas  du  Jlerîuim,  <?c  à  l'endroit  des  os  pubis ,  en 
dépofant  de  fa  grande  pefanteur ,  la  mettent  de  niveau 
avec  les  bctcs  de  fomme  les  plus  terre/Ires ,  les  plus 
lourdes  par  elles-mêmes,  &  qu'on  a  coutume  de  fur- 
charger  des  plus  rudes  fardeaux.  Thevenot  étoit  fi 
frappé  de  la  re/Temblance  de  l'autruche  avec  le  cha- 
meau dromadaire  (hj,  qu'il  a  cru  \u\  voir  une  bofTe 
fur  le  dos  fij;  mais  quoiqu'elle  ait  le  dos  arqué,  on 
n'y  trouve  rien  de  pareil  à  cette  éminence  charnue 
des  chameaux  Si  des  dromadaires. 

Si  de  l'examen  de  la  forme  extérieure,  nous  pafTonsà 
celui  de  la  conformation  mterne,  nous  trouverons  à 

fg)  Voyez  Mémoires  de  l'Acatlemie,  année  i  7^5  >  poge  i ^6 , 
(h)  Nota.  II  faut  que  les  rapports  de  relTemblance  qu'a  l'autruche 
îivcc  le  chameau  foicnt  en  effet  bien  frappans,  puifque  les  Grecs 
modernes  ,  les  Turcs ,  les  Pcrfans  ,  &c.  l'ont  nommée ,  chacun  dans 
leur  langue,  o'ifeau  chameau:  Ton  ancien  nom  grQC ,  Jlrouthos ,  efl  la 
racine  de  tous  les  noms ,  fans  exception ,  qu'elle  a  dans  l^s  diiîérenics 
langues  de  l'Europe. 

(ij  Voyages  de  Thevenot,  tome  I ,  page  ^ i S* 


DE    L' Autruche.        405 

l'autruche  de  nouvelles  difTemblances  avec  les  oifcaux, 
Ôi  de  nouveaux  rapports  avec  les  quadrupèdes. 

Une  ttte  fbrt  petite  fkj,  aplatie,  6c  compofée  d'os 
très -tendres  &  très-foibles  flj,  mais  fortince  à  Ton 
fonimet  par  une  plaque  de  corne  efl  foutenue  dans 
une  fituation  horizontale  fur  une  colonne  ofTeufe  d'en- 
viron trois  pieds  de  haut,  (Se  compofce  de  dix  -  fept 
vertèbres  :  la  fituation  ordinaire  du  corps  eft  au/Fi 
parallèle  à  l'horizon  ;  le  dos  a  deux  pieds  de  long  <Sc 
fept  vertèbres ,  auxquelles  s'articulent  fept  paires  de 
côtes ,  dont  deux  de  fauffes  6c  cinq  de  vraies  :  ces 
dernières  font  doubles  à  leur  origine  ,  puis  fe  réunifient 
en  une  feule  branche.  La  clavicule  eft  formée  d'une 
troifième  paire  de  faufies  côtes  ;  les  cinq  véritables 
vont  s'attacher  par  des  appendices  cartilagineufes  au 
fiernwny  qui  ne  defcend  point  jufqu'au  bas  du  ventre, 
comme  dans  la  plupart  des  oifeaux,  il  eft  aufti  beaucoup 
moins  Taillant  au  dehors  ;  Ta  forme  a  du  rapport  avec  celle 
d'un  bouclier,  <Sc  il  a  plus  de  largeur  que  dans  l'homme 
même.  De  l'os  facrum  naît  une  efpèce  de  queue 
comporée  de  fept  vertèbres  femblables  aux  vertèbres 

(k)  Nota.  Scaliger  a  remarqué  que  plufieurs  autres  oifeaux  pefans, 
tels  que  le  coq ,  le  paon ,  le  dindon ,  &c.  avoient  auflx  la  tête  petite  ; 
au  lieu  que  la  plupart  des  oifeaux  qui  volent  bien  ,  petits  «5c  grands, 
ont  la  tête  plus  grofle  à  proportion.  Exercit,  in  Cardanum,  foi.  308, 
yirfo. 

( l)  M."  de  l'Académie  ont  trouvé  une  fra<5lure  au  crâne  de  l'un 
èes  liijets  qu'ils  ont  diflequés.  Altmoirespourferyiràl'Hifloirenaîurellt- 
Jcs  Animaux,  partie  III,  page  i  54. 

ee  uy 


4.06       Histoire    Naturelle 

humaines,  le  fémur  a  un  pied  de  long,  le  tibia  & 
le  tarfe,  un  pied  <5c  demi  chacun  ;  <Sc  chaque  doigt  eft 
compofé  de  trois  phalanges  comme  dans  l'homme,  (5c 
contre  ce  qui  fe  voit  ordinairement  dans  les  doigts  des 
oifeauK ,  lefqucls  ont  très-rarement  un  nombre  égal  de 
phalanges  fjiij. 

Si  nous  pénétrons  plus  à  l'intérieur ,  &.  que  nous 
obfcrvions  les  organes  de  la  digeilion  ;  nous  verrons 
d'abord  un  hec  affez  médiocre  ^/y',  capable  d'ime  très- 
grande  ouverture,  une  langue  fcw't  courte  <Sc  fans  aucun 
vedige  de  papilles;  plus  loin  s'ouvre  un  ample  pharynx 
proportionné  à  l'ouverture  du  bec,  <?c  qui  peut  admettre 
un  corps  de  la  grofTeur  du  poing;  l'œfophage  efl  aufli 
très-large  <5c  très-fort,  Si  aboutit  au  premier  ventricule 
qui  f^it  ici  trois  fonctions;  celle  de  jabot,  parce  qu'il 
elt  le  premier;  celle  de  ventricule,  parce  qu'il  eft  en 
partie  mufculcux ,  6c  en  partie  muni  de  fibres  muf- 
culeufes ,  longitudinales  6c  circulaires  (o);  enfin  celle  du 
bulbe  glanduleux  qui  fe  trouve  ordinairement  dans  la 
partie  inférieure  de  l'œfophage  la  plus  voifine  du  géfier, 

(m)  Voyez  Anibr.  Pare,  lib,  XXIV,  cap.  2  2  ;  &.  Vallirnicri, 
tomt  I,  page  24S  &  feqq. 

(n)  T^ûla,  M.  Brifîon  dit  que  le  bec  cO:  unguiculé  ;  Vallilnicri , 
que  la  polme  en  efl  obtufe  &  lans  crochet  :  la  Lingiic  n'ell  point 
non  plus  d'une  forme  ni  d'ur.e  grandeur  conftante  dans  tous  les 
individus.  Voye^^  Animaux  de  Perrault,  pariU  II,  page  1 2j  ;  & 
Yalliîaieri ,  ubi  jupra. 

(fl)  Vallifnieri,  ubi  fupra.  —  Ramby,  n'*  ^  8 6  à^  ^J ^  dis  Tranf, 
Philofophiques  de  Londres, 


DE      L'  A    U   T   R   U   C   H    E.  407 

puifqu'il  cfl  en  effet  garni  d'un  grand  nombre  de 
glandes;  (Se  ces  glandes  font  conglomérées,  6c  non 
conglobées  comme  dans  la  plupart  des  oifeaux  (p): 
ce  premier  ventricule  cfl  fitué  plus  bas  que  le  fécond, 
en  iorte  que  l'entrée  de  celui-ci  que  l'on  nomme 
communément  V orifice  fupérieiir,  eft  réellement  l'orifice 
inférieur  par  fa  fituation  ;  ce  fécond  ventricule  n'cft 
fouvent  diftingué  du  premier  que  par  un  léger  étrangle- 
ment,  (Se  quelquefois  il  cft  féparé  lui-même  en  deux 
cavités  difîinctes  par  un  étranglement  femblable,  mais 
qui  ne  paroît  point  au  dehors;  il  efl  parfcmé  de  glandes 
ê>i  revêtu  intérieurement  d'une  tunique  villeufe  prefque 
femblable  à  la  flanelle,  fans  beaucoup  d'adhérence, 
éc  criblée  d'une  infinité  de  petits  trous  répondant  aux 
orifices  des  glandes:  il  n'e(l:  pas  auffi  fort  que  le  font 
communément  les  géùci's  des  oifeaux,  mais  il  efl  fortifié 
par  dehors  de  mulcles  très-puiffans  ,  dont  quelques-uns 
font  épais  de  trois  pouces;  fa  forme  extérieure  approche 
beaucoup  de  celle  du  ventricule  de  l'homme. 

M.  du  Verney  a  prétendu  que  le  canal  hépatique 
fe  terminoit  dans  ce  icconà  ventricule  f^jj,  comme 
cela  a  lieu  dans  la  tanche  &  pluiieurs  autres  poiffons, 
&:  même  quelquefois  dans  l'homme,  félon  l'obferva- 
tion  de  Galien  (rj;  mais  Ramby  (fj  ôl  Vallifnieri  fi) 

(p)  Mém.  pour  fervir  à  l'Hiftoire  des  Animaux,  page  12p. 

(q)  Hi'l.  de  l'Académie  des  Sciences,  année  i  6 p^,  page  2  i ^, 

/r)  VaHihiieri,  ubi  fupra. 

/J)  TranlÎK^ions  Philofophiques ,  n."  ^  S  S* 

(t)  VîiHirnicri,  tome  J,  page  2^1, 


4o8       Histoire  Natu relle 

afTiirent  avoir  vu  conflamment  dans  pluficiirs  autruclies 
l'infertion  de  ce  canal  dans  le  diiodaium ,  deux  pouces, 
un  pouce,  quelquefois  même  un  demi-pouce  feule- 
ment au-defîous  du  pylore;  6c  Vallifnicri  indique  ce 
qui  auroit  pu  occafionner  cette  mcprife,  fi  c'en  eft  une, 
en  ajoutant  plus  bas,  qu'il  avoit  vu  dans  deux  autruches 
une  veine  allant  du  fécond  ventricule  au  foie,  laquelle 
veine  il  prit  d'abord  pour  un  rameau  du  canal  liépa- 
tique  ,  mais  qu'il  reconnut  enfuite  dans  les  deux  fujets 
pour  un  vaideau  fanguin  ,  portant  du  flmg  au  foie  <Sc 
non  de  la  bile  au  ventricule  (u). 

Le  pylore  ed  plus  ou  moins  large  dans  differens 
fujets,  ordinairement  teint  en  jaune  Sl  iml)ibé  d'un 
fuc  amer,  ainfi  que  le  fond  du  fécond  ventricule,  ce 
qui  eft  facile  à  comprendre,  vu  l'infertion  du  canal 
hépatique  tout  au  commencement  du  duodénum ,  Si  fa 
diredion  de  bas  en  haut. 

Le  pylore  dégorge  dans  le  duodénum  qui  efl  le  plus 
étroit  des  inteflins,  <Sc  où  s'insèrent  encore  les  deux 
canaux  pancréatiques,  un  pied  &  quelquefois  Acwn  Se 
trois  pieds  au-deffous  de  l'infertion  de  j'iiépatique, 
au  lieu  qu'ils  s'insèrent  ordinairement  dans  les  oifcaux 
tout  près  du  cholédoque. 

'Le  duodénum  efl  fans  valvules,  ainfi  que  \t  jejimum , 
l'iléon  en  a  quelques-unes  aux  approches  de  fa  jonc- 
tion avec  le  colon  :   ces  trois   inteflins  grcles  font  à 

(u)  Vallifaierj,  tome  I,  pnge  24^, 

peu 


DE      L*  A    U    T    R   U   C   H    E.  409' 

peu  près  la  moitié  de  la  longueur  de  tout  le  tube  intcf- 
tinal,  (Se  celte  longueur  efl  fort  fiijette  à  varier,  même 
dans  (Iqs  fiijcts  d'égale  grandeur  ,  étant  de  foixante 
pieds  dans  les  uns  fxj,  <5c  de  vingt  -  neuf  dans  les 
autres  (yj. 

Les  deux  cœcum  naiffent  ou  du  commencemenc 
du  colon,  félon  les  Anatomifles  de  rAcadémie,  ou 
de  la  fin  de  l'ileon ,  félon  le  docteur  Ramby  (^); 
chaque  cœcum  forme  une  efpyèce  de  cône  creux ,  long  de 
At\\yi  ou  trois  pieds ,  large  d'un  pouce  à  fa  bafe,  garni 
à  l'intérieur  d'une  valvule  en  forme  de  lame  fpirale , 
faifant  environ  vingt  tours  de  la  bafe  au  fommet,  comme 
dans  le  lièvre,  le  lapin  &  dans  le  renard  marin,  la  raie, 
la  torpille,  l'aiguille  de  mer,  &c. 

Le  colon  a  aufîi  fes  valvules  en  feuillet,  mais  au 
lieu  de  tourner  en  fpirale  comme  dans  le  cœcum ,  la 
lame  ou  feuillet  de  chaque  valvule ,  forme  un  croifTanC 
qui  occupe  un  peu  plus  que  la  demi  -  circonférence 
du  colon  ;  en  forte  que  les  extrémités  des  croiflans 
oppofés  empiètent  un  peu  les  unes  fur  les  autres ,  <Sc 
fe  croifent  de  toute  la  quantité  dont  elles  furpafTent  le 
demi-cercle  ;  firuélure  ([ui  fe  retrouve  dans  le  colon 
du  fmge  &  dans  le  jéjunum  de  l'homme ,  6c  qui  fe 
marque   au   ddiors    de   l'inteftin   par  des   cannelures 

(x)  Voyez  Collerions  Philofophiqucs,  n.'  ^,  article  VIU. 
(y)  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hiftoire  des  Aiiimmx,  pan'ie  JJ, 
page  1^2. 

h)  Tranfaâiùns  Philofophiques,  n*  ^  S St 

£) if  eaux,  Tome  L  .  Fff 


4IO       Histoire  Nature lle 

îranfverfales,  parallèles,  eipacées  d'un  demi -pouce. 
&  répondant  aux  feuillets  intérieurs  ;  mais  ce  qu'il  y  a 
de  remarquable,  c'eft  que  ces  feuillets  ne  fe  trouvent 
pas  dans  toute  la  longueur  du  colon,  ou  plutôt  c'cft 
que  l'autruche  a  deux  colons  bien  diftindls,  l'un  plus 
iarge  &  garni  de  ces  feuillets  intérieurs  en  forme  de 
croifTans,  fur  une  longueur  d'environ  huit  pieds;  l'autre 
plus  étroit  Si  plus  long,  qui  n'a  ni  feuillets  ni  valvules, 
«S:  s'étend  jufqu'au  reSîu?n ,  c^efl  dans  ce  fécond  colon 
que  les  excrémens  commencent  à  fe  figurer  félon 
Valiifnieri. 

Le  reâmn  efl  fort  large,  long  d'environ  un  pied,  ôc 
muni  à  fon  extrémité  de  fibres  charnues:  il  s'ouvre 
dans  une  grande  poche  ou  veffie  compofce  des  mêmes 
membranes  que  les  intefhns  ,  mais  plus  épaiffcs,  «^ 
dans  laquelle  on  a  trouvé  quelquefois  jufqu'à  huit  onces 
d'urine  faj;  car  les  uretères  s'y  rendent  auffi  par  une 
infertion  très-oblique,  telle  qu'elle  a  lieu  dans  la  veffie 
des  animaux  terreflres;  <5c  non-feulement  ils  y  charrient 
l'urine,  mais  encore  une  certaine  pâte  blanche  qui 
accompagne  les  excrémens  de  tous  les  oifeaux. 

Cette  première  poche,  à  qui  il  ne  manque  qu'un 

(a)  Nota,  L'urine  d'autruche  enlève  les  taches  d'encre ,  félon 
Hermolaiis;  ce  fait  peut  n'être  point  vrai,  maii  Gefner  a  eu  ton  de 
le  nier  fur  !e  fondement  unique  qu'aucun  oifèau  n'avoit  d'urine;  car 
tous  les  oilcaux  ont  des  reins,  des  uretères,  &  par  confèquent  de 
l'urine ,  &  ils  ne  différent  des  quadrupèdes ,  fur  ce  point  ;  qu'en  ce 
que  chez  eux  le  re^um  s'ouvre  dans  la  velîie. 


DE      L'  A    U   T   R   U   C   H   E,  41  I 

col  pour  être  une  véritable  veffje.  communique  par 
un  orifice  muni  d'une  efpèce  de  fphindler  à  une 
féconde  (Se  dernière  poche  plus  petite,  qui  fert  de 
pafTage  à  Turine  <Sc  aux  excrémens  folides ,  <5c  qui  eft 
prefque  remplie  par  une  forte  de  noyau  cartilagineux, 
adhérant  par  fa  bafe  à  la  jondlion  des  os  pubis,  & 
refendu  par  ie  milieu  à  la  manière  des  abricots. 

Les  excrémens  folides  reffemblent  beaucoup  à  ceux 
des  brebis  (5c  des  chèvres,  ils  font  divifés  en  petites 
maffes ,  dont  le  volume  n'a  aucun  rapport  avec  la 
capacité  des  inteftins  où  ils  fe  font  formés:  dans  les 
inteftins  grêles,  ils  fe  préfentent  fous  la  forme  d'une 
bouillie,  tantôt  verte  (5c  tantôt  noire,  félon  la  quantité 
des  alimens ,  qui  prennent  de  la  confiflance  en  appro- 
chant des  gros  inteftins,  mais  qui  ne  fe  figurent,  comme 
je  l'ai  déjà  A\i^  que  dans  le  fécond  colon  (b). 

On  trouve  quelquefois  aux  environs  de  Vanus,  de 
petits  facs  à  peu  près  pareils  à  ceux  que  les  lions  (5c  les 
tigres  ont  au  même  endroit. 

Le  méfentère  efl  tranfparent  dans  toute  fon  étendue, 
&.  large  d'un  pied  en  de  certains  endroits.  Vallifnieri 
prétend  y  avoir  vu  desvefiiges  non  obfcurs  de  vaifTeaux 
lymphatiques;  Ramby  dit  auiïi  que  les  vaiffeaux  du 
méfentère  font  fort  apparens,  (5c  il  ajoute  que  \ts  glandes 
en  font  à  peine  vifibles  (c);  mais  il  faut  avouer  qu'elles 

(h)  Vallifnieri ,  ubï  fupra. 

(c)  Tranfadions  Philofophiques j  n*  ^  S 6. 

Fff  ij 


412       Histoire  Naturelle 

ont  été  abfoluincnt  invifjbies  pour  la  piiipart  des  autres 
obfervateurs. 

Le  foie  cil  divifé  en  deux  grands  lobes ,  comme 
dans  i'hommc  ,  mais  il  cft  Titué  plus  au  milieu  de  la 
région  des  h)pocondres,  &  n'a  point  de  véficule  du 
£el:  la  rate  c(l  contiguë  au  premier  eftomac  ^  &.  pèfe 
au  moins  deux  onces. 

Les  reins  font  fort  grands ,  rarement  découpés  en 
plufieurs  lobes,  comme  dans  les  o i féaux ,  mais  le  plus 
fouvent  en  forme  de  guittare ,  avec  un  baffm  alfcz 
ample. 

Les  uretères  ne  font  point  non  plus  comme  dans  la 
plupart  des  autres  oifeaux,  couchés  fur  les  reins,  mais 
renfermés  dans  leur  fubflancc  f^^J. 

L'épiploon  efl  très-petit,  &^  ne  recouvre  qu'en  partie 
]e  ventricule  ;  mais  à  la  place  de  i'épiploon  ,  on  trouve 
quelquefois  fur  les  inteflins  Si  fur  tout  le  ventre,  une 
couche  de  graiife  ou  de  fuif,  renfermée  entre  les 
aponévrofes  des  mufcles  du  bas-ventre,  cpaiiïe  depuis 
deux  doigts  jufqu'à  fix  pouces  fe);  Si  c'efl  de  cette 
graiffe  mêlée  avec  le  fang ,  que  fe  forme  la  mamcqiie , 
comme  nous  le  verrons  plus  bas:  cette  graiffe  étoit 
fort  edimée  &  fort  chère  chez  les  Romains,  qui,  ftlon 

(d)  Alémoires  pour  fervir  à  l'Hiftoire  des  Animaux  ,  pnrùe  II, 
page  142. 

fe)  Ramby,  Tranfaâlons  Philofophlqiics >  w°  386.  — G.  Warren, 
îbid.  n.°  394.  — Mémoires  pour  kiNir  à  i'Hiitoire  des  Anim:ïux^ 
partie  II ,  page  J  z$* 


DE      L'  A   U  T  R  U   C   H   E.  413' 

le  témoignage  de  Pline  ,  ia  croyoicnt  plus  efficace  que 
celle  (le  j'oie,  contre  les  douleurs  de  rliumatifme,  les 
tumeurs  froides,  la  paralyfie;  &.  encore  aujourd'hui  les 
Arabes  l'emploient  aux  mêmes  ufagcs  (fj.  Vallifnieri 
cfl  peut  -  ctre  le  feul ,  qui  ayant  apparemment  diiïecp'é 
des  autruches  fort  maigres ,  doute  de  Cexiflence  de  cette 
graille,  d'autant  plus  qu'en  Italie  la  maigreur  de  l'au- 
truche a  paiïe  en  proverbe,  7ndgro  comme  imo  Strii:(70 ; 
il  ajoute,  que  les  deux  qu'il  a  obfervées,  paroifToient , 
étant  diflequées,  des  fquelettes  décharnés,  ce  qui  doit 
ctre  vrai  de  toutes  les  autruches  qui  n'ont  point  de 
graifTe,  ou  même,  à  qui  on  l'a  enlevée,  attendu  qu'elles 
n'ont  point  de  chair  fur  la  poitrine  ni  fur  le  ventre  , 
jes  mufcles  du  bas -ventre  ne  commençant  à  devenir 
charnus  que  fur  les  flancs  Y^^^- 

Si  des  organes  de  la  digeflion  ,  je  paiïe  à  ct\w  de 
îa  génération  ,  je  trouve  de  nouveaux  rapports  avec 
l'organifation  des  quadrupèdes  :  ie  plus  grand  nombre 
des  oifeaux  n'a  point  de  verge  apparente;  l'autruche 
en  a  une  afiez  conddcrable,  compofée  de  deux  liga- 
mens  blancs,  folides  (^  nerveux,  ayant  quatre  lignes 
de  diamètre,  revêtus  d'une  mem.brane  cpaiffe,  <Sc  qui 
ne  s'uniiïent  qu'à  deux  doigts  près  de  l'extrémité:  dans 
quelques  fujets,  on  a  aperçu  de  plus  dans  cette  partie, 
une  fubdance  roirge ,  ï\yQV,'^\tv\[Q ,  garnie  d'une  multi-. 

(f)  The  World  Difplayed y  tom.  Xlll ,  pag.  1  5. 
/^)  Mémoires  pour  fcrvir  à  rHidoire  de»  Aniimnx,  partie  Ily 
varre  I  2y.  —  Vîillilnieiij  t'itne  I,  pa^cs  2j  i  &  2^ 2. 

F  f  f  11/ 


414.       Histoire  N aturelle 

tilde  de  vaifTeaiix,  en  un  mot,  fort  approchante  des 
corps  caverneux  qu'on  obferve  dan5  la  verge  des  animaux 
terrefîres  ;  le  tout  eft  renfermé  dans  une  membrane 
commune ,  de  même  fubflance  que  les  ligamens  , 
quoique  cependant  moins  épaiffe  ôi  moins  dure:  cette 
vcrcre  n'a  ni  gland,  ni  prépuce,  ni  même  de  cavité  qui 
pût  donner  ifTue  à  la  matière  féminale ,  félon  M/*  les 
Anatomifles  de  l'Académie  ^//^;  mais  G.  Warren  prétend 
avoir  difTéqué  une  autruche,  dont  la  verge  longue  de 
cinq  pouces  6c  demi ,  étoit  creufée  longitudinalement 
dans  fa  partie  fupérieure ,  d'une  efpèce  de  fjllon  ou 
gouttière,  qui  lui  parut  être  le  conduit  de  la  femence  (^ij. 
Soit  que  celte  gouttière  fût  formée  par  la  jonction  des 
deux  ligam.ens ,  foit  que  G.  Warren  fe  foit  mépris, 
en  prenant  pour  la  verge  ce  noyau  cartilagineux  de  la 
féconde  poche  du  reâwn,  qui  eft  en  effet  fendu ,  comme 
je  i'ai  remarqué  plus  haut;  foit  que  la  ftrudure  <&  la 
forme  de  cette  partie  foit  fujette  à  varier  en  diffcrens 
fujcts  :  il  paroît  que  cette  verge  efl  adhérente  par 
fa  bafe  à  ce  noyau  cartilagineux ,  d'où  fe  repliant  en 
deffous,  elle  paffe  par  la  petite  poche,  di  fort  par  fon 
orifice  externe»  qui  eft  Vanus ,  6l  qui  étant  bordé 
d'un  repli  membraneux,  forme  à  cette  partie  un  faux 
prépuce  ,  que  le  Doéleur  Browne  a  pris  fans  doute 
pour  un  prépuce  véritable,  car  il  eft  le  feul  qui  en 
donne  un  à  l'autruche  ff:J. 

(h)  Partie  II,  page  i ^  j. 

(i)  Tranfaélions  Philofophiques,  n!  ^^4,  articfe  V. 

(k)  Colledions  Philofophiques,  n^  ^ ,  article  VU J» 


DE      L'  A    U    T   R   U   C   H    E.  415 

II  y  a  quatre  miifcles  qui  appartiennent  à  l'anus  Si. 
à  la  verge,  &  de-là  réfulte  entre  ces  parties,  une  cor- 
refpondance  de  mouvement ,  en  vertu  de  laquelle , 
iorfque  l'animal  fiente  ,  la  verge  fort  de  pluficurs 
pouces  (^/J. 

Les  tefticules  font  de  diffcrentes  grofleurs  en  dif- 
férens  fujcts,  &  varient  à  cet  égard  dans  la  proportion 
de  quarante -huit  à  un  ,  fans  doute  félon  l'âge  ,  la 
faifon,  le  genre  de  maladie  qui  a  précède  la  mort,  évC. 
Ils  varient  auHl  pour  la  configuration  extérieure,  mais 
la  ftru<5lure  interne  eft  toujours  la  même  :  leur  place 
efl  fur  les  reins ,  un  peu  plus  à  gauche  qu'à  droite  ; 
G.  Warrcn  croit  avoir  aperçu  des  véficules  féminales. 

Les  femelles  ont  auffi  des  teilicules;  car  je  penfe 
qu'on  doit  nommer  ainfi  ces  corps  glanduleux  »  de 
quatre  lignes  de  diamètre  fur  dix-huit  de  longueur, 
que  l'on  trouve  dans  les  femelles  au-dcflus  de  l'ovaire, 
adhérente  à  l'aorte  &  à  la  veine  -  cave ,  &  qu'on  ne 
peut  avoir  pris  pour  des  glandes  furrénaîes,  que  par  la 
prévention  réfultante  de  quelque  fyftème  adopté  précé- 
demment. Les  cannes -petières  femelles  ont  audi  des 
tefticules  femhiables  à  ceux  dts  mâles  f//?J ^  S^  il  y  a 
lieu  de  croire,  que  les  outardes  femelles  en  ont  pa- 
reillement, &  que  fi  M/'  les  Anatomiftes  de  l'Aca- 
démie, dans   leurs  nombreufes  diiTcdions,   ont   cru 

//J  Nota.  "Warren  n  appris  ce  fût  de  ceux  qui  étoient  charges  du  foin 
de  plufieurs  autruches  en  Angleterre.  Voy.  Tranf.  Philof.  n.°  594. 
(m)  Hift.  de  l'Académie  des  Sciences,  amà  //^  $,  page  ^^^ 


.4.16        Histoire  Natu relle 

n'avoir  jamais  rencontre  que  des  mâles  ffij,  c'ed  qu'ils 
ne  vouloient  point  reconnoîre  comme  femelle,  \.m 
animal  à  qui  ils  voyoient  des  teflicules.  Or,  tout  le 
ir.onde  fait  que  l'outarde  ed:  parmi  les  oifeaux  d'Eu- 
rope, celui  qui  a  le  plus  de  rapport  avec  l'autruche, 
<Sc  que  la  cannetpeticre  n'eft  qu'une  petite  outarde , 
en  forte  que  tout  ce  que  j'ai  dit  dans  le  traité  de  la 
génération  fur  les  tedicules  des  femelles  des  quadru- 
pèdes, s'applique  ici  de  foi-même  à  toute  cette  claiïc 
d'oifeaux,  <Sc  trouvera  peut-être  darts  la  fuite  des  appli- 
cations encore  plus  étendues. 

Au-defToiis  de  ces  deux  corps  glanduleux,  efl  place 
l'ovaire,  adhérant  auffi  aux  gros  vaifTeaux  fanguins;  on 
le  trouve  ordinairement  garni  d'œufs  de  différentes 
groiïeurs,  renfermés  dans  leur  calice  comme  un  petit 
gland  Vç^  dans  le  fien ,  Rattachés  à  l'ovaire  par  leurs 
pédicules;  M.  Perrault  en  a  vu  qui  étoient  gros  comme 
des  pois,  d'autres  comme  des  noix,  un  feui  comme 
ies  deux  poings  (oj. 

Cet  ovaire  efl  unique,  comme  dans  prefque  tous 
les  oifeaux,  <Sc  c'efl,  pour  Je  dire  en  pafîant,  un  pré- 
jugé de  plus   contre  l'idée   de   ceux  qui  veulent  que 
;les  deux  corps  glanduleux  qui  fe  trouvent  dans  toutes 
les  femelles  des  quadrupèdes,  repréfentent  cet  ovaire., 

(n)  Mémoires  pour  fervir  à  i'HiUoire  des  Animaux  ;  partie  II, 
j^age  108, 

ïq)  Ibidem,  pas;.  ij8» 


T>  E    l' Autruche,       417 

qui  efl  une  partie  fjmpie  (p),  au  lieu  d'avouer  qu'ils 
reprcfcntent  en  efîet  les  tefticuies,  qui  font  au  nombre 
Ats  parties  doubles,  dans  les  maies  des  oifeaux  comme 
dans  Jcs  quadrupèdes. 

L'entonnoir  de  l'oviduâiis  s'ouvre  au  -  defTous  de 
l'ovaire,  <Sc  jette  à  droite  (?c  à  gauche,  deux  appen- 
dices membraneufes  ,  en  forme  d'aileron  ,  lefquelles 
ont  du  rapport  à  celles  qui  fe  trouvent  à  l'extrémité 
de  la  trompe  dans  les  animaux  terreftres  (q).  Les  œufs 
qui  fe  détachent  de  l'ovaire,  font  reçus  dans  cet  en- 
tonnoir ,  (Se  conduits  le  long  de  Vovidudus  dans  la 
dernière  poche  intedinale,  où  ce  canal  débouche  par 
im  orifice  de  quatre  lignes  de  diamètre,  mais  qui  paroît 
capable  d'une  dilatation  proportionnée  au  volume  des 
œufs,  étant  plidé  ou  ridé  dans  toute  fa  circonférence; 
l'intérieur    de  ïovïdudus  étoit  auffi   ridé  ,    ou    plutôt 

(p)  Nota.  Le  bccharu  efl  le  fcul  oI(enu  dans  lequel  M."  les 
Anatoniillcs  c!c  l'Académie  aient  cru  trouver  deux  ovaires;  mais  ces 
prétendus  ovnircs  etoicnt ,  félon  eux  ,  deux  corps  glanduleux  d'une 
Tubdance  dure  &  folide ,  dont  l'un  (  c'clt  le  gauche  )  fe  divifoit  en 
plulîeurs  grains  de  grofleurs  inégales;  mais  fans  m'arrêier  à  la  diffé- 
rente ftrui^ure  de  ces  deux  corps ,  &  en  tirer  des  conléquences 
contre  l'identité  de  leurs  fondions,  je  remarquerai  feulement  que  c'eft 
une  obfèrvaiîon  unique  &  dont  on  ne  doit  rien  conclure  julqu'à  ce 
qu'elle  ait  été  confirmée;  d'ailleurs,  j'aperçois  dans  cette  oblervaiion 
même  une  tendance  à  l'unité ,  puifque  VoviJuâus ,  qui  cil  certai- 
nement une  dépendance  de  l'ovaire ,  étoit  unique. 

((j)  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hiftoire  des  Animaux,  partie  II j 
page  I s^' 

Oijl'aiix,  Tome  L  •  ^SS 


4-18       Histoire  Natu relle 

feuilleté,  comme  le  troifième  <S^  le  quatrième  ventricule 
des  ruminans  (rj. 

Enfin  la  féconde  <Sc  dernière  poche  inteftinafe  dont 
je  viens  de  parler ,  a  aiiffi  dans  la  femelle  fon  noyau 
cartilagineux,  comme  dans  le  mule;  <?c  ce  noyau,  qui 
fort  quelquefois  de  plus  d'un  demi  -  pouce  hors  de 
Vûimsj  a  une  petite  appendice  de  la  longueur  de  trois 
lignes,  mince  &i  recourbée,  que  M/'  les  Anatomiftcs 
de  l'Académie  regardent  comme  un  clitoris  ffj,  avec 
d'autant  plus  de  fondement  ,  que  les  deux  mêmes 
mufclcs  qui  s'insèrent  à  la  bafe  de  la  verge  dans  les 
maies,  s'insèrent  à  la  bafe  de  cette  appendice  dans  les 
femelles. 

Je  ne  ni 'arrêterai  point  à  décrire  en  détail  les  organes 
de  la  refpiration  ,  vu  qu'ils  reffemblent  prefque  entiè- 
rement à  ce  qu'on  voit  dans  tous  les  o i féaux ,  étant 
compofés  de  deux  poumons  de  fubftance  fpongieufe, 
6c  de  dix  cellules  à  air,  cinq  de  chaque  côté,  dont 
la  quatrième  c(l  plus  petite  ici,  comme  dans  tous  les 
autres  oifcaux  pefans  :  ces  cellules  reçoivent  l'air  des 
poumons,  avec  lefquels  elles  ont  des  communications 
fort  fenfibles  ;  mais  il  faut  qu'elles  en  aient  auffi  de 
nioins  apparentes  avec  d'autres  parties,  puifque  Val- 
lifiiieri,   en  fouffîant  dans  la  trachée-artère,  a  vu  un 

(r)  Mémoires  pour  fervir  à  rHiftoire  des  Animaux ,  parlk  II, 
page   i^y, 

(S)  Ib'iàm,  poge  135. 


DE    l' Autruche,       419 

gonlTemcnt  le  long  des  ciiilTcs  &  fous  les  ailes  ftj,  ce 
qui  fiippofe  une  conformation  feniblable  à  celle  du 
pélican,  dans  lequel  M.  Mcry  a  aperçu,  fous  raiffelle. 
Si  entre  la  cuifTe  Si  le  ventre,  des  poches  membra- 
neufes  qui  fc  rempliffoicnt  d'air  au  temps  de  l'expi- 
ration ,  ou  Jorfqu'on  foufHoit  avec  force  dans  la  tra- 
chce-artèrc,  <5c  qui  en  fournifloicnt  apparcjîimcnt  au 
tiiïii  cellulaire  fuj. 

Le  Dodeur  Browne  dit  pofitivemcnt,  que  l'autruche 
n'a  point  d'épiglotte  (xj:  M.  Perrault  le  fuppofe ,  puif- 
qu'il  attribue  à  un  certain  mufcle,  la  fondion  de  fermer 
la  glotte  ,  en  rapprochant  les  cartilages  du  larynx  (yj: 
G.  Warren  prétend  avoir  vu  une  épiglotte  dans  le  fujet 
qu'il  a  di(fc({uc  fi) ;  ôl  Vallifnieri  concilie  toutes  ces 
contrariétés,  en  difant,  qu'en  efiét  il  n'y  a  pas  pré- 
cifément  une  épiglotte,  mais  que  la  partie  pofléricure 
de  la  langue  en  tient  lieu,  en  s'appliquant  fur  la  glotte 
dans  la  déglutition  (^aj. 

11  y  a  auifi  diverfiré  d'avis  fur  le  nombre  Si  la  forme 
des  anneaux  cartilagineux  du  larynx;   Vallifnieri  n'en 

^{J  Vaililnieri,   Tome  I,  page  24c. 

(u)  iMémoires  de  T Académie  des  Sciences,  annà  16^^,  tome  X, 
pnge  4 s  ^' 

(x)  Collections  Philofophiques,  ;;/  /;  article  VIII. 

(y)  Mémoires  pour  fervir  à  THiftoire  des  Animaux,  parue  H, 
page  142. 

(■^)  TranGclions  Pliifofophiques,  n."  3^4' 

(a)  Viillilhicri ,   Toinc  I ,  page  24^» 


420       Histoire  Naturelle 

compte  que  deux  cents  dix -huit,  (Se  fouticnt  avec 
M.  Perrault,  qu'ils  font  tous  entiers:  AX^arren  en  a 
trouvé  deux  cents  vingt -fix  entiers,  fans  compter  les 
premiers  qui  ne  le  font  point,  non  plus  que  ceux  qui 
font  in'kmédiatement  au-dcflbus  de  la  bifurcation  de  la 
trachée.  Tout  cela  peut  être  vrai ,  attendu  les  grandes 
variétés  auxquelles  efl  fujette  la  flruclure  des  parties 
internes  ;  mais  tout  cela  prouve  en  même  temps  , 
combien  il  efl  téméraire  de  vouloir  décrire  une  cfpèce 
entière  d'après  un  petit  nombre  d'individus ,  &.  combien 
il  eil  dangereux  par  cette  méthode,  de  prendre  ou  de 
donner  des  variétés  individuelles  pour  des  caraélères 
condans.  Aï.  Perrault  a  obfcrvé  que  chacune  des  deux 
branches  de  la  trachér-artère,  fe  divife  en  entrant  dans 
Je  poumon,  en  pluficurs  rameaux  membraneux,  comme 
dans  l'éléphant  (l^J . 

Le  cerveau  avec  le  cervelet,  forme  une  maffe  d'en- 
viron deux  pouces  &  demi  de  long  fur  vingt  lignes  de 
large;  Vallifnieri  afTure  que  celui  qu'il  a  examiné, 
ne  pefoit  ([u'une  once,  ce  qui  ne  feroit  pas  la  douze- 
centième  partie  du  poids  de  l'animal:  il  ajoute,  que 
la  ftru(5lure  en  étoit  femblable  à  celle  du  cerveau  des 
oifeaux  ,  <Sc  telle  précifémcnt  qu'elle  efl  décrite  par 
"Wiilis;  je  remarquerai  néanmoins  avec  M/'  les  Ana- 
tomifles  de  l'Académie,  que  les  d\\  paires  de  nerfs 
prennent  leur  origine  &.  fortent  hors  du  crâne,  de  la 

(b)  Mémoires  pour  fervir  à  rHiAolre  des  Animaux ,  partie  JI , 
page  i^^. 


DE    l' Autruche.       421 

même  manière  que  dans  les  animaux  terreflrcs  :  que 
la  partie  corticale  (5c  ia  partie  moëiieufe  du  cervelet, 
font  difporées  comme  dans  ces  mêmes  animaux:  qu'on 
y  trouve  quelquefois  les  deux  apophyfcs  vcrmiformes 
qui  fe  voient  dans  l'homme,  &  un  ventricule,  de  la 
forme  d'une  plume  à  écrire,  comme  dans  la  plupart 
des  quadrupèdes  ^cj. 

Je  ne  dirai  qu'un  mot  fur  les  organes  de  la  circu- 
lation ,  c'cfl  que  le  cœur  efl  prefcjue  rond  ,  au  lieu 
que  les  oifcaux  font  ordinairement  plus  alongé. 

A  i'cgard  des  fens  externes  ,  j'ai  déjà  parle  de  fa 
langue,  de  l'oreille  <?c  de  la  forme  extérieure  de  l'œil; 
j'ajouterai  feulement  ici  ,  que  fa  flrucflure  interne  cft 
celle  qu'on  obfcrve  ordinairement  dans  les  oifeaux. 
AI.  Ramhy  prétend  que  le  globe  tiré  de  fon  orbite  , 
prend  de  lui-même  une  forme  prefque  triangulaire  (JJ; 
il  a  au/fi  trouvé  l'Iuimeur  aqueufe  en  plus  grande  quan- 
tité ,  Si  l 'humeur  vitrée  en  moindre  quantité  qu'à 
l'ordinaire  fcj. 

Les  narines  font  dans  le  bec  fupérieur,  non  loin  de 
fà  bafe  ;  il  s'élève  du  milieu  de  chacune  des  deux 
ouvertures ,  une  protubérance  cartilagineufe  revêtue 
d'une  membrane  très-fine,  <3c  ces  ouvertures  commu- 
niquent avec  le  palais,  par  deux  conduits  qui  y  abou- 

fc)  Mémoires  pour  fervir  à  i'Hiftoire  des  Animaux ,  partie  II , 
j)age  /;;; 

(d)  Tran(a<flions  Philofophiqucs ,  n*  ^i  ^, 

(e)  Ibidem,  n.°  386. 

G*  •  • 
gg   "j 


422       Histoire  Naturelle 

tiflent  dans  une  fente  aflez  confidcrable  ;  on  fe  trom- 
peroit,  fi  l'on  vouioit  conclure  de  la  flruclure  un  peu 
compliquée  de  cet  organe,  que  i'autruciie  excelle  par 
le  fens  de  l'odorat;  les  faits  les  mieux  confiâtes  nous 
apprendront  bientôt  tout  le  contraire,  <Sc  il  paroit  en 
général ,  que  les  fenfations  principales  6;  dominantes 
de  cet  animal  ,  font  celles  de  la  vue  &  du  fixième 
fens. 

Cet  expofc  fuccinél  de  l'organifition  intérieure  de 
l'autruche,  cfl  plus  que  fufPifant  pour  conlirmer  l'idée 
que  j'ai  donnée  d'abord  de  cet  animal  fingulier  qui 
doit  être  regardé  comme  un  être  de  nature  équivoque, 
6l  faifant  la  nuance  entre  le  quadrupède  Si  Toilcau  ffj; 
fa  j)lace,  dans  une  méthode  où  Ton  fe  propoferoit  de 
rcpréfentcr  le  vrai  fyflème  de  la  Nature  ,  ne  feroit  ni 
dans  la  clafTe  des  oifeaux,  ni  dans  celle  des  quadru- 
pèdes, mais  fur  le  paiïage  de  l'une  à  l'autre;  en  effet, 
quel  autre  rang  affigncr  à  un  animal,  dont  le  corps, 
mi-parti  d'oifeau  Si  de  quadrupède,  cfl  porté  fur  des 
pieds  de  quadrupède,  &.  furmonté  par  une  tcte  d'oifeau, 
dont  le  mille  a  une  verge,  <Sl  la  femelle  un  clitoris, 
comme  les  quadrupèdes,  6c  qui  néanmoins  efl  ovipare, 
qui  a  un  géfier  comme  les  oifeaux,  &  en  même  temps 
piufieurs  eflomacs  <Sc  des  inteflins,  qui  par  leur  capa- 
cité &.  leur  (Irudlure ,  répondent  en  partie  à  ceux  des 
ruminans  ,  en  partie  à  ceux  d'autres  quadrupèdes! 

(f)  Partîm  avis partim  quadrupes,  dit  très-bien  Ariftote,  lib.  IV,  de 
parûbus  arùmal'ium ,  cap.  uhiiiio. 


DE      L'  A    V    T   R   U   C    H    E.  425 

Dans  l'ordre  de  ia  fécondité,  l'autruche  fcmble 
encore  appartenir  de  plus  près  à  la  clafTe  des  quadru- 
pèdes qu'à  celle  des  oifeaux;  car  elle  eft  très-féconde, 
6c  produit  beaucoup.  Ariflote  dit,  qu'après  l'autruche, 
l'oifeau  qu'il  nomme  aincap'illa,  eO:  celui  qui  pond  le 
plus;  (5(  il  ajoute  que  cet  oifcau  amcnpilla,  pond  vingt 
œufs  &  davantage  fir) ;  d'oii  il  fuivroit  que  l'autruche 
en  pond  au  moins  vingt-cinq:  d'ailleurs,  félon  les 
Hiftoriens  modernes  6:  les  voyageurs  les  plus  inUruits, 
elle  fait  plufieurs  couvées  de  douze  ou  quinze  œufs 
chacune.  Or,  h  on  la  rapportoit  ià  la  clafTe  des  oifeaux, 
elle  feroit  ia  plus  grande  ,  6c  par  confcqucnt  devroit 
produire  le  moins,  fuivant  l'ordre  que  fuit  conflamment 
la  Nature  dans  la  multiplication  des  animaux,  dont  elle 
paroît  avoir  fixé  la  proportion  en  raifon  inverfe  de  la 
grandeur  des  individus;  au  lieu  qu'étant  rapportée  à  la 
claffe  des  animaux  terredrcs,  elle  fe  trouve  très-petite, 
relativement  aux  plus  grands ,  6^  plus  petite  que  ceux 
de  grandeur  médiocre ,  tels  que  le  cochon  ,  6<  fa  grande 
fécondité  rentre  dans  l'ordre  naturel  6:  général. 

Oppien  ,  qui  croyoit  mal -à-propos  que  les  cha- 
meaux de  la  Bactriane  s'accouploient  à  rebours  6c  en 
fe  tournant  le  derrière,  a  cru  par  une  {(LQO\^(\ç^  erreur, 
qu'un  oifcau- chameau  {  car  c'efl  le  nom  qu'on  donnoit 
dès-lors  à  l'autruche  )  ne  pourroit  manquer  de  s'ac- 
coupler de  la  même  façon;  6c  il  l'a  avancé  comme  \yn 

(s)  ^iP-  ^"^^^^-  IJiî-  IX,  cap,  XXV. 


424-         Histoire  Naturelle 

fait  certain  ;  mais  cela  n'efî  pas  plus  vrai  de  roifeau- 
chameau  ,  que  du  chameau  kii-méme,  comme  je  l'ai 
dit  ailleurs  fhj:  <Sc  quoique,  félon  toute  apparence, 
peu  d'obfcrvateurs  aient  cté  témoins  de  cet  accou- 
plement, (Se  qu'aucun  n'en  ait  rendu  compte,  on  cft  en 
droit  de  fuppofer  qu'il  fc  fait  à  la  manière  accoutumée, 
jufqu'à  ce  qu'il  y  ait  preuve  du  contraire. 

Les  autruches  pafTent  pour  être  fort  lafcives  &.  s'ac- 
coupler fouvent,  Si  (\  l'on  fe  rappelle  ce  que  j'ai  dit 
ci-deffus  des  dimenfions  de  la  verge  du  mâle  ,  on 
concevra  ,  que  ces  accouplemcns  ne  fe  paffent  point 
en  fimplcs  compre/fions  ,  comme  dans  prcfque  tous 
les  ojfcaux  ,  mais  qu'il  y  a  une  intromi/fion  réelle  des 
parties  fexuelîes  du  mâle  dans  celles  de  la  femelle. 
Thévenot  efl  le  feul  qui  dife  qu'elles  s'affortiffent  par 
paires,  <Sc  que  chaque  mâle  n'a  qu'une  femelle  ,  contre 
l'ufage  des  oifcaux  pefans  fij. 

Le  temps  de  la  ponte  dépend  du  climat  qu'elles 
habitent  ,  (5c  c'ell;  toujours  aux  environs  du  folftice 
d'été,  c'efl-à-dire  au  commencement  de  juillet,  dans 
i' Afrique  feptenlrionale  fkj,  Si  fur  la  fm  de  décembre, 
dans  l'Afrique  méridionale  fIJ.  La  température  du 
climat  inHue  auffi  beaucoup  hir  leur  manière  de  couver; 
dans  la  zone  torride,  elles  fe  contentent  de  dépofer 

fh)  Voyez  le  tome  XI  de  cet  Ouvrage ,  page  2^8. 
(i)  Voyages  de  Thévenot,  tome  I,  page  //j*. 
(k)  Albert,  de  Animal,  lib.  XXlll. 

(l)  Voyage  de  Danipiene  autour  du  monde ,  tome  II ,  page  2ji. 

leurs 


DE    l' Autruche,       425 

leurs  œufs  fur  un  amas  de  fable  qu'elles  ont  formé 
groffièremcnt  avec  leurs  pieds ,  (S:  où  la  feule  chaleur 
du  folcil  ics  fait  cclore  ;  a  peine  les  couvent  -  elles 
pendant  la  nuit:  &  cela  même  n'efi  pas  toujours  nécef- 
faire  ,  puifqu'on  en  a  vu  cclore,  qui  n'avoient  point 
été  couves  par  la  mère,  ni  même  expofcs  aux  rayons 
du  folcil  (m) ;  mais,  quoique  les  autruches  ne  couvent 
point  ou  que  très-peu  leurs  œufs,  il  s'en  faut  beaucoup 
qu'elles  les  abandonnent:  au  contraire,  elles  veillent 
aiïidûment  à  leur  confervation ,  6>i  ne  les  perdent  guère 
de  vue;  c*efl:  à^-W  qu'on  a  pris  occafion  de  dire 
qu'elles  les  convoient  des  yeux,  à  la  lettre:  &.  Diodore 
rapporte  une  façon  de  prendre  ces  animaux,  fondée 
fur  leur  grand  attachement  pour  leur  couvée;  c'efl  de 
planter  en  terre,  aux  environs  du  nid  &  à  une  jufle 
hauteur,  des  pieux  armés  de  pointes  bien  acérées,  dans 
lefquelles  la  mère  s'enferre  d'elle-même  lorfqu'elle 
revient  avec  empreffement  fe  pofer  fur  fes  œufs  (n). 

Quoique  le  climat  de  la  France  foit  beaucoup  moins 
chaud  que  celui  de  la  Barbarie,  on  a  vu  des  autruclies 
pondre  à  la  ménagerie  de  Verfailles  ;  mais  M/*  de 
l'Académie  ont  tenté  inutilement  de  faire  éclore  ces 
œufs  par  une  incubation  artificielle,  foit  en  employant 

(m)  Janncquin  étant  au  Sénégal,  mit  dans  (a  caflette  deux  œufs 
«l'autruche  bien  enveloppés  d'étoupes;  quelque  temps  après  il  trouva 
que  l'un  de  ces  œufs  éioit  prêt  d  cclore.  Voyc^  H'ijloire  générale  du 
voyages ,  tome  II ,  page  4^8, 

(n)  De  faliulofis  antiquorum  gejîis» 

OifeaiiXj  Toim  L  .  Hhh 


4-26        Hi STOi RE  Naturelle 

la  chaleur  du  foleil,  ou  celle  d'un  feu  gradué  &  ménagé 
avec  art:  ils  n'ont  jamais  pu  parvenir  à  découvrir  dans 
les  uns  ni  dans  les  autres,  aucune  organiiàtion  com- 
mencée, ni  même  aucune  dirpofition  apparente  à  la 
génération  d'un  nouvel  être  ;  le  jaune  6c  le  blanc  de 
celui  qui  a\  oit  été  expofé  au  feu ,  s'étoient  un  peu 
épaiiïis  ;  celui  qui  avoit  été  mis  au  foicil ,  avoit  con- 
trarié une  très-mauvaife  odeur;  Si  aucun  ne  préfcntoit 
Ja  moindre  apparence  d'un  foetus  ébauché  foj ,  en  forte 
que  cette  incubation  philofophique  n'eut  aucun  fuccès. 
M.  de  Reaumur  n'exidoit  pas  encore. 

Ces  œufs  font  très-durs,  très-pefans  Si  trcs-gros; 
mais  on  fe  les  repréfente  quehjuefois  encore  plus  gros 
<ju'ils  ne  font  en  effet ,  en  prenant  des  œufs  de  cro- 
codiles pour  des  œufs  d'autruche  fyj:  on  a  dit  qu'ils 
étoient  comme  la  tête  d'un  enfant  (qj,  qu'ils  pouvoicnt 
contenir  juf([u'à  une  pinte  de  liqueur  ^rj,  qu'ils  pefoient 
quinze  livres  (fj,  Si  qu'une  autruche  en  pondoit 
cinquante  dans  une  année  f^rj:  Élicn  a  dit  jufqu'à 
<]uatrc-vingts;  mais  la  plupart  de  ces  faits  me  paroifîtnt 

^oj  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hilloire  des  Animaux  ,  pafîie  //, 
page  i^S. 

(p)  Belon,  H'ijl.  nat,  des  O'ifeaux,  pnge  23p. 

^q)  Willulghjjy,  Ornhhologia ,  png.  105. 

(rj  Belon,  Hijî.  nat.  des  O'ifeaux ,  pngc  233. 

(f)  Léon-l' Africain,  Defcription  de  l'Afrique ,  lib.  IX. — Willulghby, 
yh'i  fupra. 

(t)  \\  illulghby,  ihïdem» 


DE    L'AurnucHE.        J^iy 

évidemment  exagères;  car,  i  .'^  comment  fe peut-il  faire, 
qu'un  œuf  dont  la  coque  ne  pèfe  pas  plus  d'une  livre, 
6c  qui  contient  au  plus  une  pinte  de  liqueur,  foit  du 
poids  total  de  quinze  livres!  il  fmdroit  pour  cela  que 
le  blanc  <Sc  le  jaune  de  cet  œuf,  fût  fcpt  fois  plus  denfe 
que  l'eau  ,  trois  fois  plus  que  le  marbre,  &i  à  peu-près 
autant  que  i'étain  ,  ce  qui  efl  dur  à  fuppofer. 

2."*  En  admettant  avec  Willulgliby,  que  l'autruche 
pond  dans  une  année  cinquante  œufs,  pefant  quinze 
livres  chacun,  il  s'enfuivroit  que  le  poids  total  de  la 
ponte  ,  feroit  de  fcpt  cents  cinquante  livres  ,  ce  qui 
efl  beaucoup  pour  un  animal  qui  n'en  pèfe  que  quatre- 


vmgts. 


Il  me  paroît  donc  qu'il  y  a  une  réduction  confi- 
dérable  à  faire ,  tant  fur  le  poids  des  œufs  que  fur  leur 
nombre,  6c  il  efl  fâcheux  qu'on  n'ait  pas  de  mémoires 
affez  fûrs,  pour  déterminer  avec  ']{\ïiç{\c  la  quantité  de 
cette  réduélion  ;  on  pourroit ,  en  attendant ,  fixer  le 
nombre  des  œufs  d'après  Ariflote,  à  vingt -cinq  ou 
trente;  <Sc  d'après  les  Modernes  qui  ont  parlé  le  plus 
fairement ,  à  trente  -  fix  :  en  admettant  deux  ou  trois  . 

couvées,  <5c  douze  œufs  par  cha(}ue  couvée,  oi\  pourroit 
encore  déterminer ie  poids  de  chaque  œuf,  à  trois  ou 
quatre  livres,  en  paffant  une  livre  plus  ou  moins  pour 
la  coque,  &.  dç\\\  ou  trois  livres  pour  la  pinte  de  blanc 
6c  de  jaune  qu'elle  contient;  mais  il  y  a  bien  loin  de 
cette  fixation  conjeduraie  à  une  obftrvation  précife. 
33eaucoup  de  gens  écrivent,  mais  il  en  efl  peu  qui 

Hhhij 


428       Histoire  N atu r e l le 

mcfurent,  qui  pcfent,  qui  comparent;  de  quinze  ou 
feizc  autruches,  dont  on  a  fait  la  dilTc(5lion  en  diffé- 
rens  pays,  il  n'y  en  a  qu'une  feule  qui  ait  été  pefée , 
ÔL  c'efl  celle  dont  nous  devons  la  defcription  à  Vallif- 
rieri.  On  ne  fait  pas  mieux  le  temps  qui  efl  néceffaire 
pour  l'incubation  des  œufs  :  tout  ce  qu'on  fait ,  ou 
plutôt,  tout  ce  qu*on  affure  ,  c'cft  qu'aiiffitôt  que  les 
jeunes  autruches  font  cclofes,  elles  font  en  état  de 
marcher,  &  même  de  courir  6c  de  chercher  leur  nour- 
riture fiij,  en  forte  que  dans  la  zone  torride  où  elles 
trouvent  le  degré  de  chaleur  qui  leur  convient  &.  la 
nourriture  qui  leur  efl  propre,  elles  font  émancipées 
en  naiflant,  6c  font  abandonnées  de  leur  mère  dont 
ies  foins  leur  font  inutiles  :  mais  dans  les  pays  moins 
chauds,  par  exemple,  au  cap  de  Bonne- efpérance  , 
ia  mère  veille  à  fes  petits,  tant  que  fes  fecours  leur 
font  néceffaires  fxj,  6c  par -tout  les  foins  font  pro- 
portionnés aux  befoifis. 

Les  jeunes  autruches  font  d'un  gris -cendré  la  pre- 
mière année,  6c  ont  des  plumes  par  -  tout ,  mais  ce 
font  de  fauffes  plumes  qui  tombent  bientôt  d'elles- 
mêmes  pour  ne  plus  revenir  fur  les  parties  qui  doivent 
ctre  nues,  comme  la  tête,  le  haut  du  cou,  les  cuiffes, 
ies  flancs  6c  le  deffous  des  ailes;  elles  font  remplacées 
fur  le  reile  du  corps  par  des  plumes  alternativement 
blanches  6c  noires,  6c  quelquefois  grifes  par  le  mélange 

(u)  Léon-l* Africain  ,  Defcription  de  l'Afrique,  lib»  IX. 
(xj  KoLbe ,  Defiription  du  Cap. 


DE      L'  A    U    T   R   V    C   H   E.  429 

Je  ces  deux  couleurs  fondues  cnfembie  ;  les  plus  courtes 
font  fur  la  partie  inférieure  du  cou,  la  feule  qui  en 
foit  revêtue;  elles  deviennent  plus  longues  fur  le  ventre 
<Sc  fur  le  dos,  les  plus  longues  de  toutes  font  à  l'extré- 
mité de  la  queue  &  des  ailes  ,  ^  ce  font  les  plus 
recherchées.  M.  Klein  dit,  d'après  Albert,  que  les 
plumes  à\\  dos  font  très-noires  dans  les  mâles  &  brunes 
dans  les  femelles  (y):  cependant  M/'  de  l'Académie 
qui  ont  difféqué  huit  autruches,  dont  cinq  mâles  6c  trois 
femelles,  ont  trouve  le  plumage  à  peu  prés  fcmblable 
dans  les  unes  6c  les  autres  (1) ;  mais  on  n'en  a  jamais 
vu  qui  euiïent  àts  plumes  rouges,  vertes,  bleues  6c 
jaunes,  comme  Cardan  femble  l'avoir  cru,  par  une 
méprife  bien  déplacée  dans  un  ouvrage  fur  iafuluilué.. 

Redi  a  reconnu  par  de  nombreufes  obfcrvations, 
que  prefque  tous  les  oifeaux  ctoient  fujets  à  avoir  de 
Ja  vermine  dans  leurs  plumes ,  6c  même  de  plufieurs 
efpèces;  6c  que  la  plupart  avoient  leurs  infedes  parti- 
culiers qui  ne  fe  rencontroient  point  ailleurs;  mais  il 
n'en  a  jamais  trouvé  en  aucun^jfaifon  dans  les  autruches, 
quoiqu'il  ait  fait  fcs  obfcrvations  fur  douze  de  ces 
animaux,  dont  quelques-uns  étoient  récemment  arrivés^ 
de  Barbarie  fdj. 

(y)  Klein,  H\Ji.  A\ium ,  pag.  j  6.  — Albert,  Apud  Gefnmim  de 
A\ibus,  png.  742. 

(7)  Mémoires  pour  fenir  à  l'Hiftoire  des  Animaux ,  farlU  II, 
page  US' 

(a)  Collection  Acad.  lome  I  de  /'Hillôire  naturelle ,  ;7<7^^  4^4-- 

Hhh  iij 


430        Histoire  Natu relle 

D'un  autre  côte  Vallifnieri  qui  en  a  clifTcquc  Jeux, 
n'a  trouvé  dans  leur  intérieur  ni  lombrils,  ni  vers,  ni 
infcéles  quelconques  (b) ;  il  fcmble  qu'aucun  de  ces 
animaux  n'ait  d'appétit  pour  la  chair  de  i'autruche, 
qu'ils  l'évitent  même  6c  la  craignent,  &  que  cette 
chair  ait  quelque  qualité  contraire  à  leur  multiplication  , 
à  moins  qu'on  ne  veuille  attribuer  cet  effet,  du  moins 
pour  l'intérieur,  à  la  force  de  l'eflomac  6c  de  tous  les 
organes  digeflifs ,  car  l'autruche  a  une  grande  réputa- 
tion à  cet  égard  ;  il  y  a  bien  des  gens  encore  qui  croient 
qu'elle  digère  le  fer  ,  comme  la  volaille  commune 
digère  les  grains  d'orge;  quelques  Auteurs  ont  même 
avancé  qu'elle  digéroit  le  fer  roug(  fc),  mais  on  me 
difpenfcra,  fans  doute,  de  réfuter  féricufcment  cette 
dernière  affcrtion;  ce  fera  bien  affcz  de  déterminer 
d'après  les  faits  ,  dans  quel  fens  on  peut  dire  que 
i'autruche  digère  le  fer  à  froid. 

Il  e(î  certain  que  ces  animaux  vivent  principalement 
de  matières  végétales,  qu'ils  ont  le  géfier  muni  de 
mufcles  très-forts ,  comme  tous  les  granivores  (JJ,  & 

/b)  (Euvrcs  de  Vallifnieri,  tome  I,  pnge  24^, 

(c)  Marmol ,  Defcrîpiion  de  l'Afrique,  tome  I,  page  64. 

(d)  Nota.  Quoique  l'autruche  foit  omnivore  dans  le  fait,  il  fêmbfc 
néanmoins  qu'on  doit  la  ranger  parmi  les  granivores,  puilque  dans 
lès  déferts  elle  vit  de  dattes  &  autres  fruits  ou  matières  végétales, 
&  que  dans  les  ménageries  on  la  nourrit  de  ces  mêmes  matières: 
d'ailleurs,  Strabon  nous  dit,  //y.  VJ,  que  lorfque  les  cbafleurs  veulent 
l'anirer  dans  le  piège  qu'ils  lui  ont  préparé ,  ils  lui  préfeiitent  du  graia 
pour  appât, 


DE    l' Autruche.       431 

qu*ils  avalent  fort  fouvent  du  fer  (e) ,  du  cuivre,  des 
pierres,  du  verre,  du  bois  <Sc  tout  ce  qui  fe  prc'fente; 
je  ne  nierois  pas  même  qu'ils  n'avalaffent  quelquefois 
du  fer  rouge ,  pourvu  que  ce  fût  en  petite  quantité  ,  6c 
je  ne  penfe  pas  avec  cela  que  ce  fût  impunément:  il 
paroît  qu'ils  avalent  tout  ce  qu'ils  trouvent,  jufqu'à  ce 
que  leurs  grands  eilomacs  foient  entièrement  pleins  ,  & 
que  le  ]>efoin  de  les  leder  par  un  volume  fujTifànt  de 
matière  ,  eft  l'une  des  principales  caufes  de  leur  vora- 
cité. Dans  les  fujets  difléqués  par  Warren  (fj  (Se  par 
Ramhy  (g),  les  ventricules  étoient  tellement  remplis 
<5c  diflcndus,  que  la  première  idée  qui  vint  à  ces  deux 
AnatomiRcs,  fut  de  douter  que  ces  animaux  eufTent 
jamais  pu  digérer  une  telle  furcharge  de  nourriture. 
Ramhy  ajoute  que  les  matières  contenues  dans  ces 
ventricules  paroifToient  n'avoir  fubi  qu'une  légère 
altération.  Vallifnieri  trouva  aufTi  le  premier  ventricule 
entièrement  j)lcin  d'herbes,  de  fruits,  de  légumes, 
de  noix ,  de  cordes,  de  pierres,  de  verre,  de  cuivre 
jaune  &  rouge,  de  fer,  d'étain,  de  plomb  &  de  bois; 
il  y  en  avoit  entr'autrcs  \.\n  morceau,  &:  c'étoit  le 
dernier  avalé,  puisqu'il  éroit  tout  au-dcffus ,  lequel  ne 

fe)  Je  dis  fort  fouvent,  car  Albert  afTure  très-pofitiveinent  qu'il 
n'a  jamais  pu  faire  avaler  du  fer  à  piuficurs  autruches ,  quoiqu'elles 
dévorafîèni  avidement  des  os  fort  durs  &  même  des  pierres.  Voye? 
Cefner,  de  Avibus ,  ;?^^,  742,  C» 

(f)  Traniàétions  Philo/ophiqucs,  n'  ^ p^* 

(gj  Ibidm,  n:  sS^' 


452        Histoire  Natu rellr 

pcfoit  pas  loin  d'une  livre  f/ij.  M/*  de  TAcade'mitf 
aiïurent  que  les  ventricules  des  huit  autruches  qu'ils 
ont  obfervées,  fe  font  toujours  trouvés  remplis  de 
foin,  d'herbes,  d'orge,  de  fèves,  d'os,  de  monnoics,, 
de  cuivre  (^  de  cailloux,  dont  quelques-uns  avoient 
la  groiïeur  d'un  œuf  f'ij;  l'autruche  entaiïe  donc  les 
matières  dans  fes  efîomacs  à  raifon  de  leur  capacité, 
<Sc  parla  nccefTité  de  les  remplir;  6c  comme  elle  digère 
avec  facilité  &.  promptitude,  il  eft  aifé  de  comprendre 
pourquoi  elle  efl  infatiable. 

Mais  quelque  infatiable  qu'elle  foit ,  on  me  de- 
mandera toujours,  non  pas  pourquoi  elle  confomme 
tant  de  nourriture,  mais  pourquoi  elle  avale  des  ma- 
tières qui  ne  peuvent  point  la  nourrir,  &  qui  peuvent 
même  lui  faire  beaucoup  de  mal  ;  je  répondrai  que 
c'eft  parce  qu'elle  efl  privée  du  fens  du  goût,  <Sc  cela 
efl  d'autant  plus  vraiiemblable,  que  fa  langue  étant 
bien  examinée  par  d'habiles  Anatomifles,  leur  a  para 
dépourvue  de  toutes  ces  papilles  fenfibles  <?c  nerveufes, 
dans  lefquelles  on  croit  avec  affez  de  fondement  que 
réfide  la  fenfation  du  goût  fkj:  je  croirois  même 
<]u'elle  auroit  le  fens  de  l'odorat  fort  obtus ,  car  ce 
fens  efl  celui  qi:i  fert  le  plus  aux  animaux  pour  le 
difcernement  de  leur  nourriture;  (Se  l'autruche  a  d  peu 

(h)  Opère  dî  Vallifn'ierî ,  tom.  I,  pag.  240. 
(i)  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hiftoire  des  Animaux,  partie  II, 
page  J2$, 

(k)  ^'aIli^Ili€rj,  tome  I ,  page  2^^* 

de 


DE    l' Autruche.       435 

de  ce  difcernement ,  qu'elle  avale  non-feulement  le  fer, 
Jes  cailloux,  le  verre  ,  mais  mcme  le  cui\re  qui  a  une 
il  mauvaife  odeur,  &^  que  Vallifnieri  en  a  vu  une  qui 
étoit  morte  ])our  avoir  dévoré  une  grande  quantité  de 
chaux  vive  flj:  les  gallinacés  6c  autres  granivores,  qui 
n'ont  pas  les  organes  du  goût  fort  feniibles,  avalent 
bien  de  petites   pierres    qu'ils  prennent  apparemment 
pour  de  petites  graines  ,    lorfqu'ellcs  font  mêlées   en- 
femhle  ;  mais  fi  on  leur  prefente  pour  toute  nourriture 
un  nombre  connu  de  ces  petites  pierres,  ils  mourront 
de  faim  ,  fans  en  avaler  unç  feule  fmj;  à  plus  forte  raifon 
ne  toucheroient-ils  point  à  la  cliaux  vive:  Si  l'on  peut 
conclure  de -là,  ce  me  femble  ,  que  l'autruche  eft  un 
des  oifeaux  dont  les  fens   du  goût  6c  de  l'odorat,  6c 
même  celui  du  toucher  dans  les  parties  internes  de  la 
bouche,  font  les  plus  émoulTés  6c  \es  plus  obtus;  en 
quoi  il  f^ut  convenir  qu'elle  s'éloigne  beaucoup  de  la 
nature  des  quadrupèdes. 

Mais  enfin  que  deviennent  les  fubrtnnccs  dures, 
réfra(5laircs  6c  nuihbles,  que  l'autruche  avale  fans  choix 
6c  dans  la  feule  intention  de  fe  remplir!  que  deviennent 
fur-tout  le  cuivre,  le  verre,  le  fer!  fur  cela  les  avis 
font  partagés,  6c  chacun  cite  des  faits  à  l'appui  de  fon 
opinion.  M.  Perrault  ayant  trouvé  foixante  6i.  dix  doubles 
dans  l'eftomac  d'un  de  ces  animaux ,  remarqua  qu'ils 

^1)  Vallifnieri,  tome  I,  page  2^ p. 

(m)    CoIle(fi:ion    Acadcmique  ,    tome  1   de  /'Hifloire    naturelle, 
j^age  4P  S. 

Oifc'dux,  Tome  L  .  I  i  i 


434      Histoire  Natu relle 

étolent  la  plupart  ufés  &.   confumcs  prefqiie  aux  trois 
quarts;  mais  il  jugea  que  c'ctoit  plutôt  par  leur  frotte- 
ment mutuel   6c   celui  des   cailloux,  que  par  l'adion 
d'aucun  acide,  vu  que  quelques-uns  de  ces   doubles 
qui   étoient  bofTus ,   fe  trouvèrent  fort   ufcs  du    côté 
convexe,  qui  étoit  aufTi  le  plus  expofé  aux  frottemens, 
&  nullement  endommagés  du  côté  concave;  d'où  il 
conclut    que    dans    les    oifeaux ,  la  difTolution  de   la 
nourriture  ne  fe  fait  pas  feulement  par  des  efprits  fubtil» 
<Sc  pénétrans ,  mais  encore  par  l'action  organique  dti 
ventricule    qui    comprime    6l    bat    inceïïamment   les 
alimens  avec  les  corps  durs  que  ces   mêmes  animaux 
ont   l'indind:  d'avaler;  <Sc  comme  toutes  les  matières 
contenues  dans  cet  eftomac ,  étoient  teintes  en  vert; 
il  conclut  encore  que  la  diiïblution  du  cuivre  s'y  étoit 
faite  ,  non  par    un   diiïblvant  particulier ,  ni  par  voie 
^e   digedion ,   mais   de  la   même    manière  qu'elle   fe 
feroit  fi  l'on    broyoit    ce  métal  avec   des  herbes.,  ou 
avec  quelque  fiqueur  acide  ou  falée:  il   ajoute  que  le 
cuivre,  bien    loin    de  fe    tourner   en  nourriture  dans 
l'eflomac  de  l'autruche,  y  agiffoit  au  contraire  comme 
poifon,  &i  que  toutes  celles  qui  en  avaloient  beaucoup 
mouroient  bientôt  après  fnj. 

Vallifnieri  penfe  au  contraire  que  Tautruche  digère 
ou  diffout  les  corps  durs,  principalement  par  l'aétio-n 
du   diiïbivant    de    l'eflomac  ,   fans  exclure  celle   des 

fji)  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hifioire  des  Animaux ,  partie  lit- 


JD£      l'AC/T   RUCHE,  43  J 

chocs  Si  frottemens  qui  peuvent  aider  à  cette  adion 
principale:  voici  Tes  preuves: 

I.  Les  morceaux  de  bois,  de  fer  ou  de  verre  quî 
ont  fcjourné  qucl([ue  temps  dans  les  ventricules  de 
iautruciie,  ne  font  point  lifTes  Se  luifans  comme  ils 
devroient  l'être  ,  s'ils  euiïent  été  ufés  par  le  frotte- 
ment; mais  ils  font  raboteux,  fdlonncs,  cribles  comme 
ils  doivent  l'ctre,en  fuppofant  qu'ils  aient  été  rongés 
par  un  diffolvant  adif: 

2.°  Ce  diffolvant  réduit  les  corps  les  plus  durs,  de 
même  que  les  herbes,  les  grains  ô:  les  os,  en  molé- 
cules impalpables  qu'on  peut  a])crcevoir  au  microfcope 
Si  même  à  l'œil  nu: 

3.''  Il  a  trouvé  dans  un  eflomac  d'autruche  un  clou 
implanté  dans  l'une  de  fcs  parois,  Si  qui  traverfoit  cet 
eftomac  de  façon  que  les  parois  oppofées  ne  pouvoient 
s'approcher  ni  par  conféquent  comprimer  les  matières 
contenues  ,  autant  qu'elles  le  font  d'ordinaire;  cepen- 
dant les  alimens  étoient  aufTi-bien  diffous  dans  ce 
ventricule  ,  que  dans  un  autre  qui  n'étoit  traverfé 
d'aucun  clou,  ce  qui  prouve  au  moins  que  la  digcC- 
lion  ne  fc  fait  pas  dans  l'autruche  uniquement  par 
trituration  : 

4."  Il  a  vu  un  dés  a  coudre,  Je  cuivre,  trouvé  dans 
l'cflomac  d'un  chapon,  lequel  n'étoit  rongé  que  dans 
le  ftul  endroit  par  où  il  touchoit  au  géficr,  c^  qui  par 
conféquent  étoit  le  moins  expofé  aux  chocs  des  autres 
corps  durs;  preuve  que  la  diffolution  das  métaux,  dans 

lii  ij 


43^       Histoire  Natu relle 

l'eflomac  des  chapons,  fe  fait  plutôt  par  i'adion  d'un 
difTolvant  quel  qu'il  foit,  que  par  celle  des  chocs  (Se 
des  frottemens  ;  (5:  cette  confcquence  s'étend  afTez 
naturellement  aux  autruches: 

5.°  Jl  a  vu  une  pièce  de  monnoie  rongée  fi  profon- 
dément, que  fon  poids  étoit  réduit  à  trois  grains: 

é.*'  Les  glandes  du  premier  eflomac  donnent ,  étant 
preffées,  une  liqueur  vifqueufe,  jaunâtre,  infipide,  <Sc 
qui  néanmoins  imprime  très- promptement  fur  le  fer, 
une  tache  ohfcure: 

7. "Enfin,  ra(5liviié  deces  fucs,  la  force  des  mufcles 
du  géhcr,  Si  la  couleur  noire  qui  teint  les  cxcrémens 
des  autruches  qui  ont  a\alé  du  fer,  comme  elle  teint 
ceux  des  pcrfonnes  qui_font  ufage  des  martiaux  (Se  les 
digèrent  hien  ,  venant  à  l'appui  des  faits  précédens  , 
autorifcnt  Vallifnieri  à  conje(5turer ,  non  pas  tout-à-fait, 
que  les  autruches  digèrent  le  fer  &i  s'en  nourriffent, 
comme  divers  infcéles  ou  reptiles  fe  nournffent  de 
terre  &.  de  pierres;  mais  que  les  pierres,  les  métaux  6l 
fur-tout  le  fer,  diffous  par  le  fuc  des  glandes,  fervent 
à  tempérer,  comme  ablorbans  ,  les  fermens  trop  aélifs 
de  reilomac  ,  qu'ils  peuvent  fe  mékr  à  la  nourriture 
comme  élémens  utiles,  l'affaifonner ,  augirjentcr  la  force 
des  folides,  &.  d'autant  plus  (]ue  le  fer  entre,  comme 
on  fait,  dans  la  compolition  des  êtres  vivans;  &.  (]ue 
lorf(ju'il  ell  fuffifamment  atténué  par  des  acides  conve- 
nables, il  fe  volatilife  &.  acquiert  une  tendance  à  végé- 
ter, pour  ainfi  dire,  &.  à  prendre  des  formes  analogues 


DE    l' Autruche,       437 

à  celles  des  plantes,  comme  on  le  voit  dans  l'arbre 
de  mars  foj;  6c  c'eft  en  effet  le  feul  fens  raifonnable 
dans  lequel  on  puifle  dire  que  l'autruche  digère  le  fer, 
<Sc  quand  elle  auroit  i'edomac  affez  fort  pour  le  digérer 
véritablement,  ce  n'eft  que  par  une  erreur  bien  ridicule 
qu'on  auroit  pu  attribuer  à  ce  gcfier,  comme  on  a  fait, 
la  qualité  d'un  remède  Sl  la  vertu  d'aider  la  digefîion, 
puifqu'on  ne  peut  nier  qu'il  ne  foit  par  lui  -  même 
un  morceau  tout -à -fait  indigcfle  :  mais  telle  eft  la 
nature  de  l'efprit  humain  ;  lorfqu'il  cfl  une  fois  frappé 
de  quelque  objet  rare  <Sc  fmgulicr,  il  fc  plait  à  le  rendre 
plus  fmgulier  encore,  en  lui  attribuant  des  proj)rictés 
chimériques  &  fouvent  abfurdcs  :  c'tfl  ainfi  qu'on  a 
prétendu  que  les  pierres  les  plus  tranfparentes  qu'on 
trouve  dans  les  ventricules  de  l'autruche,  avoicnt  auffi 
la  vertu ,  étant  portées  au  cou  ,  de  faire  fure  de  bonnes 
di^eftions;  que  la  tunique  intérieure  de  fon  géfier  avoit 
celle  de  ranimer  un  tempérament  affoibli  <Sc  d'infpirer 
de  l'amour;  fon  foie,  celle  de  guérir  le  mal  caduc; 
fon  fan<T^ ,  celle  de  rétablir  la  vue;  la  coque  de  fes  œufs 
réduite  en  poudre,  celle  de  foulager  les  douleurs  de  la 
<routîc  &  de  la  «îjravelle ,  6cc.  Yallifnieri  a  eu  occdùon 

(o)  Mémoires  de  l'Académie  des  Sciences,  amiées  17OJ,  i  yo  S 
à'  fit'ivanles.  —  Vallilnicri,  tome  I ,  page  242  ;  &  il  confirme  encore 
Ton  (cntiment  p;ir  les  obrcr\;uions  de  Santorini  fur  des  pièces  de 
monnoie  &  des  clous  trouves  dans  l'edomac  d'une  autruche  qu'il 
avoit  diiïcquée  à  Veniiê  ,  &  par  les  expériences  de  l'Académie  dd 
Cimeiuo  ,  lur  b  digellion  des  Oilcaux. 

lii   iij 


438  HiSTOinE    NaTU  RELLE 

de  conrtater  par  fes  expériences,  Ja  faufTeté  de  la  plu- 
part de  ces  prétendues  vertus;  &  fes  expériences  font 
d'autant  plus  décifives,  qu'il  les  a  faites  fur  les  per- 
fonncs  les  plus  crédules  &  les  plus  prévenues  fpj. 

L'autruche  eft  un  oifeau  propre  ôc  particulier  à  l'A- 
frique ,aux  îles  voifines  de  ce  continent  (^J ,  Si  à  la  partie 
de  l'Afie  qui  contine  à  l'Afrique;  ces  régions  qui  font 
le  pays  natal  du  chameau,  du  rhinocéros,  de  l'éléphant 
<&.  de  pluficurs  autres  grands  animaux,  dévoient  être 
auffi  la  patrie  de  l'autruche,  qui  eft  l'éléphant  des 
oifeaux  ;  elles  font  très -fréquentes  dans  les  mont.\gnes 
f^tuées  au  fud-ouefl  d'Alexandrie,  fuivant  le  doéleur 
Pokoke.  Un  Mi/fionnaire  dit  qu'on  en  trou\e  à  Goa, 
mais  beaucoup  nioins  qu'en  Arabie  fr);  Philoftrate 
prétend  nicme  qu'Apollonius  en  trouva  jufqu'au  de-là 
du  Gange  ff)^  mais  c'étoit  fans  doute  dans  un  temps 
où  ce  pays  étoit  moins  peuplé  qu'aujourd'hui  :  les 
Voyageurs  modernes  n'en  ont  point  aperçu  dans  ce 
mcme  pays,  finon  celles  qu'on  y  avoit  menées  d'ail- 
leurs ffj,  ôi  tous  conviennent  qu'elles  ne  s'écartent 

^pj  Vairifnieri ,  tome  1,  pagt  2^^. 

( q)  Le  vorou-patra  de  Madagalcar  cfl:  une  efpècc  d'autruche  qui 
fe  re[irc  dans  les  lieux  dtlerts  &  pond  des  ocuh  d'une  fingulière 
grofleur.  Hijf.  générale  des  voyages ,  tome  VIII ,  page  606,  citant 
f'îaccour. 

tr)  Voyage  du  Fr,  Piiilippe,  Carme-de'chauiïc,  page  ^yS. 

(f)  Vît  a  Apollonii ,  lib.  m. 

(t)   On  en   nourrit  dans    les  me'nageries  du  roi  de  Perfe ,   félon 
Thcvenot  (tome  II,  page  200),  ce  qui  llippole  qu'elles  ne  font 


i)£    l' Autruche,       ^^^cf 

guère  au-delà  du  trente  -  cinquième  degré  de  latitude, 
de  part  &  d'autre  de  la  Ligne;  6c  comme  l'autruche 
ne  vole  point,  elle  efl  dans  le  cas  de  tous  les  quadru- 
pèdes des  parties  méridionales  de  Tancien  continent, 
c'eft-à-dire,  qu'elle  n'a  pu  pafTer  dans  le  nouveau  ; 
auiïi  n'en  a-t-on  point  trouvé  en  Amérique  ,  quoiqu'on 
ait  donné  Ton  nom  au  thouyou  ,  qui  lui  refTemble  en 
effet,  en  ce  qu'il  ne  vole  point  ai  par  quelques  autres 
rapports^  mais  qui  efl:  d'une  cfpcce  différente,  comme 
nous  le  verrons  bientôt  dans  fon  liiftoire:  par  la  même 
raifon,  on  ne  l'a  jamais  rencontrée  en  Europe,  où  elle 
auroit  cependant  pu  trouver  un  climat  convenable  à  fa 
nature  dans  la  Morée  ,  ôc  au  midi  de  i'Efpagne  Si  de 
l'Italie;  mais  pour  fe  rendre  dans  ces  contrées,  il  eût 
fallu  ou  franchir  les  mers  qui  l'en  féparoient  ,  ce  qui 
lui  étoit  impoffdilc,  ou  faire  ie  tour  de  ces  mers,  <Sc 
remonter  juiqu'au  cinquantième  degré  de  latitude  pour 
revenir  par  le  Nord  en  traverfant  des  régions  très- 
peuplées,  nouvel  obflacîe  doublejnent  infurmontabic  à 
Ja  migration  d'un  animal ,  qui  ne  fe  plaît  que  dans 
ks  pays  chauds  6c  les  déferts:  les  autruches  habitent 
en  effet,  par  préférence,  les  lieux  les  plus  folitaircs  Si 
les  plus  arides,  ou  il  ne  pleut  prefque  jamais  fuj^  6c 

pas  communes  dnns  ce  pays.  —Sur  la  route  d'Ifpalian  à  Schifas  an 
amena  dans  le  caravanferai  quatre  autruches,  dit  Gemelli  Carrcrl,, 
iome  IJ ,  page  2^8. 

(u)  Struihum  generan  in  parte  Africœ   quâ  non  pluit  hujuk  Thco^ 
phrajîus  i  de  Hili  pl.an.  44,  apud  Cefnerum,  png.  74.  Nota.  Tous  les 


440       Histoire  Natu relle 

cela  confirme  ce  que  difent  les  Arabes,  qu'elles  ne 
boivent  point;  elles  fe  réuniffent  dans  ces  dcferts  en 
troupes  nomhreufes,  qui  de  loin  reffemblent  à  dts 
efcadrons  de  cavalerie,  &i  ont  jeté  l'alarme  dans  plus 
d'une  caravane  :  leur  vie  doit  être  un  peu  dure  dans 
ces  folitudes  vaftcs  &i  flérilcs  ,  mais  elles  y  trouvent  la 
liberté  6c  l'amour  ;  &i  quel  défert ,  à  ce  prix  ,  ne  feroit  un 
lieu  de  délices!  c'eft  pour  jouir,  au  lein  de  la  Nature, 
de  ces  biens  ineftimables  qu'elles  fuient  l'homme  ;  mais 
l'homme  qui  fait  le  profit  qu'il  en  peut  tirer,  les  va 
chercher  dans  leurs  retraites  les  plus  fauvagcs  ;  il  fe 
nourrit  de  leurs  œufs,  de  leur  fang,  de  leur  graiffe,  de 
leur  chair,  il  fe  pare  de  leurs  plumes;  il  conferve  peut- 
être  l'efpérance  de  les  fubjuguer  tout-à-fait ,  <Sc  de  les 
mettre  au  nombre  de  fes  efclaves.  L'autruche  promet 
trop  d'avantages  à  l'homme,  pour  qu'elle  puiffe  être 
en  fureté  dans  fes  déferts. 

Voyageurs  &  les  Naturali(\es  font  d'accord  fur  ce  point;  G.  "Warreii 
eft  le  leul  qui  ait  fait  un  oifeau  aquatique  de  l'autruche ,  l'animal  le 
plus  anti-aquatique  qu'il  y  ait  :  il  convient  bien  qu'elle  ne  fait  point 
nager  ;  mais  elle  a  les  jambes  hautes  &  le  cou  long  ,  ce  qui  lui  donne 
Je  moyen  de  marcher  dans  l'eau  &  d'y  iliifir  (a  proie  ;  d'ailleurs ,  on 
a  remarque  que  la  tête  avoit  quelque  reflcmblance  avec  celle  de  l'oie; 
en  £uit  -  il  davantage  pour  prouver  que  l'autruche  cfl  un  oifeau  de 
rivière  î  Voy.  Tranfaâ.  Philof.  n."  S 9  4-  Un  autre  ayant  ouï  dire  qu'on 
voyoit  en  Abillniie  des  auuuches  de  la  grolTeur  d'un  âne,  &.  ayant 
appris,  d'ailleurs,  qu'elles  avoient  le  cou  &  les  pieds  d'un  quadrupède, 
en  a  conclut  &  écrit  qu'elles  avoient  le  cou  &  les  pieds  d'un  âne, 
Juldds.  II  n'y  a  guère  de  fujet  d'Hifloire  naturelle  qui  ait  fait  dire 
;iuîant  d'abfurditcs  que  l'autiuche* 

Des 


DE    l' Autruche.       44.1 

Des  peuples  entiers  ont  mérité  le  nom  de  Smi- 
tlwp/iages  ,  par  i'ufage  où  ils  étoicnt  de  manger  de 
i 'autruche  fxj;  ôl  ces  peuples  ctoient  voifjns  d^s 
Eléphantopdagcs,  qui  ne  faiibient  pas  meilleure  chère. 
Apicius  prefcrit,  Ôl  avec  grande  raifon  ,  unt  fauce  un 
peu  vive  pour  cette  viande  fyj,  ce  qui  prouve  au 
moins  (ju'elle  étoit  en  ufage  chez  les  Romains;  mais 
nous  en  avons  d'autres  preuves.  L'empereur  Héhoga- 
bale  fit  un  jour  fervir  la  cervelle  de  fix  cents  autruches 
dans  un  feul  repas  fij;  cet  Empereur  avoit ,  comme 
on  Tait,  la  fantaific  de  ne  manger  chaque  jour  que 
d'une  feule  viande,  comme  faifans,  cochon,  poulets, 
<5c  l'autruche  ttoit  du  nombre  (^J ,  mais  apprêtée 
fans  doute  à  la  manière  d' Apicius:  encore  aujourd'hui 
Jes  hahitans  de  la  Lybie ,  de  la  Numidie ,  <&c.  en 
nourriffent  de  privées ,  dont  ils  mangent  la  chair  <5c 
vendent  les  plumes  flj ;  cependant  les  chiens  ni  les 
chats  ne  voulurent  pas  même  fentir  la  chair  d'une 
autruche  que  Vallifnieri  avoit  difTcquce,  quoique  cette 
chair  fût  encore  fraîche  <Sc  vermeille,  à  la  vérité  Tau- 
truche  étoit  d'une  très -grande  maigreur  (cj  ;  déplus^ 
elle  pouvoit  être  vieille;  &  Léon -l'Africain  qui  en 
avoit    goûté   fur  les   lieux ,   nous  apprend   qu'on    ne 

(x)  Strabon ,  lib.  X  VI.  — DiocJ. 
Sic.  de  Fabul  Antiq.  gef'ts,  !ib.  i  V. 
(y)  Apicius,  lib.  vi,  cap.  i. 
(l_)  Lamp.  in  vita  Heliogabali, 
^a)  Idem,  ibidem, 
(b)    Belon ,    Hijl.  natur.   des 

O'ifcaux ,  Tome  1, 


Oifeaux,  page  23  i.  —  Marmol, 
Defcripcion  de  r Afrique,  tome  III, 
page  25. 

(c)  Opère  di  Val/ifnieri,  tom.  I| 

;  Kkk 


'44-2        Histoire  Natu relle 

mangeoit  guère  que  les  jeunes,  &.  même  après  les 
avoir  engraiiïees  f^IJ ;  le  Rabin,  David  Kimbi ,  ajoute 
qu'on  préféroit  les  femelles  fej,  6c  peut-être  en  eût-on 
fait  un  mets  paffable  en  les  foumettant  à  la  caflration. 

Cadamoflo(Sc  quelques  autres  Voyageurs  clifent  avoir 
goûté  des  œufs  d'autruche  ,  Si  ne  les  avoir  point  trouvés 
mauvais;  de  Brue  6c  le  Maire  affurcnt  que  dans  un  feui 
de  fes  œufs,  il  y  a  de  quoi  nourrir  huit  hommes  ("fj; 
d'autres  qu'il  pèfe  autant  que  trente  œufs  de  poule  fgj, 
mais  il  y  a  bien  loin  de-là  à  quinze  livres. 

On  fait  avec  la  coque  de  ces  œufs ,  des  efpèces  de 
coupes  qui  durcilfent  avec  le  temps,  6:  reffemblenC 
€n  quelque  forte  à  de  l'ivoire. 

Lorfque  les  Arabes  ont  tué  une  autruche,  ils  lui 
ouvrent  la  gorge ,  font  une  ligature  au  -  deflous  du 
trou,  6c  la  prenant  enfuite  à  trois  ou  quatre,  ils  la 
fecouent  6c  la  reffiffent,  comme  on  relïafTeroit  une 
outre  pour  la  rincer;  après  quoi  la  ligature  étant  défaite, 
il  fort  par  le  trou  fait  à  la  gorge,  une  quantité  confi- 
dérable  de  mantéque  en  conliftance  d'huile  figée;  on 
en  tire  quelquefois  jufqu'à  vingt  livres  d'une  feule 
autruche ,  cette  mantéque  n'cfl  autre  chofe  que  le 
fang  de  l'animal  mêlé,  non  avec  fa  chair,  comme 
on  Ta  dit,  piiifqu'on  ne  lut  en   trouvoit  point  fur  le 


(dj  Defcrip.  de  l'Afr.  liv.  IX. 

(e)  Cefnej,  de  Avïbus ,  p.  74 1 . 

(f)  Voyage  au  Sénégal,  &c. 
fage  I  Q^, 


(^)  Kolbe,  Defcriptïon  du  cep 
de  Bonm-ejpcrqjKe. 


T>  E    l' Autruche.       445 

ventre  <Sc  la  poitrine,  où  en  efîet  ii  n'y  en  a  jamais; 
mais  avec  cette  graifTe,  qui  dans  les  autruches  grafTes, 
forme,  comme  nous  avons  dit,  une  couche  épaifle  de 
phifieurs  pouces  fur  les  inteflins:  les  habitans  du  pays 
prétendent  que  la  mantèque  efl  un  très-bon  manger, 
mais  qu'elle  donne  le  cours  de  ventre  (h). 

Les  Ethiopiens  écorchcnt  les  autruches  <Sc  vendent 
leurs  peaux  aux  Marchands  d'Alexandrie;  le  cuir  en 
efl  très-cpais  (i) ,  Si  les  Arabes  s'en  faifoient  autrefois 
des  cfpèces  de  foubrcveftcs ,  qui  leur  tenoient  lieu  de 
cuiraife  Si  de  bouclier  (7(J.  Bclon  a  vu  une  grande 
quantité  de  ces  peaux  toutes  emplumées  dans  les  bou- 
tiques d'Alexandrie  (^/J^  les  longues  plumes  blanches 
de  la  queue  Sl  des  ailes  ont  été  recherchées  dans  tous 
les  temps;  les  Anciens  les  cmployoient  comme  orne- 
ment &  comme  diflinflion  militaire,  Si  elles  avoient 
fuccédé  aux  ])lumes  de  cygne  ;  car  les  oifeaux  ont 
toujours  été  en  poiTefTion  de  fournir  aux  peuples 
policés,  comme  aux  peuples  fauvages,  une  partie  de 
leur  parure.  AIdrovande  nous  apprend  qu'on  voit 
encore  à  Rome  deux  flatucs  anciennes  ,  l'une  de 
Minerve    &    l'autre  de  Pyrrlius ,   dont  le    cafque    efl 


f/ij  Voynge  de  Thévenot, 
tom  J ,  pnge  ^  i ^. 

I  i)  Nota.  Schwcnckfeld  pré- 
tend que  ce  cuir  épais  efl  fait 
pour  garamir  l'autruche  contre  la 
rigueur  du  froid;  il  n'a  pas  pris 


garde  qu'elle  n'habitoit  que  les  pnys 
chauds.    1'''oy.   Aviariuni   Silefioe, 

(k)    Pollux ,  apui  Gefncrum, 
de  Avibus,  pag.  7^-^. 

(l)  Belon,  Ohjerv.  fol  5? 5. 

Kkkij 


44-4-       Histoire  Naturelle 

orné  de  plumes  d'autruche   (??îJ;  c'efl  apparemment 
de  ces  mêmes  plumes  qu'étoit  compofc  le  pcnnache 
des  foldats  Romains,   dont  parle  Polybe   fnj,  Si  qui 
confifloit  en  trois  plumes  noires  ou  rouges  d'environ 
une  coudée  de  haut;  c'eft  précifément  la  longueur  des 
grandes  plumes  d'autruche.  En  Turquie,  aujourd'hui, 
un    Janifîaire  (^oj    qui    s'-cfl;  fignaié  par  quelques    faits 
d'armes  (^pj^  a  le  droit  d'en  décorer  fon  turban,  <5:.la 
Sultane,  dans  le  ferai  1  ,  projetant  de  plus  douces  vic- 
toires,  les  admet  dans  fa  parure  avec  complaifance. 
Au  royaume  de  Congo,  on  mêle  ces  plumes  avec  celles 
du  paon  ,  pour  en  faire  des   enfcignes  de  guerre  f^J, 
Si  les    Dames  d'Angleterre  Si   d'Italie    s'en  font  des 
efpèces  d'éventails  ('f-J;  on  fait  affez  quelle  prodigicule 
confommation  il  s'en  fiit  en  Europe  pour  les  chapeaux, 
les  cafques,  les  hahillemens  de  théâtre,  les  ameuhle- 
mens,  les  dais,  les  cérémonies  funèbres,  Si  même  pour 
la  parure  des  femmes;  <Sc  il  faut  avouer  qu'elles  font  un 
bon  effet ,  foit  par  leurs  couleurs  naturelles  ou  artill- 
cielles,  foit  par  leur  mouvement  doux  Si  ondoyant: 
mais  il  cfl:  bon  de  favoir  que  les  plumes  dont  on  fait 
le  plus  de  cas,  font  celles  qui   s'arrachent  à  l'animal 
vivant ,  &.  on  les  reconnoît  en  ce  que  leur  tuyau  étant 
preffé   dans   les  doigts,   donne  un   fuc  fanguinolent  ; 


^mj  A  Id.  deAvlhus,  1. 1,  p.  5  9  (5. 
(n)  Polybe,  HiJI.  lib.  vi. 
(0)  Belon,  Obferv .  .  .  fol.  ()6. 
(p) k\à,de  Ayibus,ul,Y>.  55) 6. 


fq)  Hifl.  gen.  des  Voynges, 
tome  V,  page  y6. 

(r)  Aldrov.  ubi  fupra.  — Wil- 
lulghby,  page  j  oj. 


DE    L*  Autruche,      4.^5 

celles  au  contraire  qui  ont  été  arracliécs  après  la  mort, 
font  sèches,  légères  <Sc  fort  fujettes  aux  vers  ffj. 

Les  autruches  ,  quoique  habitantes  du  délert ,  ne 
font  pas  auiïi  fauvages  qu'on  l'imagineroit :  tous  les 
Voyageurs  s'accordent  à  dire  qu'elles  s'apprivoifent 
facilciiient,  fur-tout  lorrqu'elles  font  jeunes.  Les  habi- 
tans  de  Dara ,  ceux  de  Lybie,  &.c.  en  nourrilfent  des 
troupeaux  (ij,  dont  ils  tirent  fans  doute  ces  plumes 
de  première  qualité,  qui  ne  fe  prennent  que  fur  les 
autruches  vivantes  ;  elles  s'apprivoifent  même  lans  qu'on 
y  mette  de  foin  ,  6;  par  la  lèule  liabitude  de  voir  des 
jîommes  Si  d'en  recevoir  la  nourriture  c^  de  bons 
traitemens.  Brue  en  ayant  acheté  deux  à  Serinpate  fur 
la  côte  d'Afrique,  les  trouva  tout  apprivoifées  lorfqu'il 
arriva  au  fort  Saint-Louis  (iij. 

On  f lit  plus  (|uedcles  apprivoifer,  on  en  a  dompté 
quelques-unes  au  point  de  les  monter  comme  on  monte 
lin  cheval;  &.  ce  n'eft  pas  une  invention  moderne, 
car  le  tyran  Firmius  qui  régnoit  en  Egypte  fur  la  fin 
du  troifième  fiècle,  fe  faifoiî  porter,  dit -on,  par  de 
grandes  autruches  (xj.  Moore,  Anglois,  dit  avoir  vu, 
à  Joar  en  Afrique,  un  homme  voyageant  fur  une 
autruche   (yj.  Vailifnieri  parle  d'un  jeune  homme  qui 

(f)  Hirt.  g^n.  à^s  Voyages, 
tome  II,  p'ige  6^2. 


f  t  )  Marniol  ,  Dcfcription  de 
J' Afrique,  tome  III,  page  i  i. 

^uj  Hift.  gcn.  des  Voyages, 
tome  II,  fii^e  6  q  S, 


(x)  Firnùus  imperator  veéJus  ejf 
inQcntiius  Struth'ionibus.  Textor ofT. 
npud  Cedicrum  ,  pcig.  /  jj" . 

(y)  Hift.  gén.  des  Voyages, 
tome  111 ,  page  S ^„ 


Kkk  iij 


44-<^       Histoire  Naturelle 

s'étoit  fait  voir  à  Venife  monté  fur  une  autruche,  Ôc 
lui  faifant  faire  des  efpèces  de  voites  devant  le  menu 
peuple  ("ij;  enfin  M.  Adanfon  a  vu  au  comptoir  de 
Podor,  deux  autruches  encore  jeunes,  dont  ia  plus 
forte  couroit  plus  vite  que  le  meilleur  coureur  Anglois, 
quoiqu'elle  eût  deux  Nègres  fur  fon  dos  fûj ;  tout 
cela  prouve  que  ces  animaux,  fans  être  abfolument 
farouches,  font  néanmoins  d'une  nature  rétive,  ôi  que 

f:^)  Vallifnicri,  tome  I,  page  2^1. 

( a )  <i<i  Deux  autruches  qu'on  clevoit  depuis  près  de  deux  nns  nu 
»  comptoir  de  Podor,  furie  Niger,  quoique  jeunes  encore,  égaloient, 
>î  à  très-peu  près ,  la  grofieur  des  plus  grofles  de  celles  que  je  n'avois 
>3  aperçues  qu'en  pafTant  dans  les  campagnes  brulces  &  fablonneufes 
y^  de  la  gauche  du  Niger:  celles-ci  étoient  11  privées,  que  deux  petits 
»  Noirs  montèrent  enlemblc  la  plus  grande  des  deux  ;  celle-ci  n'eut 
35  pas  plutôt  fcnti  ce  poids ,  qu'elle  fe  mit  à  courir  de  toutes  (es  forces 
X.  &  leur  fit  fiire  plufieurs  fois  le  tour  du  villnge ,  /ans  qu'il  fût 
ï3  poffjble  de  l'arrêter  autrement  qu'en  lui  barrant  le  parfige.  .  .  Pour 
•n  efi'ajer  la  force  de  ces  animaux,  je  fis  monter  un  Nèo-rc  de  taille 
»  fur  la  plus  petite  ,  &  deux  autres  fur  la  plus  groffe  :  cette  charo-e 
*>  ne  parut  pas  difproportionnce  à  leur  vigueur  ;  d'abord  elles  trot- 
55  tèrent  un  petit  galop  des  plus  ierrcs;  cnluite,  lorfqu 'on  les  eût  un 
»  peu  cxcite'es,  elles  étendirent  leurs  ailes  comme  pour  prendre  le 
>»  vent ,  &  s'abandonnèrent  à  une  telle  vîiefle ,  qu'elles  fembloient 
33  perdre  terre ...  Je  fuis  perfuadc  cju'cllf  s  auroient  laifTé  bien  loin 
»•  derrière  elles  les  plus  fiers  chevaux  Anglois.  .  .  Il  eft  vrai  qu'elles 
33  ne  fourniroieat  pas  une  cour(c  audi  longue  qu'eii^  -,  maïs  à  coup 
53  fur  elJcs  pourroicnt  l'exécuter  plus  promptcment.  J'ai  été  plufieurs 
33  fois  témoin  de  ce  f]:)eclacle ,  qui  doit  donner  une  idée  de  la  force 
33  prodigicufe  de  l'autruche  ,  &  faire  connoître  de  quel  ufigc  elle 
33  pourroit  être  fi  on  trouvoit  moyen  de  la  maîtriler  &  de  i'inflruirc 
comme  on  drefîe  un  cheval >3.  Voyage  au  Sincgal,  page  j^8. 


DE      V  A    U    T   R   V   C   H   E.  447 

fi  on  peut  les  apprivoifer  jiifqu'à  fe  laiiïer  mener  en 
troupeaux,  revenir  au  bercail  <?v  même  à  fouffrir  qu'on 
les  monte  ,  il  e(l  difficile  &  peut-ctre  impofTible  de  les 
réduire  à  obéir  à  la  main  du  cavalier,  à  fcntir  Us 
demandes,  comprendre  fcs  volontés  (^  s'y  foumcurc: 
nous  voyons  par  la  relation  même  de  M.  Adanfon  , 
que  l'autruche  de  Podor  ne  s'éloigna  pas  bcaucouj), 
mais  qu'elle  lit  piufieurs  fois  le  tour  de  la  bourgade  , 
à.  qu'on  ne  put- l'arrêter  qu'en  lui  barrant  le  palîâge; 
docile  à  un  certain  point  par  flupidité ,  elle  paroft 
intraitable  par  fon  naturel;  6^  il  faut  bien  que  ceiafoif, 
puifque  l'Arabe  qui  a  dompté  le  cheval  &  fubjugué  le 
cliameau,  n'a  pu  encore  maîtrifer  entièrement  l'autruche  : 
cependant  jufque-là  on  ne  pourra  tirer  parti  de  fa  vitcffe 
<&  de  fa  force,  car  la  force  d'un  domelUique  indocile, 
fe  tourne  prefque  toujours  contre  fon  maître. 

Au  relie,  quoique  les  autrucJies  courent  plus  vite 
que  le  cheval ,  c'ert  cependant  avec  \c  che\'al  qu'on 
les  court  (5c  qu'on  les  prend,  mais  on  voit  bien  qu'il 
y  fuit  un  peu  d'induflrie;  celle  des  Arabes  conflile  à 
les  fuivre  à  vue,  fans  les  trop  preffcr,  <5c  fur  -  tout  à 
les  inquiéter  alTez  pour  les  empêcher  de  prendre  de 
la  nourriture,  mais  point  afîéz  pour  les  déierminer  à 
sYchapper  par  une  fuite  prompte  ;  cela  ell  d'autant 
plus  facile  qu'elles  ne  vont  guère  fur  une  ligne  droite, 
6c  qu^elles  décrivent  prefque  toujours  dans  leur  courfe 
un  cercle  plus  ou  moins  étendu;  les  Arabes  peuvent 
donc  diriger  leur  marche  fur  un  cercle  concentrique  > 


44S       Histoire  Natu re lle 

intérieur,  par  conféquent  plus  étroit,  <Sc  les  fuivre 
toujours  à  une  jude  diftance  ,  en  faifant  beaucoup 
moins  de  chemin  qu'elles  :  lorfqu'ils  les  ont  ainfi 
fatiguées  &i  affamées  pendant  un  ou  deux  jours,  ils 
prennent  leur  moment,  fondent  fur  elles  au  grand 
galop  en  les  menant  contre  le  vent  autant  qu'il  efl 
poffible  fhj^  Si  les  tuent  à  coups  de  Laton  pour  que 
leur  fang  ne  gâte  point  le  beau  blanc  de  leurs  plumes: 
on  dit  que  lorfqu'elles  fe  fentent  forcées  6c  hors  d'état 
d'échapper  aux  Chaffeurs ,  elles  cachent  leur  tcte  Se 
croient  qu'on  ne  les  voit  plus  (^cj;  mais  il  pourroit  fe 
faire  que  l'abfurdité  de  cette  intention  retombât  fur 
ceux  qui  ont  voulu  s'en  rendre  les  interprètes ,  Se 
qu'elles  n'euffent  d'autre  but  en  cachant  leur  tête 
que  de  mettre  du  moins  en  fureté  la  partie  qui  efl  en 
même  temps  la  plus  importante  Sl  la  plus  foible. 

Les  Struthophages  avoient  une  autre  façon  de 
prendre  ces  animaux  ,  ils  fe  couvroient  d'une  peau 
d'autruche,  pafflmt  leur  bras  dans  le  cou,  ils  lui  fai- 
foient  faire  tous  les  mouvemens  que  fait  ordinairement 
l'autruche  elle-même,  Se  par  ce  moyen  ,  ils  pouvoient 
aifément  les  approclier  Se  les  furprendre  f^J'  c'efl 
ainfi  que  les  Sauvages  d'Amérique  fe  déguifent  en 
chevreuil,  pour  prendre  les  chevreuils. 


fbj  Kleiii,  ////?.  Avium,  p.  i  6. 
—  Hiftoire  générale  des  Voyages, 
tome  11 ,  page  6 ^  2 . 

(c )   Pline  ,   iïb.  X ,   cap.   i. 


—  KoILe ,  Defcripî'ion  du  cap  de 
Bonne  -  efpérance ,  &c. 

(d)   Diod.   Sicul.    de   Fahul. 
Antiq.  geps,  iib.  iv. 


DE    L*  Autruche,       449 

On  s'efl  encore  fcrvi  de  chiens  &i  de  filets  pour  cette 
chafle,  mais  ii  paroît  qu'on  ia  fait  plus  communément 
à  cheval;  <Sc  cela  feul  fuffit  pour  expliquer  l'antipathie 
qu'on  a  cru  remarquer  entre  ie  cheval  (Se  i'autruche. 

Lorfque  celle-ci  court ,  elle  déploie  Tes  ailes  (5c  les 
grandes  plumes  de  fa  queue  fe),  non  pas  qu'elle  en 
lire  aucun  fecours  pour  aller  plus  vite  ,  comme  je  l'ai 
déjà  dit,  mais  par  un  effet  très-ordinaire  de  la  corref- 
pondance  des  mufcles,  <&.  de  la  manière  qu'un  homme 
qui  court  agite  fcs  bras,  ou  qu'un  éléphant  qui  re- 
vient fur  le  Chaffeur,  dreffe  <&.  déploie  fes  grandes 
oreilles  ^^;  la  preuve,  fans  réplique,  que  ce  n'eft  point 
pour  accélérer  fon  mouvement  que  l'autruclie  relève 
ainfi  fes  ailes,  c'efl  qu'elle  les  relève  lors  même  qu'elle 
va  contre  le  vent ,  quoique  dans  ce  cas  elles  ne  puifTent 
être  qu'un  ohftacle  :  la  vîteffe  d'un  animal  n'efl  que 
l*effet  de  fa  force  employée  contre  fa  pefanleur;  6l 
comme  Tautruche  efl  en  même  temps  très-pefante  ôc 
très  -  vite  à  la  courfe  ,  il  s'enfuit  qu'elle  doit  avoir 
beaucoup  de  force:  cependant  malgré  fa  force,  elle 
conferve  les  mœurs  des  granivores;  elle  n'attaque  point 
les  animaux  plus  foibles,  rarement  même  fe  met-elle 
en  défenfe  contre  ceux  qui  l'attaquent;  bordée  fur  tout 
le  corps  à\)n  cuir  épais  ôi  dur,  pourvue  d'un  large 
Jhniuîfî  qui  lui  tient  lieu  de  cuiraffe  ,  munie  d'une 
féconde  cuiraffe  d'infenfibilité,  elle  s'aperçoit  à  peine 

(()  Léon  A  fric.  Defcription,  lib.  IX, 
(f)  Elien,  ////?.  animal, 

O'iftaux ,  Tome  I.  .LU 


450       Histoire  Natu relle 

des  petites  atteintes  du  dehors,  <5:  ejie  fait  fe  fouHraire 
aux  grands  dangers  par  ia  rapidité  de  fa  fuite  ;  fi  quel- 
quefois elle  fe  défend,  c'efl  avec  le  bec,  avec  les 
piquans  de  fes  ailes  fgj,  Si  fur -tout  avec  les  pieds. 
Théver.ot  en  a  vu  une  qui  d'un  coup  de  pied  renverfa 
un  chien  (^/ij.  Belon  dit  dans  fon  vieux  langage,  qu'elle 
pourroit  ainfi  rua-  far  terre  wx\  lionime  qui  fuiroit 
devant  elle  (ï);  mais  qu'elle  jette,  en  fuyant,  des 
pierres  à  ceux  qui  la  pourfuivent  (k),]tv\  doute  beau- 
coup, (5c  d'autant  plus  que  la  vîteffe  de  fa  courfe  en 
avant  feroit  autant  de  retranché  fur  celle  des  pierres 
qu'elle  lanceroit  en  arrière,  6c  que  ces  deux  vîteffes 
oppofées  étant  à  peu  près  égales,  puifqu'clles  ont  toutes 
deux  pour  principe  le  mouvement  des  pieds,  elles  fe 
détruiroient  néceffairement  t  d'ailleurs  ce  fait  avancé 
par  Pline ,  <Sc  répété  par  beaucoup  d'autres ,  ne  me  paroit 
point  avoir  été  confirmé  par  aucun  Moderne  digne 
de  foi,  <Sc  Ton  fait  que  Pline  avoit  beaucoup  plus  de 
génie  que  de  critique. 

Léon  l'Africain  a  dit  que  J'autruche  étoit  privée  diî 
fens  de  l'ouïe  (l);  cependant  nous  avons  vu  plus- 
haut    qu'elle  paroiffoit  avoir   tous   les    organes    d'où.- 

(g)  Albert,  de  Anïmaî.  apud  Gefn.  pag.  742. 

(h)  Voyages  de  Thévenot,  tome  I ,  page  S  ^ 3- 

(i)  Belon,  H'ijl.  naî.  des  Oifeaux,  page  233. 

(k)  Ungulœ  lis.  .  .  bifide  ce ,  comprekndendis  lapïdibus  utiles ,  quos  î\ 
fugà  contra  Je quent es  ïngerunt.  Lib.  X,  cap.  I. 

(l)  Defcriptionœ  Africce ,  lib.  IX. 


DE    l' Autruche.       4^1 

dtîpendent  les  renfaiions  de  ce  genre,  l'ouverture  àçs 
oreilles  efl  même  fort  grande,  <5c  n'efl  point  ombragée 
par  les  plumes;  ainfi  il  eft  probable  ou  qu'elle  n'efl 
fourde  qu'en  certaines  circonflances ,  comme  le  tétras, 
c'eft-à-dire  dans  la  faifon  de  l'amour,  ou  qu'on  a 
imputé  quelquefois  à  furditc  ce  qui  n'étoit  que  l'effet 
de  la  (lupidité. 

C'efl  auffi  dans  la  même  faifon  ,  félon  toute  appa- 
rence, qu'elle  fait  entendre  fa  voix;  elle  la  fait  rarement 
entendre,  car  très-peu  de  perfonnes  en  ont  parlé;  les 
Ecrivains  facrés  comparent  fon  cri  à  un  gémiffe- 
ment  ('mj,  Ôc  on  prétend  même  que  fon  nom  hébreu 
jacnah  efl  formé  A'ianah ,  qui  fignilie  hurler.  Le  doc- 
teur Browne  dit  que  ce  cri  reffemble  à  la  voix  d'un 
enfant  enroué,  6^  qu'il  efl  plus  trifle  encore  (n); 
comment  donc  avec  cela  ne  paroîtroit-il  pas  lugubre 
&  même  terrible,  félon  l'exprefTion  de  M.  Sandys, 
à  des  Voyageurs  qui  ne  s'enfoncent  qu'avec  inquiétude 
dans  l'immenfité  de  ces  déferts  ,  (Se  pour  qui  tout  être 
animé,  fans  en  excepter  l'homme,  efl  un  objet  à 
craindre  <Sc  une  rencontre  dangereufeî 

(m)  Michëe,  cap.  I.  Luâum  quafi  Struth'iomm. 
(n)  Collerions  Philofophicjues  ,".*/#  art.  VIII. 


Li[ii 


452        Histoire  Natu relle 


L  E    T  O  UY  O  U  (a). 

L'Autruche  de  T  Amérique  méridionale,  appelée 
aufTi  autruche  d Occident ,  autruche  de  Alagellan  <ir  delà 
Guyafîe ,  n'efl  point  une  autruche:  je  crois  que  ie  Maire 
eft  le  premier  Voyageur  qui  ,  trompé  par  quelques 
traits  de  reiïemblance  avec  l'autruche  d'Afrique,  lui 
ait  appliqué  ce  nom  (bj.  Klein  qui  a  bien  vu  que 
l'efpèce  ctoit  différente ,  s'efl  contente  de  l'appeler 
autruche  bâtarde  (c) .  M.  Barrère  la  nomme  tantôt  un 
héron  (d) ,  tantôt  une  grue  ferrivore  fej,  tantôt  un  émeu 
à.  long  cou  (f);  d'autres  ont  cru  beaucoup  mieux  faire 
en  lui  appliquant  d'après  des  rapports ,  à  la  vérité 
mieux  faifis,  cette  dénomination  compofée,  cafoar  gris 
à  bec  d autruche  ;  Moehring  (g)  ôi  M.  BrifTon  (hj  lui 

fû)  Touyou  ou  Touyouyou.  —  Struîhto.  Euf.  Niercmberg, 
pag.  2  1  y  ;  la  figure,  page  218,  fous  le  nom  Emeu.  —  Nhniidu- 
gaam.  Marcgrav.  H'iJ}.  nat.  Braf.  pag.  190;  &  Pifon  ,  page  84, 
avec  une  figure.  — Amruche  de  Guiane.  Definarchais ,  îome  IJI , 
page  S24. 

(h)  Voy.  fes  Navigations  Auftrales,  page  12$,  dans  le  fonmalrt 
du  n°  22. 

(c)  Av'ium.  H'iJ}.  pag.    1  y. 

(d)  Ornhhûlog'ia ,  pag.  dy. 

(e)  France  Équinoxiale  ,  page  J  ^  ^  ' 

(f)  Ornithologia ,  pag.  64. 

(g)  Meth.  Av'i.  G  en.  65. 
^h)  Briflon,  tome  V,  page  8, 


Trin   l 


ri  \M\  r.r.,  ^ 


Cbi'ftriue  ffcw'JJcJ'evc  • 


LAI  TRUC HK 


t/t  ix.'j  /:ar  .Ou^wiir 


DU     T  0  u  Y  0  u,  45  5 

donnent  le  nom  latin  der//^/?^  auquel  le  dernier  ajoute  le 
nom  Américam  de  touyou ,  formé  de  celui  de  toiiyouyou 
qu'il  porte  communément  dans  la  Guyane  (i) ;  d'autres 
Sauvages  lui  ont  donné  d'autres  ?iQ\w%  ^  yardu ,  yanJu  ,. 
andu  Si  nandu - giiacu ,  au  Brefii  (k);  fallian,  dans  l'ile 
de  Maragnan  (l) ;  fiiri,  au  Chili  (m) ,  ôlc.  voilà  bien 
des  noms  pour  un  oifeau  fi  nouvellement  connu;  pour 
moi  j'adopterai  volontiers  celui  de  touyou  que  lui  a 
donné,  ou  plutôt  que  lui  a  confervé  M.  BrifTon,  Se 
je  préférerai  fans  héfiter  ce  nom  ])arî^;''.re ,  qui  vrai- 
femblahlement  a  quelque  rapport  à  la  voix  ou  au  cri 
de  l'oifcau,  je  le  préférerai,  dis-je,aux  dénominations 
fcientifi(jues  ,  qui  trop  fouvent  ne  font  propres  qu'à 
donner  de  fauiïes  idées ,  Se  aux  noms  nouveaux  qui 
n'indiquent  aucun  caraétère,  aucun  attribut  cffentiel  de 
l'être  auquel  on  les  applique. 

M.  Briffon  paroit  croire  qu'Afdrovande  a  voulu 
défigner  le  touyou  fous  le  nom  d'dv/s  cme  (n) ,  6c  il 
eft  très -vrai  qu'au  tome  111  de  l'Ornithologie  de  ce 
dernier,  f-'Jg^  J-i-^  ^  '1  ^^  trouve  une  planche  qui  repré- 
fente  le  touyou  Si  le  cafoar,  d'après  les  deux  planches 
de    Nieremberg,  jhige   21S ;   <S.    qu'au  -  dtflus  de  la 

(i)  Barrcre,  France  Equïnoxiale ,  page  133. 
(k)  Nieremberg  ,  page  2  1  y  ;   Marcgrave  ,  page  i p  0  ;   Pilon, 
page  84;  de  Laët,  &c. 

(l)  Hiftoire  générale  des  Voyages,  tome  XIV,  page  j»  /  C^ 

(m)  Nieremberg,  jt7^^f  -277. 

(n)  Briffon,  tome  Kde  fon  Ornithologie,  page  8. 

LU  iij 


454-        Histoire   Natu relle 

planche  d'AIdrovande  eft  écrit  en  gros  caradère  , 
AVIS  EME ,  de  nicme  que  ia  figure  du  touyou,  dans 
Nieremberg,  porte  en  tête  le  nom  ù^émeu  ;  mais  ii  efl 
vifible  que  ces  deux  titres  ont  été  ajoutes  par  les  Gra- 
veurs ou  les  Imprimeurs,  peu  inflruits  del'mtention  des 
Auteurs,  car  Aldrovande  ne  dit  pas  un  mot  du  touyou  , 
Nieremberg  n'en  parle  que  fous  les  noms  âjûn/ûi/, 
dt  furi  6c  d'autruche  d'Occident  ;  6c  tous  deux,  dans 
leur  defcription  ,  appliquent  les  noms  LVeme  6c  LVcmeu 
au  feul  cafoar  de  Java  ;  en  forte  que  pour  prévenir  la 
confufion  des  noms  ,  i'eme  d'AIdrovande  6c  l'émeu 
de  Nieremberg,  ne  doivent  plus  déformais  reparoître 
dans  la  lifle  des  dénominations  du  touyou.  Marcgrave 
dit  que  les  Portugais  l'appelent  e?na  dans  leur  langue  ('oj ; 
mais  les  Portugais  qui  avoient  beaucoup  de  relations 
dans  les  Indes  orientales,  connoifToient  l'émeu  de  Java, 
6c  ils  ont  donné  fon  nom  au  touyou  d'Amérique, 
qui  lui  reffembloit  plus  qu'à  aucun  autre  oifeau  ,  de 
mcme  que  nous  avons  donné  le  nom  d'autruche  à  ce 
même  touyou;  6c  il  doit  demeurer  pour  confiant  que 
le  nom  d'émeu  eft  propre  au  cafoar  des  Indes  orientales, 
6:  ne  convient  ni  au  touyou  ni  à  aucun  autre  oifeau 
d'Amérique. 

En  détaillant  les  différens  noms  du  touyou ,  j'ai 
indiqué  en  partie  les  différentes  contrées  où  il  fc 
trouv-e  ;  c'efl  un  oifeau  propre  à  l'Amérique  méridionale, 

(o)  Marcgrave  ;  tiïjî.  naî.  Braf.  page  190, 


DU      T  0    U   Y   O   L\  45  5 

mais  qui  n'efl  pas  également  répandu  dans  toutes  les 
provinces  de  ce  continent.  iMarcgrave  nous  apprend 
qu'il  efl  rare  d'en  voir  aux  environs  de  Fernambouc, 
il  ne  l'cft  pas  moins  au  Pérou  Si  ie  long  des  côtes  les 
plus  fréquentées  ,  mais  il  efl  plus  commun  dans  la 
Guyane  (pj ,  dans  les  capitaineries  de  Sérégippe  &  de 
Rio  -  grande  ftjj,  dans  les  provinces  intérieures  du 
Brefil  (rj,  au  Chili  fjj,  dans  les  vaftes  forêts  qui  font 
au  nord  de  l'embouchure  de  la  Piata  ftj,  dans  les 
favanes  immenfes  qui  sticndcni  au  iud  de  cette 
rivière  fuj  ôl  dans  toute  la  terre  Magellan i que  fxj, 
jufqu'au  port  Defiré,  &  même  jufqu'à  la  côte  qui  borde 
ie  détroit  de  Magellan  (j'J:  autrefois  il  y  avoit  des 
cantons  dans  le  Paraguai  qui  en  étoient  remplis,  fur-tout 
Jes  campagnes  arrofécs  par  l'Uraguai;  mais  à  mefure 
que  les  hommes  s'y  font  multipliés,  ils  en  ont  tué  un 
grand  nombre,  Se  le  refte  s'eft  éloigné  (^^J:  le  capitaine 
Yood  affure  que  bien  qu'ils  abondent  fur  la  côte 
feptentrionale  du   détroit  de  Magellan,  on  n'en  voit 

^pj  Barrère,  France  Equ'moxîale ,  page  133. 
//j)  Marcgrave,  H'ijl.  nat.  Brafil.  pag.   \ç)o. 
(r)  Hiftoire  générale  des  Voyages,  tcme  XIV,  page  2pp. 
^/f)  Hiftoire  des  Incas ,  tome  II ,  page  2-/^  &  fuivmnes. 
/t)  Wafcr,  Nouveaux  Voyages  de  Dampier ,  tome  V,  page  la'è, 
(u)  Ibidem ,  page  68. 

(s)  Ibidem,  tome  IV,  page  ^p;  &  tome  V,  page  181. 
(y)  Ibidem,  page  192. 

/7^  Hiftoire  du  Paraguai  du  P.   Charlevoix,  tome  I,  page  j'j»; 
é^  tome  II,  page  j  J2, 


4)6       Histoire  Naturelle 

point  du  tout  fur  la  côte  méridionale  faj;  6c  quoique 
Corcal  dife  qu'il  en  a  aperçu  dans  ks  îles  de  la  mer 
du  fud  (hj,  ce  déiroit  paroît  être  la  borne  du  climat 
qui  convient  au  touyou,  comme  le  cap  de  Bonne- 
efpcrance  e(l  la  borne  du  climat  qui  convient  aux 
autruches  ;  6c  ces  îles  de  la  mer  du  fud  ,  où  Corcal 
dit  avoir  vu  des  touyous,  feront  apparemment  quel- 
ques-unes de  celles  qui  avoifment  Its  côtes  orientales 
de  l'Amérique  au-delà  du  détroit:  il  paroît  de  plus» 
que  le  touyou  qui  fe  plaît  comme  l'autruche  ,  fous  la 
zone  torride  ,  s'habitue  plus  facilement  à  des  pays 
moins  chauds,  puifque  la  pointe  de  l'Amérique  méri- 
dionale, qui  eft  terminée  par  le  détroit  de  Magellan, 
s'approche  bien  plus  du  pôle  que  le  cap  de  Bonne- 
efpérance  ou  qu'aucun  autre  climat  habité  volontaire- 
ment par  les  autruches:  mais,  coinme  félon  toutes  \ts 
relations  ,  le  touyou  n'a  pas  plus  que  l'autruche  la 
puiffance  de  voler,  qu'il  eft ,  comme  elle,  un  oifcau 
tout-à-fait  terreflre,  &  que  l'Amérique  méridionale  eft 
féparée  de  l'ancien  continent,  par  des  mers  immenfes; 
il  s'enfuit  qu'on  ne  doit  pas  plus  trouver  de  touyous 
dans  ce  continent,  qu'on  ne  trouve  d'autruches  en 
Amérique,  6c  cela  efl  en  effet  conforme  au  témoignage 
de  tous  les  Voyageurs. 

Le   touyou,   làns  être  tout -à -fait  au/îî  gros  que 

(û)  Suite  des  Voyages  de  Dampier,  tome  V,  page  i p2. 
(h)  Voyages  de  Coreal,  tome  II ,  page  2  o  S. 

l'autruche, 


DU      T  0   U   Y   0  U.  457 

l'autruche,  efl  le  plus  gros  oifeau  du  nouveau  monde, 
les  vieux  ont  jufqu'à  fix  pieds  de  haut  fcj ;  6i  Wafer  qui 
a  mefuré  la  cuifle  d'un  des  plus  grands  ,  l'a  trouvée 
prefque  égale  à  celle  d'un  homme  f^/J;  il  a  le  long 
cou ,  la  petite  tcte  Se  le  bec  aplati  de  l'autruche  ^ej, 
mais  pour  tout  le  refle,  il  a  phis  de  rapport  avec  le 
cafoar:  je  trouve  même  dans  l'hifloirc  du  Brefil ,  par 
M.  l'abbé  Prévôt  (ffj  mais  point  ailleurs,  l'indication 
d'une  efpcce  de  corne  que  cet  oifeau  a  fur  le  bec , 
Si.  qui  ,  (i  elle  exifloit  en  effet,  feroit  un  trait  de 
refTemblance  de  plus  avec  le  cafoar. 

Son  corps  efl  de  forme  ovoïde,  <5:  paroît  prefque 
entièrement  rond,  lorfqu'il  efl  revêtu  de  toutes  {es 
plumes:  fes  ailes  font  très-courtes  S:  inutiles  pour  le 
vol,  quoiqu'on  prétende  qu'elles  ne  foient  pas  inutiles 
pour  la  courfe  ;  il  a  fur  le  dos  Si  aux  environs  du 
croupion  ,  de  longues  plumes  qui  lui  tombent  en 
arrière  Se  recouvrent  l'anus,  il  n'a  point  d'autre  queue; 
tout  ce  plumage  eft  gris  fur  le  dos    6c  blanc  fur  le 

^cj  Barrcre,  France  Equinoxiale ,  page  133. 

fd)  Suite  des  Voyages  de  Dampier ,  tome  JV,  page  ^  0  S. 

(e)  Nota.  On  voit  dans  la  figure  de  Nierembcrg,  page  21  S ,  une 
erj:)ècc  de  calotte  fur  le  loniinet  de  la  tête,  qui  a  du  rapport  à  la 
plaque  dure  &:  calleule  que  l'autruche  a  au  inême  endroit ,  félon  le 
Dodeur  Brown  (  Voy.  \ Htfloire  de  V Autruche  )  ;  iiiais  il  x\Q?i  quellion 
de  cette  caloue  ni  dans  la  Defcription  de  Nieremberg,  ni  dans  aucune 
autre. 

(f)  Hiftoire  générale  des  Voyages,  tome  XJV ,  page  2pp, 
Oifcaux,  Tome  I.  .   M  mm 


4)S         H 1  STOlRE  Naturelle 

ventre:  c'eîl  un  oifeau  très- haut  monté,  ayant  trois 

doigts  à  chaque  pied,  &i  tous  trots  en  avant,  car  on  ne 

doit  pas  regarder  comme  un  doigt,  ce  tubercule  calleux 

&   arrondi   qu'il  a  en  arrière,    &.  fur  lequel  le  pied 

fe  repofe  comme  fur  une  efpcce  de  talon;  on  attribue 

à  cette  conformation  la  difficulté  qu'il  a  de  fe  tenir 

fur  un  terrein   gliffant ,  &:  dy  marcher  fans  tomber; 

en   récompenfe,  il  court  très  -  légèrement   en  pleine 

campagne,  élevant  tantôt  une  aile,  tantôt  une  autre, 

mais  avec  des  intentions  qui  ne  font  pas  encore  bien 

éclaircies  ;  Marcgrave  prétend  que  c'eft  afin  de  s'en 

fervir    comme    d'une    voile   pour    prendre   le    vent  ; 

Niercmberg,  que  c'eft  pour  rendre  le  vent  contraire 

aux  chiens   qui  le  pourfuivent;   Pifon  6c  Klein,  pour 

chansfer  fouvent  la  direéiion  de  fa  courfe,  afin  d'éviter 

par   ces  zig  -  zags  les  flèches  des  Sauvages;  d'autres 

enfin,  qu'il  cherche  à  s'exciter  à  courir  plus  vite,  en 

fe    piquant    lui  -  même   avec   une   cfpèce    d'aiguillon 

dont  fcs  ailes  font  armées  fgj:  mais,  quoi  qu'il  en  foit 

des  intentions  des  touyous ,  il  efl  certain  qu'ils  courent 

avec  une  très -grande  vîteffe  ,  &  qu'il   efl  difficile   à 

aycun  chien  de  chaffe  de  pouvoir  les  atteindre  ;  on 

(b)  Voy^z  ^oiJS  ces  Auteurs  nux  endroits  indiques  ci-dcfius  ;  mais 
il  fiiut  remarquer  que  Pilon,  Marcgrave  ni  aucun  autre  qui  ait  vu  le 
touyou,  ne  parle  de  cet  aiguillon  de  l'aile,  &  qu'il  pourroit  bien  avoir 
été  donne  à  cet  cîlcau  leulement  par  analogie  ,  ou  parce  qu'on  a 
cru  pouvoir  lui  nttribvijr,  en  fli  qualité  d'autruche,  les  propriétés  de 
l'autruche  d'Afrique  j  fuite  ixiévltable  de  la  confufioa  des  noms. 


DU     T  o  u  Y  0  u.  459 

en  cite  un  qui  fe  voyant  coupe,  s'élança  avec  une 
telle  rapidité  qu'il  en  impofa  aux  chiens,  éc  s'échappa 
vers  les  montagnes  (h):  dans  l'impoffibilité  de  les 
forcer,  les  Sauva2:cs  font  réduits  à  ufer  d'adrciTe  &  à 
leur  tendre  des  pièges  pour  les  prendre  (i).  Marcgrave 
dit  qu'ds  vivent  de  chair  (Se  de  fruits  (k) ,  mais  fi  on 
les  eût  mieux  obfervés ,  on  eut  reconnu,  fans  doute, 
pour  laquelle  de  ces  àç:\\x  fortes  de  nourritures  ils  ont 
un  appétit  de  préférence  ;  au  défaut  des  faits  on  peut 
conjecturer  que  ces  oifcaux  ayant  le  même  inftinél 
que  celui  des  autruches  <5v.  des  frugivores ,  qui  ell 
d'avaler  des  pierres,  du  fer  &:  autres  corps  durs  (l) ,  ils 
font  auiïi  frugivores,  6c  que  s'ils  mangent  quehjuefois 
de  la  chair,  c'eft,  ou  parce  qu'ils  font  prcffés  par  la 
faim,  ou  qu'ayant  les  fens  du  goût  &:  de  l'odorat 
obtus  comme  l'autruche,  ils  avalent  indiflinélement 
tout  ce  qui  fe  préfente. 

Nieremberg  conte  des  chofes  fort  étranges  au  fujet 
de  leur  propagation;  félon  lui,  c'ell  le  mâle  qui  fe 
charge  de  couver  les  œufs;  pour  cela  il  fait  en  forte 
de  ra(feiubler  vingt  ou  trente  femelles ,  afin  qu'elles 
pondent  dans  un  même  nid;  dès  qu'elles  ont  pondu, 
il  les  chaffe  à  grands  coups  de  bec  ,  (Se  vient  fe  pofer 

/h)  Navigntions  aux  terres  Auftrales,  pages  20  — ly. 
(ï)  Hiftoire  génc-rale  cJes  Voyages ,  tome  XIV,  page  ^16, 
(k)  Marcgrave,  H'if.  nat,  Brnf.  ubi  fiiprà. 
(l)   Idem,  vh'i  fuprà.  —  Wafer,  Suite  des  Voyages  de  Damplcr, 
tome  IV,  page  30S. 

Mm  m  \] 


460  Hl  STO  I  RE     NATU  RELLE 

fur  leurs  œufs,  avec  la  fingulicre  précaution  d'en  laiffer 
deux  à  l'écart  qu'il  ne  couve  point;  lorfque  les  autres 
commencent  à  éclore ,  ces  deux-là  fe  trouvent  gâtés, 
<5c  le  mâle  prévoyant  ne  manque  pas  d'en  caifer  l'un, 
qui  attire  une  multitude  de  mouches  >  de  fcarabces  6c 
d'autres  infedes  dont  les  petits  fe  nourriiïent;  lorfque 
le  premier  efl  confommé,  le  couveur  entame  le  fécond 
6c  s'en  fert  au  même  ufage  fuij:  il  eft  certain  que  tout 
cela  a  pu  arriver  naturellement  ;  il  a  pu  fe  faire  que 
des  œufs  inféconds  fe  foicnt  caffés  par  accident,  qu'ils 
aient  attiré  des  infeéles,  lefquels  aient  fcrvi  de  pâture 
aux  jeunes  touyous;  il  n'y  a  que  l'intention  du  père 
qui  foitfufpcde  ici,  car  ce  font  toujours  ces  intentions 
qu'on  prête  affez  légèrement  aux  bctcs,  qui  font  le 
roman  de  l'fiiiloire  Naturelle. 

A  l'égard  de  ce  mâle  qui  fe  charge,  dit  -  on  ,  de 
couver  à  l'exclufion  des  femelles;  je  ferois  fort  porté 
à  douter  du  fait,  &.  comme  peu  avéré  &  comme  con- 
traire à  l'ordre  de  la  Nature:  mais  ce  n'eft  pas  affez 
d'indiquer  ime  erreur,  il  faut,  autant  qu'on  peut,  en- 
découvrir  les  caufes  ,  qui  remontent  quelquefois  jufqu'à 
la  vérité  ;  je  croirois  donc  volontiers  que  celle-ci  efl 
fondée  fur  ce  qu'on  aura  trouvé  à  quelques  couveufes 
des  teflicules ,  6c  peut-être  une  apparence  de  verge 
comme  on  en  voit  à  l'autruche  femelle,  6c  qu'on  fe 
fera  cru  en  droit  (ïtn  conclure  que  c'étoit  autant  de 
mâles. 

(771)  Nieremberg,  Hijl,  nat,  P:regr.  pag.  217. 


DUTOUYOV.  461 

"VC^afcr  dit  avoir  aperçu  dans  une  terre  dcTerte  au 
nord  de  la  Piata,  vers  le  trente  -  quatrième  degré  de 
iatitude  méridionale,  une  quantité  d'œufs  de  touyou 
dans  le  fable  où,  félon  lui,  ces  oifeaux  les  laiflen^t 
couver  fnj;  fi  ce  fait  efl  vrai ,  les  détails  que  donne 
Nieremberg  fur  l'incubation  de  ces  mêmes  œufs,  ne 
peuvent  l'être  que  dans  un  climat  moins  chaud  Si  plus 
voifm  du  pôle;  en  effet,  les  Hollandois  trouvèrent  aux 
cnA  irons  du  port  Dcfiré,  qui  efl  au  quarante-fcptiéme 
degré  de  latitude,  un  touyou  qui  ccuvoit  6c  qu'ils 
firent  envoler,  ils  comptèrent  dix -neuf  œufs  dans  le 
nid  {oj;  c'ed  ainfi  que  les  autruches  ne  couvent  point, 
ou  j)refque  point  leurs  œufs  fous  la  zone  torride  ,  Ôl 
qu'elles  les  couvent  au  cap  de  Bonne- efpérance  où 
la  chaleur  du  climat  ne  feroit  pas  fuififante  pour  les 
faire  éclore» 

Lorfque  les  jeunes  touyous  viennent  de  naître,  ils 
font  familiers  <Sc  fuivent  la  première  perfonne  qu'ils 
rencontrent  fpj ;  mais  en  vieillifîlmt  ils  acquièrent  de 
l'expérience  &.  deviennent  fauvages  (^j):  il  paroit  qu'en 

(n)  Tome  JV  de  la  fuite  des  Voyages  de  J:>m^y\<iT ,  page  ^  0  8. 

(0)  Voynges  des  Hollandois  nux  Indes  orientales,  tome  U ,page  j  y, 

(p)  ce  J'ai  été  fuivi,  moi-même,  dit  Y/afer ,  par  pluficurs  de  ces 
jeunes  autruches  (  il  appelle  ainfi  Us  touyous  ),  qui  font  fort  fmiples  ce 
&  innocentes  ».    Voyages  de  Dampier ,  tome  JV,  page  j>  o  S. 

/q)  ce  II  y  a  un  très  -  grand  nombre  d'autruches  dans  cette  île 
du  port  Defiré  ,  lefquelles  font  fort  farouches  5..  Voyage  des  Hollandois 
aux  Indes  oritntaUs,  tçmc  II > page  17.^^^  Je  vis  au  port  Defiré  trois 

Mm  m  iii 


462       Histoire  Naturelle 

général  leur  cliair  eft  un  allez  bon  manger  frjj  non 
cepenc!ant  celle  des  vieux  qui  ed  dure  &  de  mauvais 
goût  (fj;  on  pourroit  perfe61ionner  cette  viande  en 
élevant  des  troupeaux  de  jeunes  tou)Ous  ,  ce  qui 
fcroit  facile,  vu  les  grandes  dilpofitjons  qu'ils  ont  à 
s'apprivoifer  ,  les  engrailfant  ^  employant  tous  les 
moyens  qui  nous  ont  rc'uiïî  à  l'égard  des  dindons,  qui 
viennent  également  des  climats  chauds  Si  tempérés  du 
continent  de  l'Amérique. 

Leurs  plumes  ne  font  pas,  à  beaucoup  près,  au/fi 
belles  que  celles  de  l'autruche  fij;  Coréal  dit  même 
qu'elles  ne  peuvent  fervir  à  rien  fuj;  il  feroit  à  dcfirer 
qu'au  lieu  de  nous  parler  de  leur  peu  de  valeur,  les 
Voyageurs  nous  culTent  donné  une  idée  jufte  de  leur 
ftruélure  :  on  a  trop  écrit  de  l'autruche,  &i  pas  affez 
du  touyou  ;  pour  faire  l'hifloire  de  la  première,  la  plus 
c-rande  difhculté  a  été  de  raffembler  tous  les  faits ,  de 
comparer  tous  les  expofés  ,  de  difcuter  toutes  \cs 
opin-ions,  de  fàifir  la  vérité  égarée  dans  le  labyrinthe 
à-ts  avis  divers  ou  noyée  dans  l'abondance  des  paroles: 
mais  pour  parler  du  touyou,  nous  avons  été   fouvent 

w  autruches ,  (ans  pouvoir  les  approcher  afîcz  pour  les  tirer  :  Jcs 
qu'elles  m'aperçurent,  elles  s'enfuirent".  Navig.  aux  terres  Aujlrales , 
pages  20  —  2  y, 

(r)  Marcgrave,  H'ijl.  nat.  Brafil.  pag.    ipo. 

^f)  Wafer ,  vbi  fuprà. 

(i)  Hift.  des  Incas,  tome  II,  page  2jC. 

(u)  Voyages  de  Coréal,  tome  II,  pcge  2  0  S. 


DU      T  0   U   Y   0   U.  463 

obliges  (Je  deviner  ce  qui  cfl ,  d'après  ce  qui  doit  ttre; 
de  commenter  un  mot  échappé  par  lialard,  d'inter- 
préter jufqu'au  filence;  au  défaut  du  vrai,  de  nous 
contenter  du  vraifemblable  ,  en  un  mot  de  nous 
réfoudre  à  douter  de  la  plus  grande  partie  des  faits 
principaux,  &  à  ignorer  prefque  tout  le  refte ,  juAju'à 
ce  que  les  obfervations  futures  nous  mettent  en  état 
de  remplir  les  lacunes  que,  faute  de  mémoires  fuffifans, 
nous  laifTons  aujourd'hui  dans  fon  hifloire. 


>0^-^ 


464.      Histoire  Naturelle 


LE    CA  s  OAR  (a). 

l-iES  Hoilandois  font  les  premiers  qui  ont  fait  voir 
cet  oifeau  à  l'Europe ,  ils  le  rapportèrent  de  l'île  de 
Java,  en  1597,  à  leur  retour  du  premier  voyage  qu'ils 
avoient  fait  aux  Indes  orientales  f/yj;  les  habitans  du 
pays  l'appellent  Eme ,  dont  nous  avons  fait  cmcu:  ceux 
qui  l'ont  apporté  lui  ont  aufli  donné  le  nom  de 
Cûffoware  (c) ,  que  nous  prononçons  cafoar ,  6.  que  j'ai 
adopté,  parce  qu'il  n'a  jamais  été  appliqué  à  aucun 
autre  oifeau;  au  lieu  que  celui  d'emeu  a  été  appliqué, 
quoique  mal-à-propos,  au  touyou,  comme  nous  l'avons 
vu  ci-deiïus  dans  l'infloire  de  cet  oifeau. 

Le  cafoar,  fans  être  auffi  grand  ni  même  auffi  gros 
que  l'autruclie,  paroit  plus  maffif  aux  yeux,  parce 
qu'avec  un    corps  d'un  volume  prefque  égal ,  W  a  le 

(a)  Cafoar.  Aux  Indes,  Eme  ou  Etneu;  en  Europe,  Cafoar  ou 
Cafowar.  — Emeu.  Avis,  Clujii,  Exot.  lib.  V,  pag.  97,  avec  une  aflez 
bonne  figure,  page  p  8.  — Caroar.  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hiftoire 
des  Animaux,  partie  II,  page  1  j y ,  planche  LV I ,  avec  une  alTez 
bonne  ficrure.  — Cafowary.  Albin,  tome  II ,  page  j»j?  ,  planche  LX, 
avec  une  mauvaifc  figure.  — Cafuarïus.  Frilch  ,  planche  CV,  avec  une 
figure  coloriée.  —  Le  Cafoar.  Briflon ,  Ornïthol.  tome  y ,  p'^g^  ^  o, 
planche  l ,  figure  z . 

(b)  Hift.  générale  des  Voyages ,  tome  VIII ,  page  112.  —  Clufius, 
^xotic.  lib.  V,  cap.  m,  png.  5)7,  edit.  fol.  i  605 ,  ^a"  Off.  Planiin. 

(c)  Bomius.  —  Frifch ,  adTabulam,  png.  105. 

COU 


DU      C  A   S   0   A   R.  465 

COU  ôi  les  pieds  moins  longs  Si  beaucoup  plus  gros 
à  proportion,  &  la  partie  du  corps  plus  renHcc,  ce 
qui  lui  donne  un  air  plus  lourd. 

Celui  qui  a  été  décrit  par  M/'  de  l'Académie  des 
Sciences,  avoit  cinq  pieds  <Sc  demi,  du  bout  du  bec 
au  bout  des  ongles  fjj:  celui  que  Clufius  a  obfervé 
étoit  d'un  quart  plus  petit  (^c^J.  Houtman  lui  donne 
une  groiïéur  double  de  celle  du  cygne  ffj,  &  d'autres 
Hollandois  celle  d'un  mouton  :  cette  variété  de  mefures, 
loin  de  nuire  à  la  vérité,  efl  au  contraire  la  feule  chofe 
qui  puifTc  nous  donner  une  connoifFance  approchée 
de  la  véritable  grandeur  du  cafoar;  car  la  taille  d'un 
feul  individu  n'eft  point  la  grandeur  de  i'efpèce ,  <Sc 
J'on  ne  peut  fe  former  une  idée  jufîe  de  celle-ci, 
qu'en  la  confidérant  comme  une  quantité  variable  entre 
certaines  limites  ;  d'où  il  fuit  qu'un  Naturaliflc  qui 
auroit  comparé  avec  une  bonne  critique ,  toutes  les 
dimenfions  Se  les  defcriptions  des  Obfervateurs ,  auroit 
des  notions  plus  exactes  Se  plus  fûres  de  I'efpèce,  que 
chacun  de  ces  Obfervateurs  qui  n'auroit  connu  que 
l'individu  qu'il  aura  mefuré  &  décrit. 

Le  trait  le  plus  remarquable  dans  la  figure  du  cafoar^ 
efl  cette  efpèce  de  cafque  conique,  noir  par-devant, 

("^J  Mcmoircs  pour  fcrvir  à  l'Hiftoirc  des  Animaux,  Partie  11, 
page  /;/. 

fej  Ibidem.  —  &  Clufais,  uli  fuprà. 

(f)  Voyage  d'Houtman  clans  le  Recueil  des  Voyages  de  la  Com- 
pagnie Hollandoife  aux  Indis  Orientales ,  année  1596- 

Oifcaiix ,  Tome  L  .  N  n  n 


4-66       Histoire  N atu re lle 

jaune  clans  tout  le  refle,  qui  s'élève  fur  le  front,  depuis 
la  bafe  du  bec  jufqu'au  milieu  du  fommet  de  la  tcte  , 
ôi  quelquefois  au-delà  :  ce  cafque  efl  forme  par  le  ren- 
flement des  os  du  crâne  en  cet  endroit,  &  il  eft 
recouvert  d'une  envelo|)pe  dure,  compofée  depluficurs 
couches  concentriques  ,  6c  analogues  à  la  iuhflance 
de  la  corne  de  bœuf;  fa  forme  totale  eft  à  peu  près 
celle  d'un  cône  tronqué,  qui  a  trois  pouces  de  haut, 
un  pouce  de  diamètre  à  fa  bafe  ôc  trois  lignes  à  fon 
fommet.  Clufius  penfoit  que  ce  cafque  tomboil  tous 
Jes  ans  avec  les  plumes,  lorf(jue  i'oifeau  étoit  en 
mue  /W/  mais  M.'*  de  l'Académie  des  Sciences  ont 
remarque  avec  raifon,  que  c'étoit  tout  au  pkis  l'enve- 
Joppe  extérieure  qui  pouvoit  tomber  ainfi ,  6k  non  le 
noyau  intérieur,  qui,  comme  nous  l'avons  dit,  fait 
partie  des  os  du  crâne,  Si  même  ils  ajoutent  qu'on 
ne  s'efl  point  aperçu  de  la  chute  de  cette  enveloppe 
à  la  ménagerie  de  Verfailles  pendant  les  quatre  années 
que  le  cafoar  qu'ils  décrivoient  y  avoit  paffées  (hj: 
néanmoins  il  peut  fe  faire  qu'elle  tombe  en  effet, 
mais  en  détail,  &.  par  une  efpèced'exfoliation  fuccefîlve, 
comme  le  bec  de  plufieurs  oifeaux,  &  (]ue  cette  par- 
ticularité ait  échappé  aux  Gardes  de  la  ménagerie. 

L'iris  des  yeux  eft  d'un  jaune  de  lopafe,&  la  cornée 
fmgulièrement  petite ,  relativement  au  globe  de  Toeil  fij, 

/g)  Clufius,  Exot'ic.  vh'i  fupra ,  pag.  98. 

(h)  Mém.  pour  fervir  à  l'Hift.  des  Animaux,  Pa^'ie  II ,  page  i  61, 

(i)  Le  globe  de  i'œii  avoit  un  pouce  &  demi  de  djaiiièire  ;  le 


DU      C  A   S  O   A   R.  467 

ce  qui  donne  à  l'animal  un  regard  également  farouche  âc 
extraordinaire;  la  paupière  inférieure  efl  la  plus  grande, 
ô.  celle  du  defTus  efl  garnie  dans  fa  partie  moyenne 
d'un  rang  de  petits  poils  noirs ,  lequel  s'arrondit  au- 
ile{R\s  de  i'œil  en  manière  de  fourcil  Se  forme  au 
cafoar  (^âJ  une  forte  de  phydonomie  que  la  grande 
Ouverture  du  bec  achève  de  rendre  menaçante  ;  les 
orifices  extérieurs  des  narines  font  fort  près  de  la 
pointe  du  bec  fupérieur. 

Dans  le  bec,  il  faut  diflinguer  la  charpente  du  tégu- 
ment qui  Ja  recouvre:  cette  charpente  confifte  en  trois 
pièces  très-folides,  deux  defquelles  forment  le  pour- 
tour, Si  le  troifième  l'arête  fupérieure  qui  efl;  beaucoup 
plus  relevée  que  dans  l'autruche;  toutes  les  trois  font 
recouvertes  par  une  membrane  qui  remplit  les  entre- 
deux. 

Les  mandibules  fupérieure  &.  inférieure  du  bec  ont 
leurs  bords  un  peu  échancrés  vers  le  bout,  Se  paroiffent 
avoir  chacune  trois  pointes. 

La  tctc  Si  le  haut  du  cou  n'ont  que  quelques  petites 
plumes,  ou  plutôt  quelques  poils  noirs  Â  clair-femés; 
en  forte  que  dans  ces  endroits  la  peau  paroît  à  décou- 
vert ;  elle  efl:  de  difiérentes  couleurs  ,  bleue  fur  les 
côtés,  d'un  violet  ardoifé  fous  la  gorge,  rouge  par- 
derrière  en  plufieurs  places ,   mais  principalenient  vers 

criftallin,  quatre  lignes,  &  la  cornée  trois  lignes  feulement.  Aitmoires 
pour  ftrvir  à  l'HiJloire  des  Ammûux ,  prtic  II,  page  lôy. 

(k)  Ibidem ,  pig.   161. 

Nnn  ij 


468        Histoire  Naturelle 

le  milieu  ;  ôl  ces  places  rouges  font  w^  peu  plus 
relevées  que  le  refle ,  par  des  efpèces  de  rides  ou  de 
hachures  obliques  dont  le  cou  cft  fillonné:  mais  il  faut 
avouer  qu'il  y  a  variété  dans  la  diipoTition  de  ces 
couleurs. 

Les  trous  des  oreilles  étofent  fort  grands  dans  le 
cafoar  décrit  par  M."  de  l'Académie  flj,  fort  petits 
dans  celui  décrit  par  Clufius  {^j^J,  majs  découverts 
dans  tous  deux,  &i  environnés  comme  les  paupières, 
de  petits  poils  noirs. 

Vers  le  milieu  de  la  partie  antérieure  du  cou,  à 
J'endroit  où  commencent  les  grandes  plumes,  naiffent 
deux  barbillons  rouges  Sl  bleus,  arrondis  par  le  bout, 
que  Bontius  met  dans  la  figure  immédiatement  au- 
dcfTus  du  bec,  comme  dans  les  poules.  Frifch  en  a 
rcpréfenté  quatre ,  àQWx  plus  longs  fur  les  côtés  du 
cou,  (Se  deux  en  devant,  plus  petits  &:  plus  courts;  le 
cafque  paroît  auffi  plus  large  dans  fa  figure,  <Sc  approche 
de  la  forme  d'un  turban  fTiJ.  Il  y  a  au  cabinet  du  Roi 
une  tête  qui  paroît  être  celle  d'un  cafoar,  &  qui  porte 
un  tubercule  différent  du  tubercule  du  cafoar  ordinaire  ; 
c'eft  au  temps  <Sc  à  l'obfervation  à  nous  apprendre  fi 
ces  variétés  &  celles  que  nous  remarquerons  dans  la 
fuite,  font  confiantes  ou  non;   fi  quelques-unes  ne 

n)  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hinoire  des  Animaux,  Partie  II, 
page  I  61. 

(rn)  Ciufjus,  Exotic.  lib.  V,  Op.  III,  pag.  p8. 
^nj  Frilch,  page  i  oj. 


\ 


DU      C  A   S   0   A   R.  ^6^ 

viendroient  pas  du  peu  d'exaditude  des  DefTinateurs, 
ou  fi  elles  ne  tiendroient  pas  à  la  difîcrence  du  fexe 
ou  à  qiielqu'auire  circonllance.  Frifch  prétend  avoir 
reconnu  dans  deux  cafoars  empaillées  ,  des  variétés  qui 
diltinguoient  le  mâle  de  la  femelle  ;  mais  il  ne  dit 
pas  (|uellt'S  font  ces  difîérenccs. 

Le  cafoar  a  les  ailes  encore  plus  petites  que  l'au- 
truclie,  Si  tout  auffi  inutiles  pour  le  vol;  elles  font 
armées  de  picjuans  &  même  en  plus  grand  nombre  que 
celles  de  l'autruche.  Ciufius  en  a  trouvé  quatre  à 
chaque  aile;  iM/'  de  l'Académie  cinq  ,  6:  on  encon^pte 
fcpt  bien  diflinds  dans  h  Jl^m-e  de  Frifch,  //.  lo/; 
ce  font  comme  des  tuyaux  de  plumes  qui  paroificnt 
routes  à  leur  extrémité ,  6c  font  creux  dans  toute 
leur  longueur;  ils  contiennent  dans  kur  cavité  une 
efpèce  de  moelle  femblable  à  celle  des  plumes  naiff.ïnics 
des  autres  oifeaux:  celui  du  milieu  a  près  d'un  pied  de 
longueur  <Sc  environ  trois  lignes  de  diamètre,  c'efl 
ie  plus  long  de  tous;  les  latéraux  vont  en  décroiffant 
de  part  6c  d'autre  comme  les  doigts  de  la  main  6c 
à  peu  près  dans  le  même  ordre.  Swammerdam  s'en 
fervoit  en  guife  de  chalumeau  pour  foulTler  des  parties 
très-délicates,  comme  les  trachées  des  inftdes,  6.c  (^ûJ. 
On  a  dit  que  ces  ailes  avoient  été  données  au  c.foaF 
pour  l'aider  à  aller  plus  vite  {pj;  d'autres  (|u'iJ  pouvoit 

^oj  CoIIed.  Acad.  étrangère,  tome  II  de  /'HiRoire  Naturelle , 

page  2  j  7. 

(pj  Clufius,  Exotic.  lib,  V;  cap.  111;  pag.  5)8. 

ISnn  iij 


47^        Histoire  Natu relle 

s'en  fervir  pour  frapper,  comme  avec  des  houfTmes  fcj); 
mais  perfonne  ne  dit  avoir  vu  quel  ufage  il  en  fait 
réellement:  le  cafoar  a  encore  cela  de  commun  avec 
l'autruche,  qu'il  n'a  qu'une  feule  efpèce  de  plumes  fur 
tout  le  corps,  aux  ailes,  autour  du  croupion,  ôic.  mais 
la  plupart  de  ces  plumes  font  doubles ,  chaque  tuyau 
donnant  ordinairement  naiffance  à  deux  tiges  plus  ou 
moins  longues  &i  fouvcnt  inégales  entr'elles  ;  elles 
ne  font  pas  d'une  fîrudure  uniforme  dans  toute  leur 
longueur,  les  tiges  font  plates,  noires  (Se  luifantes, 
divifées  par  nœuds  en  deffous,  &  chaque  nœud  produit 
une  barbe  ou  un  filet,  avec  cette  difierence  que  depuis 
la  racine  au  milieu  de  la  tige,  ces  filets  font  plus  courts , 
plus  fouples,  plus  branchus,  (Se  pour  ainfi  dire  duvetés, 
6c  d'une  couleur  de  gris -tanné;  au  lieu  que  depuis  le 
milieu  de  la  mcme  tige  à  fon  extrémité ,  ils  font  plus 
longs,  plus  durs  (Se  de  couleur  noire;  (Se  comme  ces 
derniers  recouvrent  les  autres  (Se  font  les  feuls  qui 
paroifTent,  le  cafoar,  vu  de  quelque  diflance,  fembic 
être  un  animal  velu,  (Se  du  même  poil  que  l'ours  ou 
le  fanglier  :  les  plumes  les  plus  courtes  font  au  cou, 
les  plus  longues  autour  du  croupion,  (Se  les  moyennes 
dans  l'efpace  intermédiaire  ;  celles  du  croupion  ont 
jufqu'à  quatorze  pouces,  <Se  retombent  fur  la  partie 
podérieure  du  corps,  elles  tiennent  lieu  de  la  queue 
qui  manque  abfolument  (rj. 

(q)  Mémoires  pour  fèrvir  à  l'Hifloire  des  Animaux ,  Partie  II, 
page  I  6 0. 

(r)  Idem,  Partie  II,  page  \)%. 


DUCASOAR,  471 

II  y  a,  comme  à  l'autruche,  un  efpace  caîfeux  (5c 
nu  fur  le  Jlcrnum ,  à  l'endroit  où  porte  le  poids  du 
corps  lorAjue  l'oifeau  efl  couché;  &  cette  partie  efl 
plus  Taillante  &  plus  relevée  dans  le  cafcar  que  dans 
l'autruche  (f). 

Les  cuifTes  <&:  les  jambes  font  revêtues  de  plumes 
prefque  jufqu'auprès  du  genou  ,  <5c  ces  plumes  tiroient 
au  gris  de  cendre  dans  le  fujet  obfervé  par  Ckifius; 
les  jMcds,  ({ui  font  très-gros  6c  très-nerveux,  ont  trois 
doigts  &  non  pas  quatre  comme  le  dit  Bontius,  tous 
trois  dirigés  en  avant;  les  Hollandois  racontent  que 
le  cafoar  fe  fert  de  fes  pieds  pour  fa  dcfenfe,  ruant 
6c  frappant  par-derrière  comme  un  cheval  (t) ,  félon 
les  uns;  6c  félon  les  autres,  s'élançant  en  avant  contre 
celui  qui  l'attaque  6c  le  renverfant  avec  les  pieds,  dont 
il  lui  frappe  rudement  la  poitrine  (u) .  Clufius  qui  en 
a  vu  un  vivant  dans  les  jardins  du  conite  de  Sohus  à 
la  Haye,  dit  qu'd  ne  fe  fcrt  point  de  fon  hac  pour  fe 
défendre,  mais  qu'il  fe  porte  obliquement  fur  fon 
advcrfaire,  6c  qu'il  le  frappe  en  ruant;  il  ajoute  que 
le  même  comte  de  Solms  lui  montra  un  arbre  gros 
comme  la  cui(fe  que  cet  oifeau  avoit  fort  maltraité, 
6c  entièrement  écorché  avec  fes  pieds  &  fes  ongles  (x) : 
il  cfl  vrai  qu'on  n'a  pas  remarque  à  la  mén^igirie  de 

(f)  Voyages  de  (a  Compagnie  Hollandoife,  tome  VU,  page  ^  ^^, 
(i)   Hidoirc  générale  des  Voyages»  lome  VJII,  page  112^ 
(u)   Ibidem, 
(x)  Liuiiu5,  E\Qti(,  iib.  V,  cap.  IIU 


47^       Histoire  Natu relle 

Verfàilles ,  que  ies  cafoars  qu'on  y  a  gardes  fudenC 
fi  médians  &  fi  forts;  mais  peut-être  étoient-ils  plus 
apprivoifés  que  celui  de  Clufius:  d'ailleurs  ils  vivoient 
dans  l'abondance  ôi  dans  une  plus  étroite  captivité, 
toutes  circonflances  qui  adouciffcnt  à  la  longue  ies 
mœurs  des  animaux  qui  ne  font  pas  a!)rolument  féroces, 
énervent  leur  courage  ,  abâtardiffcnt  leur  naturel  6c 
les  rendent  méconnoiflables  au  travers  à^s  habitudes 
nouvellement  acquifes. 

Les  ongles  du  cafoar  font  très-durs ,  noirs  au  dehors 
<Sc  blancs  en  dedans  fyj.  Linnseus  dit  qu'il  frappe  avec 
l'ongle  du  milieu  qui  efl  le  plus  grand  fij;  cependant 
ks  defcriptions  <Sc  les  figures  de  M."  de  l'Académie  Sl 
de  M.  Briffon  ,  repréfentent  l'ongle  du  doigt  intérieur 
comme  le  plus  grand,  <Sc  il  l'efl  en  effet  (ûJ. 

Son  allure  efl  bizarre;  il  femble  qu'il  rue  du  derrière , 
faifant  en  même  temps  un  demi -faut  en  avant  fhj; 
mais  malgré  la  mauvaife  grâce  de  fa  démarche,  on 
prétend  qu'il  court  plus  vite  que  le  meilleur  coureur  fcj; 
h  vîteffe  efl  tellement  l'attribut  des  oifeaux,  que  les 
plus  pefans  de  cette  famille  font  encore  plus  légers 

(y)  Mémoires  pour  (èrvir  à  J'Hifloire  des  Animaux ,  partie  II, 
page  I  62 . 

(tJ  Q^w.  8(j,  edit.  X.  Vngue  inUrmedw  majore  ferk. 

(a)  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hifloire  des  Animaux,  partie  II, 
page  I  j  S.  — Ornithologie  de  Briiïon,  tome  V,  page  i  j, 

(h)  Voyage  des  Hollandois,  tome  VII ,  page  ^^(}. 

(c)  Ibidem^ 

à  la 


DU      C  A   S   0   A   R.  ^75 

à  la  coiirfe  que  les  plus  légers  d'entre  les  animaux 
terreflres. 

Le  cafoar  a  la  langue  dentelée  fur  les  bords ,  &  fi 
courte,  qu'on  a  dit  de  lui,  comme  du  coq  de  bruyère, 
qu'il  n'en  avoit  point:  celle  qu'a  obrcrvée  M.  Perrault 
avoit  feulement  un  pouce  de  long  <Sc  huit  lignes  de 
large  fJJ;  il  avale  tout  ce  qu'on  lui  jette,  c'e(l-à-dire, 
tout  corps  dont  le  volume  eft  proportionne  à  l'ou- 
verture de  fon  bec.  Frifch  ne  voit  avec  raifon,  dans 
cette  habitude,  qu'un  trait  de  conformité  avec  les 
gallinacés,  qui  avalent  leurs  alimens  tout  entiers  &  fans 
les  brifer  dans  leur  bec  (ej ;  mais  les  Hollandois  qui 
paroifTent  avoir  voulu  rendre  plus  intéreffante  l'hiftoirc 
de  cet  oifeau ,  déjà  fi  fingulier,  en  y  ajoutant  du  mer- 
veilleux, n'ont  pas  manqué  de  dire,  comme  on  l'a  die 
de  l'autruche,  qu'il  avaloit  non-feulement  les  pierres, 
le  fer,  les  glaçons,  <Scc.  mais  encore  des  charbons 
ardens ,  Si  fans  même  en  paroitre  incommodé  ffj. 

On  dit  auffi  qu'il  rend  très-promptement  ce  qu'il  a 
pris  (gjf  Se  quelquefois  des  pommes  de  la  groffeur  du 
poing  au/fi  entières  qu'il  les  avoit  avalées  (^/ij;  Se  en 
effet,  le  tube  intefTinal  eft  û  court  que   les  alimens 

^JJ  Mémoires  pour  fervir  à  VH'ûo'ire  des  Aniinaux,  punie  II, 
page  I  6j. 

(e)  Frifch,  page  &  fgure  i  oj. 

/f)  Hifloirc  générale  des  Voyages,  tome  VI 11,  page  1 1 2^ 

(g)  Voyage  des  Hollandois,  tome  VI 1$  page  ^4-9- 

(h)  Hiftoire  générale  des  Voyages,  tome  VIII ,  page  1 1 2^ 

'    Oifcaux ,  Tome  I,  •  O  o  q 


474-  Histoire  Natu relle 

doivent  pafTer  très-vîte;  <Sc  ceux  qui  par  leur  cdireté  font 
capal)les  tfe  queUjue  réfiflancc,  doivent  éprouver  peu 
d'altération  dans  un  (i  petit  trajet,  fur -tout  lorfque  les 
fonctions  de  Teflomac  font  dérangées  par  quel({ue 
maladie:  on  a  affuré  à  Clufius,  que  dans  ce  cas  il 
rendoit  quelquefois  les  œufs  de  poule  dont  il  étoit  fort 
friand,  tels  qu'il  les  avoit  pris,  c'efl- à  -  dire ,  bien 
entiers  avec  la  coque,  <?c  que  les  avalant  une  féconde 
fois,  il  les  digéroit  bien  fij:  le  fonds  de  la  nourriture 
de  ce  même  cafoar  ,  qui  étoit  celui  du  comte  de 
Solms,  c'étoit  du  pain  blanc  coupé  par  gros  morceaux, 
ce  qui  prouve  qu'il  eil  frugivore,  ou  plutôt  il  eft 
omnivore,  puif([u'il  dévore  en  efîet  tout  ce  qu'on  lui 
préfente  ,  6<  que  s'il  a  le  jabot  Si  le  double  eflomac 
des  animaux  qui  vivent  de  matières  végétales  fkj,  il  a 
les  courts  inteftins  des  animaux  carnalfiers:  le  tube 
inteilinal  de  celui  qui  a  été  di/féqué  par  M/'  de 
l'Académie,  avoit  quatre  pieds  huit  pouces  de  long 
&  deux  pouces  de  diamètre  dans  toute  fon  étendue: 

^i)  Clufius,  Exof'ic.  lib.  V,  cnp.  III,  pag.  (jp. 

CkJ  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hirtoire  des  Aniinaux,  partie  II , 
pages  I J  J ,  I J  ^ ,  I  j  7  (y  I  y  0 .  Nota.  II  y  a  dans  ce  dernier  endroit 
une  ligne  oniife  au  bas  de  la  page  qui  indiquoit  la  différence  c[ui 
fe  trouve  entre  les  ventricules  dans  divers  individus;  cette  différence 
confifte,  fi  je  ne  me  trompe,  en  ce  qu'ils  font  tantôt  mufculeux  & 
tantôt  membraneux  ;  ftrudure  indéçifc  ,  &  qui  convient  aflez  à  fa 
nature  équivoque  d'un  animai  qui  n'efl:  proprement  ni  oifeau  ni 
quadrupède ,  &  qui  réunit  les  eftomacs  des  granivores  avec  les 
intelUns  des  carnafllers. 


DU      C  A    S   O   A    P.  475 

\t  cœaim  ctoit  double  &  n'a\oit  pas  plus  d'une  ligne 
de  diamctre  fur  trois,  quatre  <Sc  cinq  pouces  de  lon- 
gueur f!J;  à  ce  compte  le  cafoar  a  les  intcflins  treize 
fois  plus  courts  que  l'autruche,  ou  du  moins  de  celles 
qui  les  ont  le  plus  longs;  &.  par  cette  raiion  ,  il  doit 
ctre  encore  plus  vorace  év  avoir  plus  de  difpofition 
à  manger  de  la  cJiair  fmj ,  c'eil;  ce  dont  on  pourra 
s'afTurer ,  lorfqu'au  lieu  de  fe  contenter  d'examiner 
des  cadavres ,  les  Obfervateurs  s'attacheront  à  étudier 
Ja   nature  \ivante. 

Le  cafoar  a  une  vcficule  du  fiel,  &i  fon  canal  qui 
fe  croife  avec  le  canal  hcpati(}ue  ,  va  s'inférer  plus 
]iaut  que  celui-ci  dans  le  duodénum ,  Si  le  pancréaticjue 
s'infère  encore  au-deffus  du  C)  fli(]ue  f^/ij^  conformation 
abfolument  différente  de  ce  cju'on  voit  dans  l'autruche. 
Celle  des  parties  de  la  génération  du  maie  s'en  éloigne 
beaucoup  moins;  la  verge  a  la  racine  dans  la  partie 
fupérieure  du  rcâu?u ,  fa  forme  efl  celle  d'une  pyramide 
triangulaire ,  large  de  deux  pouces  à  fa  bafe  &  de 
^c\\\  lignes  à  fon  fommet;  elle  efl  compofée  de 
deux  ligamens  cartilagineux  très  -  folides  ,  fortement 
attachés  l'un  à  l'autre  en  deffus,  mais  féparés  en  deffous, 
6i  laiffant  entr'eux  un  demi -canal  qui  efl  revêtu  de  la 
peau;  les  vaifTeaux  déférens  &.  les  uretères  n'ont  aucune 

/l)  Animaux  de  Perrault,  page  i  6 ^. 

(m)  Voyez  le  tome  JV  m-4.'  de  ceue  llifloire  Naturelle,  page  4^2; 
di  le  tome  VU ,  page  j»  6. 

(n)  Mémoir.-s  pour  fcrvir  à  l'Hifloire  des  Animaux,  page  1  6^. 

Ooo  ij 


47^       Histoire  Naturelle 

communication  apparente  avec  le  canal  de  la  verge  foj , 
en  forte  que  cette  partie  qui  paroit  a\oir  quatre  fonc- 
tions principales  dans  les  animaux  quadrupèdes  ,  la 
première  de  fervir  de  conduit  à  l'urine,  la  féconde 
de  porter  la  liqueur  féminale  du  mâle  dans  la  matrice 
de  la  femelle  ,  la  troifième  de  contribuer  par  fi 
fenfihilitc  à  l'émi/fion  de  cette  liqueur,  la  quatrième 
d'exciter  la  femelle  par  fon  adion  à  répandre  la  fienne, 
femble  être  réduite  dans  le  cafoar  6c  l'autruche  aux 
deux  dernières  fonctions,  qui  font  de  produire  dans 
Jes  réfervoirs  de  la  liqueur  féminale  du  mâle  6:  de  la 
femelle  les  mouvemens  de  correfpondance  néceffaircs, 
pour  rémi/lion  de  cette  liqueur. 

On  a  rapporté  à  Clufius  que  l'animal  étant  vivant, 
on  avoit  vu  quelquefois  fa  verge  fortir  par  l'anus  fpj, 
nouveau  trait  de  reffemblance  avec  l'autruche. 

Les  œufs  de  la  femelle  font  d'un  gris  de  cendre, 
tirant  au  verdâtre,  moins  gros  <Sc  plus  alongés  que 
ceux  de  l'autruche  ,  6c  femés  d'une  multitude  de 
petits  tubercules  d'un  vert  foncé,  la  coque  n'en  eft 
pas  fort  épaiffe  félon  Clufius  ,  qui  en  a  vu  plufieurs  ; 
le  plus  grand  de  tous  ceux  qu'il  a  obfervés  ,  avoit 
quinze  pouces  de  tour  d'un  fens  <5c  un  peu  plus  de 
douze  de  l'autre  ('^J. 

(o)  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hiftoire  des  Aniiîiaux,  page  i  ^^. 
(p)  Clufius,  Exotic.  uhï  fupra ,  pag.  ^9. 

(q)  Ibidem.  Ova  punéîis  excavatis ,  dit  Linnaeus  :  cela  ne  refieinblc 
point  à  ceux  que  Clufius  a  oblerves. 


DU      C  A   S   0   A    R.  4fJ'J 

Le  cafoar  a  les  poumons  (Se  les  A'w  cellules  à  air 
comme  les  autres  oifeaux,  &  particulièrement  comme 
ies  oifeaux  pefans ,  cette  bourfè  ou  membrane  noire 
propre  aux  yeux  des  oifeaux ,  <S:  cette  paupière  interne 
qui,  comme  on  fait,  eft  retenue  dans  le  grand  angle 
de  l'œil  àt%  oifeaux  par  Atvw  mufcles  ordinaires  (r) , 
ôi  qui  eft  ramenée  par  infîans  fur  la  cornée  par  l'adion 
d'une  efpèce  de  poulie  mufculaire,  qui  mérite  toute 
la  curiofité  des  Anatomifles  ffj. 

Le  midi  de  la  partie  orientale  de  l'Afie  paroît  ctre 
le  vrai  climat  du  cafoar,  fon  domaine  commence, 
pour  ainfi  dire,  où  finit  celui  de  l'autruche,  qui  n'a 
jamais  beaucoup  dcpaHc  le  Gange ,  comme  nous  l'avons 
vu  dans  fon  hidoire;  au  lieu  que  celui-ci  fe  trouve 
dans  les  iles  Moluques ,  dans  celles  de  Banda,  de 
Java,  de  Sumatra,  dedans  les  parties  correfpondantcs 
du  continent  (^rjr  mais  il  s'en  faut  bien  que  cette 
efpèce  foit  auffi  multipliée  dans  fon  diflrid  que  l'au- 
truche l'eft  dans  le  fjen  ,  puifque  nous  voyons  un  roi 
de  Joardam  ,  dans  l'île  de  Java  ,  faire  préfent  d\m 
cafoar  à  Scellinger,  capitaine  de  vaiffeau  Hollandois, 
comme  d'un  oifeau  rare  fi/J;  la  rnifon  en  efl,  ce  me 

/rj  Hiftoire  de  l'Acadcmie  royale  des  Sciences  de  Paris,  tome  II, 

page  2yp. 

(f)  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hifloire  des  Animaux ,  partie  11 , 

page  I  6  y. 

(i)  Voyage  des  Hollandois,  tome  Vil,  page  S 49'  —  Clufius, 
^AW/V.  lib.   V,  cap.  IH,  pag.  99. 

(u)  HiUoire  générale  des  Voyages,  tome  Y 111,  page  112, 

Ooo  iij 


478  HlSTOIkE    NaTU  RELLE 

fembie,  que  Ils  Indes  orientales  font  beaucoup  plus 
peuplées  que  l'Afrique;  6.  Ton  fait  (ju'à  niefure  que 
J'hoinme  fe  multiplie  dans  une  contrée,  il  détruit  ou 
fait  fuir  de\ant  lui  les  animaux  iauvages  qui  vont 
toujours  cherchant  des  afilcs  plus  paihbles,  des  terres 
moins  habitées  ou  occupées  par  des  peuples  moms 
policés,  &  par  confequent  moins  deflruéleurs. 

Il  efl  remarquable  que  le  cafoar ,  l'autruche  Si  le 
touyou ,  les  trois  plus  gros  oifeaux  que  l'on  connoifle, 
font  tous  trois  attachés  au  climat  de  la  zone  torride, 
qu'ils  fembknt  s'être  partagée  entr'eux  ,  &i  où  ils  fe 
maintiennent  chacun  dans  leur  terrein  ,  fans  fe  mêler 
ni  fe  furmarcher  ;  tous  trois  \éritablement  terreflres, 
incapables  de  voler,  mais  courant  d'une  très -grande 
vîtefTe;  tous  trois  avalent  à  peu  près  tout  ce  qu'on 
leur  jette,  grains  ,  herbes  ,  chairs,  os,  pierres,  cailloux, 
fer,  glaçons,  de.  tous  trois  ont  le  cou  plus  ou  moins 
long,  les  pieds  hauts  Si  très -forts,  moins  de  doigts 
que  la  plupart  des  oifeaux,  ôi  l'autruche  encore  moins 
que  les  deux  autres;  tous  trois  n'ont  de  plumes  que 
d'une  feule  forte,  difiérentes  des  plumes  des  autres 
oifeaux ,  6c  ditîérentcs  dans  chacune  de  ces  trois 
cfpèces  ;  tous  trois  n'en  ont  point  du  tout  iur  la  tète 
<Sc  le  haut  du  cou  ,  manquent  de  queue  proprement 
dite,  ÔL  n'ont  que  des  ailes  imparfaites,  garnies  de 
quelques  tuyaux  fans  aucunes  barbes,  comme  nous 
avons  remarqué  que  les  quadrupèdes  des  pays  chauds 
avoient  moins  de  poil  que  ceux  des  régions  du  Nord; 


DU      C  A    S   0   A    R,  479 

tous  trois,  en  un  mot,  paroifTent  être  la  produdlon 
naturelle  &i  propre  de  la  zone  torride:  mais  malgré 
tant  de  rapports ,  ces  trois  efpcccs  fon!  différenciées 
par  des  caracftcres  trop  frappans  pour  qu'on  puiffe  les 
confondre  :  Tautruche  fe  diftingue  du  cafoar  &  du 
touyou  par  fa  grandeur,  par  fes  pieds  de  chameau  (Se 
par  la  nature  de  fes  plumes;  elle  diffère  du  cafoar,  en 
particulier,  par  la  nudité  de  fes  cuiifes  (Se  de  fes  tiancs, 
par  la  longueur  (Se  la  capacité  de  fes  inteftins,  Si  parce 
qu'elle  n'a  point  de  véficule  du  fiel  ;  6:  le  cafoar  diffère 
du  touyou  (Se  de  l'autruche  par  fes  cuiffes  couvertes 
de  plumes,  prcfque  jufqu'au  tarfe,  par  les  barbillons 
rouges  qui  lui  tombent  fur  le  cou,  (Se  par  le  cafque 
qu'jl  a  fur  la  tcte. 

Mais  j'aperçois  encore  dans  ce  dernier  caraétère 
diflinélif,  une  analogie  avec  les  deux  autres  efpèces  ; 
car  ce  cafque  n'eft  autre  chofe,  comme  on  fait,  qu'un 
renflement  des  os  du  crâne ,  lequel  eff  recouvert 
d'une  enveloppe  de  corne;  (Se  nous  avons  vu  dans 
l'hiffoire  de  l'autruche  (Se  du  touyou,  que  la  partie 
fupérieure  du  crâne  de  ces  deux  animaux  étoit  pareille- 
ment munie  d'une  plaque  dure  (Se  calleufe. 


^So      Histoire   Naturelle 


LE    D  R  O  N  T  E  (a). 


O 


N  regarde  communément  la  légèreté  comme  un 
attribut  propre  aux  oifeaux  ,  mais  {\  l'on  vouloit  en 
faire  le  caradère  effentiel  de  cette  clafTc ,  le  Dronte 
n'auroit  aucun  titre  pour  y  être  admis,  car  loin  d'an- 
noncer la  légèreté  par  fes  proportions  ou  par  Tes 
mouvemens ,  il  paroit  fait  exprès  pour  nous  donner 
i'idée  du  plus  lourd  des  êtres  organifés  ;  repréfentez- 
vous  un  corps  maffif  &  prefque  cubique  ,  à  peine 
foutenu  fur  deux  piliers  très-gros  &  très -courts,  fur- 
monté  d'une  tcte  fi  extraordinaire  qu'on  la  prendroic 
pour  la  fantaifie  d'un  Peintre  de  grotefques;  cette  tète 
portée  fur  un  cou  renforce  (Se  goifireux ,  confifle 
prefque  toute  entière  dans  un  hcc  énorme  où  font 
deux  gros  yeux  noirs  entourés  d'un  cercle  bJanc,  <5c 
dont  l'ouverture  des  mandibules  fe  prolonge  bien 
au-delà  des  yeux ,  &  prefque  jufqu'aux  oreilles  :  ces 
deux  mandibules  concaves  dans  le  milieu  de  leur 
longueur,  renflées  par  \c%  deux  bouts  &  recourbées 
à  la  pointe  en  fens  contraire  ,  rcffemblent  à  deux 
cuillers   pointues,  qui  s'appliquent  l'une  à  l'autre  la 

(a)  Dronte  cil  le  nom  que  lui  donnent  les  habltans  de  l'ilc 
Maurice  &  des  lieux  voifins  :  les  Portugais  l'ont  appelé  Dodo  ;  les 
Holiandois,  Dod-aerts  âc  Walgh-vogel.  — Dronte  aliïs ,  Vod-aerts. 
Bontius,  Indes  Orientales,  page  30.  — Galhnaceus  gallus  peregrïnus, 
l^iufius,  Exoùc. lib.  V, pag.  ^^.  —  Ed^YardS;  Clamres,  pi  ccxciv. 

çonvexfté 


DU      D    R   O    N    T   E.  481 

convexité  en  dehors:  de  tout  cela  il  rékilte  une  phy- 
ijononiie  ilupide  &  vorace ,  &i  qui,  pour  comhie  de 
difformité,  efl  accompagnée  (\\\r[  bord  de  plumes, 
lequel  fuivant  le  contour  de  la  baie  du  bec  s'avance 
en  pointe  fur  le  front,  puis  s'arrondit  autour  de  la 
face  en  manière  de  capuchon  ,  d'où  lui  efl  venu  le 
nom  de  cygne  cucûpuchonné  ( cycmis  cucullatus  ). 

La  groffcur  qui ,  dans  les  animaux  ,  fuppofe  (a  force, 
ne  produit  ici  que  lapcfantcur;  l'autruche,  le  touyou  , 
le  cafoar,  ne  font  pas  plus  en  état  de  voler  que  le 
dronte ,  mais  du  moins  ilb  font  très -vîtes  à  la  courfe; 
au  lieu  que  le  dronte  paroît  accablé  de  fon  propre 
poids,  &  avoir  à  peine  la  force  de  fe  trainer:  c'efi  dans 
les  oifeaux  ce  que  le  pareflcux  efl  dans  les  quadrupèdes  ; 
on  diroit  qu'il  efl  compofe  d'une  matière  brute,  inaélive, 
où  les  molécules  \ivantes  ont  été  trop  épargnées;  il  a 
des  ailes,  mais  ces  ailes  font  trop  courtes  (Se  trop  foibles 
pour  rélever  dans  les  airs;  il  a  une  queue,  mais  cette 
queue  efl  difproportionnée  6c  hors  de  fa  place;  on  le 
prendroit  pour  une  tortue  qui  fe  feroit  affublée  de  la 
dépouille  d'un  oifcau,  <S:  la  Nature  en  lui  accordant  ces 
ornemens  inutiles ,  femble  avoir  voulu  ajouter  l'embarras 
à  la  pefanteur,  la  gaucherie  des  mouvemens  à  l'inertie 
de  la  maffe  ,  6c  rendre  fa  lourde  épaiffeur  encore  plus 
choquante,  en  faifant  fouvenir  qu'd  efl  un  oifeau. 

Les  premiers  Hollandois  qui  le  virent  dans  l'île 
Maurice,  aujourd'hui  l'île  de  France  (b) ,  l'appelèrent 

(b)  Nota.  Les  Portugais  avoient  auparavant  nommé  cette  île,  Jlka 
Oifeaux,  Tome  L  •  ^"^PP 


482       Histoire  Naturelle 

Wûlg-vogel,  oifeau  de  dégoût,  autant  à  caiife  i\c  h 
figure  rebutante  que  du  mauvais  goût  de  fa  chair  ;  cet 
oifeau  bizarre  efl  très -gros,  &  n'efl  Çur\)^{{é  à  cet 
égard,  que  par  les  trois  précédens,  car  il  furpafTe  le 
cygne  &i  le  dindon. 

M.  BnfTon  donne  pour  un  de  fes  cara6lères,  d'avoir 
Ja  partie  infcriture  des  jambes  dénuée  de  plumes; 
cependant  la  plû?iche  ccxciv  d'Edwards  le  repréfente 
avec  des  plumes,  non -feulement  jufqu'au  bas  de  la 
jambe,  mais  encore  jufqu'au-deiïous  de  fon  articulation 
avec  le  tarfe;  le  bec  fupérieur  efl  noirâtre  dans  toute 
fon  étendue,  excepte  fur  la  courbure  de  fon  crochet 
où  il  y  a  une  tache  rouge;  les  ouvertures  des  narines 
font  à  peu  près  dans  fa  partie  moyenne ,  tout  proche 
de  deux  replis  tranfverfaux  qui  s'élèvent  en  cet  endroit 
fur  fa  furface. 

Les  plumes  du  dronte  font  en  général  fort  douces , 
le  gris  efl  leur  couleur  dominante  ,  mais  plus  foncé 
fur  toute  la  partie  fupérieure  (Se  au  bas  des  jambes,  6c 
plus  clair  fur  l'eflomac ,  le  ventre  <5c  tout  le  deflous 
du  corps;  il  y  a  du  jaune  <Sc  du  blanc  dans  les  plumes 
des  ailes  &  dans  celles  de  la  queue ,  qui  paroifTent 
frifées  ,  6c  font  en  fort  petit  nombre.  Clufius  n'en 
compte  que  quatre  ou  cinq. 

Les  pieds  6c  les  doigts  font  jaunes,  6c  les  ongles 

âo  Cime ,  c'eft-à-dire,  IJle  aux  Cygnes ,  apparemment  parce  qu'ils  y 
avoient  aperçu  des  drontes  qu'ils  prirent  pour  des  cygnes.  Clufius , 
Xxotic.  fcg.  J  0  I . 


DU      D   n   O   N   T   E,  4.83 

noirs;  chaque  ])ic(J  a  (jiiatre  doigts,  dont  trois  diriges 
en  avant  ^  le  quatrième  en  arrière;  c'cil  celui  -ci  qui 
a  l'ongle  le  plus  long  (c). 

Quelques  -  uns  ont  prétendu  que  le  (lxQV\\.t  avoit 
ordinairement  dans  Teflomac  une  pierre  aufîi  groffe 
que  le  poing  (d) ,  S.  à  laquelle  on  n'a  pas  manque 
d'attribuer  la  même  origine  6:  les  mêmes  vertus 
qu'aux  bézoards  ;  mais  Ckidus  qui  a  vu  deux  de  ces 
pierres  de  forme  Si.  de  grandeur  différentes  fej,  penfe 
que  i'oifeau  les  avoit  avalées  comme  font  les  grani- 
vores ,  Si  qu'elles  ne  s'étoient  point  formées  dans  ion 
cflomac. 

Le  dronte  paroît  propre  <Sc  particulier  aux  îles  de 
France  Si  de  Bourbon  ,  Se  probablement  aux  terres 
de  ce  continent  qui  en  font  les  moins  éloignées;  mais 
je  ne  fâche  pas  qu'aucun  Voyageur  ait  dit  l'avoir  vu 
ailleurs  que  dans  ces  deux  îles. 

Quelques  Hollandois  Tont  nommé  dodarfc  ou  dod- 
iiers  ;  les  Portugais  &  les  Anglois  ,  doda  ;  dronte  efl 
fon  nom  original ,  je  veux  dire  celui  fous  lequel  il  cfl 
connu  dans  le  lieu  de  fon  origine;  Si  c'eft  par  cette 
raifon  que  j'ai  cru  devoir  le  lui  conferver,  6c  parce 
qu'ordinairement  les   noms   impofés  par  les  peuples 

(c)  Voyez  Ciufius,  Exotic.  pag.  i  00.  —  Edwards,  fgureccxciv, 
(à)  Voyage  des   HoUandois   aux   Indes  Orientales,  tome  III, 
page  ^14. 

(e)  Clufius,  ubï  fuprà, 

TPP  'j 


4.84-   Histoire  N atu re lle,  i^c. 

fimples  ont  rapport  aux  propriétés  de  la  cliofc  nom- 
mée :  on  lui  a  encore  appliqué  les  dénominations  de 
cjgne  à  capiicJwn  (f) ,  (Wimnichc  encûpucJwiincc  fgj,  de 
coq  éirangcr  (h),  de  Walgh-vogcl;  Si  M.  Moehring,  qui 
n'a  trouvé  aucun  de  ces  noms  à  Ion  coût,  a  imaijiné 
celui  de  ruphus ,  que  M.  Briffon  a  adopté  pour  ion 
nom  latin  ,  comme  s'il  y  avoit  quelque  avantage  à 
donner  au  même  animal  un  nom  ditiércnt  dans  chaque 
iangue  ,  6c  comme  fi  l'effet  de  cette  multitude  de 
fynonymes  n'étoit  pas  d'embarrafTer  la  fcience  Â.  de 
jeter  de  la  confudon  dans  les  chofes:  ne  multiplions 
pas  les  êtres,  difoicnt  autrefois  les  Pliilofophcs  ;  mais 
aujourd'hui  on  doit  dire  <Sc  répéter  fans  celle  aux  Na- 
turalides,  ne  multipliez  pas  les  noms  fans  néceliité. 

(f)  Nieremberg,  Hifl.  nat.  maxime  peregrinx ,  p:\g.  i  3  i, 
^g)  Linna?us,  Cen.  S  6 ,  fpec.  ^. 
(h)  Clufius,  ExQlk,  png.  100. 


4 


48  î 


LE    SOLITAIRE 

E  T 

L'OISEAU  DE   NAZARE. 

L  E  Solitaire  dont  parlent  Léguât  faj  S<.  Carré  (^/^J^ 
&  l'oifeau  de  Nazareth  dont  parle  Fr.  Gauche  fcj, 
paroifTent  avoir  beaucoup  de  rapports  avec  le  dronte  , 
mais  ils  en  diffèrent  aufTi  en  p'-ifieurs  points;  6c  j'ar 
cru  devoir  rapporter  ce  qu'en  djfent  ces  Voyageurs , 
parce  que  fi  ces  trois  noms  ne  dcTignent  qu'une  feule 
<Sc  unique  efpèce,  les  relations  diverfes  ne  pourront 
qu'en  compléter  l'hidoire;  <Sc  fi  au  contraire  ils  dé- 
fignent  trois  efpèces  différentes ,  ce  que  j'ai  à  dire  pourra 
ttre  regardé  comme  un  commencement  d'Iiifloire  de 
chacune,  ou  du  moins  comme  une  notice  de  nouvelles 
efpèces  à  examiner,  de  morne  que  l'on  voit  dans  les 
cartes  Géographiques  une  indication  des  terres  incon- 
nues; dans  tous  les  cas  ce  fera  un  avis  aux  Naturalises 
qui  fe  trouveront  à  portée  d'ohfcrver  ces  oifcaux  de 
plus  près,  de  les  comparer,  s'il  efl  poffihle,  Se  de 
nous  en    donner  une   connoiffance  plus  diflinde   Si. 

(a)  Voynge  en  deux  îles  cltTertes  des  Indes  Orientales,  tome  1, 
pages  p  8  —  j  0  2. 

(h)  Voyage  de  Carré,  cité  dans  K H'ijloire  générale  des  Voyages , 
lome  IX  ,  page  3. 

(c)  Defcription.  ...  de  i'ile  de  Madagafcar,  pûge  i^  0  &  fuiy, 

Ppp   iij 


486         Histoire  Naturelle 

plus  précife:  les  feules  queflions  que  l'on  a  faites  fur 
des  chofcs  ignorées  ,  ont  valu  fouvent  plus  d'une 
découverte. 

Le  folitaire  de  Tiîe  Rodrigue  eft  un  très-gros  oifcau, 
puifqu'il  y  a  des  mâles  qui  pèfent  jufqu'à  qirarante-cinq 
livres:  le  plumage  de  ceux-ci  efl  ordinairement  mêlé 
de  gris  Sl  de  brun,  mais  dans  les  femelles,  c'efi  tantôt 
le  brun  &  tantôt  le  jaune -blond  qui  domine.  Carré 
dit  que  le  plumage  de  ces  oifeaux  efl  d'une  couleur 
changeante ,  tirant  fur  le  jaune ,  ce  qui  convient  à 
celui  de  la  femelle  ;  6w  il  ajoute  qu'il  lui  a  paru  d'une 
beauté  admirable. 

Les  femelles  ont  au  -  deffus  du  htc  comme  un 
bandeau  de  veuve  ;  leurs  plumes  fe  renflent  des  deux 
côtés  de  la  poitrine  en  deux  toulies  blanches,  qui 
repréfentcnt  imparfaitement  le  fein  d'une  femme;  les 
plumes  des  cuilfes  s'arrondiffcnt  par  le  bout  en  forme 
de  coquilles,  ce  qui  fait  un  fort  bon  effet;  6c  comme 
(i  ces  femelles  fentoient  leurs  avantages,  elles  ont 
grand  foin  d'arranger  leur  plumage  ,  de  le  polir  avec 
le  bec  Si  de  i'ajuiter  prefque  continuellement,  en  forte 
qu'une  plume  ne  paffe  pas  l'autre;  elles  ont,  félon 
Léguât,  l'air  noble  <Sc  gracieux  tout  enfemble;  &  ce 
Voyageur  aiïure  que  fouvent  leur  bonne  mine  leur  a 
fauve  la  vie  féïjj  fi  cela  eft  ainfi,  <&:  que  le  folitaire  &  le 
dronte  foient  de  la  même  efpèce,  il  faut  admettre  une 

(d)  Voyez  la  fgure  (page  ^  8 )  à\x  Voyage  de  Léguât. 


DU      S  0  L  I  T  A  I  R  E,  ire.  487 

très-grande  diffcrence  entre  le  mâle  <Sc  la  femelle  quant 
à  la  bonne  mine. 

Cet  oifeau  a  qiiekjue  rapport  aA  ec  le  dindon  ;  il 
en  aiiroit  les  pieds  <Sc  le  bec  (i  fes  pieds  n'c'toient  pas 
plus  élevés  &  Ton  bec  plus  crochu  ;  il  a  au/Ti  le  cou 
plus  long  proportionnellement,  l'oeil  noir  <?c  vif,  la 
tête  fans  crête  ni  huppe  <S:  prefque  point  de  queue; 
fon  derrière  ,  qui  e(l  arrondi  à  peu  près  comme  la 
croupe  d'un  cheval,  eft  revêtu  de  ces  plumes  qu'on 
appelle  couvertures. 

Le  folitaire  ne  peut  fe  fervir  de  fes  ailes  pour  voler, 
mais  elles  ne  lui  font  pas  inutiles  à  d'autres  égards; 
i'os  de  l'aileron  fe  renfle  à  Ion  extréiîiité  en  une 
efpèce  de  bouton  fphérique  qui  fe  cache  dans  les 
plumes  (Se  lui  fert  à  deux  ufages;  premièrement  pour 
fe  défendre,  comme  il  fait  auiïi  avec  le  bec;  en 
fécond  lieu  pour  faire  une  efpèce  de  haitcment  ou  de 
moulinet  en  pirouettant  vingt  ou  trente  fois  du  même 
côté  dans  l'cfpace  de  quatre  à  cinq  minutes;  c'eft 
ainfi ,  dit-on  ,  que  le  mâle  rappelle  fa  compagne  avec 
un  bruit  qui  a  du  rapport  à  celui  d'une  crcfferelle  (k. 
s'entend  de  deux  cents  pas. 

On  voit  rarement  ces  oifeaux  en  troupes,  c\\\o\(\\\q 
l'cfpèce  foit  affez  nombreufe  ;  quelques-uns  difent 
même  qu'on  n'en  voit  guère  <ït\.\\  enfemble  (e). 

Ils  cherchent  les  lieux  écartés  pour  faire  leur  ponte, 

(e)  Hiftoire  générale  des  Voyages,  tome  IX,  page  ^ ,  citant  ic 
Voyage  de  Carré, 


4-88       Histoire  Naturelle 

ils  condruifent  leur  nid  de  feuilles  de  palmiers  amon- 
celées a  la  hauteur  d'un  pied  &:  demi;  Ja  femelle  pond 
dans  ce  nid  un  œuf  beaucoup  plus  gros  qu'un  œuf 
d'oie,  6c  le  mâle  partage  avec  elle  la  fondion  de 
couver. 

Pendant  tout  le  temps  de  l'inculpation  ,  S:  même 
celui  de  l'éducation ,  ils  ne  fouffrent  aucun  oifeau  de 
leur  efpèce  à  plus  de  deux  cents  pas  à  la  ronde;  <Sc 
l'on  prétend  avoir  remarqué  que  c'ed  le  maie  qui 
chafTe  les  mâles,  Si  la  femelle  qui  chafTe  les  femelles; 
remarque  difficile  à  faire  fur  un  oifeau  qui  pafTe  fa  vie 
dans  les  lieux  les  plus  fauvages  Si  les  plus  écartés. 

L'œuf,  car  il  paroît  que  ces  oifcaux  n'en  pondent 
qu'un,  ou  plutôt  li'en  couvent  qu'un  à  la  fois;  l'a^uf, 
dis -je,  ne  vient  à  éclore  qu'au  bout  de  fept  fcmaines 
f/J,  Se  le  petit  n'efî  en  état  de  pourvoir  à  fes  befoins 
que  plufieurs  mois  après:  pendant  tout  ce  temps  le 
père  &  la  mère  en  ont  foin ,  <Sc  cette  feule  circonflance 
doit  lui  procurer  un  inflin6t  plus  perfedionné  que 
celui  de  l'autruche,  laquelle  peut  en  naiffant  fubfifter 
par  elle-même,  &  qui  n'ayant  jamais  befoin  du  fecours 
de  fes  père  Si  mère,  vit  ifolée,  fans  aucune  habitude 
intime  avec  eux,  Se  fe  prive  ainfi  des  avantages  de  leur 
fociété  qui ,  comme  je  l'ai  dit  ailleurs ,  ell  la  première 

^fj  Nota.  Ariilote  fixe  au  trentième  jour  le  terme  de  l'incubation 
pour  les  plus  gros  oileaux ,  tels  que  l'aigle ,  l'outarde ,  l'oie  ;  il  cfl 
vrai  qu'il  ne  cite  point  l'autruche  eu  cet  endroit.  HiJ^-  Anim,  lib.  VI, 
pp.  VI. 

éducation 


DU    Solitaire,  fc.        489 

éducation  des  animaux  &  celle  qui  développe  le  plus 
leurs  qualités  naturelles  ;  au/Ti  i'autruche  pafle-t-elle 
pour  le  plus  flupide  des  oifeaux. 

Lorfque  l'éducation  du  jeune  folitaire  efl  finie  ,  îe 
père  ^  la  mère  demeurent  toujours  unis  5:  fidèles  l'un 
à  l'autre,  quoiqu'ils  aillent  quelquefois  fe  mêler  parmi 
d'autres  oifeaux  de  leur  efpèce  :  les  foins  qu'ils  ont 
donnés  en  commun  au  fruit  de  leur  union  ,  femLIcnt 
en  avoir  refferré  les  liens  ,  &  lorfque  la  faifon  les  y 
invite  ils  recommencent  \\k\q.  nouvelle  ponte. 

On  affure  qu'à  tout  âge  on  leur  trouve  une  pierre 
dans  le  géfier  ,  comme  au  dronte  ;  cette  pierre  efl 
grodc  comme  un  œuf  de  poule  ,  plate  d'un  côté, 
convexe  de  l'autre,  un  peu  rabotcufe  <5c  affcz  dure  pour 
fervir  de  pierre  à  aiguifer;  on  ajoute  que  cette  pierre 
efl  toujours  feule  dans  leur  eflomac,  (Se  qu'elle  eit  trop 
groffe  pour  pouvoir  paffer  par  le  canal  intermédiaire 
qui  fait  la  feule  communication  du  jabot  au  géfier,  d'oiï 
l'on  voudroit  conclure  que  cette  pierre  fe  forme  natu- 
rellement (Se  à  la  manière  des  bézoards,  dans  le  géfier 
du  folitaire;  mais  pour  moi  j'en  conclus  feulement  que 
cet  oifeau  efl  granivore  ,  qu'il  avale  des  pierres  (Se  des 
cailloux  comme  tous  les  oifeaux  de  cette  clafTe,  notam- 
ment comme  l'autruche,  le  touyou ,  le  cafoar  <Sc  le 
dronte,  <&  que  le  canal  de  communication  du  jabot  au 
géfier  efl  fufceptible  d'une  dilatation  plus  grande  que 
ne  l'a  cru  Léguât. 

Le  feul  nom  de  folitaire  indique  un  naturel  fauvage  ; 

Oifeaux ,  Tome  h  .   Q^^ 


49^      Histoire    Natu relle 

6c  comment  ne  le  feroit-il  pas  \  comment  un  oifeaii 
<]iii  compofe  lui  feul  toute  la  couvée,  &.  qui  par  con- 
féquent  pafTc  les  premiers  temps  de  fa  vie  fans  aucune 
fociété  avec  d'autres  oifeaux  de  fon  âge  ,  6l  n'ayant 
qu*un  commerce  de  ncceiïité  avec  fcs  père  Si  mère, 
fauvagcs  eux-mêmes,  ne  feroit-il   pas   maintenu  par 
l'exemple  &  par  l'habitude  î  on  fait  combien  les  habi- 
tudes   premières    ont    d'influence    fur   les    premières 
inclinations  qui  forment  le  naturel  ;  <î<:  il  efl  à  prcfuiner 
que  toute  efpèce  où  la  femelle  ne  couvera  qu'un  œuf 
à  la  fois,  fera  fauvage  comme  notre  folitaire,  cepen- 
dant il  paroit  encore  plus  timide  que  fauvage,  car  il  fe 
laifTe  approcher  Si  s'approche   même  aflez  familière- 
jnent,  fur-tout  lorfqu'on  ne  court  pas  après  lui  &.  qu'il 
n'a   pas   encore    beaucoup   d'expérience  ;    mais  il   cfl 
impojfdjie  de  l'apprivoifcr.    On  l'attrape  difficilement 
dans  les  bois,  où  il  peut  échapper  aux  chaffeurs  par  la 
rufe  Si  par  fon  adreife  à  fe  cacher;  mais  comme  il  ne 
court  pas  fort   vite  ,  on   le   prend  aifément   dans  les 
plaines  <Sc  dans  les  lieux  ouverts:  quand  on  l'a  arrêté, 
il  ne  jette  aucun  cri ,  mais  il  laiffe  tomber  (\es  larmes 
ôi  refufe  opiniâtrement  toute  nourriture.  M.   Caron , 
Dire6leur  de  la  Compagnie  des  Indes  à  Madagafcar, 
en  ayant  fait  embarquer  deux  venant  de  l'île  de  Bour- 
I)on  pour  les  envoyer  au  Roi  ^  ils  moururent  dans  le 
vaiffeau  fans  avoir  voulu  boire  ni  manger  (gj. 

Le  temps  de   leur  donner  la  chalïe   eil  depuis  le 

(g)  Voyage  de  Carré  atïx  Iridcs, 


DU      S  0  L  1  T  A  1  R  E,  ifc.  49  I 

mois  de  mars  au  mois  de  feptembre,  qui  efl  l'hiver 
des  contrées  qu'ils  hahitent ,  <S^  qui  eft  aufTi  le  temps 
où  ils  font  le  plus  gras:  ia  chair  des  jeunes  fur -tout, 
efl  d'un  goût  excellent. 

Telle  eft  l'idée  que  Léguât  nous  donne  du  foli- 
taire  (hj ;  il  en  parle  non -feulement  comme  témoin 
oculaire ,  mais  comme  un  Obfervateur  qui  s'cioit  attaché 
particulièrement  6:  long -temps  à  étudier  les  mœurs  & 
les  habitudes  de  cet  oifeau  ;  &  en  efïct ,  fa  relation , 
quoique  gâtée  en  quelques  endroits  par  des  idées 
fabuleufes  fij,  contient  néanmoins  plus  de  détails 
hiftoriques  fur  le  folitaire  que  je  n'en  trouve  dans  une 
foule  d'écrits  fur  des  oifeaux  plus  généralement  &  plus 
anciennement  connus.  On  parle  de  l'autruche  depuis 
trente  fiècles ,  &  l'on  ignore  encore  aujourd'hui  com- 
bien elle  pond  d'œufs  &.  combien  elle  efl  de  temps 
à  les  couver. 

L'oifcau  de  nazareth ,  appelé  fans  doute  ainfi  par  cor- 
ruption, pour  avoir  été  trou\é  dans  l'ile  de  Nazare  (kj, 
a  été  obfervé  par  Fr.  Gauche  dans  l'ile  Maurice , 
aujourd'hui  l'île  Françoife;  c'eft  un  très -gros  oifeau, 

(h)  Voyage  de  Léguât ,  tome  1 ,  pnges  p  S  —  102. 

(i)  Par  exemple,  au  fujet  du  premier  accouplement  des  jeunes 
folitaires ,  où  Ton  imagination  prévenue  lui  a  fait  voir  les  formalités 
d'une  efpèce  de  mariage;  au  fujet  de  ia  pierre  de  l'eftomac,  «Sec. 

(k)  L'île  de  Nazare  efl  plus  haute  que  l'île  Maurice  à  17  degrés 

de  latitude  fud.   Voye^  la  Dcfcripùon de   Madagafcar ,  par 

Fr,  Cauche ,  page  j  ^  0  ù'  fuïv, 

Qqq  «i 


492        Histoire   N aturelle 

Si  plus  gros  qu'un  cygne;  au  lieu  de  plumes  il  a  tout 
le  corps  couvert  d'un  duvet  noir,  Si  cependant  il  n'eft 
pas  ablolument  fans  plumes,  car  \[  en  a  de  noires  aux 
ailes  (Se  de  friiées  fur  le  croupion  ,  qui  lui  tiennent 
lieu  de  queue;  il  a  le  bec  gros,  recourbé  un  peu  par 
defTous,  les  jambes  (  c'cfl-à-dire  les  pieds  )  hautes  6c 
couvertes  d'écaillés,  trois  doigts  à  chaque  pied,  le 
cri  de  l'oifon,  Si  fa  chair  efl  médiocrement  bonne. 

La  femelle  ne  pond  qu'un  œuf,  &.  cet  œuf  efl  blanc 
Sl  gros  comme  un  pain  d'un  fou;  on  trouve  ordmaire- 
ment  à  coté  une  pierre  blanche,  de  la  grofTcur  d'un 
œuf  de  poule,  &  peut-être  cette  pierre  fait  -  elle  ici  le 
même  etfet  (jue  ces  œufs  de  craie  blanche  que  les 
Fermières  ont  coutume  de  mettre  dans  le  nid  où  elles 
veulent  faire  pondre  leurs  poules  :  celle  de  Nazare 
pond  à  terre  dans  les  forêts,  fur  de  petits  tas  d'herbes 
Se  de  feuilles  qu'elle  a  formés;  fi  on  tue  le  petit,  oa 
trouve  une  pierre  grife  dans  fon  géfjer;  la  figure  de 
cet  oifeau,  efl-il  dît  dans  une  note  f/J,  fe  trouve  dans 
le  Journal  de  la  féconde  Nûv/gdrion  des  Hollandois  aux 
Indes  orientales ,  ôi  ils  l'appellent  oifeau  de  Naufee:  ces 
dernières  paroles  femblent  décider  la  queftion  de 
ridentité  de  i'efpèce  entre  le  dronte  &  l'oifeau  de 
Nazare  ,  Se  la  prouveroient  en  effet  ,  fi  leurs  defcrip- 
tions  ne  préfentoient  des  différences  effentielles , 
notamment  dans  le  nombre  des  doigts  ;  mais  fans  entrer 

(l)  Voyez  la  Defcription. ...  de  Madagafcar,  par  Fr.  Cauchc, 


DU      S  O  L  1  T  A  I  R  E,  ifc.  49} 

dans  cette  difcuiTion  particulière  ,  6c  fans  prctendre 
refoudre  un  problème  où  il  n'y  a  pas  encore  affez  de 
données;  je  me  contenterai  d'indiquer  ici  les  rapports 
&  les  différences  qui  réfultent  de  la  comparailon  des 
trois  defcriptions. 

Je  vois  d'abord  en  comparant  ces  trois  oifeaux  à 
la  fois,  qu'ils  appartiennent  au  même  climat  <Sw  prefque 
aux  mêmes  contrées;  car  le  dronte  babite  bile  de 
Bourbon  <Sc  i'ile  Françoife,  à  laquelle  il  femble  avoir 
donné  Ion  nom  d'île  au  cygne,  comme  je  l'ai  remarqué 
plus  baut;  le  folitaire  babitoit  l'ile  Rodrigue  dans  le 
temps  qu'elle  étoit  entièrement  déferte  ,  &  on  l'a  vu 
dans  l'ile  Bourbon  ;  l'oifcau  de  Nazare  fe  trouve  dans 
l'île  de  Nazare  ,  d'où  il  a  tiré  Ton  nom  &  dans  bile 
Françoife  ftnj ;  or  ces  quatre  ilcs  font  voidnes  les 
unes  des  autres ,  6c  il  efl  à  remarquer  qu'aucun  de 
ces  oifeaux  n'a  été  aperçu  dans  le  continent. 

Ils  fe  reffemblent  aufli  tous  trois  plus  ou  moins  par 
\à  groffeur,  par  l'impuifîlmce  de  voler,  par  la  forme 
des  ailes,  de  la  queue  <5c  du  corps  entier;  6c  on  leur 
a  trouvé  à  tous  une  ou  plufieurs  pierres  dans  le  géfier, 
ce  qui  les  fuppofe  tous  trois  granivores  ;  outre  cela 
*  ils  ont  tous  trois  une  allure  fort  Icote,  car,  quoique 
Léguât  ne  dife  rien  de  celle  du  lolitaire  ,  on  peut 
juger  par  la  figure  qu'il  donne  de  la  femelle  (fij,  que 
c'ert  un  oifeau  très-pefant. 


(w)  Voye?  ci-defujs  l'hiftoire  de  ces  oifeaux. 
(n)  Voyage  de  Léguât ,  tome  /,  page  ^  8* 


Qqq  iij 


4-94-       Histoire  Naturelle 

Comparant  enfuite  ces  mêmes  oifeaiix  pris  deux 
à  deux,  je  vois  que  le  plumage  du  dronte  fe  rapproche 
de  celui  du  folitaire  pour  la  couleur,  <Sc  de  celui  de 
Toifeau  de  Nazare  pour  la  qualité  de  la  plume  qui 
n'efl  que  du  duvet;  &.  que  ces  deux  derniers  oifeaux 
conviennent  encore  en  ce  qu'ils  ne  pondent  Ôl  ne 
couvent  qu'un  œuf. 

Je  vois  de  plus  qu'on  a  appliqué  au  dronte  6c 
à  l'oifeau  de  Nazare  le  même  nom  d'oifeau  de 
dégoût. 

Voilà  les  rapports,  6:  voici  les  différences: 

Le  folitaire  a  les  plumes  de  la  cuiffe  arrondies  par 
le  bout  en  coquilles,  ce  qui  fuppofe  de  véritables 
plumes  comme  en  ont  ordinairement  les  oifeaux,  <Sc 
non  du  duvet  comme  en  ont  le  dronte  ôl  i'oifeau 
de  Nazare. 

La  femelle  du  folitaire  a  deux  touffes  de  plumes 
blanches  fur  la  poitrine;  on  ne  dit  rien  de  pareil  de 
la  femelle  des  deux  autres. 

Le  dronte  a  les  plumes  qui  bordent  la  bafe  du 
bec  difpofces  en  manière  de  capuchon ,  &  cette 
difpofition  eft  fi  frappante,  qu'on  en  a  fait  le  trait 
caradlérifîique  de  fa  dénomination  ( cycims  cucullatus J ; 
de  plus,  il  a  les  yeux  dans  le  bec,  ce  cjui  n'efl  pas 
j^ioins  frappant;  6c  l'on  peut  croire  que  Léguât  n'a 
rien  vu  de  pareil  dans  le  folitaire,  puifqu'il  fe  con- 
tente de  dire  de  cet  oifeau  qu'il  avoit  tant  obfervé, 
que  fa  tête  étoit  fans  crête  &.  fans  huppe;  &  Gauche 


DU     S 0  L  I  T  A  1  R  E,  ère.         495 

ne  dit  rien  du  tout  de  celle  de  l'oifeaii  de  Nazare. 

Les  deux  derniers  font  haut  montés,  au  iicu  que 
Je  dronte  a  ies  pieds  très-gros  &:  très-courts. 

Celui-ci,  &  le  folitaire  qu'on  dit  avoir  à  peu  près 
les  pieds  du  dindon,  ont  quatre  doigts,  &  i'oifeau  de 
Nazare  n'en  a  que  trois  ,  félon  le  tc'moignage  de 
Cauche. 

Le  folitaire  a  un  battement  d'ailes  très-rcmarquable^ 
6c  qui  n'a  point  été  remarque  dans  les  deux  autres. 

Enfin  il  paroît  que  la  chair  des  folitaires,  &  fur-tout 
des  jeunes,  efl  excellente;  que  celle  de  I'oifeau  de 
Nazare  efl  médiocre,  &i  celle  du  dronte  mauvaife. 

Si  cette  comparaifon  qui  a  été  faite  avec  la  plus 
grande  exadlitude,  ne  nous  met  pas  en  état  de  prendre 
rfft  parti  fur  la  qucftion  propofée ,  c'eft  parce  que  les 
ohfervations  ne  font  ni  alfez  multipliées  ni  afîez  fùres; 
il  feroit  donc  à  àtUrer  que  les  Voyageurs,  &  fur-tout 
les  Naturalises,  qui  fe  trouveront  à  portée  ,  exami- 
nafTent  ces  trois  oifcaux ,  &  qu'ils  en  fiffent  une  defcrip- 
tion  exaéle,  qui  porteroit  principalement: 

Sur  la  forme  de  la  tête  <?c  du  bec  : 

Sur  la  qualité  des  plumes  : 

Sur  la  forme  ik.  les  dimenfions  des  pieds  : 

Sur  le  nombre  des  doigts: 

Sur  les  différences  qtii  fe  trouvent  entre  le  mâle  6l 
'la  femelle: 

Entre  les  pouffms  &  les  adultes  : 

Sur  leur  façon  de  maicher  <Sc  de  courir: 


49^     Histoire  Naturelle,  l^c. 

En  ajoutant,  autant  qu'il  feroit  poiïjble,  ce  que  l'on 
fait  dans  ie  pays  fur  leur  génération,  c'efl-à-dire ,  fur 
leur  manière  de  fe  rappeler,  de  s'accoupler,  de  faire 
leur  nid  6c  de  couver: 

Sur  le  nombre,  la  forme,  la  couleur,  le  poids  6; 
ie  volume  de  leurs  oeufs  : 

Sur  le  temps  de  l'incubation  : 
Sur  leur  manière  d'élever  leurs  petits  : 
Sur  la  façon  dont  ils  fe  nourriffent  eux-mêmes  : 
Enfin    fur    la   forme   <Sc    les    dimenfions   de    leur 
eflomac  ,  de  leurs  inteflins  (Se  de  leurs  parties  fexueiles. 


Fin  du  premier  Volume  des  O'ifeaux, 


BIBLIOTHECA 


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