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Full text of "Histoire romaine: Première partie, république"

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ROMAINE 



IMPRIMERIE DE DUCESSOIS , 

Quai des Augustin^ ,55. 



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fflSTOIRE 



ROMAINE 



PREMIÈJIE PARTIE : RÉPUBLIQUE. 



PAR M. MICHELET, 



ma{t«« sa cavFBaBscm* a s.*KcoJks sobmal,!, airMaii^ 

»• LA tOClSTS »«• AVTfQVAinav »■ JfOHMAanlK 

KT sa L'iaSTtTVT ABCséOLOOIt^VS 

SB ROlta. 



BBUXIBMB BDITION 



AaTVR »T AllOMkllTKa 



TOME SECOND. 



PARIS, 

LIBRAIBIE CLASSIQUE ET ÉLéHENTAIRE DE L. HACHETTE, 

nOB PlEllS-BARXAZm, 11^12. 



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RÉPUBLIQUE ROMAINE 



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SUITE DU LIVRE IL 



COIfQUâTB DU MONDE. 



CHAPITRE V. 

Les MerœnuKf en Italie. ~~ Humiba]. 24 8-302. 

OuTBiR au genre humain une route nouvelle^ 
c'était aux jeux des anciens l'entreprise héroïque 
entre toutes. L'Hercule germanique^ le Siegfiid des 
Nibelungen^ parcourut j dit le poète ^ bien des con^ 
trées parla force de son bras. La guerre seule a dé- 
couvert le monde dans l'antiquité. Mais pour qu'une 
route frayée une', fois soit durable^ il faut qu'elle 
réponde à des besoins moins passagers que ceux 'de 
II. I 



i 



la guerre. Àlexan()r6, 'en ôurrant Ut t^erse et l'Inile 
^ commerce de la t^rèce y a fondé plus de villes 
qu'il n'en avait détruit. Les Grecs et les Phéniciens 
ont découvert les côtes de la Méditerranée^ qui de- 
puis^ enfermée par les Romains dans leur empire > 
comme une route militaire de plus^ est devenue la 
grande voie de la civilisation chrétienne. Ainsi ^ les 
routes tracées par les guerriers^ suivies par les mai^ 
cfaands^ facilitent peu à peu le commerce des idées ^ 
favorisent les sympathies des peuples ^ eiles aident 
à reconnaître la fraternité du genre humain. Aussi^ 
je Tavoue^ j'ai foulé avec attendrissement et res>- 
pect cette route ouverte par Hannibal^ fondée par 
les Romains ^ y restaurée par la France'^ cette route 
sublime des Alpes , qui prépare et figure à la foi^ 
la future union de deux peuples qui me sont si 
chers. 

Dans sa marche de neuf mille stades depuis Car^ 
thagène jusqu'à la frontière d'Italie, Hannibal vou- 
lait deux choses dont l'une rendait l'autre difficile : 
s'ouvrir de gré ou de force un passage rapide pour 
prévenir les préparatifis de Rome, et^ par la bonne 
intelligence avec les naturels, établir des commun!- 



* II0 disaient très-bien : mtmin vfam, — ^ ' « G^nénl, dûait le (igaik' 
teique Xléber à un petit homme (jui fraya U route du Simpion , tous été» 
frand comme le monde. > 



s 

cfttions «kiirftbles entre l^pagne et l'Italie. Il «trait 
fiut prendre d'avance tous les renseignemens né»* 
cessaires sur les dispositions des diefe barbares^ 
aussi bien que sur leurs forces. Il emportait beau- 
coup d'argent pour répandre parmi eux/ et acheter 
leur mobile amitié^ sans compter un rièhe fonds de 
paroles captieuses^ familières aux Carthaginois* 
Cependant^ dès le passage deëisbre^ il fut harcelé 
par eux^ réduit à les combattre chaque jour^ sou«* 
vent même à forcer leurs villages > et à laisser onze 
mille hommes pour les contenir, il n'en persista 
pas moins à employer les moyens de douceur. Au 
passage des Pyrénées^ trois mille Espagnols ne 
voulurent pas quitter Ieur«« pays^ ni aller diercher 
avec Hannibal ces Alpes dont on leur disait tant de 
choses eCErayantes. Loin de s'en irriter^ il en ren** 
voya sept mille de plus. 

Comme il sortait des défilés des I^rrénées (aiS)^ 
il rencontra tous les montagnards en armes. U fit 
dire à leur chef qu'il voulait conférer avec eux^ que 
de près on pourrait s'entendre ; que ce n'était pas 
un ennemi^ mais un hôte qui leur arrivait, qu'il 
ne craindrait pas d'aller les trouver, s'ils hésitaient 
à se rendre dans son camp. Les Barbares se rassu- 
rèrent, vinrent, et reçurent des présens. On con-> 
vint que si les soldats de Carthage fusaient tort 
aux indigènes, Hannibal ou ses lieutenans en se-^ 
raient juges ; mais que les réclamations contre^les 



indigènes seraient jugées sans appel par les femmes 
de ces derniers ^ Chez les peuples ibériens^ comme 
chez t^eux de laX^rmanie , les femmes , moins em- 
portées que leurs fougueux époux ^ étaient entou- 
rées de respects , et souvent invoquées dans les dis- 
putes, comme une puissance sacrée de sagesse et 
de réflexion. 

Les peuplades ibériennes pouvaient s'arranger 
avec les Africains, rapprochés d'eux par les mœurs 
et peut-être par la langue. Mais les Gaulois ne 
voyaient qu'avec un étonnement hostile les hommes 
noirs du midi , ces monstrueux éléphans , ces armes 
et ces costumes bizarres. La dissonnance était trop 
forte pour les blonds enfans du nord, aux jeux 
bleus et eu teint de lait. La grande tribu des Volkes 
n'attendit point l'armée carthaginoise , elle aban- 
donna le pays et se retira derrière le Rhône, dans 
un camp retranché par le fleuve^. Il s'agissait de 



* Plut. , Dt virt, mulier, — Polyaen. , VU , 50. 

* Un peu aa-dëssu» d^ATÎgnon , près d^an lieu appelé' le Passage y non 
kim de la route de Vienne à Gbambécy , on trouva au dernier ûède un bou- 
clier qu^on s'^empressa d'appeler le bouclier d'Hannibal. n Cette qualification, 
dit M. Letronne , Journal des Savons , 181^, fut d^abord donnée à ce 
monum^t, sur une simple conjecture des membres de TAcadën^e des ins- 
criptions. Cette conjecture avait pour unique appui le lion et le palmier 
qu^on y voit gravés , types qui se retrouvent sur des médailles carthagi- 
noises. Les antiquaires s^accordent maintenant à reconnaître dans ces pré- 
tendus boucliers voti&y sans portraits ni inscriptions, des plats, ou mieux 
des plateaux , qui , sous le nom de ptnakes, lances , disei et tympana^ 



passer en présence d'une année ennemie ce fleuve 
fougueux qui reçoit vingt-deux rivières et dont le 
courant perce un lac de dix-huit lieues sans rien 
perdre de son impétuosité. En deux jours^ Hanni- 
bal sut rassurer ceux qui étaient restés en-<[eçà du 
Rhône y leur acheta des barques y leur fit construire 
des canots et des radeaux^ et faisant passer le fleuve ' 
un peu plus haut par Hannon^ fils de Bomilcar^ i 
mit* le camp des*Volkes entre deux clangers. Au 
moment où parurent les signaux allumés par Han« 
non^ l'embarquement commença; les gros bateaux 
placés au-dessus du courant servaient à le rompre ; 
les cavaliers les montaient , soutenant par la bride 
leurs chevaux qui passaient à la nage; il y avait à 
bord d'autres chevaux tout bridés et prêts à charger 
les barbares ; les éléphans étaient sur un immense 
radeau couvert de terre. Quant aux Espagnols, ils 
avaient passé hardiment avec Hannon sur des outres 
et des boucliers. Déjà les Gaulois entonnaient leur 
chant de guerre , et agitaient leurs armes sur leur 
tête^ lorsqu'ils voient derrière eux leur camp tout 
en flammes. Les uns courent pour sauver leurs 



^naient les buffets des riches. Us y faisaient graver des sujets souTent fort 
compliqués , témoin le prétendu bouclier de Scipion. Du reste , il serait 
constaté que ce phteau est on bouclier Totif carthaginois , qu^nn semblable 
monument pouvant , dans Fespace de deux mille ans , avoir été transp<^ là 
de fort loin , ne prouverait pas plus , aux yeux de la critique , que les mé- 
dailles- carthaginoises trcfbvées sur le grand Saint-Bernard . » 



6 

femmea et leurs en&ns; le$ autre» persistent et sont 
bientôt dispersés. 

Cependant les Romains^ qui croyaient encore 
Hannîbal aux I^rrénées, apprennent qu'il est sur le 
Rhône. Le consul P. Coni. Scipion débarque en 
hâte à Marseille^ et envoie à la découverte troia 
cents cavaliers , guidés par des Marseillais. Hanni-^ 
bal avait dans le même but détadié cinq cents Nu-^ 
mides. Les Italiens eurent l'avantage et en présa-^ 
gèrent l'heureuse issue dé la gueirre. Hannibal^ 
d'après le conseil des Boïe^ d'Italie qui lui avaient 
envoyé un de leurs rois y se décida à éviter l'arméo 
romaine^ pour passer les Alpes avant que la saisoa 
les rendit impraticable; et il remonta le Rhôn^ 
pendant quatre jours jus(|u'à k hauteur de 
l'Isère. 

Xiorsquç l'on entre d^s ce froid et triste vesti-. 
bule des Alpes ^ que les anciens appelaient p^ys des. 
Allobroges , et dont fait partie la pauvre Savoie^ on 
est frappé de voir tout diminuer de taille et de 
force ; les arbres ^ les hammes^ 1^ troupeaux. La 
nature senible se resserrer et s'engourdir comme à 
l'approche de l'hiver; elle est long-temps chétive 
et laide avant de devenir imposante et terrible^ 
Coinine il allait du Rhône à ces montagnes , Han-^ 
nibal fat pris pour arbitre entre deux frères qui se 
discutaient la royauté; il décida pour Ysâné, con- 
formément k l'avis dçs yiçills^rds de h nation ^ et 



7 

vécut de son nouirel tmi les Tétemens dont set 
Mricainft allaieiit avoir si grand besoin ^ 

Enfin ^ l'on décottvrit les glaciers au-dessus des. 
«oirs sapûis. On était à la fin d'octobre , et déjà les 
chemins avaient disparu sous la neige. Quand les 
hommes du midi apei^çurent cette épouvantable 
désolation de l'hiver^ leur courage tomba. Hanni* 
bal leur demandait s'ils croyaient qu'il y eût des 
terres qui touchassent le ciel ? si les députés des 
Boîes d'Itdie qui étaient dans leur camp , avaient 
pris des ailes pour- passer les Alpes ? si autrefois les 
eaulois n'avaient pas franchi les mêmes montagnes, 
avec des femmes et des enfans ? 

Pour comble de* teireur , on voyait les pics cou^ 
verts de montagnards qui. attendaient l'armée pour 
j^écraser. Nul autre passage ; d'un cÀté des roches, 
escarpées^ de Tautre des précipices sans fonds. 
|Ia9ni}>al dressa spn camp , et ayant appris que les 
Qiontagnards se retiraient la nuit dans leurs villa<- 
ges^ il.passa ayant le jour dans le plus profond si* 
bence > Qt occupa avec des troupes légères les hau- 
teurs qu'il$ avaient quittées. Le reste de l'armée 
n'en fut pas moins attaqué. Les Barbares, habitués 
à se jouer des pentes les plus rapides', y jetèrent 
un af&eux désordre, etparjeurs traits, et par leurs, 
cris sauvages qui se répétaient d'échos, en échos^« 

*Tit. LW. ,ia>.»l,c. 84.. 



8 

Les chevaux se cabraient , les hommes glissaient ; 
tous se heurtaient, s'entraînaient les uns les autr«. 
Les soldats, les chevaux, les conducteurs des^ bêtes 
de sommes, roulaient dans les abîmes. Hannibal fut 
obligé da descendre pour balayer les montagnards* 

Plus loin , les députés d'une peuplade nombreuse 
viennent à sa rencontre et lui offrent des vivres y 
des guides, des otages. Hannibal feint de se confies 
à eux, et n'en prend que plus de précautions. En 
effet lorsqu'il arrive à un chemin étroit que domi* 
naient les escarpemens d'une haute montagne, 
les Barbais l'attaqi^nt de tous les cotés à la 
fois y coupent l'armée, et parviennent à isoler pour 
une nuit entière la cavalerie et les bagages. Moins 
inquiété désormais, Hannibal parvint au bout de 
neuf jours au sommet d^s Alpes. 

Après y avoir campé deux jours, Hannibal se mit 
à la tète de l'armée , et parvenu à une sorte de 
promontoire d'où la perspective était immense, 
il fit faire halte à sefr soldats. Il leur montra l'Italie 
et le magnifique bassin du Pô et des Alpes. En 
franchissant les remparts de l'Italie, leur dit-il, ce 
sont les murs même de Rome que vous escaladez. 
Et il leur montrait du doigt , dans le lointain , le 
côté où devait être Rome. Je ne puis m'empêcher 
de citer, à côté des paroles d'Hannibal, celles qu'une 
situation analogue inspira au plus grand général 
des temps modernes. « Ce fut un spectacle sublime 



Il ., ■■wa^H^ 



9 

que Tarrivée de Farmée française sur les hauteurs 
de Montezemoto ; de là se découvraient lés immen- 
ses et fertiles plaines du Piémont. Le Pô, le Tanaro 
et une foule d'autres rivières serpentaient au loin : 
une ceinture blanche de neige et de glace d'une 
prodigieuse élévation , cernait à l'horizon ce riche 
bassin de la terre promise. Ces gigantesques bar- 
rières qui paraissent les limites d'un autre monde , 
que la nature s'était plue à rendre si formidables , 
auxquelles l'art n'avait rien épargné, venaient de 
tomber comme par enchantement. Hatinîbal a 
forcé les Alpes, dit le général français, en fixant 
ses regards sur ces montagnes; nous, nous les au- 
rons tournées ^ » 

Le revers italique des Alpes se trouva beaucoup 
plus raide et plus court que l'autre. Ce n'étaient que 
des rampes étroites et glissantes qu'on osait à peine 
descendre, en tâtonnant du pied et s'accrochant 
aux broussailles. Tout à coup on se trouva arrêté 
par un éboulement de terre qui avait formé un 
précipice de mille pieds. 11 n'y avait pas moyen d'a- 
vancer ni de reculer; il était tombé de nouvelles 
neiges sur celles de l'hiver précédent- La première, 
foulée par tant d'hommes , fondait sur l'autre , et 
formait un verglas ; les- hommes ne pouvaient se 
soutenir, les bêtes de somme brisaient la glace, et 
y restaient engagées comme dans un piège. Il fallut' 

' Mémoins de Bùmaptuie y campa^e d'Italie. 



10 

tailler un chemia daùs le roc viîy en employant le 
fer et le feu ^ 



* Qutnt l remploi da vinaigre , /^. dans Deluc la réfutation de Tite-Lir. 
et d^Appien. 

■ Oe flommet suMcptible à'im ea^penent , ce pixNnontoire et cette ▼nedes 
plaiMsde ritalie, eninoette descente si rapide ne coonennenl gu^ qa^v». 
Mont-Cenis. La tradilion dea montagnards veut qu^Hannibal y ait passé ( Lê^ 
ranza, p. 123 ). Grosley dirait , en i 764 : <i ^ descente en Italie est telle 
i|lie Tite-LÎTe la décrit : ^ Omnisferè pia prœceps, angusta, lubrica, . . 
L'Arche que Toa ofttoii; en montant: nous étonnait par la i^idilé de sob 
cours y mais c'est une eai^ d'étang en comparaison de la Fetito4)oire <|Be 
Ton suit en descendant..^ Le chemin de cette descente est un zigz^à angles, 
très^gus, ménagés et distribués avec le plus grand soin ^ nos porteurs 
allaîent là-dessus aussi vite que lei plus halnles. porteurs sur le pavé de 
Palis... Pour abréger le chemin, ils francfaissaient par enjambement la. 
pointe des ang^, et, dans ces inst^ms, nous et U eivi^ qui non& portait ,. 
nous trouvions quelquefois suspendus auHkssns d'un précipice de deu^ ou,; 
trois mille pieds de profondeur perpendtcnlaire^.. Cette descente est pour.; 
les Toyagenrs oonme une tempête qui les jette eiUtalie. i^. 

Sur le paassge des Alpes par 9annibal:, F", Larftuaa* ffisÈakt ifap/wwt. 
^ge f etc. , f 826. ^ Letron^e , Journal des Soffoms, i349, pages 22> 
et 753. -*- J. A. Deluc, Histoire du passage^ etc. 6eoive, iSi^. -*^ 
ïdém par Fortia d'Urban , f 821. — Idem par ^itaker, Londres., i;794.^ 
«i- F. G. de Yandoncourt , Hisioim des Campagnes d^ffammihmi eth 
Jiaiie^UShny ^Z\2, ^ lie Ssmame, f^oyagt^ dans ies Alpes ^ ^m^é^ 
tt 5. ^ J. F. Albanis-Beaumont, 4806 , tom. 4 et 2, 

« Je traversaî moi-même l'étroit sentier qui conduit au sommet du Lan-n 
laret ( route du MonirGenèvre ). C'était le 3 novembre , époque qui est 1 
peu pris oèlle ok Hanmbal passa les Alpes. D était ^ dqHÙs son sommet jn»- 
qu'à sa base | entièrement couvert de glace et de neige ^ tout chemin avait 
disparu ; Ton ne trouvait pour se diriger que quelques perches plantées de 
distance en distance , et souvent mon guide , habitant du pays , s'y trompait 
liii>Q^âme. Lorsqu'à ces époques, la tourmente vient fondre sur ces régions; 



^^^r 



^ 



II descendit ainsi en Italie , cinq mois après son 
départ de Carthagène ; le s^ul passage des Alpes lui 
avait coûté quinze jours. Son année était réduite k 
vingt-six mille hommes^ savoir : huit nulle fantas- 
sins espagnols , douze mille Africains et six mille 
cavaliers^ la plupart Numides; il fit graver cette 
énumération si|r une colonne près du promontoire 
liacini^i*. Ce petit nombre d'hommes était dans 
un état de maigreur et de délabrement hideux. Les 
éléphans et les chevaux avaient tant pàti de la faim, 
qu'ils ne pouvaient se soutenir. Il avait, dit-il lui- 
même à l'historien Cinciusj son prisonnier, perdu 



éferées , eOe emporte tout, bommes et mulets, an milieu des tonrbîlloiis ds 
neige qu*eDe fait voler, et lègM sur ces htntenrs a^ec une fureur et des Ttf 
v«gC0 qa'il faut aToirms p*iir f *co faire une idée. •> Lamn, p. 4>0. 

Le passage sqÎTanJt donnera quelque idée de l'bonrenr de ces gqi^... 
« Arant d^y arrÎTer , on traTersait une gorge étroite , an fond de laquelle 
se précipitent les eaux 4*un torrent... Les aTalancbes et les ouragans. 
auiqoeis ks bdbitans de ortie raSée sont exposés durant rhiver, sont 
|els , que dan> une vfùSt il airiye sourent qne les habitation^ disparaissent 
sous la neige , dont la Mnteur est quelquefois de quinze à vingt pieds... Les. 
habitans sortent de cbes enx à Feutrée de ThiTer , et vont soit en Piémont, 
sent ei^ France Ojh ils exercent les profesdons de frottenrs, commission- 
■lires , poKtebh et eolpocteurs, et ils ventrent an connneaoeincBt de ebaqne 
printemps... Ce sentier scabreux, qui n'est praticable que pendant qudqnei . 
niois de Tannée , n'est gnère j&péquenté que par des contrebandiers et dei 
déserteurs. » (Albanis-Beaumont, Description des Aipes (pnec^^ues e^ 
ci^tiiennesy tome II , p. 6i40-3. } 

' ?olyb. , UI.. 



1Î 

trente-six mille depuis le passage du Rhône jmqu^à 
son arrivée en Italie ^ . 

Quand on compare cette poignée d'hommes qui 
lui restaient aux forces que Rome pouvait alors 
lui opposer^ l'entreprise d'Hannibal semble plus 
audacieuse que celle d'Alexandre. Nous avons dans 
Polybe, liv. II , l'énumération des troupes que les 
différens peuples de l'Italie tenaient à la disposition 
des Romains sept ans auparavant^ lorsque Ton s'at- 
tendait à une invasion générale des Gaulois : 

« Les registres envoyés au sénat portaient quatre- 
vingt miUe hommes de pied et cinq mille chevaux j 
parmi les Latins \ chez les Samnites ^ soixante-dix 
mille fantassins et sept mille chevaux. Les Japyges 
et les Mesapyges fournissaient cinquante mille fan- 
tassins et seize mille cavaliers; les Lucaniens trente 
mille hommes de pied et trois mille chevaux. Les 
Marses^ les Marrucins, les Frentans, les Vest|ins, 
vingt mille hommes de pied et quatre mille che- 
vaux. — Dans la Sicile et à Tarente, il y avait deux 
légions y composées chacune de quatre mille deux 
cents hommes de pied, et de deux cents "chevaux. 
— Les Romains et les Campaniens faisaient en- 
semble deux cent cinquante mille hommes d'infan- 
terie et vingt-trois mille cavaliers. — L'armée cam- 
pée devant Rome était de plus de cent cinquante 

• Til.-LiT.,XXI, 38. 



13 

mille hommes de pied et de six mille chevaux. --*• 
Déplus^ on tenait prêt ^ de peur d'être surpris^ un 
corps d'armée de vingt mille piétons romains^ et 
de quinze cents chevaux , de vingt mille piétons des 

alliés^ et de deux mille hommes de cavalerie. En 

♦ 

sorte que ceux qui pouvaient porter les armes ^ 
tant parmi les Romains que parmi les alliés^ s'éle- 
vaient à sept cent mille hommes de pied et soixante- 
dix mille cavaliers ^ . >» 

Il faut avouer que tous ces peuples disposés à se 
lever en masse pour repousser l'invasion des Gau- 
lois, ne l'étaient point égalen^ent à combattre Han- 
nibal, qui se présentait comme le libérateur de 
lltalie. 

Le premier plan du sénat avait été de porter la 
gueire en Afrique , d'envoyer une seconde armée 
en Espagne, une troisième dans la Gaule cisalpine. 
La célérité d'Hannibal obligea Rome de rappeler la 
première armée de Sicile. Les Boïes et les Insubres 
(Bologne, Milan), poussés à bout par la fondation 
des deux nouvelles colonies de Plaisance et de Cré- 
mone, jetées entre eux sur le cours du Pô, avaient 
battu le prêteur Manlius dans une forêt près de 
Mutine (Modène). Ils se trouvèrent avoir conquis 

le soupçonne dans oette énoméralion beaucoup d^esagëration et de dov- 
bks emplois. ^ 



« 
» 



u 

eux-mêmes celte indépendance quMIs n'avaient es- 
péré recouvrer qu'en appelant Hannibal. 

Aussi lorsque celui-ci descendit des Alpes avec 
une armée exténuée de faim et de fatigue , aucun 
de ses alliés ne vint à sa rencontre pour lui donner 
des renforts ou des vivres; Les premiers Gaulois 
qu'il rencontra^ furent les Taurins, ennemis des 
Insubres. Il prit et saccagea leur principale bour- 
gade, pour essayer de jeter la terreur dans l'esprit 
des Gaulois. Rien ne bougeait encore^ et l'armée 
romaine était arrivée sous la conduite de Scipion. 
Hannibal, au lieu de dissimuler aux siens le dan- 
ger de leur situation, la leur découvrit tout en- 
tière. Il range l'armée en cercle, fait amener quel- 
ques jeunes montagnards prisonniers , qu'il avait 
frit à dessein souf&ir de la faim et meurtrir de 
coups. Il fait placer devant eux des armes pareilles 
à celles dont leurs rois se servaient 'dans les com- 
bats singuliers, des chevaux, de riches saies gau- 
loises, et il leur propose de combattre entre eux 
pour se disputer ces prix j les vainqueurs seront li- 
bres , et les vaincus se trouveront aussi affranchis 
par la mort. Tous bondirent de joie et coururent 
aux armes. Hannibal se tourne alors vers les siens : 
a Vous avez vu^ dit-il, votre propre image. Enfer- 
més entre le Pô, les Alpes et les deux mers, il vous 
£auat combattre. Vous savez le chemin que vous 
avez fait depuis Carthagène ; tant c|^ combats , de 



y 






15 

montagnes et de fleuves I Qui serait 9i&%«t stupide 

pour espérer qu'en fuyant il reverrait sa patrie? 

Jusqu'ici y parcourant les monts déserts de la Celti- 

bérie et de la Lusitanie y vous n'avez guère eu 

d'autre butin que des troupeaux. Id^ le prix du 

combat^ c'est la riche Italie^ c'est Rome* Tout sera 

pour vous^ corps et biens.... » Et il leur promit de 

les établir à leur choijx en Italie^ en Espagne ou en 

Afrique^ de les faire même citoyens de Cartbage^ 

s'ils le demandaient. Ce dernier mot^ qui peut--étre 

indiquait un grand projet d'Hannibal y était pour 

la cupidité des mercenaires le plus ardent aiguillon . ^ / 

U prit alors une pierre^ écrasa la tète d'un agneau, 

et s'écria : ce M'écrasent ainsi les dieux, si je manque 

à mes promesses * ! 

La* première rencon^ lui fut fevoraUe *• Dans 

c ► 

* Polyb., m. — Tit.-LiT, XXI, 45. 

* Dtiis ce (ait , et en général dins toute cette histoire, dou àYons tep* 
{vrimë beanceapde détob 8tnlé|[iqtiei. L'art ée k guerre a teflcnaest cbangëv 
^'one Stande partie de eo détaib aost inktdligîbks mioardlKii. Mèmo^ 
n'ai de Sainii^Hélkne , mars 4846, second Toliime : « L'Empereur d'-^ 

sait encore-qn^ii trouTah dans RoDin, dans Cësar même, des drconstances ^ ^ 

de la guerre des Gaules qu'il ne pouvait entendre. 11 ne comprenait rien à 

t^ÎBTaMon des HdTétieBs , au chemin qu'ils prenaient , an hue qu'on leur 

donnait , au temps quils étaient à passer la 8a6ne , à la dfligence de César 

tçÀ aTait le temps d'aUer en Italie cherdier dei légion» aussi loin qu'Aqni- 

lée , et qui retronrait les entahiiseurs encore à leur passage de k Saône, etc. 

— Qn'îluVtait pas plus kdk de comprendra k maniera d'établir desqua^. 

tiers d'hirer qui s'étendaient de Trêves à Vannes. Et comme nèus non» 



16 

une reconnaissance quHannibal et Scipion pous- 
saient eux-mêmes sur les bords du Tésin^ les cava- 
liers de Scipion furent enfoncés par les Numides , 
dont les chevaux , rapides comme Féclair^ ne por- 
taient ni selle' ni mords. Le consul blessé fut sauvé 
par un esclave liguri^i. D'autres historiens ont 
trouvé plus beau d'en donner l'honneur au jeune 
fils de Scipion, alors enfant de quinze ans^ qui a 
bien assez de la gloire d'avoir vaincu Hannib^d y et 
terminé la seconde guerre punique. 
Scipion se retira derrière le Pô, derrière la Tr^ 
i^ bie, abandonnant aux ravages les terres des Gau- 

lois, qui restaient fidèles aux Romains. Mais l'autre 
consul, Sempronius, plus touché du malheur des 
alliés et de l'honneur de Rome, passa la Trébie, 
grossie py la fonte des neiges, et jeta une &rmée 






affamée et transie dans le^mbûches où l'attendait 
Hannibal. Les Gaulois de l'armée romaine furent 
écrasés par les éléphans. Les Romains eux-mêmes 
furent enveloppés. Trente mille hommes restèrent 
sur le champ de bataille. Hannibal au contraire 



récriions ausû sur les travaiu immenses que les généraux obtenaient de leur» 
sddats, les fossés^ les murailles, les grosses tours, les galeries, etc. > 
i'Empereor observait qu^alors tous les efibits s'employaient en confection et 
sur les lieux mêmes , au lieu que de nos jours ils consistaient dans le trans^ 
port. Il Toyait d^aillenrs que leurs soldats Iravaillaient en effet plus que les 
nôtres. Il à le projet de dicter quelque chose là-dessus. » 



ïi^^îï guête petdti qnt dès Ôauloîs , presqu*aumft 
&pagtio1 y ni Afiîcsân. 

lia tîctowe ée là Tiétàe donila tous les tiaulois 
{Nnir aimKaîf^s bu géaéràl carthaginois. Son armée 
se trotiira portée sar^^e^hasip à Hfuatrè-vingtHdîx 
miHe hommes. Cotmaissaiit la mtibiiité des Barba-^ 
res^ il ▼ookét profiter du moment , passer en Etnit^ 
rie> etae préseliter oomme un libérateur auxEtruâ^ 
ques^ au:t Samnites^ aux Ganqpaniens, aux Grecs ^ 
à i&ùê oes peuj^es si duretaent traités par Rome. 
U renvoyait libre et eaiis rançon tdut allié des Ro« 
tttttiils j tandis ^li'il tenait ceut-^ au cadiot y leur 
donnant à peine lé nécessaire et leis ohérgeant d'in^ 
jures et d'opprobres ^ Ibâs 6n me passe pas aisé- 
meât les Àpenmns ^>endant l'hsver. Il y fut accueilli 
par un de ces froids ouragans ^^ qui s'élèvent alors 
fréqytenintent dans les montagnes. 

Il âdhit doim passer lé reste ée rhiver dans les 
fangea de Ja Gaule dsalptiîe '^ au milieià d'mi peur 
pie qjdd avait espéré Venndûr en suivant Hantiibal 
dâtis le tfiidi, et qoi se trouvait lui-même affamé 
par soÀ armée. Leur impatience devint si forte ^ que 
plus d'une lois les chefs conspirèrent sa mort. Pour 

* F*. Polyb. , III , «Tant et après la bataiUe de Trasymène. 

' Til.-Lir. , XXI, 58. — f^. aossi Foxage de Simon, et Lnllin de 
ChÂteauTÎeax. 

• Polyb. , III. 

I. !» 



i8 

tromper les assassâns^ il s^était avisé de changer cha- 
que jour de vêtement, de coiffure, se déguisant 
même avec de £aux cheveux ,^ apparaissant tantôt 
comme un jeune homme, tantôt comme un vieil- 
lard ou un homme mûr. Ces surprises occupaient 
l'esprit mobile et superstitieux des Barbares ^ . 

Au mois de mars (a 17), il passa l'Apennin, et se 
dirigea vers Arretium , par le chemin le plus court. 
Cette route traversait des marais étendus au loin 
dans la campagne par FArno débordé au printemps. 
Pendant quatre jours et trois nuits ^, les soldats 
d'Hannibal marchèrent dans la vase et dans l'eau j us- 
qu'à la ceinture. En tête, passaient les vieilles ban- 
des espagnoles et africaines , foulant un terrain en-* 
coré assez ferme. Les Gaulois, qui venaient ensuite, 
glissaient ou enfonçaient dans la fange. Ces hom- 
mes mous et faciles à décourager se mouraient de 
fatigue et de sommeil ; mais derrière venaient les 
Numides qui leur tenaient l'épée dans les reins. Un 
grand nombre désespéraieiit, et se laissant tomber 
sur des monceaux de bagages , ou sur des tas de 
cadavres , ils y attendaient la inort. Hannibal lui- 
même , qui montait le dernier éléphant qui lui res- 
tât, perdit un œil par la fatigue des veilles et Thu-^ 
midité des nuits. 



* Polyb., ni. Àppian. Hannib, b. c. Si 6. — - Li?. XXII ,4,3. 

* Ibidem. . 



i9 

Le consul Flaminius Fattendait avec impatience 
sur les tours d'Ârretium. Cependant on racontait 
une foule de prodiges qui menaçaient les Romains 
d'un grand malheur. Une pluie de pieiTes était 
tombée dans le Picemmi; en Gaule ^ un loup avait 
arraché et enlevé l'épée d'une sentinelle. Dans la 
vieille ville étrusque de Géré, les caractères qui 
servaient aux réponses de l'oracle^ avaient tout à 
coup paru rapetisses. Lies épis tombaient sanglans. 
sous la faucille. Les rivages étincelaient de mille 
feux ^ . 

Flaminius^ ne voyant dans ces récits qu'un arti- 
fice des patriciens pour le retenir dans Rome , par- 
tit furtivement pour l'armée, sans consulter ni le 
sénat, ni les "auspices. Hannibal profita de son ar- 
deur et l'attira entre le lac Trasymène et les hau- 
teurs dont il était maître ^. On n'entrait dans ce 
vallon que par une étroite chaussée. Les Romains 
la franchissent en aveugles au milieu de l'épais 
brouillard du matin. Hannibal, qui d'en haut les 
voyait sans être vu d'eux , les fait prendre en queue 
par ses Numides , et les charge de tous côtés à la 
fois. L'acharnement des combattans fut si terrible, 
que dans ce moment même un tremblement de 



• Tit.-Liv. , XXI , 62 , XXII ,i. 
Aujourd'hui encore , le nom d'un ruisseau Toisin du lac rappelle le car- 
na^ dont ce lieu » été le théâtre. Simon. , Voyage , 4** t., etc. 



terre ^étmlsit ^es villes^ renvet^ àes ttioniàgùtl^ > 
fitreftuet des rivières / satts qu^àttcun tféux s*ett 
âj)erçut. 

Hànnibàl passa tlahë TOmbrie , MtaqUa inutile^ 
wetit la colonie romaine de Spolète , et lie voyant 
aucune ville se déclarer jpour lui , il n'6sâ "point 
xnarcher vers Rome. Il se fetiira dans le Picenum ^ 
pour refaire son armée dans ce pays riche et fertile 
en grains. La £aim^ les fatigues, les fanges de la 
Gaule , et surtout le passage des marais d'Étrurie , 
avaient répandu dans ses troupes d'horribles mala-* 
dies de peau. Les chevaux aussi , ces chevaux pré-* 
cieûx d^ Afrique, avaient beaucoup souffert; on les 
lavait avec du vin vieux. Oii connût l'attachement 
des Africains pour ce fidèle compagnon du désert. 
C'est d'ailleurs un trait particulier dans le carac^ 
tère du soldat mercenaire , sans famille et sans 
ami^ 

Cependant le parti des nobles , celui qui ne vou« 
lait point de bataille et qui aimait mieul abandon*- 
ner les alliés aux ravages, avait prévalu dans Rome 
par la terreur qu'y jeta la défaite de Trasymène. On 



* Po^'b. , ni. C^est ce qu^a peint admirablemeiit 'Walter-Scott , dans 
r Officier de fortune. Qui ne connaît le capitaine Dalgetty et son bon ami le 
firand Gustave ? 



2i 

9ff9iX ^Qmmé prodâci^t^w la froid et prudent Far 
^U4; U comm^xiça par apaiser le$ di^w irrités par 
FJaioimu^ i OQ iiHNikpha leurs statues devant Içs t^^ 
hle$ d'iui b^Qquet solennel (^leçtisiemium) ; on leur 
pomit des jeux qui coûteraient trois cent mille 
trcHs qent trente-^TQis livrer ^ iin.ti^rs de çuiv^re; 
çnfin on leur Toua un printemps saçr4 ^ f 

Fabius^ sentant le besoin de rassurer les troupes^ 
^ tint conft^unm^t sur lp9 hauteur^^ ^t jbûfisa Han- 
nîbftlravâigerà sou aisç les terres de# M(vs^.> des 
]^41|gni9us ^ TApuli^^ h ^mmumet la Campam^, 
Vump^ roxuwue , prom^ée de hauteur m hai>- 

\fi!W, wcké^ dans la.nufi à V ombre des bois, cQmme 
un tif^mpemfH^on mèm^péitr^ lété mr l^montof^M^ 
\i^m d« Ipifi lliucfndiQ des., bdles campagu^^ dî& 
$es aUié^ d« Fftteinie,.9t de la calonie Romaine de 
$inuessa; la fumée montait jusqu'à, esûx, et ik 
^'imaginaient entendre les cria ; rien ne pouvait dé^ 
eider4 descendre et à combattre le flegmatique pa»- 
triden. L'indignation de Farmée était au comUe y 
Some la pai^tageaîl:. On ov^ir bien sujet de sedë»- 
fier de Fabius. Les amemis épargnaient ses terres 
en ravageant touitea les autres. I] aivait pris sur lui 
d'échanger les prisonniers^ sans autorisation du 

• Tite-UTe,Xni, 40. 

' Hannibal appelait Fabius ton pêda^gue {Pinl. , in Mareêil. ), mol. 
({ni, dam son acceptio;! ëtjçioloffique , implique Tidée de celui qui conduit 
<l qui promènfVftnî%nij plus ^ d^. maître qq) ensei^. 



22 

sénat. H ayait laissé échapper Hannibal enfermé 
dans la Campahie ; et le stratagème qui sauva le 
Carthaginois semblait bien grossier. Deux mille 
bœufs, portant aux cornes des fascines enflammées, 
furent lâchés la nuit dans la montagne, inquiétèrent 
les Romains, et leur firent abandonner les dëfiîés. 
Le peuple avait , il faut le dire , droit de soupçon- 
ner ou IThabileté, ou la probité de Fabius. On 
dahna à son lieûCenantMinutiusdes pouvoirs égaux. 
Fabius voulut qu'au lieu de commander chacun 
son }<mr> ccMnme c'était Tusage des consuls ^ , I^ar- 
mée fut partagée par moitié. Minutius, devenu trop 
faible par ce partage , osa attaquer Aannibal , et il 
aurait péri èi Fabius ne fut venu à son seooursi Le 
Éarthaginoîs sourît, et dit : « La nuée qui coiartniait 
lés montagnes a donc fîhi^ar ocever et- doiiner Ja 
pluie et l'orage. » < 

Le reste de Tannée on suivit ce. systènîe de. hon- 
teuse temporisatioii' y qui peut-être était le seul 
possible ^ avec des soldats découragés , contre la 
mieilleure .aimée et le premier puerai du monde. 
Mais le sentiment de l'honneur national parla enfin 
plus haut que la prudence et l'intérêt. Abandonner 

* Polyb. , III. 

' Les Romains finirent par en jnger ainsi : 

Uniu homo nobeis cunttando re»tituil rem : 

1- 'j .. . . i* 

^on ponçbat eniin ruvoros ânte ralatem ; 
' £rgo magisqpie lùaguque TÏri nilnc gloria claret. 

(Eanios, in. Cicérone, De stnêcluie. ) 



23 

■ 

ainsi aans protection les terres des alliée et même 
Jes colonies romaines/ c'eut été les jeter dans le 
parti d^Hann^ibal ; l'empire de Rome çùt été bientat> 
réduit à ses murailles. Le parti populaire^ nous: 
l'avons TU souvent^ sympathisait davantage àved 
les Italiens . Le peuple éleva au consulat Tôrateur 
qui avait parlé avec le plus de chaleur en faveur desi 
alliés. M. Terentius Varron , sorti d'un métier ser*. 
vile, était {devenuypar s&n éloqueiice^ cjuesteur^ 
édile et ptéteor. - FiU d'un boucher, :emplo7é d^à-> 
bord par son père à détailler et colporter la viande.'^, 
il'était l'objet da mépris desrpatriciènis. Pourquoi* 
cependant uW boudiof n'aurait-ril pas sauvéRome >; 
comme les bouchers de Berne sauvèrcnt'la Suisse à 
Laapefn * ? Il faiit a^rouer que l'infortuné Varron ,: 
comme Sempronius,! Blaminius et Minutius, 'dé*> 
fendait le ptrti <Je l'honneur, j Avec quatre-vingt. 
liriHe hommes contre cinquante mille, les Romains» 
nef '^pouvaient sahs hpnte abandonner leurs aHîés. 
H était 'digne d'eax de se frire battre à Cann^'etiii; 
Trasyqaène. « Non, Athénierifô, disait Démoâifliènés, 
non,Sx)uS'n'avez^ pasTaiUi à: Chéronée. J'esiijuie. 
ceux qui ont vaincu à MarathoÀ '; » • ^1 



• 



' Tit.-Liv. ^ XXJI, ?6. — ' Miiller, Gesch.tier Sch^., Il,' S/, ' 

..0"^ ftâ ToOc h MapaOûvb TrpoxcvSvvgvO'ffylaç tûv npoyôvtùv. De 
Corond.f c. 60. 



9i 

Les patriciens , poy r ^pos^r w 4e^, teuçf ^ Vaï*-^ 
tan, élevèijeoit au cc«s^4s^ Pairfus Jfeûljyii^i Xé\è\et 
et; Faioi du tm^poxiseH^^^lU^^Pff^V^^m 4?^ de^x; g^ 
néjraux perdit la r^pi4l>li(|ue. Vu». v^Hulait çpq^w^ 
tre Hannibal , 9aa$ <ihoîiâir Iç li^u i^i^ Ij^ (ei^ps,; Vmr 
tre ^ au momeat décistf ^ déaQUi?«§;eait l'anité^ ^ 
déclarant, oomme pamciev, et an^^nse, ^^ 1^ p<w^^ 
kts sacrés refusaient dç manger ,^ et ^ndanxP^^A!^ 
la bataîHe ^ .^l^ sjiiruatioa d'HanftjJbal pQax^t^ ^. 
effet engager à la digérer. Au hout.d^ d<eii^ ^%> ^. 
n'avait pas. uzve TîUe , pas iwè forte]:e$M; e«i ](t^îe« 
Cartilage ne faû donnant auctuGi secours^ s'était q^ti-r. 
tentée d'envoyer au conunfinceitte&t; i» h psié^n^ 
une misérable eiqpédition de treofte gaièw9 > pm^ 
soulever la âfecik, tai>di^> qu6 yî^gt mxr^ VtSHP'^ 
raient les cotés dlta]Â9> Jjt plup^ <^ Qwloli» 
avaient peu à peu qiûtt4 Hmnil^ pQW ?atQ^n9kfJ^. 
diez eux et mettre leuur. i^utin w. svii^eté. N'a}$fliti 
polât pris de villes, il a'avait point d'a^geM ^ mv^; 
argent, qu'est-fce que le cheC d'uoM wm^' mmfè^^ 
naâre? B n/e lui restait de blé. que pou9 dix jpuxs* 
Un ]|ii&u>tien prétend mètsm (|u'il eut l'idée de {wf 
vers le nord de l'Italie *. 

Dans l'immense plaine de Cannes, on ne pouvait 
ci;ajindire d'embuscades çompie à la Trebie ou à 

• Tit,-Uv. , XXII. — * Til.-Liv. , XXU , 43. 



^^■«w 



Ut noptl^rQ cpiui my^^l}«^ k)grap4- Hawi^b^, Av«it 
eu J^^ttentic^ ^ f^ W^tiW «^ 4o» }« vfWt ot Ia po<l«r 

comff^ elle ei( ^y^\ V<^4ft^i. «< 1«4 SVpiMm» , .^'eniH 
£D9içail4 j^ouff |a p^f^^YI^ e«ktvc> l^ ^itewt, «iJe« ▼*<>• 
toriq^^»^ 4]|^^n^^, îçf . tfO|ui,vÀf|e»lt , a«n«il . ^k 

wep 4e» P9I0PAP4 «WM if\»? ^«fcits * . I^f: ce n¥>t 
«HP< teiîHWft, ^vfm «mA>WWI aiwî<wyaUew 4« 4«*«^ 

t w * j?ie4.. t<>ff*(|ii'«* ^^ ^ siwwMf »i«cfl'«^ Ii9 

p.<Wff? }^i»-> ¥■ F^\ièK isfM: âm }» fN»»^<to 1m««^ 
^wgt «1,11% «iShw» , f «s« «l'^fmt «ipiMmni^ et «*mi 

(216 aTfiqt J.-C.). 



Q6 

- A la fiouvelle d'UUe telle dë£Ètitë^ châcnh crat 
Rome perdue. -ïôùt lé midi de Htalie l'abandonna. 
De jeiflies patiidèilisl même songeaient déjà à chei:- 
cher des vaîsteàujt pour fuir'àu-defè de^mers \ Les 
olÊciei^ d'HarriniBal croyaient qu'M ne s'agissait plus 
cjue de mardîef sur Rdmè.'X'irtpétueux Maharbal 
disait au géhëfcà carthaginois : « Laissez-moi prendre 
les diefvans^'avec'iria eavalerie; il faut que voué -sou- 
piét' dali^'cini]' jbups au Capifeôle. n HâhiÂibàl ne 

t r 

voulut pas é'^xpliquér, tUnië il'sàvait bien qu'on ne 
prenait pasIaiftsi-Roïihï. Ëlôignéfe tie plus de quatre- 
vingts lleue^V' elle' airah le-térfip^'dè'se met^^^rè en 
élM dé' défetiistf, Deftis lèt ViHé et datais les emirôns , 
»y avait'pfiisdé driquaritemîilé sJbldats, et tout le? 
peuplé étdt ^ôWht. 'En déduisait léS'flidrts et les 
blësi^ ,> le CàtA^giiidi^ ne pteùvail^guère àroirplus 
dfe Vihgt^sfet tnfHie hotathes. Tduàises peuples qui se 
d^éclarfilîent &es -âtoiiii, Sattihî^ei, Ltacàhiba^,^Bra- 
tlferis, Gfreié^y ii'a^ent g«de ^ugmèrite*^ une aîr^ 
inëe- barbare dèn*t îJé n'^itei^daîent point 4a»lang;ue, 
et dbîit îlsavaiferH; ieê mœwftfs ew^éeîpâtidn. C'était 
le bruit publié en Italie, qucfies soldat» d'Haflnlbai 
^ nourrissaient au beseitt <le chah- hufioainè^. Les 
haljèns ne quit?taiént fe parti de Rome? (Jtt'âfift Je 
ne-pliisrécruW ses armées, et de ne plu^ ptendlre 



« » • * 



• Tit. Liv. , XXII , SS. 

' Polyb. , extr. C. J^rphyr. r- Tit.-lij^. „ XKIlî, 5u 



2î 

part à la guerre. Aussi Hannibdl se trouva-t-il si 
faible après sa victoire, qu^ayant besoin d'un port 
en foce de l'Espagne, il attaqua la petite ville dé 
Naples et ne put la pfrendre. Il ne fut pas plus heu- 
reux devant Noie , Acèrresr et Nucérie. Patrtout il 
trouva les Romains aussi forts qu'avant leurs tlée 
faîïe^. ' 

tt Rome fut un prodige de constance. Après les 
journées du Tësin, de Trébie et de' Trâsyrrièiie', 
après celle de Cannes^ plus funeste encore, abiiri- 
dotin^èdepresguetotisleS'péiïples d'Italie, elle ne 
detïtâmd'a point la paix. ....... ^ Rome iat sauvée par 

la force de son institution. Après la bataille de 
Gannes, il'neïdt'pas perniis aux férhimes même* de 
verser 'dés liirrfièîs ;' le sénat refusa dé racheter lès 
prisonniers, etèiifvoya les misérables ï^estesye*riâr* 
m'ée faire la gùéfre en Sicile , sâiis i^cbinpensë nS 
àxîdin honneur nïilîtîàire, jusqu'à icè ' cjtf Hariiïîbàl 
fût chassé de l'Italie. ' ' ' * ' 

i) D'un autre côté, le consul Téretiftius Van'on 
avait fui horitëusemetit jusqu'à- Venouse; ' éet 
homme, de la plus bassfe naissance ^', h'aViaîé* été 



i • t 



<' lu* . .. . ' 'i . 



* Vairon , si mdtraité par' Montesquieu 'et 't&r- tîitif d^bistori^nV ,' tdiscMli 
po«ftant dQ la dignité dass'^a ai«lb«qr. iefiauplQ ie^jngfa si pétocnf ptlilt 
qn'^ Toulut encore rélev^ aux.honaçurs,.^ Depui^Jii^batq^e ^eCifXDes, Ijjiiv- 
fortané portait toujours la barbe longue , et disait à ceux qui youlaient loi 
donner leurs suffrages , de réserver les emplois publics à des hommes plus 
beureux. Frontin. , 5/roto^. * *»•-'* i ' 



3« 

■ 

ileyé au coagulât que pour mortifier la aoblesse». 
Mais le sénat ne voulut, pas jouir dç c« malbeureut 
triomphe : il vit combien il était Q6oes$4ire qu'il 
$'attirat dans cette oooasion la confiance du peuple ; 
il alla au^evant de YarroQ> et le ipemerâa de cç 
qu'il n'ayait pas désesp^ de la république. 

» Ce n'est pas ordinairement la perte réelle que- 
l'on £ait dans une bataille (c'est^àrdire de quelques 
milliers d'hommes) qui est si funeste à un état ; 
mais la perte imagipai|:e et li^ découragemeint qui le- 
prive des forcer meme$ que la fortune lui avait 
laissées. M (Montesquieu, Gx^ çt, jP4c. 4^ Rom* j, 

Haupibal^ trop faible pourattaquer avoc avantage^ 
)e centre de Tltajie^ prit ses quartiers d'hiver à C*- 
ppjue, Pes deux grande^ c}iés du xnîdii CapQUQ et: 
^fu'ente^ |a se^oude était encore tenue pai; uiae gar-r . 
^Qu rpjEQaine ; l'autre encouragée par la défaite ^ - 

Cannes^ demanda aux Romains que dé^ojrmai^ ^Wr 
deui^ Qopsuls y ils çn prissent y» C^papa^ien * . J-es^. 
Capuans firent eii^uHe maiu-rb^sse sur les ]^omaili#, 
qu'ils avaient dans leur ville^ et les étoufiereut dans^ 
les étuves des bains ^ qui se trouvaient en grand^ 
nombre dans cette ville voluptueuse* C^ fut le chef 
du parti populaire de Capoue , Pocuvius y allie aun 
plus illustres patriciens de Rome, cendre d'ua 

• Tîl.-LiT», XXIII, 2, 40. 



Î9 

Appîus Clàûdlus^ beâti-père d'un Lîviu]^^ qui in-^ 
Iroduisit Hannibàl dans Capoue. H avait grand be- 
soin du séjour dé cette riche ville pour refaire un 
peu son armée ^ pour guérir ses blessés. Peut-éti^ 
aussi les soldats d'âannibal lui rappèlàiént-ils ses 
promesses et vôulalènt-ils enfin du repos. Les vé- 
térans d'Hamilcar^ cèiix qui duraient encore^ après 
le passage de3 Âlpés et tant de batailles^ croyaient 
sans doute qu'il fallait^ au moins tin instant avant 
ïeuf mort, goûter le fruit de la conquête. Com- 
battre, jouir, foilà la vie du soldat mercenaire. Lé 
chef d'une telle armée la suit souvent, tout en pa- 
taissant la conduire. On a dit que le séjour de Cà- 
jjouè avait corrompu cette armée. Mais les vain* 
queurs de Cannes , devenus riches, auraient partout 
trouvé Capoue. Hannibal ne pouvait pas, comme 
Alexandre, mettre le feu au bagage de ses soldats. 
D'ailleurs, ce lieu de repos lui convenait; il était à 
portée et de Casilinum qu'il assiégeait, et de là 
mer d'où il attendait des secours. De là, il pouvait 
chercher aux ftomains de nouveaux ennemis, et 
remuer le monde contre eux. « Si Ton me de- 
mande, dit Polybe ^ , qui était Fâme de tout ce qui 
se passa alors à Rome et à Carthage, c'était Han- 
nibal. Il faisait tout en Italie par lui-même, en Es- 
pagne par Hasdrubal son aîné, et ensuite par Ma- 

ExempUs dt vertus et de vices. 



30 . 

gon. Ce furent ces deux capitaines qui défirent en 
Espagne les généraux romains. Cest sous les ordres 
d'Hannibal qu'agirent dans la Sicile d'abord Hippo- 
crate, et après lui l'Africain Mutton (Mutine). C'est 
lui qui souleva l'Illyrie et la Grèce , qui fit avec 
Philippe un traité d'alliance pgur effrayer les Ro- 
mains et diviser leurs forces. » 

Le premier espoir d'Hannibal , son appui natu- 
rel, c'était l'Espagne. Il y avait laissé son firère et 
ses lieutenans ; il comptait en tirer sans cesse de 
nouvelles recrues. C'est pour cela qu'il avait tracé 
avec tant de peine une route des Pyrénées aux 
Alpes. Mais la guerre d'Italie était trop lointaine 
pour y entraîner facilement les Barbares. Cette 
guerre ne pouvait être nationale pour des hommes 
qui connaissaient à peine les Romains, et qui n'a- 
vaient pas encore éprouvé leur tyrannie. Us avaient 
éprouvé celle des Carthaginois, leur rapacité, la 
dureté avec laquelle ils levaient des hommes pour 
les envoyer au-delà des Pyrénées dans un monde 
inconnu. Cette haine qu'Hannibal trouva partout 
en Italie contre Rome , les deux Scipions la trou- 
vèrent en Espagne contre les lieutenans d'Hannibal. 
Les Celtibériens avaient déjà taillé en pièces quinze 
mille Carthaginois ^ Les Scipions remportèrent 
d'abord de brillantes victoires ; et Hasdrubal , retenu 
par eux, ne put passer en Italie. 

• Til.-Lir., XXII, 21. 



3< 

II fs^hit donc qu'IIamûhal se tournât du coté de 
Carthage. M9goi]^; son frère, fit verser dans le ves- 
tibule du sénat un boisseau d'anneaux d'or, enle- 
vés aux chevaliers et aux sénateurs romains. Cette 
preuve éclatante des pertes de Kome et des succès 
d'Hannibal ne fit qu'augmenter la défiance des Car- 
thaginois, Sans exprimer ses craintes, Hannon, 
chef du parti opposé aux Barcas, se contenta de 
dire : « Si Hannibal exagère ses succès , il ne mérite 
point de secours 3 s'il est vainqueur, il n'en a pas be- 
soin ^ . » Toutefois on lui envoya de l'argent, quatre 
mille Numides et quarante éléphans. Un commis- 
saire du sénat fut adjoint à Magon pour lever en 
Espagne vingt mille fantassins et quatre mille che- 
vaux*. La politique de Carthage était d'alimenter 
seulement la guerre. Hannibal une fois maître de 
l'Espagne et de l'Italie , que lui serait-il resté à faire, 
sinon d'assujétir Carthage '. 

Si mal soutenu par sa patrie et par l'Espagne , 

' Tit.-LiT. , XXIII , 42, <3. 

' Coimiie ib pibTëditean ptr lesqoeb le sénat de Venise (usait farreiUer 
ses années et ses flottes. ' 

' H Dans qad danger n*eAt pas élé la répobltque de Carthage si Hannibal 
avait pris Rome? Que n'eâl4l pas 6it dans sa Tiito après la nctoire , là qui y 
causa tant de réTolutions après sa défiiite ? 

» HannoB n'anrait januôa pu persuader an sénat de' ne point enroyer de 
secours à Hannibal , s^il ji^arait fait parier qne sa jalousie. Ce sénat qn^Aii»* 
tote nous dit aToir été ai sage ( cbase'qœ la prospérité de cette républii|n6 
nous prouva si bien ) ,. ne pouvait' être déterminé que par des raisons sen* 
lécSk 11 aurait fallu être trop stupideponr ne pasToir qnhme armée à trois 



32 

Râniribàl toorfta hs yetlx tfù côté cïu monde grfec , 
vers SyttKîttôe et la Macedt)fale. Hiéroh persistait 
dans ^eH alliamre avec les Romains^ et leur avait 
ïAèiité ehTt>yé après Cannes utie Victoire d'or massif 
qui p^ait plus de trois cents livres ; mais la mort 
imminente du tieiflard allait ouvrir la Sicile aux 
intrig- *s de Tennetni de Hom^. Quant au rôi de 
Macédoin)^^ Tinquiétudé que lui donnaient les Ro- 
mains ^ devenus s-^cs Voisins par la conquête de Tll- 
IjTÎe, îe détermina îi ^*trtlir aut Carthaginois*. Il 
semble que le Successeur d'ÀIeicandre aurait con- 

cent» Hebfes âe tt , tesdt des jierte» irA^essiÂhe» qui detaieht tift Irépàrè». 

9 UpiftidV<felttfAYdlildtq«'iililitMtHuniiMlâiitoitinMs.Onl» 
vtit pour k>tS€tiinte les RoaiAids j ob crt%nait dditc Hannibal. 

» On ne pouvait eroire , dit-on» les suooès d^Hannibal : nais comment en 
douter ? Les Carthaginois réiiandus par toute la terre , ignoraient-ils ce qui 
se passait «a tthlie ? Cest parte qtt^ils ne FignordeM psA , qa*oû ne toulait 
pas envoyer de secours à Hannibal. . 

» Hannon devient plu ferme «près Trâ>ie , après Trasymène , après 
Cannes ^ ce n^est point son incrédulité qui augmente, c'est sa crainte. » 
( Esprit des Lois , liv. X, c. 6. ) 

' Wkfb., m : « Tnilé qu'H^lnM, k géaéral, Mtg*, Uxàttu, 
Barmocar, les sénateurs de Cartha^ qui sont avec Htinibal, cl tons ks 
Qait^piliois qui combatlent «vee lui « oM fait avec Xénophàne , Adiénien , 
fils de CléonaqHe , qui nous a été eaveyé oonnne anbacsâdewr par le roi 
Philippe, fils de Démétrius , pour hii , ^cAir les MaoédoméBS et knii alliés. 

» Bft p ié se ac e de Jupitor, de JntfMi et d'ApoIkm ; en pr é seace do génie 
de filHha|it ( ^mkujV99i ) » d^Hennile et d^Ibltids f en présence de Mars , de 
Tritoa tt de NcptMC | en pvéseftee de tohs Iti dieux protccteors de notre 
•ipédilion, dn soM , de k Inné et de U terre ; en pnfMnœ dcf fleuves » 
des prés H des c«n ^ en présence de tous les dieot qnè Gardiage recdonak 



53 

benti volontiers à un partage du inonde qui lui ràt 
donné l'Orient et laissé l'Occident pour Hannibal. 
Il fallait donc une diversion puissante en faveul: de 
ce dernier. Mais on le croyait si fort après Cannes^ 
que Philippe craignit qu'il ne vainquit trop vite ; il 
agit mollement, et se laissa battre à l'embouchure 
du fleuve Aoûs. Plus tard, les Romains lui suscitèrent 
pour ennemis les Etoliens, brigands qui nedeman^ 

/ 

pour ses nudtres ; en présence de tous les dieux qui sont honorés dans ht 
Maoédoine et dans tout le resté de la Grèce ; en présence de tous les dkux 
qui pcésidcnt à la guerre et qui sont présens à ce traité , ii«i>mhal , général y 
et aTeclui tous les sénateurs de Garthage et tous ses soldats , ont dit : 

» Afin que désormais nous TÎTions ensemble comme amis et comme frères ^ 
soit fût , sous Totre bon plaisir et le nôtre , ce traité de paix et d^aBiance , 
à condition que le roi Philippe , les Macédoniens , et tout ce qu^ib ont 
d'alliés paimi les antres Grecs , eonserreront et défendront les Ûirthagi- 
nois, Hannibal , leur général y les toldats (juHl commande , les goutemeurs 
des proTinces dépendantes de Carthage , Utique et toutes les Tilles et nations 
qui nova sont unies dans TltaUe, la Gaule i la ligurie , et quiconque dans 
cette proTÎDoe fera aHianoe atec nons. Pareillement les années carthaginoises 
et les habilans dUtique, et tontes les TiUes et nations soumises à Garthage^ 
et les soldats , et les alliés , et toutes les villes et nations avec lesquelles 
nous avons anntié et alliance dans l'Italie , dans la Gaule , dans la Ligurie , 
et avec ksifueUes nous pourrons contracter amitié et alliance dans cette rér 
gion , conserreront et défiendront le roi Philippe et les Macédoniens , et tous 
leurs alliés d'entre les autres Grecs. Nous ne chercherons point à nous sur- 
prendre les mis les antres ; nous ne nous tendrons point de pââgtft. Nous , 
Macédoniens, nous nous déclarerons de bon cœur, avec affection, sans 
fraude , sans dessein de tromper , ennemis de tous cent qui le seront des 
Carthaginois , excepté les villes , les ports et les rois avec qni nous sommes 
liés par des traités de paix et d'alliance. Et nous aussi , Carthaginois , nous 
nous déclarerons ennemis de tous ceux qui le seront du roi Philippe, excepté 

n. 3 



94 

d&ient que gaèrtè et pillage ; et ils finirent par se inet-> 
tre au cœur de la Grèce en s'emparant d'Anticyre» 

^ Hannibal ne laissait pas d'agir lui-même en Ita- 
lie ; mais cette armée qui perdait toujours sans se 
l*enôuveler^ était devenue si faible^ que les Romains 
l'affrontaient partout avec avantage. Leur général 
était alovs le bouillant Marcellus ^ , héros des temps 
barbares > fier de sa force et de sa bravoure^ cè- 
les rob , les TiUes , ks nalieiu grec qui nous sommel liés par des tnités de 
pÙJL A d^alliaiice. » 

« Vous enticta, Tèiis, MacédOBieos , daas la guerre que bous avons 
contre les EomaiBS , jiis^^ ce qu'il plaise aox dieux de donner à nos armes 
et aux vôtres on faearen Mocès. Yoos nous aîderei de toat œ qui sera né- 
œnaire, selon que nous eh serons contenns. Si les dîeox ne nons donnent 
point la Tiètoiie dans la guerre contre les Bomains et leurs alliés , et que 
bous traitions de paix arec eux, nous en traiterons de tdle sorte que vous 
soyez cbmprîs dans le traité, et aux conditions quUl ne leur sera pas permis 
de TOUS dédarer la guerre ; qu'ib ne seront maîtres ni des Gorcyréens , ni 
des ApoUottiates, ni des Epidanûens, ni de Pbarç» ni de Dimale , m des 
Parthins , ni de TAtintanie , et qu'ils rendront à Démétrios de Phare ses pa- 
TCDS qu'ils retiennettt entre leurs mains. Si les Bomains tous dédarcot la 
gaefTC f ou à nous , alors nous nous seconitons les uns les antres selon le 
besoin. Noos en userons de même si quelque autre nous fait la guerre , ex- 
cepté à l'égard des rois, des ▼îDes, des nations dont nous serons amis et 
alliés. Si nous jugeons li propos d'ajouter quelque chose à ce tnité , ou 4'ea 
Ktrancher, nons ne le fierons que du consentement des deux parties. » 

Ce qui frappe le plus dans ce traité, c'est que nulle part BUumibal ne sti- 
pule en iateur de Caithage , mais en faTcur de l'armée de Carthage » de» 
gooTemenrs de provinces carthaginoises , en faveur d'Utiqoe , alliée et rÎTale 
de Carthage , c'estA-dire en faveur de tous ceux qui auraient pu le seconder 
dans le cas où il eAl voulu tourner ses armes contre sa patrie. 

' Ce nom veut dire martiai, selon Possidonius, cité par Plut. , m wi^i 
MarceUi, 



35 

l^re pour ses combats singuliers^ qui avait jadis 
vaiacu les Gaulois y et qui leur ressemblait par sa 
fougue. Grâce à la supériorité du nombre, ce vail- 
lant soldat défit, plusieurs fois Hannibal devant 
Noie y devant Casilinum y et finit par l'obliger à soi^ 
tir de la Campanie (21 5-4)- D^ns une seule ren-* 
contre à Bénévent, son lieutenant Hannon perdit 
seize mille bommes. Au milieu de ces revers, le 
grand capitaine surprit Taren^e, la seconde ville 
du midi y dont le port lui assurait des communica- 
tions faciles avec la Macédoine. En même temps, 
profitant de la mort d'Hiéron et de l'extinetion de 
sa &mille, il avait trouvé le moyen d'attirer dans 
son parti Syracuse, et de la mettre entre.les mains 
de deux Grecs nés d'une mère cartbaginoise. Agri- 
gente, Héradée, presque toute la Sicile échappa en 
même temps aux Komaiss. Ainsi Hannibal manœu- 
vrant avec une poignée d'hommes, à travers .de 
nombreuses armées, de Capoue à Tarente, et de 
Tarente à Capoue, tnactif en apparence, mais les 
yeux fixés sur les deux détroits, remuait la Macé- 
doine et la Sicile , comme deux bras arooés oontre 
Rome. Les Italiens, frappés de ce vaste plan, s'é- 
tonnaient de son impuissance, et, dans leur langage 
rustique, le comiparaient à l'abeille qui n'a de force 
que pour Ma coup, .et qui, son aiguillon une fois 
lancé, tombe dans l'engourdissement ^ 

' rit.-Liv. , XXlll , 42. 

3. 



36 

L'année ai 3 fat un moment de repos pour les 
deux partis épuisés ; mais à la campagne suivante , 
Rome fit un prodigieux effort pour terminer la 
lutte et étouffer son antagoniste. Elle leva jusqu'à 
trois cent trente-dnq mille hommes ; elle parvint à 
enlever au Carthaginois le» deux grandes villes qui 
soutenaient son parti en Italie et en Sicile ^ Capoue 
et Syracuse. 

Hannibal se surpassa lui-même pour sauver Ca- 
poue. Il battit les armées romaines devant se» murs^ 
il les battit en Lucanie. Rome ne lâcha pas prise ; 
c'était pour elle une affaire de vengeance autant 
que d'intérêt. Ce n'était pas seulement à cause de 
ses citoyens égoigés; Hannibal entrant à Capoue 
avait promis qu'elle deviendrait la capitale de l'Ita- 
lie K 

U fit alor^ une chose singulièrement audacieuse^ 
il laissa les Romains devant Capoue^ et marcha sur 
Rome. Il campa à quarante stades de ses murs^ et, 
profitant du premier effroi^ il allait donner l'assaut; 
mais deux légions s'y rencontraient par bonheur'. 
Les historiens romains prétendent que^ loin de 
rien craindre ^ on prit ce moment pour faire partir 
des troupes destinées à l'armée d'Espagne, et qu'on 
vendit le champ sur lequel campait Hannibal, sans 
qu'il perdit rien de sa valeur. Selon eux, le Car- 

■ Tit.-LiY. , XXIII , 40. -- ' Polyb. , IX. 



37 

diaginois ^ prenant avec lui trois cavaliers seules 
ment^ se serait approché la nuit de Rome^ et du 
haut d'une colline^ en aurait observé la situation^ 
remarqué le trouble et la solitude ^ . Ues Romains 
dirigèrent des forces considérables contré lui^ mais 
il se joua de leurs poursuites , repassa par le Sam- 
nium^ traînant après lui un butin prodigieux, et 
revint par la Daunie et la Lucanie au détroit de 
Sicile, après la plus rapide et la plus périlleuse cam- 
pagne qu'aucun général ait jamais faite. Un cri 
d'admiration échappe à Potybe. 

Capoue, d^ormais sans espoir, tomba au pou- 
voir des Romains. Elle finit comme elle avait vécu. 
Après un voluptueux banquet, où ils s'étaient soû- 
lés de toutes les délices qu'ils allaient quitter, les 
principaux citoyens firent circuler un breuvage 
qui devait les soustraire a la vengeance de Rome 
(au). 

Le siège de Syracuse ne fiit pas moins difficile. 
Le génie d'Archimède la défendit deux ans contre 
tous les efforts de Marcellus. Ce puissant inven- 
teur était si préoccupé de la poursuite des vérités 
mathématiques, qu'il en oubliait le manger et le 
boire ; traîné au bain par ses amis , il traçait encore 
des figures avec le doigt sur les cendres du foyer 
et sur son corps frotté d'huile. Un tel homme ne 

^ AppiaB. , Hannib, b, , c 380, 4« toI. 



38 

devait se soucier ni des Romains ni des Carthagî*^ 
nois. Mais il prit plaisir à ce siège ^ comme à tout 
autre problème ^ et voulut bien descendre de la géo-i 
métrie à la mécanique. Il inventa, des machines ter-, 
ribles qui lançaient sur la flotte romaine des pier-^ 
res de six cents livres pesant^ on bien qui,s*abaissant 
dans la mer^ enlevaient un vaisseau^ le faisaient pi- 
rouetter et le brisaient contre les rochers; les hom-. 
mes de l'équipage volaient de tous cotés , comme 
des pierres lancées par la fronde; ou bien encore 
des miroirs concentriques , réfléchissant au loin la 
lumière et la chaleur, allaient brûler en mer la 
flotte iiomaine. Les soldats n'osaient plus appro- 
cher ; àumoindre cdDJetqui paraissait sur la muraille, 
ils tournaient le dos en criant que c'était encore 
une invention d'Archimède. Marcellus ne put s'em- 
parer de la Tille que par surprise, pendant la nuit 
d'une fête. Il fit chercher Archimède. Mais il était 
si absorbé dans ses recherches , qu'il n'entendit ni 
le bruit de la ville prise , ni le soldat qui lui appor- 
tait l'ordre du général, et qui finit par le tuer. Un. 
siècle et demi après ^ Cicéron, alors questeur en 
Sicile, fit chercher le tombeau du géomètre. On re- 
trouva sous les ronces une petite colonne qui por-. 
tait la figure de la sphère iiiscrite au cylindre. Ar- 
chimède n'avait pas voulu d'autre épitaphe. 

La Sicile retourna ainsi aux Romains par la 
prise de Syracuse, et surtout par \a^ défectioja du 



I ^«H^ 



39 

Lybîen Mutton pu Mutine^ général habile y qu!^ 
après avoir battu HarceUus y finit par passer du côté 
d« Rome. Mais la même année où Marcellus prenait 
Syracuse, les Romains avaient éprouvé de grands 
revers en Espagne ; les deux Scipions, ayant divisé 
leurs forces, furent vaincus et tués (21a) ; Tannée 
romaine ne fut sauvée que par le sang-froid de 
Marciu$, simple chevalier romain. Personne n'osait 
demander Je connnanden(ient de l'armée d'Espagne,, 
funeste ^ par la mort de deux généiaux^ Le jeune 
Sdpion , fils de Publios, à peine âgé de vingl>-qua^ 
tre ails^ osa se porter pour te successeur et le ven-^ 
geur de son père et de son oode. Lie peiq>le le nom-^ 
ina d'enthousiasme. C'était un de ces hommes ai- 
mables et hérmques ' ^ si dangereux dans les cités 
libres. Rien de la vieille austérité romaine; un gé4 
nie grec plutôt^ et quelque chose d'Alexandre. On 
l'accusait de «Qoeui^ peu sévères, et, dans une viUe 
qui commençait à se corrompre, ce n'était ^'mie 
gr&ce de plus. Du reste, peu soucieux des lois, les 
dominant par le génie et l'inspiration ; chaque jour 
lil passait ^paelques beums enferaié au Capitole, et 
le peuple n'était pas loin de le croire fils de Jupi- 
ter. Tout j^ne encore et long-temps avant l'époque 



* MotflBiployé. par ToItair« , Essai sur les Mdurs ; il, r^»pli()ii« ao. 
xègne dIBbries II. 

' Polyb. , X , inpnncipio. H Citit m défier de la partialité de Poljbe ea, 
JfiTeiir dea Scipîona , ses ptotecteors. F", plus bas une note de ce même lÎTie,. 



40 

{égaie , il demanda l'édilité : « Que le peuple me 
^ nomme^ dit-il^ et j'aurai ^àge^)) Dès-lors Fabius et 
les vieux Romains commencèrent à craindre ce 
jeune audacieux. 

Dès qu'il arrive en Espagne y il déclare aux trou-* 
pes à peine rassurées y que Neptune lui a inspiré 
d'aller, à travers toutes les positions ennemies, at-^ 
taquer la grande ville de l'Espagne, Carthagène, le 
grenier, l'arsenal de l'ennemi. Il prédit le moment 
où il prendra la ville. Deux soldats lui demandaient 
justice : « Demain, dit-il, à pareille heure, je dres-« 
serai mon tribunal dans tel temple de Carthagène. » 
Et il tint parole ^. Il trouva dans la ville les otages 
de toutes les tribus espagnoles ; il les accueillit avec 
bonté, leur promit d» les renvoyer bientôt chez 
eux, caressa les enfans et leur fit des présens selon 
leur âge ; aux petites filles, des portraits et des bra- 
celets, aux garçons des poignards et des épées. 
Lorsque la vieille épouse du chef Mandonius vint 
le supplier de faire traiter les femmes avec plus 
d'égard , et pleura sur les outrages que leur avaient 
faits les Carthaginois , il se prit lui-même à 
pleurer. 

Quelques, jeunes soldats , qui connaissaient bien 
1q faible de leur général , lui offrirent en présent 
une captive d'une rare beauté. Scipion j^ffecta 

' Tit.-Liv, , XXV , 2, — Appian. , Ifisp. 6, , I •' jol , c, 267. 



• 41 

point de sévérité : « Si j'étais particulier^ leur dit- 
il^ TOUS ne me pourriez donner rien de plus agréa- 
blé*. » Puis il fit venir le père de !l jeune fille , et 
la remit en ses mains. Il acheva de gagner les Es- 
pagnols par la confiance héroïque avec laquelle il 
leur rendit leurs otages. Ds en vinrent alors au 
point de se prosterner devant lui ^ et de lui donner 
le nom de roi. Scipion leur imposa silence. 

Hasdrubal y désormais sans espoir , ramassa tout 
l'argent qu'il put pour passer en Italie. Scipion ne 
se soucia point de barrer le passage à des gens dé- 
sespérés; il les laissa 9 au grand péril de Rome^ 
marcher vers les Alpes pour rejoindre Hannibal. 

Que serait devenue l'Italie^ si cette armée, recru- 
tée par les Gaulois y eût dégagé du midi de la Pé- 
ninsule le terrible ennemi de Rome? Il y avait, il 
est vrai , perdu toute sa cavalerie numide y exter- 
minée ou séduite par l'argent des Romains; mais 
Rome elle-^méme n'en pouvait plus. Douze colonies 
épuisées par les dernières levées^ lui avaient refusé 
leur secours. Le consul Claudius Néron, qu'on 
avait chargé 'de contenir Hannibal, comprit que 
tout était perdu, si son frère perçait jusqu'à lui ; 
il prit ses meilleures troupes , traversa toute l'Italie 
en huit jours, et se réunit à son collègue près du 
Métaure. L'armée d'Hasdrubal , voyant les ensei- 

* Polyb, , X, 



42 • 

gnes des deux consuls^ crut qu'Hannibal avait pért 
et se laissa vaincre ^ . Néron ^ revenu avec la même 
célérité^ fît jete#dans le camp d'Hanniballa tête de 
son frèj^e. Cet homme invincible ne prit pas pour 
lui ce dernier revers^ et dit avec une froide amer^ 
tume : «. Je reconnais la fortune de Carthage. )» Il 
s'enferma alors dans le pays des Brutiens^ à l'angle 
de l'Italie.'. Son frère Magon^ qui renouvela pour 
le joindre la tentative d'Hannibal ^ n'eut pas un 
meilleur succès. 

Cependant Scipion avait compris qu'on ne pou-^ 
vàit délivrer l'Italie qu'en attaquant l'Afrique, que 
Carthage n'était nulle part plus ftiible; qu'une pa- 
reille invasion serait à la fois plus facile et plus 
glorieuse qu'une guerre de tactique dans les âpres 
montagnes du Brutium; qu'au lieu d'attaquer le* 
monstre dans son repaire , il fallait le traîner au 
grand jour, sur la jdage nue de l'Afrique, ou le. 
nombre et la force matéi:ielle donneraient plus d'a*v 
vantage. 



* Hasdrubil est justifié de ses revers par IVlo^ de PQl)-be, que tennineot^ 
oes mots : « Nous ayons tu dans combien d^embarras Font jeté les chef^v 
qu^on eoToyait de temps en temps de Cartha^ en Espagne. » 

' Sej. d'un offl Jmnfois en Caiabrty \ 820. « A cinq lieues de O»-. 
sens* ( Calabre citérieure ) , sous Rogliano , la route sV'ufonce par un esca- 
lier étroit et bordé de précipices dans une sorte d^abime oik les eaux descen- 
dent des mootagnes appelées Campo Teniese \ point d'aii|re passage ^ Naples 
à Reg|io. De \k , Itelement de la Calabre. » 






43 

L'opposition jalouse de Fabius rendant le sénat 
peu favorable à cette proposition^ le jeune consul 
déclara qu'il la porterait devant le peuple. Le sénat 
céda } mais il ne tint pas à lui que les moyens ne 
manquassent à Sdpion. On ne lui donna que trente 
galères y et il ne lui fiit point permis de faire des 
levées d'hommes. L'enthousiasme des Italiens, 
l'impatience qu'ils avaient de voir enfin Hannibal 
torti de l'Italie, su{^téèrent à la mauvaise volonté 
du sénat. « Les peuples de l'Etruriç s'engagèrent 
les premiers à venir au secours du cousul ^, chacun 
selon ses facultés ; Géré promit de fournir aux équi-< 
pages tout le blé et tous les approvisionnemens né-^ 
cessaires; Populonia, le fer; Tarquinies, la toile à 
voiles; Yolaterre, du blé^ de la poix et du gou-^ 
dron; Arretium, trente mille boucliers, autant d^ 
casques, cinquante mille dards, javelots et longues 
piques, autant de cognées, de pioches ^ de faux, 
d'auges et dç meules qu'il en faudrait pour qua^ 
rante galères, cent vingt mille boiisseaux de froment 
et une somme d'arg^it pour les décurions et les 
Ituneurs; Pérouse, Clusium, Ruselles, donnèrent 
des bois de construction, avec une quantité consi-^ 



' Tit.-IiT., XXYIU, 45. àppien ( Ai^v». iait. ), dil que Sdpioa 
B^eot de la république que dix galères , avec cdles qui étaient en Sicile , e^ 
point d^autre argent que odui d« oontiibutions Tolontaiies , XpUfAolz ovh 
^wx0cv icMit $1 T(f cGtXt T^ Zx(iria*V( x«7flc fàw^ 9Vf«ff ptcv. 



dérable de froment. Scipion prit le sapin dans les 
forêts de la république. L'Ombrie entière, et de 
plus Nursium, Réate^ Amiterne, promirent des sol- 
dats. ,Les Marses^ les Péligniens, les Marrucins et 
beaucoup d'autres volontaires s'offrirent pour servir 
sur la flotte. Les Camertins^ qui s'étaient alliés avec 
le peuple romain sur le pied de l'égalité, envoyèrent 
une cohorte de six cents hommes tout armés. Ayant 
mis trente navires' en construction , Scipion pressa 
le travail avec une telle activité, que quarante- 
cinq jours après que le bois eut été tiré des forêts , 
les vaisseaux; furent lancés en mer, tout équipés et 
tout armés. » 

Pendant qu'il hâtait les préparatifs à Syracuse^ 
on présentait au sénat diverses accusations contre 
lui; il avait, disait-on, corrompu la discipline par 
une alternative de molle indulgence et de cruauté; 
les soldats n'étaient plus ceux de la république, 
mais ceux de Scipion ; lorsqu'il tomba malade en 
Espagne et qu'ils le crurent mort, ils se regardèrent 
comme affranchis de tout serment; ce ne fut que 
par une odieuse perfidie qu'il put étouffer la ré-* 
volte ^ ; en Italie, il ferme les yeux sur la tyrannie 
atroce de Pléminius à Locres. Et maintenant à Sy- 
racuse il oublie l'expédition imprudente qu'il a pro- 
posée lui-même; le consul du peuple romain flatte 

' Polyb. , XI. 



45 

les alHés en se promenant au Gymnase en mules et 
en manteau grec ^ écoutant les vaines disputes et 
les déclamations des sophistes. 

Carthage en était encore à interroger les voya- 
geurs sur les projets du consul^ lorsqu'il débarqua 
en Afrique (ao4). H espérait Falliance du Numide 
Sypbax , dont il avait gagné l'amitié dans une visite 
téméraire qu'il fît au Barbare dès le temps qu'il 
était préteur en Espagne. Mais depuis ^ Sypbax avait 
épousé la belle et artificieuse Sopbonisbe^ fille du 
général cartbaginob Hasdrubal Giscon. On connaît 
la faiblesse des hommes de ces races africaines; que 
de fois les juifs et leurs rois furent entraînés à l'ido- 
lâtrie par les séductions des filles de la Pbénide ! 
La dangereuse étrangère tourna sans peine du côté 
des Carthaginois l'esprit mobile du Numide ; elle le 
flatta de l'orgueilleuse idée de se porter pour arbitre 
entre les deux plus grandes puissances du monde, de 
faire sortir les Romains de l'Afrique etHannibal de 
Iltalie. A ce compte, Carthage eût tout gagné, pui»- 
qu'au fond Hannibal ne combattait pas pour elle. 

Scipion feignit d'écouter ces propositions , profita 
de la confiance et de la fieicilité de Sypbax \ disant 
toujours qu'il voulait la paix, mais que son conseil 
était pour la guerre, prolongeant ainsi la négocia- 

' Gumpdliocrepidisque... Tît Lit., XXIX, 19. 
' Polyb. , XIV. 



A6 

tion jusqu'à ce que ses envoyés eussent bien re» 
connu les camps de Syphax et d'Hasdrubal. Instruit 
par eux que les buttes des Africains étaient toutes 
construites de matières combustibles^ il attaque les 
deux camps j et^ chose borrible^ brûle les deux 
armées en une nuit. Elles étaient fortes de quatre- 
vingt-treize mille hommes. 

Le camp était embarrassé des dépouilles arra- 
chées aux flammes; Scipion y fit venir des mar- 
chands pour les acheter. Les soldats se croyant 
bientôt maîtres de toute l'Afrique^ donnèrent leur 
butin presque pour rien ; ce qui, selon Polybe, fut 
pour, le général un profit considérable ^ . 

Scipion avait ramené en Afrique le roi Numide 
Massanasès, ou Massinissa, que Syphax avait dé- 
pouillé de son royaume. Long-temps Syphax avait 
poursuivi son compétiteur dans le désert. Celui-ci^ 
qui était ie meilleur cavalier de l'Afrique , qui jus- 
qu'à quatre-vingts ans se tenait tout un jour à 
cheval, sut toujours éluder son ennemi ^. Dès qu'il 
était serré de près , il congédiait ses cavaliers en 
leur assignant un lieu de ralliement. Il lui arriva 
une fois de se trouver lui troisième dans une ca- 
verne, autour de laquelle campait Syphax. C'est à 
peu près l'histoire de David caché dans l'antre où 
vient dormir son persécuteur Saùl, ou celle de 

• Polyb. , XIV. — 'Appian., Ai^vxÀ , c. €, 7, 37. 



47 

Mahomet séparé de ses ennemis par une tofle d'a- 
raignée dans la cayemede Thor. Massanasès ramené 
par les ennemis de la Numidie, jotdt du plaisir cruel 
de prendre son ennemi^ d'entrer dans sa capitale^ 
et de lui enlever SophonisbeV Cette femme perfide^ 
autrefois promise à Massanasès ^ lui avait envoyé 
en secret pour s'excuser auprès de lui d'im mariage 
involontaire. Le jeune Numide^ avec la légèreté de 
son âge et de son pays ^ lui promit de la protéger^ et 
le soir même la prit pour épouse. Le malheureux 
SyphaX; ne sachant comment se venger^ ik en- 
tendre à Scipion que celle qui avait su l'enlever lui- 
même à l'alliance de Rome, pourrait bien exercer 
le même empiresur Massanasès. Scipion goûta Pavis, 
«t au nom de Rome, réclama durement Sophonisb?e 
comme partie da butin. Massanasès monte achevai 
avec quelques Romains; sans descendre, il présente 
èSophonisbe tme coupe de poison, et s'enfuit à toufe 
bride. «Je reçois, dit-ellé, le présent de noces; » et 
elle but tranquillement. Le barbare montra le corps 
aux Romains. Cela fait, il se présenta avec l'habit 
royal à Scipion qui le combla d'éloges , de présent, 
et lui mit sur la tête cette couronne qu'il avait si 
chèrement achetée*^ . 

Les Carthaginois privés du secours de Syphax, et 
voyant toutes les villes ouvrir leurs portes à Scipion, 

* ///. , ibid. , c. 4 5. 



48 

8é décidèrent à appeler Hannibal et Magon, el, pùûf 
gagner du temps, demandèrent la permission d'en- 
voyer des ambassadeurs à Rome 1 Ce message ouvrait 
à Hannibal une carrière nouvelle. Enfermé dans le 
Brutium , il ne pouvait plus rien faire en Italie. En 
Afrique, il pouvait devenir maître de Carthage, 
soit qu'il y entrât vainqueur de Scipion, soit qu'il la 
trouvât afiEaiblie et épuisée par une dernière défaite ^ . 
Q laissa à l'Italie, qu'il avait désolée pendant 
quinze années , d'horribles adieux. Dans les der- 
niers temps , il avait accablé de tributs ses fidèles 
Bru tiens eux-mêmes. Il faisait descendre en plaine 
les cités fortes dont il craignait la défection j sour^ 
vent il fit brûler vives les femmes de ceux qui quit- 
taient son parti ^. Pour subvenir aux besoins de 
son armée il mettait à mort, sur de fausses accu- 
sations, les gens dont il envahissait les biens. Au 
moment du départ, il envoya mi de ses lieutenans 
sous le prétexte de visiter les garnisons des ville!» 



' On tronTc entre Gaotazoro et GotroDè, k tohr di jénnitmie^het deson 
dëpart,selon la inâi\ion.Sé/ourd'unoj[ficier/ranfais en Caiaère, d^kdlé. 
Til.-LiT. , XXIV, c. 45. App. , Hann, b. , c. 38. — Dion ( Fragm. 
Plaies, , Af , 50), fait le portrait suiTant d^Hannibal : « Il réunissait la 
culture grecque et punique ; il était habile à lire PaTenk dans les entrailles 
des Tictimes. Il prodiguait Targent, Toulait un dévouaient aftisolu, une 
obéissance immédiate ; outrageusement dédaigneux pour le reste des hommes... 
n lit étouÔer dans des bains les sénateurs de Nuceria j les autres babitan» 
obtinrent de quitter la ville avec un vêtement, et furent tués sur les che- 
mini... Il fit jeter diDS des puits les sénateurs d^Acem. h 



49 

alliées , maifi en e£Fet pour diadser les citoyens de 
ces villes^ et livrer au pillage tout oé que les pro^ 
priëiaires ne pouvaient sauver» Plusieurs villes le 
prévinrent et s'insurgèrent ; les citoyens l'emportè- 
rent dans les unes y les soldats dans les autres ; œ 
n'ét:ait partout que meurtres y viols et pillages . Han*- 
nibal avait beaucoup de soldats ' italiens qu'il ې* 
saya d'eknmener à force de promesse^ ;, il ne réussit 
qu'auprès de ceux qui étaient bannie pour leurs 
cridries. Les autres^ il les désanna et les donna 
pour esclaves à ses soldats ^ ; mais plusieurs de 
ceux<*^i rougissant de faire esclaves leufs camara-^ 
des ', il réunit ceux qui restaient ^ avec quatre mille 
chevaux et une quantité de bétes de somme qu'il 
ne {Pouvait transporter ^ et fit tout égorger y hom-«' 
knes et animaux. 

Dès que les Carthaginois eurent l'espoir de voir 



' Peut-^re Hanmbal aTflit41 {^anni ses sdidits âéi eielafa Ibgilift» Oa 
scndt tenté de le croire d^aptè» le lût sm^mt. Pi^ da mont G&hieo» «'âè- 
▼ait le temple de la déesse Feronia ou Faronia , fondé» dit-on > par des 
Spartiates qoi fuyaient la sévérité des lois de Lycurgue., et qui passèrent dé 
là chez les ftabins où ils en fondèrent ub seàiblable (Deiiys, H). Les éSthTei 
èfiraneins TÎtitAÎettt ee temple. Il y avait im fciége de piiette , où en Usait : 
Bene \nerfii ^rvi sedtant^ tmrgant iiheH (Serrius, in JEn. , VUI). 
Hanmbal pilla ce temple , mais on en Ktrouva le trésor, composé des dons 
des affranchis, que les soldats d'Hannihal s'étaient fait scrupule d'empolter. 
Sur Jnno Virgo , ou Jnno Feronia , ou Persepbone , V^ Denys , III , Serrius , 
et les inscriptions citées par Gorrtdinns, III , 8. 



Sa 

ftrrivet Hdnnibal , ils se crurent déjà vainqueurs \ 
ils ne se souvinrent plus de la trêve , ils se jetèrent 
sur les vaisseaux romains que la tempête avait 
poussés sur leurs cotes. Ils renvoyèrent avec hon- 
neur les ambassadeurs romains qui venaient réda* 
mer^ les escortèrent, les embrassèrent au départ , 
et essayèrent de les faire périr. 

Cependant Hannibal ne se pressait point. Lors- 
que les Carthaginois le priaient de combattre et de 
terminer la guerre , il répondait froidement qu'à 
Carthage on devait avoir autre chose à penser ; 
que c'était à lui à prendre son temps pour se re- 
poser ou pour agir ^ . Cependant y au bout de quel- 
ques jours y il vint camper à Zama, à cinq journées 
de Carthage, du coté du couchant. Il essaya avant 
de combattre ce que pourraient l'adresse et l'astuce 
sur l'esprit du jeune général romain. U lui demanda 
une entrevue , le loua beaucoup et finit par lui 
dire : « Nous vous cédons la Sicile , la Sardaigne et 
l'Espagne ; la mer nous séparera ; que voulez-vous 
de plus ? » U était trop tard pour faire accepter de 
pareilles conditions. 

Hannibal, forcé de combattre, plaça au premier 
rang les étrangers soudoyés par Carthage, ligu- 
riens , Gaulois , Baléares et Maures ; au second , les 
Carthaginois. Ces deux lignes devaient essuyer la 

• Polyb. , XV. 



^ipp^— H— —PP^a^g?» I iiiin h ii 1 11 nm -m e^-i. ^ ' " t^-^ ,-^-^-,-^-- r^F- 



51 

première furie du combat et émousser les épées i-o- 
maines. Derrière^ mais loin> bien loin^ à la dis- 
tance d'un stade > hors de la portée des traits^ 
venaient les troupeis qu'il avait amenées d'Italie 
et qui lui appartenaient en propre ^ ^ dans ce petit 
noyau d'armée ménagé avec tant de soin * ^ devaient 
se trouver plusieurs des soldats d'Hamilcar, nés 
avec Hannibal ^ et ses compagnons au passage du 
Rhône et des Alpes. Leur présence seule rassurait 
tous les autres ; le général avait dit aux devûL pre- 
mières lignes : Espérez bien de la victoire; vous 
avez avec vous Hannibal et l'armée d'Italie. 

Les mercenaires soudoyés par Carthage se pi- 
quèrent d'émulation , et soutinrent quelque temps 
tout l'effort de l'armée romaine. .Cependant la se- 
conde ligne n'avançait pas pour la soutenir ; ils se 
criJrent trahis par les Carthaginois, se retournèrent 
et se jetèrent sur eux. Ceux-ci, pressés à la fois par 
les Romains et par les leurs , voulurent se réfugier 
dans les rangs des vieux soldats d'Hamiibal ; mais 
il ne voulut pas recevoir les fuyards , et sans pitié 
leur fit présenter la. pointe des piques. Toiit ce 
qui ne put s'écouler vers les ailes, périt entre les 
Romains et Hannibal. Les vétérans de celui-ci 

' Polyb. , XV. C^est ains! qu*à la bataille de RaTcnnc en 1 54 2 , Pedro de 
Navarre jeta en avant et sacrifia la cavalerie italienne. 

' Nous avons vn qu'h Trasyinène , à Cannes , il ne perdit guère que des 
Ganloî^. 



à 



52 

étaient intacts ^ et les monceaux de morts qui cou- 
vraient la plaine auraient empêché Scipion de la 
tourner. Mais à ce moment, les Numides de Rome, 
rainqueurs aux deux ailes, revinrent par derrière, 
^t prirent à dos Hannibai. Cette même cavalerie, 
qui Tavait fait vaincre si souvent en Italie, décida 
sa défaite à Zama(ao2). 

' Scipion, considérant les ressources immenses de 
Carthage, n'entreprit point de la forcer. 11 lui ac- 
corda les conditions suivantes : (( Les Carthaginois 
restitueront aux Romains tout ce qu'ils leur ont 
pris injustement pendant les trêves; leur remet- 
trbfit tous les prisonniers; leur abandonneront 
teurè» éléphans et tous leurs vaisseaux, à l'exception 
de dix. Ils ne feront aucune guerre sans Tautorisa- 
tion du peuple romain. Ils rendront à Massanasès 
lés maisons, terres, villes et autres biens qui lui 
ont appat^tenu à lui ou à ses ancêtres; dans l'éten- 
due du territoire qiion leur désignera. Us paieront 
en cinquante ans dix mille talens euboîques. En- 
fin ', ils donneront cent otages choisis par le consul 
entre leurs jeunes citoyens ». Ainsi on leur enlevait 
leur marine, et l'on plaçait à leur porte l'inquiet et 
anlent Massanasès , qui devait s'étendre sans cesse 
à leurs dépens, et les insulter à plaisir, tandis q[ue 
Rome, tenant Carthage à la chaîne, l'empêcherait 
toujours de s'élancer sur lui. 

Quand on lut ces conditions dans le sénat, Has- 



53 

<înibaJ Giscon fut d'avis de les rejeter. Hannibal 
^Jaà lui, le saisit et le jeta à bas de son siégea 
Tout le monde s'indignait. Le général allégua que , 
sorti enfant de sa patrie, il n'avait pu se former à 
la politesse carthaginoise, et qu'il croyait que Gis- 
con perdait son pays en repoussant le traité. Cettç 
apologie superbe cachait mal le mépris du guerrier 
pour les marchands parmi lesquels il siégeait. Et 
quel mépris mieux mérité ? l^orsque l'ambassadeur 
de Carthage alla solliciter à Rome la ratification du 
traité , un sénateur lui dit : « Par quels dieux jure- 
rez-vous, après tous vos parjures ? » Le Carthaginois 
répondit bassement : « Par les dieux qui les ont pu- 
nis avec tant de sévérité*. » 

Carthage livra cinq cents vaisseaux qui furent 
brûlés en pleine mer à la vue des citoyens conster- 
nés. Mais ce qui leur fut plus sensible, ce fut de 
payer le premier terme du tribut; les sénateurs n,^ 
pouvaient retenir leurs larmes. Hannibal se wit a 
rire. Ces dérisions amères caractérisent ce véritable 
démon de la guerre, le Wallenstein de l'antiquité'. 

* Polyb. , XV. — • Tit.-LW. , XXX, 42. k Pcr eosdem qui làm inf«isli 
sont fcedera TÎolantibus. » 

' n sourit en voyant le corps de Marcdlus couTert de blessures ; ti un 

bon soldat , dit-il , mais un naurais gënéral. » App. c. 343. -^ J^ "^e 

fifçure ^ dit Montesquieu, qiC Hannibal disait peu de If o fis mots»,» 

Pourquoi pas ? Cette dure et r&illepse insouci;uice n'est-eUe pas le carfictèrc 

])ropre du Condottiere , faisant jeu et métier de la vie et de la mort ? 



â 



54 

« 

w Vous avez supporté, dit-il, qu^onvous désarmât, 
qu'on brûlât vos vaisseaux , qu'on vous interdit la 
guerre j la honte publique ne vous a pas tiré un sou- 
pir ; et aujourd'hui vous pleurez sur votre argent ^ . » 
Hannibal seul avait gagné à la guerre. Rentré à 
Carthage avec six mille cinq ceints mercenaires, et 
grossissant aisément ce nombre, il se trouvait 
maitjre d'une ville désarmée par la défaite de Zama *. 
Il se fit nommer suffète; et, pour mettre Carthage 
en état de recommencer la guerre, il entreprit de 
la réformer. Il abattit l'oligarchie des juges qui 
étaient devenus maîtres de tout, et qui vendaient 
tout 'y il fit défendre de les continuer deux ans dans 
• leurs fonctions. Il porta dans les finances une sévé- 
rité impitoyable , arracha leur proie aux concussion- 
naires, et apprit au peuple étonné que, sans nou-^ 
vel impôt,, il était en état d'acquitter ce qu'on 
devait aux Romains. 11 ouvrit de nouvelles sources 
de richesses à sa patrie. Il en^Ioya le loisir de ses 
troupes à planter sur la plage nue de l'Afrique 
ces oîjviejcs dont il avait eu lieu d'apprécier l'utilité 
en Italie'. Ainsi Carthage, devenue un état pure-. 



■ Til.-Liv. , XXX, 44. 

■ Appian., BeiL Punie, p. 50 , 5f. f"T. , hi-8% <670. 

' Aur. Victor, in Probi wV<<. — Tit.-Lir., XXXIII, 46. « Lcgcm exlem-. 
>» plo promolgaTÎt protulitque , nt in singiilos annos judices legercntur , ne 
V qiôs bienQivin continuiim judcx esset... Omnibus rcsiduis pccimiis exactis.. 



mmmg^mmmmmÊ^^^^^mm^^^^i^^^m^r^^mmm^^fW 



^ 85 

ment agricote et commerçant , réparaît prompte-- 
ment ses pertes sous la bienfiaisante tyrannie d'Ha»- 
nibal^ qui la destinait à devenir le centre d'unç 
ligUa univerçelle du snonde ancien contre kome. 



ii tributo piÎTatb remiss» , tatis kwapleton renpaUicam ibre ad Tectigal; 
¥. pnestandum Bomaais prouuQtiaTit in condoiije, et^ pnesUtit pronûs* 
9 si^, eic ){ 



mi 



,% 



56 



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CHAPITRE VI. 



La Grèee enTahte par kt armes de Kome. — Philippe, Antiocbus. 200-1 8^. 



Ce fut avec indignation et surprise qu'après seize 
ans de lutte contre Hannibal^ le peuple romain 
s'entendit proposer par le sénat la guerre contre la 
Macédoine ('-«oo). Les trente-cinq tribus la repous- 
sèrent >inanimement. Chacun s'était remis à rele- 

, ver sa cabane en ruines^ à tailler sa vigne noircie 
par la flamme^ à labourer son petit champ. Le 
peuple avait assez de guerres. 

Et cependant, la guerre était partout. Si Carthage 
était abattue, Hannibal vivait et attendait. L'Espa- 
gne et la Gaule, dans leur fougue barbare, n'a- 
vaient rien attendu. Les Espagnols venaient d'ex- 
terminer le préteur Sempronius Tuditanus et son 
armée. Les Liguriens^ les Gaulois d'Italie, Insu- 

. briens, Boïens, Cénomans même, brûlèrent la co- 
lonie de Plaisance, encouragés par un Carthaginois. 



57 

Philippe enfin n'avait fait la paix que pour préparer 
la guerre ^ pour se former une marine contre Rho^ 
des et le roi de Pergame ^ alliés de Rome y pour 
s'assurer du rivage de la Thrace y seul côté par où la 
Macédoine fut accessible. 

La guerre ne manquait point aux projets du sé- 
nat. Il la voulait^ et la voulait étemelle. Depuis 
que la défaite de Cannes avait mis en ses mains un 
pouvoir dictatorial , il lui en coûtait trop de redes- 
cendre. Q fallait que le peuple fût à jamais exilé du 
Forum y que la race indocile des anciens citoyens 
allât mourir dans les terres lointaines. Des Latins, 
des Italiens, des affranchis suppléeront. Les plé- 
béiens de Rome disperseront leurs os sur tous les 
rivages*. Des camps y des voies éternelles y voilà 
tout ce qui doit en rester. 

Rome se trouvait entre deux mondes. L'occiden- 
tal, guerrier, pauvre et barbare, plein de sève et de 
verdeur , vaste confusion de tribus dispersées ; l'o- 
riental, brillant d'art et de civilisation, mais faible 
et corrompu. Celui-ci, dans son orgueilleuse igno- 
rance , s'imaginait occuper seul l'attention et les 
forces du grand peuple. L'Etolie se comparait à 
Rome. Les Rhodiens voulaient tenir la balance en- 
tre elle et la Macédoine. Les Grecs ne savaient pas 
que Rome n'employait contre eux que la moindre 
partie de s^h forces. U suffira de deux légions pour 
renverser Philippe et Antiochus , tandis que pen- 



58 

dant plusieurs années de suite ^ on enverra les deus; 
€onsuIs, les deux armées consulaires contre les 
obscures peuplades des Boies et des Insubriens. 
Rome raidit sks bras contre la Gaule et l'Espagne ; 
il lui suffit de toucher du doigt les successeurs 
d'Alexandre pour les faire tomber. 

Quelle qu'aitété l'injustice des attaques deRome> 
il faut avouer que ce monde alexandrin méritait 
bien de finir. Après les révolutions milUaires^ le 
guerres rapides^ les bouleversemens d'états^ il s'é* 
tait établi dans le désordre , dans la corruption et 
l'immoralité , une espèce d'ordre où s'endormaient 
ces vieux peuples. Le parjure, le meurtre et l'in- 
ceste étaient la vie commune. En Egypte , les rois , 
à l'exemple des dieux du pays , épousaient leurs 
sœurs, régnaient avec elles, et souvent Isis détrô- 
nait son Osiris. IJn général de Philippe avait élevé 
à Naxo5 un a,utel à l'im.piété et à l'injustice, les vé- 
ritables divinités de ce siècle ^ Mais pour être in- 
jus]te, il faut au moins être fort. Rien n'était plus 
faible que ces orgueilleuses monarchies. Théoc^-ite 
ayait beau vanter les trente-trois* mille villes de 
l'Egypte grçcque, il n'y avait en réalité qu'une ville, 



* Polyb. , XYII. C'est par ane dérisio;i semblable que Pnisias lait un 
sacrifice k Esculape, avant d'enlever sur ses épaules sa précieuse statue. 
y. Polyb. y Ainbass, , 77. — En arrivant à Thenne , Philippe brûla toute 
tes oOr^des suspendues dans le teniplc d'AiioUpn. Pol>b. , C. Porpbyr. 2>. 



59 

la prodigieuse Alexandrie. A cette tête monstrueuse^ 
pendaient^ comme par dea fils , des membres dis- 
proportionnés : Tinterminable vallée du Nil, Çy-. 
rêne, la Syrie, Chypre, séparées de l'Egypte par la. 
mer ou les déserts. L'empire des Séleucides n'avait 
pas plus d'unité. Séleucie et Antioche formaient 
deux provinces isolées et hostiles. Entre ces con- 
trées^ les barrières naturelles sont si fortes que 
dq)ui;>, les Romains et les Paothes , les Turcs et les . 
Persans ne sont jamais parvenus a les franchir. 

Les Séleucides et les Lagides n'étaient^ soutenus, 
que par des troupes européennes, qu'ils faisaient 
venir à grands frais de la Grèce, et qui bientôt , 
énervées par les mœurs et le climat de l'Asie et de 
l'Egypte , devenaient semblables à nos poulains des 
croisades. C'est ainsi que les mameluçks d'Egypte 
étaient obligés de renouveler leur population ea 
achetant des esclaves dans le Caucase. Lorsque 
Roifie défendit à la Grèce cette exportation de sol- 
dats, elle t^ncha d'un coup le nçrf des monarchies 
syrienne et égyptienne. 

Ces pauvres princes cachaient leur faiblesse sous 
des titres pompeux : ils se faisaient appeler h vain- 
queur^ le fçudre^ h bienfaisant^ F illustre. Peu à 
peu, leur misère démasquée leur fit donner des 
noms mieux mérités : Physcon, Aulétès, le ventru j^ 
Iç loueur de fute ^ etc. 

t«a Grèce et la Macédoine^ tout autremept bçi-* 



60 

ligueuses y trouvaient dans leur hostilité une cause 
de faiblesse ^ . Depuis Alexandre , la Macédoine 
était en quelque sorte suspendue sur la Grèce , et 
toute prête à la conquérir. La vaine faconde d'Athè- 
nes, qui n'étonnait plus le monde que par ses flat- 
teries envers les rois ; la gloutonnerie et la stupidité 
béotienne qui décrétait la paix perpétuelle , et rui- 
nait la cité en festins ^ ; enfin l'épuisement de 
Sparte et la tyrannie démagogique d'Argos y tout 
cela ne pouvait tenir contre les intrigues , For et 
les armes ^e la Macédoine. Mais^ dans cet affaisse- 
ment des principales cités de la Grèce, les vieilles 
races si long-temps comprimées, les Achéens, les 
Arcadiens avaient repris force dans le Péloponnèse. 
Le génie aristocratique et héroïque des Doriens 
s'étant lassé, le génie démocratique du fédéralisme 
achéen , s'était levé à son tour. Aratus avait fait en- 



* Polyb. , Ut. II. On ne tirerait pas six mille talens de tout le PélDpon^ 
nèse. — Dans TAttique ( unie à Thébes contre Sparte ) , on ne troura que 
cinq mille sept cent cinquante talens , en estimant tout , teires , maisons , etc. 
F', ibidem, sur le caractère démocratique deTAchaïe. « Aujourd'hui, dit 
encore Polybe, mêmes lois, mêmes monnaies, mêmes poids et mesures chez 
tous les peuples du Péloponnèse. » 

' A Thèbes , ceux qui mouraient sans enfans , ne laissaient pas leurs biens 
à leurs parens, mais à leurs compagnons de table , pour être dépensés en feS' 
tins. Polyb., cjctr. Const,, Porpbyr.* 43. — Depuis Tingt-six ans , il ne 
se rendait plus de jugemens chez les Béotiens (?). Polyb. , Amhass, , 38. — 
A la suite d'une défaite qu'ils essuyèrent, ik déclarèrent que désormais ils ne 
prendraient part à aucune entrepnse. 



k. 



61 

trer dans la ligue achéenne Sicyone^ Cbrinthe^ 
Athènes, enfin Mégalopolis, la grande ville dé FAr- 
cadie. C'est de là que sortit Thabile général de la 
ligue achéenne y le mégalopolitain Philopœmen. 
Ainsi la fin de la Grèce rappela ses commencemens> 
Le dernier des Grecs fut un Arcadien (un Pélasge ? 
V. le premier vol.) 

La jeune fédération achéenne et arcadienne se 
trouvait placée entre deux populations jalouses^ 
ennemies de l'ordre et de la paix. Au nord, les Éto- 
liens, peuple brigand, pirates de terre, toujours 
libres de leur parole et de leurs sermens. Quand 
on leur demandait de ne plus prendre les dépouilles 
des dépouilles j c'est-à-dire de ne plus piller à la 
faveur des guerres de leurs voisins , ils répondaient : 
VoM ôteriez plutôt VEtolie de VEtolie ^ . Au midi y 
la vieille Sparte, barbare et corrompue, venait de 



' Polyb. , lib. XVII. — Belle conférence de Philippe et Flaminius. Fi- 
nesse de conduite et lourdes plaisanteries du barbare. Philippe se plaint de 
ce que les Etoliens , priés par lui de révoquer la loi qui leor permettait de 
prendre les dépouilles des dépouilles même ( c^est-À-dire de se mêler 
pour butiner aux guerres que leurs alliés même se font entre eux ) , ont ré- 
pondu qu'on ôterait p'utÔt l^tolie de l^tolie. — Philippe aimait à rire ; il 
fépond (lib. XVI) \ Emilius qui lui demande raison de Tattaqne d^Abydos et 
d^ Athènes , qu'il lui pardonne sa hauteur pour trois raisons , parce qu'il esC 
jeune , le plus beau de ceux de son âge , et qu'il porte un nom romain.^ — 
Voyant ks Abydéniens se tuer les uns les autres, et précipiter leurs femme» 
et leurs enfans , il publia qn'il accordait trois jours \ ceux qui Toudraient se 
pendre. 



^ 



6i 

reprendre dans une révolution sanglante son orga-» 
ni&ation militaire. Les stoïcien^^ esprits durs , étran- 
gers à la réalité et à l'histoire^ avaient fait dans la 
cité de Lycurgue le premier essai de cette politique 
classique qui se propose Timitation superstitieuse 
d^s gôuvememens républicains de l'antiquité. Ce 
sont eux qui firent à Sparte l'éducation du jeune 
Cléomène, à Rome celle des Gracches et de Bru- 
tus ^ . Les moyens violens ne leur répugnaient pas. 
Poursuivant en aveugles leur étroit idéal , ils fai- 
saient aisément abstraction des bouleversemcns po-^ 
litiques et de l'effusion du sang humain. Pour 
rétablir l'égalité des biens , et l'organisation mili- 
taire de SpaHe, Cléomène n'avait pas craint de 
commencer par massacrer les Ephores. Tout ce qu'il 
y avait de turbulent et de guerrier dans le Pélopon- 
nèse, trouvait à Sparte des terres et des armes. Les 
pacifiques Achéens périssaient s'ils ne se fussent 
donné un maître. Aratus appela contre Cléomène 
le Macédonien Antigone Doson, puis contre les 
Etoliens le roi Philippe, qui obtint un instant sur 
la Grèce une sorte de suprématie. Il en usa fort 
mal ; au moment où il avait besoin de s'assurer des 
Grecs contre Rome, il se les aliéna par des crimes 
gratuits. Il déshonora la famille d' Aratus, l'empoi- 
sonna lui-même ,' tenta d'assassiner Philopœmen , 
s'empara d'Ithome en trahison. Les Etoliens et les 

^. leurs TÎcs dans Plutarque. 



wam^^^i 



5^ 



63 

5^àiiiates appelaient contre Philippe le secours 
ide Rome^ et le reste de la Grèce se défiait trop de 
lui pour le soutenir. 

Toutefois Philippe était bien fort. Retranché der- 
rière les montagnes presque inaccessibles de la Ma- 
cédoine , il avait pour garde avancée les fantassins 
de FÉpite, et les cavaliers de la Tbessaïie. H possé- 
dait dans les places d'Élatée y de Chalcis y de Co- 
rîntfae et d'Orchomène^ les entraves de la Grèce, 
tx>nime disait Antipater. La Grèce était son arsenal, 
son grenier, son trésor. C'était d'abovd la Grèce 
iju'il fallait détacher de lui pour le combattre avec 
avantage. Le premier consul, envoyé contre lui, 
ne sentit point cela, et perdit une campagne à pé- 
nétrer dans la Macédoine pour en sortir aussitôt. 
Son successeur (198), Flaminius, le vrai Lysandre 
romain, qui savait, comme l'autre, coudre la peau 
•du renard à celle du lion, s'y prit plus adroitement. 
Un fait caractérise toute sa conduite en. Grèce , 
lorsqu'il voulut s'emparer de Thèbes , il embrassa 
les principaux citoyens qui étaient venus au-devant 
de lui y continua sa marche en devisant amicale- 
ment jusqu'à ce qu'il fut entré lui et les siens dans 
leur ville. Il en fit partout à peu près de même. 
Lorsqu'un traître , vendu aux Romains , lui eut 
donné des guides pour tourner le défilé d'Antigone, 
d'où Philippe lui fermait la Macédoine et la Grèce , ' . 
il eut l'adresse de détacher de lui TÉpire, en même n 



64 

temps que les Achéens ^ pressés par les Spartiates ^ 
abandonnaient la Macédoine qui les abandonnait 
eux-mêmes sans secours. Des villes thessaliennes ^ 
Philippe avait ruiné les petites pour défendre le 
pays y les grandes s'en indignèrent et se livr^[^^Qt 
aux Romains. La Phocide^ l'Eubée^ la Béotie^ 
échappèrent à son alliance. Philippe^ réduit à la 
Macédoine ^ demanda la paix^ et ne fit que refroidir 
les sien^pour la guerre. C'est alors que Flaminius 
lui livra bataille en Thessalie^ au lieu appelé Cyno- 
céphales. Les Cynocéphales^ ou têtes de chiens^ 
étaient des collines qui rompirent toute l'ordon- 
nance de la phalange. Ce corps redoutable où la 
force de seize mille 'lances se trouvait portée à une 
merveilleuse unité^[n'était rien dès qu'il se rompait. 
La légion^ mobile et divisible^ pénétra dans les vides^ 
et décida la grande question de la tactique dans 
l'antiquité. Philippe n'avait qu'une armée, qu'une 
bataille à livrer. Vaincu sans ressource , il demanda 
la paix. 

Les Étoliens, à qui , selon leur traité avec Rome , 
toute ville prise devait appartenir, insistait pour 
que l'on ruinât Philippe. Flaminius déclara que 
l'humanité du peuple romain lui défendait d'acca- 
bler un ennemi vaincu. « Voule^vous, leur dit- il, 
renverser avec la Macédoine le rempart qui défend 
la Grèce des Thraces et des Gaulois ? » Ainsi , les 
Étohens ne gagnèrent rien à la victoire qu'ils 



\ 

Avaient prépara. F^minius dédlarû que les Kd-^ 
mains n'avaient passé la mer que pour assurer la 
lil>ei^ de la Grèpe. Il présida lui-métne l^s jeui 
EsthâiiqUès (i9lQ> et.fil prodamer par un héraut le 
sénatus-consulte suivant : <f Le sénat et le peuple 
romain, et T. Q. Flaminius.^ proconsul, vainqueur 
de Philippe et dès Macédoniens , déclarent libres et 
éxerùpts de tout tribut, ïés Coriùdnen^^' les Pho- 

' ■ • • . 

cidienii^ les Locribns, les Eubéens,' les Achéens 

Phtiotës, les Magnètes, les HiessalieiA et lés Per- 

rhœbes >n Les Grecs en croyaient à peine leurs 

oreilles; ils firent répéter la proclamation, et tels 

furent leurs transports, que Flaminius faillit être 

étouffé ^ En vain les Ëtclliens égayaient de môtitrèr 

les desseins cachés de Kotné. Cbtnmetrt né pas croira 

les paroles d'un hdmmè'qlii parlait pureinent le 

grec^ qui taisait en cette langue des épigramines 

<k>ntre les Êtoliens^ ^et suspendait au temple dé 

Delph€is un boucliel' ilaiis Finscription duquel il 

faisait remon^ter les Kbmains 1t Énée? Les^ Grecs 

rendirent àés honneur^ divins au 'bâribare. EFsdé^' 

dièrent des of&ândes à 'Titus et ÎÉèrcUlejàTitus 

etJpollcn. 

Leur enthousiasme fût au comble, lorsque Fla^' 
minius retira les garnisons des'places de Corinthe,' 
Chalcis et Démétriade, et qu'il ne laissa pas un sol* 



V • k > ■ 



* Plot, t in Fiamin, 
II. 



i 



i 

dat romain en Grèce. Toutefois il avait refuse <te 
délivrer Spar.(e du tyr^ Nabis ; il avait maintenu 
Nabis centre les Achéens^ Philippe contre les Éto- 
liens y et laissait chez les Grecs plus de {actions et de 
troubles qu'auparavant. 

« • 

La modéi:ation de Rome n'était pas sans motif. 
L'Espagne et la Gaule loi demandaient alors les 
plus grands efforts. Lerpréteuir Caton (i gS) combat- 
tait les Espagnols, prenait et démantelait q^atre 
cents villes. liCs. Insûl)rieqs^ défaits en trois san- 
glantes batailles^ où ils perdirent plus de cent mille 
hommes ^ n'avaient pas déboip^é par leur soumis- 
sion (194) les Boïes.çti Icjs ^j^^riens. Les pij^miers 
prolongèrent j.usqu'env i^:^^ ks^ seconds pl^-us ^long- 
temps^ encore^ leur héi;QÏq}ip .résistance. Dans la 
même année' où Rome .('menacée p^ les Boïes. dé- 
darait qviily wait tumulte ^les Etoliem éclataient 
dans la Grèce par une tentative contre Sparte^ 
Chaleis et Démétriade. Ils a{^elaient ^n Grçce An- 
tiocho^le-Grand» Hannibgl projetait une confédé- 
ration univei?.eUe contre Roma. Les Romains j en 
demandant aux Carthaginois qu'il leur fût livré , 
n'avaient. fait que l'eipvoyer là , Anliochus en Syrie, 
d'où il ccmtinuait de mettre le. monde en mouve- 
ment contre Rojoie. 

Ântiochus, surnomme le Greutdj se trouvait tel 
en effet par la faiblesse commune des successeurs 



d'ÀIexandni. fineouragé par la mort prodbdine dé 
Philopater, il portait déjà les màiiis sur la Cœlésy- 
rie et FÉgypte ; il rétablissait Lysimacfaie en Tlirace, 
il opprimait les villes grecques de l'Asie mineure. 
Lorsqu'à la prière de Smyme, de Lampsaque et du 
iroi d'Egypte, les Romains lui demandèrent compte 
tie ses iteurpations, il répondit fièrement qu'il ne se 
mêlait point de leurs affaires d'Italie ^ 

Pour vaincre Rome, il fallait s'assurer de Phi- 
lippe et dé Carthage, et porter la guérte en Italie. 
C'était le cpnsdl fHannibàlf mais ce dangereux 
génie inspirait trop de méfiance à Antiochus *. Lui 
confier une armée et l'envoyer en Italie, c'était 
is'exposer à viaincre pour Hannibal. Le roi de Syrie 
écouta volontiers les Étoliens q;ai , dans leur sy^ 
lème ordinaire d'attirer la guerre en Grè^e pour 
profiter des efforts id'atitrui, lui représentaient 
toutes les cités prêtes à se déclarer pour lui. Le 
toi, de son côté, promettait de couvrir bientôt la 
mer de ses flottes. Dans ce commerce de men^ 
songes, chacun perdit. AntiôchwT amena seule« 



* Applan. Zvjocaxii » 8°. A'mstd., 4 670, 1 t. , p. *4 41 . 

* ffanniàai tittSt «itofyé à Gafthage un nutrclMBd àerTfr, «fû cffida 
lanvt, dM8teséMt,kletttedoiitflétailclaT|é,.alksefcnbprfiM. Afpîea. ' 
•— ht mène auteur dit qae Sdpion P Africain et les antres d^pi^t^ dn sénat ^ 
CHTOjés pour amuser Antiochus , eurent Tadrease perfide d^entretenir soor- 
Vent Baimibal, et de k rendre par H suspect ta roi de Sjrrre. 



. ) 



ment dix mille hommes en Grèce : les Etoliens ttn 
donnèrent à peine un allié. Les armées romaines 
eurent le temps d'arriver et d'accabler les uns et les 
autres. 

, Antiochus passe l'hiver en Eubée; et perd le 
temps à célébrer ses noces (il avait plus de cin- 
quante ans). Il insulte Philippe qu'il aurait dû ga- 
gner à tout prix^ et le jette dans le parti dcS ïlo- 
mains en favorisant un prétendant à la couronne 
de Macédoi&e. Cependant les* légions ^rriyent^ et 
Antiochus 9 surpris après deux ans d'attente^ est 
battu aux Thermopyles (19a). 

Il Dallait . alors défendre 1^ mer et fermer TAsie 
aux Romains. Ceux-ci^ ayant obtenu }e passage de 
Philippe y et des vaisseaux de Rhodes et du roi . de 
Pergame^ n'eurent à passer que THellespont. An- 
tiochu^i pouvait au moins défendre les places et 
consumer les Romaiils. U demanda la paix et essaya 
fde gagner les généraux y le consul Lucius Scîpion ^ 
et Publius y le vainqueur de Carthage^ qui voulait 
bien servir à^n frère de lieutenant. Antiochus 
avait renvoyé à l'Africain^ alors malade^ son fils 
qui avait été pris. Celui-ci^ en reconnaissance^ avait 
fait dire à Antiochus de ne pas combattre avant que 
n santé lui permit de retourner au camp. Mais le 
préteur Domitius; qui n'entrait point dans ces négo* 
ciations équivoques y força Lucius Scîpion de com- 
battre pendant l'absence de son £rère (près de Ma-* 



wm 




69 

^nésie, 190)*/ La irîctoiï'é coûta peu aux Ro- 
mains. Les éléphans^ lea chameaux atontés d'ar- 
chers arabes /les chars armés de&ux^les cayaliers 
kurdeihent armés^^ les Gallo-Grecs^ la phalange 
macédonienne éHe-même , tout lé système de guerre 
oriental et g^c^ édioua contre la légion. Les Ro- 
maitia eurelbt^ dit^m^ trois cent cinquante morts *, 
et tuèrent ou prirent cinquante mille hommes (190 
avant J^us-Qirist). 

La paix fiit accordée h Antiochus.aux conditions 
suivantes : fe roi abandonnera toute TAsie mineure^ 
moins là' Cilidto. Il livrera ses éléphans^ ses vais-^ 
seaux ^ et paiera quinze mille talens. C'était le rui- * 
ner pour toujours '. En Asie, comme en Grèce , les 
Romains ne se réservèrent pas un pouce de terre. 
Ih donnèrent aux Rhodiens- la Carie et la Ljde ; à 
Eiimène les deux Phiygies-,. la: Lydie,* llonie et la 
Chersonnèse. 

Mais avant de sentir d'Asie, ils abattirent le seul 
peuple qui eût pu y renouveler la guerre. Les Ga- 
lates^ établis en Phrygie depuis un siècle , s'y 
étaient enrichis aux dépens de tous les peuples voi- 
sins sur lesquels ils levaient dès tributs. Us avaient 

* Sur- 0» négociations trèi^^q^v<M|nes des Sapions, F". Appian. ibid, , 
p. «72. 

' Appian., ibsJ, 

' Ce fut dès-locs.nn proTeibc chez les Romaîas : 2<k 'BaaiU^g AV7fo;i[09 



70 

entassé les dépouilles de l'Asie stùneure dans leurs 
retraites du mont Olympe. Un fait caractérise ro-> 
pulence et le faste de ces .Barbares. Un de leura^ 
chefs QU tétrarques publia que^ pendant une anné^ 
entière y il tiendrait table ouverte a. tout venant ; et 
non-seulement il traita la foule qui venait des villes 
et des campagnes voisines^ mais il faisait airéter et 
retenir les voyageurs jusqu'à ce qu'ils se fussent as*^ 
sis à ses tables ^ 

Quoique la plupart d'entre les Galatés eussent 
refusé de secourir Antiochus^ le préteur Manlius. 
attaqua leurs troi^ tribus (Trocmes^ Tolistoboies^ 
Xectosages), et les força dans leurs montagnes avec 
des armes de trait^ auxquelles les Gauloi^^ habitués 
à combattre avec le sabre et la lance ^ n^posaieldl 
guères que des cailloux. Manlius leur u rendre les 
terres enlevées aux alliés de Rome^ lès obligea de 
renoncer au brigstndage , et leur imposa l'aUi^^c^ 
d'Eumène qui devait les contenir (189}. * 



• AtbeD,, IV, 41 



7* 



accB 



SUITE 



DU CHAPTTRE VH. . 

Romfe eaTabie par les idées de b Grèce* . -«^ Sdpioi» » Ennioi, NsTiac, 

e|€ato9v 



Lis prenki^res» relations potitiques de Rome avec- 
la Gwèce y formées par la. haine commune oontre 
Philippe^ furent dTamitié et de flatterie mutuelles. 
Elles se souvinrent de la ccMmoiunauté d'origine y 
les deux sœurs se reconqùrent ou firent semblant; 
La Grèce crut utile d'être parente de la grande cité 
barbare qui avait vaincu Garthage^ Rome -trouva 
de bon goût de se dire gKcque. Chacune des deux 
crut a^r trompé l'autre. La Grèce j perdit sa li- 
berté 'y Rome son génie original. 
* Dès les ten^ les plus andens^iiome avait eu des 
relations avec les Grecs , soit par suite de Torigine 
pélasgique des peuples latins^ soit par le voisinage- 

« 

* La plupart des notes de ce chapitre opt ëté plaoées^à la saite delà grande 
note sur rincertitude de lliistoire des premiers temps de Rome ^ à la fin du 

l«TOl. 



7^ 

de la grande Grèce^ principalement à cause de sesi 
rapports mitiques avec les cités grecques de Tar*' 
quinies et de Céré ou Agylla; celle-ci avait son tré- 
sor à Delphes^ cojnmç Sparte ou Athènes. On avait, 
placé sur le mont Aventin des tables écrites en çsh. 
ractèri^ grecs^ qui contenaient \p noni des villes al-, 
liées de Rome. Après la prise de Rome par les Gau-^ 
lois^ Marseille^ autre ville grecque^ envoya nu 
secours d'arge|it aux Romains» Rome éleva une sta- 
tue à un Hermodore qui, dit-on^ interpréta les lois. 
4e la Grèce ; elle rendit le même honneur à Py tha-r 
gorc; prétendu maître de Numa. Caxnille^ après Ja 
prise de Veïes^ envoya des psésenrà Delphes. Celle 
de Rome, par les Gaulois, fut connue de bonne 
beure à Athènes. Les Romains envoyèrent de9 am- 
bassadeurs à Alexandre , qui se plaignit y ainsi que 
plus tard. Démétrius Poliorcète^ des corsaires d'An- 
tium, ville dépendante de Rome. Nous voyons q§'à 
Tarente on se moqua des ambassadeurs romains , 
parce qa'ik psoncAiçaientmal le grec , ce qui prouve 
du moins qu'ils le prononçaient. M 

. Depuis la guerje de Pyrrhus ^ les relations devin- 
rent fréquentes. Les Romains se soumirent de plus 
en plus à l'empire des idées grecques^ à mesure 
qu'ils prévalaient sur la Grèce , par la politique et 
par Içâ armes. Et d'abord, la religion latine fut; 
Vfiincue par l'éçlàt des mythes étrangers. Les dieux 



T3 

hermaphrodites de la vieilie Italie se divisèrent d'a-t 
bord en couples, et peu à peu leurs légitime's et in-i 
signifiantes moitiés cédèrent modestenient la place 
auK brillantes déesses de la Grèce. Les dieux mâles 
résistèrent mieux à l'invasion. Le grand dieu dea 
Latins*, Satumç, se maintint en épousant la grec- 
que Rhea. Mare, le dieu des Sabins , resta veuf de 
la vieille Jferiene. Le dieu étrusço^latin , Janus- 
Djanus, méconnutDjanasousle costume hellénique 
d'une chasseresse légère ; mais il . resta à cÀté du 
Zeus grec^ et, dans les prières, fut même nommé 
avant lui ^ . 

Les héros grecs passèrent l'Adriatique avec les 
dieux. Castor et PoUux éclipsèrent, sans pouvoir les 
déposséder , les ]Sénates ^ leurs frères-, qui depuis 
si long-temps* gardaient fidèlement le foyer italique* 
Les dieux stériles de lltalie devinrent féconds par la 
vertu du génie grec ; une génération héroïque leur 
fut imposée; au défaut d'enfans légitimes, l'apo- 
théose leur en donna d'adoption. Entre toutes les 
traditions répandues sûr la fondation de Rome, le 
peuple romain choisit la plus héroïque, la plus 
cbnforme au génie grec, la plus éloignée de l'esprit 
sacerdotal de la vieille Italie. Les généraux romains 
prirent le titre de descendans d'Enée, dans leurs 
offrandes au temple de Delphes. Un fils de Mars^ 

■ 



74 

nourri par une louve , selon l'usage des héros de 
Tantiquiléy deWnt le londateur deRome. liesénat dé^ 
dara les citoyens d'Ilium parens du peuple romain ^ 
^X 0t fondre en airain la louve allaitant les jumeaux* 

* • 

Jusqu'à la seconde guerre punique , Rome n'a« 
vait pas eu d'historien. Elle était trop occupée à 
flaire l'histoire pour s'amuser à l'écrire. A cette 
époque, la toute^uissante cité commença à se pi« 
quer d'émulation , et commanda une histoire ro- 
maine aux Grecs établis en Italie. Le premier qui 
leur en fournit une, fut un Dioclès de Péparèthe. 
Examinons qUels pouvaient être les matériaux dont 
il disposait. 

Les patriciens, gardiens sévères de la perpétuité 
des rites publics et privée, avaient, malgré la bar- 
barie de Rome, préparé à l'histoire deux sortes de 
docùmens. Les premiers étaient une espèce de jour* 
nal des Pontifes (Grandes annales) ^ où se trou« 
vaient consignés les prodiges, les expiations, etc. 
Les seconds, (JLwres de Lin), livres des magistrats^ 
mémoires des familles, généalogies, inscriptions 
des tombeaux, comprenaient tous les monumens de 
l'orgueil aristocratique , tout' l'héritage honorifique 
des génies. Une grande partie de ces monumens di-« 
vers 4vait péri 4ftn3 l'incendie de Rome. Toutefoia 
on avait retrouvé des table^ de lois, des traités, 
que personne ne pouvait plus lire au temps de Po- 



75 

lybe. Toufi ces monumeas ne devaient être ni très* 
)3uithentique$^ nî fort instructifs* Le génie mysté-* 
rieuz de ràristocratie avait dû^ diez un peuple et 
dans un âge- illétré, se contenter des plus brèves 
indications. En outre^ ces livres ^ ces tables enfer* 
mes dans les temples- et dans les maisons des nobles, 
restitués^ augmentés^ supprimés à volonté^ avaient 
dû arriyer au temps des guerres puniques, dans un 
état étrange d'altération et de falsification. 

La tradition {y>uvait<^lle au moins suppléer à 
riasnffîsance des raonumens écrits? Les Romains 
n'ont-ils pas eu, comme tous les peuples barbares^ 
jine poésie populaire, où l'on put -retrouver leur 
nistoire primitive, ou du moins leur génie, leurs 
mœurs originales ? Plusieurs passages des anciens 
portent à le croire. Toutefois, peu de nations me 
semblent s'être trouvées dans des circonstances 
moins favorables à la poésie. Des populations hété- 
rogènes, enfermées dans lesxnêmes murs, emprun-^ 
tant aux nations voisines leurs usages, leurs arts et 
leurs dieux; une société tout artificielle, récente 
et sans passé ; la guerre continuelle, mais une guçrre 
de cupidité plus que d'enthousiasme; un génie 
avide et avare. Le C(ephte, après le combat, chante 
sur le mont solitaire. lie Romain « rentré dans sa 
ville avec son butin, chicane le sénat, prête à usure, 
plaide et dispute. Ses habitudes sont celles du juris*- 
con^ulte j il interroge grammaticalement la lettre de 



f^r 



76 

la loi , ou la torture par la dialectique^ pour en tîrer^ 
son avantage. Rien de moins poétique que tout cela J 
* lia poésie ne commença pas dans Rome par les 
patriciens , enfans ou disciples de ia muette Étru- 
rie^ qui dan» les fêtes sacrées défendait le chant ^ 
et né permettait que la pantomime. Magistrats et 
pontifes^ les flores devaient porter dans leur langage 
cette concisipn solennelle des oracles que nous ad- 
mirons dans leurs inscriptions . Quant aux jplebéiens, 
ils représentent dans la cité le principe d'opposi- 
tioji^ de hitte, de négation. Ce n'est pas encore la 
que nous trouverons le génte poétique. 

Si Rome eul des chants populaires , elle les dlil 
probablement aux cliens qui assistaient aux festins, 
de leurs patrons , combattaient pour eux et célé- 
braient les exploits communs de la gens. Dans lo 
nord aussi, le chantre, comme le guerrier, est 
l'homme du roi. Ce nom de roi est celui par leque^ 
à Rome même les petits désignaient les grands, 
soit par flatterie, soit par malignité. Dans l'Alle- 
magne , où l'homme se donne à Fhomme sans ré^ 
serve et avec un dévoûment si exalté , les vassaux 
chantaient leur seigneur de toute leur àme. A Rome> 
où le client se trouvait, comme plébéien , -en oppo- 
sition d'intérêts ayec son patron, la poésie dut être 
de bonne heure glacée par le formalisme d'une- 
inspiration officielle. Ces chants méritaient proba* 
blement d'être oubliés, et ils le furent. Consacrés. 



11 

ft la gloire des ;gi^Baides liamilies^ ilsfimportttnaient 
Foreillé du peuple. Les plébéiens^ sans esprit dd 
famille^ sans passée sans histoire^ ne regardaient 
que le présent et l'avenir. Rome^ de si petite dev^ 
nue si grande, avait d'ailleurs intérêt d'oublier. Elle 
ne se souciait pas de savoir que les vaincus Étrus- 
ques et Gaulois lui avaient autrefois faut payer une 
rançon. 

Pauvres furent donc les matériaux de l'histoire 
romaine, plus pauvre la critique de ceux qui les 
mirent en œuvre. L^a Grecs de cette époque étaient 
devenus entièrement incapables dé pénétrer le pro- 
fond symbolisme des vieux âges. Toutes les fois 
que l'antiquité, par poésie ou par impuissance 
d'abstraire, personnilisât unc^ idée, lui donnait un ' 
nom d'homm#, Hercule, Thésée ou IVomulus^ le 
grossier matérialisme des critiques alepuuidrki^, la 
prenait Eu mot, s'en tenait à la lettre. la religion 
«tait descendue à l'histoire^ l'faistoîre à la biogra- 
phie , au roman. L'homme avait paru si grand dans 
Alexandre que l'on n'hésitait pas de £sûre honneur 
À àes individus de tout ce qu'une saine critique eût 
expliqué par la personnifiGation d'un peuple, ou 
d'une idée. Ainsi le fameux Evéhmère dans son 
voyage romanesque à l'ile de Pan<?hde, avait lu 
danales inscriptions d'Hermès, que les dieux étaient 
des hommes supérieurs, divinisés pour leurs bien^ 
faits. Encore, cette sijq[>ériorité n'était^elle pas toti- 



78 

jcnm fort éetotante» Vénus n'était originaireniênt 
qu'ime entremetteuse de profes^on qui eut Ilion- 
neur de fonder le métier < Cadmus^ ce héros iny« 
t|iique^ qui suit par tout le monde la trace de sa 
sœur^ et sème dans les champs de Thèbes les dents 
du dragon , n'est j^us dans Évéhmère qu'un cui*» 
sinier du roi de Sidoti^ qui se sauve avec une joueuse 
de flûte. 

Cette critique, dominée par le matérialisme d*É- 
picure, passa de Grèce à Itome avec Dioclès. Dio- 
des fut suivi par Fabius Pictor^ Fabius par Cincius 
Alimentus, Caton etPison. Fabius est méprisé de 
Potybe et même de Denys. Caton avait un but plus 
ttioral que critique ; il dit lui-4nême qu'il écrivait 
•on histoire en gros fcaraolères, pour que son fît* 
eût de beaux exeiàples devant les'yeiH. Que dire de 
la puérilité de Pison et de Valérius d'Antium ? Ce 
sont là les sources où puisèrent Sallustè pour sa 
grande histoire, GorneKus Nepos, Varw», Denys 
et Tite-Live. Le génie de Rome était un g^e pra- 
tique , trop iippatient , trop avide d'aj^Iication , 
pour comporter les^lentes et minutieuses recherches 
de la critique. Cest le. génie des mémoires et de 
rhistoire contemporaine ; Scaurus, Sylla, César, 
Cktave^. Tibère^ avaient laissé des mémoires. Le$ 
histoires de Tacite ne sont autre chose que des 
mémoires passionnés contre les tyrans. 
Fabius , jCaton, Cincius, Pison, "Valérius, Tîte- 



79 

liTO enfin > Téhxinettt metMir a» oeqvre de* cette 
romanesque histoire y suivirent religieusement le^ 
irreos^ s'informant peu des monumens originaux. 
Llû^toitè était généralemeiàt pour les Romains lii] 
exercice oratoiie ^ oboune non^ le savons posîtive- 
meiUi pour SaUuste^ comme on le roit dans Tite-* 
Live^ partout ou nous pouvons le comparer avec 
Polybe. Pour Denys^ on ne peut lui refuser une 
connaissanâe itiBlutiense des antiquités^. mais il a 
t^ru épurer rjustoi^e romaine en la prosaîsant. Il ne 
dira pa» que> sur qcrâze mille Fidénates^ -Romulus 
en tua. la moitié de sa main; iLkii attribuera tçUe 
institution qui .n'a pu/s'inscmedans les lois > mais 
plutôt Sr'jintarodiiice dans les zniBurs. par .la>: forte du 
tep^ps et de l'hlibitudle (lai pQKsanoe<ipacémeile y le 
pMDtNMgô r 4^t!C.), ; Il iraiMam ' lajpDobkéick» <îoiikp»i 
gnons de Romulus. Partout de plaies ixéfléÉionsl 
£)aDa {^.ih^it^ignM^ qu'ii: prête k ses pessûoifiagés ^ 
àRomi^'i kiijowilffky etc^> 9^us seiylîres l'araixt^ 
goût de l'JM;^qyyi4(é Itjm^^m^y. ' 

JUes Crec$ fl^t^^nt^ l^ufs ^tjne^; .en supprimant 
touA.^rqui||^v^ti)«puAîfir;R^i^ la tM^présen*^ 
ta^t #^^KH| h^tfi^sw teU^ :^'aa temps, des guerres 
puniques. Ils fl^i^tèçfAt . la fSrè^ p 0m rapprochant 
autant qu'ils pouvaient la b^I^ie italSque de l'él^'-» 
ganceet de la civilisa tion, des 9ités4o9ieanea. Ils flatr 
tcrent surtout les grandes familles 4^ Rome^ qui; au 
temp^ des^g^erres de'Philjypipey 4'Antiochus ^t de 



60 

Pensée 9 disposaient souverainement du scfrt de léul' 
patrie. 

Auciune famille n'araità cetteépoqùe dés fsqipdrb 
plus étroits aVec la Grèoe^ que lés Fabii et lès 
Quîntîi. Nous ayons vu que le pteinier historien 
latjin de Roiiie> Fabius Pictor / dont le sumoni hé^ 
réditaîre. indique assez qu'une branche de o0Ud fa- 
mille cultivait les arts de la Grèce ^ fut envoyé par 
lé sénat pour consister l'oracle de Delphes^ aptes 
la bataille de Cannes^ C'est un des Qidntii , Titus 
Quintius^Fiaminius^ qui, s^irès sa vietoire sur Phi-" 
lippe, fit proclaxner aux jeux istfamiqucs l'indépeti-< 
dance de la Grècei Lisez dans Plutarque quelle fut 
en ta momem; la joie crédule et l'enthousiasme dé 
là Grèce; Vous comprendrez' & faveur avec'laqui&Ue 
les historiens {precs;de K(»ne ont traitéila &milte der 
leur libërateur. .• '^ - 

. Au premier siècle de. la i^pubfe^^le» cotisldats^ 
pleuvent sut ces deux £5uniUe^'.>* t)iï^ F^ius, un 
Quintius portent égalettiénlt le n'oïk. beIKqueux de 
Cœsoy c'est-*à-^re, eelilf quî'ifepiie' et qui tûe, 
comme les Francs donnaient à leur Râil te nom de 
MarteL La grande bataille' de Yéïes est le charit des 
Fabius. L'aimée jure aux consuls d^ revenir victo-> 
rieuse; un des deux Fabius périt, mais Fautre lef 
venge, décide la victoire par sa valeur, et refuse 
un triomphe funeste par là mort deson'pèfe. Les 
Fabii se partagent lés blessés, et les sodgnent à leurs 



6i 

dépend. Cette famille héroïque s'offire au séiiatpdui' 
soutenir à elle seule la guerre de Veîes. Ils partent 
au nombre de trois cent six {Voy. plus haut nos 
remarques sur ce nonlbre) ^ tous patriciens ^ tous dé 
la même ^6115^ tous ^ selon la puérile exagération 
de l'historien , dignes de ptésider un sénài dans lei 
plus beaux temps de la république. Les Yeïens ne 
peuvent tiiomphei* de ces héros que par la ruse. 
Les trois cents tombent dans une embuscade 
et y périssent. A eux tous ils n'avaient laissé 
.qu'un fils à la maison; c'est de lui que sorti- 
rent les branches diverses de la gens Fàbia. Un 
Fabjus sort du Capitole assiégé et traverse seul 
l'armée dés Gaulois^ pour accomplir un sacrifice 
sur le mont Quirinal. 

Les Quintii donnent à Rotne cet idéal classique 
du guerrier laboureur^ destiné à faire honte, par 
son héroïque pauvreté y au siècle où les Romains» 
comtnençaient à lire l'histoire. Tiré de la charrue 
pour la dictature , Quintius Cindnnatus délivre une 
armée romaine, et au bout de quinze jours, re- 
tourne à la charrue. Le consul délivré s'appelle Mi- 
nutius^ comme celui que le Fabius Cunctator des 
guerres puniques sauva des mains d'Hannibal. Cin- 
dnnatus , comme Fabius , vend son champ pour 
dégager sa parole , et sacrifie son bien à l'honneur. 
Tous deux sont d^nflexibles patridens , qui dédai- 
gnent les vaines clameurs du peuple.* 

11. 6 



82 

. Les Marciî y ipx combattirent Persée y et qui f u-^ 
rent si long-temps employés dans les négociations 
de la Grèce y méritaient bien aussi d'être traité» 
avec faveur dans l'histoire. Cette famille est plé- 
béienne 5 C: Marcius Rutilus est le premier censeur 
• plébéien. Qu'importe? Une branche de cette famille 
est distinguée par le surnom de rex y qui veut dire 
simplement homme puissant , patron. Le généalo- 
giste grec en conclut qu'ils descendent d'un roi de 
Rome^ d'Ancus Martius; et si ce n'est pas assez ^ iU 
remonteront à Mamercus^ fils de Numa^ quoique , 
selon la tradition (Denys^ Plut.)^ Numa n'ait pas 
eu d'enfant mâle. Trois autres fils de Numa^ Pinus^ 
Pompa et Calpus^ seront la tige des Pinarii, des 
Pomponii et des Calpumii. Les Pomponii sont 
chevaliers^ les Calpurnii st>nt des hommes nou^ 
veaux, qui n'arrivent au consulat qu'en 578. Riea 
n'arrête le faussaire. La gens Pomponia met sur ses 
médailles l'image barbue de Numa ; les Marcii met-^ 
tent sous les leurs la tête de Numa et le port d'Os- 
tie, fondé par Ancus Martius, ou bien encore An- 
cus et un aqueduc fondé par ce roi et rétabli pour 
rhonneur de la famille par le préteur Q. Marcius 
Rex. 

Ce n'est pas tout. Quintius Cœso, exilé pour ses 
violences y est accusé par la tradition d'être revenu 
avec des Sabins et des .esclaves y et de s'être un ins- 
tant emparé du Capitole. La pudeur patricienne 



83 

clés Quintii repousse Taccusation et jette un voile 
sur cette circonstance. Les Mardi plébéiens sont 
moins difficiles ; ils prennent pour un des leurs ce 
dont les Quintii ne veulent pas. Un crime antique 
n'est point déshonorant. Q. Marcius Cpriolanus se 
vengera d'une injuste condamnation , en amenant 
l'étranger contre sa patrie. Mais le flatteur des Maiv 
cii n'ose ni lui faire prendre le Capitole^ ni lui 
donner la honte d'avoir été repoussé. U craint d'hu- 
milier Rome ou son héros. Les larmes d'une mère 
désarmeront G^riolan , et sauveront à la fois Rome 
et l'historien. 

Les autres généraux qui font la guerre en Grèce, 
n'ont pas une moins illustre origine. Les Sulpicii, 
remontent du côté paternel jusqu'à Jupiter^ du côté 
maternel jusqu'à Pasiphaé. Quoique cette £smiille 
ne soit pas même romaine d'origine^ P. Sulpidus 
Quirinus n'en met pas moins sur. ses médailles la 
louve allaitant Quirinus. Les -Hostilii ^ plébéiens 
parvenus au consulat à la fin du sixième siède^ 
portent sur leurs médailles la tête du roi Tullus^ 
leur prétendu aïeul. Quant aux Acilii^ Manius Aci- 
lius Glabrio^ vainqueur d'Antiochus aux Thermo- 
pyles^ est leur premier consul; et il n'est pas jugé 
assez noble pour arriver à la censure. Mais donnez- 
leur le temps. Un siècle plus tard^ ils descendent 
d'Huée. 

Ainsi les Romains et les Grecs vivaient dans uu 



84 

échange de flatteries mutuelles. Les premîeîs, 
tomme cet A. P. Âlbinus^ dont se moquait Caton, 
s'exerçaient à écrire en grec ' , et demandaient pardon 
au lecteur de leur ignoï^ance de cette langue. Fla- 
minius faisait des vers grecs. Dès cette époque les 
grands de Rome ne manquaient pas d'avoir parmi 
leurs esclaves ou leurs diens quelque grammairien , 
quelque poète grec, qui faisaient l'éducation des en-* 
fans et souvent celle du père. Ainsi le farouche et 
vindicatif Livius Salinator^ celui même qui dans sa 
censure osa noter trente-quatre des trente-cinq tri- 
bus, avait auprès de ses enfans le Tarentin Livius 
Andronicus* qui traduisit en latin l'Odyssée, et 
donna sur le théâtre des imitations des drames 
grecs ^ le poète lui-même y figurait comme acteur. 
Paul Emile, ce pontife austère, cet augure mintf- 
tieuî , avait dans sa famille des pédagogues grecs , 
grammairiens , -sophistes j rhéteurs , sculpteurs , 
peintres, écuyers, veneurs, etc. ' Scipion l'Africain 
eut pour client; et pour panégyriste le fsimeux Ennius^ 
Né dans la grande Grèce (à Rudiae% en Calabre), cen- 



* Je rexcuserais , disait Gaton , s'il eût été condamné à écrire en ^ftc par 
ordre des AAiphictyons. Polyb. , ext. Const. Porphyr. , 87. 

* Qui jouut lui-mfime ses pièces. F", le curieux passage de Valère-Maûmer 
]&▼. II ,«c. 4 , sur le théâtre , les jeux , les gladiateurs , etc. 

■ Plutarch. , Pauii Emil viia , c. S , 7. 

' A Kudiœ , en Calabre » au milieu des riUes grecques ( Snettfhi. ,. X>e 
iilust gmmmat, , c. 1 . ). Centurion en Sicile , il se distingue sous Tit 



85 

turion en Sicile^ sous T. Manlius Torquatus^ et en 
Espagne sous Scipion , à la fois Osque , Grec et Ro- 
main^ il se vantait d'avoir trois âmes. Il enseigna 
le grec sur FAventin ^ , imita la Grèce avec origina- 
lité, et crut avoir rendu les Romains conquérans 
en poésie , comme ils l'étaient en politique par les 
armes de Scipion. Il se sut si bon gré d'avoii: altéré 
roriginalité de Fltalie, qu'il se plaisait à appeler les 
Romains du nom de Grecs. Le grand poème d'En-> 
nius eut pour sujet la seconde guerre punique, 
c'est-à-dire, les exploits de Scipion. Le meilleur 
morceau qui nous en reste, est le portrait du bon et 
sage client^ c'est sans doute celui d'Ennius lui- 
même ^ . Les Sçipions qui avaient confisqué $on gé- 



Bfanlius Torqoatns (SU. Ital., XII, 390 )j combat ensoite en Espagne, 
i côté du grand Scipion. (Glaudian. in iib. de H Cons. Stil. pnef. Ciç. , 
pro jérchiâ , c. 9). II enseigne le grec sur le Mont-ATentin ( Soeton , II. 
Cicer. , De Orai, II , 68 ). U Ta en Grèce aTec M. Fulvius Nobilior 
( Cicer. , pro Arehi^ , c. 4 4 ). •«- Galoa blâme Fulfins d'avoir mené 
Ennius avec lai (Cicer. , TWr. , h, 20. y -^ Lié à la Grèce par Féducation , 
k Tancienne Italie par la naissance et par la langue ( il se donne pour des- 
cendant de Messapns. Serr. , in yŒn, , VII , 694 ; Sil. Ital. , Xli , 395 ) , à 
Rome par ses sentimens et son admiration j il pouvait donc bien se ranter 
Savoir iruis âmes. (Gell. , N. A. , XVi , 47). — Après avoir mené les 
Romains à Fécole de la Grèce , il s^applaudit de ce succès , et les appela 
Grtcs ( Fcst. p, Sos , et Scaliger ). — Scipion fit placer la statue d^Enniu» 
p^rml les monumens de la ffrns Comtlia. Val. Max. , VI , 8. 

1 Hocrr lo'pittiu* Tont , qneimpi Jbene «aipe Ubeolfii: 
M rojam , icrmonesque «uoi , re rumque mianim 
Compter impertit ,- Vnagna quom laMu' dteei 



86 

nie au profit de leur gloire^ ne lâchèrent pas En* 
nias après sa mort^ et renfermèrent dan$ Ieur& 
tombeaux. 



parti favitMl , de •nmnieM rdro* gcvaniets 
Coiuâlio, eodo foro laco, Mnctoqae Mnatu. 
Quoi res aodaeter ougnaa [iar?aM|iie jocQMqae 
£loqoeretar ; tincbi maie» , et quoi bona dicitt 
ETomaret , aeiqoa vellet tatoqoe loearet : 
Queîcttm molla volvlat gandia clamqae palamqae. 
In^enio quoi nolla nalom ienlentia aaadet. 
Ut faoerei facinua levia ant maloa , docta*, fidelia t 
Saavia homo , facanda*, aoo conteota* beataa, 
Soeitu*, tecnnda loqaen^in tempore , eomnoda*, Terbap^ 
PancoBi , molta lencna , aoteiqaa , aapolta , vaAvata } 
Qoai ÊMiant moraa vetcreaqae Dovoaqae taaenteaa ; 
Mollaram vetenim legum , divomqve hominnmqaa 
Prudentem , quai molla loqaaÏTe taoereTe poaaet. 
Hanc intcr pagoaa compeUat Semltoa tic. 

( GaUiQi,lib.XII,cap.4;)[ 

Yoid qudqaes autres fragmens d^Eomos : 

Vmi babeo deiùqaa navei Maraam auf^rem , 
lion Ticanoa liaroa|aec8 , non de cifoo aatrologoa ,, 
K OD iaiacoa coft)ectoi«« , noo tntarpratea aomniÂm : 
KoB enlm aunt ti , a«t aetenlia , a«t arte divioei ; 
Sed aapcratitioat vatea , împvdeatcaqoe bariolei , 
Aod inertca , ant intanei , ant qoîboa egeataa imperat : 
Qui aibei aamitam non aapiunt , alteri moastrant viam \ 
Qniboa diTÎtiaa poUicentar , ab iia dracbmam ipaei petoat : 
De hia dÎTitiia aibî dedacant dracbmam , reddant cœtera ; 
Qui iui quKitai eaoaa fictaa auacitaat acntcntîaa. 

( Ck., De DiiHufUioiu.f I.) 

At Uba tcrribilei aoui^ taratantara dixit... 

( Pritcianua et Serviaa. ) 

Qvomque caput caderet sonituoi tuba tola percgit * 



8Î 

» 

Ainsi Rome recevaît^dodlement en littérature le 
joug de la Grèce, comme en politique: celui de 
rwiâtocratie protectrice des Grecs ^ celui des Mé- 

X 

¥i pereantc viro , raiieo foniif aire c«e«rri t ... 

Anêeria «t tntun tom fuÎMe Joven, ... ( Propertim. ) 

llorî]»iif«alei(|iieit rat ilct lomana^TÎreiMioe. 

(>P« Angnatmiu ex Cioerope , De repubUcû, lib. Y. ) 

• « Stolidiini genvi A)adderuB , 

Bellipolentet nul megi* | ^[wn eapientipotentec 

( Nontoe tn SUrpê. } 

Nec mi avram poaeo , ace BÛ preci«un dederitia^ 
Kec ca«poiuuitea bellum « aed belligérantes ; 
Ferro , non aoro , Teitam cemamoa atreîqae « 
Yoane velit an me ragnarcfhera, qoidve fcrat fora^ 
Yirtnte esperiamnr; et hoe aûnol aedpe dictun ; 
QaofiiB TÎrtutcî bellei fortnna peperat , 
Bommdem me leibertati parceia certom *st, 
Dciio dnctte, doqne volentibn* cnm magneia Dia. 

( Gkefo , i^ ojOrcOf , Hb. I» > 

Qaei poli* ingenteia omi eroWen bellei. 

( Diomedea , in roTli. ) 

Von lemper voatra evorlit , nonc Jopiler baqatat. 

(Macrobioa, Sat», lib. YI , cap. K, ). 

Fortibna eatFortnnavir^ data.... ( Id. , ibid. ) 

Africa terribîlei treait borrida terra tninoUv 
Vndiqne , mnllimodia conaaaûtnr aniia coircia : 
Omnîbna«ndo loceiaingena apparat imago 
Triatitiaiy ocnloaqne mannaqae ad andera Jaama 
ProCendant, ezsecrando dad* facta reprendont. 
Poinei , perrortentea omnia | drcom caraant. 

( Featna , in HetftynUM. ) ^ 

Hoalem qnei ferict mibi ciit Cartaginicnaia^ 



88 
tçllus, des Fabius, des Quintius, des iEmilius , des 
Marcius, des Scipions surtout. Ces nobles orgueil- 
leux qui foulaient si craellement la vieille Italie 



Qui«qai.eril,caiati.«rit. (Diomcde., in «*niio.) * 

Çlamo/ ad cttlnm TolTendv' p«r pUi^n ▼•git< 

(Vwro, L. ,lib. VI.) 
Mard filins : ù dictoa po^Urilrat Qleis 
QaeitnBTeiT«banthoimiiM, atqae oivom agitabant^ ' 
Floa dalilMtiu popolei anadalqne medolla. « 

( Gicero , in Brnto. ) 

E^regiécordatoa homo , Gatni Ailia* Sextu. 
Qu« viàtaon eat^tor, niai vietQ*fateliur... 

( Nonim , in ùbHdium. ) 

Forum , pate^lqne Libonia 

Maadabo aioets; adimam oantarç seTeiis. 

(Servioa , ad G^rgic. , lib. UI.) 

Q. SnnUêffiUipkiHm «6 ipsomM CûfuUtum: 
Adapicita, o ceiT«ia , aenia Ennii imagini forn^ia. 

flfficTostniiB paaiit maz«ma facU patnua. 
fiftmo me lacnimeia doeoret , nec fanera fletn 

Facaif. Qanr? Tolito Ti?ii^ peron vinim. 

( Cioero, Tuse. qumst,, Ub. I) 

P. Scipionis Afriemd tumulu* .* 
Heîc eatille âtna, quoi nemo ceiTei' , neqne boftis 
Qoibit pro facteia reddere 0|iera pretNim. 

(Gicero, DêLtgibut, II..^eneca« lib. Xa,yepUt. 109.) 

Eo ego ingenio nataa aom , amieitiam 
Atqne inîmicitiam in fronte promplam gero. 

(Exincerto libro. ) 
FUgitiiprindpiam est nadare inler ô.^9iM corpora. 

(Gic.fTuJC., lib.IV.) 

Philoapphandam eat paucia, nam omnino hand placet. 

( Gelliua, lib. V, cap. i5- ) 



89 

doQt les armes leur soumettaient le monde ^ ac- 
cueillaient avec faveur les hommes et les moeurs 
étrangères. 11$ fermaient Rome aux Italiens^ pour, 
rouvrir aux Grecs. Peu à peu s'effaçait le type rude 
et fruste du génie latin. On ne trouvait plus de 
vrais Romains que hors de Rome^ chez les Italiens^ 
par exemple à Tusculum en Caton^ et plus tard 
dans ce paysan d'Arpinum^ qui fut Marins. 

■ 

Le premier vengeur que se suscite l'Italie^ est le 
Campanien Naevius^^ comme Ennius^ soldat des 



* Le premier, selon Varron» qui ait employé le yen lataniin (?) : « Se- 
tofiiinm in honorem Dei Naevios inrenit. » Varr. VI. Festas , t. Satonnis. v- 
InTcnteor de la tragédie pnxtextata , où les caractères sont romains. — Il 
attaque les Sdpions ( Gdl. , VI ^ 8), les Métellas ( Terentian. Maur. , 
T. 2717): 

Fato llatelU Roaiia final consolet. 

K qooi ils répondirent : 

Dalmat aalom Metdli Nwio po«l«« 

( Ascooiiu Pedianv* ad Gie. , Ad. I in Verram. , c. lo. ) 

Void d'antres fragmens de Nsiins : 
—> Nonius , in revoriii, 

jlge naae «paodo rhetoricasti, reeponda qood te rogo. 

f^ Nofifcis, in muUafe, 

Elaneriltades %%o{tgo9)tmm toIu me ^oHitia aiietSy qaod 
Pntter tpem qoem velleai aadiebaat : hoc anihi finnittt. 

(ColaxN«Tii.) 

%x ProtectolIaYii. — Diomedet, ia patio ^ 



90 

guerres puniques^ le même peut-être qui organisa 
les vélites romains. Celui-ci n'emprunta point le 
mètre grec; ce fut dans le vieux vers saturnin^ qu'il 



"^ ^ Populiif paCit : ta puliai nedo. • 

Ex Tar«BtilU Navii. -^ Sotipatar in qutuUi s 

QwB «go in duatro hic aeif probavi phuQm, 
Ea non andere qii«in<|nam regem rampera , 
Qoaato Uberlatem hanc hk nipèrat lervitoa abolnte. 

(GellHM, Ub.yi,e. 8.) 

Exorde du grand poème de Nomas , restitué selon les conjectures d'Her- 
* mann ( Doctnna metrica ) : 

Qoî terrai Latiai hamonet contaferont 
Tiroa frndetqne Pœoi , fabor. 

Passage de Naerius, diaprés Memla , ad Enniunt^ p. 417, ex CaK 
pomio. 

Sic Pœni contremiicnat artoboi naÎTersim ; 
Magni metoa tamaltoa pectora poasidet : 

Csaam fanera agitant, 

Exseqoias itilant, temnlenliamqae lolUnt 

Fectaïa. 

Saperbiler contemptim content l^gionet. 

(HaTÎnt, in Efoaio, Terbii contemptim, superiiter. y 



qai 

Mann rei magnat sape gcaait glorioaa , 
Cnjnc facta viva vigent , <|ai apad gentis tolas praetat , 
Eam anoa pater cnm pallio ano ab amid abdaiit. 

( Narins» iA 6«ttto» VI , S. ) 

Mortalif iatmortalia flere li foret Ub, 
Fièrent diva camena Navinm poetam. 
Itaqne poaUiBam est Orâno tradiln» theaanro y 
Obliti rant Roma loqnier Utina lingna. 

( Naviaiy in C^Hio , I , a4. ) 



'- 1 



94 

attaqua tour à tour les Claodius^ les Métellus, les 
Scipions même. Lepeudefiragmens qui nous restent 
de lui y sont pleins d'allusions piquantes à la tyran* 
nie des nobles^ à la servilité de leurs créatures. — -> 
Allons^ souffre de hùone grâce; le peuple souffre 
bien. — Quoi! ce que f approuve ^ ce que f applaudis 
au UiéâirCj ne pourra' librement vexer nos rois du 
sénat! ch! la tyrannie domine ici la liberté (Fragm. 
(k la petite Tarerttiii^). — Les Métdlus naissent con* 
suis à Rome ^' jeu de mots sur le mot metellus, qui 
voulait dire porte-faix^ sur l'incapacité de cette 
puissante famille, et sur ses nombreux consulats. 
Les Metellus se piquèrent et répondirent par un 
vers sur la même mesure : 



Les Metellus te porteront malheur. 

Ils ne s'en tinrent pas là; ils firent jeter en prison 
Nœvius. Le poète ûicorrigible fut si peu intimidé, 
qu'il y fit deux comédies , et ne craignit pas cette 
fois de s'attaquer aux Scipions : 



Gel homme dont le bras fit maint cscpknt pompeui , 
Dont k nom glorieux brille , édate aiqoiird'hni , 
Qui seul est grand aox yeux des nations \ 
Gehû-là même, on certain soir , 
Son père l'emmena de chez sa bonne amie , 
Vé^n légèrement : il n'avait qu^un manteau. 



92 

Lie trait était d'autant plus pénétrant , qu'alors 
même Scipion ^ déjà vieux ^ avait dans sa maison 
commerce avec une esclave^ et que la connivence 
d'une épouse débonnaire cachait seule sa honte do- 
mestique ^ . 

Les Scipions invoquèrent la loi atroce des Douze- 
Tables^ qui condamne à mort l'auteur de vers difia» 
mans. Heureusement pour le poète y les tribuns in- 
tervinrent. Mais il n'en subit pas moins la honte 
d'une sorte d'exposition publique y et fut relégué en 
Afrique. Un poète de l'âge suivant, qui s'en tenait 
prudemment à la satire générale des villes, le co- 
mique Plante, s'est complu à peindre la triste figure 
du pauvre Campanien , cloué à la calonne avec deux 
gardes , qui ne le quittent ni nuit ni jour ^. Nsevius 
laissant l'Italie pour jamais , lui fit ses adieux dans 
une épitaphe digne de Catulle , qu'il se composa 
lui-même, et où il déplorait avec sa propre ruine 
celle de l'originalité italienne. Que les immortels 
pleurent les mortels, ce serait cliose indigne. Autre- 
ment, les déesses du chant pleureraient Nces^ius le 



Valer. Max. , VI , 6. — > Selon Vtlëriiis d^Antinm, un des plus anciens 
Ustoneos de Rome, la fiunense anecdote de la continence de Scipion weiù% 
contronrée ^ il n'aurait pas rendu la fille à ses parens. GdL VI, 8. 

In MU, Glon'os,, r. 2M. 

Nam ot cojomnatam poelip incw« andivi barbare , 
Gui bim cnatodca aejn|>er lolis liori4 accubaul. 



93 

/x)èle. Une 'fois Nœnus enfoui au trésor de PhiUm, 
ils ne surent plus à Rome ce que i! était que parler kin^ 
gue latine. Toutefois le peuple garda un bon sou^ 
venir au. courageux. ennemi des nobles. II donna le 
nom de Naevius à une porte de Rome ^ ; et cent 



* YaiT. y de L, tôt. , lY, 45. — Banni ( Eustb» , Chron, , Ofymp, ^ 
ÇXLIV), il meurt iUtique, à la fin des gnerres pnniqnes. (Cependant 
J^, CSc. Brut^ c. 45. ) — Sur la Tie d'Ennius et de Naevins , F", Bkun, 
JEtnleitang, etc. 

ïTayant plus occasion de rerenir sur cette époque de la littératore ro- 
maine, nous placerons ici quelques firagmens importans des sncoeisean inn 
médiats d'Ennius et de NasTius. 

PacuTii Fntgm. 

Ka» iatit qui iingiuim ttintt mtclligont ; 
Plnsqn* ex alieno jecore npioat , qaam ex rao , 
Magis radiendam qtaam atucuHandam censtfo. 

( Gic. , De divin, , I. ) 

Ego odi faommet igttavA oparA, et philoaophft aenteatiè. 

(Gell.,Xni,8.) 

Adoleacena, tamco «lii propene , hoc te aazaai rogal 
TJti È» adapidaa : deinde qood acriptom eat, legu : 
Heîe aQot poeta PacvTii Mard lita 
Oan ; hoc Toleham , neadoa ne eaaea ; vale. 

(Gell.,l,a4.) 
8. CaDcilii, Frag. 

Nam nOTva qaidem Deaa repertaa eat Jovia. 

( Ex Epistoid Priadairaa , in JùviSé ) 
L. Accii, Fraf, 

CaloMt, fkmuli aaetalliqae, cacvlaMpie. 

( Ex AnnibattbuM Feataa, in MeMU, ) 

Vihil credo aagnrilMia , qvi aVrei verhia divitant 



94 

cinquante ans après ^ Horace^ avec tout son mé^ 
pris pour la vieille littératui'e de sa patrie y était 
obligé de dire : Pour Nasvius, on m le lit pas, on 
le sait; il est, comme d'hier, dans toutes les mémoi-^ 

res 

La lâche victoire des nobles sur Nsevius ne les 
préserva pas d'attaques plus sérieuses. Dans cette 
époque de la gloire et de la toute-puissance des 
Scipions^ un patricien de la famille toujours popu-^ 



Aliénas, nMvtaiiro locapletent domot. 

(Ex jistyatuwtê Nonint, in dMUmt^) 

Mnlti iniqttiaU|ac infidèles regno , pend cnnt boni. • 

(Gic., IXto/Or., III.) 
L. Lucilii , Fm^. 

Scipieda nuigno improboa objicictbet Asellns 
Lnetnun iUo eoisore mslam infeUsqne fnlMe. 

( Ex. XI y L. Satyr, ^- Nooios. ) 

Ifem Teins ilie Cato Isce i e a s e appelbri, qnod conedns ipse non eratsibi. 
( Ex xiT , lib. Satyr. » Caperapnd Pris. , in lacesn ) 

Gobibet et domi Montas se Albinns , repndinm qnod filia renûsit. 

{ Ex XTiii Ubr. Satyr, •— Nonins, in nmtirto/v.) 

Vdlem eondlio Testram , qnod didtis , olim , 
Cœlicola , yeUem , inquam , adfnistemtt' priore 
Coneilio. ( Senrios, in ix JBn. ) 

Ut nemo sitnostmm qoin ant pater opttmn* dÎTnm , 
AetKeptonn* pater, Liber , Satamn* peter, Mars^ 
Janoa , Qoirinns pater , nomen dicatnr ad nnnm. 

( Lactantins, lib« ly , cap. 3. ) 

Lactantins, it , 5. 
Naac vero à mane ad noctem , feslo atqae profeslo 



" 95 

laite des Valerii^ Valerius Flaccus^ fit venir de 
Tusculum^ et établit près de lui à Rome un jeune 
Italien d'un génie singulièrement énergique , d'un 
courage éprouvé et d'une éloquence mordante. C'é-» 
tait un homme roux^ aux yeux bleus ^ d'un aspect 
barbare^ et d'un regard qui défiait ami et ennemi. 
Son nom de famille était Porcîic^ (le porcher). Mais 
il était si avisé dès. son enfance , qu'on l'avait sur- 
nommé Caion ^ A dix-sept ans^ il avait servi contre 



Toloi item p«ritCT<]ne di« popoliifqfi« patrcaqne 
Jactare indu foro ae omaea , deeedere nvaquaia , 
tJni ae atqiie eîlem atadio omnea dedwre , et arli , 
Verba dare ot caate poaaint^ pagnare doloae, 
Blanditia ceitare , boDOin riaalare TÎram a«, 
Inaidiaa fiicere, «t ai hoateaaintomnibQa onnea. 

Gioero definibms, 

Gracvai te Albati , qoani Romanvoi atqne Saliîaum , 
M anieipeiii p<mtij Tili , Aoni, œntarionva 
l'naclaroriiai homionm , ae piiBorUB , aigiiifenuiq«e , 
Maloisti dici. Grâce ergo pnilor Alhenia , 
Id quod aaalaiali , te, qvam ad me accedia, aaluto, 
XoEtpc I inquam, Tite, lictorea, tnnna omni cohors^e, 

"Xaïûilt hinc faoatia M oti Albatrâa , hincinimicoa. 
Gc. in Oraton^ IU>. m, 

Qbam lepide lexcb corapoata ut teaterals omnea , 
Arte pavimento , atqae emUemate Tenniculato, 
CraaauA habao geBaram : d« liMoficoUros t« aie. 

' Ces détaib et la {Aiipart de ceux qui soÎTent sodI tirés de Plutarque. 



À 



'-^ 



' 96 

Haimibal. Depuis, il cultivait un champ voisin dt 
celui du vieux Manius Curius ^ le vainqueur des 
Samnites. Le matin, il allait répondre sur le droit 
et plaider dans les petites villes voisines de Tuscu^ 
lum. Pois , il revenait , se mettait tout nu , labou- 
rait avec ses esclaves, mangeait avec eux, buvait 
comme eux de l'eau, du vinaigre ou de la piquette. 
Toutefois ce n'était pas un maître tendre. Le ptre 
de famille, dil>-il dans son livre d'agriculture, tloit 
cendre les vieilles chcurettes j les vieilles ferrailles , 
les vieux esclaves ^ . 



* Cato de R* r. : n Vendat oieum, si preciom habeat , Tinam frameiw 
» tumque qood supersit. Vendat bores vetulos , armenta delicula , oves de- 
» Uculas , lanam , pelles , plaustnim Têtus , ferramenta vetera , seimm senem , 
a servum morbosum , et si quid aliud supersit , vendat. Patrem famiJias 
» Tendacem , non emaoem esse opoitct. » 

« Que le père de famiUe Tende Pbuile, si ellea du prix, et ce qui lui reste 
de Tin et de blé. Qu'il Tende les rieux bœa& , les veaux , k» petites brdûs, 
la laine , les pea^x ^ les vieux chariots, les TÎeux fers , Fesdave vieux , Tes- 
clave malade , et tout ce qui peut être vendu : il finit que le pèkv de famille 
soit vendeur , non acheteur. » 

A Est intefdum praesfarc mercaturis^ rem quaerere, ni tam pericdosum 
» siet ; et item fœnerari , si tam honestum siet. Majores enim nostri hoc sic 
» habuenint , et ita in le^bus posuerunt : (urem dupli condemnari , Coene* 
» ratoreni quadnipli. Qoanto pejorem dvem existimarint fixneratorem quan 

> furem bine licet existimare ; et virum bonum cum landabant, ita lauda- 

> bant : bonum agricolam , bonumque colonum. Âmplissime laudari exisli- 
» mabatur, qui ita laudabatur. Mercatorem autem stiennum studiosamque 
» rei quaercndae existimo j venim periculosum et calamitosnm. At ex a^colb 
9 et vifi fortissimi et milites strenuissimi gi^nuntur , «laximcque pius quïestus 



9T 

Etabli à Rome par Valérius^ appuyé par Fabius, 
il devint successiveinent tribun d'une légion , ques- 

» itobiiimimimoe consequilur , minimeqntf ioTidiosos ; mmimeque. mde 
» oo^UBtes auni, ^ in eo stadi» oQcnpati sont. » 

« Il n^ «vraii liai <k miouK que de s^enrichir par le ikt|ooe » n cette 
Toie étail moio» périttenfle) ou qae de prêter à usure • si le moyeu était plus 
honnête ; mais telle est snr oc point ropinion de nos ancêtres «t les dispo- 
étions de tas lois, qu'ils condemnent le Tokur à restituer le doublé, et 
Tusurier à rendre le quadruple. Vous pouyet juger par là cnnl»e& rnsniier 
leur partit nn citoyen pii« «pie le volenr* ¥oulaientHls au contraire louer 
un nomme de bîm, ils le noqnnaient bon bbourenr et bon fennier j et cet 
âofe psmlnik In pbis compld qu'on pAt recevoir. Quant an manhaod , jft 
le tmii«e bonmeadif et soifuemc d'anuisser , mais de cond'tion périclitante 
€t calamiteaie« Pour les labowenis « ils eofendrent ks bommes les plus 
•foora^BUB et les soldats les pins Kobnstes -y c'est de lenr profession qne Ton 
tirelepiefitleplusMgitinie, le pbssârctt le moins attaquable; et oenx qui 
j sont occupés sont le moins si^elB à penser à mal. » (Tmd. de If. ViUe- 
main* ) 

m Qoant àmoi, dit Plutarqne, je n'aurais jamais le oosor de rendre mon 
TieuY boeuf laboureur, encore moins mon vieil ^^sdave' » Caton» dit 
M. Vilenusn , n'entendait pas ces délicatesses, fl songeait senlonent à fiiire 
une bonne maison, v 

« fiicam de isfis Grcds suo loco , Marce fili. Quid Àtbenis ciquisituw 

• faaboam , et quod bonum sit îHoium Utleras inspioere , ion padiscere , 
> vinaam. Neqdsaimum et indodle genns iUonmi; et boc putn valem 
» disisse : Qnandocnmqne ista gens suas Ktteras ddût , onmia coorampet ^ 

• tum etiam si medicos suos bue mittet. luramnt inter se batbaros necam 
» onuies medÎGÎna ; et hoc ipsum meroede (aciont, nt fidm iis sit et fadk 
w disperdant. Nos qooqne dictilant bnrbaros , et sponnus nos quam aKos 
» pepétos opîcorum appeHatiotte todant , interdixi libi de medicia. » 

« le parlerai de ces Grec» en tempset lieu, mOn ttsllareus. ledirsi oc 
que i'aî observé à Athènes; il peut être bon di'iefllenrer leurs asts, mais non 
de les approfondir , et je le prouvera. Cette race est dn monde U phv 
perverse et la phis intraitable ; et je trois entendre un oracle : Tontes les 

II. 7 



98 

teur, préteur, enfin consul et censeur avec son an- 
cien patron. 

fois que cette nation nous apportera ses arts, eOe corrompn tout, et c*est 
pis encore si elle euToie ici ses médecins. Ib ont juré entre eux (Tcilcnm- 
ner, park médecine, tous les baibares jusqu'au denuer ; et ils n'exigent k 
sakire de leur* métier que pour usurper k confiance et tner pins à Taise. 
Nous aussi ik nous appellent barbares , et nous outragent plus ignominîeB- 
sement que tous les autres peuples , en nous traitant d'opiqnesl lion lib, 
je t'interdis les médecins. « 

Plut. , Cat. vit, , c. 82 : «r Caton avait toujours un grand noabre d*cs- 
ckTcs qu'il achetait parmi les prisonniers ; il choisissait les pins jenies , 
comme plus susceptibles d'*édncation. Aucun de ses esckres n'aHait janas 
dans une maison étrangère qu'il n'y fftt envoyé par Giton ou par sa Cemme ^ 
et toutes les fois qu'on demandait à l'esclave oe que faisait son maître , H 
répondait : « ^e n'en sais rien. » Il voulait qu'un esckve fût tonjonrs oe- 
cupé dans k maison ou qu'il dormit. Il aimait les esckves dormenn , pMie 
qu'il les croyait plus doux que ceux qui aimaient k veiller ; après qne k 
sommeil avait réparé leurs forces , ik étaient plus propres à remplir ks 
tâches qu'on Jeur donnait. Persuadé que rien ne portait plus ks esckves I 
ma! faire que l'amour 4|5 pkbirs , il avait établi que les siens pourraient 
voir en certain temps les femmes de k maison pour une pièce d'aigent qnll 
avait fixée , en kur défendant d'approcher d'aucune antre femme. Dans les 
commenœmens , lorsqu'il était encore pauvre, et qu'il servait comme 
simple soldat , il ne se fâdiait jamais contre ses esckves , et trowaift bon 
tout ce qu'on lui servait. Rien ne loi parusaait plus honteux que de qne- 
relkr des esckves pour sa nouiriture. Dans k suite , quand sa forlone fut 
augmentée, et qu'il donnait à manger Jk ses amis et aux officiers de son ar- 
mée , il faisait , aussit/^t après k dîner, donner les étrivières à oeox de ses 
esckves . qui avaient servi négligemment on mal apprêté quelques mets. 
avait soin d'entretenir toujours parmi eux des querelles et des divisions : il 
se méfiaitde leur bonne intdligence et en craignait ks effets. Si un esckve 
avait commis un crime digne de mort , il k jugeait en présence de tons ks 
antres*, et, s'il était condamné, il k faisait mourir devant eux. » 
« Devenu enfin trop ardept à acquérir des richesses , il né^i^ l'i 



I 



09 

^ Envoyé comme préteur en E5t)agQe , il commença 
par renvoyer les fournisseurs de vivres y déclarant 
que la guerre nourrirait la guerre. En trois cents 
jours y il prit quatre cents > villes ou villages y qu'il 
fit démanteler tous à la même hetu^. Il rapporta 
dans le trésor une somme immense; et au moment 
de se rembarquer^ vendit son cheval de bataille y 
pour épargner à la république les frais du trans- 
port. Dans toute l'expédition^ il avait toujours été 



cnllwe , qui lai parut un objel d^amusemenl phitM qa'tne source de rerenus \ 
et , voulant placer son argent sur des fonds plus sûrs et moins sujets à Ta* 
lier , 3 acheta des étangs , deê terres , où il y eût des sources d^eaux chaudes, 
des lieux propres à des feulons , de* possessions qui occupassent beaucoup 
d^ouYiiers » qui euMent des pâturages et des bois, dont il retirât beaucoup 
d'argent » et dont Jupiter , conune il k disait lui-ni£me, ne pût diminuer 
le rerenn. Il exerça la plus décriée de tQutes les usures , rosûre maritime ; 
^ voici conunent il s'y prenait. Il exigeait^ ceux Jk qui il prêtait son argent 
qu'ils fissent , an nombre de cinquante, une société de commerce , et qu^ib 
équipassent autant de vaisseaux , sur chacun desquels il avait une portion 
qu'il faisait valoir par un de ses affiranchis , qui , étant comme son facteur , 
s'embarquait avec les autres associés , et avait sa part dans tous lea béné-' 
fices. Par là fl ne risquait pas tout son argent , mais seulement une petite 
portion dont il tirait de gros intérêts. Il prêtât aussi de l'argent à ses esdaves. 
pour acheter déjeunes garçons ; et , après les avoir exercés et instruits aux 
fnis de Caton , ib les revendaient au bout d'un an. Caton en retenait plu- 
sieurs qu'il payait au prix dé la plus haute enchère. Il excitait son fik à ce 
commerce usnndre , en lui disant qu'il ne convenait tant au plus qu'à nnu 
femme veuve de diminufr son patrimoine. » 

M. Cassan n placé à la suite de ses lettres de Fronton et de Marc-Anrèle , 
des traductions élégantes et fidèles de plusieurs morceaux de Cafbn et autres 
auteurs anciens. 






100 

à pied j arec ub ^clave gui portait les proyûioos , 
et qu'il aidait dans l'ocGaâion à les pr^arer. Après 
avoir obtenu le trioiaphe^ il n'ea partit pas moins 
comme «simple tribun ; pour combattre Antiodius 
ça Grèce. Aux Thermopyles^ le général romain em* 
brassa Càton devant toute l'armée , avoua cju'on lui 
devait la victoire , et le chargea d'en porter la nour 
velle à Rome* 

Tant de vigueur et de sévérité pour lui-inême 
prêtait une autorité merveilleuse à l'âpre cynique 
de ses attaques contre les mœurs des nobles. C'était 
surtout contre les Scipions que les Fabius et les Va- 
lérius semblaient l'avoir lâché , dès ^n arrivée à 
l^ome, Dans sa questure en Sidle , il accusa les dé- 
penses de TAfricain^ et sa fadlité à imiter les Grées. 
Scipion le renvoya^ en disant : « Je n'âime pas un 
questeur si exact. » 

Il fie fallait pas moins quie l'énergie de Caton pour 
réprimer l'insolence et la tyrannie des grandes fa- 
milles qui se tenaient étroitement unies pour Top- 
pression du peuple^ Quintius Flaminius avait 

■ 

nommé Scipion prince du sénat. Deux fils de 
Paul Emile étaient entrés par adoption dans les h- 
milles dés Scipions et de$ Fabius. Des deux-filles du 
grand Scipion ^ l'une épouaa Sempronius Gracdius^ 
l'autre Scipion Nasica. Ainsi ^ malgré les haines de 
famille, toute Taristocratie se tenait par des jqiaria- 
ges ; c'est ce qui rendait les grands si forts contre 



I I ^^^^^r^w 



101 

la justice^ et les mettait au-deasus des lois. Un 
gendte de Fabius layant été acousé de trahison ^ son 
beau-père pour le faire absoudre n'eut qu'à dire 
qu'il était innocent y puisqu'il était resté le gendre 
de Fabius. Scaurus étant accusé plus tard^ se justf^ 
fia de la manière suivante : Yariua de Sucstme ao* 
cuse .^milius Scaunis d'avoir reçu des présens pour 
trahir la république ; .^Einilius Scaurus déclare qu'il 
est innocient : lequel des deux croirea>-vous ? L'ac- 
cusateur 4'nn MéteUus ayant mis sous les yeux des 
juges les registres qui devaient les convaincre de 
concussion ^ tout le tribunal détourna les yeux ^ . 
Ainsi rien n'arrêtait l'audace de ces rois , comme les 
appelait le peuple. L'Africain surtout > dont on avait 
mis la statue dans le sanctuaire de Jupiter ^^ et 
qui avait dédaigné un ccmsulat à vie y exer^t une 
véritable dictature. Un jour que les quefifleurs crai- 
gnaient de violer une lof en ouvrant le trésor pu- 
blic^ 3cipion ^ alors simple partiçoliet^ se fit donner 
les defs ^ et ouvrit '. 

n n'y avait plus de république^ si quelqu'un n'a- 
vait le courage de tenir télé aux Sçipions^ et d'exi* 
gcr qu'ils rendissent compte comme dtoyens. 
Caton en trouva l'occasion après la guerre d'Antio^ 



• r. Vâl.Mttime,!!, fO^III,3jIt, h ,8iVin,l. 

* Val. Un. , VIII, 15. Fi Mm Aiil.4M. , vn, «,€lIV, W. 
' ViJ. Mm. , III, 7. 



103 

chus (187). Leur conduite dans cette guerre avait 
été plus que suspecte {y. plus haut). Les deux frères 
avaient réglé les conditions de paix de leur autorité 
privée. Quelles sommes rapportaient-ils de cette 
riche Asie, quelles dépouilles du successeur d'A- 
lexandre, du maître d'Antioche et de Babylone? 

Au jour du jugement, Scipion ne daigna pas ré- 
pondre aux accusateurs, mais il monta à la tribune, 
et dit : « Romains , c'est à pareil jour que j'ai vaincu 
en Afrique Hannibal et les Carthaginois. Suivez- 
moi au Capitole pour rendre grâce aux dieux, et 
leur demander de vous donner toujours des chefs 
qui me ressemblent. » Tous le suivirent au Capitole, 
peuple, juges, tribuns, accusateurs, jusqu'aux gref- 
fiers. Il triompha en ce jour, non plus d'Hannibal 
et de Syphax, mais de la majesté de la république 
et de la sainteté des lois. 

D'autres disent que les licteurs des tribuns du 
peuple ayant déjà mis la main sur son frère, l'Afri- 
cain le leur arracha, déchira les registres, et dit : 
Je ¥ie rendrai pas compte de quatre millions de ses" 
terces , lorsque j'en ai fait entrer au trésor deux cents 
millions. Je n^ai rapporté pour moi qu^un surnom de 
V Afrique. Puis il se retira dans une terre qu'il avait 
à Liteme, en Càmpanie. Son ennemi Tib. Sempro- 
nius Gracchus , alors tribun du peuple^ empêcha 
Ini-même qu'on ne l'inquiétât dans son exil volon- 
taire. Il y mourut, et fit écrire sur sa tombe ce& 



103 

mots amers et injustes : Ingrate pairie , ta ne pos" 
sèdes pas même mes os. . 

Ses ennemis le poursuivirent encore dans la per- 
sonne de son frère. Les Pétilius^ tribuns du peuple , 
d'autres disent M. ou Q. Naevius (parent du poète?) 
proposèrent de nouveau une enquête ^ur l'argent 
reçu oà extorqué d*Aniiochus. Caton appuya la pro- 
position y et elle fut convertie en loi par le suffrage 
unanime des trente-cinq tribus ^ . Les accusés furent 
condamnés. Le jugement portait que L. Scipion, 
pour accorder au roi Antiochas une paix plus aç^on- 
tageuscy avait reçu de lui six mille livres d^or et 
quatre cent quatre^ingts livres d^ argent de plus qu*il 
n^a/vait fait entrer dans le trésor; A. Hostilius, son 
lieutenant y quatre-vingts livres d'or et quatre cent trois 
émargent ^ C. FuriuSj ^son questeur^ cent trente d'or, 
et deux cents {Targent. Lucius Scipion parut justifié 
par sa pauvreté. On ne trouva pas chez lui la somme 
qu'il était condamné à payer. Mais l'aristocratie 
n'en reçut pas moins un coup terrible. Caton fut 
bientôt^ malgré les efforts des nobles^ élevé à la 
censure, et chargé de poursuivre ces recherches sé- 
vères que personne ne pouvait plus éluder depuis 
i'humiliation des Scipions. 

* Tit.-Liv., XXXVni, 5< , 57. 



104 



/ 



CHAPITRE VII. 

* 

Réduction de FEipagiie et dei États grecs. -^ Fersée. — Dcttroetion dt 
Gorinthe , de Carthage et de Noinaiioe , 1 89-1 34. 



Âo moment où le vieux génie italien venait de 
frapper dans les Scipions les représentans desmomrs 
et des idées de la Grèce ^^ celles de l'Orient^ tout 
autrement dangereuses , s'étaient sourdement in- 
troduites dans Rome^ et y conuiiençâient cette ocm«* 
quête lente^ mais invinc3)fe, qui tlevait finit par 
les placer sur le trftne impérial. 

• 

Un Titus Sempronius Rutihis avait pnt^sé à son 
beau-fils dont il était tuteur^ de l'initier aux mys* 
tères des bacchanales qui, de rÉtnuîe et de la 
Gampanie, avaient alors passé dans Rome (i 86-4)» 
Le jeune homme en ayant parlé à une courtisane 
qui l'aimait, elle' parut frappée de terreur, et lui dit 
qu'apparemment son beiau-père et sa mère cndr- 
gnaient de lui rendre compte, et voulaient se dé» 
faire de lui. Il se réfugia'diez une de ses tantes qui 

' Val. Max. , III , 6 : n Noua voyons au Capitule une statue de Lucio» 
Sdpion avec le manteau et la chaussure grées. •» 



" ' f^^^^mm^mmmm^Êmm^^^^^Kmmmg^^f^mm 



105 

fit tout savoir au conaul. La courtisane interrogée 
nia d'abord^ craignant la vengeance des initiés; 
puis elle avoua. Os bacdbanales étaient tui culte 
frénétique de la vie et de la mort^ parmi les rites 
duquel tenaient place la prostitution et le meurtre^ 
Ceux qui refusaient l'infamie étaient saisis par une 
machine et lancés dans des cavemix profonds* 
Hommes et femmes se mêlaient au hasard dans les 
tendres, puis couraient en furieux au Tibre^ y 
plongeaient des torches ardentes qui flambaient en 
sortant ^des eaux> symbole de l'impuissance de la 
mort contre la lumière inextinguible de la vie uni- 
verselle* « 

L'enquête fit bientôt connaître que dans la seule 
ville de Rome sept miUe personnes avaient trempé 
dans ces horreurs ^ On mit partout des'gardes la 
nuit^ on fit des perquisitions; une foule de femmes 
qui se trouvaient parmi les coi:q>ables furent livrées 
à leurs parens pour être exécutées dans leurs mai** 
sons. De Rome^ la terreur s'étendit dans l'Italie. 
Les consuls poursuivirent leurs informations de ville 
en ville. 

Ce n'était pas la première apparition des cultes 
orientaux dans Rome. L'an 534 ^^ Rome, le sénat ' 
avait décrété la démolition des temples d'Isis et de 
Sérapis^; et, personne n'o$anty porter la main, lé 

' Val. Mtt. » I , s. 



106 

consul L MxniliVis Paulus avait le premier frappé 
d'une hache les portes du temple. £n 6i4^ le pré^ 
teur C. Cornélius Hispallus avait chassé de Rome et 
de l'Italie les astrologues chaldéens et les adora- 
teurs de Jupiter Sabazius. Mais dans les dangers 
extrêmes de la seconde guerre punique , le sénat 
lui-même avait donné Texemple d'appeler les dieux 
étrangers. Il avait fait apporter de Phrygie à Rome 
la pierre noire sous la forme de laquelle on adorait 
Cybèle. « A mesure que la guerre se prolongeait, 
dit Tite-Iive, les esprits flottaient selon les succès 
€t les revers. Les religions étrangères envahis- 
saient la cita; on eût dit que les dieux ou les hommes 
s'étaient tout à coup transformés. Ce n'était plus 
en secret et dans l'ombre des murs domestiques , 
que l'on outrageait la religion de nos pères : en pu- 
blic y dans le Forum ^ dans le Capitole , on ne voyait 
que femmes sacrifiant ou priant selon les rites étran- 
gers ^ M 



* Tit.-Iiy. , XXV, i , et XXIX, c. 5 : « QuÀ diutiàs trafadmlur beUam, 
» et Tariabant sccunds adTcrsaeque les non fortunam magis , qu^m ammo» 
> hominom : tanta religio , et ea magnâ ex parte estema , ciTitatem inces- 
» ât , nt aot homines ant dii repente alii Tiderentiir facti. Nec jam in se^ 
;» creto modo ttqoe ixArk parietet abolebantiir Romani ritus , sed in pablico 
y* etiam ac foro Gapitolioqne mdierum Uiiba erat, nec sacriGcantum nec 
» precantum deos patrio more. » — Phis tard. « Cultrix nominam cane- 
» toram. » Arnobiiis , adv, génies , VI, Tadie, Annal, , XV, 44 : « Uibs 
» qno coneta undique atrodt aut podenda oonflaunt odcbtentwqQe. » 



f07 

Le peuple romain n'était point tel que $e& moeurs 
se corrompissent impunément. Les religions étran- 
gères entraînaient la débauche^ la débauche aimait 
l'assaisonnement du sang et du meurtre. La race 
romaine est dans tous les temps sensuelle et san- 
jguinaire. Les débauches contre nature et les com- 
bats de gladiateurs prennent en même temps faveur 
à Rome. Un seul fait dira tout. Le fipère de T. Quin-^ 
tins Flaminius avait emmené de Rome un en&uit qu'il 
aimait, et ôelui-ci lui reprochait d'avoir sacrifié 
pour le suivre un beau combat de gladiateiu's ; il 
regrettait, disait-il, de n'avoir pas encore vu mou* 
rir un homme. On annonce pendant le repas à Fla- 
minius qu'un chef gaulois vient se livrer a lui avec sa 
famille : Veux-tu que je te dédommage de tes gladia^ 
leurs ^ ? dit Flaminius au jeune garçon ; il déchaîne 
un coup d'épée sur la tête du Gaulois, et l'étend 
mort à ses pieds. 

Le peuple, tout corrompu qu'il était déjà, avait 
horreur de ces mœurs atroces. D résolut de donner 
à son mal le médecin le plus sévère, et malgré les 
nobles, porta Caton à la censure. Celui-ci chasse 
du sénat Lucius Flaminius , consomme la ruine des 
Scipions en ôtant le cheval à l'Asiatique ; frappe 
d'impôts les meubles de luxe, et pousse la sévérité 
jusqu'à dégrader un sénateur pour avoir donné un 

* Plat, m Cat. 



108 

baiser 9 sa femme en présence de sa fiUe. Hélas ! 
que signifiaient ce respect exagéni de la pudeur et 
ces lois somptuaires dans une cité pleine des 
complices des bacchanales? L'on trouva en une 
seule anifée que cent soixante-dix femmes avaient 
empoisonné leurs maris pour faire place à d'autres 
époux! Caton lui-même^ déjà bien vieux^ entre- 
tenait commerce avec une esclave sous les yeux de 
son fils et de sa belle-fille , et il finit par épouser à 
quatre-vingts ans la fille d'un de ses diens. Il avait 
quitté la culture des terres pour l'usure^ et il en 
faisait un précepte à son fils^ • 

Quelle devait être la politiqjae d'un pareil peuple ? 
quels ses rapports avec les nations étrangères ?Per» 
fides^ injustes, atroces; on en serait sûr, quand la 
ruine de la Macédoine et de la Grèce , de Carthage 
et de Numance ne le témoignerait pas expressé- 
ment. 

Tant que vécurent Philippe et Hannibal y le sénat 
craignit toujours une confédération universelle. I| 
ménagea Antiochus, Eumène, Rhodes, l'Achaîe. 
Mais les succès que Prusias dut à son bote Hannibal 
dans ses guerres contre Eumène, décidèrent les Ro- 
mains à sortir enfin d'inquiétude. Flaminius vint 
demander au roi de Bythinie l'extradition d'Han- 

' ^. plus htut , page 99. 



i09 

nibal^ et le vieil ennemi de Rome n'échap|>a qu^en 
s'empoisonnant. Alors le sénat rassuré farorisa la 
Lycie contre Rhodes , Sparte contre les Achéensi 
accueillit contre Phili^^e les accusations xles The»* 
saliens^ des Âthamaiies^ .des Perrhcehiens> d'EiJh- 
mène, puis celles des Thraote^ des Uljriens^ des 
Athéniens. Le sénat le croyait avec raison coupable 
d^avoir é^i^gé le^hahitans de Maroaée en haine de$ 
Romains^ leurs protiecteurs ; il lui fit l'affiront de le 
coràroj^ter avec ses accusateurs, et finit par lui dé- 
clarer qu'il ne devait, la cousarvaticm de sa couronne 
qu'à son jeune fils Démécrius, ami des Romains > 
eh^ lesquels il avait vécu long-temps coimne otage» 
Persée, fils aîné de Philippe auquel les Romains 
voulaient opposer leur créaitute , accusa Démétrius, 
non sans vraisemUaiice, d'avoir voulu Fassâssiner % 
^t le fit condamner à mort par un père qui détes- 
tait en Itd Tami, le favori de Rome. 

li'iofortuné Philippe se faisait^ jusc^'à sa mort^ 
lire deux fois par jour son tmitéavec tes Romains^, 
n ne put Ique préparer la iguarre et la léguera son 
successeur' ; ses torts envers les peuples voisins les 
empêchaient de se fier à lui. Persée trouva le trésor 



' C'est ce qn£ fenit ctmn le rédt de Tite-Live , tout ptftul 4|u'il ctt 
pour Dëmëtrins , Fanii des Romains. 
' Tite-Uve , XLV , e. 16. 
' Il obasst les habitans des grandes TiUes , surtout des TiUes Ointimés, 



110 

rempli, la population augmentée, la Thracç, cette 
pépinière de soldats, conquise en partie par son 
père. Les Celtes du Danube , appelés par Philippe^ 
étaient en mardie vers la Macédoine , et pouvaient 
de là passer en Italie. Mais Persée ne tarda pas à 
voir, par Vexigence de ces Barbares ^ , qu'ils ne se- 
raient guère moins formidables à ses états que les 
Romains eux-mêmes. Il se trouvait dans la position 
de l'empereur Valens , lorsqu'il eut l'imprudence 
d'ouvrir l'Empire aux tribus des Goths. Persée com- 
prit le danger, et aima mieux se passer de ces dan- 
gereux auxiliaires. Ses préparâtes d'ailleurs n'étaient 
pas terminés. Prendre les Barbares à sa solde, c'était 
commencer la guerre. 

D'abord, pour gagnerdu temps, il met sa couronne 
aux pieds du sénat , et déclare ne vouloir la rece- 
voir que de lui (178). Il regagne la Grèce par sa 
douceur, sa clémence et sa modération. Il donne sa 
^osar à Prusias, épouse la fille du roi de Syrie, Sé^ 
feucus. Le sénat de Carthage reçoit pendant la 
nuit ses ambassadeurs dans un temple. H essaie, 
mais en vain , de faire assassiner à Delphes le lâche 



pour les peupler de Thrices et d'autres bariiares... deuil et tumulte... Il se 
défait des enfins de ceux qu^il a fait périr > etc. Polyb. , extr. Cens. Por- 
phyre, 53. 

* Chaque clief de bande demandait d^à mille pièces dV. Plut, in P. Em. 
vké y €. 4 2. 



441 

Eumène qui vient de le dénoncer à Rome *^ lorsqu'il 
eût plutôt dû se joindre à lui. Mais telle est la ter- 
reur universelle 9 que tant de nations ennemies de. 
Rome n'aidei\t Persée que de leurs vœux. La Thrace 
et riUyrie seules unissent leurs armes à celles de la 
Macédoine. 

Nul doute que si Persée eût essayé de transport 
ter le théâtre de la guerre chez un des peuples de 
la Grèce^ ce peuple^ épouvanté par Rome^ ne se fût 
déclaré contre lui. U obtint leur neutralité^ et 
c'était beaucoup. La tyrannie de Rome lui. donnait 
d'ailleurs l'espoir de les voir se jeter dans ses bras^ 
comme il advint des Epirotes. Les Romains l'amu- 
saient par des négociations. Pour celui qui connais^ 
sait l'énorme disproportion des forces^ qui se voyait 
seul pour la liberté du monde , qui enfin se sentait 
si prèis dépérir^ c'était beaucoup d'attendre. Aussi^ 
lorsqu'à sa première rencontre avec les Romains, 
Persée leur eut tué deux mille deux cents hommes, 
il attendit que la nouvelle de cette victoire décidât 
pour lui Carthage, Prusias, Antiochus, les Étoliens 
ou les Acfaéens. Tout resta immobile (171). 

Les Romains, l'ayant attaqué à la fois du coté de 

' ^te-Live, XLII , c. 2. Emaèiie arooe le courage et Thabileté de 
Persée. — Id, lib. XLI, c. 2, clémeDce et géoérosité de Persée à son 
aTénement. L^histoire d^nn homme de Brindes gagné par Persée pour em- 
poisonner tons ks généraux romains qui. passeraient par là , est singnlière- 
ment poérile. Id. lib. , XLII » 1 7. 



142 

lâ Tbessftlie^ de laThnoe et de Plllyrie^ furent par^ 
tout i^peuasés y et perdirent en une seule fois six 
mille hommes. Cétait la plus sanglante défaite 
qu'ils eussent essuyée depuis quarante ans. Et ce- 
pendant Persée était obligé de partager ses forces ; 
il remportait dans cette campagne même une vic- 
toire signalée sur les Dardaniens^ étemels ennemis 
de la Macédoine» 

On a accusé, avec raison sans doute, l'avarice 
de Persée, qoi ne paya pas aux Illyriens l'aigent 
qu'il leur avait proaUs. Tout^ois, ee n'étaient pas 
qifelques talens de plus qui àuraiofit intéressé da- 
vantage lé roi de ces Barbares dans une guerre où 
il s'agissait de son trône et de sa vie. L'argent n'eut 
pas suffî non plus pour surmoiiiter la terreur que 
les armes romaines imprimaient alors à la <ïrèoe. 

DalÉales campagnes suivaniiss, le consul Mardus, 
catfevmé dans le défilé de Tempe, n'échappa que 
par mirade à la honte des fourches Caudines f il 
n'entra en Macédoine que pour en sortir bientôt. 
Persée se crut au momient de recueillir les fruits de 
son habile tactique. Prusias, Eumène, left Rho- 
diens, penchèrent pour lui ; mais au lieu de le se- 
courir, ils se contentèrent d'intervenir par des 
ambassades qui furent reçues à Rome avec le plus 
magnifique mépris ^ Quant à Antiochus Épiphane, 

' Tit.-UY. , lib. XLIV, XLV. 



113 

il espérait jprofîter du moment où les Romains 
étaient occupés pour s'emparer de régj'pte. Persée 
resta donc encore seul. 

Rome crut alors qu'il fallait brusquer la fin d'une 
guerre dont la prolongation avait pu faire naître 
aux petits rois de l'Asie mineure l'idée qu'ils tien- 
draient la balance entre elle et la Macédoine. Elle 
envoya contre Persée cent mille hommes et le vieux 
Paul Emile ^ qui avait fait avec gloire les guerres 
difficiles d'Espagne et de Ligurie. Le peuple^ au- 
<]uel il était odieux par son orgueil^ lui avait refusé 
le consulat, et ne l'emplojait plus depuis long^ 
temps. Paul Emile déclara que, choisi par besoin^ 
il n'avait obligation à personne, et prétendait que 
le peuple ne se mélàt point de la guerre * . U força 
le passage de FOlympe, en faisant occuper les hau- 
teurs supérieures à celles que tenaient les troupes 
de Persée, et le trouva campé dans les plaines qui 
sont au-delà (i68). Quoique averti de l'attaque des 
Romains, le roi de Macédoine s'était contenté d'en- 
voyer des troupes aux défilés, et n'avait pas voulcr 
quitter un lieu propre à sa phalange. Paul Emile 
fiit saisi d'admiration à la vue du camp de Persée ; 
il ne voulut pas commencer sur-le-champ le combat, 
comme l'en priaient ses officiers. Une éclipse ef- 
frayait l'armée, et les dieux refusèrent long-temps 

' Plut. , in P. AEmiii'o, c 40. 

II. 8 



414 

les présages favorables pour l'attaque. D'abora^ 
rien n'arrêta l'élan de la phalange y de cette ïéiè 
monstrueuse j pour dire comme Plutarque, qui se 
hérissait de toutes parts. Paul Emile se crut vaincu 
un instant^ et il déchirait sa cotte-d'armes. Mais il 
^ lui vint à l'esprit de charger par pelotons. Alors là 
pression devenant inégale , la phalange ne put res- 
ter alignée; elle présenta des vides ^ des jours^ par 
lesquels le Romain put s'introduire et procéder a la 
démolition de cette masse qui avait perdu son unité. 
Toutefois la Macédoine ne fut pas iïidigne d'elle 
dans «on dernier jour. Sur quarante-quatre mille 
hommes 9 onze mille furent environnés et pris^ 
vingt mille se firent tuer. Persëe , que les Romains 
ont voulu déshonorer après l'avoir assassiné , avait 
été blessé la veille ; cependant il se jeta sans cui- 
rasse au milieu de sa phalange^ et y reçut une meur- 
trissure * . 

Comme il rentrait dans Pydna^ deux de ses tré- 
soriers , abusant de son malheur^ osèrent parler à 
leur maître sur le ton du reproche ; il les poignarda. 
En deux jours ^ la Macédoine se livra au vainqueur, 
et Persée ne trouva d'asile que dans le temple de 
Samothrace. Ni promesses^ ni menaces, ne pou- 
vaient l'en arracher 3 mais un traître parvint à lui 

' Le dernier de ces faiu si honorables au vainca était attesté par Posido- 
nius, historien contemporain. Plut. , in P, jŒni, vitâ, c. 16, 48, 24 . 



n5 

enlever ses eûians ; ce dernier coup brisa son cœur, 
et tl vint se livrer, comme la bête sauvage à qui Von 
âte ses petits. Repoussé durement par son vain- 
queur, dont il embrassait les genoux, il lui de- 
manda au moins de lui épargner Thorreur d'être 
traîné derrière son char au milieu des insultes de la 
populace de Rome. Cela est en ton pouvoir^ répondit 
durement le Romain. Toutefois il essaya par quel- 
ques bons traitemens d'attacher le captif à la vie, et 
de conserver à son triomphe son plus bel ornement. 
La Macédoine et l'Ulyrie, divisées en plusieurs 
provinces, auxquelles on défendit toute alliance, 
même par mariage , reçurent une liberté dérisoire , 
qui les supprimait comme nations. Leurs citoyens 
les plus distingués, tous ceux des villes grecques 
qui avaient lutté contre les agens de Rome, furent 
envoyés en Italie, pour y attendre un jugement 
qu'on ne leur accorda jamais. En même temps , 
Paul Emile célébrait des jeux où la Grèce en lar- 
mes fut obligée de comparaître. Puis, sur Tordre du 
sénat, il passa en Épire, déclara aux habitans qu'ils 
jouiraient de la même liberté que les Macédoniens, 
leur fît porter leur or et leur argent au trésor, et 
ensuite les vendit comme esclaves au nombre de 
cent cinquante mille ^ . Leurs soixante-dix villes fu- 
rent rasées. 

• Plut. , c. 24, 27, 32. 



116 

Le trîon^he de Paul Emile ^ te phis spfendîde 
qu'on eût vu jamais, dura trois jours. Le premier, 
passèrent les tableaux et les statues colossales sur 
deux cent cinquante chariots. Au second , des tn>« 
phées d'armes^ et trois mille hommes portant Far-* 
gent monnayé et les vases d'argent; le troisième, les 
vases d'or, la monnaie d'or, quatre cents couron- 
nes d'or données par les villes. Puis cent vingt lau- 
féaux, et la véritable victime , l'infortuné Persée, 
vêtu de noir , entouré de ses amis enchaînés , qui , 
dit l'historien , ne pleuraient que luié Mais ce qui 
fendait le cœur, c'étaient ses trois enfans, deux 
garçons et une fille. Ceux qui les conduisaient leur 
enseignaient à tendre au peuple leurs petites mains^ 
pour implorer sa pitié. L'orgueilleux triomphateur^ 
qui se vantait d'avoir en quinze jours^ renversé le 
trône d'Alexandre, n'était pourtant guères plus 
heureux que son captif. Il avait perdu un de ses 
fils cinq jours avant le triomphe. Il en perdit un 
trois jours après. Ses deux autres enfans étaient 
passés par adoption dans des familles étrangères. 

Les rois de Thrace et d'IUyrie ornèrent le triom- 
phe du préteur Anicius. Pour le roi de Macédoine, 
il languit deux ans dans un cachot où ses geôliers 
le firent, dit-on, mourir d'insomnie. Le seul fils 
qui lui survécut, gagna sa vie au métier de tourneur, 
et parvint au rang de scribe des magistrats dans la 
ville d'Albe. 



117 

Dans quelle agonie de terreur la chute de Persée 
6t-elle tomber tous les rois de la terre ^ c'est ce 
qu'on ne saurait imaginer. Le roi de Syrie, Antio- 
chus Fillustre, avait alors presque conquis TÉgypte; 
Popilius Lœnas vient liii ordonner , au nom du sé- 
nat, d'abandonner sa conquête. Antiochus veut 
délibérer. Alors Popilius traçant un cerde autour 
du roi avec la baguette qu'il tenait à la main : uévaOi 
de sortir de ce cercle , dit-41 , rendez réponse au sé- 
nat. Aatiodbus promit d'obéir^ et j»ortit de TEgypte. 
Popilius partagea entre les deux frères Philométor 
et Physoon , le royaume qui n'appartenait qu'à 
aine. 

Les ambassades humbles et flatteuses affluent au 
sénat. Le fils de Massinissa vient parler au nom de 
son pèoe : k Deux choses ont affligé le roi de Numi^ 
die : Je sénat lui a fait demander faat des ambassa- 
deurs des secours qu^il a^^ait droit d'exiger, et lui 
a remboursé le prix du blé fourni. Il n'a pas oublié 
qu'il doit sa couromie au peuple romain ; ocmtent 
du Mmple usufruit, il sait que la propriété reste au 
donateur, n 

Puis arrive Prusias, la tête rasée, avec l'habit et 

le bonnet d'affranchi ^ Il se prosterne sur le seuil , 

en disant : Je vous salue ^ dieux sauveurs I et ch- 

core : Fous voyez» un de vos affranchis prit h exécu- 

• 

' fiur ce ioit , et ceux qû suiTent , ^. Polyb. , et Tit.-IiT. , lib. XLV. 



tt8 

ter {fos ordres. Eumène et les Rhodiens étaient en-r. 
core plus compromis. Le sénat offre la couronna 
au frère d'Eumène , et ne lui laisse son royaume 
que pour lui donner le temps de s'affiôblir par les 
incursions de$ Galates. Quant aux Rhodiens, iLs ne 
furent préservés du traitement de FEpire, que par 
l'intervention de Caton. Cette âme forte s'intéressa 
à un peuple libre / qui n'avait fait après tout que 
souhaiter le maintien de sa liberté. U tança durei- 
ment l'orgueil tyriinnique du sénat , et le ramena 
à la modération^ en gourmandant la conscience in* 
quiète de ceux qu'il avait £adt trembler dans sa cen- 
sure : « Je le vois bien , dit-il , les Rhodiens n'au-»- 
raient p^s voulu que nous eussions vaincu Persée. 
Ils j^ie sont pas I^s seuls. Bien d'autres peuples ne le 
souhait^ent pas. Us pensaient que si nous n'avions 
plus personne à craindre , ils tomberaient en ser- 
vitude. Et pourtant ils n'ont p|is secondé le roi de 
Macédoine. Voyez combien nous sommes plus avi- 
sés qu'eux dans nos afiEaires privées. Si nous senr 
tons le moindre de nos intérêts en danger, nous ne 
reculons devant aucun moyen de prévenir le dom- 
mage... Les Rhodiens, dit-on, ont voulu devenir 
nos ennemis. Mais est-il juste de punir la simple 
volonté.^ Ne serait-ce pas une loi injuste, celle qui 
dirait : Si quelqu'un veut ^avoir plus de cinq cents 
arpens de terre, qu'il paie tant d'amende; telle au- 
tre amende pour qui voudra avoir tant de têtes de 



béiaii. Eh bien! nous voulons violer la loi en c«ï», 
et nous le faisons impunément... Mais, dit-on en- 
core y les Rhodiens sont superbes, orgueilleux. C'est 
un reproche grave. Je ne voudrais pas que mes en- 
fans eussent sujet de me l'adresser. Cependant que 
les Rhodiens soient superbes ! que nous importe ? 
Serait-ce par hasard que nous nous fèchons ^ quand 
on est plus superbe que nous ? » Ce fîit encore en 
prenant ce ton amer qu'il obtint au bout de dix- 
sept ans la liberté des Achéens qu'on retenait en 
Italie , sous prétexte de leur faire attendre leur ju- 
gement. Le sénat délibérait longuement si on leur 
permettrait enfin, de retourner dans leur patrie. 
Ondirait'y ditCaton^ que nous n^acons rien autre 
chose à faire ^ue de délibérer si^ quelques Grecs dé- 
crépits seront enterrés par nos fossoyeurs ou ceux de 
leur pays ' . Cette plaisanterie barbare fit triom- 
pher l'humanité. 

Un Grec^ ami des Romains^ a froidement raconté 
par quelles misères y par quelle suite de persécu- 
tions y d'humiliations et d^outrages passa la pauvre 
Grèce pour arriver à sa ruine. Pour moi, je n'en ai 
pas le courage. C'est un spectacle curieux peut-^tre 
de voir comment le plus ingénieux des peuples dis- 
puta pièce à pièce sa libçrté et son existence , à 1^ 



' ' Paroles de Caton en fayenr des Achëem , des Sbodiens. Aul.-GeH. , 



120 

paissance formidable qui d'ui. souffle pouvait Ta- 
néantir. Mais H est aussi trop pénible de voirie fai- 
ble se débattre si long-temps sous le fort qui l'é- 
crase^ et qui s'amuse de son agonie. Que pouvaient 
la tactique et la vertu de Philopœmen contre les 
vainqueurs de Carthage ? Une plaisanterie de Flaf- 
minius sur la figure du héros achéen , caractérise 
la ligue achéenne elle-même : Belles jambes , helU 
tête, mais point de corps. Philopœmen ne se dissi-<- 
mutait pas lui-même la faiblesse de sa patrie y et le 
sort qui la menaçait. Eh l mon ami^ disait-il tris-- 
tement à un orateur vendu aux Romains^ es-tu 
donc si pressé de wir le dernier jour de la Grèce * /^ 
On ô ta Sparte aux Achéens^ oa leur ôta Messène. 
Après la niiue de Persée , on transporta mille des 
leurs k Home* Mais lorsqu'au bout de dix-^sept ans^ 
ceux :quî vivaient encore retournèrent dans leur 
patrie , ils n'en purent voir de sang*{roid l'avilît 
aement. C'était le temps où tin fils ^ vrai ou faux^ 
de Persée^ soulevait la Macédoine, battait les gé» 
néraux Romains « et s'avançait jusqu'en Theasalie. 



' not. , in Pfuiep, pM, €. S , 26* Cette vie n'es! pas mm tidiaft. 
Phflopœaien fit mourir beanooup de gens à Sparte, liais loisgae Vom oo»- 
fisqua les biens cle Nabis , personne n*osa loi en ofirir une part , ni même loi 
en païkr. — Polyb. , eaptr. Const, Porph. ^ 58. « Philopœmen n'obéissait 
pas sans délai aux Romains , comme Aristène. Si la chose était contraire 
aux traités, il Toolait qu^on eût recours au remontrances, pois aux 
prières, enfin qu'on prit les dieux à témoins, et que Ton obéît. » 



1 



121 

Les Achëens voulurent profiter de ce moment pour 
réduire Sparte^ soulevée contre eux par les inlri*- 
guesde Rome. Métellus^ vainqueur de la Macé- 
doine^ leur fait dire à Corinthe, qu'à partir de ce 
moment^ Corinthe^ Sparte^ Argos^ Héraclée et 
Orchomène, cessent de faire partie de la ligue 
acbéenne. L'indignation du peuple fut telle^ qu'il 
massacra les Lacédémoniens qui se trouvaient à 
Corintbe. Les commissaires romains n'eurent que 
le temps de prendre la fuite. Les députés que Mé» 
tellus envoya pour les amuser -encore y fiupent ren- 
voyés avec honte ^ et la ligue achéenne , détermi^* 
née à périr au moins glorieusement , osa déclarer 
la guerre à Rome. Les Béotiens et ceux de Chalcis^ 
furent les seuls qui voulurent partager la ruine des 
Achéens. Vaincus en Locride, les confédérés tin- 
rent fermé à l'entrée de Tiçthme, à Leucopetxa. 
Dans cette dernière et solennelle bataille de la li-^ 
berté, les Grecs avaient.placé sur les hauteurs leurs 
femmes et leurs enfans pour les voir mourir. U 
n'est pas nécessaire d'ajouter que la tactique ro*^ 
maine triompha encore. La Grèce fut vaincue. 
Qui osera dire qu'elle devait tomber sans com- 
bat? 

Le barbare Mummius prit la belle Coiinthe (i^)> 
vendit le peuple ^ brûla la ville ^ porta sa main 
grossière sur les tableaux d'Apelle et les statues de 
Phidias. Le vainqueur stupide voyant le roi de 



j 



i 



122 

Pergame offrir cent talens d'un tableau : Il fùut-,^ 
dit-il, qu* il y ait quelque i^rtu magique dans cette 
toile; et il Tenvoya à Rome. Prenez jrarrfe, disait-il 
aux entrepreneurs qui se chargeaient de transpor- 
ter ces cheÉs-d'œuvre en Italie, prenez garde de les 
gâterai vous seriez condamnés à les refaire. C'est de- 
vant un tethomme que les traîtres qui avaient 
vendu la Grèce, accusèrent solennellement les sta- 
tues des héros de la liberté , d'Aratus et de Philo- 
pœmen. Je- suis fâché qu'il se soit trouvé un Grec, 
pour les défendre , et pour sauver cette honte au 
vainqueur. Le froid et avisé Polybe, client des Sci- 
pions * , s'honora à peu de frais en parlant pour ces 



' C'est le Comines de Tantiquité. I) raconte dans ses ambassades (n*" 73), 
comment il se lia avec Scipion Emilion^j il fait beai) voir l'adresse et Ttflé- 
gante flatterie du Grec. Invariablement fidèle au succès , pour les Achéens 
contre Cléomène, pour les Romains contre les Acbéens , pour les Carthag»- 
OOLS contiTe les mercenaiies et les Africains révoltés. U £iit une caricatnre de 
rH.sdrubal , qui soutint avec tant d'obstination le si^ mémorable de b 
troisième guerre punique ; il le représente comme un roi de t/tratn , 
avec un ^s ventre et un visage toti^. Extr, Consi, , Porph, , 83. H 
&?achame sur «b- malheureux que les Romaio^ se firent livrer par le rai 
d'Egypte ; il lui reproche d'avoir voulu échapper, ihid, 68. ->-Jl justifie b 
cruauté des Achéens à l'égard de Mantinée , celle d'Antigonus et d'Aratus à 
regard du tyran d'Argos, Aristomaque, qu'ils firent jeter à la mer près de 
Cenchrée , liv. II ; il blâme l'historien Phylarque de montrer de la compas- 
sion pour Aristomaque. — Polybe est certaintment un historien judidms. 
J'aimerais mieux pourtant qu'il Q'eàt pas comparé (lib. X ) Scipion et Lv- 
ru'rgue , et qu'il eût tancé moins niaisement le grand Ilannibal ( au cx)nunen - 
cernent du livre III ). — Polybe n'a vu que le c6tè extérieur de Rome. 



123 

morto illustres, qui y probablement, n'auraient pas 
voulu être justifiés de leur cqpposition aux intérêts 
de Rome. 

La même année où la Grèce et la Macédoine de* 
venaient provinces romaines^ tombait aussi l'an* 
cienne rivale de Rome. i^Q ans avant notre ère^ 
Carthage et Corinthe furent ruinées. Numance sui-* 
vit de prè». Les Romains^ trouvant suffisamment 
a£Eaiblis les ennemis qu'ils avaient jusque-Jà mena* 
gés^ ne se contentèrent plus fl'étre les arbitres des 
nations ; ils en voulurent devenir les maîtres ab-^ 
solus. 

Par le traité qui termina la seconde guerre puni* 
que^ Rome avait lié Carthage ^ et lui avait attaché 
un vampir^pour suoer son sang jusqu'à la mort ; 
je parle de l'inquiet et féroce Massinissa / qui vécut 
\m siècle pour le désespoir des Carthaginois. Ce 
barbare^ à l'âge de quatre-vingts et quatre-vingt- 
dix ansy se tenait nuit et jour à cheval ^ y acharné à 
la ruine de ses voisins désarmés. Il leur enlève une 
prpvince en 199, une en 198, une autre en iSa. 



Machiarel et Montesquieu ont- le tort grave de U re^rder presque toujours 
par les yeux de ce Grec. 

Ces détaik , et presque tous ceux qui suivent jusqu'à la fin du livre , 
«oui tirés d'Appien. Amstcl;,.j670. t. I, Guems tfAfriiiue ei d'Es- 



124 

Les Carthaginois tendent aux Romains des mains 
suppliantes. Rome leur envoie^ dès la première 
usurpation^ Scipion l'Africain, qui voit Tinjustice 
et ne veut point l'arrêter. En i8i , Rome garantit 
le territoire carthaginois ; et quelques années après , 
elle laisse le Numide s'emparer encore d'une pro« 
vince et de soixante-dix villes et villages. Carthage 
prie alors le sénat de décider une fois ce qu'elle doit 
perdre^ ou, s'il ne veut point la protéger comme 
alliée, de la défendre comme sujette. LesRomains, 
qui craignaient alors qu'elle ne s'unît à Persée 
(i7a)| affectèrent une généreuse indignation contre 
Massinissa. Caton fiit envoyé en Afirique, mais il se 
montra si partial, que les Carthaginois re&isèrent 
d'accepter son arbitrage. Cet homme dur et vindi- 
C9.ti£ ne le leur pardonna point. En traversant leur 
pays , il avait remarqué Taccroissement extraordi- 
naire de la richesse et de la population. 11 craignit 
ou parut craindre que Carthage ne redevint redou- 
table aux Romains. A son retour, il laisse tomb^ 
de sa robe des figues de Lybie ; comme on en ad- 
mirait la beauté, la terre qui lesporie, dit-il^ n^est 
qiia trois journées de Rome. Dès-Aors y il ne prononça 
aucun discours qu'il n'ajoutât en terminant : ei de 
plus , je pense qu'il fout détruire Cartilage. 

L'occasion vint bientôt. Trois factions déchi- 
raient cette malheureuse ville : la romaine, la nu- 
mide, dont le chef était Hannibal le moineau (\e 



125 

lâche?), et le parti des patriotes à la tête duquel se 
trouvait Hamilcar le Sanmiu (l'ennemi de Rome ?). 
Ces derniers étant parvenus à chasser les partisans 
deMassinisssi, le Numide attaque les Carthaginois 
qui perdent enfin patience et prennent les armes^ 
Mais il les enferme , les afiEame et leur détruit cin- 
quante^iuit mille hommes. Rome avait envoyé des 
députés à Massinissa^ pour acheter des éléphans. 
Leurs ordres secrets étaient d'imposer la paix si 
Massinissa était yaincu, de laisser • continuer la 
guerre^ s'il était vainqueur. L'un de ces Romains, le 
jeune Scipion^ qui devait un jour ruiner Carthage^ 
voyait tout d'une hauteur , et jouissait de la ha^ 
taille y dit-il lui-même, comme Jupiter du haut de 
Vida. 

Les patriotes vaincus furent à leur tour chassés 
de Carthage , et Rome déclara qu'eDe punirait cette 
ville d'avoir violé le traité. En vain les Carthagi- 
nois demandent quelle satisfaction on exige d'eux : 
Vous devez le savoir, dit le sénat , sans vouloir au- 
trement s'expliquer. Dès que la trahison a livré 
Utique aux Romains , ils éclatent. La nouvelle de 
la guerre part avec la flotte et quatre-vingt-quatre 
mille honunes. Point de paix s'ils ne Ëvrent trois 
cents otages ; à ce prix , ils pourront conserver leurs 
lois et leur cité. Les otages livrés, on leur demande 
leurs armes ; ils apportent deux mille machines et 
deux cent mille armures complètes. Alors le consul 



126 

leur annonce rarrêt du sénat : Ils habiiefxmt à pha 
de trois lieues de la mer , et leur ville sera ruinée de 
fond en comble. Le sénat a promis de respecter la 
cité j c'est-à-dire les citoyens , maid non pas la 

ville. . 

Cette indigne équivoque rendit aux Carthaginois 
la rage et la force. Les éloigner de la mer, c'était leur 
ôter le commerce et la ,vie même. Ils appellent les 
esclaves à la liberté. Us fabriquent des armes avec 
tous les métaux qui leur restent : cent boucliers 
par jour^ trois cents épées, cinq cents lances, mille 
traits. Les femçies coupent leurs longs cheveux 
pour faire des cordages aux machines de guerre. 

Les consuls furent repoussés dans deux assauts , 
leur camp désolé par la peste, leur flotte brûlée. 
Les Carthaginois , comme les déwués des modernes 
armées musulmanes, nagent tout nus jusqu'aux 
vaisseaux, jusqu'aux machines pour les incendier. 
Près de la ville se forme une nouvelle Carthage , où 
les Africains affluent chaque jour. L'armée ro* 
maine court risque trois fois d'être exterminée. 

Le jeune Scipion Emilien, fils de Paul Emile, 
adopté par le fils du grand Scipion , qui , simple 
iribun, avait sauvé l'armée dans une de ses ren- 
contres , demandait l'édilité ; le peuple l'éleva au 
consulat. Il revint à temps pour dégager le consul 
prêt à périr, isola Carthage du continent par une 
muraille, de la mer par une prodigieuse digue. 



127 

Mais les Carthaginois firent un travail plus merveil- 
leux encore : hommes^ femmes^ enfans^ tous enfin 
(ils étaient encore sept cent mille) percèrent sans 
bruit dans le roc une autre entrée à leur port , et 
lancèrent contre les Romains étonnés une flotte 
construite avec les charpentes de leurs maisons dé- 
molies. Scipîon battit cette flotte, et la renferma 
en établissant sur les bords de la mer des machi- 
nes qui battaient le passage. D'autre part y il avait 
pris la ville nouvelle qui s'était élevée pour la dé- 
fense de l'ancienne. Celle-ci mourait de faim^ mais 
ne songeait pas à se rendre. Scipion force enfin 
l'entrée de Carthage. Mais les Carthaginois défen- 
dent les trois passages qui y conduisent j ils jettent 
des ponts d'un toit à l'autre. Les rues étroites sont 
bientôt comblées de cadavres ; les soldats n'avan- 
cent qu'en déblayant le chemin avec des fourches y 
^t jetant péle-méle dans des fosses les vivans et les 
morts. Ce combat dura de maison en maison pen- 
dant six nuits et six jours. Cinquante mille hommes 
enfermés dans la citadelle^ demandèrent et obtin- 
rent la vie. Les transfuges occupaient encore le 
temple d'Esculape y sentant bien qu'il n'y avait pas 
de grâce pour eux. En vain Scipion leur . montrait 
prosterné à ses pieds le lâche Asdrubal, général 
des Carthaginois. Sa femme, qui était restée avec 
les derniers défenseurs de Carthage, monte au som- 
met du temple , parée de ses plus beaux habits, 



<28 

prononce des imprécations contre son indigne 
époux y poignarde ses enfans ^ et se lance avec eux 
dans les flammes. 

On dit qu'à la vue de cette épouvantable ruine ^ 
Scipion ne put s'empêcher de verser une larme^ non 
sur Carthage^ mais sur Rome> et de répéter ce vers 
d'Homère : 

El Troie tittâ reitt m laUle Journée. 

Malgré les imprécations des Romains contre ceux 
qui habiteraient la place où avait été Carthage^ 
elle se releva sous Auguste. D'abord^ Caîus Grac- 
chus y avait marqué remplacement d^une colonie. 
Mais les loups déplacèrent pendant la nuit les bor- 
nes qui indiquaient les limites ; et le sénat ne per- 
mit pas que ce projet fût exécuté. ( V. plus bas, 
César et Auguste.) 

Ce fut encore l'ami de Polybe^ Sdpion Emilien^ 
que le sénat chargea de ruiner Numance après Car* 
thage. Cet bomme^ de manières élégantes et polies^ 
tacticien habile et général impitoyable^ était alors 
partout le monde l'exécuteur des vengeances de 
Rome^ II fit de Carthage un monceau de cendres^ 

condamna tous les Italiens qu'il y prit à être foulés 

• 

' On coniMit de nos jours le bon ton et la fiérorité des génértax msses. 
Tels étaient à peu près ces Romains hellénises. 



139 

nnx pieds des éléphans ^ , de même que pli» tard il 
coupait les mains aux Espagnols. 

Reprenons de plus haut les guerres d'Espagne. 

Les brillans succès de Caton^ qui se vantait 
d'avoir pris quatre cents villes (igS), ceux de Tib. 
Sempronius Gracchus (179-8), qui en prit trois 
cents y avaient assuré aux Romains llEspagne entre 
rÈbre et les Pyrénées, l'ancienne Castille avec une 
partie de la nouvelle et de T Aragon (Carpétaris, 
Celtibériens, etc.). Dans l'Espagne ultérieure^ ib 
avaient soumis, parles armes de P. C. Sdpîon, de 
Posthumus et de plusieurs autres (195-178), le Por- 
tugal^ Léon et FAndalousieCrurdétans^ Lusitaniens 
et Vaccéens). 

* On plaint il les fit jeter atix lions. Val. Max. , H, c. 7. tfest son l)ère, 
Paul Bmile , qui tnâta ainsi ks Itafiens qa^il tfoii?a datis VuméiàerVvÉét* 
— Scipion protégeait les lettres. Cétait Faim de Polybe, le patron de 
Térence , dont les Romains loi attribuaient les oomédies. Scipion daigna ne 
point démentir ce bruit , et n^en laissa pas moins le poète mourir de faim» 

Porcîî Lidnu Fragmentum; ex Donilo, in wtà'Tetentii : 

Sttu lasehîtin nobiliQa al Itieoau laudes petit 
Dnmi Africani yocidivina inhiat vndu aanbtu^ 
Dnm ad Fnrium m eoenitare et Loeliam pnlchram patat ^ 
Dam se amari ab liitce «redit , crdikro ib Albanum rapi 
Oh florem «tatiaaiui t ipiu fablàtbrebQa ad ^imaiaoi inopiSA radaetvf est. 
Itaque è conapeata ommam abitin Gradam, in terram nltimam. 
Mortuaa «at in Stympbalo Areadia opptdo : nihil Pnblina 
Sopio pfoAiit , nlbil ai Ii«Uiit , nibil Farina , 
Tiea per idtn tempoe qui cogitabaot aobilet factUimè. 
Eorom ille operà ne domam qnideaB baboit condactitiam , 
Saltam «t caMt qao ref f rr«t obitoa» dooÛDl aervolof . 

I. 9 



130 

Les Romains traitaient l'Espagne à peu près 
comme les Espagnols traitèrent rAraérique nouvel- 
lement découverte. Il semble qu'ils n'aient vu dans 
ce beau pays que ses riches mines d'argent. Le 
triomphe était décerné aux magistrats qui rappor- 
taient le plus de lingots dans le trésor public. Le 
sénat laissait aux proconsuls d'autres moyens de 
s'enxichir eux-mêmes. Ils se saisissaient du blé des 
habitans^ le taxaient à un prix énorme et affamaient 
le pays. De pareilles vexations auraient poussé à 
bout les hommes Içs plus pacifiques. Qu'on juge si 
les Espagnols les supportaient. 

Ce peuple intrépide , où les femmes combattaient 
comme les hommes ^ oii il était inoui qu'un mou- 
rant poussât un soupir^ pouvait être vaincu cent 
fois^ jamais subjugué. Après une bataille, ils en- 
voyaient dire aux Romains vainqueurs : Nous nous 
permettrons de sortir de V Espagne^ à condition que 
vous nous donnerez par homme un habit j un cheval et 
une épée. De prisonniers, il ne fallail pas songer à 
en faire. Les Espagnols étaient les plus mauvais es- 
claves. Ils tuaient leurs maîtres, ou si on les em- 
barquait, ils perçaient le vaisseau et le faisaient 
couler bas. Ils portaient habituellement du poison 
sur eux, pour ne pas survivre à une défaite. 

Cette guerre interminable, dont la prolongation 
déshonorait tous ceux qui croyaient l'avoir mise à 
fin, poussa les généraux Romains aux résolutions 



13< 

âe la plus atroce perfidie. Un liucuUus^ dans la 
Celtibérie^ un Gàlba^ dans la Lusitanie^ of&ent 
des terres fertiles aux tribus espagnoles qu'ils ne 
pouvaient vaincre, les y établissent, les dispersent 
ainsi et les massacrent. Galba seul en égorgea trente 
mille (i 5 1). 

Il n'avait pu tout tuer. Un homme s'était échappé^ 
qui vengea les autres. Viriathe était comme tous les 
Lusitaniens, un pâtre, un chasseur, un brigand, * 
un de ces hommes aux pieds rapides , qui faisaient 
leur vie de la guerre , qui connaissaient seuls leurs 
noires montagnes {sierra moréna), leurs brous-^ 
sailles , leurs défilés' étroits , qui savaient tantôt 
tenir £enlie> tantôt se disperser au jour pour repa« 
raitreausoir, et s'évanouir encore, laissant derrière 
eux des coups mortels , et bondissant sur les pics ^ 
sur les corniches des monts et par les précipices , 
comme des chevreuils ou des chamois. 

II défit successivement cinq préteurs {il\^i^S), 
enferma dans un délîlé le consul Fabius ServilianuSj 
et le força de conclure un traité entre te peuple ro" 
main et Viriaûie (i4i)- Le sénat ratifia le traité, et 
fit assassiner Viriathe pendant son sommeil. Cet 
homme n'était pas uh chef de bande ordinaire* Il 
avait cherché à unir ses Lusitaniens aux Celtibé- 
riens, seul moyen de donner à l'Espagne ce qui lui 
manquait pour être plus forte que Rome, l'unité. 
Sa mort rompit une alliance si dangereuse aux Ro-* 



132 

mains. Toute la guerre de Celtibérie se concentra 
dans Numance, capitale des Arraques. Là s'était 
réfugiée la peuplade des Belles, chassés de leut 
ville de Ségéda. Numance refusa de les livrer^ et 
soutint pendant dix ans tout l'effort de la puissance 
romaine (i43-i34). Cette ville, couverte par deux 
fleuves, des vallées âpres et des forets profondes^ 
n'avait, ditr-on, que huit mille guerriers. Mais pro- 
*bablement tous les braves de l'Espagne venaient 
tour à tour renouveler cette population héroïque. 
Pompéius fut obligé de traiter avec eux» Mancinus 
n'échappa à la mort qu'en se livrant lui et son ar^ 
ipée. Brutus et ^Emilius furent forcés par la famine 
de lever le siège. Furius et Calpurnius Pison ne 
furent pas plus heureux. Pas un Romain n^osait 
désormais regarder un Numantin en £ace. Pas un à 
Rome ne voulait s'enrôler pour l'Espagne. Il feUut 
faire à la petite ville espagnole l'honneur d'envoyer 
contre elle le second Africain, le destructeur de 
Càrthage. 

Scipion n'emmena en Espagne que des volon- 
taires, amis ou cliens, rD«»v tXiQv, comme il les app^ 
lait ; en tout quatre mille hommes. Il commença par 
une réforme sévère de la disdpline ; il retrempa le 
caractère du soldat, en exigeant de lui d'immenses 
travaux. Il campait et décampait, élevait des murs 
pour les détruire, et peu à peu se rapprochait de 
Numance. Il finit par l'entourer d'une circonvalla- 



i33 

tion d'une lieue d'étendue, et d'une contrevatla-^ 
tion de deu< lieues. Non loin de là, il éleva un mur 
de dix pieds de haut, sur huit d'épaisseur, avec des 
tours et un fossé hérissé de pieux. Il ferma le Douro, 
qui traversait Numance, avec des cables et des 
poutres armées de pointes de fer. C'était la pre- 
mière fois qu'on enfermait de lignes une ville qui 
ne refusait pas de combattre. 

Le plus vaillant des Numantins, Retogènes Ca-* 

raunius , c'e$t ain$i que le nomme Appien ^ , se fît 

jour avec quelques autres, et, l'olivier à la main, 

courut toutes les villes des Arvaques, pour obtenir 

du secours. Mais ces villes craignaient trop Scipion. 

La plupart ordonnèrent à Retogènes de sortir sans 

ravoir entendu. La seule Lutia semblait s'intéresser 

au sort de Nupiance. Scipion la surprit, exigea qu'on 

lui livrât quatre cents habitans, et leur fit couper 

les mains. 

Les Numantins, désormais sans espoir, se trou- 
vaient réduits à une horrible famine. Ils en étaient 
venus à se manger les uns les autres. Les malades 
y avaient passé d'abord ; puis les forts commen- 
cèrent à manger les faibles. Mais dans cet horrible 
régime^ le cœur et les forces finirent par leur man- 

' Les fftspanigues d' Appien (t. i , p. 483-505) font ici la source prin- 
cipale. Nous n^aTons du resU que quelques moU d» abréTiatenrs Velltius , 
Fbmt, etc. 



134 

quer. N'ayant pu obtenir au moins de périr en 
combattant , ils livrèrent leurs armes et demandè-r 
rent un délai y alléguajit qu'ils voulaient se donner 
la mort. Scipion çn réserva cinquante pour le 
triomphe. 

La soumission de la Macédoine^ et la ruine de 
Corinthe^ de Carthageetde IMumance^ n^rent Tu- 
myers aux pieds de Rome. 



135 



LIVRE III. 



DISSOLUTION DE h Clti ^ 



CHAPITRE PREMIER. 

Extinction des pli^béiens pauvres , remplacés dans la culcore par les esda^es , 
dans la cite par les afiranclûs. — Lutte des riches et chevaliers contre Us 
nobles. Tribunal des Gracches, 483-123. Les chevaliers enlèvent aux 
nobles le pouToir judiciaire. 



Au moment où tous les rois de la terre venaient 
rendre hommage au peuple romain , représenté par 
le sénat, ce peuple s'éteignait rapidement. Con- 
sumé par la double action d'une guerre étemelle 



Cette troisième période reproduit la première. La lutte des nobles et des 
chevaliers répond k celle des patriciens et des plébéiens. La guerre sociale 
à la guerre des Samnites , la guerre des Gaulois transalpins k celles des 
tîsaJpins, — Sjrlla est wi Appius j César un Scipion , etc. 



♦3« 

et (Tun sjstème de législation dévorante , il dispa- 
raissait de Tltalie. Le Romain^ passant sa vie dans 
les camps, au-delà des mers, ne revenait guères. vi- 
sitersonpetitchamp. Laplupart n'avaient plus même 
ni terre, ni abri , plus d'autres dieux domestiques 
que les aigles des légions^ Un échange s'établissait 
entre l'Italie et les provinces. L'Italie envoyait ses 
enfans mourir dans lés pays lointains, et recevait 
en compensation des millions d'esclaves ^ . De ceux- 

* Plaçons id quelques idées iogéiiieuser de M. Comte , 7>. de iégislatitm , 
4* Tol. , sur Tesdaya^ : « Siknce général de rhistoire sur les populations 
csdares. Trois Iges : aotiquit^, féodalité, colonies modernes; esdavage 
domestique , esclavage de la g^èbe , nègres. — Les races libres de Tantiquité 
derenaient belles : 4« par une TÎe d'eiercioes continuels ; 2<* par leur mélaiige 
aTec les plus belles fanmes esdares ; mais les races inférieures se détérioraient 
d^antant. — Les citoyens des- peuples anciens étant égaux entre eux, rbomme 
avait besoin d^agir sur Tbomme ( sdences morales , politique, éloquence); 
mais leurs esclaves les dispensaient d^agir sur la native ( point d'arts indus- 
triels ). Lorsque les maîtres dirent asservis eux-mêmes, tout s'étdgnit. — 
Sous le régime féodal , les mattres étant soumis à une biérarcbie 6xe , nV 
Taieut pas besoin d^agir les uns sur les autres, par la puissance de Tesprit ^ 
de là , etc. — L^esclavage nuit non-seulement aux maîtres et aux esdayes , 
diais aux hommes lAres quï ft'ont pas d^esdayes : ¥* il conq>R)met la con- 
diticrii des homme» libces. Dans Tantiquitë , les peuples étaient ennemis » 
aucuQ homme libre, n'osait énigrer isolément (Virginie, -^ danger des 
hmnmcs de couleur en Amérique ) ; 2o les hommes libres restent inactiB , 
de peur d'être méprisés; 3" ils ne peuvent se procurer un travail régulier» 
4« à mesure que les esclaves devinrent nombreux k Rome , ils cuUivèreni 
les terres ; les petits propriétaires disparurent \ l'agriculture étant trop 
compliquée pour des esclaves , tout fut changé en pâturages. — Un(K partie 
de la population travaillant machinalement d'après le» ordres de l'autre , ks 
Kiences , les arts , l'industrie , tombèrent en décadence. Le conquérant ro* 



437 

ci, les uns attachés^aux terres , les cultivaient et les 
engraissaient bientôt de leurs restes^; les autres , 
entassés dans la ville ^ dévoués aux vices d'un 
maître , étaient souvent affranchis par lui ^y et de-- 
venaient citoyens. Peu à peu les fila des affranchis 
furent seuls en possession de la cité , composèrent 
le peiqple romain , et sous ce nom donnèrent des 
lois au monde. Dès le temps des Gracches, ils rem«« 
plissaient presque seuls le Forum. Un jour qu'ils 
interrompaient parleurs clameurs Scipion Émilien, 
il ne put endurer leur insolence, et il osa leur dire : 
Silence , faux fils de Vïtalie^f Et encore : Vcusaves^ 
« 

vain , derrevn naltie dHm hfmme lâ>re et iodastriem , donnait les oiiTnige& 
de cet homme pour modèles à ses esdaires. Lorsqu'il n'y eot plas d'hommes 
industneox k sub]a(;;ner, les csdayes ne ftuent plos instruits que par les 
esdares. Les ouvrages détinrent de plus en plus grossiers. Les maîtres eux-^ 
mène» ne sonhaitaieBt pas Sliem. Cherté de la main-d'csuirB ; ni madnnes ,. 
ni division da travail , etc. » 

On s'ëtonnera moins de la rapide extinction des esdares, si Ton songe 
qu'ils étaient traités comme choses , et non point comme hommes. Dans 
leor définition dn mot serçi^ âOàm Gaflus et Cicéron comprennent les che- 
vaux et les mulets. Vairon compte les esclaves, paimi les instnnnens ara-* 
toires. 

Ceax-d même laissaient rarement une famille. Le maître aSranchissail 
ordinaireoient FescUve, sous la condition expresse qu'il ne se marierait point, 
pour qw tcmt le hien «pi'il poomlk acqoéiir revint au patron par hériUge^ 
Auguste défendit d'esiger ce jurmest JUo. , XLVIl , 4 4. 

« Taccaat , qoihns Itahanovesca est; non efficictis ut sofaitos verear » 
» qnos aBigatOfl adàni. » Val. Max. , VI, 2. — « Hostium annatonim 
« tolîes damore non tcrritus , <pii possnm vestro moveri , quorum noverc% 
9 est Italia. » Vell. Pat. , H, c. M. 



138 

beau faire ^ ceux que j'ai amenés garrottés à Rome, ne 
me feront jamais peur^ tout déliés qvCils sont mainte^ 
nant. Le silence dont fut suivi ce mot terrible, 
prouve assez qu'il était mérité. Les affranchis crai- 
gnirent qu'en descendant de la tribune, le vain- 
queur de Carthage et de Numance, ne reconnût ses 
captifs africains ou espagnols, et ne découvrit sous 
la toge les^marques du fouet. 

Ainsi un nouveau peuple succède au peuple ro- 
main absent ou détruit. Les esclaves prennent la 
place des maîtres , occupent fièrement le Forum , 
et dans ces bizarres saturnales, gouvernent par 
leurs décrets les Latins, les Italiens qui remplissent 
les légions. Bientôt il ne faudra plus demander où 
sont les plébéiens de Rome. Ils auront laissé leurs 
os sur tous les rivages. Des camps, des urnes, des 
voies éternelles, voilà tout ce qui doit rester d'eux. 

Veut-on savoir dans quel état de misère et d'é- 
puisement se trouvait le peuple dès le commence- 
ment de la guerre contre Persée ^ ? qu'on lise le 
discours d'un centurion qui, comme plusieurs au- 
tres, avait eu recours à la protectioa des tribuns, 

' £d comparaison des flottes de U première guerre panique , où combat- 
tirent jusqu^à sept cents qoinquérèmes, celles des saccesseurs d'Alexandre , 
des guerres médiques , et de la gnerre du Péloponnèse , étaient peu de chose ; 
on n^y employait que de simples trirèmes... Comment se ùMà qne les Ro- 
mains , maîtres du monde, ne puissent plus équiper de si grandes flottes ? » 
Polyb. , lib. I. 



\ 



I 



139 

pour ne pas servir au-delà du temps prescrit ^ . A 
cinquante ans y ce vaillant soldat n'avait qu'un ar* 
pent pour nourrir sa nombreuse famille. Il est évi- 
dent que la multitude des pauvres légionnaires ne 
subsistait que' des distributions d'argent qui se fai- 
saient à chaque triomphe. La plupart n'avaient 
plus de terres ^ et quand ils en eussent eu , tou- 
jours éloignés pour le service de l'état^ ils ne pou- 

* Tit.-LtT. , XUI , c. S4 : « Dès que le consul eut fini de parler , 
6p. Lignstiniis , an des oenturions qui araient en recours à la protection des 
tribuns, demanda la pennission d'adresser quelques mots au peuple , et Tob^ 
tint sans difficulté : « Romains, dit-il, je suis Sp. Ligustinus, né au pays des 
Sahins, dans la tribu Cmstumine. Mon père m'a laissé pour héritage un 
arpent de teire et la chaumière où je suis né, où j'ai été élevé , et où j'ha- 
bite encore aujourd'hui. Quand je fus en âge de me marier, U me lit épouser 
la fille de son frère , laquelle ne m'apporta d^autre dot que la liberté , la 
▼ertu, aTec une fécondité suffisante, même pour une maison riche. De cette 
union sont nés six fils , et deux filles déjà mariées l'une et l'autre. Quatre de 
mes fils ont la robe ririle, les deux autres portent encore la prétexte. J'ai 
donné mon nom \ la milice sous le consulat de P. Sulpicius et de C. Aure« . 
lius j j'ai servi deux ans comme simple soldat contre Philippe , dans l'armée 
qui a passé en Macédoine ; la troisième année , T. Quintius Flaminius m'a 
donné , pour prix de mon courage , le commandement de la dixième com-. 
pagnie des hastats. Après la défaite de Philippe et des Macédoniens, licencié 
avec mes camarades et ramené en Italie, j'ai suivi , comme volontaire, le 
consul Pordus Caton en Espagne. Tous ceux que de longs services ont mis à 
portée de le connaître , savent que , parmi les généraux existans , le courage 
n'a pas de témoin plus éclairé ni de meilleur juge. Ce général m'a cru digne / 

du grade de premier centurion dans le premier manipule des hastats. J'ai pris 
parti, pour la troisième fois, comme volontaire dans l'armée envoyée contre 
Antiochus et les Etoliens , et dans cette guerre, Manius Acilius m'a fait pre« 
nûer centurion du premier manipule des princes. Après l'expulsion d'Antio^ . 



/ 



f40 

▼aient les cultiver. La ressource insuffîsafite e^ 
précaire des distributions ne leur permettait guè* 
res de se marier et d'élever des enfans. Le centu* 
rion y que le sénat fit parler ainsi devant le peuple^ 
était sans doute un modèle fare qu'on lui propo* 
sait. 

Indépendamment de la rapide consommation^ 
d'hommes que faisait la guerre , la constitution de 

chns et la foumûsioii te Etoliens , bous sdttows it^voos es lUIîe , où jd. 
mif resié deui ms sous le drape»». Ensuite, j'ai serri encore deu ans tn, 
EqMgne , d'abord sons les ordres de Q. Fulnos Flaccus $ puis sons le pré* 
tenr T. Semproniiis Gracdntt. Je fus du nombre de ceux que Flaccus mnena, 
pour parta^r Fhonneur de son tnonphe ; mais je ne tardai pas à retourner 
dans cette prarince » à la prière de T. Graochus. En très-fie* d'années , 
j'ai quatre fois été mis à la tète de la première centurie de ma légion y 
trente-quatre ibis mes généraux ont accordé à ma Takur des récompenses 
militaires» entre lesquelles sont six couronnes civiques; je compte déjà 
vingt-deux ans de serrice , et j'ai passé cinquante ans. Quand même je 
n'anrais pas fait mon temps , quand même mon âge ne serait pas un titre 
d'exemption t pouvant fournir quatre soldats à ma pbœ, j'aurais le droit 
de demander ma retraite. Toilà ce que j'ai à dire dans la cause qui m^esl 
personndle. Cependant , tant que les officiers chargés des enrôlemens me 
jugeront propre à servir l'état » on ne m'entendra point aUégner d'excuse. 
C'est aux tribuns des soldats k juger de quel grade ils me croient digne, el 
c'est à moi de faire tous mes efforts pour ne céder ï personne le prix de In 
valeur , comme je l'ai fait jusqu'à présent. Mes généraux et tous ceux qui 
ont servi avec moi peuvent témoigner si je dis vrai. Imite»-moi , mes viens 
camarades ; quel que soit votre droit d'en appeler , comme dans votre joi^ 
nessc , il ne vous est jamais arrivé de résister ^ l'autorité te magistrats , il 
est digne de tous de rester soumis au sénat et auji consuls. Croyes-moi , 
|ous les postes sont konorablcs pour qui défend sa patrie. » 7Vm/. de 
Jf . Noël. 



144 

llôiûe suffisait ]pour amener àlalonguela misère et là 
dépopulation. Cette constitution était ^ comme nous 
allons le prouver, une pure aristocratie d^argent. 
Or, dans une aristocratie d'argent sans industrie , 
c'est-i-dire sans moyen de créer de nouvelles ri- 
chesses , chacun cherche la richesse dans la seule 

• 

voie qui puisse suppléer à la production, dans la 
spoliation. Le pauvre devient toujours plus pauvre, 
le riche toujours plus riche. La spoliation de l'é- 
tranger peut faire trêve à la spoliation du citoyen. 
Mais tôt ou tard il faut que celui-ci soit ruiné , 
affamé, qu'il meure de faim, s'il ne périt à la guerre. 

La vieille constitution des curies patriciennes , 
t)ù les pères des gentes, seuls propriétaires, seuls 
juges et pontifes, se rassemblaient la lance à la 
taain (quir, quirites), et formaient seuls la cité, 
cette première constitution avait péri. On en coti- 
servait une vaine image par respect pour les augu- 
rés. Les testamens, les lois rendues par les tribus, 
étaient confirmés par les curies. Du reste personne 
ne venait à ses assemblées. Les trente curies étaient 
représentées par trente licteurs. 

Le pouvoir réel était entre les mains des centu- 
ries, c'est-à-dire de l'armée des propriétaires. Les 
centuries, composées d'un nombre inégal de ci- 
toyens , participaient au pouvoir politique , en rai- 
son de leur richesse, et en raison inverse du nom- 
bre de leurs membres. Ainsi , chaque centurie 



i/f2 

donnant également un suffrage y les nombreuses 
centuries qui se trouvaient composées d'un petit 
nombre de riches ^ avaient plus de suffrages que les 
dernières où Ton avait entassé la multitude des 
pauvres. Les dix-huit premières centuries compre- 
nant les riches, sénateurs ou autres, avaient droit 
de Servir à cheval, et comme dans Tancienne cons- 
titution , les plus nobles de la cité étaient désignés, 
par Tarme jusque-là la plus honorable, je veux dire 
la lance; de même dans l'organisation militaire 
et politique des centuries , les plus riches de la cité 
tiraient leur nom de leur service dans la cavalerie; 
on les appelait chevaliers. Toutefois ceux d'entre 
eux qui étaient sénateurs dédaignaient le nom de 
cavaliers ou chevaliers, et le laissaient aux autres 
riches qui n'avaient point de distinction politi- 
que. 

Au-dessous des centuries , composées de ceux 
qui payaient et servaient à la guerre , se Crouvaient 
les œrarii qui i{y contribuaient que de leur ar- 
gent. Ceux-là ne donnaient point de suf&age. Mais 
leur position politique n'était guères plus mauvaise 
que celle des citoyens placés dans les centuries des 
pauvres. Celles-ci , consultées les dernièi'es et lors- 
que le suffrage des autres avait décidé la majorité , 
ne l'étaient que pour la forme ; et le plus souvent 
on ne prenait pas la peine de recueillir leurs suf- 
frages . 



U3 

Le peuple avait cru échapper à cette tyrannie de 
la richesse ^ en opposant aux comices par centuries 
les comices par tribus, que les tribuns convoquaient 
et présidaient. Les augures n'étant pas consultés 
dans ces assemblées , les riches ne pouvaient les 
rompre à leur gré au nom de ces vieilles religions 
qu'ils avaient héritées des patriciens. Mais les riches 
poursuivirent les pauvres dans cet asile. Portés par 
les assemblées des centuries aux fonctions de cen- 
seurs ^ ils rejetaient tous les cinq ans les pauvres 
dans les tribus urbaines ^ dans celles qui votaient 
les dernières. Chaque tribu donnant un seul vote, 
sans égard au nombre de ses membres , les tribus 
riches formaient , malgré le petit nqmbre des leurs^ 
plus de votes que celles où se trouvait réunie la 
multitude des pauvres. Il en était des tribus comme 
des ceaturies. Le radicalisme du système des tribus 
était idéal. C'était une consolation pour les pau- 
vres. En réalité , la richesse donnait la puissance 
dans toutes les assemblées de Rome. Les maîtres 
de l'état étaient les riches. Ils dominaient les comi- 
ces^ recrutaient le sénat, remplissaient toutes les 
charges. Ils spoliaient le monde en qualité de con- 
suls et de préteurs j comme censeurs , ils spoliaient 
l'Italie, en adjugeant aux riches, aux hommes de 
leur ordre, la ferme des domaines de l'état, au pré- 
judice des pauvres qui les tenaient au prix très-bas 
des anciens baux. Peu à peu ces terres devenaient 



444 

la propriété du riche locataire % et > par la conni- 
vence des censeurs^ il celait d'en payer le fermage 
à rétat. 

Le cens frappait encore le petit propriétaire d'nne 
autre manière, irdéclarait^ il soumettait à l'impôt 
sa propriété ^ res mancipi, comme disaient les Ro- 



* a Dans letir conquête successive des diTerses centrées <k Tltalie, les 
Romains étaient dans Tusage ou de s*approprier une partie du territoire et 
d'y bâtir des Tilles » on de fonder, djms les ti^Je^^jà existantes , une colo- 
nie composée de citoyens romains, des- colonies serraient comme de famn 
sons ix>ur assurer la conquête. La poition de territoire dont le droit de la 
guerre les avait rt.'«dus propriétaires , Us la distribuaient sur-leK:hamp aux 
colons si elle était en valeur ; ou bien ils la vendaient ou la baillaient à ferme : 
si , au contraire , eUe avait été ravagée par la guerre , ce qui airivait sou- 
vent, ils n^attcndaient point pour la distribuer par la voie do sort, mais ils 
la mettaient à Tencbère teUe qu^elle était , et se cbaiigeait de Texploiter qoi 
voulait, moyennant nne rederance annueQe en fruits : savoir : du dixième 
pour les terres qui étaient susceptibles d^être ensemencées , et du cinquième 
pour les terres à plantations. Celles qni n'étaient bonnes qne pour le ^tn- 
ragc , ils en reliraient un tribut, de gros et roenn b^il. Leur vue en cda 
était de multiplier k race italienne , qui leur paraissait la plus propre ï 
supporter des travaux pénibles , et de s^assurcr d^auxiliaires nationaux. Le 
contraire arriva. Les citoyens riches accaparèrent la plus grande partie de 
ces terres incultes , et , à la longie t ils s'en regardèrent comme les proprié- 
taires incommutables. Ils acquii^t de gré ou de force les petites propriétés 
des pauvres qui les avoisinaienl. Les terres et les troupeaux furent remis ï 
des mains esclaves ; des hommes libres eussent été souvent éloignés par le 
service militaire. Cela était très-avantageux aux propriétaires ; les esclaves , 
n'étant pas appdés k porter les armes , multipliaient à leur aise. H résulta 
de tontes ces cifccnstances que les grands devinrent très-riches , et que la 
population des esclaves fit dans les campagnes beaucoup de progrès , tandis 
que celle des hommes libres allait diminuant par suite du malaise , des con« 



145 

ïnaing^ ce qui comprenait la terre , la maison , les 
esclaves et les bêtes ^ le bronze monnoyé ^ Cet im- 
pôt lourd et variable dans lequel on ne tenait pas 
compte du produit divers des années^ changeait 
tous les cinq ans. Au contraire, le riche ne payait, 
ni pour les terres du domaine dont il jouissait sans 
titre de propriété , ni pour les res nec mancipi qui 



tribntions et du service mOitaire qui les accablaient ; et lors même qu^ils 
jouissaient , à ce dernier égard , de quelque relâche , ils ne pouvaient que 
languir, dans Finaction puisque les terres étaient entre les mains des riches , 
qui employaient des esclaves préférablement aux hommes libres. » 

« Cet état de choses excitait le mécontentement du peuple romain. Car il 
voyait que les auuliaires italiens albient lui manquer , et que sa puissano> 
serait compromise au milieu d^une si grande multitude d^esdaves. On 
n'imaginait pas néanmoins de remède à ce mal , parce qu^il n'était ni iaciie , 
ni absolument juste de dépouiller de leurs possessions agrandies , amélio- 
rées , courertes d'édifices , tant de citoyens qui en jouissaient depuis lon- 
gues années. Les tribuns du peuple avaient anciennement fait passer avec 
bien de la peine une loi qui défendait de posséder plus de chiq cents arpens 
de terre, et d'avoir en troupeaux {dus de cent têtes de gros bétail et cin- 
quante de menu. La même loi avait enjoint aux propriétaires de prendre I 
lenr service un certain nombre d'hommes libres , pour être les surveillans et 
les inspecteoxs de leurs propriétés. Cette loi fut consacrée par la religion du 
serment. Une amende fut établie contre ceux qui y contreviendraient. Le 
surplus des cinq cents arpens devait être vendu à bas prix aux citoyens pau- 
vres : mais nila loi ni les sermens ne lurent respectés. Quelques citoyens , 
afin de sauver les apparences, firent, par des transactions frauduleuses , 
passer leur e^^cédant de propriété sur la tête de leurs parens -y le plus grand 
nombre bra-vèrent la loi. Appian. , II* v. , p. 604 (j'ai corrigé l'inexacte et 
prolixe tradaction de Combes-Dounous ). 

' F". Niébubr , 2* vol. Ce critique ancien directeur de b Banque de Co- 
penhague a supérieurement traité rhistoirc primitive des finances de Rome. 
H. lO 



146 

faisaient une grande partie de sa fortune^ tandis 
qu'elles n'entraient pour rien dans celle du pauvre. 
Les lois de Caton sur les meubles de luxe avaient 
sans doute pour principal but d'égaliser l'impôt. 

Toutefois^ entre les riches qui composaient les 
dix-huit centuries équestres^ il n'y avait pas unité 
d^ntérêt. Ceux d'entre eux qui étaient entrés dans 
le séilat^ et qui avaient occupé les charges^ se dis- 
tinguèrent par le nom de nobles j et s'efiforcèrent 
d'en exclure les riches citoyens ^ ou chewiliei^. De- 
puis la fin (îe la seconde guerre punique, le gou- 
vernement était devenu si lucratif et dans les 
missions lointaines de consuls et de préteurs^ et 
dans le sénat même où devaient affluer les présens 
des rois, que les nobles dédaignèrent les lents bé- 
néfices de l'usure, et essayèrent de réprimer sous 
ce rapport l'avidité des chevaliers (igS-a). En ré- 
compense, ils leur laissaient usurper ou leur adju- 
geaient par la voie du cens tous lés domaines 
publics dont ils expulsèrent les pauvres. Quant à 
ceux-ci , on leur jeta d'abord quelque pâture pour 
étouffer leurs cris. En 281 et 196, on leur vendit 
à très-bas prix une énorme quantité de blé. Après 
chaque triomphe (en 197, 196, 191, 189, 187, 
167) , on distribuait aux soldats du bronze mon- 
nayé. En même temps on donnait Aes terres^ on 
fondait des colonies. Les soldats romains profitè- 
rent des biens dont on dépouillait les Italiens qui 



147 

s'étaient dédarés pour Hannibal (aoi-iQg). Ciuq 
colonies sont fondées en 197 dans la Gampanie et 
dans l'Apulie; six^ en i94-3^ dans la Lucanie et le 
Bratium. En 193 , 190^ nouvelles colonies dans la 
Gaule italienne; en 189^ fondation de celle de Bo- 
logne ; en 181 ^ de Pisa^um et PoUentia ; en i83^ 
de Panne et Modène; en 181 ^ de Graviscse y de Sa- 
tumia et d'Âquilée; de Pise en 180; de Lucques 
en 177. 

Vers l'époque de la guerre de Persée , les nobles j 
Toyant le monde à leurs pieds ^ ne se soucient plus 
du peuple* Qu'il vive ou meure ^ peu leur importe. 
Us ne manqueront pas d'esclaves pour cultiver 
leurs terres. D'ailleurS'* Caton lui-même^ le grand 
agriculteur, n'a-t-il pas reconnu à la fin de sa vie 
que les meilleures possessions étaient les pâtura- 
ges ? Pour conduire des troupeaux , on n'a que 
faire de la main intelligente d'un homme libre ; un 
esclave suffît. Le laboureur expulsé de sa terre n'y 
peut donc rester, même comme fermier. Il se réfu- 
gie à la ville , et vient demander sa nourrit^re à 
ceux qui l'ont exproprié. Là peut^tre il subsistera 
des gratifications du sénat, des dons des riches. Il 
attendra la chance d'une nouvelle colonie. Mais le 
sénat n'uccorde plus ni blé, ni terres. Pas une 
seule colonie pendant im demi-siècle. Que reste- 
t^l fiux pnivies? leur vote. Us le vendront aux can- 
didats. Ceux-ci peuvent bien payer ces consulats , 



1A8 

tes préludes, qui leur livrent les richesses des roh. 
Mais les censeurs ne laisseront pas cette ressource 
aux pauvres. Ils entasseront dans la tribu esqui- 
line, avec les affranchis^ touis les citoyens qui 
n'ont pas en terre trente mille sesterce*s. Relégués 
dans une des dernières tribus^ leur vote est rare- 
ment nécessaire. D'ailleurs^ le sénat ne daigne plus 
guères consulter le peuple j depuis la victoire de 
Paul Emile , il décide seul de la guerre et de la 
paix. Il a substitué aux jugemens populaires quatre 
tribunaux permanens ( quœstiones perpeUue , 1 49- 
i44)> composés de sénateurs^ qui connaissent des 
causes trîminelles, et particulièrement des crimes 
dont les sénateurs peuvent se rendre coupables , 
de la brigue ; de la concussion y du péculat. Le ju- 
gement des crimes est remis aux criminels. Ainsi 
le sénat s'est affranchi du peuple. Le pauvre ci- 
toyen n'avait plus que son vote pour gagner sa vie : 
on le lui ôte. Il faut qu'il meure ^ qu'il fasse place 
aux affranchis dont Rome est inondée. Tel était le 
sort du citoyen romain^ et le Latin ^ l'Italien lui 
portaient encore envie. 

L'ancien [système de Rome^ qui avait fait sa 
force] et sa grandeur , était d'accorder des privilè- 
ges plus[[ou moins étendus aux villes en proportion 
de leur éloignement. Ainsi ^ autour de Rome, se 
trouvait d'abord une ceinture de villes municîpa— 



149 

les y investies du droit de suffrage et égales en droits 
à Rome elle-même , c'étaient les villes des Sabins y 
et Tusculum^ Lanuvium^ Aricie, Pédum^ Nomen- 
tum, Acerres, Cumes^ Priveme , auxquelles on 
joignit^ en i88, celles de Fundi^ Fqrmies et Arpi- 
num. Puis venaient les municipes sans droit de 
suffrage et les cinquante colonies fondées avant la 
seconde guerre punique^ toutes (moins trois) dans 
l'Italie centrale j vingt autres furent établies de 197 
à 177^ mais dans une position plus éloignée. Ces 
colonies avaient toutes la cité^ mais sans le privi- 
lège qui lui donnait de la valeur > le droit de suf- 
frage. Au-dessous des municipes et des colonies ^ se 
trouvaient les Latins et les Italiens. Les Italiens 
conservaient leurs lois et étaient exempts de tribus. 
Dépouillés de leurs meilleures terres par les colo- 
nies romaines , on peut dire qu'ils avaient bien payé 
le tribut d'avance. Les Latins avaient de plus l'a- 
vantage de devenir citoyens romains en laissant des 
enfans pour les représenter dans leur ville natale y 
en y remplissant quelque magistrature, enfin en 
convainquxmt de prémrication im magistrat romain. 
Est-il nécessaire de dire que personne n'était assez 
hardi pour tenter de devenir citoyen par cette der- 
nière voie ' ? 



' On sait le«iccès<kapourtaitet intenUe^ pottrcoB<«Siioo» kSvi[»i«B ^ à 
MêlcUus , à Scjunu , à Fontcius y etc. 



150 

Lltalien ^ le Iiatin ^ le colon ^ le municipe sans suî- 
frage, dont les droits, plus ou moins brillans, se ré- 
duisaient dans la réalité à recruter jusqu^à extinction 
de leur population les armées romaines , tous vou- 
laient devenir Romains. Chaque jour ce titre était 
plus honorable -y chaque jour aussi , tous les au- 
tres changeaient en 'sens inverse et devenaient 
plus humilians. Dans cette fatale année de la dé- 
faite de Persée (172), un cçnsul ordonne, pour 
la première fois, aux alliés de Préneste de venir au- 
devant de lui et de lui préparer un logement et des 
dbevaux. Bientôt tm autre fait battre de verges les 
magistrats d'une ville alliée, qui ne lui avait pas 
fourni des vivres* Un censeur, pour orner un 
temple quHl construit, enlève le toit de celui de 
Junon Lacinienne, le temple le plus saint de Flta- 
lie. A Férente, un préteur veut se baigner aux bains 
publics, en chasse tout le monde, et, pour je ne 
sais quelle négligence , fait battre de verges un des 
questeurs de la ville. A Jeanum, la femme d'un 
consul fa.it traiter de même le premier magistrat du 
lieu. Un simple citoyen porté dans une litière sur 
les épaules de ses esclaves, rencontre un bouvier 
de Vénusium : Est-ce que cous portez un mort ? dit 
le rustre. Ce mot lui coûta fei vie. H expira sous le 
bâton ^ 

' Calo , in GtU, X , S. « De falsis pugnis vel poenis : Dixit a decrniviri» 



•" ' mw^i^^^>^fw^^^^^m^^^mmmmmmmmm 



f51 

Pour échapper à une pareille tyrannie^ chacun 
tadiait de se rapprocher de Rome , et de sy établii^, 
ê^il était possible. Rome exerçait ainsi sur l'Italie 
une sorte d'absorption , qui devait en peu de temps 
faire du pays un désert^ et la surcharger eUe-même 
d'une énorme population. L'Italie^ n'ayant pu dé- 
truire Rome^ ne songeait plus qu'à s'unir à elle^ et 
Tétoufifait en l'embrassant. Les Latins pouvant seuls 
devenir citoyens romains^ l'Italie affluait dans le 
Latium^ le Latium dans Rome. D'une part^ les 
Samnites et les Péligniens^ ne pouvant plus fournir 



a panmi nbi bene dbarit cnnU eue. JoisH teiUiiienta detrahi atque flàgiro 
» esBâi. Decenraros Brattiuii TcrberaTere. Videra tnuhi morUles. Qufa 
» hanc contûmeUfem , qais hoc imperiusi, qais hahc territiiteni feite posset ? 
» Nemo lioc rex atsiis est faoere. Eane fieri bonis , bono génère gnatis , 
y» boni consnlitis f €bi societas? nbi lides majonim ? insignitas injurias , 
» plagas , Terbera , vibices , eoB dolorcB aU|iie earoifidnai , per dcdecu^ 
9 atque maximam contumeliam , inspectantibua pi^niiaribos suis atque moltis 
» moftalibus , te faeere ausam este ! Sed qaantam loctum , qnanturaque 
» geniHnm , quid lacmmannn , quantumque fletun iàctom audiyi ! Serti 
» Injurias nimis aogre fémnt ; quid iUos bono génère gnatos , magna rirtute 
» prttditos opinamini animi habuisse atque babituros dùm vivent. » 

« Il dit qne les dëcemvirs n^avaient pas assci de soin de ses provbions. Il 
ordonne qu'on arrache leurs vétemcns , et qa*on les frappe de verges. Des 
Bnrttieiu frappèrent les décemvirs ! et une foule d'hommes ont vu cela ! 
Qui pourrait souffrir. un pareil outrage? qui , un pareil despotisme ? qui , 
une pareille serritnde ? Pas un roi n^a osé le faire. Trouvei-vous bon qa^on 
le fasse contre des hoibmef bons et de bonne race ? Où sont les droits des 
dtës?o6,lafoi des ancêtres ? Des outrages piMcs, des plaies, desmeur* 
t fissures ,' des coups de fouets , de telles douleurs , dt telles tortures , avec 



152 

leur contingent de troupes^ dénoncent la transplan-- 
tation de quatre mille familles des leurs dans k 
ville latine de Frégelles (177). Les Latins déclarent 
la même année , pour la seconde fois^ que leurs 
villes et leurs campagnes deviennent désertes par 
rémigration de leurs citoyens dans Rome. Ils £ai- 
saient à un Komain une vente simulée d'un de leurs 
enfans^ qui par Taffranchissement se trouvait ci* 
toyen. La servitude était ta porte par laquelle on 
entrait dans la cité souveraine. Dès 1 87^ Rome avait 
chassé deson sein douzemille familles latines. En 1 72^ 
une nouvelle expulsion diminua la population de 
seize mille citoyens. • 

U honte el le dëdionneur , sous les yeox de kun condtoyens et d^une fouie 
d^hommes assemblés ^ ton audace a pu cela ! Biais 6 cooibien de pleurs., 
à combien de gémissemens ! que de larmes , et combien de sanglots! des 
esclaves supportent à peine de telles injures. Quel souvenir pensez-vous que 
ces hommes de bonne race et de grande vertu gardent au fond de leur âme, 
et garderont tant quMls vivront ? » Tmd, de M. Cassan. 

Ttb, Gr. , in Gell. , X, 5. — « Deinièrement le consul vint à Teanum 
Sidicinum : sa femme dit qu^elle voulait se baigner dans les bains des hommes. 
M. Marius chargea le questeur campanien d'en faire sortir oeu% qui s^ bai- 
gnaient. La femme du consul se plaint à son mari qu'on a mis peu d'em^ 
pressement à lui livrer les bains , et peu de soin à les préparer. En consé- 
quence, un poteau est dressé dans la place publique : on y amène rhomme 
le plus distingué de la ville , M. Marius. On lui arrache ses vêtemcns , il est 
battu de verges. Les habitans de Calenum , à celte nouvelle , défendirent par 
un décret que personne approchât des bains , lorsqu'un magistrat romain 
serait dans leur ville. A Férentinum , pour un semblable motif , norre préteur 
ordonna d'arrêter les questeurs. L'un d'eu se précipita du haut d'un mur > 
1 autre fiit saisi et battu de veiiges ». 



.153 

Telle était la situation de l'Italie . Les extrémités 
du corps devenaient firoides et vides. Tout se por^ 
tait au cœur^ui se trouvait oppressé. Le sénateur 
repoussait du sénat et des charges , Yhomme nouveau, 
le chevalier^ le riche^ et lui abandonnait en récom- 
pense Tenvahissement des terres du pauvre. Le 
Romain repoussait le colon du suffrage, le Latin 
de la cité ; celui-ci à son tour repoussait l'Italien du 
Latium et des droits des Latins. Rome avait ruiné 
lltalie indépendante par ses colonies^ où elle reje- 
tait ses pauvres ; désormais elle ruinait l'Italie colo- 
nisée , par l'envahissement des riches qui partout 
achetaient, affennaient^ usurpaient les terres et les 
faisaient cultiver par des esclaves. 

(c Les chevaliers étaient les traitans de la répu- 
blique ; ils étaient avides , ils semaient les malheurs 
dans les malheurs, et faisaient naître les besoins pu- 
blics des besoins publics. Bien loin de donner à de 
tels gens la puissance de juger, il aurait fallu qu'ils 
eussent été sans cesse sous les yeux des juges. Il 
faut dire cela à la louange des anciennes lois fran- 
çaises ; elles ont stipulé , avec les gens d'affaires , 
avec la méfiance que l'on garde à des ennemis. 
Lorsqu'à Rome les jugemens furent transportés aux 
traitans , il n'y eut plus de vertu , plus de police , 
plus de lois, plus de magistrature, plus de magis- 
trats. 

)) On trouve une peinture bien naïve de ceci dans 



154 

gudque fragm^it de Diodore de Sioile^ et de Dion, 
Mutins Scévola, dit Diodore^^ voulut rappeler fer 
anciennes mœurs y et vivre de son bien propre ofveefnk- 
galité et intégrité. Car ses prédécesseurs ayant fait 
une société avec les traitons ^ qui avaient pour lors les 
jugemens à Rome, ils avaient rempli la province i& 
toutes sortes de crimes. Mais Scévola fit Justice des pmr 
blicainsj et fit mener en prison ceuw qui y trdinaioU 
les autres. 

» Dion nous dit* que Publius Rutîlius, son lieu- 
tenant^ qui n'était pas moins odieixc aux chevaliers , 
fut accusé à son retour d'avoir reçu des présens , et 
fut condamné à une amende. Il fit sur-le-champ 
cession de biens. Son innocence parut ^ en ce que 
Ton lui trouva beaucoup moins de bien qu'on ne 
Taccûsait d'en avoir volé, et il montrait les titres 
de sa propriété ; il ne voulût plus rester dans la viJIe 
avec de telles gens. * 

» Les Italiens , dit encore Diodore ' y achetaient 
en Sicile deè troupes d'esclaves pour labourer leurs 
champs, et avoir soin de leurs troupeaux; ils leur 
refusaient la nourriture. Ces malheureux étaient 
obligés d'aller voler sur les grands chemins , armés 
de lances et de massues, couverts de peaux de bêtes , 



* Diod. , Fragm. , 4ib. XXXVI , extr. Const. Porphyr. 

' DioD. , Fragm. 

' Diod., Fngm,, lib. XXXIV. 



m 

de grands diiens autout d'eux. Toute la proirince 
fut dévastée ; et lés gens du pays ne pouvaient dire 
avoir en propre que de qui était dans Penceinte des 
▼illes. Il rfy avait ni proéonsul, ni préteur qui pût 
ou voulût s'opposer à ce désordte ^ et qui osât pu-' 
nir ces esdaves, parce qu'ils appartenaient aux 
chevaliers qui avaient à Rome les jugemens. Ce fut 
pourtant une des causes de la guerre des esclaves. 
— Je ne dirai qu'un mot : Une profession qui n'a 
ni ne peut avoir d'objet que le gain j une profes- 
sion qui demandait toujours, et à qui on ne de- 
mandait rien; une profession sourde et inexorable, 
qui appauvrissait les richesses et la misère même y 
ne devait point avoir à ïlome les jugemens. » 
(MowTBSQUiEU. Esprit des Lois, XI, 17.) 



La première guerre des esclaves éclata en Sicile 
dans la ville d'Enna (i38). Un esclave syrien d'Apa» 
mée, qu'on appelait Eunus, se mêlait de jM^re, 
au nom de la déesse de Syrie, et souvent il avait 
bien rencontré. Il s'était attiré aussi beaucoup de 
considération parmi les esclaves, en lançant des 
flammes par la bouche. Un peu de feu dans une 
noix suffisait pour opérer ce miracle. Eunus, entre 
autres prédictions, annonçait souvent qu'il serait 
roi. On s'amusait beaucoup de sa royauté future. 
On le faisait venir dans les festins pour le faire par- 



456 

1er et on lui donnait quelque chose pour acheter d V 
vance sa faveur. Ce qui fut moins risible^ c'est que 
la prédiction se vérifia. Les esclaves d'un Damo- 
'phile qui était fort cruel ^ commencèrent la révolte^ 
et prirent pour roi le prophète. Tous les maîtres 
furent égorgés. Les esclaves n'épargnèrent que la 
, fille de Damophile^ qui s'était montrée compatis- 
sante pour eux. Un Cilicien qui avait soulevé les 
esclaves ailleurs, se soumit à Eunus^ qui se trouva 
bientôt à la tête de deux cent mille esclaves, et se 
fit appeler le roi Antiochus. Le bruit de la révolte 
de Sicile s'étant répandu, il y eut des tentatives de 
soulèvement dans l'Attique, à Délos, dans la Cam- 
panie^ et à Rome même. Cependant les généraux 
envoyés contre Eunus, avaient été repoussés avec 
honte 5 quatre années de suite, quatre préteurs 
furent vaincus. Les esclaves s'étaient emparés de 
plusieurs places. Enfin Rupilius les assiégea dans 
Tauromenium, ville maritime, d'où ils auraient pu 
communiquer avec l'Italie. Il les réduisit à une telle 
famine, qu'ils se mangeaient les uns les autres. Un 
des leurs ayant livré la citadelle, Rupilius les prit 
tous et les fit jeter dans un précipice. Même trahi- 
son, même succès à Enna, malgré l'héroïque valeur 
du lieutenant cilicien d'Eunus, qui fut tué dans 
une sortie. Le roi des esclaves qui n'était pas 2»i 
brave , se réfugia dans une caverne , où on le trouva 
avec son cuisinier, son boulanger, son baigneur et 



457 

^on bouffon (i3a). Des réglemens atroces^ con- 
tinrent pour vingt-huit ans les esclaves découragés 
par le mauvais succès de cette première r^olte. 



' Cic. , in F'errtm. De supplie, , c. S : « Tons les édits des préteurs 
défendaient aux esclaves de porter des armes.... On avait apporté un san- 
glier énorme ^ L. Donûtiiis , préteur en Sicile. Sorpris de la grosseur de 
cet animal , il demanda qui PaYait tné. On lui nomma le berger d^un Sici- 
lien. Il ordonna qu'on le fit venir. L^esdave accourt, s^attendant à des 
éloges et à des récompenses. Domitius lui demande comment il a tné cette 
béte formidable. Arec un épien , répondit-il. A Finstant le préteur le fit 
mettre en croix. Peut-être cet ordre*Tous semblera plus que sérère. Je ne 
prétends ni le blâmer, ni le justifier, etc. » 



158 



wmatmmmBgmm 



8UITB 



DU CHAPITRE PREMIER. 






S'il eût été possible à un homme de trouver le 
remède à toui ces maux , de rendre au petit peuple 
les terres et l'amour du travail qu'il avait perdu ^ 
4^ mtttre un frein à la ^rannie du sénat ^ à la cu- 
pidité des chevaliers^ d'arrêter ce flot d'esclav«s qui 
venait de tous les points du monde inonder l'Italie 
et en détruire la population libre ^ celui-là eût été 
le maître et le bienfaiteur de Tempirt. Lœlius^ et 
peut-être Scipion Emilien ^ , qui partageait toutes 
ses pensées, avaient songé d'abord à cette réforme, 
mais ils comprirent qu'elle était impossible, et 



' PluUvch., m Graceh.y c. 8 , p. 925. (Paris, 1624. ) Éfrcxci/»«9r 



«HP0«r9C . 'u i- 



169 

eurent là sagcMC d'j reno&cer. Les Gracches la 
tentèrent, %t j perdirent la ria, rhoiineur^ tt jui»- 
qu'à la vertu. 

Depuis que le premier Scipion l'Âfiricain avait été 
si près de la tyrannie, le but était marqué pour 
l'ambition des grands de Rome. Les familles patri- 
ciennes des Sapions et des Appii, et la famille 
équestre des Sempronii ^ > d'abord ennemies et ri- 
vales, avaient fini par former une étroite ligue*' 
Tib. Sempronius Gracchus protégea dans son tri- 
bunat l'Africain et l'Asiatique, et en récompense il 
obtint pour épouse la fille du premier, la fameuse 
Gornélieé II exerça la censure avec Appius Pulcher, 
et se montra moins populaire encore que lui, 
tout plébéien qu'il était. Appius donna la main de 
sa fille au fils aine de son collègue, au célèbre Tir 



* Cette origine éqaestre des Gracches semblera un fait important , si Ton 
songe qne de tontes les réformes de leur tribnnat , il n^en resta qu^nne : ia 
translation du pouvoir judiciaire des sénateurs aux chevaliers. Peut- 
être lenr propositioa d€ donner le droit de cilë «m Italiens , et même leur 
loi agraire y n'ëtaient-elles qu'un moyen de donner à Tordre équestre le pou-> 
▼oir judiciaire , auquel étaient attachés tons les autres. J'adopterais cette 
opinion si on passage de Sallnste n'y semblait contraire. Bail. , Jug, c. 42. 
— Les Italiens avaient plus à perdre qu'à gagner au succès des Gracches. On 
▼erra pins bas qu'ils prièrent Scipion Emilien d^empécher l'exécation de It 
loi agraire. Cîcéron dit ( De Rep., lib. ni, c. 24 ) : « Tibérius Gracchns ,, 
dont les citoyens n^eurent point k se plaindre , ne respecta ni les droits, ni 
les traitéf à» alliés et des Latins. » 



160 

bérius Gracchus^ «t fut^ ayec ce dernier^ triumvir 
pour ^exécution de la loi agraire. Cette race des 
Appius depuis les décemvirs jusqu'à l'empereur Né- 
ron, en qui elle s'éteint, cherche toujours la tyran- 
nie, tantôt par l'appui du parti aristocratique, 
tantôt par la démagogie. 

Gracchus eut de Cornélie deux fils, Tibérius et 
Caïus , et autant de filles ; l'une fut donnée à Soi- 
pion Nasica, le chef de l'aristocratie, le meurtrier 
de son beau-frère Tibérius. L'autrt épousa le fils de 
Paul Emile, Scipion Émilien, qui périt par les em- 
bûches de sa femme ^ , de sa belle-mère Cornélie et 
de son beau-frère Caïus. Le dédain de Scipion 
pour sa femme lui eût attiré la haine de sa belle- 
mère Cornélie, quand même l'ambitieuse filleMu 
premier Scipion n'eût pas vu avec dépit dans le se- 
cond Africain, l'héritier d'une gloire qu'elle eût 
voulu réserver à ses fils. Elle se plaignit long-temps 
d'être appelée la belle-mère de Scipion Émilien p]i> 
tôt que la mère des Gracches. Lorsque ceux-ci eu- 
^ rent péri dans les entreprises téméraires où elle les 
avait précipités , retirée dans sa délicieuse maison 
de Misène , au milieu des rhéteurs et des sophistes 
grecs dont elle s'entourait, elle prenait plaisir à 
conter aux étrangers qui la venaient voir, la mort 
tragique de ses enfans. 



/^. plus bas. 



161 

Cette femme «nbitieuse avait de bonne heure 
préparé à ses fils tou^ les instrumens de la tyran-* 
nie ' ^ Féloquence ^ dans laquelle ils passaient tous 
les hommes de leur taftips; la valeur^ Tibérius 

* Cest ce qai ressert àt toat le récit de Plmtarque. Elle s*en repentit 
pfan utà , et eiMjn derelenv Ctàim^ I isie époqve où tvaiseitldableneiit il 
eût été perdu , même sans a^. * 

In Corn. Nep. Lettre de Goroëlie à C. Gracchus : m isolerais jurer avec 
les paroles cotisacrëes qu^après ceox qui ont tu^ Tibérius Gracchus , aucun 
ennemi ne m^a donné autant de chagrin, ni autant de peine que toi par dfe 
pareille choses , toi qui devais remplacer anprèft de moi tow Jes cDlàw qse 
j'ai perdus , TciDer à ce que j*enssje le moins de souci [possible en ma TÏeilIesseï 
n^aToir d''autre but dans toutes tes actions que de me plaire, et regarder 
comme an crime de rien faire d'important contre mon gré \ ï moi surtout ^ 
qui il ne reste que peu de temps h virrc , et )i qui même ce si court 
espace ne peut être en aide pour t'empécber de m'étre contraire et de dé- 
soler la république. Mus , puisqu'il n'en peut advenif ainsi , que nos enne- 
mis , malgré k temps , ma%ré les factions , ne périssent point d'ici )i long- 
temps , €fd*ïïii ne soient jdus demain ce qu*ils sont aujourdliui , plutôt que 
la répobflqae ne soit désolée et ne périsse. Et puis quapd ferons-nous donc 

■ 

une panse ? quand donc cessera notre famille de délirer ainsi ? quand donc y 
anra-t-îl un terme \ tout cela ? et quand finironsHious , absens et présens , 
de nôns cànser tant de chagrins et de tonrmens? quand donc aurons-nous 
honte de bnrouîner et de troubler M république ? Maïs , si absolument il n'en 
peut adrenir ainsi , dès que je serai morte , demande le tribunat , fais ce que 
tu Tondras , alors je n'en sentirai rien. Dès que je serai morte , tu m'ofTHras 
le culte des «lent , et tu inyoqnçras la divinité de ta mère j mais ne rou* 
gîras-tn pas alors d'implorer par des prières ces divinités que vivantes et 
pi^sentes tu auras négligées et délaissées ? Veuille ce Jupiter ne pas permettre 
que tu persévères da^rantagé / ni qu'il te vienne dans l'esprit une si grande 
démence ; car si tu* persévères , je 'mius bien que pour toute' ta vie tu ne 
recnoUes 4^ ta faute une si grttnde douleur , qu'en aucun temps tu ne puisses 
Hte bien. «t' c|i paix avectoi-tnème ? » Tntff, 4e M; Cassen. 

II. n 



162 

monta le premier sur les murailles de Carthage; la 
probité même ^ y ce n'était point de telles ambitions 
qui pouvaient s'arrêter à l'avarice. Les stoïciens 
qui élevèrent les deux eu£ans^^ comme ils avaient 
élevé Cléomène^ le réformateur de Sparte, leur in- 
culquaient cette politique de nivellement qui sert 
si bien là tyrannie, et les fables classiques de l'^a- 
Kté des biens sous Romulus et sous Ljcui^e. 
L'état de lltalîe leur fournissait d'ailleurs assez de 
motifs spécieux. Quand Tibérius traversa l'Italie 
pour aller en Espagne, il vit avec douleur les cam- 
pagnes abandonnées ou cultivées par des es- 
claves '. 



* Fragment cl^un dÎKOon de Tibëriot Gntochiis : « Je me suU conduit 
dans la proTinoe comme j^ai cru deToir pour Totre profit et sans consulter 
mon ambition. Cbes moi point de festins, point de jcnncs garçons è mes 
c6tés. -^ Mais vos fils trouTaient à ma table plus de réserve que sons la tente 
da général... Je me suis conduit dans la proTÎnoe de manière que pas un m 
pût dire que j^aie reçu de lui un as ou plus d Vn as en présent , on qu^il se 
soit mis en frais pour mon service : et je sub resté deux années dans^oetle 
province. Si jamais j'ai tenté Fesdavage d'un autre , regarde^moi coaune le 
dernier , .comme le plus pervers des hommes. D'après ma conduite si chaste 

avec leurs esclaves , vous pouvez juger comment j'ai yéca avec tos fils 

AjBSsi , Romains , ces ceintures qu'à mon départ de Rome j'avais emportées 
|4eines d'argent , je les ai rapportées vides de la province : d'autres ont em- 
porté des amphoits pleines de vin , et ils les ont rapportées pleines d'aui^ent, » 

" Plutarch., in Gracch, , — 6 TiStpwç,,. Âio^ftyouff tov p^o^ 

• Plutarch. in Gmech., p. 828. — Falotf è» rm fiiÇki^ yyp^Lft:*, 
tiç Nottavltftv caro|Bivofuvov ^là Ttiç Tuppii^Mç tôv Tt^ipcov, xtcitvv 



163 

L'ftîné^ Tibérius^ d^un caractère naturdlêment 
doux^ fut jeté dans la yiolence par une circonstance 
fortuite. Questeur de Mancinus en Espagne^ il avait 
signé et garanti le traité honteux qui sauva l'armée. 
Le sénat déclara le traité nul^ livra Mandnus, et 



^«/btlotv T^ç X^*f ô^a»v7a , x«« rovç yt «tpyoOvIac t iKfA«>7ac o^- 
»iJ«ç itnwKxlo^ç %al fiap^aporjÇf rôlf «rpûlov iffl voOv Poàia^M vàv 
fiv^Miv xaxwy «^«voiv àvlotç c7oXi7i(av. 

Tibériiis disait dans ses hann^iies au peuple : « Les bètes uuTages qui 
st>nl répandues dans Htalie ont leurs tanières et leurs repaires oii éDes peu- 
Tent se retirer, et ceux qui combattent, qui Tersent knr sang pour la 
défimse de ritalie, .n'y ont à eux que la lumière et l'air qu^ils respirent : 
sans maisons, sans demeure ÛJt , ils errent de tous c6tés arec leurs femmes 
et leurs enfans. Les ^érauiks trompent, quand ils les elhortent à combattre 
pour feors tombeaux A pour leurs temples. En eSt-il un seul dans un si grand 
nônobre qai ait m antel domestique et un tombeau où reposent ses «ncitres? 
Ils ne eonibiatlent et ne meurent que pour entretenir le Inxe et Topulenoe 

*" d'antmi ^ on les appelle les maîtres du monde, et ils n'ont pas en propriété 
une motte de terre. » — Ceci explique la dépopulation rapide qui eut lien. 
Au temps de Tite-Lire , le Latium était d^à presque désert : « Non dubito » 
» praeter satietaftem, tôt jam Ebrîs asaiduf beUa cum Vobci» gesia legen- 
» tibus, illnd quoque suocursurum...... unde totics fîctis Volscis et iEqnis 

9 sufleoerÎDt milites : quod cum ab antiquis tacitum prsetermissumque 
» sit , cajos tandem ego rei praeter opinionem , que sua cnique con- 
» jectaDti esse potest , auctor sim T Simile veri est , aut imerrallis bèUo- 
m mm , skiit mue in delec^îbus fit romanis, aliâ atque aliâ subole joniorum 
» ai bdla instauranda toties nsos esse aut non ex iîsdem semper populis 
» exerdtiis scriptos, quamquam eadem gens beUum intulerit : aut innnnie- 
» rabilem multitudinem bberorum capitum in eis fuisse lods , çuœ nune, 

' » wjr s^mitumo exiguo miiiium rtlkio^ serpitia n^mna ab soiitu^ ^ 

•» 4l4ne 4^ùMcant, » 



r- 



164 

touiail 4iTrer *Tiiiénu$. Le peuple, et sans doule 
les chevaliers auxquels i^pso^tenftll sa femille^ le 
sàiwèrent de cet o{]probre> et assurèrent au séâai 
uil ennemi implacable • 

' Lsi prwiière loi agraire qu'il proposa dans so.n 
tribunat^ n'était pourtant pas^ il faut le dire, in- 
juste ni violente. Il l'avait concertée avec son beau- 
fem Apphis, le grand-pontife Cras^is^ et Mutins 
Soévola, le célèbre jtErisconsulte. Il ne prét^[idait 
pas, gomme Licinius Stolo, borner à cinq cents ar- 
pens les propriétés patrimoniales des riches. II ne 
leur ôtait que les terres du domaine public qu'ils 
avaient usurpées. Encore leur en laissait-il dnq cents 
àrpens , et* deux cent cinquante de plus au nom de 
leurs enfans mâles. Ils étaient indemnisés du sur- 
plus y €pÀ devait être partagé aux citoyens pauvret. 
L'opposition fut vive. Les riches considéraient ces 
teixes> pour la plupart usurpées depuis un temps 
immémorial^ coQfme leur propriété. Leur résis- 
tance irrita Tibéritts, qui, de dépft^ proposa une 
loi nouvelle, où il leur retranchait rindannité, les 
cinq cents arpens.^ et leur ordonnait de sortir sans 
délai des terres du domaine. C'était ruiner ceux qui 
n'avaient pas d'autre bien, spolier ceux qui avaient 
acquis de bonne foi y par achat, mariage, etc. C*é- . 
tait dépouiller, non-seulement les propriétaires, 
mais leurs créanciers. Cependant Tibérius poursuit 
son projet avec un emportement aveugle; il viole 






la puissance tribunitieune ^ (911 d^oser par k 
peuple sQfï collège Octavîus dont le i^lo Farrétait) 
et lui sutifititue un de ses c|i!snd* U se £edt nommer 
lui-même triumyir^ pour rexëculion de sa loi ^ avec 
son beaurpère Appius et son jeune frère Caîus, 
alors retenu sous les drapeaux. En6n , au préjudice 
des droits du sénat ^ qui depuis long-temps régtatit 
les nouvelles conquêtes^ il ordonne que rhéritage* 
du roi de Pergame légué au peuple romain par ce 
prince , sera affermé . au profit des dtoyens 
pauvres ^ 

Après avoir soulevé tant de haines^ il était perdu 
s'il n'obtenait un second tribunat^ qui lui permit 
d'exécuter sa loi, et d'intéresser par le partage des 
terres une multitude de nouveaux propriétaires à 
sa vie et à sa puissance. Mais le peuple s'inquiétait 
moins de savoir pat qui les terres lui seraient par^ 
tagées. Tibériits, craignant d'échouer^ se ch^cha 
de nouveaux auxiliaires ; il promit aux cheva- 
liers le partage de là puissance judiciaire avec 
les aénateuts^ et fit espérer aux Italiens le droit de 
cité^. Depuis que le petit peuple se composait 6n> 



' Platarch. , in Gmrch, , c. <6 , p. 8S0. *- ô,r«- Toic «v X"P«* 

* PluUrch., m Gmcch. , c. 49, p. 8S2. — Totç x/jtvoy«"É rôle avy- 
TiXtiliy^oiç oSfft xoelff|uu7yvc 2x fôv «ttttIwv Tovtorov «pcOfAov. — Voîl. y 

PaCerc. , liv. II , c. 2. « Il promit le droit de cité 2i tonte Tltalie. » 



*» 



i66 

grande partie d'afiGranchis^ et que le sénat s'était 
saisi des jugement criminels , les riches ^ 4a tète du 
peuple^ autrement dit les chevaliers^ réclamaient le 
pouvoir- comme représentant désormais seuls le 
peuple^ dont la partie pauvre avait disparu. Re- 
pousses depuis long-temps des* charges qui don- 
nai^t entrée au sénat ^ ils voulaient du moins in- 
fluer indirectement sur ce corps tout puissant, et 
juger leurs maîtres. Mais en même temps ce que les 
chevaliers craignaient le plus, c'était Texécution des 
lois agraires qui les auraient dépouillés des terres 
publiques dont ils étaient les principaux détenteurs ; 
c'était l'admission au sufiErage des colons romains 
sur qui une grande partie de ces terres avait été 
usurpée, encore plus celle des p<^pulations ita- 
liennes, à qui elles appartenaient originairement, 
et qui, une fois égalées à leurs vainqueurs, «ussent 
été tentées de les reprendre. Ainsi les riches romains , 
les chevaliers, rivaux du sénat pour la puissance 
judiciaire, étaient encore plus ennemis du petit 
peuple romain et italien qu'ils tenaient ruiné et 
a£Eamé. Xibérius, en essayant de les gagn«r en même 
temps, voulait une chose contradictoire. U ne fiit 
soutenu de personne. Les pauvres, Romains et Ita- 
liens, virent en lui Fami des chevaliers qui rete- 
naient leurs biens ; les sénateurs et les chevaliers , 
Fauteur des lois agraires qui les forçaient de res^ 
tituer.. 



167 

Le peu de partisans qui lui restaient dans les tri- 
bu$ rustiques étant éloignés pendant Tété par les 
travaux de la campagne^ y il resta seul dans la ville 
avec la populace qui devenait chaque jour plus in- 
différente à son sort. Tfayant plus de ressource que 
dans leur pitié ^ contre les embûches des riches ^ il 
parut sur la place en hd>its de deuil ^ tenant en main 
son jeune fils et le recommandant aux citoyens ^. En 
même temps, il tâchait de se justifier de la déposi- 
tion d'Octavius^ et employait toute son éloquence 
à mettre au jour ce secret fatal qu'il eût dû, dans 
son intérêt, ensevelir au fond de la terre : que. les 
caractères les plus sacrés, celui de roi, de veMale, 
de tribun, pouvaient être efiEacés. Ses ennemis pro- 



' Appun. , 2* T. , p. 611 , c. 957, 

* Plutarcb. , in Tib, Gr, •^Fragmeotiuii miper repertiim in iaedlto Ci- 
ceronis interprète. « Si TeUem apiid yos Terba facere et à vobis postiilare , 
» cùm génère f ununo ortns essem et cùm fntrem piopter yos amisissem , 
» nec quisqoam de P. Àfricani et Tiberii Gncchi famîlia nisj ego et puer 
y restaremos, nt pateremini hoc tempore me qaietcere , ne a stiipe genos 
» nostnim interiret et ati aliqua proptgo generis nostri rdiqaa esset, hand 

m 

» scio an lubentibus a Tobis impetnssem. • 

« Romains, si je Yoolais prendre derant tous la parole et tous deman- 
der, moi le descendant d^nne si noble famille, moi qui ai perda mon frère 
pour Toas, et qui de la maison de Scipîon TAfricain et de Hbérius Goar- 
cbiis reste seul arec cet enfant , de sonifrir que je troiiTe maintenant le 
repos, afin qne notre famille ne soit pas anéantie tout entière, et qii^il en 
tmrnve quelque débris, je ne sais sirous m^aocorderiex cela Yokmtien. » 
Traduction de M. Villemain. ^ C'est ici Gains Graccfaus qui parle. 



166 

filèrent contre lui-même de cette imprudente apo- 
logie. 

Le lendemain^ de bonne heure, il occupa le Ga- 
pitole avec la populace. Il portait sous sa robe un 
dolon, sorte de poignard des brigands dltalie. Les 
riches, appuyés de quelques-mns des tribuns enne- 
mis de Gracchus, ayant voulu troubler les suffrages 
qui le portaient à un second tribunat, il donne aui 
siens le signal dont ils étaient convenus. Ils se par- 

• 

tagent les demi-piques dont les licteurs étaient ar- 
mes, s'élancent sur les riches, en blessent plusieurs 
' et les chassent de la place ^ . Des bruits divers se ré- 
pandent ; les uns disent qu'il va faire déposer ses 
collègues 3 les autres, le voyant porter la main à sa 
tête, pour indiquer qu'on en veut à sa vie, s'écrient 
qu'il demande un diadème^. Alors Scipion Nasica, 
souverain pontife, l'un des principaux détenteurs 
du domaine', somme en plein sénat le consul Mu- 



' Appian. , p. 612 , c. dS9. 

' Plutareh. , c. 22 , p. 533. — ù^ulo Tp x««pi ^^ iLtftù^ç ol 

§ff havliot àitajytXkù^ngç ailcîv.diâîioiiMc'TiScptoy. • 

' Il avait de plus une haine penonndle contre TibériiiB. Valer. H«s. , 1 , 
c. I : a Caïua Figolus et Scipion Nàûca étant noBunéft consuls dansks 
comices présidés par Tib. Gracchns , oelni-ci , déj^k arrivé dans son itonvcr* 
uement , infoima le collège des augures qu'en parcoosant ie livre des céré- 
atonies publiques , il s'était aperçu d'an vice de formalité dans la manière 
dont les auspices avaient été observés. Les eonauls forent obligés de revenir 
de la Gaule et de la Corse , et d'abdiqner le consnl rt» tn de B. 594 . » 



169 

dus da $e aiettiie à la tête du bon parti et de mar- 
cher contre le tyran. L^ixnpassible jurisconsulte lui 
répond frpidemeiU: Si par fronde ou par force y Tibé- 
rius Sànpronius Grâctkus surprend un plébisciiô conr 
traire aux lois de» la république y je ne le ratifierai 
point* Alors, Scipion : Le premier magistrat trahit la 
patrie y à mcij qui veut ^ sawert II rejette sa toge 
sur sa téte^ soit qu'il fât convenu de ce signe avec 
son parti ^ soit qu'il eut cru devoir se voiler à la vue 
du* Capitole, dont il allait violer Tasile. Tous les 
sénateurs le suivent avec leurs diens et leurs es- 
claves qui les attendaient. Us arrachent des bâtons 
à leurs adversaires , ramassent des débris de bancs 
brisés , tout ce qui se trouve sous leur main, et 
poussent leurs ennemis jusqu'au précipice sur le 
bord duquel le Capitole était assis. Lés prêtres 
avaient fermé le temple. Gracchus tourne quelque 
temps à l'entour. Enfin , il fiit atteint par un de ses 
collègues qui ie frappa d'un banc brisé. Trois cents 
de ses amis furent assommés à coups de bâtons et de 
pierres, leurs corps .refusés à leurs familles et pré- 
cipités dans le Tibre. Le roman der Hutarque pré- 
tend que les vainqueurs poussèrent la barbarie jus- 
qu'à enfermer un des partisans de Tibérius dans 
un tonneau avec des serpens et des vipères. Cepen- 
dant ils respectèrent la fidélité héroïque du philo- 
sophe Blosiusde Cumes, l'ami de Tibérius et son 
principal conseiller. Il déclarait qu'il avait en tout 



û 



170 

suivi les volontés de Tibérius. Eh! quoi, dit Scî- 
pion Nasica^ s'il i avait dit de brûler le Capitale? 
— Jamais it n'eût ordonné pareille chose. — Mais 
enfin, s'il t'en eût donné ordre? — Je V aurais 
hrûW. 

Scipion Nasica avait cru peut-être. obtenir du 
parti aristocratique ce poi^oir suprême que Tibé- 
rius avait espéré du petit peuple. Ce chef farouche 
du parti des nobles^ qui venait de se souiller du sang 
de son beau-frère^ dumeurtjre d'un magistrat invio- 
lable^ avait pourtant la réputation du plus religieux 
des Romains. C'est chez lui que là bonne Déesse, 
amenée de Pessinunte à Rome, descendit de préfé- 
rence; ses relations avec l'Orient expliquent peut- 
être son surnom de Sérapion. Personne n'avait pour 
le peuple un jdus insolent mépris. Un jour qu'il 
prenait la main endurcie d'un laboureur dont il 
sollicitait le suffrage^ il lui demanda s'il a^ait cou^' 
tume de marcher^ur les mains ^. Après le meurtre de 
Tibérius , le sénat délivra le peuple d'un homme 
si odieux^ et peut-être se délivra soi-même d'un 
tyran dont tous les ennemis des lois agraires eussent 
été les satellites. Il fut, sous un prétexte honorable, 
envoyé en Asie, où il finit ses jours. 

Ce qui prouve que le sénat était moins intéressé 

' Plutarch. , c. 25, p. 834. — ^a^ûç xà^ioi toùIo cjjoâÇsec c^"*' 
— Valer. Ma\. , IV, 7. 

• Val. Max. , VII, 5. — r. le même, II , 4 } III , 2, 7$ Vill, 15. 



471 

que les chevaliers dans la question de la loi agraire^ 
c'est qu'il ne craignit pas d'en permettre l'exécu- 
tion après la mort de Tibérius. Il est vrai qu'il se 
fiait aux innombrables difficultés qu'elle entrain^ 
rait dans la pratique. 

c< Après la fin tragique de Tibérius Gracchus % 
et la mort d'Appius Claudius, on leur si:d>stitua 
Fulvius Flaccus et Papirius- Carbon^ pour exécuter 
la loi agraire avec le jeune Gracchus. Les posses- 
seurs des terres négligèrent de fournir l'état de 
leurs propriétés. On fit une proclamatimi pour les 
traduire devant les tribunaux. De là une multitude 
de procès très-embarrassans. Partout où^ dans le 
voisinage des terres que la loi atteignait y il s'en 
trouvait d'autres qui avaient été ou vendues, ou 
distribuées aux alliés, pour avoir la mesure d'une 
partie, il fallait arpenter la totalité, et examiner 
ensuite en vertu de quelle loi les ventes ou les dis- 
tributions axaient été faites. La plupart n'avaient 
ni tilrie de vente, ni acte de concession ; et lorsque 
ces documenst existaient, ils se contralîaient l'un 
l'autre. Quand on avait rectifié l'arpentage, il se 
trouvait *que les uns passaient d'une t^rre plantée 
et garnie de bàtimens. sur un terrain nu ; d'autres 
quittaient des champs pour àes landes, des terres 
en friches et des marécages. Dès l'origine, les ten* 



172 



res conquises avaient été divisées négligemment ; 
d'autre part , le décret qui ordonnait de mettre en 
valeur les terres incultes , avait fourni occasion à 
plusieurs de défricher les terres limitrophes de 
leurs propriétés , et de confondre ainsi l'aspect des 
unes et des autres» Le laps du tempsavait d'ailleurs 
donné à toutes ces terres une &ce nouv.elle; et les 
usurpations des citoyens ridies , quoique considé- 
rables y étaient difficiles à déterminer. De tout cela, 
il ne résultait qu'un remuement universel ^ un chaos 
de mutations et de translations respectives de pro- 
priétés. » ' . 

« Excédés de ces misères^ et de la précipitation 
avec laquelle les triumvirs expédiaient tout cela, 
les Italiens se déterminèrent à prendre pour défen- 
seur contré tant d'injustices Cornélius Scipiôn, le 
destructeur de Carthage. Le zèle qu'il avait trouvé 
en eux dans les guerres , ne lui permettait pas de 
s'y refuser. Il se rendit au sénat ^ et sans blâmer 
ouvertement la loi de Gracchus^ par égard pour les 
plébéiens , il fit un long tableau des ^difficultés de 
l'exécution , et conclut à ce que la connaissance 
de ces contestations fût ôtée aux triumvirs comme 
suspects à ceux qu^il s'agissait d'évincer, m 

« La chose paraissait juste , et fut adoptée. Le 
consul Tuditanus fut chargé par le sénat de ces ju- 
gemens ; mais il n'eut pas plutôt commencé^ qu'ef- 
frayé des difficultés , il partit pour l'Ulyrie. Cepen- 



* 173 

dant personne ne se présentait devant les triumvirs. 
Ce résultat commença d'exdter contre Scipion l'a- 
nimosité et l'indignation du petit peuple. Deux 
fois ils l'avaient^ malgré les grands et malgré les 
lois ,' élevé au consulat , et ils le voyaient agir contre 
eux dans l'intérjèt des Italiens. Les ennemis de Sci- 
pion^ qui entendaient tes reproches , disaient hau- 
tement qu'il était décidé à abroger la loi agraire par 
la force des armes, et.en veirsant beaucoup de sang. » 

La haine de la populace contre le protecteur de^ 
Italiens éclata /lorsqu'il osa flétrir la mémoire de . 
Graochus , et révéla l'origine servile du nouveau 
peuple de Rome. Le tribun Carbon lui demandait 
ce qu'il pensait de la mort de Tibérius. Je pense, 
dit le héros y quil a été justement tué ; et comme le 
peuple murmurait, il ajouta le mot terrible que 
nous avons rapporté au commencement de ce cha- 
pitre. Les faux fils de V Italie se turent, mais leurs 
diefs comprirent leur humiliation et leur fureur. 
Côïus Gracehuss'écriaiwUfautse défaire du tyran. » 
Ce n'était pas la première fois que le parti démago- 
gique recourait aux viotences les plus atroces. Na- 
guère \t tribtm C. Afiûius , récemment chassé du 
sénat par le censeur Métellus, avait essayé de le 
précipiter de la roche Tarpéiefme. 

K Un soir , dît Appien , Scipion s'était retiré arêc 
ses tablettes, pour mécfiter la nuit le discours qu'il 
devait prononcer le lendemain devant le peuple. 



174 

Au matin ^ on le trouva mort^ toutefois sans bles- 
sure. Selon les uns , le coup avait été préparé par 
Comélie^ mère des Gracches^ qui craignait Faboli- 
tion de la loi agraire y et par sa fille Sempronia y 
femme de Scipion , laide et stérile ,■ qui n'aimait 
pas son mari, et n'en était pas aimée. Selon d'au- 
très, il se donna la mort, voyant qu'il ne pouvait 
tenir ce qu'il avait promis. Quelques-uns préten- 
dent que ses esclaves, mis à^a torture, avouèrent 
que des inconnus, introduits, par une porte de der- 
rière, avaient étranglé leur maître; mais qpi'ils 
avaient craint de déclarer le fait , parce qu'ils 
savaient que le peuple se réjouissait de sa mort, n 
Satisfait de cette vengeance , et menacé par les 
Italiens qui s'introduisaient toujours dans les tribut 
et étaient parvenus à porter un des leurs au consu- 
lat, le peuple laissa le sénat suspendre l'exécution 
de la loi, agraire, et éloigner Caius en l'attadiant 
comme proquesteur au préteur de Sardaigne. Le 
sénat profita de ce moment pour bannir les Italiens 
de la ville , pour frapper les alliés de terreur , en 
rasant la ville de Frégellesqui, disait-on , méditait 
une révolte. Caïus passa pour n'être pas étranger 
au complot; et tel était son crédit sur les villes 
dltalie qu'elles accordèrent à ses sollicitations pei^ 
sonnelles les vêtemens que la province de Sardai- 
gne refusait à l'armée , avec Fs^probation du 
sénat. 



175 

Pendant que le sénat croit retenir Caïus en Sar- 
daigne^ en lui continuant la proquesture, il reparaît 
tout à coup , et prouve, au tribunal des censeurs et 
des préteurs, que son retour est conforme aux lois. 
Le peuple revoit en lui Tibérius , mais plus véhé- 
ment, plus passionné. Sa pantomime était vive et 
animée, il se promenait par toute la tribune aux 
harangues. Sa voix puissante emplissait tout le Fo- 
rum, et il était obligé d'avoir derrière lui un joueur 
de flûte qui la ramenait au ton et en modérait les 
éclats*. Lorsqu'il se présenta pour le tribunat, il 
y eut un si grand concours dltaliens dans Rome , 
que Fimmensité du Champ-de-Mars ne put conte- 
nir la foule, et qu'ils donnaient leurs suffrages de 
dessus les toits. L'année suivante, il se fit, en vertu 
d'une loi faite exprès, continuer dans le tribunat. 

Ses premières lois furent données à la vengeance 
de son firère. Il adopta tous ses projets en les éten- 
dant encore. D'abord, il fait confirmer la loi Por^ 
cia, qui exige, pour toute condamnation à mort, la 
confirmation du* peuple. H ordonne pour chaque 
mois une vente de blé à bas prix ; pour chaque an- 
née une distribution de terres, et il la commence 
en établissant plusieurs colonies. La loiyagraire , 
ainsi exécutée progressivement,, ne se présente plus 

• Platarcfa. , c. S , p. 825. ^ Oç i^wv ^ «iva^xcxov Sj^yavov f va^i^ov 
TÔvov f*«ÎL«y.ôv , etc. — V. Max. , VIII ,40. 



176 

sous un aspect si menaçant. Il afferme au profit des 
pauvres citoyens rhéritagè d'Attale. Il*défend de les 
enrôler avant dix-sept ans. Jusque-là soa système 
est un ^ dans l'intérêt exclusif du peuple de Rome. 
Mais dans son second tribunat, il est obligé d'in- 
voquer à son aide des intérêts contradictoires. D'a- 
bord il frappe le sénat au profit des chevaliers y 
c'est-à-dire des riches^ en donnant à ceux-ci le pou- 
voir judiciaire qui leur soumet tous les nobles. Mais 
il frappe les riches en même temps que les nobles y 
«n leur ôtant le droit de voter les premiers dans 
les comices des centuries^ et d'y décider la majorité 
par l'influence de leur exemple. L'exécution de la 
loi agraire blesse principalement deux sortes de 
personnes : les chevaliers et autres ridies détenteurs 
des terres confisquées sur les Italiens^ et le$ Italiens 
auxquels elle menace d'eiUever . ce qui leur reste. 
Caïus a cru s'attacher les dievaliers en leur don-* 
nant les jugemens ; il entreprend de se cmicilier les 
Italiens en leur accordant à tous le droit de cité. Ni 
les uns y ni les autres, n'en serpi^t reconnaîssàns ; 
Caîus. n'est pour eux que le défenseur de la loi 
agraire qui livre leurs propriétés à la populace de 
Rome. Celle-ci attend impatiemment les terres qui 
lui sont promises^ et en attendant^ elle maudit cdui 
qui lui 6te la souveraineté , en accordant le suffrage 
aux Italiens^ dont le nombre doit la tenir désormais 
dans la minorité et la sujétion. 



477 

Uiétait ^rop visible que la toutes puissance de 
Çaïus dans Rome ne serait pas employée au profit 
de Rome seule. En même temps qu'il occupait les 
pauvres par toute l'Italie à construire ces voies admi- 
rables qui perçaient les montagnes y comblaient les^ 
vallées y et semblaient faire une seule cité de la pé- 
ninsule^ il s'entourait d'artistes grecs; il accueillait 
les ambassadeurs étrangers^ faisait vendre le blé 
d'Espagne au profit des Espagiiols dépouillé^i^ et 
proposait le rétablissement des vieilles rivales de 
Rome y Capoue , Tarente et Çarthage ^ . Ce dernier 
projet^ qui fut repris pfir César, révèle en C^îus le 
génie cosmopolite du dictateur , dont il égalait la 
puissance. A trente ans il avait gagné par l'éloquence 
cette domination absolue que le vainqueur de Pom- 
pée n'eut qu'à plus de cinquante, après les victoires 
de Pharsale et de Munda. Caïus , qui attachait sa 
gloire à ces fondations, voulut relever lui-même 
Çarthage, et passa en Afrique, laissant la place aux 
intrigues du sénat. Peut-être aussi ne pouvait-il 
supporter la vue de sa popularité décroissante. 

Le sénJk prit un moyen sûr pour dépopulariser 
Caïus : ce fut de le surpasserez démagogie, llgagnn 



* Plat. — Vell. Pat. , II , c. 4 5 : « Le premier , il foada des colonie» 
hors de Pltalie , ce qu^avaient jusque-là évité les Romains , sachant bien que 
les coloqies suqMsaent touTcnt leurs mélropoks ; Tjrr est restée inférieure à 
Garthage , Phocée i Marseille , Corinthe i Syjacuse , Itilet à Gyâque. » 
H. 12 



4 



m 

tin tribun , lAvms t)rusus , et fit proposer par lui 
rétablissement de douze colonies àJa fois^ sans exi- 
ger l'imposition que payaient les colonies établies 
par Gracchus. Il se conciliait les Latins y en faisant 
rendre une loi qui défenfdàit de battre de verges 
leurs soldats. En même temps y un Fannius y que 
Gaïus avait fait élever au consulat , tourna contré 
lui , et Taccabla d'éloquentes invectives, le désignant 
comme complice des meurtiiers de Scipion ^ • 

Dès-lors, l'histoire du malheureux Gaïus repro- 
duit celle de son frère. Il échoua dans la deiilande 
d'un troisième tribunat, et vit parvenir au consulat 
Opimius, son plus cruel ennemi. Réduit à implorer 
l'appui de la populace , il quitta sa maison du Pa- 
latin pour loger au-dessous, avec les citoyens pau- 
vres et obscurs. Il flatta la populace, en même 
temps qu'il appelait les Italiens dans Rome. Un dé- 
cret du sénat le priva de ce dernier secours , en 
bannissant les alliés de la ville. Alors s'engage dans 
Rome une lutte inégale. Opimius entreprend d'a- 
broger les lois de Gaïus, celui-ci de les soutenir 
avec une partie de la populace et des Italiens, que sa 
mère Gomélie faisait entrer dans Rome déguisés en 
moissonneurs^. Un licteur du consul ayant repoussé 
avec insulte les amis de Gaïus , fut percé de coups. 

' Àppian.^W/.C/V«-**PliiUrcb., té 4^, p. 840. nifiitov90^ tit P««- 



179 

Selon d^autres^ c'était un citoyen qui avait mis la 
main sur Caïus. Plutarque^ qui présente la chose 
comme arrivée par hasard y avoue pourtant qu'il fut 
tué avec des poinçons qu'on avait préparés exprès 
pour cet usage ^ Le lendemain^ le mort fut exposé 
dans la place. Le sénat t^rdonna au consul ^ /Toicr* 
poir au salut de Id république. Les sénateurs s'ar* 
nièrent , les chevaliers amenèrent chacun deux 
hommes armés. De son côté, Fulvius avait distribué 
à la populace des armes qu'il avait enlevées aux 
Gaulois dans son consulat» Pour Caïus il ne voulut 
point s'armer, et ne prit qu'un petit poignard qui > 
à tout événement, lui assurât sa liberté. Lorsqu'il 
traversa la place, il s'arrêta devant la statue de son 
père et fondit en larmes ; puis il alla mourir avec 
les siens sur TAventin. En face de la montagne plé- 
béienne, sur le Capitole était postée l'aristocratie, 
bien supérieure en force. Fulvius leur envoya deux 
fois son jeune fils un caducée à la main. Les bar- 
bares retinrent l'enfant et le mirent à mort. La 
promesse d'une amnistie détache de Caïus tout son 
parti. Ceux qui s'obstinent à rester avec lui sont cri- 
blés par des archers crétois. Il veut; se percer, deux 
de ses amis le désarment, et se font tuer au pont 
Sublicius, pour lui donner le temps d'échapper. 
Retiré dans le bois des Furies^ il reçoit la mort d'un 

' I?ir'«u1ô roula mtnùtnfrOoLi Xcyo/Asvoiç . PluUrch , fhid. 



180 

eidàve fidèle^ qui se tùe après lui. Sa tête arait été 
mise à prix; le consul promettait d'en donner le 
poids en or. Un S^timuleïus en fait sortir la cer- 
velle et la remplace avec du plomb fondu. Trois 
mille hommes furent tués en même temps, leurs 
biens confisqués ^ et l'on défendit à leurs veuves de 
porter le deuil. Pour consacrer le souvenir d'une si 
belle victoire , le consul Opimius éleva un temple 
à la Concorde. 

*4insi périt le dentier des Gracches de ta main 
des nobles ; niais frappé du coup mortel, il jeta de 
la poussière contre h ciel^ et de cette poussière na- 
quit Marius !..,. 



181 



CHAPITRE II. 



Suite de la lutte des nobies et des ebertUen. -^ Les chetalien obtiennent 
le commandement militaire. — Marins déTait les Barbarei du midi et da 
noid (Nvmideft et Gimbrcs). fSf'^lOO. 



Caîus Marius était originaire des environs d'Ar- 
pinum y yllle récemment élevée au rang de muni*^ 
cipe. U ne vint pas de bonne heure à Rome^ resta 
toujours étranger aux mœurs de la ville et ne vou- 
lut jamais apprendre le grec. Diodore nous apprend 
qu'il fut d'abord publicain ; Velleius , qu'il était 
d'une famille équestre ; ce qui semble confirmé par 
Cicéron^ son compatriote, dont l'aïeul fut^ selon 
lui , l'adversaire du père de Marius dans les fonc- 
tions d'Arpinum ^ Politique médiocre, Marius 

' YeOetus Pat. , Ub. II , c. ii : G. Marins , natus eqncstri loco. — Si 
les commentateurs eussent connu le passage de Diodore » ils n^auraicnt pas 
corri^ arbitrairement equestri par agresii, h. cette époque , les pubiicains 
étaient tous chevaliers , ou agens des cheraliers. — Diod. Sic. , Earc. de 
viri.etçit. : oie o ytàptoç tl; t^v o>vfi6ou^v x«i o/}tffPtv1ûv vtto 
TÔJy fflpaliQyûy 9apeOeft>/>ino'... ouloç ^ doxûv yiyovivae dnifioaibi- 
vnç,.. p. 607, édit. P», 4746. — Cic. , De Legibus , lib. II , c. 46 , 36. 



n'eut d'autre génie que celui de la guerrç. Au siège 
de Numance, où il fit ses premières armes, Scipîon 
Emilien devina son génie militaire : comme on lui 
demandait qui pourrait lui succéder un jour, il 
frappa sur l'épaule de Marius et dit : Celui-^i peut- 
être. 

Lorsque de retour à Rome , il demanda le tribu- 
pat, tput le Inonde le connaissait de norp, mais 
personne ne l'avait encore vu. La faveur de* Moiçl- 
lus , qui protégeaient sa famille , décida son élec- 
tion. L'aristocratie était alors toute-puissante. De 
toutes les réformes des Gracches, il n'-en restait 
qu'une; le pouvoir judiciaire était toujours , mal- 
gré les efforts du sénat , entre \es mains des cheva- 
liers, c'est-à-dire des usuriers, des riches, des dé- 
tenteurs du domaine. S^^nateurs et chevaliers s'ér 
talent entendus pour annuler la loi agraire. 
Jje sénat avait usurpé l'examen préalable de toute 
loi proposée au peviple. Ainsi les dçux ordres s'é- 
taient partage la république. Les sénateurs avaient 
les charges et la puissance politique^ les chevalier^ 
l'argent , les terres , les jugemens. Leur connivence 
mutuelle accélérait la ruine du peuple , qui se con- 
sommait en silence. 

« fX avus quidem noster singulari rirtute in hoc municiçio , quoad Tiiit , 
y restitit M. Gratidio , ferenti legem tabeUariam : exdtabat enim fluctus 
» in simpulo, ut dicitor, Gratidius , quos post fîUus qos Marins in 
» ^eo cscitavit mari. » 



183 

MariUs^ publicain^ et sorti d'une famille éques-* 
Ire^ ne pouvait rester fidèle au parti des nobles. Ce>. 
fut néanmoins un grandi étonnement pour l'aristo-^ 
cratie^ lorsque le client des Mé tel lus osa^ sans 
consulter le sénat ^ proposer une loi qui tendait à 
i;:éprimer les brigues dans les comices et les tribu- 
naux. Un des Métellus. attaque la loi et le tribun ; il 
appuie le consul qui proposa de citer Marius pour, 
rendre compte. Mariu^ entra, mai^xe fut pour or- 
donner aux licteurs de conduire Métellus e;i pri-- 
son ^ Le sénat fut obligé de retirai: son décret. Le. 
petit peuple de Ronx^ ne fut pas, plu^ content de 
Marius q,u,e les nobles , quajid il le vit se déclarer 
contre une distiibutipq dQ blé proposée par un dQ.. 
ses collègues. 

Les Italiens étaient trop divisés d'intérêts , la por 
pulace de Rome était trop faible pour qu'on pût 
s'élever à la puissance par la faveur des uns ou de& 
autres. U fallait se désigner aux deux partis par la 
gloire militaire, et trouver dans les armées un. 
point (l'appui plus solide que celui auquel s'étaient 
confiés 1/es Graççhes. Marius se rapprocha pi^oba- 
blement de Métellus^ car il fut nommé questeur, 
de Cécilius Métel|u$ pour la guerrç de Numidie. 






184 

Dès la ruine de Carthage , du vivant même du 
fidèle MassinisssL y les Romains prenaient ombrage 
du royaume des Numides qui ne leur était plus 
utile. Us n'avaient pas voulu de leur secours dans 
la dernière guerre punique. Tant que régna le lâche 
et faible Micipsa^ son fils^ ils ne craignirent rien 
de ce côté. Mais ce prince avait été obligé en mou- 
rant de faire entrer en partage du royaume , avec 
ses deux fils , son neveu , Tardent et intrépide Ju- 
gurtha, vrai Numide^ désigné au trône par la voix 
des Numides , et chéri des Romains depuis le siège 
de Ntmiance, où Micipsa Favait envoyé dans J'es- 
poir qu'il y périrait. C'était, comme son aïeul Mas- 
sinissa, le meilleur cavalier de l'Afrique, le plus 
ardent chasseur , toujours le premier à frapper le 
lion ^ « On a reg^ardé Jugurtha comme un usurpa- 
teur , il aurait fallu s'informer d'abord s'il existait 
une loi d'hérédité dans les déserts de la Numidie. 
lues Barbares choisissent ordinairement pour roi 
le plus digne dans une même famille . Les Numides 
pensèrent que la volonté d'un mort ne pouvait pré- 
valoir sur le droit de la nation. Ils regardaient, non 
sans raison , le partage de la Numidie comme son 
asservissement aux volontés de Rome , et soutin- 
rent avec une héroïque obstination le chef qu'ils 



Salliist. , i'n Jug. , c. 6. — « Pleraque tempora in Tenanilo agere » 
» leoDeiu atquc alias feras primus , aut in primis , ferire. » 



185 

s'étaient 'donné. D'abord ^ Jugurtha fiait assassiner 
Hiempsal^ le plus jeune de ses rivaux^ dontlepecH 
pie accusait la cruauté ^ . Puis y soutenu par les 
amis qu'il s'est faits parmi les Komains au siège de 
Numance, par les sénateurs qu'il achète à tout prix^ 
il obtient un nouveau partage entre lui et Adher- 
bal^ le survivant des deux frères. Enfin, se voyant 
sûr de tout le peuple, il renverse ce dernier obsta^ 
cle à l'unité de la Numidie. Adherbal assiégé, de- 
mande secours aux étrangers, aux Romains. Des 
commissaires sont envoyés, moins pour le proté- 
ger que pour empédier la réunion d'un peuple si 
formidable par son génie belliqueux. Us arrivent 
trop tard : Jugurtha, maître [de son rival, l'a fait 
périr dans les tourmens; cette 'cruauté 1" eût été 
gratuite et inexplicable, s'il n'eût considéré le ôandi* 
dat anti-national comme un usurpateur. Il massa- 
cra même tous les Italiens qui faisaient trafic à Cir- 
tha, ce qui prouve qu'il confondait dans sa haine 
Rome et Adherbal. 

Cependant le peuple éclate à Rome contre la vé- 
nalité des grands qui ont donné à Jugurtha le temps 
d'unir sous sa domination toute la Numidie. Le 
consul Caipurnius Pison passe en Afrique avec une 
armée. Il prend quelques villes , mais seulement 



Sali., Juf^' ,c. 15. Lcgati Jugurlhae : « Uicmpsâlem^ob sœvitiam suam 
» à Niimidis intcrfcctum. » 



à 



f86 

pouF se &ire mieux payer sa retraite. Nouvelle cla^ 
meur du peuple. Le tribun Memmius fait ordonner 
à Jugurtha: de venir se. justifier à Rome. Le roi de 
Numidie comptait si bien sur la corruption de ses 
juges ^ qu'il ne craignit pas d'obéir. Le peuple s^as-r 
semble pour entendre su justification; Memmius 
lui ordonne de parler ; un auti^e tribun gagné par 
le Numide^ lui ordonne dq se taire. Ainsi l'on SQ 
jouait du peuple. Cependant un des descendans de 
Massinissa demandait au sénat 1q tirône de Numidie. 
Le danger était pressant pour Jugurtha. Il n'hésite 
point à faire assassiner ce nouveau compétiteur. 
Cette fois le crime était flagrant ; Jugurthfi sortit de 
Home, et dit en se tournant encore une foi^ vers 
ses murs : Fille (t vendre! Il ne lui manq\te plus 
gu'un acheteur. 

Albinus, qu'on envoya d'abord, ne fit rien contrq 
Jugurtha; Aulus, çon frère et son lieutenant en soq 
^sence , se ]jiissa pi:endre p^ le Nutnide^ et ne se 
tira de ses mains qu'en passant sous le joug. Cette 
hont^ que Rome ne connaissait plus depuis Nu- 
^lance, O^ccusait si hautçpaent l'incapacité ou la cor-r 
ruption de l'aristocratie, que le sénat fît désormais 
de sçriçux efforts pour terçiiner là guerre. Il en 
confîa la conduite à l'un de ses membre^ les plu^ 
influens, CéciliujS Métellus, et lui donna une nou- 
velle armée (109). 

La première victoire et la plus difficile à rem^ 



A SI 

porter fut le rétablissement de la discipline. Dans 
iin pays de déserts semés de quelques villes, en pré- 
sence d'un ennemi mobile comme la pensée, et que 
Ton ne pouvait joindre que où et quand il lui plai- 
sait, il fallait n'avancer qu'à coup sûr et tâcher de 
s^assurer des places fortes. L'habileté de Jugur- 
tha rendit ce systèm€;difficile à suivre. Les Romains 
ayant pris Vacca, Jugurtha apparut tout à coup 
dans une position avantageuse , et fut au moment 
de vaincre, avec ses troupes légères, la tactique ro-ï 
maine et la force des légions. Partout il suivit Mé- 
tellus, troublant les sources, détruisant les pâtu- 
rages, enlevant les fourrageurs. II osa même attaquer 
deux fois le camp romain devant Sicca, fît lever le 
siège, et força ainsi Métellus d'aller prendre ses 
quartiers d'hiver hors de la Numidie * . Le Romain 
employait cependant contre hii les moyens les moins 
louables de vaincre. Il marchandait sous main les 
amis de Jugurtha, pour leur faire .tuer ou livrer leur 
maître. 

Ces craintes diverses décidèrent le Numide à trai- 
ter. II se soumet à tout. Il livre à Métellus deux 
cent mille livres pesant d'argent, tous ses élé- 
phans, une infinité d'armes et de chevaux. Et alors 
il apprend qu'il faut qu'il vienne se mettre lui- 
même entre les mains de RJétellus. Que risquait-il 



188 

de plus en continuant la guerre? Il la reoonv 
mença. Il eût dû se souvenir plus tôt que les Ro- 
mains avaient usé envers les Carthaginois de la 
même perfidie. 

Métellus fît alors en Numidie une guerre d'exter- 
mination^ égorgeant dans chaque ville tous les 
màles en âge de puberté ^ C'est ainsi qu'il traita 
Vacca^ qui s'était soustraite au joug des Romains, 
et Thala^ dépôt des trésors de Jugurtha qui l'avait 
crue protégée par les solitudes qui l'environnaieht 
L'indomptable roi de Numidie était sorti de son 
royaume pour le mieux défendre. Retiré aux con- 
fins du grand désert^ il disciplinait les Gétules^ et 
entraînait contre Rome son beau-père Bocchus , roi 
de Mauritanie^ qui fut vaincu avec lui près de Cir- 
tha. 

Métellus vit avec douleur son lieutenant Marim 
lui enlever la gloire de terminer cette guerre. Le 
fier patricien qui lui devait, il faut le dire, une 
grande partie de ses succès, avait voulu d'abord 
l'empêcher d'aller à Rome briguer le consulat» Il 
sera temps pour vous, lui dit-il, quand mon fils le 
demandera. Il s'en fallait de vingt ans que son fils 
eût l'âge. L'insolence de Métellus avait profondé* 
ment ulcéré Marins. Il exigea la condamnation à 
mort d'un client de Métellus, soupçonné d'intelli- 

Ibi'd., c. 54. « Pubères interûcijubet. » 



189 

genœ avec les Numides ^ et lorsque celui-ci essayait 
de réhabiliter la mëmoire de cet homme ^ Marius 
dit qu'il s'applaudissait d'avoir attaché à Vkne du 
consul une furie étemelle. 

Ce mot atroce indique assez avec quelle haine 
Marins attaqua Métellus à Rome. Cette fois iMaigna 
parler devant le peuple et flatter sa passion, il ac- 
cusa son général d'éterniser la guerre; il promit^ 
.s'il était consul^ de prendre ou tuer Jugurthadesa 
main. II était soutenu par les chevaliers, parles 
publicains ^ , par tous ceux dont cette longue guerre 
anéantissait le commerce en Afrique; il le fut par 
les prolétaires qu'il enrôla pour la première fois, 
et pour qui les camps furent un asile. On accusa 
Marius de prçndre ainsi pour soldats des hommes 
qui ne laissaient à la patrie aucun ^age de leur ûdé*- 
lité. Mais l'extinction des propriétaires cèJigeait de 
recourir à cette dernière ressource. 

Marius voulait deux choses : s'attacher, s'appro^ 
prier son armée, et vaincre Jugurtha. U atteignit 
le dernier but par ane dUcipline terrible, le pre- 
mier par une prodigalité sans bornes. Il donnait 
tout le butin , toutes les dépouilles aasoldat. Avec 
un tel accord du chef et de l'armée , la guerre fut 



' Ibid,, c. 65% — «Equités Roniânos, milites et negotiatores , alio& 
» ipse, plerosqœ pacis spes inii>etttt, uli... Nariiim imperatorem ik>s- 
» cant. » notarcb. in Mario. 



V 



190 

poussée à ôiltrance. II prit Capsa^ au milieu des 
plus arides solitudes. Il força le pic presque ii^^o 
cessible où le roi des Numides avait déposé ce qu'il 
avait pu sauver de ses trésors. Il battit deux fob 
Jugurtha et Bocchus. Ce dernier ne voulut pas se 
perdre avec son gendre. Il promit de le livrer. Ce 
fut le jeune Sylla^ questeur de Marius , qui pour 
sa première campagne eut la gloire de recevoir du 
roi de Mauritanie un captif si important. Ce succès 
fut dû en partie à son adresse et à son sang-froid; 
Bocchus délibéra un instant s'il ne livrerait pas plu- 
tôt Sylla à Jugurtha. Marius ne pardonna jamais à 
son questeur d'avoir fait représenter sur son anneau 
l'extradition du roi des Numides. 

La Numidie fut partagée entre Bocchus et deux 
petits-fils naturels de Massinissa. Le héros qui avait 
défendu la Numidie si long-temps y et qui y malgré 
des crimes ordinaires aux rois barbares^ méritait un 
meilleur sort, fiit traîné derrière le char de Marius, 
au milieu des huées d'une lâche populace. On dit 
qu'il perdit le sens. Peufrêtre vot>lait-il échapper à 
l'ignominie en feignant l'insensibilité. C'est ainsi que 
le roi des Vandales diminua pour Bélisaire la gloire 
et l'ivresse du triomphe, en déclarant par un sou-- 
rire dédaigneux qu'il n'acceptait pas la honte dont 
on croyait le couvrir. Jugurtha fut ensuite dépouillé, 
et les licteurs, pour avoir plus tôt fait, lui aiTa- 
chèrent les bouts des oreilles avec les anneaux d'or 



î{U^il y portait. De là jeté nil dans lin cachot hu-^ 
inide^ il plaisantait encore en y entrant : Par Her-*' 
cule, dit-il, ks étuves sont froides à Rome. Il lutta 
six jours entiers contre la fiaim^^ (io6). 



La jalousie que les victoires du publîcain d'Arpî- 
num inspiraient aux nobles , fiit réprimée par uii 
danger dont Rome ne crut pouvoir être défendue 
que par lui. Des peuples jusque-là inconnus aux 
Romains, des Gmbres et des Teutons des bords dé 
la Baltique, fuyant, dîsaît-on, devant FOcéan dé- 
bordé, étaient descendus vers le midi. Ils avaient 
ravagé toute TlUyrie, battu, aux portes de Pitaliè, 
un général romain, qui voulait leur interdire le No- 
rique , et tourné les Alpes par THelvétie dont les 
principales populations , Ombriens ou Ambrons , 
Tigurins (Zurich) et Tughènes(Zug), grossirent leur 
horde. Tous'ensemble pénétrèrent dans la Gaule, au 
nombre de trois cent mille guerriers ; leurs familles, 
vieillards, femmes et enfans, suivaient dans des 
charriots. Au nord de la Gaule, ils retrouvèrent 
d'anciennes tribus cimbriques, et leur laissèrent, 
dit-on, en dépôt une partie de leur butin. Mais la 
Gaule centrale fut dévastée, brûlée, affamée sur 
leur passage. Les populations des campagnes se re^ 

' Plut. , in Mar. , c. 43. EÇ tiiiipaiç ÇU70fA«x>5^*^* ^*I*Ç* 



492 

{ugièrent dans les villes pour laisser passer le tor* 
rent y et fiireat réduites à une telle disette , qu'on 
çssaya «de se SKHirrir de chair humaine ^ . Les Bar- 
bares^ parvenus au bord du Rhô^e^ apprirent que 
de Fautre côté du fleuve, c'était encore l'empire 
romain, dont ils avaient déjà rencontré les frontières 
en Illyrie, en Thrace, en Macédoine. L'immensité 
du grand Empire du midi les frappa d'un respect 
superstitieux j avec cette simple bonne foi de la race 
germanique, ils dirent au magistrat de la province , 
M. Silanus^ que si Rome leur donnait des terres j ils 
se battraient volontiers pour elle. Sila^us répondit 
fièrement que Rome n'avait que faire de leurs ser- 
vices^ passa le Rhône et se fit battre. Le consul P. 
Cassiqs , qui vint ensuite défendre la province , fut 
tué ; Scaurus ^ son lieutenant , &Lt pris , et l'armée 
passa sous le joug des Helvètes, non loin du lac de 
Genève. Les Barbares enhardis voulaient franchir 
les Alpes. Ils agitaient seulement si les Romains se- 
raient réduits en esclavage ou exterminés. Dansleurs 
bruyans débats, ils s'avisèrent d'interroger Scaurus, 
leur prisonnier. Sa répopse hardie les mit en fureur, 
et l'un d'eux le perça de son épée. Toutefois , ils 
réfléchirent, et ajournèrent le passage des Alpes. 



* CKsar, CeU. Gail. , libr VU , c. 77. la oppida compolù , ac îhA' 

» piâ subacti , eorum corporibus qui aeUte inutiles ad beUnm TÎdebanfiir » 
» vitara toleraviinint. 



193 

Les paroles de Scaurus furent petit-êtrè le salut de 
ritalie. 

Les Gaulois Tectosages de Tolosa> unis aux Cim- 
bres par une origine commune^ les appelaient con- 
tre les Romains dont ils avaient secoué le joug. La 
marché des Citnbres fut trop lente. Le consul C. 
Servilius Cépion pénétra dans la ville et la saccagea. 
L'or et l'argent rapporté jadis par les Tectosages du 
pillage de Delphes y celui des mines des Pyrénées ^ 
celui que la piété des Gaulois clouait dans un tem- 
piede la ville^ ou jetait dans un lac voisin^ avaient fait 
de Tolosa la plus riche ville desGaules.'Cépion en 
tira, dit-on^ cent dix mille livres pesant d'or et 
quinze cent mille d'argent. Il dirigea ce trésor sur 
Marseille, et le fit enlever sur la route par des gens 
à lui, qui massacrèrent l'escorte. Ce brigandage ne 
profita pas. Tous ceux qui avaient touché cette proie 
funeste finirent misérablement; et quand on voulait 
désigner un homme dévoué à une fatalité implaca- 
ble, on disait : Il a de Vor de Tolosa» 

D'abord Cépion , jaloux d'un collègue inférieur 
par la naissance, veut camper et combattre sépa- 
rément. Il insulte les députés que les Barbares en- 
voyaient a l'autre consul. Ceux-ci, bouillans de fu-> 
reur, dévouent solennellement aux dieux tout ce qui 
tombera entre leurs mains. De quatre-vingt mille 
soldats , de quarante mille esclaves ou valets d'ar- 
mée, il n'échappa, dit-on, que dix hommes. Cé- 
II. i3 



m 

]Hon fut des dix. lies Barbares tinrent religieiâatiilén! 
leur serment; ib tuèrent dans les deux camps tout 
être vivant, ramassèrent les armes , et jetèrent l'or 
et l'argent , les chevaux même dans le Rhône ^ . 

Cette journée, aussi terrible que celle de Cannes; 
leur ouvrait Tltalie. La fortune de Rome les arrêta 
dans la Province et les détourna vers les Pyrénées. 
De là , les Cimbres se répandirent sur toute VEsp^ 
gne, tandis que le reste des Barbares les attendait 
dafis la Gaule. 

Pendant qu'ils perdent ainsi le temps et vont se 
briser corftre les montagnes et Topiniàtre courage 
des Cel libériens, Rome épouvantée avait appelé Ma- 
rius de l'Afrique. Il ne fallait pas moins que l'hoinme 
d'Arpinum, en qui tous les Italiens voyaient un dei 
leurs, pour rassurer l'Italie et l'armer unanimement 
contre les Barbares. Ce dur soldat, presqu'aussi 
terrible aux siens qu'à l'ennemi, farouche comme 
les Cimbres qu'il allait combattre , fut , pour Rome^ 
un dieu sauveur. Pendant quatre ans que l'on ar- 
tendit les Barbares , le peuple , ni même le sénat , 
ne put se décider à nommer un autre , consul que 
Marins. Arrivé dans la province, il endurcit d'a- 
bord ses soldats par de prodigieux travaux. 11 leur 
fit creuser la Fossa mariana, qui facilitait ses corn- 



Paul- , Oros. , 1. V , c. 1 6. Aurum argentumque in flamen abjfc- 
t«m. . . . eqoi i^i gurgUibus inmersi. 



\9S 

ïnunications avec la mer, et permettait aux navires 
d'éviter Fembouchure du Rhône, barré par les 
fiables. En même temps, il accablait les Tectosages 
et s'assurait de la fidélité de la province avant que 
les Barbares se remissent en mouvement. 

Enfin ceux-ci se dirigèrent vers Tltalie , le seul 
pays de TOccident qui eût encore échappé à leurs 
ravages. Maïs la difficulté de nourrir une si grande 
multitude les obligea de se séparer. Les Cimbres 
et les Tigurins tournèrent par FHelvétie et le Nori- 
que ; les Ambrons et les Teutons , par un chemin 
plus direct, devaient passer sur le ventre aux légions 
de IMjarius, pénétrer en Italie par les Alpes mariti- 
mes et retrouver les Cimbres aux bords du Pô. 

Dans le camp retranché d'où il les observait, 
d'abord près d'Arles, puis sous les murs d'Aquae 
Sextiae (Aix)^ Marius leur refusa obstinément la 
bataille. Il voulait habituer les siens à voir ces Bar- 
bares, avec leur taille énorme, leurs yeux farou- 
ches, leurs armes et leurs vêtemens bizarres. Leur 
roi Teutobocus franchissait d'un saut quatre et 
même six chevaux mis de front ^ ; quand il fut con- 
duit en triomphe à Rome, il était plus haut que les 
trophées. Les Barbares, défilant devant les retran- 
chemens, défiaient les Romains par mille outrages : 



' Flonis, 1. m. tlex Teutobochus, quaternos senosqne equos traïuilire 
sofitus. 



1^6 

N'aidez- i^aus rien a dire a vos femmes? disaient-ils ^ 
nous seropis bientôt auprès d'elles. Un jour^ un de 
ces géaçs du nord vint jusqu'aux portes du camp^ 
provoquer Marius lui-«iême. Le général lui fit ré- 
pondre que^ s'il était las de la vie^ il n'avait quVt 
s'aller pendre^ et comme le Teuton insistait^ il lui 
envoya un gladiateur. Ainsi il arrêtait l'impatience 
des siens; et cependant il savait ce qui se passait 
dans leur camp par le jeune Sertorius , qiii par- 
lait leur langue^ et se mêlait à eux sous l'habit 
gaulois. 

Marins^ pour faire plus vivement souhaiter la ba- 
taille à ses soldats , avait placé son camp sur une 
colline sans eau qui dominait un fleuve. Vous êtes 
des hommes, leur dit-il, vous aurez de l'eau pour 
du sang. Le combat s'engagea en effet bientôt aux 
bords du fleuve. Les Ambrons, qui étaient seuls 
dans cette première action, étonnèrent d'abord les 
Romains par leur cri de guerre qu'ils faisaient re- 
tentir comme un mugissement dans leur bouclier : 
' Ambrons I Ambrons ! Les Romains vainquirent 
pourtant, mais ils furent repoussés du camp par 
les femmes des Ambrons ; elles s'armèrent pour dé- 
fendre leur liberté et leurs enfans , et elles frap- 
paient du haut de leurs chariots sans distinction 
d'amis ni d'ennemis. Toute la nuit les Barbares 
pleurèrent leurs morts avec des hurlemens sauvages 
qui, répétés par les échos des montagnes et du 



197 

fleuve^ perlaient TépouTante dans l^me même des 
vainqueurs. Le surlendemain y Marius les attil*a par 
sa cavalerie à une nouvelle action. Les Ambro- 
Teutons emportés par teur courage , traversèrent là 
rivière et- furent écrasés dans son lit. Un corps de 
trois, mille Romains les prit par derrière^ et décida 
leur, défaite.. Selon l'évaluation la plus modérée y le 
nombre des Barbares pris ou tués y fut de cent mille. 
La vallée^ engraissée de leur sang ^ devint célèbre 
parsafertilité. Les habitans du pays n'enfermaient^ 
n'étayaient leurs vignes qu'avec des.es de morts. Le 
village de Pourrilres rappelle encore aujourd'hui le 
nom donné à Id^plaino : Canipi patridly champ de 
la putréfaction. Quant au butin y Tarmée le donna 
tout entier à Marius 4{ui^ après un sacrifice solen- 
nel y le-brùla en Thonneur des dieux. Une pyramide 
fut élevée à Marius^ un temple à la Victoire. L'église 
de Sainte-Victoire, qui remplaça le temple, reçut 
jusqu'à la Révolution fînançaise une procession an- 
nuelie^ dont Pusage ne* s'était jamais interrompu. 
La pyramide subsista jusqu'au qtiinzième siècle ; et 
Fourrières avait pris poun armoiries le triomphe 
de Marius représenté sur un des bas-reliefs dont ce 
monument était orné U 
Cependant les Cimbres, ayant passé les Alpes Not 



*• Àm. Thiern- , Hist^ des Gaui. , 2* t. , p. 226. 



-196 

riques , étaient de$cendiLS dans la vallée de l'Âdige, 
Les soldats de Catulus ne lés voyaient qu'avec ter- 
reur se jouer, presque nus, au milieu des glaces , 
et se laisser gli^r sur leurs boucliers du haut des 
Alpes à travers les précipices ^ . Catulus , général 
.méthodique, se croyait en sûreté derrière TAdige 
couvert par un petit fort. Il pensait que les enne^ 
mis ^'amuseraient ' à le forcer. Us entassèrent des 
rochers, jetèrent toute une forêt par-dessus et pas- 
sèrent.. Les Romains s'enfuirent et ne s^arrêtèrent 
que derrière le Pô. Les Cimbres ne songeaient pas 
à les poursuivre. En attendant Tarrivée des Teu- 
tons, ils jouirent du ciel, et du sol italien,^ et se 
laissèrent vaincre aux douçeuis de la belle et molle 
contrée. Le vin, le pain, tout était nouveau pour 
ces Barbares * , ils fondaient sous le> soleil du midi 
et sous l'action de la civilisation plus énervante en- 
core. 

Marins eut le temps de joindre son collègue. U 
reçut des députés des Cimbres, qui voulaient ga- 
gner du temps : Donnez^-nauf , disaient-ils, des tert- 
res pour nous ei pour nos frères les Tenions . — Lais" 

Fl^iiiSi, 1. m. Hi jàm {qpk. credeièt?) per bicviem , qpm alliib 
Alpes levât , tridentinis jiigis in Italiam provoluti ruina desceoderant. 
Plut. , c. y . — Tovç Qvpsovç Ts'koLlëtç ÛTTo'ItOévIcc TOîc càfAuavt. 

Ibid, In Venetiâ, quo ferè tnctu Italia molliasima est, îpsâ soli 
rcvlique clmcntia robur elanguit. Ad hoc paais usa caniiM|iie coctae et 
(liilcedine vinj mitigatos... 



+99 

sez'là vos frères , répondit Mamu y ik ont des terres. 
Nous leur en avons donné quHls garderont éùmel^: 
lement. Et comme les Cimbres le menaçaient de 
l'arriTée des Teutons : Ils sont ici^ dit-4l^ i7 ne serait 
pas bien de partir sans les saluer , et il fit amener 
les captifs. Les Cimbres ayant demandé quel jour * 
et en quel lieu il voulait combattre /x>ur savoir à qui 
serait V Italie y fl leur donna raidee-Tous pour le 
troisième jour dans un champ y prè» de Yerceil . 

Marius s'était placé de manière à tourner contre 
Tennemi le vent , la poussière et les rayons ardens 
d'un soleil de juillet. L'infanterie des Cimbres 
formait un énorme carré , dont les premiers rangs 
étaient liés tous ensemble avec des chaînes de fer. 
Leur cavalerie, forte de quinze mille hommes/ 
était effrayante à voir, avec ses casques chargés de 
mufiles d'animaux sauvages, et surmontés d'ailes 
d'oiseaux * . Le camp et l'armée barbare occupaient 
une lièue en Ipngeur. Au commencement, l'aile- 
où se tenait Marius ayant cru voir fuir la cavalerie 
ennemie^, s'élançç à sa poursuite, et s'égara dans la 
poussijère^ tandis que Tinfanterie ennemie, sem- 
blable aux vagues d'une mer immense, venait se 
briser sur le centre où se tenaient Catulus et Sylla , 
çt alors tout se perdit dans une nuée de poudre. 



* Plut., c. 37. 6)2pîe«v ^o^vjpôv j(jk9pia9t»,, Xôfiç zfti^v^loïç»U 



200 

La poussière et le soleil ihéritèrent le principal hon- 
neur de la victoire ^ (loi), 

Hestait le camp barbare y les femmes et les enlans 
des vaincus. D'abord, revêtues d'habits de deuil, 
elles supplièrent qu'on leur promît de les respecter, 
et qu'on les donnât pour esclaves au3^ prêtresses ro^ 
maines du feu ^ (le culte des élémens existait dans 
la Qermanie). Puis , voyant leur prière reçue avec 
dérision, elles pourvurent elles-mêmes à leur liberté. 
Le mariage chez ces peuples était chose sérieuse. 
Les présens symboliques des noces, les bœufs 
attelés , les armes , le coursier de guerre , an- 
nonçaient assez à la vierge qu'elle devenait la com- 
pagne des périls de l'homme^ qu'ils étaient unis 
dans une même destinée^ à la vie et à la mort {sic 
piu^idunij sic pereundum^ Tacit.). Cest à son épouse 
que le guerrier rapportait s^^ blessures après la bsK 
taille ( ad maires et çonjuges vuUiera referunt ; itec 
HUb iiume^x^re oui ejçigere plagds pa^s^ent). Elle les 
comptait, les sondait sans pâlir; car la mort ne de- 
vait point les séparer. Ainsi , dans les poèmes 
Scandinaves, Brunhild se brûle $ur (e cprps de 

" Flonii, 1. ni. — Pl»t„ inMar,, c. 27.. Koyto|B7oO oipBiA'^ç «irXé- 

' Paul. Oros. , 1. V, c. 16. Consuluerunt consulem, ut si inviolaU 
castitate Tirginibus sacris ac diis senrienduin esset, TÎtam sibt reserTa> 
rcnt. — Florus, I. HI, c. 3. Quùm, missA ad Marium legatîoiie, libcr^ 
tatem ac Mcerdoltum non impelrasswt. 



«^^^"■■■■■iBBVVVWOTVBHBHBHnmaHP 



201 

Siegfiid, D'abord les femmes des Cimbres afiEran-^ 
chirent leurs enfans par la mort; elles les étrangle* 
rent ou les jetèrent sous les roues des chariots. 
Puis elles se pendaient y s'attachaient par un nœud 
voulant aux cornes des bœufs ^ et les piquaient en- 
suite pour se faire écraser. Les chiens de la horde 
défendirent leurs cadavres; il fallut les exterminer 
à coups de flèches *. 

Ainsi s'évanouit cette terrible apparition du nord , 
qui avait jeté tant d'épouvante dans l'Italie. Le mot 
cimbrique resta synonyme de fort et de terrible. 
Toutefois Rome ne sentit point le génie héroïque 
de ces nations^ qui devaient un jour la détruire ; 
elle crut à son éternité. Les prisonniers qu'on put 
faire sur les Cimbres, furent distribués aux villes 
comme esclaves publics, ou dévoués aux combats de 
gladiateurs. 

Mari us fit ciseler sur son bouclier la figure d'un 
Gaulois tirant la langue , image populaire à Rome 
6ks le temps de Torquatus. Le peuple l'appela le 
troisième fondateur de Rome, après Romulus et 
Camille. On faisait des libations au nom de Marins , 
comme en l'honneur de Bacchus ou de Jupiter. 
Lui- même , enivré de sa victoire sur les Barbares 
du nord et du midi, sur la Germanie et sur les Indes 

* Plin. , 1. Vm, c. 40. Canes dcfcndêre, Cimbii9cacs«>()onii)S oanini 



202 

africaines, ne buvait plus que dans celle coupe à 
deux anses ^ où^ selon la tradition^ Baechus ayair 
bu après sa victoire des Indes * . 



La victoire de Marius délivra Rome du danger 
qu'elle redoutait le plus ^ mais non du plus grand. 
L'empire y disait-on , était désormais fermé aux^Bar- 
bares; et chaque jour, sous les fers de l'esclavage, 
ils envahissaient l'empire. Les publicains, établis sur 
toutes les frontières, avaient organisé la traite des 
blancs. Ce n'étaient point des prisonniers de guerre, 
encore moins des esclaves achetés; c'étaient des 
hommes libres que les marchands d'esclaves, pu* 
blicains, chevaliers et autres, enlevaient en pleine 
paix, et le plus souvent chez les alliés de Rome. 
Lorsque Marius , partant pour combattre les Teu- 
tons, fit demander des secours à JVicomède, roi de 
Bithjnie, ce prince répondit que, ^àçe aux pu- 
blicains et aux marchands d'esclaves , il n'avait plus 
pour sujets que des enfans, des fempies et des 
vieillards ^ • Une émigration non intièrrompue de 
Ihr^ces, de Gaulois, d'Asiatiques surtout, avait 

« 

lieu en Italie et en Sicile. Us y étaient amenés 



' Plut. , ih Mario, 
' Diod. , Excerpi. 



203 

comme esclaves en même temps que leurs dieux 
y entraient comme souverains. Avont la seconde 
guerre punique ^ le sénat avait fait démolir à Rome 
le temple d'Isis ; vingt ans après cette guerre , il 
avait proscrit les initiés des bacchanales. Et voilà ^ 
que, dans la guerre des Teutons, le sénat accueille 
avec honneur le Phrygien Batabacès , qui promet la 
viotûire, et £ait bàlir cm tenqp^le à la Bonno-Déesse ^ • 
Marius mène partout avec lui la syrienne Marthe , 
la consulte avant de combattre, et ne sacrifie que 
par son ordre. Sylla obéit docilement aux deviqs 
de la €haldëe ^. Le ciénat est obligé de défeiïdre les 
sacrifices humains (98 âv. J.-C). 

Au moment où la guerre des Ombres éclata , ie 
sénat, TQuIant s'assurer des alliés d^Asie, fit undé^ 
ci^t poUr leur rendre leurs sujets devenus esclaves: 
Tout hdmme libre, originaire. d'un pays* allié, et 
i-etemi injustement dans l'esclavage, ftit déclaré 
altfranehi. A Prnstant, hiiît cents esclaves se pré^ 
sen tètent Iru préteur de -Sicile, et furent rendu» k 
la liberté': mais chaque jour d^inhombrables inuh 



plut. , t'n Mar, , c. 48. Bœla^âxv; , 9 t^C ft«7«i>aç [nnlpoç 

Wul.', ibtd. éHàptOiyàpTivKl\tpoL'jy\)^iulyiOL, MotpOav ovofAa,/.. 
iv foptita xalaxctpivnv a^fAvûr ocptnyilo « xac $})vieiç cOvcv âxctvqç ^ 



204 

litudes Tenaient réclamer au même* titre. Ces mal* 
heureux appartenaient pour la plupart aux cheva- 
liers romains ^ qui partout envahissaient 1^ terres 
sur les hommes libres, et le& easploitaient par dea 
esclaves. Quel magistrat dans les provinces eût osé 
décider contre L'intérêt de ces gcands.propriétaîres^ 
qui, en leur qualité de chevaliers, pouvaient le ju- 
ger lui-même de retour à Rome ? Cette épouvanta- 
ble tyrannie , fiscale , mercantile et judiciaire tout 
à la fbis^ a été déjà, caractérisée plus haut par quel* 
ques mots de Montesquieu. 

Les esclaves , furieux de voir leur droit à la li^ 
berté reconnu et méprisé en même temps, s'ar- 
n^ent de. toutç3 parts (xo5-i). Cette foi^^ il^ ne 
prennent pas pour chef un bouffon syrien, mais un 
brave Italien nommé Salviu$ ^ , un. Grec intrépide 
nommé Athénien, qui Içs disciplinent àlaromaine^ 
ne donnent des armes qu'à ceux qui peuvent s'en 
servir, évitent de s'enfermer da^s les villes^ où le 
grand nombi^e des hoxwie^ libres les metti^t en 
péril. Le roi Salvius et son lieutenant lisaient dans 
l'avenir, comme Eunus. Ce qui prouve au moins 
leur intelligence du présent, c'est qu'ils se diri- 
geaient vers Toccident , et s'efforçaient de commu- 
niquer avec la mer et l'Italie, où d'autres bandes 
d'esclaves étaient en armes. Tant que dura la guerre 

' Pour toute cAifpÊftK^ V, Diod«r»,, Exçe^pia, 



20» 

des Cimbres^ celle des esclaves traîna en longueur. 
Trois généraux romains y échouèrent. Mais l'année 
même de la bataille de Verceil y Manius Aquilius , 
collègue de Marius dans son cincjuième consulat ^ 
passa en Sicile , tua de sa main Athénion qui avait 
succédé à Salvius ^ et poursuivit les esclaves déban- 
dés de ville en ville. U en réserva mille pour les je- 
ter aux bétes dans l'amphithéâtre de Rome. Mais 
ils envièrent au peuple l'amusement de leur ago- 
nie; ils se tuèrent les uns les autres (xoi). Si l'on 
en croit Athénée^ un million d'esclaves avait péri 
dans les deux guerres serviles. 



206 



■■■'*■ ' " * •- * ■' 



CIiAt>ITRÉ lii. 



Gueire sociale. — I^ Italiens obligent Rome de leur accorder le droit de 
dté. — Guerre sociale et civile de Marias et de Sylla. — Dictature de 
SyDa. — tictoire des nobles snr les cheraliers, de Rome sur les Ita-* 
liens. (400*77.) 



Lés alliés qui , dans les guerres des Cimbres et 
des esclaves^ composaient les deux tiers des armées 
de Rome^ s'attendaient à des récompenses. La plu- 
part d'entre eux, dépouillés autrefois par les colo- 
nies romaines , ou récemment par Favidité des che- 
valiers, s'étaient, malgré les décrets du sénat, 
établis dans les environs de Rome et introduits dans 
les tribus rustiques. Marins fit proposer par un 
homme à lui, le tribun Apuleïus Saturninus, de leur 
distribuer les t-erres que les Cimbres avaient occupées 
un instant dans le nord de l'Italie ^ Parla, il éloi- 
gnait ses anciens soldats, Marses, Péligniens, Lu- 
caniens, Samnites, etc. , de leurs provinces natales 

* Apiiian. , B, Cw. , p. 625. 



307 

^t de leurs patxxMis nationaux i il les transplantait 
dans une province lointaine ^ où ils n'auraient pour 
garant de leur propriété que la protection de Ma-^ 
rius. C'était aussi un motif spécieux que de feirmer 
ritalie aux Barbares en établissant au pied des Al- 
pes ceux qui les avaient vaincus. Les Italiens qui 
soutenaient cette loi^ la rendirent odieuse par 
leurs violences. Ils égorgèrent en plein jour dans 
le Forum les compétiteurs de Satuminus^ et ceux 
de Glaucias qui le soutenait. La mort fut décrétée 
contre tout sénateur qui ne jurerait jpas de respec- 
ter la loi agraire accordée aux soldats de* Marius. 
Pour celui-ci , sa conduite en tout ceci ftit miséra- 
hiement double et factieuse. Il jura qu'il ne jurerait 
point la loi, et quand son ennemi Métellus Faut 
imité ^ Marius feignit d'avoir peur des Italiens , et 
prononça le serment. Le peuple de Rome^ jaloux 
des tribus rustiques, s'était armé pour soutenir 
Métellus qui aima mieux s'éloigner de Rome ^ . 

La dyplicité de Marius avait refroidi les Italiens 
pour lui- Saturninus était l'objet de leur enthousias- 
me^ et ils l'avaient salué roi. Marius se rapprocha 
du sénat et de la populape urbaine. Dès que les 
Italiens retournèrent aux travaux des champs, Sa- 
turninus fut abandonné comme les Gracches , et 
obligé de se réfugier au Capitole avec ce qui lui 
restait de ses partisans. Mourant de soif et mena- 

^ Id. , ibid. , p. 627. 



À 



^ 308 

ces d'être brûlés avec le temple, ils se réndireiit k 
Marius, qui les laissa lapider, ou, selon d'autres, 
ordonna expressément leur mort (loo) ^ Dès-lors, 
Marius vit tomber tout son crédit : odietis au peu- 
ple comme Italien, au sénat comme démagogue , 
méprisé comme publicain de Tun et de Tautre , il 
avait perdu la confiance de l'Italie en se séparant 
de Saturninus. Il vit bientôt rentrer au sénat son 
ennemi Métellus. Plutôt que d'endurer tous les 
jours l'humiliation de sa présence, il partit pour 
l'Asie , sous le, prétexte d'accomplir des vœux à la 
Bonne-Déesse, mais en réalité pour s'y ménager 
une guerre en insultant les rois alliés ^ ; peut^tre 
aussi pour s'associer aux rapines de ses amis ^ les 

chevaliers romains qui pillaient l'Asie. 

Le dangereux patronage des alliés passa quelques 
années après au tribun Livius Drusus qui avait alors 
entrepris de rendre à tout prix les jugemens au sé- 
nat. Les sénateurs ne pouvaient tolérer la tyran- 
nie des chevaliers qu'ils appelaient leurs bourreaux. 
D'un autre côté, la plupart des alliés, sur qui les 
chevaliers usurpaient chaque jour des terres, ne 
leur étaient pas plus favorables. Drusus proposait 
de partager les tribunaux entre l'ordre équestre et 



' F', les récits opposés d^Àppian. , foe. cit, , de Plut. , in Mar, , et de 
Vdleias , lib. II,c. 42. 

' P)nlarch. , in Mar, , c. 33. 



/ 

209 

le sénat, de doubler cette compagnie en y faisant 
entrer trois cents chevaliers, de donner Aes terres 
au peuple de Rome , et le droit de cité à toute l'I- 
talie (91). Ce projet de conciliation ne satisfit per- 
sonne. Les chevaliers s'adressèrent à ceux des alliés 
qui jusque-la avaient peu souffert des colonies et 
des distributions de terres , et leur firent craindre 
que les nouvelles ne se fissent à leurs dépens. Les 
Etrusques et les Ombriens vinrent à Rome accuser 
Drusus. Ils furent soutenus par le consul Marcius 
Philippe, ennemi personnel de Drusus ^ Aban- 
donné comme les Gracches, comme Saturninus, 
comme tous ceux qui s'appuyaient sur le secours 
variable des Italiens contre les habitans sédentaires 
de Rome, i^ périyissassiné dans sa maison. On ac- 
cusa de ce crime le consul , chef du parti des che- 
valiers. Ceux-ci poursuivirent impitoyablement les 
partisans de Drusus. Ils traînèrent devant leurs 
tribunaux les plus illustres sénateurs , et , descen- 
dant sur la place avec des bandes armées d'escla- 
ves, ils firent passer, l'épée à la main, une loi qui 
ordonnait de poursuivre quiconque favoriserait pu- 



* Droflus y intenompii dans une harangue par Philippe, le 6t saisira U 
gorge et trainer en prison , non par un licteur , mais par un de ses cUens , 
et arec tant de violence que le sang lui jaiUlt parle nez. ( Val. Mas. , IX, 
5 ) j Drusus ne fit qu'en rire, et dit : a Ca n'est que du sang de grive. » 



210 

bliquement ou secrètement la demande des Italiens, 
pour être admis au droit de cité ^ . 

De tous les alliés , les plus irrités furent les Mar- 
ses et leurs confédérés (Marrucini^ Vestini, Peli- 
gni). Ces pâtres belliqueux qui jadis avaient aban- 
donné si aisément les Samnites ^ leurs frères, 
s'étaient contentés long-temps d'être reconnus pour 
les meilleurs soldats des armées romaines. Les Ro- 
mains disaient eux-mêmes : Qui pourrait triomphtr 
des Morses , ou sans les Morses ^ ? D'abord ils ten- 
tèrent un coup de main sur Rome. Lieur brave 
chef ^ Pompédius Silo, prit avec lui tous ceux qui 
étaient poursuivis par les tribunaux, probablement 
ceux qu'avaient ruinés les usuriers romains ; ils 
étaient dix mille hommes armés sous leurs habits. 
La rencontre d'un sénateur qui se trouva sur leur 
chemin, leur fit croire qu'ils étaient découverts , et 
ils se contentèrent des bonnes paroles qu'il leur 
donna '. Cependant les peuples Italiens se liguaient 
entre eux, et s'envoyaient des àtages \ car ils se 



Appian. , B, Civ, , t. U , p. 632. 

Idem. , p. 639. — Cette guerre des Marses qui introduisit les Italka» 
dans Rome , rompit pour toujours Punité de la cité , si long-temps défendue 
par les patriciens. Devant le vieux temple de Quirinus , croissaient , dit 
Pline ( flist, n^t,, XV, 36) deax myrthes, l'uo pttrkiefi , Vmt^n pW^ 
béien.Le premier, vert et Tigoureni juftqu^à U guttre àf$ Haiscs , Ua^sw^- 
dè»>lors et se dessécha ; VtMre profita d^autênt. 
' Diod. , Ecio^, , lib. XXXVII. 



211 

, défiaient les uns des autres^ isolés qu'ils étaient 
depuis si long^temps par la politique de Rome. Les 
Marses s'adjoignirent ainsi ce qui restait dç l'an- 
cienne race samnite répandue dans les montagnes 
du Samnium et dans les plaines de la Lucanie ^ de 
la Campanie et de l'Âpulie. I^es villes importantes 
de Noie y de Vénuse et d'Asculum (dans le Pice^ 
num)^ prirent parti pour eux. Ce qui avait manqué 
aux Italiens dans la guerre des «Samnites j, c'était un 
centre^ une ville dominante^ une Rome. Cette fois 
ils en bâtirent un tout exprès. Corfinium^ la Rome 
italienne , fut faite à l'image de l'autre ^ ^ qu'elle 
devait détruire. Elle eut son Forum ^ sa curie, spu 
sénat de cinq cents membres. Ltcs alliés devaient 
nommer par an douze généraux et deux consuls. 
Les premiers qu'ils élurent ; le Marse Pompédius 
Silo et le Samnite C. Motulus (Papius Mutilius ? ) , 
furent chargés de combattre l'un vers le nord- 
ouest, l'autre vers le sud*. Le jn'emier devait atta«* 
quer Rome directement, et, s'il se pouvait , entraî- 
ner contre elle l'Etrurie et l'Ombrie . Sous ces che£i 
commandaient C. Judacilius , Herius Asinius , 
M. Lamponius, Insteius Cato, Marius Egnatius^ 
Pontius Telesinus, et plusieurs autres. Outre P. 
Ruiilius,^ Q. Cepion , Val. Messala et le fameux 
Sylla, Rome leur opposa S. Julius» César , Cn. Pom- 

' Id. , ibid. — • Id. , ibid. 



peins Strabo , et Porcius Caton , trois hommes qui 
devaient être éclipsés pai* leurs fils. II y avait en- 
core parmi les généraux romains deux Italiens d'o- 
rigine , le fameux Marius et C. Perpenna. La con« 
duite de ces derniers fut singulièrement équivoque. 
Perpenna, soupçonné de s'être fait battre, fut privé 
du commandement. Marius refusa toujours le 
combat aux Italiens, laissa échapper les plus belles 
occasions de vaincre , négligea de poursuivre Favân- 
tage qu'avait obtenu Sylla ; enfin il déposa le com- 
mandement , prétextant des maux de nerfs ^ « Sans 
doute il espérait que Rome, réduite aux dernières 
extrémités, finirait par prendre pour médiateur et 
pour chef absolu , un homtne Italien par sa nais-> 
sance, et Romain par sa fortune. 

Il se trompait. Après plusieurs défaites , où deux 
consuls perdirent la vie, Rome reprit son ascendant. 
Elle le dut surtout au consul Cn. Pompéius, et à 
Sylla, lieutenant de son collègue. Pompée, assiégé 
un instant dans Fermum , resserra à son tour dans 
les murs d'Asculum FltaKen Judacflius , qui , après 
y avoir fait égorger tous les partisans de Rome , se 
dressa un bûcher dans un temple, et s^ donna so- 
lennellement la mort. 

Pompée détruisit encore ceux qui passaient l'A- 
pennin pour soulever l'Étrurie j mais Rome ne crut 

' Apf ian. , B. Civ. , tom. II. — Plut. , in Mario , c. Sé. 



213 

pouvoir s'assurer des Etrusques et des Ombriens ^ 
qu'en leur donnant le droit de cité (88). Les Marses 
eux-mêmes abandonnèrent la ligue à la même con- 
dition. Sylla^ qui avait ménagé ce traité^ tua cin- 
quante mille Italiens dans la Campanie , prit chez 
les Hirpins iEqulanum , en menaçant de la brûler 
dans ses murailles de bois. U tourna les gorges du 
Samnium ^ que gardait l'armée ennemie ^ força Bo* 
vianum après avoir fait un carnage affireux des 
Samnites. Le Marse Pompédius Silo ^ plus fidèle à 
la cause commune que ses concitoyens, avait transe 
porté le siège de l'empire italien de Corfinium à 
Bovianum , puis à .Ssernia y deux villes samnites. 
U avait affranchi vingt mille esclaves , et sollicité le 
secours du roi de Pont , qui méconnut son intérêt 
véritable^ et répondit qu'il voulait avant tout ré- 
duire l'Asie ^ Tant de revers, et la mort même de 
Pompédius qui fut tué en Apulie^ ne purent vain- 
cre la résistance des Samnites. Chassés de leurs 
montagnes ^ ils tenaient encore dans Nola et dans 
les fortes positions d«Brutium. Leurs chefs essayè- 
rent de profiter des querelles de Marius et de Sylla 
pour s'emparer de Rhégium , et passer de là en 
Sicile 9 où ils auraient si facilement armé les esr 
•claves. 

En accordant la cité à la plupart des Italiens ^ 



214 

Rome ne terminait pas la guerre ; elle Fintroduisait 
dans ses murs. La multitude des nouveaux citoyens 
avait été entassée dans huit tribus , qui votaient les 
dernières, lorsque les anciennes avaient pu déjà dé- 
cider. Les Marses^ les Ombriens, les Etrusques^ 
faisaient un voyage de vingt ou trente lieues , pour 
venir exercer à Rome ce droit de souveraineté tant 
souhaité; aucune place publique n'était assez vaste 
pour les contenir ; une partie votait du haut des 
temples et des portiques qui entouraiait le Forum. 
Et tout ce peuple, venu de si loin ^ donnait un vote 
inutile , ou n'était même pas consulté. Les Italiens, 
indignés de cette déception , devaient recommen* 
cer la lutte jusqu'à ce que, répandus dans toutes 
les tribus , ils obtinssent l'égalité des droits. Cette 
égalité apparente eût été pour eux une supériorité 
réelle sur les anciens citoyens , dont les suffrages 
moins nombreux se seraient perdus dans les leurs. 
Sans doute , les Italiens méritaient la supériorité 
sur cette ignoble populace composée en grande 
partie d'afïranchis de toutes nations. Cependant ce 
peuple équivoque représentait la vieille Rome , en 
prenait l'esprit, se croyait romain, et défendait 
opiniâtrement l'unité de la cité. 

La promesse de répandre les Italiens dans toutes 
les tribus , et de leur assurer par là l'exercice réel 
de leurs nouveaux droits fut l'appât dont se ser\^it 
Marins pom les ramener à lui , et reprendre auprès 



215 

d'eux son ancienne popularité. Ce n'était pas qu'il 
se souciât de ses compatriotes. Le vieux publi- 
cain y devenu gras et pesant ^ , ne s'occupait guère 
depuis long-temps que d'entasser de l'argent dans 
sa belle .maison de Misène qu'il avait achetée de la 
mère des Gracches, et que Lucullus paya depuis 
5oo,ooo sesterces. Tout à coup, on vit reparaître 
Marins dans le Champ^e-Mars, s'exerçant avec les 
jeunes gens. Ses ennemis lui demandaient ce qu'é- 
taient devenus les maux de nerfs qui paralysaient 
ses mouvemens dans la guerre sociale; C'est qu'il 
s'agissait alors d'une de ces riches guerres d'Orient, 
capables de rassasier les avares généraux de Rome. 
L.e roi de Pont, Mithridate, avait favorisé le sou- 
lèvement des cités de l'Asie miixeure contre les 
épouvantables vexations des Romains 3 en un jour, 
cent mille de ceux-ci, chevaliers, publicains, usu- 
riers, marchands d'esclaves, avaient été massacrés. 
"Maître de l'Asie , il avait envoyé une grande armée 
en Grèce, et en occupait les provinces orientales 
arec toutes les îles de la mer Egée. 

Les chevaliers , dont un grand nombre devaient 
être ruinés par les succès de Mithridate, tenaient à 
faire donner le soin de cette guerre au publicain 
Marins, intéressé à ne point réformer les abus qui 

Plut, in Mar, , c. 35. OOx suffOa^Àf yeyovwç h yiQ^a tov ô^xov, 



216 

Favaient causée. Ils regardaient comme si important - 
d'envoyer en Asie un homme à eux, qu'à ce prix 
ils auraient consenti à favoriser les prétentions des 
Italiens, qu'ils avaient repoussés si long-temps. Le 
tribun Sulpicius s'était chargé de faire passer ces 
deux lois , et se faisait soutenir par une bande ar^ 
mée de chevaliers, qu'il appelait Vanti-sénat. Sylla, 
alors consul, voulait pour lui-même la conduite de 
la guerre d'Asie. Sulpicius et ses satellites l'enfer- 
mèrent dans la maison de Marius et lui firent jurer 
de se désister. Le fils de l'autre consul fut tué pu- 
bliquement. On ne pouvait moins attendre d'un 
parti , qui naguère avait égorgé en plein jour dans 
le temple de Vesta un préteur qui voulait faire exé- 
cuter les lois contre l'usure ^ . Sylla se réfugia à 
l'armée qui assiégeait encore les Samnites devant 
Nola, l'entraîna vers Rome, fit tuer Sulpicius et 
mit à prix la tête de Marius. 

Ce Sylla, qui était rentré dans Rome la torche à 
la main, en menaçant de brûler la ville, proclama 
qu'il ne venait que pour rétablir la liberté. Le peu- 
ple , le prenant au mot , refusa ses suffrages à son 
neveu et à un de ses amis , et donna le consulat à 
un partisan de Marius, L. Cinna. Le nouveau con^ 
sul avait d'abord fléchi le vainqueur en se liant à 

' Appian. , loco cit. 



217 

lui par les plus terribles sennens^ et dès qu'il se 
crut assez fort , il voulut lui faire faire son procès. 
Sylla apprenait en même temps que son collègue 
dans la guerre sociale^ Cneïus Pompée Strabon^ 
personnage équivoque qui flotta toujours entre les 
partis , avait fait tuer ou laissé tuer un autre Pom- 
pée^ qui venait lui succéder dans le commande- 
ment de l'armée, et qui tenait pour Sylla. Il com- 
prit qu'il ne prévaudrait jamais, si auparavant il ne 
s'appropriait ses légions par des victoires lucrati- 
ves dans la Grèce et dans l'Asie ; il laissa là Pom- 
pée, Cinna, ses accusateurs et ses juges, et partit 
pour combattre Mithridate (88). 

Le roi de Pont que l'on a comparé au grand 
Hannibal , avait , il est vrai , les vastes projets et 
rindomptable volonté du chef des mercenaires, 
mais non son génie stratégique. Sa gloire fut d'être 
pendant quarante ans pour les Barbares des bords 
de FEuxin ce qu'Hannibal avait été pour ceux de 
l'Espagne, de l'Afrique et de la Gaule, une sorte 
d'intermédiaire et d'instructeur , sous les auspices 
duquel ils envahissaient l'Empire. Résidant à Per- 
game sur la limite de l'Asie, d'où il avait chassé les 
Romains, il faisait passer sans cesse de nouvelles 
hordes du Caucase, de la Crimée et des bords du 
Danube dans l'Asie , dans la Macédoine et la Grèce ^ . 

* Appian. , Beli, Mithridy , I " v, 



218 

Mais ces Barbares^ à peine disciplinés^ ne pou- 
vaient tenir contre Ie$ légions. Sylla en eut bon 
marché. Quelque intérêt qu'il eût à faire sonner 
bien haut ses victoires de Chéronée et d'Orchomène 
pour FefFroi de Tltalie , il avouait lui-même que 
dans la première il n'avait perdu que douze hom- 
mes ^ Son arme principale fut la corruption. U 
acheta par le don d'une terre en Eubée le princi- 
pal lieutenant de Mithridate*. La seule Athènes 
l'arrêta long-temps. Elle était défendue par le phi- 
losophe épicurien Âristion^ qui en avait chassé 
les Romains. Les Athéniens ^ habitués à être 
respectés dans les guerres , à cause de l'enthou- 
siasme que tout le monde professait alors pour le 
génie de leurs ancêtres y ne craignirent pas de lan- 
cer du haut des murs les mots les plus piquans sur 
Sylla et Métella , sa femme. La figure farouche du 
Romain , ses cheveux roux , ses yeux verts et son 
teint rouge taché de blanc ^^ égayaient surtout les 
assiégés. Ils lui criaient : 

SjUa est une mûre saupoudrée de farine. 

U leur en coûta cher. Le Barbare inonda la ville 

' Plut, in Syli. , c. 26. d ^i 2vX>«c Xîyw T«w«p«c x«î Ssxa tiri- 

• Ibid., c. 30. 

• Plut , m Syll. , c. 2 , 8. 



219 

de sang. Ce qu'on en versa dans la place seulement, 
emplit tout le Céramique , ruissela jusqu'aux por« 
tes , et regorgea hors de la TiUe. 

Sy lia ^ ayant passé en Asie , y trouva une armée 
romaine du parti de Marins, qui, après de grands 
succès surMithridate, le tenait assiégé dans Pitane; 
le lieutenant Fimbria la commandait après avoir 
fait assassiner son général. N'ayant point de vais- 
seaux, Fimbria, pour enfermer Mithridate du c6té 
de la mer , écrivit à Lucullus qui commandait ceux 
de Sylla, et lui représenta combien il importait de 
ne pas laisser échapper l'ennemi du peuple romain. 
Mais Sylla craignait Fimbria plus que Mithridate ; 
il ouvrit le passage au roi \ et exigea qu'il abaii«» 
donnât la Bithynie , la Cappadoce et l'Asie romaine. 
« Que me laissez-vous donc, » dit Mithridate. a Je 
vous laisse, répliqua Sylla, la main avec laquelle 
vous avez signé la mort de cent mille Romains, n 
Par ce mot accablant , Sylla ne faisait qu'avouer sa 
trahison -, il avait pu prendre ce terrible ennemi de 
Rome, et éviter trente ans de guerre à sa patrie. 

La pauvre Asie, pillée par les publicains de Rome, 
pillée par Mithridate, le- fut encore par les soldats 

• Plut, in Luctdllo , c. 6. — . c. 7 : A>Vô AoOxovîJoff , ii Ti 1« xspbç 
2v>^v 9fxo(ta C7pc<r€cvwy carpo vsaTfloç thon yt-xoLi xoevov tfvfA^f- 
poVloc, etTi , etc.. oOx vir^xôvxf — Ce passage ne s'tccoide guère aveo 

ridëe que Montesquieu a Touln donner de SyUai dans son fameux Dialogue 
de Sylla eid'Eucmfe, 



\ 



N 



220 

^ Syila. Tout leur fut abandonné : la fortune de$ 
pères de famille ^ l'honneur des enfans , les trésors 
des temples. En Grèce, Sylla avait dépouillé ceux 
de Delphes, d'Olympie et d'Epidaure. Il payait d'a- 
vance la guerre civile. Les dur$ paysans de Tltalie 
connurent alors les bains, les théâtres^ les vétemens 
somptueux , les beaux esclaves , toutes les voluptés 
de l'Asie. Ils étaient logés dans les maisons des ha- 
bitant, y vivaient, eux et leurs amis à discrétion 5 
de plus , ils recevaient chacun de son hôte quatre 
cétradrachmes par jour. Sylla, en partant, frappa 
encore l'Asie d'une contribution de vingt mille ta- 
lens ^ . Tels étaient les soldats que Sylla ramenait 
contre sa patrie. Ils étaient si convaincus qu'on les 
menait au pillage de l'Italie , qu'ils offrirent tous de 
l'argent à leur général, ne demandant pas mieux 
que de faire à leurs frais une guerre si lucrative. 

Cinna, chassé un instant de Rome, avait partout 
relevé le parti italien , et malgré les sages avis de 
son lieutenant Sertorius *, rappelé Marins, dont les 
vengeances ne pouvaient que squiller le triomphe 
de l'Italie sur Rome. Revenons un instant sur les 
romanesques destinées de ce vieux chef de parti. 



Plut, in SflL , c. 32. Èiniimçi t«v Âffîocv ^tciiupiuç Toc^lot;. 
— Id. in LucuîL i c. 7. 

• Wat. in Serior., c. S. Totf fièv St^ÙJ^iç ilwti UxîvHi, Itplùpwç 



221 

Marius n'arait échappé que par miracle aux caya- 
hers de Sylla. Surpris dans les marais de Minturnes^ 
il fut conduit dans cette ville 3 mais les habitans 
n^avaient garde de livrer celui qui avait tant mé- 
nagé les Italiens dans la guerre sociale. Ils publiè- 
rent qu'ils avaient envoyé un esclave Qmbre pour 
le tuer, mais que cet homme n'avait pu soutenir 
le regard du vainqueur des Cimbres, et qu'il s'était 
enfui en criant qu'il n'aurait jamais le courage de 
tuer Caïus Marius. Ce qui est certain , c'est que les 
Mintumiens le firent passer en Afrique, d'où 
Cinna eut l'imprudence de le rappeler bientôt. Cet 
homme farouche, rentré dans Rome avec une 
bande de pâtres affranchis et de laboureurs libres 
de l'Étrurie ^ (B«pîi«iot7 Mapiavou^ Mariani?), fit 
égorger par eux les plus illustres partisans de Sylla, 
l'orateur Marcus Antonius, Catulus.Lutatius, son 
ancien collègue dans la guerre des Cimbres, une 
foule d'autres. Les excès des esclaves lâchés par 
Marius, furent tels que Cinna et Sertorius en eu- 
rent horreur, et les enveloppant une nuit, les 
taillèrent en pièces*. Peu après, Marius, âgé de 
Soixante-dix ans , consul pour la septième fois , 

* Appian. BelLch,, I. c. 67 : Vlàptoç iç Tvppiivtav xa1iir>(U9fV..« 
wvir/ays Tvppuvûv cÇaxcvx'^^o^C* 

' Plul. in Scii,y c. 6... Ovx icto^x^xi. crocovfitvoç o Ztpl&ptoç ,. 

Tf1/)«xiaxû^M«v ov1«c. — Appitn. B. ch. , l. 1 . 



222 

mourut des excès de vin dans lesquels il se 
plongeait pour s'étourdir sur rapproche de son 
ennemi. 

SjUa était alors attendu en Italie comme un dieu 
exterminateur. On publiait ses victoires sur Mithri* 
date, les paroles terribles qu'il avait prononcées, 
la furieuse cupidité de ses soldats et les menaces 
des exilés qu'il avait dans son camp et qu'il appe- 
lait son sénat. Au premier bruit de son retour (83), 
les consuls (Norbanus et Scipion, auxquels succé- 
dèrent Carbon et le jeune Marins) , eurent plus de 
cent mille hommes. Sylla avait quarante mille vé- 
térans^ avec six mille cavaliers et quelques soldats 
du Péloponnèse et de la Macédoine. Métellus et le 
jeune Pompée, fils de Cn. Pompéius Strabo^ se 
réunirent à lui. Rebuté du parti italien, qui con- 
naissait la versatilité de sa famille ^ , ce jeune 
homme de vingt-trois ans avait levé des légions 
dans le Picenum, et battu trois généraux, trois 
armées, pour aller rejoindre Sylla. Celui-ci jugea 
au premier coup-d'œil le vain et médiocre génie 
de cet heureux soldat. 11 se leva à son approdie , 
et le salua du nom de grand. A ce prix, il s'en &t un 
instrument docile. Il l'envoya dans la Gaule ita- 



' Vdl. Paterc. , H, 20. « Cn. Pompéius, Magai patcr , ilà se du- 

» bium mediomque ptrtibus pracstUit , ut oamia ei pioprio «su agcrel , 
» temporibusque insidiari videretur. » 



223 

lienne y en Sicile^ en Afrique ^ où il obtint de grands 
succès sur le parti opposé. ^ 

Ce parti n'avait que de nouvelles recrues ; et de 
plus il était divisé. Les Samnites ne se réunirent 
qu'à la fin de la guerre aux autres Italiens, qoïs^ 
mandés par les consuls. Dans la première bataille à 
Canusium , Sylla perdit soixante-dix hommes, Nor- 
hanus six mille. Dans une autre, livrée plus tard, 
il tua vingt mille hommes à l'ennemi , sans perdre 
plus de vingt-trois des siens ^ En Campanie, une 
armée pratiquée habilement^ passa tout entière 
dans son camp. La défection se mit de même dans 
les armées de Carbon et du jeune Marius. Ce der* 
nier, défait à Sacriport, tout près de Rome, parla 
trahison de deux cohortes, fut bloqué dans Pré- 
neste, et cette ville devint comme le but et le prix 
du combat pour toutes les armées de l'Italie. Sylla, 
partout présent, partout vainqueur, à Saturnia, à 
Neapolis, à Clusium, à Spolète, empêche les Ita- 
liens de délivrer Marius. Pompée bat huit légions , 
qui marchaient à son secours. Trois chefs italiens 
indépendans , le Lucanien Lamponius , le Campa- 
nien Gutta et le Samnite Pontius Télésinus , sont 
de même arrêtés par Sylla. De nouvelles défections 
éclatent. Les Lucaniens se soumettent» Rimini, 

* Appian. /?. ciç, I , c. 84. — Plut, in SjrIL c. 36 : £(xo«( rptïç fio- 



À 



224 

toute la GauJe pose les armes. Albinovanus fait sa 
paix en massacrant ses collègues. ]>iorbanus s'en- 
fuit à Rhodes , et se tue. En Sicile, Carbon se livre 
à Pompée qui le fait égorger de sang-froid. Enfin 
les Samnites, par un effort désespéré, se jettent 
entre Pompée et Sylla , pour débloquer Préneste ; 
puis ils tournent brusquement sur Rome , déter- 
minés à la mettre en cendres avant de périr. Leur 
chef, Pontius Télésinus, courait de rang en rang, 
criant qu'iV fallait anéatitir le repaire des loups ra- 
visseurs de r Italie K Rome était perdue, si l'armée 
de Sylla ne fut arrivée à temps, et n'eut livré aux 
Samnites une dernière et furieuse bataille. La vic- 
toire balança si long-temps , que Sylla hors de lui- 
même fit un vœu au dieu de Delphes , dont il avait 
si outrageusement pillé le temple *. 

Tout ce qu'il y avait d'Italiens dans Préneste, 
fut mis à part et passé au fil de Tépée. Ceux de 
Nbrba se défendirent jusqu'à l'extrémité et finirent 
par s'égorger les uns les autres. Six mille Samnites, 
auxquels il avait promis la vie , furent massacrés à 
Rome même. Leurs cris retentirent jusqu'au tem- 
ple de Bellone, où Sylla haranguait le sénat. Ce 

Velleiiu , c. 27, « Circum Tolans ordines exerdtâs sui Tdesiniis , die- 
v titansqne «desse Romanis ultimum diem , Todferabatcir eraendam ddefi- 
» damqne urbem ; adjiciens nunquam de/uturos mptores Italiœ Ubertatu 
» iupos , nisi syha in quam refugert solerrnt , esset earcisa, » 
' Plut. , in Syll, , c. 1 6 , S8. 



225 

n'est rien^ dit-il froidement^ je fais châtier quel- 
ques factieux. Les massacres s'étendirent ensuite 
aux citoyens. Le sénat ^ qui avait tant souhaité le 
retour de Sylla , se repentit de s'être donné un ven- 
geur si impitoyable. Un des Métellus s'enhardit à 
lui demander quel devait être le terme de ces exé- 
cutions? Il répondit c Je ne sais pas encore ceux 
que je laisserai vivre. Faites du moins connaître y 
ajouta Métellus^ ceui qui doivent mourir. C'est 
alors que Sylla fit afficher des tables de proscrip- 
tion (8i). 

La victoire de Sylla fut le triomphe de Rome sur 
l'Italie ; dans Rome elle-mêmey celui des nobles sur 
les riches, particulièrement sur les chevaliers ; pour 
le petit peuple , nous avons vu qu'il n'existait que 
de nom. Mille six cents chevaliers furent proscrits 
avec plus de quarante sénateurs de leur parti ^ . Leurs 
biens amassés par l'usure, par la ruine des hommes 
libres , par la sueur et le sang de plusieurs généra- 
tions d'esclaves, passèrent aux soldats,. aux géné- 
raux^ aux sénateurs. Sylla s'annonça comme le 
vengeur des lois, comme le restaurateur de l'an- 

' Appian. 1. !• c. 95. Aûtéxa (Sov^cvràf iç «ffffapaxovla , x«c cV- 

wo\v î« pov^fvlàff a»ovf àuloiç crpo«1iô«i. — c. 403. — ... A'vf- 
iov7a ôou^cvlatf fitv iwtVQxovIa, viroilovc Ik 6rtv1nc«î((ex« , «iro lï 



226 

cienne répiiblique. L'élection des pontifes et k 
pouvoir judiciaire^ autrement dit l'autorité reli- 
gieuse et l'application des lois^ furent rendus au sé- 
nat. Les comices des tribus furent abolies. Le tn- 
bunat ne subsista que de nom^ tout tribun fut 
déclaré int^apable d'aucune autre charge. On ne put 
briguer le consulat qu'après la préture , la préture 
qu'après la questure. Sylla ressuscite en sa faveur 
le vieux titre de dictateur otiblié depuis cent vingt 
ans. Mais pour nommer un dictateur^ il faut un 
consul. Tous les deux ont été tués. Sylla pousse le 
scrupule jusqu'à sortir de Rome^} il fait^ selon la 
forme ancienne^ élire par le sénat un interrex qui 
puisse nommer le dictateur^ et écrit au sénatpour 
offrir ses ser\'ices à la republique. Le «sénat na 
garde de refuser. Il est nommé dictateur^ mais pour 
un temps indéfini. Il obtient l'abolition du passé , 
la licence de l'avenir , le droit de vie et de mort , 
celui de confisquer les biens , de partager les terres, 
de bâtir et de détruire les villes^ de donner et ôter 
les royaumes. 

Cette ostentation de légalité ^ cette barbarie sys- 
tématique fut ce qu'il y eut de plus insolent et de 
plus odieux dans la victoire de Sylla. Marius avait 
suivi sa haine en furieux^ et tué brutalement ceu^ 



Appian. l.-t , c »3. X'Mç /*èv «rov tnc ooXift»; vfrr$R>7^c- 



227 

qu'il haïssait. Les massacres de Sylla fureiit régu** 
liers et méthodiques. Chaque matin, une nouvelle 
tsdble^de proscription déterminait les meurtres du 
jour. Assis dans son tribunal, il recevait les têtes 
sanglantes, et les payait au prix du' tarif. Une tète 
de proscrit valait jusqu'à deux talens. Mais ce n'é- 
taient pas seulement les partisans de Mariusf qui pé- 
rissaient. Les riches aussi étaient coupables^ l'un 
périssait pour son palais, l'autre pour ses jardins. 
Un citoyen, étranger à tous les partis, regaroe en 
passant sur la place la table fatale , et sy voit inscrit 
le premier : Ah I malheureux, s'écrie-t-il, c'est ma 
maison d'Albe qui m'a tué. U fut égorgé à deux pas 
de là. 

Le dictateur appliqua à l'Italie entière son ter- 
rible système : partout les hommes du parti con- 
traire furent mis à mort, bannis , dépouillés y et non- 
seulement eux, mais leurs parens, leurs amis, ceux 
qui les connaissaient, ceux qui leur avaient parlé, 
ou qui par hasard avaient voyagé avec eux \ . Pes 
cités entières furent proscrites comme des homme», 
démantelées ^ dépeuplées pour faire place aux lé- 
gions de Sylla. La malheureuse Etrurie surtout, le 
seul pays qui eût encore échappé aux colonies et aux 
lois agraires , le seul dont les laboureurs fussent géné- 

* Id. ihid. , c. 96. fiTh ià uç xffi of oOvfiUtf il fioimc 9uvoSî«c 



236 

oralement libres , devint la proie desi soldats du Tain- 
queur. U fonda une ville nouvelle dans la vallée de 
FAmo> non loin de Fiesole^ et du nom mystérieux 
dé Rome^ Flora^ ce nom connu des seuls patri- 
ciens^ il appela sa colonie ftareniia^. 

A son retour de l'Etrurie^ on croyait Sylla un 
peu adouci. On n'en fut que plus ef&ayé de la 
mort de Lucrétius Ofelk^ le compagnon de sa vic- 
toire^ celui auquel il devait la prise de Préneste. 
Il n avait pas été préteur^ et briguait le consulat 
Sylla lui envoya ordre de se retirer^ et comme il 
persistait^ il le fit tuer sur la place. H dit ensuite : 
Sachez que j'ai fiait tuer Qi Lucrétûia Ofella^ parce 
qu'il m'a résisté. Et il ajouta cet horrible apologue : 
« IJn laboureur qui poussait sa charrue, était 
mordu par des poux ; il s'arrêta deux fois pour en 
nettoyer sa chemise. Mais ayant été de nouveau 
mordu, il ne voulutplus être interrompu de nouveau 
dans son travail, et jeta sa chemise au feu. Et moi 
«aussi , je conseille aux vaincus de ne pas m'obliger 
à employer le kr et le feu pour la troisième fois^.» 
SvUa semblait avoir suffisamment prouvé som 



* Àffon. » tW. , p. 689. ifBtipiç ycMpyo» ipolpt&^lùL uin9 
' C^est U tradition italienne. — Le nom mystifaienx de Rome était Kfot 
ott Amor; le nom sacerdotal , Klota on Anthusa; le nom cÎTil » Ao 
K Plin. , J9F. iV. , In, S j QtMfinter , De^ciÊiU^ wémRotmm 
bP 1 dejes Mémoires sur les aniiçmi€s^ 



- »- ^^^ ** •* -•. ~ "^ ^^ * ~ nji ' j^ -i_— jij^^3 



229 

prodigieux mépris de Fhuinanité. Il en donna une 
preuve nouvelle à laquelle personne ne s^attendait : 
il abdiqua. On le vit se promener insolemment sur 
la place^ ^ans armes et presque seul. Il savait bien 
qu'une foule d'hommes étaient intéressés à dé* 
fendre sa vie. Il avait mis trois cents hommes à lui 
dans le sénat. Dans Rome , dix mille esclaves des 
proscrits^ affranchis par Sylla^ portaient le nom 
de leur libérateur (Cornélius), et veillaient sur lui. 
Dans l'Italie, cent vingt mille soldats, devenus pro- 
priétaires par sa victoire, le regardaient comme le 
gage et le garant de leur fortune. Il est si vrai que 
son abdication fut une vaine comédie, que dans sa 
retraite de Cumes, la veiQe même de sa mort, ayant 
su que le questeur Granius différait de payer une 
somme au tirésor dans Fespoir que cet événement 
le dispenserait de régler ses comptes^ il le fit étran-^ 
gler près de son Ut (77) ^. 

Il mourut tout-puissant, et ses funérailles furent 
encore un triompha. Porté à travers l'Italie jusqu'à 
Rome, son corps fut escorté de ses vieux soldats, 
qui de toutes parts venaient grossir le cortège, et se 
mettaient en rangs. Devant le corps, marchaient 
vingt-quatre licteurs, avec les faisceaux; derrière, 
on portait deux mille couronnes d'or envoyées par 
les villes^ par les légions, par une foule d'homme$ 



230 

du parti. Tout autour se tenaient les prêtres , pour 
protéger le cercueil en cas de bataille ; car on n'é- 
tait pas sans inquiétude. Puis^ s'avançaient le sé- 
nat, les chevaliers et l'armée, légion par légion. 
Puis, un nombre infini de trompettes qui perçaient 
l'air de sons éclatans et sinistres. Le sénat pous- 
sait en mesure de solennelles acclamations , l'ar- 
mée répétait et le peuple faisait écho ^ . Rien ne 
manqua aux honneurs qu'on lui rendit. U fut loué 
à la tribune aux harangues, et de là enseveli au 
Champ-de-Mars, où perso|^ne n'a^vait été enterré 
depuis les rois. 

Ce héros, ce ^i^eu, qu'on portait au tombeau 
avec tant de pompe, n'était depuis long-temps que 
pourritiu*e. Rongé de maux infâmes, consumé d'une 
indestructible vermine , ce fils de Vénus et de la 
Fortune, cpmme il voulait qu'on l'appelât*, était 
resté jusqu'à la mort livré aux sales passions de sa 
jeunesse. 1^ mignons, les farceurs, les femmes de 
mauvaise vie, avec lesquels il passait les nuits et 



' Appian,c. 405-106. 
^. plusieurs anecdotes curieuses dans fjiitarque, f^ie de Syiim.CA 
bomme si cruel et si souillé , paraît avoir été singulièrement faTorisé des 
daines de Rome. A ses funérailles , elles apportèrent une si grande quantité 
d^aromates , qu^outre ceux qui étaient contenus dans deux cent dix cor- 
lieiUes , on fit avec du dnamonne et de TcnceBS le plus précieux , une statue 
de SyUa de gcandeur naturelle , et celle d'un licteur qui portait les faisceaux 
devant lui. 



231 

les jours ^ avaient eu bonne part à la dépouille des 
proscrits. Dans cette fastueuse restauration de la 
république dont il s'était tant vanté^ les bouffons 
et les charlatans n'avaient guère .^oins gagné que 
les assassins. Il avait exterminé la race italienne, 
sous prétexte d'assurer l'unité de Rome menacée 
par l'invasion des alliés; et lui-même^ il s'entou- 
rait de barbares 9 de Chaldéens y de Syriens y de 
Phiygieiis. Il les consultait^ il adorait leurs 
dieux ^ . 

Çon œuvre politique, comme son cadavre , tom- 
bait d'avance en lambeaux. Il avait cru ressusciter 
la vieille Rome en donnant le pouvoir législatif aux 
comices des centuries dans lesquels les riches do- 
minaient. Mais quand même son système eût duré, 
le mobile élémçnt de la richesse eût pu mettre le 
pouvoir hors des mains de son parti. C'était aux 
curies, à la vieille aristocratie sacerdotale qu'il de- 
vait remonter, pour être conséquent. Il croyait 
ren^l^ le pouvoir aux patriciens ; mais ces patri- 
ciens n'étaipnt plus., des patriciens , c'étaient pour 
la plupart des plébéiens ennoblis ; de même que le 
peuple n'était plus un peuple, mais un ramas d'af- 
franchis de diverses nations. Tous mentaient, ou 
plutô^ se^ trompaient çux-mêmes. Et c'était là li^ 



Plat, y passtm. 



232 

vaine et creuse idole pour laquelle Sylla avait versé 
tant de sang^ aveuglé dans ses préjugés aristocra-* 
tiques par l'enthousiasme classique du passé , qui 
avait jeté les Gracches dans la démagogie l 



■•*•■ 



233 



maaÉmi^ÊÊmmtmma:mmtmamas 



CHAPITRE IV. 



Pompiê tt GieéroD. — » BélabluieiiieDt de la domiDation des cheraTicn, 
flotorinf. — Sptftacns » kt pirates , Mithridate ( 77-44. ) 



Jamiis I*l^pire |^ fut plus malade qu'bprès 
avoir passé par les mains de ce médecin impi-^ 
toyable. Peu après la mort de Sylla ^ le parti italien 
se releva dans tout le nord de l'Italie , sous Lépidua 
et Brutus. La Gaule cisalpine^ FEtrurie surtout dont 
la ruine avait payé la guerre civile ^ se soulevèrent ^ 
et furent , il est vrai , facilement réduites j partout 
les vétérans de Sjlla étajent en armes pour main-* 
tenir leur usurpation contre les anciens proprié- 
taires.Le parti italien eutplus de succès en Espagne^ 
où Sertorius eut Tadresse de mêler sa cause à celle 
de Findépendance nationale. En Asie^ le^ cheva-^ 
liers et les publicains exerçaient les mêmes exactions 
depuis le départ de Lucullus qui les avait conte- 
nus; usures^ violences^ outrages^ hommes libres 
enlevés pour Fesclavage^ tous les mêmes abus 
ayaiepi recommencé ^ ils devaient bientôt ame* 



234 

ner le même soulèvement, et rendre TAsie à 
Itfithridate. Dans les autres provinces, les sénateurs, 
redevenus maîtres des jugemens, et sûrs de Timpu- 
nité , exerçaient des brigandages que Ton ne pour- 
rait croire, si le procès de Verres ne les eût cons- 
tatés juridiquement. Enfin , dans tout le monde 
romain, le dévorant esclavage faisait disparaître 
les populations libres, pour leur substituer des 
Barbares qui disparaissaient eux-mêmes , mais qui 
pouvaient, sous un Spart acus , être tentés de 
venger au moins leur mort. Tous les ennemis de 
Tempire, Sertorius, MithridateetSpartacus, pros- 
crit3 de Rome, Italiens dépossédés^, provinciaux 
soulevés, hommes réduits en esclavage., tou^ pou- 
vaient communiquer par Tintermédiaire des fugi- 
ti£s qui étaient répandus sur toutes les mers et les 
infestaient de leurs pirateries. Contre le tyrannique 
empire de Rome, la liberté s'était formé &ur les 
eaux un autre empire, une Carthage errante 
qu'on ne savait où saisir, et qui flottait de l'Espagne 
à l'Asie. 

C'était là la succession de Sylla. Voyons queU 
hommes s'étaient chaînés de la recueillir. Lies prinr 
cipaux sénateurs , Catulus , Crassus , Lucullus 
même , étaient des administrateurs plutôt que des 
généraux, malgré la gloire militaire que le dernier 
Acquit à bon marché dans l'Orient. La médiocrité 
die Métellu^ éclata en Espagne, où avec des forces 



236 

çooaidérables ^ il fut coostamment le jouet de Ser-» 
toriiis. Le parti de Sylla n'ayait qu'un général heu-r 
reux^ et encore ce n'était pas un des nobles^ mais 
un chevalier. U fallut Pompée pour terminer U 
^erre de Lépidus, celle de Sertorius, celle de 
3partacus , et quand les pirates en vinrent jusqu'à 
s'emparer d'Ostie, l'on cria encore : Pompée ! on 
mit en ses mains toutes les forces de la république . 
pour donner la chasse {lux corsaires y çt achever le 
vieux Alithridate. 

De toutes ces guerres la plus difficile fut celle 
de Sertorius. Ce vieux capitaine de Marins avait de 
bonne heure prévu la victoire de Sylla et passé en 
Espagne. Les barbares l'estimaient singulièrement 
pour les avoir battus eux-mêmes par un stratagème 
ingénieux K U s'était fait des leurs ^ et partageait 
leur manière de vivre et leurs croyances. C'était lui 
qui , en Afrique, avait découvert le corps du Lybien 
Antée; seul des hommes^ il avait vu les os du 
géant ^ long.de soixante coudées '. U correspondait 
^vec les dieux^ au moyen d'une biche blanche^ qui 



' Pinl., in Setior. , c. 3 , 4. 

• Id., ibid.y c. 40. On^ûv cÇiSxovla ftnxoç xalcTrXaTu , holï ff^-* 



236 

lui révélait les choses cachées. Mais ce qui lui ga- 
gnait plus sûrement encore les Barbares., c'était 
son génie mêlé d'audace et de ruse , l'adresse arec 
laquelle il se jouait de l'ennenij, jusqu'à traverser 
sous un déguisement les Kgnes de Métellus. C'était 
un chasseur infatigable. Aucun Espagnol ne con- 
naissait mieux les pas et les défilés des montagnes. 
Du reste, armé superbement, lui et les siens, bra- 
vant l'ennemi, et défiant Métellus en combat sin- 
gulier ^. 

Ce général ne put Fempécher d'étendre sa domi- 
nation sur toute l'Espagne (84*73). Une armée ita- 
lienne , conduite par Perpenna , venait de se 
joindre à lui. D s'était fait un sénat des proscrits 
qui se réfugiaient dans son camp. Peu à peu il dis- 
ciplinait les Espagnols, et commençait à les huma- 
niser en élevant leurs enfans à la romaine. Cepen- 
dant il s'était rendu inaître de la Gaule narbonnaise 
et faisait craindre à l'Italie un autre Hannibal. 
Pompée , qui vint seconder Métellus, obligea Ser^ 
tonus de rentrer en Espagne, mais y fut battu par 
lui, et eut l'humiliation de lui voir brûler sous ses. 
yeux une ville alliée. 

Sertorius, qui recevait alors de grandes offres de 
Alithridate, eut la magnanime obstination de ne 



* Plut, f in SeHor,, e. 1 ♦ , 



237 

pat lui céder un pouce de terre en Asie. Fondateur 
d'une Rome nouvelle qu'il opposait à Tautre^ il ne 
roulait pas porter atteinte à Tintégrité d'un empira 
qu'il regardait comme sien. Il resta Romain au 
milieu des Barbares , et c'est ce qui le perdit. Quoi^ 
qu'il avouât hautement sa préférence pour les 
troupes espagnoles y il donnait tous les commande 
mens à des Romains. Ceux-ci lui inspiraient leurs 
défiances contre les gens du pays^ et ils finirent par 
le pousser à massacrer ou vendre les otages qui 
étaient entre ses mains. Cet acte insensé et barbare 
l'eût perdu tôt ou tard y s'il n'eût été tué en trahi- 
son par son lieutenant Perpenna. Pompée^ à qui 
celui-ci se rendit, le fit mourir sans vouloir l'enr 
tendre et brûla tous ses papiers, de crainte d'y 
trouver comjfromis qutlqjj^un des grands de Rome. 
Lui-même peut-être était intéressé à faire dispa- 
raître toute trace des intrigues qui l'avaient débar- 
rassé d'un ennemi invincible (73). 



La guerre d'Asie dura dix ans encore après celle 
d'Eiqpagne. Les ravages de Mithridate et de Tigrane, 
son gendre, roi d'Arménie, concouraient avec 
Thorrible cupidité des publicains et chevaliers pour 
dépeupler ce malheureux pays. En une fois^Tigrane 
enleva de la Cappadoce trois cent mille hommes 
qu'il transféra dans sa nouvelle capitale de Tigrar 



238 

nocerte ^ . Ukàie romaine n'était pas moins misé- 
rable ^ épuisée par la rapacité des usuriers romains 
qui avaient avancé les vingt mille talens de Sylla. 
Telle était leur industrie^ qu'en peu d'années^ cette 
contribution s'était trouvée portée à cent vingt 
mille talens (plus de 600 millions de francs). Les 
malheureux vendaient leurs femmes^ vendaient 
leurs filles vierges^ leurs petits enfiansr^ etfinissaimit 
par être eux-mêmes vendus *w 

Mithridate^ encouragé par ces circonstances^ avait 
envahi la Cappadoce et la Bithynie^ et gagné une 
foule de cités dépendantes des Romains. Partout il 
se faisait précéder d'un Marins que Sertorius lui avait 
envoyé avec le titre de proconsul. Pompée étant en- 
core occupé en Espagne ^ l'un des chefs du parti de 
Sylla^ Lucullus, obtint^ à force d'intrigues^ la com- 
mission lucrative de la guerre d'Asie '• 

LucuUus passait poiu* un administrateur honnête 
et pour un homme fort lettré. C'était le protecteur 
de tous les Grecs à Rome. Il avait lui-même^ par 



AppUn. , c. 216 , p. 363. Éf Tpuîcxov7« iiMptàlaç MpéwtfTf icm-^ 
€màfflo\}ç iç Apfifvtecv STrotiga-f... cvôa Tiypavoxcplay... 

' Plut, in LucuU. , c. 41 , 29... ntirpâtrttiw l^i% fih ûtoùç cv^/»i- 
nitç , âMyoCiipaç ^i oapOcvovp*... àuloi; di xil^ç qv opù^tlotç yt- 
vofiivotç îoti^evcrv , etc. 

' Ces intrigues ne furent pas toujours honorables ; ptr exemple , il fit 
semblant d^étre amoureux d^une femme qui arait do crédit. Vînt, , m JLwc. 



239 

\ine sorte de jeû^ écrit en grec là guerre d'Italie. 
Quelle guerre eût mieux mérité d'être écrite eh 
langue latine? Mais ce dédain du grossiet idiome de 
la patrie était sans doute une manière de faire sa 
cour à l'exterminateur de la race italienne. Sylla , 
revenant pour combattre le parti de Marius y avait 
laissé LucuUus en Asie y pour lever les contribu-- 
tions de guerre^ et sans doute pour £aire rendre 
gorge aux publicains , affiliés au paiti de Marius« 
C'est à Lucullus qu'il dédia ses commentaires écrits 
en grec^ et qu'il confia aussi en mourant la tutelle 
de son fils. Lucullus n'avait jamais commandé en 
chef jusqu'à la seconde guerre de Mithridate (yS) j 
mais dans la traversée de Rome en Asie , il lut 
beaucoup Polybe, Xénophon, et autres ouvrages 
des Grecs sur l'art militaire. Toutefois^ il ne se 
pressa pas de se mesurer avec le roi barbare^ qui 
avait alors réuni jusqu'à trois cent mille hommes. 
Il avait appris par le désastre de ton collègue^ qu'il 
valait mieux attendre que ce torrent s'écoulàt. de 
lui-même. Formée de dix peuples diiférens, cette 
multitude ne pouvfût rester long^-temps unie ; la 
seule difficulté de .la nourrir devait en amener 
bientôt la dispersion. Pendant que Mithridate se 
consume devant la place imprenable de Çysdque^ 
Lucullus l'observe, lui coupe les vivres, et lui ôte 
ses ressources en ramenant peu à peu les cités qui 
s'étaient données à lui. Il réfonne les abus qui 



J 



240 

avaient soulevé le pays contre ftonie ^ . Ces ré- 
formes étaient la véritable tactique à employer 
contre Mithridate. Chaque règlement lui 6tait quel- 
ques villes y et le privait d'une partie des subsides 
qui entretenaient son armée. Il ne tint pas contre 
cette guerre administrative. Au bout de deux ans^ 
ne sachant comment nourrir tant de monde ^ il 
leva le siège de Cyziqué^ se jeta dans un vaisseau, 
et chargea ses généraux de sauver l'armée comme 
ils pourraient. Il n'y avait pas de retraite possible 
avec des troupes si peu disciplinées. Lucullus n'eut 
que la peine de tuer. Les vingt mille qu'il tailla en 
pièce sur le Granique , n'étaient que la plus faible 
partie de ceux qui périrent dans cette immense 

déroute. 

Pendant que Lucullus s'avani;e lentement vers 
le Pont, Mithridate, se jouant de la poursuite de 
ses ennemis qui crurent le prendre dans Nicomé- 
die, avait déjà soldé, armé de nouvelles bandes de 
Barbares, qu'il envoyait chercher jusque chez les 
Scythes. Quelques défaites partielles, et la terreur 
panique qui s'ensuivit, suffirent pour faire dissiper 
encore cette nouvelle armée. Mithridate était pris, 
s'il n'eût eu la présence d'esprit d'arrêter les soldats 
romains , en perçant les sacs remplis d'or que ses 



' Pl«t., in Luc.^t. 29; 



241 

mulete portaient derrière lui Mje roi barbare^ obligé 
d'abandonner, son royaume ^ voulut au moins^ dans 
sa jalousie orientale , préserver son sérail des oqr- 
trages du soldat. Il envoya^ par un eunuque» à ses 
femmes^ Tordre de mourir. Parmi elles se trou- 
vaient deux de ses sœurs, âgées de quarante ans, qu'il 
n'avait point mariées , et l'ionienne IVIoQime qu'il 
avait enlevée de Milet, mais dont il n'avait vaincu la 
vertu qu'en lui donnant le triste honneur d'être 
appelée son épouse et de ceindre le diadème ; elle 
essaya de s'étrangler avec le bandeau royal , mais 
il rompit, et ne lui rendit pas même ce cruel ser- 
vice. 

^ Mithridate s'était enfui en Arménie, chez son 
J>eau-père Tigrane. Ce prince, qui avait étendu sa 
domination jusque dans la Syrie, se trouvait, par 
suite de la ruine desw Séleucides et de l'éloignement 
des Parthes, le plus puissant souverain de l'Asie 
occidentale. Une foule de rois le servaient à table, 
et quai^d il sortait, quatre d'entre eux couraient 
devant son char en simple tunique ^. I^a domina- 
tion insolente de ce roi des rois n'en était pas plus 
solide. Lucullus le savait si bien, qi^'il ne prit qup 
quinze mille hommes pour envahir les états de Ti- 
grane. C'en fut asse^ pour mettre en fuite au pre^ 

• Id. ibid., c. 25. — Appian., I, Bell. Mithr. , c. 82. 
Plut, in Luc, c. SI. BaccXeic... orùv ;^i'?6i>vi9'xoiç. 

lî. i6 



!>42 
mier choc deux cent miUe Barbares , dont dix - sept 
mille étaient des cavaliers bardés de fer. Les Ro- 
mains perdirent tinq hommes ' . La prise de Tigra- 
nocerte fat fàcUitée par les Grecs que Tigrane y 
avait transportés de force , avec une foule d'hom- 
mes de toutes nations. Lttcullus renvoya ces Grec» 
dans leur patrie , en leur payant les frais du voyage, 
comme U avait fait après l'incendie de la ville d'A- 
misus dans le Pont. Amisus et Sinope étaient de- 
venues deux villes indépendantes. Tous les peuples 
que Tigrane avait opprimés , les Sophéniens , les 
Gordyéniens, plusieurs tribus Arabes, reçurent 
LucuUus comme un libérateur. 

Vainqueur dans une seconde bataille, il voulait 
consommer la ruine de Tigrane, et porter ensuite 
sefe armes chez les Parthes. Il n'eut point cette 
gloire périlleuse. Jusque-là son principal moyen de 
succès avait été de se concilier les peuples en con- 
tenant à la fois l'avidité de ses soldats et celle des 
publicains italiens. Les premiers refusèrent de 
poursuivre une guerre qui n'enrichissait que le gé- 
néral ; les seconds écrivirent à Rome , où le parti 
des chevaliers reprenait chaque jour son ancien 
ascendant. Ils accusèrent àe rapacité celui qui avait 
réprimé la leur. Tout porte à croire , en effet , que 
Lucullus avait tiré des sommes énormes des villes 

' Id. , ibid , c. 32. Fu^cciuv. .. iktmn crtvTi. 



^^im if 



243 

qu^il {>^ervait des soldats et des publicains ^ . Ils 
obtinrent qu'un successeur lui serait donné; et par 
ce changement le fruit de sa conquête fut perdu en 
grande partie. Avant même que Lucullus eût quitté 
l'Asie^ Mithridate rentra dans le Pont, envahit la 
Cappadoce, s'unit plus étroitement avec les pirates, 
en même temps qu'il rouvrait aux Barbares leur 
route du Caucase, un instant fermée par les armes 
romaines. 



Pendant que Pompée combattait Ser tonus, et 
Lucullus Mithridate, Rome n'avait eu que des gé- 
néraux inhabiles pour la défendre d'un danger bien 
plus pressant. Une guerre servile avait éclaté (73-i), 
non plus en Sicile , mais en Italie même, aux portes 
de Rome, dans la Campanie. Et cette fois , ce n'é- 
taient plus des esclaves laboureurs ou bergers; 
c'étaient des hommes exercés exprès dans les armes, 
habitués au sang, et dévoués d'avance à la mort. 
Cette manie barbare des combats de gladiateurs 
était devenue telle, qu'une foule d'hommes riches 
en nourrissaient chez eux , les uns pour plaire au 
peuple et parvenir aux charges où l'on donnait des 
jeux ; les autres par spéculation , pour vendre ou 

Cela est Traisemblable diaprés les ti^rs qa^il rappoita. Cicéron dit 
( pro Flacco , 34 ), que Lucullus derait une partie de sa fortune aux legs 
que beaucoup de gens lui aTaient laits en Asie. 



244 

louer leurs gladiateurs aux édiles ^ quelquefois 
même aux factieux qui les lâchaient comme des 
dogues furieux sur la place publique y contre leurs 
ennemis et leurs concurrens. 

f( Un certain Lentulus Batiatius ^ entretenait à 
Capoue des gladiateurs^ la plupart Gaulois ou 
Thraces. Deux cents d'entre eux firent le complot 
de s'enfuir. Leur projet ayant été découvert, 
soixante-dix-huit qui en furent avertis y eurent le 
temps de prévenir la vengeance de leur maître ; ils 
entrèrent dans la boutique d'un rôtisseur y se sai- 
sirent des couperets et des broches y et sortirent de 
la ville. As rencontrèrent en chemin des chariots 
chargés d'armes de gladiateurs , qu'on portait dans 
une autre ville ; ils s'en saisirent^ s'emparèrent d'un 
lieu très-fortifié et élurent trois chefs y dont le pre- 
mier était Spartacus^ Thrace de nation^ mais de 
race Numide , qui , à une grande force de corps et 
à un courage extraordinaire, joignait une prudence 
et une douceur bien supérieures à sa fortune , el 
plus dignes d'un Grec que d'un Barbare. On ra- 
conte que la première fois qu'il fut mené à Rorae 
pour y être vendu, on vit , pendant qu'il dormait, 
un serpent entortillé autour de son visage. Sa 
femme, de même nation que lui, était possédée de 
l'esprit prophétique de Bacchus , et faisait le métier 

' Plut., in Cmsso, c. 9, 499. 



245 ^ 

de devineresse; elle déclara que ce signe annon- 
çait à Spartacus un pouvoir aussi grand que redou- 
table, et dont la fin serait heureuse. Elle était alors 
avec lui et l'accompagna dans sa fuite. 

» Ils repoussèrent d'abord quelques troupes en- 
voyées contre eux de Capoue , et leur ayant enlevé 
leurs armes militaires, ils s'en revêtirent avec joie, 
et jetèrent leurs armes de gladiateurs, comme dé^ 
sormais indignes d'eux , et ne convenant qu'à des 
Barbares. Clodius, envoyé de Rome avec trois mille 
hommes de troupes pour les combattre , les assié- 
gea dans leur fort sur une montagne. On n'y pou- 
vait monter que par un sentier étroit et difficile, 
dont Clodius gardait l'entrée ; partout ailleurs ce 
n'étaient que des rochers à pic , couverts de ceps 
de vigne sauvage. Les gens de Spartacus coupèrent 
des sarmens , en firent des échelles solides et assez 
longues. Us descendirent en sûreté à la faveur de 
ces échelles , à l'exception d'un seul qui resta pour 
leur jeter leur armes. Les Romains se virent tout à 
coup enveloppés , prirent la fuite et laissèrent leur 
camp au pouvoir dé l'ennemi. Ce succès attira aux 
gladiateurs un grand nombre de bouviers et de 
patres des environs, tous robustes et agiles; ils ar- 
mèrent les uns et se servirent des autres comme de 
coureurs et de troupes légères. 

» Lie second général qui marcha contre eux fut 
PubliusVarinus^ ils défirent d'abord son lieutenant,. 



wmmmÊmf^9nt^^^^^ 



i«i^ 



246 

qui les avait attaqués avec deux mille hommes, 
Cossinius, son collègue, envoyé ensuite avec un 
corps considérable, fut sur le ppint d'être enlevé 
par Spartacus aux bains de Salines. Il bat^t Varinus 
lui-même en plusieurs rencontres , se saisit de ses 
licteurs et de son cheval de bataille , et se rendit 
redoutable par ces exploits. Mais au lieu d'en être 
ébloui, il prit des mesures très^sages, il ne se flatta 
point de triompher de la puissance romaine , et 
conduisit son armée vers les Alpes , persuadé que 
le mieux était de traverser ces montagnes , et de se 
retirer chacun dans son pays , les uns dans les 
Gaules, les autres dans la Thrace. Les siens, plus 
confians, refusèrent de le suivre, et se répandirent 
dans ritalie pour la ravager. 

» Ce ne fut plus alors la honte seule qui irrita 
le sénat ; la crainte et le danger le déterminèrent 
à y envoyer les deux consuls. Gellius, l'un d'eux, 
étant tombé brusquement sur un corps de Germains 
qui, par fierté, s'était séparé des troupes de Spar- 
tacus, le tailla en pièces. Lentulus, son collègue, 
qui commandait des corps d'armée nombreux, 
avait environné Spartacus. Celui-ci revient sur ses 
pas , attaque les lieutenans du consul , les défait et 
s'empare de tout leur bagage. De là, il continuait 
sa marche vers les Alpes ; Cassius vint à sa rencontre 
avec dix mille hommes; mais après un combat 
gcharné , il fut défait avec une perte considérable. 



247 

Le sënat, indigné contre les consuls ^ leur envoya 
l'ordre de déposer le commandement^ et nomma 
Crassus pour continuer la guerre. Il alla camper 
dans le Picenum^ pour y att^fidre Spartacus qui 
dirigeait sa marche vers cçtte contrée ^ il ordonna, 
à son lieutenant Mummius de prendre deux légions 
et de £air& un giand circuit^ pour suivre seuleipent 
Tennemi^ avec défense de le combattre ou même, 
d'engager aucune esoarmoui^he. Mai^ à la première 
occasion 9 Mummius présenta la bataille à Sparta*. 
eus qui le défit et lui tua beaucoup de monde : le 
reste des troupes ne se sauva qu'en abandonnant 
ses armes. Cras^us^ après avoir traité durement 
Mummius, donna d'autres armes aux soldats^ et 
leur fit promettre de les mieux garder, Prenant 
ensuite les cinq cents d'entre eux qui avaient donné 
Fexemple de la. fuite^ il les part^geii en cinquante 
dizaines, les fit tirer au sort, et punit du dernier 
supplice ceUii de chaqy^ di^ainci wr; qjoi. le sort, 
était tombée 

» Spartacus , qui av^t tvav^rsé la Lucanie et se 
retirait vers la mer, ayipiit rencontré s^u détroit de 
Messine des corsaires, dliciens, forma le projet de 
passer en 3icile et d'y jeter deu:^ '"îUe hommes ^ ce 
nombre aui^it suffi pour rallumer dans cette île la 
guerre des esclaves éteinte depuis peu de temps, et; 
qui n'avait besoin que d'une étincelle pour fornjer 
de nouveau un vaste incendie. 11 fit donc uij ac-< 



248 

cord avec ces corsaires qui se firent payer et mirent 
à la Toile, en le laissant sur le rivage. Alors «'éloi- 
gnant de la mer, il alla camper dans la presqu'île 
de Rhège. Crassus y arrive bientôt après lui , et 
entreprend de fermer l'isthme, voulant à la fois 
occuper ses soldats et affamer l'ennemi. Il fit tirer 
d'une mer à l'autre, dans une longueur de trois 
<!;ents stades, une tranchée large et profonde de 
quinze pieds ^ ^t tout le long il éleva une muraille 
d'une épaisseur et d'une hauteur étonnante. Ce 
graiid ouvrage fut achevé en peu de temps. Spar- 
tacus se moquait d'abord de ce travail ; mais lors- 
qu'il voulut sortir pour fourrager, il se vit enfermé 
par cette muraille , et ne pouvant rien tirer de la 
presqu'île, il profita d'une liuit neigeuse pour com- 
bler avec de la terre, des branches d'arbres et 
d'autres matériaux^ une partie de la tranchée sur 
laquelle il fit passer le tiers de son armée. Crassus 
craignait que Spartacus ne voulût aller droit à 
Rome; il fut rassuré par la division qui se mit 
entre les ennemis ; les uns s'étant séparés du corps 
de l'armée , allèrent camper sur les bords d'un lac 
de Lucanie. Crassus attaqua d'abord ceux-ci et 
les chassa du lac ; mais il ne put en tuer un grand 
nombre, ni les poursuivre; Spartacus qui parut 
tout à coup, arrêta la fuite des siens. 

» Crassus avait écrit au sénat qu'il fallait rappe- 
ler Lucullus de Thrace, et Pompée d'Espagne pour 



_ I 



^^gej^^^m 



249 

le seconder; mais il se repentit Hentèt de cette 
démarche^ et sentant qu'on attribuerait tout le 
succès à celui qui serait venu à son secours, il se 
hâta de terminer la guerre. Il résolut donc d'atta- 
quer d'abord les troupes qui s'étaient séparées des 
autres, et qui campaient à part sous les ordres de 
Cannicius et de Castus ; il envoya six mille hommes 
pour se saisir d'un poste avantageux. Pour ne pas 
être découverts, ils avaient couvert leurs casques 
de branches d'arbres ; mais ils furent aperçus par 
deux femmes qui faisaient des sacrifices pour les 
ennemis, à l'entrée de leur camp, et ils auraient 
couru le plus grand danger si Crassus , paraissant 
tout à coup avec ses troupes , n'eût livré le combat 
le plus sanglant qu'on eut encore donné dans cette 
guerre 3 il resta sur le champ de bataille douze mille 
trois cents ennemis , parmi lesquels on n'en trouva 
que deux qui fussent blessés par derrière, tous les 
autres périrent en combattant avec la plus grande 
valeur, et tombèrent à l'endroit même où ils 
avaient été placés. Spartacus, après une si grande 
défaite, se retira vers les montagnes de Pétélie, 
toujours suivi et harcelé par Quintus et Scrophas, 
le lieutenant et le questeur de Crassus. U se tourna 
brusquement contre eux et les mit en fuite. Ce 
succès , en inspirant aux fugitifs une confiance sans 
borne ^ causa la perte de Spartacus : ne voulant 
plus éviter le combai, ni obéir à leurs chefs , ils 



250 

les entourent en armes au milieu du chemin^ les 
forcent de revenir sur leurs pas à travers la Lucanie^ 
et de les mener contre les Romains. Cétait entrer 
dans les vues de Crassu$, qui venait d'apprendre 
que Pompéç^ approchait^ que déjà dans les comices 
bien des gen$ sollicitaient pour lui^ et disaient 
hautement que cette victoire lui était due; qu'à 
peine arrivé en présence des ennemis^ il les com- 
battrait et tern)inerait aussitôt la guçrre. »» 

tf Cr^sus campait donc le plus près qu'il pou- 
vait de l'ennemi. Un jour qu'il faisait tirer une 
tranchée^ le$ troupes de Spartacus étant venues 
charger les travailleurs^ le combat s'engagea; et 
comme des deux cotés il survenait sans cesse de 
nouveaux renforts ^ Spartacus se vit dans la néces- 
sité de mettf e toute son armée en bataille. Il se fil 
amener son cheval^ il tira son épée et le tua : La 
victoire, dit-il, me fera trouver assez de bons che- 
vaux, et si je suis vaincu, je.n'en aurai plus besoin. 
U se précipite alors au milieu des ennemis, cher- 
chant à joindre Crassus, et tue deux centurions qui 
s'attachaient à lui. Enfin resté seul par la fuite de 
tous les siens, il vendit chèrement sa vie. )>(An 71) 

Crassus ne put empêcher son rival de recueillir 
encore la gloire de cette guerre. Pompée rencon- 
tra ce qui restait de l'armée des escla%^es , les ex- 
termina, et rentra dans Rome avec la réputation 
du seul général qu'eût alors la république. Crassus 



251 

eut beau donner au peuple la dime de ses biens , 
lui servir un festin de dix mille tables y et distri-^ 
buer, à chaque citoyen , du blé pour trois mois % 
il n'obtint le consulat qu'avec la permission de 
Pompée^ 6it concurremment avec lui. 

Pompée cessa alors déménager le sénat ^ dont il 
crut n'avoir plus besoin. Du vivant même de Sylla^ 
il avait laissé voir qu'il ne restait qu'à regret dans 
le parti des nobles^ qui méprisaient en lui un che- 
valier, un transfuge du parti italien. Il avait ra- 
mené son armée d'Afrique contre les ordres du 
dictateur; il avait triomphé malgré lui. Sylla, qui 
l'appréciait à sa juste valeur, ne se soucia pas de 
recommencer la guerre civile pour une affaire de 
vanité. Mais il lui témoigna son aversion, en 
l'omettant dans son testament, où il faisait des 
legs à tous ses amis. Pompée n'en fut pas moins, 
après la mort de Sylla, comme de son vivant, 
l'exécuteur des volontés de la faction , en Italie et 
en Espagne*. Ce ne fut qu'au bout de dix ans. 

Plut. , ibid, , c. 4 6. EoImo* rdv Svjiaov «tto fiupiwv Tp«7r«?ôv xai 

Il essaya même de prouTer son lèle par une cruauté qui ne lui était pas 
naturdOe. Val. Max. , VI , 2 : « IlelTius Mancia de Fonnies , fils d'un af- 
franchi , déjà dans une extrême yieiOesse , accusait L. Libon devant les 
censeurs. Dans le cours des débats , le grand Pompée , lui reprochant la 
(bassesse de sa naissance et son Age, lui dit quUi était sans doute sorti de 



252 

lorsqu'une grande partie des vétérans de Sylla se 
fut éteinte ; que Pompée rompit avec le sénats et 
se tourna vers les chevaliers et la populace. 

L'instrument de Pompée, dans cette réaction 
contre le sénat, fut un autre chevalier, Jtf. Tullius 
Cicéron, brillant et heureux avocat, politique mé- 
diocre, mais doué d'une souplesse de talent ex- 
traordinaire, et d'une merveilleuse faconde. Ori- 
ginaire d'Arpinum, comme Marins, il composa 
d'abord un poème en l'honneur de son compa- 
triote. Il débuta au barreau de la manière la plus 
honorable, en défendant, sous Sylla^ un Roscius, 
qu'un affranchi du dictateur voulait faire périr 
pour le dépouiller. Il est vrai que ce Roscîus était 



cfaex les morts pour porter cette accusation. « Ta dis Trai , Pompée, n^lî- 
qtia-tril , je viens de cfaex les morts , et j^n viens pour accuser L. Libon j 
mais dans le séjour que j^ai fait là-bas , j^ai tu Cn. Ahenobarbus , tout san- 
glant, se plaindre amèrement qu^un homme de sa naissance, de son carac^ 
tère , de son patriotisme, eât été à la fleur de Tâge assassiné par ton ordre : 
j^ai vu Bnitus , personnage d^one' égale illustration , la corps percé de coups, 
accuser de cet horrible traitement ta perfidie , ta cruauté ^ j'ai vu Cn. Caibon, 
ce défenseur si ardent de ton enfance et de ton héritage , chargé de chaînes 
par ton ordre dans son troisième consulat , maudire ton nom, attester qu'au 
mépris de toute justice , malgré la haute magistrature dont il était revftn , 
toi , simple cheralier romain , tu Pavais égorgé : j^ai vu dans le même état 
un ancien préteur, Perpenna ; je Tai vu, par des imprécations pareilles, 
vouer ta baibarie à Texécration : j^ai vu tous ces malheureux pousser on cri 
unanime d^indignation , d^avoir été mis à mort sans jugement, d'avoir trouvé 
dans nn enfant leur assassin , kor bourreau. » Tmd^ de M, Frémion, 



253 

lui-même du parti de Sylla; qu'il était protégé 
par toute la noblesse, par les Servilius, par les 
Scipions; qu'il était client des tout-puissans Mé- 
tellus, et que même, pendant le procès, il avait 
été recueilli dans la maison de Cecilia Métella. Le 
véritable défenseur fut l'illustre Messalla, et l'on 
mit en avant Cicéron ^ . La noblesse était indignée 
de l'audace des gens de vile naissance, dont S^^lla 
aimait à s'entoui'er, et qui se permettaient tout à 
l'ombre de son nom, Sylla, lui-même, alors en 
Etrurie, voulait terminer les désordres de la guerre 
civile ; il venait de porter des lois contre l'empoi- 
sonnement , le faux, la violence et l'extorsion. Ci- 
céron ne risquait donc rien ; mais ce fut pour lui 
un honneur infini d'avoir le premier fait entendre 
une voix humaine après le silence des proscrip- 
tions. Le panégyriste de Marins fut obligé de faire, 
en cette occasion , l'éloge du parti de Sylla ; mais 
on lui sut gré de ne pas l'avoir £ait avec trop de 
bassesse^. 



' Fi le Pro Roscio, c. 6, 50. Sans Tooloir dimiiiaer la gloire de Cicëron 
dans cette circonstance, on est obligé de remarquer qne plus d^un motif 
devait Tenhardir. 

' Id. , ibid,^ c. 47. — Quoique le beau fragment du poème de llaiius 
ait été ci té partout, nous ne pouvons nous empêcher de le placer ici : 

Hic Jo^i altisoni iabito peonaU satellei \ 

ArborU è tninco scrpenlM Mocia mono, 
Ipta f«iv •«bigittnnafigeiu ooguibua angaem 



254 

t>èpuii5 ce moment, tout le parti opprimé, che- 
valiers , publicains , villes municipales , eurent les 
•yeux sur lui. S'il eût été homme de guerre, s'il eût 
eu du moins quelque dignité et quelque suite dans 
sa conduite politique , il fut devenu le chef de ce 
parti auquel Pompée méritait si peu d'inspirer con- 
fiance. Mais il se soumit de bonne grâce à agir sous 
Pompée et pour lui. Ce que les sénateurs redou- 
taient le plus , c'était de se voir enlever les juge- 
mens que leui* avait rendus Sylla, et qui leur 
assuraient l'impunité pour eux-mêmes, et la domi- 
nation sur les chevaliers. Ils consentirent plus 
aisément au rétablissement du tribunat, qui dimi- 
nuait seulement la puissance commune de leur 
corps ; ils espéraient qu'à ce prix ils conserveraient 
le privilège des jugemens. Mais , dès qu'une fois 
Pompée eut fait élire des tribuns par la populace, 
dès que les comices des tribus eurent été rétablis, 
rien n'était plus facile que d'enlever les- jugemens 

Semiaoûnam, et varia graviter cervice micantem ; 
Quem intorqaeDlem laaiana , roi iroqae craeutans , 
Jam «atiata animam , jam dvroa alla dolores , 
Abjicit cfflantem , et laceratam affligit in undai , 
Seque obilu a aolia nitidoa convertit ad ortus. 
Hanc ttbi prœpclibaa pcnnia lapiaqn« volanlem 
Conapezit Mariai divini noniinia aagar , 
Faostaque signa aan landis redîtaaqae notavii t 
Parlibttc inloauil cœli pater ipae sioiatrif . 
Sic aqoil« clarum firmavit Japiler omen. 



25Ô 

aux sénateurs. II suffisait de mettre au grand jdur 
et de produire, sur la place publique, l'infâme et 
cruelle tjo'annie qu'ils exerçaient dans les provinces, 
depuis qu'ils étaient seuls juges de leurs propres 
crimes. On pouvait, sans attaquer directement tout 
le corps des nobles^ traîner un des leurs à leurs 
tribunaux, dévoiler, dans un seul, l'infamie de 
tous , et les mettre entre le double péril d'avouer 
la honte de leur ordre par une condamnation , ou 
d'y mettre le comble, en renvoyant l'accuse ab- 
sous. Cicéron fut chargé de faire ainsi le procès à 
un des nobles, ou plutôt à la noblesse. 

L'homme par la honte duquel on entreprit de 
salir tout le sénat et de le traîner dans la boue, 
portait rignoble nom de Verres. Il était ami des 
Métellus, et s'était rendu cher à la faction, en pas- 
sant du camp de Carbon à celui de Sylla avec l'ar- 
gent de la questure j plus lard, en faisant mettre à 
mort en Sicile tous les soldats de Sertorius qui y 
cherchaient un asile ^ . Beaucoup de chevaliers ro- 
mains établis en Sicile et en Asie, beiaucoup d'Ita- 
liens qui levaient les impôts , ou faisaient le com- 
merce et la banque , une multitude de Grecs de 
Sicile et d'autres provinces , déposèrent contre 
Verres , et l'accablèrent de leurs témoignages. Les* 
sénateurs qui composaient le tribunal , se hâtèrent 

* Cic. , «V» Verre m i dt Suppliciis* 



256 
de le condamner, dans l'espoir de sortir plus vite 
de ce procès terrible, et de rendre inutiles les élo- 
quentes invectives que Cicéron avait préparées; 
mais ils n'y perdirent rien. Ces discours écrits avec 
. soin furent copiés, multipliés, répandus, lus avi- 
dement. Ils sont restés pour Téternelle condamna- 
tion de l'aristocratie romaine, et pour la justifica- 
tion des Empereurs dont la tyrannie fut pour les 
provinces, au moins comparativement, une déli- 
vrance , un état d'ordre et de repos. 

Nul doute que ces chevaliers, ces publicains, ces 
commerçans romains, établis en Sicile, n'eussent 
pour la plupart acquis par la spoliation et le vol 
ce que le préteur leur volait. Mais les indigènes 
avaient été encore plus maltraités. Les exactions, 
les violences , les vols sacrilèges commis par Verres 
dans leurs maisons et dans leurs temples ne peu- 
vent se compter. L'amour des arts grecs qui domi- 
nait alors chez les grands de Rome, était encore un 
mobile de brigandage. Les dieux les plus révérés 
de la Sicile ne purent échapper au préteur. L'Her- 
cule d'Agrigente, la Junon de Samos , la redoutable 
déesse de la Sicile , la Cércs d'Enna , passèrent , 
comme objets de curiosité, dans le cabinet de 
Verres ^ . Tant d'insultes faites aux religions locales 
des alliés touchaient , je pense , médiocrement le 

' lâ., De Signis, 



2ÔÎ 

peuple roûiain. la mort même des dapitaineâ sici-^ 
liens, indignement condamnés par Vérrès, n'est 
pas sans doute ce qui remuait le plus les maîtres du 
inonde. Ce qui fit impression, c'est qu'il avait mé- 
nagé les pirates dont les courses conipromettaient 
chaque jour l'approvisionnement de Rome, et qu'il 
fut convaincu d'avoir fait battre de verges et mettre 
en croix un citoyen romain ^ 

La condamnation de Verres fut celle de l'aristo- 
cratie. Tous les nobles étaient ses amis; Plusieurs 
d'entre eux avaient trempé dans les crimes dont il 
était convaincu. Un Néron , par côn!iplaisance 
pour lui , avait condamné à mort un honmie qui 
n'était coupable que d'avoir défendu contre Verres 
l'honneur de sa fille *. 

Les sénateurs ne purent garder plus long-temps 
lapossession exclusive du pouvoir judiciaire.Cîcéron 
les accabla d'une énumération terrible de toutes 
les prévarications de leurs tribunaux, et assura 
effrontément qu'on n'avait fait aucun reproche aux 
chevaliers, quand ils en étaient en possession '. 
Pompée , ayant donné des jeux peu après TafEaire 
de Verres, s'assura de la populace. II venait d'ail- 
leurs, en rétablissant les comices par tribus, de 



' Id. , De Suppliciis. 

* Cic. , în f^errem , sec. actio, I. 1. ^ 

* Cic. f in Vemm^ passtm, « Cibn séTcrè judicia fi«bant... » 

M. 17 



2S8 

donner du prix aux sufiErages du ptdt peuple, et 
de lui rendre ainsi son principal moyen 4e subsis- 
tance , la yénalité. Appuyé sur les soldats^ les che- 
valiers et les prolétaires , il ôta sans peine aux sé- 
nateurs le privilège des jugemens, et les força de 
partager le pouv<^r judiciaire avec les chevaliers 
et les tribuns > élus de la populace (71). 

Ainsi ce grand ouvrage de Sylla, que le dictateur 
avait cru afifermir à jamab par l'extermination des 
Italiens et la proscription des chevaliers , que 
Pompée semblait avoir assuré par la réduction de 
l'Espagne, Lucullus par l'humiliation des publi- 
cains de l'Asie, il Suffît du même Pompée pour le 
renverser. 

Le premier fruit que les chevaHers retirèrent de 
leur victoire, ce fut de rétablir les communications 
maritimes, dont Finterruption ruinait leur com- 
merce et de recouvrer l'esqploitation de l'Asie dont 
les dépouillait Lucullus. Dans ce double but^ ils 
confièrent à Pompée , malgré le sénat , un pouvoir 
tel, qu'aucun citoyen n'en avait obtenu jamais. 
Sur la proposition de Gabinius, on Itii donna pour 
réduire les pirates l'empire de la mer, de la cilide 
aux G>lonnes d'Hercule , avec tout pouvoir sur les 
côtes à la distance de quatre cents stades (vingt 
lieues); de plus, une autorité absolue et sans res- 
ponsabiUté sur toute personne qui se trouverait 



259 

dans ces limites^ avec la faculté de prendre chet 
les questeurs et les publicains tout l'argent qu'il 
voudrait , de construire cinq cents vaisseaux ^ et de 
lever soldats, matelots, rameurs à sa volonté. Ce 
n'était pas assez ^ on y ajouta peu après la commis-' 
sien de réduire Mithridate, et le commandement 
des armées de LucuUus avec toutes les provinces 
de l'Asie ^ (()7). Le parti triomphant , celui des 
chevaliers , était si intéressé au succès , qu'il donna 
à son général un pouvoir disproportionné avec lei 
but. Cicéron fiit encore en ceci l'organe de k fac« 
tion. Rien n'était plus aisé que d'entraîner le 
peuple qu'on nourrissait des blés de l'Afrique et de 
la Sicile, et dont les pirates compromettaient la sub^ 
sistance. Au reste , * les esprits pénétrans sentaient 
bien qu'aucun pouvoir n'était dangereux dans 
des mains si peu propres à le garder. César et Cras- 
sus n'y virent qu'un précédent utile, et y ai- 
dèrent. 

Ces pirates * appai*tenaient à presquç toutes les 
nations de l'Asie, Ciliciens, Syriens, Cypriotes, 
Pampbyliens, hommes du Pont. C'était comme une 
vengeance et une réaction de l'Orient dévasté par 
les soldats de l'Italie , par ses usuriers et ses publi- 



* Cic. , pro lege ManiUâ, Plut. , in Pompeio, 

• Appian. , D«£f. ilf/Mr.,t.I,pS90, C.2S4. 2x«5ov «irocv'îwv tûv 

nawv K^véSv. 



260 

cains y par ses marchands d'esclaves. Ils s'enhardir 
rent dans les guerres de Mithridate dont ils furent 
les auxiliaires. Les guerres civiles de Rome, puis 
l'insouciante cupidité des grands , occupés de piUer 
chacun leur province, laissèrent la mer sans sur- 
veillance, et fortifièrent les pirates d'une foule de 
fugitifs. « Ils firent de tels progrès, dit Plutarque 
{Pompée y c. 3), que non contens d'attaquer les 
vaisseaux , ils ravageaient les îles et les villes ma- 
ritimes. Déjà même les hommes les plus riches, les 
plus distingués par leur naissance et par leur capa- 
cité, montaient sur leurs vaisseaux et se joignaient 
à eux ; il semblait que la piraterie fût devenue un 
métier honorable. Ils avaient en plusieurs endroits 
des arsenaux, des ports, et des tours d'observation 
très-bien fortifiées ; leurs flottes, remplies de bons 
rameurs et de pilotes habiles, fournies de vais- 
seaux légers, et propres à toutes les manœuvres, 
affligeaient autant par leur magnificence qu'elles 
efûrayaient par leur appareil. Lieurs poupes étaient 
dorées ; ils avaient des tapis de pourpre et des ra- 
mes argentées ; ils semblaient faire trophée de leur 
brigandage. On entendait partout sur les cotes les 
sons de leurs instrumens ; partout , à la honte de 
la puissance romaine, des villes captives étaient 
obligées de se racheter. On comptait plus de mille 
de ces vaisseaux qui infestaient les mers, et qui 
déjà s'étaient emparés de plus de quatre cents villes. 



261 

Les temples, jusqu'alors inviolables, étaient pro- 
fanés et pillés, tels que ceux de Claros, deDidyme, 
deSamothrace, de Cérès à Hermîone, et d'Esculape 
à Epidaure , ceux de Neptune dans Flsthme , à Té- 
nare et à Calaurie , d*Apollon à Actium et à Leu- 
cade ; enfin ceux de Junon à Samos , a Argos et au 
promontoire Lacinien. Ils faisaient aussi des sacri- 
fices barbares , et ils célébraient des mystères se- 
crets, entre autres ceux de Miihra, qui se sont 
conservés jusqu'à nos jours, et qu'ils avaient les 
premiers fait connaître. » 

« Non contens dç ces insultes , 'ils osèrent encore 
descendre à terre, infester les chemins par leurs 
brigandages, et ruiner même les maisons de plai- 
San ce qui avoîsinaient la mer. Ils enlevèrent deux 
préteurs , vêtus de leurs robes de pourpre , et les 
emmenèrent avec leur suite , et les licteurs qui 
portaient les faisceaux devant eux. La fille d'Anto- 
nius, magistrat honoré du triomphe, fut aussi en- 
levée en allant à sa maison de campagne , et obli- 
gée de payer une grosse rançon. Leur insolence était 
venue à un tel point, que si un prisonnier s'écriait 
qu'il était Romain , et disait son nom , ils feignaient 
d'être étonnés et saisis de crainte ; ils se frappaient 
la cuisse, se jetaient à ses genoux, et le priaient de 
leur pardonner. Cette pantomime suppliante faisait 
d'abord croire au prisonnier qu'ils agissaient de 
boone foi. Les uns lui mettaient des souliers , les 



262 

autres une toge , ^fin y disaient-ils y qu'il ne fût plus 
méconnu* Après s'être ainsi long-temps joués de 
lui et avoir joui de son erreur^ ils finissaient par 
mettre une échçjle .au milieu de la mer, lui or- 
dqnnaient de descendre et de s'en retourner chez 
lui 'y. ^'il refusait de le faire y ils le précipitaient eux- 
mêmes dans les flots. » 

La pui$sai^ce des; pirates était vaste y mais dis- 
persée sur toutes les mers. Pompée avait de si 
grandes forces y qu's^près avoir partagé la Méditer- 
ranée et distribué ses flottes y. il les réduisit en trois 
mois. La douceur :j fit plus que la force. Plusieursse 
rendirent à lui avec leurs familles^ et le mirent sur la 
tr^ce des autr^. Ceux qui n'espéraient point de par- 
49n livrèrent une bataille navale devant Coracésium 
QA'Cîlicie. Popapée;> maître des forts qu'ils avaient 
dans Je. Tauru's et dans les îles . leur donna des 
Xç(fpçe% davs L'^chaïa et la Cilicie., et en peupla sa 
villç dePo^peippplis, b^btie surlç$ ruines de Soli. 
Il tenait tant à:se concilier ces iintrépides marins^ 
qu'il. envoya des troupes contre Métellus qui pour- 
suivait avec cruauté ceux de la Crète , et combattit 
pour les pirates * . 

* Plut. inPomp. , c. 30. Eypa^ xy MiliXX^ xwVvwv xh^ aôX«fU>», 
xccè £7re|x>p£... *0x1aoûêov* oc 0'uvcc<rtX6«dV tiç rà TCi^^q Totç ocAcop- 
xouasvoec , xac {jLU^Ofisvoç [isTâylSi'»,,, — Dion. , p. 89. Ceci explique 
peutrêtre li rapériorité bonstaDte de Pompée et de -son parti sur la mer. 
V. plus bas les guerres de Pompée , Brntas et Seitus Pompée. 



2G3 

Parvenu en Asie, il abolit, disent unanimement 
les historiens y tout ce qu'avait £sut Lucullus , c-est* 
à^dire qu'il rétablit la tyraiinie financière des che- 
valiers et des publicains. Pour Mithridât^ , aprèi 
tant de dé&ites , il était plus difficile à joindre qu'à 
vaincre. La première fois que Vùmf^ ratjteignxt \ 
il crut le tenir , et le manqua j Ja secondé, it l'àtta^. 
qua pendant la nuit, et les Barbares ne soutinrent 
pas même le premier cri des Romains ^ . Re|iioussé 
par Tigrane, qui reçut Pompée à genc^, Mithri-^ 
date &'enfuit vers le Caucase chez les Albaniens et 
les Ibériens. Pompée pénétra che« ces Biîii>£ires , 
défit, non sans peine, leurs multitudes mal atméësr. 
Mais il n'osa^ ni entre? dans l'Hyrcaaie, ni trslter- 
ser les plages SQ^thiques du nord de l'Euftip potfr 
pénj^trer dans le Bosphore, dqxït Mithridàté était 
toiujours. maître *. Il aima mî^rux redescendra au 
midi, pour y &ire une guerre plus &cil6'^ pltts 
glorieuse* $auC quelques combats sans importance, 
il lui suffît d!une sort^ de proinenade pour achever, 
comme dit ipiutârqUe, lie pompeux ouvrage de Tem^ 
pire rom;aifi.. Il soumit^ en p^i^ht la. Syrie, dont il. 
fit une proyijQlc^, Ifi Judée.^ qu'il donna à qui il 
vquiut. La nouvelle de la mort du roi def Pont vint 
fort à propos pour le dispenser de poursuivre une^ 

* Hul. in Pomp. , c. 34... MnHtU Ti fth&m rok^ii^^fitç^ 
' Plut. , m jPof»/?. , c. 38. 



/ 



264 

guerre imprudente 'dans laquelle il s'était engagé 
contre les Arabes. 

Le grand Mithridate a^ait^ dans sa fuite même, 
conqa le projet gigantesque d'entraîner les Bar- 
bares vers l'Italie. Les Scythes ne demandaient pas 
mieux que de le suivre. Les Gaulois^ pratiqués par 
lui depuis .Iong*4enip6 , l'attendaient pour passer 
les Alpes ' . Tout vieux qu'il était, et dévoré par un 
ulcère qui l'obligeait de se cacher, il remuait tout 
le monde barbare dont il voulait opérer la réu* 
moUj tant de siècles avant Attila. L'immensité de 
ses préparatiËs ^ et Tef&oi de la guêtre qu'il allait 
entreprendre, tournèrent ses sujets contre lui. Il 
avait mis à mort trois fils , trois filles , et s'était ré- 
servé pour héritier son fils I^arnace, qui le trahit. 
Xie .vieux roi , craignant d'être livré aux Romains , 
essaya de s'empoisonner ; deux de ses fils qui lui 
restaient voulurent boire avant lui , et moururent 
bientôt. Mais Mithridate s'était depuis si long-temps 
prémuni par rhabitude contre les poisons, qu'il n'en 
trouvait plus d'assez violent. Il fallut que le Gau* 
lois Bituitus, qui lui était attaché , lui prêtât son 
.épée pour mourir. U n'y eut plus dans l'Orient de 
roi comme Mithridate. Ce géant % cet homme in- 

' AppiâD. , B, Mithr., i toI. p. 407, c. 246. E* Kùloitç , tx ooX>ov 



265 

destructible aux fatigues comme au poison^ cet 
homme qui parlait toutes les langues savantes et 
barbares ^ , laissa une longue mémoire. Aujour- 
d'hui , non loin d'Odessa , on montre un siège 
taillé dans le rocher qui domine la mer^ et on l'ap- 
pelle le trône de Mithridate. 

Le triomphe de Pompée fut le plus splendid^ 
qu'on eût vu jusque-là. On y porta les noms des 
nations soumises : le Pont^ l'Arménie^ la Cappa- 
doce^ la Paphlagonie^ la Médie^ la Colchide, les 
Ibériens, les Albaniens^ la Syrie, laCilicie, la Mé- 
sopotamie, la Phénicie, la Judée, l'Arabie, enfin 
les pirates. On y voyait que les revenus publics 
avaient été portés, par les conquêtes de Pompée, 
de cinquante millions de drachmes à près de quatre- 
vingt-deux millions; qu'il avait versé dans le trésor 
la valeiu» de vingt mille talens , sans compter une 
distribution de quinze cents drachmes par chaque 
soldat. Pompée, qui avait triomphé la première 
fois de l'Afrique, la seconde de l'Europe ( après 
Sertorius), triomphait cette fois de TAsie. 

Dans ce pompeux étalage des trophées de Pom- 
pée, une bonne part eût dû revenir à Lucullus. Le 
résultat était grand; mais combien avait-il coûté? 
César, vainqueur de Phamace, portait envie à Pom- 

' On peut juger , dit Appien {ibid. ), de la taille énorme de MilhridatQ 
par ses armes qu^il envoya à Delphes et ï Némée. 



266 

pée pour avoir eu des succès si faciles; et Caton di- 
sait que toutes les guêtres d'Asie n'étaient que des 
guerres de femmes ^ ^ 



Ainsi la médiocrité de tous les nobles de Roroe^ 
cette disette de grands généraux dont sç plaint si 
souvent Cicéron, Tami de Pompée, éleva pour 
quelque temps cet indigne favori de ta fortune 
à une puissance dont il ne sut comment user, jus* 
qu'à ce qu'elle lui fut arrachée par l'homme qui la 
méritait. 



' Cic. , pro HJmtndf c. 13. Hliid oame 
licrcuGs esftc g«$Cuoou 



M .: 



267 



CHAPITRE V. 



JuLSA CisÀA, — Catilina. — GoDsolat de César. — Guerre des Gaules. — 
Guerne mile. — Dictature de César et sa mort. ( 63-44. ) 



C. JuLiusC^AE sortait d'une fismille patricienne, 
qui prétendait descendre d'un côté de Vénus ^ de 
l'autre d'Aiicus Martius^ roi de Rome : « Ainsi, di- 
sait'«-il 'dans Féloge funèbre de sa tante Julia^ on 
trouve en ma &mille la sainteté des rois^ qui sont 
les maîtres du monde ^ et la majesté des dieux qui 
sont les maîtres des* rois. » La tante de César avait 
épousé Mariûs *• Les élémens divers dont se com- 
posait Rome y le vieux patriciat sacerdotal^ le parti 

' Amitse meie Juiîs matemum genus ab regibns , patemum cum diis im- 
mortamsas coniiuiictwii est. Nam ab Aaco Mardo sunl Marcii m^, quo 
Domiiie luit, maler» à Toiere lulii , ciyns gcntis csl fàmilia nostra. Est ergo 
in génère , et sanctitas regum , qui pturimum inter homines poUeot et ccfir- 
mooia deoruin , quorum ipsiiu potestate sunt reges. Sueton., inJui. , c. €, 

* Plut. , in J, Cas, , c. 4. 



268 

des chevaliers^ celui des Italiens^ semblaient donc 
résumes en César. A l'époque où nous sommes par- 
venus, il n'avait encore d'autre réputation que 
celle d'un jeune homme singulièrement éloquent, 
dissolu et audacieux , qui donnait tout à tous, qui 
se donnait lui-même à ceux dont l'amitié lui im- 
portait. Ses mœurs étaient celles de tous les jeunes 
gens de l'époque; ce qui n'était qu'à César, c'était 
cette effrayante prodigalité, qui empruntait, qui 
donnait sans compter, et qui ne se réservait d'autre 
liquidation que la guerre civile ^ . C'était l'audace 
qui, seul dans le monde, le fit, à dix^^sept ans, 
résister aux volontés de Sylla. Le dictateur voulait 
lui faire répudier sa femme« lie grand Pompée , si 
puis^at ^lors, s'était soumis k un ordre seio* 
blable. César refusa d'obéir; et il ne périt poiai : 
3a fortune fut plus forte que Sylla. Toute la no- 
blesse, les vestales elles-mêmes intercédèrent au- 
près du dictateur, et demandèrent en grâce la vie 
de cet enfant indocile : VoUs le Voulez^ dit-il^ je 
vous l'accorde; mais dans cet enfant j'entrevois 
plusieurs Marins. 

César n'accepta point ce pardon et n'obéit pas 

r 

* SiietOQ. , in J» Cœs, Vel ioviUtos » Tel Kpontè «d w conmeantes 
ubemmo congiaho prosequebatiir... Tùm reomm «ut oberatonim , «ut pn>- 
dk^œ juvonlutis sulisidiuni uûicum «c proniptissimum erat^ nisi qnos gnnor 
crimiBum , vd inopis luiLuriasTe vis ur|^eret, qaàm ut subve&iri possct à 
0€. Ilis plané palàin bello civili optu esse dicebdt. 



269 

datantage : il se réfugia en Asie. Tombé entre les 
mains des pirates, il les étonna de son audace. Us 
avaient demandé vingt talens pour sa rançon : 
C'est trop peu, dit-il, vous en aurez cinquante; 
mais une fois libre , je vous ferai mettre en croix * . 
Et il leur tint parole. De retour à Rome, il osa re^ 
lever les trophées de Marins^. Plus tard, chargé 
d'informer contre les meurtriers , il punit à ce titre 
les sicaires de Sylla, sans égard aux lois du dicta- 
teur. Ainsi, il s^annonça hautement comme le dé- 
fenseur de Fhumanité, contre le parti qui avait 
défendu l'unité de la cité au prix de tant de sang. 
Tout ce qui était opprimé put s'adresser à César. 
Dès sa questure, il favorisa les colonies latines, 
qui voulaient recouvrer les droits dont Sylla les 
avait privées'. Les deux premières fois qu'il parut 
au barreau, ce fut pour parler en faveur des 
Grecs, contre deux magistrats romains. On le vit 
plus tard, du milieu des marais et des forêts de la 
Gaule, pendant une guerre si terrible, orner à ses 
frais de monumens publics les villes de la Grèce et 
de l'Asie. Il tenait compte des Barbares et des es- 



• — Plut., in Cas.,c. 2. 

' Snei.» in Cas, y c. 41. Trophœa Uarii de JngnrthA , deque Cimbris 
«Iqne Thatoins, ofim à Bjllâ dtfîecta , restitait. —Plot. , in Cas. , c. 5. 

- ' Sucton. , in J. Caes.\ c 8. Colonias Latinas de petendâ civiUte a^- 
Unies adiii ) et ad andendum aliquid coDcitaiset. 



270 

daves eux-mêmes ; il nourrissait un grand nombre 
de gladiateurs pour les faire combattre dans les 
jeux ; mais quand les spectateurs semblaient vou- 
loir leur mort^ il les £ûsait enlever de Farène ; U 
n'eut pas de meilleurs soldats dans la guerre civile. 
Le monde ancien excluait les femmes de la cité. 
César donna le premier l'exemple de rendre ^ même 
aux jeunes femmes^ des honneurs publics ; il pro- 
nonça solennellement Téloge funèbre de sa tante 
Julia et de Comelia sa femme. Ainsi ^ par la libé- 
ralité de son esprit , par sa magnanimité , par ses 
vices mêmes , César était le représentant de Thu- 
manité contre le dur et austère esprit de la répu- 
blique; il méritait d'être le fondateur de l'Empire^ 
qui allait ouvrir au monde les portes de Rome. 

En bieni, en mal^ l'homme de l'humanité fut Cé- 
sar; l'homme de la loi fut Caton. U descendait de 
Caton le censeur, ce rude Italien qui avait si àpre- 
ment combattu un autre César. Chez le dernier 
Caton, la sévérité passionnée des Pordi s'était 
épurée dans le stoïcisme grec. U était à lui seul 
plus respecté à Rome que les magistrats et le sénat. 
Aux jeux de Flore, le peuple, pour demander une 
danse immodeste, attendait que Caton fût sorti du 
théâtre. 

Ses ennemis, ne sachant que r^rendre dans un 
tel homme, lui faisaient des reproches futiles ; ils l'ac* 
cusaient de boire après souper, jamais on ne le vit 



271 

ivre; de paraître obstiné^ il était un peu sourd ; de 
s'emporter^ mais tout à cette époque devait Tirri-* 
ter; enfin d'être trop économe. César ^ dans son 
Anti-Caton^ prétendait malignement qu'ayant brûlé 
le corps de son frère ^ il avait passé les cendres au 
tamis pour en retirer l'or qui avait été fondu par le 
feu^ 

Le vrai reproche que méritait Caton , c'était cette 
rigueur aveugle^ cet opiniâtre attachement au 
passé , qui le rendait incapable de comprendre son 
temps. C'était l'ostentation cynique avec laquelle il 
aimait à braver, dans les choses indifférentes, le 
peuple au milieu duquel il vivait. On le voyait, 
même dans sa préture , traverser la place sans toge, 
en simple tunique, nus-pieds, comme un esclave, 
et siéger ainsi sur scm tribunal. 

Dans la lutte qu'il soutint si long-temps pour la 
liberté de sa patrie, Caton n'eut point d'abord Cé- 
sar pour adversaire, mais le riche Crassus et le puis- 
sant Pompée. Le premier qui, depuis Sylla, et 
d'abord à la faveur des proscriptions^ avait porté ' 
sa fortune de trois cents talens à sept mille (trente^ 
cinq millions de notre monnaie), s'imaginait finir 
tôt ou tard par acheter Rome. Crassus, dit Plu- 
tarque, aimait beaucoiqp la conversation du grec 
Alexandre. Il l'emmenait avec lui à la campagne, 

' Plnt. , m Coi. 



J 



272 

lui prétait un chapeau pour le voyage^ et le lui rede- 
mandait au retour. Il n'y avait pas à craindre qu'un 
pareil homme devînt jamais maître du monde '. 

Tels étaient les principaux combattans. Exami- 
nons le champ de bataille. 

La tyrannie des chevaliers , des usuriers , des pu- 
blicains y était si pesante que chacun s'attendait à 
un soulèvement général après le départ de Pompée. 
Tous Jes ambitieux se tenaient prêts, César, Cras- 
sus, Catilina, le tribun RuUus, et jusqu'aux indo- 
lens héritiers du nom de Sylla*. Le parti vain- 
queur^ celui des chevaliers, se trouvait désarmé 
par l'éloignement de son général , et n'avait à op- 
poser que Cicéron aux dangers, qui, de toutes 
parts, menaçaient la républic,|<;. Il ne s'agissait pas 
de la liberté ; elle avait péri depuis long-temps : mais 
la propriété elle-même se trouvait en danger. Le 
mal dont se mourait cette vieille société , c'étaient 
l'injustice et l'illégalité dont se trouvait marquée 
alors l'origine de toute propriété en Italie. Les an- 
ciennes races italiennes du midi, depuis long-temps 
expropriées , soit par la populace de Rome enToyée 
en colonies, soit par les usuriers^ chevaliers et pu- 
blicains, avaient été. presque anéanties par Sy lia. 

* Plat. , in Cmss, 

* Cic. , pro Cont. Syliâ, La juslilicatioB de Sylla est loio dVlre 
duante. 



273 

L^u^urè avait exproprié à leur tour et les anciens 
colons romains ^ et les soldats de Sylla établis par 
lui dans l'Étrurie. Les sénateurs et les chevaliers 
changeaient les terres en pâturages^ et substi- 
tuaient aux laboureurs libres des bergers esclaves. 
L'Étrurie, préservée long-temps, subissait à son 
tour cette cruelle transformation. Par toute l'Italie 
flottait une masse formidable d'anciens proprié* 
taires dépossédés à des époques différentes : d'abord 
les Italiens, et surtout les Etrusques, expropriés 
par Sylla, puis les soldats de Sylla eux-mêmes, sou- 
vent encore le noble Romain qui se ruinait après 
les avoir ruinés; tous égaux dans une même misère. 
Ajoutez des pâtres ferouches, errant avec les trou^ 
peaux de leurs maîtres dans les solitudes de l'Apen- 
nin , souvent ne reconnaissant plus de maîtres , et 
subsistant de brigandages comme les noirs marrons 
des colonies modernes; enfin des gladiateurs, 
bêtes féroces qu'on tenait à la chaîne pour les là^ 
cher dans l'occasion , et qui constituaient à chaque 
sénateur, à chaque chevalier, une petite armée 
d'assassins. 

Je vois y disait Catilina à Cicéron , je vois dans la 
républiqut une tête sans corps , et un corps sans tête; 
cette tête qui manque^ ce sera moi ^ . Cette parole ex^ 
primait admirablement la société romaine. Tant 

' Plut. , in Cic, -^Cic, y pio Murtnâ^ c. 25. 

H. l8 



274 

d'opprimés appelaient un dhef contre la méprisaUc 
aristocratie des grands propriétaires romains ^ sé- 
nateurs et chevaliers. Mais quand ce chef eût eu le 
génie de César^ l'argent de Crassus et la gloire mi- 
litaii^ de Pcmipée^ il n'eût pu concilier tant de 
prétentions opposées^ ni guérir un mal si com- 
plexe. Une translation universelle de la propriété , 
qui n'eût pu s'accomplir qu'en versant encore des 
torrens de sang^ n'aurait point fini les troubles. 
Ces terres arrachées aux grands propriétaires^ à 
qui les eût-on rendues? elles étaient pour la plu- 
part réclamées par plusieurs maîtres ; au vétéran de 
Sylla, à l'ancien colon romain qu'il avait dépouillé, 
ou aux enfans du propriétaire italien dépossédé 
par le colon , et qui végétaient peut-être encore 
nourris des distributions publiques , logés dans les 
combles de ces vastes maisons de Rome (insulœ), 
où s'entassaient à la hauteur de sept étages toutes 
les misères de l'Italie ^ ? Ces terres d'où le grand 
propriétaire avait arraché toutes les limites , 
pierres brutes , Termes et tombeaux ^ ces champs 
dont il avait y souvent à dessein y brouillé et con- 
londu la face^ quel o^riineitsor assez clairvoyant , 
qud juge assez intègre eût pu les reconnaître^ les 
mesurer, les partager? 



* Auguste défendit dV'lcTer des maisons à plas de soi.\aD(cM]ix pied». 
Naus savons d^aijleurs que chaque étage était peu éieré. 



275 

Un changement semblait imminent^ quelles que 
fussent les difficultés. César donna le premier signal^ 
par un acte de justice solennelle^ qui condamnait 
la longue tyrannie des chevaliers : déjà , il avait 
flétri celle des nobles en punissant les sicaires de 
Sylla. Il accusa le vieux Rabirîus, agent des cheva- 
liers j qui , trente ans auparavant , avait tué un tri- 
bun, un défenseur des droits des Italiens, Apuleïus 
Saturninus. Les chevaliers avaient conservé a Sa- 
tuminusun souvenir implacable. Us avaient fait un 
crime capital de garder chez soi le portrait de ce 
tribun; ils accoururent de TApulie et de la Campa- 
nie, où ils possédaient toutes les terres. De concert 
avec le sénat , ils défendirent Rabirius par Forgane 
de Cicéron , et toutefois ne purent le sauver qu'en 
rompant violemment rassemblée ^ . César comprit 
que la révolution n'était pas mûre, et attendit dans 
un formidable silence. 

Alors parut le tribun RuUus, qui s'offrait de gué- 
rir par une seule loi le mal universel de la républi- 
que. Ce mal, nous l'avons dit, c'était l'injustice 
dont se trouvait entachée alors l'origine de toute 

* Cic. , prv Babinoj c. 24. Val. Max., Vm, I. — Pendant que les 
centuries donnaient leurs yoles an Cbamp-de-Mars , un étendard était dressé 
sur le Janiculc. Cet ancien usage datait d^nne époque où Tenneml étant Toisin 
des murs de Rome , on craignait qu'il ne parât fout à coup , et ne surprit la 
\ille sans défense. Métcllus Celer sauva Rabirius en enlevant Télendard du 
Janicule. Par cela seul , rassemblée était dissoute de droit. Dion., p. \ 29. 



276 

propriété. RuUus proposait d'acheter des terres, 
pour y établir des colonies ; de partager entre le* 
pauvres citoyens tous les domaines publics^ en in- 
demnisant ceux qui les avaient usurpés. Le tribun 
se chargeait lui-même avec ses amis d'exécuter 
cette opération immense^ qui devait faire passer 
par ses mains toute la fortune de l'Empire ^ en j 
comprenant les conquêtes récentes de Pompée. 
Les chevaliers y effrayés d'une proposition qui eût 
compromis y ou légalisé à grands frais leurs usur- 
pations y parvinrent à éluder la proposition de Rul- 
lus par l'adresse de Cicéron. L'habile orateur 
exposa que jamais les Romains n'avaient acheté 
l'emplacement de leurs colonies y et persuada au 
peuple qu'il était indigne de Rome d'établir ses 
enfans sur des terres légitimement acquises. Il 
insinua surtout que la loi de RuUus allait partager 
les terres y d'où l'on tirait le blé qui se distribuait 
au petit peuple. Ce dernier argument était décisif 
auprès de cette populace oisive ; ils aimaient mieux 
du blé quenles terres y et ne se souciaient pas de 
quitter la place publique et les combats de gladia- 
teurs ^ . 



' In Rull, , c. 25. AacnD monament n^est plus in^rUnt pour rhistouc 
romaine que les di^onrs sur la loi agraire de Rullus. — Vos verà retinetf . 
Quirites, possesaionem .urbis, gratis. — Laisserei-TOiis Tendre, dit-il 
encore, horrtum iegiùniirh^ solalium annonœ».. 



27T 

Cicéron rencontra un plus dangereux adversaire 
dans le sénateur Catilina y son concurrent au con- 
sulat. Les plus implacables ennemis de ce dernier 
s'accordent à dire que c'était une nature grande et 
forte , une âme d'une incroyable énergie , une vie 
souillée^ il est vrai, mais un ami dévoué^ et jus- 
qu'à la mort. Cicéron avoue qu'il y avait dans l'a- 
mitié de Catilina une irrésistible séduction, et 
qu'il fut lui-même près d'y céder ^ . Sous Sylla , il 
s'était déshonoré, comme Crassus et tant d'autres. 
Crassus s'était relevé : il était riche. Catilina, ruiné, 
endetté , était resté sous le poids de la honte. 
Cette conscience de son déshonneur s'était tournée 
«n fureur. U s'était plongé d'autant plus dans l'in- 
famie. Son visage inquiet et pâle, ses yeuxsan- 
glans, sa démarche tantôt lente, tantôt précipitée , 
semblaient accuser la victime d'une horrible fata- 
lité. Tout ce qu'il y avait dans Rome et dans l'Italie 
d'hommes perdus de misères ou de crimes, af- 
fluaient auprès de Catilina. Vétérans de Sylla rui- 
nés. Italiens dépossédés, provinciaux obérés, sans 



* Gîcer. , pn> Cœlîo , c. 5 , 6. — Quis clarioribas TÎris qaodamt empore 
jucundior? lOa in illo bomine mirabilia fuenint^ comprelieDdere multos 
amicitiâ. . . Me ipsom , mt , iaqaam , quondam penè ille decepit , cùm et 
mihi bonus et optimi cujusque cupldus , et firmos amictis et fidelis TÎd^ 
TCtur. — yid Attic, ,1. 4 . — Cicéron seoible prêt à défendre Catilina , et i 
A*entendre ayec lui pour le contulat. Il plaida pour plusieort des amis de 
Catilina , pour Sylla, pour Cœlius , etc. 



278 

compter une bande de jeunes gens dépravés et au- 
dacieux^ de mignon^ sanguinaires qui ne le quit- 
taient pas ^ et qui faisaient la partie honteuse de 
la faction y tout cela voltigeait dan$ |e Forum autour 
de Catilina^ n'attendant que son signal. Toute IV 
ristocratie , sénatevurs , chevaliers , publicains , usu- 
riers, se croyaient menacés d'un massacre. 

On pouvait tout soupçonner des amis deCatilina, 
tout faire croire sur leur compte. Les chevalien 
n'oubliaient rien pour ajouter à la frajeur publique. 
Les bruits les plus absurdes étaient bien accueillis. 
Catilina, disaient-ils, a égorgé son fils pour obtenir 
la maiu d'une femme qui ne voulait, pas de beaa- 
fils. Il Veut massacrer tous les sénateurs; iJ veut 
(ceci touchait davantage le petit peuple) mettre le 
feu aux*qi)atre coins de la ville. Il a retrouvé Vaigle 
d^argéot de Manus ; il lui fait des sacrifices humains. 
Les. conjurés, dans leurs réunions nocturnes, ont 
confirmé leurs sermens en buvant à la ronde du 
sang d'un homme égorgé. Que sais-je encore? Sai- 
luste va jusqu'à dire que Catilina ordonnait des 
assassinats inutiles , pour que ses amis ne perdissent 
pas l'habitude du meurtre ^ . 

' CÎG. in Catil, , I5 c. 9. — Sall. , Cat., c. 16. Si causa peocandi 
in praosetis miniis suppetebat , nihilominùs iQsgnlcs , sicuti sontes , ciicum- 
venire , jugolare ,- scilioet ne per otium torpescerent maous aut animus , 
çratuito potiùs malus atque cnidelis eral. 

Jlfe'm, de Sainte-Hclène, 22. mm 4 94 6 : « Aujourd'hui rempereur lisais 



279 

• 

La frayeur publique^ augmentée ainsi habile- 
ment, porta Cicéron au consulat (63). Mais ce n*é- 
tait pas assez. Onirôulait a^ablet Catilina. Cicéron 
présenta une loi qui ajoutait un exil de dix ans aux 
peines portées contre la brigue ^ . C'était l'attaquer 
directement^ et le jeter ^ coupable ou non^ dans le 
complot dont on l'accusait. Cicéron déclara haute- 
ment Fimminence du péril. Il prit une cuirasse^ il 
arma tous les chevaliers y et se crut ^ fort qu'il osa , 
dans une inrective contre Catilina, proclamer que 
les débiteurs n'avaient aucun soulagement à espé- 
rer: Qtiaîtmds-'tu? \\À dit41, de nowelhs tables? 
une abolition des dettes? fen afficherai de^ tables , 
mais de vente. Ce motsi dur exprimait la pensée des 
chevaliers*. Catilina, chargé' d^imprëcations , fut 

dans rhistolre romaine h conjnratioii de Catffins ; 11 ne pouvait la corn- ' 
prendre uUe qu^eOe est tracée. Qoelqae scélént qne fût Gatâin», obser- 
vait-il, il devait avoir un objet : ce ne ponvait être celui de goi|vemer dans 
Rome , puisqu^on loi reprochait d^avoir voulu j mettre le feu aux quatre 
coins. L^empereur pensait que cVtait plut&t quelque nouvelle fiiction à la 
façon de Macîtis et de Sylla , qui , ayant écboué , avait aeeamalé fur son chef 
tootes les accosations bannales dont oo les accdble en pareil oas... Ijes Qrac- 
ques lui inspiraient bien d^autres doutes^.. > 

' Dio, p. 4S0y 8. • — Dion dit im pen plus loin : « L'affaire de Catilina 
fit plus de bmit qnVIle n*ei^ mérilail , à caose des ^Ksconrs de Cicérdn et de 
sa gloriole. » 

' Gîc , m CiM, , n ^ c. i : Qnid enfan eipecttfs? tabulas novasr> meo 
beneficio tabube nove profereitnr, verlan ooctldnam. — dddius dit 
plus tard qu'il ferait expier aux cbevatte» ies degrés du CapitoU,'CicérùiK» 
Ihsi nd. , «.. 5 1^ 1^. — • Si Ton coupait donkr que Gieéioit Ait dyqsUiuc 



280 

obligé de sortir du sénat ^ oii il avait eu l'audace de 
paraître encore , mais' il lança en se retirant des pa- 
roles sinistres : Fous allumez un incendie contnmoî/ 
eh hi&il je Véioufffirai sous des ruines I 

Son départ fit éclater un mouvement immense 
dans ritalie. Sur tous les sommets sauvages de 
l'Apennin, on courut aux armes; dans l'Apulie, 
dans le Brutium ^ se soulevèrent les pâtres^ esclaves 
des chevaliers^ ; dans TEtnirieles vétérans de Sylla, 
d'accord cette fois avec les laboureurs qu'ils avaient 
jadis expropriés. Lentulus, Céthégus et les autres 
amis de Catilina restés à Rome y pratiquaient les 
députés des AUobroges , qui étaient venus deman- 
der quelque allégement aux effroyables usures qui 
les ruinaient. Une foule de grands de Rome avaient 
connaissance de la conjuration. César n'y était pas 
étranger. Crassus , selon toute apparence, l'encou- 
ragea et le dénonça*. 

Les Allobroges calculèrent aussi qu'ils gagneraient 
davantage en livrant les lettres des conjurés. Len- 
tulus reconnut son écriture, et avoua. U se croyait 
garanti par la loi Sempronia qui permettait à un 

ment niomme des cheraUen et des (^«blicaûu, il suilinit de lire : Protège 
fl^niltd f c. 2-7 ; De petitione consui. , c. 4 , etc. , etc. 

* Id. , îbid. , c. 9 ; Jim Terô orbes oofenianmi ttqae mmiicipioniiii 
refpondebunt Citiline tmnulis ^hestribus. — F, imst m Caiil. Bt» 
€, 6. 
• ■ Pll«.. , w Çrau. , <î. Us 



m^mm^tm^mmmmmtKmmmimmmimi^mtmmi^amm^mtmÊmm^ 



2S\ 

^toyen romain de préyenir par un exil volontaire 
une condamnation capitale. Cette loi était ^ si l'on 
veut^ dangereuse^ mais enfin elle existait. César 
défendit habilement et sophistiquement la cause de 
l'humanité et de la loi^ et faillit être mis en pièces. 
On conclut que la loi Sempronia protégeait^ il est 
î^raij la vie des citoyens; mais que l'ennemi de 
la patrie n^était plus citoyen. Les conjurés furent 
condamnés à mort. Mais le cœur manquait à Cicé- 
ron^ homme doux ettimide^ qui craignait de pren- 
dre; SUT lui pareille chose. Il fallut que sa femme 
Terentia employât son irrésistible autorité. Elle le 
décida à faire étrangler les conjurés dans la prison^. 
Au soir^ le consul traversa le Forum ^ et dit : Ils 
ont vécu* Il fiit reconduit comme en triomphe par 
plus de deux mille chevaliers. 

On se hâta d'accabler Catilina avant qu'il eût 
mieux organisé son parti. Si on lui eût donné le 
temps de sortir des neiges de l'Apennin^ disait plus 
tard Qcéron lui-même^ il eût occupé les défilés des 
montagnes^ envahi les riches pâturages^ entraîné 
tous les pasteurs , et peut-être soulevé la Gaule ita- 
lienne'. U n'était encore qu'en Étrurie, où se trou- 
vaient le plus grand nombre de laboureius libres 

• Plut, tn Cicer, , p. 870. rf Tspii^ca... napwÇwvsv ini toùç oik 
Gic. f pro P.Sextio , c. 6. — //i CatiL , II , e. 42. 



s t>:. 



282 

et de vétérans de Sylia. Peut-être même avait-il dei 
relations de famille dans cette contrée. Le nosi de 
Catilina semble étrusque. Un Etrusque comniaii* 
dait une aile de son armée^ , l'autre était sous les 
ordres d'un Mallius^ vieux soldat de SylIa. Le con- 
sul Antonius que Cicéron avait détaché de la conju- 
ration^ eut honte de combattre contre Catilina^ et 
fit le malade. Catilina n'avait pu encore armer que 
le quart de ceux qui le suivaient* ; ce qui pxx>uve, 
soit dit en passant^ que la conjuration n'était pas 
préméditée depuis si long- temps. Il fut défait, et se 
fit tuer en combattant , ainsi que ses deux lieute- 
nans (l'Étrusque et Mallius)^ et presque tous ceux 
qui l'avaient suivi. On retrouva Catilina bien hAn 
dans l'armée romaine où il s'était fait jour ; les au- 
tres couvraient de leurs corps 1& place où ils avaient 
combattu. Cette fin héroïque me ferait croire vo- 
lontiers qu'on a calomnié ce parti. Certes, ceux 
qui périrent ainsi n'étaient pas apparemment ces 
efféminés dont Cicéron compose toujours dons ses 
harangues le cortège de Catilina. 

Le parti vainqueur avoua la peur qu'il avait eue 
par l'excès de sa joie et par son enthousiasme pour 



Sallust. , Beli. Catilin. « Fassulanum qucmdam in sinistrâ parte curais 
jubat. » 

Salliist. , ibid. Ex omni co|nâ cirâtcr pars quarta cnt militaiibus 
annis insinicta. 



283 

Ciccron. Lui-même y fut pris comme les autres. U 
se crut un héros , invita les historiens et les ppètes 
à célébrer son consulat , le célébra lui-même^ , et se 
croyant désormais l'égal de Pompée ^ n'hésita point 
à dire : 



Que les armes cèdent à la toge , 

Le laarier de» oomhats ans trophées de la parole!' 

. .. O Borne fortonéé, sous noo consulat née ! 



Ces vers ridicules lui firent moins de tort que la 
versatilité avec laquelle il défendit Muréna coupable 
de brigue , lui qui par sa loi contre la brigue avait 
provoqué l'explosion du complot de Catilina. Mu- 
réna était l'ami des chevaliers; Sylla l'était des 
nobles. Cicéron eut encore la faiblesse de défendre 
ce dernier, qui avait été complice de Catilina. 
Ainsi le grand orateur bravait l'opinion. Il régnait 



' r. sUEtont : fyisi. fatml. , lih. V, M , ad Luettium. ^ Ad AtU^ 
çum , EpUt, f lib. m , c. 2. 



Iiit«r6a conM , qoot prims a parte javenfai , 

Qaotqae adao couul TirCiile aainoqae peCitti, 

Hos retina , at^a ange famam laudemqne bononim. 

Qoint. et ipM Oie. , De OffieUs , lib. I. 

Cédant arma togs \ concédât lanroa linga»; 

Quint., lib. IX , cap. X. — Et JuTenal : 

9, fo^liuulajD, nataiD ne coniole ^ RoB^aai^ 



284 

dans Rome : C^est le troisième roi étranger que nous 
ayons j disaient ses ennemis^ aprhs Tatius ci Numa, 

Pompée , de retour après sa glorieuse promenade 
en Asie, fut bien étonné de retrouver sa créature 
si puissante. C'était le sort de cet heureux soldat 
qui n'avait ni tête y ni langue , de s'en donner tou- 
jours qui le fissent repentir de son choix. Ainsi il 
éleva successivement Cicéron , Clodius et César, et 
ensuite il laissa exiler le premier, tuer le second; 
pour le troisième , il trouva en lui son maître. 

Avant même le retour de Pompée , son partisan 
Métellus Nepos avait accusé Cicéron , et proposé 
que Pompée fût chargé de réformer la république- 
Mais Taristocratie était devenue si hardie et si vio- 
lente depuis la mort de Catilina , que Métellus fut 
obligé de chercher un refuge dans le camp de 
Pompée. On attaqua ensuite Cicéron dans ceux qui 
l'avaient secondé contre Catilina, le consul Anto- 
nius , et le préteur Flaccus. Enfin Pompée voulant 
faire confirmer tout ce qu'il avait fait, en Asie, 
malgré Cicéron, LucuUuset Caton, il s'unit étroi- 
tement avec Crassus et César. Ce dernier trouva 
moyen de réconcilier Pompée et Crassus , et de se 
faire élever par eux au consulat (Sg). 

L'historien Dion nous a transmis l'histoire du 
consulat de César avec plus de détails que Suétone 
ou Velleius , et avec plus d'impartialité que le ro- 
mancier Phitarque , toujours dominé par son en- 



285 

iboÈisiasme classique pour les anciennes républiques 
dont il ne comprend pas le génie : « César, selon 
Dion Cassius^ proposa une loi agraire, à laquelle 
il était impossible de faire aucun reproche. Il y 
avait alors une multitude oisive et affamée qu'il 
était essentiel d'employer à la culture. D'autre 
part, il fallait repeupler les solitudes de l'Italie. 
César atteignait ce but sans faire tort à la répu- 
blique, ni aux propriétaires. Il partageait les terres 
publiques (et spécialement la Campanie à ceux 
qui avaient trois enfans ou davantage). Capoue 
devenait une colonie romaine. Mais les terres pu- 
bliques ne suffisaient pas ; on devait acheter des 
terres patrimoniales au prix où elles étaient esti- 
mées par le cens. L'argent rapporté par Pompée 
ne pouvait être mieux emjployé qu'à fonder des 
colonies^ où trouveraient place les soldats qui 
avaient conquis l'Asie. » Jusqu'ici la loi de César 
se rapportait en beaucoup de^choses avec celle de 
RuUus. Elle en différait surtout en ce que l'auteur 
de la loi ne se chargeait pas de l'exécution. 

Lorsque César lut sa loi en plein sénat , et de- 
manda successivement à chaque sénateur^ s'il y 
trouvait quelque chose à dire , pa^un ne l'attaqua, 
et néanmoins, ils la repoussèrent tous. Alors César 
s'adressa au peuple. Pompée, interrogé par lui s'il 
soutiendrait sa loi, répondit que si quelqu'un l'at- 
taquait avec l'épée, il la défendrait avec Fépée et le 



bôudier. Crassus parla daus le même sens. Caton 
et Bibulus^ collègue de César , qui s*y opposèrent 
au péril de leur vie, ne purent empêcher que la loi 
ne passât. Bibalus se renferma dès^lors dans sa 
maison, déclarant jours fériés tous ceux de son 
consulat. Mais ]ui seill les observa. César ne tint 
compte de son absence. Il apaisa les chevaliers qui 
lui en voulaient depuis Catilina, en leur remettant 
un tiers sur le prix exagéré auquel ils avaient acheté 
la levée des impôts. Il fit confirmer tous les actes 
de Pompée en Asie, vendit au roi d'Egypte l'al- 
liance de Rome, et accorda le même avantage au 
roi des Silèves établis dans la Gaule, Arioviste. 
César tournait déjà les yeux vers le nord. Tout en 
déclarant qu'il ne demandait rien pour lui, il s'é- 
tait fait donner pour cinq ans les deux Gaules et 
rniyrie. La Gaule cisalpine était la province la plus 
voisine de Rome; la transalpine, celle qui ouvrait 
le plus vaste champ •au génie militaire; celle qui 
promettait le plus rude exercice , la plus dure et la 
meilleure préparation de la guerre civile. 

Dans la pitoyable agitation de Rome , au milieu 
d'une société ton|)>éesibas, que Pompée et Cicéron 
s'en trouvaient les deux héros , certes , celui-là fut 
un grand homme qui laissa toutes ces misères, et 
s'exila pour revenir maître. Lltalie était épuisée , 
l'Espagne indisciplinable ; il fallait la Gaule pour 



2»1 

asservir Rome. J'aurais Voulu voir cette blanche et 
pâle figure ' , fanée avant l'âge par les débauches 
de Rome^ cet homme délicat et épileptique ^, mai^ 
diant sous les pluies de la Gaule ^ à la tête des lé- 
gions y traversant nos fleuves à la nage ; ou bien à 
cheval entre les litières où ses secrétaires étaient 
portés^ dictant quatre^ six lettres à la fois, remuant 
Rome du fond de la Belgique , exterminant sur son 
chemin deux millions d'hommes ' ^ et domptant en 
dix années la Gaule, le Rhin et l'Océan du nord 

(58-49)- 

Ce chaos barbare et belliqueux de la Gaule était 

une superbe matière pour un tel génie. De toutes 
parts , les tribus gauloises appelaient alors l'étran- 
ger. Par-dessus la Vieille aristocratie des chefs des 
clans galliques , avait passé le torrent des Kimris. 
Le dépôt qu'il laissa fut le druidisme, religion 
sombre et sanguinaire, mais d'un esprit plus élevé 
que le culte des élémens qui auparavant dominait 
la Gaule. Les Romains appellent la Bretagne la pa- 



' Sueton. , in J, Cœs. , c. 45. Fuisse traditur colore candido. 

' Id. ibid, Comitiali quoqae mori>obis interres gerendas correptas est. 

• Suet. , Plut,, passim. — Plin. , VII, 25. Onze cent quatre-ringt- 
deoze mille hommes aTant les guerres driles. SobUmitaiem omnium capa* 
cem qnœ codo continentur, sed proprium vigorem cderitatemque qaodan 
igné volucrem... epistolas tantarum rerum quaternas pariter librariis dio- 
tare , aut si nibil aliudageret, septenas. 



288 

trie des Druides ^ ^ saiïs doute parce qu'alors les 
Druides de la Gaule regardaient cette lie connue le 
centre de leur religion. C'était ordinairement dans 
des îles ou des presqu'îles que se trouvaient les 
établissemens druidiques. Les neuf vierges de Tile 
de Sein endormaient à leur volonté ^ ou éveillaient 
la tempête. Celles de l'embouchure de la Loire 
vivaient aussi dans des îlots ^ d'où elles venaient 
aux temps prescrits visiter la nuit leurs époux ^ et 
avant le jour elles regagnaient la terre sacrée à force 
de rames. D'autres, sur les écueils voisins de la Bre- 
tagne^ y célébraient des orgies mystérieuses^ et 
efi&ayaient au loin le navigateur de leurs cris fu- 
rieux et de la sinistre harmonie des cymbales Jbar^ 
bares '. Le prodigieux monument de Camac est 
dans une petite presqu'île de la grande péninsule 
bretonne. Selon la tradition^ on portait les cada- 
vres dans l'île d'Ouessant^ et de là les âmes volaient 
dans l'île d'Albain ou Albion^ peut-être jusqu'à File 
Mona. Les Vénètes et autres tribus de notre Bre- 
tagne étaient dans des rapports continuels avec la 
Grande-Bretagne, et en tiraient des secours pour 
leurs guerres. César nous apprend que le divitiac ou 



' Gaes yB,G.^ V. le beau passa^ d'Amédëe Thierry , Hht, des G. • 
II ▼. , c. K. Toutefois , je n^ai pas cm devoir suivre cet historien dans sob 
i^it de la conque des Gaules par César« 

' Strab. , lY, 4 98. 



289 

chef druidique ^ des Suessones (Soissons)^ avait atlr* 
paravant dominé sur une grande partie de la Gaule 
et sur la Bretagne * . Cest en Bretagne que se réfi>- 
§ient les Bellovaques (Beauvais) y ennemis de César. 
Les grandes fêtés druidiques étaient célébrées sur 
tes frontières des Carnutés , peut-être à Genabum , 
lie de la Loire , voisine de la ville romaine d'Orléans. 
Genabum (rivièX'e coupée) , est synonyme de Lutetia 
(fleuve partagé)*. Les Camutes étaient dans la 
clientelle des Rhèmes (Rheims). Les Sénones (Sens), 
liés avec les Camutes et avec les Parisii, avaient 
été cliens ou vassaux des Edues (Autun), comme 
peut-être aussi les Biturîges (Berri)'. Ainsi les 
Druides semblent avoir dominé dans les deux Bre- 



* Caes. 9 B' G., Il, o. 4 . Apad Snessiones i\?gem nostrâ memoriâ DwU 
iiacum, tctàxa GoUisB potentissimam , qui càm magnae partis barum 
regionum, tùm etiam Britannûe partem obtinuerit; nunc rcgem esse 
OaJbnm ; ad banc propter justitiam pradentiamque sùmmam totius belli 
omnium voluntate deferri. — Dw ^ Diu , Dieu, en gallois j divisa, 
arbitrage $ dims , âection, en bas breton. Gatb-y gros, gras, en bas 
breton ( voy. aussi Suet. in Galbae vitâ ) \ galba dureté , rigueur , en 
irlandais. — Dans le (massage cité plus baut , le chef druidique, le Dhi^ 
tiac y étend sa domination de Soissons jusque dans Tile sacrée de la Bre- 
tagne ; celle du gaib ( ou chef militaire ? ) ne sVtend pas bors de la Bel- 
gique. 

■ /,ij/i , rivière ^ iac ou iee , coupée : — Cen, partage, abon, fleuve. — 
La Loire forme une lie près d^Orléans, comme la Seine )i Paris. Je sais, du 
reste , que la plupart des élymologies de ce genre sont tout à fiût conjectu - 

raies. 

' Gaesar, 1. VI, c. 2 , etpassim, 

II. 19 



!190 

tagnes ^ dans les bassins de la Seine et de la Lôîxe. 
Au nord y les Belges avaient repoussé les Cimbres 
et probablement 1^ druidisme cimbrique. On ne 
cite parmi eux d'autre établissement cimbrique que 
la colonie d'A4uat (Aduat — ^Eduat ? ) , établie au 
centre d'une enceinte d'énormes rochers * , que la 
nature avait préparée d'avance pour recevoir une 
ville druidique. Au midi^ les Arvemes et toutes les 
populations ibériennes de l'Aquitaine , étaient gé- 
néralement restés fidèles à leurs cheb héréditaires. 
Dans la Celtique mêitne y les Druides ii'avaient pu 
résister au vieil esprit de clans , qu'en favorisant la 
formation d'une population libre dans les grandes 
villes^ dont les chefs ou patrons étaient du moins 
électifs^ comme les Druides. Ainsi deux factions 
partageaient tous les états gaulois; celle de Théré- 
dité, ou des chefs des clans; celle de l'élection, 
ou des Druides et des chefs temporaires du peu- 



Cses. , 1. U , €. 29. Oppidam egregiè naturA monitam... qiAm e% 
omnibus in circuitu partibos «Itissiiuas rnpes despectusque haberet. — Hko , 
1. XXXIX , p. 9. 

Caes. y 1. I , c. 4 6. Pei^obretum ( Tcr-go-breith , gaâ. , homme pov 
le jugement ) , qui creatur annuus cC viks aeôsque in suos habet potesta- 
tem. — L. vn , c. 33. Legîbus .4Eduonim iis qui summum magistiatoai 
obtinerent , excedere e% finibus non liceret... qu^ l^ges duo ex uni 6> 
miliii , vi\o utroque , non so)ùm magistralus creaii Tetareni , sed etiam ia 
senatu esse prohibèrent. — ^ L. V, c. 7. Esse cjus modi imperia , vt 
niiiftts habcret juris in se ( regulum ? ) moltitudo » qtiàm se in multitodiiie 
et passim. 



291 

■ 

pie des villes. A la tête de la première se trouvaient 
les Edties j à la tête de la seconde , les Arvernes et 
les Séquanes. Ainsi commençait dès-lors réternelle 
guerre de la Bourgogne et de la Franche-Comté. Les 
Séquanes, opprimés par les Edues qui leur fermaient 
la Saône , et arrêtaient leur grand commerce de 
porcs ^ , appelèrent de la Germanie des tribus 
étrangères au druidisme , qu'on nommait du nom 
commun de Suèves. Ces barbares ne demandaient 
pas mieux. Ils passèrent le Rhin, sous la conduite 
d'un Arioviste, battirent les Edues, et leur impo- 
isèrent un tribut; mais ils traitèrent plus mal en- 
core les Séquanes qui les avaient appelés; ils leur 
prirent le tiers de leurs terres, selon Tusage des 
conquérans germains, et ils en voulaient encore 
autant. Alors, Edues et Séquanes, rapprochés par 
le malheur, cherchèrent d'autres secours étrangers. 
Deux frères étaient tout-puissans parmi les Edues ; 
Dumnorix enrichi par les impôts et les péages 
dont il se faisait donner le monopole de gré ou de 
force y s'était rendu cher au petit peuple des villes 
et aspirait à la tyrannie ; il se lia avec les Gau- 
lois heivétiens, épousa une Helvétienne, et en- 
gagea ce peuple à quitter ses vallées stériles pour 
les riches plaines de la Gaule. L'autre frère, qui 

• Strab. , liv. VI , p. < 92. oôgv ai xcc^Xcrat rapix^Mt twv ùicwy 
xpsêâv itç vnv P'ojfAuv xalaro/xé^ovlai» 



292 
était Druide^ titre vraisemblablement identique 
avec celui de divitiac y aima mieux donner à son 
pays des libérateurs moins barbares. Il se rendit 
à Rome y et implora l'assistance du sénat * y qui 
avait appelé les Edues parens et amis du peuple ro^ 
main. Mais le chef des Suèves envoya de son côté, 
et trouva le moyen de se £aire donner aussi le 
titre d'ami de Rome. L'invasion imminente des 
Helvètes obligeait probablement le sénat à s'unir 
avec Arioviste. 

Ces montagnards avaient fait depuis trois ans de 
tels préparatifs , qu'on voyait bien qu'ils voulaient 
s'interdire à jamais le retour. Ils avaient brûlé 
leurs douze villes, et leurs quatre cents villages , 
détruit les meubles et les provisions qu'ils ne pou- 
vaient emporter. On disait qu'ils voulaient percer 
à travers toute la Gaule, et s'établir à l'occident, 
dans les pays des Santones (Saintes). Sans /loute, 
ils espéraient trouver plus de repos sur les bords du 
grand Océan qu'en leur rude Helvétie, autour de 
laquelle venaient se rencontrer et se combattre 
toutes les nations de l'ancien monde, Galls, Cim- 
bres, Teutons, Suèves, Romains. En comptant les 
femmes et les enfans, ils étaient au nombre de 
trois cent soixante-dix-huit mille. Ce cortège em- 
barrassant leur faisait préférer le chemin de la pro- 

* Cic. , De divin. , I. 



293 

vince romaine. Ils y trouvèrent à l'entrée, vers Ge- 
nève y César qui leur barra le chemin , et les amusa 
assez long-temps pour élever du lac au Jura un 
mur de dix mille pas et de seize pieds de haut. Il 
leur fallut donc s'engager par les âpres vallées du 
Jura, traverser le pays des Séquanes, et remonter 
la Saonç. César les atteignit copame ils passaient le 
fleuve , attaqua la tribu des Tigurins isolée des au- 
tres^ et l'extermina. Manquant de vivres par la mau- 
vaise volonté de l'édue Dumnorix, et du parti 
qui avait appelé les Helvète^, il fut obligé de se 
détourner vers Bibracte (Autun). Les Helvètes cru- 
rent qu'il fuyait, et le pou]rsuivirent à leur tour. 
César , placé ainsi entre des enneinis et des alliés 
malveiUans, se tira d'affaire par une victoire san- 
glante. Le$ Helvètes, atteints de nouveau dans leur 
fuite vers le Rhin, furent obligés de rendre les ar- 
1X163^ et de s'engager à retourner dans leur pays. 
Six mille d'entre eux qui s'enfuirent la nuit pour 
échapper à cette honte , furent ramenés par la ca- 
valerie rpmaine , et , dit César , traités en ennemis ^ . 
Ce n'était rien d'avoir repoussé les Helvètes , si 
les Suèves ejlfvahissaient la Gaule. Les migrations 
étaient continuelles : déjà cent vingt mille guerriers 
étaient passés. La Gaule allait devenir Germanie. 
César parut céder aux prières des Séquanes et des 

' Cocs. 9 1. I , c. 28. Cxsar... ntluitos in hostium numéro habuit. 



1 



294 ~^ 

Édues opprimés par les Barbares. Le itoême Druide 
qui avait sollicité les secours de Rome, guida Cé- 
sar vers Arioviste et se chargea d'explorer le chemin. 
Le chef des Suèves avait obtenu de César lui-même 
dans son consulat , le titre d'allié du peuple ro- 
main; il s'étonna d'être attaqué par lui : « Ceci, 
disait le Barbare, est ma Gaule à moi; vous avez 

la vôtre ; si voun me laissez en repos, vous y 

gagnerez ; je ferai toutes les guerres que vous vou- 
drez, sans peine ni péril pour vous... Ignorez-vous 
quels hommes sont les Germains? voilà plus de 
quatorze ans que nous n'avons dormi sous un 
toit ^ . » Ces paroles ne faisaient que trop d'im- 
pression sur l'armée romaine : tout ce qu'on rap- 
portait de la taille et de la férocité de ces géans du 
nord, faisait frémir les petits hommes du midi *. 
On ne voyait dans le camp que gens qui faisaient 
leur testament. César leur en fit honte : Si vous 
m'abandonnez, dit-il, j'irai toujours : il me suf- 
fit de Ja dixième légion. Il les mène ensuite à Be- 
sançon, s'en empare, pénètre jusqu'au camp des 

Gaes. , 1. I, c. 36. Quùm vellet, oongrederetnr ; inteDectamm qiaà 



invicti Gennani, exercitatissimi in armis, qui inter tniK» zit 

non subissent , Tirtute possent. — César rassure ses soldats ( c. 40 ) , 

en leur rappelant que dans la guerre de Spartacus ils ont d«^jà battu ks 

Germains, 

Cœs. , 1. II> c. 30. Les Gaulois disent au siège de Genabom : Quibiis 
viribus praosertim homines tantulœ staturae... Unt\ oneris turrim ooDo-. 
^c cpnfiderent. 



295 

il 

Barbares non loin da Rhin^ les force de^ combattre, • 
quoiqu'ils eussent voulu attendre la nouvelle lune, 
et les détruit dans un furieux combat : presque 
tout ce qui échappa périt dans le Rhin. 

Les Gaulois du nord, Belges et autres, jugèrent, 
non sans vraisemblance y que si les Romains avaient 
chassé les Suèves , cç n'était que pour leur succé- 
der. Ils formèrent une vaste coalition^ et César saisit 
ce prétexte pour pénétrer dans la Belgique. Il em- 
menait comme guide et interprète le divitiac des 
Édues * ; il était appelé par les Sénons , anciens vas- 
saux des Édues , par les Rhèmes , suzerains du pays 
druidique des Camutes ^. Vraisemblablement , ces 
tribus vouées au druidisine^ ou du moins au parti 
populaire, voyaient avec plaisir arriver l'ami des 
Druides, et comptaient Fopposer aux Belges sep- 
tentrionaux, leurs féroces voisins. C'est ainsi que, 
cinq siècles après , le clergé catholique des Gaules 
favorisa l'invasion des Francs contre les Visigoths 
et les Bourguignons ariens. 

C'était pourtant une sombre et décourageante 
perspective pout un général moins hardi, que 



' C'cafttdé)à ce DivilSkc qtii a exploré le cfaemio quand César marchai» 
contre les Saèves , 1. I , c. 41 . — .? Les Cermains n^ont pas de Druides , dit 
César, 1. VI . c. 21 . (Neqne Druides babent.... neque sacrificiis studeot. ) 
Us étaient, 1k ce qui seAible , les protecteurs du parti antHlmidiquc dans les 
Gaules. 

' Oes. , lib. Il y c. 4 , et Ub. VI , b prinçipio. 



296 

cette guerre dans les plaines bourbeuses^ dans les 
forêts vierges de la Seine et de la Meuse. Comme 
les conquérans de TAmérique ^ César était souvent 
obligé de se frayer une route la hache à la main y 
de jeter des ponts sur les marais y d'avancer avec 
ses légions , tantôt sur terre ferme ^ tantôt à gué 
ou à la nage. Les Belges entrelaçaient les arbres de 
leurs forêts y comme ceux de l'Amérique le sont na- 
turellement par les lianes. Mais les Pizarre et les 
Cortez, avec une telle supériorité d'armes, faisaient 
la guerre à coup sùrj et qu'était-ce que les Péru- 
viens en comparaison de ces dures et colériques 
pcpulations des Bellovaques et des Nerviens (Pi- 
cardie , Hainault-Flandre), qui venaient par cent 
mille attaquer César ? Les Bellovaques et les Sues- 
sîons s'accommodèrent par l'entremise du divitiac 
des. Edues ^ Mais les Nerviens, soutenus par les 
Atrebates et les Veromandui, surprirent Farmée 
roniaine en marche, au bord de la Sambre, dans 
la profondeur de leurs forêts , et se crurent au 
moment de la détruire. César fut obligé de sai- 
sir une enseigne et de se porter lui-même en, 



Jusqa^à Uexpédilioii de Çretagno , nops T.oyoQ$ le- dlTitiac des Edues 
•ccompagner partout Cësar, qui sans doute leur faisait, croire qu^il rétabli- 
rait dans la Belgique Tinfluence du 'parti éduen , c'cst-Mire diuidique et 
populaire. -^ L. U , c. 14. Quôd si fecerit , .fiduorum autoritatem apud 
omnes Deltas amplificatunim : quoran auxiliis atque opibus , si qua bdU 
imcidorint , suatentare oonsueriot. 



297 

avant; ce brave peuple fut exterminé. Leurs alliés^ 
les Ombres, qui occupaient Adùat (Namur?) 
efîrajés des ouvrages dont César entourait leur 
ville, feignirent de se rendre, jetèrent une partie 
de leurs armes du haut des murs, et avec le reste 
attaquèrent les Romains. César en vendit comme 
esclaves cinquante-trois mille. 

Ne cachant plus alors le projet de soumettre la 
Gaule , il entreprit la réduction de toutes les tribus 
des rivages. Il perça les forêts et les marécages des 
Ménapes et des Morins (Zélande et Gueldre, Gand, 
Bruges, Boulogne); un de ses lieutenans soumit les. 
Unellea , Éburoviens et Lexoviens ( Coutances , 
Evreux, Lisieux); un autre, le jeune Crassus, 
conquit l'Aquitaine , quoique les Barbares eussent 
appelé d'Espagne les vieux compagnons de Serto-- 
rius ^ César lui-même attaqua les Yénètes, et autres 
tribus de notre Bretagne. Ce peuple amphibie 
n'habitait ni sur la terre, ni sur les eaux : leurs forts, 
dans des presqu'îles , inondées et abandonnées 
tour à tour par le flux, ne pouvaient être assiégés ni 
par terre, ni par mer. Les Yénètes communiquaient 
sans cesse avec l'autre Bretagne, çt en tiraient des 
secours. Pour les réduire, il fallait être maître de 



" Caes. , 1. III , c. 23. Duces ii deliguntur qui uni cum Q. Sertoria 
omnes «bdos fueraot, summamqae scientiam rci militaris habere exisU-^ 
paakantur. 



298 

là mer. Rien ne rebutait César. Il fit des vaisseaux, 
il fit des msitelots y leur apprit à fixer les narires 
bretons en les accrochant avec des mains de fer et 
fauchant leurs cordages. Il traita durement ce peu- 
ple dur ; mais la petite Bretagne ne pouvait être 
vaincue que dans la grande. César résolut d'j 
passer. 

Le monde barbare de l'Occident qu'il avait en- 
trepris de dompter, était triple, La Gaule entre la 
Bretagne et la Germanie^ était en rapport avec 
l'une et Fautré. Les Cimbri se trouvaient dans les 
.trois pays; les Helvii et les Boii dans la Germanie et 
dans la Gaule; lesParisii et les Atr ébat es gaulois exis- 
taient aussi en Bretagne. Dans les discordes de la 
Gaule, les Bretons semblent avoir été pour le parti 
druidique, comme les Germains pour celui des chefs 
dedans. César frappa les deux partis et au-dedans 
et au-dehors; il passa l'Océain, il passa le Rhin. 



Deux grandes tribus germaniques, les Usipiens 
et les Tenctères, fatigués au nord par les incursions 
des Suèves comme les Helvètes l'avaient été au midi, 
venaient de passer aussi dans la Gaule (55). César 
les arrêta, et sous prétexte que pendant les pour- 
parlers, il avait été attaqué par leur jeunesse, il 
fondit sur eux à l'improviste, et les massacra tous. 
Pour inspirer plus de terreur aux Germains, il alla 



299 

chercher ces terribles Suèves^ près desquets aucune 
nadon n'osait habiter; en dix jours il jeta un pont 
sur le Rhiu^ non loin de Cologne , malgré la largeur 
et l'impétuosité de ce fleuve immense. Après, avoir 
fouillé en vain les forêts des Suèves^ il repassa le 
Rhin, traversa toute la Gaule, et la même année 
s'embarqua pour la Bretagne. Lorsqu'on apprit à 
Rome ces marches prodigieuses, plus étonnantes 
encore que des victoires , tant d'audace et une si 
effirayante rapidité, un cri d'admiration s'éleva. On 
décréta vingt jours de supplications aux dieux. Au 
-prix des exploits de César y disait Cicéron, qu'a fait 
Marins^? 

Lorsque César voulut passer dans la grande Bre- 
tagne , il neput obtenir des Gaulois aucun renseigne- 
ment sur Pîle sacrée. L'édue Dumnorix déclara que 
la religion lui défendait de suivre César • ; il essaya 
de s'enfuir, mais le Romain, qui connaissait son génie 
remuant , le fit poursuivre avec ordre de le rameneç 
mort ou vif j il fut tué en se défendant. 

La malveillance des Gaulois faiUit être funeste à 
César dans cette expédition. D'abord ils lui laissèrent 
ignorer les difficultés du débarquement. Les hauts 
pavires qu'on employait sur l'Océan tiraient beau-» 



* Cicer., De proçinc. coruuianbus: llle iffsc C. Marius... non i|)se 9(^ 
çorum urbes sedesque penetraTÎt. 

' Oef. ; ]. V, €. 6. Qttôd rdigionibos sesc diceret impediri. 



i 



300 

coup d'eau et ne pouvaient approcher du rivage. U 
fallait que le soldat se précipitât dans cette mer 
profonde, et qu'il se format en bataille au milieu 
des flots. Les Barbares dont la grève était couverte 
avaient trop d'avantage. Mais les machines de siège 
vinrent au secours , et nettoyèrent le rivage par 
une grêle de pierres et de traits. Cependant Féqui- 
noxe approchait; c'était la pleine lune , le moment 
des grandes marées. En une nuit la flotte romaine 
fut brisée ; ou mise hors de service. Les Barbares, 
qui dans le premier étonnement avaient donné des 
otages à César, essayèrent de surprendre son camp. 
Vigoureusement repoussés, ils offrirent encore de 
se soumettre. César leur ordonna de livrer des 
otages deux fois plus nombreux; mais ses vaisseaux 
étaient réparés, il partit la même nuit sans attendre 
leur réponse^ Quelques jours de, plus, la saison ne 
lui eût guère permis le retour. 

L'année suivante, nous le voyons, prçsque en 
même temps en Ulyrie, à Trêves et çn Bretagne. U 
n'y a que les esprits de nos vieilles légendes qui 
aient jamais voyagé ainsi. Cette fois , il était conduit 
en Bretagne par un chef fugitif du pays qui avait 
imploré son secours. U ne se retira pas sans avoir 
mis en fuite les Bretons, assiégé le roi Casv^allawn 
dans l'enceinte marécageuse où il avait rassemblé 
ses hommes et ses bestiaux. Il écrivit à Rome qu^il 
avait imposé un tribut à la Bretagne , et y envoya 



'J^ w 



301 

en grande quantité lesperlesdepeu de valeulr qu'on 
recueillait sur les cotes ^ 

Depuis cette invasion dans l'ile sacrée^ César 
n'eut plus d'amis chez les Gaulois. La nécessité 
d'acheter Rome aux dépens des Gaules^ de goi^r 
tant d'amis qui lui avaient fait continuer le com-* 
mandement pour cinq années^ avait poussé le con-* 
quérant aux mesures les plus violentes. Selon un 
historien^ il dépouillait les lieuxsacrés^ mettait dés 
villes au pillage sans qu'elles l'eussent mérité ^. Par- 
tout il établissait des chefs dévoués aux Romains^ 
et renversait le gouvernement populaire. La Gaule 
payait cher l'union ^ le calme et la culture dont la 
domination romaine devait lui faire connaître les 
bienfaits. 

La disette obligeant César de disperser s^^ trou- 
pes, l'insurrection éclate partout. Les Eburons 
massacrent une légion , en assiègent une autre. 
César, pour délivrer celle-ci, passe avec huit mille 
hommes à travers soixante mille Gaulois. L'année 
suivante, il assemble à Lutèce les états de la Gaule. 
Mais les Nerviens et les Tréviriens, les Sénonais et 
-les Carnutes n'y paraissent pas. César les attaque 
séparément et les accable tous. Il passe une seconde 

' Sueton. , in C. J. Casare , c. 47 : Britanniam petiissc spe margari- 

tarnin. ... 

' Saepiùs ob praxlam quam ob dellctum. Ibid. , c. 54. 



302 

fois le Rhîii , pour intimider les Germains cpii vou- 
draient venir au secours. Puis, il frappe à la fois 
les deux partis qui divisaient la Gaule ; il effiaie le» 
Sénonais, parti druidique «t populaire (?), par la 
mort d'Acco, leur chef, qu'il fait solennellement 
juger et mettre à mort; il accable les Éburons , parti 
barbare et ami des Germains , en chassant leur in- 
trépide Âmbiorix dans toute la forêt d'Ardenne, et 
les livrant tous aux tribus gauloises qui connaissaient 
mieux leurs retraites dans les bois et les marais, et 
qui vinrent avec une lâche avidité , prendre part à 
cette curée. Les légions fermaient de toute part ce 
malheureux pays, et empêdiaient que personne 
pût échapper. 

Ces barbaries réconcilièrent toute la Gaule contre 
César (Sa). Les Druides et les chefs des clans se 
trouvèrent d'accord pour la première fois. Les 
Edues même étaient, au moins secrètement, contre 
leur ancien ami. Le signal partit delà terre drui- 
dique des Carnutes et de Genabum même. Répété 
par des cris à travers les champs et les villages % il 
parvint le soir même à cent cinquante milles , chez 
les Arvernes, autrefois ennemis du parti druidique 
et populaire, aujourd'hui ses alliés. Le vercingéto- 
rix (général en chef) de la confédération, fut un 



Caes. , 1. VII, c. 3. Nàm, ubi major... inciditres , ckmore per agra» 
Kgîoncsque significant ; hune alii deinceps excipiant et proumis tradiiBC. 



303 

jeune Arverne^ intrépide et ardent. Son père y 
rbomme le plus puissant des Gaules dans son temps , 
avait été brûlé, comme coupable d'aspirer à la 
royauté. Héritier de sa vaste clientelle^ le jeune 
homme repoussa toujours les avances de César', et 
ne cessa, dans les assemblées, dans les fêtes reli-^ 
gieuses, d'animer ses compatriotes contre les Ro^ 
mains. Il appela aux armes jusqu'aux ser£s de$ 
campagnes, et déclara qUe les lâches seraient brûlés 
yifs ; les fautes moins graves devaient être punies 
de la perte des oreilles ou d'un œiP. 

Le plan du général gaulois était d'attaquer à la 
fois la Province au midi , au nord les quartiers des 
légions. César, qui était en Italie, devinatout, pré« 
vint tout. Il passa les Alpes , assura la Province , 
franchit les Cévennes à travers six pieds de neige ^ 
et apparut tout à coup chez les Ârvemes. Le chef 
gaulois, déjà parti pour le nord, fut contraint de 
revenir 3 ses coi9patriotes voulaient défendre leur» 
familles. C'était tout ce que voulait César; il quitte 
son armée, sous prétexte de faire des levées chez 
lesAllobroges, remonte le Rhône, la Saône, sans se 
{aire connaître, par les frontières des Edues, re* 
joint et rallie ses légions. Pendant que le verdn-^ 
gétorix croit l'attirer en assiégeant la ville édueone 

' CaBS. , 1. vu , c. 4. Igni... necAt \ kyioie de causa , adribus dtscc- 
lis y dcfossisocoliSydomumremiUiL • 



304 

» 

deGergovie (Moulins), César massacre tout dans 
Genabum. Les Gaulois accourent, et c'est pour 
assister à la prise de Noviodunum, 

Alors le vercîngétorii déclare aux siens qu'il n'y 
a point de salut s'ils ne parviennent à affamer l'ar- 
mée romaine ; le seul moyen pour cela est de brûler 
eux-mêmes leurs villes. Ils accomplissent héroïque- 
ipent cette cruelle résolution. Vingt cités des Bi- 
turiges furent brûlées pair leurs habitans. Mais 
quand ils en vinrent à la grande Âgendicum 
( Bourges ) , les habitans embrassèrent les genoux 
du vercingétorix, et le supplièrent de ne pas rui- 
ner la plus belle ville des Gaules ^ Ces ménage- 
• mens firent leur malheur. La ville périt de même , 
mais par César ^ qui la prit avec de proAgieuK ef- 
forts. 

Cependant les Edues s'étaient déclarés contre 
César, qui, se trouvant sans cavalerie par leur 
défection, fut obligé de faire venir des Germains 
pour les remplacer . Labiénus, lieutenant de César, 
eût été accablé dans le nord , s'il ne s'était dégagé 
par une victoire (entre Lutèce et Melun). César 
lui-même échoua au siège de Gergovie des Ar- 
vemes. Ses affaires allaient si mal, qu'il voulait 
gagper la province romaine. L^armée des Gaulois 



* Caes. , 1. VII , c. 4 5. Polchemmam propè totius GiUis lubcm , qoz 
et fnesidio et omaxnento sit ciTÎtati. 



3e& 

k poursuivit et Tatteignit. Ils avaient juré de ne 
point revoir leur maison^ leur famille^ leurs 
femmes et leurs enfans^ qu'ils n'eussent^ au moins 
deux fois y traversé les lignes ennemies ^ • Le com- 
bat fut terrible; César fut obligé de > payer de sa 
personne^ il^fut presque pris, et son épée resta 
entre les mains des ennemis. Cependant un mou- 
vement de la cavalerie germaine au service de Cé^ 
sar jeta une terreur panique dans les rangs des 
Gaulois, et décida la victoire. 

Ces esprits mobiles tombèrent alors dans un tel 
découragement, que leur chef ne put les rassurer 
qu'en se retranchant sous les murs d'Alésia , ville 
forte située au haut d'une montagne (dans FAuxois). 
Bientôt atteint par César, il renvoya ses cavaliers, 
les chargea de répandre par toute la Gaule qu'U avait 
des vivres pour trente jours seulement, et d'amener 
à son secours tous ceux qui pouvaient porter les ar- 
mes. En effet. César n'hésita point d'assiéger cette 
grande armée. Il entoura la ville et le camp gaulois 
d'ouvrages prodigieux. D'abord trois fossés, chacun 
de quinze ou vingt pieds de large et d'autant de pro- 
fondeur, un rempart de douze pieds, huit rangs de 
petits fossés, dont le fond était hérissé de pieux 
et couvert de branchages et de feuilles, des palis- 
• 

■ Gœs. , t. Vil , c. 66. Ne ad liberos , ne ad parentes , ne ad uxor» 
aditum babeat , qui non bis per hostiuro agmen lïereqoitârit. 

II. 20 



306 

sades de cin(} rangs d'arbres, entrelaçant leure 
branches. Ces ouvragies étaient répétés du côté de 
la campagne^ et prolongés dans un circuit de 
quinze milles. Tout cela fut terminé en moins de 
cinq semaines^ et par moins de soixante mille 
hommes ^ 

La Gaule entière vint s'y briser. Les efforts dé- 
sespérés des assiégés réduits à une horrible famine , 
ceux de deux cent cinquante mille Gaulois^ qui 
attaquaient les Romains du côté de la campagne ^ 
échouèrent également. Les assiégés virent avec 
désespoir leurs alliés^ tournés par la cavalerie de 
César ^ s'enfuir et se disperser. Le vercingétorix , 
conservant seul une âme ferme au milieu du déses- 
poir des siens > se désigna et se livra comme Fau- 
teur de toute la guerre*. D monta sur son cheval 
de bataille, revêtit sa plus riche armure, et après 
avoir tourné en cercle autour du tribunal de César, 
il jeta son épée , son javelot et son casque aux pieds 
du Romain, sans dire un seul mot. 

L'année suivante, tous les peuples de la Gaule 
essayèrent encore de résister partiellement, et 
d'user les forces de l'ennemi qu'ils n'avaient pu 



' Am. Thierry, II, 181. • 

■ Plut. inCœs. — Dio. , 1. XL. Ap. scr.r. îrA , 513. — ... £,^ ^^ 



307 

Taincre. La seule Uxellodunum^(Cap-de-Nac , dan5 
le Queny?) arrêta long-temps César. L'exemple 
était dangereux; il n'avait pas de temps à perdre en 
Gsiule ; la guerre civile pouvait commencer à chaque 
instant en Italie; il était perdu s'il £adlait consumer 
des mois entiers devant chaque bicoque. Il fit alors^ 
pour effrayer les Gaulois , une chose atroce , dont 
les Romains du reste^ n'avaient que trop souvent 
donné l'exemple ; il fit couper le poing à tous les 
prisonniers. 

Dès ce moment (5o), il changea de conduite à 
l'égard des Gaulois : il fit montre envers eux d'une 
extrême douceur ; il les ménagea pour les tributs 
au point d'exciter la jalousie de la Province. Ce 
tribut fut même déguisé sous le nom honorable de 
soltle militaire ^ . Il engagea à tout prix leurs meil « 
leurs guerriers dans ses légions ; il en composa une 
légion toute entière , dont les soldats portaient une 
alouette sur leur casque^ et qu'on appelait pour 
cette raison Valcoidà^. Sous cet emblème tout na- 
tional de la vigilance matinale et de la vive gaîté , 
ces intrépides soldats passèrent les Alpes en chan- 
tant^ et jusqu'à Pharsale^ poursuivirent de leurs 

* Sueton. , in C, J. Cas, , c. 25. In sÎDgulos annos stipendii nomen 
imposuit. 

* Id. ibid, , c. 24. Unam ex transalpinis conscriptam ( legionem ) to- 
cjJ>uIo quoque Gallico ( akuda enim appeUabatur ) . . . posteà UDWersam 
cifritate donavit. 



308 

bruyans d^ les tacituiiies légions de Pompée. 
L'alouette gauloise , conduite par l'aigle romaine, 
prit Rome pour la seconde fois, et s'assoda aux 
triomphes de la guerre civile. La Gaule garda, 
pour consolation de sa liberté , l'épée que César 
avait perdue dans la dernière guerre. Les s<ddats 
romains voulaient l'arracher du temple où les Gau- 
lois l'avaient suspendue : Laissez-la, dit César en 
souriant, elle est sacrée ^ 

Queb événemèns avaient eu lieu dans Rome 
pendant la longue absence de César ? Nous ti*ouve* 
rons dans ce récit et l'explication des causes de It 
guerre civile, et la justification du vainqueur. 

Dix années d'anarchie, de misérables agitations 
sans résultat. On sent que le pouvoir est vacant, el 
que la x^publique attend de la Gaule un maître, 
un pacificateur. Quelques milliers d'afiBranchis sur 
la place, gagnant leur vie à représenter le peuple 
romain, diassés alternativement par deux ou trois 
cents gladiateurs de Milon ou de Clodiu». Cicéron , 
louant Pompée, louant César, tout en écrivant 
contre eux, et répétant à satiété une hymne uni- 
forme à la gloire de son consulat, et Catilina , et 

fl€»OC. 



309 

Us feux et les poignards (Vous savez ^ écrit -il à 
Attiçus^ le secret de toute cette enluminure^). 
Pompée , nouveau marié à cinquante ans , atten-* 
dant paresseusement dans ses jardins que Rome le 
prenne pour maître par lassitude, et croyant 
acheter le peuple avec un théâtre et cinq cents 
lions*. Au milieu de tout cela^ pour Famusement 
de Rome, le stoïcisme cynique de Caton, d'Ateïus, 
de Favonius, génies durs et étroits, qui ne savent 
ni agir, ni laisser agir; Caton, cédant sa femme au 
riche Hortensius en vertu de§ lois de Lycui^e 
(il la donna jeune, et la reprit riche^); Caton qui 
propose au sénat de livrer aui( Germains le vain- 
queur des Gaules ^ ; tandis que le &rouche Ateîus 
idlume un brasier sur le* passage de Crassus, lui 
prédit sa défedte en Syrie, le maudit, se maudit 
lui-même, et commence %yec ses imprécations ho^ 
micides la défaite des légions qu'achèveront les 
flèches des Parthes. 

Avant que César partit pour la Gaule^ un Vettius 



* Totam honc locnm qnan «go Tiriè meU ontionibns soleo pingere , 
de flammA , de ferro ( nosti Slas ^qkiïOovc) ^ dernier mot veut dire , pot 
^ couleur , boite à mettre le iud. 

' Dio, XXXIX, S8. 

* Plut. , in Caton, Cette épigramme éuit de César, dam fOB Anti-Caton, 

* Plut. , in Cas, 



I 



310 

•à 

assurait queCicéron et Lucullus l'avaient sollicité de 
tuer César et Pompéç ^ • Vettius ne put rien prou- 
ver, et fut lui-même tué en prison. Ce qui était plus 
certain, c'est que Cicéron s'enhardissait à parler 
contre les deux grandes puissances de Rome. En dé^ 
fendant son collègue Ântonius, accusé de concus- 
sion , il avait déploré l'état où ils avaient réduit la 
république. Ses paroles furent rapportées ad quos- 
dam viras fortes *, et à l'instant Pompée et César ré- 
solurent de lancer contre lui un homme àeuX; plein 
d'ardeur et d'éloquence, le jeune Clodius. Ils vou- 
laient l'élever au tribunat ; mais il était patricien : 
ils le firent le même jour adopter par un plébéien. 
Clodius avait un trop juste sujet d'accusation. 
Cicéron dans son consulat avait , sur une vague au- 
torisation du sénat, violé la loi Sempronia, et m» 
a mort des citoyens romains. Toutefois beaucoup 
de gens étaient intéressés à soutenir l'accusé. Mais 
il eût fallu livrer une bataille dans Romej il aima 
mieux s'exiler (58). Ce succès donna tant tfinso- 
lence à Clodius qu'il cessa de ménager ses maîtres, 
César et Pompée. Il fit plus d'une fois insulter 
Pompée par le peuple ', et tenta, dit-on, de le tuer. 

' Suétone prétend qu^on accusa César d^aToir empoisonné ce ^^^^' 
c. 20. 

Cic. , pro tiomo sua , c. 1 6. 

• Dio , XXXIX , 29. Plut. , (n Pompeio, — . Peut-êl« m*»» ^^"'^ 
le faire assassiner. Cic. De amsp, resp, , c. 23. 



^■^^^" J ^ 1 ^^^^M^l^^F— — P— ^^^P^BI 



3H 

Celui-ci regretta Cicéroa^ et pour le faire rappeler, 
il suscita Milon, homme de main, comme Clodius, 
et propre à lui livrer bataille avec ses gladiateurs. 
Cicéron de retour fut dès-^lors le docile agent de 
Pompée. Tous deux encouragèrent Milon contre 
Clodius , et Cicéron alla jusqu'à dise que eeftiî-c» 
était une victime réseivée à Vépée de Milon ^ . 

Ce langage fut entendu. Les deux ennemis s'é-* 
tant rencontrés sur la voie Appienne, Clodius fut 
blessé ; Milon le fit poursuivre et achever. Pompée, 
débarrassé de Clodius, n'avait plus besoin de Mi- 
lon, et commençait à le craindre. Il se fit nommer 
par le sénat seul consul ^o\xr rétablir l'ordre, dési*- 
gna ceux entre lesquels on devait tirer au sort les 
juges de Milon, et entoura la place de soldats. Ci-« 
céron, qui s'était chargé de défendre l'accusé, eut 
peur, et ne ditpaâi grand'chose *. Milon s'exila à 
Marseille (Sa). 

J'ai voulu réunir ces faits, moins importans 
qu'on ne l'a dit. Je remonte quatre ans plus haut. 

La cinquième çnnée du commandement de César 



* Cic. , De amsp, responsis , c. S : Xc(%dit etitm qo6d , expectAtioiie 
omnium , foitissuno et clarissimo y'iro , T. Annio , de?ota et constituta 
ista bostia esse Tidetur. 

' n le dit loi-même ; pm Mtihne , c. 1^ 



. 



/ 



312 

en Gaule, Pompée et Crassus, efiErayés de ses suc- 
cès y craignirent de rester désarmés en présence 
d'un pareil homme , et se firent donner pour cinq 
ans Fun TEspagne, Fautre la Syrie. Mais ib ne pu- 
rent empêcher Gesar d'obtenir la Gaule pour le 
même temps {56). 

Crassus était jaloux des prodigieuses richesses 
que Gabinius venait de rapporter de FOrîent. Cet 
homme avide avait pillé la Judée, piUé l'Egypte^ 
rétabli dans ce royaume à prix d'argent l'indigne 
Ptolémée Âulète, et il aurait bien voulu encore 
aller chez les Parthes mettre au pillage Ctésipboa 
et Séleude. J^eç chevaliers rpmains, mécontens de 
Gabinius qui^ dans l'Orient, les empêchait de v(der 
pour voler lui même, le firent accuser par Cicéron^ 
qui ne rougit pas de le défendre ensuite à la prière 
de Pompée ^ . Crassus eut la Syrie , c'est-àr-dire la 
guerre des Parthes, objet de son ambition (55-4). 

Cette cavalerie scythique qui se recrutait par des 
achats d'esclaves , comme les Mameluks modernes, 
campait sur Fancien empire des Séleucides , dans 
la haute Asie. Hommes et chevaux étaient bardés 
de fer; leurs aripes étaient des flèches terribles, 
meurtrières , et d^ins l'attaque , et dans la fuî^e , 
lorsque le cavalier barbare , courant à toute bride, 
les décochait par-dessus Fépaule. L'empire des 

' Dio,XXXlX,ÇS. 



313 

Partbes était fermé aux étrangers, comme aujour«< 
d'huî celui de la Chine ^ 

Malgré l'opposition du tribun Ateîus ^ malgré 
les avis des rois de Galatie et d'Arménie, le vieux 
Crassus se laisse conduire par un traître dans la 
plaine aride de Charres. Là, les lourdes légions se 
voient environnées d'une cavalerie qu'elles ne peu- 
vent ni éviter, ni poursuivre. Les Barbares les-cri-» 
blent à plaisir de leurs longues flèches, clouent 
l'homme à la cuirasse, et la main au bouclier. Le 
suréna (ou général), fardé, parfumé comme une 
femme, invite gracieusement Crassus aune entrevue, 
et lui fait couper la téte« Sans le lieutenant Cassius, 
les Parthes vainqueurs envahissaient la Syrie (54) ^ 

Crassus étant mcMt , il restait deux hommes dans 
l'empire , Pompée et César. Pompée avait obtenu 
ce qu'il recherchait depuis long-temps avec une 
hypocrite modération t Le désordre était venu au 
point que le sénat avait âni par le charger de ré- 
former la république. Q commença par faire passer 
une loi qui défendait à ceux qui avaient exercé 
quelque charge à Rome ^ de gouverner une province 
avant cinq ans , et lui-même se fit donner l'Espa- 
gne. Puis, s'armant d'une sévérité stoïque, il fit 
poursuivre ceux qui avaient malversé dans les 

* Plut. , m Crasso, 



314 

charges depuis ^ingt années^ période qui embras- 
sait le consulat de César. Milon, Gabinîusy Mem- 
mius^ Sextus^ Scaurus, Hypacus, furent successive- 
ment condamnés. Pompée frappait ainsi sesennemis^ 
et faisait trembler tous les autres. Mais quand on 
en vint à son beau-père Scipion , Tinflexible réfor^ 
maleur prit une robe de deuil^ intimida les juges, 
et prit Taccusé pour collègue dans le consulat ^ 
Pompée régnait à Rome , il voulait régner dans 
l'empire. Pour cela il fallait désarmer César. D exi- 
gea d'abord qu'il lui renvoyai deux légions, sous 
prétexte de faire la guerre aux Parthes. César de- 
mandait qu'il lui fut permis, quoiqu'absent, de se 
mettre sur les rangs pour le consulat. La loi y était 
contraire. Pompée s'empressa de déclarer qu'on 
dérogerait à la loi en faveur de César , et en rocme 
temps il suscitait le consul Marcellus pour sy op- 
poser^. Pompée venant d'obtenir l'Espagne et l'A- 
frique , César élait perdu s'il ne conservait les 

' Appian. , B, Civ , Val. Mas. , VI, 2. « Cq. Pison accusant Manlios , 
aA)i (le Poiqpée , Pompée lui dit : Que ue m'accusez-vous ? Donnez cautioii à 
la n^publique , répliqua Pison , que tous dtes accusé , tous n^exciterez pas 
une guerre civile, et je tous accuse aTant Manilius. — Le consul LentoliB 
Marcellinus parlant contre Pomjiée, on applaudissait : Applaudissez, dit-îl, 
pendant que tous le pouTez encore. — - Pompée ayant un jour la jambe senve 
d'une ^bandcli'ttc : Qu'importe , dit FaTonius , sur quelle partie on porte \e 
diadème ? — L'acteur Diphile déclamant ce Tcrs : Il est grand par nos mai- 
heurs, désigna Pompée du geste, it le peuple l'cdemanda le vers plusieurs fois. « 

' Dio.XL, 56. 



315 

Gaules. Catan annonçait hautement qu'il Faccuse-v 
rait dès qu'il rentrerait dans Rome^ Cependant 
César offrait de poser les armes si Pompée les 
quittait aussi. La loi était pour Pompée, l'équité 
pour César. Il était soutenu par les tribuns, Curion 
et Antoine, qu'il avait achetés. Telle était la vio- 
lence des Pompéiens, de Marcellus, de Lentulus 
et de Scipion , qu'ils chassèrent les tribun^ du sé- 
nat. Ces magiatrats se sauvèrent de Rpine en habits 
d'esclaves, se réfugièrent au camp de César, et par 
là donnèrent à ses démarches la seule chpse qui 
leur manquât, la légalité ^. 

Il eut la loi pour lui , et il avait déjà la force. 
L'armée de César était composée en grande partie 
de Barbares , infanterie pesante de la Belgique , in^ 
fanterie légère de l'Arvemie et de l'Aquitaine , ar-r 
chers rutènes, cavaliers germains , gaulois et 
espagnols; la garde personnelle du général, sa 
cohorte prétorienne , était espagnole '. Ce qu'on 
^apporte de l'ardeur de ses soldats, cette soif de 

Suet. , Jul, Cœs, , c. SO. Ohm M. Cato idenlidem , nec sine jure- 
jurando denantiaiet delatnram se Domen ejus, simul ac primùm exerci- 
tum dimisisset; càmque Tulgù praedictrent , ut, si priyatus rediss.et, 
Milonis exemplo ^ circumpositis aniiatis causam apud jadices diceret. 
V. César, Dion, Suétone, etc. 
• Caesap, B. Civ., 1. 4 , c. ii\ 17} III, 6, H, n. —Dion ,XU, 
55 : à Pharsale , César a?ait ce qu^il y aTait plus de vaillant en Italie , en 
Espagne, et dans toute la Gaok , ....-njç ti l6ïipw x«« rtiç FaXaliaff 



316 

péril, ce dévoùment à la vie et à la mort, cette 
valeur furieuse^ tout cela caractérise assez Jes 
Barbares. Devant Marseille, un ^eul homme se 
rend maître de tout un vaisseau ; un autre à Dj^r^ 
rachium reçoit trois blessures , et cent trente coups 
sur son bouclier. En Afrique , Scipion fait massacrer 
réquîpage d'un vaisseau et veut épargner un Gra- 
nius. Les soldats de César, dit celui-ci, sont habi-- 
tués h donner la vie , non h la recevoir; il se coupa 
la gorge. Avant la bataille de Pharsale, un vieux 
centurion s'écria : César ^ tu me loueras aujourd'hui 
mort ou vivant, et il s'élance dans les rangs des 
Pompéiens ; cent vingt soldats se dévouèrent avec 
lui. Il faut ajouter que parmi ces hommes terribles , 
il j en avait que César avait sauvés de l'amphi- 
théâtre. Quand les spectateurs voulaient la mort 
d'un brave gladiateur. César le faisait enlever de 
l'arène * . Comment s'étonner que ces gens-là se 
fissent tuer pour lui ? 

Du côté de Pompée , ce n'était que faiblesse et 
imprévoyance ; de beaux noms et des titres vides ; 
le sénat et le peuple, comme s'il y eût eu encore un 
peuple ; Rome, Caton, Cicéron , les consuls. On hii 
demandait quelles étaient ses ressources militaires : 
Ne vous inquiétez pas , disait-il, il me suffit defrap^ 

' Pour tous ces iîiiCs , V. Surt. , «////. Cees.^ 68. — Plut, y in Ccw. • 
— Cacs., Z?.f#V. , m, M, *5, \7. 



317 

per du pied la terre pour en faire sortir des légions, 
— Frappez donc, lui dit Favonius, lorsqu'on 
apprit que César avait passé la nuit le Rubicon ^ li- 
mite de sa province, et s'était emparé d'Ariminum ^ . 
On connaissait si bien la célérité de ses marches , 
qu'on le crut aux portes de Rome. Pompée s'enfuit 
avec tout le sénat. Lentulus s'enfuit y et si vite, 
qu'ayant ouvert le trésor public, il ne prit pas le 
temps de le refermer *. Cependant César s'emparait 
de Corfinium, sans doute pour empêcher Pompée 
de faire des levées chez les Marses qui lui étaient 
favorables '• Il passa de là à Brindes; mais Pompée 
ne s'arrêta que de l'autre coté de l'Adriatique. 

César n'avait pas de vaisseaux, et, d'ailleurs, il 
estimait à leur juste valeur les ressources militaires 
que Pompée pouvait trouver dans FOrient. La 
force réelle des Pompéiens était en Espagne : César 
se hâta d'y passer. Allons, dit-il, combattre une 
armée sans général , nous combattrons ensuite un 
général sans armée ^. C'était d'un mot résumer tout^ 
la guerre. 



' F, Suétone snr la prétendue hésitation de César. 

' Gaes. y B. Ciç, , Ub. I , c. 4. 

' Comme on le Toit k Gorfiniom et en Afrique,. Caes. , B. eh, , lib. I^ 

c. 5 y lib. II , c. &. 

* Suet. ,J»C.f S4. Validissimas Pompeii copias quai in Hispaniâ erant , 
invasit , profesius antè inter suos , ire se ad esercitum sine duce et indè 
reversurum ad duoem sine exerôla. 



y 



518 

Cette guerre d'Espagne fut rude. César soufint 
beaucoup de Tâpreté des lieux , de Fhiver , et sur- 
tout de la famine. Il se trouva quelque temps 
comme enfermé entre deux rivières : mais il nous 
apprend lui-même cequi lui donna l'avantage. Les 
légions d'Espagne avaient désappris la tactique ro- 
maine^ et n'avaient pas encore celle des Espagnols '. 
Elles fuyaient comme les Barbares, mais se ral- 
laient difficilement. L'humanité de CésarJ comparée 
à la cruauté de Pétreius , un dé leiws généraux , 
acheva de gagner les Pompéiens. Ils traitèrent mal- 
gré Pétreius. 

Au retour, César réduisit Marseille, qui s'obsti- 
nait dans le parti de Pompée. Ces Grecs, qui avaient 
toujours eu le monopole du commerce de la Gaule, 
étaient jaloux sans doute de la faveur avec laquelle 
César traitait les Barbares gaulois *. U ne resta 
qu'un moment à Rome, pour soulager les débiteurs 
et réhabiliter les enfans des proscrits. Dictateur 
pendant douze jours, il se fit donner le consu/at 
pouï» l'année suivante, et passa en Grèce (48). Ce 
fut là certainement la plus forte épreuve pour la 
fortune de César. Les Pompéiens étaient maîtres de 
la mer : ils pouvaient surprendre sa petite flotte , 
et sans peine ni danger couler bas ses invincibles 

' Caes. , r.Cîv., l, c. 10. 

' Geiiendant il avait accordé des privilèges commerciaux aux Uaneillais. 
Caes., r. G., I, 35. 



319 

légions. César divisa le péril ; il passa d'abord avec 
la moitié de ses troupes , puis le reste trouva le 
moyen de le rejoindre ^. L'incapable Bibulus, qui 
s'était laissé tromper ainsi deux fois , rencontra les 
vaisseaux de César, mais après le débarquement j 
il les brûla de fureur avec les matelots qui les mon* 
taient. Quelques jeunes recrues, malades de la mer, 
qui se livrèrent aussi aux Pompéiens, furent de 
même égorgés sans pitié. » 

Il est curieux de voir dans César les prodigieuses 
ressources, dont Pompée disposait. « Pompée, 
ayant eu un an dé loisir pour rassembler des 
troupes , avait tiré de l'Asie, des Cyclades, de 
Corcyre, d'Athènes, du Pont, de la Bithynie, de la 
Syrie , de la Phénicie , de la Cilicie et de l'Egjpte, 
une flotte nombreuse. Il avait fait construire beau- 
coup de vaisseaux dans tous les ports ; Il avait exigé 
de fortes contributions de l'Asie, de la Syrie, de 
t^^us les rois, princes ou tétrarques, et des peuples 
libres de l'Achaïe; il s'était fait compter de grandes 
sommes par les compagnies (des publicains) dans 
les provinces dont il était maître. 

a II avait réuni neuf légions de citoyens romains, 



' Gësar , ne voyant pas arriyer le reste de ses troupes , partit dans ane 
barque pour les aller chercher. G^est là qu^il aurait dit au pilote effrayé : 
Quid iimes ? Cœsarem vehis. Le mot est beau , mais Fanecdote impro- 
bable. 



320 

dont cinq amenées dltalie; une de ▼étérans ^ venue 
de Sicile et nommée la JumeUt, comme étant for- 
mée de deux; une de Macédoine et de Crète ^ 
composée de vétérans qui s'y étaient filés après 
avoir obtenu leur congé ; deux enfin levées en Asie 
par Lentulus. De plus, il avait distribué dans ses 
légions beaucoup de recrues de Thessalie^ deBéotie^ 
d'Âcbaïe et d'Épire ; il y avait mêlé d'anciens sol- 
dats de C. Antonius. Il attendait encore de Syrie 
Scipion avec deux légions. H avait en outre trois 
mille archers de Crète, de Lacédémone, du Pcmt, 
de Syrie , et d'ailleurs , deux cohortes de six c^its 
frondeurs chacune , et sept mille hommes de cava- 
lerie, dont six cents Gaulois amenés par Déjotarus, 
cinq cents Cappadodens venus avec Ariobarzanes, 
cinq cents Thraces envoyés par Colys avec son fils 
Sadales; deux cents Macédoniens, d'une valeur 
distinguée aux ordres de Rhascipolis; cinq cents 
Gaulois ou Germains , que le jeune Pompée av^ 
amenés par mer d'Alexandrie , où Gabinius les avait 
laissés pour gardes au roi Ptolémée; un corps de 
huit cents cavaliers , formé de ses esclaves ou de 
ses bergers. Tarcundarius Castor et Donilaûs avaient 
foxuni trois cents Galates; l'un commandait sa 
troupe, l'autre avait envoyé son fils. Antiochus de 
Comagène, que Pompée avait comblé de bienfaits, 
lui avait fait passer de Syrie deux cents cavaliers , 
la plupart archers* Pompée avait joint à tout cela 



321 

des Dardaniens^ des Besses^ partie mercenaires, 
partie requis ou volontaires, des Macédoniens, des 
Thessaliens et des troupes de divers autres pays ; 
le tout s'élevant au nombre qu'on a dit. 

« Il avait tiré beaucoup de blé de Thessalie ^ 
d'Asie, d'Egypte, de Crète, de la Cyrénaïque et 
autres pays , se proposant * d'hiverner à Dyrra- 
chium, à ApoUonia, et dans les divers ports, 
pour empêcher César de passer la mer. En consé- 
quence, il avait diistribué sa flotte sur toute la cote. 
Les vaisseaux d'Egypte étaient commandés par son 
fils; ceux d'Asie par D. Lœlius et C. Triarius; 
ceux de Syrie par C. Cassius ; ceux de Rhodes par 
C. Marcellus et C. Coponius ; ceux de Liburnie et 
d'Achaïe par Scribonius Libo et M. Octavius. Ce- 
pendant M. Bibulus avait le commandement gé- 
néral. » 

César, ayant réussi à passer malgré Bibulus, en- 
treprit d'assiéger Pompée, près* de Dyrrachium , 
d'assiéger une armée plus nombreuse que la sienne, 
et approvisionnée par la mer. Il fallait qu'il mé- 
prisât bien ses ennemis. Il n'avait pas calculé 
la difficulté qu'il éprouverait pour nourrir les siens 
dans un pays où tout était contre lui. La chose 
traînant en longueur, ils furent obligés de faire du 
pain avec de l'herbe, mais ils n'en étaient pas plus 
découragés. Ils jetaient de ce pain dans le camp 
des Pompéiens, pour leur montrer de quelle nour- 
II. ai 



322 

riturc savaient vivre les soldats de César. Nous 
mangerons des écorces d'arbres ,.disaient-4Is, avâni 
de lâcher Pompée ^ • La belle jeunesse de Rome , 
qui était venue pour finir bien vite la guerre par 
tuie glorieuse victoire , avait horreur de ces bctes 
sauvages. 

Cependant les estomacs du nord sont exigeans et 
voraces j les Gaulois de César se trouvèrent bientôt 
réduits à une extrême faiblesse. Les Pompéiens, 
dans une sortie , les poursuivirent jusqu'à leur 
camp^ et les y auraient forcés^ si Pompée neut 
manqué à sa fortune. César n'attendit pas une 
épreuve nouvelle. Il décampa^ et partit pour la 
Thessalie et la Macédoine^ où du moins les subsis- 
tances ne pouvaient faire faute. Plusieurs con- 
seillaient à Pompée de repasser en Italie, àe re- 
prendre l'Espagne , de recouvrer ainsi les provinces 
les plus belliqueuses de l'Empire *. Mais covm^^ 
abandonner tout l'Orient au pillage des Barbares 
comment trahir tant d'alliés? Les chevaliers'^ 
mains étaient ruinés si César ravageait la Grèce et 
TAsie. Et puis, Pompée ne pouvait se décider « 
laisser en Macédoine Scipion, le père de lajeufl^ 
et belle Cornélie, sa nouvelle épouse '. 

* Cast. , Bé ch, , fib. ni , c. 4 U 

' G^est U seconde îùs qn^on loi donnait k sage eonseil de l'tfsorff 
cette proTÎnce. Cic. , epistfamil, , VI , 0. 
' À{>pian. , B, civ. 



1 



323 

Dans une armée si noblement composée^ où il y 
avait tant de consulaires^ tant de sénateurs^ tant 
de chevaliers ^ le général avait au-dessus de lui je 
ne sais combien de généraux. Depuis qu'ils croyaient 
César en fuite ^ ils accusaient sérieusement Pompée 
de ne pas vouloir vaincre, Domitius demandait 
combien de temps le nouvel Agamemnon^ le roi 
des rois^ comptait Caire durer la guerre. Cicéron et 
Favonius conseillaient à leurs amis de renoncer 
pour cette année à manger des figues de Tusculum. 
Afranius^ qu'on accusait d'avoir vendu l'Espagne à 
César^ s'étonnait que Pompée évitât de se mesurer 
avec ce marchand qui ne savait que trafiquer des 
provinces. 

Mais le plus confiant^ le plus insolent de tous y 
était Labiénus^ lieutenant de César dans les Gaules^ 
qui avait passé du côté de Pompée. Il avait juré so-» 
lennellement de ne poser les armes qu'après avoir 
vaincu son ancien général. Il obtint qu'on lui livrât 
les prisonniers fisdts à I)yrrachium, les regarda un à 
un j en disant : Eh bien ! mes vieux compagnons , 
les vétérans ont donc pris l'habitude de fuir ? et il 
les fit tous égorger. Dans une entrevue avec les 
Gésariens^ il leur dit : Nous vous accorderons 
la paix, quand vous nous apporterez la tête de 



1 



• 



* Cta. , B. ch, , UI f V. F", ■aifti ior la craanté dct Poropéieiis , III , 
2,6, 44, et II, 8. 



À 



324 

Les amis de Pompée étaient si sûrs de vaincre , 
qu'ils se disputaient déjà les consulats et les pré- 
tures. Quelques-^ins envoyaient à Rome retenir 
près de la place des maisons en vue du peuple, et 
bien situées pour la brigue des emplois ^ . Une seule 
chose les embarrassait : c'était de savoir qui aurait 
la -charge de graad-pontife, dont César était re- 
vêtu ; Spinther et Domitius étaient bien appuyés y 
mais Scipion était beau-père de Pompée; il avait 
des chances. En attendant, ils avaient, la veille de 
la bataille, préparé une grande fête.* Les tentes 
étaient jonchées de feuillages et la table mise. 

Aussi , à Pharsale, ce ne fut pas César qui atta- 
qua, mais les Pompéiens. Il allait tourner vers la 
Macédoine ; il pouvait leur échapper. Heureuse- 
ment Pompée était fort en cavalerie ; il avait jus- 
qu'à sept mille chevaliers romains : placée à Taile 
gauche, cette troupe superbe se chargeait d'enve- 
lopper César par un mouvement rapide et de tmller 
en pièces la fameuse dixième légion. César, qui 
s'attendait à cette manœuvre, avait placé derrière 
six cohortes qui devaient au moment de la chaige 
se porter au premier rang, et au lieu de lancer le 
pilum , en présenter la pointe à ces brillans cava- 
liers. César ne dit qu'un mot aux siens : Soldai , 

' Cos., B.ch., m, 16. 



a25 

frappe au visage ^ C'était là justement que la belle 
, jeunesse de Rome craignait le plus d'être blessée. 
Us aimèrent mieux être déshonorés que défigurés, 
et s'enfuirent à toute bride. 

Au centre. César ordonna à ses soldats de courir 
à grands cris sur l'ennemi'. Celui qui donnait un 
pareil ordre, connaissait merveilleusement le génie 
des Barbares qu'il conduisait. Pompée n'attaidît pas 
l'issue du combat. Quand il vit sa cavalerie en fuite, 
il rentra dans son camp , comme frappé de stu- 
peur. Il ne fut tiré de cet état que par les cris de 
ceux qui vinrentbientôtattaquerses retranchemens. 
Alors il s'enfuit vers la mer, et s'embarqua pour 
Lesbos, où il avait laissé sa femme. Quelques-uns 
lui conseillaient de se retirer chez les Parthes. On 
prétend qu'il craignit pour sa jeune épouse les 
outrages de ces Barbares qui ne respectaient rien ^. 
Il aima mieux chercher un asile auprès du jeune roi 
d'Egypte, Ptolémée Dionysos, dont il avait été 
nommé le tuteur. Les précepteurs grecs qui ré- 
gnaient au nom du petit prince , sentirent que leur 
autorité cessait, si Pompée mettait le pied en 
Egypte 3 ils le firent égorger dans la barque qui 
l'amenait au rivage. 

Cependant César avait achevé sa victoire. Dès 



* Id. , ibidem. -^ ' Ibidem. 
' Appian. , B* ch. 



326 

qu'elle fut{décidée ^ il courut tout le champ de ba* 
taille^ en criant : Sauvez les citoyens romains. Lor»^ 
qu'on loi amena Bfutus et les autres sénateurs , U 
les assura de son amitié. U parcourut ensuite le 
champ de bataille y et dit, avec douleur en voyant 
toi^ ces morts : Us l'ont voulu! si j'eusse posé les 
armes ^ j'étais condamné ^ 

De là 9 il passa en Asie, et déchai^ea la province 
du tiers des impôts. Arrivé à Alexandrie, le rhé- 
teur , qui avait conseillé la mort de Pompée^ vint 
mettre sa téta aux pieds du vainqueur. César en 
eut horreur, et versa quelques larmes. Les con- 
seillers du roi d'Egypte avaient espéré que César 
leur saurait gré de leur crime, et confirmerait à 
leur élève le titre de roi que lui disputait sa soeur 
aînée, Cléopàtre. Cés^MT manda secrètement à la 
jeune reine de revenir. Elle partit sur-le-champ , 
n'emmenant de tous ses amis qu'ApoUodore de Si- 
cile; elle se jeta dans un petit bateau, arriva de 
nuit devant Alexandrie , et ne sachant comment f 
pàiétrer sans être reconnue, elle se mit dans un 



' Suet. , J.C.t c. 30. — Selon Dion , César fit mourir les sénatens ft 
les cherâlien , auxquels il avait pardonné d^abord ; seolement , il aonit ac> 
•ordë à chacun de ses amis la grâce d^un Pompéien. Dio, XU, a. 61. 
Ailleurs , Dion prétend qn^il se délaisait dans les batailles de ceux qn*i| 
haïssait , XLHI , p. 849. Cependant Dion parie du temple âeré i la Clé- 
mence. — Suétone dit qu^il ne fit mourir que le jeune L. César, et deux 
antres qui ayaieiit fidt égorger ses aflranchis , ses esdaTes et ses 



mmn 



^ 



327 

paquet de hardes qu'ApoUodore entra sur ses 
épaules par la porte même du palais ^ . 

Cette espièglerie audacieuse plut à César. Le ma- 
tin il fit venir le jeune roi pour le réconcilier avec 
Cléopàtre. Mais dès que Ptolémée aperçut sa sœur^ 
qu'il croyait bien loin, il s'écria qu'il était trahi "•. 
Ses clameurs ameutèrent les gens du palais, et 
bientôt toute Alexandrie. César se trouvait dans le 
plus grand danger ^ presque seul au milieu d'une 
ville immense, d'une populace innombrable, mo- 
bile comme la Grèce et barbare comme l'Egypte , 
qui était habituée à faire et renverser ses maîtres 
dans ses révolutions capricieuses. Aussi riche, aussi 
peuplée que Rome, cette capitale de l'Orient no- 
tait pas moins fière. Les Alexandrins avaient déjà 
trouvé fort mauvais que César entrât avec les lic- 
teurs et les faisceaux; cela, disaient-ils, tendait à 
éclipser la majesté du grand roi d'Egypte'. La po- 
pulace était encore animée par les conseillers du 
roi qui voyaient leur règne fini, et qui auraient 
bien voulu se débarrasser du vainqueur comme ils 
avaient fait du vaincu. Le seul moyen d'apaiser le 
peuple eût été de livrer Cléopàtre. César soutint un 
siège plutôt que de faire une telle lâcheté. Les 



* Dion , XUI , p. )25. 

* Id. y ibidem. 

' Id. , ibidem. — -Cacs. , Bl m*., Ub. 111. J 



328 

., Alexandrins voulaient s'emparer de sa flotte qui 
était dans leur port ; il la brûla. L^incendîe gagna 
de l'arsenal au palais, et consuma la grande bi- 
bliothèque des Ptolémées. Enfin, César trouva 
moyen de gagner File de Pharos, reçut des secours 
par mer, et, rentrant en vainqueur dans Alexan- 
drie , il partagea le trône d'Egypte entre Clêopàtre 
et son plus jeune frère, Ptolémée Néoteros. L'autre 
Ptolémée avait péri. 

On a fort reproché à César ce long séjour en 
Egypte; mais d'abord il nous apprend lui-même 
qu'il y fut retenu quelque temps par les vents été- 
si«ns. Quant à l'imprudence héroïque de venir tout 
seul donner des lois à un grand royaume, il faut 
dire que César comptait sur l'ascendant de son 
nom , et il avait droit d'y compter. Naguère , pas- 
sant d'Europe en Asie sur un vaisseau, il avait 
rencontré une grande flotte ennemie que com- 
mandait Cassius ; . il lui ordonna de se rendre , et 
fiit obéi ^ . Qui pouvait croire que ces moucherons 
du Nil oseraient s'attaquer au vainqueur des 
Gaules ? 

Avant . de retourner en Occident (47) et d'y 
poursuivre les Pompéiens , il fit un tour en Asie et 
défit Pharnace, fils de Mithridate qui avait battu 

Caes. , ibidem. 
• Plut. , in Cas. 



w^iwi^^^"^^^»^"^"'— ■^■^^p^^*"^r^^pi 



329 

quelques troupes romaines et envahi la Cappa- f. 
doce et la Bithynie. La facilité avec laquelle il ter- 
mina cette guerre ^ lui faisait dire : Heureux Pom- 
pée, d'être devenu grand à si bon marché! Il 
écrivit ces trois mots à Rome : Feni^ vidi, vici. 
Après avoir détruit Pompée, il détruisait sa gloire. 
Lltalie avait grand besoin du retour de César, 
Son lieutenant Antoine, et le tribun Dolabella 
avaient bouleversé Rome en son absence. Comme 
les lieutenans d'Alexandre , en Macédoine et à Ba- 
bylone, pendant l'expédition des Indes, ils sem- 
blaient croire que le maître ne reviendrait jamais 
de si loin. D'autre part, les soldats se soulevaient 
et tuaient leu^s chefs. Sachant qu'on avait besoin 
d'eux pour combattre les Pompéiens en Afrique , 
ils croyaient tout obtenir. César les accabla d'une 
seule parole: Citoyens y leur dit-il, et déjà ils furent 
atterrés de ne plus être appelés soldats ^ , citoyens^ 
cous avez assez de fatigues et de blessures^ je cous dé- 
lie de vos sermens. Ceux qui ont fini leur temps ser- 
rant payés jusqu au dernier sesterce. Us le supplièrent 
alors de leur permettre de rester avec lui. Il fut in- 
flexible. Il leur donna des terres, mais éloignées les 
unes des autres * , leur paya une partie de l'argent 
qu'il leur avait promis, et s'engagea à acquitter le 



* Dio, lib. XLIl» p. 336. 
' Id. , ibidem. 



330 

reste avec les intérêts. Il n'y en eut pas un qui ne 
s'obstinàt à le suivre. 

Les Pompéiens s'étaient réunis en Afrique sous 
Scipion^ beau-père de Pompée. Les Sdpions^ di- 
sait-on^ devaient toujours vaincre en Â&rique. 
César voulut qu'un Scipion commandât aussi son 
armée. Il déclara céder le commandement k un 
Scipio Sallutio^ pauvre homme qui se trouvait 
dans ses troupes ^ fort obscur et fort méprisé. 
L'autre Scipion^ auquel Caton s'était obstiné à 
céder le commandement par un scrupule absurde, 
avait intéressé à sa cause le mauritanien Juba^ en 
lui promettant toute l'Afrique ^ . Cette alliance lui 
donna tous les Numides^ et avec leur cavalerie les 
moyens d'affamer l'armée de César. Les affaires de 
celui-ci allaient fort mal, lorsque Scipion le sauva 
en lui offrant la bataille. César, par une marche 
rapide, attaqua séparément les^ trois camps des 
Pompéiens, et détruisit cinquante mille hommes 
sans perdre cinquante des siens. 

Caton était resté à Utique , pour contenir cette 
ville ennemie des Pompéiens, et dont Scipion eut ^ 
sans lui, fait égorger tous les habitans. Les com- 
merçans italiens d'Utique ne se soucièrent pas de 
risquer leurs esclaves qui faisaient leur richesse^ eu 
les armant pour défendre la ville. Caton, voyant 

' Dio. , Ub. XUII , p. 344. 






33f 

qu'il n'y avidt pas moyen de résister, fit échapper 
les sénateurs qui -se trouvaient arec lui, et prit la 
résolution de se donner la mort. Après le bain et 
le souper, il conféra longuement avec ses Grec^ 
qui ne le quittaient pas ; puis il se retira, lut dans 
son lit le dialogue de Platon sur l'immortalité de 
l'àme^ et chercha son épée. Ne la trouvant pas sous 
son chevet^ il appela un esclave et la lui demanda. 
L'esclave ne répondit rien , et Caton continua de 
lire^ en ordonnant qu'on la cherchât. Quand il eut 
achevé, il appela tous ses esclaves l'un après 
l'autre ; indigné de leur silence^ il s'écria : Est-ce 
que vous voulez me livrer? et il en frappa un au 
visage si violemment^ qu'il se blessa lui-même la 
main. Alors son fils et ses amis, fondant en larmes, 
lui envoyèrent son épée par un enfant. Je suis donc 
mon maître, dit-il. Il relut deux fois le Phédon, se 
rendormit, et si bien que de la chambre voisine on 
l'entendait ronfler- Vers minuit, il envoya à la mer 
pour s'assurer du départ de ses amis, et soupira 
profondément en apprenant que la mer était ora- 
geuse. Comme les oiseaux commençaient U chanter, 
dit Plutarque, il se rendormit de nouveau. Mais au 
bout de quelque temps, il se leva, et s'enfonça son 
épée dans le corps. Sa main étant enflée du coup 
qu'il avait donné à l'esclave, la force lui man- 
qua ^ . Les siens accoururent au bruit de sa chute ,, 

' Plut. , 1/1 Catone. 



332 

et virent avec horreur ses entrailles hors de son 
corps. Il vivait pourtant et les regardait fixement. 
Son médecin banda la plaie, mais dès qu'il revint à 
lyi-même^ il arracha l'appareil, et expira sur-le- 
champ. 

La vieille république sembla tuée avec Caton. 
Le retour de César dans Rome fut la véritable fon- 
dation de l'Empire. Nous réunirons ici tous les 
traits de ce grand tableau, quoique dans une chro- 
nologie rigoureuse, plusieurs de ces faits doÎTent 
se placer plus tôt ou plus tard. 

La victoire de César eut tous les caractères d'une 
invasion de Barbares dans Rome et dans le sénat. 
Dès le commencement de la guerre civile, il avait 
donné le droit de cité à tous les Gaulois, entre les 
Alpes et le Pô * . Il mit au nombre des sénateurs 
une foule de centurions gaulois de son armée ; il y 
mit des soldats, des affranchis. Les vainqueurs de 
Pharsale vinrent bégayer le latin à côté de Cicéron. 
On afficha dans Rome un mot piquant contre les 
nouveaux Pères conscrits: « Le public est prié de ne 
point indiquer aux sénateurs le chemin du sénat. » 
On chantait aussi : a César conduit les Gaulois der- 
rière son char, mais c'est pour les mener au sénat ; 



' Dio, XLI, n. 36. 



t ■ ■ J imr""m 



333 

ils ont laissé rhabillement celtique pour prendre le 
laticlave^ » 

Rien d'étonnant si ce sénat demi-barbare accu- 
mula sur César tous les pouvoirs et tous les titres : 
pouvoir de juger les Pompéiens *, droit de paix et de 
guerre, droit de distribuer les provinces entre les 
préteurs ( sauf les provinces consulaires ) , tribunal 
et dictature à vie, c'est-*à*dire la domination ab- 
solue et la protection du peuple. La multiplicité 
et l'avilissement des magistratures augmentent en- 
core sa puissance ; désormais seize préteurs , qua- 
rante questeurs. Il est proclamé père de la patrie y 
comme si de tels hommes en avaient une autre que 
le monde ; libérateur, non pas de Rome, sans 
doute, mais plutôt du monde barbare, égyptien ou 
gaulois. Ses fils (il n'eq avait pas et ne pouvait 
plus guère en avoir) sont déclarés imperatores. Pour 
lui, dès Pharsale, on l'avait appelé demi-dieu; 
après sa victoire d'Afrique, il devint dieu tout à 
fait, et son image fut placée dans le temple de 
Mars. Qu'on le fît dieu, à la bonne heure, per- 
sonne n'en fut scandalisé ; la chose n'était pas 
inouie. Mais on fut un peu surpris de le voir nom- 
mer préfet et réformateur des mœurs. Ce réforma- 
teur]^logeait dans sa maison, près de sa femme légi- 

' Saétone. 

' Dîo., XLn, p. S17, n. 20, etc. 



334 

time Calpumiç^ la jeune Cléopàtre et 5on époux^ le 
petit roi d'Egypte^ avec Césarion^ l'enËuit que 
peut-être César avait eu d'eUe ^ . 

Ce fut UD spectacle merveilleux et terrible à la 
fois que le triomphe de César. U triompha pour les 
Gaules^ pour l'Egypte, pour le Pont et pour l'A- 
frique ; on ne parla pas de Pharsale. Derrière le 
char marchaient en même temps les déplorables 
représentans de TOrient et l'Occident : le vercîngé- 
torix gaulois 9 la sœur de Cléopàtre, Arsinoé^ et le 
fils du roi Juba. Autour, selon l'usage, les soldats, 
hardis compagnons du triomphateur, lui chantaient 
de tout leur cœur des vers outrageans pour lui. 

Faîsbiai, insens bttta^ fais nul, ta sens roi! 

....Maris de Rome, gare à tous ! nous amenons le galant dianve * . 

Sauf un couplet sanglant sur l'amitié de Nico- 
mède ' , César ne haïssait pas ces grossières déri- 
sions de la victoire. Elles rompaient l'ennuyeuse 
uniformité de l'adulation, et le délassaient de sa 
divinité. 

' Ibîd. 

* Dio., XLIU, p. S54. Snet. , 49, 54. 

UrlMuû, lerrate oiores; moKhua calfum addacMOi... 
Annua ia Gallil efFatoisti ; hic sumposti mntnam. 

' César se ficha de cette accusation infime, et offrit de se i«stifier par 
serment. Les ftoldaU rirent beaucoup et Ten dispensèrent. Dio , XLIIl , 
p. S54. 



> 



335 

D'abord y il distribua aux citoyens du blé et trois 
cents sesterces par tête; vingt mille sesterces à 
chaque soldat. Ensuite il les traita tous ^ soldats et 
peuple^ sur vingt-trois mille tables de trois lits 
chacune ; on sait que chaque lit recevait plusieurs 
convives. 

Et quand la multitude fut rassasiée de vin et de 
viande^ on la soûla de spectacles et de combats. 
Combats de gladiateurs et de captifs^ combats à 
pied et à cheval^ combats d'éléphans, combat naval 
dans le Champ-de-Mars transformé en lac. Cette 
fête de la guerre fut sanglante comme une guerre. 
On dédommagea Rome de n'avoir pas vu les mas-* 
sacres de Thapsus et de Pharsale, Une joie fréné- 
tique* saisit le peuple. Les chevaliers descendirent 
dans Farène et combattirent en gladiateurs ; le fils 
d'un préteur se fît mirmillon. Un sénateur voulait 
combattre ^ si César le lui eût permis. U fallait laisser 
quelque chose à faire aux temps de Domitien et de 
Commode. 

Par-dessus les massacres de l'amphithéâtre flot- 
tait pour la première fois l'immense çelarium aux 
mille couleurs , vaste et ondoyant comme le peuple 
qu'il défendait du soleil. Ce velarium était de soie % 
de ce précieux tissu dont une livre se donnait pour 
une livre pesant d'or. 

* Id. f ibidem. 



336 

Le soir. César traversa Rome entre quarante élé- 
phans qui portaient des lustres étincelans de cristal 
de roche * . Il assista aux fêtes^ aux farces du théâtre. 
Il força le vieux Labérius^ chevalier romain , de se 
faire mimé, et de jouer lui-même ses pièces : « Hé- 
las ! s'écriait dans le prologue le pauvre vieillard 
obligé d'amuser le peuple % où la nécessité m'a- 
t-elle poussé, presque à mon dernier jour? après 

' Surt. 

' Dec. Laberii firag. , in Nacr. sat. , 1 , 7. 

Nécessitai ( cnjù carrai transTerai impetam 

VoUertmt mvlti effugere , paael polaenmt ) 

Qao me detrnsil pêne eztremii leniibai ? 

Qaem nalla ambilio , nalU Qnqaam largitio , 

N«llui timor, tîi nalU , onlla «athoritaa 

Movere potnil in ju venta de itatn ; * 

Eoce in Moecta , ut facile labefecit loco 

Viri ezcellentis mente démente édita , 

Sabmiaaa placide blandiloqaene oratio. 

Etenim ipai dii denegare cni nihil potaenintf 

Hoaûnem me denegare qois poeset pati? 

Ego bis triccnia annâa aclit tine nota , 

Eqnea romanni ex lare egreaias meo , 

Domnm revertar mimna : nimimm hoc die 

UttO plaa vixi, mihi qaam Tivendam fait. 

Fpiiana immoderata in bono leqae atque in malo , 

Si tibi erat libilam literaram laadibni 

Floris cacamen noslm famae frangere : 

Car qanm Tïgebam membria prastiridantiboa , 

Satiifacere popqlo et tali qnnm poteram TÎro , 

Non flexibilem me conconraili , nt carperee 7 

Nane me qao dejicii ? qnid ad acenam aSero ? 

Decorem form« , an dignitatem corporia? 

Animi virtntem , an vodi jocund* aonnm? 



337 

soixante dns d'une vie honorable > 6orti chevalier de 
ma maison, j'y rentrerai mime. Oh! j'ai vécu trop> 

d'un jour ! » César n'avait voulu que l'avilir ; il 

lui refusa le prix ; Labérius ne fut pas même le pre- 
mier des mimes ^ . 



Ul hedera terptfot vire* «rboMaii neat^ 
Ita me retaitu ampleia andoram necat« 
Sepakhri timilif , nil ninnomen retineo. 

In ipsa aciioHê, Ex Macrobio. Ibid, 

Porto, Quiritet , libertatem perdidimiis. 

[dent , ibidem. 

lYeceise «:A rnnltot tineat qnem mnlti (iment# 

tdmn f ibithm. 

VTon poMam priai 9êm omaM omni in loapon. 
Sammtim ad gmdojB q«am daritatia yeneris, 
Coniiatea legre , et citiai qoam awendai, deddei : 
CtàA «go , aadet qvt aequicer * laoa eat pvUict. 
Puklii SyrU/ragm. , ad Laberium s 

Qakom contendisti icriptor , hanc «peotator aiibkvs. 
Favenle ttbi me , virtua ea , Laberi , à 39ro, 

( Ces derniers mots doWeat être de Syrus, et bob de Céttr , comme on 
Va cru. ) 

**St pent^re ce jugement était-fl équitable. On connaît le f^oAt exquis de 
César. Voici deot frafoicns de ses poésies. Le second paraît un impromptu 
lait dan» ud de ses rapides Toyages : 

( SvetODÎva i in vità Terentil : ) 

Ta qnoqae , ta aammia , A dlmidiate Mcnander , 
Poneria , et mcrito , pan flermonis amator ; 
Leaiboa a^ue Q&mm verbia eonjtfticla foret fia 
Gomict , «I nqamto irirtua pollerct Imaoto 
' Cnm gnecia , necpie in bac deapeelM partr jaeeree. 

XJnam boc maeeror , «t dolco tibi dcciae, Terenti. 

H. 2a 



338 
il était* bien hatdi , en effet, de récïamet seul au 
rtiilieu de ces grandes saturnales, de ce nivellement 
universel qui commence avec l'Empire ; il s'agit bien 
de l'honneur d'un ehevalier dans ce bouleversement 
du monde. 

* 

Aspice nutantcnrconvcxo pondère munduni, 
Terrasque imctusque Tuaù co^imque profondum ,•" 
Aspice ▼enturo laelentaf Ut omiiM saedo ! 

Tout n'est-îl pas transformé? Les siècles antiques ne 
sont-ils pas finis? Le temps , le ciel n'a-t-il pas change 
par édit de César? L'immuable pomœrium de Rome 
a reculé^ ; les climats sont vaincus, la nature asser- 
vie; la girafe africaine se promène dans Rome, 
sous une forêt mobile, avec Téléphant indien; les 
vaisseaux combattent sur terre. Qui osera contre- 

( ScriTêriat , et membranu : J 

Fdlria , perpelao nivittin damnata rigori , 
Forft liûhi pott hftc non adeunda , vale. 

L^ouTrage de Gëstr , de Anaiogid , était dirisë en deux livres , et adresê 
àCicéron. Les anciens en ont souvent parlé ^ CicéroB, Bnttus, c. 72 f 
Soétone , in Cœs, , c. 56 ; Aulo-Gelle , bv. 1 , c.^0, 7 ; c. 9 ^ Gharis. , 
)iv. I. n y traitait des verbes , des déclinaisons , des lettre» même de Tal- 
vbabet ; il aurait voulu qu^on dit : Mordeo, memordi, non moawrdi; 
pun§Ot p^p^î spondeo , spepondi ; turbo « tuthonis , non iaMnn ; 
enfin que le f^se fit comme un F renversé ^ , parce qn^il avait la force da 
digamma éobque j il recommandait dans cet ouvrage d^éviter ioui mai aou'- 
/ veau comme un écuetL.:. Macrob; , liv. il. 

" Dio. , XLIII , n» 50 , p, 377. 



339 

dif e celui à qui la nature et l'humanité n'ont refusé 
rien^ celui qui n'a jamais lui-même rien refusé à 
personne^ ni sa puissante amitié^ ni son argent^ pas 
même son honneur? Sans le large front chauve et 
Yœil defcUÊCon^ , reconnaitriez-vous le vainqueur des 
Gaules dans cette vieille courtisane , qui triomphe 
en pantoufles * et couronnée de toutes sortes de 
fleurs? Venez donc tous de bonne grâce chanter, dé- 
clamer, combattre, mourir, dans cette bacchanale 
du genre humain qui tourbillonne autour de la tête 
fardée du fondateur de l'Empire. La vie, la mort^ 
c^est tout un : le gladiateur a de quoi se consoler en 
regardant les spectateurs. Déjà le vercingctorix des 
Gaules a été étranglé ce soir après le triomphe : com- 
bien d'autres vont tantôt mourir parmi ceux qui sont 
ici ? Ne voyez-vous pas près de César la gracieuse vi- 
père du Nil, traînant dédaigneusement après elle 
son époux de dix ans , qu'elle doit aussi faire périr ; 
c'est son verdngétorix, à elle. De l'autre oôté du 
dictateur, apercevez-vous la figure hâve de Cassius', 
le crâne étroit de Brutus; tous deux si pâles 

* Shidiéspeare et Dante avaient certainement tu César. César au large 
front , . . Sbak. Julius C. 

Getara armato con gli oechi grifagoi ( Infemo « IV ). 

C^est une traduction admirable du vegetis oculis de Suétone. 

* Dio. , XLII,p. 356. 

' Plut. , Cas, K Ceux que je crains, disait Cé^ar, ce sont ces visages 
I»âies. » Pour la figure de Bmtus , payez les médailles. 



340 

dans leurs robes blanches bordées d'un rouge de 
sang. 

Au milieu du triomphe^ César n'ignorait pas 
que la guerre n'était pas finie. L'Espagne était pom-' 
péienne. Pompée avait essayé pour elle ce que César 
accomplit pour la Gaule. Il avait fiait donner le droit 
de cité à une foule d'Espagnols ^ . Mais le génie moins 
disciplinable de l'Espagne faisait de ce peuple si 
belliqueux un instrument de guerre incertain et 
peu sûr. Toutefois, les fils de Pompée y trouvèrent" 
faveur. Les Espagnols étaient vraisemblablement 
jaloux des Gaulois, qui sous César avaient gagné 
tant de gloire et d'argent dans la guerre civile. Peut- 
être aussi de vieilles haines de tribus et de villes les 
animaient contre les Espagnols qu'ils voyaient dans 
les rangs de César, contre ceux qui composaient sa 
garde, contre ce Cornélius Balbus, Espagnol-Afri- 
cain de Cadix , qui avait reçu de Pompée le droit 
de cité , et qui était devenu le principal conseiller 
de son rival*. 

César alla en vingt-sept jours de Rome en Espa- 
gne (45)- fl y trouva tout le pays contre lui. Comme 
en Grèce, comme en Afrique, il lui fallait une ba- 



* Plut. , in Pomp. — Cic. , pm Corn, Balbo. 

' Sur ce persoDiuge imporUot y P', page 248, le discours ^/t> Balio 
de Cicéron , et Epist, ad Attic, iX^ 7, surtout Epiii^ famit. ^ /'/, 8. 



i 



341 

taille^ ou il mourait de faim. Les Espagnols n'étaient 
pas moins impatiens de battre ce César^ cet ami des 
Gaulois, qui croyait avoir déjà soumis TEspagne en 
un hiver. Les armées se rencontrèrent à Munda 
(près de Cordoue).Mais cette fois, César ne recon- 
nut plus ses vétérans. Les uns étaient de vieux sol- 
dats qui depuis quinze ans le suivaient dans la 
meurtrière célérité de ses marches, des Alpes à la 
grande Bretagne, du Rhin à TEbre, puis de Phar- 
sale au Pont, puis de Rome en Afrique, tout cela 
pour vingt mille sesterces ^ ; l'ascendant de cet 
homme invincible les avait pourtant décidés encore 
à porter leurs os aux derniers rivages de l'Occident. 
Les autres, qui jadis sous le signe de l'alouette, 
avaient gaîment passé les Alpes, avides des belles 
guerres du midi, et comptant tôt ou tard piller 
Rome, ceux-là aussi, quoique plus jeunes, com- 
mençaient à en avoir assez. Et voilà qu'on les ra- 
menait devant ces tigres d'Afrique, si altérés de 
sang gaulois.... Les ordres et les prières de César 
échouaient contre tout cela; ils restaient mornes et 
immobiles; il avait beau lever les mains au ciel. Il 
eut lin moment l'idée de se poignarder sous leuiis 
yeux; mais enfin, saisissant un bouclier, il dit aux 
tribuns des légions : Je veux mourir ici, et il court 
jusqu'à dix pas des rangs espagnols*. Deux cents 

• Suétone. 

■ Appian.. U,civ, — Flonis, IV, 2. 



342 

flèches tombent sur lui. Alors i\ n'y eut plus moyea 
de différer le combat. Tribuns .et soldats le suivi- 
rent. Mais la bataille dura tout le JQur. Ce ne fut 
qu'au soir que les Espagnols se lassèrent. Qn apporta 
à César la tête de Labiénus , et celle d'un des fils de 
Pompée. Les vainqueurs épuisés campèrçnt der- 
rière un retranchement de cadavres ^ . 

Le retour à Rome fut triste et sombre. Les vain- 
cus voyaient commencer une servitude sans espoir. 
Les vainqueurs eux-mêmes étaient désenchantés de 
la guerre civile. César se sentait haï ^ et se raidissait 
d'autant plus. Pour la première fois^ il ne craignit 
pas de triompher sur des çitoyen^^^ sur les fils de 
Pompée. U mépçi$ait Home^ et voulait briser son 
orgueU. Il n'hésita point d'accepter les honneurs 
odieux qu'entassait sur lui la lâche et perfide poli- 
tique du sénat ^ le siège d'or, la couronne d'or, une 
statue à cpté de celle des rois, entre Tarquin-le- 
Superbe et l'ancien Brutus, le droit sinistre d'être 
enterré dans Teuçeinte sacrée du pomœrium, où 
l'on ne plaçait aucun tombeau^. Un tel homme ne 
pouvai(; se méprendre sur l'intention meurtrière de 
ces décrets. Mais que lui importait après tout? 

' Flonjs, ibidem. 

' Dio,XLlV, n. 7, XLIll. — Suclonc , 52, cl Dion , XLIV , 3Sf . 

pri tendent que le sénat lui accorda , on allait lui accorder , la ridicule •&• 
(urisalion de posséder toutes les femmes. C^était sans doute un des hn£'^ 
«Ijàurdes que faisaient couiir ceux qui voulaient perdre César« . 



mm^^mt^&mmmmmiW^F'^^T^ 



343 

Malheur aux meurtriers ! La paix du monde ienai^t 
à la vie de Cééar^ . Et qui )siurait le cœur de tuer celui 
qui a tant pardonné ? U renvpya sa garde ; sa garde 
était la clémence à laquelle on venait d'élever un 
temple^ et sans armes, sans cuirasse, il se prcMne^ 
naitdans Rome, au milieu de ses ennemis mortels^. 

Cette àme immense roulait bien d'autres pensées 
que celle du soin de to vie. Il voulait consommer le 
^and ouvrage de Rome , unir ses lois dans un code, 
M les imposer à toutes les nations^. Il projetait au 
milieu du Champ-de-Mars un temple, au pied de la 
roche Tarpéienne un amphithéâtre, àOstietmport, 
lâonumens gigantesques , capables de recevoir les 
^tats^énéraux ^u monde. Une bibliothèque im- 
mense devait concentrer tous les fruits de la pensée 
humaine. La vieille injustice de Rome était expiée : 
Oipoue, Corinthe et Carthage fiirent relevées par 
ordre de César. U voulait percer l'isthme de Corin- 
the et joindre les deux mers. Dès la guerre d'Afri- 
que , il avait vu en songe une grande airmée qui 



* Diot XLIV, S86. — Saét. , 86. « Quelques-uns ont soupçonné q^ 
César ne se loncUit pas de y'im plus lon^-temps ; ce qui explique son inilîf- 
Térence sur sa maayaise santé et sur les pressentimens de ses amis. .. H aTait 
renToyé sa garde espagnole... Il aurait dit qu^il aimait mieux méunr que de 
craindre toujours... et encore : que Rome était plus intéressée à sa vie. c|fie^, 
Jui-méme. » 

• Appia^. , Pun; 6. rr Dio- > XLllI , n. 50. — Jaet. 



344 

pleurait et criait à lui > et à son réveil, il avait écrit 
8ur ses tablettes t Corinthe et Carthage ^ . 

Mais rOccident était trop étroit. Notre César à 
nous disait naguères x On ne peut troi^ailleren grand 
que duns V Orient. César voulait pénétrer dans ce 
muet et mystérieux monde de la haute Asie, domp- 
ter les Parthes , et renouveler la conquête d'Alexan- 
dre. Puis, recommençant les vieilles migratioas 
du genre humain, il serait revenu par le Caucase, 
les Scythes, les Daces et les Germains^ qu'il aurait 
domptés sax sa route ^. Ainsi l'empire romain, 
fermé par l'Océan, embrassant dans son sein 
toute nation policée ou barbare, n'eût rien craint 
du dehors, et n'eût plus été appelé vainement 
l'empire universel, étemel. 

C'est au milieu de ces pensées qu'il fiit arrêté 
par la mort. L'occasion de la conjuration fut pe- 
tite. L'audacieux et sanguinaire Cassius en voulait à 
César pour lui avoir refusé une charge, et pour lui 
avoir pris des lions qu'il nourrissait ^. Ces lions 
d'amphithéâtre étaient les jouets chéris- des grands 
de Rome; les Grecs, sophistes, poètes, rhéteurs et 
parasites, venaient après dans la faveur du maître. 
Hélas I s'écrie l'envieux Juvénal, un poète manne 



' Ibid. — ' Ibid. 

* Plut. , in Brtito et Cœsare, II ne lui refusa point la préture, m^i < ^ 
ne lui doonft point cdle qui était la plus honorable. 



345 I 



moins pourtant I César pardonna à tout le monde 
dans la guerre civile , excepté à celui qui avait iil'* 
dignement tué ses lions ^ . 

Cassius avait besoin d'un honnête homme dans 
son parti. Il alla voir Brutus, neveu et gendre de 
Caton. Brutus ne semble pas avoir été un esprit 
étendi}; c'était tme âme ardente^ tendue de stoî-^ 
cisme^ mais le ressort était forcé. De là, quelque 
chose de dur, de bizarre et d'excentrique ; une 
avidité farouche d'efforts , de sacrifices douloureux. 
Pompée avait tué le père de Brutus , et jamais ce- 
lui-ci n'avait voulu lui parler*. Ce fut pour lui un 
motif d'aller combattre sous Pompée à Pharsale. 
César aimait Brutus , et peut-être s'en croyait-il le 
père ; après la bataille , il Favait fait chercher avec 
inquiétude; il lui avait confié la province la plus 
importante de l'empire, la Gaule cisalpine. Cassius 
disputant une charge à Brutus , ils exposèrent tous 
deux leurs titres, et César dit : Cassius a raison , 
mais il faut que Brutus l'emporte. Tous ces motifs, 
qui pouvaient attacher Brutus à César, inquié- 
taient, torturaient cette âme faussée d'une vertu 
atroce ; il craignait de préférer malgré lui un 
homme à la république. A chaque bienfait de 
César, il avait peur de l'aimer, et s'armait d'inf% 
gratitude. 

' Z^". plus haut la note de la page 32 6 . 
■ Plut, ^n Bruio. 



346 

Ceux qui voulaient précipiter Brutiis daas un 
parti violent , ne négligeaient aucun moyen de 
tourmenter cette âme malade de scrupule et d'indé- 
cision. Il trouvait partout des billets anonymes^ 
sur le tribunal où il jugeait comme préteur , spr la 
statue du Brutus qui avait chassé les rois. On y b'- 
sait : Tu dors y Brutus; non, tu n'es pas Brutus^. Il 
n'y avait pas jusqu'au prudent ami du prudent Ci- 
céron, l'égoïste et froid Âtticus, qui ne fabriquât 
une généalogie où il le faisait descendre par sou 
père de l'ancien Brutus , par sa mère Servilie de Ser- 
vilius Ahala, qui avait tué Spurius Mélius^ soup- 
çonné d'aspirer à la tyrannie ^ . 

Ce qui décida Brutus, c'est que le bruit courait 
que César voulait prendre le nom de roi. Sans le 
témoignage u/oanime des historiens, je douterais 
que le maître de Rome eût souhaité ce titre de rex, 
si prodigué et si méprisé ^ ce nom que tout client 
d()nnait au patron , tout convive à Tamphy trion. 
En lui décernant la puissance absolue, et même 
une puissance héréditaire, }e sénat lui avait donné 
la seule royauté qu'un homme de bon sens pût i-ou- 
loir à Rome. Je croirais volontiers que ce bruit 
odieux fut semé à dessein par les ennemis de César, 
que ses amis, ne s'en défiant pas , accueillirent cette 
idée avec enthousiasme, ne sachant plus d'ailleurs 

' V, noire pn micr voluQie. 



347 

quel autre titre lui donner; et que les uns et leti 
autres le persécutèrent à Tenvi de ee périlleux 
honneur^ couronnant la nuit ses statues y et Iqi 
of&ant à luirmême le nom de roi et le bedeau 
royal. 

Un jour qu'il rentrait dans Rome , quelques cx-r 
toyens l'appellent roi : Je ne m'appelle pas roi, dit- 
il, je m'appelle César ^ Un autre jour, c'était 1^ 
fête des Lupercales, tous les jeunes gens, et àleui^ 
tête Antoine , alors consul désigné , couraient tout 
nus par la ville , frappant les femmes à droite et à 
gauche. César, assis dans la tribune, regardait les 
courses sacrées, revêtu de sa rqbe de triomphateur. 
Antoine approche, se fait soulever par ses compa- 
gnons à la hauteur de la tribune *^ et lui présente 
un diadème; il le repoussa par deux fois, mais, dit- 
on, un peu mollement. Toute la place retentit d'ac- 
clamations. Au matin , les statues du dictateur s'é- 
taient trouvées couronnées de diadèmes. Les tribuns 
allèrent solennellement les enlever. Us faisaient 
poursuivre ceux qui avaient appelé César du nom 
de rot, tant sa douceur avait enhardi les vaincus. 
Il s'agissait de savoir si Pharsale avait été un vain 
jeu, si le vainqueur serait dupe, si l'ancienne 
anarchie allait recommencer ; pour la républi- 

•. Dio , XL!V. Plut. , in Cas. 
* Plut. , in é4ntvnio. 



348 

que y elle n'existait plus que dans l'histoire. Cé- 
sar cassa les tribuns; c'était commencer la mo- 
narchie. 

Les sénateurs se seraient peut-être résignés; 
mais une injure personnelle les poussait à se ven- 
ger de César. Lorsque le sénat vint lui apporter le 
décret qui le mettait au-dessus de l'humanité pour 
préparer sa ruine , il ne se leva point de son siège, 
*et dit qu'il eût mieux valu diminuer ses honneurs 
que les augmenter. Les uns racontent qu'à l'ar- 
rivée du sénat ^ l'espagnol Balbus lui conseilla de 
rester assis ; les autres , que le dieu avait ce jour-là 
un flux de ventre , et qu'il n'osa se lever ^ . 

Quoi qu'il en soit, les sénateurs , poussés à bout, 
tramèrent sa mort en grand nombre. Un nom aussi 
pur que celui de Brutus autorisait la conjuration. 
Tous ceux même à qui César venait de donner des 
provinces , Brutus et Décimus Brutus , Cassius , 
Casca , Cimber , Trébonius , n'hésitèrent point d'y 
entrer. Ligarius , à qui César venait de pardonner, 
à la prière de Cicéron, quitta le lit où une maladie 
le retenait, Porcia , femme de Brutus et fille de 
Caton, avait deviné le projet de Brutus à son air 
inquiet et agité. Mais avant de lui demander son 
isecret, elle se fit à elle-même une profonde bles- 
sure à la cuisse, voidant s'assurer de son courage, 

• Dio. , XLIV, p. 396. — Plut. , m Cœs. — Suel. , 7%. 



J 



34» 

et se tenir prête à mourir si son époux périssait. 
Cependant les prodiges et les aTertissemens n^a- 
vaient pas manqué à César, s'il eût voulu y prendre 
garde. On parlait de feu\ célestes et de bruits noc« 
turnes, de l'apparition d'oiseaux funèbres au mi- 
lieu du Forum. Une nuit qu'il dormait près de sa 
femme, les portes et les fenêtres s'ouvrirent d'elles- 
mêmes, et en même temps Calpurnie rêvait qu'elle 
le tenait égorgé dans ses bras. On lui rapportait 
aussi que lés chevaux qu'il avait autrefois lâchés au 
passage du Rubicon , et qu'il faisait entretenir dans 
les pâturages, ne voulaient plus manger, et ver- 
saient des pleurs ^ . Un devin l'avait averti de pren- 
dre garde aux Ides de Mars. 

César aima mieux ne rien croire. On lui disait 
de se défier de Brutus. Il se toucha et dit : Brutus 
attendra bien la fin de ce corps chétif ^. Le jour 
des Ides , sa femme le pria tant , qu'il se décida à 
remettre l'assemblée du sénat. Il y envoyait An- 
toine , lorsque Décimus Brutus lui fit honte de cé- 
der à une femme, et l'entraîna par la main. 

« A peine était-il sorti qu'un esclave étranger 

' Suëton, Z\, 

* Plut., in Cœs, •— César eut cela de commun avec Aleundre, d\^tre 
pleuré de toutes les nations. Il le fut particulièrement des Juifs. Suot. , 84 : 
In summo pablico luctu, exteraram gentium multitndo circnlatîn sno 
quaeque more lamentais est, prsôpuèqne Judoeiy qui etiam noctibat 
contiaiiis bustum frequentirunt. 



35d 

rient sfe remettre entre les mains de Calpuinié , lu 
priant de le garder jusqu'au retour de César, à qui 
il doit faire une révélation importante. Artémidore 
de Cnide, qui enseignait les lettres grecque à 
Roiîie, remet à César plusieurs billets sur la con- 
juration; toujours inutilement. César donna les 
uns aux siens, garda les autres sans trouver le 
temps de les lire. Les conjurés eurent encore d'aii- 
tres motifs d'inquiétude. Ufi homme s'*approche de 
Casca , et le prenant par la main : Casca^ lui dit-il, 
vous m*en avez fait mystère ; mais Brutus m'a tout 
dit. Casca fut fort étonné; mais cet homme reprenant 
la parole en riant : Et comment, lui dit-il^ seriez-vous 
devenu en si peu de temps assez riche pour briguer 
l'édilité? Saiïs ces dernières paroles, Casca allait 
tout lui révéler. Un sénateur, nommé Popilius Lé- 
nas, ayant salué Brutus et Cassius d'Un air empressé, 
leur dit à l'oreille : Je prie les dieux qu'ils vous 
donnent un heureux suci^ès ; mais né perdez pas un 
moment, l'affaire n'est plus secrète. Dans ce mo- 
ment, un esclave de Brutus accourt et lui annonce 
cjUe sa femme se meurt. Porcia n'avait pu suppor- 
ter cette angoisse d'inquiétude ; elle s'était éva- 
nouie 

A Cependant l'on annonce l'arrivée de César. Il 
était à peine descendu de litière, que f^opilius Ijé~ 
nas eut avec lui un long entretien, auquel César 
paraissait donner la plus grande attention. I^c» 



3Si 

conjura ne pouvant entendre ce qu'il disait^ cdn-^ 
jecturèrent qu'un entretien si long ne pouvait êfré 
qu'une dénonciation circonstanciée. Accablés de 
cette pensée, ils se regardent les uns les autres^ 
comme pour s'avertir de ne pas attendre qu'on 
vienne les saisir y et de prévenir le supplice par une 
mort volontaire. Déjà Cassius et quelques autres 
mettaient la main sous leurs robes, pour en tirer les- 
poignards, lorsque Brutus reconnut aux gestes de 
Lénas qu'il s'agissait d'une prière très-vive phitèt 
que d'une accusation. Il ne dit rien aux con- 
jurés , parce qu'il y avait au milieu d'eux beau- 
coup de sénateurs qui n'étaient pas du secret^ 
mais par la gaîté qu'il montra*, il rassura Cassius ; 
et bientôt après , Lénas ayant baisé la main de 
César, se retira, ce qui fit voir que sa conversa-* 
tion n'avait eu pour objet que ses affaires person- 
nelles. 

» Quand le sénat fut entré dans la salle, les con-* 
jurés environnèrent le siège de César, feignant 
d'avoir à lui parler de quelque affaire ; et Cassius 
portant, dit-on, ses regards sur la statue de Pom- 
pée^ l'invoqua, comme si elle eût été capable de 
l'entendre. Trébonius tira Antoine vers la porte, et 
en lui parlant, il le retint hors de la salie. Quand 
César entra, tous les sénateurs se levèrent pour 
lui faire honneur; et dès qu'il fut assis , les conju- 
rés y se pressant autour de lui , firent avancer TuP 



352 

lius Cimber , pour qu'il demaDdât le rappel de son 
frère. Us joignirent leurs prières aux siennes; et 
prenant les mains de César ^ ils lui baisaient la 
poitrine et la tête. Il rejeta d'abord des prières si 
pressantes ; et comme ils insistaient^ il se léTa pour 
tes repousser de force. Alors Cimber^ lui prenant la 
robe des deux mains ^ lui découvre les épaules; et 
Casca y qui était derrière le dictateur^ tire son poi« 
gnard et lui porte le premier coup le long de Fé- 
paule ; la blessure ne fut pas profonde. César sai- 
sissant la poignée de l'arme dont il venait d'être 
frappé, s'écrie en latin : Scélérat, que £sds-tu ? Casca 
appelle son frère à son secours en langue grecque. 
César, atteint de plusieurs coups k la fois, porte ses 
r^ards autour de lui pour repousser les meur- 
triers ; mais dès qu'il voit Brutu» lever le poignard 
sur lui , il quitte la main de Casca qu'il tenait en- 
core ; et se couvrant la tête de sa robe , il livre son 
corps ^ fer des conjurés. Comme ils le frappaient 
tous à la fois sans aucune précaution , et qu'ils 
étaient serrés autour de lui , ils se blessèrent les 
ims les autres. Brutus, qui voulut avoir part au 
meurtre^ reçut une blessure à la main, et tous 
les autres furent couverts de sang, n (44 ^^^ avant 
J. C.)Plut. in Brut. 



\ 



353 



CHAPITRE VI. 



Géstf Tcngé par Octare et Antoine. — Yictoife d^Octare sur Antoine , de 

rOcddent sur l'Orienl. ( 44-S4 . ) 



Le8 conjurés avaient cru qu'il suffisait de vingt 
coups de poignard pour tuer César. Et jamais César 
ne fut plus vivant , plus puissant y plus terrible , qu'a- 
près que sa vieille dépouille^ ce corps flétri et usé^ eut 
été percé de coups. Il apparut alors, épuré et expié^ 
ce qu'il avait été, malgré tant de souillures, l'homme 
de l'humanité ^ . 



* Void le jogement de Napoléon sur César ( Hfé/n, de Sainte-Hèlène , 
44 déc. 4 81 6): « Passant ensuiteà César, il dbait, qu'au rebours d^ Alexan- 
dre, il arait commencé sa carrière fort tard, et qu^ayant débuté par une 
jeunesse oisire et des plus rideuses , il arait fini montrant F Ame la plus ac- 
tire y la plus élevée, la plus belle ; il le pensait un des caractères les plus 
aimables de Tbistoire. César, obserraitpil, conquiert les Gaules et les lois 

de sa patrie est-ce au basard et à la simple fortune qu'il doit ses 

grands actes de gœrre ? » Napoléon ne le pense point. Toutefois, pour le 
génie militaire , il semble mettre Hannibal au-dessus de tout. 

II. a3 



354 

Un acteur ayant prononcé au théâtre ces ven 
d'une tragédie : 



le lear donnai la vie \ ils m''ont donne la mort ' ! 



Il n'y eut point d'yeux (Juî ne s'emplissent de 
larmes ^ et il s'éleva comme un tonnerre de cris de 
douleurs et de sanglots* Ce fat bien pis lorsqu'An- 
toine produisit ce pauvre cadavre, avec sa robe san- 
glante, lorsqu'on apprit qu'il avait dans son testa- 
ment nommé Décimus Brutus tuteur de son fils 
adoptif, que la plupart des meurtriers étaient ses 
héritiers*. Il leur avait de plus destiné les meil- 
leures provinces de l'empire, à Décimus la Gaule 
cisalpine, à l'autre Brutus la Macédoine^ à Cassius 
la Syrie, l'Asie à Trébonius, la Bithynîe à Cimber. 
L'indignation du peuple fut si forte qu'il prit les 
tisons du bûcher pour brûler les maisons des as- 
sassins. 

Antoine s'étant porté ainsi pour le vengeur de 
César, il fallut bientôt que les conjurés quittassent 
Rome et se retirassent dans l'Orient pour recom- 



' Je regrette de ^Voir pu lendre le texte àam M simplicité : Mn*' 
men* S€rv4fse , ut éss» ni fm me penieremi l (SneC., 94, ex Aieiif m. 
• Dio , XLIV, n. 35 , p. 404. 



■«^ — 



355 

tnencer la guerre de Pharsale. Maintenant quel était 
cet Antoine^ pour succéder à César? 

Le premier soldat de ێsar^ mais un soldat^ et 
un soldat barbare. Descendant d'Hercule, à ce qu'il 
disait, et fort comme Hercule, toujours ceint sur 
les reins d'une large épée et d'un gros drap comme 
en portsdent les soldats, s'asseyant avec eux, bu- 
vant dans la rue, raillant, raillé, toujours de bonne 
humeur % Antoine avait fait ses premières armes en 
Egypte , il aimait l'Orient , son éloqu^ntce était pleine 
d'un faste asiatique. Insatiable d'argent et déplaisirs, 
avide et prodigue, volant pour donner, il achetait 
sans scrupule la maison de Pompée , et se fâchait 
quand on lui demandait le paiement^. César, qui lui 
avait confié l'aile gauche à Pharsale, ne pouvait se 
passer de lui. Il le mit dans son char', quand il re- 
vint d'Espagne , comme pour faire tricnnpher en lui 
ses vétérans. Antoine s'en souvint après la mort de 
César, et crut lui succéder. Cependant qu'était-41? 
Un homme d'avant-garde, un soldat sans génie, un 
superbe et pompeux acteur qui jouait César sans l'en- 
tendre. Que d'hommes en César! Le hardi soldat, 
ami des Gaulois, des Barbares, n'était qu'un des cotés 
inférieurs de cette âme immense. 

Antoine se perdit en oubliant qu'il n'était autre 



Plut. , in Ant. 
Ibid. — ' Ibid. 



^ 

\ 



356 

f^hose que l'homme de César. Le sénat ajant confir- 
mé les actes du dictateur^ Antoine se chaîne de les 
exécuter, y inscrit chaque jour quelque nouvel ar- 
ticle, et trafique impudemment des dernières volon- 
tés d'un mort. U dissipe l'argent légué au peuple par 
César. Il s'accommode avec le sénat, avec les Pom- 
péiens i il fait rappeler Sextus Pompée ; il fait tuer 
un homme qui se disait petit-fils de Mari us, et qui 
dressait un autel à César t. 11 indigne les légions par 
sa parcimonie, les décime pour punir leurs mur- 
mures et fait égorger les vétérans sous ses yeux, 
sous les yeux de sa cruelle Fulvie*. Cet honune-là 
ne sera point le successeur de César. 

11 existait un César, un fils adoptif du dictateur, 
qui venait d'ai:river à Rome pour réclamer les biens 
de son père. Sauf son nom, celui-ci n'avait lien 
qui put plaire aux soldats. C'était un enfant de 
dix-huit ans, petit et délicat, souvent malade, 
boitant fréquemment d'une jambe, timide et par- 
lant avec peine , au point que plus tard il écrivait 
d'avance ce qu'il voulait dire à sa femme j une voix 
sourde et faible : il était obligé d'emprunter celle 
d'un héraut pour parler au peuple. Assez d'audace 
politique^ il en fallait pour venir à Rome réclamer 

' AppUn. , C. cw, , III. F. aussi le ridicule récit de Valère-Maûne. 
{IX, 45.) 

' Appian. , m. Gic. , Philipp, , II. 
' Suétone , in ^u^., passim. 



357 

la succession de César. D'autre courage, point; 
craignant le tonnerre y craignant les ténèbres y crai- 
gnant l'ennemi , et implacable pour qui lui faisait 
peur. A toutes ses victoires, à Philîppes, à Myles, 
à Actium, il dormait ou était malade. En Sicile, 
quand il gagna les légions de Lépide et entra dans^ 
leur camp , quelques soldats faisant mine de vouloir 
mettre la main sur lui, il s'enfuit à toutes jambes, 
au grand amusement des vétérans qu'it fit ensuite 
égorger ^ . 

Telle était la chétive figure du fondateur de l'Em- 
pire. Son père é tût chevalier, banquier, usurier; 
il n'en disconvenait pas. « Ton eSeul maternel, dl^ 
saient ses ennemis, était Africain; ta mère fedsait 
aller le plus rude moulin d'Aricie; ton père en re- 
muait la fànne d'une main noircie par l'argent qu'il 
maniait à Nenilum •. » Cette origine obscure n'en 
convenait que mieux à celui qui devait commericer 
le grand travail de l'Empire, le nivellement du 
monde. Quand il prit la robe prétexte, elle lui tom^ 



' Sur la Uchcté d'OctaTe, r. SueU, c. 90, 40, 78, 46. -^Kppiuk., 
IV. — Plut. , Brut,, et Montesquieu, Gr. et déc, des Bom, , c. 43. 

* Soet. , in Aug* , c. 4 , « ex Cassû Parmeosîs epbtolâ : Materna tibi 
» farina ; si qaidem ex crudissimo Arioîfli pistrino baoc pinsit manibns col* 
lybo decoloratis Nerulonensis mensarius. » — Quant à Torigine africaine , 
qa^Antoine loi reprochait, elle serait prouTëc, si TOctavius africain , dont 
Cicéron fit remarquer les oreilles percées , était parent d'OcUre. Plot^ » 
in Cie» 



^ 



358 

ba des épaules : Cest signe , dit-il lui-^mème , que 
je mettrai sous les pieds la prétexte sénatoriale ^ 
Octave ne laissait guère échapper de telles paroles : 
attentif à cacher sa marche > il employa avec une 
merveilleuse persévérance la ruse et rhjpocnsie. Il 
flatta Cicéron pour prévaloir contre; Antoine y il 
amiiisa celui-ci jusqu'à ce qi^'il fût assez fort pour le 
perdre. Devenu maître du monde, il se fâchait 
quand on l'appelait inakre, voulait toujours quitter 
Tautorité y se mettait à genoux devant le peuple 
pour njç pa$ être nommé dictateur, et mourait 
dans, son lit eu demandant ^ ses a^lis s'il avait bien 
joué la farce de la vi^ *, 

Plutarque conte que dans les guerres de Sylla , 
Crassus, envoyé, par lui à travers un pays ennemi, 
demandait tmç escorte. Je te donne pour escorte , 
lui dit le dictateur, ton père indignement égoigé. 
Le jeune Octave n'avait pas autre chose en arrivant 
à Rome. Il déclara qu'il venait venger César, et ac- 
quitter ses legs au peuple romain. Il accusa de 
meurtre Brutus et Cassius ; il donna les jeux promis 
par César à l'occasion de sa victoire j il vendit ses 
biens pour payer l'argent promis aux citoyens , et 
couvrit de honte Antoine qui avait retenu cet ar- 
gent « Celui<-ci poussa l'imprudence jusqu'à encou- 



^ Dio, XLV, p. 420, n. 2. 
Suet. , in Aug. , c. 99. 



359 

rager les réclama lions des gens qui se prétendaient 
dépouillés par César. U autorisa un édile qui refu- 
sait de placer au tl;éàtre le trône et la couronne 
d'or qu'Octave voulait y m^tre à l'honneur de son 
père. Il défendit insolemment qu'on portât le jeune 
César au tribimat ^ . 

Le sénat caressait celui*<â sans l'aimer , dans l'es- 
poir de diviser les Césarieas y et de les détruire les 
uns par les autres. Cicéroa surtout était fort tendre 
pour le jeune bomme^ qui faisait semblant d'y être 
pris y et r^^ypelait scmei pèr^ : « C'était , disait Fora*- 
teur avec sa légèreté ordinaire^ un jeube homme 
qu'il fallait lojoer^ çhargei: d'hqpmeur^ combbr^ ac- 
cabler *» . 

Dès qu'Antoine fut parti pour chasser Décimus 
Brutus de la Gaule cisalpine y un décret du sénat 
adjoignit k jeune César aux consuls Hirtius et 
Pansa y chargés de combattre Antoine et de secou-* 
rir Brutus, C'était perdre à la fois Antoine , et Oc^ 
tave^ à qui l'on Qtait sa. popularilié, en L'^tivoyaât 
combattre pçMtf un des meurtriers de son père. Les 
consuls vaiinquûrenl Altitoine^ délivrèrent Dédmus 
BrutuB assiégé dans Modène-, et, mourant tous 
deux à point nommé ^y laissèrent Octave à la têt^ 

' Appian,, III. 

' Uiidiuidiini et toUendwi. Vdl..Pat., lib.II» c. 62. Siiet,, Aug.y c. 12. 
' Oq soqpçoDBa O^ve de ki Aipk î^kL tuer. Twit. A^nai, , lib. !'• 
ÎD phncipio. 



360 ' f 

des légions. Cependant Antoine fugitif avait retrouvé 
une armée ^ les soldats ne pouvaient manquer à un 
soldat comme lui; ceux de Lépide le suivirent de 
Gaule en Italie. Octave lui-même traita volontiers 
avec Antoine. Cicéron avait cru n'avoir plus besoin 
de cet enfant ^ ; le sénat lui refusait le consulat. 
Sans ressources militaires , sans autre défense que 
trois légions d'une fidélité douteuse , les sénateurs 
attendaient, sans comprendre retendue du danger, 
l'armée formidable où tous les vétérans de César se 
trouvaient réunis sous Antoine et Octave. Il faut 
voir dans Appien l'imprévoyance et les tergiversa- 
tions misérables de Cicéron qui régnait alors à 
Rome et dirigeait le sénat ^. 

Antoine, Octave et Lépide eurent une conférence 
près de Bologne dans une île du Reno ; ils s'y parta- 
gèrent l'Empire d'avance, et s'y promirent la tête 
de tous les grands de Rome. Us voulaient, disent- 
ils dans leur proclamation qu'Appien a traduite en 
grec, ne pas laisser d'ennemis derrière eux, au 
moment de combattre les forces immenses de Bru- 
tus et de Cassius. Ils voulaient satisfaire Vannée. 
Cette armée, barbare en grande partie , était mé- 
contente de la douceur de César; elle avait soif de 



' Senr. , ad Edog. , 1 , 43 : Decrerent caim scnstus ne qûs ami 
puerum dioeret, ne mijestas Unii imperii minaeretur. Sud. , Atig,, c. f 1. 
' AppUn., B. etc., lib. m, p. 944, c. 584. 



361 

sang romain. Les triumvirs araient besoin d'argent 
contre un ennemi qui avait en ses mains les plus 
riches provinces de l'empire ; l'Italie étant épuisée , 
il n'y avait de ressources que la confiscation. Le 
prétexte était de venger César sur la vieille aristo- 
cratie qu'il avait épargnée pour sa ruine. Ce sen- 
glant traité fut scellé par le mariage d'Octave avec 
la belle-fille d'Antoine. Les soldats voulant unir 
leurs chefis pour augmenter la force du parti ^ com- 
mandèrent cet hjmen, et furent obéis. 

«Les triumvirs, entrant dans Rome,' déclarèrent 
qu'ils n'imiteraient ni les massacres de Sylla , ni la 
clémence de César , ne voulant être ni haïs comme 
le premier , ni méprisés comme le second ^ . Ils 
proscrivirent trois cents sénateurs et deux mille 
chevaliers. Pour dhaque tête on donnait à l'homme 
libre vingt-cinq mille drachmes, à l'esclave dix 
mille et la liberté. » La victoire de l'armée barbare 
de César vengea la vieille injustice de l'esclavage 
dont les nations barbares avaient tant souffert. Les 
esclaves eurent leur tour. Les sénateurs , des pré- 
teurs , des tribuns, se roulaient en larmes aux pieds 
de leurs esclaves, leur demandant grâce et les sup- 
pliant de ne point les déceler *. Plusieurs esclaves 
donnèrent des exemples de fidélité admirable. Plu- 

' Dio. , XLVII, p. 500 , n. 43. 

' Appian. , lib. IV , passim. Dio. , XLVII , n. 205. 



362 

fiieurs 8ç firent tuçr pour leur maître, il y en eut 
UQ qui se mutila^ et montrant un cadavre aux sol- 
dats qui venaient tuer ^on maître , il leur fit iroire 
qu'il les avait prévenus pour se venger. 

Afin de montrer qu'il n'y avait point de %Acz à 
demander. Antoine avait sacrifié son onde et Lé- 
pide son frère. L'u^ et l'autre échappèrent^ proba- 
blement de l'aveu des triumvirs. Cicéron fui 
moin$ heureux ^ J^'hésitation qui ^li avait nui si 
souvent, le perdit encore. Les meurtriers l'attei- 
gnirent avant qu'il put fuir ou se cacher. Tout le 
monde plaignit cet homme doux et honnête auquel 
on n'avait pu, après tout, reprocher que la £aiMesse. 
Sa tète fut apportée à Fulvie , qui la prit sur ses 
genoux , en arracha la langue, et la perça d'une ai- 
guille qu'elle aviût dfiim ses cheveux. Cette femme 
cruelle avait aussi l^it proscrire un homme qui le- 
fusait de lui vendre sa maison. Quand on pcnta cette 
tête à Antoine : Ceci ne m» regarde pas y dit-il . 
portez à ma femme. La . tète du malheureux fiit 
clouéç à sa maibon , de cra^ite qu'on n'ignorât l& 
cause de sa çiort. 

Un préteur sur aon tribunal , apprend qu'il est 
proscrit , descend et se sauve ; mais il était déjà trop 
tard. Un autre voit un centurion qui poursuit 
un homme : Celui - ci est donc proscrit ? dit-il. 

* Appian. , ibid. 



363 

Vous l'êtes aussi 9 lui dit le œnturion , et it le tue^ 

Un enfant allait aux écoles a\ec son précepteur^ 
les soldats l'arrêtent : il était proscrit. Le piécep- 
teur se fit tuer en le défi^dant, ^-^ Un adolescent 
prenait la robe prétexte y et se rendait aux templesi. 
Son nom est sur les tables. A l'instant son brillanlî 
cor tége disparait ; il fuit chez sa mère. Chose x^ruelle! 
à dire^ elle lui ferme sa porte. Comme il se saurait 
dans les champs , il fut pris par des gens qui fnvs-^ 
saient des esclaves pour les faire travailler à la 
terre ; mais il ne put su|^orter une vie si dure : il 
rapporta sa tête aux meurtriers. 

Un préteur sollicitait les suffrages pour son (ils. 
Il apprend qu'il est proscrit , se sauve dans la mai- 
son d'un de ses cliens^ et son fils y conduit lesassa^» . 
sins. Thoranius^ (atteint par les meurtriers, ser^ 
clame de son fils , ami d'Antoine : Mais c'est ton 
fils^ lui dirent-ils , qui t'a dénoncé. 

Velleius Paterculus a dit sur ces proscriptions un 
mot qui fait horreur : « Il y eut beaucoup de fidé<- 
lité dans les femmes, assez dans les affranchis, 
quelque peu chez les esclaves, aucune dans les fils^ 
tant, l'espoir une fois conçu, il est diffîdle d'at- 
tendre! » 

Des triumvirs , le plus insolent fut sans doute An-> 
toine; mais le plus cruel. Octave. Par cela même 
qu'il avait honte de tuer pour tuer, et qu'il prenait 
la vengeance de César pour prétexte, il était îm^ 



n 



364 

pitoyable. Et puis la lâcheté le rendait féroce. Un 
jour, il croit voir le préteur Q. Gallus tenir quel- 
que chose de caché dans sa robe^ il n'ose avouer ses 
craintes et le fouiller sur-le-champ. Mais ensuite^ il 
le fit torturer, et quoiqu'il n'avouât rien, il se 
jeta sur lui , et si Ton en croit son biographe, 
lui arracha les yeux avant de le faire égorger * . 

Sa sœur Octavie sut pourtant lui enlever une 
victime. De concert avec elle, la femme d'un pros- 
crit cache son mari dans un coffre, et le porte au 
théâtre. Lorsque Octave fut assis , cette femme en 
pleurs ouvrit ce coffre devant tout le peuple. L'é- 
motion des spectateurs obligea Octave de pardon- 
her. La nature réclamait ainsi quelquefois par la 
voix du petit peuple , qui n'avait rien à craindre , 
et qui^au contraire était redouté. Ainsi il força les 
triumvirs à punir deux esclaves qui avaient trahi leur 
maître et à récompenser un autre qui avait sauvé le 
sien. Le peuple protégea aussi plusieurs proscrits 
qui excitaient sa pitié. Un de ces malheureux se fit 
raser, et enseigna publiquement les lettres grec- 
ques. Son htuniliation fit sa sûreté. Oppius emporta 
son père sur son dos, et fiit défendu parle peuple. 
Plus tard, quand Oppius devint édile, les ouvriers 
travaillèrent gratis aux préparatifs des jeux qu^il 

Snet. , Aug, , c. 27. Cëtait , dit Suétone , le seul des triuiuTin qui œ 
pardonnât point 



365 

devait donner , et tous les pauvres voulurent con- 
tribuer ^ . 

Les triumvirs eux-mêmes se lassèrent de cette 
satumale effroyable^ où leurs soldats commençaient 
à ne plus les respecter. Ils avaient poussé l'inso- 
lence jusqu'à demander à Octave de leur livrer les 
biens de sa mère qui venait de mourir. Les 
triumvirs accieiUirent donc avec faveur la récla- 
mation solennelle d'un ^rand nombre de femmes 
distin^ées qu'ils avaient frappées d'une contribu- 
tion. Ils finirent même par charger un des consuls 
de réprimer les excès des soldats. Personne n'osait 
sévir contre ceux-ci ^ mais on punit des esclaves qui 
s'étaient mis à piller avec eux. 

Cependant l'Asie fut presque aussi maltraitée par 
Oissius que l'Italie par les triumvirs. Le même be- 
soin d'argent motivait les mêmes violences. Il prit 
Rhodes, et quoiqu'il eût été élevé dans cette ville, 
il fit égorger cinquante des principaux citoyens. Il 
ruina l'Asie, en exigeant d'un coup le tribut de dix 
années. Les magistrats de Tarse, fi'appé^ d'une 
contribution de quinze cents talens, et pressés par 
les soldats qui se permettaient toutes sortes de 
violences, vendirent toutes les propriétés publi- 
ques. Puis, ils dépouillèrent leurs temples. Et cela 

* Appian, iocociU 



56B 

he suffisant pas encore, ils firent vendre des per- 
sonnes libres , des enfans , des femmes et des 
vieillards , des jeunes gens même ^ , dont la plupart 
aimèrent mieux se donner la mort. 

Ces cruelles nécessités de la guerre civile étaient 
pour Fàme de Brutus ime véritable torture. Il por- 
tait la plus pesante des fatalités y celle qu'on s^est 
imposée par un acte volontaire. Apfès la mort de 
César y il avait obtenu des autres conjurés qu^on 
épargnât Antoine. Il avait montré la même douceur 
envers un frère du triumvir, C. Antonîus, qui 
tomba entre ses mains. Mais le prisonnier essayant 
de débaucher les soldats, Tofficier à la garde duquel 
il l'avait confié , déclara qu'il ne pouvait plus en 
répondre. II fallut bien sacrifier Antonius. Brutus 
passe ensuite en Asie, et trouve à Xanthe une ré- 
fiistance désespérée. Les habitans, voyant leur ville 
forcée et envahie parles flammes ', se tuent pour 
la plupart les uns les autres; entrant à Xanthe, il 
ne voit plus que des cendres. En même temps le 
besoin d'argent le contraignait aux mesures les plus 
violentes ', 



* TA obserré dans cette énnméntion Tordre siÛTi par Appien. 

* I>io. , XLVIl, p. SH , n. 34. 

' Plusiears passa^ de CicéroB ooiis présentent Brutus coolne très vn k 
d'argent. F, {Epist. , VI , K) Thistoire d^un Scaptius, agent de Brutus , qui. 
pour faire payer une dette usuraire aux sénateurs de Salamine t les tint en- 
fermés arec des soldats» de sorte que cinq d^entre eux moururent de faim. 



367 

Hélas ! qui souffrait àe tout cela plus que Brutus? 
Son âme était malade de ce continuel efïbrt. Il avait 
beau se roidir , opposer le raisonnement à la na- 
ture^ la pauvre humanité faiblissait en lui. Trou- 
blé, et comme effarouché, il redemandait le repos 
et la force de l'àme à cette philosophie inflexible 
qui lui avait imposé de si cruels sacrifices. D don- 
nait le jour aux affaires, la nuit à la lecture des 
stoïciens pour se confirmer et se raffermir un peu« 
Une nuit donc qu'il n^avait dans sa tente qu'une 
petite lumière ^ il crut entendre quelqu'un entrer, 
et regardant vers la porte , il aperçut une figure 
étrange qui semblait d'un spectre. II eut assez de 
force pour lui adresser la parole, et dire : Qui es- 
tu? que Veux-tu? — Je suis ton mauvais génie, dit 
le fantôme ; tu me reverras à Philippes î 

Ce fut en effet dans les plaines de Philippes que se 
donna la bataille. Brutus voulait en finir. Chaque 
jour le poussait malgré lui à quelque acte violent. 
Ne pouvant ni garder les prisonniers, ni les déli- 
vrer sans péril, il avait donné l'ordre de lès égorger. 
Lies troupes risquaient de l'abandonner ; plutôt que 
de compromettre la grande cause à laquelle il avait 
déjà tant sacrifié , il leur promit le pillage de Lacé- 
démone et de Thessalonique. Plus tard, lorsque 
son collègue eut été tué, les amis de Brutus exi- 
gèrent qu'il leur abandonnât quelques bouffons qui 
se moquaient de Cassius, et il fut encore obligé d'y 



# 



/ 368 

consentir. Il ne faut pas s'étonner sHl voulut à tout 
prix terminer cette lutte funeste ^ qui lui avait coûté 
tous les biens de Tàme^ l'humanité, Tamitié^ le re- 
pos de la conscience, et qui peu à peu lui arrachait 
sa vertu. 

Un jour que Cassius lui reprochait sa sévérité 
pour un voleur des deniers publics^ Brutus lui dit : 
« Cassius, souvene^vous des Ides de Mars. Ce 
jour-là , nous avons tué un homme qui ne £adsait 
point le mal , mais le laissait faire. Mieux valait 
endurer les injustices des amis de César que de fer- 
mer les yeux sur celles des nôtres. » 

Brutus et Cassius, étant maîtres de la mer, ne 
manquaient pas de vivres, tandis que l'année d'An- 
toine et Octave mouraient de faim. Leur flotte, à 
leur insu , venait d^ remporter une grande victoire 
sur celle des Césariens. Mais ils ne retenaient qu'a- 
vec peine leurs soldats dans leur parti. Antoine 
était l'homme des vétérans, et il leur coûtait de 
combattre pour les meurtriers de César. D'ailleurs 
Brutus ne voulait plus attendre ; il fallait qu'il se 
reposât, au moins dans la mort. Cassius se laissa 
entraîner^ et consentit à la bataille. 

Quelques-uns veulent que ce soit Antoine qui , 
par une attaque hardie, ait forcé l'autre parti de 
combattre. Brutus fut vainqueur^ Cassius eut soa 

* Plut. , in Bmto, 



369 

camp forcé. II ignorait le succès de Brutus; croyant 
tout perdu ^ il se retira dans une tente, et s'y fit 
donner la mort. Depuis la défaite de Crassus à la- 
quelle il avait échappé^ Cassius avait à sa suite un 
de ses affranchis ^ nommé Pindarus y qu'il réseirait 
pour un pareil moment. Pindarus ne reparut plus 
après la mort de Cassitis , ce qui fit penser qu'il 
l'avait peut-être tué sans en recevoir l'ordre ^ . 
. Le découragement des troupes de Cassius et leur 
jalousie^ les défections qui avaient lieu sous se& 
yeux méme^ décidèrent Brutus à livrer une seconde 
bataille. Du coté où il combattait en personne^ il 
eut encore l'avantage ; mais l'autre aile étant battue^ 
toute l'armée des triumvirs tomba sur lui et l'acca- 
bla. A Fa faveur de la nuit^ il se tira un peu à l'é- 
cart, et voyant qu'il ne pouvait échapper*, il pria 
le rhéteur Straton de lui donner la mort. On dit 
qu'auparavant il leva les yeux au ciel, et pro- 
nonça deux vers grecs : 

Vertu ! Tain mot > vaine ombre, esdare da hasard ! 
Hélas ! j'ai cru en toi '. 

Ce mot amer, le plus triste sans doute que. nous 

* Ibid. f ibidem. 

■ Dio , XL VII , p. SaS , n. 49, 

¥^. aussi Plut., in Brulo; Flonis, IV, 7, H 5 Zonar. , X, 20, p. 508. 
II. 24 



370 

ait conservé l'histoire^ semble indiquer que cette 
àaie, si passionnée pour le bien, était pourtant 
moins forte que celle de Caton, son modèle. Fallait- 
il que Brutus estimât la vertu par le succès? Les 
vainqueurs eux-mêmes en jugèrent mieux. Ils ho* 
norèrent les restes du vaincu. Antoine jeta sur son 
corps un riche vêtement, et ordonna qu'on lui fît 
des funérailles magnifiques. Un ami de Brutus 
s'était dévoué pour le sauver, et s'était iiait prendre^ 
en criant qu'il était Brutus. Antoine s^attacha cet 
homme qui lui resta fidèle jusqu'à la mort. L'il- 
lustre Messala appelait toujoiu*s Brutus son général , 
et plus tard, en présen4a)it le rhéteur Stiaton à 
Auguste, il lui disait : César, voilà celui qpi a 
rendu le dernier service à von cher Brutns. Au- 
guste demandait à Messala pourquoi il avait com^ 
battu avec tant d'ardeur contre lui à Philippes,. 
pour lui à Actium : César, répondtt-il hardiment, 
j'ai toujours été du parti le plus juste. 

Octave s'était absenté de la bataille , malade de 
corps, ou plutôt de courage. Ce jour-là, disait-il 
dans ses mémoires, un dieu m'avait averti en 
songe de veiller sur moi ^ Il fut impitoyable pour 
les vaincus. Il en fit tiler im grand nombre. Lu i 

* Snet. > c. 14 , 94. Vdlnos a reffronterie d'aTanoer, contre k toBoi- 
gna^ de tous les historiens , qii'OcUTe ne fit tuer aucun de ceax qui vniai 
eombattn contre lui, II, 78. De même il aasore qui ta baUiHe ârtaLam, 
Otiave était partout. 



371 

père et un fils demandant grâce ^ il promit la He 
au fils à condition qu'il tuerait son père , et le fit 
ensuite égorger lui-même. Un autre ne demandait 
que la sépulture : Les i^autaurs y pourvoiront^ ré* 
pondit l'homme sans pitié. 

Le parti vaincu était toujours maître de la mer^ 
et fort dans l'Orient. Un lieutenant de Brutus 
imiena les Parthes dans la Sjrrie et jusqu'en Cilicie. 
D'autre part, Sextus, fils de Pompée, tenait la Si- 
cile, et y recevait les proscrits, les esclaves fugitifs. 
Il augmenta ses forces d'une partie de la flotte de 
Brutus; le reste se soumit plus tard à Antoine. 
Octave se chargea de combattre Sextus, tandis 
qu'Antoine repousserait les Parthes ^ . Celui-ci avait 
pris pour lui le riche Orient, la guerre des Parthes 
et les projets de Jules Cééiar; Octave avait les pro^* 
vinces ruinées de l'Occident, une guerre civile à 
soutenir, et l'Italie à dépouiller, pour donner 
aux vétérans les terres qu'on leur avait promises. 

Antoine dit aux Grecs d'Aisie : Vous fournirez 

# 

l'argent, l'Italie les terres *. Il leva l'argent en effet, 

mais n'en fit guère part aux vétérans. Octave, au 

• 

contraire, tint parole. H dépouilla tous les tem- 
ples de lltalie '. II chassa impitoyablement les pro- 



* Pini. y jintan. 

' Appian. » B, ch, > rV. 

' Appian. , B. ciç, , IV. 



i 



372 

priétaires^ et sévit entre la multitude furieuse de 
ceux auxquels il prenait , et une armée insatiable 
qui l'aécu^it de ne pas prendre assez. Dans une as- 
semblée où Octave devait venir pour les haranguer , 
les soldats mirent en pièces uu centurion qui es- 
sayait de les calmer, et placèrent son corps sur le 
chemin d'Octave. Il osa à peine se plaindre. Dans 
toutes les villes, ce n'étaient que combats entre les 
soldats et le peuple. Les mécontens de toute es- 
pèce, gens expropriés, proscrits, vétérans TnèaiCy 
trouvèrent des chefs dans le frère et la femme d'An- 
toine. Ils accusaient Octave de distribuer toutes les 
terres en son nom, et de s'attirer à lui seul la 
reconnaissance de l'armée. En réalité, Fulvie vou- 
lait ramener en Italie , au moins par une guerre, 
son infidèle époux qui s'oubliait dans TOrient ; ou 
peut-être se venger d'Octave, son gendre, qu'elle 
aimait plus qu'il ne convenait à une belle-mère, et 
qui Pavait dédaignée. Elle passait les légions en 
revue, l'épée au côté, et leur donnait le mot d'or- 
dre \ 

Uarmée déclara qu'elle voulait juger entre Oc- 
tave et L. Antonius, et les assigna à comparaître 
(levant elle pour tel jour dans la ville de Gabies. 
Octave s'y rendit humblement : Fulvie et Antonius 
n'y vinrent pas, et se moquèrent du sénat boîU ^. Ce 

' Dio, XLVIII. 

• Dio, XLVIII, 4 2, p. 5S4. 



373 

mot Leur porta malheur : malgré les TaiUans gladia^ 
teurs que lui avaient donnéa les sénateurs de son 
partie L. Antoniua^ enfermé dans Pérouse^ y fub 
réduit à une horrible famine^ et enfin obligé de sa 
rendre. La ville entière fut réduite en cendre par 
les vaincus eux-^mémes« Le vainqueur fit mourir 
ixnpitoyablemëntles chefs du partie excepté L. kon 
toniûs» Pour les ^tfnples légionnaires^ il eût voulu di» 
moins leur faire sentir par des reproches amers le 
prix de la grâce qu'^Hleur accordait; mais ses propres 
soldats prirent les vaincus dans leurs bilas^ les ap^ 
pelant Imrs frères et leurs camarades ^ et ils firent 
tant de bruit que leur général ne put jamais parler ^^ 
. Antoine^ qui s'endormait dans TOvient auprès de 
la reine d'Egypte^ feil réveillé par la guerre de Pé- 
rouse et par les cris deFulvië. Il débarqua bientôt 
à Brindes avec une flotte de d^ux ^ents vaisseaux ,. 
déterminé à s'unir avec Sextus poiu* .accabler Oo^ 
tave (4o). Mais des deUx cûtés^» les* soldats ne- se 
souciaient pas de combattre ; ils commandèrent ia 
paiK ; Fulvie était morte ; ils marièrent Antoine à 
Octavie^ sœur d'Octave ^^ cdmme ils avaient autre- 
fois marié Octave à la belle-fille d'Antoine. Pour 
Sextus^ ce fut le peuple de Rome qui força Antoine 
et Odave de s'arranger avec lui. Le blé de la l^dle 



• 6io, XLIV, 56, p. 499. 



374 ' 

ne venant plus à Rome^ celui de rAfrïque étant 
arrêté par les flottes de Sextus^ la populace trouva 
du courage dans la famine et le désespoir. Elle 
soutient des combats acharnés contre les meilleurs 
soldats d'Antoine et d'Octave; tous deux fiaiUiresit 
périr dans ces émeutes * . Il fallut bien traiter avec 
Sextus': mais personne n'était de bonne foi. Ife 
promettaient de lui laisser la Sicile^ et de lui don- 
ner r Achaîe y de ^orte qu'il eût été maître de tous 
les ports du centre de la Méditerranée; ils de- 
vaient rendre aux proscrits le quart de leurs biens, 
condition inexécutable y mais qtii sauvait l'honneur 
de Sextus. De son côté y Sextus s'engageait à en- 
voyer du blé en Italie^ et à ne {rfus recevoir de 
fugitifs. C'était signer sa ruine ^ s'il eût Vsaxi parole. 
Les transfuges de lltalie^ mécontens ou esclaves, 
£sdsaient toute la force de Sextus : ses lieutenans 
voyaient ce traité avec peine. On assure que pen- 
dant une entrevue sur les bords de la mer*^ Me- 
nas^ affranchi de Sextus et commandant de ses 
flottes y lui dit à l'oreille : Laissez-moi enlever ces 
gens-d, et vous êtes le maître du monde. SexUis 
répondit tristement : Que ne lé £Edsaiâ-4:u y aa lieu 
de le dire? , 

Le nouvel arrangement semblait peu faivorabie 

Id. f ibid. f et AppUn*» B, cip^ , IV. 

Le récit d^Appien que j^ai iuiTi est pins TraiscniUabte que cdû de 

Pluftarque^ 



375 

a Octave. Antoine avait toutes les provinces de 
l'Orient^ jusqu'à llllyrie. Il laissait à son collègue 
l'Italie ruinée et quatre guerres : l'Espace et la 
Gaule en armes ^ Sextus en Sidte, et Lépide en 
Afrique. Octave devait pârir ^ ou se fortifier telle- 
ment dans cette rude gymnastique^ qu'il ne lui en 
coûterait plus poxu" devenir seul maître du monde. 

Le salut d'Octave et sa gloire fut d'avoir démêlé 
et é^evé deux hommes^ deux simples chevaliers^ 
qui furent comme ses bras , qui n^ lui manquèrent 
jamais , et qui ne pouvaient le supplanter ; c'étaient 
deux hommes incomplets 3 Agrippa n'était qu'une 
machine de guerre , admirable ^ il est vrai , mais 
dépourvue d'intelligence politique i l'autre était 
Mécène^ esprit souple et délié ^ génie féminin, in- 
capat^e d'action virile, mais admirable pour le 
conseil. Mécène semblait fait exprès pour calmer 
et assoupir l'Italie ^rès tant d'agil^^tions. Lors- 
qu'on le voyait rester au lit jusqu'aiiisoir, marcher 
entre deux eunuques , ou siéger à la place d'Au- 
guste ayec une robe flottante et sans ceinture % op 

* ^. dans Vdleins «n joli portrait de Mécène , et dans Sënèque {Epist.y 

ICI ) leavera^iii il esprine un attachement ai honteux àla vie * 

Bebilem facito bpbq , 
Debilem pede, coiâ « 
Tub6r«d«tra« gibbcntm , 
Lolijricotqoale dente» , 
Vita dam ««pereat, beui est. 






376 

eût pu reooonattre y sous cette ostentatioa de no- 
blesse et de langueur > le fondateur systématique 
de la coTTuption impériale. Son art fut de rester 
toujours petit \ jainais il ne voulut s'élever a\>- 
dessus du rang de chevalier. Cejtte position infé- 
rieure^ et ce rôle convenu de femmelette y lui per- 
mettaient de dire à Auguste les choses les plus 
hardies. Un jour que l'ancien triumvir siégeait sur 
son tribunal ^ et se laissait emporter à prononcer 
plusieurs sentences de mort , Mécène , ne pouvant 
percer lâ foule , écrivit deux mots sur ces tablettes , 
et les jeta à Auguste. Elles portaient : Lève- toi donc 
enfin ^ bourreau. Auguste comprit ce conseil poli- 
tique^ et se leva en silence. Avant Mécène et Agrippa 
sa domination fut sanguinaire ; elle fut malheureuse 
après eux. 

Jamais^ sans ces deux hommes^ il ne fût venu à 
bout de Sextus et d'Antoine. Il fallait remettre 
l'ordre en Italie. Il fallait substituer peu à peu aux 
légions indociles qui avaient vaincu à Philîppes, 
une armée qui valût celle d^Aiitèine; la discipliner^ 
Tagucrrir. Il fallait^ sous les yeux de Sextus, maître 
de la mer, construira des vaisseaux; exercer des 
matelotsT. L'armée se forma peu à peu en combat- 
tant les Pannoni^ns, les Dalmates^ les Gaulois et 
les Espagnols. La flotte, détruite dix fois par les 
tempêtes et par l'ennemi, réparée, exercée dans le 
lac Lucrin, dont Agrippa s'était fait un port, pré- 



311 

luda par ses victoires sur les marins habiles de Sex- 
tus Pompée au succès d'Actium, plus brillant et 
moins difficile. 

Ce n'était pas sans cause que Pompée avait au- 
trefois traité si doucement les pirates, au point de 
combattre pour eux contre Métellus qui s'acharnait 
à leur perte. Leur ville de Soles en Cilicie devînt 
Pompeiopolis. Il est probable^ d'après la supériorité 
de sa marine dans la guerre civile y qu'il en tira de 
grands secours : ce fut en Cilicie , qu'api^s Phâi^ 
sale . il délibéra sur le choix de sa retraite ^ . Sous 
Brutus et Cassius/Ie parti pompéien eut aussi Fa- 
vantage sur mer. Mais tant que ce parti eut des 
ressources considérables^ il rendit inutile cette 
marine puissante en la laissant sous les ordres de 
généraux romains, étrangers à la mer, tels que Bî- 
bulus et Domitius. Sextus Pompée, demi-barbarfe , 
qui avait si long-temps vécu de brigandage en Es- 
pagne , n'hésita pas de confier le commandement 
de ses flottes à 'deux affranchis de son père ^ , Mé- 
nécrate et Ménodore, vraisemblablement deux an- 
ciens chefs de pirates , que le grand Pompée avait 
ramenés captifs et s'était attachés. Sextus n'hésita 
même pas de sacrifier à ces hommes indispen- 
sables le proscrit Murcus, qui,'a|^rès Philippes,. 



' Dio. Appiao. 

* Ydlehis Pat. , II p 73. -- Apphm. , K cù\, IV. 



978 

lui avait amené une gi^de partie de la flotle de 
Brutu8. 

Pendant trois ans ( Sq-Sô)^ Octave n'eut guères 
que des neveis, malgré sa persévéxance et l'opi- 
niâtre courage d' Agrippa. Les vaisseaux d'Octave^ 
grands ^t lourds , étaient toujours atteints par ceux 
de r^pnemi^ frappés de leurs éperons, désagréés, 
bridés ^ coulés. Les vents et la mer étaient pour 
$eztus ; Octave ne lançait de nouvelles flottes que 
pour lea voir détruites par kçs tempêtes. Soit su- 
perstition, soit pour flatter ses marins, Sextus 
s'était déclaré fils de Neptune, et se montrait en 
public ^vec une robe de couleur glauque\ D^ps 
)es théâtres de ^ome, la statue de Neptune était 
saluée par les acclamations du peuple ; Octave n'osa 
plus l'y laisser paraître. A chaqu^ défaite , il crai- 
jgnait un soulèvement de Rome afiEamée par Sextus ; 
i) y envoyait ^éçène' en toute hâte, pour calmer 
«t contenir la multitude. Et cependant il persp^é- 
rait. Toujours sur les rivages, cgnstruisaiit, répar 
xant des flottes, formant des ^latelots, dçux fois 
presque pris par Sextus , passant de^ nyits d'p^e 
MUS fijutre abri qu'un bouclier gaulpîs '. Ce qui lui 
était le plus utile , c'était de gagner Içs lieutenans 
da son ennemi. Ménodore passa quatre fois de l'un 
à l'autre parti. Ces défections passagères avaient 
pourtant l'avantage d'améliorer la.marine d'Octave, 

• Ibid. — ' Appian, , P, de.^ IV. .— ' Id., ibidem, 



379 

et de lui apprendre le secret de ses débites. Aussi 
finit -il par prévaloir; il parvint à débarquer en 
Sicile^ et défît SextUs. Lépide était venu d'Afrique 
pour prendre part, pu traiter avec Pompée. Pen- 
dant qu'il marchande avec lui. Octave détruit Par- 
mée de Sextus, gagne celle de Lépide^, et se voit 
à la tête de quarante-cinq légions. Sextus se sauva 
en Orient; il avait sans doute des intelligences 
dans les provinces où son père avait autrefois éta- 
bli les pirates vaiacw. Il envoya aux Parthes, et à 
Antoine, traitant à la fois avec lui et contre lui : 
celui-ci , auquel il eût pu être sk utile sur mer , le fit 
ou le laissa tuer. C'était rendre un grand service à 
Octave ; il n'avait plus diantre rival qu'Antoine. La 
guerre ne tarda pas à éclater enpce eux. Reprenons 
de plus haut les afiEEdre$ 4'Orient. 

La domination d'Antoine n'y avait pas été sans 
gloire : ses lieutenans repoussèrent les Parthes, 
qui^ sous la conduite du pompéien Labiénus 
avaient envahi la Syrie, la Cilicie, et jusqu'à la 
Carie (4a-38). Ventidius les battit deuot fois en Sy- 
rie, tua PacoFus, fils de leur roi, vengea Crassus. 
Sosius prit Jérusalem, 'détrôna Ant^one que le& 
Barbares y avaient établi , et mit en possession dé 
ce royauDje Hérode, ami dévoué d'Antoine. La Ju- 

* Id. » ibidem. 



a9p 

dée^ si forte daos ses montagnes / placée à Tangle 
oriental de TEmpire, entre la Syrie et TEgypte, 
dont le commerce était détourné par l'entrepôt de 
Palmyre^ eût été entre- les mains des Parthes le 
plus formidable avant-«poste des ennemis du nom 
romain. Cependant un autre lieutenant d'Antoine, 
Canidius^ pénétrait dans l'Arménie^ battait les 
Ibériens et les Alb^nieas , çt s'emparait des défilés 
du Caucase^ de ce grand chemin des anciennes 
migrations barbares , pajr lequel Mithridate avait 
si long-temps iqtroduijt les populations scythiques 
dans r Asie-Mineure, Ainsi, Antoine se trouyait 
maître des trois grandes routes du commerce du 
iponde^ celle du Caucase^ Celle dé Palmyre^ et celle 
d'Alexandrie ^ . 

Après la bataille de Philippes, Antoine avait par* 
couru la Grèce et l'Asie pour lever l'argent promis 
aux légions victorieuses. La ps^vre Asie^ si mal- 
traitée par Cassius et Brutus^ fut obligée de payer 
un second tribut dans la même année j encore tout 
cela profitait peu. An^ine^inc^able d'ordre et de 
surveillance ^ laissait perdre cet argent levé avec 
tant à^ peine. Tous les siens l'imitaient. Ce n'était 
près de lui qu^ jeux et que fêtes, ^et ces fêtes fai- 
saient pleurer to\ite l'Asie. A soq arrivée, les far- 
ceurs^ le$ chanteurs, les bouffons d^ Fltalie qui 

riut. f AnL, passbu. 



381 

jusque-là faisaient ses délices, furent éclipsés paj* 
ceux de POrient *. Les Ioniens, les Syriens, s'empa- 
rèrent d^Antoine; ils amenèrent dans Ephèse le 
nouveau Bacchus au milieu des chœurs de bacchan- 
tes et de satyres. C'était dans leurs chants Bacchus 
V aimable et le bienfaiteur; si bienfaisant en effet, 
que, pour un plat qui lui avait semblé bon, il don- 
nait au cuisinier la maison d'un de ses hôtes. 
Quelquefois pourtant , il faut le dire, Antoine avait 
honte de tout cela, il s'affligeait de ses injustices 
et de celles des siens, il les avouait, et, par cette 
bonne foi, il expiait une partie de ses torts. 

Il partait pour cette guerre des Parthes que Ven- 
tidius acheva avec tant de gloire, .lorsqu'il voulut 
auparavant demander compte à la reine d'Egypte 
de la conduite équivoque qu'elle avait tenue dans 
la guerre civile , et en tirer quelque argent. D lui 
manda de venir le trouver à Tarse en toute hâte. 
Cléopàtre ne se pressa pas. Elle connaissait bien sa 
puissance. Arrivée en Cilicie, elle remonta le Cyd- 
nus sur imc galère parée avec le luxe voluptueux 
dé l'Orient. La poupe était dorée, les voiles de 
pourpre , et des' rames argentées suivaient la ca- 
dence des flûtes et des lyres. Des amours et des 
néréides entouraient la déeçse , couchée noncha- 
lamment sous un pavillon égyptien. Sur les deux 

' Plut. , Ant. 



383 

rives y Tair était enivré des parfums d'Arabie. Poul* 
Voir eette Vénus y cette Astarté qui venait visiter 
Bacchus y toute ta ville courut au fleuve. Antoine 
resta seul sur son tribunal ^ . 

II invita la reine ; mais elle exigea qu'il vint le 
premier. Elle l'étonnad'une magique illumination; 
les plafonds y les lambris de la salle du banquet 
étincelaient de miHe figures symétriques ou bizar- 
res^ tracées comme d'une main de feu. Dès ce pre- 
mier jour elle domina Antoine^ le flatta^ le railla 
hardiment^ mania à $on gré la simplicité du soldat 
d'Italie 9 l'enrôla à sa suite^ et revenant à Alexan* 
drie^ elle y ramena le lion en laisse. 

Cette puissance de Cléopàtre n'était pas tant dans 
sa beauté '. La taille de celle qui entrait c]||ftz César 
enveloppée dans un paquet et sur les épaules 
d'ApolIodore^ ne pouvait être très imposante. Bllais 
cette petite merveille avait miUe arts^ mille grâ- 
ces variées ^ et le don de toutes les langues. Elle se 
tranformait tous les jours pour plaire à Antoine. 
Sans doute dans la vie inimitable dont parle le bon 
Pltttarque, les huit sangliers toujours à la broife, 
prêts pour toute heure , et à diffévens points, 
n'entraient pas pour beaucoup. Mais Cléopàtre ne 
le quittait ni nuit ni jour. Pour enchaîner son sol«- 

* Id.f ibidem.. 

* U., ibidem. 



383 

dar^ elle s'était faite soldat elle-même ; elle chassait, 
jouait^ buvait^ le suKait dans ses exercices.' Le 
soir^ ïimpenUor et Ja reine d'Egypte, s'habillant 
en esclaves, couraient les rues, s'arrêtaient aux 
portes , aux fenêtres des geAs pour rire à leurs dé- 
pens , au risque d^attraper des injures ou des coups*. 
Battu dans les rues d'Alexandrie, moqué parGéo- 
pâtre , Antoine était ravi ^ . 

Cette vie inimitable fut interrompue par Ta guerre^ 
de Pérouse, et l'aigre clameur de Fulvie, qui me-* 
naçait Antoine d'être bientôt dépouillé de l'empire 
par son astucieux rival. Il résolut d'être homme, 
s'arracha de l'Egypte, et débarqua à Brindes. Nou& 
avons vu comment Octave lui donna sa sœur pour 
épouse (4o). C'était un moyen d'avoir toujours au* 
près d'Antoine un négociateur sélé , et un témoin 
de toutes ses démarches. Telfe' était la politique 
d'Octave. Son biographe prétend que lui-même il 
faisait Famour à toutes les femmes de Rome pour 
savoir le secret des maris ^. Lorsque Sextus Pom-' 
pée allait être accabié, et qu'Antoine, reconnaissant 
le danger, passa de nouveau en Italie*, Octave ar^ 
rêta son rival par l'influence de sa sœur , qui dé- 
sarma Antoine et le perdit, sans le savoir, en lui 
faisant manquer la dernière occasion qu'il eût de 
prévaloir sur Octave. 



'^ Id. » ibû 



384 

Bans Tentrevue de Brindesf et aux fêtes de son 
mariage avec Oetavîe, Antome jouait souTent avec 
Octaye, mais il perdait toujours. Vu devin égyptien 
lui dit un jour. : Ton génie redoute le sien ; il faiblit 
devant celui dé César. Ce mot^ dicté peut-être par 
Cléopètre, n'en était pas moins d'un sens profond. 
Le cbef de TOrient devait rompre avec TOccident. 
Loi^sque Antoine > las d'Octavie^ dont la sérieuse 
figure ^ lui représentait sans cesse son odieux rival^ 
la laissa, en' Grèce et passa en Asie , la passion le 
condoisitit sans doute , mais la politique pouvait le 
justifier. Alesandre-le-Grand ^ descendu d^Hercule^ 
comme Antoine^ n'avait*il pas uni les vainq[ueurs 
et les vaincus , en épousant les filles des Perses^ en 
adoptant leur costume et leurs mœurs ? Octave pos- 
sédait Rome , c'était sa capitale ; la seule Alexan- 
drie pouvait être celle d'Antoine ^. Cette ville était 
le centre du commerce de l'Asie , de l'Afrique et de 
l'Europe , le caravansérail où venait s'abriter à son 
tour toute nation ^ toute religion^ toute philoso- 
phie^ l'hymen de la Grèce et de la Barbarie^ le 
nœud du monde oriental. Ce monde apparaissait 
tout entier en la reine d' Alexandrie. Quelle reine ! 
vive et audacieuse comme César ^ son premier 

' Sur la prudence et la gravité d^Octavie. F^, Plut. , j4nt. 

* £d cela , il ne faisait que suivre les plans de Cësar qui atiit sos^ k 
transporter le siège de TEmpire à Alexandrie ou à Troie. Suet. , Ors, » 79. 
/^. la belle ode d'Horace : Justum ac tenacem, etc. 



385 

amant, Mithridate femelle, étonnant de sa sagacité 
tou$ les peuples barbares, et leur répondant dan» 
leurs langues^; génie varié, multiple, comme la 
toute féconde Isis , sous les attributs de lac[uelle elle 
triomphait dans Alexandrie. Il parait qu^elie était 
adorée de l'Egypte. Lorsqu'après sa mort, on ren-* 
versa les statues d'Antoine, un Alexandrin donna 
cinq millions de notre monnaie, pour qu'on laissât 
debout celles de Cléopâtre •. 

Avant d'entreprendre la guerre des Parthes , 
Antoine réunit au royaume d^Egypte tout le bassin 
de la mer de Syrie ; c'est-à-dire toutes les contrées 
maritimes et commerçantes de la Méditerranée 
orientale , la Phénicie , la Célésyrie , l'île de Chy- 
pre, une grande partie de la Cilicie; déplus, le 
canton de la Judée qui porte le baume , et l'Arabie 
des Nabathéens , par où les caravanes se rendaient 
vers les ports delà merdes Indes'.Placerces diverses 
contrées dans la main industrieuse des Alexandrins, 
c'était le seul moyen de leur rendre l'importance 
commerciale qu'elles avaient perdue depuis la ruine 
de Tyr et la chute de l'empire des Perses. 

Antoine distribua les trônes de l'Asie occidentale 
avant d'envahir la Haute-Asie. Le moment semblait 

' Plut, t Anion» 
* Id., ibidem., sab fin. 

' Plot. — Appien ( lib. ÎV ) dit qu'Antoine attaqua Paimyre , la rivale du 
commeroe d'Alexandrie. 

• H. a5 



386 

venu d'accoitiplir les projets de César. Les Panbes 
étaient divisés. Plusieurs d'entre eux, réfugiés près 
d'Antoine , lui contaient que leur nouveau roi 
Phraate avait tué son père et ses vingt-neuf frères. 
Le roi d'Arménie, ouvrant le passage par ses mon- 
tagnes, dispensait les Romains de traverser les 
plaines si fatales à Crassus. La cavalerie légère 
d'Arménie venait se joindre aux in^stibles^ esca- 
drons des Gaulois et des Espagnols ^ qu'emotienait 
Antoine; mais il fallait se hâter. Les Parthes se 
dispersaient pendant l'hiver, et ne paraissaient 
point en campagne. On devait trouver Phraate dé- 
sarmé en l'attaquant au commencement de cette 
saison ^. Antoine se souvenait, d'ailleurs^ que la 
célérité ^vait été le principal moyen du grand Cé- 
sar. Il laissa donc sous l'escorte de deux légions 
les machines de guerre qui le retardaient^ pé-- 
nétra rapidement dans le pays ennemi, et viat 
mettre le sîége devant Praapsa (ou Phraata). 

Le siège trainâit en longueur, faute de machines ^ 
elles. avaient été interceptées par les Parthes av^cr 
tes deux légions. Antoine avait beaucoup de peine 
à nourrir sa cavalerie j le roi d'Arménie emmena la 
sienne, découragé ou gagné par les Parthes. I>èxs^ 
lors il n'y avait plus de succès* à espérer. Phimate 
profita de ce moment et traita avec Antoine. Le i-oi 

* Plut., in Anton. — * Ibid. 



â8T 

barbare lui promit une retraité sûre ^ et jpehdànt 
cette retraite de vingt-sept jours, il lui livra dix-huit 
<x>inbats. Plus habile que Crassus, Antoine jmt le 
tchemin des montagnes, et découragea les Parthes 
par les charges vigoureuses de sa cavalerie gauloise. 
Au milieu de ces attaques continuelles, et de tous 
les maux que pouvait endurer une armée dans un 
pa}js nu^ sans vivres, sans chemin, coupé d'âpres 
rochers et de grands fleuves , le Romain s'écria plu- 
sieurs fois : O Dix mille ! La retraite d'Antoine né 
fut guère moins glorieuse que celle de Xénophon. 
U y fit admirer son humanité autant que son cou'^ 
rage ^ . Parvenus aux bords d'une rivière , au-^elà de 
laquelle ils ne voulaient plus le poursuivre, les 
Parthes , débandant leurs arcs , exhortèrent les Ro^ 
mains à passeï" paisiblement, et leur exprimèrent 
leur admiration*. Antoine avait perdu vingt-quatre 
mille hommes. Il en perdit encore huit mille paf 
une marche forcée que rien ne motivait, sinon 
son impatience de revoir Gléopàtre. 

Le seul roi d'Arménie était la cause du mauvais 
succès d'Antoine. Gelui--ci trouva moyen de s'empa- 
rer en trahison de l'Arménien et de son royaume» 
Maître des fortes positions de l'Arménie, il menaçait 
de bien près les Parthes. Mais avant de les atta-s 
quer, il retourna encore. en Egypte, où il voulait 

* Plat, f in Anton, — * Ibid. 



388 

montrer son captif^ et . triompher dans sa Rome 
prientale. 

C^te adoption solennelle des yaincus y qui révol- 
tait les Macédoniens contre Alexandre^ nMndisposa 
pas moins les Romains contre Antoine, Ce fut avec 
étonnement et une sorte d'horreur, qu'ils le virent 
siéger près de son Isis, sous les attributs d'Osiris. Il 
avait £ait dresser sur un tribunal d'argent deux 
trônes d'or, un pour lui, l'autre pour Cléopatre et 
Césarion qu'il déclara fils de César, u 11 donna en- 
suite le titre de rois des rois aux enfans qu'il avait 
eus de cette reine. Alexandre eut pour parta^ FAr- 
inénie, la Médie et le royaume des Parthes, qu' An- 
tenne espérait conquérir* Ptolémée, aon second fils, 
eut la P^énicie , Is^ Syrie et la Cilide. Il les présenta 
tous les deux au peuple. L'ainé était vêtu d'une 
xobe médique, et portait sUr la tète la tiare et Je 
l>onnet pointu, qu'on appelle cidaris, ornemâos 
des rois Mèdes et Arméniens. Ptoléméé avait un 
long manteau , des pantoufles et un bonnet entouré 
4'un diadème, costume des successeurs d'Alexan- 
dre. Pepuis ce jour, Cléopàtre ne parut plus en 
public que vêtue de la robe consacrée à Isis, et 
donna ses audiences au peuple sous le nom de la 
nouvelle bis ^ . » 

Ce fut pour Octave un beau et populaire sujet de 

' Plut. , in Anion, 



369 

guerre. Sa cause devint celle de Rome. Toutefois^ 
pour rendre Antoine plus odieux encore , il envoya 
Octavie en Grèce avec des présensd'annes^ d'argent, 
de chevaux. Elle fit demander à son mari où il vou- 
lait qu'elle lui amenât tout cela ^ . Antoine lui or* 
donna de rester en Grèce , et plus tard de quitter 
sa maison de Rome. On la vit avec compassion em- 
mener avec ses enfans ceux qu'Antoine avait eus 
de Fulvie. Ainsi les vertus de la sœur servaient la 
politique du frère. 

Octave accuse alors Antoine dans le sénat d'avoir 
démembré l'Empire et introduit Césarion dans la 
famille de César. Il arrache aux vestales le testament 
qu'Antoine avait déposé entre leurs mains ^^ l'ou- 
vre et le lit au sénat* En même temps , il faisait 
courir le bruit qu'Antoine voulait donner Rome à 
Cléopàtre^ que les soldats romains portaient déjà 
lechi£Ere de la reine sur leurs boucliers'. Les prin*^ 
cipaux témoins contre Antoine étaient un Calvisâùs, 
un Plancus,. homme consulaire, qui avait long*- 
temps amusé Antoine de ses bouffonneries ) i) s'était 
fait honneur dans les orgies d'Alexandrie, pour 
avoir joué avec beaucoup de naturel le dieu poisson 
Glaucus , avec un costume vert de mer et une queue 



' Id.f ibidem. 

• Suet. , Aug, , c. \7, 

* Dio. y lib. L, 5. 



X 



390 

pendante ^ Reprenant sa place au sénat ^ il y accusa 
son maître ; il le représenta suivant à pied la litière 
de Cléopàtre^ avec ses eunuques; s'interrompant 
sur son tribunal^^ au milieu des rois et des tétrar- 
ques^ pour lire les jolies tablettes d'amour en cristal 
et en cornaline y que lui envoyait la reine ; un autre 
jour^ descendant de son tribunal^ et laissant tout 
seul l'illustre Fumius qui plaidait devant lui , pour 
se joindre au cortège de la reine' qui passait sur la 
place et soutenant sa litière comme un esclave. On 
soupçonnait Calvisius et Plancus d'avoir foi^ une 
bonne partie de ces accusations ^. 

Elles étaient soutenues pai* Octave^ qui voulut 
dans cette affaire n'agir qu'au nom du sénat. Toute- 
fois les motifs de guerre étaient bien faibles en réa- 
lité. Si la guerre se faisait pour l'intérêt de Rome^ 
qu'importait le divorce d'Octavie, et l'introduction 
de Césarion dans la famille Julia? Si elle était entre- 
prise pour venger les torts d'Antoine envers Octave, 
le don fait par le premier à la reine d'Egypte était 
aussi légitime que toute cession analogue faite par 
Octave d'une des provinces qui composaient son 
partage. Les consuls en jugèrent ainsi, et passèrent 
tous deux du côté d'Antoine. Le sénat, dominé 
par Octave , ota à son rival la puissance triurari- 
rale, et déclara la guerre à la reine d'Egypte, ce Ce 

• VeUeiusPtt, , 1I,\î. 83. 

* Ptut. y Anùinii viiq. 



y 



391 

n'est pas Antoine , disait Octave^ que nous aurons 
à combattre ; les breuvages de Cléopàtre lui ont oté 
la raison ; nos adversaires seront Teunuque Mar- 
dion^ un Pôthin^ une Charmion^ une Iras^ coi£feuse 
de Cléopàtre ^ . » 

Octave n'était pourtant pas si rassuré qu'il le 
disait. Antoine avait deux cent mille hommes de 
pied^ douze mille cavaliers^ huit cents vaisseaux^ 
dont deux cents étaient fournis par Cléopàtre. Le 
roi de Pont^ ceux des Arabes^ des Juifs ^ des Ga-- 
lates^ des Mèdes^ lui avaient envoyé des secours j 
ceux de Cilicie^ de Cappadoce^ de Paphlagonie^ de 
Comagène^ de Thrace^ étaient venus en personne 
soutenir la cause commune du monde barbare. Une 
armée de Gètes était en marche. On a blâmé les 
délais d'Antoine^ et son long séjour à Samps avec 
Cléopàtre. Mais je ne sais s'il fallait moins de temps 
pour réunir tant de troupes diverses du fond de 
l'Asie jusqu'à l'Adriatique. Octave, dont les forces 
étaient moins dispersées, fut prêt le premier, passa 
la mer avec deux cent cinquante vaisseaux, et dé- 
barqua près d'Actium une armée d'environ cent 
mille hommes. 

Cléopàtre voulait qu'on lui dût la victoire \ elle 
insista pour que l'on combattit sur mer. On se sou- 
venait d'ailleurs que Pompée, que Bru tus , avaient 

' Id. , ibidem. 



393 

péri pour avoir remis leur fortune au hasard d'un 
combat de terre , au lieu de profita de leur supé- 
riorité maritime. La flotte battue^ les légions res- 
taient^ et rien n'était perdu ; mais les légions une 
fois détruites^ à quoi servait la flotte? Ces légions 
renfermaient sans doute encore quelques^^ms des 
vétérans qui avaient échappé à la glorieuse et meur- 
trière retraite de la haute Asie , mais elles n'avaient 
pu se recruter dans les pays belliqueux de FOocî- 
dent. Antoine avait prêté des vaisseaux à Odave, 
selon leurs conventions ^ mais Octave n'avait p(»nt 
envoyé de troupes à Antoine ^ . 

Les vaisseaux d'Antoine étaient hauts et massifs; 
ceux d'Octave légers et rapides. Cependant la su- 
périorité des manœuvres n'était pas toujours un 
avantage décisif dans les batailles navales de Fanti- 
quité. Duiliius avait battu les vaisseaux de Carthage^ 
César ceux des Vénètes^ Agrippa ceux de Sextus^ en 
les immobilisant avec des mains de fer. Antoine 
avait peu de rameurs pour une* si grande flotte. 
Mais il comptait sur vingt mille vétérans qu'il 
fit monter sur ses navires ^ et qui d'en haut pou- 
vaient combattre avec avantage. Ses vaisseaux ne 
craignaient pas d'être frappés y même aux flancs ' ; 
les éperons des galères d'Octave se brisaient 
contre ces gros navires construits de fortes poutres 

* Appian. , IV. — . ' Plut. , jénion. 



393 

cerclées de fer. CSiagiui d'euï était une citadelle 
qu'il fallait assiéger. 

Le combat était doûtem: (et il se prolongea plu- 
sieurs heures encore)^ lorsqu'on voit tout à coup 
soixante vaisseaux de Cléopàtre. traverser à toutes 
voiles les lignes d'Antoine et cingler vers le Pélo* 
ponèse. La reine avait voulu monter un de $e$ 
vaisseaux; mais elle ne put soutenir la vue de cette 
horrible mêlée. On peut soupçonner encore que 
cette femme perfide désespéra de la fortune d'An* 
toine^ et se hàta^ par une défection précipitée , de 
mériter la démence^ peut-être l'amour du vain- 
queur. Elle croyait que son destin était de régner 
sur le maître du monde , quel qu'il fût ^ qu'il s'ap- 
pelât César 9 Antoine ou Octave. 

Antoine ne soutint pas ce coup. Il parut saisi d'un 
vertige 9 comme Pompée à Pharsale. Il suivit Cléo- 
pàtre. Innocente^ il voulait la défendre; la flotte du 
vSdnqueur pouvait arriver aussitôt qu'elle dans 
Alexandrie : coupable y il voulait la punir , l'empè^ 
cher de se donner à Octave^ et mourir avec elle. 
Peut-être encore Antoine la suivit par un instinct 
aveugle, et sans songer à rien de tout cela. Peut- 
être pensait-il risquer peu par cette retraite, il 
croyait à la fidélité de son armée de terre. U fut 
frappé d'étonnement , quand il sut qu'au bout de 
huit jours , elle s'était livrée à Octave , et elle ne 
l'eût pas fait , si elle eût su qu'Antoine avait laissé 



394 
b Canidius l'ordre de la mener en Asie par la Ma- 

cédoine ^ . 

Antoine , il faut le dire , avait quelque sujet de 
prétendre à rattachement et à la fidélité des siens. 
Xpus ceux qui le quittèrent ne se plaignaient point 
de lui , mais de Cléopâtre. Au moment de la ba- 
taille , son vieil ami Domitius Payant abandonné , 
Antoine lui renvoya généreusement ses serviteurs , 
ses esclaves , tout ce qui était à lui •. Domitius en 
mourut de remords. Après Actium , les rois aban- 
donnèrent Antoine; les gladiateurs lui restèrent 
fidèles. Ceux qu'il faisait mourir à Cyzique, entre- 
prirent de traverser toute l'Asie mineure , la Syrie, 
la Phénicie , le désert , pour aller en Egypte se 
faire tuer pour leur maître ', 

La grande affaire d'Octave n'était pas de pour- 
suivre son rival , mais de licencier , de disperser , 
de contenir cette prodigieuse armée dont il se trou- 
vait chef par la soumission des légions d'Antoine. 
Il fallut^ pour apaiser les vétérans, qu'il mit à l'en- 
can ses propres biens et ceux de ses amis. 

Cependant Antoine^ abandonné de quatre lé- 
gions qui lui restaient dans la Cyrénaïque y se 
livra à un farouche désespoir. Ses amis^ sa puis- 
sance y l'avaient abandonné ; l'amour même ^ cet 

' Plut , Ant. — • ibid. ibid. — ' Ibid. ibjd. 



395 

amour fatal , lui manquait dans son dernier jour. 
Retiré près d'Alexandrie dans la Tour de Timon le 
misanthrope qu'il s'était consti*uite, il y attendait 
la mort. Mais l'égyptienne craignait le caprice d'un 
désespoir solitaire j elle trouva moyen de ressaisir 
son captif, et pendant qu'elle envoyait à César la 
couronne et le sceptre d'or ^, elle enivrait l'infor- 
tuné de voluptés funèbres , ou le berçait de vains 
songes. Ce n'était plus le temps de la vie inimita^ 
hle; elle avait imaginé à la place une société des 
inséparables dans la mort. Les nuits se passaient en 
festins ; le jour, elle essayait des poisons divers sur 
des esclaves , assistait à leur agonie , pour savoir 
sMl n'existait pas une mort voluptueuse ^ . Antoine 
s'endormait dans cette douce pensée que Cléopàtre 
voulait mourir avec lui. Quelquefois, elle relevait 
son espoir, et faisait des préparatifs pour passer en 
Espagne , et y renouveler la guerre ; ou bien encore, 
elle ramassait son or, ses pierreries, ordonnait 
qu'on traînât ses vaisseaux par-dessus l'isthme , de 
la Méditerranée dans la mer Rouge ; elle voulait fuflr 
avec son Antoine dans les îles heureuses de l'Océan, 
et vers les rivages embaumés des Indes. 

Dès que César approcha de l'Egypte, la reine lui 
livra Péluse, la clef du pays. Elle avait reçu de lui 

' Dio, , LI,6, p 637. 

• Dio. , LI , H . ^ Plat. , Anton. , sub fin. 



3% 

des messes amoureux ^ , elle croyait tenir en- 
core celui-ci. Il lie £^agissait plus que de s^ débar- 
rasser d'Antoine. Le nuUheureux â'obstinait à avoir 
confiance en elle. Le jour même où César parut 
devant la ville ^ il se battit en lion aux portes d'A- 
lexandrie^ et, rentrant dans la ville, il embrassa 
Qéopàtre tout armé, et lui présenta ses meilleurs 
soldats. Le lendemain , sa cavalerie le trahit ; son 
infanterie fut écrasée ; en même temps il aperçut la 
flotte égyptienne qui s'unissait à celle de César. Cléo- 
pàtre avait eu soin <f 6ter à Antoine ce dernier asile. 
Elle-même, craignant enfin sa vengeance, se 
cacha avec ses trésors 4ans un tombeau fortifié 
qu'elle s'était construit. Quand Antoine se retira 
dans Alexandrie, on lui dit que Cléopàtre s'était 
donné la mort : Je mourrai donc, dit-il; et il ap- 
pela un esclave qu'il réservait depuis long-temps 
pour ce dernier moment. L'esclave leva l'épée , * 
mais au lieu de frapper son maître, il se p^nça Im- 
méme; Antoine rougit, et l'imita. On lui a|qf>rit 
alors que Cléopàtre vivait encore ; il ordonna 
qu'on le portât près d'elle, voulant du moins mou- 
rir dans ses bras. Mais elle craignait trop pour 
ouvrir la porte ; avec l'aide de ses femmes y elle 
le guinda jusqu'à une fenêtre , d'où elles le redes- 
cendirent dans le mausolée. Il expira en la consolant. 

' Dio., LI, 8, p. 638. 



'41^ 



307 

Par la même fenêtre ^ entrèreat les soldats de 
César; ils arriirèteiit à point nommé pour arrêter le 
bras de la reine qui faisait mine de se percer d'un 
poignard qu'elle portait toujours à sa ceinture. Au 
fond ^ elle tenait à la vie ; elle comptait essayer sur 
le jeune Octave les grâces d'une belle douleur et 
la coquetterie du désespoir : tout cela échoua con- 
tre la froide réserve du politique. 

Alors, elle voulut sérieusement mourir : elle 
s'abstint d'alimens. Octave souhaitait la conduire 
vivante à Rome , et triompher en elle de toot 
l'Orient; il l'intimida par la menace barbane de 
faire tuer ses enfails, si elle mourait. Toutefois 
l'horrible imaga du triomphe, fô crainte d'ôtne 
tr^néé la chaîne au col, sous les outrages de la 
populace de Rome, l'emportèrent enfin. Un jour 
on ia trouva morte au milieu des ses femmes exp^ 
rsuites : elle était couchée sur un lit d'or , le dia^ 
-dèms au front, et parée, comme pour ilne fèt^, 
de ses vètemens royaux 

De quelle mort avait péri Cléopàtre? oii né Ta 
bien fcu jamsôs ^ . Le bruit courut qu'elle s'étliit &jt 
Iqpporter un as|>ic cadié dans un paniw de belles 
figues ; et lorsqu'elle vit le reptile^.iibérateur soith* 
de la fraîche verdure sa petite tète hidf use , elle 
aurait dit : Te voilà donc ! . . . . César adopta cette 

* Plut. , in Anton, vite. 



398 

croyatice. populaire, et l'on rit à son triomphe Une 
atatue de Cléopàtre le bras entouré d'un aspic. 

Le mythe oriental du serpent que nous trouvons 
déjà dans les plus vieilles traditions de FAsie, repa^ 
rait ainsi à son dernier âge, et la veille du jour où 
rile va se transformer par le christianisme ^ . Le ser- 
pent tentateur , qui , tout bas , siffle la pensée du 
mal au cœur d'Adam , qui nage et rampe et glisse 
et coule inaperçu, n'exprime que trop bien la 
puissance magnétique de la nature sur l'homme , 
cette invincible fascination qu'elle exerce sur lui 
dans l'Orient. Et cette dangereuse Eve par laquelle 
il nous trouble^ c'est encore le serpent. Pour TA- 
•rabe du désert, pour l'habitant dd l'aride Judée, le 
fleuve fécondant de l'Egypte est un serpent dardé 
tous les ans des monts inconnus du Paradis. Moïse 
ne guérit Israël de son adultère idolâtrie, qu'en lui 
feôsant boire la cendre du serpent d'airain. L'aspic 
qui tue et délivre Cléopàtre, femie la longue do- 
mination du vieux dragon oriental. Ce monde sen<- 
$uel^ ce Blonde de la chair, meurt pour ressusciter 
plus pur dans le christianisme , dans le mahomé^ ' 
tisme^ qui ,$e partageront l'Europe et TAsie. C'était 
une belle et mystérieuse figure que l'impercep- 
tible serpejott de Cléopàtre, suivant le triomphe 

Les considérations suirantes sont la préparation et k commencement de 
la seconde partie de mon Histoire. L'Histoire de TEmpire s'ouvre |Mir Fèi* 
chrétienne. 



599 

d'OWave, le triomphe de l'Occident sur TOrient* 
L'Orient avait dit par la voix de Cléopâtre : Je 
dicterai mes lois dans le Capitole ^ ; il fallait aupa- 
ravant qu'il conquit l'Occident par la puissance 
des idées. Antoine et Cléopâtre représentèrent dans 
leur union le futur hymen de la barbarie de l'Oo: 
cident et de la civilisation orientale. Mais le trône 
d'or d'Alexandrie n'était pas une place digne pour 
ce divin mystère. C'était dans la poudre sanglante 
du Colisée qu'il devait s'accomplir , entre la blan-* 
che robe du catéchumène chrétien et la chaste nu*« 
dite du captif barbare. 

La veille du jour où Antoine devait périr dans 

Alexandrie * on entendit dans le silence de la nuit 

une harmonie de mille instrumens , mêlée de voix 

confuses , de danses de satyres et d'une clameur 

d'Évoë ; on eût dit lihe troupe de bacchantes qui y 

après avoir mené grand bruit dans la ville y passait 

au camp de Gé^ar. Tout le monde pensa que c'était 

Bacchus^ le dieu d'Antoine^ le dieu d'Alexandre et 

d'Alexandrie.^ qui l'abandonnait sans retour , et se 

livrait lui-même au vainqueur. Et^ en ^et^ les^ 

temps étaient finis. Le dieu efïréné du naturalisme 

antique^ l'aveugle Éleuthère*, le furieux libérateur, 

• Dio , 1. 422 , p. 607 : Tiivli iu^^iv t^v ftïyidlijv , ôffo/i « o;*- 
' Sur ridentité de Baochnsy d'Osiris et de fiérq» m>x> - ^ 



400 

le rédempteur sanguinaire de l'ancien^ son Christ 
impur, avait mené son dernier chœur, consommé 
sa dernière orgie. L^humanité allait soulever sa 
tête de Tivresse^ et jeter en rougissant le thyrse et 
la couronne de fleurs. Le vieil Olympe avait vécu 
&ge de dieux } il se mourait, selon la prc^héûe 
étrusque et la m^iace du Proinéthée d'Eschyle. 

fallut toutefois trois siècles pour que le dieu 
de la nature fut dompté par le dieu de l'àme; le 
tigre ne Se laissa pas enchaîner sans se venger par 
de cruelles morsures ; des torrens de sang coul^^eot, 
et les âmes soufGraient encore au-dedans. É^Kxpie 
d'incertitude, de doute et d'angoisse morteUe! Qui 

eût pensé qu'elle dût revenir un jour? Ce se* 

cond âge du monde, commencé avec l'Empire^ il y 
a tantôt deux mille ans, on dirait qu'il s'en va finir. 
Ah! s'il en est ainsi ^ vienne donc vite le troi- 
sième, et puisse Dieu nous tenir moins long-rten^ 
suspendus entre le monde qui finit ^ et celui qoi 
n'a pas commencé ! 

^ |f. Gnigiuwit ( SèmpU et son ongine, à la fin da ton. V dn Tkâle 4t 
M. Bamouf. ) — Plut. Dr 75m/. e/ Om>. r BeX7iov U riv Otri^n tî; 
ray/lo vMitàyii» t«> àigvvota , t^ tc Otrlpiii tov 2â^aircv. Le dérdop- 
pement de ces deux dernières pages se trouvera dans mon histoire de rEmpûe. 
* là la fin ne peut être la mort , mais une simple transformatioD. Crm. 
qui ont lu mon Ininniuciion à tHisioire uièivtnelU^ mon Discoun smr 
^co f oo mon Histoire de France , ne se méprendront pas sar ma pcasce. 

nif DU TOUS SECOND. 



401 



n^as 



TOME PREMIER. 

pRiFÀCC < 

Introduction, itniie, \ 

Chapitre I"'. Aspect de Rome et du Latium moderne . . . 1^ 

Chap. II. Tableau de lluUe 2S 

Chap. III. LesPélasges ' . ^4 

Chap. IV. Osci ; Latins , Sabins 4& 

Chap. V. Tusci , ou Etrusques 6S 

lA^YilL VVCeMl£Si, Origine ^ organisation de !a cité . . . . 41 
Chapitre I*'. Les Rois^ époque mythique ; explications conjecturales. 89 
Chap. II. ' Origine probable de Rome. — République , Age héroïque. 
Curies et centuries. — Lutte des patriciens et des plébéiens. — Tri- 
bunal 125 

Chap. IlI.Suite du précédent. — Premières guerres. — Loi agraire ; 
colonies. — Les XII Tables. — Prise de Veîes par les Romains , de * 

Rome par les Gaulois 461 

LIVRE II. Conquête du monde, 444 

Chapitre I"'. Conquête de Tltalie centrale. — Guerre des Samnites, etc. 

34S-28S 201 

Chap II. Suite du précédent. — Conquête de Tltalie méridionale. — 
Guerre de Pyrrhus , ou guerre des Mercenaires grecs en Italie , 

281-267 231 

Chap. III. Guerre punique , 265*241 . — Réduction de' la Sicile, de 
la Corse et de la Sardaigne , de la Gaule italienne, de Tlllyrie et de 
ristrie, 2da-219 245 

m 

Chap. IV. Les Mercenaires. — Leur révolte contre Carthage, 241-238. 
— ^ Lettr conquête de FEspagne , 237-221 . — Leurs génénux, Ha- 
milcar , Hasdmbal et Hannibal 277 

EcUircissemens du tome premier 297 

II. aC 



402 



TOME SECOND. 

SUITE DU LIVRE II. ConifuêU Au monde, 

Crap. y. Les Mercenaires en Italie. — Hannibal. 218-202. . . 

Chap. VI. La Grèce envahie par les armes de Rome. — Mn*. 
Antiochus. —Antiochus. 200-189 

Suite dc Chaf. VI. Rome envahie par les idées de la Grèce. — Sci- 
pion, Ennius , Naevios et Catoi: 

CiLLP. VII. Réduction deTEspagne et des Etats grecs. — Posée. — 
Destruction de Corintbe , de Caithage et de Numance. 489-134. . 

UVRE HI. Dissolution de la Cite, 

Gràp. I**. Extinction des plâ>éiens pauvres , remplacés dans la col- 
tore par les escbves , dans la cité par les affranchis. — Lutte des 
riches et chevaliers contre les nobles.-^Les chevaliers eolèrentaoi 
nobles le pouvoir judiciare 

Suite DU Chap. I'\ Tribunal des Gracches. 433-121 

Chap. II. Suite de la lutte des rao^/^x et des chevaliers.— Les cbera- 

liers obtiennent le commandement militaire. — Marius défait» 

barbares du midi et du nord ( Numides et Cimbres ), 1 2 1 -1 00. ■ 
Chab. III. Guerre sociale. — Les Italiens obligent Rome de leorar- 

corder le droit de cité. — Guerre sociale et civile de Haiius et de 
• SyDa.— DicUture de SyDa. — Victoire des nobles sur les cberaliecs, 

de Rome sur les Italiens. 1 00-77 

Chap. IV. Pompée et Cicéron. — Rétablissement de la domination do 

chevaliers. — Sertorius, Spartacus, les pirates, Bfithridate- 77-64. 
Chap. V. Jui.E»-CésAK. — Catilina. — Consulat de César. — f'ue"* 
. des Gaules. — Guêtre civile. — Dictature de César, et sa mort 

63-44 

Chap. VI. César vengé par Octave et Antoine. — Victoire d'Octate 

sur Antoine, de rOccident sur rorient. 44-31 



56 
71 
104 



155 

15S 



481 



20« 
23i 



261 
S53 



4o3 



TOME PREMIER. 

PRÉFACE. 

Premières appucttions de la critiqne à THistoire Romaine . , Page 4 

4124. Gkreanos 2 

4685. Perizonius ibid, 

4 738. Beanfort S 

4725. Vico 4 

4842. Niebuhp 9 

Ce qui lesterait à faire 42 

Division de THistoire de la ciTilisation romaine 44 

DÎTision de THistoire poIiti<)ae de Rome 4 5 

irn^RODUCnON. — l'Italie. 

Chapitre l^. Aspect de Rome et du Lotium moderne, ... 47 

Chapitre II. Tableau de VIttUie 23 

Lltalie entre les (eux et les eaax ibid, 

Italie dn nord 25 

La Péninsule divisée en deux bandes , par les i^>ennins . . 26 

Rivage oriental 27 

Rivage occidental, Toscane, Campanie, Cidabre . . . ibid. 

Toscane ( f^. aussi p. 70-74 , 220 ) 28 

Campanie 29 

Calabre . . * 30 

Sur les Abbruzzes , y. pages * . . 209-204 

"Chapitre III. f^es Pélasges 34 

Ancienne domination des Pélasges 35 

Les Pélasges en Italie 37 

Les Pâasges , peuple industrieux j odieux aux tribus 

béroiqnes 39 

Extermination des Pélasges 44 



404 • 

^ukri-nx Vf. Osci. -^Latins, Sabt'ns 4^ 

Opieî, Oscif jiusonii ^ etc., c^est-i-dire aborigènes. . 4i 
Ib se diTiaeDt en babitans des plaines ( pbis spédalemcot 
Osci et Opici ) , et babitans des montagnes ( Sabelii^ 

Sobint, Samnites ) 47 

Plus tard , Opica signifie Campanie et Latium ibid. 

Analogie des langues osque, Sabine et latine entre dles, et 

arec le sanscrit . . f . . 48 

Religion des agriculteurs des plaines 50 

Religion de la nature : Saturau54>ps, Djanus-Djana, Maiœn» 

dieu de la vie et de la mort ibàà. 

Fors y Fortuna 52 

Dieux bennapbrodites , inactifs , inféconds -y point d'hall. SS 

Sagesse agricole ; génie dur et intéressé 55 

Religion des pasteurs des montagnes 58 

Culte cruel de Mamers , dieu de la vie et de la mort. . . Ond. 

Génie des diverses tribus Sabelliennes 60 

Ghapitke "V. Tusci j ou Etrusques €5 

De Forigine des Etrusques j conjectures qu^autorise la diver- 
sité de leurs monumens ibid. 

Inductions sur Torigine pélasgique des Etrusques. ... 6" 

Caractère de la contrée ( F, aussi p. 220 ) 70 

Génie sombre des Etrusques 71 

Religion. — Instabilité universelle et fatale de la nature. — 

Doctrine des âges , Yoltumna , Janus 7$ 

Stabilité de la vie agricole. — Divinisation de la terre. — 
Consécration de Tagriculture. Tagès, Tarchon, Tar- 

qoin , Tyrrfaenos 77 

La terre mise en rapport avec le ciel, par la Divination et 

rOrienUtion •. . . SI 

Ctthe des génies humains , Lares , dans V atrium. , autour 

du /ocia. -^ Mânes, Larves 85 

Au-dessus* grands dieux , DU Consentes .8* 

Insuffisance du génie divers des Osques , et du génie exclusif 

des Etrusqnes pour fonder la cité italique 88 



405 

LIVRE I. — OaiClNB, OllGAiriSATlON DR la CITK. 

Cmàpitki I*'. Les Rois. — Epoque myUiique. — Expiications 

conjeciumles. 89 

Le fondateur est un banni , un bandit, un héros. . . . ibid. 
Fils de Mars et d'une Yestale; principe occidental et oriental, 

plébéien et patricien 92 

Remus-Romulus ibid. 

Analogie des histoires de Remus-Romulus et de Cynis . . 93 
^ An 753 ayant J -€. ? Fondation de la cité , par Tinstitutloo 

de Tasile j dualité 94 

Histoire mythique du rapt des^èmmes ibid. 

Romulus meurt comme Dschémschid, Hercule, Sigfried, eti^ 96 

Numa , idéal patricien 97 

Altéré par Tesprit romanesque des Grecs. . . « . . 98 

TuUus Uostilius 400 

Combat des patriciens d'AIbe et de Rome j HoracesetCuriaces, 

comme Remus et Romulos ibid. 

Romulus et Tullus, deux formes d^un même symbole. . . 102 

Ancus , assemblage contradictoire ibid. 

Domination étrusque , sons le nom des deu.\ Tarquins , peut- 
être identiques 105 

Entre les Tarquins, ^env'ifx, révolution plébéienne. . . 107 
Caractère s«'mbolique de la période étrusque, ou des prêtres- 

rois ^ \\\ 

509 ? ^/u/«j , ou rinsnrrection H5 

Porsenna, CocUfs, Mutius 147 

Chapitre II. Origine probable de Rornt. — République^ dge 

héfvique, — Curies et centuries Lutte des patrie 

ciens et des plébéiens n — Tn'bunat, 425 

Rome, d'origine pélas(p-latine ibid. 

Occupé^ ensuite par des pasteurs Sabins , adorateurs de 

THamerf , ^i/ir. ( Tatius, Numa. ) 126 

Les Romains en prirent le nom de Qui ri tes , Mamertiru, 427 

La généalogie de Latinus symbolise ce fait 128 



406 

Et le caractère de Rome est en effet aussi pastonl qu'a- 
gricole «* . . <28 

La domination des Pélasgo-ëtnisques relève les Pébflfo- 

Utins'. •• <3'^ 

La domination des diens des PâasgOrétnisqnes s^associe les 

Pélasgo-latins ou plébéiens. Mastama-tevios ^^^ 

Les Lucomons redeviennent les maîtres. Tar<|iii]ileSupabe, 
L^expulsion des Etmsqnes ne profite qu^aux patiicieossilMos 

Génie patricien , génie plébéien 

Constitution de la cité . . f 

La cité est Tidéal de la famille. Celle-ci n'est pas sonmiar*' 

droit naturel , mais k^ droit public 

Le père de famille est le maître absolu , le Dieu du foyO' 
La femme, les enfans, les esdaves sont des choses . • 
Le droit paternel s'étend de même sur les diens et ooloos 

Tous portent en commun le nom du père 

Le droit , c'est \tjus çuintium , droit de la lance ou de 



le fils hérite de Yoaaàffi^f!'!^ 



la force .... 
Delà, point de testament 

paternelle. . . . 
Le père de famille a le droit divin j sa parole est sacrée; ^ 



lettre est stricte . . 
La dté est également soumise à la précision rbytbmiqœ. 
Les plébéiens n'ont ni droit, ni pain ...••' 

Point d'industrie j esclavage 

La guerre ruine l'agriculture • * * 

De là les dettes 

L'emprisonnement, les tourmens de Ver^gaslulum,(X^' 

Révolte des plébéiens • • 

Retraite sur le mont Sacré 

493?Tribunat 

CnApmiE 111. Suite du précédent. — Pnmières guerres, — ^' 
agraire; Colonies. — Douze-Tables. — ^' 
de yeïes parles Romains, de Rome parles Gniihis. 

Caractère romanesque des premières guerres. 



(32 

m. 

435 

{Il 
139 
«33 
(40 
143 



«44 

143 

447 
448 
451 
452 
453 
454 
456 
457 
458 



46< 



J 



407 

Les Heraiqoes se liguent avec les Romains contre les babi- 

tans des plaines, Volsques et Yeïens 162. 

Ceux-ci s^imissent aux Eques 4 64 

Les Romains s'aggrègent les Latini et Hernici, et extermi- 
nent les Yoîsci-Equi. ibid. 

Extension du nom de Latium 4 65^ 

Le peuple demande sa part du territoire ^ar/rdeRome , à 

la possession duquel tous les droits sont attachés. . . 4 6& 
486 ? Lois agraires , demandant les unes Vager Romanus , les 

autres ies terres conquises 4 68. 

Vager est refusé ; en compensation , les terres conquises 

sont mesurées , orientées en colonie sur le modèle de Vager. i 70 

Mais la colonie reste dépendante de la métropole . ^ 1 72 

Municipes .... * tbt'ff. 

462 ? Les Plébéiens restés à Rome ne demandent plus que les 

droits de la cité ; Terenlius Arsa 4 75 

On leur donne les terres profanes de TAventin . . . . 4 76 

Décemvirs ihûi, 

449? Lois des Douze-Tables • . . 478 

I. L<MS de garantie coiitre les patriciens fùt'd. 

II. Introduction d^un droit plus humain 4 84 

m. Efforts du législateur en faveur du passé 4 83- 

Dans les Douze-Tables éclate la dualité romaine. . . . 4 85 
Les Plébéiens demandent bientôt le eonnubium ; et le 

consulat 487 

444 ? Les Patriciens abolissent le consulat 488 

57&.' Loi de Lie. Stolo 48» 

Victoire des Plébéiens 4 90 

Guerre contre TEtrurie ibid. 

S95 ? Prise de Veies. Institu^on de la solde 4 93 

Prise de Faleries. et de yuUinies 4 94 

394 ? Invasion des Gaulois , et prise de Rome. ..... 4 95- 

Reconstruction de Rome 49^ 

LIVRE IL — CcofquâTB DU moitdx. 
CHàPiTRE P'. Cortf/uetc de VJtalie centrale. — Guerre des Sam- 

nites, etc.lA^-l^^ 204 



408 

Aipect des Apennins 20f 

LesSamnites 20S 

Ib s^emparent de Capoue. Dégénération des Çamnites de la 

plaine 205 * 

Les Latins s'allient aux Campaniens contre les Samnites des 

, montagnes 206 

Puis ils réclament les droits de la cité romaine 207 

Les Romains s'allient aux montagnards , et sont vainqueurs. 208 

340-31 4. Destruction de la nationalité campanienne et latine. . ibiii. 

839. Lois de PubUlius Philo. 243 

343. Guerre du Samnium , de la cité contre la tribu , de la plaine 

contre la montagne ibid. 

322. Fourches Gaudines 21$ 

313. Les Samnites entraînent les Etrusques dans la guerre. . 218 

Fabius bat les confédérés 22f 

Papirius Cursor , dictateur, écrase les Etrusques et les * 

Sanmite^ 222 

Rome, pendant la trèTc, se. tourne contre les Eques et les 

Berniques 224 

299. Les Samnites descendent dans TEtnirie, et s'associent les 

Gaulois et Ombriens contre Rome 225 

296. Déroûment 4*e Pédus. Soumission des Etrusques . . . 226 

Dernier efSort des Samnites 227 

291. Ils succombent. Désolation du Samnium 228 

Chapitre H. Suite du prtcèdeni. — Conquête de V Italie nfén- 
dionale. — Guette dé Pyrrhus , ou guerre des JUer- 

cenaires ffncs en Itaiie, 2Zi -267 ...... 231 

La grande Grèce et la Sicile ibid. 

Armées mercenaires 234 

Elles s'établissent dans la grande Grèce et ia Sicile . . . 236 

Pyrrhus 287 

281 . Les TarentiQS ra|^>eUcnt contre Rome ...'... 238 

Premiers succès de Pyrrhus 239 

,276. llestdéfeitàDénévent 24S 

Il quitte ritatie. 244 



409 

Chipitrx III. Guerre Puni<jue , 265-244 . — Réduction de la 
Sicile, de la Corse et de la Sardaigne; de la Gaule 
italienne , de Vlllyrie et de VIstrie , 238-24 9 . . 245 
La Guerre Panique a été la lutte des races indo-germani- 
que et sémitique ihid. 

Grandeur et perpétuité de cette lutte 246 

• La Pbénicie , métropole de Garthage 247 

Carthage 250 

Moeurs , constitution , commerce , etc ' . ihid. 

Esprit meicantil 257 

Armées mercenaires 258 

265. Les Romains rencontrent Carthage en Sicile 261 

264 . Pour la combattre , ils se créent une marine. Victoire na- 

Tale de DuiUius 264 

Les Romains transportent la guerre en Afrique. Rëgulus 265 

lis se font battre huit ans en Sicile. Victoires d^Hamilcar.^ 267 
244 . Battus aux îles Egates, les Carthaginois se découragent et 

demandent la paix 269 

Pendant la paix, Rome dompte les Liguriens et les Gaulois. 270 

Premières tentatives des Boies *274 

232. Les Boies et les Insabres se mettent en marche. Terreur de 

l'Italie ..:.... 273 

Rome lève trois armées 274 

222. Victoire de Flaminius et de Marcellus. Puissance de Rome. 275 
Chapitre Y, Les Mercenaires. — LeurrevoHe contre Carthage , 
244 -238. — Leur conquête de t Espagne , 337-224 . 
— Leurs généraux , Hamilcar, y^sdruhal et ffan- 

nihai 277 

Les Mercenaires reviennent de Sicile en Afrique, pour se 

faire payer ihid^ 

Carthage leur demande la remise d'une partie de leor solde. 280 

Ils se soulèvent et marchent sur Carthage 'hid. 

Les Africains se réunissent aux révoltés 283 

Horreur de cette guerre. ( Guerre inexpiable. ). . . . 284 

238. Hamilcar extermine les mercenaires . -, . 286 






410 

Cartbige , pour se délivrer d'Hamilcar, Fenvoie en Es|>agiic. 

SesTÎçtoires 267 

229. Hasdrubal lui succède et fonde Carthaçène 289 

221. Hannibal, '. 290 

219. IlatUqneetprendSagunte l 29S 

» • * 

Il déclare la guerre aux Romains 294 

ÉCLAIRCISSEBfENS. 

Sur Rome et ritalie en général 297 

Sur Tanalogie des langues osque, latine et sàbine a^ec le sanscrit . 308 

Sur la sagesse agricole des peuples italiques 308 

Sur le ver sacrum des tribus sabelliennes . . 31 6 

Sur la Divination des Etrusques .347 

Sur le /«m/Ti/tf m étrusque 319 

Sur le respect des formules et de la lettre stricte diez les Etrusques et 

les R^pains. 321 

^ Sur les oéréaionies de la fondation des villeft , etc 324 

Sur la loi agraire 326 

Sur ridentité de noms de ceux qui proposait les lois agraires . . . 329 

Sur les Colonies et les Munidpes ibid. 

Sur les lois des Dduz&-Tables y comparées aux lois grecques . . . 335 

Sur l'histoire des Décemviis f et les Douze-Tables 340 

Sur les foritiules juridiques. — Idée de THistoire romaine , selon 

M. Gans. 357 

Monumens des anciennes langues de Fltalie 367 

Sur rincertîtude de Tbistoire des premiers siècles de Rome. ^ . . 378 

TOME SECOND. 

SUITE pu LIVRE II. — Ck>HQuiTE du xoros. 

Cbipithe y. Les Mercenaires en Italie. ^-'HannibaL 213-202. f 

21 8. Hannibal passe les Pyrénées , et le Rh6ne 3 

Il passe les Alpes et descend en Italie 7 

Forces d^ûnibal et de Rome 11 

Rencontre du Tésin 15 

Bataille de U Trébie . . . 1& 



411 



^ 



24 7. Anoibal passe les Apennins. Kl 

Bataille de Trasymène 4 9 

Fabius, nommé prodicutenr par les nobles 20 

U temporise et fJiapdonne les alliés 2i 

Le peuple élève v\ consulat Ter* Yarron .....*. 23, 

Les nobles lui opposent Paulos Emilius., 24 

216. Bataille de Cannes ' ihid, 

Hannibal passe rbiTeriCapoue ' 28 

U demande en yain des secoon en Espagne et "k Cartbage. . 30 

et s'allie la Macédoine. 32 

24 5r2 4 4. n manœuvre en Italie contre HarceUus '34 

2H. Rome reprend Gapoue et la. Sicile 36 

240. Le jeune Sdpion parait en Espagne 39 

et prend Cacthagène 40 

.Hasdrubal, vaincu y veut rejoindre Hannibal 44 

207. Il est défait et tué . ., ihid. 

Les Italiens s'nmssent \ Rome contre Hannibal .... 43 

204. Scipion passe en Afrique. .• 45 

Sypbax et Hassinissa ' ihid, 

203. Hannibal repasse en Afrique 48 

202.BaUilledeZama. . 50 

Soumission de Cartbage 52 

Hannibal réferme Cartbage 54 

(Chapitre YI. La Grèce envahie par les armes de Rome. — 

Philippe, jéTittochus, 200-iZ9 56 

Situation du monde ihid. 

Présomption et faiblesse des successeurs d^Alexandre. . . 57 

La Grèce et la Macédoine se détruisent l'une par Tautre. . 59 

200. Guerre de Rome contre Pbilippe 63 

4 97. Bataille des Cynocéphales 64 

Flaminius proclame la liberté de la Grèce 6$ 

200-4 77. Guerre d'Espagne et de Gaule 66 

492. Anliocbus s'allie aux Etolienscoptre Rome ihid. 

Il est vaincu par les Scipions 68 

489. Les Romains détruisent les Gahtes 69 



412 

CiAPiTKK VI (Suite du). Rome envahie par Us idées de la Gme. 

Scipion , JSnnius , ^ύius et Caion "^ 

Anciennes relations de Rome avec la Grèce f^*^- 

La Mythologie grecque associée à k Mythologie italique. . 71 

' Les Grecs écrivent THistoire romaine '^ 

Diodes, Fabiu^ Pictor, Cindus, Gaton, Pison , Ydéiius 

d'Antium , Tite-Live , Denys d^Holycamasse. ... 78 

Histoires romanesques des Fabii, des Quintii, des Mardi, etc. (0 

Les Romains faTorisént on imitent la littérature grecque . ^S 

Ennius et Sdpion ; ^^ 

Le campanien Naerius rdève la littérature nationale, et at- 
taque les Sdpions ^^ 

11 meurt persécuté et banni ^^ 

Après lui , Galon , appdé à Rome par la famille popolaire 

desValérius »< 

Sa rudesse italique. Vie dure,^et inébranlable sévérité . • ^ 

11 attaque rinsolence et la corruption des nobles . . • ^^ 

4 87. Chute des Sdpions . .* '*''' 

Chapitre VII. Réduction de tEsptigne et des Eêals grecs. " 
Persèe, ^- Destruction de Corinthe , de Carthage et 
de Numance. \^%AZA . . . *^^ 

Les idées et les religions de POrient s^introduisent l leur 

tour dans Rome . '*"'■ 

Moeurs corrompues et atroces ^ 

et la politique perfide et crudle ^^ 

172. Persée, fils de Philippe., s'unit à tous les ennemis de 

. no 



Rome 

Et lui dédare la guerre 

Rome enyoie contre lui Paul Emik 

4 68. Paul Emile» vainqueur 

morcelé la Macédoine et riUyrie ; il saccage TEpire. . 
466-462. Tous les rois s'humilient - ^^' 

Caton obtient la grâce des Rhodiens 

La Grèce succombe 

4 46. Mummius brûle Corinthe 



Ut 
«15 

415 



U8 
419 
01 



• 



J 



413 

199-172. HassiikissahaitsHe les Carthaginois 12S 

Ils demandent yainement justice à Rome 424 

Et pirennent les armes * ... 425 

Rome désarme Garthage par on traité ibid, 

Carthage se soulèye 426 

4 46. Scipion Emilien Tassiège et la détruit 427 

4 95-454. Guerres d'Espagne. Viriathe 429 

La guerre se conceûtre dans Numance 4 32 

4 44-4 S4, Scipion Emilien Tassiège et la prend 4 33 

LIVR£ III. DlSSOLDTIOH DE LA GIT^. 

CkiÀPiTae I*'. Ejctinction des Plébéiens pauvres , nmplacès d* as 
la culture par les esclaves ; dans la cite' par les 
affranchis, — Lutte des riches et chevaliers contre 
les nobles, — Tribunat des Grucchest 4 33-4 28. — Les 

chevaliers enlèvent^ aux nobles le pouvoir judiciaire. 4 35 

Le peuple romain s'éteint ibid, 

L'Italie se peuple d'esclaves 436 

Rome se peuple d'affranchis . . . . . ' . . . . 4 37 
La constitution de Rome, fonijée sur une aristocratie d'ar- 
gent, suffisait pour amener la misère et la dépopulation. 4 44 
Les riches envahissent toutes les terres . . . . 4 43 

^ Riches divisés en nobles et chevaliers 4 46 

Les nobles laissent usurper aux chevaliers les domaines . 

publics ibid. 

Toutes les. terres deviennent pâturages; l'agriculture se ré- 
fugie à Rome et y vit de son vote 4 47 

Les censeurs la lui ôtent 4 48 

Autour de Rome, Munidpes, Colons, Latins, Italiens. . 449 

tous aspirent \ entrer dans Rome, dans la cité. . . . 4 54 

4 38. Première guerre des esclaves 455 

^kri-ïtxl" {%fjà\z an). Tribunat des Gmcches, {%%-{!{, . .458 

Origine et éducation des Gracches 4 59 

Tibérius Gracchus . • 4 63 



4U 

i 33. Premières lois agraires , |>oiir foicer les riches à rendre le 

domaine public usiirpë (<^^ 

Tibérios, tout en fiiTorisant les paoTies , dierche ï s'apfMiycr 
sur les cheraliers , ennemis natureb des lois agraires . 166 

Les nobles Tattaquent et le tuent *67 

Le sénat ordonne Teséaition de la loi agraire. Difficultés. i7( 
Les Italiens chargent Section EmiKen de la faire ^lir. . f73 
Sdpion f haï de la populace de Rome ; il est trodré mort 

dans son lit ...... '*«' 

Gaïus Gracchus . . . < • • ^'^ 

02. n donne le pouvoir judiciaire aux chevaliers ^'^ 

Mais la loi agraire blesse à la fois les chêraUers et les lulûei». i^^- 
Sympathie de Gahis pour les nations Taincnes . . . • '^' 
Le Sénat le surpasse en démagogie ^^^ 

nf.Cnus succombe et se tue ; v . • • '^"' 

CuÀFtTaB It. Suite de la lutte des nobles et des chet>alters.^^ Let 
cheval/ers obtiennent le commandement militairg» ^ 
Marius défait les Barbares du midi et du têûtd 
{ Numides pi Cimbns y ili^iùO *** 

H9.Cdtts Marius protégé par Mételhu ^^^ 

part pour la guerre de Jugnrtha ^' 

Jugurtha rdère la nationalité numide 

IH, Accusé à Bome, il ooRompt les nobles . . . . • • ^^ 

La guerre est confiée à Méteflns - ' 

Marius , sou^u par les cfacTaliers , supplante MétdliB. 

106. Juguitfaa meurt de faim dans un cachot. . . . • • - 

Invasion des Gimbres et des Teutons eu Ganle . • • 

DéCûte de Siianus et du consul P. Gasdus . . • • - 

Les Gimbres exterminent l Tolosa Tarmée du consd Sefri- 

liusGépion . . . • ^^^ 

104 
405. Home appe&e Marius . • * 

I9S 

Les Barbares se dirigent vers ritalie 

(96 
Marins bat les Teutons à Aix • ' 

101. Entermhie les Gimbres à Verceil . , • " 



4<5 

l/esclavage introduit des multitudes de barbares dans rEin- 

pire 202 

lie Sénat décrète raSraiiGfaissenient des hommes libres rendus 

comme esclaves en Sicile. 203 

puis se i^trade, effrayé de leur nombre ....... 204 

105-4 . RéTolte des esdayes j défaits par Manius Aquilius . . . ibid, 

Chapithe III. Guerre sociale, »- Les Italiens obligent Rome de 
lePAr accorder le droit dç cite, — Guerre sociale et 
.civile de Marius et Ae Sylla. — Dictature de Sylla» 
— Fictoire des nobles sur les chevaliers , de Home 
sur les Italiens, i 00-77 206 

Marius fait proposer par Satuminus une distribution de 

tecres aux aUiés d^Italie ibid. 

Marius laisse lapider Satuminus 207 

91 . Drusus demande pour les Italiens le droit de cité .... 208 

Les Italiens se liguent contre Rome 210 

88. Conduite équivoque de Marius. Pompéius et Sylla terminent 

la guerre « ,212 

88. Concession illusoire du droit de cité 213 

^Mitbridate soulève TAsie mineure 21 5 

Jttylla demande la conduite de la guerre , et chasse de Rome 

.Marius son compétiteur 21 6 

Sylla part pour TAsie. 217 

87. Ses succès en Grèce 218 

Il bat Mithridate et dépouille r Asie' 219 

Cependant Cinna relève le parti italien et rappelle Marius . 220 

83. Retour de Sylla. Le jeune Pompée se joint à lui. . . . 222 

Massacres et proscriptions 224 

Sylla prend la tyrannie sons le nom de dictateur. . « . 226 

11 rend au Sénat le pouvoir judiciaire, etc . . . . . ibid^ 

79. Mort de Sylla, impuissance de son système 229 

Chapitre IT. Pompée et Cicéron,—^ Rétablissement de la domi- 
nation des chevaliers, — Sertorius, — Spartacus , 
les pirates, Mithridate. 77-J^\ ,,...,, 235 



J 



416 

Eut de TEmpire 2S3 

S3. Un général de Marins , Sertorius , arme lIEspagne . . . 23S 

II occupe la Narboonaise et menace ritaUe 2S< 

73. Il meort trabi et assassiné 23' 

Continuation de la guerre d^As^e. Tigrane et Mitbridate. . ihid. 

m 

75-69. Yictoires de LocuUns, Fun des généraux de 8yUa. . 23S 
Haï des cbeyaliers dont il réprime les eiadions , il est 

rappelé 242 

73. Guerre serrile en Italie. Spartacus. Ses yictoires . 243 

Crassus. Défaite et mort de Spartacus 247 

71 . Pompée extermine le reste des esclaves 250 

Pompée se tourne vers les chevaliers et le peuple . . . 251 
Cicéron, chargé de faire le procès à la noblesse dans la per- 
sonne de Verres * . . . 255 

Pompée rétablit les comices par tribus , Aie au Sénat le pri- 
vilège du pouvoir judiciaire , et le fait partager aux che- 
valiers et anx tribuns 257 

Les chevaliers font donner à Pompée la direction de U 

guerre contre les pirates , et un pouvoir absolu . . 258 

68. Pompée les réduit en soixante-treize jours et se les concilie. 262 

67-64. Il achève la guerre de Mithridate 263 

Chapitre V. Jules-César, — Catiiina, — Consulat de Cesa^— 
Guerre des Gaules. — - Guerre a'çUe. — Dictature de 

César et sa mort, 63-44* 267 

Origine de César ièsd. 

Sa jeunesse audacieuse, dissolue et prodigue 26S 

César , Thomme de Thumanité 26f 

Caton , rhomme de la loi 270 

Situation de Pltalie. Bouleversement de la propriété. . .272 

66. César accuse Tassassin de Saturainus : Cicéron le défend . . 275 

Le tribun RuUus propose une loi agraire. Cicérou la combat, i^id. 

Catilina conspire avec tous les hommes ruinés .... 277 

63. Cicéron se met à la tête des riches, des chevaliers , et dusse 

Catilina 279 

Catilina défait et tué.* 280 






un 

SI». Consulat de César 2^4 

César propose et fett paiocr une loi agraire 285 

Il se fait donner les deux provinces de Gaules . . . . 28G 
Dans la Gaule transalpine , dent partis : 1 *> le parti Gallique , 
on de» rheb de dans ^ 2? le parti Kimrique ou du Drui- 

dbme ; rhérédité et réiection . ; 287 

A la tèle dn second , les Edues ^ à la tête du premier , ks 

Arvemef et les Sëquanes 29f 

Les Séqoanes appellent coiltre les Educs les Sdèves, qui op- 
priment les uns et les autres iùtiii 

Un Edney Dumborix , appdle contre les Snèvâ les Helvètes. îbtd. 

Un Dmide, firère de IKimnorix, appelle les Romdins . . 292 

58. César repoone les Hdvètes. 293 

et cbaaae les Suèves. . 294 

Les Gaulois du nord Se coalisent contre Cé^ , appelé par les 

Edoes , les Sénons et les Rhèmes 295 

57. Guerre pénible de César contre les peuples delà Belgique . 396 
56. n réduit les tnlMs des rivages et TAnnorique .... 297 
55. Il fallait frapper les deu!i partis dont se composait la Gaule, 
dans la Gennanie et dans la Bretagne. 4* César passe le 

tlhirt 298 

2* Il passe en BfCtagoe 299 

54-53. L^insurrection éclate en Gaule de toutes parts . . . SOI 
Soulèvement et extennination des Eburons . . . t'bid, 

52» Sodèvement des Camittes, Arvemes, etc 302. 

César accourt de lltalie , prend Genabom et Noviodonum . 303 

SonlàvencBtdesIdnes . 304 

César assiège dans Alésia le verdngétoris . . . ^ . . 305 

5t . Il la prend, et réduit rapidinDeBt tonte la Gaule. . . . 300 

Ce qui se passait à Home pendant Tabsence de César . . 308 

Clodins, suscité conticCicéron par G^sar et Pompée. 310 

52. etassasainé par Milon , que Cicéron ne peut sauver de FexO. 31 1 

55. Craflsua s^était fait dMner pour province la Syrie, la guerre 

desParthes 5f2 

54. Il est défait et tué 313 

II. a7 



413 

Pompée règne seul a Rome ., , . . SIS 

49. II retit forcerCcsar k mettre bas les ^niies SI4 

Force de César SU 

Faiblesse çt présomption de Pompée SIS 

César passe le Rubicon. 1} setonrae ooralkattoe les Pom- 
péiens en Espagne Sf 7 

11 ^agne les Poippéiens ptraa doofseur, et souli^ la oiisère 

de Rome , ihsd, 

48. Il combat les Pompéiens en Grèce shid. 

Ressources de Pompée SI 8 

César édkoue au siège de Dymclùttm» etsentiie es Maoé- 

doine S.21 

Confiance et insolente cruauté des Bovipétens .... SIS 

l^taille de Pbarsale. S24 

Pompée s^enfiiit en Egypte et meurt tMaisiaé S25 

César passe en Egypte • .* S26 

47. Il est assiégé avec Cléopàtre dans Alesaadiie i^d. 

Son retour en Italie * S29 

Défaite des Pompéions en Afrique. Iloit de Galon . . . SSO 

César introduit les Rari}«res don» Rome, et dans le Sénat. . iàùl. 

46. Triomphe de César. SS4 

Le génie cosmopolite du Dictatent ixmuneBce rinkiation de 

rhnmanité an nouvel empire, SS8 

45 . César acbère \fs Pompéien^ en El|pi«ne< Bataille de Unda. S4C» 
Retour à Rome. César méprise Boom • et aiDoqUe les don- 
neurs odieux que lui défère le Siiut S42 

11 forme le projet d'un code Hniwncl j il t«at joîadre les 

deux mers de U Grèce S4S 

et faire entrer Vhm d«iB» l'Empire. S44 

Coij^uratioo de Bmins et de Canins «6iW. 

Le bruit Gû«it<]ue César veut se faii«.roi. . . . S46 

44. Mort de Césaf .......«...;... S49 

Chapitre VI. César vctigé par Octatm 4i jiaioine. — yictairt 
f^Octaçe sur Antoine , de t Occident sur V Orient, 

44-41 . • 353 



4f9 

BegreU et iodignation du peuple 358 

Antoine se porte pour yengeur de César ...... S54 

Antoine, vrai soldat, génie barbare ....... 355 

Octave, fils adoptif de César 356 

Il déclare qn^il le vient venger. 358 

43. Le Sénat veut s^opposer à Antoine 359 

Triumvirat d^ Antoine, d^Octave et, de Lépide .... 360 

Proscriptions ihid. 

Meurtre de Cicéron , etc « . . . . 362 

Lâcbeté et cruauté ffOcUve ' 363 

De leur côté Cassius et Brutus pillent TAsie 364 

Découragement de Brutus 367 

42. Bataille de Philippes. Mort de Cassius 368 

BÂtussetue 369 

SeztBS Pompée continue la guerre cpntre les triumTÎrs . . 374 

Octave se brouiUe avec le parti d'Antoine 372 

L^amée commande la récondliatioa 37.^ 

Le peuple de Rome force les triumvirs de iaire la paix i|vcc 

Se^t^s ihid. 

40. Antoine a TOrsent j Octave ritalie , TEspagne et la 

Gaule, elc 375 

Octave s^appuie sur Agrippa et Mécène ibid. 

Et fait la guenre à Sextus ............ 376 

39-36. Battu d'abord par les flottes de Sextos. . . . 378 

Octave remporte \ Sextus meurt en Orient (35). . . . 379 

Succès d'Antoine en Orient ibid. 

11 adopte les mœurs de TAsie. Cléopâtre 380 

La lutte d'Antoine et d'Octave est la lutte de TOrient et de 

rOcddent 384 

Antoine attire à Alexandrie tout le commerce de .'A«e . 385 

Son expédition uontn; ks Partbes 386 

34. 11 siège à Alexandrie sous les attributs d'Osiris, et dédare 

fisl de César le fils de Cléopâtre 389 

32. Octave le fait déclarer enqemi public par le Sénat . . . 39(11 



420 

31 . BaUille d^Actium. Cléopâtre s'enftih avec ia ilotte. Antoue 

la suit S95 

Clcopâtre livre à Octave PéTiise rt.!*cntrée de llilQrpie. Ao- 

toine se tue S96 

SO. Mort de Cléop&tre. Triomphe d^Octave sur Antoine, de 

rOccident sur POrient W7 

* 

FISr DE LÀ TABLE DES MATlèlE». 



JRbRJkTA. 



TOME I. 

p 

P: 2 , ligne 24 , animadvcnsiones , 

p. 27, note 2, ^vXciN>cc> 

P. 46 , ligne 4 , Syrrfaëniens , 

P. 67, ligne U , âdigyw, 

P. 77 , m e 2 , ifàirltip , 
P. 423, li^e 26, RegiUeusis, 

TOME II. 



lisex animadTcnionn. 

Useï T^rrhéniens. 
lis« AWvn. 
liseï ifùvlà^p, 
lisex Re^Densis. 



P. 435, dans k titre, 433->4 23, lisez 433>424. 

P. 449, ligne 45, tribus, lisez tributs. 

P. 264, note, E'Kb^Iou^, lisez Èç Kiîilovç. 

P. 294 , ligne 4 sqq. A la t^e de h première se trouvaient les Édao; 
à la tête de la seconde les Arremes et les Sé<|uanes. Ainsi oonmifnçait dea- 
lers rétcmelle guerre de la bourgogne et de la Fnnclie<k>raté. 

Lisez : 

A la tète de la seconde , se trouvaient les Edoes ; à la tête de Upremièir, 
les Arvemes et les Séquanes. Ainsi commençait dte4ors ToppositioD àe 
la Bourgogne ( Édues ) et de la Franche-Comté ( Séquanes). 

P. 348. notes; 1^. Civ. Iisc7 B,Cw. 

V. Gaii. lisez B. Gnll. 



JUN 1 4 1937