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Full text of "Histoire naturelle, g©n©rale et particuli©·re, des poissons; ouvrage faisant suite © l'Histoire naturelle g©n©rale et particuli©·re, compos©e par Leclerc de Buffon, et mise dans un nouvel ordre"

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HARVARD    UNIVERSITY 


LIBRARY 

OF   THE 

MUSEUM  OF  COMPARATIVE  ZOOLOGY 

LiBRARY    OF 

SAMUEL  GARMAN 


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(UAiLt,  l'jgLi 


JUN8    t929 


HISTOIRE 

NATURELLE, 
GÉNÉRALE  ET  PARTICULIÈRE. 


DES      POISSONS. 


TOME    SECOND. 


ON        SOUSCRIT 

A      TARIS, 

r  DuFART,  Imprimeur-Libraire  et  éditeur, 
1  rue  des  Noyers ,  N°  22  ; 

Chez  < 

I  Bertrand,  Libraire ,  qviai  des  Augustins, 

l  N°  35. 

A      ROUEN, 
Cîiez  Vallée  ,  frères,  Libraires  ,  rue  Beffroi ,  N**  22. 

A    STRASBOURG, 
Chez  L E  V K  A  u  L  T  ,  frères  ,    Imprimeurs- Libraires. 

A     LIMOGES, 
Chez  B  A  R  G  E  A  s ,  Libraire. 

A    MONTPELLIER, 
Chez  Vidal,  Libraire, 
£t  chez  les  principaux  Libraires  de  l'Europe. 


HISTOIRE  NATURELLE, 

GÉNÉRALE   ET   PARTICULIÈRE 

DES      POISSONS; 

Ouvrage  faisant  suite  à  THisfoire  natarelle,  générale  et 
particulière ,  composée  par  Leclerc  de  Buffon  ,  et 
mise  dans  un  nouvel  ordre  par  C.  S.  Sojsmm,  avec 
des  Noies  et  des  Additions. 

PAR      C.      S.      SONNINI, 

MEMBRE   DE    PLUSIEURS   SOCIÉTÉS    SAVANTES 
ET   LITTÉRxlIRES. 

TOME      SECOND. 


A         PARIS, 
DE     L'IMPRIMERIE    DE     F,     DUFART. 

A  N    XI, 


HISTOIRE 

NATURELLE 

DES      POISSONS. 


Des  effets  de  Vart  de  VHorame  sur  la 
nature  des  Poissons. 

PAR       LACÉPÈDE. 

Vj'est  nn  beau  spectacle  que  celui  de  l'in- 
telligence humaine,  disposant  des  forces  de 
la  Nature ,  les  divisant ,  les  réunissant ,  les 
combinant,  les  dirigeant  à  son  gré,  et,  par 
l'usage  habile  que  l'expérience  et  l'observa- 
tion lui  en  ont  appris,  modifiant  les  subs- 
tances, transformant  les  êtres,  et  rivalisant, 
pour  ainsi  dire ,  avec  la  puissance  créatrice. 

L'amour  propre,  l'intérêt,  le  sentiment  et 
la  raison  applaudissent  sur- tout  à  ce  noble 
spectacle ,  lorsqu'il  nous  montre  le  génie  de 
l'homme  exerçant  son  empire,  non  seule- 
ment sur  la  matière  brute  qui  ne  lui  résiste 
que  par  sa  niasse,  ou  ne  lui  oppose  que  ce 
pouvoir  des  affinités  qu'il  lui  suffit  de  con- 

A3 


k. 


6  EFFETS    DE    L'ART 

noîire  pour  le  niaîdiser,  mais  encore  sur  la 
rHalière  organisée  et  vive,  sur  les  corps  ani- 
més ,  sur  les  êtres  sensibles ,  sur  les  propriétés 
des  espèces,  sur  ces  attributs  intérieurs,  ces 
facultés  secretles,  ces  qualités  profondes  qu'il 
domine ,  sans  même  parvenir  à  dévoiler  leur 
essence. 

De  quelques  êtres  organisés  et  vivans  que 
l'on  veuille  dessiner  l'image,  on  voit  presque 
toujours  sur  quelques-uns  de  leurs  traits 
l'empreinte  de  l'art  de  l'homme. 

Sans  doute  l'histoire  de  son  industrie  n'est 
pas  celle  de  la  Nature:  mais  comment  ne  pas 
en  écrire  quelques  pages,  lorsque  le  récit  de 
ses  procédés  nous  montre  jusqu'à  quel  point 
la  Naîure  peut  être  contrainte  à  agir  sur  elle- 
même,  et  que  cette  puissance  admirable  de 
l'homme  s'applicjue  à  des  objets  d'une  haute 
impoli ance  pour  le  bonheur  public  et  pour 
la  féliciié  privée? 

Parmi  ces  objets  si  dignes  de  l'attention 
de  l'économe  piivé  et  de  l'économe  public, 
comptons  avec  les  sages  de  l'antiquité,  ou, 
pour  mieux  dire,  avec  ceux  de  tous  les  siècles 
qui  ont  le  plus  réuni  l'amour  de  Thumanité  à 
la  connoissance  des  productions  de  la  Nature, 
la  possession  des  poissons  les  plus  analogues 
aux  besoins  de  l'homme. 


SUR   LES   POISSONS.  7 

Deux  grands  moyens  peuvent  procurer 
ces  poissons  que  Ton  a  toujours  recherchés, 
mais  auxquels,  dans  certains  siècles  et  dans 
certaines  contrées,  on  a  attaché  un  si  grand 
prix. 

Le  premier  de  ces  moyens ,  résultat  remar- 
quable du  perfectionnement  de  la  naviga- 
tion, multipliant  chaque  jour  le  nombre  des 
marins  audacieux ,  et  accroissant  les  progrès 
de  l'admirable  industrie  sans  laqu*elle  il  n'au- 
roit  pas  existé,  obtiendra  toujours  les  plus 
grands  encouragemens  des  chefs  des  na- 
tions éclairées  :  il  consiste  dans  ces  grandes 
pêches  auxquelles  des  hommes  entreprenans 
et  expérimentés  vont  se  livrer  sur  des  mers 
lointaines  et  orageuses. 

Mais  l'usage  de  ce  moyen,  limité  par  les 
vents,  les  courans  et  les  frimats,  et  troublé 
fréquemment  par  les  innombrables  acci- 
dens  de  l'atmosphère  et  des  mers,  exige  sans 
cesse  une  association  constante,  prévoyante 
et  puissante ,  une  réunion  difficile  d'inslru- 
mens  variés,  une  sorte  d'alliance  entre  un 
grand  nombre  d'hommes  que  l'on  ne  peut 
rencontrer  que  très -rarement  et  rapprocher 
qu'avec  peine.  Il  ne  donne  à  nos  ateJiers 
qu'une  partie  des  produits  que  l'on  pour- 

A  4 


8  EFFETS   DE   L'ART 

roit  letirei  des  animaux  poursuivis  dans  ces 
pêches  éloignées  et  fameuses,  et  ne  procure 
pour  la  nourriture  de  Thomnie  que  des  pré- 
parations peu  substantielles,  peu  agréables, 
ou  peu  salubres. 

Le  second  moyen  convient  à  tous  les  tems , 
à  tous  les  lieux ,  à  tous  les  hommes.  11  ne  de- 
mande que  peu  de  précautions ,  que  peu  d'ef- 
forts, que  peu  d'instans  et  peu  de  dépenses. 
Il  ne  commande  aucune  absence  du  séjour 
que  Ton  affectionne ,  aucune  interruption 
de  ses  habitudes,  aucune  suspension  de  ses 
affaires;  il  se  montre  avec  l'apparence  d'un 
amusement  varié,  d'une  distracl  ion  agréable, 
d'un  jeu  plutôt  que  d'un  travail;  et  cette  ap- 
parence n'est  pas  trompeuse.  Jl  doit  plaire  à 
tous  les  âges;  il  ne  peut  être  étranger  à  aucune 
condition.  Il  se  compose  des  soins  par  lesquels 
on  parvient  aisément  à  transporter,  dans  les 
eaux  que  Ton  veut  lendre  fertiles,  les  pois- 
sons que  nos  goûts  ou  nos  besoins  réclament, 
à  les  y  acclimater ,  à  les  y  conserver- ,  à  les  y 
multiplier,  à  les  y  améliorer. 

Nous  traiterons  des  grandes  pêches  dans 
un  discours  jmrticulier. 

Occupons-nous  dans  celui-ci  de  cet  en- 
semble de  soins  qui  ^lous  rappelle  ceux  que 
les  Xé^xopl^ouj  les  Oppien,  les  Varroij,  Jes. 


SUR   LES    POISSONS.        9 

Ovide,  les  Columelle,  les  Ausone  se  plai- 
soient  à  proposer  aux  deux  peuples  les  plus 
illustres  de  Tanliquité,  que  la  sagesse  de  leu?  s 
préceptes,  le  charme  de  leur  éloquence,!» 
beauté  de  leur  poésie  et  Fautorité  de  leur 
renommée  inspiroient  avec  tant  de  facilité 
aux  grecs  et  aux  romains,  et  qui  étoient  en 
très-grand  honneur  chez  ces  vainqueurs  de 
TAsie  et  de  l'Europe ,  que  la  gloire  avoit  cou- 
ronnés de  tant  de  lauriers. 

L'homme  d'état  doit  les  encourager  comme 
une  seconde  agriculture  :  l'homme  des  champs 
doit  les  adopter  comme  une  nouvelle  source 
de  richesses  et  de  plaisirs. 

En  rendant  en  elFet  les  eaux  plus  produc^^ 
tives  que  la  terre,  en  répandant  les  semences 
d'une  abondante  et  utile  récolte  dans  tous 
les  lacs,  dans  les  rivières ,  dans  les  ruisseaux , 
dans  tous  les  endroits  que  la  plus  foible  source 
arrose,  ou  qui  conservent  sur  leur  surface  le 
produit  des  rosées  et  des  pluies,  ces  soins  que 
nous  allons  tâcher  d'indiquer  n'augmenle- 
ront-ils  pas  beaucoup  cette  surface  fertile  et 
nourricière  du  globe ,  de  laquelle  nous  tirons 
nos  véritables  trésors?  et  l'accroissement  que 
nous  devrons  à  ces  procédés  simples  et  peu 
nombreux,  ne  sera-t-il  pas  d'autant  plus  con- 
sidérable, que  ces  eaux  dans  lesquelles  on 


10         EFFETS   DE   L^ART 

portera,  eiitrelieiiclra  et  multipliera  le  mou- 
vement et  ]a  vie,  offriront  une  profondeur 
bien  plus  grande  que  la  couche  sèche  fécon- 
dée par  la  charrue ,  et  à  laquelle  nous  confions 
les  graines  des  végétaux  précieux? 

Et  dans  ses  momens  de  loisir,  lorsque  l'ami 
de  la  ^Jature  et  des  champs  portera  ses  espé- 
rances, ses  souvenirs,  ses  douces  rêveries, sa 
mélancolie  même,  sur  les  rives  des  lacs,  des 
ruisseaux  ou  des  fontaines,  et  que,  molle- 
ment éLendu  sur  une  heibe  fleurie,  à  l'ombre 
cFarbres  élevés  et  touffus,  il  goûtera  cette 
sorte  d'extase,  cette  quiétude  touchante ,  cette 
volupté  du  repos,  cet  abandon  de  toute  idée 
trop  forte,  cette  absence  de  toute  affection 
trop  vive,  dont  le  charme  est  si  grand  pour 
une  ame  sensible,  n'éprouvera- t-il  pas  une 
jouissance  d'autant  plus  douce  qu'il  aura  sous 
ses  yeux,  au  lieu  d'une  onde  stérile ,  déserte , 
inanimée ,  des  eaux  vivifiées ,  pour  ainsi  dire, 
et  embellies  par  la  légèreté  des  formes,  la 
vivacité  des  couleurs,  la  variété  des  jeux,  la 
nipidité  des  évolutions  ? 

Voyons  donc  comment  on  peut  transpor- 
ter, acclimater,  multiplier  et  perfectionner 
les  poissons j  ou,  ce  qui  est  la  même  chose, 
montrons  comment  l'art  modifie  leur  nature. 

Tâchons   d'éclairer   la   route    élevée  du 


SUR    LES    POISSONS        ii 

physioloi^jste  par  les  lumièies  de  l'expé- 
rience, et  de  diriger  l'expérience  par  les  vues 
du  physiologiste. 

Disons  d'abord  comment  on  transporte  les 
poissons  d'une  eau  dans  une  autre. 

De  toutes  les  saisons,  la  plus  favorable  au 
transport  de  ces  animaux  est  l'hyver ,  à  moins 
que  le  froid  ne  soit  très-rigoureux.  Le  prin- 
tems  et  l'automne  le  sont  beaucoup  moins 
que  la  saison  des  frimats;  mais  il  faut  toujours 
les  préférer  à  Tété.  La  chaleur  auroit  bientôt 
fait  périr  des  individus  accoutumés  à  une 
température  assez  douce;  et  d'ailleurs  ils  ne 
résisteroient  pas  à  l'influence  funeste  des 
orages  qui  régnent  si  fréquemment  pendant 
l'été. 

C'est  en  eiïet  un  beau  sujet  d'observation 
pour  le  physicien  que  l'action  de  l'électricité 
de  l'atmosphère  sur  les  habitans  des  eaux, 
action  à  laquelle  ils  sont  soumis  non  seule- 
ment lorsqu'on  les  force  à  changer  de  séjour , 
mais  encore  lorsqu'ils  vivent  indépendans 
dans  de  laiges  fleuves,  ou  dans  des  lacs  im- 
menses ,  dont  la  profondeur  ne  peut  les  dé- 
rober à  la  puissance  de  ce  feu  électrique. 

Il  ne  faut  exposer  aux  dangers  du  trans- 
port que  des  poissons  assez  forts  pour  résister 
à  la  fatigue  ;  à  la  coutxaiiite,  et  aux  autres 


tf         EFFETS  DE  L'ART 

înconvéniens  de  leur  voyage.  A  un  an ,  ces 
animaux  seroient  encore  tro}>  jeunes;  Tâge  le 
plus  convenable  pour  les  faire  passer  d'une 
eau  dans  une  autre,  est  celui  de  trois  ou 
quatre  ans 

On  ne  remplira  pas  entièrement  d'eau  les 
tonneaux  dans  lesquels  on  les  renfermera. 
Sans  cette  précaution,  les  poissons,  niontant 
avec  rapidité  vei  s  la  surface  de  l'eau  ,  bles- 
seroient  leur  tête  contre  la  partie  supérieure 
du  vaisseau  dans  lequel  ils  seront  placés.  Ces 
tonneaux  devront  d'ailleurs  présenter  un 
assez  grand  espace.  Bloch ,  qui  a  écrit  des 
observations  très-utiles  sur  l'art  d'élever  les 
animaux  dont  nous  nous  occupons ,  demande 
qu'un  tonneau  destiné  à  transporter  des 
poissons  du  poids  de  cinquante  kilogiammes 
(cent  livres,  ou  à  peu  près)  contienne  trois 
cent  vingt  litres  ou  pintes  d'eau. 

Il  est  même  nécessaire  que  vers  la  fin  du 
printems  ,  ou  au  commencement  de  l'au- 
tomne, c'est-à-dire,  lorsque  la  chaleur  est 
vive  au  moins  pendant  plusieurs  heures  du 
jour,  cette  quantité  d'eau  soit  plus  grande, 
et  souvent  double;  et  quelle  que  soit  la  tem- 
pérature de  l'air,  il  faut  qu'il  y  ait  toujours 
une  coninumication  libre  entre  l'atmosphère 
et  l'intérieur  du  tonneau,  soit  pour  procurer 


SUR   LES   POISSONS.       13 

aux  poissons ,  suivant  l'opinion  de  quelques 
physiciens  ,  lair  qui  peut  leur  être  néces- 
saire, soit  pour  laisser  échapper  les  miasmes 
mal- faisans  et  les  gaz  funestes  qui  se  forment 
en  abondance  dans  tous  les  endroits  ou  les 
habitans  des  eaux  sont  réunis  en  très-grand 
nombre,  même  lorsque  la  chaleur  n'est  pas 
très-forte,  et  leur  donnent  la  mort  sQuvent 
dans  un  espace  de  tems  extrêmement  couj  '. 
Mais  comme  ces  soupiraux  si  nécessaires  aux 
poissons  que  Ton  fait  voyager  pourroient , 
s'ils  étoient  faits  sans  attention ,  laisser  à 
l'eau  des  mouvemens  trop  libres  et  trop 
violens  qui  la  feroient  jaillir,  pousseroient 
les  poissons  les  uns  contre  les  autres ,  les 
froisseroient  et  les  blesseroient  mortellement, 
il  sera  bon  de  suivre  à  cet  égaid  les  conseils 
de  Bloch,  qui  recommande  de  prévenir  la 
trop  grande  agitation  de  l'eau  par  une  cou- 
ronne de  paille  ou  de  petites  planches  minces 
introduites  dans  le  tonneau ,  ou  en  adaptant 
à  l'orifice  qu'on  laisse  ouvert  un  tuyau  un 
peu  long ,  terminé  en  pointe  et  percé  vex  s 
le  haut  de  plusieurs  trous  qui  établissent  une 
communication  suffisante  entre  l'air  exté- 
rieur et  l'intérieur  du  vaisseau  (i). 

(i)  Introduction  à  l'Histoire  naturelle  des  poissons, 
par  Bloch. 


i4  EFFETS  DE   L'ART 

Toutes  les  fois  que  la  distaucele  permettra,' 
on  eniploîi  a  aussi  des  bèîes  de  somme  tran- 
quilles ,  ou  même  des  poiteurs  attentifs  , 
plutôt  que  des  voitures  exposées  à  des  cahots 
rudes  et  à  des  secousses  brusques  et  fré- 
quentes. 

On  prendra  encore  d'autres  précautions, 
suivant  les  circonstances  dans  lesquelles  on 
se  trouvera ,  et  les  espèces  dont  on  voudra 
porter  des  individus  vivans  à  un  assez  grand 
éloignemeut  de  leur  premier  séjour. 

Si  l'on  veut,  par  exemple,  conserver  en 
vie  5  malgré  un  long  trajet,  des  truites,  des 
loches ,  ou  d'autres  poissons  qui  périssent 
facilement,  et  qui  se  plaisent  au  milieu  d'une 
eau  courante  ,  on  change  souvent  celle  du 
tonneau  dans  lequel  on  les  renferme ,  et  on 
ne  cesse  de  communiquer  à  celle  dans  la- 
quelle on  les  tient  plongés  un  mouvement 
doux,  mais  sensible,  qui  subsiste  lors  même 
que  la  voilure  qui  les  porte  s'arrête  ,  et  qui , 
bien  inférieur  à  une  agitation  dangereuse, 
représente  les  courans  naturels  des  rivières 
ou  des  ruisseaux. 

Pour  peu  que  Ton  craigne  les  effets  de  la 
chaleur,  on  voyagera  la  nuit  ,*  et  l'on  évitera 
avec  le  plus  grand  soin,  en  maniant  les  pois- 


SUR  LES  POISSONS.  i5 
sons ,  de  les  presser ,  de  les  froisser ,  de  les 
heurter. 

On  ne  les  laissera  hois  de  Teau  que  pen- 
dant le  tenis  Je  plus  court  possible,  sur-tout 
lorsqu'un  soleil  sans  nuages  poiuroit  ,  en 
desséchant  promptement  leurs  organes  ,  et 
particulièrement  leurs  branchies  ,  les  faire 
périr  très-promptement.  Cependant,  lorsque 
le  tems  sera  froid ,  on  pourra  transporter  des 
anguilles ,  des  carpes,  des  brèmes,  et  d'autres 
poissons  qui  vivent  assez  long-tems  hors  de 
Feau,  sans  employer  ni  tonneau  ni  voiture, 
en  les  enveloppant  dans  de  la  neige  et  dans 
des  feuilles  grandes ,  épaisses  et  fraîches  , 
telles  que  celles  du  chou  ou  de  la  laitue.  Un 
moyen  presque  semblable  a  réussi  sur  des 
brèmes  que  Ton  a  portées  vivantes  à  plus 
de  dix  myriamètres  (vingt  lieues).  On  les 
avoit  entourées  de  neige ,  et  on  avoit  mis 
dans  leur  bouche  un  morceau  de  pain  trempé 
dans  de  l'eau  de  vie. 

C'est  avec  des  précautions  analogues  que  , 
dès  le  seizième  siècle,  on  a  répandu  dans 
plusieurs  contrées  de  l'Europe  des  espèces 
précieuses  de  poissons  dont  on  y  étoit  privé. 
C'est  en  les  emploj^ant ,  qu'il  paroît  que 
Maschal  a  introduit  la  carpe  en  Angleterre, 
eu  i5i4,-  que  Pieri-e   Oxe  l'a  donnée  au 


i6  EFFETS  DE  L'ART 
Dauemarck  en  i55o;  qu'à  une  époque  plus 
jxipf.Mochceona  ualuialisé  Facipensèreslrelet 
eu  Suède ,  ainsi  qu^en  Pouiérauie ,  et  qu'où 
a  peuplé  de  cypiins  dorés  de  la  Chine  les 
eaux  non  seulement  de  Fiance,  mais  encore 
d'Angleterre,  de  HoiJaude  et  d'Allemagne. 
Mais  ii  est  un  procédé  par  le  moyen 
duquel  on  parvient  à  son  but  avec  bien  plus 
de  sûreté,  de  facilité  et  d'économie,  quoique 
beaucoup  plus  lentement. 

Il  consiste  à  transporter  le  poisson ,  noïl 
pas  développé  et  pai  venu  à  une  taille  plus 
ou  moins  grande  ,  mais  encore  dans  l'état 
d'embryon  el  renfermé  dans  son  œuf.  Pour 
réussir  plus  aisément,  on  prend  les  herbes 
ou  les  pierres  sur  lesquelles  les  femelles  ont 
déposé  leurs  œufs ,  et  les  mâles  leur  laite  , 
et  on  les  porte  dans  un  vase  plein  d'eau  , 
jusqu'au  lac  ,  à  l'étang,  à  la  rivière,  ou  au 
bassin  que  l'on  désire  de  peupler.  On  apprend 
facilement  à  distinguer  les  œufs  fécondés 
d'avec  ceux  qui  n'ont  pas  été  arrosés  de  la 
liqueur  prolifique  du  mâle,  et  que  l'on  doit 
rejeter  :  les  premiers  paroissent  toujours  plus 
jaunes,  pliis  clairs,  plus  diaphanes.  On  re- 
marque cette  différence  dès  le  premier  jour 
de  leur  fécondation ,  si  l'on  se  sert  d'une 
loupe;  et  dès  le  tioisième  ou  le  quatrième 

jour 


SUR  LES  POISSONS.  17 
Jour  on  n'a  plus  besoin  de  cet  instrument 
pour  voir  que  ceux  qui  n'ont  pas  été  fécondés 
par  le  mâle  deviennent  à  chaque  instant 
plus  troubles  ,  plus  opaques,  plus  ternes  :  ils 
perdent  tout  leur  éclat,  s'altèrent,  se  décom- 
posent; et  dans  cet  élat  de  demi-putréfac- 
tion ,  ils  ont  été  comparés  à  de  petits  grains 
de  grêle  qui  commencent  à  se  fondre  (1). 

Pour  pouvoir  employer  ce  transport  des 
œufs  fécondés,  d'uue  eau  dans  une  autre, 
il  faudra  s'attacher  à  connoitre  dans  chaque 
pays  le  véritable  tems  de  la  ponte  de  chaque 
espèce,  et  du  passage  des  mâles  au  dessus 
des  œufs;  et  comme  dans  presque  toutes  les 
espèces  de  poissons  on  compte  trois  ou  quati  e 
époques  du  frai,  les  jeunes  individus  pondant 
leurs  œufs  plus  tard  que  les  femelles  plus 
avancées  en  âge  ,  et  celles-ci  plus  tard  que 
d'autres  femelles  plus  âgées  encore;  que  ces 
époques  sont  ordinairement  séparées  par  un 
intervalle  de  neuf  ou  dix  jours,  et  que  d'ail- 
leurs il  s'écoule  toujours  au  moins  près  de 
neuf  jours  entre  l'instant  de  la  fécondation 
et  celui  où  le  fœtus  brise  sa  coque  et  vient 
à  la  lumière,  on  pourra  chaque  année,  pen- 

(1)  Blocli,  Introduction  à  l'Histoire  naturelle  des 
poissons. 

Foiss,  Tome  IL  B 


i8         EFFETS    DE    L'ART 

dant  un  mois  ou  environ,  chercher  avec 
succès  des  œufs  fécondés  de  Fespèce  qu'on 
voudra  introduire  dans  une  eau  qui  ne  l'aura 
pas  encore  nouriie. 

Si  le  trajet  est  long,  on  change  souvent 
l'eau  du  vase  dans  lequel  les  œufs  sont 
transportés.  CeLle  précaution  a  paru  néces- 
saire, même  dans  les  premiers  jours  de  la 
ponte,  où  l'embryon  contenu  dans  l'œuf 
ne  peut  être  supposé  respirer  en  aucune 
manière,  puisque,  dans  ces  premiers  jours, 
non  seulement  le  petit  animal  est  renfermé 
dans  ses  enveloppes  et  dans  la  membrane 
qui  entoure  l'œuf,  mais  encore  montre  au 
microscope  le  cours  de  son  san^,  dirigé  de 
manière  à  cii  culer  sans  passer  par  des  bran- 
chies qui  ne  sont  ni  développées  ni  visibles. 
Elle  ne  sert  donc,  dans  ce  prenjier  tems  , 
qu'à  préserver  les  œufs  et  les  embryons  de 
l'action  des  gaz  ou  miasmes  qui  se  piodui- 
roient  dans  une  eau  que  l'on  ne  renouvel- 
leroit  pas,  et  qui,  pénétrant  au  travers  de 
la  membrane  de  l'œuf,  agiroient  d'une 
manière  funeste  sur  les  nerfs  ou  sur  d'autres 
organes  encore  extrêmement  délicats  des 
jeunes  poissons.  La  nécessité  de  ce  change- 
ment d'eau  est  donc  une  nouvelle  preuve 
de  ce  que  nous  avons  dit  dans  ce  discours. 


SUR  LES  POISSONS.       iç) 

et  dans  celui  que  nous  avous  publié  sur  la 
nature  des  poissons ,  au  sujet  du  besoin  que 
Ton  a,  pour  conserver  ces  animaux  en  vie, 
d'eni retenir  une  communicalion  très- libre 
entre  Fatmosphère  et  le  fluide  dans  lequel 
ils  sont  plongés. 

On  Favoj'ise  le  développement  de  l'œuf 
et  la  sortie  du  fœtus,  en  les  plaçant  après 
le  tjanspoit  dans  un  endroit  éciaiié  par  le 
soleil.  On  les  hâte  même  par  cette  atlention; 
et  Bloch  nous  apprend ,  dans  rintroduction 
que  nous  avons  déjà  citée,  qu'ayant  fait 
quatre  paquets  d'herbes  chargées  d'œufs  de 
la  même  espèce,  ayant  exposé  le  piemier  au 
soleil  du  midi,  le  second  au  soleil  levant,  le 
troisième  au  couchant ,  et  ayant  fait  mettre 
le  quatrième  à  Fabii  du  soleil,  les  œufs  du 
premier  paquet  furent  ouverts  par  le  fœtus 
deux  jours  avant  ceux  du  quatrième,  et  les 
œufs  du  second  et  du  troisième  un  jour 
plutôt  que  ceux  du  quatrième  paquet,  que 
la  chaleur  du  soleil  n'avoit  pas  pénétrés. 

Cependant  les  eaux  dans  lesquelles  vivent 
les  poissons  peuvent  être  salées  ou  douces, 
troubles  ou  limpides ,  chaudes  ou  froides , 
tranquilles  ou  agitées  par  des  courans  plus 
ou  moins  rapides.  Elles  doivent  toujours 
présenter  ces  qualités  combinées  quatre  k 


so         EFFETS  DE  L'ART 

quatre ,  la  même  eau  devant  être  nécessaî-^ 
rement  courante  ou  tranquille,  froide  ou 
chaude,  claire  ou  limoneuse,  douce  ou  salée. 
Maii  ces  huit  modifications  réunies  quatre 
à  quatre  peuvent  produire  seize  combinai- 
sons :  l'eau  qui  nourrit  les  poissons  peut 
donc  offrir  seize  manières  d'être  très- diffé- 
rentes l'une  de  l'autre,  et  très-faciles  à  dis- 
tinguer. Nous  en  trouverions  un  nombre 
immense  si  nous  voulions  faire  attention  à 
toutes  les  nuances  que  chacune  de  ces  mo- 
difications peut  montrer ,  et  à  toutes  les 
combinaisons  qui  peuvent  résulter  du  mé- 
lange de  tous  ces  dégrés.  Néanmoins  ne 
tenons  compte  que  de  seize  caractères  bien 
distincts  qui  peuvent  appartenir  à  l'eau;  et 
voyons  l'influence  de  la  nature  des  diffé- 
rentes eaux  sur  la  conservation  des  poissons 
que  l'on  veut  acclimater. 

Il  est  évident  que  ,  si  Ton  jette  les  j^eux 
au  hasard  sur  une  des  seize  combinaisons 
que  nous  venons  d'indiquer ,  on  ne  la  verra 
pas  séparée  des  quinze  autres  par  un  égal 
nombre  de  différences. 

Que  l'on  dépose  donc  les  poissons  que 
l'on  viendra  de  transporter ,  dans  les  eaux 
]es  plus  analogues  à  celles  dans  lesquelles  ils 
auront  vécuj  et  lorsqu'on  sera  embarrassé 


SÛR   LES    POISSÔlSTS.       ât 

pour  trouver  de  ces  eaux  adaptées  aux  in- 
dividus que  ['on  voudra  conserver,  que  Tori 
préfère  de  les  planer  dans  les  lacs,  où  ils 
jouiront  à  leur  volonté  des  eaux  courantes 
qui  s'y  jettent  ou  en  sortent,  et  des  eaux 
paisibles  qui  y  séjournent ,  où  ils  rencon- 
treront des  touffes  de  végétaux  aquatiques 
et  des  rochers  nus  ,  des  fonds  de  sable  et 
des  terrains  vaseux  ,  où  ils  jouiront  d'une 
température  douce  en  s'enfonçant  dans  les 
endroits  les  plus  profonds,  et  où  ils  pourjt'onl: 
se  réchauffer  aux  rayons  du  soleil  ^  en 
s'élevant  vers  la  surface. 

Que  Ton  choisisse  néanmoins  les  lacs  don§ 
les  rives  sont  unies,  plutôt  que  ceux  dont 
les  rivages  sont  très -hauts;  et  si  Yon  est 
obligé  de  se  servir  de  ces  lacs  à  bords  très- 
exhaussés,  et  où  par  conséquent  les  œufs 
déposés  sur  des  fonds  trop  éloignés  de  Fat- 
niosphère  ne  peuvent  pas  recevoir  Theureuse 
inHuence  de  la  lumière  et  de  la  chaleur , 
qu'on  supplée  aux  côtes  basses  et  aux  pentes 
douces,  en  faisant  construire ,  dans  ces  lacs? 
et  auprès  de  leurs  bords ,  des  espèces  do 
parcs  ou  de  viviers  en  bois,  qui  présenteront 
des  plans  inclinés  très-voisins  de  la  surface 
de  l'eau,  et  que  l'on  garnira,  dans  la  saison 
convenable,  de  branches  et  de  rameaux  siu' 

B  5 


i3         EFFETS   DE    L'ART 

lesquels  les  femelles  puissent  frotter  leur 
ventre  et  se  débarrasser  de  leurs  œufs. 

Aura-t-on  à  sa  disposition  des  eaux  ther- 
males assez  abondantes  pour  remplir  de 
yastes  réservoirs,  et  y  couler  constanuneut 
en  si  grand  volume,  que  dans  ton i es  les 
saisons  la  chaleur  y  soit  très-sensible?  Oa 
en  profitera  pour  acclimater  des  espèces 
étrangères,  utiles  par  la  bonté  de  leur  chair, 
ou  agréables  aux  yeux  par  la  vivacité  de 
leurs  couleurs,  la  beauté  de  leurs  formes  et 
Tagilité  de  leurs  mouvemens,  et  qui  n'au- 
ront vécu  jusqu'à  ce  moment  que  dans  les 
*  contrées  renfermées  dans  la  zone  torride  ou 
très- voisin  es  des  tropiques. 

Lorsque  les  poissons  ne  sont  pas  délicats, 
ils  peuvent  néanmoins  supporter  très-facile- 
ment le  passage  d'une  eau  à  une  eau  très- 
différente  de  la  première.  On  l'a  remarqué 
particulièrement  sur  l'anguille  ;  et  M.  De 
Seplfontaines,  observateur  très-éclairé ,  que 
nous  avons  eu  le  plaisir  de  citer  très-souvent 
dans  nos  ouvrages,  nous  a  écrit  dans  le  tems 
qu'il  avoit  fait  transporter  des  anguilles 
d'une  eau  bourbeuse  dans  le  vivier  le  plus 
limpide,  d'ime  eau  froide  dans  une  eau 
tempérée,  d'une  eau  tempérée  dans  une 
eau  froide,  d'un  vivier  très -limpide  dans 


SUR   LES    POISSONS.      23 

une  eau  limoiiease ,  etc.  ;  qu'il  avoit  fait 
supporter  ces  transmigralious  à  plus  de  trois 
cents  individus  ;  qu'il  les  y  avoit  soumis 
dans  différentes  saisons;  qu'il  n'en  étoit  pas 
mort  la  vingtième  partie;  et  que  ceux  qui 
a  voient  péri  n'a  voient  succombé  qu'à  la 
fatigue  et  à  la  gêne  que  leur  avoit  fait 
éprouver  un  séjour  très-long  dans  des  vais- 
seaux très-étroits. 

On  pourroit  croire  ,  au  premier  coup 
d'oeil ,  qu'une  des  habitudes  les  plus  diffi- 
ciles k  donner  aux  poissons  seroit  celle  d& 
vivre  dans  l'eau  douce  après  avoir  vécu 
dans  l'eau  salée,  ou  celle  de  n'être  entourés 
que  d'eau  salée  après  avoir  été  continuelle- 
ment plongés  dans  l'eau  douce. 

Cependant  on  ne  conservera  pas  long- 
tems  cette  opinion  ,  si  l'on  considère  qu'à 
la  vérité  l'eau  salée ,  comme  plus  pesante , 
soutient  davantage  le  poisson  qui  nage  ,  et 
dès-lors  lui  donne,  tout  égal  d'ailleurs  ,  plus 
d'agilité  et  do  vitesse  dans  ses  mouvemens , 
mais  que,  lorsqu'elle  se  décompose  dans  les 
branchies  pour  entretenir  par  son  ox^^gène 
la  circulation  du  sang,  ou  seulement  dans 
le  canal  intestinal  pour  servir ,  par  son  hy- 
drogène ,  à  la  nourriture  de  l'animal  ,  le 
sel  dont  elle  est  imprégnée  n'altère  ni  l'un 

B  4 


54  EFFETS    DE   L'ART 

ni  Tautre  produit  de  celte  décomposition: 
1/oxy gène  et  l'hydrogène  retirés  de  Teau 
salée ,  ou  obtenus  par  le  moyen  de  l'eau 
douce,  olïrent  les  mêmes  propriétés,  pro- 
duisent les  mêmes  elïets.  Si  le  poisson  est  plus 
gêné  dans  ses  moiivemens  au  milieu  d'un 
lac  d'eau  douce  que  dans  le  sein  de  r Océan, 
il  lire  de  l'eau  de  la  mer  et  de  celle  du  lac  la 
même  nourriture,-  et  il  peut,  au  milieu  de 
l'eau  douce,  n'être  privé  que  de  cette  sorte 
de  modification  qu'impriment  la  substance 
saline  et  peut-être  une  matière  particulière 
bitumineuse  ou  de  toute  autre  nature,  con- 
tenues dans  Feau  de  l'Océan,  et  qui  l'en- 
vironnant sans  cesse  ,  lorsqu'il  vit  dans  la 
la  mer ,  peuvent  traverser  ses  légumens , 
pénétrer  sa  masse  et  s'identifier  avec  ses 
organes. 

De  plus,  un  très-grand  nombre  de  pois- 
sons ne  passent-ils  pas  la  moitié  de  l'année 
dans  l'Océan ,  et  l'autre  moitié  dans  les 
rivières  ainsi  que  dans  les  fleuves  ?  et  ces 
poissons  voyageurs  ne  paroissent-ils  pas  avoir 
absolument  la  même  organisation  que  ceux 
qui,  plus  sédentaires,  n'abandonnent  dans 
aucune  saison  les  rivières  ou  la  mer  ? 

Quant  à  la  température  ,  les  eaux ,  au 
moins  les  eaux  profondes  ^  présentent, près-:; 


SUR    LES    POISSONS.        ^5 
que  la  même ,  dans  quelque  contrée  qu'on 
les  examine.  D'ailleurs  les  animaux  s'accou- 
tument beaucoup   plus  aisément  cju'on  ne 
le  croit ,  à  des  températures  très-diiïéjontes 
de  celle  à  laquelle  la  Nature  ies  a  voit  sou- 
mis. Ils  s'y  habituent  même  lorsque  ,  vivant 
dans    une   très -grande    indépendance,   ils 
pourroicnt  trouver,  dans  des  contrées  plus 
chaudes  ou  plus  froides  que  leur  nouveau 
séjour ,  une  sûreté  aussi  grande  ,  un  espace 
aussi  libje  ,  une  habitation  aussi  adaptée  à 
leur    organisation  ,    une    nourriture    aussi 
abondante.    Nous    en    avons    un    exemple 
frappant  dans  l'espèce  du  cheval.  Lois  de 
la  découverte  de  l'Amérique  méridionale, 
plusieurs  mdividus  de  cette  espèce ,  amenés 
dans  cette    partie   du  nouveau   continent , 
furent  abandonnés ,  ou  s'échappèrent  dans 
des  contrées  inhabitées  voisines  du  rivage 
sur  lequel   on   les  voit   débarquer  :  ils   s'y 
multiplièrent  ;  et  de  leur  postérité  sont  des- 
cendues  des    troupes  très -nombreuses    de 
chevaux  sauvages  ,  qui  se  sont  répandus  à 
des  distances  très-considérables  de  la  mer, 
se  sont  très-éloignés  de  la  ligne  équinoxiale , 
sont  parvenus  très-près  de  l'extrémiié  aus- 
trale de  l'Amérique  ,  y  occupent  de  vastes 
déserts,  n'y  ont  perdu  aucun  de  leurs  altii-- 


26         EFFETS   DE   L'ART 

buts,   ont    été    plutôt   améliorés  qu'altérés 
par  leur  nouvelle  manière  de  vivre,  y  sont 
exposés  à   un  froid  assez   rigoureux   pour 
qu'ils   soient   souvent    obligés  de  chercher 
leur  nourriture  sous  la  neige ,  qu'ils  écar- 
tent avec  leurs  pieds;  et  néanmoins  on  ne 
peut  guère   disconvenir  que  le  cheval  ne 
soit  originaire  du  climat  brûlant  de  l'Arabie. 
Il  n'y  a  que  les  animaux  nés   dans  les 
environs  des  cercles  polaires,  qui  ont,  dès 
leurs  premières  années  ,  supporté  le  poids 
des  hyvers  les  plus  rigoureux  ,  et  dont  la 
Nature  ,  modifiée  par  les  frimats ,  non  seu- 
lement dans  eux ,  mais  encore  dans  plusieurs 
des  générations   qui  les  ont  précédés  ,  est 
devenue ,  pour  ainsi  dire ,  analogue  à  tous 
les  effets  d'un  froid  extrême  ,  qui  ne  pa- 
roissent  pas  pouvoir  résister  à  une  tempé- 
rature très-différente  de  celle  à  laquelle  ils 
ont  toujours  été  exposés.  Il  semble  que  la 
raréfaction ,  produite  dans  les  solides  et  dans 
les  liquides ,  par  une  grande  élévation  dans 
la  température ,  est  pour  les  animaux  un 
changement  bien  plus  dangereux  que  l'ac- 
croissement de  ton ,  d'irritabilité  et  de  force, 
que  les  solides  peuvent  recevoir  de  l'aug- 
inentation  du  froid,*  et  voilà  pourquoi  on 
n'a  pas  encore  pu  parvenir  à  faire  vivre 


SUR   LES   POISSONS.       27 

pendant  long-tems,  dans  le  climat  tempéré 
de  la  France  ,  les  rennes  qu'on  y  av'^oit 
amenés  des  contrées  boréales  de  l'Europe. 
On  doit  donc,  tout  égal  d'ailleurs,  essayer 
de  transporte!'  les  poissons  du  midi  dans  les 
lacs  ou  les  rivières  du  nord,  plutôt  que  ceux 
des  contrées  septentrionales  dans  les  eaux 
du  midi.  Lors  méine  que  les  rivières  ou  les 
lacs  dans  lesquels  on  aura  transporté  les 
poissons  méridionaux ,  seront  situés  de  ma- 
nière à  avoir  leur  surface  glacée  pendant 
une  partie  plus  .)u  moins  longue  de  l'année, 
ces  animaux  pourront  y  vivre,  lis  se  tien- 
dront dans  le  fond  de  leurs  habitations 
pendant  que  Thyver  régnera  ;  et  si  dans 
cette  retraite  profonde  ils  manquent  d'une 
communication  suffisante  avec  l'air  de  l'at- 
mosplière  ,  ou  si  la  gelée ,  pénétrant  trop 
avant ,  leur  fait  subir  son  influence,  descend 
jusqu'à  eux  et  les  saisit,  ils  tomberont  dans 
cette  torpeur  plus  ou  moins  prolongée ,  qui 
conserve!  a  leur  existence  en  en  ralentissant 
les  principaux  ressorts  (1).  Combien  d'indi- 
vidus et  même  combien  d'espèces  cet  en- 
gourdissement reraarquabie  ne  préserve-t-il 
pas  de  la  destruction,  en  concentrant  la  vie 

■  I  ,  ,  .  Il   M 

(i)  Voyez  l'article  du  scombre  maquereau» 


28  EFFETS    DE   L'ART 

dans Imtérieur  de  ranimai,  en  l'éloignant  de 
la  surface  où  elle  seioil  trop  fortement  atta- 
quée, en  la  renfermant,  pour  ainsi  dire, 
dans  une  enveloppe  qui  ne  conserve  de  la 
vitalité  que  ce  qu'il  faut  pour  ne  pas  éprouver 
de  grandes  décompositions ,  et  en  la  rédui- 
sant en  quelque  sorte  à  une  circulation  si 
lente  et  si  limitée  ,  qu'elle  peut  être  indé- 
pendante des  objets  extérieurs  (i)  !  S'il  ne 
répare  pas  ,  comme  le  sonmieil  journalier , 
des  organes  usés  par  la  fatigue  ,  il  maintient 
ces  organes;  s^il  ne  donne  pas  de  nouvelles 
forces ,  il  garantit  de  l'anéantissement  ;  s'il 
ne  ranime  pas  le  souffle  de  la  vie  ,  il  brise 
les  traits  de  la  mort.  Quelles  que  soient  la 
cause  ,  la  force  ou  la  durée  du  sommeil , 
il  est  donc  toujours  un  grand  bienfait  de  la 
Nature  ;  et  pendant  qu'il  charme  les  ennuis 
de  Têtre  pensant  et  sensible,  non  seulement 
il  guérit  ou  suspend  les  douîems ,  mais  il 
prévient  et  écarte  les  maux  de  l'animal, 
qui ,  réduit  à  un  instinct  borné  ,  n'existe 
que  dans  le  présent ,  ne  rappelle  aucun 
souvenir,  et  ne  conçoit  aucun  espoir. 

(i)  Voyez  ie  Discours  sur  la  nature  des  quadru- 
pèdes ovipares,  dans  mon  Histoire  naturelle  de  ces 
animaux. 


SUR  LES   POISSONS.        sg 

La  qualité  et  Tabondance  de  la  iioumlure, 
ces  grandes  causes  des  migrât ious  volontaires 
de  tous  les  aniniaux  qui  quittent  leur  pays, 
sont  aussi  les  objets  auxquels  on  doit  faire  le 
plus  d'attenlio!!  ,  lorsqu'on  cherche  à  con- 
server des  animaux  en  vie  dans  un  autre 
séjoui-  que  leur  pays  nalal,  et  par  conséquent 
lorsqu'on  veut  acclimater  des  espèces  de 
poissons. 

L'aliment  auquel  le  poisson  que  l'on  vient 
de   dépayser  est  le  plus  habitué,  est  celui 
qu'il  faudra  lui  procurer  :  il  retiouvera  sa 
patiie  par- tout  où  il  aura  sa  nounilure  fa- 
milière. Par  le  moyen  d'herbes,  de  feuilles, 
d'amas  de   végétaux,  de  fumiers  de  toutes 
sortes ,  on  donnera  un  aliuient  très-conve- 
nable aux  espèces  qui  se  nourrissent  de  débris 
de  corps  organisés;  on  cherchera,  on  rassem- 
blera des  larves  et  des  vers  pour  celles  qui 
les  préfèrent  ;  et  lorsqu'on  aura  transporté 
des  brochets  ou  d'autres  poissojis  voiuces,  il 
faudra  mettre  dans  les  eaux  qui  les  auront 
reçus  ceux  dont  ils  aiment  à  foire  leur  proie, 
qui  se  plaisent  dans  les  mêmes  habitations 
que  ces  animaux  carnassiers  ,  ou  qui  sont 
peu  recherchés  par  les  pécheurs,  comme  des 
éperlans ,  des  cyprins  goujons ,  des  cyprins 
gibèles ,  des  cyprins  bordelières  ,  etc. 


5o  EFFETS  DE   L'ART 

On  trouvera,  en  paicoiirant  les  difFérens 
articles  de  cette  Histoire,  un  grand  nombre 
d'espèces  remarquables  par  leur  beauté,  par 
leur  grandeur  et  par  le  goût  exquis  de  leur 
chair,  qui  manquent  aux  eaux  douces  de 
notre  patiie,  et  qu'on  pourroit  aisément  ac- 
climater en  Fiance  avec  les  précautions  ou 
parles  moyens  que  nous  venons  d indiquer, 
ou  en  employant  des  procédés  analogues  à 
ceux  que  nous  venons  de  décrire,  et  qu^on 
préféieroit  d'après  la  longueur  du  trajet,  la 
nature  du  voyage,  le  climat  que  les  poissons 
auroient  quitté  ,  la  saison  que  l'on  auroit  été 
obligé  de  choisir,  et  plusieurs  autres  circons- 
tances. De  ce  nombre  seroient,  par  exemple, 
le  centropome  sandat  de  la  Prusse ,  l'holo- 
centre  post  des  contrées  septentrionales  de 
TAUemagne;  et  on  ne  devroifc  même  pas 
être  efhayé  par  la  grandeur  de  la  distance, 
sur-tout  lorsque  le  transport  pourroit  avoir 
heu  par  mer,  ou  par  des  rivières,  ou  des 
canaux.  On  peut  en  eltet,  lorsqu'on  navigue 
sur  rOcéan ,  sur  des  canaux  ou  sur  des  fleuves, 
attacher  à  l'arrièie  du  bâtiment  une  sorte  de 
vaisseau,  ou,  pour  mieux  dire,  de  grande 
caisse  ,  que  Ton  rend  assez  pesante  pour 
qu'elle  soit  presque  entièrement  plongée  dans 
l'eau ,  et  dont  les  parois  sont  percées  de  ma-» 


SUR   LES    POISSONS.       5i 

nière  que  les  poissons  qui  y  sont  renfermés 
reçoivent  tout  le  fluide  qui  leur  est  néces- 
saire,  et  communiquent  avec  Tatmosphère 
de  la  manière  la  plus  avantageuse,  sans  pou- 
voir s'échapper  et  sans  avoir  rien  à  craindre 
de  la  dent  des  squales  ou  des  autres  animaux 
aquatiques  et  féroces.  Nous  indiquons  donc 
à  la  suite  du  post  et  du  sandat,  et  entre 
plusieurs  autres  que  les  bornes  de  ce  discours 
ne  nous  permettent  pas  de  rappeler  ici,  Fos- 
phronème  goramy ,  déjà  apporté  de  la  Chine 
à  nie  de  France ,  le  bodian  aya  des  lacs  du 
Brésil ,  et  riiolocentre  sogo  des  grandes  Indes , 
de  l'Afrique  et  des  Antiîles. 

Quand  on  n'aura  pas  une  eau  courante 
à  donner  à  ces  poissons  arrivés  d'une  terre 
étrangère,  et  principalement  lorsque  ces  nou- 
veaux hôtes  auront  vécu,  jusqu'à  leur  mi- 
gration, dans  des  fleuves  ou  des  rivières,  on 
compensera  le  renouvellement  perpétuel  du 
fluide  environnant  que  le  courant  procure, 
par  une  grande  étendue  donnée  à  r*ha]3i da- 
tion.  Ici ,  comme  dans  plusieurs  autres  phé- 
nomènes 5  un  grand  volume  en  repos  tiendra 
lieu  d'un  petit  volume  en  mouvement  ;  et 
dans  un  espace  de  tems  déterminé ,  ranimai 
jouira  de  la  même  quantité  de  molécules  de 


52        EFFETS   DE   L'ART 

fluide,  difîerentes  de  celles  dont  il  aura  déjà 
reçu  rinflaence. 

Sans  celte  précaution,  les  poissons  que  Ton 
voudioit acclimater éprouveroient  les  mêmes 
accidens  cjne  ceux  de  nos  contrées  que  Ton 
enlève  aux  petites  rivièies,  et  particulière- 
ment à  la  partie  de  ces  rivières  la  pi  us.  voisine 
de  la  source,  et  qu'on  veut  conserver  dans 
des  vaisseaux  ou  même  dans  des  bassins  très- 
étroits.  On  est  obligé  de  renouveler  très- 
souvent  Teau  qui  les  entoure,*  sans  cela,  les 
diverses  émanations  de  leur  corps,  et  l'eifet 
nécessaire  du  rapprochement  d'une  grande 
quantité  de  substance  animale,  vicient  Teau, 
la  conompent  par  la  producîion  de  gaz  que 
Ton  voit  s'élever  en  petites  bulles,  et  la  rendent 
si  funeste  pour  eux  ,  qu'ils  périssent  s'ils  ne 
viennent  pas  à  la  surface  de  l'eau  chercher 
le  voisinage  de  laîmosphère  ,  et  respirer  , 
pour  ainsi  dire ,  des  couches  de  fluide  plus 
puies. 

Ces  faits  sont  conformes  à  de  belles  expé- 
riences faites  par  mon  confrère  Silvestre  fils, 
et  à  celles  qui  fiaent  dans  le  tems  commu- 
niquées à  Bulïbu  ,  par  une  note  que  ce  grand 
naturaliste  me  remit  quelques  années  après, 
et  qui  avoient  été  tentées  sur  des  gades  lotes^ 

des 


SUR   LES    POISSONS.       35 

des  cottes  chabots,  des  cyprins  goujons,  et 
d'autres  cyprins,  tels  que  des  gardons,  des 
vérons  et  des  vaudoises. 

Les  poissons  que  Ton  veut  acclimater  sont 
plus  exposés  que  les  anciens  habitans  des 
eaux  dans  lesquelles  on  les  a  placés ,  noix 
seulement  aux  altérations  dont  nous  venons 
de  parler ,  mais  encore  à  toutes  les  maladies 
auxquelles  leurs  diverses  tribus  sont  sujettes. 

Ces  maladies  assaillent  ces  tribus  aqua- 
tiques, même  lorsque  les  individus  sont 
encore  renfermés  dans  Fœuf.  On  a  observé 
que  des  embryons  de  saumon ,  de  truite  et 
de  beaucoup  d'autres  espèces ,  périssoient 
lorsque  des  substances  grasses  ,  onctueuses, 
et  celles  que  l'on  désigne  par  le  nom  de 
saletés  et  ai  ordures  ,  s'atlachoient  à  Fenve- 
loppe  qui  les  contenoit,et  qu'une  eau  cou- 
rante ne  nettoyoit  pas  promptenient  cette 
membrane. 

On  suppléera  facilement  à  cette  eau  cou- 
rante par  une  attention  soutenue,  et  divers 
petits  moyens  que  les  circonstances  suggé- 
reront. 

Lorsque  les  poissons  sont  vieux  ,  ils 
éprouvent  souvent  une  altération  particu- 
lière qui  se  manifeste  à  la  surface  de  l'animal; 
les  canaux  destinés  à  eiitji'eteuir  ou  renou-^ 

Foiss.  Tome  IL  G 


54        EFFETS   DE    L'ART 

vêler  les  écailles  s'obstruent  ou  se  déforment; 
les  organes  qui  filtrent  la  substance  nour- 
ricière et  réparatrice  de  ces  lames  s'oblitèrent 
ou  se  dérangent  ;  les  écailles  changent  dans 
leurs  dimensions;  la  matière  qui  les  compose 
n'a  plus  les  mêmes  propriétés  ;  elles  ne  sont 
plus  ni  aussi  luisantes,  ni  aussi  transparentes, 
ni  aussi  colorées  ;  elles  sont  clair-semées  sur 
la  peau  de  l'animal  vieilli  :  elles  se  détachent 
avec  facilité  ;  elles  ne  sont  pas  remplacées 
par  de  nouvelles  lames ,  ou  elles  cèdent  la 
place,  en  tombant,  à  des  excroissances  dif- 
formes produites  par  une  matière  écai lieuse 
de  mauvaise  qualité ,  mélangée  avec  des  elé- 
mens  hétérogènes,  et  mal  élaborée  dans  des 
parties  sans  force,  et  daus  des  tuyaux  qui 
ont  perdu  leur  première  figure.  Cette  alté- 
ration est  sans  remède  ;  il  n'y  a  rien  à  op- 
poser aux  effets  nécessaires  d'un  âge  tiès- 
avancé.  Si  dans  les  poissons ,  comme  dans  les 
autres  animaux,  l'art  peut  jeculer  l'époque 
de  la  décomposition  des  fluides,  de  Falloi- 
blissement  des  solides,  de  la  diminulion  de 
la  vitalité ,  il  ne  peut  pas  détruire  l'influence 
de  ces  grands  cliaugemens  lorsqu'ils  ont  été 
opérés.  S'il  peut  retai  der  la  rapidité  du  cours 
de  la  vie ,  il  ne  peut  pas  la  faire  remonter 
vers  sa  source. 


SUR  LES  POISSONS.  5l> 
Mais  les  maux  irréparables  de  la  vieillesse ^ 
ne  sont  pas  à  craindre  pour  les  poissons  que; 
Ton  cherche  à  accUmater  ;  dans  la  plupart: 
des  espèces  de  ces  animaux ,  ils  ne  se  font 
sentir  qu'après  des  siècles,  etTéducation  de^ 
individus  que  Ton  transporte  d'un  pays  dans 
un  autre  est  terminée  long-tems  avant  la  fîa^ 
de  ces  nombreuses  années.  Leurs  habitudes 
sont  d'autant  plus  modifiées,  leur  nature  est 
d'autant  plus  changée  avant  qu'ils  approchent 
du  terme  de  leur  existence,  qu'on  a  com- 
mencé d'agir  sur  eux  pendant  qu'ils  étoient 
encore  très-jeunes. 

C'est  d'autres  maladies  que  celles  de  la 
décrépitude  qu'il  faut  chercher  à  préserver 
ou  à  guérir  les  poissons  que  l'on  élève.  Et 
maintenant  nous  agrandissons  le  sujet  de  nos 
pensées;  et  tout  ce  que  nous  allons  dire  doit 
s'appliquer  non  seulement  aux  poissons  que 
l'on  veut  acclimater  dans  telle  ou  telle  con- 
trée ,  mais  encore  à  tous  ceux  que  la  Nature 
fait  naître  sans  le  secours  de  l'art. 

Ces  maladies ,  quij  endentles  poissons  lan- 
guissans  et  les  conduisent  à  la  mort,  pro- 
viennent quelquefois  de  la  mauvaise  qualité 
des  plantes  aquatiques  ou  des  autres  végé- 
taux qui  croissent  près  des  bords  des  fleuves 
ou  des  lacs ,  et  dont  les  feuilles ,  les  fleurs 

C  a 


S3        EFFETS   DE   L'ART 

ou  les  fruits  sont  saisis  par  l'animal  qui  se 
dresse ,  pour  ainsi  dire ,  sur  la  rive ,  ou  tom- 
bent dans  l'eau ,  y  flottent ,  et  vont  ensuite 
former  au  fond  du  iac  ou  de  la  rivière  un 
{sédiment  de  débris  de  corps  organisés.  Ces 
'plantes  peuvent  être,  dans  certaines  saisons 
de  Tannée,  viciées  au  point  de  ne  fournir 
qu'une  substance  mal-saine ,  non  seulement 
aux  poissons  qui  en  mangent,  mais  encore 
à  ceux  qui  dévorent  les  petits  animaux 
dont  elles  ont  composé  la  nourriture.  On 
|)révient  ou  on  arrête  les  suites  funestes  de 
Ha  décomposition  de  ces  végétaux  ,  en  dé- 
!t misant  ces  plantes  auprès  des  rives  de 
riiabitation  des  poissons,  et  en  les  rempla- 
çant  par  des  herbes  ou  des  fruits  choisis 
que  Ton  jette  dans  Feau  peuplée  de  ces 
animaux. 

La  plus  terrible  des  maladies  des  poissons 
est  celle  qu'il  faut  rapporter  aux  miasmes 
produits  dans  le  fluide  qui  les  environne. 

C'est  à  ces  miasmes  qu'il  faut  attiibuer 
la  mortalité  qui  régna  parmi  ces  animaux 
dans  les  grands  et  nombreux  étangs  des  en- 
virons de  Bourg,  lors  de  l'hyver  rigoureux 
de  la  fin  de  1788  et  du  commencement 
de  1789  ,  et  dont  l'estimable  Varenne  de 
Feuille  donna  une  noticç  très-bien  faite  dan§ 


SUR   LES  POISSONS.        5^ 

le  Journal  de  physique  de  novembre  1789. 
Dès  le  26  novembre  17H8,  suivant  ce  très- 
bon  observateur  ,  la  surface  des  étangs  fut 
profondément  gelée;  la  glace  ne  fondit  que 
vers  la  fin  de  janvier.  Dans  le  moment  du. 
dégel  5  les  rives  des  étangs  furent  couvertes 
d'une  quantité  prodigieuse  de  cadavres  de 
poissons,  rejetés  par  les  eaux.  Parmi  ces 
animaux  morts,  on  compta  beaucoup  plus 
de  carpes  que  de  perches  ,  de  brochets  et 
de  tanches.  Les  étangs  blancs,  c'est-à-dire, 
ceux  dont  les  eaux  reposoient  sur  un  sol 
dur  5  ferme  et  argileux  ,  n'offrirent  qu'un 
petit  nombre  de  signes  de  cette  mortalité; 
ceux  qu'on  avoit  récenament  réparés  et  net- 
toyés montrèrent  aussi  sur  leurs  bords  très- 
peu  de  victimes  :  mais  presque  tous  les  pois- 
sons renfermés  dans  des  étangs  vaseux  ^ 
encombrés  de  joncs  ou  de  roseaux ,  et  sur- 
chargés de  débris  de  végétaux  ,  périrent 
pendant  la  gelée.  Ce  qui  prouve  évidem- 
ment que  la  mort  de  ces  dei-niers  animaux 
n'a  pas  été  l'efïet  du  défaut  de  l'air  de  l'at- 
mosphère, comme  le  penseroient  plusieurs 
physiciens,  et  qu'elle  ne  doit  être  rapportée 
qu'à  la  production  de  gaz  délétères  qui  n'ont 
pas  pu  s'échapper  au  travers  de  la  croûte 
de  glace ,  c'est  que  la  §elée  a  été  aussi  forte 

C5 


38         EFFETS  DE   L'ART 

à  la  superficie  des  étangs  blancs  et  des  étangs 
iiouvellement  nettoyés,  qu'à  celle  des  étangs 
iVaseux.  L'air  de  l'atmosphère  n'a  pas  pu 
pénétrer  plus  aisément  dans  les  premiers 
que  dans  les  derniers  ;  et  cependant  les 
poissons  de  ces  étangs  blancs  ou  récemment 
réparés  ont  vécu ,  parce  que  le  fond  de  leur 
séjour ,  n'étant  pas  couvert  de  substances 
végétales ,  n'a  pas  pu  produire  les  gaz  fu- 
nestes qui  se  sont  développés  dans  les  étangs 
vaseux.  Et  ce  qui  achève,  d'un  autre  côté, 
de  prouver  l'opinion  que  nous  exposons  à 
ce  sujet,  et  qui  est  importante  pour  la  phy- 
sique des  poissons,  c'est  que  des  oiseaux  de 
proie ,  des  loups ,  des  chiens  et  des  cochons 
mangèrent  les  restes  des  animaux  rejetés 
après  le  dégel  sur  les  rivages  des  étangs 
remplis  de  joncs ,  sans  éprouver  les  incon- 
véniens  auxquels  ils  auroieut  été  exposés 
s'ils  s'étoient  nourris  d'animaux  morts  d'une 
maladie  véritablement  pestilentielle. 

Ce  sont  encore  ces  gaz  mal-faisans  que 
nous  devons  regarder  comme  la  véritable 
origine  d'une  maladie  épizootiqne  qui  fit 
de  grands  ravages,  en  1767,  dans  ]es  en- 
virons de  la  forêt  de  Crécy.  M.  de  Chaigne- 
brun  ,  qui  a  donné  dans  Je  tems  un  très-bon 
Traité  sur  cette  épizootie^  rapporte  quelle 


SUR   LES   POISSONS.        Zcy 

se  manifesta  sur  tous  les  animaux;  qu'elle 
atteignit  les  chiens,  les  poules,  et  s'étendit 
jusqu'aux   poissons   de   plusieurs  étangs.  11 
nomme  cetle  maladie  fièi^re  épidéniique  con- 
tagieuse 5  inflammatoire ,  putride  et  gan^re^ 
neuse.   Un  médecin  d'un  excellent  esprit , 
dont  les  connoissances  sont  très-variées,  et 
qui  sera  bientôt  célèbre  par   des  ouvrages 
importans,  Chavassieu-Daudebert lui  donne, 
dans  sa  Nosologie   comparée  ,  le  nom   de 
charbon  sy mplomatique ,  Je  pense  que  cette 
épizootie  ne  seroit  pas  parvenue  jusqu'aux 
poissons ,  si  elle  n'a  voit  pas  tiré  son  origine 
de  gaz   délétères.  Je  crois  ,  avec  Aristote  , 
que  les  poissons  revêtus  d'écaillés,  se  noiii- 
rissant  presque  toujoui^s  de  substances  lavées 
par  de  grands  volumes  d'eau  ,  respiiant  par 
un  organe  particulier ,  se  servant ,  pour  cet 
acte  de  la  respiration ,  de  l'oxygène  de  l'eau 
bien  plus  fréquemment    que    de    celui  de 
l'air  ,  et  toujours  environnés  du  fluide  le 
plus  propre  à  arrêter  la  plupart  des  conta- 
gions, ne  peuvent  pas  recevoir  de  maladie 
pestilentielle  des  animaux  qui  vivent  dans 
l'atmosphère.  Mais  les  poissons  des  environs 
de  Crécy  n'ont  pas .  été  à  l'abri  de  l'épizootie 
au  dessous  des  couches  d'eau  qui  les  recou- 
viroient ,  parce  qu'en  xnèvn^  tems  que  les 

C  4 


^o         EFFETS   DE   I/ART 

marais  voisins  de  Ja  foret  exhaloient  les 
miasmes  qui  doniioient  la  mort  aux  chiens , 
aux  poules,  et  à  d'an  1res  espèces  terrestres, 
le  fond  des  étangs  produisoit  des  gaz  aussi 
funestes  que  ces  miasmes.  11  n'y  a  pas  eu 
de  commanication  de  maladie  ;  mais  deux 
causes  analogues  ,  agissant  en  même  tems , 
Tune  sous  T'eau  ^  et  fautre  dans  Fatmos- 
plière,  ont  produit  des  effets  semblables. 
.  On  peut  prévenir  presque  toutes  ces  mor- 
talités que  causent  des  gaz  destructeurs ,  en 
ne  laissant  pas  dans  le  fond  des  étangs  ou 
des  rivières  des  tas  de  corps  organisés  qui 
puissent ,  en  se  décomposant ,  produire  des 
émanations  pestilentielles,  en  les  entraînant 
par  de  l'eau  courante  que  Ton  introduit 
dans  ces  étangs ,  et  par  de  l'eau  très-pure 
et  très  -  rapide  que  l'on  conduit  dans  ces 
rivières  pour  en  renouveler  le  fluide  ,  de 
la  même  manière  que  l'on  renouvelé  celui 
des  temples,  des  salles  de  spectacle  et  d'autres 
grands  édifices  par  les  courans  d'air  que  l'on 
y  dirige,  et  enfin  en  brisant,  pendant  Tliyver  j 
les  glaces  qui  se  forment  sur  la  surface  des 
étangs  et  des  rivières ,  et  qui  retiendroiénfe 
ies  gaz  pernicieux  dans  l'habitation  des 
poissons. 

11  paroît  que,  lorsque  la  chaleur  est  ixès^ 


SUR  LES  POISSONS.       41 

grande  ,  elle  agit  sur  les  poissons  indépen- 
damment des  fermentations  ,  des  décom- 
positions et  des  exhalaisons  qu'elle  peut 
faire  naître.  Elle  influe  directement  sur 
ces  animaux  ,  sur-tout  lorsqu'ils  sont  ren- 
fermés dans  des  réservoirs  qui  ne  contien- 
nent qu'un  petit  volume  d'eau.  Elle  parvient 
alors  jusqu'au  fond  du  réservoir,  qu'elle 
pénètre  ,  ainsi  que  les  parois  ;  et  réfléchie 
ensuite  par  ce  fond  et  ces  parois  très- 
échaulTées ,  elle  attaque  de  toutes  parts  les 
poissons  qui  se  trouvent  dès -lors  placés 
comme  dans  un  foyer,  et  elle  leur  nuit 
au  point  de  leur  donner  des  maladies 
graves.  C'est  ainsi  qu'on  a  vu  des  anguilles 
mises  pendant  l'été  dans  des  bassins  trop 
peu  étendus  ,  gagner  une  maladie  qu'elles 
se  communiquoient ,  et  qui  se  manifestoit 
par  des  taches  blanches.  On  dit  qu'on  les 
a  guéries  par  le  moyen  du  sel  et  de  la 
plante  nommée  stratioïdes  aloïdes.  Mais, 
quoi  qu'il  en  soit,  il  vaut  mieux  empêcher 
cette  maladie  de  naître ,  en  préservant  les 
poissons  de  l'excès  de  la  chaleur ,  en  pra- 
tiquant dans  leur  habitation  des  endroits 
profonds  où  ils  puissent  trouver  un  abri 
contre  les  feux  de  l'astre  du  jour ,  en  plan- 
tant sur  une  partie  du  rivage  des  arbies 


43         EFFETS   DE   L'ART 

touffuâ  qui  leur  donnent  une  ombre  salu- 
taire. 

Et  comme  il  est  très-rare  que  tous  les 
extrêmes  ne  soient  pas  nuisibles  ,  parce 
qu'ils  sont  le  plus  éloignés  possible  de  la 
combinaison  la  pJus  commune  et  par  con- 
séquent la  plus  naturelle  des  forces  et  des 
résistances  ;  pendant  que  les  eaux  trop 
échauffées  ou  trop  impures  donnent  la  mort 
à  leurs  habitans,  celles  qui  sont  trop  froides 
et  trop  vives  les  font  aussi  périr  ,  ou  du 
moins  les  soumettent  à  diverses  incom- 
modités ,  et  particulièrement  les  rendent 
aveugles.  Nous  ti^ouvons  à  ce  sujet ,  dans 
les  Mémoires  de  l'académie  des  sciences , 
pour  1748,  des  observations  curieuses  du 
général  Monta lembert ,  faites  sur  des  bro- 
chets ;  et  le  comte  d'Achard  en  adressa 
d'analogues  à  Buiïon,  en  1779,  dans  une 
lettre,  dont  mon  illustre  ami  m'a  remis  dans 
le  te  m  s  un  extrait.  «  Dans  une  terre  que 
j'ai  en  Normandie ,  dit  le  comte  d'Achard , 
il  existe  une  fontaine  abondante  dans  les 
plus  grandes  sécheresses.  Je  suis  parvenu  , 
au  moyen  de  canaux  de  terre  cuite ,  à 
amener  l'eau  de  cette  source  dans  trois 
bassins  que  j'ai  dans  mon  parterre.  Ces  bas- 
sins sont  murés  et  pavés  à  chaux  et  à  sable  ; 


SUR  LES  POISSONS.  43 
maïs  on  n'y  a  mis  l'eau  qu'après  qu'ils  ont 
été  parfaitement  secs.  Après  les  avoir  bien 
nettoyés  et  fait  écouler  la  premièie  eau , 
on  y  a  laissé  séjourner  celle  qui  y  est  venue 
depuis ,  et  qui  coule  continuelîemeut.  Dans 
les  deux  premic^rs  bassins,  j'ai  mis  des  carpes 
de  la  plus  grande  beauté,  avec  des  tanches; 
dans  le  troisième,  des  poissons  de  la  Chine 
(  des  cyprins  dorés  )  :  tout  cela  existe  depuis 
trois  ans.  Aujourd'hui  les  carpes ,  précieuses 
par  leur  beauté  et  leur  grandeur  vraiment 
prodigieuse ,  sont  attaquées  d'une  maladie 
cruelle  et  dont  elles  meurent  journellement. 
Elles  se  couvrent  peu  à  peu  d'un  limon  sur 
tout  le  corps,  et  sur-tout  sur  les  yeux,  ou 
il  y  a  en  sus  une  espèce  de  taie_  blanche 
qui  se  forme  peu  à  peu ,  comme  le  limon , 
jusqu'à  l'épaisseur  de  deux  ou  trois  lignes. 
Elles  perdent  d'abord  un  œil,  puis  l'autre, 

et   ensuite   crèvent Les  tanches  et  les 

poissons  chinois  ne  sont  pas  attaqués  de 
cette  maladie.  Est  -  elle  particulière  aux 
carpes  ?  quel  en  est  le  remède  ?  d'où  cela 
peut-il  venir?  de  la  vivacité  de  l'eau,  etc. 
Cette  dernière  conjecture  nous  paroît  très- 
fondée  ,•  et  ce  que  nous  venons  de  dire 
devra  faire  trouver  aisément  le  moyen  de 


44         EFFETS   DE   L^ART 

garantir  ces  poissons  de  cette  cécité  que  la 
mort  suit  souvent. 

Ces  poissons  sont  aussi  quelquefois  me- 
nacés de  péiir,  parce  qu'un  de  leurs  organes 
les  plus  essentiels  est  attaqué.  Les  branchies 
par  lesquelles   ils   respirent ,   et  que  com- 
posent des   membranes   si  délicates  et  des 
vaisseaux  sanguins  si  nombreux  et  si  déliés , 
peuvent  être  déchirées  par  des  insectes  ou 
des  vers  aquatiques  qui  s'y  attachent,    et 
dont  ils  ne  peuvent  pas  se  débarrasser.  Peut- 
être  5  après  avoir  bien  reconnu  Tespèce  de 
ces  vers  ou  de  ces  insectes,  parviendra-t-on 
à  trouver  un  moyen  d'en  empêcher  la  mul- 
tiplication dans  les  étangs ,  et  dans  plusieurs 
autres    habitations   des    poissons    que    l'oa 
voudra  préserver  de  ce  fléau. 
.    Ees  poissons  étant  presque  tous  revêtus 
d'écaillés  dures  et  placées  en  partie  les  unes 
au  dessus   des   autres,    ou   couverts  d'une 
peau  épaisse  et  visqueue,  ne  sont  sensibles 
que  dans  une  très -petite  étendue  de  leur 
surface.   Mais,  lorsque  quelque  insecte  ou 
quelque  ver  s'acharne  contre  la  portion  de 
cette  surface   qui   n'est   pas  défendue,    et 
qu'il  s'y  place  et  s'y  accroche  de  manière 
que  le  poisson  ne  peut,  eu  se  frottant  contre 


SUR  LES  POISSONS.       4^ 

des  végétaux,  des  pierres,  du  sable  ou  de 
la  vase,  Fécraser  ou  le  détacher  et  le  faire 
tomber,  la  grandeur,  la  force,  ragilité,  les 
dents  du  poisson  ne  sont  plus  qu'un  secours 
inutile.  En  vain  il   s'agite  ,    se  secoue ,    se 
contourne,  va,  revient ,  s'échappe ,  s'enfuit 
avec  la  rapidité  de  l'éclair;  il  porte  toujours 
avec  lui  l'ennemi  attaché  à  ses  organes;  tous 
ses  efforts  sont   impuissans;    et  le  ver   ou 
l'insecte  est  pour  lui  au  milieu  des  flots  ce 
que  la  mouche  du  désert  est,  dans  les  sables 
brûlans  de  l'vVfrique ,  non  seulement  pour 
la  timide  gazeJle ,  mais  encore  pour  le  tigre 
sanguinaire  et  pour  le  fier  lion,  qu'elle  perce, 
tourmente  et  poursuit  de  son  dard  acéré , 
malgré   leurs   bonds    violens  ,   leurs  mou- 
vemens    impétueux    et    leur    rugissement 
terrible. 

Mais  ce  n'est  pas  assez  pour  l'intelligence 
humaine  de  conserver  ce  que  la  Nature 
produit  :  que ,  rivale  de  cette  puissance  ad- 
mirable, elle  ajoute  à  la  fécondité  ordinaire 
des  espèces  ;  qu'elle  multiplie  les  ouvrages 
de  la  Nature. 

On  a  remarqué  que ,  dans  presque  toutes 
les  espèces  de  poissons,  le  nombre  des  mâles 
étoit  plus  grand  et  même  quelquefois  double 
de  celui  des  femelles 3  et  comme  cependant 


46         EFFETS   DE  L'ART 

un  seul  mâle  peut  féconder  des  millions 
d'œufs  ,  et  par  conséquent  le  produit  de  la 
ponîe  de  plusieurs  femelles,  il  est  évident 
que  l'on  favorisera  beaucoup  la  multiplica- 
tion des  individus,  si  on  a  le  soin,  lorsqu'on 
péchera,  de  ne  garder  que  les  mâles,  et  de 
rendre  à  l'eau  les  femelles.  On  distinguera 
facilement ,  dans  plusieurs  espèces ,  les  fe- 
melles des  mâles ,  sans  risquer  de  les  blesser 
ou  de  nuire  à  la  repioduction ,  et  sans 
clierclier,  par  exemple,  dans  le  tems  voisin 
du  frai,  à  faire  sortir  de  leur  corps  quelques 
œufs  plus  ou  moins  avancés.  En  effet,  dans 
ces  espèces,  les  femelles  sont  plus  grandes 
que  les  mâles;  et  d'ailleurs  elles  ofiient  dans 
les  proporiions  de  leurs  parties ,  dans  la 
disposition  de  leurs  couleurs ,  ou  dans  la 
nuance  de  leuis  teintes,  des  signes  distinc- 
tifs  qu'il  faudî-a  tâclier  de  bien  connoître , 
et  que  nous  ne  négligerons  jamais  d'indi- 
quer en  écrivant  Tliistoire  de  ces  espèces 
particulières. 

Lorsqu'on  ne  voudra  pas  rendre  à  leur 
séjour  natal  toutes  les  femelles  que  l'on 
pêcliera,  on  préférera  de  conserver  pour 
la  reproduction  les  plus  longues  et  les  plus 
grosses,  comme  pondant  une  plus  grande 
quantité  d'œufs. 


SUR   LES    POISSONS.      47 

De  plus,  et  si  des  circonstances  impé- 
rieuses ne  s'y  opposent  pas,  que  Ton  enioare 
les  étangs  et  les  viviers  de  ciaies  ou  de  filets, 
qui ,  dans  le  tems  du  fiai ,  retiennent  les 
herbes  ou  les  branches  chargées  d'œuis,  et 
les  empêchent  d'être  entraînées  hors  de  ces 
réservoirs  par  les  dé boi  démens  fréquens  à 
l'époque  de  la  ponte. 

Que  Ton  éloigne,  autant  qu'on  le  pourra, 
les  friganes  et  les  autres  insectes  aquatiques 
voraces  qui  détruisent  les  œufs  et  les  pois- 
sons qui  viennent  d'éclore. 

Que  l'on  construi'^e  quelquefois  dans  les 
viviers  dilïerentes  enceintes,  l'une  pour  les 
œufs,  et  les  aulres  pgfur  les  jeunes  poissons, 
que  l'on  sépai'era  en  plusieurs  bandes,  for- 
mées d'après  Ja  diversité  de  leurs  âges,  et 
renfermées  chacune  dans  un  réservoir  par- 
ticulier. 

Il  est  des  viviers  et  des  étangs  dans  les- 
quels des  poissons  très- recherchés,  et,  par 
exemple,  des  truites,  vivioient  très -bien, 
et  parv^endroient  à  une  grosseur  considé- 
rable :  mais  le  fond  de  ces  étangs  étant  très- 
vaseux ,  c'est  en  vain  que  les  femelles  le 
frottent  avec  leur  ventre  avant  d'y  déposer 
leurs  œufs;  la  vase  reparoit  bientôt,   salit 


48  EFFETS    DE    L'ART 

les  œufs,  les  altère,  les   corrompt,  et  les 
foetus  périssent  avant  d'éclore. 

Cet  inconvénient  a  fait  imaginer  une  ma- 
nière de  faire  venir  à  la  lumière  ces  pois-r 
sons,  et  particulièrement  les  saumons  et  les 
truites,  qui  d'ailleurs  ne  servira  pas  peu, 
dans  beaucoup  de  circonstances,  à  multi- 
plier les  individus  des  espèces  les  plus  utiles 
ou  les  plus  agréables.  M.  de  Marolle,  capi- 
taine dans  le  régiment  de  la  Marine,  tempé- 
rant les  austérités  des  camps  par  le  charme 
de  fétude  des  sciences  utiles  à  Fliumanité, 
écrivit  la  description  de  ce  procédé  à  Ha- 
meln  en  Allemagne  ,  pejidant  la  guerre  de 
sept  ans.  Il  rédigea  cette  description  sur  les 
Mémoires  de  M.  J.  L.  Jacobi,  lieutenant 
des  milices  du  comté  de  Lippe -Detmold, 
et  l'envoya  à  Buffon,  qui  me  la  remit  lors- 
qu'il voulut  bien  m'engager  à  continuer 
ITÏistoire  naturelle. 

On  construit  une  grande  caisse  à  laquelle 
on  donne  ordinairement  douze  pieds  de  lon- 
gueur, un  pied  et  demi  de  largeur,  et  un 
demi-pied  environ  de  hauteur. 

A  un  bout  de  cette  longue  caisse  on  pra- 
tique un  trou  carié ,  que  l'on  ferme  avec 
un  treillis  de  fer  dont  les  fils  sont  éloignés 

les 


StJR  LES   POISSONS.       4c) 

les  uns  des  autres  d'environ  quatre  ou  cinq 
lignes. 

On  ménage  un  trou  à  peu  près  semblable 
dans  la  planche  du  bout  opposé ,  et  vers  le 
fond  de  la  caisse. 

Et  enfin  on  en  perce  un  troisième  dans  le 
couvercle  de  la  caisse,  et  on  le  garnit,  ainsi 
que  le  second,  d'un  treillis  pareil  à  celui  du 
premier. 

Ces  trous  servent  à  soumettre  les  foetus 
ou  les  jeunes  poissons  à  riofluence  des  rayons 
du  soleil ,  et  à  les  préserver  de  gros  insectes 
et  des  campagnols  aquatiques,  qui  mange- 
roient  et  les  œufs  et  les  poissons  éclos. 

Un  petit  tU3^au  fait  entrer  Teau  d'un  ruis- 
seau ou  d'une  source  par  le  premier  treillis; 
et  cette  eau  courante  s'échappe  par  la  seconde 
ouverture. 

On  couvre  tout  le  fond  de  la  caisse  d'un 
gravier  bien  lavé  de  la  hauteur  de  huit  à 
douze  lignes ,  et  on  étend  sur  ce  gravier  de 
petits  cailloux  bien  serrés,  de  dimensions 
semblables  à  celles  d'une  noisette ,  et  parmi 
lesquels  on  place  d'autres  cailloux  de  la  gros- 
seur d'une  noix. 

A  l'époque  du  frai  de  Tespèce  dont  on 
veut  multiplier  les  individus ,  on  se  procure 

Poiss,  Tome  IL  D 


5o  EFFETS    DE   L'ART 

un  mâle  el  une  femelle  de  cette  espèce ,  el 
par  exemple,  de  celle  du  saumon. 

Ou  pjend  un  vase  bien  net,  dans  lequel 
on  met  deux  ou  trois  pintes  d'eau  bien  claire. 
On  tient  le  saumon  femelle  dans  une  situa- 
tion verlicaîe,  et  la  tête  en  haut  au  dessus 
du  vase.  Si  les  œufs  sont  déjà  bien  déve- 
loppés, ou  bien  mûrs^  ils  coulent  d'eux- 
mêmes  ,  sinon  on  facilite  leur  chute  en  frot- 
tant le  ventre  de  la  femelle  doucement  de 
haut  en  bas,  et  avec  la  paume  de  la  main. 

Dans  plusieurs  espèces  de  poissons  on  peut 
voir  un  organe  particulier  que  nous  avons 
remarqué  avec  soin,  qui  n'a  été  observé  que 
par  un  petit  nombre  de  naturalistes,  dont 
très-peu  de  zoologues  ont  connu  le  véritable 
usage ,  et  que  le  savant  Bloch  a  nommé  nom- 
bril. Cet  organe  est  une  sorte  d'appendice 
d'une  forme  alongée  et  un  peu  conique,  et 
dont  la  place  la  plus  ordinaire  est  auprès 
et  au  delà  de  l'anus.  Cette  appendice  creuse 
et  percée  par  les  deux  bouts,  communique 
avec  les  réservoirs  de  la  laite  dans  les  mâles, 
et  les  ovaires  dans  les  femelles.  Ce  p(  tit 
tuyau  est  le  conduit  par  lequel  les  œufs 
sortent  et  la  liqueur  séminale  s'échappe  : 
jious  le  nommons  en  conséquence  appendice 
génitale*  L'urine  du  poisson  sort  aussi  par 


SUR  LES   POISSONS.       5i^ 

<îette  appendice ,  ce  qui  donne  à  cet  organe 
une  analogie  de  f)lus  avec  les  pa»ties  sexuelles 
et  extérieures  des  mammifères.  Il  ne  peut  pas 
servir  à  distinguer  les  sexes ,  puisqu'il  appar- 
tient au  mâle  aussi  bien  qu'à  la  fetuelle: 
mais  sa  présence  ou  son  absence ,  et  ensuite 
ses  proportions  et  sa  figure  particulière 
peuvent  être  employées  avec  beaucoup 
d  avantage  pour  établir  une  ligne  de  démar- 
cation exacte  et  constante  entre  des  espèce» 
voisines,  ainsi  que  nous  le  montrerons  dans 
]a  suite  de  l'histoire  que  nous  écrivons. 

C'est  par  cette  appendice  génitale  que,  dans 
la  méthode  de  reproduction ,  en  quelque 
sorte  artificielle ,  que  nous  décrivons ,  les 
femelles ,  qui  sont  pourvues  de  cet  organe 
extérieur,  laissent  couler  leurs  deufs. 

Lorsque  les  œufs  sont  tombés  dans  Teau, 
on  prend  le  mâle ,  on  le  tient  verticalement 
au  dessus  de  ses  œufs;  et  pour  peu  que  cela 
soit  nécessaire ,  on  aide  par  un  lé^er  frotte- 
ment Tépanchement  de  la  liqueur  pioli- 
fique,  dont  on  peut  airéter  Técoulament 
au  moment  où  l'eau  est  devenue  blanchàti  e 
par  son  mélange  avec  cette  liqueur  sper- 
matique. 

Il  est  des  espèces  de  poissons,  et  notam- 
xnent  de  cyprins ,  comme  le  nase ,  le  roe- 


52         EFFETS   DE   L'ART 

thens,  dans  lesquelles  on  peut  choisir  avec 
facilité  un  mâle  pour  la  fécondation  des 
œufs  que  Ton  a  oblenus.  Dans  ces  espèces, 
les  mâles,  sur--tout  lorsqu'ils  sont  jeunes, 
présentent  des  taches,  de  petites  protubé- 
rances ,  ou  d'autres  signes  extérieurs  qui 
annoncent  qu'ils  sont  déjà  surchargés  d'une 
laite  abondante. 

On  met  dans  la  grande  caisse  les  œufs 
fécondés;  on  les  3^  distribue  de  manière  qu'ils 
soient  toujours  couverts  par  Feau  courante; 
on  empêche  c[ue  le  mouvement  de  cette  eau 
ne  soit  trop  rapide,  afin  qu'il  ne  puisse  pas 
entraîner  les  œufs.  On  écarte  soigneusement 
avec  des  plumes,  ou  par  tout  autre  moyen, 
les  saletés  qui  pourroient  s'introduire  dans 
la  caisse  ,*iet  au  bout  d'un  tems,  qui  varie 
suivant  les  espèces,  la  température  de  l'eau 
et  la  chaleur  de  Tatmosphère,  onvoitéclore 
les  poissons  que  l'on  desiroit. 

Au  reste ,  la  sorte  de  fécondation  artifi- 
cielle opérée  avec  succès  par  M.  Jacobi  peut 
avoip  lieu  sacs  la  présence  de  la  femelle  : 
il  suffit  de  ramasser  les  œufs  qu'elle  dépose 
dans  son  séjour  naturel;  il  seroit  même  pos- 
sible de  connoitre ,  à  l'instant  où  on  les  re- 
cueilleroit ,  s'ils  auroient  été  déjà  fécondés 
par  le  maie ,  ou  s'ils  n'auroient  pas  reçu  sa 


SUR   LES    POISSONS.       63 

liqueur  prolifiviuc.  M.  Jacobi  assure  en  effet 
que ,  lorsqu'on  observe  avec  un  bon  micros- 
cope clés  œufs  de  poissons  arrosés  de  la  liqueur 
séminale  du  mâle ,  on  peut  apercevoir  très- 
distinctement  dans  ces  œufs  une  petite  ouver- 
ture qui  ne  paroissoit  presque  pas,  ou  étoit 
presqiie  insensible  avant  la  fécondation ,  et 
çlont  il  rapporte  Textension  à  l'introduction 
dans  Tœuf  d'une  portion  clu  fluide  de  la 
laite. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  peut  aussi ,  en  suivant 
le  procédé  de  M.  Jacobi,  se  passer  de  la  pré- 
sence du  mâle.  On  peut  n'employer  la  liqueur 
prolifique  que  quelque  tems  après  sa  sortie 
du  corps  de  l'animal,  pourvu  qu'un  froid 
excessif  ou  une  chaleur  violente  ne  des- 
sèchent pas  promptement ce  fluide  vivifiant; 
et  même  la  mort  du  mâle,  pourvu  qu'elle 
soit  récente,  n'empêche  pas  de  se  servir  de 
sa  laite  pour  la  fécondation  des  œufs. 

On  a  écrit  que  les  digues  par  le  moyen 
desquelles  on  relient  les  eaux  des  petites 
rivières  diminuoient  la  multiplication  des 
poissons  dans  les  contrées  arrosées  par  ces 
eaux  ;  cela  n'est  vrai  cependant  que  pour  les 
poissons  qui  ont  besoin,  h  certaines  époques, 
de  remonter  dans  les  eaux  courantes  jusqu'à 
une  distance  tiès-grande  des  lacs  ou  de  la 

D  3 


54         EFFETS  DE  L'ART 

mer ,  et  qui  ne  peuvent  pas ,  comme  les 
saumons,  s^éîancer  facilement  à  de  grandes 
hauteurs ,  et  franchir  Tobstacle  que  les  digues 
opposent  à  leur  voyage  périodique.  Les 
chaussées  transversales  doivent  au  contraire 
être  très- favorables  à  la  multiplication  des 
poissons  sédentaires,  qui  se  plaisent  dans  des 
eaux  peu  agitées.  Au  dessus  de  chaque  digue, 
la  rivière  fojme*  naturellement  une  sorte  de 
vivier  ou  de  réservoir ,  dont  Teau  tranquille, 
quoique  suffisamment  renouvelée  ,  pourra 
donner  à  un  grand  nombre  d'individus  d'es- 
pèces très-utiles  le  volume  de  fluide  ,  Fabri, 
Taliment  et  la  température  les  plus  conve- 
nables. 

Quelle  est  en  effet  la  pièce  d'eau  que  l'art 
ne  puisse  pas  féconder  et  vivifier  ? 

On  a  vu  quelquefois  des  poissons  remar- 
quables par  leur  grosseur  vivre  dans  de  pe- 
tites mares.  M.  De  Septfontaines  s'est  assuré 
qu'une  grande  anguille  avoit  passé  un  tems 
assez  long  sans  perdre  non  seulement  la  vie, 
mais  même  une  partie  de  sa  graisse  ,  dans 
une  fosse  qui  ne  contenoit  pas  une  moitié 
de  mètre  (environ  deux  pieds)  cube  d'eau; 
et  il  est  des  contrées  où  des  cyprins  ,  et 
particulièrement  des  carassins,  réussissent 
assez  bien  dans  de  petits  amas  d'eau  dor^ 


SUR  LES  POISSONS.  55 
ïnanle  pour  y  donner  une  nourriture  abon- 
dante aux  liabilans  de  ]a  campagne. 

On  a  bien  senti  les  avantages  de  cette 
grande  muUiplicalion  des  poissons  utiles 
dans  presque  tous  les  pays  où  le  progrès 
des  lumières  a  mis  réconomie  publique  en 
honneur,  et  où  les  gouverneniens,  profitant 
avec  soin  de  tous  les  secours  des  sciences 
perfeclionnées  5  ont  cherché  à  faire  fleurir 
toutes  les  branches  de  l'industrie  humaine. 
C'est  pi'incipalement  dans  quelques  états  du 
nord  de  l'Europe,  et  notamment  en  Prusse 
et  en  Suède,  qu'on. s'est  attaché  à  augmenter 
le  nombre  des  individus  dans  ces  espèces 
précieuses  ;  et  comme  un  gouvernement 
paternel  ne  néglige  rien  de  ce  qui  peut 
accroître  la  subsistance  du  peuple  dont  le 
bonheur  lui  est  confié,  et  que  les  soins  en 
apparence  les  plus  minutieux  prennent  un 
grand  caiactèie  dès  le  moment  où  ils  sont 
dirigés  vers  l'utilité  publique,  on  a  porté  en 
Suède  l'attention  pour  l'accroissement  du 
nombre  des  poissons  jusqu'à  ne  pas  sonner 
les  cloches  pendant  le  tems  du  frai  des  cyprins 
brèmes  ,  qui  y  sont  très-recherchés  ,  parce 
qu'on  avoit  cru  s'apercevoir  que  ces  ani- 
maux, effrayés  par  le  son  de  ces  cloches, 
ne  se  livroient  pas  d'une  manière  convenable 

D  4 


56        EFFETS    DE   L^ART 

aux  opérations  nécessaires  à  la  reproduction 
de  leur  espèce.  7\ussi  3/^  a-t-on  souveni:  re- 
cueilli de  grands  fruits  de  cette  vigilance 
étendue  aux  plus  petits  détails;  et  ,  par 
exemple,  en  1749,  a-t-on  pris  d'un  seul 
coup  .de  filet ,  dans  un  lac  voisin  de  Nord- 
kiseping ,  cinquante  mille  brèmes  qui  pe- 
soient  plus  de  neuf  mille  kilogrammes  (  dix- 
huit  mille  livres  ). 

Et  comment  n'auroit-on  pas  cherché, 
dans  presque  tous  les  tems  et  dans  presque 
tous  les  pays  civilisés,  à  multiplier  des  ani- 
maux si  nécessaires  aux  jouissances  du  riche 
et  aux  besoins  du  pauvre,  qu'il  seroit  plus 
aisé  à  riiomme  de  se  passer  de  la  classe 
entière  des  oiseaux  et  d\me  grande  partie  de 
celle  des  mammifères,  que  de  la  classe  des 
poissons  ? 

En  effet ,  il  n'est  pour  ainsi  dire  aucune 
espèce  de  ces  habitans  des  eaux  douces  ou 
salées,  dont  la  chair  ne  soit  une  nourriture 
saine  et  très-souvent  copieuse. 

Délicate  et  savoureuse  lorsqu'elle  est 
fraîche ,  cette  chair ,  recherchée  avec  tant 
de  raison,  devient,  lorsqu'elle  est  tranformée 
en  garum ,  un  assaisonnement  piquant;  fait 
les  délices  des  tables  somptueuses ,  même 
très-îoia  du  rivage  oii  le  poisson  a  été  péché ^^ 


SUR  LES  POISSONS.  67 
quand  elle  a  été  marinée;  peut  élre  trans- 
portée à  cle  plus  grandes  distances  ,  si  on  a 
eu  le  soin  de  Fimbiber  d'une  grande  quan- 
tité de  sel  ;  se  conserve  peiidant  un  tems 
très-long  après  qu'elle  a  été  sécliée,  et,  ainsi 
préparée  ,  est  la  nourriture  d'un  très-grand 
nombre  d'hommes  peu  fortunés  qui  ne  sou- 
tiennent leur  existence  que  par  cet  aliment 
abondant  et  très-peu  cher. 

Les  œufs  de  ces  mêmes  habitans  des  eaux 
servent  à  faire  ce  caviar  qui  convient  au 
goût  de  tant  de  nations;  et  les  nageoires  des 
espèces  que  l'on  croiroit  les  moins  propres 
à  satisfaire  un  goût  délicat  sont  regardées  à 
la  Chine  et  dans  d'autres  contrées  de  l'Asie 
comme  un  mets  des  plus  exquis  (1). 

Sur  plusieurs  rivages  peu  fertiles ,  on  ne 
peut  completter  la  nourriture  de  plusieurs 
animaux  utiles  ,  et  par  exemple  celle  des 
chiens  du  Kamtschatka ,  que  la  nécessité 
force  d'atteler  à  des  traîneaux ,  ou  des  vaches 
de  Norvège,  destinées  à  fournir  une  grande 
quantité  de  lait,  que  par  le  moyen  des  ver- 
tèbres et  des  arêtes  de  plusieurs  espèces  de 
poissons. 


(i)  Relation  de  l'ambassade  de  lord  Macartney  h 
la   Chine. 


58         EFFETS    DE   L'ART 

Avec  ]cs  écailles  des  animaux  dont  nou^ 
nous  occupons,  on  donne  le  brillant  de  la 
nacre  au  ciment  destiné  à  couvrir  les  murs 
des  palais  les  plus  magnifiques,  et  on  revêt 
des  boules  légères  de  veiTe  de  Téclat  argentin 
des  perles  les  plus  belles  de  l'Orient. 

La  peau  des  grandes  espèces  se  métamor- 
phose dans  les  ateliers  en  fortes  lanières ,  en 
couvertures  solides  et  presque  imperméables 
à  l'humidité,  en  garnitures  agréables  de  bi- 
joux donnés  au  luxe  par  le  goût  (i). 

Les  vessies  natatoires  et  toutes  les  mem- 
branes des  poissons  peuvent  être  converties , 
dans  toutes  les  contrées ,  en  cette  colle  pré- 
cieuse sans  laquelle  les  arts  cesseroient  de 
produire  le  plus  grand  nombre  de  leurs 
ouvrages  les  plus  délicats. 

L'huile  qu'on  retire  de  ces  animaux 
assouplit,  améliore  et  conserve  dans  presque 
toutes  les  manufactures  les  substances  les 
plus  nécessaires  aux  produits  qu'elles  doivent 
fournir;  et  dans  ces  contrées  boréales  ou 
régnent  de  si  longues  nuits,  entretenant  seule 
la  lampe  du  pauvre,  prolongeant  son  travail 
au  delà  de  ces  tristes  jours  qui  fuient  avec 

(î)  Voyez  les  articles  de  la  raie  sepJien  ,  da  squale 
requin  f  du  squale  roussette  ^  des  acipe/isères ,  elCi, 


SUR.  LES  POISSONS.  69 
tant  de  rapidité,  et  lui  donnant  tout  le  tems 
que  peuvent  exiger  les  soins  nécessaires  à 
sa  subsisJance  et  à  celle  de  sa  taniille;  elle 
tempère  pour  lui  Iliorreur  de  ces  climats 
ténébreux  et  ^elés  ,  et  l'afFranchit ,  lui  et 
ceux  qui  lui  sont  cliers,  des  horreurs  plus 
grandes  encore  d'une  extrême  misère. 

Que  Ton  ne  soit  donc  pas  étonné  que 
Belon  5  partageant  Fopinion  de  plusieurs 
auteurs  recommandables ,  tant  anciens  que 
modernes,  ait  écrit  que  la  Propontide  éloit 
plus  utile  par  ses  poissons^  que  des  champs 
fertiles  et  de  gras  pâturages  d'une  égale 
étendue  ne  pourroient  l'être  par  leurs  four- 
rages et  par  leurs  moissons. 

Et  douteroit-on  maintenant  de  l'influence 
prodigieuse  d'une  immense  multiplication 
des  poissons  sur  la  population  des  empires? 
On  doit  voir  avec  facilité  comment  cette 
merveilleuse  multiplication  soutient ,  par 
exemple  sur  le  territoire  de  la  Chine ,  l'in- 
nombrable quantité  d'habitans  qui  y  sont, 
pour  ainsi  dire  ,  entassés.  Et  si  des  tenis 
présens,  on  remonte  aux  tems  anciens,  on 
peut  résoudre  un  giand  problême  historique; 
on  explique  comment  l'antique  Egypte  nour- 
rissoit  la  grande  population  sans  laquelle  les 
admirables  et  immenses  monumens  qui  ont 


6o         EFFETS   DE   L'ART 

résisié  au  lavage  de  (aat  de  siècles,  et  sub- 
sistent encore  sur  celte  terre  célèbre,  n'au- 
roient:  pas  pu  être  élevés,  et  sans  laquelle 
Sésostiis  n'auroit  conquis  ni  les  bords  de 
TEuphrate,  du  Tigre,  de  TJndus  et  du 
Gange,  ni  les  rives  du  Pont-Euxin,  ni  les 
monts  de  la  Thrace.  Nous  connoissons 
rétendue  de  FEgyple  :  lorsque  ses  pyramides 
ont  été  construites ,  lorsque  ses  aimées  ont 
soumis  une  grande  partie  de  l'Asie,  elle  éloit 
bornée,  presqu'autant  qu'à  présent,  par  les 
déserts  stériles  qui  la  circonscrivent  à  l'orient 
et  à  l'occident  ;  et  néanmoins  nous  apprenons 
de  Diodore  que  dix -sept  cents  égyptiens 
étoient  nés  le  même  jour  que  Sésostris  :  on 
doit  donc  admettre  en  Egypte,  à  l'époque 
de  la  naissance  de  ce  conquérant  fameux  , 
au  moins  trenfe-quatre  millions  d'habitans. 
Mais  quel  grand  nombre  de  poissons  ne  ren- 
fermoient  pas  alors  et  le  fleuve  et  les  canaux 
et  les  lacs  d'une  contrée  où  l'art  de  multi- 
plier ces  animaux  étoit  un  des  principaux 
objets  de  la  sollicitude  du  gouvernement  et 
des  soins  de  chaque  famille  ?  Il  est  aisé  de 
calculer  que  le  seul  lac  de  Myris  ou  Mœris 
pouvoit  nourrir  plus  de  dix-huit  cent  mille 
millions  de  poissons  de  plus  d'un  demi-mètre 
(  un  pied  et  demi  )  de  longueur. 


SUR   LES   POISSONS.       Gi 

Cependant,  (jue  l'hoiiime  ue  se  contente 
pas  de  transporter  à  son  gré,  d'acclimater, 
de  conserver,  dé  multiplier  les  poissons  qu'il 
préfère;  que  Tait  prétende  à  de  nouveaux 
succès;  qu'il  se  livre  à  de  nouveaux  efforts; 
qu'il  tente  de  remporter  sur  la  Nature  des 
victoires  plus  brillantes  encore  ;  qu^il  per- 
fectionne son  ouvrage;  qu'il  améliore  les 
individus  qu'il  se  sera  soumis. 

On  sait  depuis  long-tems  que  des  poissons 
de  la  même  espèce  ne  donnent  pas  dans 
toutes  les  eaux  une  chair  également  déli- 
cate. Plusieurs  observations  prouvent  que, 
par  exemple ,  dans  les  mêmes  rivières ,  leur 
chair  est  très-saine  et  très-bonne  au  dessus 
des  villes  ou  dc^s  toirens  fangeux  ,  et  au 
contraire  insalubre  et  très -mauvaise  au 
dessous  de  ces  torrens  vaseux  et  des  amas 
d'immondices  ,  souvent  inséparables  des 
villes  populeuses.  Ces  faits  ont  été  remar- 
qués par  plusieurs  auteurs,  notamment  par 
Rondelet.  Qu'on  profite  de  ces  résultats; 
qu'on  recherche  les  qualités  de  l'eau  les 
plus  propres  à  donner  un  goût  agréable  ou 
des  propriétés  salutaires  aux  différentes 
espèces  de  poissons  que  l'on  sera  parvenu 
à  multiplier  ou  à  conserver. 

Qu'on  n'oublie  pas  qu'il  est  des  moyens 


62  EFFETS    DE   L'ART 

faciles  et  bien  peu  dispendieux  d'engraisser 
promplenient  plusieurs  poissons,  et  particu- 
lièrement plusieurs  cyprins.  On.  augmente 
en  très -peu  de  lems  leur  graisse,  en  leur 
donnant  souvenl  du  pain  de  chêne  vis ,  ou  des 
fèves  et  des  pois  bouillis ,  ou  du  fumier,  et 
notamnjcnt  de  celui  de  biebis.  D'ailleurs 
une  nourriture  convenable  et  abondante 
développe  les  poissons  avec  rapidité,  fait 
jouir  beaucoup  plus  tôt  du  fruit  des  soins 
que  l'on  a  pris  de  ces  animaux  ,  et  leur 
donne  la  faculté  de  pondre  et  de  féconder 
une  très  -  grande  quantité  d'œufs  pendant 
un  très-grand  nombre  d'années. 

On  a  observé,  dans  tous  les  tems,  que  le 
repos  et  un  aliment  très -copieux  engiais- 
soient  beaucoup  les  animaux.  On  s'est  servi 
de  ce  moyen  pour  quelques  poissons  ;  et  ou 
Ta  employé  d'une  manièie  remarquable 
pour  les  carpes  :  on  les  a  sus[)endues  hors 
de  l'eau,  de  manière  à  leur  inteidire  le  plus 
foible  mouvement  de  nageoires,  et  elles  ont 
été  enveloppées  dans  de  la  mousse  épaisse 
qu'on  a  fréquemment  arrosée.  Par  ce  pro- 
cédé ,  ces  cyprins  ont  été  non  seulement 
réduits  à  un  repos  absolu ,  mais  plongés 
perpétuellement  dans  une  sorte  d'humidité 
ou  de  fluide  aqueux  qui,  parvenant  très-: 


SUR   LES   POISSONS.       63 

divisé  à  leur  surface ,  a  été  facilemeut 
pompé,  absorbé,  décomposé,  combiné  dans 
l'intérieur  de  Tanimal ,  assimilé  à  sa  subs- 
tance ,  et  métamorphosé  par  conséquent  en 
nourriture  très-abondante.  Aussi  ces  carpes 
maintenues  en  Tair,  mais  i^tenues  au  milieu 
d'une  mousse  humectée  presque  continuel- 
lement ,  ont-elles  bientôt  acquis  une  graisse 
copieuse ,  et  de  plus  un  goût  très-agréable. 

Dès  Iç  tems  de  W^illughby ,  et  même  de 
celui  de  Gesner  ,  on  savoit  que  Ton  pouvoit 
ouvrir  le  ventre  à  certains  poissons ,  et  sur- 
tout au  brochet  et  à  quelques  autres  ésoces  , 
sans  qu'ils  en  périssent,  et  même  sans  qu'ils 
en    parussent    long  -  tems   incommodés.   11 
suflBLt  de  séparer  les  muscles  avec  dextérité, 
de  rapprocher   les   chairs   et  les   tégujTiens 
avec  adresse ,  et  de  les  recoudre  avec  pré- 
caution, pour  qu'ils  puissent  plus  facilement 
se  i-éunir.  Cette  facilité  a  donné  l'idée  d'em- 
ployer,  pour  engraiser  ces  poissons,  le  même 
naoyeu  dont  on  se  sert  pour  donner  un  très- 
grand  surcroit  de  graisse  aux  bœufs  ,  aux 
moutons,  aux  chapons,  aux  poulardes,  etc. 
On  a   essayé  ,   avec   beaucoup   de  succès , 
d'enlever  aux  femelles  leurs  ovaires ,  et  aux 
mâles  leurs  laites.  La  soustraction  de   ces 
organes,  faite  avec  habileté  et  avec  beau- 


64  EFFETS  DE  L^ART 
coup  d'alteniioii  5  n'a  dérangé  que  j>enclanfe 
un  tems  irès-couri:  la  sanlé  des  poissons  qui 
Font  éprouvée  ;  et  toute  Ja  paiùe  de  leur 
substance  qui  se  [)ortoit  vers  leurs  laites  ou 
vers  leurs  ovaires,  et  qui  3^  donnoit  nais- 
sance ou  à  des  centaines  de  millieis  d'œufs, 
ou  à  une  quantité  très -considérable  de 
liqueur  fécondante,  ne  trouvant  {^lus  d'or- 
gane particulier  pour  l'élaborer  ni  même 
pour  la  recevoir  ,  a  reflué  veis  les  autres 
portions  du  coips^  s'est  jetée  principalement 
dans  le  tissu  cellulaire,  et  y  a  produit  une 
graisse  non  seulement  d'un  goût  exquis, 
mais  encore  d'un  volume  extraordinaire. 

Mais  que  roo  ait  sur-tout  recours,  pour 
l'aînélioratiou  des  poissons ,  à  ce  moyen 
dont  on  a  retiié  de  si  grands  avantages  pour 
accroître  les  bonues  qualités  et  les  belles 
formes  de  tant  d'autres  animaux  utiles,  et 
qui  produit  des  phénomènes  physiologiques 
dignes  de  toute  l'attention  du  naturaliste  : 
c'est  le  croisement  des  races  que  nous  re- 
commandons. On  sait  que  c'est  par  ce  croi- 
sement que  l'on  est  parvenu  à  perfectionner 
le  bélier,  le  boeuf,  l'âne  et  le  cheval.  Les 
e>'oèces  de  poisson,  et  piincipalement  celles 
qui  vivent  très-près  de  nous ,  qui  préfèrent 
à  la  haute  mer  les  rivages  de  l'Océan  ,  les 

fleuves , 


SUR  LES   POISSONS.       65 

fleuves ,  les  rivières  et  les  lacs ,  et  qui ,  par 
la  nature  de  leur  séjour,  sont  plus  soumises 
à  rinfluence  de  la  nourritme  ,  du  climat , 
de  la  saison ,  ou  de  la  qualité  des  eaux , 
présentent  des  races  très-distinctes  ,  et  sé- 
parées Tune  de  l'autre  par  leur  grandeur  , 
leur  force ,  leurs  propriétés  ou  la  nature  de 
leurs  organes.  Qu'on  les  croise ,  c'est-à-dire, 
qu'on  féconde  les  œufs  de  l'une  avec  la  laite 
d'une  autre. 

Les  individus  qui  proviennent  du  mélange 
de  deux  races ,  non  seulement  valent  mieux 
que  la  race  la  moins  bonne  des  deux  qui 
ont  concouru  à  les  former  ,  mais  encore 
sont  préférables  à  la  meilleure  de  ces  deux 
races  qui  se  sont  réunies.  C'est  un  fait  très- 
remarquable,  très-constaté  5  et  dont  on  n'a 
donné  jusqu'à  présent  aucune  explicalioa 
véritablement  satisfaisante ,  parce  qu'on  ne 
l'avoit  pas  considéré  dans  la  classe  des  pois- 
sons, dont  l'acte  de  la  génération  est  beau- 
coup plus  soumis  à  Texamen  dans  quelques- 
unes  de  ses  circonstances,  que  celui  des 
mammifères  et  des  oiseaux  qui  a  voient  été 
les  objets  de  l'étude  et  de  la  recherche  des 
zoologues. 

Rapprochons  donc  ce  qu'on  peut  dire  de 
ce  curieux  phénomène. 

Foiss.  Tome  IL  E 


66  EFFETS    DE   L^\RT 

Premièrement,  une  race  qui  se  réunit  à 
une  seconde  éprouve  ,  relativement  à  Tin- 
fluende  qu'elle  tend  à  exercer,  une  sorte  de 
résislance  que  produisent  les  disparités  et  les 
disconvenances  de  ces  deux  races  :  celte  ré- 
sistance est  cependant  vaincue ,  parce  qu'elle 
est  très-limilée.  Et  l'on  ne  peut  plus  ignorer 
en  physiologie  ,  qu'il  n'en  est  pas  des  corps 
organisés  et  vivans  comme  de  la  matière 
brute  et  des  substances  mqrtes.  Un  obstacle 
tend  les  ressorts  du  corps  organisé,  de  ma- 
nière que  son  énergie  vitale  en  est  aug- 
mentée, au  point  que,  lorsque  cet  obstacle 
est  écarté  5  non  seulement  la  puissance  du 
corps  vivant  est  égale  à  ce  qu'elle  é toit  avant 
la  résistance ,  mais  même  qu'elle  est  supé- 
rieure à  la  force  dont  il  jouissoit.  Les  dis- 
convenances de  deux  races  qui  se  rappro- 
chent font  donc  naître  un  accroissement 
de  vitalité  ,  d'action  et  de  développement 
dans  le  produit  de  leur  réunion. 

Secondement ,  dans  un  mâle  et  une  fe- 
melle d'une  race  ,  il  n'y  a  que  certaines 
portions  analogues  les  unes  aux  autres  qui 
agissent  directement  ou  indirectement  pour 
la  reproduction  de  l'espèce.  Lorsqu'une 
nouvelle  race  s'en  approche ,  elle  met  en 
mouvement  d'autres  portions  qui,  à  caus^ 


SUR    LES    POISSONS.     67 

de  leur  repos  antérieur,  doivent  produire 
de  plus  grands  effets  que  les  pre.'Tiières. 

Ti'oisièmenient  ,  les  deux  races  mêlées 
l'une  avec  l'autre  ont  entre  elles  des  rap- 
ports desquels  résulte  un  grand  développe- 
ment dans  les  fruits  de  leur  union  ,  parce 
que  ce  développement  ne  doit  pas  être 
considéré  comme  la  somme  de  l'addition 
des  qualités  de  Tune  et  de  l'autre  des  deux 
i'aces,  mais  comme  le  produit  d'une  mul- 
tiplication ,  et  ^  ce  qui  est  la  même  chose , 
comme  l'effet  d'une  sorte  d'intussuscepiioii 
et  dé  combinaison  intime ,  au  lieu  d'une 
simple  juxtaposition  et  d\ine  jonction  su- 
perficielle. 

C'est  un  fait  semblable  à  celui  qu'obser- 
vent les  chimistes  ,  lorsque ,  par  une  suite 
d'une  pénétration  plus  ou  moins  grande  , 
le  poids  de  deux  substances  qu'ils  ont  com- 
binées l'une  avec  l'autre  est  plus  grand 
que  la  somme  des  poids  de  ces  deux  subs- 
tances avant  leur  combinaison. 

Le  résultat  du  croisement  de  deux  races 
n'est  cependant  pas  nécessairement ,  et  dans 
toutes  les  circonstances,  le  perfectionnement 
des  espèces  :  il  peut  arriver  et  il  arrive 
quelquefois  que  ce  croisement  les  détériore 
au  lieu  de  les  améliorer.  En  effet ,  et  indé- 

E  â 


68  EFFETS  DE  L^ART 

pendamnient  d'autre  raison ,  chacun  des 
deux  in^iividus  qui  se  rapprochent  dans 
l'acte  de  la  généiation  peut  être  regardé 
comme  inipjimant  la-  forme  à  Têtre  qui 
provient  de  leur  union  ,  ou  comme  four- 
nissant la  matière  qui  doit  être  façonnée, 
ou  comme  influant  à  la  fois  sur  le  fond  et 
sur  la  forme  :  mais  nous  ne  pouvons  avoir 
aucune  raison  de  supposer  qu'après  la  réu- 
nion de  deux  races  il  y  ait  nécessairement, 
entre  la  matière  qui  doit  servir  au  déve- 
loppement et  le  moule  dans  lequel  elle  doit 
être  figurée,  plus  de  convenance  qu'il  n'y 
en  avoit  avant  cette  même  réunion ,  dans 
les  individus  de  chacune  de  ces  deux  races 
considérées  séparément. 

11  y  a  donc  dans  l'éloignement  des  races 
l'une  de  l'autre  ,  c'est-à-dire,  dans  le  nombre 
des  différences  qui  les  séparent,  une  limite 
en  deçà  et  au  delà  de  laquelle  le  croisement 
est  par  lui-même  plus  nuisible  qu'avan- 
tageux. 

L'expérience  seule  peut  faire  connoître 
cette  limite  :  mais  on  sera  toujours  sûr 
d'éviter  tous  les  inconvéniens  qui  peuvent 
résulter  du  croisement  considéré  en  lui- 
même,  si  dans  cette  opération  on  n'emploie 
jamais  que  les  meilleures  races,  et  si,  par 


SUR   LES   POISSONS.      69 

exemple,  en  mêlant  les  races  des  poissons, 
on  ne  cesse  de  rechercher  celles  qui  offrent 
le  plus  de  propriétés  utiles,  soit  pour  obtenir 
les  œufs  que  l'on  voudra  féconder  ,  soifc 
pour  se  procurer  la  liqueur  active  par  le 
moyen  de  laquelle  on  désirera  de  vivifier 
ces  œufs. 

Voilà  à  quoi  se  réduit  ce  que  nous  pou- 
vons dire  du  croisement  des  races ,  après 
avoir  réuni  dans  notre  pensée  les  vérités 
déjà  publiées  sur  cette  partie  de  la  ph^^sio- 
logie,  les  avoir  dégagées  de  tout  appareil 
scientifique  ,  les  avoir  débarrassées  de  toute 
idée  étrangère  ,  les  avoir  comparées  ,  et  y 
avoir  ajouté  le  résultat  de  quelques  ré- 
flexions et  de  quelques  observations  nou- 
velles. 

Considérons  maintenant  de  plus  haut  ce 
que  peut  rhomme  pour  ramélioratiori  des 
poissons:  Tâchons  de  voir  dans  toute  son 
étendue  l'influence  qu'il  peut  exercer  sur 
ces  animaux  par  l'emploi  des  quatre  grands 
moyens  dont  on  s'est  servi ,  toutes  les  fois 
qu'il  a  voulu  modifier  la  Nature  vivante» 
Ces  quatre  moyens  si  puissans  sont ,  la 
nourriture  abondante  et  convenable  qu'il 
a  donnée ,  l'abri  qu'il  a  procuré ,  la  con- 
trainte qu'il  a  imposée ,  le  choix  qu'il  a  fait 

E  3 


70         EFFETS   DE   L'ART 

des  mâles  et  des  femelles  pour  la  propa^ 
gation  de  Tespèce. 

En  réunissant  ou  en  employant  séparé- 
menl:  ées  quatre  insi  rumens  de  son  pouvoir , 
riiomnie  a  modifié  les  poissons  d'une  ma- 
nière bien  plus  profonde  qu'on  ne  le  Croiroit 
au  ])remier  coup  d'œil.  En  rapprochalit  un 
grand  nombre  de  germes ,  il  a  resserré  dans 
un  espace  àsse^î  érroit  les  œufs  de  ces  ani- 
maux 5  pour  que  plusieurs  de  ces  œufe  né 
se  soient  colJés  l'un  à  Fautre  ,  comprimés , 
pénétrés ,  entièrement  réunis ,  et ,  pour  ainsi 
dire ,  identifiés  ;  et  de  cette  introduction  d'un 
œuf  dans  un  autre ,  si  je  puis  parler  ainsi , 
il  est  résulté  une  confusion  si  grande  de 
deux  fœtus,  que  Foil*  a  vu  éclore  des  pois- 
sons monstrueux  ,  dont  les  uns  avoient  deux 
létes  et  àeu:^.  avant-corps  ,  pendant  que 
d'autres  présentoient  deux  tètes ,  deux  corps 
et  déur  queues  liés'eiisemble  par  le  ventre 
ou  par  un  côté  qui  appartenoit  aux  deux 
corps  ,  et  attachés  même  quelquefois  par 
cet  organe  commun  ^  de  manière  à  repié- 
senler  une  croix. 

Mais  laissons  ces  écpfrts  que  la  Nature , 
contrainte  d'obéir  à  l'art  de  l'homme,  peut 
présenter,  comme  lorsqu'indépendante  de 
cet  ait  eWo  n'est  soumise  qu'aux  hasards  des 


SUR   LES   POISSONS.      71 

accidens  :  les  produits  de  celte  sorte  d'ac- 
couplement exlraoj'diiiaire  ne  constiliient 
aucune  amélioration  ni  de  l'espèce,  ni  aiéme 
de  l'individu;  ils  ne  se  perpétuent  ])cis  par 
la  génération;  ils  n'ont  en  généra]  qu'une 
courte  existence  :  ils  sont  étrangers  à  notre 
sujet. 

Examinons  des  effets  bien  différens  de  ces 
phénomènes,  et  par  leur  durée  ,  et  par  leur 
essejice. 

Voici  tous  les  attributs  des  poissons  que  la 
domesticité  a  déjà  pu  changer  : 

Les  couleui-s  :  elles  ont  été  variées  el  dans 
leurs  nuances  et  dans  leur  distribution. 

Les  écailles  :  elles  ont  acquis  ou  perdu  de 
leur  épaisseur  et  de  leur  opacité  ;  leur  figure 
a  été  altérée,  leur  surface  étendue  ou  ré- 
trécie ,  leur  adhésion  à  la  peau  affoibîie  ou 
fortifiée,  leur  nombre  diminué  ou  augmenté. 

Les  dimensions  générales  :  elles  ont  été 
agrandies  ou  rapetissées. 

Les  proportions  des  principales  parties  de 
la  tête ,  du  corps  ou  de  la  queue  :  elles  ont 
montré  de  nouveaux  rapports. 

La  nageoire  dorsale  :  elle  a  disparu. 

La  nageoire  de  la  queue  :  elle  a  offert  une 
nouvelle  forme  ,  et  de  plus  elle  a  été  ou 
doublée  ou  triplée,  comme  on  a  pu  le  voir, 

E  4 


72         EFFETS    DE    L'ART 

par  exemple ,  en  examinant  les  modifications 
que  le  cyprin  doré  a  subies  dans  les  bassins 
d'tiiurope,  et  sur- tout  dans  ceux  de  la  Chine, 
où  il  est  élevé  avec  soin  depuis  un  grand 
nombre  de  siècles. 

L'art  a  donc  déjà  remanié,  pour  ainsi  dire, 
non  seulement  les  tégumens  des  poissons  , 
et  même  un  des  plus  puissans  instrumenrde 
leur  natation ,  mais  encore  presque  tous  leurs 
organes,  puisqu'il  en  a  changé  les  propor- 
tions ainsi  que  l'étendue. 

C'est  par  ces  grandes  modifications  qu'il 
a  produit  des  variétés  remarquables.  A  me- 
sure que  l'influence  a  été  forte,  que  l'im- 
pression a  été  vive ,  qu'elle  a  pénétré  plus 
avant ,  le  changement  a  été  plus  profond , 
et  par  conséquent  plus  durable.  La  nouvelle 
manière  d'être  ,  produite  par  l'empire  de 
l'homme,  a  été  assez  intérieure,  assez  em- 
preinte dans  tous  les  organes  qui  concourent 
à  la  gêné  ta  lion  ,  assez  liée  avec  toutes  les 
forces  qui  contribuent  à  cet  acte,  pour  qu'elle 
ait  été  transmise,  au  moins  en  grande  partie, 
aux  individus  provenus  de  mâles  et  de  fe- 
melles déjà  modifiés.  Les  variétés  sont  de- 
venues des  races  plus  ou  moins  durables  ; 
et  lorsque,  par  la  constance  des  soins  de 
l'homme  ,  eUes  auront  acquis  tous  le&  ca- 


SUR    LES    POISSONS.       70 

racfères  de  ]a  stabilité,  c'esl-à-dire,  lorsque 
toutes  les  parties  de  ranimai  qui ,  par  une 
suite  de  leur  dépendance  mutuelle ,  peuvent 
ai^ir  les  mies  sur  les  autres,  auront  reçu  «ne 
niodilication  proportionnelle ,  et  que  par 
conséqnent  il  n'existera  plus  de  cause  inté- 
rieure qui  tende  à  ramener  les  variétés  vers 
leur  état  primitif,  ces  mêmes  variétés,  au 
moins  si  elles  sont  séparées  pai  d'assez  grandes 
diiférences  de  la  souche  dont  elles  auront  été 
détachées,  constitueiont  de  véritables  espèces 
permanentes  et  distinctes. 

C'est  alors  que  Thomme  aura  réellement 
exercé  une  puissance  rivale  de  celle  de  la 
Nature  ,  et  qu'il  aura  conquis  l'usage  d'un 
mode  nouveau  et  bien  important  d'améliorer 
les  poissons. 

Mais  il  peut  déjà  avoir  recoures  à  ce  mode 
d'une  manière  qui  marquera  moins  la  puis- 
sance de  son  art ,  mais  qui  sera  bien  plus 
courte  ei  bien  plus  facile. 

Qu'il  fasse  pour  les  espèces  ce  que  nous 
avons  dit  qu'il  de  voit  faire  pour  les  races  ; 
qu'il  mêle  une  espèce  avec  une  autre,*  qu'il 
emploie  la  laite  de  l'une  à  féconder  les  œufs 
de  l'autre,  il  ne  craindra  dans  ses  tentatives 
aucun  des  obstacles  que  l'on  a  dû  vaincre , 
toutes  les  fois  qu'on  a  voulu  tenter  l'accou- 


74  EFFETS  DE   L'ART 

plemeiit  d'un  mâle  ou  d'une  femelJe  avec 
une  femelle  ou  un  mâle  d'une  espèce  étran- 
gère 5  et  que  Ton  a  choisi  les  objets  de  ses 
essais  parmi  les  mammifères  ou  parmi  les 
oiseaux.  On  dispose  avec  tant  de  facilité  de 
la  laite  et  des  œufs  ! 

En  renouvelant  ses  efforts^  non  seulement 
on  obtiendra  des  mulets,  mais  des  mulets 
féconds  5  et  qui  transmettront  leurs  qualités 
aux  générations  qui  leur  devront  le  jour. 
On  aura  des  espèces  mélives ,  mais  durables, 
distinctes  et  existantes  par  elles-mêmes. 

On  sait  que  la  carpe  produit  facilement 
des  métis  avec  la  gibèle  ou  avec  d'autres 
cyprins.  Qu'on  suive  cette  indication. 

Pour  éprouver  moins  de  difficultés,  qu'on 
cherche  d'abord  à  réunir  deux  espèces  qui 
fraient  dans  le  même  tems  ,  ou  dont  les 
époques  du  frai  arrivent  de  manière  que  le 
commencement  de  l'une  de  ces  deux  époques 
se  rencontre  avec  la  fin  de  l'autre. 

Si  l'on  ne  peut  pas  se  procurer  facilement 
de  la  liqueur  séminale  de  Tune  des  deux 
espèces,  et  l'obtenir  avant  qu'elle  n'ait  perdu, 
en  se  desséchant  ou  en  s'altérant,  sa  qualité 
vivifiante,  qu'on  place  des  œufs  de  la  seconde 
à  une  profondeur  convenable ,  et  à  une  ex*- 
position  favorable,  dans  les  eaux  fréquentées 


SUR    LES    POISSONS.       76 

par  les  mâles  de  la  première.  Qu'on  les  y 
arrange  de  manière  que  leur  odeur  attire 
facilement  ces  mâles,  et  que  leur  position 
les  invite,  pour  ainsi  dire,  à  les  arroser  de  leur 
fluide  fécondant.  Dans  quelques  circons- 
tances ,  on  pourroit  les  y  ccmtraindre  en 
quelque  sorte  en  détruisant  autour  de  leur 
habitation  ordinaire ,  et  à  une  distance  assez 
grande,  les  œufs  de  leurs  propres  femelles. 
Dans  d'autres  circonstances ,  on  pounoit 
essayer  de  les  faire  arriver  en  grand  nombre 
au  dtîssus  de  ces  œufs  étrangers  que  Fou 
voudroit  les  voir  vivifier ,  en  mêlant  à  ces 
œufs  une  substance  composée  ,  factice  et 
odorante,  que  plusieurs  tentatives  feroient 
découvrir,  et  qui,  agissant  sur  leur  odorat 
comme  les  œufs  de  leur  espèce,  les  déier- 
mineroit  aussi  efficacement  que  ces  derniers 
à  se  débariasser  de  leur  laite  et  à  la  répandre 
abondamment. 

Voudra -t- on  se  livrer  à  des  essais  plus 
hasardeux,  et  réunir  deux  espèces  de  poi- 
sons dont  les  époques  du  frai  sont  séparées 
par  un  intervalle  de  quelques  jours  ?  Que 
l'on  garde  des  œufs  de  l'espèce  qui  fraie  le 
plus  tôt  ;  que  l'on  se  souvienne  que  l'on  peut 
les  préserver  du  degré  de  décomposition  qui 
s'opposeroit  à  leui^  fécondation ,  et  qu'on  les 


76        EFFETS    DE    L'ART 

répande ,  avec  les  précautions  nécessaires ,  à 
la  portée  des  mâles  de  la  seconde  espèce  , 
lorsque  ces  derniers  sont  arrivés  au  ternie 
de  la  maturifé. 

Au  reste,  les  soins  multipliés  que  l'on  est 
obligé  de  se  donner  pour  faire  réussir  ces 
unions  que  l'on  pourroit  nommer  artificielles, 
expliquent  pourquoi  des  réunions  analogues 
sont  très  -  peu  fréquentes  dans  la  Nature, 
et  par  conséquent  pourquoi  cette  Nature , 
quelque  puissante  qu'elle  soit,  ne  produit 
cependant  que  très  -  rarement  des  espèces 
nouvelles  par  le  mélange  des  espèces  an- 
ciennes. Cependant,  depuis  que  Ton  observe 
avec  plus  d'attention  les  poissons,  on  re- 
marque dans  plusieurs  genres  de  ces  animaux 
des  individus  qui,  présentant  des  caractères 
de  deux  espèces  différentes  et  plus  ou  moins 
voisines ,  paroissent  appartenir  à  une  race 
intermédiaire  que  l'on  devra  regarder  comme 
une  espèce  métive  et  distincte ,  lorsqu'on 
l'aura  vue  se  maintenir  pendant  mi  tems 
très-long  avec  toutes  ses  propriétés  particu- 
lières, et  du  moins  avec  ses  attributs  essen- 
tiels. Nous  avons  commencé  de  recueillir  des 
faits  curieux  au  sujet  de  ces  dspèces  ,  pour 
ainsi  dire,  mi -parties,  dans  les  lettres  de 
plusieurs  de  nos  sa  vans  correspondaus ,  et 


SUR   LES   POISSONS.       77 

notamment  de  M.  Noël  de  Rouen.  Ce  dernier 
naturaliste  pense  par  exemple  que  les  nom- 
breuses espèces  de  j  aies  qui  se  rencontrent 
sur  les  rives  françaises  de  la  Manche ,  lors 
du  tems  de  la  fécondation  des  œufs  doivent, 
en  se  mêlant  ensemble  ,   avoir  donné  ou 
donner  le  jour  à  des  espèces  ou  races  nou- 
velles.  Cette  opinion  de  M.  Noël  rappelle 
celle  des  anciens  au  sujet  des  monstres  de 
l'Afrique.  Ils  croyoient  que  les  grands  mam- 
mifères de  cette  partie  du  monde,  qui  ha- 
bitent les  environs  des  déserts  ,  et  que  la 
chaleur  et  la  soif  dévorantes  contraignent  de 
se  rassembler  fréquemment  en  troupes  très- 
nombreuses  autour  des  amas  d'eau  qui  ré- 
sistent aux  rayons  ardens  du  soleil  dans  ces 
régions  voisines  des  tropiques,  doivent  sou- 
vent s'accoupler  les  uns  avec  les  autres ,  et 
que  de  leur  union  résultent  des  mulets  fé- 
conds ou  inféconds  ,  qui  ,  par  le  mélange 
extraordinaire   de   diverses  formes  remar- 
quables et  de  difïérens  attributs  singulieis, 
méj'itent    ce    nom    imposant    de    monstres 
africcLins. 

Cependant  ne  cessons  pas  de  nous  occuper 
de  ces  poissons  mulets  que  Tart  peut  pro- 
duire ou  que  la  Nature  fait  naître  chaque 
jour  par  l'union  de  la  carpe  avec  la  gibèle. 


78         EFFETS   DE   L'ART 

ou  par  celle  de  plusieurs  autres  espèces  ; 
sans  faire  une  réflexion  importante  relatif 
vement  à  la  génération  des  animaux  dont 
nous  écrivons  Fliistoire,  et  iuême  à  celle 
de  presque  tous  les  animaux. 

Des  auteurs  d'une  grande  autorité  ont 
écrit  que ,  dans  la  reproduction  des  pois^ 
sons,  la  femelle  exerçoit  une  si  grande 
influence,  que  le  fœtus  étoit  entièrement 
formé  dans  fœuf  avant  lémission  de  la  laite 
du  mâle,  et  que  la  liqueur  séminale  dont 
Toeuf  étoit  arrosé,  imbibé  et  pénétré,  ne 
devoit  être  considérée  que  comme  une  sorte 
de  stimulus  propre  à  donner  le  mouvement 
et  la  vie  à  l'embryon  préexistant. 

Cette  opinion  a  été  étendue  et  généralisée 
au  point  de  devenir  une  tliéoi  ie  sur  la  géné- 
ration des  animaux,  et  même  sur  celle  de 
riiomme.  Mais  l'existence  des  métis  ne  dé- 
truit-t-elle  pas  cette  hypothèse?  ne  doit-ori^ 
pas  voir  que,  si  la  liqueur  fécondante  du 
ïnà]e  n'étoit  qu'un  fluide  excitateur,  n'in- 
fluoit  en  rien  sur  la  forme  du  fœtus,,  ne 
donnoit  aucune  partie  à  Fembryon,  les  œufs 
de  la  même  femelle,  de  quelque  laite  qu'ils 
fussent  arrosés,  feroient  ton  joui  s  naître  des 
individus  semblables?  Le  stimulus  pourroit 
être  plus  ou  moins  actif;  Tembryon  seroit 


SUR  LES  POISSONS.  79 
plus  fort  ou  plus  foible;  le  fœlus  écloroit 
plus  Lot  ou  plus  tard  ;  Fanimal  jouiroit  d'une 
vitalité  plus  ou  moins  grande;  mais  ses 
formes  seroient  toujours  les  mêmes  ;  le 
nombre  de  ses  organes  ne  varieioit  pas; 
les  dimensions  pourroient  être  grandies  ou 
diminuées;  mais  les  proportions,  les  attri- 
buts, les  signes  distinctifs  ne  montreroient 
aucun  changement ,  aucune  modification  ; 
aucun  individu  ne  présenteroit  en  même 
tems  et  des  traits  du  mâle  et  des  traits  de 
la  femelle;  il  ne  pourroit,  dans  aucnne  cir- 
constance, exister  un  véritable  métis. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  les  espèces  que  lliomme 
produira ,  soit  par  l'iniluence  qu^il  exercera 
sur  les  individus  soumis  à  son  empire,  soit 
par  les  alliances  qu'il  établira  entre  des 
espèces  voisines  ou  éloignées ,  seront  un 
grand  moyen  de  comparaison  pour  juger 
de  celles  que  la  Nature  a  pu  ou  pourra 
faire  naître  dans  le  cours  des  siècles.  Les 
modifications  que  l'homme  imprime  ser- 
viront à  déterminer  celles  que  la  Nature 
impose,  La  connoissance  que  l'on  aura  du 
point  où  aura  commencé  le  développement 
des  premières,  et  de  celui  où  il  sera  arrêté, 
dévoilera  l'origine  et  l'étendue  des  secondes. 
Les  espèces  artificielles  seront  la  mesure  des 


8o  EFFETS   DE    L'ART 

espèces  naturelles.  On  sait,  par  exemple,' 
que  le  cyprin  doré  de  la  Chine  perd  dans  la 
domesticité ,  non  seulement  des  traits  de 
son  espèce  par  Faltératiôn  de  la  forme  de 
sa  nageoire  caudale,  mais  encore  des  signes 
distinclifs  du  gjoupe  principal  ou  du  genre 
auquel  il  apparlient,  puisque  la  nageoire  du 
dos  lui  est  ôtée  par  l'art,  et  même  des  carac- 
tères de  la  grande  famille  ou  de  Tordre  dans 
lequel  il  doit  être  compris ,  puisque  la  main 
de  rhomme  le  piive  de  ses  nageoires  infé- 
rieures dont  la  position  ou  l'absence  indiquent 
les  ordres  des  poissons. 

A  la  vérité,  Faction  de  l'homme  n'a  pas 
encore  pénétré  assez  avant  dans  l'intérieur 
de  ce  cyprin  doré,  pour  y  changer  ces  pro- 
portions générales  de  l'estomac,  des  intestins, 
du  foie,  des  reins,  des  ovaires,  etc.,  qui 
constituent  véritablement  la  diversité  des 
ordres,  pendant  que  l'absence  ou  la  position 
des  nageoires  inférieures  n'est  qu'un  signe 
extérieur  qui,  par  ses  relations  avec  la  forme 
et  les  dimensions  des  organes  internes,  an- 
nonce ces  ordres  sans  en  produire  la  diver- 
sité. 

Mais  que  sont  quelques  milliers  d'années, 
pendant  lesquels  les  chinois  ont  manié  , 
pour  aiusi  dire,  leur  cyprin  doré,  lorsqu'on 

les 


SUR   LES   POISSONS.        8i 

les  compare  au  tenis  dont  la  Nature  dispose? 
C'est  cette  lenteur  dans  le  travail,  c'est  cette 
série  infinie  d'actions  successives ,  c'est  cette 
accumulation  perpétuelle  d'efforts  dirigés 
dans  le  même  sens,  c'est  cette  constance  et 
dans  Tintensilé  et  dans  la  tendance  de  la 
force,  c'est  cet  enjploi  de  tous  les  instans 
dans  une  durée  non  interrompue  de  milliers 
de  siècles,  qui,  survivant  à  tous  les  obstacles 
qu'elle  n'a  pu  ni  dissoudre  ni  écaiter,  est  le 
véiitabîe  ])rincipe  de  la  puissance  ii  résistible 
de  la  Nature.  En  ce  sens,  ]a  Nature  est  le 
tems  qui  règne  sans  conti  ainte  sur  la  matière 
qu'elle  façonne  et  sur  l'espace  dans  lequel 
elle  distribue  les  ouvrages  de  ses  mains 
immortelles. 

Ce  sera  donc  toujours  bien  au  delà  de  la 
limite  du  pouvoir  de  l'homme  qu'il  faudra 
placer  celle  de  la  force  victorieuse  qui  appar- 
tient à  la  Nature.  Mais  les  jugemens  que 
nous  porterons  de  cette  force  d'après  l'éten- 
due de  l'art,  n'en  seront  que  plus  fondés; 
nous  n'aurons  que  plus  de  raison  de  dire  que 
les  espèces  artificielles ,  excellentes  mesures 
des  espèces  naturelles  produites  dans  la  suite 
des  âges,  sont  aussi  le  mètre  d'après  lequel 
nous    pourrons   évaluer   avec   précision   le 

Foiss.  Tome    IL  F 


S^         EFFETS   DE   L'ART 

nombre  des  espèces  perdues ,  le  nombre  de 
celles  qui  ont  disparu  avec  les  siècles. 

Deux  grandes  manières  de  considérer 
Funivers  animé  sont  dignes  de  toute  l'at- 
tention du  véritable  naturaliste. 

D'un  côté  on  peut  voir,  dans  les  tems 
très-anciens ,  tous  les  animaux  n'existant 
encore  que  dans  quelques  espèces  pi  imitive.^, 
qui,  par  des  moj/ens  analogues  à  ceux  que 
l'art  de  l'homme  peut  employer,  ont  pro- 
duit ,  par  la  force  de  la  Nature ,  des  espèces 
secondaires,  lesquelles  par  elles-mêmes,  ou 
par  leur  union  avec  les  primitives,  ont  fait 
riaître  des  espèces  tertiaires,  etc.  Chaque 
degré  de  cet  accroissement  successif  offrant 
un  plus  grand  nombre  d'objets  que  le  degré 
précédent ,  les  a  montrés  séparés  les  uns  des 
autres  par  des  intervalles  plus  petits,  et  dis- 
tingués par  des  caractères  moins  sensibles; 
et  c'est  ainsi  que  les  produits  animés  de  la 
création  sont  parvenus  à  cette  multitude 
innombrable  et  à  cette  admirable  variété 
qui  étonnent  et  enchantent  l'observateur. 

D'un  autre  côté  on  peut  supposer  que; 
dans  les  premiers  âges,  toutes  les  manièies 
d'être  ont  été  employées  par  la  Nature  , 
qu'elle  a  réalisé  toutes  les  formes ,  déve- 
loppé tQUS  le$  orgauçs,  mis  en  jeu  toutes 


SUR   LES    POISSONS.        85 

les  facultés,  donné  le  jour  à  tous  les  êtres 
vivans  que  rimagination  la  plus  bizarre 
peut  concevoir;  que  dans  ce  nombre  infini 
d'espèces ,  celles  qui  n'avoient  reçu  que  des 
moyens  imparfaits  de  pourvoir  à  leur  nour- 
riture ,  à  leur  conservation ,  à  leur  repro- 
duction, sont  tombées  successivement  dans 
le  néant;  et  que  tout  s'est  réduit  enfin  à 
ces  espèces  majeures ,  à  ces  êtres  mieux 
partagés ,  qui  figurent  encore  sur  le  globe. 

Quelque  opinion  qu'il  faille  préférer  sur 
le  point  du  départ  de  la  Nature  créatrice, 
sur  cette  multiplication  croissante,  ou  sur 
cette  réduction  graduelle ,  l'état  actuel  des 
choses  ne  nous  permet  pas  de  ne  pas  con- 
sidérer la  nature  vivante  comme  se  balan- 
çant entre   les   deux   grandes    limites    que 
lui  opposeroient  à  une  extrémité  un  petit 
nombre  d'espèces  primitives ,   et  à   l'autre 
extrémité  l'infinité  de  toutes  les  espèces  que 
l'on  peut  imaginer.  Elle  tend  continuelle- 
ment vers  l'une  ou  vers  l'autre  de  ces  deux 
limites,  sans  pouvoir  maintenant  en  appro- 
cher,  parce  qu'elle  obéit  à  des  causes  qui 
agissent  en  sens  contraire  les  unes  des  autres, 
et  qui,  tour  à  tour  victorieuses  et  vaincues, 
ne  cèdent,  lors  de  quelques  époques,  quç 


84         EFFETS  DE  L'ART 

pour  reparoître  ensuite  avec  leur  première 
supériorité. 

Quel  spectacle  que  celui  de  ces  alterna- 
tives !  quelle  étude  que  celle  de  ces  phéno- 
mènes !  quelle  recherche  que  celle  de  ces 
causes  !  quelle  histoire  que  celle  de  ces 
époques  ! 

Et  pour  les  bien  décrire ,  ou  plutôt  pour 
les  connoître  dans  toute  leur  étendue ,  il 
îiiat  les  contempler  sous  les  dilférens  points 
de  vue  que  donnent  trois  suppositions  ^ 
parmi  lesquelles  le  naturaliste  doit  choisir, 
lorsqu^il  examine  Tétat  passé,  présent  et 
futur  du  globe  sur  lequel  s'opère  ce  balan-! 
cément  merveilleux. 

La  température  de  la  terre  est-elle  cons- 
tante, comme  on  Ta  cru  pendant  long-tems, 
ou  la  chaleur  dont  elle  est  pénétrée  va-t- 
elle  en  croissant ,  ainsi  que  quelques  phy- 
siciens Font  pensé  ?  ou  cette  chaleur  dé- 
croît-elle chaque  jour,  comme  Tout  écrit  de 
grands  naturalistes  et  de  grands  géomètres, 
les  Leibnitz,  les  Buffon,  les  Laplace? 

Présentons  la  question  sous  un  aspect  plus 
direct.  La  Nature  vivante  est-elle  toujours 
animée  par  la  même  température  ?  ou  la 
chaleur,  ce  grand  principe  de  son  énergie. 


SUR   LES   POISSONS.      85 

diminue-t-elle  ou  s'accroît -elle  à  mesure 
que  les  siècles  augmentent  ? 

Quels  sujets  sublimes  pour  la  méditation 
du  géologue  et  du  zoologiste  !  quelle  immen- 
sité d'objets  !  quelle  noble  fierté  l'homme 
devra  ressentir,  lorsqu'après  les  avoir  con- 
templés, son  génie  les  verra  sans  nuage, 
les  peindra  sans  erreur,  et,  mettant  chaque 
événement  à  sa  place,  fera  la  part  des  tems 
écoulés  et  des  tems  qui  s'avancent  ! 


F  5 


86       DENOMINATIONS 


DES     DÉNOMINATIONS 

Par  lesquelles  les  Naturalistes  distinguent 
les  diverses  parties  des  Poissons, 

JliN  lisant  les  ouvrages  qui  traitent  de 
riiistoire  naturelle  des  poissons,  et  particu- 
lièrement ceux  qui ,  par  trop  de  concision , 
deviennent  quelquefois  obscurs,  l'on  est  sou- 
vent embarrassé  pour  trouver  la  vraie  signi- 
fication des  termes  caractéristiques,  mais  de 
pure  convention  entre  les  naturalistes.  Les 
livres  systématiques  sur-tout  abondent  en 
expressions  qui  ne  sont  point  usités  dans  le 
langage  ordinaire,  et  aucun  dictionnaire  ne 
les  explique  de  la  manière  dont  les  savans 
les  entendent.  11  m'a  donc  paru  utile  de 
donner  ici  un  court  Vocabulaire  du  langage 
ichthyologique ,  tel  que  le  parlent  la  plupart 
des  auteurs  modernes,  et  par  là  de  mettre 
à  portée  de  comprendre  leurs  ouvrages  ;  ce 
qui  seroit  impossible  sans  cette  espèce  de  clef 
de  mots  récemment  inventés,  et  assurément 
trop  multipliés.  A  chacun  de  ces  mois,  dont 
la  plus  grande  partie  n'est  point  reçue  eu 


D I  s  T  I  N  C  T I  V  E  S;  87 

français,  je  joindrai  le  mot  correspondant  en 
latin  de  nomenclature;  ce  qui  donnera  la 
facilité  d'entendre  aussi  les  livres  latins  qui 
traitent  de  l'histoire  naturelle  des  poissons, 
et  de  connoître  les  dénominations  par  les- 
quelles ils  désignent  les  formes  variées  des 
diverses  parties  dans  les  différentes  espèces. 

LE      CORPS;    corpus. 

Le  corps  des  poissons,  considéré  à  l'exté- 
rieur, est  : 

1.  OvÉ,  ovatum^  quand  il  approche  de  la 
forme  d'un  œuf,  c'est-à-dire,  lorsqu'il  a 
plus  de  longueur  que  de  largeur,  et  que 
l'un  des  bouts  est  plus  pointu  que  l'autre. 

2.  Arrondi  ou  rond,  orbiculatum^  lors- 
qu'étant  aplati,  il  a  autant  de  diamètre  en 
hauteur  qu'en  longueur. 

3.  Oblong,  oblongum^  s'il  est  plus  long 
que  large,  n'ayant  cependant  pas,  comme 
Yové^  l'une  de  ses  extrémités  plus  pointua 
que  l'autre. 

4.  Lancéolé  ,  lanceolatum ,  ici  la  lon- 
gueur surpasse  sensiblement  la  hauteur,  et 
une  des  extrémités  est  alongée  en  pointe. 

5.  OvÉ  -  LANCÉOLÉ  ,  ovato  -lanceolatum , 
lorsque  la  forme  tient  de  celle  de  Yovée  et 
de  la  lancéolée. 

F  4. 


88       DENOMINATIONS 

6.  Linéaire-lancéolé  ,  lineari-lanceo^ 
latum ,  quand  la  forme  alongée  ou  lancéolée 
offre  la  figure  d'une  ligne. 

7.  Atténué,  attenuatum ,  quand  il  pa- 
roît  déprimé  par  la  maigreur. 

8.  Ensiforme  ,  ensiforme ,  ou  en  forme 
d'épée ,  c'est-à-dire ,  lorsque  le  milieu  est 
tin  peu  enflé,  tandis  que  le  dos  et  le  ventre 
se  terminent  eu  carène  tranchante ,  de  ma- 
nière à  avoir  quelque  ressemblance  avec 
une  lame  d'épée. 

9.  -DÉPRIMÉ ,  plagioplateurn  vel  depres^ 
sum ,  quand  la  largeur  surpasse  la  hauteur. 
Ea  difféj'ence  qui  se  trouve  entre,  déprimé  et 
comprimé ^  c'est  que  le  premier  est  l'efï'et  de 
la  pression  verticale  ,  tandis  que  le  second 
est  celui  de  la  pression  latérale. 

10.  Comprimé  ,  catetoplateum  vel  corn- 
pressum  ,  lorsque  la  hauteur  surpasse  la  lar- 
geur. (Voyez  ci-dessus  le  mot  déprimé.) 

11.  Anceps,  en  français  et  en  latin;  cette 
dénomination  est  la  même ,  dans  notre 
langue,  que  ensiforme  ou  à  deux  tranchans , 
et  nous  n'avons  d'autre  moyen  de  l'exprimer 
en  français  que  de  dire  :  en  forme  d'épée, 

12.  En  couteau,  cultratum ,  quand  la 
partie  supérieure  du  dos  est  large  et  aplatie  ^ 


DISTINCTIV  ES.  89 

tandis  que  la  partie  inférieure  du  corps  est 
conime  tranchante. 

i5.  Ent  carène  ou  caréné,  carinalum ^ 
quand  la  partie  supérieure  du  dos  est  ar- 
rondie, tandis  que  l'inférieure  du  corps  est 
tranchante ,  c'est-à-dire ,  en  quille  de  vais- 
seau. 

14.  A  TRTANGLES  OU  TRIGONE,  trlgonum ^ 

lorsqu'il  se  trouve  trois  saillies  ou  élévations 
sur  toute  la  longueur  du  corps. 

15.  A    QUATRE    ANGLES,    tctragOTlum  ^ 

quand  sur  toute  la  longueur  du  corps  il  se 
trouve  quatre  saillies. 

16.  A    PLUSIEURS    ANGLES  ,    polygOnUTTl  , 

quand  sur  la  même  longueur  du  corps  il  se 
rencontre  plus  de  quatre  saillies. 

17.  En  FORME  DE   COIN  OU   CUNÉIFORME, 

cuneatum  aut  cunéiforme  :  quand  le  corps  va 
^n  diminuant  d'épaisseur  ,  de  la  tête  à  la 
queue  ,  et  que  cette  dernière  partie  se  ter- 
mine en  une  espèce  de  lame  mince  ,  comme 
un  coin,  dont  on  fait  usage  pour  fendre  le 
bois. 

18.  Cylindrique,  cjlindricum ,  c'est-à- 
dire,  également  rond  dans  toute  sa  longueur. 

19.  Rond  en  longueur;  teres , 
c'est-à-dire,  lorsque  le  coi'ps  étant  rond, 


<90        DENOMINATIONS 

va  en  diminuant  insensiblement  vers  son 
extrémité. 

20.  En  forme  de  fuseau  ou  fusiforme, 
fusiforme ,  plus  long  que  large ,  et  ses  deux 
extrémités  se  terminant  en  pointe. 

2 1 .  Conique  ,  conicum ,  arrondi  dans  toute 
sa  longueur  ;,  se  terminant  en  pointe ,  en 
diminuant  insensiblement  de  la  tête  à  la 
queue. 

23.  Ventru,  ventricoswn ,  quand  la  partie 
inférieure  est  renflée. 

20.  B0S8V ,  gibbum ,  quand  la  partie  supé- 
rieure du  dos  est  relevée  et  saillante  ,  en 
forme  de  bosse. 

24.  Alépidote  ou  NU ,  alepidotum  aut 
nuduiriy  c'est-à-dire,  sans  écailles. 

25.  EcAiLLEUx ,  squamosum ,  recouverte 
d'écaillés. 

26.  Macrolépidote  ,  macrolepidotum , 
couverte  de  grandes  écailles. 

27.  EcAiLLEUX- OCCULTE 5  occultè  squa- 
rnosurn ,  lorsque  de  petites  écailles  sont  en- 
veloppées par  une  pellicule. 

28.  Lisse  ou  poli  ,  glahrum ,  lorsque  les 
écailles  ou  la  peau  ne  sont  ni  rudes  ni 
raboteuses. 

,    39.  Glissant  ,  lubricum  ^  lorsqu'enduit 


DISTINCTIVES.  91 

d'une  liqueur  visqueuse ,  le  corps  glisse  dans 
la  main  ,  sans  qu'on  puisse  l'y  retenir  en 
le  seirant. 

00.    HÉRISSÉ    ou    MURIQUÉ    DE    POINTES; 

muriatum ,  quand  la  peau  est  toute  armée 
d'espèces  d'épines  ou  de  piquans. 

5i.  Cataphracte,  cataphractum  ,  cui- 
rassé,  armé  de  toutes  pièces;  quand  la  peau 
est  très-dure  ou  couvertes  d'écaillés  ,  très- 
serrées  et  unies  entre  elles,  de  sorte  qu'elles 
ne  paroissent  former  qu'une  seule  pièce. 

32.  Cuirassé,  loricatum ^  ou  revêtu  d'une 
enveloppe  osseuse. 

33.  Articulé  ,  articulatum ,  ou  composé 
d'anneaux  qui  s'emboitent  les  uns  dans  les 
autres. 

54.  Epineux  ,  aculeatum  ,  quoiqu'en  îatia 
cette  dénomination  diffère  de  celle  de  mu- 
ricatum  ,  nous  ne  pouvons  néanmoins  la 
rendre  en  français  que  par  hérissé  de  pi^^ 
quans  ou  d'épines, 

35.  DiACANTHE ,  diacantJiwn ,  qui  a  deux 
aiguillons  ou  épines. 

36.  Triacanthe,  triacanihum  ,  qui  a  trois 
aiguillons  ou  épines. 

57.  Tetracanthe,  tetracanthum  y  qui  a 
quatre  aiguillons  ou  épines. 


92       DENOMINATIONS 

38.  PoL  Y  ACANTHE  ,  poljcanthum  :  qui  a 
plusieurs  épines  ou  aiguillons. 

59.  Poli,  doux;  lepe  :  c'est-à-dire,  à 
surface  lisse  ,  et  qui  n'est  point  rude  au 
toucher. 

40.  Jaspe  ou  marbré,  variegatum  :  varié 
de  plusieurs  couleuis. 

4i.  De  deux  couleurs,  hicolor  \  qui  a 
deux  couleurs  dislinctes  et  séparées. 

4ii.  Piqueté,  pictum:  marqué  de  très- 
petits  points. 

45.  Rayé,  lineatum  :  marqué  d'une  mul- 
titude de  petites  lignes  de  couleur  différente 
de  celle  du  fond. 

44.  Maillé  ou  émaillé  ,  reticulatum  seu 
cancellatum  :  on  emploie  cette  dénomina- 
tion lorsque  les  lignes  ou  raies  se  croisent 
de  manière  à  former  des  espèces  de  mailles 
ou  un  réseau. 

45.  Ponctué  ,  punctatum  :  la  différence 
entre  ponctué  et  piqueté ,  c'est  que  la  pre- 
mière expression  indique  de  gros  points, 
de  couleur  différente  de  celle  du  fond ,  au 
lieu  que  par  la  seconde  on  entend  des  points 
presque  imperceptibles. 

^46.  CiiiRciiÉoucEiNXUE.É;/a5cia^w/72; 


DISTINCTIVES.  gS 

couvert  de  bandelettes  transvei'sales,  longi- 
tudinales ou  obliques. 

47.  RuBANÉ ,  vittatum  :  lorsque  les  ban- 
delettes s'étendent  liorisontalenient  de  la 
tête  à  la  queue. 

48.  Brillant  ,  nitens ,  dont  la  surface 
paroît  luisante  comme  si  elle  étoit  vernie. 

49.  Taché,  maculatum ,  couvert  de 
grandes  taches. 

50.  (EiLLÉ,  ocellatum  :  marqué  de  taches 
circulaires  en  forme  d'anneaux. 

5i.  Argenté,  argenteum  :  de  couleur 
d'argent  bruni. 

hi.  Doré,  aureum:  de  couleur  d'or. 

53.  Malacoptérygien,  malacop- 
ierygium  :  lorsque  toutes  ses  nageoires  sont 
formées  par  des  rayons  ,  sans  aiguillon. 

54.  AcantoptÉrygien  ,  acantopterigium  : 
quand  chacune  des  nageoires ,  ou  seulement 
quelqu'une  d'entre  elles  est  soutenue  dans 
toute  sa  longueur,  ou  dans  quelque  partie 
par  des  aiguillons. 

55.  Monoptéry^gten,  uni-pinne  aut 
monopterygium  ,  à  une  seule  nageoire  sur 
le  dos. 

56.  DiPTÉRYGiEN,  (lipterygluni  aut 
Bipinne:  qui  a  deux  nageoires  dorsales.. 


ç)4        DENOMINATIONS 

57.  TriptÉrygien,  tripterygium  vel 
tripinne ,   qui  a  trois  nageoires  sur  le  dos. 

58.  Tetraptérygien  ,  tetrapterygium 
vel  quadripinne  ,  à  quatre  iiageoiies  dorsales^ 

69.  Pentaptérygien  5  pentapterygium 
aut  quinquepinne ,  pourvu  de  cinq  nageoires 
dorsales. 

60.  HexaptÉRYGIEN,  hextapterygium 
sive  sexpinne  ;  qui  présente  six  nageoires 
sur  le  dos. 

DES     NAGEOIRES. 

Les  nageoires ,  pinnœ ,  que  Ton  pourroit 
nommer  les  membres  des  poissons ,  sont 
parfaites  ou  imparfaites  ,  ou  adipeuses. 

Les  nageoires  pai  faites  ,  perfectœ ,  sont 
composées  d'osselets  mobiles  contenus  dans 
une  membrane,  tantôt  transparente  et  tantôt 
parsemée  de  taches ,  de  points  ou  de  lignes 
qui  la  rendent  opaque  ;  cette  membrane  est 
toujours  la  continuité  de  la  peau  du  corps 
de  l'animal. 

Les  nageoires  imparfaites ,  mancœ  ,  sont 
composées  de  rayons  mobiles  ou  séparés  les 
uns  des  autres ,  ou  étroitement  unis  ,  sans 
aucune  membrane  qui  les  lie  entre  eux» 


DISTINCTIVES.  ^5 

Les  nageoires  adipeuses  ,  ou  fausses  na- 
geoires ,  spuriœ ,  semblent  n'èl  re  formées  que 
par  un  prolongement  de  la  peau  ,  et  sont 
dépouivues  de  rayons. 

On  divise  les  nageoires  parfaites  en  simples 
et  en  composées. 

Les  nageoires  simples ,  simplices ,  ont  tous 
leurs  osselets  du  même  genre ,  ou  tous  rayons, 
ou  tous  aiguillons. 

Les  nageoires  composées ,  compositœ ,  ont 
leurs  premiers  osselets  en  aiguillons,  et  les 
suivans  en  rayons. 

Les  nageoires  prennent  des  dénominations 
différentes ,  suivant  les  différentes  parties  du 
corps  auxquelles  elles  sont  attachées. 

On  appelle  nageoires  dorsales  celles  qui 
sont  placées  sur  le  dos  ;  pectorales ,  celles  de 
la  poitrine  placées  sous  l'ouverture  des  ouïes 
de  chaque  côté  :  on  les  nomme  aussi  nageoires 
latérales;  ventrales,  celles  du  ventre;  anale, 
ou  de  Tanus,  celle  qui  est  près  de  l'orifice 
de  l'anus;  caudale,  caudalis ,  celle  qui  ter- 
mine la  queue  ;  enfin  ,  branchiales  ,  bran- 
chiales ^  les  nageoires  placées  près  de  l'oper- 
cule des  ouïes. 

Indépendamment  de  ces  dénominations  ; 
que  les  nageoires  prennent  à  raison  de  leur 
position,  on  les  distingue  encore  par  d'autres 


96       DENOMINATIONS 

épithètes  qui  se  tirent  ou  de  leur  figure,  ou 
de  leur  place,  ou  de  la  substance  dont  elles 
sont  composées,  ou  enfin  de  leur  nombre. 

La  nageoire  dorsale  considérée  :  1^  Sous 
îe  rapport  de  conformation  se  nomme  égale; 
œqualis  ,  quand  tous  les  osselets  dont  elle 
est  composée  sont  de  la  même  longueur ,  et 
qu'elle  est  par  conséquent  coupée  parallèle- 
ment à  sa  base. 

Déclinée  ou  décroissante ,  declinata  sive 
dccrescens  ^  quand  le  premier  ra}' on  du  côté 
de  la  tête  est  plus  long,  et  que  les  autres 
vont  en  décroissant  du  côté  de  la  queue. 

Interrompue,  interruiUa^  lorsque  les  pre- 
miers et  les  derniers  osselets  sont  plus  longs 
que  ceux  du  milieu. 

Triangulaire  ,  triangularis ,  quand  les 
rayons  du  milieu  sont  plus  longs  que  ceux 
des  côtés,  et  que  ceux-ci  vont  en  décroissant 
vers  chacune  des  extrémités. 

Trapezoïde ,  traiJezoides ,  lorsque  la  na- 
geoire prend  la  forme  d'un  trapèze. 

Rhomboïde, ou  rhomboïdale,  rhomhoïdeay 
quand  la  forme  de  la  nageoire  est  celle  d'un 
rhombe. 

2^.  Relativement  à  la  place  qu'elle  occupe , 
on  la  nomme  longitudinale,  longltudinalisy 

si 


D  I  s  T  I  N  C  T  I  V  E  s.  97 

si  elle  s'étend  sur  toute  la  longueur  du  dos^ 
de  la  tête  à  la  queue. 

Demi-ioagitudiiiale,  ou  raccourcie,  semi- 
longitudinalis  ,  quand  elle  n'occupe  qu'une 
moitié  de  la  longueur  du  dos. 

Occipitale,  occipitalls  ,  quand  elle  com- 
mence à  Tinsertion  du  corps  avec  la  tête,  ou 
sur  la  nuque,  sans  devenir  longitudinale. 

Scapulaire  ,    scapularis ,    quand   elle  est 
placée  entre  la  nuque  et  le  milieu  du  dos. 

En  équilibre ,  ûP^z/i'/f^m ,  quand  le  milieu 
de  la  nageoire  se  trouve  précisément  au 
milieu  du  dos,  sur  le  point  de  l'équilibre. 

Deux  à  deux ,  trois  à  trois ,  binnœ  pel 
ternœ  distinctœ. 

Unies  ,  connatœ, 

Contiguës  ,  coniiguœ. 

S"*.  La  nageoire  dorsale ,  considérée  sous 
le  rapport  de  sa  substance  ,  est  appelée  pi- 
quante, aculeata^  quand  les  osselets  qui  la 
composent  sont  durs  et  terminés  en  pointe 
aiguë. 

Molle ,  pliante  ,  rayonnée ,  mollis ,.  mutica 
seu  radiata,  lorsque  ses  osselets  sont  foibles, 
très-fîexibles  et  sans  aucun  aiguillon. 

Ecailleuse ,    squamosa ,    quand   elle   est 
}'ecouverte  d'écaillés. 

Ramentacée,  ou  raclée,  ramenlacea  :  on 

Foiss.  Tome  II.  G 


98  DENOMINATIONS 
dit  qu'une  nageoire  est  ramentacée,  ou  ce 
qui  est  synonyme ,  qu'elle  est  raclée  ^  lorsque 
l'extrémité  de  ses  osselets  porte  de  petites  et 
légères  appendices  qui  paroissent  être  une 
portion  de  la  membrane  qui  les  recouvre, 
comme  si  on  les  avoit  raclées. 

Couverte  de  soies,  ou  soyeuses,  setigera , 
quand  des  soies  ou  des  poils  sont  implantés 
dans  la  membrane  de  la  nageoire. 

40.  Les  nageoires  dorsales,  considérées  par 
leur  nombre,  sont  : 

Solitaire,  solitaria,  lorsque  le  dos  n'en 
porte  qu'une  seule. 

Géminée,  ou  binnée,  binœ^  lorsqu'il  y  en 
a  deux. 

Ternées,  ternœ ,  quand  il  y  en  a  trois. 

Nulles,  nullœ ^  quand  le  dos  est  absolu- 
ment dépourvu  de  nageoires. 

Nageoires    pectorales. 

Les  nageoires  pectorales  diffèrent  entre 
elles  pour  la  figure,  la  grandeur,  les  pro- 
portions ,  la  position  ,  la  direction  et  le 
nombre. 

i'^.  D'après  leur  figure,  on  les  nomme  : 
Rondes,  ou  circulaires,  rotundœ ,  quand 


DISTINCTIVES,  99 

elïés  sont  arrondies  à  leur  exlrémité,  c'est- 
à-dire,  quand  les  osselets  qui  les  composent 
sont  disposés  en  demi-cercle. 

En  pointe,  acuminatœ ,  ce  qui  s'entend  de 
l'angle  postérieur. 

En  fornue  de  faulx  ,  falcatœ ,  quand  ces 
nageoires  sont  recourbées  comme  xxm^  lame 
de  faulx. 

En  forme  de  soc  de  charrue ,  vomeriformes ^ 
ce  qui  représente  l'angle  impai  fait  que  forme 
cet  instrument  avec  son  manche. 

Unies,  jointes  ensemble,  connatœ ,  lors- 
qu'étant  rapprochées ,  elles  semblent  ne  faire 
qu'une  seule  nageoire. 

2°.  Quant  à  la  grandeur,  on  les  nomme: 

Médiocres,  ou  proportionnelles,  médiocres 
sive  proportinnales  ,  lorsqu'elles  sonl:  égales 
en  longueur  à  la  quatrième  partie  du  corps. 

Très-petites  5  minimœ  ^  quand  elles  n'ont 
que  très -peu  d'étendue  en  proportion  du 
corps. 

Très  -  grandes  ,  maximœ  ,  lorsqu'étant 
étroites  elles  paroissent  grandes  à  proportion 
du  corps. 

3«.  Relativement  aux  dimensions ,  elles 
sont  : 

Longues ,  longœ ,  quand  elles  ont  la  lon- 
gueur de  la  moitié  du  coi^ps. 

G  % 


1  oo      DENOMINATIONS 

Très  -  longues ,  longissimœ^  quand  élle^ 
sont  extrêmement  aîongées. 

Plus  lai'ges  que  longues,  latiores  qiicun 
iofigœ  y  quand  la  hauteur  excède  la  lon- 
gueur. 

Etroites  ,  angiistœ  ^  lorsqu'elles  ont  peu 
d'épaisseur. 

4°.  Relativement  à  la  situation  ,  on  les 
nomme  : 

Hautes ,  supreniœ  ,  quand  elles  occupent 
la  partie  la  plus  haute  près  des  ouïes. 

Moyennes,  mediœ,  lorsqu'elles  sont  situées 
vers  le  milieu  du  corps. 

Inférieures,  ou  basses,  mfimœ ,  lorqu'elles 
sont  piesque  placées  au  thorax. 

5^.  Relativement  à  leur  direction,  on  les 
appelle  : 

Obliques,  adscendentes ^  quand  elles  sont 
dirigées  obliquement, 

J3i'oiles ,  rectœ ,  quand  elles  se  trouvent 
<ians  une  direction  perpendiculaire. 

Horison taies,  liorisontales ^  quand  elles 
sont  inclinées  d'un  côté  dans  une  situation 
hoj'isonlale. 

Peudantes,  depcndentes  ^  c'est  lorsqu'elles 
peudeut  d'un  côté  ou  de  l'autre. 


DISTINCTIYES.  loi 

6**.  Relativement  au  nombre ,  on  dit 
qu'elles  sont  : 

Nulles ,  nullœ  ,  quand  il  ne  s'en  trouve 
point. 

Seule,  ou  solitaire,  solitariœ  ,  quand  il 
n'y  en  a  qu'une. 

Doubles,  binnœ^  vel  duplices^  lorsqu'il  s'en 
trouve  deux. 

Nageoires     ventrales. 

On  distingue  les  nageoires  ventrales  d'après 
leur  figure,  leur  structure,  leur  proportion, 
leur  nombre,  ou  d'après  leur  situation,  ce 
qui  leur  a  fait  donner  difïërentes  dénomi- 
nations. 

1".  D'après  leur  figure ,  on  dit  qu'elles  sont  : 

Obliquement  tronquées,  oblique  truncatœ, 
lorsqu'elles  paroissent  avoir  été  coupées  dans 
une  direction  oblique. 

En  trapézoïde  ,  irapezoidœ  ,  quand  elles 
présentent  la  forme  d'un  trapèze. 

En  pointe,  pointues,  acuminalœ  ^  quand 
leur  angle  posLérieur  se  termine  en  poinîe. 

2».  D'après  leur  stiucture,  on  dit  qu'elles 
sont  : 

Sans  membrane,  didact3des  ou  tridactyles, 
mancœ ,  didactylœ  çel  tridactylœ ,  quand  , 

G  5 


102      DENOMINATIONS 

dépourvues  de  membranes,  elles  sont  bifur- 
qnees  ou  trifurquées. 

Nombreuses  eu  rayons  ,  multirndiatœ , 
lorsqu'elles  en  contiennent  un  grand  nombre. 

Mousses  ,  muticœ ,  lorsqu'elles  sont  dé- 
pourvues d'aiguillons. 

Composées  ,  compositœ ,  lorsque ,  dans  le 
nombre  des  osselets  qui  les  composent ,  les 
uns  sont  mous  et  les  autres  épineux  ,  c'est- 
à-dire  ,  lorsque  les  premiers  osselets  sont 
des  aiguillons-,  et  les  suivans  des  rayons. 

3^.  D'après  leur  proportion  entre  elles , 
on  dit  qu'elles  sont  : 

Proportionnelles ,  proportionales ,  lorsque 
leur  grandeur  est  en  proportion  avec  celle 
du  corps. 

Très  -  longues  ,  ïongissimœ  ,  quand  leur 
longueur  est  presque  égale  à  celle  du  corps. 

'J'iès-peliîes,  minimœ  ^  lorsque,  propor- 
tionneilemrnt  à  la  longueur  du  corps,  elles 
sont  très-courtes. 

4^.  D'après  leur  nombre,  on  dit  qu'elles 
sor«t  : 

N Miles,  nullœ ^  si  le  poisson  .est  dépourvu 
de  nageoires  ventrales  ;  et  c'est  de  là  que 
quelques  espèces  ont  reçu  la  dénomination 
de  poissons  apodes  ,  apodes. 

Doubles ,  duœ ,  lorsqu'il  y  en  a  deux. 


D  I  s  T  I  N  C  T  I  V  E  s.        îo3 

5".  Enfin  d'après  la  siluaiion  des  nageoires* 
ventrales  ,  les  espèces  de  poissons  ont  été 
distinguées  par  des  dénominations  particu- 
lières. 

On  nomme  les  jugulaires  ,  jugalares  ,  les 
poissons  qui  ont  les  nageoires  du  ventre 
placées  à  la  gorge,  près  du  cou,  c'est-à-dire, 
avant  Fouveiture  des  ouïes ,  ou  tout  au  plus 
au  dessous ,  ou  avant  les  nageoires  pecto- 
rales ,  ou  au  moins  à  leur  à-plomb  ;  alors 
les  nageoires  elles-mêmes  se  nomment  aussi 
jugulaires. 

Thoi  achiques  ou  pectoraux ,  thoracicœ , 
s'ils  ont  les  nageoires  du  ventre  placées  au 
thoiax ,  c'est-à-dire ,  peu  après  l'ouverture 
des  ouïes ,  peu  après  l'à-plomb  des  nageoires 
pectorales.  Les  nageoires  du  ventre  prennent 
aussi ,  clans  cette  position ,  le  nom  de  thora- 
chiques. 

Abdominaux  ,  abdominales  ,  \q?,  espèces 
dont  les  nageoires  ventrales  sont  attachées 
à  l'abdomen,  ou  plus  près  de  l'anus  que  do 
la  poitrine;  et  ces  nageoires  prennent  aussi 
l'épithèle  C\^ abdominales  :  les  mêmes  na- 
geoires ventrales  se  disent  : 

Entourant  ou  enveloppant  l'anus ,  anuni 
abientes  ,  lorsqu'elles  bordent  l'anus  en 
entier. 

G  4 


104       DENOMINATIONS 

Unies,  coalitœ  :  elles  ne  paroissent  faire 
qu'une  seule  et  même  nageoire  ,  parce 
qu'elles  sont  jointes  lune  avec  l'autre  par 
une  membrane. 

Voisines  ou  rapprochées ,  vicinœ  ,  quand 
elles  sont  proches  Tune  de  l'autre;  et,  dans 
ce  cas ,  elles  sont  situées  toutes  deux  presque 
sur  la  carène  du  ventre. 

Eloignées,  remotœ ,  quand  elles  occupent 
la  partie  inférieure  de  chaque  côté  du  ventre, 
fort  loin  Tune  de  Fautre. 

Nageoire   anat^e. 

On  donne  à  la  nageoire  anale  ou  de 
l'anus  différentes  dénominations  ,  tirées  de 
la  figure,  du  nombre,  ou  de  sa  situation. 

1°.  Relativement  à  la  figure,  on  la  nomme  : 

Egale  ou  coupée  obliquement ,  œqualis  , 
sive  oblique  truncata ,  quand  tous  ses  rayons 
sont  égaux  en  longueur ,  et  que  par  con- 
séquent elle  est  coupée  parallèlement  à 
sa  base. 

Déclinée  ou  décroissante  ,  decUnata  s'we 
decrescens ,  lorsque  le  premier  rayon  est  le 
plus  long,  et  que  les  autres  diminuent  gra- 
duellement de  longueur. 

2".  Relativement  au  nombre ,  on  la  noomie: 


i 


D  I  s  T  I  N  C  T  I  V  E  s.        io5 

Seule  5  solitaire,  solitaria^  lorsqu'elle  est 
seule  et  d'une  seule  pièce. 

Double ,  gemina ,  quand   elle  est  divisée 
en  deux ,  ou  plutôt  qu'il  y  a  deux  nageoires 
distinctes. 
5°.  Relativement  à  sa  situation ,  on  Tappelle  : 

Longitudinale,  longitudinalis  ^  quand  elle 
va  de  Tanus  à  la  nageoire  de  la  queue. 

Mo3^enne  ,  média  ,  quand  ,  prenant  sa 
naissance  à  quelque  distance  de  l'anus,  elle 
n'atteint  pas  rextrémité  de  la  queue ,  et  se 
trouve  également  éloignée  de  ces  deux 
parties. 

Eloignée  ,  remota  ,  quand ,  prenant  son 
origine  à  quelque  distance  de  l'anus,  ^Vi^ 
s'étend  jusqu'à  la  nageoire  de  la  queue. 

Séparée  ,  distincta  ,  lorsque  s'étendant 
très-près  de  la  nageoire  de  la  queue ,  elle 
en  est  néanmoins  séparée. 

Unie,  coalita  ^  lorsqu'elle  est  adhérente 
à  la  nageoire  de  la  queue. 

Nageoire  de  la  queue. 

Cette  nageoire,  que  l'on  regarde  vulgaire- 
ment comme  la  queue  même  du  poisson  , 
varie  dans  les  difïerentes  espèces  à  raison 
de  sa  figure  ,  de  sa  grandeur ,  de  sa  con-^ 
nexion  et  de  sa  situation. 


io6      DENOMINATIONS 

1°.  Par  rapport  à  sa  figure  ,  on  l'appelle  : 

Egale  ou  tronquée,  œqualis  sive  truncata^ 
lorsqu'elle  est  coupée  carrément. 

En  flèche  ou  en  lance,  cuspidata  sive  îan- 
ceolata^  lorsque  les  rayons  du  milieu  sont 
plus  longs  que  les  latéraux. 

Emarginée  ou  écliancrée  ,  emarginata  , 
quand  quelques  osselets  du  milieu  sont  un 
peu  plus   courts  que  les  latéraux. 

Partagée ,  partita  ,  lorsqu'elle  est  divisée 
en  parties  égales. 

Lobée ,  lobata  ,  quand  elle  est  divisée  en 
parties  inégales. 

Découpée  ,  laciniata  ,  quand  elle  paroît 
divisée  ou  déchiquetée  par  lambeaux. 

En  croissant ,  lunata ,  quand  elle  a  la 
forme  d'un  croissant. 

Partagée  en  deux  ,  bifurquée ,  blfurca  j 
lorsqu'elle  se  divise  en  deux. 

En  ciseaux ,  forcipata ,  lorsqu'elle  diverge 
en  se  divisant  à  son  extrémité. 

s^.  Par  rapport  à  sa  grandeur,  on  l'appelle  : 

Médiocre  ou  proportionnelle  ,  mediocris 
sive  proportionata ,  lorsque  sa  longueur  n'ex- 
cède pas  ia  quatrième  partie  du  corps. 

Grande ,  magna  ,  quand  elle  dépasse  les 
proportions  ci-dessus. 


DISTINCTIVES.  107 

Petite ,  minuta  ,  lorsqu'elle  est  bien  moins 
longue  que  la  quatrième  partie  du  corps. 

5^.  Par  rapport  aux  dimensions,  elle  est: 

Plus  large  que  longue ,  latior^  quant  longa^ 
lorsqu'elle  a  pioportionnellement  plus  de 
hauteur  que  de  longueur;  et 

Plus  longue  que  laige,  longior  quamlata^ 
quaud  c'est  le  contraire. 

4°.  Par  rapport  à  sa  connexion  ou  à  son 
adhérence  ,  elle  s'appelle  : 

Distincte,  dlstincta ,  quand  elle  ne  tient 
ni  à  la  nageoire  du  dos ,  ni  à  celle  de  l'anus. 

Contiguë,  annexa^  quand  une  membrane 
l'unit ,  par  une  de  ses  extrémit  es  ,  à  la  na- 
geoire du.  dos  ,  et  par  l'autre  extrémité  à 
celle  de  la  queue. 

5".  Par  rapport  à  sa  situation ,  on  la  nomme  : 

Perpendiculaire  ,  perpencUcularis  ,  lorsque 
cette  nageoire  est  dans  une  situation  ver- 
ticale. 

Transversale  ou  horisontale,  transt^ersalis 
swe  hotisontalis ,  lorsqu'elle  a  une  situation 
parallèle  à  i'horison. 

Rayons  des  nageoires. 
Les  rayons   des  nageoires  ,  ossicula  pin- 
naruni ,  sont  de  petits  osselets  qui  soutiennent 
les  nageoires  des  poissons. 


io8      DENOMINATIONS 

1°.  Considérés  relativement  à  leur  nature  : 
Les  uns  sont  d\ine  substance  osseuse  et 
dure  5  qui  leur  a  fait  donner  le  nom  d'ai- 
guillons ,  aciilei  ;  les  autres ,  composés  d'une 
substance  moins  dure,  sont  flexibles,  et  on 
les  nomme  rayons  mous,  radii  molies;. il  y 
a  des  aiguillons  qui  sont  lisses ,  integri  ;  et 
d'autres  qui  sont  dentés,  serrati, 

2".  Quant  à  la  figure  , 

Il  y  en  a  de  simples,  slmpUces;  de  fendus, 
fîssi;  de  doubles,  gemini ,  qui  n'ont  qu'une 
base  commune,-  d'autres  sont  bifides,  hijîdi; 
c'est  -  à  -  dire,  se  partageant  en  deux  vers  la 
moitié  de  leur  longueur;  d'autres  enfin  se  par- 
tagent en  un  plus  grand  nombre  de  parties, 
et  on  les  nomme  multifides,  muliijldi. 

3°.  Quant  à  la  situation  , 

Il  y  en  a  de  clair -semés  ,  rari^  pressés 
les  uns  contre  les  autres,  arcti^  de  séparés 
les  uns  des  autres ,  separaîi ,  et  de  collés 
ensemble;  c'est  de  cette  espèce  d'osselets 
qu'est  formée  la  nageoire  adipeuse, 

4«.  Quant  aux  dimensions. 

Il  y  en  a  d'égaux,  œquales  ^  d'autres  qui 
sont  inégaux,  inœqiiales.  Jl  y  en  a  qui  vont 
en  augmentant  de  grandeur,  depuis  le  pre- 
mier jusqu'au  dernier,  croissant,  crescentesy 


DISTINCTIVES.  109 

et  d'autres  qui  vont  eu  diminuant,  décrois- 
sants, decrescentes. 

La     TETE,   caput. 

Cette  partie  des  poissons  peut  êtie  consi- 
dérée sous  les  rapports  de  sa  figure,  de  ses 
proportions,  de  ses  tégumens,  et  enfin  de 
ses  appendices. 

1".  La  figure. 

Comprimée ,  catetoplateum ,  si  elle  est 
aplatie  par  les  côtés. 

Déprimée  ,  plagioplaieum ,  si  elle  est  plus 
large  que  haute. 

Aiguë ,  acutum  ,  si  sa  partie  antérieure  se 
termine  en  pointe. 

Obtuse ,  oblusum  ,  si  le  museau  paroît 
comme  tronqué  en  avant. 

Muflée  ,  bucculenturti ,  si  elle  a  la  forme 
d'un  mufle  de  veau. 

Tétragone ,  tetragonum ,  si  elle  a  une  forme 
quadrangulaire  ou  carrée. 

En  coin,  cunéiforme ,  si  étant  aplatie,  elle 
diminue  insensiblement  en  grosseur. 

Presque  carrée ,  suhqùadratum ,  si  elle 
est  presque  carrée  en  a^ant. 

En  pente,  déclive^  si  de  son  sommet  elle 
s'incline  insensiblement  vers  le  bout  du 
museau. 


iio      DENOMINATIONS 

En  caréné,  carinatam,  si  le  chanfrein  esS 
creusé  en  gouttière. 

Convexe ,  conuexum ,  si  le  dessus  du  crâne 
est  bombé. 

52°.  Les  proportions, 

Plus  larges  que  le  corps,  latius  irunco ^ 
si  le  corps  est  sensiblement  moins  large 
qu'elle. 

Aplatie,  humilias  triinco ^  si  ^ç  a  moins 
d'épaisseur  horisontale  que  le  corps. 

Proportionnée ,  pone  tnmco  œquaîe ,  si  sa 
largeur  et  son  épaisseur  égalent  celles  du 
corps. 

Terminée  par  un  bec,  rostratum, 

Alongée  ,  elongatum ,  si  elle  se  prolonge 
en  pointe,  sans  rependant  se  terminer  en  bec. 

Etroite ,  angustatum  ,  si  elle  paroît  cotnme 
resserrée  par  les  côlés. 

Médiocre,  médiocre^  si  elle  est  en  pro- 
portion avec  la  troisième  partie  du  corps. 

3^.  Les  tégumens  , 

Ecailleuse,  squamosum  ^  si  elle  est  recou- 
verte d'écailies. 

Alepidote,  alepidotum,  si  la  peau  qui  la 
couvre  est  nue  et  sans  écailles. 

Caiapliracte ,  cataphractum ,  si  elle  est 
héiittée  de  pointes  et  d  aspérités. 


DISTINCTIVES.        m 

Cuirassée ,  loricatum ,  si  son  revêtement 
est  d'une  seule  pièce  et  osseux. 

Lisse ,  glabriim ,  si  la  peau  qui  la  couvre 
est  unie  et  polie. 

Papilleuse ,  paplllosum ,  si  cette  peau  est 
parsemée  de  petits  mamelons. 

Poreuse ,  porulosiun ,  si  cette  peau  est 
criblée  de  petits  trous. 

Rude ,  scabrum ,  si  la  peau  est  comme 
chagrinée. 

Tuberculée ,  tuherculatum ,  si  elle  paioît 
toute  couverte  de  callosités. 

Piquante,  acideatum ^  si  sa  surface  est 
hérissée  d'épines. 

4°.  Les  appendices, 

Barbue,  ou  cirrheuse,  barbatum  sive  cir" 
rhosum^  si  l'extrémité  du  museau  est  garnie 
de  barbillons  ou  cirrlies. 

Sans  appendices,  imberbe^  avec  des  piii- 
nules ,  pinnulis  ,  sive  tentaculis  ornatum  , 
munie  d'appendices  sétacées  et  mobiles  au 
gré  du  poisson,  placées  près  des, yeux  ;  c'est 
par  cette  position  que  les  pinnules  diffèrent 
des  cirrhes  ou  barbillons. 

Huppée,  cm/a^w/72,  ayant  une  élévation 
en  forme  de  crête. 

En  bouclier,  clypeatum ^  si  elle  paroît 
armée  d'uu  bouclier. 


113      DE  NO  MINAT  IONS 

Rameuse,  ramentosum ^  si  ç:ViQ  paroît  gar-- 
nie  d  espèces  de  lamifications. 

Epineuse,  spinosum,  si  eWe  est  armée  d'un 
giancl  nombre  de  pointes  aiguës. 

Ouverture  de  la  bouche,  rictus. 

L'ouverture  de  la  bouche  n'est  pas  située 
de  même. dans  tous  les  poissons;  sa  figure, 
ainsi  que  ses  proportions,  varient  dans  les 
différentes  espèces. 

i«.  Par  sa  siluation  ,  elle  est 

Supérieure,  superus  ,  loi^qu'elle  est  placée 
sur  la  partie  la  plus  élevée  de  la  tête. 

Verticale,  verticalis ^  quand,  du  sommet 
de  la  tète ,  el  le  retombe  perpendiculairement. 

Inférieure  ,  inféras  ,  quand  elle  est  placée 
en  dessous  de  la  tête. 

Tjansversale ,  transversus^  quand  elle  est 
coupée  en  ligne  djoite  et  parallèlement  à  la 
partie  antérieure  du  corps. 

Oblique,  obliquas^  quand  elle  s'incline 
d'un  côté,  par  rapport  à  la  situation  per- 
pendiculaire du  corps. 

Montante,  adscendens^  lorsque,  du  bout 
du  museau,  elle  remonte  vers  le  sommel. 
de  la  tête. 

Terminale  ^ 


DISTINCTIVES.         ii3 

Terminale  ,  termïnalis  ,  quand  elle  est 
située  à  rexLrémilé  du  museau. 

^".  Par  la  figure,  on  dit  qu'elle  est: 

Arquée,  arcuatus ,  quand,  d'un  angle  à 
l'autre,  elle  décrit  une  ligne  courbe. 

Linéaire  ou  dioite  ,  linearis  vel  reclus  , 
quand  ,  d'un  angle  à  l'autre ,  elle  forme  une 
ligne  droite. 

Circulaire  ou  sphérique,  circularis,  lorsque 
son  ouverture  représente  un  ceicle. 

Tubulée,  tubutosus  ^  quand  son  ouverture 
étroite  et  ronde  se  prolonge  en  forme  de 
tube. 

Orbiculaire ,  orhicularis  ,  quand  l'ouver- 
ture s'alonge  en  s'ari  ondissant  comme  wxaà 
boule. 

Ovale,  ovalis^  quand,  en  se  dilatant,  l'ou- 
verture forme  un  ovale. 

Parabolique  ,  paraBoUcus  ,  quand  elle 
s'ouvre  en  parabole. 

5^.  Par  ses  proportions ,  elle  est  : 

Médiocre ,  mediocris ,  quand  elle  est  en 
proportion  avec  le  corps. 

Très-grande,  maximus  vel  ingens ,  quand 
sa  grandeur  est  disproportionnée  avec  ceUb 
du  corps. 

Petite,  étroite,  angustus y  quand  elle  est 

Poiss.  Tome  IL  H 


fïii      DENOMINATIONS 

d'une    petitesse    sensible    relativement    au 
corps. 

Egale  à  la  tête  ,  latitudini  capitis  œqualis  j 
quand  son  ouverture  égale  la  largeur  de  la 
tète. 

Museau  ,  rostrum. 

On  entend  par  le  museau  des  poissom 
la  partie  du  devant  de  la  tête  ,  comprise 
depuis  les  yeux  ou  le  front  jusqu'à  Fextré- 
mité  des  mâchoires;  il  varie  dans  sa  figure 
comme  dans  ses  proportions. 

1°.  Quant  à  sa  figure ,  on  le  nomme  : 

Déprimé  ,  plagioplateum  ,  quand  il  a 
îiioins  de  hauteur  que  de  largeur. 

Comprimé,  catetoplateum ^  quand  il  a  plus 
de  hauteur  que  de  largeur. 

Sémi-conique  ,  semiconicum  ,  lorsqu'il  a 
la  forme  d'un  cône  tjonqué. 

Cylindrique ,  cylindricum ,  lorsqu'il  est  à 
peu  près  aussi  haut  que  large. 

Tubulé,  tuhulosuin  j  quand,  aussi  haut 
que  large,  il  s'alonge  en  tube. 

A  trois  angles ,  iriquetrum  ,  quand ,  sur 
sa  surface  ,  il  y  a  trois  élévations. 

A  quatre  angles  ,  tetraquetrum  ,  lorsque , 
§ur  sa  surface,  il  se  trouve  quatre  élévations. 


DISTINCTIVES.         ii5 

Triangulaire ,  triangulare  ,  lorsqu'il  a  une 
forme  triangulaire. 

Ensiforme ,  anceps,  quand  le  milieu  étant 
un  peu  renflé  ,  les  deux  côtés  se  terminent 
en  angles  aigus ,  de  manière  à  lui  donner 
quelque  ressemblance  avec  la  lame  d'une 
épée. 

Obtus,  obtusum^  quand  l'extrémité  paroît 
comme  tronquée. 

Pointu  5  acutum  ,  lorsque  cette  même  ex** 
trémité  se  termine  en  pointe. 

Effilé  5  cuspidatum  ,  lorsque  l'extrémité 
est  très-alongée. 

Courbé  en  bas ,  inflexum ,  quand  l'extré- 
mité se  reploie  en  bas. 

Relevé  en  haut,  reflexum,  lorsque  l'ex- 
trémité se  relève  vers  le  sommet  de  la  tête^ 

Fendu  en  deux  ,  hifidum ,  lorsque  cette 
même  extrémité  est  divisée  en  deux  parties. 
2^.  Quant  à  ses  proportions,  on  le  nomme  : 

Long,  longum  ,  court,  Brève ^  propor* 
tionné ,  proporlionale  ;  ces  trois  différentes 
dénominations  sont  relatives  à  la  grandeiiir 
du  corps. 

Les  dents» 

Les  dents  des  poissons  s'appellent  : 

Ha 


ii6        DENOMINATIONS 

1".  Relahvement  à  leur  figure: 

Grauuleuses ,  granulosi  ,  si ,  à  raison  dô 
leur  petitesse  ,  elles  sont  amoncelées  comme 
de  petits  grains. 

Linéaires,  accrosiYeï  lineares ^  si  elles  sont 
petites  et  milices. 

Aiguës  ,  acuii ,  si  elles  sont  piquantes. 

En  alêne  ,  suhulati ,  si  elles  sont  un  peu 
courbées  et  très-aiguës. 

Comprimées  ,  compressi ,  si  elles  sont 
pressées  les  unes  contre  les  autres. 

Obtuses  5  obtusi  ,  si  leur  extrémité  est 
arï'ondie. 

Arrondies  ,  rotundati  ,  si  elles  ont  une 
forme  à  peu  près  sphérique. 

Hémisphériques ,  semiglohosi ,  si  elles  ne 
sont  arrondies  que  dans  leur  moitié. 

A  deux  tranchans  ,  ancipites  ,  si  elles 
coupent  des  deux   côtés. 

Plates  5  plani  ,  si  elles  sont  aplaties  sur 
les  côtés. 

En  scie ,  serratl ,  si  elles  sont  armées  de 
.dentelures  sur  les  côtés. 

En  demi  -  flèche  ,  semisagittati  ,  si  leur 
extrémité  est  armée  d'un  crochet  latéral. 

Coniques,  conici^  si,  avec  une  base  large, 
elles  se  terminent  en  pointe. 


DISTINCTIVES.  117 

Ecliancrées,  emarginati  ^  si  elles  sont  uu 
peu  fendues  à  leur  extrémité. 

Semblables  ,  simites ,  si  leur  forme  et  leur 
grandeur  sont  les  mêmes. 

Dissemblables,  r/m7'/wi/é'5 ,  si  aucune  d'elles 
n'a  ni  la  môme  forme,  ni  la  même  grandeur. 

2®. Relativement  à  leur  proportion,  on  les 
nomme  : 

Egales,  œquales ,  si  elles  sont  toutes  de  la 
même  hauteur. 

Inégales  ,  inœquales ,  si  elles  sont  de  lon- 
gueur di  lier  en  te. 

Ti ès-j3etites ,  /Tz/zzi/zz^', proportionnellement 
à  la  capacité  de  la  mâchoire. 

Médiocres ,  médiocres ,  proportion  gardée 
avec  la  capacité  de  la  mâchoire. 

3°.  Relativement  à  leur  direction,  on  les 
nomme  : 

Droites,  erccti ^  si  elles  ne  penchent  pas 
plus  d'un  côté  que  de  l'autre. 

Obliques  ,  crbliqui ,  si  elles  s'inclinent  d'un 
côté. 

Parallèles , /7«m//^// 5  si  on  obsei've  entre 
elles  la  même  direction  ou  disposition. 

Divergentes  ,  dipergentes  ,  si  ,  parallèles 
entre  elles  par  la  base ,  elles  s'écartent  l'une 
de  l'autre  par  le  sommet. 

H  5 


1  j8       DENOMINATIONS 

Inclinées  en  dehors,  exseiii,  si  elles  sm- 
clinent  en  dehors  par  leur  sommet. 

Inclinées  en  arrière,  retrojlexi ^  si,  avec 
leurs  bases  parallèles ,  leurs  sommets  se 
penchent  en  arrière. 

Inclinées  en  dedans ,  introversi  ,  quand , 
avec  des  bases  parallèles  ,  elles  s'inclinent 
en  dedans  par  les  sommets. 

/]P.  Relativement  à  leur  nombre  ,  on  dit 
qu'elles  sont  : 

Nulles,  nulli^  si  la  bouche  est  dépourvue 
de  dents. 

Rangées ,  ordlnati ,  si  elles  sont  disposées 
sur  un  ou  plusieurs  rangs. 

Confuses ,  confnsi ,  si  elles  sont  placées 
sans  ordre. 

Entassées,  conferti  ^  si  elles  forment  un 
groupe  serré. 

Eparses,  sparsiy  si  elles  sont  disséminées 
dans  la  bouche. 

5".  Relativement  à  leur  mouvement,  on 
dit  qu'elles  sont  : 

Mobiles  ,  mobiles ^  si  elles  remuent  et  va- 
cillent dans  les  mâchoires. 

Immobiles ,  immobiles ,  si  elles  sont  for- 
tement implantées  dians  la  mâchoire. 

6°.  Relativement  à  leur  situation,  on  les 
nomme  : 


DISTINCTIVES.         119 

Incisives,  incisorii,  celles  qui  sont  au  de- 
vant de  la  mâchoire. 

Molaires ,  molares ,  celles  qui  sont  placées 
le  plus  eu  arrière  de  chaque  côté  des  mâ- 
choires. 

Canines ,  canini,  celles  qui  sont  entre  les 
incivises  et  les  molaires. 

Palatines ,  palatini ,  celles  qui  sont  im- 
plantées dans  le  palais. 

Labiées ,  labiati ,  celles  qui  bordent  les 
lèvres. 

Les    MACHOIRES,   mandihulœ. 

Les  deux  mâchoires  de  la  bouche  des 
poissons  diffèrent  entre  elles ,  soit  à  raison 
de  leur  proportion,  de  leur  figure,  de  leur 
situation,  soit  par  rapport  à  leurs  appendices, 
d'où  on  les  nomme  : 

1°.  Par  rapport  à  leur  proportion  : 

Egales ,  œqiiales  ,  quand  elles  sont  de  la 
même  grandeur. 

Inégales ,  inœquales ,  quand  Tune  des  deux 
est  plus  avancée  que  l'autre. 

Médiocres ,  médiocres ,  quand  leur  gran- 
deur paroit  proportionnée  avec  celle  du 
corps. 

Très-grandes,  maximœ^  proportion  gardée; 
à  la  grosseur  du  corps. 

H4 


120      DENOMINATIONS 

/  Très- petites ,  minimœ ,  relativement  à  la 

grosseur  du  corps. 

3^.  Par  rapport  à  leur  figure  : 

Déprimées,  plagioplateœ ^  quand  elles  ont 
plus  de  largeur  que  de  hauteur. 

Aiguës ,  acutœ ,  quand  leur  partie  anté^ 
rieure  est  terminée  en  pointe. 

En  alêne ,  subulatœ  ,  quand ,  d'une  base 
arrondie  ,  l'extrémité  se  prolonge  en  une 
pointe  aiguë. 

Etendues ,  porrectœ ,  quand  ,  sans  être  nî 
aiguës,  ni  pointues,  elles  s'étendent  en  avant. 

En  caréné ,  carinatœ ,  quand  elles  sont 
élevées  en  carène,  soit  en  dedans,  soit  eu 
dehors. 

Avec  des  lèvres ,  lahiatœ ,  lorsqu'elles  ont 
une  ou  plusieurs  lèvres. 

Nues,  nudœ  sive  labiis  destitutœ ,  quand 
elles  ne  sont  point  recouvertes  par  les  lèvres, 

Pliées  en  arc  étroit ,  angustè  arcutœy 
quand,  dans  leur  courbure,  elles  décrivent 
nne  sorte  d'ellipse. 

Pliées  en  arc  ouvert,  latè  arcuatœ^  quand 
leur  coui  bui  e  approche  de  la  forme  d'un 
segment  de  cercle. 

Pliées  en  angle  ,  angulatim  arcuatœ  , 
quand  Jeuv  çpurburç  est  en  angle  cum^. 
ligue, 


DISTINCTIVES.        121^ 

Anguleuses,  angulatœ ,  quand  leur  forme 
est  angulaire. 

Sans  dents,  edentatœ. 
Ou  avec  des  dents,  dentatœ. 
Ou  avec  de  petites  dents,  denilcuîatœ: 
Diversement    dentées  ,    varié    dentatœ  ; 
quand  les  dents  sont  de  différentes  formes, 

5".  Par  rapport  à  leur  situation  ; 

Supérieui-es ,  supremœ^  si  elles  sont  placées 
dans  le  haut  de  la  tête. 

Inférieures,  infimœ  ,  si  elles  occupent  le 
bas  de  la  tête. 

Moyennes  ,  mediœ  ,  si  elles  se  trouvent 
à  peu  près  vers  le  nrilieu  de  la  tête. 

Terminales ,  terminales ,  si  elles  sont  pla- 
cées à  l'extrémité  du  museau. 

Inclinées,  incumbentes ^  si  elles  sont  pen- 
chées. 

Emboîtées ,  vaginales ,  si  Tune  est  recou- 
verte par  l'autre ,  soit  en  tou^t ,  soit  en  partie. 

4°.  Par  rapport  à  leurs  appendices  : 

Garnies  de  barbillons,  cirrhosœ ,  soit  que 
ces  barbillons  se  trouvent  à  la  mâchoire 
supérieure  ou  à  rinfériei;ire ,  soit  que  l'une 
et  l'autre  en  soient  munies. 

Voilées ,  fornicatœ ,  si  elles  sont  recou- 
vertes par  une  membrane  attachée  iatérieui- 


JS2      DENOMINATIONS 

renient  à  leur  bord  antérieur  par  une  de 
$es  extrémités  ,  tandis  que  l'autre  bord , 
coupé  transversalement  5  pend  sur  la  gorge. 

Les    NAE.INES,   nares. 

Elles  sont  placées  sur  le  devant  du 
museau ,  et  presque  toujours  en  avant  des 
yeux;  elles  diffèrent  entre  elles  : 

1^.  Par  leur  situation  ,  et  elles  sont 

Antérieures,  anteriores ,  quand  elles  sont 
placées  à  l'extrémité  antérieure  des  mâ- 
choires et  loin  des  yeux. 

Moyennes,  mediœ ^  quand  elles  sont  pla- 
cées entre  les  yeux  et  l'extrémité  des  mâ- 
choires. 

Postérieures,  postremœ,  quand  elles  sont 
situées  à  la  partie  supérieure  du  museau,  au 
dessous  et  proche  des  yeux. 

Marginales ,  marginales ,  lorsqu'elles  oc- 
cupent presque  le  bord  de  la  mâchoire. 

Supérieures,  supremœ ,  quand  elles  sont 
placées  sur  le  sommet  de  la  tète,  et  qu'elles 
touchent  presque  les  3^eux. 

Obliques,  ohliquœ  ^  lorsqu'il  y  en  a  une 
plus  avancée  ou  plus  reculée  que  l'autre. 

Droites ,  rectœ  ,  quand  elles  sont  placées 
toutes  deux  sur  la  même  ligne. 


DISTINCTIVES.         i33 

Voisines,  contiguœ  vel  vicinœ  ^  quand  leui-s 
ouvertures  sont  très  -  rapprochées  Tune  de 
l'autre. 

Eloignées  ,  distantes  ,  lorsque  Jes  ouver- 
tures sont  distantes  Tune  de  l'autre. 

2°.  Par  leur  figure,  elles  sont  : 

Rondes,  rotundœ ,  quand  leur  orifice  anté- 
rieur est  arrondi. 

Ovales ,  opales  ,  quand  leurs  ouvertures 
sont  ovales. 

Oblongues,  oblongœ ,  lorsque  leurs  ouver- 
tures sont  un  peu  alongées. 

Tubulées  ou  tubuleuses,  tubulosœ,  quand 
leur  bord ,  s'élevant  un  peu ,  forme  une 
espèce  de  tuyau. 

Cachées  par  les  lèvres ,  obtectœ  ,  lors- 
que la  lèvre  supérieure  sur  -  tout  les  re- 
couvre. 

Découvertes ,  apertœ ,  lorsque  rien  ne  les 
cache. 

3°.  Par  leur  nombre ,  elles  sont  : 

Solitaires,  ou  simples,  5o//^aWcp,  lorsqu'il 
n'y  a  qu'une  ouverture  de  chaque  côté. 

Doubles  ,  geminœ  ,  quand  il  y  a  deux 
ouvertures  de  chaque  côté. 

Nulles,  nullcBy  quand  il  n'y  a  point  d'ou- 
vertures. 


a24      DENOMINATIONS 

4**.  Par  leur  propoiiion  ,  elles  sont  : 

Inégales ,  inœguales ,  quand  une  des  ouverr 
tuies  est  plus  grande  que  l'autre. 

Petites ,  parpœ  sive  exiguœ  ,  quand  les^ 
ouvertures  sont  petites. 

Imperceptibles,  inconspicuœ,  quand  à  peine 
on  aperçoit  leurs  ouvertures. 

L  E  s     Y  E  u  X. 
Les  yeux  des  poissons,  toujours  au  nombre 
de  deux ,  sont  appelés  , 

i"*.  Par  rajîport  à  leur  figure  : 

Planes  ,  plani  vel  depressi ,  quand  leur 
globe  n'excède  pas ,  par  sa  convexité  ,  la 
surface  de  la  tête. 

Protubérans ,  protubérantes  ^  quand  la  con- 
vexité du  globe  excède  la  suj  face  de  la  tète. 

Un  peu  convexes,  démisse  convexi,  quand 
ils  ne  sont  ni  trop  convexes ,  ni  trop  aplatis. 

Globuleux,  globosi ^  quand  ils  sont  bien 
arrondis. 

Ovales,  ovales ^  lorsqu'ils  ont  plus  de  dia- 
mètre en  longueur  qu'en  hauteur. 

Oblongs ,  oblongi,  quand  ils  sont  un  peu 
alongés  du  côté  des  ouïes. 

2^.  Par  rappoi't  à  leur  situation  : 

Latéraux ,  latérales ,  quand  ils  sont  placés 
sur  le  côté  de  Id  tête. 


DISTINCTIVES.  isS 

Elevés ,  supremi ,  quand  ils  sont  placés 
très-haut  sur  le  côté  de  la  tète. 

Verticaux^  verticales^  lorsqu'ils  sont  situés 
sur  le  sommet  même  (Je  la  tête. 

Intermédiaires,  medii ^\o\sç\\xe  leur  situa^ 
tion  est  mitoyenne  entre  le  sommet  de  la 
tête  et  le  bout  du  museau* 

Accouplés,  binnati  vel  unilateres ^  quand 
ils  sont  placés  tous  deux  du  même  côté. 

Voisins ,  vicini ,  quand  ils  sont  très-iap-; 
proches  Tun  de  l'autre. 

Eloignés,  inter  se  remoti ^  lorsque  placés 
sur  les  côtés  de  la  tête,  il  se  trouve  entre 
€ux  une  grande  distance. 

3^.  Par  rapport  à  leur  proportion: 
Grands,  magni,  proportionnellement  au 
volume  de  la  tête. 

^lèàiocvQS ,  pwportionales  sive  médiocres  ^ 
quand  leur  grosseur  est  en  proportion  avec 
celle  du  corps. 

Très-petits,  minlmi,  quand  ils  sont  sen- 
siblement petits,  eu  égard  au  volume  du 
corps. 

4".  Par  rapport  à  leurs  tégumens: 
Nus,  nudiy  lorsqu'ils  ne  sont  pas  pourvus 
d'une  membrane  clignoiante. 

A  demi  -  couverts ,  semitectip   quand  la 


426        DENOMINATIONS 
membrane  clignotante  étant  échancrée,  n'en 
couvre  qu^une  partie. 

Couverts ,  iecti  velamento ,  quand  tout  le 
globe  de  l'œil  est  recouvert  par  la  mem- 
brane clignotante. 

Les  yeux  sont  composés  extérieurement 
de  deux  parties  principales ,  qui  sont  la 
pupille  5 /?wpi//a;  et  Tiris,  iris^  qui  varie  eu 
couleurs. 

On  nomme  la  pupille: 

Orbiculaire  ,  ou  spliérique  ,  orbicularis , 
quand  elle  a  mi  diamètre  égal  dans  tous 
ses  points. 

Ovale,  ovalis^  quand  le  diamètre  en  lon- 
gueur excède  celui  de  la  hauteur. 

Ovée,  opata,  quand  non  seulement  elle 
a  plus  de  diamètre  en  longueur  que  la  hau- 
teur, mais  quand  l'une  des  extrémités  est 
plus  effilée  que  l'autre  ,  c'est-à-dire  ,  quand 
elle  a  la  forme  d'un  œuf. 

Ample  5  anipla ,  quand  elle  a  une  grande 
capacité. 

Resserrée ,  angusta ,  quand  son  volume 
n'est  pas  considérable. 

Anguleuse,  angulata ^  quand  de  chaque 
côté  elle  se  termine  en  angle. 

L'iris  prend  aussi  différentes  dénomina- 
tions, suivant  la  différence  de  ses  couleurs. 


DISTINCTIVES.  127 

On  dit  qu'elle  est: 

Dorée ,  ou  couleur  d'or ,  aurca ,  quand 
elle  est  d'un  jaune  doré. 

Argentée ,  argentea ,  quand  sa  couleur  est 
d'un  blanc  argenté. 

Olivâtre,  olwacea^  lorsque  sa  couleur  est 
d'un  verd  approchant  de  l'olive. 

Fauve,  fiisca,  quand  sa  couleur  approche 
du  rouge  brun. 

Pointillée,/?w^2c^a/a,  quand  elle  est  par- 
semée de  petits  points. 

Nébuleuse,  nebulosa y  quand  elle  paroît 
ombragée  de  nuages. 

La     nuque,   nucha. 

Les  poissons  n'ont  point  de  cou  ;  leur  tête 
se  termine  à  la  nuque,  après  laquelle  com- 
mence immédiatement ,  et  sans  interrup- 
tion, le  tronc  qui  comprend  toutes  les  par- 
ties situées  entre  la  tête  et  l'extrémité  de  là 
queue. 

La  nuque  est  la  partie  antérieure  du 
tronc  la  plus  charnue ,  qui  s'étend  depuis 
la  première  ou  la  seconde  vertèbre  jusque^ 
sur  le  sommet  de  la  tête,  du  moins  dans 
quelques  poissons. 

On  la  dit  : 

En  carène  5  carina ta  ^  quand  elle  offre 
]une  saillie  qui  se  termine  en  angle  aigu. 


128        DENOMINATIONS 

Convexe ,  convexa ,  lorsqu'elle  est  bom-^ 
bée  en  dessus. 

Sillonnée ,  sulcata ,  quand  sa  surface  est 
par  sillons. 

Plane , />/a/2a ,  quand  sa  surface  est  lisse. 

Relevée ,  adscendens ,  quand  elle  fait  saillie 
par  dessus  le  crâne. 

Courbée ,  arcuata ,  quand  elle  en  forme 
un  arc. 

Le     DOS,    dorsum. 

Le  dos  est  la  partie  supérieure  du  corps 
qui  s'étend  depuis  la  nuque  jusqu'à  la  queue. 
Le  dos  prend  différentes  dénominations  à 
raison  de  sa  figure,  de  ses  proportions  et  du 
nombre  des  nageoires  dont  il  est  pourvu. 

1°.  A  raison  de  sa  figure ,  il  est  : 

Droit  j  rectum ,  quand  il  ne  forme  aucune 
inflexion. 

Arqué,  arcuatum ,  quand  il  est  fait  en 
croissant. 

Bossu ,  gibbosum ,  quand  il  est  relevé  ea 
bosse. 

Aplati ,  planmn ,  quand  il  est  affaissé. 

Convexe,  convexurn,  quand  il  est  bombé 
en  dessus. 

Caréné,  carinatum y  quand  la  saillie  est 

amincie 


DISTTNCTIVES.  129^ 
amincie  et  coainie  tranchante  ,  ou  plutôt 
qu'il  est  fait  eu  quille  de  vaisseau. 

Caualiciilé,  canaliculatum ^  quand  sa  sur- 
face supérieure  est  creusée  en  gouttière. 

2".  A  niison  de  ses  proportions ,  il  est  : 

Plus  ou  moins  gros  que  l'abdomen  ,  cras- 
sius  vel  tenuius  abdomine ^  quand  il  est  plus 
ou  moins  large  que  le  ventre. 

Plus  ou  moins  arqué  que  Tabdomen ,' 
mnjus  vel  minus  arcuatum  ahdomine. 

3".  A  raison  du  nombre  de  ses  nageoires^ 
il  est  : 

Monoptérygien ,  monoptery gium  seu  uni-- 
pinne ,  quand  il  ne  porte  qu'une  seule  na- 
geoire. 

Diptérygien  ,  dipterygium  vel  bipinne , 
quand  il  a  deux  nageoires. 

Triptérygien  ,  triple  ry gium  si  va  tripinne  ; 
quand  il  a  trois  nageoires. 

Aptérygien,  apterygium  sive  apinne^  lors- 
qu'il est  dépourvu  de  nageoires. 

Les  cotés,  latera. 

Les  côtés  s'étendent  depuis  l'ouverture  des 
ouïes  jusqu'à  l'anus;  ils  sont  : 

Plats,  plana,  quand  on  n'y  aperçoit  ni 
saillies ,  ni  enfoncemens. 

Poiss,  Tome  IL  I 


i5o         DENOMINATIONS 

Convexes ,  cont^exa ,  lorsqu'ils  sont  bombéîî 
de  chaque  côté. 

A  demi  -  convexes ,  démisse  convexa  sive 
subconvexa  a  ut  coiwexluscula  ,  quand  leur 
convexité  est  moins  saillante. 

Anguleux  ,  angulata  ,  lorsqu'ils  forment 
deux  angles  opposés  par  leur  base. 

Caiénés,  carinata ,  lorsqu'ils  imitent  par 
leur  forme  la  quille  d'un  vaisseau. 

Armés  d'aiguillons,  aculeata^  quand,  sur 
leurs  surfaces ,  il  se  trouve  des  piquans. 

Tuberculeux  ,  tuherculaia ,  lorsqu'il  se 
trouve  des  tubercules  sur  leurs  surfaces. 

Dentelés ,  serrata ,  quand  les  écailles  qui 
les  recouvrent  sont  disposées  en  forme  de 
dents  de  scie. 

La    g  o  r  g  e  5  gula, 

La  gorge  est  située  entre  les  ouvertures 
des  ouïes  ;  on  lui  donne  les  dénominations 
suivantes  : 

Ventrue,  ventricosa  ^  quand  elle  est  plus 
grosse  que  la  tête  ou  que  le  corps. 

Convexe,  corwexn^  quand  elle  est  bombée 
de  chaque  côté,  et  qu'elle  excède  la  largeur 
du  tronc  et  de  la  tète. 

En  carène,  carinnta^  quand  elle  offre  une 
saillie  triangulaire  à  son  extrémité. 


I 


DISTINCTIVES.  i3i 

Plane ,  plana ,  quand  elle  est  au  même 
niveau  que  la  tète  et  le  commencement  du 
tronc. 

La   poitrine   et  le  ventre. 

La  poitrine  ^pectub ,  que  l'on  nomme  aussi 
thorax  ,  prend  son  origine  à  la  base  des 
niàclioires,  et  s'étend  jusqu'à  l'insertion  des 
nageoires  [rectorales. 

Le  ventre  ,  venter ,  est  cette  cavité  qui 
règne  depuis  la  poitrine  ou  le  thorax,  jus- 
qu'à l'origine  de  la  queue  ou  de  l'anus»  Oii 
nomme  abdomen,  abdomen^  la  partie  exté- 
rieure du  ventre  qui  prend  différentes  déno- 
minations ,  suivant  sa  figure. 

Caréné ,  carinatum ,  lorsqu'il  est  aminci 
en  tranchant  par  le  bas. 

Plat  5  planam ,  quand  il  n'offre  ni  enfon- 
cement, ni  saillie. 

Proéminent ,  proeminens ,  quand  il  fait 
saillie  de  chaque  côté. 

Arqué ,  arcuatum  ,  quand  il  forme  deux 
arcs  opposés. 

Enflé,  tumidum^  lorsqu'il  paroît  bour- 
souflé. 

Dentelé,  serratum,  quand  son  bord  infé- 
rieur est  dentelé  comme  la  lame  d'une  scie. 

l2 


iSâ       DENOMINATIONS 

L' ANU  s. 

L'anus ,  anus ,  est  situé  entre  rextrémité  du 
ventre  et  l'origine  de  la  queue  ,*  il  s'appelle  : 

Eloigné,  remotus,  quand  il  est  plus  près 
de  la  queue  que  de  la  tête. 

Gui  aire ,  gularis  ,  quand  il  est  sous  la 
gorge  et  près  de  l'ouverture  des  ouïes. 

Pectoral ,  pectoralis ,  quand  il  est  sous  les 
ouïes  ,  près  de  la  poitrine. 

Au  milieu  du  corps  ,  médius  ,  lorsqu'il 
occupe  le  milieu  entre  les  ouïes  et  l'extrémité 
de  la  queue. 

Latéral ,  latemlis ,  quand  son  orifice  est 
placé  sur  l'un  des  côtés. 

La    queue,  cauda. 

C'est  la  partie  posiérieure  du  corps  qui  est 
charnue;  elle  prend  son  origine  à  l'anus,  et 
termine  le  tronc.  Elle  est  plus  ou  moins 
grosse  ,  plus  ou  moins  longue,  et  son  extré- 
mité afïecte  une  forme  différente  dans  les 
diverses  espèces  de  poissons.  C'est  d'après  ces 
différentes  formes  qu'elle  prend  des  noms 
différens.  On  la  nomme  : 

1°.  Relativement  à  sa  grosseur  : 
Cylindrique  ,  ou  ronde   en  long ,   tere^ 


DISTINCTIVES.  i55 
sîve  suhcylinclrica  y  quand  elle  ne  présente  ni 
angles ,  ni  saillies ,  ni  cavité. 

Comprimée,  catctoplatea  sive  compressa  y 
quand  ses  côtés  sont  aplatis. 

Déprimée ,  plagioplatea  sive  depressa  , 
quand  elle  a  plus  de  largeur  que  de  hauteur. 

En  carène  ,  carinata  ,  quand  sa  partie 
inférieure  offre  la  forme  de  la  quille  d'un 
vaisseau. 

Anguleuse  ^  angulosa ,  quand  elle  forme 
un  angle. 

Tétragone,  tetragona^  quand  elle  présente 
une  figure  à  quatre  angles. 

Hérissée  d'aiguillons,  muricata,  quand  sur 
sa  surface  il  se  trouve  un  grand  nombre 
d'aiguillons. 

2°.  Relativement  à  sa  longueur  : 
Longue  ,  longa ,  lorsque  sa  longueur  ex- 
cède celle  de  la  moitié  du  tronc. 

Médiocre ,  mediocris,  quand  sa  longueur 
est  égale  à  celle  de  la  moitié  du  tronc. 

Courte ,  brepis  ,  quand  elle  est  bien 
plus  courte  que  la  moitié  de  la  longueur 
du  tronc. 

3^.  Relativement  à  sa  forme  : 
Pointue ,  acuta ,  quand  de  sa  base  à  l'extré- 
mité  elle  diminue  insensiblement  en  pointe. 

I  3 


i34        DENOMINATIONS 

En  alêne,  subulata ,  lorsqu'arrondie  à  sa 
base  elle  se  termine  en  pointe  aiguë. 

Tronquée,  tnmcata ,  quand  dans  sa  lon- 
gueur elle  paroît  tranchée  net. 

Ronde  ,  rotunda ,  quand  elle  est  parfaite- 
ment arrondie. 

Spatulée ,  spatulata  ,  quand  elle  est  aplatie 
à  son  extrémité  comme  une  spatule. 

Aptérygienne ,  apterjgia  ,  quand  elle  est 
dépourvue  de  nageoire. 

Diptéjygienne ,  dipterygia ,  quand  sa  na- 
geoire se  partage  en  deux  jusqu'à  son  extré- 
mité. 

Les   écailles,    squamœ. 

Les  écailles  sont  des  lames  aplaties ,  de 
substance  cornée  et  à  demi  -  transparente  , 
dont  le  corps  des  poissons  est  recouvert  en 
tout  ou  en  partie;  elles  sont  arrangées  les 
unes  sur  les  autres,  comme  les  ardoises  des 
toits,  et  ne  sont  pas  adhérentes  entre  elles, 
du  moins  dans  la  plupart  des  poissons;  car 
il  y  a  quelques  espèces  de  ces  animaux  dont 
les  écailles  très-serrées  et  unies  semblent  ne 
former  qu'une  seule  pièce.  On  a  donné  à 
cette  espèce  de  revêtement  osseux  le  nom 
de  cuirasse,  /or/ca. D'autres  sont  couverts  de 
ces  mêmes  écailles  osseuses  ^  mais  distinctes , 


DISTINCTIVES.  i35 

et  cependant  se  tenant  collées  les  unes  aux 
autres  :  c'est  ce  qu'on  appelle  armure ,  cata- 
phrasta.  Il  y  a  clés  écailles  très-minces ,  et 
qui,  en  tout  ou  en  partie,  sont  d'un  brillant 
doré  ou  argenté  ;  d'autres  sont  tellement 
épaisses  que  leur  dureté  approche  de  celle 
des  os. 

1°.  A  raison  de  leurs  formes  ,  on  les 
nomme  : 

Arrondies,  suhroturidœ  ^  quand  leur  ex- 
trémité décrit  un  demi-cercle. 

Ovales  ,  ovales  ,  quand  leur  extrémité 
décrit  une  portion  de  cercle  plus  longue  que 
large. 

Oblongue ,  oblongœ  ,  quand  la  portion  de 
cercle  que  leur  extrémité  décrit  est  encore 
plus  alongée  que  la  précédente. 

Hémisphériques ,  semiorbiculatœ  ,  quand 
elles  ont  la  forme  d'une  boule  coupée  par 
le  milieu. 

Anguleuses,  angulatœ  ,  quand  leur  extré- 
mité est  taillée  en  angle  aigu. 

Carrées ,  subquadratœ ,  quand  cette  même 
extrémité  est  coupée  carrément. 

Crénelées  ,  crenatœ ,  quand  elles  ont  des 
échancrures  à  leur  extrémité. 

Dentées ,  denialœ ,  quand  elles  ont  da 
petites  dents. 

14 


336       DENOMINATIONS 

Hérissées  de  pointes  ,  aculeatœ  ,  quand 
leur  surface  est  garnie  de  pointes  aiguës. 

Ciliées,  ciliatœ ,  quand  elles  sont  recou- 
vertes de  pointes  fines  et  semblables  à  de 
la  soie. 

2°.  A  raison  de  leur  superJGcie  ,  on  les 
nomme  : 

Glabres ,  glnbrœ  ,  quand  elles  sont  lisses 
et  vsans  piquans. 

Rudes  ,  asperœ  ,  lorsque  leur  surface  est 
raboteuse. 

Striées  en  rond  ,  circinnato-striatœ ,  quand 
elles  sont  rayées  de  petits  sillons  circulaires. 

Rayonuées^  radiatœ  ^  quand  leur  suiface 
est  sillonnée  de  rayons  divergens. 

Inégales,  inœquabiles ,  lorsque  leur  sur- 
face est  inégale. 

Tuberculeuses  5  tuhercalaiœ  ^  quand  elles 
sont  parsemées  de  petits  tubercules. 

Ponctuées  , />?/72c^d2^oe ,  quand  leur  surface 
est  parsemée  de  petits  points. 

5°.  A  raison  de  leur  disposition  ,  on  les 
nomme: 

Imbriquées  ou  tuilées ,  imhricatœ  ,  lors- 
qu'elles sont  disposées  en  recouvrement  les 
unes  sur  les  autres ,  comme  les  tuiles  d'ua 
toit. 


DISTTNCTIVES.  1^7 

Obliquement  imbiiquées,  obliqué  imbri- 
catœ  ^  lorsque,  disposées  par  rangées  dis- 
tinctes, elles  sont  en  recouvrement  les  unes 
sur  les  autres  dans  cliaque  rangée  seulement. 

Contiguës  ,  conti^iiœ  ^  quand  elles  sont 
placées  à  côté  Tune  de  l'autre  sans  être  en 
recouvrement  Tune  sur  l'autre. 

Rares,  remotœ  vel  rarœ ,  quand  elles  sont 
un  peu  écai'tées  les  unes  des  autres. 

Ti-ès-petites  ,  minimœ  ,  quand  elles  sont 
si  petites  qu'on  peut  à  peine  les  distinguer 
à  la  vue. 

Cachées,  occultœ ^  quand  elles  sont  recou- 
vertes par  répiderme. 

4".  A  raison  de  leurs  dimensions,  on  les 
nomme  : 

Grandes  ,  magnœ  ;  petites  ,  parvœ  ;  très- 
petites,  minimœ  ;  imperceptibles  ,  vix  cons- 
picuœ  ,  relativement  à  la  grosseur  du  corps. 

5°.  A  raison  de  leur  connexion,  on  les 
nomme  : 

Tombantes,  deciduœ ^  lorsqu'elles  se  dé- 
tachent facilement  de  la  peau. 

Fixes  ,fixœ ,  quand  elles  se  séparent  diffi- 
cilement du  corps. 


i58        DENOMINATIONS 
Ligne  latérale;  linea  lateralis 

On  donne  le  nom  de  latérale  à  celte  ligne 
qui  s'étend  sur  les  côtés  des  poissons ,  et  fait 
la  séparation  entre  le  dos  et  le  ventre;  elle 
s'étend  depuis  les  ouïes  jusqu'à  la  nageoire 
de  la  queue.  Elle  est  formée  par  une  série 
continue  de  points  et  quelquefois  de  petits 
tubercules,  qui  sont  les  orifices  d'une  mul- 
titude de  vaisseaux  excréteurs  qui  y  abou- 
tissent, et  d'où  suinte  une  humeur  visqueuse 
propre  à  entretenir  la  souplesse  de  la  peau 
du  poisson ,  et  le  défendre  contre  le  froid 
et  la  compression  de  Feau. 

1^.  Par  rapport  à  la  situation ,  la  ligne 
latérale  est  : 

Très-élevée,  suprema^  si  elle  se  rapproche 
beaucoup  du  dos. 

Moyenne  ,  média ,  si  elle  est  à  peu  près 
au  milieu  des  côtés  du  corps. 

Basse,  infima,  si  elle  se  rapproche  plus 
du  ventre  que  du  dos. 

2°.  Par  rapport  à  sa  figure,  elle  est  : 

Ponctuée  ,  punctata ,  si  e\\e  est  formée  de 
points. 

Linéaire  ,  lineata ,  si  elle  est  formée  par 
de  petites  lignes  interrompues. 


DISTINCTIVES.  iSg 

Annul'diie ,  annulata  ,  si  elle  est  composée 
cTLine  suiLe  de  petits  anneaux  ovales. 

Dentée,  dentata^  si  elle  est  marquée  par 
une  série  de  petites  dents. 

3°.  Par  rapport  à  sa  direction ,  elle  est  : 

Droite  ,  recta ,  si  elle  s'élend  de  la  le  te  à 
la  queue  sans  aucune  inflexion. 

Courbe,  curva^  si,  dans  sa  direction  ,  elle- 
s'incline  ou  vers  le  ventre  ou  vers  le  dos. 

Flexueuse  ou  mixte , //é'.rwo^a  ,  si,  dans 
l'espace  qu'elle  parcourt,  elle  est  en  partie 
droite  et  en  partie  courbe. 

Interrompue,  ïnterrupta ^  si  elle  se  partage 
en  deux  ou  en  plusieurs  parties  qui  ont  des 
directions  différentes. 

Descendante,  descendens  ^  si  de  la  nuque 
elle  descend  à  la  queue  en  ligne  oblique. 

Oblitérée  ou  elïacée  ,  obliterata  ,  si  eW^ 
est  apparente. 

4°.  Par  rapport  à  sa  superficie ,  elle  est  : 

Lisse,  glabra ,  si  elle  ne  présente  ni  éléva- 
tions ,  ni  aspérités. 

Epineuse  ,  spinosa  ,  si  sa  direction  est 
marquée  par  des  épines. 

Imbriquée  ,  imbricata  ,  si  ^e  est  formée 
par  une  espèce  particulière  d'écaillés  placées 
en  recouvrement  les  unes  sur  les  autres. 


i4o         DENOMINATIONS 

Imprimée  en  creux ,  impressa ,  si  elle  esÉ 
en  sillon  un  peu  enfoncé. 

Imprimée  en  relief,  eminens,  si  elle  est 
en  ligne  saillante. 

Poreuse  ,  pcrosa ,  si  elle  est  formée  par 
une  séi'ie  de  petits  trous  placés  les  uns  à  la 
suite  des  autres. 

Cuirassée ,  loricata ,  si  le  reste  du  corps 
étant  lisse ,  elle  est  seule  armée  de  pointes , 
d'os  ou  de  tubercules. 

Lignes     interstitiales;    Uneœ 
interstitiales. 

Ce  sont  des  raies  transversales,  ou  lon- 
gitudinales 5  que  Ton  remarque  sur  la  peau 
nue  de  quelques  espèces  de  poissons  aux 
endroits  où  les  muscles  se  joignent. 

Matière     visqueuse;    mueus 
externus. 

Cette  matière  gluante  et  visqueuse,  dont 
le  corps  de  la  plupart  des  poissons  est  enduit 
et  qui  les  rend  glissans  dans  la  main ,  ne 
suinle  pas  seulement  des  pores  de  la  tête 
et  du  corps  ,  ni  des  orifices  des  vaisseaux 
de  la  ligne  latérale  ;  mais  il  paroît  qu'elle 
est  produite    par  des    glandes    excrétoires 


D  I  s  T  I  N  C  T  I V  E  s.  141 

répandues  sur  toute  la  surface  du  corps,  et 
qui  la  poussent  à  Texte  rieur  par  des  pores 
particuliers  :  on  doit  regarder  cette  sécrélion 
comme  une  espèce  de  tranpiration  que  la 
Nature  a  destinée  ,  soit  à  empêcher  les 
écailles  de  se  coller  les  unes  contre  les  au- 
tres ,  ou  de  trop  se  dessécher ,  soit  à  s'op- 
poser à  l'entrée  de  Teau  ,  par  les  pores,' 
dans  l'intérieur  des  poissons  ,•  soit  enfin  à 
les  rendre  plus  souples  et  plus  susceptibles 
d'exécuter  leurs  divers  mouvemens  dans 
l'eau. 

Ouverture  des  branchies; 
foramina  hrancliiarum ,  apertura  bran-, 
chialis, 

1°.  La  différence  dans  la  situation  des 
ouvertures  des  branchies,  ou  ouvertures 
branchiales,  leur  a  fait  donner  les  épithètes 
suivantes  : 

Gulaire ,  gularis  ,  si  l'ouverture  est  au 
dessous  de  la  gorge. 

Latérale ,  lateralis ,  si  elle  est  sur  les 
côtés. 

Cervicale ,  cervicalis ,  si  elle  se  rapproche 
du  derrière  de  la  tête. 

Occipitale,  occipitalis ^  si  elle  est  située 
yers  la  nuque. 


142       DENOMINATIONS 

2«.  Sa  forme  Ta  fait  appeler  : 

Arquée ,  arcuata ,  si  elle  a  la  forme  d'un 
croissant. 

En  tube,  tuhulosa^  si  elle  est  formée  en 
tuyau. 

Tortueuse,  repanda ,  si  elle  fait  plusieurs 
sinuosités. 

Ovée,  ovata  ,  si  elle  a  la  forme  d'un  œuf. 

Droite  ,  recta ,  si  elle  ne  s'incline  d'aucun 
côté. 

Linéaire  ,  îincaris  ,  si  elle  se  montre 
comme  une  ligne  étroite. 

Oblique,  obliqua,  si  elle  s'incline  un  peu 
de  côté. 

5°.  Ses  dimensions  Font  fait  nommer  : 

Médiocre ,  mediocris ,  si  elle  est  en  pro- 
portion avec  le  volume  du  corps. 

Grande  ,  trés-ample  ,  magna  et  amplis- 
sima  ,  si  elle  est  disproportionnée  par  son 
ampleur,  relativement  à  la  tête. 

4".  Ses  tégumens  lui  font  donner  les  dé- 
nominations suivantes  : 

Operculée  ,  operculata ,  si  elle  est  recou- 
verte en  entier  par  les  opercules. 

Sémi-operculée,  seminudata  ^  si  elle  n^est 
recouverte  qu'à  moitié  par  fopercule. 


DISTINCTIVES.  i45 

Découverte  ,  nue ,  intecta  vel  nuda  ,  si 
l'opercule  est  bâillante. 

Ouverte ,  aperta ,  si  elle  est  dépourvue 
d'opercule. 

Aiguillons  et  tubercules 
RUDES,  qui  s'élèvent  sur  la  peau  des 
poissons;  aculei  et  tubercula  aspera. 

Outre  les  aiguillons  ,  ou  rayons  osseux, 
durs  et  piquans  des  nageoires ,  il  y  en  a 
d'autres  qui  sont  des  tubercules  osseux, 
implantés  dans  la  peau  du  corps  de  quel- 
ques espèces  de  poissons.  Ils  sont  difïérens 
des  pointes  dont  la  tête  de  quelques  autres 
espèces  est  hérissée ,  et  qui  ne  sont  que  des 
apophyses  saillantes  des  os  de  la  tête. 

Appendices,  additamenta. 

Les  barbillons  ou  les  cirrhes  sont  des 
appendices  des  mâchoires  dont  il  a  déjà  été 
question  précédemment. 

Les  pinnules  ,  pinnulœ  ,  sont  de  petits 
rebords  ou  proéminences  externes  ,  res- 
semblant en  quelque  sorte  aux  petites  na- 
geoires adipeuses  en  aux  barbillons ,  et  qui 
sont  placées  tantôt  près  des  yeux  ,  tantôt 
près  des  narines ,  et  d'autres  fois  sur  la 


144        DENOMINATIONS 

queue  de  quelques  espèces  de  poissons. 
JElles  ne  différent  des  cinhes  ou  des  bar- 
billons que  par  la  place  qu'elles  occupent. 
Il  y  en  a  de  se  lacées ,  d'aplaties ,  de  den- 
telées et  de  triangulaires. 

La  crête,  cris  ta ,  est  une  petite  pinnule 
placée  sur  le  sommet  de  la  tête. 

Les  tentacules ,  tentacula ,  sont  de  longs 
cartilages  sétacés ,  longs  et  mobiles ,  qui  sont 
implantés  sur  le  museau  ou  sur  le  front  de 
certains  poissons. 

Les  raclures  ,  ramcnta  ,  sont  de  petites 
appendices  fibreuses  et  molles,  qui  se  trou- 
vent à  l'extrémité  et  au  bord  postérieur 
des  osselets,  comme  si  la  membrane  dont 
ils  sont  recouverts  avoit  été  raclée. 

Les  épines ,  spinœ ,  prolongemens  très- 
aigus  ,  nus  et  immobiles  de  l'os  de  la  tète 
et  du  front  dans  quelques  espèces  de  pois- 
sons. 

Les  aiguillons  5  aculei ,  sont,  comme  les 
épines,  des  corps  durs,  osseux  et  pointus; 
mais  ils  en  diffèrent  en  ce  qu'ils  sont  mo- 
biles à  droite  ou  à  gauche  ,  en  avant  ou 
en  arrière  ,  par  des  muscles  particuliers , 
tandis  que  les  épines  sont  fixes  et  ue  sont 
susceptibles  d'aucun  mouvement.  Il  ne  faut 
pas  confondre  ces  aiguillons  avec  ceux  des 

jna^eoii  es  ' 


DISTINCTIVES.  i45 

nageoires.  (  Voyez  ci- devant  rarticle  des 
nageoires.) 

Les  doigts  ,  digiti  ,  osselets  flexibles  ,  sé- 
tacés,  séparés  et  libres,  placés,  dans  quel- 
ques poissons  ,  entre  les  nageoires  pectorales 
et  les  ventrales. 

Le  bouclier,  clypeus  vel  scutum  ,  est  une 
espèce  de  disque  ovale,  plat,  dur  et  rude 
au  toucher,*  il  couvre  la  tête  et  la  poitrine 
de  quelques  poissons. 

La  suture ,  sutura ,  ligne  rude  ou  à 
pointes ,  qui  s  élève  sur  le  dos  et  l'abdonieu 
de  quelques  poissons. 

Parties  intérieures   des  Poissons. 

La  langue,  lingua. 

Tous  les  poissons  ont  une  langue;  ils  en 
ont,  du  moins,  la  base  ou  la  racine.  Elle 
n'est  point  d'un  usage  aussi  indispensa ble- 
nient  nécessaire  aux  poissons  qu^aux  qua- 
drupèdes et  aux  cétacés;  car  les  premiers 
l'ont  ou  imparfaite  ou  cartilagineuse  ,  et 
presque  toujours  immobile. 

La  langue  des  poissons  varie  par  sa  figure, 
sa  substance  ,  sa  surface  et  par  les  mouve- 
mens  dont  elle  est  susceptible. 

1".  Par  sa  figure,  on  la  nomme  : 
Fûiss.  Tome  IL  K 


i4G        DENOMINATIONS 

Aiguë ,  acuta ,  lorsque  son  extrémité  se 
termine  en  pointe. 

En  aîéne  ,  sulmlata  ^  lorsqu'elle  est  ar- 
rondie à  sa  base,  et  qu'elle  se  termine  en 
pointe  longue  comme  l'aiéne  des  coidon- 
ïiiers. 

Obtuse ,  ohtusa  ,  lorsque  son  extrémité 
est  tronquée  et  comme  coupée. 

Entière ,  intégra ,  quand  elle  n'a  aucune 
espèce  d'écliancrure. 

Echanci'ée  ,  emarginata ,  quand  son  ex- 
trémité est  fendue  en  deux  parties. 

Frangée ,  ciliata  ,  quand  ses  côtés  sont 
déchiquetés  en  frange. 

Carénée ,  carinala  ,  quand  il  se  trouve 
une  saillie  soit  en  dessus ,  soit  en  dessous. 

Convexe,  convexa  ^  quand  son  plan  su- 
périeur est  arrondi,  et  que  l'inférieur  est 
aplati. 

Plane  ,  plana  ,  quand  ses  deux  plans  sont 
aplatis. 

2^.  Par  sa  substance ,  on  la  nomme  : 

Charnue  ,  carnosa  ,  quand  elle  est  toute 
(Je  chair. 

Cartilagineuse  ,  cartilaginea  ,  quand  elle 
est  d'une  substance  plus  dure  ,  épaisse  et 
grasse ,  crassa. 


D  I  s  T  I  N  C  T  I V  E  s.  147 

5®.  Par  sa  surface  ,  on  la  iX)nime  : 

Lisse  ,  glabra  ,  quand  sa  surface  n'a  ni 
dents ,  ni  aspérités ,  ni  papilles. 

Papillonnée  ou  mamelonnée  , /?<2/?i7/o5a, 
quand  elle  est  couvejle  de  pap  lies  ou  de 
petites  éminences  molles  et  rondes. 

Rude  ,  scabra ,  quand  sa  surface  est  comme 
du  chagrin. 

Dentelée  ou  denticulée  ,  denliculata  ; 
quand  sa  surface  est  couverte  de  très-petites 
dents  égales. 

Dentée  ,  dentata  ,  quand  sa  surface  est 
armée  de  dénis  différentes  entre  elles,  soit 
par  leur  forme ,  soit  par  leurs  proportions. 

4**.  Par  sesmouvemens,  on  la  nomme: 

Libre ,  mobile ,  soluta ,  quand  rien  ne 
rem[)éche  d'exécuter  ses  mouvemens. 

Attachée ,  immobile ,  annexa ,  immobilis, 
quand  des  ligamens  Fempéchent  d'exécuter 
ises  mouvemens. 

Engainée,  vjglnata,  quand  elle  est  recou- 
verte d'une  membrane  qui  forme  une  voûte 
dans  les  mâchoires  de  quelques  poissons. 
Les  branchies  ,  ou  les  ouïes  ,  branchiœ: 

Ce  sont  les  organes  par  lesquels  les  pois- 
sous  respirent,  et  elles  sont  situées  entre  la 

tête  et  le  tronc. 

^2 


148        DENOMINATIONS 

Les  branchies  varient  soit  à  raison  de  leur, 
situation ,  soit  par  rapport  à  leur  figure. 

1^.  Par  rapport* à  leur  situation,  on  les 
appelle  : 

Première ,  prima ,  seconde ,  secunda ,  troi- 
sième, teriia,  quatrième  ou  dernière,  quarta 
vel  ultlma  ,  suivant  qu'elles  sont  plus  près 
ou  plus  éloignées  de  Fopercule. 

Voisines,  picinœ,  quand  toutes  aboutissent 
à  leur  ouverture. 

Reculées  ou  enfoncées,  retroactœ^  quand 
elles  sont  plus  près  de  la  bouche  que  de 
leur  ouverture. 

Operculées  ,  ou  couvertes  ,  operculatœ  , 
quand  elles  sont  entièrement  recouvertes 
par  les  opercules. 

Cachées  ,  occultœ ,  quand  Topercule,  étant 
collé  au  tronc,  ne  peut  s'ouvrir. 

Nues ,  denudatœ ,  quand  elles  n'ont  point 
d'opercules. 

Latérales,  latérales^  quand  elles  sont  pla- 
cées sur  les  côtés,  et  c'est  la  position  la  plus 
commune. 

Occipitales,  occipitales^  lorsqu'elles  sont 
placées  sur  le  cou  ou  sur  la  nuque. 

2«,  Par  rapport  à  leur  figure ,  on  les 
appelle. 


DISTINCTIVES.         i4() 

Semblables,  si/ni  les ,  quand  elles  sont  con- 
formées Tune  comme  Tautre. 

Dissemblables ,  dissimiles,  quand  leur  con- 
formation est  difïërente. 

Inégales  ,  inœquales ,  lorsque  Tune  est 
grande  et  Taulre  petite. 

Courbées,  arcuatœ ,  quand  elles  sont  cour- 
bées en  arc. 

Compliquées ,  cojnplîcatœ ,  quand  les  deux 
bras  d'un  arc  un  peu  courbé  se  rapprochent , 
sous  un  angle  trés-aigu ,  de  la  bouche  fermée. 

En  crochet,  uncinatœ ,  quand  le  bras  infé- 
rieur presque  droit  est  deux  ou  trois  fois 
plus  long  que  le  supérieur  courbé. 

Monophyles ,  monophyllœ^  diphyles  ,  di- 
phjllœ ,  quand  elles  sont  garnies  d'un  ou 
de  deux  rangs  d'osselets. 

Tuberculées,  infra  tuberculatœ ,  quand  la 
partie  arquée  de  Fosselet  est  chargée  en 
dessous  de  tubercules. 

Armées  de  pointes ,  aculeatœ ,  quand  la 
partie  concave  de  l'osselet  est  hérissée  de 
piquans. 

Dentées ,  serrât œ ,  quand  la  partie  concave 
de  l'osselet  est  dentée  comme  une  scie. 

Glabres  ou  unies,  glabrœ,  quand  la  partie 
concave  de  l'osselet  est  lisse  et  sans  aucune 
aspérité. 

K.5 


i5o        DENOMINATIONS 

Pectinées ,  pectini formes ,  quand  la  partie 
convexe  de  TosseleL  est  garnie  de  barbes, 
semblables  aux  dents  d'un  peigne. 

En  crible,  cribriformes ^  quand  elles  sont 
percées  d'une  multitude  de  petits  trous, 
comme  un  crible. 

Le     c  (H  u  r  ,    cor. 

Le  cœur  des  poissons  est  placé  presque  sur 
le  sternum,  au  dessous  des  branchies;  il  est 
souvent  renfermé  dans  un  péricarpe ,  eu 
partie  libre,  et  en  partie  adhérent.  Le  cœur 
et  son  péricarpe  sont  placés  dans  une  grande 
cavité  ;  le  cœur  dont  les  parois  sont  ridées 
présente  une  multitude  de  petites  cellules; 
dans  sa  partie  supérieure  il  se  trouve  un 
orifice  qui  répond  à  Faorte,  et  sur  le  côté, 
il  s'en  trouve  un  autre  qui  communique  à 
l'oreillette  ;  sa  situation  est  longitudinale , 
comme  dans  les  quadrupèdes.  Sa  forme 
n'est  point  constante  ;  il  est  aplati ,  corn- 
jpressum ,  dans  plusieurs  espèces  de  poissons  ; 
triangulaire  ou  pyramidal ,  prismaticum  vel 
pyramidale  ;  dans  d'autres  ,  il  est  rétréci 
en  devant  ,  ante  arctius  ;  dans  quelques 
espèces  enfin ,  tronqué  obliquement  ea 
^P'ière ,  ponè  çbliguè  trunçatuni. 


DISTINCTIVES.  i5i 

L'oREiLiiETTE  DU  COEUR,  audcula  cordis. 

Le  cœur  des  poissons  n'a  qu'une  seule 
oreillette,  mais  qui  est  très-grande;  c'est  un 
sac  musciilenx  très  -  mince  ,  de  la  même 
couleur  que  le  cœur ,  et  qui  est  situé  au 
côté  gauche  de  ce  viscère.  A  son  insertion 
avec  le  cœur,  elle  est  pei-cée  de  deux  trous, 
l'un  supérieur,  et  l'autre  inférieur.  Parle 
premier,  elle  communique  avec  le  trou 
latéral  gauche  du  cœur,  et  par  le  second, 
avec  le  sinus  veineux. 


L'aorte,  aorte. 


Suivant  les  observations  de  Gouan,  qui 
de  tous  les  ichthyologistes  a  examiné  avec 
le  plus  de  soin  les  parties  intérieures  des 
poissons,  l'aorte  est  attachée  à  la  pointe  du 
cœur,  et  repiésente  un  petit  cône;  intérieu-" 
renient  elle  est  garnie  de  petites  colonnes 
OtX  cordes;  ensaii:e  eWe  se  rétrécit,  et  donne: 
a'\  De  chaque  côté  un  tronc  latéral  fort 
court,  qui  se  divise  d'abord  en  deux  vaisr 
seaux  laiéraux  ,  dont  l'inférieur  ou  posté- 
rieur décrit  une  courbe  de  devant  en  arrière, 
et  va  se  loger  dans  la  branchie  postérieure; 
et  le  second ,  s'éloignant  du  premier  par  un 

K4 


i52        DENOMINATIONS 

angle  oblique ,  va  en  droite  ligne  dans  la 
troisième  ou  pénullième  branchie; 

2°.  Le  Ironc  de  Taorte  se  divise  ensuite 
d'une  manière  p'nis  régulière  ;  les  lameaux 
qui  vont  à  la  seconde  et  ceux  qui  vont  à  la 
première  branchie  étant  accouplés  et  éloignés 
les  uns  des  autres  ,  logés  chacun  dans  un 
sillon  ,  creusé  sur  la  convexité  de  l'arcade 
des  ouïes,  et  formant,  par  leur  union  vers 
la  base  du  crâne  et  avant  la  poitrine  ,  un 
tronc  presque  semblable  à  celui  dont  ils 
tirent  leur  origine.  L'aorle  descend  ensuite 
jusqu'à  l'extrémité  du  corps;  e]le  est  appli- 
quée contre  les  vertèbres ,  et  adossée  à  la 
veine  cave.  Le  sang  que  Tartère  a  porté  dans 
le  ventre  et  dans  les  parties  inférieures  est 
repris  par  des  i^ameaux  veineux,  qui,  à  leur 
tour,  se  réunissent  et  forment  un  seul  tronc 
veineux  ou  veine  cave  (i). 

Le  diaphragme,  diaphragma. 

Le  diaphragme  consiste  dans  une  mem- 
brane blanche  assez  forte,  en  partie  charnue 
et  en  partie  tendineuse  ;  elle  est  attachée  par 
sa  partie  supérieure,  vers  la  nuque  et  aux 

(i)  Histoire  des  poissons,  par  Antoine  Gouan  j 
page  92. 


DISTINCTIYES.  i55 

premières  vertèbres  ;  elle  traverse  oblique- 
ment la  poitrine  et  la  sépare  de  Tabdomen, 
comme  elle  sépare  le  cœur  des  autres  vis- 
cères; elle  est  percée  par  l'œsophage,  et  c'est 
elle  qui  forme  la  face  postérieure  de  la  ca- 
vité de  la  poitrine.  Celte  membi  ane  est  très- 
appa renie  dans  les  grandes  espèces  de  pois- 
sons. 

Viscères  de  l'abdomen  et  l'œsophage, 

uiscem  abdominis  et  gula, 

Les^  poissons  ont  les  mêmes  viscères  que 
les  quadrupèdes,  mais  ils  sont  souvent  moins 
nombreux. 

L'œsophage  est  ce  canal  étroit  qui  est  situé 
depuis  le  fond  de  la  bouche  jusqu'au  ven- 
tricule. Il  ne  se  distingue  du  ventricule  que 
parce  qu'il  est  plus  étroit ,  d'une  couleur 
différente ,  et  lisse  sur  sa  surface  interne. 

Le  ventricule  ou  l'estomac,  ventriculus. 

Le  ventricule  ou  l'estomac  des  poissons 
est  un  sac  membraneux  qui  n'a  presque 
aucune»  chaleur.  Sa  situation  est  le  plus  sou- 
vent longitudinale,  et  il  n'est  pas  semblable 
dans  tous  les  poissons.  Dans  les  uns  il  est 
plus  grand  ou  plus  épais  que  dans  les  autres. 
11  est  dans  ceux-ci  ové  ou  cylindrique,  et 


i54        DENOMINATIONS 

dans  ceux-là  il  est  sphériqiie  ou  partagé  en 
deux  lobes;  mais  dans  tous  il  n'y  a  qu^un 
seul  ventricule. 

Les  petits  instestins  ou  appendices 
DU  PYi^oRE  ,  appendices  seu  inteslina 
cœca  pjlori. 

Dans  la  plus  grande  partie  des  poissons^ 
le  p3^1ore  est  garni  de  plusieurs  appendices 
creuses ,  semblables  à  de  petits  intestins 
cœcum  ,  et  qui  paroissent  concourir  à  la 
digestion.  Ces  mêmes  appendicps  diffèrent 
enfi'eiix  soit  pour  le  nombre,  pour  la  figure 
et  pour  la  longneur. 

i^.  Par  le  nombre,  ils  sont  nuls  quand  ils 
n'existent  point,  comme  dans  la  plupart  des 
poissons  cartilagineux,*  ou  il  n'y  en  a  qu'un, 
ou  deux  fort  couiLs,  ou  trois,  quatre,  cinq, 
six  et  sept  grands,  ou  de  luiit  à  douze,  ou 
de  dix-sept  à  dix- huit ,  ou  vingt  et  au  dt^lk, 
ou  trente  et  au  delà,  ou  soixante  et  au  delky 
ou  environ  ([ualre- vingts,  ou  cent  et  au  delà, 
ou  enfin  une  quantité  presque  innombrable. 

2*^.  Par  la  forme,  ces  petits  intestins  ou 
appendices  sont  longs  et  étroits,  ou  très- 
courts  et  larges. 

3°.  Par  leurs  proportions ,  ils  sont  ou  beau- 
coup plus  étroits  que  l'intestin,  conmiedans 


DISTINCTIVES.         i55 

1(^  plus  grand  nombre  des  poissons ,  ou  ils  ont 
à  peu  près  la  moine  capacité  que  Tinteslin, 

li'iNTESTiN  RECTUM ,  intesUnum  inferius 
seu  rectum. 

Le  paquet  intestinal  des  poissons  est  placé 
an  long.  Le  rectum  est  situé  sous  la  vessie 
urinaire.  Sa  tunique  intérieure  est  quelque- 
fois garnie  de  valvules  ou  soupapes ,  et 
plissée  en  volute.  11  est  i"  par  sa  forme, 
ou  droit  ou  simple  ,  lorsqu'il  va  en  ligne 
droite  du  ventricule  k  Tanus;  ou  à  vme  seule 
circonvolution  à  sa  partie  supérieure  ,  ou 
faisant  plusieurs  sinuosités  ou  circonvolu- 
tions ;  '2^  par  ses  dimensions  ,  comparées  au 
volume  du  corps,  il  a  moins  de  longueur 
que  le  corps,  ou  il  a  environ  la  même  lon- 
gueur y  ou  il  est  beaucoup  plus  long. 

Le  foie,  hepar,    . 

La  couleur  du  foie  des  poissons  est  ordi- 
nairement jaunâtre,'  il  est  presque  toujours 
fort  grand  en  comparaison  du  corps,  et  placé 
du  côté  gauche  de  Fabdomeu ,  rarement  du 
côté  droit,  ou  sur  le  devant  du  ventre, 
dont  il  remplit  presque  toute  la  capacité  ; 
mais  toujours  il  est  sous  les  intestins  et  sous 


i56        DENOMINATIONS 

l'estomac.  Ce  viscère  est  quelquefois  simple 
ou  formé  par  un  seul  lobe;  d'autres  fois  il 
est  partagé  en  deux,  trois  lobes,  et  même 
davantage;  il  est  tantôt  beaucoup  plus  court 
que  l'abdomen,  tantôt  il  a  presque  la  même 
longueur. 

La  vésicule  du  fiel.  ,  pesica  fellls. 

Il  n'est  aucune  espèce  de  poissons  dans 
laquelle  on  ne  trouve  une  vésicule  du  liel  : 
cette  vésicule ,  qui  est  située  sous  le  côté 
droit  du  foie,  communique  avec  l'estomac 
et  avec  les  intestins  par  deux  conduits  ,  dont 
l'un  se  nomme  cystique^  et  l'autre  coledoque. 
Sa  forme  est  ovée  ou  oblongue.  Elle  est 
tantôt  enveloppée  dans  le  foie ,  tantôt  elle 
y  est  fixée  en  dessous  ;  tantôt  enfin  elle  en 
est  séparée  par  un  col  alougé. 

La    r ate  ,    lien. 

Beaucoup  plus  petite  que  le  foie,  et  d'une 
couleur  plus  foncée  ;  la  rate  est  presque 
toujours  au  côté  gauche  de  l'abdomen.  Elle 
est  oïdinaiiement  d'une  seule  pièce ,  et  ra- 
rement partagée  en  plusieurs  lobes ,  qui 
n'adhèrent  les  uns  aux  autres  que  par  des 
ligamens  assez  foibles.  Sa  forme  est  oblongue 
et  aplatie. 


DISTINCTTVES.         167 
Le    pancréas,  pancréas. 

Plusieurs  espèces  de  poissons  cartilagineux 
ont  un  pancréas;  mais  il  est  douteux  qu'il 
y  en  ait  dans  les  autres.  Dans  un  grand 
nombre  de  poissons  les  appendices  du  pylore 
tiennent  lieu  du  pancréas. 

Les    ovaires,    oçaria. 

Tous  les  poissons  ont  des  ovaires,  de  même 
que  des  œufs,  qui  diffèrent  par  le  nombre, 
par  la  silualion,  par  la  figure  et  par  la 
conformation. 

1^.  Par  le  nombre,  les  ovaires  sont  doubles 
où  il  y  eu  a  deux. 

Ou  il  n'y  a  qu'un  ovaire  simple. 

2°.  Par  la  situation,  l'ovaire  occupe  toute 
la  longueur  ou  seulement  la  partie  supé- 
rieure de  l'abdomen. 

3".  Par  la  figure ,  l'ovaire  est  oblong  et 
comprimé  de  chaque  côté.  Il  est  oblong  et 
cylindrique.  11  est  arrondi. 

La  vessie  urinaire  ,  i^esica  urinaria. 

Il  n'y  a  pas  un  seul  poisson  qui  n'ait 
une  vessie  urinaire.  Cette  vessie  ,  placée 
sur  l'intestin  rectum ,  est  ordinairement  de 
forme  ovale. 


i58         DENOMINATIONS 

Le  péritoine  ;  peritonœum, 

lie  périloine  est  une  membrane  fine  qui 
eiîtoïire  l'abdomen  des  poissons;  elle  est  de 
différcnlps  couleurs;  mais  le  plus  souvent 
elle  est  d'un  brillant  argenté  fort  agréable. 


Je  ne  pousserai  pas  plus  loin  celte  no- 
inenclaltire  des  parties  internes  des  poissons  , 
parce  que  ces  parties  ne  portent  pas,  dans 
la  classe  des  animaux  dont  je  m'occupe , 
d'autres  noms  que  dans  la  classe  des  qua- 
drupèdes et  des  oiseaux.  Il  en  est  de  même 
du  squelette  des  poissons,  dont  les  os  n'ont 
point  de  dénominations  particulières.  D'ail- 
leui^  CCS  longs  délails  anatomiques  ne  font 
point  partie  du  plan  de  cet  onviage,  et  y 
deviendroient  un  liors-d'œuvre  ,  dès  qu'ils 
y  prendroient  trop  d'espace.  Cependant  ^ 
comrae  les  poissons  respirent  d'une  toute 
autre  manière  que  les  quadrupèdes  et  les 
oiseaux,  et  que  le  sang  circule  chez  eux 
par  UQ  mécanisme  diiFérent ,  il  ne  sera  pas 
inutile  d'expliquer  .  ce  mécanisme  avec 
quelque  étendue.  Ce  que  je  dirai  à  ce  sujet 
intéressant  est  extrait  du  Mémoiie  sur  la 
circulation  du  sang  des  poissons  qui  ont  des 


DISTINCTIVËS.  i5(| 
ouïes,  par  un  de  nos  plus  célèbres  anato- 
mis  tes ,  M.  D'.iverney  (i). 

M.  Duveniey  choisit ,  pour  ses  observa- 
tions ,  la  carpe ,  poisson  q  ue  Ton  trouve  plus 
cominodétneot ,  et  sur  lequel  on  peut  avec 
facilité  suivre  et  vérifier  les  remarques  de 
l'anatomiste. 

Le  cœur  de  tous  les  poissons  n'a,  comme 
il  a  été  dit,  qu'une  cavité  et  par  conséquent 
qu'une  oreillette  à  l'embouchiu^e  du  vaisseau 
qui  y  rapporte  le  sang.  Celle  du  cœur  de  la 
carpe  est  appliquée  au  côté  gauche. 

La  chair  du  cœur  est  fort  épaisse  ,  par 
rapport  à  son  volume,  et  ses  fibres  sont 
très-compactes  :  aussi  a-t-il  besoin  d'une 
forte  action  pour  la  circulation. 

Oo  çait  que  les  ouïes  servent  de  poumons 
aux  poissons.  Leur  charpente  est  composée 
de  quatre  côtes  de  chaque  côtés  ,  qui  se 
meuvent  tant  sur  elles-mêmes  en  s'ouviant 
et  se  resserrant,  qu'à  l'égard  de  leurs  deux 
appuis  supérieur  et  inférieur,  en  s'écartant 
de  l'un  et  de  l'autre  ,  et  en  s'en  rapprochant. 
Le  côté  convexe  de  chaque  côte  (  2  )  est 

(i)  Ce  Mémoire  est  inséré  dans  l'Histoire  de  l'aca- 
démie des  sciences  ,  ainiée    170 1. 

(2.)  Duverney  appelle  les  côtes  des  ouïes  les  arcs, 
arcus  hranchiarum. 


i6a        DENOMINATIONS 

chargé  sur  ses  deux  bords  de  deux  espèces 
de  feuillets;  cliacuii  desquels  est  composé 
d'uu  rang  de  lames  étroites ,  rangées  et  ser- 
rées Tune  contre  l'autre,  qui  forment  comme 
autant  de  baibes  ou  franges  semblables  à 
celles  d'une  plume  à  écrire;  et  ce  sont  ces 
franges  que  l'on  peut  appeler  proprement 
le  poumon  des  poissons. 

Il  résulte  de  cette  conformation ,  que  la 
poitrine  est  dans  la  bouche  aussi  bien  que 
le  poumon;  que  les  cotes  portent  le  pou- 
mon, et  que  Fanimal  respire  Feau.  Les  ex- 
trémités de  ces  côtes,  qui  regardent  la  gorge, 
sont  jointes  ensemble  par  plusieurs  petits  os 
qui  forment  une  espèce  de  sternum  (i);  en 
sorte  néanmoins  que  les  côtçs  ont  un  jeu 
beaucoup  plus  libre  sur  ce  sternum,  et 
peuvent  s'écarter  l'une  de  l'autre  beaucoup 
plus  facilement  que  celles  de  l'homme  ,  et 
que  ce  sternum  peut  être  soulevé  et  abaissé. 
Les  autres  extrémités,  qui  regardent  la  base 
du  crâne ,  sont  aussi  jointes  par  quelques 
osselets,  qui  s'articulent  avec  cette  même 
base,  et  qui  peuvent  s'en  éloigner  ou  s'en 
approcher. 

(ï)  C'est  un  prolongement  de  l'os  liyoïdeJ 

Chaque 


DISTINCTIVES.         1613 

Chaque  côte  (  1  )  est  composée  de  deux 
pièces,  jointes  par  un  cartilage  souple,  qui 
est  dans  chacune  de  ces  parties  ce  que  sont 
les  charnières  dans  les  ouvrages  des  artisans. 

La  première  pièce  est  courbée  en  arc ,  et 
sa  longueur  est  environ  la  sixième  portion 
du  cercle  dont  elle  feroit  partie;  la  seconde 
décrit  à  peu  près  une  S  romaine  majuscule: 

La  partie  convexe ,  de  chaque  côté  ,  est 
creusée  en  gouttière  ;  et  c'est  le  long  de  ces 
gouttières  que  coulent  les  vaisseaux  dont  il 
sera  parlé  ci-après. 

Chacune  des  lames,  dont  les  feuillets  sont 
composés ,  a  la  figure  du  fer  d'une  faulx  / 
et  à  sa  naissance  elle  a  comme  un  pied  ou 
talon,  qui  ne  pose  que  par  son  extrémité 
sur  le  bord  de  la  côte. 

Chacun  de  ces  feuillets  est  composé  de 
cent  trente  -  cinq  lames  ;  ainsi ,  les  seize 
contiennent  huit  mille  six  cent  quarante 
surfaces ,  que  je  compte  ici  parce  que  les 
deux  surfaces  de  chaque  lame  sont  re- 
vêtues ,  dans  toute  leur  étendue ,  d'une 
membrane  très -fine,  sur  laquelle  se  font  les 
ramifications  presque  innombrables  des  vais- 
seaux capillaires  de  ces  sortes  de  poumons. 

n 

j(i)  Il  faut  toujours  entendre  l'arc  des  ouïes. 
Foiss.  TOMB  IJç  L 


tr,2      DENOMINATIONS 

Il  y  a  quarante-six  muscles  qui  sont  em- 
ployés aux  mouvemens  de  ces  côtes  ;  il  y  en 
a  huit  qui  en  dilatent  l'intervalle  ,  et  seize 
qui  le  resserrent,-  six  qui  élargissent  le  centre 
de  chaque  cote  ;  douze  qui  le  rétrécissent  et 
qui  en  même  tenis  abaissent  le  sternum,  et 
quatre  qui  le  soulèvent. 

Les  ouïes  ont  une  large  ouverture  sur  la- 
quelle est  posé  un  couvercle  (i),  composé  de 
plusieurs  pièces  d'assemblage ,  qui  aie  même 
usage  que  le  panneau  d'un  soufflet;  et  chaque 
couvercle  est  formé  avec  un  tel  artifice  , 
qu'en  s'écartant  l'un  de  l'antre,  ils  se  voûtent 
en  dehors  pour  augmenter  la  capacité  de  la 
bouche;  tandis  qu'une  de  leurs  pièces ,  qui 
joue  sur  une  espèce  de  genou ,  tient  fermées 
les  ouvertures  des  ouïes ,  et  ne  les  ouvre  que 
pour  donner  passage  à  Feau  que  l'animal  a 
respiré  ;  ce  qui  se  fait  dans  le  tems  que  le 
couvercle  s'abat  et  se  resserre. 

11  y  a  deux  muscles  qui  servent  à  soulever 
le  couvercle,  et  trois  qui  servent  à  l'abattre 
et  à  le  resserrer. 

On  vient  de  dire  que  l'assemblage  qui 
compose    la  charpente    des   couvercles   les 

(i)  C'est  ce  que  l'on  appelle  opercules  ,  operculà 
hranchiarum» 


DISTINCTIVES.  i65 
rend  capables  de  se  voûler  en  dehors.  On 
ajoutera  deux  autres  circonstances.  La  pre- 
mière est  que  la  partie  de  ce  couvercle,  qui 
aide  à  former  le  dessous  de  la  gorge ,  est  pliée 
en  éventail  sur  de  petites  lames  d'os,  pour 
servir ,  en  se  déployant ,  à  la  dilatation  de 
la  gorge  dans  l'inspiration  de  l'eau  (  i  ).  La 
seconde,  que  chaque  couvercle  est  revêtu 
par  dehors  et  par  dedans  d'une  peau  qui 
lui  est  fort  adhérente.  Ces  deux  peaux , 
s'unissant  ensemble,  se  prolongent  au  delà 
de  la  circonférence  du  couvercle  d'environ 
deux  à  trois  lignes  ,  et  vont  toujours  eu 
diminuant  d'épaisseur.  Ce  prolongement  est 
beaucoup  plus  ample  sous  la  gorge  que  vers 
le  haut  de  la  tète;  il  est  extrêmement  souple 
pour  s'appliquer  plus  exactement  à  l'ouver- 
ture sur  laquelle  il  porte,  et  pour  la  tenir 
fermée  au  premier  moment  de  la  dilata- 
tion de  la  bouche  pour  la  respiration. 

Voilà  pour  ce  qui  regarde  la  structure 
des  ouïes  :  passons  à  présent  à  la  distribu- 
tion de  leurs  vaisseaux. 

L^artère  qui  sort  du  cœur  se  dilate  de  telle 
manière  qu'elle  en  couvre  toute  sa  base  ; 

(i)  C'est  la  membrane  branchiostège  ,  memhrana 
brancJiiostega. 

L  a 


i64     DENOMINATIONS 

ensuite  se  rétrécissant  peu  à  peu,  elle  forme 
une  espèce  de  cône.  A  l'endroit  où  elle  est 
ainsi  dilatée ,  elle  est  garnie  en  dedans  de 
plusieurs  colonnes  charnues ,  qu'on  peut 
considérer  comme  autant  de  muscles,  qui 
font  de  cet  endroit  de  l'aorte  comme  un 
second  cœur,  ou  du  moins  comme  un  second 
ventricule,  lequel ,  joignant  sa  compression  à 
celle  du  cœur ,  double  la  force  nécessaire  à  la 
distjîbution  du  sang  pour  la  circulation. 

Cette  artère  ,  montant  par  l'intervalle 
que  les  ouïes  laissent  entre  elles,  jette  vis 
à  vis  de  chaque  paire  de  côtes,  de  chaque 
côté,  une  grosse  branche  qui  est  couchée 
daus  la  gouttière,  creusés  sur  la  surface 
extérieure  de  chaque  côté,  et  qui  s'étend 
le  long  de  cette  gouttière  d'une  extrémité 
à  l'autre  du  feuillet  (i).  Voilà  tout  le  cours 
de  l'aorte  dans  ce  genre  d'animaux  (2); 
l'aorte,  qui  dans  les  autres  animaux  porte 
le  sang  du  centre  à  la  circonférence  de  tout 
le  corps ,  ne  parcourt  de  chemin  dans  ceux- 

(i)  C'est  l'arlère  branchiale,  arteria  hranchialis» 
(2)  Daverncy  veut  dire  dans  cette  classe  d'ani- 
maux. Au  tems  où  cet  aiiatomiste  écrivoit  l'on  n'avoit 
pas  poussé  l'art  des  divisions  ,  des  subdivisions  ,  des 
coupures  ,  des  souscoupures ,  etc.,  au  point  oii  il  est 
parvenu  de  nos  jours^ 


DISTINCTIVES.         i65 

cî   que  clcpiiis    le  cœur  jusqu'à  Fextrémité 
des  ouïes,  où  olîe  finit. 

Celle  branche  fournit  autant  de  rameaux 
qu'il  y  a  de  lames  sur  l'un  et  sur  l'autre 
l)oid  de  la  côte.  La  grosse  branche  se  ter- 
mine à  l'extrémité  de  la  côte ,  ainsi  qu'il 
a  été  dit ,  et  les  rameaux  finissent  à  l'extré- 
mité des  lames ,  auxquelles  chacun  d'eux 
se  distribue  (i).  Pour  peu  cjue  l'on  soit  ins- 
truit de  la  circulation  et  des  vaisseaux  qui 
y  servent,  on  sera  en  peine  de  savoir  par 
quels  autres  vaisseaux  on  a  trouvé  un  expé- 
dient pour  animer  et  nourrir  tout  le  corps, 
depuis  le  bout  d'en  bas  des  ouïes  jusqu'à 
l'extrémité  de  la  queue.  Cet  expédient 
paroîtra  clairement,  dès  qu'on  aura  con- 
duit le  sang  jusqu'à  l'extrémité  des  ouïes. 

Chaque  rameau  d'artère  monte  le  long 
du  bord  intérieur  de  chaque  lame  des  deux 
feuillets  posés  sur  chaque  côté,  c'est-à-dire, 
le  long  des  deux  tranchans  des  lames  qui  se 
regardent  :  ces  deux  rameaux  s'abouchent 
au  milieu  de  leur  longueur;  et  continuant 
leur  route  parviennent,  comme  j'ai  dit,  à 
la    pointe    de    chaque    lame  ;    là ,    chaque 

(i)  Ce  sont  les  petites  artères  dos  lames  ,  art erice 
laminarum, 

L  3 


i66     DENOMINATIONS 

rameau  cle  rextrémité  de  Takère  trouve 
rembouchure  d'une  veine  (j),  et  ces  deux 
embouchures ,  appliquées  Tune  à  Taulre 
immédiatement ,  ne  faisant  qu'un  même 
canal,  malgré  ]a  différente  consistance  des 
deux  vaisseaux ,  la  veine  s'abat  sur  le 
tranchant  extérieur  de  chaque  lame,  et 
parvenue  au  bas  de  la  lame ,  elle  verse 
son  sang  dans  un  gros  vaisseau  veineux , 
coucfié  près  de  la  branche  d'artère  ,  dans 
toute  l'étendue  de  la  gouttière  de  la  côte  (2). 
Mais  ce  n'est  pas  seulement  par  cet  abou- 
chement immédiat  des  deux  extrémités  de 
l'artère  et  de  la  veine ,  que  l'artère  se 
décharge  dans  la  veine,  c'est  encore  par 
toute  sa  route. 

Voici  comment  le  rameau  d'artère ,  dressé 
sur  le  tranchant  de  chaque  lame ,  jette  dans 
tonte  sa  route  sur  le  plat  de  chaque  lame, 
de  part  et  d'autre,  une  multitude  infinie  de 
vaisseaux,  qui,  partant  deux  à  deux  de  ce 
rameau,  l'un  d^un  côté,  l'autre  de  l'autre, 
chacun  de  son  côté  va  droit  à  la  veine  qui 
descend  sur  le  tianchant  opposé  de  la  lame, 
et  s'y  abouche  par   un  contact   immédiat. 

(i)  Les  petites  veines  des  lames,  venulœ  laminarum, 
(2)  La  \eine  branchiale  ;  venu  hranchiaiis. 


DISTINCTIVES.  167 

C  est  ainsi  que  le  sang  passe,  dans  ce  genre 
d  animaux ,  des  arlères   de  leur   poumon , 
dans  leurs  veines,  d'un  bout  à  l'autre  ;  les 
artères  y  sont  de  vraies  artères ,  et  par  leurs 
corps ,  et  par   leur  fonction  de   porter  1© 
sang.   Les  veines   y  sont  de  vraies  veines, 
par  leur  fonction  de  recevoir  le  sang  desr 
artères ,   et  par  la  délicatesse   extrême   de 
leur  consistance.  Il  n'y  a  jusques  là  riea; 
qui  ne  soit  dans  Téconomie  ordinaire;  mais 
ce  qu'il  y  a  de  singulier,  est  premièrement 
Tabouchement  immédiat   des   artères  aveo 
les  veines,  qui  se  trouve  à  la  vérité  dans 
les  poumons    d'autres   animaux  ,  sur- tout 
dans  ceux  des  grenouilles   et  des  tortues  ," 
mais  qui  n'est  pas  si  manifeste  que  dans  les 
ouïes  des  poissons.    2°  La  régularité  de  1^ 
distribution    qui    rend    cet    abouchement 
plus  visible  dans  ce  genre  d'animaux ,  car 
toutes   les    branches  d'artères ,  montant   le 
long  des  lames  dressées  sur  les  côtes,  sont 
aussi  droites    et    aussi   également    distantes 
l'une  de  l'autre  que  les  lames  :  les  rameaux 
transversaux  capillaires,  qui  partent  de  ces 
branches  à   angles   droits ,    sont   égaleoieut 
distans  l'un  de  l'autre,  de  sorte  que  la  direc- 
tion et  les  intervalles  de  ces  vaisseaux,  tant 
montans    que    transversaux ,    étant    aussi 

L  4 


i68      DENOMINATIONS 

réguliers  que  s'ils  avoieiit  été  dressés  à  la 
règle,  et  espacés  au  compas,  on  les  suit  à 
l'œil  et  au  microscope.  On  voit  donc  que 
les  artères  transversales  finissent  immédia- 
tement au  corps  de  la  veine  descendante , 
et  chacune  de  ces  veines  descendantes  avant 
reçu  le  sang  des  artères  capillaires  trans- 
versales, de  part  et  d'autre  de  la  lame, 
s'abouche  à -plomb  avec  le  tronc  de  la 
veine  couchée  dans  la  gouttière. 

Il  faut  avouer  cjue  cette  distribution  est 
fort  singulière  :  ce  qui  suit  l'est  encore  da- 
vantage. On  est  en  peine,  comme  j'ai  dit, 
de  la  distribution  du  sang  pour  la  nourri- 
ture et  la  vie  des  autres  parties  du  corps  de 
ces  animaux.  Nous  avons  conduit  le  sang  du 
cœur,  par  les  artères  du  poumon ,  dans  ]es 
veines  du  poumon.  Le  cœur  ne  jette  point 
d'autres  artères  que  celle  du  poumon.  Que 
deviendront  les  autres  parties,  le  cerveau, 
les  organes  des  sens,  et  tout  le  reste  du  corps? 
Ce  qui  suit  le  fera  voir.  ' 

Ces  troncs  de  veines  (i)  pleins  de  sang 
artériel,  sortant  de  chaque  côté  par  leur 
extrémité  qui  regarde  la  base  du  crâne, 
prennent  la  consistance  et  l'épaisseur  d'ar- 

(i)  Des  veines  braiicliiales,  penœ  branchiales. 


DISTINCTIVES.         169 

tères,  et  viennent  se  réunir  deux  à  deux  de 
chaque  côté.  Celle  de  la  première  côte  fournit 
avant  sa  réunion  des  branches  qui  distribuent 
le  sang  aux  organes  des  sens ,  au  cerveau  et 
aux  parties  voisines,  et  fait  par  ce  moyen 
les  fonctions  qui  appartiennent  à  l'aorte  as- 
cendante dans  les  animaux  à  quatre  pieds. 
Ensuite  elle  se  rejoint  à  celle  de  la  seconde 
côte;  et  ces  deux  ensemble  ne  font  plus 
qu'un  tronc  ,,  lequel  coulant  le  long  de  la 
base  du  crâne  reçoit  encore  de  chaque  côté 
une  autre  branche  formée  par  la  réunion 
des  veines  des  troisième  et  quatrième  paires 
de  côtes ,  et  toutes  ensemble  (1)  ne  font  plus 
qu'un  tronc. 

Après  cela,  ce  tronc,  dont  toutes  les 
racines  étoient  veines  dans  le  poumon,  de- 
venant artère  (2)  par  sa  tunique  et  son  office, 
continue  son  cours  le  long  des  vertèbres;  et 
distribuant  le  sang  artériel  à  toutes  les  autres 
parties,  fait  la  fonction  à^ aorte  descendante  ^ 
et  le  sang  artériel  est  distribué  par  ce  moyen 
également  à  toutes  les  parties  pour  les  nourrir 
et  les  animer,  et  il  rencontre  par- tout  des 


(i)  Ce    sont    les   racines   de  l'aorte   descendante  y 
radices  aortœ  descendentis. 

(2)  C'est  l'aorte  descendanle,  aorta  du  scande  nsi, 


370      DENOMINATIONS 

racines  de  veiues  qui  reprennent  le  résidu  et 
le  repoj'tent  par  plusieurs  troncs  formés  de 
l'union  de  toutes  ces  racines  au  réseivoir 
commun  qui  doit  le  rendre  au  cœur  :  c'est 
ainsi  que  s'achève  la  circulation  dans  ces 
animaux. 

Voilà  comment  les  veines  du  poumon  de 
ce  genre  de  poisson  deviennent  artères  pour 
animer  et  nourrir  la  tête  et  le  reste  du  corps. 

Mais  ce  qui  augmente  la  singularité ,  est 
que  ces  mêmes  veines  des  poumons,  sortant 
de  la  gouttière  des  côtes  par  leur  extrémité 
qui  regarde  la  gorge,  conservent  la  tunique 
et  la  fonction  de  veines,  en  rapportant  dans 
le  réservoir  de  tout  le  sang  veinai  une  por- 
tion du  sang  artériel  qu'elles  ont  reçue  des 
artères  du  poumon  (i). 

Comme  le  mouvement  des  mâchoires 
contribue  aussi  à  la  respiration  des  poissons, 
il  ne  sera  pas  hors  de  propos  de  faire  re- 
marquer que  la  supérieure  est  mobile;  qu'elle 
est  composée  de  plusieurs  pièces  qui  sont 
naturellement  engagées  les  unes  dans  les 
autres,  de  telle  manière  qu'elles  peuvent, 
en  se  déployant ,  dilater  et  aionger  la  mâ- 
choire supérieure. 

'     (i)  Il  s'agit  de  la  veine  déférente,  vena  deferens. 


DISTINCTIVES.         171 

Toutes  les  pièces  qui  servent  k  la  respi- 
ration de  la  carpe  montent  à  un  nombre  si 
surprenant  5  qu'on  ne  sera  pas  fâché  d'en 
voir  ici  ?e  dénombrement. 

Les  pièces  osseuses  sont  au  nombre  de 
quatre  mille  trois  cent  quatre-vingt-six.  11 
y  a  soixante-neuf  muscles. 

Les  artères  des  ouïes  ,  outre  leurs  huit 
branches  principales ,  jettent  quatre  mille 
trois  cent  vingt  rameaux,  et  chaque  rameau 
jette  de  chaque  lame  une  infinité  d'artères 
capillaires  transversales,  dont  le  compte  ne 
sera  pas  difficile,  et  passera  de  beaucoup  tous 
ces  nombres  ensemble.. 

Il  y  a  autant  de  nerfi  que  d'artères.  Les 
ramifications  des  premiers  suivent  exacte- 
ment celles  des  autres. 

Les  i^eines ,  ainsi  que  les  artères,  outre 
leurs  huit  branches  principales,  jettent  quatre 
mille  trois  cent  vingt  rameaux ,  qui  sont  de 
simples  tuyaux ,  et  qui ,  à  la  différence  des 
rameaux  des  artères,  ne  jettent  point  de 
vaisseaux  capillaires  transversaux. 

Voilà  une  légère  idée  de  la  structure  des 
ouïes  de  la  carpe.  11  s'agit  à  présent  d'exa- 
miner les  usages  de  ces  parties. 

Le  sang,  qui  est  rapporté  de  toutes  les 
parties  du  corps  des  poissons,  entre  du  réser- 


172  DENOMINATIONS 
voir  où  se  dégorgent  toutes  les  veines  dans 
roreillette,  et  de  là  dans  le  cœur,  *qui,  par 
sa  contj'acfion,  le  pousse  dans  l'aorte  et  dans 
toutes  les  ramifications  qu'elle  jette  sur  les 
lames  des  ouïes;  et  comme  à  sa  naissance 
elle  est  garnie  de  plusieurs  colonnes  charnues 
fort  épaisses,  qui  se  resserrent  immédiate- 
ment après  5  elle  seconde  et  fortifie  par  sa 
compression  l'action  du  cœur  ,  qui  est  de 
pousser  avec  beaucoup  de  force  le  sang 
dans  les  rameaux  capillaires  transversaux  , 
situés  de  part  et  d'autre  sur  toutes  les  lames 
des  ouïes. 

On  a  fait  observer  que  cette  artère  (i) 
et  ses  branches  (2)  ne  parcouroientde  chemin 
que  depuis  le  cœur  jusqu'à  l'extrémité  des 
ouïes  où  elles  finissent.  Ainsi  ce  coup  de 
piston  redoublé  doit  suffire  pour  pousser  le 
sang  avec  impétuosité  dans  ce  nombre  infini 
d'artérioles  si  droites  et  si  régulières,  où  le 
sang  ne  trouve  d'autre  obstacle  que  le  simple 
contact ,  et  non  le  choc  et  les  réflexions  , 
comme  dans  les  autres  animaux  ,  où  ]es 
artères  se  ramifient  en  mille  manières ,  sur- 
tout dans  leurs  dernières  subdivisions. 


(i)  L'aorte  descendante. 
(2)   Les  artères  branchiales. 


DISTINCTIVES.         175 

Voilà  pour  ce  qui  concerne  le  passage  du 
sang  clans  le  poumon.  Voici  comment  s'en 
fait  la  préparation  (1). 

Je  suppose  que  les  particules  d'air  qui  sont 
dans  Teau,  comme  l'eau  est  dans  une  éponge, 
peuvent  s'en  dégager  en  plusieurs  manières. 
Premièiement  par  la  chaleur  ,  ainsi  qu'on 
le  voil  dans  l'eau  qui  bout  sur  le  feu;  2"  par 
raffoiblissement  du  ressort  de  Tair  ,  qui 
presse  l'eau  où  ces  particules  d'air  sont  en- 
gagées ,  comme  on  le  voit  dans  la  machine 
du  vuide;  5^  par  le  froissement  et  l'extrême 
division  de  Feau ,  sur  -  tout  quand  elle  a 
quelque  degré  de  chaleur. 

On  ne  peut  pas  douter  qu'il  n  y  ait  beau- 
coup d'air  dans  tout  le  corps  des  poissons , 
et  que  cet  air  ne  leur  soit  fort  nécessaire. 
La  machine  du  vuide  fait  voir  l'un  et 
l'autre. 

On  a  mis  une  tanche  fort  vive  dans  uil 
vaisseau  plein  d'eau,  qu'on  a  placé  sous  le 
récipient;  et  après  avoir  donné  cinq  ou  six 
coups  de  piston  ,  on  a  remarqué  que  celte 
tanche  étoit  toute  couverte  d'une  infinité  de 
petites  bulles  d'air  qui  sortoient  d'entre  les 
écailles ,  et  que  tout  le  corps  paroissoit  perlé. 

■  ■  '  ■         ■  I  I      I         I  III  I  I  ^M— 

(i)  C'est-à-dire  ,  la  respiration. 


174  DENOMINATIONS 
Il  en  sortoit  aussi  un  très-grand  nombre  par 
les  OLiïes,  beaucoup  plus  grosses  que  celles 
cle  la  surface  du  corps;  enfin,  il  eu  soVloit 
par  la  bouche  ,  mais  en  moindre  quanlifé. 
En  recommençant  à  pomper  tout  de  nou- 
veau deux  ou  trois  fois  de  suite,  ce  qui  fut 
fait  à  plusieurs  reprises,  on  remarquoit  que 
le  poisson  s'agiloit  et  se  tourmentoit  exiraor- 
dinairemeht,  el  qull  respiroit  plus  fréquem- 
ment. Après  avoir  passé  un  gros  quart  d'heure 
dans  cel  état,  il  tomba  en  langueur,  tout  le 
corps  et  même  les  ouïes  n'ayant  plus  aucun 
mouvement  sensible.  Pour  lors  ayant  tiré  le 
vaisseau  de  dessous  le  récipient,  on  jeta  le 
poisson  dans  de  l'eau  ordinaire ,  où  il  com- 
mença à  respirer  et  à  nager,  mais  foiblement , 
et  il  fut  long-tems  à  revenir  à  son  état 
naturel. 

La  même  expérience  a  été  répétée  sur 
une  carpe.  On  l'a  mise  dans  la  même  ma- 
chine, et  ayant  pompé  l'air  trois  ou  quati  e 
fois,  comme  on  Favoit  fait  à  la  tanche,  le 
poisson  commença  d'abord  à  s'agiter  :  toute 
la  surface  du  corps  devint  perlée.  Il  sortit 
î)ar  la  bouche  et  par  les  ouïes  une  infinité 
de  bulles  d'air  fort  grosses  ,  et  la  région  de  la 
vessie  d'air  s'enfla  beaucoup.  Quoique  cette 
carpe  fût  plus  grosse  que  la  tanche,  le  batte- 


DISTINCTIVES.  175 

ment  des  ouïes  cessa  plus  tôt.  Lorsqu'on 
recomniençoit  à  pomper,  les  ouïes  recon.- 
niençoient  aussi  à  battre,  mais  très-peu  de 
tems  et  fort  foiblement;  enfin  elle  demeura 
sans  aucun  mouvement,  et  la  région  de  la 
vessie  devint  si  gonQée  et  si  tendre,  que  la  laite 
sortoit  en  s'effilant  par  l'anus.  Cela  dura 
environ  trois  quarts  d'iieure,  au  bout  des- 
quels elle  mourut  ,  étant  devenue  fort 
plate.  L'ayant  ouverte  ,  on  trouva  la  vessie 
crevée. 

On  a  aussi  expérimenté  qu'un  poisson  mis 
dans  de  Feau  purgée  d'air  n'y  peut  vivre 
long- tems. 

Outre  ces  expériences,  qu'on  peut  faire 
dans  la  machine  du  vuide,  en  voici  d'autres 
qui  prouvent  aussi  que  l'air  qui  est  mêlé 
dans  l'eau  a  la  principale  part  à  la  respiration 
des  poissons. 

Si  vous  enfermez  des  poissons  dans  un 
vaisseau  de  verre  plein  d'eau ,  ils  y  vivent 
quelque  tems,  pourvu  que  l'eau  soit  renou- 
velée; mais  si  vous  couvrez  le  vaisseau  et  le 
bouchez  en  sorte  que  l'air  n'y  puisse  point 
entrer ,  les  poissons  seront  étouffés  :  cela 
prouve  bien  que  Feau  ne  sert  à  leur  res- 
piration qu'autant  qu'elle  a  la  liberté  de 
^'imprégner  d'air. 


176        DENOMINATIONS 

Mettez  plusieurs  poissons  dans  un  vaisseau 
qui  ne  soit  pas  entièrement  rempli  d'eau;  si 
vous  le  fermez ,  ces  poissons,  qui  auparavant 
nageoient  en  pleine  liberté  et  s'égayoient, 
s'agitei'ont  et  se  presseront  à  qui  prendia  le 
dessus  pour  respirer  la  portion  de  l'eau  qui 
est  la  plus  voisine  de  l'air. 

On  remarque  aussi  que  ,  lorsque  la  surface 
des  étangs  est  gelée  ,  ]es  poissons  qui  sont 
dedans  meurent  plus  ou  moins  vite,  suivant 
que  Fétang  a  plus  ou' moins  d^étendue  et  de 
profondeur;  et  on  observe  que,  quand  oa 
casse  la  glace  en  quelque  endioit ,  les  pois- 
sons s'y  présentent  avec  empressement  pour 
respirer  cette  eau  imprégnée  d'un  nouvel 
air.  Ces  expériences  prouvent  manifestement 
la  nécessité  de  l'air  pour  la  respiration  des 
poissons.  Voyons  maintenant  ce  qui  se  passe 
dans  le  tems  de  cette  respiration. 

La  bouche  s'ouvre,  les  lèvres  s'avancent  : 
par  là  la  concavité  de  la  bouche  est  alongée; 
la  gorge  s'enfle  ;  les  couvercles  des  ouïes  , 
qui  ont  le  même  mouvement  que  les  pan- 
neaux d'un  soufflet ,  s'écartant  l'un  de  l'autre, 
se  voûtent  en  dehors  par  leur  milieu  seule- 
ment ;  tandis  qu'une  de  leurs  pièces ,  qui 
joue  sur  une  espèce  de  genou,  tient  fermées 
les  ouvertures  des  ouïes ,  en  se  soulevant 

toutefois 


I 


BISTINCTIVËS.  177 
toulxîfois  un  peu  ,  sans  permeltre  cependant 
à  Teau  d'entrer,  parce  que  la  petite  peau  qui 
borde  chaque  couv^ercle  ferme  exactement 
l'ouverture  des  ouïes. 

Tout  cela  augmente  et  élargit  en  tous  sens 
la  capacité  de  la  bouche,  et  détermine  l'eau 
à  entrer  dans  sa  cavité ,  de  même  que  lair 
entie  par  la  bouche  et  les  narhies ,  dans  la 
traclîée-artére  et  les  poumons ,  par  la  dila- 
tation de  la  poitrine  ,•  dans  ce  même  tems 
les  côtes  des  ouïes  s'ouvrent  en  s  écartant  les 
unes  des  autres;  leur  ceintre  est  élargi;  le 
sternum  est  écarté,  en  s'éloignant  du  palais; 
ainsi  tout  conspire  à  faire  entrer  Teau  en 
plus  grande  quantité  dans  la  bouche.  C'est 
ainsi  que  se  fait  l'inspiration  des  poissons* 
Ensuite  la  bouche  se  ferme;  les  lèVres,  au-* 
paravant  alongées  ,  se  raccourcissent,  sur- 
tout la  supérieure,  qui  se  plie  en  éventail. 
La  lèvre  inférieure  vSe  colle  à  la  supérieure 
par  le  moyen  d'une  petite  peau  en  forme  dé 
croissant ,  qui  s'abat  comme  un  rideau  de 
haut  en  bas,  et  qui  empêche  l'eau  de  sortir. 
liC  couvercle  s'aplatit  sur  la  baie  de  Fouver^ 
tare  des  ouïes.  Dans  le  même  tems ,  les  côtes 
se  serrent  les  unes  contre  les  autres ,  leur 
ceintre  se  rétrécit,  et  le  sternum  s'abat  sur 
le  palais. 

Poiss,  Tome  IL  M 


ayS        DENOMINATIONS 

Tout  cela  contribue  à  comprimer  FeaU 
qui  est  entrée  parla  bouche.  Elle  se  présente 
alors  pour  sortir  par  tous  les  intervalles  des 
côtes  et  par  ceux  de  leurs  lames,  et  elle  y 
passe  comme  par  autant  de  filières ,  et  par 
ce  mouvement  la  bordure  membraneuse 
des  couvercles  est  relevée,  et  l'eau  pressée 
s'échappe  par  cette  ouverture.  C'est  ainsi  que 
se  fait  l'expiration  dans  les  poissons.  On  voit 
donc  par  là  que  l'eau  entre  par  la  bouche, 
et  qu'elle  sort  par  les  ouïes  par  une  espèce  de 
circulation  entrant  toujours  par  la  bouche, 
et  sortant  toujours  par  les  ouïes,  tout  le  con- 
traire de  ce  qui  arrive  dans  les  animaux  à 
quatre  pieds,  dans  lesquels  l'air  entre  et  sort 
alternativement  par  la  même  ouverture  de 
la  trachée-artèie. 

Voilà  tout  ce  qui  concerne  les  mouve- 
mens  de  la  respiration  des  poissons.  Suivons 
à  présent  la  route  du  sang  dans  les  ouïes, 
et  voyons  quelle  préparation  il  y  reçoit. 

Le  sang  qui  sort  du  cœur  de  la  carpe  se 
répand  de  telle  manière  sur  toutes  les  lames 
dont  les  ouïes  sont  composées,  qu'une  très- 
petite  quantité  de  sang  se  présente  à  l'eau 
sous  une  très-grande  superficie,  afin  que  par 
ce  moyen  chacune  de  ses  parties  puisse  plus 
facilement  et  en  moins  de  tems  eue  pénétrée 


DISTINCTIVES.  179 

par  ces  petites  parties  d'air  qui  se  dégagent 
de  Teau  par  l'extrême  division  qu'elle  souffre 
entre  ces  lames.  C'est  pour  cela  qu'il  a  fallu 
non  seulement  que  chaque  feuillet  en  eût 
un  si  grand  nombie,  mais  aussi  que  toutes 
leurs  surfaces  fussent  couveites  de  rameaux 
capillaires  transversaux  de  l'aorte. 

On  observe  en  quelque  manière  la  même 
mécanique  dans  les  poumons  des  autres 
animaux  ;  car  ils  sont  formés  d'un  nombre 
prodigieux  de  petites  vésicules  membra- 
neuses qui  tiennent  lieu  de  lames,  et  ils  sont 
tapissés  d'une  infinité  de  petits  vaisseaux  ; 
ce  qui  fait  que  le  sang  se  répand  de  telle 
manière  dans  la  substance  des  poumons  , 
qu'il  se  présente  aussi  à  l'air  souvent  une 
très-grande  superficie. 

Mais  le  nombre  de  ces  vaisseaux ,  dans 
les  vésicules  du  poumon ,  n'approche  point 
du  nombre  de  ceux  des  lames.  Aussi  est-il 
plus  difficile  de  tirer  l'air  de  l'eau ,  que  de 
respirer  l'air  pur  tel  qu'il  entre  dans  les 
poumons  vésiculaires. 

Si  l'on  fait  attention  au  froissement  et  h  la 
division  extraordinaires  que  souffrent  les 
parties  d'eau  dans  le  tems  de  l'expiration  , 
on  sera  porté  à  croire  que  c'est  alors  que  l'air 
eio^ïe  dans  les  vaisseaux  capillaires  des  ouïes. 

M  a 


i8c)  DENOMINATIONS 
Il  est  donc  probable  que  la  même  cliose  se 
passe  dans  les  ponnmns  des  autres  animaux^ 
car  comme  il  faut  à  Fair  quelque  force  pour 
s'insinueir  dans  les  vaisseaux,  il  ne  paroît  pas 
qu'il  y  puisse  entj^er  dans  le  tems  de  l'ius- 
piraiion,  c'est-à-dire,  lorsqu'il  entre  natu- 
rellement dans  les  poumons.  Au  contraire, 
lorsqu'il  est  repoussé  par  l'expiration ,  il 
cherche  à  s'échapper  de  toutes  parts;  et  ^ 
foi  çant  tous  les  obstacles  qu'il  rencontre , 
il  passe  au  travers  des  membranes  fines  et 
déliées  qui  composent  les  vaisseaux,  tandis 
qciê  îa  plus  grande  partie  de  cet  air  ressort 
par  la  trachée-artère. 

La  diilicuîlé  avec  laquelle  ces  petites 
parties  d'air  passent  par  les  pores  de  ces 
vaisseaux  comprime  leur  ressort ,  d'où  il 
8'ensuit  qucv,  lorsqu'elles  y  sont  entrées,  ce 
ressort  doit  se  débander  avec  impétuosité 
contre  les  particules  du  sang  qui  sont  alors 
abattues,  agitées  ,  et bro3^écs avec  violence  , 
ce  qui  fait  qu'elles  s'entrechoquent  en  tous 
sens,  et  c'est  par  là  qu'elles  acquièrent  un 
nouveau  mouvement  de  liquidité  et  de 
chaleur. 

bi  cela  est  vrai  dans  les  animaux  qui 
respirent  l'air,  cela  doit  éti^  encore  plus 
wreà  dans  les  animaux  qui  a  espireut  réau  « 


DISTINCTIVES.  i8i 
parce  qu'ici  1  air  est  tout  autrement  com- 
primé que  ne  Test  l'air  libre  que  ]es  premiers 
respirent  ;  de  sorte  que  le  grand  écart  de.ce$ 
paj'ticules  d'air  si  comprimé  doit  suppléer 
en  quelque  manière  à  la  moindre  quantité 
d'air  qui  entre  dans  les  vaisseaux  des  ouïes. 

Quand  on  considère  que  le  sang  des  veines 
des  ouïes  est  d'un  rouge  plus  vermeil  que 
celui  de  l'aorte,  on  juge  aisément  qu'il  s'y 
est  cliai'gé  de  qu(  Iques  particules  d'air.  Oii 
remarque  dans  les  autres  animaux  la  même 
différence  entre  le  sang  de  l'artère  du  pou- 
mon ,  qui  est  toujours  d'un  rouge  obscur  ^ 
et  celui  de  la  veine  du  poumon ,  qui  est 
toujours  d'un  rouge  fort  éclatant. 

Le  sang  ainsi  imprégné  des  particules 
d'air  ,  et  par  là  devenu  vraiment  artériel, 
entre  dans  les  veines  des  ouïes  ;  et  ces  veines, 
sortant  de  la  gouttièie  des  côtes  par  fexti'é- 
mité  qui  regarde  la  base  du  crâne,  prennent 
la  consistance  d'artères ,  et  distribuent  ce 
sang  à  toutes  les  parties.  Il  est  ensuite  repris 
par  les  veines  qui  le  portent  au  cœur  (i). 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  l'artère  qui 
sort  du  cœur  a  un  battement,  nu  lieu  que 
les  vaisseaux  qui  font  la  fonction   d'aorte 


(i)   C'est  la  circulation  du  sang. 

M  5 


i83  DENOMINATIONS 
nVn  ont  point;  au  moins  qui  soit  sensible  : 
premièrement  paicè  qu'ils  n'ont  point  de 
communication  immédiate  avec  le  cœur; 
secondement  parce  que  ce  sang  passe  d'un 
petit  tuyau  dans  un  grand.  Mais  il  faut  aussi 
considérer  que  les  poussées  du  sang  ne  sont 
nullement  nécessaires  à  la  nutrition  des  par- 
ties ,  pour  laquelle  il  suffit  que  le  sang  coule 
d'un  cours  paivsible  ;  de  même  qu'il  n'est  pas 
nécessaire  qu'il  coule  autrement  pour  sa  dis- 
tribution et  sa  circulation ,  sur-tout  dans  les 
animaux  où  elle  est  beaucoup  plus  lente ,  et 
qui  par  là  transpirent  peu ,  et  peuvent  vivre 
long-tems  sans  aucune  nourriture. 

Il  est  aisé  de  juger,  par  tout  ce  qu'on 
vient  de  dire,  que  la  situation  et  la  con- 
formation des  poumons,  et  leur  commerce 
avec  le  cœur  sont  bien  diiFérens  dans  les 
différentes  espèces  d'animaux ,  ce  qui  n'avoit 
pas  été  inconnu  à  M.  Malpighi. 

Dans  le  fœtus  il  y  a  des  conduits  par- 
ticuliers qui  ont  une  communication  si 
prochaine  avec  les  ventricules  du  cœur  et 
la  tète  des  vaisseaux  du  poumon ,  qu'ils  font 
passer  presque  tous  les  sucs  nourriciers  de 
la  ujère  immédiatement  dans  l'aorte  ,  qui 
}es  distribue  à  tout  le  reste  du  corps;  au 
lieu  qu'après  la  naissance  tout  le  sang  des 


DISTINCTIVES.  i83 
yeiiies  entre  clans  le  ventricule  droit ,  lequel 
le  pousse  immédiatement  dans  les  poumons , 
d'où ,  après  que  par  un  long  circuit  il  s'est 
imprégné  des  particules  d'air ,  il  passe  dans 
le  ventricule  gauche ,  qui  le  répand  ensuite 
par  l'aorte  dans  toutes  les  parties. 

Dans  les  tortues  ,  les  grenouilles  et  les 
autres  animaux  qui  leur  sont  analogues,  un 
tiers  du  sang  passe  par  le  poumon  à  chaque 
circulation ,  et  il  y  reçoit  toutes  les  prépa- 
rations nécessaires  aux  fonctions  de  la  vie. 
Ce  sang ,  qui  revient  du  poumon ,  se  mêle 
ensuite  avec  celui  des  veines  dans  la  cavité 
du  cœur,  où  ce  dernier,  étant  imprégné  des 
parties  actives  de  l'air  y  dont  le  premier 
s'étoit  chargé  dans  le  poumon,  est  ensuite 
distribué  par  l'aorte  à  tout  Je  corps. 

Dans  les  poissons ,  tout  le  sang  qui  sort 
du  cœur  passe  par  le  poumon,  où,  s'étant 
aussi  imprégné  des  parties  actives  de  l'air, 
il  va  ensuite  se  distribuer  à  tout  le  corps, 
et  jusques  là  cette  circulation  est  conforme 
à  celle  de  Thomme.  Cependant  les  poissons 
n'ont  qu'un  seul  ventricule  ;  mais  cette  cir- 
culation si  singuhère  vient  de  ce  que  l'aorte 
fait  la  fonction  de  l'artère  du  poumon  ,  et 
que  les  veines  du  poumon ,  devenues  artères, 
font  la  fonction  de  l'aorte. 

JNI  4 


ï84       DENOMINATIONS 

Dans  les  insectes,  les  trachées  qui  leur 
servent  de  poumon  sont  répandues  dans 
t(juies  les  parties  où  elles  se  ramifient  à  la 
manière  des  bronches  dans  les  poumons 
vésiculaij  es  ;  de  sorte  qu'au  lieu  que  dans 
les  autres  animaux  l'air  emprunté  des 
branches  est  distiibué  dans  toutes  les  parties 
par  les  artères ,  ici  il  est  immédiatement 
distribué  dans  les  sucs  qui  sont  actuellement 
dans  chaque  partie. 

La  raison  d'une  distribution  si  surpre- 
nante vient  de  la  nature  des  liqueurs  con- 
tenues dans  les  tuyaux  de  ces  animaux  , 
lesquelles ,  pour  être  extrêmement  gluantes 
et  visqueuses  ,  et  par  conséquent  très-propres 
à  se  lier  entre  elles  et  à  se  coller  à  la  super- 
ficie de  leurs  vaisseaux  ,  ont  dû  être  im- 
prégnées,  dans  tout  leur  cours,  des  parties 
actives  de  l'air ,  qui  facilitassent  leur  circu- 
lation ,  et  les  rendissent  propies  à  la  nour- 
riture. 

On  voit,  par  cette  énumération,  que  les 
fonctions  des  poumons  n'ont  pas  toujours 
■une  étroite  liaison  avec  celles  du  cœur,  et 
que  chacune  de  ces  parties  a  des  usages  fort 
diifeiens  par  rapport  au  sang. 

Le  cœur  n'est  que  pour  le  mouvement 
qu'où   nomme   circulaiion.  Le  poumon  la 


DISTINCTIVES.  î85 

favorise  par  l'introduction  des  î>artiGules 
d'air  ,  et  encore  par  l'impulsion  de  Feau 
dans  les  animaux  dont  il  s'agiL  Mais  sa 
ptincipale  fonction  est  d'imprégner  le  sang 
d  ail-  et  de  le  rendre  par  là  capable  de  porter 
par-tout  l'aliment,  la  vie  et  la  chaleur.  C'est 
pour  cetle  raison  qu'on  vient  de  montrer, 
1°  que  dans  tous  les  animaux,  hors  les  in- 
sectes ,  le  sang  ne  passe  jamais  du  cœur  dans 
l'aorte  qu'il  n'ait  passé  par  les  poumons , 
même  dans  le  fœtus  ,  de  la  manière  dont 
nous  l'avons  expliqué  ;  2°  que  dans  la  plupart 
il  faut  qu'il  y  passe  nécessairement  tout 
entier  comme  dans  l'homme  ,  les  animaux 
à  quatre  pieds,  les  oiseaux  et  les  poissons; 
5°  ou  qu'il  y  passe  en  partie,  comme  dans 
les  tortues ,  les  grenouilles  ,  etc  ;  et  il  est 
^nécessaire  qu'au  moins  le  tiers  du  sang  passe 
par  les  poumons  de  ces  animaux ,  pour 
être  vivifié  autant  que  le  demandent  leurs 
fonctions. 

Enfin  on  a  montré  que  ,  si  dans  les  in- 
sectes  il  n'y  a  point  de  poumons  par  ou 
le  sang  puisse  passer,  c'est  que  l'air  se  mêle 
nécessairement  dans  toutes  leurs  parties  avec 
les  sucs  nourriciers;  de  sorte  que,  par  cette 
mécanique ,  chaque  partie  se  tient  lieu  de 
poumon  à  elle-même. 


i86  EXPLICATION 

EXPLICATION 
Des  Planches  I,  II  et  III  de  ce  volume. 


PLANCHE     L 

JLi  A  figure  1  représente  im  rameau  d'une 
plante  aquatique,  chargée  de  globules  par- 
faitement ronds ,  qui  y  adhérent  par  la 
matière  gluante  dont  ils  sont  imprégnés;  ce 
sont  des  œufs  de  poissons,  fécondés;  et  la 
figure  2  montre  de  ces  mêmes  œufs  qui  ne 
sont  pas  fécondés. 

Il  est  toujours  facile  de  s'assurer  si  les 
œufs  des  poissons  ont  été  fécondés;  car  dans 
ce  cas ,  ils  paroissent  toujours  plus  clairs , 
phis  transparens  et  plus  jaunes.  Avec  une 
îoupe  on  les  reconnoit  distinctement  pen- 
dant les  quatre  à  cinq  premiers  jours  qui 
suivent  celui  auquel  ils  ont  été  déposés  par  les 
femelles;  ensuite,  comme  les  mêmes  signes 
deviennent  chaque  jour  plus  sensibles,  ils 
peuvent  être  saisis  même  à  la  vue  simple. 
Lags  œufs  qui  ne  sont  pas  fécondés  de- 
viennent successivement  plus  troubles,  plus 


/).'  .'Wv  ,/e^ 


if^  T,rr./i^»  =/ 


DES    PLANCHES.  187 

épais  et  plus  opaques;  ils  perdent  tout  leur 
éclat,  et,  suivant  l'expression  de  Bloch,  ils 
ressemblent  bientôt  à  un  petit  grain  de 
grêle  qui  commence  à  fondre. 

La  distinction  entre  les  œufs  de  poissons, 
fécondés  ou  non  fécondés,  est  une  des  plus 
importantes  en  économie.  Elle  facilite  les 
moyens  de  peupler,  sans  frais  et  sans  em- 
barras ,  les  étangs ,  les  pièces  d'eau  ,  les 
ruisseaux  et  même  les  rivières  ;  il  suffit  d& 
prendre ,  dans  les  eaux  poissonneuses ,  des 
plantes  chargées  d'oeufs  fécondés  et  de  les 
mettre  dans  les  eaux  où  l'on  veut  multiplier 
les  poissons,  et  où  ils.éclosent  bientôt  par 
milliers ,  si  l'on  choisit  celles  qui  con- 
viennent le  mieux  par  leur  nature ,  leur 
exposition  ,  leur  température  et  le  fond  sur 
lequel  elles  coulent  ou  reposent.  Les  anciens 
connoissoient  mieux  que  nous  ces  détails, 
auxquels  l'abondance  générale  et  la  pros- 
périté publique  ne  sont  point  étrangères; 
ils  avoient  même  poussé  leurs  remaïques  à 
cet  égard,  jusqu'à  connoître  les  mers  les 
plus  favorables  h  la  reproduction  des  pois- 
sons; et  Aristote  a  consigné  dans  son  His- 
toire des  animaux,  comme  un  fait  constaté j. 
que  les  poissons  croissent  plus  promptenient 


î88  EXPLICATION 

qu'ailleurs  dans  la  mer  du  Pont,  à  cause 
de  la  bonne  qualité  de  ses  eaux  (i). 

A  la  figure  3  est  ini  œuf  de  poisson  vu 
au  microscope;  a  montre  le  jaune,  et  h  le 
blanc.  Entre  Fun  et  l'autre  est  un  espace 
clair,  en  forme  de  croissant.  Le  jaune,  que 
le  blanc  environne  ordinairement,  est  rond, 
mais  il  n'occupe  pas  le  milieu  de  l'œuf, 
comme  dans  les  œufs  des  oiseaux,  et  il  est 
toujours  placé  vers  un  côté.  L'on  n'aper- 
çoit aucune  différence  dans  la  situation  et 
la  forme  de  ces  parties ,  soit  que  les  œufs 
aient  été  fécondés  ou  non  par  la  liqueur 
spermatique  du  mâle;  seulement  la  teinte 
du  jaune  des  œufs  non  fécondés  est  moins 
foncée.  Du  reste  ,  il  est  impossible  de  dé- 
couvrir à  l'extérieur  de  l'œuf  aucun  indice 
de  fécondation. 

Les  grecs  de  l'antiquité  avoient  donné 
aux  œufs  des  poissons  l'épitliète  de  psaihyrcty 
que  les  interprètes  latins  ont  traduit  par 
facile  comminubilia ,  c'est-à-dire,  foibles, 
ou  qui  se  brisent  aisément.  Leur  enveloppe 
est  en  effet  d'une  substance  mo3^enne  entre 
la  coque  des  œufs  d'oiseaux  et  la  mem~ 
i^ ___ _ 

(i)  Liv.  6  ,  chap.  7. 


DES    PLANCÎTES.  189 

brane ,  et  cela  est  nécessaii  e  ,  pour  que 
l'humeur  fécondante  puisse,  pénétrer  à  Fia-* 
térieur. 

Voici  la  manière  dont  le  poisson  se  déve- 
loppe dans  l'œuf:  le  second  jour,  l'espace 
en  forme  de  croissant,  qui  est  entre  le  blanc 
et  le  jaune,  devient  un  peu  trouble;  Ton  y 
remarque  de  tenis  en  tems  \in  point  qui  se 
meut.  Une  masse  plus  épaisse   se    mon  Ire 
au  même  endroit,  le  troisième  jour;  elle 
est  libre  d'un  côté,  de  l'autre  eA\e  s'attache 
fortement  au  jaune  {figures  5  et  7  ).  A  l'une 
des  extrémités  de  la  partie  qui  louche  au 
jaune,   on  aperçoit   le  contour    du    cœur, 
dont  le  mouvement   s'auguienle   alors;   la 
masse  elle-même ,  ou  l'embjyon ,  se  remue 
de  tems  en  tems  du  côté  qui  est  libre,  c'est- 
à-dire,  de  la   queue;  le   quatrième   jour, 
'ces    mouvemens    augmentent ,    aussi    bien 
que  les  battem^ns  de  l'artère;  on  voit,  au 
cinquième  joiu'  ,    dans    certaines    positions 
que   le   poisson  prend   quelquefois  par   ses 
mouvemens  répétés;  on  voit,  dis-je,  la  cir- 
culation   des   humeurs;   on  distingue  ,  au 
sixième  jour,  l'épine  du  dos  et  les  côtes  qui 
y  sont  attachées;  le  septième,  on  découvre 
dans  Fœuf,  à  la  vue  simple,  deux  points 
noirs,  qui  sont  les  yeux  {Jigiu'es  6  et  7). 


igo  EXPLICATION 

La  forme  du  poisson  se  montre  alors  toute 
entière,  et  les  vertèbres  et  les  côtes  sont  si 
distinctes ,  qu'on  peut  les  compter  sans 
beaucoup  de  peine,  à  laide  d'une  loupe 
ordinaire.  Quoique  le  jaune  de  Tœuf  dimi- 
nue à  mesure  que  l'embryon  augmente  de 
volume ,  celui-ci  n'a  pas  néanmoins  assez 
de  place  pour  se  tenir  en  ligne  droite , 
et  il  fait  une  courbure  avec  sa  queue 
{figure  j). 

L'on  voit  ^  à  la  figure  4  ,  un  œuf  dans 
lequel  le  mouvement  du  poisson  se  fait 
remarquer  le  quatrième  jour. 

A  \di  figure  5,  est  un  œuf  vu  au  micros- 
cope ,  et  dans  lequel  on  aperçoit  déjà 
l'épine  du  dos. 

La  figure  6  représente  l'œuf,  qui,  au 
septième  jour,  laisse  voir  les  yeux  du  poisson. 

L'œuf  de  \^  figure  7  est  le  même  que  celui 
de  la  figure  6 ,  mais  vu  au  microscope. 

Les  mouvemens  du  poisson  deviennent 
si  vifs  au  septième  jour,  que,  lorsqu'il  se 
tourne  en  tous  sens,  le  jaune  tourne  en 
même  tems;  ces  mouvemens  augmentent 
visiblement  jusqu'à  Ja  naissance  du  poisson, 
laquelle  a  lieu  entre  le  septième  et  le  neu- 
vième jour,  selou  que  la  chaleur  du  soleil 


/Y.. 


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i^gi. 


7)e  J't'iw  ,/i-/  ■ 


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^f 


DES    PLANCHES.  191 

pénètre  plus  ou  moins  dans  Feau  qui  contient 
les  œufs.  Les  coups  et  les  frottemeiis  presque 
continuels  de  la  queue  du  poisson  contre 
l'enveloppe  de  Toeuf,  la  rendent  si  mince 
qu'elle  se  crève  ;  alors  le  poisson  sort  de 
l'œuf,  la  queue  la  première  ;  voyez  lajig'  8, 
où  le  poisson  est  représenté  la  queue  hors 
de  Fœuf,-  il  redouble  ses  mouvemens  et 
ses  elForts,  afin  de. détacher  sa  tête  et  de  se 
mettre  en  liberté.  Bientôt  après ,  on  le  voit 
courir  avec  beaucoup  de  vivacité  dans  le 
nouvel  élément  qui  devient  sa  demeure 
habituelle. 

PLANCHE    II   ET   IIL 

C'est  un  spectacle  fort  agréable  de  voir 
se  jouer  au  milieu  des  eaux  les  petits 
poissons  nouveaux  nés  ,  dont  le  corps  est 
extrêmement  petit  et  délicat;  voyez  pi.  11 , 
figii^re  1  ,  a.  Dans  les  huit  premièies  heures, 
il  acquiert  la  grosseur  marquée  en  b)  mais 
ensuite  son  accroissement  devient  si  lent, 
qu'au  bout  de  trois  semaines  il  n'est  pas 
plus  gros  qu'en  c,  Ynème  figure.  Nota^  que 
c'est  une  brème  de  grandeur  naturelle  que 
cette  figure  représente. 
,    Outre  les  deux  points  noirs  qui  se  font 


192  EXPLICATION 

remarquer  le  neuvième  jour ,  on  en  dé- 
couvre un  tioisième  à  l'aide  du  microscope, 
lorsque  le  poisson  est  couché  sur  le  venti^; 
c'est  Testomac  avec  la  nourriture  qu'il  con- 
tient ;  voyez  la  figure  2  ,  en  a. 

Dès  le  premier  jour  de  la  naissance,  on 
reconnoît  les  nageoires  pectorales;  mais  les 
autres  nageoires  sont  invisibles,  aussi  bien 
que  les  intestins.  Ce  n'est  que  le  troisième 
jour  qu'on  aperçoit  la  nageoire  delà  queue, 
qui  est  encore  droite;  fig,  2,  ^.  La  nageoire 
du  dos  paroit  le  cinquième  jour;  celles  du 
ventre  et  l'anale  s'aperçoivent  au  micros- 
cope le  huitième  jour. 

C'est  à  peu  près  à  la  même  époque  que  le 
microscope  fait  découvrir ,  sur  le  coips  du 
poisson  ,  de  petits  points  noirs ,  figure  3  de 
la  planche  II,  6^;  a  est  la  majque  de  Tes- 
tomac.  De  ces  petits  points  noirs  les  uus  sont 
ronds,  et  les  autres  alougés  en  augle^i  comme 
des- étoiles 'irrégulières.  (Vo3'ez  la  /?^/7r£'  2  de 
la  planche  III,  a,  h^  c\)  Ce  sont  \es  pre- 
miers contoui^  des  écailles  dont  le  poisson 
doit  être  couvert.  Ceux  de  la  tète,  a,  sont 
les  plus  peiits  ;  ceux  du  dos,  6,  les  plus 
grands,  et  ceux  des  côtés,  c,d\me  graudeur 
moyenne  entre  les  premiers  et  les  seconds. 

On 


BES     PLA>7CHES.  igS 

On  remarque  aussi  à  la  queue  une  échan- 
crure  en  forme  de  croissant  ,*  ^^^  5,  c. 

Près  de  la  tète  ou  aperçoit  le  cœur,  qui 
cousiste  en  un  sac  mince  et  membraneux. 
Voyez  Vdfig,  4,  a,  de  la  planche  Jl,  et  la 
Jîg,  1  de  la  pi.  JJI,  a;  il  verse  le  sang  dans 
une  artère  en  forme  de  poche ,  ^^.  4  ,  a, 
j^lanche  li,  et  Jï^.  1 ,  planche  111,  b.  Dès 
que  cette  artère  a  reçu  le  sang,  elle  se  res- 
serre poui-  le  faire  passer  dans  Taorte,^^.  1, 
planche  iil,  c.  Pendant  que  i'arlère  se  com- 
prime, la  veine  cave  porte  de  nouveau  sang 
au  cœur  quietoit  sans  action  .^^.  i,[)l.  IM^i; 
et  ensuite  le  cœur  le  fait  jaillir  dans  les 
veines ,  qui  pour  lors  sont  aussi  sans  action. 
lues  ouïes  n'étant  pas  encore  visibles  dans 
les  trè«-}<^iines  poissons ,  on  suit  les  artères 
qui  montent  immédiatement  à  la  tète  ,  re- 
viennent derrière  l'œil,  et  descendent  ensuite 
le  long  de  l'épine  àii.êfi^'^  ft^ure  1 ,  c.  Un^ 
autre  descend  le  long  du  ventre  jusqu'à  la 
queue, ^o-.  1  ,  dd;  eWe  commence  près  de 
la  téle  et  tii-e  son  origine  de  l'aorte.  De  la 
première  sort  encore  à  diaque  vertèbre 
et  à  angre  dioit  une  artère  qui  pî'end  sa 
diieotioH  le  long  de  Y^^rie ,  ficç.  1  ,  ff.  Le 
sang,  qui  passe  dans  ces  aitèi'es  extrêmement 
Foiss,  ToûiE  IL  N 


194  EXPLICATION,  etc! 
délicates  ,  se  rassemble  en  partie  dans  la 
veine  cave  ascendante  ^figure  i  ,  ^,  et  en 
partie  dans  la  descendante  ,  h.  Ces  deux 
veines  se  touchent  et  forment  un  angle  obtus 
en  i,  derrière  la  vésicule  aérienne  ,  et  con- 
duisent de  nouveau  le  sang  vers  le  cœur. 

La  vésicule  aérienne  est  fort  grosse  dans 
les  poissons  nouveaux  -  nés  ,  k  ,  figt-ire  i  ; 
planche  III,  tandis  que  leur  tête  est  petite  ; 
cette  conformation  tient  Tanimal  en  équi- 
libre, quand  il  est  dans  une  situation  droite. 

Des  œufs  de  truite  formés  sont  représentés 
à  la  figure  5  de  la  })]anche  IL 

Hi'à  figure  5  de  la  planche  III  est  un  mor- 
ceau d'ovaire  de  saumon ,  dont  les  œufs 
sont  enfermés  par  couches  dans  des  niem- 
bianes  particulières  et  arrangées  les  unes 
sur  les  autres  en  forme  de  plis. 

On  voit  à  la  figure  4  une  petite  masse 
de  six  œufs  de  perche ,  unis  ensemble ,  for- 
mant une  figure  à  six  côtés ,  ainsi  qu'on 
Fobserve  distinctement  au  microscope. 

A  \^  figure  5  sont  des  œufs  de  perche, 
attachés  en  forme  de  filet. 

Enfin  la  figure  6 ,  planche  II,  montre 
les  animaux  sperma tiques  de  la  carpe. 


OBSERVATIONS 

Sur  les  Ecailles  de  plusieurs  espèces  de 
Poissons  qu^oîi  croit  communément 
dépourvus  de  ces  parties. 

Par  BROUSSONET,  de  l'académie  des  sciences^ 


JN  o  u  S  ne  connoissons  qu'un  très  -  petit 
nombie  de  poissons  piivés  entièremenfe 
il'écailles  ;  peut-être  même  ces  parties  sub- 
sistent-elles dans  tous,  et  n'ont-elles  échappé 
jusqu'à  présent  aux  reclierches  des  ichthyo- 
logisLes  que  faule  d'observations  plusexacles^ 
le  but  de  ce  Mémoire  est  de  donner  la  des^ 
cription  de  quelques-unes  de  ces  parties  sur 
des  espèces  où  l'on  avoit  assuré  qu'elles  n^ 
se  trouvoient  point. 

La  position  des  écailles  varie  suivant  les 
différentes  manières  de  vivre  et  la  forma 
de  chaque  espèce  de  poissons  ;  dans  quel- 
ques-uns elles  sont  enlièrement  à  découvert; 
dans  d'autres  elles  sont  en  partie  recouvertes 
par  la  peau,  quelquefois  elles  sont  cachées 
au  dessous  de  l'épi  derme.  Leur  insertion 
présente  aussi  des  difféiences  relatives  à  la 
diversité  des  espèces  ;  il  en  est  où  les  écailles 

N  a 


i9«         OBSERVATIONS 

sont  très-unies  à  la  peau  et  paioissent  n'en 
être  qu'un  prolongement  ;  quelquefois  elles 
sont  légèrement  attachées  au  corps  par  des 
yaisseaux  très-déliés  qui  partent  du  milieu , 
ou  des  bords  de  çluique  écaille,  dont  la  forme 
varie  aussi  suivant  les  espèces  ;  on  en  voit  de 
cylindiiques,  de  rondes,  de  carrées  ,  d'unies, 
de  crénelées,  etc.^  comme  aussi  d'osseuses 
et  de  flexibles. 

Les  poissons,  dont  les  écailles  sont  à  dé^ 
couvert  et  seidenient  retenues  par  des  vais- 
seaux ,  appartiennelît  à  la  classe  de  ceux 
qui  nagent  dans  de  grands  fonds  ,  qui  ne 
s'approchent  jamais  du  rivage  ,  et  qui  par 
èonséqueàt  sont  moins  exposés  à  perdre  ces 
parties  ,  que  le  nVôindie  choc  contre  les^ 
rochers  ou  les  plantes  marines  poilrroient 
détacher.  Plusieurs  espèces  de  dupés ,  d'ar- 
gentines ,  etc. ,  peuvent  être  rangées  dans 
cette' -classe.  L'usage  des  écailles  paroît  se 
borner  dans  ceux-ci  à  rendre  la  suiface  de 
îeurâ' corps  unie  et  lisse,  pour  fendre  l'eâu 
avec  plus  de  facilité  :  ce  qui  est  d'autant 
plus  probable  que  ces  poissons  font  des 
•^oyagë^  de  long  cours  ,  et  que  la  confar- 
ïnation  des  autres  organes  concourt  aussi 
à  augmenter  la  promptitude  de  leurs  niou- 
yemens.  •  '      ■ 


SUR  LES  ECAILLES.      197 

A  mesure  que  les  poissons  sont  deslinés 
à  s  approcher  un  peu  plus  du  rivage,  leurs 
écailles  sont  recouvertes  en  partie  par  la. 
peau;  leur  épaisseur  devient  aussi  plus  con- 
sidérable ,  et  leur  adhérence  est  plus  forte 
que  dans  les  espèces  dont  nous  venons  de 
parler.  Cette  conformation  leur  est  d'autant 
plus  nécessaire  qu'elle  piéserve  ces  animaux 
des  impressions  trop  brusques  qu'ils  renver^ 
roient  étant  exposés  à  se  heurter  sur  les 
rochers  au  milieu  desquels  ils  nagent  conti- 
nuellement. La  forme  de  leurs  écailles  varie 
suivant  leur  genre  de  vie;  quelquefois  elles 
sont  très- grandes ,  comme  on  peut  le  voir 
dans  plusieurs  espèces  de  perches  ,  de  labres 
et  sur  -  tout  de  scares ,  qui  ont^  les  écailles 
plus  grosses ,  proportionnellement  à  leur 
cor}3S.  J'en  ai  vu  qui  avoient  appartenu  à 
un  poisson  de  ce  genre  pris  dans  les  mers 
des  Indes  ;  elles  avoient  près  de  trois  pouces 
de  diamètre. 

Les  poissons  dont  les  écailles  sont  en 
partie  recouvertes  par  la  peau ,  sont  destinés 
à  vivre  dans  la  vase  et  près  du  rivage  ;  plus 
ces  parties  sont  petites,  plus  la  membrane  qui 
les  fixe  est  épaisse;  ce  qu'on  peut  obseiver, 
en  comparant  un  brochet  avec  une  lanche: 
je  me.  bornerai  pour  cet  objet  à  )  envoyer 

N  3 


398         OBSERVATIONS 

à  l'ouvrage  de  Baster ,  qui  a  donné  la  figure 
d'un  très -grand  nombre  de  ces  écailles.  Je 
vais  décrire  ces  organes  sur  quelques  espèces 
où  on  ne  les  a  pas  observés. 

La  flamme  se  trouve  dans  la  Méditer- 
ranée ;  c'est  un  poisson  fort  effilé  ;  sa  queue 
se  termine  en  pointe.  Les  premiers  ichtbjo- 
logistes   la   connoissoient    sous   le   nom    de 
tœnia ,  comme  s'ils  eussent  voulu  la  com- 
parer à  un  niban  :  Linnaeus  Fa  désignée  sous 
la  dénomination  générique  de  cépola,  en  y 
ajoutant   le   nom   spécifique    do   tœnia  ;   sa 
couleur  de  feu  et  la  manière ^dont  elle  nage 
en  serpentant  lui  ont  fait  donner,  dans  notre 
langue ,  le  nom  de  flamme  ;  presqu'aucun 
auteur  n'a  donné  une  bonne  description  de 
ce  poisson.  Je   n'en  connois  point  qui    ait 
parlé  de  ses  écailles  ;  M.   Gouan  ,    dans  le 
caractère  qu'il  assigne  au  genre  du  cépola 
d'après  l'espèce  dont  nous  parlons,  dit  qu'il 
n'y  a  point  d'écaillés;  il  est  cependant  facile 
de  voir  ces  paj'iies,  qui  sont  retenues  sur  le 
corps  de  l'animal  par  une  enveloppe  très- 
fine  et  très -déliée.   Elles  sont  rangées  de 
manière  qu'elles  forment  des  lignes  obliques 
qui  se   croisent   en   façon   d'échiquier.   La 
trace  qu'elles  laissent  sur  la  peau  en  tom^ 
bant  est  presque  carrée  ;  quoiqu'elles  soient 


SUR  LES  ECAILLES.      iç)ci 
assez  pelîtes,  on  les  voit  cependant  à  l'œil 
nu  très-distinctement;  au  microscope ,  elles 
paroissent  ovales ,  plus  obtuses  à  Tune  des 
extrémités  qu'à  l'autre;  vers  le  bout  le  plus 
large  on  voit  partir  du  centre  des  rayons 
divergens  assez  distans  les  uns  des  autres  ; 
ils   sont    formés   par  une   séiie    de   petites 
écailles  ,  se  recouvrant  les  unes  les   autres 
en   manière   de    tuiles.    De  l'autre  côté  de 
l'écailie    on    voit    des    arcs    de    différentes 
grar.deui's  ,  également  éloignés  les  uns  des 
autres  ,  et  décrivant  une  combe  semblable 
à  celle  du  bord  de  ce  même  côté  ;  ces  arcs 
sont  aussi  formés  par  de  pedtes  écailles;  les 
écailles  principales  forment  un  renflement 
dans  leur  milieu  ;  elles  tiennent  au   corps 
au  moyen  de  plusieurs  vaisseaux  très-déliés, 
qui  s'insèrent  au  dessous  dans  leur  partie 
concave.  On  n'en  trouve  point  sur  la  tète. 
Loin  de  gêner  les  mouvemens  de  ce  poisson , 
elles  servent  au   contraire   à   les   faciliter  ; 
aussi  est-il  très-agile,  et  nage-t-il  fort  vite 
au  milieu  des  plantes  marines  où  il  vit  ordi- 
nairement. 

J'ai  reconnu  des  écailles  petites  rangées  , 
comme  dans  cette  espèce ,  en  quinconce , 
sur  deux  poissons  appartenans  à  un  genre 
que  Gronovius  a  décrit  sous  le  nom  de  mas- 

N  4 


soo         OBSERVATTIONS 

tacemhelus  :  j'en  ai  décrit  un  dans  le  niTTseum 
Brilaunicum,  où  il  a  élé  apporlé  par  Russell, 
qui  la  fait  connoitre  le  premier  dans  soo 
Voyage  d'Aiep  ;  l'autre ,  qui  n'a  élé  décrit 
par  aucun  auteur ,  et  dont  les  écailles  sont 
un  peu  plus  petites  que  celles  de  Tespèce 
précédente,  m'a  été  communiqué  par  M.  le 
chevalier  Banks,  qui  l'a  apporté  de  la  mer 
du  Sud. 

Plusieurs  auteurs  ont  prétendu  que  la 
rémora  n'avoit  point  d'écaiiles;  Linuceus 
et  M.  Gouan  ont  donné  ce  caractère  à  ce 
poisson.  Je  ne  relèverai  point  ici  cette 
omission  qui  est  démontrée  d'une  manière 
d'autant  plus  frappante  que  ces  parties  sont 
très-apparentes  dans  l'espèce  dont  il  s'agit. 

Li^aramodyte  se  trouve  assez  communé- 
ment sur  les  côtes  de  l'Océan,  en  Hollande  , 
en  Angleterre;  on  le  trouve  aussi  en  Amé- 
rique ,  à  Terre-Neuve ,  etc.  Nous  remar- 
querons en  passant  que  j^resque  tous  les 
auteurs  qui  ont  donné  une  figure  de  ce 
poisson ,  ont  copié  celle  qu'en  avoit  publiée 
le  premier  Salviani;  ils  l'ont  icprésenté  avec 
deux  nageoires  sur  le  dos ,  quoiqu'il  n'en  ait 
réellement  qu'une.  Son  museau  est  très- 
effilé,  sa  chair  est  ferme;  il  s'enfouit  presque 
toujours  dans  le  sable  :  on  le  déterre   en 


SUR  LÉS  ECAILLES.      201 

Hollande  avec  une  herse  faite  exprès  , 
traînée  par  des  bœufs  ;  comme  il  est  des- 
tiné k  vivre  sous  le  sable  ,  et  presque  tou- 
jours hors  de  son  élément,  ses  écailles  ont 
dû  avoir  une  conformation  particulière. 
Aussi  sont  -  elles  très  -  petites  ,  et  ont  -  elles 
échappé  à  Texamen  de  tons  les  ichthyolo- 
gistes,  de  Willnghby  lui-même,  si  recom- 
mandable  par  son  exactitude  5  et  qui  cepen- 
dant dit  expressément  que  ce  poisson  est 
privé  d'écaillés;  elles  sont  presque  semblables 
à  celles  que  je  viens  de  décrire  sur  la  flamme  ; 
seulement  les  lignes  obliques  qu'elles  for- 
ment sont  distinctes  entre  elles.  Fabricius, 
dans  sa /^«//77 (2  Groenlandica,  pag.  141  ?  parle 
de  ces  lignes ,  mais  il  ne  dit  pas  qu'elles 
soient  formées  par  des  écailles;  il  observo 
seulement  que  la  peau  est  unie  et  marquée 
de  stries  obliques  qui  entourent  le  corps  ; 
je  crois  qu'Artedi  est  le  seul  auteur  qui  en 
ait  fait  mention ,  sans  cependant  en  donner 
la  description  :  je  ne  sais  pourquoi  long-tems 
après  Artedi,  M.  Gouan  indique  la  privation 
des  écailles  comme  un  caractère  du  genre 
de  l'ammodyte  qui  ne  consiste  que  dans  cette 
seule  espèce. 

Nous  venons  de  parler  des   écailles    de 
quelques  espèces  de  poissons  destinés  à  vivre 


202         OBSERVATIONS 

souvent  claos  la  vase  :  eiles  sont  très -petites 
et  se  recouvienfc  en  partie  les  unes  les 
aufres.  Nous  allons  passer  à  d'autres  espèces 
destinées  au  nvme  genre  de  vie,  mais 
obligée-,  d  exécuter  beaucoup  plus  de  mou- 
vemens  d'ondulalion,  dont  le  corps  est  long 
et  dans  lesquelles  les  écailles  ont  dû.  être 
séparées  par  de  petits  intervalles,  pour  que 
les  mouveniens  du  corps  ne  fussent  point 
gènes;  on  les  trouve  sur  les  anguillifoimes  : 
je  vais  les  déci-ire  d'abord  sur  l'anguille  , 
parce  que  c'est  le  poisson  de  cette  classe 
le  plus  commun  ,  et  que  ces  écailles  ont 
d'ailleurs  été  déjà  connues  de  plusieurs 
auteuis. 

Le  corps,  la  tète,  et  même  les  j^eux  de 
l'anguille  sont  recouverts  d'une  peau  d'un 
tissu  serré  ,  blanchâtre  et  parsemée  d'une 
infinité  de  petits  points  noijâtres,  qui,  vus 
à  la  loupe ,  présentent  un  grand  nombre 
de  mouchetures;  elle  est  recouverte  d'un 
épiderme  très  -  fin ,  noirâtre.  On  trouve 
entre  ces  deux  enveloppes  de  petites  poches 
oblongues ,  quelquefois  rondes,  ordinaire- 
ment d'une  ou  même  deux  lignes  de  long, 
et  foimées  par  une  adhéience  de  Fépiderme 
à  la  peau  tout  autour  de  ses  vésicules,  qui 
sont  en  partie  lemplies  d'une  humeur  qui 


SUR  LES  ECAILLES.      2o5 

lubréfie  tonte  la  surface  du  corps  au  moyen 
d'une  grande  quantité  de  pelits  tuyaux.  Les 
écailles  sont  logées  dans  les  petites  poches 
dont  je  viens  de  parler,  une  dans  chaque 
poche  qu'elle  remplit  exactement  :  la  con- 
vexité en  est  tournée  en  dehors  ;  elles  sont 
fixées  au  corps  par  plusieurs  vaisseaux  qui 
s'insèrent  à  la  partie  concave.  Leuwenhoeck 
en  a  donné  une  bonne  description  et  une 
bonne  figure.  Roberg ,  dans  la  description 
qu'il  a  publiée  de  l'anguille ,  en  a  fait  men- 
tion ,  et  a  copié  la  figure  de  Leuwenhoeck. 
On  peut  en  voir  aussi  une  très-bonne  figure 
dans  les  Opuscula  successwa  de  Baster.  Au 
microscope ,  ces  parties  paroissent  formées 
de  plusieurs  rayons  divergens ,  composés 
eux-mêmes  d'une  rangée  de  petites  écailles 
posées  les  unes  sur  les  autres  en  manière  de 
tuiles.  Les  écailles  principales  d'ailleurs  sont 
répandues  sur  tout  le  corps  sans  se  toucher; 
on  les  voit  très  -  bien  à  l'œil  nu  ,  et  mieux 
encore  sur  une  peau  sèche  :  c'est  le  moyen 
qu'Artedi  a  indiqué  pour  les  distinguer  fa- 
cilement. 

Un  des  avantages  les  plus  précieux,  sans 
doute ,  de  l'étude  de  l'histoire  naturelle  est 
de  nous  éclairer  sur  les  erreurs  les  plus  ^éiié- 


204  OBSERVATIONS 

ralement  accréditées ,  et  qu'il  est  toujours  si 
important  de  détruire ,  sur-tout  lorsqu'elles 
intéressent  la  diétélique.  Ainsi  les  juifs  d'au- 
jourd'hui, qui  habitent  souvent  des  pays 
où  l'anguille  est  très-commune,  mais  (ju'ils 
croient  comprise  dans  la  défense  faite  par  la 
loi  de  manger  des  poissons  sans  écailles ,  ne 
s'abstiendroient  point  d'un  aliment  si  fin , 
s'ils  eu Iti voient  l'histoire  naturelle  avec  au- 
tant d'ardeur  qu'ils  mettent  d'aveuglement 
dans  un  précepte  qui  n  etoit  réellement  pas 
compris  dans  le  sens  de  la  loi.  On  peut  dire 
la  même  chose  des  Romains,  à  qui,  suivant 
Pline ,  une  loi  de  Numa  défendoit  de  sacri- 
fier des  poissons  sans  écailles. 

Un  hasard  heureux  procure  souvent  au 
peuple  des  découvertes  dont  les  observateurs 
ne  se  doutent  pas  ,  même  plusieurs  siècles 
après  qu'elles  sont  regardées  ailleurs  comme 
des  choses  triviales.  C'est  ce  qui  est  arrivé 
aux  paysans  de  plusieurs  pays  du  Nord  , 
qui,  long-tems  avant  Leuwenhoeck  ,  con- 
noissoient  les  écailles  de  l'anguille ,  qu'ils 
ramassoient  avec  soin  pour  les  mêler  avec 
le  blanc  destiné  à  blanchir  les  murs  de  leurs 
maisons,  qui  acquéroient  par  là  un  brillant 
très-agréable ,  particulièrement  lorsqu'elles 


SUR  LES  ECAILLES.  noS 
(étoîent  éclairées  par  le  soleil  :  ne  pourroit-on 
pas  appeler  ceci  blanc  à  l'écaillé ,  comme 
on  (lit  blanc  en  bourre  ? 

Plusieurs  auteurs  ont  cependant  écrit 
qu'on  ne  trouvoit  point  d'écaillés  sur  Fan- 
guille.  Rondelet  et  quelques  autres  ichthyo- 
logistes  Font  assuré,  et  parmi  les- modernes 
M.  Gouan  a  indiqvié  la  privation  des  écailles 
comme  un  caractère  propre  aux  genres  de 
murène  auxquels  ce  poisson  appartient.  Cet 
auteur  dit  cependant ,  dans  un  autre  endroit 
du  même  ouvrage  ,  que  les  écailles  des 
poissons  sont  quelquefois  séparées  les  unes 
des  autres,  et  il  cité  pour  exemple  Tanguille^ 
Hasselquist  a  décrit  ces  écailles- dans  soii 
Voyage  ;  mais  il  les  prenoit  pour  des  parties 
bien  différerite^s. 

Les  écailles  ne  sont  pas  les  seules  parties 
que  les  auteurs  aient  méconnues  dans  ce 
poisson.  Les  organes  de  la  génération  leur 
©nt  été  inconnus ,  et  sa  reproduction  a  été 
regardée  comme  mystérieuse.  Parmi  le  gran(J 
nombre  d'auteurs  qiii  ont  donné  la  descrip- 
tion anatomique  de  Tanguille ,  Vaîisnieri 
est  le  seul  qui  ?tii[?  donné  tiK^e  bonne  ^gnrë^ 
avec  une- description  des  organes  des  deux* 
sexes,  qui  sont  sîHiés  hors  du  péritoine  éf- 
disposés  en  grappe  comme  dftns  les  latiiproiesi 


2o6        OBSERVATIONS 

Il  est  rare  qu'on  prenne  une  anguille  œuvée  ; 
il  paroît  que  les  œufs  prennent  un  accroisse- 
ment très  -  prompt  dans  ces  animaux  ,  et 
qu'ils  se  cachent  dans  la  vase  au  moment 
où  ils  doivent  les  jeter. 

Plusieurs  espèces  de  murènes  des  mers 
des  Indes  ont  des  écailles  de  la  ïnéme  forme 
de  celles  de  l'anguille  :  ces  poissons  appar- 
tiennent au  même  genre.  Le  loup  marin  a 
des  écailles  rondes  plus  grandes  que  celles 
de  Tanguille ,  et  pareillement  recouvertes 
par  l'épiderme.  Tous  les  auteurs  qui  ont 
parlé  de  cette  espèce  ,  "Willugîiby  même  et 
Gronovius,  qui  eu  ont  donné  les  meilleures 
descriptions,  ont  assuré  qu  elle  n'a  voit  point 
d'écaillés. 

Un  poisson  du  genre  des  blennies ,  qui  a 
beaucoup  de  rapports  avec  le  loup  mai  in, 
et  qui  est  connu  sous  le  nom  de  vipiparus , 
à  cause  de  la  manière  dont  ses  petits  sortent 
tout  formés  de  son  corps,  est  couvert  d'écaillés 
de  la  même  forme;  elles  sont  seulement  un 
peu  plus  petites  que  dans  les  espèces  précé- 
dentes, relativement  à  sa  grosseur.  Ce  poisson 
remonte  les  rivières.  Je  l'ai  vu  assez  souvent 
dans  les  marchés  de  Paris  et  de  Londres  : 
son  squelette  est  verd.  Cet  exemple  n'est 
point  unique  ;  on  re-trouve  la  mt  me  singu-^ 


SUR  LES   ECAILLES.      207 

larilé  dans  deux  autres  espèces  de  poissons, 
savoir,  l'aiguille  (esox  ùelone),  el  une  autre 
variété  du  brochet,  qu'on  pèche  quelquefois 
aux  environs  de  Malesherbes. 

La  donzelle ,  dont  j'ai  publié  l'histoire  dans 
les  Transactions  philosophiques,  année  1781, 
a  des  écailles  du  même  genre;  mais  ,  comme 
la  peau  qui  les  retient  sur  le  corps  est  ti'ès- 
mince,  elles  tombent  aisément,  et  pour  lors 
le  poisson  paroît  si  différent  de  ce  qu'il  étoit 
aupajavant,  que  quelques  auteurs  qui  l'ont 
vu  figuré  dans  les  deux  états  en  ont  fait 
deux  espèces  distinctes.  Je  n'entrerai  point 
dans  un  plus  long  détail  sur  ces  parties,  en 
ayant  déjà  donné  la  description  et  la  figure 
dans  les  Tjansactions  philosophiques. 

Les  écailles  que  nous  venons  d'examiner 
sont  cachées  sous  l'épiderme,*  elles  sont 
éloignées  les  unes  des  autres,  et  les  poissons 
qui  en  sont  pourvus  sont  privés  de  nageoires 
ventrales,  ou  du  moins  ces  parties  sont  très- 
petites  dans,  quelques-uns,  et  incapables  de 
les  soutenir.  Toutes  les  espèces  de  cet  ordre 
ont  le  corps  alongé  pour  être  en  état  d'exé- 
cuter des  mouvemens  d'ondulation ,  et  de  se 
soutenir  ainsi  à  une  certaine  hauteur;  elles 
ne  s'éloignent  jamais  des  bords;  elles  y  vivent 
presque  toujours  dans  la  v^se.  Les  cuver- 


208        O  B  s  E  R  V AT  I  O  N  S 

tures  de  leurs  ouïes  sont  petites ,  et  la  peau  qui 
sert  dVnveloppe  à  toute  la  tête  devient  trans- 
parenle  sur  les  yeux.  Si  les  ouvertures  de 
leurs  ouïes  avoieiit  été  grandes,  si  leurs 
écailles  étoient  contiguës  et  à  découvert,  le 
limon  seroit  entré  avec  Teau  dans  les  organes 
de  la  respiration  ,  et  se  seroit  insinué  sur  les 
écailles. 

Parmi  les  poissons  qui  ont  des  écailles 
presque  tout  à  fait  cachées,  il  nous  reste  à 
examiner  deux  espèces  particulières  ;  Tune 
est  un  scomber  décrit  pai*  Browne  dan^ 
Î^Histoire  naturelle  de  la  Jamaïque;  son  corps 
est  lisse ,  argenié  et  effilé  ;  la  peau  est  d'un 
festi,  serré  et  ferme  :  elle  a  presque  la  ç&ri.^ 
sistance  du  cuir;  toute  la  surface  du  corp^ 
est  marquée  de  lignes  saillantes  interrompues, 
dirigées  de  la  tête  à  la  queue,  et  qui  se  touchent 
par  les  côtés.  Ces  lignes  sont  formées  par  des 
écailles  alongées,  très  -  étroites  ,  pointues.,' 
fixées  sur  la  peau  ,  et  recouvertes  d'un  épi-^ 
demie  argenté  ;  leur  longueur  est  ordinal-^ 
iH>ment  dé  trois-  ou  quatre  lignes  :  elles  son t 
retenues  sur  le  corps  par  un  pelit  vaisseatt 
qui  s'insère  à  l'extrémité  la  plus  v*:)isine  de  la 
têle^  et  en  même  tems  la  plus  effilée  :  il  est 
difficile  de  les  détacher.  Elles  procurent  à 
la  peau  ce  degré  de  fei^meté  qu'on  y  trouve. 

Oa 


SUR   LES    ECAILLES.      20g 

Ou  pèche  ce  poisson  dans  les  mers  d'Amé- 
rique. L'autre  espèce  est  figurée  par  Marc- 
grave,  sous  le  nonide guebum.EWe  conslitu© 
un  uouv^eau  genre  très  -  voisin  de  celui  dé 
scomher,y?à  cru  devoir  lui  laisser  en  français 
le  nom  de  voilier^  sous  lequel  on  le  trouve 
assez  mal  figuré  dans  l'ouvrage  de  Renard. 
Sur  un  individu  de  plus  de  sept  pieds  de 
long ,  dont  M.  le  chevalier  Banks  a  bien 
voulu  me  laisser  prendre  la  description  dans 
sa  collection,  les  écailles  étoiewt  de  huit  oU 
neuf  lignes  de  long,  lancéolées,  aplaties, 
fixées  dans  la  peau,  et  preque  tout  à  fait 
recouvertes  par  l'épiderme  ;  elles  étoient 
moins  rapprochées  que  celles  de  l'espèce  de 
scombre  que  je  viens  de  décrire.  L^n  vais-- 
seau ,  qui  s'inséroit  à  leur  base ,  les  letenoit 
sur  le  corps.  Marcgrave  avoit  vu  ces  parties; 
mais  il  les  avoit'  prises  pour  dès  arêtes,  et 
avoit  dit  que  ce  poisson  n'a  voit  point  d'écaillés. 
Il  paroifc  que  ces  sortes  d'écaillés  procurent 
à  la  peau  un  très- grand  degré  de  fermeté , 
en  même  tems  qu'elles  facilitent  les  mou- 
vemens  des  poissons  qui  en  sont  couverts  î 
en  rendant  plus  lisse  la  surface  de  leur  corps. 
Les  deux  espèces  sur  lesquelles  je  les  ai 
observées  nagent  très- vite;  le  voilier  sur- 
tout, qui  est  armé,  commç  l'espadon ,  d'ua 
Foiss,  Tome  II.  O 


sio         OBSERVATIONS 

long  bec  dur,  nage  avec  une  telle  rapidité 
qu'il  perce  souvent  plusieurs  pouces  du  bois 
des   vaisseaux  contre  lesquels   il  se  porte  ; 
c'est  ce  qu'on  peut  voir  dans  les  Ephémérides 
des  curieux  de  la  Nature,  dans  les  Transac- 
tions piûlosopliiques ,  et  dans  les  Mémoires 
de  racadérnie  de  Stockholm.    On  le  trouve 
au  Brésil  et  dans  les  mers  des  grandes  Indes. 
■:<  Xies  écailles  osseuses,  alongées,  que  nous 
venons  de  décrire ,  ont  une   certaine  ana- 
logie avec  celles  qui  recouvrent  le  corps  des 
chiens  de  mer,*  mais  celles-ci  sont  entière- 
îr^ent  à  découvert.  Elles  sont  rangées  régu- 
lièrement en  quinconces,  et  fixées  très- for- 
tement à  la  peau.  Celles  de  Fanguille  dont 
Bastei^;  a  donné  la  figure  sont  très-petites; 
mais  vues  au  microscope,  elles  paroissenfc 
aplaties,  étranglées  à  leur  base,  et  presque 
en  forme  de  fer  de  lance.  On  voit  sur  leur 
surface  deux  ou  tr-ois  lignes  longitudinales 
et  saillantes.  On  peut  observer,  sans  le  se- 
cours  d'aucuns  instrumens  qui .  grossissent 
les  objets,  des  écailles  de  la  même  structure 
et  sur  une  nouvelle  espèce  de  chien  de  mer 
que  j'ai  décrite  dans  les  Mémoires  de  l'aca- 
démie, année  1780,  sous  le  nom  d'écailleax. 
Quelques  poissons  de  ce  genre  ont  les  écailles 
iipjaties,  lisseS;  presque  rondes  et  très-rap- 


SUR  LES  ECAILLES.      211 

prochées.  La  peau  de  ceux-ci  sert  à  couvrir 
les  ouviages  qu'on  nomme  en  gnlluchat  ; 
celle  des  autres  fournit  le  chagrin  pour  le 
commerce. 

Toutes  ces  écailles  sont  fixées  solidement 
sur  la  peau.  Cette  adhérence  étoit  nécessaire 
pour  qu'elles  ne  puissent  point  se  détacher 
dans  les  mouvemens  compliqués  que  ces 
poissons  sont  obligés  d'exécuter;  elles  leur 
fournissent  d'ailleurs  une  sorte  de  défense 
contre  les  plus  petits  poissons ,  en  rendant  leur 
peau  ferme  et  rude  au  toucher. 

Les  poissons  bourses  (  tetmodon  )  ont  des 
écailles  très- fines  et  semblables  à  des  épin- 
gles ;  leur  pointe  s'éloigne  du  corps.  Cette 
direction  devenoit  indispensable  dans  ces 
poissons,  qui  enflent  à  volonté  leur  corps 
et  le  réduisent  tout  de  suite  à  un  petit 
volume.  Plusieurs  espèces  ont  des  écailles 
osseuses  très-dures  et  très-liées  entre  elles  : 
les  loricarias  et  les  poissons  coffres  sont  dans 
ce  cas;  d'autres  en?in  ,  tels  que  lessingnalhus 
et  les  baptisters ,  ont  des  écailles  cartilagi- 
neuses un  peu  flexibles,  larges  et  fixées  d'une 
manière  invariable  sur  une  peau  épaisse. 

Les  écailles  paroissent  être  communes  à 
toutes  les  espèces  de  poissons,  et  leur  usage 
principal  semble  être  de  fournir  à  ces  ani- 

O  2 


ûi2  OBSERVATIONS, etc: 
itiaux  une  arme  défensive  en  procurant  à 
leur  peau ,  continuellement  ramollie  par 
Télément  qui  l'environne  ,  un  plus  grand 
degré  de  fermeté.  Les  poissons  sont  encore 
pourvus  (le  tubercules  osseux ,  d'épines  ^ 
d'appendices  cjiarnues  ,  et  même  d'espèces 
de  poils  :  ce  dernier  cas  est  à  la  vérité  très- 
rare;  on  ne  Fobserve  que  sur  un  très-petit 
nombre  d'espèces,  et  notamment  sur  un 
poisson  du  genre  des  saumons  ,  désigné  par 
M.  Duhamel,  sous  le  nom  de  capelan  d' Amë' 
riquc, 

La  manière  dont  les  écailles  se  forment, 
celle  dbnt  elles  prennent  leur  accroissement, 
l'usage  dont  elles  peuvent  être  pour  décou- 
vrir Tâge  des  poissons ,  sont  autant  d'objets 
t\\xe  je  me  propose  d'examiner  dans  un  autre 
Mémoire,*  il  me  suffit  dans  celui-ci  d'avoir 
fait  Voir  Ces  parties  sur  plusieurs  espèces 
où  elles  n'aVoient  point  été  observées  aupa- 
l'àvant. 


.j" 


PRÉCIS 

De  la  Législation  sur  la  Pêche  (i). 


JiiN  vain  la  terre  est-elle  enrichie  et  parée 
des  dons  miiltipliés  de  la  sage  et  bienfaisante 
Nature ,  si  Tégoïsme  imprévoyant  de  riiomnie 
tend  sans  cesse  à  tarir  la  source  de  tant  de 
bienfaits  par  des  jouissances  irréfléchies  et 
dévastatrices.  C'est  pour  éviter  ce  malheur 
que  ,  dans  toutes  les  sociétés  policées ,  le  lé- 
gislateur a  toujours  dirigé  son  attention  sur 
les  abus  qu'entraîne  le  calcul  trop  souvent 
erroné  de  l'intérêt  particulier  ;  et  s'il  est 
vrai  de  dire  que  la  meilleure  législation  est 
celle  qui,  en  éclairant  le  citoyen,  sait  diriger 
cet  intérêt  particulier  vers  le  bien  général, 
il  faudra  convenir  que  la  nôtre  laisse  très- 
peu  de  chose  à  désirer  sur  les  moyens 
d'arrêter  la  main  indiscrette  et  rapace  qui , 
plongeant  sans  cesse  dans  l'élément  des  ani- 

(i)  Je  dois  cet  article  à  un  de  mes  amis  ,  homme  d.e 
beaucoup  d'esprit  et  très- versé  dans  la  connoissance 
des  lois  -y  il  a  bien  voulu  le  composer  pour  le  placer 
à  la  tète  de  mon  ouvrage. 

O  3 


5i4  LEGISLATION 

maux  paisibles  dont  nous  allons  tracer  l'his- 
toire naturelle ,  parviendroit  bientôt  à  en 
faire  disparoître  les  espèces  les  plus  nom- 
breuses et  les  plus  utiles ,  si  elles  n'étoienfc 
protégées  par  de  bons  réglemens.  Ces  régle- 
mens  existent ,  et  nous  avons  pensé  qu'avant 
de  parcourir  les  détails  intéressans  de  l'his- 
toire des  poissons  ,  nos  lecteurs  verroient 
avec  plaisir  quelles  sont  les  précautions  prises 
jusqu'à  présent  pour  prévenir  l'entière  des- 
truction de  ceux  qui ,  habitant  nos  fleuves , 
nos  rivières ,  nos  lacs  et  nos  étangs,  y  croissent 
et  y  multiplient,  pour  nous  fournir  des  ali- 
mens  sains  dont  l'abondance  devient  chaque 
jour  plus  désirable. 

La  pèche  est  à  la  vérité  une  des  manières 
d'acquérir,  et  le  premier  des  arts  que  la 
Nature  enseigna  aux  hommes  pour  fournir 
à  leur  nourriture. 

Dans  l'état  de  société ,  elle  fut  permise 
par  le  droit  des  gens;  mais  dans  le  droit  civil 
elle  dut  être  considérée  comme  un  accessoire 
adhérent  à  la  seule  propriété  des  étangs  et 
des  viviers,  et  elle  ne  fut  plus  permise  que 
dans  la  mer ,  les  fleuves  et  les  rivières  dont 
l'usage  étoit  public. 

Elle  est  restée  libre  en  pleine  mer  et  sur 
les  grèves;  mais  dans  les  mers  qui  baignent 


SUR  LA   PECHE.  2i5 

les  côtes  de  France,  elle  fut  assujettie  à  des 
règles  qui  déterminent  l'espèce  de  filels  dont 
on  doit  se  servir  pour  ménager  les  difiérenles 
espèces  qui  les  fréquentent  plus  constam- 
ment; et  si  l'autorité  conservatrice  des  droits 
de  tous  dut  veiller  à  ce  que  les  intérêts  par- 
ticuliers ne  s'entrenuisissent  pas  au  préju- 
dice de  la  société ,  dans  la  vaste  étendue 
où  il  seroit  difficile  de  détruire  des  espèces 
entières  qui  y  trouvent  tant  de  facilité 
d'échapper  aux  pièges^  à  plus  forte  raison 
dut- on  prend le  des  précautions  centre  les 
abus  de  la  pèche  dans  les  eaux  limitées  des 
fleuves  et  des  rivières  navigables ,  dont  la 
propriété  étant  de  droit  de  public  fût  le 
partage  de  celui  qui  avoit  la  puissance  sou- 
veraine. Il  n'y  permit  la  pèche  que  sous 
des  réserves  et  avec  des  limitations  qui 
avoient  pour  objet  la  conservation  de  diffé- 
rentes espèces  de  poissons  qui  se  tiennent 
plus  ordinairement  dans  les  grandes  eaux; 
mais  ce  n'étoit  pas  assez  faire  pour  l'intérêt 
public;  et  comme  dans  les  petites  rivières, 
les  lacs  et  les  étangs,  les  particuliers  qui  en 
étoient  devenus  propriétaires,  par  restriction 
du  droit  public  et  à  titre  quelconque,  pou- 
voient  abuser  de  cette  sorte  de  propriété  , 
au  préjudice  de  la  société,  en  péchant  sans 

O  é 


5i6  LEGISLATION 

mesure  et  sans  les  précautions  nécessaires 
pour  protéger  le  premier  âge  des  poissons 
et  leur  multiplication  ,  ce  fut  sans  doute  ce 
qui  détermina  Louis  XIV  à  réunir  ,  dans 
son  Ordonnance  de  1669,  les  dispositions  des 
anciens  réglemens  sur  la  pêche  dans  les 
fleuves ,  rivières  ,  étangs  et  autres  retenues 
d'eau  5  et  à  ajouter  sur  cette  matière  de 
nouvelles  dispositions  plus  claires ,  plus  po- 
sitives et  plus  conservatrices.  C'est  ainsi  que 
lorsqu\ine  commune  étoit ,  en  tout  ou  en 
partie,  propriétaire  d'une  rivière,  étang,  etc. 
l'article  17  de  cette  Ordonnance  a  ordonné 
que  la  pèche  en  seroit  affermée ,  et  que  par 
l'article  suivant  il  est  défendu  à  tous  ha- 
bitans ,  autres  que  ]es  adjudicataires  ,  d'y 
pécher,  même  à  la  ligne  ou  à  la  main. 
L'article  5  et  les  suivans  du  titre  3 1  de  la 
même  loi  défendent  de  pêcher  à  autre  heure 
que  dejHiis  le  lever  jusqu'au  coucher  du 
soleil  ;  clans  les  tems  de  frai  avec  des  filets 
et  harnois  de  pêche  à  prendre  les  poissons 
du  premier  âge;  de  chasser  le  poisson  de 
ses  retraites  en  l'y  bourrant;  de  jeter  le  filet 
dans  les  noues  où  les  débordemens  des  ri- 
vières ont  pu  porter  du  poisson  et  du  frai. 
L'article  12  ordonne  de  rejeter  à  l'eau  les 
truitesj  carpes,  bai  beaux,  brèmes  et  muniers 


SUR    LA   PECHE.         217 

qui  ont  moins  de  six  ponces  de  long  entre 
Tœil  et  la  queue.  Le  suivant  veut  que  les 
haï  nois  des  pèrlieui  s  soient  scellés  en  plomb. 
Les  deux  suivans  défendent  de  jeter  dans 
les  rivières  ni  chaux  ,  ni  noix  voniique,  ni 
coque  du  levant,  ni  autre  drogue  propre  à 
endormir  ou  à  tuer  le  poisson,  et  aux  ma- 
riniers et  bateliers  d'avoir  dans  leurs  ba- 
teaux aucun  ustensile  de  pêche;  et  enfin  le 
18®  défend  d'aller  sur  les  mares  ,  étangs  et 
fossés  lorsqu'ils  sont  glacés,  pour  en  rompre 
la  glace  ,  y  faire  des  trous  et  y  porter  des 
flambeaux ,  brandons  et  autres  feux.  La 
contravention  à  chacune  de  ces  différentes 
dispositions  entraîne  contre  les  contrevenans 
des  peines  pécuniaires  plus  ou  moins  fortes, 
et  même  des  punitions  plus  ou  moins  graves. 
Il  est  inutile  sans  doute  d'entrer  dans  le 
détail  des  motifs  de  toutes  ces  prohibitions; 
le  lecteur  intelligent  aperçoit  aussitôt  qu'elles 
n'ont  d'autre  objet  que  de  protéger  le  frai 
et  le  piemier  âge  du  poisson ,  et  de  mettre 
un  frein  à  la  rapacité  de  ces  pêcheuxs  de 
profession. 

Ce  règlement,  qui  portoit  aussi  sur  Fad- 
ministration  des  forêts ,  quoique  souvent 
éludé  par  les  pêcheurs  sans  titre  et  sans 
permission  ,    avoit    cependant    assez    bien 


2i8  LEGISLATION 

conservé  la  pêche  des  rivières ,  des  lacs  et 
des  étangs;  mais  Ja  permission  de  détruire 
cette  dernière  espèce  d'amas  d'eau  ,  et  la 
licence  efïiénée  qu'une  certaine  classe  de 
mauvais  citoyens  prenoit  ou  feignoit  de 
prendre  pour  la  liberté,  en  attachant  à 
Tabolition  des  privilèges  un  sens  que  ne 
présente  pas  la  loi  qui  les  supprime ,  ont 
considérablement  diminué  le  moyen  fécond 
de  subsistance  que  produisoit  la  pèche. 
Pendant  la  crise  révolutionnaire ,  on  s'y 
est  livré ,  ainsi  qu'à  la  chasse  ,  sans  frein  , 
sans  mesure  ,  et  sans  aucun  respect  pour 
les  propriétés  ;  en  sorte  que  les  rivières  et 
les  iHiisseaux  poissonneux  ont  été  en  proie 
à  un  tel  brigandage  ,  qu'on  a  pu  craindre  la 
destruction  en  France  de  plusieurs  espèces 
de  poissons  et  de  gibiers.  Mais  enfin  le  calme 
ayant  succédé  à  l'orage  politique ,  la  puissance 
publique  a  senti  la  nécessité  de  mettre  un 
terme  à  la  déprédation  la  plus  déplorable,  et 
un  Arrêté  du  Directoire  exécutif  du  28  mes- 
sidor an  6,  en  rappelant  toutes  les  dispositions 
que  nous  venons  d'extraire  de  l'Ordonnance 
de  1669,  en  a  ordonné  l'exécution,  en  sup- 
primant cependant  les  peines  afllictives  et 
infamantes  qu'elles  prononcent  contre  les 
coupables    de    certains    délits    qui   y  sont 


SUR   LA  PECHE.         21g 

prévus.  Le  titre  5  d'une  loi  du  14  floréal 
an  10  a  ajouté,  aux  dispositions  de  l'Arrêté 
du  Directoire  du  28  messidor  an  6,  la  dé- 
fense de  pécher  dans  les  fleuves  et  rivières 
navigables  sans  une  permission ,  si  Ton  n'est 
pas  adjudicataire  de  la  ferme  de  la  pêche. 
Cette  défense  et  tous  les  textes  de  ce  titre  5 
rétablissent  le  principe  consacré  par  Fart.  41 
du  litre  27  de  l'Ordonnance  de  1669 ,  suivant 
lequel  les  fleuves  et  les  rivières  navigables 
étant  une  propriété  publique ,  l'exercice  de 
ce    droit    de  propriété   n'appartient    qu'au 
gouvernement  en  qui  réside  l'exercice  du 
pouvoir  souverain.  11  eût  été  à  désirer  qu'en 
ajoutant   à  l'Arrêté  du  28  messidor  an  6 , 
la  loi  que  nous  venons  de   citer  eût  con- 
tenu quelques  textes  préservatifs ,  tels ,  par 
exemple ,  que  ceux  qu'on  trouve  dans  un 
règlement  sur  les  eaux  et  forêts  donné  en 
1707  par  l'avant -dernier  duc  de  la  maison 
de   Lorraine.    Ce    règlement    fait    défense, 
entre   autres   précautions  ,     de    barrer   les 
rivières  pour  y  faire  de  grandes  pêches ,  d'y 
faire  rouïr  le  chanvre,  d'abreuver  et  faire 
paître  les  bestiaux  dans  les  étangs  pendant 
les  mois  de  mai  et  de  septembre.  Les  cir- 
constances, la  suppression  des  droits  féodaux, 
les  grands  changemens  dans  les  propriétés 


Sâo  LEGISLATION 

et  le  nouveau  point  de  vue  sous  lequel  elle$ 
doivent  être  considérées  relativement  au 
droit  de  péclie^  suggéreront,  avec  le  tems, 
dans  cette  partie  de  Tadministration  publique, 
des  idées  d'améliorations  qu'on  doit  attendre 
de  la  sagesse  du  gouvernement. 

Maintenant  que  nous  venons  de  donner 
à  nos  lecteurs  un  extrait  de  notre  législation 
sur  la  pêche  dans  les  fleuves,  les  rivières, 
les  étangs  et  dans  toutes  les  espèces  de  re- 
tenues d'eau,  il  n'est  pas  hors  de  propos  de 
dire  quelque  chose  de  nos  lois  sur  la  pêche 
maritime. 

Par  l'article  i^^  du  titre  5  de  l'Ordonnance 
du  mois  d'août  1681 ,  la  pêche  en  mer  étoit 
libre  pour  tous  les  français,  et  il  étoit  permis 
de  la  faire  tant  en  pleine  mer  que  sur  les 
grèves  ;  mais ,  pour  empêcher  l'abus  qu'on 
pouvoit  faire  de  cette  permission  ,  soit  en 
se  servant  de  filets  à  maille  trop  serrée,  qui 
détruisoit  trop  de  poissons  du  premier  âge  et 
même  le  frai ,  le  législateur  avoit  voulu  que 
les  rets  et  les  filets  appelés  solles ,  dont  les 
pêcheurs  dévoient  se  servir ,  eussent  au 
moins  cinq  pouces  en  carré.  Cette  piécau- 
tion  ne  parut  pas  suffisante,  et  un  cri  uni- 
versel s'étant  élevé  contre  l'usage  abusif  de 
la  drège  ou  drague ,  espèce  de  filet  traînant 


SUR   LA   PECHE.         221 

qui  étoit  permis  alors ,  mais  qui ,  en  dé- 
truisant le  frai,  portoit  un  grand  préjudice 
à  la  pêche  maritime  ,  par  une  déclaration 
du  18  avril  1726,  il  fut  défendu  de  se  servir 
de  la  drège  ou  drague ,  et  de  tout  autre  filet 
tramant  le  long  des  côtes  et  aux  embou- 
chures des  rivières,  excepté  pour  la  pêche 
de  riiuîfcre.  Cette  loi  contient  plusieurs  dis- 
positions très-irritantes  contre  la  pêche  du 
frai,  avec  quelque  filet  ou  ustensile  de  pêche, 
et  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit;  une 
autre  déclaration  du  24  décembre  de  la 
même  année  1726  ,  ajoute  à  la  première 
nombre  de  dispositions  pour  en  assurer 
rentière  exécution.  Par  une  autre  déclara- 
tion du  18  mars  1727,  le  législateur  a  réglé 
les  dimensions  de  différens  filets  employés 
à  la  pêche  maritime  ,  et  la  manière  de  les 
tendre.  11  faut  voir  cette  loi,  divisée  en  11 
titres ,  et  contenant  69  articles ,  pour  con- 
noître  quels  pouvoient  être  les  abus  de  la 
pêche  maritime,  et  quelles  précautions  le 
législateur  avoit  prises  pour  les  empêcher. 
Une  autre  loi  du  j8  décembre  1728  a  réglé 
en  18  articles  tout  ce  qui  concerne  la  pêche 
des  moules.  L'ordonnance  du  mois  d'août 
1781  ,  porte  aussi  d'excellens  réglemens 
pour  la  pèche  du  hareng  et  de  la  morue  ; 


322  LEGISLATION 

niais  5  comme  ils  renfeiinent  trop  de  détails 
et  que  de  même  que  les  différentes  décla- 
rations que  nous  venons  de  citer,  ils  con- 
tiennent beaucoup  d'articles  dont  l'objet  est 
de  prévenir  les  difficultés  entre  les  pécbeurs, 
et  de  les  empêcher  de  se  nuire  entie  eux 
et  à  la  navigation  ,  nous  renvoyons  nos 
lecteurs  à  ces  différentes  lois  et  à  T arrêt  da 
conseil  du  3  mars  1784.  Us  y  prendront  une 
haute  idée  de  la  sagesse  du  gouvernement 
qui  les  a  faites ,  et  ils  feront  avec  nous  des 
vœux  pour  qu'ils  soient  renouvelés,  et  que 
la  stricte  exécution  en  soit  ordonnée  par  la 
puissance  publique ,  qui ,  après  avoii*  donné 
la  paix  sur  mer  comme  sur  terre,  veut  faire 
cesser  tous  les  genres  d'abus ,  toutes  les 
sortes  d'anarchies.  Ces  vœux,  qui  sont  ceux 
de  tous  les  bons  citoyens ,  sont  d'autant  plus 
ardens  que  le  dessèchement  de  beaucoup 
d'étangs ,  en  veitu  de  la  loi  du  i4  frimaire 
an  2 ,  a  considéra}>iement  diminué  en  France 
la  ressource  que  fournit  le  poisson  pour  la 
nourriture  de  toutes  les  classes  de  la  société. 
Dans  certains  cantons  de  la  France,  l'agri- 
culture a  pu  gagner  quelque  chose  à  la 
conversion  des  étangs  en  prairie  ou  en 
pleine  culture  ,*  mais  il  est  peut-être  plus 
certain  qu'en  général  on  ny  a  rien  ga^né 


SUR   LA    PECHE.  223 

pour  le  revenu ,  tandis  qu'on  y  a  bien  cer- 
tainement perdu  sous  le  rapport  des  sub- 
sistances et  du  commerce.  Si  la  table   des 
riches    n'est  pas    moins   bien   couverte    de 
poissons  aujourd'hui  qu'autrefois^  la  classe 
nombreuse  des  citoyens  qui  ne  sont  qu'aisés 
souffre  de  la  cherté  du  poisson  devenu  bien 
moins  abondant  par  l'effet  du  dessèchement 
des  étangs  et  des  abus  de  la  pêche.  Cette 
considération  est  sans   doute  assez  impor- 
tante pour  que  le  gouvernement  ne  dédaigne 
pas  de  s'en  occuper,  et  l'on  doit  attendre  de 
la  sagesse  de  ses  vues  sur  toutes  les  parties  de 
l'administration  publique  ,  qu'il  examinera, 
avec  une  nouvelle  attention  ,  la  question  de 
savoir  si  les  dispositions  de  la  loi  du  14  fri- 
maire an  2  n'ont  pas  fait  plus  de  mal  que 
de  bien  :  en  attendant  on  peut  compter  sans 
doute  qu'il  veillera  plus  que  jamais  on  ne 
l'a  fait ,  à  ce  que  tous  les  réglemens  anciens 
sur  la  pèche,  compatibles  avec  l'ordre  actuel 
des  choses ,  soient  observés  rigoureusement , 
puisque  c'est  le  plus  sûr  moyen  d'empêcher 
le  brigandage  qui  a  dévasté  les  rivières ,  et 
de  ramener  par  la  suite  l'abondance  d'une 
des  subsistances  les  plus  saines. 


224        TROISIEME   VUE 

TROISIÈME     VUE 

DE     LA      NATURE, 
PARLACJÈPEDE. 

V^UE  la  Nature  est  belle!  que  son  spec- 
tacle est  magnifique  !  que  sa  puissance  est 
admirable!  Dans  sa  fécondité  sans  bornes, 
elle  a  semé  les  mondes  dans  l'espace  (  i  ). 
Dans  sa  simplicité  sublime,  elle  ne  leur  a 
imposé  qu\me  loi  (2). 

Les  rapports  et  par  conséquent  les  des- 
tinées de  tout  ce  qui  existe,  découlent  de 
cette  force  unique  et  irrésistible  que  le  tems 
ne  peut  altérer,  et  qui,  décroissant  par  la 
distance,  mais  s'accroissant  avec  les  masses, 
en  pénètre  toutes  les  profondeurs,  en  régit 
tous  les  élémens.  Les  corps  immenses  et 
innombrables  qui  circulent  dans  les  cieux, 
les  matières  brutes  qui  composent  la  planète 
que  nous  habitons ,  les  fluides  qui  Tarrosent, 
réchauffent ,  l'environnent  ou  l'éclairent , 

(1)  Première  vue  de  la  Nature  ,  par  Buffon. 
{2)  Seconde  vue  de  la  Nature ,  par  Buffon. 

les 


DE    LA   NATURE.  saS 

les  subslaiices  organisées  qui  la  revêtent , 
les  êtres  vivans  et  sensibles  qui  la  peuplent 
ne  montrent  aucune  forme,  aucune  qualité, 
aucune  modificalion,  aucun  attribut,  aucun 
mouvement  qui  ne  dérive  de  ce  grand  acte 
du  pouv^oir  souverain  et  créateur. 

L'élude  de  la  Nature  n'est  que  l'étude  des 
lois  secondaires  qui  émanent  de  la  grande 
loi  fondamentale. 

Les  animaux,  par  leurs  organes,  par 
leurs  sens,  par  leur  mobilité,  par  leurs 
affections,  par  la  succession  de  leurs  déve-^ 
îoppemens  offrent,  bien  plus  que  tous  les 
autres  produits  de  la  création,  les  diverseà 
applications  de  cette  loi  suprême ,  les  diffé- 
rens  résultats  de  ce  principe  immuable. 

Parmi  ces  êtres  animés  ,  deux  classes 
très-nombreuses,  dont  la  première  a  reçu 
les  airs  pour  son  domaine,  et  dont  les  eaux 
sont  le  partage  de  la  seconde,  peuvent,  par 
les  contrastes  apparens  de  leurs  habitudes 
et  par  les  analogies  secrettes  qui  lient  leurs 
mouvemens,  nous  dévoiler  peut-être  plus 
que  toutes  les  autres  quelques  faces  de  cet 
ensemble  de  relations  merveilleuses  et  néces^ 
saires  qui  dérivent  de  la  prenuère  des  lois 
dictées  par  la  Nature.  L'une  de  ces  classes, 
celle  des  poissons,  est  d'ailleurs  maintenant 
Fois.  Tome    IL  P 


226         TROISIEME    VUE 

le  sujet  principal  de  nos  recherches.  Com- 
parons donc  Tune  à  Tautre  ;  plaçons  leurs 
principaux  tmits  dans  un  même  tableau, 
et  qu'elles  soient  Tobjet  d'une  troisième  vue 
de  cette  Nature  dont  la  contemplation  a 
tant  de  charmes  et  fait  naître  de  si  utiles 
vérités. 

Dans  toutes  les  classes  d'animaux  il  est 
une  habilode  principale  qui  influe  sur  toutes 
les  auLres,  les  produit,  les  modifie,  ou  les 
régit  de  manière  que  chacun  des  actes  par- 
ticuliers de  l'espèce  présente  l'empreinte  de 
cet  attribut  général  et  prédominant  qui  dis- 
tingue la  classe.  La  manière  de  se  mouvoir 
est  le  plus  souvent  cette  habitude  domina- 
trice à  laquelle  les  autres  sont  liées  et  sou- 
mises. Nous  le  voyons  évidemment  dans  la 
classe  des  oiseaux  et  dans  celle  des  poissons, 
que  nous  allons  comparer  l'une  à  l'autre, 
pour  mieux  juger  de  leurs  propriétés,  et 
sur-tout  pour  mieux  connoître  les  facultés 
dislinctives  des  ha  bilans  des  rivières  et  des 
mers. 

Le  vol  influe  sur  toutes  les  actions  des 
oiseaux  ;  la  natation  modifie  toutes  celles 
des  poissons.  Par  ces  deux- attributs ,  les 
uns  et  les  autres  paroissent  séparer  leurs 
habitudes  de  celles  des  quadrupèdes  et  des 


DÉ    LA    NATURE.  237 

«uti-es  animaux  qui  vivent  sur  la  surface 
sèche  du  globe,  autant  que  les  premiers 
s'éloignent  de  l'empire  de^  animaux  ter- 
restres en  s'élevant  au  plus  haut  des  airs, 
et  les  seconds  en  s'enfonçant  dans  les  pro- 
fondeurs de  l'Océan.  On  cliroit  du  moins 
que,  par  le  vol  et  la  natation,  les  oiseaux 
et  les  poissons  laissent ,  pour  ainsi  dire , 
entre  leurs  actions  une  telle  distance  , 
qu'on  ne  pourroit  en  donner  une  idée 
qu'en  la  comparant  à  celle  qui  sépare  le 
fond  des  mers  des  plus  hautes  régions  de 
Tatmosphère  ,*  et  cependant ,  malgré  cette 
grande  dissemblance  apparente,  les  habi- 
tudes les  plus  générales  et  les  plus  remar- 
quables des  poissons  et  des  oiseaux  montrent 
les  rapports  les  plus  frappans.  La  natation 
et  le  vol  ne  sont,  pour  ainsi  dire,  que  le 
même  acte  exécuté  dans  des  fluides  diffé- 
rens.  Les  instrumens  qui  les  produisent, 
les  organes  qui  les  favorisent,  les  mouve- 
inens  qui  les  font  naître  les  accélèrent,  les 
retardent  ou  les  dirigent,  les  obstacles  qui 
les  diminuent,  les  détournent  ou  les  sus- 
pendent, sont  semblables  ou  analogues;  et 
d'après  ce  rapport  si  remarquable,  nous  ne 
serons  pas  élonjûés  de  toutes  les  analogies 

P  a 


â^S        TROISIEME    VUE 

seconcltiires  que  nous  Iroiiverous  entre  les 
mœurs  des  oiseaux  et  celles  des  poissons. 

En  effet;,  l'aile  de  Foiseau  et  la  nageoire 
du  poisson  diilèrent  l'une  de  l'auhe  bien 
moins  qu'on  ne  le  croiroit  au  premier  coup 
d'œil;  et  voilà  pourquoi,  depuis  les  anciens 
naturalistes  grecs  jusqu'à  nous ,  le  nom 
d'aile  a  été  si  souvcnl  donné  à  celle  nageoire. 
Xi'une  et  l'autre  présentent  une  surface  assez 
grande  relativement  au  volume  du  corps  , 
et  que  l'animal  peut,  selon  ses  besoins, 
accroître  ou"  dimiuuer,  en  l'étendant  avec 
force,  ou  en  la  resserrant  en  plusieurs  plis. 
La  nageoire,  comme  l'aile,  se  prête  à  ces 
différens  dépîoiemens,  eu  à  ces  diverses 
contractions,  parce  qu'elle  est  composée, 
comme  laile ,  d'une  substance  membra- 
iieuse,  iriolle  et  souple;  et  lorsqu'elle  a 
i*eçu  la  dimension  qui  convient  momenta- 
nément à  l'animal,  elle  présente,  comme 
l'aile,  une  surface  qui  résiste,  elle  agit  avec 
précision ,  elle  frappe  avec  force ,  parce 
que,  de  même  que  l'inslrument  du  vol, 
ielle  est  soutenue  par  de  petits  cylindres 
réguliers  ou  in-éguliers ,  solides ,  durs , 
presque  inflexibles;  et  si  elle  n'est  pas 
fortifiée  par  des  plumes,  elle  est  quelque- 
fois consolidée  par  des  écftilles  doxit  nous 


DE    LA   NATURE.  229 

avons  montré    que    la    substance    éloit    la 
même  que  celle  des  plumes  de  Foiseau. 

La  pesanteur  spécifique  des  oiseaux  eçt 
ti'ès-rapprochée  de  celle  de  Fair,*  celle  des 
poissons  est  encore  moins  éloignée  de  la 
pesanteur  de  Teau ,  et  sur-tout  de  celle  de 
Teau  salée  cjue  contiennent  les  bassins  des 
mers. 

Les  premiers  ont  reçu  une  organisation 
très-propre  à  lendre  un  grand  volume  trè^ 
léger:  leurs  poumons  sont  très- étend  us;  de 
grands  sacs  aériens  sont  placés  daiis  leur 
intérieur;  leurs  os  sont  creusés  et  percés  de 
manière  à  recevoir  facilement  dans  leurs 
cavités  lesi  fluides  de  Talmosphère.  Les 
seconds  ont  presque  tous  une  vessie  par- 
ticulière qui,  en  se  gonflant  à  leur  volonté, 
peut  augmenter  leur  volume,  et  bien  loin 
d'accroître  en  même  tems  leur  masse,  la 
diminue  en  se  remplissant  de  fluides  ou  de 
gaz  d'une  légèreté  très-remarquable. 

La  queue  des  oiseaux  leur  sert  de  gou- 
vernail, et  leurs  ailes  sont  de  véritables  rames. 
Les  nageoires  du  dos  et  de  l'anus  peuvent 
être  aussi  comparées  à  une  puissance  qui 
gouverne  et  dirige ,  pendant  que  la  queue 
proprement  dite,  prolongée  par  la  nageoire 
caudale,  frappe  Teau  comme  une  rame,  el; 

P  5 


53o         TROISIEME    VUE 

communiquant  à  Tensemble  de  Tanimal 
l'impulsion  qu'elle  reçoit ,  lui  imprime  le 
mouvement  et  la  vitesse. 

Les  oiseaux  précipitent  ou  retardent  les 
battemens  de  leurs  ailes,*  mais,  lorsqu'ils  leur 
laissent  toute  l'étendue  qu'elles  peuvent  pré- 
senter,  et  qu'ils  veulent  s'en  servir  pour  chan- 
ger de  place ,  ils  ne  leur  font  jamais  éprou- 
ver deux  mouvemens  égaux  de  suite;  ils  les 
relèvent  avec  une  vitesse  bien  moindre  que 
celle  avec  laquelle  ils  les  abaissent;  ils  donnent 
alternativement  un  coup  très  -  fort  et  une 
impulsion  très  -  foible  ,  afin  que,  lorsqu'ils 
montent ,  par  exemple  ,  les  couches  supé- 
rieures de  l'atmosphère,  frappées  moins  vi- 
vement que  les  inférieures,  opposent  moins 
de  résistance  que  ces  dernières,  et  que  l'ani- 
mal soit  repoussé  de  bas  en  haut. 

Plusieurs  nageoires  des  poissons  donnent 
aussi  très-souvent  des  coups  alternativement 
égaux  et  inégaux;  et  si  la  queue  frappe  avec 
la  même  rapidité  à  (h'oite  et  à  gauche,  c'est 
parce  que  les  résistances  égales  des  couches 
latérales,  contre  lesquelles  l'animai  agit  obli- 
quement ,  le  poussent  dans  une  diagonale , 
qui  est  la  véritable  direction  qu'il  désire  dé 
recevoir. 

On  pourroit  dire  que  les  oiseaux  nagent 


DE   LA  NATURE.  sSi 

dans  l'air  ,  et  que  les  poissons  volent  dans 
Teau. 

I/atmosphère  est  la  mer  des  premiers  :  la 
mer  est  Fatmosphère  des  seconds.  Mais  les 
poissons  jouissent  bien  plus  de  leur  domaine 
que  les  oiseaux.  Ceux  de  ces  derniers  dont 
le  vol  est  le  plus  hardi,  les  aigles  et  les  fré- 
gates, ne  s'élèvent  que  rarement  dans  les 
hautes  régions  aériennes  ;  ils  ne  parviennent 
jamais  jusqu^aux  dernières  limites  de  ces 
régions  éthérées,  où  un  fluide  trop  rare  ne 
pourroit  pas  suffire  à  leur  respiration,  et  où 
une  température  trop  froide  leur  donneroit 
bientôt  Tengourdissement  et  la  mort.  Le 
besoin  de  la  nourriture  ,  du  repos  et  d'un 
asyle  les  ramène  sans  cesse  vers  la  terre. 

Les  poissons  parcourent  perpétuellement 
et  traversent  dans  tous  les  sens  Fimmensité 
de  l'Océan ,  dont  le  fluide ,  presque  égale- 
ment dense  et  également  échauffé  à  toutes 
les  hauteurs  ,  ne  leur  oppose  d'obstacle  ni 
par  sa  rareté,  ni  par  sa  température.  Ils  en 
pénétrent  tous  les  abîmes;  ils  en  sillonnent 
toute  la  surface  :  et  trouvant  leur  nourriture 
dans  une  grande  partie  de  l'espace  qui  sé- 
pare les  profondeurs  des  mers,  des  couches 
aériennes  qui  i^eposent  sur  les  eaux ,  si  la 
nécessité  de  suspendre  tous  leurs  efforts  et 

P4 


aZ2         TROISIEME    VUE 

de  se  livrer  à  un  calme  parfait  les  eutraine 
jusqu'au  fond  des  vallées  soumaiines,  leurs 
rapports  avec  la  lumière  les  lamènent  fré- 
quemment veis  les  eaux  supérieures,  qu'un 
soleil  bienfaisant  inonde  de  ses  rayons. 

Les  vents  réguliers  favorisent,  relardent, 
arrêtent  ou  dirigent  vers  de  nouveaux  points 
]es  voyages  des  oiseaux  :  les  courans  réguliers 
des  eaux  accélèrent,  diminuent,  suspendent 
ou  détournent  les  courses  si  variées  et  si 
souvent  renouvelées  des  habitans  des  mers. 

Les  oiseaux  que  lem-  vol  puissant  a  fait 
nommer  grands  poiliens  ,  et  qu'il  faudroit 
plutôt  nommer  grands  rameurs ,  résistent 
seuls  aux  grands  raouvemens  de  l'atmos- 
phère, bravent  les  orages,  et  surmontent  les 
autans  déchaînés  :  les  poissons  que  leurs 
nageoires,  leur  grande  cjueue,  leurs  muscles 
vigoureux  doivent  faire  appeler  nageurs  ou 
rameurs  par  excellence ,  luttent  seuls  contre 
les  flots  soulevés,  opposent  leur  force  à  celle 
des  tempêtes,  et  poursuivent  leur  route  au- 
dacieuse au  travej's  de  ces  tourmentes  hor- 
ribles qui  bouleversent,  pour  ainsi  dire,  la 
masse  entière  des  eaux. 

Les  oiseaux  foibles  ou  mal  armés  tremblent 
devant  le  bec  redoutable  ou  la  serre  cruelle 
des  tyrans  de   Tair  ;   les  poissons  dénués 


DE   LA   NATURE.  Qoâ 

d'armes,  ou  de  grandeur,  ou  de  puissance, 
fuient  devant  les  dents  sanglantes  des  squales 
et  des  autres  animaux  de  leur  classe  qui 
infestent  les  rivières  ou  les  mers. 

Auprès  de  la  surface  de  la  terre,  au  dessus 
de  laquelle  s'élève  son  domaine  aérien  , 
l'oiseau  reçoit  souvent  la  mort  des  armes 
du  chasseur,  ou  la  trouve  dans  les  pièges 
que  tout  son  instinct  ne  peut  parvenir  à 
éviter. 

Au  plus  haut  de  son  empire  aquatique  , 
le  poisson  périt  retenu  par  un  hameçon 
trompeur,  ou  enveloppé  dans  les  filets  que 
le  pêcheur  a  tendus. 

Le  besoin  de  trouver  l'aliment  le  plus 
convenable  ,  ou  le  désir  d'échapper  à  la 
poursuite  d'un  ennemi  dangereux  ,  déter- 
minent les  v^oyages  inégulieis  des  oiseaux. 

La  nécessité  de  se  dérober  à  la  vue  on  à 
l'odorat  des  féroces  géans  des  mers  ,  eu  celle 
d'appaiser  une  faim  plus  cruelle  encore  , 
produisent  les  mouvemens  irréguliers  des 
poissons. 

Lorsque  la  saison  rigoureuse  commence 
de  régner  dans  les  zones  tempérées,  et  j)ar- 
ticulièrement  dans  les  portions  de  ces  zones 
les  moins  éloignées  du  cercle  polaire ,  les 
oiseaux  recommencent  leurs   voyages  ré- 


234        TROISIEME    VUE 

guliers  et  périodiques.  Us  ne  peuvent  plus 
rester  sur  une  terre  que  le  froid  envahit  , 
où  la  surface  des  eaux  se  durcit  en  croûte 
glacée,  où  les  insectes  meurent  ou  se  cachent, 
où  les  champs  sont  dénués  de  moissons  et 
les  arbres  de  fruits  :  ils  partent  ;  ils  vont 
chercher  vers  les  tropiques  un  séjour  plus 
doux  et  plus  heureux.  Us  suivent  la  direc- 
tion des  méridiens  ;  ils  parcourent  par  con- 
séquent la  longueur  des  grands  continens. 
lîs  se  réunissent  en  troupes  nombreuses;  et 
mâles,  femelles,  jeunes  ou  vieux,  tous  ras- 
semblés sans  distinction  ni  de  sexe  ni  dage, 
désertent  l'empire  des  frimas  pour  aller  vers 
celui  du  soleil,  jusqu'au  moment  où  la  cha- 
leur, revenue  dans  leur  patrie,  les  y  ra- 
mène dans  le  même  ordre  et  par  la  même 
route. 

La  diversité  des  saisons  ne  paroît  pas 
produire  dans  la  température  des  différentes 
parties  de  l'Océan  des  cliangemens  assez 
grands  pour  obliger  les  poissons  k  se  livi^er 
chaque  année  à  des  migrations  régulières  ; 
mais  le  besoin  de  se  reproduire  ,  qu'ils  ne 
satisfont  qu'auprès  des  rivages,  ]es  contraint , 
toutes  les  fois  que  le  printems  est  de  retour, 
à  quitter  la  haute  mer  pour  s'approcher  des 
côtes.  Us  ne  nagent  pas  alors  dans  le  sens 


DE    LA   NxlTURE.  235 

des  méridiens  ;  mais  ,  par  une  suite  de  la 
position  des  continens  au  milieu  du  grand 
Océan,  ils  lâchent  de  suivre  presque  tou- 
jours une  des  parallèles  du  globe  pour  par- 
venir plus  facilement  et  plus  promptement 
à  la  terre  dont  les  bords  doivent  recevoir  ou. 
leurs  œufs  ou  leur  laite.  Les  femelles  ar- 
rivent les  premières,  comme  plus  pressées 
de  déposer  un  fardeau  plus  pesant;  les  mâles 
accourent  ensuite.  Ils  suivent  le  plus  souvent 
ces  mêmes  parallèles,  lorsqu'ils  remontent 
les  uns  et  les  autres  dans  les  fleuves  et  dans 
les  grandes  rivières ,  ou  lorsqu'ils  s'aban- 
donnent à  leurs  couiaus  pour  regagner  le 
séjour  des  tempêtes ,  parce  que ,  à  l'excep- 
tion du  Mississipi,  de  quelques  rivières  de  la 
terre  ferme  d'Amérique,  du  Rhône,  du  Nil, 
du  Borysthène  ,  du  Don  ,  du  Volga  ,  du 
Sinde ,  de  FA  va ,  de  la  rivière  de  Cam- 
boge ,  etc. ,  les  fleuves  coulent  d'orient  en 
occident,  ou  d'occident  en  orient. 

Les  oiseaux  sont  d'autant  plus  nombreux 
qu'ils  fréquentent  des  continens  plus  vastes: 
les  poissons  sont  d'autant  plus  multipliés 
qu'ils  habitent  auprès  de  rivages  plus  étendus. 

Il  n'est  donc  pas  surprenant  que  de  même 
qu'il  y  a  plus  d'oiseaux  dans  l'hémisphère 
boréal  que  dans  l'austral,  à  cause  de  la  plus 


iJoG       TROISIEME    VUE 

grande  quantité  de  terre  que  présente  la 
première  de  ces  deux  moitiés  du  globe  ,  il 
y  ait  aussi  beaucoup  plus  de  poissons  dans 
cet  hémisphère  du  Nord,  parce  que  si  les 
habitans  de  l'Océan  ont  un  séjour  plus  vaste 
dans  riiémisphère  austral ,  dont  les  mers 
très  -  étendues ,  et  les  continens  ou  les  îles 
très-peu  nombreux ,  il  y  a  peu  de  rivages 
où  ils  puissent  aller  déposer  la  laite  ou  les 
œufs  destinés  à  leur  multiplication.  L'espace 
n'y  manque  pas  aux  individus,  mais  les  côtes 
y  manquent  aux  espèces. 

Si  l'on  admet,  avec  plusieurs  naturalistes, 
qu'à  une  époque  plus  ou  moins  reculée  les 
eaux  do  la  mer ,  plus  éJevécs  que  de  nos 
jours,  couvroient  une  partie  des  continens 
actuels ,  de  manière  à  les  diviser  dans  une 
très -grande  quantité  d'iles,  sans  diminuer 
cependant  beaucoup  la  totalité  de  leur  sur- 
face, il  faudia  supposer,  d'après  les  obser- 
vations que  nous  venons  de  présenter,  que 
lors  de  cette  séparation  des  continens  en 
plusieurs  parties  isolées  par  les  eaux  de 
l'Océan,  il  y  avoit  beaucoup  moins  d'oiseaux 
qu'à  présent ,  ainsi  qu'on  })eut  s'en  convaincre 
avec  facilité,  et  que  néanmoins  il  y  avoit 
beaucoup  plus  de  poissons  qu'aujourd'hui  , 
parce  que  toutes  les  divisions  opérées  par 


DE  LA  NATURE.  257 
la  mer  dans  les  terres  augmentoient  néces- 
sairement le  nombre  des  rivages  |)r()pres  à 
recevoir  les  ^eimes  de  leur  reproduclion. 

Mais  remontons  pins  avant  dans  le  cours 
du  tems.  Croj^ons  pour  un  moment,  avec 
plusieurs  géologues,  que,  dans  les  premiers 
âges  de  noire  planète,  le  globe  a  été  entière- 
ment recouvert  par  les  eaux  de  l'Océan. 

Alors  les  oiseaux  n'existoicnt  pas  encore. 

Alors  aucune  partie  de  la  surface  de  notre 
planète  ne  présentoit  de  Feau  douce  séparée 
de  Feau  salée  :  tout  étoit  Océan. 

Mais  cet  Océan  étoit  désert;  mais  cette 
ruer  universelle  n'étoit  encore  que  Fempiré 
de  la  mort,  ou  plutôt  du  néant.  Comment 
les  germes  des  poissons,  qui  ne  peuvent 
éclore  qu'aupiès  des  côtes,  se  seroient-ils 
en  effet  développés  dans  un  Océan  sans 
rivages  ? 

Bientôt  les  sommets  des  plus  hautes  mon- 
tagnes dominèrent  au  dessus  des  eaux,  et 
quelques  côtes  parurent  ;  elles  furent  en- 
tbuiées  de  bas  fonds  :  les  poissons  naquirent. 
Ils  se  multiplièrent.  Mais  leur  nombre ,  li- 
mité par  des  rivages  tiès-circonscrits,  étoit 
bien  éloigné  de  celui  auquel  ils  sont  par- 
venus ,  à  mesure   que   les   siècles  se   sont 


a38        ^TROISIEME    VUE 

succédés,  et  que  les  coniours  des  continens 
ou  des  îles  sont  devenus  plus  grands. 

A  celte  époque  cependant,  les  poissons 
que  la  Natuie  a  relègues  dans  des  mers 
particulières,  les  pélagiens  ,  les  littoraux, 
ceux  que  nous  voyons  chaque  année  re- 
monter dans  les  fleuves,  ceux  qui  ne  quittent 
jamais  l'eau  douce  des  lacs  ou  des  rivières  , 
les  grandes  espèces  qui  se  nourrissent  de 
proie ,  les  petits  ou  les  foibies  qui  se  con- 
tentent des  débiis  de  corps  organisés  qulls 
trouvent  dans  la  fange,  vivoient,  pour  ainsi 
diie,  mêles  et  confondus  dans  cet  Océan 
encore  presque  sans  bornes ,  qui  baignoit 
uniquenieui  quelques  chaînes  de  pics  élevés. 
Où  il  n'y  avoit  pas  de  diversité  d'habitation, 
il  ne  pou  voit  pas  y  avoir  de  différence  de 
séjour.  Où  il  n'y  avoit  pas  de  limites  véri- 
tablement déterminées,  il  ne  pouvoit  pas  y 
avoir  d'espèce  reléguée,  ni  d'espace  interdit. 

Lors  donc  qu'une  catastrophe  terrible 
donnoit  la  mort  à  une  grande  quantité  de 
ces  animaux,  ceux  que  nous  appelons  au- 
jourd'hui marins,  et  ceux  que  nous  nommons 
fîuviatiles ,  périssoient  ensemble,  et  gisoient 
entassés  sans  distinction  sm*  le  même  fond  de 
rOcéan. 
Seroit-ce  à  cette  époque  de  submersion 


DE    LA    NATURE.        aSg 

presque  universelle ,  qu'il  faudroit  rapporter 
les  bouleverseniens  sous  lesquels  ont  suc- 
combé les  poissons  que  l'on  découvre  de 
tems  en  tems ,  enfouis  à  des  profondeurs 
plus  ou  moins  considérables  ,  recouverts 
par  des  couches  de  diverse  nature,  pressés 
quelquefois  sous  des  débris  volcaniques  (i), 
et  qui  forment  ces  amas  remarquables,  ces 
réunions  extraordinaires,  où  les  chétodons 
et  d'autres  espèces  des  mers  équinoxiales 
des  deux  Indes  ont  laissé  leurs  empreintes 
ou  leurs  dépouilles  au  milieu  de  celles  des 
}ia])itans  des  mers  tempérées  et  du  voisinage 
du  cercle  polaire,  et  où  les  restes  et  les  traits 
des  lluviatiles  paroissent  confondus  avec 
ceux  des  pélagiens  ? 

Si  Ton  devoit  admettre  cette  idée,  on 
pourroit  assurer  que  depuis  le  moment  où 
les  hautes  montagnes  et  les  pics  élevés  étoient 
les  seules  portions  de  la  surface  sèche  du 
globe  qui  ne  fussent  pas  inondées,  plusieurs 


(i)  On  doit  distinguer  ,  dans  les  éruptions  volca- 
niques ,  cçlles  qu'il  faudroit  rapporter  à  des  époques 
très-reculées  ,  où  la  face  de  la  terre  pouvoit  êfre 
très-différente  de  celle  qu'elle  a  aujourd'hui ,  et  celles 
qui  n'ont  eu  lieu  que  beaucoup  plus  récemment  ,  et 
lorsque  le  globe  avoit  déjà  reçu  presque  en  entier 
sa  configuration  actuelle. 


340         TROISIEME    VUE 

espèces  dont  on  trouve  l'image  ou  les  partie* 
solides  dans  ces  agrégations  de  poissons  de 
nier  et  de  poissons  d'eau  douce  ^  n'ont  été 
modifiées  dans  aucun  de  leurs  organes  es- 
senliels ,  ni  même  altérés  dans  aucune  de 
kurs  formes  les  plus  délicates  ;  et  ce  seroit 
lin  fait  bien  important  pour  le  yéritable 
naturaliste  (i). 

A  cette  époque  les  cétacés  ,  les  laman- 
tins, les  dugons  et  les  morses  ont  pu  par- 
tager avec  les  poissons  l'empire  de  lOcéan. 

A  mesure  que  les  eaux  de  la  mer ,  en 
se  retirant,  ont  laissé  à  découvert  de  plus 
grandes  portions  des  coniinens  et  des  îles, 
que  de  nouveaux  rivages  ont  paru  ,  et  que 
des  grèves  plus  doucement  inclinées  les  ont 
environnées  ,  les  phoques  ,  les  tortues  ma- 
rines ,  les  crocodiles  se  sont  multipliés  sut 
ces  bords  favorables  à  leur  reproduction  , 
à  leurs  besoins  ,  à  leurs  habitudes. 

Alors  les  premieis  oiseaux  ont  pu  animer 
ratmospiière.  ils  ont  trouvé  sur  la  terre  déjà 
abandonnée  par  les  eaux  l'asyle  nécessaire 
à  leur  repos  ,  à  leur  accouplement  ,  à  leur 
nidificahon  ,  h  leurs  poules,  à  leur  incuba- 
tion,  à  l'educaiion   de  leurs  petits;  et  ces 

(i)  Voyez  notre  Discours  sur  la  durée  ci  es  espèces. 

premiers 


DE  T.  A  NATURE.  241 
premiers  oiseaux  ont  dû  êlre  ceux  que  ik^us 
avons  nommés  oiseaux  d'eau  el  laùrènies  (i ) , 
qui  ,  pourvus,  d'ailes  puissaules,  de  lai'ges 
pieds  palmés,  d'armes  assez  fortes  pour  saisir 
les  poissons,  et  d'oiganes  pjopies  à  les  assi- 
miler à  leur  substance,  ne  se  nounissenl  que 
des  liabitans  des  mers ,  peuvent  voler  très- 
long-tems  au  dessus  de  la  surface  de  f  Océan, 
se  précipiter  avec  lapidilé  sur  leur  proie  , 
l'enlever  au  plus  haut  des  airs  ,  nager  à 
d'immenses  dislances  de  la  rive,  lutter  avec 
constance  contre  les  vents  déchaînés  ,  et 
braver  les  vagues  soulevées.  Alors  les  alba- 
tros, les  frégates,  les  pélicans,  les  cormo- 
rans, les  mauves  ont  commencé  d'exercer 
sur  les  poissons  leur  empire  redoutable.  Leur 
apparition  a  pu  être  bientôt  suivie  de  celle 
des  oiseaux  de  rivage  ,  parce  que  ,  sur  les 
côtes  abandonnées  par  les  eaux  de  la  mer, 
il  a  pu  se  former  aisément  des  marais  ,  des 
amas  d'eaux  stagnantes ,  des  savannes  à 
demi -noyées. 

Cependant  les  vapeurs  se  condensoient 
contre  les  montagnes  élevées,  retomboient 

(i)  Dans  le  Tableau  inéLliodiqne  des  oiseaux  que 
j'ai  publié  ,  et  d'après  lequel  j'ai  fait  arranger  la  belle 
collection  d'oiseaux  du  muséum  d'histoire  naturelle. 

Foiss,  Tome  IL  O 


B42        TROTSîE?vIE    TUE 

ien  pluies  ,  se  précipitoient  en  torrens  ,  se 
îépandoient  en  ruisseaux ,  couloient  en  ri- 
vières,  et  parvenoienfc  jusqu'à  la  mer.  Dès 
ce  momeiit  la  séparation  des  poissons  péla- 
giens,  des  littoraux,  de  ceux  qui  remontent 
dans  ]es  fleuves,  de  ceux  qui  vivent  cons- 
tamment dans  Teau  douce  des  lacs  et  des 
rivières,  a  pu  se  faire,  et  les  distribuer  en 
quatre  grandes  tiibus  très- analogues  à  celles 
que  Ton  connoît  maintenant. 

Les  ours  marins,  les  tapirs,  les  cochons ," 
les  hippopotames ,  les  rhinocéros  ,  les  élé-^ 
phans,  et  les  autres  quadrupèdes  qui  aiment 
les  rivages  ,  qui  recherchent  les  eaux ,  qui 
ont  besoin  de  se  vautrer  dans  la  fange  ,  ou 
de  se  baigner  dans  Fonde,  se  sont  répandus 
à  cette  époque  vers  tous  les  rivages ,  et  leur 
apparition  a  dû  précéder  celle  des  autres 
mammifères  et  des  oiseaux  qui  ,  craignant 
beaucoup  l'humidité ,  redoutant  les  flots  de 
îa  mer  ainsi  que  les  couians  des  rivières, 
désirant  la  sécheresse,  liés  par  tous  les  rap- 
ports de  Torganisation  avec  une  chaleur 
1  lès-vive,  ne  se  nourrissent  d'aiileui's  ni  de 
poissons,  ni  de  mollusques, ni  de  vers,  ni 
d'aucun  animal  qui  vive  dans  FOcéan,  ou 
se  ])laise  dans  les  rivières,  ou  pullule  dans 
les  marais.  Elle  est  donc  antérieure  à  Far- 


DE  LA  NATURE.  245 
rivée  de  Fliomme  >,  qui  n'a  pris  le  sceptre 
de  la  terre  que  lorsque  son  domaine ,  déjà 
paré  de  toutes  les  productions  de  la  puis- 
sance créati  ice  ,  a  été  digne  de  lui. 

Lors  donc  qu'on  écartera  Tidée  de  toutes 
les  causes  générales  ou  particulières  qui  ont 
pu  bouleverser  la  surface  de  la  terre  depuis 
l'abaissement  de  la  mer  au  dessous  des  pre- 
miers pics  ,  on  reconnoîtra  que  les  fragmens 
et  les  empreintes  le  plus  anciennement  et  le 
plus  profondément  enfouis  sous  les  couches 
terrestres  ou  sou  marines  ,  sont  ceux  des 
poissons  y  des  cétacés ,  des  lamantins ,  des 
dugons  et  des  morses  ;  ensuite  viennent  ceux 
de  ces  morses ,  de  ces  dugons  ,  de  ces  la- 
mantins 5  de  ces  cétacés ,  de  ces  poissons 
et  des  phoques  ,  des  tortues  de  mer  ,  des 
crocodiles ,  des  oiseaux  palmipèdes  et  des 
oiseaux  latirèmes;  on  placera  au  troisième 
rang  ceux  de  tous  les  animaux  que  nous 
venons  de  nommer ,  et  des  oiseaux  de  ri- 
vage,* on  mettra  au  quatrième  ceux  de  ces 
mêmes  animaux  ,  des  oiseaux  de  rivage , 
des  ours  marins ,  des  tapiis ,  des  cochons , 
des  hippopotames ,  des  rhinocéros ,  des  élé- 
phans  ;  et  enfin  on  pourroit  trouver  les 
images  ou  les  débris  de  tous  les  animaux , 


S44       TROISIEME    VUE 

et  de  riiomme  qui  les  a  domptés  par  son 

intelligence. 

Cependant  si ,  au  lieu  d'admettre  Th}  po- 
thèse  d'après  laquelle  nous  venons  de  rai- 
sonner 5  Ton  prétère  de  croire  que  la  mer 
a  parcouru   successivement   les  dilïérentes 
parties  du  globe,  laissant  les  unes  à  décou- 
vert, pendant  qu'elle  envaliissoit  les  autres, 
il  faudra  nécessairement  avoir  recours  à  une 
catastrophe  presque  générale ,  qui ,  agissant 
sur  des  poin(s  de  la  suiface  de  notre  pla- 
nète   diamétj  alement    opposés  ,    entraînant 
hors  de  leurs  habitations  ordinaires  les  pois- 
sons pélagiens  ,  les  littoraux,  les  fluviatiles  , 
les  cétacés  ,    les  lamantins  ,    les  phoques  , 
les  ours  marins,   les  hippopotames,  les  élé- 
phans  et  plusieurs  autres  animaux  terres- 
tres ,  les  arrachant  à  toutes  les  parties  du 
globe,  les  réunissant,  les  mêlant,  les  con- 
fondant ,  les  soumettant  au  même  sort ,  les 
a  entassés  dans  les  mêmes  cavités,  recou- 
verts des   mêmes  débris  ,  écrasés    sous  les 
mêmes  masses,  et  immolés  du  même  coup. 
Au  reste  ,  c'est  au  naturaliste  entièrement 
consacré  à  l'étude  de  la  théorie  de  la  terre , 
qu'il  appartient  principalement  de  rechercher 
les  causes  auxquelles  on  devia  rapporter  le§ 
fjèsultats  que  nous  venons  d'indiquei*. 


DE    LA   NATURE.        245 

Les  zoologistes  lui  présentent  les  faits  qu'ils 
ont  pu  recueilJir  dans  Tobservalion  des  or- 
ganes des  animaux,  et  des  habitudes  qui  en 
découlent  ;  ils  lui  exposent  les  conséquences 
que  l'on  doit  tirer  de  ces  forces ,  de  ces  mœurs, 
de  ces  analogies,  de  la  nature  des  habitations, 
des  gisemens  des  débris,  de  la  séparation  ou 
du  mélange  des  espèces,  de  l'altération  ou 
de  la  conservation  de  leurs  traits  principaux , 
du  changement  ou  de  la  constance  de  leur 
manière  de  vivre  ,  de  la  température  du 
climat  qu'elles  préfèrent  aujourd'hui,  de  la 
chaleur  des  eaux  hors  desquelles  on  ne  les 
trouve  plus. 

Nous  tâchons  de  découvrir  les  inscriptions 
et  les  médailles  relatives  aux  difïérens  âges 
de  notre  planète;  c'est  aux  géologues  à  écrire 
l'histoire  de  ses  révolutions. 


Q 


246     SUR  LA  STRUCTURE 

OBSERVATIONS 

Sur  la  structure  du  cœur  des  Poissons  ^ 

PAR    DU  VERNE  Y, 
DE   l'académie    des    SCIENCES    DE    PARIS. 


v>ES  observations  ont  été  faites  sur  une 
carpe. 

Le  cœur  de  ce  poisson  est  situé  sous  les 
mâchoires  qui  sont  au  dessous  des  ouïes  , 
au  fond  du  gosier,  et  que  j'appellerai  mâ- 
choires internes  pour  les  distinguer  de  celles 
qui  sont  au  dessus,  et  qui  forment  l'entrée 
de  la  bouche.  I^a  cavité  où  le  cœur  se  trouve 
renfermé  est  revêtue  d'une  membrane  fort 
polie,  qui  tient  lieu  de  péricarde  dans  plu- 
sieurs autres  poissons ,  mais  qui  ne  peut  pas 
être  ainsi  nommée  dans  celui  -  ci ,  puisque 
le  cœur  est  encore  enfermé  dans  un  sac 
formé  d'une  pellicule  très-mince  ,  qui  est 
proprement  son  péricarde. 

Le  bas  de  cette  même  cavité  est  fermé 
par  une  membrane  qui  sépare  le  cœur  d'aveq 


DU     C  (E  U  R.  247 

tous  les  autres  viscèies,  et  qui  est  une  con- 
tinuation de  kl  précédente. 

On  voit  sous  le  cœur  un  réservoir  formé 
par  le  concours  de  plusieurs  veines;  trois 
desquelles  sortent  du  foie ,  et  servent  seu- 
lement à  rapporter  le  sang  de  la  veine-porte 
et  d'une  partie  des  ovaires.  De  ces  trois,  il 
y  en  a  deux  qui  s'ouvrent  de  chaque  côté 
dans  le  bas  de  ce  réservoir,  et  la  troisième 
s'y  décharge  aussi  par  une  embouchure  très- 
large  (1).  Deux  autres  veines  (2)  remontent 
à  chaque  côté  de  l'épine,  en  accompagnant 
l'aorte,  et  s'unissent  à  chaque  côté  du  ré- 
servoir avec  les  veines  qui  sortent  des  deux 
côtés  du  foie;  ainsi  ces  deux  vaisseaux  n'ont 
de  chaque  côté,  en  cet  endroit,  qu'une 
même  embouchure.  Le  tronc  de  la  veine 
qui  rapporte  le  sang  des  ouïes  est  couché 
au  dessus  de  l'aorte  ;  il  descend  au  côté  droit 
du  cœur;  il  est  collé  aux  parois  de  la  ca^ 
vite  où  le  cœur  est  renfermé;  et  faisant  ua 
contour,  il  vient  s'ouvrir  au  côté  du  réser- 
voir (3). 

(i)  Ce  sont  les  veines  liépatiques -,  pejiœ  hepaticœ. 
{2)  La  veine  cave  inférieure  qui  est  double.j  vertes 
eava  inferior  duplex. 

(3)  C'est  la  veine  déférente  j  vena  deferens, 

.  Q4 


248      SUR  LA   STRUCTURE 

Ce  résejvoir  (i)  s'ouvre  en  dessus  vers  lé 
milieu  de  Ja  partie  inférieure  de  Toreilleite. 
A  son  embouchure  il  a  deux  valvules  en 
foi  me  de  paupières,  comme  celles  qui  sont 
à  Tembouchure  de  la  veine  cave  inférieuie 
des  oiseaux. 

Ce  cœur  n'a  qu'une  oreillette,  mais  d'une 
grande  capacité  :  elle  est  appliquée  au  côté 
gaucîie  ;  et  dans  sa  partie  supérieure ,  en 
s'enfonçani ,  elle  forme  de  chaque  côté  une 
avance  ou  corne ,  dont  la  gauche  est  plus 
grande  que  la  djoite.  Son  embouchuie  est 
dans  la  pai  tie  supérieuie  du  côté  gauche  du 
cœur. 

Il  y  a  deux  valvules  à  l'embouchure  de 
l'oreilietle  dans  le  cœur,  l'une  dessus  et  l'autre 
dessous,  aliachées  par  tout  le  demi -cercle 
qu'elles  forment,  et  ouvertes  du  côté  de  la 
poinîedu  cœur;  ce  qui  fait  que  le  sang,  qui 
leflue  par  Ja  contrachon  du  cœur,  les  sou- 
lève et  les  joint  l'une  à  l'autre ,  comme  dans 
la  grenouille. 

Le  cœur  est  de  figure  demi-circulaire ,  et 
aplati  à  peu  près  comme  une  châtaigne  de 
mer.  11  est  posé  de  champ  par  rapport  à  la 
tête  ,    en    sorte  que    les    deux   côtés    plats 

(i)  Receptaculum» 


D  U    C  (E  U  R.  249 

regarderjt  les  ouïes  ;  il  s'emboîte  parla  base 
avec  Taorte  par  une  espèce  de  giugl}  nie  , 
ces  deux  parties  a}  ant  des  éniinences  et  des 
cavités  qui  se  reçoivent  mutuellement. 

Les  parois  de  ce  cœur  sont  fort  épaisses, 
à  proportion  de  son  volume,  et  ses  libres 
d'une  tissu  je  fort  compacte. 

Four  bien  enlendie  la  distribution  des 
vaisseaux  dans  ce  poisson  ,  il  faut  avoir 
quelque  notion  de  la  structure  des  ouïes: 
c'est  pourquoi  nous  dirons  que  les  ouïes , 
qui,  comme  04  sait,  servent  de  poumons 
aux  poissons,  sont  pour  ainsi  dire  partagées 
en  deux  lobes ,  dont  chacun  est  composé  de 
quatre  feuillets  posés  presque  de  champ  Yiin. 
près  de  l'autre  suivant  leur  contour,  et  sou- 
tenus par  quatre  arcs  osseux.  Nous  nomme- 
rons premier  arc  celui  de  chaque  côté  qui 
est  le  plus  proche  du  cœur  (1). 

La  partie  convexe  de  ces  arcs  est  creuse 
en  forme  de  gouttière,  le  long  de  laquelle 
coulent  les  vaisseaux,  dont  il  sera  parlé  ci- 
après.  Les  feuillets  soutenus  pai;  cee  arcs 
occupent  tout  Fespace  qui  est  entre  les 
mâchoires  externes  et  les  internes  :  ils  sont 

(1)  Ce  premier  arc  est  appelé  par  d'antres  auteurs 
le  dernier  ou  le  quatrième. 


25o      SUR  LA  STRUCTURE 

composés  d'un  double  lang  de  lames  osseuses 
ou  barbes.  Cliacuue  de  ces  lames  est  faite 
en  forme  de  petite  faux,  et  à  sa  naissance, 
a  comme  un  pied  ou  talon  ,  qui  est  plus 
épais  que  le  reste ,  et  creux  par  dessous  en 
forme  de  goultière  :  ce  pied,  étant  debout, 
ne  pose  que  par  son  extrémité  sur  le  bord 
de  Tare  ,  auquel  il  n'est  attaehé  que  par 
le  moyen  de  la  membrane  fort  épaisse  qui 
enveloppe  Tare.  Le  côté  convexe  de  cette 
lame  est  garni,  jusqu'à  la  pointe  ,  de  filets 
qui  vont  en  diminuant  de  longueur,  à  me- 
sure qu'ils  s'approchent  de  cette  pointe;  et 
le  côté  concave  en  a  de  beaucoup  plus  courts, 
et  n'en  est  garni  qu'environ  jusques  vers  le 
milieu. 

Ces  filets  sont  liés  entre  eux,  de  chaque 
côté ,  par  une  membrane  osseuse  très-fine , 
qui  les  assemble  par  le  milieu  presque  dans 
toute  leur  longueur  ;  mais  ,  comme  les  ex- 
trémités ne  sont  pas  jointes  ,  elles  repré- 
sentent les  dents  d'une  scie. 

On  a  dit  que  chaque  feuillet  est  composé 
d'un  double  rang  de  lames  ;  il  faut  ajouter 
que  le  concave  de  chacune  de  ces  lames 
s'applique  sur  le  convexe  de  celle  qui  lui 
est  opposée  ,  et  qu'elles  sont  toutes  liées 
ensemble  par  une  membrane ,  qui  prend 


DU     C  (K  U  R.  35i 

depuis  leur  naissance  jusqu'au  milieu  de 
leur  hauteur,  où,  devenant  plus  épaisse, 
elle  forme  une  manière  de  cordon,  au  dessus 
duquel  elle  est  attachée  aux  lames  par  les 
bouts  d'autant  de  petits  croissans  qu'il  y  a 
d'espaces  entre  elles.  Le  reste  de  la  lame 
est  libre ,  et  finit  en  une  pointe  très-fine  et 
très-souple. 

L'empâtement  de  ces  lames  sur  les  bords 
de  l'arc  se  faisant  par  l'extrémité  de  leur 
talon  ,  comme  il  a  été  dit,  il  reste  dans  leur 
milieu  un  petit  vuide  en  forme  de  canal 
triangulaire  ,  qui  règne  tout  le  long  de  l'arc , 
et  sert  à  loger  les  vaisseaux. 

Ces  lames  sont  revêtues  d'une  membrane 
très-fine ,  et  ne  servent  qu'à  soutenir  les 
ramifications  de  tous  les  vaisseaux  des  ouïes. 
Ces  vaisseaux ,  qui  coulent  dans  la  gouttière 
de  chaque  arc ,  sont  une  artère ,  une  veine 
et  un  nerf. 

Avant  que  de  parler  de  la  distribution 
des  artères  ,  on  remarquera  que  la  partie 
de  l'aorte  qui  nait  du  cœur ,  et  qui  a  deux 
valvules  sigmoïdes  comme  celle  de  la  tor- 
tue ,  n'est  pas  d'un  grand  volume ,  à  pro- 
portion de  celui  qu'elle  a  un  peu  au  dessus  ; 
car  d'abord  elle  s'évase  ,  en  sorte  qu'elle 
couvre  toute  la  base  du  cœur  :  puis  se  ré-: 


a52     SUR   LA   STRUCTURE 

trécissant  peu  à  peu,  elle  forme  une  espèce 
de  cône,  de  la  poinîe  duquel  sort  le  vaisseau 
qui  est  ia  confinuation  de  Taorte.  Le  dedans 
de  sa  partie  dilatée  est  remplie  de  plusieurs 
colonnes  charnues  ,  qui  vont  toujours  eu 
diminuant  jusqu'au  sommet,  et  elles  ont 
enîre  leurs  bases  des  interstices ,  qui  forment 
des  cavités  où  est  reçu  le  sang  qui  reflue ,  ce 
qui  fortifie  l'action  des  valvules  dont  on  vient 
de  parler,  et  produit  le  même  effet  que  les 
valvules  qui  se  voient  dans  la  partie  muscu- 
leuse  de  Faorte  de  îa  raie  et  de  la  grenouille. 
Le  canal ,  qui  sort  de  la  pointe  du  cône 
de  Taorte ,  coule  entre  les  deux  lobes  des 
ouïes  (i).  Vis-à-vis  de  la  première  paire 
d'arcs  de  ces  lobes,  il  jette  de  chaque  côté 
une  grosse  branche ,  qui  se  subdivise  encore 
en  deux  autres ,  dont  la  première  coule  de 
chaque  côté  dans  la  gouttière  de  cette  pre- 
mière paire  d'arcs  ,  et  la  seconde  dans  la 
gouttière  de  Ja  seconde  paire  (2).  Ce  même 
tronc,  dans  son  cours,  se  partage  encore 
en  deux  branches ,  dont  chacune  va  de  son 

(i)  Il  paroît  que  les  parties  que  Duverney  appelle 
les  lobes  des  ouïes ,  sont  les  quatre  ouïes  de  chaque 
eôté. 

(2)  Les  artères  brancliiales  j  arteriœ  branchiales. 


DU     C  (S  U  R.  :^53 

côté  à  la  troisième  paire  ,  et  plus  avant 
encore,  en  deux  au  Ires,  qui  voul  à  la  der- 
nière paire  de  ces  arcs. 

Chaque  artère,  en  coulant  le  long  de  la 
baie  de  chaque  feuillet,  jette  autant  de 
paires  de  branches  qu'il  y  a  de  paires  de 
lames  (i),  et  se  perd  entièrement  à  Tex- 
irémité  du  feuillet,  en  sorte  que  l'aorte  et 
ses  branches  ne  parcourent  de  chemin  que 
depuis  le  (^œur  jusqu'à  Textrémité  des  ouïes 
où  elles  finissent. 

Sur  le  bord  de  chaque  lame  il  y  a  une 
veine ,  et  chaque  veine  vient  se  décharger 
dans  un  tronc  (2)  qui  coule  dans  la  gout- 
tière de  chaque  arc,  et  dont  les  différentes 
i^amifications  se  voient  clairement  dans  les 
figures.  Ces  veines,  sortant  de  Textrémité  de 
chaque  arc ,  qui  regarde  la  base  du  crâne , 
prennent  la  consistance  d'artèi'es,  et  viennent 
se  réunir  deux  à  deux  de  chaque  côté;  celle, 
par  exemple,  qui  sort  du  quatrième  arc, 
après  avoir  fourni  des  rameaux  qui  distri- 
buent le  sang  aux  organes  des  sens,  au 
cerveau  et  h  toutes  les  autres  parties  de  la 

(i)  Ce  sont  les  petites  artères  des  lames  des 
branchies  ;   arteriœ   laminarinn. 

(2)  La  veine  branchiale  *,  vena  branchialis. 


254  SUR  LA  STRUCTURE 
tête,  vient  se  joindre  avec  celle  du  troisième 
arc;  ainsi  elles  ne  font  plus  qu'une  branche; 
cette  branche,  après  avoir  fait  environ  deux 
lignes  de  chemin,  s'unit  à  celle  du  côté 
opposé,  et  les  deux  ne  forment  plus  qu'un 
tronc ,  lequel,  coulant  sous  la  base  du  crâne, 
reçoit  aussi  peu  de  tems  apiès  de  chaque 
côté  une  auire  branche,  forpiée  par  la 
réunion  des  veines  de  la  seconde  et  de  la 
première  paire  d'arcs  (i).  Ce  tronc  continue 
son  cours  le  long  des  vertèbres,  et  distii- 
buant  le  sang  à  toutes  les  autres  parties,  fait 
la  fonction  d'aorte  descendante.  Ces  mêmes 
veines ,  par  leur  autre  extrémité  qui  regarde 
la  naissance  des  arcs ,  viennent  se  décharger 
dans  un  tronc  qui  va  s'insérer  dans  le  réser- 
voir (2). 

I>a  conformité  qui  se  trouve  dans  la  struc- 
ture du  cœur  de  ces  animaux,  a  obligé  de 
les  décrire  en  même  tems. 

Mais,  avant  que  d'eu  expliquer  les  usages, 
il  ne  sera  pas  inulile  d'avertir,  1"  que  par  le 
terme  de  réserçoir ,  on  n'entend  autre  chose 
qu'un  tronc  de  veines,  formé  f)ar  le  coa- 


(1)  Les  racines  de  l'aorte  ascendante  ;   aortœ  as- 
eendentis  radices. 

(2)  La  veine  déférente  5  vena  déferons» 


DU     C  (E  U  R.  255 

cours  de  plusieurs  autres,  et  qui  tient  lieu 
de  veines  eavcs  supérieure  et  inférieure , 
dans  la  tortue  et  dans  la  carpe;  et  dans  la 
grenouille,  ce  n'est  autre  chose  que  le  tronc 
de  la  \eme  cave  inféjieure  qui  reçoit  lès 
deux  axiJlaires,*  car  bien  que  le  réservoir 
ou  tronc  soit  garni  de  libres  charnus ,  on 
ne  prétend  pas  dire  qu'il  ne  soit  pas  du 
genre  des  veines,  puisque  celles  qui  s'em- 
bouchent dans  les  oreillettes  et  dans  les 
cavités  du  cœur  des  autres  animaux,  soat 
aussi  revêtues  en  cet  endroit  de  semblables 
libres  ;  2"^  que  la  raison  qui  a  obligé  d'entrer 
dans  le  détail  de  la  distribution  des  artères 
de  la  grenouille  et  des  poissons,  est  qu'il  a 
fallu  faire  voir  que  l'aorte  descendante  e^t 
toujours  composée  de  deux  troncs,  et  quel- 
quefois d'un  plus  graiid  nombre,  comme 
dans  les  poissons.  ) 


256  RESPIRATION 


OBSERVATIONS 

Pour  servir  à  P histoire  de  la  re:>piration 
des  Poissons  y 

PAR     BROUSSONET. 

JLJA  respiration  est  une  de  ces  fonctions 
essentielles ,  un  moyen  d'existence  dont  la 
Nature  a  doué  tous  les  êtres  vivans;  on  en 
reirouve  des  traces  jasques  dans  les  j)ianles; 
mais,  quoique  son  but,  dans  celte  fonction 
importante,  soit  par -tout  le  même  ,  \^s 
moAens  qu'elle  a  mis  en  œuvre  pour  le 
remplir  sont  vnriés  à  Finfini. 

Parmi  les  dilférens  ordres  d'animaux  il 
en  est  qui  ne  reçoivent  que  de  l'air  dans 
les  organes  de  la  respirai  ion  ,  d'antres  qui 
n'y  font  passer  que  de  l'eau  ;  et  cette  con- 
s  dération  oiïre  les  caractères  d'une  division 
très-sensible  dans  le  règne  animal. 

La  différence  des  organes  de  la  circulation 
est  toujours  en  raison  de  celle  qu'on  observe 
dans  ceux  de  la  res|piration  ,*  l'une  et  l'autre 
de  ces  fonctions  subissent  en  quelque  sorte, 
dans  les  différentes  classes  d'animaux ,  une 

dégénératioa 


DES    POISSONS.      257 

^égénéralion  graduelle  ;  ainsi  les  poumons, 
dans   les   oiseaux ,  sont    très  -  élendus  ;  ils 
communiquent  à    plusieurs    cavités   parti- 
culières,   et   l'air   pénètre  dans    Imlérieur 
des  os.  Le  cœur  est  divisé  en  deux  ventri- 
cules, munis  chacun  d'une  oreillette,  et  leur 
sang  est  plus  chaud  que  celui  des  quadru- 
pèdes et  des  cétacés.  Ceux-ci  ont  les  pou- 
mons  moins   étendus  ;    ces   parties    ne    se 
portent  pas  au  delà  du  thorax;  leur  cœur, 
comme  dans  les  premiers,  est  divisé  en  deux 
ventricules  et  deux   oreillettes  ,  mais  leur 
sang  est   moins  chaud  ;  il  Test  cependant 
beaucoup  plus  que  celui  des  reptiles  et  des 
quadrupèdes  ovipares ,    dont   les  poumons 
sont  membraneux,  formés  par  des  espèces 
de  vessies,  et  garnis  de  fibres  musculaires; 
il  n'y  circule  qu'une  petite  portion  du  sang, 
le  reste  passe  immédiatement  d'un  ventri- 
cule à  l'autre.  Les  insectes  présentent  ensuite 
des  différences  plus  sensibles  ;  leur  cœur  est 
membraneux ,  à  peine  susceptible  de  mou- 
vement ;  ils  ont ,  au  lieu  de  poumons  ,  des 
vaisseaux  particuliers  répandus  dans  diffé- 
rentes parties  du  corps  ;  leur  sang  ,  si  on 
peut  donner  ce  nom  à  la  liqueur  qui  paroît 
^n  tenir  lieu ,  n'a  point  acquis  de  degré  de 
JPoiss,  Tome  II.  R 


iî58  RESPIRATION 

couleur  et  de  chaleur  qui  caractérise  ce 
fluide  dans  les  aulres  animaux.  Ici  le  rap- 
prochement devienl  sensible  avec  les  mol- 
lusques ,  les  coquillages  aquatiques  et  les 
crabes  qui  respirent  de  Teau  comme  les 
poissons. 

Les  physiciens  modernes  ont  donné  Tex- 
plication  des  phénomènes  de  la  respiration  ; 
ils  ont  fait  voir ,  d'une  manière  très-lumi- 
neuse 5  comment  Tair  vital  lépandu  dans 
Fatmosphèie  se  change  en  air  iixe  ,  en  le 
com])inant  avec  le  principe  phlogistique  ou 
la  base  de  l'air  fourni  par  le  sang. 

Il  paroit  que  la  respiration  s'exécute  d'une 
manière  analogue  dans  tous  les  animaux  qui 
respirent  de  l'eau  el  particulièrement  dans 
les  poissons;  mais,  avant  d'enirer  dans  aucun 
détail,  j'établirai  les  dégrés  de^  ressemblance 
qu'ont  entre  eux  les  organes  qui ,  dans  les 
animaux  de  ces  deux  ordres  ,  concourent 
également  au  même  but. 

Les  organes  de  la  respiration,  dans  tous 
les  animaux  qui  ne  respirent  que  de  l'air, 
sont  placés  à  l'intérieur  :  on  ne  sauroit  les 
apercevoir  sans  déchijer  les  paities  qui  les 
environnent  :  les  organes  analogues  à  ceux- 
ci  ,  dans  les  animaux  qui  ne  respirent  que 
de  l'eau  ,  sont  au  contraire  presque  à  dé-- 


DES    POISSONS.       259 

couvert  ,*  on  peut  ]es  voir  sans  détruire 
aucune  partie.  Cette  diffeience  est  sur-tout 
remarquai^le  dans  quelques  quadrupèdes 
ovipares ,  dont  les  organes  de  la  respiiatioii 
sont  placés  extérieurement  dans  le  premier 
période  de  leur  vie ,  où  ils  demeurent  sous 
l'eau  ,  et  qui  ,  destinés  h  vivre  dans  l'air , 
acquièrent  des  poumons  situés  k  l'intérieur. 

Une  autre  différence ,  qui  dépend  de  la 
précédente ,  est  que  plus  la  respiration  est 
parfaite  dans  les  difféientes  classes  d'ani- 
maux ,  plus  les  organes  en  sont  cachés.  Dans 
les  oiseaux,  en  qui  la  respijaûon  s'exécute 
de  la  manière  la  plus  parfaite  ,  l'air  est  porté 
dans  les  cavités  de  la  plupart  des  os,  et 
bien  plus  à  l'intérieur  par  conséquent  que 
dans  les  quadrupèdes  dont  les  poumons  sont 
plus  cachés  que  ceux  des  repliles  et  des 
quadrupèdes  ovipares ,  qui  n'ont  point  de 
diaphragme  ,  ou  qui  n'en  ont  qu'un  très- 
mince.  Les  insectes  enfin  ,  dans  lesquels  cette 
fonction  dégéuère  encore ,  respirent  par  un 
grand  nombre  d'ouvertures. 

Plusieurs  caractères  nous  montrent  que  , 
parmi  les  animaux  qui  vivent  dans  l'eau , 
les  poissons  respirent  d'une  manière  plus 
parfaite  que  les  mollusques  et  les  coquillages 

R  2 


36o  RESPIRATION 

aquatiques;  aussi  les  organes  des  premiers^ 
sont-ils  plus  cachés  que  ceux  de  ces  derniers 
qui  les  ont  le  plus  souvent  à  Textérieur  et 
entièrement  à  découvert  :  c'est  dans  ces 
animaux  que  paroît  s'évanouir  totalement 
cette  fonction  ;  et  pour  s'y  reconnoître ,  il 
faut  être  guidé  par  l'analogie. 

Les  poissons  présentent ,  relativement  à 
la  conformation  des  organes  de  la  respiration, 
deux  grandes  divisions,  dont  Tune  comprend 
les  cartilagineux  ,  et  l'autre  les  épineux.  Les 
ouïes  des  premiers  sont  soutenues  sur  un 
arc  cartilagineux;  elles  sont  plus  multipliées 
que  dans  les  épineux ,  où  ces  parties  sont 
supportées  par  des  osselets  recourbés ,  dont 
le  nombre  est  rarement  au  dessous  de  quatre, 
et  n'excède  jamais  ce  nombre. 

Le  cœur,  dans  les  poissons  épineux,  est 
l'enfermé  dans  un  péricarde  ,  qui  forme  une 
poche  membraneuse  attachée  postérieure- 
ment au  diaphiagme.Dans  quelques  espèces, 
et  particulièrement  dans  le  loup  marin ,  j'ai 
observé  de  petites  fibres  très  -  déliées  ,  qui 
unissent  le  cœur  au  péricarde.  Les  poissons 
cartilagineux  n'ont  point ,  à  proprement 
parler,  de  péricarde,  du  moins  la  mem- 
brane qui  paroît  en  tenir  lieu  n'est  point 
libx-e  ;  elle  revêt  l'intérieur  de  la  poitrine  » 


DE  S    P  O  I  S  S  O  N  S.      261 

et  elle  est  aclliéreiile  aux  muscles  qui  Yen- 
toureut.  L'usage  du  péricarde  dans  l'homme 
et  dans  les  quadrupèdes  est,  suivant  les 
anatomistes ,  d'empêcher  que  le  cœur  ne 
s'aLlache  aux  poumons ,  et  qu'il  ne  soit  com- 
primé quand  ceux-ci  sont  remplis  d'air, 
ou  qu'il  ne  souffre  lorsque  les  poumons  sont 
affectés;  il  étoit  nécessaire  que  cet  organe 
fût  membraneux ,  d'un  tissu  serré  et  capable 
de  soutenir  les  viscères  qu'il renfejine.  Dans 
les  poissons  au  contraire  ,  qui  n'ont  point 
ces  accidens  à  craindre,  le  cœur,  dans  ceux 
dont  la  poitrine  est  étroite  et  formée  de 
parties  assez  dures,  est  renfermé  dans  un 
péricarde  simple,  mince  et  presque  trans- 
parent ;  dans  ceux  au  contraire  dont  la 
cavité  thorachique  est  plus  considérable ,  où 
ce  viscère  ne  sauroit  être  gêné  par  aucune 
partie,  la  Nature,  qui  a  toujours  travaillé 
sur  le  plan  le  plus  économique ,  n'a  point 
distingué  le  péricarde  de  la  plèvre;  une  seule 
membrane  ,  qui  tapisse  l'intérieur  de  la 
poitrine  ,  remplit  les  fonctions  de  l'un  et 
de  l'autre. 

La  forme  du  cœur  offre  de  plus  grandes 
variétés  dans  les  différentes  espèces  de  pois- 
sons que  dans  celle  des  animaux  à  sang 
chaud.  M.  Vicq  -  d'Azyr  a  fait  voir  les  plus 

R  3 


262  RESPIRATION 

remarquables  de  ces  variélés ,  dans  les  Mé^ 
moires  où  il  a  tracé  le  plan  d'une  anatomie 
compJette  des  poissons.  En  généial  le  cœur , 
dans  les  es})èces  de  cette  classe  ,  est,  propor- 
tionnellement à  leur  corps  5  plus  petit  que 
celui  des  autres  animaux.  Dans  les  oiseaux, 
par  exemple ,  cet  organe  est  huit  ou  neuf 
fois  plus  gros  qu'il  ne  Test  dans  les  poissons 
d'un  égal  volume.  On  sait  que  le  cœur  d'un 
Iiomnie  pèse  ordinairement  lo  onces,  si  le 
poids  total  de  son  corps  est  de  cent  cinquante 
livres.  Haller  a  trouvé  que ,  dans  une  carpe 
du  poids  de  49120  grains  ,  le  cœur  ne 
pesoit  que  9  grains.  Le  poids  du  cœur  de 
l'homme  est  donc  deux  cent  quarante-sept 
lois  plus  petit  que  le  poids  du  corps,  tandis 
que  celui  de  la  carpe  l'est  cinq  cent  qua- 
rante-six fois.  Ce  calcul ,  qui  vient  à  l'appui 
de  notre  assertion ,  lui  auroit  été  encore 
plus  favorable  si  l'expérience  avoit  eu  lieu 
sur  une  carpe  moins  petite;  le  cœur,  dans 
tous  les  animaux,  étant  toujours  plus  gros 
proportionnellement  au  corps ,  lorsqu'ils  sont 
jeunes.  Dans  une  carpe  du  poids  de  JobjQ 
grains,  j'ai  trouvé  que  le  cœur  pesoit  i5 
grains  :  elle  étoit ,  comme  on  le  voit,  deux  fois 
plus  grosse  que  celle  que  Haller  avoit  pesée; 
aussi  le  poids  du  cœur  étoit-il  couteau  huit 


D  E  s    PO  I  s  s  ON  s.      263 

cent  soixante -douze  fois  clans  celui  de  son 
corps.  Dans  plusieurs  petits  poissons  de  la 
Seine,  dont  Tun  pesoit  66  grains,  Tautre 
164,  et  le  troisième  2o3,  j'ai  vu  que  le  j)oids 
du  cœur  étoit  renfermé  cent  trente -deux 
fois  dans  le  premier ,  cent  cinquante-quatre 
dans  le  second ,  et  cent  quatre-vingt-quatre 
dans  le  troisième;  le  cœur,  dans  le  premier, 
pesoit  1  giain  ,•  dans  le  second ,  un  demi- 
grain,  et  1  grain  7^  dans  le  troisième;  ce  qui 
prouve  évidemment  que,  plus  les  poissons 
sont  petits,  plus  leur  cœur  est  gros  propor- 
tionnellement à  leur  volume. 

La  férocité  des  animaux  terrestres  suit  la 
même  gradation  que  le  volume  du  cœur. 
Cette  loi  se  retrouve  dans  les  poissons.  Les 
cartilagineux ,  parmi  lesquels  on  compte  les 
chiens  de  mer ,  les  requins ,  les  raies ,  etc. 
qui  surpassent  par  leur  voracité  les  autres 
poissons,  ont  aussi  le  cœur  bien  plus  volu- 
mineux ;  ce  qui  est  très  -  remarquable  dans 
la  baudroye  ,  où  cette  voracité  est  si  ma- 
nifestée par  la  grandeur  de  la  gueule  et 
le  nombre  de  ses  dents  ,  et  dont  le  cœur 
est  très-gros  en  proportion  du  corps.  Plu- 
sieurs observations  m'ont  confirmé  dans 
cette  opinion.  J'ai  pris  un  brochet  que  tout 
le  monde  sait  être  le  mieux  armé  et  le  plus 

R  4 


564  RESPIRATION 

vorace  des  poissons  de  rivière,  comme  aussi 
tm  des  plus  agiles;  je  me  suis  procuré  nue 
tanche  dont  ]a  gueule  est  toujours  très- 
petite ,  privée  de  dents,  et  qui  se  tient 
presque  toujours  dans  la  vase.  Le  poids  de 
ces  deux  individus  s'est  trouvé  par  hasard 
le  même,*  il  se  portoit  pour  chacun  à  5202 
grains  ;  mais  le  cœur  du  brochet  pesoit 
6  grains ,  tandis  que  celui  de  la  tanche  n'en 
pesoit  que  4;  ainsi,  dans  le  plus  vorace  de 
ces  deux  poissons ,  le  poids  du  cœur  étoit 
contenu  huit  cent  soixante -douze  fois  dans 
le  poids  total  de  son  corps,  et  il  s'y  trouvoit 
mille  trois  cent  huit  fois  dans  celui  de  la 
tajiche. 

J'ai  observé  que ,  dans  les  poissons  dont  les 
ouïes  étoient  les  plus  grandes ,  le  cœur  étoit 
aussi  le  plus  gros,  toujours  proportionnelle- 
ment à  la  grosseur  du  corps;  je  m'en  suis 
assuré  plus  particulièrement  sur  le  hareng. 
J'en  ai  pesé  un  qui  m'a  donné  1992  grains 
pour  poids  total  ;  son  cœur  étoit  de  3  grains, 
qui  équivaloient  à  la  six  cent  soixante- 
quatrième  partie  de  son  corps.  Un  merlan , 
dont  les  ouïes  sont  beaucoup  moins  éten- 
dues et  présentent  une  ouverture  assez  pe- 
tite, m'a  fourni  un  résultat  bien  différent; 
son  corps  pesoit  2004  grains ,  et  son  cœur 


DES    POISSONS.      265 

ppsoit  seulement  i  grain  ~;  ce  viscère  n'éLoit 
donc  que  la  douze  cent  deuxième  partie  de 
son  corps,  et  étoit  conséquemment  presque 
moitié  plus  petit  que  celui  du  hareng. 

Les  poissons  qui  se  tiennent  dans  la  vase, 
qui  font  peu  de  mouvemens,  dont  la  chair 
est  plus  molle,  plus  remplie  de  gluten,  ont 
le  cœur  très  -  petit.  Celui  d'une  limande  , 
dont  le  corps  entier  pesoit  2844  grains,  n'en 
pesoit  que  2;  ce  qui  fait  voir  que  le  poids  de 
ce  viscère  étoit  contenu  quatorze  cent  vingt- 
deux  fois  dans  celui  de  son  corps.  Non  seu- 
lement cet  organe  est  plus  pelit  dans  les 
poissons  de  cette  classe  que  dans  les  autres, 
mais  il  est  encore  moins  irritable.  La  quan- 
tité du  sang  est  aussi  moindre  dans  ceux-ci. 
J'ai  séparé,  en  même  tems,  du  corps  d'une 
anguille  et  de  celui  d'un  brochet ,  le  cœur 
qui ,  dans  le  premier ,  a  donné  peu  de  signes 
d'irritabilité  lorsque  je  l'ai  piqué  ;  celui  du 
brochet  en  a  donné  beaucoup  et  long-tems 
après  que  son  corps  ne  manifestoit  plus 
aucun  signe  de  vie;  ce  qui  a  eu  lieu  en  sens 
contraire  dans  l'anguille ,  qui  remuoit  encore 
avec  assez  de  force,  quoique  son  cœur,  que 
j'irritois  avec  la  pointe  du  scalpel ,  ne  donnât 
plus  la  moindre  marque  d'irritabihté. 

La  situation  du  cœur  dans  les  poisson» 


2m  RESPIRATION 

n'est  pas  la  même  que  dans  Thomme.  Ce 
viscère  occupe  clans  les  premiers  le  milieu 
de  leur  poitrine.  Comme  son  usage  se  boine 
ici  à  transmettre  le  sang  aux  ouïes,  et  que 
ce  fluide  y  est  porté  par  ime  seule  artère, 
une  position ,  au  moyen  de  laquelle  il  est 
également  éloigné  des  ouïes  de  chaque  côté, 
est  sans  doute  la  plus  avantageuse. 

Les  oreillettes,  dans  l'homme,  sont  situées 
à  la  partie  supérieure  du  cœur  :  dans  les 
poissons  y  Foreillette  est  placée  en  sens  con- 
traire ;  la  base  du  cœur  touche  le  dia- 
phragme, et  la  pointe  est  tournée  vers  la 
tête.  Cette  différence  dépend  sans  doute  de 
celle  qu'on  observe  dans  le  trajet  que  suit 
le  sang ,  dont  la  plus  grande  partie ,  dans 
les  poissons  ,  est  rapportée  au  cœur  des 
parties  postérieures  du  corps ,  tandis  que 
dans  l'homme  une  portion  considérable  est 
renvoyée  au  cœur  des  parties  supérieures. 
L'oreillette  est  située  un  peu  sur  la  gauche; 
le  sang  lui  est  fourni  par  lin  sinus  particulier, 
formé  par  la  réunion  de  plusieurs  veines. 
Ce  sinus  est  beaucoup  plus  volumineux  que 
l'oreillette  ;  la  communication  entre  ces  deux 
cavités  est  fermée  en  partie  par  des  valvules. 
Quelques  auteurs  ont  regardé  ce  sinus  comme 
une  seconde  oreillette  ;   il  en  a  du  moins 


D  E  s    P  O  I  s  s  O  N  s.      267 

l'apparence.  Diiverney  ,  qui  le  premier  a 
disséqué  ces  parties  avec  soin  ,  a  détaillé 
l'usage  de  ce  sinus  veineux  qu'on  retrouve 
dans  les  reptiles  et  les  quadrupèdes  ovipares. 
Le  sang  est  poussé  de  cette  cavité  dans 
l'oreillette  par  la  contraction  du  diaphragme, 
que  j'ai  toujouis  vu  garni  de  Hbi es  muscu- 
laires dans  un  très-grand  nombre  d'espèces. 
Il  adhère ,  t'omme  dans  l'homme ,  au  péri- 
carde; son  usage  est  cependant  ici  bien  diffé- 
rent. Les  aiiatomistes  ont  cru ,  dans  le  pre- 
mier cas ,  devoir  attribuer  cette  adhésion  k 
la  pression  continuelle  du  cœur  sur  le  dia- 
phragme ,  et  que  la  situai  ion  droite  de 
l'homme  rend  nécessaiie.  Leur  sentiment 
étoit  confirmé  par  l'observation  contraire  , 
qui  avoit  été  faite  sur  les  quadrupèdes,  où 
cette  adhérence  n'a  presque  pas  lieu,  parce 
que,  disent  ces  auteurs,  le  corps  des  qua- 
drupèdes est  dans  une  situation  horisonlale; 
mais  l'adhérence  du  péricarde  au  diaphragme 
a  lieu  sur  les  poissons  ,  ce  qui  démontre 
l'insuffisance  de  cette  explication. 

Les  anatomistes  ont  comparé  avec  raison 
la  seule  oreillette  et  le  seul  vejitricule  qui 
constituent  le  cœur  des  poissons  à  1  oreillette 
droite  et  au  ventricule  droit  dans  rhomme. 
Comme  ceux-ci,  ils  sont  destinés  à  recevoir 


268  RESPIRATION 

le  sang  des  veines  caves;  ils  ont  cependant 
tous  donné  le  nom  ^ aorte  ou  di  aorte  ascen- 
dante à  la  seule  artère  destinée  à  porter  le 
sang  du  cœur  aux  ouïes ,  qui  font  l'office  de 
poumons  dans  ces  animaux.  Le  nom  ^artère 
pulmonaire  étoit  le  seul  qui  dût  être  donné 
à  ce  vaisseau.  La  structure  de  ces  organes 
est  entièrement  analogue  à  celle  des  mêmes 
parties  considérées  dans  Ttiomme.  Le  ven- 
tricule du  cœur  des  poissons  est  comme  le 
ventricule  droit  dans  l'homme  ,  formé  par 
des  parois  épaisses  relativement  à  son  volume, 
et  sa  cavité  ne  s'étend  pas  tout  à  fait  jusqu'à 
la  pointe  du  cœur.  L'oreillette  droite,  dans 
l'homme  ,  est ,  comme  celle  du  cœur  des 
poissons ,  volumineuse  relativement  à  la 
grosseur  de  ce  viscère  ,  et  le  sang  qu'elle 
contient  est  également  noirâtre.  L'artère  , 
au  sortir  du  ventricule,  ne  se  recourbe  pas 
comme  l'aorte  dans  l'homme  ;  sa  direction 
est  droite,  et  c'est  une  ressemblance  qu'elle 
a  avec  l'artère  pulmonaire  de  plus  qu'avec 
Faorte.  Je  crois  donc,  d'après  sa  structure 
et  son  usage,  pouvoir  donner  à  ce  vaisseau 
le  nom  ai  artère  branchiale  ,  du  mot  latin 
hranchiœ  (  ouïes  ) ,  bien  persuadé  que  celui 
d'aorte  ne  sauroit  lui  convenir. 

Ou  voit ,  à  la  base  de  l'artère  branchiale , 


D  E  s    P  O  I  s  s  O  N  s.      sGg 

nn  renflement  conique  avec  un  étrangle- 
ment à  la  partie  inférieure.  Ce  renflement 
est  fortifié  intérieurement  par  des  fibres  lon- 
gitudinales qui ,  en  rapprochant  par  leur 
contraction  Fartère  de  la  base  du  cœur , 
doivent  accélérer  le  mouvement  du  sang. 
Quelques  auteurs  ont  comparé  cette  cavité 
à  l'oreillette  gauche  dans  riiorame;  d'autres 
se  sont  contentés  de  lui  donner  le  nom 
^oreillette  artérielle,  Cœsalpin  Fa  même 
prise  pour  un  troisième  ventricule. 

Je  me  dispenserai  de  décrire  le  trajet  de 
Tartère  branchiale  sur  les  ouïes  :  Needham 
et  Duverney  n'ont  rien  laissé  à  désirer  sur 
cet  objet.  Je  me  bornerai  à  rappeler  que 
cette  artère  est  la  seule  dans  les  poissons 
dont  le  battement  soit  sensible  ;  ce  qui  prouve 
bien  que  le  cœur  est  la  principale  cause  de 
la  pulsation  des  artères,  et  qu'elle  ne  sauroit 
avoir  lieu  que  dans  les  vaisseaux  où  le  cours 
du  sang  est  dirigé  d'un  petit  vers  un  plus 
grand  diamètre. 

La  structme  des  ouïes  est  telle  que  les 
vaisseaux  sanguins  qui  les  parcourent  font, 
comme  dans  les  poumons  des  quadrupèdes, 
un  très-long  trajet  dans  un  très-petit  espace; 
mais  elle  offre  des  différences  très-remar- 
quables  dans  diverses  espèces  de  poissons. 


270  RESPIRATION 

Le  genre  de  vie  auquel  la  Nature  a  destiné 
ces  aiiiaiaux  est  ]a  piincipale  cause  de  ces 
variétés,  qui  ont  plus  rajement  lieu  dans 
les  organes  des  divers  quadrupèdes  ou  des 
oiseaux.  Ne  seroit-on  pas  en  droit  d'en  con- 
clure que ,  plus  une  fonction  est  parfaite  dans 
line  classe  quelconque ,  moins  les  organes  qui 
Texécutent  présentent  de  diixérences  dans 
les  diverses  espèces  qui  la  constituent  ? 

Les  poissons  qui  se  tiennent  ordinairement 
dans  la  vase  et  dans  les  endroits  où  Feau 
est  rarement  renouvelée,  telles  que  les  an- 
guilles ,  ont  les  ouïes  soutenues  sur  des  arcs 
osseux  courts  •  la  cavité  de  leurs  ouïes  esî: 
fort  grande,  et  elles  peuvent  conserver  plus 
long-tems  que  les  autres  espèces  Teau  dans 
leurs  organes.  On  pourroit  en  quelque  sorte 
les  comparer  aux  reptiles  et  aux  quadru- 
pèdes ovipares  qui  ont  des  poumons  cel- 
luleux  garnis  de  fibres  ,  et  tels  que  ces 
animaux  paroissent  y  tenir  en  réserve  une 
certaine  quanfité  d'air  pour  sen  servir  au 
besoin.  Dans  les  espèces,  au  contraire,  qui 
fréquentent  la  haute  mer,  qui  nagent  tou- 
jours dans  de  grands  fonds  ,  et  qui  sont 
destinées  à  exécuter,  pendant  de  longues 
émigrations,  des  mouvemens  très -rapides, 
les  ouïes  sont  posées  sur  des  osselets  très- 


DES  POISSONS.  271 
grands,  et  leurs  feuillets  sont  Irès-alongés. 
Plusieurs  sont  pourvus  d'un  organe  parti- 
culier destiné ,  comme  les  ouïes ,  à  la  res- 
piration. Cette  partie,  qui  n'a  été  décrite 
par  aucuii  auteur ,  peut  être  regardée  conioie 
une  i>eti  te  ouïe,  et  elle  a  rapport  en  quelque 
sorte  à  un  lobule  de  poumons.  Elle  est 
distincte  des  ouïes  ,  et  située  dans  leur  ca- 
vité de  chaque  côté  vers  la  base  des  oper- 
cules ,  et  immédiatement  après  l'élévation 
que  forment  les  orbites.  Le  plus  souvent  elle 
décrit  un  arc.  Sa  longueur  varie  suivant 
les  différentes  espèces  :  j'en  ai  vu  de  plus 
d'un  pouce  de  long  dans  plusieurs  espèces 
de  spares  et  de  perches  de  grandeur  liié- 
diocre  ;  elle  est ,  ainsi  que  les  ouïes ,  com- 
posée de  lames  rangées  en  file  ,  mais  qui 
vont  en  décroissant  veis  les  deux  extré- 
mités. Ces  lames  ne  sont  point,  comme  dans 
les  ouïes,  placées  deux  à  deux ,  mais  si 01  pies; 
leur  nombre  varie  suivant  les  difféientes 
espèces  de  poissons.  Dans  la  limande ,  par 
exemple,  j'en  ai  compté  jusqu'à  vingt  et 
une;  elles  ne  sont  jamais  fixées  sur  un  arc 
osseux,-  eiles  forment  à  leur  hase  une  espèce 
de  bourrelet,  et  la  membrane  qui  tapisse 
l'intérieur  de  la  cavité  les  recouvre  en  par- 
tie. Les  trois  branches  internes  de  chaque 


572  RESPIRATION 

côté  de  Tartère  branchiale  se  distribuent  aux 
trois  ouïes  internes  sans  fournir  aucun  ra- 
meau considérable.  La  quatrième,  qui  est 
la  plus  externe,  donne  naissance,  vers  son 
extrémiîé,  à  un  rameau  qui  ,  rétrogradant 
d'abord  un  peu,  va  joindre  sur  le  côté  opposé 
aux  ouïes  la  petite  ouïe  que  je  viens  de 
décrire,-  elle  est  sur-tout  très-apparente  dans 
les  poissons  dont  Artedi  a  formé  une  classe 
particidière  sous  la  dénomination  d'acan- 
thoptérygiens  ^  et  qull  a  caractérisée  par  la 
présence  de  quelques  rayons  épineux  aux 
nageoires.  J'en  ai  fait  mention ,  sous  le  nom  de 
pseudobranchia^  dans  les  descriptions  d'une 
espèce  de  sole,  de  chétodon  et  de  clupéa, 
que  j'ai  données  dans  la  première  décade  de 
mon  histoire  générale  des  poissons. 

Le  canal  f)ar  lequel  les  quadrupèdes  et 
tous  les  animaux  à  sang  chaud  transmettent 
l'air  dans  les  poumons,  est  le  même  dajis 
tous;  ce  qui  ne  s'observe  pas  dans  les  pois- 
sons qui  reçoivent  l'eau  dans  les  organes 
analogues  par  différentes  ouvertures.  Quel- 
ques-uns,  tels  que  les  lamproies,  ont  sur 
le  haut  de  la  tète  une  seule  ouverture,  par 
laquelle  l'eau  est  conduite  aux  ouïes.  Cette 
structure  étoit  nécessaire  à  ces  poissons , 
qui ,  se  fixant  au  moyen  de  la  succion , 

aux 


DES    POISSONS.       275 

aux  pierres,  ou  contre  les  gros  poissons, 
ne  poiirroient  point  eu  même  lems  rece- 
voir Feau  par  la  gueule.  D'aulies ,  comme 
les  raies,  ont  à  chaque  côté  de  la  lète  une 
ouverture  qui  sert  de  passage  à  l'eau.  Le 
plus  grand  nombre  des  poissons  jeçoit 
cependant  Teau  par  la  gueule,  et  elle  sort; 
par  Jes  ouïes.  Pour  s'en  convaincre  il  sufEt 
d'examiner  avec  quelque  attention  J'eau 
qu'ils  respirent  ;  elle  entraine  avec  elle, 
dans  la  gueule,  les  petits  corps  qui  sur- 
nagent dans  ce  iluide,  tandis  qu'ils  sont 
repoussés  aux  ouvertures  des  ouïes. 

Dans  les  cartilagineux,  les  oiganes  de  la 
respijation ,  comme  nous  l'avons  déjà  dit, 
sont  beaucoup  plus  étendus  que  dans  les 
autres  poissons,-  la  plupart  rejettent  aussi 
l'eau  par  plusieurs  ouvertures ,  qui  sont  au 
nombre  de  sept,  dans  toutes  les  espèces 
de  lamproies  ,  et  dans  un  chien  de  mer, 
que  j'ai  décrit  sous  le  nom  de  ô/uet  dans 
les  Mémoires  de  l'académie  de  1780.  Un 
autre  poisson  du  même  genre ,  dont  j'ai 
parlé  sous  la  dénomination  de  griset  dans 
le  même  Mémoire,  en  a  six;  toutes  les 
raies  et  la  plupart  des  chiens  de  mer  en 
ont  cinq;  quelques-uns  n'en  ont  que  quatre; 
Je  quatrième  est  alors  divisé  intérieurement 

rolss.  Tome  IL  ISI 


27^  RESPIRATION 
en  deux  parties.  Les  chimerae ,  les  esturgeons 
et  la  feuille  n'en  ont  qu'une  seule,  formant 
quelquefois  plusieurs  divisions.  Tous  les 
autres  poissons  ne  sont  pourvus  que  d'une 
seule  ouverture,*  mais  sa  forme  varie  sui- 
vant féconomie  animale  de  chaque  espèce. 
Ceux  qui  sont  destinés  à  vivre  dans  des 
eaux  peu  profondes,  qui  ne  s'éloignent 
jamais  du  rivage,  et  qui  sont  quelquefois 
ensevelis  dans  le  sable,  tels  que  l'ammo- 
dyte,  plusieurs  espèces  de  silures,  et  la 
plupart  des  anguilliformes,  ont  cette  ouver- 
ture petite,  formant  une  espèce  de  canal, 
environné  de  membranes  épaisses.  Les  pois- 
sons coffres  vivent  très-près  du  bord  de  la 
mer,  qui,  en  se  retirant,  les  laisse  souvent 
dans  des  lieux  où  il  y  a  une  très-petite 
quantité  d'eau  que  le  soleil  fait  bientôt 
évaporer;  ils  ont  aussi  les  ouvertures  de  la 
gueule  et  des  ouïes  très-petites;  leur  corps 
est  de  plus  recouvert  d'une  écaille  dure  et 
d'une  seule  pièce.  Les  poissons  bourses,  les 
vieilles  de  mer,  qui,  en  s'enflant,  restent 
presque  toujours  à  la  surface  de  l'eau,  ont 
ces  mêmes  ouvertures  très -étroites.  Les 
poissons  qui  sont  forcés  d'exécuter  de 
grands  mouvemens,  ont  les  ouïes  les  plus 
étendues;  leur  gueule  et  l'ouverture  de» 


D  E  s    P  O  I  s  s  O  N  s.      275 

ouïes  sont  très-larges;  ils  reçoivent  une 
gianfle  quantité  d'eau,  et  la  renouvellent 
plus  souvent  que  les  autres;  ils  meurent 
presqu'aussitôt  qu'ils  sont  hors  de  l'eau, 
taudis  que  les  carpes,  les  anguilles,  etc., 
qui  ont  ces  ouvertures  plus  petites,  vivent 
assez  long-tems  dans  Fair.  On  pourroit  en 
quelque  sorte  comparer  les  premiers  aux 
oiseaux  de  haut  vol ,  dont  la  plupart  des 
os  sont  pénétrés  par  Tair:  le  hareng, 'les 
aloses,  le  biochet ,  etc.,  doivent  être  com- 
pris dans  la  première  division. 

Dans  les  animaux  qui  respirent  de  Tair  ; 
il  n'y  a  qu'une  seule  ouverture  par  où  cet 
élément  est  reçu  et  est  rejeté  dans  ,  les 
poissons;  comme  nous  venons  de  l'obser- 
ver, l'eau  entre  par  une  ouverture  et  sort 
par  une  issue  différente.  Le  mécanisme ,  au 
mo3'^en  duquel  cette  opération  s'exécute,  est 
aussi  bien  différent  de  celui  qui  sert  à  la 
fonction  analogue  à  celle-ci  dans  les  qua- 
drupèdes ;  les  opercules  servent  de  parois  à 
Ja  cavité  qui  renferme  les  ouïes,  et  font 
l'office  des  côtes  ;  leur  mouvement  est  sem- 
blable à  celui  de  ces  parties  dans  l'homme 
et  les  quadrupèdes.  Quand  le  poisson  veut 
prendre  de  Feau,  la  mâchoire  infériem^e 
s'abaisse,  et  les  deu;x:  03  qui  la  composent 

S  2 


^76  RESPIRATION 
élant  joints  antérieurement  par  des  liga- 
niens,  elle  est  en  même  tems  dilatée.  Les 
os  de  la  mâchoire  supérieure  sont  portés  par 
leur  extrémité  postérieure  en  en  bas  ;  et 
comme  ils  se  trouvent  articulés  avec  les  os 
latéraux  de  la  tête,  qui  forment  la  base  des 
opercules,  ils  font  exécuter  à  ceux-ci  un 
mouvement  de  bascule  qui  porte  leur  angle 
antérieur  un  peu  en  dedans  et  en  en  bas  , 
tandis  que  la  mâchoire  inférieure  les  porte 
en  dehors  et  en  en  haut.  Par  ces  mouve- 
mens  combinés ,  chaque  fois  que  le  poisson 
ouvre  la  gueule,  les  opercules  s'écartent  par 
leur  bord  du  corps  de  l'animal,  et  laissent 
échapper  Fcau  qui  étoit  contenue  dans  la 
cavité  des  ouïes  ;  leur  mouvement  est  exac- 
tement le  même  que  celui  des  côtes  dans  la 
respiration.  Dans  le  même  instant  où  Fani- 
mal  ferme  la  gueule,  le  bord  des  opercules 
est  ramené  sur  le  corps;  la  membrane  des 
ouïes  qui  le  borde  en  ferme  exactement  les 
ouvertures,  et  l'eau  qui  étoit  entrée  dans  les 
cavités  lors  de  la  dilatation  de  toutes  les  par- 
ties, est,  pour  ainsi  dire,  pressée  contre  les 
feuillets  des  ouïes  qui  se  sont  rapprochées 
au  même  moment  ;  et  c'est  alors  que  la 
fonction  de  la  respiration  est  entièrement 
ièémpiie  :  les   poissons  ne  la  parachèvent 


D  E  s    P  O  I  s  s  O  N  s.      577 

dôncv  que  dans  rexpiration.  N'est-on  pas  eq 
droit  de  conclure  avec  Daverney,  guid^ 
par  Fanaîogie  ,  que  les  animaux  qui  i-es- 
pirent  de  Fair  ne  donnent  point  le  prinr 
cipe  phîogistique  de  leur  sang  à  cet  élémen|; 
dans  le  moment  de  l'inspiration,  mais  seu- 
lement lorsque  le  thorax  s'affaisse,  que  les 
poumons  tendeut  à  chasser  l'élément  qu'il$ 
contiennent,  et  que  toutes  les  parties,  eï\ 
se  rapprochant,  forcent  l'air  à  s'unir  plus 
intimement  avec  les  fluides  qu'elles  cha- 
rient. 

Les  poissons  ont  des  inspirations  pluç 
fi-équentes  que  les  animaux  qui  vivent: 
dans  l'air,  parce  que  le  principe  qui  doit 
être  extrait  de  l'eau  par  leurs  organes  est 
répandu  bien  moins  abondamment  dans  ce 
dernier  fluide  que  dans  l'air,  et  qu'il  est 
plus  difîicile  de  le  séparer  de  l'un  que  de 
l'autre. 

L'usage  do  la  membrane  des  ouïes  paroît 
se  borner  à  vformer  exactement  l'ouver- 
ture des  ouïes ,  et  à  augmenter  dans  cer-^ 
taines  espèces  leur  cavité;  cette  membrane 
manque  dans  un  grand  nombre  de  poissons, 
comme  je  Tai  déjà  observé  :  les  ouvertures 
des  ouïes  sont  alors  très-étroites. 

Dans  quelques-uns  où   cette  ouverture 

S  5 


S78  RESPIRATION 

se  trouve  très -petite  ,  la  membrane  des 
ouïes  n'est  soutenue  que  par  un  seul  rayon , 
qu'on  pourroit  même  regarder  comme  une 
lame  des  oj^ercules.  Les  espèces  du  genre 
des  morm3^res  en  fournissent  un  exemple; 
quelques  autres  ont  l'ouverture  des  ouïes 
très-étroites ,  mais  formant  une  espèce  de 
canal,  comme  on  le  voit  dans  les  poissons 
du  genre  des  murènes  et  des  cailyonimus; 
dans  ces  espèces ,  la  membrane  ne  paroît 
pas  distincte  des  opercules,  et  les  osselets 
qui  la  soutiennent  peuvent  être  aisément 
comparés  aux  côtes  dans  riiomme  et  les 
quadrupèdes.  Dans  les  poissons  enfin,  dont 
l'ouverture  des  ouïes  est  très-considérable, 
il  étoit  nécessaire  que  la  membrane  fût 
affermie  par  un  grand  nombre  d'osselets,  et 
c'est  aussi  ce  qu'on  observe  dans  toutes  les 
espèces  de  brochets ,  de  saumons ,  et  sur 
Félop ,  qui  a  trente -quatre  osselets  de 
chaque  côté. 

Lorsque  le  sang  a  passé  au  travers  des 
ouïes,  il  entre  dans  des  vaisseaux  dont  le 
'  diamètre  va  en  augmentant ,  dont  les  parois 
sont  moins  épaisses  que  celles  de  l'artère 
branchiale ,  qui  ont  ^  en  un  mot ,  tous  les 
caractères  des  veines,  et  qui  doivent  en 
tout  être  comparés  aux  veines  pulmonaires 


DES    POISSONS.      279 

dans  riiomme  et  les  quadrupèdes,-  elles  ne 
portent  cependant  pas  le  sang  à  nn  ventii- 
cule,  mais  elles  forment  par  leur  réunion 
un  gros  vaisseau  qui  a  toutes  les  qualités 
des  artères.  Ce  vaisseau  a  été  connu  des 
anatomistes  sous  le  nom  d'aorte  descen- 
dante ;  je  crois  devoir  seulement  lui  donner 
celui  d'aorte,  ayant  déjà  fiiit  voir  que  les 
poissons  n'avoient  point  d'aorte  ascendante. 
Le  sang  est  distribué  dans  tout  le  corps  par 
Taorte  ;  le  cours  de  ce  fluide  n'est  point 
retardé,  comme  dans  riiomme ,  par  un 
grand  nombre  de  piis  ou  d'angles,  formés 
par  les  vaisseaux  sanguins,  et  qui  sont 
déterminés  par  la  conformation  des  vis- 
cères et  des  extrémités  :  il  n'a  donc  pas 
besoin  d'être  poussé  dans  les  artères  des 
poissons  avec  autant  de  force  que  dans 
celles  de  l'homme.  11  est  aisé,  d'après  cette 
considération,  de  rendre  raison  de  la  direc- 
tion que  suivent  les  veines  pulmonaires; 
quant  aux  artères ,  elles  décnvent  une 
ligne  droite ,  et  le  sang  y  circule  avec 
moins  de  rapidité  que  dans  les  vaisseaux 
des  animaux  à  sang  chaud.  Leuwenhoeck 
a  observé  que  le  sang  d'une  anguille  ne 
parcouroit  à  peu  près  que  l'espace  de  cinq 
pouces  dans  une    minute;   et   je   me  sui^ 

S  4 


55o  RESPIRATION 

assuré  par  un  grand  nombre  d'expéiiciices 
faites  sur  des  poissons  du  genre  des  carpes , 
que  leur  cœur  baltoit,  dans  le  même  espace 
de  tems  ,  Irenfce-cinq  fois,  quelquefois 
trente-six,  et  même  Irente-liuit,  rarement 
quaranie. 

Il  e^t  très-probable  que  le  sang,  en  passant 
à  travers  les  ouïes,  s'y  dépouille,  comme 
dans  les  quadrupèdes  à  ira  vers  les  poumons, 
du  principe  phiogistique  dont  il  est  sur- 
chargé; mais  je  laisse  aux  cliimlsies  à  nous 
éclairer  sur  la  manière  dont  l'air  dépîilogis- 
tiqué  vmi  à  Feau,  et  qui  en  est  peut-être 
une  partie  constituante,  absorbe  ce  principe  : 
je  me  bornerai  à  rapprocher  quelques  obser- 
vations qui  peuvent  éclaircir  la  théorie  des 
phénomènes  de  la  respiration. 
'  Les  poissons  ont,  proportionnellement  à 
leur  volume,  moins  de  sang  que  les  qua- 
drupèdes ;  ce  qui  s'accot  de  pai  faitement 
avec  la  manière  imparfaite  dont  le  méca- 
nisme de  la  respiration  s'exécute  dans  les 
premiers;  plusieui^s  anguilles  ont  à  peine 
fourni  quelques  onces  de  sang ,  suivant 
Menghinus;  et  l'on  trouve,  dans  les  Corn- 
mentarii  hononicns.es ,  qu'on  n'en  a  retiré 
qu'une  seule  once  de  cent  de  ces  poissons. 

La  quantité  de  sang  dans  les  aniniiiux 


D  E  8    P  O  I  s  s  O  N  s.       281 

f)st  toujours  en  laisoii  de  la  perfeclioii  de 
leur  Inspiration;  cette  obsei-^^ation  peut  être 
faite  jjou  senlemeut  sur  les  giandes  classes, 
mais  encore  sur  les  espèces  des  poissons 
qui  ofïrent,  relativement  aux  organes  de  la 
respiration,  bien  plus  de  variétés  que  ]es 
animaux  (pii  vivent  dans  Faii*.  Ainsi  les 
cartilagineux,  qui  ont  ces  organes  les  plus 
étendus,  ont  aussi  plus  de  sang  qu'aucua 
autre  poisson  ;  de  même  le  brochet ,  dont 
les  01  ganes  de  la  respiration  sont  plus  com- 
plets, pour  ainsi  dire,  que  ceux  de  la  carpe, 
a  plus  de  sang  que  celle-ci,  qui,  respiiant 
d'une  manière  plus  parfaite  que  Fanguiile, 
a  aussi  plus  de  sang  que  cette  dernière. 

Les  poissons  ne  peuvent  supporter  dans 
l'eau  un  degré  de  chaleur  égal  à  celui  que 
les  quadrupèdes  supportent  dans  l'air  ;  la 
différence  est  même  à  cet  égard  très-con- 
sidérable, puisque  ceux-ci  ne  paroissent 
soufïiir  en  aucune  manière  dans  une  atmos- 
phère dont  la  chaleur,  transmise  à  l'eau, 
feroit  infailliblement  périr  les  poissons  qu'on 
y  plongeroit. 

L'homme  est  susceptible  aussi  de  sup- 
poi'ter  sans  inconvénient  une  chaleur  très- 
considérable. 

Plusieurs  savans  anglais,  placés  pendant 


282  RESPIRATION 

quelque  tems  dans  une  atmosphère  où  le 
thermomètre  se  soutenoit  au  109^  degré  , 
ne  pouvoient  pas  dans  le  même  moment 
tenir  leurs  mains  dans  de  l'eau  dont  la  cha- 
leur n'étoit  qu'au  67^  degré,  et  qui  auroit 
suffi  sans  doute  pour  détruire  l'organisation 
des  poissons.  Il  existe  cependant  quelques 
observations  sur  des  poissons  trouvés  vivans 
dans  des  eaux  assez  chaudes.  Les  anciens 
avoient  remarqué  cette  singularité  ;  Elien 
parle  d'un  lac  de  Lybie  dont  l'eau  est  très- 
chaude,  et  où  l'on  trouve  des  poissons  qui 
meurent  si  on  les  transporte  dans  une  eau 
moins  chaude.  On  trouve  des  observations 
semblables  dans  Saint- Augustin  et  Cardanus.. 
Shaw,  dans  son  Voyage  en  Barbarie  ,  parle 
de  quelques  sources  thermales,  dans  les- 
quelles il  avoit  trouvé  plusieurs  poissons  du 
genre  des  perches.  Tout  récemment  Des- 
fontaines, de  l'académie  des  sciences,  a  fait 
la  même  observation  aux  environs  de  Cafra. 
Le  thermomètre  de  Réaumur  qu'il  y  a 
plongé  est  monté  au  3o^  degré  :  je  ne  doute 
point  que  l'observation  d'Elien  n'ait  eu 
lieu  dans  ces  mêmes  souices.  On  trouve , 
dans  l'Histoire  des  eaux  minérales  de  Lucas, 
des  observations  sur  des  carpes  vivantes , 
trouvées  dans  une  eau  thermale  dont  la 


DES    POISSONS.      285 

chaleur  égaloit  celle  du  sang  de  rhomnie. 
Valisnieri  dit  aussi  avoir  vu  des  poissons 
vivans  dans  des  eaux  thermales;  Couringius 
fait  mention  du  même  phénomène.  Ander- 
sen rapporte  un  fait  semblable  dont  il  a  été 
témoin  en  Islande.  Je  ne  citerai  pas  sur  cet 
objet  un  plus  grand  nombre  d'autorités  , 
parce  que  presque  aucun  de  ces  auteurs  n'a 
déterminé  exactement  le  degré  de  chaleur 
des  eaux  dont  ils  font  mention.  Parmi  toutes 
les  observations  rapportées  sur  ce  phéno- 
mène, celle  qu'a  faite  Sonnerat  est  assuré- 
ment la  plus  surprenante ,  puisqu'il  dit  avoir 
trouvé  à  Manille  des  poissons  dans  une 
eau  qui  faisoit  monter  le  thermomètre  de  \ 
Réaumur  jusqu'au  69®  degré.  Mes  expé- 
riences m'ont  fourni  de  bien  moindres  résul- 
tats. Musschembroeck  avoit  déjà  écrit  que 
les  poissons  périssoient  au  111^  degré  du 
thermomètre  de  Farenheit;  il  a  vu  même 
une  perche  trés-vi goure  use  mourir  en  trois 
minutes ,  dans  une  eau  au  96^  degré  ;  il 
ajoute  que  ces  animaux  vivoient  très-bien 
au  72®.  Il  est  très -difficile  de  déterminer 
positivement  les  divers  dégrés  de  chaleur 
que  chaque  espèce  peut  supporter;  ils  dif- 
fèrent; noa  seulemeut  suiyaut  la  saison,  mais 


284  RESPIRATION 

encore  suivant  la  forme  des  organes  de  la 

respiration. 

Le  i2o  juin  1784,  j'ai  mis  deux  épinoches 
dans  im  grand  vase  plein  d'eau,  dont  la 
température  éloit  de  14  dégrés;  je  l'ai  fait 
cîiaulïor  graduellement ,  et  au  bout  de  deux 
heures  et  demie,  le  thermomètre  est  monté 
au  28®  degré  ;  ces  poissons  se  sont  alors 
beaucoup  agités;  ils  étoient  sur  le  point  de 
mourir ,  lorsque  je  les  ai  retirés  pour  les 
jeter  dans  de  Feau  fraiche,  où  ils  sont  reve- 
nus à  la  vie  au  bout  de  quelgues  minui^es. 

Le  10  novembre  1784,  j'ai  mis  dans  un 
vaisseau  contenant  une  voie  d'eau ,  une 
carpe,  dès  ablettes,  des  goujons  et  quelques 
poissons  de  la  famille  des  perches  :  l'eau 
avoit  été  prise  dans  la  Seine  ;  le  thermo- 
mètre y  marquoit  5  dégrés  j  le  fond  du 
vaisseau  étoit  recouvert  de  sable.  A  midi 
25  minutes,  le  thermomètre  étoit  à  6  dégrés 
et  demi,-  à  3o  minutes,  à  8  dégrés,  etc.  Je 
joins  ici  la  table  de  mon  expérience  qui  a 
duré  jusqu'à  quatre  heures  45  minutes  ;  j'ai 
eu  soin  de  marquer  le  degré  de  chaleur  de 
cinq  en  cinq  minutes,*  j'ai  versé  de  tems  en 
tems  de  l'eau  fraîche  en  petite  quantité.  Au 
12®  degré,  les  plus  petits  poissons  ont  com- 


D  E  s    P  O  I  s  s  O  N  s.       285 

mencé  à  mouler  à  la  surface  de  IVau  ;  ils 
s'agitoieni:  déjà  beaucoup  et  donnoieiit  des 
signes  de  mal -aise  :  l'eau  de  la  Seine  est 
cependant  bien  plus  chaude  dans  Tété.  Au 
21^  degré,  les  plus  petits  (les  ablettes)  ont 
perdu  leur  équilibre  et  étoient  déjà  presque 
morts;  au  22^,  les  perches  surnageoient  sans 
mouvement  et  le  corps  renversé;  les  gou-^ 
jons,  qui  étoient  un  peu  plus  gros,  n'ont 
paru  manifestement  souffrir  qu'au  23^  de- 
gré; cependant  la  carpe  ne  s'agitoit  encore 
presque  point;  sa  respiration  étoit  seulement 
plus  fréquente.  Au  28®  degré  où  j'ai  tenu 
l'eau  pendant  quinze  minutes,  la  carpe  a 
commencé  à  donner  des  signes  de  mal-aise 
et  a  perdu  l'équilibre  ;  elle  a  ensuite  paru 
morte  ou  du  moins  asphixiée;  l'ayant  retirée 
pour  la  mettre  dans  de  l'eau  fraîche,  elle 
n'est  revenue  qu'au  bout  d'un  assez  long 
espace  de  tems  :  j'ai  employé  quatre  heures 
et  demie  à  amener  l'eau  au  28®  degré.  Je 
suis  bien  persuadé  qu'avec  certaines  pré-^ 
cautions  on  parviendroit  à  faire  vivre  des 
poissons  dans  une  eau  échauffée  au  delà  de 
ii8  dégrés;  mais  îe  doute  qu'ils  vécussent  si 
elle  l'étoit  seulement  jusqu'au  40^.  3e  me 
propose  de  suivre  ces  expéiiences  et  de  les 
Varier  de  différentes  manières. 


sae  RESPIRATION 

En  supposant  que  les  poissons ,  ainsi  que 
j'ai  lie  a  de  le  présumer  d'après  les  expé- 
riences dont  je  viens  de  rendre  compte ,  ne 
puissent  pas  supporter  une  eau  échauffée 
au  delà  de  5o  dégrés ,  en  se  rappelant  en 
même  tems  qu'il  leur  est  impossible  de  vivre 
dans  une  eau  dont  la  température  seroit 
quelques  dégrés  au  dessous  de  zéro ,  il  s'en- 
suivroit  que  ces  animaux  ne  pourroient  se 
soutenir  que  dans  une  éclielîe  tout  au  plus 
de  5o  dégrés  ,  échelle  qui ,  comparée  avec 
celles  que  peuvent  parcourir  les  animaux 
à  sang  chaud,  paroîtra  sans  doute  très- 
courte  ;  elle  sera  cependant  toujours  en 
raison  de  la  chaleur  vitale ,  qui  dans  les 
poissons  est  même  au  dessous  de  celle  des 
reptiles  et  des  quadrupèdes  ovipares.  Martine 
a  observé  sur  plusieurs  poissons  d'eau  salée, 
que  la  chaleur  du  sang  n'excédoit  pas  de 
plus  d'un  degré  celle  de  l'eau  où  ils  étoient 
plongés.  La  même  expérience ,  répétée  sur 
une  truite  et  sur  d'autres  poissons  de  rivière, 
lui  a  donné  le  même  résultat.  M.  Jean 
Hunter  a  vu  le  theiniomètre  de  Fahz ,  in- 
troduit dans  l'esLomac  d'une  carpe ,  monter 
de  65  dégrés  et  demi,  terme  de  tempéra-r 
ture  de  Feau ,  au  69^  degré,  c'esl-à-dire^ 
3   dégrés  et  demi   de   plus  ;   mais   il  faut 


D  E  s    P  O  I  s  s  O  N  s.      287 

observer  que  le  poisson  étoil  alors  hors  de 
Teau  ,  circonstance  bien  essenliollo  et  qui 
doit  influer  beaucoup  sur  le  résultat  de 
l'expérience. 

J'ai  plongé  dans  le  corps  de  plusieurs 
petits  poissons  de  la  Seine  ,  que  je  tenois 
dans  Feau  pendant  Texpérience  ,  un  ther- 
momètre qui  n'est  jamais  monté  plus  de 
trois  quarts  de  degré  au  dessus  de  la  tem- 
pérât u«re  de  l'eau  ;  l'augmentation  n'étoit 
même  quelquefois  que  d'un  demi -degré, 
particulièrement  dans  ceux  qui  étoient 
malades.  Une  anguille  assez  grosse,  mais 
foible  5  n'a  fait  monter  la  liqueur  que  de  trois 
quarts  de  degré.  Les  carpes  ont  donné  cons- 
tamment un  degré  d'excédent  de  chaleur, 
quelques  -  unes  un  degré  et  demi  :  en  gé- 
néral la  chaleur  des  poissons  est  très- peu 
considérable,  et  je  crois  qu'on  peut  révoquer 
en  doute  l'observation  d'Olassen ,  qui  pré- 
tend avoir  remarqué  une  chaleur  sensible 
dans  le  sang  d'une  espèce  de  chien  de  mer 
(  le  glauque  ). 

Les  poissons  font  une  grande  déperdition 
de  chaleur  animale  ;  Feau  leur  en  soutire 
continuellement  une  grande  quantité;  la 
portion  de  ce  fluide ,  qui  les  environne 
immédiatement,  est  aussi  plus  chaude  que 


288  RESPIRATION 

pai  -tout  ailleurs.  On  a  obsejvé  qu'une  carpe, 
plongée  dtins  un  mélange  qui  se  geloit  très- 
proniplement,  conservoit  autour  d'elle  une 
certaine  quantité  d'eau  fluide ,  quoique  le 
reste  du  liquide  fût  totalement  gelé. 

Oji  ne  sanroit  rapporter  qu'à  la  respiration 
le  développement  de  la  chaleur  des  poissons. 
Les  phénomènes  d'après  lesquels  MM.  La- 
voisier  et  De  la  Place  ont  expliqué  la  pro- 
duction de  la  chaleur  dans  les  animaux  qui 
vivent  dans  l'air,  s'observent  aussi  dans  les 
poissons,  mais  ils  sont  bien  moins  sensibles  : 
les  différences  de  la  chaleur  entre  les  ani- 
maux qui  respirent  de  Fair  et  ceux  qui 
respirent  de  Teau ,  sont  sur  -  tout  remar- 
quables ,  en  comparant  les  poissons  avec  les 
cétacés,  qui  ont  d'ailleurs  tant  de  rapports 
avec  ces  animaux  ,  que  tous  les  naturalistes  , 
avant  M.  Brisson ,  les  avoient  rangés  dans 
la  même  classe.  Les  uns  et  les  autres  habi- 
tent le  même  élément;  cependant  ceux  qui 
ont  des  ouïes  et  respirent  de  l'eau  ,  n'ont 
qu'un  degré  ou  un  degré  et  demi  de  chaleui' 
de  plus  que  l'eau  ;  les  cétacés  au  contraire 
qui  respirent  de  l'air,  ont  le  sang  aussi  chaud 
que  celui  de  l'homme.  J'ai  plongé  le  ther- 
momètre dr.ns  le  corps  d'un  marsouin  ,  à 
travers  une  blessure  qu'il  venoit  de  recevoir 

k 


D  E  s  P  O  I  s  s  O  N  s.  28c) 
à  coté  du  cou  ,  et  qui  readoil  beaucoup  de 
sang;  il  éloil:  déjà  mort;  cependant  le  ther- 
moniètj^  monta  jusqu'au  28*^  dégié  et  demi, 
et  se  soutint  au  28^'  degré  lorsque  je  le  plaçai 
dans  les  parties  de  Ja  génération.  La  tem- 
pérature de  Tatmosphère  étoit  ce  jour-là  de 
14  dégi^s,  et  celle  de  l'eau  de  la  mer  près 
du  bord  de  i3  et  demi. 

Les  poissons  n'éprouvent  point  dans  Teau 
d'aussi  giaudes  variations  de  froid  ou  de 
chaleur  que  les  quadrupèdes  dans  l'air.  La 
température  de  l'eau ,  à  une  certaine  pro- 
fondeur ^  paroît  être  presque  toujours  la 
même;  ce  qui  est  prouvé,  quant  à  celle 
de  la  mer,  par  les  expériences  du  comte 
de  Marsigli,  et  plus  récemment  de  M.  de 
Saussure^  Celle  des  rivières,  qiiand  la  surface 
est  ge]ée ,  est  dans  le  milieu  quelques  dégrés 
au  dessus  de  zéro.  Dans  les  grandes  chaleurs, 
la  température  de  Feau  est  toujours  au 
dessous  de  celle  de  l'air. 

Cependant  il  paroît  que  ces  animaux  sont 
plus  afîéctés  par  un  grand  degré  de  chaleur 
que  de  froid. 

Les  poissons  sont  cependant  affectés  par 
les  variations  de  l'atmosphère  :  on  sait  que, 
dès  que  le  tems  est  à  la  pluie,  ils  remontent 
à  la  surface.  Ce  fait  n'a  voit  point  échappé 

Folss,  Tome  IL  T 


290  RESPIRATION 

H  Bacon  ;  il  le  citoit  comme  mie  preuve  de 
la  grande  influence  de  Fair  sur  les  animaux 
qui  vivent  dans  l'eau.  Ne  seroit-il  pas  plus 
simple  d'attribuer  ce  phénomène  au  tems 
qui  détermine  alors  la  cliûte  des  insectes 
que  les  poissons  viennent  prendre  à  la  sur- 
face de  l'eau?  ce  qui  est  d'autant  plus  vrai- 
semblable, que  c'est  presque  la  nourriture 
de  tous  les  poissons  de  rivière. 

C'est  aux  grandes  variations  de  l'atmos- 
phère qu'on  doit  attribuer  l'émigration  de 
cette  quantité  prodigieuse  de  harengs  que 
le  froid  force  chaque  année  à  chercher  des 
mers  plus  tempérées  que  celles  du  pôle  ; 
mais  nous  n'avons  malheureusement  encore 
presque  aucune  observation  sur  ces  voyages 
périodiques.  Les  poissons  destinés  à  ne  jamais 
s'éloigner  des  bords ,  sentent  aussi  le  refroi- 
dissement de  l'air  ;  et  pour  s'en  garantir , 
ils  s'enfouissent  dans  la  vase,  où  la  plupart 
d'entre  eux  restent  dans  un  état  d'engour- 
dissement ,  semblable  à  celui  qu'éprouvent 
pendant  Thyver  les  ours  ,  les  loirs ,  les  mar- 
mottes 5  etc.  Les  anciens  ont  parlé  de  ce 
sommeil  périodique  ;  les  modernes  n'ont 
point  fait  d'observations  relatives  à  ce  phé- 
nomène ,  qui  mérite  cependant  une  attention 
particulière.  11  est  aisé  de  reconnoître  les 


DES    POISSONS.       291 

poissons  de  cet  ordre,  k  leur  corps  qui  est 
alongé  ,  à  Tabsence  des  nageoires  ventrales  , 
et  aux  mouveniens  d'ondulation  qu'ils  sont 
obligés  d'exécuter  pour  se  soutenir  dans 
l'eau. 

Je  ne  regarde  pas  comme  un  engourdis^ 
sèment  proprement  dit ,  celui  que  plusieurs 
auteurs  ont  prétendu  avoir  observé  sur  des 
poissons  entièrement  gelés  et  rappelés  en- 
suite à  la  vie.  Peut-être  se  sont-ils  fondés 
sur  ce  qui  arrive  quelquefois  à  plusieurs 
parties  des  animaux  à  sang  chaud ,  lesquelles 
reprennent  vie  après  avoir  été  gelées;  mais 
il  faut  observer  que  leur  sang  est  bien  plus 
chaud,  et  qu'il  est  poussé  avec  plus  de  force 
dans  ceux-ci  que  dans  les  poissons.  Quoi  qu'il 
en  soit ,  M.  J.  Hunter ,  qui  a  tenté  la  même 
expérience  sur  ces  derniers,  ne  l'a  jamais 
vu  réussir  ;  les  poissons  dont  il  a  fait  geler 
la  queue  n'ont  jamais  pu  recouvrer  l'usage 
de  cette  partie.  L'eau  ajffecte  d'un  plus  grand 
nombre  de  manièi^s  les  organes  de  la  respi- 
ration des  poissons  ,  que  l'air  n'agit  sur  ceux 
des  animaux  à  sang  chaud.  Plusieurs  indi- 
vidus, après  avoir  respiré  pendant  quelque 
tems  dans  une  certaine  quantité  d'eau,  la 
dénaturent  au  point  qu'elle  n'est  plus  propre 
À  la  respiration  .  comme  les  animaux  à  sang 

T  2 


^^^é  n  E  S  P  T  P.  A  T  î  O  N 

chaiid  dénaturent  Fair  lorsqu'ils  sont  ras-^ 
semblés  dans  le  même  endroit.  I/eau  tient 
en  dissolution  un  plus  grand  nombre  de 
substances  que  Fair  ;  et  parmi  ces  substances 
il  s'en  trouve  beaucoup  qui  deviennent 
nuisibles  aux  poissons;  leur  vertu  délétère 
agit  le  plus  souvent^  dans  ces  animaux,  sur 
les  organes  de  la  respiration  ;  ce  qui  a  plus 
rarement  lieu  dans  les  animaux  qui  vivent 
dans  l'air.  La  Nature  a  cependant  doué  les 
poissons  d'une  force  assez  grande  pour  ré- 
sister à  quelques-uns  des  cîiangemens  que 
r^âu  peut  éprouver;  ils  passent,  par  exemple , 
librement  des  eaux  salées  dans  les  eaux 
douces ,  ou  de  celles-ci  dans  les  eaux  salées^ 
On  sait  combien  est  grand  le  nombre  des 
saumons,  des  aloses,  des  lamproies,  etc., 
qui  abandonnent  chaque  année  la  mer  pour 
remonter  les  rivières  ;  les  carpes  au  contraire 
quittent  souvent  les  rivières  pour  gagner 
les  eaux  de  la  mer.  Si  l'on  fait  attention 
à  la  différence  qu'il  doit  y  avoir  pour  un 
poisson ,  de  respirer  de  l'eau  douce  ou  de 
Feau  salée ,  on  aura:  une  idée  de  la  force 
dont  nous  avons  dit  qu'ils  étoiènt  doués 
pour  i'ésister  aux  changemens  que  Feau 
peut  éprouver  ;  force  qui ,  dans  cette  cir- 
constance ,    est    au    dessus   de  celle  qu'on 


DES    POISSONS.      293 

observe  dans  les  autres  animaux  q.tii  ne 
supporteroient  ])as  un  changement  aussi 
^rand  et  aussi  subit  dans  riiir.  Ceci  peut 
servir  à  jendre  raison  de  rorgaiiigaiion 
nioiiis  parfaite  que  présentent  les  jparties 
destinées  à  la  respiration  des  poissons  5  struc- 
ture qui  les  met  à  Tabii  de  la  trop  grandie 
influence  que  les  dégénéra  lions  multipliées 
de  ce  fluide  auroient  sur  leurs  organes. 

Les  poissons  que  j'ai  mis  dans  de  Keau 
distillée  y  ont  vécu  ;  ils  ont ,  à  la-  vérité  , 
donné  d'abord  des  signes  de  mal-aise  ;  mais*, 
après  avoir  nagé  quelque  tems ,  iis  n'ont 
plus  paru  souffrir,  lis  avoient  pjobablement 
déterminé  5  par  leur  mouvement,  Teau  à 
s'unir  à  la  portion  d'air ^nécessaiie  à  l'a  res- 
piration. Cependant  un  petit  poisson  en- 
fermé dans  un  flacon  bouché,  cjui  contenoit 
une  pinte  d'eau  distillée ,  y  a  vécu  plus  de 
trente  heures.  Le  sirop  de  violette ,  versé 
en  petite  quantité  sur  de  l'eau  distillée  où 
étoient  des  poissons  vivans ,  n'a  donné  d'abord 
aucun  signe  de  changement  de  couleur,  il 
a  seulement  un  peu  verdi  dans] H\«ii4e,oe 
qui  peut  être  attribué  à  la  partie  alkalescente 
de  la  mucosité  dont  ic  corps  des  poissons 
est  enduit  ,  et  qui  se  mêle  toujoui^s  à 
l'eau  ;  Ils  y  oat  Liés- bien  vécu.  Une  goutte 

T  3 


294  RESPIRATION 

d'acide  arsenical  jetée  dans  une  assez  grande 

quantité  d'eau  ,  où  )  avois  mis  un  poisson 

vigoureux ,  a  suffi  pour  le  faire  mourir  dans 

le  moment.  Sa  gueule  étoit  fermée,  et  les 

opercules  des  ouïes  ramenés  sur  le  corps. 

Un  autre  poisson  a  vécu  six  minutes  dans 

du  suc  de  citron  ;  les  ouvertures  des  ouïes 

éloient  fermées  quand  il  est  mort.  L'eau, 

légèrement  acidulée  au  moyen  de  l'air  fixe , 

a  fait   mourir   dans   quelques    minutes  un 

poisson  vigoureux  ;  sa  gueule  et  l'ouverture 

de  ses  ouïes  étoient  très-béantes;  ceux  que 

i'ai  plongés  dans  de  l'eau  de  chaux ,  ont , 

au  bout  de  quelques  minutes  ,   rejeté  par 

les   ouvertures  des    ouïes  une   sanie   assez 

abondante;  ils  ont  donné   quelques  signes 

de  vie  après  cette  évacuation ,  et  sont  morts 

bientôt    après.    On   sait  que  la  chaux   est 

emploj^ée  à  prendre  les  poissons   dans    les 

étangs,  et  les  anguilles  dans  les  ruisseaux 

où  il  y  a  peu  d'eau ,  et  où  il  suffit  de  jeter 

quelques  pierres   de  chaux  pour  les  faire 

mourir.  Les  pêcheurs  emploient  plusieurs 

autres  moyens  analogues  pour  prendre,  s'il 

est  permis  de  s'exprimer  ainsi,  les  poissons 

par  la  respiration.  Dans  les  Indes  on  emploie 

à  cet  usage  le  suc  de  plusieurs  plantes.  Dans 

nos  provinces  méridionales  on  se  ^ert,  pour 


DES    POISSONS.      295 

le  même  objet  ,  du  suc  d'une  espèce  de 
thytimale  (  euphorbia  characias ,  L.  )  qui 
croît  abondamment  dans  les  lieux  incultes  ; 
on  en  coupe  les  tiges  en  plusieurs  morceaux, 
qu'il  suffit  de  jeter  sur  Teau  pour  faire  mourir 
un  grand  nombre  de  poissons.  On  sait  que  ce 
suc  laiteux  peut  être  répandu  sur  une  grande 
surface. 


T4 


i^9ê         O.BSERVATIONS 

OBSERVATIONS 

SUR      L   E   Çf,      É   T  A   N   G   S^ 


jflpRÈs  avoir  donné  et  rassemblé,  ton l;es 
les  observations  les  plus  propres  à  faire 
connoître  la  nature  des  poissons,  et  avant 
d'entrer  dans  les  détails  relatifs  à  cliaqtie 
espèce ,  je  vais  les  considérer  un  moment 
sous  un  de  leurs  nombreux  rapports  avec 
réconomie  publique;  c'est-à-dire,  examiner 
leur  réunion  dans  les  amas  d'eau  connus 
sous  le  nom  d'étangs. 

Très -multipliés  en  Allemagne  et  dans 
plusieurs  autres  contrées  du  nord  de  TKu- 
rope ,  les  étangs  ont  presque  tous  dis})aiu , 
de  nos  jours  mémej  du  sol  de  îa  France, 
quoiqu'ils  y  fussent  en  assez  grand  nombre. 
A  i  époque  où  cliacun  se  cjut  appelé  à  la 
réforme  des  abus ,  qui  ,  pour  le  malheur 
des  sociétés  humaines,  sont  inséparables  des 
grandes  administrations  ,  les  étangs  furent 
présentés  comme  une  source  de  contagion, 
comme  un  obslacle  aux  progrès  de  l'agri- 
culture, comme  un  principe  de  destruction 


SUR  LES  ETANG5.        097 

pour  les  piailles  semées  dans  leuF  voisinage. 
Ce  fut  en  1791  que  des  écrits  furent  répan- 
dus et  des  discours  prononcés  pour  provo- 
quer leur  anéantissement,  lies  hommes  sages 
qui  savent  que  le  bien  même  devient  un 
mal  quan<l  il  est  introduit  par  de  grandes  et 
trop  brusques  innovations,  et  sans  les  ptré- 
pai-ations  et  les  ménagemens  que  la  pru- 
dence exige;  cesliommes,  dis-je,  s'élevèi^enfc 
contre  une  proscription  trop  générale.  On 
repoussa  leui's  réclamations  par  les»  repa^oches 
d'intérêt  particulier,  d'égoïsme ,  etc.  Ces  cla- 
meurs, qui  commençoient  déjà  à  entraîner 
des  suites  funestes,  étouffèrent  toute  obser- 
vation ,  en  même  tenas  qu  elles  furent  un 
signal  de  la  destruction  de  la  plupart  des 
étangs.  Mon  dessein  n'est  pas  d'entrer  dans 
l'examen  des  avantages  el  des  inconvéniens 
qu'ils  présentent;  et  quelque  importante  que 
soit  cette  discuf?sion  pour  l'économie  pu- 
blique ,  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  s'y  livrer; 
je  m'arrêterai  seulement  à  un  petit  nombre 
d'observations  propres  à  l'éclairer. 

De  tous  les  étangs  ,  ceux  qui  étoient  ma- 
récageux pou  voient  seuls  être  attaq«és>  avec 
raison  ,  relativement  à  la  salubrité  de  l'air; 
mais  presque  tous  les  étangs  de  cette  nature 
étoient  silués>  loin  des  liabil allons., .  et  per- 


298        OBSERVATIONS 

sonne  n'étoit  tenté  de  s'établir  sur  leurs  bordsJ 
De  vastes  marais,  proprement  dits,  subsistent 
encore  sans  utilité  sur  plusieurs  points  de  la 
France,  remplissent  Talmosphère  de  leurs 
exhalaisons  pernicieuses,  et  répandent  sur 
les  générations  qui  se  succèdent  dans  leur 
voisinage  une  pâleur  et  une  bouffissure  ha- 
bituelles, les  épidémies,  et  tous  les  symp- 
tômes d'une  mort  anticipée.  Le  dessèchement 
de  ces  espaces  fangeux  ,  de  ces  fondrières 
pestilentielles  ,  réservoirs  intarissables  de 
maux,  paroissoit  devoir  précéder  celui  des 
étangs  qui  rachetoient  quelques  inconvé- 
niens  par  des  avantages  certains. 

Ces  avantages  étoient  plus  sensibles  encore 
à  regard  des  étangs  non  marécageux  ,  et 
aucune  qualité  nuisible  ne  venoit  les  ba- 
lancer; car  il  est  inutile  de  réfuter  l'objection 
que  l'on  a  faite  contre  les  possesseurs  d'étangs, 
de  ravir  à  la  culture  des  terrains  précieux  ; 
comme  si  les  ressources  alimentaires  pour 
les  hommes  dévoient  se  borner  aux  plantes 
céréales  ;  comme  si  les  poissons  que  l'on 
retiroit  des  étangs  ne  multiplioient  pas  au 
contraire  ces  ressources,  en  les  rendant  plus 
agréables  par  leur  diversité;  comme  si  cette 
sorte  d'agriculture  vivante  ne  donnoit  pas 
d'aussi  grands  produits  que  la  culture  Yégé- 


SUR  LES   ETANGS.        299 

^le;  comme  si  nous  manquions  de  terres  à 
cultiver;  comme  si  enfin  une  exploitation 
bien  dirigée  sur  un  terrain  borné  n'étoit  pas 
plus  profitable  que  celle  qui  s'égare,  pour 
ainsi  dire,  sans  discernement  et  sans  moyens 
sur  une  grande  étendue. 

Un  autre  service  incontestable  que  les 
d'étangs  rendoient  à  l'agriculture ,  étoit  de 
fournir  aux  irrigations  des  terres  qui  les  en- 
tourent, d'y  entretenir  une  humidité  fécon- 
dante ,  de  leur  préparer  un  engrais  par  le 
limon  qui  s'y  amasse ,  les  débris  des  vé- 
gétaux qui  y  croissent  et  les  restes  de  leur 
pêche. 

L'atmosphère,  retenue  par  les  forêts  dont 
la  plupart  des  étangs  étoit  environnée  ,  et 
qui  pour  la  plupart  aussi  sont  tombés  sur 
un  fonds  desséché ,  l'atmosphère  se  char- 
geoit  d'humidité,  s'épaississoit  en  nuages  qui 
versoient  dans  le  canton  des  pluies  plus  rap- 
prochées et  moins  souvent  désirées  qu'elles 
ne  le  sont  à  présent. 

Une  foule  d'oiseaux  aquatiques  peuploient 
les  bords  des  étangs,  sillonnoient  la  surface 
de  leurs  eaux,  et,  en  s'y  réunissant  pour  y 
trouver  une  pâture  abondante  ,  sembloient 
s'empresser  d'offrir  à  l'homme  le  double 
avantage  de  la  chasse  et  de  la  pêche. 


5oo         OBSERVATIONS 

Il  est  facile  de  seiilir  combien  l'on  peut 
étendre  ce  tableau  rapide  des  biens  que  pré- 
sentoient  les  étangs  qui,  par  leur  nature  et 
leur  situation,  ne  })ortoient  pas  les  caractèj  es 
de  la  m  al -faisan  ce-.  Peutrêtre  un  jour  nf  occu- 
perai-je  d'un  travail  qui  oflie  de  rintérét 
sous  plusieurs  points  de  vue  ;  mais  f  on  trou- 
vera dans  cet  ouvrage,  que  je  me  suis  engagé 
à  rendre  d'une  utilité  générale,  la  meilleure 
nianièi  e  de  former  les  étangs ,  de  les  em- 
poissonner ,  de  les  conserver ,  de  les  pé- 
cher, etc.  Cependant ,  ces  deux  premiers 
volumes  étant  plus  particulièrement  con- 
sacrés aux  généralités  de  riiistoire  naturelle 
des  poissons,  je  n'y  parlerai  que  des  effets 
du  froid  sur  ces  animaux  renfexmés  dans  les 
étangs ,  et  du  moyen  de  les  préserver  de  la 
mortalité  que  certains  hyvers  y  occasionnent. 
Ce  que  je  dirai  à  ce  sujet  sera  extrait  d'un 
fort  bon  Mémoire  composé  en  17B9  ,  par 
Varenne  de  Feuille,  membre  de  fancienne 
société  d'agi'iculture  de  Paris  ,  et  éciivain 
célèbre  en  agriculture  et  en  économie  rurale, 

Varenne  de  Fenille  a  fait  ses  observations 
en  Bresse,  sa  patrie.  La  superiicie  des  étangs 
de  cette  contrée  a  été  gelée  en  entier  le 
26  novembre  1788,  et  c'est  seulement  à  la 
ûii  de  janvier  que  la  glace  a  été  entièremeiife 


SUR  LES   ETANGS.        5oi 

fondue.    Elle  a   eu  conimunément   depuis 
seize  à  dix-sept  pouces  d'épaisseur,  à  raison 
de  ce  que  sur  une  première  couche  de  glace 
d  environ  cinq  à  six  pouces  sont  survenus 
de   la  neige ,   puis  du  verglas  ,   puis   de  la 
neige  encore,  puis  un  faux  dégel,  et  enûn 
une  gelée,  telle  que  les  tkermomètres,  après 
s'être  soutenus  pendant  quelque  tems  entre 
quinze  à  dix-sept  dégrés,  sont  descendus  à 
Bourg  à  vingt  dégrés  et  demi  la  nuit  du  5 
au  6  janvier;  en^a  la  dernière  couche  de 
glace  a  été  couverte  d'environ  seize  pouces 
de  neige. 

Ee  dégel  a  commencé  assez  doucement 
le  i5  janvier;  ses  effets  ont  d'abord  été  peu 
sensibles; 'mais  un  vent  violent,  accompagné 
de  pluie,  s'étant  élevé  le  i8  dans  la  partie 
du  sud  y  les  glaces  se  sont  fondues  brusque- 
ment, et  les  rives  des  étangs  ont  été  cou- 
vertes d'une  prodigieuse  quantité  de  poissons 
poussés  par  le  vent  et  par  les  flots. 

La  mortalité  paroissoit  s'augmenter  de 
jour  en  jour,  et  causoit  de  vives  alarmes, 
parce  que ,  indépendamment  de  la  perte 
qui  avoit  été  fort  considérable,  on  avoit 
encore  à  craindre  que  le  poisson  se  corrom- 
pant, Tair  ïien  fut  infecté. 

Le  bailliage  de  Bourg  a  rendu  une  Ordou- 


3o2  OBSERVATIONS 

mance ,  k  la  date  du  29  janvier  ,  pour  faire 
enterrer  le  poisson  mort;  elle  a  été  exécutée 
av^ec  assez  d'exactitude  en  plusieurs  endroits; 
mais  des  nuées  de  corbeaux,  affamés  depuis 
long-tems,  les  loups,  les  renards  et  les  chiens 
ont  dévoré  la  majeure  partie  de  ces  cadavres. 

D'un  autre  côté,  plusieurs  fermiers,  eu 
particulier  ceux  desBIanclières,  appartenant 
à  M.  de  Bellevey ,  y  ont  conduit  leurs  trou- 
X^eaux  de  cochons.  Pendant  huit  jours,  ces 
animaux  y  ont  trouvé  une  nourriture  abon- 
dante, sans  qu'on  se  soit  aperçu  qu'elle  ait 
produit  aucun  mauvais  eifet  sur  eux. 

On  a  d'abord  altiibué  la  mortalité  du 
poisson  uniquement  à  l'intensité  du  froid  et 
à  sa  longue  durée.  11  est  vrai  que  quelques 
poissons  égarés,  engourdis,  surpris  et  privés 
de  la  clarté  du  jour  sous  une  voûte  épaisse 
de  glace  et  de  neige  ,  ont  pu  se  trouver 
encroûtés  dans  la  glace  ;  mais  ce  n'a  jamais 
été  le  plus  grand  nombre;  et  l'on  verra  par 
la  suite  que  la  rigueur  du  froid  n'y  a  con- 
tribué qu^en  laissant  à  une  cause  plus  im- 
médiate la  faculté  de  déployer  toute  son 
énergie. 

D'autres  personnes ,  qui  ne  se  sont  aper- 
çues de  la  mortalité  qu'à  l'époque  du  dégel, 
ont  pensé  que  le  changement  subit  de  tem- 


SUR  LES  ETANGS.        3o5 

pérature  avoit  pu  roccasionner.   Il  semble 
que  ce  soit  le  sentiment  de  M.  Cretté,  cor- 
respondant de  la  société  d'agriculture  ,  au 
Bourget.  Dans  une  lettre,  qu'il  a  écrite  à 
cette  société  pour  la  consulter  sur  ce  désastre, 
il  expose  qu'il  possède  au  Bourget  un  étang 
d'environ  six  arpens,  profond  de  quinze  ou 
dix-huit  pouces  à  son  entrée ,  et  d'environ 
quatre  pieds  à  sa  bonde;  que  le  fond  en  est 
gras  et  bourbeux;  que  néanmoins  les  eaux 
en  sont  claires ,  parce  qu'elles  sont  rafraîchies 
par  des  sources  et  un  ruisseau,  a  La  glace, 
dit  -  il ,    avoit   quatorze    à    quinze    pouces 
d'épaisseur  ;  elle  a  commencé  à  fondre  à  la 
queue  de  l'étang;  le  poisson  s'y  est  porté  en 
abondance  pour  respirer.  Un  cent  ou  deux 
de  carpes  très-vives ,   que  j'y  ai  observées , 
ont  disparu  aussitôt  qu'elles  m'ont  aperçu  ». 
Le  lendemain  y  étant  retourné,  M.  Cretté 
n'en  a  pas  trouvé  une  seule  au  niêïne  en- 
droit; mais,  en  parcourant  les  bords  de  son 
étang,  il  en  a  vu  successivement  f rente  ou 
quarante  mortes  sous  la  glace;  on  l'a  cassée  : 
les    carpes   étoient   parfaitement   saines    et 
fraîches,  et  les  ouvriers  qui  en  ont  mangé 
n'en  ont  pas  été  incommodés.  Le  lendemain , 
le  nombre  des  carpes  mortes  a  augmenté  ; 
M.   Cretté  en  a  fait  retirer  im  cent ,  ou 


5o4  OBSERVATIONS 
envii  oi] ,  de  dessous  la  glace ,  et  soixante  ou 
quatre-vingts  anguilles  qui  avoient  essuyé  le 
même  sort.  Cette  mortalité  a  continué  pen- 
dant quatre  ou  cinq  jours  de  suite  sur  les 
carpes  et  les  anguilles  seulement  ;  il  n^a  péri 
qu'un  seul  brochet ,  et  pas  une  seule  perche 
ni  un  poisson  blanc. 

Jusqu'à  ce  que  M.  Cretté  ait  achevé  la 
pèche  de  son  étang,  on  peut  douter  qu'au- 
cune des  cent  ou  deux  cents  carpes  très- 
vives  qu'il  a  vues  aient  été  au  nombre  de 
celles  qu'il  a  fait  retirer  de  dessous  la  glace , 
et  la  pèche  entière  est  le  seul  moyen  de 
décider  en  pleine  connoissance ,  si  l'époque 
de  la  mortalité  a  précédé  ou  suivi  celle  du 
dégel.  D'ailleurs ,  l'opinion  que  M.  Cretté 
semble  adopter  diffère  absolument  de  celle 
des  autres  propriétaires  et  fermiers  d'étangs. 

Quel  est  donc  le  principe  destructeur  qui, 
à  faide  de  la  gelée ,  a  été  la  cause  immé- 
diate de  la  mortalité? 

Avant  de  répondre,  il  convient  de  rendre 
nn  compte  exact  des  circonstances  qui  l'ont 
accompagnée;  la  comparaison  d'un  grand 
nombre  de  faits  ,  leur  rapprochement ,  et 
quelques  expériences  particulières  permet- 
tront d'asseoir  une  théorie  sur  cet  objet ,  et 
d'indiquer  un  préservatif. 

En 


SUR  LES  ETANGS.         5o5 

Eu  Bresse,  les  étangs  sont  situés  ou  sur  ua 
leriain  d'argile  blanche; 

Ou  sur  une  couche  de  terre  végétale  ou 
limoneuse,  sous  laquelle  se  rencontre  un 
banc,  soit  d'argile^  soit  de  marne  argileuse, 
sans  quoi  l'eau  se  perdroit  par  infiltration; 

Ou  sur  un  texiain  fangeux,  bourbeux  et 
anciennement  marécageux. 

On  concevra  aisément  qu'entre  ces  trois 
classes  principales ,  il  doit  se  ti^ouver  beau- 
coup de  sous- divisions  qui  y  participent  plus 
ou  moins. 

11  croît  très-peu  d'herbe  dans  les  étangs 
situés  sur  Fargile  :  on  les  appelle  étangs 
blancs,  ^ 

Le  labourage  la  détruit  en  partie  sur  les 
étangs  de  la  seconde  classe,  lorsque  ceux-ci 
sont  mis  en  culture  à  la  troisième  année. 
Il  n'est  même  pas  douteux  que  l'herbe  ne  se 
détruisit  presque  entièrement  si  on  laissoit 
les  étangs  en  assec  pendant  deux  années  de 
suite. 

Les  joncs ,  les  roseaux ,  et  une  espèce 
de  gramen  auquel  on  donne  le  nom  de 
brouille  (i),  couvrent  quelquefois  en  entier 

(i)  Ce  gramen  a  été  reconnu  pour  \e  festuca  Jlui' 
tans  ,  paniculâ  ramosa  erectâ  ,  spiculis  subsessilibus 

Poiss.  Tome  II.  y, 


5o6  OBSERVATIONS 

les  étangs  de  la  troisième  classe,  à  moins 
que  Fextrême  profondeur  de  l'eau  n'em- 
pêche ces  végétaux  de  croître  près  de  la 
chaussée. 

î  Voici  maintenant  les  observations  dont 
le  rapport  est  unanime  de  la  part  des  per- 
sonnes interrogées  sur  la  mortalité  dont  il 
est  question. 

i'\  On  ne  s'est  point  aperçu  que  propor- 
tioimelîement  il  y  ait  eu  plus  ou  moins  de 
perte  dans  les  grands  que  dans  ceux  d'une 
médiocre  étendue. 

sP.  Plusieurs  étangs ,  n^ayant  que  trois  à 
quatre  pieds  de  profondeur,  ont  été  entière- 
ment préservés,  tandis  que  la  perte  a  été 
totale  dans  des  étangs  de  huit  à  dix  pieds 
d'eau  près  de  la  bonde ,  et  réciproquement. 
•Ainsi  le  plus  ou  le  moins  de  profondeur  n'a 
été  qu'une  circonstance  indifférente. 

3".  La  perte  a  porté  sur  les  gros  poissons 
comme  sur  les  petits  indistinctement. 

4^.  En  général,  il  paroit  que  la  carpe  est 


teretihus  jautlcis  de  Linnosus.  La  brouille  est  un  mot 
ancien  et  lecîi nique  dans  le  pa5''s  ;  les  vieux  titres 
portent  :  le  droit  de  champéage ,  nczage  et  brouillage 
en  faveur  des  propriétaires  d'une  pie  ^  ou  portion 
d'assec  dans  les  élanî;s. 


SUR    LES   ETANGS.      5o7 

l'espèce  qui  a  le  plus  souffert.  Les  brocliets, 
les  perches,  et  sur -tout  les  tanches  out 
milieux  résisté.  Cependant  la  perte  a  été 
générale  dans  quelques  étangs  de  la  Char- 
treuse de  Montnierie,  ainsi  que  dans  quelques 
étangs  de  la  Dombes. 

5^.  La  précaution  de  faire  des  trous  dans. 
la  glace  pour  donner  de  l'air  au  poisson  a 
été  inutile  (i). 

6"^.  Les  étangs  situés  sur  un  sol  dur  et 
ferme ,  qu'on  nomme  étangs  blancs ,  u'ont 
pas  souffert,  ou  fort  peu. 

7°.  Le  poisson  a  presqu'entièrement  péri 
dans  les  étangs  vaseux,  chargés  de  brouilles, 
lèches  et  roseaux. 

8°.  Les  étangs  nouvellement  construits  et 
réparés,  et  ceux  dont  le  bief  et  la  pêcherie 
étoient  bien  nettoyés,  ont  incomparablement 
moins  souffert  que  les  autres. 

(i)  Cette  proposition  me  semble  trop  générale  ;  j'ai 
peine  à  me  persuader  que  la  précaution  fût  inutile, 
lorsque  par  un  froid  modéré  la  glace  n'a  que  deux  à 
trois  pouces  d'épaisseur  ;  mais  je  conçoi.s  qu'avec  uu 
froid  de  \5  à  i8  dégrés,  ces  soupiraux  ont  dû  se 
refermer  très-promptement ,  et  qu'alors,  loin  d'être 
utiles,  ils  ont  été  nuisibles  ,  en  ce  qu'ils  ont  favorisé 
la  max'aude.  Aussitôt  que  l'on  fait  une  ouverture  à  1*. 
glace ,  le  poisson  y  afflue  )  on  l'y  prend  aisément. 

Y  a 


So8        OBSERVATIONS 

On  nomme  pêcherie  une  enceinte  «issez 
profonde,  placée  en  avant  de  la  chaussée, 
où  le  poisson  se  retire  dans  les  tems  de  la 
pêche ,  à  mesure  que  l'eau  de  Fétang  s'écoule 
par  la  bonde.  Le  bief  principal ,  ou  le  fossé 
dirigé  depuis  la  queue  de  Tétang  jusqu'à  la 
bonde,  y  aboutit.  La  pêcherie  doit  être 
proportionnée  à  l'étendue  de  l'étang.  On 
verra  ci-après  que,  dans  quelques  étangs  où 
il  n'y  avoit  plus  d'eau  que  dans  la  pêcherie, 
le  poisson  s'est  parfliitenient  conservé  (i). 

(i)  Le  propriétaire  ou  fermier  d'étang  doit  avoir 
grand  soin  de  tenir  la  pêclierie  et  le  bief  eu  bon  état., 
malgré  qu'ils  eussent  sept  h  liuit  pieds  de  profondeur 
auprès  de  la  cliaussée.  Plusieurs  étangs  ont  perdu  leur 
poisson  ,  parce  qu'ils  avoient  une  pêcherie  et  un  bief 

pleins  de  boue Les  étangs  chargés  d'herbes  ont 

plus  souffert  que  ceux  d'un  terrain  blanc,  à  moins 
que  les  premiers  n'aient  eu  un  bon  bief,  et  une  pêcherie 
curée  nouvellement. 

Il  est  intéjessant  de  faire  aux  étangv^  de  vastes  et 
tonnes  pêcheries  et  de  larges  biefs  ,  et  de  les  entre- 
tenir bien  curés.  On  sait  par  une  expérience  de  tous 
les  tems  ,  que  si  les  étan;,';s  bourbeux  sont  m:il  entre- 
tenus ,  s'il  survient  de  fortes  gelées  et  beaucoup  de 
ïieige ,  les  poissons  sont  en  danger  de  périr.  Quelque 
peu  d'eau  qu'il  y  ait  dans  un  étang  ,  si  la  pêcherie  et 
le  grand  bief  sont  nouvellement  curés,  les  poissons 
Vy  retirent ,  se  trouvent  sur  un  terrain  ferme,  et  sa 
garantissent  d'être  étouffés.  Aussi  dit- on  proverbia- 
lement ,  pêcherie  neuve  faiù  sûreté  d'élan^. 


SUR   LES   ETANGS.        Soq 

90.  L'opinion  générale  est  que  la  mortalité 
a  précédé  le  dégel  (1). 

Il  ne  sera  pas  hors  de  propos  de  joindre 
à  ces  faits  généraux  le  récit  de  quelques  faits 
particuliers  qui  les  confirment.  Puisqu'il 
s'agit  ici  d'un  objet  qui  tend  à  établir  une 
théorie  sur  l'administration  des  étangs  penr 
dant  les  hyvers  rigoureux,  les  plus  petites 
observations  ne  doivent  pas  être  négligées, 
quand  même  leur  longue  énuméiation  et 
leur  ressemblance  deviendroient  un  peu 
fatigantes. 

M.  de  Montrevel  avoit  fait  construire 
nouvellement  dans  son  parc  de  Châles  unç 
fort  belle  pièce  d'eau,  alimenlée  par  un 
ruisseau  limpide  qui  s'y  jette  après  avoir 

(i)  Les  poissons  étoient  morts  à  l'époque  du  dégeî, 
qui  n'a  point  contribué  à  leur  perte  ;  quelques  -  uns 
viennent  sur  Veau ,  d'autres  demeurent  sur  la  boue  , 
ce  qui  dépend  du  tems  depuis  lequel  ils  sont  noyés. 

Des  observateurs,  peu  familiarisés  avec  de  pareils 
accidens  ,  ont  pu  croire  en  visitant  leurs  étangs ,  où 
ils  n'ont  trouvé  dans  les  premiers  jours  du  dégel 
qu'une  médiocre  quantité  de  poissons  morts  sur  les 
rives ,  que  ceux  qu'ils  y  ont  vus  depuis  en  bien  plus 
grand  nombre  étoient  morts  à  la  suite  du  dégel  ,  mais 
cela  n'est  pas  exact.  Tout  le  poisson  a  péri  dans  le» 
glaces,  ou  a  été  étouffé  dans  les  fonds  vaseux. 

V  3 


5io  OBSERVATIONS 

serpenté  dans  son  parc.  La  pièce  d'eau  est 
empoissonnée  et  n'a  guère  que  cinq  pieds 
de  profondeur  :  on  ne  souffre  pas  qu'il  y 
croisse  ni  joncs,  ni  herbes.  Le  ruisseau  a 
tari  pendant  la  gelée  :  il  n'a  pas  péri  un  seul 
poisson.  A  la  vérité  on  a  cassé  la  glace  de 
tems  en  tenis. 

M.  de  Jalarnondes  a  fait  construire  à  la 
Sardières,  près  de  Bourg,  un  réservoir  d'en- 
viron vingt  mille  pieds  carrés  en  superficie , 
sur  cinq  pieds  de  profondeur,  et  dans  un 
fond  argileux.  L'eau  de  ce  réservoir  n'est 
entretenue  que  par  l'égoût  des  terres  voi- 
sines :  il  a  conservé  tout  son  poisson. 

M.  Gaulhier  de  la  Chapelle  est  proprié- 
taire de  cinq  étangs  près  de  la  petite  ville 
de  Lent  en  Dombes  5  l'un  des  cinq  étoit 
nouvellement  réparé,  et  au  moment  d'être 
péché.  Lorsque  la  gelée  est  survenue ,  il 
s'est  hâté  de  faire  fermer  la  bonde;  elle 
n'avoit  pu  l'être  assez  exactement  pour  em- 
pêcher qu'il  ne  s'écoulât  un  peu  d'eau.  Le 
poisson  s'est  retiré  dans  la  pêcherie^  et  s'y 
est  entièrement  conservé.  11  eu  a  péri  xme 
immense  quantité  dans  les  quatre  autres 
étangs ,  qui  sont  profonds  et  situés  dans  un 
fond  vaseux. 

M.  de  Bellevey  avoit  déposé  une  quantité 


SUR  LES  ETANGS.  3ii 
très  -  considérable  de  fort  beaux  poissons 
dans  un  réservoir  près  de  son  château  de 
Bellevey,-  il  ny  croît  point  d'herbes,  mais 
le  fond  en  est  très- vaseux;  les  carpes  e^t  les 
brochets  y  ont  été  suffoqués;  il  n'a  conservé 
que  les  tanches.  Le  même  accident  est  arrivé 
dans  un  réservoir  situé  au  milieu  d'un  pré, 
sur  un  fond  où  il  ne  croît  point  d'herbes , 
mais  qui  contient  beaucoup  de  vase. 

Don  Armely ,  prieur  de  la  Chartreuse  de 
Moutmerle ,  et  syndic  général  du  clergé  de 
Bresse,  consulté  par  Varennes  de  Fenille, 
lui  répondit  en  ces  termes  : 

Monsieur, 

«  Je  n'ai  pu  répondre  plus  tôt  à  la  lettre 
que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire 
le  23  février,  ayant  eu  besoin  de  consulter 
le  frère  préposé  au  soin  de  nos  étangs,  et 
qui  n'est  arrivé  à  la  maison  que  le  samedi 

soir Voici  ce  que  j'ai  pu  recueillir 

sur  la  mortalité  des  poissons,  et  ce  qui  s'est 
passé  dans  nos  étangs  en  cette  année  désas- 
treuse. 

((  Sur  un  nombre  d'étangs  ,  nous  n'en 
avons  proprement  que  trois  qui  soient  un  peu 
considérables,  et  ce  n'est  que  dans  ces  trois 

V  4 


3i^         OBSERVATIONS 

seuls  que  le  poisson  n'a  pas  péri  :  il  a  pcrî 
dans  tous  les  autres. 

))  Qu'on  n'attribue  point  la  conservation 
du  poisson  à  la  profondeur  des  étangs ,  le 
frère  dont  j'ai  parlé  a  voit  fait  écouler  un 
de  ces  trois  étangs  ,  que  nous  nommons 
pesa  y  ,  un  peu  avant  les  grandes  gelées , 
ne  se  doutant  pas  de  ce  qui  de  voit  arriver; 
il  ne  restoit  que  trois  pieds  d'eau,  et  cepen- 
dant le  poisson  iiy  a  pas  péri  ;  tandis  que, 
dans  un  autre  ar)peîé  les  domhiers ,  qui  a 
neuf  pieds  de  profondeur,  il  ne  s'en  y  est 
pas  conservé  un  seul. 

»  Si  l'introduclion  de  l'air  dans  les  étangs 
glacés  pou  voit  seul  conserver  le  poisson  , 
nous  n'en  aurions  perdu  aucun,  a^-ant  eu 
le  soin  de  rompre  la  glace  en  plusieurs  en- 
droits de  chacun  de  nos  étangs;  mais  puis- 
qu'il n'a  pas  laissé  que  de  périr,  même 
dans  les  étangs  de  peu  d'étendue  ,  malgré 
cette  précaution,  c'est  une  preuve  que  ce 
procédé  ne  suffit  pas  pour  le  garantir  malgré 
son  utilité  apparente. 

»  Jusques-là  voilà  des  faits  ,  maintenant 
voici  des  conjectures  :  j'ai  hésité  si  je  vous 
les  communiquerois,  attendu  que  c'est  le 
résultat  des  observations  de  ce  bon  fière, 
et  qu'elles  oiTrent  quelque  chose  de  singulier. 


SUR   LES   ETANGS.       5i3 

»  Il  prétend  que  c'est  la  brouille,  plante 
fort  commune  dans  les  étangs ,  qui  a  donné 
Ja  mort  au  poisson.  Selon  lui,  là  où   cette 
herbe  a  demeuré  sous  la  glace,  elle  n'a  pu 
exhaler  sa  qualité  maligne  et  sulphureuse, 
elle  a  tué  le  poisson;  il  a  remarqué  que,  dans 
les  trois  étangs  où  le  poisson  s'est  conservé, 
dans  l'un  on  a  voit  arraché  l'heibe  avant  d'y 
mettre  Feau,  dans  les  deux  autres  l'eau  se 
trouvant  assez  basse,  puisqu'il  n'y  en  avoil; 
que   trois  pieds,  la  brouille  est  demeurée 
au  dessus  de  la  glace,  et  n'a  pu  infecter  le 
poisson. 

»  A  l'appui  de  sa  conjecture,  il  cite  un 
phénomène  assez  singulier;  il  m'a  rapporté 
qu'un  jour  de  cet  hj^^ver  où  il  geloit  bien 
fort ,  ayant  été  à  l'étang  dont  j'ai  parlé  plus 
haut,  appelé  les  dombiers,  qui  a  neuf  pieds 
de  profondeur ,  il  s'aperçut  qu'il  y  avoifc 
vers  le  milieu  de  cet  étang  une  ouverture 
d'environ  cinq  pieds  de  circonférence  où  il 
s'étoitfait  un  dégel;  il  examina  la  chose  de 
plus  près,  parce  que  la  glace  portoit  jusqu'à 
la  circonférence  de  ce  trou.  Aucun  vestige 
de  pied  d'homme  ne  se  trou  voit  imprimé 
sur  la  neige  qui  couvroit  Fétaug  dans  ce 
moment,  ce  qui  écartoit  l'idée  que  ce  trou 
fût  l'ouvrage  de  quelqu'un  ;  en  rapprochant 


3i4  OBSERVATIONS 

donc  ses  idées ,  il  ne  douta  point  que  ce 
ne  fût  reflet  de  Ja  matière  sulpfiureuse  de 
la  brouille,  dont  le  fond  de  cet  étang  est 
couvert,  qui  auroit  fondu  la  glace  dans  cet 
endj'oit,  et  s'étoit  fait  par  là  un  passage. 

))  La  malignité  de  la  brouille  m'a  été 
confirmée  par  les  gens  du  pays.  Le  bétail 
qui  en  mange  en  certains  tems,  et  sans  doute 
en  certaine  quantité  (car  il  en  est  avide), 
en  meurt.  Elle  devient  plus  haute  que  celle 
que  je  vous  envoie  pour  la  reconnoître;  ses 
feuilles  flottent  sur  la  surface  des  eaux 

»  Je  suis,  etc.,  signé  Armely,  prieur. 

»  J'ouvre  ma  lettre  à  Seillons  (  autre 
Chartreuse  près  de  Bourg)  pour  y  ajouter 
que  ce  que  je  regardois  comme  un  système 
hasardé  et  une  idée  de  notre  frère,  est  pour- 
tant Topinion  commune.  Ici  et  dans  la 
Bombes  on  attribue  la  mortahté  du  poisson 
à  la  brouille  ». 

Le  bon  frère  a  rapporté  les  choses  h  son 
prieur  comme  il  les  a  vues  ,*  mais  a-t-il  bien 
vu?  Vraisemblablement  la  neige  tombée 
pendant  la  nuit  précédente  avoit  effacé  la 
trace  des  maraudeurs  ;  un  trou  de  cinq  pieds 
étoit  tout  ce  qu'il  leur  en  falloit  pour 
prendre ,  avec  un  piège  ou  à  la  lîiain ,  des 


SUR    LES   ETANGS.       5i5 

poissons  qui,  vivant  depuis  long-tems  dans 
une  obscurité  profonde,  accourent  dès  qu'ils 
voient  la  lumière,  et  viennent  respirer  un 
air  frais.  La  même  cause  auroit  produit  le 
même  phénomène  dans  d'autres  étangs  aussi 
brouilleux  que  lesdombiers,  et  néanmoins 
le  frère  chartreux  est  le  seul  qui  s'en  soit 
aperçu.  Si  le  trou  avoit  été  l'effet  d'une 
chaleur  souterraine,  la  glace  auroit  eu  peu 
d'épaisseur  sur  les  bords ,  et  cependant  il 
en  a  approché;  la  glace  portoit  jusqu'à  l'ori- 
fice ,  etc.  etc.  D'ailleurs  ce  gramen  n  a  par 
lui  -  même  aucune  qualité  mal  -  faisante  ; 
mais,  sans  être  vénéneux  ni  sulphureux , 
comme  le  dit  le  frère  chartreux ,  il  peut 
vicier  l'air  et  l'eau,  ainsi  que  nous  le  ver- 
rons dans  la  suite. 

Le  trèfle  donne  la  mort  au  bétail  lorsqu'il 
en  mange  en  trop  grande  quantité,  et  il  en 
est  également  avide;  on  ne  doit  point  ce- 
pendant en  conclure  que  le  trèfle  porte  un 
caractère  de  malignité.  La  brouille  a  aug- 
menté la  mortalité;  cela  n'est  pas  douteux, 
mais  c'est  en  concourant ,  ainsi  que  la  gelée, 
à  l'action  d'une  cause  plus  immédiate ,  dont 
l'une  et  l'autre  ont  favorisé  le  développe- 
ment. 

Du  rapprochement  et  de  la  comparaison 


5i6         OBSERVATIONS 

de  ces  faits,  on  peut  tirer,  ce  semble,  les 
conclsisioiis  suivantes. 

Il  y  a  eu  des  étangs  où,  sous  un  volume 
d'eau  peu  profond,  le  poisson  s'est  entière- 
ment conservé  ;  donc  ce  n'est  pas  la  gelée 
qui,  dans  d'autres  étangs.  Ta  fait  périr. 

Le  poisson  vit  et  prospère  pendant  Tété 
dans  des  étangs  où  la  brouille  croît  en 
abondance;  donc  la  brouille  n'a,  par  elle-» 
inéme,  aucune  qualité  vénéneuse. 

Pendant  cet  liy ver ,  la  perte  a  été  totale 
dans  des  réservoirs  sans  brouille ,  mais  va- 
seux; donc,  indépendamment  de  la  brouille, 
il  y  a  eu  une  cause  de  mortalité.  Quelle 
est-elle  ?  et  la  réunion  de  tant  de  faits  ne 
conduit -elle  pas  naturellement  à  conclure 
que  c'est  uniquement  à  la  qualité  de  l'air 
que  le  poisson  a  été  forcé  de  respirer,  qu'il 
faut  attribuer  cette  épidémie? 

On  sait  que  les  ouïes  remplissent,  à  l'égard 
des  poissons,  les  mêmes  fonctions  que  les 
poumons  à  l'égard  des  animaux  terrestres. 
Les  poissons  aspirent  Feau  par  la  bouche , 
l'expirent  par  les  ouïes.  Ce  viscère  est  com- 
posé de  parties  innombrables,  mais  néan- 
moins distinctes.  C'est  dans  le  tems  de  l'ex- 
piration et  au  moyen  du  froissement  et  de 
IçL  division  extraordinaires  que  soutirent  les 


SUR  LES  ETANGS.       Zij 

parties  de  Teau,  que  l'air,  qui  y  est  mélangé, 
se  détache  pour  entrer  dans  les  vaisseaux 
capillaires  des  ouïes ,  et  aider  à  la  circu- 
lation du  sang  (i). 

Le  poisson  a  donc  besoin  que  l'air,  dont 
Teau  est  imprégnée ,  soit  d'un  degré  de 
pureté  comparable  à  celui  que  respirent  les 
animaux  terrestres  :  mais  dans  les  étangs 
vaseux,  marécageux  et  brouiileux,  et  sous 
une  croûte  de  glace  de  quinze  pouces  d'é- 
fiaisseur,  qui  a  duré  plus  de  six  semaines, 
l'air,  partie  constituante  de  l'eau,  et  qui  y 
est  en  quelque  sorte  dissous,  n'a -t- il  pas 
dû  se  corrompre  à  la  longue ,  causer  enfui 
«ne  sorte  d'asphixie  au  poisson,  non  pas  k 
la  vérité  aussi  prompte  que  celle  que  l'on 
parvient  à  lui  donner  par  artifice  ,  mais 
capable  de  le  rendre  malade  et  de  le  faire 
^rir  ? 

On  avoit  déjà  reconnu  depuis  long-tems 
qu'il  s'exhale  continuellement  du  fond  des 
îmarais  un  air  fétide  et  corrompu,  qui  n'en- 
gendre que  trop  souvent  des  épidémies  mor- 


(i)  Voyez  dans  ce  volume  le  Mémoire  de  Duverney 
sur  la  circulation  du  sang  des  poissons  qui  ont  des 
ouïes  ,  et  sur  leur  respiration  j  et  le  ISIémoire  sur  la 
^•espiration  des  poissons  ,  par  iiroussonei*  . 


3i8  OBSERVATIONS 

telles,  A  la  vérité  ces  émanations  sont  plus 
nombreuses  quand  la  chaleur  en  favorise 
Textraction  et  le  développement ,  et  voilà 
pourquoi  les  pays  marécageux  sont  plus 
mal -sains  pendant  l'été.  Mais  il  en  sort 
dans  tous  les  tems,  et  il  suffit  de  remuer 
le  fond  des  maiais  pendant  Tliyver  pour 
s'en  convaincre,  par  la  quantité  de  bulles 
d'air  qui  s'élèvent  et  viennent  crever  sur  la 
surface. 

Les  magnifiques  expériences  faites  de  nos 
jours  sur  Fair  et  sur  les  substances  aériformes 
nous  ont  appiis  la  naluie  de  celui  qui  s'é- 
chappe des  marais  :  on  lui  a  donné  indiffé- 
remment le  nom  de  gaz  inflammable  mofé- 
tisé ,  et  d'air  inflammable  des  marais;  on  y 
a  aussi  reconnu  ja  présence  de  lair  crayeux 
ou  air  fixe  (i).  Ce  gaz  de  marais  est  produit 

(i)  Voyez  les  Elémens  d'histoire  naturelle  et  do 
cliimie  ,  par  Fourcroy,  pag.  40  du  Discours  prélimi- 
naire ,  et  l'Essai  analytique  sur  différentes  espèces 
d'air  ,  par  DelameLherie  ,  pag.  78.  La  présence  de 
l'air  fixe  ,  dans  le  gaz  des  marais  ,  paroît  encore  indi- 
quée par  ces  vapeurs  blanches  ,  plus  épaisses  que  le 
brouillard  ,  qui  ne  s'élèvent  qu'à  un  ou  deux  pieds 
sur  la  surface  des  marais  à  la  fin  d'un  beau  jour  d'été, 
et  qui  ressemblent  à  la  fumée  des  corps  enflammé* 
qu'on  éteint  en  les  plongeant  dans  l'air  fixe  d'une 


SÛR   LES   ETANGS.       Siq 

par  les  matières  végétales  et  les  substances 
animales  qui  pourrissent  dans  Feauj  il  se 
dégage  des  marais,  des  étangs,  des  égoûts, 
des  latrines.  11  paroît  qu'il  est  composé  de 
trois  substances  aériformes  mélangées  à  diffé- 
rentes doses  :  savoir,  Fair  fixe,  la  mofète 
et  l'air  inflamtnable  ;  quoi  qu'il  en  soit ,  et 
sans  entrer  dans  une  dissertation  sur  la 
théorie  des  airs,  qui  n'est  point  de  ce  sujet, 
il  suffit  de  savoir  que  ni  l'air  inflammable, 
ni  la  mofète ,  ni  l'air  fixe  ne  sont  pas  respi- 
rables,  et  que  le  poisson  a  besoin  de  respirer. 
Maintenant,  si  Fou  rapproche  les  circons- 
tances dans  lesquelles  le  poisson  a  péri  dans 
les  étangs,  de  celles  où  il  a  été  conservé, 
on  recounoîtra  que  la  mortalité  a  été  d'au- 
tant plus  grande,  qu'il  a  du  se  rencontrer 


cuve  en  fermentation.  Si  cette  vapeur  s'élève  un 
peu  ,  on  sent  qu'elle  picotte  les  yeux  ;  c'est  alors  que 
l'odeur  des  marais  est  plus  fétide  et  plus  dangereuse 
à  respirer  ;  à  peine  au  contraire  la  sent-on  pendant  la 
clialeur  du  jour  ,  sans  doute  parce  que  pendant  le  jour 
les  plantes  des  marais  aspirent  de  l'air  fixe,  expirent 
de  l'air  pur ,  et  que  le  contraire  arrive  pendant  la 
nuit  ;  et  tout  porte  à  croire  que  cette  propriété  des 
végétaux ,  en  général  ,  est  plus  prononcée  dans  les 
plantes  aquatiques  que  dans  celles  qui  croissent  sur 
au  terraiu  seo. 


520  OBSERVATIONS 
plus  de  matière  propre  à  produire  du  gaz 
iailam niable ,  mofétisé,  et  de  Fair  fixe. 
,  La  vase  iresl  que  le  résidu  de  la  stercora- 
tion  et  de  la  transpiration  abondante  des 
poissons,  du  suc  des  terres  qui  s'égouttent 
dans  les  étangs,  et  de  cette  innombrable 
quantité  d'insectes  qui  naissent,  croissent, 
nmltipîient  et  périssent  dans  les  eaux  sta- 
gnantes. 

Pius  il  y  a  eu  de  vase  rassemblée,  plus 
la  fermentation  a  été  excitée,  plus  il  a  dû 
se  former  de  gaz  inflammable  mêlé  de  mo- 
iète.  A  regard  de  Tair  fixe,  comme  l'eau 
en  est  avide ,  elle  s'en  est  emparée  ;  mais 
on  verra  bientôt  à  quel  point  Feau  impré- 
gnée d'air  fixe  est  mortelle  au  poisson. 

La  brouille  a  augmenté  la  corruption. 
Cette  plante,  ne  se  trouvant  plus  en  contact 
avec  l'air  extéideur^  est  tombée  en  pourri- 
ture ,  et  la  pouriiture  a  produit  un  gaz  qui 
li'étoit  plus  respirable.  Cette  substance  aéri- 
forme  s'est  élevée  au  dessus  de  feau ,  d'où 
eJle  n'a  pu  se  dégager  sous  une  croûte  glacée 
de  quinze  à  seize  pouces  d'épaisseur. 

Le  poisson  n'a  donc  plus  eu  que  de  l'air 
en  ])arlie  méphitique  à  respirer;  il  a  com- 
mencé par  souffrir,  puis  il  a  été  malade  , 
enim  il  a  péri.  Suivant  toute  apparence  sa 

mort 


SUR   LES    ETANGS.        5^1 

piorh  a  été  d'autant  plus  piompfe,  et  l'cpi- 
demie  d'aiitauL  plus  générale  ,  que  les  causes 
de  niortalilé  ont  été  plus  abondantes  et  plus 
actives.  On  n'a  pu  faire  à  cet  égard  d'obser- 
vations ,  tant  que  la  gelée  a  duré;  mais  iL 
est  certain  que  les  poissons,  avant  de  périr, 
ont  été  très- languissans  :  ils  avoient  perdu 
leurs  forces  ,  et  la  qualité  de  l'air  qu'ils 
Yen  oient  chercher  à  la  surface  de  l'eau  ,  a^ 
augmenté  leur  engourdissement  au  point 
qu'on  en  a  trouvé  dont  les  nagepijes  dor- 
sales  étoient  collées  contre  la  glace,  quoique 
le  corps  flottât  dans  l'eau  (i). 

(i)  C'est  ainsi  que  Vaienne  de  Fenille  a  perdu  ses 
dorades  de  la  Chine.  Depuis  plusieurs  années  il  avoit 
coutume  de  les  traiisporler  avant  l'Iiyver  des  liassiiiS; 
<le  sou  jardin  dans  un  canal.  Il  avoit  fait  placer  vm- 
tonneau  à  une  des  extrémités  de  ce  canal,  où  ,  jusqu'à, 
cette  année  (1788),  il  n'avoit  point  gelé,  parce  ((ii'il, 
s'y  trouve  quelques  sources.  Le  tonneau  a  été  percé;^ 
en  divers  endroits  avec  une  tarière  au  dessous  du. 
niveau  de  l'eau.  C'est  là  que  les  poissons  rouges,, 
étoient  renfermés.  Le  fond  du  canal  est  Irès-vaseux.. 
La  superficie  en  a  f^elé  entièreaient  ;  mais  ,  à  l'endroit 
dont  on  parle,  l'épaisseur  de  la  ^qlace  n'avoit  guère, 
que  deux  à  trois  pouces. 

Le  jardinier  avoit  cassé  la  glace  à  différentes  fois, 
et  Tavoit  jetée  hors  du  tonneau  j  mais,  ayant  cons- 

Foiss,  Tome  II.  X 


523  OBSERVATIONS 

Après  avoir  remonté  des  effets  à  la  cause 
pour  la  couiioître ,  la  vérité  de  cette  décou- 
verte ne  seroit  ni  contestable  ni  douteuse , 
si  de  celle  cause  on  oblenoit  les  mcoies 
effets,  c'est-à-dire,  si  l'on  parvenoit  à  donner 
artificiellement  au  poisson  la  même  maladie 
qu'il  avoit  éprouvée  naturellement  par  le 
concours  des  circonstances  dont  la  rigueur 
de  l'hyver  l'avoit  rendu  victime. 

Première     expérience. 

Le  6  mars  ,  à  onze  heures  et  demie  du 
matin,  on  a  placé  sur  Fappareil  pneumato- 
chimique  une  cloche  de  verre  remplie  d'eau, 

tamment  aperçu  les  doracles  an  fond  de  l'ean  et  bien 
portantes  en  apparence ,  il  avoit  depuis  négligé  cette 
précaution.  Au  dégel  ,  on  en  a  trouvé  dix  à  douze 
collées  contre  la  glace  par  l'épine  dorsale  ;  toutes 
les  autres  étoient  mortes  et  couchées  sur  leur  côté 
au  fond  du  tonneau.  Ce  petit  fait  a  été  accompagné 
d'une  circonstance  remarquable.  Le  jardinier  a  assnré 
que  toutes  les  fais  qu'il  avoit  cassé  la  glace  ,  il  en 
étoit  sorti  de  l'air  comme  d'un  soufflet.  La  même 
remarque  avoit  été  faite  par  plusieurs  de  ceux  qui 
avoient  percé  la  glace  de  leurs  étangs.  Ce  fait ,  bien 
avéré,  prouveroit  invinciblement  la  formation  récente 
d'un  nouvel  air ,  produit  par  une  fermentation  inté- 
rieure. 


SUR  LES  ETANGS.  3it5 
dans  laquelle  éfoient  deux  tanches  d'enviroit 
sept  pouces  de  longueur  et  fort  vives  ;  en- 
suite Von  a  réduit  Feau  qu'elle  contenoit  à 
environ  moitié,  en  y  introduisant  de  l'air 
inil a rn niable  produit  par  la  limaille  de  fer 
et  l'acide  vitriolique  ;  les  deux  tanches  se 
sont  d'abord  fort  agitées  ,  leur  respiration 
étoit  précipitée,  elles  remontoicnt  du  fond 
du  vase  à  la  superficie  de  l'eau  ,  et  redes-^ 
cendoient  avec  précipitation.  A  ces  grands 
mouvemens  ,  qui  ont  duré  environ  une 
heure  ,  ont  succédé  des  instaus  de  repos  , 
puis  de  nouvelles  agitations  ,  mais  de  plus 
courte  durée  que  les  premières.  Ces  deux 
animaux  se  sont  affoiblis  de  plus  en  plus  , 
leur  agonie  a  été  très-longue.  Plusieurs  fois 
on  les  a  crus  morts  ,  même  dans  la  journée 
du  six  ;  cependant  ils  respiroient  encore  , 
mais  le  mouvement  de  leurs  lèvres  se  ralen- 
tissoit  de  plus  en  plus  ;  l'orifice  de  la  bouche 
ne  faisoit  que  s'entr'ouvrir  ,  ainsi  que  la 
Conque  de  leurs  ouïes.  L'une  des  deux 
tanches  a  paru  décidément  morte  le  7  à 
neuf  heures  du  soir,  et  la  seconde  étoit  aa 
dernier  degré  d  affbiblissement  à  minuit.    ! 

Expérience    II. 

Jl  11  heures  et  5o  minutes;  au  moyen  du 


024  OBSERVATIONS 
même  appareil,  et  sous  un  autre  récipient; 
Ton  a  îiUroduit  deux  brochels  d'environ 
liuit  pouces  de  longueur  ,  et  l'on  y  a  fait 
passer  pareillement  de  Tair  inflammable. 
■Les  brochets  sont  entrés  sur  le  champ  dans 
une  grande  agitation  ;  ils  élançoient  leur 
tête  hors  de  Feau ,  et  la  replongeoient  bien 
vite.  Le  mouvement  de  leurs  ouïes  et  des 
opercules  qui  les  couvrent  étoit  visible,  mais 
ils  se  sont  bientôt  afïbiblis,*  l'un  d'eux,  ren- 
versé sur  le  ventre,  respiroit  encore  à  trois 
heures,  l'autre  est  mort  une  demi-  heure 
après.  Au  surplus ,  il  est  assez  difficile  de 
saisir  l'instant  où  un  poisson  expire  ;  quel- 
quefois on  le  croit  mort  qu'il  n'en  est  rien,; 
un  moment  après  on  le  voit  donner  encore 
quelques  signes  de  vie.  Tous  les  brochets  que 
J'on  a  asphixiés  avoie^ut  la  bouche  ouverte 
après  leur  mort. 

Expériencjî:    III. 

L'on  a  fait  de  l'éir  mofétique ,  en  laissant 
éteindre  une  chandelle  sous  un  bocal  dont 
l'orihce  baignoit  dans  l'eau  (i).  A  l'aide  de 
l'appareil  pneumato  -  chimique  ,  l'on  a  fait 

(i)  On  sait  que  la  flamme  ,  après  avoir  brûlé  la 
^lus  grande  pcirtie  de  l'air  pur  c[ae  contient  l'air  q^u© 


SUR   LES   ETANGS.        325 

passer  cette  mofète  sous  une  cloche,  ensuite 
Ton  y  a  introduit  à  peu  près  une  quantité 
égale  d'air  inflanuiiable.  Ces  deux  substances 
aéri formes, mélangées  de  la  sorte, occupoient 
environ  la  moitié  de  la  cloche.  Deux  bro- 
chets ont  été  introduits  dans  Feau  qui  rem- 
plissoit  l'autre  moitié.  L'on  a  remarqué  les 
mêmes  convulsions  ,  les  mêmes  afïoiblisse- 
niens  que  dans  l'expérience  précédente,  mais 
les  deux  brochets  ont  vécu  environ  une 
heure  de  moins. 

Expérience    IV. 

L'on  a  produit  de  l'air  fixe  par  la  disso- 
lution de  la  craie  dans  l'esprit  de  vitriol 
affoibli.  Après  eu  avoir  saturé  l'eau  de 
quatre  grands  flacons,  cette  eau  a  été  versée 
dans  une  cloche  de  verre  ;  on  a  placé  la 
cloche  sous  l'appareil  pneumato-chimique  , 
et  l'on  y  a  introduit  une  nouvelle  dose  d'air 
fixe.  C'est  dans  cette  eau  ainsi  préparée 
qu'on  a  fait  entrer  un  brochet  d'environ 
neuf  pouces  de  longueur.- 

nous  respirons,  s'éteint;  que  l'eau  monte  dans  ïc 
bocal  à  mesure  que  l'air  pur  se  consume  ,  et  que 
le  lésidn  n'est  plni  que  de  Tair  irrespirable  qu'on 
a   nouinié  mofîle. 

X  3 


526        OBSERVATIONS 

Rien  n'approche  des  convulsions  où  ce 
bain  a  jeté  ce  pauvre  animal  ;  tantôt  il 
s'élançoifc  hors  de  l'eau  avec  fureur,  tantôt 
il  lui  prenoit  des  tremblemens  ,  quelquefois 
il  ouvroit  la  bouche,  qu'il  avoit  énormé- 
ment grande,  comme  s'il  eût  voulu  engloutir 
Line  proie ,  et  la  refermoit  plus  vivement 
encore.  Son  corps  se  replioit  en  demi-cercle, 
et  changeoit  bien  vite  de  situation.  L'on  ne 
s'est  pas  aperçu  qu'il  ait  ouvert  la  bouche 
pour  respirer,  et  qu'il  ait  entr'ouvert  les 
ouïes;  on  n'apercevoit  qu'un  peu  de  mou- 
vement sous  la  gorge.  Cependant  il  a  vécu 
plus  d'une  heure  ,  mais  la  violence  de  ses 
inouveniens  étoit  déjà  fort  ralentie  aj^rès  le 
premier  quart-d'héure  ,*  la  bouche  est  restée 
béante  après  la  mort  :  il  est  singulièrement 
remarquable  que  l'eau  imprégnée  d'air  fixe, 
qui  est  devenu  un  remède  pour  les  hommes, 
soit  le  fluide  le  plus  délétère  de  tous  pour 
les  poissons. 

Expérience    V. 

Le  même  jour  à  midi ,  sous  un  récipient 
rempli  d'eau  de  ]  ivière  et  d'air  commun ,  à 
peu  près  également,  l'on  a  enfermé  deux 
tanches  et  un  brochet.  Le  récipient  portoifc 
îieuf  pouces  de  diamètre,   et  dix  pouces 


SUR    LES   ETANGS.      527 

environ  de  hauteur.  Le  brochet  vivoit  en- 
core le  12  mars  au  soir,  mais  paroissoit 
languissant  :  il  est  mort  pendant  la  nuit.  Les 
deux  tanches  ont  vécu,  l'une  neuf  jours, 
l'autre  dix.  Ces  trois  animaux  n'ont  paru 
commencer  à  souffrir  qu'un  jour  avant  leur 
mort.  L'eau  du  récipient  est  devenue  terne 
dès  le  premier  jour,  et  fort  trouble  par  la 
suite. 

Le  9  mars,  l'on  a  placé  deux  carpes,  efc 
de  la  même  manièie ,  sous  une  cloche  de 
jardin  d'un  assez  petit  volume.  Elles  sont 
mortes  toutes  deux  le  i5,  l'une  le  matin, 
l'autre  le  soir.  Leur  eau  s'est  également 
troublée  assez  promptemenL,  et  avoit  pris 
une  odeur  de  poisson  très-forte. 

Expérience     VT. 

Le  mardi  9  mars,  h  10  hernies  55  minutes 
du  matin ,  l'on  a  renfermé ,  sous  un  récipient 
plein  d'eau,  deux  carpes  de  celles  qu'on 
appelle  ejnpoissonnage  de  deux  ans  :  Ton  y 
a  introduit  de  l'air  inflammable.  Les  carpes 
ont  paru  d'abord  fort  agitées,  ensuite  plus 
tranquilles  ;  elles  étoient  au  fond  du  vase , 
respirant,  mais  languissantes,  à  4  heures  du 
soir;  elles  paroissoient  à  peu  près  dans  Je 
même  état  à  minuit.  Le  lendemain,  à  S 

X4 


9^8  OBSERVATIONS 

heures  du  malin,  i'uue  des  deux  éloif  déci- 
démeut  morle  et  couchée  sur  le  colé  ,  au 
dessus  de  Feau;  Fautre,  également  couchée, 
donuoit  encore  quelques  signes  de  vie  à 
midi  :  niorie  à  2  heures. 

Expérience     VII. 

Ail  heures  10  minutes ,  Fon  a  placé  deux 
carpes  ,  semblables  à  celles  de  la  sixième 
expéiience,  sous  de  Fair  inflammable  mo- 
fétisé.  Grandes  convulsions  et  agitations  dans 
les  premiers  inslans;  quantité  d'écaillés  qui, 
détachées  du  corps  de  ces  animaux ,  flot- 
toient  dans  Feau  au  gré  de  leurs  mouvcmens. 
A  une  heure,  Fune  des  carpes  nageoit  sur  la 
surface  de  l'eau ,  et  sur  le  côté  ;  Fautre  étoit 
languissante  au  fond  du  bocal.  La  première 
est  morte  à  5  heures,*  la  seconde  étoit  au 
fond  du  vase  tiès-languissante  et  respirant  à 
peine;  même  élat  à  minuit.  On  Fa  trouvée 
nior^e  le  lendemain  à  8  heures,  et  au  dessus 
de  la  surface  de  Feau. 

Expérience     VIII. 

A  11  heures  28  minutes,  on  a  mis  une 
pelite  carpe  sous  de  Fair  mofélisé,  mais  sans 
addition  d'air  inOammable.  Mouvemens  con- 
yulsiiS  d'abord  :  languissante  à  une  heure, 


SVR   LES   ETANCxS.      529 

cherchant  à  respirer  au  fond  du  bocal  ,  la 
tête  basse  et  le  corps  élevé,  quelquefois  sur 
Je  côlé,  mais  pas  long-tems;  même  élat  à 
4  heures,  à  minuit,  à  8  heures  du  lende- 
main, à  3  heures  après  midi;  languissante 
pendant  la  jourhée  du  u  ,  morte  dans  la 
nuit  du  11  au  12  :  elle  a  vécu  plus  de  deux 
jours  et  demi. 

Expérience  I  X. 
Ail  heures  et  demie,  l'on  a  placé  une 
carpe  sous  un  récipient  rempli  d'eau  de 
rivièie,*  ensuite  on  y  a  introduit  une  assez 
médiocre  quantité  d'air  fixe.  La  carpe  a 
d'abord  paru  assez  tranquille;  mais,  à  me- - 
sure  que  l'eau  absorboit  l'air  ûxe ,  elle  est 
entrée  en  convulsions  ;  grands  mouvemens 
à  11  heures  48  heures,  à  une  heure  sur  le 
côté,  entre  deux  eaux,  respirant  à  peine; 
morte  à  2  heures ,  couchée  sur  le  côté ,  et 
le  corps  plié  en  arc  au  dessus  de  l'eau ,  et 
même  îe  ventre  touchoit  le  bocal;  car  l'air 
fixe  avoit  été  presque  entièrement  absorbé. 

Expérience     X. 
A  midi ,  l'on  a  répété  la  quatrième  ex- 
périence sous    un  grand   récipient ,  sur  un 
brochet,  une  cai'pe  et  une  tanche  renfermés 
ensemble.  Mêmes  mouvemens   convulsifs-. 


33o         OBSERVATIONS 

mêmes  trembîemens  subits,  mais  plus  pro- 
noncés sur  le  brochet;  celui-ci  paroissoit 
mort  à  midi  20  minutes  ,*  à  une  heuie  Ton 
aperçut  encore  quelques  mouvemens.  La 
carpe  étoit  très-languissante,  et  entr'ouvroit 
les  lèvres,  ainsi  que  les  ouïes,  de  tems  en 
tems,  et  foiblement.  Elle  étoit  morte  à  3 
heures,  et  la  tanche  à  8  heures  du  soir. 

On  pourroit  multiplier  ces  expériences 
et  les  varier  à  Tinfîni;  on  pourroit,  par 
exemple,  faire  respirer  de  Tair  déphlogisti- 
qué,  ou  air  pur,  au  poisson,  et  voir  de 
combien,  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  sa 
vie  en  seroit  prolongée;  mais  les  connois- 
sances  qui  en  résuîteroient,  ayant  un  rap- 
port plus  immédiat  à  Fliistoire  naturelle  du 
poisson  qu'à  l'objet  qui  nous  occupe,  il  a 
paru  suffisant  qu'on  pût  conclure  de  ces 
expériences  ; 

ï^.  Que  c'est  le  défaut  d'air  respirable  qui 
a  été  la  vraie  et  la  seule  cause  de  |.i  mor- 
talité du  poisson  pendant  l'hyver  de  1788 
à  1789;  « 

2°.  Que  de  tous  les  airs,  c'est  l'air  fixe 
qui  lui  donne  le  plus  proniptement  la  mort; 

3".  Que  l'air  inflammable  seul  et  l'air 
inflammable  mofétisé  lui  ont  été  à  peu  près 
également  funestes; 


SUR  LES  ETANGS.  33i 
40.  Que  l'air  mofétisé  seulement  est  moins 
délétère;  sans  doute  parce  que  la  flamme, 
avant  de  s'éteindre,  ne  consume  qii'ime 
portion  de  l'air  vital  par  excellence  ou  air 
pur,  qui  n'entre  que  pour  un  peu  plus  du 
quart  dans  l'air  que  nous  respirons,  et  que 
Teau  dans  laquelle  nageoit  le  poisson,  étant 
elle-même  imprégnée  d'une  grande  quan- 
tité d'air  vital ,  le  poisson  a  du  le  consommer 
avant  de  périr; 

5^.  Que  la  tanche  est  l'espèce  de  poisson 
qui  a  le  f)lus  long-tems  résisté,  quelque  part 
que  ce  fût; 

6®.  Que  les  poissons  de  la  cinquième  ex- 
périence n'ont  pas  même  pu  résister  à  la 
niofète  qu'ils  ont  produite  en  respirant,  con- 
sommant et  dénaturant  l'air  pur  renfermé 
avec  eux  dans  l'espace  011  ils  nageoient  : 
espace  à  la  vérité  fort  petit,  puisqu'il  n'équi- 
vaut qu'au  tiers  d'un  pied  cube  envi  ion. 
On  sait  que  des  animaux  terrestres,  qu'où 
tiendroit  enfermés  long-tems  dans  un  lieu 
où  l'air  ne  se  renouveileroit  pas ,  péiiroient 
également  (1). 

(1)  Broussonet  a  fait  mourir  en  quelques  minutes 
un  poisson  vigoureux  dans  de  l'eau  légèrement  aci- 
dulée ,  au  moyen  de  l'air  fixe. 


332         OBSERVATIONS 

Comme  l'eau  s'est  beaucoup  troublée,  et 
que  les  déjections  des  poissons  ont  été  abon- 
dantes, cette  circonstance  a  pu  augmenter 
Ja  coiTuption  de  Teau  :  néanmoins  ils  ont 
beaucoup  plus  vécu  que  les  poissons  des 
autres  expériences  :  et  cela  devoit  être.  En 
même  tems  Ton  remarquera  que,  s'il  a  fallu 
cinq  jours  au  moins  robuste  de  ces  animaux 
pour  vicier  Fair,  au  point  de  le  rendre  irres- 
pirable dans  l'espace  qu'il  occupoit,  ce  seroit 
seulement  au  bout  de  soixante  jours  que 
108,900  poissons,  d'un  semblable  volume, 
parviendroient  à  vicier  au  même  point  l'eau 
d'un  étang  d'un  arpent  d'étendue,  et  de 
trois  pieds  de  profondeur  (1). 

(î)  Ce  calcul  est  simple.  Un  arpent  de  48,400  pieds 
carrés  sur  3  pieds  de  liciutcur  ,  conlient  455,6oo  tiers 
de  pied  cube.  Multipliez  ce  nombre  par  5  ,  qui  est 
celui  des  poissons,  vous  aurez  i,5o6,8oo  ;  multipliez 
ce  dernier  nombre  par  5  ,  qui  est  le  nombre  de  jours 
que  le  plus  foible  des  poissons  a  vécu  ,  vous  aurez 
6,554>ooo  ;  divisez  r),554j000  par  60 ,  le  quotient  sera  , 
comme  il  est  dit  ci-dessus  ,  108,900. 


SUR  LES   ETANGS.       333 

Pr ÉsERrATiFS  cojitve  la  mortalité 
.    du  Poisson  dans  les  étangs  pendant 
les  grands  hypers. 

Ces   préservalifs  s'indiquenl:,  pour  ainsi 
dire,  d'eux-mêmes,  avec  d'autant  plus  de 
justesse  qu'ils  tirent  leurs  principes  des  ex- 
ceptions particulières  au  désastre  commun 
dont  la  cause  a*  été  l'objet   des  recherches , 
Les  précautions  à  prendre  exigent  plus  de 
soins  que  de  dépenses. 
'    Si  l'étang  est  naturellement  vaseux,  don- 
nez au  bief  huit  à  dix  pieds  de  largeur ,  et 
approfondissez-le  jusquà  ce  que  vous  trou- 
viez   le   terrain  ferme  ;    donnez   au  moins 
l'angle  de  quarante-cinq  dégrés  aux  pentes 
riveraines,    afin  que  la  terre  des  bords  ne 
retombe  point  dans  le  bief,  et  élablissez  près 
de  la  chaussée  urle  vaste  et  large  pêcherie, 
proportionnée    à    la   grandeur    de   Fétang  ; 
enlevez -en  soigneusement  toute  la  vase; 
formez-en  des  tas  sur  les  bords;  laissez-les 
s'égouter.    Lorsque    le   sol   de    l'étang   seia 
assez   sec  pour   permettre   le  transport   de 
cette  vase,  vuidez-en  l'étang,  rassemblez-la 
en  un  monceau  ,   laissez  -  la    fermenter   et 
reposer  pendant  un  an ,    sans  y  touchei^/ 


334         OBSERVATIONS 

remuez-la  ensuite  une  couple  de  fois,  pour 
qu'elle  se  façonne  à  la  gelée  et  au  soleil. 
Au  bout  de  dix -huit  mois  ou  deux  ans, 
répandez-la  suj-  les  guérets.  C'est  Vun  des 
plus  ptsissans  engrais  et  des  plus  durables 
qui  existent,  sur-tout  pour  les  terres  sablon- 
neuses; on  en  a  rexpérience.  Si  Ton  se  presse 
de  répandre  cette  vase  avant  qu'elle  ait 
fermenté,  on  trouvera  qu'elle  refroidit  le 
terrain  ;  il  faut  lui  donner  le  tems  nécessaire 
pour  que  les  parties  graisseuses  qu'elle  con- 
tient en  abondance  soient  changées  en  mo- 
lécules savonneuses.  On  hâtera  sa  jouissance 
en  y  faisant  éteindre  de  la  chaux,  lit  sur 
lit,*  environ  une  partie  de  chaux  sur  huit 
a  dix  parties  de  vase.  Ce  mélange  portera  la 
fertilité  par-tout  où  il  sera  répandu ,  mémo 
en  assez  petite  quantité. 

Si  l'étang  est  brouilleux ,  laissez  -  le  an 
moins  deux  ans  de  suite  en  culture;  le 
poisson  en  prontera  mieux ,  et  ce  gramen 
se  détruira  insensiblement ,  puisque,  pour 
croître,  il  demande  d'étie  baigné  d'eau: 
Comment  veut-on  qu'il  se  détiuise  par  une 
seule  année  d'assec?  On  auroit  beau  l'arra- 
cher, il  se  multiplieroit  par  les  graines,  efe 
la  graine  est  encore  adliérente  à  l'épi  au 
tems  de  la  pêche.  Iujcî.ii'j 


SUR   LES   ETANGS.       355 

Si ,  malgré  les  précaulions  qu'on  auroit 
prises,  ou  faute  de  les  avoir  piises,  un  éLang 
étoit  couvert  de  brouille,  et  qu'il  survînt 
une  violente  gelée,  levez  la  bonde  et  laissez 
couler  Teau  jusqu'à  ce  qu'elle  ne  baigne 
plus  la  brouille ,  qui  pour  Tordinaire  se 
trouvée  en  plus  grande  quantité  à  la  queue 
de  l'étang;  le  poisson  se  retirera  dans  le  bief 
et  dans  la  pêcherie,  que  je  suppose  avoir 
été  bien  curés,  et  d'où  il  ne  s'élèvera  ni  air 
inflammable  ni  mofète.  D'ailleurs  l'eau  ne 
peut  s'écouler  sans  qu'il  n'entre  sous  la  glace 
un  égale  volume  d'air,  qui  empêchera  que 
le  poisson  ne  vicie  la  portion  d'eau  dans 
laquelle  il  se  sera  retiré. 

On  ne  doit  pas  craindre  que  l'étang 
manque  d'eau  par  la  suite.  Il  est  fort  rare 
qu'une  gelée  de  longue  durée  se  passe  sans 
neige,  ni  que  le  dégel  se  passe  sans  pluie. 
De  plus,  ordinairement  une  crue  d'eau  suit 
le  dégel. 

Les  faits  généraux  qui  viennent  "d'être 
tracés ,  et  dont  la  description  mérite  plus 
d'étendue  qu'on  ne  leur  en  a  donné,  ont 
été  confirmés  par  de  nouvelles  observations 
fort  importantes.  ./;u*v. 

A  l'excepiion  des  étangs  dont  le  bieff  et 
la  pêcherie    avoieut  été   nouvellement    et 


356         O  B  S  E  R  V  AT  I O  N  S 

soigneusement  curés,  jusqu'à  ce  qu'on  eût 
al  teint  Fargile ,  et  de  ceux  qu'on  a  péchés 
pendant  la  gelée ,  en  suivant  un  procédé 
qui  sera  décrit,  tous  les  étangs  brouiJIeux  de 
Villars  ont  été  presque  entièrement  dévas- 
tés :  dans  plusieurs  il  ne  s'est  pas  trouvé 
un  seul  poisson,  sans  que  le  plus  ou  le 
moins  de  profondeur  ait  à  cet  égard  pro- 
duit aucune  différence.  Mais  il  n'en  est  pas 
de  même  des  étangs  seLdemeut  vaseux,  et 
qu'on  met  rarement  eu  culture  ;  la  pei  te  a 
été  totale  dans  ceux  qui  avoient  peu  d'eau; 
les  plus  profonds  ont  le  moins  souffert. 

On  confond  quelquefois  les  ékmgs  situés 
sur  une  argile  blanche  avec  les  étangs  va-r 
seux  qui  ne  sont  pas  chargés  de  brouille  ; 
et  lorsqu'ils  sont  inondés,  quelques  per^? 
sonnes  leur  donnent  également  le  nom 
à' étangs  blancs.  Cependant  il  est  essentiel 
de  les  distinguer.  Les  premiers  n'ont  essuyé 
aucun  échec  cet  hyver.  Un  propriétaire  a 
fait  pêcher  devant  lui  deux  réservoirs ,  d'en- 
viron quinze  coupées  ou  trois  arpens  ,  situés 
sur  argile  blanche  et  très-peu  profonds  ;  il 
y  avoit  entreposé  douze  milliejs  d'empois- 
sonnage  qui  s'y  sont  parfaitement  conservés, 
et  il  en  a  perdu  plus  de  vingt  milliers  dans 

de 


SUR   LES   ETANGS.       537 

cle  petits  étangs  beaucoup  plus  profonds  , 
mais  vaseux  sans  brouille. 

Plus  le<>  étangs  ont  été  chargés  à  la  fois 
et  de  brouille  et  de  vase,  plus  la  mortalité 
a  élé  hâtive.  Elle  a  commencé  en  certains 
étangs  avant  la  fin  de  décembre;  dans  plu- 
sieurs elle  étoit  complette  des  le  premier 
janvier;  dans  quelques  autres  elle  a  com- 
mencé au  moment  du  dégel ,  et  elle  a  con- 
tinué, même  après  que  toutes  les  neiges  et 
les  places  ont  été  fondues.  Ce  fait  est  incon- 
testable;  mais  il  étoit  facile  de  recomioître 
l'époque  de  la  mort  par  le  plus  ou  le  moins 
de  fraîcheur  des  ouïes,  et  de  juger  de  la 
perte  qu'on  al  loi  t  encore  essuyer  par  Fétat 
maladif  de  quantité  de  poissons  qu'on  voyoit, 
après  le  dégel ,  na^^er  lan^ui^saniment  et 
renversés  sur  la  surface  de  l'eau. 

L'épaisseur  de  la  glace  n'a  pas  été  à  beau- 
coup près  uniforme  dans  le  même  étang. 
Quelquefois  près  de  la  bonde,  contre  la 
chaussée,  ou  au  dessus  de  la  pêcherie,  il 
s'en,  est  trouvé  qui  n'a  voit  guère  que  trois 
pouces  d'épaisseur  (i). 

(i)  Li'extiême  différence  dans  l'épaisseur  de  la  gtace 
d'un  même  étang  donne  quelques  degrés  de  probabilité 
à  l'observation  du  frère  Chartreux:  de  Montmerle.  Ï! 

Foiss,  Tome  IL  Y 


538        O  B  S  E  R  V AT  I  O  N  S 

La  précaution  de  faire  des  ouvertures  â 
la  i;lace  a  été  non  seulement  inulile  au 
poisson ,  mais  elle  a  failli  devenir  funeste 
au  propriétaire  dont  il  est  question.  Ayant 
voulu  briser  lui-mèrne  la  glace  d'un  de  ces 
étangs,  il  sortit  du  soupirail  ime  mofète  si 
subite,  si  infecte,  si  pénétrante,  qu'elle  le 
fit  presque  tomber  à  la  renverse.  L'étang 
étoit  extrêmement  brouilleux;  mais  il  assure 
que  ,  dans  le  tems  où  il  fit  cette  ouverture, 
il  n'y  avoit  encore  aucun  poisson  mort,*  ou 
du  moins  que  l'exhalaison  ne  pouvoit  être 
attribuée  à  la  putréfaction  d'aucun  d'eux, 
puisqu'au  moment  du  dégel  il  n'en  trouva 
point  qui  fût  encore  gâté. 

11  répéta  la  même  opération  le  lendemain 
sur  un  autre  étang,  en  évitant  de  s'exposer 
d'aussi  près  à  l'exhalaison.  11  la  sentit  encore , 
mais  avec  moins  de  force  ;  et  cependant  le 
poisson  s'étoit  conservé  dans  cet  étang ,  qui 

est  certain  que  le  poisson  se  rassemble  pendant  l'iiyver 
dans  les  parties  les  plus  profondes  de  l'étang;  mais, 
qnoique  rénni,  il  doit  communiquer  peu  de  sa  chaleur 
propre  à  la  masse  de  l'eau  qui  l'environne.  L'on  a 
peine  à  croire  que  cette  cîialeur  soit  assez  forte  pour 
produire  un  effet  aussi  marqué,  à  moins  qu'elle  ne  soit 
encore  aidée  par  l'exposition  favorable  de  la  chaussée, 
el  par  quelque  source  intérieure. 


SUR  LES  ETANGS.  55ç) 
fut  pcclié  peu  de  jours  après.  Enfin  plu- 
sieurs de  ses  pécheurs  l'ont  assuré  qu'ils 
a  voient  éprouvé  les  mêmes  vapeurs  suffo- 
cantes en  cassant  la  glace. 

Voici,  sur  un  fait  à  peu  près  semblable, 
ce  que  M.  Marmet,  aubergiste  au  Guillet, 
entre  Bourg  et  Neuville-les-Dames ,  a  écrit 
à  Varennes  de  Feuille  : 

«  Quand  j'ai  fait  faire  les  premiers  trous 
à  mon  étang,  je  ne  me  suis  aperçu  d'au- 
cune mauvaise  odeur,  et  ne  connus  aucun 
danger  pour  mon,  poisson.  La  glace  avoit 
dans  ce  tems-là  onze  à  douze  pouces  d'épais- 
seur. Quelques  jours  après  il  tomba  de  la 
neige  ;  ensuite  il  survint  un  petit  dégel  qui 
fit  fondre  en  partie  cette  neige  ;  ensuite  une 
forte  gelée  qui  forma  une  seconde  glace , 
qui  fut  couverte  par  une  seconde  neige. 
Quelques  jours  après  je  fis  rouvrir  les  mêmes 
trous  :  il  en  sortit  comme  une  fumée  d'eau 
chaude,  qui  avoit  une  odeur  marécageuse, 
mais  qui  n'incommode  pas  plus  que  celle 
qu'on  respire  quelquefois  près  d'un  marais. 
Ce  fut  dans  ce  moment  que  je  m'aperçus 
que  mon  poisson  étoit  malade,  seulement 
les  carpes  :  je  ne  vis  ni  brochets  ni  tanches. 
Je  ne  me  suis  point  aperçu  qu'il  soit  sorti 
de  l'air  en  faisant  les  trous  ». 

Y  5. 


340  OBSERVATIONS 

A  Villars,  dans  les  étangs  vaseux,  quelle 
qu'en  ait  été  la  profondeur  ,  on  a  trouvée 
constamment  les  ouïes  du  poisson  mort 
pleines  de  boue  ,  quoiqu'il  fût  encore  fiais , 
puisque  après  les  avoir  lavées  elles  étoient 
rouges. 

Les  étangs  raaléficiés  paroissoient,  même 
avant  la  putréfaction  du  poisson ,  d'un  noir 
sombre ,  quoique  le  fond  ne  fut  pas  bour- 
beux ,  ni  Feau  troublée.  D'autres  étangs 
présentoient  en  quelques  parties  une  cou- 
leur rougeâtre  et  dégoûtante.  Mais  ces  cou- 
leurs accidentelles  t)ouvoient  provenir  du 
reflet  causé  par  l'aiFaissement  de  la  brouille, 
ou  avoir  été  produites  par  la  neige  fondue , 
après  avoir  long-tems  séjourné  sur  des  feuilles 
d'aune  ou  de  chêne. 

Le  propriétaire  précédemment  cité  ne 
croit  pas  que  la  précaution  de  laisser  couler 
l'eau  des  étangs  brouilleux ,  jusqu'à  ce  que 
riierbe  cesse  d'en  être  baignée ,  soit  un  pré- 
servatif suffisant  contre  la  mortalité.  On  l'a 
essayé  cette  année,  dit-il,  dans  quelques  étangs 
de  Villars  :  l'expérience  n'a  réussi  qu'impar- 
faitement. En  effet ,  il  entre  peu  d'air  par  la 
bonde ,  car  à  mesure  que  l'eau  fuit  la  glace 
s'affaisse ,  et  perd  son  ancien  niveau  pour 
suivre  celui  du  terrain  ;  de  sorte  que  Teau  , 


SUR   LES   ETANGS.       54i 

quoique  no  couvrant  plus  l'élang  qu'en  par- 
tie ,  n'en  demeure  pas  moins  imprégnée 
comme  auparavant  des  premières  émana- 
tions de  la  brouille  ;  il  est  persuadé  que  Feau 
reste  constamment  en  contact  avec  la  glace, 
et  fonde  son  opinion  sur  ce  que  ,  dès  qu'on 
fait  une  ouverture ,  Feau  s'élève  et  dégorge 
par  le  soupirail.  Mais  il  semble  qu'elle  dé- 
goj'geroit  également,  quand  même  il  se 
seroit  introduit  de  l'air  entre  la  glace  et  l'eau, 
si  cet  air  s'y  trouve  comprime. 

Le  même  propriétaire  présume  aussi  que 
les  étangs  qu'on  aura  empoissonnés ,  immé- 
diatement après  la  grande  gelée,  sans  en 
avoir  renouvelé  l'eau ,  ne  donneront  qu'une 
chétive  pèche.  Ce  n'est  pas ,  dit-il ,  que  l'eau 
ait  été  corrompue  par  la  putréfaction  de 
l'ancien  poisson  ,  au  point  d'influer  sensi- 
blement sur  le  nouveau,  et  de  nuire  à  sou 
accroissement.  Mais  il  a  été  reconnu  que  la 
brouille,  affaissée  par  la  glace,  forme  au 
fond  des  étangs  un  enduit  épais  et  assez 
compacte  pour  empêcher  que  le  poisson  ne 
s'y  insinue,  et  puisse  aller  chercher  sa  nour- 
riture ou  traçaille^  comme  s'expriment  les 
pêcheurs. 

On  en  cite  un  exemple,  arrivé  en  1766, 
où  riiyver,   quoique  moin?  rigoureux,  fit 

Y  5 


342  OBSERVATIONS 
périr  beaucoup  de  poisson.  Celui  d'un  étang 
de  Villars,  extrêmement  brouilleux,  ayant 
été  totalement  détruit,  le  propriétaire  rem- 
poissonna de  nouveau^  sans  avoir  pris  la 
précaution  de  faire  écouler  Feau.  Dans  l'in- 
tervalle de  rempoissonnement  à  la  pêche, 
l'eau  se  renouvela  plusieurs  fois ,  parce 
qu'un  courant  presque  continuel  tiaverse 
cet  étang  à  volonté.  Néanmoins  la  pêche 
fut  nulle  j  le  poisson  se  trouva  maigre  et 
petit ,  et  l'on  reconnut  que  la  brouille , 
affaissée  dès  l'année  précédente,  tapissoit 
encore  le  fond  de  l'étang. 

La  méthode  de  pêcher  un  étang  sous  la 
glace  n'est  pas  fort  ancienne  dans  le  canton 
de  Yillars.  Le  procédé  en  est  très-simple: 
le  voici. 

11  faut  se  rappeler  que  la  pêcherie  , 
qu'ailleurs  on  nomme  la  poêle  ^  est  une 
fosse  a3^ant  la  forme  d'un  carré  long,  dont 
l'un  des  deux  côtés  étroits,  parallèle  à  la 
chaussée ,  est  placé  à  fort  peu  de  distance 
de  la  bonde.  On  donne  à  la  pêcherie  une 
étendue  proportionnée  à  celle  de  l'étang. 
Supposons -la  de  trente  pieds  de  largeur 
sur  soixante  de  longueur,  et  de  deux  pieds 
et  demi  à  trois  pieds  de  profondeur.  Telle 
est  la  dimension  ordinaiie  de  la  pêcherie 


SUR  LES  ETANGS.  345 
d'uu  élang  de  quinze  cents  d'enipoisson- 
«emcnl. 

On  a  déjà  dit  que  le  bief  principal  aboii- 
tissoit  au  milieu  de  la  pêcherie,-  mais  c'est  à 
tort  qu'on  ne  lui  a  supposé  que  dix  pieds  de 
largeur.  A  Villars ,  où  il  paroît  qu'on  a 
porté  l'aménagenient  des  étangs  à  sa  perfec- 
tion, on  n'iiésiie  pas  de  lui  donner  quinze 
pieds  de  largeur,  quelquefois  davantage. 

Plusieurs  autres  biefs  ou  fossés,  qui 
coupent  l'étang  dans  les  parties  les  plus 
basses,  viennent  aboutir  au  bief  principal, 
et  facilitent  au  poisson  répandu  sur  toute 
la  surface  de  l'étang  un  passage  pour  se 
rendre  dans  la  pêcherie  à  mesure  que  l'eau 
leur  manque.  La  pêcherie  doit  être  plus  pro- 
fonde au  moins- d'un  pied  et  demi  que  la 
partie  du  bief  principal  qui  y  aboutit. 

Lorsqu'on  veut  pêcher  pendant  la  gelée, 
on  baisse  le  pilon,*  k  mesure  que  l'eau 
s'écoule,  la  glace  s'affaisse  ;  et  loisque  l'eau 
est  assez  diminuée  pour  ne  plus  inonder 
que  la  pêcherie,  on  baisse  le  pilon. 

Des  ouvjîers,  armés  de  haches  et  d'autres 
instrumens  de  fer,  cassent  la  glace  du  bief 
à  l'endroit  où  il  aboutit  à  la  pêcherie;  et 
on  y  place  un  barrage  afin  d'empêcher  le 
poisson  de  remonter. 

Y  4 


344         OBSERVATIONS 

L'on  rompt  ensuite  !a  gîace  de  Van  des 
côtés  longs  de  la  pêcherie,  sur  la  largeur 
de  sept  à, huit  pieds.  Ju'on  a  soin  d'en  enle- 
ver tous  les  glaçons.  Le  poisson,  inliniidé 
par  cette  manœuvje,  se  retire  sous  la  por- 
tion de  glace  qui  reste  encore ,  et  sur 
laquelle  on  a  l'attention  de  ne  pas  faire  de 
bruit. 

L'on  déploie  le  filet  de  péclie  sur  léi  partie 
de  la  pêcherie  nettoyée  de  glaçons,  et  on 
l'approche,  le  plus  qu'il  est  possible^  de  la, 
partie  dont  la  glace  est  entière. 

Cela  fait ,  on  coupe  avec  la  hache  tout  le 
surplus  du  tour  de  la  pêcherie,  sur  à  peu 
près  un  pied  de  largeur,  La  glace,  ainsi 
délachée  des  bords,  reste  à  flot;  on  enlève 
soigoeusemeot  ces  nouveaux  glaçons. 

Deux  pêcheurs  font  passer  les  deux 
exù  émîtes  du  filet  sous  les  deux  extrémités 
de  ]{i  grande  glace  flottante  ;  et  tandis  que 
le  filet,  garni  de  liège  à  sa  partie  supérieure, 
passe  sous  la  glace,  d'autres  pêcheurs  la 
})oussent  en  avant,  et  lui  font  prendre  h, 
place  de  celle  qu'on  avoit  enlevée  dans  la 
première  opération  :  insensiblement  le  liègQ 
du  filet  parvient  à  se  trouver  à  flot,  débar-r 
ii'assé  de  toutes  les  glaces,  et  chargé  de  tout 
le  polssoa  de  l'étang,  On  le  prend  alors  aussi 


SUR    LES    ETANGS.       545 

coinmoclémeiit,  et  même  avec  plus  de  faci- 
lité que  dans  les  tems  ordinaires,  parce 
qu'il  est  fort  engourdi.  11  arrive  assez  rare- 
ment qu'il  en  échappe  un  seul,  et  que  le 
second  coup  de  filet  que  Ton  donne  ne  soit 
pas  inutile. 

Pour  bien  faire  cette  opération,  il  faut 
que  la  glace  soit  épaisse,  et  qu'elle  ne 
puisse  se  rompre  lorsque  le  filet  passe  par 
dessous.  Ainsi,  quelque  forte  que  soit  la 
gelée ,  si  l'étang  a  une  bonne  pêcherie ,  il 
peut  être  péché. 

11  arrive  quelquefois  que  la  partie  du 
bief  qui  aboutit  à  la  pêcherie  est  aussi  pro- 
fonde que  la  pêcherie  elle-même.  Alors 
l'opération  est  plus  longue;  mais  elle  est 
également  possible,  à  moins  qu'il  ne  fallût 
remonter  trop  avant ,  et  que  la  pêcherie  fût 
mal  nettoyée. 

Dans  le  premier  cas,  on  manœuvre  sur 
le  bief  à  peu  près  comme  sur  la  pêcherie. 
On  commence  par  casser  transversalement 
et  par  nettoyer  la  glace  dans  la  partie  du 
bief  où  se  commence  l'opération.  On  bane 
avec  un  filet.  A  mesure  que  les  glaçons  se 
brisent,  on  les  fait  flotter  et  passer  par- 
dessus le  filet,  qu'on  avance  insensible- 
ment jusqu'à  la   pêcheiie.  La  manœuvre 


Zijo         OBSERVATIONS 

est  ensuite  la  même  que  celle  que  Ton  a 
décrite. 

Quand  la  gelée  est  très-forte,  aussitôt  que 
le  poisson  prend  l'air,  il  est  saisi  par  le 
fioid,  il  devient  roide,  et  paroît  mort.  Mais 
il  reprend  le  mouvement  dès  qu'on  le  plonge 
dans  Teau;  et  même  on  a  remarqué  que  le 
transport  pendant  la  gelée  le  fatigue  beau- 
coup moins  que  lorsqu'on  le  voiture  par  un 
tems  un  peu  chaud. 

Les  nouveaux  faits  qui  viennent  d'être 
rapportés  achèvent  de  prouver,  et  d'une 
manière  invincible  ,  l'existence  du  gaz  in- 
flammable,  mêlé  de  mofète ,  reconnu  pour 
être  l'une  des  causes  principales  de  la  mor- 
talité du  poisson  en  1789. 

Quoique  la  brouille  ait  dû  produiie  de 
l'air  fixe  pendant  la  longue  absence  de  la 
lumière,  et  que  cet  air  soit  le  plus  délétère 
de  tous  pour  le  poisson  qui  le  respire;  cepen- 
dant ,  comme  l'eau  s'en  empare,  et  qu'il  est 
plus  pesant  que  l'air  atmosphérique,  il  3^  a 
toute  a];)parence  que  le  propriétaire,  dont 
on  a  rapporté  les  essais,  n'avoit  respiré  que 
de  l'air  inflammable  mofétisé,  lorsqu'il  a 
failli  d'être  renversé. 

Ce  gaz  a  été  seulement  produit  par  le 
bouleversement  que    le    poisson    a   excité 


SUR   LES   ETANGS.        347 

dans  la  vase,  el:  en  partie  par  sa  respira- 
tion; car  il  n'y  a  pas  d'apparence  que  la 
fermentation  putride  y  ait  eu  aucune  part, 
puisqu'avant  le  dégel  il  n'y  avoit  pas  de 
corruption. 

La  présence  de  Tair  fixe  n'est  pas  aussi 
rigoureusement  démontrée  que  celle  de  la 
niofete.  Cependant  on  ne  peut  guère  se 
refuser  à  l'y  reconnoître,  si  l'on  fait  atten- 
tion que  les  étangs  brouilleux  ont  été  pré- 
cisément ceux  où  la  mortalité  a  paru  plus 
prompte,  plus  active  et  presque  universelle. 

Le  procédé  de  pêcher  sous  la  glace  offre, 
comme  on  voit ,  un  moyen  de  plus  de  pré- 
server de  la  mortalité  les  étangs  mal-sains , 
puisqu'il  ne  s'agit  que  de  transporter  le 
poisson  dans  un  étang  blanc ,  et  de  l'y  tenir 
jusqu'à  ce  que  l'intempérie  de  la  saison  soit 
passée.  Certainement  il  vaut  beaucoup  mieux 
supporter  les  frais  d'une  double  péclie  que 
de  risquer  de  tout  perdre. 


348  METHODES 


METHODES 

De  préparer  les  différentes  espèces  de 
Poissons  pour  les  cabinets  d'histoire 
naturelle. 

vJn  ne  doit  pas  s'attendre  à  réussir ,  comme 
pour  les  quadrupèdes  et  les  oiseaux,  à  orner 
nos  collections  des  dépouilles  de  poissons  bril- 
lantes de  la  fraîcheur,  de  la  vivacité  et  de 
l'éclat  de  leurs  couleurs,-  leur  forme  et  une  en- 
veloppe presque  toujours  d'une  teinte  livide 
tannée  sont  tout  ce  que  nous  avons  à  espérer 
de  leur  conservation,  et  ils  ne  présentent  plus 
cette  apparence  de  vie  qui  paroi t  animer  en- 
core quelques  autres  animaux.  Les  couleurs 
et  les  reflets,  dont  ils  brillent  dans  l'élément 
qui  leur  est  propre ,  s'effacent  dès  qu'ils  en 
sortent  ;  et  pour  que  le  pinceau  pût  les  saisir 
et  les  rendre,  il  faudroit  qu'il  ne  s'exerçât 
que  sur  les  poissons  retenus  dans  le  fluide 
même  au  milieu  duquel  ils  vivent;  l'instant 
où  on  les  en  tire  est  déjà  un  commencement 
de  décoloration,  et  elle  augmente  sensible- 
ment en  un  court  espace  de  tems.  La  mort 


DE    PREPARATION.      S49 

de  ces  animaux  achève  souvent  de  les  dé- 
pouiller de  toute  leur  parure  ,  et  il  n'en. 
existe  plus  de  trace  lorsque  leur  peau  est 
desséchée. 

Il  est  donc  inutile  de  chercher  à  retenir, 
sur  la  dépouille ,  des  poissons  des  teintes 
si  fugitives  5  et  qui  ont  besoin  pour  exister 
et  de  la  vie  de  Tanimal  et  de  l'humide  dont 
ils  ne  peuvent  se  passer.  On  peut  y  suppléer 
en  peignant ,  sur  le  poisson  préparé  ,  les 
couleurs  qu'on  lui  coiinoit  dans  Feau;  mais 
quel  que  soit  l'art  du  coloriste  ,  Timage  sera 
toujours  foible  et  sèche  si  on  la  compare 
au  pinceau  inimitable  de  la  Nature.  Tout 
ce  qu'il  m'a  paru  possible  d'obtenir  de  moins 
mauvais  en  ce  genre ,  je  Tai  vu  ,  il  y  a  plus 
de  vingt  ans,  chez  un  médecin  de  Cette, 
le  docteur  Boriès  ,  qui  s'occupoit  de  l'his- 
toire naturelle  et  de  la  préparation  des 
poissons  ;  les  échantillons  que  je  trouvai 
chez  lui  avoient  encore  ,  sinon  l'éclat ,  du 
mioins  une  partie  des  couleurs  de  la  nature 
vivante.  Rien  d'aussi  beau  en  ce  geme  ne 
s'est  olïert  nulle  part  à  mes  recherches. 
M.  Boriès  faisoit  un  secret  des  moyens  qu'il 
employoit  pour  la  conservation  de  ses  pois- 
sons. 11  me  promit  néanmoins  de  le  com- 
muniquer à  BulFon,  à  qui  je  li*  part  de  ce 


55o  M  E  T  H  O  D  E  S 

que  j  avois  vu;  mais  comme  il  attachoifc  une 
haute  valeur  à  sa  méthode,  il  paroît  que  les 
arrangemens  qu'il  proposa  ne  convinrent 
pas  5  et  que  son  secret  fut  enseveli  avec  lui. 

Lorsque,  dans  le  cours  d'un  voyage  on 
veut  rassembler  et  envoyer  les  poissons  de 
contrées  lointaines,  il  faut  se  souvenir  que 
ces  animaux  ont,  plus  que  les  quadrupèdes 
et  les  oiseaux  ,  la  fibre  lâche  ,  le  sang  fluide  y 
les  humeurs  et  toute  la  substance  aqueuse , 
et  qu'ils  se  corrompent  plus  aisément  que 
les  autres  ii*nimaux;  ainsi,  quelle  que  soit  la 
liqueur  dans  laquelle  on  les  trempe  ,  il  est 
nécessaire  de  la  changer  jusqu'à  ce  qu'elle 
ne  se  trouble  plus. 

On  envoie  les  poissons  tout  entiers  ,  ou 
Ton  se  contente  d'en  prendre  la  dépouille. 
Dans  le  premier  cas  on  les  plonge  dans 
quelque  liqueur  spiritueuse,  de  l'esprit  de 
vin ,  de  l'eau  de  vie ,  du  tafia,  etc.  ;  et ,  comme 
je  viens  de  le  dire,  on  ne  ferme  le  vaisseau 
qui  les  contient  que  quand  la  liqueur  re- 
nouvelée plusieurs  fois  ,  suivant  ]a  grandeur 
des  animaux,  ne  perd  plus  rien  ni  de  la  lim- 
pidité ni  de  l'odeur  qui  lui  sont  propres; 
alors  le  coi-ps  des  poissons  s'est  dépouillé 
des  parties  flegmatiques  et  lymphatiques, 
qui  pouvoient  tendre  à  la  corruption  ;  et 


DE  PREPARATION.  55i 
l'on  peut  alors  sceller  le  vase  pour  en  faire 
renvoi. 

La  liqueur  chargée  des  parties  des  pois- 
sons ,  disposées  à  se  corrompre  ,  n^est  pas 
perdue;   en  la  distillant  de  nouveau  ,  elle 
reprend  toute  sa  limpidité  et  toute  sa  force. 
Si  la  situation  du  voyageur  ne  lui  permet 
pas  d'user  de  la  précaution  de  changer  plu- 
sieurs fois  la  liqueur  spiritueuse   dans   la- 
quelle il  aura  mis  des  poissons  ,  il  se  bornera 
à  observer  que  la  masse  des  poissons  plongés 
dans  le  liquide  n'occupe  qu'un  quart  envi- 
ron du  vaisseau  qui  les  contient,  et  que  le 
reste  soit  rempli  par  la  liqueur.  Au  moyeu 
de  cette  attention ,   quoique  la  liqueur   se 
trouble  et  qu'elle  commence  à  exhaler  une 
odeur  qui  lui  est  étrangère  ,  la  putréfaction, 
quoique  commencée ,  n'aura  pas  lieu.  L'on 
augmentera  ou  Ton  diminuera  la  proportion 
entre  la  masse   des  poissons  et  la  quantité 
de  la  liqueur  conservatrice,  suivant  son  plus 
ou  moins  de  force. 

11  est  encore  d'autres  attentions  de  détails 
pour  l'envoi  des  poissons  et  des  autres  ani- 
maux dans  des  bocaux  ou  des  barils  ;  je 
les  laisserai  prescrire  par  un  naturaliste  qui 
toute  sa  vie  s'est  occupé  de  faire  venir  des 
animaux  des  pays  les  plus  éloignés  pour  en 


552  METHODES 

former  une  belle  collection.  Voici  ce  que 
Maucluyt  recommande  à  ce  sujet: 

((  L'esprit  de  vin  et  l'eau  de  vie  sont 
des  huiles  subliles  ^  pures  ,  éthérées.  Elles 
brûlent  sans  répandre  de  fumée  ,  et  ne 
laissent  de  résidu  après  rinflammation  qu'un 
phlegme  limpide  ,  tenu  purement  aqueux. 
Le  tafîa  et  l'eau  de  vie  de  grain  sont  moins 
subtils  ;  ils  répandent  de  la  fumée  en  brûlant, 
et  laissent  après  finflammation  un  résidu 
gras,  jaunâtre  ou  noirci  par  faction  du  feu. 

»  La  subtilité,  la  pureté,  la  limpidité  de 
l'esprit  de  vin  et  de  l'eau  de  vie  les  rendent 
les  liqueurs  les  plus  propres  à  la  conservation 
des  animaux.  Le  tafia  et  l'eau  de  vie  de  grain 
laissent  sur  les  corps  qu'ils  ont  baignés  un 
vernis  gras  qui  est  le  dépôt  de  la  substance 
onctueuse  qu'ils  contiennent.  Ce  défaut  est 
sur- tout  celui  du  tafia  ,*  on  pourroit  l'en 
corriger  et  le  rendre  plus  propre  à  l'objet 
dont  je  traite,  en  mêlant  à  la  quantité  de 
tafia  qu'on  deslineroit  à  conserver  des  ani- 
maux,  avant  de  les  distiller,  une  certaine 
quantité  d  alkali ,  ou  simplement  des  cendres. 
On  pourroit ,  si  l'on  ne  vouloit  pas  recom- 
mencer la  distillation  ,  faire  bouillir  seule- 
ment le  tafia  après  y  avoir  mêlé  des  cendres; 
il  se  formeroit  une  écume  qu'on  rejetterait 

ovi 


DE    PREPARATION.        553 

on  laisseroit  reposer  la  liqueur  ,  et  on  la 
verseroit  par  inclinaison  dans  le  vase  où  Ton 
Youdroit  ]a  conserver.  L'alkali  s'empareroit 
de  la  plus  grande  partie  de  la  substance 
grasse ,  et  le  talia  scroit  meilleur  pour  l'usage 
que  nous  nous  proposons. 

))  Un  autre  défaut  du  tafia  et  de  l'eau  de 
vie  de  grain ,  c'est  d'être  excessivement  des- 
sicalifs.  Les  corps  des  animaux  ,  qui  y  sont 
demeurés  plongé-,  pendant  quelque  tems  , 
perdent  beaucoup  de  leur  substance.  Ces 
liqueurs  extraient  les  graisses  ,  la  l^aiiphe,  le 
sang  et  tous  les  fluides  ;  elles  jéduisent  les 
chairs ,  les  cartilages,  les  membranes  à  l'état 
de  simples  faisceaux  de  fibres  sans  suc.  Cette 
action  des  liqueurs  est  cause  que  les  animaux, 
au  bout  d'un  tems  d'immersion,  ont  perdu 
peut-être  plus  du  tiers  de  leur  volume.  Leur 
peau  est  aussi  corrodée,  et  leurs  membres 
sont  décharnés  ;  la  substance  de  leiu^  bec  est 
usée ,  et  celle  même  des  plumes  ou  des  poils 
se  trouve  altérée.  La  peau  est  en  même 
tems  si  usée,  qu'on  doit  la  traiter  avec  beau- 
coup de  précaution  pour  ne  pas  la  déchirer  ; 
il  faut  et  de  l'art  et  de  la  patience  pour  dé- 
pouiller l'animal,  et  remplir  ensuite  sa  peau 
sans  l'endommager.  Si  le  but  est  d'observer 
les  viscères ,  on  les  trouve  rétrécis  ,  racornis , 
Poiss.  Tome  XL  Z 


354  METHODES 

sans  souplesse  ^  sans  flexibilité.  On  en  dis- 
tingue à  la  vérité  la  niasse ,  mais  on  a  bien 
de  la  peine  à  en  développer  le  tissu;  il  est 
très-difficile  de  séparer  les  membranes,  de 
découvrir  les  canaux  fins  et  déliés,  dont  la 
recherche  est  l'objet  le  plus  important.  Il 
est  cependant  un  moyen  de  remédier  à 
Tintempérie  dessicative  du  tafia  et  de  Teau 
de  vie  de  giain;  c'est  de  les  aiïoiblir  en  y 
mêlant  un  quart  ou  un  tiers  de  leur  masse 
d'e^au  douce  distillée ,  ou  au  moins  d'eau 
très-claire.  La  liqueur  devient  en  total  moins 
limpide;  elle  prend  un  œil  laiteux,  mais  le 
tout  est  sans  inconvénient.  Celui  qu'on  doit 
craindre ,  c'est  de  diminuer  la  vertu  con- 
servai rice  des  liqueurs.  Voici  comment  on  - 
peut  remédier  à  tous  les  obstacles  c]ui  se 
présentent.  Lorsqu'on  veut  envo3er  des 
animaux  dans  le  tafia  ou  dans  l'eau  de  vie 
de  grain,  il  faut  auparavant  laisser  dégorger 
ces  anima  ux  dans  les  mêmes  liqueurs ,  les 
changer  jusqu'à  ce  qu'elles  ne  se  troublent 
plus,  et  alors  mettre  les  animaux  dans  des 
barriques  remplies  de  tafia  ou  d'eau  de  vie 
de  grain,  afîbiblis  d'un  tiers  d'eau.  Les  ani- 
maux ayant  élé  dépouillés  dans  les  premières 
immersions  des  parties  putrides ,  le  tafia  ou 
l'eau  de  vie  de  grain,  quoiqu'affoiblis,  con- 


DE  PREPARATION.  555 
serveront  les  animaux  aussi  long-tems  qu'où 
le  voudra  ,  et  ils  n'auront  plus  assez  de  force 
pour  les  dessécher  outre  mesure. 

))  Je  résume  et  je  dis  :  il  faut  employer  par 
préférence  l'esprit  de  vin  et  l'eau  de  vie; 
on  peut  se  servir  du  tafia  et  de  l'eau  de  vie 
de  grain  ,  mais  il  ne  faut  les  employer  qu'en 
les  aifoiblissant  par  le  mélange  d'un  tiers 
d'eau  ;  il  ne  faut  faire  ce  mélange  qu'en 
traitant  la  dernière  liqueur  où  l'on  plonge 
les  animaux,  et  il  faut  auparavant  les  avoir 
fait  dégorger  daus  le  tafia  ou  l'eau  de  vie  de 
grain  pur. 

))  11  me  reste  à  parler-des  précautions  qu'on 
doit  prendre  en  plongeant  les  animaux  dans 
les  liqueurs  conservatrices^  ou  de  la  manière 
de  les  arranger  dans  les  barriques.  Si  l'on 
n'a  que  l'anatomie  en  vue  ,  les  précautions 
dont  j'ai  parlé  sont  suffisantes;  mais,  si  l'on 
se  propose  d'envoyer  des  animaux  qu'on 
puisse  un  jour  remonter,  il  faut  se  donner 
d'autres  peines ,  et  apporter  des  attentions 
que  je  n'ai  pas  encore  fait  connoitre.  Les 
animaux  plongés  au  hasard  dans  la  liqueur 
y  flotteront;  ils  y  seront  poussés  de  côté  et 
d'autre  ;  ils  s'agiteront  les  uns  contre  les 
autres  dans  le  tems  que  le  vaisseau  où  les 
barriques  seront  chargées  sera  battu  ,  trou- 

Z    2 


356  METHODES 

nienté  ,  élevé ,  précipité  par  les  flots.  Les 
poils 5  les  plumes,  les  écailles  s'hérisseront, 
se  désuniront,  s'useront,  seront  arrachés, 
ou  prendront  de  faux  plis  ,  et  des  positions  à 
contre-sens,  que  Fart  le  plus  ingénieux  ne 
pourra  leur  faire  perdre  par  la  suite.  Il  ne 
faut  donc  pas  se  contenter  de  plonger  les 
anioiaux  dans  la  liqueur,  les  y  abandonner 
au  hasard  de  ce  qu'ils  pourront  devenir  ; 
mais  on  doit  placer,  en  travers  des  barriques 
défoncées  par  un  bout  et  posées  sur  l'autre , 
des  traverses  de  bois  assujetties  avec  des  clous 
qui  passent  à  travers  le  bois  de  la  barrique , 
pour  gagner  des  traverses  ;  il  faut  envelopper 
chaque  animal  dans  une  toile  qui  le  serre , 
en  prenant  garde  de  chiffonner  sa  robe ,  soit 
qu'on  couse  la  toile  ou  qu'on  l'assujetlisse  par 
un  fil  qu'on  tortille  autour ,  et  qu'on  noue 
aux  deux  bouts.  Ensuite  on  passe  au  bout 
de  la  toile  ,  où  répond  la  tête  de  l'animal , 
un  fil  ou  une  corde  suivant  le  poids  ,  et  on 
attache  ce  ft]  ou  cette  corde  à  une  des  tra- 
verses. Par  ce  moyen,  quelle  que  soit  l'agi- 
tation de  la  barrique  ,  les  animaux  flottent 
toujours  au  milieu  du  fluide  qui  amortit  les 
coups  ;  les  linges  empêchent  que  les  poils 
ou  les  plumes  ne  se  dérangent ,  ne  soient  ni 
froissés,  ni  usés  et  airachés.  Il  faut,,  autant 


DE    PREPARATION.        5Sj 

qu'on  le  peut ,  que  les  banques  soient  assez 
longues  pour  que  les  animaux  y  aient  toute 
leur  étendue.  On  remet  ensuite  le  fond  de 
la  barrique ,  après  l'avoir  bien  remplie  ;  car 
c'est  encore  une  attention  qu'il  faut  avoir 
de  ]a  remplir  autant  qu'il  est  possible.  On 
prend  ensuite  les  précautions  nécessaires 
pour  que  les  matelots  ,  espèce  de  gens  à 
qui  la  misère  et  la  grossièreté  rendent  tout 
propre,  et  dépouillent  de  toute  espèce  de 
délicatesse  ,  ne  percent  pas  les  barriques  et 
ne  boivent  pas  la  liqueur  qu'elles  contien- 
nent. On  y  parvient  en  mettant  la  barrique 
dans  un  toimeau  plus  grand  ,  ou  en  l'en- 
tourant de  beaucoup  de  paille ,  et  l'enve- 
loppant d'une  toile  goudronnée.  Malgré  ces 
précautions  ,  il  arrive  quelquefois  que  les 
matelots  percent  les  barriques ,  et  trouvent 
le  moyen  d'en  boire  la  liqueur.  Cela  seul 
devToit  empêcher  l'usage  que  quelques-uns 
recommandent,  de  mêler  des  poisons  aux 
liqueurs  dans  lesquelles  on  envoie  des  ani- 
maux ,  quand  même  ces  conseils  ne  seroient 
pas  d'ailleurs  pernicieux  et  inutiles. 

))  Jusqu'ici  je  ne  me  suis  occupé  que  des 
moj^ens  propres  à  conserver  les  au i maux 
qu'on  veut  envoyer  de  pays  éloignés,  qui 

Z  5 


358  METHODES 

ont  un  long  trajet  à  parcourir,  et  beaucoup 
de  teuis  à  passer  dans  les  barriques  avacl  de 
parvenir  à  leur  destination.  Si  au  contrairo 
on  ne  veut  que  faire  passer  des  animaux 
d'une  province  à  une  autre  ;  s'ils  doivent 
airiver  à  leur  destination  dans  l'espace  de 
quinze  jours  ,  ou  même  d'un  mois  ,  il  est 
inutile  de  les  plonger  dans  les  liqueurs  con- 
servatrices spiritueuses.  Si  c'est  en  hyver  5  ou 
depuis  le  mois  de  novembre  jusqu'au  mois 
d'à V {il  ,  il  ïïy  aura  aucune  précaution  à 
prendre  ,  sur-iout  si  le  tems  est  sec  et  froid; 
mais  si  c'est  en  élé,  ou  qu'en  liyverle  tems  soit 
humide,  les  animaux  pourront  encore  sup- 
porter un  délai  de  quinze  jours  et  plus  sans 
se  corrompre,  et  sans  qu'on  ait  recours  aux 
liqueurs  spiritueuses ,  en  usant  du  moyen 
suivant.  Il  consiste  à  employer  des  plantes 
aromatiques  desséchées  et  réduites  en  poudre 
grossière  ;  telles  que  le  laurier  franc,  la  sauge , 
les  fleurs  de  lavande ,  le  ihjm ,  le  basilic  , 
le  pouliot,  et  des  plantes  amères;  telles  que 
l'absyntlie,  la  rliue,  la  tanaisie ,  fauj'one  , 
les  santolines,  etc.  Il  n'est  pas  nécessaire  de 
réunir  toutes  ces  plantes  ;  deux  ou  trois,  une 
seule  même,  si  elle  est  très  -  aromalique  ^ 
suffit.  On  fait  sécher  ces  plantes  à  l'ombre; 
on  les  réduit  en  grosse  poussière,  et  on  les 


é 


DE  PREPARATION.  55ç^ 
conserve  pour  le  besoin  dans  des  boîtes  bien 
fejniées,  où  elles  iie  perdenL  rien  de  leur 
principe  aromatique  ,  ou  amer  et  volalil. 
On  fait  un  lit  de  ces  poudres  au  fond  de  la 
boîte  où  Ton  veut  envoyer  un  animal  ;  on 
le  couche  sur  ce  lit;  on  le  recouvre  en- 
suite de  la  même  poudre,  qu'il  ne  faut  pas 
épargner.  On  a  soin  d'en  introduire  entre  le 
coi'ps  et  les  cuisses  ,  le  corps  et  les  ailes  des 
oiseaux,  et  d'observer  que  l'animal  entier 
en  soit  tout  à  fait  couvert.  Ces  poudres  re- 
tardent la  putréfaction;  elles l'empcclieroient 
même  totalement  si  les  animaux  n'aboient 
que  peu  de  volume,  et  ils  se  dessécheroient 
sans  se  corrompre.  On  peut,  en  usant  de  ce 
mo} en  ,  envoyer  des  animaux  de  cent  et 
deux  cents  lîeues  par  les  messageries  et  les 
voitures  ordinaires ,  comme  je  m'en  suis 
assuré  par  des  expériences  réitérées. 

»  8i  l'on  est  au  fort  de  l'été ,  ou  que  les 
animaux  que  l'on  veut  envoyer  soient  fort 
grands ,  ou  de  nature  à  se  corrom[)re  ou  à 
se  dessécher  promptement,  tels  que  sont  les 
poissons,  les  reptiles,  tous  les  oiseaux  qui  se 
nourrissent  de  vers  ou  d'insectes,  alors  il  est 
indispensable  d'avoir  recours  aux  liqueurs 
conservatrices.  Cependant  il  en  est  une  dont 
je  n'ai  pas  encore  parle,  parce  que  je  ne  suis 

2j  4 


56o  M  E  T  H  ODES 

pas  assuré  qu'elle  soit  efficace  pour  un  loug 
espace  de  terns,  qui  })eut  suffire  pour  con- 
server les  animaux  qu'on  y  plonge  un  mois 
et  plus,  et  qui  n'est  pas  dispendieuse  comme 
l'esprit  de  vin  et  Teau  de  vie ,  les  seules  li- 
queurs dont  on  soit  à  portée  de  faire  usage 
dans  nos  climats.  Celle  dont  je  parle  n'est 
que  de  l'eau  ordinaire  saturée  d'alun.  Ce 
sel  lui  communique  une  qualité  stiptique  , 
anti-putride  et  acide ,  qui  résiste  puissamment 
à  la  fermentation.  J'ai  conservé  dans  de  l'eau 
ainsi  saturée  d'alun  ,  pendant  cinq  et  six  se- 
maines, des  animaîjx  que  je  n'avois  pas  le 
teras  de  disséquer  au  moment  où  je  les  avois 
reçus,  et  pour  lesquels  je  ne  voulois  pas 
faire  la  dépense  de  les  plonger  dans  l'esprit 
de  YLii  ou  dans  Feau  de  vie  :  ils  s'y  sont 
parfaitement  conservés.  Je  n'ai  eu  d'autre 
attention  que  de  renouveler  l'eau  une  ou 
deux  fois,  quand  j'ai  vu  qu'elle  commençoit 
à  trop  se  charger  du  sang  qu'elle  avoit  dissous, 
enfin  à  se  troubler.  Je  crois  donc  qu'en  plon- 
geant ,  dans  de  l'eau  aluminée ,  des  animaux 
qu'on  voudroit  faire  passer  d'une  province 
à  une  autre ,  en  les  gardant  cinq  à  six  jours 
et  les  changeant  d'eau  deux  fois  dans  cet 
espace  de  tems,  les  enfermant  ensuite  dans 
une  barrique  pleine  d'une  pareille  eau,  ils 


DE    PREPARATION.       36i 

ariiveroieiit  en  bon  état  au  bout  de  trois 
semaines,  et  même  d'un  mois  de  route. 

»  Il  faiidroit  déterminer  la  quantité  d'alun 
par  rapport  au  volume  d'eau  :  c'est  ce  que 
j'avoue  que  je  n'ai  pas  fait;  mais,  dans  les 
essais  que  j'ai  tentés  ,  l'eau  étoit  saturée 
d'alun  au  point  qu'il  comniençoit  à  cristal- 
liser sur  les  bords  du  vase  au  bout  de  20  k 
24  heures  ;  ce  qui  prouve  que  l'eau  que 
j'employois  étoit  saturée  autant  qu'elle  peut 
l'être  à  froid.  Je  crois  que  cet  essai  mériteroit 
d'être  suivi,  que  ce  seroit  peut-être  un  moyen 
de  plus  pour  conserver  les  animaux  et  dimi- 
nuer beaucoup  la  dépense.  Je  ne  me  suis  pas 
aperçu,  dans  les  essais  que  j'ai  faits,  qu'il 
en  jésultât  aucun  mauvais  effet. 

))  Si  l'on  vouloit  épargner  la  dépense  dans 
l'usage  que  je  propose  de  l'alun  ,  on  pourroit 
ne  pas  perdre  celui  qui  auroit  été  dissous 
dans  les  premières  eaux  où  on  auroit  plongé 
les  animaux.  11  n'y  auroit  qu'à  faire  éva- 
porer l'eau,*  opération  qu'on  accélère roit  en 
la  mettant  sur  le  feu  ;  on  trouveroit  l'alun 
cristallisé  au  fond  et  autour  du  vase.  Mais 
il  faudroit,  dans  cette  expérience,  se  servir 
de  terrines  de  grès  ou  de  terre ,  et  non  pas 
de  vaisseaux  de  cuivre.  J'exhorte  les  per- 
sonnes qui  en  auront  le  loisir  à  déterminer 


362  M  E  T  H  O  D  E  S 

les  propriétés  de  l'eau  suturée  d'alun ,  et  à 
nous  apprendre  si  ce  moyen  ne  seioit  pas 
très- bon  pour  conserver  les  animaux  ,  les 
rendre  pendant  long-tems  incoiTuptibles,  et 
les  envoyer  de  très-loin  à  fort  peu  de  frai^. 

»  Ou  pourroit  encore  essayer  les  propriétés 
de  Teau  saturée  de  vitriol,  de  niire  el  de  sel 
commun  ou  sel  marin.  Il  y  a  quelques  per- 
sonnes qui  sont  dans  l'habitude  de  conserver 
les  animaux  desséchés  en  les  vuidant ,  en 
soulevant  la  peau  en  différens  endroit*  du 
corps,  et  en  introduisant  à  la  place  des 
viscères  ,  et  entre  la  chair  et  la  peau  ,  de 
l'alun,  du  vitriol  et  de  la  chaux  en  poudre. 
Cette  méîhode  ne  vaut  rien  ,  parce  qu^oa 
ne  parvient,  en  l'employant,  qu'à  avoir  des 
animaux  déformés ,  maigres  ,  décharnés  ; 
mais  elle  indique  combien  Falun  et  le  vitriol 
ont  de  force  pour  résister  à  la  putridifé. 

))  Je  ne  me  suis  encore  occupé  que  des 
moyens  crenvoyer  les  animaux  dans  les  li- 
queurs conservatrices.  Les  personnes  dont 
l'anatomie  est  le  but  me  pardonneront  le 
tems  que  j'ai  employé;  mais  celles  qui  n'ont 
en  vue  que  de  recevoir  des  animaux  propres 
à  être  montés,  à  orner  une  collection,  et  h 
faire  spectacle,  le  regarderont  comme peidu. 
Eu  elïet,  les  animaux  qu'on  envoie  dans  îa 


DE  PREPARATION.  363 
liqueur,  quelque  soin  qu'on  ait  pris,  perdent 
tot:joius  quelque  chose  de  leur  beauté;  et 
si  l'on  veut  que  ceux  qu'on  ramasse  soient 
aussi  propres  à  être  remontés  qu'ils  peuvent 
l'èlie,  il  faut  n'en  envoyer  que  les  peaux  (i)  ». 

Un  bon  et  peul-èlre  le  meilleur,  comme 
le  plus  simple  des  moyens  de  conserver  les 
poissons,  pour  les  avoir  bien  entiers,  est 
d'enlever  par  leur  bouche  tous  les  viscères 
et  le  plus  de  chair  qu'il  sera  possible  sans 
entamer  la  peau;  ensuite  on  remplit  de  sable 
les  poissons  ainsi  vuidés,  afin  d'en  conserver 
parfaitement  la  forme;  on  les  fait  sécher 
dans  cet  état ,  puis  on  passe  en  dehors  et 
en  dedans  une  couche  de  veinis  blanc  pour 
les  préserver  des  attaques  des  insectes.  Cette 
opération  est  longue  à  la  vérité ,  mais  elle 
est  facile  et  son  résullat  est  satisfaisant. 

Mauduyt  a  proposé  des  procédés  plus 
longs,  dont  je  tne  contenterai  de  présenter 
l'extrait.  On  soulève  une  des  valvules  os- 
seuses  et  mobiles  qui  couvrent  les  ouïes;  on 
anache  et  enlève  ces  ouïes,  et  lorsqu'on 
s'est  fait  jour,  on  détache  avec  la  lame  d'un 
scalpel  la  peau  d'avec  les  chairs,  en  tra- 
vaillant en  dessous  de  la  peau  ;  Ton  passe 

(i)  Journal  de  pbysiiiiie  ,  décembre    1775. 


564  METHODES 

ensuite  du  côté  de  l'autre  ouïe ,  et  Ton 
opère  de  la  même  manière  ;  alors  avec  de 
forts  ciseaux  ou  avec  un  couteau  on  sépare 
Tépine  dorsale  à  sa  jonction  avec  la  tête. 
Si  Ton  a  séparé  circulairement  la  peau  des 
chairs,  si  la  bouche  du  poisson  est  très-large, 
en  refoulant  la  tête  en  dedans,  poussant  le 
corps  en  dehors  et  détachant  la  peau  à  me- 
sure que  le  corps  sort  par  la  bouche ,  on 
parvient  à  doubler  toute  la  peau,  à  la  re- 
plier sur  elle-même  et  à  faire  sortir  tout 
le  corps  par  la  bouche ,  sans  avoir  fait  au- 
cune ouverture.  Mais,  si  la  bouche  est  trop 
étroite  pour  que  le  corps  puisse  y  passer, 
on  coupe  la  peau  en  travers  au  dessous  des 
ouïes,  après  avoir  détaché  les  chairs  qui 
sont  près  de  la  tête,  et  séparé  Fépine  dor- 
sale; on  rejette  alors  la  tête  sur  le  dos,  et 
l'on  fait  sortir  tout  le  corps  par  l'ouverture 
transversale  pratiquée  au  dessous  des  ouïes, 
en  repliant  la  peau  sur  elle-même  en  ar- 
rière, poussant  le  corps,  le  tirant  en  avant  et 
en  détachant,  soit  avec  la  lame ,  soit  avec  le 
dos  du  scalpel,  la  peau  d'avec  les  chairs. 

Cette  opération ,  convenable  pour  les 
poissons  de  forme  oblongue  et  à  peu  près 
cylindrique,  ne  peut  avoir  lieu  pour  les 
poissons  plats,  dont  l'ouverture  de  la  bouche, 


DE    PREPARATION.      365 

ni  celle  que  Ton  feroit  ed  coupant  la  peau 
transversalement  au  dessous  des  ouïes  ,  ne 
seroit  assez  am[)le  pour  donner  passage  au 
corps.  11  y  a  beaucoup  de  difficultés  à  écor- 
cher  ces  poissons  saus  fendre  la  peau;  on  y 
parvient  néanmoins  avec  de  l'adresse  et  de 
la  patience,*  il  faut  soulever  une  des  ouïes, 
enlever  par  le  moyen  de  pinces  ou  déta- 
cher avec  le  scalpel  les  premiers  objets  qui 
se  présentent,  séparer  avec  des  ciseaux  la 
colonne  épinière  à  sa  jonction  avec  la  tête , 
introduire  d'un  côté ,  puis  de  l'autre ,  en 
retournant  le  poisson ,  entre  la  peau  et  les 
chairs,  un  morceau  de  bois  aplati,  tran- 
chant et  arrondi  en  forme  de  spatule  par 
son  extrémité 5  et  le  pousser  jusqu'à  l'origine 
de  la  queue.  Lorsqu'on  a  opéré  de  cette 
manière  sur  les  deux  côtés ,  la  peau  est 
par-tout  séparée  d'avec  le  corps  ;  alors  on 
coupe  en  dedans  avec  des  ciseaux ,  aussi  loin 
qu'on  le  peut,  de  l'un  et  l'autre  côté,  les 
nageoires  qui  les  bordent ,  et  dont  les  franges 
sont  en  dehors  et  l'insertion  en  dedans;  puis 
avec  des  pinces  ou  un  crochet  on  ari^ache  les 
chairs;  on  brise  l'épine  dorsale  et  les  arêtes 
à  mesure  que  l'on  avance  dans  l'opération. 
Quand  les  parties ,  qui  répondoient  à  la  lon- 
jgueur  de  cq  qui  a  été  coupé  de  droite  et  d« 


366  METHODES 

gauche >  sont  ealevées ,  on  passe  la  main  par 
le  vuide  que  laissent  Jes  parlies  ôLées  ;  on 
continue  de  couper  à  droite  et  à  gauc-lie, 
avec  des  ciseaux,  l'origine  des  nageoires;  on 
brise  l'épine  et  les  arêtes,  et  on  parvient 
ainsi  jusqu'à  la  queue. 

Les  poissons  étant  écorchés ,  si  l'on  a  fait 
une  incision  aux  ouïes,  on  rapproche  et  on 
recoud  la  peau  le  plus  promptement  possible  ; 
on  entoure  ensuite  les  membranes  des  ouïes 
avec  un  ruban  qui  les  tienne  fermées.  On 
suspend  les  poissons  par  le  moyen  de  cro- 
chets obtus,  en  sorte  que  leur  bouche  reste 
ouverte  autant  qu'elle  peut  l'être.  Alors  on 
tire  la  peau,  en  pinçant  et  pesant  sur  la 
queue;  on  l'étend  avec  l'autre  main  en  glis- 
sant dans  le  sens  des  écailles;  puis  on  verse, 
par  la  bouche  ouverte,  du  sable  bien  fin  , 
d'un  grain  égal  et  sec,  qui  par  son  poids 
distend  la  peau,  s'introduit  et  se  répand  éga- 
lement par-tout.  Quand  la  peau  est  remplie 
de  sable  Jusqu'à  la  bouche,  on  en  ferme 
l'ouverture  et  Fassujettit  avec  un  ruban  ou 
des  bandelettes  de  toile  ;  on  passe  cette  dé- 
pouille ainsi  remplie  sur  une  table;  on  étend 
ses  nageoires;  on  les  lixe  et  on  les  contient 
avec  des  crochets  de  fil  de  fer;  enfin  on 
expose  la  peau  à  l'air  ?  mais  à  Fabri  d'un 


DE    PREPARATION.      567 

soleil  trop  aident;  elle  se  des-jèclie  bientôt. 
Loisque  la  peau  est  parfaitement  sèciie ,  oa 
défciit  les  bandelelles  qui  tenoient  la  bouche 
fermée,  on  rouvre  de  force  et  on  fait  écou- 
ler le  sable;  la  peau  se  soutient  d'elle-même 
et  elle  oUre  à  la  fois  un  corps  volumineux 
et  très-léger;  il  ne  reste  plus  qu'à  l'animer 
par  une  couche  de  vernis  dessicatif ,  qui  sert 
et  à  sa  conservation  et  à  lui  len dre  une 
foible  poition  du  lustre  qui  briiloit  sur  l'ani^ 
mal  vivant.  Enfm  on  pose  les  yeux  d'émail, 
de  forme  et  de  couleur  convenables,  et  011 
les  assujettit  dans  les  orbites  avec  un  peu 
de  mastic. 

Si  l'on  ne  veut  conserver  les  poissons  que 
par  la  moitié  seulement ,  on  les  pose  le  dos 
sur  une  table  garnie  d'un  huge  ;  on  fend 
avec  des  ciseaux  la  lèvve  supérieuî'e  à  peu 
près  dans  son  milieu;  puis  avec  un  scalpel 
à  dos,  ou,  selon  le  besoin,  avec  un  instru- 
ment tranchant  plus  fort,  on  fend  la  tète 
en  deux  et  l'on  continue  d'inciser  la  peau, 
en  long  jusqu'à  l'origine  de  la  queue,  en 
passant  au  bas  et  à  côté  de  la  nageoire  du 
dos.  L'on  sépare  ensuite  la  peau  avec  le 
scalpel  ou  un  morceau  de  bois  aplati  ;  Fou 
coupe  avec  des  ciseaux  la  racine  de  la  na- 
geoire du  dos,  et  lorsqu'on  est  parvenu  à 


368  METHODES 

la  nageoire  de  ]a  queue,  on  rompt  ]a  co- 
lonne vertébrale;  rien  n'en i pêche  plus  alors 
de  rejeter  la  peau  du  côté  où  Ton  est  placé  ; 
on  la  sépare  dWec  celle  de  l'autre  côté  par 
une  incision  longitudinale  ,  et  Fon  aura  un 
côté  de  la  peau  du  poisson,  à  laquelle  tien- 
dront une  moitié  de  la  tête ,  la  queue ,  la 
nageoire  du  dos  et  Tune  des  deux  ventrales. 

La  moitié  de  la  peau  d'un  poisson  ,  pré- 
parée de  cette  manière,  on  Tétend  sur  une 
table,  de  façon  que  l'intérieur  soit  en  des- 
sus ;  et  après  l'avoir  remplie  de  coton  ou 
d'étoupes,  on  la  retourne ,  en  prenant  garde 
qu'il  n'écliappe  que  le  moins  possible  de  ces 
matières. 

On  fixe  la  peau  et  les  nageoires  avec  de 
fortes  épingles  ou  des  pointes  enfoncées  dans 
la  table  de  distance  en  distance. 

Si  l'on  commence  par  assujettir  le  côté  de 
la  queue,  ce  qui  est  le  plus  facile,  on  intro- 
duit à  mesure  du  coton  ou  des  étoupes  entre 
la  table  et  la  peau,  par-tout  où  il  en  est 
besoin.  On  laisse  sécher  la  peau;  on  retire 
les  pointes  qui  la  contenoient;  on  la  vernit 
en  dehors  et  en  dedans;  on  la  place  sur  le 
fond  d'une  armoire  ou  d'un  cadre,  et  l'on 
aura  la  représentation  d'un  poisson ,  qui 
tiendra  le  moins  de  place  qu'il  est  possible, 

et 


DE  PREPARATION.  5Gç) 
el  dont  la  peau,  étant  vernie  des  deux  côtés, 
sera  moins  exposée  que  de  ioute  autre  ma- 
nière aux  ravages  des  insectes. 

L'opération  pour  conserver  par  moitié  les 
poissons  plats  est  la  même  que  pour  les 
poissons  de  forme  C3dindrique.  Mais ,  si  Ton 
veut  voir  les  deux  côtés  d'un  poisson  plat,, 
lesquels  ont  des  couleurs  différentes,  il  faut 
préparer  deux  poissons  de  la  même  espèce 
et  de  la  même  grandeur,  afin  d'avoir  chaque 
moitié  avec  ses  nageoires. Cependant ,  comme 
Tune  des  faces  de  la  plupart  de  ces  poissons 
est  blanche,  on  pourroit  se  contenter  de 
celle  qui  est  colorée. 

Gronovius  a  décrit  une  niélhode  très- 
simple  de  préparer  les  poissoas,  eii  ne  con- 
servant que  la  moitié  de  leur  peau. 
■>  11  faut  pour  cet  effet  une  paire  de  ciseaux 
à  pointe  aiguë,  de  petites  planches  de  bois 
de  tilleul  ou  des  assiettes  de  bois,  une 
aiguille  très-fine  ,  des  bandes  dé  parchemin 
aussi  larges  que  les  poissons ,  et  des  camions 
ou  petites  épingles.         ■  i.  l.;.. 

Prenez  le  poisson  par  votre  imain  gauche , 
de  sorte  que  soii  ventre  soit  vers  le  creux 
de  votre  main  ^  et  sa  tête  vei^s  votre  poi- 
trine :  faites  ensuite  avec  l'aiguille  une  petite 
ovivert'me  dernière  la  tête,  introduisez-y  la 

jPoi.s.9.  Tome  II.  A  a 


370  METHODES 

pointe  des  ciseaux ,  et  coupez  doucement 
de  ]à  jusqu'à  la  queue.  Si  vous  voulez  con- 
server le  côl^  droit,  il  faut  conduire  les 
ciseaux  du  côté  gauche  de  la  nageoiie.  Cela 
étant  fait,  pointez  vos  ciseaux  plus  profon- 
dément, et  divisez  la  chair  jusc(u'à  Tépine 
du  dos  ;  ensuite  tournez  le  poisson  le  ventre 
en  haut,  et  procédez  de  même  en  coupani 
avec  les  ciseaux  k  travers  la  tête  et  les  mâ- 
choires. Enlevez  la  cervelle  et  les  ouïes  ;  le 
poisson  alors  se  sépare  aisément  ;  les  intes- 
tins paroissent  et  on  les  enlève  sans  peine. 
Il  faut  ensuite  emporter  Fépine  du  dos , 
laver  le  poisson,  le  frotter  avec  un  linge 
jusqu'à  ce  qu'il  soit  sec ,  et  le  placer  sur 
une  planche ,  de  manière  que  la  peau  cou- 
verte de  ses  écailles  soit  au  dessus,  et  tenir 
toutes  les  nageoires  et  la  queue  étendues 
avec  des  épingles.  Il  faut  l'exposer  après  cela 
au  soleil  en  été,  ou  au  feu  en  hyver,  jus- 
qu'à ce  que  la  peau  soit  tout  à  fait  sèche  et 
dure;  ensuite  il  faut  le  tourner,  et  exposer 
de  même  la  chair  au  soleil  ou  au  feu  jusqu^à 
ce  qu'elle  soit  sèche  aussi.  On  peut  alors 
séparer  la  peau  de  la  chair  avec  très -peu 
de  peine,  et  l'ayant  mise  entre  deux  papiers, 
il  faut  l'aplatir  à  la  presse;  mais,  comme  la 
pression  fuit  toujours  sortir  une  espèce  d# 


DE  PREPAR7VTION.  371 
matière  glutineuse  entre  les  écailles  et  la. 
peau,  il  faut  mettre  sous  le  poisson  un  mor- 
ceau de  parchemin  qu^on  sépare  aisément 
des  écailles,  au  lieu  que  le  papier  s'y  attache 
toujours.  11  est  nécessaire ,  par  la  même  rai- 
son, de  renouveler  le  parchemin  au  bout 
d'une  heure  ou  deux.  Par  ce  moyen,  dans 
l'espace  de  vingt-quatre  heures,  le  poisson, 
est  préparé  (1). 

Les  opérations,  décrites  par  Mauduyt,  ne 
laissent  pas  d'exiger  une  main  adroite  et 
exercée.  En  voici  une  autre  plus  facile  et 
plus  commode  ,  particulièrement  pour  dé- 
pouiller les  poissons  plats,  qui  sont,  comme 
l'on  sait,  fort  nombreux  dans  cette  classe 
d'animaux.  Nicolas,  professeur  de  chimie, 
a  publié  ce  procédé  dans  un  petit  ouvrage 
intitulé  :  Méthode  de  préparer  et  consen^er 
les  animaux  de  toutes  les  classes,  pour  les 
cabinets  d'histoire  naturelle  ;  Paris ,  chez 
Buisson ,  rue  Hautefeuille ,  an  9. 

c(  On  fait  d'abord  une  incision  longitudi- 
nale, avec  des  ciseaux,  sous  le  ventre  du 
poisson ,  depuis  l'anus  jusqu'à  sa  mandibule 
inférieure  ;  et  puis ,  pour  commencer  à  dé- 

"  '  I     .         -11»  ■  I-  -1  .  u        I  u  .1  I  ,,  ^ 

(1)  Transactions  philosophi(jue3  de  la  société  <1# 
Londres,  année  1742  ;  n*'  463. 

A  a  a 


572  METHODES 

pouiller  le  poisson,  on  saisit  d'abord  la  peau 
avec  de  petites  pinces  à  Toi  igine  de  Tinci- 
sion  5  et  on  la  détache  peu  à  peu  des  chairs 
avec  la  lame  du  scalpel ,  et  ensuite  avec 
son  manche  aplati  ;  ce  que  Ton  continue  de 
faire  sur  toute  la  longueur  de  Tincision  lon- 
gitudinale 5  et  ce  jusqu'à  ce  que  Ton  soit 
parvenu  à  mettre  à  découvert  un  des  côtés 
de  ranimai. 

))  On  le  retourne  ensuite  de  l'autre  côté , 
et  on  procède  de  la  même  manière  à  Tenlè- 
vement  de  la  peau  de  cette  partie  ;  après 
quoi  on  coupe ,  avec  des  ciseaux,  l'épine 
dorsale  à  son  insertion  avec  la  tète ,  ainsi 
que  toutes  les  parties  charnues  qui  y  sont 
adhérentes. 

»  La  tête  étant  dégagée,  on  la  laisse  tom- 
ber le  long  du  corps,  et  on  achève  de  détacher 
la  peau  du  dos  jusqu'à  l'anus;  arrivé  en  cet 
endroit ,  on  pose  le  poisson  sur  une  table , 
et  on  fait  pénétrer  entre  la  peau  qui  recouvre 
la  queue  et  les  chairs,  le  manche  du  scalpel, 
pour  la  détacher  complettement.  Cela  fait, 
on  pousse  la  queue  de  dehors  en  dedans  pour 
la  retourner  en  totalité ,  ce  à  quoi  on  par- 
vient à  l'aide  d'un  scalpel  et  en  refoulant 
continuellement  la  peau  ,  mais  avec  peu 
d'efforts,  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  descendue 


DE    PREPARATION.      373 

vers  les  dernières  arêtes,  qui  ont  une  forme 
d'éventail.  On  coupe  avec  des  ciseaux  les 
arêtes  et  les  chairs,  tout  près  de  l'extréjnité 
de  la  queue;  ce  qui  sépare  entièrement  le 
corps  de  sa  peau,  et  on  arrache  ensuite  les 
ouïes  et  les  yeux ,  et  on  nettoie  proprement 
la  tête. 

»  La  peau  étant  ainsi  dégagée  du  corps 
charnu  ,  il  faut   la  mettre* en   macération 
pendant    quelques    jours    dans    la    liqueur 
tannante  ;  on  l'en  retire  ensiiite   pour  lui 
i^endre   sa  forme   naturelle  ;  ce  à  quoi  on 
parvient  de  la  manière  suivante  :  On  étend 
cette   peau  sur  une  table  ;  et   après    avoir 
bien   arrangé  la  tête  dans  sa   position ,  on 
remplit  un  des  côtés  de  la  peau  ,  de  terre 
argileuse  molle ,  mêlée  à  beaucoup  de  sable 
fin;  on  lui  fait  prendre,  en  la  pétrissant  avec 
les  doigts ,  la  forme  du  corps  de  l'animal  ; 
on  recouvre  ensuTfë  cette  espèce  de  manne- 
quin de  l'autre  partie  de  la  peau  ;  on  rap- 
proche les  bords  des  incisions  les   uns  des 
autres,  le  plus  près  possible;  et  après  avoir 
assujetti  le  tout  avec  de  petites  bandes  de 
linge  ,  on  le  laisse  sécher.  La  peau  prend 
<\e  la  consistance  par  la  dessication ,  et  con- 
serve parfaitement  sa  forme  :  mais  l'animal 
en  cet  état  n'est  point  k  l'abji  des  insectes 

Aa  3 


374  METHODES 

rongeurs;  il  faut  encore  à  leur  égard  prendre 
d'autres  précautions.  On  retire  d'abord  avec 
de  petites  pinces,  par  l'incision  longitudinale, 
en  soulevant  un  peu  la  peau ,  toute  la  terre 
argileuse  renfermée  dans  le  corps  ;  ce  qu'il 
est  facile  de  faire  en  rompant  cette  terre  en 
petits  fragmensj  avec  la  lame  d'un  couteau. 
»  Cela  fait,  on  enduit  tout  l'intérieur  de 
la  peau  et  de  la  tête,  au  moyen  d'un  petit 
pinceau ,  de  pommade  savonneuse  cam- 
phrée ;  et  après  avoir  entièrement  rempli 
le  corps  de  fîksse  hachée ,  on  recoud  pro- 
prement et  à  points  serrés  l'incision  longi- 
tudinale ,  pour  que  la  couture  soit  le  moins 
visible  possible  ;  après  quoi  on  pose  les  yeux 
artificiels  dans  les  orbites,  et  on  les  y  fixe 
avec  un  peu  de  cire  molle ,  et  on  passe 
ensuite ,  sur  toute  la  surface  de  la  peau , 
une  couche  de  vernis  blanc,  fait  avec  quatre 
onces  de  térébenthine  claire ,  trois  onces  de 
sandaraque ,  une  once  de  mastic  en  larmes  , 
huit  onces  d'essence  ou  huile  de  térében- 
thine, et  quatre  onces  d'alcohol,  ou  esprit 
de  vin  à  3o  ou  02  dégrés  ;  le  tout  mis 
en  digestion  dans  une  bouteille  au  bain 
marie,  c'est-à-dire ,  dans  de  l'eau  bouillante  ; 
mais  il  vaut  encore  mieux  n'employer 
qu'une  dissolution  de  gomme  arabique. 


DE  PREPARATION.  575 
»  On  peut,  si  l'on  veut,  se  dispenser  de 
faire  un  no}  au  de  terre  glaise  pour  donner 
la  forme  aux  poissons.  Les  peaux ,  en  sor- 
tant du  bain  de  macération ,  étant  bien 
enduites  de  pommade  savonneuse ,  peuvent 
être  rembourrées  de  suite  ;  mais  il  est  à 
craindre  qu'elles  ne  coutractent  quelques 
rides  en  se  desséchant. 

»  Pour  conserver  aux  peaux  des  poissons 
leur  couleur  naturelle ,  ou  au  moins  éviter 
qu'elles  ne  se  noircissent  trop  par  la  dessi- 
cation  ,  il  faut  les  faire  tremper  quelque 
tems  dans  une  liqueur  chargée  d'acide  mu- 
ria tique  oxygéné  ,  en  sortant  de  la  macé- 
ration dans  la  liqueur  tannante;  cette  ma- 
nipulation blanchit  singulièrement  bien  les 
peaux  et  leur  rend  ,  pour  ainsi  dire  ,  leur 
fraîcheur  naturelle. 

)>  La  liqueur  propre  à  blanchir  les  peaux 
des  poissons  se  prépare  en  faisant  distiller 
de  l'acide  muriatique  ordinaire  sur  de 
l'oxyde  de  manganèse ,  dans  une  cornue  de 
verre ,  ayant  un  tube  recourbé ,  luté  à  son 
bec.  On  place  la  cornue  dans  un  bain  de 
sable  ;  et  après  avoir  fait  plonger  l'extrémité 
recourbée  du  tube  de  verre  dans  une  cer- 
taine quantité  d'eau,  on  allume  le  fourneau , 
et  on  procède  ensuite  à  la  distillation.  Huit 

Aa4 


376        METHODE  S,  etcl 
onces  d'acide  et  quatre   onces  d'oxyde   de 
manganèse  du   commerce  ,    suffisent    pour 
oxygéner  environ  vingt  pintes  d'eau  ». 

Enfin ,  si  l'on  veut  préparer  les  squelettes 
des  poissons,  il  est  une  melliode  fort  simple 
que  1  on  doit  à  DaubenLon;  elle  est  consignée 
daus  un  Mémoire  que  cet  illusk^e  natura- 
liste lut  à  rinslitut  de  Paris  en  J797.  Ce 
procédé  consiste  à  faire  cuire  le  poisson  dans 
de  IVau  5.  jusqu'au  point  de  pouvoir  en  dé- 
tacher les  chairs  à  l'aide  du  scalpel.  Lors- 
qu'elles sont  enlevées  ,  on  fait  avec  un 
poinçon  ,  à  mesure  que  l'on  découvre  une 
jointure,  un  peiit  trou  pour  y  passer  un  fil 
de  laiton  ou  d'argent ,  et  l'y  nouer.  Cette 
opération  n'est  pas  difficile ,  et  ne  demande 
nulle  connoissance  d'anatomie.  Des  femmes 
même  pourroient  s'occuper  de  ce  travail, 
qui  n'exige  que  de  ia  patience  et  de  la 
dextérité.  Il  n'a  rien  de  répugnant  ;  c'est , 
dit  Daubenton,  comme  si  l'on  dépéçoit  uh 
poisson  dans  un  repas ,  pour  en  servir  aux 
convives. 


DES     FILETS, 

De  leur  fabrique  y  de  leur  entretien ,  et 
de  leurs  différentes  espèces. 

Xjes  filets  qu'on  emploie  dans  nos  mers 
sont  fails  généralement  avec  de  bon  fil 
retors  du  meilJeui;  brin  de  chanvre  ou  de 
lin.  Cependant  on  fait  en  Provence  quelques 
gros  filets  avec  de  l'auffe  (i),  et  les  groen- 
landais  avec  des  barbes  de  baleine  (2)  ou 
des  nerfs  de  daim.  Lionel  "Waffer  dit  aussi 
que  les  indiens  de  Tistlime  de  l'Amérique 
pèchent  avec  de  grands  filets  d'écorce  de 
mahot,  etc. 

Quelques  pêcheurs  établis  dans  les  villages 
sèment  un  champ  en  chenevis;  ils  font  la 
récolte  du  chanvre  ;  ils  le  rouissent  ,  le 
teillent ,  le  sérancent  eux-mêmes,  et  se 
dispensent  par  -  là  d'en  acheter.  Mais  ces 
travaux  s'associent  difficilement  avec  les 
occupations  continuelles  de  la  pêche,  et  ils 

(i)  Stipa  tenacissima  ,  Lin. 

(2)  Celte  sorte  de  filets  vaut  mieux  que  ceux  de 
chanvre. 


578       SUR    LES    FILETS 

sont  absolument  impraticables  pour  les  pê- 
<Dheurs  qui  habitent  les  villes.  Aussi  les 
pécheurs  fort  occupés  de  leur  métier  achètent 
au  marché  la  filature  toute  préparée  ;  et 
quand  ils  ont  une  nombreuse  famille ,  les 
femmes  et  les  filles  s'occupent  à  la  filer. 
Mais*,  comme  la  fabrique  des  filets  exige 
beaucoup  de  main-d'œuvre,  et  qu'on  peut, 
pour  un  écu  de  fil ,  faire  une  étendue  de 
filets  qui  coûteroit  douze  livres,  les  pêcheurs, 
pour  peu  que  leur  famille  soit  nombreuse , 
travaillent  eux-mêmes  leurs  filets.  Les  filles 
et  les  femmes  retordent  Je  fil ,  et  même 
aident  aux  hommes  à  lacer  ou  mailler  les 
filets  ,  étant  au  moins  aussi  habiles  qu'eux 
à  cette  sorte  de  travail. 

Ceux  qui  n'ont  point  de  famille  sontobhgés 
d'acheter  leurs  filets ,  et  c'est  pour  eux  une 
dépense  considérable.  Ceux  même  qui  la 
supportent  ne  sont  pas  dispensés  de  savoir 
mailler,  ne  fut-ce  que  pour  rétablir  les  filets 
qui  ont  souffert  quelque  dommage,  car  ils 
seroient  épuisés  en  frais  ,  s'ils  étoient  per- 
pétuellement obligés  de  payer  ces  sortes  de 
rhabillages  ,  que  les  pêcheurs  qui  savent 
mailler  font ,  ainsi  que  leurs  femmes ,  dans 
les  intervalles  de  tems  qui  ne  sont  pas  propres 
à  la  pêche. 


^T- 


DE     PECHE.  579 

Quoique  les  chanvres  du  Nord  bien  choisis 
passent  pour  faire  des  cordes  plus  fortes  que 
la  plupart  de  ceux  de  France,  les  pécheurs 
préfèrent  ces  derniers  (1)  ,  parce  que  nos 
chanvres  sont  durs  et  ligneux.  Cette  qualité, 
qui  est  un  défaut  pour  des  cordes,  fait  qu'en 
général  ils  pourrissent  moins  promptenient 
que  les  chanvres  doux  du  Nord ,  qui  font 
des  cordes  plus  fortes. 

Idée  générale  des  dwerses  espèces  de  filets. 

Les  pêcheurs  ne  font  point  les  cordages 
qui  leur  sont  nécessaires;  ils  les  achètent  des 
cordiers ,  qui  les  leur  vendent  au  poids. 

La  filasse  et  le  fil  s'achètent  au  marché, 
à  la  livre  ,  et  à  dififérens  prix  ,  suivant  la 
finesse  et  la  qualité  de  l'un  et  de  l'autre.  Il 
y  a  des  pécheurs  âgés  ou  infirmes  qui  s'oc- 
cupent avec  leur  famille  à  faire  des  filets 
qu'ils  vendent  à  l'aune,  et  dont  le  prix  varie 
suivant  la  nature  du  fil  ,  la  grandeur  des 
mailles  et  la  chute  du  filet.  Par  exemple  , 
les  saines  pour  le  hareng  sont  les  plus  chères, 
non  seulement  à  cause  de  leur  hauteur , 
mais  encore  parce  que  les  mailles  sont  fort 

(i)  En  Allemagne  les  pécheurs  préfèrent  les 
chanvres  du  Rhin. 


58o        SUR   LES   FILETS 

serrées ,  et  en  grand  nombie  (i) ;  ce  qui  fait 
qu'un  habile  laceur  ne  peut  en  faire  par 
jour  que  huit  ou  neuf  aunes;  au  contraire, 
un  bon  ouviier  peut  faire  douze  à  quinze 
aunes  de  nianets  qui  servent  pour  la  pèche 
du  maquereau  ,  dont  cependant  les  pièces 
ont  quarante-deux  à  quarante-quatre  mailles 
de  chute. 

Les  rets  dont  nous  venons  de  parler ,  et 
plusieurs  dont  il  sera  question  dans  la  suite, 
sont  de  simples  nappes  (2),  mais  qui  dilfèi'ent 
assez  considérablement  entre  elles.  Les  unes , 
ayant  les  mailles  fort  petites,  retiennent  le 
poisson  à  peu  près  comme  le  feroit  une  toile 
claiie;  d'autres,  qui  sont  destinées  à  prendre 
spécialement  une  espèce  de  poisson,  doivent 
avoir  leurs  mailles  tellement  proportionnées 
à  la  grosseur  ordj|Éin^e  de  cette  espèce  de 
poisson,  que  la  tête,  qui  est  plus  menue  que 
le  corps,  entre  dans  les  mailles  pendant  que 
le  corps  n'y  peut  })asser  ,•  alors  le  poisson  , 
qui  a  engagé  sa  tête  dans  une  maille,  ne 

(i)  On  les  fait ,  pour  la  plupart  ,  de  soie  grossière 
cîe  Perse  ,  parce  qu'ils  sont  plus  forts  et  qu'ils  peuvent 
durer  trois  ans. 

(2)  En  allemaucl  wande  ^  parois,  parce  qu'on  les 
étend  devant  les  poissons  qui  marcîient  par  troupe. 


D  E     P  E  C  II  E.  38i 

peut  la  franchir,  à  cause  de  la  grosseur  de 
son  corps,  et  il  ne  lui  est  pas  possible  de 
se  dégager  en  lentrant ,  parce  que  les  fils 
du  rets  s'engagent  dans  ses  ouïes.  Si  les 
mailles  de  ces  filets  sont  trop  petites  ,  les 
poissons  rebjoussent  chemin  avant  d'avoir 
engagé  leur  tète  jusqu'au  delà  des  ouïes;  et 
si  elles  étoient  trop  larges ,  les  poissons  les 
franchiroient  et  passeroient  au  travers. 

Il  y  a  des  filets  plus  composés ,  qu'on 
nomme  trémails  ou  tramaux  ^  parce  qu'ils 
sont  formés  de  trois  nappes  ou  rets  posés 
les  uns  sur  les  autres  ,  ce  qui  forme  trois 
mailles  qui  se  i^ecouvrent. 

Les  deux  rets  qui  renferment  le  troisième 
sont  formés  de  gros  fils  très-forts,  les  mailles 
en  sont  grandes  ;  on  les  appelle  volontiers 
hamaux  ou  aumés.  Les  mailles  des  hamaux, 
de  la  drège,  par  exemple,  ont  de  grandeur 
neuf  pouces  en  carré.  Cofume  les  hamaux 
qu'on  emploie  en  mer  n'ont  souvent  que 
quatre  mailles  de  chute,  un  bon  laceur  en 
peut  faire  cent  cinquante  aunes  par  jour. 

Les  rets  qui  sont  entre  les 'deux  hamaux 
se  nomment  la  nappe,  ou  la  toile,  ou  encore 
la  flue.  Ils  sont  faits  avec  du  fil  très-délié, 
ce  qui  n'est  sujet  à  aucun  inconvénient , 
parce  que  la  Hue  est  soutenue  par  les  fils 


582        SUR  LES  FILETS 

des  haniaux,  qui,  comme  je  Fai  dit,  sont 
très- forts. 

Les  pièces  de  flue  ont  les  mailles  beaucoup 
plus  serrées  que  les  hamaux,  puisqu'au  lieu 
de  quatre  mailles  de  chute  elles  en  ont  qua- 
rante-deux; et  pour  cette  raison  ,  le  meilleur 
ouvrier  n'en  peut  faire  que  douze  à  quinze 
aunes  par  jour.  Il  est  vrai  que  la  flue  doit 
avoir  un  peu  plus  d'étendue  que  les  hamaux 
pour  qu'elle  soit  toujours  flottante  entre 
deux.  On  en  apercevra  la  raison,  si  Ton 
fait  attention  que  quand  on  se  sert  de  ce 
filet  les  poissons  ne  s'y  maillent  point  comme 
quand  on  emploie  les  manets  ;  ceux  qui 
donnent  dans  la  flue  lui  font  faire  une  bourse 
entre  les  grandes  mailles  des  hamaux  ;  en 
se  débattant,  ils  tombent  dans  cette  bourse, 
ils  s'enveloppeilt  du  filet ,  et  ne  peuvent 
s'échapper.  L'avantage  de  ce  filet  est  qu'il 
s'y  prend  des  poissons  de  grosseur  fort  dif- 
férente, et  qu'ils  sont  également  arrêtés,  de 
quelque  côté  qu'ils  donnent  dans  le  filet. 

Outre  les  deux  espèces  de  filets  dont  je 
viens  de  parler ,  qui  sont  en  nappe ,  il  y  en 
a  qui  forment  un  sac  conique.  On  leur  donne 
sur  les  rivières  plusieurs  noms,  entre  autres 
celui  de  perçeux.  Ceux  qui  servent  à  la 
mer  s'appellent   sacs  ou  caches  ,   queues , 


DEPECHE.  585 

manches  ,  etc.  Je  donne  poui-  exemple  un 
veiveux  :  ces  filels,  à  la  forme  près,  sont 
maillés  comme  les  saines. 

De  la  fabrication  des  filets, 

Quoiqa^on  fasse  certains  filels  avec  des  fils 
très-fins ,  on  n'y  emploie  presque  jamais  des 
fils  simples.  Pour  que  ces  filets  se  soutiennent 
et  qu'ils  durent ,  ils  doivent  être  faits  avec 
du  fil  retors.  Il  faut  donc  que  les  fileuses 
achètent  de  bonne  filasse ,  bien  fine  ,  bien 
épurée,  de  chêne votte,  qui  soit  forte,  bien 
mûre ,  et  point  trop  rouie  ;  elles  doivent  la 
filer  de  différente  grosseur,  suivant  fespèce 
de  filet  qu'on  se  propose  de  faire.  Que  ]<% 
filasse  soit  filée  au  fuseau  ou  au  rouet,  il 
n'importe  ,  pourvu  que  le  fil  soit  bien  uni 
et  suffisamment  tors,  sans  l'être  trop;  car 
un  filet  trop  tors  n'a  presque  pas  de  force. 
Ce  sont  aussi  les  femmes  qui  retordent  et 
doublent  le  fil  qui  doit  être  employé  pour 
lé  corps  du  filet.  Mais  les  pêcheurs  ont  besoin 
de  lignes,  ou  petites  cordes  de  huit  pouces, 
ou  d'un  pied  de  longueur  au  plus,  pourlfes- 
quelles  le  fil  doit  être  retors  en  quatre.  Ces 
petites  ficelles,  que  sur  plusieurs  côtes  les 
pêcheurs  nomment  ainards ,  leur  servent  à 
attacher  la  tête  du  filet  sur  une  corde  qui 


584        SUR  LES   FILETS 

forme  une  borduie,  ou,  en  termes  de  ma- 
rine, une  ralingue.  Les  saines  et  les  manels 
en  ont  sur- tout  besoin. 

Ce  sont  ordinairement  les  hommes  qui 
font  ces  ainards  avec  une  espèce  de  rouet 
formé  par  une  roue  qui  est  fixée  solidement 
et  liorisonîalement  dans  un  inur  par  un  fort 
étrier  de  fer.  Une  petite  manivelle  sert  à 
faire  tourner  cette  roue ,  dont  la  circonfé- 
rence est  enveloppée  de  deux  cordes  :  cha- 
cune fait  tourner  une  molette.  On  altache 
au  crochet  de  chaque  molette  un  lil  relors; 
et  les  deux  fils  s'unissent  à  un  crochet  qui 
tient  au  plomb.  A  mesure  qu'on  tord  les 
fils ,  ils  se  roulent  Fun  sur  l'autre  ^  et  le  plomb 
monte  proportionnellement. 

Il  n'est  pas  hors  de  propos  de  faire  r-e^- 
marquer  qu'il  y  a  une  grande  différence 
entre  les  fils  simplement  doublés  et  retoiîs 
par  les  femmes  et  ceux  qui  sont  commis 
par  l'homme.  Les  femmes  roulent  l'un  sur 
l'autre  les  deux  fils  ,  qu'elles  ont  soin  de 
tenir  mouillés,  les  deux  pelottes  étant  dans 
un  vase  rempli  d'eau.  Ces  deux  fils,  venant 
à  se  dessécher  dans  cette  position ,  restent  uii 
peu  adhérens  entre  eux ,  quoiqu'il  n'y  ait 
point  de  force  expresse  qui  les  engage  à  se 
rouler  l'un  sur  l'autre. 

Il 


DE     P  E  C  H  E.  S85 

Il  n'en  est  pas  de  même  des  fils  que 
commet  l'homme.  Comme  il  im{3rime  un 
tortillement  à  chaque  fil,  ils  fonLelTort  pour 
se  détordre;  en  conséquence  ils  se  roulent 
Fun  sur  l'autre ,  et  il  faut  une  force  plus 
considérable  pour  désunir  ces  fils  commis, 
que  ceux  qui  ont  été  simplement  retors. 

Les  rouets  des  cordiers,  et  ceux  qu'em- 
ploient les  ouvriers  qui  font  des  cordonnets 
de  soie,  fournissent  des  moyens  bien  plus 
expéditifs  de  commettre  ensemble  plusieurs 
fils,  que  la  petite  machine  dont  il  est  ques- 
tion ,  et  qui  est  d'un  usage  assez  commua 
dans  plusieurs  ports. 

Les  pécheurs  ont  encore  besoin  de  ganse 
fine ,  qu'on  nomme  sur  la  côte  de  Noimandle 
ivarretée  ,  pour  joindre  ensemble  plusieurs 
pièces  de  rets  qui  doivent  former  par  leur 
réunion  une  pièce  complet  te  de  saine  où  de 
manet,-  mais  ils  n'ont  pas  coutume  de  les 
faire  :  ils  les  achètent  des  cordiei  s. 

Il  faut  que  ceux  qui  veulent  faire  des  filets 
soient  pourvus  de  fils  retors  de  différentes 
grosseurs,  ainsi  que  de  plusieurs  sortes  de 
lignes  ou  ficelles  :  il  leur  faut  de  plus  quelques 
outils. 


Poiss.  Tome  II  Bb 


586         SUR   LES    FILETS 

De  la   meilleure  manière  de  constater  la 
grandeur  des  mailles. 

Les  fîlels  ne  doivent  pas  avoir  tous  une 
même  grandeur  de  maille.  On  a  jugé  qu'il 
étoit  important  à  la  conservation  du  poisson 
qui  peuple  la  mer  de  lixer  l'ouverture  des 
mailles  que  de  voit  avoir  chaque  espèce  de 
filet.  Il  n'est  pas  aisé  de  mesurer  exactement 
en  pouces  et  lignes  l'ouverture  des  mailles; 
aussi  les  pêcheurs  ne  suivent-ils  pas  cette 
méthode.  Ceux  des  ports  du  Ponant  comptent 
combien  il  y  a  de  nœuds  au  pied  ou  à  la 
brasse  ,  et  ceux  de  la  Méditerranée  disent 
qu'il  y  a  lant  d'ourdres  au  pan  ou  à  la  brasse, 
ce  qui  revient  au  même.  La  différence  con- 
siste dans  la  diversité  des  mesures  et  des 
expressions.  Dans  les  ports  de  l'Océan  ,  le 
pied  est  de  douze  pouces,  et  la  brasse  est 
de  cinq  pieds.  Dans  les  ports  de  la  Médi- 
terranée ,  le  pan  est  de  neuf  pouces  ^  et  la 
brasse  de  sejjt  pans  et  demi.  Ainsi ,  par 
exemple  ,  un  filet  de  huit  ourdres  au  pan 
est  celui  dont  huit  nœuds  font  la  longueur 
d'un  pan  ou  de  neuf  pouces. 

Cette  façon  de  mesurer  la  grandeur  des 
mailles  par  le  nombre  des  nœuds  ou  ourdres 
est  commode ,  mais  elle  n'est  pas  sûre  ;  car , 


DE     PECHE.  387 

en  supposant  que  la  grandeur  soit  telle  qu'on 
Vexige  au  sortir  des  mains  de  l'ouvrier ,  elle 
cliange  considérablement  lorsque  le  filet  a 
servi,  ou  même  quand  il  sort  de  la  teinture 
ou  du  tan  :  les  fils  se  détordent ,  ils  se  crispent , 
ils  augmentent  de  grosseur,  ce  qui  diminue 
considérablement  l'ouverture  des  mailles. 
Cette  réflexion  a  fait  proposer  d'établir  la 
grandeur  des  mailles  sur  le  diamètre  des 
moules  qui  servent  à  les  travailler. 

L'Ordonnance  de  1681  a  iïxé  la  grandeur 
des  mailles  pour  toutes  les  espèces  de  filets, 
et  a  ordonné  qu'il  seroit  déposé ,  au  greffe 
des  amirautés ,  des  échantillons  de  toutes  les 
espèces  pour  avoir  sous  les  yeux  un  objet 
de  comparaison.  Mais  cette  Ordonnance 
mettroit  les  juges  en  droit  de  faire  brûler 
tous  les  filets;  car,  en  supposant  qu'un  filet 
neuf  auroit  été  conforme  à  l'Ordonnance  , 
il  ne  se  seroit  plus  trouvé  tel  après  avoir 
servi,  pour  les  raisons  qui  ont  été  rapportées 
plus  haut.  Quelques-uns  ont  cru  qu'il  eût 
été  mieux  de  fixer  les  dimensions  des  moules, 
et  d'en  conserver  aux  greffes  des  amirautés , 
non  seulement  des  modèles  exacts ,  mais  de 
plus  des  étalons,  qui  seroient  des  trous  percés 
dans  des  plaques  de  cuivre,  au  moyen  des- 
quels ou  conaoîtroit  exactement  et  facilement 

Bb  ^ 


588        SUR  LES  FILETS 

si  les  moules  qu^'emploient  les  mailieurs  sont 
conformes  à  lOrdonnance ;  mais  ce  moyen 
lie  mettroit  en  état  d'exercer  la  police  que 
chez  les  ouvriers  -maiileurs  ,  puisque  les 
mailles  changent  d'étendue  par  le  service* 
Ce  n'est  pas  tout;  la  diminution  des  mailles 
devient  encore  plus  ou  moins  considérable, 
suivant  la  grosseur  du  fil  qu'on  a  employé 
pour  les  faire,-  d'où  l'on  peut  conclure  que, 
quelque  précaution  qu'on  prenne  pour  fixer 
les  dimensions  des  moules,  les  pêcheurs  mal 
intentionnés  auront  un  moyen  d'éluder  la 
loi;  car,  si  l'on  veut  mesurer  les  mailles  d'un 
filet  qui  aura  servi,  les  pécheurs  crieront 
avec  raison  à  l'injustice,  assurant  que  leur 
filet  neuf  étoit  conforme  à  l'Ordonnance  ; 
et  si  Ton  fixe  la  grandeur  des  mailies  par  la 
grosseur  des  moules  ,  ils  parviendront  à 
rendre  en  peu  de  tems  les  mailles  plus  ser- 
rées, en  employant  du  fil  un  peu  plus  gros. 
D'où  il  suit  que,  si  Ton  prenoit  le  parti  de 
fixer  la  grandeur  des  mailles  par  les  moules, 
il  faudroit  en  même  tems  spécifier  de  quel 
fil  on  se  serviroit  ,*  ce  qui  n'est  pas  aisé  à 
vérifier,  d'autant  qu'il  y  a  des  fils  qui  se 
gonflent  plus  à  l'eau  que  d'autres. 

On  s'est  donc  beaucoup  attaché  dans  les 
différens  régiemens  qu'on  a  faits  ;  relativer 


D  E     P  E  C  H  E.  389 

ment  aux  pêches  ,  h  fixer  la  grandeur  de^ 
mailles  des  diverses  espèces  de  filets.  Mais, 
entre  tous  ces  inconvéniens  ,  l'on  n'a  pas 
fait  peut-être  attention  que,  quand  on 
traîne  le  filet  obliquement  au  couiant,  ou 
sur  le  sable  ,  les  fils  se  rapprochent  ,  les 
mailles  s'alongent,  et  elles  diminuent  telle- 
ment 5  que  celles  sur  -  tout  des  chausses  se 
ferment  presque  entièrement.  En  ce  cas  , 
l'exacte  dimension  des  mailles  ne  seroit  utile 
que  pour  les  filets  qui  seroient  bien  tendus, 
et  qu'on  opposeroit  perpendiculairement 
au  courant;  et  ces  circonstances  sont  assez 
rares. 

Des  dlfferens  petits   instrumens  qui  servent 
-    à  lacer  ou  à  mailler  les  filets. 

Les  filets  sont  d'un  tissu  trop  lâche  pour 
que  les  fils  puissent  se  maintenir  dans  là 
situation  réciproque  qu'ils  doivent  avoir 
par  Jeur  seul  entrelacement  ;  il  a  été  né- 
cessaire d'arrêter  les  fils  les  uns  aux  autres  , 
en  faisant  des  nœuds  dans  tous  les  endroits 
où  ils  se  croisent  ;  et  il  faut  que  toutes  \q^ 
mailles  d'un  filet  soient  d'une  grandeur  dé- 
terminée. Voici  les  outils  qui  sont  nécessaires 
pour  ce  travail. 

Des  ciseaux  de  moyenne  grandeur,  Ordi-* 

Bb  3 


Bqo     sur  les  filets 

nairement  les  pêcheurs  les  prennent  ronds 
par  rextréniité  des  lames ,  afin  de  pouvoir 
les  porter  dans  leurs  poches  sans  étui ,  et 
sans  courir  risque  de  se  blesser. 

Des    aiguilles    de    différentes   grandeurs. 
Quelques  -  unes  sont  longues  de   treize  à 
quatorze  pouces.  Celles  de  neuf  pouces  de 
long  sur  deux  lignes  d  épaisseur  servent  pour 
Jacer.  Celles  de  six  à  sept  servent  pour  ré- 
parer ou  ramender  les  filets  fins,  et  aussi 
pour  travailler  les  filets  qu'on  fait  avec  du  fil 
très-délié.  On  fait  ordinairement  \g^  unes  et 
les  autres  d'un  bois  léger,  tels  que  le  cou- 
drier, le  fusain ,  le  saule,  le  peuplier.  Elles 
se  terminent  en  pointe  par  un   bout ,  où 
elles  forment  un  angle  aigu  :  il  faut  que  sa 
pointe  soit  mousse ,  et  que  toutes  les  parties 
de  l'aiguille  soient  arrondies ,  pour  qu'il  n'y 
ait  point  d'arêtes  qui  endommagent  le  fiL 
Qes  aiguilles  sont  évidées  à  jour  dahs  une 
longueur  de  deux  pouces  et  demi  ou  trois 
pouces ,  suivant  la  grandeur  des  aiguilles  ; 
et  l'on  ménage,  au  milieu  de  cette  partie 
évidée,   une    baguette   qui  ne  s'étend   pas 
jusqu'au   haut.    Beaucoup   de   pêcheurs  la 
nomment  languette  (i).  Quelquefois  on  la 
forme  avec  une  broche  de  fer. 

(i)  Les  pêcheurs  allemands  la  nomment  aussi  zunge 


DE     PECHE.  591 

L'extrémité  de  Taiguille  ,  opposée  à  la 
pointe,  est  fourchue  ou  entaillée  d'environ 
un  quart  de  pouce  :  cette  partie  s'appelle 
la  coche  ou  le  talnn. 

On  charge ,  emplit,  ou  couvre  les  aiguilles 
avec  du  fil  :  lous  ces  termes  sont  synonymes. 
Pour  cela  on  prend  un  peloton ,  ou ,  en  terme 
de  laceur ,  un  lisseau  de  fil  :  on  met  un  bout 
du  fil  sur  Taiguille,*  on  pose  le  pouce  dessus; 
et,  tenant  le  reste  du  fil  avec  la  main  droite, 
on  le  passe  par  dessus  la  pointe  de  la  lan- 
guette ,  pour  lui  faire  faire  deux  tours  au 
pied  de  la  languette  ;  puis  on  conduit  le  fil 
dans  la  coche,  on  le  remonte  sur  la  partie  an-^ 
térieure  de  Taiguille,  on  le  fait  passer  autour 
de  la  languette,  de  là  dans  Fentaille  du  talon, 
et  on  le  remonte  le  long  de  la  face  postérieure 
de  l'aiguille  :  ce  que  l'on  continue  jusqu'à  cô 
que  l'aiguille  soit  entièrement  chargée. 

Pour  faire  passer  aisément  le  fil  autour 
de  la  languette  ,  on  appuie  avec  le  pouce 

elle  est  faite  du  même  morceau  de  bois  que  le  reste 
de  rinstrument.  Le  meilleur  bois  est  le  fusain  ;  en 
allemand,  spillbaum\  en  latin,  ei^onymus.  La  cocbe 
ou  le  talon  de  l'aiguille  s'appelle  en  allemand  die 
gabel.  Charger  l'aiguille  c'est,  en  terme  de  pêcheurs 
allemands ,  die  nadel  auffœdnen.  Le  lisseau  s'appelle 
knauL 

Bb  4 


592  SUR   LES   FILETS 

sur  cette  languette  ^  afin  qu'elle  déborde 
Faigaille  par  derrière  ;  ensuite  on  appuie 
avec  le  doigt  index  sur  la  même  aiguille, 
pour  la  fnire  sortir  du  côté  de  la  face  anté- 
rieure (  1  )  :  et  de  cette  façon ,  lorsqu'on  eu 
a  contracté  Thabitude  ,  on  charge  l'aiguille 
très-promptement  et  avec  facilité. 

Quelques-uns  trouvent  plus  commode  de 
tourner  Faiguille  dans  la  main  gauche , 
plutôt  que  de  remonter  le  fil ,  tantôt  par 
devant,  et  tantôt  par  derrière  l'aiguille  {2), 

11  y  a  une  autre  sorte  d'aiguille  qui  sert 
ordinairement  pour  rhabiller  (3).  On  inlro- 
duit  le  fil  entre  les  serres,  et.  ces  aiguilles 
servent  comme  les  autres,  qui  cependant 
sont  préférables,  parce  que  l'extrémité  est 
moins  sujette  à  s'accrocher  dans  les  fils  que 
les  séries  de  celle-ci. 

Un  morceau  de  bois  qui  -porte  à  chacun 
de  ces  bouts  un  crochet:  on  le  nomme  palet, 

(i)  Dans  bien  des  provinces  du  nord,  les  pêcheurs 
se  servent  du  pouce  pour  appuyer  sur  l'aiguille  et  U 
faire  sortir  du  côté  de  la  face  antérieure., 

(2)  C'est  I.'i  méthode  des  allemands. 

(5)  En  allemand  ,  ausbiissen.  Les  aiguilles  à  rhabiller, 
en  allemand  ,  aush'dss-nadeln ,  ne  sont  que  des  mor- 
ceaux do  bois ,  larges  comme  la  main  ,  avec  une  fente 
dans  le  milieu  pour  y  passer  le  fil. 


DEPECHE.  393 

Quelques  mailleurs  s'en  servent  pour  tenir 
le  filet  tendu;  pour  cela,  on  passe  un  des 
crochets  dans  une  maille;  et  l'autre,  ou 
clans  quelqu'autre  maille  de  filet,  ou  dans 
quelque  crochet  ou  corde  qui  se  trouve  à 
portée  de  celui  qui  travaille. 

Afin  que  les  mailles  soient  d\me  gran- 
deur uniforme,  on  les  travaille  sur  un  mor- 
ceau de  bois  rond  ou  plat,  qu'on  appelle 
moule  (1). 

Pour  faire  des  mailles  qui  ont  peu  d'ou- 
verture, on  se  sert  de  moules  cylindriques, 
ou  d'une  petite  règle  de  bois.  Si  les  mailles 
sont  grandes,  comme  celles  des  hamaux,  par 
exemple ,  les  moules  cylindriques  seroient 
trop  gros  pour  être  tenus  entre  les  doigts: 
c'est  pourquoi  on  les  fait  avec  une  petite 
planche,  qui  a  aux  bouts  un  ou  deux  petits 
talons  pour  empêcher  le  fil  de  couler  sur  le 
bout  de  ces  moules:  car  le  fil  qui  doit  faire 
la  maille  enveloppe  le  moule  ,  suivant  la 
longueur.  Ces  sortes  de  moules  ne  doivent 
avoir  que  trois  à  quatre  lignes  d'épaisseur, 
et  être  faits  d'un  bois  fort  léger,  parce  qu'il 
faut  les  tenir  entre  le  pouce  et  le  doigt  index 
de  la  main  gauche. 


(i)  En  aile  m  and  7  strickestock  ou  strickehoîz. 


594         SUR   LES   FILETS 

Les  moules  ]es  plus  grands ,  sur  les  côtes 
de  Normandie  et  de  Picardie,  sont  destinés 
à  faire  les  liamaux  de  la  drège;  ils  ont  neuf 
pouces  de  longueur,  non  compris  les  talons. 
11  3^  en  a  de  beaucoup  plus  grands.  Les 
moules  pour  les  soles  ont  sept  pouces  de 
langueur  totale ,  et  six  pouces  un  quart,  sans 
comprendre  les  talons.  Si  Ton  a  une  idée  de 
ces  moules  et  de  leur  usage,  on  concevra 
que  le  pourtour  du  moule  donne  l'ouverture 
de  la  maille  de  ces  sortes  de.  filets,  qui  est 
égale  à  deux  fois  la  longueur  du  moule. 

Le  moule  cj^lindiique  qui  sert  pour  faire 
les  mailles  de  la  flue  de  la  drège ,  a  sept  ou 
huit  lignes  de  diamètre  ,•  celui  pour  les 
mailles  des  nianets  hors  la  Manche,  dont 
le  fil  est  plus  gros  que  dans  la  Manche,  a 
douze  lignes  de  diamètre.  Celui  qui  sert 
pour  les  manets  dans  la  Manche ,  a  onze 
lignes  de  diamètre.  Celui  qui  fixe  les 
mailles  pour  la  drège  de  la  vive ,  qui  est 
permise  en  Normandie  pendant  le  carême, 
et  dont  le  tissu  est  très-délié,  a  huit  lignes 
deux  tiers  de  diamètre.  Celui  qui  sert  à  faire 
les  niailles  pour  la  ))cclie  du  hareng  à  Yar- 
mouth,  et  dont  le  fil  est  plus  gros  que  pour 
la  pèche  dans  la  Manche,  a  huit  hgnes  un 
tiers  de  diamètre.  Celui  qui  sert  pour  faire 


DEPECHE.  SgS 

les  filets  destinés  à  la  même  pêche  auprès 
des  côtes,  a  huit  lignes  de  diamètre;  et  celui 
qui  sert  pour  faire  de  petites  saines  très- 
légères,  dont  les  mailles  sont  fort  petites^ 
et  qu'on  nomme  warneites  en  Normandie, 
n'a  que  sept  lignes  ou  sept  lignes  et  demie 
de  diamètre. 

Les  houleux  sont  du  nombre  des  rets  les 
plus  serrés.  Leurs  mailles  sont  faites  sur  un 
moule  de  trois  lignes  de  diamètre,  plus 
ou  moins;  car  les  bouteux  n'ont  pas  exacte- 
ment leurs  mailles  d'une  même  grandeur. 

La  circonférence  des  mailles  d'un  filet 
est  le  tour  de  son  moule ,  dont  le  quart 
donne  la  grandeur  d'un  des  côtés  de  la 
maille.  Pour  rendre  la  chose  plus  sensible, 
supposons  que  la  maille  d'une  saine  doive 
être  d'un  pouce  en  carré,  c'est-à-dire,  que 
chacun  des  quatre  fils,  qui  en  forment  le 
contour,  a  wn  pouce  de  longueur,  d'un 
nœnd  à  un  a^itre.  Le  moule  ayant  seize 
lignes  de  diamètre,  sa  circonférence  est  de 
quarante-huit  lignes,  dont  le  quart  est 
douze,  qui  est,  suivant  la  supposition,  la 
longueur  que  doit  avoir  chacun  des  côtés 
de  la  maille  de  la  saine  :  bien  entendu  qu'il 
ne  s'agit  pas  ici  d'une  précision  géométrique. 

Pour   se   dispenser    d'employer  de  gros 


5(j6         SUR   LES   FILETS 

moules  qui  sont  difficiles  à  manier ,  et  ce- 
pendant ne  pas  laisser  de  faire  de  grandes 
mailles,  on  fait  quelquefois  deux  tours  de 
fil  sur  le  moule  pour  chaque  maille. 

Explication  de  quelques  termes  qu  emploient 
les  mailleurs. 

Quand  un  filet  est  tendu  verticalement, 
le  bord  à'cn  haut  se  nomme  la  tête  (i),  et 
le  bas  s'appelle  le  pied.  Souvent  la  tête  du 
filet  est  bordée  d'ujie  corde,  garnie  de  mor- 
ceaux de  liège,  qu'on  nomme  flottes  (2);  et 
le  pied  est  pareillement  bordé  d'une  autre 
corde,  garnie  de  bagues  de  plomb:  c'est  ce 
qu'on  nomme  la  plombée  (3).  La  levure 
d'un  filet  est  le  premier  rang  de  mailles  ou 
de  demi-mailles  par  lesquelles  on  le  com- 
mence (4);  ainsi,  quand  on  dit,  lever  un 

(1)  La  plupart  de  ces  ternies  d'art  sont  inconnus 
en  Allemagne.  Les  pêcheurs  disent  ,  die  obère  und 
die  untere  leine ,  oder  reif ,  en  parlant  des  bords  supé- 
rieurs et  inférieurs  de  leurs  filets.  Le  bord  d'en  haut 
s'appelle  quelquefois  das  haupt ,  et  par  corruption  , 
ÏLcet. 

(2)  En  allemand, ^0355672. 

(5)  En  allemand,  hleyreif.  Cette  corde  est  de  crin, 
•qui  dure  plus  long-tems  que  le  chanvre. 
(4)  Eu  allemand  ,  anfangs-maschen,     . 


DEPECHE.  597 

filet,  c'est  le  commencer  ou  former  la  levure  ; 
et  quand  on  dit,  poursuivre  un  filet,  c'est 
continuer  à  former  les  mailles, 
•  On  nomme  accrues  (i)  des  boucles  qu'on 
fait  servir  de  mailles,  pour  augmenter  re- 
tendue d'un  filet.  Comme  cet  article  est 
important ,  nous  en  donnerons  un  détail 
particulier. 

Les  mailles  doubles  se  font  en  mettant 
sur  l'aiguille  deux  fils  au  lieu  d'un;  ce  qui 
fournit  le  moyen  de  détacher  un  filet  d'un 
autre,  comme  quand  on  veut  faire  un  goulet 
dans  un  vei  veux  ,•  on  verra  dans  la  suite , 
que  cette  pratique  a  de  grands  avantages. 

Enlarmer  un  filet  ^  c'est  le  border  d'une 
espèce  de  lisière,  formée  de  grandes  mailles 
qu'on  fait  avec  de  la  ficelle.  Il  y  a  de  ces 
lisières  qui  ont  assez  de  largeur,  et  qui  sont 
faites  de  mailles  une  fois  plus  grandes  que 
celles  du  filet  :  elles  ne  servent  que  pour  for- 
tifier le  filet.  D'autres  lisières  sont  étroites, 
et  formées  de  très -grandes  mailles;  elles 
servent  à  recevoir  une  corde ,  qui ,  y  étant 
passée,  tient  lieu  comme  d'une  tringle  de 


(i)  En  allemand,  fliegende  maschen  ,  ou  en  terme 
(l'art ,  einhœnge-maschen. 


598         SUR    LES    FILETS 

rideau  ,•  et  en    ce    cas   les  mailles  servent 
d'amieaux. 

En  Provence,  on  appelle  chappe  une 
espèce  de  galon,  dont  les  mailles  sont  d'un 
fil  plus  fort  que  celui  de  ce  filet,  et  ont 
quinze  lignes  en  carré. 

Border  un  filet  (1),  c'est  Tentourer  d'une 
corde  qu'on  attache  au  filet ,  de  trois  en  trois 
pouces ,  avec  des  révolutions  d'un  bon  fil 
retors.  Cette  corde,  qu'on  peut  appeler,  ert 
terme  de  marine,  une  ralingue,  sert  à  for- 
tifier le  filet.  Ceux  qu'on  traîne  en  ont  sur-» 
tout  besoin. 

Coudre  un  filet ,  c'est  joindre  plusieurs 
filets  ensemble  pour  en  faire  un  grand. 

Monter  un  filet ,  c'est  le  garnir  des  cordes 
et  apparaux  qui  le  mettent  en  élat  de  servir. 

On  nomme  corde  en  aussière  celle  qui 
est  formée  de  plusieurs  faisceaux  de  fils 
commis  les  uns  avec  les  autres  ,*  et  corde 
câblée  ou  en  grelin  ,  celle  qui  est  formée  de 
plusieurs  aussières  commises  ensemble. 

On  appelle  goulet  (2)  l'embouchure,  en 
forme  d'entonnoir ,  des  filets  en  ver  veux  , 

(1).  En  allemand  ,  einf assert, 
(2)  En  allemund  ,  elnkehU^ 


DE     PECHE.  399 

laquelle  fait  que  le  poisson  y  eu  Ire  aisément, 
et  ne  peut  presque  jamais  eu  soi  Ui\ 

De  la  différente  forme  des  mailles. 

On  fait  deux  sortes  de  mailles;  les  unes 
sont  carrées  ,  et  les  autres  en  losange  (  1  ). 
Quand  les  filets  à  mailles  carrées  sont  tendus, 
tous  les  fils  qui  forment  les  mailles  sont  pa- 
rallèles entre  eux,  et  encore  parallèles  à  la 
tête  du  filet;  de  sorte  que  toutes  représentent 
comme  un  damier.  On  peut  faire  les  hamaux 
des  tramaux  en  mailles  carrées  :  il  y  a  cepen- 
dant des  hamaux  en  losange. 

A  l'égard  des  filets  qui  sont  à  mailles  en 
losange,  lorsque  les  filets  sont  tendus,  \es 
fils.,  quoique  parallèles  entre  eux,  forment 
des  lignes  obliques,  eu  égard  à  la  tête  du 
filet;  de  sorte  que  les  angles  aigus  des  mailles 
sont  haut  et  bas.  Les  mailles  des  flues ,  des 
manets,  des  saines,  et  de  la  plupart  des  filets 
sont  en  losange. 

Ces  deux  sortes  de  filets  se  travaillent  bien 
différemment;  mais,  avant  d'en  parler,  il 
faut   expliquer    les   différentes    façons    de 
faire  les  nœuds. 
p -"■  ■■   '* 

(i)  En  allemand,  spie^ellicht. 


4oo        SUR    LES    FILETS 

De  la  manière  dont  se  font  les  différons  nœuds 
qui  joignent  les  fils  les  uns  avec  les  autres. 

Il  y  a  deux  façons  (Fexécuter  les  nœuds: 
l'une  se  nomme  dessus  le  pouce  ;  elle  sert 
principalement  pour  les  grandes  mailles  des 
hamaux  ,  ainsi  que  pour  les  rhabillages  ;  et 
dans  certaines  circonstances  ce  nœud  est 
fort  commode. 

L'autre  sorte  de  nœud  se  nomme  sous 
le  petit  doigt.  Ce  nœud  est  d'usage  pour 
toutes  les  espèces  de  filets  :  il  a  l'avantage 
d'être  expédilif,  fort  assuré  de  former  des 
mailles  bien  régulières. 

Comme  il  faut  varier  la  grandeur  des 
mailles  suivant  l'espèce  de  filet  qu'on^  se 
propose  de  faire,  il  est  nécessaire  de  choi- 
sir un  moyen  proportionné  à  la  grandeur 
qu'on  veut  donner  aux  mailles,  et  avoir  une 
aiguille  chargée  d'un  fil  plus  ou  moins  gros, 
suivant  l'espèce  de  filet  qu'on  se  propose  de 
travailler.  Ces  préparatifs  sont  nécessaires  j 
de  quelqu'espèce  de  nœud  qu'on  veuille  faire 
usage. 

Manière  de  faire  le  nœud  sur  le  pouce. 

Pour  faire  le  nœud  sur  le  pouce ,  il  faut 
passer  dans  un  clou  à  crochet  ua  bout  de 

ficelle, 


DE     P  E  C  H  E.  401 

ficelle  y  qu'on  noue  ponr  en  former  une 
anse.  On  ])asse  clans  cette  anse  le  fil  avec 
lequel  on  veut  faire  le  filet;  on  forme  avec 
ce  fil  un  nœud  simple  ,  qu'on  ne  serre  pas 
Jusqu'auprès  de  la  corde,  mais  on  l'arrête 
à  une  dislance  proporlionnée  à  la  grandeur 
qu'on  veut  donner  aux  demi- mailles  ,  par 
lesquelles  doit  commencer  le  filet. 

Voici  une  des  manières  dont  peut  être 
fait  le  nœud  simple  :  en  supposant  que  ces 
fils  rapprochés  forment  l'anse,  on  pose  le 
moule  sous  l'angle  qui  est  formé  par  la 
réunion  de  ces  deux  fils  ;  on  serre  le  bout 
du  fil  q^u'on  a  passé  dans  l'anse  entre  le 
doigt  index  et  le  moule  ;  on  entoure  le 
moule  par  sa  révolution ,  puis  on  le  passe 
autour  de  la  branche  pour  le  conduire  par 
dessus  elle  et  par  dessous  l'autre  fil;  tirant 
ensuite  le  bout ,  le  nœud  simple  est  fait  ; 
mais  il  n'est  pas  capable  d'arrêter  la  maille; 
il  faut,  comme  disent  les  laceurs,  l'assurer 
par  un  second  nœud  :  et  voici  comme  l'on 
fait  celui  qu'on  nomme  sur  le  pouce. 

On  saisit  le  nœud  simple  entre  le  pouce 
et  l'index  de  la  main  gauche  ;  ou  prend  de 
la  main  droite  le  reste  du  fil  ou  l'aiguille 
qui  en  est  chargée,  et  on  le  jette  par  dessus 

Poiss,  Tome  IL  Ce 


402         SUR  LES  FTLETS 

le  ponce  de  la  main  gauche,  lui  faisant 
décrire  une  révolution  qui  passe  par  dessus 
Fanse  de  corde  ;  on  le  ramène  ensuite  à 
rextréniité  an  pouce  de  la  main  gauche; 
puis  on  passe  Taiguille  par  dessous  les  deux 
branches  de  la  demi-maille ,  et  on  l'introduit 
dans  l'anse  ;  de  sorte  que  la  partie  du  fil 
qui  forme  cette  anse  se  trouve  sous  Faiguille. 
Alors  ^  tenant  toujours  le  nœud  bien  ferme 
entre  le  pouce  et  le  doigt  index  de  la  main 
gauche  ^  ainsi  que  la  portion  du  fil  qui  y 
répond ,  et  faisant  en  sorte  que  l'anse  et  les 
deux  branches  de  la  demi -maille  soient 
tendues ,  on  finit  le  nœud  en  tirant .  l'aiguille 
vers  soi.  Pour  que  le  nœud  soit  bien  arrêté, 
il  faut  que  ce  nœud^  dit  sur  le  pouce  ,  s'arrête 
sur  le  nœud  simple;  car,  s'il  se  formoit  au 
dessous  5  comme  cela  arrive  quand  on  ne 
serre  pas  fortement  le  nœud  simple  avec 
le  pouce ,  le  nœud  ne  seroit  pas  arrêté  et 
ne  vaudroit  rien. 

Souvent  les  îaceurs  font  les  démi-mailles 
qui  forment  la  tête  du  filet  ,  comme  on 
vient  de  l'expliquer  ,  sans  se  servir  de 
moule;  et  l'habitude  qu'ils  ont  contractée 
par  un  long  usage ,  fait  qu'ils  leur  donnent 
une  grandeur  assez  uniforme.  Mais  le  mieux 
est  de   les  faire  sur  un  moule  ;  et  on  ne 


DEPECHE.  4o3 

i'abanclonne  pas  en  assurant  ce  nœud  simple 
par  le  nœud  sur  le  pouce. 

Manière  de  faire  le  nœud  sous  le  petit  doigt. 

Après  ce  qui  a  été  dit,  on  conçoit  que 
]e  nœud  sur  le  pouce  prend  en  partie  celte 
dénomination  de  la  grande  révolution  qui 
enveloppe  le  pouce. 

Pour  détailler  Fart  de  faire  le  nœud  sou3 
le  petit  doigt ,  supposons  qu'il  y  ait  des 
demi-mailles  de  faites.  On  tient  le  moule 
entre  le  pouce  et  le  doigt  index  ,  de  sorte 
qu\in  des  bouts  du  moule  s'appuie  contre 
le  pli  que  le  pouce  fait  en  s'articulant  avec 
la  main ,  et  que  l'autre  bout  du  moule 
excède  un  peu  le  doigt  index. 

Que  le  moule  soit  rond ,  ou  qu'il  soit 
aplati ,  sa  longueur  doit  être  placée  fort 
près  des  nœuds  des  demi-mailles  ,  ou  des 
mailles  qu'on  a  formées  en  premier  lieu. 

Supposant  le  moule  saisi ,  comme  nous 
venons  de  le  dire  ,  on  passe  d'abord  le  fil 
par  dessus  le  moule;  oh  le  rabat  sous  l'ex- 
trémité du  pouce  ;  ensuite  aj^ant  détaché 
le  quatrième  doigt  des  autres  doigts,  en  le 
portant  un  peu  en  avant,  on  descend  le  fil 
pour  le  passer  par  dcvssous  et  derrière  le 
quatrième  doigt;  et  continuant  la  révolution 

Ce  3 


4o4        SUR   LES    FILETS 

du  fil  ,  on  le  remonte  derrière  le  moule  J 
eulre  le  moule  et  Tindex;  puis  on  le  rabat 
sur  le  moule  [your  l'engager  entre  le  moule 
et  le  pouce  :  après  quoi  l'on  fait  décrire  à 
ce  fil  une  ligne  circulaire,  passant  par  dessus 
l'anse  de  corde  ou  les  demi-mailles;  ensuite 
on  descend  le  fil  derrière  tous  les  doigts  pour 
le  passer  derrière  et.  sous  le  petit  doigt. 

Quand  le  111  a  parcouru  cette  circonvo- 
lution 5  on  en  tire  le  bout ,  et  conduisant 
le  nœud  tout  près  du  moule  par  le  petit 
doigt,  sans  discontinuer  de  tirer  le  bout  du 
fil,  on  dégage  enfin  le  petit  doigt;  on  serre 
fortement  le  nœud  sur  le  bo\  d  supérieur  du 
moule,  et  l'opération  est  ainsi  achevée. 

Pour  rendre  ceci  encore  plus  clair,  nous 
distinguons  en  trois  opérations  ce  qui  regarde 
le  nœud  sous  le  petit  doigt. 

A  la  première  on  passe  le  fil  entre  le  moule 
el  l'extrémité  du  pouce  ;  et  pour  le  tourner 
autour  du  quatrième  doigt,  on  lui  fait  faire 
une  révolution  :  après  l'avoir  conduit  der- 
rière le  moule,  on  le  rabat  sous  le  pouce, 
qui  doit  le  tenir  ferme  ;  de  là  on  le  mène  entre 
le  pouce  et  le  moule  ;  ensuite  on  lui  fait 
décrire,  par  dessus  l'anse  de  corde  ou  les 
demi-mailles ,  une  grande  révolution  ;  puis 
jj.  descend  derrière  le  moule  et  tous  les  doigtç 


DE     PECHE.  4o5 

pour  embiasser  le  petit  doigt ,  laissant  le 
quatrième  doigt  engagé  dans  l'anse  ;  mais 
quand  le  fil  est  arrivé  sous  le  petit  doigt ,  la 
première  opération  est  finie. 

Pour  la  seconde  :  supposant  le  fil  passé 
sous  le  petit  doigt ,  on  le  remonte  par  dessous 
le  hi  pour  le  passer  sur  l'autre  branche  du 
même  fil,  puis  derrière  Findex,  et  au  travers 
de  la  demi-maille  qui  se  rencontre  directe- 
ment près  la  pointe  de  l'aiguille.  On  conçoit 
que  l'aiguille  est  nécessaire  pour  faire  passer 
le  fil  par  la  route  indiquée. 

Pour  la  troisième  et  dernière  opération, 
tous  les  doigts  ayant  été  promptement  dé- 
gagés de  l'anse ,  aussitôt  que  l'aiguille  a  sorti 
tout  à  fait  hors  de  la  demi-maille ,  et  le  pouce 
ne  servant  plus  qu'à  contenir  le  moule  et  à 
peser  dessus  pour  bien  tendre  toute  la  partie 
supérieure,  le  petit  doigt,  qui  demeure  seul 
entouré  du  fil,  s'élève  avec  lui  peu  à  peu 
jusqu'au  moule  ,  et  ne  se  dégage  de  ce  fil 
que  quand  on  est  près  de  serrer  le  nœud; 
alors ,  si  Ton  tire  fortement  le  bout  du  fil , 
qu'on  doit  toujours  supposer  tenir  l'aiguille  ^ 
le  nœud  est  fini. 

Il  est  bon  de  remarque]'  qu'on  dégage  tous 
les  doigts  des  révolutions  du  fil ,  excepté  le 
petit  doigt.  A  l'égard  du  pouce  et  de  l'index ^^ 

Ce  3 


4o6         SUR   LES    FILETS 

'  ils  ne  servent  plus  qu'à  tenir  le  nionle  en 
état,  et  à  tendre  L'i  demi-maille,  condition 
nécessaire  pour  que  le  nœud  se  forme  bien. 
Il  faut  encore  observer  (jue ,  pour  donner 
la  liberté  de  passer  l'aiguille  dans  les  révo- 
lutions du  fil ,  on  tient  Tanse  fort  longue  , 
et  elle  ne  joint  le  dessous  du  petit  doigt  que 
quand  l'aiguille  est  entièrement  passée. 

Manière  de  travailler  les  filets. 

Il  ne  suffit  pas  de  savoir  faire  les  nœuds; 
cette  connoissance  seroit  inutile  ,  si  l'on 
ignoroit  comment  on  forme  les  mailles.  Nous 
avons  dit  qu'il  y  en  a  de  deux  sortes  ;  celles* 
qui  forment  des  losanges  ^  et  celles  qui  sont 
carrées.  Nous  allons  expliquer  séparément 
la  manière  de  leâ  faire. 

Manière  de  travailler  les  filets  dont  les 
mailles  sont  en  losai'ffge, 

11  faut  commencer  par  faire  ce  qu'on 
nomme  la  hviire^  qui  est  composée  d'un 
nombre  de  demi  -  mailles  qui  forment  la 
tête  du  filet.  A  cet  égard  la  pratique  des 
mailleurs  n'est  pas  uniforme. 

Les  uns ,  ayant  fait  une  anse  de  ficelle , 
la  passent  dans  un  crochet ,  et  y  attachent 


DE    P  E  C  H  E.  407 

par  un  nœud  simple  le  iil  dont  ils  doiveiit 
faire  le  filet;  piiiç  plaçant  le  moule  sous  le 
nœud  qui  est  au  bas  de  Tanse,  ils  font  la 
maille;  ils  retirent  le  moule  de  celte  maille, 
le  posent  dessous    et   font  la  maille,  doqt 
les  branches  sont  d'inégale  longueur,  ainsi 
que  toutes  les  autres,  jusqu'au  bout  de  la 
levure  ;   ils   tirent  ensuite   le  moule  de  la 
niaiUe  pour  le  placer  dessous  et  faire  l'autre 
maille.  Ils  font  de  même  et  successivement, 
Jes  autres  mailles.  Comme  le  maiileur  doit 
tirer  fortement  sur  les  mailles  qu'il  a  faites , 
elles  sont  fermées,  et  les  fils  sont  rapprochés 
tout  près  les  uns  des  autres.  On  ne  fait  usage 
de  cette  levure  qu'en  ouvrant  les  mailles  et 
y  passant  une  ficelle;  mais,  comme  la  levure 
qu'on  vient  de  faiie  se  raccourcit  à  peu  près 
de  moitié ,   lorsqu'on  ouvre   les  mailles ,  il 
faut  la  faire  une  fois  plus   longue  que  ne 
doit  être  la  tête  du  filet.  Si  cette  tête  doit 
avoir  quatre  pieds  de  longueur,  il  faut  que 
la  longueur  de  la  levure  soit  de  huit  pieds. 

Il  y  a  des  mailleurs  qui  commencent  leurs 
filets  par  certaines  anses  qu'ils  nomment  des 
pigeons.  Cette  levure  a,  dans  quelques  cir- 
constances,  des  avantages  sur  les  autres. 

Ces  pigeons  sont  de  grandes  anses  arrêtées 
par  un  nœud  sur  le  pouce;  on  doit  avoir; 

Ce  4 


4o8         SUR   LES   FILETS 

Fatiention  d'écarter  les  noeuds  de  la  valent 
d'une  demi  -  maille,  parce  que  les  demi- 
maiiles  qu'on  fera  dans  la  suite  s'attacheront 
au  milieu  des  espaces.  On  ne  se  sert  point 
de  moules  pour  faire  les  pigeons,  non  plus 
que  les  demi-mailles;  pour  les  tenir  d'une 
longueur  pareille  ,  et  que  les  intervalles 
soient  égaux  entre  eux ,  on  passe  les  doigts 
de  la  main  gauche  entre  les  pigeons,  et 
appuyant  dessus ,  on  fait  en  sorte  que  tous 
les  nœuds  soient  à  une  même  hauteur. 

Les  demi-mailles  étant  faites,  on  continue 
à  travailler  le  filet  sur  un  moule,  comme 
nous  l'avons  expliqué  plus  haut. 

D'autres  niàilleurs  font  d'abord  une  anse 
de  corde  qui  est  formée  de  trois  branches, 
dont  deux,  servent  à  arrêter  cette  anse  dans 
un  crochet;  et  c'est  sur  la  troisième  branche 
qu'ils  font  les  demi -mailles  en  assez  giand 
nombre  pour  y  garnir  toute  la  longueur  de 
la  tête  du  filet.  Ainsi ,  supposant  que  la  tête 
du  filet  doive  avoir  deux  pieds,  et  que  les 
mailles  aient  un  pouce  d'ouverture,  il  fau- 
dra mettre  dans  l'anse  de  corde  vingt-quatre 
demi-mailles. 

C'est  ainsi  que  les  mailleurs  ont  coutume 
de  travailler.  Mais,  pour  rendre  plus  sen- 
sible cette  opération,  nous  supposons  qu'oa 


DE     P  E  C  IJ  E.  4oc> 

forme  toutes  les  demi -mailles  c[ai  doivent 
faire  la  levure  sur  uue  corde  qui  est  tendue 
sur  une  règle  de  bois  qu'on  suspend  en 
équilibre  par  les  cordes  à  un  crochet ,  afin 
de  pouvoir  aisément  tourner  le  filet  à  toutes 
les  rangées. 

Ayant  fait  la  fausse  maille  dans  laquelle 
passe  une  cheville,  et  qui  sert  à  arrêter  les 
demi  r-  mailles  qu'on  fera  dans  la  suite  sur 
toute  la  longueur  de  la  corde,  on  garnit  ces 
demi  -  mailles. 

Ces  demi-mailles,  qui  sont  faites  sur  uu 
moule-,  paroissent  arrondies  par  en  bas  ; 
mais,  quand  on  fera  les  mailles  du  premier 
rang  qui  's'attachent  au  milieu  des  demi- 
mailles,  ces  demi- mailles,  qui  étoient  arron- 
dies ,  seront  devenues  triangulaires ,  ainsi  que 
toutes  les  suivantes.  De  même  les  mailles  qui 
sont  arrondies  par  en  bas  deviendront  an- 
guleuses ,  et  formeront  des  losanges  quand 
on  aura  fait  le  second  rang  de  mailles.  Il  est 
clair  qu'en  continuant  de  travailler  les  autres 
rangs  de  mailles,  comme  nous  venons  de 
l'expliquer,  on  fera  toute  l'étendue  du  filet 
en  mailles  losangées. 

Mais  il  est  bon  de  faire  remarquer  qu'on 
fait  toujours  les  filets  de  maille  de  gauche  à 
droite.  Ainsi ,  quand  une  rangée  est^  faite. 


4io         SUR   LES    FILETS 

dans  toute  îa  largeur  du  iilet,  on  doit  re- 
tourner pour  revenir  sur  ses  pas^,  et  faire  la 
seconde  rangée,  toujours  de  gauche  à  droite, 
et  les  suivantes  de  même  jusqu'à  ce  que  le 
filet  soit  achevé. 

Pour  exécuter  le  travail  que  iious  venons 
d'exposer  d'une  façon  générale ,  il  faut , 
quand  on  a  fait  la  levure  ou  le  premier  rang 
de  demi- mailles  dans  toute  l'étendue  que 
doit  avoir  la  tête  du  filet,  retourner  le  filet, 
de  sorte  que  ce  qui  étoit  du  côté  de  la  main 
droite  se  trouve  du  côté  de  la  gauche ,  pour 
faire  le  premier  rang  de  mailles;  commen- 
çant ce  rang  par  le  bout,  qui  alors  est  du 
côté  de  la  main  gauche,  et  le  finissant  par 
le  bout  qui,  lorsque  le  filet  est  retourné,  se 
trouve  du  côté  de  ki  main  droite.  Quand 
cette  rangée  sera  finie,  on  retournera  le  filet 
pour  commencer  la  troisième  rangée  par  le 
bout ,  qui  alors  sera  du  côté  de  la  main 
gauche,  et  le  finir  par  le  bout  qui  répondia 
à  la  main  droite.  Quand  cette  rangée  sera 
finie ,  on  retournera  encore  le  filet  pour 
commencer  la  troisième  rangée. 

Nous  ne  poursuivrons  pas  plus  Ion  g- te  ms 
le  filet  ,•  ce  que  nous  venons  de  diie  feja 
comprendre  où  sont  les  attaches  des  diiïé- 
rentes  mailles;  comment  les  mailles,  qui  sont 


DE     P  E  C  H  E.  411 

arrondies  au  sortir  du  moule ,  deviennent 
losanges;  et  comment,  à  cause  des  attaches, 
il  y  a  au  bord  du  filet  des  mailles  longues , 
et  des  demi-mailles  qui  forment  une  espèce 
de  bordure. 

La  plupart  des  laceurs  arrêtent  la  pre- 
mière fausse  maille  par  un  nœud  sur  le 
pouce  ,  et  ils  font  toutes  les  autres  avec  le 
nœud  sous  le  petit  doigt.  Cela  ne  doit  point 
faire  une  règle  générale;  chacun  est  maître 
d'employer  un  nœud  ou  un  autre. 

Comment  on  bride  un  filet  à  mailles  en 
losange  ,  pour  qu'il  ne  paisse  salonger 
aux  dépens  de  sa  largeur. 

Un  inconvénient  des  filets  à  mailles  en 
losange ,  est  qu'ils  changent  beaucoup  de 
forme  ,  suivant  qu'on  les  tire  dans  un  sens 
ou  dans  un  autre.  Si  on  les  tire  dans  une 
certaine  direction  ,  les  mailles  s'étendront 
beaucoup  ;  elles  deviendront  si  étroites  ,  que 
les  fils  se  toucheront  presque ,  et  les  mailles 
perdront  presque  toute  leur  ouverture  ;  ce 
seroit ,  en  beaucoup  de  circonstances  ,  un 
inconvénient  considérable. 

On  pourroit  le  prévenir  et  faire  en  sorte 
que  les  mailles  conservassent   leur   forme 


4i2        SUR   LES   FILETS 

régulière  ,  en  passant  une  corde  dans  toutes 
les  mailles  ,  et  les  assujetlisant  sur  cette 
corde  avec  un  bon  fil  relors  :  c'est  ce  qu'on 
appelle  border  un  fiîet.  Mais  les  mailleurs 
pjoduisent  le  même  effet  d'une  façon  plus 
expéditive  ,  et  qui  leur  coule  moins  :  pour 
cela  ,  quand  on  a  fait  le  dernier  rang  de 
mailles  ,  on  pose  sous  les  dernières  mailles 
un  moule  qui  doit  être  beaucoup  plus  menu 
que  celui  qui  a  servi  à  faire  les  mailles.  On 
fait  au  milieu  du  bas  de  la  première  maille 
une  petile  maille  qui  ne  sert  qu'à  assujettir 
3e  moule ,  ensuite  on  passe  le  fil  par  devant 
le  moule  ,  et  opérant  à  l'ordinaire  pour 
mailler  sous  le  petit  doigt  ,  on  se  trouve 
obligé  de  faire  une  révolution  alongée,  afin 
de  gagner  le  milieu  de  la  maille  où  l'on 
fait- un  second  nœud;  puis,  sans  changer 
Ja  position  du  moule,  et  y  conservant  les 
nouvelles  mailles,  on  fait  les  révolutions  et 
les  nœuds.  Quand  on  a  ôté  le  moule  ,  il 
doit  rester  un  fil  qui  assujettit  les  demi^ 
mailles  dans  l'ouverture  qu'elles  doivent 
avoir. 

Si  Ton  employoit  un  moule  trop  gros , 
ou  si,  en  faisant  les  nœuds,  ou  tenoit  les 
mailles  trop  ouvertes,  les  fils,  au  lieu  de 
forigaer    une    ligne    droite    d'un   nœud    k 


DE     PECHE.  4i5 

l'autre ,  feroient  une  courb(3  en  dehors  :  ce 
seroit  un  défaut;  les  mailles  ne  seroient  pas 
bien  assujetties.  Si  le  moule  étoit  trop  menu, 
ou  qu'en  travaillant  on  tire  les  mailles  trop 
près  les  unes  des  autres ,  les  bords  du  filet 
seroient  froncés  ,  et  le  lilet  feroit  bourse. 
Lorsqu'on  aura  ainsi  formé  des  mailles  tout 
au  pourtour  du  filet ,  il  ne  pourra  plus 
changer  de  forme. 

Manière  de  joindre  ensemble  deux  filets  au 
moyen  des  mailles  dont  il  vient  d'être 
question.  * 

Il  est  évident  que,  si  Fou  met  l'un  sur 
Fautre  deux  filets  de  même  grandeur  et  qui 
aient  des  mailles  pareilles ,  on  pourra ,  en 
suivant  ce  qui  vient  d'être  dit,  réunir  très- 
exactement  ces  deux  filets,  pourvu  que  Foa 
comprenne  dans  chaque  nœud  deux  fils,  un 
de  chaque  filet. 

Ce  que  c'est  qu^enlarmer  un  filet. 

L'on  a  dit  plus  haut  qu'enlarmer  unfilet  (i) 
c'est  le  border  de  grandes  et  fortes  mailles 
faites  avec  de  la  ficelle,  ou  au  moins  avec 


(i)  En  allemand,  ein  netz  saumen. 


4i4        SUR   LES   FILETS 

un  fil  retors  beaucoup  plus  fort  que  celui 
qui  forme  le  filet,  et  crempéclier  qu'il  ne 
rompe  quand  on  le  traîne. 

Quelquefois  ,  mais  cela  arrive  rarement  , 
on  passe  une  corde  dans  les  mailles  de  Yen- 
larmure;  et  celle  Corde  tendue  faisant  Toffice 
d'une  tringle  de  rideau  ,  pendant  que  les 
mailles  servent  d'anneaux,  on  peut  plier  le 
filet  sur  lui-même,  comme  l'on  fait  d'un  ri- 
deau ;  en  ce  cas ,  il  paroît  préférable  de  garnir 
les  bords  du  filet  avec  des  anneaux  de  métal, 
ce  qu'on  appelle  des  bouclettes  ;  mais  il  est 
bien  rare  qu'on  fasse  usage  de  filets  ainsi 
montés. 

Pour  enlarmer  un  filet,  il  faut  avoir  du 
fil  retors  ou  do  la  ficelle ,  deux  ,  trois  ou 
quatre  fois  grosse  comme  Je  fil  qui  a  servi 
à  faire  le  filet.  On  en.  charge  une  grosse 
aiguille.  Si  la  ficelle  est  assez  une ,  on  peut 
s'en  servir  pour  faire  deux  rangs  de  mailles 
au  bord  du  filet,  la  passant  dans  toutes  les 
mailles  inférieures,  et  l'assujettissant  dans 
chacune  par  un  nœud.  Mais  communément 
la  ficelle  qui  sert  pour  enlarmer  est  grosse, 
et  on  fait  les  mailles  fort  grandes.  Pour  cela, 
on  ne  prend  dans  la  ficelle  les  mailles  que 
de  deux  en  deux;  assez  souvent  même  oh 
passe  deux  mailles. 


DE     P  E  C  H  E.  4i5 

On  forme  des  anses  on  œillets  aux  angles 
du  filet  qui  servent  à  attacher  les  cordes 
pour  le  tendre  ou  le  traîner. 

Poiu^  faire  commodément  les  mailles  de 
Fenlarmure,  ainsi  que  les  brides,  on  passe 
dans  les  maillés  du  bord  opposé  à  celui  où 
Ton  va  travailler  une  corde  qu'on  attache 
à  deux  crochets  ,  ou  dont  on  réunit  les 
bouts  par  un  nœud ,  pour  faire  une  anse 
qu'on  passe  dans  un  crochet.  Quand  l'enlar^^ 
mure  est  faite,  on  retire  cette  corde. 

Des  accrues. 

Les  mailleurs  font,  en  plusieurs  circons- 
tances ,  des  boucles ,  fausses  mailles ,  ou 
mailles  volantes ,  qu'ils  nomment  accrues  , 
parce  qu'elles  leur  servent  à  augmenter 
rétendue  de  leur  filet  dans  un  sens  ou  dans 
un  autre  ,  à  volonté  (  i  ).  Nous  croyons 
devoir  expliquer  ici  la  façon  de  les  faire, 
parce  que  les  accrues  sont  absolument  néces- 
saires pour  faire  les  Blets  à  mailles  carrées 
que  nous  avons  promis  de  décrire. 

Nous  choisissons,  po'ur  expliquer  comment 

(i)  Le  terme  des  pêcheurs  allemands, c'est  :;^//2e////ze^, 
et  les  mailles  ainsi  ajoutées  s'appellent  einhœnge- 
maschen. 


4i6         SUR   LES    FILETS 

on  fait  des  accrues,  un  iilefc  à  mailles  car- 
rées, pai'ce  que  la  démonstration  en  sera 
plus  sensible;  cependant  on  jette  des  accrues 
aux  filets  à  mailles  en  losange,  comme  à 
ceux  à  mailles  carrées. 

Quand  on  a  fait  la  levure  .et  le  premier 
rang  de  mailles,  si  l'on  veut  faire  une  accrue 
après  avoir  fait  le  nœud  qui  assure  une  maille, 
on  continue  de  mailler ,  mais  en  passant 
lencore  le  fil  dans  une  autre  maille  pour 
former  à  l'angle  de  cette  maille  un  second 
nœud.  Lorsqu'on  aura  bien  serré  le  nœud 
et  retiré  le  moule ,  on  aura  l'anse  qu'on 
nomme  une  accrue. 

Dans  le  tems  qu'on  fera  la  file  de  mailles , 
les  mailles  se  termineroient  s'il  ny  avoit 
point  d'accrue;  mais  attendu  que  Ton  passera 
le  fil  dans  l'accrue  comme  dans  une  maille , 
et  qu'on  fera  le  nœud ,  la  rangée  des  mailles 
sei^a  prolongée. 

On  peut  concevoir  comment,  au  moyen 
des  accrues,  on  peut  élargir  un  filet  tant 
qu'on  veut ,  car  on  peut  former  plusieurs 
accrues  dans  une  ^Aq  de  mailles,  et  augmenter 
le  nombre  des  mailles  proportionnellement 
à  celui  des  accrues. 

Il  y  a  une  autre  façon  de  faire  des  accrues , 
a.u  moyen  de  laquelle  on  augmente  le  nombre 

des 


DEPECHE.  4i7 

des  mailles,  et  par  conséquent  la  largeur  du 
filet  à  la  rangée  même  où  Ton  forme  l'accrue. 
Pour  cela ,  on  fait  à  l'ordinaire  les  mailles , 
et  Ton  porte  le  fil  qui  part  d'une  maille  jus- 
qu'au nœud  d'une  maille  du  rang  plus  haut; 
on  n'y  fait  ])oint  de  nœud  :  on  passe  seule- 
ment le  fil  dans  une  des  jambes  de  la  maille; 
on  le  descend,  et  l'on  fai^  un  nœud  sur  le 
pouce.  Les  autres  mailles  se  font  à  l'ordl- 
waire  :  on  voit  que  la  file  des  mailles  est 
augmentée  d'une  maille,  ainsi  que  tous  les 
rangs  qui  suivront. 

Comment  on  diminue  la  largeur  du  filet  (i).' 

11  est  bien  plus  aisé  de  diminuer  la  largeur 
des  filets  que  de  l'augmenter  ,  puisque  le 
rétrécissement  se  fait  en  comprenant  deux 
mailles  dans  un  même  nœud.  Alors  les  fils 
des  mailles  seront  doubles,  ce  qui  n'est  sujet 
à  aucun  inconvénient;  mais  le  nombre  des 
mailles  de  la  file  où  l'on  aura  réuni  deux 
mailles  sera  diminué  d'un.  Il  est  clair  qu'on 
parviendra  aussi  à  diminuer  peu  à  peu  la 
largeur  d'un   filet  sans  faire  de  difformité 

(i)  En  allemand,  ahnehmen. 

Poiss.  Tome  II.  Dd 


4i8        SUR   LES   FILETS 

sensible;  car  on  peut  réunir  des  mailles  au 
milieu  des  rangées  comme  sur  les  bords. 

Façon  de  travailler  les  filets  à  mailles 
carrées. 

Quoiqu'on  fasse  beaucoup  plus  de  filets 
à  mailles  en  losanges  qu'à  mailles  carrées, 
il  y  a  des  ouvriers  accoui  unies  à  travailler 
les  mailles  carrées ,  qui  prétendent  que  ces 
filets  coûtent  moins  et  qu'ils  sont  plus  aisés 
à  travailler. 

Ces  filets  ne  se  commencent  pas  comme 
ceux  à  mailles  en  losanges  :  on  ne  fait  point 
une  levure  qui  ait  toute  la  largeur  du  filet. 
On  commence  les  filets  à  mailles  carrées 
par  un  angle. 

Ainsi  5  ayant  une  aiguille  chargée  de  fil , 
et  un  moule  proportionné  à  la  grandeur  que 
doivent  avoir  les  mailles,  on  tourne  une  ou 
deux  fois  le  fil  autour  du  moule;  on  noue 
ensemble  les  deux  bouts;  et  ayant  retiré  le 
moule,  on  a  une  anse  de  fil  qui  servira,  si 
Ton  veut ,  à  faire  la  première  maille ,  et 
qu'on  passera  dans  le  clou  à  crochet;  ensuite 
on  posera  le  moule  sous  cette  maille  pour 
en  faire  une  autre  ,  qui  sera  la  première 
maille  du  rang  ;  et  sans  Tôter  du  moule ,  on 


DEPECHE.  4i9 

fera  une  accrue  ,  comme  on  l'a  expliqué  plus 
liant.  Celle  accrue  lienclra  lieu  d'une  seconde 
maille  au  second  rang* 

On  tire  le  moule  de  ces  deux  mailles,  et 
on  retourne  le  filet  pour  faire  le  troisième 
rang.  On  pose  le  moule  sous  Faccrue,  et  on 
forme  une  maille  qui  a  deux  branches  fort 
inégales,  allendu  que,  partant  du  nœud  qui 
est  au  dessus  de  Faccrue,  et  ayant  enveloppé 
le  moule,  le  fil  remonle  el  forme  la  branche 
courte  qui  va  s'attacher  par  un  nœud  au 
dessous  de  Faccrue.  Sans  changer  la  position 
du  moule  j  on  procède  à  une  autre  maille, 
qui  va  s'attacher  au  bas  de  la  maille  du 
second  rang;  et  le  moule  restant  toujours 
dans  la  même  position ,  on  fait  ensuite  une 
accrue. 

Ayant  retiré  le  moule  de  ces  mailles,  ou 
retourne  le  filet  ;  et  pour  former  les  mailles 
du  quatrième  rang ,  on  pose  le  moule  sous 
l'accrue.  On  y  fait  une  maille  à  branches 
inégales;  plus^  une  seconde >  une  troisième^ 
el  une  accrue* 

On  continue  de  faire  les  mailles  dans  le 
même  ordre  ^  terminant  toutes  les  rangées 
par  une  accrue  sur  la  droite,  ce  qui  aug-- 
mente  d'une  maille  la  largeur  du  filet.  Quand 
©n  est  parvenu  à  la  moitié   de  la  large  un 

Dd  â 


420         SUR  LES  FILETS 

que  ]e  filet  doit  avoir,  au  lieu  d'augmen-^ 
ter  la  largeur  du  filet,  il  faut  la  diminuer;  ce 
qu'on  fait  en  comprenant ,  à  la  fin  de  chaque 
rangée ,  deux  mailles  dans  un  même  nœud. 
Lorsqu'on  aura  fait  en  rétrécissant  autant 
de  rangées  qu'on  en  avoit  fait  en  élargissant, 
le  filet  sera  réduit  à  une  maille,  qui  sera  à 
un  angle  opposé  à  celui  de  la  première  maille 
par  laquelle  on  avoit  commencé  le  filet ,  et 
qui  est  accrochée  dans  le  clou. 

Jusqu'à  présent  cette  pièce  de  filet,  qui 
doit  être  carrée,  a  une  forme  losange  ,*  et  les 
mailles  qui  doivent  être  carrées  ont  aussi 
cette  même  forme.  Mais  quand  on  le  tendra 
par  ses  angles,  de  sorte  qu'un  des  côtés  soit 
horisontal ,  la  pièce  entière  et  les  mailles 
auront  la  forme  carrée  qu'on  désire. 

Pour  rendre  plus  précises  et  plus  claires 
les  idées  générales  que  nous  venons  de  pré- 
senter, il  faut  suivre  pied  à  pied  la  façon  de 
travailler  ces  sortes  de  filets. 

On  commence  par  entourer  le  moule 
d'une  ou  deux  révolutions  du  fil  dont  on 
veut  faire  le  filet  ;  et  ayant  arrêté  ce  ûl  par 
un  nœud ,  on  a  une  anse  ou  une  maille 
qu'on  passe  dans  un  clou  à  crochet.  On 
pose  le  moule  sous  cette  maille  ;  on  passe 
le  fil  sur  le  moule  et  dans  la  maille  pour 


DE    P  E  C  H  E.  421 

faire  une  autre  maille;  on  passe  encore  le 
fil  dans  la  première  maille  pour  faire  à  la 
droite  une  accrue. 

Ou  dégage  le  moule  de  ces  deux  mailles , 
qui  forment  le  second  rang,  et  Ton  fait  une 
autre  rangée  quand  on  aura  retourné  le 
filet. 

Pour  faire  le  troisième  rang  des  mailles 
on  retourne  le  filet  ;  alors  l'accrue ,  qui  étoifc 
du  côté  droit ,  se  trouve  du  côté  gauche  : 
on  pose  le  moule  sous  cette  accrue ,  et  avec 
le  fil ,  qui  part  du  bas  de  la  première  maille, 
on  fait  une  autre  maille  qui  s'attache  au  bas 
de  l'accrue.  Les  branches  de  cette  maille 
sont  inégales,  puisqu'elle  part  du  dessus  de 
l'accrue,  et  qu'elle  va  s'attacher  au  dessous 
de  cette  'même  accrue.  Tenant  le  moule 
dans  la  même  position ,  on  flvit  une  autre 
maille  ,  qui  part  du  dessous  de  l'accrue , 
et  va  s'attacher  au  dessous  de  la  seconde 
maille  ;  enfin  on  fait  l'accrue.  Le  troisième 
rang  de  mailles  étant  fini,  on  tire  le  moule 
des  mailles,  et  l'on  passe  auquatrièaie  rang. 
Enfin ,  jusqu'à  ce  qu'on  soit  arrivé  à  la  partie 
du  filet  la  plus  large,  on  commence  toutes 
les  rangées  par  une  maille  longue,  et  on 
les  termine  par  une  accrue. 

Quand  on  est  parvenu  au  plus  large  ,  c'est 

Dd  3 


4'2t  SUR  LES  FILETS 
tout  le  contraire  ;  car,  pour  achever  la  por- 
tion inférieure  du  filet,  il  faut  le  rétrécir  : 
ainsi ,  au  lieu  de  faire  des  accrues  au  bout 
do  toutes  les  rangées  de  mailles,  on  com- 
prend les  deux  dernières  mailles  du  rang 
supérieur  dans  un  même  nœud.  Par  ce 
moyen  ,  la  longueur  de  chaque  rangée  est 
diminuée  d'une  maille  ;  et  enfin  le  filet  est 
terminé  par  une  maille ,  comme  il  avoit  été 
commencé. 

Comment  on  fait  un  filet  à  mailles  carrées  y 
qui  soit  plus  long  que  large ^ 

On  est  souvent  dans  le  cas  de  faire  à 
mailles  carrées  des  filets  qui  ont  beaucoup 
plus  de  longueur  que  de  largeur.  Pour  y 
parvenir ,  on  prend  d'abord  avec  une  ficelle 
la  mesure  de  la  longueur  et  de  la  largeur 
qu'on  se  propose  de  donner  au  hameau 
qu'on  va  travailler. 

11  faut  commencer  par  former  la  pre- 
mière maille  ,  et  continuer  à  former  les 
mailles  comme  on  l'a  dit ,  jetant  une  accrue 
du  côté  de  la  droite  à  toutes  les  rangées  : 
on  continuera  à  jeter  des  accrues  à  toutes 
les  rangées  du  côté  de  la  droite  ;  mais  aussi 
à  toutes  ces  mêmes  rangées  on  rassemblera 


DE    P  E  C  H  E.  425 

dans  un  même  nœud  deux  mailles  du  côlé 
de  la  gauche ,  c'est-à-dire ,  qu'au  bout  de 
chaque  rangée  de  mailles  on  jettera  une 
accrue ,  et  à  l'autre  bout  on  réunira  deux 
mailles  dans  un  même  nœud. 

On  continuera  ainsi  jusqu'à  ce  qu'il  faille 
terminer  le  hlet  en  pointe;  alors  on  ne  jettera 
plus  d'accrue  ,  mais  on  continuera  à  prendre 
à  toutes  les  rangées  deux  mailles  dans  un 
même  nœud ,  jusqu'à  ce  que  le  filet  soit 
réduit  à  n'avoir  plus  qu'une  maille ,  et  cette 
maille  se  terminera  comme  elle  a  été  com- 
mencée. Quand  ce  filet  sera  tendu,  il  sera 
carré  long ,  et  ses  mailles  carrées. 

Manière  de  faire  un  trémail ,   tramail  (i), 
ou  filet  contre-maillé . 

Nous  avons  déjà  dit  quelque  chose  des 
filets  contre-maillés ,  qu'on  appelle  t rémails 
ou  iramails^  et  souvent,  parmi  les  pêcheuis, 
tramaux.  11  nous  reste  à  exposer  la  manière 
de  les  faire. 

Cette  espèce  de  filet  est  formée  de  trois 
rets  posés  les  uns  devant  les  autres.  Les  deux 
rets  extérieurs,  qui  sont  à  grandes  mailles, 

(i)  £ji  allemand  ,  dreymaschigtes  garn, 

D  d  4 


424      SUR    LES    FILETS 
se  nomment  les  aumées  ou  hamaux  ;  et  celui 
qui  est  renfermé   entre  deux   s'appelle   la 
nappe ,  la  toise  ou  la  flue. 

On  fait  souvent  les  aumées  en  mailles 
carrées;  cependant  on  peut  sans  beaucoup 
d'inconvéniens  les  faire  en  mailles  à  losanges, 
et  quantité  de  mailleurs  suivent  cet  usage. 
Comme  il  faut  que  ces  aumées  soient  fortes, 
on  y  emploie  de  la  ficelle  faite  de  quatre 
fils  forts  et  bien  travaillés.  On  doit  choisir 
de  la  ficelle  plus  grosse  pour  les  grands  filets 
que  pour  les  petits;  mais  if  est  toujours 
important  qu'elle  soit  faite  de  bon  fil  bien 
fort.  Les  mailles  des  aumées  sont  toujours 
grandes,  et  on  en  voit  qui  ont  depuis  six 
pouces  en  carré  jusqu'à  presque  un  pied.  Jî 
faut  qu'elles  soient  assez  grandes  pour  que 
les  poissons ,  qu'on  se  propose  de  prendre , 
puissent  passer  à  travers;  car  ce  ne  sont 
point  les  aumées  qui  doivent  les  arrêter, 
mais  la  flue ,  qui  doit  prêier  à  l'action  du 
poisson  ,  et  faire  une  bourse  dans  laquelle 
le  poisson  se  trouve  embarrassé.  Les  aumées 
servent  à  soutenir  la  flue  :  et  elles  se  font 
mieux  quand  leurs  mailles  sont  moins  ou- 
vertes ,  que  lorsqu'elles  ont  beaucoup  d'ou- 
verture. 

La  toile  ou  la  flue  se  fait  toujours  ei\ 


DE    PECHE.  425 

mailles  h  losanges,  qui  ont  depuis  un  pouce 
jusqu'à  deux  pouces  et  demi  d'ouverture, 
avec- du  RI  "retors  en  deux,  qu'on  choisit 
plus  ou  moins  iin,  suivant  l'espèce  de  péclie 
qu'on  se  propose  de  faire. 

Ce  rets  doit  avoir  deux  fois  ou  deux  fois 
et  demie  l'étendue  des  aumées  ,  afin  qu'il 
soit  toujours  flottant  entre  elles ,  et  qu'il 
puisse  aisément  faire  les  bourses  où  le  pois- 
son s'engage. 

Nous  ne  dirons  rien  sur  la  façon  de 
mailler  ces  deux  sortes  de  rets,  parce  que 
nous  n'aurions  rien  à  ajouter  à  ce  que  nous 
avons  dit  pi  us  haut.  Mais ,  supposant  ces  trois 
rets  maillés,  il  faut  expliquer  comment  on 
doit  les  monter  pour  faire  le  filet  qu'on 
nomme  tramail. 

On  s'établit  dans  une  grande  place  bien 
unie  et  nette  de  feuilles,  de  brins  de  bois, 
de  pierre  et  de  grandes  herbes  ;  on  étend 
une  des  aumées,  et  on  l'attache  bien  ten- 
due par  les  quatre  coins ,  au  moyen  de 
piquets  qu'on  passe  dans  les  boucles  des 
angles  ;  ensuite  on  passe  dans  le  dernier 
rang  de  mailles  de  la  flue ,  en  suivant  tout 
son  pourtour ,  une  ficelle  bien  travaillée  et 
qui  n'ait  point  de  nœuds. 

On   attache  cette  ficelle  ,  ainsi  que  les 


426      SUR    LES    FILETS 

angles  de  Ja  fine ,  aux  mêmes  piquets  où 
l'on  a  at lâché  précédemment  l'aumée;  les 
ficelles  doivent  être  bien  tendues;  mais  la 
flue  ne  l'est  pas  beaucoup,  étant  plus  grande 
que  l^'auniée.  Ainsi,  en  conduisant  la  corde 
de  la  Hue  avec  les  bords  de  l'aumée  dans  les 
mains,  pour  que  cette  corde  et  le  bord  se 
suivent  exactement,  on  attache  la  corde  aux 
mêmes  piquets  qu'on  a  passés  dans  les  anses 
qui  sont  au  coin  de  Tau  niée. 

Comme  la  fïue  est  beaucoup  plus  éten- 
due en  tous  sens  que  J'aumée,  il  faut  lui 
faii'e  faiie  des  plis  sur  sa  corde ,  de  façon 
cependant  qu'ils  soient  répartis  le  plus  régu- 
lièrement qu'il  est  possible,  afin  qu^'elle 
fronce  et  fasse  poche  assez  uniformément 
dans  toute  l'étendue  du  filet. 

Tout  étant  ainsi  disposé,  on  met  par 
dessus  la  flue  la  seconde  aumée ,  et  on  la 
tend  comme  la  première  par  les  boules  des 
angles  qu'on  passe  dans  les  hiêmes  piquets. 

Les  trois  rets  étant  ainsi  placés  bien  régu- 
lièœment  les  uns  sur  les  autres,  pour  em- 
pêcher qu'ils  ne  se  dérangent  ,  on  forme 
quelques  révolutions  d"uu  ûi  retors ,  qui 
comprend  les  boixls  des  deux  aumées  et 
la  corde  de  la  flue ,  et  on  fait  un  nœud  à 
chaque  endroit  où  l'on  rencontre  les  mailles 


DEPECHE.  427 

des  aumées  ;  il  faut  encore ,  environ  de  trois 
en  trois  pieds,  dans  toute  l'étendue  du  filet 
auprès  des  angles  des  aumées,  lier  les  deux 
aumées  Tune  avec  l'autre  par  un  fil  ré*tors, 
afin  de  maintenir  la  flue  en  état,  et  empê^ 
cher  que ,  quand  on  tendra  verticalement  le 
tramail,  la  flue  ne  se  porte  toute  d^un  côté; 
alors  le  tramail  est  en  état  de  servir  :  il  ne 
s'agit  plus  que  de  le  fortifier ,  en  le  bordant 
avec  une  corde  grosse  comme  le  doigt ,  ainsi 
que  nous  l'avons  expliqué  ci- dessus.  Cepen- 
dant il  est  encore  fréquemment  nécessaire 
de  garnir  de  flottes  de  liège  le  tramail ,  et  de 
le  plomber;  ce  que  nous  détaillerons  dans 
la  suite. 

Comment  on  fait  les  filets  ronds  ^  soit  cylin- 
driques^ soit  coniques. 

Il  s'agit  ici  des  filets  qui,  étant  tendus, 
ont  une  forme  arrondie  sur  leur  longueur; 
dans  les  uns ,  cette  forme  répond  à  celle 
du  corps  d'un  bluteau  ou  d'une  barrique; 
nous  les  nommons  cylindriques.  Ceux  que 
nous  appelons  coniques,  ont  plus  de  dia- 
mètre par  un  bout  que  par  l'autre:  de  ce 
genre  est  le  verveux ,  et  la  suite  de  cette 
section  offrira  plusieurs  espèces  de  Tun  et 
l'autre  genre  de  filets  ronds. 


42»        SUR    LES    FILETS 

On  se  rappellera  qu'en  faisant  un  filet  en 
nappe,  il  faut  à  chaque  rangée  de  mailles 
retourner  le  filet,  pour  former  une  autre 
rangée  en  revenant  sur  ses  pas.  Pour  faire 
un  filet  rond ,  il  faut  joindre  les  mailles  par 
une  maille  intermédiaire,  qui  doit  former 
le  premier  ou  second  rang.  Il  est  évident 
que  cela  ne  pourroit  pas  s'exécufer,  si  on 
avoit  fait  la  levure  sur  une  corde  tendue; 
mais  la  réunion  devient  possible  quand  on 
a  fait  la  levure  en  paquet  dans  une  anse  de 
corde;  c'est  aussi  ce  que  font  les  mailleurs. 

Il  est  évident  que  les  filets  cylindriques 
peuvent  être  commencés  indifféremment  par 
un  bout  ou  par  un  autre,  puisque  les  deux 
bouts  sont  semblables. 

On  est  maître  aussi  <^le  commencer  les 
filets  coniques  par  le  bout  qu'on  veut;  car, 
si  l'on  commence  par  le  bout  étroit ,  on 
élargit  le  filet  au  moyen  des  accrues;  et  si 
l'on  commence  par  le  bout  le  plus  large,  on 
rétrécit  le  filet  en  joignant  deux  mailles  dans 
un  même  nœud.  Ordinairement  on  com- 
mence par  le  bout  étroit,  et  l'on  jette  des 
accrues. 


DE     PECHE.  42(j 

3iamère  de  travailler  un  fdet  rond  qui  ait 
une  ou  plusieurs  entrées  semblables  à  celle 
d'un  verveux ,  et  que  quelques-uns  nomment 
des  goulets. 

Je  prends  pour  exemple  un  verveux  qui 
a  dans  son  intérieur  une  entrée  ou  gouJet. 

11  faut  commencer  le  filet  en  rond  ,  et 
le  poursuivre  de  même  jusqu'à  ce  qu'on  soit 
parvenu  à  l'endroit  où  l'on  veut  commencer 
le  gouJet  ;  alors ,  comme  il  faut  faire  deux 
filets  distincts,  un  pour  le  corps  du  filet, 
l'autre  pour  le  goulet;  ou  plutôt  comme  il 
faut  à  l'endroit  où  doit  conunencer  le  goulet 
détacher  un  filet  dans  Tintérieur  de  celui 
qui  forme  le  corps  du  verveux ,  cela  se  fait 
aisément  et  d'ime  façon  très-ingénieuse,  au 
moyen  des  mailles  doubles;  on  travaille  donc 
le  filet  tout  en  rond  et  en  mailles  simples, 
jusqu'à  ce  qu'on  soit  parvenu  à  l'endroit 
où  doit  commencer  l'ouverture  du  goulet; 
alors  on  charge  une  aiguille  avec  deux  fils 
qu'on  prend  sur  deux  pelotons,  et  Ton  fait 
avec  cette  aiguille  un  rang  des  mailles  qui 
se  trouvent  doubles. 

Lorsque  cette  rangée  sera  faite ,  on  cou- 
pera les  deux  fils^  et  on  i-ecommencera  à 


43o        SUR   LÉS   FILETS 

travailler  avec  une  aiguille  chargée  d'un  fil 
simple  ;  mais  à  chaque  maille  il  faudra  avoir 
Tattention  de  ne  prendre  qu'un  des  deux 
fils  de  la  maille  double ,  c'est-à-dire ,  qu'il 
faudra  à  chaque  maille  double  ne  prendre 
qu'un  iîl  pour  former  le  corps  du  filet,  et 
réserver  l'autre  pour  la  tête  du  goulet  qu'on 
fera  ensuite. 

Si  l'on  veut  ménager  dans  l'intérieur  du 
filet  plusieurs  goulets  les  uns  au  dessus  de^ 
autres,  comme  cela  se  pratique  quelquefois; 
il  faudra  faire  autant  de  rangées  de  mailles 
doubles  qu'il  y  aura  de  goulets  (i). 

11  y  a  des  mailleurs  qui  travaillent  diffé- 
remment les  verveux;  ils  les  commencent 
par  la  pointe  du  goulet,  où  ils  font  des 
pigeons  qui  serviront  à  attacher  cette  pointe 
au  bout  du  verveux,  au  moyen  de  plusieurs 
lignes  déliées.  Quand  ils  ont  fait  les  pigeons 
et  la  levure,  ils  augmentent  continuellement 

(i)  Dans  le  nord  on  ménage  deux  goulets,  dont 
le  second  a  des  mailles  plus  étroites,  afin  que  si  le 
poisson  échappe  aux  premières  mailles  ^  il  soit  arrêté 
par  les  secondes.  M.  Schreiber  assure  qu'en  1760  un 
pêcheur  saxon  prit  deux  loutres  dans  un  filet  de  cette 
forme;  elles  étoient  mortes  avant  qu'on  les  tirât  de 
Tenu  ;  ce  qui  prouve  que  ces  animaux  ne  peuvent  pas 
irivre  long-tems  au  fond  de  l'eau. 


DEPECHE.  45i 

le  diamètre  du  filet  en  jelanfc  des  accrues, 
et  iJs  donnent  à  la  partie  qui  doit  faire  le 
goulet  la  forme  d\m  entonnoir,  qui  doit 
ne  s'étendre  que  jusqu'au  bord  du  goulet; 
il  faut  que  le  reste  aille  un  peu  en  rétré- 
cissant pour  faire  le  corps  du  filet.  Quand 
on  a  poursuivi  ce  travail  jusqu'à  la  longueur 
du  corps  du  verveux,  on  en  replie  en  de- 
dans une  partie,  ce  qui  forme  le  goulet;  et 
l'autre  partie  fait  le  corps  du  verveux  qu'oa 
ferme  par  une  pointe,  et  on  forme  une  anse 
de  corde,  laquelle  tient  tendues  des  lignes 
assez  fines  qui  communiquent  avec  la  pointe. 
Dans  l'endroit  du  pli,  on  passe  entre  les 
mailles  une  baguette  menue  et  pliante,  dont 
on  fait  un  cerceau  qu'on  nomme  trouelle  (i); 
elle  sert  à  tenir  le  verveux  ouvert.  Quelque* 
fois  on  en  met  une  petite  dans  le  goulet, 
et  il  y  en  a  d'autres  en  différens  endroits 
de  la  longueur  du  verveux. 

Comme  les  endroits  où  sont  les  trouelles 
fatiguent  plus  que  le  reste  du  filet ,  on  y 
fait  deux  rangs  de  mailles  doubles ,  entre 
lesquelles  on  passe  les  baguettes  qui  doivent 
former  les  trouelles. 


(i)  En  allemand,  biegel.  On  les  fait  d'épine  blanche 
•u  noire. 


432         SUR   LES    FILETS 

Voilà  le  verveux  fini;  cependant,  pouE 
engager  le  poison  à  entrer  dans  le  goulet  ^ 
on  fait  en  grandes  mailles,  au  devant  de  son 
embouchure,  un  évasement  qu'on  nomme 
la  coiffe ,  et  que  Ton  soutient  par  une  por- 
tion de  cercle  que  les  pêcheurs  appellent 
l'archet.  Les  deux  bouts  sont  tenus  écartés 
pour  faire  une  ouverture  convenable  par 
une  corde  tendue ,  laquelle  est  lacée  dans 
les  mailles  du  bord  d'en  bas  de  la  coiffe, 
depuis  le  bord  du  verveux  jusqu'à  l'archet. 

JXaccommodage  des  filets. 

Bien  des  gens  qui  savent  faire  des  filets 
Ignorent  la  manière  de  les  raccommoder^ 
cependant  il  esî:  plus  important  aux  pêcheurs 
de  raccommoder,  (i),  radouber  ou  ramender 
par  eux  -  mêmes  leurs  filets  que  de  savoir 
en  faire  de  neufs,  puisque  l'entretien  des 

(i)  En  allemand  ,  aufbûssen.  L'art  de  raccom- 
moder un  filet  est  te  chef-d'œuvre  qu'on  exige  dans 
quelques  provinces  d'Allemagne  de  ceux  qui  veulent 
devenir  maîtres  pêcheurs.  On  coupe  les  mailles  d'un 
filet  neuf,  dans  na  espace  à  peu  près  de  la  grandeur 
de  la  main,  et  on  le  remet  au  candidat,  qui  doit 
rétablir  le  tout  de  manière  que  l'on  n'aperçoive  pas 
l'endroit  où  il  y  a  eu  du  dommage. 

filets 


DEPECHE,  455 

filets  en  prolonge  la  durée  de  plus  de  moitié. 
Un  filet  qui  a  quelques  mailles  rompues  ama 
bientôt  un  grand  trou ,  si  on  ne  le  raccom- 
mode pas  au  plulôt. 

Pour  expliquer  le  plus  clairement  pos- 
sible comment  on  doit  racconnnoder  un 
filet,  nous  supposerons  qu'il  a  un  trou  au 
milieu  des  mailles  ;  il  faut  commencer  , 
comme  disent  les  rhabilleurs,  par  couper 
le  filet,  c'est-à-dire,  qu'il  faut  augmenter 
le  trou,  non  seulement  en  coupant  ou  re- 
tranchant tout  ce  qui  est  endommagé,  mais 
de  plus  en  entamant  sur  ce  qui  ne  Test  pas; 
de  façon  que  toute  la  circonférence  du  trou 
soit  terminée  par  des  angles  de  mailles,  à 
la  pointe  desquels  on  ménage  le  nœud  qui 
retient  la  maille  du  vieux  filet.  On  y  con- 
sei-ve  tant  soit  peu  des  branches  qui  en  sor- 
toient  pour  former  une  autre  maille. 

11  est  évident  que  cet  endroit  ne  peut 
être  bien  rétabli  sans  c[ue  les  mailles  qu'on 
formera  ressem!)îent ,  le  plus  paifaitement 
qu'il  sera  possible,  à  celles  qui  ont  été  dé- 
clinées ou  coupées. 

Supposons  que  l'on  commence  à  droite, 
on  arrête  d'abord  le  fil  au  dessus  du  nœud 
de  l'une  des  mailles  qu'on  a  coupées;  eu- 

Poiss.  Tome  IL  Ee 


4S4        SUR    LES    FILETS 

suite  on  fail  une  maille ,  puis  une  seconde, 

puis  une  troisième. 

A  tous  les  angles  il  y  a  pour  lors  deux 
nœuds,  dont  Tun  est  celui  qui  fornioit  la 
maille  du  vieux  filet  ;  et  par  dessus  est 
celui  qu'on  a  fait  pour  la  nouvelJe  maille; 
cela  doit  être  de  même  à  tous  les  angles  de 
celles  qui  aboutissent  à  la  circonférence  du 
trou.  Il  n'en  sera  pas  ainsi  pour  les  mailles 
qu'on  formera  au  milieu;  celles-ci  n'auront 
qu'un  nœud,  comme  les  mailles  ordinaires 
de  tous  les  filets. 

Toutes  les  mailles  qu'on  vient  de  faire 
sont  rondes;  mais,  après  ce  qui  vient  d'être 
dit,  on  doit  concevoir  c|ue  ,  quand  on  aura 
fait  au  dessous  un  autre  rang  de  mailles, 
ces  premières  deviendront  anguleuses. 

On  gagne  le  niveau  du  second  rang  de 
mailles;  pour  cela  on  fait  une  simple  jambe; 
ensuite  revenant  sur  ses  pas,  ou  de  la 
gauche  à  la  droite,  parce  qu'on  ne  peut  pas 
retourner  le  filet,  on  fait  une  maille,  un© 
seconde ,  une  troisième  ,  enfin  une  autre 
jambe,  comme  on  en  a  fait  une  à  gauche. 

Si  le  trou  avoit  beaucoup  de  largeur,  on. 
feroit  un  troisième  rang  de  mailles  de  droite 
à  gauche  ,  puis  une  jambe ,  un  quatrième 
rang  de  mailles  de  la  gauche  à  la  droite  ^^ 


DE     PECHE.  435 

et  ainsi  toujours  alternalivement  jusqu'à  ce 
que  toute  l'étendue  du  trou  fui  remplie  de 
inailles.  Dans  Fun  et  l'autre  cas ,  il  s'agit 
de  fermer  ensuite  le  tjou  par  en  bas,  et  y 
joindre  les  nouvelles  mailles  qu'on  vient  de 
faire  avec  celles  du  vieux  filel.  Pour  cela 
on  fait  une  jambe  en  descendant,  puis  une 
autre  en  montant,  qui  s'attache  au  milieu 
d'une  ancienne  maille,  et  on  continue  à 
joindre  les  nouvelles  mailles  aux  anciennes 
par  des  jambes  semblables.  Le  trou  qui 
étoit  au  filet  se  trouve  ainsi,  fermé  par  des 
mailles  régulières. 

Il  est  sensible  que,  s'il  ne  manquoit  à  un 
filet  qu'un  brin  qui  fût  rompu,  on  le  réta- 
bliroit  en  remplaçant  le  fil  par  une  jambe: 
€'il  y  avoit  deux  fils  rompus,  on  rétabliroifc 
ce  petit  accident  en  faisant  une  jambe,  puis 
une  autre.  Ces  exemples  suffisent  pour  faire 
apercevoir  qu'il  n'est  pas  toujours  nécessaire 
de  couper  le  filet  et  d'ai.igmenler  le  trou  , 
comme  on  l'a  dit  plus  haut.  Quelques  mail- 
leurs,  qui  trouvent  de  la  difficulté  à  bien 
couper  d'abord  le  filet,  commencent  par 
former  des  mailles;  et  à  mesure  qu'ils  sentent 
avoir  besoin  d'un  nœud  pour  former  les 
autres  mailles  ,  ils  coupent  du  fxlet  ce  qui 

les  embarrasse. 

Ee  2 


436         SUR   LES   FILETS 

Comme  on  ne  se  sert  point  de  moule 
pour  rhabiller,  on  fait  tous  les  noeuds  sur 
le  pouce;  et  afin  que  les  mailles  soient  d'une 
égale  grandeur ,  on  passe  deux  doigts  de  la 
main  gauche  dans  les  mailles  qui  sont  faites , 
et  le  doigt  du  milieu  dans  celle  qu'on  fait 
actuellement ,  appuyant  avec  les  doigts  dans 
Imtérieur  des  mailles.  Celle  qu'on  fait  de- 
vient de  la  grandeur  des  autres  quand  les 
trois  doigts  forment  une  ligne  droite  et  hori- 
sontale;  et,  pour  peu  qu'on  soit  habitué  à 
C3  travail,  toutes  les  mailles  sont  régulières. 

Voilà  en  gros  la  marche  qu'on  doit  suivi'e 
pour  liiabiller  les  filets. 

Nous  avons  dit  qu'il  falloit  commencer 
par  arrêter  le  fil.  Quelques-uns  y  font  un 
nœud  simple,  et  ensuite  celui  qui  forme  kt 
maille  ;  mais  d'autres  passent  l'extrémité  de 
la  ficelle  ou  du  fil  entre  les  deux  branches 
par  dessus  le  nœud  du  vieux  filet.  On  saisit 
entre  le  pouce  et  l'index  les  deux  branches 
et  le  nœud  ;  puis  on  fait  avec  le  fil  un  nœud 
sur  le  pouce,  comme  nous  l'avons  expliqué. 
Comme  on  n'emploie  point  de  moule  pour 
régler  l'ouverture  des  mailles  ,  on  passe  les 
deux  derniers  doigts  de  la  main  gauche  dans 
les  anciennes  mailles ,  et  le  doigt  du  milieu 
dans  l'anse;  on  l'appuie  suffisamment  pour 


DE     PECHE.  /p7 

donner  à  ]a  maille  une  oiiverlure  conve- 
nable. Alors  ,  sans  déplacer  le  doigt  du 
milieu ,  on  pince  avec  le  pouce  et  l'index 
de  la  même  main  le  nœnd  du  vieux  filet  et 
rexti'émité  des  bianclies ;  on  fait  le  nœud 
sur  le  pouce;  et  afin  qu'il  se  place  immé- 
diatement au  dessus  du  nœud  du  vieux 
filet,  il  faut  toujours  tenir  bien  ferme  le 
nœud  et  l'extrémité  des  deux  branches 
jusqu'à  ce  que  le  nœud  soit  tout  à  fait  serré. 

Comment  on  gairiit  de  lest  et  de  flottes  les 
bords  des  filets, 

Uon  a  expliqué  précédemment  comment 
on  borde  et  on  eniarme  les  filets;  mais  dans 
quantité  d'occasions  il  fiiut  faire  en  soiie  que 
les  filets  se  tiennent  verticalement  dans  Teau. 
On  produit  cet  effet  en  allachant  des  corps 
légers  au  bord  du  filet  qu'on  veut  fixer  en 
haut ,  et  des  corps  pesa n s  au  bord  qui  doit 
être  en  bas.  Les  corps  ,  plus  légers  que  le 
volume  d'eau  qu'ils  déplacent,  tirant  le  filet 
vers  la  surface  de  l'eau,  tandis  que  les  corps 
pesans  ou  le  lest  les  tirent  vers  le  fond,  on 
se  procui'e  deux  forces  contj  aires  qui  agissent 
pour  maintenir  le  plan  du  filet  dans  une 
position  verticale. 

Ee  3 


438         SUR    LES    FILETS 

Comment  on  garnit  de  corps  légers  ou  de 

flottes  le  bord  du  filet  qui  doit  tendre  vers 

la  surface  de  Veau, 

Quand  les  filets  sont  imbibés  d'eau,  ils 
tombent  en  paquet  au  fond  ;  pour  qu'ils  se 
tiennent  dans  Teau  verticalement  ,  il  faut 
garnir  le  bord  qui  doit  tendje  vers  la  sur- 
face de  Teau ,  avec  des  corps  spécifiquement 
plus  légers  que  le  fluide  :  c'est  ce  qu'on 
appelle  des  flottes  (i). 

Quand  il  s'agit  de  soutenir  des  filets  très- 
pesans  ,  on  se  sert  de  barils  exactement 
fermés  pour  que  l'eau  n'y  puisse  entrer. 
Quelquefois  des  raisons  d'économie  engagent 
les  pêcheurs  à  former  leurs  flottes  avec  de 
petits  faisceaux  de  roseaux  bien  secs;  mais, 
communément  on  les  emploie  pour  former 
des  bouées  ou  des  signaux. 

Assez  souvent  les  pécheurs  forment  leurs 
flottes  avec  de  petites  planches  de  bois  fort 
légers  et  très  -  secs  ,  du  sapin  ,  du  tremble  , 
du  tilleul,  etc. 

Mais  le  mieux  est  de  former  les  .flottes 
avec  du  liège.  Cette  substance  a  l'avantage 
d'être  beaucoup  plus  légère  que  le  volume 
d'eau  qu'elle  déplace ,  sur  -  tout  quand  le 

(i)  Ea  allemand  ,  flœssen. 


DE     PECHE.  439 

liège  est  de  bonne  qualité,  souple  sous  les 
doigts  ,  eL  qu'il  n'a  point  de  grands  porcs  , 
comme  sont  les  mauvais  lièges  durs  et 
ligneux  (i). 

Un  autre  avantage  du  liège  est  de  se 
pénétrer  bien  plus  dilllcilement  d'eau  que 
toutes  sortes  d'espèces  de  bois ,  ce  qui  fait 
qu'il  conserve  très  -  long -lems  sa  légèreté 
étant  submergé.  Ces  propriétés  font  qu'on 
l'emploie  préférablement  à  toute  autre  ma- 
tière ,  pour  former  ce  qu'on  nomme  les 
flottes. 

On  suit  différentes  méthodes  pour  atta- 
cher les  corps  légers  à  la  corde  qui  bcrde 
le  haut  du  filet.  Quelquefois  on  perce  les 
petites  planches  ou  les  tables  de  liège  ,  et 
réunissant  les  deux  bouts  de  la  petite  corde 
qui  traverse  le  liège ,  on  la  lie  à  la  corde  du 
filet  ;  ou  bien ,  ayant  taillé  les  lièges  en  rond 
ou  en  carré  ,  on  les  perce  d'un  trou  dans 
lequel  l'on  fait  passer  la  corde,  et  on  assu- 
jettit ces  flottes  entre  deux  nœuds. 

Mais  le  mieux  est  d'embrasser  la  corde 
par  deux  morceaux  de   liège  ,  qui  ,   élant 

(i)  Le  liège  est  fojt  bon  sans  doute  ,  mais  il  est  cher 
presque  par -tout.  En  Allemagne  on  a  trouvé  que 
récorce  des  vieux  peupliers  fait  précisément  le  même 
eflct ,  et  elle  ne  coule  rien. 

E  e  4 


440        SUR    LES    FILETS 

réunis  par  un  enlacement  de  bitord,  fonnent 
comme  des  boutons  en  olive. 

De  quelque  façon  qu'on  attache  les  flottes  à 
la  coj  de  qui  borde  le  haut  du  filet,  il  convient 
de  proportionner  le  volume  et  le  nombre 
des  flottes  à  l'éiendue  et  à  la  pesanîeur  du 
fi'et  ;  car  il  faut  beaucoup  plus  de  flottes  pour 
soutenir  un  grand  filet  à  mailles  serrées  et 
fait  de  ficelle,  que  celui  qui  seroit  fait  d'un 
fil  fort  délié ,  dont  les  mailles  seroient  giandes 
et  qui  auroit  peu  de  chute. 

Comment  on  garnit  de  lest  le  bord  inférieur 
dhin  filet. 

11  est  évident  que  ,  si  Ton  ne  chargeoit 
pas  de  quelques  corps  pesans  le  bas  d'un 
filet  dont  le  haut  seroit  garni  de  flottes, 
les  flottes  l'entraîneroicnt  vers  la  surface  de 
Teau  ,  et  la  moindre  agitation  du  fluide 
empécheroit  qu'il  ne  se  (int  dans  une  posi- 
tion vxMticale  (i).  11  faut  donc,  pour  que 
le  filet  soit  bien  tendu,  en  lester  le  bas,  ou 
le  chaiger  de  quelques  poids  qui  tendent  à 

(i)  On  char^je  aussi  les  tilets  pour  cmpêclier  que 
les  grands  poissons  ne  les  sonîèvenl  pour  s'écliapper. 
Les  pi)i.ssons  d'étangs  ,  qui  ont  été  souvent  dans  ce  cas, 
savent  faire  cette  nianœuvre  ,  et  elle  leur  réussit 
lorsque  le  filet  n'est  pas  assez  cliargé  pour  pénétrer 
dans  i'eau.  • 


J 


DE     P  E  C  II  E.  441 

IVntraîner  vers  le  fond  de  Teau.  On  forme 
quelquefois  ce  Jest  (1)  avec  des  cailloux 
qu'on  amarre,  comme  nous  l'avons  «ufli- 
samment  expliqué  dans  la  première  section, 
en  parlant  des  cordes;  mais  communément 
le  lest  qu'on  met  au  bas  des  filets  se  fait 
avec  du  plomb;  c'est  ce  qu'on  appelle  la 
plombée.  Les  pêcheurs  suivent  différentes 
méthodes  pour  former  cette  plombée.  Pour 
de  petits  filets  légers,  des  balles  de  plomb, 
percées  comme  des  grains  de  cliapelet,  sont 
suffisantes;  mais  pour  de  grands  filets,  qu'il 
faut  beaucoup  charger  de  lest,  on  a  un 
moule  formé  de  deux  pierres  qui  s'ajustent 
exactement  l'une  sur  l'autre;  chacune  de 
ces  pierres  est  creusée  d'une  goutlière,  et 
étant  jointes  Tune  à  l'autre,  elles  forment 
un  cylindre  ,  dans  Faxe  duquel  on  place 
une  broche  de  fer  qui  est  un  peu  plus  grosse 
d'un  bout  que  de  l'autre,  pour  qu'on  puisse 
la  retirer  plus  aisément  du  cylindre  de  plomb 
qu'on  aura  fondu.  On  coule  du  plomb  fondu 
dans  ce  moule  ainsi  ajusté,  et  quand  on  a 

(1)  Le  mot  teclinique  en  allematid  ,  c'est  das 
gesenhe.  Les  pécheurs  des  provinces  septentrionales 
d'AUem.Tgne  ne  se  servent  jamais  de  cailloux  ,  que 
l'on  a  beaucoup  de  peine  à  att  ictier  solidement  ;  maïs 
ils  ont  des  anneaux  de  fer,  qui  sont  plus  duiabîcs. 


U^  SUR  LES  FILETS 
retiré  la  broche  de  fer ,  on  a  un  petit  tuyau," 
En  eniîlant  une  corde  dans  ces  tuyaux,  on 
forme  la  plombée.  Plus  communément  on 
a  de  petites  plaques  de  plomb  qu'on  creuse 
en  gouttière  dans  le  milieu,  pour  y  loger  la 
corde  sur  laquelle  on  roule  le  plomb  à  petits 
coups  de  marteau;  et  pour  assujettir  encore 
mieux  les  plaques  de  plomb  ,  on  rabat  les 
languettes  sur  la  corde.  Enfin  on  peut  se 
contenter  d'envelopper  la  corde  avec  une 
bande  de  plomb ,  et  l'assujettir  à  petits  coups 
de  marteau,  comme  on  fait  un  ferret  au 
bout  d'un  lacet. 

Quelque  méthode  qu'on  suive  pour  atta- 
cher le  plomb  à  la  corde,  il  faut  propor- 
tionner le  poids  du  lest  à  la  grandeur  du  filet 
et  à  l'usage  qu'on  en  veut  faire.  Quelquefois, 
par  exemple,  il  convient  que  le  filet  se  tienne 
entre  deux  eaux  (i)  ;  alors  il  ne  faut  que  peu 
de  lest ,  et  seulement  ce  qui  convient  pour 
tenir  le  filet  tendu.  Si  Ton  mettoit  trop  de 
lest,  il  entraiocroit  le  filet  au  fond  de  l'eau, 
ou  bien  il  faudroil  augmenter  beaucoup  la 
flottée;  au  contraire,  si  l'on  veut  que  le  filet 
se  porte  au  fond  de  l'eau ,  il  faut  fortifier  la 
plombée ,  et  ne  mettre  de  flottes  que  ce  qu'il 
en  faut  pour  soutenir  verticalement  le  ?ï\qL 

(i)  Dans  les  eaux  courantes;  il  doit  alior  au  fond. 


DE     PECHE.  443 

Vu   tannage    et   de    la    conservation    des 
filets. 

Il  est  probable  que  le  tan  n'agit  pas  sur 
les  filamens  des  végétaux  comme  sur  les 
fibres  de  toutes  les  espèces  qui  composent 
la  peau  des  animaux.  Cependant  c'est  une 
chose  reconnue  que  les  cordes,  les  filels  et 
les  toiles  qui  sont  exposés  à  Teau  durent 
plus  long-tems  quand  ils  ont  été  tannés  que 
ceux  qui  n'ont  pas  reçu  cette  préparation. 
Si  l'expérience  journalière  des  pécheurs  ne 
les  en  avoit  pas  persuadés,  ils  s'épargneroient 
une  opération  qui  leur  est  pénible,  et  qiii 
leur  occasionne  une  dépense  considérable; 
mais ,  pour  qu'elle  produise  le  bon  effet 
qu'on  en  attend ,  il  faut  la  faire  avec  des 
soins  et  des  attentions  qui  sont  indispensa- 
blement  nécessaires,  et  que  Ton  va  détailler 
dans  cet  article. 

Le  tan  est  fait  avec  des  écorces  de  jeunes 
branches  d'arbres  desséchées  et  réduites  en 
poudre.  La  bruyère,  encar{\);  le  fuslet  , 
cotinus  coriaria  (2);  les  sunmacs,  i-Jius  ^  de 
plusieurs  espèces;  l'aune ,  aînus  (5);  le  no}  er, 

(i)  En  allemand  ,  lieide. 

(2)  Eii  allemand  ,  geherstrauch. 

(3)  En  allemand  ,  die  erle. 


444  ^^UR  LES  FILETS 
nux;  le  saule,  salix  (i),  sont  eniployés  à 
cet  usaiJe;  mais  aucune  écorce  n'est  autant 
estimée  que  celle  du  jeune  chêne.  Pour  faire 
le  meilleur  tan,  on  enlève,  durant  Ja  saison 
de  ]a  sève ,  vers  la  fin  d'avril  ou  au  com- 
mencement de  mai,  l'écorce  claire  et  vive 
ùes  jeunes  chênes  qui  sont  vigoureux;  car 
les  écorces  brunes ,  gercées  et  chargées  de 
lichen  ne  fournissent  qu'un  tan  de  médiocre 
quahté  (2). 

Quand  ces  arbres  sont  en  pleine  sève,  et 
que  leur  écorce  se  détache  aisément  du  bois, 
on  fait  avec  une  serpe, au  bas  du  tronc,  et 
immédiatement  sous  les  branches,  une  en- 
taille circulaire  qui  coupe  Técorce ,  et  qui 
s'élend  jusqu'au  bois.  On  joint  ensuite  les 
deux  entailles  par  une  autre  coupe  longi- 
tudinale qui  s'étend  depuis  l'entaille  du  haut 
jusqu'à  celle  du  bas;  et  en  introduisant  entre 
Técorce  et  le  bois  un  coin  fait  de  quelque 
bois  dur  ou  d'un  gros  os ,  on  enlève  toute 
Fécorce,  qui,  à  mesure  qu'elle  se  détache  , 
se  roule  sur  elle-même  ,  et  ressemble  assez 

(i)  En  allemand  ,  die  weide. 

(2)  liCs  naturalistes  reconnoissent  pour  lichen  les 
plantes  parasites  qui  subsistent  aux  dépens  de  l'écorce, 
et  qu'on  nomme  vulgairement  mousses ,  etc. 


D  #     PECHE.  445 

à  des  bâtons  de  cotterets.  Ou  abat  sur  le 
champ  les  aibres  écorcé^  poui-  eu  faire  cette 
espèce  de  bois  qu'on  nomme  pclard  ;  et 
quand  les  ccorces  se  sont  desséchées  à  un 
certain  point,  on  en  forme  des  bottes  qu'on 
peut  conserver  long-tems  à  couvert  de  la 
pluie,  sans  crainte  que  le  tan  perde  de  sa 
quaUté. 

Pour  disposer  ces  écorces  à  être  employées 
en  tan  ,  il  faut  les  réduire  en  poudre  assez 
fine.  Quelques  pêcheui^s,  qui  tannent  eux- 
mêmes  leurs  filets ,  se  contentent  de  battre 
ces  écorces  avec  des  fléaux  ,*  mais  ils  n'en 
tirent  qu'un  parti  médiocre  :  ils  perdent 
ainsi  beaucoup  de  poussière  fine  qui  s'éva- 
pore, et  le  reste  est  pulvérisé  trop  grossière- 
ment. Le  mieux  est  de  les  porter  à  des 
m.oulins.  Il  y  eu  a  de  deux  sortes  :  les  uns 
sont  de  grosses  meules  verticales  ,  comme 
celles  dont  on  se  sert  pour  faire  le  cidre  et 
pour  broyer  les  graines  et  amandes  qui 
fournissent  de  Thniie.  Après  avoir  rompu 
grossièrement  les  écorces  sur  une  pièce  de 
bois  qui  forme  comme  un  tranchant ,  on 
les  met  sons  la  meule ,  qu'on  fait  tourner , 
et  qui  écrase  assez  bien  Fécorce  sans  qu'il 
s'évapore  beaucoup  de  poussière. 
•     L'autre  moulin,  qui  est  le  meilieur,  quoi- 


446  SUR  LES  FIÊETS 
qiriî  cause  un  peu  plus  crévaporalion  ,  est 
fo nné  d'un  nombre  de  pilons  qui  relombent 
dans  une  grande  auge ,  où  Ton  njet  les  écorces 
grossièrement  rompues.  Quand  les  écorces 
ont;  été  assez  bien  pulvérisées  ,  on  les  passe 
par  une  espèce  de  crible  qui  est  fait  avec 
du  fil  d'arclial ,  et  qu'on  établit  sur  un  grand 
cuvier.  Ce  qui  passe  par  le  crible  est  mis 
dans  des  tonnes  ,  et  vendu  aux  tanneurs; 
ce  qui  est  resté  sur  le  crible  repasse  au 
moulin. 

Le  tan  des  autres  écorces ,  dont  nous 
avons  parlé,  imprime  aux  filets  une  couleur 
quelquefois  plus  satisfaisante  que  celle  du 
tan  de  chêne.  Ces  tans  produisent  en  général 
un  bon  effet ,  mais  jamais  aussi  avantageux 
que  le  lan  du  jeune  chêne;  au  moins  est-ce 
le  senh'menl  des  pêcheurs.  Ce[3endant  il  con- 
viendroit  peut-être  d'en  faire  des  épreuves 
avec  soin;  car  j'ai  vu  des  cuirs  qui  parois- 
soient  assez  bien  préparés ,  quoiqu'on  eût 
substitué  de  la  bruyère  réduite  en  poudre 
au  tan  de  chêne. 

L'on  a  dit  qu'il  y  a  des  pêcheurs  qui 
tannent  eux-mêmes  leurs  filets;  mais,  comme 
aucuns  n'ont  de  chaudières  assez  grandes 
pour  cette  opération,  ils  en  louent  pour 
deux  fois  vingt-quatre  heures  ^  ou  plus  de 


DE     PECHE.  44^ 

teilis  ,  de  ceux   qui  ont    ckes   tanneries  en 
règle,  dont  nous  allons  parler. 

Les  tanneries  sont  ordinairement  voûtées 
et  établies  au  rez-de-chaussée,  où  sont  monr- 
tées  trois  grandes  chaudières  sur  des  massifs 
de  maçonnerie  qui  excèdent  la  hauteur  des 
chaudières,  de  même  que  le  sont  celles  des 
brasseurs.  Les  fourneaux  sont  sous  les  chau- 
dières ,  et  ils  s'allument  par  des  bouches  qui 
répondent  à  un  caveau  construit  derrière 
et  plus  bas  que  les  chaudières.  Les  tanneurs 
ont  des  chaudières  de  différentes  grandeurs 
pour  se  servir  des  unes  ou  des  autres ,  sui- 
vant la  (quantité  de  filets  qu'ils  ont  à  pré- 
parer. 

Pour  faire  ime  bonne  tannée ,  on  met 
ordinairement  deux  parties  et  demie  d'eau 
sur  une  de  tan ,  ou  cinq  parties  d'eau  sur 
deux  de  tan  ;  c'est-à-dire  ,  deux  barils  et 
demi  d'eau  sur  un  de  tan  ;  et  les  barils  de 
tan  se  mesurent  comble.  Ainsi ,  dans  une 
chaudière  qui  tient  trente  barils  d'eau,  on 
met  douze  barils  de  tan. 

Quand  on  a  jeté  l'eau  et  le  tan  dans  la 
chaudière ,  on  allume  le  feu  du  fourneau 
qui  est  dessous.  Comme  il  faut  beaucoup 
d'eau,  on  la  tire  avec  une  pompe,  et  on  la 
conduit  dans  les  chaudières  par  des  dalles 
^n  gouttières. 


448       SUR    LES    FILETS 

Les  cliaudières  sont  ordinairement  cinq 
à  six  heures,  depuis  que  le  feu  est  allumé, 
sans  commencer  à  bouillir,  quoique  Ton  ait 
soin  de  les  couvrir  avec  des  planches  pour 
augmenf^er  la  chaleur. 

Quand  le  bouillon  commence  à  se  former, 
le  lan  se  gonfle  el.  s'élève  avec  tant  de  force, 
qu'un  seul  bouillon  pourroit  en  faii"Ç  perdre 
un  ou  deux  barils,  qui  contiennent  chacun 
environ  cent  trente  pintes  ,  mesure  de  Paris. 
Pour  prévenir  cet  accident,  les  tanneurs 
tirent,  avec  des  espèces  de  cuillers,  une 
partie  de  la  liqueur,  qu'ils  niellent  dans  des 
tonnes,  et  ils  soutiennent  le  bouillon  pen- 
dant quatorze,  seize  ou  dix-huit  heures.  A 
mesure  que  la  tannée  diminue,  ils  remettent 
dans  la  chaudière  celle  qu'ils  ont  déposée 
dans  les  tonnes. 

Après  que  Teau  a  bien  tiré  la  substance 
du  tan ,  et  que  le  tanneur  juge  que  sa  tan- 
née est  bien  faite ,  il  letire  avec  un  lanet 
tout  le  tan  qui  est  dans  la  chaudière.  L'ou- 
"vrier  qui  est  occupé  à  ce  travail  met  ce  tan 
dans  une  manne.  Quand  elle  est  pleine ,  il 
la  transporte  sur  la  tonne  ,  pour  ne  pas 
perdre  la  liqueur,  qui  est  la  pajtie  précieuse. 
Pendant  cette  opération  ,  l'on  continue  ton- 
jouis  le  feu  sous  la  chaudière,  aiin  d'entre- 
tenir 


DEPECHE  449 

tenir  la  tannée  bouillante,  jusqu'à  ce  qu'on 
y  plonge  les  filets  :  ce  qu'on  juge  nécessaire 
pour  qu'ils  se  pénètrent  bien  de  cette 
tannée. 

On  place  dans  le  fond  les  filets  neufs ,  et 
les  autres  par  dessus ,  jusqu'à  enfaîter  les 
filets  les  uns  sur  les  autres.  Mais  le  tanneur 
a  soin  de  former ,  sur  le  devant  de  la  chau- 
dière ,  une  cloison  de  planches ,  pour  pou- 
voir puiser  continuellement  de  la  tannée, 
qu'il  verse  sur  les  filets  ;  ce  qu'il  continue 
jusqu'à  ce  que  toute  la  tannée  soit  con- 
sommée. 

On  tanne  différemment  les  cordages. 
Quand  la  tannée  a  bouilli  quelques  heures , 
on  met  avec  une  gafïe  les  pièces  de  cordages 
roulées  dans  la  chaudière,  où  on  les  tient 
une  couple  d'heures  dans  la  tannée  bouil- 
lante. On  les  tire  ensuite  avec  la  gaffe  pour 
en  mettre  d'autres  à  leur  place  ;  ce  que  l'on 
continue  jusqu'à  ce  que  la  tannée  soit  épui- 
sée. On  passe  aussi  les  cordages  dans  le  gou- 
dron ;  et  cela  peut  se  faire  de  différentes 
manières  :  mais  ceci  étant  du  ressort  du 
cordier,  nous  nous  dispenserons  d'entrer 
dans  d'autres  détails. 

On  peut  faire  bouillir  dans  de  nouvelle 
eau  le  tan  qu'on  a  retiré  de  la  chaudière , 

Poiss.  Tome  II.  Ff 


45o        SUR    LES    FILETS 

et  qu'on  a  mis  égoutter  dans  des  mannes 
sur  des  fuLailles.  Cette  seconde  tannée  peut 
servir  à  donner  une  petite  impression  de  tan 
aux  filets  et  aux  cordages  neufs  qu'on  se 
propose  de  tanner,  ce  qu'on  nomme  débouil- 
lir. On  se  sert  encore  de  cette  foible  tannée 
pour  redonner  une  impression  de  tan  aux 
filets  précédemment  tannés  ,  et  qui  ont 
blanchis  par  le  service.  Enfin  ces  foibles 
tannées ,  qu'on  fortifie  quelquefois  avec  du 
tan  neuf  5  servent  à  tanner  de  la  toile  pour 
les  voiles. 

On  étend  et  l'on  fait  sécher  les  filets,  les 
cordes  et  les  toiles  qui  ont  été  tannés.  11  est 
impoi-tant  de  les  garantir  de  ]a  pluie,  jus- 
qu'à ce  qu'ils  soient  secs,  et  encore  plus  de 
la  gelée ,  qui  les  endommageroit  beaucoup. 
Mais  heureusement  on  peut  les  conserver 
long  -  tems  en  tas  ,  lorsqu'ils  sont  imbibés 
de  tan ,  sans  craindre  qu'ils  s'échaufïént  et 
qu'ils  se  corrompent.  On  assure  même  que 
des  filets  bien  tannés  ont  resté  des  tems  con- 
dérables ,  comme  six  mois,  au  fond  de  la 
mer,  sans  avoir  été  beaucoup  endommagés. 

Les  instrumens  dont  se  servent  les  tan- 
neurs ,  sont  des  cuves  de  cuivre ,  des  barils 
pour  contenir  le  tan  en  poudre,  lesquels 
doivent  contenii^  environ  cent  vingt-huit  ou 


DE     PECHE.  45i 

cent  trente  pintes  ,  mesure  de  Paris  ;  des 
tonnes  ,  qu'ils  nomment  gonnes  ,  pour  y 
mettre  Feau  qu'on  retire  des  chaudières  ; 
les  mannes  (i)  pour  égoutter  le  tan  qu'on 
tire  des  chaudières;  des  lanets  qui  sont  des 
filets  de  ficelle  montés  sur  un  cercle  de  fer, 
où  est  soudée  une  douille  qui  reçoit  un 
manche  de  bois;  un  pucheux  ou  puiseux  (2), 
qui  tient  cinq  à  six  pintes  d'eau  ;  une  gaffe 
ou  crochet ,  pour  mettre  dans  la  chaudière 
les  pièces  de  cordages ,  et  pour  les  en  reti- 
rer ;  des  fourgons  de  différentes  formes,  pour 
attiser  le  feu  ou  pour  changer  la  situation 
des  filets  dans  la  chaudière  :  ils  sont  de  fer , 
avec  des  manches  de  bois  reçus  dans  des 
douilles. 

Les  pêcheurs  portent  leurs  filets  à  la 
tannerie  ,  et  ils  aident  aux  tanneurs  à  les 
étendre  pour  les  faire  sécher;  les  uns  les 
portent  à  dos  sur  le  sable  ;  d'autres  les 
chargent  sur  des  brouettes ,  et  on  les  étend 
sur  le  sable,  ou  bien  on  les  tend  sur  des 
perches.  Les  catalans,  pécheurs  de  sardines^ 

il)  Espèce  de  corbeilles. 

(2)  Sorte  de  grande  cuiller  de  bois  fortement  cerclée 
de  gros  cercles  ,  et  emmanchée  au  bout  d'un  bâton 
assez  long ,  et  d'uue  grosseur  proportionnée. 

Ff  3 


452        SUR    LES    FILETS 

achètent  leurs  filets  de  la  couleur  du  fil ,  qui 
est  de  lin;  et  ils  les  teignent  d'une  couleur 
tannée  ou  rougeâtre,  en  les  faisant  bouillir 
dans  de  grandes  chaudières,  avec  de  l'écorce 
de  pin  sauvage  (  pinus  maritima  altéra  , 
Math.  )  On  ne  se  sert  point  de  l'écorce  du 
pin  cultivé  (pinus  satwa.  C.  B.  P.)  On  réduit 
donc  en  poudre  Fécorce  de  pin  sauvage  : 
sur  une  partie  d'écorce  on-  met  six  parties 
d'eau,  qu'on  fait  bouillir  jusqu'à  la  réduc- 
tion de  moitié;  ensuite  on  ôte  le  marc,  et 
on  verse  la  décoction  dans  une  tonne. 
Quand  elle  est  refroidie,  au  point  de  pou- 
voir y  tenir  la  main ,  on  met  les  filets  dans 
cette  teinture ,  en  les  faisant  entrer  par  uu 
bout,  et  les  tirant  par  l'autre,  comme  font 
les  teinturiers  :  on  les  arrange  tout  de  suite' 
en  rond»  dans  une  futaille  qui  est  percée 
de  quelques  trous;  au  bout  de  quinze  jours, 
ils  sont  encore  chauds;  et  quoiqu'on  les  y 
laisse  long-tems,  ils  n'y  souffrent  aucune 
altération;  de  sorte  que  quelquefois  on  ne 
les  en  retire  que  lorsqu'on  veut  s'en  servir; 
alors  on  les  lave  dans  de  l'eau  douce,  et  on 
les  fait  sécher  à  l'air  ou  au  soleil.  On  passe 
tous  les  mois  des  sardinaîes  dans  cette  tein- 
ture ;  et  comme  la  couleur  devient  à  chaque 
fois  de  plus  eu  plus  brune,  à  la  fin  ces  filets 


DE     PECHE.  '453 

semblent  teints   en   noir;   moyennant    ces, 
attentions,  ils  durent  plusieurs  années. 

Si  Ton  vouloit  teindre  les  filets  en  couleur 
d'eau,  on  pourroit  suivre  le  procédé  que 
nous  avons  indiqué  dans  la  première  sec- 
tion pour  teindre  les  lignes;  mais  on  n'en 
fait  point  usage  pour  les  filets. 

Dans  les  pays  où  l'on  ne  peut  pas  se  pro- 
curer du  tan  de  chêne  ,  on  prend  de  l'écorce 
verte  et  fraîche,  de  racine  de  noyer;  on  la 
coupe  par  morceaux ,  qui  peuvent  avoir 
un  pouce  en  carré  ;  on  les  met  dans  une 
cuve,  et  sur  deux  boisseaux  de  cette  écorce, 
on  verse  deux  seaux  d'eau ,  qu'on  fait  bouillir 
pendant  une  heure  ;  on  retire  ensuite  Té- 
coixe,  on  met  les  filets  au  fond  de  la  cuve, 
et  on  les  recouvre  avec  l'écorce  qu'on  avoit 
tirée  de  la  cuve  :  les  ayant  laissé  tremper 
pendant  vingt  -  quatre  heures  dans  cette 
teinture,  on  les  en  retire,  on  les  tord,  et 
on  les  étend  pour  les  laisser  sécher. 

Comme  les  filets  sont  un  objet  considé- 
rable de  dépense,  les  pêcheurs  prennent 
une  singulière  attention  à  les  conserver  ; 
pour  cela  ils  les  lavent  autant  qTi'ils  peuvent 
dans  de  l'eau  douce,  toutes  les  fois  qu'ils 
reviennent  de  la  mer;  ensuite  ils  les  étendent 
ou  sur  la  grève ,  ou  sur  des  perches ,  poiu» 


454  SUR  LES  FILETS,  etc. 
les  faire  sécher;  et  avant  de  s'en  servir,  ils 
les  visitent  pour  rétablir  les  trous  qui  pour- 
roient  s'y  trouver  :  article  très-important , 
puisque,  comme  nous  avons  déjà  eu  occa- 
sion de  le  dire,  quelques  mailles  rompues 
deviennent  bientôt  un  grand  trou,  si  on 
néglige  de  les  rétablir  ;  enJSn ,  quand  on 
s'aperçoit  qu'un  filet  perd  sa  teinture,  on 
le  repasse  dans  la  tannée:  avec  de  pareilles 
attentions ,  les  jx-cheui^  font  quelquefois 
durer  ti-^s-long  tems  leurs  filets  (i). 

(i)  On  ne  conuoit  point  en  Saxe  ni  dan?  le  Nord 
i'asage  de  tanner  les  filets.  Cette  méthode ,  qui  paroit 
aToir  des  avajitages  .  mérite  l'attention  de  ceux  qui 

a'appli'îuent  à  avancer  le  progrès  des  arts. 


lïn  du  second  volume. 


TABLE 

Des    matières    contenues    dans    ce 
second   Volume. 

J_J ES  effets  de  fart  de  V Homme  sur  la 
nature  des  Poissons ,  par  Lacepède^  P^r-  ^ 

Des  dénominations  par  lesquelles  les  Natu- 
ralistes distinguent  les  diverses  parties  des 
Poissons ,  86 

Explication  des  planches  /,  II  et  III  de 
ce  volume  ^  186 

Observations  sur  les  écailles  de  plusieurs  es- 
pèces de  poissons  çuon  croit  communément 
dépourvus  de  ces  parties,  par  Broussonet, 
de  r académie  de.^  sciences ,  iq5 

Précis  de  la  législation  sur  la  pêche,     si5 

Troisième  vue  de  la  Nature ,  par  Lactpède^ 

Observations  sur  la  structure  du  cœur  d^s 
Poissons ,  par  Duverney ,  de  V ^icademie 
des  sciences  de  Paris  ,  2^6 

OBsenations pK)ur sen'irà  f histoire  de  la  res- 
piration  des   Poissons  ,  par  Broussonet , 

2D^ 

Observatie^ns  sur  les  étangs^  296 


456  TABLE. 

Préservatif  contre  la  mortalité  du  Poisson 
dans  les  étangs  pendant  les  grands  hyvers , 

333 

Méthodes  de  préparer  les  différentes  espèces 
de  Poissons  pour  les  cabinets  d'histoire 
naturelle ,  548 

Des  filets  ,  de  leur  fabrique^  de  leur  entre- 
tien ^  et  de  leurs  différentes  espèces  y     377 


Fin  de  la  Table. 


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