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HISTOIRE
NATURELLE,
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GENERALE ET PARTICULIERE
AVEC LA DESCRIPTION
DU CABINET DU ROI.
Tome Sei:^iême,
HISTOIRE
NATURELLE
DES OISEAUX.
1 orne Premier.
y
A PARIS,
DE L'IMPRIMERIE ROYALE,
M. D C C L X X.
^fy.
UéHùa CtUÂêiifm
SI rjjiit
.67?
v.lù
CAS.
MX
TABLE
De ce quî eft contenu dans ce Volume.
2 LA N de rOuvrage pnge j — xxiv
Dif ours fur la nature des Oifeaux i
Les Oifraux de proie 6 i
Les Algies 71
Le grand Aigle jô
L'A igle commun ^G
Le petit Aigle 91
Le Pygargue 99
Le Balbu-^ard 105
L'Orfraie \\z
Le Jeande-blanc» 1 24.
Oifeaux étrangers qui ont rapport aux Aigles if
BalbuifU'ds 1^6
Les Vautours 1^6
Le Percncptere 149
Le Griffon 151
Le Vautour ou grand Vautour i ^ 8
Le Vautour à aigrettes 1^9
Le petit Vautour 16^
TABLE.
Cîfcaux étrangers qui ont rapport aux Vautours . . 1 67
Le Condor. 184.
Le Ali/an if les Bufes 197
La Buje 206
La Bondrée 208
L'Oifeau Saint -Alartin 212
La Soubufe 215
La Harpaye 217
Le Bufard 218
0 if eaux étrangers qui ont rapport au Alilan, aux
Bufes iT" Soubufe s zii
L'Épervier 225
L'Amour 230
Oifeaux étrangers qui ont rapport à l'Epervier if à
l Autour 237
Le Gerfaut 239
Le Lanier 24?
Le Sacre 246
Le Faucon 249
Oifeaux étrangers qui ont rapport au Gerfaut & aux
Faucons 268
Le Hohreau zjj
La Crefferelle 280
Le Rochier 286
TABLE.
VEinûlllon 283
Les Pie - grièches 294
La Pie- grue h£ grife 296
La Pie-grièche roujfe ^01
L' Ecorcheur ^04.
Oifcaiix étrangers qui ont rapport à la Pie-grièche
grife if à t Ecorcheur ^08
I. Le Fiuoah Ihul
1 1. Rougc-qucuc joo
III. Lûtigraicn & Tiha-chcrî j i o
I V. Bccûrdes w j
V. Béairdcs à ventre jaune t i 2
V I. Le Vanga ou BccarJe à ventre blanc H^'uU
VU. Le Si/ict-hé. V 313
VIII. Le Tcha-chcn-hc. 31^
IX. Le Gonokk //,/^.
X. Le Calï-Calic & le Brunu 315
XI. Pie-grièche liiippcc, . .' ^ i (^
Les 0 if eaux de proie noâ urnes 3 i -r
Le Duc ou grand Duc 332
Le Plibou ou moyen Duc -.4,2
Le Scops ou petit Duc. 3r^
La Hulotte -^r^
Le Chat -huant ^52
L'Effraie ou la Frefaie 355
TABLE.
La Chouette ou la grande Chevêche 372
La Chevêche ou petite Chouette r^yy
Oifeaux étrangers qui ont rapport aux Hiboux iT' aux
Chouettes 383
Oifeaux qui ne peuvent voler, 394
L'Autruche 398
Le Touyou 4.52
Le Cafoar 4-64.
Le Dronte 480
Le Solitaire ér IVifeau de Naiare 485
Par M. DE BuFFON.
HISTOIRE
/
■«1*1
■ I ir fc f
^— r^ --J^ -^'''
HISTOIRE NATURELLE
DES OISEAUX.
PLAN DE L'OUVRAGE.
NOUS n'entreprenons pas de donner ici une Hifloire
des Oifeaux aufll complète, aufTi détaillée que
i'eft celle des Animaux quadrupèdes ; cette première
tâche, quoique longue & difficile à remplir, nVtoît
pas impofTible, parce que le nombre des quadrupèdes
n'étant guère que de deux cents efpèces, dont plus du
tiers fe trouve d:ins nos conirèes ou d:\ns les climats
voifins, il étoit pofTible d'abord de donner l'hiftoire
de ceux-ci d'après nos propres obfervations; que dans
le nombre des quadrupèdes étrangers, il y en a plu-
fleurs de bien connus des Voyageurs d'après lefquefs
nous pouvions écrire; qu'enfin nous devions cfpérer,
avec des foins (5c du temps, de nous les procurer
prefque tous pour les examiner; &. l'on voit que nos
elpérances ont été remplies, puilqu'à l'exception d'un
Oifeaux, Tome L . a
i) Plan de l* Ouvrage.
très -petit nombre d'animaux qui nous font arrivés
depuis, & que nous d innerons par fupplément, nous
avons fait l'hilloire i3c ia dcfcription de tous les quadru-
pèdes. Cet ouvrage ed: le fruit de près de vingt ans
detude^Sc de recherches; (5c quoique pendant ce même
temps nous n'ayons rien négligé pour nous indruire
fur les oifeaux, 5c pour nous en procurer toutes les
efpèces rares; que nous ayons même réulTi à rendre
cette partie du Cabinet du Roi plus nombreufe (5c
plus complète qu'aucune autre collecflion du même
genre qui foit en Europe, nous devons cependant
convenir qu'il nous en manque encore un affez grand
nombre: à la vérité, la plupart des efpèces qui nous
manquent, manquent également par - tout ailleurs;
mais ce qui nous prouve que nous fommes encore bien
loin d'être complets , quoique nous ayons rafTcmblé
plus de fept ou huit cents efpèces, c'ed que Ibuvent
if nous arrive de nouveaux oileaux qui ne font décrits
nulle part, &. rjue d'un autre côté il y en a plufieurs
qui ont été indiqués par nos Ornithologillcs modernes,
qui nous manquent encore, (5c que nous n'avons pu
nous procurer. II cxi/le peut-être quinze cents, peut-
être deux mille efpèces d'cifeaux, pouvons-nous efpérer
de les raffembler toi.-tes! & cela n'eil encore que l'une
des moindres difficultés que l'on pourra lever avec le
temps ; il y a plufieurs autres cbRacIes dont nous
Plan de l'Ouvrage. il}
avons furnionté quelques - uns , 6c dont les autres
nous pai'oifTent invincibles. II faut qu'on me permette
d'entrer ici dans le détail de toutes ces difficultés; cette
cxpofition ed: d'autant plus néceffaire, que fans elle
on ne concevroit pas les raifons du plan 6c de la
forme de mon ouvrasse.
Les efpèces dans les oifcaux, font non - feulement
en beaucoup plus grand nombre que dans les animaux
quadrupèdes , mais elles font auffi fu jettes à beau-
coup plus de variétés; c'efl: une fuite nécefTaire de
ia loi des combinaifons où le nombre à^s réfultats
augmente en bien plus grande raifon que celui des
élémens; c'efl aufTi une règle que la Nature femble
s'être prefcrite à mefure qu'elle fe multiplie, car les
grands animaux qui ne produifent que rarement 6c en
petit nombre, n'ont que peu d'efpèces voifincs, 6c
point de variétés, tandis que les petits tiennent à un
grand nombre d'autres familles, 6c font fujets, dans
chaque efpèce , à varier beaucoup ; 6c les oifeaux
paroiffent varier encore beaucoup plus que les petits
animaux quadrupèdes, parce qu'en général les oifeaux
font plus nombreux, plus petits, 6c qu'ils produifent
en plus grand nombre. Indépendamment de cette caufc
générale , il y en a de particulières pour- les variétés
dans plufieurs efpèces d'oifeaux. Le mâle 6c la femelle
n'ont, dans les quadrupèdes, que des différences affez
a ij
iv Plan de l' 0 u v r a g e.
légères , elles font bien plus grandes 6c bien plus
apparentes dans les oifeaux; fouvent la femelle efl: fi
différente dn mâfe par la grandeur oc les couleurs,
qu'on les croiroit chacun d'une efpéce diverfc : plufieurs
de nos Naturalilles, même des plus habiles, s'y font
mépris, (Se ont donné le mâle <Sc fa femelle d'une
même cfpèce, comme deux efpèces dillindes (3c fé-
parées; auffi le premier trait de la dcfcripîion ô!un
oifeau doit être l'indication de la reffemblance ou de
ia différence du mâle (5c de la femelle.
Ainfi, pour connoîrre exactement tous les oifeaux,
un feul individu de chaque eipèce ne fuffit pas, il en
faut deux, un mâle &i une femelle; il en faudroit
même trois ou quatre, car \qs jeunes oifeaux font
encore très-ditiérens des adultes (5c des vieux. Qu'on,
fe repré fente donc que sil exillc deux mille efpêces
d'oifeaux, il faudroit en raffembler huit mille indi-
vidus pour les bien connoître, (Se l'on jugera facile-
ment de i'impoiTibilité de faire une telle collccflion
qui augmenteroit encore de plus du double, fi l'on
vouloit ia rendre complète, en y ajoutant les variétés
de chaque efpèce, dont quelques-unes, comme celle
du coq ou du pigeon, fe font fi fort multipliées,
qu'il eft même difficile ài^n faire l'entière énumé-
ration.
Le grand nombre des efpèces; le nombre encore
Plan de l'Ouvrage. v
plus grand des variétés; les différences de forme, dt
grandeur, de couleur entre les mâles &l les femelles,
entre les jeunes, les adultes (5c les vieux; les di verfltés
qui réfuîtent de finfluence ài\ climat & de la nour-
riture, celles que produit la domedicité, la captivité,
le tranfport, les migrations naturelles 6; forcées; toutes
iescaufes, en un mot, de changement, d'altération, de
dégénération, en fe réuniffant ici (5c fe multiplianf,
multiplient les obilacles & les difficultés de l'Orni-
thologie, à ne la confidérer même que du côté de
la nomenclature, cell-à-dire, de la fimple connoif
fance des objets; <5c combien ces difficultés n augmen-
tent-elles pas encore, dès qu'il s'agit d'en donner la
defcription (5c rhifioireî Ces deux parties, bien plus
effcntielles que la nomenclature, <5c que Ton ne doit
jamais féparer en Hiiloire Naturelle , fe trouvent
ici très - difficiles à réunir, (5c chacune a de plus des
difficultés particulières que nous n'avons que trop
fenties, par le defir que nous avions de les furmonter.
L'une des principales cfî de donner , par le difcours,
une idée des couleurs , car maiheureufement les diffé-
rences les plus apparentes entre les oifeaux , portent
fur les couleurs encore plus que fur les formes; dans
les animaux quadrupèdes , un bon dcï^m rendu par
ime gravure noire, fuffit pour la connoiffiince difiinc^e
de chacun, parce que les coukurs des quadrupèdes
a iij
yj Plan de lVuv rag e.
n'ttant qu'en petit nombre (5c «ifrez uniformes, on
peut aifement les dénommer & les indiquer par le
difcours; mais cela feroit fmpofTible, ou du moins
fuppoferoit une immenfité de paroles, 6c de paroles
très-ennuyeufes pour la defcription des couleurs dans
les oifeaux; il n'y a pas même de termes en aucune
langue pour en exprimer les nuances, les teintes, les
reflets & les mélanges; & néanmoins les couleurs font
ici des caradères elTentiels, (3c fouvent les feuls par
lefquels on puide reconnoître un oifeau (5; le diftinguer
de tous les autres. J'ai donc pris fe parti de faire
non - feulement graver , mais peindre les oifeaux à
mefure que j'ai pu me les procurer vivans; (5c ces
portraits d oifeaux, repréfentés avec leurs couleurs, les
font connoître mieux d'un feul coup d'œil que ne
pourroit le faire une longue defcription auffi fafli-
dicufe que difficile, (5c toujours très-imparfaite (5c très-
obfcure.
Plufieurs perfonnes ont entrepris , prefqu'en même
temps , de faire graver (5c colorier des oifeaux : en
An2:Ieterre , on vient de donner , fous le titre de
Zoologie Britannique , \cs animaux quadrupèdes (Se les
oifeaux de la Grande-Bretagne, gravés (5c coloriés.
M. Edwards avoit de même donné précédemment
un o;rand nombre d'oifeaux étrangers; ces deux ou-
vrages font ce que nous avons de mieux dans ce
Plan de l* 0 u v r a g e. rij
genre de mauvaife peinture, que l'on appelle enlu-
minure. Et quoique ceux que j'ai fait publier depuis
cinq ans , & qui font déjà au nombre de près de
cinq cents planches , foient de ce même genre de
mauvaife peinture, je fuis bien certain qu'on ne les
jugera pas inférieurs â ceux d'Angleterre , &. qu'on
les trouvera fupérieurs à ceux que M. Frifch a fiit
publier en Ailcmagne *; nous pouvons même afTurer
que la colIc<51ion de nos planches coloriées l'emportera
fur toutes les autres par le nombre des efpèces, par
la fidélité des deffins , qui tous ont été faits d'après
nature , par la vérité du coloris , par la précifion des
attitudes; on verra que nous n'avons rien négligé pour
* Je ne parle point ici des planches enluminc'es qu'on vient
<Ie faire à Florence fur une Ornithologie de M. Gerini ; ces
planches, qui font en très -grand nombre, ne m'ont pas paru
faites d'après nature ; elles prcfentent , pour la plupart , îles
attitudes forcées, 6\. ne femhlent avoir été deflinées cS: peintes
que d'après les defcriptions des Auteurs. Les couleurs, dès-lors,
en font très- mal diilribuées; il y en a même un grand nombre
qui ont été copiées fur les gravures de diftérens ou\ rages, Sl
qu'on reconnoit avoir cté calquées fur celles de M." Edwards,
Brin'on , &c On peut dire, en général, que cet ouvrage
bien loin d'éclaircir iHilloire naturelle des oifeaux , la rendroit
bien plus confufe par le grand nombre d'erreurs de nom , ôi. par
ia multiplication gratuite des efpèces , puifque fou\ent on y
trou\'e quatre ou cinq variétés de la même efpcce , qui toutes
font données pour des oifeaux différens/
r'i'ij Plan de l'Ouvrage.
que chaque portrait donnât l'idée nette & diilinde
de Ton original. L'on reconnoîtra par-tout la facilite
du talent de M. Martinet, qui a defTiné (Se gravé tous
ces oileaux, t?c les attentions éclairées de M. Dau-
benton le jeune qui , feul , a conduit cette grande
entrcprilc ; je dis grande , par fe détail immcnfe
qu'elle entraîne, (Se par les foins continuels qu'elle
ruppofe : plus de quatre-vingts artifles (Se ouvriers ont
été employés continuellement, depuis cinq ans, à cet
ouvrage , quoique nous l'ayons reftreint à un petit
nombre d'exemplaires ; vSc c'elt bien à regret que
nous ne l'avons pas multiplié davantage. L'Iiiftoire
naturelle des animaux quadrupèdes ayant été tirée
à un très-grand nombre en France, fans compter les
éditions étrangères, c'eft avec une forte de peine que
nous nous fommes réduits à un petit nombre d'exem-
plaires pour les planches coloriées de l'hifloirc des
oifeaux; mais tous les gens d'art fentiront bien l'im-
poffibilité de faire peindre au même nombre des
planches, ou de les tirer en fim pie gravure; (Se lorfque
nous avons vu qu'il n'étoit pas pofTible de multiplier
cette collection de planches enluminées, autant qu'il
eût été néceffaire pour en garnir tous les exemplaires
imprimés , nous avons pris le parti de ne nous plus
aflreindre au format des animaux quadrupèdes, nous
l'avons agrandi de quelques pouces dans la vue de
donner
Plan de l'Ouvrage. h
donner à un plus grand nombre d oifeaiix leur gran-
deur réelle ; tous ceux dont les dimeniions n'excèdent
pas celles du format des planches y font repréfentés
de grandeur naturelle; les oifeaux plus grands ont été
réduits fur une échelle ou module tracé au-defTus de
la figure : ce module eft par-tout la douzième partie
de la longueur de Ibifeau, mefuré depuis le bout du
bec jufqu a 1 extrémité de la queue ; fi le module a
trois pouces de longueur, Ibifeau aura trois pieds; s'ii
n'efl que de deux pouces, Ibifeau fera de deux pieds
de longueur; (5c lorfqubn voudra connoître la gran-
deur des parties de Ibifeau , il faudra prendre au
compas celle du module entier ou d'une partie aliquote
du module , (Se la porter enfuite fur la partie de
Ibifeau que Ton veut mefurer. Nous avons cru cette
petite attention néceffaire pour donner, du premier
coup d'œil, une idée de la grandeur de^ objets réduits,
6c pour qubn puifTe les comparer exacficment avec
ceux qui font repréfentés de grandeur naturelle.
Nous aurons donc, au moyen de ces gravures en-
luminées, non-feulement la repréfentation exa(fle d'un
très-grand nombre dbifeaux, mais encore les indica-
tions de leur grandeur, (5c de leur groffeur réelle Se
relative; nous aurons, au moyen des couleurs, une def-
cription aux yeux plus parfaite (Se plus agréable qu'il
ne feroit poffible de la faire par le difcours, (5c nous
Oifeaux, Tome I, • b
K Plan de l'Ouvrage.
renverrons fouvent dans tout ie cours de cet ouvraç^e,
à ces figures coloriées dès qu il s'agira de defcription ,
de variétés (5c de différences de grandeur, de couleur,
(Sec. Dans le vrai , les planches enluminées font faites
pour cet Ouvrage, (Se l'ouvrage pour ces planches;
mais comme il n'efl: pas pofîlblc (Xnn multiplier afîcz
les exemplaires; que leur nombre ne fuffit pas à beau-
coup près à ceux qui fe font procure les volumes
précédcns de l'Hidoire Naturelle, nous avons penfé
que ce plus grand nombre qui fait proprement ie
Public, nous fauroit gré de faire auffi graver d'autres
planches noires, qui pourront fe multiplier autant qu'il
fera néceffaire; (5c nous avons choifi pour cela un ou
deux oifeaux de chaque genre, afin de donner au
moins une idée de leur forme (Se de leurs principales
différences: j'ai fait faire, autant qu'il a été polTible,
les deffms de ces gravures d'après les oifeaux vivans ;
ce ne font pas les mêmes que ceux des planches en-
luminées, (Se je fuis perfuadé que le Public verra avec
piaifir, qu'on a mis autant de foin à CQS dernières
qu'aux premières.
Par ces moyens (5c ces attentions, nous avons fur-
monté \ts premières difficultés de la defcription d^s
oifeaux; nous ne comptons pas donner abfolument tous
ceux qui nous font connus, parce que le nombre de
nos planches enluminées eût été trop confidérable ;
Plan de l' 0 uv rag e. xJ
nous avons même fupprimé à deffcin la plupart des
variétés, (ans cela ce Recueil deviendroit immenfe.
Nous avons penfé qu'il failoit nous borner à Gx ou
fept cents planches, qui contiendront près de huit ou
neuf cents efpèces d'oiieaux différens; ce uqR pas
avoir tout fait, mais c'efl déjà beaucoup: d'autres, dans
d'autres temps pourront nous compléter , ou faire
encore plus <Sc peut-être mieux.
Après les difficultés que nous venons d'expofer fur
!a nomenclature ôc fur la dcfcription des oifeaux, if
s'en préfente d'autres encore plus grandes fur leur
hilloire : nous avons donné celle de chaque cfpèce
d'animal quadrupède dans tout le détail que le fujet
exige; il ne nous eft pas pofTible de faire ici de même:
car, quoiqu'on ait avant nous beaucoup plus écrit fur
les oifeaux que fur les animaux quadrupèdes, leur hif-
toire n'en ell: pas plus avancée. La plus grande partie
des ouvrages de nos Ornitholooues, ne contiennent
que des defcriptions, (3c fouvcnt fe réduifcnt à une
fimple nomenclature; <5c dans le très-petit nombre de
ceuK qui ont joint quelques faits hifloriques à leur
defcription, on ne trouve guère que des chofes com-
munes, aifées à obferver fur les oifeaux de chaiïe <3c
de balTe-cour. Nous ne connoifTons que très-imparfai-
tement les habitudes naturelles des autres oifeaux de
notre pays, 6c point du tout celles des oifeaux étrangers:
xij Plan de l'Ouvrage.
à force cictudes (5c de comparaifons, nous avons
au moins trouvé dans les animaux quadrupèdes des
faits généraux &l des points fixes, fur lefquels nous
nous fomnies fondés, pour faire leur hilloire particu-
iière: la divifion des animaux naturels & propres à
chaque continent, a fouvent été notre bouflble dans
cette mer dobfcurité, qui fembloit environner cette
belle 6c première partie de l'Hilloire Naturelle; enfuiie
ies climats dans chaque continent que les animaux qua-
drupèdes affectent de préférence ou de nécefTité , iSc les
lieux où ils paroiffent conflamment attachés, nous ont
fourni des moyens d'être mieux informés, 6c des renfei-
gnemens pour être plus inflruits: tout cela nous manque
dans les oifeaux, ils vovaoent avec tant de facilité de
provinces en provinces, 6c fe tranfportent en fi peu
de temps de climats en climats, qu'à l'exception de
quelques efpèces d'oifeaux pefans ou fédentaires, il efl
à croire que les autres peuvent pafTer d'un continent
à l'autre; de forte qu'il cil bien difficile, pour ne pas
dire impoffible, de rcconnoître les oifeaux propres 6c
naturels à chaque continent, 6c que la plupart doivent
fe trouver également dans tous deux, au lieu qu'il
n'exide aucun quadrupède des parties méridionales
d'un continent dans l'autre. Le quadrupède efl forcé
de fubir les loix du climat fous lequel il efl né, l'oifeau
s'y faudrait ôi en devient indépendant par la faculté
Plan de l'Ouvrage. x'ùj
de pouvoir parcourir en peu de temps des efpaces
très-grands, il n obéit qu'à la faifon; 6c cette faifon
qui lui convient fe retrouvant lliccefTivement la
même dans les différens climats, il les parcourt aufTi
fuccefilvement; en forte que pour lavoir leur hifloire
entière, il faudroit les fuivre par-tout, (5<: commencer
par s'afTurer des principales circonilances de leurs
voyages; connoître les routes qu'ils pratiquent, les lieux
de repos où ils gîtent, leur féjour dans chaque climat,
& les obferver dans tous ces endroits éloignés: ce nell:
donc qu'avec le temps, & je puis dire dans la fuite des
fiècles, que l'on pourra donner Ihilloire des oifeaux
auiïi complètement, que nous avons donné celle d^s
animaux quadrupèdes. Pour le prouver, prenons un
feul oifeau, par exemple, ThirondcIIe, celle que tout
le monde connoît, qui paroît au printemps, difparoît
en automne, cSc fait fon nid avec de la terre contre hs
fenêtres ou dans les cheminées; nous pourrons, en les
obfervant, rendre un compte fidèle (Se afTez exacfl de
leurs mœurs, de leurs habitudes naturelles, <Sc de tout
ce quelles font pendant les cinq ou ilx mois de leur
féjour dans notre pays; maison ignore tout ce qui leur
arrive pendant leur abfence, on ne fait ni où elles vont
ni d'où elles viennent; il y a des témoignages pour &i
contre au fujet de leurs migrations ; les uns affurent
qu'elles voyagent 6l fe tranfportent dans les pays chauds
b lij
xiy Plan de l'Ouvrage.
pour y paiïer le temps de notre hiver; les autres pré-
tendent qu'elles fe jettent dans les marais, & qu'elles y
demeurent engourdies jufqu'au retour du printemps; &.
ces faits, quoique directement oppofés, paroifTent néan-
moins également appuyés par des obfervations réitérées:
comment tirer ia vérité du fein de ces contradictions!
comment la trouver au milieu de ces incertitudes! j'ai
fait ce que j'ai pu pour la démêler; & l'on jugera par
îes foins qu'il faudroit fc donner 6c les recherches qu'il
faudroit faire pour éclaircir ce feul fait, combien il
feroit difficile d'acquérir tous ceux dont on auroit be-
foin pour faire Thilloire complète d'un fcul oifeau de
pafîage, 6: à plus forte raifon l'hilloire générale des
voyages de tous.
Comme j'ai trouvé que dans \qs quadrupèdes il y a
des efpèces dont le fan g fe refroidit (5c prend à peu
près le degré de la température de l'air, (5c que c'cft
ce rcfroidifTcment de leur fang qui caufe l'état de
torpeur (5c d'engoiirdiffcmcnt où ils tombent (5c de-
meurent pendant fhiver; je n'ai pas eu de peine à me
perfuadcr qu'il devoit aufTi fe trouver parmi les oifeaux,
quelques efpèces fujettes à ce même état d'engourdif-
fement caufé par le froid, il me paroiffoit feulement
que cela devoit être plus rare parmi les oifeaux, parce
qu'en général, le degré de la chaleur de leur corps cfl
un peu plus grand que celui du corps de l'homme 6c des
Plan de l'Ouv rag e. av
animaux quadrupèdes; j'ai donc fait des recherches pour
connoîrre quelles peuvent être ces efpèces fujettes à l'en-
gourdi (Tement, <5c pour favoir fi l'hirondelle étoit du
nombre; j'en ai fait enfermer quelques-unes dans une
glacière où je les ai tenues plus ou moins de temps, elles
ne s'y font point engourdies, la plupart y font mortes,
<5c aucune n'a repris de mouvement aux rayons du folcil :
les autres qui n'avoient fouffert le froid de la glacière que
pendant peu de temps, ont confcrvé leur mouvement
& en font forties bien vivantes. J'ai cru devoir con-
clure de ces expériences, que cette efpèce d'hirondelle
n'efi: point fujette à l'état de torpeur ou d'engourdilTe-
ment, que fuppofe néanmoins tSc très-nécefïairement
le fait de leur féjour au fond de l'eau pendant l'hiver:
d'ailleurs m'etant informé auprès de quelques Voya-
geurs dignes de foi, je les ai trouvés d'accord fur le
paiïage des hirondelles au-delà de la Méditerranée; (3c
M. Adanfon m'a pofitivement affuré que pendant le
féjour affez long qu'il a fait au Sénégal, il avoit vu
conflamment les hirondelles à longue queue, c'eft-à-
dire nos hirondelles de cheminée dont il eft ici quef-
îion, arriver au Sénégal dans la faifon même où elles
partent de France, 6c quitter les terres du Sénéoal au
printemps: on ne peut donc guère douter que cette
efpèce d'hirondelle ne paffe en effet d'Europe en
Afrique en automne, &^ d'Afrique en Europe au
A'îy Plan de l'O uv rag e,
printemps; par conféquent, elle ne s'engourdit pas ni
ne fe cache dans des trous, ni ne fe jette dans Icau à
rapproche de l'hiver; d'autant qu'il y a un autre fait,
dont je me fuis aiïliré, qui vient à l'appui des précé-
dens, (Se prouve encore que cette hirondelle n efl point
fu/ette à lengourdiffement par le froid, iSc qu'elle en
peut fupporter la rigueur jufqu'à un certain degré au-
delà duquel elle périt; car fi l'on obfcrve ces oifeauK
quelque temps avant leur départ, on les voit d'abord
vers la fin de la belle faifon voler en flimille, le père,
ia mère &. les petits ; enfuite plufieurs familles fe
réunir & former fucceffivement des troupes d'autant
plus nombreufes que le temps du départ eft plus pro-
chain, partir enfin prefque toutes enfemble en trois
ou quatre jours à la fin de feptembre ou au commen-
cement d'odlobre : mais il en refle quelques-unes , qui
ne partent que huit jours, quinze jours, trois femaincs
après les autres; &. quelques-unes encore qui ne partent
point (Se meurent aux premiers grands froids; ces hi-
rondelles qui retardent leur voyage, font celles dont
les petits ne font pas encore affez forts pour les fuivre.
Celles dont on a détruit plufieurs fois les nids après fa
ponte, (Se qui ont perdu du temps à les reconflruire (5c
à pondre une féconde ou une troifième fois, demeurent
par amour pour leurs petits, (5c aiment mieux Couvrir
i'intempérie de la faifon que de hs abandonner; ainfi
elles
Plan de l! Ouv rag ë. xylj
elles ne partent qu'après les autres, ne pouvant emmener
plus tôt leurs petits, ou même elles reflent au pays
pour y mourir avec eux.
II paroît donc bien démontre par ces faits, que les
hirondelles de cheminée paffcnt fuccelllvement cK alter-
nativement de notre ch'mat dans un ch'mat plus chaud;
dans celui-ci, pour y demeurer pendant l'été, 6c dans
l'autre pour y pafTcr l'hiNcr; (3c que par conféquent
elles ne s'engourdident pas. Mais, d'autre côté, que
peut-on oppofer aux témoignages aflez précis des gens
qui ont vu des hirondelles s'attrouper (5c fe jeter dans
les eaux à l'approche de l'hiver, qui non-fcuIement les
ont vu s'y jeter, mais en ont vu tirer de l'eau, (Se
même de defTous la glace avec des filets! que répondre
à ceux qui les ont vu dans cet état de torpeur, re-
prendre peu à peu le mouvement (5c la vie en les
mettant dans un lieu chaud, t5c en les approchant du
feu avec précaution ! je ne trouve qu'un moyen de
concilier ces faits; c'ell de dire que l'hirondelle qui
s'engourdit n'cll pas la même que celle qui voyage,
que ce (ont deux efpèces différentes que Ton n'a pas
diflinguées faute de les avoir foigneufement comparées.
Si les rats (5c les loirs étoient des animaux aufh fugitifs
(5c audi difficiles à obferver que les hirondelles , (5c
que faute de les avoir regardés d'affez près, l'on prît
ies loirs pour des rats , il fc trouveroit la même
Oifeaux , Terne I. . c
xvii; Plan de l' Ouv rag e.
contradidion entre ceux qui afTurcroient que les rats
s'engourdifTent 6: ceux qui fouliendroient qu'ils ne
s'engourdiffent pas ; cette erreur eft afTez naturelle ,
6c doit être d'autant p^Ius fréquente que les chofcs
font moins connues, plus éloignées, plus difficiles à
obferver. Je préfume donc qu'il y a en effet une
efpèce d'oifeau , voifine de celle de l'hirondelle , &i
peut-être aulTi reffcmbiantc à l'hirondelle que le loir
l'eff au rat, qui s'engourdit en effet; (5<. c'cff vraifem-
hlabîement le petit martinet ou peut-être l'hirondelle
de rivage. II faudroit donc faire fur ces efpèces,
pour reconnoître fi leur fang fe refroidit, les mêmes
expériences que j'ai faites fur riiirondclle de cheminée;
ces recherches ne demandent , à la vérité , que des
foins (Se du temps, mais malheureufement le temps eff
de toutes les chofcs celle qui nous appartient le moins
&. nous manque le plus : quelqu'un qui s'appliqueroit
uniquement à obferver les oifeaùx, & qui fe devoue-
roit même à ne faire que fhiffoire d'un feul genre,
feroit forcé d'employer plu fleurs années à cette efpèce
de travail , dont le réfultat ne feroit encore qu'une
très -petite partie de l'hiffoire générale des oifeaux:
car, pour ne pas perdre de vue l'exemple que nous
venons de donner, fuppofons qu'il foit bien certain
que l'hirondelle voyageufe paffe d'Europe en Afrique;
6c pofons en même temps que nous ayons bien obfervé
Plan de l'Ouvrage, x'^i
tout ce qu'elle fait pendant Çon iejour dans notre
climat, que nous en ayons bien rédigé ies faits, il
nous manquera encore tous ceux qui fe paflcnt dans
fe climat éloigné ; nous ignorons il ces oiienux y
nichent <?c pondent comme en Europe ; nous ne
favons pas s'ils arrivent en plus ou moins grand nombre
qu'ils en font partis ; nous ne connoiffons pas quels
font les infecles fur lefquels ils vivent dans cette terre
étrangère; ies autres circonAances de leur voyage, de
leur repos en route, de leur féjour, font également
ignorées, en forte que l'hiftoire naturelle des oifeaux,
donnée avec autant de détail que nous avons donné
l'hirtoire d^s animaux quadrupèdes, ne peut être l'ou-
vrage d'un feul homme, ni même celui de plufieurs
hommes dans le même temps, parce que non-feule-
ment le nombre des chofes qu'on ignore eft bien plus
gr:\nà que celui d^s choses que Y on Hiit, mais encore
parce que ces mêmes chofes qu'on ignore font prefque
impofTiblcs ou du moins très -difficiles à favoir; (5c
que, d'ailleurs, comme la plupart font petites, inutiles
ou de peu de confequence, les bons efprits ne peu-
vent manquer de les dédaigner , <5c cherchent à
s'occuper d'objets plus grands ou plus utiles.
C'eft par toutes ces confi dérations que j'ai cru devoir
me former un plan différent pour l'hifloire d^s oifeaux
de celui que je me fuis propofé, (5c que j'ai tâché de
cij
XX Plan de l'Ouvrage.
remplir pour l'hiiloire des quadrupèdes: au lieu de
traiter les cifcnux un à un, c'efl-à-drre, par efpèces
dillinc'les (5c féparées, je les réunirai plufieurs enfemblc
fous ww même genre, fans cependant (es confondre (Se
renoncer à les dillin^uer lorfciueiles pourront letre;
par ce moyen, j'ai beaucoup abrégé, (?c j'ai réduit à
une aiïez petite étendue cette hidoire des oifeaux qui
feroit devenue trop voiumineufe, fi d'un côté j'eufle
traité de chaque ef[}èce en particulier en me livrant
aux difcufilons de la nomenclature, (Se que d'autre côté
je n'euffe pas fupprimé, par le moyen (\^s couleurs, la
plus grande partie du long dii'cours qui eût été nécef
faire pour chaque dcfcription. II n'y aura donc guère
que les oifeaux domefliques (Se quelques efpèces ma-
jeures, ou particulièrement remarquables, que je trai-
terai par articles feparés. Tous les autres oifeaux, fur-tout
ies plus petits, feront réunis avec les efpèces voifines,
(Se préfentés enfemble, comme étant à peu près du
même naturel (Se de la même famille; le nombre des
afllnites connue celui des variétés eil toujours d'autant
plus grand que \^s efpèces font plus petites. Un mor-
neau , une fauvette ont peut-être chacun vingt fois
plus de parens que n'en ont l'autruche ou le dindon;
j'entends par le nombre de parens , le nombre des
efpèces Yoifmes (S: afiez rcffemblantes pour pouvoir
être regardées comme des branches collatérales d'une
Plan de l'Ouvrage. xx)
inême tige, ou dune tige fi voifinc d'une autre, qu'on
peut leur fuppofer une louche commune, & préfumer
que toutes font originairement ifTues de cette même
Touche à laquelle elles tiennent encore par ce grand
nombre de reiïemblances communes entr'ellcs; & ces
efpèces voifines ne fe font probablement fcparées les
unes des autres que par les influences du ch'mat, de
la nourriture, vSc par la fuccefîion du temps qui amène
toutes les combinaifons pofllbles tSc met au jour tous
les moyens de variété, de perfedion, d'altération ôi.
de déoénération.
Ce n'cll pas que nous prétendions que chacun de
nos articles ne contiendra réellement 6; exclufivement
que les efpèces qui ont en eflet le degré de parenté
dont nous parlons, il faudroit être plus inflruits que
nous ne le Ibmmes, (?c que nous ne pouvons l'être,
fur les effets du mélange des efpèces 6c fur leur pro-
duit dans les oifeaux ; car , indépendamment des
variétés naturelles & accidentelles qui, comme nous
l'avons dit, font plus nombreufes, plus multipliées
dans les oifeaux que dans les quadrupèdes, il y a
encore une autre caufe qui concourt avec ces variétés
pour augmenter, en apparence, la cjuantité des efpèces.
Les oiiéaux font, en général, plus chauds 6c plus
prolifiques que les animaux quadrupèdes, ils s'uniffent
plus fréquemment , 6c lorfqifils manquent de femelles
c ïij
xxij Plan de l'Ouvrage.
de leur efpèce, ils fe mêlent plus volontiers que les
quadrupèdes avec les efpèces voifines , <3c produifent
ordinairement des métis féconds <5c non pas des mulets
flérilcs: on le voit par les exemples du chardonneret,
du tarin &i du fcrin; les métis qu'ils produifent peu-
vent, en s'unifTant, produire d'autres individus fem-
blables à eux, (5c former par conféqucnt de nouvelles
efpèces intermédiaires 6c pius ou moins reffemblantes
à celles dont elles tirent leur origine. Or, tout ce
que nous faifons par art peut fe faire , (5c se(ï fait
mille <5c mille fois par la Nature; il efl donc Couvent
arrivé des mélanges fortuits (Se volontaires entre les
animaux, (S: fur-tout parmi les oifeaux qui, fou vent,
faute de leur femelle fe fervent du premier mâle qu'ils
rencontrent ou du premier oifeau qui fe préfente:
Je bcfoin de s'unir d\ chez eux d'une nécefîîté fi pref-
faute, que la plupart font malades (5c meurent lorfqu'on
les em.pcche d'y fatisfaire. On voit fouvent dans les
baffe -cours un coq fcvré de poules, fe fervir d'un
autre coq, d'un chapon, d'un dindon, d'un canard;
on voit le faifan fe fervir de la poule, on voit dans
les volières le ferin (5c le chardonneret, le tarin (5c le
ferin , le linot rouoe & la linotte commune fe cher-
cher pour s'unir : <5c qui fait tout ce qui fe paffe en
amour au fond des bois ! qui peut nombrer les
jouiflances illégitimes entre gens d'efpèces différentes!
Plan de l'Ouvrage. xxHJ
qui pourra jamais fcparer toutes les branches bâtardes
des tiges légitimes, affigner le temps de leur première
origine , déterminer en un mot tous les efFets des
puiffances de la Nature pour la multiplication , toutes
fes reiïburces dans le befoin, tous les fupplémens qui
en réfultent, &. qu'elle fait employer pour augmenter
le nombre des efpèces en rempliffant les intervalles qui
femblent les féparer !
Notre ouvrage contiendra à peu près tout ce qu'on
fait des oifeaux, & néanmoins ce ne fera comme l'on
voit qu'un fommafre ou plutôt une efquiiïè de leur
hiltoire; feulement cette efquiffe fera la première qu'on
ait faite en ce genre, car les ouvrages anciens &. nou-
veaux , auxquels on a donné le titre cY/iiJIoire des
Oîfcaux , ne contiennent prefque rien d'hillorique ;
toute imparfaite que fera notre hiiloire, elle pourra
fervir à la poilérité pour en faire une plus complète (?c
meilleure, je dis à la poflérité; car je vois clairement
qu'il fe paffera bien des années avant que nous foyons
auiïi inflruits fur les oifeaux que nous le (bmmes aujour-
d'hui fur les quadrupèdes. Le feul moyen d'avancer
l'Ornithologie hillorique feroit de faire ïh'ido'ivc parti-
culière des oifeaux de chaque pays; d'abord de ceux
d'une feule province, enfuite de ceux d'une province
voifne, puis de ceux d'une autre plus éloignée; réunir,
après cela, ces hilloires particulières pour compofer
xxiu Plan de l'Ouvrage.
celle de tous les oifeaux d'un même climat ; faire Li
même chofe dans tous les pays & dans tous les différcns
climats; comparer enfuite ces hirtoires particulières, les
combiner pour en tirer les faits & former un corps entier
de toutes ces parties féparécs. Or, qui ne voit que cet
ouvrage ne peut être que le produit du temps! quand y
aura-t-il des Obfervateurs qui nous rendront compte de
ce que font nos hirondelles au Sénégal (5c nos cailles en
Barbarie ! qui feront ceux qui nous informeront des
mœurs des .oifeaux de la Chine ou du Monomotapa! &
comme je l'ai déjà fait fentir, cela ^{\-\\ afTez important,
affez utile pour que bien d^s gens s'en inquiètent ou s'en
occupent î Ce que nous donnons ici fervira donc long-
temps comme une bafe ou comme un point de rallie^
ment auquel on pourra rapporter les faits nouveaux que
le temps amènera. Si l'on continue d'étudier & de cultiver
i'hirioire naturelle, les faits fe multiplieront, lesconnoif-
fances augmenteront; notre efquiffe hiftorique, dont
nous n'avons pu tracer que les premiers traits, fc remplira
peu-à-peu & prendra plus de corps; ceft tout ce que
nous pouvons attendre du produit de notre travail , &
c'ell peut-être trop efpérer encore & en même temps
trop nous étendre fur fon peu de valeur.
HISTOIRE
HISTOIRE
NATURELLE.
DISCOURS
SUR LA NATURE DES OISEAUX.
KmmmiaaÊmm^mmamamBgiim
Vif eaux, Tome L . A
HISTOIRE
NATURELLE.
MKMKMMMMKKCMKMMKM)XCMMMMKCMX
Discours fur la nature des Oifeaiix.
JL E mot Nature a dans notre langue 6c dans la
plupart des autres idiomes anciens 6c modernes , deux
acceptions très-différentes; l'une fuppofe un fens adif
6c général; lorfqu'on nomme la Nature purement &
fimplement, on en fait une efpèce d'être idéal , auquel
on a coutume de rapporter, comme caufe, tous les
effets conftans, tous les phénomènes de l'Univers;
l'autre acception ne préfente qu'gn fens paffif 6c par-
Aij
4 Discours
ticulier, en forte que iorfqu'on parle de la nature de
l'iiomme, de celle des animaiiv, de celle des oifeaiix,
ce mot fignifie, ou plutôt indique <5: comprend dans fa
fjgnification la quantité totale, la fomme des qualités dont
îa Nature, prife dans la première acception, a doué
l'homme, les animaux, les oifeaux,,<Scc. Ainfi la nature
aétive , en produifant les êtres, leCir imprime wn ca-
ractère particulier qui fait leur ?idtiire propre 6: paffne,
de laquelle dérive ce qu'on appelle leur naturel , leur
hifl'mél d<. toutes leurs autres hûhhiide s ik facilites naturelles.
Nous avons déjà traité de la nature de l'homme (a)
& de celle des animaux quadrupèdes (l) , la nature
des oifeaux demande des confidérations particulières;
6c quoi(ju'à certains égards elle nous foit moins connue
que celle des. quadrupèdes, nous tâcherons néanmoins
A'qkx faifir les principaux attributs, & de la préfenter
fous fon véritable afpeét, c'eft-à-dire, avec les traits
caraélériHiques & généraux qui la confîiuicnt.
. Le fentiment ou plutôt la ficulté de fentir, Tindin^l
qui n'cft que le réfultat de cette faculté, &^ le naturel
qui n'efl que Texercice habituel de l'indinél guidé <&
même produit par le fentiment, ne font pas» à beau-
coup près, les mêmes dans les différens ctres, ces
qualités intérieures dépendent de Torganifation er. gé-
néral, (Se en particulier de celle des fens, <Sc elles font
ïcjatives, non-feulement à leur plus ou moins grand
• (ûj Hift. nat. gen. & part, tome II , poge ^^ g ù" Juhantes* .
(h) Idem , tom^ IV) p^g^ i Ù" fuiyahUs.,
SUR LA NATURE DES OiSEAVX. 5
cfcgré de pcrfc61ion , mais encore à l'ordre de fupc-
riorité que met entre les fens ce degré de perfedion
ou d'imperfection. Dans l'homme où tout doit être
jugement <Sc railbn , le fcns du toucher ed plus parfait
que dans l'animal où il y a moins de jugement que
de feniiment, &i au contraire l'odorat efl plus parfait
dans l'animal que dans l'homme, parce que le touciur
e[\ le fcns de la connoifTance, & que l'odorat ne peut
ctre que celui du lentiment. Mais comme peu de
gens diftingucnt nettement les nuances qui féparent les
idées Si. les fenfations, la connoifTance & le fentiiaent,
Ja raifon &i l'inflind, nous mettrons à part ce que
nous appelons chez nous nvfoîmcJneîn , difccriiemcnt ,
jugement , ôc nous nous hornerons à comparer les diffé-
rens produits du Hmple fentiment, Si à rechercher les
caufes de la diverfité de l'inflincl qui, quoique varié
à l'infini dans le nombre immenfe des cfpèces d'ani-
maux qui tous en font pourvus, paroit néanmoins être
plus confiant, plus uniforme, pkis régulier , moins
capricieux, moins fujct à l'erreur que ne l'efl la raifoa
dans la feule efpèce qui croit la pofféder.
En comparant les fens qui font les premières puif-
fances motrices de l'inflinél dans tous les animaux,
nous trouverons d'abord que le fens de la vue efl
plus étendu, plus vif, plus net Si plus diflinél dans
Jes oifeaux en général que dans les quadrupèdes;
je dis en général, parce qu'il paroit y avoir des
exceptions des oileaux qui, comme les hibous, voyent
A iij
H
6 Discours
moins qu'aucun des quadrupèdes; mars c'ell un efFef
particulier que nous examinerons à part , d'autant que
fi ces oifeaux voyent mal pendant le jour, ils voyent
très-bien pendant la nuit, & que ce n'efl que par \\ï\
excès de fenfibilité dans l'organe , qu'ils cefTent de
A'oir à une grande lumière : cela même vient à l'appui
de notre afTertion, car la perfedion d'un fens dépend
principalement du degré de fa fenfibilité; 6c ce qui
prouve qu'en effet l'œil efl plus parfait dans Toifeau ,
c'efl que la Nature l'a travaillé davantage. Il y a,
comme l'on fait, àcux membranes de plus, l'une
extérieure ôl l'autre intérieure, dans les yeux de tous
les oifeaux, qui ne fe trouvent pas dans l'homme; la
première fcj , c'efl -à -dire, la plus extérieure de ces
membranes efl placée dans le grand angle de l'oeil,
c'efl une féconde paupière plus tranfparente que la
première, dont les mouvemens obéiffent également à
la volonté, dont l'ufage eu de nétoyer (Se polir la
cornée, <5c qui leur fert auffi à tempérer l'excès de la
lumière, <Sc ménager par conféquent la grande fenfi-
bilité de leurs yeux; la féconde fdj efl fituée au fond
(c) Nota. Cette paupière interne Cç. trouve dans plufieurs animaux
quadrupèdes; mais, dans la plupart, elle n'eft pas mobile comme dans
les oifeaux.
(d) Dans les yeux d'un coq Indien, le nerf optique, qui etoit fitué
fort à côté, après avoir percé la fclérotique & la choroïde, s'élargifloit
éc formoit un rond , de la circonférence duquel il partoit pluljcurs
fiieis ooirs qui s'unifloient pour former une membrane , que nous
SUR LA NATURE DES Ol SEAUX. J
de l'œil , (5c paroît être un épanouifTement du nerf
optique, qui recevant plus immédiatement les impref-
fions de la lumière, doit dès-lors être plus aifément
ébranlé, plus fenfible qu'il ne Tell dans les autres
animaux, & c'efl cette grande fenfibilité qui rend la
vue des oifeaux bien plus parfaite <5c beaucoup plus
étendue. Un épervier voit d'en haut, 6c de vingt fois
plus loin une alouette fur une motte de terre , qu'un
homme ou un chien ne peuvent l'apercevoir. Un
milan qui s'élève à une hauteur fi grande que nous le
perdons de vue,, voit de - Jà les petits lézards, les
mulots, les oifeaux, (Se choifjt ctw\ fur lefqucls il veut
fondre,, <S<: cette plus grande étendue dans le fens de
la vue, efl accompagnée d'une netteté, d'une pré-
cifion tout auffi grandes, parce que Torgane étant en
même temps très - fouple (Se très - fenfible , l'œil fe
renfle ou s'aplatit , fe couvre ou fe découvre , fe
avons trouv(^e dans- tous les oifeaux. — Dans les yeux de l'autruche,
le nerf opticjue ayant percé la fclérotique & la choroïde, fe dilatoit
& formoit une efpèce d'entonnoir d'une fubftance (einblable à la
ficnne ; cet entonnoir n'crt pas ordinairement rond aux oifeaux , oii
nous avons prcfque toujours trouvé Textrémité du nerf optique
aj)Iaiie & comprimée au-dedans de l'œil : de cet entonnoir fonoit une
membrane pliffée , faifant comme une bourfe qui aboutiffoit en pointe.
Cette bourfe , qui étoit large de fix lignes par le bas , à la fortie du
nerf oj^tique, & qui alloit en pointe vers le haut, étoit noire, mais
d'un nuire noir que n'efl celui de la choroïde, qui paroît comme,
enduite d'une couleur détrempée qui s'attache aux doigts; car c'étoif
une membrjne pénétrée de fi couleur, & dont la furface étoit folidc-
Mim. pour fen'ir à l'HiJl* des animaux , pages ly^ ^ 3 ^S"
s Discours
rctrccit ou s'élargit, &i prend aifément, promptemcnft
<?c alternativement toutes les formes néccfïïiires pour
agir ÔL voir parfaitement à toutes les lumières Sl à
toutes les diflances.
D'ailleurs le fens de la vue étant le feul qui produife
les idées du mouvement, le feul par lequel on puifTe
comparer immédiatement les efpaces parcourus ; Si les
oifeaux étant de tous les animaux les plus habiles, les
plus propres au mouvement, il n'efl pas étonnant qu'ils
aient en même temps le fens qui le guide plus parfait
& plus fur ; ils peuvent parcourir dans un très - petit
temps un grand cfpace, il faut donc qu'ils en voyenC
l'étendue 6i même les limites. Si la Nature, en leur
donnant la rapidité du vol, les eût rendus myopes,
ces deux qualités euffent été contraires, l'oifeau n'au-
roit jamais ofé fe fervir de fa légèreté, ni prendre \m
effor rapide, il n'auroit fait que voltiger lentement,
dans la crainte des chocs <Sc des réfiflances imprévues.
La feule vîtelTe avec laquelle on voit voler un oifeau,
peut indiquer la portée de fa vue, je ne dis pas la
portée abfolue, mais relative; un oifeau dont le vol
ell très-vif, dire£l &. foutenu , voit certainement plus
loin qu'un autre de même forme, qui néanmoins fe
meut plus lentement <5c plus obliquement; ôl fi jamais
la Nature a produit des oifeaux à vue courte 6c à
vol très - rapide , ces efpèces auront péri par cette
contrariété de qualités, dont l'une non-feulement em-
fcche l'exercice de l'autre , mais expofe l'individu à
des
SUR LA NATUnE DFS OîSEAUX, 9
des rifques fans nombre, d'où l'on doit prérumer que
les ojfeaux dont le vol efl le plus court & le plus
ient, font ceux aufTi dont la vue efl la moins étendue :
comme l'on voit, dans les quadrupèdes, ceux qu'on
nomme P^ireffèux (l'unau &. l'aï) qui ne fe meuvent que
lentement, avoir \es yeux couverts &. la vue baiïe.
L'idée du mouvement & toutes les autres idées qui
l'accompagnent ou qui en dérivent, telles que ceWes
des vîtefTes relatives, de la grandeur dçs efpaces , de
la proportion des hauteurs , des profondeurs <&: des
inégalités des iuvhccs , font donc plus nettes , Se
tiennent plus de place dans la tête de l'oifeau que
dans celle du quadrupède; 6i il femble que la Nature
ait voulu nous indiquer cette vérité par la proportion
qu'elle a mife entre la grandeur de l'œil cSc celle de
la tcte : car dans les oifeaux , les yeux font pro-
portionnellement beaucoup plus grands fej que dans
l'homme &. dans les animaux quadrupèdes; ils font
plus grands, plus organifés , puifqu'il y a deux mem-
branes de plus, ils font donc plus fenhbles; <Sc dès-
lors ce fens de la vue plus étendu , plus diflin(5l &
^e) Le globe de l'œil, dans une aigle femelle, avoit, dans la plus
grande largeur , un pouce & demi de diamètre ; celui du mâle avoit
trois lignes de moins. Aférn. pour fervïr à l'H'iJl. des animaux , partie II,
page 2 ^ j. — Le globe de l'œil de l'ibis avoit fix lignes de diamètre....
L'œil de la cio-ognc étoit quatre fois plus gros. Jdim, partie III ,
page 48^. —Le globe de l'œil, dans le caloar, étoit fort gros à
proportion de la cornée , ayant un pouce & demi de diamètre , & U
cornée n'ayant que trois lignes. Idem, partie II, page jf/j.
Oifeaux, Tome L . B
10 Discours
plus vif dans i'oifeau que dans le quadrupède , doî!
influer en même proportion fur l'organe intérieur du
fentiment, en forte que l'inflinâ; des oifeaux fera par
cette première caufe modifié différemment de celui
des quadrupèdes.
Une féconde caufe qui vient à Tappui de la pre-
mière, c5c qui doit rendre l'inllind: de Toifcau différent
de celui du quadrupède , c'efl l'élément qu'il habite
<5c qu'il peut parcourir fans toucher à la terre. L'oifeau
connoît peut-être mieux que l'homme tous les degrés
de la rcfiilance de l'air, de fa température à différentes
hauteurs, de fa pcfnntcur relative, &c. Il prévoit plus
que nous , il indiqueroit mieux que nos baromètres
& nos thermomètres les variations, les changemens
qui arrivent à CQi élément mobile; mille Sl mille fois
il a éprouvé fes forces contre celles du vent, <Sc plus
fouvent encore il s'en efl aidé pour voler plus vite <Sc
plus loin. L'aigle en s'élevant au-dcffus des nuages (f),
(f) Noîû. On peut démontrer que l'aigle, & les autres oifeaux de
haut vol, s'élèvent à une hauteur fupérieure à celle des nuages, en
panant même du milieu d'une plaine, & ian5. luppofer qu'ils gagnent
les montagnes qui pourroient leur iervir d'échelons; car, on les voit
s'élever fi haut qu'ils dilparoifleni à notre vue. Or, l'on fait qu'un
objet éclairé par la lumière du jour ne difparoît à nos yeux qu'à la
«iiilance de trois mille quatre cents trentc-fix fois fon diamètre , 3c
que par conféquent fi l'on fuppofe l'oileau placé perpendiculairement
au-defTus de l'homme qui le regarde, & que le diamètre du vol ou
ï'envergure de cet oifeau foit de cinq pieds, il ne peut dilparoître
qu'à la djftauce de dix-fept raille cent quatre - viiigts pieds ou deuui
SUR LÀ NATURE DES OiSEAUW II
peut paffer tout - à - coup de l'orage dans le calme,
jouir d'un ciel ferein <Sc d'une lumière pure , tandis
que les autres animaux dans l'ombre font battus de la
tempête; il peut en vingt -quatre heures changer de
climat, (5c planant au-defTus des diiïcrentes contrées,
s'en former un tableau dont Tliomme ne peut avoir
d'idée. Nos plans à vue d'oifeau, c[u\ font ù \ongs , fi
diffîcilesàfaire avec exactitude, ne nous donnent encore
que des notions imparfaites de l'inégahté relative des
furfaces qu'ils repréfentent : l'oifeau qui a la puilfance
de fe placer dans les vrais points de vue, & de \es
parcourir promptement 6: fuccefTivement en tout fens,
en voit pkis , d'un coup d'œil , que nous ne pouvons
en eftimer, en juger par nos raifonnemens, même
appuyés de toutes les combinaifons de notre art; &. le
quadrupède borné , pour ainfi dire , à la motte de
terre fur laquelle il eft né, ne connoît que fa vallée,
fa montagne ou fa plaine; il n'a nulle idée de l'en-
femble des furfaces , nulle notion des grandes d'iÇ"
tances, nul defir de les parcourir; & c'efl par cette
raifon que les grands voyages & les migrations font
aufTi rares parmi les quadrupèdes, qu'elles font fré-
quentes dans les oifeaux ; c'efl ce defir , fondé fur
la connoiffance des lieux éloignés, fur la puiffance
qu'ils fe fentent de s'y rendre en peu de temps , fur
mille huit cent foixante - trois tôifes, ce qui fait une hauteur bien
plus grande que celle des nuages, fur -tout de ceux qui produifeni
les orages.
Bij
Î2 DISCOURS
ja notion anticipée des changemens de 1 atmofphère,;
êc de l'arrivée des faifons, qui les détermine à partir
enfcmble & d'un commun accord: dès que les vivres
commencent à leur manquer, dès que ie froid ou le
chaud les incommodent, ils méditent leur retraite;
d'ahord ils femblent fe ra/Tembler de concert pour
entraîner leurs petits, Si leur communiquer ce même
defir de changer de climat, que ceux-ci ne peuvent
encore avoir acquis par aucune notion, aucune con-
noifïïince, aucune expérience précédente. Les pères <?c
mères raflemblent leur famille pour la guider pendant
la traverfée , & toutes les familles fe réuni/Tent, non-
feulement parce que tous les chefs font animés du
même defir, mais parce qu'en augmentant les troupes,
ils fe trouvent en force pour rcfifter à leurs ennemis.
Et ce deHr de changer de climat, qui communé-
ment fe renouvelle deux fois par an , c'efl-à-dire, en
automne & au printemps, eft une efpèce de befoin ii
pre/Jant, qu'il femanifefte dans les oifeaux captifs par les
inquiétudes les plus vives. Nous donnerons à l'article
de la caille un détail d'obfervations à ce fujet, par lef-
<juelles on verra que ce defir eft l'une des aftécftions
les plus fortes de i'inftind: de l'oifeau; qu'il n'y a rien
qu'il ne tente dans ces deux temps de l'année pour
fe mettre en liberté, Sl que fouvent il fe donne Ja
mort par les efforts qu'il fait pour fortir de fa captivité;
au lieu que dans tous les autres temps il paroit fa
fupponer tranquillement, ôl mcme chérir fa prifoji
SUR LA NATURE DES OiSEAUX, 13
s'il s'y trouve renfermé avec fa femelle dans la faifon
des amours: lorfque celle de Ja migration approche,
on voit les oifeaux libres, non-feulement fe raffembler
en famille, fe réunir en troupes, mais encore s'exercer
à faire de longs vols , de grandes tournées, avant que
d'entreprendre leur plus grand voyage. Au refle , les
circonftances de ces migrations varient dans les diffé-
rentes efpèces ; tous les oifeaux voyageurs ne fe
rcuniiïent pas en troupes, il y en a qui partent feuls ,
d'autres avec leurs femelles Si leur famille, d'autres qui
marchent par petits détachemens , <Scc. Mais avant
d'entrer dans le détail que ce fujct exige (gj, conti-
nuons nos recherches fur les caufes qui conflituent
Tindind;, 6c modifient la nature des oifeaux.
. L'homme fupérieur à tous les êtres organifés , a le
fens du toucher, <Sc peut-être celui du goût plus parfait
qu'aucun des animaux, mais il eft inférieur à la plupart
d'cntr'eux par les trois autres fens: & en ne comparant
que les animaux entr'eux, il paroît que la plupart des
quadrupèdes ont l'odorat plus vif, plus étendu que ne
Tont les oifeaux; car quoiqu'on dife de l'odorat du
corbeau, du vautour, <&c. il e(l fort inférieur à celui
du chien, du renard, &c. on peut d'abord en juger
par la conformation même de l'organe ; il y a wn.
grand nombre d'oifeaux qui n'ont point de narines,
c'eft-à-dire, point de conduits ouverts au-defïïis du
(g) Notd. Nous donnerons dans un autre Difcours les faits qui
Oiu rapport à la migrailoA Ued oifeaux.
JB il)
74 Discours
bec, en forte qu'ils ne peuvent recevoir les odeurs
que par la fente intérieure qui eft dans la bouche ; &:
dans ceux qui ont des conduits ouverts au-deflus du
bec (h)f 6c qui ont plus d'odorat que les autres, les
nerfs olfadlifs font néanmoins bien plus petits propor-
tionnellement , & moins nombreux , moins étendus
que dans les quadrupèdes ; auffi Todorat ne produit
dans l'oifeau que quelques effets affez rares , affez
peu remarquables, au lieu que dans le chien <5c dans
plufieurs autres quadrupèdes , ce fens paroît être
la fource <Sc la caufe principale de leurs détermina-
tions 6c de leurs mouvemens. Ainfi le toucher dans
l'homme, l'odorat dans le quadrupède <Sc VœW dans
i'oifeau, font les premiers fens, c'eft-à-dire, ceux qui
font les plus parfaits , ceux qui donnent à ces différens
êtres les fenfations dominantes.
Apres la vue, l'ouïe me paroît être le fécond fens
de l'oifeau , c'efl-à-dire, le fécond pour la perfedion ;
Touïe eft non -feulement plus parfaite que l'odorat,
le goût Si le toucher dans l'oifeau, mais même plus
parfaite que l'ouïe des quadrupèdes; on le voit par la
( h )\\y z. ordinairement à la partie fupe'ricure du bec , deux petites
ouvertures , qui font les narines de l'oileau ; quelquefois ces ouver-
tures extérieures de l'oifeau manquent tout-à-faii, en forte que dans
ce cas les odeurs ne pénètrent jufqu'au fens de i'odorat que par
la fente intérieure qui efl dans la bouche comme dans quelque*
palettes , les cormorans , i'onocrotal. — Dans le grand vautour, les
nerfs olfacîlifs font très-petits à proportion. ////?. de l'Acad. des Se*
tome I, page ^^ 9.
SUR LA NATURE DES OiSEAUX, i$
facilité avec laquelle la plupart des olfeaux retiennent
ôc répètent des fons & des fuites de fons, <^ même
la parole ; on le voit par le plaifir qu'ils trouvent
à chanter continuellement, à gazouiller fans cefTe ,
fur -tout lorfqu'ils font le plus heureux, c'eft-à-dire,
dans le temps de leurs amours; ils ont les organes de
l'oreille 6c de la voix plusfouples Si plus puiiïans, ils
s'en fervent auffi beaucoup plus que les animaux qua-
drupèdes. La plupart de ceux-ci font fort filencieux,
<5c leur voix qu'ils ne font entendre que rarement, eft
prefque toujours défagréable & rude; dans celle des
oifcaux, on trouve de la douceur, de l'agrément, de
la mélodie; il y a quelques efpèces dont, à la vérité ,
la voix paroit infupportabie , fur-tout en la comparant
à celle des autres, mais ces efpèces font en affez petit
nombre. Se ce font les plus gros oifeaux que la Nature
femble avoir traités comme les quadrupèdes, en ne
leur donnant pour voix qu'un feul ou plufieurs cris qui
paroilTent d'autant plus rauques , plus perçans Si plus
forts, qu'ils ont moins de proportion avec la grandeur
de l'animal; un paon, qui n'a pas la centième partie
du volume d'un bœuf, fe fait entendre de plus loin;
un roihgnol peut remplir de fes fons tout autant
d'efpace qu'une grande voix humaine: cette prodi-
gicufe étendue , cette force de leur voix dépend en
entier de leur conformation , tandis que la continuité
de leur chant ou de leur fdence ne dépend que de
leurs affeétions intérieures; ce font deux chofes qu'il
faut conûdérer à part,
ft6 Discours
L'oifcau a d'abord les mufcles pectoraux beaucoup
plus charnus ôc plus forts que l'homme ou que tout
autre animal , <Sc c'ell: par cette raifon qu'il fait agir
fes aiies avec beaucoup plus de vîtefle Se de force
que l'homme ne peut remuer fes bras; Se en même
temps que les puifTances qui font mouvoir les ailes
font plus grandes, le volume des ailes eft au/fi plus
étendu, <Sc la maffe plus légère, relativement à la gran-
deur Se au poids du corps de i'oifeau; de petits os
vides ôi minces, peu de chair, des tendons fermes &
des plumes avec une étendue fouvent double, triple
Se quadruple de celle du diamètre du corps, forment
l'aile de Toifeau qui n'a befoin que de la réadtion de
l'air pour foulever le corps, Se de légers mouvemens
pour le foutenir élevé. La plus ou moins grande facilité
du vol , fes difFérens degrés de rapidité , fa diredlion
même de bas en haut Se de haut en bas dépendent de
la combinaifon de tous les réfultats de cette confor-
mation. Les oifeaux dont l'aile Se la queue font plus
longues Se le corps plus petit, font ceux qui volent le
plus vite <Sc le plus long temps; ceux au contraire qui,
comme l'outarde, le cafoar ou l'autruche, ont les ailes
Se la queue courtes, avec un grand volume de corps,
ne s'élèvent qu'avec peine, ou même ne peuvent
quitter la terre.
La force des mufcles, la conformation des ailes,
l'arrangement des plumes & la légèreté des os, font
ks caufes phyûques de l'effet du vol qui paroît fatiguer
fi peu
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. IJ
fi peu la poitrine de l'oifcau, que c'efl fouvcnt dans
ce temps même du vol qu'il fait le plus retentir fa voix
par des cris continus; c'efl que dans l'oifeau le thorax,
avec toutes les parties qui en dépendent ou qu'il con-
tient , eft plus fort ou plus étendu à l'intérieur & à l'ex-
térieur qu'il ne l'efl dans les autres animaux; de même
que les mufcles pectoraux placés à l'extérieur font plus
gros, la trachée -artère eft plus grande <Sc plus forte,
elle fe termine ordinairement au-deffous en une large
cavité qui multiplie le volume du fon. Les poumons plus
grands, plus étendus que ceux des quadrupèdes, ont
-plufieurs appendices qui forment des poches, des
efpèces de réfervoirs d'air qui rendent encore le corps
de l'oifeau plus léger, en même temps qu'ils fourniffent
aifément ôc abondamment la fubdance aérienne qui
fert d'aliment à la voix. On a vu dans l'hilloire de
l'ouarine ^ij , qu'une affez légère différence , une
cxtenfion de plus dans les parties folides de l'organe,
donne à ce quadrupède qui n'efl que d'une gran-deur
médiocre, une voix fi facile &. fi forte qu'il la fait
retentir, prcfque continuellement, à plus d'une lieue
de diflance, quoique les poumons foient conformes
comme ceux des autres animaux quadrupèdes; à plus
grande raifon, ce même effet fe trouve dans l'oifeau
où il y a un grand appareil dans les organes qui doivent
produire les fons, <Sc où toutes les parties de la poitrine
('i)Voy. Hifloire naturelle, gcncrale & particulière; volume XVt
page 6 & fuivûntcs,
ûifeaiix , Tome I, . C
î8 Discours
paroi/Tent être formées pour concourir à la force 3c
à la durée de la voix (kj .
II me femble qu'on peut démontrer, par des faits,
combinés, que la voix des oifeaux eft non -feulement
plus forte que celle des quadrupèdes, relativement au
volume de leur corps, mais même absolument, <5c fans
y faire entrer ce rapport de grandeur: communément
les cris de nos quadrupèdes domefliques ou fauvagcs ne
fe font pas entendre au -<\Q\k d'un quart ou d'un tiers
de lieue, (Se ce cri fe fait dans la partie de l'atmofphère
la plus denfe, c'eft-à-dire , la plus propre à propager
le Ion ; au lieu que la voix des oifeaux qui nous parvient
(k) Dans ïa plupart des oiiêaiix de rivière, qui ont h voix très-
forte , ia trachte réfonne ; c'efi: que la glotte efi: placée au bas de la
trachée , & non pas au haut comme dans l'homme. Coll. Acad.
Pûrî. Fr. tome I, page ^j? 6. — Il en efl de même dans le coq. H\fi. .
de L'Acad. tome II, page 7. —Dans les oircaux , &. fpécLiIement
dans les canards & autres oifeouK de rivière, bs organes de ia voix
confident en un larynx interne, à rendroit de la bifiarcation de la trachée-
artère; en deux anches membraneule^ , riui communiquent par Le bas
à l'origine des deux premières branchés de la trachée ; en pluficurs
membranes fémilunaires , dii'poft^s les «nés au-dedus des autres, dans
les principales branches du poumon charnu, & qui ne rempljiïejtj
^i\t la moitié de leur cavité, laLûTant à l'aix wi libre partage par l'autre
demi-cavité; en d'autres njcmbranes diipoiées en différens fens , foit
dans la partie moyenne, foit dans la partie inférieure de la trachée;
enfin , en une membrane plus ou moins folide , fituéc prefque
tranlverfalement entre les deux branches de la lunette, Ltquelle termine
«ne cavité qui (è rencontre conftammcnt à la partie Aipérieurc &
interne de la poitrine. Além» de l'Acad. des Sciences, année tJSS»
page 2^ e.
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. I9
tîii haut des airs, fe fait dans un milieu plus rare, Se
•où il faut une plus grande force pour produire le même
effet. On fait par des expériences faites avec la ma-
chine pneumatique, que le fon diminue à mefure que
i'air devient plus rare; 6c j'ai reconnu, par une obfer-
vation que je crois nouvelle, combien la différence de
cette raréfadion influe en plein air. J'ai fouvent pafTé
des jours entiers dans les forêts où l'on efl obligé de
^'appeler de loin , Si d'écouter avec attention , pour
entendre le fon du cors & la voix des chiens ou des
hommes; j'ai remarqué que dans le temps de la plus
grande chaleur du jour, c'efl-à-dire, depuis dix heures
jufqu'à quatre, on ne peut entendre que d'affez près les
mêmes voix, les mêmes fons, que l'on entend de
ioin le matin, le foir & fur-tout la nuit dont le fdencc
ne fait rien ici , parce qu'à l'exception des cris de
quelques reptiles ou de quelques oifeaux nod;urncs, i[
n'y avoit pas le moindre bruit dans ces forêts ; j'ai de
plus obfcrvc qu'à toutes les heures du jour Se de la nuit,
on entcndoit plus loin en hiver par Ja gelée que par
le plus beau temps de toute autre faifon. Tout le
monde peut s'afTurer de la vérité de cette obfervation,
qui ne demande, pour être bien faite, que la fimple
attention de choifir les jours fereins Si caJmes, pour
que le vent ne puifTe déranger le rapport que nous
venons d'indiquer dans h propagation du fon; il m'a
fouvent paru que je ne pouvois entendre à midi que
de fjx cents pas de diflance la même voix que j'en-
20 Discours.
t^nJoîs de douze ou quinze cents à (\x heures dn
matin ou du foir, fans pouvoir attribuer cette grande
différence à d'autre caufe qu'à la raréfadlion de l'air
plus grande à midi, Ôi moindre le foir ou le matin;
& puifque ce degré de raréfaction fait une diffé-
rence de plus de moitié fur la diftance à laquelle peut
s'étendre le fon à la furface de la terre, c'eft-à-dire,
dans la partie la plus baffe (Se la plus denfe de i'atmo-
fphère , qu'on juge de combien doit être la perte dtl
fon dans les parties fupérieures où l'air devient plus,
rare à mesure qu'on s'élève, & dans une proportion.
Lien plus grande que celle de la raréfaction caulée par
la chaleur du jour I Les oifeaux dont nous entendons
la voix à'tn liant, Si fouvent fans les apercevoir, font
alors élevés à une hauteur égale à trois mille quatre
cents trente - fix fois leur diamètre, puifque ce n'efl
qu'à cette diflance que l'œil humain ceffe de voir les
objets. Suppofons donc que l'oifeau avec fes ailes
étendues faffe un objet de quatre pieds de diamètre, il
ne difparoîtra qu'à la hauteur de treize mille fept cents
quarante-quatre pieds ou de plus de deux mille toifes;
ÔL fi nous fuppofons une troupe de trois ou quatre
cents gros oifeaux, tels que des cigognes, des oies,
des canards, dont quelquefois nous entendons la voix
avant de les apercevoir, l'on ne pourra nier que la
hauteur à laquelle ils s'élèvent ne foit encore plus
grande, puifque la troupe, pour peu qu'elle foit ferrée,
forme un objet dont le diajnètre eft bien plus grand*
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 2 1
Ainfi roifcau en fe faifant entendre d'une lieue du
haut des airs, <5c produifaot des fons dans un milieu
qui en diminue l'intenfité <Sc en raccourcit de plus de
moitié la propagation , a par conféquent la voix quatre
fois plus forte que l'homme ou le quadrupède, qitt
ne peut fe faire entendre à une demi-lieue fur la fur-
face de la terre; &, cette efîimation cfl peut-être plus
foible que trop forte ,. car indépendamment de ce que
nous venons d'expofcr , il y, a encore une. confidcrar
tion qui vient à l'appui de nos conclufions , c'efl que
le fon rendu dans le milieu des airs, doit en fe propa^
géant remplir une fphère dont l'oifcau e(l le centre,
tandis que le fon produit à la furface de la terre, ne
remplit qu'une demi -fphère , & que la partie du fon
qui fe réfléchit contre la terre , aide Si fert à la pro-
pagation de celui qui s'étend en haut & à côté; c'eil
par cette raifon qu'on dit. que la \o\x monte, <5c que
de deux perfonnes qui fe parlent du haut d'une tour
en bas , celui qui efl au - dciïus efl forcé de crier
beaucoup plus haut que l'autre, s'il veut s'en faire
également entendre.
Et à l'éîîard de la douceur de la voix Si de ra<rré-
ment du chant des oifeaux , nous obferverons que
c*e(l une qualité en partie naturelle &i en partie acquife;
la grande facilité qu'ils ont à retenir Si répéter les fons*
fait que non-feulement, ils en empruntent les uns des
autres, mais que fouvent ils copient les inflexions, les
tons, dit; la voix humaine <Sc de nos inflrumens. N'efl-il
C \\\
in. Discours
pas fingulier que dans tous les pays peuples âc policés,
la plupart des oiTeaux aient la voix charmante Si le
chant mélodieux, tandis que dans l'immenfe étendue
des défertsde l'Afrique ôi de l'Amérique, où l'on n'a
trouvé que des hommes fauvages, il n'exifte au/Tj que
des oifeaux criards , &. qu'à peine on puifTe citer
<juelques efpèces dont la voix foit douce & le chant
agréable! doit -on attribuer cette différence à la feule
influence du climat ! l'excès du froid Se du chaud
produit , à la vérité , des qualités exceïïives dans la
nature des animaux, 6c fe marque fouvent à l'extérieur
par des caraftères durs Se par des couleurs fortes. Les
quadrupèdes dont la robe efl variée Se empreinte de
couleurs oppofées, femée de taches rondes, ou rayée
de bandes longues, tels que les panthères, les léopards,
les zèbres, les civettes, font tous des animaux des
climats les plus chauds; prefque tous les oifeaux de
ces mêmes climats brillent à nos yeux des plus vives
couleurs, au lieu que dans les pays tempérés, les
teintes font plus foibles, plus nuancées, plus douces :
fur trois cents efpèces d'oifeaux que nous pouvons
compter dans notre climat, le paon, le coq, le loriot,
ie martin- pêcheur, le chardonneret, font prefque les
feuls que l'on puifTe citer pour la variété des couleurs,
tandis que ia Nature femble avoir épuifé {es pinceaux
fur le plumage des oifeaux de l'Amérique , de l'Afrique
êi. de rfnde. Ces quadrupèdes dont la robe efl fi belle,
ces oifeaux dont le plumage éclate des plus vives
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 2J
couleurs, ont en même temps la voix dure 6c fans
inflexions, les fons rauques 6c difcordans, le cri dcfa-
grcaf)le 6c même effrayant ; on ne peut douter que
l'influence du climat ne foit la caufe principale de ces
effets, mais ne doit-on pas y joindre, comme caufe
fecondaire , l'influence de l'homme! Dans tous les
animaux retenus en domeflicité ou détenus en capti-
vité, les couleurs naturelles 6c primitives ne s'exaltent
jamais , 6c paroifl[ent ne varier que pour fe dé-
grader, fe nuancer 6c fe radoucir; on en a vu nojnLre
d'exemples dans les quadrupèdes, il en efl de même
dans les oifeaux domefliques; les coqs 6c les picreons
ont encore plus varié pour les couleurs que les chiens-
ou les chevaux. L'influence de l'homme fur la Nature
s'étend bien au-delà de ce qu'on imagine; il influe
diredement 6c prefque immédiatement fur le naturel
fur la grandeur 6c la couleur des animaux qu'il pro-
page 6c qu'il s'cfl foumis; d influe mcdiatement 6c
de plus loin fur tous les autres qui, quoique libres,
habitent le même climat. L'homme a changé, pour
fa plus grande utilité , dans chaque pays la fur/âce de
la terre; les animaux qui y font attachés, 6c qui font
forcés d'y chercher leur fubfiflance, qui vivent, en ur»
mot, fous ce même climat 6c fur cette mèmt terre
dont l'homme a changé la nature, ont dû changer
aufll 6c fe modifier; ils ont pris par nécefllté iphÇicms
habitudes qui paroifl!ent faire partie de leur nature;
ils en ont pris d'autres par cram(e, qui ont altéré ^
^^ Discours
.dégradé leurs mœurs, ils en ont pris par imitation.;
.enfin ils en ont reçu par l'éducation , à mefure qu'ils
en étoient plus ou moins rufceptibies ; le chien s'ell
j^rodigieufement perfedionné par le commerce de
l'homme, fà férocité naturelle s'efl tempérée, & a
cédé à la douceur de la reconnoifïïmce & de l'attache-
ment, dès qu'en lui donnant fa fubfjftance , l'homme
■a fatisfait à fes befoins: dans cet anim.al, les appétits
Jes plus véhémens dérivent de l'odorat <Sc du goût , deux
iens qu'on pourroit réunir en un feul , qui produit les
fenfations dominantes du chien & des autres animaux
carnaffiers , defquels il ne diffère que par un point
de fenfibilité que nous avons augmenté; une nature
moins forte , moins fière., moins féroce que celle du
tigre, du léopard ou du lion; un naturel dès - lors plus
flexible, quoiqu'avec des appétits tout au/fi véhémens,
s'efl néanmoins modifié, ramolli par les impreiïîons
douces du commerce des hommes dont l'influence
n'efi pas auiïï grande fur les autres animaux, parce que
ies uns ont une nature revèche , impénétrable aux
afîc(5tions douces; que les autres font durs, infenfibles
ou trop défians ou trop timides; que tous jaloux de
leur liberté fuient l'homme, & ne le voyent que comme
leur tyran ou leur deflruéteur.
L'homme a moins d'influence fur les oifeaux (\\\e,
fur les quadrupèdes, parce que leur nature efl plus
éloignée, <5c qu'ils font moins fufceptibles des fenti-
iiiens d'attacliement ôi d'obéiifance; les oifeaux que
nous
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 2J
nous appelons domejliqucs , ne font que prifonniers , ils
ne nous rendent aucun -fervicc pendant leur vie, ils
ne nous font utiles que par leur propagation , c'cfl-à-
dire, par leur mort; ce font des vi6limes que nous
multiplions fans peine, & que nous immolons fans
regret 6: avec fruit. Comme leur inflind diffère de
celui des quadrupèdes , <5c n a nul rapport avec le
nôtre, nous ne pouvons leur rien infpirer direcflement,
ni même leur communiquer indircdlement aucun fen-
timent relatif, nous ne pouvons influer que fur la
machine, & eux auiïi ne peuvent nous rendre que
machinalement ce qu'ils ont reçu de nous. Un oifcau
dont l'oreille e(l affez délicate , affcz prècife pour
faifir & retenir une fuite de fons (5v même de paroles,
<Sc dont la voix efl affez flexible pour les répéter dif-
tindlement, reçoit ces paroles fans les entendre, <Sc
les rend comme il les a reçues; quoiqu'il articule des
mots, il ne parle pas, parce que cette articulation de
mots n'émane pas du principe de la parole, &. n'en efl
qu'une imitation qui n'exprime rien de ce qui fe paffe
à l'intérieur de l'animal, <5< ne repréfentc aucune de
fes affedions. L'homme a donc modifié dans les
oifcaux ([uclques puifÏÏinces phyfiques, quelques ([Ua-
iités extérieures, telles que celles de l'oreille &. de la
voix, mais il a moins influé fur les qualités intérieures.
On en inflruit quelques-uns à chaffer &. même à rap-
porter leur gibier; on en apprivoife quelques autres
alfez pour les rendre familiers; à force d'habitude, oa
Oifcaux , Tome 1, . D
z6 Discours
les amène an point de s'atlaclier à leur prifon , de
reconnoitre aiifli la perlbnne qui les foigne; mais tous
ces fentimens font bien légers , bien peu profonds
en comparaifon de ceux que nous tranimettons aux
animaux quadrupèdes, &. que nous leur communiquons
avec plus de fuccès en moins de temps & en plus
grande quantité. Quelle comparaifon y a-t-il entre
l'attachement d'un chien <Sc la familiarité d'un ferin ,
entre l'intelligence d'un éléphant <Sc celle de l'autruche ,
qui néanmoins paroît être le plus grave, le plus réfléchi'
des oifeaux , foit parce que l'autruche eft en effet
l'éléphant des oifeaux par la taille , & que \c privilège de
l'air fenfé eft, dans les animaux, attaché à la grandeur,
foit qu'étant moins oifeau qu'aucun autre, & ne pou-
vant quitter la terre, elle tienne en efîèt de la nature
des quadrupèdes l
Maintenant, fi l'on confidère la voix des oifeaux^
indépendamment de l'influence de l'homme; que l'on
fépare dans le perroquet, le ferin, le fanfonnet, le
merle, les fons qu'ils ont acquis, de ceux qui leur
font naturels; que fur -tout on ohferve les oifeaux
libres &. folitaires, on reconnoitra que non-feulement
leur voix fe modifie fuivant leurs affeélions , mais
même qu'elle s'étend, fe fortifie, s'altère, fe change,
s'éteint ou fe renouvelle félon les circonflances cSc le
temps: comme la voix eft de toutes leurs facultés
l'une des plus faciles, 6i dont l'exercice leur coûte le
moins, ils s'en fervent au point de paroître en abufcr,
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 2y
Si ce ne font pas les femelles qui (comme on poiirroit
Je croire) abiifent le plus de cet organe: elles font,
dans lesoifeaux, bien plus filencieufes que les mâles;
elles jettent, comme eux, des cris de douleur ou de
crainte; elles ont des expredions ou des murmures
d'inquiétude ou de foilicitude, fur - tout pour leurs
petits, mais le chant paroit être interdit à la plupart
d'entr'elles, tandis que dans le mâle, c'efl Tune des
qualités qui fait le plus de fenfuion. Le chant efl le
produit naturel d'une douce émotion , c'efl l'expre/Fion
agréable d'un defir tendre, qui n'eft qu'à demi fatisfait:
le ferin dans fa volière, le verdier dans les plaines,
le loriot dans les bois , chantent également leurs
amours à voix éclatante , à laquelle la femelle ne répond
que par quelques petits fons de pur confentement ;
dans quelques efpèces , la femelle applaudit au chant
du mâle par un femblable chant, mais toujours moins
fort cSc moins plein; le roffignol en arrivant avec les
premiers jours du printemps, ne chante point encore,
il garde le fil en ce jufqu'à ce qu'il foit apparié; fon
chant efl d'abord affez court, incertain, peu fréquent,
comme s'il n'étoit pas encore fur de fa conquête, Se
fa voix ne devient pleine, éclatante Si foutenue jour
Si nuit, que quand il voit déjà fa femelle chargée du
fruit de fcs amours, s'occuper d'avance des foins ma-
ternels; il s'empreffe à les partager, il l'aide à conf-
truire le nid, jamais il ne chante avec plus de force
6c de continuité que quand il la voit travaillée des
Dij
zS Discours
douleurs de la ponte, & ennuyée d'une longue 5:
continuelle incubation; non-feuleincnt il pourvoit à fa
fubridance pendant tout ce temps, mais il cherche à
le rendre plus court, en multipliant ïts careiïes , en
redoublant Tes acccns amoureux ; & ce qui prouve que
le chant dépend en effet & en entier des amours, c'eft
qu'il c- iTe avec elles: dès que la femelle couve, elle
ne cliante plus, & vers la fin de juin, le mâle fe tait
aufTi , ou ne fe fait entendre que par quelques fons
rauqucs, fcmblabks au coaffement d'un reptile, & fi
différcns deS j^remiers , qu'on a de la peine à fe per-
fuader que ces fons viennent du ro/Iignol, ni même
d'un autre oifeau.
Ce chant qui ceiïe & fe renouvelle tous tes ans, &
qui ne dure que deux ou trois mois ; cette voix dont
ks beaux fons n'éclatent que dans la faifon de l'amour ,
qui s'altère enfuite Sl s'éteint comme la flamme de ce
feu fatisfàit , indi(|ue un rapport phyHque entre les or-
ganes de la génération Si ceux de la voix; rapport (jui
paroît avoir une corrcfpondance plus précife, &i des
effets encore plus étendus dans l'oifeau. On fait <jue
dans l'homme, la voix ne devient pleine qu'après la
puberté; que dans les quadruj)èdcs , elle fe renforce
6c devient effrayante dans le temps du rut. la rcpiélion
des vadfeaux ipermatiques, la furabondance de la nour-
riture organique, excitent une grande irritation daiib les
parties de la génération ; celles de la gorge &. Je la
voix paroiflent fercffenljrplus ou moins de cette chaleur
SUR LA NATURE DES OlSEAUX. 29
irritante , la croifîance de la barbe, la force de la voix ,
l'extenfion de la partie génitale dans le mâle , i'accroif-
fement des manielles , le développement des corps
glanduleux dans la femelle, qui tous arrivent en même
temps , indiquent afTez la correfpondance dts parties
de la génération, avec celles de la gorge Sl de la voix.
Dans les oifeaux , les changemens font encore plus
grands; non-feulement ces parties font irritées, altérées
ou changées par ces mêmes caufes, mais elles paroiffent
même fe détruire en entier pour fe renouveler : les
tcfliculcs , qui, dans l'homme 6: dans la plupart des
quadrupèdes , font à peu près les mêmes en tout temps,
feUétriffcnt dans les oifeaux, & fe trouvent pour ainfr
dire réduits à rien, après la fiifon des amours au retour
de la(|uelle ils renaiffent, prennent une \ie végétative,
& gro/TilTent au-delà de ce que femble permettre la
proportion du corps: le chant qui ceffe <Sc renaît dans
les mêmes temps, nous indique des altérations relatives
dans le gofier de l'oifeau ; & il feroit bon d'obferver
s'il ne fe fait pas alors dans les organes de fa voix
quchjuc production nouvelle, quelqu'extenfon confi-
dérable , qui ne dure qu'autant que le gonflement des
parties de la génération.
Au refte, l'homme paroît encore avoir influé fur
ce fcntiment d'amour le plus profond de la Nature, il
femble au moins qu'il en ait étendu la durée Si multi-
plié les etîets dans les animaux quadrupèdes 6^ dans
les oiieaux qu'il retient en domefliçiié ; les oifeaux de
Diij
30 Discours
Lafle-cour 6c les quadrupèdes domefîiques, ne fonr
pas bornés comme ceux qui font libres à une feule
faifon, à un feul temps de rut; le coq, le pigeon, le
canard, peuvent comme le cheval, le bélier 6: le chien,
s'unir Sl produire prefqu'en toute faifon , au lieu que
les quadrupèdes & les oifeaux fauvages, qui n'ont
reçu que la feule influence de la Nature, font bornés
à une ou deux faifons, ôc ne cherchent à s'unir que
dans ces feuis temps de l'année.
Nous venons d'expofer quelques-unes des principales
qualités dont la Nature a doué les oifeaux, nous avons
tâché de reconnoître les influences de l'homme fur
leurs facultés, nous avons vu qu'ils l'emportent fur lui
Si fur tous les animaux quadrupèdes, par l'étendue (Se
la vivacité du fens de la vue , par la précifion , la fenfi-
bililé de celui de l'oreille, par la facilité <& la force
de la voix, (Se nous verrons bientôt qu'ils l'emportent
encore de beaucoup parles puiflances de la génération,
(& par l'aptitude au mouvement qui paroît leur être
plus naturel que le repos; il y en a, comme les oifeaux
de paradis, les mouettes, les martin-pêcheurs, ôlc. qui
femblent être toujours en mouvement, (Se ne fe repofer
que par inftans; plufieurs fe joignent, fe choquent,
femblent s'unir dans l'air; tous faififfent leur proie en
volant fans fe détourner, fans s'arrêter; au lieu que
ie quadrupède efl forcé de prendre des points d'appui,
des momens de repos pour fe joindre, Si que l'inflant
où il atteint fa proie efl la fin de fa courfe : l'oifeau
SUR LA NATURE DES Ol SEAUX. 31
peut donc faire dans l'état de mouvement plufieiirs
clîofes qui, dans le quadrupède, exigent l'c'tatde repos;
il peut aufli faire beaucoup plus en moins de temps ^
parce qu'il fe meut avec plus de vîtefTe, plus de con-
tinuité , plus de durée : toutes ces caufes réunies influent
fur les habitudes naturelles de l'oifeau , 6c rendent
encore fon inflinél différent de celui du quadrupède.
Pour donner quelque idée de la durée <5c de la
continuité du mouvement des oifeaux , & auiïi de la
proportion du temps (Se des efpaces qu'ils ont coutume
de parcourir dans leurs voyages, nous comparerons
leur vîtelfe, avec celle des quadrupèdes, dans leurs
plus grandes courfes naturelles ou forcées; le cerf, le
renne (5c l'élan peuvent faire quarante lieues en un
jour; le renne, attelé à un traîneau, en fait trente fIJ,
Si peut fouten'ir ce même mouvement plufieurs jours
de fuite : le chameau peut faire trois cents lieues en
huit jours fmj; le cheval élevé pour la courfe ôi choifi
parmi les plus légers &. les plus vigoureux, pourra
faire une lieue en fix ou fept minutes, mais bientôt fa
viteffe fe ralentit. Si il feroit incapable de fournir une
carrière un peu longue qu'il auroit entamée avec cette
rapidité : nous avons cité l'exemple de la courfe d'un
Anglois frj, qui fit en onze heures trente -deux mi-
nutes foixante-douze lieues en changeant vingt-une fois
^IJ Hiftoire naturelle, générale & particulière, tome XII.
(m) Idem, tome //, page :z2^.
(n) Idem, tome IV, page J2_^J.
32 Discours
de cheval; ainfi les meilleurs chevaux ne peuvent pas
faire quatre iieues dans une heure, ni plus de trente
lieues dans un jour. Or, la vîtefTe des oiieaux efl bien
plus grande, car, en moins de trois minutes, on perd
de vue un gros oifcau , un milan qui s'éloigne, un
aigle qui s'élève Si. qui préfente une étendue dont le
diamètre efl de plus de quatre pieds; d'où Ton doit
inférer que l'oifeau parcourt plus de fept cents cinquante
toifes par minute, ôi qu'il peut fe tranfporter à vingt
iieues dans une heure : il pourra donc aifément par-
courir deux cents lieues tous les jours en d\x heures
de vol , ce qui fuppofe plufieurs intervalles dans le
jour, 6i la nuit entière de repos. Nos hirondelles 6c
nos autres oifeaux voyageurs, peuvent donc fe rendre
de notre climat fous la Ligne en moins de fept ou
huit jours. M. Adanfon (oj a vu & tenu, à la côte
du Sénégal, des hirondelles arrivées le 9 oétobre,
c'efl-à-dire huit ou neuf jours après leur déparc
d'Europe. Pietro délia Valle dit, qu'en Perfe (pj , le
pigeon meffager fait en un jour plus de chemin qu'un
homme de pied ne peut en faire en fix. On connoît
i'hifloire du faucon de Henri II, qui s'étant emporté
après une canepetière à Fontainebleau , fut pris le len-
demain à Malte, <Sc reconnu à l'anneau qu'il portoit;
celle du faucon des Canaries f^), envoyé au duc de
(o) Voyage au Sénégal, par M. Adanfon.
(p) Voyage de Pietro della Valie, tome 1 , page ^i ^,
(q) Obfery. de Sir Edmund Scoty, Voy. Purchajf. pag. 785.
Lerme ^
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 3J
Lerme, qui revint cI'AnJaloude à l'île de TénérifFe
en feize heures , ce qui fait un trajet de deux cents
cinquante lieues. Hans Sloane (^r) afTure qu'à la Bar-
bade , les mouettes vont fe promener en troupes à plus
de deux cents milles de diflance, &i qu'elles reviennent
le même jour. Une promenade de plus de cent trente
lieues, indique affez la pofFjbilité d'un voyage de deux
cents; <Sc je crois qu'on peut conclure de la combi-
naifon de tous ces faits, qu'un oifeau de haut vol peut
parcourir chaque jour quatre ou cinq fois plus de
chemin que le quadrupède le plus agile.
Tout contribue à cette facilite de mouvement dans
l'oifeau, d'abord les plumes dont la fubllance efl très-
légère , la furface très-grande , <Sc dont les tuyaux font
creux; enfuite l'arrangement (fj de ces mêmes plumes,
la forme des ailes convexe en defTus Si concave en
deffous , leur fermeté , leur grande étendue <Sc fa force
des mufcles qui les font mouvoir; enfin la légèreté
même du corps, dont les parties les plus maiïives,
telles que les os , font beaucoup plus légères que celles
des quadrupèdes ; car les cavités dans les os des oifeaux
font proportionnellement beaucoup plus grandes que
(r) A voyage to the ijlands .... With the natural H'ijïory ly Sir Hans
Sloane. London , tome I , page 27.
(f) Voyez fur la flruâure & l'arrangement des plumes, les re-
marques & oblêrvations de M/* de l'Académie des Sciences dans les
Mémoires pour fervir à l'Hifloire des animaux , partie 11 , a l'article
d€ /'Autruche.
Oifeaux, Tome L . E
^
34 Discours
dans les quadrupèdes , 6c les os plats qui n'ont point
de cavités font plus minces 6c ont moins de poids.
<c Le fqueiette (tj de l'onocrotaie, difent les Anato-
« mifles de l'Académie, eft extrêmement léger, il ne
pefoit que vingt-trois onces quoiqu'il foit très-grand ».
Cette légèreté des os diminue confidérablcment le
poids du corps de l'oifeau , 6c l'ori reconnoitra, en
peilmt à la balance liydroflatique, le fqueiette d'un
quadrupède 6c celui d'un oifeau, que le premier efl
fpécifiquement bien plus pefant que l'autre.
Un fécond eftet très remarquable, 6c que Ton doit
rapporter à la nature des os , eil la durée de la vie
des oifeaux, qui en général eft plus longue 6c ne fuit
pas les mêmes règles, les mêmes proportions que
dans les animaux quadrupèdes. Nous avons vu que
dans l'homme 6c dans ces animaux , la durée de la
vie efî toujours proportionnelle au temps employé à
l'accroifîèment du corps, 6: en même temps nous
avons obftrvé qu'en général , ils ne font en état d'en-
gendrer que lorfqu'ils ont pris la plus grande partie de
leur accroiffement. Dans les oifeaux raccroiffement eft
plus prompt, 6l la reproduclion ])lus précoce; un jeune
oifeau peut fe fervir de fes pieds en fortant de la
coque, 6v de fcs ailes peu de temps après; il p(ut
marcher en naiffant & voler un mois ou cinq femaincs
après ià naiiïance; un coq eft en état d'engendrer à
ft) Mémoires pour fervir à i'Hiftoire des animaux, j)arùe 1 1 J,
nnlile du Ptiic.m.
SUR LA NATURE DES OlSEAUX. 35
Tage (Je quatre mois, & ne prend Ton entier accroif-
fement qu'en un an ; les oifeaux plus petits le prennent
en quatre ou cinq mois; ils croifTcnt Jonc plus vite
ôi produifent bien plus tôt que les animaux quadru-
pèdes, Sl néanmoins ils vivent bien plus long-temps
proportionnellement; car, la durée totale de la vie
étant dans l'homme 6i dans les quadrupèdes, fix ou
fcpt fois plus grande que ctWt de leur entier accroif-
fement; il s'enluivroit que le coq ou le perroquet qui
ne font qu'un an à croître ne devroient vivre que fix
ou fcpt ans , au lieu que j'ai vu grand nombre d'exemples
bien diiîcrens; des linottes prifonnières <Sc néanmoins
âgées de quatorze Si quinze ans , des coqs de vingt
ans (Se des perroquets âgés de plus de trente; je fuis
même porté à croire que leur vie poiirroit s'étendre
bien au-delà des termes que je viens d'indiquer ^u) ,
Si je fuis perfuadé qu'on ne peut attribuer cette longue
durée de la vie dans des êtres auffi délicats , & que
les moindres maladies font périr, qu'à la texture de
leurs os dont la fubflance moins folide, plus légère que
^uj Un homme digne de foi m'<i afTuré qu'un perroquet âge d'en-
viron quarante ans, avoit pondu (Ims le concours d'aucun mâle, au
moins de Ton efpèce. — On a dit qu'un cygne avoit vécu trois cents
ans; une oie, quatre-vingts; un onocrotale autant. L'aigle & Je
corbeau pafTent pour vivre très-long-temps. Encyclopédie , à l'article
O'ifeau. — Aldrovandc rapporte qu'un pigeon avoit vécu vino-t-deux
ans , & qu'il n'avoit ceflé d'engendrer que les fix dernières années
de fa vie. — Willulghby dit que les linottes vivent quatorze ans, &
fcs chardonnerets vingt-trois , &c.
36 Discours
celle Jes os Jes quadrupèdes, refte plus long-temps
poreufe; en forte que l'os ne fe durcit, ne fe remplit,
ne s'obflrue pas auffi vite à beaucoup près que dans
les quadrupèdes; cet endurcifTement de ia fubflance des
os elî, comme nous l'avons dit, la caufe générale de
la mort naturelle: le terme en efl d'autant plus éloigne
que les os font moins folides, c'efl par cette raifon
qu'il y a plus de femmes que d'hommes qui arrivent
à une vieiliclTe extrême; c'eft par cette même raifon
que les oifeaux vivent plus long-temps que les quadru-
pèdes, & les poiiïons plus long-temps que les oifeaux,.
parce que les os des poilîons font d'une fubflance
encore plus légère, 6c ([ui conferve fa duélilité plus
long- temps que celle des os des oifeaux.
Si nous voulons maintenant comparer un peu plus
en détail les oifeaux avec les animaux quadrupèdes,
nous y trouverons plufieurs rapports particuliers, qui
nous rappelleront l'uniformité du plan général de la
Nature; il y a dans les oifeaux, comme dans les qua-
drupèdes , des efpèces carnaifières , 6c d'autres aux-
quelles les fruits, les grains, les plantes fuffifent pour
fe nourrir. La même caufe phyfique qui produit dans
J'homme <Sc dans les animaux la néceffité de vivre
de chair <Sc d'alimens très- fubflanciels, fe retrouve
dans les oifeaux ; ceux qui font carnaiTiers n'ont qu'un .
eflomac <Sc des inteflins moins étendus que ceus. qui
fe nourriffcnt de grains ou de fruits fxj; le jabot dans
(x) En général, aux oifeaux qui fc nourrHTent de chair, les inteflins
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 37
ceux-ci, 6c qui manque ordinairement aux premiers,
correfpond à la panfe des animaux ruminans ; ils peuvent
vivre d alimens légers ôi maigres, parce qu'ils peuvent
en prendre un grand volume en rempli/Tant leur jabot,
<&. compenfer ainfi la qualité par la quantité; ils ont
deux cœairn Si un géiier qui efl: un eflomac très-
mufculcux , très-ferme , qui leur fcrt à triturer les parties
dures des grains qu'ils avalent, au lieu que les oifeaux
de proie ont les intedins bien moins étendus, ôi n'ont
ordinairement ni géfier, ni jabot, ni double cœciim.
Le naturel 6c les mœurs dépendent beaucoup des
appétits, en comparant donc à cet égard les oifeaux
aux quadrupèdes , il me paroît que l'aigle noble (Si-
généreux ell le lion ; que le vautour, cruel, infatiable,
efl le tigre; le milan, la bufe, le corbeau, qui ne
cbercbcnt que les vidanges & les cbairs corrompues,
font les byxnes, les loups & les cbacafs; les faucons,
les éperviers, les autours (Se les autres oifeaux cliaffeurs,
font les chiens, les renards, les onces (Se les lynxs;
les chouettes qui ne voient <Sc ne chaffent que la nuit,
feront les chats; les hérons, les cormorans qui vivent
de poifTons, feront les caflors <Sc les loutres; les pies
feront les fourmiliers , puifqu'ils fe nourrilTent de
même en tirant également la langue pour la charger
font courts , & ils n'ont que très - peu <je ccecum. Dans les oifeaux
granivores , les inteflins font beaucoup plus étendus , lSl ils forment
de longs replis; il y a aufli louvent pludeurï» cœcum. Voye-^ les Aïémoires
pourjernrà l'H'ijioire des animaux, aux anUles des Oileaux.
E iij
38 Discours
cfc fourmis. Les paons , les coqs, les dindons, touâ
les oifeaux à jabot repréfentent les bœufs, les brebis,
les chèvres Si. les autres animaux ruminans; de manière
qu'en établiffant une échelle des appétits, &i préfentant
le tableau des différentes façons de vivre, on retrouvera
dans les oifeaux les mêmes rapports &i les mêmes
différences que nous avons obfervées dans les quadru-
pèdes, & même les nuances en feront peut-être plus
variées; par exemple, les oifeaux paroiffent avoir vm
fonds particulier de fubfiftance, la Nature leur a livré,
pour nourriture , tous les infectes que les quadrupèdes
dédaignent: la chair, le poiiïbn, les amphibies, les
reptiles, les infeéles, les fruits, les grains, lesfcmences,
les racines, les herbes, tout ce qui vit ou végète de-
vient leur pâture; & nous verrons qu'ils font affez
indifférens fur le choix. Si que fouvent ils fuppléent
à l'une des nourritures par une autre. Le fens du goût
dans la plupart des oifeaux efl prefque nul, ou du
moins fort inférieur à celui des quadrupèdes; ceux-ci,
dont le palais S: la langue, font à la vérité moins dé-
licats que dans l'homme, ont cependant ces organes
plus fenfibles & moins durs que les oifeaux dont la
langue eft prefque cartilagineufe; car, de tous les oi-
feaux, il n'y a guère que ceux qui fe nourriffent de chair
dont la langue foit molle 6c affez femblable, pour la
fubilance, à ceWe des quadrupèdes. Ces oïi^esiux auront
donc le fens du goût meilleur que les autres, d'autant
qu'ils paroiffent auffi avoir plus d'odorat, Sl que la
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 39
finefTe de l'odorat fupplée à la grofTièretc du gcùt;
mais , comme l'odorat efl plus (oihle & le tacfl du
goût plus obtus dans tous les oifeaux que dans les
quadrupèdes , ils ne peuvent guère juger des faveurs ;
auin voit-on que la plupart ne font qu'avaler , uns ja-
mais favourer; la maftication qui fait une grande partie
de la jouiffance de ce fens, leur manque; ils font, par
toutes CCS rai Ton s , fi peu délicats fur les alimens,
que qucl(|uefois ils s'empoifonncnt en voulant fe
nourrir (yj.
C'cll donc fans connoifTance 6i fans réflexion, que
quelques Naturalises CiJ ont divifé les genres des
(y) Nota. Le perfil, le café, les amandes amcres, &c. font un
poifon pour les poules, les perroquets & plufieurs autres oifeaux,
qui néanmoins les mangent avec autant d avidité que les autres nour-
ritures qu'on leur ofire.
(l) Nota. M. Frifch, dont l'ouvrage eft d'ailleurs très-recomman-
dable à beaucoup dVgards *, d\\\iQ tous les oifeaux en douze
claffcs , dont la première comprend les petits oifeaux à bec court dX
épais , ouvrant les graines en deux parties égales ; la féconde contient
les petits oifeaux à bec menu , mangeant des mouches ù" des vers ; la
troificme, les merles & les grives ; la quatrième, les pics , coucous»
huppes éT' perroquets ; la cinquième, les geais Ù" les pies ; fa fixièmc,
les corbeaux à^ corneilles ; la fcjnitme , les 0 féaux de proie diurnes ;
la huitième , les oifeaux de proie noâurnes ; la neuvième , les puules
àomcfiijues & fiuvages ; la dixième, les pigeons domejliques Ù' fiuvages ;
ia onzième , les oies , canards & autres animaux nageans ; la douzième.
Us oifeaux qui aiment les eaux & les lerreins aquatiques. On voit bicri
•HiHoiie dci Oileaiix , avec des pfancfics coloriéa, par M. FriTch, en AUcnMnd,
^cux vuluiscj itt-j^olio, imprimer à £crlin en ijjô»
40 Discours
oifeaijx par leur manière de vivre; cette idée eût été
plus applicable aux quadrupèdes , parce que leur goût
étant plus vif <Sc plus fenfible , leurs appétits font plus
décides, quoique l'on puifTe dire avec raifon des qua-
drupèdes comme des oifeaux, que la plupart de ceux
qui fe nourrifTent de plantes ou d'autres alimens maigres,
pourroient aulTi manger de la chair. Nous voyons les
poules, les dindons <Sc les autres oifeaux qu'on appelle
grûîîh'orcs, rechercher les vers, les infedles, les par-
celles de viande, encore plus foigneufement qu'ils ne
cherchent les graines; on nourrit avec de la chair ha-
chée le ro/fignol qui ne vit qued'infed;es;les chouettes
qui font naturellement carnaffières , mais qui ne
peuvent attraper la nuit que des chauve-fouris, fe ra-
battent fur les papillons -phalènes qui volent au /fi dans
que l'habitude d'ouvrir les graines en deux parties égales ne doit pas
faire un caradère, puifque dans cette même clafîè il y a des oifeaux,
comme les méfànges, qui ne les ouvrent pas en deux, mais qui les
percent & les déchirent ; que d'ailleurs tous les oilcaux de cette
première clafTe , qui font fuppofés ne fe nourrir que de graines,
mangent aufli des iniedes & des vers comme ceux de la féconde :
il valoit donc mieux réunir ces deux claflcs en une, comme l'a fait
AI. Linnoeus *; ou bien, M. Frifch , qui prend pour caradère de
la première clafîe cette manière de manger les graines , auroit dû faire
en conféquence une clafle particulière des mélanges & des autres
oifeaux qui les percent ou les déchirent, & en même temps il n'au-
roit dû fliire qu'une feule claiïè des poules & des pigeons qui les
avalent également fans les percer ni les ouvrir en deux ; & néanmoins
il fait des poules & des pigeons deux clafîes féparées.
* Lina. Syd. nat. édit. x, tome 1, page Sf»
l'obfcijrité :
SUR TA NATURE DES OiSEAUX. 41
l'ohfcLirité: le bec crochu n'efl pas, comme le difent
les gens amoureux des caufes finales, un indice, un
figne certain d'un appétit décidé pour la chair, ni un
infirument fait exprés pour la déchirer , puifquc les
perroquets & pludeurs autres oifeaux dont le bec eft
croclui, (emblent préférer les fruits & les graines à la
cliair; ceux (jui font les plus voraces , les plus carnaf-
ficrs, niangent du poiffon, des crapauds, des reptiles,
Jorf [ue la chair leur manque. Prefjue tous les oifeaux
qui paroiffent ne vivre que de graines, ont néanmoins
été nourris dans le premier âge par leurs pères <Sc
mères avec des infecftes. Ainfi rien n*e(l plus gratuit
êi moins fondé que celte di\ifion des oifeaux, tirée
de leur manière de vivre, ou de la différence de leur
nourriture; jamais on ne déterminera la nature d'un
ctre par un feul cara(5tère ou par une feule hal^itude
naturelle, il faut au moins en réunir plufieurs, car
plus les cara(5lères feront nombreux, Si moins la mé-
thode aura d'imperficftion ; mais, comme nous l'avons
tant dit (5c répété, rit n ne peut la rendre complète
que riiifloire ôi la defcription de chaque efpèce en
^arùculitr.
Comme la maflication manque aux oifeaux, que le
bec ne reprcfente qu'à certains égards la mâchoire
des quadrupèdes; que même il ne peut fuppiéer que
très-imparfâitement à l'office des dents (^iij, qu'ils font
fûj Dans les perroquets & daus beaucoup d'autres oifeaux , la parue
fupérieure du Lee eiï mobile coiiime Jaiférieu«; au lieu que dans
Oijtaux, Ivme L . F
42 Discours
forcés d'avaler les graines entières ou à demi - con-
cafîées , &: qu'ils ne peuvent les broyer avec le bec,
ils n'auroicnt pu les digérer , ni -par conféquent fe
nourrir, fi leur eflomac eut été conformé comme celui
des animaux qui ont des dents; les oifeaux granivores
ont de*s géfiers , c'eft - à - dire, des eftomacs d'une
fubliance affez ferme 6: affez folide pour broyer les
alimens , à l'aide de quelques petits cailloux qu'ils
avalent; c'cfl comme s'ils portoient &i plaçoient à
chaque fois des dents dans leur eflomac où l'adlion
du broyement <Sc de la trituration par le frottement (bj
cft bien plus grande que dans les quadrupèdes 6; même
les animaux quadrupèdes il n'y a que h mâchoire inférieure qui foit
mobile.
^bj De tous les animaux il n'y en a point dont la digeflion foit plus
Êivorable au fyftème de la trituration , que celle des oifèau'x ; leur
géfier a toute la force & la diredion de fibres néce/faires, &: les
oifeaux voraces qui ne {ê cfonnent pas le loifir de féparer l'écorce
dure des graines qu'ils prennent pour nourriture , avalent en même
temps de petites pierres par le moyen defquelles leur géfier, en (t
coniradant fortement, caffe ces écorces; c'cft-là une vraie trituration,
mais ce n'efl: que celle qui dans les autres animaux appartient aux
dents ; feulement elle eft tranfpofée dans ceux - ci & remife à leur
eftomac , ce qui n'empêche pas Ces liqueurs de diffoudre les graines
dépouillées de leur écorce par le broyement ou frottement des petites
pierres : avant cet eftomac il y a encore une efpècc de poche qui
doit y verfer une grande quantité de fuc blanchâtre, puifque même
après la mort de l'animal on peut l'en exprimer en la preffani légè-
rement. M. Helvetius ajoute qu''on trouve quelquefois dans i'œfophage
du cormoran des poiflons à demi-digérés. Hjfioïre de l'Acadîmk Un
Sciences, annà iyi$, page ^j»
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 43
dans les animaux carnaiïiers qui n'ont point de géfier,
mais un eflomac fouple <Sc aiïez fembiahle à celui des
autres animaux : on a obfervé que ce feul frottement
dans le géfier, avoit rayé profondément, & ufé prefque
aux trois quarts plufieurs pièces de monnoie qu'on
avoit fait avaler à une autruche fcj.
De la même manière que ia Nature a donné aux
quadrupèdes qui fréquentent les eaux, ou qui habitent
les pays froids, une double fourrure 6c des poils plus
ferrés, plus épais; de même tous les oifcaux aquatiques
<Sc ceux des terres du nord, font pourvus d'une grande
quantité de plumes Si d\\n duvet très-fin, en forte
qu'on peut juger, par cet \nd\cc , de leur pays natal, 6c
de l'élément auquel ils donnent la préférence. Dans
tous les climats, les oileaux d'eau font à peu-près éga-
lement garnis de plumes, &i ils ont près de la queue
des groffes glandes , des efpèces de réfervoirs d'une
fc) On trouva dans l'eftomac d'une autruche julqu'à foixante-dix
doubles , la plupart confumés prefque des trois quarts , «Se rayés par
le frottement mutuel & par celui des cailloux , & non pas par aucune
dilfolution , parce que quelques-uns de ces doubles qui étoicnt creux
à'xin côté & bo/Tus de l'autre étoient tellement ulcs 6<. luifins du
côté de la bofTe , qu'il n'y paroifloit plus rien de la figure de la
monnoie qui étoit demi-ufée & entière de l'autre côté que la cavité
avoit défendu du frottement ; il efl: certain que cette cavité n'eût
pas garanti le côté où elle étoit de i'acflion d'un efprit difToIvant.
Ai ém Dires pour fcrv'ir a VH'ifloire des animaux, tome J, page i^^
àf 1 40. — Une piflole d'or d'Elpagne avalée par un canard, avoit
perdu feize grains de fon poids lorfqu'il l'a rendue. Collée. Aead.
partie étrangère > tome V, page i q j.
Fij
4.4. Discours
matière Iniileufe dont ils fe fervent pour liiflrer Se
vernir leurs plumes; ce qui, joint à leur cpaifTeur, les
rend impénétrables à i'eau qui ne peut que gliiïer fur
leur furface; les oifeaux de terre manquent de ces
glandes, ou les ont beaucoup plus petites.
Les oifeaux prefque nus, tels (}ue l'autruche, le
cafoar, le dronte , ne fe trouvent que dans les pays
chauds; tous ceux des pays froids font bien fourrés
6c bien couverts; les oifeaux de haut vol ont befoin
de toutes leurs plumes pour réfifter au froid de la
moyenne région de l'air. Lorfqu'on veut empêcher
un aigle de s'élever trop haut, & de fe perdre à nos
yeux, il ne faut que lui dégarnir le ventre, il devient
dès-lors trop fenfible au froid pour s'élever à cette
grande hauteur.
Tous les oifeaux, en général, font fujets à la mue
comme les quadrupèdes; la plus grande partie de leurs
plumes tombent Si fe renouvellent tous les ans, <Sc
même les effets de ce changement font bien plus
fenfibles que dans les quadrupèdes ; la plupart àcs
oifeaux font fouffrans & malades dans la mue, quel-
ques - uns en meurent , aucun ne produit dans ce
temps; la poule la mieux nourrie ceffe alors de pondre,
la nourriture organique qui auparavant étoit employée
à la reproduélion , fe trouve confommée, abforbée
&. au-delà par la nutrition de ces plumes nouvelles,
6i cette même nourriture organique ne redevient
furabondante que quand elles ont pris leur entière
SUR LA NATURE DES OiSEAUX, 45
croifTance. Communcment c'cfl vers la fin de Tété 6c
en automne que les oifeaux muent ^<^; les plumes re-
naifTent en mcme temps, la nourriture abondante qu'ils
trouvent dans cette faifon , eft en grande partie con-
fommée par la croifTance de ces plumes nouvelles, <?c
ce n'efl que quand elles ont pris leur entier accroifTe-
inent, c'efl-à-dire , à l'arrivée du printemps, que ia
furabondance de la nourriture, aidée de la douceur
de la faifon, les porte à l'amour; alors toutes les
plantes renaiffent, les infeéles engourdis fe réveillent
ou fortent de leur nymphe, la terre femble fourmiller
de vie ; cette chère nouvelle qui ne paroît préparée
que pour eux, leur donne une nouvelle vigueur, un
furcroît de vie, qui fe répand par l'amour, <Sc fe réalife
par la rcproduél:ion.
On croiroit qu'il efl aufTi efTentiel à l'oifeau de
voler, qu'au poiffon de nager, <Sc au quadrupède de
marcher; cependant il y a, dans tous ces genres, des
exceptions à ce fiit général; & de mcme que dans les
quadrupèdes il y en a, comme les rouffettes, les rou-
/dj Les oifeaux donielliques , comme les poules , muent ordi-
nairement en automne ; & c'eft avant la fin de l'été que les faifans
& les perdrix entrent dans la mue : ceux qu'on garde en parquet
dans les faiianderics muent immédiatement après leur ponte faite. Dans
ia campagne, c'eft vers la fin de juillet que les perdrix ôc les faifans
fubilîeni ce changement; leulement les femelles qui ont des petits
entrent dans la mue quelques jours plus tard. Les canards fauvages
muent aufll avant la fin de juillet. Ces remarques mont été données
par M. le Roy , Lieutenant des Chajfes à Verfailles.
1^^ • • •
r iij
;^6 Discours
g-ettes & les ciiauve-foLiris , qui volent 6c ne marchent
pas, d'autres qui, comme \qs phoques, les morfes (Se
les lamantins, ne peuvent que nager, ou qui , comme
les cadors (?c \ts loutres, marchent plus dilîrcilemcnt
qu'ils ne nagent; d'autres enfin qui, comme les parcf-
feux, peuvent à peine fe traîner. De même dans les
oifeaux on trouve l'autruche, le cafoar, ledronte, le
thouyou , (5vc, qui ne peuvent voler, <S: font réduits à
marcher; d'autres, comme les pingoins, les perroquets
de mer, (5cc. qui volent 6c nagent, mais ne peuvent
marcher; d'autres qui, comme \ts> oifeaux de paradis,
ne marchent ni ne nagent, 6c ne peuvent prendre de
mouvement qu'en volant. Seulement, il paroit que
l'élément de l'eau appartient plus aux oifeaux qu'aux
quadrupèdes; car, à l'exception d'un petit nombre
d'efpèces, tous les animaux terreflres fuient l'eau, 6c
ne nagent que quand ils y font forcés par la crainte ou
par le befoin de nourriture ; au lieu que dans les
oifeaux, il y a une grande tribu d'efpèces qui ne fe
plaifent que fur l'eau, 6c fembient n'aller à terre que
par néceffité 6c pour des befoins particuliers , comme
celui de dépofer leurs œufs hors de l'atteinte des
eaux, 6cc. 6c ce qui démontre que l'élément de l'eau
appartient plus aux oifeaux qu'aux animaux terreflres,
c'eft qu'il n'y a que trois ou quatre quadrupèdes qui
aient des membranes entre les doigts des pieds; au \\c\\
qu'on peut compter plus de trois cents oifeaux pourvus
de ces membranes qui leur donnent la facilité de nager.
SUR LA NATURE DES OISEAUX. 47
D'ailleurs, la légèreté Je leurs plumes <Sc de leurs os ,
la forme même de ieur corps , contribuent prodigieufe-
ment à cette plus grande facilité; l'homme eft peut-
clre de tous les êtres celui qui fait le plus d'efforts en
nageant, parce que la forme de fon corps efl abfolu-
ment oppofce à cette efpèce de mouvement; dans
les quadrupèdes, ceux qui ont plufieurs cftomacs ou
de gros 6l longs inteftins nagent, comme plus légers,
plus aifément que les autres , parce que ces grandes
cavités intérieures rendent leur corps fpécifiquement
moins pefant; les oifeaux dont les pieds font des ef-
pèces de rames, dont la forme du corps e/1 obfongue,
arrondie comme celle d'un navire, (Se dont le volume
eft fi léger, qu'il n'enfonce qu'autant qu'il faut pour
fe foutenir , font, par toutes ces caufes, prefqu'auffi
propres à nager qu'à voler; év même cette faculté de
nager fe développe la première, car on voit les petits
canards s'exercer fur les eaux, long-temps avant qu^
de prendre leur effor dans les airs.
Dans les quadrupèdes, fur - tout dans ceux qui ne
peuvent rien faifir avec leurs doigts, qui n'ont que des
cornes aux pieds ou des ongles durs , le fcns du
toucher paroît être réuni avec celui du goût dans la
gueule; comme c'efl la feule partie qui foit divifée, &
par laquelle ils puiiïent faifir les corps &: en connoitre
la forme, en appliquant à leur furface la langue, le palais
ÔL les dents, cette partie efî le principal fiége de leur
toucher, ainfi que de leur goût. Dans les oifeaux.
4-8 Discours
[c toucher de cette partie efl donc au moins aufTi im*
parfait que dans les quadrupèdes, parce que leur langue
ÔL leur palais font moins renfibies; mais il paroit qu'ds
l'emportent fur ceux-ci p:ir le toucher des doigts,
6c que le principal ficge de ce fens y rcfidc; car, en
gênerai, ils fe fervent de leurs doigts beaucoup plus
que les quadrupèdes, foit pour faifir fej, fojt pour
palper les corps; néanmoins l'intérieur des doigts étant
dans les oifeaux toujours revêtu d'une peau dure (Se
calleufe, le taél ne peut en être délicat, & les fenfalions
qu'il produit doivent être affez peu diflinéles.
Voici donc l'ordre des fens, tels que la Nature
paroît l'avoir établi pour les différens êtres que nous
confidérons. Dans l'homme, le toucher efl le premier,
c'e(l-à-dire, le plus parfait; le goût efl le fécond, la
vue le troifième, l'ouïe le quatrième & l'odorat le
dernier des fens. Dans le quadrupède, l'odorat efl
le premier, le goût le fécond, ou plutôt ces deux
fens n'en font qu'un, la vue le troifième, l'ouïe le
quatrième, ôi le touciier le dernier. Dans l'oifeau la
vue efl le premier, l'ouïe efl le fécond, le toucher
fe) Nota. Nous avons vu dans THiftoire des nniniaux quadrupèdes,
qu'il n'y en a pas un tiers qui fe fervent de leurs pieds de devant
pour porter à leur gueule, au lieu que la plupart des oifeaux fe fervent
d'une de leurs pattes pour porter à leur bec ; quoique cet a<fle doive
leur coûter plus qu'aux quadrupèdes, puifquc n'ayant que deux pieds
ils (ont obliges de fe foutenir avec effort lur un feul pendant que
l'autre agit ; au lieu que le quadrupède ell alors appuyé fur les trois
autres pieds ou alîis fur les parties poftérieures de fon corps.
le troifième;
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 49
îetroifième, le goût &. l'odorat les derniers. Les fen-
fations dominantes , dans chacun de ces êtres, fuivront
le même ordre; l'homme fera plus ému par fes impref-
fions du toucher, le quadrupède parcelles de l'odorat.
Si. Toifeau par celles de la vue; la ph)S grande partie
de leurs jugemens , de leurs déterminations, dépen-
dront de ces fenfations dominantes; celles des autres
fens étant moins fortes 6c moins nombreufes, feront
fubordonnées aux preiuières , 6c n'influeront qu'en
fécond fur la nature de l'être. L'homme fera auiïr
rértéchi que le fens du toucher paroît grave 6c pro-
fond: le quadrupède aura des appétits plus véhémens
que ceux de l'homme, Si l'oifeau des fenfations plus
Jégères 6c au/fi étendues que l'efl le fens de la vue.
Mais il y a un fixièmefens qui , quoiqii'intermittenr,
femble, lorfqu'il agit , commander à tous les autres,
A produire alors les fenfations dominantes, les mou-
vemens les plus \ioIens, 6c les affeélions les phis
intimes; c'efl le fens de l'amour : rien n'égale la force
lie fes impre/fions dans les animaux quadrupèdes, rien
n'cfl plus jirefTant que leurs hcfoins , rien de plus
fougueux que leurs dcfirs ; ils fe recherchent avec
J'empreffement le plus vif, 6c s'uniffent avec une
cfpèce de fureur. Dans les oifeaux il y a plus de ten-
dreffe, plus d'attacliement, plus de morale en amour,
.quoique le fonds phyfjque en foit peut-être encore
plus grand que dans les quadrupèdes; à peine peut-on
citer, dans ceux-ci, quelques e>:emples de chaflcté
OifeditXfTonjc I. . G
jo Discours
conjugale, 6: encore moins du foin des pères pour
leur progéniture ; au lieu que dans les oif?aux ce font
les exemples contraires qui font rares, puifju'à l'ex-
ception de ceux de nos baffe - cours <& de quelques
autres efpèces , tous paroiffent s'unir par un pa6te
confiant, ôc qui dure au moins auffi long- temps que
l'éducation de leurs petits.
C'efl qu'indépendamment du befoin de s'unir, tout
mariage fuppofe une néceffité d'arrangement pour foi-
méme Si. pour ce qui doit en réfuiter; les oifeaux qui
font forcés , pour dépofer leurs œufs , de conflruire
im nid que la femelle commence par néceffité , 6c
auquel le mâle amoureux travaille par complaifancc,
s'occupant enfemble de cet ouvrage , prennent de
l'attachement l'un pour l'autre; les foins multipliés,
les fecours mutuels, les inquiétudes communes, for-
tifient ce fcntiment qui augmente encore <5^ qui devient
plus durable par une féconde néccffitc, c'eft, de ne
pas laifîcr refroidir les œufs, ni perdre le fruit de leurs
amours pour lequel ils ont déjà pris tant de foins ; la
femelle ne pouvant les quitter, le mâle va chercher <Sc
lui apporte fa fubfiflance; quelquefois même il la rem-
place, ou fe réunit avec elle, pour augmenter la chaleur
du nid, <S^ partager les ennuis de fa htuation; l'attache-
ment qui vient de fuccéder à l'amour, fubfifle dans
toute fa force, pendant le temps de l'incubation. Si il
parolt s'accroître encore <$c s'épanouir davantage à la
naiffance des petits; c'efl une autre jouiflance, mais
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 51
en même temps ce font de nouveaux Jiens ; leur
éducation eft un nouvel ouvrage auquel le père &i la
mère doivent travailler de concert. Les oifeaux nous
repréfentcnt donc tout ce qui fe paiïe dans un ménage
honnête; de l'amour fuivi d'un attachement fans par-
tage, & qui ne fe répand enfuite que fur la famille»
Tout cela tient, comme l'on voit, à la néce/Tité de
s'occuper enfemble de foins inclifpcnfablcs &. de tra-
vaux communs; &' ne voit -on pas aulTi que cette
néceffitc de travail ne fe trouvant chez nous que dans
la féconde claffe, les hommes de la première j)Ouvant
s'en difpenfer, l'indifièrence <Sc l'infidélité n'ont pu
manquer de gagner les conditions élevées!
Dans les animaux quadrupèdes, il n'y a que de l'a-
mour phyfique 6c point d'attachement, c'efl-à-dire nul
fcntimcnt durable entre le mâle <Sc la femelle , parce
que leur union ne fuppofe aucun arrangement précé-
dent. Si n'exige ni travaux communs ni foins fubfé-
quens; dès-lors point de mariage. Le mâle dès qu'il
a joui , fe fépare de la femelle , foit pour pafTer à
d'autres , foit pour fe refaire; il n'efl ni mari , ni père
de famille, car il méconnoît & fa femme & fes enfans;
elle-même s'étant livrée à plufieurs, n'attend de foins
ni de fecours d'aucun , elle rcde feule chargée du poids
de fa progéniture &: des peines de l'éducation; elle n'a
d'attachement que pour fes petits , <S: ce fentiment dure
fouvent plus long - temps que dans l'oifeau, comme il
paroit dépendre du bcfoin que les petits ont de leur
Gij
s 2, Discours
mère, ciu'elle les nourrit de la propre riil)flance , &
que fcs fccours font plus long-temps néceflaires dans
la plupart des quadrupèdes qui croifTent p!us lentement
que les oifeaux , l'attachement dure auiTi plus long-
temps; il y a même pludeurs efpèces d'animaux qua-
drupèdes, où ce fcntiment n'ed pas détruit par de nou-
velles amours , <Sc où l'on voit la mère conduire
également, &i foigner fcs petits de deux ou trois portées.
Il y a auffi quelques efpèces de quadrupèdes dans
lefquelies la fociété du maie <5i de la femelle, dure 6c
fuhfifle pendant le temps de l'éducation des petits;
on le voit dans les loups & les renards; le chevreuil,
fur -tout, peut être regardé comme le modèle de ia
fidélité conjugale : il y a , au contraire , quelques
efpèces d'oifeaux dont la yariade ne dure pas plus
Jong-temps que les befoins de l'amour (f); mais ces
exceptions n'empêchent pas qu'en général, la Nature
n'ait donné plus de conilance en amour aux oifeaux
qu'aux (quadrupèdes.
Et ce qui prouve encore que ce mariage <?c ce
moral d'ampur, n'ed produit dans les oifeaux que par
la néceiïité d'un travail commun , c'cfl que ceux qui
ne font point de nid ne fe marient point, & fe
mêlent indifféremment : on le voit par l'exemple
(f) Dès que la perdrix rouge fcme\!e couve, le mîile l'abancionne
«5c la laifle charcrcc feule de l'éducation des petits ; les mâles qui ont
fervi leurs femelles fe raflemblent eïi compagnies & ne prennent plus
•lucun intérêt à leur progéniture. Cette nmarque ma été donnée par
M. le Roy , Lieutenant des Chajfes de Sa Majejîé , à Verfaïlles,
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. ^J
familier de nos oifeaux de baffe-cour, le mâle parort
feulement avoir quelques attentions de plus pour fes
femelles , cjue n'en ont les quadrupèdes ; parce qu'ici
h faifon des amours n'efl pas limitée, qu'il peut fe
fervir plus long-temps de la mémo femelle, que le
temps des pontes eft plus long, qu'elles font plus
fréquentes, qu'enfin, comme on enlève les œufs, les
temps d'incubation font moins preffés, <S; que les
femelles ne demandent à couver que quand leurs
puifTances pour Ja génération fe trouvent amorties 6:
prefque épuifées : ajoutez à toutes ces caufes , le peu
de befoin que ces oifeaux domcfliques ont de conf-
truire un nid pour fe mettre en fureté êc fe fouflraire
aux yeux , l'abondance dans laquelle ils vivent , la
facilité de recevoir leur nourriture ou de la trouver
toujours au même lieu, toutes les autres commodités
que l'homme leur fournit, qui difpenfent ces oifeaux
des travaux, des foins 6c des inquiétudes que les autres
reffentcnt 6c partagent en commun; <k vous retrou-
verez chez eux, les premiers effets du luxe &. les
maux de l'opulence , libcrtmûge &. pmejje.
Au refle, dans ces oifeaux dont nous avons gâté les
mœurs en les fervant, comme dans ceux qui \es ox\i
confervées parce qu'ils font forcés de travailler en-
femble &> de fe fervir eux-mêmes, le fonds de l'amour
phyfique ( c'eft-à-dire, l'étofîe, la fubflance qui pro-
duit cette fenfation , 6c en réalife les eflets ) eil bien
plus grand que dans les animaux quadrupèdes. Un
G iij
54- Discours
coq fiifHt aifémcnt a douze ou quinze poules, <5c fé-
conde par un feui acfle, tous les œufs que cliacune
peut produire en vingt jours fgj; il pourroit donc
abfolument parlant devenir chaque jour père de trois
cents enfins. Une bonne poule peut produire cent
œufs dans une feule faifon , depuis ie printemps juf-
qu'en automne. Quelle différence de cette grande
multiplication au petit produit de nos quadrupèdes
les plus féconds ! il femhle que toute la nourriture
qu'on fournit abondamment à ces oifcaux, fe conver-
tiffant en liqueur féminale, ne ferve qu'à leurs plaifirs,
&. tourne toute entière au profit de la propagation ; ce
font des efpcces de machines que nous montons ,
que nous arrangeons nous-mêmes pour la multiplica-
tion ; nous en augmentons prodigieufement le nombre
en les tenant enfemble, en les nourriffant largement
(Se en les difpenfant de tout travail, de tous foins, de
toute in([uiétudc pour les befoins de la vie; car, le
coq 6c la poule fauvages ne produifent dans l'état na-
turel qu'autant que nos perdrix <Sc nos cailles : <5c
quoique de tous les oifcaux, les gallinacés foient les
plus féconds „ leur produit fe réduit à dix - huit ou
vingt œufs , &. leurs amours à une feule faifon , lorf-
qu'ils font dans l'état de nature: à la vérité, il pourroit
y avoir deux faifons 6c deux pontes dans des climats
plus heureux; comme l'on voit dans celui-ci, plu/ieurs
efpcces d'oifeaux , pondre deux (Se même trois fois dans
(g) Hirt. nat. gûi. & part, tome 11, pages j/^ ^ S7^*
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 55
lin été, mais aufTi le nombre des œufs eft moins grand
dans toutes ces efpèces, & le temps de l'incubation
eft plus court dans quelques-unes. Ainfi, quoique les
oifeaux foient en puijf^ince bien plus prolifiques que les
quadrupèdes , ils ne le font j)as beaucoup plus par
l'effet; les pigeons, les tourterelles, <S^c. ne pondent
que deux œufs; les grands oifeaux de proie n'en
pondent que trois ou quatre, la plupart des autres
oifeaux cinq ou fix; Si il n'y a que les poules &. les
autres gallinacés , tels que le paon , le dindon , le faifan ,
les perdrix <Sc les cailles qui produifcnt en grand
nombre.
La difette , les foins, les inquiétudes, le travail
force , diminuent dans tous les êtres les puiffances (5:
les effets de la génération. Nous l'avons vu dans les
animaux quadrupèdes, 6c on le voit encore plus évi-
demment dans les oifeaux; ifs produifent d'autant plus
qu'ils font mieux nourris, plus cboyés, mieux fervis ;
ôi fi nous ne confidérons que ceux qui font livrés à
eux-mêmes, <S: expofés à tous les inconvéniens qui
accompagnent l'entière indépendance, nous trouverons
qu'étant continuellement travaillés de befoins , d'in-
quiétudes Si de crainte, ils n'ufent pas, à beaucoup
près, autant qu'il fc pourroit, de toutes leurs puiffances
pour la génération ; ils femblent même en ménager
les effets, & les proportionner aux circonffances de
leur fituation. Un oifeau après avoir confiruit fon nid
&. fait fa ponte que je fuppofe de cinq œi)fs, ceffe de
56 Discours
pondre. Si ne s'occupe que de leur confervation ; touf
le refte de la (aifon fera employé à Tincubation 6c à
l'éducation des petits , Si il n'y aura point d'autre
ponte; mais fi par hafard on brife les oeufs, on rcn-
verfe le nid, il en conflriiit bientôt un autre, & pond
encore trois ou quatre œufs, &i fi on détruit ce fécond
ouvrage comme le premier, l'oifeau travaillera ds nou-
veau , Si pondra encore deux ou trois œufs ; cette
féconde &i cette troifjcme ponte dépendent donc en
quelque forte de la volonté d€ l'oifeau : lorfque la
première réuffit, ôi tant qu'elle fiibf'ftc, il ne fe livre
pas aux émotions d'amour ôl aux autres affedions inté-
rieures qui peuvent donner à de nouveaux œufs la vie
véijétative néceffaire à leur accroiffcment <5c à leur
exclufion au dehors; mais fi la mort a moiffonné fi
famille naiffante ou prête à naître, il fe livre bientôt à
ces aifcétions, 6l démontre par un nouveau produit,
que fes puKTances pour la génération n'étoient que
fufpendues 6c point épuifées , Se qu'il ne fe privoit
des plaifirs qui la précèdent, que pour fatisfaire au
devoir naturel du foin de fa famille. Le devoir l'em-
porte donc encore ici fur la paffion , & l'attachement
fur J'amoiir; l'oifeau paraît commander à ce dernier
fentiment bien plus qu'au premier, auquel du moins il
obéit toujours de préférence; ce n'efl que par la force
qu'il fe départ de l'attachement pour fes petits , & c'ed
volontairement qu'il renonce aux plaifirs de j'amour,
^quoique très en état d'en jouir.
De
SUR LA NATURE DES OiSEAUX. 57
De la mc'ine manière que dans ies OiTeaux , les
mœurs font plus pures en arnour, de même aufli les
moyens d'y (ailsfaice font plus fimples que dans les
quadrupèdes; ils n'ont qu'une feule façon de s'ac-
coupler (^/ijf au lieu que nous avons vu , dans les qua-
drupèdes , des exemples de toutes les fituations f'ij;
feulement il y a des efpèces, comme celle de la poule,
où la femelle s'abaiiïe en pliant les jambes; 6c d'autres»
comme celle du moineau , où elle ne change rien
à fa pofilion ordmaire , <Sc demeure droite fur fes
pieds (^/;J. Dans tous, le temps de l'accouplement efl
très-court , 6c plus court encore dans ceux qui fe
tiennent debout que dans ceux qui s'abaiffent. La forme
extérieure f/J 6c la flruflure intérieure des parties de
la génération font fort différentes de celles des qua-
^hj Genus avium omne eodein i/io ac fimplici more conjungiiur , nempe,
fcem'inam mare fupergrc dï ente. Ariftot. H'iji. anim. lib. V, cap. vill.
fij Nota. La femelle du chameau s'accroupit; celle de l'éléphant (c
renverlè fur le dos. Les hériffons s'accouplent flice à face, debout ou
couchés ; & les finorcs de toutes les fliçons.
^/<J Coi fus av'tbus duobits modis , fœmïna humï confidente , ut in galiinâ
eut Jlante ut in gruihus ; & qux ita coeunt rem quamcekrrime peragunt
vt pajferes. Aiiflot. Hijl. anim. lib. V, cap. 11.
( l ) Nota. La plupart des oileaux ont deux verges ou une vergç
fourchue, & c'cft par l'anus que fort cette double verge pour s'ciendre
au dehors. Dans quelques elpèces cette partie ell d'une grandeur
très-remarquable, & dans d'autres elle eft à peine fenfible, La femelle
n'a pas , comme dans les quadrupèdes, l'orifice de la vulve au-deffous
de l'anus , elle le porte au-deflus; elle n'a point de matrice comme les
quadrupèdes, mais de fimples ovaires, &c.
Oifcaux, Tome L . H
58 Discours
drupcdes ; <Sc la grandeur, la pofition , le nombre,
J'adion cSc le mouvement de ces parties varient même
beaucoup dans les diveries efpèces d'oifeaux (înj. AufTi
paroît-il qu'il y a intromllfion réelle dans les uns, <Sc
qu'il ne peut y avoir dans les autres qu'une forte com-
j)vtÇ[\on y ou même un fimple attouchement ; mais
nous rêfervons ces détails, ainfi que plufieurs autres^
pour rinfloire particulière de chaque genre d'oifeau.
En raffembiant fous un feul point de vue les idées
& les faits que nous venons d'expofer , nous trou-
verons que le fcns intérieur , le y^^^/^^w/w de l'oifeau
eft principalement rempli d'images produites par le
iens de la vue; que ces images font fuperticiellcs ,
mais très-étendues , Si la plupart relatives au mouve-
ment , aux diftances , aux efpaces ; que voyant une
province entière auffi aifcment que nous voyons notre
horizon , il porte dans fon cerveau une carte géogra-
phique des lieux qu'il a vus; que la facilité qu'il a de
les parcourir de nouveau , eft l'une des caufes déter-
minantes de fes fréquentes promenades 6c de ics
migrations. Nous reconnoîtrons qu'étant très-fufcep-
tible d'être ébranlé par le fens de l'ouïe, fes bruits
foudains doivent le remuer violemment, lui donner
(m) Voyez fur cela THiftoire de l'Acadcmie des Sciences, annéf
jyi^ , page i i. — Les Mémoires pour (ervir à l'Hiftoire des
TiTiwvi-xviX , partie I, page 2^0; partie JI, pages 108, 13-^, 1^4',
partie 11 J, page 7/. — La Colledion Académique, partie étrangère,
tome ly, pages j 2 0, j 22, ^ 2 y, & tome V, page 4S ^,
SUR LA NATURE DES 0 /SEAUX. 59
de la crainte &. le faire fuir, tandis qu'on peut le faire
approcher par des fons doux, ôi le leurrer par des
appeaux; que les organes de la voix étant tr.ès - forts
Si très-fîexibles , l'oifeau ne peut manquer de s'enfcr\ir
pour exprimer fes fenfations, tranfmeitre fes affecftions
6c fe faire entendre de très -loin; qu'il peut auiïi fe
mieux exprimer que le quadrupède, puifqu'il a plus
de fignes, c'efl-à-dire , plus d'inflexions dans la voix;
que pouvant recevoir facilement Si conferver long-
temps les impreiïions des fons, l'organe de ce fens
fe monte comme un inflrument qu'il fe plaît à faire
réfonner; mais que ces fons communiques, Si qu'il
répète mécaniquement, n'ont aucun rapport avec fes
affections intérieures; que le fens du toucher ne lui
donnant que des fenfations imparfaites, il n'a que des
notions peu diftindles de la forme des corps, quoi-
qu'il en voye très -clairement la furface; que c'efl par
le fens de la vue Se non par celui de l'odorat, qu'il efl
averti de loin de la préfence des chofes qui peuvent
lui fervir de nourriture; qu'il a plus de befoin que
d'appétit, plus de voracité que de fenfualité ou de
délicateffe de goût. Nous verrons que pouvant aifément
fe fouflraire à la main de l'homme , Si fc mettre même
hors de la portée de fa vue , les oifeaux ont dû conferver
im naturel fauvage , Si trop d'indépendance pour être
réduits en vraie domefticité; qu'étant plus libres, plus
éloignés que les quadrupèdes , plus indépendans de
l'empire de l'homme, ils font moins troublés dans
6o D I s c o V R s , ère.
le cours Je leurs habitudes naturelles; que c'cfl par
cette raifon qu'ils fe raffemblent plus volontiers, <Sc
que la plupart ont un inflincfl décidé pour la fociété;
qu'étant forcés de s'occuper en commun des foins de
leur famille, & même de travailler d'avance à la conf-
trudion de leur nid, ils prennent un fort attachement
Yun pour l'autre, qui de\ ient leur affedion dominante,
6c fe répand enfuite fur leurs petits; que ce fentiment
doux tempère les paffions violentes , modère même
celle de l'amour, & fait la chafteté, la pureté de leurs
mœurs <î^ la douceur de leur naturel; que quoique plus
riches en fonds d'amour qu'aucun des animaux, ils
dépcnfent à proportion beaucoup moins, ne s'excèdent
jamais, & favent fubordonner leurs plaifirs à leurs de-
voirs; qu'enfin cette claffe d'êtres légers que la Nature
paroît avoir produits dans fa gaieté, peut néanmoins être
regardée comme un peuple férieux, honnête, dont on
a eu raifon de tirer des ïàh\th morales, <& d'emprunter
des exemples utiles.
6i
LES
OISEAUX DE PROIE.
\J N poiirroit dire , abfolument parlant, que prcfqiie
tous les oifeaux vivent de proie, puifque prefque tous
recherchent 6c prennent les infecfles , les vers <5c \€S
autres petits animaux vivans; mais je n'entends ici par
oifeaux de proie, que ceux qui fe nourrifTent de chair
Si font la guerre aux autres oifeaux ; <&: en \gs compa-
rant aux quadrupèdes carnaffiers, je trouve qu'il y en a
proportionnellement beaucoup moins. La tribu des
Jions , des tigres, des panthères, onces, léopards,
guépards, jaguars, couguars, ocelots, fervals, margais,
chats fauvages ou domelliques ; celle des chiens, des
chacals , loups , renards , ifatis ; celle des hyaenes ,
civettes, zibets, genettes & foffanes; les tribus plus
nombreufcs encore des fouines, martes , putois, mouf-
fettes, furets, vanfirs, hermines, belettes, zibelines,
mangouftes, furikates, gloutons, pékans, vifons, fouf-
liqucs; & dcsfarigues, marmofes, cayopollins, tarfîers,
phalangers ; celle des roufiettes , rougcttes , chauve-
fouris, à laquelle on peut encore ajouter toute la
famille des rats, qui trop foibles pour attaquer les
autres fe dévorent eux-mêmes: tout cela forme un
nombre bien plus confidérable que celui des aigles,
des vautours, cperviers , faucons, gerfauts, milans,
bufes, creflerelles, émerillons, ducs, hiboux, chouettes,
H iij
6i Histoire N atu relle
pie-grièclics <5c corbeaux, qui font les feuls oifeaux
tlont l'appétit pour la chair foit bien décidé; &i encore
y eii a-t-il plufieurs, tels que les milans, les bufes <5c
les corbeaux , qui fe nourriffent plus volontiers de
cadavres que d'animaux vivans; en forte qu'il n'y a pas
une quinzième partie du nombre total des oifeaux qui
foicnt carnafTiers, tandis que dans les quadrupèdes il y
en a plus du tiers.
Les oifeaux de proie étant moins puifTans, moins
forts & beaucoup moins nombreux que les quadrupèdes
carnafTiers , font auffi beaucoup moins de dégiit fur la
terre; mais en revanche, comme fi la tyrannie ne
perdoit jamais fes droits, \\ exifte une grande tribu
d'oifeaux qui font une prodigieufe déprédation fur les
eaux. Il n'y a guère parmi les quadrupèdes que les
caftors, les loutres, les phoques 6cles morfes qui vivent
depoi(fon;au lieu qu'on peut compter un très-grand
nombre d'oifeaux qui n'ont pas d'autre fubfiflance. Nous
féparerons ici ces tyrans de l'eau des tyrans de l'air,
(?c ne parlerons pas dans cet article de ces oifeaux
qui ne font que pêcheurs tSc pifcivores; ils font pour la
plupart d'une forme très- différente , <Sc d'une nature
aflez éloignée des oifeaux carnaffiers; ceux-ci faififfent
leur proie avec les ferres , ils ont tous le bec court
<Sc crochu, les doigts bien féparés <Sc dénués de mem-
branes, les jambes fortes &^ ordinairement recouvertes
par les plumes descuiffes, les ongles grands <&. crochus,
tandis que les autres prennent le poifTon avec le bec
DES Oiseaux de proie. 63
qu'ils ont droit Si pointu, Si qu'ils ont auiïi les doigts
réunis par des membranes, les ongles foibics & les
jambes tournées en arrière.
En ne comptant pour oifeaux de proie que ceux
que nous venons d'indiquer , <Sc fcparant encore pour
un infiant les oifeaux de nuit des oifeaux de jour ,
nous les préfenterons dans l'ordre qui nous a paru le
plus naturel ; nous commencerons par les aigles , les
vautours, les milans, les bufes ; nous continuerons
par les éperviers, les gerfauts, les faucons; Si nous
finirons par les cmerillons & les pie-grièches: pluficurs
de ces articles contiennent un aiïez grand nombre
d'efpcces 6c de races confiantes, produites par l'in-
fluence du climat ; Si nous joindrons à chacun les
oifeaux étrangers qui ont rapport à ceux de notre
climat. Par cette méthode, nous donnerons non-feule-
ment tous les oifeaux du pays, mais encore tous les
oifeaux étrangers dont parlent les Auteurs, Si toutes
les efpèces nouvelles que nos correfpondances nous
ont procurées, Si qui ne laiffent pas d'être en affez
grand nombre.
Tous les oifeaux de proie font remarquables par
une fingularité dont il eft difficile de donner la railbn ;
c'efl que les mâles font d'environ un tiers moins
grands 6c moins forts que les femelles , tandis que"
dans les quadrupèdes 6c dans les autres oifeaux, ce
font, comme l'on fait, les mâles qui ont le plus
de grandeur 6c de force: à la :>érité, dans les
64- Histoire Nature lle
infedes 6c même dans les poifTons , les femelles font
un peu plus groiïes que les mâles, &. l'on en voit clai-
rement la raifon ; c'eft la prodigieufe quantité d'œufs
qu'elles contiennent qui rcnlîe leur corps; ce font les
organes deftinés à cette immenfe produ(5tion qui en
augmentent le volume apparent; mais cela ne peut en
aucune façon s'appliquer aux oifeaux , d'autant qu'il
paroît par le fait quec'efl tout le contraire; car, dans
ceux qui produifent des œufs en grand nombre, les
femelles ne font pas plus grandes que les mâles; les
poules, les canes, les dindes, les poules-faifanes, les
perdrix, les cailles femelles, qui produifent dix-huit
ou vingt œufs, font plus petites que leur mâle; tandis
que les femelles des aigles, des vautours, des éper-
viers, des milans <Sc des bufes, qui n'en produifent que
trois ou quatre, font d'un tiers plus groiTes que les
mâles; c'eil par cette raifon qu'on appelle tiercelet le
mâle de toutes les efpèces d'oifeaux de proie: ce
mot ert: un nom générique <Sc non pas fpécifique,
comme quelques Auteurs l'ont écrit; <Sc ce nom gé-
nérique indique feulement que le mâle ou tiercelet efl
d'un tiers environ plus petit que la femelle.
Ces oifeaux ont tous pour habitude naturelle <5c
commune le goût de la chafTe Sl l'appétit de la proie,
le vol très-élevé, l'aile <Sc la jambe fortes, la vue très-
perçante, la tête groiïe, la langue charnue, l'eflomac
iimple (Se membraneux, les inteflins moins amples 6c
plus courts que ies autres oifeaux ; ils habitent de
préférence
DES Oiseaux de proie. 6<y
prcfcrence les (iciix fo.'itaires , les montagnes défertes , <Sc
font communément leur nid d.ins les trous des rochers
ou fur les plus hauts arbres ; i'on en trouve pluficurs
efpèccs dans les deux continens, quelques-uns même
ne paroiiïent pas avoir de climat fixe 6c bien déter-
mine; enfin ils ont encore pour caractères généraux <Sc
communs le bec crochu, les quatre doigts à chaque
pied, tous quatre bien féparés; mais on diftinguera
toujours un aigle d'un vautour par un caraétère évident;
l'aigle a la tête couverte de plumes , au lieu que le
vautour l'a nue <Sc garnie d'un Hniple duvet, <&. on les
didinguera tous daix des éperviers , bufcs , milans 6c
faucons par un autre cara6tère qui n'efl pas difficile à
faifir, c'eft que le bec de ces derniers oifeaux com-
mence à fe courber des Ton infertion , tandis que le
bec des aigles Se des vautours commence par une partie
droite, 6c ne prend de la courbure qu'à quelque dif-
tance de fon origine.
Les oifeaux de proie ne font pas aufTi féconds que
les autres oifeaux; la plupart ne pondent qu'un petit
nombre d'œufs, mais je trouve que M. Linnaeus a eu
tort d'affirmer qu'en général to\is ces oifeaux produi-
foicnt environ quatre œufs (a). Il y en a qui , comme
le grand aigle 6c l'orfraie, ne donnent que ^^Qy^y. œufs,
6c d'autres, connue la crtfT.relle 6c l'cmerillon, qui en
font jufqu'à fept; il en eff , à cet égard, des oifeaux
connue des quadrupèdes, le nombre de la multipli-
^a) Liim. Syrt, nat. édit. x, tome J, page 8î,
Oifeaux, Tome L , I
66 Histoire Natu relle
cation par la gcnération eft en raifon inverfe de leur
grandeur; les grands oifeaux produifent moins que les
petits, &i en raifon de ce qu'ils font plus petits, ils
produifent davantage. Cette loi me paroît généralement
établie dans tous les ordres de la Nature vivante ;
cependant on pourroit m'oppofer ici les exemples des
pigeons qui, quoique petits, c'efl-à-dire, d'une gran-
deur médiocre, ne produifent que deux œufs, ôl des
plus petits oifeaux qui n'en produifent ordinairement
que cinq; mais il faut confidérer le produit abfolu
d'une année, à. ne pas oublier que le pigeon, qui ne
pond que deux ôi quelquefois trois œufs pour une
feule couvée, fait fouvent deux, trois Se quatre pontes
du printemps à l'automne; Se que dans les petits
oifeaux, il y en a auffi plufieurs qui pondent plufieurs
fois pendant le temps de ces mêmes faifons ; de
manière qu*à tout prendre âc tout confidérer, il efl
toujours vrai de dire que toutes chofes égales d'ailleurs,
\e nomI)re, dans le produit de la génération , efl pro-
portionnel à la petiteffe de l'animal dans les oifeaux
comme dans les quadrupèdes.
Tous les oifeaux de proie ont plus de dureté dans
Je naturel & plus de férocité que les autres oifeaux;
non - feulement ils font les plus difficiles de tous à
priver, mais ils ont encore prefque tous, plus ou
moins , l'Iiabitude dénaturée de chaffer leurs petits hors
du nid bien plus tôt que les autres, Si dans le temps
qu'ils leur deyroient encore des foins 6i des fccours
DES Oiseaux de proie. 6j
pour leur fubriflance. Cette cruauté, comme toutes les
autres duretés naturelles, n'efl produite que par un
fentiment encore plus àm ^ qui efl le befoin pour foi-
niéme oc la néceiïitc. Tous les animaux qui , par la
conformation de leur eflomac <5c de leurs intcHins ,
font forcés de fe nourrir de chair 6c de vivre de proie,
quand même ils feroicnt nés doux, deviennent bientôt
ofïénfifs <5c médians par le feul ufage de leurs armes ,
ÔL prennent enfuite de la férocité dans l'habitude dts
combats ; conime ce n'efl qu'en détruifant les autres
qu'ils peuvent fatisfaire à leurs befoins, & qu'ils ne
peuvent les détruire qu'en leur faifant continuellement
la guerre , ils portent une ame de colère qui influe fur
toutes leurs adions , détruit tous les fentimens doux ,
Si affoiblit même la tendreiïe maternelle ; trop preffé de
fon propre befoin jl'oifcau de proie n'entend qu'impa-
tiemment (5c fans pitié les cris de fes petits, d'autant
plus afîlmiés qu'ils deviennent plus grands; fi la chaffe
fe trouve difficile, 6c que la proie vienne à manquer,
il les expulfe , les frappe , 6c quelquefois les tue dans
un accès de fureur caufée par la misère.
Un autre effet de cette dureté naturelle &. acquife
efl l'infociabilité; les oifeaux de proie, ainh que les
quadrupèdes carnaffiers, ne fe réuniffent jamais les uns
avec les autres, ils mènent, comme les voleurs, une
vie errante 6c folitaire; le befoin de l'amour, appa-
remment le plus puifTant de tous après celui de la
néceffité de fubfifter, réunit le mâle 6l h femelle ; 6c
1'/
68 Histoire Naturelle
comme tous deux font en état de fe pourvoir, & qu'ils
peuvent même s'aider à la guerre qu'ils font aux autres
animaux, ils ne fe quittent guère, <Sc ne fe fcparent
pas, même après la faifon des amours. On trouve
prefquc toujours une paire de ces oifeaux dans le
même lieu; mais prcfc[uc jamais on ne les voit s'attrouper
ni même fe réunir en famille, <Sc ceux ([ui , comme
Jes aigles, font les plus grands, &. ont par cette raifon
beloin de plus de fubdftance, ne fouffrent pas même
que leurs petits devenus leurs rivaux, viennent occuj.vr
les lieux voifins de ceux qu'ils habitent, tandis que
tous les oifeaux <Sc tous les quadrupèdes, qui n'ont
befoin pour fe nourrir que des fruits de la terre, vivent
en famille, cherchent la fociété de leurs femblables,
«Se fe mettent en bandes 6c en troupes nombreufes, 6c
n'ont d'autre querelle, d'autre caufe de guerre, que
celles de l'amour ou de l'attacliement pour leurs petits;
car, dans prefque tous les animaux même les plus
doux , les mâles deviennent furieux dans le rut, 6: les
femelles prennent de la férocité pour la défenfe de
leurs petits.
Avant d'entrer dans les détails bi/îoriques, qui ont
rapport à chaque efpèce d'oifeaux de proie ; nous n'C
pouvons nous difpenfer de faire quelques remarques fur
les méthodes qu'on a employées pour reconnoître ces
cfpèccs, 6t les diftinguer \t% unes dts autres : les cou-
leurs , leur diftribution , leurs nuances, les taches, les
bandes, les raies, les lignes, fervent de fondement darts
DES Oiseaux de proie. 6g
ces mcthodes à la diftindion des efpèces; <9c un Mé-
thodifte ne croit avoir fait une bonne dcfcription que
quand i\ a, d'après un plan donné Si toujours uniforme,
fait l'énumcration de toutes les couleurs du plumage ôi
de toutes les taches , bandes ou autres variétés qui s'y
trouvent; iorfque ces variétés font grandes ou feule-
ment alTcz fenfibles pour être aifément remarquées, il
en conclut fans héfi ter que ce font des indices certains
de la différence des efpèces; <Sc en conféqiience, on
conflitue autant d'efpèces d'oifeaux qu'on rem.arque de
différence dans les couleurs: cependant rien n'elt plus
fautif 6: plus incertain ; nous pourrions faire d'avance
une longue énumération des doubles & triples emplois
d'efpèces faites par nos Nomenclateurs, d'après celte
méthode de la différence des couleurs. Mais il nous
fufiira de fiire fenlir ici les raifons fur kfquelles nous
fondons cette critique, 6c de remonter en même temps
à la fource qui produit ces erreurs.
Tous les oifeaux en général muent dans la première
année de leur âge, ôi les couleurs de leur plumage
fontprefque toujours , après cette première mue, très-
différentes de ce qu'elles étoient auparav^fnt ; ce
changement de couleur après le premier âge e(l affez
général dans la Nature , &. s'étend jufqu'aux quadrupèdes
qui portent alors ce qu'on appelle la livrée ^ Se qui
perdent cette livrée, c'efl-à-dire les premières couleurs
de leur pelage à la première mue. Dans les offeaux de
proie, rcffèt de cette première mue chang-e û fort les-
liij
jo Histoire N atu re lle, fc,
couleurs, leur dillribution, leur pofition, qu'il n'eft pas
étonnant que les Nomenclateurs, qui prefque tous ont
négligé l'hiftoire des oifeaux, aient donné comme des
efpèccs diverics le même oifeau , dans ces Acwx états
dificrens dont l'un a précédé &. l'autre fuivi la mue: après
ce premier changement , il s'en fait un iccoïxà affez con-
fidérable à la féconde , 6c fouvent encore un à la troi-
fième mue ; en forte que par cette feule première caufe ,
i'oifeau de fix mois, celui de dix-huit mois & celui de
deux ans (Se demi, quoique le même, paroîc être trois oi-
feaux difFérens , fur-tout à ceux qui n'ont pas étudié leur
hifloire, & qui n'ont d'autre guide, d'autre moyen de les
connoître que les méthodes fondées fur les couleurs.
Cependant ces couleurs changent fouvent du tout au
tout, non-feulement par la caufe générale de la mue,
mais encore par un grand nombre d'autres caufcs parti-
culières ; la différence des fexes eft fouvent accom-
pagnée d'une grande différence dans la couleur; il y a
d'ailleurs des efpèccs qui dans le même climat, varient
indépendamment même de f'âge 6c du fexe; il y en a,
6c en beaucoup plus grand nombre, dont les couleurs
changent abfolument par l'influence des différens cli-
mats. Rien n'cfl donc plus incertain que la connoifTance
des oifeaux, 6c fur-tout de ceux de proie dont il efl; ici
queflion , par les couleurs 6c leur didribution ; rien de
plus fautif que la diflindion de leurs efpèccs fondée fur
des caractères auïïl inconflans qu'accidentels.
71
II^JIWtMl
LES AIGLES.
1 L y a pliifieurs oifeaux auxquels on donne le nom
d'aigles; nos Nomenclateurs en comptent onze efpèces
en Europe, indépendamment de quatre autres efpèces,
dont deux font du Brefd , une d'Afrique <Sc la dernière
des grandes Indes. Ces onze efpèces font, \° l'aigle
commun, 2.° l'aigle à tcte blanche, 3.'' l'aigle blanc,
4.*' l'aigle tacheté, 5.° l'aigle à queue blanche, 6.° le
petit aigle à queue blanche , y." l'aigle doré, 8." l'aigle
noir, 9.° le grand aigle de mer, 10. ° l'aigle de mer,
[i i.°le jean-le-blanc ; mais, comme nous l'avons déjà
dit , nos Nomenclateurs modernes paroiffent s'être
beaucoup moins fouciés de reflreindre ôi réduire au
jufle le nombre des efpèces, ce qui néanmoins efl le
vrai but du travail d'un Naturalifle, que de les multi-
plier, chofe bien moins difficile, & par laquelle on
brille à peu de frais aux yeux des ignorans: car la
réduétion des efpèces fuppofe beaucoup de connoif-
fances , de réflexions 6c de comparaifons; au lieu qu'il
n'y a rien de fi aifé que d'en augmenter la quantité; il
fuffit pour cela de parcourir les livres Si les cabinets
d'Hifloire Naturelle, &. d'admettre, comme caraélères
fpécifiques, toutes les dilTérences, foit dans la gran-
deur, dans la forme ou la couleur, & de chacune de
ces différences, quelque légère qu'elle foit, faire un^
efpèce nouvelle ôl féparée de toutes les autres ; mais
72 Histoire Naturelle
malheurcufement, en augmentant ainfj très-gratuitement
le nombre nominal des efpèces, on n'r. fait qu'augmenter
en même temps les difficultés de l'Hiftoire Naturelle,
dont i'obrcurité ne vient que de ces nuages répandus
par une nomenclature arbitraire, fouvent fauffe, tou-
jours particulière , <5c qui ne faifit jamais l'enfemble
des caradères; tandis que c'efl de la réunion de tous
ces caradtères, <5c fur-tout de la différence ou de la
reiïemblance de la forme, de la grandeur, de la cou-
leur, ÔL auffi de celles du naturel 6c des mœurs, qu'on
doit conclure la diverfité ou l'unité des efpèces.
Mettant donc d'abord à part les quatre cfpcces
d'aigles étrangers dont nous nous réfervons de parler
dans la fuite, (?c rejetant de la lifte l'oifeau qu'on
zi^YicWc Jean - le - tianc , qui eft ù différent des aigles,
qu'on ne lui en a jamais donné le nom , il me paroît
qu'on doit réduire à fix les onze efpèces d'aigles
d'Europe mentionnées ci-deffus, & que dans ces fîx
efpèces il n'y en a que trois qui doivent conferver le
nom d'aigles, les trois autres étant des oifcaux affez
différens des aigles pour exiger un autre nom. Ces
trois efpèces d'aigles font, i.* l'aigle doré, que j'ap-
pellerai le grand aigle; 2/ J'aigle commun ou moyen;
3.° l'aigle tacheté que j'appellerai le petit aigle ; les
trois autres font l'aigle à queue blanche que j'appellerai
J^ygargiie , de fon nom ancien, pour le diftinguer dts
aigles des trois premières efpèces dont \\ commence
à s'éloigner par quelques caradères; l'aigle de mer
que
DES Aigles. 73
que j'appellerai balbiiiard, de fon nom angiois, parce
que ce n'efl point un véritable aigle; (Se enfin le grand
aigle de mer (]ui s'éloigne encore plus de l'elpèce ,
à. que par cette raifon j'appellerai orfraie , de ion
vieux nom françois.
Le grand (Se le petit aigle, font chacun d'une efpèce
ifolée, mais l'aigle cojîimun &i le pygargue , font fujets
a varier. L'efpèce de l'aigle commun efl compofce
de deux variétés; favoir, l'aigle brun &. l'aigle noir.
<Sc l'efpèce du pygargue en contient trois; favoir, le
grand aigle à queue blanche , le petit aigle à (\\\'^\.\f^
blanche &. Và\^c]x xcit blanche: je n'a/outcrai pas
à ces efpèccs celle de l'aigle blanc, car je ne penfe
pas que ce foit une efpèce particulière, ni même une
race confiante (Se qui appartienne à une efpèce déter-
minée; ce n'efl à mon avis qu'une variété accidentelle
produite par le froid àw climat , ai plus fouvcnt encore
par la vieillcffe de l'aniirîal: on verra dans l'hifloire
particulière desoifeaux, que plufieursd'entr'eux , <Se les
aigles fur-tout, blanchiffent par la vieillciïe ôi même
par les maladies, ou par la trop longue diète.
On verra de même, que l'aigle noir n'efl qu'une
variété dans l'efpèce de l'aigle brun ou aigle commun:
que l'aigle à tête blanche cS: le petit aigle à queue
blanche, ne font auffi que des variétés dans l'efpèce
^w pygargue ou grand aigle à queue blanche; (Se
que l'aigle blanc n'efl qu'une variété accidentelle ou
individuelle qui peut appartenir à toutes les efpèccs :
ûifcmix , Tome I, . K
74- Histoire Naturelle
ainfi des onze prétendues efpèces d'aigles, il ne nous
en refle plus que trois, qui font le gr.md aigle, l'aigle
moyen 6: le petit aigle; les quatre autres; favoir le
pvgargue, le balbuzard, l'orfraie ô. le jean- le -i)lanc ,
étant des oifeaux aiïez dificrens des aigles pour être
confidcrcs chacun fcparcmcnt, «5^ porter par conicquent
un nom particulier. Je me fuis déterminé à cette
réduélion d'efpèccs, avec d'autant plus de fondement
(^ de raifon , qu'il étoit connu dès le temps des
Anciens, que les aigles de races différentes te mêlent
volontiers â< produifent enfemble , 6i que d'ailleurs cette
divificn ne s'éloigne pas beaucoup de celle d'Ariflote,.
qui me paroit avoir mieux connu qu'aucun de nos
Nomenclatcurs , les vrais cara6tères Si les dinérences
réelles qui féparent les efpèces : il dit qu'il y en a fix
dans le genre des aigles; mais dans ces fix efpèces,
il comprend un oifeau qu'il avoue lui-même être du
genre des vautours (^^tJ^ Se qu'il faut par conféquent
€n fcparer, puifque c'cff en eliet celui que l'on connoit
fous le nom de vautour des A/jrs : ainfi refle à cinq
fa) Quartum genus (aquilx) percnopterus ah alarum nous apellatum ;
caphe albUanie ; corpore majore quam cœlerœ adhuc di✠f PY cargos
MORPHNOS ET M El\(EN A E TOS) liccc ej : fed ôreyioriôus ûlis ;
Cûudâ long'iore. Vul tu ris fpeciem hœc irfert, fuhaquilà & montana
ciconia cogncrn'matur : incolit lucos degcner , nec viths (atcrûrum caret,
ir bonorum quœ illce obtinent expers ejl ; qmppe quœ a corvo , cateris
que id geni-s aliiibus verberetur , fugetur , capiatur : gravis ejl enim ,
viâu iners ; exanhnata fert corpora ; jamel'i.a Jer.per cjt , é^ querula
çLunitiil & cLingiC. Arift. Hijf. anim. lib. IX, cap. XXXII..
DES Aigles. 7j
^pèces qui correfpontlent d'abord aux fo s espèces
d'aigles que je viens d'établir; Si cnfuite à fa quatrième
& à la cinquième, qui font le pyg^rguc & Tnigle Je
mer ou biillnizard. J'ai cru, malgré l'autoritc de ce
grand PhJiofophe , devoir fcparcr des aigles proprement
dits, ces deux derniers oifeaux , &i q*q\\ en cela fcul
que ma rédudion diffère de la Tienne; car, du refle je
me trouve entièrement d'accord avec fcs idées, & je
penfe comme lui , que l'orfraie, offlfmga ou grand aigle
<le mer, ne doit pas être compté parmi les aigles, non
plus que Toifeau :\^'^t\Q jean~le-hlûuc , duquel il ne fait
pas mention, <Sc qui efl (i différent des aigles qu'on
ne lui en a jamais donné le nom. Tout qcc\ fera dé-
veloppé avec avantage & plus de clarté pour le Leéleur
dans les articles fuivans , où Ton va voir en détail
les différences de chacune des efpèccs que nous
venons d'indiquer.
K
-y^i Histoire Naturelle
L E
GRAND AIGLE (a).
Vo)'c^ les Plurielles enluminées ^ nf /fio.
L A première efpèce eft le grand Aigle (planche i )
que Bclon , après Athcnée , a nomme Vaille royal ow
le roi des o'ifsaiix ; c'efl en effet l'aigle d'efpèce franche
<?c de race noble , appelé par cette raifon Ki-vk>c, ymoç
par Ariflotc flj. Se connu de nos Nomenciateurs fous
faj En Grec, Aiivi yvY,<Jio$; Aridot. "XfVTttircç , Oppian. En
Arabe, Zummach, félon plufieurs Auteurs; Néfir, félon Léon-i'A-
fricain. Guiibume Tardif, dans fon petit Traité de la Fauconnerie,
dit qu'on appelle cet aigle Aleapan , en langue fyriaque ; Philadelphe ,
en langue grecque ; & Ai'il'ion en langue latine ; mais cette dernière
dénomination cfl: françoife, & n'a jamais e'té applique'e à l'aigle: c'efl le
milan , que par corruption quelc[ues-uns de nos vieux Ecrivains ont
appelé Aiilïon. Gefner & Aldrovande difem que les Hébreux appellent
l'aigle, Nefer; les Chaldécns, Nifra; les Arabes, Nefer, Achal gagilat
Xummach , Aukch , Haukeb ; les Syriens, Napan [ ce qui ne s'éloigne
pas du Aleapan de Guillaume Tardif ] ; les Perlans , An fi muger ;
en Latin, Aquïla fulva ; en Efpagnol, Açv'ila coronada ; en Allemand,
AdeUr (juafi Adel, Aar; en Polonois, Or^elpr^edm; en Anglois, Goldm
Eagle ; en François, le grand Aigle, V Aigle royal, ï Aigle noble ^
\ Aigle doré , V Aigle roux, V Aigle fauve.
(h) Sexlum genus ( aquilze ) gnefium , id ejl verum , germanvmçut
appellant. LJnum hoc , ex omni avium génère, ejfe veri incorrupîique orîûi
crcditur. Cœtera emm gênera à^ aquilarum à^ accipilrum , ù' minutarum
eùam avium promifçua aduUerinaquc inyiçem procréant. Ma^ima aquilarum
DU GRAND Aigle, yy
le nom (ï aigle doré (c) ; c'eft le plus grand de tous les
aigles, la femelle a jufqu'à trois pieds <?c demi de longueur
depuis le bout du bec Julqu'à l'extrémité des pieds, 6c
plus de huit pieds 6c demi de vol ou d'envergure; elle
pèfe feize (d) Si même dix-huit livres (e), le mâle efl
plus petit & ne pèfe guère que douze livres. Tous deux
ont le bec très-fort Se affez femblable à de la corne
bleuâtre ; les ongles noirs Si pointus dont le plus grand ,
omnium /lac e(I . major etiam quam ojjtfraga. Sed cœteras aquilas vct
fefqui-akera portione exccdit. Colore ejl rufa, confpeâu tara. Arifiot.
HiJ}. anim. lib. IX, cap. y.W\\.
(c) Voyez la planche A de la Zoologie Britannique. L'aigle dore.
Brinon , toine J , page -^i j» / ,
(d) Klein, ordo. avium, pag. 40.
(e) Nota. Voici ce que m'a écrit un de mes amis ( M. Htbert
Receveur général à Dijon ) , qui a fait de très-bonnes obfcrvations
fur les oi féaux , qu'il m'a communiquées, & que j'aurai quelquefois
occofion de citer avec reconnoiflance. J'ai vu, dit-il, dans le pays
de Bugey de deux efpèces d'aigles : le premier fut pris au château
de Dorlau , dans un filet à l'appât d'un pigeon viv.int ; il pefoit
dix - huit livres , il étoit de couleur fiuve ( c'eft le grand aigle , le
même qui ell reprefemé dans la Zoologie Britannique, planche A)-
il ctoit très -fort & très - méchant , & blefia cruellement au fein une
fenune qui avoit foin de lu fiilànderie : l'autre ètoit prefque noir.
J'ai encore vu l'une & l'autre efpèce de ces aigles à Gcné\c, où
on les nourrifloit dans des cages feparees; ils ont tous deux les jambes
couvertes de plumes julqu'à la naiffance des doigts , & les plumes de
leurs cuifles font fi longues & fi toufiues qu'on croiroit, en voyant
ces oifeaux d'un peu loin, qu'ils font pôles fur quelque petite eminencc.
On croit qu'ils font de paffage en Bugey; car, on ne les y voit
guère qu'au printemps & en autotnne.
K iij
j% Histoire Natu relle
qui eft celui Je derrière , a quelquefois jufqu'à cinq
pouces de longueur ; les yeux font grands , mais pa-
roifTent enfoncés dans une cavité profonde que la partie
fupcrieure de l'orbite couvre comme un toit avancé ;
l'iris de l'œil efl d'un beau jaune clair, <Sc brille d'un
feu très-vif; l'humeur vitrée eft de couleur de topaze;
le cryilallin qui eft fec <&. folide, a le brillant 6i l'éclat
du diamant; l'œfopliage fe dilate en une large poche
qui peut contenir une pinte de liqueur; Teftomac qui
eft au-deffous n'eft pas, à beaucoup près, aufti grand
que cette première poche , mais il cft à peu-près égale-
ment fouple (Se membraneux. Cet oifeau eft gras, fur-
tout en hiver , fa graifte eft blanche , (Se fa chair , quoique
dure ôi fibreufe , ne fent pas le fauvage comme celle
des autres oifeaux de proie (fj.
On trouve cette efpèce en Grèce fgj, en France dans
les montagnes du Bugey, en Allemagne dans les mon-
ta^^nes de Siléfie (h), dans les forets de Dantzic fij
Si dans les monts Carpatiens (k), dans les Pyrénées (IJ
Si dans les montagnes d'Irlande fm). On le trouve aufti
dans l'Afie mineure Se en Perfe, car les anciens Perfcs
ffj Schwenckfeld, Av'i. fil. pag. ^l 6.
(g) Arirtot. HiJI. an'im. lib. IX, cap. XXXII.
(h) Schwenckfeld, Avi. Jil. pag. 214.
/i) Klein, Ordo. avium , pag. 40.
^k) Rzaczynsky, Auâ. Hiji. naî. Pol pag. 360 & i6\.
(l) Barrcre, Ornithol. ClafT. III, gen. IV, fp. 1.
(mj B rit if c h Zoology , pag. 6\.
DU GRAND A J C L E, 79
avoient , avant les Romains , pris l'aigle pour leur en-
feigne de guerre; &i c'étoit ce grand aigle, cet aigle
doré, aqmlafulva qui étoit àîiàki à Jupiter ^^A On voit
auffi par le témoignage des Voyageurs qu'on le trouve
en Arabie (o)r en Mauritanie 6c dans plufieurs autres
provinces de l'Afrique & de i'Afie jufques en Tartaric,
mais point en Sibérie ni dans le refte du nord de l'Afie.
Il en efl à peu-prcs de même en Europe , car cette
cfpèce , qui efl par -tout afTez rare, l'cft moins dans
nos contrées méridionales que dans \q% provinces tem-
pérées , 6c on ne la trouve plus dans celles de notre
nord au-delà du 55"''' degré de latitude: auiïi n^ l'a ton
pas retrouvé dans l'Amérique feptentrionale, quoiqu'on
y trouve l'aigle commun. Le grand aigle paroit donc
être demeuré dans les pays tempérés 6c chauds de
l'ancien continent comme tous les autres animaux aux-
quels le grand froid efl contraire, & qui par cette raifon
n'ont pu paflèr dans le nouveau.
L'aigle a plufjeurs convenances phyfiqucs <3^ morales
avec le lion; la force, 6c par conféquent l'empire fur
les autres oifeaux comme le lion fur les quadrupèdes;
(n) Fulvam aquilam Jov'is vvnt'iam. Cicero. de Legiùus , lib. II,
— G rata Jovis fitlvœ rojïra videbis avis. Ovid. lib. V. — Fulvufûue
ionantis arrniger. Claudian.
^0) Aliijores (aquilae) Arabico nomine Nejlr vocantur. Aqu'das d-^cenî
Afri wlpibus & lupis injîdiari quibufcum pral'ium ineunt ; verum edvfla
vquilœ unguibus dorfum & caput rojlro comprehendimt ut dentibus morderî
ncqueant. Cattrum fi animal dorfum volvat aquila vcn dejijiit donec ve(
interimat v(l oculos illi rffodiat. Lcon Afr. part. 11, pag. j6 7>
8o H I STO I RE NATU RELLE
la magnanimité, ils dédaignent également les petits ani-
maux 6c méprirent leurs inlultes ; ce n'efl qu'après avoir
été long -temps provoque par les cris importuns de la
corneille ou de la pie , que l'aigle fe détermine à les
punir de mort; d'ailleurs, il ne veut d'autre bien que
celui qu'il conquiert, d'autre proie que celle qu'il prend
lui-même; la tempérance, il ne mange prefque jamais
fon gibier en entier , <Sc il laifTe comme le lion les
débris & les refies aux autres animaux. Quciqu'affamé
qu'il foit, il ne fe jette jamais fur les cadavres. Il efl
encore folitaire comme le lion , habitant d'un défert
dont il défend l'entrée Si l'ufage de la chaiïe à tous les
autres oifeaux ; car il ell peut-être plus rare de voir
deux paires d'aigles dans la même portion de montagne,
que deux familles de lions dans la même partie de
forêt ; ils fe tiennent aflez loin les uns des autres pour
que l'efpace qu'ils fe font départi leur fourniffe une
ample fubfiflance; ils ne comptent la valeur ô<. l'étendue
de leur royaume que par le produit de la cliafTe. L'aigle
a de plus les yeux étincelans <Sc à peu-près de la même
couleur fp) que ceux du lion, les ongles de la même
forme , l'haleine tout auifi forte , le cri également
effrayant (<]). Nés tous deux pour le combat Ôl h
proie ,
fp) Oculi charop'i. Charopus color qui dilutam hahet \mditatem igneo
quodam fplendore intermicûntem ; qiiaUm in leonum oculis confpicimus.
Calepin. Didion,
/q) ISota. Nous avons comparé l'aigle au lion, & le vautour au
tigre,
DU C R A N D A I C L Ë. 8l
proie , ils font également ennemis de toute fociété ,
également féroces, également Hers &. difficiles à réJuire;
on ne peut les apprivoifer qu'en les prenant tout petits.
Ce n'efl qu'avec beaucoup de patience Si d'art qu'on
pcutdrefTer à la chafTe un jeune aigle de cette efpèce;
il devient même dangereux pour fon maitre dès qu'il
a pris de la force 6c de l'àge. Nous voyons par le
témoignage des Auteurs, qu'anciennement on s'en
fervoit en Orient pour la chaffe du vol , mais aujour-
d'hui on l'a banni de nos fauconneries ; il eft trop
lourd pour pouvoir, fans grande fatigue, le porter fur
le poing; jamais affez privé, allez doux , affez fur pour
ne pas faire craindre i^es caprices ou fcs momens de
colère à fon maître; il a le hec & les ongles crochus
<Sc formidables ; fa figure répond à fon naturel; indé-
pendamment de Xes armes , il a le corps robufle (Se
compadc , les jambes éc les ailes très-fortes, les os
fermes , la chair dure, \cs plumes rudes (rj, l'attitude
fière (Se droite , les mouvemens brufques &i le vol
très-rapide. C'cft de tous les oifeaux celui qui s'élève
le plus haut, ôl c'eft par cette raifon que les 'Anciens
rigrc; or, Ton Cm que le lion a la tête & le cou couverts d'une hcWc
crinicre, & que le tigre les a, pourainfi dire, nus en comparaifon du
lion; il en ell de même du vautour, il a la tête & \c cou dcnucs de
plumes, tandis que l'aigle les a bien garnis & couverts de plumes.
(r) On prétend que les plumes de l'aigle font fi rudes, que quand
on les mêle avec des plumes d'autres oilçaux , elles les ufent par le
frouemem.
Oifcaux , Terne /. . L
82 Histoire Natu relle
ont appelé l'aigle, Voifeau cékjle , &. qu'ils le regardoicnt
dans les augures comme le mefTager de Jupiter. 11 voit
par excellence , mais il n'a que peu d'odorat en com-
paraifon du vautour; il ne chafTe donc qu'à vue; Se
lorfqu'il a faifi fa proie il rabat fon vol comme pour
en éprouver le poids. Si la poie à terre avant de l'em-
porter. Quoiqu'H ait l'aile très-forte, comme il a peu
de fouplefle dans les jambes, il a quelque peine à s'é-
jever de terre, firr-tout lorfqu'il efl chargé; il emporte
aifément les oies, les grues; il enlève auifi les lièvres
6v même les petits agneaux,, les chevreaux; ôl lorfqu'il
attaque les faons cSc les veaux, c'efl pour fc rafTafier fur
le lieu de leur fang <S^ de leur chair , Se en emporter
enfuite les lambeaux dans fon ûire; c'ed ainfi qu'on
appelle fon nid, (jui e(l en effet tout plat <Sc non pas
creux comme celui de la plupart des autres oifeaux ;
il le place ordinairement entre deux rochers dans un
Jieu fec & inacce/fible. On affure que le même nid fert
à l'aigle pendant toute fa vie; c'eft réellement un ou-
vrage affez confidérable pour n'être fait qu'une fois ,
Si affez folide pour durer long-temps ; il efl conflruit
à peu-près comme un plancher avec des petites perches
ou bâtons de cinq ou flx pieds de longueur, appuyés
par les deux bouts Si traverfés par des branches fouplcs
recouvertes de plufieurs lits de joncs Si. de bruyères ;
ce plancher ou ce nid efl large de plufieurs pieds Se
affez ferme, non -feulement pour foutenir i'aigle, fa
femelle ôl fes petits , mais pour fupporter encore le
DU GRAND Aigle, 83
poids d'une grande quantité de vivres: il n'eft point
couvert par le haut & n'efl abrité que par ravancement
des parties fupérieures du rocher. La femelle dépcfe
fes œufs dans le milieu de cette aire , elle n'en pond
que deux ou trois qu'elle couve, dit- on, pendant
trente jours; mais dans ces œufs il s'en trouve fouvcnt
d'inféconds, &. il efl rare de trouver trois aiglons dans
lin nid ff), ordinairement il n'y en a qu'un ou deux.
On prétend même que dès qu'ils deviennent un peu
grands, la mère tue le plus foiblc ou le plus vorace de
fes petits; la difctte feule peut produire ce fentimcnt
dénaturé, les père 6c mère n'ayant pas affez pour eux-
mêmes cherchent à réduire leur famille, 6c dès que les
petits commencent à être affez forts pour voler 6c fe
pourvoir d'eux-mêmes, ils les chafTent au loin fans leur
permettre de jamais revenir.
Les aiglons n'ont pas les couleurs du plumage au/H
(f) Un ami m'a a/Turé avoir trouvé en Auvergne un nid d'aîolc,
fufpendu entre deux rochers , où il y avoit trois aiglons i\é)\ forts.
Ornith.de SaUrne , page jf. Nota. M. Salerne ne raj)portc ce fait
<jue pour appuyer l'opinion qu'il a adoptée de M. Linnaeus, cjut:
xet aigle produit quatre œufs; mais je ne trouve pas que M. Lin-
naus ait affirmé ce ftit particulièrement , & ce n'eft qu'en général
qu'il a dit que les oifcaux de proie produifoient environ quatre œuf*.
Acàpitres , nldus in altis , ova circiter quatuor. Linn. Syft. nat. edit. x,
tome J, page 8 1. II eft donc très - probable que cet aigle d'Au-
vergne qui avoit produit trois aiglons , n'étoit pas de l'efpèce du
grand aigle, mais de celle du petit aigle ou du balbuzard, dont la
ponte eft: en effet de trois ou quatre œufs.
Lij
84- Histoire N atu re l le
fortes que cjuand ils font adultes ; ils font d'abord
blancs, enfuite d'un jaune pâle, 6c deviennent enfin
d'un fauve affcz vif La vieiilefljb ,. ainfi que les trop
grandes diettes, les maladies 6c !a trop longue captivité
les font blanchir. On affure q^u'ils vivent plus d'un
fiècle, 6c l'on prétend que c'eft moins encore de vieiL-
Icffe qu'ils meurent, que de rimpolfibilitc de prendre
de la nourriture; leur bec fe recourbant fi fort avec
J'âge , qu'il leur devient inutile : cependant on a vu
fur des aigles gardés dans les ménageries qu'ils aiguifent
leur bec, 6c que raccroifTemcnt n'en étoit pas fenfibie
pendant plufieurs années. On a au/fi obfervé qu'on
pouvoit les nourrir avec toute forte de cliair, même
avec celle des autres aigles, 6c que fuite de chair ils
mangent très -bien du pain, des ferpens, des lézards,
6cc. Lorfqu'ils ne font point apprivoifés ûs mordent
cruellement les chats, les chiens, les.hommesqui veu!<^nt
fes approcher. Ils jettent de temps en temps un cri aigu ,
fonore , perçant Si lamentable, 6c d'un fon fourenu.
L'aigle boit très -rarement 6c peut-être point du tout
iorfqu'il eft en liberté, parce que le fangde fes vi(5times
fuffit à fa foif Ses excrémens font toujours mous 6c plus
humides que ceux des autres oifeaux, même de ceux
qui boivent fréquemment.
C'efl à cette grande efpèce qu'on doit rapporter le
partage de Léon-f Africain que nous avons cité, ôl
tous les autres témoignages des Voyageurs en Afrique
& en Afie, qui s'accordent à dire que cet oifeau enlève
Jpm I
r: ! /".-.
I
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tlCtt.'' Scuif .
l.E GRAND .VIGLK
DU GRAND Aigle. 85
non-feulement les agneaux, les clievreaux , les jeunes
gazelles , mais qu'il attaque auiïi , lorfqu'il efl drefTé ,
ics renards & les loups frj,
(t) L'Empereur ( du Thibet ) a plufieurs aigles privées qui font fi
âpres & fi ardentes qu'elles arréient & prennent les lièvres , chcvreuihj,
<iaims & renards ; même il y en a d'aucunes de fi grande hardielTc
& témérité qu'elles ofent bien aflailiir & le ruer impétueulêment fur
ïe loup, auquel elles font tant de vexation & molcftation qu'il peut
être pris plus facilement. Marc Paul. //y. II, page j S,
'^;
86 Histoire Natu re lle
L'AIGLE COMMUN (^J.
Voje^ les Planches enluminées, n. ^o^,
L'espèce de l'Aigle commun efl moins pure, & la
race en paroît moins noble que celle du grand aigle;
elle eft compofée de <\t\\y. variétés , 1 aigle hrun (b)
ôi l'aigle noir fcj : Ariflote ne les a pas diflingués
nommément, âc il paroit les avoir réunis fous le nom
faj En grec, AêTC?, Mê^<vctÈT05i en Ef])agnoI, Àqulla cono-
t'ida; en Allemand, Adkr, Arn, Aar; en Suède, Orn; en Anglois,
JEûgle.
(b) Voyez la planche enluminée de M. Edwards, tome I , planche I.
'—L'aigle. Brifion, Orm'M.tom. I, p. 4.1 9. — Aquilafuha ftu chryfxîos
Cûudâ annulo alho c'inélâ. Ray, Synopf. avi. page 6, n." 2. — Chryfceîos
caudâ annulo albo cinââ. Wiilulgliby , Ornithol, page 28. Nota. Ces
deux Auteurs Anglois ont donné mal-à-propos l'épithète <le fulva
ou de chryfatos à cet aigle qui eft brun-noirâtre , & non pas jaune
ou doré. — Aigle à queue blanche. Voyage de la haie de Hudfon ,
tome I, page y ^. — Aigle à la queue blanche. Edwards, tome 1,
page j . Nota. Ces deux Auteurs n'auroient pas dû indiquer cet aigfc
par le caradlère de la queue blanche, parce que cela fait confiifion
avec le Pygargue, qui ell le véritable aigle à queue blanche, ayant
en effet la queue entièrement blanche , au lieu que l'aigle dont il
s'agit ici ne l'a blanche qu'en partie. — Aigle. Mémoires pour fervîr k
VHïJloire des animaux , tome III , page 8 ^ .
(c) Voyez la planche enluminée de Frifch , numéro LXIX,
— L'aigle noir. BrifTon , tome I , page 4^4- — Voyez aufli la àt{-
cription de cet oifeau dans Schwenckfeld, page 218. — Aigle noir.
Belon, Hijloire des oijeaux , page ^2.
D E l'A 1 g l e commun. Sj
de Mi?^ivâiTvç, aigle noir ou noirâtre (d) , &. il a eu
raifon de féparer cette efpèce de la précédente , parce
qu'elle en diffère; i." par la grandeur, l'aigle com-
mun, noir ou brun, étant toujours plus petit que le
grand aigle; 2.° par les couleurs qui font confiantes
dans le grand aigle, & varient comme l'on voit dans
l'aigle commun; 3.° par la voix, le grand aigle poulfant
fréquemment un cri lamentable, au lieu que l'aigle
commun, noir ou brun, ne crie que rarement; ^.° enfin
par les habitudes naturelles-, l'aigle commun nourrit,
tous fes petits dans fon nid, les élève & les conduit
enfuite dans leur jeuncfTe ; au lieu que le grand aigle
les chafTe hors du nid, 6cles abandonne à eux-mêmes
dès qu'ils font en état de voler.
Il me paroît qu'il efl aifé de prouver que l'aigle
brun 6c l'aigle noir, que je réunis tous àt\\\ fous une
même efpèce, ne forment pas en effet deux efpèces
différentes ; il fuffit pour cela de les comparer enfemble ,
même par les caraétères donnés par nos Nomenclateurs
dans la vue de les féparer; ils font tous deux à peu près
de la même grandeur; ils font de la même couleur brune,
feulement plus ou moins foncée : tous deux ont peu
(d) Tertium genus ( aquilae ) colore nigr'icans unde nomen accepit , uî
puUa Ù" fuhîa vocetur. Aiagnitudine m'mima ( niinor ) fed v tribus omnium
pira(}anti[fima ( prœftamior ) colit montes ûc ftlvas & leporaria cognomi-
natur. Una hœc fccîus fuos alit alque educit : pernix, conùnna, polita, apta
intrepida , Jlrenua , liberalis , non invida ejl ; modejîa eîiam nec petulans ,
qvippe quœ non clangat ne que lippiat aut murmure t, Ariilot. Hifi»
anim. lib. IX, cap. xxxii.
8S Histoire Naturelle
de roux fur les parties fupérieures de la tcte ou du
cou, (Se du blanc à l'origine des grandes plumes; les
jambes 6c les pieds également couverts ôi garnis; tous
deux ont l'iris des yeux de couleur de noifctte, la
peau'qui cou\Te la bafe du hcc d'un jaune yi-f, le bec
couleur de corne bleuâtre , les doigts jaunes <5v les
ongles noirs; en forte qu'il n'y a de diverfitc que dans
les teintes Si la difîribution de la couleur des plumes,
ce qui ne fufîît pas à beaucoup près pour conftituer
deux cfpèces diverfes , fur-tout lorfque le nombre
des reiïemblances excède au/Fi évidemment celui des
différences: c'eft donc fans aucun fcrupule que j'ai
réduit ces deux cfpèces à une {cu\cy que j'ai appelée
Vûigle commun, parce qu'en effet c'eft de tous les
aigles le moins rare. Ariftote , comme je viens de le
dire, a fait la même rédudion fans l'intliquer; mais il
me paroît que fon traduéteur, Théodore Gaza, j'avoit
fenti , car , il n'a pas traduit le mot Mi?[gLivaiTvç par
aquïla ivgra , mais par aquila riigricaus , pulla fnlv'm , ce
qui comprend les deux variétés de cette efpècc qui
toutes deux font noirâtres, mais dont l'une eft mêlée
de plus de jaune que l'autre. Ariflote , dont j'admire
fouvent l'exadtitude, donne les noms Sl les furnoms
des chofes qu'il indique. Le furnom de cette efpècc
d'oifeau, dit- il , ed: AWç Ast^^o^^Voç : X aigle aux limrs ;
Ôi en effet, quoique les autres aigles prennent au/fi des
lièyres,, celui-ci en prend plus qu'aucun autre; c'efl
fa chaffe habituelle , Si la proie qu'il recherche de
préférence :
D E l'A I g l e c 0 m m u n. 89
préférence: les Latins, avant Pline, ont appe'é cet
afgle Valeria, qiiafi valens vir'ibus (e) , à caufe de fa force
qui paroît être plus grande que celle des autres aigles
relativement à leur grandeur.
L'efpèce de Taigle commun efl plus nomhreufe, <5c
plus répandue que celle du grand aigle : celui-ci ne fe
trouve que dans les pays chauds (Se tempérés de
l'ancien continent : l'aigle commun au contraire ,
préfère les pays froids, (Se fe trouve également dans
les deux continens. On le voit en France (f), en
Savoie, en Suiffe (g), en Allemagne (h), en Po-
logne (ij (Se en Ecoffe (k) ; on le retrouve en Amérique
à la baie de Hudfon (l).
(e) Melœnattos a grecïs diâa, eademque Valeria. Plin. Hijf. nat,
lib. X, cap. III.
(f) Dans les montagnes de Bugey, du Dauphiné & de l'Au-
vergne; voye-^ les notes cï-dejfus.
(g) Aejuila alp'ina faxaùlis. Gazoph. Rup. BeJIer. tab. XV I.
(h) Aquila nigra melœnaeios, aqu'ila pulla, fuba, valeria, Uporaria,,...,
Colit fdvas & montes. Hieme apud nos ( in Silefiâ ) maxime appareî.
Schwenckfcld, Avi. J/7. pag. 218 & 21p. — Voyez aulîi Kkin;
Ordo. avi. pag. 42.
{ij Rzaczynsky, Auâ. Hijl. nat. Pol pag. 42.
(k) Sibbald. Scot. illujlr. part, m, pag. 14.
(l) Il y a en ce pays ( c'eft-à-dire dans les terres volfines de la
baie de Hudfon), plufieurs autres oifeaux très-curieux quant à leur
forme & force : tel eft , entr 'autres , l'aigle à queue blanche qui cft
à peu près de la grofieur d'un coq d'indc ; fa couronne eft aplatie,
& il a le cou court, l'cflomac large, les cuiiTei fortes, & les ailes
Oïfcaupi, Tome /. . M
po Histoire Naturelle, ire.
fon longues & larges à proportion du corps ; elles font noirâtres fur
ie derrière , mais plus claires aux côtés : l'edomac eft marqueté de
blanc , les plumes des ailes font noires ; la queue étant fermée eft
blanche en haut & en bas, à l'exception des pointes même des plumes
qui font noires ou brunes : les cuiiTes font couvertes de plumes
bnmes- noirâtres, par lelquelles on voit en cenains endroits un duvet
blanc : les jambes font couvertes jufqu'aux pieds d'un duvet brun un
peu rougeàtre ; chaque pied a quatre doigts gros & forts, dont trois
vont en avant & un en arrière; ils font couverts d'écailles jaunes,
& garnis d'ongles extrêmement forts & pointus qui font d'un beau
noir luifant. Voyage de la baie de HuJjon , par Ellis : Paris, i j^g,
jn-i2, tome 1, pages )^ & ^ ^ , avec une bonne figure. Nota. On
voit bien clairement, par cette delcription , que cet oifeau eft l'aiorle
brun commun (Se non pas le pvgiirgue , & que par conféqucnt
l'Auteur ne devoit pas l'appeler aigie à queue blanche : au refte , je
trouve que prefque tous les Naiuralilles Anglois font tombés dans
cette petite méprile, en prenant pour principal caradère de cet aigle
la blancheur de la queue. Ray & Willulghhy l'ont appelé aquilafuha
chryfcetos caudâ annule albo c'mââ. Ray , Synopf. avi. p«ige 6. Wil-
ïulghby , Ornithol. page 28 ; 6t ils ont été fuivis par les Auteurs de
la Zoologie Britannique, qui indiquent cet aigle par ce mêine ca-
raiflère ( Ringtail Eagle ) , tandis qu'il n'efl ni ]'AVkX\t ( fulvus ) , ni
doré ( chryfcEîos ) , & que le caracftère de la queue blanche appartient
au pygargue bien plus légitimement & plus anciennement, & dès
le temps d'Ariftote.
pi
L E
PETIT AIGLE (a).
J-j A troifième cfpèce eft l'Aigle tacheté, que j'ap-
pelle/?^/// aigle (b) , &. dont Ariflote donne une notion
exacfle en difunt (c) , que c'ed un oifcau plaintif dont
le plumage eft tacheté, 6c qui efl plus petit <5c moins
fort que les autres aigles; & en effet, il n'a pas deux
pieds (Sv. demi de longueur de corps, depuis le bout
du bec jufqu'à l'extrémité des pieds, <Sc fes ailes font
encore plus courtes à proportion, car, elles n'ont
guère que quatre pieds d'envergure : on l'a appelé
ûquild plangû , aqiiila clanga , aigle plaintif, aigle criard;
6c ces noms ont été bien applicpics , car il pouiï'e
(a) En Grec, T\-^yy>i, y^Myyoi, Mop:p>'05; en Latin, ÀtjuUa
tiœv'iû ; en Allemaixi , Sccin adler , Gaufe aar ; en Anglois , Kough'
footed Eagle.
(b) Voyez les planches enluminées de Frifch, planche LXX I,
— L'aigle lachctc. Bi iilon, tome 1, page ^26. — Morphm Congener.
Aldrov. nd. Avi. tome 1, page 21^. — I^ota. Cet Auteur, & après
lui Jonrton , Wiilulghby , Ray & Charieton ont donné à cet oileau
la denoininaiion de AiorpLno Conginer; & il me paroît que c'eft mal-
à-propos, puilcjue ce même oileau efl: le vrai Morpiinos des Grecs.
( c ) A/ie--um genus ( aquilae ) magnkudine fecundum & v'iribus;
plangd aut clanga nomiue , faltus & convalles & lacus incolere fol'dum ,
cognomine ar.atann & morphnn a macula pennœ quafi nœ\iam dixeris:
ciijus Homerus etiam meminit in exiiu Priami, Ariftote, H'ijî. anim,
Ub. IX, cap. xxxn.
Mi;
92 Histoire Naturelle
continuellement des plaintes ou des cris lamentables;
on l'a furnommc ûnataria , parce qu'il attaque les
canards de préférence ; <Sc morphna , parce que fon
plumage qui eil: d'un brun obfcur efl marqueté fur
\ts jambes & {ows les ailes de pluficurs taches blan-
ches, (5c qu'il a auffi fur la gorge une grande zone
tlanchâtre : c'efl de tous les aigles celui qui s'appri-
voife le plus aifément (d) ; il cft plus foible , moins
fier &i moins courageux que les autres ; c'efl celui
que les Arabes ont appelé iimicch (e) , pour le diflin-
guer du grand aigle qu'ils appellent luniûc/i. La grue
eft fa plus forte proie ; car \\ ne prend ordinairement
que des canards , d'autres moindres oifcaux & des
rats (f). L'efpèce, quoique peu nombreufe en chaque
lieu, efl répandue par-tout, tant en Europe (g) qu'en
(d) Ultra très annos m'ihi famïliaris , hœc aquUa clanga. Quotits
yen'iam dederam , menfœ in plures horas infidebat mihi a Jînijlrâ ,
oBfervans motum manûs dextrœ htteras perarantis ; permukens ali(juando
fuo capite mhram rneûtn fi îitillabam fub mento , iintinnabat clarâ voce :
familiar'is fuît aliis ûv'ibus in horto in fpecie lavis , non nifi recenti carni
bovinœ ajfuefada. Klein, Ordo. avi. pag. 41 & 42.
(e) Il y a de deux elpèces d'aigles ; l'une efl ablblument appelée
TXimmach; l'autre efl nommée ■^emiech. . . , L'aigle zummach prend le
lièvre , le renard , la gazelle ; l'aigle zemicch prend la grue «Se oifeaux
plus moindres. Fauconnerie de Guillaume Tardif, iiv. II, cap. 11.
(f) Aiures ut gratum cibum devorare folet ; aviculas etiam , anales
^ columbas vcnatur. Schwenckfeid , Avi. SU. pag. 220.
(g) On trouve ce petit aigle aux environs de Dantzic : on le
trouve auiïi , quoique rarement , dans les montagnes de Silefie.
V^y€\ Schii^^nclfeld , page 220.
DU PETIT Aigle. 93
AfiC fh), en Afrique où on la trouve jufqu'au cap de
Bonne-efpcrance fi) dans ce continent ; mais ii ne paroît
pas qu'elle foit en Amérique: car, après avoir comparé
Jes indications des Voyageurs, j'ai préfumé que l'oiTeau
qu'ils appellent Vû'igle Je l'Orcnoquc , qui a quelque
rapport avec celui - ci par la variété de iox\ plumage ,
efl néanmoins un oifeau d'efpèce différente: fï ce
petit aigle qui efl beaucoup plus àocW^ , plus aifé à
apprivoifer que les deux autres, & qui efl auffi moins
lourd fur le poing, 6c moins dangereux pour fon maître,
fe fût trouvé également courageux, on n'auroit pas
manqué de s'en fervir pour la cliaffe, mais \\ efl auffi
iciclie que plaintif <Sc criard. Un épervier bien dreflé
fufîit pour le vaincre 6; l'abattre (k) : d'ailleurs on voit
(h) On le trouve €11 Grèce, puirrju'AriAote en fîiit mention;
en Perle, comme on le voit par le témoignage de Chardin; & eit
Arabie où il porte le nom de ^imiech , ou aigle foible,
(i) On le trouve au cap de Bonne-efpcrance, car il me p:\roît
que c'efl; le même aigle que Kolbe appelle a'igk canardière , qui le
jette principalement fur les canards. Kolbe, panle lii , page 170.
(k) C'efl à cette efpèce d'aigle lâche qu'il faut rapporter le pafîâcrc
fuivaiit. « Il y a aufli des aigles dans \çi, montagnes voifjnes de
Tauris ( en Perfe ); ]ti\ ai vu vendre un cinq fous ])ar des payfins. ce
Les gens de qualité voient cet oîfeau avec i'e'pervier ; ce vol efl ce
tout-à-fait quelque choie de curieux & de fort admirable : la façon c<:
flont l'épervier abat l'aigle, c'cft qu'il vole au-defius fort haut,
fond fur lui avec beaucoup de vîtefîe, lui enfonce les ferres dans
les flancs, & de (qs ailes lui bat la ikic en volant toujours: il arrive
pourtant quelquefois que l'aigle & l'épervier tombent tous deux
«nfenible w. Voyage de Chardin, Londres , i 6 S 6 , pages 2 ^ 2 & 2q ^.
M iij
«
ce
ce
ce
94 Histoire Naturelle
par les témoignages de nos Auteurs de fauconnerie,
qu'on n'a jamais drefTé, du moins en France, que les
deux premières efpèces d'aigles; favoir le grand aigle
ou aigle fauve, & l'aigle brun ou noirâtre, qui cfll 'aigle
commun. Pour les inflruire, il faut les prendre jeunes;
car un aigle adulte efl non - feulement indocile, mais
indomptable ; il faut les nourrir avec la chair du gibier
qu'on veut leur faire chafTer. Leur éducation exige des
foins encore plus affidus que celle des autres oifeaux
de fauconnerie; nous donnerons le précis de cet art à
l'article du faucon. Je rapporterai feulement ici quelques
particularités que l'on a obfervées fur les aigles , tant
dans leur état de liberté que dans celui de captivité.
La femelle qui dans l'aigle, comme dans toutes les
autres efpèces d'oifeaux de proie , efl plus grande que
le mâle, Si femble être auffi dans l'état de liberté
plus hardie, plus courageufe Si plus fine, ne paroit pas
conferver ces dernières qualités dans l'état de captivité.
On préfère d'élever des mâles pour la chaffe ; Si l'on
remarque qu'au printemps lorfque commence la faifon
des amours , ils cherchent à s'enfuir pour trouver
une femelle; en forte que fi l'on veut les exercer à la
chafle dans cette faifon , on rifque de les perdre à
moins qu'on ne prenne la précaution d'éteindre leurs
defirs en les purgeant allez violemment: on a aufîi
obfervé que quand l'aigle en partant du poing vole
contre terre, 6c s'élève enfuite en ligne droite, c'efl
fjgne qu'il médite fa fuite; il faut alors le rappeler
DU PETIT Aigle. 95
promptement en lui jetant Ton pafl; mais s'il vole en
tournoyant au - defTus de fon maître , fans fe trop
éloigner, c'efl figne d'attachement & qu'il ne fuira
point. On a encore remarqué que l'aigle dreifé à la
chafTe , fe jette fouvent fur les autours <Sc autres
moindres oifeaux de proie, ce qui ne iui arrive pas
lorfqu'il ne fuit que fon inflincfl; car, alors il ne les
attaque pas comme proie, mais feulement pour leur
en difputer ou enlever wnc autre.
Dans l'ctat de Nature, l'aigle ne chafTe feul que
dans le temps où la femelle ne peut quitter fes œufs
ou fes petits ; comme c'efl la faifon où le gibier com-
mence à devenir abondant par le retour des oifeaux,
il pourvoit aifément à fa propre fubfiftance Si à celle
de fa femelle; mais dans tous les autres temps de
l'année le mâle (Se la femelle paroiffent s'entendre
pour la chaffe; on les voit prefque toujours enfemble
ou du moins à peu de diftance l'un de l'autre. Les
habitans des montagnes, qui font à portée de les
obfcrver, prétendent que l'un des deux bat les buiffons,
tandis que l'autre fe tient fur quelqu'arbre ou fur
quelque rocher pour faifir le gibier au paffage : ils
s'élèvent fouvent à une hauteur fi grande qu'on les
perd de vue , & malgré ce grand éloignement leur
voix fe fait encore entendre très -diflindement, <&:
leur cri reffemble alors à l'aboiement d'un petit chien.
Malgré fi grande voracité, l'aigle peut fe pafTer long-
temps de nourriture , fur-tout dans l'état de captivité
c)6 Histoire Naturelle
lorfqu'il ne fait point d'exercice. J'ai été informé par
un homme digne de foi, qu'un de ces oifeaux de
l'efpèce commune, pris dans un piège à renard,
avoit pafTé cinq femaincs entières fans aucun aliment.
Si n'avoit paru affoibli que dans les huit derniers jours,
au bout dcfquels on le tua pour ne pas le laifîer languir
plus long-temps.
Quoique les aigles en général aiment les lieux
dcferts <5c les montagnes , il ed rare d'en trouver
dans celles des prefqu'îies étroites, ni dans les îles
qui ne font pas d'une grande étendue ; ils habitent la
terre -ferme dans les deux continens, parce qu'ordi-
nairement les îles font moins peuplées d'animaux. Les
anciens avoient remarqué qu'on n'avoit jamais vu
d'aigles dans l'île de Rhodes, ils regardèrent comme
un prodige, que dans le temps où l'empereur Tibère
fe trouva dans cette île, un aigle vint fe pofer fur le
toit de la maifon où il étoit logé. Les aigles ne font
en effet que paffer dans les îles fans s'y habituer, fans
y faire leur ponte; 6c lorfque les Voyageurs ont parlé
d'aigles dont on trouve les nids fur le bord des eaux;
ÔL dans les îles, ce ne font pas les aigles dont nous
venons de parler, mais les balbuzards Se les orfraies
qu'on appelle communément ûig/^s de iner , qui font
des oifeaux d'un naturel différent, (Se qui vivent plutôc
de poiffon que de gibier.
C'efl ici le lieu de rapporter les obfervations anato-
miques que l'on a fuites fijr les parties intérieures A^s
aigles I
DU PETIT Aigle, 97
aigles, & je ne peux les puifer Jans une meilleure fource
que dans ies Mémoires de Al." de l'Académie des
Sciences, qiii ont difTcqué deux aigles, i'un mâle <Sc
l'aiUre femelle de refpèce commune flj. Après avoir
remarqué (^\c les yeux étoient fort enfoncés, qu'ils
avoient une couleur ifabelle avec l'éclat d'une topaze,
que la cornée s'élevoit avec une grande convexité,
que la conjoncftive étoit d'un rouge fort \\ï , les pau-
pières très-grandes, chacune étant capable de couvrir
l'œil entier; ils ont ohfervé fur les parties intérieures,
que la langue étoit cartilagineufe par le bout & charnue
par le milieu ; que le larynx étoit carré 6c non pas en
pointe, comme il l'efl à la plupart des oifeaux qui ont
le htc droit ; que i'œfophage qui étoit fort large ,
s'élargiffoit encore davantage au-deffous pour former
Je ventricule ou eflomac ; que cet eftomac n 'étoit
point un géfier dm*, qu'il étoit fouplc & membraneux
comme rœfophage, 6c qu'il étoit feulement plus épais
par le fond; que ces deux cav'iiès , tant du bas de
I'œfophage que d\\ ventricule, étoient fort amples &
proportionnées à la voracité de Tanimal; que les intef-
tins étoient petits comme dans les autres animaux qui
fe nourrifTent de chair; qu'il n'y avoit point de cœcum
(l) Nota. Que quoique M." de TAcadémie aient pcnfé que ces
deux aigles qu'ils ont décrits & diiTéqués étoient de refpèce du grand
aigle ( chryfœtos ) , il ell aifé de reconnoître par leur propre defcriptioH
&. en comparant leurs indications avec les miennes , que ces deux
aigles n'étoient pas de la grande efpècc, mais de Telpèce moyenne ou
commune.
Oifeaux, Tome h • N
98 Histoire Naturelle, ire.
clans le mâle, mais que la femelle en avoit deux affez
amples 6c de plus de deux pouces de longueur; que
le foie étoit grand tSc d'un rouge fort vif, ayant le
lobe gauche plus grand que le droit; que la véficule
du fui ctoit grande, à. de la groffeur d'une groffe
châtaigne ou marron ; que les reins étoient petits à
proportion , &. en comparaifon de ceux des autres
G i féaux ; que les tefticuics du mâle n'ctoient que de
ja groiïcur d'un pois 6c de couleur de chair tirant
fur le jaune, 6c que l'ovaire & le conduit de To-
vaire dans la femelle ctoient comme dans les autres
oi féaux (mj.
(m) Mémoires pour fervir à rHiAoire des animaux, partie II,
article de Xa'igk,
99
LE PYGARGUE (a).
Vû/ei les planches enluminées , nf ^i i .
X-«*£SPÈCE du Pygargue me paroit être compoféc àt
trois variétés; favoir , \c grand Pygargue (1>J , \e pah
Pygdrgiie (cj <lr le Pygargue à tae blanche (d) . Les deux
premiers ne différent guère que par la grandeur , (&.
le dernier ne diffère prefqu'en rien du premier, la
grandeur étant la même, 6c n'y ayant d'autre différence
qu'un peu plus de blanc fur la tête <Sc le cou. Ariftote
ne fait mention que de l'efpccc (e) , 6^ ne dit rien
des variétés ; ce n'efl: même que du grand pygargue
qu'il a entendu parler, puifqu'il lui donne pour furnoni
(a) Eu Grec, no}^p')p$; en Latin, Aqu'ila ûlbkilla, h'mularîa.
(b) Aqu'ila albïcïlla. L'aigle à queue blanche. B ri (Ton , tome 1,
pnge ^2y. — Pygargus feu aibkilla, quibufdam hinularia. Willulghby,
Ornithol. pag. 31. — La grande bondre'e blanche. OtnithoL de Salerne,
pag. 8.
{c) Voyez la planche enluriilne'e de Frifch, planche LXX. — Le
petit aigle à queue blanche. Brilloiî , tome I, page 42 p,
(d) Voyez la pL-uiche enluminée de Cate/Ly , tome 1, pacre /,
planche J. — L'aigle à tête blanche. Briflon, tome I, page 422.
(e) Aqu'darum pliira funt gênera. Unam quod pygargus ab alb'uante
caudd dîcitur , ac fi albïcillam nommes. Gaudct hœc plams ^ lucis ^
oppidis. Hinularia d nonnullis vocata cognomine efi. Montes etiam Jylvaf-
que fijis fréta viribus petit ; reliqua gênera raro plana & lucos adeunt,
Arirtot. ////?. anim. iib. IX, cap. XXXII.
N ij
100 Histoire N atu relle
Je moi h'mitlûriû , qui indique que cet oifeau fait fa proie-
des faons ( h'mulos ) , c'efl-à-dire des jeunes cerfs, des
daims. & chevreuils ; attribut qui ne peut convenir au»
petit pygargue, trop foible pour attaquer d'auffi grands
animaux.
Les différences entre les pygargues &. les aigles
font, i."* la nudité des jambes; les aigles les ont
couvertes juf(ju'au talon, les pygargues les ont nues
ckns toute la partie inférieure; z^ la couleur du bec ,
ies aigles l'ont d'un noir bleuâtre, <5c les pygargues l'ont
Jaune ou blanc; i^ la blancheur de la queue qui a fait
donner aux pygargues le nom à' aigles à queue Manche ,
parce qu'il a en effet la queue blanche en deffus 6c:
en deffous dans toute fon étendue: ils diffèrent encore
des aigles par quelques habitudes naturelles, ils n'ha-
bitent pas les lieux déferts ni les hautes montagnes ;
les pygargues fe tiennent plutôt à portée dts plaines
Si des bois qui ne font pas éloignés des lieux habités.
Il parojt que le pyg^'irgue, comme l'aigle commun,
affcéte les climats froids de préférence: on le trouve
dans toutes les provinces du nord de l'Europe ffj.
Le grand pygargue eff à peu près de la mémcgroffeur
& de la même force, fi même il n'efl pas plus fort
<]ue 1-aigle commun: il eft au moins plus carnaffier,
plus féroce &. moins attaché à fes petits; car, il ne ies
(f) ^- Liiinasus dit que cet oifcau fe trouve dans tomes \es
forêts de la Suède qu'il eft de la grandeur d'une oie, & que
Ja femelle cfl; plus blanchâtrs que fe iridle.
DU PYGARCUE, I0£
nourrit pas long-temps; il les cliafTe hors du nid avant
même qu'ils foient en état de fe pourvoir , 6s: Ton
prétend que fans le fecours de l'orfraie fgj, qui les
prend alors fous fa protedion , la plupart périroient :
'\\ produit ordinairement dtux ou trois petits, & fait
fon nid fur de gros arbres. On trouvx la defcription
d'un de ces nids dans WillugliLy , <5c dans pliifieurs
autres Auteurs qui l'ont traduit ou copié; e'efl une aire
ou un plancher tout plat , comme celui du grand
aigle , qui n'cft abrité dans le dellus que par le ïtxwWixgt
des arbres ^ <Sc qui efl compofé de petites pcrcjics 6<.
de branches, qui foutienncnt plufieurs lits alternatifs
de bruyères 6c d'autres herbes: ce fentiment contre
Nature, qui porte ces oifeaux à chaffer leurs petits
avant qu'ils puifTent fe procurer aifément leur fubfif-
tance , 6: qui eft commun à l'efpèce du pygargue, ôl
à celles du grand aigle 6c du petit aigle tacheté ,
indique que ces trois efpèces font plus voraces 6c
plus parefTeufes à la chafTe, que celle de l'aigle com-
mun qui foigne 6c nourrit largement fes petits, les
conduit enfuite, les inflruit à chaffer, 6c ne les oblige
à s'éloigner que quand ils font aiïcz forts pour fc
(g) Qjiœ ojfifraga appellatur nu tri cal b^ne & Juas pullos if.
cqullœ ; cum enim illa fuos nido ejecer'it , hœc recipit eos ac educat ; mhtït
ruimque fuos aquïla mtequam tempus fit , aàhuc parent is operam defuie-
rantes , nec vo/aridi adeptes facultatem ..... pulli a parente ejiciuntur ^
pulfantur. Dejeâi vociferantur , perklitanîurque ; fed ojffraga recipit eos
ù-enignè & tuetur & alït dum , quantum fatis fit , adolcfcant. Aiiilot»
Jtilijl. ûnlm. lib. IX, cap. XXXI V.
N iij
102 Histoire N atu relle, i/c.
pafTer de tous fecours : d'ailleurs le naturel des petits
tient de celui de leurs parens; les aiglons de i'efpèce
commune font doux &. afTez tranquilles; au lieu que
ceux du grand aigle Si du pygargue, dès qu'ils font
im peu grands, ne celîent de fe hattre 6: de fe dif-
puter la nourriture cv la place dans le nid; en forte
que fouvent le père 6c la mère en tuent quelqu'un
pour terminer le débat; on peut encore ajouter que
comme le grand aigle &i le pygargue ne cliafTent
ordinairement que de gros animaux, ils fe raffafient
fouvent fur le lieu, fans pouvoir les emporter; que
par confcqucnt les proies qu'ils enlèvent font moins
fréquentes , 6c que ne gardant point de chair corrompue
dans leur nid ils font fouvent au dépourvu ; au lieu que
l'aigle commun qui tous les jours prend des lièvres 6c
des oifeaux , fournit plus aifément 6c plus abondamment
Ja fubfiflance néceffaire à Ces petits. On a auffi remarqué ,
fur-tout dans I'efpèce des pygargues, qui fréquentent
de près les lieux habités , qu'ils ne chafTent que pendant
quelques heures dans le milieu du jour , 6c qu'ils fe
repofent le matin , le foir 6c la nuit ; au lieu que l'aigle
commun ( aqiiila valcria ) ell en effet plus valeureux,
plus diligent 6c plus infatigable.
lo:;
L E
BALBUZARD (^).
Voje^ les planches enluminées j nf 4/-/.
Le Balbuzard (pi. il) efl i'oifeaii que nos Nomcn-
dateurs appellent Aigle de mer (b) , Si que nous appelons
en Bourgogne Craiipt c lierai , mot qui fignitie corbeau-
pécheur. Crau ou craw efl le cri du corbeau ; c'cilaufTi
fon nom dans quelques langues, 6: particulièrement en
Anglois, (Se ce mot efl reflé en Bourgogne parmi les
payfans , comme quantité d'autres termes anglois que
j'ai remarqués dans leur patois, qui ne peuvent venir
que du féjour des Anglois dans cette province, fous
les règnes de Cbarles V, Cbarles VI, <5.c. Gefner, qui
Je premier a dit que cet oifeau étoit appelé crofpef-
chcrot par les Bourguignons, a mal écrit ce nom faute
d'entendre le jargon de Bourgogne ; le vrai mot efl
crau é^ non pas cros , &. la prononciation n'efl ni cros ,
(a) En Grec, AA/cceTOî", en Latin, Aqulla marina; en Italien,
Angu'ifa piomblna ; en Allemand, Fifch-adlcr ou F'ifch-ahr ; en Polo-
nois , Or:^elmaTsl<y ; en Anglois, Baldbu-:^ard ; en Bourgogne, Crau-
pâherot.
ib) Voyez la planche enluminée y\ i de Li Zoologie Britan-
nique. . . . L'aigle de mer. Brillon, Wn. J, pag. 440, pi. XXX lY.
r— BalbuTardus anghrum. Willulghby, Ornhfwl. pag. 37.
704 Histoire Natu relle
ni cran , mais crmv , ou fiinpiemcnt crâ avec un // fort
ouvert.
A toutconficlcrer, on doit dire que cet oifeau n'eflpns
lin aigle, quoiqu'il TefTemble plus aux aigles qu'aux autres
oifeaux de proie. D'abord \\ efl bien plus petit fcj,
il n'a ni le port , ni la figure , ni le vol de l'aigle. Ses
habitudes naturelles font auffi très-différentes, ainfi que
fes appétits, ne vivant guère que de poifTon qu'il prend
dans l'eau, mêrae à quelques pieds de profondeur fJ) ;
Si ce
fc) Nota. Qu'il y a une différence plus grnndc encore que dans Fcs
aigicj entre la feinelle &. le mâle balbuzard : celui que M. Brifloii
a dccrit , 6c qui fans doute étoit mâle , n'avoir qu'un pied fcpt
pouces de longueur jufqu'aux ongles , & cinq pieds trois pouces de
vol ; & un autre que l'on m'a apporté n'avoit qu'un pied neuf
pouces de longueur de corps, & cinq pieds fept pouces de vol:
au lieu que la femelle décrite par M." de l'Acadcmie des Sciences,
fous le nom d'haliœtus, à l'article de l'aigle que nous avons cité,
î^voit deux pieds neuf pouces de longueur de corps , y compris la
queue , ce qui fait au moins deux pieds de longueur pour le corps
feul , & Icpt pieds & demi de vol ; cette diffcrcnce eft fi grande
qu'on pourroit douter que cet oilênu décrit par jM." de l'Académie
fin le balbuzard ou craupêcherot , fi l'on n'en étoit affuré p^r les
autres indications.
(d) Nota. Malgré toutes ces différences, Ariflotc a mis le balbu-
7nrd au nombre des aigles , & voici ce cju'il en dit : Qu'inlum ( aquilae )
gmus eji quoi haliatvs , hoc ejl marina vocntur, cervice magna & crajfâ,
alis cwvantibus , caudâ latâ ; moratur hœc in liîtoribus & oris. Accidit
hitic fitpias ut cum ferre cjuod ce/erit nequent in gurgitem demergniur.
Arif^ot. HiJ. anim. lib. IX, cap, XXX II. Mais il fîiwt obferver que
les Grecs comprciioieiu tous les oifeaux de proie qui volent de jour
fous
DU Balbuzard. 105
<^ ce qui prouve que ie poiïTon efl en effet (:\ nour-
riture la plus ordinaire , c'efl que fa chair en a une
très -forte odeur. J'ai vu quelquefois cet oilcau de-
meurer pendant plus d'une Jieure perché fur un arbre
à portée d'un étang jufqu'à ce qu'il aperçût un gros
poifTon fur lequel il pût fondre 6c l'emporter cnfuitc
dans fes ferres. Il a les jambes nues 6c ordinairement
de couleur bleuâtre; cependant il y en a quelques-uns
qui ont les jambes 6c les pieds jaunâtres , les ongles
noirs très-grands 6c très-aigus, les pieds 6c les doigts fi
roides qu'on ne peut les fléchir; le ventre tout blanc,
la queue large ôl la tête groffe 6c épaifTc. Il difièrc
donc des aigles en ce qu'il a les pieds 6: le bas des
jambes dégarnis de plumes, 6c que l'ongle de derrière
fous les noms gcncriqiies de nétos , gyps & hierax , c'eft-à-dirc,
aquila , vullur ù' accipiter ; aigle, vautour & épervicr , & que dans
ces trois genres ils en diftijiguoient peu par des noms Ipécifiques ; &.
c'eft Hms doute par cette raifon qu'Ariftotc a mis le balbuzard au
Jiombre des aigles. Je ne conçois pas pourquoi M. Ray, qui
d'aillfurs cil un Écrivain iavant & exa<fl , aflurc que Vhal'uTtiis 3t
Vo[pfraga ne loni que le jiième oileau, puifqu'Arifloie les dillingue
Ij nettement tous deux & qu'il en traite dans deux chapitres icparcs;
Jn feule raifon que Ray dojine de fon opinion, c'efl que le balbuzard
étant trop petit pour être mis au nombre des aigles, il lî'cll pas
Vliûliaîus ; mais il n'a pas hiit attention que le morphnus ou petit aigle
nuquel on peut faire le même reproche , a cependant ttc compte
parjui les aigles conmie Vhal'iatus, ]^ar Ariflote; & qu'il n'eft jjns
pofliblc que Yhaliœtus foit Yojftfroga , puifqu'il en afîjgne toutes
les différences. Je fais cette remarque, parce que cette crrcur^clc Ray
;i été adoptée & répétée par plufieurs Auteurs, & fur -tout par les
Anglois.
OifcdUS , ToîîîC L . O
io6 Histoire Naturelle
efl le plus court, tandis que Jans les aigles cet ongle
de derrière efl le plus long de tous; il diffère encore en
ce qu'il a le bec plus noir que les aigles, Sl que les
pieds , les doigts 5c la peau qui recouvre la hafe du bec
font ordinairement bleus, au lieu que dans les aigles
toutes ces parties font jaunes. Au refle, il n'a pas des
demi-membranes entre les doigts du pied gaucbe comme
Je dit M. Linnacus fej, car les doigts des deux pieds font
également féparès & dénués de membranes. C'efl une
erreur populaire que cetoifeau nage avec un pied , tandis
qu'il prend le poiiïbn avec l'autre, 6c c'efl cette erreur
populaire qui a produit la méprife de M. Lirmaeus. Au-
paravant M. Klein a dit la même chofe de l'orfraie oir
grand aigle de mer, 6c il s'eft également trompé, car ni
i'un ni l'autre de ces oifeaux n'a de membranes entre
aucun doigt du pied gauche. La fource commune de
ces erreurs efl dans Albert le grand, qui a écrit que cet
oifeau avoit l'un des pieds pareil à celui d'un épervier,
ôi l'autre femblable à celui d'une oie, ce qui efl non-
feulement faux , mais abfurde & contre toute analogie;
en forte qu'on nepeutqu'ctre étonné de voir queGefncr,
Aldrovande, Klein ôi LinUcTus, au lieu de s'élever contre
cette faufTetél'ayent accréditée, (Se qu'Aldrovandc nous
dife froidement que cela n'efl pas contre toute vraifem-
blance, puifque je fais, ajoute- 1- il très-pofitivement,
qu'il y a des poules d'eau moitié palmipèdes & moitié
(t) Hûliœtvs .... Viâïtat pifâbus , wajor'ihus anatïbus , pcs fimjîer
fub palmatus, Lùin. Syft. nat. edit. x, tome I, page ^ i.
DU Balbuzard, 107
li/îlpcdes, ce qui efl encore un autre fait tout auiïi
faux que le premier.
Au refle, je ne fuis pas furpris qù'Ariflote ait appelé
cet oifeau haliœtos , aigle de mer; mais je fuis encore
étonne que tous les Naturalises anciens (Se modernes,
aient copié cette dénomination fans fcrupule, (5c j'ofe
dire fans réflexion; car Vha/iœnis oi] balhu-^ard , ne fré-
quente pas de préférence les côtes de la mer ; on le
trouve plus fouvent dans les terres méditerranées voifines
des rivières , des étangs &. des autres eaux douces ; il
efl peut-être plus commun en Bourgogne , qui eft au
centre de la France , que fur aucune de nos côtes
maritimes. Comme la Grèce efl un pays où il n'y a
pas beaucoup d'eaux douces , Sl que les terres en font
traverfées &. environnées par la mer à d'affez petites
diflances, Ariftote a obfervé dans fon pays que ces
oifeaux pécheurs cherchoient leur proie fur les rivages
de la mer , (Se par cette raifon il les a nommes ailles
éfe mer ; mais s'il eût habité le milieu de la France ou
xle l'Allemagne (f), la Suiffe (c,) Si les autres pays
{'fj Hanc aquilav ( halfaetum ) nuper accepi a nohili Dom. Nicolas
Zedlïl^ in fch'ildau quam ferv'Uor ejus bombardœ globulo , dum in Bobero
pifces venaretur interfecerat. A-Iirœ pinguedinis avis quœ tôt a pifcium
odorem fpirabat non folum circa mare moratiir , verum etiam ad
jiumina Ù" Jfûgna Silefiœ nojîrœ degit & arbotïbus infidens pifcibus injî-
diatur. Scinvenckfeld, Avi' SU. pag. 217.
(s) Gefiier dit que cet oiTeau ie trouve en SujïTe en plufieurs
cnJroits, & qu'il fait Ton nid dans certains rochers près des twxx.
Oii
io8 Histoire Naturelle
éloiîjncs Je \^ mer où ils font très-communs, il les eirt
plutôt appelés ailles des eaux douces. Je fais cette remar([iie
alin (Je faire fentir que j'ai eu d'autant plus de raifon
de ne pas adopter cette dénomination aigle de mer, 6c
d')'*l'^ubllituer le nom fpécifique/^/'//{;^r^, qui empêchera
qu'on ne le confonde avec les aigles f/ij, Ariftote
aiïure que cet oileau a la vue très-perçante fij; il force,
dit-il , fes petits à regarder le foleil , Si il tue ceux dont
les ycirx ne peuvent en fupporter l'éclat; ce fait, que
je n'ai pu vérifier, me paroit difficile à croire, quoiqu'il
ait été rapporté , ou plutôt répété par plufieurs autres
auteurs , 6c qu'on l'ait même généralifé en l'attribuant
à tous les aigles qui contraignent, dit-on, leurs petits
à regarder fixement le foleil ; cette obfervation m-e
paroit bien difficile à faire ,. ôi d'ailleurs il me fcmble
qu'Ariilote , fur le témoignage duquel feul le fait eft
fondé , n'étoit pas trop bien informé au fujet des petits
de cet oifeau ; il dit qu'il n'en élève que deux, Se qu'il
ou dans des vallces profondes : il aioiue qu'on peut I'apprivoi(er <!'c
s'en lervir dans la fliuconnerie.
ffij M. Sulernc a fîiit une nieprKe en didim que i'oi(eau appelé
en Bovirgognc Craupêcherot , cft l'o(îîfraguc ou le grand aigle de
mer ; c'eil au contraire celui cju'il appelle le faucon de marais qui eft
ie craupêcherot. Voye^ l'Ornk/wL Je AI. de Saltme , ïn-^.' Paris,
iy6y , pû^es 6 & j , & corrige-^ cette erreur.
(i) At vero marina illa ( aqtiiia ) clar/JJimâ oculorum acte eji ac pullos
ûdkuc imphimçs cogit aJverfos intueri folem , percutit eum qui renitet if
\ertit ad folem ; lum cujus oculi lacrymârint hune occidit , reliquum
'iàucat. Arîflot. Hi^. anim. lib. IX; cap. xxxiy.
DU Balbuzard. 109
tue celui qui ne peut regarder le foleil. Or nous Tommes
afTurés qu'il pond fouvent quatre œufs 6c rarement
moins de trois ; que de plus ii élève tous Tes petitsj
Au lieu d'habiter les rochers efcarpcs (Se les hautes
montagnes comme les aigles, il fe tient plus volontiers
dans les terres baffes & marécageufes, à portée des
étangs <Sc des lacs poiiïbnneux; <Sc il me paroît encore
que c'efî à V orfraie ou ojfîfrûge , Si non pas au balbu^ûrd
ou luiliœtus qu'il faut attribuer ce que dit Arifîotc de
fa chalTe aux oifeaux de mer (k) , car le balbuzard
pcclie bien plus qu'il ne chaffe , <S: je n'ai pas ouï
dire qu'il s'éloignât du rivage à la pourfuite des mouettes
ou des autres oifeaux de mer; il paroît au contraire
qu'il ne vit que de poiffon. Ceux qui ont ouvert le
corps de cet oifeau n'ont trouvé que du poiffon dans
fon cflomac , 6c fa chair qui , comme je l'ai dit , a une
trcs-forte odeur de poiffon , eft un indice certain qu'il
en fait au moins fa nourriture habituelle; il efl ordinaire-
ment très-gras, <Sc il peut, comme les aigles, fe paffer
d'alimens pendant plufieurs jours fans en être incom-
modé ni paroitre afîoibli (l) . Il eft auffi moins fier <Sc
(k) Viigatur hœc ( aquila ) pcr mare , littora , un Je nomen accepit.
Vivittjue (mum marinarum venatu. Aggreditur fingulas. Aciftot. \\h. IX,
cap. XXXIV.
(l) Captus aliquamdo haliœtus a doâ/ffîmo quodnm medico , morihus
fiitis pldcidus vifus fuit ac troâabilis c^ fumis patienti(fimus, Vixit d'ies
feptem abfque omne c'ibo & qu'idem in alla quiète Camem oblatam
recufiivit , pif ces fine dubio voraturus , fi exhibîtœ fuijjent , cum certà
confiaret eum liifce vivere. AIdrov. Ornilhol. lom. I, lib. ii, pag. icjy.
Oiij
iio Histoire Natu relle
moins féroce que l'aigle ou le pygargue ; 6c l'on prétend
qu'on peut afTez aifément le drefTcr pour la pêche,
, comme l'on dreiïe les autres oifeaux pour la cliafie.
j^près avoir comparé les témoignages des Auteurs ,
il m'a paru que l'efpèce du balbuzard, eft Tune des
plus nombreufes des grands oifeaux de proie, <& qu'elle
efl répandue aifez généralement en FAirope, du nord
au midi, depuis la Suède jufqu'en Grèce, 6c que même
on la retrouve dans des pa3/s plus chauds comme en
Egypte & jufqu'en Nigritie fjnj.
J'ai dit dans une des notes de cet article, que M.'*
de l'Académie des Sciences, avoient décrit un hallmiard
ou haliœtus femelle (n). Si qu'ils lui avoient trouvé deux
pieds neuf pouces, depuis l'extrémité du bec jufqu'à
celle de la queue; <5c fept pieds & demi de vol ou
d'envergure , tandis que les autres Naturalifles , ne
donnent au balbuzard que deux pieds de longueur de
corps jufqu'au bout de la queue , ai cinq pieds 6c
demi de vol; cette grande différence pourroit faire
.croire que ce n'eit pas le balbuzard, mais un oifeau
fm) II me paroît que ce(ï au balbuzard qu'on doit rapporter le
paflage fuivant : « on nous fît remarquer quantité d'oifeaux en Ni-
35 aritic, cntr'autres des aigles de deux fortes, dont l'une vit de proie
3j de terre &: l'autre de poinon; nous appelons celle-ci nonnette , par.ce
» cju'elle a le plumage de couleur de l'habit d'une carmélite avec Ton
fcapulaire blanc. Leur vue furpafle en clarté celle de l'homme 35.
Melation Je la Nigritie, par Gaby. Paris, 16 S p.
(n) Mémoires pour fervir à l'Hiftoire des animaux, /7ûr//V II , article
de /'Aiglç.
r,nn . I.
ri II PdJ ;y.'
D.Mfr Ml
LF. BALBUZARD
DU Balbuzard. iii
plus grand que M/' de l'Académie ont décrit: néan-
moins, après avoir comparé leur defcription avec la
nôtre, on ne peut guère en douier : car de tous les
oifeaux de ce genre, le balbuzard cfî le feu! qui puiffe
être mis avec les aigles; le icul qui ait le bas dts
jambes 6c les pieds bleus, le bec tout noir, les jambes
longues Sl les pieds petits à proportion du cov^is ; je
penfe donc, avec M." de l'Académie, que leur oifcau
efl le vrai haliœtus d'Ariflote , c'ed-à-dire notre bal-
buzard, (Se que c'étoit une des plus grandes femelles
de cette efpèce qu'ils ont àicùic <5c di/Féquée.
Les parties intérieures du balbuzard , diffèrent peu
de celles des aigles. M/' de l'Académie, n'ont re-
marqué de différences confidérables que dans le foie
qui efl bien plus petit dans le balbuzard; dans les àtwx
cœcum de la femelle qui font auiïi moins grands; dar^s-
la pofition de la rate qui efl immédiatement adhérente
au côté droit de l'eflomac dans l'aigle; au lieu que
dans le balbuzard , elle étoit fituée fous le lobe àxo\t
du foie; dans la grandeur des reins, le balbuzard les
ayant à peu près comme les autres oifeaux, qui les
ont ordinairement fort grands à proportion des autres
animaux, <S: l'aigle les ayant au contraire plus petits.
112 Histoire N atu r e l l e
L' 0 R F R A 1 E (a),
Vûj'e^ les pLmches enluminées , n°/ 112 £^ ^/j.
L'Orfraie, OJfîfmga (yl. m), a ctc appelé par nos
Nomcnclateurs \t grand Aigle ck mer (h). Il cft en cflèt
à peu prèsaufîi grand que le grand aigle ; il paroit même
qu'il a le corps plus long à proportion, mais il a les
ailes plus courtes; car, l'orfraie a juiqu'à trois pieds
ôc demi de longueur, depuis le bout du bec à l'extré-
mité des ongles, <Sc en me/ne temps il n'a guère que
Icpt ])ieds de vol ou d'envergure ; tandis que le grand
aigle qui n'a communément que trois pieds deux ou
trois pouces de longueur de corps, a liuit &: jufqu'à
neuf pieds de vol. Cet oifeau eft d'abord très - remar-
quable par fa grandeur, &. il eft reconnoiffable , \? par
la couleur <Sc la figure de Tes ongles , qui font d'un noir
brillant & forment un demi-cercle entier; 2.° par les
(a) En Grec, 4>>ivvir, en Latin, OJJifraga ; en Italien, Aquilajlro
anguijia bar bâta; en Allemand, Grojfer hafen ahr; en Siiéfie , Skajl;
en Polonois , Or^el-Lomignal ; en Anglois , Ofprey; en vieux Fran-
çois, Orfraye, Offraie, Freneau, Bris-os , Osfrague, Orfraie. Les Anciens
lui ont donné le nom (ïojpfrague , parce qu'ils avoient remarque que
cet oilcau calloit avec Ton bec les os des animaux dont il fait fa
proie.
(b) Le grand aigle de mer. Briflon , tome I , page jf^ y. — Or-
fraie ou ofîîfrague. Defcription du cap de Bonne- e/pérance , par Kolbe ,
tome III , page i ^o .
jambes
DE L* 0 R F R A I E, ÏTJ
jambes qui font nues à la partie inférieure , &. dont la
peau efl couverte de petites écailles d'un jaune vif;
3." par une barbe de plumes qui pend fous le menton ,
ce qui lui a fait donner le nom à'a'igle barbii. L'orfraie
fe tient volontiers près des bords de la mer, <Sc affez
fouvent dans le milieu des terres à portée des lacs,
des étangs 6c Ats rivières poiflbnneufes; il n'enlève
que le plus gros poifTon , mais cela n'empêche pas
qu'il ne prenne aufTi du gibier; &: comme il efl très-
grand 6c très -fort, il ravit <Sc emporte aifément les
oies (Se les lièvres, (Se même les agneaux ^ les che-
vreaux. Ariftete affure que non - feulement l'orfraie
femelle foigne fes petits avec la plus grande affe(5lion,
mais que même elle en prend pour les petits aiglons
qui ont été chaffés par leurs père 6c mère, & qu'elle
\çs nourrit comme s'ils lui appartenoient : je ne trouve
pas que ce fait qui eft affez fmgulier, 6c qui a été
répété par tous les Naturalises , ait été vérifié par
aucun, 6c ce qui m'en feroit douter, c'eft que cet
oifeau ne pond que deux œufs , 6c n'élève ordinaire-
ment qu'un petit; 6c que par conféquent on doit pré-
fumer qu'il fe trouveroit très- embarraffé, s'il avoit à
foigner 6c nourrir une nombreufe famille: cependant,
il n'y a guère de faits dans i'hiftoîre des animaux
d'Ariflote qui ne foient vrais , ou du moins qui
n'aient un fondement de vérité; j'en ai vérifié moi-
même plufieurs, qui me paroiffoient auffi fufpecfls que
celui-ci, 6c c'eft ce qui me porte à recommander à
O'ifams, Tome L , P.
114- H 1 STO I RE Naturelle
ceux qui fe trouveront à portée d'obfervcr cet oiTeau,
de tcicher de s'aiïlirer du vrai ou du faux de ce fait.
La preuve fans aller chercher plus loin , qu'Ari/lote
voyoit bien 6l difoit vrai prefqu'en tout , c'cft un
autre fait qui d'abord paroit encore pkis extraordinaire^
êi qui demandoit également à être conftaté. L'orfraie,
dit-il, a la vue foible, les yeux léfés (5c obfcurcis par
une efpèce de nuage (cj: en conféquence, il paroit
que c'eft la principale raifon qui a déterminé Aridote
à féparer l'orfraie des aigles , <&: à le mettre avec la
chouette 6l les autres oifeaux qui ne voient pas pen-
dant le jour : à juger de ce fait par les réfultats , on
le croiroit non - feulement fufpeél, n>ais faux; car
tous ceux qui ont oblcrvé les akires de l'orfraie, ont
bien remarqué qu'il voyoit aiïez pendant la nuit pour
prendre du gibier & même du poilTon , mais ils ne fe
font pas aperçus qu'il eut la vue foible, ni qu'il vît
mal pendant le jour: au contraire, il vife d'alTez loin
Je poilTon fur lequel il veut fondre; il pourfuit vive-
ment les oifeaux dont il veut faire fa proie, <5c quoi-
qu'il vole moins vite que les aigles , c'cfl plutôt
parce qu'il a les ailes plus courtes que les yeux plus
foibles : cependant le rcfped qu'on doit à l'autorité
du grand Philofophe que je viens de citer, a engagé le
célèbre AIdrovande, à examiner fcrupuleufement les
yeux de l'orfraie; 6c il a reconnu que l'ouverture de la
f c ) Parum qffiffûga ocuVis valet; nuheculâ enïm oculos habeî Icefos,
Aiîllotv ////?. anim. lib. IX, cap. xxxiv.
DE L* 0 R F R A I E. ÏI5
pupille (élj , qui d'ordinaire n'efl recouverte que par ia
cornée , l'étoit encore dans cet oifeau par une membrane
extrêmement mince, & qui forme en effet raj)parencc
d'une petite taie fur le milieu de l'ouverture de la
pupille; il a de plus obfervé que l'inconvénient de
cette conformation paroit être compenfé par la tranf-
parence parfaite de la partie circulaire qui environne
la pupille , laquelle partie dans les autres oifeaux efl
opaque <&: de couleur obfcure. Ainfi l'obfervation
d'Anflote eft bonne, en ce qu'il a très-bien remarqué
que l'orfraie avoit les yeux coia^rts d'un petit nuage;
mais il ne s'enfuit pas ncceiïairement qu'elle voie
beaucoup moins que les autres , puifque la lumière peut
paffer aifément & abondamment par le petit cercle,
parfaitement tranfparent , qui environne la pupille. Il
doit feulement réfulter de cette conformation , que
cet oifeau porte fur le milieu de tous les objets qu'il
regarde, une tache ou un petit nuage obfcur , 6: qu'il
voit mieux de côté que de face: cependant, comme
(d) Sed in oculo dignum obfervatiûne ejî quod vœa qu^ hom'mi in
pupillâ perforatur tcnuijjimam quandam membranulam pvpillœ pratenfûm
habeat : atqui hoc eJÎ quod philofophus dicere voluit fubtilijjlmam
illnm membranam , nubeculam vocans. JJIcec tamen ne prorfus vifionem prœ~
peàiret , quod rcîro & ab lateribus nigro , ut hcmini , colore imbuta ù'
Jubjiûntid paulo crajfior fit ; itaque partem quœ iridis ambilu clauditur ,
fubtib^imam omnijque coloris experlem Ù' exaâe pellucidam natura
fabricata ejl ; hoc ipfum vifus detrimenium non nihil refarcir e potefl fuper-
ciliorum aut fupernœ orbitœ oculorum partis prominentia quœ feu tedum
4>culos fpernè opcrit. AIdrov. Avi. tome 1, page 226.
Ti6 Histoire Naturelle
je viens de ie dire, on ne s'aperçoit pas par le rcTiiltat
de fes adions qu'il voie plus mal que les autres
oifeaiix; il eft vrai qu'il ne s'clève pas à beaucoup
près à la Iiauteur de l'aigle , qu'il n'a pas non plus le
vol au/Ti rapide; qu'il ne vife ni ne pourfuit fa proie
d'au/Ti loin : ainfi il efl probable qu'il n'a pas la vue aufTt
nette, ni aufîl perçante que les aigles; mais il efl fur
en même temps qu'il ne l'a pas comme les chouettes,
©ffuAiuce pendant le jour, puifqu'il cherche & ravit fa
proie auifi-bien le jour que la nuit (ej , Si principale-
ment le matin 6c le foir; d'ailleurs, en comparant
cette conformation de l'œil de l'orfraie, avec celle
des yeux de la chouette ou des autres oifeaux de nuit,
on verra qu'elle n'eft pas la même; Si. que les réfultats
doivent en être difîérens. Ces oifeaux ne voient mai
ou point du tout pendant le jour, que parce que leurs
yeux font trop fenfd)les. Si qu'il ne leur faut qu'une
très -petite quantité de lumière pour bien voir: leur
pupille efl parfaitement ouverte, 5c n'a pas la mem-
brane ou petite taie qui fe trouve dans l'oeil de l'orfraie.
La pupille dans tous les oifeaux de nuit, dans les chats
Si quelques autres quadrupèdes qui voient dans l'obf-
ciirité, eft ronde Si d'un grand diamètre, lorfqu'elle
(e) J'ai été informé, par des témoins oculaires, qiie l'orfraie prend
du poiiTon pendant la nuit , & qu'alors on entend de fort loin le
bruit qu'elle fait en s'abaiflant fur les eaux. M. Salerne dit aufîi que
quand l'drfraie s'abat fur un étang pour faifir (:\ proie, elle fait un
kruit qui paroît terrible, fur-tout la nuit. Ornilhol. pa». (f.
D £ l' 0 R F R A I E, l 17
ne reçoit l'imprefhon que d'une lumière foible comme
celle du crépufcule ; cjle devient au contraire, perpen-
diculairement longue dans les chats , <?< refle ronde en fe
rétréciiïant concentriquement dans les oifeaux de nuit,
dès que Toeil efl frappé d'une forte lumière; cette
contracflion prouve évidemment que ces animaux ne
voient mal , que parce qu'ils voient trop bien, puif-
qu'il ne leur faut qu'une très-petite quantité de lumière;
au lieu que les autres ont befoin de tout l'éclat du
jour, ôi voient d'autant mieux qu'il y a plus de lumière:
à plus forte raifon l'orfraie avec fa taie fur la pupille
auroit Lcfoin de plus de lumière qu'aucun autre, s'il
n'y avoit pas de compenfation à ce ^défaut; mais ce
qui excufe entièrement Ariftote , d'avoir placé cet
oifcau avec les oifeaux de nuit; c'efl qu'en effet, il
pèche &. chaiïc la nuit comme le jour; il voit plus mal
que l'aigle à la grande lumière, il voit peut-être aufîi
plus mal que la chouette dans l'obfcurité; mais il tire
plus de parti, plus de produit que l'un ou l'autre de
cette conformation fmgulière de fcs yeux, qui n'appar-
tient qu'à lui, 6. qui eil auffi différente de celle des^
yeux des oifeaux de nuit, que des oifeaux de jour.
Autant j'ai trouvé de vérité dans la plupart des faits
rapportés par Ariilote, dans fon hidoire des animaux,
autant il m'a paru d'erreurs de fait dans fon Traité c/c
AfnuihU'dms ; fou vent même on y trouve énoncés àits
faits abfolument contraires à ceux qu'il rapporte dans
fes autres ouvrages; en forte que je fuis porté à croire
P \\]
ïi8 Histoire Naturelle
que ce Traité de Ai'irabilibus , n'cd point de ce Phi-
lofophe , 6^ qu'on ne le lui auroit pas attribue, {\ l'on
fe fût donne la peine d'en comparer les opinions , &
fur-tout les faits avec ceux de fon hifloirc des animaux,
Pline, dont le fond de l'ouvrage fur l'Hifloire Natu-
relie , efl en entier tiré d'Ari Ilote , n'a donné tant de faits
équivoques ou faux, que parce qu'il les a indifférem-
ment puifés dans les dilférens Traités attribués à
Arjftote , év qu'il a réuni les opinions des Auteurs
fubféquens, la plupart fondées fur des préjugés po-
pulaires: nous pouvons en donner im exemple fans
fortir du fujet que nous traitons. L'on voit qu'Ariflote
défigne 6c fpécifie parfaitement l'cfpèce de Vlialiœtus
ou balbuzard , dans fon bifloire des animaux , puifqu'il
en fait la cinquième efpèce de fes aigles, à laquelle il
donne des caraétéres trés-diflinétifs; év l'on trouve en
même temps dans le Traité de AlirabUibiis , que V/ialiœius
n'eff d'aucune efpèce, ou plutôt ne fait pas une efpèce;
&. Pline, amplifiant cette opinion, dit non -feulement
que les balbuzards ( haliœii ) n'ont point d'efpèce,
(S: qu'ils proviennent des mélanges des aigles de
différentes efpèces; mais encore que ce qui naît des
balbuzards ne font point de petits balbuzards , mais
des orfraies, defquels orfraies na'ijfcnî , dit - il , des
fctirs vautours , lefquels , ajoute-t-il encore, podulfait
des grands vautours qui n'ont -plus la faculté d'en-
gendrer (f). Que de faits incroyables font compris
(f) Hal'iœti fuum genus non halcnt , fed ex dïverfo aquilarum co'itu
DE L' 0 R F R A I E. II9
iTans ce pafTage ! que Je chofes abfurdcs Si contre
toute analogie ! car en étendant autant qu'il efî permis
ou poiïible, les limites des variations de la Nature, &i
en donnant à ce pafTage l'explication la moins défa-
vorable , fuppofons, pour un infiant, que les balbuzards
ne foient en effet que des métis provenant de l'union
de deux différentes efpèces d'aigles, ils feront féconds,
comme le font les métis de quelques autres oifcaux,
<5c produiront entr'eux des fécond métis qui pourront
remonter à l'efpèce de l'orfraie, fi le premier mélange
a été de l'orfraie avec un autre aigle: jufque - là les
loix de la Nature ne fe trouvent pas entièrement
violées; mais dire enfuite que de ces balbuzards de-
venus orfraies, il provient des petits vautours qui en
produifent de grands, lefquels ne peuvent plus rien
produire , c'eft ajouter trois faits abfolument incroyables ,
à deux qui font déjà difficiles à croire; & quoiqu'il y
ait dans Pline bien des cliofes écrites légèrement, je
ne puis me perfuader qu'il foit l'auteur de ces trois
affertions, 6c j'aime mieux croire que la fin de ce
pafTage a été entièrement altérée. Quoi qu'il en foit,
il efl: très certain que les orfraies n'ont jamais produit
de petits vautours , ni ces petits vautours bâtards
d'autres grands vautours mulets qui ne produifent plus
rien. Chaque efpèce , chaque race de vautour engendre
nafcuntur: id quïdem , qmd ex iis natum ejt , in cjfifragis genus habet ,
e qiùbus vultures progeneranîur minorer , & ex iis magni qui omnino non-
générant. Plin. ////?• nat. lib. X, cap. IJI>
120 Histoire Naturelle
fon femhlahle; il en efl de incme de chaque efpècc
d'aio^le , Si encore de même du balbuzard âc de
l'orfraie ; ôi les efpèces intermédiaires qui peuvent
avoir été produites par le mélange des aigles entr'eux,
ont formé des races confiantes qui fe foutiennent <Sc
fe perpétuent comme les autres par la génération.
Nous fommes particulièrement très-aifurés que le mâle
Lalbuzard produit avec fa femelle des petits femblablcs
à lui, 6c que ù les balbuzards produifent des orfraies,
ce ne peut être par eux-mêmes , mais par leur mélange
avec l'orfraie: il en fcroit de l'union du balbuzard
mâle avec l'orfraie femelle, comme de celle du bouc
avec la brebis; il en réfulte un agneau , parce que la
brebis domine dans la génération, Se il réfulteroit de
l'autre mélange une orfraie ; parce qu'en général ce
font les femelles qui dominent, (Se que d'ordinaire les
métis ou mulets féconds remontent à l'efpèce de la
mère, <Sc que même les vrais mulets, c'eft- à - dire les
métis inféconds, repréfentent plus l'efpèce de la fe-
melle que celle du mâle.
Ce qui rend croyable cette poffibilité du mélange
6c du produit du balbuzard Se de l'orfraie, c'efl la
conformité des appétits , du naturel & mcme de la
iigure de ces oiftaux; car, quoiqu'ils diffèrent beaucoup
par la grandeur, l'orfraie étant de près d'une moitié
plus groffe que le balbuzard, ils fe reffemblent affez
par les proportions, ayant tous deux les ailes &: les
jambes courtes, en comparaifon de la longueur du
corps ,
DE L* 0 R F R A I E, rai
corps , le bas des jambes <Sc Jes pieds dénués de plumes :
tous deux ont le vol moins élevé, moins rapide que
les aigles: tous deux pèchent beaucoup plus qu'ils ne
cha/Tent, &. ne fe tiennent que dans les lieux voifins
des étangs Si des eaux abondantes en poidon : tous
deux font allez communs en France <?c dans les autres
pays tempérés; mais à la vérité l'orfraie, comme plus
grande, ne pond que deux œufs, &. le balbuzard en
produit quatre fgj; celui-ci a la peau qui recouvre la
bafe du bec & les pieds ordinairement bleus; au lieu
que dans l'orfraie, cette peau de la bafe du bec &. les
écailles du bas des jambes 6c des pieds, font ordi-
nairement d'un jaune vif <&. foncé. Il y a auffi quel-
que diverfité dans la diftribution des couleurs fur le
fg) LVJgle de mer, dite orfraie, ù\t Ton nid fur les ph:s hniits
chênes , & un nid extrêmement large , où elle ne pond que deux
ccufs fort gros, tout ronds & très-pelans, d'un blanc -Hile. Il y a
quelques années qu'on en trouva un dans le parc de Chambord:
j'envoyai les deux œufs à M. de Reaumur; mais on ne put détacher
le nid. L'année dernière on en déi\icha un nid à Saint-Laurent-des-
cau\ , dans le bois de Briou , où il n'y avoit qu'un aiglon , que le
maître de polie du lieu a fait élever. On a tué à Bellcgarde , dans
la forêt d'Orléans , une orfraie qui pendant la nuit péchoit tous les
plus gros brochets d'un étang qui appartenoit ci-devant à AI. le duc
d'Antin. Une autre a été tuée depuis peu à Seneley en Sologne,
dans le moment qu'elle emporioit une grofle carpe en plein jour. . ,
Le fuicon de marais ( balbuzard ) habite parmi les rol'eaux, le long
des eaux ; il pond à chaque fois quatre œufs blancs , ellir.iiques
ou ovalaires ; il fe nourrit de poiflon. Ornithologie ck Salcrne ,
pagti s & 7.
Pif eaux, Tome /. . Q
122 Histoire Naturelle
plumage ; mais toutes ces petites différences n*em-^
pèchent pas que ces oifeaux ne foient d'efpèces afTez
voifines pour pouvoir fe mêler; <5c des raifons d'ana-
iogie me perfuadent que le mélange eft fécond , 6c que
le balbuzard mâle produit avec l'orfraie femelle des
orfraies; mais que la femelle balbuzard avec l'orfraie
mâle produit des balbuzards, & que ces bâtards, foit
orfraies, foit balbuzards, tenant prcfque tout de la
nature de leurs mères, ne confervent que quelques
caraélères de celle de leurs pères , par lefquels carac-
tères ils diffèrent des orfraies ou balbuzards légitimes.
Par exemple, on trouve quelquefois des balbuzards à
pieds jaunes. Si des orfraies à pieds bleus, quoique
communément le balbuzard lésait bleus, & l'orfraie les
ait jaunes. Cette variation de couleur peut provenir du
mélange de ces deux efpèces : de même on trouve
des balbuzards , tels que celui qu'ont décrit M/' de
i'Académie , qui font beaucoup plus grands Ôi plus
gros que les autres ; 6c en même temps on voit
des orfraies beaucoup moins grandes que les autres, êc
dont la petiteffe ne peut être attribuée ni au fexe ni à
l'âge, Se ne peut dès - lors provenir que du mélange
d'une plus petite efpèce , c'eft-à-dire, du balbuzard
avec l'orfraie.
Comme cet oifeau efl des plus grands, que par
cette raifon il produit peu, qu'il ne pond que deux
œufs une fois par an , <Sc que fouvent il n'élève qu'un
petit, l'efpèce n'en cft nombreufe nulle part, mais
I.'m I
PI lu rj<} 7 11
*.- Stvt utr dei ■
jWj.,3J Th^r A^'u^^fUt j-cul ■
I, ORFUMF, ou AIGI K DK, .AIKK
DE L' 0 R F n A I E. I2J
elle efl afTez répandue: on la trouve prcfque par -tout
en Europe, 6c il paroît même qu'elle efl commune
aux deux continens, &i que ces oifeaux fréquentent
les lacs de l'Amérique fcptentrionale (hj.
(h) Nota. II me paroît que c'efl à l'orrraie qu'il faut rapporter le
paflage fuivant : ce il y a encore quantité d'aigles qu'ils appellent en
leur laiigue fondâqua ; elles font ordinairement leurs nids fur le ce
bord des eaux ou de quelqu'autre précipice , tout au - delTus des <c
plus hauts arbres ou rochers , de forte qu'elles font fort difiiciles ce
à avoir : nous en dénichâmes néanmoins plufieurs nids ; mais nous ce
n'y trouvâmes pas plus d'un ou deux aiglons : j'en pcnlois nourrir ce
quelques-uns iorfque nous étions fur le chemin des Hurons à ce
Québec ; mais tant pour être trop lourds à porter , que pour ne «
pouvoir fournir au poijfon qu'il leur filloit , n'ayant autre chofe à ce
ïcur donner , nous en fîmes chaudière & nous les trouvâmes fort ce
bons ; car ils étoient encore jeunes & tendres 55. Voyage au pays des
Hurons , par Sagar Théodat , page 2^ y.
Qi;
124- Histoire Naturelle
L £
JEAN-LE'BLANC (^).
Voyei les planches enluminées , n." ^ i ^ , à^ planche iV
de ce volume.
J
'ai eu cet oifeau vivant, ^ je l'ai fiit nourrir pen^
dant quelque temps. Il avoit été pris jeune au mois
d'août 1768, <5c il paroifloit au mois de janvier 1769,
avoir acquis toutes Tes dimenfions: la longueur depuis
Je bout du bec jufqu'à l'extrémité de la queue étoit de
deux pieds, <5c jufqu'au bout des ongles d'un pied huit
pouces; le hcc , depuis le crochet juAiu'au coin de
l'ouverture, avoit dix fept lignes de longueur; la queue
etoii longue de dix pouces ; il avoit cinq pieds un pouce
de vol ou d'envergure ; fcs ailes lorfqu'clles étoient
pliées, s'étendoient un peu au-delà de l'extrémité de
^ûj Jean-Ic-Blnnc ou premier oi(eau Saint- Martin. Bclon , ////?.
Tiût. des Oif. pag. 103, fig. pag. 104.. — Le jean-lc-bianc. Briflon,
Ornithol. tom. I, pag. 443. — Quelques-uns ont nommé le jean-le-
blanc, Chevalier blanche-queue , peut-être parce qu'il eft un j)cu haut
jnonié fur les jambes. Ornithol. de Saleme , page 24. . . . Le mâle
cfl plus léger & plus blanc que la femelle, fur -tout au croupion;
fa queue eit fort longue , &. fcs jambes font fines & d'un jaune
agréable. Idem , ibidem, é^c J\'ota. Belon & quelques autres
Naturalises après lui ont cru que cet oileau étoit le pygargue; mais
ils le (ont trompés, comme on peut s'en aflurer, en comparant ce
que nous avons dit du pyg-irgue avec ce que nous dilons du jean-
îe-bliinc.
DU J EA N ' L E-B LA N C, I25
la queue: la tète, ie dcdiis du cou, le dos 6: le crou-
pion , étoient d'un brun-cendré. Toutes les plumes
qui recouvrent ces parties étoient néanmoins blanches
à leur origine, mais brunes dans tout le rcfle de leur
étendue; en forte que le brun recouvroit le blanc , de
manière qu'on ne i'apercevoit qu'en relevant les plumes :
la gorge, la poitrine, le ventre ê^ les côtés étoient
blancs, variés de taches longues, &: de couleur d'un
brun -roux; il y avoit des bandes tranfverfales plus
brunes fur la queue; la membrane qui couvre la bafe
du bec e(l d'un bleu fale; c'efl-là que font placées les
narines. L'iris des yeux efl d'un beau jaune-citron ou
de couleur de to])aze d'orient ; les pieds étoient
couleur de chair livide, &i terne dans ia jcuncfle, <5c
font devenus jaunes, ainfi ([ue la membrane du bec,
en avançant en âge. L'intervalle entre les écailles qui
recouvrent la peau des jambes , paroiiïbit rougeatre; en
forte que l'apparence du tout, vu de loin, fembloit être
jaune, même dans le premier âge. Cet oifeau pefoit
trois livres fept onces après avoir mangé ; <Sc trois
livres quatre onces, lorfcju'il étoit à jeun.
Le Jean- le -blanc s'éloigne encore plus des aigles
que tous les précédens, &^ il n'a de rapport au pygargue
que par {es jambes dénuées de plumes, 6c par la
blancheur de celles du croupion & de la queue; mais
il a le corps tout autrement proportionné, &i beaucoup
plus gros relativement à la grandeur que ne l'efl ctiui
de l'aigle ou du pygarguf : il n'a, comme je l'ai dû.
126 Histoire Naturelle
que Jeux pieds de longueur, deipuls le bout du bec
jufqu'à rextrémité des pieds, & cinq pieds d'envergure,
mais avec un diamètre de corps prefqu'au/ri grand que
celui de l'aigle commun , qui a plus de deux pieds ôl
demi de longueur , 6c plus de fept pieds de vol. Par
ces proportions, le jean -le -blanc fe rapproche du
balbuzard , qui a les ailes courtes à proportion du
corps, mais il n'a pas, comme celui-ci, les pieds
bleus; il a auiïî les jambes bien plus menues , (5c plus
longues à proportion qu'aucun des aigles ; ainfi quoiqu'il
paroifTe tenir quelque chofe des aigles , du pygargue
(Se du balbuzard, il n'efl pas moins d'une efpèce par^
ticulière , & très - différente des uns <Sc des autres. Il
tient auffi de la bufe par la difpofition des couleurs
du plumage , <Sc par un caradère qui m'afouvent frappé;
c'eft que dans de certaines attitudes, <Sc fur- tout , vu
de face , il refTembloit à l'aigle; <Sc que vu de côté Si
dans d'autres attitudes , il refTembloit à la bufe. Cette
même remarque a été faite par mon Deffinateur , <Sc
par quelques autres perfonnes ; <$c il eft fingulier que
cette ambiguité de figure, réponde à Tambiguité de
fon naturel, qui tient en effet de celui de VsL\g\c 6C
de celui de la bufe ; en forte qu'on doit à certains
égards regarder le jean -le- blanc, comme formant U
nuance intermédiaire entre ces deux genres d'oifeaux.
Il m'a paru que cet oifeau voyoit très-clair pendant
le jour, cSc ne craignoit pas la plus forte lumière, car
il CQurnoit volontiers les yeux du côté du plus grand
DO J EA N'L E- B LA N C, \1J
;our, <Sc même vis-à-vis le foleii: il couroit afTez vite
Jorfqu'on l'effrayoit, 6^ s'aidoit de fes ailes en courant;
quand on le gardoit dans la chambre, \\ cherchoit à
s'approcher du feu, mais cependant le froid ne lui
étoit pas abfolument contraire , parce qu'on l'a fait
coucher pendant piufieurs nuits à l'air, dans un temps
dégelée, fans qu'il en ait paru incommodé. On le
nourrifToit avec de la viande crue & faignante; mais
en le faifant jeûner, il mangeoit aufli de la viande
cuite : il déchiroit avec fon bec la chair qu'on lui
préfcntoit , <5c il en avaloit d'afTez gros morceaux; il
ne buvoit jamais quand on étoit auprès de lui , ni
même tant qu'il apercevoit quelqu'un ; mais en fe
mettant dans un lieu couvert, on l'a vu boire <Sc prendre
pour cela plus de précaution qu'un ade au/Ti fimple
ne paroit en exiger. On laifToit à fa portée un vafe
rempli d'eau : il commençoit par regarder de tous
côtés fixement 6^ long-temps, comme pour s'a/Furer
s'il étoit fcul , enfuite il s'approchoit du vafe , <Sc
rcgardoit encore autour de lui; enfin, après bien des
héfitations, il piongeoit fon bec jufqu'aux yeux, <5c à
piufieurs reprifes dans l'eau. Il y a apparence que les
autres oifeaux de proie fe cachent de même pour
boire. Cela vient vraifemblablement de ce que ces
oifeaux ne peuvent prendre de liquide qu'en enfonçant
Jeur tête jufqu'au-delà de l'ouverture du bec, &. juf-
qu'aux yeux, ce qu'ils ne font jamais, tant qu'ils ont
quelque raifon de crainte: cependant, le jean-le-blanc
Ï2S Histoire Natu relle
ne montroit de défiance que fur cela feiil, car, pour
tout le refte , il paroifToit indifférent <Sc même aflez
flupide. Il n'étoit point méchant, ôi fe lai (Toit toucher
fans s'irriter; il avoit même une petite exprefîlon de
contentement Cô Cô , lorfqu'on lui donnoit à
man^^er ; mais il n'a pas paru s'attacher à pcrfonne de
préférence. Il devient gras en automne , (5c prend en
tout temps plus de chair &. d'embonpoint que la
plupart des autres oifeaux de proie (hj,
Ilefl
(b) Nota. Voici la note que m'a donnée fur cet oifcau l'homme
que j'ai chargé du foin de mes volières. « Ayant préfenté au jean-
îî le - blanc diffcrens alimens , comme du pain , du fromage , des
» rai fins , de la pomme, &c il n'a voulu manger d'aucun,
» quoiqu'il jeûnât depuis vingt - quatre heures : j'ai continué à le
3} faire jeûner trois jours de plus , & au bout de ce temps il ^
» également refi.ifé ces alimens ; en forte qu'on peiu affurer qu'il
>î ne mange rien de tout cela , quelque faim qu'il reflente : je lui ai
5) aufll préfenté des vers qu'il a conllamment rcfulés; car lui en ayant
53 mis un dans le bec, il l'a rejeté, quoiqu'il l'eût déjà avale prcfque
» à moitié: il fe jetoit avec avidité fur les mulots & les fouris que je
î3 lui donnois , il les avaloit fans leur donner un feul coup de bec ;
53 je me fuis aperçu que lorfqu'il en avoit avalé deux ou trois , ou
33 feulement une grofle, il paroifloit avoir un air plus inquiet, comme
33 s'il eût refTenti quelque douleur ; il avoit alors la tête moins libre
33 & plus entbncée qu'à l'ordinaire ; il reftoit cinq ou fix minutes
33 dans cet état , fans s'occuper d'autre chofe ; car il ne regardoit pas
33 de tous côtés comme il fait ordinairement , & je crois même qu'on
33 auroit pu l'approcher fans qu'il le fût retourné , tant il étoit ferieu-
33 fement occupé de la digeflion des fouris qu'il venoit d'avaler : je
33 lui ai préfenté des grenouilles & des petits poiflons ; il a toujours
ti refufé les poi/Tons & mangé les grenouilles par demi- douzaine?,
j> &. quelquefois
DU JeaN'LE- Blanc. izc)
ÎI efl très - commun en France, ôi comme le dit
Belon , il n'y a guère de villageois qui ne le connoiiïent,
ôi ne le redoutent pour leurs poules. Ce font eux qui
iui ont donné le nom de jcan-le-blanc (cj , parce qu'il
cil en effet remarquable par la blancheur du ventre ,
du defTous des ailes , du croupion & de la queue. Il
efl cependant vrai qu'il n'y a que le mâle qui porte
évidemment ces caradères ; car la femelle efl prcfque
toute grifc , <5<: n'a que du blanc fale fur les plumes du
croupion ; elle efl , comme dans les autres oifcaux
de proie, plus grande, plus groffe &. plus pefante que
le mâle : elle fait fon nid prefqu'à terre, dans les
terreins couverts de bruyères , de fougère , de genct &
 quelquefois davantage ; mais il ne les avale pas tout entières ce
■comine les fouris, il les laifit d'abord avec fcs ongles & les dépèce a.
avant de les manger ; je l'ai fait jeûner pendant trois jours , en ne a
iui donnant que du poiflon crud ; il l'a toujours refufc : j'ai ob- «
fervé qu'il rendoit les peaux des fouris en petites pelotes longues ce
d'environ un pouce; & en les faifuit tremper dans de l'eau chaude, ce
j'ai reconnu qu'il n'y avoit que le poil & la peau de la fouris , ce
fans qucun os, & j'ai trouvé dans quelques -.unes de ces pelotes c<
des .graiiîs de fer fondu & quelques autres parcelles de charbon >».
(c) Les habiians des villages connoiflem un oifcau de proie, à leur
grand dommage, qu'ils nomment jean- k - t /an c ; car il mange leur
volaille plus hardiment que le milan. Belon, ////?. nat. des Oifiaux,
page 103.
Ce Jean - le - blanc aflaut les poules des villages & prend
les oilèaux & connins ; car aufll eft-il hardi : il fut grande deftrudioa
des perdrix & mange les petits oifeaux ; car il vole à la dérobée le
Ion» des haies t'^c de l'orée des forêts, fomme qu'il n'y a païlan quj
iic le connoiflc. Idem , ibidem.
Oifcaux , Tome 1. % R
130 Histoire Natu relle
(Je joncs; quelquefois auiïi fur des fapins <5c fur cl*autrcs
arbres élevés. Elle pond ordinairement trois œufs, qui
font d'un gris tirant fur l'ardoife f^^J: le mâle pourvoit
abondamment à fa fubfi fiance pendant tout le tempsde
l'incubation , <Sc même pendant le temps qu'elle foigne
Â. élève fcs petits. Il fréquente de près les lieux habités,
& fur-tout les hameaux <3c les fermes: il faifit<Sc enlève
les poules, les jeunes dindons, les canards privés; 6c
lorfque la volaille lui manque , il prend des lapreaux ,
des perdrix, des cailles &l d'autres moindres oifeaux :
il ne dédaigne pas mcme les mulots Si les lézards»
Comme ces oifeaux & fur-tout la femelle, ont les ailes
courtes 6c le corps gros, leur vol efl pefant, 6c ils ne
s'élèvent jamais à une grande hauteur : on hs voit
toujours voler bas fej, 6c faifir leur proie plutôt à
terre que dans l'air. Leur cri efl une efpcce de fifîle-
ment aigu qu'ils ne font entendre que rarement : ils
ne chaflént guère que le matin 6c le foir, 6c ils fe
repofent dans le milieu du jour.
On pourroit croire qu'il y a variété dans cette
efpèce, car Belon donne la defcription d'un fécond
oiftau qui efl, dit -il ffj, encore une autre e/jpèce
^J) Ornithologie de Salerne , pûges 2^ & 24.
(e) Quiconque le regarde \oier, advile en lui la femblance d'un
ïiMon en l'air; car il b:u des ailes & ne s'élève pas en amont cojniîie
plufieurs autres oifeaux de proie , mais vole le plus fouvent bas contre
lerre, & principalement foir & malin. Belon, Hïjl. nal. des Oifeaux i
page lo^
(f) Idem; ibidem, page 104. ;
DU J EA N -L E' B LA N C. 131
d'oifeau faint-martin , femblablemcnt nommé blanche- «
queue , de même efpcce que ie fufdit jean-le-LIanc , «
& qui reiïemble au milan royal, dej fi près, qu'on «
n y trouveroit aucune différence , fi ce n'étoit qu'il «
cfl plus petit (Se plus blanc deiïbus le veotre , ayant «
les plumes qui touclient le croupion en la queue, «
tant defTus que defTous de couleur I^ianche ». Ces
reiïemblances auxquelles on doit en ajouter encore
une plus efTentielle, qui efl d'avoir les jambes longues,
indiquent feulement que cette efpèce efl: voifine de
celle du jean- le- blanc ; mais comme elle en diffère
confidérablement par la grandeur ai par d'autres carac-
tères , on ne peut pas dire que ce foit une variété du
jean-Ie-blanc ; &. nous avons reconnu que c'eft le même
oifeau que nos Nomenclateurs ont appelé le Lvùcr
cendré, duquel nous ferons mention dans la fuite fous
le nom d'oifeau y^/V;/-;/;^;*//;/^ parce qu'il ne rcffcmblc
en rien au lanier.
Au relie, le jean-le-blanc qui efl très-commun en
France, efl: néanmoins affez rare par-tout ailleurs, puif-
qu'aucuns des Naturalifles d'Italie , d'Angleterre ,
d'Allemagne & du Nord, n'en ont fait mention que
d'après Belon ; & c'eft par cette raifon que j'ai cru
devoir m'étendre fur les faits particuliers de l'Iiifloirc
de cet oifeau. Je dois auffi obfervcr que M. Salerne a
fait une forte méprife (g), en difant que cet oifeau
(ê) 5-* Jean-Ie-bLinc , /y'^/jr^wj ^jfr//7/V<'r yî/^^z/ft^tf Turneri; Raii,
fynopf.€\\ Anglois, the ringtaU , c'efl-à-dire^ qu(u( blanche; & ie mile
Ri.
Î32 Histoire N atu relle
étoit le même que le ringtail ou queue Manche des
An^jlois , dont ils appellent le mâle hejiharrow ou lien-
harrier , c'efl - à-dire , rav'ijfeur de poules : c'eft ce
eara^lère de la queue blanche, <5c cette habitude natu-
relle de prendre les poules, communs au ringtail <Sc
au Jean -le -blanc, qui ont trompé M. Salerne, 6: lui
ont fait croire que c'étoit le même oifcau; mais \\
auroit dû comparer les defcriptions des Auteurs pré-
çédens, 6c: il auroit aifément reconnu que ce font des
oifeaux d'efpèces différentes: d'autres Naturalises ont
prisl'oifeau apj)clé par M. Edwards, Blue-hawk, épervier
ou faucon bleu pour le henhanier (h) , ou déchireur
de poules , quoique ce foient encore des oifeauK
d'efpèces diflcrcntes. Nous allons tâcher d'éclaircir
ce point, qui eft un des plus obfcurs de l'Hifloire
Naturelle des oifeaux de proie.
lenharrow ou henhanier, c'cQ - à - dire , rav'iffeur de poules ; il diffère
des autres oifeaux de ce genre par (on croupion blanc , d'où lui vient
le nom de pygorgus en Grec, & par un collier de plumes redreiïtes
autour des oreilles, qui lui ceint la tête comme une couronne. M. Lin-
naeus ne parle point de cet oifeau ; apparemment qu'il ne (è trouve
ponu en Suède: il ell alTez commun dans ce pays-ci, & fur-tout
en Sologne où il fait fon nid par terre entre les bruyères à balais,
que l'on appelle vulgairement des bréma'iUes. Orn'ithoL de Salerne,
page 23. Nota. Que fi M. Salcrne eût leulement vu cet oileau,
il n'auroit pas dit qu'il avoit une couronne ou collier de plumes
rcdreflees autour de h tête ; car le jcaivle-blanc n'a point ce caradère
qui n'appartient qu'à l'oifeau que Turner a nomm<: fubkuteo , & que
jVl. Briflon appelle y^i/fc»/? à collier^
(hj Brhifçb. Zoology, pag, (^y^
DU J EA N'L E- B L A N C, 133
On fait qi/on peut les divifer en deux ordres, dont
le premier n'eft compofé que des oifeaux guerriers ,
nobles (Se courageux , tels que les aigles, les faucons ,
gerfauts, autours, laniers , éperviers , &c Et le
fécond contient les oifeaux lâches , ignobles <5c gour-
mands, tels que les vautours, les milans, les bufes,
&c Entre ces deux ordres fi difTcrens par le na-
turel (Se les mœurs, il fe trouve, comme par- tout
ailleurs , quelques nuances intermédiaires , quelques
efpèces qui tiennent aux deux ordres enfemble, <Sc qui
participent au naturel des oifeaux nobles &i des oifeaux
ignobles; ces efpèces intermédiaires font , 1.° celle du
jean-le-blanc , dont nous venons de donner rhidoirCi
& qui , comme nous l'avons dit, tient de l'aigle <Sc de
labufe; 2.*" celle de l'oifeau faint - martin , que M/'
Briffon di Frifch ont appelé le Lviicr cendré , & que
M. Edwards a nommé féH/eo/i bleu , mais qui tient plus
du jean-le-blanc <Sc de la bufe , que du faucon ou dii
Janicr; 3." celle de la foubufe, dont les Anglois n'ont
pas bien connu l'efpcce , ayant pris un autre oifcaii
pour le mâle de la foubufe dont ils ont appelé \^
femelle ringtml ( queue annelée de blanc ), & le pré-
tendu mâle hcnharrïcr ( déchircur de poules ) ; ce font
les mêmes oifeaux que M. Briffon a nommés fmicons-
à collier , mais ils tiennent plus de la bufe que du
faucon ou de l'aigle. Ces trois efpèces, &: fur-tout la
dernière, ont donc été ou méconnues ou confondues,
ou très -mal nommées; car le jcan-le-blanc ne doit
R iij
134 Histoire Natu relle
point entrer dans la iide des aigles. L'oifeaii faint-
jnartin n'eft ni un faucon, comme le dit M. Edwards,
ni un lanicr , comme le difent M." Frifch cSc BrifTon ,
puifqu'il eft d'un naturel différent &i de mœurs oppofées.
11 en efl de même de la foubufe , qui n'eil ni \\n
aigle ni un faucon , puifque fes habitudes font toutes
différentes de celles des oifeaux de ces deiix genres:
on le reconnoîtra clairement par les faits énoncés dans
ies articles où il fera queftion de ces deux oifeaux.
Mais il me paroît qu'on doit joindre à l'efpèce du
jean-le-blanc , qui nous efl; bien connue , un oifeau
que nous ne connoifTons que par les indications
d'Aldrovande fi), fous le nom de laniarius , Si de
Schwenckfeld fl:J , fous celui de mi/vus albus. Cet
oifeau que M. BrifTon a auffi appelé lanicr , me paroît
encore plus éloigné du vrai lanier que Toifeau faint-
martin. AIdrovande décrit deux de ces oifeaux, dont
l'un efl; bien plus grand , 6c a deux pieds depuis le
bout du bec jufqu'à celui de la queue, c'ell la même
grandeur que celle du jean-le-blanc; 6c fi l'on compare
la defcription d'Aldrovande , avec celle que nous
avons donnée du jean-le-blanc, je fuis perfuadé qu'on
y trouvera affez de caraétères pour préfumer que ce
laniarius d'Aldrovande, pourroit bien être le jean-le-
(î) LaniariuS' AIdrov. Avi. tom. I, pag. 380. Icônes, pag. 381
& 3I2.
{k) ATilvus albus , Schv/cnckfeld , Therlotrop. SU. pag. 304 — Le
JLaiiier bLinc. BriiTon, Ornhhol. tom. 1, pag. ^Oj.
Ji'm I
De StvedeJiA
Jiarr>n /<'
•^/<ii^
LK JEAN -LE-BLANC
DU J EA N'L E'B LA N C, 135
blanc, d'autant que cet Auteur dont l'ornithologie c(l
IC
bonne <Sc très-complète, fur -tout pour les oifeaux de
nos climats, ne paroît pas avoir connu le jean-lc-blanr
par Jui-mcme »^"'^'^"''l "'-^ ^^^^ ^"« r;^j;.,.,^. j'.,,...;.
, puifqu'il n'a fait que l'indiquer d'après
uquel il a emprunté jurqu'à ia figure tle
Bel on flj, duqu
cet oifeau.
(l) Py^argi fccundum gcnus. AWrov. Avl loin. I, pao-. 208.
g# ^
136 Histoire Natu relle
OISEAUX ETRANGERS
Qui ont rapport aux Aigles if Balbujards.
Vojei les planches enluminées , ;/." ^/^.
I.
JL 'oiseau Jes grandes Indes, dont M. Briiïbn çl
donne une defcription exa6le fa), fous le nom (ïn'igle dg
Pondichéri. Nous obferverons feulement que par fa feule
petitefTe, on auroit dû, l'exclure du nombre des aigles,
puif(|u'il eil de moitié moins grand que le plus petit
des aigles: il relTemble au balbuzard par la peau nue
qui couvre la bafe du bec, <Sc qui efl d'une couleur
bleuâtre, mais il n'a pas comme lui les pieils bleus, il
Jes a jaunes comme le pygargue : /on bec cendré à
fon origine, 6c d'un jaune pâle à fon bout, femble
participer pour les couleurs du bec des aigles <$c des
pygargues ; 6: ces différences indiquent affez que cet
oifcau efl d'une efpèce particulière: c'efl vraifembla-
blement l'oifeau de proie le plus remarquable de cette
contrée des Indes, puifque les Malabares en ont fait
une idole , <5: lui rendent un culte (h) ; mais c'eft
plutôt
(a) L'aigle de Pondichtry. Voyei planche XXXV. EnHon. Otn'ah,
tome I , png. 450.
(h) L'aigle MaJ.ihare eil également beau & rare, (x tête , fon cou
& toute fa poitrine, font couverts de plumes très - blanches , plus
longues
o
DES Oiseaux étrangers, 137
plutôt par la beauté de Ton plumage , que par fa gran-
deur ou fa force , qu'il a mérité cet honneur : on
peut dire en effet que c'efl i'un des plus beaux oifeaux
dii genre des oifeaux de proie.
I I.
L'oiseau de l'Amérique méridionale fcj, que
Marcgrave a décrit fous le nom iinitaurana (ouroutaran)
(d) que lui donnent les Indiens à\\ Brefd, & que Fer-
nandès a indiqué par le x\ovc\ yfqumithli (cj , qu'il porte
au Mexique : c'eft celui que nos voyageurs François
ont appelé aic^le d'Orenoque (f): les Anglois ont adopté
longues que larges , dont la tige <5c la côte font d'un beau noir de
jais ; le refte du corps efl: couleur de marron luflrc , moins foncé fous
les ailes que dcfTus ; les fix premières plumes de l'aile font noires au
bout, la peau autour du bec eft bleuâtre, ie bout du hcc eft jaune,
tirant fur le vert ; les pieds font jaunes , les ongles noirs ; cet animal
a le reorard perçant , il efl de la groffeur d'un faucon : c'efl une
efpèce de divinité adorée par les Malabarcs ; on en trouve aufll dans
le royaume de Vilapotir & fur les -terre» du grand Mogol. Orn'ilh.
de Salerne , pag. S.
(c) L'aigle hupé du Brefil. BrifTon , Ornhh. tom. T, pag. 446^.
(J) Urutûurana ( Brafiiienfibus ), & urutarï'Cuquichu-caririrï. Marc-
grav. H'ijl' naî. Braf. pag. 203.
(e) Yfijuauthli. Fernandès, Hiji. nat. nov. Hifp. pag. 34.
(fj ^' p^fie ^ficz fouvent de la terre-ferme aux îles Antilles une
fone de gros oifèan , qui doit tenir le premier rang entre les oifeaux
de yiroJc de l'Amérique : les premiers habitans du Tabago l'ont
nommé Vaigle d'Orenoque , à cauie qu'il efl de la groffeur & de la
'lîofurc d'un aigle , & qu'on licjit que cet oifcau , qui n'efl que
Oifeaux , Tome L 4 S
138 Histoire Natu relle
cette dénomination fgj. Se l'appellent orcnoko - eagle :
il efl un peu plus petit que l'aigle commun , <Sc
approche de l'aigle tacheté ou petit aigle par la variété
de fon plumage ; mais il a pour caraclcres propres &
fpécifiqucs, les extrémités des ailes & de la queue
bordées d'un jaune blanchâtre, deux plumes noires,
longues de plus de deux pouces , <?c deux autres
plumes plus petites , toutes quatre placées fur le fom-
met de la tête, Se qu'il peut baifTer ou relever à fîi
volonté ; les jambes couvertes jufciu'aux pieds de
plumes blanches ik. noires, pofées comme des écailles;
J'iris de Tccil d'un jaune vif, la peau qui couvre la
bafe du bec, <Sc les pieds jaunes comme les aigles,
mais le bec plus noir &. les ongles moins noirs: ces
différences font fiiffifantcs pour fcparer cet oifeau des
aigles, (^ de tous les autres dont nous avons fait
paflager en cette ile , fc voit communément en cette partie 'de
l'Amérique méridionale , qui efl: arrofce de la grande rivière d'Orc'no-
que ; tout fon plumage efl d'un gris-clair marqueté de taches noires,
hormis que les extrémités de its ailes & de fa (jucue font bordées de
jaune : il a les yeux vifs & perçans ; les ailes fort longues , le vol
rapide & prompt, vu la pe^inteur de fon corps: il fe rcjiaît d'autres
oifeaux fur leiqucls il fond avec furie , & après les avoir atterrés , il
les déchire en pièces 6c les avale il attaque les arras , les per- ,
roquets on a remarque qu'il ne fc jette pas fur fon gibier
tandis qu'il efl à terre ou qu'il cil pofé fur quelque branche , mais
cju'il attend (ju'il ait pris l'efTor pour le combattre en l'air. Du Tertre,
7//y?, nat. des Antilles , page 159. I\'ota. Rochefort a copie ceci mol
pour mot dans la Relation de i'iJe de Tabacro, p^ges ^ 0 & ^ i»
Ù) Voyei Brovvne, Bijl. naî. of. Jamdica, page 471.
DES Oiseaux étrangers. 159
mention dans les articles précédens ; mais il me
paroit qu'on doit rapportera cette efpèce , i'oifeau que
Garciiaiïb ap{)elle aigle du Pérou ( h) , qu'il dit être
plus petit que les aigks d'Efpagne.
Il en efl de même de I'oifeau des côtes occidentales
de l'Afrique (i) , dont M. Edwards nous a donné une
très - bonne figure enluminée, avec une excellente
defcription fous le nom à'eaglc-crowîied , aigle hupc , qui
me paroit être de la même efpèce , ou d'une efpèce
irès-voifine de celui-ci. Je crois devoir rapporter en
entier la defcription de M. Edwards, pour mettre le
Lefleur à portée d'en juger (k).
(h) Hifloire naturelle des Incas, tome II, page 2y^.
(i) L'aigle hupé d'Afrique. Briflon, Ornkhol. tom. I, pag. 44.8.
(k) Cet oifcau , dit M. Edwards, eft d'environ un tiers plus
petit que les plus grands aigles qui fe voyent en Europe, & il paraît
fort &: hardi comme les autres aitrles; le bec avec la peau qui couvre
le haut du bec , & où les ouvertures des narines font placées , efl
d'un brun obfcur, les coins de l'ouverture du bec font fendus aflez
avant jufque fous les yeux , & font jaunâtres , l'iris des yeux efl; d'une
couleur d'orange rougcâtre ; le devant de la tête , le tour des yeux
& la gorge font couverts de plumes blanches, parfemées de petites
taches noires ; le derrière du cou & de la tête , le dos & les ailes ,
font d'un brun foncé, tirant fur le noir, mais les bords exte'ricurs
des plumes font d'un brun clair. Les pennes '*' font plus foncées que
les autres plumes des ailes ; les côtés des ailes vers le haut , & les
extrémités de quelques - unes des couvertures des ailes font blancs ;
la queue efl d'un gris foncé , croifee de barres noires , &i le defTous
* Pennes crt un terme de fauconnerie, pour exprimer les grandes plumes des ailes dti
Oifeaux de proie.
Si;
140 Histoire Naturelle
La diftance entre l'Afrique <5c le Brefil , qui ï\c\{
guère que de quatre cents lieues , n'eil pas alTez grande
pour que des oifeaux de iiaut vol ne puifTent la
parcourir; &^ dès -lors il eft très-polfible que celui-ci
fe trouve également aux côtes du Brefil, 6i fur les
côtes occidentales de l'Afrique; & il fuffit d€ comparer
les caradères qu-i leur font particuliers, &i par Icfqucis
ils fe reflcmblent, pour être perfuadé qu'ils font de la
même efpèce; car tous deux ont des plumes en forme
d'aigrettes qu'ils redrcffent à volonté , tous deux font
à peu près de ia même grandeur; ils ont au/Ti tous
deux le plumage varié, (Se marqueté dans les. mêmes
endroits ; l'iris des yeux d'un orangé vif, le bec noirâtre ;
en paroît être d'un gris de cendre obfcur & léger ; la ppitrine cft
cFun brun rougcàtre avec de grandes taches noires tranlverfàles fur
les côtés; le ventre eft blanc, auHl-bien que le deflous de la queue
qui eft marqueté de taches noires ; les cuifîes & les jambes, jufqu'aux
ongles, font couvertes de plumes blanches, juliment marquetées de
lâches rondes & noires ; les ongles font noirs & très-forts , les doigts
font couverts d'écaillés d'un jaune vif, il élève fes plumes du dcfius
de la tête en forme de crête ou de hupe , d'où il tire fon nom.
J'ai dcfljné cet oileau vivant à Londres, en 1752; fon maître
m'afiura qu'il venok des côtes d'Afrique, & je le crois d'autant
plus volontiers , que j'en ai vu deux autres de cette même efpèce
cxadement chez une autre perfonne , ôc qui vcnoient de la côte de
Guinée; Barbot a indiqué cet oifcau lous le nom (S' aigle couronné ,
dans fi defcription de la Guinée ; il en donne une mauvaife figure,
dans laquelle cependant on reconnoît les plumes relevées fur fà lètt
d'une manière très-peu différente de celle dont elles font repréfentées
dans ma figure. Edwards , Clanurcs , pan. i , pag. j 1 & j 2 , plancht
intuminée 22jf,
DES Oiseaux et rangers, 141
lès jambes jufqu'aux pieds , également couvertes Je
plumes, marquetées de noir & de Liane; les doigts
jaunes & les ongles bruns ou noirs, ôi il n'y a de
différence que dans la diflribution (Se dans les teintes
des couleurs du plumage, ce qui ne peut être mis t^i
comparaifon , avec toutes- les refTcmblanccs que nous
venons d'indiquer; ainfi, je crois être bien fondé à re-
garder cet oifeau des cotes d'Afrique, comme étant d^
ja même efpèce que celui du Brefd; en forte que l'aigle
hupé du Brefil , l'aigle d'Orcnoque, Taiglc du Pérou, (Se
l'aigle hupé de Guinée, n€ font qu'une feule <Sc même
eipcce d 'oifeau , qui approche plus de notre aigle tacheté
ou petit aigle d'Europe, que de tout autre.
1:1 I.
L'oi5EAU- du Brefil (IJ, indiqué par Marcgrave
{ous le nom urubh'mgd (ru) , qui vraifemblablemcnt efl
d'une efpèce différente du précédent, puifqu'il porte un
autre nom dans le. même pays; 6: en effet il en difïere.,
I .*" par la grandeur, étant de moitié plus petit; 2." par
ia couleur: celui-ci eff d'un brun noirâtre, au lieu que
l'autre efl'd'un beau gris ; y parce qu'il n'a point de
plumes droites fur la tête; 4."* parce qu'il a le bas
des jambes é^ des pieds nus comme le pygargue , au
Jicu que le précédent a, comme l'aigle, les jambes
couvertes jufqu'au talon.
(l) L'aiglç du Brefil. Brlflon , Orn'iîh. tom. I, pag. 445.
(mj UrubUinga Brajiïicnjibus, Marcgrav. H'JÏ, nat,.Braf. pag. z.i^
S iij
14-2 Histoire Natu relle
Voye^ les planches enluminées , nf ^z/.
L'oiseau que nous avons cru devoir appeler le
triit aigle d A^nérique , qui n'a été indiqué par aucun
NaturaiiHe , éc qui fe trouve à Cayennc <Sc dans ies
autres parties de l'Amérique méridionale. II n'a guère
que {t\zQ, à dix -huit pouces de longueur; év il efl
remarquable même au premier coup d'œil , par une
large plaque d'un rouge pourpré qu'il a fous la gorge
6c fous le cou : on pourroit croire à caufe de fa
petiteffe qu'il feroit du genre des éperviers ou des
faucons; mais la forme de fon bec, qui efl droit à
fon infertion , <Sc qui ne prend de la courbure, comme
celui des aigles, qu'à quelque diftance de fon origine,
nous a déterminé à le rapporter plutôt aux aigles
qu'aux éperviers. Nous n'en donnerons pas une plus
ample defcription , parce que la planche enluminée
rcpréfente aflez fes autres caradères.
V.
L'oiseau des Antilles appelé le pécheur , par le P.
du Tertre (îi) , 6c qui eft très - vraifemblablement le
même que celui qui nous c(l indiqué par Catefby
fous le nom de fishing-hawk (o) , épervier-pêcheur de
(n) Hifl:. gén. des A milles , par le P. du Tertre, tome II,
page 2^S'
(o) Fishing-Hawk. Catefby, tome J , page 2, planche ji , avec
*^f fg^^( (oloriée.
DES Oiseaux étrangers. 143
la Caroline; il eft, dit-il, de la groiïeiir d\\r) autour,
avec le corps plus alongé : fes aiies, lorrqu'clles font
pliées , s'étendent un peu au-delà de l'extrcniitc de la
queue. Il a plus de cinq pieds de vol ou d'envergure;
il a i'iris des yeux jaune; la peau qui couvre la bafe
du bec bleue, le bec noir, les pieds d'un bleu pâle,
6c les ongles noirs , 6c prefque tous auiïi longs les uns
que les autres : tout le defTus du corps , des ailes &
de la queue, eft d'un brun fonce; tout le dcfTous du
corps, des ailes &i de la queue ell blanc; les plumes
des jambes font blancbes, courtes (Se appliquées de
très -près fur la peau. « Le pécheur, dit le P. du
Tertre , efl tout femblable au mansfeni , hormis «
qu'il a les plumes du ventre blanches , 6: celles du «
delTus de la tcte noires; fes griffes font un peu plus «
petites. Ce pécheur efl un vrai voleur de mer, qui «
n'en veut non plus aux animaux de la terre qu'aux «
oifeaux de l'air, mais feulement aux poifTons qu'il «
épie de dcffus une branche ou une pointe de roc ; «
6i les voyant à fleur d'eau, il fond promptcment «
dclTus, les enlevant avec fes griffes, Si les va manger «
fur un rocher: quoiqu'il ne fade pas la guerre aux «
oifeaux, ils ne laiffent pas de le pourfui\Te 6: de <c
s'attrouper, &. de le bequeter jufcju'à ce qu'il change ^c
de quartier. Les enfans des Sauvages les élèvent «
étant petits , &. s'en fervent à la pêche par ])lairir «
feulement , car ils ne rapportent jamais leur pèche '>.
Cette indication du P. du Tertre, n'eft ni affez
14-4 H I STO I RI. NATU RELLÉ
prccife, ni afTez détaillée , pour qu'on puifTe être affuré
que i oifeau dont il parle cfl le même que celui de
CatelLy, & nous ne le difons que comme une pré-
fomption: mais ce qu'il y a ici de bien plus certain,
c'ed que ce même oifeau d'Amérique donné par
Catclty, refTemble fi fort à notre balbuzard d'Europe,
qu'on pourroit croire avec fondement, que c'eft abio-
lument le même ou du moins une fimple variété dans
l'efpèce du balbuzard; il eft de la même grolTeur,
de la même forme, à très - peu près de la même
couleur, & il a, comme lui, l'babitude de pêcber ôc
de fe nourrir de poiflon. Tous ces caradèrcs fe
réHniiTent pour n'en faire qu'une feule Si même efpèce
avec celle du balbuzard.
V I.
L'oiseau <Ies îles Antilles, appelé par nos Vop-
geurs mansfeni , 6c qu'ils ont regardé comme une
efpèce de petit aigle (îi'ifus)'. le mansfeni , dit le P. du
Tertre, eft un puiffant oifeau de proie, qui en fa
forme <Sc en fon plumage , a tant d-e refTemblance avec
l'aigle , que la feule petiteiïe peut l'en diftinguer; car il
n'cfl guère plus gros qu'un faucon; mais il a les griffes
deux' fois plus grandes &i plus fortes; quoiqu'il foit
fi bien armé, il ne s'attaque jamais qu'aux oifeaux qui
n'ont point de défenfe, comme aux grives, alouettes
de mer, <S: tout au plus aux ramiers <5c tourterelles; il
vit aulii de ferpens <Sc de petits lézards: il fe pcrcbe
ordinairement fur les arbres les plus élevés: les plumes
font
DES Oiseaux étrangers, 145
font fi fortes (5c f\ ferrées, que fi en le tirant on ne le
prend à rebours, le plomb n'a point de prife pour
pénétrer; la cbair en efl un peu plus noire, mais elle
ne ladfc pas d'être excellente. Hijloire des Antilles ^
tome 11 f page 2J2,
Oifcdus , Tonu I.
. T
146 Histoire N atu re l l e
LES VAUTOURS
JL'oN a donne aux Aigles k premier rang parmi {es
oifeaux de proie, non parce qu'ils font pkis forts <^
pins grands que les vautours, mais parce qu'ifs font
pius généreux, c'efl-cà-dirc moins badcment cruels;
ieurs mœurs font plus litres, leurs démarches plus
hardies, leur courage plus noble, ayant au moins
autant de goût pour la guerre que d'appétit pour la
proie; les vautours au contraire , n'ont que i'inflindl
de la baffe gourmandife & de la voracité; ils ne com-
hattent guère les vivans que quand ils ne peuvent
s'a(fouvir fur les morts. L'aigle attaque fes. ennemis ou
fes victimes corps à corps; feu! il les pourfuit, les
combat, les faibt; les vautours au contniire, pour peu
qu'ils prévoient de réfiftance, fe réuniffent en troupes
comme de lâches affîffins, & font plutôt des voleurs (|ue
des guerriers , des oifeaux de carnage que des oifeaux de
proie; car dans ce genre, il n'y a qu'eux qui fe mettent
en nombre <Sc plufieurs contre un; il n'y a qu'eux
qui s'acharnent fur les cadavres au point de les déchi-
queter jufqu'aux os; la corruption , l'infecflion les attire
au lieu de les repouffer: les éperviers , les faucons
ôi jufqu'aux plus petits oifeaux montrent plus de
courage , car ils chaffent feuls , <5c prefque tous
dédaignent la chair morte, 6c refufent celle qui efl
corrompue: dans ks oifeaux comparés aux quadrupèdes.
DES Vautours, 147
le vautour renif)le réunir la force Se la cruauté du
tigre, avec la lachetc Si la gourmanclife du cliacal,
qui fe met également en troupes pour dévorer les
charognes c^ déterrer les cadavres; tandis que l'aigle
a, coiiime nous l'avons dit, le courage, la noblelîe,
la ma2:nanimité <S: la munificence du lion.
On doit donc d'abord diftinguer les vautours des
aigles par cette différence de naturel , S<. on les recon-
noitra à la fiinple infpedion en ce qu'ils ont les yeux
à fleur de tête , au lieu que les aigles les ont enfoncés
dans l'orbite; la tête nue, le cou aufîi prefque nu,
couvert d'un fimple duvet ou mal garni de quelques
crins épars , tandis que l'aigle a toutes ces parties
bien couvertes de plumes; à la forme des ongles,
ceux des aigles étant prefque demi - circulaires, parce
qu'ils fe tiennent rarement à terre, Se ceux des vautours
étant plus courts 6s: moins courbés; à l'efpèce de duvet
fin qui tapifTe l'intérieur de leurs ailes , Se qui ne fe
trouve pas dans les autres oifeaux de proie; à la partie
du deffous de la gorge qui efl plutôt garnie de poils
que de plumc-s; à leur attitude plus penchée que celle
de l'aigle qui fe tient fièrement droit , Si prefque
perpendiculairement fur fes pieds ; au lieu que le
vautour dont la fituation efl à demi horizontale, femble
marquer la bafTeffe de fon caraélère par la pofition
inclinée de fon corps : on reconnoîtra même les
vautours de loin , en ce qu'ils font prefque les feuls
oifeaux de proie qui volent en nombre, c'efl- à-dire
Tij
'148 Histoire Naturelle
plus de deux cnfembie; & aiiffi parce qu'ils ont le
vol pefant, & qu'ils ont même beaucoup de peine à
s'élever de terre, étant obligés de s'efTayer Si de
s'efforcer à trois ou quatre reprifes , avant de pouvoir
prendre leur plein effor ("ûJ.
Nous avons compofé le genre des aigles de trois
efpèces; favoir, le grand aigle, l'aigle moyen ou
commun , & ie petit aigle: nous y avons ajoute les
oifeaux qui en approchent le plus, tels que ie pvgargue,
je balbuzard , l'orfraie, ie jean-le-blanc &. les fix oifeaux
étrangers qui y ont rapport; favoir, i ." le bel oifeau
de A'ialabar; 2.° l'oifcau du Brefd , de l'Orénoque, du
Pérou S. de Guinée, appelé parles Indiens du Brefd,
tirutainvina\ y l'oifcau appelé dans ce même pays.
wubiwic,n ; 4.° celui que nous avons appelé \q pciit
(a) Nota. M. Ray , & M. Salerne , qui n'a fiit prefquc par- tout que
le copier mot pour mot, donnent encore pour différences caracflcriftiques
çntrc les vautours & les aigles , la forme du bec cjui ne le recourbe
pas immédiatement à fà nuiflance & le maimient droit jufqu'à deux
pouces de diftancc de fon origine ; jnais je dois oblerver que ce
çaravflèrc n'cll pas bien indique, car le bec des aigles ne Iç recourbe
pas non plus dès fli naiflance , il fe maintient d'abord droit , & la
feule différence cft que dans le vautour cette partie droite du bec eft
plus longue que dans l'aigle ; d'autres Naturalifles donnent auffi comme
difîerence caradérifticjue la proéminence du jabot, plus grand dans les
vautoun. que dans les aigles , maii ce cara^ère eft équivoque &
n'apnanieni pas à toutes les efpèces de vautours ; le grifîon qui efl
l'une des principales, bien loin d'avoir le jabot proéminent, l'a fi
rentré e^i dedans , qu'il y a au - deffous de fon cou & à la place»- du
jaboî. un creux allez grand pour y mettre le poing.
DES Vautours. 149
û/g/e de V Amérique ; y"" l'oifcau pécheur des Antilles;
6.° ie mansfeni qui paroît être une cfpèce de petit
aigle, ce qui fait en tout treize efpèces , dont l'une
que nous avons appelée yeiit aigle de V Amérique , n'a été
indiquée par aucun Naturalise. Nous allons faire de
même i'énumcration 6; la rédu6lion des efpèces de
vautours, & nous parlerons d'abord d'un oifeau qui a
été mis au nonibre des aigles par Ariflote, 6c après
lui par la plupart des Auteurs; quoique ce foit réelle-
ment un vautour (&. non j)as un aigle.
L E
PERCNOPTERE (^J.
Vn^'c^ les planches enluminées , n! ^2â,
J'ai adopté ce nom , tiré du Grec, pour difiinguer
cet oifeau de tous les autres; ce n'eft point du tout
un aigle, &i ce n'efl certainement qu'un vautour, ou
fi l'on veut fuivre le fentimcnt des Anciens, il fera
le dernier degré des nuances entre ces deux genres
d'oifeaux, tenant d'infiniment plus près aux vautours
qu'aux aigles. Ariflote ^ùj, qui Ta placé parmi les
(a) Cet oîfeau s'appelle en Catalogne , Trencalos. — Le V:\utour
des Alpes. Briflon, Ornithol. tom. I, pag. 464.
(b) Nota. Arillote en fait la quatrième cfpèce de Tes riigjcs, fous
ie nom de nep-/cro7i?£^$; & il lui donne enfuite pour furnom TTraeTDÇ,
Tii;
1^0 Histoire Naturelle
aigles, avoue lui-même qu'il ell plutôt du genre dot
vautours, ayant, Jit-il, tous les vices de l'aigle, fans
avoir aucune de Tes bonnes qualités; fe laifTant chaffcr
6c battre par les corbeaux, étant pareffcux à la cbafTe,
pefant au vol, toujours criant, lamentant, toujours
affamé <5c cherchant les cadavres: il a auiîi les ailes
plus courtes &i la queue plus longue que les aigles ; la
tcte d'un bleu clair, le cou blanc (?c nu, c'efl-à-dire,
couvert comme la tête <i'un fimple duvet blanc, avec
un collier de petites plumes blanches <Sc roides au-
dedous du cou en forme de fraife ; l'iris des yeux
eft d'un jaune rougeatre; le bec &i la peau nue qui en
recouvre la bafe font noirs , l'extrémité crochue du bec
e(t blanchâtre; le bas des jambes & les pieds font
nus (Se de couleur plombée; les ongles font noirs,
moins longs (Se moins courbés que ceux des aigles: il
eft de plus fort remarijuablc par une tache brune en
forme de cœur qu'il porte fur la poitrine au - deffous
de fa fraife, <Sc cette tache brune paroit entourée ou
plutôt liférée d'une ligne étroite 6c blanche : en
général, cet oifeau efl d'une vilaine figure <Sc mai
proportionnée; il efl même dégoûtant par l'écoule-
ment continuel à\\ne. humeur qui fort de fes narines,
•que Théodore Ga/a a bien rendu \>y( fubaqu'da ; mais d'autres Au-
teurs, & particulièrement Aidrovandc ont penfé ■qu'on devoir lire
rtiTnîêTXiç au lieu de TTnxîTî)? , c'eft-à-dire , Vultur'ma açuila au lieu de
Jubiiquila : ce qu'il y a de vrai , c'eft que l'une & l'autre de ces deux
«icnoniinaiioni conviennent également à cet oileau*
DU Percnoptere, 15 r
èi àc deux autres trous qui fe trouvent clans Ton bec
par Icfquels s'écoule la falive : il a le jabot proémi-
nent; & lorAju'il c(l à terre, il tient toujours les ailes
étendues fcj: enfin il ne refTenible à l'aigle que par la
grandeur, car il furpafTe l'aigle commun , &i il approche
du grand aigle pour la grofTeur du corps, mais il n'a
pas la même étendue de vol. L'efpèce du percnoptere
paroît être plus rare que celles des autres vautours; on-
la trouve néanmoins dans les Pyrénées, dans les Alpes,
<Sc dans les montagnes de la Grèce, mais toujours en
aiïez petit nombre.
(c) Nota. Cette habitude de tenir les ailes e'tendues appartient non-
fculeiiient à ceae efpèce , mais encore à la plupart des Vautours & à
quelques autres oilcaux de proie.
C
LE GRIFFON,
'est le nom que M." de TAcadcmie des Sciences
ont donné à cet oifeau pour le difîinguer des autres
vautours (ûJ. D'autres Naturalises l'ont appelé le vûii-
tour rouge (!>J,\^ vautour jaune (cj , le vautour fauve (d) ;
(a) Me'moires pour fervir à i'Hiftoire des animaux, part, lil ,-
jpag. 2 0 p , avec une aje^ bonne fgurc.
(h) Vuhur ruber feu laieritii coloris , magnitudinis meJ'iœ , interdumi
iomparet in Prujfia. Rzaczynsky, Auâ Hiji. nat. Pol. pag. 430.
fcJ Vultur fulvus nojîer , Baiico Bellonù cotigener. Willugh. Ornith,^
pag. 36; & Ray, Synoyf. avium , pg. 10, n.'' 7.
(d) Le Vautour fauve. BrJllon, OrnithoL lom. I, pag. 462,.
152 Histoire N atu re lle
Si. comme aucune de ces dénominations n'ei} imivoque
ni exacte, nous avons préféré le nom fimple de griffon.
Cet oifeau ed encore plus grand que le percnoptcre;
il a huit pieds de vol ou d'envergure; le corps plus
gros &: plus long que ie grand aigie , fur - tout en y
comprenant les jambes qu'il a longues de plus d'un
pied, (Se ie cou qui a fept pouces de longueur; il a,
comme ie percnoptcre, au bas du cou un collier de
plumes blanches ; fa tcte efl couverte de pareilles
plumes qui font une petite aigrette par-derrière, au
bas de laquelle on voit à découvert les trous des
oreilles ; ie cou e(l prefque entièrement dénué de
plumes ; il a les yeux à Heur de tête avec de grandes
paupières , toutes deux également mobiles 6c garnies
de cils, <5c l'iris d'un bel orangé; le bec long Se
crochu , noirâtre à fon extrémité ainfi qu'à fon origine.
Si bleuâtre dans fon n)ilitu; il efl encore remarquable
par fon jabot rentré, c'efl-à-dire par un grand creux
qui efl; au haut de l'eflomac, 6; dont toute la cavité
ed; garnie de poils , qui tendent de la circonférence au
centre. Ce creux e([ la place du jabot qui n'crt ni
proéminent ni pendant, comme celui du percnoptcre;
la peau du corps qui paroit à nu fur le cou Si. autour
des yeux , des oreilles , Sic. efl iVun gris brun Si.
bleuâtre; les plus grandes plumes de l'aile ont jufqu'à
deux pieds de longueur. Si le tuyau plus d'un pouce
de circonférence ; les ongles font noirâtres , mais
moins grands Si moins courbés que ceux des aigles.
Je
DU Griffon. 153
Je crois, comme l'ont dit M." de l'Académie des
Sciences, que le griffon efl en effet le grand vautour
d'Ariflote fej; mais comme ils ne donnent aucune
raifon de leur opinion à cet égard, cS: que d'abord il
paroîtroit qu'Arillote ne faifant que deux erpcces ou
plutôt deux genres de vautours, le petit plus blanchâtre
que le grand qui varie pour la forme ffj; il paroîtroit,
dis-je, que ce genre du grand vautour eft compofé
de plus d'une cfpèce , que l'on peut également y rap-
porter; car, il n'y a que le pcrcnoptère dont il ait
indique i'efpèce en particulier; cS: comme il ne décrit
aucun des autres grands vautours , on pourroit douter
avec raifon , que le grifïon fût le mcme que fon grand
vautour; le vautour commun, qui efl tout auffi grand
<k peut-être moins rare que le griffon, pourroit être
également pris pour ce grand vautour ; en forte qu'on
doit penfér que M." de l'Académie des Sciences,
ont eu tort d'affirmer , comme certaine, une chofe
auffi équivoque &. auffi douteufe, fans avoir même
indiqué la raifon ou le fondement de leur affertion ,
qui ne peut fe trouver vraie que par hafard , <Sc ne
peut être prouvée que par des réflexions Si des com?
(e) Il fc peut f.iire que i'oifeau que nous décrivons , qui ejl le
grand vautour cT Ar'ijlote , efl: vulgairement appelé griffon , parce que
c'crt un oileau ibrt grand, &c. Alémoîres pour fervlr à l'HiJIoire des
animaux , partie 1 1 1 , page j p,
(f) Vuhurum duo gênera funt aheruw parvum & alhicaniius , akixum,
majus , ac multiformius, Arifl. Hifi, anim. lib. VUI , cap. .3.
Oifcdiix , Tome I. , Y
154 Histoire Natu relle
paraifons qu'ils n'avoienC pas faites : j'ai tâché d y
liipplcer, & voici les raifons qui m'ont déteiminé à
croire (\\]ç notre gritton eft en effet ie grand vautour
des Anciens.
Il me paroît que rcfpèce du griffon efl compofée
de deux variétés; la première , qui a été appelée )w//i?//r
fûuve (g) ; & la féconde, vautour doré par les Natura-
Jifles (11). Les différences entre ces à^wy. oifeaux dont
ie preinier eft le grifion , ne font pas affez grandes
pour en faire deux efpcces diflin6tes & féparées, car,
tous deux font de la même grandeur, 6w en général
à peu près de la même couleur; tous deux ont la
queue courte relativement aux ailes qui font très-
iongues (ï) , &: par ce cara6lcre qui leur eft commun ,
ils difièrent des autres vautours : ces reffemblances
ont même frappé d'autres Naturalises avant moi (kj ,
au point qu'ils l'ont appelé le vautour fauve , coîigeuer
(g) Le Vautour fauve. BiilTon, tome I , page ^62.
(h) Vultur aureus Albertï magni , Gefneri , Raii , WïUughbei , Klein,
Ord. avium. pag, 43 , n." i. — Vultur bceticus five cajianeus. Alclrov.
Avi. tome I, page zy}. — Le Vautour dore. BrilTon, Ornith. tome I,
page 458.
(i) Nota. M. Briflon donne à Ton vautour dore' une queue de
deux pieds trois pouces de longueur , & trois pieds à la plus grande
plume de l'aile, ce qui me feroit douter que ce foii le même oifeau
que le vautour doré des autres Auteurs , qui a la queue courte C4i
compar.'\ifon des ailes.
^k) Vultur fuhus bœt'ico coagener. Ray, Synopf. avi. pag. 10, n.* /i
& Wiilughby, Ornithol. page ^6,
DU Griffon. fjj
du vautour dore: je fuis même très - porte à croire
que i'oifeau indiqué par Beion, fous le nom de vau-
tour noir, efl encore de la même efpece que le griffon.
ÔL le vautour doré; car ce vautour noir efl de la même
grandeur , 6c a le dos 6: les ailes de la même couleur
que le vautour doré. Or en réunifTant en une feule
ei\)hc€ ces trois variétés, le griffon fera le moins rare des
grands vautours, 6c celui par conféqucnt qu'Aridote
aura principalement indiqué: 6c ce qui rend cette
préfomption encore plus vraifcmblable, c'efl que félon
Belon , ce grand vautour noir fe trouve fréquemment
en Egypte , en Arabie 6c dans les îles de l'Archipel;
6c que dcs-lors il doit être affcz commun en Grèce.
Quoi qu'il en foit, il me femble qu'on peut réduire
les grands vautours qui fe trouvent en Europe à quatre
cfpèces; favoir, le pcrcnoj)tère, le griffon, le vautour
proprement dit, dont nous parlerons dans l'article
fuivant , 6c le vautour hupé , qui diffèrent affez les uns deï
autres pour fiirc des cfpèces didinéles 6c féparées. ^t^
M." de l'Académie des Sciences, qui ont difféqué
<}Lt\\x griffons femelles, ont très -bien obfervc que le
bec efl plus long à proportion qu'aux aigles 6c moins
recourbé; qu'il n'efl noir qu'au commencement 6c à
la pointe, le milieu étant d'un gris bleuâtre; que la
irixandibule du bec fupérieure a en dedans comme une
rainure de chaque côté; que ces rainures retiennent
les bords tranchans de la mandibule inférieure lorfque
le bec efl fermé; que vers le bout du bec il y a une
i5<5 Histoire Naturelle
petite cminence ronde aux côtes de laquelle font i\cu%
petits trous par où les canaux lalivaircs ie déchargent;
que dans la hafc du bec font les trous des narmes,
iongs de fix lignes fur deux de large, en allant du haut
en bas, ce qui donne une grande amplitude aux parties
extérieures de l'organe de l'odorat dans cet oileau;
que la langue eft dure <5c cartilagineufe , faifant par le
bout comme un demi-canal , &i fes deux côtes étant
relevés en haut; ces côtés ayant un rebord encore
plus dur que le relie de la langue, qui fait comme une
fcie compofee de pointes tournées vers legoficr; que
j'œfophage fe dilate vers le bas, <5: forme une groffc
hoffe qui prend un peu au - deffous du rétrccifTement
de l'œfophage ; que cette boffe n'eft différente du
jabot des poules, qu'en ce qu'elle eft parfemée iVunc.
grande quantité de vaiflcaux fort vifibies, à caufc (|uc
k membrane de cette poche eft fort blanche &i fort
tranfparente (/J; que le gcficr n'cft ni au/îi dur, ni
auffi épais qu'il l'cfl dans les gallinacés, Si que fa
partie charnue n'cd pas rouge comme aux géficrs des
autres oifcaux, mais blanche comme font les autres
ventricules; que les intcftins &. les cœaini font petits
(I) Noîû. Il pnroîtro'rt pnr ce que cllfcm icr M." de l'Académie,
que \c griffon a le jabot proéminent au dehors; cependant je me
iuis.aflWépar nies yeux du contraire, il n'y a (|u'un grand creux
à la place du jabot, à rcxiéricur; nwis cela n'empêche pas qu'à
l'intérieur il n'y ait une bofie & un grand élargincmcnt dans ccite
partie de rœfophage qui fouiève la peau du creux & ic remplit lorlque
laiiimal cft bicji repu.
DU Griffon. 157
comme dans les antres oifeaiix de proie; qu'enfm
l'ovaire cfl à l'ordinaire, <Sc Voy'ulutlus un peu anfrac-
tueux comme celui des poules , <S: qu'il ne forme pas
un conduit droit & égal, ainfi qu'il l'eft dans plufjeurs
autres oi féaux (m).
^\ nous comparons ces obfcrvations fur \ts parties
intérieures des vautours, avec celles que les mêmes
Anatomiftes de l'Académie ont faites fur les aigles ,
nous remarquerons aifément que quoique les vautours
fe nourriiïent de chair comme les aigles, ils n'ont pas
néanmoins la même conformation dans les parties qui
fervent à la digeflion , &. qu'ils font à cet égard beau-
coup plus près des poules &. des autres oifeaux qui fe
nourriffent de grain, puifqu'ils ont un jabot 6c \\\\
edomac (ju'on peut regarder, comme un dcmi-gcficr,
par fon épaiffeur à la partie du fond : en forte que les
vautours paroiffent être conformés non-feuicment pour
être carnivores, mais granivores 6c même omnivores.
(m) Mémoires pour fervir à l'Hilloirc des awiniaux, j)arùe lllj
mtïcle du Griffon.
Viij
"15 s Histoire Naturelle
LE VAUTOUR
o u
GRAND VAUTOU R (a),
Vûje^ les planches enlumine es , n. 42 j.
JL E ^^autou^, fimplement dit, ou le grand Vautour
('pi. v) , efî i'oifeau que Belon a improprement appelé le
gwid vautour cendré (b) , Si que ia plupart des Naturalises
après lui , ont aulTi nommé vautour cendré (c) , quoiqu'il
foit beaucoup plus noir que cendré: il cfl plus gros Se
plus grand que l'aigle commun, mais un peu moindre
que le griffon , duquel il n'cft pas difficile de le à\Ç-
tinguer, 1." par le cou qu'il a couvert d'un duvet
beaucoup plus long (5c plus fourni, (Se qui eft de la
même couleur que celle des plumes du dos; 2.? par
(a) Vautour, en Arabe, Racham ou Rochcim ; en Grec, Tj-vf/i
en Laiin, Vultur ; en Efpngnol, Buyetrc ; en Italien, Avoliorio ; en
Allemand, Gyr ou Geïr\ ou Gcier; en Polonois , Sep; en Anglois,
Ccir ou Vulture. — Le Vautour. Brinon, tome I , page 4 r .■».
(b) Le grand Vautour cendre. Belon, I1}JÎ. nat. des Oifiaiix,
page 8 ^ , avec une figure.
(c) Vultur cinereus. Aldrov. Av'i. tona. I, png. 271 & 23 j, Rav
Sy}h->pf. avi. pag. 9, n.° i. — Willughby , Ormthoi pag. 35, n." \,
— Klein, Ord. avL pag. 44., n.° 4. — Charleton, Onomaet. pna. 64,
\\° z. — Rzaczynsk) , AuÛ. Hijî. nat. Pol. pag. 430.
PI rPa^iSf
O)
LE \Al TOLK
Hu')erl •fcu.lb
DU Vautour. 159
«ne cTpèce de cravate blanche qui part des deux côtés
de Ja tcte, s'étend en deux brandies iufqu au bas du
cou , &. borde de chaque côté un afTcz large efpace
d'une couleur noire, (3c au-deffous duquel il le trouve
un collier étroit &: blanc; 3."* par les pieds qui font
dans le vautour couverts de plumes brunes, tandis que
dans le griffon, les pieds font jaunâtres ou blanchâtres;
6c enlin par les doigts qui font jaunes, tandis que ceux
du griffon font bruns ou cendrés.
L E
VAUTOUR A AIGRETTES (a).
V-> E Vautour qui cfl moins grand que les trois pre-
miers, l'ed cependant encore ?iïïez pour être mis au
nombre des grands vautours: nous ne pouvons en rien
dire de mieux que ce qu'en a dit Gcfner (1>J, qui de
tous les Naturalises efl le feul qui ait vu plufieurs de
ces oifeaux. Le vautour, dit- il , que les Allemands
appellent liafaigeier ( vmiiour aux libres J , a le bec
noir Si crochu par le bout, de vilains yeux, le corps
grand 6c fort, les ailes larges, la queue longue Ôi.
droite ; le plumage d'un roux noirâtre, les pieds jaunes,
Lorfqu'ii efl en repos, à terre ou perché, \\ redrefle
(a) Le vautour hupé. BrifTon , Ormth. tome I , page ^.(jc,
(l) Gcûier. Avi pnge 782.
i6o Histoire Natu relle
les plumes de la tcte qui lui font alors comme deux
cornes, que l'on n'aperçoit plus quand il \'olc. Il a près
de fix pieds de vol ou d'envergure; il marclic bien 6c
fait des pas de quinze pouces d'étendue: il pourfuit
\qs oifeaux de toute efpcce, <5c il en fait fa proie; ii
chafTc auffi les lièvres, les lapins, les jeunes renards
Si les petits faons, &. n'épargne pas même le poifTon:
il e(t d'une telle férocité qu'on ne peut l'apprivoifer;
non-feulement il pourfuit fa proie au vol en sYlancant
du fommct d'un arbre ou de quelque rocher élevé,
mais encore à la courfe ; il vole avec grand bruit: il
niche dans les forets épaifTes & défertes fur les arbres
les plus élevés; il mange la chair, les entrailles des
animaux vivans , ôi même les cadavres: quoique très-
vorace, il peut fupporter l'abflinence pencLant quatorze
jours. On prit deux de ces oifeaux en Alface au
mois de janvier i p 3 , & l'année fuivante on en trouva
d'autres dans un nid qui étoit conflruit fur un gros
chêne très - élevé, à quelque diilance de la ville de
J\Iifcn.
Tous les grands vautours , c'efl-à-dire le percnoptèrc,
le griffon , le vautour proprement dit, 6l le vautour à
aigrettes, ne produifcnt qu'en petit nombre 6c une
feule fois l'année. Ariflote dit qu'ordinairement ils ne
pondent qu'un œuf ou deux fc): ils font leurs nids
fc) Rupibus inaccejjîs par'it , negue locorum plur'ium incola avis hcec
ejl , edit non plus quam unum aut duo cowplut'imum. Arifl. ////?. anim.
Jib. IX , cnp. I I.
dans
DU Vautour a aigrette, i6i
dans des lieux fi hauts 6: d'un accès fi difficile, qu'il eft
très-rare d'en trouver: ce n'cflque dans les montagnes
élevées Si défertes que l'on doit les chtxchtr fJJ; les
vautours habitent ces lieux de préférence pendant toute
Ja belle faifon , & ce n'eft que quand les neiges (Se les
glaces commencent à couvrir ces fommets de mon-
tagnes qu'on les voit defcendre dans les plaines, <Sc
voyager en hiver du côté des pays chauds ; car il
paroît que les vautours craignent plus le froid que la
plupart des aigles; ils font moins communs dans le
nord; il fembleroit même qu'il n'y en a point du tout
en Suède , ni dans les pays au-delà ; puif(jue M. Lin-
nneus, dans Ténumération qu'il fait de tous les oifeaux
de la Suède (c), ne fait aucune mention des vautours:
cependant nous parlerons dans l'article fuivant, d'un
vautour qu'on nous a envoyé de Norvège, mais cela
(d) Nota. En général , les vautours & les aigles qui habitent les
îles & les autres terres voifines de la mer , ne bâtilTent ])as leurs
nids fur des arbres , mais contre des rochers efcarpcs & dans des
lieux inacccffibles , de forte qu'on ne peut les voir que de la mer
îorfqu'on eft fur un vaifTeau. Voye-^ les Obfervaùons de Belon , depuis
la page i o juÇquh I ^. — Dapper dit la même choie, & ajoute , que
quand on veut prendre leurs petits ou leurs œufs , on attache une
longue corde à un gros pieu , profondément enfoncé ôt bien affermi
en terre au haut de la montagne, & qu'un homiTje le laifle glijTer
le long de la corde , en defcendant julqu'au nid de l'oileau , dans
une corbeille où il met les petits & les œufs , & qu'enluite on le tire
en haut avec fa prile. Voye-^ DefçriptiQn des îles de l'Archipd, par
jPapper , page Jif. 6 o .
(e) Linn. Fauna Sueàca , pag' i 6 & fiq- vfque ad pag. 2 ^,
Oifciiux , Tome L » X
j6z Histoire N atu rel le
n'empêche pas qu'ils ne foient plus nombreux dans
les climats chauds, en Éc^^pte (fjj en Aral)ic ,
dans les iks de l'Archipel, &i dans plufieurs autres
provinces de l'Afrique 6v de l'Ahe: on y fait même
grand ufage de la peau des vautours, le cuir en eft
prefque au/îi épais que celui d'un chevreau , il eft
recouvert d'un duvet très-fin , très-ferré <Sc très-chaud ;.
&L l'on en fait d'excellentes fourrures fgj.
(f) Etant en Egypte & es plaines de l'Arabie dclerte, avons
obier vt que les vautours y lont frcqucns & grands. Belon , //{/?.
nat. des Otftaux , page 8 ^.
(o) Les païuuîs de Crète & les autres qui habitent les montagnes
de divers pays, en Egypte &. dans l'Arabie delerie , s'étudient de
prendre les vautours en diverles manières ; ils les ècorchent & ven-
dent \Qii peaux aux pelletiers Leur peau ell quali aulîl cpaifîê
que celle d'un chevreau Les pelletiers favent tirer les plus
grolîes plumes de la peau àcs vautours, Liiflant le duvet qui cft au-
deflous , & ainfi la conroyent fiilant pelices qui valent crrand'lomnie
d'argent ; mais en France s'en fervent le plus à faire pièces à mettre
fur l'eflomac Qui leroit au Caire & iroit voir les marchandifes
qui font expofees en vente , trouveroit des vêtemens de fine foie
fourres de peaux de vautours , tant de noirs que de blancs. IJ. ib'id.
pag. Sj&S^. — Ilya une grande quantité de vautours dans l'île de
Chypre; ces oifeaux font de la groficur d'un cygne, fort femblables
à l'aigle en ce que leurs ailes &; leur dos iont couverts de mêmes
plun>es ; leur cou eft plein de duvet, doux comme la plus fine
fourrure , & toute leur peau en efl: fi couverte que les Infulaires la
portent fur la poitrine & devant leur eflomac pour aider à la iS\vf:{-
tion : ces oifeaux ont une touffe de plumes au-dclTous du cou ; leurs
jambes font groffes & fortes Ils ne vivent que de charognes
&. ils s'en rempliflem fi fort qu'ils en dévorent en une fois auunt
DU Vautour a aigrette. 163
An refle , il me paroit que ie vautour noir que
Bclon Jit être commun en Egypte, efl de la même
cfpècc que le vautour proprement dit , qu'il appelle
vautour cendre , Si qu'on ne doit pas les féparer comme
l'ont fait quelques Naturalises f/ij, puifque Belon lui-
même, qui efl le feul qui les ait indiques, ne les
répare pas, 6. parle des cendrés 6c des noirs, comme
faiTant tous deux rcfpèce du grand vautour, ou vautour
proprement dit ; en forte qu'il efl probable qu'il en
exiflc en effet de noirs , tels que celui qui eft reprê-
fentê dans les planches enluminées, ?if ^2j, 6: d'autres
qui font cendrés, mais que nous n'avons pas vus. Il en
efl du vautour noir comme de l'aigle noir, qui tous
deux font de l'erpècc commune du vautour ou de
l'aigle. Ariflote a eu raifon de dire que le genre du
grand vautour ttoit multiforme, puifque ce genre eft
en effet compofc des trois efpèces du griffon , du
grand vautour év du vautour à aigrette, fans y com-
prendre le percnoptère, qu'Ariflote avoit cru devoir
féparer des vautours 6c affocier aux aigles. II n'en efl
pas de même du petit vautour dont nous allons parler,
<S: qui ne me paroît faire qu'une feule efpèce en
qu'il leur en fiiut pour quinze jours Et lorfqu'ils font ainfi
rempWs ils ne peuvent s'elcver de terre facilement; cefl alors qu'on
les tire & tue tort à l'aile ; ils font même alors quelquefois 11 pelans
qu'on les prend avec des chiens ou qu'on les tue à coups de pierre»
&. de hâtons. Dcfcription de l'Archipel , par Dapper , page j o.
(h) Le Vautour noir. '^ï\Rqï\^ tome J, page -f//.
Xij
1(54 Histoire Naturelle
Europe; ainfi, ce Philoibphe a eu encore raiibn de
dire que le genre du grand vautour ctoit plus multi-
forme , c'e(l-à-dire, contenoit plus d'efpèces que celui
du petit vautour.
L E
PETIT VAUTOUR(a).
Voje^ les planches enluminées , n!' ^4P'
1 L nous rcdc maintenant à parler des petits Vautours ,
qui me paroi (Tent différer des grands que nous venons
d'indiquer fous les noms de percîwptt're , griffon, p'ûiid
%'iviîour , Si vautour a nigretie , non - feulement par ia
grandeur, mais encore par d'autres caractères parti-
culiers. Ariflote, comme je l'ai dit, n'en a fait qu'une
cfpèce , &L nos Nomenclatcurs en comptent trois;
favoir, le vautour brun, le vautour d'Egypte 6c le
vautour à tête Idnncîic. Ce dernier qui cfl un des
plus petits (b) , év dont nous donnons ici la rcpréfen-
tation, paroit être en clTct d'une cfpcce diticrentc
des deux premiers, car il en difiêre en ce qu'il a le
bas des jambes & les pieds nus; tandis que les deux
(a) Nota. Cet oilcnu cfl nomme au bas de la pîanchc, Vautour de
J^on'cge , parce qu'il nous a été envoyé de Norvège.
(b) Vuttur kucocephalos. Schwenckfcld. Av'i. Si/.-p^g. 375. — Le
Vautour à tête blanche. BrilTon, Oin'iîhol. tome I, pnge 465.
DU PET IT Va UT OU R. 1 6 5
cintres les ont couverts de piiimes. Ce vautour à tête
blanche, cfi: vraifemblablemcnt le petit vautour hianc
des Anciens, qui fe trouve communément en Arabie,
en Egypte , en Grèce , en Allemagne <Sc jufqu'en
Norvège, d'où il nous a été envoyé: on peut remar-
quer qu'il a la tète <?c le defTous du cou dégarnis de
plumes 6; d'une couleur rougeâtre, 6: qu'il e(t blanc
prefqu'en entier» à l'exception des grandes plumes
des ailes qui font noires fcj: ces caradlères font plus
que fudifans pour le faire reconnoître.
Des autres cfpèces de petits vautours indiqués par*
M. BrifTon , fous les noms de vautour brun <Si de vauwuf
d'Egypte , il me paroit qu'il faut en retrancher ou plu-
tôt féparcr le fécond, c'eft à-dire, le vautour d'Egypte;
qui, par la defcription que Belon feul en a donnée (d) ,
n'efl point un vautour , mais un oifeau d'un autre
genre, &. auquel il a cru devoir donner le nom de fucré
Égypiicn ; il ne nous refle donc plus que le vauloui'
Lrun , au fujet duquel je remarquerai feulement , que
je ne vois pas les raifcns qui ont déterminé M. Briffon
à rapporter cet oifeau à WiquUa hctcropodc de Gefner ;
il me paroit au contraire, qu'au lieu de faire de cet
(c) Cet oifeau, dit M. Sch^vcnckfclJ , qui fe nomme en Silc'de
Crimmcf , a la lanouc allez large , l'cftomac épais & ridé, la véficulc
du fiel grande. Schwcnckfdd , Avi. Si/, pag. 37(5.
(d) Sacre Égyptien. H'ierax , en Grec; Acàpher yEgyptms , en
Latin; Sacre d'Egypte, en FraiKois. Belon, Bijh nat. des Oifcaux,
nacres 1 i 0 & i i 1 *
A iij
i66 Histoire Naturelle
aigle Iictéropode un vautour , on clevoit ie ru]->])rlmcr
de la iifle des oifcaiix; car fon cxiflcnce n'eil nuiicmcnt
pioiivce; aucun des Naturalises ne l'a vu; Gefner fe),
qui fcul en a p.irlc , &i que tous les autres n'ont fait
que copier (f), n'en avoit eu qu'un defîin qu'il a fait
graver , <5c dont il a rapporté la figure au genre des
aigles , (Se non pas a celui des vautours; &. la dénomi-
nation (ï aigle hétéropock qu'il lui donne, cft prde du
delîln dans leqwel l'une des jam{:)es de cet oifeau
étoit bleue, & l'autre d'un brun blanchâtre; &. il
avoue qu'il n'a pu rien apprendre de ct^rtain lur cette
efpèce, <?c qu'il n'en parle <S^ ne lui donne ce nom
à\ùgle Iictéropode , qu'en fwppofant la vérité de ce même
de/Tm. Or \\w oifeau dciliné par un homme inconnu ,
nommé d'après un defîin incorrcél, & que la feule
différence de la couleur des deux jambes doit faire
regarder comme infidèle; un oifeau qui n'a jamais été
vu d'aucun de ceux qui en ont voulu parler, cft-il un
vautour ou ww aigle! efl-il même wn oifeau réellement
exifîant! il me paroit donc que c'eft très-gratuitement
que l'on a voulu y rapporter le vautour brun.
Au refle, l'oifeau qui exidc réellement, <S: qui ne
doit point être rjpporté à l'aigle hétéropode qui
n'cxifie pas , efl repréfenté dans les planches enluminées,
(i) Aqu'da Hcteropode. Gefner, Av'i. pag. 207.
(f) Aqv'ih Hrteropos. AIdrov. Avi. loin. I, pacr. 232. — Heferopos.
Gefner. Charicton, Exerc. pag. 71. — FaUo capïu nudo fufcus. Linii.
Syjl, nat. tdit. vi, g.n. 36, Ip. 2.
DU PETIT Vautour. \6y
11! ^2-/ ; 6c comme il nous a été envoyé d'Afri(|iie
aufTi-bicn que cJe file de Malte (^) , nous le renvoyons
à l'article luivant, oii nous traiterons des oileaux
étrangers qui ont rapport aux vautours.
(t^) Le Vautour brun. Briflon, Om'ithol. tome I, pr.ge 455.
j*jn"':i.ir'.
OISEAUX ETRANGERS
Qui ont rapport aux Vautours.
ï.
Voyc:i les plduchcs enluminées , nf ^2 y.
L
'oiseau envoyé d'Afrique Si de i'ile de Malte,
lous le nom de Vûuiour hruii , dont nous avons parlé
dans l'article précédent , qui c(t une efpèce ou une
variété particulière dans le genre des vautours, 6; qui,
ne fe trouvant point en Europe , doit être regardée
comme appartenante au climat de l'Afrique, &. fur-tout-
aux terres voifuies de la mer méditerranée.
I I.
L'oiseau appelé par Belon , \c facrc d'Egypte , Si que
le docteur Shaw indique lous le nom Achbobba ; cet
oifcau fe voit par troupes dans les terres ftériles Si fà~
blonneufes qui avoifinent les pyrainides d'Egypte; il fe
tient prefque toujours à terre Si fe repait comme les
vautours de toute viande Si de chair corrompue. « \\
768 Histoire Naturelle
y* efl ( Jit Belon ) oifeaii fordide 6: non gentil , Se
y quiconque feindra voir un oifcau , ayant la corpulence
> d'un miian , le bec entre le corbeau <S: i'oifeau de
> proie , croclui par le fin bout , ôi les jambes &. pieds,
> (îv marclicr comme le corbeau, aura l'idc'e de cet
> oifeau , qui cfl fréquent en Egypte , mais rare
> ailleurs, quoiqu'il y en ait quelques-uns en Syrie,
> ÔL que j'en aye ( ajoute -t -il ) vu quelqu'uns dan$
la Caramanie >>. Au refte , cet oifcau varie pour les
couleurs; c'efl à ce que croit Belon , l'h'icrax ou acc'ipher
yE^'pt'ms d'Hérodote, qui comme l'ibis, étoit en vé-
ncrntion chez les anciens Egyptiens , parce que tous
deux tuent &. mangent les ferpens & autres bétes im-
mondes qui infedent l'Egypte faj. « Auprès du Caire,
» dit le dodcur Shaw, nous rencontrâmes pluficurs
i^ troupes d'achbobbas , qui , comme nos corbeaux ,
V vivent de charogne. . . c'eft peut-être l'épervier
» d'Egypte , dont Strabon dit , que contre le naturel
3> de ces fortes d'oifeaux, il n'efl pas fort fauyage ,
>5 car l'achbobba eft un oifeau qui ne fait point de mal
i> (5: que les Mahometans regardent comme facré ;
î) ctH pourquoi le Bâcha donne tous les jours deiix
(a) BcIon, ////?. nat. des Oifeaux, pag&s i i o & i 1 1 , avec fgure,
^ans laquelle on peut remarquer que le bec reflenible beaucoup plus
à celui d'un aigle ou d'un e'pervier qu'à celui d'un vautour; mai:i on
doit préfumer que cette partie efl mal reprclentee dans la figure,
puilque l'Auteur dit dans fa defcription , que le bec eft entre celui
du corbeau & celui d'un oifeau de proie, ^ crochu par l'extrémité,
ce (jui exprime aflez bien la forme du bec d'un yautoiir.
5> bœufs
DES Oiseaux et rangers. 169
bœufs pour les nourrir, ce qui paroît être un refle «
de l'ancienne fuperftition des Egyptiens » (bj. C'eft
de ce même oifeau dont parle Paul Lucas. «' On ren-
contre encore en Egypte, dit-il , de ces éperviers à qui «
onrendoit, ainfi qu'à l'ibis, un autre culte religieux; «
c'efl un oifeau de proie de la groffeur d'un corbeau, «
dont la tête reffemble à celle d'un vautour <Sc les «
plumes à celles d'un faucon ; les prêtres de ce pays «
reprcfentoient de grands myflères fous le fymbole de «
cet oifeau ; ils le faifoient graver fur leurs obélifques «
&.fur les murailles de leurs temples pour repréfenter «
Je foleil ; la vivacité de fes yeux qu'il tourne incef- «
fament vers cet afire , la rapidité de fon vol , fa «
Jongue vie , tout leur parut propre à marquer la nature «
du foltil , <SwC » (c). Au refle, cet oifeau , qui, comme
l'on voit, n'eft pas affez décrit, pourroit bien être le
même que le galinache ou îiiarchand , dont nous ferons
mention , art. I V.
I I I.
Voyei^ les planches enluminées, n^ ^28,
L'oiseau (d) de l'Amérique n\éridionale , que les
(h) Voyage de M. Shaw. D. M. tome II, pages p & $2,
(c) Voyage de Paul Lucas, tome III, page 204.
(d) Colquauhtli , ut Aiex'icani vocant ; five aura. De Laët , H'ijf.
nov. orb'is , pag. 232. — Cofcaquauhtli. Reg'ma aurarum. Hemandès,
H'ifi' Alex. pag. 3 ip. — Cofcaquauhtli, Fernandès, Hijl. nov. Hifp,
•p. xo. — Reg'ma aurarum. Euf. Nieremberg, /?. .2.2-^. — Vautour
.des Indes. Albin, tojne II, p. 2 , avec me Jigufe coloriée , planche J Y.
O if eaux, Tome I. , Y
jyo Histoire N atu relle
Européens qui habitent les Colonies, ont appelé Rei
des Vautours fej, Sl qui cfl en effet le plus bel oifeau
de ce genre : c'cfl d'après celui qui cft au cabinet du
Roi que M. Briffon en a donné une bonne Si ample
defcription. M. Edwards, qui a vu plufieurs de ces
oifeaux à Londres, l'a au/Ti très-bien décrit Se defliné:
nous réunirons ici les remarques de ces deux auteurs
& de ceux qui les ont précédés , avec celles que nous
avons fciitcs nous-mcmcs fur la forme ôi la nature de
cet oifeau ; c'eft certninemcni un vautour , car il a la
tcte Si le cou dénué de plumes, ce qui efl le caradère
le plus diftinctif de ce genre; mais il n'eft pas des
plus grands , n'ayant que deux pieds deux ou trois
pouces de longueur de corps , depuis le bout du bec
jufqu'à celui des pieds ou de la queue ; n'étant pas
plus gros qu'un dindon femelle , & n'ayant pas les
ailes à proportion fi grandes que les autres vautours ,
quoiqu'elles s'étendent, lorfqu'clles fontpliées, jufqu'à
j'extrémité de la queue, qui n'a pas huit pouces de
longueur; le bec qui eft affez fort Si épais, efl d'abord
droit 6s: direél Si ne devient crochu qu'au bout ; dans
quelques-uns il efl entièrement rouge. Si dans d'autres
il ne l'efl qu'à fon extrémité, Si noir dans fon milieu;
la bafe du bec efl environnée 6c couverte d'une peau
ffj Roi des Vautours. Edwards, Hift.des Oifeaux , tome I, page 2,
nvec une bonne figure bien enluminée, planche ii. — Le Roi des
A^iutours. Briflon, Orniîhol, tome I, page 470, avec une bonne
Égurc , planche XXXyi,
DES Oiseaux étrangers. 171
de couleur orangée, large, &. s'élevant de chaque côté
jufqu'aii haut de la tête. Se c'eft dans cette peau que
font placées les narines, de forme oblongue, <Sc entre
lefquelles cette peau s'élève comme une crête dentelée
Se mobile, Si. qui tombe indifféremment d'un côté ou
de l'autre, félon le mouvement de tête que fait Foi feau ;
les yeux font entourés d'une peau rouge écarlate, 6c
l'iris a la couleur 6c l'éclat des perles; la tête Si le cou
font dénués de plumes 6c couverts d'une peau de couleur
de chair fur le haut de la tête , 6c d'un rouge plus vif
fur le derrière 6c plus terne fur le devant; au-deffous
du derrière de la tête s'élève une petite touffe de duvet
noir , de laquelle fort 6c s'étend de chaque côté fous
la gorge, une peau ridée, de couleur brunâtre, mêlée
de bleu 6c de rouge dans fa partie poflérieure: cette
peau eft rayée de petites lignes de duvet noir ; les
ioues ou côtés de ia tête font couvertes d'un duvet
noir, 6c entre le bec 6c les yeux, derrière les coins du
bec , il y a de chaque -côté une tache d'un pourpre
brun ; à la partie fupérieiire du haut du cou il y a de
chaque côté une petite ligne longitudinale de duvet
noir , 6c l'efpace contenu entre ces deux lignes efl
d'un jaune terne ; les côtés du haut du cou font d'une
couleur rouge , qui fe change en defcendant par nuances
en jaune; au-deffous de la partie nue du cou efl une
efpèce de collier ou de fraife, formée par des plume*
douces , affez longues, 6c d'un cendré foncé; ce collier
qui entoure le cou entier ôl defcend fur la poitrine, efl
Yii
172 Histoire Natv relle
afTez ample pour que Toifeau puiiTc, en fe relFerrant , y
cacher fon cou 6c partie de fa tête , comme dans un
capuchon , 6: c'eft ce qui a fait donner à cet oifeau
Je nom de moine (f) par quelques Naturalises; les
plumes de ia poitrine, du ventre, des cuifTcs , des
jambes, 6: celles du deffous de la queue font blanches
<&: teintes d'un peu d'aurore; celles du croupion & du
delTus de ia queue varient, étant noires dans quelques
individus 6c blanches dans d'autres; les autres plumes
de ia queue font toujours noires, auffi-bien que les
grandes plumes des ailes, Icfquelles font ordinairement
bordées de gris; la couleur des pieds 6c des ongles
n'efl pas la même dans tous ces oifeaux , les uns ont
les pieds d'un blanc fale ou jaunâtre 6c les ongles
noirâtres ; d'autres ont les pieds (^ les ongles rougeâtres ,
les ongles font fort courts 6c peu croclius.
Cet oifeau efl de l'Amérique méridionale 6c non
pas des Indes orientales , comme quelques auteurs l'ont
écrit (g) ; celui que nous avons au cabinet du Koi
a été envoyé de Cayenne : Navarette en parlant de cet
(f) Vultur monachuî, Aionck. Re\- Waru-arum, Avem Mork-^burgi
v'idï cujus JJgura in aviario pido Bareilhano. Calvitium ejuaji rafum Itabet.
Collum nuJum in vaginâ cutaneâ , plumis cinereis lanaùs fimbriatâ recon-
dere pouji. Klein, Ordo Avi. png. 46.
^gj Albin dit que celui qu'il a deffiné e'toit venu des Indes
orientales par un vaifleau Hollandois appelé le Pallawpank, pari. 111,
pûge 2, n* ^. M. Edwards dit aulTi que les gens qui montroient ces
oileaux à ia foire de Londres , alluroient qu'ils venoient des Indes
orientales; mais que nt^aiimoiiis H croit qu'ils font de l'Anicriquc.
Z)£S Oiseaux étrangers. 173
oifcau dit f/ij « j'ai vu à Acapuico le roi des lopHotes
ou vautours ; c*efl un des plus beaux oifeaux qu'on «
puiiïevoir, 6cc. » Le fieur Perry , qui fait à Londres
commerce d'animaux étrangers, a afluré à M. Edwards ,
que cet oifeau vient uniquement de l'Amérique :
Hernandès , dans fon Hijloire de la nouvelle Efpagne , (e
décrit de manière à ne pouvoir s'y méprendre : Fer-
nandès , Nieremberg & de Laët f i J qui tous ont
copié la defcription de Hernandès , s'accordent à dire,
que cet oifeau efl commun dans les terres du Mexique
ôi de la nouvelle Efpagne; <Sc comme dans le dé-
pouillement que j'ai fait des ouvrages des voyageurs,
je n'ai pas trouvé la plus légère indication de cet
(h) Voyez le Recueil des Voyages, par PurchafT, page 7^ j.
(i) II y a dans la nouvelle Espagne une incroyable abondance
& variété de beaux oifeaux , entre lefquels on eflime exceller le
Cofquauhdi ou Aura , comme les Mexicains le nomment , de k
grandeur d'une poule d'Egypte, qui a les plumes noires par-tout le
corps, excepté au cou & autour de la poitrine où elles font d'un
noir rouCTiiîant; les ailes font noires & mêlées de couleur cendrée,
pourpre & fauve au reftc ; les ongles font recourbés ; le bec fem-
blable au papagais , rouge au bout ; les trous des narines ouverts ;
ies yeux noirs, les prunelles fuives; les paupières de couleur roucre,(5i
le front d'un rouge de fang & rempli de plufieurs rides , lefcjuelles il
fronce & ouvre à la façon des coqs d'inde , où il y a c[uelque peu de poil
crépu comme celui des Nègres; la queue eft femblabie à celle d'un
aigle, noire dcfTus «Se cendrée dcflous Il y a un autre oileaude
même elpèce, c[ue les Mexicains nomment T^opilotl.De Laët , HiJÎ.
du nouveau AI on de , liv. V, chap. i v, p. i 43 & i 44.. Nota. Ce fécond
oifeau, appelé T^opi lot/ pîir [es Mexicains, eft un vautour; car celui
qu'on appelle roi des Vautours a été aufli nommé roi des ZopUotles.
Yiij
174- Histoire Naturelle
oifeau dans ceux de l'Afrique & de l'Afie, je penfe
(ju'on peut adurer qu'il eft propre & particulier aux
terres méridionales du nouveau continent, <Sc qu'il ne
le trou'.e pas dans l'ancien; on pourroit m'objedler,
que puifque l'ouroutaran ou aigle du Brefil fe trouve
Je mon aveu , également en Afrique & en Amérique,
je ne dois pas afTurer que le roi des vautours tie s'y
trouve pas auiïi ; la diflance entre les deux continens
efl égale pour ces deux oifeaux , mais probablement
la puifTancc du vol eft inégale (fi) , <Sc \cs aigles en
général volent beaucoup mieux que les vautours ;
quoi qu'il en foit, il paroît que celui-ci efl confiné dans
Jes terres où il eft né, & qui s'étendent du Brcfil à Ja
nouvelle Efpagne, car on ne le trouve plus dans les
•pays moins chauds , il craint le froid; ainfi ne pouvant
traverfer la mer au vol entre le Brefil & la Guinée, <5c
ne pouvant paffcr par les terres du nord, cette cfpèce
efl demeurée en propre nu nouveau monde (5: doit
être ajoutée à la lifte de celles qui n'appartiennent
point à l'ancien continent.
Au refte, ce bel oifeau n'eft ni propre, ni noble,
ni généreux; il n'attaque que les animaux les plus
(k) Hernandès dit néanmoins que cet oifeau s'élève fort haut, en
tenant les ailes très-étendues , & que fon vol cfl fi ferme (ju'il réfifte
aux plus grands vents. On pourroit croire que Nieremberg l'a appelé
regina aurariim , parce qu'il furmonte la force du vent par celle de foii
vol; mais ce nom aura n'efl pas dérivé du Latin, il vient par coa-
.tradion 6'ouroua qui eft le nom Indien d'un autre vautour dont nous
parlerons d^ns l'ui licle .iuivant.
PI n /"..v / -V
Jfve àtim.
\.Y. ROI DKS VAUTOIKS
Hubert JcuZp
DES Oiseaux étrangers, 175
foibles, 6c ne fe nourrit que de rats, de lézards, de
fcrpens &: même des excrémens des animaux & àts
hommes; auiïi a-t-il une très - mauvaife odeur, <5c les
Sauvages même ne peuvent manger de fa chair.
I V.
X^oye^ les planches enluminées , 7/." 1 S y (l).
L'oiseau appelé oiiroua ou aura (m) , par les Indiens
de Cayennc, urubu (n) ( ouroubou ) par ceux du Brefil ,
(l) Nota. Cet oifeau eft nommé au bas de la planche, Vautour du
Brefil , parce qu'il nous a été envoyé de cette contrée.
/m) Cet oifeau a été nommé urubu ( ouroubou ) par les Indiens
du Brefil. Urubu Brafilknfibus. Marcgrav. Hijl. nat. Brafil. pag. 208'.
, — Ouroua, par les Indiens de Cayenne. Meleagr'is Guianenfis torqua'-
ius; duplki ingluvie foras propendente. Ouroua. Barrère , OmithcL
pag. ^6. Corvus calvus , torquatus duplki ingluvk foras propendente.
Cormoran des Amazones. Barrère, Hifl. de la France Equinoxiale ,
page i2(). — Aura; gallinaça aut gallinaço alïis. Euf. Nieremberg,
page 22^. — Zopibll five aura. Hernandès, ;7^^^ /i* ■' / Fernandès",
page ^7. — Zamuro , Tur les côtes de l'Amérique méridionale'; i5c
Suyuntu au Pérou. Nieremberg, ibid. pag. 2.2^. — Galinache o«
Marchand. Voyage de Difmarchcïs , tome III, page 329. — Mar-
chand. H'ifl. des Aventurkrs , par Oexmelin , tome II, page 13. — Les
Anglois de la Jamaïque l'ont nommé Canon Croxv , & les Anglois
ii'Europc Turkey Busard. Bufe à figure de paon. Gatelby, tome L,
page 6 , avec une fgure coloriée. Nota. Turkey BuTjard, en Ano-Jois,
ne figniftc pas Bufe à fgure de paon en François ; c'eft une- faute
«lu Tradud^enr. Turkey Busard fignifie dindon bufe.
(n) Nota. On a mis par méprife le nom (ïurubu à la planche
n." 428 du roi dt% vautours; nwis c'eft à l'oifeau dont il eft ici
^ueftion que ce nom appartient.
ijd Histoire Naturelle
Zopilon par ceux du Mexique, &. auquel nos François
de Saint-Domingue (Se nos Voyageurs, ont donné ie
furnom de marchand: c'eft encore une cfpèce qu'on
doit rapporter au genre des vautours (o) , parce qu'il
efl du même naturel, & qu'il a, comme eux, le bec
crochu, 6c la tête &. ie cou dénués de plumes; quoique
par d'autres caractères il refTcmble au dindon (p) , ce qui
lui a fait donner par les Efpagnols & les Portugais, le
nom à.t gallïnaça o\\ gallïnaço : il n'cfl guère que de la
grandeur d'une oiefauvage; il paroit avoir la tcte petite,
parce qu'elle n'efl couverte, ainfi que le cou, que de la
peau nue, (Se femée feulement de quelques poils noirs
afTez rares; cette peau efl raboteufe (Se variée de bleu , de
blanc (S: de rougeâtre: \ts ailes, lorfqu'elles fontpliécs,
s'étendent au-delà de la queue , qui cependant efl; elle-
même aiïez longue: le bec efl d'un blanc jaunâtre (5c
n'cfl crochu qu'à l'extrémité ; la peau nue qui en
recouvre la bafe s'étend prcAju'au milieu du bec, (Se
elle efl d'un jaune rougeâtre; l'iris de l'œil cft orangé,
<Sc les paupières font blanciies; les plumes de tout le
corps font brunes ou noirâtres, avec un reflet de
couleur changeante de vert (Se de pourpre obfcurs;
Jes pieds font d'une couleur livide, (Se les ongles font
(o) Vuhur pullus, cap'tte împlumi , cute crajfâ nigofâ, ultra operturas
Vûfales laxûta , teâo. Browne, IdiJJ. nat. of Jamdic. pag. 471. — Le
Vautour du Brefil. BriflTon, OrnithoL tome I, page 4.68,
(p) Vultur gallince Africance facie. Sloane, Of Jamdic pag. 294,
avec une figure,
noirs ;
DES Oiseaux et rangers. 177
noirs: cet oifcau a les narines encore plus longues à
proportion que les autres vautours f^J ; ii eft auiïi plus
Jâche, plus fale ôi plus vorace qu'aucun d'eux, fe
nourrifîiint plutôt de chair morte (Se de vidanges, que
de chair vivante; il a néanmoins le vol élevé <5: adez
rapide, pour pourfuivre une proie s'il en avoit le cou-
rage, mais il n'attaque guère que les cadavres; <Sc s'il
chafTe quelquefois, c'eft, en fe réuniffant en grandes
troupes, pour tomber en grand nombre fur quelque
animal endormi ou bleffé.
■ Le marchand eft le même oifeau que celui qu'a
décrit Kolbe, fous le nom (ïnigle du cap; il fe trouve
donc également dans le continent de l'Afrique &
dans celui de l'Amérique méridionale, 6: comme on
ne Je voit pas fréquenter les icxrçs du Nord, il paroit
qu'il a traverfé la mer entre le Brcfil <&: la Guinée.
Hans Sloane , qui a vu & obfcrvé plufieurs de ces
oifeaux en Amérique , dit qu'ils volent comme les
mhlans, qu'ils font toujours maigres. Il efl donc très-
pofid)le qu'étant auffi légers de vol (Se de corps, ils
aient franchi l'intervalle de mer qui fépare les deux
continens. Hernandcs dit qu'ils ne fe nourriffcnt que
de cadavres d'animaux (Se même d'excrémens humains;
(q) Nota. J'ai cru devoir donner une courte dcfcripiion de cet
oifeau , parce que j'ai trouvé que celles des autres Auteurs ne s'ac-
cordent pas parfaitement avec ce que j'ai vu; cependant comme il
n'y a cjuc de légères différences , il efl à préfumer que ce (ont des
variétés individuelles , & par confcqucnt leurs defcriptions peuvent
/être auffi bonnes que la mienne.
P if eaux, Tome J, . Z
178 Histoire Natu relle
qu'ils fe rafTcmblent fur de grands arbres d'où ils def-
cendent en troupes pour dévorer les charognes; il
ajoute que leur chair a une mauvaife odeur, plus forte
que celle de la chair du corbeau. Nieremberg dit auffi
qu'ils volent très -haut 6c en grandes troupes; qu'ils
paffent la nuit fur des arbres ou des rochers très-
éJevés , d'où ils partent le matin pour venir autour des
iieux habités; qu'ils ont la vue très-perçante^ 6(L qu'ils
voient de haut <Sc de très -loin les animaux morls, qui^
peuvent leur fervir de pâture; qu'ils font très-fden-
cieux, ne criant, ni ne chantant jamais, ôl qu'on ne les
entend que par un murmure peu fréquent; qu'ils font
très-communs dans les terres de rAméxique méri-
dionale » &. que kurs petits font blancs dans le premier
âge, <Sc deviennent enfuite bruns ou noirâtres en gran-
diffant. Marcgrave, dans la dcfcription qu'd donne de
cet oifeau , dit qu'il a les pied^ blanchâtre», les yeux
beaux &,. pourainfi dire» couleur de rubis; la langue en
gouttière <St erv fcie fur les côtés. Ximenés adure que
ces oifcaux ne volent jamais qu'en; grandes troupes 6t
toujours. très-haut; qu'ils tombent tous enfemble fur la
méîne proie , qu'ils; dévorent jufqu'aux os ôl fans
aucun débat entr 'eux, Se qu'ils fe rempii/Tent au. point
de ne pouvoir reprendre leur vol: ce font de ces
mêmes oiféaux dont Acofta fait mention fous f©
nom éu£ poullû^s (rj^, « qui font, dit-il, d'une admirable
(r) HiAoIrc <l€S Indes, par Jofeph, Acûfla >,/?^^ i-^i-
DES Oiseaux étrangers, 179
légèreté, ont la vue très -perçante, & qui font fort «
propres pour nétoyer les crtés , d'autant qu'ils n'y «
laifTent aucunes charognes ni chofes mortes; ilspafTent «
la nuit fur les arbres ou fur les rochers, <Sc au matin «
viennent aux cités , fe mettent fur le fommet des plus «
hauts édifices , d'où ils épient 6c attendent leur prife ; «
leurs petits ont le plumage blanc, qui change enfuite <<:
en noir avec l'âge »>. «Je crois, dit Defmarchais, que
ces oifeaux ap-pdés gû//inûc/ies par les Portugais, & «
marchands par les François de Saint - Domingue , te
font une efpèce de coq-d'inde (f) , qui au lieu de «
vivre de grains, de fruits 6c d'herbes comme les k
autres , fe font accoutumés à être nourris de corps ««
morts 6c de charognes; ils fuivent les chafFeurs, fur- «
tout ceux qui ne vont à la chaffe que pour la peau «
des bétes ; ces gens abandonnent les chairs , qui «
pourriroient fur les lieux 6c ir^fedleroient l'air fans le «
fecours de ces oifeaux , qui ne voient pas plutôt «
im corps écorché , qu'ils s'appellent les uns les «
autres, 6c fondent deiïiis comme des vautours , 6c «
en moins de rien en dévorent la chair 6c laifTent «
les os auflj nets que s'ils avoient été raclés avec un «
couteau. Les Efpagnols des grandes îles 6c de la «
terre-ferme , auiïi-bien que les Portugais, habitans ^
/f) J^ofta. Que qiroique cet oifcaa reflcmble au coq-d'inde par fa
lêtc , le cou & la grandeur du corps , il n'eft pas de ce genre ; mais
de celui du vautour dont il a non-feulement le naturel & les mœurs,
mais encore le bec crochu & les ferres.
Zij
i8o Histoire N aturelle
» des lieux ou l'on fait des cuirs, ont un foin tout
» particulier de ces oifeaux, à caufe du fervice cju'ils
j) leur rendent , en dévorant les corps morts ôi em-
)> péchant ainli qu'ils ne corrompent l'air; ils con-
« damnent à une amende les cliafTcurs qui tombeat
>î dans cette méprife ; cette proteéiion a extrêmement
5> multiplié cette vilaine efpèce de coq-d'inde ; on
» en trouve en bien ('es endroits de la Guianc, aulTi-
3> bien que du Brefd , de la nouvelle Efpagne 6c des
j) grandes îles; ils ont une odeur de charogne que rien
>> ne peut uter ; on a beau leur arracher le croupion
î> dès qu'on les a tués, leur ôter les entrailles, tous
>i ces foins font inutiles; leur chair dure, coriace,
» filaffcufe, a contracté une mauvaife odeur infup-
portable ».
<c Ces oifeaux (dit Kolbe) fe nourriiïcnt d'animaux
morts; j'ai moi-même vu pluficursfois des fquelettcs
de vaches , de bœufs év d'animaux fauvagts qu'ils
5> avoient dévorés ; j'appelle ces reftes des fquelettcs, <Sc
5> ce n'eft pas fans fondement, puifque ces oifeaux
» féparent avec tant d'art les chairs d'avec les os <Sc
5^ la peau, que ce qui refle c/t un fquelettc parfait,
» couvert encore de la peau, fans qu'il y ait rien de
3' dérangé ; on ne fauroit même s'apercevoir que ce
» cadavre efl vide que lorf(|u'on en tft tout près:
» pr-ur cela, voici comme ils s'y prennent; d'abord
» ils font une ouverture au ventre de l'animal, d'où
33 ils arrachent les entrailles, qu'ils mangent, & entrant
>■>
îj
ce
te
DES Oiseaux étrangers. i8i
dans le vide qu'ils viennent de faire ils Tcparent les «
chairs ; les Hollandois du Cap appellent ces aigles «
Jfrout-vogels ou JIroîit-/agers (t) , c'efl-à-dire , oi féaux «
{le fiente, ou qui vont à la chaflTe de la fiente; il
arrive fouvent qu'un bœuf qu'on laiiïe retourner feul
à fon étahie , aprcs l'avoir ôté de la charue , fe «
couche fur le chemin pour fe repofer; Çi ces aigles *c
l'aperçoivent elles tombent immanquablement fur lui «
&. le dévorent ; lorfqu'clles veulent attaquer une vache <e
ou un bœuf, elles fe raffemblent <Sc viennent fondre «
defTus au nombre de cent & quelquefois même «
davantage ; elles ont i'œil fi excellent qu'elles «
découvrent leur proie à une extrême hauteur, ôc «
dans le temps qu'elles-mêmes échappent à la vue la «
plus perçante, <&. auffitôt qu'elles voient le moment «
favorable elles tombent perpendiculairement fur l'a- «
nimal qu'elles guettent; ces aigles font un peu plus «
grofî'es que les oies fauvages , leurs plumes font en ^^
partie noires, &. en partie d'un gris clair, mais la «
partie noire eft la plus grande; elles ont le bec gros, «
crochu (Se fort pointu; leurs ferres font groiïes cSc «
aiguiis ('uj ».
ï> Cet oifeau ( dit Catefby ) pèfe quatre livres <Sc
/ij Cette efpèce d'aigle efl appelée turkey bu-^ard, dindon bnfe , par
Catefby. Hijl. Nat. Carol. Tab. vi ; & par Hans Sloane, HiJI. nat.
Jamdic. Ù'c. Note de l'Editeur de Kolbe.
(u) Defcription du cap de Bomic-elpérance, par Kolbe; tome 111 ^
pages J j S & J } $'
Z 'n\
i82 Histoire Naturelle
>»» demie, il a la tcte 6c une partie du cou rouge, chainrc
*> ôi charnu comme celui d'un dindon , clairement
♦> femés de poils noirs; le bec de dtwi^ pouces & demi
*> de long, moitié couvert de cliair , 6c dont le bout
» qui eft blanc eft crochu comme celui d'un faucon;
*> mais il n'a point de crochets aux côtes de la man-
-» dibule fupcrieure ; les narines font très -grandes &
*> très - ouvertes , placées en avant à une diftance
») extraordinaire des yeux ; les plumes de tout le corps
i> ont un mélange de pourpre foncé 6c de vert; fes
« jambes font courtes 6c de couleur de chair , fes
» doigts longs comme ceux des coqs domefliques,
« 6c fes ongles qui font noirs ne font pas fi crochus
♦> que ceux des faucons : ils fe nourrifTent de charognes
» 6c volent /ans cefTe pour tâcher d'en découvrir; ils
♦> fe tiennent long-temps fur l'aile 6c montent 6c
»5 defcendent d'un vol aifé, fans qu'on puiiïe s'aper-
« cevoir du mouvement de leurs ailes; une charogne
»> attire un grand nombre de ces oifeaux , 6c il y a du
« plaifir à être préfent aux difputes qu'ils ont entr'cux
en mangeant (xj: un aigle préfide fouventau feftin &
les fait tenir à l'écart pendant qu'il fe repait ; ces
» oifeaux ont un odorat merveilleux ; il n'y a pas
» plutôt une charogne, qu'on les voit venir de toutes
» parts en tournant toujours , 6c defcendant peu à peu
( x) Nota. Ce fait eft contraire à ce que difcnt Nicreniberg,
Marc grave & Defraarchais , du IHcnce & de îa concorde de tes
oifeaux en mangeant.
î>
i>
DES Oiseaux étran c ers. 183
jufqu'à ce qu'ils tombent fur leur proie ; on croit «
généralement qu'ils ne mangent rien qui ait vie , «
mais je fais qu'il y en a qui ont tué des agneaux, «
& que les ferpens font leur nourriture ordinaire. «
La coutume de ces oifeaux efl de fe jucher pluiieurs «
enfemble fur des vieux pins &: des cyprès , où ils «
refient le matin pendant piufieurs heures, les ailes «.
déployées (yj : ils ne craignent guère le danger «
6i fe laiffent approcher de près , fur-tout lorfqu'ils «
mangent >».
Nous avons cru devoir rapporter au long tout ce
que l'on fait d'hiflorique au fujet de cet oifeau, parce
que cqH fouvent des pays étrangers , &. fur-tout des
déferts , q,u'il faut tirer les mœurs de la Nature; nos
animaux , 6l même nos oifeaux , continuellement
fugitifs devant nous ^ n'ont pu conferver leurs véritables
habitudes naturelles, 6^: c'efl dans celles de ce vautour
des déferts de l'Amérique, que nous devons voir ce
que feraient celles de nos vautours, s'ils n'étoient pas
fans ceffe inquiétés dans nos contrées ,. trop habitées
pour les laifler fe rafîembler, fè multiplier & fe nourrir-
en fi grand nombre; ce font-la leurs mœurs primi-
tives; par - tout ils font voraces, lâches, dégoùtans,
odieux, <Sfl comme les loups, aufii nuifibles pendant
leur vie , qu'inutiles après leur mort.
^) Nûia, Pa* cette habitude des ailes déployées, il paroîi encore
qfie; cci oifeaux Tant du genre des vautours , qui- tous licsuiem Icurs-
ailc6 étendues lorfqu'ils tâut pofes.
184. Histoire Naturelle
V.
LE C 0 N D 0 R (i).
Si la faculté de voler eft un attribut efTcnliel àroifcau,
le Condor doit être regardé comme le plus grand de
tous; l'autruche, le cafoar, le dronte, dont les ailes
6c les plumes ne font pas conformées pour le vol, <?c
qui par cette raifon ne peuvent quitter la terre, ne
doivent pas lui être comparés; ce font, pour ainfi dire,
des oifeaux imparfaits, desefpèces d'animaux terrcflrcs,
bipèdes , qui font une nuance mitoyenne entre les
oifeaux <S: les quadrupèdes dans un fens, tandis que
les rouffettes , les rougettes ôl les chauve - fouris font
une femblable nuance , mais en fens contraire, entre les
quadrupèdes & les oifeaux. Le condor pofsède même
à un plus haut degré que l'aigle toutes les qualités,
fl) Le Condor. Cuntur, au Pérou & au Chili. Ouyrad-Ovaffbu,
( Ouyra-ouafîûu ), chez les peuples du Maragnon , ce qui fignifiç
grand Ouara ou grand Aura , grand oileau de proie ; car de Lcry
obfervc que le mot Ouara, Ouyra , Aura, chez les Topinamhoux,
cft un nom géne'rique pour tous les oileaux de proie. — Cuntur ,
par les Péruviens; Condor, par les Efpagnols; HiJIoire du nouveau
Aionde , par de Lait, page 3 ] Q. — Ouyrad-Ouajfou; idem, page ^ ^ j .
— Oileau de proie nommé Condor. Journal des Voyages du P. Feuillée ,
page 6^0. — Condor. Fréficr, Voyage de la mer du Sud, page i i i .
— La CoixJamine , Voyage de la rivière des Amazones, page ///.
— Oileau d'une grandeur prodigieu(e, appelé Contour ou Condur,
J'oya^e de Dej'marchais , tome 111 , page ^20.
toutes
DU Condor, 185
tontes les puifÏÏinces que la. Nature a départies aux
efpèces les plus parfaites tle cexte cfaffe d'ctrcs; il a
jufcju'à dix-huit pieds de vol ou d'envergure, le corps.
Je bec 6c les ferres à proportion nulTi grandes & au/Ti
fortes, le courage égal à la force, Sic. Nous ne pouvons
mieux faire, pour donner une idée jufle de la forme &.
des proportions de fon corps , que de rapporter ce
qu'en dit le P. Feuilléc, le feul de tous les Naturaiiftes
ôi Voyageurs qui en ait donné une defcription détaillée.
« Le condor cfl un oifeau de proie de la vallée d'Ylo
au Pérou J'en découvris un qui étoit perché fur
un grand rocher; je l'approchai à portée de ï\\Ç\\ &
le tirai ; mais comme mon fufd n'étoit chargé que
de gros plomb, le coup ne put entièrement percer
ja plume de fon parement; je m'aperçus cependant
à fon vol qu'il étoit blcffé , car s'étant levé fort
lourdement, il eut afTez de peine à arriver fur un
autre grand roclier à cinq cents pas de jà, fur le bord
de la mer, c'efl pourquoi je chargeai de nouveau
mon fufil d'une baie &i perçai l'oifcau au-deiïbus de
Ja gorge ; je m'en vis pour lors le maître 6s: courus
pour l'enlever, cependant il difputoit encore avec
la mort, <& s'étant mis fur fon dos il fe défendoit
contre moi avec fes ferres toutes ouvertes , en forte
que je nefivois de quel côté le faifir; je crois même
que s'il n'eut pas été bleffé à mort, j'aurois eu beaucoup
tle peine à en venir à bout; enfin je le traînai du
haut du rocher en bas , 6c avec le fecours d'un c
Oifcaux , Tome L . A a
i86 Histoire Naturelle
« matelot je le portai clans ma lente pour le deïïiner
» ÔL mettre le de/Tin en couleur.
» Les ailes du condor , que je mefurai fort exacte-
•>•> ment, avoient d'une extrémité à l'autre onze pieds
« quatre pouces, ôi les grandes plumes, qui étoient
» d'un beau noir luifant , avoient deux pieds deux
» pouces de longueur ; la grofîeur de fon bec ctoit
» proportionnée à celle de fon corps , la longueur
» du bec étoit de trois pouces &. fept lignes, fa partie
» fupérieure étoit pointue , crochue <Sc blanche à fon
y> extrémité, <5c tout le rcfle étoit noir; un petit duvet
î^ court , de couleur minime, couvroit toute la tcte de
» cet oifcau; fes yeux étoient noirs & entourés d'un
" cercle brun-rouge ; tout fon parement , <?c le deffous
î» du ventre, jufqu'à l'extrémité de la queue, étoit
" d'un brun-clair, fon manteau de la même couleur
» étoit un peu plus obfcur ; les cuifles étoient couvertes
55 jufqu'au genou de plumes brunes , ainfi que celles
?> du parement; le fémur avoit dix pouces Si une ligne
" de longueur, <5c le tibia cinq pouces & deux lignes;
î> le pied étoit compofé de trois ferres antérieures Si
» d'une poftérieure; celle-ci avoit un pouce 6c demi
» de longueur 6c une feule articulation , cette ferre
» étoit terminée f>ar un ongle noir 6c long de neuf
5> lignes; la ferre antérieure du milieu du pied, ou la
3^ grande ferre, avoit cinq pouces huit lignes & trois
» articulations, 6c l'ongle qui la terminoit avoit vm
^^ pouce neuf lignes 6c étoit noir comme font les
DU Condor. 187
autres ; la ferre intérieure avoit trois pouces deux «
lignes ÔL deux articulations , & étoit terminée par «
un ongle de ia même grandeur que celui de la «
grande ferre ; la ferre extérieure avoit trois pouces «
6i quatre articulations, <Sc l'ongle cloit d'un pouce; «
le tibia étoit couvert de petites écailles noires, les «
ferres étoient de même, mais les écailles en étoient «
plus grandes. ce
Ces animaux gîtent ordinairement fur les mon- «c
tagnes où ils trouvent de quoi fe nourrir; ils ne «
defcendent fur le rivage que dans la faifon des pluies; «
fenfibles au froid , ils y viennent chercher la chaleur. «
Au rede, quoique ces montagnes foient fituées fous <■<.
la Zone torride , le froid ne laiffe pas de s'y faire «
fentir; elles font prefque toute l'année couvertes «
de neiges , mais beaucoup plus en hiver où nous «
étions entrés depuis le 2 i de ce mois. «
Le peu de nourriture que ces animaux trouvent «
fur le bord de la mer, excepté lorfque quelques «
tempêtes y jettent quelques gros poifTons, les oblige ce
à n'y pas faire de longs féjours ; ils y viennent ordi- «
nairement le foir, y pafTent toute la nuit ôi s'en «
retournent le matin ».
Fréfier, dans fon voyage de la mer du Sud, parle
de cet oifeau dans les termes fuivans : <« nous tuâmes
un jour un oifeau de proie, appelé condor , qui avoit «
neuf pieds de vol 6c une crête brune qui n'efl «
point déchiquetée comme celle du coq ; il a le «
Aa ij
i88 Histoire Naturelle
y> devant du gofier rouge , fans plumes , comme
» le coq-d'inde; il ed ordinairement gros <5c fort
» à pouvoir emporter un agneau. Garcilaffo dit qu')!
5' s'en eft trouM^ au Pérou, qui avoicnt leize pieds
d'envergure ».
En cÙct, il paroît que ces deux condors indiqués
par Feiuilce Si par Frcfier , étoicnt des plus petits & des
jeunes de refpèce; car tous les autres Voyageurs kur
<Ionnent plus de grandeur ^aj. Le P. d'Abbeville Se
<Ie Laët, afllirent que le condor efl deux fois plus
grand que l'aigle, Si qu'il eft d'une telle force, qu'î>[
ravit <Sc dévore une brebis entière, qu'il n'épargne
pas même les cerfs, Si qu'il renverfe aifément un
Jiomme fSJ. Il s'en efl vu, difent Acofta fcj Si Garci-
laflo (dj, qui ayant les ailes étendues, avoient quinze
(a) A l oram f w-qwî D. StronG ) maritiwam Chilenfem non pro-
tul a mochâ infulâ alhem hnnc ( amiur ) ojjai.lhnui , flivo mnrilimo exitljo
prof>e littus injîdenttm. Glande plumbta irnje✠ù' occifx fpai'ium ù*
magnitu'linem Jocii navales atiomli , rnirabantur : çui pe al> txtremo t.d
exlrcmum alarum exter.fmum cornmenfurata iretlcàm pcJts Uitiiudïue aqui^k-
bat. thfpani re^'ion'is ijiius inrolœ inierrùgati <iffirmabni i fe nb ill.s v.Jde
limere ne Itbtros fuos repèrent cf d'ihm'iartni. R.iy , Syvopf. Ami. p. i i.
(h) Hifl. du nouveau Monde, par de Laët, page ///.
(c) Les oilenux que fes hahitans du Pérou appellent Con/hres ,
font d'une gr.mdeur extrême «?t d'une telle force, que non-ieuleincnt
ils ouvrent & djpjcent un mouton, ni.iis auiïi un veau tout enuer»
Hijl. dis InJes , par Jof. A-cJIa, pa^e i ()y>
( J) Ceux qui ont mefuré la grandeur des concurs , que les
Efpaauols appeileiu Condors , ont trouvé l'eize piedi de l\ poime
D U C 0 N D 0 R, 189
6i même fcize pieds d'un bout de l'aiie à l'autre; ils
ont ic bec fi fort qu'ils percent la peau d'une vache,
6v deux de ces oifeaux en peuvent tuer <?c manger une,
& même ils ne s'abflicnnent pas des hommes; heu-
rcufement il y en a peu, car, s'ils étoient en grande
quantité, ils dttruiroient tout le bétail fej . Defmarchais
dit que ces oifeaux ont plus de dix - huit pieds de vol
ou d'envergure, qu'ils ont les ferres grofTes , fortes
ôi crochues, &. que les Indiens de rAméri(|ue afTurent,
qu'ils empoignent & emportent une biche ou une
jeune vache, comme ils feroient un lapin; qu'ils fout
de la groffeur d'un mouton; que leur chair efl coriace
& fent la charogne; qu'ils ont la vue perçante, le
regard affuré 6c même cruel ; qu'ils ne fréquentent
guère les forêts, qu'il leur faut trop d'efpace pour
remuer leurs grandes ailes; mais ([u'on les trouve fur
Ks bords de la mer & des rivières, dans les favanes
ou prairies naturelles ffj.
d'une nile ;i l'autre ils ont le bec fi fort & fi dur qu'ils percent
aik'iiient le cuir des bœufi. Deux de ces oiieaux att;:quent uiîc v.ichc
ou un taureau , & en viennent à bout : ils ont même attaqué des
jeunes cyar(,~ons de dix ou douze ans , dent ils cnt fait leur proie.
Leur plumage eft fcniblalle à celui des j^iifs; ils ont une crê.e fur
le front, dificrcntc de celle des coqs, en te qu'e le n'eft j:)oim den-
telée ; leur \ol, au relie, eft efiroyal/ie, & quand ils fondent à icrre
ils ctoinxlirTent j)ar leur grand bruit. H'if.vïrc des Inccs , terne JJ ,
pag e 2 0 f .
(() Hi(l. du nouveau Monde, par de Lact, page ^ ^ 0,
(f) Voyage de Delînarch.iis, tome II J, porcs ^21 & ^22,
A a iij
ipo Histoire Naturelle
M. Ray fgj, & prefque tous \es Naturalises après
lui fhj, ont penfé que le condor ctoit du genre des
vautours , à caufe de (a tête 6c de fon cou dénués de
plumes: cependant on pourroit en douter encore,
parce qu'il paroît que fon naturel tient plus de celui
des aigles; il efl, difent les Voyageurs, courageux 6c
très-fier; il attaque feul un homme, (5c tue aifément
un enfant de dix ou douze ans (ij ; il arrête un
— - c'efl auffi au condor qu'il faut mpportcr les pafTages fuivnns. Nos
matelots, die G. Spilberg , prirent dans l'île de Loubet , aux côtes
du Pérou , deux oifeaux d'une grandeur extraordinaire qui avoient
un bec , des ailes & ôes griffés comme en ont les aigles ; un cou
comme celui d'une brebis & une tête comme celle d'un coq , fi
bien que leur figure étoit aufll extraordinaire que leur grandeur,
Hecucil des Voyages de la Compagnie des Indes de Hollande ,
tome IV, page J28. — Il y avoit, dit Ant. de Solis, dans h
ménagerie de l'empereur du Mexique , des oi(eaux d'une grandeur
& d'une fierté fi extraordinaire , qu'ils paroi/Toient des monfircs. ,
d'une taille lurprcnante & d'une prodigicufc voracité , jufque - là ,
qu'on trouve un Auteur qui avance, f[u'un de ces oifeaux mangcoit uu
mouton à chaque reyxs. HiJI. de la Conquête du Mexique , t.I,p.j,
(g) Hujus gcneris ( vulturini ) ejfe videtur avis illa ingens Chilenfis
coiiiur dïâa ; avis ijla ex defcriptione rudi qualem txtorquere potui , quin
yuhur fuerit ex aurarum diâarum génère minime duhito ; a nautis oh caput
calvum feu implume pro gallopavone per errorem initia habita ejl , ut &
aura a primis nojlrce genlis (Ânglicx) Americœ colonïs. Ray, Synop,
Avi. pag. II & 12.
(h) Vultur Gryps, Gryphus , Greif-Ceicr, Klein, Ord. Avi,
P^o* 4 5' — ^^ condor. BrifTon, Ornith. tome I, page 473.
(i) Il eft fouvent arrivé qu'un feul de ces oifeaux a tué & mangé
rfes enfins de dix ou douze ans. Trûnf. Philof. n,° 208. Skxine,
DU Condor. 191
troupeau de moutons, & choifit à fon aife cehii qu'il
veut enlever; il emporte les chevreuils, tue les biches
ôi les vaches, <Sc prend aufTi de gros poiflbns: il vit
donc comme les aigles du produit de la chafTe , il fc
nourrit de proies vivantes Sl non pas de cadavres;
toutes ces habitudes font plus de l'aigle que du vautour.
Quoi qu'il en foit, il me paroît que cet oifcau qui eft
encore peu connu, parce qu'il efl rare par-tout, n'eft
cependant pas confiné aux feules terres méridionales
de l'Amérique; je fuis perfuadé qu'il fe trouve égale-
ment en Afrique, en Afie 6c peut -être même en
Europe. Garcilaiïb a eu raifon de dire que le condor
du Pérou Si du Chili (hj, efl le même oifeau que le
rucli ou roc des Orientaux, fi fameux dans les contes
Arabes, &: dont Marc Paul a parlé; (Se il a eu encore
raifon de citer Marc Paul avec les contes Arabes, parce
qu'il y a dans fa relation prefque autant d'exagération.
— Le fameux oifeau, appelé au Pérou Cunîur , & par corruption
condor, que j'ai vu en plufieurs endroits des inoiitagncs de b
province de Quito, fe trou\e auffi , fi ce qu'on m'a affuré efl: vrai,
dans les pays-bas des bords du Maragnon : j'en ai vu planer au- deflus
iî'un troupeau de moutons ; il y a apparence que la vue du hercret:
les enipêchoit de rien entreprendre ; c'efl une opinion univerfeileinent
répandue , que cet oileau enlève un chevreuil , & qu'il a quelquefois
fîiit fa proie d'un enfant : on prétend que \gs Indiens lui préicntent
pour appât une figure d'enfant d'une argile très - vifqueufe , fur
laquelle il fond d'un vol rapide , & qu'il y engage fes ferres , de
manière qu'il ne lui eft plus poffible de s'en dépêtrer. Voyage d4
la rivière des Amazones , par M. de la Condamine , page i y 2 .
(k) Hift. des Incas, tome 1 , page 2y,
»
2>
192 Histoire Naturelle
.< II ie trouve ( dit -il ) dans l'île de Madagafcar ,
vine merveilleufe efpèce d'oifcau qu'ils appellent
roc, qui a la reflemlilance de l'aigle, mais qui eft
» fans comparailon beaucoup plus grand ... les plumes
5> des ailes étant de fix toifes de longueur & le corps
» grand à proportion ; il eft de telle force &i puifTance,
» que feul <Sc fans aucune aide, il prend 6c arrête un
î^ éléphant qu'il enlève en l'air /5c laiffe tomber à
terre pour le tuer, 6: fe repaître enfuite de ïa chair ^/^ »,
Il n'efl pas néceffaire de faire fur cela des réflexions
critiques, il fuffit d'y oppofcr des faits plus vrais, tels
que ceux qui viennent de précéder (5c ceux qui vont
fuivre. IJ meparoit quel'oifeau, prefque grand comme
«ne autruche , dont il cfl parlé dans l'hifloire de^
Navigations aux terres Auflrales fmj , ouvrage que
M. le préfident de Broffes a rédigé, avec autant de
difcerne.ment que de foin, doit ctre le même que le
condor des Américains 6c le roc des Orientaux; de
(l) Defcription gcograpliiquc , &c. par Marc Paul, Ihjre JJIi
chapitre ^ 0 .
(m) Aux hranches de l'arbre qui produit les fruits appelés Pains dt
Singe, ctoient lufpcndus des nids qui reffembloient à de grands paniers
ovales , ouverts par en bas & tifliis confufement de branches d'arbret
a(îcz grofîcs ; je n'eus pas la (aiisf.i(flion de voir les oi féaux cjui les
avoient conftruits ; mais les habitans du voifinage m'afTurèrcnt qu'ils
avoient niTcz la figure de cette efpèce d'aigle qu'ils appellent Niam,
À juger de la grandeur de ces oi(caux par celle de leurs nids, elle ne
de voit pas être beaucoup inférieure a celle de l'autruche. Hijl. des ISlavir
cations aux terres Aujlralcs, tome II, page 10^,
pic me,
D U C 0 N D 0 R. ipj
mcme, il me paroît que i'oifeau de proie des environs
de Tarnafar fnj, ville des Indes orientales , qui efl
bien plus grand que i*aigle, & dont le bec fert à faire
une poignée d'épée, efl encore le condor, ainfi que
le vautour du Sénégal (oj , qui ravit 6c enlève des
enfans; que I'oifeau fauvage de Lapponie fpj, gros ôc
grand conîme un mouton , dont parlent Rcgnard Se
Ja Martinière, & dont Olaùs Magnus a fait graver le
nid, pourroic bien encore ctre le même. Mais fans
aller prendre nos comparaifons fi loin , à quelle autre
efpèce peiit-on rapporter le laemmergeier des Allemands \
(n) In regione circa Tarnafar urbem Indïœ complura av'ium gênera,
funt , raptu prœfertim vivenîia, longe aqu'dis proceriora ; nam ex fuperiore
rojlri parte enfium capuli fabricanîur. Id rojlri fulvum cceruleo colore
d'ijlmâum Alitï vero colos ejl niger & item purpureus intercurfan-
tibus pennis nonnullis. Liid. patritius apud Gefnerum, Avi. pag. 206.
foj IJ y a au Scnegal iies vautours aufîi gros que des aigles,
qui dévorent les petits enfans quand ils en peuvent attraper à l'écart.
Voyage de le Afaire , page 106,
(p) II (ê trouve aufil dans la Lapponie Mofcovite , un oi/êau
fauvage de couleur d'un gris-de-perle , gros & grand comme un
mouton , ayant la tête faite comme un chat , les yeux fort étincelans
& rouges ; le h^c comme un aiole , les pieds & les griffes de même.
Voyage des pays feptentrionaux , par la Alartinkre , page j6 , avec une
figure. — H n'y a guère moins d'oilcaux que de bêtes à quatre pieds
en Lapponie ; les aigles s'y rencontrent en abondance ; il s'en trouve
d'ime groflcur fi prodigieufc qu'elles peuvent , comme je l'ai de'jà
dit ailleurs , emporter des fiions de rennes lorfqu'ils font jeunes , dans
leurs nids qu'ils font au fommct des j^Ius hauts arbres; ce qui fiît
qu'il y a toujours quelqu'un pour les garder. Regnard, Voyage de
Lapponie , page 181.
Oifcaux , Tome L • B b
194 Histoire Naturelle
ce vautour des agneaux ou des moutons, qui a fouvcnt
été vu en Allemagne (?v en SuifTe en ditîcrens temps ,
ôi qui eft beaucoup plus grand que l'aigle, ne peut
ctrc que ie condor. Gefner rapporte , d'après \\n
Auteur digne de foi ( George Fabricius ) , les faits
fuivans. Des pailans d'entre Miclén &. Brifa, villes
d'Allemagne , perdant tous les jours quelques pièces
de bétail qu'ils cherchoicnt vainement dans les forets,
aperçurent un très-grand nid pofé fur trois chênes ,
confiruit de perches <Sc de branches d'arbres , 6c fi
étendu qu'un char pouvoit être à l'abri deffous ; ils
trouvèrent dans ce nid trois jeunes oifeaux déjà fi
grands , que leurs ailes étendues avoient fept aunes
d'envergure; leurs jambes étoient plus groffcs que
celles d'un lion , leurs ongles aulTi grands &. au/Ti gros
que les doigts d'un homme ; il y avoit dans ce nid
plufieurs peaux de veaux & de brebis (qj. M. Valmont
de Bomare (Se Aï. Salerne, ont penfé comme moi,
que le Licmmcr gc'icr t\ç% Alpes, devoit être le condor
du Pérou. Il a, dit M. de Bomare, quatorze pieds de
\ol , 6c fait une guerre cruelle aux chèvres , aux
brebis, aux chamois, aux lièvres 6c aux marmottes.
M. Salerne rapporte aufil un fait très-pofitif à cefujet,
6c qui efl afTez important pour le citer ici tout au long.
« En 1719, M- Déradin, beau-père de M. du Lac,
jj tua à fon château de Mylourdin, paroifTe de Saint-
(q) Diâion. d'IIift. nat. par M. Valniont de Bomare, article de
te
<c
DU Condor. 195
Martin d'Abat, un oifcau qui pcfoit dix-huit livres, «
<5c qui avoit dix -huit pieds de vol ; il voloit depuis
quelques jours autour d'un étang; il fut percé de
deux balles fous l'aile. Il avoit le dciïiis du corps te
bigarré de noir, de gris <S: de blanc, 6c le deffus «
du ventre rouge comme de l'ccarlate, &i fes plumes «
étoient frifées; on le mangea tant au château de «
Mylourdin , qu'à Cliâteauneuf- fur -Loire ; il fut "
trouvé dur , &. fa chair fentoit un peu le mare- "
cage; j'ai vu <Sc examiné une des moindres plumes <c
de fes ailes; elle efl plus groffe que la plus groffe «
plume de cygne. Cet oifeau fmgulier fembleroit être «
Je contur ou condor frj; » en effet, l'attribut de gran-
deur exceffive doit être regardé comme \m caraélère
décifif, Si quoique \c laemmcr geier dts> Alpes, diffère
du condor du Pérou, par les couleurs du plumage,
on ne peut s'empêcher de les rapporter à la même
cfpèce, du moins jufqu'à ce que l'on ait une defcrip-
tion plus exade de l'un & de l'autre.
Il paroît par -les indications des Voyageurs, que le
condor du Pérou a le plumage comme une pie, c'efl-
à-dirc, mêlé de blanc 6c de noir; & ce grand oifeau
tué en France, au château de Mylourdin , lui reffemble
donc, non-feulement par la grandeur, puifqu'il avoit
dix -huit pieds d'envergure. Si qu'il pefoit dix -huit
livres, mais encore par les couleurs, étant auffi mêlé
de noir Si de blanc : on peut donc croire avec toute
(r) Omithol. de Salerne, page i o,
Bbij
196 Histoire N atu relle, ère.
apparence de rai Ton , que cette efpèce principale, 6c
première dans les oifeaux , quoique très-peu nombreufe ,
efl néanmoins répandue dans ies deux contincns , 6c
que pouvant fe nourrir de toute efpèce de proie ff),
&i n'ayant à craindre que les hommes, ces oifeaux
fuient les lieux habites <Sc ne fe trouvent que dans les
grands déferts ou les hautes montagnes,
(f) Les déferts de la province de Pachacamac , au Pérou , Fnf-
pirent une fecrète horreur; on n'y entend le chant d'aucun oifeau,
& dans toutes ces montagnes je n'en vis qu'un , nommé condur ,
qui efl de la grofTeur d'un mouton, & qui fe perche fur les mon-
tagnes les plus arides & ie nourrit des vers qui naifTent dans cet
fables. Nouy, voyage autour du monde, par le Gentil , tome I, page 12^.
^97
LE MILAN
E T
LES BUSES.
L ES Milans <Sc les Bufes, oifeaux ignobles, iinmondcs
&i lâches , doivent fuivre les vautours auxquels ils
refTemblent par le naturel 6c les mœurs: ceux-ci,
maigre leur peu de géncrofité , tiennent par leur gran-
deur <&. leur force, l'un des premiers rangs parmi les
oifeaux. Les milans &: les bufes qui n'ont pas ce
même avantage, 6c qui leur font inférieurs tn grandeur,
y fuppléent 6c les furpaflent par le nombre; par -tout
ils font beaucoup plus communs, plus incommodes
que les vautours; ils fréquentent plus fouvent 6c de
plus prés les lieux habites; ils font leur nid dans des
endroits plus accelfibles ; ils reftent rarement dans les
déferts ; ils préfèrent les plaines 6c les collines fertiles
aux montagnes flériles : comme toute proie leur cfl
bonne, que toute nourriture leur convient; 6^ que
plus la terre produit de végétaux , plus elle ell en
même temps peuplée d'infedes, de reptiles, d'oifeaux
6c de petits animaux; ils établiffent ordinairement leur
domicile au pied des montagnes, dans les terres les
plus vivarfctes , les plus abondantes en gibier, en volaille,
en poiflon; fans être courageux ils ne font pas timides,
ils ont une forte de flupidité féroce, qui leur donne
Bb iij
19S Histoire Naturelle
i'air de l'audace tranquille, 6l fembic leur otcr (a
connoiiïancc du danger: on les approche, on les tue
bien plus aifcment que les aigles ou les vautours; dé-
tenus en captivité, ils font encore moins lufceptibles
d'éducation : de tout temps on les a profcnts, rayés de
la lille des oifeaux nobles, Si rejetés de l'école de la
Fauconnerie: de tout temps on a comparé l'homme
groiïièremcnt impudent au milan, év ia femme trifte-
ment béte à la bufe.
Quoique CCS oifeaux fe refTemblcnt par le naturel,
par la grandeur du corps fdj, par la forme du hçc ,
<5c par plufieurs autres attributs, le milan efl néanmoins
aifé à diftingucr , non-feuIcment des bufes , mais de
tous les autres oifeaux de proie, par un feu! caractère
facile à faifir ; il a la queue fourchue , les plumes du
milieu étant beaucoup plus courtes que les autres,
lailfent paroître un intervalle qui s'aperçoit de loin,
ôi lui a fait improprement donner le furnom (ïû'/glc à
queue f OUÏ chue : il a auffi les ailes proportionnellement
plus longues que les bufes , <Sc le vol bien plus aifé :
aufli pafTe-t-il fa vie dans i'air; il ne fe repofe prefque
jamais, &i parcourt cha(|ue jour des efpaces immenfes;
& ce grand mouvement n'efl point un exercice de
chafTe ni de pourfuite de proie, ni même de décou-
( a) Afihus regalïs magn'itudïne & habïtu huteonï conformis eji. . . .
(rura illi font crocea hum'diora , buteonïs ultra poplites propendenîibus
plumis fimiiuer fcrrugineis dilatis cbteguntur. Schwcnckfcld. Avi. SiL
pag. 303.
DU Milan lt des Buses. 199
verte, car il ne chafTe pas; mais il femble que le vol
foit fon état naturel, fa fituation favorite: l'on ne
peut s'empêcher d'admirer la manière dont W Vexécuic^
fes ailes longues &. étroites paroifTent immobiles; c'efl
la queue qui femble diriger toutes fes évolutions, (?v
elle agit flins cefTe ; il s'élève fans effort, il s'abaiffe
comme s'il gliffoit fur un plan incline; il femble plutôt
nager que voler; il précipite fa courfe, il la ralentit;
s'arrête & refle comme fufpendu ou fixé à la même
place pendant des heures entières , fans qu'on puiffe
s'apercevoir d'aucun mouvement dans fes ailes.
Il n'y a, dans notre climat, qu'une feule efpèce de
milan fvoyei les pi. enlwn'mces , iu ^22, lir la pi. vu dans
ce volume), que nos François ont appelé milan royal (b) ,
(h) Milan Royal. En Grec , l'x.'n^; en Latin, ATtlvus ; en Italien,
Alilvio, Nibh'io, Poyana ; en Efpagnol, Aî'dano ; en Allemand, Weihc
ou Wei/ier; en Hollandois , Woiir ; en Anglois, Kiie ou Glead ;
en Polonois , A'jw'rt ; en Suédois, Glada ; en \ ieux François, Écouffle /
Ecouffe, Huau , Alilion Milan royal. Bclon, Hifi. nat. des Oifeaux,
pag. 129. — Milan royal, Albin, tom. I, pag. ^, pi. coloriée.
— The Kke , Alihus Regalis , Brit. Zoology ^ pi. A 2 avec unefgure
co/oriie. — Le Milan royal. Briflon , Orn'ith. tom. I, pno-. 414.,
\>\. 33. Nota. Les Grecs nppeloicnt Ixti^ , le putois; & il cft
probable qu'ils ont donné au milan le même nom , parce que le
milan atiac|ue & tue les volailles , comme le putois. — Les Latins
l'ont appelé yVTdvus , quafi mollis avis , oilcau lâche ; les noms Hvau
ou Huo en vieux françois, & Wowe en Hollandois, fcmblent être
des dénominations empruntées de Ion cri hu-o. — Glcad en. Ano-lois
&; Glada en Suédois, font tirés de ce qu'il paroît glifler en Yolarit,
— Alilion cil ua mot corrompu de Milan.
£00 Histoire Naturelle
parce qu'il fcrvoit aux plaifirs des Princes qui lui fai-
foient doriHcn" la ciiaiTc, (Se livrer combat par le faucon
ou l'épervier; on voit en effet, avec plaifir, cet oifeau
lâche, quoique doue de toutes les facultés qui dcvroient
lui donner du courage, ne manquant ni d'armes, ni de
force, ni de légèreté, refufer de combattre, <Sc fuir
devant l'épervier beaucoup plus petit que lui , toujours
en tournoyant <5c s'élevant, comme pour fe cacher dans
les nues, jufqu'à ce que celui-ci l'atteigne, le rabatte à
coups d'ailes, de ferres év de hcc , & le ramène à terre
moins bleffé que battu. Si plus vaincu par la peur que
par la force de fon enneni;.
Le milan , dont le corps entier ne pèfe guère que
deux livres ôc demie, qui n'a que feize ou dix-fept
pouces de longueur, depuis le bout du bec juf(ju'à
l'extrémité des pieds , a néanmoins près de cinq pieds de
vol ou d'envergure : la peau nue qui couvre la bafc du bec
eft jaune, aufTi-bicn que l'iris des yeux ôi les pieds : le bec
eft de couleur de corne <5c noirâtre vers le bout , 6i les
ongles font noirs : fa vue e(l au/fi perçante que fon vol
cft rapide; il fe tient fouvent à une fi grande hauteur^
qu'il échappe à nos yeux, Si c'cfl de - là qu'il yife 6c
découvre fa proie ou fa pâture, &. fe laiffe tomber fur
tout ce qu'il peut dévorer ou enlever fans réfiftance:
il n'attaque que les plus petits animaux 6i les oifeaux
les plus foibics; c'efl fur -tout aux jeunes pouiTms
qu'il en veut; mais la feule colère de la mère -poule
fuffit pour le repoufCcr Se l'éloigner. « Les milans font
» des
DU Milan ët des Buses. 201
de% animaux tout-à-fait ijches, m'écrit un de mes «
amis fcj, je les ai vu pourfuivre à dtux un oifeau de et
proie pour lui dérober celle qu'il tcnoit, plutôt que de «
fondre fur lui , Sl encore ne purent-ils y réufTir : les «
corbeaux les infultent Sl les chafTent; ils font aufîi «
voraces , auffi gourmands que lâches : je les ai vu «
prendre, à la fuperficie de l'eau , des petits poiffons «
morts <Sc à demi corrompus; j'en ai vu emporter «
une longue couleuvre dans leurs ferres; d'autres fe «
pofer fur des cadavres de chevaux ôl de bœufs : «
j'en ai vu fondre fur des tripailles que des femmes «
lavoient le long d'un petit ruiffcau, & les enlever <c
prefqu'à côte d'elles : je m'avifai une fois de pré- «
fenter à un jeune milan que des enfans nourrifToient «
dans la maifon que j'habitois, un aflez gros pigeon- «
neau , il l'avala tout entier avec les plumes ».
Cette efpèce de milan efl commune en France,
fur -tout dans les provinces de Franche - comté, du
Dauphiné, du Bugey , de l'Auvergne, & dans toutes
les autres qui font voifmes des montagnes: ce ne
font pas des oifeaux de pafTage , car ils font leur nid
dans le pays, cScrétabliffent dans des creux de rochers.
Les Auteurs de la Zoologie Britannique fJJ, difenc
de même qu'ils nichent en Angleterre, <Sc qu'ils y
(c) M. Hébert , que j'ai déjà cité comme ayant bien obfervc
plufieurs faits relatifs à l'hiftoire des oifeaux.
(d) Some, hâve fuppcfed thefe to be birds ofpajfage but in england they
tcrta'mly continue the whoUyear, Britifch Zoology. Species VI, the kitft
Oifcaus ,Tomc L -_ Ce
202 Histoire Naturelle
refient pendant toute l'année : la femelle pond deux
ou trois œufs qui , comme ceux de tous les oifeaux
carnafilers , font plus ronds que les oeufs de poule :
ceux du milan font blanchâtres , avec des taches d'un
jaune fale. Quelques Auteurs ont dit qu'il faifoit fon
nid dans les forêts fur de vieux chcnes ou de vieux
fapins; fans nier abfolumcnt le fait, nous pouvons-
affurer que c'eft dans des trous de rochers qu'on les.
trouve communément.
L'efpèce paroît être répandue dans tout l'ancien
continent, depuis la Suède jufqu'au Sénégal fej, mais
je ne fais fi elle fe trouve au/fi dans le nouveau, car
(e) Il paroît que le milan royal fe trouve dans le nord , puifque
M. Linnœus l'a compris dans fa lifte des oifeaux dcSucde, fous la
dénomination àç falco cerâ favâ, caudâ forcipatâ ; corpore ferrugineo,
tûpite albïdiort. Faun. Suec. n.° 59 ; & l'on voit aufli par les
témoignages des Voyageurs , qu'il le trouve dans les provinces les
plus chaudes de l'Afrique ; on rencontre encore ici { cii Guinée),.
dit Bofman , une efpècc d'oifeau de proie ; ce font les milans : ils
enlèvent , outre les poulets dont ils tirent leur nom , tout ce qu'ils
peuvent découvrir & atuaper , foit viande , foit poiflon , & cela avec
tant de hardiefTe , qu'ils arrachent aux femmes nègres les poifTons
qu'elles portent vendre au marché , ou qu'elles crient dans les rues.
Voyage de Guinée , page ^ y 8. Près du défert , au long du Sénégal,
dit un autre Voyageur, on trouve un oifcau de proie de l'cfpècc
du miJan, auquel les François ont donné le nom d'écoufîê
toute nourriture convient à fi faim dévorante; il n'eft point épouvanté
des armes à feu ; la chair cuite ou crue le tente fi vivement , qu'il
enlève aux matelots leurs morceaux dans le temps qu'ils les portent
à leur bouche. HiJ}. générale dts Voyages , par M, l'abbé Preyojî ,
îomt JU , page joé'.
DU Milan et des Buses. 203
îes relations d'Amérique n'en font aucune mention :
il y a feulement im oifeau qu'on dit être naturel au
Pérou , ÔL qu'on ne voit dans la Caroline qu'en été ,
qui reflemble au milan à quelques égards, <î^ qui a,
comme lui , la queue fourchue. M. Catefby en a donné
la defcription (Se la figure ff), fous le nom A'épemer
à queue d hirondelle , & M. BrifTon l'a appelé milan de
la Caroline fgj. Je ferois affez porté à croire que c'eft
une efpèce voifme de celle de notre milan, ôl qui la
remplace dans le nouveau continent.
Mais il y a une autre efpèce encore plus voifme <5c
qui fe trouve dans nos climats comme oifeau de partage,
que l'on a appelé le îuilaîi noir ( Voye^ les planches
enluminées , n° 47^)- Ariflote di (lingue cet oifeau du
précédent, qu'il appelle fimplement milan j <Sc il donne
à celui-ci l'épithète de milan Etolien (h) , parce que
probablement il étoit de {on temps plus commun en
Etolie qu'ailleurs; Belon |^/V fait auffi mention de ces
deux milans ; mais il fe trompe lorfqu'il dit que le
premier, qui eft le milan royal, efl plus noir que le
fécond, qu'il appelle néanmoins milan noir; ce n'efl
(f) Hift. nat. de la Caroline, par CatcHjy , tomi I, page ^, pL ir,
avec une bonne figure coloriée.
(g) Le milan de la Caroline. BrifTon, Ornkh. tome 1, page 41 S,
(h) Parïunt milvi ova bina magnâ ex parte , interdum tamen à" terna^
totidemque excludunt pullos ; fed qui Etolius nuncupatur, vel quaternos
<aliguandû excludit. Arifl:. Hifi. anim. lib. VI , cap. 6.
(i) Milan noir. Belon, Hljl, nat, des Oifeaux, page i^ r.
Ce ij
;204 Histoire Natu relle
peut-être qu'une faute d'imprcffion ; car il efl certain
que le milan royal eft moins noir que l'autre ; au refle,
aucun des Naturaliflcs , anciens <Sc modernes , n'a fait
mention de la dificrence la plus apparente entre ces
deux oifeaux, 6c qui confifle, en ce que le milan royal
a la queue fourchue, &. que le milan noir l'a égale ou
prefque égale dans toute fa largeur, ce qui néanmoins
n'empêche pas que ces deux oifeaux ne foient d'efpcce
trcs-voifme, puifqu'à l'exception de cette forme de
la queue ils fe reiïemblentpar tous les autres cara6tères,
car le milan noir , quoiqu'un peu plus petit <?: plus
noir que le milan royal, a néanmoins les couleurs du
plumage difiribuées de même, les ailes proportionnelle-
ment au/Ti étroites &i aufTi longues, le bec de la même
forme , les plumes aufTi étroites <Sc aulfi alongées , &i
les habitudes naturelles entièrement conformes à celles
du milan royal.
Aldrovande dit que les Hollandois appellent ce milan
knkcndiif; que quoiqu'il foit plus petit que le milan
royal, il efl néanmoins plus fort <Sc plus agile; Schwenck-
feld alTure au contraire qu'il eft plus foible & encore
plus lâche , <5c qu'il ne chaffe que \qs mulots , \t%
fauterelles & \ts petits oifeaux qui fortent de leurs nids;
il ajoute que l'efpèce en efl très commune en Allemagne;
cela peut être , mais nous fommes certains qu'en France
& en Angleterre elle efl beaucoup plus rare que ct\\Q
du milan royal ; celui-ci efl un oifeau du pays , & qui
y demeure toute i'année; 1 autre au contraire efl un
Tcm I
PI rn Fa^ 1^4.
/^iif'i^n frul^^
LE MILAN
DU Milan et des Buses, 2oj
oireau de pafTage, qui quitte notre climat en automne
pour fe rendre dans des pays plus chauds: Belon a
été témoin oculaire de leur paiïage d'Europe en
Egypte ; ils s'attroupent 6i paiïent en files nomhreufes
fur le pont Euxin, en automne, & repaiïent dans le
inême ordre au commencement d'Avril ; ils refient
pendant tout l'hiver en Egypte , Si font fi familiers
qu'ils viennent dans les villes <5c fe tiennent fur les
fenêtres des maifons; ils ont la vue 6c le vol fi fûrs ,
qu'ils faififfent en l'air les morceaux de viande qu'on
leur jette.
c Jj;
2o6 Histoire Naturelle
«
LA BUSE (a).
Voyc-^ les planches enliuninces , lu ^r p ; é^ pl.yi H
de ce volume.
L A Bufe efl un oifeau afTez commun , aflez connu
pour n'avoir pas befoin d'une ample defcription ; elle
n'a guère que quatre pieds ôi demi de vol , fur vingt ou
vingt-un pouces de longueur de corps; fa queue n'a
que huit pouces, <Sc fes ailes, lorfqu'elles font pliées,
s'étendent un peu au-delà de fon extrémité; l'iris de
fes yeux eft d'un jaune pâle (Se prefque blanchâtre; les
pieds font jaunes , aufli - bien que la membrane qui
couvre la bafe du bec , & les ongles font noirs.
Cet oifeau demeure pendant toute l'année dans nos
forets ; il paroît aflez flupide , foit dans l'état de
domcflicité, foit dans celui de liberté ; il efl: aflez
fédentaire <Sc mcme parcfleux; il refle fouvcnt plufieurs
(a) En Grec, T6<opvi$, parce qu'on a cru fâuflement que
cet oifeau avoit trois tefticuies ; en Latin , Buteo ; en Italien , Bujjdt
BucQiafio ; en Allemand, Bvf^-hen, Butant, Bu^e , Bushard ; en
Anglois, Bujjard, Common-Bu-^ard , Puttok. — Buteo. Gefner, Av'u
pag. 4.J. — Buteo feu triorchis. AlcJrov. An. tom. I, pag. 362.
— Buteo vulgaris. "Willughby , Ornith. page 38. — Bufe ou Bufard,
ou Cûjfard. Belon, Hifl. nat. des O féaux , page 100. — Buzard.
Albin, tome I , page i, pi. I , fgure coloriée. — La Bufe. Briflon,
Omhh.xomtl, page 406. —The Common Bu^i^ard. Britifch Zoology,
pL XLHi , anc une fgure coloriée.
PI rm j\u ZC6
tÛ^A.
JLtuA\zrxj. S,-
LA lirSK-
DE LA Buse. 207
heures de fuite perché fur le même arbre; fon nid efl
conflruit avec de petites branches, 6c garni en dedans
de laine ou d'autres petits matériaux légers &: molJcts;
la bufe pond deux ou trois œufs qui font blanchâtres,,
tachetés de jaune ; elle élève 6i foigne fes petits plus
long-temps que les autres oifeaux de proie, qui prefque
tous les chafTent du nid avant qu'ils foient en état de
fe pourvoir aifément ; M. Ray fbj affure même que
le mâle de la bufe nourrit (Se foigne fes petits lorfqu'on
a tué la mère.
Cet oifeau de rapine ne faifit pas fa proie au voî,.
\\ refle fur un arbre , un buifTon ou une motte de terre,
<5c de-là fe jette fur tout le petit gibier qui pafTe à fa
portée; il prend les levreaux <5c les jeunes lapins, auiïi-
bien que les perdrix & les cailles ; il dévafle les nids
de la plupart des oifeaux ; il fe nourrit aufll de grenouilles,
de lézards, de ferpens, de fauterelles, Ôic. lorfque le
gibier lui manque.
Cette efpèce efl fujette à varier, au point que fi
l'on compare cinq ou fix bufes enfemble, on en trouve
à peine dtux bien femblables. Il y en a de prefque entiè-7
rement blanches, d'autres qui n'ont que la tête blanche,
d'autres enfin qui font mélangées différemment les
imes des autres, de brun <5c de blanc: ces différences
dépendent principalement de l'âge ôl du fexe, car on
les trouve toutes dans notre climat.
(b) Ray' s LcttCTS j"^. Voyez aufll Brïtifcb Zoolcgy. Specîes vu.
2o8 Histoire Naturelle
LA BOND RÉE (a),
Voje^ les planches enluminées, ;// ^20*
V>OMME la Bondrée diffère peu de la Bufe, elle n'en
a été diflinguée que par ceux qui les ont foigneufement
comparées. Elles ont, à la vérité, beaucovip plus de
caradères communs que de caradères diffci'ens; mais
ces différences extérieures , jointes à celles de quelque^
habitudes naturelles , Aiffifent pour conftituer deux
efpèces , qui, quoique voifmes , font néanmoins dif^
tin6tes <S: féparées. La bondrée efl auffi groffe que fa
bufe , &: pèfe environ deux livres ; elle a vingt-deux
pouces de longueur, depuis le bout du bec jufqu'à
celui de la queue, 6c dix-huit pouces jufqu'à celui des
pieds; fes ailes, lorfqu'ellcs font pliées, s'étendenC
au-delà des trois quarts de la queue ; elle a quatre
pieds deux pouces de vol ou d'envergure : fon bec
cft un peu plus long que celui de la bufe ; la peau
pue qui en couvre la bafe, efl jaune (b), épaiffe <Sc
inégale ;
(a) Goiran ou Bondrée. Bclon, H'iji. nat. des Olfeauxj page lor*
Jîg. pnge 102. — Buteo apivorus feu Vefpïvorus. "Willughby, Ornithol.
pag. 39, fig. tab. 3. — Bondrce. Albin, tome I, page ^ , fg-
toloriée, pi. II. — Falco pedlhus feminudis , f avis ; cerâ n'igrâ; capite
(inereo, caudx fafciâ cinereâ, apice albo. Linn. Faun. Suec. n.° 66>
h- Buteo apivorus. La Bondrée. BrifTon, tome I , page ^i o.
fh) Quelques NaturaliUes ont dit que cette peau de la bafe du
bec
DE LA B 0 N D R É Ë, 209
încgale; les narines font longues 6^ courbées; lorf-
qu'elle ouvre le bec , elle montre une bouche très-
large 6c de couleur jaune : l'iris des yeux efl: d'un
beau jaune; les jambes <Sc les pieds font de la même
couleur, Si les ongles, qui ne font pas fort crochus,
font forts ôi noirâtres : le fommet de la tête paroit
Jarge <Sc aplati ; il eft d'un gris cendre. On trouve
une ample defcription de cet oifeau dans l'ouvrage de
M. BrifTon & dans celui d*Albin : ce dernier auteur,
après avoir décrit les parties extérieures de la bondrée,
dit qu'elle a les boyaux plus courts que la bufe ; (5c il
ajoute qu'on a trouve dans l'eflomac d'une bondrée,
plufieurs chenilles vertes , comme auffi plufieurs che-
nilles communes Si autres infeéles.
Ces oifeaux , ainfi que les bufes, compofent leur
nid avec des bûchettes, Si le tapiiïent de laine à l'in-
térieur, fur laquelle ils dépofent leurs œufs, qui font
d'une couleur cendrée <Sc marquetée de petites taches
brunes. Quelquefois ils occupent des nids étrangers ;
on en a trouvé dans un vieux nid de milan. Ils nour-
riffent leurs petits de chryfalides. Si particulièrement
de celles des guêpes. On a trouvé des tctes Si des
morceaux de guêpes dans un nid où il y avoit deux
petites bondrées : elles font, dans ce premier âge,
l?cc étoit noire ; maïs on peut prefumer que cette différence vient
de l'âge, puifque cette peau qui couvre ia bafe du bec efl: blanche
dans le premier âge de ces oi(eaux: elle peut pafler par le jaune,
&L devenir enfin brune & noirâtre.
Oifeaux, Tome L . D d
2 10 Histoire Naturelle
couvertes d'un duvet blanc , tacheté de noir ; elles
ont alors les pieds d'un jaune pâle, Si h peau qui eft
fur la bafe du bec , blanche. On a auffi trouvé dans
i'eftomac de ces oifeaux, qui efl fort large, des gre-
nouilles év des lézards entiers. La femelle efl dans
cette efpece, comme dans toutes celles des grands
oifeaux de proie, plus greffe que le mâle; <5c tous
deux piettcnt 6»: courent, fans s'aider de leurs ailes,
au(fi vite que nos coqs de baffe-cour.
Quoique Belon dife qu'il n'y a petit berger, dans
la Limagne d'Auvergne, qui ne fiche connoître la
bondrce, Si la prendre par engin avec des grenouilles,
quelquefois auffi aux gluaux , Si fouvent au lacet , il efl
cependant très -vrai qu'elle efl aujourd'hui beaucoup
plus rare en France que la bufe commune. Dans plus
de vingt bufcs qu'on m'a apportées en différens temps,
en Bourgogne, il ne s'efl pas trouvé une feule bon-
drée ; (^ je ne fais de quelle province eft venue celle
que nous avons au cabinet du Roi. M. Salernc dit
que dans le pays d'Orléans, c'efl la bufe ordinaire
qu'on appelle bondrce ; mais cela n'empêche pas que
ce ne fuient deux oifeaux dilférens.
La bondrée fe tient ordinairement fur les arbres
en plaine, pcwjr épier fa proie. Elle prend les mulots,
Jes grenouilles, les lézards, \qs chenilles <Sc les autres
infeéles. Elle ne vole guère que d'arbre en arbre <Sc
de buiffons en buiffons, toujours bas &. fans s'élever
comme le milan, auquel du reflc elle reffemblc affez
DE LA B 0 N D R É E. 2 II
par le naturel, mais dont on pourra toujours la dif-
tinguer de loin (5: de près, tant par Ton vol que par
fa queue , qui n'eft pas fourchue comme celle du
milan. On tend des picgcs à la bondrce, parce qu'en
hiver elle efl trcs-graffe ôi affcz bonne à manger.
/
Ddij
212 Histoire Natu relle
L' O I S E A U
SA I NT- AI A R TIN M
Voj'ci les jilanc/ies enluminées , nf ^/^.
L
ES Naturaliflcs modernes ont donné à cet oifcau
Je nom de Faucon -lanicr ou Lanicr cendre ; mais il nous
paroit être non - feulement d'une efpèce, mais d'un
genre différent de ceux du faucon <S: du lanier. Il cfl
un peu plus gros qu'une corneille ordinaire, & il a
proportionnellement le corps plus mince & plus dégagé,
il a les jambes longues & menues, en quoi il diffère
des faucons qui les ont robufles ^ courtes , cSc encore
du lanier que Belon dit être plus court empiété qu'aucun
(a) Autre oifcau Saint-Martin. Bclon , H'ijl. nat. des Oïfeaux ^
page I 04. — Laniarïus cinereus Jive falco cinereo albus. Frifch , planche
J.XXIX , avec une figure colonie. — The blue Hawk, Le Faucon bleu.
Edwards, Glanures , pi. CCXXY , avec une figure bien coloriée. — Le
Lanier cendre. Brifîon , Orn'uh. tome I, page ^ 6 j .
Nota. Belon n'iiéfite pas à dire qu'il elt de la même efjjèce que
le Jean - le - blanc , & en même - temps il convient qu'il approche
beaucoup du milan: « il cft , dit -il, encore une autre efpèce de
» jean-le-blanc ou oifenu faini-manin , lemblablement nommée blanche
^^ queue , de même efpèce que le fufdit ; mais il refTemble beaucoup
53 mieux à la couleur d'un milan royal , n'étoit qu'il eft de moindre
5î corpulence Il reflemble au milan royal de fi près, qu'on n'y
33 trouveroit différence , n'ctoit qu'il eft plus petit & plus hhnc fous
i> le ventre , ayant les plumes qui touchent le croupion en la queue ,
■>•> tant deffus que deflous de couleur blanche ; anfll eft - ce de cela
qu'il efl iioninié queue blanche fj, Hifi, nat, des Oifeaux, page j 0^
DE l'oiseau Saint-Martin. 213
faucon , mais par ce caraélère des longues jambes , il
reiïemble au jean - le -blanc 6c à la Ibubufe; il n'a
donc d'autre rapport au lanier que l'habitude de dé-
ciiirer avec le bec tous les petits animaux qu'il faifit,
Si qu'il n'avale pas entiers, comme le font les autres
gros oifcaux de proie: il faut, dit Aï. Edwards, le
ranger dans la claffe des faucons à longues ailes ; ce
feroit, à mon avis, plutôt avec les bufcs qu'avec les
faucons, que cet oifcau devroit être rangé, ou plutôt
il faut lui lai (Ter Çà place auprès de la foubufe , à
laquelle il reiïemble par un grand nombre de caraélères,
& par les habitudes naturelles.
Au relie , cet oifeau fe trouve affcz communément
en France, aufTi-bien qu'en Allemagne (Se en Angle-
terre: celui de notre planche enluminée a été tué en
Bourgogne. M. Frifch a donné deux planches de ce
même oifcau, n!" yc) ir So , qui ne diffèrent pas affez
l'un de l'autre pour qu'on doive les regarder avec lui
comme étant d'efpèce différente; car les variétés qu'il
remarque entre ces deux oifcaux font trop légères , pour
ne les pas attribuer au fexe ou à l'âge. M. Edwards,
qui a auifi donné la figure de cet oifeau, dit que celui
de fa planche enluminée a été tué près de Londres , <Sc
il ajoute que quand on l'aperçut, il voltigeoit autour du
pied de quelques vieux arbres, dont il paroiffoit quel-
quefois frapper le tronc avec le bec (Se les ferres, en
continuant cependant à voltiger, ce dont on ne put dé-,
couvrir la raifon qu'après l'avoir tué & ouvert ; car on lui
D d iij
z 1 4. Hi STOIRE Na tu r elle, ifc,
trouva, dans reftomac, une vingtaine de petits lézards,
dcchircs ou coupés en deux ou trois morceaux.
En comparant cet oifeau, avec ce que dit Belon ,
de Ton fécond oifeau faint-martin , on ne pourra douter
que ce ne foit le même, 6c indépendamment fS^QS
rapports de grandeur, de figure & de couleur, ces
liabitudes naturelles de voler bas , & de chercher avec
avidité 6: confiance les petits reptiles , appartiennent
moins aux faucons (Se aux autres oifeaux nobles , qu'à
la bufe, à la harpaye &: aux autres oifeaux de ce genre,
dont les mœurs font plus ignobles , 6: approchent de
celles des milans. Cet oifeau bien décrit <5: très -bien
repréfenté par M. Edwards (planche 22J ) , n'cft pas,
comme le difent les Auteurs de la Zoologie Britan-
ni([ue, le henharner , dont ils ont donné la figure. Ce
font des oifeaux différens, dont le premier, que nous
appelons d'après Belon , V oifeau fahii-marwi , a , comme
je l'ai dit, été indiqué par Al.'' Frifch &: BrifTon, fous
Je nom At faucon-lanicr Si lan'ier cendré ; le fécond de
ces oifeaux qui efl W fubbuico de Gefner, (Se que nous
appelons y^//^//?^ a été nommé aigle à queue blanche par
Albin, à. faucon à collier ^2X M. Briffon. Au rcftc , les
Fauconniers nomment cet oifeau faint-martin , laharpaye-
éperviQ'. Harpaye efl parmi eux un nom générique, qu'ils
donnent non -feulement à l'oifeau faint-martin, mais
encore à la foubufe <5c au bufard-roux ou rouffeau, dont
nous parlerons dans la fuite.
2IÎ
LA SOV BV SE (a).
Voyc^ les -planches enluminées , 71 f^ /j.^^ ir ^So ;
é^ -planche IX de ce volume.
l_j A Soubufe reflemble à l'oifeau faint- martin , par
le naturel &: les mœurs ; tous deux volent bas pour
faifir des mulots <Sc des reptiles ; tous deux entrent
dans les bafTes-cours , fréquentent les colombiers pour
prendre les jeunes pigeons, les poulets; tous deux
lont oifeaux ignobles, qui n'attaquent que les foibles,
&: dès-lors on ne doit les appeler ni faucons ni laniers
comme l'ont fait nos Nomenclateurs. Je voudrois donc
retrancher de la lifte des faucons, ce faucon à collier,
6c ne lui laiffer que le nom de fouhufe , comme au
lanier cendré, celui à'oifc\m fabu-rjmrt'ni.
Le mâle dans la foubufe, eft, comme dans les autres
oifeaux de proie, confidérablement plus petit que la
femelle; mais l'on peut remarquer en les comparant,
(a) Suhhuteo. Gefiier, A\i. pag. 48. — Pygargus accip'itcr. Wil-
lughby , Oïnhhol. page 40. — Aigle à queue blanche. Albin , tome II,
page ^ , planche V , avec une figure coloriée du mâle Perturbateur
des poules. Albin, tome III, page 2, planche III , avec une figure
coloriée Je la fiemclle. — Les A nglois appellent le mâle , Henharrour
ou Henharrier , c'eft-à-dire, Dechireur de poules, — Falco torquatus:
le Faucon à collier. Briflon , Ornilhol. tome I, page 345. — The
Henharrier; îhe maie , pi. A 6. The Rmgtail ; the female , pi. A 7.
Briîifch Zoology
21 6 Histoire Natu re lle, ire,
qu'il n'a point comme elle de collier, c'eft-à-clîré;
de petites plumes hériiïees autour du cou : cette dif-
férence qui paroîtroit être un cara(flère fpécifique, nous
portoit à croire que l'oifeau repréfenté (planche ^So)
n'étoit pas le mâle de la foubufe femelle, repréfenté
71° ^^ ; mais de très -habiles Fauconniers nous ont
aiïuré la chofe comme certaine, <5c en y regardant de
près, nous avons en effet trouvé les mêmes propor-
tions entre la queue &: les ailes, la même diilribution
dans les couleurs, la même forme de cou, de tête <Sc
de bec , <5cc. ... en forte que nous n'avons pu refifler
à leur avis : ce qui fur cela nous rendoit plus difficiles,
c'efl: que prefque tous les Naturalises ont donné à
Ja foubufe un mâle tout différent , & qui efl celui que
nous avons appelé oifeau faim - marthi ; Se ce n'cft
qu'après mille 6c mille comparaifons, que nous avons
cru pouvoir nous déterminer avec fondement contre
leur autorité. Nous obferverons que la foubufe fe
trouve en France, auffi-bien qu'en Angleterre; qu'elle
a les jambes longues <Sc menues comme l'oifeau faint-
niartin ; qu'elle pond trois ou quatre œufs rougeâtres
dans des nids qu'elle confiruit fur des buiffons épais;
qu'enfin ces deux oifeaux, avec celui dont nous
parlerons dans l'article fuivant, fous le nom àtharpaye ,
femblent former un petit genre à part plus voifin de celui
des milans (5c des bufes , que de celui des faucons,
LA HARPAYE.
F! fX Pa<> i'^^
UJrUoje.JU.
LA SOUBUSE
2.7
LA HARPAYE (^)-
Voye^ les planches enluminées j nf /f-do,
dl ARPAYE efl un ancien nom générique que Ton
donnoit aux oifeaux du genre des bufards ou bufards
de marais, 6c à quelques autres efpèces voifines, telles
que la foubufe & l'oifeau faint-martin , qu'on appeloit
harpaye-cperv'ier: nous avons rendu ce nom fpécifique,
en l'appliquant à refpèce dont il efl ici qucftion , à
laquelle les Fauconniers d'aujourd'hui donnent le nom
de harpaye -roiijfeau : nos Nomenclateurs l'ont nommé
bufard-roux , 6c M. Frifcli l'a appelé improprement
Vdutour ia?iîa' moyen , comme il a de même & tout auiïi
iinproprement appelé le bufard de marais^ grand vautour
lanicr : nous avons préféré le nom fimple de harpaye ,
parce qu'il efl certain que cet oifeau n'efl ni un vautour
ni un bufard: il a les mêmes habitudes naturelles que
les deux oifeaux dont nous avons parlé dans les deux
articles précédens: il prend le poiflon comme le jean-
le-blanc , & le tire vivant hors de l'eau; il paroît, dit
M. Frifch, avoir la vue plus perçante que tous les
autres oifeaux de rapine, ayant les fourcilsplus avancés
liir les yeux. IJ ic trouve en France comme en
Allemagne, <S: fréquente de préférence les lieux bas <Sc
/'^^ Frifch, tome I, planche LXXVIII- — Le Bufard roux.
Brifloii, tome J, page 40^,
Oifeaux , Tome I. . E e
2i8 HiSTOiRL Naturelle
les bords des fleuves Si des étangs; 8i comme pour
le refle de fes habitudes naturelles, il reffembie aux
précédens, nous n'entrerons pas à Ton fujet dans un
plus grand détail.
LE B V S A R D (o),
Vûje^ les planches enluminées , nf 42^; ^7* planche X
de ce volume,
VyN appelle communément cet oifeau, le ^///Or<^^^
viamis ; mais comme il n'exifle réellement dans notre
climat que celte feule efpèce de bufard , nous lui
avons confervé ce nom fimple: on lappcloit autrefois
fdu - penlrkux , 6c quelques Fauconniers le nomment
auffi liarpa)'c à tête blanche ; cet oifeau efl plus vorace
6c moins pareffcux que la bufe , & c'eft peut-être par
cette feule raifon qu'il paroît moins flupide &: plus
méchant: il fait une cruelle guerre aux lapins, <Sc il
ell aufîi avide de poiffon que de gibier ; au lieu
d'habiter comme la bufe, les forêts en montagne, il
(a) En Grec, Ktf'/j:^', en Latin, C'ircus. — Le Fau-pcrdiicux.
Bclon, Hijh Tiat. des O'ifenux , page 114. — Circiis. AIdrov. Avh
tom. I, png. 351 Ali/vus œrug'inofus. AIdrov. tom. 1, pûg. j p 6,
— Bulard de marais. Albin, Xome I , page ^, planche lll , avec une
jigure cokr'ûe. — Vultur fufcus , five Laniarius. Frifch, pi. LXXVJI,
avec une bonne figure coloriic. — Le Bufard de marais. Bri/Ton , Orn'itk.
tome I, page 401. — The mcor Busard, Britifcli Zoohgy , pi. A 5 ,
avec une figure coloriée,
DU Busard. 219
ne fc tient que dans les buiffons , les haies , \çs
joncs, 6c à. portée des étangs, des marais 6c des
rivières poifTonneiifes: il niclie dans les terres baffes,
6c fait fon nid à peu de hauteur de terre , dans des
buiffons, ou môme fur des mottes couvertes d'Jierbcs
tpaiffes : il pond trois œufs, quelquefois quatre; 6c
quoiqu'il paroiirc produire en plus grand nombre que
la bufc, qu'il foit comme elle, oifeau fédentaire 6c
naturel en France, 6c qu'il y demeure toute l'année,
il cfl néanmoins bien plus rare ou bien plus difficile
à trouver.
On ne confondra pas le bufard avec le milan noir,
quoiqu'il lui refTcmble à plufieurs égards, parce que
le bufard a comme la bufe , la bondrée , &c. . . . le
cou gros 6c court; au lieu que les milans l'ont beau-
coup plus long, 6c on diflingue aifément le bufard
de la bufe, i .° par les lieux qu'il habite; 2.° par le
vol qu'il a plus rapide 6c plus ferme; j."" parce qu'il
ne fe perche pas fur de grands arbres , 6c que com-
munément il fe tient à terre ou dans des buifTons :
4.'' on le reconnoît à la longueur de fes jambes qui ,
comme celles de l'oifeau faint-martin 6c de la foubufe,
font à proportion plus hautes 6c plus menues que
celles des autres oifeaux de rapine.
Le bufard chafTe de préférence les poules d'eau y
ks plongeons, les canards 6c les autres oifeaux d'eau;
il prend les poifTons vivans 6c les enlève dans fes
ferres: au défaut de gibier ou de poiffon, il fe nourri|
Ee ij
210 Hl STO] RE NATU RELLE, i/c.
de reptiles, de crapauds, de grenouiHes <5c d'infedes
aquatiques: quoiqu'il Toit plus petit que la bufe , il lui
faut une plus ample pâture, Si c'efl vraifcmblablement
parce qu'il e(l plus vif, ô<. qu'il ^c donne plus de
mouvement, qu'il a plus d'appétit; il eft aulFi bien plus
vaillant. Bclon adure en avoir vu qu'on avoit élevés
à chaffcr & prendre des lapins, des perdrix <5c des
cailles; il vole plus pefamment que le milan; &. lorf-
•qu'on veut le faire cbaffer par des faucons , il ne
s'élève pas comme celui-ci , mais fuit horizontalement:
un feul faucon ne fuffit pas pour le prendre, il fauroit
s'en débarrafler & même l'abattre ; il defcend au duc
comme le milan, mais il fe défend mieux, es. il a pliis
de force <5c de courage; en forte qu'au lieu d'un fcuI
faucon , il en faut lâcher deux ou trois pour en venir
à bout. Les hobrcaux & les crefTerelles le redoutent,
évitent fa rencontre , ë<. même fuient lorfqu'il ks
approche.
221
OISEAUX ÉTRANGERS,
Qui ont rapport au Ail LAN , aux Bu S ES
ir Sou BU s E s.
I.
JL'oiSEAU appelé par Caftell^y ("dj , VEpery'icr à quelle
d hirondelle ; &i par M. Briiïbn , le Aïilan de la Cawimc.
Cet oifeaii , « dit CatclLy , pèfe quatorze onces: il a
le bec noir <Sc crochu; mais il n'a point Je crochets «
aux côtés de la mandibule fupérieure comme les «
autres éperviers : il a les yeux fort grands <?é noirs , «
& l'iris rouge ; la tête , le cou , la poitrine & le ventre ce
font blancs, le haut de l'aile <Sc le dos d'un pourpre «
foncé , mais plus brunâtre vers le bas , avec une «
teinture de vert; les ailes font longues à proportion «
du corps , 6c ont quatre pieds , lorfqu'elles font «
déployées : la queue efl d'un pourpre foncé , mêlé <«^
de vert (Se très -fourchue; la plus longue plume des «
côtés ayant huit pouces de long de plus que la plus «
courte du milieu: ces oifcaux volent long -temps, «
comme les hirondelles, <5c prennent en volant les «
efcarbots , les mouches, <Sc autres infe6les fur les «
arbres<5cfur les buiiïons : on dit qu'ils font leur proie «
(a) Hift. nat. de ia Caroline, tome J, P^ë' 4 y planche iv^ avec
une boiwe figure coioùee.
Eeiii
222 Histoire Natu relle
« de lézarJs & de ferpens, ce qui fait que quelques-'
» uns les ont appelés épemcrs à fo-peus. Je crois , ajoute
>' M. CatelLy, que ce font des oifeaux de paffage
?j ( en Caroline ) , n'en ayant jamais vu aucuns pendanc
l'hiver ».
Nous remarquerons, au fujet de ce que dit ici cet
Auteur , que l'oifeau dont il cft queflion n'cfl point
un épcrvier, n'en ayant ni la forme ni les mœurs; il
ap])roche beaucoup plus , par les deux caracflcrcs, de
i'efpcce du milan; (Se fi on ne veut pas le regarder
comme une variété de l'efpèce du milan d'Europe,
on peut au moins affurer que c'cfl le genre dont il
approche le plus, & que fon efpèce efl infiniment plus
voifmc de celle du milan que de celle de l'épervier.
I I.
L'oiseau appelé C^rncara, par les Indiens du Brefd,
<5c dont Marcgrave a donné la ligure & une aiïcz courte
indication (h), puifqu'il fe contente de dire que le
caracara du Brefil , v\omx\\k, gavion par les Portugais,
efl une efpèce d'épervier ou de petit aigle ( nifus )
de la grandeur d'un milan ; qu'il a la queue longue de
neuf pouces, les ailes de quatorze, qui ne s'étendent
pas, lorfqu'elles font pliées jufqu'à l'extrémité de la
queue; le plumage roux &: taché de points blancs 6c
jaunes; la queue variée de blanc 6c de brun; la tête
l^omme celle d'un épervier; le bec noir, crochu 6c
(h) Marcgrave, Hïjî, nat. Brafd, pag. 211.
r.'m I
ri T r,/
\ Sr^-, Jr/,
/ O i^ttenèer^ je
\.V. BTSARD
DES Oiseaux étrangers. 12^
médiocrement grand ; les pieds jaunes , les ferres
femblables à celles des éperviers , avec des ongles
fémihmaires , longs, noirs 6c très -aigus, 6c les yeux
d'un beau jaune; il ajoute que cet oifeau efl le grand
ennemi des poules , & qu'il varie dans fon efpèce , en
ayant vu d'autres dont la poitrine <$c le ventre étoienc
blancs.
I I L
L'oiseau des terres de la baie de Hudfon, auquel
M. Edwards a donné le nom de Siife cendrée fcj, 6c
qu'il décrit à peu près dans les termes fuivans. Cet
oifeau efl de la grandeur d'un coq ou d'une poule de
moyenne grofTcur : il reflemble par la figure, <^ en
partie par les couleurs, à la bufe commune; le bec
& la peau qui en couvre la bafe, font d'une couleur
plombée bleuâtre ; la tête <Sc la partie fupcrieure du
cou, font couvertes de plumes blanches, tachées de
brun-foncé dans leur milieu : la poitrine efl blanche
comme la tête, mais marquée de taches brunes plus
grandes : le ventre 6c les cotés font couverts de plumes
brunes, marquées de taches blanches, rondes ou ovales;
les jambes font couvertes de plumes douces 6c blanches,
irrégulièrement tachées de brun; les couvertures du
deffous de la queue font rayées tranfverfalement de
blanc 6c de noir: toutes les parties fupérieures du cou;
fcJ The ash coloured Busard. Edwards , H'tjl, cf Birds , tome 11^
ffl^c ; ^; pi LUI, ayec m( f^ure bien cohrià.
224. Histoire Natu relle, ire,
du dos, des ailes 6c de la queue, font couvertes de
plumes d'un brun cendré plus foncé dans leur milieu,
6c plus clair fur les bords ; Jes couvertures du deflbus
des ailes font d'un brun fombre avec des taclies
blanches ; les plumes de la queue font croifées par-deffus
de lignes étroites ôc de couleur obfcure, (5c par-deflbus
croifées de lignes blanches; les jambes <5c les pieds
font d'une couleur cendrée bleuâtre ; les ongles font
noirs, <5c les jambes font couvertes , jufqu'à la moitié
de leur longueur, de plumes d'une couleur obfcure:
cet oifeau , ajoute M. Edwards , qui fe trouve dans
les terres de la baie de Hudfon , fait principalement
fa proie des gelinotes blanches. Après avoir comparé
cet oifeau, décrit par M. Edwards, avec les bufcs ,
foubufes, harpayes (5c bufards, il nous a paru différer
de tous par la forme de fon corps (?c par fes jambes
courtes: il a le port de l'aigle (5c les jambes courtes
comme le faucon , (5c bleues comme le lanier; il femble
donc qu'il vaudroit mieux le rapporter au genre du
faucon ou à celui du lanier, qu'au genre de la bufe.
Mais comme M. Edwards efl im des hommes du
monde qui connoît le mieux les oifeaux , (5c qu'il a
rapporté celui-ci aux bufes; nous avons cru devoir
ne pas tenir à notre opinion (Se fuivre la fienne : c'eft
par cette raifon que nous plaçons ici cet oifeau à fa
fuite des bufes.
VÉPER VI EZ
2i5
■m
L'ÉPERVIER (a).
Voje^ les planches enluminées, iiT ^ 6 6 y ^6j (T^ 12;
voye^ ûujji planche X 1 de ce volume,
V^uoiQUE les Nonienclateurs aient compté plufieiirs
efpcces d'cperviers , nous croyons qu'oji doit les
réduire à une feule. M. BrifTon fait mention de quatre
cfpèces ou variétés; favoir, l'Épervier commun, CE-
pervier tacheté , le petit Epervier & l'Epervier àcs
Alouettes; mais nous avons reconnu que cet epervier
(a) En Grec, S-Tn^ictç ; en Grec moderne, S^vTîd^; en Latin,
acc'ip'iîer fùngillarius , quod fr'ingUlas & minores ave s rapiat ; en Italien,
Spnrv'iero; en Ailemand, Sperber ou Sperwen; eu Polonois , CroguUr;
en Suède, Spacshoek ; en Anglois, Spar-hawk ou Sparrow-havk ; eit
France , on appelle le maie Emouchet ou Alouchet. — Accipiierfnngïl-
lanus. Gcfner, Avium , pag. ^ i . — Accipiier minor, idem, pag. ^2
Nifus recentiorum. Gefner, Icon. Avium, pag. y. Nifus à conatu ,
nifu, quod aves multbfe majores rapere nitatur. — Epervier ou Eparvier.
Bclon, HiJÎ. naî. des Oifeaux , page 1 2.1. Fringillarius accipiter vulgà
nifus diâus. AIdrov. Avi. îom. I, pag. 34^- —Epervier. Albin,
tome I , pûge 6 , planche V , avec une figure coloriée de la femelle;
Ù" tome III , page 2, planche IV, avec une figure coloriée du mâle.
-^ Nifus fdgittalus , five accipiter fringillarius. Frifch , planche XC ,
tvec une figure coloriée de i'épervier hagard ou vieux Nifus fagit^
tatus aller idem , planche X C 1 1 , avec une figure coloriée de I'épervier-
Tors ou jeune. Nota. Ces deux planches ne reprélentent pas deux
oifeaux différens Nifus friatus , idem, planche XC , avec uiic
fiaure coloriée du mâle. — L'Epervier. Briflon , Ornilhol. tome ],
page 310. — The Sparrow-hawk. Britifch Zoology , planche A i 0 ;
The maie , planche A i 2 , The female^
Oifeaux, Tome 1. • F f
2i6 Histoire Natu relle
des alouettes n'efl que la crefTerelIe femelle. Nous
avons trouvé de même, que le petit cpervier n'cil
que le tiercelet ou mâle de l'cpervicr commun ; en
forte qu'il ne refle plus que i'épervicr tacheté, qui
n'efl qu'une variété accidentelle de refpèce commune
de l'épervier. M. Klein fhj efl le premier qui ait indiqué
cette variété, il dit que cet oifcau lui fut envoyé du
pays de Marienbourg; il faut donc réduire à l'efpèce
commune le petit épervier, aufli-bien que l'épervier
tacheté» (5c féparer de cette efpèce , l'épervier des
alouettes qui n'efl que la femelle de la crefTcrelIc.
On obfervera, d'après nos planches enluminées,
que le tiercelet-fors d'épervier , n." ^f(f, diffère du
tiercelet-hagard , w/ ^(fy, en ce que le fors a la poitrine
& le ventre beaucoup plus blancs, 6c avec beaucoup
moins de mélange de roux que le tiercelet liagard ,
qui a ces parties prefqu'entièrcment rouffes &. tra-
verfées de bandes brunes; au lieu que l'autre n'a fur la
poitrine que des taches ou des bandes beaucoup plus
irrégulières. Le tiercelet d'épervier s'appelle vwuchet
par les Fauconniers, il efl d'autant plus brun fur le
dos, qu'il efl plus âgé; <^ les bandes tranfvcrfalcs de
la poitrine ne font bien régulières que quand il a paffé
fa première ou fa féconde mue: il en efl de même de
Ja femelle, n!' ^12 , qui n'a des bandes régulières que
lorfqu'elle a paffé fa féconde mue ; <Sc pour donner
une idée plus détaillée de ces différences 6c de ces
changemens dans la diflribution des couleurs , nous
(b) Klein, Ordo Amm, pag, j ^,
DE L*ÉPERVIEn, liy
remarquerons que fur le tiercelet-fors ces taches de
la poitrine 6c du ventre, font prefque toutes fcparées
les unes des autres, 6c qu'elles préfcntent plutôt la
figure d'un cœur ou d'un triangle émoufTé, qu'une fuite
continue 6c uniforme de couleur brune., telle qu'on
la voit dans les bandes tranfverfales de la poitrine 6c
du ventre du tiercelet-hagard d'cpervier, c'efl-à-dire,
du tiercelet qui a fubi fes deux premières mues : les
mêmes changemens arrivent dans la femelle; ces bandes
tranfverfales brunes, telles qu'on les voit repréfentées
dans la planche, ne font dans la première année que
des taches fcparées; 6c l'on verra dans l'article de l'au-
tour, que ce changement efl encore plus confidérable
que dans i'épervier; rien ne prouve mieux combien
font fautives les indications que nos Nomenclateurs ont
voulu tirer de la diflribution des couleurs, que devoir
ie même oifeau porter la première année des taches ou
des bandes longitudinales brunes, defcendant du haut
en bas, 6c préfenterau contraire, dans la féconde année,
des bandes tranfverfales de la même couleur: ce chan-
gement, quoique très-fmgulier , efl plus fcnfible dans
i'autour 6c dans les éperviers, mais il fe trouve auffi plus
ou moins dans plufieurs autres efpèces d'oifeaux ; de
forte que toutes les méthodes fondées fur renonciation
des diticrcnces de couleur 6c de la diflribution des
taches , fe trouvent ici entièrement démenties.
L'épervier refle toute Tannée dans notre pays ;
i'cfpèce en efl alTcz nombreufe: on m'en a apporté
Ff ij
228 Histoire Natu relie
pliifieiirs dans la plus mauvaife faifon de l'hiver, qu'ort
avoit tués dans les bois; ils font alors très - maigres,
& ne pèfeQt que (îx onces : le volume de leur corps
eft à peu près ie même que celui du corps d'une pie;
la femelle efl beaucoup plus grofle que ie mâle; elle
fait ion nid fur les arbres les plus élevés des forêts;
elle pond ordinairement quatre ou cinq œufs > qui font
lâchés d'un jaune rougeâtre vers leurs bouts. Au refle
Tépervier, tant mâle que femelle, eft affez docile:
on i'apprivoife aifément, <Sc Ton peut le dreller pour
la cbaffc des perdreaux & des cailles; il prend aufii
des pigeons féparés de leur compagnie , 6c fait une
prodigieufe dellrucftion des pinçons & des autres
petits oifeaux qui fe mettent en troupes pendant l'hiver;
il faut que l'efpèce de i'épervier foit encore plus nom-
Lreufe qu'elle ne le paroît , car indépendamment de ceux
qui rcftent toute l'année dans notre climat, il paroît
que dans certaines faifons , il en palfe en grande quantité
dans d'autres pays fcj, Se qu'en général Tcfpèce fe
fcj Nota. Je crois devoir rapporter ici en entier un aiïez long récit
de Belon , qui prouve le paflngc de ces oifeaux , & indique en même
temps la manière dont on les prend, u Nous étions , dit-il, à la bouche
» du Pont-Euxin, où commence le détroit du Propontide; nous
x> étions montés fur la plus haute momaorne, nous trouvâmes un Oi-
39 feleur qui prenoit des éperviers de belle manière; & comme c'étoit
» vers la fin d'Avril, lorfque tous oifeaux font empêchés à foire leurs
3» nids , il nous fembloit étrange voir tant de milans & d'éperviers de
3î venir de-là par de devers le côté dextre de la mer majeure: l'Oi-
5> feleur les prennoit avec grande induflrie , & n'en failloit pas un ; il
j> en prennoit plus d'une douzaine à chaque heure , il ctoit cache
lent f
/'/ .»/ /'u</ Zi.'
S(ff ,u:
Hjiu\'Jrd I
L EPERVIER
DE V É P E R V 1 E R. 229
trouve répandue dans l'ancien continent (d) , depuis
la Suède (e) jufqu'au cap de Bonne-efpérance (f),
derrière un buifTon , au-devant duquel il avoit fait une aire unie & te
carrée, qui avoit deux pas en diamètre, diflante environ de deux ou «
trois pas du buiflon ; il y avoit fix bâtons fiches autour de l'aire, ce
qui étoient de la groHèur d'un pouce & de la hauteur d'un homme , <c
trois de chaque côté , à la fummité delquels il y avoit en chacun une c«
coche entaillée du côté de la place, tenant un rets de fil vert fort «
délié , qui étoit attaché aux coches des bâtons, tendus à la hauteur «
d'un homme , & au milieu de la place il y avoit un piquet de la «e
hauteur d'ime coudée , au faîte duquel il y avoit une cordelette atta- u
chce , qui répondoit à l'homme caché derrière le buiffou; il y avoit ce
aulfi plulieurs oileaux attachés à la cordelette, q^ui paifloient le grain c«
dedans l'aire, lelcjuels l'Oiielcur faifoit voler lorlqu'il avoit advife «
i'épervier de loin venant du côté de la mer ; & l'épervier ayant fi «
bonne vue, dès qu'il les voyoit d'une demi-lieue, lors prenoit fon ce
vol à ailes déployées, & vcnoit fi roidement donner dans le filer, c*
penlant prendre les petits oileaux , qu'il demeuroit encré leans ce
enféveli dedans les rets; alors l'Oifelcur le prennoit & lui fichoit les ce
ailes jufqu'au pli dedans un linge qui étoit là tout prêt expreflement ce
coufu , duquel il lui lioit le bas des ailes avec les cuifles & la queue , ce
& l'ayant, laifi^oit l'épervier contre terre qui ne pouvoir ne fe remuer ce
ne (ê débattre: Nul ne Cuiroit pcnfer de quelle part vcnoient tant ce
d'éperviers, car étant arrêté deux heures, il en print plus de trente; ce
tellement qu'en im jour un homme feul en prcndroit bien près c<
d'une centaine. Les milans & les éperviers venoicnt à la file qu'on <c
advifoit d'auffl loin que la vue fe pouvoir étendre. Belon, Hijl. nat. «e
Ms Oifeûux , page 1 2 i >^<.
(d) Les éperviers font communs au Japon , de même que par-tout
ailleurs dans les Indes orientales. Kœmpfer, Hïjl. du Japon , tome I ,
fageiis.
(e) Linnaeus, Faunn Suecka , n.' 6 S,
(f) Kolbe, Defcr'ipl. du çop de Bonne-efpér, t. UJ, p. i 6 j & 16 S».
230 Histoire Natu relle
VA UT O U R (a).
Vûjci les planches enluminées, nf^ ^61 cT ^18;
Vojei aujjî planche XI I de ce volume.
L'autour efl un bel oifcaii , beaucoup plus grand
que l'Épcrvier, auquel il reflemble néanmoins par les
habitudes naturelles , & par un caradère qui leur efl
commun, &. qui dans les oifeaux de proie n'appartient
qu'à eux &: aux pie -grièches ; c'efl d'avoir les ailes
courtes; en forte que quand elles font pliées, elles
ne s'étendent pas à beaucoup près à l'extrémité de la
queue: il reiïemble encore à l'cpervier, parce qu'il a,
comme lui , la première plume de l'aile courte , arrondie
par fon extrémité; &i que la quatrième plume de l'aile
(û) En Grec, A'çeiiaç AcàpUer Jlellar'u ; en Latin mo-
derne, Ajlur ; en Italien, Ajfore ; en Allemand, Habïch , Grojfer^
Jlûbich : en Polonois , Jiijlr^abwiclhi ou JaJIriabgo/ebiow ; en An-
olois , Stûf-hawk ou Cof-hawk, ou Egret. Accipiter major Jirmico &
riC(nlionbus ajlur. Cefner, Icon. Avi. pag. 7 Gefner, Av'ium ,
p(tcr. ^ Accipiter palumbarius. Gefner, Avi. pag. j j . — AI-
ilrov. tome 1, page ^jf.2 AJlerins. Aidrov. tome J, page ^^ ^.
— Autour. Albin, tome II, page j , planche VJII , avec une figure
coloriée. . . Milms, five ajïur. Autour. Frillh, pL LXXIJ, avec une
6gure coloriée. — Ts^ota. C'efl: l'Autour blond-fors.... Accipiter Jlellarius
fve guttatus Afiliin, Frifch , pi. LXXIIJ, Noîa.C'çH une variété de
l'autour blond- fors Fako fagittatus. Frifch , planche LXXXf ,
avec la figure coloriée de la femelle après fa première mue. . . Falco.
Frifch, planche LXXXii , avec h figure de la même femelle, mai*
plus vieille. — L'Autour. BriiTon, tome I , page ^ i J-
DE l' A u T o V n 231
cfl la plus longue de toutes. Les Fauconniers dininguent
les oiieaux de chafTe en deux dalles; fa\oir, ceux de
la fauconnerie proprement dite,év ceux qu'ils appellent
de X amour ferïe ; & dans cette féconde claffe, ils com-
prennent non-feulement l'autour, mais encore l'épervier,
les Jiarpayes, les bufes , 6cc.
L'autour avant fa première mue, c*efl-à-dire, pen-
dant la première année de fon âge, porte fur la
poitrme ^ fur le ventre, des taches brunes perpendi-
culairement longitudinales ; mais lorfqu'il a fubi fes
deux premières mues, ces taches longitudinales difpa-
roiffent, & il s'en forme de tranfverfales, qui durent
enfuite pour tout le refle de la vie; en forte qu'il eft
très-facde de fe tromper fur la connoiffance de cet
oifeau qui dans A^wy. âges difïérens, eft marqué fi
dirtèremment; &: c'efl: ce que nous avons voulu pré-
venir & faire connoître , en le reprcfentant dans fes
deux âges : la piancîie ^Ci eft le jeune autour, (Se la
flanche ^/^^ l'autour plus âge.
Au refle, l'autour a les jambes plus longues que les
autres oifeaux qu'on pourroit lui comparer & prendre
pour lui (b) , comme le gerfaut qui efl à très-peu près
de fa grandeur: le mâle autour, eft comme la plupart
des oifeaux de proie, beaucoup plus petit que la femelle:
(h) Nota. M. Linnxus a pris le gerfaut pour l'autour, Gyr. falco.
Linn. Hip. nat. edit. VI, gen. S ^ . Jp- / 0. II efl: néanniouis très-aifé
de les diftinguer , car ordinairement l'autour a les piedî d'un beau,
jaune, & le gerfaut les a pâles & bleuâtres.
232 Histoire Natu relle
tous deux font des oifeaux de poing 6c non de leurre;
ils ne volent pas auiïî haut que ceux qui ont les ailes
plus longues à proportion du corps ; ils ont, comme
je l'ai dit, plufieurs habitudes communes avec répcrvier;
janTais ils ne tombent à plomb Air leur proie; ils la
prennent de côté. On a vu par le récit de Belon , que
nous avons cité, comment on peut prendre les cpcrvicrs:
on peut prendre les autours de la même manière; on
met un pigeon blanc, pour qu'il foit vu de plus loin,
entre quatre filets de neuf ou dix pieds de hauteur,
&i qui renferment autour du pigeon qui eft au centre ,
un efpace de neuf ou dix pieds de longueur fur autant
de largeur; l'autour arrive obliquement, Si la manière
dont il s'empêtre dans les filets , indique qu'ils ne fe
précipitent point fur leur proie , mais qu'ils l'attaquent de
côté pour s'en faifir : les entraves du filet ne l'empêchent
pas de dévorer le pigeon, <Sl il ne fait de grands efforts
pour s'en débarraffer, que quand il efl repu.
L'autour fe trouve dans les montagnes de Franche-
comté , du Dauphiné, du Bugey, 6c même dans les
forêts de la province de Bourgogne <&. aux environs
de Paris ; mais il efl encore plus commun en Allemagne
qu'en France, Si l'efpèce paroît s'être répandue dans
les pays du Nord jufqu'en Suède; <5c dans ceux de
l'Orient ôi du Midi, jufqu'en Perfe <Sc en Barl)arie;
ceux de Grèce font les meilleurs de tous, pour la
fauconnerie, félon Belon; « ils ont, dit -il, la tête
»> grande, le cou gros <5c beaucoup de plutnes; ceux
d'Arménie,
DE l' A U T 0 V n, 233
d'Arménie, ajoute- 1- il, ont les yeux verts; ceux ce
de Perfe les ont clairs, concaves <?c enfonces; ceux «
d'Afrique, qui font \cs moins cflimés, ont les yeux «
noirs dans le premier âge , <Sc rouges après la première «
mue »; mais ce caractère n'efl pas particulier aux
autours d'Afrique; ceux de notre climat ont les yeux
d'autant plus rouges qu'ils font plus agcs; il y a mcmc
dans les autours de France, une différence ou variété
de plumage Si de couleur qui a induit les Naturaliflcs
en une efpèce d'erreur fcj ; on a appelé biifard ( royc-^
les planches cnliim'inccs 11° ^^J ) , un autour dont le
plumage efl blond , dL dont le naturel plus lâche que
celui de J 'autour brun , <Sc moins fufceptible d'une
bonne éducation, l'a fait regarder comme une efpèce
de bufe ou bufard , &i lui en a fait donner le nom : c'efl
néanmoins très -certainement un autour, mais que les
Fauconniers rejettent de leur école. II y a encore une
variété affez légère dans cet autour blond, qui confifte
en ce qu'il s'en trouve dont les ailes font tachées de
W:xx\c , <5c ce caracflère lui a fait donner le x\om de
hufar cl varié ; mais cet oifeau varié, auffi-bien que celui
qui cfl blond, font également des autours, (5< non pas
des bufards.
(c) Nota. -M. Brinon a donné fous le nom 6e gros bufard (tome 1 ,
page S 9 ^)> ^^^ autour blond, dont il fait une cfpcccpariiculicrc, noii-
fculeinent diftcrcnic de celle de l'auiour, mais encore de toutes les
autres efpcces de bu lards ; cependant il cfl très -certain que ce n'eft
qu'une variété , même légère dans l 'efpèce de l'autour, car il n'en diffère
en rien que par la couleur du plumage.
O'ifcaus , Tome L ? ^ S
2J4 Histoire Natv relle
J'ai fait nourrir long-temps un mâle 6c une femelle
de l'efpèce de l'autour brun ; la femelle étoit au moins
d'un tiers plus groffe que le mâle ; il s'en falloit plus
de fix pouces que les ailes, lorfqu'elles étoient pliécs,
ne s'étendidcnt jufqu'à l'extrémité de la queue : elle
étoit plus groffe dès VXge. de quatre mois , qui m'a
paru être le terme de l'accroilTemcnt de ces oifeaux ,
qu'un gros chapon. Dans le premier âge jufcju a cinq
ou Çi\ femaines , ces oifeaux font LÏun gris blanc; ils
prennent enfuite du brun fur tout le dos, le cou Si les
ailes ; le ventre ôi. le deiïous de la gorge changent
moins, &. font ordinairement blancs ou blancs jau-
nâtres , avec des taches longitudinales brunes dans la
première année, 6c des bandes tranfverfales brunes dans
les années fuivantes. Le bec efl (\\m bleu fale, 6: la
membrane qui en couvre la bafe efl d'un bleu livide:
les jambes font dénuées de plumes, 6c les doigts des
pieds font d'un jaune foncé: les ongles font noirâtres,
6c les plumes de la queue qui font brunes, font mar-
quées par des raies tranAerfales fort larges, de couleur
d'un gris fale. Le mâle a fous la gorge, dans cette
première année d'âge, les plumes mêlées d'une couleur
rouiïâtre , ce que n'a pas la femelle, à laquelle il
reffemble par tout le refle, à l'exception de la groffeur,
qui, comme nous l'avons dit, efl de plus d'un tiers
au-deffous.
On a remarqué que quoique le mâle (ùi beaucoup
plus petit que la femelle, W cloit plus féroce 6c plu»
DE L' A U T O U R. 255
niccliant: ils font tous d^wx aiïez difficiles à priver;
ils fe battoient fouvent, mais plus des griffes que du
bec , dont ils ne fe fervent guère que pour dépecer
\ts oifeaux ou autres petits animaux, ou pour bleffer
<Sc mordre ceux qui les veulent faifu'i ils commencent
par fe défendre de la griffe, fe renverfent fur le dos,
en ouvrant le bec , 6c cherchent beaucoup plus à
déchirer avec les ferres qu'à mordre avec le bec.
Jamais on ne s'efl: aperçu que ces oifeaux, quoique
feuls dans la même volière, aient pris de l'affecftion
l'un pour l'autre; ils y ont cependant paffé la faifon
entière de l'été, depuis le commencement de mai juf-
qu'à la fin de novembre, où !a femelle, dans un accès
de fureur, tua le mâle dans le filence delà nuit, à
neuf ou dix heures du foir, tandis que tous les autres
oifeaux étoicnt endormis: leur naturel efl fi fanguinaire,
que quand on laiffe un autour en liberté avec plufieurs
faucons , il les égorge tous les uns après les autres ;
cependant il femble manger de préférence les fouris ,
les mulots &: les petits oifeaux: il fe jette avidement
fur la chair faignante, <5c refufe affez conftamment la
viande cuite; mais en le faifant jeûner, on peut le
forcer de s*en nourrir: il plume les oifeaux fort pro-
prement, 6c enfuite les dépèce avant de les manger,
au lieu qu'il avale les fouris tout entières. Ses excrémens
font blanchâtres 6: humides : il rejette fouvent par le
vomiffenient les peaux roulées des fouris qu'il a avalées.
Gg ij
2^6 Histoire Naturelle, i^c.
Son cri efl fort rauqiie, <Sc finit toujours par des fons
aigus, d'autant plus défagrcabies qu'il les répète plus
fouvent ; il marque aufîi une inquiétude continuelle
dès qu'on l'approche, <&: femble s'effaroucher de tout;
en forte qu'on ne peut palfer auprès de la volière où
il eil détenu , fans le voir s'agiter violemment , 6c
i'entcndre jeter plufieurs cris répétés.
r.'m i
PI XE Fac 1 ^^c>
iw»saeAJ%feBh»i&MAVaîMH^.;^t^^:-«JriJ!:^ :
>'»■< J,/
I, AU TOI H
237
OISEAUX ÉTRANGERS,
Qui ont rapport à VEpervier if à V Autour.
I.
L'oiseau qui nous a été envoyé de Cayenne fans
aucun nom , & que nous avons fait repréfentcr dans
nos planclies enluminées, n' ^^^f , fous la dénomina-
tion diÉpcn'ier à gros bec de Cayenne , parce qu'en effet
il a plus de rapport à Tépervier qu'à tout autre oifeau
de proie; il e(l feulement un peu plus gros , 6c d'une
forme de corps un peu plus arrondie que l'épervier; il
a audi le bec plus gros 6c plus long, les jambes un
peu plus courtes ; le defTous de la gorge d'une couleur
uniforme 6c vineufe; au lieu que l'épervier a cette
même partie blanclie ou blanchâtre, mais du refle ,
il rciïemble aiïez à l'épervier d'Europe, pour qu'on
puiffe le regarder comme étant d'une efpèce voifme,
6c qui peut-être ne doit fon origine qu'à l'influence
du climat.
I ï.
L'oiseau qui nous a été envoyé de Cayenne fans
nom, 6c auquel nous avons cru devoir donner celui
de petit nuîour de Cayenne, parce qu'il a été jugé du
genre de l'autour par de très -habiles Fauconniers.
J'avoue qu'il nous a paru avoir plus de rapport avec
le lanier, tel qu'il a été décrit par Belon, qu'avec
G g iij
238 Histoire N atv relle, te
l'autour; car il a les jambes fort courtes 6c de cou-
leur bleue, ce qui fait deux caracftères du lanicr,
mais peut-être n'ell-il réellement ni lanicr ni autour.
Il arrive tous les jours qu'en voulant rapporter des
oifeaux ou des animaux étrangers aux cfpèccs de notre
climat , on leur donne des noms qui ne leur con-
viennent pas, ^ il eft trcs-pofnble que cet oifeau de
Cayenne que nous prcfentons ici (ylauche ^^J^ ) , foit
d'une efpece particulière 6c différente de celles de
l'autour 6: du lanier.
I I I.
L'oiseau de la Caroline, donné par CatcfLy (a),
fous le nom à^épervïer des pigeons , qui a le corps plus
mince que l'épervier ordinaire, l'iris des yeux jaune,
ainfi que la peau qui couvre la bafc du bec, les pieds
de la même couleur; le bec blanchâtre à fon origine,
Si noir vers fon crochet; le deffus de la tcte , du cou,
du dos, du croupion, des ailes (5c de la queue, couvert
de plumes blanches mêlées de quelques plumes brunes;
les jambes couvertes de longues plumes blanches ,
mêlées d'une légère teinte rouge , <5c variées de taches
longitudinales brunes. . . . Les plumes de la queue brunes
comme celles des ailes, mais rayées de quatre bandes
tranfverfales blanches.
(a) Pigeon hawl<. H'iji. nat. cf. Carol. ly Marc. Catefby, tome I,
page ^ , planche III , avec une figure coloriée.
239
LE GERFAUT (a).
Vû}'ci les planches enluminées, 71 f^ 21 0 , ^62 ir ^^ 6;
Vûjei mijjî planche xili de ce volume.
Le Gerfaut, tant par fa figure que par le naturel, doit
être regardé comme le premier de tous les oifeaux
de ia fauconnerie; car il les furpaffe de beaucoup en
grandeur: il eft au moins de la taille de l'autour; mais
il en diffère par des caracflères généraux (Se conftans , qui
diflinguent tous les oifeaux propres à être élevés pour
ia fauconnerie, de ceux auxquels on ne peut pas donner
ia même éducation. Ces oifeaux de chafTe noble font
les gerfauts, les faucons, les facres, les lanicrs, les
liobreaux , les émcrillons <Sc les creffcrelles : ils ont
tous les ailes prefqu'auffi longues que la queue ; la
première plume de l'aile appelée le cerceau, prcfqu'aufTi
longue que celle qui la fuit , le bout de cette plume
(a) En Italien, Zcr'ifalco ou Gïrïfalco ou Gerifalco ; en Alle-
mand, Gierfiilck ou Girfalck ou Alïtld-falck ; en Polonois, Bialo-^or;
en Mofcovie, Krct-^el o\x Kic-{ot ; en Anglois, Gyrfalcon ou Gerfalcoa;
les AntWois appellent le màle Jerk'in. Nota. Ce mot Gerfaut ou
Gyrfiilco, fignifie Faucon-vautour, Gyr ou Gyer, fi gn'\fi:xm Vautour en
Allemand. — Gcrfîmt. Belon , i///?. nat. des Oifeaux , page 5)4..
— Gyrfako. Aidrov. tome I, page ^7/. — Morphr\os Belonii. AIdrov.
A\i. tome I, page Z12. —Faucon d'Iflande. H'if. d'Jfande , par
jinderfon, tome I, page 80. — Le Gerfiuu, planche XXX , fig. ji,
BrilTon, Omit/i. tome I, page ^yo; 6<. page ^y^ , planche xxxi..
240 Histoire Naturelle
en penne ou en forme de tranchant ou de lame de
couteau, fur une longueur d'environ un pouce à fon
extrémité; au lieu que dans les autours, les épervicrs,
les milans 6c les bufes, qui ne font pas oifcaux auffi
nobles ni propres aux mêmes exercices; la queue eft
plus longue que les ailes, (5: cette première plume de
l'aile cfl beaucoup plus courte 6c arrondie par fon
extrémité; &i ils dilfcrent encore en ce que la quatrième
plume de l'aile cfl dans ces derniers oifeaux la plus
longue, au lieu que c'cfl la féconde dans les premiers.
On peut ajouter que le gerfaut difîère fpécili([uement
de l'autour par le bec 6c les pieds qu'il a bleuâtres,
6v par fon plumage qui efl: brun fur toutes les parties
fupérieures du corps, blanc taché de brun fur toutes
les parties inférieures, avec la queue grife, traverfée de
lignes brunes^ voye^ les phmches enluminées , nf 210. Cet
oifeau fe trouve affez communément en Ifîande, 6c il
paroît qu'il y a ^ariété dans l'efpèce; car il nous a été
envoyé de Norvège, un gerfaut qui fe trouve également
dans les pays les plus feptentrionaux (voyei les plcinehes
enluni'mées y n." ^â'jj, qui diffère un peu de l'autre par les
nuances &. par la diflribution des couleurs, 6c qui efl
plus eflimé des Fauconniers que celui d'Iflande, parce
qu'ils lui trouvent plus de courage, plus d'adlivité 6c
plus de docilité; &i indépendamment de cette première
variété, qui paroît être variété de l'efpèce, il y en a
une féconde qu'on pourroit attribuer au climat, f[
tous n'étoient pas également des pays froids; cette
féconde
DU Gerfaut. 2^1
féconde variété efl le gerfaut blanc (voyei les planches
enlum'mées , n." ^(f ) , qui diffère beaucoup des deux
premiers , &i nous préfumons que dans c .ux de Norvège
auiïi-bien que dans ceux d'Ifîande, il s'en trouve de
blancs ; en forte qu'il efl probable (\\.\e c'eft une Seconde
variété commune aux deux premières, & qu'il exirte en
effet dans l'efpèce du gerfaut trois races confiantes (Se
diflindcs , dont la première efl le gerfaut d'Ifîande ,
la féconde le gerfaut de Norvège, Si la troifième le
gerfaut blanc; car d'habiles Fauconniers nous ont affuré
que ces derniers étoient blancs des la première année,
éi. confervoicnt leur blancheur dans les années fuivantes;
en forte qu'on ne peut attribuer cette couleur à la
vieilleffe de l'animal ou au climat plus froid, les bruns
fe trouvant également dans le même climat. Ces oifeaux
font naturels aux pays froids du Nord, de l'Europe
<Sc de i'Afie ; ils habitent en Ruffie, en Norvège, en
Ifîande, en Tartarie ; <Sc ne fc trouvent point dans les
climats chauds , ni même dans nos pays tempérés.
C'eft, après l'aigle, le plus puiffant, le plus vif, le
plus courageux de tous les oifeaux de proie : ce font
au/fi les plus chers <?c les plus eflimés de tous ceux de
la fauconnerie: on les tranfporte d'illande (S: de Ruflie
en France (bj, en Italie &. juiqu'en Perfe <Sc en
fb) Nous ne verrions point le gerfaut , s'il ne nous étoit apporté
d'étrange pays ; on dit qu'il vient de RufTie où il fait Ton aire, & qu'il
ne hante ne Italie ne France, & qu'il eft oifcau paifager en Allemagne....
C'eft un oifeau bon à tous vols; car il ne refufe jamais rien, & il efk
Oifeaux , Tome I. . H h
2^1 Histoire N atu re lle, ire
Turquie (c) ; 6l il ne paroit pas que la chaleur plus
grande de ces climats leur ôte rien de leur force ôc
de leur vivacité; ils attaquent les plus grands oifeaux,
& font aifément leur proie de la cigogne , du héron
■& de la grue; ils tuent les lièvres en fe lailfant tomber
à plomb deflus : la femelle efl, comfne dans les autres
oifeaux de proie, beaucoup plus grande Si plus forte
que le mâle; on appelle celui-ci ncrcelet de gerfaut , qui
ne fert dans la fauconnerie que pour voler le milan,
le héron & les corneilles.
plus hardi que nul autre olieau de proie. Belon , Hïjl. nat. des Oifeaux^
pages Ç4 âr p j.
fc) Nota. C'efl au gerfaut qu'il faut rapporter le pafHige fuivant :
« II ne fliut pas oublier de faire mention d'un oileau de proie qui vient
xt de .Molcovie , d'où on le tranlporie en Perle, & qui eli prelqu'aufTi
» gros qu'un aigle; ces oileaux lont rares, & il n'y a que le Roi leul
ï> qui puiOe en avoir. Comme c'eft la coutume en Perle d'évaluer les
y> prclens que l'on fiit au Roi, fans en ri^ excepter, ces oifeaux font
■>■> mis à cent tomans la pièce , qui font quinze cents écus ; & s'il en
33 meure quelques-uns en chemin, l'Ambafladeur en apporte à Sa
y> Majellti la tête & les ailes , & on lui tient compte de l'oilcau , comme
35 s'il étoit vivant: on dit que cet oifcau fait fon nid dans la neige,
yy qu'il perce jufqu'à terre par la chaleur de fon corps, & quelquefois
jufqu'à une toife de hauteur, &c. . . . ?> Voyage de Chardin, tome II,
page ^j.
M/
7;w /
Fl Xm Puo i 4 ^
/h Se,u' M
■^/cu/f
I,F- GERFAUT .
24Î
LE L A N I E R (a).
c
ET oifeaii qu'Aldrovande appelle ZW^rài"^^//^r7//;;,
<5c que Belon dit être naturel en France , & plus employé
par les Fauconniers qu'aucun autre , eft devenu fi rare
que nous n'avons pu nous le procurer; il n'efl dans
aucun de nos cabinets, ni dans les fuites d'oifcaux
colories par M/' Edwards, Frifch 6c les Auteurs de
la Zoologie Britannique; Bclon lui-mcme, qui en fait
une defcription affcz détaillée, n'en donne pas la figure;
il en eft de mênie de Gefner, d'Aldrovande Si des
autres Naturalifles modernes. M/' Briifon <& Salernc
avouent ne l'avoir jamais vu : la feule repréfentation
qu'on en ait efl: dans Albin , dont on fait que les
planches font très - mal coloriées. Il paroît donc que
le lanier qui efl aujourd'hui fi rare en France , l'a égale-
ment Si toujours été en Allemagne, en Angleterre, en
(a) En Italien, Lnnîero ; en Allemand, Swîmere ou Schmeymer;
en Anglois & en François, on appelle le mâle Lameret. — Lanier.
Belon, H'ijl. nat. des Oifeaux , page 123. Nota. Lanier vient du
latin laniare , déchirer, parce que cet oileau déchire cruellement les
poules & les autres aniinaux dont il fait la proie. Lanncrct efl: le
dhninuiifde lanier, & c'cft pour cela qu'on appelle le mâle Lanneret ,
qui el\ confiderablcmcnt plus petit que la femelle. — Laniaiius
gallorum. Aldrov. Avi. tom. I, pag. 488. —Petit Lanier. Albin,
tome II , page ^, planche VII , avec une figure coloriée. — Fako
pcciibus rojlroque cœru/eis , maculis albis nigrifque long'itudinalibus. Linn.
Fiiim. Suec. n." 61. Le Lanier. B ri lion , Ornilhologie , tome I,
page ^6^^.
H h ij
244- Histoire N aturelle
SuiiTe, en Italie, puifqu 'aucun des Auteurs de ces
différens pays n'en ont parlé que d'après Belon : ce-
pendant il fe retrouve en Suède, puifque M. Linnx^us
le met dans la lifte des oifcaux de ce pays, mais il
n'en donne qu'une légère defcription, & point du tout
l'hiftoire : ne ie connoifTant donc que par les indica-
tions de Belon, nous ne pouvons rien faire de plus que
de les rapporter ici par extrait. *c Le lanicr ou faucon-
5î Janier, dit-il, fait ordinairement fon aire en France,
î) fur les plus hauts arbres des forets ou dans les rochers
» les plus élevés: comme il efl d'un naturel plus doux
>î (?c de mœurs plus faciles que les faucons ordinaires,
3î on s'en fcrt communément à tous propos. W efl de
■» plus petite corpulence que ie faucon -gentil, & de
î> plus beau plumage que le facre, fur-tout après la mue ;
y> il efl aufTi plus court empiété que nul des autres faucons.
» Les Fauconniers choifiiïent le lamer ayant grofTetcte,
« les pieds bleus &: ores ; le lanier vole tant pour rivière
» que pour les champs; il fupporte mieux la nourriture
y^ de grofTcs viandes qu'aucun autre faucon ; on le
î) reconnoît fans pouvoir s'y méprendre, car il a le bec
?> &. les pieds bleus; les plumes de devant mêlées de
î> noir fur le blanc , avec des taches droites le long àds
5> plumes, (S: non pas traverfées comme au faucon.....
3» quand il étend fes ailes, 6c qu'on les regarde par-
» deffous , les taches paroifTent différentes de celles Acs
?> autres oifcaux de proie ; car elles font femées & rondes
^î comme petits deniers. Son coy eft court <&. aflcz gros.
DU L A N I E P, 24.5
aufTi-bien que fon bec : on appelle la femelle Lin'ier, «
elle efl plus grofTe que le mâle qu'on nomme lanneret: «
tous deux font affez femblables par les couleurs du «
plumage ; il n'efl aucun oifeau de proie qui tienne plus «
conftamment fa perche, 6; il refte au pays pendant «
toute l'année ; on l'inftruit aifément à voler 6: prendre «
la grue: la faifon où il chaiïe le mieux efl après la «
mue, depuis la mi -juillet jufqu'à la fin d'o6lobre ; «
mais en hiver il n'eft pas bon à l'exercice de la chafTe ».
H h \\\
2x6 Histoire Naturelle
LE s A C R E (a).
%] E crois devoir fcparer cet oifeau de la Jifle des
faucons , Si le mettre à la fuite du lanicr, quoique
quelques-uns de nos Nomenclateurs (l>), ne regardent
ie Sacre que comme une variété de l'efpèce du faucon,
parce qu'en le confidérant comme variété, elle appar-
ticndroit bien plutôt à l'efpèce du lanier qu'à celle du
faucon : en effet, le facre a, comme le lanier, le bec
Si les pieds bleus, tandis que les faucons ont les pieds
jaunes. Ce cara6tère qui paroit fpécifique , pourroit
même faire croire que le facre ne feroit réellement
qu'une variété du lanier; mais il en diffère beaucoup
par les couleurs, <5c conflamment par la grandeur; iï
paroît que ce font deux efpèces difiin6les & voifmes,
qu'on ne doit pas mêler avec celles des faucons : ce
qu'il y a de fmgulier ici, c'ed que Belon cfl encore le
feul qui nous ait donné des indications de cet oifeau;
fans lui , les Naturalifles ne connoîtroient que peu ou
point du tout le facre 6c le lanier : tous (\cux font
devenus également rares , &. c'efl ce qui doit faire
préfumer encore qu'ils ont les mêmes babitudes natu-
(a) Sacre, la femelle ; Sacret, le mâle Belon, HiJI. nat. des Oifeaux,
page I 0 8 , avec la fgure , page i o p . En latin moderne , Falco-facer;
en Italien, Sacro ; en Allemand, Sacker ; en Anglois, Sacre^
(b) Falco-facer. Le Sacre. Briflon, Ornithologie , tome I, page 3 77.
T^ota. Cet Auteur en fait la douzième variété de l'elpèce du faucon.
DU Sacre, 247
relies, 6c que par conféquent ils font d'efpèccs très-
voifincs. Mais Belon les ayant décrits, comme les
ayant vus tous deux, & les donnant comme desoifeaiix
réellement différens l'un de l'autre, il efl jiifle de s'en
rapporter à lui , <Sc de citer ce qu'H dit du facre , comme
nous avons cité ce qu'il dit du lanier. <c Le facre efl
de plus laid pennage que nul des oifeaux de faucon- «
nerie ; car il efl de couleur comme entre roux Se «
enfumé, femhiable à un milan; il efl court empiété, «
ayant les jambes Si les doigts bleus, rcffemblant en
ce quelque chofe au lanier: il fcroit quafi pareil au
faucon en grandeur, n'étoit qu'il efl compaffé plus
rond. Il efl oifeau de moult hardi courage, comparé
en force au faucon pèlerin : auffi efl oifeau de pafTage,
<Sc efl rare de trouver homme qui fe puiffe vanter <*
d'avoir oncq'vcu l'endroit où il fait fcs petits : il c*
y a quelques Fauconniers qui font d'opinion qu'il
vient de Tartarie ôl Ruffie, Se de devers la mer
inajeur, <5; que faifant fon chemin pour aller vivre «
certaine partie de l'an vers la partie du midi, efl <c
prins au pafTage par les Fauconniers qui les aguettent
en diverfes îles de la mer Egée, Rhodes, Chypre,
Sic. Et combien qu'on faffe de hauts vols avec le ««
facre pour le milan , toutes fois on le peut au/fi «
dreffer pour le gibier & pour la campagne à prendre «
oyes fauvages, oflardes, olives, faifends, perdrix, «
lièvres ô( à toute autre manière de gibier Le «
facret eflie mâle à. le facre la femelle, entre lefquels «
«<
((
C(
((
ce
«
<c
<c
2^8 Histoire Natu relle, ilfc.
il n'y a d'autre différence finon du grand au petit ».
En comparant cette dcfcription du facre, avec celle
que le même Auteur a donnée du ianier , on fe per-
fuadera aifément , i ." que ces deux oifeaux font plus
voifins l'un de l'autre que d'aucune autre efpcce ; 2.° que
tous deux font oifeaux paflagers, quoique Belon dife
que le Ianier étoit de fon temps naturel en France, il
efl prefque fur qu'on ne l'y trouve plus aujourd'hui;
3.° que ces deux oifeaux paroifFent différer effentielle-
ment des faucons , en ce qu'ils ont le corps plus
arrondi, les jambes plus courtes, le bec <Sc les pieds
bleus, & 'c'efl à caiife de toutes ces différences que
nous avons cru devoir les en féparcr.
Il y a plufieurs années que nous avons fait deffiner à
la ménagerie du Roi, un oifeaii de proie qu'on nous dit
ctre [e facre , 6c que nous donnons ici (planche xiv
de ce volume) ; mais la dcfcription qui en fut faite
alors ayant été égarée, nous n'en pouvons rien dire
de plus.
LE FAUCON,
!\-m l
F' W PaJ ii->
r>, .!>;■,• ./
u/^^-: /.-jj.i-
1,F, SACRF.
249
L
LE F AU C O N (a).
iORSQu'oN jette les yeux fur les lides de nos No-
menclateurs d'Hiftoire Naturelle (b) , on feroit porté
à croire qu'il y a dans refpèce du Faucon autant de
(a) En grec moderne, ^aJKyu^xj; en latin moderne, Falco ; en Italien,
Falcone; en Efpagnol, Hûlkon; en Allemand, Fakk; en Pol. Sokol ; en
Anglois , Falcon. — Fako apud Firnùcum, SuiJam & recent'iorcs. GeÇwer.
Jcon Avi. pag. i i o. — Faucon. Belon, Hijl. nat. des O'ifcaux , page
115. — Falco. Aldrov. Avi. tom I.pag. 42.^. — Accipiterfufcus. Frifch.
planche LXXIV, avec une figure coloriée. — Accipiter fufcus cris pennarum
rufefcentibus , reâncibus fufcis fufco faturatiore tranfverfmi Jlriatis
Falco, le Faucon. Briiïon, Ornith. tome I , pnge ^21.
(b) M. Bri/Ton compte treize variétés dans cette première cfpcce ,
iavoir; le fâucon-fors, le faucon-hagard ou boflu, le fliucon à tête
blanche, le faucon blanc , le faucon noir, le fliucon tacheté ,lcfiucon
brun, le fiucon rouge, le fiucon rouge des Indes, lefiucon d'Italie,
le fiucon d'Iflande & le facre^ & en même temps il compte douze
autres efpèces ou variétés de fîmcons , différentes de la première , (avoir ;
le faucon - gentil , le faucon - pèlerin , dont le f mcon de Barbarie & le
fmcon de Tartarie font des variétés; le faucon à collier, le faucon
de roche ou rochier ; le faucon de montagne ou montagner, dont le
faucon de montagne cendré eft une variété ; le fiucon de la baie de
Hudfon , le fmcon-étoijé , le faucon-hupé des Indes , le faucon des
Antilles, & le f lucon-pêcheur de la Caroline. M. Linnxus comprend
fous l'indication générique de fmcon, vingt-fix efpèces dilîérentes ;
mais il elt vrai qu'il confond Ibus ce même nom , comme il fait en
tout, les efpèces éloignées, aufll-bien que les elpèces voilines, car
on trouve dans cexxe lille de fiucons , les aigles , les pygargues , les
orfraies , les crefTclles , les bufes , &c. Au moins la lifte de M. BrilTon ,
quoique d'un tiers trop nombreufe , cil faite avec plus de circonfpeâion
& de difcernemenr.
Oifcaux f Tome L • I i
250 Histoire Naturelle
variétés que dans celle du pigeon , de la poule ou des
autres oifeaux domcfliques: cependant rien n'efl moins
vrai: l'homme n'a point influé fur la nature de ces
animaux; quelqu'utiles aux plaifirs , quelqu'agrcables
qu'ils foient pour le fade des Princes chaiïeurs ,
jamais on n'a pu en élever, en multiplier l'efpèce:
on dompte à la vérité, le naturel féroce de ces oifeaux,
par la force de l'art &i des privations fcj: on leur fait
acheter leur vie par des mouvemens qu'on leur com-
mande; chaque morceau de leur fubfiflance ne leur eft
accordé que pour un fervice rendu: on les attache,
on les garotte , on les affuble , on les prive même de
(c) Pour cirefîèr le Aucon, l'on commence par l'armer d'entraves,
appelées jets , au bout delquelles on met un anneau , fur lequel eft écrit
le nom du maître ; on y ajoute des fonnettes qui fervent à indiquer le
iieu où il efl iorfqu'il s'écarte de la chafle ; on le porte continuellement
fur le poing ; on l'oblige de veiller : s'il eft méchant & qu'il cherche à
fe défendre , on lui plonge la tête dans l'eau ; enfin on le contraint
par la faim & par la laflitude à fe laifler couvrir la tête d'un chaperon
qui lui enveloppe les yeux ; cet exercice dure fouvent trois jours ôc
trois nuits de iuite : il efl rare qu'au bout de ce temps , les befoins qui
le tourmentent & la privation de la lumière ne lui fiiflent pas perdre
toute idée de liberté : on juge qu'il a oublié fa fierté naturelle , Iorfqu'il
le laifle aifémcnt couvrir la tête, & que découvert il faifit le pat ou la
vi;mde qu'on a loin de lui préfenter de temps en temps ; la répétition
de ces leçons en afTure peu à peu le fuccès : les beloins étant le prin-
cipe de la dépendance , on cherche à les augmenter en lui nétoyant
Teftomac par des cures ; ce font de petites pelottes de filaffe qu'on lui
fait avaler , & qui augmentent fon appétit ; on le fatisfait après l'avoir
cxcué , & la reconnoiflance attache l'oifeau à celui niême qui l'a tour-
menté. Encyclopédie , à C article de la fauconnerie,
DU Faucon. 251
la îumière (Se de toute nourriture, pour les rendre plus
dépendans, plus dociles, & ajouter à leur w'wàc'ilé na-
turelle l'impétuofitc du befoin f^^J; mais ils fervent
(d) Lorfque les preinicres leçons ont re'ufîl , & que l'oifeau montre
de la docilité ; on le porte fur le gazon dans un jardin , là on le dé-
couvre, & avec l'aide de (a viande, on le fiiit fauter de lui-même fur
le poing ; quand il eft afluré à cet exercice , on juge qu'il eft temps
de lui donner le vif, & de lui fiùre connoître le leurre; c'eft une re-
prefentatioii de proie, un afiemblage de pieds & d'ailes, dont les
fauconniers fe fervent pour réclamer les oileaux , & fur lequel on
attache leur viande ; il efl important qu'ils foient non - feulement
accoutumés, mais affriandés à ce leurre ; dès que l'oifeau a fondu defllis
& qu'il a pris Iculement une beccade , quelques fauconniers font dans
i'ufage de retirer le leurre , mais par cette méthode on court rifque de
rebuter l'oifeau ; il eft plus fur , lorfqu'il a fait ce qu'on attend de lui , de le
paître tout-à-fiit , & ce doit être la récompenfe de fa docilité ; le leurre
efl l'appât qui doit le faire revenir lorfqu'il fera élevé dans \es airs,
mais il ne feroit pas luffilant fans la voix du fauconnier qui l'avertit
de (è tourner de ce c6té-là ; il faut que ces leçons foient fouvent
répétées.. . . Il fîiut chercher à bien connoître le caradère de l'oifeau ,
parler fouvent à celui qui paroît moins attentif à la voix , laîfîcr jeûner
celui qui revient moins avidement au leurre ; laifTer aufîi veiller plus
long-temps celui qui n'efl pas affez ftmilier; couvrir fouvent du cha-
peron celui cjui craint ce genre d'afTujetiifîemcnt : lorlque la familiarité
& la docilité de l'oifeau l'ont fufïifamment confirmées dans un jardin ,
on le porte en pleine campagne , mais toujours attaché à la filière ,
qui efl une ficelle longue d'une dixaine de toifês ; on le découvre , &
en l'apelant à quelques pas de diflance, on lui montre le leurre, lorf^
qu'il fond defTus , on fe fert de la viande & on lui en laifTc prendre
bonne gorge; pour continuer de l'afîurer, le lendemain on la lui montre
d'un pçu plus loin , & il parvient enfin à fondre deffus du bout de la
filière , c'eft alors qu'il fliut faire connoître & manier plufieurs fois à
i'oifcau le gibier auquel on le defline ; on en conferve de privés pour
liij
2^2 Histoire Naturelle
par nccc/Tité, par habitude S. fans attachement; ils
demeurent captifs, fans devenir domcfliques; l'individu
feui efl efclave, Fefpèce e/l toujours hbre, toujours
également éloignée de l'empire de l'homme: ce n'cfl
même qu'avec des peines infinies qu'on en fait quel-
ques-uns prifonniers, Si rien n'efl plus difficile que
d'étudier leurs mœurs dans l'état de nature; comme
ils habitent les rochers les plus efcarpés des plus hautes
montagnes, qu'ils s'approchent très-rarejnent de terre,
qu'ils volent d'une hauteur & d'une rapidité fans égale;
on ne peut avoir que peu de faits fur leurs habitudes
naturelles: on a feulement remarqué qu'ils choififfent
toujours pour élever leurs petits, les rochers expofés
au midi ; qu'ils fe placent dans les /;w/j & les iinfraâures
les plus inacceffibics; qu'ils font ordinairement quatre
CEufs , dans les derniers mois de l'hiver, qu'ils ne
couvent pas long-temps; car les petits font adultes
vers le 15 de Mai , qu'ils changent de couleur
fuivant le fcxe, l'âge Si la mue; que les femelles font
confidérablement plus groffes que les mTdes; que tous
f\ç.\w jettent des cris perçans, défagréablcs &. prefque
continuels, dans le temps qu'ils chaffent leurs petits
pour les dépaïfcr, ce qui fe fait, comme chez les
aigles, par la dure néceffité, qui rompt les liens des
cet ufage , cela s'appelle donner Vefcap ; c'cfl la dernière leçon , mais
elle doit fe répéter jufqu'à ce qu'on foît parfaitement aiïuré de l'oifeau:
alors on le met hors de filière , & on le vole pour iors. ILncyclopédie ,
an, dç lafauconncrk.
DU Faucon, 253
familles 6c de toute fociété, des qu'il n'y a pas afTez
pour partager, ou qu'il y a impolTibilité de trouver
alTez de vivres pour fubfifler enfemble dans les mêmes
terres.
Le faucon cfl peut-être l'oifcau dont Je courage
eft le plus franc , le plus grand , relativement à fes
forces : il fond fans détour 6c perpendiculairement fur
fa proie; au lieu que Fautour 6: la plupart des autres
arrivent de côte: aufli prend-on l'autour avec des lilets
dans kfquels le faucon ne s'empêtre jamais; \\ tombe
à plomb fur l'oifeau vidlime , expofé au milieu de
l'enceinte des lilets, le tue, le mange fur le lieu, s'il
efl gros, ou l'emporte, s'il n'efl pas trop lourd, en fe
relevant à plomb: s'il y a quelque faifanderie dans
fon voifinage , il choifit cette proie de préférence; on
le voit tout -à-coup fondre fur un troupeau de faifans
comme s'il tomboit des nues, parce qu'il arrive de
f[ haut, ôi en fi peu de temps, que fon apparition efl
toujours imprévue <5c fouvent inopinée : on le voit
fréquemment attaquer le milan, foit pour exercer fon
courage, foit pour lui enlever une proie; mais il lui
fait plutôt la honte que la guerre, il le traite comme un
lâche, le chaffe , Je frappe avec dédain, cS: ne Je meC
point à mort, parce que le milan fe défend mal, ôl
que probablement fa chair répugne au faucon encore
plus que fa lâcheté ne lui déplaît.
Les gens qui habitent dans le voifinage de nos
grandes montagnes, en Dauphiné, Bugey, Auvergne
Il ii;
254 Histoire Natu relle
ôi aux pieds des Alpes, peuvent saflurer de tous ces
faits fej. On a envoyé de Genève, à la fauconnerie du
Roi, des jeunes faucons pris dans les montagnes voi-
fines au mois d'avril , ôi qui paroifTent avoir acquis
toutes les dimenfions de leur taille Si toutes leurs forces
avant le mois de juin. Lorfqu'ils font jeunes , on les
appelle fouconjors , comme Ton dit harcfigs-fors , parce
qu'ils font alors plus bruns que dans les années fui-
van tes (royei les planches enluminées, nf ^yo, lir -planche XV
de ce volume ) ; 61. l'on appelle les vieux faucons, hagards,
qui ont beaucoup plus de blanc que les jeunes (f),
voyei planche XV i de ce volume , à^ les planches enluminées
nf ^21 J ; le faucon qui eil repréfenté dans cette der-
nière planche nous paroît ctre de la féconde année,
ayant encore un aflez grand nombre de taches brunes
fur la poitrine <Sc fur le ventre; car à la troifième année
ces taches diminuent, ôi. la quantité du blanc fur le
plumage augmente, comme on le peut voir dans le
faucon repréfenté , planche enluminée , nf ^jo , dans
laquelle on a gravé, par erreur, le nom de lanier, au
lieu de tiercelet de faucon de la troificme année.
Comme ces oifeaux cherchent par- tout les rochers
les plus hauts, ôl que la plupart des îles ne font que
( e) Nota. Ils m'ont été rendus par des témoins oculaires, & par-
ticulièrement par M. Hébert, que j'ai déjà cité plus d'une fois, & qui
a chafle pendant cinq ans dans les montagnes du Bugey.
(f) Nota. Puifque le faucon- fors & le fmcon-hagar ou bofTu ne
font que le même fiiucon , jeune & vieux , on ne doit pas en fiire
des variétés dans l'efpèce.
DU Faucon, 255
des groupes 6c des pointes de montagnes; il y en a
beaucoup à Rhodes , en Chypre , à Malte , 6c dans
les autres îles de la Méditerranée, aufTi-bien qu'aux
Orcades <Sc en Iflande; mais on peut croire que fuivant
les différens chmats , ils paroiiïent fuhir des variétés
différentes , dont il efl néceffaire que nous faffions
quelque mention.
Le faucon qui efl naturel en France efl gros comme
une poule: il a dix-huit pouces de longueur, depuis le
bout du bec jufqu'à celui de la queue, &. autant jufqu'à
celui des pieds : la queue a un peu pkis de cinq pouces
de longueur, (Se il a près de trois pieds Sl demi de voi
ou d'envergure: Tes ailes, lorfqu'elles font pliées, s'é-
tendent prefque jufqu'au bout de la queue : je ne dirai
rien des couleurs , parce qu'elles changent aux diffé-
rentes mues, à mefure que Toifeau avance en âge, Ôl
que d'ailleurs elles font fidèlement repréfentécs par
les trois planches enluminées que nous venons de citer
ci-deffus. J'obferverai feulement que la couleur lapli.s
ordinaire des pieds du faucon, efl verdâtre, 6i que
quand il s'en trouve qui ont les pieds &l la membrane
du hcc jaunes, comme celui qui efl repréfenté dans
cette planche enluminée, nf ^jo ; les Fauconniers les
appellenty^7//r^//j" hcc jaune, ^ les regardent comme les
plus laids <5c \ti moins nobles de tous les faucons ; en
forte qu'ils les rejettent de l'école de la fauconnerie :
j'obferverai encore qu'ils fe fervent du tiercelet de
faucon, c'efl-à-dire, du mâle, lequel e/l d'un tiers plus
256 Histoire Naturelle
petit que la femelle, pour voler les perdrix, pies, geafs,
merles <Sc autres oifeaux de cette efpèce; au lieu qu'on
emploie la femelle au vol du lièvre, du milan, de la
grue 8i des autres grands oifeaux.
Il paroît que cette efpèce de fiucon , qui eft affcz
commune en France, fe trouve aufTi en Allemagne.
^I. Frifch fgj a donné la figure coloriée d'un faucon-
fors à pieds Si à membrane du bec jaunes, fous le
nom de eiueu-Jlojfcr o\.\ fchwartT^branne îmhigt , Si il s'efl
trompé en lui donnant le nom A' autour bnin ; car il
diffère de l'autour par la grandeur Si par le naturel. Il
paroît qu'on trouve auffi en Allemagne, &. quelquefois
en France, une efpèce différente de celle-ci, qui efl
le faucon pattu à tête blanche, que M. Frifch appelle
mal-à-propos vautour, ce Ce vautour à pieds velus ou
« à culotte de plume, efl, dit-il, de tous les oifeaux
» de proie diurnes à bec crochu , le fcul qui ait des
î) plumes jufqu'à la partie inférieure des pieds, auxquels
» elles s'appliquent exadlement: l'aigle des rochers a
w aufTi des plumes femblables, mais qui ne vont que
» jufqu'à la moitié des pieds: les oifeaux de proie
» nodurncs, comme les chouettes, en ont jufqu'aux
?> ongles, mais ces plumes font une efpèce de duvet:
(g) Nota. Voici ce que M. Frifch dit de cet oifeau , qu'il appelle
Vennemî des canards ou Vautour d'un brun-noir. IJ a etc pourvu par la
Nature de longues ailes & de plumes ferrées les unes furies autres...
C'eft des oifeaux de proie l'un des plus vigoureux, il pourluit de
préférence les canards, ks poules d'eau & autres oifeaux d'eau, planche
LXXIY.
» ce vautour
DU Faucon. 257
ce vautour pourfuit toute forte de proie, (5c on ne «
ie trouve jamais auprès des cadavres » (hj, c'efl parce
que ce n'efl pas un vautour, mais un faucon, qu'il
ne fe nourrit pas de cadavres; ôi ce faucon a paru à
quelques-uns de nos Naturalises affcz femblable à
notre faucon de France (ij, pour n'en faire qu'une
variété: s'il ne différoit en effet de notre faucon que
par la blancheur de la tête, tout ie refte eft aflez fem-
blable pour qu'on ne dût le confidérer que comme
variété; mais ie cara6lère des pieds couverts de plumes
jufqu'aux ongles, me paroît être fpécifique, ou tout
au moins l'indice d'une variété confiante, (5c qui fait
race à part dans i'efpèce du faucon.
Une féconde variété efl le faucon blanc , qui fe
trouve en Ruffie, Si peut-être dans les autres pays du
Nord; il y en a de tout-à-fait blancs <5c fans taciies,
à l'exception de l'extrémité des grandes plumes des
ailes qui font noirâtres: il y en a d'autres de cette
cfpèce, qui font auffi tout blancs, à l'exception de
quelques taches brunes furie dos <Sc fur les ailes, 6l
de quelques raies brunes fur la queue (k): comme ce
faucon blanc eft de la même grandeur que notre
Éiucon, Si qu'il n'en diffère que par la blancheur,
(h) Frifch , planche LXXY , asec une figure coloriée. — Le Faucon
à tête blanche. Briflbn, tome I, page S^5 > ^ ^^^^ ^^> fupplémentt
page 2 2 , planche I,
(i) Voyez r Ornithologie de M. Briflbn, page 32J.
^k) Briflon, tome I, page ^26»
Oifcaiix, Tome L • K k
258 Histoire N aturelle
qui efl la couleur que les oifeaux, comme les autres
animaux, prennent aiïez généralement dans les pays du
Nord, on peut préfumer avec fondement que ce n'efl
qu'une variété de refpècc commune , produite par
l'influence du climat: cependant il paroît qu'en lllande,
il y a auffi des faucons de la même couleur que les
nôtres , mais qui font un peu plus gros , & qui ont les
ailes <5c la queue plus longues; comme ils reffcmblcnt
prefqu'en tout à notre faucon, 6c qu'ils n'en difierent
que par ces légers caradèrcs, on ne doit pas les féparer
de l'efpèce commune. Il en efl de même de celui
qu'on Tc^^çWc fûucongendl , que prefque tous les Natu-
ralises ont donné comme différent du fuicon commun ,
tandis que c'eft le même, & que le nom de gc- mil ne
leur eft appliqué que lorfqu'ils font bien élevés, bien
faits Si d'une jolie figure; auffi nos anciens Auteurs de
fauconnerie, ne comptoient que deux efpèces princi-
pales de faucon , le faucon-gentil ou faucon de notre
pays, (Se le faucon -pèlerin ou étranger, ôc regardoient
tous les autres coinme de iimples variétés de l'une ou
de l'autre de ces deux efpèces. Il arrive en effet quelques
faucons des pays étrangers, qui ne font que fe montrer
fans s'arrêter , Si qu'on prend au paffage : il en vient
fur -tout du côté du midi, que l'on prend à Malte,
&. qui font beaucoup plus noirs que nos faiicons
d'Europe (voyei les planches eiilum'mées , n." '^(^^ ) ; on
en a pris même quelquefois de cette efpèce en France;
& celui dont nous donnons ici la figure enluminée , a été
DU Faucon. 259
pris en Brie: c'eft par cette raifon que nous avons cru
pouvoir W^'^ç.\tr fuiicoîi pajfager ; il paroît que ce faucon
noir pafTe en Allemagne comme en France, car c'eft
Je même que M. Frifch a donné fous le nom dtfalca
f u feus , faucon brun (pla?iche LXXXIII ), <Sc qu'il voyage
beaucoup plus loin ; car c'efi: encore le même faucon
que M. Edwards a décrit & repréfenté , tome I, page ^,
fous le nom Ao, faucon noir delà baie de Hudfon, ôl qui
en effet lui avoit été envoyé de ce climat. J'obferverai
à ce fujet , que le faucon pafTager ou pèlerin , décrie
par M. Briiïbn yP^g^ 34' > ï^'efl point du tout un faucon
étranger ni pafTager , &: que c'eft absolument le même
que notre faucon -hagard , repréfenté dans la planche
enluminée, w." 421 ; en forte que l'efpèce du faucon
commun ou pafîàger, ne nous eft connue jufqu'àpréfent
^ue par le faucon d'ifîande, qui n'eft qu'une variété
de l'efpèce commune, & parle faucon noir d'Afrique,
qui en diffère affez, fur -tout par la couleur, pour
pouvoir être regardé comme formant une efpèce
différente.
Oï\ pourroit peut-être rapporter à cette efpèce ie
faucon Tunifien ou Punicien dont parle Belon (l) , « &
qu'il dit -être un peu plus petit que le faucon-pélerin, <c
qui a la tête plus groffe 6c ronde , <&: qui reffemble par «
Ja grandeur 6c le plumage au lanier »; peut-être auffi le
faucon de Tartarie (m), qui au contraire, eft un peu
(l) Bclon, Hifi. nat. des Oifeaux, page iiy.
(m) Ibidem , page 116.
Kki;
26o Histoire Naturelle
plus grand que le faucon-pélerin, 6c que Belon dit en
différer encore, en ce que le defTus de fes ailes ell
roux, & que fes doigts font plus alongcs.
En rafTemblant <^ relTerrant les diffcrcns objets que
nous venons de préfenter en détail, il paroît i .° qu'il
n'y a en France qu'une feule efpèce de faucon Lien
connue, pour y faire fon aire dans nos provinces mon-
tagneufts ; que cette même efpèce fe trouve en SuifTe,
en Allemagne, en Pologne 6c jufqu'en Ifîande vers
le Nord , en Italie (u), en Efpagne 6c dans les iles de la
Méditerranée, <Sc peut-être jufqu'en Egypte (oj vers le
midi ; 2." que le faucon blanc n'eft dans cette même
efpèce, qu'une variété produite par Tinfînence du climat
du nord, j.** que le faucon-gentil n'eft pas d'une efpèce
différente de notre faucon commun (pj ; ^.^ que le
^n) Aldrov. Avi. tom. I , png. 42p.
(0) Pi'ofper Alpin, jEgypt. tome J , pagi 200.
(p) Nota. Jean de Franchières, qui eft l'un des plus anciens &
peut-être le meilleur de nos Auteurs fur la iauconneric, ne compte
que lept efpèces d'oifeaux auxquels il donne le nom de faucon , favoir;
le iaucon - gentil , fe fàucon-pélerin , le f;iucon-tartaret , le gerfaut , fe
iàcre , le ianier & (e faucon-tunifien ou tunicien : en retranchant de
cette lifte le gerfîiut , le (acre «5c le Ianier, qui ne font pas proprement
fies faucons, if ne refîe que fe faucon -gentil & le laucon-pélerin,
dont le tartaret & fe tunifien font deux variétés. Cet Auteur ne con-
noilloit donc qu'une feule efpèce de faucon naturelle en France , qu'ii
indique fous le nom àe faucon - gentil , & cela prouve encore ce que
j'ai avance, que le faucon-gentif & fe faucon comroiuij ne font tous
deux, qu'une feule 6c même elpèce.
DU Faucon, 261
faiicon-pclerin ou pafTager eft d'une efpèce différente,
qu'on doit regarder comme étrangère, Si qui peut-être
renferme quelques variétés , telles que le faucon de
Barbarie, le faucon Tunifien, &.c II n'y a donc,
quoiqu'en difent les Nomenclateurs, que deux efpèces
réelles de faucons en Europe , dont la première e(l
naturelle à notre climat, & fe multiplie chez nous, 6c
l'autre qui ne fait qu'y pafTcr , 6c qu'on doit regarder
comme étrangère : en rappelant donc à l'examen la
Jifle la plus nombreufe de nos Nomenclateurs , au
fujet des fuicons, 6c fuivant article par article celle de
M. Briffon, nous trouverons i .° que le faucon -fors
n'efl que le jeune de l'efpèce commune; 2.° que le
faucon-hagard n'en cfl que le y\t{\\\ ^° que le faucon
à tête blanche 6c à pieds pattus , efl une variété ou
race confiante dans cette même efpèce ; 4.'' fous le
nom (\c faucon blanc, M. Briiïbn indique deux diffé-
rentes efpèces d'oifcaux , 6c peut-être trois , car le
premier 6c le troifième pourroient être , abfolument
parlant, des faucons qui auroient fubi la variété com-
mune aux oifeaux du nord , qui eft le blanc ; mais pour
le fécond, dont M. Bri/Ton ne paroît parler que d'après
M. Fri fc h , dont il cite h planche LXXX, ce n'efl
certainement pas un faucon , mais un oifeau de rapine,
commun en France , auquel on donne le nom dchûrpûje:
^.° que le faucon noir eft le véritable faucon -pèlerin
ou pafTager, qu'on doit regarder comme étranger;
6!" que le faucon tacheté , n'efl que le jeune de ce même
Kk iij
262 Histoire Natu relle
faucon étranger; 7.° que le fiuicon brun eft moins un
faucon qu'un bufard ; M. FriTch efl ie feul qui en ait
donné la repréfen ration fq ) , <5c cet Auteur nous dit
que cet oifeau attrape quelquefois en volant les pigeons
fauvages ; que fon vol eft très -haut, <Sc qu'on ie tire
rarement, mais que néanmoins il guette les oifeaux
aquatiques , fur les étangs <5c dans les autres lieux ma-
récageux : ces indices réunis , nous portent à croire
que ce faucon brun de M. Briffon n'eft vraifembla-
blement qu'une variété dans l'efpèce des bufards,
quoiqu'il n'ait pas la queue aufii longue que les
autres bufards; 8,° que le faucon rouge n'eft qu'une
variété dans notre efpèce commune du faucon, que
Belon dit , avec quelques anciens Fauconniers , fe
trouver dans les lieux marécageux qu'il fréquente
de préférence; 9.° que le faucon rouge des Indes,
eft un oifeau étranger , dont nous parlerons dans la
fuite; 10.*' que le faucon d'Italie, dont M. Briffon
ne parle que d'après Jonfton, peut encore être, fans
fcrupule , regardé comme une variété de l'efpèce
commune de notre faucon des Alpes; ii.° que le
faucon d'Iflande eft, comme nous l'avons dit, une autre
variété de l'efpèce commune, dont il ne diffère que
par un peu plus de grandeur; 12.° que le facre n'eft
point , comme le dit M. Briftbn , une variété du faucon ,
mais une efpèce différente qu'il faut confidérer à part;
13." que le faucon-gentil n'eft point une efpèce difîé-
(q) Frifch, tome 1, planche Lxxvr,
DU Faucon, 26^
rente de celle de notre faucon commun, &. que ce
n*efl que le faucon -fors de cette efpèce commune,
que M. BrifTon a décrit fous ie nom At faucon-gentil ;
mais dans un temps de mue, différent de celui qu'il
a décrit fous le fimpie nom Aq faucon ; 14.° que le
faucon appelé /'//fr//^ par AI. BrifTon , n*efl que notre
même faucon commun , devenu par l'âge faucon-
hagard, tel que nous l'avons repréfenté dans la planche
enluminée, n° ^i , <Çc que par conféquent ce n'eft
qu'une variété de l'âge , 6c non pas une diverfité
d'efpèce; \Ç que le faucon de Barbarie n'eft qu'une
variété dans l'efpèce du faucon étranger , que nous
avons nommé faucon yajfaga- , Si que nous avons fait
repréfenter , planche enluminée, nf ^(fp ; 16.'' qu'il
en efl de même du faucon de Tartarie; ly.'' que le
faucon à collier n'efl point un faucon , mais un oifeaii
d'un tout autre genre, auquel nous avons donné le
nom Ae foubufe ; i8.° que le faucon de roche n'efl
point encore un faucon , puifqu'il approche beaucoup
plus du hobreau <Sc de la crefferelle ; <Sc que par con-
féquent c'efi: un oifeau qu'il faut confidérer à part ;
19.° que le fuicon de montagne n'efl qu'une variété
du rochier; 20.'' que le faucon de montagne cendré
n'efl qu'une variété de l'efpèce commune du faucon ;
21.° que le faucon de la baie de Hudfon ed un oifeau
étranger, d'une efpèce différente de ccWe d'Europe ,
&. dont nous parlerons dans l'article fuivant; ii.*" que
le faucon étoile efl un oifeau d'un autre genre que le
264 Histoire N atu relle
faucon ; 23.° que le faucon huppé des Indes, le faucon
des Antilles, le faucon - pécheur des Antilies, 6c ie
faucon-pêcheur de la Caroline, font encore des oifeaux
étranîrers dont il fera fait mention dans la fuite. On
peut voir par cette longue énumération , qu'en fcparant
même les oifeaux étrangers, &. qui ne font pas préci-
fément des faucons; <Sc en ôtant encore le faucon pattu,
qui n'efl peut-être qu'une variété ou une efpèce très-
voifine de celle du faucon commun, il y en a dix-neuf
que nous réduifons à quatre efpèces; favoir, le faucon
commun, ie faucon pafTager , le facre 6c le bufard, dont il
n'y en a plus que deux qui foicnt en effet des faucons.
Après cette rédudlion faite de tous les prétendus
faucons , aux deux efpèces du faucon commun ou
gentil, 6c du faucon pafTager ou pèlerin ; voici les diffé-
rences que nos anciens Fauconniers trouvoient dans
leur nature 6c mettoient dans leur éducation. Le faucon-
gentil mue dès le mois de mars, 6c même plus tôt; le
faucon pèlerin ne mue qu'au mois d'août : il efl plus
plein fur les épaules, 6c il a les yeux plus grands, plus
enfoncés, le bec plus gros, les pieds plus longs 6c
mieux fendus que le faucon - gentil frj: ceux qu'on
prend au nid s'appellent faucons -niais ; lorfqu'ils font
pris trop jeunes, ils font fouvent criards & difficiles à
élever; il ne faut donc pas les dénicher avant qu'ils
fr) Fauconnerie d'Artelouche, imprimée à la fuite de la Vénerie
de du FoiùIIoux , & des Fauconneries de Jean de Franchières & de
Guillaume Tardjf. Paris, i $ 1 ^ , page 8ç,
foient
DU Faucon. 26^
foient un peu grands, ou fi l'on efl ohiigé de les ôter
de leur nid, il ne faut point les manier, mais les
mettre dans un nid le plus fcmhlable au leur qu'on
pourra, (Se les nourrir de chair d'ours, qui eft une
viande afTez commune dans les montagnes où l'on
prend ces oifeaux, Si au défaut de cette nourriture on
leur donnera de la chair de poulet: û l'on ne prend
pas ces précautions, les ailes ne leur croiiïent pas ffj,
ÔL leurs jan"il)es fe cafîent ou fe déboîtent aifément:
les faucons-fors, qui font les jeunes, (5c qui ont été
pris en feptembre , odohre <Sc novembre , font les
meilleurs <5c les plus aifés à élever: ceux qui ont été
pris plus tard en hiver ou au printemps fuivant, (Se qui
par conféquent ont neuf ou dix mois d'à^e, font déjà
trop accoutumés à leur liberté pour fubir aifément
lafervitude, Si demeurer en captivité fans regret, Si l'on
n'eft jamais fur de leur obéifTance <Sc de leur fidélité
dans le fervice: ils trompent fouvent leur maître, (Se
quittent lorfqu'il s'y attend le moins. On prend tous
les ans les faucons -pèlerins au mois de feptembre,
à leur paiïhge dans les îles, ou fur les falaifes de la
mer. Ils font de leur naturel prompts , propres à tout
faire, dociles Si fort aifés à indruire f^tj: on peut
les faire voler pendant tout le mois de mai (Se celui
ffj Recueil de tous les oifeaux <Je proie qui fervent à la faucon-
nerie, par G. B. imprimé à la fuite des Fauconneries citées dans h
note précédente , pdge i i -^ , verfo.
/t) Fauconnerie de Jeaii de Franchières , page 2 , reâo.
Oifcdux , Tome I. : Ll
266 Histoire Naturelle
de juin , parce qu'ils font tardifs à muer ; mais aufil
dès que la nuie commence , ifs fe dépouillent en peu
de temps. Les lieux où l'on prend le plus de faucons-
pèlerins, font non -feulement les côtes de Barbarie,
mais toutes les îles de la Méditerranée, Se particulière-
ment celle de Candie , d'oii nous venoient autrefois
les meilleurs faucons.
Comme les Arts n'appartiennent point à l'Hilloire
Naturelle, nous n'entrerons point ici dans les détails
de l'art de la fauconnerie; on les trouvera dans l'En-
cyclopédie fu), dont nous avons déjà emprunte deux
notes. <c Un bon faucon, dit M. le Roi, auteur de
> l'article Fûiicorînerie , doit avoir la tcte ronde, le hec
•> court (Se gros, le cou fort long, la poitrine nerveufe,
> les mahutes larges, les cuifTes longues, les jambes
5 courtes , la main large, les doigts déliés, alongés &
> nerveux aux articles, les ongles fermes Se recourbés,
î les ailes longues; les fignes de force & de courage,
> font les mêmes pour le gerfaut Se pour le tiercelet,
qui eft le mâle dans toutes les efpèccs d'oifeaux de
proie, Se qu'on appelle ainfi, parce qu'il efl d\m
tiers plus petit que la femelle ; une marque de bonté
moins équivoque dans un oifeau, e(l de chevau-
cber contre le vent, c'efl-à- dire, de fe roidir
fu) Voyez cet nrûclc Fauconnerie , au fujet de l'cducaiion des
faucons , de Tes maladies & des foins propres à les prévenir , on
des remèdes nécefiaires pour les guérir. Par AI. U Roy, LieulenùM
its Chajj'es de Sa MajeJIé , à Verfailles,
r,'"! i
PI y.r Pa.) TOC
>>' .'m .i-i
H J>.- /.Mt/iay L^i'-.f.tijf.
I.K FALCON SORT.
Ti^m I
n s ri PaJ 2rc
2>t\i','t\- iklm
LE FAUCON HAGARD
DU Faucon, 26j
contre, 6: fe tenir ferme fur le poing lorfqu'on l'y «
expofe : le pcnnagc d'un fmcon doit ttre Lrun 6i «
tout d'une pièce, c'cfl-à-dire, de même couleur; la «
I)onnc couleur des mains efl de vert-d'eau; ceux dont «
les mains &^ le J>ec font jaunes , ceux dont le plumage «
cflfemc détaches, font moins cAimcs que les autres: «c
on fait cas des faucons noirs, mais quel que foit leur «
plumage, ce font toujours les plus forts en courage «
qui font les meilleurs Il y a des faucons lâches «
6c pareffcux, il y en a d'autres fi fiers, qu'ils s'irritent «
contre tous les moyens de les apprivoifer; il faut"
abandonner les uns Si les autres, ôic »,
M. Forget, Capitaine du vol à Vcrfailles , a Lien
voulu me communiquer la notice fuivante.
« Il n'y a , dit-il , de différence effentielle entre les fau-
cons de difTcrens pays, que par la groffcur ; ceux qui «
viennent du Nord , font ordinairement plus grands que «
ceux des montagnes, des Alpes & des Pyrénées; ceux-ci «
fe prennent, mais dans leurs nids; les autres fe prennent «
au paffage , dans tous les pays; ils paffcnt cv\ odohre év «
en novembre , & repaffent en février &. mars . . . L'âge «
des fiucons fe (\Q(\g\^c trés-diflindement la féconde «
année, c'eft-à-dire, à la première mue, mais dans la fuite
Jes connoiffances deviennent bien plus difficiles; indé-
pendamment des changemens de couleur, on peut les «
diftinguerjufqu'à latroifième mue, c'efl-à-dire, par lu «
couleur des pieds <Sc celle de la membrane du bec «.
Ll ij
ce
<c
268 Histoire Naturelle
OISEAUX ETRANGERS,
Qui ont rapport au Gerfaut & aux Faucons.
L
L
E faucon J'Idande , que nous avons dit ttre une
variété dans l'efpèce de notre faucon commun , 6c
qui n'en diffère en effet, qu'en ce qu'il eft un peu
plus grand & plus fort.
I I.
Voye^ les planches enluminées, n! ^^^>
Le faucon noir qui fc prend au paffage à Malte, en
France, en Allemagne, dont nous avons parlé, 6c que
M/' Frifch fû) 6c Edwards (l^J ont indiqué &i décrit,
qui nous paroît être d'une efpèce étrangère 6c différente
de celle de notre faucon commun; j'obferverai que la
defcription qu'en donne M. Edwards eft exadle, mais
que Al. Frifch n'cfl pas fondé à prononcer, que ce
faucon doit être fans doute le plus fort des oifeaux
de proie de fa grandeur, parce que près de l'extré-
mité du bec fupérieur , il y a une efpèce de dent
triangulaire ou de pointe tranchante , 6c que les jambes
font garnies de plus grands doigts 6c ongles qu'aux
(a) Frifch, tome J , planche Lxxxui.
(h) Edwards ; tome I, page ^, planche JV,
DES Oiseaux étrangers 269
autres faucons ; car en comparant les doigts 6i les
ongles de ce fcUicon noir, que nous avons en nature,
avec ceux de notre faucon , nous n'avons pas trouvé
qu'il y eût de différence, ni pour la grandeur, ni pour
ia force de ces parties; ôl en comparant de même
le bec de ce faucon noir avec le bec de nos faucons,
nous avons trouvé que dans ia plupart de ceux-ci , il
y avoit une pareille dent triangulaire, vers l'extrémité
de ia mandil)ule fupérieure; en forte qu'il ne diifère
point à ces deux égards du faucon commun , comme
M. Frifch femble l'infmuer; au rcfte, le faucon ta-
cheté dont M. Edwards donne la defcription & ia
figure fcj, 6c qu'il dit être du même climat que le
faucon noir, c'efl-à - dire, des terres de la baie de
Hudfon, ne nous paroît être en effet que le faucon-
fors ou jeune de cette même efpèce , Si ])ar conféqucnt
ce n'efl: qu'une variété produite dans les couleurs par
la différence de l'âge, & non pas une variété réelle ou
variété de race dans cette efpèce. On nous a affuré
que la plupart de ces faucons noirs arrivent du côté
du midi; cependant nous en avons vu un qui avoit été
pris fur les côtes de l'Amérique feptentrionafe, près
du banc de Terre-neuve ; Si comme M. Edwards dit
qu'il fe trouve auffi dans les terres voifines de ia baie
de Hudfon , on peut croire que l'efpèce eft fort
répandue, <Sc qu'elle fréquente également les climats
chauds , tempérés ou froids.
^cj Edwards, lome J, page j», planche JJI.
Li ii;
270 Histoire Natv relle
Nous ol)rcr\'erons que cet oiTcau que nous a^ons
eu en nature, avoit les pieds d'un Mcu hicn décide, &
que ceux que l'on trouve rcprcfcntcs dans les planches
enluminées de M/' Ed\\ards &. Frifcli avoient ies
pieds jaunes; cependant il n'ed pas douteux que ce ne
foicnt les mêmes oifeaux : nous avons déjà reconnu
en examinant les balbuzards, qu'il y en avoit à pieds
Meus, &i d'autres à pieds jaunes; ce caraclère efl donc
beaucoup moins fixe qu'on ne l'imaginoit: il en efl
de la couleur des pieds à peu près comme de celle
du plumage; elle varie fouvcnt avec l'âge ou par
d'autres circonflances.
I I î.
L'oiseau qu'on peut appeler \t fiiucon rouge . des
Jndcs orientales, très - bien décrit par Aldro\ande (d) ^
&. à peu près dans les termes fuivans. La femelle qui
cPi d'un tiers plus grofTe que le mâle, a le dcfîus de la
tète large ôi prcfcjue plat : la couleur de lu tète , du
cou, de tout le dos év du dcfTus des ailes, efl d'un
cendré tirant fur le brun ; le bec eft très - gros ,
quoique le crochet en foit afTez petit; la bafe du bec
c(ï jaune , ôi le rcfle jufqu'au crochet efl de couleur
cendrée; la pupille des yeux efl très-noire, l'iris brune,
Ja poitrine entière, la partie fupérieure du deffous des
ailes, le ventre, le croupion &. les cuifles, font d'un
fJJ Fako ruheus indïcus, AIdrcvv. Avl p-'ig- 4^45 fg- 1'^^^^ 4^ J
^ 4^6.
DES Oiseaux étrangers. lyi
orangé preTque rouge: il y a cependant aii-deiîus de
la poitrine fous le menton , une tache longue de couleur
cendrée, 6c quelques petites taches de cette même
couleur fur la poitrine: la queue cft rayée de bandes
en demi -cercle, alternativement brunes (Se cendrées;
les jambes & les pieds font jaunes , <5c les ongles noirs.
Dans le mâle toutes les parties rouges font plus rouges ,
6c toutes les parties cendrées font plus brunes; le htc
eft plus bleu , (Se les pieds font plus jaunes. Ces faucons ,
ajoute Aldrovande , avoient été envoyés des Indes
orientales au grand duc Ferdinand, qui les fit defiiner
vivans (ej. Nous devons obferver ici (|ue Tardif (fj,
Albert (Se Crefcent fgj, ont parlé du faucon rouge
comme d'une efpèce ou d'une variété qu'on connoiiïbit
en Europe , (Se qui fe trouve dans les pays de plaines
<Se de marécages; mais ce faucon rouge ntii pas allez
bien décrit, pour qu'on puiffe dire fi c'efl le même
que le faucon rouge des Indes, qui pourroit bien
voyager (Se venir en Europe comme le faucon pafTager.
I V.
L'oiseau indiqué par Willughby f/ij, fous la déno-
mination (Itfd/co indiens cirmtns, qui eft plus gros cjue
/e) Rouge fluicon efl: (ouvent trouvé es lieux pleins & en marais:
il eft hardi; mais difficile à gouverner. Fauconnerie de Tardif, pnmiàc
partie , chapitre IJI.
(f) Albert, verfo 2^ , cap. XI T.
(o) ^^^^' Grefcentius , lib. X, cnp. ly.
(h) Willughby, Orn'ilhoL pag. 48.
zjz Histoire Natu relle
le faucon, (5c prtTiiie égal a l'autour; qui a fur la tcte
une huppe dont l'extrémité fe clivife en (\c\\\ parties
qui pendent fur le cou. Cet oifeau eft noir fur toutes
les parties fupérieurcs de la tête &. du corps; mais fur
la poitrine 6^ le ventre, fon plumage efl traverfé de
lignes noires (Se blanches alternativement: les plumes
de la queue font auffi rayées de lignes alternativement
noires (?c cendrées; les pieds font couverts de plumes
jufqu'à l'origine des doigts; l'iris des yeux, la peau
qui couvre la bafe du hcc , & les pieds font jaunes;
le bec cil; d'un bleu noirâtre, 6i les ongles font d'un
beau noir.
Au refle, il paroît par le témoignage des Voyageurs,
que le genre des faucons e(l l'un des plus univerfelle-
ment répandus; nous avons dit qu'on en trouve par-
tout en Europe, du Nord au Midi, qu'on en prend
en quantité dans les iles de la jMéditerranée , qu'ils
font communs fur la côte de Barbarie. M. Shaw fij,
dont j'ai trouvé les relations prefque toujours fidèles,
dit qu'au royaume de Tunis, il y a des faucons Si des
cperviers en affez grande abondance, 6c que la chaffe
à l'oifeau efl un des plus grands plaifirs des Arabes 6c
des gens un peu au-deffus du commun : on les trouve
encore plus fréquemment au Alogol (kj 6c en Perfe (IJ,
où l'on
^ï) Voyage de M. Shnw, tome I, page ^ 8p.
(k) On fe fert du faucon, au Mogol , pour la chalTe du daim
& des gazelles. Voyage de Jean Ovington , tome I , page -2 y p.
(l) Les Perfans entendent tout-à-fait bien à enfeigncr les oifeaux
de chaflc,
DES Oiseaux étrangers, 273
où l'on prétend que l'art de la fauconnerie efl plus
de chafle , &: ordinnirement ils drcffent les faucons à voler fur toutes
fones d'oifeaux , & pour cela ils prennent des grues & d'autres oifeaux
qu'ils laiffent aller, après leur avoir bouché les yeux ; aufîjiôt ils font
voler le faucon, qui les prend fort aifement. ... II y a des faucons
pour la chafTe de la gazelle, qu'ils inftruilcnt de la manière qui fuit:
ils ont des gazelles contrefaites { empaillées ) , fur le nez defquelies ils
donnent toujours à manger à ces faucons , «5c jamais ailleurs : après
qu'ils les ont ainfi élevés, ils les mènent à la campagne; & lorlqu'ils
ont découvert une gazelle, ils lâchent deux de ces oifeaux, dont l'un
va fondre fur le nez de la gazelle, &; lui donne en arrière des coups
de pieds : la gazelle s'arrête & fe (ccoue pour s'en délivrer ; l'oileau
bat des ailes pour fc retenir , ce qui empêche encore la gazelle de
bien courir , & même de voir devant elle ; enfin , lorfqu'avec bien
de la peine elle s'en efl défaite , l'autre fiucon qui eft en i'air preild
la place de celui qui efl: à bas, lequel (è relève pour fuccéder à fon
compagnon quand il fera tombé; & de cette forte ils retardent telle-
ment la courlè de la gazelle, que les chiens ont le temps de l'attraper.
Il y a d'autant plus de ])laifir à ces chaiïes, que le pays efl: plat &
découvert, y ayant fort peu de bois. Relation de Thevenot , tome II ,
page 20 Q Voyage de Jean O vingt on , tome I , page ^yp-
— La manière dont les Perfins dreflent les faucons à -la chafle des
bêtes fauves, efl: d'en écorcher une & d'en remj^Iir la peau de paille,
& d'attacher toujours la viande dont on repaît les faucons fur la tête
de cette peau bourrée , que l'on fait mouvoir fur quatre roues par
une machine, tant que l'oileau mange, afin de l'y accoutumer
Si la bête efl: grande , on lâche plufieurs oifeaux après elle , qui la
tourmentent l'un après l'autre Ils fe fervent aulfi de ces oifeaux
pour les rivières «Se les marais , dans lefquels ils vont , comme les
chiens, chercher le gibier. . ,, . . Comme tous les gens d'épée font
chalfeurs , ils portent d'ordinaire à l'arçon de Li felle une petite
timbale de huit à neuf pouces de diamètre, qui ieiu* fert à rappeler
l'oileau en frappant dcfllis. Voyage de Chardin, icmc II , pages ^z
Oifeaux , Tome I. * M ni
274 Histoire Naturelle
cultivé que par-tout ailleurs fm); on en trouve jufqu'aii
Japon, où Kœmpfer (î?J dit qu'on les tient plutôt par
fafle, que pour l'utilité de la cliaiTe, ôc ces faucons du
Japon viennent des parties reptentrionales de cette
île. Kolbe foj fait aufTi mention des faucons du cap de
Bonne-efpérance, Si. Boiman de ceux de Guinée fpj;
en forte qu'il n'y a, pour ainfidire, aucune terre, aucun
climat dans l'ancien continent, où l'on ne trouve
l'efpèce du faucon; & comme ces oifeaux fupportent
très - bien le froid , 6c qu'ils volent facilement (Se
très - rapidement , on ne doit pas être furpris de les
Ù" s 3 ' — La Perfe ne manque pas d'oifeaux de proie ; il s'y trouve
quantité de faucons, d'éperviers & de lannerets, & autres femblables
oifeaux de chafle , dont la Ve'nerie du Roi eft très -bien pourvue,
& on y en compte plus de huit cents: les uns font pour le fangiier,
l'âne fauvage & la gazelle; les autres pour voler les grues, les hérons,
les oies & les perdrix. Une grande partie de ces oifeaux de chafle
s'apporte de Ruffie ; mais les plus grands & les plus beaux viennent
des montagnes qui s'étendent vers le Midi, depuis Schyras jufqu'au
golfe Perfique. Voyage de Dampierre , tome H, page 2^ & fmv.
(m) Les Perfans qui font fort patiens , prennent auffi plaifir à
drefler un corbeau de la même manière qu'ils dreffent un épervicr.
"Voyage de Dampierre , tome II , page 2y.
(n) Kœmpfer, H'ijl. du Japon, tome I, page i J y.
(o) Kolbe, Defcript'ion du cap de Bonne-efpérance, tome III,
page 1^6.
(p) Sur cette côte de Guinée , on voit encore un autre oifeau de
proie, qui reflemble fort à un faucon, & qui, quoiqu'un peu plus
gros qu'un pigeon , eft fi hardi & fi fort , qu'il fe jette fur les plus
greffes poules & les emporte. Voyage de Cuillaume Bofman, lettre i y'
page 2CS>
DES Oiseaux étrangers, ly^
retrouver dans le nouveau continent; il y en a dans le
Groenland (^//J, dans les parties montagneufcs de
J'Amérique feptentrionale Se inéridionalc (^rj, & jufque
dans les îles de la mer du Sud (f).
V.
L'oiseau appelé tanas par les Nègres du Sénégal ,
6c qui nous a été donne par M. Adanfon , fous le nom
dt faucon-pccheur (voye^ les j)lanc1i€s cnlwn'mces, iu f/'S) ^
il refTemhlc prefque en tout à notre faucon par les
couleurs du plumage ; il efl néanmoins un peu plus
petjt, <Sc il a fur la tête de longues plumes éminentes
qui fe rabattent en arrière &: qui forment une efpèce
(q) On trouve dans le Groenland des faucons blajics & gris, en
très-grand nombre, &. plus qu'en autre lieu du monde. On portoit
anciennement de ces oifeaux pour grande rareté aux rois de Dane-
marck, à caufe de leur bonté merveilleule , <Sc les rois de Danemarck
en fuiloient des préfens aux rois & princes leurs voillns ou amis,
parce que la chafle de i'oileau n'cfl du tout point en ulage dans
le Danemarck, non plus qu'aux autres endroits du Septenirion.
Becue'il des Voyages du Nord, tome J , page pp.
/r) On a envoyé plufieurs & diverles fortes de fliucons de îa
neuve Efpaone &: du Pérou aux feigneurs d'Elpagne, d'autant qu'on
cji fait grande eftimc. Il y a même des hérons & des aigles de
diverfes fortes, &. il n'y a point de doute que ces cfpcces d'oifeaux,
& autres fcml:)lablcs , n'y aient pafie bien plus tôt que les lions & les
tigres. Hyi. naturelle des Indes occidentales , par Acojla, page i p j.
> — Nota. L'oifcau que les Mexicains appeloient Hotli, indiqué par
Fcrnandès , paroît être le même que le faucon noir dont nous avons
parlé.
(f) Hift. des Navigations aux terres AuQrales , tome III , page i p y,
Mm \]
27<5 Histoire Naturelle, fc
de huppe, par laquelle on pourra toujours diflinguer
cet oifeau des autres du même genre: il a au/Ti ie bec
jaune, moins courbé & plus gros que le faucon ; il en
diffère encore en ce que les deux mandibules ont des
dentelures très-fenfiblcs; (?c Ton naturel efl au/Ti diffé-
rent; car il pêche plutôt qu'il ne chaffe : je crois que
c'cA à cette efpèce qu'on doit rapporter l'oifeau duquel
Dampierre (t) fait mention fous ce même nom de
fauc oji-pc chair : cr il reffemble, dit-il, à nos plus petits
r> faucons pour la couleur <Sc la figure: il a le bec 6c
» les ergots faits tout de même; il fe perche furies
» troncs des arbres &. fur les branches sèches 'qui
p donnent fur l'eau dans les criques, les rivières ou
» au bord de la mer; & dès que ces oifeaux voient
ï> quelques petits poiiïbns auprès d'eux, ils volent à
» fleur d'eau , les enfilent avec leurs griffes , (Se s'élèvent
aufhtôt en l'air, fans toucher l'eau de leurs ailes»;
il ajoute « qu'ils n'avalent pas le poiffon tout entier,
5> comme font les autres oifeaux qui en vivent, mais
» qu'ils le déchirent avec leur bec, <Sc le mangent
par morceaux ».
(t) Nouveau Voyage autour du monde, par Guillaume Dampierre,
tome 111, page ^j S,
7.J7
LE HO B RE AU (a).
Vove^ les planches enluminées, n. ^^i & 4^2;
L
ir planche XVII de ce volwne.
E Hobreau eft bien plus petit que le faucon , Se
en diffère auffi par les habitudes naturelles : le faucon
cfl plus fier, plus vif (Se plus courageux; il attaque des
oifcaux beaucoup plus gros que lui. Le hobreau eft
plus lâche de fon naturel ; car à moins qu'il ne foit
drelTé, il ne prend que les alouettes 6c les cailles; mais
il fait compenfer ce défaut de courage ôl d'ardeur par
fon induftrie : dès qu'il aperçoit un chafTcur <5c fon
chien , il les fuit d'affez près ou plane au - deffus de
leur tête, Si tâche de faifir les petits oifcaux qui
s'élèvent devant eux; fi le chien fait lever une alouette,
une caille , 6i que le chaifcur la man([ue , il ne la
manque pas: il a Tair de ne pas craindre le bruit, Se
de ne pas connoitre l'effet des armes à feu , car il
s'approche de très-près du chaffeur qui le tue, fouvent
/aj En Anglois, Hobhy ; en Italien, Bacello. — Hobreau. Belon,
////?. nat. des Oifcaux , page i i 8. —SubbuUo. AIdrov. Av'i. tom. I,
pag. 373 Fako arborarius. Aldrov. Avi. tom. I, png. 452.
^Hobreau. Albin, tome 1, page y, pi. VI, avec une figure colorice.
^Litho-Falco five œfahis , Rochier , œfalon. Fiilch,/?/. Lxxxvi,
avec une fioure coloriée. — Le Hobreau. Briflon , Orniîhol. tome I,
pacre 375. —The Hobby, Britikh Zoology , planche A p, avec
une figure coloriée.
Mm iij
278 Histoire Naturelle
Jorfqii'il ravit fa proie: il fréquente les plaines voifines
des bois, & fur-tout celles où les alouettes abondent;
il en détruit un très-grand nombre, & elles connoiffent
fi bien ce mortel ennemi , qu'elles ne l'aperçoivent
jamais fans le plus grand effroi, ôi qu'elles fe préci-
pitent du baut des airs, pour fe caclicr fous l'berbe
ou dans des buiffons : c'efl la feule manière dont elles
puiffent échapper; car quoique l'alouette s'élève beau-
coup, le hobreau vole encore plus jiaut qu'elle, &:
on peut le dreffer au leurre comme le faucon & les
autres oifeaux du plus haut vol • il demeure &. niche
dans les forets où il fe perche fur les arbres les plus
élevés. Dans quelques-unes de nos provinces on donne
le nom de hohrcau (b) aux petits feigneurs qui tyrannifent
leurs païfans, & plus particulièrement au gentilhomme à
lièvre, qui va chaffer chez fes voidns , fans en être prié,
&: qui chalTe moins pour fon plnifirque pour le profit.
On peut obferver que dans cette efpèce le plumage
de l'oifeau eft plus noir dans la première année qu'il
ne l'efl dans les années fuivantes : il y a aufîi dans
notre climat une variété de cet oifeau , qui nous a
paru affcz fingulière pour mériter d'être rcpréfenlée
( voyci les planches enluminées , n!' ^Ji ); les différences
confiffent en ce que la gorge, le deffous du cou, la
(b) Ce nom de Hobreau , nppliquc aux Gentilshommes de cam-
pagne , peut venir aufîi de ce qu'autrefois tous ceux qui n'étoient
point aflez riches pour entretenir une fauconnerie, fc contcntoient
d élever des hobreaux pour la chafle.
Ti^t-I
p: xni/>,.7 x-s
DtJeut dtl
LE HOBlU.vr
DU H 0 B R E A U, 279
poitrine, une partie du ventre <Sc les grandes plumes
des ailes font cendrées <Sc fans taches; tandis que dans
Je hobreau commun, la gorge & le deflous du cou
font blancs , la poitrine & le deffus du ventre blancs*
au/fi , avec des taches longitudinales brunes, & que
Jes grandes plumes des ailes font prefque noirâtres : il
y a de même d'aïïez grandes différences dans les
couleurs de la queue, qui dans Je hobreau commun
eft blanchâtre par-defTous, traverfée de brun, êc quî
dans l'autre e(t abfolument brune. iMais ces différences
n'empêchent pas que ces deux oifeaux ne puifTent être
regardés comme de la même efpèce; car ifs ont la
même grandeur, le même port, Si fe trouvent de ■
même en France ; & d'ailleurs ils fe reffemblent par
un cara6îère fpécifique très-particulier, c'efl qu'ils ont
tous deux le bas du ventre <Sc les cuiffes garnies de
plumes d'un roux vif, & qui tranche beaucoup fur les
autres couleurs de cet oifeau; il n'eft pas même impof-
fible que cette variété , dont toutes les différences fe
réduifent à des nuances de couleurs , ne proviennent
de l'âge ou des différens temps de la mue de cet
oifeau; 6c c'efl encore une raifon de plus pour ne le
pas féparer de l'efpèce commune. Aurefle, le hobreau
fe porte fur le poing, découvert ôl fans chaperon,
comme l'émérillon, l'épervier (5c l'autour; (Se l'on en
faifoit autrefois un grand ufage pour îa chaffe des
perdrix ôi des cailles.
aSo Histoire Natu relle
L A
. CRESSERELLE (a).
Voye^ les planches enluminées , nf ^o i &* ^Ji;
ér planche XVlll de ce yolnme.
L A CrcfTerclle efl l'oifcau de proie le plus commun
dans la plupart de nos provinces de France, &. fur tout
en Bourgogne:
(a) En Grec, Kty^ti ou Ktvp-^iç', Cenchr'is feu m'iliarla dïcitur
hœc avis , ait Gefnerus , quod pundis nigris milii amulis infignis Jil ; en
Latin, Tinmnculus ; en Italien, Canibello , Tiuinculo , Tintarcllo ,
Garinello ; en Efpagnol , Cernicab ou Zernicalo ; en Allemand,
Roethel-weih ou Wannen-ivae/ier, quod alas extendat ( ait Schwcnckfeld )
venûktque injlar ventilabri quod vannum nominant ; en Polonois ,
Pujlolka ; en Anglois, Ke/lril ou Kejïrel. Nota. Ce pourroit être de
ce mot Anglois KeJIrcl, qu'ell dérivé le nom Crijîel que les Bour-
guignons donnent à cet oifcau ; en Écoflc , Stanchel ou Slanntl ou
Stonegall ; on l'a aufîi appelé en vieux François , & encore aduel-
ïcment dans quelques provinces de France, CerccrtUe , Quercerelle ,
EcrecelU, Salerne dit qu'on l'appelle en Sologne, Meij ; à Châlons-
fur-Marne, R ab aille t ; en Provence, Ratier ; en Touraine , Piiriou;
à Saumur, Pilri ; en Beauce , Preneur de mulots, &c. . . Crcflerclle
ou Cercercllc. Bclon , Hijl. nat. des Oifeaux , page 114.. — Tinnun-
culus feu Cenchris. AIdrov. Avi. tom. I, pag. 356. — Crécerelle.
Albin, tome I, page S , planche VU, avec une figure coloriée, qui
efl: celle de la femelle Coc de Windhover. Albin, îome 1 1 J,
planche v> avec une figure coloriée , qui eft celle du mâle. — Tin-
mnculus verus. F nCch , planche LXXXIV, avec une figure coloriée,
qui eft celle du maie Fako rufus. Y nCch, planche LXXXVI II,
avec une figure coloriée, qui efl celle de la femelle. — La Crefferclle.
Briiîon ,
DE LA CrES S Enr.LLE. 281
en Bourgogne: il ny a point d'ancien château ou de
tour abandonnée qu'elle ne fréquente (f^ qu'elle n'iia-
Lite; c'efl fur -tout le matin &i le foir qu'on la \o\t
voler autour de ces vieux bûtimens, 6. on l'entend
encore plus fouvent qu'on ne la \oit; elle a un en
précipité y//^ /'//,^'// ou p'I , pi , pn , qu'elle ne cefle
de répéter en \olant, Si qui cfîraie tous les petits
oifcaux fur lefquels elle fond comme une flèche, 6c
qu'elle faifit avec fes ferres ; fi par hafard elle les manque
du premier coup , elle les pourfuit fans crainte du danger
jufque dans les maifons; j'ai \n plus d'une fois mes
gens ])rendre une creflTerelle &. le petit oifeau qu'elle
pourfuivoit , en fermant la fenêtre d'une chambre ou
la porte d'une galerie, qui étoient éloignées de ])lus
de cent toifcs des vieilles tours d'où elle étoit partie:
lorfqu'elle a faifi 6c emporté l'oifeau, elle le tue 6c le
plume très -proprement a\ant de le manger: elle ne
prend pas tant de peine pour les fouris6c les mulots;
elle avale les plus j)etits tout entiers , 6c déjicce les
autres. Toutes les parties molles du corps de la fouris
fe digèrent dans l'eftomac de cet oifeau ; mais la peau
fe roule 6: forme une petite j^elotc , qu'il rend jxir
Je bec, 6c non par le bas; car fes excrcmens font
prefque liquides Si blanchâtres: en mettant ces pelotes
qu'elle vomit, dans l'eau chaude, pour les ramollir 6c
Briflon, Ornhhol. tome I, pnge 393. — KeJJriL BritUch Zoology,
plancfie A S , fig. i, The mak ; fig. 2, The femak : ces deux
figures font coloiices.
Oifcaux , Tcmc 1, . N n
282 Histoire Natu re lie
ies étendre , on retrouve la peau entière de !a fouris
comme fi on Teût écorchée. Les ducs, les chouettes,
les bufes, & peut-être beaucoup d'oifeaux de proie,
rendent de pareilles pelotes dans lefquelles , outre la
peau roulée, il fe trouve quelquefois des portions
les plus dures des os : il en efl de même des oifeaux
pêcheurs ; les arêtes <Sc les écailles des poifTons fe
roulent dans leur eflomac , 6c ils les rejettent par
ie bec.
La crefTerelle eft un aiïez bel oifeau ; elle a Tccil
vif ÔL la vue très-perçante, le vol aifé <Sc foutenu: elle
efl diligente ôi courageufe; elle approche par le na-
turel, des oifeaux nobles & généreux ; on peut même
la dreiïer , comme les émérillons, pour la fauconnerie.
La femelle eft plus grande que le mâle, & elle en
diffère en ce qu'elle a la tête rouffe , le deffus du dos,
des ailes 6c de la queue rayé de bandes tranfverfales
brunes ; 6c qu'en même temps toutes les plumes de la
queue font d'un brun roux plus ou moins foncé; au
lieu que dans le mâle, la tête & la queue font grifes,
6c que les parties fupérieures du dos & des ailes font
d'un roux vineux , femé de quelques petites taches
noires; on peut voir les différences du mâle 6c de la
femelle dans les planches enluminées que nous avons
citées.
Nous ne pouvons nous difpenfer d'obferver que
quelques-uns de nos Nomenclateurs modernes (l^J,
(b) Brilfon, tome J, page ^yp>
DE LA CrES S ERE LLH, 28j
ont appelé éperyier {les alouettes, la creflereile femelle,
ôi qu'ils en ont fait une efpèce particulière &i différente
de celle de la crefTcrelle.
Quoique cet oifeau fréquente habituellement les
vieux bâtimens, il y niche plus rarement que dans \ts
bois; Si lorfqu'il ne dépofe pas Ces œufs dans àts
trous de murailles ou d'arbres creux, il fait une efpèce
de nid très - négligé , compofé de bûchettes <5v de
racines, 6c affcz fcmblable à cc\u\ des geais, fur les
arbres les plus élevés des forets: quelquefois W occupe
auffi les nids que les corneilles ont abandonnés ; il
pond plus fouvcnt cinq œufs que quatre , (Se quel-
quefois fix & même fept , dont les deux bouts
font teints d'une couleur rougeàtre ou jaunâtre, affcz
fcmblable à celle de fon plumage. Ses petits, dans le
premier âge, ne font couverts que d'un duvet blanc;
d'abord il les nourrit avec des infedles , <Sc enfuite il
leur apporte des mulots en quantité qu'il aperçoit fur
terre du plus haut des airs où il tourne lentement, 6c
demeure fouvent flationnaire pour épier fon gibier fur
lequel il fond en un infiant : il enlève quelquefois une
perdrix rouge beaucoup plus pefmte que lui ; fouvent
auffi il prend des pigeons qui s'écartent de leur com-
pagnie; mais fa proie la plus ordinaire après les mulots
<Sc les reptiles , font les moineaux , les pinçons &. les
autres petits oifeaux: comme il produit en plus grand
nombre que la plupart des autres oifeaux de proie ,
l'efpèce efl plus nombreufe &: plus répandue ; on la
Nn ij
2S-f Histoire Natu relle
trouve Jans toute l'Europe , depuis la Suède (c) juf-
qii*en Italie <?c en Efpagne (^^/j; en la retrouve même dans
les pays tempérés d« l'An-iérique feptentrionale (cj:
plufieurs de ces oifcaux redent pendant toute l'année
dans nos provinces de France; cependant j'ai remarcjué
qu'd y en avoit beaucoup moins en hiver qu'en été,
ce qui me fait croire que plufieurs quittent le pays,
pour aller paffcr ailleurs la mauvaife faifon.
J'ai fait élever plufieurs de ces oifcaux dans de
grandes volières; ils font, comme je l'ai dit, d'un
très-beau blanc pendant le premier mois de leur vie,
après quoi les plumes du dos deviennent roufhltres (5c
brunes en peu de jours: ils font robudcs <Sc aifés à
nourrir; ils mangent la viande crue (ju'on leur préfente,
à quinze jours ou trois femaincs d'âge; ils connoiiTent
Lientôt la perfonne ({ui les foigne, 6: s'apprivoifcnt
aiïez pour ne jamais l'offenfer: ils font entendre leup
voix de très - bonne heure, & quoiqu'enfermés , ils
répètent le même cri qu'ils font en liberté: j'en ai vu
s'échapper & revenir d'eux-mêmes à la volière, après
un jour ou deux d'abfence, 6c peut-être d'abftincncc
forcée.
Je ne connois point de variétés dans cette efpèce
que quelques individus qui ont la tête <Sc \^% deux
(c) Linn. Faun. Suec. n." ôy.
(d) AlJrov. Av'i. toin. I, pag. 3 5 5,
(t) Hvim Sloane, Jamdic. pag. 294.
T,in I
n xrm Pa^^ xs+
r>--^
<>S
\)
P ■ M
J(a^d Tker Jl.'u.'.'cUt
1- A C K F. S S E RE L L E .
DE LA CrES S E RELLË. 285
plumes (îii niilieu de la queue grifes , tels qu'ils nous
font reprcfentés par AL Frifch (planche LXXXV ) ;
mais j\î. Salerne fait mention J'une crefTerelîe jaune
qui fe trouve en Sologne, 6c dont les œufs font de
cette même couleur jaune. « Celte crelTerellc , dit-il ,
efl rare, & quelquefois elle fe bat gcnércufement ^c
contre le jean-le-blanc , qui, quoique plus fort, c^i «
fouvent obligé de lui céder : on les a vus , ajoute-t-il , ce
s'accrocher enfemble en l'air, c^ tomber de la forte «c
par terre comme une motte ou une pierre: » ce fait
me paroît bien fufpeél; car l'oifcau jean-le-blanc efl
non -feulement très - fupéricur à la crcfTcrelle par la
force; mais il a le vol (5c toutes les allures fi différentes,
qu'ils ne doivent guère fe rencontrer.
Nn ji)
286 Histoire N atv r e lle
L
LE RO C H I E R (aj.
Voje:^ les planches enluminées , nf 44 J-
*orsEAU qu'on a notinné faucon de roche ou
rochïcr , n'eft pas fi gros que la crefTerelIe , (Se me
paroît fort femblable à l'émérilion , dont on fe fert
clans la fauconnerie; il fait, difent les Auteurs, fa
retraite 6c fon nid dans les rochers. M. Frilch cft
le fcul avant nous qui ait donné une bonne indica-
tion de cet oifeau , 6c Ton peut comparer dans fon
ouvrage, la figure du rochier, y'/^;/<://<? ix x XV n , ?l\ te
la nôtre, 6c aulTi avec les crefTerelles mâle 6: femelle,
qui , toutes trois font afTez bien rendues; leurs rapports
de reilemblance 6; de difîérence, font encore mieux
exprimes dans nos planches enluminées : en confidé-
rant attentivement la forme 6c les cara(5tères de cet
oifeau , 6c en les comparant avec la forme 6: les
cara6tères de l'efpèce d'émérillon , dont on fe fert
dans la fauconnerie, 6c que nous avons fait repré-
(a) Litlio-falcus. Ccfner, Av'i. pag. 75. — Falco hpîdarius. Aicirov.
Av'iAom. I, pag. 499- — Dendro-falco five /merlus. Emérillon. Frifch,
planche LXXXVII , avec la figure coloriée. — Le Faucon de roche
ou Rochier. Briflon , Ornithol. tome I, page 34.9. Nota. Il me paroît
qu'on doit rapporter à cette cfpcce le faucon de montagne cendre;
Briflon, tome I, page ;?/J> ou le Falconis monîani fecundum genus
d'AIdrovande, Avi. tom. I, pag. y^; ôc que ces Auteurs ont fait un
double emploi en fcparant ces deux efjpèccs d'oifeaux.
DU R 0 C H I E R. 287
Tenter ;/.* ^(f^ , nous fommes très-portés à croire que
le rochier &i cet unérillon font de la incme crpèce,
ou du moins d'une cfpèce encore plus voifme l'une
de l'autre, que de celle de la creiïerelle. On verra dans
l'article fuivant, qu'il y a deux efpèces d'émérilfons ,
dont la première approche beaucoup de celle du ro-
chier, <Sc la féconde de celle de la crefTerelle; comme
tous ces oifeaux font à peu près de la même taille,
du même naturel, ôl qu'ils varient autant Si plus par
le fexe &: par l'âge, que par la différence des efpeces,
il eft très-difficile de les bien reconnoître, 6i ce n'eft
qu'à force de comparaifons faites d'après nature, que
nous fommes parvenus à les diflingucr les uns des autres.
a88 Histoire Naturelle
L'ÉMÉRILLO N (a).
Vo)\ Icsplanclics enluminées, il ^(f S ; cT planche XIX
de ce rohnnc.
L
'oiseau dont il efl ici queflion , n'cfl point l'cmc-
riiion des Naturalises, mais l'cmcrilion des Fauconniers,
fjui n'a été indiqué ni bien décrit par aucun de nos
Nomcnclateurs , cependant c'eft le véritable émérillon
dont on fe fert tous les jours dans la fauconnerie, <Sc
c]ue l'on drefïe au vol pour la chaiïe; cet oifeau efl,
à l'exception des pie-gricches, le plus ])ctit de tous
Jes oifcaux de proie, n'étant que de la grandeur d'une
grofTe grive, néanmoins on doit le regarder comme
lin oifeau noble, év qui tient de plus prés qu'un autre
à l'efpéce du fluicon; il en a le j)lumage (b) , la forme
& l'attitude; il a le même naturel, la mc/ae docilité,
<îk tout autant d'ardeur 6: de courage : on j)eut en
faire un bon oifçau de cbalTe pour les alouettes, les
cailles, 6c même les perdrix qu'il prend é^ tranfporte,
(a) En Grec, A'iJK.Aa'v , quod omn'i tcrrpore apparent; en Latin,
(tfalo ; en Italien, Smerlo ou Smerig/io ; en Allemand, Afjirle ou
Sinyrltn; en Pologne, Oriemhk; en Anglois, AUrl'in; en Lcoffe ou
appelle le mâle, Jack; en vieux François, Loyelte ; en quelques })ro-
vinces de France, Pûjfetier, Preneur de Pdlfe ou Pûjferets. — 77r Alm'in,
Briiifch Zoology , planche A 12.— Frilch , tome 1 , page S p.
(b) Nota. Il refTcmble en eflct par les nuances ôi la diftribution
des couleurs :iu laucon-iors,
quoique
DE L' É M É R I L L ON. 2S9
quoique beaucoup plus pcfantcs que lui ; fouvcnt il \ts
tue d'un feul coup, en les frappant de reflomac, lur
la tête ou fur le cou.
Cette petite efpèce, fi voifine d'aiileurs de celle du
faucon par le courage 6c le naturel (c) , refTcnd^le
néanmoins plus au hobreau par la figure , &. encore
plus au rocliicr; on le diflinguera cependant du ho-
breau, en ce qu'il a les ailes beaucoup plus courtes,
d qu'elles ne s'étendent pas à beaucoup près jufqu'à
l'extrémité de la queue, au lieu que celles du bobreau
s'étendent un peu au-delà de cette extrémité; mais,
comme nous l'avons déjà fait fentir dans l'article
précédent, fes reffemblances avec le rochier font fî
grandes, tant pour la groffeur &: la longueur du corps;
la forme du bec, des pieds &. des ferres; les cou-
leurs du plumage, la diflribution des taches, &c...
qu'on feroit très - bien fondé à regarder le rochier
comme une variété de Témérillon , ou du moins
comme une efpèce fi voifme, qu'on Ao'w. {\.\{]^cx\(\xt
fon jugement fur la diverfité de ces deux efpèces:
au refte, l'émérillon s'éloigne de l'efpèce du faucon
& de celle de tous les autres oifeaux de proie, par un
attribut qui le rapproche de la claffe commune des
autres oifeaux ; c'eil que le mâle &. la femelle font
(c) Plufieurs Auteurs a)ant fait la remarque de la conformité de
rémcriUon avec le faucon , l'ont appelé pttlt faucon , falco parvus
mediniis. Schwenckfeld , Avi. Sil. p. g. 345>. — Falcouellus. Rzac.
jiuâ. Hijf. nat. Pol. pag. 35^.
Oifeaux j Tome L . O ck
2^o Histoire Natu relle
dans rcmcrillon de ia mérne grandeur, au lieu que
dans tous les autres oifeaux de proie, le mâle efl bien
plus petit que la femelle : cette (jngularité ne tient
donc point à leur manière de vivre, ni à rien de tout
ce qui diftingue les oifeaux de proie des autres oi-
feaux; elle fembleroit d'abord appartenir à la grandeur,-
parce que dans les pie-grièches , qui font encore p!u$
petites que les émérillons, le mâle &. la femelle font
auiïl de la même groffeur; tandis que dans les aigles,
jes vautours , les gerfauts , les autours , les faucons
Ôi les éperviers, le mâle efl d'un tiers ou d'un quart
plus petit que la femelle. Après avoir réfléchi fur cette
fingularitc, ôi reconnu qu'elle ne pouvoit pas dépendre
des caufes générales, j'ai recherché s'il n'y en avoic
pas de particulières auxquelles on pût attribuer cet
effet; & j'ai trouvé en comparant les paflages de ceux
qui ont difTéqué des oifeaux de proie, qu'il J a dans
la pluj)art des femelles un double cœcum aiïez gros
<Sc affez étendu ; tandis que dans les mâles il n'y a,
qu'un cœcum, êi quelquefois point du tout: cette
différence de la conformation intérieure, qui fe trouve
toujours en plus dans (es femelles que dans les mâles»
peut être la vraie caufe pliyfique de leur excès en
grandeur. Je laiffe aux gens qui s'occupent d'anatomie
à vérifier plus exaélement ce fait, qui feul m'a paru
propre à rendre raifon de la fupériorité de grandeur
de la femelle fur le mâle, dans prefque toutes les
efpèces des grands oifeaux de proie.
È> E L* É M É R 1 L L 0 N, 2<)i
L'cmcrilion vole kis , quoique très - vite &. tres-
Icgèrement; il fréquente les bois & les buiiïbns pour y
faifir les petits oifeaux , Si ciiafTe fcul fins être accom-
pagné de fa femelle; elle niclie dans les forêts en
montagnes, 6c produit cinq ou fix petits.
Mais indépendamment de cet émcrillon dont nous
venons de donner i'hifîoire &. la repréftntation , il exifle
une autre efpèce d'émcrillon mieux connue des Natura-
lises, dont M. Frifcli a donne la figure ff/. Lxxxix ),
âc qui a été décrit d'après nature par M. Briffon ,
tome I , jmge ^^2 : cet émérillon diiière en effet par
un affez grand nombre de caractères de l'émérillon des
Fauconniers; il paroît même approcher beaucoup plus
de i'cfpèce de la crefTerclle, du moins autant qu'il
nous efl permis d'en juger par la repréfentation , n'ayant
pu nous le procurer en nature; mais ce qui fcmble
appuyer notre conjedure, c'efl que les oifeaux d'A-
mérique qui nous ont été envoyés fous les noms
d émérillon de Cayeime ( voyc^ les p lunch es enluminées ,
Ti." -f-ffjj^ &: émérillon de Saint-Domingue f voye^ les
planches enliimmées , nf -^(fj), ne nous paroiffent être
que des variétés d'une feule efpèce , &. peut-être l'un
de ces oifeaux n'efl-il que le mâle ou la femelle de
i'autre; mais tous deux reffemblent fi fort à l'émérillon
donné par M. Frifch , qu'on doit les regarder comme
étant d'efpèce irès-voifine ; (Se cet émérillon d'Europe,
auffi - bien que ces émérillons d'Amérique dont \çs^
^fpèces font fj voifjnes, paroîtront à tous ceux qui
O o i;
2Ç2 Histoire Naturelle
les confidèreront attentivement beaucoup plus près cfe
la crefTerelle que de l'cmérillon des Fauconniers: ii fe
peut donc que cette efpèce ait pafTé d'un continent à
l'autre; ai en effet M. Linnaeusfait mention des crefle-
relies en Suède, Si ne dit pas que les émérillons s'y
trouvent; ceci fembic contirmer. encore notre opinion,
que ce prétendu éménllon des Naturalises n'efl qu'une
variété, ou tout au plus une efpèce très-voifine de
celle de la crefferelle ; on pourroit même lui donner
un nom particulier, û on vouloit la diflinguer, foif de
l'émérillon des Fauconniers, foit de la crefferelle, &
ce nom feroit celui qu'on lui donne dans les îles
Antilles. « L'émérillon, dit le P. du Tertre , que nos
habitans appellent ^/j)' gfj , à caufe qu'en volant il
> jette un cri qu'ils expriment par ces fyllabes^ry^-ry^.
I) eft un autre petit oifeau de proie qui n'efl guère
plus gros qu'une grive; i{ a toutes les plumes de
> deffus le dos &. des ailes rouffes , tachées de noir,.
> ai le dclfous du ventre blanc, moucheté d'hermine;
> il efl armé de bec Se de griffes à proportion de fa
i grandeur; il ne fait la chaife qu'aux petits lézards 6c
aux fauterelles, Si quelquefois aux petits poulets quand
ils font nouvellement éclos; je leur en ai fait lâcher'
i) plufieurs fois , ajoute-t-il; la poule fe défend contre
lui Si lui donne la chaffe ; les habitans en mangent,.
mais il n'efl pas bien gras f'JJ ».
fdj Hift. i-iat. des Antilles, par du Tertrç, tome If, pages 2jj
y/ A7-V r.i.i -1 J-
53^^^^?^^
J\ <'<> <
i/emertllots
DE L' É M É R I L L 0 N 293
La refTemblance du cri de cet émérillon du P. du
Tertre fej, avec le cri de notre crefTerelle efl encore
un autre indice du voifinage de ces efpèces ; Ôi il
me paroît qu'on peut conclure afTcz pofitivement que
tous ces oifeaux donnés par les Naturaiifles , fous les
rîoms (ïémér'il/on d'Europe ^ émérillon de la Cûrolme ou
de Cayenne ; df émérillon de Saint - Domingue ou des
'Antilles , ne font qu'une variété dans i'efpèce de la
crefTerelle à laquelle on pourroit donner le nom de
§ry gry pour la djflinguer de la crefTerelle commune.
(c) Nota. Le cri de la crefîerclle efl pri pri , ce qui approche
beaucoup de gry gry , qui e(l le nom qu'on donne aux Antilles à
cet oiieau à caulê de Ion cri.
Oo il
"i
29-f HiSTOinE N ATU RE LLE
LES
P I E-G R I EC H E S.
c
ES oifeaiix, quoique petits, quoique dclicats Je
corps <S^ de membres , doivent néanmoins par leur
courage , par leur large bec , fort (5c crochu ; <Sc par
leur appétit pour la chair, être mis au rang des oifeaux
de proie, même des plus fiers (Se des plus fanguinaires;
on cfl toujours étonné de voir l'intrépidité avec laquelle
une petite pie-grièche combat contre les pies, ks
corneilles, les crefferelles, tous oifeaux beaucoup plus
grands Si plus forts qu'elle; non-feulement elle combat
pour fe défendre, mais fouvent elle attaque, & tou-
jours avec avantage, fur -tout lorfque le couple fe
réunit pour éloigner de leurs petits les oifeaux de
rapine; elles n'attendent pas qu'ils approchent, il fuflit
qu'ils paffent à leur portée , pour qu'elles aillent au
devant; elles les attaquent à grands cris, leur font des
blefllircs cruelles, ôl les chaiïent avec tant de fureur,
qu'ils fuient fouvent fins ofer revenir; Se dans ce
combat inégal contre d'auHl grands ennemis, il cfl
rare de les voir fuccomber fous la force, ou fe laiffcr
emporter; il arrive feulement qu'elles tombent quelque-
fois avec l'oifeau contre lequel elles fe font accrochées
avec tant d'acharnement, que le combat ne finit que
par la chute (5c la mort de tous deux : auiU les oifeaux
DES P 1 E-C R I È C H E S. 295
de proie les plus braves les refpedent; les milans,
les biifes, les corbeaux paroiiïent les craindre &. les
fuir plutôt que les clierclier; rien dans la Nature ne
peint mieux Ja puifÏÏince ôi les droits du convàgç ,
que de voir ce petit oifeau qui n'efl guère plus gros
qu'une alouette, voler de pair avec les épcrviers, les
faucons ôl tous les autres tyrans de Tair ,' fans les
redouter; <Sc chaffer dans leur domaine, fans craindre
d'en être punis ; car quoique les pie-grièches fe nour-
riffent communément d'infedes, elles aiment la chair
de préférence: elles pourfuivent au vol tous les petits
oifeaux ; on en a vu prendre des perdreaux 6i de jeunes
levreaux ; les grives , les merles , 6; les autres oifeaux
pris au lacet ou au piège, deviennent leur proie la plus
ordinaire ; elles les faififfent avec les ongles , leur crèvent
la tête avec le bec , leur ferrent 6c déchiquètent le cou ,
6>L après les avoir étranglés ou tués, elles les plument
pour les manger , les dépecer à leur aifc , (Se en emporter
dans leur nid les débris en lambeaux.
Le genre de ces oifeaux eft compofé d'un affez
grand nombre d'efpèces; mais nous pouvons réduire
à trois principales ceux de notre climat, la première
eft celle de la pie-grièche grife, la féconde celle de
ia pie-griècbe rouffe , <Sc la troifième celle de la pie-
grièche appelée vulgairement Vécorchnir. Chacune de
ces trois efpèccs mérite une dtlcription particulîère,
6c contient quelques variétés que nous allons indiquer.
296 Hi STO I RE Naturelle
L A
PIE-GRIÈCHE GRISE (a).
Vojei les planches enluminées j uf 4^y; èr planche XX
de ce yolume.
V_>ETTE Pie -gricche grife efl très - commune dans
nos provinces de France, Si paroît être naturelle à
notre climat, car elle y pafTe l'hiver (5c ne le quitte en
aucun temps; elle habite les bois 6i les montagnes en
été, &i vient dans les plaines & près des habitations
en hiver; elle fait Ton nid fur les arbres les plus élevés
des bois ou des terres en montagnes ; ce nid efl
compofé au dehors de mouffe blanclie entrelafTéc
/a) En Grec moderne, KoA\i»d^(i)v; en Latin, Lan'ius ; en Italien,
Gaip. fperviera , Fakondlo , OrfJIo , Cajlrica , Verla , Straga-^ma ,
Hûga—yia ; en Savoye , Alontagaffe , Arncat ; en Bourgogne,
Pouchari ou Bouchari , mot qui vient de TAnglois Butcher , Butchery ,
qu'on prononce en François Boutcher , Boutchery , Boucher , Boucherie;
en Allemand, Thorn-Kret^er , Thorn- Tracer; Walot-he , Warkengel ;
Nun-moerder , Nuri-toeJer ; en Poionois, d'Z'ier-^ba , Strokos, Wiekfy;
en Suède, Warfogel ; en Anglois, Butchtr - bird , Adder - bhd ^
Aïatagajfe. — Lan'ius Cinereus. Gefner , Avi. pag. 579. Cum icône
maris. — Collurio. Aldrov. Avi, tom. I , pag. 389. Cum icône fceminœ.
— Grande Pie-grièchc. Bclon, Hijl. naturelle des Oifcaux , page 126;
fg. page 127. — Cajirica pnlumbina. Olina^ pag. 41 , avec une
ligure. — Grand Ecorcheur cendré. Albin, tome II , page p , avec
une figure coloriée, planche XI 11. — Lanius médius feu fecundus^
P'ica mediœ magnitudinis, Frilcb, tab, LX. Lones maris ù' faminœ.
d'iierbes
t>E LA Pi E-G RI ècH E GRISE. 297
(J'herhcs longues, 6c au dedans il eft bien double &
taj)inc de iaine; ordinairement ii efl appuyé fur une
Lranche à double <S: triple fourche ; la femelle qui ne
diffère pas du mâle par ia groffeur , mais feulement
par la teinte des couleurs plus claires que celles du
mâle, pond ordinairement cinq ou fix & quelquefois
fept, ou même huit œufs, gros comme ceux d'une
grive; elle nourrit fes petits de chenilles 6c d'autres
infecftes dans les premiers jours, <5: bientôt elle leur
fait manger de petits morceaux de viande que leur père
Jeur apporte avec un foin (Se une diligence admirables;
])ien différente des autres oifeaux de proie qui chaffent
Jeurs petits avant qu'ils foient en état de fe pourvoir
d'eux-mêmes, la pie-grièche garde Sl foigne les ficns
tout le temps du premier âge , & quand ils font adultes,
elle les foigne encore ; la famille ne fe fépare pas , on les
voit voler cnfemble pendant l'automne entier , <5c
encore en hiver, fans qu'ils fe réuniffent en grandes
troupes: chaque famille fait une petite bande à part,
ordinairement compofée du père , de la mère 6c de
cinq ou fix petits, qui tous prennent un intérêt com-
mun à ce qui leur arrive, vivent en paix, & chaffcnt
de concert, juf({u'à ce que le fentiment ou le befoin
d'amour, plus fort que tout autre fentiment, détruife les
liens de cet attachement, 6c enlève les cnfins à leurs
parcns; la famille ne fe fépare que pour en former de
nouvelles.
Il efl aifé de rcconnoître les pie-grièches de loin,
Oifeaux, Tome I, . Pp
298 Histoire Naturelle
non-feulement à caufe de cette petite troupe qu'elles
forment après le temps des nichées, mais encore à leur
voi qui n'efl ni direct, ni oblique à la même hauteur,
6c qui fefait toujours de bas en haut, 6c de haut en bas,
alternativement 6c précipitamment ; on peut aulfi les
reconnoître, fans les voir à leur cri aigu rrûu'r trcu'i, qu'on
entend de fort loin, 6c qu'elles ne ceiïent de répéter
lorf(|u'elles font perchées au fommet des arbres.
Il y a dans cette première cfpèce, variété pour la
grandeur, 6c variété pour la couleur: nous avons au
Cabinet une pie-grièche qui nous a été envoyée
d'Italie, 6c qui ne diffère de la pie-grièche commune,
que par une teinte de roux iur la poitrine 6c le ventre
(voyt':^ les plcinchcs enluminées , nf J2 , figure i ) , on en
trouve d'abfolument blanches dans les Alpes (b) , 6c
ces pie - grièches blanches, au/Ti-bien que celles qui
ont une teinte de roux fur le ventre , font de la même
grandeur que la pie-grièche grife, qui n'cft elle-même
pas plus groffe que le rnauvis (c) , autrement la grive-
mmiviette (d) ; mais il s'en trouve d'autres en Allemagne
6c en SuifTe qui font un peu plus grandes, 6c dont
(b) Lanius alhus. Aldrov. Av'i. tom. I, png. 387. Cum icône.
(c) lanius major. Gehicr, Avi. pag. 581. Cum icône. — Pic a cinerea
feu lanius major. Frilch, tab. LIX , avec des figures colorices du mâle
& de h femelle.
/cJ) Nota. Elle diffère de h première en ce qu'elle eft plus grande
& plus grofie, & en ce qu'elle a les plumes Icapubircs & les petites
couvertures du deflus des ailes d'une couleur roufiâtrc; mais comme
DE LA PjE'Cni ÈCHE GRISE. 299
quelques Natiiralifîes ont voulu faire une crpècc par-
ticulière, quoik]u'il n'y ait aucune autre différence entre
ces oifcaux que celle d'un peu plus de grandeur, ce
qui pourroit ])ien provenir de la nourriture, c'cfl-à-
d/re, de l'abondance ou de la difette des pays qu'ils
Jiahiteut; ainfi la pie-gricche grife varie, même dans
nos climats d'Europe , par la grandeur & par les cou-
leurs: on ne doit donc pas être furpris fi elle varie
encore davantage dans des climats plus éloignés, tels
que ceux de l'Amérique, de l'Afrique & des Indes;
Ja pie-grièche grife de la Louifinne {rojri les plaîichcs
cnhan'mccs , n!' ^yô' , figure 2 ) ell le même oifeau que
Ja pie-grièche grife d'Europe, de laquelle clic paroît
différer audi peu que \di pie-grièche d'Italie; on n'y
remarqueroit même aucune différence bien fenfd)le,
fi elle n'étoit pas un peu plus petite év un peu plus
foncée de couleur fur les parties fupérieures du corps.
La pie-grièche du cap de Bonne -efjx^rance (c) ,
elle icflcmLlc pnr tout le reflc à la pie-grièche commune, ces di/Te-
rcnces , qui j^cut-ctrc ne (ont j^as géncmles ni bien confiantes, ne
nous paroiflcnt pas ruffijantcs pour ct..blir une elj)èce tliilin<fle &
fej^aree de la première.
(i) Nota. C'eft à cette efpèce qu'on doit nuffi mj^porter Poilcau
des Indes orientales, que les Anglois qui fréquentent les côtes de
Bengale ont appelé D'wl-b'ird ( l'horloge ou le cadran ) , & qui a été
indiqué par Albiji, /rwr JU , p^ge S, avec des figures coloriées du
nulle fp/. XVJl), di de la femciic ('p/. XVII j) : « cette pie-gricche,
dit-11 , ert grande à peu près comme notre pie-grièche griie, avec <x.
le bec noir , les coijis de la Ijouchc jauiies , l'iris des yeux de la c<;
Ppij
300 Histoire Naturelle
( voyei les planches enhwùnces , fif ^77, figH''^ ^ ), ^3
pie-grièclie gnfc du Sénégal (vû)'e^ les ylanchcs enbi'
îjî'mées, îif 2^7, iîgire i ) <?c la pie-grièclie bleue de
Madagafcar (voye-(^ les planches enluminées , nf 2j^Sj
figure /y*, font encore trois variétés très- voifines l'une
de l'autre, (5c appartiennent également à refpèce com-
mune de la pie-grièche grife d'Europe; celle du Cap
ne diffère de celle d'Europe qu'en ce qu'elle a toutes
les parties fupérieures du corps d'un brun noirâtre;
celle du Sénégal les a d'un brun plus clair, (Se celle
de Madagafcar a ces mêmes parties d'un beau bleu;
mais ces diltérences dans la couleur du plumage, tout
Je rede étant é<ral <Sc femblable d'ailleurs, ne fuHifenC
pas à ])eaucoup près pour en faire des efpèccs dilîinéles
^ féparces de la pie-grièche commune. Nous donne-
rons plufieurs exemples de cliangemens de couleur
tout aulfi grands dans d'autres oifeaux , même dans
notre climat ; à plus forte raifon , ces changemens
doivent -ils arriver dans des climats differens 6c aufli
éloignés les uns des autres: l'iniiuence de la tempé-
rature fe marque par des rapports que des gens atten-
tifs ne doivent pas laifTer échapper; par exemple, nous
>5 même couleur, les jambes & les pieds bruns: le mâle a b têie,
» le cou, le dos, le croupion, les couvertures du deflus de la queue^
» les plujiie:> Icapulaiics, la gorge & la poitrine noires; le ventre, les
•» côtés ^ lei couvertures du délions de la queue blanches ; toutes les
» plumes de la queue également longues, noires en deflus & blanches
» en defious : la femelle ne diliife du mâle qu'en ce <^uc le^ couleurs
font moins foiicees».
Timi !
PI XX Fa4f dûo
Je .'-.rr ,/,/
JUi/\>n /. Il//
l.A FrE-CRI^X UK GUISK
DE LA PjE'CRI ÈCHE CRISE. 30I
trouvons ici que la pie-grièche étrangère qui reffemble
je plus à notre pie - grièche d'Italie, efl celle de la
Louifiane: or la température de ces deux climats n'eft
pas fort inégale ; ôc nous trouvons au contraire que
celle du Cap , du Sénégal Ôl de Aladagafcar reiïemhle
inoins, parce que ces climats font en effet d'une
température très-différente de celle d'Italie.
Il en eft de même du climat de Cayenne, où la pjc-
grièche prend un plumage varié ou rayé de longues
taches brunes fvojei les planches enluminées , nf 2p/ J ;
mais comme elle eft de la même grandeur que notre
pie-grièche grife, <Sc qu'elle lui reffembleà tous autres
égards , nous avons cru pouvoir la rapporter avec
fondement à cette efpèce commune.
L A
PIE'GRIECHE ROUSSE (a).
Vove^ les -planches enlniniiices , il j?, J%. 2, le mâle;
é^ IL ^ I y fg. I , la femelle.
V^ETTE Pie-grièche rouffe efl un peu plus petite
que la gnfe, <Sc très-aifée à reconnoitre par le roux
/a) Cotlurlonis pr'imum genus. AlJrov. Àvï. tom. I, pag. 389.
Cum icône maru. — tcorcheur à têie rouge. Albin, tome II, pa^t > 0,
avec une tii'ure coloriée du mâle, planche X v J . . . Petit tcorcheur
fcaiiilc. idan , iùiutin , avec une figure colorite de la femelle ,
Pp uj
302 Histoire N atu r r lle
«ju'elle Jt fur U tête , qui efl qLiel({uefois rouge 6z
erdinaircment d'un roux vif; on peut aufli remarquer
qu'elle a les yeux d'un gris blanchâtre ou jaunâtre; au
Jieu que la pie - grièche grife Jes a bruns ; elle a aulîi
te l)ec Si les jambes plus noires: le naturel de cette
pie - grièche roufTe eO; à très - peu près le même que
celui de la p^e - grièche grife : toutes deux font aufie
hai'dics , auui méchantes l'une que l'autre; mais ce
qui prouve que ce font néanmoins deux cfpèces diffé-
rentes, c'eft que la première rcdeau pays toute l'année;
au heu que celle-ci le (juitte en automne, S^ ne revient
qu'au printemps; la famille qui ne fe fèpare pas à la
fortie du nid, & qui demeure toujours raiïemblée ,
part vers le commencement de fcj)tcmbre , fans fe
réunir avec d'autres faniilles , <Sc fans faire de lon^rs
vols: ces oifcaux ne vont que d'arbre en arbre, (Se ne
voient pas de fuite, mèm« dans le temps de leur dé-
part; ils refient pendant l'été dans nos campagnes, <Sc
font leur nid fur quelque arbre touffu; au lieu que la
pie - grièche grife habite les bois dans cette même
faifon , (Se ne vient guèc/s dans nos plaines que quand
la pie - grièche roufTe eA partie : on prétend auffi que
de toutes les pie-grièches celle-ci efl la meilleure,
planche X V — Pica min'ima ; Lon'ius m'wor feu tert'ivs. Frifch , îûb. LXI,
avec des figures coloriées du mâle & de h femelle. — Ampelis dorfo
gr'tfeo macula ad oculos longitudinaïi ( fœiniiia ). Linn. Faun. Suec. wb. 2,
n.° 180. — Lanius rufus, La Pie-grièche roufîe, BrifTon, tome II,
page i^y.
DE LA PlE-GkiÉCHE ROUSSE, 30]
OU fi l'on veut, la feule, qui foit bonne à mani^er fl^J.
Le maie <Sc la femelle font à très - peu près de la
même groffcur; mais ils diflerent j^ar les couleurs a/Fez
pour paroître des oifeaux de différente efpèce : nous
renvoyons fur cela aux planches enluminées (|ue nous
venons de citer, <5c qu'il fuffira de comparer pour le
reconnoitre; nous obferverons feulement au fiijet de
cette efpèce & de la fuivante, appelée Vécorcheur, que
ces oifeaux font leur nid avec beaucoup d'art 6c de
propreté , à peu près avec les mêmes matériaux
qu'emploie la pie-grièche grife; la mouffe 6c la laine
y font fi bien entrelaffées avec les petites racines
foupics, les herbes tines 6c longues, \ti branches
pliantes des petits arbuftes , que cet ouvrvige paroit
avoir été tiffu: ils produifent ordinairement cinq ou
fix œufs, 6c quelquefois davantage; 6c ces œufs dont
k fond eft de couleur ])lancluure, font en tout ou en
partie tachés de brun ou de fauve.
(h) Lnn'ws m'mor rutifus aJ c'ibum aptior rel'iquis, dt'lkalus àf faluhns*
Sehwcnckicld, 'Ihenotrûp. Sit. p;ig. 25)2.
304 Histoire Naturelle
L'ÉCO RCH EU R (^)-
Vû/e^ les planches cnlum'inces , 71 f ^ i , fgure 2 ;
ér iu 47fjfpiy^ i > & planche XX l de ce volmne.
JLj'écorch£ur eft un peu plus petit que la pie-grièche
roufre,ô: lui rclTemhle aiïez parles habituclcs naturcHes,
comme elle il arrive au printemps , fait Ton nid fur des
arbres ou même dans des huiifons en pleine campagne
& non pas dans les bois, part avec fa famille vers le
mois de fcptembre , fe nourrit communément d'infedes,
ai fait aufli la guerre aux petits oifeaux; en forte qu'on
ne peut trouver aucune différence efTentielle entr'eux,
finon la grandeur, la diflribution & les nuances des
couleurs, qui paroiffcnt être conflamment différentes
dans chacune de ces efpèces, tant celles du maie que
celles de la femelle ; néanmoins comme entre le mâle
6c la femelle de chacune de ces ^q,\w efpèces il y a
(a) Petite Pie-grièche, Pie-efcrayère, Pie-ancroucllc. Bclon, H\Jf,
nat. des Oifeaux , pnge 128; & Portraits d'Oife aux , page 2 i , redo,
avec figure. — Collurion'is parv'i îert'ium genus. Aldrov. Av'i. tom. I,
pag. 390. Cum icône , . , Aierulœ congeneratia. Idem, tom. II, pag. 62 j,
Cum altéra icône. — Ampelis dorfo grifeo macula ad oculos longitudinali,
IJnnafus , Faun. Suec. n." 160. Cum icône maris non accuratâ. I^ota,
Al. Linnxus s'cft trompé en prenant l'crj^èce précédente & celle-ci
pour îii femelle 6c le maie de la même eTpècc. — Petit Écorcheur,
Albin, tome II, page 1 0 , avec une figure coloriée, planche XIV , • «'
CoHuiio. L 'Écorcheur. BiiiTun, tome II, page ■'/■'•
dans
DE L*ÉCORCHEVR, 305
dans ce même caractère de Ja couleur encore plus de
différence que d'une efpèce à l'autre, on feroit très-
bien fondé à ne les regarder que comme des variétés,
ÔL à. réunir fous la même efpèce, la pie-grièche rouiïe,
l'écorcheur <Sc i'écorcheur varié fij, dont quelques
Naturaliflcs ont encore fait une efpèce didinde, (Se
qui cependant pourroit bien être la femelle de celui
dont il efl ici queflion; nous renvoyons aux planches
enluminées pour en juger par la comparaifon.
Au refte, ces deux cfpèces de pic -grièches avec
leurs variétés, nichent dans nos climats, Se fe trouvent
en Suède comme en France; en forte qu'elles ont pu
paffer d'un continent à l'autre : il efl donc à préfumer
que les efpèces étrangères de ce même genre, Se qui
ont des couleurs roulTes, ne font que des variétés de
l'écorcheur, d'autant qu'ayant l'ufagc de paffer tous
les ans d'un climat à l'autre, elles ont pu fe naturalifer
dans des climats éloignés, encore plus aifément que la
pie-grièche qui refte conflamment dans notre pays.
Rien ne prouve mieux le pafïïige de ces oifeaux de
notre pays dans des climats plus chauds, pour y pafler
J'hiver, que de les retrouver au Sénégal; la pie-grièche
rouffc des planches enluminées, //." ^jy , figure 2 , nous
a été envoyée par M. Adanfon , & c'efl abfolument
le même oifeau que notre pie-grièche rouffe d'Europe;
(b) Cûllur'ionts' parvî fecundum genus. AIdrov. Avi. tom. I, pag. 390.
Cum icône Collurio varius. L'Écorcheur varie. BrifTon, tome II,
j)age 1^4' An pr^cedcnùs fixmlna. Idem, Ibidem* pag- 158.
Oifi'cjiix , Tome L • Q^
3o6 Histoire Naturelle
ii y en a une autre f voyelles plûnches enluminées, n! ^jf)
^qui nous a été également envoyée du Sénégal , 6c qui
doit n'être regardée que comme une fmiple variété
dans l'efpèce , puifqu'elle ne diffère des autres que
par la couleur de la tête qu'elle a noire, c^ par un peu
plus de longueur de queue, ce qui ne fait pas à beau-
coup près une adez grande différence pour en former
une efpèce diflinde <Sc féparée.
Il en efl: de même de l'oifcau que nous avons
appelé Xccorchcur des Philippines fcj, vûye^ les planches
(c) Nota. 11 nous paroît que cet oifeau efl le même que celui que
]M. Edwnrds a donné fous le nom de p'ie - gr'ièche rouge ou rouffe
huppée, ce Cet oifeau , dit-il , s'appelle Charah , dans ie pays de Ben-
6> gale , & diffère de nos pie-grièches par une huppe qu'il porte fur
la tête » ; mais cette différence ell bien légère , car cette huppe n'en
eft pas une , c'efl feulement une dirpofnion de plumes qui paroJfTent
hériHécs comme celle du geai lorfqu'il elî en colère , & que
M. Edwards avoue lui-même cju'il n'a vue que dans l'oileau mort;
en forte qu'on ne peut pas afîurer fi ces plumes n'avoient pas étt
Tedrellées par quelque froificment avant ou après \\\ mort de l'oileau ,
ce qui eft bien différent d'une huppe naturelle. La preuve de ce
que je viens de dire , c'eft qu'on voit une iemblable huppe fur la
tête de la pie-grièche blanche 6c noire de Surinam, dont le même
M- Edwords a donné la figure dans la première partie de (es Gla-
nures *: or nous avons cette efjjèce au Cabinet du Roi, & il eft
certain qu'elle n'a point de huppe ; dès-iors nous ne pouvons nous
empêcher de préfumer que cette apparence de huppe , ou plutôt de
plumes hériffées fur la tête , qui fe trouve dans ces dçwx pie-
grièches de Al- Edwards, ne foit une difpofuion accidentelle ou'
momentanée, & qui probablement ne fe manifelle que quand l'oileau
* Glanures d'EiJwards, partit 1, page j f, planche CCXXVh
Ti'm J
PI XXIPj.i .■'.-r
.'.ic J^ S.-ff J,-l
H -lie /jtïunoy ^^uiu<^r S^'vir .
L KCOKCIU:i II.
DE L'ÉCORCHEUR. 307
enluminées , n.' ^jâ', figure i ; &i encore de celle que
nous avons appelée pie-griècfie de la Louijïane (voye^
les planches enluminées, "^^^ S^J ) > qui nous ont été
envoyées de ces deux climats fi éloignés l'un de
l'autre, <Sc qui néanmoins fe reflemblent a/Tez pour ne
paroitre que le même oifeau , & qui dans le réel ne
font enfemble qu'une variété de notre écorcheur, à la
femelle duquel cette variété reiïemble prefqu'en tout.
cfl en colère ; ainfi nous perfiftons à croire que cette pie-grièche
de Bengale n'efl qu'une variété de i'efpèce de la pie-grièche rouflc
ou de i'écorcheur d'Europe.
Qq*i
3o8 Histoire Natu relle
OISEAUX ÉTRANGERS,
Qui ont rapport à la PîE-GRlÈCHE grife
ir à ÏÉCORCHEUR.
^ I.
LE F I N G A H.
X-« 'oiseau des ïndes orientales, appelé à Bengale
T'ingah , dont M. Edwards a donné la defcription fous
le nom àc pie-grièche des Indes, à queue fourchue, qui
efl certainement une efpèce difîfércnte de toutes les
autres pie-grièclies. Voici la traduction de ce que dit
M. Edwards à ce fujet : la forme du bec , les mouf-
taches ou poils, qui en furmontent la hafe , la force
des jambes m'ont déterminé à donner à cet oifeau le
nom àe pie - grit'che , quoique fa queue foit faite tout
autrement que celle des pie-grièches dont les plumes
i\u milieu font les plus longues; au lieu que dans
celle-ci elles font beaucoup plus courtes que les plumes
extérieures; en forte que la queue paroît fourchue,
c'cft-à-dire, vide au milieu vers fon extrémité: il a le
])ec épais <Sc fort , voûté en arc , à peu près comme
celui de l'épervier, plus long à proportion de fa grof-
feur, &i moins crochu, avec des narines affez grandes;
la bafe de la mandibule fupérieure efl environnée de
poils roides.... La tcte entière, le cou, le dos 6c les
DES Oiseaux ÉTRANCEns. 309
couvertures des ailes font d'un noir hriJlant, avec un
reflet de bleu, de pourpre 6c de vert, 6c qui fe dé-
cide ou varie fuivant l'incidence de la lumière
La poitrine eft d'une couleur cendrée, fombre <Sc noi-
râtre: tout le ventre, les jambes & les couvertures du
dcflous de la queue font blanches; les jambes, les
pieds & les ongles font d'un brun noirâtre: je doutois,
ajoute M. Edwards, fi je devois ranger cet oifcau avec
les pie-gricches ou avec les pies; car il me paroifToit
également voifm de chacun de ces deux genres, <^ je
penfe que tous deux pourroicnt n'en faire qu'un, les
pies convenant en beaucoup de chofes avec les pie-
grièches ; quoique ])crfonne en Angleterre ne l'ait
remarqué, il paroît qu'en France on y a fait attention»
&: qu'on a obfervé cette conformité de nature dans
ces deux oifeaux, puifqu'on les a tous iicwx appelés
(j) Edwards , ////?. nat. of b'irds , tome II, page j 6 , planche LYI,
avec une figure bien coloriée.
I I.
ROUGE-QUEUE.
L'oiseau des Indes orientales, indiqué <5c décrit
par Albin , fous le nom de Rouge-queue de Bengale ;
il eft de la même grandeur que la pie-grièche grife
d'Europe: le bec efl d'un cendré brun; l'iris des yeux
efl blanchâtre, le defliis & le derrière de la tcte noirs;
il y a au-dclfous des yeux une tache d'un rouge vif
Q q iij
3to Histoire N atu relle
terminée de hianc, ôi furie cou quatre taches noires
en portion de cercle; le dcffus du cou, ie dos, le
croupion , les couvertures du delTus de la queue, celles
du delTous des ailes , <Sc les plumes fcapulaires font
brunes; la gorge, ie deiTus du cou, la poitrine, le
haut du ventre, les côtés (Se les jambes font blanches;
le bas du ventre Si. les couvertures du delTous de la
queue font rouges; la queue efl d'un brun clair; les
pieds ÔL les ongles font noirs (hj.
(h) Rouge -queue de Bengale. Albin, tome III , -page 2^^
planche LV I , avec une figure coloriée. — La Pic-gricche de Bengale.
Eriflon, tome II, page ij^»
III.
LANGRAIEN et TCHA-CHERT.
Voye^ les planches enluminées , n. ^ , fgtire i;
ér 7if ^2 , fg. 2.
Les oifeaux envoyés de Manille <5c de Madagascar ,
Je premier fous le nom de Langraïen , Se le fécond
fous celui de tcha-chen , que l'on a rapportes peut-être
mal -à- propos au genre des pie-grièches (cj, parce
qu'ils en diffèrent par un caradère efTentiel , ayant les
ailes, lorfqu'elles font pliées, auffi longues que la
queue; tandis que toutes les autres pie-griechcs , ain/î
que les oifeaux étrangers, que nous y rapporterons,
ont les ailes beaucoup plus courtes à proportion, ce
{cj BrilTon, tome II, pages i S o & j (fj*
DES Oiseaux étpancers. 311
qui poiirroit faire croire que ce font des oifeaux d'un
autre genre: néanmoins, comme celui de Maciagafcar
approche afTez de l'cfpece de notre pie-grièciie grife,
à cette différence près de la longueur des ailes, on
pourroit le regarder comme faifant la nuance entre
notre pie-gricche Sl cet oifeau de Manille, auquel il
rciïemble encore plus qu'à notre pie-grièche; <Sc
comme nous ne connoilTons aucun genre d'oifeaux,
auquel on puifTe rapporter direélement cet oifeau de
Manille , nous avons fuivi le fentimcnt des autres
Naturalidcs , en lui donnant le nom de pie - grieche ,
aulTi-bien qu'à celui de Madagafcar; mais nous avons
cru devoir ici marquer nos doutes fur la jufleffe de
cette dénomination.
I V.
BÉCARDES.
Vûjci les planches enluminées, 71 f^ ^0^ & 377'
Les oifeaux envoyés de Cayenne ; le premier,
n." ^o^j fous le nom de PL'-grièchc grife; 6: le fécond,
fous celui de pie-gricche tachetée, qui font d'une
efpèce différente de nos pie-grièches d'Europe, (Se
que nous avons cru devoir appeler bécardcs , à caufe
de la groffcur & de la longueur de leur bec, qu'ils ont
au/îi de couleur rouge ; ces bécardes diffèrent encore de
nos pie grièches en ce qu'elles ont la tête toute noire,
(Se l'habitude du corps plus épaiffe <Si; plus longue;
312 Histoire Natu relle
mais d'ailleurs elles leur refTemblent plus qu'à touC
autre oifcau. Au redc , l'une nous paroît être le mâle
6c l'autre la femelle de la même efpèce, fur laquelle
nous obrerverons qu'il fc trouve encore d'autres efpèces
femblables par ia groïïair du bec dans ce même climat
de Cayenne , 6c dans d'autres climats très - éloignés,
comme on le va voir dans les articles fuivans.
V.
BÉCARDE À VENTRE JAUNE.
Vûj'c^ les planches enluminces , iu 2^6,
L'oiseau envoyé de Cayenne, fous le nom (^ç,
Pïe-^rièche jawie , qui par fon long bec nous parojt cire
d'une efpèce affez voifme de la précédente^ 6c que,
par cette raifon , nous avons appelé la bccarde à ventre
jaune, car elles ne diffèrent guère que par les couleurs;
les plancbes enluminées fuffiront pour les faire recon-
noître 6c diflinguer aifément l'une de l'autre.
V I.
Le VANGA ou BÉCARDE
À VENTRE BLANC.
Vojei les planches enluminées, iu 228»
L'oiseau envoyé de Madagafcar par M. Poivre,
fous le nom de Vanga , 6c qui quoique différent par
i'efpèce de nos pie-grièchcs &: de nos écorcheurs,
peut-être
DES Oiseaux étrangers, 31J
peut - être même étant d'un autre genre, a néanmoins
plus de rapport avec ces oifeaux qu'avec aucun autre ;
c'efl pour cette raifon que nous l'avons nommé fur les
planches enluminées,y7/>-^;7Vr//^ ou ccorchew de AlaJa-
gûfcdr. Mais on pourroit à plus jufle titre le rapporter
au genre des bécardes dont nous venons de parier,
6l l'appeler bccarde à ventre blanc.
\ ï ï.
LE S C H E T^B É.
Voye^ les planches enluminées , nf ^p^jfg- ^.
L'oiseau envoyé de Madagafcar par M. Poivre,
fous le nom de Schet-hé, <Sc dont l'efpcce nous paroit
fi voifmede la précédente, qu'on pourroit les regarder
toutes dçuK comme n'en faifant qu'une, fi le climat
de Cayenne n'étoit pas auiïi éloigné qu'il e(l de celui
de Madagafcar. Nous avons appelé cet o'i{€^u pie-gricclie
roiijfc de Madagafcar , par la même raifon que nous
avons appelé le \)ïéccàcni pie-gr'ièche jaune de Cayenne;
6i il faut avouer que cette pie-grièclie rouffe de IVIada-
gafcar , approche un peu plus que celle de Cayenne
de nos pic-grièches d'Europe, parce qu'elle a le bec
plus court, Si par conféquent différent de celui de
nos pic-grièches d'Europe; au refle, ces deux efpèces
étrangères font plus voifmes l'une de l'autre, que de
nos pie-grièches d'Europe.
Oifeaux f Tome I. . Rr
314' HiSTO I RE Naturelle
V I I ï.
L£ TCHA'CHERT^BÉ.
Voye^ les planches enhnnïnées , n! ^74-
L'oiseau envoyé de Madagafcar par M. Poivre,
fous le nom de Tcha-chen-bé, &. que nous avons nommé
au bas de nos planches enluminées, grande pie - gmche
yerdâtîe, <Sc qui ne nous paroit être qu'une efpèce
très-voifine, ou même une variété A'^^gt ou ào, {t\t
dans l'tTpèce précédente , dont elle ne diffère guère
que parce qu'elle a le bec un peu plus court <& moins
crochu , & les couleurs un peu différemment di/lribuées.
Au refle, ces cinq oifeaux étrangers 6c à gros bec;
favoir, la pie-grièche grife & la pie-grièche jaune de
Cayenne , la pie-grièche rouffe, l'écorcheur 6c la pie-
grièche verdâtre de Madagafcar, pourroient bien faire
un petit genre à part auquel nous avons donné le nom
de bécardes , à caufe de la grandeur 6c de la grofTeur
de leur bec, parce que dans le réel, tous ces oifeaux
diffèrent aflez (^il^s pie-grièches pour devoir en cire
féparés.
I X.
LE G 0 N 0 L E K.
Voye^ les planches eidiimînées , m j 6.
L*oiSEAU qui noiiS a été envoyé du Sénégal par
M. Adanfon, fous le nom de Pie-grièche rouge du Sénégal,
DES Oiseaux étrangers. 51J
êc que les Nègres, dit-il, appellent ^^«^H^ c*efl-à-direv
mangeur d'infedles. C'efl un oifeau remarquable par
les couleurs vives dont il eft peint; il efl à très -peu
près de la même grandeur que la pie-grièche d'Europe,
& n'en diffère, pour ainfi dire, que par les couleurs,
qui néanmoins fuivent dans leur diftribution à peu
près le même ordre que fur la pie-grièche grife
d'Europe; mais comme les couleurs en elles-mêmes
font très -différentes, nous avons cru devoir regarder
cet oifeau comme étant d'une efpèce différente.
X.
Le CAU'CALIC et le BRUIA.
Voje^ les planches enluminées , 71Î 2p ç,'jig. I, le màle;^
& jig» 2 , la femelle.
L'oiseau envoyé de Madagafcar par M. Poivre,
tant le mâle que la femelle, le premier fous le nom
de Cdli-cdlîc, Si le fécond fous celui de Bruia , que
l'on peut rapporter au genre de notre écorcheur d'Eu-
rope, à caufe de fa petitefTe ; mais qui du refle en
ditîère affez pour être regardé comme un oifeau
d'efpèce différente.
Rr ij
3i6 Hi sro îRE Naturelle, ifc.
X I.
PIE-GRIECH E HUPPÉE.
Vojei les planches enlianinées , lu ^y^ , fg, 2,
L'oiseau envoyé Ju Canada fous le nom de Pie-
gfu'che huppée , & qui porte en effet, fur le fommet de
la tête , une huppe molle <Sc de plumes longuettes qui
retombent en arrière; mais qui du refle efl une vraie
pie - gnèclie , &. affcz femblahle à notre pie-grièche
rouiïe par la difpofition des couleurs , pour qu'on
pu iffe la regarder comme une efpèce voifme , qui n'en
diffère guère que par les caradères de cette huppe
6c du Lee qui efl un peu plus gros.
î'7
LE S
OISEAUX DE PROIE
NOCTURNES.
Les yeux de ces oifeaux font d'une renfibilitc fi
grande, qu'ils paroifTent être éblouis par la clarté du
jour, Si entièrement ofîufqucs par les rayons du foleil:
il leur faut une lumière plus douce, telle que celle de
l'aurore naifTante ou du crcpufcule tombant; c'ell alors
qu'ils fortent de leurs retraites pour chafTcr, ou plutôt
pour chercher leur proie, 6c ils font celte qucle avec
grand avantage; car ils trouvent dans ce temps les
autres oifeaux (Se les petits animaux endormis , ou
prêts à l'être: les nuits où la lune brille font pour
eux les beaux jours, les jours de plaifir , les jours
d'abondance , pendant lefqucis ils chafTent pluficurs
heures de fuite, <Sc fe pourvoient d'amples provifions:
Jes nuits où la lune fait défaut font beaucoup moins
heureufes ; ils n'ont guère qu'une heure le foir <Sc ime
lieure le matin pour chercher leur fubfjflance; car il
ne faut pas croire que la vue de ces oifeaux qui s'exerce
fi parfaitement à une foible lumière, pui/fe fe paffer
de toute lumière , <Sc qu'elle perce en effet dans Tobf-
curité la plus profonde; dès que la nuit efl bien clofe,ils
ceffcnt de voir , &. ne diffèrent pas à cet égard des autres
animaux, tels que Jes lièvres, les loups, les cerfs, qui
R r iij
3l8 H I STOl RE NATU RELLE
fortcnt le foir des bois pour repaître ou chafTer pen-
dant la nuit: feulement ces animaux voient encore
mieux le jour que la nuit ; au lieu que la vue des
oifeaux nocflurnes efl fi fort offiifquée pendant le jour,
qu'ils font obligés de fe tenir dans le même lieu fans
bouger, &. que quand on les force à en fortir, ils ne peu-
vent faire que de très-petites courfes , des vols courts
&: lents, de peur de fe beurter; les autres oifeaux qui
s'aperçoivent de leur crainte ou de la gcne de leur
fîtuation, viennent à l'envi les infulter: les mézanges,
les pinçons, les rouge-gorges, les merles, les geais,
les grives, (5cc. arrivent à la file: l'oifeau de nuit perché
fur une branche, immobile, étonné, entend leurs
mouvemens, leurs cris qui redoublent fans ceiïe, parce
qu'il n'y répond que par des geftes bas, en tournant
fa tête, fes yeux 6c fon corps d'un air ridicule; il fe
laifTe même aiïaillir <?c frapper, fans fe défendre ; les
plus petits, les plus foibles de fes ennemis font les
plus ardens à le tourmenter, les plus opiniâtres à le
huer : c'efl; fur cette efpèce de jeu de moquerie ou
d'antipathie naturelle, qu'efl fondé le petit art de la
pipée; il fuffit de placer un oifeau noélurne, ou même
d'en contrefaire la voix , pour faire arriver les oifeaux
à l'endroit où l'on a tendu les gluaux ('aj: il faut s'y
(û) Nota. Cette efpèce de chafTe étoit connue des Anciens ; car
Ariftote l'indique clairement dans les termes lui vans : Die cœterct
aviculœ omnes nod.uam circumvolant , quod mirar'i vocatur , advolantefquc
percutiunt. Qua propter eâ conJUtutâ avicularum gênera & varia multa
capiunt. Hijl. mim. lib. IX, cap. i.
DES Oiseaux de proie nocturnes. 319
prendre une heure avant la fin du jour, pour que cette
cliafTe foit heureufe; car fi l'on attend plus tard, ces
mêmes petits oifieaux qui viennent pendant le jour
provoquer l'oifeau de nuit, avec autant d'audace que
d'opiniâtreté, le fijient & le redoutent (\hs que robfcurité
Jui permet de fe mettre en mouvement, & de déployer
fes facultés.
Tout cela doit néanmoins s'entendre avec certaines
reflridlions qu'il efl bon d'indiquer, i .° toutes les
efpèces de hiboux 6c de chouettes, ne font pas égale-
ment offufquées par la lumière du jour ; le grand duc
voit affez clair pour voler <5c fuir à d'afTez grandes
dirtances en plein jour; la chevêche, ou la plus petite
efpèce de chouettes chalTe, pourfuit 6c prend des petits
oifeaux long -temps avant le coucher 6c après le lever
du foleil. Les Voyageurs nous aiïurent que le grand
duc ou hibou de l'Amérique feptentrionale (ùj , prend
les gelinottes blancbes en plein jour , 6: même lorfque la
neige en augmente encore la lumière; Bclon dit très-
bien dans fon vieux langage fcj , que quiconque p-endra
carde à la vue de ces oifeaux , ne la trouvera pas fi imbé ci lie
qu'on la crie ; 2." il paroît que le hibou commun ou
moyen duc voit plus mal que le fcops ou petit duc ,
(h) Voyage à la baie de H u<J fon, tome I, page jâ.
/c) Belon, Hij}. 72a t. des Oifeaux, page j 53. Nota. C'eft en cHèt
avec cette rellriclion qu'on doit entendre ce que difent à cet égard
Ja plupart des Écrivains , & entr'autres Schwencklcid. Noâu per/pl-
€dcij[imè ndentes , diu C(xçutientes. Theriotrop. SU. pag. 308.
320 Histoire Naturelle
6c que c'eft de tous les hiboux celui qui efl le plus
offufqué par la lumière du jour, comme le font auffl
le chat-huant, Teffraie Si la luilotte; car on voit les
oifeaux s'attrouper également pour les infulter à la
pipce; mais avant de donner les faits qui ont rapport
à chaque efpèce en particulier , il faut en prélenter les
diûindions irénéralcs.
On peut divifer en deux genres principaux les oifeaux
de proie nocturnes , le genre du hibou Si celui de la
chouette, qui contiennent chacun pluficurs efpeces
différentes; le cara6lère difîindif de ces deux genres,
c'efl que tous les hiboux ont deux aigrettes déplumes
en forme d'oreilles , droites de chaque côté de la
tcte (^i/J, tandis que les chouettes ont la tête arrondie
fans aigrettes 6c fans aucunes plumes proéminentes fej;
nous réduirons à trois les efpèces contenues dans le
genre du hibou. Ces trois efpèces font, i .'' le duc
ou grand duc, i." le hibou ou moyen duc, 3." le
/cops ou petit duc; mais nous ne pouvons réduire à
ftij Nota. Ces oifeaux peuvent remuer & faifc baifler ou élever
ces aigrettes de plumes à volonté.
(c) Il paroît que Pline avoit remarqué cette diflerence générique,
iorfqu'il dit : Pematorum animalium bubcni tantùm é^ oîo plumœ velut
cures. Lib. XI , cap. 37. Et ailleurs: Otis bubene m'mor ejl , noélu'is
major, auribus plumas em'mentibus , unde & nomen ilii ; quidam laùnè
afionem vacant. Lib. X, cap. 23. Nota. Qu'il y a tjois efpèces d»
hiboux qui ont en effet des aigrettes de plumes , & que ces trois
efpèces font le grand duc, bubo ; le moyen duc, otus ; & le petit
duc , afo, que Pline confond avec Xotus.
moins
DJ^s Oiseaux de proie nocturnes. 3 z i
moins de cinq les efpèces du genre de la clioiictte,
& cçs efpèces font, i.^^la hulotte ou huette, 2.° le
chat-iuiant, 3." l'effraie ou frelDie, 4.° la chouette ou
grande chevêche, 5.° la chevêche ou petite chouette:
CCS huit efpèces fe trouvent toutes en Europe (S^ même
en France ; quelques-unes ont des variétés qui paroiffcnE
dépendre de la différence des climats; d'autres ont
des repréfentans dans le nouveau continent; la plupart
des hihoux & des chouettes de l'Amérique ne diffèrent
pas affez de celles de l'Europe, pour qu'on ne puiffe
leur fuppofer une même origine.
Ariflote fait mention de douze efpèces d'oifeaux
qui voient dans l'oLfcuritc, (Se volent pendant la nuit;
6c comme tlans ces douze efpèces il comprend l'orfraie
&. le tette-chèvrc ou crapaud volant, fous les noms de
pli'inis ai d'a'gûfi/ûs; Si trois autres fous les noms de
cnpnceps, de chnlcis Si de chûrûJr'ws, qui font du nojnhre
des oifeaux pécheurs Si hahitans des marais ou des
rives des eaux Si des torrens; il paroît qu'il a réduit à
fept efpèces tous les hiboux 6c toutes les chouettes
qui ctoient connus en Grèce de fon temps; le hibou
ou moyen duc qu'il appelle nVoj , otiis , précède Si
conduit, dit -il, les cailles, iorfqu'elles partent pour
changer de climat (f), Si c'efl par cette raifon qu'on
appelle cet oifcau c/ux ou Juc; i'étymologie me paroit
ffj Cum coturnices adeunî loca , fine duc'ihus pergunt ; at cum Iiinc
ûhcunt , ducibus lingulacn , oto d/mdtrkeprofc'ifiuntur, Ariftotc, Hip,
anjm. lib. \I1I, c:^^. 12.
Oifeaux, Tome I. , Sf
522 Histoire Naturelle
fûrcmais le fait eft plus qu'incertain : il ed vrai que
les cailles qui, lorG^u'eiles partent en automne, font
furchargées de graiffe, ne volent guère que la nuit, Se
qu'elles fe repofent ])endant le jour à Tombre pour
éviter la chaleur , & que par confëquent on a pu
s'apercevoir que le hibou acconipagnoit ou précédoit
quelquefois ces troupes de cailles; mais il ne paroît
par aucune obfervation , par aucun témoignage bien
conflaté, que le iiibou foit comme la caille un oifcau
de pafîiige; le feul fait que j'aie trouvé dans les Voya-
geurs, qui aille à l'appui de cette opinion , eft dans la
Préface de i'Hidoire Naturelle de la Caroline , par
Catefby; il dit « qu'à vingt-fix degrés de latitude nord,
5> à peu près entre les deux continens d'Afrique <Sc
d'Amérique, c'eft-à-dire , à hx cents lieues environ
de l'un Si de l'autre, il vit en allant à la Caroline
un hibou au-deffus du vaiiïeau où il étoit , ce qui
3) le furprit d'autant plus que cesoifeaux ayant les ailes
» courtes, ne peuvent voler fort loin , &. font aifément
» laffés par les enfans , ce qui arrive tout au plus à la
3) troifiènie volée ; il ajoute que ce hibou difparut
3i après avoir fait des tentatives pour fe repofer fur le
vaiiïeau (gj ».
On peut dire en faveur du fait, que tous les hiboux
êc toutes les chouettes n'ont pas les ailes courtes,
puifque dans la plupart de ces oifeaux elles s'étendent
au-delà de l'extrémité de la queue, & qu'il n y a que
{gj Hiil. nat. de la Caroline, par M. Catefby. Préface , page 7.
»
}>
3)
DES Oiseaux de proie nocturnes, 325
fe grand Jiic 6c le fcops ou petit duc , dont les ailes ,
lorfqu'elles font pliées , n'arrivent pas jufqu'au bout
de la queue; d'ailleurs on voit, ou plutôt on entend
tous ces oifeaux faire d'afTcz lonirs vols en criant; dès-
iors il femble que la puifTance de voler au loin pendant
la nuit leur appartient auffi - bien qu'aux autres ; mais
que n'ayant pas d'auffi bons yeux , ô<. ne voyant pas
de loin , ils ne peuvent Te former un tableau d'une
grande étendue de pays , &i que c'ed par cette raifon
qu'ils n'ont pas, comme la plupart des autres oifeaux,
l'inflin(5t des migrations, qui fuppofe ce tableau pour
fe déterminer à faire de grands voyages; quoi qu'il en
foit , il paroît qu'en général nos hiboux 6c nos chouettes
font affcz fédentaires: on m'en a apporté de prefque
toutes les efpèces, non-feulement en été, au printemps,
en automne , mais même dans les temps les plus
rigoureux de l'hiver; il n'y a que \c fcops ou petit duc
qui ne fe trouve pas dans cette faifon ; 6c j'ai été en
effet informé que cette petite efpèce de hibou part
en automne, ôi arri^'e au printemps; ainfi ce feroit
plutôt au petit duc qu'au moyen duc qu'on pourroit
attribuer la fondion de conduire les cailles ; mais encore
ime fois ce fait n'cfl pas prouvé, 6c de même je ne fais
pas fur quoi peut être fondé un autre fait avancé par
Ariflote , (|ui dit que le chat-huant (g/aux, nodua , félon
fon interprète Gaza) (h) , fe cache pendant quelques
(h) Pducis qu'ihufdatn dkbus { glaux ] nodua laUt. Arift. Hijl. an'im»
lib. vin, cap. I 6.
324. Histoire Naturelle
jours de fuite ; car on m'en a apporté dans la plus
mauvaife faifon de l'année, qu'on avoit pris dans les
Lois; &. Ç\ l'on prétendoit que le mot glaux , nodua,
indique ici l'effraie , le fait feroit encore moins vrai ; car
à l'exception des foirées très-fombrcs ^ pluvieufes,
on l'entend tous les jours de l'année foufiler &. crier
à l'heure du crépufcule.
Les douze oifeaux de nuit, indiqués par Aridote,
font: hyas , otos , fcofs , fliinis , œgotUas , elcos ,nyâicorûx ,
8 9 10 II a
epgol'ws , glaiix , chûradnos , chalc'is ; œgocijhalos , traduits
en latin par Théodore Gaza.
Biibo , otiis , afw , ojfifiûga , Cûfirinmlgus , alitco ,
cicunia «/s 9 lo^ ii_ 12
ckumâ , / ulula , îwâua , cliaradrius , chalcis , capriceps ;
ulula , 3
j'ai cru devoir interpréter en françois les neuf premiers
comme il fuit :
Le duc ou grand duc , le lûhou ou moyen duc ,
]e petit duc , X orfraie , le tctte-chcvrc ou crapaud volant y
teff-aie owfrcjjak, la hulotte ,\2, chouette ou grande chevêche ,
9
le chat' lui aîîT.
Tous les Naturalises 6^ les Littérateurs conviendront
aifémcnt avec moi, i .'^ que le byas des Grecs, huho
des Latins, efl notre àwc ou grand duc; 2.° que
ïotos des Grecs, otus des Latins, eft notre hibou ou
moyen duc ; 3." que le feops des Grecs , afio des
Latins , efl notre petit duc ; 4." que le plunis des
DES Oiseaux de proie nocturnes. 325
Grecs, ojfîfra^u des Latins, q^ notre orfraie ou grand
aigle de mer; ^.''que Vœgotilas des Grecs, cavnmulgis
des Latins, cft notre tette-chèvre ou crapaud volant;
6." que \! dcos des Grecs, aluco des Latins, cft notre
effraie ou frefTaie; mais ils me demanderont en même
temps par quelle raifori je prétends que le ù,Idux cfl
notre chat - huant , le îiydicorûx , notre Iiulotte 6c
l'a'^<^//^j-^ notre chouette ou grande chevêche ; tandis
que tous les Interprètes & tous les Naturaliftcs qui
m'ont précédé ont attribué le nom œgolios à la hulotte»
6c qu'ils font forcés d'avouer qu'ils ne favent à quel
oifeau rapporter celui de îijâicûmx ^ non plus que ceux
du clmmcMos , du chah h Si du dipriceps , ^ qu'on
ignore aLfolument quels peuvent ctrc les oifcaux
défignés par ces noms; (Se enfin ils me reprocheront
que c'efl mal-à-propos que je tranfporte aujourd'hui
Je nom degLmx au chat-liuant, tandis qu'il appartient
de tout temps, c'efl -à- dire , du confentement de
tous ceux qui m'ont précédé , à la cliouctte ou grande
ciievéche , Si même à la petite chouette ou chevêche
proprement dite, comme à la grande.
devais leur expofer les raifons (|ui m'ont détermine,
Sl je les crois afîez fondées pour les fluisfaire , Si pour
tclaircir l'obfcurité qui refulte de leurs doutes 6i de
leurs faufles interprétations. De tous les oifeaux de
nuit dont nous avons fait l'énumération , le chat-huant
efl le feul qui ait les yeuK bleuâtres , Si la iiulotte la
feule qui les ait noirâtres ; tous les autres ont l'iris des
Sfiij
326 Hl STO 1 RE NATU RE LLE
yeux d'un jaune couleur d'or, ou du moins couleur de
fafran. Or les Grecs dont j'ai fouvent admire lajufteiïe
de difcernement 6c la précifion des idées , par les noms
qu'ils ont impofés aux objets de la Nature, <5c qui
font toujours relatifs à leurs caractères didindifs 6c
frappans, n'auroicnt eu aucune raifon de donner le
nom glaitx f glanais J vert de mer ou bleuâtre, à ceux
de ces oifeaux qui n'ont rien de bleuâtre, 6c dont les
yeux font noirs ou orangés ou jaunes; 6c ils auront
avec fondement impofé ce nom à l'efpèce de ces
oifeaux, qui parmi toutes les autres, efl la feule en
effet qui ait les yeux de cette couleur bleuâtre ; de
même ils n'auront pas appelé nyâicorax , c'cft-à-dire,
corbeau de nuit, des oifeaux qui ayant les yeux jaunes
ou bleus, 6c le plumage ])lanc ou gris, n'ont aucun
rapjiort au corbeau , 6c ils auront donné avec jufte
raifon ce nom à la hulotte , qui efl la feule de tous
ces oifeaux nodurnes, qui ait les yeux noirs 6c le
plumage auffi prelque noir , 6c qui de plus approche
du corbeau plus qu'aucun autre par fa groffeur.
Il y a encore une raifon de convenance qui ajoute
à la vraifemblance de mon interprétation , c'eft que
Je ny<5licorax chez les Grecs , 6c même chez les
Hébreux, étoit un oifeau commun 6: connu , puifqu'ils
en empruntoient des comparaifons (fient nyâiconix in
domic'ilw ) ; il ne faut pas s'imaginer, comme le croient
la plupart de ces Littérateurs, que ce fut \\n oifeau fi
foliîaire 6c fi rare , qu'on ne puiffe aujourd'hui en
DES Oiseaux de proie nocturnes. 3 27
retrouver l'erpèce: la huiotte eft par- tout afîcz com-
mune; c'eit de toutes les chouettes la p'us groffe , la
plus noire 6c la plus femblable au corbeau: toutes les
autres efpèces en font abfolument différentes; je crois
donc que cette obfervation , tirée de la cliofe même,
doit avoir plus de poids que l'autorité de ces Com-
mentateurs, qui ne connoillent pas affez la Nature,
pour en bien interpréter i'hifloirc.
Or le glûux étant le chat- huant, ou (\ l'on veut, la
chouette aux yeux bleuâtres, &^ le îijâicordx étant la
hulotte ou chouette aux yeux noirs, Vœgolios ne peut
être autre que la chouette aux yeux jaunes ; ceci mérite
encore quehjue difcufTion.
Théodore Gaza traduit le mot îiyâiccmx , d'abord
par cicuma , enfuitc par ulula , ôi entin par cicimia; cette
dernière interprétation n'eft vraifemblablement qu'une
faute des Copiflcs, qui de cicuma ont fut c'icunïa ; car
Feftus avant Gaza , avoit également traduit nydicorax
par cicuma, 6c Ifidore par cecuma, & quelques autres
par cccua : c'efl même à ces noms qu'on pourroic
rapporter l'étymologie des mots lueta en italien ,
chouette en françois : fi Gaza eût fait attention aux
caractères du uydicoras , il s'en feroit tenu a fa féconde
interprétation ulula , 6c il n'eût pas fait double emploi
de ce terme, car ii eût alors traduit œgoHos par cicuma;
il me paroît donc par cet examen comparé de ces
différens objets 6c par ces raifons critiques, que le
glaux efl le chat -huant, \e îiyâicorax la hulotte; &l
Vœgolios Ja chouette ou grande chevêche.
528 Histoire Naturelle
Il rede le charadrïos , le chalcis (5c le capriceps. Gaza
ne leur donne point de noms latins particuliers , 6c fe
contente de copier le mot grec , Si de les indiquer par
charajr'ius , chai as 6<. Cûpr'iccps: comme ces oi féaux font
d'un genre différent de ceux dont nous traitons, 6c
que tous trois paroi (lent être des oifeaux de marais, <5c
habitant le bord des eaux, nous n'en ferons pas ici
plus ample mention ; nous nous rcfervons d'en parler
]orf(ju'il fera quedion des oifeaux pécheurs , parmi
lefquels il y a, comme dans les oifeaux de proie , àc^
efpèces qui ne voient pas bien pendant le jour, 6c qui
ne pèchent que dans le temps où les hiboux 6c les
chouettes chaffent, c'crt-à-dire, lorfque la lumière du
jour ne les offufque phis: en nous renfermant donc
dans le fujet que nous traitons, 6: ne confidcrant à
prcfent que les oifeaux du genre des hiboux 6c des
chouettes, je crois avoir donné la jude interprétation
des mots grecs qui les défignent tous; il n'y a que h
feule chevêche ou petite chouette dont je ne trouve
pas le nom dans cette langue. Aridotc n'en fait aucune
mention nulle part, 6c il y a grande apparence qu'il
n'a pas didingué cette petite efpcce de chouette de
celle àufcops ou petit duc , parce qu'elles fe reifemblcnt
en effet par la grandeur, la forme, la couleur des yeux,
«5c qu'elles ne diffèrent effentielîement que par la petite
plume proéminente que le fcops porte de chaque côté
de la tète; 6c dont la chevêche ou petite chouette ed
dénuée : mais toutes ces différences particulières feront
expofées
DES Oiseaux DE PROIE NOCTURNES. 329
expofces plus au long dans les articles fuivans.
Aldrovande remarque avec raiTon , que la plupart des
erreurs en Hifloire Naturelle, font \enues delaconfufjon
des noms, ôi que dans celle des oifeaux nodlurncs, on
trouve i'obfcurité &. les ténèbres de la nuit; je crois que
ce que nous venons de dire pourra les diibper en grande
partie: nous ajouterons, pour ache\er d'éclaircir cette
matière, quelques autres remarques; le nom ule , ciile
en Allemand; owi, houlet en Anglois; hucttc , hulote en
François, vient du Latin ulula, 6l celui-ci vient du cri de
ces oifeaux nocturnes de la grande erpèce ; il cfl trcs-vrai-
femblable , comme le dit M. Frjfcb , qu'on n'a d'abord
nommé ainfi que les grandes efpcces de cbouettcs, mais
que les petites leur refTemblant par la forme 6k par le
naturel , on leur a donné le même nom , qui dès-lors eft
devenu un nom général &: commun à tous ces oifeaux^
de-là \2i confufion à laquelle on n'a qu'imparfaitement
remédié , en ajoutant à ce nom général wnc épithètc prife
du lieu de leur demeure ou de leur forme particulière, ou
de leurs difiérens cris; par cxcmple,y7f7>/-^///(? en Alle-
mand, chouette des rochers, qui cfl notre chouette ou
grande chevêche; kirch-eulc en Allemand, churcJwwl
en Anglois , chouette des églifes ou des clocliers en
François, qui ell notre efîraie, qu'on a au/Ti appelée
fchhyer-eule , chouette voilée, pcrl-nile , chouette perlée
ou marquée de petites taches rondes; ohr - eule en
Allemand , //<^r//-^ir/ en Anglois , chouette ou hibou
à oreilles en François, qui eft notre hibou ou moyen
Oifeaux , Tome I, » T t
330 Histoire N aturelle
duc; kuûpp - eule , chouette qui fait avec Ton bec le
bruit que l'on fait en caflant une noifette , ce qui
néanmoins ne peut défigner aucune cfpèce particulière,
puifque toutes les grofles cfpcces de hiboux <^ de
chouettes font ce même bruit avec leur hcc ; le nom
bnbo que les Latins ont donné à la plus grande efpèce
de hibou , c'efl-à-dire au grand duc, v ent du rapport
de Ion cri avec le mugiflemcnt du bœuf; 6c les Alle-
mands ont dcfigné le nom de l'animal par le cri
même, ufm ( oufwu ) , puhu (poulwuj.
Les trois efpèccs de hiboux &. les cinq efpèces de
chouettes que nous \enons d'indiquer par des déno-
minations précifcs, 6c par des caradères auiïi précis,
comporent le genre entier des oifeaux de proie noc*
turncs ; ils diiièrcnt des oifeaux de proie diurnes.
I .° Par le fcnsde la vue, qui cfl excellent dans ceux-ci,
6c qui paroit fort obtus dans ceux-là, parce qu'il eft
trop fenfihle &i trop aOc^lc de l'éclat de la lumière;
on voit leur pupille, cpii efl très -large, fe rétrécir au
grand jour d'une manière diflcrente de celle des chats:
ia pupille des oifeaux de nuit rcfle toujours ronde en
fe rétréciffant concentriquement , au lieu que celle des
chats devient perpcndiculaireirscnt étroite 6c longue.
2.° Par le fens de l'ouïe, il j)aroit que ces oifeaux de
proie no(5lurnes ont ce fens fupérieur à tous les autres
oifeaux, 6c peut-être même à tous les animaux; car ils
ont, toute proportion gardée , les conques des oreilles
bien plus grandes qu'aucun des animaux; il y a auffi'
DES Oiseaux de proie noctupnes. 3 3 1
plus d'appareil Si de mouvement clans cet organe, qu'ils
font maîtres de fermer Si d'ouvrir à volonté, ce qui
n'efl donne à aucun animal. 3.° Par le bec dont la
bafe n'efi pas comme dans les oiieaux de proie diurnes ,
couverte d'une peau lifTe & nue, mais efl au contraire
garnie de plumes tournées en devant; (5c de plus ils ont
le bec court &. mobile dans fes deux parties comme
le bec des perroquets f/ij. Si c'ed: par la facilité de ces
deux mouvcmens, qu'ils font fi fouvent craquer leur
bec. Si qu'ils peuvent auffi l'ouvrir allez pour prendre
de très - gros morceaux que leur gofier auiTi ample,
aulTi large que l'ouverture de leur hec y leur permet
d'avaler tout entiers. ^..^ Par les ferres dont ils ont
un doigt antérieur de mol)iIe , & qu'ils peuvent à
volonté retourner en arrière, ce qui leur donne plus
de fermeté &. de ficilité qu'aux autres pour le tenir
percbés fur un fcul pied. ^.° Par leur vol qui fe fait
en culbutant lorfqu'ils fortent de leur trou, <Sc toujours
de travers <Sc fans aucun bruit, comme fi le vent les
emportoit : ce font -là les diTterences générales entre
ces oifeaux de proie noélurnes, ôi les oifeaux de proie
diurnes, qui, comme l'on voit, n'ont pour ainfi dire
rien de femblable que leurs armes , rien de commun que
leur appétit pour la chair Si leur goût pour la rapine.
{/tj Utrumque rojîrum five mandihulœ amhœ mobiles funt ; iujignefque
fuperiori mufcuH ab uîrâque parte dati qui illud temoveant adducantque ad
inferius rojlfurn reliâus adduâonim aher in uno laîere ab occipite veni(n
tendinosâ expanjione in palato définit. Klein, de Avib. pag. 54.
Tt !/
332 Histoire N aturelle
LE D u C (a)
o u
GRAND DUC.
Vûjei les planches enluminées , 71." ^^f à' ^Sj ;
rûjr^ aifjjî plaîiche XXII dans ce volume.
Les Poètes ont dcdié l'Aigle à Jupiter, <5c le Duc
à Junon ; c'efl en effet l'aigle de la nuit , 6c le roi
de cette tribu d'oifeaux , qui craignent la lumière du
jour, (Se ne volent que quand elle s'éteint: le duc
paroît être au premier coup d'œil auffi gros, aufîi fort
que l'aigle commun; cependant il eft réellement plus
petit , (Se les proportions de Ton corps font toutes
diifcrentes ; il a les jambes, le corps &. la queue plus
courtes que l'aigle, la tcte beaucoup plus grande, les
fa) En Grec, j8w:i$; en Latrn , Bubo ; en Elpngnol, Buho ; en
Portugais, Alocho; en Italien, Duco , Dugo; en Savoyard, Chûjjeton;
en Alleinanci , Uhu, Huhu , Schuffut , Bhu , Becgliu , Huliuy , Hub ,
Huo , Puhi ; en Polonois , Pufuic^, Suii^û/eina ; en Suédois, Uf; en
Anglois, Great hornowl, Eagle-owl. — On l'appelle auffi en François,
Grand Hibou cornu; en quelques endroits de l'Italie , Barhag'iani ;
en quelques endroits de la France, Barbdïan; & en Provence, Petuve,
'— Bubo. Gelner, Avium , pag. 233. — AIdrov. Avi. tom. I, pag.
J02. — Grand duc. Belon, H/Ji. nat. des Oijeaux , page 135. — Grajid
chat - huant. Albin , tome II , page j , planche IX , avec une figure
coloriée. — Bulo noâua max'ima. Vnich, planche XCIII , avec une
figure colorite.— le Grand duc. Briflon, Ornità, tome I,page-^77.
DU Duc ou GRAMD DUC, 333
ailes bien moins longues, l'étendue du vol ou l'en-
vergure n'étant que d'environ cinq pieds: on dillingue
aifément le duc à fa grofTe ligure, à fon énorme tcte,
aux larges <Sc profondes cavernes de Tes oreilles, aux
deux aigrettes qui furmontent jQi tête , &. qui font
élevées de plus de deux pouces & demi ; à fon bec
court , noir <Sc crochu ; à fes grands yeux fixes <Sc
tranfparens; à fes larges prunelles noires &. environnées
d'un cercle de couleur orangée ; à fa face entourée
de poils, ou plutôt de petites plumes blanches 6c dé-
compofées qui aboutiffent à une circonférence d'autres
petites plumes frifées; à fes ongles noirs, très-forts &
très-crochus ; à fon cou très -court, à fon plumage
d'un roux brun taché de noir & de jaune fur le dos,
<Sc de jaune fur le ventre, marqué de taches noires <Sc
traverfé de quelques bandes brunes mêlées alTcz con-
fufément; à fes pieds couverts d'un duvet épais (5c de
plumes roufÏÏitres jufqu'aux ongles (hj; enfin à fon cri
effrayant (cj huïhôu , houhdu , bônhôu, pouhou , qu'il
(h) Nota. La femelle ne diffère du mâle , qu'en ce que les plumes
fur le corps , les ailes & la queue , iont d'une couleur plus fombre.
(c) Voici ce que nipj)or(e M. Friich au iujct des diflerens cris du
Puhu , Scliuffur , ou Grand Duc , qu'il a long-temps gardé vivant:
Lorfqu'il avoit fliim , dit cet Auteur, il formoit un Ion aiïez fem-
blable à celui qui exprime fon nom (en Allemand, Puhu) Pouhou;
lorfqu'il entendoit touller ou cracher un vieillard , il commençoit
très -haut & très -fort, à | eu - près du ton d'un paylan ivre qui
écla.e en riant , & ii faifoit durer fon cri Ouhou ou Pouhou , autant
qu'il pou voit être de temps lans reprendre haleine; il m'a paru ;, ajoute
Tt nj
534- Histoire Natu relle
fait retentir dans le filence de la nuit, lorfque tous les
autres animaux fc taifent; (Se c'ed alors qu'd les éveille,
les inquiète, les pourfuit & les enlève, ou les met
à mort pour les dépecer & les emporter dans les
cavernes qui lui fervent de retraite; au/Ti n'habite-t-il
que les rochers ou les vieilles tours abandonnées Si
fjtuées au-delTus des montagnes : il dtïccnà rarement
dans les plaines, <S: ne {e perche pas volontiers fur
les arbres , mais fur les égiifes écartées <5c fur les
vieux châteaux. Sa chafTe la plus ordinaire font les
jeunes lièvres, les lapins, les taupes, les mulots, les
fouris qu'il avale tout entières, ôi dont il digère la
fubftance charnue, vomit le poil fcJJ y les os & la peau
M. Frifch , que cela arrivoitîorfqu'il etoit en amour, & qu'il prenoit
ce bruit qu'un homme fait en touflant, pour le cri de là femelle :
mais quand il crie par angoifîe ou de peur , c'eft un cri très-
délào-rcable , très - fort , & cependant afîcz femblable à celui des
oifcaux de proie diurnes. Traduit de l'AlUmand de Frifch , article
du Buho ou Grand JDuc,
(d) J'ai eu deux fois, dit M. Frifch, des grands Ducs vivans,
& je les ai confervés ïong-temps ; je les nourrillois de chair & de
foie de bœuf , dont ils avaloient fouvent de fort gros morceaux ;
îorfqu'on jetoit des fouris à cet oifeau, il leur brifoit les côtes &
les autres os avec fon hcCy puis il les avaloit l'une après l'autre,
quelquefois jufqu'à cinq de fuiie ; au bout de quelques heures , les
poils & les os fe raffembloient, fc pelotonnoient dans fon eftomac
par petites maffes , après quoi il les ramenoit en haut , & les re/etoit
par le bec ; au défaut d'autre pâture , il mangeoit toute forte de
poifîons de rivière , petits & moyens , & après avoir de même brilc
■ai pelotonné les arêtes dans Ion cflomac, il les ramenoit le long
DU Duc ou GRAND DuC. 33J
en pelotes arrondies; i! mange aufTi les cliauve-founs,
les ferpcns, les lézards, les crapauds, \ts grenouilles,
<5c en nourrit Tes petits : il chafTe alors avec tant
d'adiviié , que Ton nid regorge de provifions; il en
rafTemble plus qu'aucun autre oifeau de proie.
On garde ces oifeaux dans les ménageries à caufe
de leur figure lîngulière; i'trpèce n'en eH: pas auiïi
noniLrcufe en France que celle des autres hiboux, 6c
il n'cfl pas fur qu'ils refîent au pays toute Tannée, ils
y nichent cependant quelquefois iur des arbres creux,
6c plus fouvent dans des cavernes de roclicrs, ou dans
des trous de hautes (Se vieilles murailles; leur nid a
près de trois pieds de diamètre, & eft conipofé de
petites branches de bois fec cntrelaffées de racines
foupics , <Sc garni de feuilles en dedans : on ne trouve
fouvent qu'un œuf ou (\c\\\ dans ce nid, Si rarement
trois; la couleur de ces œufs tire un peu fur celle du
plumage de i'oifeau ; leur groffeur excède celle des
œufs de poule: les petits font très - voraces , Si les
pères <îv mères trcs-habiles à la chaffe qu'ils font dans
le filence, <Sc avec beaucoup plus de légèreté que leur
groffc corpulence ne paroît le permettre; fouvent ils fe
battent avec les bufes, <Sc font ordinairement les plus
àe Ton cou , & les reicioit pnr le bec : il ne vouloir point du tout
boire, ce cjue j'ai oblèrvé de même de quelques oileaux de proie
diurnes. N ta Qu'à h vc'rité ces oifeaux peuvent fe pafler de boire,
niiiis (jue cependant, quand ils lont à porte'e , ils boivent, en iê
cachant. Voy^ifur cela l'ankle du jean-le-blanc.
33<^ H ISTOIRE NATU RELLE
forts ôi les maîtres de la proie qu'ils leur enlèvent; ils
fiipportent plus aifément la lumière du jour que les
autres oifcaux de nuit , car ils fortent de meilleure
heure le foir &i rentrent plus tard le matin : on voit
quelquefois le duc afTaiili par des troupes de corneilles
qui le fuivent au vol 6c l'environnent par milliers; il
fouticnt leur choc fcj, poufTe des cris plus forts
qu'elles, Si finit par les difperfer, <5v fouvent par en
prendre quelqu'une lorfque la lumière du jour haiffe;
quoiqu'ils aient les ailes plus courtes que la plupart des
oifeaux de haut vol, ils ne laiflent pas de s'élever afTcz
Jiaut, fur-tout à l'heure du crcpufcule; mais ordinairc-
rnent ils ne volent que has <Sc à de petites diilances
dans les autres heures du jour : on fe fert du duc dans
\^ fauconnerie pour attirer le milan; on attache au duc
une queue de renard, pour rendre fa figure encore
plus extraordinaire; il vole à fleur de terre, & fe pofe
dans la campagne, fans fe percher fur aucun arbre; le
rnilan qui l'aperçoit de loin , arrive (5c s'approche du
duc, non pas pour le combattre ou l'attaquer, mais
comme pour l'admirer, & il fe tient auprès de lui
afTez long-temps pour fe laiffer tirer par le chafTeur,
ou prendre par les oifeaux de proie qu'on lâche à fa
pourfuite : la plupart des faifandiers tiennent aufîi dans
leur faifanderie un duc qu'ils mettent toujours en
cage fur des juchoirs dans un lieu découvert, afin
(e) Fort'iffima avis fœpius valde tumuhuatur inter millenarh numeri
çmiices. Klein , Av:- pag. j 4 &: fuivantes,
que
DU Duc ou GRAND DUC, 357
fjiie les corbeaux 6c les corneilles s'afTemblent autour
de lui, Si qu'on puiiïe tirer &: tuer un plus grand
nombre de ces oifeaux criards qui inquiètent beaucoup
les jeunes f^iifans ; (5c pour ne pas effrayer les faifans,
on tire les corneilles avec une farbacane ffj.
On a obfervé à Tcgard des parties intérieures de
cet oifeau, qu'il a la langue courte (Se allez large,
l'eflomac très-ample, Tœil enfermé dans une tunique
cartilagineufe en forme de capfule , Si le cerveau
recouvert d'une iimple tunique plus épaifle que celle des
autres oifeaux, qui, comme les animaux quadrupèdes,
ont deux membranes qui recouvrent la cervelle (g^.
Il paroît qu'il y a dans cette efpèce une première
variété qui femble en renfermer une Seconde : toutes
deux fe trouvent en Italie, &i ont été indiquées par
Aldrovande , on peut appeler l'un le ihic aux aUcs
noires (h), Se le fécond le <r///r ûi/x pieds nus ( ij; le
(f) Voyez Frifch, à l'article du grand Duc.
(g) F/^A'Schwenckteld, Theriotrop. S'il. pag. 308. Nota. Ceux qui
voudront avoir des connoiflances exactes lur la llrudurc des panies
intérieures des oifeaux de ce genre, les trouveront dans les obler-
vations 51 »S: j 2 de Jean de Muralto. EphmâiJ. des curieux de la
J^ûture , an. i 6 S2 ; Ù' Coll. Ac ad. part, étranghe , tome III, pages
47+ «-"^ 47 ^
(h) Buho nojler. Aldrov. A\'i. tome I, page 508. — Grand duc
aux ailes noires. Albin, tome III , page ^. — Le grand duc d'Italie.
Bri/îon, tome I, page 4S2. — Le grand hibou cornu d'Athènes.
Edwards, Glanures , page 37, planche CCXXVif-
(i) Buho nojler. Aldrov. An. tome I, page 508. —Le grand
duc dechaude. Brifîon, tome i, pdgc -^S^*
Oifeaux j Tome L . Y \X
338 Histoire Natu relle
premier ne diffère en efiet du grand duc commun que
par les couleurs qu'il a plus brunes ou plus noires fur
les ailes, le dos ai la queue; Si le fécond qui reffemble
en entier à celui-ci par ces couleurs plus noires, n'en
diffère que par la nudité des jambes Si des pieds qui font
très-peu fournis de plumes ; ils ont auffi tous deux les
jambes plus menues ce moins fortes que le duc commun.
Indépendamment de ces deux variétés qui fe trouvent
dans nos climats, il y en a d'autres dans des climats
plus éloignés: le duc blanc de Lapponie , marqué de
tacbes noires, qu'indique Linnîtus f/<J, ne paroît être
qu'une variété produite par le froid du Nord ; on fait
que la plupart des animaux quadrupèdes font naturelle-
ment blancs ou le deviennent dans les pays très-froids;
il en eft de mcme d'un grand nombre d'oifeaux: celui-ci
qu'on trouve dans les montagnes de Lapponie efl blanc ,
tacbé de noir, Si ne diffère que par cette couleur du
grand duc commun ; ainfi on le peut rapporter à cette
efpèce comme fnnple variété.
Comme cet oifeau craint peu le chaud, <Sc ne craint
pas le froid, on le trouve également dans les deux
continens au Nord Si au Midi, Si non-feulement on
y trouve Tefpèce même, mais encore les variétés de
J'efpèce : le jacurutu du Brefil f/J, décrit par Marcgrave,
^kj Strix capîte aurîto , corpore albïdo. Linnaeus , Faun. Suec.
numéro 46. — Le grand duc de Lapponie. BriflTon , tome 1, page
486.
(l) Jacurutu Brajdïenjibus , Bufo LuJitanU noâua ejl; magnuudmt
DU Duc ou GRAND DUC, 339
efl ahfolument le même oifeaii que notre grand duc
commun; celui qui e(t reprclenté dans les planches
enluminées^ n." ^Sj , Si qui nous a été apporté des
terres Magellan iques , ne diffère pas afTez du grand
duc d'Europe pour en faire une efpèce féparce; celui
qui eil; indiqué par T Auteur du voyage à la baie de
Hudfon, fous le nom de /li/wii coiiroîmé (m), Si par
M. Edwards fous le nom de d/c de Virginie (n) , font
(Zquat anferes: caput hobet roUmâum injïar fd'is: rojlrum nàuncvm nîgrum ,
fuperiori parte longïus: oculos magnes, clatos, rotumios & fplendentes injlar
cryjialli , in qui bus interius circuhis favus verfus exîrema apparet ; lali-
îudo oculonim aliquantb major grojfo mifnico ; prope aurium foramina
plumas hahet duos digitos longas , quœ injlar aurium in acutum definunt
& attolluntur : cauda lata cjl , ne que alœ pcrtingunt ad illius extremi-
îatem ; crura pennis vejlita ufque ad pedes , in quibus quatuor digiti ,
îres anterius , imus pojlerius verfus , al que in quolibet un gui s incurvât us ,
niger , plvfquani digitum longus & acutijfimus ; pcnnœ totius corporis
variegantur e favo , albo ù" nigricante pcreleganter. iMaicg. Hijl. nat,
Brafd. pag. \^<)-
(m) Le grand hibou couronné cfl fort commun dans les terres
voifincs de la baie de Hudfon; c'efl un oifeau fort fingulicr, &
dont fa tête n'efl guère plus petite que celle d'un chat ; ce qu'oit
nppcllc fcs cornes lont des plumes qui s élèvent précifcment au-dejfus
du bec , où cHes font mêlées de blanc , devenant peu à peu d'un
rouge - brun marqueté de noir. Voyage de la baie de Hudfon , tome I,
page jj.
(n) ce Cet oi(eau , dit M. Edwards , efl de la plus grande efpèce
des hiboux, &. très -approchant de la crrandeur du hibou cornu, ce
que nous appelons hibou aigle ( grand duc ) ; ia tête èft aufll grofle ce
que celle d'un chat le bec ell noir, la mandi]:)ule fupèrieure «
en cft crochue & iurpaffe la mandibule inférieure comme dans les ce
\ U ij
340 Histoire Naturelle
des variétés qui fe trouvent en Amérique les mêmes
qu'en Europe ; car ia difîcrence la plus remarquable
qu'il y ait entre le duc commun & le duc de la baie
de Hudfon ôl de Virginie , c'eft que les aigrettes
>5 nigics ; il efl recouvert d'une peau dans laquelle font placées les
3> narines, & qui cft recouverte à la bafc par des plumes grifes qui
>3 environnent le bec ; les yeux font grands , & Kiris en ell brillante
35 & couleur d'or Les plumes qui compofent ks cornes , prennent
33 leur nalfflince immédiatement ûu-dejfus du bec , où elles lont inélangL-es
» d'un peu de J^lanc ; mais à melure qu'elles s'élèvent au-deflus de
>3 la tête , elles deviennent d'un rouge-brun ik le terminent par du
33 noir au dehors ; le dc/îus de la têie , du cou , du dos , des ailes
53 & de la queue , ibnt d un brun oblcur , taché & cutre-mêlé aflez
33 confulément de j)e.iies lignes tranlVerlalcs rougeàtres & cendrées. . .
33 le haut de la gorge , lous le bec , ell blanc ; un peu plus bas , jaune-
33 orangé , tache de noir ; le bas de la poitrine , le ventre , les jainbes
33 & le dcfious de la queue cft blanc ou d'un grii-pâle, aficz régu-
33 licrcment iraverle de barres brunes; le dedans des ailes eft varié &
33 coloré de la tueuse fiiçon ; le> j)ieds ioni couverts , julqu'aux ongîcs,
33 de pliunes d'ua gris -blanc, & les ongles (ont d'une couleur de
33 corne brune & foncée: j'ai dclhné, ajoute M. Edwards, cet oileau
33 vivant à L- nlres, oii il ét(.it venu de Virginie: j'en ai chez moi la
» dépouille d'un autre cjui eft emj aillé, & qui a été apporté de la baie
33 de Hudion ; il m'a p;!ru qu'il étoii de la même clpèce que le premier,
33 étant de la même gr<mdeiir & i\\i\ diifcrant que par quelques
nuances de couleur », Je ne iciai qu'une réflexion lur ceue delcripiion
dont je viens de donner la traducftion par extrait, c'cft (ju'il n'y a
que le carav^lèie des aigrcties partLint du bec, & non pas tles oreilles,
qui j.uidc fiire regarder cet oifciui d'An.érique comine failant une'
■va iéic conftanie dans l'efpcce du grand 6uc \ oc c{uc cefe variété
fe trouvant en Europe aulli - bien qu'en Amérique, elle eft non-
feulement confiante, mais générale, & làii une branche parùcuiicre,
une fainiUe di*icrente dans ceue efpèce.
Ti-'m I
/'/ V V// l\!J
II'. GRAND 1)1 C
DU Duc ou GRAND DUC, 34Î
partent du bec au lieu de partir des oreilles. Or on
peut voir àc même dans les figures des trois ducs,
données par Aldrovande, qu'il n'y a (jue le premier,
c'e(l-à-dire, le duc commun dont les aigrettes partent
des oreilles; & que dans les autres, qui néaninoins font
des variétés (|ui fe trouvent en Italie , les plumes des
aigrettes ne partent pas des oreilles, mais de la bafe
du bec, comme dans le duc de Virginie, décrit par
Al. Eduards: il me paroit donc que M. Klein a pro-
noncé trop légèrement, lorlqu'il a dit que ce grand
duc de Virginie étoit d'une eipcce toute différente
de rcfpèce d'Europe, parce que les aigrettes partent
du bec , au lieu (|ue celles de notre duc parlent
des oreilles; s'il eût comparé les hgurcs d' Aldrovande
6c celles de M. Edwards, il eût reconnu que cette
même dillcrence, qui ne fait (ju'une variété , fe trouve
en lia'ie comm.e en Virginie , &. qu'en général les
aigrettes dans ces oifeaux ne parlent pas précifcment
du bord des oreilles, mais plutôt du dtilus des yeux
<Sc des parties fupérieures à la bafe du bec.
A^i^
if
Vu iij
342 Histoire Naturelle
LE H I B ou (a)
o u
MOYEN DUC.
Vûje^ les planches enîwninccs , lu^ 2p é^ 473 *
ér la planche XXII de ce rolnme.
JLE Hibou, Otus ou moyen Duc, a, comme le
grand duc, les oreilles fort ouvertes, & fnrmontécs
d'une aigrette compofce de fix plumes tournées en
avant (b) ; mais ces aigrettes font plus courtes que celles
(a) En Grec, Q'-to;; en Latin, AJio ou Otus; en Italien, Gufo ,
Barhaginnnï; en Efpagnol , Mochuclo ; en Allemand, Orhcule ou
Rautieule , Ohrreuti , KautTje'm ; en Polonois , Cluk - nocny ou Soiva-
vrfûta; en Suédois, Horn-ugla ; en Anglols, Horn-owl; on l'appelle
en quelques endioits Chat -huant cornu; en Bourgogne, Choue Cor^
nerote ; enGalcogne, Ducquct , c'efl-à-dire , Pelh.Duc ; en Sologne,
Chat-huant de bruycres , parce qu'il fe lient dans les landes & bruyères;
en Anjou <Sc en Bretagne, Chouant, & dans quelques autres endroits
Cloudit , à caufe de Ton cri clôû , clôûd. — Afo. Geiner , Avî. pag. 223
Otus. Idem, pag. 635. — Moyen Duc ou Hibou cornu. Beion ,
Hijl. nat. des Oifeaux , page 137. — Grand Duc. Albin, tome I,
page 6 , -planche j 0 , avec une figure coloriée. — Noâua m'mor aur'ita.
Scops. Frifch , planche XClX , avec une figure coloriée. — Le moyen
Duc ou le Hibou. BrifTon, Ornithol. tome I, page 48(5. — The long
Eared owl. Le Hibou à longues oreilles. Britilch Zoology. PL B 4,
fg- i'
(b) Nota. Aldrovande dit avoir eblerve que chaque plume auri-
culaire qui compote raigrctie, peut le mouvoir léparément, & que
DU Hibou ou moyen Duc. 543
Ju grand duc, <5c n'ont guère plus d'un pouce de lon-
gueur; elles paroifTent proportionnées à fa taille, car il ne
pèfe qu'environ dix onces, Si n'efl pas plus gros qu'une
corneille; il forme donc une efpèce évidemment diffé-
rente de celle du grand duc , qui eft gros comme une
oie, & de celle du fcops ou petit duc, qui n'efl pas
plus grand qu'un merle, 6c ([ui n'aau-deffus des oreilles
que des aigrettes très-courtes. Je fais cette remarque ,
parce qu'il y a des Naturaliflcs , qui n'ont regarde le
moyen 6c le petit duc , que comme de fimples variétés
(ïune feule 6c même efpèce: le moyen duc a environ
un pied de longueur de corps, depuis le bout du bec
jufqu'aux ongles, trois pieds de vol ou d'envergure,
6c cinq ou fix pouces de longueur de queue; il a le
deffus de la tète, du cou, du dos 6c des ailes rayé
de gris, de roux 6c de brun; la poitrine 6c le ventre
font roux , avec des bandes brunes irrégulières 6t
étroites; le bec efl court 6: noirâtre, les yeux font
d'un beau jaune, les pieds font couverts de plumes
roulfcs jufqu'à l'origine des ongles, qui font affez
grands 6c d'un brun noirâtre ; on peut obferver de
plus qu'il a la langue charnue Si un peu fourchue,
les ongles très-aigus 6c très-tranchans , le doigt extérieur
mobile, 6c pouvant fe tourner en arrière, l'eflomac
affez ample , la véficule du liel très-grande , les boyaux
longs d'environ vingt pouces, les deux cg^cum de deux
la peau qui recouvre b cavité des oreilles nait de la partie intérieure la
plus voifuie de l'œil.
344 Histoire Naturelle
pouces &. demi de profondeur , Sl pfus gros à proportion
que dans les autres oifeaux de proie. L'efpèce en efl
commune <^ beaucoup pfus nomhreufe dans nos
climats fcj, que celle du grand duc, qu'on n'y rencontre
que rarement en hiver ; au lieu que le moyen duc y
refte toute l'année, 6c fe trouve même plus aifcment
en hiver qu'en été: il habite ordinairement dans les
anciens batimens ruines , dans les cavernes des ro-
chers (iij , dans le creux: des vieux arbres, dans les
forets en montagne, (Se ne defcend guère dans les
plaines; lorfciue d'autres oifeaux l'attaquent, il fe fert
très-bien, & des griffes Sl du htc\ il fe retourne aufîi
fur le dos, pour fe défendre, quand il efl affi.lli par
un ennemi trop fort.
Il paroît que cet oifeau, qui efl commun dans nos
provinces d'Europe, fe trouve aulfi en Afie; car
Belon dit en avoir rencontre un dans les plames de
Ciiicie.
ÏI y a dans cette efpèce pluficurs variétés dont la
première fe trouve en Italie, Si a été indiquée par
Aldrovande ; ce hibou d'Italie efl plus gros que le
hibou commun, Si en diffère au ffi par les couleurs:
fc ) Nota. Il efl: plus commun en France & en Italie qu'en An-
gleiene. On le trouve très -fréquemment en Bourgogne, en Cham-
pagne, en Solofi^ne oc dans les niontacrnes de l'Auvergne,
^(ij Sta il Gufû mile grotte , pcr le bûche degli alberi , neW antr'iagUe
e crepature di mûri e tetti di café difdbitate , ne dirupi e luoghi eremi,
Olina. Ucceller. fog. 56.
voyez
DU Hibou ou moyen Duc. 345
voyez 6c comparez les defcriptions qu'il a faites de
l'un ÔL de l'autre (^<;^.
Ces oifcaux fe donnent rarement la peine de faire un
nid, ou fe l'épargnent en entier; car tous les œufs <Sc
les petits qu'on m'a apportés, ont toujours été trouvés
dans des nids étrangers , fouvent dans des nids de
pies , qui , comme l'on fait , abandonnent chaque
année leur nid, pour en faire un nouveau; quelquefois
dans des nids de bufes, mais jamais on n'a pu me
trouver un nid conftruit par un hil)0u : ils pondent
ordinairement quatre ou cinq œufs , ôi leurs petits qui
font blancs en nailfant, prennent des couleurs au houi
de quinze jours.
Comme ce hibou n'efl pas fort fenfd)Ie au froid ,
qu'il paffe l'Iiivcr dans notre pays, Sl qu'on le trouve
en Suède comme en France (fj, il a pu paffer à\m
continent à l'autre; il paroit qu'on le retrouve en
Canada Si dans plufieurs autres endroits de l'Amérique
feptentrionale ('gj ; il fe pourroit même que le hibou
fe) Aldrov. Av'i. tom. 1, png, j i p.
ff) Sirix capite aurito , pennïs fex. Linn. Faun, Suec. n.* 47.
(ê) ^^^^' ' •" C'eft au hibou commun ou moyen duc qu'il faut
appliquer le pi (âge fuivant. «On entend durant la nuit, prefque
dans toutes nos îes, une (brte de chat- huant qu'on appelle canot, «
qui jctie un cri lugubre, comme qui criroit au canot, ce qui lui a «
fait porter ce nom ; ces oileaux ne font pas plus gros que des ce
tourterelles , mais ils font tout femblables en leur plumage aux hiboux ce
que nous voycns communément en France ; ils ont deux ou trois ce
pcic> pluir.cj aux deux côtés de la lète, qui fembient être des «
Oifeau,^, Tome 1. . X x
34<^ Histoire N atv r e lle
de la Caroline décrit par Catelty fhj, ôi celui de
l*Amérique méridionale, indiqué par ie P. Feuillée fij,
ne fufTent que des variétés de notre hibou, produites
par la différence des climats, d'autant qu'ils font à très-
peu près de la même grandeur, <Sc qu'ils ne diffèrent
que par les nuances Si. la diftribution des couleurs.
On fe fert du hibou Si du chat - huant fkj, pour
» oreilles : ils Ce rafTemMent quelquefois Cept ou huit de ces oiieaux
au-deflus des toits, où ils ne celTent de crier pendant toute la nuit «.
IVota. 2," Par la comparaiion de la grandeur de ce hibou avec une
tourterelle, il leiiibleroit que c'eft le Icops ou petit duc; mais s'il a,
comme le dit l'Auteur , plufieurs plumes éminentes aux côtés de h
tête, ce ne peut être qu'une variété de l'efpèce du moyen duc. Ce
même Auteur ajoute que le chat - huant Canadien n'a de différence
<lu François , qu'une petite fraife blanche autour du cou & un cri
particulier. HiJIoire de la nouvelle France , par Charlevoix , tome III,
page j (T.
fh) Voyez la defcription & la figure coloriée de cet oifeau dans
l'Hirtoire Naturelle de la Caroline , par CaielLy , page y, planche VU.
(ï) Bubo ûcro - cinereus peâore maculofo. Feuillée , Obfer. Phyjiq.,
pag. j p , avec une figure. Nota, Il paroît qu'on peut rapporter à ce
hibou de l'Amérique méridionale > indiqué par le P. Feuillée, celui
dont Fernandès fiit mention fous le nom de Tecololt , qwi fe trouve
au Mexique &. à ia nouvelle Efjîngne; mais ceci n'eft qu'une vrai-
fèmblance fondée fur les rapports de grandeur & de climat, car
Fernandès n'a donné non-feulement aucune figure des oiieaux dont
il parle , mais même aucune defcription afiez détaillée pour qu'on
puilTe les reconnoître.
(kj II Gufo altramente Barbagianni uccellaccio notturno in forma di
civetta ( chat- huant ) groflo qutnto una gallina, con le penne dal lato dtl
capo çhe paioa due cornidne , di çoior gialio , meJliçatQ çon projilaiwa
DU Hibou ou moyen Duc. 347
attirer les oifeaux à la pipce, 6c l'on a remarqué que
les gros oifeaux viennent plus volontiers à la voix du
hihou , qui eft une cfpèce de cri plaintif ou de gémif-
fement grave &. alongé clow , cloud , qu'il ne cefl'e de
répéter pendant la nuit , & que les petits oifeaux viennent
en plus grand nombre à celle du cliat- huant, qui cfl
une voix haute , une efpèce d'appel holiâ , fiohô: tous
deux font pendant le jour des gclles ridicules 6c bouf-
fons en préfence des hommes 6c des autres oifeaux.
Ariftote n'attribue cette efpcce de talent ou de propriété
qu'au hibou ou moyen duc , otiis ; Pline la donne au
fcops , 6c appelle ces geftes bizarres, ffwius fnyr/cos ;
mais ce fcops de Pline cfl le même oifcau que Votos
d'Ariftote ; car les Latins confondoient fous le même
nom fcops, Yoios 6^ \q fcops des Grecs, le moyen duc
6c le petit duc qu'ils rcuniiïbicnt fous une feule efpèce,
6c fous le même nom , en fc contentant d'avertir qu'il
exifloit néanmoins des grands fcops 6c des petits.
C'cft en effet au hibou , oius , ou moyen duc , qu'il
faut principalement appliquer ce que dilent les Anciens
de ces gelles bouffons 6c mouvcmens fatyriques; 6c
comme de très-habiles Phyficiens 6c Naturalises ont
prétendu que ce n'étoit point au hibou, mais à un autre
oifcau d'un genre tout différent, qu'on appelle la Je-
moifdlc Je Jsjiim'hfie , qu'il faut rapporter ces paffages
des Anciens , nous ne pouvons nous difpenfer de
Ji nero. Cort quejîo fuccella a animali groffi corne culte cornachie e nïbb'ù
fûtï la civctia a mcelletti d'ognî forte. Olina. Vcçdler. fog. 56.
Xx i/
34S Histoire Naturelle
tlifciiter ici cette qiieftion , (S. de relever cette erreur.
Ce font M/' les Anatoniiftes de l'Académie des
Sciences , qui dans ia defcription qu'ils nous ont donnée
de la demoiTelle de Numidie, ont voulu établir cette
opinion Si s'expriment dans les termes fuivans.» L'oifeau
j) ( difent-ils ) que nous décrivons efl appelé ^(fw^z/^/^^i?
» ISlwmdie , parce qu'il vient de cette province d'Afrique,
5> (Se qu'il a certaines fiçons par lefquelles on a trouvé
» qu'il fembloit imiter les gefles d'une femme qui
3> affecfte de la grâce dans fon port éc dans fon marcher,
» qui fembie tenir fouvent quelque chofe de la danfe:
>5 il y a plus de deux mille ans que les Naturalifles qui
5> ont parlé de cet oifeau , l'ont défjgné par cette
« particularité de l'imitation des gefles ^ des conte-
>:> nances de la femme. Ariftote lui a donné le nom
>î de bateleur, de danfeur 6c de bouffo7i , contrefaifant
» ce qu'il voit faire 11 y a apparence que cet
» oifeau danfeur 6: bouifon étoit rare parmi les Anciens,
5> parce que Pline croit qu'il eft fabuleux, en mettant
x> cet animal qu'il ^^^ç\\t fatyrique au rang des pégafes,
:>î des grifïons <Sc des firènes ; il eft encore croyable
5> qu'il a été jufqu'à préfent inconnu aux Modernes,
3> puifquMs n'en ont pomi parlé comme l'ayant vu,
>» mais feulement comme ayant lu dans les écrits des
« Anciens, la defcription d'un oifeau appelé y?^/^/ &
« dus par les Grecs, & afio par les Latins, à qui ils
» avoient donné le nom de danfeur , de bateleur &
» de comédien f de forte qu'il s'agit de voir ï\ notre
l<
<c
DU Hibou ou moyen Duc. 349
demoifelle de Numidic peut pafTer pour le fcops & «
pour i Wj" des Anciens ; la defcription qu'ils nous «
ont laiflee de Votus ou fcofs, confifle en trois parti-
cularités remarquables la première e(l d'imiter
les geftes la féconde efl d'avoir des éminences «
de plumes aux deux cotés de la tête , en forme «
d'oreilles 6c la troifième efl la couleur du plu- «
mage, qu'Alexandre Myndicn , dans Athénée, dit «
être de couleur de plomb : or la demoifelle de «
Numidie a ces trois attributs , 6l Arifîote femble te
avoir voulu exprimer leur manière de danfer, qui «
efl de fauter l'une devant l'autre, lorfqu'il dit qu'on «
les prend quand elles danfent l'une contre l'autre. «
Belon croit néanmoins que Votus d'Ariflote efl le «
hibou, par la feule raifoii que cetoifeau, à ce qu'il «
dit, fait beaucoup de mines avec la tête; la plupart «
des Interprètes d'Ariflote , qui font auffi de notre «
opinion, fe fondent fur le noni à'otus, qui fignilie, «
ayant des oreilles; mais ces efpèces d'oreilles dans «
ces oifeaux ne font pas tout-à-fait particulières au «
liibou, ÔL Arifîote fait affcz voir que Votus n'efl pas «
le hibou, quand il dit que Votus reffemble au hibou, «
6; il y a apparence que cette reffemblance ne confifle «
que dans ces oreilles: toutes les demoifellcs de Nu- <c
midie que nous avons difféquées, avoient aux côtés «
des oreilles , ces plumes qui ont donné le nom à Votus u
des Anciens.... Leur plumage étoit d'un gris-cendré, «
le! qu'il efl décrit par Alexandre Myndien dans Votas »>
Xx ii)
35^ Hl STOI RE NATU RELLE
Comparons maintenant ce (jirAriftoîe dit Je Votus,
avec ce qu'en difent ici M/' de l' Académie : onis
fwâuœ fimil'ts cf[, phinulis c'ircuer mires em'mcntibus prœdhiis ,
wide nomen accqnt, qnafi aiirhum d'icas; nonnulli cum nlnhim
arpellant , alii afionem, Blatcro hic c(l , & liai lue mat or
& vlampes jfahanies en'im imitât ur. Capititr imenius in altero
miciive , altero circumeimte ut nodiia. \Jotus , c'e(l-à-dire
ie hibou ou moyen duc eft femblable au nodua ,
c'eft-à-dire au chat -huant; ils font en effet fem-
blables, Toit par la grandeur, Toit par le pkimagc, foit
par toutes les habitudes naturelles : tous deux ils font
oifeaux de nuit, tous deux du même genre 6c d'une
efpcce très-voifine , au lieu que la demoifelle de Nu-
midie ed fix fois plus groiïe <Sc plus grande, d'une
forme toute différente, &. d'un genre très-éloigné, 6l
qu'elle n'cfl: point du nombre des oifeaux de nuit;
l'^7///j- nedjHère, pour ainfi dire, du nodiia , que par les
aigrettes de plumes , qu'il porte fur la tête auprès
des oreilles, (5c c'eft pour diflinguer l'une de l'autre
qu'Ariftote ài\i , pinmilis circiter aiires eminentibus prœditus ,
unde nomen aceepit quaji auritum dicas. Ce font des petites
plumes, pinnidœ , qui s'élèvent droites 6c en aigrette
auprès des oreilles, circiter aiires eminentibus , <Sc non pas
de longues plumes qui fe rabattent & qui pendent de
chaque côté de la tête, comme dans la demoifelle de
Numidie ; ce n'efl donc pas de cet oifeau , qui n'a point
d'ai<^rettes de plumes relevées &: en forme d'oreilles,
qu'a jété tiré le nom de oins , quafi auriins ; c'eft au
DU Hibou ou moyen Duc. 351
contraire du hibou qu'on pourroit appeler noâua aurita,
que vient évidemment ce nom, & ce qui achève de
le démontrer, c'eft ce qui fuit immédiatement dans
Ariflote , nonnulli eum fotumj ululam appellam alnafwnem.
C'eft donc un oifeau du genre des hiboux & des
chouettes, puifque quelques-uns lui donnoient ces
noms; ce n'efl; donc point la demoifeile de Numidie
auiïi différente de tous ces oifeaux , qu'un dindon peut
l'être d'un épervier. Rien, à mon avis, n'efl donc plus
mal fondé, que tous ces prétendus rapports que l'on
a voulu établir entre Votus des Anciens, 6c Toifcaii
appelé dcmo'ifelle de Numidïc , & Ton voit bien que
tout cela ne porte que fur les geftes &: les mouvemens
ridicules, que fe donne la demoifeile de Numidie;
elle a en effet ces geftes bien fupérieurementau liibou,
mais cela n'empêche pas que celui-ci, aufïi-bien que
la plupart des oifeaux de nuit , ne foit blatero , bavard
ou criard (l) ; hnlluc'inawr , fe contre£iifant ; y»/^7/;^^j^
bouffon. Ce n'efl encore qu'au \\\how qu'on peut attri-
buer de fe laiffer prendre auffi aifément que les autres
chouettes, comme le dit Ariflote, &c. Je pourrois
m'étendre encore plus fur cette critique, en expofant
& comparant ce que dit Pline à ce fujet; mais en voilà
(l) M. Frifch , en parlant de ce hibou, dit que fôn cri efl très-
fréquent & fort , qu'il reflemble aux huées des enfàns iorfqu'ils pour-
fuivent quelqu'un dont ils fe moquent; que cependant ce cri efl
commun à plufieurs e(]îéces de chouetiw. Voyi\ Frifch y à l'aTtkk
ées Oiieaux nodurnes.
J72 Histoire N atv relle, ire.
plus qu'il n'en faut pour mettre ia chofe hors de doute, &
pour aiïurer que IW^des Grecs n'a jamais pu défigner
ia demoifelle de Numidie, 5c ne peut s'appliquer qu'à
i'oifeau de nuit, auquel nous donnons le nom de hibou
ou moyen duc: j'obferverai feulement que tous ces
mouvemens bouffons ou fatyr'iques attribues au iiibou
par les Anciens, appartiennent au/Ti à prefque tous les
oifeaux de nuit (m), âc que dans le fait ils fe réduifent
à une contenance étonnée, à de fréquens tournemens
de cou, à des mouvemens de tête, en haut, en bas
Si de tous côtés, à des craquemens de bec, à des
trépidations de jambes, <Sc des mouvemens de pieds
dont ils portent un doigt, tantôt en arrière, Si tantôt
en avant, 6c qu'on peut aifément remarquer tout cela
en gardant quelques-uns de ces oifeaux en captivité;
mais j'obferverai encore qu'il faut les prendre très-
jeunes lorfqu'on veut les nourrir ; les autres refufent
toute la nourriture qu'on leur préfente dès qu'ils foTJt
enfermés.
^mj Tous les hiboux peuvent tourner leur tête comme l'oifèau
appelé torcoL Si quelque chofe d'extraordinaire arrive , ils ouvrent
de grands yeux , dreHent leurs plumes & paroifTent une fois plus
gros ; ils étendent auffi les ailes , fè baiflcnt ou s accroupiffent , mais
ils fe relèvent promptement, comme étonnés; iis font craquer deux
ou trois fois leur bec. IJem, ibidem.
LE SCOPS
T.-m 1
/>/ XX/7I P.ij J.'
Oto\oi J«{,
LE niBOl ou MOTIvX IHC.
F Hoiert JcuLj
ÎS5
LE S C O P S (a)
o u
PETIT DUC.
Voy. h s -planches enluminées , nf ^j 6 ; & la pi XXIV.
de ce volume.
V,
Oici la iroifième Si dernière efpèce du genre des
Hiboux, c'e(l-à-dire, des oifeaux de nuit qui portent
(a) En Grec, 2)06; v^; en Latin, Afio ; en Italien, Zivetta ou
Zuelta , Alochavello , Cliiv'mo ; en Allemand, Stokeule ; en Polonois,
Sowka ; en Anglois , Little horn - owl. Scops Aldrovandi. Avi.
toni. I, pag. 530. — Huette ou Hulotte ou Chouette, nommée par
jiucuns , Petit Duc. Bclon , Hijî. nat. des Oifeaux, page 14.1. El
Portraits d'oifcaux , page 2 y. — Nodua mimr , mâua aucupor'ia.
Scops Plinii. Rzac. Hift. mil. PoL pag. 288. Noâua mïnor. Scops
Aldrovandi. "Rit^c. Auâ. HiJî. nat. PoL pag. 398. — Scops Aldrovandi,
Willulghby , Omitli. p. 6 5 , tab. xil. — Le petit Duc. PL XX XVII,
jig. I . Ornitli. Briflon, tome I, page ^j?j. — The fhort e and owl . Le
Hibou à oreilles courtes. Britilch Zoology , pi. B ^ ; & pi. B 4,
fg. 2. Nota, C'eft pour ne rien omettre <5c pour tout indiquer, que
je cite ici ia Zoologie Britannique ; car cet ouvrage , dont le principal
mérite confifte dans les planches , efl: mêjue à cet égard encore trcs-
défet^iieux : par exemple , les aigrettes des hiboux , qui ne iont com-
pofécs que de plumes , y font rcpréfenrécs comme fi c'étoit de vraies
oreilles de chair, &.c De même il efl dit dans le texte que \c
hibou à oreilles courtes n treize pouces & demi Anglois de longueur,
ce qui fiit plus de douze pouces & demi de France : or ce même
oileau n'a que fept pouces & demi tout au plus; ainfi c'eft proba-
blement le moyen duc , que. l'Auteur aura pris pour le petit duc ;
& ce c[ui prouve encore Ton peu de connoi/Iance & d'exadiiudc ,
Oifeaux , Tome 1. • ^ y
3 54- Histoire Natu relle
des plumes élevées au-defTus de la tcte, ôi elle efl aifce
à diflinguer des deiw autres, d'abord par la petitefTe
même du corps de l'oifeau, qui n'efl pas plus gros
qu'un merle, (Se enfuite par le raccourciiïement très-
marqué de ces aigrettes qui furmontent les oreilles,
lefquelles dans cette efpèce ne s'élèvent pas d'un
demi-pouce, <Sc ne font compofées que d'une feule
petite plume fb); ces deux caradères fuffifent pour
c'eft d'avoir également indiqué ce même oifeau dans les planches
B ^ & B ^ , jig. 2. On voit, au premier coup d'œii , que ce ne
doit pas être le jnême oifeau , puil({ue la figure repréfentée dans la
planche B 4 , fg. 2 , eft d'un tiers plus petite que celle qui eft
reprelcntée dans la planche B ^ , &i que le moyen duc qui eft repré-
fenté dans h planche B ^, Jig. i, n'elt pas plus grand que le petit
duc, B ^ , Jig. 2: or le moyen duc ayant, comme le dit Wiilujghby,
quatorze pouces & demi; fi le petit duc en avoit treize & demi,
comme le dit l'Auteur de la Zoologie Britannique , pourquoi ne pas
appuyer fur ce fait oc relever l'erreur de ceux qui ne lui donnent que
fept pouces! ou bien dire qu'en Angleterre les petits ducs font plus
gros qu'ailleurs , ou bien encore que c'eft une efpèce particulière à
la Grande-Bretagne: cela valoit bien la peine d'être difcuté ; mais
cet Auteur ne dilcute rien, ne dit rien de nouveau, ni même rien
de moderne , car il paroît ignorer beaucoup de chofes qui ont été
dites avant lui fur les fujets qu'il traite. L'ouvrage de M. Edwards
«ft infiniment meilleur ; car indépendamment de ce que les deiïins
& les planches coloriées font plus corre<5tes, c'eft que fes dcfcriptions
iônt plus exa(fles , fes comparaifons plus juftes , & que par -tout il
paroît avoir une pleine connoiifance de ce qui a été fait avant lui
fur les objets qui ont rapport à ceux qu'il nous préfente.
(h) Aures vel plumula in aurium modum JurreOœ , m mortuo vix ap-
pât tnl , in vivo mamjefiieres , tx unâ tantùm p'mnulâ c&njlantes. Aldrov»
Avi, tom. I , pag. ^ 3 i .
DU SCOPS ou PETIT Duc. 355
diflingner le petit duc (^w moyen & du grand duc , &
on le reconnoitra encore aifcment à la tête qui eft pro-
portionnellement plus petite par rapport au corps que
celle des deux autres, Si encore à fon plumage plus
élégamment bigarré <5c plus diRindement tacheté que
celui des autres, car tout fon corps efl; très- joliment
varié de gris, de roux, de brun 6c de noir; 6c Tes
jambes font couvertes jufqu'à l'origine des ongles,
de plumes d'un gris - rouflâtre mtlé de taches brunes;
il diffère auffi des deux autres par le naturel , car il
fe réunit en troupe en automne 6c au printemps, pour
paffer dans d'autres climats; il n'en refle que très-peu,
ou point du iout en hiver dans nos provinces , & on
les voit partir après les liirondclles, ôl arriver à peu
près en mcme temps; quoiqu'ils habitent de préfé-
rence les terreins élevés , ils fe raffemblent volontiers
dans ceux où les mulots fc font le plus multipliés,
6c y font un grand bien par la deftruélion de ces ani-
maux qui fe multiplient toujours trop , 6c qui dans
de certaines années pullulent à un tel point, qu'ils
dévorent toutes les graines 6c toutes les racines des
plantes les plus néceffaires à la nourriture 6c à i'ufage
de l'homme: on a fouvent vu dans les temps de cette
efpèce de fléau, les petits ducs arriver en troupe, Sl
faire fi bonne guerre aux mulots qu'en peu de jours
ils en purgent la terre (cj; les hiboux ou moyens ducs
(c) Nota. I ." Samuel Dale en cite deux exemples d'après Cliildrey,
& il les rapporte dans les termes fuivans. In the year i j S 0 aï
Y y ij.
35<^ Histoire Natu relle
fe réiinifTent aiiiïi quelquefois en troupe de plus dt
cent; nous en avons été informés deux fois par des
témoins oculaires, mais ces affemblées font rares, au
iieu que celles des fcops ou petits ducs fe font tous
les ans ; d'ailleurs c'eft pour voyager qu'ils femblent
fe raffembler, 6c il n'en rcfle point au pays, au iieu
qu'on y trouve des hiboux ou moyens ducs en tout
temps; il efl même à préfumer que les petits ducs
font des voyages de long cours, & qu'ils paffent d'un
continent à l'autre; l'oifeau de la nouvelle Efpagne
indiqué par Nieremberg, fous le nom de talchkuadi ,
eft ou de la même efpèce,.ou d'une efpèce trcs-voifme
de celle du fcops ou petit duc (d);2M refle, quoiqu'il
voyage par troupes nombreufes, il efl affez rare par-
tout, (Se difficile à prendre; on n'a jamais pu m'en
procurer ni les œufs ni les petits , & on a même de
hallonûde an army ofmïces fo overrun the marshes near foulh-minj\er that
the eat up the grajf to the very roots But at tenght a great number
of Strange painiccl owis came and àevoured ail the niicc. The lïkt
Jwppened again in EJfex anno 1648. Chiidrey , Britanniâ botankâ,
pag. I 00 — Dale's appendîx tho the h'ijlory of Harw'ich. London, i y^ 2,
pag. 397. JVota. 1." Que quoique Dale rapporte ces faits à Votus
ou moyen duc, je crois qu'il faut les attribuer au fcops ou petit duc,
à caufe de l'indication Strange painted owls , qui fiiffit pour faire re-
connoître ici le fcops ou petit duc.
(d) Exot'icum oti genus talchicuatlî vïdetur : cornu ta avis ejl fivc
miriculata , parva corpore , refima , rojlro i/revi , nigra lumine , luteâ eni-
htfccns iride fufca & cinerea plumis ufque ad crura , atra & incurva-
iinguibus. Cetera fimilis nojlrati oto. Eufeb. Nieremberg, //'//?. nat..
Lib. X, cap. XXXIX; pag. 221,
P: XX/f- P.K7 .-'r
^f t'Vt'f ac/m
Venu i ' ctUf^
LE scops ou PKirr d\ c
DU SCOPS ou PETIT Duc. 357
ia peine à l'indiquer aux ChafTeurs qui Je confondent
toujours avec la chevêche , parce c^uc ces deux oifeaux
font à peu près de la même grofTcur, 6l que les petites
plumes cminentes qui diilinguent le petit duc font
très -courtes, (Se trop peu apparentes pour faire \\n
cara6lère qu'on puifTe reconnoître de loin.
Au refte, la couleur de ces oifeaux varie beaucoup
fuivant l'âge &. le climat, & peut-être le fexc; ils font
tous gris dans le premier âge , il y en a de plus bruns
les uns que les autres quand ifs font adultes, la couleur
des yeux paroît fuivre celle du plumage, les gris n'ont
Jes yeux que d'un jaune très -pâle, les autres les ont
plus jaunes ou d'une couleur de noifette plus brune ^
mais ces légères différences ne fuilifent pas pour err.
faire des efpèccs diflindtes <5: fcparces.
e^c^j
Ty iii
3)8 Histoire Natu relle
L
LA HU LO TT E (a).
Vûje^ les flanches enhimiiiées , n! ^^/.
A Hulotte qu'on peut appeler aufTi la chouette noire,
<Sc que les Grecs appeloient nydicorax ou le corbeau de
nuit, eft la plus grande de toutes les chouettes; elle a
(a) En Grec, Nox.'ny^^^; en Latin, Ulula, & aufTi en Italien
félon Gcfner ; Alocho & quelquefois Lucharo félon Aldrovande; en
Portugais, Corufa; en Catalogne, Xura, Kuta; en Allemand, Huhn;
en Polonois, Lelok, Sowka, Puf^-^ik; en Angîois, Honiet ; on l'ap-
pelle en Bourgogne Choue j ce qui eft un augmentatif de ChoueUe.
Salerne dit qu'on l'appelle en Champagne le Trembleur , parce que
cet oifeau crie comme en friffonnant & tremblant de froid. Ulula.
Gefner, Av'i. pag. 772. — Aldrov. Avi. tom. I, pag. 538. — Ulula
Latinis. Ray, Syn. Avi. pag. 26 , n.° 4 U/ula Gefneri , idem,
ibidem , n." j. —Ulula Aldrov andi. Willugh. Omit h. pag. 68. —Hibou
fans cornes ou Chat -huant. Belon , Hijl. naî. des Oifeaux , page
139. .. . Hibou, Chat -huant, appelé aufTi Dame. Idem. Portraits
d'Oifeaux, page 2 6 , At Nota. Cette dénomination Dame vient pro-
bablement de ce que cet oileau a la face environnée d'un collier
& d'ime elpècc (\^ chaperon aflez fembbîble à ceux que portent les
femmes j^ovir le covivrir la tête ; mais on peut dire la même choie
de l'effraie &: du chat - huant. — Ulula. Aldrov. Avi. tom. I, pag.
538. . . Aluco. Idem, tom. I, pag. 534. — Chouette noire. Albin,
tome III, page 4, planche Vlli , avec une figure mal coloriée.
Nota. Albin me paroît avoir fait une faute, en difant dans fa defcription,
que cet oifeau a l'iris àei yeux jaune , à moins qu'il n'appelle jaune
le brun couleur de noilette , couleur où il entre en effet un peu de
jaune obfcur. — Noâua major. Frifch , planche XCI v , avec une figure
bien coloriée. — La Hulotte. BrifTon, Ornitliol.iome I, page 507.
DE LA Hulotte. 559
prcs de quinze pouces de longueur, depuis le bout du
bec à l'extrémité des ongles; elle a la tête très-grofTe,
bien arrondie 6c fans aigrettes, la face enfoncée &,
comme encavée dans fa plume, les yeux auffi enfonces
&. environnés de plumes grifâtres 6c décompofées ,
l'iris des yeux noirâtre ou plutôt d'un brun foncé, ou
couleur de noifette obfcure, le bec d'un blanc-jaunâtre
ou verdâtre, le defïïis du corps couleur de gris-de-fer
foncé, marqué de taches noires 6c de taches blan-
châtres; le dcffous du corps blanc, croifc de bandes
noires tranfvcrfales 6c longitudinales; la queue d'un peu
plus de fix pouces , les ailes s'étendant un peu au-delà
de fon extrémité, l'étendue du vol de trois pieds, les
jambes couvertes jufqu'à l'origine des doigts, de plumes
blanches tachetées de points noirs fbj; ces caradères
font plus que fufîifans pour faire diftinguer la hulotte
de toutes les autres chouettes; elle vole légèrement 6c
fans faire de bruit avec fes ailes, Si toujours de côté
comme toutes les autres chouettes; c'efl fon cri fcj,
/b) On peut encore ajouter à ces caractères un fignc diRirKflif,
c'efl que la plume la plus extérieure de i'aile eft plus courte de deux
OU trois pouces que la féconde , qui eft elle-même plus courte d'un
pouce que la troifième , & que les plus longues de toutes font ia
«[uatrième & h cinquième , au lieu que dans l'effraie la féconde &
k troifièine lont les plus longues, & l'extérieure n'efl plus courte
«jue d'un demi-pouce.
^c) Cet oifeau pouffe la nuit , fur-tout quand il gèle , une voix
terrible, qiii fait peur aux femmes & aux enfans. Salcrne, OrniîlwL
page )y
360 H 1 SrO I RE NATV RELLE
Iwîi où oïl oïl où où oïl , qui refTembie afTez au hurlement
du loup, qui lui a fait donner par les Latins le nom
A' ulula, qui vient d'ululare, heurler ou crier comme
le loup, Si c'efl par cette même analogie que les
Allemands l'appellent hû hû ou plutôt lidu hôu (d).
La hulotte fe tient pendant l'été dans les bois ,
toujours dans des arbres creux; quelquefois elle s'ap-
proche en hiver de nos habitations, elle chaffe & prend
les petits oifeaux , <Sc plus encore les mulots & les
campagnols: elle les avale tout entiers, & en rend
aufîi par le bec les peaux roulées en pelotons ; lorf(jue
ia chaffe de la campagne ne lui produit rien , elle vient
dans les granges pour y chercher des fouris &. des
rats; elle retourne au bois de grand matin à Theurc
de la rentrée des lièvres, <Sc elle fe fourre dans les
taillis les plus épais, ou fur les arbres les plus feuilles,
& y pafTe tout le jour, fans changer de lieu: dans la
mauvaife faifon , elle demeure dans des arbres creux
pendant le jour,^. n'en fort qu'à la nuit; ces habitudes
(d) Nota. C'efl d'après Gefner que je dis ici que les Allemands
appellent cette chouette, hu hu ; cependant c'efl le grand duc auquel
appartient ce nom : il dit aufii qu'ils l'appellent ul & cul. M. Frilch
ne lui donne que le nom générique eule , & dit (jue les autres
lurnoms qu'on lui donne en Allemand font (ans fondement, comme
celui de knapp eule , par exemple , qui exprime le craquement que
cet oileau tait avec fon bec , mais que toutes les el])èces de chouettes
font également ; & nacht eul qui fignifie chouette de nuit , puifque
toutes les chouettes font également des oifeaux de nuir.
lui
DE LA Hulotte. 561
lui font communes avec le liibou ou moyen duc^ au/Ij-
bien que celle de pondre leurs œufs dans dts nids
étrangers, fur-tout dans ceux dts Lufes , des crcfrerelles ,
des corneilles & des pies; elle fait ordinairement quatre
œufs d'un gris fa(e , de forme arrondie , ôl à peu près
aufli gros que ceux d'une petite poule.
Oifcaux , Tome J,
J.7,
j62 Histoire Naturelle
L E
C HA T-HUA NT (a).
Voy. les plaîiches enluminées , ;// 4^ y; & la pL XXV
de ce volume.
A
PRÈS ia hulotte, qui efl la pfus grande de toutes
Jes chouettes, & qui a les yeux noirâtres, fe trouvent
le Chat-huant qui les a bleuâtres, <Sc l'Effraie qui les a
jaunes : tous deux font à peu près de la même grandeur;
ils ont environ douze à treize pouces de longueur,
depuis le bout du bec jufqu'à Textrémité des pieds,
ainfi ils n'ont guère que deux pouces de moins que
la hulotte, mais ils paroifTent fenfiblement moins gros
à proportion. On reconnoitra le chat-huant d'abord
à fes yeux bleuâtres , & enfuite à la beauté & à la
variété diflincle de fon plumage (ly); Si enfin à Ton
^'ûj En Grec, T^vc^\ en Latin, Noâua; en Catalogne, Cabeca;
cil Allemand, Aiïkhfavger , Kinder, Alelcker , Stock - eule ; en An-
glois, Common brown-owl ou Leech-owl. — Strix. Gefner, Avi , pag.
738. — Aldrov. Avi, tom. 1, pag. 561. — Chouette. Albin, tome I,
page 1 0 , planche ix , avec une figure mal coloriée. — Noiftua major,
Frilch , pi. XCVI , avec une figure coloriée du mâle; Ù" pi- XCV ,
avec une figure coloriée de la femelle. — Le Chat-huant. Briflon y
Ornithol. tome I, page 500. — The îaivny owl. Britifch Zoology ,
planche B S- ^°^^- Q"^ ^•yvxf^ d'exaditude, l'Auteur de la Zoologie
Britannique a marqué du même numéro B S > deux planches différentes,
& que l'une de ces planches repréfente le hibou ou moyen duc ,
& l'autre le chat-huant dont il efl ici queftion.
(b) Voyez -en la delcription très - détaillée &: très-exade dans
DU Chat- HUANT, 363
cri hoJiû y hchd , hohôhdho , par lequel il femble huer,
hôler ou appeler à haute voix.
Gefner, Aldrovandc, &: plufieurs autres Naturalises
après eux , ont employé le mot Jlrix , pour dcTigner
cette cfpèce, mais je crois qu'ils fe font trompés, &
que c'efl à l'effraie qu'il faut le rapporter :y7r/.v^ pris
dans cette acception, c'efl-à-dire, comme nom d'un
oifcau de nuit , eft un mot plutôt latin que grec ; Ovide
nous en donne l'étymoiogie , 6c indique affez claire-
ment quel efl l'oifeau nodurne auquel il appartient,
par le paiïage fui vaut :
Strigum
Grande caput , Jîantes ocidï , rojîrj npta Yapin<x
Canïties pcnnis , iinguibus hamus ïnejl.
EJi illis jlngïbus mmen, Scd nomin'is hujits
Caufa quûd horrcnda flndcre nodc Jolcnt.
La tête groffe , les yeux fixes , le bec propre à la
rapine, les ongles en hameçon, font des cara6lères
communs à tous ces oifcaux; mais la blancheur du
^\\\?c\'\<^Cy cmiïnes pcnu'is , appartient plus à l'effraie qu'à
aucun autre; & ce qui détermine fur cela mon fenti-
ment, c'eft que le vi\o\ Jïrïdor ^ qui fignifie en latin un
rOrniihologic de M. Briffon , tome I, page joo & fahantes : il
fuffit de dire ici que les couleurs du chat-huant font bien plus claires
que celles de la huk)ue ; le mâle chat-huant eft à la vérité plus brun
que la femelle , mais il n'a que très-peu de noir en comparaifon de
la hulotte , qui de toutes les cliouettes cA la plus grande & la plus
J)riinc.
Zz ij
364. Histoire Naturelle
craquement, un grincement, un bruit défagrcablement
entrecoupé <Scfemh!able à celui d'une fcie, eft précifé-
ment le cri gré, grei de l'effraie ; au lieu que le cri du
chat - huant eft plutôt une voix haute , un hôlemen:
qu'un grincement.
On ne trouve guère les chat-huans ailleurs que dans
les bois; en Bourgogne ils font bien plus communs
que les hulottes, ils fe tiennent dans des arbres creux,
6c l'on m'en a apporté quelques-uns dans le temps le
plus rigoureux de l'hiver, ce qui me fait prcfumer
qu'ils refient toujours dans le pays, & qu'ils ne s'ap-
prochent que rarement de nos habitations. M. Frifch
donne le chat -huant comme une variété de l'efpèce
de la hulotte , <Sc prend encore pour une féconde
variété de cette mcme efpèce le mâle du chat-huant:
fa pldîiche cotée X CîV , efl la hulotte; X-à planche xcv ,
la femelle du chat-huant; <5c Vàp/ûuche xcv i le chat-
Jiuant mâle: ainh au lieu de trois variétés qu'il indique,
ce font deux efpèces différentes, ou fi l'on vouloit que
le chat-huant ne fût qu'une variété de l'efpèce de la
hulotte , il faudroitpouvoi^nier les différences confiantes
& les caractères qui les diftinguent l'un de l'autre, 6c
qui me paroiffent affez fenfibles 6c affcz multipliés pour
confliîuer deux efpèces diflincles 6c féparécs.
Comme le cliat-liuant fe trouve en Suède 6c dans
\çs autres terres du Nord fcj^ il a pu paffer d'un
(c) Strix cap'ite lœn , corpore fcrrugineo , rcmlge terliâ longiore. Linn.
Faun. Suec, 11." ^ 5.
Tjrn J
n -VA'/ V.iT .V^
. ■iâtTrtf/-r^ J r
LK CHAÏ-nrAN l
DU ChAT'HUANT. 365
continent à I autre; aufTi le retrouve-t-on en Amérique
jufque dans les pays chauds. Il y a au cabinet de
M. Mauduyt, un chat -huant qui lui a été envoyé de
Saint-Domingue, qui ne nous paroît être qu'une
variété de i'efpèce d'Europe, dont il ne diffère que
par l'uniformité des couleurs fur la poitrine & fur le
ventre qui font roufTes & prefque fans taches , &i encore
par les couleurs plus foncées des parties fupcrieures
du corps.
Z z iij
366 Histoire N atu r elle
L' E F F R A I E
o u
LA F R E s A 1 E (a).
Vûjei les -planches enluminées , nf^ ^7^ à^ 4-4-<^\>
ir la flanche xxvi de ce volume.
L'effraie qu'on appelle communément la chouette
des clochers, cfïraie en effet par Tes foufflemens, cliê,
chci , ch'eù , chïoù , fes cris acres <&. lugubres ^;r/\, ^;r^
(a) En Grec, EAeo^i en Latin, Aluco ; en Allemand & en
Flamand , Kirch - eule , ce qui fignifie Chouette des églifes ; Schleyer-
eule , Chouette voilée, parce qu'elle femblc avoir la tête encapu-
chonnée; Perl- eule , parce que Ton plumage eft parfemé de taches
rondes comme des perles ou des gouttes de liqueur; en Anglois,
Whîte-ou'l , Chouette blanche. Nota. Salerne dit qu'on l'appelle dans
l'Orlcanois, la Sologne, &c Fréfaie ; en Poitou, Prcfa'ie ; en
Gafcogne , Brefague ou Frefaco ; dans le Vcndômois , Chouan.
— Effraie ou Frelaïe. Belon, H'ijl. nat. des Oifeaux , page 14.2. . .
Petit Chat-huant plombé. Idem. Portraits d'oifcaux, page 26 , B»
Nota. Il paroît que Belon confond , à quelques égards , l'effraie ou
frefiiïe avec le tette- chèvre ou crapaud - volant , & Cellier le lui a
reproché avec jufte raiion. — Aluco m'mor. Aldrov. Av'i. tom. I,
pag. 536. — Ululœ genus alterum quod quidam fiammeatum cognom'mant.
Gefner, Avî , pag. 774. — Aluco minor Aldrovandi. Willuloh. Orn'nh.
pag. 6y , tab. XIII. — Lucheran ou Chouette- blanche, Albin,
Urne II, page y, planche XI , avec une figure coloriée, — Noâua
guttata. Frifch , pi. xcvil, avec une figure coloriée. — Le petit
Chat-huant. Briffon , Ornith. tome I, page 503. — The Whîte owU
Britifch Zoology , planche B»
DE l'Effraie ou la Fresaie. 367
crei , & fa voix entrecoupée qu'elle fait fouvcnt retentir
clans le filcnce de la nuit ; elle efl , pour ainfi dire
domeflique, & habite au milieu des villes les mieux
peuplées; les tours, les clochers, les toits des églifes
& des autres bâtimens élevés lui fervent de retraite
pendant le jour, 6c elle en fort à l'heure du crcpufcule,
fon foufflcment qu'elle réitère fans ceffe , refîémble à
celui d'un homme qui dort la bouche ouverte; elle
pouffe auffi en volant & en fe repofant, dilTérens fons
aigres, tous Çi défagréables que cela joint à V'iàée du
voifinage des cimetières & des églifes, 6c encore à
l'obfcurité de la nuit, infpire de l'horreur 6c de la
crainte aux enfans, aux femmes, 6c même aux hommes
foumis aux mêmes préjugés, 6c qui croient aux reve-
nans, aux forciers, aux augures; ils regardent l'effraie
comme l'oifeau funèbre, comme lé melTager de la
mort; ils croient que quand il fe fixe fur une maifon ,
ôi qu'il y fait retentir une voix différente de fes cris
ordinaires , c'eft pour appeler quelqu'un au cimetière.
On la diflingue aifcment des autres chouettes par fa
beauté de fon plumage ; elle cfl à peu près de la
même grandeur que le chat -huant, plus petite que la
Juilotte , Si plus grande que la chouette proprement
dite , dont nous parlerons dans l'article fuivant ; elle a un
pied ou treize pouces de longueur , depuis le bout du
hQC jufqu'à l'extrémité de la queue , qui n'a que cinq
pouces de longueur; elle a le deffus (}i\.\ corps jaune,
onde de gris 6c de brun, 6c taché de points blancs; le
368 Histoire Naturelle
cleïïbus du corps blanc, marqué de points noirs; les
yeux environnés très - régulièrement d'un cercle de
plumes blanches ^ fi fines, qu'on les prendroit pour
<Jes poils ; l'iris d'un beau jaune, le bec blanc , excepté
ie bout du crochet qui eft brun ; les pieds couverts
de duvet blanc, les doigts blancs & les ongles noi-
râtres; il y en a d'autres qui, quoique delà même
efpècc , paroifTent au premier coup d'œil être aflez
différentes; elles font d'un beau jaune fur la poitrine 6l
fur le ventre , marquées de même de points noirs ;
d'autres font parfaitement blanches fur ces mêmes
parties, fans la plus petite tache noire: d'autres enfin
font parfaitement jaunes 6; fans aucune tache, telle que
Ja planche, îi." ^-l-o , la repréfente.
J'ai eu pluficurs de ces chouettes vivantes, il eft:
fort aifé de les prendre, en oppofant un petit filet,
une trouble à poiffon aux trous qu'elles occupent dans
les vieux bâtimens; elles vivent dix ou douze jours
dans les volières où elles font renfermées, mais elles
refufent toute nourriture, &: meurent d'inanition au bout
de ce temps ; le jour elles fe tiennent fans bouger au
bas de la volière, le foir elles montent au fommct
des juchoirs où elles font entendre leur fouffîemcnt ,
chc , chci , par lequel elles femblent appeler les autres:
j'ai vu plufieurs fois en effet, d'autres effraies arriver
au foufirlement de l'effraie prifonnière, fe pofer au-
deiïus de la volière, y faire ie même foufflement, &
s'y iaiffer prendre au filet. Je n'ai jamais entendu leur
cri
DE l! Effraie ou h Fresaie. 5^9
cri acre (jlndor), crci , grci dans les volières; elles
ne poiiiïent ce cri qu'en volant &. iorfqu'elles font
en pleine liberté; la femelle eft un peu plus groffe
que le mâle, <5c a les couleurs plus claires & plus
di(lin6les; c'eft de tous les oifeaux nocturnes celui
dont le plumage efl le plus agréablement varié.
L'efpèce de l'effraie eft nombreufe , <& par- tout
trèS'Commune en Europe; comme on la voit en Suède
auffi - bien qu'en France fbj, elle a pu paffer d'un
continent à l'autre; auffi la trouve-ton en Amérique,
depuis les terres du Nord jufqu'à celles du Midi.
Marcgrave l'a vue 6c reconnue au Brefil, où les naturels
du pays l'appellent tuïJara (ej.
L'effraie ne va pas comme la hulotte <5c le chat-
huant, pondre dans des nids étrangers; elle dépofe fes
œufs à crud dans des trous de murailles, ou fur des
folives fous les toits, <?c auffi dans des creux d'arbres;
elle n'y met ni herbes ni racines , ni feuilles pour les
recevoir; elle pond de très-bonne heure au printemps,
c*efl-à-dire, dès la fin de mars ou le commencement
d'avril; elle fait ordinairement cinq œufs <5c quelquefois
(b) Str'ix captte lœvl , corpore luteo. Linn. Faun. Suec. n.° 49. Nota.
M. Salerne s'eft trompé lorfqu'il a dit que Linnaeus n'en parle point,
& qu'apparemment la frefaic ne fe trouve point en Suède. Vo)e:^
Salerne, Ornithol. page j 0,
(c) Tuulara Brafilienfibus ; ulula ejl fptcies , Gemanis SCHLEIER^
JEU LE , Belg'is kerkuyle Dejcjïbïlur Ù" a Cefnero, Marcgr,
////?. nat. BrafiL png. 20 j,
Oifeaux, Tome L , Aaa
37^ Histoire Naturelle
fix 6i même fept, d'une forme alongée, Sl Je couleinr
blanchâtre; elle nourrit fes petits d'infectes &. de mor-
ceaux de chair de fouris ; ils font tout blancs dans le
premier âge, <Sc ne font pas mauvais à manger au bout
de trois femaines, car ils font gras & bien nourris; les
pcres 6c mères purgent les églifes de fouris ; ils boivent
aulli alTcz fouvent , ou plutôt mangent l'huile des
Jampes , fur-tout fi elle vient à fe figer; ils avalent les
fouris &. les mulots, les petits oifeaux tout entiers, &:
en rendent par le bec les os, les plumes <Sc les peaux
roulées ; leurs excrémens font blancs <5c liquides comme
ceux de tous les autres oifeaux de proie ; dans la belle
faiibn , la plupart de ces oifeaux vont le foir dans les
bois voifms, mais ils reviennent tous les matins à leur
retraite ordinaire, où ils dorment &i ronflent jufqu'aux
heures du foir; 6-. quand la nuit arrive, ils fe laiffent
tomber de leur trou, & volent en culbutant prefque
jufqu'à terre: lorfjue le froid efl rigoureux, on les
trouve quelquefois cinq ou fix dans le même trou , ou
cachées dans les fourrages; elles y cherchent l'abri^
l'air tempéré &. la nourriture; les fouris font en effet
alors en plus grand nombre dans les granges que dans
tout autre temps: en automne, elles vont fouvent vifitcr
pendant la nuit les lieux où l'on a tendu des rejetto'ires &
des lacets pour prendre des bécaffes <Sc des grives (^),
(d) Rejetîcîre , baguet e de bois vert courbée, au bout de laquelle
on attache un lacet , &. qui par Ion rcifort en ferre le nœud coulant
& enlève i'oijeûu.
TcmJ
T: .V.\77 p.
L EFFRAIK,
DE l'Effraie ou h Fresaie, 371
elles tuent les bécaffcs qu'elles trouvent rufpcndues ,
<&: les mangent fur le lieu; mais elles emportent quel-
quefois les grives &i les autres petits oifeaux qui font
pris aux lacets , elles les avalent fouvent entiers (Se
avec la plume, mais elles déplument ordinairement,
avant de les manger , ceux qui font un peu plus gros :
ces dernières habitudes, aufTi-bicn que celle de voler
<Je travers , c'efl-à-dire, comme fi le vent les emportoit,
6i fans faire aucun bruit des ailes, font communes à
l'efîraie, au cbat-buant, à la hulotte, (S: à la chouette
proprement dite dont nous allons parler.
Aaa V]
372 Histoire Natu relle
LA CHOUETTE
O U
LA GRANDE CHEVECHE (a),
Voye:^ les planches enluminées , 7if ^^ 8 ; ^ la
'planche XXV H de ce yoliime.
V>£TTE efpèce, qui efl la Chouette proprement dite,
& qu'on peut appeler la chouette des rochers ou h grande
chevêche, eft afTez commune, mais elle n'approche pas
aufTi fouvent de nos habitations que l'effraie; elle fe
tient plus volontiers dans les carrières, dans les rochers,
dans les bâtimens ruinés Si éloignes des lieux habités:
ii femble qu'elle préfère les pays de montagne, &
qu'elle cherche les précipices efcarpés & les endroits
folitaires; cependant on ne la trouve pas dans les bois,
& elle ne fe loge pas dans des arbres creux (h), on la
(û) En Grec, AtyaXioi ; en Latin , Cïcuma; en Allemand, Stàti'
Jcuti ou Ste'm-eule ; en Polonois, Sowa ; en Anglois, Great Brow^n
cwl. — Noâua quam faxatïlem Helvetii cognom'mant. Noâua faxatil'is.
Cefner, Avi. pag. 622. A\àxo\. Avi. tom. I, pag. 54J. — Grande
Chevêche. Belon, HiJI. nat. des Oifeaux, page 140. . . . Chevêche
grimaut; Machette. Idem. Portraits d'oifeaux , page zy , y4. Grande
Chouette brune. Albin, tome I II, page ^, planche VII , avec une figure
mal coloriée. — Ulula fammeata. Kut-^ jaune fans oreilles ou Sie'm-eule.
Chouene ou Souette. Frifch ^planche XCVIII , avec une bonne figure
coloriée. — La grande Chouette. BrifTon, Ornithol. tome I, p^ige 3 i !•
(bj Nous laiiTeroïis ( dit M. Frifch ) à cette Chouette fon nom
DE LA C H OU ET T E, ire, 375
cliftinguera aifémcnt de ia iuilotte 6: du chat - huant
par la couleur des yeux qui font d'un très -beau jaune,
au lieu que ceux de la hulotte font d'un brun prefque
noir, & ceux du chat -huant d'une couleur bleuâtre;
on la diflinguera plus difficilement de l'effraie, parce
que toutes deux ont l'iris des yeux jaunes, environnés
de incme d'un grand cercle de petites plumes blanches;
que toutes deux ont du jaune fous le ventre, <5c qu'elles
font à peu près de la même grandeur; mais la chouette
des rochers efl en général plus brune, marquée de
taches plus grandes 6c longues comme de petites
flammes; au lieu que les taches de i'cfîraie, lorfqu'elle
en a, ne font, pour ainfi dire, qiie des points ou des
gouttes , & c'efl par cette raifon qu'on a appelé l'effraie
noâiia guttatû , &. ia chouette des rochers dont il efl
ici queflion , noSlua jïammeata ; elle a auffi les pieds
bien plus garnis de plumes , & le bec tout brun; tandis
que celui de l'effraie efl blanchâtre, &. n'a de brun
(|u'à fon extrémité. Au refte, la fenielle , dans cette
cfpèce, a les couleurs plus claires, (Se les taches plus
petites que le mâle, comme nous l'avons auffi remarqué
fur la femelle du chat-huant,
Bclon dit que cette efpèce s'appelle la grande
chevêche ; ce nom n'cfl pas impropre, car cet oifeau
cliflin<flif Stein - eule , parce que je ne l*ai jamais trouvée dans des
arbres creux , mais feulement dans des bâiimens en ruines ou du
moins abandonnes depuis long- temps, & dans les rochers. Frifch ,
article des Oifeaux nodurnes^
Aaa iij
374 Histoire N atu rel le
reffemble affcz par Ton plumage 6c par Tes pieds bien
garnis de duvet , à la petite chevêche que nous appelons
fimpiement chevêche; il paroît être aufTi du même na-
turel, ne fe tenant tous deux que dans les rochers, les
carrières, & très -peu dans les bois: ces deux efpèces
ont aulTi un nom particulier, kma^ on kaut:^-lc'm en
Aiiejnand , (}ui répond au nom particulier, clievêche
en François. M. Salerne dit que la chouette (\u pays
d'Orléans cH certainement la grande chevêche de
Belon ; qu'en Sologne on l'appelle chevêche, Si plus
communément <r//^jW/^ ou caboche; que les Laboureurs
font grand cas de cet oifeau , en ce qu'il détruit quantité
de mulots; que dans le mois d'avril on l'entend crier
jour Sl x\\^\i ^out , mais d'un ton affcz doux, Sl que
quand il doit pleuvoir, elle change de cri 6c fembic
^wç, goyon ; qu'elle ne fait point de nid, ne pond que
trois œufs tout blancs , parfaitement ronds , & gros
comme ceux d'un pigeon ramier; il dit auffi qu'elle
loge dans des arbres creux , <?c qu'Olina fe trompe
Jourdement quand il avance qu'elle couve les deux
derniers mois de l'hiver: cependant ce dernier fait
n'cfl pas éloigné du Nrai ; non-feulement cette chouette,
mais même toutes les autres pondent au commence-
ment de mars , 6: couvent par conféquent dans ce
même temps; 6c à l'égard de la demeure habituelle
de la chouette ou grande chevêche dont il cfl ici
queilion , nous avons obfervé qu'elle ne la prend pas
dans des arbres creux, comme i'affure M. Salerne,
DE LA C H 0 U E T T E, i-^L\ 375
mais clans des trous de rocliers & dans les carricres,
Iiabitiidc qui lui efl commune avec la petite chevêche
dont nous allons parler dans l'article fui\ant; elle efl
aufTi confidcrablement plus petite que la luilotte, 6c
même plus petite que le chat - huant , n'ayant guère
que onze pouces de longueur depuis le bout du bec
jufqu'aux ongles.
Il paroît que cette grande chevêche qui efl aiïcz
commune en Europe, fur-tout dans les pays de mon-
tagnes, fe retrouve en Amérique dans celles duChiîy,
& que refpcce indiquée par le P. Fcuillée fous le
nom de chevcche-lapin (c) , <Sc à laquelle il a donné ce
furnom de lainn , parce qu'il l'a trouvée dans un trou
faix dans la terre, que cette cfpèce, dis-je, n'efl qu'une
variété de notre grande chevêche ou chouette des
rochers d'Europe, car elle efl de la même grandeur
& n'en diffère que par la diflribution à^s couleurs y
ce qui n'efl pas ilifhfant pour en faire une cfpèce
djflinéle 6c réparée. Si cet oifeau crcufbit lui - même
fon trou, comme le P. Feuillée paroit le croire, ce
feroit une raifon pour le juger d'une autre cfpcce que
notre chevêche (<]) , Si même que toutes nos autres
/cj Efpèce de ciievêche-Lipin ou ulula cuniculûria. Fcuillce, Journa.
écs Objerviitions phyfiques , pnge 562. — La chouetic de Coquiiubo.
Brilîon , Ornithol. tome I , j:)age 525, où l'on ])cut en voir la def-
cription aufli bien c[ue dans l'ouvrage du P. Fcuillte,
(il) Nota. 1 ." Le P. i\\.\ Tertre , en parlant de l'oifeau nocturne
appelé diable dans nos îicj de l'Amérique, dit qu'il efl gros connue
37^ Histoire N atu relle, ire,
chouettes; mais il ne s'enfuit pas de ce qu'il a trouve
cet oifeau au fond d'un terrier, que ce foit l'oifeau
qui l'ait creufé; (Se ce qu'on en peut feulement induire,
c'eft qu'il eft du même naturel que nos chevêches
d'Europe, qui préfèrent conflamment les trous, foit
dans les pierres , foit dans les terres , à ceux qu'elles
pourroient trouver dans les arbres creux.
«n canard , qu'il a la vue affreufe , le plumngc mêle de blanc &; de
noir , qu'il repaire fur les plus hautes montagnes , qu'il fe terr'it comme
le lapin dans les trous qu'il fait dans la terre, oij il pond fes œufs,
les y couve & élève lès petits ..... qu'il ne defcend jamais de la
montagne que de nuit, & qu'en volant il fait un cri fort lugul;re
& effroyable. HiJI. des Antilles, tome II, page 2jy. Nota. 2.° Cet
oifeau efl certainement le même que celui du P. Feuillée , «5c quel-
ques-uns des habitans de nos îles fc trouvera peut-être à portée de
vérifier s'il creufe en effet un terrier pour fe loger & y élever (zi
petits. Tout le reflc des indications que nous donnent ces deux
Auteurs, s'accorde à ce que cet oifeau foit de la même efpèce que
notre chevêche ou chouette des rochers.
LA CHEVECHE
177
LA CHEVECHE (a)
O U
PETITE CHOUETTE.
Voy. les planches eiilumhièes, nf ^^ p; & lapL XXV lU
de ce volume.
L
A Chevcche 6c le Scops ou petit Duc , font à peu
près de la même grandeur: ce font les plus petits
oifcaux du genre des hiboux Si des chouettes; ils ont
(a) Nota. Les Grecs & les Latins n'ont pas diftingué cette efpècc
par un nom particulier , & ils l'ont vraifcmbiablement confondue avec
celle du fcops ou petit duc , cfio. H en eft de même des Italiens qui
les appellent tous deux Xuetta ou Civetta ; en Efpagnol , Leclni^a ;
en Portugais, Ahcho ; en Allemand, Kut^ ou plutôt Kaut:Jtin ;
en Polonois , S^owa ; en Anglois, Little owl. Noâuœ genus parvum.
Cefner, Icon. Àvi. pag. 15. — Petite Chevêche. Belon , ////?. nat.
dis Oifeaux , p^ge 140. — Noâua. AIdrov. Avi. tom. I, pag. 543.
—-Petite Chouette. Albin, tome II , page 8 , planche XJJ , avec une,
ficrure coloriée. — Petit Hilou. Edwards, Glanures , page 39,
planche CCXXV 1 1 1 , avec une bonne figure coloriée. — La petite
Chouette ou la Chevêche. B ri flou , Ornithol. tome I, page 514.
— The Little o\i'l. Britifch Zoology , planche B j . Nota. M. Edwards,
M. Frifch &L l'Auteur de la Zoologie Britannique ont chacim donné
une planche coloriée de cet oifeau : la meilleure & la plus refîcm-
Llantc à la Nature , eft celle de M. Edwards ; elle rej.ré lente la femelle
de cette efpèce. La planche de la Zoologie Britannique & celle de
M. Frifch repréfentent le mâle; mais ce dernier Auteur a fait une
faute en donnant des yeux d'un bleu noirâtre à cet oilêau , car il les
a d'un jaune pâle.
P if eaux, Tome L . Bbb
37? Histoire Natu relle
fept ou huit pouces de longueur, depuis ie bout du
bec jufqu'à l'extrémité des ongles , <Sc ne font que
de la grofTeur d'un merle ; mais on ne les prendra pas
l'un pour l'autre, fi l'on fe fouvient que le petit duc
a des aigrettes, qui font à la vérité, très - courtes <&
compofées d'une feule plume, & que la chevêche a la
tête dénuée de ces deux plumes cminentes ; d'ailleurs
elle a l'iris des yeux d'un jaune plus pâle, le bec brun
à la baie &. jaune vers le bout, au lieu que le petit
duc a tout le bec noir; elle en diffère auiïi beaucoup
par les couleurs, <Sc peut aifément être reconnue par la
régularité des taches blanches qu'elle a fur les ailes &
fur le corps, Si aulTi par fa queue courte comme celle
d'une perdrix; elle a encore les ailes beaucoup plus
courtes à proportion , plus courtes même que la grande
chevêche , elle a un cri ordinaire poûpoû poûpoû , qu'elle
pouffe (5c répète en volant , & un autre cri qu'elle ne
fait entendre que quand elle efl pofée , qui reffemble
beaucoup à la voix d'un jeune homme qui s'écrieroît,
ûhné , hcmc , ifinë plufieurs fois de fuite (h) ; elle fe
(a) Nota. Étant couché dans une des vieilles tours du château de
Montbard , une chevêche vint (e pofer \\r\ peu avant le jour, à
trois heures du matin, fur (a tablette de la fenêtre de ma chambre,
& m'éveilla par Ton cri hême , êdme ; comme je prêtois l'oreille à cette
voix , qui me parut d'abord d'autant plus fmgulicre qu'elle étoit tout
pïès de moi , j'entendis un de mes gens , qui étoit couché dans fa
chambre au-deflus de la inienne , ouvrir (a fenêtre , & trompé par la
rellemblance du fon bie.i articulé êJme , répondre à i'oileau ; qui es-tu
Ic-bas , je ne m'appelle pas Edme, je m'appille Pierre. Ce domel\iquc
IhmJ
fl.XXm Pa^J-'S
ULuii-ni^ri . ^iXiJf i''~
L A ClIOl KTTE
DE LA C H EV Ê C H E, ire. 379
tient rarement dans les bois, fon domicile ordinaire
eft dans les mafures écartées des lieux peuplés, dans
les carrières , dans les ruines des anciens édifices
abandonnés; elle ne s'établit pas dans \çs arbres creux,
Sl refTemble par toutes ces habitudes à la grande che-
vêche; elle n'efl pas abfolument oifeau de nuit, tWt
voit pendant le jour beaucoup mieux que les autres
oifeaux no6lurnes, 6c fouvent elle s'exerce à la chafTe
des hirondelles <Sc des autres petits oifeaux , quoi-
qu'affez infrudueufement, car il eft rare qu'elle en
prenne; elle rcuffit mieux avec les fouris 6c les petits
mulots qu'elle ne peut avaler entiers (Se qu'elle déchire
avec le bec 6c les ongles, elle plume auiïi très-propre-
ment les oifeaux avant de les manger; au lieu que les
hiboux, la hulotte 6c les autres chouettes les avalent
avec la plume, qu'elles vomiiïent enfuite, fans pouvoir
la digérer; elle pond cinq œufs qui font tachetés de blanc
6c de jaunâtre, 6c fait fon nid prefqu'à crud dans des
trous de rochers ou de vieilles murailles. M. Frifch
dit que comme cette petite chouette cherche la folitude,
qu'elle habite communément les églifes, les voûtes,
les cimetières où l'on conflruit des tombeaux, quel-
ques-uns l'ont nommée oifeau d'églife ou de cadavre ,
hjrcken-oder , le'ich en-huhu , 6c que comme on a remarqué
auifi qu'elle voltigeoit quelquefois autour des maifons
croyoit, en effet, que c'étoit un homme qui en appeloit un autre,
tant la voix de la chevêche refl'emble à la voix humaine & arÙLuIe
diftindement ce mot.
Bbb ij
380 Histoire Natu re lle
où il y avoit des mourans. . . Le peuple fuperftitieux Ta
appelée oifiau de mort ou de cadavre , s'imaginant qu'elle
préfageoit la mort des malades. M. Frifch n'a p^'S fait
attention que c'efi à l'effraie , (Se non pas à la chevêche
qu'appartiennent toutes ces imputations, car cette petite
chouette eft très-rare en comparaifon de l'effraie; elle
ne fe tient pas comme celle-ci dans les clochers,
dans les toits des églifes; elle n'a pas le foufflement
lugubre, ni le cri acre (?c effrayant de l'autre, <Sc ce
qu'il y a de certain, c'eff que fi cette petite chouette
ou chevêche efl re^ardceen Allema<::ne comme l'oifeau
de la mort , en France c'cfl à l'effraie qu'on donne ce
nom fmiflre. Au refle, la chevêche ou petite chouette
dont M. Frifch a donné la figure , 6c qui fe trouve
en Allemagne, paroit être une variété dans l'efpèce
de notre chevêche; elle efl beaucoup plus noire par
Je plumage, <5c a auffi l'iris des yeux noir, au lieu que
notre chevêche efl beaucoup moins brune, 6c a l'iris
des yeux jaune: nous avons aufTi au cabinet une variété
de l'efpèce de la chevêche, qui nous a été envoyée de
Saint-Domingue, 6c qui ne diffère de notre chevêche
de France, qu'en ce qu'elle a un peu moins de blanc
fous la gorge, 6c que la poitrine 6c le ventre font
rayés tranfvcrfalement de bandes brunes affez régulières;
au lieu que dans notre chevêche, il n'y a que des
taches brunes femces irrégulièrement fur ces mêmes
parties.
Pour prcfentcr en raccourci , & d'yne manière plus
DE LA Chevêche, èfc, 381
facile à faifir les caradlères qui diflinguent les cinq
efpèces de chouettes dont nous venons de parler ,
nous dirons: i.° Que Ja hulotte efl; la plus grande Se
la plus groiïe , qu'elle a les yeux noirs , le plumage
noirâtre, <Sc le bec d'un blanc -jaunâtre, qu'on peut
Ja nommer la grqfe choucne noire aux yeux noirs: z° Que
le chat-huant efl moins grand 6c beaucoup moins gros
que la hulotte, qu'il a les yeux bleuâtres, le plumage
roux mêlé de gris -de -fer , le bec d'un blanc-
verdâtre , & qu'on peut l'appeler la chouette roujfè &"
gris - de -fer aux yeux bleus: 3." Que l'effraie efl à peu
près de la même grandeur que le chat-huant, qu'elle a
les yeux jaunes, le plumage d'un jaune -blanchâtre ,
varié de taches bien diftindtes, (Se le bec blanc avec
ie bout du crochet brun , <Sc qu'on peut l'appeler la
chouette blanche ou jaune aux yeux oranges: 4.° Que la
grande chevêche ou chouette des rochers n'efl pas fi
grande que le chat -huant ni l'effraie, quoiqu'elle foit
à peu près auffi groffe, qu'elle a le plumage brun, \q^
yeux d'un beau jaune 6c le bec brun , 6c qu'on peut
l'appeler la chouette brune aux yeux jaunes ir au bec
brun: y Que la petite chouette ou chevêche eft
beaucoup plus petite qu'aucune des autres, qu'elle a le
plumage brun, régulièrement taché de blanc , les yeux
d'un jaune pâle 6c le bec brun à la bafe, 6c jaune vers
le bout, 6c qu'on peut l'appeler [a petite chouette brune
ûux yeux jaunâtres , au bec brun &" orangé. Ces caradères
le trouveront vrais en général; les femelles 6c les mâles
Bbb il]
382 Histoire Natu pelle, ire.
de toutes ces efpèces fe refTemblant aiïez par les cou-
jeurs , pour que les différences ne foient pas fort
fenfibles ; cependant il y a ici, comme dans toute la
Nature, des variétés aiïez confidérahies, fur-tout dans
les couleurs ; i[ fe trouve des hulottes plus noires les
unes que les autres, des chat -huants, plutôt couleur
de plomb que gris -de -fer foncé, des efîraies plus
blanches ou plus jaunes les unes que les autres, des
chouettes ou chevêches grandes & petites , plutôt
fauves que brunes ; mais en réunifïïmt enfcmble ôl
comparant les caradlères que nous venons d'indiquer,
je crois que tout le monde pourra les reconnoitre,
c'eft-àdire, les diflinguer les unes des autres fane s'y
méprendre.
n XX nu Paj 3Si
ttt/tSrr-^
LA C RFA F. C HE ou PETITE CHOUETTE .
î8î
OISEAUX ÉTRANGERS,
Qui ont rapport aux H I B 0 U X if aux
Chouettes.
I.
L'oiseau appelé Cabure ou Cahoure y^^^ If s Indiens
du Brefil, qui a des aigrettes de plumes fur la tcte ,
& qui n'eft pas plus gros qu'une Jitorne ou ^ùvt Aqs
genévriers; ces deux caractères fuffifent pour indiquer
qu'il tient de très ~ près à l'efpèce du fcops ou petit
duc , fi mcme il n'eft pas une variété de cette efpèce.
Marcgrave efl le feul qui ait décrft cet oifcau (aj , il
n'en donne pas la figure; c'eft, dit-il, une efpèce de
hibou de la grandeur d'une litorne (nirdela); il a la
tête ronde, le bec court, jaune & crochu avec A^wx
trous pour narines; les yeux beaux, grands, ronds,
jaunes avec la pupille noire; fous les yeux <S^ à côté
du bec, il y a des poils longuets (5c bruns; les jambes
font courtes & entièrement couvertes, auiïi - bien que
les pieds , de plumes jaunes ; quatre doigts à l'ordinaire ,
avec des ongles fémilunaires, noirs 6c aigus; la (|ucue
large, 6v à l'origine de laquelle fe terminent les ailes ;
le corps, le dos, les ailes &. la queue, font de couleur
d'ombre pâle, marquée fur la tête & le cou de très-petites
(a) Marcgrave , H'ijl, Braf. pag. 2 1 2.
384 Histoire Naturelle
taches blanches, ôi. fur les arles de plus grandes taches
de cette même couleur ; ia queue eft ondée de blanc , la
poitrine <&. le ventre font d'un gris-blanchâtre, marqué
d'ombre pâle ( c'eiVà-dire d'un brun clair). Marcgrave
ajoute que cet oifeau s'apprivoife aifcment , qu'il peut
tourner la tête Si alonger le cou , de manière que
l'extrémité de fon bec touche au milieu de fon dos ;
qu'il joue avec les hommes comme un fmge, & fait à
leur afpedl diverfes bouffonneries <Sc craquemens de bec;
qu'il peut outre cela remuer les plumes qui font des
deux côtés de la tête, de manière qu'elles. fe drefTent
& repréfentent des petites cornes ou des oreilles; enfin
qu'il vit de chair crue : on voit par cette defcription ,
combien ce hibou approche de notre fcops ou petit
duc d'Europe, Si je ne ferois pas éloigné de croire
que cette même efpèce du Brehl fe retrouve au cap
de Bonne-erpérance. Kolbe dit que les chouettes qu'on
trouve en quantité au Cap, font de la même taille que
celles d'Europe, que leurs plumes font partie rouges
ôi partie noires, avec un mélange de taches grifes qui
les rendent très-belles, Si qu'il y a plufieurs Européens
au Cap, qui gardent des chouettes apprivoifées, qu'on
voit courir autour de leurs maifons. Se qu'elles fervent
à nettoyer leurs chambres de fouris (^SJ: quoique celte
defcription ne foit pas aiïez détaillée pour en faire une
bonne comparaifon avec celle de Marcgrave, on peut
/ùj Defcription du cap de ^onne-efpérance , tome III, pages i p S
croire
DES Oiseaux étrangers, ire. 385
croire que ces chouettes du Cap , qui s'apprivoiicnt
ailément, comme les hiboux du Brefil, font plutôt de
cette même efpèce que de celles d'Europe , parce
que les influences du climat font à peu près les mêmes
au Brefil & au Cap, 6. que les difîérences &. les variétés
des efpèces font toujours analogues aux influences du
climat.
I I.
L'oiseau de la baie de Hudfon, appelé dans cette
partie de l'Amérique, Capamcoch , très -bien décrit,
defîiné, gravé <Sc colorié par Ai. Edwards, qui l'a nommé
hawk-owl (c) , chouette-épervier , parce qu'il participe
Ats, A(i\.\\, Si ([u'il femble faire en effet la nuance entre
ces deux genres d'oifeaux ; il n'eil guère plus gros
, , -ri • r V ^ fparmv- hawk )
qu un epervier de la petite elpece < . . , • >,
1 r 11^ epervier des moineaux ^
la longueur de fes ailes Si de fa queue lui donne l'air
d'un epervier ; mais la forme de fa tête Se de fes pieds
démontre qu'il touche de plus près au genre des
chouettes: cependant il vole, chafle <Sc prend fa proie
en plein jour , comme les autres oifeaux de proie
diurnes; fon bec efl femblable à celui de l'épervier,
mais fans angles fur les côtés ; il efl luifant Si de
couleur orangée, couvert prefqu'en entier de poils,
ou plutôt de petites plumes décompofées (5c grifes,
comme dans la plupart des efpèces de chouettes; i'iris
('cj The Unie Hawk'owl Edwards, H'ijl. of Birds , tom, II,
pag. 62, planche LXil , avec une bonne figure coloriée.
û if eaux, Tome I. , C c c
386 Histoire Naturelle
des yeux efl de ia même couleur que celle du htc ,
c'efl-à-dire, orangée; ils font entourés de blanc,
ombragés d'un peu de brun moucheté de petites
taches longuettes (?c de couleur obfcure , un cercle
noir environne cet efpace blanchâtre, & s'étend autour
de la face jufqu'auprès des oreilles; au-delà de ce
cercle noir fe trouve encore un peu de blanc; le
fommet de la tcte efl d'un brun foncé, marqueté de
petites taches blanches (Se rondes ; le tour du cou 6c
Jes plumes , jufju'au milieu du dos , font d'un brun
obfcur &i bordées de blanc; les ailes font brunes <Sc
élégamment tachées de blanc , les plumes fcapulaircs
font rayées tranfvcrfalemcnt de blanc 6c de brun; les
trois plumes les plus voi fines du corps ne font pas
tachées, mais feulement bordées de blanc; la partie
inférieure du dos, le croupion & les couvertures du
deffus de la queue font d'un brun foncé , avec des
raies tranfverfales d'un brun*plus léger; la partie infé-
rieure de la gorge, la poitrine, le ventre, les côtés,
les jambes, la couverture du dcffous de la queue 6c les
petites couvertures du deffous des ailes font blanches,
avec des raies tranfverfales brunes ; les grandes font d'un
cendré obfcur , avec des taches blanches fur les deux
bords ; la première des grandes plumes de l'aile efl
toute brune , fans tache ni bordure blanche ,. 6c il n'y
a rien de femblable aux autres plumes de l'aile, comme
on peut auffi le remarquer dans les autres chouettes;
les plumes de la queue font au nombre de douze.
DES Oiseaux et ran cers, i/c, 387
d'une couleur cendrée en dcfTous, d'un brun obfcur en
defTus, avec des raies tranfverfaics étroites &. blanches;
les jambes & les pieds font couverts de plumes fines ,
douces Si blanches comme celles du ventre, traverféfs
delignes brunes plus étroites & plus courtes; les ongles
font crocJius , aigus ôl d'un brun foncé.
Un autre individu de la même efpèce étoit un peu
pkis gros, Sl avoit les couleurs plus claires, ce qui fait
préfumer que celui qu'on vient de décrire efl le mâle;
<5c ce fecond-ci la femelle: tous Aeux ont été apportés
de la baie de Hudfon en Angleterre , par M. Light , à
M. Edwards.
I I I.
LE H A R F A N G.
Voyc^ les planches enhiiuînees ,11. 4 s ^•
L'oiseau qui fe trouve dans les terres feptentrionales
des deux continens, que nous appellerons Harfaug, du
nom fîwfdorig (J), qu'il porte en Suède , <5c qui par fa
grandeur ell à l'égard des chouettes, ce que le grand
duc eft à l'ég.îrd des hiboux ; car ce harfang n'a point
d'aigrettes fur ia tête, 6c il efl encore plus grand t«L
plus gros que le grand duc; comme la plupart ^es
oifeaux du Nord, il eft prefque par-tout d'un t^-^s-beau
(d) Scnx copïte lœvî , corpore alhïdo. Harûp-ë- ^'""- ^^^"- '^''^^'
n: 54. . . . Nyaea. Strïx capite lœvï. --'P'^' ^^^''^' > '"'^^"^^ ^""^''"^
diftantibus fufàs. IJem. Syft. nn*- -^^'' ^'" ^'^"' fcandiana maxima
ix albo ù- cïnmo v^r^^^aîa. Rudbeck cité par Liim^us. Ibid.
Ccc ij
388 Histoire Naturelle
blanc, mais nous ne pouvons rien faire de mieux ici,
que Je traduire de l'Anglois la bonne defcription ,
que M. Edwards nous a donnée de cet oifeau rare ,
ôi que nous n'avons pu nous procurer: « la grande
» chouette blanclie, dit cet Auteur, efl de la première
" grandeur dans le genre des oifeaux de proie noc-
>j turnes , Si c'efl en même -temps i'efpèce la plus
5) belle à caufe de fon plumage qui eft blanc comme
« neige; fa tête n'ell; pas fi grofTe, à proportion,, que
3> celle des autres chouettes; fes ailes, lorfqu'elles
>> font pliées, ont feize pouces ( Anglois ) , depuis
>) l'épaule jufqu'à l'extrémité de la plus longue plume,
5î ce qui peut faire juger de fa grandeur: on dit que
5> c'efl un oifeau diurne, 6c qu'il prend en plein jour
55 les perdrix blanches dans les terres de la haie de
•*•> Hudfon fej, où il demeure pendant toute l'année;
> fon bec efl crochu comme celui d'un épervier,
5j n'ayant point d'angles fur les côtés ; il efl noir Se
» percé de larges ouvertures ou narines, il e(t de plus
3> prefcju'entièrement couvert de plumes roidcs, fem-
« blables à des poils plantés dans la bafe du hec , Se
•» fe retournant en dehors; la pupille des yeux efl
5^ environnée d'une iris brillante & jaune, la tête auffi-
55 bie« que le corps, les ailes 6c la queue font d'un
» blanc par; je deffus de la tête efl feulement marqué
» de petites tacL^s brunes, la partie fupérieure du
f'ej }\oîa. Que ces perdrix bian^vips des terres du nord de TAmé-
rique ne iont pas des perdrix , mais des geJOii^tes,
DES Oiseaux étrangers, i/c. 389
dos efl rayée iranfverfalement de quelques lignes «
brunes , les côtés fous les ailes font aufTi rayés de «
même , mais par des lignes plus étroites 6c plus «
ciaires; les grandes plumes des ailes font tacliées «
de brun fur les '.bords extérieurs , il y a aufu des «
taches brunes fur ks couvertures des ailes , mais «
Jeurs couvertures en deffous font purement blanches, «
le bas du dos 6c le croupion font blancs 6c fans «
taches ; les jambes 6c les pieds font couverts de «
plumes blanches, les ongles font longs , forts, d'une «
couleur noire 6c très-aigus: j'ai eu un autre individu «
de cette efpèce, ajoute M. Edwards, qui ne dilîéroit «
de celui - ci qu'en ce qu'il avoit des taches plus <<
fréquentes 6c d'une couleur plus foncée » ffj. Cet
oifcau qui efl commun dans les terres de la baie de
Hudfon , eft apparemment confiné dans les pays du
Nord , car il efl très - rare en Penfilvanie , dans le nou-
veau continent, 6c en Europe, on ne le trouve plus
en-deçà de la Suède 6c du pays de Dantzick ; il eft
prefque blanc 6c fans taches dans les montagnes de
Lapponie. M. Klein dit que cet oifcau qu'on appelle
Mirfan^ en Suède, fe nomme wàjfebunte fchliâcte-eule
en Allemagne ,. qu'il a eu à Dantzick le mâle 6c la
femelle vivans, pendant plufieurs mois (^) , en 174.7.
(f) Edwards, H'ijl. of BirJs, îom. II, pag. Ci , pkmhe LXJ,
avec i ne bonne figure colorice.
/gj — Ulula alba maculis tard coloris. Hûrfang, Suec. WeifTeln^nte
Schliclcie-eulc. Eju^modi ayem anrio ij^jf S i^'^' ''lf'^''ùa:n inter
Çcc iij
390 Histoire Natu relle
Al. Ellis rapporte que le grand hibou blanc fans oreilles
( c'eft-à-clire, cette grande chouette blanche ), abonde
auffi-bien que le hibou couronne ( c'efi:- à- dire , le
grand duc ), dans les terres qui avoifincnt la baie de
Hudfon : il eft, dit cet Auteur, d'un blanc cblouiiïànt,
6c Ton a peine à le diflinguer de la neige ; il y paroît
pendant toute l'année, il vole fouvent en plein jour,
6c donne la chafîe aux perdrix blanches (lij: on voit
par tous ces témoignages, que le harfang, qui efl fans
comparaifon la plus grande de toutes les chouettes, fe
trouve aiïcz communément dans les terres feptentrio-
nales des deux continens f'ij; mais qu'apparemment
cet oifcau craint le chaud, puifqu'on ne le trouve
dans aucun pays du Midi.
eur'iûfa fûcUtaùs Gûar repofui. Pondus cequahat j» { ^ pojlea martm &
fœm'inam vivos ohtinui , pojl menfes fex fœm'inâ mortuâ , marem Iibertate
donavi. Eadcm apud Edwardum , tom. 11, pag. 6\. Ah unco rojîri ad
exitum caudœ i -j^ ulnœ dant alis expanfis 2 i, rojlrum & un gués n'rgri;
genœ , alœ infernœ , uropygium pedes pilofa latïea; truncus fupernè fuper
ûlbo ex cinereo marmoratus. Klein , Av'u pag. 5 4,
(h) Voyage de la baie de Hudfon, tome I, pages /j & ^6.
Nota. J'ai déjà averti que ces perdrix croient des gelinottes.
(i) Nota. On le trouve, comme on voit, en Lapponie, en Suède
& dans le nord de l'Allemagne; on le trouve à la baie de Hudfon
& en Penfilvanie ; on le trouve aufTi en Iflande , car Anderfon l'a
fuit defliner & graver. Voye-^ la Defcr'ipt'ion de l'IJIande, par Anderfon,
tome I, page 8j, planche I ; Se quoique Horrobous, qui a fait la
critique de l'ouvrage d' Anderfon, aflure qu'il n'y a aucun hibou ni
chouette en Iflande , ce fait négatif & général ne doit pas être admis
fur la parole d'un feul garant, dont il paroît que le but principal
-était de contredire Anderfon.
DES Oiseaux Etrangers, c/c. 391
IV.
Le CHAT^HUANT de Cayenne.
Vûjei les plaîiches enlnminces , ;/." 4^2.
L'oiseau que nous avons cru devoir appeler le Chat-
hiant de Cayenne , qui n'a été indiqué par aucun Natura-
lide; il efl en effet de la grandeur du chat-huant , dont
cependant il diffère par la couleur des yeux qu'il a
jaunes, en forte qu'on pourroit peut-être le rapporter
également à refpèce de l'effraie; mais dans le vrai, il
nereffemble ni à Tun ni à l'autre, 6c nous paroît être un
oilcau différent de tous ceux que nous avons indiqués :
il efl particulièrement remarquable par fon plumage
roux, rayé tranfverfalement de lignes en ondes brunes
&: très -étroites, non - feulement fur la poitrine <Sc le
ventre, mais même fur le dos, il a au/Ti le htc couleur
de chair Si les ongles noirs; cette courte defcription ,
avec la planche enluminée, fufiira pour faire diflinguer
cette efpèce nouvelle de toutes les autres chouettes.
V.
La Chouette ou grande Chevêche
de Canada»
Cet oifeau qui a été indiqué par M. Briffon fkj,
foivs le no ni de Chat-huant de Canada, nous a paru
(k) BriiTon, OrnHhoL tome I, page j\S; p/ûnc/ie xxxyii,
fgurc 2>
392 Histoire N atu relle
approcher beaucoup plus de l'efpèce de la grande
chevêche, & c'efl par cette raifon que nous lui en
avons donné le nom; la planche enhimince qui le
reprélente, comparée avec celle de notre chevêche (Se
de notre chat-liuant, iuffit pour démontrer que cet
oifeau a plus de rapport avec Ja première qu'avec le
fécond; elle diffère néanmoins de notre chevêche,
en ce qu'elle a fur la poitrine <5c fur le ventre des
bandes brunes tranfverfales, régulièreinent difpofées ;
<Sc c'efl ciiofe affez hngulière, qui {t trouve également
dans la petite chevêche d'Amérique dont nous avons
parlé à l'article de la chevêche ou petite chouette, <5c
que nous n'avons confidérée que comme une variété
de cette petite efpèce.
V î.
La Chouette ou grande Chevêche
de Saint'Dominorue.
o
Cet oifeau nous a été envoyé de Saint-Domingue^
ÔL nous paroît être une efpèce nouvelle différente de
.toutes celles qui ont été indiquées par tous les Natu-
ralifles ; nous avons cru devoir la rapporter par le nom
à celle de la chouette ou grande chevêclie d'Europe,
parce qu'elle s'en éloigne moins que d'aucune autre;
mais dans le réel, elle nous paroit faire une efpèce à
part, (Se qui mériteroit un nom particulier; cWt a le
,bec plus grand , plus fort &. plus crochu qu'aucune
efpèce
DES Oiseaux Étrangers» ifc. 593
efpèce de chouette , &: elle diffère encore de notre
grande chevêche , en ce qu'elle a le ventre d'une
couleur rouffâtrc , uniforme, & qu'elle n'a fur la poi-
trine que quelques taches longitudinales ; au lieu que
ia chouette ou grande chevéclie d'Europe, a fur la
poitrine & fur le ventre de grandes taches brunes,
oblongues & pointues, qui lui ont fait àoïxntï le nom
de Chouette flambée, noâua jlanwieûta.
Oifeaux , Tome I,
. DdJ
394- Histoire Naturelle
OISEAUX
QUI NE PEUVENT VOLER,
xJes Oifeaijx les plus légers & qui percent les nues,
nous paflons aux plus pefans qui ne peuvent quitter
la terre; le pas efl brufque , mais la comparaifon efl
la voie de toutes nos connoiffcnces. Si le conirafte
étant ce qu'il y a déplus frappant dans la comparailon,
nous ne faifilTons jamais mieux que par l'oppoiition,
]es points principaux de la nature des êtres que nous
confidcrons. De même, ce n'eft que par un coup
d'oeil ferme fur, les extrêmes que nous pouvons juger
les milieux. La Nature déployée dans toute fon étendue,
nous préfente un immenfe tableau , dans lequel tous
les ordres des êtres font chacun rcpréfentés par une
chaîne qui foutient une fuite continue d'objets aiïez
voifms , affez femblables pour que leurs différences
foient difficiles à fufir ; cette chaîne n'efl pas un
fimple fil qui ne s'étend qu'en longueur , c'efl une
large trame ou plutôt un faifceau , qui , d'intervalle à
intervalle, jette des branches de côté pour fe réunir
avec les faifceaux d'un autre ordre; & c'cft fur- tout
aux deux extrémités que ces faifceaux fe plient, fe
ramifient pour en atteindre d'autres. Nous avons vu
dans l'ordre des quadrupèdes, l'une des extrémités de
la chaîne, s'élever veis l'ordre des oifeaux par les
DES Oiseaux, t'c. 395
polatoiiches, les roiifTettcs, les chauve - ioiiris, qui,
comme eux, ont la faculté de voler. Nous avons vu
celte même chaine, par fon autre extrémité , fe rahaiffer
jufqu'à l'ordre des cétacées par les phoques , les
morfes , les lamantins. Nous avons vu dans le milieu
de cette chaîne, une branche s'étendre du fmge à
l'homme par le magot, le gibbon, le pithèque <^
l'orang-outang. Nous l'avons vue dans un autre point,
jeter uï\ double &. triple rameau, d'un côté vers les
reptiles par les fourmiliers , \ts phatagins , les pangolins ,
dont la forme approche de celle des crocodiles, Acs
iguanes, des lézards; d d'autre côté vers les cruflacés,
par les tatous, dont le corps en entier eft revêtu d'une
cuiraffc ofTeufe. Il en fera de même du faifceau qui
foutient l'ordre très- nombreux des oi féaux , fi nous
plaçons au premier point en haut les oifeaux aériens
les plus légers, les mieux volans, nous defcendrons
par degrés & même par nuances prefqu'infcnfil)les aux
oifeaux les plus pefans, les moins agiles, 6c qui dénués
des inftrumens néceffaires à l'exercice du vol , ne
peuvent ni s'élever ni fe foutenir dans l'air; 6c nous
trouverons que cette extrémité inférieure du faifceau,
fe divife en deux branches , dont l'une contient les
oifeaux terreftres , tels que l'autruche, le touyou , le
cafoar, le dronte , 6cc. qui ne peuvent quitter la terre;
& l'autre fe projette de côté fur les pingoins 6c autres
oifeaux aquatiques , auxquels l'ufage ou plutôt le féjour
de la terre 6c de ^air font également interdits , 6: qui
Ddd ij
39^ Histoire Natu relle
ne peuvent s'élever au - defTus de la furface de l'eau,
qui paroit être leur élément particulier. Ce font-là les
deux extrêmes de la chaîne que nous avons raifon de
confjdcrcr d'abord avant de vouloir faifir les milieux,
qui tous s'éloignent plus ou moins ou participent
inégalement de la nature de ces extrêmes, & fur lefqueîs
milieux nous ne pourrions jeter en effet que des
regards incertains , fi nous ne connoiïïjons pas les
limites de la Nature par la confidération attentive des
points où elles font placées: Pour donner à cette vue
métaphyfique toute fon étendue, & en réalifer les idées
par de jafles applications , nous aurions du , après
avoir donné l'hifloire dts animaux quadrupèdes, com-
mencer celle des oifcaux par ceux dont la Nature
approche le plus de celle de ces animaux. L'autruche
qui tient d'une part au chameau par la forme de fes
jambes, & au porc-épicpar les tuyaux ou piquans dont
fes ailts font armées, devoit donc fuivrc les quadru-
pèdes; mais la Philofophie efl fouvent obligée d'avoir
l'air de céder aux opinions populaires, <Sc le peuple
des Naturalises qui ell fort nombreux, fouffre impa-
tiemment qu'on dérange (es méthodes , ôc n'auroit
regardé cette difpofition que comme une nouveauté
déplacée , produite par l'envie de contredire ou le
defir de faire autrement que les autres: cependant on
verra qu'indépendamment des deux rapports extérieurs
dont je viens de parler , indépendamment de l'attribut
de la grandeur , qui feul fuffiroit ,pour faire placer
DES 0 I S E A U X , i^c. 397
i'aiitruche à la icte de tons les oiTcaux ; elle a encore
beaucoup d'autres conformités par l'organifation inté-
rieure avec les animaux quadrupèdes , & que tenant
prefqu'autant à cet ordre qu'à celui des oifeaux, elle
doit être donnée comme faifant la nuance entre l'un
Si l'autre.
Dans chacune de ces fuites ou chaînes , qui
foutienncnt un ordre entier de la Nature vivante, les
rameaux qui s'étendent vers d'autres ordres font tou-
jours afTcz courts Si ne forment que de très - petits
genres. Les oifeaux qui ne peuvent voler, fe réduifent
à fept ou huit efpèces ; les quadrupèdes qui volent, à
cinq ou fix ; & il en efl de même de toutes les autres
branches qui s'échappent de leur ordre ou du faifceau
principal , elles y tiennent toujours par le plus grand
nombre de conformités , de reiTe m fiances , d'analogies ,
Se n'ont que quelques ranjiorts & quelques convenances
avec les autres ordres; ce font, pour ainfi dire, des
traits fugitifs que la Nature paroît n'avoir tracés que pour
nous indiquer toute l'étendue de fa puifTance, <Sc faire
fentir au Philofophe qu'elle ne peut être contrainte
paries entraves de nos méthodes, ni renfermée dans
les bornes étroites du cercle de nos idées.
Ddd iij
39B Histoire N atu re l le
L' AUTRUCHE Ov\
Voy, tes planches enluminées , nf ^jy ; ér pi' XXIX
de ce volume.
L^AUTRUCHE cft un oifeau très-anciennement connu,
pnifqii'il en efl fait mention dans le plus ancien des
Livres ; il falloit même qu'il fût très-connu , car il
fournit aux Ecrivains facrcs plufîeurs comparaifons
tirées de fes mœurs & de fes habitudes fhj; Si plus
anciennement encore fa chair étoit, félon toute appa-
rence, une viande commune, au moins parmi le peuple,
puifque le Lcgiflateur des Juifs la leur interdit comme
une nourriture immonde fcj; €n{\n, il en eft queflion
dans Hérodote , le plus ancien des Hiftoriens pro-
fanes ^(^Jj & dans les Ecrits des premiers Philofophes
faj Autruche, en Hébreu,. Jacuab ; en Arabe, Neamah ; en
Grec, Stç^Stj?; en Latin, Struthio ; en Efpagnol , Avejfru^; en
Italien, Strut-^o; en Ailcmand, Slrujf ou. Sirûujf; en Anglois, Ofrich.
— Autruche. Belon, Hijl. nat. des Oifemx, page 23 i. — McjTvoires
pour ferviï à IHiftoire des Animaux , /?^r//f II, page J 1 S > ^^^<^
une allez bonne figure. — Albin, terne III, page /j>, planche XX XT,
avec une figure coloriée.
(b) Hahitabunt ïbï jlrvth'wneSi llaïe, chûp. XJII, y. 21. — Fil'ta
popuii mei crudelis (juafi JIruthio in deftrto. Jéréni. Thren. cap. JV,
y. 3. —Luâum quafi Jlruthionum. Mie h. cap. I, yf . 8.
(c) Levitic. cap. XI, y. 16. — Deuteron. cap. XJV, yf . i j.
(dj Nota. Hérodote, fi l'on en croit M. de SaJerne (Ornitliologie,
DE L* A U T R U C H E. 399
qui ont traité des chofes naturelles ; en effet , comment
fiage yp ), parle de trois fortes d'autruches; \e Jlrout/ios aquatique ou
marin, qui eJl le poiflon plat nommé plye ; X aérien, qui efl notre
moineau, & le terreflre ( kataga'ios ) , qui efl notre autruche. De ces
trois efpèccs, la dernière efl la feule dont j'aie trouvé l'indication dans
Hérodote (In Afelpomene , verfus fnem), encore ne puis-je être de
l'avis de M. Salerne fur la manière d'entendre le Jfrouthos kataga'ws
qui, félon moi, doit être ici traduit par autruche fe creufant des trous
dans la terre , non que j'admette de telles autruches , mais parce
qu'Hérodote parle en cet endroit des produdions fincrulières &
propres à une certaine région de l'Afrique, & now de celles qui lui
étoient communes avec d'autres contrées ( Hœ funt Ulic ferœ , & item.
quœ alibi ). Or l'autruche ordinaire étant très-répandue & par con-
ftquent très-connue dans toute l'Afrique, ou bien il n'en auroit pas
fait mention en ce lieu, puif qu'elle n'étoit pas une produdion propre
au païs dont il parloit, ou du moins s'il en eût fait mention, il auroit
omis l'épiihète de terreflre, qui n'ajoutoit rien à l'idée que tout le
monde en avoir ; & en cela cet Hiftorien n'eût fait que fuivre les
propres principes, puifqu'il dit ailleurs f in Thalia ) , en parlant du
chameau, Grœcis urpotc fcientibus non puto defcribendum. Il fiut donc,
pour donner au pafTàge ci - deflus un fens conforme à l'efprit de
l'Auteur, rendre le katagaies comme je l'ai rendu, d'autant plus qu'il
exifle réellement des oifeaux qui ont l'inflindl de fè cacher dans le
fable, & qu'il ell queltion dans le même pafïage de chofes encore
plus e'tranges , comme de fèrpens & d'ànes cornus, d'acéphales, &c.
& l'on fait que ce Père de l'Hiftoire n'étoit pas toujours ennejni ée%
Cibles ni du merveilleux.
À l'égard des deux autres efpèces <\q Jlrouthos , l'aérien & l'aquatique ,
je ne puis non plus accorder à M. Salerne que ce l'oit notre moineau
& le poiflon nommé plye, ni imputer avec lui à la langue Grecque
fi riche, fi belle, fi fage, l'énorme difparate de comprendre fous un
même nom des êtres aufli difTemblables que l'autruche, le moineau
& une efpèce de poiflon. S'il talloit prendre un parti fur les deux
4-00 H/STO / RE NatU RELLE
un animal fi confidérable par fa grandeur, fj remarquable
par fà forme, fi étonnant par fa fécondité, attaché
d'ailleurs par fà nature à un certain climat, qui eft
rAfrique (?c une partie de l'Afie, auroit-il pu demeurer
inconnu dans des pays fi anciennement peuplés, où il fe
trouve à la vérité des déferts, mais où il ne s'en trouve
point que l'homme n'ait pénétrés <Sc parcourus!
La race de l'autruche efl donc une race très-ancienne,
puifqu'elle prouve jufqu'aux premiers temps, mais elle
n'eft pas moins pure qu'elle efl ancienne; elle a fu fe
conferver pendant cette longue fuite de fiècles , 6c
toujours dans la même terre, fins altération comme
fans méfalliance; en forte qu'elle efl dans les oifeaux,
comme l'éléphant dans les quadrupèdes , une efpèce
entièrement ifolée &. diftinguée de toutes les autres
efpèces par des caraélères auffi frappans (ju'invariables.
L'autruche paffe pour être le plus grand des oifeaux,
mais elle efl privée, par fa grandeur même, de la
principale prérogative des oifeaux , je veux dire la
puiffance de voler: l'une de celles fur qui Vallifnieri
a fait fcs obfervations , pefoit, quoique très-maigre,
cinquante-cinq livres toute écorchéc &: vidée de fcs
parties intérieures ; en forte que paffant vingt à vingt-
dernières fortes de Jîrouthos , l'aërien & Taquaiique , je diroîs que le
premier eft cette outarde à lojig cou , qui porte encore aujourd'hui
dans plus d'un endroit de l'Afrique le nom d'autruche volante, &
que le lecond eft quelque gros oileau aquatique à qui fa pcfanteur
0]x la fuible(îc de (çi ailes ne permet pas de voler.
cinq
DE L' A U T R U C H E. 40 1
cinq livres pour ces parties &: pour la graifFe qui lui
manquoit fej ; on peut, fans rien outrer, ti>cer le poids
moyen d'une autruche vivante 6i médiocrement grafTe,
à foixante &. quinze ou quatre-vingts livres: or quelle
force ne faudroit-il pas dans les ailes Si dans les mufcles
moteurs de ces ailes , pour foulever &l foutenir au
milieu des airs une malTe aufTi pefante ! Les forces de
la Nature paroiiïent infinies lorfqu'on la contemple en
gros & d'une vue générale; mais lorfqu'on la confidère
de près &i en détail, on trouve que tout efl limité; Si
c'cft à bien fiifir les limites que s'eft prefcrit la Nature
par fagtffe &. non par impuiffance , que confifte la
Lonne méthode d'étudier <&. fes ouvrages &. fts ope-
rations. Ici un poids de foixante 6c quinze livres, eft
fupérieur par fa feule réfjflance à tous les moyens que
la Nature fait employer pour élever <5s: faire voguer
dans le (luide de i'atmofphère des corps , dont la
gravité fpécifique efl \\ï\ millier de fois plus grande
que celle de ce lluide; Si c*eft par cette raifon qu'aucun
des ojfeaux dont Ja mafle approche de celle de l'au-
truche , tels que le ihouiou , le cafoar , le dronte ,
n'ont ni ne peuvent avoir \à faculté de voler; il efl
(e) Ses deux ventricules, bien nettoyés, pcfoient {êuîi fix îi\rc;;;
le foje , une livre huit onces ; le cœur , avec fcs oreii!ctte:> <Si Icj
troncs des gros vaifieaux , une livre fept onces ; les deux pancréas ,
une livre ; & il fuit remarquer que les inteftins , qui /ont très-longs
& très-gros, doivent être d'un poids confiderable. Voy, A'otomia dello
Stfuiio. Tome 1 des Œuvres de VtiHJiikri, page 2? 9 & luivantes.
Oiffduxj Tome L . Eec
402 Histoire N atu re l l e
vrai que îa pefanteur n'efl pas le feul obfîacle qui s'y
oppofe; la force des mufcles pedoraux, la grandeur des
ailes, leur fituation avantageufe, ia fermeté de leurs
pennes (fj , ôic. feroient ici des conditions d'autant
plus nécelTaires, que la réfiflance à vaincre cû plus
grande: or toutes ces conditions leur manquent abiolu-
ment ; car pour me renfermer dans ce qui regarde
l'autruche, cet oifeau, à vrai dire, n'a point d'ailes,
puifque les plumes qui lortent de ics ailerons font
toutes ciliées, décoiiipofées, ôc que leurs barbes font
Je longues foies détachées les unes des autres, 6c ne
peuvent faire corps enfemble pour frapper l'air avec
avantage , ce qui eïï h principale fonélion des pennes
de l'aile ; celles de la queue font auiïi de la même
flruclure, Si ne peu\ent par conféquent oppofer à l'air
une réfiftance convenable; elles ne font pas même
difpofées pour pouvoir gouverner le vol en s'étalant
ou fe refferrant à propos , Si en prenant différentes
inclinaifons; <Sc ce qu'il y a de remarquable, c'efl que
toutes les plumes qui recouvrent le corps font encore
faites de même; l'autruche n'a pas, comme la plupart
des autres oifcaux , des plumes de plufieurs fortes, les
^fj Nota. J'appelle & dans îa fuite j'appellerai toujours ainfi les
grandes plumes de l'aile & de la queue qui fervent , foit à l'adion
du vol , foit à fa direction , me conformant en cela à l'analogie de la
langue latine & à l'ufige des Ecrivains des bons fiècles, lefquels n'ont
jamais employé le xxiox. p^nna dans un autre fens. Rapidis fecat permis *
Virgil.
D E L'A U T R U C H E. 405
unes laniigineures Si duvetces, qui font imniéiliatenicnt
fur la peau , les autres d'une confiilance plus fcriiic Si
plus ferrée qui recouvrent les premières, Si d'autres
encore plus fortes & plus longues qui fervent au mouve-
ment , 6c répondent à ce qu'on appelle les œuvres vives
dans un vaifTcau: toutes les plumes de l'autruche font
de la même efpèce, toutes ont pour barbes àcs iilets
détachés, fans confiflance, fins adhérence réciproque,
en un mot , toutes font inutdes pour voler ou pour
diriger le vol; auffi l'autruche cfl attachée à la terre
comme par une double chaîne, fon exceffive pefanteur
<&. la conformation de fes ailes ; Si elle eit condamnée
à en parcourir laborieufement la furface, comme les
quadrupèdes, fans pouvoir jamais s'élever dans l'air;
auffi a-t-clle, foit au dedans, foitau dehors , beaucoup
de traits de refTemblancc avec ces animaux: comme
eux, elle a fur la plus grande partie du corps, du poil
plutôt que des plumes ; fa tête Si fes flancs n'ont
même que peu ou point de poil , non plus ojue ies
cuiffes qui font très - groffes , très-mufculeufcs. Si où
réfide fa principale force ; fes grands pieds nerveux Se
charnus qui n'ont que (Scux doigts, ont beaucoup de
rapport avec les pieds du chameau qui, lui-même, eH: un
animal fmgulier entre les quadrupèdes par la forme de
fes pieds; fes ailes armées de deux pi(|uans femblables
à ceux du porc -épie , font moins des ailes que des
efpèces de bras, (jui lui ontétc donnés pour fe défendre;
l'orifice des oreilles eit à découvert , 6c feulement
Eec ij
404. Histoire Naturelle
garni cîe poil dans la partie intérieure où efl ie canaf
auditif; fa paupière fupérieure cft mobile comme dans
prefque tous les quadrupèdes, & bordée de longs cils
comme dans l'homme &. l'éléphant; la forme totale
de fes yeux a plus de rapport avec les yeux humains
qu'avec ceux des oifeaux , 6c ils font dif{3ofés de
manière qu'ils peuvent voir tous deux à la fois le
même objet (gj; enfin les efpaces calleux <5c dénués
de plumes <Sc de poils qu'elle a, comme le chameau,
au bas du Jlerîuim, <?c à l'endroit des os pubis , en
dépofant de fa grande pefanteur , la mettent de niveau
avec les bctcs de fomme les plus terre/Ires , les plus
lourdes par elles-mêmes, & qu'on a coutume de fur-
charger des plus rudes fardeaux. Thevenot étoit fi
frappé de la re/Temblance de l'autruche avec le cha-
meau dromadaire (hj, qu'il a cru \u\ voir une bofTe
fur le dos fij; mais quoiqu'elle ait le dos arqué, on
n'y trouve rien de pareil à cette éminence charnue
des chameaux Si des dromadaires.
Si de l'examen de la forme extérieure, nous pafTonsà
celui de la conformation mterne, nous trouverons à
fg) Voyez Mémoires de l'Acatlemie, année i 7^5 > poge i ^6 ,
(h) Nota. II faut que les rapports de relTemblance qu'a l'autruche
îivcc le chameau foicnt en effet bien frappans, puifque les Grecs
modernes , les Turcs , les Pcrfans , &c. l'ont nommée , chacun dans
leur langue, o'ifeau chameau: Ton ancien nom grQC , Jlrouthos , efl la
racine de tous les noms , fans exception , qu'elle a dans l^s diiîérenics
langues de l'Europe.
(ij Voyages de Thevenot, tome I , page ^ i S*
DE L' Autruche. 405
l'autruche de nouvelles difTemblances avec les oifcaux,
Ôi de nouveaux rapports avec les quadrupèdes.
Une ttte fbrt petite fkj, aplatie, 6c compofée d'os
très -tendres & très-foibles flj, mais fortince à Ton
fonimet par une plaque de corne efl foutenue dans
une fituation horizontale fur une colonne ofTeufe d'en-
viron trois pieds de haut, (Se compofce de dix - fept
vertèbres : la fituation ordinaire du corps eft au/Fi
parallèle à l'horizon ; le dos a deux pieds de long <Sc
fept vertèbres , auxquelles s'articulent fept paires de
côtes , dont deux de fauffes 6c cinq de vraies : ces
dernières font doubles à leur origine , puis fe réunifient
en une feule branche. La clavicule eft formée d'une
troifième paire de faufies côtes ; les cinq véritables
vont s'attacher par des appendices cartilagineufes au
fiernwny qui ne defcend point jufqu'au bas du ventre,
comme dans la plupart des oifeaux, il eft aufti beaucoup
moins Taillant au dehors ; Ta forme a du rapport avec celle
d'un bouclier, <Sc il a plus de largeur que dans l'homme
même. De l'os facrum naît une efpèce de queue
comporée de fept vertèbres femblables aux vertèbres
(k) Nota. Scaliger a remarqué que plufieurs autres oifeaux pefans,
tels que le coq , le paon , le dindon , &c. avoient auflx la tête petite ;
au lieu que la plupart des oifeaux qui volent bien , petits «5c grands,
ont la tête plus grofle à proportion. Exercit, in Cardanum, foi. 308,
yirfo.
( l) M." de l'Académie ont trouvé une fra<5lure au crâne de l'un
èes liijets qu'ils ont diflequés. Altmoirespourferyiràl'Hifloirenaîurellt-
Jcs Animaux, partie III, page i 54.
ee uy
4.06 Histoire Naturelle
humaines, le fémur a un pied de long, le tibia &
le tarfe, un pied <5c demi chacun ; <Sc chaque doigt eft
compofé de trois phalanges comme dans l'homme, (5c
contre ce qui fe voit ordinairement dans les doigts des
oifeauK , lefqucls ont très-rarement un nombre égal de
phalanges fjiij.
Si nous pénétrons plus à l'intérieur , &. que nous
obfcrvions les organes de la digeilion ; nous verrons
d'abord un hec affez médiocre ^/y', capable d'ime très-
grande ouverture, une langue fcw't courte <Sc fans aucun
vedige de papilles; plus loin s'ouvre un ample pharynx
proportionné à l'ouverture du bec, <?c qui peut admettre
un corps de la grofTeur du poing; l'œfophage efl aufli
très-large <5c très-fort, Si aboutit au premier ventricule
qui f^it ici trois fonctions; celle de jabot, parce qu'il
elt le premier; celle de ventricule, parce qu'il eft en
partie mufculcux , 6c en partie muni de fibres muf-
culeufes , longitudinales 6c circulaires (o); enfin celle du
bulbe glanduleux qui fe trouve ordinairement dans la
partie inférieure de l'œfophage la plus voifine du géfier,
(m) Voyez Anibr. Pare, lib, XXIV, cap. 2 2 ; &. Vallirnicri,
tomt I, page 24S & feqq.
(n) T^ûla, M. Brifîon dit que le bec cO: unguiculé ; Vallilnicri ,
que la polme en efl obtufe & lans crochet : la Lingiic n'ell point
non plus d'une forme ni d'ur.e grandeur conftante dans tous les
individus. Voye^^ Animaux de Perrault, pariU II, page 1 2j ; &
Yalliîaieri , ubi jupra.
(fl) Vallifnieri, ubi fupra. — Ramby, n'* ^ 8 6 à^ ^J ^ dis Tranf,
Philofophiques de Londres,
DE L' A U T R U C H E. 407
puifqu'il cfl en effet garni d'un grand nombre de
glandes; (Se ces glandes font conglomérées, 6c non
conglobées comme dans la plupart des oifeaux (p):
ce premier ventricule cfl fitué plus bas que le fécond,
en iorte que l'entrée de celui-ci que l'on nomme
communément V orifice fupérieiir, eft réellement l'orifice
inférieur par fa fituation ; ce fécond ventricule n'cft
fouvent diftingué du premier que par un léger étrangle-
ment, (Se quelquefois il cft féparé lui-même en deux
cavités difîinctes par un étranglement femblable, mais
qui ne paroît point au dehors; il efl parfcmé de glandes
ê>i revêtu intérieurement d'une tunique villeufe prefque
femblable à la flanelle, fans beaucoup d'adhérence,
éc criblée d'une infinité de petits trous répondant aux
orifices des glandes: il n'e(l: pas auffi fort que le font
communément les géùci's des oifeaux, mais il efl fortifié
par dehors de mulcles très-puiffans , dont quelques-uns
font épais de trois pouces; fa forme extérieure approche
beaucoup de celle du ventricule de l'homme.
M. du Verney a prétendu que le canal hépatique
fe terminoit dans ce icconà ventricule f^jj, comme
cela a lieu dans la tanche & pluiieurs autres poiffons,
&: même quelquefois dans l'homme, félon l'obferva-
tion de Galien (rj; mais Ramby (fj ôl Vallifnieri fi)
(p) Mém. pour fervir à l'Hiftoire des Animaux, page 12p.
(q) Hi'l. de l'Académie des Sciences, année i 6 p^, page 2 i ^,
/r) VaHihiieri, ubi fupra.
/J) TranlÎK^ions Philofophiques , n." ^ S S*
(t) VîiHirnicri, tome J, page 2^1,
4o8 Histoire Natu relle
afTiirent avoir vu conflamment dans pluficiirs autruclies
l'infertion de ce canal dans le diiodaium , deux pouces,
un pouce, quelquefois même un demi-pouce feule-
ment au-defîous du pylore; 6c Vallifnicri indique ce
qui auroit pu occafionner cette mcprife, fi c'en eft une,
en ajoutant plus bas, qu'il avoit vu dans deux autruches
une veine allant du fécond ventricule au foie, laquelle
veine il prit d'abord pour un rameau du canal liépa-
tique , mais qu'il reconnut enfuite dans les deux fujets
pour un vaideau fanguin , portant du flmg au foie <Sc
non de la bile au ventricule (u).
Le pylore ed plus ou moins large dans differens
fujets, ordinairement teint en jaune Sl iml)ibé d'un
fuc amer, ainfi que le fond du fécond ventricule, ce
qui eft facile à comprendre, vu l'infertion du canal
hépatique tout au commencement du duodénum , Si fa
diredion de bas en haut.
Le pylore dégorge dans le duodénum qui efl le plus
étroit des inteflins, <Sc où s'insèrent encore les deux
canaux pancréatiques, un pied & quelquefois Acwn Se
trois pieds au-deffous de l'infertion de j'iiépatique,
au lieu qu'ils s'insèrent ordinairement dans les oifcaux
tout près du cholédoque.
'Le duodénum efl fans valvules, ainfi que \t jejimum ,
l'iléon en a quelques-unes aux approches de fa jonc-
tion avec le colon : ces trois inteflins grcles font à
(u) Vallifaierj, tome I, pnge 24^,
peu
DE L* A U T R U C H E. 409'
peu près la moitié de la longueur de tout le tube intcf-
tinal, (Se celte longueur efl fort fiijette à varier, même
dans (Iqs fiijcts d'égale grandeur , étant de foixante
pieds dans les uns fxj, <5c de vingt - neuf dans les
autres (yj.
Les deux cœcum naiffent ou du commencemenc
du colon, félon les Anatomifles de rAcadémie, ou
de la fin de l'ileon , félon le docteur Ramby (^);
chaque cœcum forme une efpyèce de cône creux , long de
At\\yi ou trois pieds , large d'un pouce à fa bafe, garni
à l'intérieur d'une valvule en forme de lame fpirale ,
faifant environ vingt tours de la bafe au fommet, comme
dans le lièvre, le lapin & dans le renard marin, la raie,
la torpille, l'aiguille de mer, &c.
Le colon a aufîi fes valvules en feuillet, mais au
lieu de tourner en fpirale comme dans le cœcum , la
lame ou feuillet de chaque valvule , forme un croifTanC
qui occupe un peu plus que la demi - circonférence
du colon ; en forte que les extrémités des croiflans
oppofés empiètent un peu les unes fur les autres , <Sc
fe croifent de toute la quantité dont elles furpafTent le
demi-cercle ; firuélure ([ui fe retrouve dans le colon
du fmge & dans le jéjunum de l'homme , 6c qui fe
marque au ddiors de l'inteftin par des cannelures
(x) Voyez Collerions Philofophiqucs, n.' ^, article VIU.
(y) Mémoires pour fervir à l'Hiftoire des Aiiimmx, pan'ie JJ,
page 1^2.
h) Tranfaâiùns Philofophiques, n* ^ S St
£) if eaux, Tome L . Fff
4IO Histoire Nature lle
îranfverfales, parallèles, eipacées d'un demi -pouce.
& répondant aux feuillets intérieurs ; mais ce qu'il y a
de remarquable, c'eft que ces feuillets ne fe trouvent
pas dans toute la longueur du colon, ou plutôt c'cft
que l'autruche a deux colons bien diftindls, l'un plus
iarge & garni de ces feuillets intérieurs en forme de
croifTans, fur une longueur d'environ huit pieds; l'autre
plus étroit Si plus long, qui n'a ni feuillets ni valvules,
«S: s'étend jufqu'au reSîu?n , c^efl dans ce fécond colon
que les excrémens commencent à fe figurer félon
Valiifnieri.
Le reâmn efl fort large, long d'environ un pied, ôc
muni à fon extrémité de fibres charnues: il s'ouvre
dans une grande poche ou veffie compofce des mêmes
membranes que les intefhns , mais plus épaiffcs, «^
dans laquelle on a trouvé quelquefois jufqu'à huit onces
d'urine faj; car les uretères s'y rendent auffi par une
infertion très-oblique, telle qu'elle a lieu dans la veffie
des animaux terreflres; <5c non-feulement ils y charrient
l'urine, mais encore une certaine pâte blanche qui
accompagne les excrémens de tous les oifeaux.
Cette première poche, à qui il ne manque qu'un
(a) Nota, L'urine d'autruche enlève les taches d'encre , félon
Hermolaiis; ce fait peut n'être point vrai, maii Gefner a eu ton de
le nier fur !e fondement unique qu'aucun oifèau n'avoit d'urine; car
tous les oilcaux ont des reins, des uretères, & par confèquent de
l'urine , & ils ne différent des quadrupèdes , fur ce point ; qu'en ce
que chez eux le re^um s'ouvre dans la velîie.
DE L' A U T R U C H E, 41 I
col pour être une véritable veffje. communique par
un orifice muni d'une efpèce de fphindler à une
féconde (Se dernière poche plus petite, qui fert de
pafTage à Turine <Sc aux excrémens folides , <5c qui eft
prefque remplie par une forte de noyau cartilagineux,
adhérant par fa bafe à la jondlion des os pubis, &
refendu par ie milieu à la manière des abricots.
Les excrémens folides reffemblent beaucoup à ceux
des brebis (5c des chèvres, ils font divifés en petites
maffes , dont le volume n'a aucun rapport avec la
capacité des inteftins où ils fe font formés: dans les
inteftins grêles, ils fe préfentent fous la forme d'une
bouillie, tantôt verte (5c tantôt noire, félon la quantité
des alimens , qui prennent de la confiflance en appro-
chant des gros inteftins, mais qui ne fe figurent, comme
je l'ai déjà A\i^ que dans le fécond colon (b).
On trouve quelquefois aux environs de Vanus, de
petits facs à peu près pareils à ceux que les lions (5c les
tigres ont au même endroit.
Le méfentère efl tranfparent dans toute fon étendue,
&. large d'un pied en de certains endroits. Vallifnieri
prétend y avoir vu desvefiiges non obfcurs de vaifTeaux
lymphatiques; Ramby dit auiïi que les vaiffeaux du
méfentère font fort apparens, (5c il ajoute que \ts glandes
en font à peine vifibles (c); mais il faut avouer qu'elles
(h) Vallifnieri , ubï fupra.
(c) Tranfadions Philofophiques j n* ^ S 6.
Fff ij
412 Histoire Naturelle
ont été abfoluincnt invifjbies pour la piiipart des autres
obfervateurs.
Le foie cil divifé en deux grands lobes , comme
dans i'hommc , mais il cft Titué plus au milieu de la
région des h)pocondres, & n'a point de véficule du
£el: la rate c(l contiguë au premier eftomac ^ &. pèfe
au moins deux onces.
Les reins font fort grands , rarement découpés en
plufieurs lobes, comme dans les o i féaux , mais le plus
fouvent en forme de guittare , avec un baffm alfcz
ample.
Les uretères ne font point non plus comme dans la
plupart des autres oifeaux, couchés fur les reins, mais
renfermés dans leur fubflancc f^^J.
L'épiploon efl très-petit, &^ ne recouvre qu'en partie
]e ventricule ; mais à la place de i'épiploon , on trouve
quelquefois fur les inteflins Si fur tout le ventre, une
couche de graiife ou de fuif, renfermée entre les
aponévrofes des mufcles du bas-ventre, cpaiiïe depuis
deux doigts jufqu'à fix pouces fe); Si c'efl de cette
graiffe mêlée avec le fang , que fe forme la mamcqiie ,
comme nous le verrons plus bas: cette graiffe étoit
fort edimée & fort chère chez les Romains, qui, ftlon
(d) Alémoires pour fervir à l'Hiftoire des Animaux , pnrùe II,
page 142.
fe) Ramby, Tranfaâlons Philofophlqiics > w° 386. — G. Warren,
îbid. n.° 394. — Mémoires pour kiNir à i'Hiitoire des Anim:ïux^
partie II , page J z$*
DE L' A U T R U C H E. 413'
le témoignage de Pline , ia croyoicnt plus efficace que
celle (le j'oie, contre les douleurs de rliumatifme, les
tumeurs froides, la paralyfie; &. encore aujourd'hui les
Arabes l'emploient aux mêmes ufagcs (fj. Vallifnieri
cfl peut - ctre le feul , qui ayant apparemment diiïecp'é
des autruches fort maigres , doute de Cexiflence de cette
graille, d'autant plus qu'en Italie la maigreur de l'au-
truche a paiïe en proverbe, 7ndgro comme imo Strii:(70 ;
il ajoute, que les deux qu'il a obfervées, paroifToient ,
étant diflequées, des fquelettes décharnés, ce qui doit
ctre vrai de toutes les autruches qui n'ont point de
graifTe, ou même, à qui on l'a enlevée, attendu qu'elles
n'ont point de chair fur la poitrine ni fur le ventre ,
jes mufcles du bas -ventre ne commençant à devenir
charnus que fur les flancs Y^^^-
Si des organes de la digeflion , je paiïe à ct\w de
îa génération , je trouve de nouveaux rapports avec
l'organifation des quadrupèdes : ie plus grand nombre
des oifeaux n'a point de verge apparente; l'autruche
en a une afiez conddcrable, compofée de deux liga-
mens blancs, folides (^ nerveux, ayant quatre lignes
de diamètre, revêtus d'une mem.brane cpaiffe, <Sc qui
ne s'uniiïent qu'à deux doigts près de l'extrémité: dans
quelques fujets, on a aperçu de plus dans cette partie,
une fubdance roirge , ï\yQV,'^\tv\[Q , garnie d'une multi-.
(f) The World Difplayed y tom. Xlll , pag. 1 5.
/^) Mémoires pour fcrvir à rHidoire de» Aniimnx, partie Ily
varre I 2y. — Vîillilnieiij t'itne I, pa^cs 2j i & 2^ 2.
F f f 11/
414. Histoire N aturelle
tilde de vaifTeaiix, en un mot, fort approchante des
corps caverneux qu'on obferve dan5 la verge des animaux
terrefîres ; le tout eft renfermé dans une membrane
commune , de même fubflance que les ligamens ,
quoique cependant moins épaiffe ôi moins dure: cette
vcrcre n'a ni gland, ni prépuce, ni même de cavité qui
pût donner ifTue à la matière féminale , félon M/* les
Anatomifles de l'Académie ^//^; mais G. Warren prétend
avoir difTéqué une autruche, dont la verge longue de
cinq pouces 6c demi , étoit creufée longitudinalement
dans fa partie fupérieure , d'une efpèce de fjllon ou
gouttière, qui lui parut être le conduit de la femence (^ij.
Soit que celte gouttière fût formée par la jonction des
deux ligam.ens , foit que G. Warren fe foit mépris,
en prenant pour la verge ce noyau cartilagineux de la
féconde poche du reâwn, qui eft en effet fendu , comme
je i'ai remarqué plus haut; foit que la ftrudure <& la
forme de cette partie foit fujette à varier en diffcrens
fujcts : il paroît que cette verge efl adhérente par
fa bafe à ce noyau cartilagineux , d'où fe repliant en
deffous, elle paffe par la petite poche, di fort par fon
orifice externe» qui eft Vanus , 6l qui étant bordé
d'un repli membraneux, forme à cette partie un faux
prépuce , que le Doéleur Browne a pris fans doute
pour un prépuce véritable, car il eft le feul qui en
donne un à l'autruche ff:J.
(h) Partie II, page i ^ j.
(i) Tranfaélions Philofophiques, n! ^^4, articfe V.
(k) Colledions Philofophiques, n^ ^ , article VU J»
DE L' A U T R U C H E. 415
II y a quatre miifcles qui appartiennent à l'anus Si.
à la verge, & de-là réfulte entre ces parties, une cor-
refpondance de mouvement , en vertu de laquelle ,
iorfque l'animal fiente , la verge fort de pluficurs
pouces (^/J.
Les tefticules font de diffcrentes grofleurs en dif-
férens fujcts, & varient à cet égard dans la proportion
de quarante -huit à un , fans doute félon l'âge , la
faifon, le genre de maladie qui a précède la mort, évC.
Ils varient auHl pour la configuration extérieure, mais
la ftru<5lure interne eft toujours la même : leur place
efl fur les reins , un peu plus à gauche qu'à droite ;
G. Warrcn croit avoir aperçu des véficules féminales.
Les femelles ont auffi des teilicules; car je penfe
qu'on doit nommer ainfi ces corps glanduleux » de
quatre lignes de diamètre fur dix-huit de longueur,
que l'on trouve dans les femelles au-dcflus de l'ovaire,
adhérente à l'aorte & à la veine - cave , & qu'on ne
peut avoir pris pour des glandes furrénaîes, que par la
prévention réfultante de quelque fyftème adopté précé-
demment. Les cannes -petières femelles ont audi des
tefticules femhiables à ceux dts mâles f//?J ^ S^ il y a
lieu de croire, que les outardes femelles en ont pa-
reillement, & que fi M/' les Anatomiftes de l'Aca-
démie, dans leurs nombreufes diiTcdions, ont cru
//J Nota. "Warren n appris ce fût de ceux qui étoient charges du foin
de plufieurs autruches en Angleterre. Voy. Tranf. Philof. n.° 594.
(m) Hift. de l'Académie des Sciences, amà //^ $, page ^^^
.4.16 Histoire Natu relle
n'avoir jamais rencontre que des mâles ffij, c'ed qu'ils
ne vouloient point reconnoîre comme femelle, \.m
animal à qui ils voyoient des teflicules. Or, tout le
ir.onde fait que l'outarde ed: parmi les oifeaux d'Eu-
rope, celui qui a le plus de rapport avec l'autruche,
<Sc que la cannetpeticre n'eft qu'une petite outarde ,
en forte que tout ce que j'ai dit dans le traité de la
génération fur les tedicules des femelles des quadru-
pèdes, s'applique ici de foi-même à toute cette claiïc
d'oifeaux, <Sc trouvera peut-être darts la fuite des appli-
cations encore plus étendues.
Au-defToiis de ces deux corps glanduleux, efl place
l'ovaire, adhérant auffi aux gros vaifTeaux fanguins; on
le trouve ordinairement garni d'œufs de différentes
groiïeurs, renfermés dans leur calice comme un petit
gland Vç^ dans le fien , Rattachés à l'ovaire par leurs
pédicules; M. Perrault en a vu qui étoient gros comme
des pois, d'autres comme des noix, un feui comme
ies deux poings (oj.
Cet ovaire efl unique, comme dans prefque tous
les oifeaux, <Sc c'efl, pour Je dire en pafîant, un pré-
jugé de plus contre l'idée de ceux qui veulent que
;les deux corps glanduleux qui fe trouvent dans toutes
les femelles des quadrupèdes, repréfentent cet ovaire.,
(n) Mémoires pour fervir à i'HiUoire des Animaux ; partie II,
j^age 108,
ïq) Ibidem, pas;. ij8»
T> E l' Autruche, 417
qui efl une partie fjmpie (p), au lieu d'avouer qu'ils
reprcfcntent en efîet les tefticuies, qui font au nombre
Ats parties doubles, dans les maies des oifeaux comme
dans Jcs quadrupèdes.
L'entonnoir de l'oviduâiis s'ouvre au - defTous de
l'ovaire, <Sc jette à droite (?c à gauche, deux appen-
dices membraneufes , en forme d'aileron , lefquelles
ont du rapport à celles qui fe trouvent à l'extrémité
de la trompe dans les animaux terreftres (q). Les œufs
qui fe détachent de l'ovaire, font reçus dans cet en-
tonnoir , (Se conduits le long de Vovidudus dans la
dernière poche intedinale, où ce canal débouche par
im orifice de quatre lignes de diamètre, mais qui paroît
capable d'une dilatation proportionnée au volume des
œufs, étant plidé ou ridé dans toute fa circonférence;
l'intérieur de ïovïdudus étoit auffi ridé , ou plutôt
(p) Nota. Le bccharu efl le fcul oI(enu dans lequel M." les
Anatoniillcs c!c l'Académie aient cru trouver deux ovaires; mais ces
prétendus ovnircs etoicnt , félon eux , deux corps glanduleux d'une
Tubdance dure & folide , dont l'un ( c'clt le gauche ) fe divifoit en
plulîeurs grains de grofleurs inégales; mais fans m'arrêier à la diffé-
rente ftrui^ure de ces deux corps , & en tirer des conléquences
contre l'identité de leurs fondions, je remarquerai feulement que c'eft
une obfèrvaiîon unique & dont on ne doit rien conclure julqu'à ce
qu'elle ait été confirmée; d'ailleurs, j'aperçois dans cette oblervaiion
même une tendance à l'unité , puifque VoviJuâus , qui cil certai-
nement une dépendance de l'ovaire , étoit unique.
((j) Mémoires pour fervir à l'Hiftoire des Animaux, partie II j
page I s^'
Oijl'aiix, Tome L • ^SS
4-18 Histoire Natu relle
feuilleté, comme le troifième <S^ le quatrième ventricule
des ruminans (rj.
Enfin la féconde <Sc dernière poche inteftinafe dont
je viens de parler , a aiiffi dans la femelle fon noyau
cartilagineux, comme dans le mule; <?c ce noyau, qui
fort quelquefois de plus d'un demi - pouce hors de
Vûimsj a une petite appendice de la longueur de trois
lignes, mince &i recourbée, que M/' les Anatomiftcs
de l'Académie regardent comme un clitoris ffj, avec
d'autant plus de fondement , que les deux mêmes
mufclcs qui s'insèrent à la bafe de la verge dans les
maies, s'insèrent à la bafe de cette appendice dans les
femelles.
Je ne ni 'arrêterai point à décrire en détail les organes
de la refpiration , vu qu'ils reffemblent prefque entiè-
rement à ce qu'on voit dans tous les o i féaux , étant
compofés de deux poumons de fubftance fpongieufe,
6c de dix cellules à air, cinq de chaque côté, dont
la quatrième c(l plus petite ici, comme dans tous les
autres oifcaux pefans : ces cellules reçoivent l'air des
poumons, avec lefquels elles ont des communications
fort fenfibles ; mais il faut qu'elles en aient auffi de
nioins apparentes avec d'autres parties, puifque Val-
lifiiieri, en fouffîant dans la trachée-artère, a vu un
(r) Mémoires pour fervir à rHiftoire des Animaux , parlk II,
page i^y,
(S) Ib'iàm, poge 135.
DE l' Autruche, 419
gonlTemcnt le long des ciiilTcs & fous les ailes ftj, ce
qui fiippofe une conformation feniblable à celle du
pélican, dans lequel M. Mcry a aperçu, fous raiffelle.
Si entre la cuifTe Si le ventre, des poches membra-
neufes qui fc rempliffoicnt d'air au temps de l'expi-
ration , ou Jorfqu'on foufHoit avec force dans la tra-
chce-artèrc, <5c qui en fournifloicnt apparcjîimcnt au
tiiïii cellulaire fuj.
Le Dodeur Browne dit pofitivemcnt, que l'autruche
n'a point d'épiglotte (xj: M. Perrault le fuppofe , puif-
qu'il attribue à un certain mufcle, la fondion de fermer
la glotte , en rapprochant les cartilages du larynx (yj:
G. Warren prétend avoir vu une épiglotte dans le fujet
qu'il a di(fc({uc fi) ; ôl Vallifnieri concilie toutes ces
contrariétés, en difant, qu'en efiét il n'y a pas pré-
cifément une épiglotte, mais que la partie pofléricure
de la langue en tient lieu, en s'appliquant fur la glotte
dans la déglutition (^aj.
11 y a auifi diverfiré d'avis fur le nombre Si la forme
des anneaux cartilagineux du larynx; Vallifnieri n'en
^{J Vaililnieri, Tome I, page 24c.
(u) iMémoires de T Académie des Sciences, annà 16^^, tome X,
pnge 4 s ^'
(x) Collections Philofophiques, ;;/ /; article VIII.
(y) Mémoires pour fervir à THiftoire des Animaux, parue H,
page 142.
(■^) TranGclions Pliifofophiques, n." 3^4'
(a) Viillilhicri , Toinc I , page 24^»
420 Histoire Naturelle
compte que deux cents dix -huit, (Se fouticnt avec
M. Perrault, qu'ils font tous entiers: AX^arren en a
trouvé deux cents vingt -fix entiers, fans compter les
premiers qui ne le font point, non plus que ceux qui
font in'kmédiatement au-dcflbus de la bifurcation de la
trachée. Tout cela peut être vrai , attendu les grandes
variétés auxquelles efl fujette la flruclure des parties
internes ; mais tout cela prouve en même temps ,
combien il efl téméraire de vouloir décrire une cfpèce
entière d'après un petit nombre d'individus , &. combien
il eil dangereux par cette méthode, de prendre ou de
donner des variétés individuelles pour des caraélères
condans. Aï. Perrault a obfcrvé que chacune des deux
branches de la trachér-artère, fe divife en entrant dans
Je poumon, en pluficurs rameaux membraneux, comme
dans l'éléphant (l^J .
Le cerveau avec le cervelet, forme une maffe d'en-
viron deux pouces & demi de long fur vingt lignes de
large; Vallifnieri afTure que celui qu'il a examiné,
ne pefoit ([u'une once, ce qui ne feroit pas la douze-
centième partie du poids de l'animal: il ajoute, que
la ftru(5lure en étoit femblable à celle du cerveau des
oifeaux , <Sc telle précifémcnt qu'elle efl décrite par
"Wiilis; je remarquerai néanmoins avec M/' les Ana-
tomifles de l'Académie, que les d\\ paires de nerfs
prennent leur origine &. fortent hors du crâne, de la
(b) Mémoires pour fervir à rHiAolre des Animaux , partie JI ,
page i^^.
DE l' Autruche. 421
même manière que dans les animaux terreflrcs : que
la partie corticale (5c ia partie moëiieufe du cervelet,
font difporées comme dans ces mêmes animaux: qu'on
y trouve quelquefois les deux apophyfcs vcrmiformes
qui fe voient dans l'homme, & un ventricule, de la
forme d'une plume à écrire, comme dans la plupart
des quadrupèdes ^cj.
Je ne dirai qu'un mot fur les organes de la circu-
lation , c'cfl que le cœur efl prefcjue rond , au lieu
que les oifcaux font ordinairement plus alongé.
A i'cgard des fens externes , j'ai déjà parle de fa
langue, de l'oreille <?c de la forme extérieure de l'œil;
j'ajouterai feulement ici , que fa flrucflure interne cft
celle qu'on obfcrve ordinairement dans les oifeaux.
AI. Ramhy prétend que le globe tiré de fon orbite ,
prend de lui-même une forme prefque triangulaire (JJ;
il a au/fi trouvé l'Iuimeur aqueufe en plus grande quan-
tité , Si l 'humeur vitrée en moindre quantité qu'à
l'ordinaire fcj.
Les narines font dans le bec fupérieur, non loin de
fà bafe ; il s'élève du milieu de chacune des deux
ouvertures , une protubérance cartilagineufe revêtue
d'une membrane très-fine, <3c ces ouvertures commu-
niquent avec le palais, par deux conduits qui y abou-
fc) Mémoires pour fervir à i'Hiftoire des Animaux , partie II ,
j)age /;;;
(d) Tran(a<flions Philofophiqucs , n* ^i ^,
(e) Ibidem, n.° 386.
G* • •
gg "j
422 Histoire Naturelle
tiflent dans une fente aflez confidcrable ; on fe trom-
peroit, fi l'on vouioit conclure de la flruclure un peu
compliquée de cet organe, que i'autruciie excelle par
le fens de l'odorat; les faits les mieux confiâtes nous
apprendront bientôt tout le contraire, <Sc il paroit en
général , que les fenfations principales 6; dominantes
de cet animal , font celles de la vue & du fixième
fens.
Cet expofc fuccinél de l'organifition intérieure de
l'autruche, cfl plus que fufPifant pour conlirmer l'idée
que j'ai donnée d'abord de cet animal fingulier qui
doit être regardé comme un être de nature équivoque,
6l faifant la nuance entre le quadrupède Si Toilcau ffj;
fa j)lace, dans une méthode où Ton fe propoferoit de
rcpréfentcr le vrai fyflème de la Nature , ne feroit ni
dans la clafTe des oifeaux, ni dans celle des quadru-
pèdes, mais fur le paiïage de l'une à l'autre; en effet,
quel autre rang affigncr à un animal, dont le corps,
mi-parti d'oifeau Si de quadrupède, cfl porté fur des
pieds de quadrupède, &. furmonté par une tcte d'oifeau,
dont le mille a une verge, <Sl la femelle un clitoris,
comme les quadrupèdes, 6c qui néanmoins efl ovipare,
qui a un géfier comme les oifeaux, & en même temps
piufieurs eflomacs <Sc des inteflins, qui par leur capa-
cité &. leur (Irudlure , répondent en partie à ceux des
ruminans , en partie à ceux d'autres quadrupèdes!
(f) Partîm avis partim quadrupes, dit très-bien Ariftote, lib. IV, de
parûbus arùmal'ium , cap. uhiiiio.
DE L' A V T R U C H E. 425
Dans l'ordre de ia fécondité, l'autruche fcmble
encore appartenir de plus près à la clafTe des quadru-
pèdes qu'à celle des oifeaux; car elle eft très-féconde,
6c produit beaucoup. Ariflote dit, qu'après l'autruche,
l'oifeau qu'il nomme aincap'illa, eO: celui qui pond le
plus; (5( il ajoute que cet oifcau amcnpilla, pond vingt
œufs & davantage fir) ; d'oii il fuivroit que l'autruche
en pond au moins vingt-cinq: d'ailleurs, félon les
Hiftoriens modernes 6: les voyageurs les plus inUruits,
elle fait plufieurs couvées de douze ou quinze œufs
chacune. Or, h on la rapportoit ià la clafTe des oifeaux,
elle feroit ia plus grande , 6c par confcqucnt devroit
produire le moins, fuivant l'ordre que fuit conflamment
la Nature dans la multiplication des animaux, dont elle
paroît avoir fixé la proportion en raifon inverfe de la
grandeur des individus; au lieu qu'étant rapportée à la
claffe des animaux terredrcs, elle fe trouve très-petite,
relativement aux plus grands , 6^ plus petite que ceux
de grandeur médiocre , tels que le cochon , 6< fa grande
fécondité rentre dans l'ordre naturel 6: général.
Oppien , qui croyoit mal -à-propos que les cha-
meaux de la Bactriane s'accouploient à rebours 6c en
fe tournant le derrière, a cru par une {(LQO\^(\ç^ erreur,
qu'un oifcau- chameau { car c'efl le nom qu'on donnoit
dès-lors à l'autruche ) ne pourroit manquer de s'ac-
coupler de la même façon; 6c il l'a avancé comme \yn
(s) ^iP- ^"^^^^- IJiî- IX, cap, XXV.
424- Histoire Naturelle
fait certain ; mais cela n'efî pas plus vrai de roifeau-
chameau , que du chameau kii-méme, comme je l'ai
dit ailleurs fhj: <Sc quoique, félon toute apparence,
peu d'obfcrvateurs aient cté témoins de cet accou-
plement, (Se qu'aucun n'en ait rendu compte, on cft en
droit de fuppofer qu'il fc fait à la manière accoutumée,
jufqu'à ce qu'il y ait preuve du contraire.
Les autruches pafTent pour être fort lafcives &. s'ac-
coupler fouvent, Si (\ l'on fe rappelle ce que j'ai dit
ci-deffus des dimenfions de la verge du mâle , on
concevra , que ces accouplemcns ne fe paffent point
en fimplcs compre/fions , comme dans prcfque tous
les ojfcaux , mais qu'il y a une intromi/fion réelle des
parties fexuelîes du mâle dans celles de la femelle.
Thévenot efl le feul qui dife qu'elles s'affortiffent par
paires, <Sc que chaque mâle n'a qu'une femelle , contre
l'ufage des oifcaux pefans fij.
Le temps de la ponte dépend du climat qu'elles
habitent , (5c c'ell; toujours aux environs du folftice
d'été, c'efl-à-dire au commencement de juillet, dans
i' Afrique feptenlrionale fkj, Si fur la fm de décembre,
dans l'Afrique méridionale fIJ. La température du
climat inHue auffi beaucoup hir leur manière de couver;
dans la zone torride, elles fe contentent de dépofer
fh) Voyez le tome XI de cet Ouvrage , page 2^8.
(i) Voyages de Thévenot, tome I, page //j*.
(k) Albert, de Animal, lib. XXlll.
(l) Voyage de Danipiene autour du monde , tome II , page 2ji.
leurs
DE l' Autruche, 425
leurs œufs fur un amas de fable qu'elles ont formé
groffièremcnt avec leurs pieds , (S: où la feule chaleur
du folcil ics fait cclore ; a peine les couvent - elles
pendant la nuit: & cela même n'efi pas toujours nécef-
faire , puifqu'on en a vu cclore, qui n'avoient point
été couves par la mère, ni même expofcs aux rayons
du folcil (m) ; mais, quoique les autruches ne couvent
point ou que très-peu leurs œufs, il s'en faut beaucoup
qu'elles les abandonnent: au contraire, elles veillent
aiïidûment à leur confervation , 6>i ne les perdent guère
de vue; c*efl: à^-W qu'on a pris occafion de dire
qu'elles les convoient des yeux, à la lettre: &. Diodore
rapporte une façon de prendre ces animaux, fondée
fur leur grand attachement pour leur couvée; c'efl de
planter en terre, aux environs du nid & à une jufle
hauteur, des pieux armés de pointes bien acérées, dans
lefquelles la mère s'enferre d'elle-même lorfqu'elle
revient avec empreffement fe pofer fur fes œufs (n).
Quoique le climat de la France foit beaucoup moins
chaud que celui de la Barbarie, on a vu des autruclies
pondre à la ménagerie de Verfailles ; mais M/* de
l'Académie ont tenté inutilement de faire éclore ces
œufs par une incubation artificielle, foit en employant
(m) Janncquin étant au Sénégal, mit dans (a caflette deux œufs
«l'autruche bien enveloppés d'étoupes; quelque temps après il trouva
que l'un de ces œufs éioit prêt d cclore. Voyc^ H'ijloire générale du
voyages , tome II , page 4^8,
(n) De faliulofis antiquorum gejîis»
OifeaiiXj Toim L . Hhh
4-26 Hi STOi RE Naturelle
la chaleur du foleil, ou celle d'un feu gradué & ménagé
avec art: ils n'ont jamais pu parvenir à découvrir dans
les uns ni dans les autres, aucune organiiàtion com-
mencée, ni même aucune dirpofition apparente à la
génération d'un nouvel être ; le jaune 6c le blanc de
celui qui a\ oit été expofé au feu , s'étoient un peu
épaiiïis ; celui qui avoit été mis au foicil , avoit con-
trarié une très-mauvaife odeur; Si aucun ne préfcntoit
Ja moindre apparence d'un foetus ébauché foj , en forte
que cette incubation philofophique n'eut aucun fuccès.
M. de Reaumur n'exidoit pas encore.
Ces œufs font très-durs, très-pefans Si trcs-gros;
mais on fe les repréfente quehjuefois encore plus gros
<ju'ils ne font en effet , en prenant des œufs de cro-
codiles pour des œufs d'autruche fyj: on a dit qu'ils
étoient comme la tête d'un enfant (qj, qu'ils pouvoicnt
contenir juf([u'à une pinte de liqueur ^rj, qu'ils pefoient
quinze livres (fj, Si qu'une autruche en pondoit
cinquante dans une année f^rj: Élicn a dit jufqu'à
<]uatrc-vingts; mais la plupart de ces faits me paroifîtnt
^oj Mémoires pour fervir à l'Hilloire des Animaux , pafîie //,
page i^S.
(p) Belon, H'ijl. nat, des O'ifeaux, pnge 23p.
^q) Willulghjjy, Ornhhologia , png. 105.
(rj Belon, Hijî. nat. des O'ifeaux , pngc 233.
(f) Léon-l' Africain, Defcription de l'Afrique , lib. IX. — Willulghby,
yh'i fupra.
(t) \\ illulghby, ihïdem»
DE L'AurnucHE. J^iy
évidemment exagères; car, i .'^ comment fe peut-il faire,
qu'un œuf dont la coque ne pèfe pas plus d'une livre,
6c qui contient au plus une pinte de liqueur, foit du
poids total de quinze livres! il fmdroit pour cela que
le blanc <Sc le jaune de cet œuf, fût fcpt fois plus denfe
que l'eau , trois fois plus que le marbre, &i à peu-près
autant que i'étain , ce qui efl dur à fuppofer.
2."* En admettant avec Willulgliby, que l'autruche
pond dans une année cinquante œufs, pefant quinze
livres chacun, il s'enfuivroit que le poids total de la
ponte , feroit de fcpt cents cinquante livres , ce qui
efl beaucoup pour un animal qui n'en pèfe que quatre-
vmgts.
Il me paroît donc qu'il y a une réduction confi-
dérable à faire , tant fur le poids des œufs que fur leur
nombre, 6c il efl fâcheux qu'on n'ait pas de mémoires
affez fûrs, pour déterminer avec ']{\ïiç{\c la quantité de
cette réduélion ; on pourroit , en attendant , fixer le
nombre des œufs d'après Ariflote, à vingt -cinq ou
trente; <Sc d'après les Modernes qui ont parlé le plus
fairement , à trente - fix : en admettant deux ou trois .
couvées, <5c douze œufs par cha(}ue couvée, oi\ pourroit
encore déterminer ie poids de chaque œuf, à trois ou
quatre livres, en paffant une livre plus ou moins pour
la coque, &. dç\\\ ou trois livres pour la pinte de blanc
6c de jaune qu'elle contient; mais il y a bien loin de
cette fixation conjeduraie à une obftrvation précife.
33eaucoup de gens écrivent, mais il en efl peu qui
Hhhij
428 Histoire N atu r e l le
mcfurent, qui pcfent, qui comparent; de quinze ou
feizc autruches, dont on a fait la dilTc(5lion en diffé-
rens pays, il n'y en a qu'une feule qui ait été pefée ,
ÔL c'efl celle dont nous devons la defcription à Vallif-
rieri. On ne fait pas mieux le temps qui efl néceffaire
pour l'incubation des œufs : tout ce qu'on fait , ou
plutôt, tout ce qu*on affure , c'cft qu'aiiffitôt que les
jeunes autruches font cclofes, elles font en état de
marcher, & même de courir 6c de chercher leur nour-
riture fiij, en forte que dans la zone torride où elles
trouvent le degré de chaleur qui leur convient &. la
nourriture qui leur efl propre, elles font émancipées
en naiflant, 6c font abandonnées de leur mère dont
ies foins leur font inutiles : mais dans les pays moins
chauds, par exemple, au cap de Bonne- efpérance ,
ia mère veille à fes petits, tant que fes fecours leur
font néceffaires fxj, 6c par -tout les foins font pro-
portionnés aux befoifis.
Les jeunes autruches font d'un gris -cendré la pre-
mière année, 6c ont des plumes par - tout , mais ce
font de fauffes plumes qui tombent bientôt d'elles-
mêmes pour ne plus revenir fur les parties qui doivent
ctre nues, comme la tête, le haut du cou, les cuiffes,
ies flancs 6c le deffous des ailes; elles font remplacées
fur le reile du corps par des plumes alternativement
blanches 6c noires, 6c quelquefois grifes par le mélange
(u) Léon-l* Africain , Defcription de l'Afrique, lib» IX.
(xj KoLbe , Defiription du Cap.
DE L' A U T R V C H E. 429
Je ces deux couleurs fondues cnfembie ; les plus courtes
font fur la partie inférieure du cou, la feule qui en
foit revêtue; elles deviennent plus longues fur le ventre
<Sc fur le dos, les plus longues de toutes font à l'extré-
mité de la queue & des ailes , ^ ce font les plus
recherchées. M. Klein dit, d'après Albert, que les
plumes à\\ dos font très-noires dans les mâles & brunes
dans les femelles (y): cependant M/' de l'Académie
qui ont difféqué huit autruches, dont cinq mâles 6c trois
femelles, ont trouve le plumage à peu prés fcmblable
dans les unes 6c les autres (1) ; mais on n'en a jamais
vu qui euiïent àts plumes rouges, vertes, bleues 6c
jaunes, comme Cardan femble l'avoir cru, par une
méprife bien déplacée dans un ouvrage fur iafuluilué..
Redi a reconnu par de nombreufes obfcrvations,
que prefque tous les oifeaux ctoient fujets à avoir de
Ja vermine dans leurs plumes , 6c même de plufieurs
efpèces; 6c que la plupart avoient leurs infedes parti-
culiers qui ne fe rencontroient point ailleurs; mais il
n'en a jamais trouvé en aucun^jfaifon dans les autruches,
quoiqu'il ait fait fcs obfcrvations fur douze de ces
animaux, dont quelques-uns étoient récemment arrivés^
de Barbarie fdj.
(y) Klein, H\Ji. A\ium , pag. j 6. — Albert, Apud Gefnmim de
A\ibus, png. 742.
(7) Mémoires pour fenir à l'Hiftoire des Animaux , farlU II,
page US'
(a) Collection Acad. lome I de /'Hillôire naturelle , ;7<7^^ 4^4--
Hhh iij
430 Histoire Natu relle
D'un autre côte Vallifnieri qui en a clifTcquc Jeux,
n'a trouvé dans leur intérieur ni lombrils, ni vers, ni
infcéles quelconques (b) ; il fcmble qu'aucun de ces
animaux n'ait d'appétit pour la chair de i'autruche,
qu'ils l'évitent même 6c la craignent, & que cette
chair ait quelque qualité contraire à leur multiplication ,
à moins qu'on ne veuille attribuer cet effet, du moins
pour l'intérieur, à la force de l'eflomac 6c de tous les
organes digeflifs , car l'autruche a une grande réputa-
tion à cet égard ; il y a bien des gens encore qui croient
qu'elle digère le fer , comme la volaille commune
digère les grains d'orge; quelques Auteurs ont même
avancé qu'elle digéroit le fer roug( fc), mais on me
difpenfcra, fans doute, de réfuter féricufcment cette
dernière affcrtion; ce fera bien affcz de déterminer
d'après les faits , dans quel fens on peut dire que
i'autruche digère le fer à froid.
Il e(î certain que ces animaux vivent principalement
de matières végétales, qu'ils ont le géfier muni de
mufcles très-forts , comme tous les granivores (JJ, &
/b) (Euvrcs de Vallifnieri, tome I, pnge 24^,
(c) Marmol , Defcrîpiion de l'Afrique, tome I, page 64.
(d) Nota. Quoique l'autruche foit omnivore dans le fait, il fêmbfc
néanmoins qu'on doit la ranger parmi les granivores, puilque dans
lès déferts elle vit de dattes & autres fruits ou matières végétales,
& que dans les ménageries on la nourrit de ces mêmes matières:
d'ailleurs, Strabon nous dit, //y. VJ, que lorfque les cbafleurs veulent
l'anirer dans le piège qu'ils lui ont préparé , ils lui préfeiitent du graia
pour appât,
DE l' Autruche. 431
qu*ils avalent fort fouvent du fer (e) , du cuivre, des
pierres, du verre, du bois <Sc tout ce qui fe prc'fente;
je ne nierois pas même qu'ils n'avalaffent quelquefois
du fer rouge , pourvu que ce fût en petite quantité , 6c
je ne penfe pas avec cela que ce fût impunément: il
paroît qu'ils avalent tout ce qu'ils trouvent, jufqu'à ce
que leurs grands eilomacs foient entièrement pleins , &
que le ]>efoin de les leder par un volume fujTifànt de
matière , eft l'une des principales caufes de leur vora-
cité. Dans les fujets difléqués par Warren (fj (Se par
Ramhy (g), les ventricules étoient tellement remplis
<5c diflcndus, que la première idée qui vint à ces deux
AnatomiRcs, fut de douter que ces animaux eufTent
jamais pu digérer une telle furcharge de nourriture.
Ramhy ajoute que les matières contenues dans ces
ventricules paroifToient n'avoir fubi qu'une légère
altération. Vallifnieri trouva aufTi le premier ventricule
entièrement j)lcin d'herbes, de fruits, de légumes,
de noix , de cordes, de pierres, de verre, de cuivre
jaune & rouge, de fer, d'étain, de plomb & de bois;
il y en avoit entr'autrcs \.\n morceau, &: c'étoit le
dernier avalé, puisqu'il éroit tout au-dcffus , lequel ne
fe) Je dis fort fouvent, car Albert afTure très-pofitiveinent qu'il
n'a jamais pu faire avaler du fer à piuficurs autruches , quoiqu'elles
dévorafîèni avidement des os fort durs & même des pierres. Voye?
Cefner, de Avibus , ;?^^, 742, C»
(f) Traniàétions Philo/ophiqucs, n' ^ p^*
(gj Ibidm, n: sS^'
452 Histoire Natu rellr
pcfoit pas loin d'une livre f/ij. M/* de TAcade'mitf
aiïurent que les ventricules des huit autruches qu'ils
ont obfervées, fe font toujours trouvés remplis de
foin, d'herbes, d'orge, de fèves, d'os, de monnoics,,
de cuivre (^ de cailloux, dont quelques-uns avoient
la groiïeur d'un œuf f'ij; l'autruche entaiïe donc les
matières dans fes efîomacs à raifon de leur capacité,
<Sc parla nccefTité de les remplir; 6c comme elle digère
avec facilité &. promptitude, il eft aifé de comprendre
pourquoi elle efl infatiable.
Mais quelque infatiable qu'elle foit , on me de-
mandera toujours, non pas pourquoi elle confomme
tant de nourriture, mais pourquoi elle avale des ma-
tières qui ne peuvent point la nourrir, & qui peuvent
même lui faire beaucoup de mal ; je répondrai que
c'eft parce qu'elle efl privée du fens du goût, <Sc cela
efl d'autant plus vraiiemblable, que fa langue étant
bien examinée par d'habiles Anatomifles, leur a para
dépourvue de toutes ces papilles fenfibles <?c nerveufes,
dans lefquelles on croit avec affez de fondement que
réfide la fenfation du goût fkj: je croirois même
<]u'elle auroit le fens de l'odorat fort obtus , car ce
fens efl celui qi:i fert le plus aux animaux pour le
difcernement de leur nourriture; (Se l'autruche a d peu
(h) Opère dî Vallifn'ierî , tom. I, pag. 240.
(i) Mémoires pour fervir à l'Hiftoire des Animaux, partie II,
page J2$,
(k) ^'aIli^Ili€rj, tome I , page 2^^*
de
DE l' Autruche. 435
de ce difcernement , qu'elle avale non-feulement le fer,
Jes cailloux, le verre , mais mcme le cui\re qui a une
il mauvaife odeur, &^ que Vallifnieri en a vu une qui
étoit morte ])our avoir dévoré une grande quantité de
chaux vive flj: les gallinacés 6c autres granivores, qui
n'ont pas les organes du goût fort feniibles, avalent
bien de petites pierres qu'ils prennent apparemment
pour de petites graines , lorfqu'ellcs font mêlées en-
femhle ; mais fi on leur prefente pour toute nourriture
un nombre connu de ces petites pierres, ils mourront
de faim , fans en avaler unç feule fmj; à plus forte raifon
ne toucheroient-ils point à la cliaux vive: Si l'on peut
conclure de -là, ce me femble , que l'autruche eft un
des oifeaux dont les fens du goût 6c de l'odorat, 6c
même celui du toucher dans les parties internes de la
bouche, font les plus émoulTés 6c \es plus obtus; en
quoi il f^ut convenir qu'elle s'éloigne beaucoup de la
nature des quadrupèdes.
Mais enfin que deviennent les fubrtnnccs dures,
réfra(5laircs 6c nuihbles, que l'autruche avale fans choix
6c dans la feule intention de fe remplir! que deviennent
fur-tout le cuivre, le verre, le fer! fur cela les avis
font partagés, 6c chacun cite des faits à l'appui de fon
opinion. M. Perrault ayant trouvé foixante 6i. dix doubles
dans l'eftomac d'un de ces animaux , remarqua qu'ils
^1) Vallifnieri, tome I, page 2^ p.
(m) CoIle(fi:ion Acadcmique , tome 1 de /'Hifloire naturelle,
j^age 4P S.
Oifc'dux, Tome L . I i i
434 Histoire Natu relle
étolent la plupart ufés &. confumcs prefqiie aux trois
quarts; mais il jugea que c'ctoit plutôt par leur frotte-
ment mutuel 6c celui des cailloux, que par l'adion
d'aucun acide, vu que quelques-uns de ces doubles
qui étoient bofTus , fe trouvèrent fort ufcs du côté
convexe, qui étoit aufTi le plus expofé aux frottemens,
& nullement endommagés du côté concave; d'où il
conclut que dans les oifeaux , la difTolution de la
nourriture ne fe fait pas feulement par des efprits fubtil»
<Sc pénétrans , mais encore par l'action organique dti
ventricule qui comprime 6l bat inceïïamment les
alimens avec les corps durs que ces mêmes animaux
ont l'indind: d'avaler; <Sc comme toutes les matières
contenues dans cet eftomac , étoient teintes en vert;
il conclut encore que la diiïblution du cuivre s'y étoit
faite , non par un diiïblvant particulier , ni par voie
^e digedion , mais de la même manière qu'elle fe
feroit fi l'on broyoit ce métal avec des herbes., ou
avec quelque fiqueur acide ou falée: il ajoute que le
cuivre, bien loin de fe tourner en nourriture dans
l'eflomac de l'autruche, y agiffoit au contraire comme
poifon, &i que toutes celles qui en avaloient beaucoup
mouroient bientôt après fnj.
Vallifnieri penfe au contraire que Tautruche digère
ou diffout les corps durs, principalement par l'aétio-n
du diiïbivant de l'eflomac , fans exclure celle des
fji) Mémoires pour fervir à l'Hifioire des Animaux , partie lit-
JD£ l'AC/T RUCHE, 43 J
chocs Si frottemens qui peuvent aider à cette adion
principale: voici Tes preuves:
I. Les morceaux de bois, de fer ou de verre quî
ont fcjourné qucl([ue temps dans les ventricules de
iautruciie, ne font point lifTes Se luifans comme ils
devroient l'être , s'ils euiïent été ufés par le frotte-
ment; mais ils font raboteux, fdlonncs, cribles comme
ils doivent l'ctre,en fuppofant qu'ils aient été rongés
par un diffolvant adif:
2.° Ce diffolvant réduit les corps les plus durs, de
même que les herbes, les grains ô: les os, en molé-
cules impalpables qu'on peut a])crcevoir au microfcope
Si même à l'œil nu:
3.'' Il a trouvé dans un eflomac d'autruche un clou
implanté dans l'une de fcs parois, Si qui traverfoit cet
eftomac de façon que les parois oppofées ne pouvoient
s'approcher ni par conféquent comprimer les matières
contenues , autant qu'elles le font d'ordinaire; cepen-
dant les alimens étoient aufTi-bien diffous dans ce
ventricule , que dans un autre qui n'étoit traverfé
d'aucun clou, ce qui prouve au moins que la digcC-
lion ne fc fait pas dans l'autruche uniquement par
trituration :
4." Il a vu un dés a coudre, Je cuivre, trouvé dans
l'cflomac d'un chapon, lequel n'étoit rongé que dans
le ftul endroit par où il touchoit au géficr, c^ qui par
conféquent étoit le moins expofé aux chocs des autres
corps durs; preuve que la diffolution das métaux, dans
lii ij
43^ Histoire Natu relle
l'eflomac des chapons, fe fait plutôt par i'adion d'un
difTolvant quel qu'il foit, que par celle des chocs (Se
des frottemens ; (5: cette confcquence s'étend afTez
naturellement aux autruches:
5.° Jl a vu une pièce de monnoie rongée fi profon-
dément, que fon poids étoit réduit à trois grains:
é.*' Les glandes du premier eflomac donnent , étant
preffées, une liqueur vifqueufe, jaunâtre, infipide, <Sc
qui néanmoins imprime très- promptement fur le fer,
une tache ohfcure:
7. "Enfin, ra(5liviié deces fucs, la force des mufcles
du géhcr, Si la couleur noire qui teint les cxcrémens
des autruches qui ont a\alé du fer, comme elle teint
ceux des pcrfonnes qui_font ufage des martiaux (Se les
digèrent hien , venant à l'appui des faits précédens ,
autorifcnt Vallifnieri à conje(5turer , non pas tout-à-fait,
que les autruches digèrent le fer &i s'en nourriffent,
comme divers infcéles ou reptiles fe nournffent de
terre &. de pierres; mais que les pierres, les métaux 6l
fur-tout le fer, diffous par le fuc des glandes, fervent
à tempérer, comme ablorbans , les fermens trop aélifs
de reilomac , qu'ils peuvent fe mékr à la nourriture
comme élémens utiles, l'affaifonner , augirjentcr la force
des folides, &. d'autant plus (]ue le fer entre, comme
on fait, dans la compolition des êtres vivans; &. (]ue
lorf(ju'il ell fuffifamment atténué par des acides conve-
nables, il fe volatilife &. acquiert une tendance à végé-
ter, pour ainfi dire, &. à prendre des formes analogues
DE l' Autruche, 437
à celles des plantes, comme on le voit dans l'arbre
de mars foj; 6c c'eft en effet le feul fens raifonnable
dans lequel on puifle dire que l'autruche digère le fer,
<Sc quand elle auroit i'edomac affez fort pour le digérer
véritablement, ce n'eft que par une erreur bien ridicule
qu'on auroit pu attribuer à ce gcfier, comme on a fait,
la qualité d'un remède Sl la vertu d'aider la digefîion,
puifqu'on ne peut nier qu'il ne foit par lui - même
un morceau tout -à -fait indigcfle : mais telle eft la
nature de l'efprit humain ; lorfqu'il cfl une fois frappé
de quelque objet rare <Sc fmgulicr, il fc plait à le rendre
plus fmgulier encore, en lui attribuant des proj)rictés
chimériques & fouvent abfurdcs : c'tfl ainfi qu'on a
prétendu que les pierres les plus tranfparentes qu'on
trouve dans les ventricules de l'autruche, avoicnt auffi
la vertu , étant portées au cou , de faire fure de bonnes
di^eftions; que la tunique intérieure de fon géfier avoit
celle de ranimer un tempérament affoibli <Sc d'infpirer
de l'amour; fon foie, celle de guérir le mal caduc;
fon fan<T^ , celle de rétablir la vue; la coque de fes œufs
réduite en poudre, celle de foulager les douleurs de la
<routîc & de la «îjravelle , 6cc. Yallifnieri a eu occdùon
(o) Mémoires de l'Académie des Sciences, amiées 17OJ, i yo S
à' fit'ivanles. — Vallilnicri, tome I , page 242 ; & il confirme encore
Ton (cntiment p;ir les obrcr\;uions de Santorini fur des pièces de
monnoie & des clous trouves dans l'edomac d'une autruche qu'il
avoit diiïcquée à Veniiê , & par les expériences de l'Académie dd
Cimeiuo , lur b digellion des Oilcaux.
lii iij
438 HiSTOinE NaTU RELLE
de conrtater par fes expériences, Ja faufTeté de la plu-
part de ces prétendues vertus; & fes expériences font
d'autant plus décifives, qu'il les a faites fur les per-
fonncs les plus crédules & les plus prévenues fpj.
L'autruche eft un oifeau propre ôc particulier à l'A-
frique ,aux îles voifines de ce continent (^J , Si à la partie
de l'Afie qui contine à l'Afrique; ces régions qui font
le pays natal du chameau, du rhinocéros, de l'éléphant
<&. de pluficurs autres grands animaux, dévoient être
auffi la patrie de l'autruche, qui eft l'éléphant des
oifeaux ; elles font très -fréquentes dans les mont.\gnes
f^tuées au fud-ouefl d'Alexandrie, fuivant le doéleur
Pokoke. Un Mi/fionnaire dit qu'on en trou\e à Goa,
mais beaucoup nioins qu'en Arabie fr); Philoftrate
prétend nicme qu'Apollonius en trouva jufqu'au de-là
du Gange ff)^ mais c'étoit fans doute dans un temps
où ce pays étoit moins peuplé qu'aujourd'hui : les
Voyageurs modernes n'en ont point aperçu dans ce
mcme pays, finon celles qu'on y avoit menées d'ail-
leurs ffj, ôi tous conviennent qu'elles ne s'écartent
^pj Vairifnieri , tome 1, pagt 2^^.
( q) Le vorou-patra de Madagalcar cfl: une efpècc d'autruche qui
fe re[irc dans les lieux dtlerts & pond des ocuh d'une fingulière
grofleur. Hijf. générale des voyages , tome VIII , page 606, citant
f'îaccour.
tr) Voyage du Fr, Piiilippe, Carme-de'chauiïc, page ^yS.
(f) Vît a Apollonii , lib. m.
(t) On en nourrit dans les me'nageries du roi de Perfe , félon
Thcvenot (tome II, page 200), ce qui llippole qu'elles ne font
i)£ l' Autruche, ^^^cf
guère au-delà du trente - cinquième degré de latitude,
de part & d'autre de la Ligne; 6c comme l'autruche
ne vole point, elle efl dans le cas de tous les quadru-
pèdes des parties méridionales de Tancien continent,
c'eft-à-dire, qu'elle n'a pu pafTer dans le nouveau ;
auiïi n'en a-t-on point trouvé en Amérique , quoiqu'on
ait donné Ton nom au thouyou , qui lui refTemble en
effet, en ce qu'il ne vole point ai par quelques autres
rapports^ mais qui efl: d'une cfpcce différente, comme
nous le verrons bientôt dans fon liiftoire: par la même
raifon, on ne l'a jamais rencontrée en Europe, où elle
auroit cependant pu trouver un climat convenable à fa
nature dans la Morée , ôc au midi de i'Efpagne Si de
l'Italie; mais pour fe rendre dans ces contrées, il eût
fallu ou franchir les mers qui l'en féparoient , ce qui
lui étoit impoffdilc, ou faire ie tour de ces mers, <Sc
remonter juiqu'au cinquantième degré de latitude pour
revenir par le Nord en traverfant des régions très-
peuplées, nouvel obflacîe doublejnent infurmontabic à
Ja migration d'un animal , qui ne fe plaît que dans
ks pays chauds 6c les déferts: les autruches habitent
en effet, par préférence, les lieux les plus folitaircs Si
les plus arides, ou il ne pleut prefque jamais fuj^ 6c
pas communes dnns ce pays. —Sur la route d'Ifpalian à Schifas an
amena dans le caravanferai quatre autruches, dit Gemelli Carrcrl,,
iome IJ , page 2^8.
(u) Struihum generan in parte Africœ quâ non pluit hujuk Thco^
phrajîus i de Hili pl.an. 44, apud Cefnerum, png. 74. Nota. Tous les
440 Histoire Natu relle
cela confirme ce que difent les Arabes, qu'elles ne
boivent point; elles fe réuniffent dans ces dcferts en
troupes nomhreufes, qui de loin reffemblent à dts
efcadrons de cavalerie, &i ont jeté l'alarme dans plus
d'une caravane : leur vie doit être un peu dure dans
ces folitudes vaftcs &i flérilcs , mais elles y trouvent la
liberté 6c l'amour ; &i quel défert , à ce prix , ne feroit un
lieu de délices! c'eft pour jouir, au lein de la Nature,
de ces biens ineftimables qu'elles fuient l'homme ; mais
l'homme qui fait le profit qu'il en peut tirer, les va
chercher dans leurs retraites les plus fauvagcs ; il fe
nourrit de leurs œufs, de leur fang, de leur graiffe, de
leur chair, il fe pare de leurs plumes; il conferve peut-
être l'efpérance de les fubjuguer tout-à-fait , <Sc de les
mettre au nombre de fes efclaves. L'autruche promet
trop d'avantages à l'homme, pour qu'elle puiffe être
en fureté dans fes déferts.
Voyageurs & les Naturali(\es font d'accord fur ce point; G. "Warreii
eft le leul qui ait fait un oifeau aquatique de l'autruche , l'animal le
plus anti-aquatique qu'il y ait : il convient bien qu'elle ne fait point
nager ; mais elle a les jambes hautes & le cou long , ce qui lui donne
Je moyen de marcher dans l'eau & d'y iliifir (a proie ; d'ailleurs , on
a remarque que la tête avoit quelque reflcmblance avec celle de l'oie;
en £uit - il davantage pour prouver que l'autruche cfl un oifeau de
rivière î Voy. Tranfaâ. Philof. n." S 9 4- Un autre ayant ouï dire qu'on
voyoit en Abillniie des auuuches de la grolTeur d'un âne, &. ayant
appris, d'ailleurs, qu'elles avoient le cou & les pieds d'un quadrupède,
en a conclut & écrit qu'elles avoient le cou & les pieds d'un âne,
Juldds. II n'y a guère de fujet d'Hifloire naturelle qui ait fait dire
;iuîant d'abfurditcs que l'autiuche*
Des
DE l' Autruche. 44.1
Des peuples entiers ont mérité le nom de Smi-
tlwp/iages , par i'ufage où ils étoicnt de manger de
i 'autruche fxj; ôl ces peuples ctoient voifjns d^s
Eléphantopdagcs, qui ne faiibient pas meilleure chère.
Apicius prefcrit, Ôl avec grande raifon , unt fauce un
peu vive pour cette viande fyj, ce qui prouve au
moins (ju'elle étoit en ufage chez les Romains; mais
nous en avons d'autres preuves. L'empereur Héhoga-
bale fit un jour fervir la cervelle de fix cents autruches
dans un feul repas fij; cet Empereur avoit , comme
on Tait, la fantaific de ne manger chaque jour que
d'une feule viande, comme faifans, cochon, poulets,
<5c l'autruche ttoit du nombre (^J , mais apprêtée
fans doute à la manière d' Apicius: encore aujourd'hui
Jes hahitans de la Lybie , de la Numidie , <&c. en
nourriffent de privées , dont ils mangent la chair <5c
vendent les plumes flj ; cependant les chiens ni les
chats ne voulurent pas même fentir la chair d'une
autruche que Vallifnieri avoit difTcquce, quoique cette
chair fût encore fraîche <Sc vermeille, à la vérité Tau-
truche étoit d'une très -grande maigreur (cj ; déplus^
elle pouvoit être vieille; & Léon -l'Africain qui en
avoit goûté fur les lieux , nous apprend qu'on ne
(x) Strabon , lib. X VI. — DiocJ.
Sic. de Fabul Antiq. gef'ts, !ib. i V.
(y) Apicius, lib. vi, cap. i.
(l_) Lamp. in vita Heliogabali,
^a) Idem, ibidem,
(b) Belon , Hijl. natur. des
O'ifcaux , Tome 1,
Oifeaux, page 23 i. — Marmol,
Defcripcion de r Afrique, tome III,
page 25.
(c) Opère di Val/ifnieri, tom. I|
; Kkk
'44-2 Histoire Natu relle
mangeoit guère que les jeunes, &. même après les
avoir engraiiïees f^IJ ; le Rabin, David Kimbi , ajoute
qu'on préféroit les femelles fej, 6c peut-être en eût-on
fait un mets paffable en les foumettant à la caflration.
Cadamoflo(Sc quelques autres Voyageurs clifent avoir
goûté des œufs d'autruche , Si ne les avoir point trouvés
mauvais; de Brue 6c le Maire affurcnt que dans un feui
de fes œufs, il y a de quoi nourrir huit hommes ("fj;
d'autres qu'il pèfe autant que trente œufs de poule fgj,
mais il y a bien loin de-là à quinze livres.
On fait avec la coque de ces œufs , des efpèces de
coupes qui durcilfent avec le temps, 6: reffemblenC
€n quelque forte à de l'ivoire.
Lorfque les Arabes ont tué une autruche, ils lui
ouvrent la gorge , font une ligature au - deflous du
trou, 6c la prenant enfuite à trois ou quatre, ils la
fecouent 6c la reffiffent, comme on relïafTeroit une
outre pour la rincer; après quoi la ligature étant défaite,
il fort par le trou fait à la gorge, une quantité confi-
dérable de mantéque en conliftance d'huile figée; on
en tire quelquefois jufqu'à vingt livres d'une feule
autruche , cette mantéque n'cfl autre chofe que le
fang de l'animal mêlé, non avec fa chair, comme
on Ta dit, piiifqu'on ne lut en trouvoit point fur le
(dj Defcrip. de l'Afr. liv. IX.
(e) Cefnej, de Avïbus , p. 74 1 .
(f) Voyage au Sénégal, &c.
fage I Q^,
(^) Kolbe, Defcriptïon du cep
de Bonm-ejpcrqjKe.
T> E l' Autruche. 445
ventre <Sc la poitrine, où en efîet ii n'y en a jamais;
mais avec cette graifTe, qui dans les autruches grafTes,
forme, comme nous avons dit, une couche épaifle de
phifieurs pouces fur les inteflins: les habitans du pays
prétendent que la mantèque efl un très-bon manger,
mais qu'elle donne le cours de ventre (h).
Les Ethiopiens écorchcnt les autruches <Sc vendent
leurs peaux aux Marchands d'Alexandrie; le cuir en
efl très-cpais (i) , Si les Arabes s'en faifoient autrefois
des cfpèces de foubrcveftcs , qui leur tenoient lieu de
cuiraife Si de bouclier (7(J. Bclon a vu une grande
quantité de ces peaux toutes emplumées dans les bou-
tiques d'Alexandrie (^/J^ les longues plumes blanches
de la queue Sl des ailes ont été recherchées dans tous
les temps; les Anciens les cmployoient comme orne-
ment & comme diflinflion militaire, Si elles avoient
fuccédé aux ])lumes de cygne ; car les oifeaux ont
toujours été en poiTefTion de fournir aux peuples
policés, comme aux peuples fauvages, une partie de
leur parure. AIdrovande nous apprend qu'on voit
encore à Rome deux flatucs anciennes , l'une de
Minerve & l'autre de Pyrrlius , dont le cafque efl
f/ij Voynge de Thévenot,
tom J , pnge ^ i ^.
I i) Nota. Schwcnckfeld pré-
tend que ce cuir épais efl fait
pour garamir l'autruche contre la
rigueur du froid; il n'a pas pris
garde qu'elle n'habitoit que les pnys
chauds. 1'''oy. Aviariuni Silefioe,
(k) Pollux , apui Gefncrum,
de Avibus, pag. 7^-^.
(l) Belon, Ohjerv. fol 5? 5.
Kkkij
44-4- Histoire Naturelle
orné de plumes d'autruche (??îJ; c'efl apparemment
de ces mêmes plumes qu'étoit compofc le pcnnache
des foldats Romains, dont parle Polybe fnj, Si qui
confifloit en trois plumes noires ou rouges d'environ
une coudée de haut; c'eft précifément la longueur des
grandes plumes d'autruche. En Turquie, aujourd'hui,
un Janifîaire (^oj qui s'-cfl; fignaié par quelques faits
d'armes (^pj^ a le droit d'en décorer fon turban, <5:.la
Sultane, dans le ferai 1 , projetant de plus douces vic-
toires, les admet dans fa parure avec complaifance.
Au royaume de Congo, on mêle ces plumes avec celles
du paon , pour en faire des enfcignes de guerre f^J,
Si les Dames d'Angleterre Si d'Italie s'en font des
efpèces d'éventails ('f-J; on fait affez quelle prodigicule
confommation il s'en fiit en Europe pour les chapeaux,
les cafques, les hahillemens de théâtre, les ameuhle-
mens, les dais, les cérémonies funèbres, Si même pour
la parure des femmes; <Sc il faut avouer qu'elles font un
bon effet , foit par leurs couleurs naturelles ou artill-
cielles, foit par leur mouvement doux Si ondoyant:
mais il cfl: bon de favoir que les plumes dont on fait
le plus de cas, font celles qui s'arrachent à l'animal
vivant , &. on les reconnoît en ce que leur tuyau étant
preffé dans les doigts, donne un fuc fanguinolent ;
^mj A Id. deAvlhus, 1. 1, p. 5 9 (5.
(n) Polybe, HiJI. lib. vi.
(0) Belon, Obferv . . . fol. ()6.
(p) k\à,de Ayibus,ul,Y>. 55) 6.
fq) Hifl. gen. des Voynges,
tome V, page y6.
(r) Aldrov. ubi fupra. — Wil-
lulghby, page j oj.
DE L* Autruche, 4.^5
celles au contraire qui ont été arracliécs après la mort,
font sèches, légères <Sc fort fujettes aux vers ffj.
Les autruches , quoique habitantes du délert , ne
font pas auiïi fauvages qu'on l'imagineroit : tous les
Voyageurs s'accordent à dire qu'elles s'apprivoifent
facilciiient, fur-tout lorrqu'elles font jeunes. Les habi-
tans de Dara , ceux de Lybie, &.c. en nourrilfent des
troupeaux (ij, dont ils tirent fans doute ces plumes
de première qualité, qui ne fe prennent que fur les
autruches vivantes ; elles s'apprivoifent même lans qu'on
y mette de foin , 6; par la lèule liabitude de voir des
jîommes Si d'en recevoir la nourriture c^ de bons
traitemens. Brue en ayant acheté deux à Serinpate fur
la côte d'Afrique, les trouva tout apprivoifées lorfqu'il
arriva au fort Saint-Louis (iij.
On f lit plus (|uedcles apprivoifer, on en a dompté
quelques-unes au point de les monter comme on monte
lin cheval; &. ce n'eft pas une invention moderne,
car le tyran Firmius qui régnoit en Egypte fur la fin
du troifième fiècle, fe faifoiî porter, dit -on, par de
grandes autruches (xj. Moore, Anglois, dit avoir vu,
à Joar en Afrique, un homme voyageant fur une
autruche (yj. Vailifnieri parle d'un jeune homme qui
(f) Hirt. g^n. à^s Voyages,
tome II, p'ige 6^2.
f t ) Marniol , Dcfcription de
J' Afrique, tome III, page i i.
^uj Hift. gcn. des Voyages,
tome II, fii^e 6 q S,
(x) Firnùus imperator veéJus ejf
inQcntiius Struth'ionibus. Textor ofT.
npud Cedicrum , pcig. / jj" .
(y) Hift. gén. des Voyages,
tome 111 , page S ^„
Kkk iij
44-<^ Histoire Naturelle
s'étoit fait voir à Venife monté fur une autruche, Ôc
lui faifant faire des efpèces de voites devant le menu
peuple ("ij; enfin M. Adanfon a vu au comptoir de
Podor, deux autruches encore jeunes, dont ia plus
forte couroit plus vite que le meilleur coureur Anglois,
quoiqu'elle eût deux Nègres fur fon dos fûj ; tout
cela prouve que ces animaux, fans être abfolument
farouches, font néanmoins d'une nature rétive, ôi que
f:^) Vallifnicri, tome I, page 2^1.
( a ) <i<i Deux autruches qu'on clevoit depuis près de deux nns nu
» comptoir de Podor, furie Niger, quoique jeunes encore, égaloient,
>î à très-peu près , la grofieur des plus grofles de celles que je n'avois
>3 aperçues qu'en pafTant dans les campagnes brulces & fablonneufes
y^ de la gauche du Niger: celles-ci étoient 11 privées, que deux petits
» Noirs montèrent enlemblc la plus grande des deux ; celle-ci n'eut
35 pas plutôt fcnti ce poids , qu'elle fe mit à courir de toutes (es forces
X. & leur fit fiire plufieurs fois le tour du villnge , /ans qu'il fût
ï3 poffjble de l'arrêter autrement qu'en lui barrant le parfige. . . Pour
•n efi'ajer la force de ces animaux, je fis monter un Nèo-rc de taille
» fur la plus petite , & deux autres fur la plus groffe : cette charo-e
*> ne parut pas difproportionnce à leur vigueur ; d'abord elles trot-
55 tèrent un petit galop des plus ierrcs; cnluite, lorfqu 'on les eût un
» peu cxcite'es, elles étendirent leurs ailes comme pour prendre le
>» vent , & s'abandonnèrent à une telle vîiefle , qu'elles fembloient
33 perdre terre ... Je fuis perfuadc cju'cllf s auroient laifTé bien loin
»• derrière elles les plus fiers chevaux Anglois. . . Il eft vrai qu'elles
33 ne fourniroieat pas une cour(c audi longue qu'eii^ -, maïs à coup
53 fur elJcs pourroicnt l'exécuter plus promptcment. J'ai été plufieurs
33 fois témoin de ce f]:)eclacle , qui doit donner une idée de la force
33 prodigicufe de l'autruche , & faire connoître de quel ufigc elle
33 pourroit être fi on trouvoit moyen de la maîtriler & de i'inflruirc
comme on drefîe un cheval >3. Voyage au Sincgal, page j^8.
DE V A U T R V C H E. 447
fi on peut les apprivoifer jiifqu'à fe laiiïer mener en
troupeaux, revenir au bercail <?v même à fouffrir qu'on
les monte , il e(l difficile & peut-ctre impofTible de les
réduire à obéir à la main du cavalier, à fcntir Us
demandes, comprendre fcs volontés (^ s'y foumcurc:
nous voyons par la relation même de M. Adanfon ,
que l'autruche de Podor ne s'éloigna pas bcaucouj),
mais qu'elle lit piufieurs fois le tour de la bourgade ,
à. qu'on ne put- l'arrêter qu'en lui barrant le palîâge;
docile à un certain point par flupidité , elle paroft
intraitable par fon naturel; 6^ il faut bien que ceiafoif,
puifque l'Arabe qui a dompté le cheval & fubjugué le
cliameau, n'a pu encore maîtrifer entièrement l'autruche :
cependant jufque-là on ne pourra tirer parti de fa vitcffe
<& de fa force, car la force d'un domelUique indocile,
fe tourne prefque toujours contre fon maître.
Au relie, quoique les autrucJies courent plus vite
que le cheval , c'ert cependant avec \c che\'al qu'on
les court (5c qu'on les prend, mais on voit bien qu'il
y fuit un peu d'induflrie; celle des Arabes conflile à
les fuivre à vue, fans les trop preffcr, <5c fur - tout à
les inquiéter alTez pour les empêcher de prendre de
la nourriture, mais point afîéz pour les déierminer à
sYchapper par une fuite prompte ; cela ell d'autant
plus facile qu'elles ne vont guère fur une ligne droite,
6c qu^elles décrivent prefque toujours dans leur courfe
un cercle plus ou moins étendu; les Arabes peuvent
donc diriger leur marche fur un cercle concentrique >
44S Histoire Natu re lle
intérieur, par conféquent plus étroit, <Sc les fuivre
toujours à une jude diftance , en faifant beaucoup
moins de chemin qu'elles : lorfqu'ils les ont ainfi
fatiguées &i affamées pendant un ou deux jours, ils
prennent leur moment, fondent fur elles au grand
galop en les menant contre le vent autant qu'il efl
poffible fhj^ Si les tuent à coups de Laton pour que
leur fang ne gâte point le beau blanc de leurs plumes:
on dit que lorfqu'elles fe fentent forcées 6c hors d'état
d'échapper aux Chaffeurs , elles cachent leur tcte Se
croient qu'on ne les voit plus (^cj; mais il pourroit fe
faire que l'abfurdité de cette intention retombât fur
ceux qui ont voulu s'en rendre les interprètes , Se
qu'elles n'euffent d'autre but en cachant leur tête
que de mettre du moins en fureté la partie qui efl en
même temps la plus importante Sl la plus foible.
Les Struthophages avoient une autre façon de
prendre ces animaux , ils fe couvroient d'une peau
d'autruche, pafflmt leur bras dans le cou, ils lui fai-
foient faire tous les mouvemens que fait ordinairement
l'autruche elle-même, Se par ce moyen , ils pouvoient
aifément les approclier Se les furprendre f^J' c'efl
ainfi que les Sauvages d'Amérique fe déguifent en
chevreuil, pour prendre les chevreuils.
fbj Kleiii, ////?. Avium, p. i 6.
— Hiftoire générale des Voyages,
tome 11 , page 6 ^ 2 .
(c ) Pline , iïb. X , cap. i.
— KoILe , Defcripî'ion du cap de
Bonne - efpérance , &c.
(d) Diod. Sicul. de Fahul.
Antiq. geps, iib. iv.
DE L* Autruche, 449
On s'efl encore fcrvi de chiens &i de filets pour cette
chafle, mais ii paroît qu'on ia fait plus communément
à cheval; <Sc cela feul fuffit pour expliquer l'antipathie
qu'on a cru remarquer entre ie cheval (Se i'autruche.
Lorfque celle-ci court , elle déploie Tes ailes (5c les
grandes plumes de fa queue fe), non pas qu'elle en
lire aucun fecours pour aller plus vite , comme je l'ai
déjà dit, mais par un effet très-ordinaire de la corref-
pondance des mufcles, <&. de la manière qu'un homme
qui court agite fcs bras, ou qu'un éléphant qui re-
vient fur le Chaffeur, dreffe <&. déploie fes grandes
oreilles ^^; la preuve, fans réplique, que ce n'eft point
pour accélérer fon mouvement que l'autruclie relève
ainfi fes ailes, c'efl qu'elle les relève lors même qu'elle
va contre le vent , quoique dans ce cas elles ne puifTent
être qu'un ohftacle : la vîteffe d'un animal n'efl que
l*effet de fa force employée contre fa pefanleur; 6l
comme Tautruche efl en même temps très-pefante ôc
très - vite à la courfe , il s'enfuit qu'elle doit avoir
beaucoup de force: cependant malgré fa force, elle
conferve les mœurs des granivores; elle n'attaque point
les animaux plus foibles, rarement même fe met-elle
en défenfe contre ceux qui l'attaquent; bordée fur tout
le corps à\)n cuir épais ôi dur, pourvue d'un large
Jhniuîfî qui lui tient lieu de cuiraffe , munie d'une
féconde cuiraffe d'infenfibilité, elle s'aperçoit à peine
(() Léon A fric. Defcription, lib. IX,
(f) Elien, ////?. animal,
O'iftaux , Tome I. .LU
450 Histoire Natu relle
des petites atteintes du dehors, <5: ejie fait fe fouHraire
aux grands dangers par ia rapidité de fa fuite ; fi quel-
quefois elle fe défend, c'efl avec le bec, avec les
piquans de fes ailes fgj, Si fur -tout avec les pieds.
Théver.ot en a vu une qui d'un coup de pied renverfa
un chien (^/ij. Belon dit dans fon vieux langage, qu'elle
pourroit ainfi rua- far terre wx\ lionime qui fuiroit
devant elle (ï); mais qu'elle jette, en fuyant, des
pierres à ceux qui la pourfuivent (k),]tv\ doute beau-
coup, (5c d'autant plus que la vîteffe de fa courfe en
avant feroit autant de retranché fur celle des pierres
qu'elle lanceroit en arrière, 6c que ces deux vîteffes
oppofées étant à peu près égales, puifqu'clles ont toutes
deux pour principe le mouvement des pieds, elles fe
détruiroient néceffairement t d'ailleurs ce fait avancé
par Pline , <Sc répété par beaucoup d'autres , ne me paroit
point avoir été confirmé par aucun Moderne digne
de foi, <Sc Ton fait que Pline avoit beaucoup plus de
génie que de critique.
Léon l'Africain a dit que J'autruche étoit privée diî
fens de l'ouïe (l); cependant nous avons vu plus-
haut qu'elle paroiffoit avoir tous les organes d'où.-
(g) Albert, de Anïmaî. apud Gefn. pag. 742.
(h) Voyages de Thévenot, tome I , page S ^ 3-
(i) Belon, H'ijl. naî. des Oifeaux, page 233.
(k) Ungulœ lis. . . bifide ce , comprekndendis lapïdibus utiles , quos î\
fugà contra Je quent es ïngerunt. Lib. X, cap. I.
(l) Defcriptionœ Africce , lib. IX.
DE l' Autruche. 4^1
dtîpendent les renfaiions de ce genre, l'ouverture àçs
oreilles efl même fort grande, <5c n'efl point ombragée
par les plumes; ainfi il eft probable ou qu'elle n'efl
fourde qu'en certaines circonflances , comme le tétras,
c'eft-à-dire dans la faifon de l'amour, ou qu'on a
imputé quelquefois à furditc ce qui n'étoit que l'effet
de la (lupidité.
C'efl auffi dans la même faifon , félon toute appa-
rence, qu'elle fait entendre fa voix; elle la fait rarement
entendre, car très-peu de perfonnes en ont parlé; les
Ecrivains facrés comparent fon cri à un gémiffe-
ment ('mj, Ôc on prétend même que fon nom hébreu
jacnah efl formé A'ianah , qui fignilie hurler. Le doc-
teur Browne dit que ce cri reffemble à la voix d'un
enfant enroué, 6^ qu'il efl plus trifle encore (n);
comment donc avec cela ne paroîtroit-il pas lugubre
& même terrible, félon l'exprefTion de M. Sandys,
à des Voyageurs qui ne s'enfoncent qu'avec inquiétude
dans l'immenfité de ces déferts , (Se pour qui tout être
animé, fans en excepter l'homme, efl un objet à
craindre <Sc une rencontre dangereufeî
(m) Michëe, cap. I. Luâum quafi Struth'iomm.
(n) Collerions Philofophicjues ,".*/# art. VIII.
Li[ii
452 Histoire Natu relle
L E T O UY O U (a).
L'Autruche de T Amérique méridionale, appelée
aufTi autruche d Occident , autruche de Alagellan <ir delà
Guyafîe , n'efl point une autruche: je crois que ie Maire
eft le premier Voyageur qui , trompé par quelques
traits de reiïemblance avec l'autruche d'Afrique, lui
ait appliqué ce nom (bj. Klein qui a bien vu que
l'efpèce ctoit différente , s'efl contente de l'appeler
autruche bâtarde (c) . M. Barrère la nomme tantôt un
héron (d) , tantôt une grue ferrivore fej, tantôt un émeu
à. long cou (f); d'autres ont cru beaucoup mieux faire
en lui appliquant d'après des rapports , à la vérité
mieux faifis, cette dénomination compofée, cafoar gris
à bec d autruche ; Moehring (g) ôi M. BrifTon (hj lui
fû) Touyou ou Touyouyou. — Struîhto. Euf. Niercmberg,
pag. 2 1 y ; la figure, page 218, fous le nom Emeu. — Nhniidu-
gaam. Marcgrav. H'iJ}. nat. Braf. pag. 190; & Pifon , page 84,
avec une figure. — Amruche de Guiane. Definarchais , îome IJI ,
page S24.
(h) Voy. fes Navigations Auftrales, page 12$, dans le fonmalrt
du n° 22.
(c) Av'ium. H'iJ}. pag. 1 y.
(d) Ornhhûlog'ia , pag. dy.
(e) France Équinoxiale , page J ^ ^ '
(f) Ornithologia , pag. 64.
(g) Meth. Av'i. G en. 65.
^h) Briflon, tome V, page 8,
Trin l
ri \M\ r.r., ^
Cbi'ftriue ffcw'JJcJ'evc •
LAI TRUC HK
t/t ix.'j /:ar .Ou^wiir
DU T 0 u Y 0 u, 45 5
donnent le nom latin der//^/?^ auquel le dernier ajoute le
nom Américam de touyou , formé de celui de toiiyouyou
qu'il porte communément dans la Guyane (i) ; d'autres
Sauvages lui ont donné d'autres ?iQ\w% ^ yardu , yanJu ,.
andu Si nandu - giiacu , au Brefii (k); fallian, dans l'ile
de Maragnan (l) ; fiiri, au Chili (m) , ôlc. voilà bien
des noms pour un oifeau fi nouvellement connu; pour
moi j'adopterai volontiers celui de touyou que lui a
donné, ou plutôt que lui a confervé M. BrifTon, Se
je préférerai fans héfiter ce nom ])arî^;''.re , qui vrai-
femblahlement a quelque rapport à la voix ou au cri
de l'oifcau, je le préférerai, dis-je,aux dénominations
fcientifi(jues , qui trop fouvent ne font propres qu'à
donner de fauiïes idées , Se aux noms nouveaux qui
n'indiquent aucun caraétère, aucun attribut cffentiel de
l'être auquel on les applique.
M. Briffon paroit croire qu'Afdrovande a voulu
défigner le touyou fous le nom d'dv/s cme (n) , 6c il
eft très -vrai qu'au tome 111 de l'Ornithologie de ce
dernier, f-'Jg^ J-i-^ ^ '1 ^^ trouve une planche qui repré-
fente le touyou Si le cafoar, d'après les deux planches
de Nieremberg, jhige 21S ; <S. qu'au - dtflus de la
(i) Barrcre, France Equïnoxiale , page 133.
(k) Nieremberg , page 2 1 y ; Marcgrave , page i p 0 ; Pilon,
page 84; de Laët, &c.
(l) Hiftoire générale des Voyages, tome XIV, page j» / C^
(m) Nieremberg, jt7^^f -277.
(n) Briffon, tome Kde fon Ornithologie, page 8.
LU iij
454- Histoire Natu relle
planche d'AIdrovande eft écrit en gros caradère ,
AVIS EME , de nicme que ia figure du touyou, dans
Nieremberg, porte en tête le nom ù^émeu ; mais ii efl
vifible que ces deux titres ont été ajoutes par les Gra-
veurs ou les Imprimeurs, peu inflruits del'mtention des
Auteurs, car Aldrovande ne dit pas un mot du touyou ,
Nieremberg n'en parle que fous les noms âjûn/ûi/,
dt furi 6c d'autruche d'Occident ; 6c tous deux, dans
leur defcription , appliquent les noms LVeme 6c LVcmeu
au feul cafoar de Java ; en forte que pour prévenir la
confufion des noms , i'eme d'AIdrovande 6c l'émeu
de Nieremberg, ne doivent plus déformais reparoître
dans la lifle des dénominations du touyou. Marcgrave
dit que les Portugais l'appelent e?na dans leur langue ('oj ;
mais les Portugais qui avoient beaucoup de relations
dans les Indes orientales, connoifToient l'émeu de Java,
6c ils ont donné fon nom au touyou d'Amérique,
qui lui reffembloit plus qu'à aucun autre oifeau , de
mcme que nous avons donné le nom d'autruche à ce
même touyou; 6c il doit demeurer pour confiant que
le nom d'émeu eft propre au cafoar des Indes orientales,
6: ne convient ni au touyou ni à aucun autre oifeau
d'Amérique.
En détaillant les différens noms du touyou , j'ai
indiqué en partie les différentes contrées où il fc
trouv-e ; c'efl un oifeau propre à l'Amérique méridionale,
(o) Marcgrave ; tiïjî. naî. Braf. page 190,
DU T 0 U Y O L\ 45 5
mais qui n'efl pas également répandu dans toutes les
provinces de ce continent. iMarcgrave nous apprend
qu'il efl rare d'en voir aux environs de Fernambouc,
il ne l'cft pas moins au Pérou Si ie long des côtes les
plus fréquentées , mais il efl plus commun dans la
Guyane (pj , dans les capitaineries de Sérégippe & de
Rio - grande ftjj, dans les provinces intérieures du
Brefil (rj, au Chili fjj, dans les vaftes forêts qui font
au nord de l'embouchure de la Piata ftj, dans les
favanes immenfes qui sticndcni au iud de cette
rivière fuj ôl dans toute la terre Magellan i que fxj,
jufqu'au port Defiré, & même jufqu'à la côte qui borde
ie détroit de Magellan (j'J: autrefois il y avoit des
cantons dans le Paraguai qui en étoient remplis, fur-tout
Jes campagnes arrofécs par l'Uraguai; mais à mefure
que les hommes s'y font multipliés, ils en ont tué un
grand nombre, Se le refte s'eft éloigné (^^J: le capitaine
Yood affure que bien qu'ils abondent fur la côte
feptentrionale du détroit de Magellan, on n'en voit
^pj Barrère, France Equ'moxîale , page 133.
//j) Marcgrave, H'ijl. nat. Brafil. pag. \ç)o.
(r) Hiftoire générale des Voyages, tcme XIV, page 2pp.
^/f) Hiftoire des Incas , tome II , page 2-/^ & fuivmnes.
/t) Wafcr, Nouveaux Voyages de Dampier , tome V, page la'è,
(u) Ibidem , page 68.
(s) Ibidem, tome IV, page ^p; & tome V, page 181.
(y) Ibidem, page 192.
/7^ Hiftoire du Paraguai du P. Charlevoix, tome I, page j'j»;
é^ tome II, page j J2,
4)6 Histoire Naturelle
point du tout fur la côte méridionale faj; 6c quoique
Corcal dife qu'il en a aperçu dans ks îles de la mer
du fud (hj, ce déiroit paroît être la borne du climat
qui convient au touyou, comme le cap de Bonne-
efpcrance e(l la borne du climat qui convient aux
autruches ; 6c ces îles de la mer du fud , où Corcal
dit avoir vu des touyous, feront apparemment quel-
ques-unes de celles qui avoifment Its côtes orientales
de l'Amérique au-delà du détroit: il paroît de plus»
que le touyou qui fe plaît comme l'autruche , fous la
zone torride , s'habitue plus facilement à des pays
moins chauds, puifque la pointe de l'Amérique méri-
dionale, qui eft terminée par le détroit de Magellan,
s'approche bien plus du pôle que le cap de Bonne-
efpérance ou qu'aucun autre climat habité volontaire-
ment par les autruches: mais, coinme félon toutes \ts
relations , le touyou n'a pas plus que l'autruche la
puiffance de voler, qu'il eft , comme elle, un oifcau
tout-à-fait terreflre, & que l'Amérique méridionale eft
féparée de l'ancien continent, par des mers immenfes;
il s'enfuit qu'on ne doit pas plus trouver de touyous
dans ce continent, qu'on ne trouve d'autruches en
Amérique, 6c cela efl en effet conforme au témoignage
de tous les Voyageurs.
Le touyou, làns être tout -à -fait au/îî gros que
(û) Suite des Voyages de Dampier, tome V, page i p2.
(h) Voyages de Coreal, tome II , page 2 o S.
l'autruche,
DU T 0 U Y 0 U. 457
l'autruche, efl le plus gros oifeau du nouveau monde,
les vieux ont jufqu'à fix pieds de haut fcj ; 6i Wafer qui
a mefuré la cuifle d'un des plus grands , l'a trouvée
prefque égale à celle d'un homme f^/J; il a le long
cou , la petite tcte Se le bec aplati de l'autruche ^ej,
mais pour tout le refle, il a phis de rapport avec le
cafoar: je trouve même dans l'hifloirc du Brefil , par
M. l'abbé Prévôt (ffj mais point ailleurs, l'indication
d'une efpcce de corne que cet oifeau a fur le bec ,
Si. qui , (i elle exifloit en effet, feroit un trait de
refTemblance de plus avec le cafoar.
Son corps efl de forme ovoïde, <5: paroît prefque
entièrement rond, lorfqu'il efl revêtu de toutes {es
plumes: fes ailes font très-courtes S: inutiles pour le
vol, quoiqu'on prétende qu'elles ne foient pas inutiles
pour la courfe ; il a fur le dos Si aux environs du
croupion , de longues plumes qui lui tombent en
arrière Se recouvrent l'anus, il n'a point d'autre queue;
tout ce plumage eft gris fur le dos 6c blanc fur le
^cj Barrcre, France Equinoxiale , page 133.
fd) Suite des Voyages de Dampier , tome JV, page ^ 0 S.
(e) Nota. On voit dans la figure de Nierembcrg, page 21 S , une
erj:)ècc de calotte fur le loniinet de la tête, qui a du rapport à la
plaque dure &: calleule que l'autruche a au inême endroit , félon le
Dodeur Brown ( Voy. \ Htfloire de V Autruche ) ; iiiais il x\Q?i quellion
de cette caloue ni dans la Defcription de Nieremberg, ni dans aucune
autre.
(f) Hiftoire générale des Voyages, tome XJV , page 2pp,
Oifcaux, Tome I. . M mm
4)S H 1 STOlRE Naturelle
ventre: c'eîl un oifeau très- haut monté, ayant trois
doigts à chaque pied, &i tous trots en avant, car on ne
doit pas regarder comme un doigt, ce tubercule calleux
& arrondi qu'il a en arrière, &. fur lequel le pied
fe repofe comme fur une efpcce de talon; on attribue
à cette conformation la difficulté qu'il a de fe tenir
fur un terrein gliffant , &: dy marcher fans tomber;
en récompenfe, il court très - légèrement en pleine
campagne, élevant tantôt une aile, tantôt une autre,
mais avec des intentions qui ne font pas encore bien
éclaircies ; Marcgrave prétend que c'eft afin de s'en
fervir comme d'une voile pour prendre le vent ;
Niercmberg, que c'eft pour rendre le vent contraire
aux chiens qui le pourfuivent; Pifon 6c Klein, pour
chansfer fouvent la direéiion de fa courfe, afin d'éviter
par ces zig - zags les flèches des Sauvages; d'autres
enfin, qu'il cherche à s'exciter à courir plus vite, en
fe piquant lui - même avec une cfpèce d'aiguillon
dont fcs ailes font armées fgj: mais, quoi qu'il en foit
des intentions des touyous , il efl certain qu'ils courent
avec une très -grande vîteffe , & qu'il efl difficile à
aycun chien de chaffe de pouvoir les atteindre ; on
(b) Voy^z ^oiJS ces Auteurs nux endroits indiques ci-dcfius ; mais
il fiiut remarquer que Pilon, Marcgrave ni aucun autre qui ait vu le
touyou, ne parle de cet aiguillon de l'aile, & qu'il pourroit bien avoir
été donne à cet cîlcau leulement par analogie , ou parce qu'on a
cru pouvoir lui nttribvijr, en fli qualité d'autruche, les propriétés de
l'autruche d'Afrique j fuite ixiévltable de la confufioa des noms.
DU T o u Y 0 u. 459
en cite un qui fe voyant coupe, s'élança avec une
telle rapidité qu'il en impofa aux chiens, éc s'échappa
vers les montagnes (h): dans l'impoffibilité de les
forcer, les Sauva2:cs font réduits à ufer d'adrciTe & à
leur tendre des pièges pour les prendre (i). Marcgrave
dit qu'ds vivent de chair (Se de fruits (k) , mais fi on
les eût mieux obfervés , on eut reconnu, fans doute,
pour laquelle de ces àç:\\x fortes de nourritures ils ont
un appétit de préférence ; au défaut des faits on peut
conjecturer que ces oifcaux ayant le même inftinél
que celui des autruches <5v. des frugivores , qui ell
d'avaler des pierres, du fer &: autres corps durs (l) , ils
font auiïi frugivores, 6c que s'ils mangent quehjuefois
de la chair, c'eft, ou parce qu'ils font prcffés par la
faim, ou qu'ayant les fens du goût &: de l'odorat
obtus comme l'autruche, ils avalent indiflinélement
tout ce qui fe préfente.
Nieremberg conte des chofes fort étranges au fujet
de leur propagation; félon lui, c'ell le mâle qui fe
charge de couver les œufs; pour cela il fait en forte
de ra(feiubler vingt ou trente femelles , afin qu'elles
pondent dans un même nid; dès qu'elles ont pondu,
il les chaffe à grands coups de bec , (Se vient fe pofer
/h) Navigntions aux terres Auftrales, pages 20 — ly.
(ï) Hiftoire génc-rale cJes Voyages , tome XIV, page ^16,
(k) Marcgrave, H'if. nat, Brnf. ubi fiiprà.
(l) Idem, vh'i fuprà. — Wafer, Suite des Voyages de Damplcr,
tome IV, page 30S.
Mm m \]
460 Hl STO I RE NATU RELLE
fur leurs œufs, avec la fingulicre précaution d'en laiffer
deux à l'écart qu'il ne couve point; lorfque les autres
commencent à éclore , ces deux-là fe trouvent gâtés,
<5c le mâle prévoyant ne manque pas d'en caifer l'un,
qui attire une multitude de mouches > de fcarabces 6c
d'autres infedes dont les petits fe nourriiïent; lorfque
le premier efl confommé, le couveur entame le fécond
6c s'en fert au même ufage fuij: il eft certain que tout
cela a pu arriver naturellement ; il a pu fe faire que
des œufs inféconds fe foicnt caffés par accident, qu'ils
aient attiré des infeéles, lefquels aient fcrvi de pâture
aux jeunes touyous; il n'y a que l'intention du père
qui foitfufpcde ici, car ce font toujours ces intentions
qu'on prête affez légèrement aux bctcs, qui font le
roman de l'fiiiloire Naturelle.
A l'égard de ce mâle qui fe charge, dit - on , de
couver à l'exclufion des femelles; je ferois fort porté
à douter du fait, &. comme peu avéré & comme con-
traire à l'ordre de la Nature: mais ce n'eft pas affez
d'indiquer ime erreur, il faut, autant qu'on peut, en-
découvrir les caufes , qui remontent quelquefois jufqu'à
la vérité ; je croirois donc volontiers que celle-ci efl
fondée fur ce qu'on aura trouvé à quelques couveufes
des teflicules , 6c peut-être une apparence de verge
comme on en voit à l'autruche femelle, 6c qu'on fe
fera cru en droit (ïtn conclure que c'étoit autant de
mâles.
(771) Nieremberg, Hijl, nat, P:regr. pag. 217.
DUTOUYOV. 461
"VC^afcr dit avoir aperçu dans une terre dcTerte au
nord de la Piata, vers le trente - quatrième degré de
iatitude méridionale, une quantité d'œufs de touyou
dans le fable où, félon lui, ces oifeaux les laiflen^t
couver fnj; fi ce fait efl vrai , les détails que donne
Nieremberg fur l'incubation de ces mêmes œufs, ne
peuvent l'être que dans un climat moins chaud Si plus
voifm du pôle; en effet, les Hollandois trouvèrent aux
cnA irons du port Dcfiré, qui efl au quarante-fcptiéme
degré de latitude, un touyou qui ccuvoit 6c qu'ils
firent envoler, ils comptèrent dix -neuf œufs dans le
nid {oj; c'ed ainfi que les autruches ne couvent point,
ou j)refque point leurs œufs fous la zone torride , Ôl
qu'elles les couvent au cap de Bonne- efpérance où
la chaleur du climat ne feroit pas fuififante pour les
faire éclore»
Lorfque les jeunes touyous viennent de naître, ils
font familiers <Sc fuivent la première perfonne qu'ils
rencontrent fpj ; mais en vieillifîlmt ils acquièrent de
l'expérience &. deviennent fauvages (^j): il paroit qu'en
(n) Tome JV de la fuite des Voyages de J:>m^y\<iT , page ^ 0 8.
(0) Voynges des Hollandois nux Indes orientales, tome U ,page j y,
(p) ce J'ai été fuivi, moi-même, dit Y/afer , par pluficurs de ces
jeunes autruches ( il appelle ainfi Us touyous ), qui font fort fmiples ce
& innocentes ». Voyages de Dampier , tome JV, page j> o S.
/q) ce II y a un très - grand nombre d'autruches dans cette île
du port Defiré , lefquelles font fort farouches 5.. Voyage des Hollandois
aux Indes oritntaUs, tçmc II > page 17.^^^ Je vis au port Defiré trois
Mm m iii
462 Histoire Naturelle
général leur cliair eft un allez bon manger frjj non
cepenc!ant celle des vieux qui ed dure & de mauvais
goût (fj; on pourroit perfe61ionner cette viande en
élevant des troupeaux de jeunes tou)Ous , ce qui
fcroit facile, vu les grandes dilpofitjons qu'ils ont à
s'apprivoifer , les engrailfant ^ employant tous les
moyens qui nous ont rc'uiïî à l'égard des dindons, qui
viennent également des climats chauds Si tempérés du
continent de l'Amérique.
Leurs plumes ne font pas, à beaucoup près, au/fi
belles que celles de l'autruche fij; Coréal dit même
qu'elles ne peuvent fervir à rien fuj; il feroit à dcfirer
qu'au lieu de nous parler de leur peu de valeur, les
Voyageurs nous culTent donné une idée jufte de leur
ftruélure : on a trop écrit de l'autruche, &i pas affez
du touyou ; pour faire l'hifloire de la première, la plus
c-rande difhculté a été de raffembler tous les faits , de
comparer tous les expofés , de difcuter toutes \cs
opin-ions, de fàifir la vérité égarée dans le labyrinthe
à-ts avis divers ou noyée dans l'abondance des paroles:
mais pour parler du touyou, nous avons été fouvent
w autruches , (ans pouvoir les approcher afîcz pour les tirer : Jcs
qu'elles m'aperçurent, elles s'enfuirent". Navig. aux terres Aujlrales ,
pages 20 — 2 y,
(r) Marcgrave, H'ijl. nat. Brafil. pag. ipo.
^f) Wafer , vbi fuprà.
(i) Hift. des Incas, tome II, page 2jC.
(u) Voyages de Coréal, tome II, pcge 2 0 S.
DU T 0 U Y 0 U. 463
obliges (Je deviner ce qui cfl , d'après ce qui doit ttre;
de commenter un mot échappé par lialard, d'inter-
préter jufqu'au filence; au défaut du vrai, de nous
contenter du vraifemblable , en un mot de nous
réfoudre à douter de la plus grande partie des faits
principaux, & à ignorer prefque tout le refte , juAju'à
ce que les obfervations futures nous mettent en état
de remplir les lacunes que, faute de mémoires fuffifans,
nous laifTons aujourd'hui dans fon hifloire.
>0^-^
464. Histoire Naturelle
LE CA s OAR (a).
l-iES Hoilandois font les premiers qui ont fait voir
cet oifeau à l'Europe , ils le rapportèrent de l'île de
Java, en 1597, à leur retour du premier voyage qu'ils
avoient fait aux Indes orientales f/yj; les habitans du
pays l'appellent Eme , dont nous avons fait cmcu: ceux
qui l'ont apporté lui ont aufli donné le nom de
Cûffoware (c) , que nous prononçons cafoar , 6. que j'ai
adopté, parce qu'il n'a jamais été appliqué à aucun
autre oifeau; au lieu que celui d'emeu a été appliqué,
quoique mal-à-propos, au touyou, comme nous l'avons
vu ci-deiïus dans l'infloire de cet oifeau.
Le cafoar, fans être auffi grand ni même auffi gros
que l'autruclie, paroit plus maffif aux yeux, parce
qu'avec un corps d'un volume prefque égal , W a le
(a) Cafoar. Aux Indes, Eme ou Etneu; en Europe, Cafoar ou
Cafowar. — Emeu. Avis, Clujii, Exot. lib. V, pag. 97, avec une aflez
bonne figure, page p 8. — Caroar. Mémoires pour fervir à l'Hiftoire
des Animaux, partie II, page 1 j y , planche LV I , avec une alTez
bonne ficrure. — Cafowary. Albin, tome II , page j»j? , planche LX,
avec une mauvaifc figure. — Cafuarïus. Frilch , planche CV, avec une
figure coloriée. — Le Cafoar. Briflon , Ornïthol. tome y , p'^g^ ^ o,
planche l , figure z .
(b) Hift. générale des Voyages , tome VIII , page 112. — Clufius,
^xotic. lib. V, cap. m, png. 5)7, edit. fol. i 605 , ^a" Off. Planiin.
(c) Bomius. — Frifch , adTabulam, png. 105.
COU
DU C A S 0 A R. 465
COU ôi les pieds moins longs Si beaucoup plus gros
à proportion, & la partie du corps plus renHcc, ce
qui lui donne un air plus lourd.
Celui qui a été décrit par M/' de l'Académie des
Sciences, avoit cinq pieds <Sc demi, du bout du bec
au bout des ongles fjj: celui que Clufius a obfervé
étoit d'un quart plus petit (^c^J. Houtman lui donne
une groiïéur double de celle du cygne ffj, & d'autres
Hollandois celle d'un mouton : cette variété de mefures,
loin de nuire à la vérité, efl au contraire la feule chofe
qui puifTc nous donner une connoifFance approchée
de la véritable grandeur du cafoar; car la taille d'un
feul individu n'eft point la grandeur de i'efpèce , <Sc
J'on ne peut fe former une idée jufîe de celle-ci,
qu'en la confidérant comme une quantité variable entre
certaines limites ; d'où il fuit qu'un Naturaliflc qui
auroit comparé avec une bonne critique , toutes les
dimenfions Se les defcriptions des Obfervateurs , auroit
des notions plus exactes Se plus fûres de I'efpèce, que
chacun de ces Obfervateurs qui n'auroit connu que
l'individu qu'il aura mefuré & décrit.
Le trait le plus remarquable dans la figure du cafoar^
efl cette efpèce de cafque conique, noir par-devant,
("^J Mcmoircs pour fcrvir à l'Hiftoirc des Animaux, Partie 11,
page /;/.
fej Ibidem. — & Clufais, uli fuprà.
(f) Voyage d'Houtman clans le Recueil des Voyages de la Com-
pagnie Hollandoife aux Indis Orientales , année 1596-
Oifcaiix , Tome L . N n n
4-66 Histoire N atu re lle
jaune clans tout le refle, qui s'élève fur le front, depuis
la bafe du bec jufqu'au milieu du fommet de la tcte ,
ôi quelquefois au-delà : ce cafque efl forme par le ren-
flement des os du crâne en cet endroit, & il eft
recouvert d'une envelo|)pe dure, compofée depluficurs
couches concentriques , 6c analogues à la iuhflance
de la corne de bœuf; fa forme totale eft à peu près
celle d'un cône tronqué, qui a trois pouces de haut,
un pouce de diamètre à fa bafe ôc trois lignes à fon
fommet. Clufius penfoit que ce cafque tomboil tous
Jes ans avec les plumes, lorf(jue i'oifeau étoit en
mue /W/ mais M.'* de l'Académie des Sciences ont
remarque avec raifon, que c'étoit tout au pkis l'enve-
Joppe extérieure qui pouvoit tomber ainfi , 6k non le
noyau intérieur, qui, comme nous l'avons dit, fait
partie des os du crâne, Si même ils ajoutent qu'on
ne s'efl point aperçu de la chute de cette enveloppe
à la ménagerie de Verfailles pendant les quatre années
que le cafoar qu'ils décrivoient y avoit paffées (hj:
néanmoins il peut fe faire qu'elle tombe en effet,
mais en détail, &. par une efpèced'exfoliation fuccefîlve,
comme le bec de plufieurs oifeaux, & (]ue cette par-
ticularité ait échappé aux Gardes de la ménagerie.
L'iris des yeux eft d'un jaune de lopafe,& la cornée
fmgulièrement petite , relativement au globe de Toeil fij,
/g) Clufius, Exot'ic. vh'i fupra , pag. 98.
(h) Mém. pour fervir à l'Hift. des Animaux, Pa^'ie II , page i 61,
(i) Le globe de i'œii avoit un pouce & demi de djaiiièire ; le
DU C A S O A R. 467
ce qui donne à l'animal un regard également farouche âc
extraordinaire; la paupière inférieure efl la plus grande,
ô. celle du defTus efl garnie dans fa partie moyenne
d'un rang de petits poils noirs , lequel s'arrondit au-
ile{R\s de i'œil en manière de fourcil Se forme au
cafoar (^âJ une forte de phydonomie que la grande
Ouverture du bec achève de rendre menaçante ; les
orifices extérieurs des narines font fort près de la
pointe du bec fupérieur.
Dans le bec, il faut diflinguer la charpente du tégu-
ment qui Ja recouvre: cette charpente confifte en trois
pièces très-folides, deux defquelles forment le pour-
tour, Si le troifième l'arête fupérieure qui efl; beaucoup
plus relevée que dans l'autruche; toutes les trois font
recouvertes par une membrane qui remplit les entre-
deux.
Les mandibules fupérieure &. inférieure du bec ont
leurs bords un peu échancrés vers le bout, Se paroiffent
avoir chacune trois pointes.
La tctc Si le haut du cou n'ont que quelques petites
plumes, ou plutôt quelques poils noirs  clair-femés;
en forte que dans ces endroits la peau paroît à décou-
vert ; elle efl: de difiérentes couleurs , bleue fur les
côtés, d'un violet ardoifé fous la gorge, rouge par-
derrière en plufieurs places , mais principalenient vers
criftallin, quatre lignes, & la cornée trois lignes feulement. Aitmoires
pour ftrvir à l'HiJloire des Ammûux , prtic II, page lôy.
(k) Ibidem , pig. 161.
Nnn ij
468 Histoire Naturelle
le milieu ; ôl ces places rouges font w^ peu plus
relevées que le refle , par des efpèces de rides ou de
hachures obliques dont le cou cft fillonné: mais il faut
avouer qu'il y a variété dans la diipoTition de ces
couleurs.
Les trous des oreilles étofent fort grands dans le
cafoar décrit par M." de l'Académie flj, fort petits
dans celui décrit par Clufius {^j^J, majs découverts
dans tous deux, &i environnés comme les paupières,
de petits poils noirs.
Vers le milieu de la partie antérieure du cou, à
J'endroit où commencent les grandes plumes, naiffent
deux barbillons rouges Sl bleus, arrondis par le bout,
que Bontius met dans la figure immédiatement au-
dcfTus du bec, comme dans les poules. Frifch en a
rcpréfenté quatre , àQWx plus longs fur les côtés du
cou, (Se deux en devant, plus petits &: plus courts; le
cafque paroît auffi plus large dans fa figure, <Sc approche
de la forme d'un turban fTiJ. Il y a au cabinet du Roi
une tête qui paroît être celle d'un cafoar, & qui porte
un tubercule différent du tubercule du cafoar ordinaire ;
c'eft au temps <Sc à l'obfervation à nous apprendre fi
ces variétés & celles que nous remarquerons dans la
fuite, font confiantes ou non; fi quelques-unes ne
n) Mémoires pour fervir à l'Hinoire des Animaux, Partie II,
page I 61.
(rn) Ciufjus, Exotic. lib. V, Op. III, pag. p8.
^nj Frilch, page i oj.
\
DU C A S 0 A R. ^6^
viendroient pas du peu d'exaditude des DefTinateurs,
ou fi elles ne tiendroient pas à la difîcrence du fexe
ou à qiielqu'auire circonllance. Frifch prétend avoir
reconnu dans deux cafoars empaillées , des variétés qui
diltinguoient le mâle de la femelle ; mais il ne dit
pas (|uellt'S font ces difîérenccs.
Le cafoar a les ailes encore plus petites que l'au-
truclie, Si tout auffi inutiles pour le vol; elles font
armées de picjuans & même en plus grand nombre que
celles de l'autruche. Ciufius en a trouvé quatre à
chaque aile; iM/' de l'Académie cinq , 6: on encon^pte
fcpt bien diflinds dans h Jl^m-e de Frifch, //. lo/;
ce font comme des tuyaux de plumes qui paroificnt
routes à leur extrémité , 6c font creux dans toute
leur longueur; ils contiennent dans kur cavité une
efpèce de moelle femblable à celle des plumes naiff.ïnics
des autres oifeaux: celui du milieu a près d'un pied de
longueur <Sc environ trois lignes de diamètre, c'efl
ie plus long de tous; les latéraux vont en décroiffant
de part 6c d'autre comme les doigts de la main 6c
à peu près dans le même ordre. Swammerdam s'en
fervoit en guife de chalumeau pour foulTler des parties
très-délicates, comme les trachées des inftdes, 6.c (^ûJ.
On a dit que ces ailes avoient été données au c.foaF
pour l'aider à aller plus vite {pj; d'autres (|u'iJ pouvoit
^oj CoIIed. Acad. étrangère, tome II de /'HiRoire Naturelle ,
page 2 j 7.
(pj Clufius, Exotic. lib, V; cap. 111; pag. 5)8.
ISnn iij
47^ Histoire Natu relle
s'en fervir pour frapper, comme avec des houfTmes fcj);
mais perfonne ne dit avoir vu quel ufage il en fait
réellement: le cafoar a encore cela de commun avec
l'autruche, qu'il n'a qu'une feule efpèce de plumes fur
tout le corps, aux ailes, autour du croupion, ôic. mais
la plupart de ces plumes font doubles , chaque tuyau
donnant ordinairement naiffance à deux tiges plus ou
moins longues &i fouvcnt inégales entr'elles ; elles
ne font pas d'une fîrudure uniforme dans toute leur
longueur, les tiges font plates, noires (Se luifantes,
divifées par nœuds en deffous, & chaque nœud produit
une barbe ou un filet, avec cette difierence que depuis
la racine au milieu de la tige, ces filets font plus courts ,
plus fouples, plus branchus, (Se pour ainfi dire duvetés,
6c d'une couleur de gris -tanné; au lieu que depuis le
milieu de la mcme tige à fon extrémité , ils font plus
longs, plus durs (Se de couleur noire; (Se comme ces
derniers recouvrent les autres (Se font les feuls qui
paroifTent, le cafoar, vu de quelque diflance, fembic
être un animal velu, (Se du même poil que l'ours ou
le fanglier : les plumes les plus courtes font au cou,
les plus longues autour du croupion, (Se les moyennes
dans l'efpace intermédiaire ; celles du croupion ont
jufqu'à quatorze pouces, <Se retombent fur la partie
podérieure du corps, elles tiennent lieu de la queue
qui manque abfolument (rj.
(q) Mémoires pour fèrvir à l'Hifloire des Animaux , Partie II,
page I 6 0.
(r) Idem, Partie II, page \)%.
DUCASOAR, 471
II y a, comme à l'autruche, un efpace caîfeux (5c
nu fur le Jlcrnum , à l'endroit où porte le poids du
corps lorAjue l'oifeau efl couché; & cette partie efl
plus Taillante & plus relevée dans le cafcar que dans
l'autruche (f).
Les cuifTes <&: les jambes font revêtues de plumes
prefque jufqu'auprès du genou , <5c ces plumes tiroient
au gris de cendre dans le fujet obfervé par Ckifius;
les jMcds, ({ui font très-gros 6c très-nerveux, ont trois
doigts & non pas quatre comme le dit Bontius, tous
trois dirigés en avant; les Hollandois racontent que
le cafoar fe fert de fes pieds pour fa dcfenfe, ruant
6c frappant par-derrière comme un cheval (t) , félon
les uns; 6c félon les autres, s'élançant en avant contre
celui qui l'attaque 6c le renverfant avec les pieds, dont
il lui frappe rudement la poitrine (u) . Clufius qui en
a vu un vivant dans les jardins du conite de Sohus à
la Haye, dit qu'd ne fe fcrt point de fon hac pour fe
défendre, mais qu'il fe porte obliquement fur fon
advcrfaire, 6c qu'il le frappe en ruant; il ajoute que
le même comte de Solms lui montra un arbre gros
comme la cui(fe que cet oifeau avoit fort maltraité,
6c entièrement écorché avec fes pieds & fes ongles (x) :
il cfl vrai qu'on n'a pas remarque à la mén^igirie de
(f) Voyages de (a Compagnie Hollandoife, tome VU, page ^ ^^,
(i) Hidoirc générale des Voyages» lome VJII, page 112^
(u) Ibidem,
(x) Liuiiu5, E\Qti(, iib. V, cap. IIU
47^ Histoire Natu relle
Verfàilles , que ies cafoars qu'on y a gardes fudenC
fi médians & fi forts; mais peut-être étoient-ils plus
apprivoifés que celui de Clufius: d'ailleurs ils vivoient
dans l'abondance ôi dans une plus étroite captivité,
toutes circonflances qui adouciffcnt à la longue ies
mœurs des animaux qui ne font pas a!)rolument féroces,
énervent leur courage , abâtardiffcnt leur naturel 6c
les rendent méconnoiflables au travers à^s habitudes
nouvellement acquifes.
Les ongles du cafoar font très-durs , noirs au dehors
<Sc blancs en dedans fyj. Linnseus dit qu'il frappe avec
l'ongle du milieu qui efl le plus grand fij; cependant
ks defcriptions <Sc les figures de M." de l'Académie Sl
de M. Briffon , repréfentent l'ongle du doigt intérieur
comme le plus grand, <Sc il l'efl en effet (ûJ.
Son allure efl bizarre; il femble qu'il rue du derrière ,
faifant en même temps un demi -faut en avant fhj;
mais malgré la mauvaife grâce de fa démarche, on
prétend qu'il court plus vite que le meilleur coureur fcj;
h vîteffe efl tellement l'attribut des oifeaux, que les
plus pefans de cette famille font encore plus légers
(y) Mémoires pour (èrvir à J'Hifloire des Animaux , partie II,
page I 62 .
(tJ Q^w. 8(j, edit. X. Vngue inUrmedw majore ferk.
(a) Mémoires pour fervir à l'Hifloire des Animaux, partie II,
page I j S. — Ornithologie de Briiïon, tome V, page i j,
(h) Voyage des Hollandois, tome VII , page ^^(}.
(c) Ibidem^
à la
DU C A S 0 A R. ^75
à la coiirfe que les plus légers d'entre les animaux
terreflres.
Le cafoar a la langue dentelée fur les bords , & fi
courte, qu'on a dit de lui, comme du coq de bruyère,
qu'il n'en avoit point: celle qu'a obrcrvée M. Perrault
avoit feulement un pouce de long <Sc huit lignes de
large fJJ; il avale tout ce qu'on lui jette, c'e(l-à-dire,
tout corps dont le volume eft proportionne à l'ou-
verture de fon bec. Frifch ne voit avec raifon, dans
cette habitude, qu'un trait de conformité avec les
gallinacés, qui avalent leurs alimens tout entiers & fans
les brifer dans leur bec (ej ; mais les Hollandois qui
paroifTent avoir voulu rendre plus intéreffante l'hiftoirc
de cet oifeau , déjà fi fingulier, en y ajoutant du mer-
veilleux, n'ont pas manqué de dire, comme on l'a die
de l'autruche, qu'il avaloit non-feulement les pierres,
le fer, les glaçons, <Scc. mais encore des charbons
ardens , Si fans même en paroitre incommodé ffj.
On dit auffi qu'il rend très-promptement ce qu'il a
pris (gjf Se quelquefois des pommes de la groffeur du
poing au/fi entières qu'il les avoit avalées (^/ij; Se en
effet, le tube intefTinal eft û court que les alimens
^JJ Mémoires pour fervir à VH'ûo'ire des Aniinaux, punie II,
page I 6j.
(e) Frifch, page & fgure i oj.
/f) Hifloirc générale des Voyages, tome VI 11, page 1 1 2^
(g) Voyage des Hollandois, tome VI 1$ page ^4-9-
(h) Hiftoire générale des Voyages, tome VIII , page 1 1 2^
' Oifcaux , Tome I, • O o q
474- Histoire Natu relle
doivent pafTer très-vîte; <Sc ceux qui par leur cdireté font
capal)les tfe queUjue réfiflancc, doivent éprouver peu
d'altération dans un (i petit trajet, fur -tout lorfque les
fonctions de Teflomac font dérangées par quel({ue
maladie: on a affuré à Clufius, que dans ce cas il
rendoit quelquefois les œufs de poule dont il étoit fort
friand, tels qu'il les avoit pris, c'efl- à - dire , bien
entiers avec la coque, <?c que les avalant une féconde
fois, il les digéroit bien fij: le fonds de la nourriture
de ce même cafoar , qui étoit celui du comte de
Solms, c'étoit du pain blanc coupé par gros morceaux,
ce qui prouve qu'il eil frugivore, ou plutôt il eft
omnivore, puif([u'il dévore en efîet tout ce qu'on lui
préfente , 6< que s'il a le jabot Si le double eflomac
des animaux qui vivent de matières végétales fkj, il a
les courts inteftins des animaux carnalfiers: le tube
inteilinal de celui qui a été di/féqué par M/' de
l'Académie, avoit quatre pieds huit pouces de long
& deux pouces de diamètre dans toute fon étendue:
^i) Clufius, Exof'ic. lib. V, cnp. III, pag. (jp.
CkJ Mémoires pour fervir à l'Hirtoire des Aniinaux, partie II ,
pages I J J , I J ^ , I j 7 (y I y 0 . Nota. II y a dans ce dernier endroit
une ligne oniife au bas de la page qui indiquoit la différence c[ui
fe trouve entre les ventricules dans divers individus; cette différence
confifte, fi je ne me trompe, en ce qu'ils font tantôt mufculeux &
tantôt membraneux ; ftrudure indéçifc , & qui convient aflez à fa
nature équivoque d'un animai qui n'efl: proprement ni oifeau ni
quadrupède , & qui réunit les eftomacs des granivores avec les
intelUns des carnafllers.
DU C A S O A P. 475
\t cœaim ctoit double & n'a\oit pas plus d'une ligne
de diamctre fur trois, quatre <Sc cinq pouces de lon-
gueur f!J; à ce compte le cafoar a les intcflins treize
fois plus courts que l'autruche, ou du moins de celles
qui les ont le plus longs; &. par cette raiion , il doit
ctre encore plus vorace év avoir plus de difpofition
à manger de la cJiair fmj , c'eil; ce dont on pourra
s'afTurer , lorfqu'au lieu de fe contenter d'examiner
des cadavres , les Obfervateurs s'attacheront à étudier
Ja nature \ivante.
Le cafoar a une vcficule du fiel, &i fon canal qui
fe croife avec le canal hcpati(}ue , va s'inférer plus
]iaut que celui-ci dans le duodénum , Si le pancréaticjue
s'infère encore au-deffus du C) fli(]ue f^/ij^ conformation
abfolument différente de ce cju'on voit dans l'autruche.
Celle des parties de la génération du maie s'en éloigne
beaucoup moins; la verge a la racine dans la partie
fupérieure du rcâu?u , fa forme efl celle d'une pyramide
triangulaire , large de deux pouces à fa bafe & de
^c\\\ lignes à fon fommet; elle efl compofée de
deux ligamens cartilagineux très - folides , fortement
attachés l'un à l'autre en deffus, mais féparés en deffous,
6i laiffant entr'eux un demi -canal qui efl revêtu de la
peau; les vaifTeaux déférens &. les uretères n'ont aucune
/l) Animaux de Perrault, page i 6 ^.
(m) Voyez le tome JV m-4.' de ceue llifloire Naturelle, page 4^2;
di le tome VU , page j» 6.
(n) Mémoir.-s pour fcrvir à l'Hifloire des Animaux, page 1 6^.
Ooo ij
47^ Histoire Naturelle
communication apparente avec le canal de la verge foj ,
en forte que cette partie qui paroit a\oir quatre fonc-
tions principales dans les animaux quadrupèdes , la
première de fervir de conduit à l'urine, la féconde
de porter la liqueur féminale du mâle dans la matrice
de la femelle , la troifième de contribuer par fi
fenfihilitc à l'émi/fion de cette liqueur, la quatrième
d'exciter la femelle par fon adion à répandre la fienne,
femble être réduite dans le cafoar 6c l'autruche aux
deux dernières fonctions, qui font de produire dans
Jes réfervoirs de la liqueur féminale du mâle 6: de la
femelle les mouvemens de correfpondance néceffaircs,
pour rémi/lion de cette liqueur.
On a rapporté à Clufius que l'animal étant vivant,
on avoit vu quelquefois fa verge fortir par l'anus fpj,
nouveau trait de reffemblance avec l'autruche.
Les œufs de la femelle font d'un gris de cendre,
tirant au verdâtre, moins gros <Sc plus alongés que
ceux de l'autruche , 6c femés d'une multitude de
petits tubercules d'un vert foncé, la coque n'en eft
pas fort épaiffe félon Clufius , qui en a vu plufieurs ;
le plus grand de tous ceux qu'il a obfervés , avoit
quinze pouces de tour d'un fens <5c un peu plus de
douze de l'autre ('^J.
(o) Mémoires pour fervir à l'Hiftoire des Aniiîiaux, page i ^^.
(p) Clufius, Exotic. uhï fupra , pag. ^9.
(q) Ibidem. Ova punéîis excavatis , dit Linnaeus : cela ne refieinblc
point à ceux que Clufius a oblerves.
DU C A S 0 A R. 4fJ'J
Le cafoar a les poumons (Se les A'w cellules à air
comme les autres oifeaux, & particulièrement comme
ies oifeaux pefans , cette bourfè ou membrane noire
propre aux yeux des oifeaux , <S: cette paupière interne
qui, comme on fait, eft retenue dans le grand angle
de l'œil àt% oifeaux par Atvw mufcles ordinaires (r) ,
ôi qui eft ramenée par infîans fur la cornée par l'adion
d'une efpèce de poulie mufculaire, qui mérite toute
la curiofité des Anatomifles ffj.
Le midi de la partie orientale de l'Afie paroît ctre
le vrai climat du cafoar, fon domaine commence,
pour ainfi dire, où finit celui de l'autruche, qui n'a
jamais beaucoup dcpaHc le Gange , comme nous l'avons
vu dans fon hidoire; au lieu que celui-ci fe trouve
dans les iles Moluques , dans celles de Banda, de
Java, de Sumatra, dedans les parties correfpondantcs
du continent (^rjr mais il s'en faut bien que cette
efpèce foit auffi multipliée dans fon diflrid que l'au-
truche l'eft dans le fjen , puifque nous voyons un roi
de Joardam , dans l'île de Java , faire préfent d\m
cafoar à Scellinger, capitaine de vaiffeau Hollandois,
comme d'un oifeau rare fi/J; la rnifon en efl, ce me
/rj Hiftoire de l'Acadcmie royale des Sciences de Paris, tome II,
page 2yp.
(f) Mémoires pour fervir à l'Hifloire des Animaux , partie 11 ,
page I 6 y.
(i) Voyage des Hollandois, tome Vil, page S 49' — Clufius,
^AW/V. lib. V, cap. IH, pag. 99.
(u) HiUoire générale des Voyages, tome Y 111, page 112,
Ooo iij
478 HlSTOIkE NaTU RELLE
fembie, que Ils Indes orientales font beaucoup plus
peuplées que l'Afrique; 6. Ton fait (ju'à niefure que
J'hoinme fe multiplie dans une contrée, il détruit ou
fait fuir de\ant lui les animaux iauvages qui vont
toujours cherchant des afilcs plus paihbles, des terres
moins habitées ou occupées par des peuples moms
policés, & par confequent moins deflruéleurs.
Il efl remarquable que le cafoar , l'autruche Si le
touyou , les trois plus gros oifeaux que l'on connoifle,
font tous trois attachés au climat de la zone torride,
qu'ils fembknt s'être partagée entr'eux , &i où ils fe
maintiennent chacun dans leur terrein , fans fe mêler
ni fe furmarcher ; tous trois \éritablement terreflres,
incapables de voler, mais courant d'une très -grande
vîtefTe; tous trois avalent à peu près tout ce qu'on
leur jette, grains , herbes , chairs, os, pierres, cailloux,
fer, glaçons, de. tous trois ont le cou plus ou moins
long, les pieds hauts Si très -forts, moins de doigts
que la plupart des oifeaux, ôi l'autruche encore moins
que les deux autres; tous trois n'ont de plumes que
d'une feule forte, difiérentes des plumes des autres
oifeaux , 6c ditîérentcs dans chacune de ces trois
cfpèces ; tous trois n'en ont point du tout iur la tète
<Sc le haut du cou , manquent de queue proprement
dite, ÔL n'ont que des ailes imparfaites, garnies de
quelques tuyaux fans aucunes barbes, comme nous
avons remarqué que les quadrupèdes des pays chauds
avoient moins de poil que ceux des régions du Nord;
DU C A S 0 A R, 479
tous trois, en un mot, paroifTent être la produdlon
naturelle &i propre de la zone torride: mais malgré
tant de rapports , ces trois efpcccs fon! différenciées
par des caracftcres trop frappans pour qu'on puiffe les
confondre : Tautruche fe diftingue du cafoar & du
touyou par fa grandeur, par fes pieds de chameau (Se
par la nature de fes plumes; elle diffère du cafoar, en
particulier, par la nudité de fes cuiifes (Se de fes tiancs,
par la longueur (Se la capacité de fes inteftins, Si parce
qu'elle n'a point de véficule du fiel ; 6: le cafoar diffère
du touyou (Se de l'autruche par fes cuiffes couvertes
de plumes, prcfque jufqu'au tarfe, par les barbillons
rouges qui lui tombent fur le cou, (Se par le cafque
qu'jl a fur la tcte.
Mais j'aperçois encore dans ce dernier caraétère
diflinélif, une analogie avec les deux autres efpèces ;
car ce cafque n'eft autre chofe, comme on fait, qu'un
renflement des os du crâne , lequel eff recouvert
d'une enveloppe de corne; (Se nous avons vu dans
l'hiffoire de l'autruche (Se du touyou, que la partie
fupérieure du crâne de ces deux animaux étoit pareille-
ment munie d'une plaque dure (Se calleufe.
^So Histoire Naturelle
LE D R O N T E (a).
O
N regarde communément la légèreté comme un
attribut propre aux oifeaux , mais {\ l'on vouloit en
faire le caradère effentiel de cette clafTc , le Dronte
n'auroit aucun titre pour y être admis, car loin d'an-
noncer la légèreté par fes proportions ou par Tes
mouvemens , il paroit fait exprès pour nous donner
i'idée du plus lourd des êtres organifés ; repréfentez-
vous un corps maffif & prefque cubique , à peine
foutenu fur deux piliers très-gros & très -courts, fur-
monté d'une tcte fi extraordinaire qu'on la prendroic
pour la fantaifie d'un Peintre de grotefques; cette tète
portée fur un cou renforce (Se goifireux , confifle
prefque toute entière dans un hcc énorme où font
deux gros yeux noirs entourés d'un cercle bJanc, <5c
dont l'ouverture des mandibules fe prolonge bien
au-delà des yeux , & prefque jufqu'aux oreilles : ces
deux mandibules concaves dans le milieu de leur
longueur, renflées par \c% deux bouts & recourbées
à la pointe en fens contraire , rcffemblent à deux
cuillers pointues, qui s'appliquent l'une à l'autre la
(a) Dronte cil le nom que lui donnent les habltans de l'ilc
Maurice & des lieux voifins : les Portugais l'ont appelé Dodo ; les
Holiandois, Dod-aerts âc Walgh-vogel. — Dronte aliïs , Vod-aerts.
Bontius, Indes Orientales, page 30. — Galhnaceus gallus peregrïnus,
l^iufius, Exoùc. lib. V, pag. ^^. — Ed^YardS; Clamres, pi ccxciv.
çonvexfté
DU D R O N T E. 481
convexité en dehors: de tout cela il rékilte une phy-
ijononiie ilupide & vorace , &i qui, pour comhie de
difformité, efl accompagnée (\\\r[ bord de plumes,
lequel fuivant le contour de la baie du bec s'avance
en pointe fur le front, puis s'arrondit autour de la
face en manière de capuchon , d'où lui efl venu le
nom de cygne cucûpuchonné ( cycmis cucullatus ).
La groffcur qui , dans les animaux , fuppofe (a force,
ne produit ici que lapcfantcur; l'autruche, le touyou ,
le cafoar, ne font pas plus en état de voler que le
dronte , mais du moins ilb font très -vîtes à la courfe;
au lieu que le dronte paroît accablé de fon propre
poids, & avoir à peine la force de fe trainer: c'efi dans
les oifeaux ce que le pareflcux efl dans les quadrupèdes ;
on diroit qu'il efl compofe d'une matière brute, inaélive,
où les molécules \ivantes ont été trop épargnées; il a
des ailes, mais ces ailes font trop courtes (Se trop foibles
pour rélever dans les airs; il a une queue, mais cette
queue efl difproportionnée 6c hors de fa place; on le
prendroit pour une tortue qui fe feroit affublée de la
dépouille d'un oifcau, <S: la Nature en lui accordant ces
ornemens inutiles , femble avoir voulu ajouter l'embarras
à la pefanteur, la gaucherie des mouvemens à l'inertie
de la maffe , 6c rendre fa lourde épaiffeur encore plus
choquante, en faifant fouvenir qu'd efl un oifeau.
Les premiers Hollandois qui le virent dans l'île
Maurice, aujourd'hui l'île de France (b) , l'appelèrent
(b) Nota. Les Portugais avoient auparavant nommé cette île, Jlka
Oifeaux, Tome L • ^"^PP
482 Histoire Naturelle
Wûlg-vogel, oifeau de dégoût, autant à caiife i\c h
figure rebutante que du mauvais goût de fa chair ; cet
oifeau bizarre efl très -gros, & n'efl Çur\)^{{é à cet
égard, que par les trois précédens, car il furpafTe le
cygne &i le dindon.
M. BnfTon donne pour un de fes cara6lères, d'avoir
Ja partie infcriture des jambes dénuée de plumes;
cependant la plû?iche ccxciv d'Edwards le repréfente
avec des plumes, non -feulement jufqu'au bas de la
jambe, mais encore jufqu'au-deiïous de fon articulation
avec le tarfe; le bec fupérieur efl noirâtre dans toute
fon étendue, excepte fur la courbure de fon crochet
où il y a une tache rouge; les ouvertures des narines
font à peu près dans fa partie moyenne , tout proche
de deux replis tranfverfaux qui s'élèvent en cet endroit
fur fa furface.
Les plumes du dronte font en général fort douces ,
le gris efl leur couleur dominante , mais plus foncé
fur toute la partie fupérieure (Se au bas des jambes, 6c
plus clair fur l'eflomac , le ventre <5c tout le deflous
du corps; il y a du jaune <Sc du blanc dans les plumes
des ailes & dans celles de la queue , qui paroifTent
frifées , 6c font en fort petit nombre. Clufius n'en
compte que quatre ou cinq.
Les pieds 6c les doigts font jaunes, 6c les ongles
âo Cime , c'eft-à-dire, IJle aux Cygnes , apparemment parce qu'ils y
avoient aperçu des drontes qu'ils prirent pour des cygnes. Clufius ,
Xxotic. fcg. J 0 I .
DU D n O N T E, 4.83
noirs; chaque ])ic(J a (jiiatre doigts, dont trois diriges
en avant ^ le quatrième en arrière; c'cil celui -ci qui
a l'ongle le plus long (c).
Quelques - uns ont prétendu que le (lxQV\\.t avoit
ordinairement dans Teflomac une pierre aufîi groffe
que le poing (d) , S. à laquelle on n'a pas manque
d'attribuer la même origine 6: les mêmes vertus
qu'aux bézoards ; mais Ckidus qui a vu deux de ces
pierres de forme Si. de grandeur différentes fej, penfe
que i'oifeau les avoit avalées comme font les grani-
vores , Si qu'elles ne s'étoient point formées dans ion
cflomac.
Le dronte paroît propre <Sc particulier aux îles de
France Si de Bourbon , Se probablement aux terres
de ce continent qui en font les moins éloignées; mais
je ne fâche pas qu'aucun Voyageur ait dit l'avoir vu
ailleurs que dans ces deux îles.
Quelques Hollandois Tont nommé dodarfc ou dod-
iiers ; les Portugais & les Anglois , doda ; dronte efl
fon nom original , je veux dire celui fous lequel il cfl
connu dans le lieu de fon origine; Si c'eft par cette
raifon que j'ai cru devoir le lui conferver, 6c parce
qu'ordinairement les noms impofés par les peuples
(c) Voyez Ciufius, Exotic. pag. i 00. — Edwards, fgureccxciv,
(à) Voyage des HoUandois aux Indes Orientales, tome III,
page ^14.
(e) Clufius, ubï fuprà,
TPP 'j
4.84- Histoire N atu re lle, i^c.
fimples ont rapport aux propriétés de la cliofc nom-
mée : on lui a encore appliqué les dénominations de
cjgne à capiicJwn (f) , (Wimnichc encûpucJwiincc fgj, de
coq éirangcr (h), de Walgh-vogcl; Si M. Moehring, qui
n'a trouvé aucun de ces noms à Ion coût, a imaijiné
celui de ruphus , que M. Briffon a adopté pour ion
nom latin , comme s'il y avoit quelque avantage à
donner au même animal un nom ditiércnt dans chaque
iangue , 6c comme fi l'effet de cette multitude de
fynonymes n'étoit pas d'embarrafTer la fcience Â. de
jeter de la confudon dans les chofes: ne multiplions
pas les êtres, difoicnt autrefois les Pliilofophcs ; mais
aujourd'hui on doit dire <Sc répéter fans celle aux Na-
turalides, ne multipliez pas les noms fans néceliité.
(f) Nieremberg, Hifl. nat. maxime peregrinx , p:\g. i 3 i,
^g) Linna?us, Cen. S 6 , fpec. ^.
(h) Clufius, ExQlk, png. 100.
4
48 î
LE SOLITAIRE
E T
L'OISEAU DE NAZARE.
L E Solitaire dont parlent Léguât faj S<. Carré (^/^J^
& l'oifeau de Nazareth dont parle Fr. Gauche fcj,
paroifTent avoir beaucoup de rapports avec le dronte ,
mais ils en diffèrent aufTi en p'-ifieurs points; 6c j'ar
cru devoir rapporter ce qu'en djfent ces Voyageurs ,
parce que fi ces trois noms ne dcTignent qu'une feule
<Sc unique efpèce, les relations diverfes ne pourront
qu'en compléter l'hidoire; <Sc fi au contraire ils dé-
fignent trois efpèces différentes , ce que j'ai à dire pourra
ttre regardé comme un commencement d'Iiifloire de
chacune, ou du moins comme une notice de nouvelles
efpèces à examiner, de morne que l'on voit dans les
cartes Géographiques une indication des terres incon-
nues; dans tous les cas ce fera un avis aux Naturalises
qui fe trouveront à portée d'ohfcrver ces oifcaux de
plus près, de les comparer, s'il efl poffihle, Se de
nous en donner une connoiffance plus diflinde Si.
(a) Voynge en deux îles cltTertes des Indes Orientales, tome 1,
pages p 8 — j 0 2.
(h) Voyage de Carré, cité dans K H'ijloire générale des Voyages ,
lome IX , page 3.
(c) Defcription. ... de i'ile de Madagafcar, pûge i^ 0 & fuiy,
Ppp iij
486 Histoire Naturelle
plus précife: les feules queflions que l'on a faites fur
des chofcs ignorées , ont valu fouvent plus d'une
découverte.
Le folitaire de Tiîe Rodrigue eft un très-gros oifcau,
puifqu'il y a des mâles qui pèfent jufqu'à qirarante-cinq
livres: le plumage de ceux-ci efl ordinairement mêlé
de gris Sl de brun, mais dans les femelles, c'efi tantôt
le brun & tantôt le jaune -blond qui domine. Carré
dit que le plumage de ces oifeaux efl d'une couleur
changeante , tirant fur le jaune , ce qui convient à
celui de la femelle ; 6w il ajoute qu'il lui a paru d'une
beauté admirable.
Les femelles ont au - deffus du htc comme un
bandeau de veuve ; leurs plumes fe renflent des deux
côtés de la poitrine en deux toulies blanches, qui
repréfentcnt imparfaitement le fein d'une femme; les
plumes des cuilfes s'arrondiffcnt par le bout en forme
de coquilles, ce qui fait un fort bon effet; 6c comme
(i ces femelles fentoient leurs avantages, elles ont
grand foin d'arranger leur plumage , de le polir avec
le bec Si de i'ajuiter prefque continuellement, en forte
qu'une plume ne paffe pas l'autre; elles ont, félon
Léguât, l'air noble <Sc gracieux tout enfemble; & ce
Voyageur aiïure que fouvent leur bonne mine leur a
fauve la vie féïjj fi cela eft ainfi, <&: que le folitaire & le
dronte foient de la même efpèce, il faut admettre une
(d) Voyez la fgure (page ^ 8 ) à\x Voyage de Léguât.
DU S 0 L I T A I R E, ire. 487
très-grande diffcrence entre le mâle <Sc la femelle quant
à la bonne mine.
Cet oifeau a qiiekjue rapport aA ec le dindon ; il
en aiiroit les pieds <Sc le bec (i fes pieds n'c'toient pas
plus élevés & Ton bec plus crochu ; il a au/Ti le cou
plus long proportionnellement, l'oeil noir <?c vif, la
tête fans crête ni huppe <S: prefque point de queue;
fon derrière , qui e(l arrondi à peu près comme la
croupe d'un cheval, eft revêtu de ces plumes qu'on
appelle couvertures.
Le folitaire ne peut fe fervir de fes ailes pour voler,
mais elles ne lui font pas inutiles à d'autres égards;
i'os de l'aileron fe renfle à Ion extréiîiité en une
efpèce de bouton fphérique qui fe cache dans les
plumes (Se lui fert à deux ufages; premièrement pour
fe défendre, comme il fait auiïi avec le bec; en
fécond lieu pour faire une efpèce de haitcment ou de
moulinet en pirouettant vingt ou trente fois du même
côté dans l'cfpace de quatre à cinq minutes; c'eft
ainfi , dit-on , que le mâle rappelle fa compagne avec
un bruit qui a du rapport à celui d'une crcfferelle (k.
s'entend de deux cents pas.
On voit rarement ces oifeaux en troupes, c\\\o\(\\\q
l'cfpèce foit affez nombreufe ; quelques-uns difent
même qu'on n'en voit guère <ït\.\\ enfemble (e).
Ils cherchent les lieux écartés pour faire leur ponte,
(e) Hiftoire générale des Voyages, tome IX, page ^ , citant ic
Voyage de Carré,
4-88 Histoire Naturelle
ils condruifent leur nid de feuilles de palmiers amon-
celées a la hauteur d'un pied &: demi; Ja femelle pond
dans ce nid un œuf beaucoup plus gros qu'un œuf
d'oie, 6c le mâle partage avec elle la fondion de
couver.
Pendant tout le temps de l'inculpation , S: même
celui de l'éducation , ils ne fouffrent aucun oifeau de
leur efpèce à plus de deux cents pas à la ronde; <Sc
l'on prétend avoir remarqué que c'ed le maie qui
chafTe les mâles, Si la femelle qui chafTe les femelles;
remarque difficile à faire fur un oifeau qui pafTe fa vie
dans les lieux les plus fauvages Si les plus écartés.
L'œuf, car il paroît que ces oifcaux n'en pondent
qu'un, ou plutôt li'en couvent qu'un à la fois; l'a^uf,
dis -je, ne vient à éclore qu'au bout de fept fcmaines
f/J, Se le petit n'efî en état de pourvoir à fes befoins
que plufieurs mois après: pendant tout ce temps le
père & la mère en ont foin , <Sc cette feule circonflance
doit lui procurer un inflin6t plus perfedionné que
celui de l'autruche, laquelle peut en naiffant fubfifter
par elle-même, & qui n'ayant jamais befoin du fecours
de fes père Si mère, vit ifolée, fans aucune habitude
intime avec eux, Se fe prive ainfi des avantages de leur
fociété qui , comme je l'ai dit ailleurs , ell la première
^fj Nota. Ariilote fixe au trentième jour le terme de l'incubation
pour les plus gros oileaux , tels que l'aigle , l'outarde , l'oie ; il cfl
vrai qu'il ne cite point l'autruche eu cet endroit. HiJ^- Anim, lib. VI,
pp. VI.
éducation
DU Solitaire, fc. 489
éducation des animaux & celle qui développe le plus
leurs qualités naturelles ; au/Ti i'autruche pafle-t-elle
pour le plus flupide des oifeaux.
Lorfque l'éducation du jeune folitaire efl finie , îe
père ^ la mère demeurent toujours unis 5: fidèles l'un
à l'autre, quoiqu'ils aillent quelquefois fe mêler parmi
d'autres oifeaux de leur efpèce : les foins qu'ils ont
donnés en commun au fruit de leur union , femLIcnt
en avoir refferré les liens , & lorfque la faifon les y
invite ils recommencent \\k\q. nouvelle ponte.
On affure qu'à tout âge on leur trouve une pierre
dans le géfier , comme au dronte ; cette pierre efl
grodc comme un œuf de poule , plate d'un côté,
convexe de l'autre, un peu rabotcufe <5c affcz dure pour
fervir de pierre à aiguifer; on ajoute que cette pierre
efl toujours feule dans leur eflomac, (Se qu'elle eit trop
groffe pour pouvoir paffer par le canal intermédiaire
qui fait la feule communication du jabot au géfier, d'oiï
l'on voudroit conclure que cette pierre fe forme natu-
rellement (Se à la manière des bézoards, dans le géfier
du folitaire; mais pour moi j'en conclus feulement que
cet oifeau efl granivore , qu'il avale des pierres (Se des
cailloux comme tous les oifeaux de cette clafTe, notam-
ment comme l'autruche, le touyou , le cafoar <Sc le
dronte, <& que le canal de communication du jabot au
géfier efl fufceptible d'une dilatation plus grande que
ne l'a cru Léguât.
Le feul nom de folitaire indique un naturel fauvage ;
Oifeaux , Tome h . Q^^
49^ Histoire Natu relle
6c comment ne le feroit-il pas \ comment un oifeaii
<]iii compofe lui feul toute la couvée, &. qui par con-
féquent pafTc les premiers temps de fa vie fans aucune
fociété avec d'autres oifeaux de fon âge , 6l n'ayant
qu*un commerce de ncceiïité avec fcs père Si mère,
fauvagcs eux-mêmes, ne feroit-il pas maintenu par
l'exemple & par l'habitude î on fait combien les habi-
tudes premières ont d'influence fur les premières
inclinations qui forment le naturel ; <î<: il efl à prcfuiner
que toute efpèce où la femelle ne couvera qu'un œuf
à la fois, fera fauvage comme notre folitaire, cepen-
dant il paroit encore plus timide que fauvage, car il fe
laifTe approcher Si s'approche même aflez familière-
jnent, fur-tout lorfqu'on ne court pas après lui &. qu'il
n'a pas encore beaucoup d'expérience ; mais il cfl
impojfdjie de l'apprivoifcr. On l'attrape difficilement
dans les bois, où il peut échapper aux chaffeurs par la
rufe Si par fon adreife à fe cacher; mais comme il ne
court pas fort vite , on le prend aifément dans les
plaines <Sc dans les lieux ouverts: quand on l'a arrêté,
il ne jette aucun cri , mais il laiffe tomber (\es larmes
ôi refufe opiniâtrement toute nourriture. M. Caron ,
Dire6leur de la Compagnie des Indes à Madagafcar,
en ayant fait embarquer deux venant de l'île de Bour-
I)on pour les envoyer au Roi ^ ils moururent dans le
vaiffeau fans avoir voulu boire ni manger (gj.
Le temps de leur donner la chalïe eil depuis le
(g) Voyage de Carré atïx Iridcs,
DU S 0 L 1 T A 1 R E, ifc. 49 I
mois de mars au mois de feptembre, qui efl l'hiver
des contrées qu'ils hahitent , <S^ qui eft aufTi le temps
où ils font le plus gras: ia chair des jeunes fur -tout,
efl d'un goût excellent.
Telle eft l'idée que Léguât nous donne du foli-
taire (hj ; il en parle non -feulement comme témoin
oculaire , mais comme un Obfervateur qui s'cioit attaché
particulièrement 6: long -temps à étudier les mœurs &
les habitudes de cet oifeau ; & en efïct , fa relation ,
quoique gâtée en quelques endroits par des idées
fabuleufes fij, contient néanmoins plus de détails
hiftoriques fur le folitaire que je n'en trouve dans une
foule d'écrits fur des oifeaux plus généralement & plus
anciennement connus. On parle de l'autruche depuis
trente fiècles , & l'on ignore encore aujourd'hui com-
bien elle pond d'œufs &. combien elle efl de temps
à les couver.
L'oifcau de nazareth , appelé fans doute ainfi par cor-
ruption, pour avoir été trou\é dans l'ile de Nazare (kj,
a été obfervé par Fr. Gauche dans l'ile Maurice ,
aujourd'hui l'île Françoife; c'eft un très -gros oifeau,
(h) Voyage de Léguât , tome 1 , pnges p S — 102.
(i) Par exemple, au fujet du premier accouplement des jeunes
folitaires , où Ton imagination prévenue lui a fait voir les formalités
d'une efpèce de mariage; au fujet de ia pierre de l'eftomac, «Sec.
(k) L'île de Nazare efl plus haute que l'île Maurice à 17 degrés
de latitude fud. Voye^ la Dcfcripùon de Madagafcar , par
Fr, Cauche , page j ^ 0 ù' fuïv,
Qqq «i
492 Histoire N aturelle
Si plus gros qu'un cygne; au lieu de plumes il a tout
le corps couvert d'un duvet noir, Si cependant il n'eft
pas ablolument fans plumes, car \[ en a de noires aux
ailes (Se de friiées fur le croupion , qui lui tiennent
lieu de queue; il a le bec gros, recourbé un peu par
defTous, les jambes ( c'cfl-à-dire les pieds ) hautes 6c
couvertes d'écaillés, trois doigts à chaque pied, le
cri de l'oifon, Si fa chair efl médiocrement bonne.
La femelle ne pond qu'un œuf, &. cet œuf efl blanc
Sl gros comme un pain d'un fou; on trouve ordmaire-
ment à coté une pierre blanche, de la grofTcur d'un
œuf de poule, & peut-être cette pierre fait - elle ici le
même etfet (jue ces œufs de craie blanche que les
Fermières ont coutume de mettre dans le nid où elles
veulent faire pondre leurs poules : celle de Nazare
pond à terre dans les forêts, fur de petits tas d'herbes
Se de feuilles qu'elle a formés; fi on tue le petit, oa
trouve une pierre grife dans fon géfjer; la figure de
cet oifeau, efl-il dît dans une note f/J, fe trouve dans
le Journal de la féconde Nûv/gdrion des Hollandois aux
Indes orientales , ôi ils l'appellent oifeau de Naufee: ces
dernières paroles femblent décider la queftion de
ridentité de i'efpèce entre le dronte & l'oifeau de
Nazare , Se la prouveroient en effet , fi leurs defcrip-
tions ne préfentoient des différences effentielles ,
notamment dans le nombre des doigts ; mais fans entrer
(l) Voyez la Defcription. ... de Madagafcar, par Fr. Cauchc,
DU S O L 1 T A I R E, ifc. 49}
dans cette difcuiTion particulière , 6c fans prctendre
refoudre un problème où il n'y a pas encore affez de
données; je me contenterai d'indiquer ici les rapports
& les différences qui réfultent de la comparailon des
trois defcriptions.
Je vois d'abord en comparant ces trois oifeaux à
la fois, qu'ils appartiennent au même climat <Sw prefque
aux mêmes contrées; car le dronte babite bile de
Bourbon <Sc i'ile Françoife, à laquelle il femble avoir
donné Ion nom d'île au cygne, comme je l'ai remarqué
plus baut; le folitaire babitoit l'ile Rodrigue dans le
temps qu'elle étoit entièrement déferte , & on l'a vu
dans l'ile Bourbon ; l'oifcau de Nazare fe trouve dans
l'île de Nazare , d'où il a tiré Ton nom & dans bile
Françoife ftnj ; or ces quatre ilcs font voidnes les
unes des autres , 6c il efl à remarquer qu'aucun de
ces oifeaux n'a été aperçu dans le continent.
Ils fe reffemblent aufli tous trois plus ou moins par
\à groffeur, par l'impuifîlmce de voler, par la forme
des ailes, de la queue <5c du corps entier; 6c on leur
a trouvé à tous une ou plufieurs pierres dans le géfier,
ce qui les fuppofe tous trois granivores ; outre cela
* ils ont tous trois une allure fort Icote, car, quoique
Léguât ne dife rien de celle du lolitaire , on peut
juger par la figure qu'il donne de la femelle (fij, que
c'ert un oifeau très-pefant.
(w) Voye? ci-defujs l'hiftoire de ces oifeaux.
(n) Voyage de Léguât , tome /, page ^ 8*
Qqq iij
4-94- Histoire Naturelle
Comparant enfuite ces mêmes oifeaiix pris deux
à deux, je vois que le plumage du dronte fe rapproche
de celui du folitaire pour la couleur, <Sc de celui de
Toifeau de Nazare pour la qualité de la plume qui
n'efl que du duvet; &. que ces deux derniers oifeaux
conviennent encore en ce qu'ils ne pondent Ôl ne
couvent qu'un œuf.
Je vois de plus qu'on a appliqué au dronte 6c
à l'oifeau de Nazare le même nom d'oifeau de
dégoût.
Voilà les rapports, 6: voici les différences:
Le folitaire a les plumes de la cuiffe arrondies par
le bout en coquilles, ce qui fuppofe de véritables
plumes comme en ont ordinairement les oifeaux, <Sc
non du duvet comme en ont le dronte ôl i'oifeau
de Nazare.
La femelle du folitaire a deux touffes de plumes
blanches fur la poitrine; on ne dit rien de pareil de
la femelle des deux autres.
Le dronte a les plumes qui bordent la bafe du
bec difpofces en manière de capuchon , & cette
difpofition eft fi frappante, qu'on en a fait le trait
caradlérifîique de fa dénomination ( cycims cucullatus J ;
de plus, il a les yeux dans le bec, ce cjui n'efl pas
j^ioins frappant; 6c l'on peut croire que Léguât n'a
rien vu de pareil dans le folitaire, puifqu'il fe con-
tente de dire de cet oifeau qu'il avoit tant obfervé,
que fa tête étoit fans crête &. fans huppe; & Gauche
DU S 0 L I T A 1 R E, ère. 495
ne dit rien du tout de celle de l'oifeaii de Nazare.
Les deux derniers font haut montés, au iicu que
Je dronte a ies pieds très-gros &: très-courts.
Celui-ci, & le folitaire qu'on dit avoir à peu près
les pieds du dindon, ont quatre doigts, & i'oifeau de
Nazare n'en a que trois , félon le tc'moignage de
Cauche.
Le folitaire a un battement d'ailes très-rcmarquable^
6c qui n'a point été remarque dans les deux autres.
Enfin il paroît que la chair des folitaires, & fur-tout
des jeunes, efl excellente; que celle de I'oifeau de
Nazare efl médiocre, &i celle du dronte mauvaife.
Si cette comparaifon qui a été faite avec la plus
grande exadlitude, ne nous met pas en état de prendre
rfft parti fur la qucftion propofée , c'eft parce que les
ohfervations ne font ni alfez multipliées ni afîez fùres;
il feroit donc à àtUrer que les Voyageurs, & fur-tout
les Naturalises, qui fe trouveront à portée , exami-
nafTent ces trois oifcaux , & qu'ils en fiffent une defcrip-
tion exaéle, qui porteroit principalement:
Sur la forme de la tête <?c du bec :
Sur la qualité des plumes :
Sur la forme ik. les dimenfions des pieds :
Sur le nombre des doigts:
Sur les différences qtii fe trouvent entre le mâle 6l
'la femelle:
Entre les pouffms & les adultes :
Sur leur façon de maicher <Sc de courir:
49^ Histoire Naturelle, l^c.
En ajoutant, autant qu'il feroit poiïjble, ce que l'on
fait dans ie pays fur leur génération, c'efl-à-dire , fur
leur manière de fe rappeler, de s'accoupler, de faire
leur nid 6c de couver:
Sur le nombre, la forme, la couleur, le poids 6;
ie volume de leurs oeufs :
Sur le temps de l'incubation :
Sur leur manière d'élever leurs petits :
Sur la façon dont ils fe nourriffent eux-mêmes :
Enfin fur la forme <Sc les dimenfions de leur
eflomac , de leurs inteflins (Se de leurs parties fexueiles.
Fin du premier Volume des O'ifeaux,
BIBLIOTHECA
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